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1781, 09, n. 35-39 (1, 8, 15, 22, 29 septembre)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTENANT
Le Journal Folitique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & l'Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Laufes célèbres ; les Académies deParis & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI I SEPTEMBRE 1781.) DU
i
100
PALAIS
ROYAL
ERLION
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
STOR
BRA
Avec Approbation & Brevet du Roi
TABLE
Du mois d'Août 1781 .
PIÈCES
FUGITIVES .
Les Caprices ou la Mer
Fable ,
Saint - Mérice & Camille
Anecdote ,
De la Pulmonie , defes fymp
tômes , &c,
Théâtre de Société ,
.
Les Partraits , & c.
3
,
༨
49 Lettre aux Auteurs du Merc.
Quatrain à Mde la Com efe
d'Erout.
118
150
114
Efai fur la Mineralogie des
165 Pyrénées ,
Memore pour fervir à l'Hif
toirede la Révolution opérée
Ode à Mde de Querl *** , 97
dans la Mufique ,
Epitaphe d'un Financier , 102 Conjuration -
13
145 Idylle .
L'Ae Verd, Fable, 149 .
Enigmes & Logogryphes , 16 ,
175
des Epfagnols
contre Venifes
SPECTACLES.
178
Dialogue entre un Amateur &
53 , 102 , 153 un Comédien ,
NOUVELLES LITTER.
Eloge de Louis Dauphin de
321
39
Comédie Françoife , 45 , 94 ,
132 , 185
VARIÉTÉ S.
133
sf Lettre aux Auteurs du Mer
cure , 136
France , père du Roi , 18 Comédie Italienne , 46 , 95 ,
Du déplacement des Mers ,
Mémoires deFanny Spingler 36'
Jocafle , Tragédie,
Efai fur les Principes de la
Greffe ,
Nouveaux Effais fur la Nobleſſe
, 104
Le Page , Comédie , 116
Eloge de Claude -Jofeph Dorat
,
86 SCIENCES ET ARTS .
Procédé pour retirer l'Ar in
flammable des Méraux , 140
Invention du Sr Verret , pour
les Moulins à Sucre , 186
123 Gravures 46 , 142 , 190.
Mylord d'Ambi , Hiftoire An- Annonces Littéraires , 47 , 96 .
gloife
127
143 , 191
A Paris , de l'Imprimerie de MCHEL- LAMBERT
rue de la Harpo , près S. Côme , 178 1 .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I SEPTEMBRE 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Docteur PONS ART , Médecin
Confultant de LL. AA . Celfiffimes les
Princes de Liége & de Stavelot , & c .
A¯ï qui , parcourant une route inconnue ,
D'un Art cher aux humains embraffes l'étendue ,
Reçois avec bonté l'hommage de mes vers :
Il prélude à celui que te doit l'Univers.
En réglant tes deftins , la prodigue Nature ,
De fes plus riches dons , te combia fans mefure ;
Elle n'attendit pas que , fous le faix des ans ,
La vieilleffe courbât tes membres languiflans :
Par fon rare bienfait , au printemps de ton âge ,
Des maîtres de ton Art ta ravis le fuffrage.
Cette hydre qui , de l'homme enviant les plaiſirs ,
A ij
4
MERCURE
S'abreuve , fe nourrit de pleurs & de foupirs ,
La goutte , fous tes coups demeure anéantie.
Heureux par tes vertus , heureux par ton génie
Que pourroit contre toi le dépit des jaloux ?
Tes fuccès te mettront à l'abri de leurs coups ;
Et tes Écrits , connus jufqu'à l'autre hémisphère ,
Etoufferont bientôt leur clameur téméraire.
En écartant les maux de la fociété ,
Tu marches à grands pas vers l'immortalité.
Chez nos derniers neveux , étonnés de ta gloire
Le refpe&t & l'amour défendront ta mémoire.
O vous ! qui de la goutte éprouvez les rigueurs ,
Ponfart peut feul de l'Hydre étouffer les fureurs ;
Contre-elle il a par-tout des armes toujours prêtes :
Il ne la bleffe point , il abat fes cent têtes.
不需
( Par A. F. de Villers , ** Licentié ès Droits ;
Échevin de la Haute Cour de Malmedy. )
* Un Prince Étranger , vexé d'une goutte vague & habituelle
, eſt venu exprès du fond de la Pologne , ſe mettre
entre les mains de M. Ponfart , qui lui a procuré une
guériſon radicale l'an 1772 .
** Il a été témoin , il y a deux ans , de la guériſon
radicale de deux perfonnes , qui depuis n'ont plus reffenti
la moindre atteinte de goutte.
- DE FRANCE.
ROMANCE.
E -VI-TIZ , fen fi- bles Berge- res , Surtout
le foir , Les bois , les vallons fo- litaires,
Quand il fait noir. C'eft-là fouvent
qu'un Dieu vo- lage Dans un dé-
A iij
MEIR CURE
-
tour , Fait é-prou ver fon ef- cla- va - ge ;
Craignez l'Amour, Sur- tout le foir , Quandil
fair noir, Dansun dé tour , Craignez l'Amour.
On ne peut , de ce traître aimable ,
Sur-tout le fois, -
DE FRANCE 7
Braver le carquois redoutable
Quand il fait noir ;
Employant les plus belles armes.
Dans un détour ,
Il est toujours sûr de fes charmes :
Craignez l'Amour.
SOUVENT pour tromper l'innocence ,
Sur-tout le foir ,
Il prend de la naïve enfance,
Quand il fait noir ,
L'air doux , intéreffant & tendre
Dans un détour ,
Alers comment vous en défendre ? -
Craignez l'Amour.
TROMPÉES par les douces careffes ,
Sur- tout le foir ,
Vous céderez à fes promeffes
Quand il fait noir ;
Mais bientôt , triſtes & plaintives
Dans un détour ,
Vous répéterez fur ces rives :
Craignez l'Amour.
( Paroles de M. Lagache fils , Mufique de
M. ** ** . }
A iy
MERCURE
ES
LES MUSE S
Conte Anacréontique.
Les Mufes font quelquefois défoeuvrées ,
alors elles s'ennuyent comme les malheureux
humains. Un jour que la vive Thalie
ne favoit que faire ( depuis quelque
temps ele eft plus oive qu'autrefois) , elle
defcendit au pied du Parnalle pour voir fi
elle n'y trouveroit pas quelque Amant qui
valût la peine d'être écoute : cela amufe
toujours une femme.
Thalie ne trouva pas ce qu'elle cherchoir
, mais elle apperçut un enfant mak
vêtu , demi- nud , qui couroit dans une prairie,
fes cheveux blonds en défordre retomboient
fur fon vifage , d'une main il les
relevoit , de l'autre il prenoit des papillons
, & leur perçoit la tête d'une épingle.
Le malheureux papillon agitoit fes ailes en
fe debattant. Plus il paroiffoit fouffðir , plus
le méchant enfant rioit ; mais quand il
voyoit le papillon prêt d'expirer , il retiroit
l'épingle , fouloit fur la plaie , & le
moribond reprenant les efprits & fes couleurs
, s'envoloit plus gai & plus beau qu'au
paravant.
Thalie , après s'êrre amusée à confidérer
cet enfant , lui demanda comment il
pouvoit fe plaire à un jeu fi cruel. Ma belle
DE FRANCE. 9
maman, lui dit l'enfant , c'eft l'oifiveté qui
en eft caufe. Tel que vous me voyez , je luis
de bonne famille , mais j'ai éte fort mal
élevé , l'on ne m'a rien appris du tout ; je ne
fais que faire , & je fais du mal.
La vivacite & l'efprit qui brilloient dans
les yeux de l'enfant intérefsèrent Thalie.
Si vous voulez , lui dit-elle , je prendrai
foin de vous ; j'ai des foeurs qui paffent pour
inftruites , nous nous ferons un plaifir de
vous enfeigner tout ce que vous voudrez
apprendre , & peu de temps , nous fuffira
pour vous rendre le plus favant & le plus
aimable des hommes : voulez- vous me fuivre
? Je le veux bien , reprit l'enfant , mais
à condition que ces Dames dont vous me
parlez ne feront que mes Précepteurs , &
que vous feule ferez Maman. En difant ces
mots , il ramalla par terre un petit fac qui
avoit l'air rempli de morceaux de bois , &
le mettant fur fon épaule , il dit à Thalie de
lui donner la main. La Muſe lui demanda
ce qu'il avoit dans fon fac . Ah ! ce n'eft
rien , reprit- il , ce font mes joujoux. Il fe
mit à chanter une chanfon qui n'avoit ni
air ni paroles , & tantôt fautant à pieds
joints fur les buiffons qu'il rencontroit , tantot
s'arrêtant pour demander à la Muſe fi
elle ne favoit pas quelque nid d'oiſeau , il
arriva fur le haut du mont.
Le premier foin de Thalie fut de l'habiller
magnifiquement ; enfuite elle voulut
fe charger elle feule du foin de fon éduca-
A v
10 MERCURE
tion . Savez -vous lire , lui dit - elle ? Pas trop
bien , reprit l'enfant ; mais vous n'avez qu'à
m'écrire ma leçon , je lirai bientôt votre
écriture.
Thalie , qui l'aima bientôt plus qu'une
mère n'aime fon fils , craignit que fes foeurs
n'en devinflent aufli épriſes , & réſolut de
le leur cacher. Elle ht enclore un verger
d'une haie vive , & le donna pour prifon à
cet enfant fi chéri . C'étoit - là que dix fois le
jour la Muſe venoit lui donner leçon . Jamais
écolienne profita mieux ; il luffifoit de
lui dire une feule fois quelque chofe , il la
favoit à ne plus l'oublier. La pauvre Thalie
lui apprit en peu de temps tout ce qu'elle
favoit; mais en lui donnant la fcience elle
perdoit le repos ; fa tendreffe devenoit chaque
jour plus vive ; elle foupiroit fans favoir
pourquoi , & bientôt les leçons fe paſsèrent
à regarder l'écolier.
L'enfant s'en apperçut : Maman , lui ditil
, je fuis bien sûr que vous m'aimez beaucoup
, & cela m'encourage à vous demander
une grâce. Pourvu que ce ne foit pas de me
quitter , répon lit Thalie , je jure de ne rien
vous refufer. Ecoutez- moi , reprit l'enfant ,
yous portez toujours à la main un maſque
qui me paroît charmant , il rit d'une manière
fi gaie & fi vraie , que j'en ai toujours eu
envie. Si vous ne me le donnez pas, je vous
préviens que j'en mourrai de chagrin ; &
qui en fera le plus faché de nous deux ? ce
fera vous. Thalie voulu en vain lui repré-
་
DE FRANCE. II
fenter que ce mafque étoit la marque de la
Divinite; quand je l'aurai , lui répondit l'enfant
, ce fera la marque de votre tendreffe
pour moi , lequel aimez vous mieux ? Le
voilà , lui dit Thalie en foupirant , & le
frippon d'enfant lui fauta au cou , & mit le
matque dans fon fac.
Ce n'eft pas tout , ajouta t'il , vous m'avez
appris tout ce que vous favez , mais vous
m'avez promis davantage. Plus je vous
aime , plus je defire que vous me teniez parole
je veux apprendre la musique , la
danfe , l'aftronomie , la philofophie , toutes
les fciences pollibles , afin de vous devoir
davantage & de vous plaire encore plus.
Ayez la bonté de m'ouvrir le verger , pour
que j'aille m'inftruire auprès de chacune de
vos Soeurs , je reviendrai bientôt me renfermer
avec vous , & confacier à votre amuſement
tous les talens que ' aurai acquis.
Qui n'auroit pas été féduire par un tel
difcours? La crédule Thalie ouvrir à l'enfant,
& pouffa la bonté jufqu'à le recomthander
à chacune de fes fours. Ce foin étoit mutile;
elles l'aimèrent bientôt autant que Thalie
l'aimoit , l'enfant couroit de l'une à l'autre,
& fe faifoit un jeu de tourner la têre
aux filles de Jupiter. La grave Melpomène
fur celle qui réſiſta le plus ; mais elle céda
comme Calliope , comme Uranie qui avoienɛ
voulu fe défendre. Pour Terpficore , Euterpe
& Polynie, elles adorèrent l'enfant prefque
auffi tôt qu'elles le virent.
A vj
12 MERCURE
Voilà donc les neuf Soeurs toutes éprifes
du même objet. Dès ce moment elles ne
font plus foeurs , la jaloufie , l'envie, la niéfiance
entrent pour la première fois dans
leurs ames ; ces chaftes filles qui n'ont jamais
eu qu'un même fentiment , une même
volonté , s'obfervent , fe haïffent , fe querellent,
tout eft en défordre fur le Par
naffe, les Arts en oubli , les concerts interrompus.
Pour comble de malheur , ce fut
cet inftant que choifir Minerve pour venir
viliter les Mufes.
Quelle eft fa furpriſe en arrivant fur le
Mont facré ! Au lieu des chants d'allégreffe
qui annonçoient toujours la préfence , elle
trouve partout un filence profond : les
Mufes difperfées , rêveufes , folitaires , la
reconnoiffent à peine. Elle fe plaint , elle
menace ; les neuf Sours fe raffemblent
veulent chanter leur Protectrice , mais leurs
voix ne font plus d'accord ; elles ont oublié
leurs hymnes , aucune d'elles n'a fon attribut.
Melpomène avoit donné fon poignard
à l'enfant , & de peur qu'il ne fe bleſsâr
elle en avoit émoutfe la pointe ; Calliope
lui avoit fait don de fa trompette , Euterpe
lui avoit prête fa lyre , Uranie fon aftrolabe;
enfin les attributs des Mufes étoient
tous devenus les hochets d'un enfant.
ע
Ce ne fut pas leur dernière honte ; tandis
qu'elles cherchoient à s'excufer , elles voient
voltiger dans l'air ce fatal enfant ; il tenoit à
la main tous fes larcins : Adieu , leur dit-il
DE FRANCE. 13
2
en riant, ne m'oubliez pas, je fuis l'Amour :
il en coûte toujours quelque chofe pour
faire connoiffance avec moi.
La prudente Minerve fit alors un difcours
très - moral aux filles de Jupiter ;
celles - ci l'écoutèrent avec refpect , & s'excusèrent
, en l'affurant que le coupable enfant
avoit fi bien caché fes ailes , que pas une
d'elles ne les avoit apperçues.
( Par M. de F.) ·
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
E mot de l'Enigme eft Aujourd'hui ; celui
du Logogryphe et Molière , où le trouvent
Loire , Elie , Rome , Riom , Roie , merle
lori , lire , miel , l'oie , Loi , lime , Jérôme ,
moire, moi & rime.
ENIGM E..
JF. fuis quand mon frère n'eſt pas ,
Autrement je ne faurois être.
C'eft en mourant qu'il me fait naître ,
C'eft en reffufcitant qu'il caufe mon trépas.
( Par M. de Laroque , Capitaine en Second
au Régiment de Baffigni. )
14
MERCURE
DANS
LOGOGRYPHE.
ANS mon entier , Lecteur , je n'ai rien que
d'auftère ;
Un de mes pieds ôté , je fuis célibataire ;
Avec quatre , je peux décider de ton fort ,
Te mettre à la galère ou te donner la mort.
(Par Mde la Comteffe de Chauvigny de Blot. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Jeudi 19 Juillet 1781 , à la
Réception de M. de Chamfort , Secrétaire
des Commandemens de S. A. S. Mgr le
Prince de Condé. A Paris, chez Demonville ,
Imprimeur Libraire de l'Académie Françoife
, rue Chriftine , aux Armes de
Dombes.
ARMI les talens que les fuccès appellent
aux récompenfes Littéraires , il en eft quelques-
uns que le Public femble défigner plus
particulièrement , fous le nom de talent
Académique. Cette dénomination particulière
paroit être au moins inarile , car les
plus grands talens font fans doute les talens
les plus Académiques. il eft difficile cepenDE
FRANCE.
dant de croire qu'on ait adopté aufli généradement
une nouvelle expreflion , fans y atta
cher des idées qui méritent d'être fixées avec
précifion ; & celle- ci eft peut - être de ce
genre. Parmi les Hommes de talent , il en
eft quelques- uns qui ne font qu'obeir , pour
ainfi dire , à l'inftinct qui les domine . Incapables
de fe replier fur eux- mêmes pour ob-
Lerver & pour diriger les procédés de leur
elprit , ils répandent les beautés & les défauts
fans favoir les diftinguer eux- mêmes :
ils produifent des morceaux qui font admirés
, & des ouvrages qu'on ne peut pas live.
Ils manquent de critique pour les Écrits des
autres comme pour les leurs ; jugent peu ,
mais admirent ou méprifent beaucoup , &
changent fouvent de goût & d'opinion . Ils
peuvent nuire au goût & aux Lettres même
en méritant une belle place dans la Littérature
.
Il eft des efprits , fans doute , plus heureux
qui , joignant la réflexion à l'inftinct ,
pénètrent tous les fecrets de leur talent , s'en
arendent les maîtres , & les dirigent tou ours
à leur gré. Ils ne marchent jamais que dans
´des routes qu'ils ont reconnues d'avance ,
& où ils ont porté la lumière . Leurs productions
reçoivent prefque toujours toute la
grandeur & la perfection à laquelle leur
talent peut s'élever. Ils peuvent enrichir la
théorie des Arts des expériences de leurs travaux
, & donner plus d'étendue aux prip76
MERCURE !
cipes du bon goût , fans jamais les altérer &
les corrompre. Voilà fans doute les Hommes
de Lettres auxquels on reconnoit plus particulièrement
le talent Académique. C'eft à
de pareils efprits fur tout que le dépôt de la
gloire Litteraire d'une Nation doit être
confié.
M. de Chamfort eft un des Hommes de
Lettres dont les Ouvrages ont le plus montre
ce caractère. Les Ecrits même de fa première
jeunelle annonçoient un esprit qui
devoit s'étendre , & un talent qui devoit fe
perfectionner par la reflexion . On l'a tou
jours vu occupé à réunir ce bon goût , cet
art du ftyle qu'on admire dans les Écrivains
du fiècle de Louis XIV, & ces vues fines , ces
réfultats inattendus qui font le grand mérite
de plufieurs Écrivains de notre fiècle. M. de
Chamfort a paru fentir de bonne heure que
les premières idées que préfentent les objets
ayant été rendues par les premiers Écrivains,
il n'y avoit plus de gloire à efperer que pour
ceux dont l'efprit eft affez pénétrant pour
fair les nuances légères des objets , & affez
fort , affez étendu pour raffembler des réfultats
profonds d'idées ; mais il a fenti auli
en même-temps que le goût aimoit peut- être
moins les idées acquifes par la reflexion ;
qu'il falloit , pour ainfi dire , en cacher l'origine
, ôter le langage philofophique à la
philofophie , & lui faire parler la langue
des arts ou celle du monde. Cet heureux arDE
FRANCE 17
-
tifice te remarque dans tout ce qui eft forti
de la plume de M. de Chamfort; & dans les
Éloges de Molière & de La Fontaine il a produit
deux Ouvrages qui méritent d'être placés
parmi les modèles du genre . Un autre
avantage des talens de cette etpèce , c'eft de
fe porter dans plufieurs carrières fans fe trouver
étranger dans aucune. M. de Chamfort a
fait deux petites Comedi s ; l'une eft pleine
d'intérêt , l'autre de gaiete ; toutes les deux
font restées au Théâtre. Il a fait une Tragedie
; & file fuccès en a été conteſté dans
un temps où des Écrivains , qu'il eft impoffible
de reconnoître pour des Hommes de
Lettres , ont obtenu des fuccès fur la Scène
Tragique , on n'a pu contefter au moins à
M. de Chamfort le mérite fi rare d'y avoir
parlé une langue qui rappelle fouvent celle
de Racine .
Le fuccès le plus difficile à obtenir , eſt
peut être celui du Difcours qu'un Homme
de Lettres prononce en entrant à l'Académie
; on veut qu'il fe montre digne de ſa
place en la prenant , & que les temoignages
même de fa reconnoiffance prouvent que ce
n'eft pas un bienfait qu'il a reçu. Il ne s'agit
pas feulement pour lui d'augmenter fa répu
tation , mais de défendre encore toute celle
qu'il a déjà acquife . Cette fituation eft périlleufe
; mais on ne doutoit point que M.
de Chamfort ne fût en éviter les dangers. It
n'a point cu recours cependant , comme
TTS MERCURE
•
plufieurs Récipiendaires , à quelque fujet
important de morale ou de littérature ; M.
de Chamfort a cru trouver un fujet affez
riche dans le tableau des talens & des, vertus
de M. de Saint- Palaye ; & c'eſt déjà un bel
hommage qu'il a rendu à fon prédéceffeur.
Il eft fâcheux de commencer un extrait par
des critiques ; cependant nous en avons à
faire , & il nous tarde d'en être débarraffés .
On a trouvé dans le début quelques phrafes
dont le fens ne fe préfente pas allez promptement
à l'efprit du Lecteur.
« Il y a des bienfaits qui ne trouvent point d'ingrats
, mais il y a des bienfaiteurs qui craignent
l'effufion de la recounoiffance ; ce font ceux qui ,
» raffafies d'hommages ne peuvent être honorés
» que par eux-mêmes , & c'est le terme où vous êtes
→ parvenus, »
Si M. de Chamfort avoulu dire , comme je
le crois , que les talens qui ont déjà reça
beaucoup d'hommages ne peuvent plus être
honorés que par eux mêmes , on peut lui
objecter que cette idée ne paroît pas jufte.
Les honneurs font toujours dans l'opinion
des autres , & dans les fignes , dans les témoignages
qui manifeftent cette opinion . La
vertu n'eft fouvent récompenfée que par
elle- même , elle eft même toujours fa plus
douce récompenfe ; mais le talent ne trouve
point en lui -même les honneurs & la gloire
qu'il ambitionne.
DE FRANCE.
....
.
Le tribut que vous négligez pour vous-
» mêmes. vous le réclamez pour votre illuftre
Fondateur , ce Miniftre qui , parmi fes titres à
l'immortalité , compte l'honneur d'avoir fuffi à
tant d'éloges qui la lui affurent. »
C'est par les titres à l'immortalité que
Richelieu a fuffi aux éloges qu'il a reçus à
l'Académie , & ce n'eſt pas là une chofe différente
de fes titres à l'immortalité . Il a fallu
fans doute beaucoup de fineffe d'efprit pour
croire même y appercevoir quelque differen-
-ce. Mais des idées fi fines , fi difficiles à faifir,
même à comprendre , font rarement d'une
grande juftelle ; & M. de Chamfort le fait
auffi bien que nous : ce n'eft pas pour lui que
nous faifons cette obfervation .
M. de Chainfort remarque , avec beau
coup de raifon & de verité , que les Récipiendaires
ne fe croyent plus obligés à exagérer
le mérite de l'Académicien qu'ils remplacent
, & que l'éloge qu'ils en font eft le
premier jugement de la poftérité. Rien n'eft
plus jufte ; mais il ajoute :
33
« Et fans vous écarter de cette bienveillance indulgente
qui , pour vous , eft fouvent un plaifir ,
toujours un devoir , une convenance ou un fentiment
, vous avez deffiné d'une main fure les pro-
» portions & les contours d'une ftatue , d'un bufte,
d'un portrait ; attention déformais indifpenfable ,
utile aux Lettres , utile même à la mémoire de
» ceux dont la place paroît moins brillante ; car
quiconque exagère n'a rien dit , & celui qu'on ne
croit pas n'a point loué. 2
ود
20 MERCURE
Peut -être faudroit il , pour que ces idées
fuffent très-juftes , que les ftatues , les buftes
& les portraits marquaffent la proportion
'du talent des hommes dont ils nous offrent
les images ; mais on repréfente Voltaire &
Montefquieu dans un portrait comme dans
un bulte & dans une ftatue , & nous avons
vu la ftatue & le bufte de pluſieurs hommes
qui ne méritoient pas même un portrait.
Il nous femble que c'eft auffi exagérer un
peu de prétendre qu'on ne dit rien quand on
exagère; on affoiblit ce qu'on dit , mais rien
n'empêche qu'on ne dife quelque chofe , fi
l'on exagère avec efprit ; & quoique dans ce
moment nous reprochions une exagération
à M. de Chamfort , nous trouvons cependant
que M. de Chamfort a dit quelque
chofe.
On a été fâché auffi de voir le Récipiendaire
balancer un moment pour favoir s'il
parteroit à la fois de l'honneur & de l'amour;
& comment ne pas voir tout de fuite qu'il
ne devoit pas les féparer dans fon Difcours ,
puifque leur réunion formoit l'effence même
de la Chevalerie ; puifque , felon l'expreffion
d'un Chevalier , rapportée par M. de
Chamfort lui -même , tout l'honneur de ce
monde vient des Dames ? Les traits de l'honneur
& de l'amour mêlés & confondus enfemble
, font faits pour prêter des charmes
& de la beauté au ftyle , comme pour élever .
les caractères & les rendre plus aimables. Il
fe peut cependant qu'il ne faille pas faire
DE FRANCE. 21
férieufement cette critique à M. de Chamfort;
lui-même, un moment après ſemble, fe
jouer de l'embarras où il feint de fe trouver..
ес
Queftion embarraffante , épineufe , dit-il , du'
» nombre de celles qui s'agitoient autrefois dans ces
» Tribunaux appelés Cour d'Amour, où l'on por
» toit les cas de confcience de cette eſpèce. »
Ce défaut , fi c'en eft, un , a une bien
meilleure excufe encore ; il a fourni à M. de
Chamfort l'une des tranfitions les plus heu
reufes de fon Difcours : celle qui a amenés
l'éloge du Prince qui honoroit cette Affem- .
blée de fa préfence. Cet éloge n'a qu'un
trait ; M. de Chamfort étoit sûr qu'en ne
faifant même que l'indiquer , il feroit achevé
par les applaudiffemens & les hommages du
Public. Cette manière de louer eft bien délicate.
Le morceau fur la Chevalerie , un des plus
étendus du Difcours , eft plein de vues ingénieufes
; il y en a même de grandes. Nous
en citerons tout-à l'heure des morceaux ;
mais peut-être n'offrent elles pas un réſultat
affez net , affez facile à faifir. Probablement
c'eſt moins à l'Auteur qu'au fujet qu'il faut
s'en prendre, M. de Chamfort n'aura pas
voulu combattre les idées aimables & brillantes
que le mot feul de Chevalerie réveille
parmi nous ; il n'aura pas trouvé non plus
dans cette inftitution de quoi juftifier l'en
thoufiafme qu'elle infpire lorfqu'on la juge
avec l'imagination feule , toujours fi facile à
彩盒
22
MERCURE
féduire. Il fera refté indécis , & fes réfultats
en feront devenus incertains.
Voilà bien des critiques , & nous convenons
qu'elles font févères ; mais il eft des
Ouvrages qu'on ne peut pas critiquer fans.
être difficile. On n'a pas befoin d'indulgence.
pour louer beaucoup celui de M. de Chamfort.
Le premier morceau que l'on remarque ,
eft celui où le Récipiendaire parle de deux
Ouvrages de M. de Saint- Palaye , qui ne font *
pas publiés encore ; l'un eft une Hiftoire des
Variations fucceffives de notre Langue , l'autre
un Dictionnaire de nos Antiquités Franfoijes.
99
« On verra dans le premier , dit M. de Cham-
2 fort , un idiome barbare , affemblage groffier
dés idiômes de nos Provinces , fe former lente-
» ment & par degrés prefqu'infenfibles ; lutter , pour
ainfi dire , contre lui- même ; indiquer l'accroif-
» fement & le progrès des idées nationales par les
» termes nouveaux , par les changemens que fubiffent
les anciens , par les tours , les figures
les métaphores qu'amènent fucceffivement les :
» Arts , les inventions nouvelles enfin, par les con-
» quêtes que notre langue fait de fiècle en fiècle fur
les langues étrangères . On obfervera , non fans
>> furprife , le caractère primitif de la Nation' configné
dans les élémens mêmes de fon langage. On
→ reconnoîtra le François défini en Europe , dès le
» huitième ſiècle , gái , brave & amoureux. On
verra les idées meurtrières de duel , de guerre , de
combats , affociées fouvent dans la même exprefs
» ſion aux idées de fêtes , de jeux , de palle-temps ,
ל כ
DE FRANCE. 23
30
» de rendez- vous . Et quelle autre Nation que la
nôtre cút défigné , fous le nom de la joyeuſe ,
l'épée que Charlemagne rendit fi redoutable à
» l'Europe »
30
M. de Chamfort fe plaint enfuite de ce
que la philofophie manque trop fouvent du
courage neceffaire pour le dévouer à ces recherches
de l'érudition.
39
30
"
" Que n'ofe -t'elle , en réuniffant fous un même
» point de vue le double objet des travaux de M.
» de Saint- Palaye , notre ancienne langue & nos
antiquités , l'hiftoire des faits & celle des mots , fe
*placer entre-elles deux , les éclairer l'une par
l'autre , & pofer un double fanal , l'un fur les
» matériaux informes de notre ancien idiôme , l'au- `
»-tre fur l'amas non moins groffier de nos premiers
» ufages. Là , qu'elle s'arrête & qu'elle examine ;
» elle verra , comme de deux fources inépuifables
» fe précipiter & defcendre de fiècle en fiècle jufqu'à
nous , le vice primitif de notre ancienne bar-
» barie , dont elle pourra fuivre de l'oeil le décroiffement
, les teintes diverfes & les nuances variées
» dans toutes leurs dégradations fucceflives . Elle *
» verra l'erreur , mère de l'erreur , entrer comme
„ élément dans nos idées , par la langue même &.
» par les mots ; le mal , auteur du mal , fe perpé .
» tuer dans nos moeurs par nos idées ; la perfection
philofophique du langage auffi impoffibleque
la perfection morale de la Société , & la
» raifon fera convaincue que la langue philofophique "
»¨ projetéé” par Léibuitz ne fe feroit parlée , s'il eût '
» pu la créer en effet , que dans la République imaginaire
de Platon , cu dans la Diète Européenne
» de l'Abbé de Saint - Pierre. »
Ces idées nous paroiffent neuves ; » elles24
MERCURE
font d'un efprit qui a bien de la fagacité &
bien de la philofophie. Mais les morceaux -
de ce genre font ceux qui reçoivent le moins
d'applaudiffemens , par la raifon que ce font
ceux qui ont le moins de juges. Il eft imême
beaucoup de Lecteurs qui font difpofés à en
faire peu de cas, en difant que c'eft de la métaphyfique.
Nous convenons que ce ne font
pas les beautés les plus fentibles ; mais ce
font , peut - être , celles qui donnent le plus
de durée aux Ouvrages. Le progrès des lumières
y répand tous les jours un nouvel
éclat , & l'éclat des idees plus faciles à failir,
eft fouvent effacé par le progrès des lumières.
On peut faire là - deffus une obſervation
affez importante , ce me femble . Il y a aujourd'hui
dans la converſation des hommes
du monde , & même des femmes , une multitude
d'idées qui paroiffent naturelles , &
qui étoient de la métaphyfique il y a vingt
ans. Ce qui n'a été dé ouvert que par l'analyfe
des hommes de génie , devient au bout
de quelques années une idée commune ,
une fenfation , pour ainsi dire , de tous les
efprits.
M. de Chamfort , qui avoit paru fi embarraffé
à parler à la fois de l'honneur & de
l'amour , a fini par dire des chofes charmantes
fur l'amour , & de belles chofes fur
l'honneur.
Et que dire encore de cette autre idée fi noble ,
» fi grande , ou créée ou adoptée par la Chevalerie ,
de cet honneur , indépendant des Rois en leur
» Vouant
DE FRANCE. 29
youant fidélité ; de cet honneur , puiffance da
» foible , tréfor de l'homme dépouillés de cet hon-
» neur , ce ſentiment de foi invincible , indomp-
» table des qu'il cxifte , facré dès qu'il le montre ,
feul arbitre dans fa cauſe , ſeul juge de lui-même,
» & du moins ne relevant que du ciel & de l'opinion
publique. »
39
Il cft difficile de ne pas admirer la beauté f
de ces idées & de ces expreffions , puiffance
dufoible , tréfor de l'homme dépouillé , &c.
tous les traits de cette définition paroiffent
avoir été dictés par un fentiment profond de
l'honneur.
M. de Chamfort rapporte plufieurs reproches
que M. de Saint- Palaye fait à l'inftitution
de la Chevalerie.
*
« Il voudroit trouver plus fouvent dans les ames
» de ces Guerriers quelques traits de cet héroïſme
» patriotique noblement populaire , qui feul purifie ,
» éternife la gloire des grand Hommes , en la ren-
33
לכ
Jant précieufe à tout un peuple , & fait de leur
» nom , pendant leur vie , & de leur mémoire après
» eux , une richeffe publique , & comme un patri-
» moine national. O du Guefclin ! ce fut ta vraie
» gloire , ta gloire la plus belle. O toi ! qui , à ton
» dernier moment, recommande le peuple aux Chefs
» de ton Armée ; ah ! qu'un ennemi , qu'un Anglois
vienne dépofer fut ton cercueil les clefs
» d'une ville que ton nom feul continuoit d'affiéger ,
qu'il ne veuille les remettre qu'à ce grand nom ,
» & pour ainfi dire à ton ombre , j'admire l'éclat ,
» les talens , la renommée d'un Général habile ;
mais fi j'apprends que ce même du Guefclin , mna.
lade , & fur fon lit de mort , entendit à travers
Sam. 1 Septembre 1781 .
B
"
26 MERCURE ..
» les gémiffemens de fes Soldats & des Peuples ,
» retentir dans la ville ennemie , affiégée par lui-
» même , le fignal des prières publiques adreffées
» au Ciel pour la guérifon ; fi je vois enfuite la
» France entière , je dis le Peuple , arrêter de ville
» en ville , & fuivre confterné ce cercueil augufte
baigné des larmes du pauvre...... Votre émotion
» prononce , Meffieurs ; elle attefte combien la vé-
» ritable vertu , l'humanité laiffe encore loin der-
» rière foi tous les triomphes , & que le Ciel n'a mis
la vraie gloi e que dans les hommages volontaires
de tout un peuple attendri. »
33
On ne fera pas furpris fans doute , en apprenant
que ce morceau , plein d'une fenfibilité
fi noble , a été l'un des plus applaudis
à l'Académie, Cette belle expreflion : que
ton nom feul continuoit d'effieger, rappelle
peut- être deux vers de la Hennade ,
*
Et fon nom , qui du Trône eſt le plus ferme appui ,
Semoit encore la crainte & combattoit pour lui.
Mais l'imitation , fi c'en eſt une , eſt trèsheureufe
, & la phrafe qui termine le morecau
nous paroît bien fupérieure encore.
M. de Chamfort compare l'efprit de la Chevalerie
à cet amour de l'ordre , à cette raifon
perfectionnée qui forme l'efprit des
fiècles éclairés,
35
Eh ! qui oferoit , dit- il , les comparer , foit dans
» leur fource, foit dans leurs effets ? L'un , l'efprit de
Chevalerie , ne portoit fes regards que fur un
point de la Société ; l'autre , cet efprit d'ordre &
» de raifon publique , embraffe la Société entière .
» Le premier ne formoit , ne demandoit que des
DE FRANCE. 27
Soldats ; le fecond fait former des Soldats , des
» Citoyens , des Magiftrats , des Législateurs , des
•
Rois ; l'un , déployant une énergie impétueufe,
» mais inégale , ne remédioit qu'à des abus dont il
» laiſſoit fubfifter les germes fans ceffe renaiſſans ;
» l'autre , développant une énergie plus calme , plus
» lente , mais plus sûre , extirpe en filence la racine
de ces abus ; le premier, influant fur les moeurs ,
» demeuroit étranger aux lois ; le fecond , épurant
par degrés les idées & les opinions , influe en
même-temps & fur les lois & fur les moeurs ; enfin,
» l'un féparant , divifant même les Citoyens , dimi-
» nuoit la force publique ; l'autre , les rapprochant ,
» accroît cette force par leur union. »
Le fujet fourniffoit fans doute ce parallèle
; mais il n'y avoit qu'un efprit_accou
tumé à méditer un fujet fous tous fes rapports,
qui pouvoit l'y appercevoir. C'eſt ainfi
qu'il eft permis d'agrandir l'objet que l'on
traite ; on paroît y avoir trouvé même ce
qu'on y porte. Ces rapprochemens , ces parallèles
des moeurs & du génie de plufieurs .
fiècles , peuvent avoir d'autres effets encore
que celui de faire remarquer la fagacité &
l'étendue de l'efprit qui les inftitue. C'eft en
comparant ainfi le fort de l'efpèce humaine
dans toutes les grandes époques , que l'on
peut voir d'où naiffent fes biens & les maux ,
fes vertus & fes vices ; c'eft en obfervant
comment le hafard & les circonftances l'ont
toujours modifiée , qu'on peut apprendre à
la modifier plus heureufement par la prévoyance
& par la fagelle. Tous les Légillateurs
devroient avoir fous les yeux un tableau
Bij
28 MERCURE
de l'humanité entière tracé ainfi par des Philofophes
, avant d'ofer graver une feule ligne
fur les tables des Lois.
Le morceau du Difcours de M. de Chamfort
qui étoit attendu avec le plus d'impatience
, étoit le tableau de l'amitié fi connue
de M, de Saint- Palaye & de M. de la Curne
fon frère ; & quoique ce foit un danger
d'être ainfi attendu , c'eſt le morceau du
Difcours qui a eu le plus de fuccès. C'étoit
auffi un avantage , il faut en convenir
d'avoir à repofer le coeur fur des fentimens
doux , & fur des vertus touchantes , après
avoir occupé long - temps l'efprit d'idées ingénieufes
& de vues philofophiques ; mais
cer avantage n'eût été qu'un inconvénient
pour un homme qui n'auroit pas fu trouver
dans fon talent la variété qu'il trouvoit dans
fon fujet,
« La tendreffe des deux frères , dit M. de
Chamfort , commença dès leur naiffance , car ils
» étoient jumeaux , circonftance précieufe qu'ils
rappeloient toujours avec plaifir. Ce titre de
jumeaux leur paroiffoit le préfent le plus heureux
que leur eût fait la Nature , & la portion la
plus chère de l'héritage paternel ; il avoit le mérite
de reculer pour eux l'époque d'une amitié
fi tendre , ou plutôt ils lui devoient le bonheur
,, ineftimable de ne pouvoir trouver dans leur vie
» entière un moment où ils ne fe fuffent point
» aimés. »
Il n'étoit guère poffible de trouver un fẹnDE
FRANCE.
timent plus heureux dans cette première cir
conftance de la vie de deux frères.
33
« Une même demeure , un même appartement,
» une même table , les mêmes fociétés réunirent
→ conſtamment MM . de la Curne : peines & plai-
50 firs , fentimens & penſées , tout leur fut commun ,
& je m'apperçois que cet éloge ne peut les féparer
; & pourquoi m'en ferois-je un devoir ? Fourquoi
M. de la Curne ne feroit-il affocié
pas
» l'éloge de fon frère ? C'étoit lui qui fecondoit le
» plus les travaux de M. de Saint- Palaye , en veillant
fur fa perfonne , fur fes befoins , fur fa
fanté , en fe chargeant de tous ces foins domefti-
» ques , qu'un fentiment rend fi nobles & fi pré-
» cieux . Heureux les deux frères fans doute ! mais
» plus encore celui des deux qui , voué aux Lettres ,
+
35
& plus fouvent folitaire , arraché à fes livres par
» ſon ami , reçoit de l'amitié les diftractions & fes
plaifirs , qui tous les jours épanche dans un com-
» merce chéri les fentimens de tous les jours , qui
» ne voit aucun moment de fa vie tromper les befoins
de fon coeur ; enfin , qui n'a jamais connu ce
» tourment d'une fenfibilité contrainte , aigrie ou
combattue , ce poifon des ames tendres , qui
change en amertume fecrette la douceur des plus
» aimables affections ! De-là fans doute dans M. de
Saint Palaye ce calme intérieur , cette tranquille
égalité de fon ame , qui , manifeftée dans les
» traits & dans la férénité de fon vilage , intéreffoit
d'abord en fa faveur , devenoit en lui une
» forte de féduction , & faifoit de fon bonheur
" même un de fes moyens de plaire. Ainfi s'écouloit
so cette vie fortunée , fous les aufpices d'un fenti-
» ment qui , par fa durée , devint enfin l'objet
» d'un intérêt général . Combien de fois a - t- on vu
les deux frères , fur - tout dans leur vieilleffe ,
23
T
*
·
B iij
30 MERCURE
paroiffant aux aſſemblées publiques , aux prome.
nades , aux concerts , attirer tous les regards ,
» l'attention , du refpect , même les applaudiffemens
! Avec quel plaifir , avec quel empreffe
ment on les aidoit à prendre place , on leur
montroit, on leur cédoit la plus commode ou la
plus diftinguée , triomphe dont leur coeur jouifsfoit
avec délices ; car , après la vertu , le fpectascle
le plus touchant eft celui de l'hommage que
lui rendent les hommes affemblés ; & dans les
» rencontres ordinaires de la fociété , on n'apperçut
so jamais un des deux frères fans croire qu'il cherchoit
l'autre. A force de les voir prefqu'inféparables
, on difoit , on affirmoit qu'ils ne s'étoient ja-
» mais féparés , même un feul jour. Il falloit bien
ajouter au prodige , & leur union étoit mife dès
leur vivant au rang de ces amitiés antiques &
fameufes , qui paffionnent les ames ardentes , &
dont on fe permet d'accroître l'intérêt par les
embelliffemens de la fiction . »
Il n'eft perfonne fans doute qui ne doive
fentir que tout ce morceau refpire le charme
& la douceur du fentiment dont M. de
Chamfort y trace le tableau. S'il étoit poffible
de diftinguer quelques traits particu
liers au milieu de l'impreffion qu'on reçoie
de l'enſemble , nous remarquerions fur - tour
cette phrafe : de- là fans doute dans M. de
Saint - Palaye , &c.; & cette autre , d'autant
plus heureufe qu'elle ne femble être que
le fimple récit d'un fait,& dans les rencontres
ordinaires de la Société, &c.
M. de Chamfort , touché des vertus qu'il
vertus qu'il
retrace , femble finir lui - même par y voir
DE FRANCE. 31
quelque chofe de furnaturel ; & lorsqu'il
reprefente M. de Saint- Palaye perdant
toutes fes facultés , fon bonheur & fa raifon
même en perdant ce frère fi chéri , ce prodige
de l'amitié , il ne peut plus le peindre
que fous les traits de l'imagination .
30.
« Il n'eft plus qu'une ombre , il aime encore ; &
femblable à ces mânes , habitans de l'Élysée , à
qui la Fable confervoit & leurs paffions & leurs
» habitudes , il vient à vos Séances , il vous parle
» de fon frère , & vous refpectez dans la dégrada-
❤tion de la Nature le fentiment dont elle s'honore
» davantage. »
Pour peindre ainfi l'amitié , il faut l'avoir
bien fentie ; & , comme a dit heureufement
une femme , c'eft mettre le Public dans la
confidence du fecret de fon ame & defon bonheur.
Dans la réponte , M. Séguier a remarqué
au très heureufement , que ce
tableau appartenoit à l'Ecrivain qui avoit
tracé fur la Scène le tableau de l'amitié de
Muftapha & de Zéangir. Peut- être ce fentiment
eft-il bien plus difficile à peindre que
les paffions. Celles - ci, produites par des impreffions
faites fur les fens , ont auffi des
fignes frappans qui les manifeftent audehors.
L'amitié femble appartenir plus particulièrement
à l'ame & s'y cacher davantage.
Tous les hommes à peu -près éprouvent
les paffions ; il en eft une fur tout qui , obfédant
perpétuellement l'ame de fes images ,
a dû trouver beaucoup de peintres parmi
Biv
32 MERCURE
tous les hommes qui nnee ffoonntt pas nés infenfibles.
L'amitié n'eſt guère que la paffion des
plus belles ames , des ames les plus délicates.
Enfin , malgré les critiques que nous nous
fommes permis d'en faire , le Difcours de
M. de Chamfort nous paroît un des meil
leurs qui aient été prononcés à l'Académie
Françoife ; & c'eft aujourd'hui un grand
éloge . Parmi les Difcours de Réception prononcés
depuis vingt ans , il en eft quelquesuns
qui font d'excellens Ouvrages . Cela ne
peut être contefté que par ceux dont le befoin
& le métier eft d'être toujours injuftes ."
M. Séguier a commencé fa réponſe par
juftifier l'ufage établi de confacrer une partie
des Difcours de Réception à célébrer , au
nom de l'Académie , les talens qu'elle a perdus
, & ceux qui réparent fes pertes. On a
aimé à voir les ufages de l'Académie défendus
par un defcendant du Chancelier célèbre
qu'elle compte parmi ceux qui ont le plus
protégé & favorifé fon Inftitution .
En parlant du fuccès des premiers Ouvrages
de M. de Chamfort , M. Séguier a
fait une obfervation générale d'une grande
vérité , & bien heureuſement exprimée.
ес
L'expérience nous apprend que dans un fiècle
» de lumières, dans un pays où l'on peut dire que
l'efprit eft une production du fol , où il abonde
de toutes parts , où l'habitude d'en montrer en
éclipfe le plus fouvent l'éclat , ce n'eft pas un
» avantage médiocre de fe donner de bonne heure
DE FRANCE. 33
» une célébrité réelle , & de faire diftinguer fa for-
» tune au milieu de la richeffe publique .":
גכ
Parmi les morceaux de cette réponſe , qui
ont été le plus applaudis à la Séance de
PAcadémie, le portrait du génie de Molière
eft celui qui l'a été davantage ; & l'on va
voir qu'il ne perd rien à la lecture : c'eſt
ane chofe rate après un fuccès obtenu de
vant le Public.
+
"
« Vous avez développé avec une fagacité pen
commune les beautés originales de ce grand
» Peintre des ridicules, & des vices , homme extraordinaire
, qui a fu donner à fes couleurs de
l'éclat & de la vivacité , du mouvement & de
» la vie pour tous les temps , qui n'aura jamais rien
à redouter des viciffitudes ordinaires chez un
peuple changeant , où il y a tant de goûts fugi-
» tifs , tant de modes pour les idées comme pour
les vêtemens ; efprit inventif & fécond , qui feul.
a connu l'art d'attacher également & d'amufer le
Spectateur par un fond de gaieté intariffable ,
» réunie à un but moral , & toujours réfultante de
l'ordonnance de fes plans ; enforte que par la
» feule fituation où il met fes perfonnages, les expreffions
les plus fimples deviennent comiques ,
tour prend la teinture du fond ; & les ris , qui ne
font que fuivre ordinairement les plaifanteries
précèdent le dialogue des Acteurs , & commen
» cent à l'ouverture même de la fcène. Génie robufte
qui , au milieu des variations de plus d'un
fiècle , n'a da fa confiftance inaltérable qu'au
foin particulier qu'il a pris de peindre toujours
plutôt la Nature qui refte , que le moment qui'
» paffe , l'homme dans les moeurs plutôt que dans
fes manières. Genie inimitable enfin , qui n'a fon
30
30
3.4 MERCURE
"
égal ni dans l'Antiquité ni dans les ' Nations
étrangères, & dont les deffins font fi corrects &
» fi vrais, qu'on en a peut être moins approché que
» des chefs-d'oeuvres de nos plus grands Poëtes
» tragiques. »
( Cet Article eft de M. Garat. )
TRAITÉ des Négations de la Langue Francoife
, in- 12 . A Paris , chez Guillor , Libraire
de MONSIEUR , au Collège de
Bayeux , rue de la Harpe. Conveniat
verbo eui apponitur.... Nifi aliquid efficitur
redundat. Quintil. Liv. 8 , Ch. 6 .
AUCUN Grammairien n'avoit jufqu'ici
traité des Négations ; & il faut convenir
qu'un Ouvrage fur cette matière , par l'abus
que quelques Écrivains font des Négations ,
foit en les adimettant lorfqu'il faut les fupprimer
, foit en les fupprimant lorfqu'il faut
les admettre , devenoit abfolument néceffaire.
Par exemple , doit -on dire : Le Rhône
impétueux remontera vers fa fource avant
que le Suiffe oublie ou n'oublie la liberté ?
Faut il empêcher que l'économie s'introduife
ou ne s'introduife dans la finance ? Less
Vifirs des Defpotes n'ont pas ordinairement
plus de probité qu'il faut ou qu'il ne faut.
On ne peut être plus malheureux que je le
fuis ou que je ne le fuis . Qui a fu imiter Caton
plus parfaitement que le fit ou ne le fit
Brutus? Perfonne a-t-il de meilleures moeurs ,<
ô Fabricius , que le font ou ne le font les
.
DE FRANCE. 35
vôtres ? Les Aliatiques , en fe donnant des
Maîtres arbitraires , ne pouvoient faire pis
qu'ils ont fait ou qu'ils n'ont fait. Cela n'eft
pas autrement que vous dites ou que vous .
ne dites. Je ne puis parler de Caton fans
que j'admire ou fans que je n'admire fa
vertu. Il s'en faut de beaucoup que nous
foyons ou ne foyions Citoyens comme Caton.
Loin que fous un grand Roi on falle
ou l'on ne faffe des progrès vers le defpo- .
tifme , c'eſt qu'au contraire il abolit la fervitude.
Nous ne défefpérons pas , ô Titus ,
que vous veniez ou ne veniez à bout de
nous rendre vertueux. Je ne nie pas , je ne
difconviens pas que l'on doive ou ne doive
préférer le bien général au bien particulier.
Nous ne défapprouvons pas que vous lai
rendiez ou ne rendiez ce fervice. Il n'y apas
jufqu'à Porcie qui combatte ou ne combatte
pour la liberté , &c. &c.
L'Auteur , après avoir expofe toutes les
phrafes douteufes , tâche de les réfoudre ,
tantôt par l'analogie qu'a la Langue Françoife
avec la Latine , tantôt par l'ufage feul ,
tantôt par des diftinctions nouvelles , &
qu'on ne trouve point dans les Grammaires ,
comme celle de l'interrogation par allertion
& de l'interrogation par dubitation ..
Quant à la divifion de fon Ouvrage , fon
procédé eft fort fimple , & il a trouvé dans
le texte que lui a fourni Quintilien pour fon.
Epigraphe , les deux parties de fon Traité ,
conveniat yerbo cui apponitur : voilà pour
Bvj
36
MERCURE
2114
les cas où il faut admettre la Négation ;
nifi aliquid efficitur redundat : voilà pour
les cas où il faut la retrancher. Cette production
nous a paru écrite avec clarté , &
même l'Auteur a cherché à y jeter de l'agrément,
afin que tout Lecteur pût l'entendre .
Sur la fin de fon Traité , l'Auteur , après
avoir fait voir que grace à l'établiffement
de l'Académie Françoife , notre Langue eft
aujourd'hui la mieux fondée en principes de
toutes les Langues modernes , relativement
à la dégénération des Langues , a fait intervenir
un Épifode qui réveille l'attention
de fes Lecteurs par la manière honnête &
décente dont il défend le fyftême de l'Auteur
des Epoques, contre ceux qui l'ont attaqué
fi vivement.
*
ACADÉMIE FRANÇOISE.
DANS la Séance publique du 25 du mois
dernier , l'Académie Françoife a adjugé fon
Prix d'Eloquence à M. Garat , Avocat au
Parlement. Le fujet de ce Prix étoit l'Éloge
du Duc de Montaufer , Gouverneur du
Dauphin , fils de Louis XIV.
M. de la Cretelle , Avocat au Parlement ,
a obtenu l'Acceffit d'une manière très - honorable.
Deux Citoyens amis des Lettres
ayant appris que l'Académie regrettoit de
n'avoir pas deux médailles à diftribuer , ont
offert le même jour à la Compagnie , fans
DE FOR ANIC E.
37
s'être concertés ; chacun une fomme de fix
cent livres ; lear offre a été acceptée , &
Fon a fait frapper une feconde médaille pour
l'Auteur de l'Acceffit.
Ma de la Harpe a lu le Difcours de M.
Garat & plufieurs morceaux de celui de M.
* de la Cretelle , qui ont été fort applaudis.
Nous rendrons compte inceffamment de ces
** deux Ouvrages.
*
9
2
L'Académie a fait une mention honorable
de deux autres Difcours ; l'un ayant pour
devile : Vir jufti verique tenax , & dans
lequel les Juges ont trouvé des choſes bien
vnes , écrites avec élégance. L'Auteur de ce
Difcours eft M. le Roi , ancien Commiffaire
de la Marine. L'Auteur du fecond Difcours
ne s'eft point fait connoître ; il a pour devife :
Illi robur. L'Académie y a trouvé auffi des
morceaux dignes d'éloge.
Ceux qui ont concouru pour le Prix de
Poéhe n'ont pas été plus heureux cette année
que la précédente ; aucune des Pièces envoyées
au Concours n'a paru digne d'être
couronnée . L'Académie en a témoigné fes
regrets n'ayant en effet jamais propofé de
fujer plus intéreffant pour la Nation , plus
digne de fa reconnoiffance , ni plus fair pour
exercer les talens de nos jeunes Verfificateurs.
Le fujet du Prix étoit : La Servitude abolie
dans les Domaines du Roi , fous le règne de
Louis XVI. Parmi les Pièces qui ont concouru
, l'Académie en a diftingué trois ; la
première , a pour devile : Je voudrois tout
३४ MERCURE
penfer & j'oferois tout dire. Elle a pour Auteur
M. de Carbon de Flins ; c'eft celle des
trois où les Juges ont cru voir le plus de
talent. La feconde a pour devife ce paffage.
de l'Esprit des Lois : Un chêne antiques'èleve ,
l'ail en voit les feuillages , il approche, il en
voit la tige , mais il n'en apperçoit point les
racines , ilfaut percer la terre pour les fouiller
L'Auteur de cette Pièce ne s'eft pas fait con
noître. La marche en eft languiffante , & le
coloris a peu de force ; mais elle a paru
moins inégale que les deux autres , & l'Auteur
a mieux vu & mieux traité le fajet ; c'eft
pour cette raison que l'Académie lui a donné
la feconde place , quoiqu'on y trouve moins
de vers dignes d'être cités que dans la troifième
Pièce. Celle- ci a pour devife : Le bien
qu'on fait au monde ajoute à mon partage ;
fon Auteur eft M. le Chevalier de Langeac.
M. Ducis a lu quelques fragmens de ces
trois Pièces , dont le Public a paru très fatisfait
, fur- tout des vers fuivans de M. Flins :
Mufe , célèbre un Prince ami du Laboureur ;
Bon , fans avoir connu la leçon du malheur....
Il reforme ces Lois qu'accufoit la raiſon ,
Ces Lois dont l'art cruel , épiant fes victimes ,
Avant de les prouver ofoit punir les crimes.
Un Citoyen qui aime les Arts , qui les
cultive avec fuccès , & qui voudroit les faire
DE FRANCE. 39
fervir à la gloire de fa Patrie , M. Davy de-
Chavigné , Auditeur des Comptes , a pré- ,
fenté à l'Académie l'Eftampe d'un monu
ment qu'il propoſe d'ériger pour conferver ,
le fouvenir du bien que le Roi a fait à les
Peuples par l'abolition de la fervitude, Ik,
confifte dans un pont qui joindroit l'ile
Saint - Louis à la Cité , & qui porteroit
une infcription relative à cette heureufe"
abolition . L'Académie a cru devoir expofer
dans fa Salle d'Affemblée , l'Eftampe qui repréfente
' ce monument de patriotifme
comme un hommage qu'elle rend autant
qu'il eft en elle , à fon auguſte Protecteur .
Avant d'annoncer les fujets deftinés aux
Prix de Poéfie & d'Eloquence pour les Concours
de 782 & 1783 , M. d'Alembert a lu des
Réflexions hiftoriques fur le Cardinal Dubois,
Membre de l'Académie Françoife ; perfonnage
trop fameux , fans doute , puifqu'il prouve
combien il eft facile d'arriver aux grandes places
par de vils moyens , & de réunir fur la
même tête tous les honneurs d'une monarchie
avec tout le mépris du Public. Mais ,
incapable de facrifier à des devoirs de convention
les droits imprefcriptibles de la vé
rité , l'Auteur de cette notice n'a tenté ni de
renverfer ni d'affoiblir l'opinion trop légitimement
établie contre le Cardinal Académi
cien. Sous les fleurs les plus brillantes de
Fefprit , laiffant toujours entrevoir l'auftère
fageffe du Philofophe , il a fu démontrer
qu'au faîte de l'opulence & des dignités cer
20 MERCURE
homme n'en fut pas moins malheureux ;
qu'il alloit fouvent fe plaindre & gémir
auprès de Fontenelle , dont il envioit le
calme intérieur & la douce philofophie :
leçon mémorable pour ceux qui placent leur
bonheur dans la vanité.adman
Après cette lecture , on a publié le Programme
fuivant.
Prix de Poéfie pour l'année 1782 .
LE vingt -cinquième jour du mois d'Août 1782,
Fête de Saint Louis , l'Académie Françoiſe donnera
le Prix de Poéfie qu'elle a été obligée de remettre *.
Le fujet , le genre du Poëme & la mefure des
vers font au choix des Auteurs.
L'Académie , fans propofer pour la troifième fois
le fujet de la Servitude abolie fous le règne de
Louis XVI ** , n'entend pas cependant l'exclure ,
& defireroit même de le voir traité avec plus de fuccès
que dans les deux Concours précédens .
On defire que la Pièce n'excède pas deux cens
yers.
Le Prix devroit être , fuivant l'afage , une Médaille
Ce Prix , ainfi que celui d'Eloquence , eft formé des
fondations réunies de MM. de Balzac , de Clermont- Tonnerre
, Évêque de Noyon , & Gaudron.
** Les jeunes Poëtes qui defireroient de nouveaux
faits fur cette matière , en trouveront dans les
Recherches Hiftoriquus fur la Main- Morte , par M. l'Abbé
du Tems. Elles font imprimées à la fin, de fon Panégy--
rique de S. Louis , dont nous avons rendu compte dans
un des derniers Numéro du Mereure.
DE FRANCE. 41
d'or de la valeur de cinq cens livres ; mais à caufe
de la double remife du Prix , cette Médaille fera de
mille livres.
Toutes perfonnes , excepté les Quarante de l'Académie
, feront reçues à compofer pour ce Prix.
Les Auteurs mettront leur nom dans un billet
cacheté , attaché à la Pièce de Poéfie qu'ils enverront
; & fur ce billet fera écrite la Sentence qu'ils
auront miſe à la tête de leur Ouvrage.
Ceux qui prétendent au Prix , font avertis , que
s'ils fe font connoître avant le jugement , ou s'ils
font connus , foit par l'indifcrétion de leurs amis ,
foit par des lectures faites dans des maifons particulières
, leurs Pièces ne feront point admifes au Con.
cours.
Les Ouvrages feront envoyés avant le premier
jour du mois de Juillet 1782 , & ne pourront être
remis qu'au fieur Demonville , Imprimeur- Libraire
de l'Académie Françoiſe , rue Chriftine , aux Armes
de Dombes : fi le port n'en eft point affranchi , ils
ne feront point retirés.
L'Académie propoſe d'avance , fuivant fon uſage ,
pour fujet du Prix d'Eloquence qu'elle donnera en
1783 , l'Eloge de Bernard de Fontenelle , de l'Académie
Françoife, de celle des Belles - Lettres , &
Secrétaire de l'Académie des Sciences.
42 MERCURE
VARIÉTÉ S.
LETTRE à M. *** , fur là Réception de
l'Orgue de Saint - Sulpice .
LA
réputation du célèbre Cliquot , auteur de
cet Inftrument , & celle de MM. les Arbitres, ont
attiré la plus grande affluence à l'Eglife . Ce jour
étoit un triomphe pour les grands talens , & une
vraie fête pour les Amateurs des Arts.
en
Le buffet de cet Orgue eft piquant par fa nouveauté
, & admirable par la richeffe de fon architecture.
On avoit craint que la forme nouvelle
donnée à cet Inftrument ne fît tort à fa mécani
que intérieure. Cette forme fans doute eût gêné
tout Facteur qui n'eût connu que la routine de fon
Art ; mais il n'eft pas de difficultés invincibles
pour un véritable Artifte. M. Cliquot a combiné ,
étendu fa mécanique & multiplié fes mouvemens
raifon de la diverfité des jeux qu'il avoit à placer
& de l'efpace immenfe qu'il avoit à peupler de
tuyaux & à foumettre à un feul point fous la
main de l'Organiſte , auffi a-t-on admiré la diftrie
bution intérieure de ce bel Inftrument : elle eft fi
bien entendue & fi bien ordonnée , que tous les
effets s'opèrent fans gêne, fans confufion , & qu'il
eft poffible , en cas du plus léger dérangement ,
de remédier à tout fans embarras au moment,
même , & fans nuire à aucune des parties de ce
grand tout. Cette nouvelle diftribution a donné à
l'Artifte l'occafion de prouver qu'il eft auffi habile
Facteur-Mécanicien que bon Facteur-Harmonifte .
On a remarqué avec étonnement que la qualité
du fon de cet Orgue , l'égalité de fa mélodie & la
DE FRANCE. 43
bonté de fon harmonie étoient auffi finies & auf
moëlleufes à ce premier effai que fi l'Inftrument cût
eu vingt ans d'exercice , degré de perfection que
l'on n'obtient ordinairement qu'après un temps confidérable.
Cet avantage précieux n'eft pas affez fenti ;
les Artiftes lui préfèrent trop fouvent un éclat
bruyant qui fatigue l'oreille fans rien dire a
coeur.....
i
Des Connoiffeurs prétendent que malgré l'effet
de cet Orgue , l'on ne jouit pas encore complettement
de la qualité de fon dont il eft fufceptible ,
non plus que de la plénitude de fon harmonie ; ils
en accufent les figures coloffales dont eft orné le
buffer ; ils trouvent qu'elles voilent le fon du grand
Orgue fi cela eft , c'eft un mal fans remède , au
moins la vue eft elle bien agréablement dédommagée
des pertes que peut y faire l'autre fens Mais en
fuppofant que cet inconvénient exiftât réellement ,
il feroit bien à defirer que MM . les Architectes , que
cette nouveauté pourroit féduire , fe perfuadaffent
bien de ce principe , que le buffet d'un Orgue doit
être abfolument fubordonné à la facture .
Les talens fupérieurs de MM. Couperin , Balbâ
tre , Séjan & Charpentier, qui font depuis long.
temps en poffeffion de plaire au Public , ont bien
fait les honneurs de ce fameux Inftrument. Il ne
s'agiffoit pas d'entrer en lice pour " fe combattre
comine rivaux , mais de déployer leurs talens pour
faire valoir l'Inftrument qu'ils avoient à juger. Ils
y ont parfaitement réaffi ; & le Public a fu admiser
en eux le génie qui commande , maftrife , entraine
; le goût qui préfente le plaifir fous mille
formes diverfes , & le fentiment qui fait parler aux
graces le langage le plus enchanteur.
Je fuis , &c. Signé , TRAVERSIER.
3
44 MERCURE
RÉPONSE à la Lettre de Mde DE LA
HAYE , Directrice du Spectacle de Stras
bourg, inférée dans le Mercure du 9 Juin .
JE ne fais ; Madame , fi les Directeurs de Specils
tacle de Province auront plus d'égard à vos propofitions
qu'ils n'en ont eu à celles que je leur ai faites
moi- même d'après vos avis. Je ne reçus prefque aucune
réponse aux offres que je leur fis il y a deux
ans de la partition de l'Infante de Zamora , & d'une
foufcription pour les deux Comteffes , que vous me
demandiez alors. Ce n'eft pas que les Directeurs ne
foient très- empreflés , comme vous le remarquez , à
fe procurer le plus de nouveautés poffible ; mais au
Keu de les payer à l'Auteur ce qu'elles valent ,
aiment beaucoup mieux les tenir de l'infidélité de
quelques Copiftes ou de quelques Acteurs : en con
féquence ils attendent qu'elles foient jouées dans
quelques Villes , d'où ils puiffent les avoir à vil prix,
C'eft ce qui eft arrivé pour l'Infante , jouée fans ma
participation , & avec un fuccès égal à celui de
Strasbourg dans plufieurs grandes Villes , dont les
Directeurs avoient refufé mes offres. Pour éviter
cet inconvénient , je fuis déterminé à ne délivrer les
deux Comteffes , & à n'entreprendre le Jaloux à
l'épreuve , que vous defirez , qu'après m'être affuré
un nombre fuffifant de foufcriptions , dont la
ferme fera une fimple foumiffion de prendre l'Ouvrage
, adreffée à moi -même out à M. Houbaut ,
Marchand de Mufique à côté de la Comédie Ita-
Lienne. De cette façon je n'aurai plus d'infidélités à
craindre, puifque toutes les partitions feront délivrées
à-la-fois, & ne le feront qu'après que la
foufcription fera remplie . Le peu d'efpace m'empê
DE FRANCE. 45
che, Madame , de vous remercier de tout ce que
vous me dites d'obligeant , & des foins que vous
avez donnés à mes deux Ouvrages , qui vous do
vent leur ccès.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé, FRAMERY.
GRAVURES.
Les Vendangeurs , en quatre Eftampes d'envifon
II pouces de haut , fur 7 de large , répréfentant
les fcènes les plus intéreffantes de la Comédie de ce
nom . Prix , 4 livres les quatre . A Paris , chez l'etit ,
rue du petit Pont , à l'image Notre- Dame.
Collection des Portraits des Hommes qui fe font
rendus célèbres dans la révolution des treize Etats-
Unis de l'Amérique Septentrionale , gravés par Prevôt
, fur les deffins faits d'après nature par M. du
Simitier , Peintre , format in 4°. Prix , 2 liv . chaque
Portrait. A Verſailles , chez Blaizor , Libraire , rue
Satory ; & à Paris , chez Chéreau , Marchand d'Eftampes
, rue des Mathurins- Saint-Jacques,
Les perfonnes qui possèdent déjà cinq de ces
Portraits pourront retirer la feconde livraifon
compofée des huit Portraits fuivans qui rem
pliffent l'objet de leur foufcription ; " favoir , nº.
2. Le Baron de Stenben ; no. 5. Charles Tomp
fon; n . 7. Le, Gouverneur Morris ; n . 9. Silas
Deane, ne, 10. W. H. Drayton; n . 11. J. Die
kenfon ; n° . 12 Le Général Reed ; plus , le Général
Arnold , qui fe vend féparément de la Collection
des douze autres Portraits , mais au même prix.
Comme on a déjà prévenu qu'il ne feroit tiré qu'un
petit nombre d'exemplaires pour être diftribués en
France , & que les Planches paffoient enſuite à Phi46
MERCURE
ladelphie , on invite les perfonnes que cette Collection
pourroit intéreffer, à ne pas perdre de temps
pour le la procurer.
MUSIQUE.
CINQ, fix & feptième Cahiers du nouveau Journal
d' Airs choifis , avec accompagnement de Harpe ,
par Hartmams . Il paroît tous les mois un Cahier ,
L'abonnement eft de 18 livres franc de port. On
s'abonne à Paris , chez Periffe , rue Pavée- Saint-
André , allée du Menuifier.
Trois Quatuors concertans pour deux Violons ,
Alto & Baffe , par M. Van Hôoff fils , OEuvre premier
Prix , 6 liv. A Paris , chez Cornouaille , montagne
Sainte Geneviève , à côté du Séminaire de
Laon. On trouve chez le même tous les Recucils des
trente -fix Ariettes d'Opéra , depuis le premier jufqu'au
fixième inclufivement de 1781. Prix , 18 liv.
chacun.
H
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ISTOIRE Générale des Provinces - Unies , par
MM. Desjardins & Sellius . Ouvrage orné de fix
Cartes , tant pour la Géographie ancienne que pour
la moderne , & pour les poffeffions de la République
dans les autres parties du monde , de cinquante- fix
Portraits des Comtes de Hollande , Stadhouders &
autres perfonnes illuftres , pris fur les fameux Originaux
de Titien , Rubens , Van Dyck , Honthorst,
Vifcher , & de plufieurs autres figures repréfentant
des Antiquités , Médailles , Vignettes , & c. 8 Vol.
DE FRANCE. 47.
in-4°. propofés à une diminution confidérable. A
Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet.
Pour mettre le Public dans le cas de fe procurer
cet Ouvrage , & le faire participer à l'avantage que
le Libraire a rencontré en faisant cette acquifition ,
il propofe de donner chaque Exemplaire , en petit
papier, à 48 livres en feuilles , au lieu de 80 livres
qu'il s'eft vendu par foufcription ; & le grand papier
a 60 livres , au lieu de 120 livres , le tout jufqu'au
premier Décembre prochain , paffé lequel temps cet
Ouvrage fera vendu au même prix que précédemment.
Les perfonnes qui n'auroient que les premiers
Volumes de cet ouvrage , & qui defireroient de le
compléter , paieront les Volumes du petit papier
7 livres , ceux du grand papier 9 livres en feuilles
jufqu'à la même époque.
On trouvera des Exemplaires , foit brochés , foit
reliés , en payant la relieure & la brochure ſéparément.
Blanche & Vermeille , Comédie paftorale en
deux Actes & en profe , mêlée de Mufique , repréfentée
en 1781 par les Comédiens Italiens , in- 8 °. A
Paris, chez Brunet , Libraire , rue Mauconfeil.
Abrégé Chronologique de l'Hiftoire Univerfelle
depuis le commencement du monde jufqu'à nosjours,
par M. Magnier , Curé au Diocèle de Beauvais ,
Volume in- 12 . Prix , 1 liv . 16 fols broché A Paris ,
chez Guillot , Libraire de Monfieur , rue de la
Harpe , au Collège de Bayeux .
Tome XXIX de l'Hiftoire Universelle , nouvellement
traduite de l'Anglois , in- 8 ° . A Paris ,
chez Moutard, Imprimeur-Libraire , rue des Mathurins.
Tableau hiftorique des quatre grands Hommes
MERCURE
expofés au Sallon du Louvre , par M. Turpin fils ,
Volume in- 12. Prix , 1 livre 4 fols . A Paris , chez
Monory , rue de l'ancienne Comédie Françoife.
Les Hommes illuftres de la Marine Françoife ,
leurs Actions mémorables & leurs Portraits , par
M. Graincourt , Feintre & Penfionnaire de S. E.
Mgr le Cardinal de Luynes. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Saint Martin , la porte cochère au -deffus de S.
Julien des Méneftriers , près du cul - de - fac de Clairvaux
, onzième & douzième Cahiers , in-4°.
L'Ouvrage entier , erné de dix-fept portraits ,
fe vend 36 liv. chez M. Graincourt.
Le nouvel Anacréon François , ou les après fouper
de Paphos , avec les airs notés , Brochure in - 8 °.
Prix , 1 liv. 10 fols. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
VE
T A BLE.
ERS à M. le Docteur Pon Traité des Négations de la
fart ,
Romance ,
3 Langue Françoise,
Académie Françoise
Les Mufes , Conte Anacréon- Lettre à M. ***
zique ,
Enigme & Logogryphe ,
34
36
42
3
8 Réponse à la Lettre de Mde de
13 la Haye ,
Difcours prononcés dansl'Aca- Gravures ,
démie Françoife,
44
45
14 Annonces Littéraires , ibid.
AP PROBATION.
J'Alu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1Septembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 31 Août 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 SEPTEMBRE 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Faits à l'Affemblée ordinaire des Savans &
des Artiftes.
RAPPELás , réunis par d'illuſtres Mécènes , ( 1 )
Enfin les Mufes & les Arts ,
Après maintes recherches vaines , ( 2 )
Ont un aſyle , un centre ouvert de toutes parts ( 3 )
A l'effor des talens , aux élans du génie ;
Sans ceffer d'être amis , les Artiftes rivaux ,
(1 ) Les Quaranze Protecteurs de l'Établiffement de la
Correspondance .
(2) On fait tous les obftacles que cet Établiffement a
έρτοινές.
(3 ) L'Affemblée ordinaire des Savans & des Autifts .
Sam. 3 Septembre 1781 .
C
So MERCURE
Dans la plus parfaite harmonie ,
Au tact du goût , ici foumettent leurs travaux :
En ce lieu l'amant d'Uranie ,
A l'élève de Phidias ,
"Tend la main & l'entraîne aux chants de Polymnie :
Savant dans l'Art utile inventé par Pallas ,
Un enfant d'Arachné , pour régler ſes efquies ,
Au Difciple d'Euclide emprunte le compas.
Pour obtenir de vous quelques regards propices
En vous reproduifant vos traits ,
De timides pinceaux vous offrent leurs prémices ,
Grâces ! ... ( 1 ) & dans vos yeux attendent leur fuccès.
Le crayon à la main , la fière Architecture
Accourt auffi préfenter fes projets ;
Aux merveilles de l'Art la féconde Nature
vient mêler encor fes plus rares bienfaits,
Par une main ( 2 ) médiatrice
Conduit à ce brillant hofpice ,
Dans fa langue ( 3 ) accueilli , le favant Étranger.
Se retrouve parmi des frères ;
Et bientôt il veut échanger
Ses chef- d'oeuvres & fes lumières ;
( 1 ) Allufion à l'entrée des femmes à l'Aſſemblée.
( 2 ) M. de la Blancherie , Agent-Général de Correfpondance
pour les Sciences & les Arts.
( 3 ) Allufion à l'Établiſſement des Bureaux de Correlpondance
, cù l'on écrit & où l'on parle les principales
langues de l'Europe ,
DE FRANCE.
On fe parle , on s'entend des bouts de l'Univers . (1 )
Une louable concurrence ,
( Noeud de tant d'intérêts divers )
Tourne au profit des Arts & de la bienfaiſance.... ( 2 )
Raffemblez- vous , Riches & Grands ;
Infcrits au temple de Mémoire ,
Voulez-vous que vos noms foient à l'abri du tems ?
Aimez les Arts ; honorez les Savans }
Affociez-vous à leur gloire,
Qu'on puiffe dire un jour de vous :
Les Grands fe font montrés jaloux
De la gloire de leur patrie ;
Par leurs encourageans regards
Les Grands ont redonné la vie
Aux nobles enfans des Beaux - Arts :
Et par leurs foins , par leurs égards ,
La France eft devenue un foyer du génie.
( Par M. Sylvain Maréchal. )
( 1 ) Allufion aux moyens de Correfpondance & à la
Feuille Hebdomadaire.
(2 ) Allution à la Claffe des Affociés audit Établiffement.
Cij
52 MERCURE
LE MALHEUR DES FEMMES ,
Conte , imité de l'Allemand.
UNE ville fut autrefois
Prife d'affaut. ( Dès lors , comme au temps où nous
ſommes ,
La guerre avoit de fort beaux droits . )
Or, le vainqueur , charmé de fes exploits ,
Veut qu'au fil de l'épée on paffe tous les hommes.
Dieu fait quels cris poufsèrent vers le Ciel
Les époufes qu'alarme un ordre fi cruel !
Figurez - vous entendre mille femmes
Crier toutes enfemble. On devine , je croi ,
Que c'étoit un beau train ! Mille ! pour moi , Mefdames
,
Deux feulement me font trembler d'effroi.
LE malheur commun les raffemble.
En défordre & de toutes parts ,
Les yeux en pleurs & les cheveux épars,
Pales & fans couleur , elles courent enfemble
Da Général embraffer les genoux ,
Et demander qu'on fauve leurs époux ,
Bon , me dira la critique importune ,
Quoi ! fur mille femmes , pas une
Ne fe fentit du goût pour le veuvage ? - Non,
J'en fuis furpris moi-même , & le dis fans façon.
Ah ! le bon teinps ! qu'un tel exemple eft rare !
DE FRANCE. 53
Le Général , Chef d'un peuple barbare ,
Ne le fut pas affez pour braver leurs douleurs.
Eh ! qui peut réfifter à des femmes en pleurs ?
Je n'aurois pas voulu , Mesdames ,
Etre ce vainqueur triomphant.
Si j'avois vu tomber à mes pieds tant de femmes ,
J'aurois pleuré comme un enfant :
A chacune j'aurois fait rendre
Son cher époux , & même un autre par-deffus ,
Loin de rendre leurs pleurs & leurs oris fuperflus.
LE Général eut l'ame un peu moins tendre.
Mes Belles , leur dit-il :... Ah ! bon ! -
Un Général barbare ... -& galant ! -pourquoi non ?
N'être pas né François , eft-ce un mal fans remède ?
Le Général d'ailleurs favoit , quoiqu'étranger ,
Que l'on peut dire fans danger -
Ma Belle, même à la plus laide.
Mes Belles , leur dit donc le vainqueur , vos maris
» Sont dans mes mains : rien ne peut les défendre .
"
Apportez-moi tous vos joyaux de prix
» Pour leur rançon , & je vais vous les rendre.
» Celle qui retiendra , plus avare que tendre ,
» Le plus petit de ſes bijoux ,
» Verra fur l'heure expirer fon époux. »
Quoi ! propofer qu'on le fépare
De fes bijoux ! ah ! le barbare !
'Quoi ! les femmes en l'écoutant .1 :
Ciij
$4
MERCURE
N'ont point frémi ? Quoi ! chacune à l'inftant
N'eft point tombée en défaillance !
Donner tous ces tréfers dont le coeur eft épris !
Tous leurs atours ! pour qui ? pour leurs maris !
Aucune pourtant ne balance ;
Tout fut apporté promptement ;
Et le vainqueur encore exigea le ferment
Qu'on ne feroit aux maris nulle plainte
Pour avoir donné les joyaux ,
Et que l'on n'emploiroit ftratagême , ni feinte
Pour en acquérir de nouveaux .
Cz ferment-là fut prononcé fans crainte ,
Même avec joie en des momens fi doux ;
Puis à chacune on rendit (on époux .
Je ne vous peindrai point avec quelle allégreffe
Cette troupe fidelle accomplit le traité.
Comme chacune appelle , embraffe avec tendreffe
Le mari qu'elle a racheté !
Enfin les ent emis abandonnent leur proie.
Puis ayant vu partir le Soldat inhumain ,
Chaque époule faifit fon mari par la main ,
Et droit vers la maiſon s'achemine avec joie .
Eh bien , eft - ce la fin de votre hiftoire ?
Chaque femme parut , huit jours après la fête ,
-M
Trifte , chagrine en fa maiſon ,
Non.
Sans expliquer fon mal , fans chercher guérifon ;
Car le parjure alarme un coeur honnête .
Enfin , chacune en proie à fa langueur ,
DE
55
FRANCE.
Se met au lit , y cache fa douleur.
Tous les Médecins qu'on appelle
Oppofent à leurs maux des fecours impuiffans.
Las ! en dix jours , fur mille il en mourut neuf cens.
Ah, maudit Général ! eh ! dis - nous donc laquelle ,
Pour ceux qu'a vaincu ta valeur ,
Eft plus à craindre & plus cruelle ,
Ou ta clémence ou ta rigueur?
DE *** , Infeription pour le Portrait de M. DE
ILS vertueux d'un moderne Créfus ,
Iltrouva l'art d'illuftrer fa naiffance ,
En ajoutant toujours à fa finance ,
Sans rien ôter jamáis à fes vertus.
( Par M. l'Abbé Morazain. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft la Nuit ; celui du
Logogryphe eft Carême , ou fe trouvent
Carme , rame & arme.
Civ
56 . MERCURE
ÉNIGM E.
JE viens de voir dans le Mercure
Un Logogryphe fait d'une étrange façon :
Trois mots compofent fa ftructure ,
Mais trois mots qui fouvent ne font qu'une chanſon.
Tout galant qui dit : Je vous aime,
1.
Avec fon air doux & flatteur ,
Ne penfe pas toujours de même,
Et fa bouche dément fon coeur.
Faifons en même genre une Enigme nouvelle ;
Mais choififfons trois mots qui , par arrangement ,
Forment les voeux de tout fujet fidèle ;
Trois mots , le cri du fentiment ,
Du zèle , de l'amour , de la reconnoiffance ;
Trois mots connus fur-tout en France ;
Trois mots qu'avec tranfport on prononce fouvent.
J'en dis affez certainement
Pour que chacun les reconnoiffe .
Répète donc , mon cher Lecteur ,
Ces trois mots fi chéris que la vive tendreffe
A gravés de tout temps dans le fond de ton coeur.
( Par M. de Cailhava , Gendarme du Roi. )
DE FRANCE.
57.
LOGO GRYP HE.
AVEC trois de nies pieds jamais aux Saints Autels
- Je n'ai , d'un tendre amant & de la jeune Amante ,
Venus pour le jurer leur foi pure & conftante ,
Uni le fort heureux par des uuds folennels .
Avec un pied de plus je fuis un animal ,
Quoiqu'en mes jeunes ans , deftiné par mon maître
A ſupporter la faim , la foif , les coups , le mal :
Pour un pareil deftin , hélas ! devois-je naître ?
J'apporte le fracas , l'épouvante & la mort
Avec cinq pieds qui forment ma ftructure ;
J'appaife quelquefois la querelle & l'injure ,
Fixant des Souverains la fplendeur & le fort.
Mais , fi l'on change mon office ,
Tu peux m'employer , cher Lecteur ,
A te rendre un autre fervice
Dont tu fentiras la douceur.
Cependant , de moi , Dieu te garde
Dans ces deux différens emplois.
Bon foir ; car peut- être il te tarde
De me tenir entre tes doigts.
( Par un Garde Moulin de Montfaucon ,
près Paris. )
Cv
58
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ANNALES Poétiques depuis l'origine de la
Poefie Françoife. Tome XVIII . A Paris ,
chez les Éditeurs , rue de la Jullienne ,
vis à - vis le corps - de - garde ; & chez
Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins , au coin de la rue Pavée , 1781 .
IL faut convenir , avant de parler de ce
dix -huitième Volume , que les Amateurs
de la Poéfie ont dû applaudir au projet de
cette immenfe Collection . Si jamais dans
une Nation on doit fouhaiter un Recueil
qui renferme ce qu'on a ecrit de mieux en
poéfie , c'eft au moment où les Poëtes , en
fe multipliant , ont furchargé les bibliothèques
de leurs volumincufes productions ;
au moment où les Lecteurs blafes , & par
conféquent pareifeux , aimeroient encore
mieux renoncer à l'efpoir de lire de bons.
vers , que de s'expofer au danger d'en lire
une foule de mauvais. Voilà certainement
l'époque où fe trouve aujourd'hui la Littérature
Françoife. La feule nomenclature de
nos Poëtes formeroit un vafte Dictionnaire ;
& l'abondance de nos richeffes en ce genre
nous a rendus dédaigneux. A la réferve de
quelques ans , tels que Voltaire , Greffet ,
&c. on ne lit guères plus les autres Poëtes ,
DE FRANCE. 59
quoique leurs noms foient connus & cités.
Parmi ceux qui n'ont jamais eu de célebrité
ou qui l'ont perdue , il fe trouve fans doute
des Pièces agréables , étouffees fous une
foule d'inepties. Mais où font les Lecteurs
qui ont le courage de dévorer plufieurs Volumes
d'ennui , pour trouver un petit nombre
de bons ou de jolis vers ? Et voilà la
fatigue qu'ont voulu nous épargner les Rédacteurs
des Annales Poétiques.
S'il eft vrai qu'un Recueil de ce genre foit
devenu très utile aux Amateurs de la poéfie ,
on peut dire avec autant de vérité qu'il nous
manquoit jufqu'à ce moment . Celui qu'on
attribue à Fontenelle , outre qu'il est trèsincomplet
, eft fait avec la plus grande négligence
, pour ne rien dire de pis . Quand on
lit ce Recueil , on eft fouvent tout aufli
étonné de ce qu'on y trouve que de ce qu'on
n'y trouve pas ; & s'il eft vrai que Fontenelle
en foit l'Auteur , il faudra convenir
qu'il étoit encore plus habile faiſeur qu'il
n'étoit bon juge.
La Collection des Annales Poëtiques eft
faite avec plus de foin , & fuppofe de plus
grandes recherches ; & quoiqu'elle nous ait
donné lieu quelquefois à des obfervations
critiques , nous croyons que ce travail ne
fauroit être trop encouragé. Le Volume que
nous annonçons renferme fept Poëtes , Boisrobert
, Saint Amant , l'Etoille , Charpentier
de Marigny , Sarafin , Malleville & Guillaume
Colletet. Prefque tous ces . Auteurs
C vj
60 MERCURE
font plus connus par leurs noms que pat
leurs Ouvrages. Celui de tous qu'on lit le
plus , c'eft Sarafin , qui eft remarquable furtout
par l'élégance & une aimable facilité.
Son églogue d'Orphée , qui eft imitée de
Virgile , offre des détails heureux ; on y diftingue
fur- tout ces deux vers 2
Le chien , qui de fes cris bat ces rives défertes ,
Retint près d'aboyer les trois gueules ouvertes.
Son Ode fur la bataille de Léns mérite
auffi des éloges. Il n'a pas moins réufli dans
le genre gracieux ; & parmi fes Epigrammes ,
nous avons remarqué celle- ci , qui nous a
paru pleine de fens.
Epitaphe de M. le Comte de Soiffons.
Soifons , que fon malheur armoit contre la France ,
Près des murs de Sedan combattit en lion ;
La Victoire en ce lieu couronna fa vaillance ,
Et la mort le punit de ſa rébeliion.
3
Boifrobert a bien peu de vers qu'on puiffe
citer ; on diroit prefque que fou plus grand
alent étoit d'amufer le Cardinal de Riche- >
¡ieu.
Saint Amant a de l'enjouement & de l'originalité.
La Pièce intitulée , Imprécation .
finir d'une manière piquante.
Charpentier de Marigny n'a prefque rien
fourni aux Annales Poetiques. C'est lui qui
eft Auteur d'une Ballade très- connue , dont
DE FRANCE. 61
le refrein eft : Qu'on eft for alors que POR
aime.
Le Colletet , dont il eft ici queftion , n'eft"
pas celui dont Boileau a parlé affez indifcrètement
dans fes Satyres , quand il a dit :
Tandis que Colletet , crotté jusqu'à l'échine ,
Va mendier fon pain de cuiſine en cuisine.
La deftinée de ce Poëte eft affez fingulière .
Il a joui de fon vivant de la réputation la
plus brillante ; & depuis fa mort il n'a
trouvé place dans prefque aucun Recueil
Poétique. Il a pourtant fourni aux Éditeurs
un très grand nombre de Pièces fort agréables
. Voici un de fes Sonnets , intitulé :
Confeffion amoureufe.
C'EST en vain que du coeur vous me voulez ôter
La folle paffion que je n'ofe vous taite ;
Quoique votre confeil me femble falutaire ,
Mon père , je l'écoute , & ne le puis gouter.
Ce tyran des efprits qui me vient agiter ,
CL
Fait que j'éprouve en moi ce mal fi néceſſaire ,
Qu'il n'eft point de raifon qui m'en puiffe diftraire ,
Ni d'homme qui me faffe à ce Dieu réliſter,
JE confeffe avec vous que , fuivre de la forte
L'aveugle mouvement d'une flamme ſi forte ,
C'eft un crime odieux dont je ferai blâme.
Mais avouez auffi , mon père , en récompente, do
62 MERCURE
Qu'aimer comme je fais fans pouvoir être aimé ,
C'eſt d'un péché fi doux faire la pénitence.
Malleville paffe pour avoir réuffi dans le
Sonnet. Ses rondeaux ne font pas moins
agreables ; & nous fommes en cela de l'avis
des Éditeurs , qui ajoutent que parmi nos
anciens Poëtes , celui - ci eft un des plus ingénieux.
Il y a certainement de l'efprit dans
la Pièce que nous allons citer , & qui eſt auffi
originale par le fond que par le titre.
Sur une belle Gueufe.
PIEDS nuds & toute échevelée ,
Philis , en l'avril de fes jours ,
Non moins belle que défolée ,
S'en va de porte en porte implorer du fecours.
Qui la voit en ce point fi pleine de triſtelle ,
Bénit fa rencontre & le lieu ,
Et donne moins au nom de Dieu
Que pour l'amour de la Déeffe.
Quor que tu puiffes demander ,
Tu l'obtiendras , je t'en affure ;
Philis , tes yeux fi beaux ont droit de commander ,
Au moment que ta voix humblement nous conjure.
Qui voudroit réfifter , réfifteroit en vain.
A l'effort de tes belles larmes :
Demander avec tant de charmes ,
C'eft demander les armes à la main.
DE FRANCE. 63
TELS que luifent au ciel les fuperbes flambeaux
Des voiles de la nuit perçant l'ombre fi noire ;
Telle plus brilante en fa gloire ,
Ta beauté luit au travers des lambeaux.
QUELLE main pourroit être cloſe
A celle qui fur nous fait de fi doux efforts ?
Qui pourroit nier quelque chofe
A qui le ciel déploya fes tréfors ?
LES foleils de tes yeux , dont la flamme eft fi claire ,
La fraîcheur de ton teint , la douceur de tes traits ,
Et tous les dons que Nature t'a fairs ,
Obligeront la fortune à t'en faire.
f
JUSQUES dans nos ames tu fouilles ; ·
Et tes yeux fi puiffans , en leur douce langueur ,
Savent bien faire ouvrir & la main & le coeur ,
Et s'enrichir de nos dépouilles.
Ou ton corps glorieux fait luire fes appas ,
Il répand une odeur célefte ;
Et lorfque loin de nous il détourne fes pas ,
Long-temps après le parfum nous en reſte.
CHACUN juge à ton port & l'être & le pouvoir
Dont le ciel t'a favorisée ,
Et croit que tu t'es déguisée
Seulement pour nous décevois.
64
MERCURE
BIEN que ta pauvreté jufqu'à l'ame nous touche ,
A peine en pourrois- tu le difcours garantir :
Ta bouche s'oppose à ta bouche ,
Et fuffit pour te démentir.
UN rang de perles nompareilles
Compofe l'ordre de tes dents ,
Et de l'éclat de deux rubis ardens
Tu fais celui de tes lèvres vermeilles.
CEPENDANT tu mets devant nous
Tout ce que l'indigence a de rigueurs extrêmes ,
Er viens prier , preſque à genoux ,
Ceux qui font prêts de te prier eux- mêmes.
Tout le monde te donne , & croit qu'à ta beauté ,
Qui va régner avec eftime ,
Il acquitte plutôt un tribut légitime
Qu'il ne fait une aumône à ta néceffité.
MERVEILLE plus digne d'offrandes
Que tu ne l'es de charités ,
Tu ravis aux paffans plus que tu ne demandes ,
Puifque tu prends les libertés.
Tu fais ta récolte en ta courſe ,
Par la vertu de tes charms vainqueurs ;
Mais tu commences par les coeurs ,
Et puis tu finis par la bourfe.
Des Stances intitulées , de la Vanité du
Monde , prouvent encore que Malleville
DE FRANCE. 65
n'étoit point fans talent pour le genre noble.
Nous nous contenterons d'en citer une où il
eft question des Souverains.
Miſérables mortels , aveugles que nous fommes ,
Jufqu'au trône des Dieux nous élevons des hommes
Qui doivent le tribut à l'empire du fort !
Tous leurs plus beaux rayons fe changent en ténèbres
Et le fceptre qu'on porte en leurs actes funèbres ,
Augmente feulement la pompe de la mort.
Boifrobert eft un de ceux qui figure le
moins dans ce Volume , quoique ce fût réellement
un homme de mérite . Les vers qu'on
a inférés de lui , fans être bien brillans , ne
font pas dépourvus de talent poétique. Nous
avons cru rencontrer quelques Fièces mediocres
que les Éditeurs auroient dû rejeter.
Qu'il nous foit permis de communiquer aux
Editeurs une réflexion qu'ils ont peut - être déjà,
faite avant nous : c'eft qu'à mesure qu'ils s'approchent
des jours brillans de notre poésie ,
leur choix doit devenir plus févère , Telle
Pièce qu'on auroit dû admettre avec éloge
fous le nom de Villon , doit être rejetée
avec mépris fous celui de Racan . Le Lecteur
n'attend pas du premier ce qu'il eft en droit
d'exiger de l'autre, Les mines que les Éditeurs
ont à fouiller déformais font plus
abondantes & d'une exploitation plus facile.
Le goût leur fait un devoir d'être févères ; &
ils peuvent l'être fans s'appauvrir.
66 MERCURE
SUITE des Épreuves du Sentiment , par M.
d'Arnaud . Tome cinquième , quatrième
Anecdote , Amélie. Prix , 3 liv . broché.
A Paris , chez Delalain , Libraire , rue
S. Jacques.
ONOn peut le rappeler d'avoir lu dans le
Courier de l'Europe , Nº . 11 , 6 Juillet
1779, l'aventure d'une jeune Angloiſe qui ,
fous un habit d'homme , ofa chercher fon
amint à Philadelphie , où l'avoit appelé
l'honneur de verfer fon fang pour la défenfe
de la liberté. Arrivée en Amérique , elle
demande , elle s'informe ; elle apprend qu'il
s'eft livré un combat , elle vole au champ
de bataille , elle cherche , elle regarde , elle
trouve celui qu'elle aime expirant d'une
bleffure qu'il avoit reçue . Dans les tranfports
de fon amour & de fa douleur , elle
fuce fa plaie , elle veut étancher fon fang ;
mais , hélas ! la flèche qui l'a bleffé eft imbibée
d'un venin mortel que les Sauvages
ont coutume d'employer contre leurs ennemis
; il meurt bientôt après douloureufemént
pénétré de la générofité de fa maîtreffe
qui , atteinte elle - même du poifon qu'elle
avoit fucé , mourut à fon retour en Angleterre
, dans le fein de fa famille , au village
d'Hammerfwith , fitué près de Londres.
Telle eft la malheureufe Héroïne du nouDE
FRANCE. 67
veau Roman de M. d'Arnaud . Il a fu l'embellir
des acceffoires les plus touchans & les
plus propres à répandre de l'intérêt fur une
Anecdote déjà fi intéreffante par elle - même.
Le retour de fon Héroïne dans la maifon de
fes parens , à l'inftant où , agités des plus
cruelles inquiétudes , ils fe préparoient à
s'embarquer pour chercher leur fille dans
le Nouveau-Monde , & le tableau des derniers
momens de cette infortunée font peints
avec ces couleurs fentimentales , qui font le
caractère diftinctif des productions multipliées
de M. d'Arnaud . Il ne falloit rien
moins que la fécondité de la plume , pour
développer avec une certaine étendue une fimple
Anecdote qui ne fembloit guère fournir
que la matière d'une Romance. Auffi en
avoit- elle déjà infpiré une charmante , que
M. d'Arnaud a recueillie . Nous apprenons
qu'elle eft de M. le Chevalier de Langeac ;
elle nous paroît avoir tout le mérite dont le
fujer & le genre de l'Ouvrage etoient fufceptibles
. La voici .
ROZ ET BETZI , Romance.
Le jeune Roz en Angleterre
Aimoit l'innocente Betzi ;
Tous deux à la rigueur d'un père
Déroboient leur tendre fouci ..
Mais à Bofton , pour ta quérelle ,
Tout va s'armer , ô Liberté !
MERCURE
Roz alors n'eft pas moins fidèle
A fon devoir qu'à la beauté.
IL part , au premier cri d'alarmes ,
Il part fans prévoir de retour ;
Et baigné des plus douces larmes ,
Combien il en donne à l'Amour !
Vainement une voix chérie
Voudroit encor le rappeler :
A l'honneur , au nom de l'atric ,
Son coeur brûlant peut s'immoler.
TREMBLANTE , à la douleur en proie ,
Betzi fuit les pas d'un amant :
Soudain la voile le déploie ,
Dieux ! quel objet & quel moment !
Ses yeux fe ferment ; on l'entraîne ,
Elle étend les bras vers les flots ,
Et le nom de Roz avec peine
S'échappe à travers des fanglots.
QU'ELLE regrette le délire
Oùfe confumoient de beaux jours !
En fecret elle aime à relire
Tous les fermens de leurs amours .
Heureufe encore de les croire ,
Et plus fenfible à fon tourment
En rivale elle hait la gloire
Qui lui fait perdre fon amant.
•
DE FRANCE. 69
Aux jours , aux longs jours de l'abſence
Elle ne peut s'accoutumer.
Plus épris , fon coeur la devance
Aux bords où l'on vit pour l'aimer ;
Des mers elle franchit l'eſpace ,
Et fur l'Océan agité
Son oeil cherche à fixer la trace
• Du vaiſſeau que Roz a monté,
ÉOLE attendri la feconde ;
Enfin , elle apperçoit le Port.
Sur les rives du Nouveau-Monde
Elle s'élance avec tranſport ;
Ses piés tremblans touchent la terre :
Elle fe peint Roz en danger ,
N'ofe parler , craint de fe taire ;
Elle frémit d'interroger.
MILLE voix que l'écho répète ,
Des étendards ceints de laurier ,
Le bronze tonnant , la trompette ,
Tout annonce un fuccès guerrier.
Betzi friffonne , & vers la foule
Elle s'empreffe de courir.
Mais ce peuple à grands flots s'écoule ,
Roz eft encore à découvrir.
ELLE vole aux champs du carnage.
Sous la cuiraffe d'un Soldat
70 MERCURE
Elle voit.... Dieux ! l'horrible image ;
Roz eft tombé dans le conibat.
Sur l'objet de fa triſte Aamme ,
Sa douleur va fe dépofer ;
Elle veut refpirer ſon ame ,
Et la retient par un baiſer.
SES lèvres preffent la bleſſure
Où reftoit le fer du vainqueur ;
Un mouvement qui la raffure
Attire fa main vers fon coeur.
Il palpite ; une main ſi chère
De fa vie obtient le retour ;
Roz enfin a vu la lumière ,
Et c'eft l'ouvrage de l'Amour.
FRAPPÉ d'une fubite ivreffe ,
Qui peut de l'excès du malheur
Paffer aux bras de fa maîtreſſe
Sans expirer de fon bonheur ?
C'eft-là ce que Betzi doit craindre.
Quels feroient , ô Dieux ! fes regrets !
L'Amour même l'oblige à feindre ;
Elle voile en pleurant les traits.
Qui que tu fois , parle- moi d'elle ,
S'écrioit Roz en foupirant.
C'eft Betzi qu'un amant fidèle
Te recommande en expirant.
DE FRANCE. 71
Berzi .... Tu la verras peut- être ;
Promets qu'à Londres , de retour ,
Tu diras que j'ai ceffé d'être
En ne penfant qu'à notre amour.
A CES mots , troublée , attendrie ,
Dans un muet faififfement ,
Betzi ne tient plus à la vie
Que pour la rendre à fon amant .
Un cri d'amour la fait connoître :
Roz encore a pu l'adorer.
Mais ce bonheur qui vient de naître ,
Hélas ! qu'il devoit peu durer.
Le glaive fous qui Roz expire
D'un venin ſubtil eſt armé ;
C'eft la mort que Betzi reſpire ,
La mort fur fon fein trop aimé.
Son amant qu'elle y vouloit ſuivre ,
Betzi le devance au tombeau ;
Pour l'aimer Roz a cru revivre ,
C'eft lai qui devient fon bourreau.
IL frémit , il pleure , il fuccombe ;
De fes mains veut fe déchirer.
Vivant , de Betzi , de fa tombe ,
Rien ne pourra le féparer .
Sa voix n'eſt plus qu'un long murmure ,
Que le cri profond du malheur..
72 MERCURE
Il guériffoit de fa bleſſure ,
Il expira de fa douleur.
N. B. Amélie termine le cinquième Volume
des Epreuves du Sentiment. Le Comte
de Gleichem ouvrira le fixième.
DICTIONNAIRE des Merveilles de la
Nature , par M. A. J. B. D. A Paris , rue
& Hôtel Serpente.
PUISQUE la Nature eft belle juſques dans ,
fes caprices, il eft permis fans doute de la
furprendre dans fon fanctuaire , & de foulever
le voile qui la cache ; mais fi elle laiſſe
voir au curieux tous les prodiges , il s'en
faut de beaucoup qu'elle l'initie dans fes myftères.
Ici c'eft une femme accouchant d'une
fille , qui accouche d'une autre au bout de
huit jours ; à côté , deux fouris qui , en naiſfant,
fe trouvent pleines de plufieurs autres ;
là , c'eft un canard qui prouve dans une cuifine
que Pilade a pu s'offrir pour Orefte fur
les autels de la Tauride. D'un côté , c'eſt un
homme qui mange en un feul déjeûner cent
perches , dix melons , vingt livres de raiſin ,
cent bec - figues & trente- trois douzaines
d'huîtres ; de l'autre , c'eſt un navet dont les
feuilles, dreffées en forme de palmes, forment
le plus beau panache , & qui repréſente une
femme nue affife fur fes pieds , les bras
croifés au - deffus de la poitrine. Demandons
à la Nature la caufe de toutes fes bizarreries
;
DE FRANCE. 73
pièce
reries ; elle ne nous répondra que par des
phénomènes encore plus extraordinaires.
Eh bien ! comme s'il n'étoit pas déjà affez
humiliant pour notre raison de ne rien entendre
à fes fecrets , l'indifcret qui a le courage
de l'étudier , fe fait encore un plaifir
de lui prêter des miracles. Ainfi l'Auteur
du nouveau Dictionnaire ſe déclare le protecteur
de la baguette divinatoire. Il prétend
que cette verge d'Aaron peut tourner
naturellement fur les fources. Il eft vrai
qu'il l'a vue de fes propres yeux s'agiter entre
les mains d'une Dame à Bourges fur de l'argent
renfermé dans un buffet , au- deffus
d'une pièce d'or , enfin fur tous les métaux
, l'étain excepté . N'eft- ce pas le chien
de la Foire qui faute pour le Roi de France ,
le Roi d'Espagne , & n'a plus de jambes
pour le Roi d'Angleterre ? Que penferonsnous
de de Mathurin qui naquit à Blois en
1725 , ayant dans les yeux deux cadrans
peints diftinctement , & où l'on comptoit
facilement les heures tracées en chiffres
Romains ? & de cet autre qui , à l'Hôtel-
Dieu de Paris , faifoit lire très - diftinctement
dans les yeux , fit nomen Domini benedictum?
Puifque M.A. J. BB., D. nous affure que
la mère du premier avoit eu un defir ardent.
de voir une montre , qui nous empêchera
de conjecturer que la feconde avoit cu
envie de regarder un écu de France ?
Il y a apparence que c'est pour appuyer
l'ancien fyftême de l'Abbé Nollet fur l'élec
Sam. 8 Septembre 1781 .
D
74
MERCURE
tricité, que M. A. J. B. D. nous donne comme
un fait certain que la matière du tonnerre
s'élève de la terre en même-temps qu'une
pareille matière s'échappe de la nuée orageufe.
Il s'agite pour démontrer l'identité
de la matière électrique avec celle qui fait
le tonnerre , & paffe précisément fous filence
les expériences les plus curieufes & les plus
directes , celle du Profeffeur Richman , qui
lui coûta la vie , & celle de M. de Réaumur.
Bientôt après il oublie cette identité ; car il
paroît étrangement furpris que la foudre ait
mis en fufion le fer d'une
boîte
à poudre à
canon fans allumer la poudre. Le Phyficien
fait que la matière électrique fond les
métaux , & qu'elle n'a jamais pu allumer
immédiatement de l'amadoue.
Nous croyons devoir avertir l'Auteur du
Dictionnaire , que la mâchoire de fon Curé
de Canlus , Diocèfe de Rieux , n'eft pas plus
électrique que la meule du gagne - petit , &
que nous avons vu de nos propres yeux ,
oui, vu à Draguignan en Provence , M. le
Chevalier .... tirer des étincelles de fa mâchoire
en retirant brufquement la lame d'un
couteau qu'il ferroit fortement entre fes
dents; & en vérité perfonne de la compagnie
ne s'avifa de croire que ces étincelles
étoient électriques .
Eft -ce pour faire fa cour aux vieilles
femmes que M. A. J. B. D. nous raconte
que Marguerite Kerdut , née à la Baſtide ,
près la Garonne , reprit à foixante - quatre
DE FRANCE. 75-
ans de l'embonpoint, qu'elle n'avoit jamais
eu ; que les rides s'effacerent , qu'elle n'eut
plus befoin de lunettes , que fa bouche ſe,
garnit d'un double rang de dents pointues ,
que fon fein fe remplit , & qu'enfin fes
mois revinrent ? Ah ! fi le fait n'étoit pas
attefté par des Gafcons , que de femmes
iroient fe baigner dans la Garonne ! Mais
puifque les Graces mêmes font mortelles
rappelons leur du moins que Mde Lullin
reçut, le jour qu'elle cut cent ans accomplis,
un bouquet de Voltaire , avec quatre vers
encadrés dans une guirlande de fleurs trèsbien
peintes.
Nos grands pères vous virent belle :
Par votre efprit vous plaiſez à cent ans ;
Vous méritez d'époufer Fontenelle ,
Et d'être fa veuve long- temps.
* Si nous ne cherchions qu'à amuſer nos
Lecteurs , nous raffemblerions fous leurs
yeux tous les contes de notre laborieux
Compilateur ; ils verroient un homme monter
au haut d'un mur de trente pieds en
s'aidant feulement des ongles de fes pieds .
& de fes mains , comme feroit une fouris ;
ils verroient un Cure , prononçant une
Oraifon funèbre , affurer à l'Affemblée que
fon Héros étant tombé dans l'eau à l'âge de
dix-fept ans , n'en avoit été retiré qu'au
bout de fept femaines , & qu'il mourut feptuagénaire;
ils entendroient enfin une femme
p - 930xiol 5 mq , sano Duif &
76 MERCURE
qui parle & chante fans langue , & peutêtre
n'en feroient - ils pas plus furpris que le
Seigneur Portugais qui fit ce Diftique en
préſence de M. de Jullieu.
Non mirum elinguis mulier quod verba loquatur :
Mirum cum linguâ quod taceat mulier.
Mais nous ne pouvons & nous ne devons
pás diffimuler que le Dictionnaire des Merveilles
ne remplit pas le but qu'il exige ; il
prouve que fon Auteur fe livre volontiers
aux recherches pénibles ; il permet du moins
de foupçonner qu'il n'eft pas doué d'une
critique très - profonde , & que la Phyſique'
ne lui eft pas trop familière. Ayons encore
le courage de dire tout haut qu'il pourroit
être plus verfé dans l'art d'écrire. Une Relation
dans laquelle il s'y agit de ; il fut heureux
que ; un arc- en- ciel lunaire qui a le
malheur de devancer un accident fâcheux ; un
Empereur qui a beaucoup de peine à ne point
être enfeveli fous les ruines d'une Ville détruite;
un garçon Boucher qui eft le pendant,
de la ville de Charenton ; un laps de temps
qui ne s'étend point à un quart d'heure , &c.
Toutes ces fautes feroient-elles fupportables,
même dans un Errata ?
DE FRANCE.
77
-
RÉFLEXIONS fur la Mufique Théâtrale ,
in- 8° . de 36 pag. A Naples , & à Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
IL fuffit de jeter un coup- d'oeil fur les
querelles qu'ont occafionnées les Arts , pour
s'appercevoir que moins l'objet des difputes
a été connu , plus on s'eft laiffé entraîner à
l'aigreur & à l'animofité. Depuis que MM,
Gluck & Piccini font venus enrichir de leurs
talens notre Académie Royale de Mufique ,
leurs compofitions ont donné lieu à beaucoup
d'Ecrits ; & dans le nombre étonnant
de Brochures & de Pamphlets qu'ont mis au
jour les Partifans de ces deux célèbres Ar
tiftes , à peine en exifte - t- il deux qui foient
exempts des excès que fait naître prefque toujours
la fureurde l'efprit de parti . Avec le defir
de prôner l'idole qu'il s'eft créée, chaque Ecrivain
laiffe percer fon humeur contre ceux qui
n'ont point adopté fon culte. Celui- ci , po¬
litique adroit & fpirituel , diftribue à pro
pos fes farcafmes , & fe fauve, par une épis
gramme , de fon impuiffance à réfoudre certaines
queftions. L'autre , trop emporté pour
écouter aucunfyftême de modération , tonne
éclate , & prononce fes oracles du ton d'un
enthouſiaſte afſis fur le trépied facré ; parlé
avec chaleur pour l'objet de fes hommages ,
& condamne fans retour tout ce qui n'eft pas
lui. Ce feroit en vain qu'on fe promettroit
Dij
78
MERCURE
› &
d'être utile à l'Art avec de tels moyens :
l'homme qui veut réellement éclairer , propofe
de bonne foi fes idées , les difcute avec
fageffe , examine avec attention les opinions
que l'on oppofe aux fiennes , fe juge avec
févérité , revient fur fes erreurs , les avoue ,
& préfente aux hommes qu'il a trompés fans
le vouloir , le réſultat de ſes réflexions devenucs
plus juftes. Il ne s'amufe point d'ailleurs
à de vaines diftinctions , à de petites fubtilités
capables d'en impofer aux fots
d'épargner à fon amour - propre la honte
d'avoir en tort : c'eft au fond de la chofe
qu'il s'attache , c'eft la principale queftion
qu'il traite , & il ne paffe aux queftions
acceffoires , qu'après avoir approfondi celles
dont découlent toutes les autres . Il faut dire
dans le grand nombre de propofitions
qui ont été faites fur la Mufique , il en a été
agité plufieurs qui n'étoient point du relfort
des Gens de Lettres , & qui ne pouvoient être
conduites à unefolution raifonnable que par
des gens du métier , c'eft- à- dire , par des Muficiens.
Vraisemblablement l'Auteur d'Orphée
ici
que
& celuide Roland n'ont pas dup Orphée
de grandes
lumières dans les Ecrits de ceux qui font
devenus , fans гор favoir pourquoi , leurs
admirateurs ou leurs ennemis : & tout en rendant
juftice à l'Anonyme de Vaugirard , & à
l'Auteur de l'Effai fur la révolution de la Mufique
en France ; ces deux illuftres Compof
teurs ont dûtrouver extraordinaire qu'on ima
ginât , que legoût propre à rendre compte avec
DE FRANCE. 79
efprit de fes fenfations en Mufique , pourroit
tenir lieu de connoiffances réelles dans cet Art.
Si ce n'eft pas pour inftruire des Artiſtes qu'on
écrit , pourquoi donc entretenir d'interminables
querelles fur des objets indifférens à
la plupart des Lecteurs ? Pourquoi s'arrêter
à des difcuffions oifeufes , au lieu de s'occuper
de celles dont il peut réfulter quelque
avantage ? En vain écrira t- on des deux côtés
pour tenter de donner la prééminence à l'Idole
de chaque parti. Les hommes de génie ne
font pas & ne peuvent pas être jugés en dernier
reffort par leurs Contemporains ; c'eſt
la Poftérité qui les place , en brifant les Arrêts
qui , avant elle , ont été dictés par la prévention
, l'enthoufiafme ou la haine.
D'après ces obfervations , nous ne pouvons
que blâmer l'Auteur du petit Ouvrage
dont nous rendons compte , de s'être laifié
emporter par fon humeur , au point d'adreffer
à ce qu'il appelle les Glukiftes , des expreflions
faites pour être bannies de tout
Ecrit dicté par le defir d'être utile . En réfutant
les idées que l'Auteur des Obfervations
fur la Mufique a conçues de la Mélodie , " ił
ne falloit pas fe permettre des critiques qui
puffent devenir perfonnelles. Il falloit fentir
que de telles critiques devoient être interdites
à tout hommehonnête , puifque le talent d'exécution
qui a fait regarder M. de C. comme un
Amateur très - eftimable n'appartenant point
au Public,il ne fauroit être jugé publiquement.
Il ne falloitpas non plus , après avoir mis cet
Div
80 MERCURE
Ecrivain en contradiction avec lui - même, citer
ces vers connus de Voltaire : Souvent un
air de véritéfe mêle au plus groffier menfonge :
cette citation eft incivile & dure ; & , quoique
nous ne penfions pas comme certaines
gens qui donnent aux Partifans de M. Gluck
tous les avantages de la politeffe , en accufant
ceux de M. Piccini d'y avoir manqué
fans ceffe , ce qui eft auffi mal fondé que
malhonnête nous condamnons hautement
cette manière de juger , parce qu'elle annonce
tout à la fois la partialité & la colère. A
quoi bon auffi les épigrammes adreffées
fourdement à quelques - uns des Admirateurs
de l'Auteur d'Alcefte ? Pourquoi dire ,
en parlant de l'un d'eux , qu'il ne fait pas une
note de Mufique ? D'où l'Ecrivain le fait- il ?
Si quelqu'un lui a fait le même reproche, il a
eu tort fans doute; mais pour répondre à une
affertion inconféquente , faut - il être inconféquent
foi- même , & s'expofer à des reproches
défagréables ? Comment a- t - il encore
imprimé d'une manière aufli générale , auffi
affirmative , que la Mélodie de . M. Gluck
n'a ni proportions , ni liaifon , ni deffin ?
Quoi ! l'Auteur d'Orphée & d'Alcefte n'apoint
de deffin dans fa Mélodie ! Quoi ! il
n'y a point de deflin ni de proportions dans
ce Morceau d'Iphigénie en Tauride : O
malheureufe Iphigénie ! Dans cet autre : Je
t'implore &je tremble , ô Déeffe implacable !
Quoi ! il n'y a point de deffin dans prefque
tous les morceaux qui compofent le rôle
}
DE FRANCE. Sr
d'Iphigénie en Aulide , un des Perfonnages
les plus parfaitement deflinés que la Mulique
ait portes fur la Scène ? Perfonne ne croira
que le Critique ait raifon ; & , finon tout
le monde , au moins la partie judicicufe des
Amateurs , auroit penfe comme lui , s'il
avoit fimplement avancé ce qui a déjà été
dit avec juftice ; que M. Gluck' , en voulant
fuivre la marche de l'action , brife trop
fouvent fes motifs , néglige trop la Mé
lodie , & fait peut - être trop fréquemment
le facrifice des règles de fon Art , au defir de
fervir l'Art dramatique.
La févérité dont nous nous fervons n'eft
que de la juftice , nous ofons le dire; &
nous devions l'employer avec d'autant plus
de raifon , que le Critique dont nous examinons
les idées a de grandes lumières fur la Mufique
, qu'il annonce beaucoup de goût &
d'efprit toutes les fois qu'il traite une Thèle
qui n'a avec l'Art qu'un rapport général.
Nous ferions fâchés que notre rigueur pût
lui déplaire , & nous le prions de croire
que dans notre manière de le juger , il n'entre
d'autres caufes que celles de la vérité , de
l'amour du bien & du refpect des Artiftes .
Après avoir fatisfait à ce que nous croyons
devoir à l'impartialité la plus rigoureufe ,
nous allons citer les morceaux eftimables
que l'on remarque avec plaifir dans ce petit
Ouviage.
On fait que, depuis long temps , la Mélodie
proprement dite eft un des moyens de
D v
82 MERCURE
l'Art mufical que l'on voudroit voir le plus
fouvent banni du Théatre : elle fe complait,
a dit quelqu'un , dans des écarts & dans de
vagues erreurs. Ce principe eft faux fans
doute. Que diroit- on d'un Ecrivain qui ávan
ceroit que l'Eloquence ne fe complaît que dans
un vain appareil de mots & dans des figures
vagues laborieufement accumulées : On lui
répondroit certainement qu'il a jugé l'Eloquence
d'après de mauvais Auteurs , & on
l'engageroit à étudier les bons modèles : on
peut dire la même chofe au fujer de la Mélodie
, & renvoyer fon Détracteur aux grands
Maîtres Italiens. On lui demanderoit alors
où font les écarts & les vagues erreurs du
morceau de Sacchini , fe cerca , fe dice ; de
cet air fublime de Piccini , fe il Ciel mi
divide. Peut être répondroit il que ce n'eft
pas là de la Mélodie , & il faudroit fe taire
par décence. Mais voyons comment l'Auteur
des réflexions prend la défenfe de la Mélodie
& des formes dont elle doit être embellie.
» Le befoin d'exprimer , dit-il , ne peut
difpenfer les Arts de la néceflité de plaire ,
» & réciproquement cette néceflité de plaire
ne les affranchit pas du befoin d'exprimer.
» Mais file plaifir & l'expreffion ne font pas
incompatibles , & doivent même être inféparables
, quels font les liens qui les
» uniffent l'un à l'autre ? Ces liens font les
» formes de l'Art. C'eſt à l'aide de ces for-
» mes , confacrées par le travail des grands
» Maîtres & par le fuffrage des Nations inf
"2
33
f
DE FRANCE.
211
ور
» truites , qu'un Art plait , & 11 , exprime....
Que deviendroient les Arts , fi
on leur permettoit de feparer la beauté
» des formes , & l'energie de l'expreffion ?
» Le Laocoon feroit-il plus parfait , fi , à
» travers les fymptômes de fa fouffrance ,
la contraction des mufcles , & tout ce
"
2
qui peut peindre les mouvemens les plus
» horribles de la douleur extrême , on ne
» démêloit pas le charme des proportions ,
la beauté du faire & le choix de la belle
» nature ? »
"
Il faudroit être de la mauvaife foi la plus
infigne , n'avoir aucune idée des Arts , ignorer
abfolument ce qu'eft le beau idéal , pour
ne pas fe rendre à l'evidence de ces proportions.
C'est l'obfervation de ce principe inconteſtable
qui engagea Molière à faire une
excellente Comédie de fon Tartufe , dont
quelques- uns de nos Modernes n'auroient
fait qu'un Drame monftrueux.
A ce premier exemple pris de la Sculpture ,
l'Auteur des Réflexions en ajoute un autre que
lui fournit l'Art dramatique. Il prend la belle
tirade de Burrhus à Néron , dans la troifième
Scène du quatrième acte de Britannicus ; il en
écarte tous les developpemens , toutes les
tranſitions , & réduit à treize vers cette tirade
que Racine a compofee de cinquante- trois.
Ce morceau ainfi arrangé n'eft plus qu'un
lambeau trifte , fec & froid ; c'eft un fquelette
dégoûtant qui redevient un corps vivant,
qui reprend tout fon embonpoint ,
AX 9 Dvj
$4
MERCURE
"
"
"
quand on l'a rétabli comme il a été tracé par
l'homme de génie. « Que fait , dit l'Obfer-
» vateur , le Muficien , lorfqu'il compofe un
» air ? Un fentiment principal le frappe
dans le Poëme ; il s'en pénètre , & fon
génie lui infpire à l'inftant un motif énergique
& propre à rendre ce fentiment
principal. Il fe remplit de ce motif , &
» bientôt la fenfibilité l'entraîne . Semblable
» à l'Orateur, qui ne quitte fon moyen vic-
» torieux que lorfqu'il en a tiré toutes les
» preuves dont il a beſoin , il retourne ce
motif , le ramène , le fait moduler , en
» varie , en renforce l'effet , établit , ou-
» tre ces acceffoires , celui des rapports qui
ajoutent à l'énergie.... Que faifoit Racine ,
» en compofant la Tirade citée ? La mê-
» me chofe abfolument que le Compofi-
ور
ود
» teur , & c . »
Cette comparaifon nous paroît infiniment
jufte & fufceptible de frapper tous les bons
efprits , tous les efprits faits pour fentir que
fi la Peinture , la Sculpture , la Poëfie , font
des Arts qui foumettent à l'obſervation de
leurs principes ceux qui les ont embraffés ,
la Mufique doit avoir le même empire fur
les Compofiteurs , & les foumettre à fes
loix.
Qu'on ne croie pourtant point que l'Auteur
des Réflexions condamne les libertés
que le Génie fe permet quelquefois ; il demande
feulement qu'il fe hâte bientôt de
leur rapporter fon hommage ; & en cela ,
DE FRANCE. 85%
on peut encore affirmer qu'il a raifon. Mais il
devoit peut-être ajouter que le goût & le genie
ne ſe reuniffent pas toujours dans le même
individu , & que le goût feul modère les
écarts du génie , & le ramène à l'obfervation
des règles.
En général , ce petit Ouvrage , malgré les
reproches qu'on peut lui faire , annonce un
homme inftruit , imbu d'excellens principes
de goût , nourri de la lecture des meilleurs
Maitres , & capable d'écrire d'une manière
utile fur la Mulique , quand il aura fu calmer
fon enthouſiaſme , & mettre un frein à
la fougue de fon humeur. Que lui importent
les obfervations d'une foule d'Amateurs qui ,
hors un homme , n'eftiment rien ? Chacun ne
peut- il pas avoir fon avis, & l'admiration exclu
five que l'on accorde à tel Artiſte , eft- elle
faite pour fixer le jugement de l'Europe favante
Il faut n'affectionner aucune fecte ,
aucun parti ; ne pas crier à la perfécution
du ton d'un perfecuteur , écrire pour éclai
rer , & dans tous les temps , parcere perfonis.
Les François d'ailleurs ne font pas encore
mûrs pour la Mufique , peut - être ne le feront-
ils jamais. De temps en temps on a vu
la Nation prendre la manie pour le goût même
de cet Art. Voici ce que nous trouvons dans
le Rendez-vous des Tuileries , Comédie de
Baron , reprefentée en 1685. « Je fais qu'il
» eft du bel air de faire l'Adorateur de la Mu
fique ; & je " fais un de nos bons amis)
ملا
» âgé de foixante ans , qui dernièrement me
86 MERCURE
33
vint dire très-férieufement que dans peu.
il efpéroit favoir folfier. » Cette épigramme
fur la Mulicomanie pourroit peut - être , malgré
le laps d'un fiècle , trouver plus d'une
application.
( Cet Article eft de M. de Charnois. )
SUPPLEMENT à l'Art du Serrurier , ou
Effai fur les Serrures de combinaison ,
publie par M. Feutry , de la Societe phi
lofophique de Philadelphie , Volume
infolio , avec figures. A Paris , chez
Lamy , Libraire , quai des Auguftins .
Ce nouvel Ouvrage répond parfaitement
à la réputation que M. Feutry s'eft
faite par plufieurs Traités folides & méthodiques
fur des objets utiles. , après s'être
diftingué par des Ecrits de Littérature agréa
bles. Dans la Collection des Arts publiée
par l'Académie des Sciences , celui du Serrurier
fe trouve décrit par M. Duhamel du
Monceau ; le Supplement nous paro digne
de ce premier Redacteur , & c'est tout dire.
La plupart des Serrures de combinaiſon ,
qui font analyfees & deffinées avec exactitude
, ont été prefentées à la Société libre
d'Emulation etablie à Paris pour encourager
& récompenfer les inventions qui tendent
à perfectionner la pratique des Arts &
des Métiers utiles ; elle a dejà confacré
depuis fon inftitution la fomme de deux
DE
FRANCE. 87
mille trois cent foixante- quatorze livres à
gratifier les Artiftes qui s'occupent avec
beaucoup de zèle en ce moment à perfectionner
l'Art de la Serrurerie , & s'eft procurée
par ce moyen une belle Collection de
chef d'oeuvres en ce genre,
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
C'EST EST en vain que les Chefs de l'Adminif
tration de l'Opéra ont multiplie les efforts
pour rendre intereffans les Concerts qu'on a
fait exécuter au Château des Tuilerics , la
Salle en a été conftamment deferte . Cette
tourbe de prétendus Connoiffeurs , dont les
endroits publics font inondes , a continué de
déclamer dans les cafés , mais elle n'a pas daigné
defcendre jufqu'à fréquenter des Concerts
, qui préfentoient des objets de comparaifon
dont on auroit pu tirer avantage . Les
partis qui exiftent actuellement, peuvent être
diftingués en trois claffes. La première eft com
pofée de quelques partifans de l'ancienne Mufique
Françoife: la feconde , de ceux qui
fuivent l'etendard Germanique ; & la trồifième
, du petit nombre d'amateurs qui ont
pris dans l'Italie même , l'habitude & le goût
de la Mufique Italienne. M. Dauvergne , qui
nous paroît s'être fait un devoir de ne rien fa88
MERCURE
crifier à l'efprit de parti , a réuni dans plufieurs
Concerts les differens genres de Muſique , qui
font aujourd'hui l'objet des querelles des
prétendus amateurs ; tous les foins de cet
Artifte eftimable ont été inutiles , & ces
Concerts ont été , s'il faut le dire , encore
plus abandonnés que ceux qui furent donnis
en 1763 , lors du premier incendie de
l'Opéra. Cette defertion a engagé l'Adminif
tration à recourir au moyen le plus propre
à répondre à l'impatience du Public , & l'on
a réfolu de faire exécuter fur le petit Théâtre
des Menus Plaiſirs , les Ouvrages Lyriques ,
dont la repréſentation n'exige pas une pompe
trop confidérable . Le Devin de Village , Myrtil
& Lycoris , Théodore , ont d'abord été
exécutés ; & fi le Public n'a pas témoigné
en revoyant ces Ouvrages toute la fatisfaction
qu'il a montrée dans d'autres temps ,
on ne peut attribuer le peu d'effet qu'ils
ont produit , qu'à la petiteffe du local , &
aux retranchemens qu'on a été obligé de
faire , tant dans l'Orchestre que dans les ac
ceffoires. Une chofe digne d'attention , eft le
zèle & l'adresse des Maîtres du Théâtre &
des Compoliteurs de Ballets ; ils ont fenti
qu'un petit cadre ne pouvoit comporter
qu'un certain nombre de perſonnages , &
que la multiplicité des figures nuiroit à l'effet
des tableaux ; ils ont mis infiniment de goût
dans le choix des fujets qu'ils ont admis ; les
Artiftes les plus diftingués ont éte employés
dans les différens genres , & l'on ne peut que
DE FRANCE. 89
les féliciter de ce qu'ils ont fait pour les Coni
pofiteurs & pour le Public. Parmi les divers
Ouvrages qu'on a choisis , comme les plus
fufceptibles d'être repréfentés fur ce Theatre,
on a diftingué Echo & Narciffe , Paftorale
Tragique , en trois Actes , par M. le Baron
de T ... y , Mufique de M. Gluck.
Cette production qui , malgré les cri
tiques qu'on en a faites dans quelques
Journaux , & notamment dans celui - ci , eft
réellement digne de plufieurs éloges , a eu
à cette reprife le fuccès le plus décidé.
On s'eft rappelé que lorfqu'elle fut repréfentée
pour la première fois , des Amateurs
diftingués trouvèrent que le Muficien
n'avoit eu d'autre tort que celui de proportionner
fa compofition au genre dans
lequel il travailloit , genre trop foible pour
le cadre dans lequel on le plaçoit , fi l'on excepte
le fecond Acte , dont l'effet eft certain
, quel que foit le Théâtre fur lequel on
le repréſente . Le rôle de Cynire , chanté
autrefois par M. Legros avec fuccès , a été;
chanté par M. Laïs , pour la voix du
quel il a été arrangé. A une excellente mé
thode de chant , ce jeune Virtuoſe a réuni
les qualités qui annoncent un Acteur ; du
goût , de l'ame & du zèle. Nous ne cherchons
point à lui donner de l'orgueil , mais
nous l'engageons à ne pas perdre de vue le
plaifir qu'il a donné au plus grand nombre des
Spectateurs , les encouragemens dont l'ont
honoréles véritables Amateurs, & fur- tout ce
90 MERCUREqu'il
fe doit à lui -même , s'il veut mériter la
réputation à laquelle il paroît digne de prétendre.
Mlle Laguerre , dont les talens font
connus , a chanté le rôle d'Echo avec tous
les moyens qui conftituent une Chanteufe
& une Actrice . Ses progrès dans l'art du jeu
font très évidens , la reconnoiffance des
Amateurs du Théâtre doit être égale à fes
efforts , & c'eft avec un vrai plaifir que nous
nous chargeons d'être leur interprète.
L'hymne à l'Amour , qui termine cet
Opéra, a été redemandé par le Public , & il
a été répété. Nous fommes éloignés de nous
élever contre les hommages que le Public
rend aux Artiftes , mais nous répétons ici ce
que nous avons déjà dit ailleurs . L'habitude
de redemander des morceaux de mufique eft
indigne d'un Théâtre auffi diftingue que
celui de l'Opéra. Elle peut amener des fuites
funeftes à l'Art & aux Artiftes ; & de la
part des Acteurs de ce Spectacle , c'eft s'affimiler
aux Acteurs forains que de céder aux
inftances de quelques extravagans qui affectent
de n'avoir point allez entendu un morceau
déjà exécuté cinquante fois . L'ufage de
répéter fouvent les repréſentations du même
Ouvrage dans le cours du même mois , doit
bannir de l'efprit des Spectateurs l'incertitude
de revoir bientôt l'objet qui a fu leur
plaire ; & de pareilles demandes , qui ne
font jamais faites que de la part d'un certain
nombre de perfonnes , annoncent plutôt
l'efprit de parti & de cabale , qu'un véri→
DE FRANCE. 91
table enthoufiafme. On pourra contefter
cette affertion ; mais elle eft fondée fur une
expérience acquife , & dont on ne donne
point ici de preuves , parce qu'on refpecte
le Public.
COMÉDIE ITALIENNE ^
ON vient de donner l'Automate , Comédie
en un Acte & en profe , mêlée d'Ariettes
, Mufique de M. Rigel.
Un Tureur qui veut époufer fa Pupille ; une
Pupille qui aime un jeune homme ; un Amant
inventif qui le fait tranfporter chez fon rival ,
dans le coftume d'un Automnate qui parle ,
meut & chante à refforts; un contrat qu'un
Notaire gagné fait figner au Vieillard qu'on
trompe ; l'Amant déguifé une feconde fois
fous le coftume d'un Clerc de Notaire, le défefpoir
du Tuteur dupé , & la joie des autres
Perfonnages qui fe font un bonheur du
chagrin du Vieillard tels font les refforts
de certe Comédie , dont le ftyle eft plus que
foible , Paction fans vraisemblance , l'intrigue
fans intérêt , & le dénouement ufé.
Exiger d'un Muficien une compofition
digne d'éloges fur un fujet pareil , für un fujet
exécuté avec fi peu de foin , ce feroit exiger
Timpoffible ; & quel que foit le talent de M.
Rigel , il ne peut produire des miracles.
CetteComédie a néanmoins été applaudie ;
quelques fituations bouffonnes , imitées d'an
92 MERCURE
canevas Italien , ont fait plaifir au peuple
des Spectateurs. La charge des Théâtres du
Rempart fait aujourd'hui le fuccès de certains
Ouvrages qu'on admet fur les Théâtres
Royaux ; retombons-nous donc dans la barbarie
:
SCIENCES ET ARTS.
DÉCOUVERTE pour la Cure des Fleurs
Blanches , par le Sieur Broignard.
IL eft des maladies fi communes, qu'on ne les regarde
prefque plus comme des maux , & qu'on né-,
glige d'en chercher le remède. Les unes attaquent
généralement l'humanité , d'autres les hommes feuls,
& d'autres les fermes . De ce nombre font les fleurs
blanches , qui vicient la fource de, la génération &
du plaifir .
Le fieur Broignard , connu pour la cure des
hernies , a découvert un fpécifique pour la guérifon
de cette maladie ; le voici :
Prenez une groffe poignée d'écorces de racines
d'orme , que vous effilerez par petits morceaux ; enfuite
faites les bouillir dans trois chopines de vin
rouge jufqu'à la réduction d'une bouteille. Après'
que la liqueur fera un peu refroidie , paffez -la au
travers d'un gros linge avec une forte expreffion'
des racines ; il en résultera une liqueur gluante &
très -favonneuse , dont on fera ufage de la manière
fuivante : Faites tiédir dans un petit vafe environ
un demi - verre de cette liqueur , enfuite trempez un
linge à diverfes reprifes pour en étuver pendant une
DE FRANCE.
93
minute l'intérieur de la partie malade ; enfuite vous
y en injectez avec une petite feringue trois ou
quatre fois ; on réitère la même opération trois fois
par jour , le matin , à midi & le foir avant de fe
coucher, jufqu'à la guérifon parfaite.
Cette liqueur a la propriété de réfoudre , déterger,
rendre le ton , le reffort & de cicatrifer. Le
feur Breignard en a fait l'expérience
fur fix femmes
de différens états , qui , fortement attaquées de ce
mal, en font parfaitement
guéries , les unes depuis
dix-huit mois , les autres depuis fix.
Il n'a pas été employé de remède interne dans.
tout ce traitement , & l'Auteur s'en rapporte aux
gens de l'Art pour y fuppléer d'eux-mêmes fi quélque
circonftance le rendoit néceffaire .
GRAVURES.
CARTE générale de la Suiffe , par Clermont.
-
Prix , 3 livres. Frontispice du fecond Volume des
Tableaux de la Suiffe. Prix , 3 livres , compofé &
deffiné par Moreau le jeune , gravé par Née. A
Paris , chez Née & Compagnie , rue des Francs-
Bourgeois. Le prix de la foufcription de ce Supplément
eft de 24 liv . pour le texte , & 24 livres pour
environ trente - fix Eftampes & Cartes. On paye
moitié en ſouſcrivant, & le refte en recevant l'Ouvrage.
-
Numéros cinq & fix des Eftampes représentant
divers fujets du Télémaque , dédiées à Mde la Marquife
de Villette , Dame de Ferney-Voltaire . Le
premier eft l'arrivée de Télémaque dans l'Ile de
Calipfo. Le fecond, les confeils de Thermofiris à
Télémaque. Le troifième , l'Amour parmi les
Nymphes de Calipfo. - Le quatrième, Télémaque
―
943
MERCURE
raconte fes aventures à Calipfo. Le cinquième ,
Vénus qui amène Cupidon au fecours de Calipfo. -
Le fixième,les Nymphes de Calipfo affemblées autour,
de Mentor, qui prennent plaifir à le queftionner..
Ces Eftampes, très- agréablement exécutées , font
deffinées par Manuel , & gravées par fatas & de
Mouchy ; elles fe vendent chez de Mouchy, Cloître,
Saint Benoît. L'Auteur prévient le Public que M.
Cochin s'occupe actuellement à definer la fuite de
cette Collection , & qu'on en publiera quatre ou
fix dans le courant de l'année prochaine.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ASTRONOMIE , par M. de la Lande , Lecteur
Royal en Mathématiques , de l'Académie Royale
des Sciences , &c. Tome quatrième. A Paris , chez
la Veuve Deffaint , 1781 , 788 pages in-4 °. , avec
figures. Prix , 12 liv.
Le grand Traité d'Aftronomie que M. de la
Lande publia il y a dix ans , fe trouve complété par
ce quatrième Volume . On y trouve des additions
importantes pour les trois premiers Volumes , un
grand Traité du Flux & du Reflux de la mer , & un
Mémoire très- curieux de M. Dupuis , qui contienf
F'explication aftronomique de la Mythologic.
ANDA
of
Arrêts du Grand- Confeil de S. M. I. & R.
feant en la Ville de Malines , recueillis par le
Comte de Coloma & par J. B. Hony , 2 Volumes
&
in 8 ° A Paris , chez Mérigot le père , Libraire
quai des Auguftins ; & à Malines, chez Hanicq ,
Imprimeur.
L'Art de nager, avec des avis pour fe baigner
utilement , fuivi d'une Diſſertation fur les Bains
DE FRANCE. 95
orientaux , par Thevenet, Volume in - 12 , avec
figures , quatrième Édition , corrigée & augmentée.
A Paris, chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins..
Traité des Erections des Bénéfices , par M. Lau
bry , Docteur en Théologie , & Avocat au Parle
ment , Volume in- 12 . Prix , 2 liv. ro fols broché,
& 3 livres relié. A París , chez Démonville , Imprimeur-
Libraire , rue Chriftine.
Traité de la Séduction confidérée dans l'ordre
judiciaire , par M. Fourniel , Avocat au Parlement ,
Volume in- 12 . Prix , 2 liv . 10 fols broché , & 3 liv.
relié. A Paris , chez Demonville , Imprimeur-Libraire
, rue Chriſtine,
Recueil de Pièces intéressantes pour fervir à
Hiftoire des Règnes de Louis XIII & de
Louis XIV, avec huit Portraits gravés en tailledouce
, Volume in- 12. Prix , 3 liv . broché. A Paris ,
chez Elprit , Libraire , au Palais Royal.
Hiftoire Naturelle de la France Méridionale,
par M. l'Abbé Soulavie , in - 4 ° . , Tome III . A
Paris , à l'Hôtel de Venife , Cloître Saint Benoît , &
chez Quillau , Belin & Mérigot l'aîné , Libraires.
Rhétorique Françoise à l'usage des Colleges ,
feconde Edition , Volume in- 12. A Paris , chez
Barbou, Imprimeur Libraire , rue des Mathurins ,
& Colas , Libraire , Place Sorbonne.
Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque .
nº. V , Romans du leizième fiècle , fections ry &
44, in- 8 A Paris , chez Moutard , Imprimeur-Li
braire , rue des Mathurins.
On trouve à la même adreffe les Tomes XI &
XII de l'Hiftoire de l'Eglife , par M. Bérault-Ber
caftel .
Life de Parens , Amis & Connoiſſances réſidens
à Paris , défignés par ordre alphabétique de leurs
96 MERCURE
demeures , pour leur faire parvenir Billets d'accouchement
, de naiffance , de mariage & autres Avis ,
Ouvrage utile à toutes les familles Parifiennes ,
2 Volumes . A Paris , chez Lottin l'aîné , Imprimeur-
Libraire , rue S. Jacques.
La France illuftre , ou le Plutarque François ,
par M. Turpin , troifième foufcription , nº . 7 , contenant
l'Hiftoire du Cardinal Mazarin . A Paris , chez
Deslauriers , Marchand de Papier , rue S. Honoré ,
près de la rue des Prouvaires.
N. B. Dans un des Mercures précédens , on a
annoncé l'Hiftoire de Fanny Spingler en un Volume
, cet Ouvrage eft en deux Volumes in- 12 ; il
fe vend chez Knapen , Imprimeur - Libraire , Pont
Saint Michel.
C'est par erreur qu'on a annoncé que l'Ouvrage
fur la Pulmonie , par M. Jeannet des Longrois ,
fe vendoit chez l'Auteur , on ne le trouve que chez
Méquignon , Libraire , rue des Cordeliers .
TABLE.
VERS àl'Assemblée ordinaire Beflexions fur la Mufique
des Savans & des Artiftes , Théâtrale ,
1
Le Malheur des Femmes
• Conte ,
Enigme & Logogryphe ,
Annales Poétiques ,
77
49 Supplément à l'Art du Serrurier
,
86
52 Académie Roy. de Mufiq . 87
56 Comédie Italienne , 91
58 Découverte pour la Cure des
Fleurs Blanches Suite des Epreuves du Senti- ,
ment . 66 Gravures ,
Dictionnaire des Merveilles de Annonces Littéraires ,
la Nature ,
J'AI
721
AP PROBATION.
92
93
24
AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 8 Sept. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris,
le 7 Sept. 1781. DE SANCY.
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 15 SEPTEMBRE 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
·EN VERS ET EN PROSE.
ODE AUX SOUVERAINS.
Our , vous êtes des Dieux , mais fachez à quel titte
Zélés adorateurs de l'éternel Arbitre ,
Vous devez protéger ſon culte & ſes autels
Défarmer l'injuftice , enchaîner la licencé ,
Venger la timide innocence ,
Et de l'oppreffiou garantir les mortels .
-Si de l'Etre Éternel la puiſſance infinier
N'eût aux foibles humains fait préfent de la vie ,
Que pour les accabler fous le poids des malheurs ,
Pourroient- ils , mandiffant leur misère profonde , i
Bénir la parole féconde
Qui les cût appelés du néant aux douleurs ?
REGNER, c'eft protéger , gouverner & défendrer
Sam. 15 Semptembre 1781 .
E
28
MERCURE
C'eft mériter l'amour par l'amour le plus tendre ;
Fonder fur la raiſon l'autorité des Lois :
Tel un Roi , du Très - haut eft l'image facrée ;
Et fous fa puiffance adorée
Tout eſt fécond , la terré & le peuple à la fois.
Rois , fymboles mortels du Monarque fuprême ,
Nos coeurs volent vers vous , confentez qu'on vous
aime !
Favorifez des Arts l'effor induftrieux ;
s
Par des regards fereins rendez les champs fertiles.
Réprimez le luxe des villes ,
Et brifez des Traitans l'orgueil ambitieux.
Le Commerce aux États affure l'abondance
De la terre & du ciel répare l'inclémence ,
Change en d'utiles biens de ftériles tréfors ;
Que vos Nochers voguans fur les plaines de l'onde ,
Soient les économes du monde ,
Et que tout l'Univers accoure dans vos ports.
Di vos auguftes droits , défenfeur intrépide ,
Qu'un premier Tribunal où la Vertu préfide ,
De vos peuples foumis foit l'afyle facré :
Perdent-ils près de vous ce protecteur'fidèle .
Ils tremblent qu'une main 'cruelle
*Ne les faffe gémir fous un joug abhorré. áp
N
DANS l'aurore des temps , l'innocente droitre ju
DE FRANCE. 99
La modération , richeffe la plus sûre
Fixeient chez les humains les douceurs de la paix :
Le Très -haut régnoit feul fur fes enfans dociles .
Ses fléaux étoient inutiles ,. de of
Et la Vertu par-tout, appeloit, fes bienfaits.
2 MAIS bientôt , infidèle à ce Monarque auguſte
L'homme devint pour l'homme un oppreffeur injufte;
La Liberté gémit & réclama fes droits ;
Jufqu'au trône des cieux elle fe fit entendre ;
Et l'Éternel , pour la défendre ,
D'un glaive falutaire arroa la main des Rois.
O vous donc , qui du Ciel exercez la puiffance,
Réglez-vous fur Dieu même & fur fa Providence !
Travaillez fans relâche à remplir fes deffeins !
La force , la bonté , la fageffe fublime
Confacrant un Roi légitime ,
E
Font de fes juftes lois les devoirs les plus faints .
TEL fur un être libre , intelligent , ſenſible ,
Eft le règné adoré de ce Maître invifible ;
De fon trône éternel la juftice eft l'appui..
Retracez à nos yeux fa douceur paternelle ;
Qu'il foit toujours votre modèle ,
Ou renoncez aux droits que vous tenez de lui.
1
MAIS YOUS , Peuples ; mais vous , ne jugez point voe
Maîtres !
Fuffent ils des Tyrans , des Oppreffeurs , des Traîtres,
Eij
ICO MERCURE
Dieu feul peut dépofer ces prévaricateurs.
S'il permet leurs excès , c'est pour punir vos crimes 3
. Fléchi par vos pleurs légitimes .
Il brifera leur fceptre ou changera leurs coeurs.
APLPAUDIS à ton fort , ô France ! ô ma Patrie !
D'un Monarque vainqueur la puiffance chérie
Maintient ta liberté par l'équité des Lois ;
Les fublimes Vertus dans fon ame imprimées ,
Et dans tout fon règne exprimées ,
Sont la gloire du Trône & l'exemple des Rois.
( Par M. de Reganhac , qui va publier une
Traduction en profe des Odes d'Horace ,
avec des Poéfies Lyriques. )
VERS
A Mademoiſelle THÉNARD , le lendemain
de la repréfentation de Tancrède , où elle
jouoit le rôle d'Aménaïde.
COMBIEN d'Acteurs ont fu de l'Art
Atteindre l'heureuſe impoſture !
Mais ton talent , belle Thénard ,
Eft le fecret de la Nature.
Hier , Aménaïde en pleurs ,
Darloit , & fubjuguoit les coeurs :
Je vis l'Amour à qui tout cèdejaM
Attendrir jufqu'à tes bourreaux
DE FRANCE. 101
Et donner au brave Tancrède
Tous les Spectateurs pour rivaux .
ENVO 1.
To me trompois , galant Ovide ,
Ainfi que toi , gentil Bernard !
Aimer , je crois , n'eft point un art ,
Ou c'eft celui d'Aménaïde ,
Ou c'eft le tien , jeune Thénard.
(Par M. Cuinet d'Orbeil. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Vive le Roi ! celui
du Logogryphe eft Canon d'Artillerie & de
Seringue , où fe trouvent non & anon.
ENIGM E.
Now , fans doute il n'eft pas de plus pompeuſe
gloire !
Je pare un Roi , le Prince & le Seigneur
Je fuis le prix d'une victoire ,
Souvent celui de la faveur.
Ainfi flatté par ces brillans
partages
Chez le Bourgeois j'ai mêmes avantages; .
Car le mérite & le rare talent
Me font un fort qui doit me plaire autant
E itj
102 MERCURE
Mais on s'imagine peut- être
Que , dédaignant l'humilité ,
Je fuis tout la vanité
Que je viens de faire paroître :
C'eft une erreur ; & l'inconftant deftin
M'attache encore au pauvre Capucin .
Ce trifte emploi , comme on le penfe ,
Des miens n'eft pas le plus chanceux ;
Et le beau fexe , en apparence ,
Me rend mille fois plus heureux :
t
Qui ,la brune & la blonde , & la jeune & la belle ,
Ufent de moi fans ceffe , & Life m'a ſur elle.
A voir mon fort , tu croirois , cher Lecteur ,'
Qu'il eft vraiment digne d'envie ;
Détrompe-toi , déplore mon malheur ;
Car j'ai , par fois , ôté la vie .
( Par un Officier de Royal Etranger. )
LOGOGRYPHE.
Nous portons même nom ,
Quoique d'efpèce différente.
Le même habit nous fert chaque faifon ;
La couleur eft pourtant plus ou moins éclatante .
Nous babitons divers climats ,
Chacun felon notre ftructure.
Lecteur , fi tu ne m'en crois pas ,
Confuke de Buffon le Traité de Nature.
DE FRANCEN
103
.
Pour nous trouver plus ailément ,
De nos fix pieds défais l'arrangement ,
· Tu vois en eux les cinq voyelles ;
Un être domestique , & qui porte des aîles ;
Un perfide élément ;
Tiffu dont peu fe fert le modefte indigent ;
Ce mot dit avec aſſurance
Pour attefter la vérité ;
Un autre fans lequel on feroit Roi de France ,
Et qui maintient l'homme dans l'efpérance
D'une félicité.
Ton cruel embarras me fait rire d'avance.
(Par M. le Chevalier Mefnard du Montelet. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
RECUEIL de Pièces Fugitives & de Contes
nouveaux , deux Parties. Vol. in- 12 . A
Londres , 1781 ; & fe trouvent à Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nou
veautés.
ON fe permettra peu de réflexions fur
:
cet Ouvrage il fuffit de tranfcrire pour
mettre le Lecteur en état de l'apprécier.
Le prologue du premier Conte commence
par ces vers ,
Si j'en crois les confeils de mes jeunes amis ,
Aujoug de l'éloquence Apollon eft foumis ,
E iv
164 MERCURE
Et déformais au ftyle il faut que je me livre.
Ce confeil eft fort bon , &c.
C'est un flyle un peu extraordinaire
que de fe livrer au fiyle , parce que dejeunes
amis confeillent qu'Apollon eft foumis au
joug de l'éloquence.
Il ne paroît pas d'ailleurs que l'Auteur
faffe trop de cas des confeils de les jeunes
amis , car il déclare qu'ils voudroient en
vain exiger de lui ,
D'être lent à produire , & prompt à corriger.
Et fur cela il ne manque pas d'alléguer
l'exemple de La Fontaine.
Quand le bon homme Jean bâtiſſoit pour les Grâces ,
Tous les vers à la fois couroient prendre leurs places,
Et l'on n'entendoit point far un pénible étau
Le monotone ton d'un technique marteau :
Puiffé-je comme lui paffer de rofe en rofe
Surpaffer maint Auteur qu'en fecret on m'oppoſe,
Et rire le premier pour faire rire auffi , & c .
Nous ne croyons pas que ce foit toujours
un bon moyen de faire rire que de rire le
premier. Au refte , il eft facile de fentir tout
le mérite d'une pareille poéfie fans qu'il ſoit
befoin de commentaire.
On trouve dans ce même prologue une
petite galerie de Portraits ; il n'eft pas queftion
d'examiner comment & pourquoi ils y
font placés. Voici le premier de ces Por-.
traits.
DE FRANCE. 101
Maris à peine échappe aux prifons du College ,
Que de fes fens éclos goûtant le privilége ,
Il préfume , en chantant de vulgaires atours ,
Que perfonne avant lui n'a chanté ſes amours ;
Sans fortir de la chambre il s'envole à Cythère ,
Il appelle fon lit un trône de fougère ;
Sous fon bonnet de nuit , en bandeau transformé ,
C'est lui-même qu'il nomme où l'Amour eft nommé.
Telle eft la manière de peindre de notre
Auteur ; il a dû s'écrier , comme le Corrége ,
Sonpittor anch'io.
Aux Portraits de ce Mæris , & d'un fade
Licidas , qui fait dire aux échos des fottifes
champêtres , fuccède celui d'Alcipe , Auteur
méchant ; enfin celui de Cléon , qui n'eft ni
méchant ni fade.
Cléon n'eft ni méchant ni fade ,
Et dans tous fes Écrits , tirade par tirade ,
Le bon goût fe promène aves auftérité
Pour les marquer au coin de la poſtérité.
Voilà le ftyle auquel l'Auteur fe livre dans
le prologue de la Mort des Dieux , Conte ,
qui feroit peut -être mieux intitulé , la Mort
des Lecteurs.
On lit plus volontiers les Papillottes Sy-.
riaques à la page 123 .
Les Papillottes Syriaques , Conte.
Près du temple immortel que le grand Richelieu
Confacra pour la gloire à la gloire de Dieu ,
Ev
106 MERCURE
3
Je viens de rencontrer Ricaric le Critique ,
Qui , s'approchant de noi d'un petit air cauftique :
Vous allez donc , dit-il , en cornets de papier ,
Envelopper le poivre ainfi que Pelletier ,
Et faire un foible hommage à la typomanie
De quelques méchans vers dépourvus d'harmonie ?
En vérité , Monfieur , reprens-je au même inftant , "
L'amour propre eft flatté d'un pareil compliment ;
Et le grand Despréaux , quoiqu'un peu votre maître ,
N'auroit ni mieux écrit ni mieux parlé , peut être :
Du Parnaffe François , Seigneur haut - jufticier ,
Il envoyoit auffi les gens chez l'Épicier ,
Sans fonger toutefois que le meilleur Ouvrage
Peut , au gré du haſard , fervir à tout uſage.
Ricaric auffi- tôt vers fon Barbier Forbas ,
A, fans répondre un mot , précipité fes pas :
Cet homme apparemment n'aime pas la réplique ;
Mais je l'ai pourfuivi jufques dans la boutique ;
Et plus il s'écrioit : Monfieur , je refte ici ,
Et plus je m'écriois : Monfieur , j'y reſte aufſi .
De quatre gros feuillets de Bibles polyglottes ,
Déjà deux gros garçons ont fait des papillottes ,
Et blafphemant gratis le nom facré de Dieu ,
Le coëffent pour fix fols & de grec & d'hébreu .
Ah ! parbleu Ricaric , m'écriai-je avec joie ,
Mon livre du beurrier peut bien être la proie ,
Puifque le plus augufte & le premier de tous ,
Sertà frifer les crins d'un homme tel que vous.
Lors à mon Ariftarque écumant de colère ,
DE FRANCE. 107
J'ai préſenté bien vite un miroir falutaire ,,
Et fur la tête il lut en Syriaque écrit :
Heureux les gens bénins & les pauvres d'efprit.
L'idée de la Confeffion de Thalie paroît
prife dans les premières Scènes de la Centenaire
de Molière , petite Comédie pleine
d'efprit , de M. Artaud. Quoi qu'il en foit ,
cette Confeflion contient des traits heureux.
Cependant l'Auteur , qui n'a pas cru nécef
faire ( comme il le dit lui -même ) de s'affervir
à l'ordre chronologique des Pièces qu'il
paffe en revue , devoit prévoir qu'on s'ac
coutumeroit difficilement à ce que Regnard ,
Baron , Dancourt , Deftouches obtinffent
les faveurs de Thalie avant Racine . On fait
trop que Molière étoit contemporain de
Racine ; que brouillé avec lui , il ramena par
fon fuffrage le Public aux repréfentations
des Plaideurs : trait de Molière prefque aufli
inimitable que fes Comédies.
Si l'Auteur confultoit de vieux amis , ils
lui confeilleroient fans doute d'étudier les
nuances qui féparent le bas du familier ; il
ne paroît pas avoir une idée bien jufte de
ces nuances , fi on en juge par le Dialogue
fuivant.
A Deux de Jeu , Conte.
Combien ce ruban- là , parlez , ma belle Dame ?
Cent fols , mon beau Monfieur , je n'en rabattrai rien,
Car il me coûte à moi quatre francs fur mon ame ,
E vj
108 MERCURE
Comme il eft vrai que vous êtes Chrétien
Et que je fuis honnête femme :
En ce cas-là ce n'eft pas fort certain ;
Car , voyez-vous , je ſuis athée :
Lors la Marchande , un peu déconcertée :
Parguienne , & moi ne fuis-je pas catin ?
Le Conte , ou plutôt le mot fuivant , eft
nieux tourné. Cependant nous obferverons
qu'il faut un terrible fond de gaieté pour en
apporter à de pareils fujets.
L'Actrice mortifiée , Conte.
On alloit rompre un malheureux ,
Quand tout-à- coup une Actrice effrénée
Ayant en Grêve une loge à l'année ,
Se mit à dire : oh ! comme il eft peureux !
Le patient , déjà nud jufqu'aux hanches ,
La reconnut à fon gentil parler ;
Et lui cria : Madame , on peut trembler
Quand on ne connoît pas fes planches.
Les Pièces Fugitives qui compofent la
feconde Partie du Recueil , ne font pas indignes
des Contes renfermés dans la pre- ,
mière .
Épire à un de mes Amis , qui étoit fujer
à l'ennui.
Tu répètes fans ceffe , & tu crois , cher Hortence,
Qu'à l'uniformité l'ennui doit ſa naiffance ;
Qu'ikfaut vivre au hafard fi l'on veut vivre heureux ,
DE FRANCE. 109
Et qu'une ombre de règle eft un joug onéreux.
Eft-ce un bonheur , ami , de languir par ſyſtême ,
Et de toujours fubir , d'un air facéticux ,
Les caprices fréquens d'un ſexe impérieux ?
Loin de moi ce bonheur , loin de moi l'indolence
Et la groffe gaieté de la molle opulence.
Ce dernier vers rappelle un peu trop celui
du Méchant ,
Et la groffe gaieté de l'épaiffe opulence.
Mais on doit le pardonner à l'Auteur , qui
n'a d'ailleurs aucun trait de reffemblance
avec Greffet.
Il n'eft pas néceffaire de pouffer plus loin
les citations de cette Epître à un Ami ,
de MM. de P... & B.... , qui avoit le malheur,
peu furprenant , d'être fujet à l'ennui.
Le Cardinal de Richelieu , tontpuiffant &
malade , s'ennuyoit fonvent. Ses Médecins
lui confeilloient alors une dofe de Bois - robert.
Comme nous ignorons fi M. Hortence ,
à qui s'adreffel'Epître , s'eft trouvé foulagé
après l'avoir luc , nous n'oferions propoſer :
la même recette à nos Lecteurs.
Le Publie prendroit fans doute beaucoup
d'intérêt aux Epîtres & aux petits Vers adresfés
à MM Beaunier , de Melun , Delêtre ,
Maitre à Danfer de la ville de Saintes ,
Duval de la Bucardière , Reifnier , Régnant
119
MERCURE
de Chaource , &c.; mais les bornes de cet
extrait ne nous permettent pas de les inférer
ici. Nous aimons mieux finir par tranſcrire
une ou deux Chanfons.
Chanfon fur nos Difputes Muficales , &c. *
A VOIR Meffieurs les Glukiftes
Avec Meffieurs les Ramiſtes ,
Et Meffieurs les Picciniftes
Perpétuer leurs débats ;
Je crois voir les Janféniftes
Querellant les Moliniftes ,
Et chercher noife aux Thomiftes
En fe difputant le pas.
LES premiers , dont la manie.
Dégénère en calomnie ,
Trouvent Rameau fans génie ,
Et foutiennent au procès
Que l'Auteur d'Iphigénie ,
Du fond de la Germanie ,
Apporte enfin l'harmonie
Aux imbécilles François.
LES feconds , que cela choque ,
Difent que Gluck eft baroque ;
>
* Nos Difpures Muſicales feroient moins vives & plus
ntiles , fi on ne s'obſtinoît pas de part & d'autre , à donner
fon goût pour règle exclufive , ce qui prouve beaucoup
d'amour- propre & peu de connoiffance de l'Art.
'DE FRANCE.
Qu'en France , avant fon époque ,
Le bon goût fe décida ;
Et qu'il n'eft point équivoque
Que Rameau , dont on fe moque ,
L'avoit tiré de la coque
Avec les fils de Léda.
LES troisièmes , qui font clique
Pour Piccini le Comique ,
Par maint bravo fanatique ,
Voudroient le proclamer Roi,
Et démontrer fans réplique
Que Rome eft le centre unique
De l'excellente Mufique ,
Auffi bien
que
de la Foi.
Oui , par malheur , voilà comme
De ce trio qu'on renomme ,
On veut nous prouver en fomme
Qu'un feul membre a de bons droits.
Ventrebleu , cela m'affomme :
Partageons plutôt la pomme ;
Pourquoi ne voir qu'un grand komme
Où nous pouvons en voir trois ?
Chanfon fur les Étrennes de Mercure
Opéra- Comique en trois Actes.
LI Lundi , premier de l'An ,
Nos Étrennes de Mercure
112 MERCURE
Ont réuffi foiblement , ture -lure ;
C'est ce que dit le Mercure ,
Robin ture-lure.
MAIS le Vendredi fuivant ,
Moyennant mainte coupure ,
On en parut fort content , ture-lure ;
C'est ce que tait le Mercure,
Robin , &c..
BIEN eft-il vrai que le plan
N'eft point dans fa contexture
Neuf originairement , ture - lure ,
C'est ce que dit le Mercure ,
Robin , &c.
MAIS un tableau du moment
Fait excufer fa bordure
Quand le fond en eft riant , ture- lure ;
C'eft ce que tait le Mercure ,
Robin , &c.
On y trouve cependant
Des couplers qui d'aventure
Sont faits agréablement , ture - lure ;
C'est ce que dit le Mercure ,
Robin , & c .
MAIS dans trois Actes de chant ,
Il en faut je vous affure ,
DE 113
FRANCE.
De liaiſon feulement , ture - lure ;
C'eft ce que tait le Mercure ,
Robin , &c.
On voudroit également
Qu'une gaze plus obfcure
Y voilât notre enjouement , ture - lure ;
C'eft ce que dit le Mercurè ,
Robin , & c.
MAIS au temps paffé vraiment ,
Où l'oreille étoit moins pure ,
Le coeur étoit innocent , ture -
Ceft ce que talt le Mercure ,
Robin , ture - lure ,
lare j
En général , les Chanfons nous ont paru
les Pièces les plus agréables de cette Collection.
Au reffe , il faut avouer qu'on n'a
jamais pouffe plus loin qu'aujourd'hui la
fureur , ou plutôt la foibleffe de recueillir &
de publier toutes les bagatelles de fociété.
Les Critiques ne peuvent rien contre cette
épidémie.
L'efprit & le talent ne fuffifent pas pour
réuffir dans les Pièces Fugitives , il faut encore
un grand ufage du monde ; le vrai ton
de ces fortes de Pièces n'eft réservé qu'à un
très-petit nombre d'Auteurs.
Nous avons dans ce moment fous les yeux
un Recueil manufcrit qui juftifie notre opinion.
Il eft compofé , prefqu'en entier ,
des
114
MERCURE
productions de MM de Boufflers , de Villette
& de Parny. La manière de ces Auteurs
feroit la critique la plus sûre de prefque
toutes les Pièces qu'on appelle Fugitives , fi
dans un extrait on fe permettoit d'en rapprocher
la comparaifon . Le goût eft le fentiment
délicat des convenances en tout genre.
Voilà ce qu'a dit M. d'Alembert , & ce que
devroient retenir les jeunes gens qui cèdent
trop volontiers à la démangeaifon d'écrire.
DISCOURS fur la Vie & les Ouvrages de
PASCAL , par M. L. B. Seconde Edition.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
du Jardiner.
PASCAL eft un des hommes qui ont fait
le plus d'honneur à la Nation Françoife , &
dont la réputation a le moins fouffert des
changemens que le temps amène dans les
opinions ; auffi fa gloire eft - elle fondée fur
des titres réels . Les Provinciales font un
chef-d'oeuvre de plaifanterie & de difcuffion.
On trouve dans les Penfées de grandes
vérités exprimées avec fimplicité & avec
force , & cette manière originale , auffi piquante
dans ceux en qui elle eft naturelle ,
que fatigante dans les hommes qui veulent
fe parer d'une originalité factice. On favoit
qu'il étoit parvenu à inventer une partie des .
Élémens de la Géométrie qu'on refuſoit de
lui apprendre , & qu'il avoit rendu cette
anecdote vraisemblable par les preuves qu'il
DE FRANCE. 119
donna de fon génie ; bien différent du Minime
Magnan, à la jeuneffe duquel on a fait honneur
de la même fagacité , mais à qui il
n'arriva plus de rien inventer. Il ruanquoit
une Edition complette des avres de
Pafcal , & même fes meilleurs Ouvrages. Sa
Théorie des combinaifons appliquée aux
probabilités , & fon Traité de la Roulette
étoient d'une rareté extrême. Un Géomètre
célèbre , qui eft en même temps un excellent
Ecrivain & un Littérateur éclairé , a donné
cette Collection complette en 1778 ; & ila
placé à la tête un Difcours fur la Vie &
les Ouvrages de Pafcal . C'eft ce Diſcours , où
l'Auteur a fait un grand nombre de changemens
importans , que l'on vient de réimprimer.
Cette réimpreffion doit être agréable au
Public , qui doit chercher à connoître un
homme à qui l'on vient de décerner une ſtatue
an nom de la Nation , & aux Gens de Lettres
, qui ont dans leurs bibliothèques les
Provinciales & les Penfées , & à qui le refte
des Ouvrages de Pafcal peut être indifférent.
Nous nous bornerons dans cet extrait à
en citer quelques morceaux qui nous ont
paru contenir des réflexions utiles . Pafcal eft
trop connu pour entrer dans d'autres détails.
L'Auteur parle de quelques Ouvrages de
Paſcal fur la Géométrie que l'on n'a pas pu
recouvrer. « N'exagérons pas , dit - il , des
" pertes , ou déjà réparées , ou aifément
réparables quant à l'objet effentiel , c'eft-
-à- dire , aux connoiffances qu'on pourroit
116
MERCURE
و د
"
efpérer de puifer dans ces Ouvrages. Con
» fidérons que fi on les retrouvoit aujour
d'hui , ils ne nous offriroient tout au plus
» que des vérités de détail , & non pas des
» fecours pour avancer la Science . En effet ,
depuis le temps où ils furent écrits , les
» Mathématiques fe font enrichies d'une
" foule de découvertes ; les méthodes font
» devenues plus fimples , plus faciles & plus
» fécondes. Les grands Géomètres de notre
20
33
temps ne lifent pas Archimède , ni même
» Newton , pour y apprendre de nouveaux
» fecrets de l'Art . Il y a dans ces recherches
" un progrès continuel de connoiffances ,
qui, aux anciens Ouvrages, en fait fuccéder
d'autres plus profonds & plus complets.
» On étudie ces derniers , parce qu'ils repré-
» fentent l'état actuel de la Science ; mais ils
» auront à leur tour la même destinée que
» ceux dont ils ont pris la place. Il n'en eft
pas ainfi dans les Arts qui dépendent de
l'imagination . Une Tragédie telle que
» Zaïre fera lue dans tous les temps avec le
même plaifir , tant que la langue Françoiſe
durera , parce qu'il ne refte rien à
» découvrir ni à peindre dans la jaloufie
» d'Orofmane & la tendreffe de Zaïre..
99
"
» Le Poëte & l'Orateur ont un autre
» avantage : leurs noms répétés fans ceffe par
» la multitude , parviennent très - promp
» rement à la célébrité . Cependant la gloire
» des Inventeurs dans les Sciences femble
» avoir un éclat plus fixe , plus impofant.
Ap
DE FRANCE. 117
Les vérités qu'ils ont découvertes circu-
» lent de fiècle en fiècle , pour l'utilité de
tous les hommes , fans être alfujéties à la
» viciffitude des langues. Si leurs Ouvrages
» ceffent de fervir immédiatement à l'inftruction
de la poftérité , ils fubfiftent
» comine des monumens deftinés à marquer,
pour ainfi dire , la borne de l'efprit
» humain à l'époque où ils ont paru. »
Avant de faire l'hiftoire des Provinciales ,
M. L. B. entre dans quelques détails fur l'origine
des querelles qui , dans le fiècle dernier
, & même dans le nôtre , ont troublé
l'Eglife & le Royaume.
99
« Il eſt vraiſemblable que les Jéfuites auroient
fuccombé dans leur pourſuite contre
» les difciples de Janfénius , fi des hommes
toutpuiffans dans l'Europe n'euffent eu
intérêt de fe joindre à eux. Le Cardinal
» de Richelieu , qui haïffoit perſonnelle-
» ment l'Abbé de St- Cyran , avoit d'abord
» tenté de faire condamner fes Ecrits par le
ל כ
Saint Siège ; mais il mit peu de fuite & de
» chaleur dans cette négociation : il n'étoit pas
homme à effuyer les lenteurs ordinaires à la
» Cour de Rome pour un objet auffi fri-
» vole à fes yeux que la cenfure de quatre
ou cinq propofitions fyftématiques , ha-
» fardées par un Théologien fans appuis il
trouva plus fimple & plus commode de
» faire enfermer l'Abbé de Saint- Cyran à
la Baftille .
"
» Mazarin , moins emporté , plus adroit
118
MERCURE
!
E
» dans l'art de cacher & d'affurer les effets
30
7
de fa haine , porta en fecret de plus rudes
" coups aux Janféniftes ; il étoit indifférent
au fond fur toutes les matières Théologiques
: il aimoit peu les Jéfuites ; mais il
favoit que les Solitaires de Port - Royal
» confervoient des liaiſons avec le Cardi-
» nal de Retz , fon enneini , qui l'avoit fait
» trembler. Sans approfondir la nature de
ces liaifons formées anciennement , &
très innocentes en elles -mêmes , il les
» jugea criminelles , & pour s'en venger il
» excita fourdement le Clergé à demander
» la Bulle de 1656. Ainfi une question qui
» ne devoit jamais être remuée , ou qui
» auroit dû naître & mourir dans l'obfcu
rité des Écoles , acquit de l'importance ,
& troubla l'État pendant plus de cent
» ans , parce que les Défenfeurs d'un Livre
inintelligible & deſtiné à l'oubli , étoient
les amis d'un Archevêque de Paris , qui
» avoit voulu faire chaffer le premier Mi-
» niftre du Roi de France , Mazarin ne
» prévit pas fans doute les funeftes fuites
» de fa foibleffe à mêler l'autorité dans
» une guerre Théologique dont il auroit
» fallu ignorer l'exiftence ; mais fon exemple
doit être une grande leçon pour les
Souverains & les Miniftres.
-99
3
99
Mde Perrier , four de Pafcal , a donné
une vie de fon frère. Il a paru il y a quel
ques années une autre vie de Pafeal affez
étendue , mais où il s'eft gliffe quelques
DE FRANCE. 119
inexactitudes ; & c'eſt au Difcours que
nous annonçons qu'il faut recourir fi l'on
veut bien connoître cet homme célèbre.
L'Auteur y a tout dit , ou mis à portée de
tout deviner.
LA VENGEANCE DE PLUTON , ou
fuite des Mufes Rivales , en un Acte ,
en vers & en profe , in 8 ° . A la Haye ;
& fe trouve à Paris , chez Gueffier , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe , &
Couturier fils , Libraire , quai & près
l'Églife des grands Auguftins , au Coq.
DANS le cours d'une année ou à -peu- près ,
la mort enleva tout-à - coup aux Lettres & à
l'humanité une foule d'hommes célèbres diftingués
dans tous les genres. Les uns moururent
quelque temps avant , les autres
quelque temps après Voltaire . Ces pertes
multipliées ont donné à M. le Chevalier de
C. l'idée de la Pièce dont nous allons parler.
En vertu du pouvoir accordé aux Auteurs
Dramatiques d'intervertir quelquefois
l'ordre des événemens , il fuppofe que Voltaire
eft mort le premier, & que les Perfonnages
qu'il a introduits dans fon Drame
font morts dans l'efpace de la même journée
ces Perfonnages font Haller , Rouffeau
, Lekain & Garrick. Voici quelle eſt la
fable de la Pièce..
Pluton eft inftruit par Mercure qu'Apol-
Jon , aidé du dieu Mars , à projeté de lui en120
MERCURE
lever Voltaire. Indigné de cet attentat , il
appelle Atropos , & lui ordonne de le venger,
en tranchant les jours des Écrivains &
des fujets qui foutiennent encore ſur la terre
la gloire des Arts chéris par Apollon. Atropos ,
dejà inftruite du projet des deux Divinités ,
venoit de commencer la vengeance de fon
maître en enlevant Haller à la Médecine.
Tandis que ce Philofophe vient fubir , fons
les yeux de Pluton , le jugement de Minos , la
Parque , fidelle aux ordres de fon Roi, entraîne
aux enfers Lekain , Garrick & Jean- Jacques
Rouffeau. Apollon , défefpéré de la mort de
fes plus chers favoris , vient implorer la
clémence de Pluton . Il avoue qu'il avoit formé
un deffin condamnable , mais qu'il eft devenu
coupable par excès d'amitié . Il renonce à fon
projet , & demande qu'au moins Garrick &
Lekain lui foient rendus. Lekain répond par
ces vers connus :
On ne voit point deux fois le rivage des morts ;.
Quand nous avons tous deux paffé les fombres bords ,
En vain vous espérez que Pluton nous renvoie ,
Et l'avare Achéron ne lâche point fa proić.
Le Dieu gémit; mais il ofe eſpérer que
Pluton , défarmé par fon repentir , épargnera
les amis qui lui reftent encore fur le Par
naffe François , fur tout d'Alembert &
·
Racine, Phèdre , Acte II , Scène V.
Buffon
DE FRANCE. 121
Buffon. Le dieu des enfers y confent ; mais
Apollon demande un bienfait plus precieux
pour fon coeur ; il dit :
ANTOINETTE & Louis , imitant les Céfars ,
M'ont fouri du haut de leur trône ;
On voit fleurir autour de leur double couronne
L'olive de Minerve & la palme des Arts .
Protège , tu le peux , leurs belles deſtinées !
J'implore cette grâce encor.
Pluton fe rend à fes defirs , & lui promet
de faire durer leurs années autant que celles
de Neftor. Tandis que l'on fe difpofe à
conduire les ombres illuftres aux champs
Élyfees , Apollon fait exécuter par fa fuite
un Ballet qui termine la Pièce,
Ce cadre eft fort ingénieux ; il amène
naturellement l'éloge des grands Hommes ,
fur la tombe defquels M. le Chevalier de
C. a voulu jeter quelques fleurs. Nous
allons parcourir rapidement les différentes
Scènes qui préfentent le tableau des talens
qui ont diftingué chacun d'eux. Ces tableaux
prennent un nouveau degré d'intérêt la
manière dont ils font faits. On aime à entendre
des Artiftes eftimables faire eux mêmes
leur apologie dans le féjour de la vérité.
Il en résulteroit peut - être un peu de
monotonie au Théâtre ; mais à la lecture
ce moyen devient piquant & agréable :
d'ailleurs , M. de C. y a jeté toute la variété
dent i étoit fufceptible. Haller paroît le
Sam, 15 Septembre 1781.
F
122
MERCURE
premier. Quels furent tes travaux , lui dit
Minos , raconte m'en l'hiftoire.
HALLE R.
J'inftruifis tour- à - tour & charmai les humains';
Ami de tous les Arts & de la tolérance ,
Je fus prefque chez les Germains
Ce que Voltaire fut en France.
Clio me plût toujours : cette Divinité ,
Récompenfant mes foins , mon affiduité ,
Ouvrit à mes regards les archives du monde ,
Et mon ail philofophe y lut la vérité
Que ma plume libre & féconde
Tranfinit à la postérité.
Bientôt.
Bientôt je fus plus fage , & j'étudiai l'homme.
Dans ce dédale obfcur , par un effort nouveau ,
Appuyé des fecours d'une heureufe ſcience ,
Je portai le double flambeau
De la raiſon & de l'expérience.
Sur le luth de Findare , en vers nobles , heureux ,
Je chantai les Alpes antiques ;
Et ces monts , qu'Annibal avoit rendu fameux ,
Vont l'être plus encor , grâces à mes Cantiques.
J'éveillai de ces monts les fenfibles échos ,
Je leur fis répéter ces plaintes admirées ,
Ces vers plus touchans & plus beaux
+
DE FRANCE. 123
Que j'allois foupirer fur les triftes tombeaux
De mes époufes adorées .
Le vice dans mes vers fut toujours combattu ,
D'horreur à fon aſpect mon ame étoit faiſie ;
Je revêtis enfin & parai la vertu
Des atours de la Poésie.
Ce portrait de Haller nous paroît bien
fait , & les nuances , qui composèrent , fi
nous pouvons le dire , la phyfionomie de
fon talent , nous femblent bien faifies . Il
étoit poffible fans doute de s'étendre davantage
fur un pareil fujet ; mais les reffources
que préfente une Scène Dramatique font
bien inférieures à celles que peut offrir un
Éloge académique . Le ftyle de cette tirade eft
fimple fans manquer d'élévation . Nous n'aimons
point ce vers , récompenfant mesfoins ,
mon affiduité; car outre qu'affiduité eft trifte
en vers , ce n'eft pas le mot propre . Une maîtreffe
peut récompenfer l'affiduité ou les affiduités
de fon amaut. Une Mufe comme Clio
échauffe , récompenfe le courage de celui qui
l'implore. L'expreflion cantiques nous paroît
aufli ne point convenir à l'Ode de Haller ;
elle peut convenir à une Ode facrée , & non
pas à une defcription des Alpes , quoiqu'on
remarque fouvent dans celle ci des fentimens
très religieux.
Lekain fuccède à Haller. Sa modeftie
d'abord l'engage à fe défendre d'avoir mérité
les éloges qu'on lui a prodigués fur la
Fij
124
MERCURE
terre. Pluton lui ordonne d'être fincère dans
un féjour où la fincérité eft un devoir. Après
avoir parlé de Baron & de Dufrefne , ainfi
que des avantages particuliers que ces deux
Ácteurs célèbres devoient à la Nature , il
continue :
Moins fortuné , du ciel je ne reçus qu'une ame ;
Ce fut mon feul tréfor , mais elle étoit de flamme :
Elle fut mon feul maître , & me tint lieu de tout ;
Seule , elle m'enſeigna tous les fecrets du goût ,
Seule , elle m'inftruifit des fineſſes d'un rôle ,
Me fit feule accorder le gefte & la parole ,
A tous mes traits enfin donnant de la grandeur ,
Elle feule en beauté transforma ma laideur.
Ma voix n'avoit d'abord ni grâce ni ſoupleſſe ,
Seule , elle en adoucit l'âpreté , la rudeffe ;
Fallut- il exprimer la clémence , l'amour ,
Le dépit, la fureur ? ma voix fut tour- à-tour
Tendre , foumife , fière , ironique , terrible ,
Elle acquit tous les tons. En ce moment horrible ,
Où cédant aux foupçons qui déchirent ſon ſein ,
Orofmane pourfuit , un poignard à la main ,
Les jours infortunés d'une femme innocente ;
Concentrée , étouffée , & pourtant menaçante
Elle n'eut plus , glaçant les coeurs & les eſprits ,
Que des rugiffemens , des fanglots & des cris ;
Mais même en déployant toute fa violence ,
Elle fut moins fublime encor que mon filence , &c.
Ces vers & d'autres , qu'il feroit trop
DE FRANCE. 125
long de citer, ne peuvent avoir été tracés que
par un admirateur de Lekain , par un homme
qui a fouvent éprouvé ces émotions profondes
que le grand Comédien fait partager aux
Spectateurs fenfibles. Il eft certain que le
foyer du talent de Lekain étoit dans fon
ame, & que c'eft là qu'il a puifé ces traits
fublimes qui le rendoient maître de tous les
efprits qu'il remuoit , pour ainfi dire , à fon
gré ; mais M. le Chevalier de C. a tort de
lui faire dire que fon ame feule lui donna la
commoiffance de tous les refforts qu'il faifoit
mouvoir pour développer le caractère
du Perſonnage qu'il avoit à repréſenter.
C'eft à tort qu'il ajoute que fon ame feule
lui donna tous les fecrets du goût , & l'inftruifie
des fineffes de fes rôles. La converfation
des Littérateurs les plus diftingués ; la
lecture de tous les grands Écrivains qui apprennent
à connoître l'homme & fes palfions
; l'étude de la Nature & de tous les
Arts qui concourent à donner plus de nobleffe
& de vérité aux repréfentations théâtrales
, à en augmenter l'illufion ; le travail
le plus opiniâtre , tant pour parvenir à affouplir
fon organe , à s'en rendre le maître ,
que pour donner à fes formes & aux différens
développemens de fon corps toute la
grace , toute la foupleffe , toute l'énergie dont
le bon goût fait une loi à l'Artifte de s'enrichir
voilà les moyens dont Lekain s'eft
fervi pendant vingt ans , & qui lui ont fait
atteindre le dernier degré de la fublimité du
Fiij
126 MERCURE
talent tragique . Son ame a fait le refte , &
elle a fait beaucoup ; mais nous croyons que
M. de C. devoit dire quelque chofe des
détails dans lefquels nous fommes entrés .
Nous penfons même que cela étoit indifpenfable
dans un temps où l'Art Dramatique
eft en proie à une foule d'avantageux , qui ,
fans éducation , fans étude , nourris d'amourpropre
& d'orgueil , indociles à tous les
avis , incapables de toute réflexion , s'élancent
dans une carrière autrefois honorée par
ceux qui la parcouroient , & dans laquelle
on pourroit à peine aujourd'hui diftinguer
dix perfonnes dignes d'y mériter des fuccès.
Nous obferverons encore que i Lekain a
mérité le reproche d'avoir rugi dans plufieurs
rôles , il n'eft pas adroit de préſenter ces
rugiffemens condamnables , comme une des
marques diftinctives de fon talent. Lekain
d'ailleurs avoit renoncé de bonne heure à
ces moyens dont il avoit reconnu la fauffeté ,
& il étoit devenu naturel fans fortir des conventions
de l'Art. De tous les modèles de
goût , Lekain , confidéré comme Acteur , a
peut- être été le plus parfait. Il ne falloit pas
non plus parler de la violence de ſa voix ; il
falloit parler de la vérité , de la variété , de
la force de fes accens , & de l'exprefliou par
laquelle ils étoient toujours animés ; & puis
violence le prend toujours en manvaile part.
Nous nous fommes un peu appefantis fut
cet article ; mais nous avions à parler de
Lekain , & nous répéterous ici avec Lucien :
DE FRANCE. 127
Le fouvenir d'un bon repas eft un régalpour un
homme affamé.
Une ombre folâtre , gaie , plaifante , qui
rit de tout , s'amufe de tout , fe moque de
tout , une ombre ſe préfente , c'eſt celle de
Garrick. On l'interroge , elle répond comme
les deux autres , & fait elle même la peinture
de fon talent. La Tragédie , la Comedie
lui étoient , dit - elle , également familières.
Hier parfait dans Othello , Garrick ne l'étoit
pas
moins le lendemain dans un Petit Maître .
De l'Art , dans ce paffage incroyable & ſoudain ,
J'offrois la diverfe merveille ;
Car le Falstaff * du lendemain
Éroit l'Othello de la veille.
Nous n'entendons pas ce que veut dire
la diverfe merveille : fi l'Auteur fe fût fervi
d'un pluriel , fon idée devenoit claire , mais
il a étégêné par la rime , & cette gêne l'a rendu
obfcur. S'il eft ainfi , dit Minos ,
S'il eft ainfi , jamais perſonne autant que toi
N'eut le don de charmer & la Cour & la Ville,
GARRI C K.
Oui , fi je n'avois point là - haut laiſſé Préville ,
Qui , moins univerfel , eft plus parfait que moi .
Il faudroit avoir vu Garrick fur le Théâtre
de Londres pour décider juſqu'à quel point
* Perfonrage très-ridicule des Femmes Joyeuses de
Windfor , Comédie de Shakeſpéar.
Fiv
128 MERCURE
pouvoit s'étendre l'univerfalité qu'on lui fuppofe
ici. Cette univerfalité a été conteſtée
par des perfonnes inftruites , & qui ont fuivi
les reprefentations de fon Théâtre pendant
des années ; elle a aufli trouvé des défenfeurs
; ce qui , pour des François , laiffe la
queſtion indécife. Quant à la perfection du
talent de M. Préville , elle eft atteftée par
toute la France ; & une pareille unanimité
de fuffrages juftifie l'éloge que M. de Cubières
a donné à cet illuftre Comédien.
Nous ne ferons qu'indiquer la Scène dans
laquelle M. de C. a placé Rouffeau. Nous
ne connoiffons rien de fi difficile que de
porter fur cet homme extraordinaire un jugement
degigé de toute efpèce de prévention.
Il eft d'ailleurs du petit nombre de ces
génies originaux fur le mérite defquels la
poftérité feule a le droit de prononcer fans
retour. Ses querelles avec des hommes célèbres
, fa mifantropie , fon courage , fa véracité
lui ont fait une foule d'ennemis qui ,
nés , pour la plupart avec des talens réels , &
déjà honorés d'une grande réputation , out
cherché à fe venger de lui en le peignant fous
des traits peu capables d'infpirer l'eftime. Les
nuages que l'on a jetés fur les qualités de fon
ame , fe font étendus jufques fur fes Ouvrages
; en conféquence le Philofophe qui écrivoit
pour être utile , a fouvent été accufé de
n'écrire que des paradoxes , & d'être l'apôtre
d'une mauvaife morale. Sa cendre fumoit
encore , & la haine vomiffoit fur fon tombeau
DE FRANCE. 129
tout ce qu'elle a de fiel & de fureur . Plaignons
fes perfécuteurs & fes admirateurs
exagérés. Souvenons - nous des qualités éminentes
de cet homme immortel ; n'oublions
pas à quels malheurs il a été en butte , les
perfécutions qu'il a éprouvées , gémiffons fur
la foibleffe naturelle à l'humanité, puifqu'elle
a caufé en partie les chagrins de Rouſſeau ,
& gardons le filence jufqu'au moment où
la vérité , dégagée des ombres qui la couvrent
encore , le fera connoître tel qu'il fut.
En attendant cette époque , le Citoyen de
Genève jouira d'une gloire affez brillante.
Ses Ouvrages font dans toutes les mains ; de
jour en jour on apprécie mieux fes talens .
Quand on élève quelques reproches contre
lui, quand on ofe nier qu'il ait eu des vertus,
les larmes qu'il fait répandre à fes Lecteurs
répondent à fes accufateurs de la manière
la plus victorieufe : elles atteftent , malgré
les erreurs dont il fut coupable , fans doute ,
puifqu'il étoit homme , que dans l'ame de
l'Auteur d'Émile , le génie ne fut que le compagnon
des vertus , & qu'il les a peintes fous
les couleurs les plus vraies , parce que perfonne
ne les a plus adorées que lui , & n'em
a mieux fenti les charmes .
( Cet Article eft de M. de Charnois).
FV
130
MERCURE
HISTOIRE de l'Églife , dédiée au Roi ,
par M. l'Abbé de Bérault - Bercaftel ,
Chanoine de l'Églife de Noyon , in 12 ,
Tomes XI & XII . A Paris , chez Moutard
, Imprimeur - Libraire , rue des Mathurins.
L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE de M. l'Abbé
Fleury n'auroit rien laiffe à defirer fur
cette matière , fi l'Auteur y avoit mis
la dernière main , & qu'au mérite d'une
critique judicieuſe , d'une fimplicité touchante
, d'une onction qui édifie , il eût
joint plus de précifion , de pureté & de
force. La compilation du Père Fabre , fon
Continuateur , écrite d'un ftyle aife , mais
fans correction & fans élégance , n'a fait
qu'augmenter les regrets du Public . Bonaventure
Racine a encore moins réuth que
les deux Écrivains dont il a entrepris d'abréger
l'Hiftoire . Si fes neuf premiers Volumes.
ont mérité quelques éloges , les quatre derniers
ont déplu aux Lecteurs impartiaux par
de longs details fur les querelles du Janfénifme
, & par un zèle fanatique pour la
caufe des Solitaires de Port Royal. Nous
ne parlerons point de l'Hiftoire Éccléfiaftique
de l'Abbé de Choify , qui n'a ri le ton
ni la gravité du genre , & où les galanteries
des Cours fe mêlent aux récits les plus
édifians , qui d'ailleurs n'ont ni affez d'exactitude
ni affez d'étendue. La difficulté de
DE FRANCE. 131
l'entrepriſe n'a point découragé M. l'Abbé
de Bérault ; on doit fans doute lui favoir
gré de fes efforts ; mais c'eft à ceux qui ont
déjà lu fes dix premiers Volumes , de juger
s'ils ont eu le fuccès qu'on pouvoit en
attendre. Les deux nouveaux que nous annonçons
renferment ce qui s'eft paffé depuis
1088 jufqu'en 1245. Le Livre trente - quatrième
commence ainfi : « Le relâchement
ม
de la difcipline & la dépravation des
» moeurs font les effets naturels de l'igno-
» rance & de l'oubli des faintes règles . On
» doit beaucoup moins s'étonner des abus
» établis dans les trois fiècles qui vont fer-
" vi de matière à la troisième Partie de
cecte Hiftoire , qu'on y doit admirer la
pureté conftante de l'enfeignement public,
» & les exemples de vertu qui ne celsèrent
» de troubler la coupable fécurité de ceux
» qui s'en écartoient. C'est là le point fixe
qu'il ne faut jamais perdre de vue en ob-
» fervant les différentes innovations & les
fcandales que va produire l'obfcurciffe-
» ment des anciennes maximes . On verra
39
93
و د
"
"
légitimer en quelque forte les divifions
» de l'Empire & du Sacerdoce ; les Souverains
& les Grands s'arroger les droits des
Évêques ; les Papes étendre le pouvoir des
» clefs aux chofes les moins fpirituelles , &
» faire la guerre aux Empereurs ; les Peuples
Chrétiens ériger en exercices de zèle
» & de vertu l'effufion du fang infidèle , y
» mêler celui de leurs frères errans ; des
"3
"
Fvj
132
MERCURE
33
Schifmatiques de la Grèce & des Hérétiques
d'Occident fe croifer même pour la
» defenfe des biens & des droits temporels
des Eglifes ; les pélerinages fuccéder à ces
» croitades multipliées, & le rachat pécuniaire
des pénitences aux pélerinages ; les
» Paſteurs errer comme les Peuples loin de
» leurs enfans en Jésus- Chrift & de l'Eglife
leur Epoufe ; les Papes enfin fixer leur
féjour dans leur pays natal , & laiffer
» Rome en butte aux attentats de la rivalité
» & de l'intrufion .
ود
Ce tableau , l'un des plus foignés de l'Auteur,
auroit pu être tracé avec plus de
netteté , de force & de correction ; on n'érige
point en exercices de vertu l'effufion du
fang infidèle , quoiqu'en le répandant on
croye faire une chofe agréable à Dieu .
Qu'entend M. l'Abbé de Bérault par les
frères errans des Peuples Chrétiens ? Cette
expreffion , confacrée par l'ufage pour défigner
les Hérétiques féparés de la communion
Romaine, paroît avoir ici le même fens
qu'à l'endroit où il eft dit qu'on verra les
Paſteurs errer comme les Peuples loin de leurs
enfans en Jésus - Chrift ; c'eft - à- dire , elle
fignifie que les Paſteurs , confidérés foit
comme croifés , foit comme pélerins , n'étoient
pas moins vagabonds que leurs
ouailles ; d'ailleurs , pour fuivre l'ordre des
événemens il ne falloit pas féparer dans ce
tableau hiftorique les courfes des Paſteurs de
celles des fimples fidèles , placer les voyages
DE FRANCE 133
des premiers après le rachat pécuniaire des
pénitences ; c'eft, dans le fens même de l'Aureur,
les placer fous une époque où l'Europe
étoit guérie de la fureur des croifades ou
- des pélerinages , & par confequent c'eft intervertir
l'ordre naturel du tableau : enfin ,
les Papes qui , en fixant leur fejour dans
leur patrie , laifferont Rome en butte aux attentats
de la rivalité & de l'intrufion , femblent
annoncer des faits qui ne font pas encore
arrivés , tandis qu'à l'époque de l'élection
d'Urbain II , Rome étoit déjà en proie à
la faction de l'anti Pape Guibert , & que
Victor III étoit mort au mont Caffin. Le
Volume onzième de M. l'Abbé de Bérault
eft divifé en trois Livres . Les événemens les
plus remarquables qu'on y trouve font l'entrée
du Pape Urbain II à Rome , & l'expul
fion de l'anti - Pape , l'affoibliffement du
fchifme en Allemagne , la fondation de
l'Ordre des Chartreux & des Antonins ,
l'affaire du Roi Philippe & de Bertrade , le
Concile célébré à Clermont par le Souverain
Pontife , le commencement des Croifades
, les malheureux fuccès de Gautier
fans avoir , & de Pierre l'Hermite , la
réduction de Jérufalem , & la royauté de
Godefroi de Bouillon , les revers de l'Empereur
Henri IV , les entrepriſes de Henri V
contre l'Eglife , l'établiffement de Fontevrault
, les commencemens de Saint Bernard
& de Saint Norbert , la condefcendance
de Pafchal II dans l'affaire des Invef134
MERCURE
titures , le Concile de Larrah tenu à ce
fujet , & les fuites de cette Affemblée , la
réconciliation de Henri V avec le S. Siége ,
le premier Concile général de Latran , les
démêlés entre Saint Bernard & Pierre le
Vénérable , les commencemens de l'Ordre
hofpitalier de Saint Jean de Jérufalem &
de l'Ordre Teutonique , le fchifmie d'Anaclet
, le deuxième Concile général de Latran
, la publication de la feconde Croifade.
les malheurs des Rois Conrad & Louis le
jeune en Orient , le divorce de ce dernier
Prince & d'Eléonore , l'élévation de Frédéric
Barberoulle à l'Empire ; enfin la mort
de Saint Bernard arrivée le 20 Août 1152 .
و د
و و
Toutes fes grandes oeuvres , dit M. l'Abbé
» de Bérault , ou plutôt celles de l'Eglife ,
» dont il fut le mobile auffi bien que le
» phénomène le plus inconcevable de fon
fiècle , la perfection de fes Ecrits , chef-
» d'oeuvre dans un temps barbare , & qui
» l'ont fair nommer comme par exclufion
» pour les temps à venir , le dernier des
» Pères de l'Eglife , le peignent de couleurs
qu'on ne pourroit qu'affoiblir en y ajou-
» tant. » Si l'on a dit de Saint Bernard qu'il
avoit été le dernier Père de l'Eglife , il étoit
inurile d'ajouter comme par exclufion pour
les temps à venir ; au rette , fans craindre
d'affoiblir l'éloge de l'illuftre Abbé de Clairvaux
, l'Auteur pouvoit le tracer d'une manière
plus intérellante . Un Hiftorien doit
peindre fans doute par des faits ; mais il ne
33
DE FRANCE. 135
doit pas négliger de raffembler les principaux
traits des perfonnages célèbres , de faire
connoitre en peu de mots leur caractère &
les titres qui leur affurent l'admiration & la
reconnoillance de la pofterite. Les portraits
font en quelque forte à l'hiftoire ce que font
les peroraifons à l'eloquence ; l'Orateur doit
en finiffant refferrer fon fujet pour lui donner
plus de force , & le faire pénétrer plus
avant dans l'efprit de ceux qui l'écoutent ;
P'Hiftorien qui a décrit les actions d'un grand
Homme doit, pour ainfi dire, en prendre l'efprit
pour en laiffer une image dont la vue
rappelle fans effort les traits qui le caractérifent.
Sans avoir la concifion de Tacite , la
fineffe , l'énergie , la vérité de fon pinceau ,
on peut du moins tenter quelques effais
d'après les modèles d'un auffi grand Maître :
par exemple , M. l'Abbé de Bérault eût
terminé la vie de Saint Bernard d'une 'manière
plus fatisfaifante , s'il eût emprunté les
termes de l'Auteur de l'Abrégé chronologique
de l'Hiftoire de France , dont on a
dit avec tant de raifon que c'étoit l'Ouvrage
le plus court & le plus plein fur
cette matière . Voici comment le Préfident
Hénault parle de Saint Bernard : « Ses con-
ور
-33
feils étoient reçus comme des ordres du
ciel ; il avoit été donné à cet homme ex-
» traordinaire de dominer les efprits ; on
le voyoit d'un moment à l'autre paffer
» du fond de fon défert au milieu des
Cours , jamais déplacé , fans titre , fans
ور
136 MERCURE
"
و د
"
" caractère , jouiffant de cette confidération
perfonnelle qui eft au-deffus de l'auto-
" rité ; fimple Moine de Clairvaux , plus
puiffant que l'Abbé Suger , premier Mi-
» niftre de France , & confervant fous le
Pape Eugène III , qui avoit été fon Diſciple
, un afcendant qui les honoroit l'un
» & l'autre ; cependant , S. Bernard n'étoit
» pas un auffi grand politique qu'il étoit un
faint homme & un bel efprit , fes Ser-
» mons font des chef- d'oeuvres de fenti-
» ment & de force. "
"
Révenons à l'Ouvrage de M. l'Abbé de Bérault;
nous y avons trouvé quelquefois de l'ordre
& de la clarté , mais peu de nouvelles recherches
& de critique. Ce qui nous a paru le
caractériſer , c'eſt un grand zèle pour les
progrès de la Religion & de la vertu. En
rendant hommage aux louables intentions
de l'Auteur , on ne fauroit diffimuler qu'il
ne poſsède pas l'art d'écrire ; il a rarement
le mot propre , il eft froid & fec ; nous y
avons remarqué un très grand nombre de
fautes de ftyle : par exemple , proférer tout
d'une voix la même clameur , faire grande
eftime ; fouvent même les conftructions de
fes phrafes ne font pas françoifes. En parlant
des reliques de S. Antoine, apportées de
Conftantinople par un Seigneur du pays
nommé Goffelin , qui les plaça dans fa
terre de la Motte près de Vienne , il dit :
Étant mortfubitement , elles pafsèrent à fes
héritiers. Ses expreffions font quelquefois
-
"
DE FRANCE. 137
familières , pour ne rien dire de plus ; ainfi
les légèretés de Pons , fucceffeur de Saint
Hugues , Abbé de Cluny , firent autant de
tort à fon Ordre qu'elles lui oecafionnèrent
à lui-même de déboires & de ridicules.
Defi loin qu'il put voir la Ville , il marcha
nuds pieds. Ives de Chartres ne voulant
point approuver le divorce de Philippe
avec Berthe , répondit au Roi qu'il n'avoit
aucune connoiffance de la décifion des
Evêques à ce fujet , & qu'à moins d'en avoir
toute la certitude convenable , il n'approuveroit
point par fa préfence une action fi
raifonnablement fufpecte. Guillaume , Roi
d'Angleterre , indigné de ce qu'Anſeline ,
Archevêque de Cantorbéry , s'étoit foumis
au Pape Urbain , donna pour un attentat fait
àfa Couronne de reconnoître un fouverain
Pontife en Angleterre fans fa permiſſion .
M. de Bérault paroît avoir beaucoup de prédilection
pour une tournure à peu près
femblable. Le Pape S. Anaclet donna les
Primats pour établis dans l'Eglife dès fon
origine. Siméon , Patriarche de Jérufalem ,
que tous les monumens donnent pour un
homme d'un grandfens , &c. Les plus grands
excès commis par les Croifés furent l'effet
du zèle mal entendu d'une multitude confufe
d'environ deux cent mille hommes de
pied , fans Chef & fans aucune teinture de
difcipline. Nous favions bien qu'on pouvoit
dire , n'avoir pas la moindre teinture des
Lettres , mais nous ne connoillions pas la
138 MERCURE
teinture de la difcipline des troupes . Pierre
l'Hermite diftribuoir ce qu'on lui donnoit
de meilleur , ne mangeoit que du pain & ne
buvoit que de l'eau , mais fans affectation ,
& avec la piété judicieufe qui convenoit à un
génie de cet ordre. Hugues de Grenoble voulut
fe retirer parmi les Chartreux de corps
& d'effet, comme il y étoit toujours de coeur
& defprit. Nous ne finirions pas i nous
rapportions toutes les tournures vicieuſes ,
les expreffions impropres ou trop familières
que nous avons trouvées dans le onzième
Volume dont nous rendons compte. Si
nous faifions moins de cas de cet Ouvrage ,
où règne un ton de candeur & de vérité ,
nous n'aurions pas pris la peine d'en relever
les défauts.
Le 12. Vol. eft auflì divifé en trois Livres.
Les objets les plus intéreffans qu'on y trouve,
font l'orgine des différends de Frédéric avec
les Papes , le Décret de Gratien , l'ancienneté
du droit de Régale , les événemens de la
feconde Croisade , les querelles de S. Thomas
de Cantorbéry avec Henri II , Roi
d'Angleterre , le troisième Concile de Latran
, les victoires de Saladin , l'affaire de
Philippe Augufte & d'Ifemburge ou Ingerburge
, l'élevation de Baudouin , Comte de
Flandre , à l'Empire d'Orient , les exploits
des Croifés de Languedoc fous Philippe Augufte
, Louis VIII & Louis IX , le quatrième
Concile général de Latran , les Inftituts de
S. Dominique & de S. François , la preDE
FRANCE. 139
mière expédition de S. Louis dans la Palettine
, & la convocation du Concile géneral
de Lyon en 1245. Chacun des deux Volumes
que nous venons d'annoncer eft terminé par
la Table des Ecrivains Eccléfiaftiques & des
principaux Conciles. Le ftyle du dernier
nous a paru un peu moins défectueux que le
précédent ; il y a même quelques morceaux
affez bien écrits. Nous invitons l'Auteur à
ne point perdre de vue cette maxime de
l'Horace François :
Sur-tout qu'en vos Écrits la Langue révérée
Dans fes plus grands excès vous ſoit toujours facrée ,
VARIÉTÉ S.
RÉPONSE à M. PIERRE ZÉPHIRINET,
ancien Meunier à Montmartre.
QUOIQUE
UOIQUI je ne fois pas , Monfieur & ancien
Confrère , un homme célèbre , & fans avoir l'honneur
d'être connu de vous , permettez- moi de répondre
à la Lettre que vous avez fait inférer dans
le Mercure de France , N ° . 29 du Samedi 21 Juillet
1781.
Vous déprimez les meules de pierre comme trèspernicieuſes
, à cause de la néceffité de les repiquer
de temps en temps. Je conviens avec vous de cette
néceffité ; mais j'ajoute que les plus fortes piqûres
ne font pas les meilleures. Un Meûnier entendu ne
les pique que légèrement , avec la plus grande douceur
poffible . en y formant des dentelures que nous
appelons rayons ou luifans plus ou moins larges ,
140 MERCURE
*
fuivant l'ufage des pays. D'après cette précaution ,
la meule fupérieure , appelée courante , étant bien
dreffée & refleurée , foit à la templure ou au pouce ,
ne peut produire aucune émanation pierreule dans
la farine par le frottement de ces globes . Des accidens
de cette nature ne pourroient avoir lieu que
dans le cas où il fe rencontreroit dans le bled quelque
corps étranger , tels que clous , fers , cailloux ,
grès , gravier ou autre chofe femblable par la faute
des particuliers qui négligent de le cribler.
દ
Quant aux cavités des meules , que nous appelons
éveillures , vous devez favoir comme moi que
lorfqu'elles font une fois remplies par la fleur du
premier bled , qui doit être de celui du Meûnier ,
c'eft pour jufqu'au temps qu'il y a néceffité de rele
ver ladite meule pour la repiquer. J'avoue que fi ,
par la négligence ou le manque d'attention du Meûnier,
il laiffoit ribler fon moulin , dans ce cas les
parties imbroyées gâteroient infailliblement la plus
belle farine, dont l'ufage feroit dangereux ; mais
ces accidens font fi rares , qu'il faut bien le garder
d'en conclure , comme vous , que les pratiques de
chaque moulin avalent tout ce qui manque aux
vieilles meules. Qui veut trop prouver , fouvent ne
prouve
rien.
Peut -être me répondrez -vous à cela , mon cher
Confrère , que mon génie borné refte , comme celui
des autres , dans l'ornière de la routine , dont il eſt
impoffible de le faire fortir. Je ſouhaite de tout mon
coeur que M. du H.... à qui vous adreffez votre
Lettre , & dont les talens font connus , faififfe l'importance
de l'idée que vous nefaites qu'indiquer. C'eft
à fes lumières que j'en appelle ; & d'après fon fentiment
, s'il vous cft favorable , je vous promets , malgré
mon petit génie de Chauny , de faire tous mes
efforts pour me tirer de l'ornière de la routine , &
de frayer le chemin à mes Confrères. J'y fuis en
DE FRANCE. 141
quelque forte plus intéreffé qu'un autre ; car , fans
prévention , je fuis un des plus forts Meuniers de la
Picardie, puifque je fais mouvoir journellement feize
meules de pierre , qui me coûtent 400 liv. la pièce,
fans la voiture & le placement.
7
Autfi jaloux qu'un autre du bien public & de mon
intérêt particulier , j'adopterois voluntiers votre méthode
, ti j'étois perfuadé de fes avantages par une
démonftration complette ; mais rien n'eft moins
clair que votre idée de réforme. Quelle eft , je vous
prie, la matière folide quelconque dont vous prétendez
former la meule dormante , c'est- à- dire , celle
de deffous ? Vous n'en déterminez point la nature
& l'efpèce ; c'eft une énigne que vous propofez ,
dont le mot reste à fous entendre & à deviner. Le
furplus des moyens que vous indiquez n'eft pas plus
fufceptible d'intelligence , & comporte des dangers
plus confidérables que ceux qu'il vous plaît d'imputer
aux meules ordinaires .
En effet , fi nous broyons habituellement un
quinzième à-peu-près des parties terreuſes & fablonneufes
qui fe trouvent néceffairement dans le
caput mortuum des meules de pierre , croyez-vous
de bonne- foi que les émanations de fer foient
plus faines au corps humain , les frottemens étant
les mêmes ? C'eft fur quoi il feroit à propos de confulter
la Faculté . En attendant ſa déciſion , ſouffrez
que je m'en rapporte , pour l'exécution de votre
projet , au jugement de M. du H...
Je fuis de tout mon coeur , Monfieur & ancien
Confrère ,
Votre très-humble Serviteur ,
LOUIS BAUDRY , Fermier
des moulins de Chauny en
Picardie & autres lieux,
142
MERCURE
GRAVURES.
POXI
ONT de Louis XVI , Monument projeté en
mémoire de l'abolition de la fervitude dans tous
les Domaines de Sa Majefté , pendant la guerre
entreprise pour la liberté du commerce & des mers.
Ce Pont eft deſtiné à fervir d'entrée aux Ports
au Bled & de la Grève , & à joindre l'Ile Saint
Louis à la Cité . A Paris , chez Chereau , rue des
Mathurins , aux Piliers d'or.
la rue des
Horatius Coclès , Eftampe de 27 pouces de largeur
, fur 20 pouces de hauteur , gravée dans la
manière du lavis , d'après le deffin au bistre de le
Barbier l'aîné , Peintre du Roi , par Ph . L. Parizeau.
Horatius Coclès foutient feul les efforts de l'armée
de Porfenna , & donne aux foldats Romains le temps '
de couper le pont derrière lui ; enfuite il paffe le
fleuve à la nage , & rentre dans Rome. A Paris ,
chez Ph. L. Parizeau , rue de Savoie , la quatrième
porte-cochère à droite en entrant par
grands Auguftins. Prix , 6 livres. Le fujet de cette
Eftampe , dont le deffin eft actuellement exposé au
Sallon de l'Académie Royale de Peinture , est trèsintéreffant.
On pourroit tirer un parti fort avantageux
de la manière dont elle eft gravée pour rendre
les grandes fuites de compofitions qui font fufcepti
bles d'un effet piquant , & qui , gravées au burin ,
entraînent néceffairement un travail auffi long que
pénible & difpendieux.
DE FRANCE. 143
ANNONCES LITTÉRAIRES.
THOMAS HOMAS BRUNET , Libraire , rue Mauconfeil ,
vient d'acquérir l'Édition de Molière , Drame , pat
M. Mercier , Volume in - 8ª . , grand papier , de
234 pages d'impreffion , qu'il vend 12 fols en
feuilles , & 14 fols broché.
La France illuftre , ou le Plutarque François ,
par M. Turpin , in - 4 ° . , troifième foufcription
n° . 7 , contenant l'Hiftoire du Cardinal Mazarin
. A Paris , au Bureau de l'abonnement , chez
Deslauriers , Marchand de Papier , rue S. Honoré ,
à côté de celle des Prouvaires.
Cours complet d'Agriculture Théorique , Pra-.
tique, Économique & de Médecine Rurale & Vétéri
naire , fuivi d'une Méthode pour étudier l'Agricul
ture par principes , ou Didionnaire d'Agriculture ,
par une Société d'Agriculteurs , rédigé par M. l'Abbé
Rozier , in -4 ° . , Tome premier. A Paris , rue &
Hôtel Serpente.
Phyfique du Monde , par M. le Baron de Mariverz
& par M. Gouffier , Tome II , in-4 ° . , ျ
compagné d'un Volume de Cartes & de Tables relatives
aux Planètes . A Paris , chez Didot le jeune ,
Cellot , Quillau , Mérigot le jeune , Nyon l'aîné &
Barrois le jeune , Libraires , quai des Auguſtins.
Principes de Morale , de Politique & de Droit
public , puifés dans l'Hiftoire de notre Monarchie ,
ou Difcours fur l'Hiftoire de France , dédiés au
Roi , par M. Moreau , in- 89 . , Tome XII. A Paris
chez Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins.
Tome LXXX du Journal des Caufes célèbres
144
MERCURE
de toutes les Cours du Royaume , avec les jugemens
qui les ont décidées . A Paris , chez M. des
Effarts , Avocat , rue Dauphine , à l'Hôtel de
Mouy , & Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftius .
Confidérations fur les Finances , avec des Réfle
xions fur la néceffité de comprendre l'Étude du Com
merce & des Finances dans celle de la Politique
feconde Édition , Volume in - 12 . Prix , 1 liv. 10 f .
A Paris , chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins
On trouve à la même adreffe , 1 ° . les Ouvrages
anciens & nouveaux fur les Abeilles , & un
Traité fur l'Education des Animaux qui fervent
d'amusement à l'homme : 2° . Théorie & Pratique
du Commerce de la Marine , traduite fur la feconde
Edition de l'Espagnol de D. Uftariz , Volume in-
4º . Prix , 8 liv. broché.
Fautes à corriger dans le dernier Mercure.
> Page 81 , ligne 8 avec juſtice , lifez : avec beaucoup
de jufteffe . Page 83 , lignes 16 & 17 , l'évidence
de ces proportions , lifez : de ces propofitions . Page
86 , ligne 3 , pourroit peut - être , lifez : pourroit encore.
TABLE.
ODDEE aux Souverains ,
Vers à Mlle Thénard ,
Enigme & Logogryphe ,
97 La Vengeance de Pluton , 119
100 Hiftoire de l'Eglife , 130
101 Réponse à M. Pierre Zéphi-
Recueil de Pièces Fugitives & rinet,
de Cont s nouveaux , 103 Gravures ,
Difcoursfur la Vie & les Ou Annonces Littéraires,
vrages de Pafcal, 114
AP PROBATION.
139
142
14?
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Septembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreffion. AParis ,
le 14 Septembre 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 SEPTEMBRE 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
De Confolation d'une Veuve à une Veuve.
EGLÉ , dis - moi , quels font tes voeux .
Dis -moi fi Vauclufe t'appelle.
Nous allions feuvent dans ces lieux
Veir régner la faifon nouvelle.
Qu'irons- nous faire en ce ſéjour ?
Comment dans notre peine extrême
Jouir des rayons d'un beau jour ?
Ah ! font- ils paffés fans retour ,
Ces beaux jours , ces jours où l'on aime ?
Quand on perd l'objet de fes voeux ,
Tout languit ; il n'eft pas paffible
D'ouvrir fon coeur à d'autres feux ,
Sum. 22 Septembre 1781.
G
146 MERCURE
Et l'on croit refter infenfible ;
Les pleurs fe fixent dans nos yeux ;
Tout nourrit notre inquiétude.
Mais ce chagrin , ce trouble affreux
Enfia fe change en habitude ,
L'habitude en un calme heureux ;
Notre peine n'est plus ſi rude ;
Nos pleurs qui coulent font plus doux ,
Et dans le coeur je ne fais quoi murmure ;
On donne un regret à l'époux ,
Un fouvenir à la Nature,
Tu connus la tendre Zelmis.
D'une vive douleur elle donnoit des preuves.
Et tous ces fidèles amis
Qui viennent confoler les Veuves ,
Chez elle n'étoient point admis.
Elle renfermoit fes alarmes ,
Elle fe coëffoit à l'écart ,
Fleuroit, & fur ia glace où le peignoient fes charmes
A peine portoit un regard ,
Relevant fes cheveux fans art ,
Interdite , éperdue & belle de fes larmes.
L'art infenfiblement fe gliffe dans les noeuds
Qui foutiennent la chevelure ;
Et l'abandon de fes cheveux
Şemble de jour en jour lui fervir de parure.
Le temps amène d'autres goûts,
L'ami de fon mari lui femble
DE FRANCE. $47
Un confolateur affez doux.
La douceur de pleurer quelquefois les raffemble.
Daus le cabinet de l'époux
Ils foupiroient un jour enfemble :
Elle mettoit fa main dans la main de Damis ;
Mais un tourment ſecret ſemble agiter Zelmis.
Zelmis , expliquez-vous ! quelle peine eft la vôtre ?
Qui peut troubler votre repos ? »
29
Les époux étoient peints fur deux petits tableaux,
Placés à côté l'un de l'autre.
Elle s'émeut , Damis auffi .
« Ah ! dit Zelmis , quand je fus peinte ainfi ,.
» Je ne m'attendois pas à de telles difgrâces . »
Elle étoit peinte fans atours ,
Ayant fur le fein deux Amours ,
Et fouriant comme les Grâces.
Zelinis , en rougiffant , détache fon portrait,
Et veut brifer la mignature:
« Ah ! ciel ! que faites-vous ? Laiffez cette peinture.
Damis combattoit fon projet ,
Et Zelmis cherchoit à ſe rendre.
« Hélas ! dit-elle, avec un regard tendre ,
» Je la laiffe aux mains d'un ami ;
» A côté d'un époux chéri
" Je n'oferois plus la fufpendre. »
EGLI , qu'en penfes -tu ? J'en ai long-temps douté.
Il falloit que l'ami lui parût bien aimable ;
Et peut-être eft- ce un conte à plaifir inventé ;
19
Gij
148 MERCURE
Mais fi le fait eft véritable ,
Zelmis étoit à fon printemps ;
Et d'un peu d'indulgence on ne peut fe défendre ,
Églé , quand on n'a que vingt ans ,
Et qu'on a comme elle un coeur tendre.
( Par M. D *** , d'Aix . )
A Madame la Marquife DE COIGNY ,
au fujet de l'invitation qui m'étoit faite
de venir à la Campagne où elle étoit .
LE TROUBADOUR ET UN PASSANT ,
DIALOGUE.
( La Scène eft à la Campagne, })
LE PASSANT.
VINs chez nous , gentil Troubadour.
LE TROUBADOU R.
A prodiguer mes chants je renonce en ce jour.
Las ! il n'eft plus de prud'hommie ,
De bon goût , de chanſon jolie ,
De traits naïfs peignant naïf Amour.
LI
Que dis-tu ?
PASSAN T.
LI TROUBADOU R.
C'en est fait , je briſe ma guittarre.
DE FRANCE. 149
LE PASSANT.
Ah ! plutôr , répens-toi de ton courroux bizarre.
LE TROUBADOV r .
Écoute : fi tu peux m'indiquer un château
Où règnent loyauté , joyeuſeté , fimpleffe ,
Et qui m'offre l'accord nouveau
Des vertus & de la richefſe……………
Eh bien ! ....
LE
LE PASSANT.
TROUBADOUR .
Je veux encore y trouver à chanter
Quelque Beauté riante & printannière ,
Aux yeux charmans , au coeur fincère ,
Plaifant à tous fans s'en douter ,
Même en taillant naïve & débonnaire ,
Lifant , penfant , fachant goûter
Romans , Hiftoire , Politique ,
Beaux vers , tableaux exquis , raviſſante muſique……….
A ce prix , guide-moi , je cède à ton confeil.
LE PASSAN
T.
Viens donc , & fans délais fuis mes pas à Courteil .
( Par M. Sélis . )
G iij
750
MERCURE
.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent .
LE mot de l'Enigme eft Cordon , pris dans
toutes les acceptions ; cordon bleu , cordon
rouge , cordon noir , cordon qui ceint plufieurs
Religieux , cordon à l'ufage des femmes
, & cordon qu'envoie le Grand - Seigneur
pour faire mourir les Grands ; celui du
Logogryphe eft Oiseau , ou fe trouvent oże
eau ,foie, oui & fi.
ÉNIGM E.
JE fuis né , cher Lecteur , dans le fein des forêts ;
Dans més divers emplois j'ai différens faecès.
Tel brigue mon honneur , qui toute la journée
Me voit avec dédain changer de deftinée .
De la
pompe funèbre , ornement malheureux ,
De deux jeunes époux je rends le fort heureux.
En toutes les faifons fimple dans ma parure ,
Sur mon habit léger paroît la bigarure .
Hydropote éternel , mes pas en fens divers
Me font comme un ivrogne aller tout de travers ;
Et malgré mes bienfaits , avec un bout de corde ,
Ami , je fuis pendu , las ! fans miféricorde.
( Par M. le Double , Curé de Coligni , en Laonois.)
DE FRANCE. 251
LOGOGRYPHE.
LECTEUR , je fuis Françoiſe , & depuis ma naiſſance
Je n'ai
ק ט
faire un pas fur les terres de France ;
J'ai pourtant près d'un fiècle , & n'ai pas vifité
Mes fæcurs , que l'on y trouve en grande quantité.
Contente du bonheur de voir ſouvent mon Maître ,
Je renonce à celui de jamais les connoître .
L'on me compte dix pieds : en les décompofant .
Tu trouveras d'abord un animal rampant ;
Le nom d'un poids connu ; trois notes de muſique ,
Et l'élément léger fi cher à l'afthmatique ;
Ce qu'un Palefrenier place fur res chevaux ;
Ce qu'on fait en dormant ; le contraire de faux ;
Un grain qui naît fous l'eau , que dans l'Inde on
favoure ;
Un préfent de la mer ; enfin ce qu'elle entoure.
Adieu , mon cher Lecteur , je prends congé de toi ;
Peut-être quelque jour je te verrai chez moi,
( Par Mile Julie R.... , de Boudouire. ) •
Giv
152
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGES de Charles de Sainte- Maure , Duc
de Montaufier , Pair de France , Gouver
neur du Dauphin , fils de Louis XIV ,
par MM . Garat & la Cretelle. Épigraphe
de M. Garat ( qui a remporté le Prix de
l'Académie Françoife , en 1781 )
Jamais l'air de la Cour , & fon fouffle infecté ,
N'altéra de fon coeur l'auftère pureté .
VOLT. Henr.
Épigraphe de M. la Cretelle ( qui a obtenu
l'Acceffit :)
Je vais à la Cour , & j'y dirai la vérité .
MONTAUSIER lui - même.
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue
Chriftine , 1781. in - 8°.
MESSIEURS ESSIEURS GARAT & LA CRETELLE ,
( l'eftime publique ne féparera plus ces deux
noms ) donnent aux Lettres un fpectacle rare
prefque nouveau , celui de deux rivaux
qui s'aiment . Le vaincu , ( fi ce titre eft fait
pour un d'eux ) applaudit hautement au
triomphe du vainqueur ; manière de plus de
s'y affocier. Il femble que ce foit pour eux
DE FRANCE. 153
que M. de Voltaire ait fait ces beaux vers :
Je n'ai point d'ennemis , j'ai des rivaux que j'aime ;'
Je prends part à leur gloire, à leurs maux , à leurs biens ;
Les Arts nous ont unis , leurs beaux jours font les
miens.
C'est ainsi que la terre avec plaifir raffemble
Ces chênes , ces fapins qui s'élèvent enſemble ,
Un fuc toujours égal eft préparé pour eux………….
Leur trône inébranlable & leur pompeufe tête
Réfifte en fe touchant aux coups de la tempête ;
Ils vivent l'un par l'autre , ils triomphent du temps.
Ces deux jeunes Maîtres en éloquence
accoutumés , fur - tout le premier , à enrichir
le Mercure de morceaux excellens
de critique & de philofophie , vouloient ,
dit on , s'y juger réciproquement & nous
devons regretter qu'ils ne l'ayent pas fait .
Quelle fagacité l'oeil pénétrant du goût ,
l'oeil plus perçant encore de l'amitié , ne leur
euffent- ils pas donnée pour découvrir & développer
les beautés l'un de l'aurre ! c'eût
été à la fois un morceau précieux de critique
Littéraire , & un beau monument élevé à
l'amitié. Mais peut- être ont- ils craint que
cette amitié même ne rendit leur jugement
fufpect. C'est contre l'amour- propre des
autres Auteurs qu'il faut être en garde , c'eſt
contre la générofité de ceux - ci qu'il faut y
être ; l'un eût voulu defcendre de fon char
de triomphe & y faire monter fon rival ,
l'autre eût voulu s'enchaîner au char du vain-
Gy
154
MERCURE
1
queur. C'eft avec le plus fincère regret que
nous les remplaçons dans une fonction qu'ils
auroient fi bien remplie , & d'une manière fi
nouvelle. Nous n'avons eu connoiffance de
leur projet qu'en apprenant qu'ils s'en étoient
défiftés. Au refte , la malignité du Public , fi
pourtant le Public eſt fi malin , n'aura rien
à gagner ici , & nous n'aurons guères que
des éloges à donner aux deux Orateurs.
Si nous comparons d'abord l'impreffion
générale qui refte des deux Difcours , il nous
femble qu'on trouve dans le premier des
vues plus grandes , & cependant plus fages ,
plus mefurées ; dans le fecond , des idées
plus fortes & plus fortement exprimées.
Chez M. Garat , plus d'ordre , des tranfitions
plus heureufes , qui inettent les chofes plus
à leur place , qui les enchaînent & qui en
augmentent l'effet ; dans M. la Cretelle , les
objets font plutôt placés les uns après les
autres qu'ils ne naiffent les uns des autres ;
M. Garat paroît plus maître de fon fujet ;
M. la Cretelle plus entraîné par les objets ,
plus obéiffant à l'impreffion qu'il éprouve ;
d'un côté , de plus beaux développemens ,
des tableaux plus finis ; de l'autre , des mouvemens
plus vifs , des traits plus forts , des
coups de pinceau plus fiers ; M. Garat a plus
de correction , un ftyle plus pur , un goûr
plus sûr , M. la Cretelle , plus d'emportement
& de chaleur , les négligences , quelquefois
les familiarités heureufes de Boffuet ,
comme dans ce mot :
prenons garde à nos
ec
DE FRANCE.
155
39
paroles devant le plus irréconciliable en-
» nemi du menfonge & de la flatterie . » M.
Garat , fous des formes plus oratoires , a
plus de philofophie ; M. la Cretelle , fous
des formes plus philofophiques , a quelquefois
peut- être une éloquence plus originale ;
M. Garat est toujours M. Garat , un bel
efprit profond , un penfeur éloquent , un
digne Difciple de Montefquieu ; M. la Cretelle
, par fa franchiſe un peu fauvage , par
fon ton paffionné , par fon audace , par les
exagérations même , a peut- être plus le ton
de fon fujet ; c'eft , pour ainsi dire , le Monraufier
de l'Eloquence. Enfin , nous ne lerions
pas étonnés qu'on dît de ces deux Difcours :
L'un eft plus beau , plus achevé ,
Mais je voudrois avoir fait l'autre.
Si nous paffons de l'enfemble aux détails ,
nous en avons de trois eſpèces différentes à
comparer.
1º. Les morceaux correſpondans.
2º. Les morceaux oppofés , c'est- à- dire ,
où les Auteurs ont pris des routes , & quelquefois
des opinions différentes.
3. Les morceaux que l'un a traités avec
foin & que l'autre a négligés ou omis entièrement.
IⓇ.
Un des premiers morceaux qui fe préfen
tent à comparer dans les deux Diſcours , elt
le portrait du Cardinal de Richelieu : de
G vj
156 MERCURE
"
"
» cet homme , dit M. Garat , qui étendoit
» la gloire de la Nation , en attaquant fa
» liberté ; qui donnoit de la grandeur à des
» hommes dont il vouloit faire des efclaves ;
qui eût eu peut-être toutes les vertus d'un
» Roi fi on lui eût laiffé la puiffance ab-
» folue , qui détruit communément toutes
» les vertus ; de cet homme enfin , qui dût
» être odieux aux Grands , dont il combat-
» toit les prétentions en violant les Lois ;
» qui ne mérita jamais d'être aimé de la
» Nation , dont le bonheur ne parut jamais
entrer pour rien dans fes deffeins , mais
» qui dut plaire fouvent à une Nobleffe Militaire
, parce que fon génie concevoit des
plans qui ne pouvoient être exécutés que
» par des Héros .
"
"
20
و ر
"
33
ود
" Louis XIII , dit M. la Cretelle , n'eut
» d'autre part à fon propre règne , que de
» donner l'exemple de la foumiffion aux
volontés de fon Miniftre ; de ce Miniftre ,
qui fubjugua dans l'ame de fon Maître
jufqu'à la haine ; qui eut un vafte génie ,
chercha la gloire , fut dépofitaire de la
Puiffance Royale , mais qui ne les fit jamais
fervir qu'au maintien de fa grandeur ; qui
opprima la France pour abailler l'Au-
» triche ; appris aux Grands à tout craindre ,
» aux peuples à tout ſupporter ; qui ne vit
» jamais dans les Lois que des inftrumens
» ferviles entre les mains de l'homme puif-
» fant ; qui leur impofoit filence devant les
» volontés , ou leur commandoit de prêter
و د
לכ
33
و ر
و د
"
DE FRANCE, 157
» leurs formes & leurs noms à fes ven-
» geances , & qui ne devra qu'à la recon-
» noiffance des Lettres , d'échapper peut-
» être à la renommée de ces tyrans , qui eu-
>> rent des grandes qualités . »
22
Cet exemple eft un des plus propres à
faire connoître d'abord le caractère diftinctif
& la manière particulière des deux Orateurs .
M. la Cretelle jette un regard ennemi fur
les injuftices & les violences du Cardinal de
Richelieu , il fe livre à toute fon indignation
, nulle confidération n'en affoiblit le
témoignage , n'en adoucit l'exprellion; fon
ame fe decharge d'un fentiment pénible en
l'exhalant.
M. Garat , plus tranquille , plus calme ,
prend la balance , il examine tout à charge
& à décharge , il faifit des rapports plus fins ,
des contraftes plus ingénieux ; M. la Cretelle
accufe Richelieu , M. Garat le juge . Tous
deux , il faut l'avouer , ont jugé bien rigoureufement
le Cardinal Mazarin. M. Garat
eft au moins févère à fon égard , M. la Cretelle
, ( ofons le dire ) eft injufte. Ce Miniſtre
de paix , qui , en entrant dans la carrière ,
commença par féparer deux Armées au moment
où elles en venoient aux mains ; cet
homme , dont le Ministère fert d'époque à
deux des plus importans Traités qui aient
ramené pour un temps la paix parmi les
hommes ; Mazarin * ce , qui , né pour paci-
* Le Traité de Weftphalie & celui des Pyrénées
198
MERCURE
fier tout , & au- dedans & au- dehors , diffipa ,
prefque fans violence , tous les orages élevés
contre lui , & s'aflura les refpects de ceux
qui l'avoient le plus outragé , un tel Miniſtre
mérite quelques ménagemens. M. la Cretelle
a raifon de regarder comme le plus grand
des crimes celui de prolonger & d'éternifer
par l'éducation l'enfance des Rois ; &, il a
fait fur ce fujet une phraſe à retenir , mais
il n'a pas affez examiné fi elle devoit être
appliquée au Cardinal Mazarin , & fi au
contraire ce Roi diftingué entre tous les Rois
par le talent de régner , ne devoit pas en
partie ce talent aux leçons & aux exemples
de Mazarin.
La fourberie , dont on ne peut le laver ,
étoit fon défaut , & non pas fon feul talent ,
comme le dit M. la Cretelle avec trop d'exagération.
Quand tout eft dit fur ces deux Miniftres ,
( Richelieu & Mazarin ) dont on a tant
parlé , dont on parlera tant encore , il faut
en revenir à ce que M. de Voltaire en a
dit dans la Henriade , c'eft - là l'éternelle
vérité.
Richelieu , Mazarin , Miniftres immortels ,
Jufqu'au trône élevés de l'ombre des autels ,
Enfans de la Fortune & de la Politique ,
Marcheront à grands pas au pouvoir defpotique.
Richelieu , grand , fublime , implacable ennemi ;
Mazarin , fouple , adroit & dangereux ami ;
L'un fuyant avec art & cédant à l'orage ,
DE FRANCE. 159
L'autre aux ficts irrités oppofant fon courage ,
Des Princes de mon fang ennemis déclarés ,
Tous deux haïs du peuple & tous deux admirés ;
Enfin , par leurs efforts ou par leur induftrie ,
Utiles à leurs Rois , cruels à la Patrie.
ל כ
Revenons à Montaufier. Le moment où
il mène le Dauphin dans des chaumières
n'étoit pas de nature à être négligé par des
Crateurs fenfibles . M. Garat amène ce morceau
d'une manière fupérieure , à la fuite
d'un autre où il examine le parti qu'on peut
tirer du féjour même de la Cour pour l'education
des Princes. Il fe fait cette objection :
" Eft-ce à la Cour que le Prince pourra
s'attendrir à l'aspect des malheureux qu'il
doit foulager ? Il répond : Ne croyons
" point que Montaufier.... ait voulu éloigner
de l'Héritier d'un grand Empire les
leçons facrées de la pitié. Mais penfe-
" t-on que les malheureux foient fi éloignés
d'une Cour ? Ah ! le plus puiffant
Monarque n'en eft féparé fouvent que par
l'enceinte des Courtifans qui les lui cachent
: ils environnent fon palais , & on
» les repouffe; fi les louanges de la flatterie
» & les chants de la volupté fe taifoient un
» inftant , les gémiffemens & les cris du
>> malheur porteroient la douleur & l'effroi
» autour des trônes . »
"""
"3
"
33
97
"
Il peint enfuite le contrafte du luxe de
quelques hommes , & de la misère de tous.
« C'eft , dit- il , l'impreffion de ce contrafte
66
160 MERCURE
» qui a infpiré les plus grandes penſées aux
» hommes de génie , & les plus grands def-
» feins aux hommes d'État. Elle a renversé
» & élevé des Gouvernemens ..... Elle fait
» verfer des larmes à un jeune homme , à
» l'aîné des Gracques , qui traverſe les canr-
" pagnes de l'Italie ; & Rome , déjà cor-
" rompue , efpère revoir encore la fainteté
» de fes premières inftitutions. Si , dans tous
" les pays & dans tous les fiècles elle n'avoit
pas tourmenté certaines ames , les
» droits du genre humain feroient dès long-
» temps perdus , & il ne refteroit plus fur
» la terre que les crimes des tyrans & les
" malheurs des efclaves. >>
Voilà par quelle fuperbe route M. Garat
nous fait paffer du palais de Verſailles aux
chaumières ; mais pour le refte du tableau ,
c'eft dans M. la Cretelle qu'il faut le voir ,
c'eft lui qui en a été le plus fortement ému.
" Ils fortent un jour de ces magnifiques
jardins de Verfailles , que les Arts vien-
» nent de créer pour l'orgueil du Roi , &
qui femblent une victoire de fa puiffance
» fur la nature même.... Ils apperçoivent
2
23
و
des chaumières : elles couvrent l'étendue
» du Royaume ; les palais y brillent de loin
» en loin , & encore les chaumières les
preffent- elles de tous côtés . Ah ! qui peur ,
» dit le Prince , habiter ces triftes & dégoû-
» tantes demeures ? Monfeigneur , en-
» trez , & vous allez le favoir. Alors , à l'afpect
de ces murs délabrés , de ces meubles
29
DE FRANCE. 161
» vils & groffiers , de cette chétive nourri-
» ture du pauvre qui manque fouvent à fes
» befoins , de cette famille defféchée par
» le travail & la faim , le Gouverneur
» s'écrie : Voyez , Monfeigneur , c'est fous
» ce chaume , c'est dans cette miferable re-
» traite que logent le père , la mère , les
enfans , qui travaillent fans ceffe pour
» payer Por dont vos palais font ornés , &
» qui meurent de faim pour fubvenir aux frais
» de votre table. Son ame , profondément
bleffée de tout ce défordre moral des
grandes fociétés , de ce contrafte de l'ex-
» trême opulence & des befoins extrêmes ,
» ne peut plus contenir fa douleur. Il la ré
»
ود
"
وو
"
pand toute entière dans ce jeune coeur ,
» que tant d'objets déchirans ouvrent à la
» pitié ; & dans une fainte indignation , il
» lui parle des avantages attachés à fon
» rang , comme d'une forte de crime dont
» il avertit fa confcience. Ah ! ce n'eft pas
» avec d'induftrieux ménagemens , c'eft avec
» cette énergie qu'il faut parler aux Rois de
» leurs dettes envers les peuples . Que cette
» terrible vérité retentiffe encore une fois à
leurs oreilles fuperbes & délicates ! qu'elle
aille troubler la fauffe joie des Cours, &
» férrir toute leur pompe ! Je leur adreffe
» ici , au nom de tous les malheureux , ces
» belles paroles. »
33
>
Ici l'Auteur répète les paroles de M. de
Montaufier ; & on ne peut lui favoir trop
de gré de cette répétition , hafardée peut162
MERCURE
être , mais éloquente , qu'une profonde ſen
fibilité a pu feule lui infpirer.
On peut comparer encore les deux rivaux,
les deux amis dans plufieurs grands
morceaux correfpondans , tels que celui où
la pefte ravage le Gouvernement de M. de
Montaufier , celui où Montaufier eſt mis en
parallèle avec Turenne au fujet de l'embrâ
fement du Palatinat , & du refus que fie
Montaufier de prêter fon Ministère à une
pareille violence; celui enfin où Montaufier
eft fait Gouverneur du Dauphin. M. la Cretelle
nous paroît fupérieur daus le premier
tableau , par le rapprochement heureux des
Éloges de Mde de Montaufier & de l'Évêque
de Marfeille ( M. de Belfunce ) unis avec
l'éloge de Montaufier. M. Garat nous paroît
reprendre toute fa fupériorité dans le paral
lèle de Montaufier & de Turenne , & les
deux Orateurs nous paroiffent à peu - près
égaux ; c'est - à- dire , tous deux excellens dans
le troisième tableau.
Ils nous paroiffent encore à peu près égaux
dans deux morceaux bien importans : l'un
eft la peinture de la lutte perpétuelle de
Montaufier contre le vice , qui , pour s'infinuer
dans l'ame du jeune Dauphin , emprunte
toutes fortes de formes , & corrompt
jufqu'à l'ingénuité dé l'enfance ; l'autre eft
le moment de cette conjuration univerfelle
des courtifans qui accufent Montaufier
de mettre en danger la fanté du Dauphin par
l'excès du travail & la continuité des exerDE
FRANCE. 163
eices , & le jugement que Louis XIV prononce
entre fes Courtilans & le Gouverneut
de fon fils.
IIº.
M. de Voltaire , en comparant Racine &
Pradon , a obfervé que c'étoit lorfqu'ils difoient
les mêmes chofes qu'ils étoient le
plus différens l'un de l'autre ; on peut obfer
ver au contraire que M. Garat & M. la Cretelle
ne font peut-être jamais plus femblables
l'un à l'autre , plus faits pour mesurer
leurs forces & l'étendue de leurs reffources ,
que lorfqu'ils font oppofés l'un à l'autre ,
& qu'ils foutiennent des opinions contraires.
Nous n'en citerons qu'un exemple. Les deux
Orateurs examinent fi l'Héritier du Trône
doit être élevé à la Cour; ils fe partagent
fur cette grande queftion .
$
" Cet Enfant qui doit régner , dit M. la
» Cretelle , eft élevé au milieu de la Cour
» Sa foibleffe repofe dans un berceau ; mais
» ce berceau eft déjà entouré d'adorations ;
V
39
c'eft le trône de fon enfance. Perfonne ,
après le Souverain , n'eſt ſervi avec plus
» d'appareil , & ne reçoit plus d'hommages.
» Il marche , on fe profterne ; il bégaie
quelques mots , on écoute avec respect ;
» il fe fâche , on tremble ; il pleure , on diroir
» que l'ordre du monde eft interrompu.
On veut l'inftruire ; mais qu'auroit - il à
" apprendre ? Eft- il un enfant ? Eft il un
» homme? N'eft- il pas un Diou ? On ofe
164 MERCURE
"3
"
quelquefois lui parler de fes devoirs ;
mais tout ce qui l'environne ne lui retrace
» que fes droits & fa puiffance . Rois ! c'eft
» ainfi que l'étiquette des Cours a réglé l'inf-
» truction de votre jeuneffe ! Peuples , c'eſt
» ainfi que l'on forme vos Maîtres......
و د
-"
ود
༢
Quelle doit donc être l'éducation de
» l'Héritier du Trône ? Celle d'un homme
d'abord , enfuite celle d'un Roi. Il faut
qu'il paffe par tous les événemens qui
» peuvent lui donner des idées faines , des
fentimens humains ; qui peuvent exercer
fon courage , développer fon génie , af-
» fermir fa vertu. Tirez- le donc de la Cour;
tranſportez - le dans une folitude ; environ-
» nez- le de la misère publique , & non de
la magnificence du Trône ; cachez - lui ,
» s'il fe peut , fa naiffance ; privez - le de
» tout ce qui pourroit lui être dangereux ,
" même des careffes & de l'amour de fa
"
famille il n'eft pas né pour elle , mais
» pour un Empire. Il viendra un temps où
» vous pourrez l'amener à la Cour , lui dé-
» voiler fon rang , lui en faire véritablement
comprendre & les devoirs & les dangers ,
» & lui bien perfuader que ni la nature ni
» la raifon n'ont établi que l'on pourroit
» gouverner les hommcs fans des talens ,
» fans des vertus .
"
» Dans le temps de Montaufier , on ne
connoilfoit pas encore ces vérités , qui
» font aujourd'hui dans tous les bons efprits
; & il ne les apperçut pas lui- même :
"
ور
DE FRANCE. 165
♦ c'eſt un véritable malheur. Il les eût preſentées
, n'en doutons point , à Louis XIV
» lui - même , c'est-à- dire , au Roi le plus
jaloux de la majefté du Trône , & elles
» auroient de plus cette grande autorité. »
*
M. Garat ajoute ce que M. la Cretelle
auroit dû dire , peut-être : « Et l'on cût vu
l'exemple mémorable pour l'Univers , d'un
Prince fortant de la Cour de Louis XIV ,
» pour apprendre à régner.
"
»
و و
"3
"
Mais comme M. Garat n'adopte point ces
idées ; il ajoute :
N'y auroit - il donc aucun avantage à
» élever un enfant près du Trône même où
» il doit régner un jour , & un homme du
caractère de Montaufier ne pourroit- il
" faire tourner à l'inftruction de fon Élève
» tout ce qu'un pareil fejour peut avoir de
dangereux & de funefte ? L'ame d'un
» jeune homme ne peut- elle pas s'agrandir ?
» fes idées ne peuvent - elles pas s'élever &
» s'étendre au milieu de tous ces objets
qui lui parlent fans ceffe de la grandeur
» des deſtinées qui l'attendent , & de l'éten-
» due des devoirs qui lui font impofés ?
" Tandis qu'on lui fera chercher dans l'Hif-
" toire le tableau des Règnes & des Em-
» pires , faudra- il détourner fes regards de
l'exemple d'un règne qui paffe fous fes
» yeux , & dont il peut contempler les évé-
» nemens du pied du Trône même qui les
difpenfe ? Quelles inftructions plus touchantes
& plus perfuafives que celles
"3
و ر
و د
و د
166 MERCURÉ
qu'on reçoit de la gloire ou des malheurs
» d'un père ! ..... Dans ces palais ſuperbes ,
où tout femblera vouloir lui faire oublier
22
"
qu'il eft homme , il fentira , ou il verra
» plus d'une fois que fi les Princes font
exempts des befoins de la nature , ils ne
» le font pas de fes maux; & cette leçon ,
» la feule qu'on ait permis à la nature de
» leur donner, doit avoir bien plus de force
» auprès d'un Trône. »
"
Voilà la queſtion parfaitement traitée , &
le Lecteur eft à préfent en état de prononcer
, ou plutôt de reconnoître qu'il ne faut
pas prononcer légèrement fur un point fi
délicat . M. la Cretelle avoit l'avantage d'une
opinion , appuyée de toute la faveur de la
philofophie moderne , & il l'a bien fait
valoiril falloit que M. Garat trouvât des
raifons en faveur d'un ufage qui n'en avoit
point d'autres , peut-être , que la routine ,
& il y a réutfi .
III°.
Enfin , il y a des parties du fujet qui ont
échappé à l'un des deux Orateurs , ou qui
n'ont été qu'entrevues par l'un & que l'autre
a traitées à fond . Ici , M. la Cretelle nous
paroît plus riche que M. Garat ; il a traité
avec liberté , avec convenance , avec adreſſe
l'article de l'abjuration de Montauber , dont
M. Garat n'a point parlé ; il a préſenté un
tableau plus complet de la tendreffe mutuelle
de M. de Montaufier & de Julie d'Ana
DE FRANCE. 167
gennes ; il a mieux peint auffi l'hôtel de
Rambouiller , il a rapporte , avec toutes les
réflexions convenables , la Lettre de M. de
Montaufier fur la Prife de Philisbourg ; article
entièrement omis par M. Garat . Il a
fait enfin un parallèle d'Henri IV & de
Louis XIV , qui n'est point dans M. Garat ,
& qui n'étoit pas peut- être abſolument effentiel
au fujet , mais qui eft trop beau pour
que nous ne le rapportions pas ici .
39
" Combien le bon Henri fut plus grand
dans la fimplicité & la familiarité de fes
» moeurs ! il ne voyoit dans fes premiers
» Sujets que les anciens compagnons de fes
» victoires , & toutes les expreffions de
l'amitié fortoient continuellement de fa
bouche & de fon coeur.... Louis parut
» dédaigner l'exemple de la popularité de
fon aïeul. Ce Roi , chéri entre tous les
» autres comme le meilleur ami du peuple ,
le portoit vraiment dans fon coeur; on
» s'afluroit d'un bon accueil en lui en parlant
; il le cherchoit toujours au milieu
» de fes fêtes , & dans les jours de bonheur ,
39
par fa bonté attirante & paternelle , il
» relevoit l'humanité de cette dégradation
» où l'avoit fait romber la tyrannie féodale.
Louis renouvela , en quelque forte , ce
crime de la barbarie par l'orgueil de fa
magnificence. Toute cette grandeur dont
il marchoit environné , toute cette infle-
> xible dignité de fon maintien fembloient
» dire au peuple : Adore , mais n'approche
168
MERCURE
39
.
pas. Je le remarque avec douleur , mais
je dois à l'humanité d'exprimer cette
plainte , jamais il n'a reçu lui - même la
prière du pauvre , jamais il n'a adreffé une
parole à un homme du peuple.
و د
Nous ne pouvons nous refufer le plaifir
d'orner encore cet extrait du morceau où
M. la Cretelle répréſente Montaufier amoureux.
Il connut l'Amour , & l'Amour fervit à
" fa gloire , & même à la vertu. Ne croyez
» pas qu'il amolliffe les ames fortes , il ne
" fait que les adoucir , & fouvent il les
"9
و ر
و ر
ود
99
و و
perfectionne. Malheur aux grands carac-
» tères dans qui l'Amour n'eft pas venu dé-
» truire cette première roideur , qui eſt un
» excès , un danger , un écart ! il faut que
» l'homme fonde fa fageffe fur fa nature ;
il faut qu'il laiffe attendrir fon coeur ,
qu'il y éprouve des combats , des douleurs
, des foibleffes ; il faut qu'il en triomphe
; mais il faut autfi qu'il les ait con-
» nues. Il y a des vertus , ainfi que des talens,
que l'Amour feul peut nous donner ;
» mais quel noble & doux triomphe pour
» la beauté de régner fur ces grands courages
, d'entrer pour quelque chofe dans
» leurs généreux deffeins , de les douer de
» l'heureux don des Grâces , & de mettre
fa foibleffe fous la protection de tant de
fierté , de puiffance & de gloire !»
M. Garat , de fon côté , a rapporté quelques
traits qu'on ne trouve point dans M. la
Cretelle ,
"D
و و
23 22
DE FRANCE. 169
Cretelle , comme le mot de Louis XIV à
M. de Montaufier , qui lui annonçoit des
revers que les Courtifans cherchoient à lui
diffimuler : Monfieur de Montaufier , je vous
entends , mais je fais quel coeur vous avez
pour moi.
Mais c'eft fur-tout dans les réflexions, qu'il
faut chercher ce que M. Garat a de propre
& de caractériſtique ; elles font prefque toujours
diftinguées par la réunion de l'éclat &
de la profondeur. Telles font celles où il expofe
la manière dont la Cour d'un Monarque
devroit être compofée ( p. 11 & p. 18. )
Si des hommes du caractère de Montau-
» fier , dit - il , environnoient toujours les
Trônes , on ne trouveroit point dans la
Vie des Princes de ces fcandales qui for-
» cent l'Hiftoire à devenir fecrète & clan-
» deftine , qui l'obligent , pour ainfi dire ,
à fe cacher elle -même ; elle , dont la fonc-
» tion & le devoir eft de tout révéler.
ور
23
ور
Mais le fuprême mérite de M. Garat eſt
d'avoir fu finir par le morceau le plus penfé
de tout fon Difcours , & qui contient les
leçons les plus utiles pour fon fiècle.
Montaulier mourut dans un âge très- avancé
, fans avoir vu fa faveur fe déinentir.
Il est donc vrai que quelquefois au
moins on peut terminer l'éloge d'un grand
» Homme fans parler de fes malheurs &
» des triomphes de l'injuftice ! presque tous
» les hommages que l'eloquence a rendus
dans ce Lycée aux hommes qui ont ho
Sam. 22 Septembre 1781. H
170 MERCURE
و د
و د
و د
ود
» noré la Patrie , ont fini par des larmes
répandues fur leur deftinée. On a vu
» l'Hôpital & Sully terminant leurs jours
» dans la retraite & dans la difgrâce ; Def-
» cartes fuyant la perfécution de pays eir
» pays , & ne trouvant d'afyle que dans nn
» tombeau élevé fur une terre étrangère ;
Fénelon pratiquant fes dernières vertus ,
exilé d'une Cour où il avoit toujouts
» adouci la vérité par les grâces de fon
génie ; & Montaufier , qui n'a jamais rien
" ôté à la vérité de ce qu'elle a de terrible
» pour les méchans , termine dans une Cour
» fa longue carrière , pleine d'honneurs &
» de profpérités. O fpectacle encourageant
» pour l'homme de bien ! ...... L'Éloge de
Montaufier eft encore celai de Louis
» XIV..... En voyant dans la Vie de Mon-
" taufier le refpect de ce Monarque pour la
» vérité , le Cenfeur le plus fevère de fa
2 renommée oferoit - il effacer le titre de
» Grand de fa ftatue ? Ah ! les vertus qu'il
encouragea dans Montaufier feroient encore
plus néceffaires de nos jours , & on
» ne les a point vu reparoître .... Les Arts
» & le Génie ne peuvent fauver de fa déca-
» dence une Nation où les caractères s'affoi-
و د
ور
ور
ور
و ر
ور
و ر
bliffent. Eh ! que de Peuples on voit dans
» l'Hiftoire , retombant dans la barbarie des
» moeurs , éclairés encore de toutes leurs
lumières ! Nous ne voulons plus que des
qualités qui nous rendent aimables ; mais
n'oublions point que les vertus douces
"
ور
"
2
DE FRANCE. THI
23
33
» font les dernières qui paroiffent dans les
" Sociétés , & qu'elles touchent à l epoque
» de la corruption & de la honte des Peu-
» ples. Rappelons - nous que c'est dans les
fiècles de l'héroïfine , au milieu des victoires
, & dans les temps où les ames
» étoient vraies , parce qu'elles étoient for-
" tes , que le François a mérité la réputa-
» tion du peuple le plus aimable de l'Eu-
» rope ; & fi nous ne voulons pas perdre
» cette réputation , difons- nous fans cetle
» que pour conferver inême nos grâces , il
» faut conferver nos vertus ; & que fi le
» talent de plaire peut fuffire à un homme
privé , une Nation , pour être aimable ,
doit encore avoir de la grandeur. »
ود
و د
Après nous être livrés au plaifir d'admirer
de telles beautés , prendrons nous la trifle
diligence du Cenfeur & la pédanterie du Journalifte
, pour dire à M. li Cretelle que fi les
négligences & les familiarités de Boffuet
réufliffent quelquefois par le contraſte , fouvent
auffi c'eft malgré ces défauts qu'il réuflit ,
& qu'on doit toujours craindre de mettre
contre foi ces fautes faciles à fentir , faciles
à relever , & dont les fots font d'autant plus
de bruit que leur goût & leurs lumières ne
s'étendent que juſques là ? Prendrons nous la
liberté d'avertir M. Garat d'éviter le retour
un peu trop fréquent d'une même forme
d'exclamation : que ce courage eft rare ! que
fes regrets font touchans ! que fa douleur eft
longue & profonde ! qu'il faudroit peu con-
Hij
172 MERCURE
noutre la vertu ! qu'il mérita bien ce nom !
que la France eût été heureuſe ! que cettefcène
étoit digne d'être offerte ! qu'elle commençoit
dignement, cette éducation ! qu'elle étoit propre
à fonder l'Empire du Gouverneur ! ..... &c.
L'avertirons nous encore d'avoir le petit
foin d'éviter la fréquence des hiatus , furtout
de ceux qui font formés par le redoublement
de la même voyelle , & fur- tout
de la lettre A ? « Mazarin a apporté de
» l'Italie , &c. Il leur paroîtra afpirer , &c.
» Il a aſſez de grandeur , &c. Cet homme
» qu'on a accusé d'être dur , &c. La poſté-
» rité ne lui a accordé, &c. »
Il eft clair que quand on eft forcé de s'arrêter
à de ſemblables minuties , on n'a pas
de véritables fautes à relever.
Nous ne devons point oublier de dire
que deux Anonymes ont fourni le fecond
Prix que l'Académie regrettoit de n'avoir
point à donner au Difcours de M. la Cretelle.
DE FRANCE. 173
CATHÉCHISME fur les Morts apparentes ,
dites Afphyxies , ou Inftruction fur les
manières decombattre les différentes eſpèces
de Morts apparentes , par demandes & par
réponfes , fondéefur l'expérience , & mife
à la portée du Peuple; imprimé & publiépar
ordre du Gouvernement , par M. Gardanne ,
Docteur en Médecine. Vol. in- 8 °. A Paris ,
chez Valade , rue des Noyers , 1781.
*
RENDONS hommage au Citoyen qui préfide
à la Police de cette Capitale ; c'eſt à lui
qu'on eft redevable de l'idée de cet Ouvrage ,
ainfi que d'une multitude d'établiſſemens
dont l'influence s'étendra peu - à- peu`juſqu'aux
extrémités du Royaume , & qui même
pénètrent déjà chez les Nations étrangères .
Après avoir mérité , dans le Tribunal où il
fiégeoit dès fa première jeuneffe , la réputation
du premier Criminalifte de France , il
veut fe fignaler encore dans un Ministère
tour différent , & beaucoup plus difficile.
Chargé de veiller fur un million d'hommes
parmi lesquels fermentent toutes les paffions
, tous les vices , tous les élémens du
défordre , il s'occupe nuit & jour à y main-
* En 1779 , l'Impératrice- Reine fit demander à
M. le Noir , Lieutenant - Général de Police , an
détail des Etabliffemens de la Ville de Paris. On
peut confulter l'Ouvrage qui eft imprimé fous ce
titre , & qui a paru l'année dernière,
Hiij
174 MERCURE
tenir l'harmonie & la fecurité ; * on le voit
defcendre dans les plus minutieux détails
des affaires fans rien perdre des vues élevées
& profondes de l'homme d'État, les ingrats
qu'il multiplie chaque jour , loin d'endurcir
fon coeur ,femblent lui donner une nouvelle
activité pour le bien ; au moindre accident
on le voit voler où fa préfence peut ajouter
au zèle de ceux qu'il affocie à les travaux :
rien ne lui eft indifférent , fi ce n'est peutêtre
fon intérêt perfonnel ; & en ce point ,
nous ne craignons pas d'être contredits par
aucun de ceux qui font à portée d'obferver
de près le défintéreflement & l'inépuifable
bonté de ce Magiftrat. C'eft fous fes aufpices
que paroît l'Ouvrage dont nous allons rendre
compte. Il ne doit pas être rangé dans l'ordre
des Livres d'agrément ou de limple Litté
rature , qui n'intéreffent qu'un petit nombre
d'hommes ; il eft fait pour le pauvre comme
pour le riche , pour l'ignorant comme pour le
favant , pour toutes les claffes d'individus qui
compofent le Public. L'Auteur a jugé convenable
de lui donner la forme du dialogue
ou d'un catéchifine , parce que cette manière
d'inftruire le grave plus aifément dans la
mémoire. Les demandes & les réponses ,
* Les Ouvrages fouterrains qu'il fait exécuter dans
l'étendue des quartiers S. Marceau , S. Jacques ,
S. Germain & fous les grandes routes qui y aboutiffent
, formeront un monument digne de l'ancienne
Rome.
DE FRANCE. 175
obferve M. Gardane , m'ont facilité le moyen
de me faire des queftions expreffement pour le
peuple. " Je me fuis interdit les détails de
"""
ود
théorie ; & quand ils m'ont paru indifpenfablement
néceffaires , je les ai renvoyé
aux notes , fans oublier de les mettre,
» à la portée de tout le monde. Sur toutes
» chofes je me fuis attaché à décrire les pré-
» cautions qu'il falloit prendre , tant pour
connoître les lieux infectés par les moffetes,
que pour en retirer ceux qui s'en
» trouvent incommodés ; l'expérience ap-
» prenant tous les jours que le plus grand
» nombre des perfonnes tombées en afphy-
» xie , ne devoient ce malheur qu'à l'igno-
» rance ou à l'excès d'un zèle imprudent. »
02
و ر
L'Auteur diftingue les caufes de l'Afphyxie
fuivant l'ordre des faifons où l'on a coutume
de les obferver. Ainsi , le printemps
étant la faifon où l'on remue le plus fouvent
les terres , foit pour bâtir , foit pour faire
des excavations , foit pour creufer des puits
& des foffes , ou pour les nétoyer , il a cru
devoir placer dans cette partie de l'année ,
l'Afphyxie provenant de ces fortes d'agens
méphyriques.
On fe baigne en été , il tonne , on étouffe
dans les manufactures à feu , les fours , les
verreries , les étuves , les calles des vaiffeaux
, les églifes , les falles de fpectacle ,
les hôpitaux , les prifons , & même en plein
air , à certaines heures du jour ; il étoit donc
également naturel de placer dans ces trois
Hiv
176 MERCURE
mois de l'année les morts apparentes qui
proviennent de ces cauſes.
Il en eft de même à l'égard de l'automne ,
faifon des fruits , des récoltes , des vendanges
& de la plus grande partie des fubftances
qui entrent en fermentation pour reproduire
l'Afphyxie.
Enfin , l'on chaffe en hiver , & l'on s'enferme
, on brûle du charbon de toute efpèce
, où la néceffité fait endurer les plus
grands froids ; la mort apparente naît de
ces deux agens , quoiqu'oppofés ; c'étoit donc
encore fous les trois derniers mois de l'année
qu'il convenoit de ranger les funeftes effets
de l'Afphyxie.
Rien de plus fimple que ces diviſions. Les
Curés dans leurs prones pourroient en offrir
le tableau au peuple , où l'afficher pendant
le cours de chaque faifon , ce feroit fans
doute un moyen très efficace de prévenir un
grand nombre d'accidens . On y joindroit la
manière de traiter cette maladie , qui fe réduit
à éloigner d'abord l'Afphyxié de la moffete
; à le dépouiller auffi tôt de fes vêtemens ;
à le chauffer, fi fa mort apparente vient d'une
immerfion, dans un liquide quelconque ; à le
rafraîchir s'il a été furpris par un air méphy:
tique , & fur toute chofe , à ne point remplir
fa bouche d'un liquide fuperflu ; à le
tranfporter dans un air libre & pur , à le
bien nétoyer des odeurs qui pourroient conferver
l'odeur méphytique , à fouffler de
l'air dans les narines , à jeter de l'eau fraîche
DE FRANCE. 177
fur tout le corps , & principalement fur le
vifage , à , le rapprocher enfuite du feu par
gradation , à fe garantir foi même , par les
précautions les plus foigneufes , du danger
de partager fon accident lorfqu'on a été à
fon fecours , fans avoir détruit la vapeur qui
l'avoit fait périr.
Afin de mettre le Public a portée d'apprécier
le mérite & l'importance du travail
de M. Gardanne , nous allons en tranfcrire
un morceau pris à l'ouverture du Livre.
Afphyxies caufees par la combuftion des
corps , tels que le charbon ordinaire , la
braife , le charbon de terre , la tourbe , &
même par le trop grandfeu.
Demande. Quels font les fecours contre ces
fortes d'Afphyxies ?
Réponse . Ce genre d'Afphyxie , ainfi que
toutes celles que produifent les moffetes en général
, doit être combattu par des moyens rafraîchiffans
; ce qui differe effentiellement du traitement
des noyés , qu'il faut réchauffer fans ceffe . Cependant
comme on a vu que les perfonnes noyées dans
l'eau chaude , le vin & autres liquides femblables ,
ne devoient pas être autant réchauffées que celles
qui fe noient dans l'eau froide ; de même il y a
telles moffettes dont l'effet ne doit pas être combattu
par un traitement abfolument rafraichiffant.
Ces modifications feront indiquées en traitant de
chaque moffete en particulier.
D. Y a t-il des précautions à prendre en fecourant
les perfonnes frappées par la vapeur du
charbon ?
Hv
178 MERCURE
R. Pour le moins autant qu'en allant au fecours
des noyés. Vous en jugerez par le terrible exemple
du Boulanger de Chartres , qui perdit fes deux
fils , fa femme & fa fervante dans une cave où il
avoit imprudemment entaffé de la braife de fon
four. Deux de fes voifins y périrent encore , pour
avoir été imprudemment au fecours de ces infortu
nés. Une circonftance remarquable , c'eſt que la
fervante , retirée de la cave par le moyen d'un croc ,
refpira quand elle fut en plein air ; mais on la faigna
tout de fuite , & elle mourut fur la place.
D. Indiquez-moi ces précautions le plus tôt
poffible ?
R Vous avez déjà vu celles qu'en général il
eft néceffaire de prendre pour toutes les moffetes .
Une chofe qu'il faut bien retenir , c'eſt qu'indépendamment
du renouvellement de l'air par le moyen
d'un brafier allumé , on doit encore alors en changer
la nature en répandant de l'eau chaude ou
froide ; l'eau étant le véritable pécifique contre les
moffetes . C'eft pourquoi fi c'eft dans une chambre
que la moffete s'eft formée , n'y entrez pour en ou
vrir les portes & les fenêtres , & y établir un courant
d'air , qu'en tenant en main ún arrofoir ou un
broc plein d'eau , avec lequel vous la répandrez par
le moyen d'une espèce de goupillon .
D. Mais fi l'accident arrive dans une cave ou
dans quelqu'autre lien profond ?
R. Si ce lieu ne renferme pas des matières combustibles
, après y avoir donné entrée à l'air extérieur
par le plus d'ouvertures qu'il fera poffible d'y
pratiquer , defcendez - y un brafier al'umé , & mettezy
de l'eau en évaporation dans des vaiffeaux larges
d'ouverture , ou inondez - le d'eau froide . Ce n'eft
pas autrement que l'on vint à bout de détruire la
vapeur meurtrière de la cave de Chartres.
Ce moyen eſt encore celui que linventeur des
DE FRANCE. 1-9
poêles hydrauliques emploie , en plaçant au- deffus
du pole un vale d'eau qui s'évaporant fans cele
balance & détruit l'effet de la vapeur du charbon. *
D Après avoir chaffé ou détruit la vapeur du
cha bon de l'endroit profond qu'elle infectoit , peuton
y defcendre impunément ?
R. Non ; vous devez encore prendre les mefures
indiquées au Chapitre III pour les moffetes en
général , de peur que la moffete ne foit pas encore
abfolument détruire . Un homme périt dans la cave
de Chartres quind en la croyoit définfectée.
D. Cela étant , fi l'on ne pouvoit pas détruire
affez promptement la moffete , il faudroit donc
laiffer périr la perfonne qui en a été frappée fans
aller à fon fecours ?
* A propos de ces poëles hydrauliques , il eft néceffaire
de prévenir que la chaleur humide qui réfalte de
# cette manière de chauffer les appartemeas , n'eſt pas faine ,
& peut donner lieu à des affections fcorbutiques , furtout
parmi les enfans . On prévient ce fâcheux effet , en
pofant fur un carreau des fenêtres un petit ventilateur de
fer-blanc , & fur- tout en mêlant quelques cuillerées de
vinaigre à l'eau échauffée par le poële . Ce n'eſt pas non
plus fans danger que l'on chauffe les bains avec le cylindre ,
& qu'on place de la braiſe fous la table. C'eſt par cette
caufe que le Marchand & la Marchande de Modes de la
rue S. Honoré , à la Corbeille galante , périrent il y a
quelques années , & qu'au Séminaire de S Magloire ,
M. l'Abbé Briquet de la Vaux , fut également frappé
d'Afphyxie . La braife , mife fou la table , produit le
même effet.
On fe garantit d'accidens , dans le premier cas , en conduifant
à l'air libre la vapeur du cylindre , par un tuyau en
forme d'entornoir; & dans le ccond , en mettant un
petit vafe plein d'eap & de vinaigre fur le feu.
Hvj
180 MERCURE
R. Sans doute ; & ce parti , quoique violent ,
eft préférable , par la raifon qu'il vaut mieux ne perdre
qu'un feul homme que d'en perdre plufieurs.
Dans cette cruelle néceffité , on auroit recours à
P'usage du croc pour l'en retirer , & l'on continueroit
les moyens de détruire la moffete , jufqu'à ce qu'ils
euffent eu leur entier effet .
D. Quels font ceux de rappeler à la vie un
Afphyxié par la vapeur du charbon ?
R. Une fois que vous l'avez retiré du lieu méphitique
, il faut l'en éloigner le plus que vous pourrez
, le dégager avec promptitude de fes hardes ,
jarretières , col , & l'ayant mis entièrement à nud ,
le bien laver avec de l'eau & du vinaigre , & l'affeoir
fur une chaife en plein air , la tête foutenue
dans fa pofition naturelle , de manière que le corps
ne puiffe vaciller . Enfuite vous l'envelopperez d'un
drap exactement fixé fous le menton , comme un
linge à barbe , & vous répandrez de l'eau fraîche
fur ce linge. Sur toutes chofes ayez l'attention de
lui jeter avec force & fans relâche de l'eau trèsfroide
fur le vifage , principalement fous le nez ,
ce que vous executerez commodément avec un
verre ordinaire.
D. Faut -il continuer cette opération pendant
long-temps ?
R. Jufqu'à ce que vous apperceviez quelques
gnes de vie , ce qui n'arrive quelquefois qu'après
plufieurs heures . Afin de ne pas interrompre ce
fecours , ayez toujours à vos cô és des feaux pleins
d'eau fraîche , que d'autres affiftans auront foin de
remplir à mesure que ce fluide fera prêt à manquer
, & faites-vous remplacer dans cette opération
pour qu'elle puiffe être pratiquée long- temps fans interrup
ion & avec vigueur .
D. Quels font les premiers fignes auxquels on
connoît que l'Afphyxié revient à la vie ?
DE FRANCE. 181
R. Les fignes de ce retour font d'abord de
petits hoquets , le ferrement & le fifflement des narrines.
A mefure que les hoquets fe fuccèdent , le
ferrement des dents & des mâchoires augmente , &
alors le malade rejette de temps en temps par la
boache des glaires épaiffes & ecumeufes , quelquefois
même il vomit des matières noires ; enfin ce
vomiffement eft fuivi plus ou moins tard d'un
tremblement univerfel , qui eft l'avant- coureur du
retour de la refpiration.
D. A cette époque faut-il continuer de jeter de
l'eau froide au vifage de l'Afphyxié ?
R. Non : dans ces premiers momens , quand vous
Vous appercevrez des hoquets , & que l'Afphyxié
aura la bouche entr'ouverte profitez au plus tôt
de ces changemens pour placer entre fes dents de
perits morceaux de bois tendre arrondis , de liége
ou de racine de réglife , afiu d'empêcher que fes .
mâchoires ne fe refferrent avec plus de force ,
comme la chofe ne manqueroit pas d'arriver fans
cette précaution . En même temps mettez quelques
grains de fel de cuifine fur fa langue , & introduifez
dans fes nartines des mèches de papier roulé , imbibé
d'alkali volatil.
Ce n'eft qu'après avoir exécuté promptement
toutes ces chofes que vous reprendrez le plus tôt
poffible la projection de l'eau froide au vilage , pour
la continuer jufqu'à ce que le malade ait donné des
preuves de connoiffance , qu'il ait pouffé des cris ,
& qu'il commence à articuler quelques mots.
DA cette époque , les accidens font-ils entiè
rement diffipés ?
R. Non quand la parole eft revenue , l'Afphyzié
eft prefque dans le délire , il a les yeux ouverts ,
faillans , & ne diftingue aucun objet . Le retour de
la connoiffance fuit d'affez près cet état , qui n'eft
pour ainfi dire que momentané. Alors le malade fe
182 MERCURE
plaint d'une douleur à la nuque & d'un treffaillement
de coeur qui rend fon pouls intermittent , ou
bien d'un grand froid répandu fur fa perfonne , qui
reffemble affez à celui des fièvres d'accès . Ce fioid
eft remplacé par la chaleur , accompagnée d'un
affoupiffement plus ou moins confidérable , & ſuivie
d'une foibleffe & d'un accab'ement de tout le corps,
toujours relatif à la violence de l'attaque & au tempérament
du mlade.
D. Que faut- il faire contre ces nouveaux fymptômes
?
R. Ceffez de jeter de l'eau au vifage , & à
mefure que la connoiffance fubfillera & fe fortifiera
, tranfportez le malate dans un lit légèrement
balné , & effayez le avec des ferviettes chaudes.
Enfuite vous vous ferez aider par une autre perfonne,
dont une lui frictionnera le corps, & l'autre , les
extrémités , en mettant fous fon nez de l'efprit volatil
tammoniacal , & lui faifant avaler quelques cuillerées
de la potion fuivante : Prenez eau-de -vie , fix
cuillerées à bouche , alkali volatil , trente gouttes,
Donnez de cette potion par cuillerée à café , à un
demi-quart- d'heure de diftance d'une cuillerée à
T'autre.
D. Faut-il que la chambre foit chaude & fermée ?
R. Gardez vous en bien ; au contraire ayez grand
foin d'entretenir un courant d'air days la chambre
du malade , afin que fon rétabliment foit durable..
Confultez d'ailleurs le traitement de ceux qui fost
revents d'Alphyxie , indiqué à la fin de cet Ouvrage.
D. Si malgré tous ces foins l'Afphyxié venoit à
retomber dans fon premier état , que faudroit il
faire?
R Vous recommenceriez la projection de l'eau
froide , & vous la continuerez , comme je l'ai déjà
prefait
DE
183
FRANCE.
C'eft ainsi que M. Gardanne a traité toutes
les parties de fon fajet. Plus jaloux d'être
utile que d'étaler un lavoir , faftueux , ou
des mots fcientifiques , il ne paroit jamais
avoir d'autre but que de mettre fa doctrine
à la portée du commun des hommes ; de
diffiper leurs erreurs , de les prémunir contre
les dangers auxquels ils s'expofent , & d'offrir
les moyens de les en delivrer lorſqu'ils
font devenus les victimes de leur imprudence.
Afin d'infpirer plus de confiance à fes
Lecteurs , il leur indique les fources dans
lefquelles il a puifé fes leçons , & fait connoître
ce qu'on doit de reconnoiffance à
P'Académie , qui s'eft occupée de cette matière
avec le plus grand zèle , ainfi que MM.
Pia , Morand , Vicq d'Azir , Maret , de
Villiers , Parmentier , Laborie , &c. & furrout
M. Cadet de Veaux , en faveur de qui
Sa Majesté vient de créer la place d'Infpecteur
- Général des objets de Salubrité pour la
Généralité de Paris.
Pour faciliter l'acquifition de ce Catéchifme
, & empêcher qu'on n'y introduife
des erreurs en le contrefaifant , le Sieur
Valade l'offre au prix modique de 12 fols.
Il prévient les perfonnes charitables qu'il les
paffera à un plus bas prix , fi l'on en prend
une douzaine d'exemplaires à la fois.
184
MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Si les Nouveautés ne font pas fréquentes
à ce Théâtre , les remifes des anciens Ouvrages
ne font pas rares. Les Comédiens
aiment mieux remuer leur ancien répertoire
que de chercher à l'enrichir de quelques
Pièces nouvelles. Une telle conduite peut
avoir des motifs ; il eft naturel de le croire,
& prudent de ne le pas examiner. La remile
de l'École des Amis , Comédie de la
Chauffée en vers & en cinq Actes , n'a pas
fait une grande fenfation . Le but moral de
cet Ouvrage eft affez bien apperçu , mais la
marche en eft trifte & lente , & tous les
caractères ne font pas bien failis. Il y a du
comique dans les rôles de Dornane &
d'Aramont , deux amis comme on en voit
tant :
L'un d'eux n'eft qu'un bon homme ardent, officieux,
Qui tracaffe & qui veut toujours être de fête ;
L'autre n'a que du fafte & du vent dans la tête.
Le véritable ami , le modèle de l'amitié eft
parfaitement deffiné dans le perfonnage
d'Arifte. Celui - ci ne parle point ; il agit , il
fert , il rétablit les affaires de Monrofe ,
que l'imprudence & l'indifcrétion des deux
DE FRANCE. 185.
premiers avoient dérangées prefque fans reffource
; il follicite fous fon propre nom les
grâces que fon ami n'a pu obtenir , mais
c'eft pour les lui remettre ; enfin il lui rend
fa fortune , le bonheur & fa maîtreffe . Les caractères
de Monrofe & d'Hortenfe font un
peu romanefques , ainsi que les fituations
dans lefquelles l'Auteur les a places . Ce
défaut eft celui qu'on reproche à la Chauffee
le plus généralement & avec le plus de
raifon.
Cette Comédie a été jouée avec foin. M.
Molé a mis du pathétique dans le rôle de
Monrofe ; M. Vanhove, beaucoup de vérité
dans celui d'Arifte. Le perfonnage de Dornane
a été rendu fort agréablement par M.
Fleury , dont le talent pour la Comédie prend
chaque jour un nouvel eflor. Le rôle d'Ara
mont eft un des plus avantageux qu'il y aitau
Théâtre ; il a été joué par Monfieur Defeffarts.
De vieux Amateurs que nous aimons
à confulter , nous ont affuré que ce rôle commença
autrefois la réputation du Comédien
Fierville , qui le rendoit d'une manière fupérieure.
*
186 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
LE 2 Septembre on a donné pour la première
fois , Richard, Parodie de Richard III,
Tragédie.
Le merite de ce petit Ouvrage , que nous
devons à la plume de M. Parifau , feroit plus
vivement fenti , fi la Tragedic qui en a fourni
le fujet étoit plus connue par les repréſentations
, ou bien fi elle étoit imprimée . Les bornes
qui nous font prefcrites ne nous permettent
pas d'en citer tout ce que nous pourrions
y trouver d'agréable pour nos Lecteurs . Nous
nous contenterons de leur offrir une partie de
la Scène où Richard refte feul , après avoir été
raillé par Richmond , qui s'eft fair reconnoître
: & quelque chofe du dénouement.
Demandez - moi
Pourquoi ,
Pourquoi Richmond m'échappe ;
Mais fur-tout en ce danger- ci ,
Pourquoi j'ofe refter ici ,
AIR: Je fais un Luron.
Je m'en fuis douté :
Parfembleu , je rafte
Pour être agité
Des fureurs d'Orefte ;
Car
J'ai déjà la migraine fort.
Et j'aurai le tranſport.
DE FRANCE. 187
AIR: Trifle Raifon.
Raiſun , qu'eſt- tu ? Je fens foiblir la nôtres
Ah! loin de nous un regret mal- adroit ;
En la perdant , je pers bien moins qu'un autre ;
Un autre auffi perd bien moins qu'il ne croit.
La mienne eft éclipfée tout- à- fair: effayons
de lier deux idées enfemble . ( avec emphafe. ) '
La gloire eft unjour parforti du ſein des ombres. *
Ah ! c'en eft fait , je ne fais plus ce que je dis.
AIR: Ne v'la- t'il pas que j'aime.
En ce châtiment mérité ,
Oh ! faveur imprévue !
J'apperçois la postérité ,
Très- peu de gens l'ont vue .
AIR: Ma Grand'mère étoit peinte.
L'un m'y livre aux pleurs , aux fanglos
Dans une Tragédie.
Affublé d'airs & de grelots ,
L'autre me parodie ;
Mon oeil qui confond
Tragique & bouffon ,
Eft d'une perfidie ,
Qu'à peine je peux
Diftinguer des deux
Quelle eft la Parodie .
* Vers de la Tragédie de Richard III.
188
MERCURE
Il n'eft guères poffible de trouver dans
nos anciennes Parodies une Scène plus piquante
& plus comique. Une idée fort originale
eft celle du Deffinateur , qui vient fe
placer fur le devant du Théâtre , pour faire
un croquis de la fituation où Élifabeth eft
fur le point d'être poignardée par un Soldat
de Richard.
AIR: De Rémonde.
L'attitude me feconde ;
Le beau groupe , il eſt complet ;
Et pour peu que j'y répʊnde …………….
Richmond paroit à la tête de fes Soldats ,
& fe prépare à fondre fur les Troupes de
Richard. Le Deſſinateur , troublé , continue
fur le même air.
Milord ! Milord ! s'il vous plaît !
Ne dérangez pas le monde ,
Laiffez chacun comme il eft.
RICHMOND.
"
AIR: Vaudeville du Maréchal.
Cher ami , ne t'alarme pas ;
Ton art a pour moi des appas ; 6
Mais l'attitude n'eft pas neuve ,
Et tu pourras la retrouver, & c.
Certe Parodie fait beaucoup d'honneur à
l'efprit de M. Parifau. Prefque tous les couplets
font bien faits , coupés avec infiniment
DE FRANCE. 189
d'adreffe , terminés par des idées fines ,
& portant avec elles des épigrammes relatives
aux défauts de la Pièce parodiée . Nous
croyons que M. Parifau annonce affez de
connoiffance du Théâtre , pour que nous
ayons le droit de l'engager à mériter des fuccès
plus dignes d'un homme de Lettres , par
des Ouvrages d'imagination.
Au Mercure prochain les autres articles
de ce Spectacle.
VARIÉTÉ S.
M. D'ALEMBERT ayant envoyé au Roi de Pruffe ,
de la part de l'Auteur , une excellente Pièce de Vers
Latins fur la Mort de l'Impératrice- Reine , compofée
par M. Luce , Bourfier du Collège de Louisle
-Grand , ce Prince a chargé M. d'Alembert de
remettre de ſa part au jeune Écolier une gratification ,
pour l'aider & l'encourager dans fes Études. Ainfi le
grand Frédéric, qui a appelé dans fon Académie plufeurs
Étrangers du plus grand mérite , & qui depuis
près de trente années honore d'une penfion M. d'Alembert
, dont il a été le premier & long- temps le
feul Bienfaiteur , protège & favorife les Lettres &
les Sciences au- dedans & au-dehors de fes États , &
ne dédaigne pas même d'animer les talens naiffans
qui fe diftinguent ailleurs que chez lui.
M. Luce a étudié cette année au Collège de Louisle-
Grand , fous M. Selis , Profeffeur de Seconde au
même Collége , excellent Littérateur , connu par des
Ouvrages eftimés , & non moins recommandable
par Les qualités perfonnelles que par fes talens.
190 MERCURE
GRAVURES.
LA Fête du Saint - Sacrement , la Fête de -
Saint- Louis Prix , 3 liv. chacune . Ces deux fajets
font partie de la fuite des fêtes de l'année deffinées
par M. Cochin pour le Miffel de la Chapelle Royale
de Verfailles ; ils font gravés avec foin par M. Lucien
, & le trouvent à Paris , chez Chéreau , rue des
Mathurins , au coin de celle de Sorbonne.
Le pain des Anges , le pain des hommes. Prix ,
2 liv . chacune. Ces denx fujets allégoriques au Sacrement
de l'Euchariftie font aufli partie de la fuite
des Fêtes de l'année deffinées par M. Cochin pour
le Millel de la Chapelle Royale de Versailles ; ils
font très-bien gravés par Mde Lingée , & le trouvent
chez elle , rue S. Thomas , Porte S. Jacques ,
maifon de M. Prevoft.
La Mécanique appliquée aux Arts , aux Manufactures
, à l'Agriculture & à la Guerre , Ouvrage
orné de cent vingt Planches , par M. Berthelot , Ingénieur-
Mécanicien du Roi, Tome I , in - 4 : A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Saintonge au Marais , &
Demonville , rue Chriftine .
M. Berthelor eft déjà connu très avantageufement
du Public ; c'eft à lui qu'on doit l'invention
des nouveaux affuts de canon qui ant été adoptés
dans toutes les Villes de guerre & fur les Ports
de France , adoption qui prouve la fupériorité des
talens de ce Mécanicien ; les objets décrits dans ce
Volume font diverfes espèces de Moulins , de Grues,
de Machines propres à piloter , à fcier le bois & les
pierres , des Martinets , des Soufflets pour les forges
& fourneaux , &c. objets qui ont pour but des
DE FRANCE. 191
travaux ufuels. Les Artiftes & ceux qui font à la
tête de grands établiffemens trouveront dans cet
Ouvrage non- feulement des modèles de machines ,
mais des idées propres à en confìruite d'autres par
l'application des principes de l'Auteur.
RECUEI
MUSIQUE.
ECUEIL d'Airs , avec accompagnement de
Violon & Guittare , par M Delaunay, Amateur,
Prix , 3 liv. A Paris , chez la Veuve de la Gardette ,
rue du Roule , & aux adrelles ordinaires.
Premier Recueil de fix Duos pour deux Violons
compofés pour des Commençans , par Prot Chamin ,
de la Comédie Françoile , OEuvre III. Prix , 6 liv.
A Paris , chez Maillard , rue Geoffroy- l'Angevin ,
maiſon neuve de M. Caffier , & chez Bérault , près
l'ancienne Comédie Françoife , ainfi qu'aux adreffes
ordinaires.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LETRES ETRES du Chevalier de Saint- Alme & de Ma
demoiselle Melcourt , par Mlle de *** , Volume
in 12. A Paris , chez Delormel , Eſprit & la Veuve
Duchefne , Libraires.
Lettre de M l'Évêque de Saint - Omer au Clergé
de fon Diocèfe fur les Études ecclefiaftiques , in- 4°.
A Paris , chez Simon , Imprimeur - Libraire, rue
Mignon.
Effai fur l'Apocalipfe , ou Explication littérale &
hiftorique de la Révélation de l'Apôtre Saint Jean ,
avec des Remarques fur le Systême de M. Paftorini,
192
MERCURE
2 Volumes in - 12 . Prix , 4 liv. broché. A Paris , chez
Durand, Libraire , rue Galande.
Lettre d'un Médecin de la Faculté de Paris à
un Médecin du Collège de Londres , Ouvrage dans
lequel on prouve contre M. Mefmer que le magnétifme
animal n'existe pas , Brochure in - 8 ° . Prix ,
livre 4 fols. A Paris , chez Jombert l'aîné , Libraire
, rue Dauphine.
Réflexions fur le Corps de la Maréchauffée , adreffées
en forme de Lettre à l'Auteur intitulé : Défenſe
du Systême de la Guerre , où , après avoir réfuté les
idées de cet Auteur , concernant l'établiffement &
l'emploi des Troupes pendant la Paix , on examine
s'il feroit expédient de fupprimer la Ma : échauffée ,
pour confier le maintien de l'ordre public à nos
Régimens , Volume in- 8 °. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
TABLE.
AMde la Marquife de Coi- Comédie Françoife ,
VEERS de Confolarion d'une parentes , dites Aſphyxies ,
Veuve à une Veuve, 145
173
184
148 Comédie Italienne 186
189
190
191
152 Annonces Littéraires ibid.
gny ,
Enigme & Logogryphe
, 150 Variétés
Eloges de Charles de Sainte- Gravures ,
Maure , Duc de Montau- Mufique ,
fier ,
Cathéchifmefur les Morts ap
APPROBATION.
J'AI lu par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Sept. Je n'y ai
rica trouvé qui puiffe en empêcher l'impreflion. A Paris,
le 21 Sept. 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 SEPTEMBRE 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HOMME ET LE TEMPS .
Fable.
N raconte qu'un homme appeloit à grands cris
Le Temps , ce vieillard indocile.
Le Temps enfin parur ; & qui fut bien furpris ?
Ce fut notre homme : eh bien ! je viens en ton aſyle
Dit le vieillard , favoir ce que tu yeux de moi ;
Tu fatigues le Ciel par tes cris , & pourquoi ?
Pourquoi ? répondit- il , la demande eft plaiſante ;
Tu n'es jamais , felon mes voeux ,
Que trop long ou trep court : je languis dans l'attente
D'une fortune très -brillante ,
Et qui pourra me rendre heureux .
Je te demande , ô Temes impitoyable !
Que jufqu'à mon bonheur précipitint ton cours ,
Sam. 19 Semptembre 1781 .
I
194
MERCURE
Rapidement tu paffes fur les jours
Qui retardent encore cet inftant agréable,
Mais je t'implore vainement ,
Sourd à ma voix , à ma prière ,
Il femble que dans la carrière
Tu marches au contraire un peu plus lentement,
Je ris de ton extravagance ,
Répliqua le vieillard , que me demandes- tu ?
A peine de ces biens tu feras revêtu ,
Que la mort avec infolence
Viendra trancher tes jours ; elle compte mes pas ;
Si ten nombre eft complet , tu n'échapperas pas .
Crois-moi , l'ami , fais mieux ; du Temps apprends à
vivre.
eftpeu de momens qu'on ne puiffe égayer.
Jouis , fans defirer le moment qui va fuivre ,
Incertain fi le Ciel veut t'en gratifier ,
LON rencontre fouvent l'homme de cette Fable ;
Je vois chaque jour ſon femblable ,
Et je crois que le monde eft plein
De ces gens qui toujours vont defirant demain :
Arrivés à demain , ils en veulent un autre .
Croyant dans l'avenir trouver un meilleur fort ,
Ils voudroient abréger le temps que fuit la mort ,
La mort qu'ils craignent tous. Quelle erreur eft la
vôtre ,
Morrels inconfequens ! un feul plaifir préfent
Vaut mieux que mille en efpérance ;
DE FRANCE. 19F
Le premier eft à vous incontestablement ,
Les autres n'y font pas , voilà la différence :
Peut- être même , hélas ! n'y feront- ils jamais :
Vivez fans y compter , pour mourir fans regrets.
(Par M. le Comte de la Rodde. )
LES AFFICHES
Conte , imité de l'Allemand.
ON fonnoit la première Meſſe au Couvent
de..... Quoi ! déjà fept heures
s'écria Louiſe ! .... & il n'eft pas encore
venn ! elle ne favoit plus à quoi s'occuper ;
le déjeûner étoit prêt. Elle veut fe mettre à
fon filet , l'inquiétude enchaîne fes doigts.
Elle quitte l'Ouvrage , prend un Livre.....
mais ce ne font tout au plus que des caractères
qui fe peignent à fes regards.
On devine que Louife aimoit. Elle attendoit
Dorval , qui étoit arrivé la veille à minuit
d'un voyage de quelques femaines.
Dorval a coutume de venir déjeûner avec
Louife & fa mère , & il ne paroît pas aujourd'hui.
Toute autre que Louiſe auroit
trompé le temps à l'aide de fon miroir. On
auroit tâché d'être bien jolie ; depuis que
Dorval étoit parti , on ne l'avoit pas été.
Pour qui développera t'on fes charmes , fi
ce n'eft pour fon amant ? C'eft ainfi que la
vanité auroit un peu calmé les impatiences
I ij
196 MERCURE
de l'Amour. Mais Louife n'eft point vaine ;
elle eft belle & fimple comme une rofe qui
s'entrouvre aux premiers rayons du jour.
Mais quel obftacle retient Dorval ? La
fatigue feroit- elle la caufe de ce retard ? Le
voyage étoit long ; il ne s'eft peut- être pas
affez ménagé en revenant vers fa Louife.
Louife fentoit comme elle fe feroit hâtée à fa
place. Mais il eft temps de faire connoître
Dorval à nos Lecteurs,
Ses parens , qui n'étoient pas riches , lui
firent prendre une profeffion contraire à fes
goûts ; il avoit fuivi le barrean ; mais à leur
mort , ayant quitté la ville , pour diminuer
fes befoins , il chercha à la campagne un
afyle où il pût fe livrer à fon amour pour le
repos, Il le trouva dans la maifon de Mde
Dumouffeau , mère de Louife , qui s'étoit
retirée dans un village , fe difant veuve d'un
Officier mort à l'Armée .
A peine fut- il entré dans cette paisible ha
bitation , qu'il gagna l'eftime de tout le
monde. L'amitié fuivit l'eftime de près ; &
bientôt vous cuficz dit que c'étoit le fils de
Mde Dumouffeau & le frère de Louife.
L'amour du repos n'étoit pas le feul motif
qui l'avoit exilé de la ville. Des chagrins de
coeur avoient eu encore plus de part à cette
réfolution . Dorval avoit déjà aimé ; mais ,
trompé , facrifié à la richeffo , il s'étoit bien
promis de ne plus s'expofer à être le jouet
du caprice & la victime de l'intérêt . Le premier
& l'unique objet qui avoit enchaîné
DE FRANCE. 197
fon coeur , l'amour le lui avoit préfenté
comme l'ornement de fon fexe ; en le perdant
, il étoit naturel qu'il abjurât pour toujours
l'amour de ce fexe qu'il ne pouvoit
plus eftimer.
Il porta dans fa retraite un coeur ulcéré
par la haine & le reffentiment , un coeur qui
fe fentoit né pour l'Amour , & qui fe voyoit
forcé d'y renoncer. Cependant , au milieu
de fa folitude , abandonné comme à luimême
, il promenoit avec regret fes yeux
fur le paffe , il s'étonnoit du vuide de fon
coeur ; il fentoit bien qu'il manquoit quelque
chofe à fa tranquillité. Il avoit été trompé ,
& peut-être n'ofoit - il s'avouer , qu'il voudroit
bien encore s'expofer à l'être. Mon
reffentiment eft jufte , s'écrioit il ; je dois
hair , je dois fuir à jamais ce fexe perfide ;
mais il ne pouvoit étouffer une voix fecrète
qui lui difoit : il eft encore , il eft des coeurs
vertueux , capables d'aimer & dignes d'être
aimés. Il en venoit quelquefois jufqu'à pardonner
à l'objet qui l'avoit trahi . Il ne s'en
prenoit qu'à la féduction , & il commençoit
à excufer un fexe trop foible par lui- même,
& expofé encore à mille dangers .
Le temps n'étoit pas la feule caufe de fon
indulgence ; les charmes ingénus de la jeune
Louife y avoient beaucoup plus contribué.
Les vertus aimables de Mde Dumouſſeau
l'avoient confolé ; elles avoient diffipé fon
chagrin , & la candeur & la beauté de fa
fille avoient ramené dans fon coeur le defir &
I iij
198 MERCURE
l'espoir d'être heureux . Mde Dumouſſeau
avoit vu naître cette inclination ; & fon
coeur y avoit applaudi. De jour en jour celui
de Dorval fembloit s'épanouir davantage .
Chacun des charmes que l'âge ou l'éducation
faifoient éclore chez la tendre Louife , étoit
pour lui un nouveau lien qui l'attachoit plus
fortement. Si l'expérience & le malheur n'avoient
pu défendre Dorval contre l'Amour ,
quelles armes pouvoit lui oppoſer la jeune
& fenfible Louife ? Ce coeur naïf étoit peu
propre à diflimuler fes fentimens . Elle les
laiffà voir avant de s'en être apperçue ellemême.
Que dis -je ? Elle fembla venir audevant
de Dorval avec toute la fécurité de
fon innocence , & lui apporta fon coeur
avec une naïveté fi franche , que ce feul
trait auroit touché Dorval , fût-il demeuré
infenfible jufqu'alors.
Enfin , cet amant fortuné ne foupire plus
qu'après le moment qui doit mettre le comble
à fon bonheur. L'amour , l'amour feul
occupe tout fon efprit , remplit toute fon
ame. Il ne penfe , il ne refpire que pour fa
Louife . Rien ne manque à fon bonheur que
le plaifir d'être tout à elle. Un événement
inattendu vint confirmer fon efpérance ; c'eft
la mort d'une vieille tante , que le hafard
avoit enrichie depuis peu par un fort héritage
, & dont enfin Dorval alloit hériter à
fon tour. Il étoit parti pour aller recueillir
cette fucceffion . Le voilà de retour !.... & il
ne paroît point !
DE FRANCE. 199
Tandis que la tendre Louife fe livre aux
plus triftes idées , un bruit fe fait entendre ;
on defcend.... Ah ! le voilà ! - Non , ce
n'eft pas lui ; il voleroit .... c'est le lourd
Philippe , fon valet ! .... n'importe , entrez ,
Philippe. Votre maître n'eft donc pas encore
levé ? Il ne s'eft pas encore couché.
Comment ? Pendant toute la nuit il
a....que fais-je , tout ce qu'il a fair ! il a
foupiré, pleuré; il s'eft mis à écrire , il a tout
déchiré , il a ouvert la fenêtre , l'a refermée....
Il s'eft tordu les mains , s'eft promene,
s'eft affis , s'eft agité fur fa chaife..... Voila
tout ce qu'il a fait jufqu'au jour. Alors il
m'a dit d'avertir Mde votre mère qu'il defiroit
lui parler en particulier ; elle étoit
fortie , & je viens voir fi elle est revenue.
-
Mais , Philippe.... ô ciel ! ....- Depuis
quinze jours il eft de même.
Quel coup de foudre pour la tendre
Louife ! voilà donc le fuccès d'un voyage ,
d'où ils avoient attendu tout leur bonheur .
Elle continue d'interroger Philippe ; mais
pendant le féjour de Dorval à Wefel ( c'eftlà
qu'il devoit recueillir fa fucceflion ) Philippe
avoit été abfent plufieurs jours. A fon
retour , il avoit trouvé fon maître enfermé ,
feul , livré à la plus fombre trifteffe ; & qui
ne lui avoit parlé que pour lui donner fon
congé .... on n'avoit plus de pain à lui donner.
A ce récit , l'infortunée Louiſe demeure
comme anéantie .... Que lui eft - il donc arrivé
?.... Par quel accident ? .... Qu'il m'ex-
I iv
200 MERCURE
plique ce mystère , je veux le voir , lui patler
, à l'heure même.... ou je meurs.... Philippe
eft obligé de monter , & de prier Dorval
de defcendre.
Il revient.... Dorval ne peut fe tendre
auprès d'elle .... Il efpère qu'elle voudra bien
le lui pardonner. Mde Dumouffeau arrive.
Louife éperdue fe jette dans fes bras en fanglotant....
Il ne peut venir me parler , s'écriet'elle.
Cette bonne mère reſte immobile d'effroi.
Elle cherche à interpréter cet événement.
Son imagination alarmée lui préſente les
images les plus finiftres . Elle fe jette dans
les bras de fa fille , la preffe contre fon fein ,
& lui dit , du ton le plus trifte : c'eft moi ,
Louife , c'eft moi qui ai fait ton malheur.
Me pardonneras tu , ma fille ?
Ce difcours fut un nouveau coup de foudre
pour le tendre coeur de Louife. Ma fille ,
continua Mde Dumouffeau , il faut enfin
vous révéler des fecrets que j'ai cru devoir
vous cacher pour ne pas affliger votre tendreffe.
La violence de mes parens , qui vouloient
me faire époufer un jeune homme
indigne d'eux & de moi , m'a rendue coupable
& malheureufe . J'allai me jeter
dans les bras d'un Officier qui étoit en quartier
d'hiver à Wefel , qui m'avoit parlé
d'amour , & qui avoit fu me rendre fenfible .
Il me donna le titre de fon époufe . Mais
hélas ! ce coeur que j'avois cru digne de mon
amour , n'avoit brûlé que pour ma fortune.
DE FRANCE. 201
Il s'étoit datté de fe réconcilier avec mes parens
par l'entremife de fes fupérieurs . Mais
quand il vit fon eſpoir déçu par l'infléxibilité
de mon père , qui me déshérita , & qui
fit paifer en mourant tous fes biens au jeune
homme qu'il avoit voulu unir à mon fort ,
mon cruel époux ne cacha plus fes fentimens
fous une fauffe tendrelle ; le dégoût
fuivit le repentir ; la haine s'y joignit bientôt;
enfin il eut l'injuftice & la cruauté d'armer
la calomnie contre mon innocence ; le
menfonge parla plus haut que la vérité; mes
juges furent trompés , peut -être féduits ;
un divorce déshonorant fut le prix du plus
tendre amour; je quittai Wefel pour me réfugier
ici fous un nom fuppofé. C'eſt à
Wefel que Dorval vient de paifer trois femaines
; il y a fans doute appris mon hiftoire
; ainfi , ma fille , ce font mes fautes
& mes malheurs qui t'ont perdue malgré
moi.
Les craintes de Mde Dumouffeau ne paroiffoient
que trop fondées. La calomnie qui
l'avoit fait condamner avoit pu la poursuivre
encore ; & la conduite étrange de Dorval
étoit fans doute une fuite de l'indignation &
du mépris qu'il avoit conçus. Louife étoit
prête à fuccomber à fa douleur ; elle ne put
foutenir l'idée de perdre à jamais l'unique
objet de fon amour , un amant qui étoir
tout pour elle. Dans ce profond accablement
la raifon n'avoit aucun empire fur fon
coeur ; il étoit fermé à toute efpèce de con-
I'v
202
MERCURE
folation .... Étoit -il poffible de fe repréfenter
l'image d'un avenir fans Dorval ? ... Il entre
enfin ; voit fa Louife éperdue , mourant
... L'amour le fait tomber à fes pieds.
Il preffe fes mains de fes mains tremblantes;
un trouble fubit s'empare de fon âme. L'amour
, le défefpoir l'agitent tour à tour ; &
la vûe de ce qu'il aime lui rend l'idée de le
perdre mille fois plus accablante.
Louife revient à elle ; elle fixe fes yeux
languiffans fur ceux de Dorval .... Un rayon
confolateur pénètre dans fon âme .... elle fent
qu'elle vit encore..... mais peut- être , hélas !
pour détefter la vie , pour pleurer fon
amant.... Qui pourroit donc les défunir ?....
L'hiftoire malheureufe de fa mère fe retrace
alors à fon fouvenir.... Mais quand tout feroit
conforme à la vérité , Dorval devroitil
l'en aimer moins ? Elle jugeoit d'après fon
coeur.... la calomnie , l'infortune n'auroient
rien pu fur elle .... fur fon amour. Pénétrée
de ce fentiment , elle jette fur lui un regard
d'attendriffement & d'amertume , & s'éloigne
en pleurant , fans qu'il faffe le moindre
effort pour la retenir.
Voilà Dorval feul avec Mde Dumouffeau.
Ils demeurent tous deux dans le plus profond
filence , & à peine ofent- ils fe regarder. L'infortunée
mère de Louife attendoit en tremblant
que Dorval l'accablât de reproches.
Le temords & la honte l'avoient tourmentée
long - temp ; mais jamais elle n'avoit
fouffert ce qu'elle fouffroit alors ; & la
DE FRANCE. 104
crainte ne caufoit pas moins d'agitation
dans fon coeur que n'en avoit caute dans
celui de Louife le défelpoir de l'amour.
Qu'on juge de fa furprife lorfque Dorval
, après avoir recueilli fes efprits , vola
dans fes bras avec toute la tendreffe filiale
qu'il avoit coutume de lui témoigner , & au
milieu de fes fanglots verfa dans fon fein le
fecret fatal qu'il craignoit de dévoiler.
Dans les derniers jours de mon féjour à
Wefel , lui dit-il , je me fuis occupé à examiner
les papiers de la défunte , fur lef
quels je n'avois pas encore jeté les yeux. J'en
a trouvé un qui renverfe tout l'édifice du
bonheur que l'amour avoit élevé. C'eft une
lettre du parent dont ma tante avoit hérité ;
elle eft adreffée à elle - même. Par cette fatale
lettre , il lui prefcrit de faire des recherches
fur une famille qu'il a , dit - il , dépouillée de
fes biens ; & fi elle exifte encore , il ordonne
qu'on lui reftitue fa fortune. Je n'ai pu balancer
un inftant.... j'ai fait ce que vous auriez
fait à ma place , & malgré ….…. tout ce
qu'il va m'en coûter , j'ai fait avertir par les
Papiers Publics cette famille de venir prendre
poffeffion d'un bien fur lequel je n'ai
plus de prétentions.
De quel poids affreux Mde Dumouffeau
fe fentit foulagée à cette nouvelle ! la joie ,
l'admiration pour la nobleffe d'âme de ce
vertueux jeune homme , la crainte de le
perdre , lui qu'elle armoir comme fon fils
qui alloit le devenir ; ( car elle devoit nécef-
*
I vj
204
MERCURE
fairement lui accorder ce titre , fi elle vou
loit conferver fa chère Louife ) tous ces fentimens
réunis ne laiffent point de place à la
curiofité , & ne lui permettent point d'entrer
avec Dorval dans de plus grands détails.
Elle eft trop effrayée du trifte parti qu'il veut
prendre. Le deffein de Dorval étoit de ſe
défaire du peu de bien qui lui reftoit , &
d'entrer au Service étranger. Elle mit tout
en ufage pour l'en détourner ; mais que
pouvoit elle lui dire que l'amour ne lui eût
déjà dit , & à quoi la raifon n'eût déjà répondu
?
Dans l'espérance flatteufe de cette fucceffion
, Dorval avoit moins ménagé fon
bien. Quelques créanciers le preffoient vivement.
D'ailleurs , foit éloignement pour les
anciennes occupations , éloignement qu'aug
mentoit encore l'obstination avec laquelle
il s'étoit oppofé au zèle de fes amis & de
fes protecteurs , foit méfiance de ſes talens ,
tout lui perfuadoit qu'il n'avoit plus rien à
prétendre dans fa patrie , & qu'il ne s'y
produiroit jamais avec avantage.
Cependant , Mde Dumouffeau s'étoit
hâtée d'aller tout apprendre à fa fille ; &
au plus douloureux effroi avoit fuccédé le
plus tendre intérêt . Louiſe n'avoit jamais
penfé ce qu'elle fentoit alors , qu'elle pouvoit
encore armer davantage fon cher Dorval....
Mais hélas !.... fon malheur étoit trop
grand pour qu'elle pût croire à quelque
moyen d'y remédier. Elle connoiffoit DorDE
FRANCE. 205
>
val , & favoit ce qu'elle en devoit attendre;
auffi ne vouloit-elle pas le voir. Elle pleuroit
fon malheur en fe couvrant le vifage
de fes mains , lorfque Dorval , après avoir
tout arrangé pour fon départ , entra chez
elle.... Quel moment ! qu'on fe figure ces
deux amans , s'aimant plus que jamais
muets , fe tenant embraffes comme dans un
inftant qui concentroit toute l'éternité de
leur amour. Ils me fe parloient que par leurs
foupirs & par leurs larmes , lorfque la mère
entra fubitement , tenant en main une affiche
& une lettre du feul de fes amis de
Wefel , qui fût fa retraite & fes malheurs.
Avez - vous jamais vu fur le rivage une
mère dans les bras de laquelle on remet fon
enfant qu'elle croyoit enfeveli fous les flots ?
Telle repréfentez - vous la mère de Louife .
Dorval , lifez , s'écrie-t'elle , lifez : - C'eſt .
l'avis à la famille dont je vous ai parlé. - Eh
bien.... Dorval ! Louife ! mes enfans ! Dieu ! ....
nous fommes ces héritiers .....
Finiffez cette fcène , âmes capables de la
bien fentir.
( Par M. Friedel , Profeffeur des Pages
du Roi en furvivance. )
206 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Goupillon ; celui
du Logogryphe eft Verfailles , où le trouvent
ver , livre , re , la , fi , air , felle , rêve ,
vrai , ris , fel & Ifle.
ÉNIGM E.
UN fage ingénieux m'éleva des aurels ;
Son coeur difcret m'adoroit en filence .
Aujourd'hui d'entre les mortels.
On me chaffe avec arrogance.
Dans les Couvens on me croit exilé ,
Avec Frère Hippocondre , auprès de Soeur Difcrète.
Quelle erreur ! dans ces lieux mon ennemi fêté
Veille fans ceffe à me rompre la tête.
·
Les Sots toujours , les Savans quelquefois ,
Gagnent à fuivre mes lois.
Et pour me faire mieux connoître;
Car je hais les longs difcours ,
Si près de moi paroît un petit maître ,
Je me retire pour toujours.
Par M. Verninac. )
※
DE FRANCE. 207
JE
LOGOGRYPHE.
E ne fuis pas facile à deviner ,
Tant j'ai l'encolure hypocrite.
Il est pourtant bon de me défigner ;
Car je n'ai point d'autre mérite
Que de tromper les gens ,
En leur prodiguant de l'encens.
Mais le plus fage me méprile.
Ma première moitié préfente , de l'Églife
Le Chef Souverain ;
Je mange l'autre avec mon pain.
( Par M. Benoit , de Dourdan. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
*
Drame
CLEMENTINE & DÉSORMES ,
en cinq Actes & en profe , par M. Monvel.
A Paris , chez la Veuve Ducheſne , Libraire
, rue S. Jacques.
CEE
Drame , comme nous l'avons dit , a
eu beaucoup de fuccès , c'eſt à- dire , qu'il a
été fort applaudi aux repréſentations. Le
* On alloit imprimer cet Article, quand des raiſons
particulières s'y font oppofées. Après avoir donné
aux circonftances ce qu'elles exigeoient , on le publie
parce qu'on s'y eft engagé & parce que la caufe du
goût en a fair un devoir.
1
208 MERCURE
"
Peuple des Spectateurs,blâfé fur les Ouvrages
raifonnables , a beſoin , pour être ému , de ren
contrer des fituations violentes , des tableaux
bien douloureux , bien cruels . Ace Spectacle,
fon goût endormi fe réveille ; les fecoulies
qu'il éprouve foutiennent fon attention ; &
il appelle intérêt l'effroi que lui caufent les
Scènes révoltantes qu'on fait paffer ſous les
yeux. C'eſt à cette difpofition du plus grand
nombre des efprits qu'il faut attribuer le
fuccès des Ouvrages de ce genre qu'on a
repréfentés depuis quelque temps. Nous en
connoiffons peu dont les divers incidens
portent avec eux un caractère d'horreur
aufli marqué que celui dont nous allons rendre
compte, & les détails dans lesquels nous
entrerons en fourniront la preuve.
ACTE PREMIER. " Déformes , Intendant de
M. de Sirvan , ouvre la Scène par un monologue
, dans lequel il fait connoître le deffein
qu'il a formé de fuir Clémentine. Julie , Gouvernante
de celle - ci , vient l'inviter à fe rendre
chez la maîtreffe , que le chagrin accable.
M. de Sirvan , fon père , a réſiſté à fon défefpoir
& à fes larmes. Il veut abfolument
qu'elle époufe un homme qu'elle ne connoît
pas. C'eft le fils d'un Préfident au Parlement
de Grenoble ; quant à fon nom ,
c'eft encore un myftère.Deformes, après cette
converfation, promet à Julie de voir Clémenrine
: la Gouvernante fort. Autre monologue
dans lequel Déformes apoftrophe fon père abfent
& lui reproche fon aveuglement pour une
DE FRANCE. 20
marâtre cruelle qui l'a voué au malheur. On
lui annonce deux Fermiers de M. de Sirvan ,
qui lui apportent une partie du prix de leurs
Baux. Il en reçoit le montant , leur en donne
quittance , & les congédie.Troisième monologue,
dans lequel il fe propofe de ne pas voir
Mlle de Sirvan, mais de lui écrire. Elle arrive
moment même. Scène entre les deux
amans, qui fait connoître en partie la fituation
& la naiffance de Déformes . Fils d'un homme
qui tient un état diftingué dans une des
premières villes du Royaume , il a été la victime
de la haine d'une belle- mère , & chaffé
de la maifon de fon père. Ayant appris ,
par des voies indirectes , qu'on vouloit attenter
à fa liberté , il a quitté fon pays , eft
arrivé au château de Sirvan , a vu Clémentine
, l'a aimée , s'eft fait préfenter chez
M. de Sirvan , & y a été reçu comme Intendant.
Là , il a vainement attendu une circonftance
qui lui permit d'afpirer à devenir
fon gendre. Les deux infortunés forment ,
en pleurant , le deffein de facrifier leur tendreffe
au devoir. Déformes refte encore
feul ; & dans un quatrième monologue , fe
propofe de remettre à Julie une lettre pour
Mlle de Sirvan , & de partir enfuite . Il entend
une chaife de pofte ; elle amène le
père de l'époux qu'on deftine à Clémentine ;
il prend une dernière réfolution , celle de
porter à fa caiffe l'argent qu'il vient de recevoir
, & d'en renvoyer la clef à M. de
Sirvan. Julie vient lui apprendre qu'il eft
210 'MERCURE
dans l'appartement que doit occuper M. le
Préfident qui vient d'arriver. A ces mots il
rejette dans un fecrétaire les facs dont il s'étoit
chargé , relève le bureau fans le fermer , y
laiffe la clef , remet fa lettre à Julie , & fe
retire. Un vieux Domeftique , nommé Saint-
Germain , attaché à Valville , fils de M. de
Sirvan , vient demander à Julie fi elle a vu
fon jeune maître. Son père le demande depuis
une heure , pour lui ordonner de monter
à cheval le lendemain à cinq heures , &
d'aller au devant de fon futur beau- frère
M. de Franval le fils..... Car , dit il , on fait
enfin lemom de cet époux fi long- temps inconnu.
Une affaire d'honneur l'obligeoit de
fe cacher , elle vient d'être accommodée , tour
myftère eft déformais inutile. Julie n'a point
vu Valville . Saint- Germain va fervir à table,
& Julie court auprès de fa maîtreffe. »
Avant de faire aucune obfervation fur cet
Acte , nous croyons devoir donner l'analyſe
du fecond.
" Dans la première Scène , Clémentine eft
en proie au plus affreux défeſpoir , fa raiſon
commence à s'égarer , fon amour pour Déformes
cft plus violent que jamais , & l'idée
de devenir la femme de M. de Franval lui
en eft plus infupportable. L'arrivée de M. de
Sirvan & de M. de Franval le père interrompt
fes plaintes ; le premier lui ordonne
de fe retirer ; M. de Franval , fatigué du
voyage , fe retire de fon côté pour aller fe
repofer , & M. de Sirvan , avant de fe rendre
à fon appartement , ordonne à Valville
DE FRANCE. 2.11
de partir le lendemain à cinq heures. Valville
, demeuré feul , eft apperçu par fon Domeftique
, qui lui témoigne fa furpriſe de le
trouver debout , & fi tard . Après plufieurs
questions , auxquelles il répond à peine , il
avoue qu'il a joué & perdu mille louis , dont
neuf cens fur la parole ; que fon joueur eft un
Officier étranger qui part à quatre heures du
matin , & qui attend fon argent à trois . Le
feul moyen qu'imagine Saint - Germain dans
une telle circonftance , eft de tout avouer à
M. de Sirvan. La dureté de celui - ci détourne
Valville de choifir ce parti. Dans un mouvement
douloureux , fa main touche involontairement
la clef du fecrétaire de Déformes
; il ouvre ce fecrétaire , voit les facs ,
les regarde avec avidité , referme le bureau
s'en éloigne , y revient , & finit par propofer
à fon Valet de l'aider à emporter l'argent
qu'il y a vu. Ami de Franval le fils , qui vient
d'hériter du bien de fa mère , il lui racontera
fon hiſtoire , & remplacera cette fomme fur
le champ. Saint- Germain fe récrie contre
une pareille horreur , remonte à fon maître
ce qu'une telle reffource a d'odieux , & fe
jette à fes genoux. La néceffité a endurci Valville
, il menace le vieux Domeftique de fe
tuer à fes yeux , il le charge de plufieurs facs ,
prend quelques rouleaux , & fort avec lui
en frémiffant. »ןכ
Les expofitions de nos Pièces modernes
font ordinairement marquées à deux défauts ;
elles font ou lentes ou forcées , & méritent
au moins l'un des deux reproches . Celle - ci
212 MERCURE
les mérite tous deux. 1. Ce n'eft qu'à la
feptième Scène du premier Acte que Dé
formes fait réellement connoître fa fituation ,
fon état , fes malheurs ; ce n'eft qu'à ce mo
ment que Clémentine fait auffi connoître fa
réfolution d'immoler fa tendreffe à la volonté
de fon père , & que le Spectateur eft
inftruit de ce qui doit , au moins en apparence
, être le fujet , & fournir l'action du
Drame : c'eft - là enfin , quoiqu'un peu tard ,
que l'on croit appercevoir quelques développemens
néceffaires. 2 ° . Ce que Déformes
dit à Clémentine , il devroit le lui avoir dit
cent fois. Comment fuppofer qu'une fille
bien née , fenfible & vertueufe , fe foit
livrée à l'amour d'un inconnu , d'un homme
qui cache fon nom & fa nailfance , d'un
aventurier enfin ? Pour infpirer de l'intérêt ,
il faut que Clémentine aime Déformes avec
connoiffance de cauſe , qu'elle fache qu'il eft
digne d'elle , non - feulement par fes qualités ,
mais encore par la naiffance. Et depuis
quand un amant auffi tendre que Déformes
a- t'il des fecrets pour l'objet aimé ? Sa délicateile
d'ailleurs , dont il parle fi fouvent
ne devoit- elle pas lui faire une loi d'inf
truire fon aminte de tout ce qui le concerne
? Nous ne difons rien de fon nom qu'il
lui cache , même dans la déclaration qu'il
lui fait fous les yeux du Spectateur , non
plus que du nom de l'époux futur de Clémentine
, qu'on ignore dans la maiſon jufqu'au
départ de Déformes , & qu'on apprend
immédiatement après. On apperçoit dans
DE FRANCE. 1213
cette petite rufe l'embarras & les befoins de
l'Auteur; mais voici qui eft bien pis. Le premier
Acte & le fecond , jufqu'à la dernière
Scène exclufivement , ne préfentent encore
qu'une partie de l'expofition. La dernière
Scène du fecond Acte l'achève , comme on
va voir. Le premier Acte a fait penfer au Spectateur
que le facrifice des deux amans feroit
le motif de l'action , point du tout : elle roule
fur le vol que fait Valville . Ce vol , les foupçons
qu'il fait naître , les malheurs qui en réfultent
, voilà les véritables refforts de l'action.
Et que dire de ce vol , de cette affreufe fituation
, où un fils de famille , dans la crainte
d'effuyer les premiers éclats d'une colère qu'il
a juftement méritée , defcend jufqu'à commettre
une action infâme , jufqu'à en rendre
complice un vieux Domeftique , dont
il maîtrife les volontés . Quel fpectacle que
celui d'une Scène où le Valet joue le rôle
de l'homme vertueux , tandis que fon Maître ,
élevé dans les principes de l'honneur , dégrade
fon âme par un égarement qui annonce un
homme vil & lâche ! François , mes amis
mes frères , qu'eft devenu votre génie , puifque
vous applaudiffez à des tableaux de cette
nature ? Valville compte fur fon ami , dirat'on
, & qu'importe ! c'eft avec de pareils calculs
, avec de telles efpérances que tant de
malheureux ont fait dans le fentier du crime
les pas qui les ont conduits à l'échafaud .
ACTE III. « Clémentine a reçu la lettre de
Déformes ; fon délire & fon déſeſpoir en
ont augmenté ; Julje cherche en vain à la con214
MERCURE
foler. M. de Sirvan vient ajouter à fon trouble.
Déformes a fait remettre à celui - ci la clef
de fa caiſſe , il ne fait ce que veut fignifier
une pareille conduite. Un Domestique lui
annonce qu'il eft parti , qu'on l'a rencontré
dans la ville , faifant fes adieux à un ami.
Les foupçons de M. de Sirvan s'accroiffent ,
il ouvre le fecrétaire , & s'écrie : Je fuis volé!
ah ! le malheureux ! Un Domeftique propofe
de courir après Déformes. Non , dit M. de
Sirvan , laillez ce miférable aller chercher
ailleurs la peine due àfa baffeffe . Clémentine,
dans fon délire , parle à fon père de Déformes,
& lui remet la lettre qu'elle en a reçue.
A cette lecture , M. de Sirvan devient furieux
, & il ordonne qu'on fe hâte de fuivre
les pas du fcélérat. Nouveau défefpoir de
Clémentine , nouveaux éclats de fon père ,
dont les cris effraient & amènent M. de Franval
, qui entraîne fon ami dans fon appartement,
tandis que les Domeftiques conduisent
Clémentine dans le fien . »ود
ACTE IV . " M. de Franval engage M. de
Sirvan à ne point fuivre le premier mouvement
de fa colère , & à s'affurer fi Déformes
eft coupable. On annonce que Clémentine eſt
tombée dans l'état le plus affreux. Les deux
amis fortent pour voler à fon fecours . De
l'autre côté les Domeftiques amènent Déformes
échevelé , les vêtemens déchirés ; un
d'entre-eux l'infulte & l'outrage. A la vûe deM.
de Sirvan, Déformes court à lui , veut parler ;
il eft interrompu par les reproches les plus
humilians ; il les repouffe avec fierté. On le
DE FRANCE. 215
où
menace de l'échafaud , il s'indigne , penſe à
fon père , & pleure. Son defeſpoir augmente
à la vue de Clémentine , qui vient encore
prendre fa défenfe auprès de M. de Sirvan.
Celui- ci , toujours inflexible , écoute à peine
M. de Franval , dont la voix frappe Deſormes
, qui s'écrie , en le regardant : c'eft lui ,
jufte Dieu ! Pendant le refte de la Scène ,
la malheureufe amante parle toujours en
faveur de fon amant , M. de Franval examine
Déformes de l'oeil le plus curieux . Un
évanouiffement de Clémentine redouble la
fureur de M, de Sirvan , qui éclate en nouveaux
projets de vengeance. Franval refte
feul avec l'accufé, Il l'interroge, Celui ci ne
lui répond point , mais fa pantomime laiffe
voir ce qui fe paffe dans fon âme. ( Dans toute
cette Scène le jeu de M. Molé étoit fublime. )
Enfin , il répond lorfque M, de Franval lui demande
fi fon père vit encore, & il en résulte une
reconnoiffance entre les deux Interlocuteurs.
M. de Franval retrouve dans Déformes le
fils qu'un fecond mariage a banni de fon
coeur, Sa feconde femme , en mourant , a
déclaré les injuftices ; il frémit de l'abyme
dans lequel fa foibleffe a conduit fon fils
il fe propofe de l'arracher au fort qui le
menace. "
L'ANALYSE de ces deux Actes prouve abfo
lument ce que nous avons'avancé , que le vol
fait l'action de la Pièce. En vain , pour donner
le change , l'Auteur prête d'abord à M. de Sirvan
la réfolution de laiffer fuir Déformes avec
fon prétendu vol , & ne l'en fait changer que
216 MERCURE
fur la lecture de la lettre de cet infortuné ;
mais que dit cette lettre ? Accufe t'elle Déformes
? Qu'y dit- il ? Adieu pour jamais ;
oubliez-moi , votre bonheur en dépend.... Votre
image.... me fera refpecter des jours qui vous
ont été chers.... Vous m'aimez , & je vous
perds. Qu'eft- ce que cela prouve ? qu'il eft
aimé , voilà tout. Eft ce le féducteur que
M. de Sirvan cherche à punir ? Rien ne
prouve la féduction. Je ne fuis plus ton père ,
dit-il à Clémentine , je n'ai jamais donné la
vie à celle qui a choifi l'objet de fon amour
parmi ces êtres avilis , deftinés à périr unjour
avec ignominie. Et fur quoi M. de Sirvan
fuppofe t'il que Déformes eft un de ces êtres
avilis ? Sur ce qu'il a pris la fuite ; fur ce
qu'an Domeftique lui a dit que fans doute
Déformes a du dépofer dans le fecrétaire
l'argent qu'il a reçu des Fermiers. C'eft fur
certe affertion. fubalterne , que , fans aller
préliminairement à fa caiffe , M. de Sirvan
croit au vol. Quel tiffu d'abfurdités ! ce M. de
Sirvan eft ici cent fois plus fou que la folle
Clémentine , & c'eftun fou furieux ; on valui
voir tout à l'heure un autre caractère.
La fituation de Déformes ramené , infulté
par les Domeftiques , outragé par M. de
Sirvan , couvert d'opprobre par un frénétique
, eft le fpectacle le plus horrible que
l'on puifle préfenter à des gens délicats .
Qu'on obferve que fi le vol n'eût pas été
fait fous les yeux du Public , le Spectateur
indécis auroit pu héfiter fur l'intérêt que
L'accufé
DE FRANCE.
l'accufé lui infpire , qu'on auroit pu un moment
craindre qu'il ne fût coupable , & que
les angoifles fous lesquelles on le voit prêt à
fuccomber, auroient alors paru moins cruelles
. Mais l'Auteur femble avoir cherché à
tourmenter gratuitement les Spectateurs. Il
les a mis au fait de tout ; ils favent que Dé--
formes eft innocent ; & néanmoins c'eft
après les avoir privés de l'intérêt de curiofité ,
une des plus heureufes reffources de l'art ,
qu'il leur offre l'homme vertueux écraſe fous
de poids d'une accufation aufli Hétriffante que
fauffe , devenu la victime & la proie de tout
ce que la haine & la vengeance peuvent avoir
de fureur. Quel tableau ! de pareilles fituations
font-elles faites pour attacher ? Ne
font-elles pas faites au contraire pour porter
le défefpoir dans l'ame : Le moyen de faire
aimer la vertu , d'engager les hommes à en
faivre les lois , n'eft pas de la préſenter
comme impuiffante à fauver ceux qui la
chériffent , de la perfecution des méchans &
de l'inconféquence des gens fans caractère .
malheureufement l'innocence ef
trop fouvent la victime de la perfidie & des
apparences ; mais quelle vérité déſolante ? &
s'il eft quelquefois néceffaire de la rappeler
à la mémoire des hommes , eft-il befoin
d'accumuler toutes les horreurs , & de rendre
la leçon affreufe & infupportable ?
Qui
La reconnoiffance de Franval père & de
Déformes eft d'un genre neuf , piquant , &
qui , au Théâtre , produit beaucoup d'effet ;
Şam. 29 Septembre 1781 .
218
MERCURE
mais ce genre même eft dangereux , en cè
qu'il peut ramener la Comedie à la Pantomime
; ce qui feroit d'autant plus fâcheux ,
que le Public regarderoit bientôt comme
inutiles tous ces beaux développemens , par
lefquels l'Auteur , en prouvant que le coeur
humain lui eft connu , en facilite l'étude aux
Spectateurs ou à fes Lecteurs . La reconnoiffance
dont nous parlons eft pourtant fufceptible
d'autres reproches. Elle eft longue & dénuée
de vraisemblance en un point. Tout
changé qu'eft Déformes , il a quitté ſon père
dans l'âge où l'homme eft formé ; or
onze ans ne peuvent l'avoir rendu affez
méconnoiffable pour que ces mots , Dieu !
c'eft lui! dont Franval eft frappé au point
de s'écrier : Que dit - il ? Quelle furprife
à mon afpect ! ne lui expliquent pas une
partie du myſtère. Qu'on ajoute à cela que
M. de Franval vient de recevoir les derniers
foupirs de la belle- mère de Déformes ; que
celle- ci lui a dévoilé tous fes torts , toutes
ſes injuſtices ; & que dans ce cas , M. de
Franval doit éprouver des remords , qui ,"
dans une circonftance comme celle- ci , ne
peuvent que le conduire à reconnoître un
fils , dont l'idée doit l'occuper fans ceffe.
ACTE V. "On ne défefpère pas de la vie de
Clémentine. Saint Germain revient ; il précède
Valville , qui arrive avec M, de Franval
fils ; on lui rend compte de ce qui s'eft paffé
dans fon abfence ; il s'écrie en fortant avec
précipitation : Ah ! Dieu ! ah ! jufle Dieu !
DE FRANCE. 219 .
Scène entre Déformes & Clémentine , où
celle- ci reprend l'efpérance & la raiſon en
apprenant que fon amant eft fils de M. de
Franval. La Scène fuivante préſente un tableau
déjà connu & réchauffé du Père de
Famille. M. de Sirvan amène un Exempt
pour arrêter Déformes , Clémentine s'évanouit
, l'amant fe jette dans les bras de
fon père. Franval fils s'élance l'épée à la
main entre l'Exempt & Déformes , en s'écriant
: C'est mon frère ! il n'eft point cou
pable..... Saint Germain & Valville tombent
aux genoux de M. de Sirvan , & font l'aveu
de leur faute. M. de Sirvan confondu , ne
fait comment réparer les torts. Il fait à fon
fils une leçon beaucoup trop foible , en proportion
de ce que l'on peut appeler fon
crime. Et vous , dit - il à Saint - Germain ,
vous , avoir eu la foibleffe ! .... Je l'ai vu
naître , dit le vieux Domeftique en pleu
rant : mot de fituation , plein d'énergie &
d'effer. Franval fils abandonne à fon frère,
tous les droits qu'on lui a donnés fur Clémentine
, & tout le monde eft - heureux. »
C'EST une choſe bien extraordinaire que
le caractère de ce M. de Sirvan qui , annoncé
comme un homme dur & terrible , l'est
toujours à contre fens , & qui pardonne à
fon fils avec la plus grande facilité une fante
qui a mis fa fille aux bords de la tombe , &
prefque conduit un honnête homme fur unn
échafaud, Quel exemple que celui d'un
pardon fi légèrement accordé ! & quels fu-
K ij
110 MERCURE
neftes effets ne peut - il pas produire fur de
jeunes fous qui , en fe rendant coupables des
mêmes excès, auront été encourages par l'elpoir
d'en obtenir facilement la grâce.
Nous ne nous etendrons pas fur tous
les vices de ce Drame , que nous fommes
encore etennés d'avoir vu repréfenter fur le
Théâtre de la Nation . Si l'on excepte le facrifice
que les deux amans veulent faire de leur
amour mutuel , en l'immolant au devoir &
à l'honneur , facrifice même qui n'eft qu'indiqué
, cet Ouvrage refpire la morale la plus
dangereuſe. La folie de Clementine , quî
commence avec la Pièce , & qui finit avant
elle , eft encore d'une invraiſemblance qui
paffe toutes les bornes de la liberté qu'accordent
les conventions Dramatiques. Enfin ,
la plus grande partie de l'effet que produit
cette Fièce, réfulte d'une multitude de Scènes
Pantomimes , qui ne prouvent pas un grand
effort de génie. Mais ce reffort eft un de ceux
que l'on emploie aujourd'hui le plus volontiers
; celui qui feduit le plus fouvent le
Public , & qui renouvellera , comme l'a trèsbien
dit M. de Chamfort : qui renouvellera
parmi nous ce qu'on a vu chez les Romains ;
la Comédie changée en fimple Pantomime ,
dont il ne reftera rien à la poflérité, que le nom
des Acteurs , qui , par leurs talens , auront
oaché la misère & lan nullité des Poëtes.
( Cet Article eft de M. de Charnois),
' DE FRANCE. 221
HISTOIRE Abrégée de la Ville de Saint
Quentin & de fes Franchifes , par M.
Hordret , ancien Avocat aux Confeils.
A Paris , chez Deffain junior , Libraire ,
Quai des Auguftins ; & à Saint- Quentin ,
chez F. T. Hautoy , Imprimeur Libraire
du Roi , 1781. gros in 3º . de fo8 pages.
Prix , liv. relié.
LE point de vue le plus favorable fous
lequel on puiffe envifager ces volumineuſes
Hiftoires de Provinces & de Villes , dont
notre Littérature paroît furchargée , eft celui
de matériaux qui peuvent fournir des traits
& des anecdotes à l'Hiftoire Générale , & la
réformer fur de certains détails dont la difcuffion
ne peut convenir qu'a l'Hiftoire particulière
. Sous cet afpect la prolixité même
devient une forte de mérite ; car des matériaux
ne fauroient être trop étendus ni trop
féconds ; & il vaut mieux pour celui qui
doit les employer , avoir à réduire qu'à étendre.
Ces fortes d'ouvrages ont encore un
intérêt, particulier , à la vérité, & borné, mais
qui n'en eft que plus fort pour ceux qu'il
concerne : chaque lieu croit s'ennoblir par
fes rapports avec l'Hiftoire générale du pays
dont il fait partie.
Cette Hiftoire de la Ville de S. Quentin ,
eft née d'un procès que cette Ville a foutenu
dans ces derniers temps pour la défenſe de
fon franc-aleu , attaqué par le Receveur du
Kij
222 MERCURE
C
Domaine , & dans lequel elle a été main
tenue par un Arrêt du Confeil , du 29 Mai
1775 , comme elle l'avoit été en toute occafion
, & nonimément fous Louis XIV , en
1693 .
Ainfi cet Ouvrage eft moitié une Hiftoire ,
où les faits concernant la Ville de Saint-
Quentin font rapportés , moitie un Factum ,
où les priviléges de cette Ville font difcutés
& défendus.
Les priviléges font fondés fur des titres ,
& les titres fur des fairs ; ainfi la partie
contentieufe a ei traîné la partie hiftorique ,
& l'Auteur nous paroît avoir faifi avec le
zèle d'un compatriote & d'un favant l'occafion
& le prétexte de remonter fur tous
les points aux origines les plus reculées , &
d'embraffer tous les entours de fon fujet.
Saint - Quentin , qu'on croit avoir été du
temps des Gaulois la Samarobriva , ou Ville
bâtie fur la Somme , dont Cicéron & Célar
ont parlé , fe nommoit , fous les Empereurs
Romains , Augufta Viromanduorum ; Saint-
Quentin y précha la foi , & y fouffrit le martyre
l'an 302 ; fon corps jeté dans la Somme ,
& enfoncé dans la vafe , y fut , dit- on ,
trouvé fain & entier cinquante- quatre ans
après , par une Dame Romaine , nommée
Eusèbe , qui le fit inhumer dans une Chapelle.
S. Eloi , Evêque de Noyon , fit rendre
à ce corps des honneurs particuliers en 641 ;
il diftingua par une tombe le lieu de fa fépulture
; il augmenta confidérablement la
DE FRANCE. 223
9
Chapelle où S. Quentin étoit enterré , & qui
avoit déjà eté fort augmentée par les Evêques
du Vermandois , fes prédéceffeurs. Fulrad ,
Abbé de Saint- Quentin , du temps de Charlemagne
, en fit une Bafilique , qui fut ruinée
cinquante- neuf ans après par les Normands ;
Hugues , fils naturel de Charlemagne , fuccefleur
de Fulrad , fit élever au Saint un mau
folée de marbre en 825. C'eft vers l'an 88 ,
que la Ville a pris le nom de S. Quentin.
Nous avons parlé des Evêques du Ver
mandois ; ces Evêques , felon notre Auteur
& felon la plupart des Savans qui ont traité
des origines de S. Quentin , réſidoient dans
cette Ville & non pas à Vermand , qui n'a
jamais été qu'un Village , & qui a reçu fon
nom du Vermandois , au lieu de le lui avoir
donné. Il faut voir les preuves de cette affertion
dans l'Ouvrage même & dans les Auteurs
qu'on y trouvera cités. Le premier de
ces Evêques du Vermandois fe nommoit
Hilaire : il vivoit vers l'an 365 ; il eut treize
fucceffeurs depuis cette époque jufqu'en
l'an 531 , que S. Médard , le dernier de ces
Évêques , né à Salency , près de Noyon ,
où il inſtitua la Fête de la Roſière , tranſféra
fon fiége à Noyon , foit par amour de
la patrie , foit par d'autres motifs qu'on
ignore ; ces motifs avoient vraisemblablement
la sûreté pour objet ; car on obſerve
que Noyon paffoit alors pour une des meilleures
places du pays , & que S. Quentin
n'eft devenu une place forte qu'en 884 ,
K iv
224
MERCURE
fans doute à l'occafion des ravages des Normands.
L'Eglife de S. Quentin , privée de
fes Evêques , conferva les droits pro- épifcopaux
, & n'en a été dépouillée qu'en 1703 ,
par un Arrêt du Conſeil du 13 Août , confirmé
par un autre Arrêt rendu en 1718.
Les Chefs de 1 Eglife de S. Quentin , qui
fuccédèrent à S. Medard , prirent d'abord le
titre d'Abbés , & le Chapitre celui de
Canobium Monafterium , ce qui ne doit ni
furprendre , ni perfuader que ce Chapitre
air changé de nature ou de forme. Longtemps
avant Charlemagne , & même encore
après lui , il y avoit peu de diftinction entre
les Chanoines & les Moines ; les uns & les
autres avoient des Abbés pour Chefs , un
monaftère ou cloître , un réfectoire & un
dortoir communs ; un vêtement uniforme.
La feule différence qu'il y eût entre eux ,
étoit que les Chanoines ne fe conformoient
qu'aux canons , ce qui les faifoit nommer
Chanoines , au lieu que les Moines faifoient
profeffion de fuivre une règle plus auſtère
à laquelle ils s'obligeoient par des voeux ; ce
qui les faifoit nommer Religieux ou Réguliers.
Les Abbés de S. Quentin joignirent quelquefois
le Gouvernement Civil au Gouvernement
Eccléfiaftique , & furent à la fois
Abbés & Comtes.
Mais les premiers Comtes héréditaires du
Vermandois defcendoient de Charlemagne
par Pépin , Roi d'Italie , & par Bernard ,
DE FRANCE. 225 .
fon fils , à qui Louis , dit le Débonnaire , fit
crever les yeux. Pepin , fils de Bernard , eut
le Comté de Vermandois , & fut la tige des
Comtes héréditaires de ce pays. Adèle , fille
unique d Heribert IV , dernier Comte de
Vermandois , de la race de Pépin , épousa
Hugues , fils de Henri I , Roi de France ,
aventurier illuftre qui mourut comblé de
gloire à Tarfe en Cilicie , des bleffures qu'il
avoit reçues dans la première croifade.
Raoul , fils de Hugues , eut un fils & deux.
filles qui ne laissèrent point d'enfans . Philippe
Augufte reunit le Comté de Vermandois
à la Couronne en 1214.
Charles VII , par le Traité d'Arras , conclu
en 1435 , abandonna S. Quentin & le Vermandois
au Duc de Bourgogne , Philippele-
Bon. Louis XI les recouvra en 1470 par
les foins du Connétable de Saint - Pol ; ee
Connétable le trahit dans la fuite , & fe retira
dans les Etats du Duc de Bourgogne , Charles-
le Téméraire , fils de Philippe- le - Bon.
Louis , pour obtenir que le Connétable lui
fût remis , céda , en 1475 , la ville de Saint-
Quentin au Duc de Bourgogne ; mais ce
Duc ayant été tué l'année fuivante devant
Nancy , les habitans de S. Quentin chafsèrent
les Bourguignons , & fe remirent d'euxmêmes
fous l'obéiffance du Roi de France.
Les guerres continuelles de la Maifon
d'Autriche & de la Maifon de France menaçoient
fouvent S. Quentin. Il penfa être
furpris par les Flamands Autrichiens le 26
Kv
226 MERCURE
Juin 1486. Les ennemis étoient déjà dans la
place , ils furent repouffés par la valeur des
habitans. La mémoire de cet heureux événement
eft célébrée tous les ans à Saint-
Quentin le 27 Juin , par une Proceffion folennelle.
Cette ville fut encore affiégée par les Autrichiens
en 1536 , fous le règne de François
1 , & la valeur des habitans força encore
les ennemis de lever le fiége. Cet événement
arriva le 10 Août 1536.
Les Autrichiens furent plus heureux en
1557 , fous les règnes de Philippe II & de
Henri II ; ils gagnèrent la bataille de Saint-
Laurent , & prirent S. Quentin , qu'ils gardèrent
jufqu'à la paix de Câteau Cambréfis ,
en 1559. Depuis ce temps S. Quentin n'a
point ceffé d'être à la France.
Les priviléges de cette Ville font principalement
fondés fur une Chartre , qu'on
croit être d'Albert I , Comte héréditaire du
Vermandois , qui commença de régner en
943 , & qui inourut en 983. Cette Charte
fut confirmée par Philippe- Augufte , par
Philippe-le-Hardi & par Philippe - le- Long ,
Rois de France.
L'Auteur de cet ouvrage en a confacré les
deux derniers Chapitres à l'Hiftoire Litté
raire , non - feulement de la ville de Saint-
Quentin, mais même de toute la Picardie.
Le dernier Chapitre eft de fa part un monu,
ment de reconnoiffance & de piété envers
Nicolas & François Desjardins , fes oncles ,
DE FRANCE. 227
tous deux Principaux & Profeffeurs de Rhétorique
au Collège de S. Quentin , & fous
lefquels l'Auteur a fait fes études ; il nous
donne leurs Poéfies tant latines que françoifes
; fes intentions font louables , mais
les vers font médiocres ; & on ne lit avec
plaifir que fix vers latins de Santeuil , qui
ne font rapportés ici que parce qu'ils ont
été traduits , ou plutôt foiblement imités en
vers françois par les deux Desjardins.
Ces vers ont pour fujet la prife de la
ville de S. Quentin par les Espagnols , en
1557 , & ils font cependant à la louange
des habitans , qui fignalèrent en cette occafion
leur valeur & leur conftance ; & qui ,
en fe faifant prendre d'affaut , & en s'immolant
fous les ruines de leur ville , fauvèrent
le refte de la Province. Voici ces vers qui ,
rès d'un fiècle & demi après l'événemt
été gravés en lettres d'or au frontifpice
de l'hôtel - de- ville .
Bellatrix , i , Roma ! tuos nunc objice muros :
Plus defenfa manu , plus nofiro hac tincta cruore
Mania laudis habent : furit hoftis & imminet urbi,
Civis murus erat ; fatis eft fibi civica virtus.
Urbs memor audacis facti dat marmore in ifto
Pro Patriâ cafos aternùm vivere cives.
L'Ouvrage de M. Hordret peut , en tota
lité, être mis au rang des Livres utiles ; il a
de la clarté , de la méthode ; on peut y puifer
de l'inftruction : mais ( ne trompons point
Kvj
228 MERCURE
+
le Public ) il eft mal écrit , & réunit la double
prolixité de l'érudition & de la difcuffion
polémique .
DICTIONNAIRE UNIVERSEL des Sciences
Morale , Économique , Politique &
Diplomatique , ou Bibliothèque de l'Homme
d'État & du Citoyen , mis en ordre &
publié par M. Robinet , Cenfeur Royal ,
Tome XVIII , in 4° . A Paris , chez l'Éditeur
, rue de la Harpe , à l'ancien Collège
de Bayeux , 1781 .
CE Volume commence par un excellent
Mémoire de M. Muret , Docteur en
Médecine , fur l'ulage d'enterrer les morts
dans l'enceinte des Villes & dans les Eglifes.
Nos Temples font pavés de cadavres ;
l'on y refpire la mort , & l'on ne peut y travailler
au falut de fon ame fans rifquer de
perdre la fanté du corps. La raifon a fait
fentir les inconvéniens de cet ufage barbare.
Nous voyons que depuis quelques
années le Gouvernement s'occupe des
moyens de l'abroger. A l'article "Efclave
on a difcuté la queftion s'il eft permis d'avoir
en fa poffeffion des Efclaves , & de s'en
fervir comme tels dans les Colonies de
l'Amérique ; & comme malheureuſement
le fait prononce pour l'affirmative , on
traite de l'achat des Efclaves en Afrique ,
de leur tranfport dans les Colonies , de
leur fort , de la meilleure manière de les
DE FRANCE.
229
gouverner pour leur bien-être & le profit
de leur Maitre. L'article Ffpagne prefente
le tableau hiſtorique & politique de cette
Monarchie; on y entre dans un très grand
détail fur le Commerce & les Finances. Le
Miniftre public trouvera an mot d'Eftrades,
un abrégé des négociations de cet habile
homme , placé à juste titre au nombre des
plus célèbres Négociateurs . L'article . État
eft très - étendu , on y confidère l'homme
dans l'état de nature , dans l'état moral
civil & politique ; on fait voir combien il
importe aux Princes de prendre une connoiffance
exacte de leurs États ; on leur
indique les moyens d'acquérir cette connoiffance
, & d'en faire ufage dans l'Art du
Gouvernement ; on traite aufli des attentions
néceffaires pour la confervation des
nouveaux Etats : fuit un Mémoire fur l'utilité
des États Provinciaux , où cette matière
eft envisagée relativement à l'Autorité
Royale , aux Finances & au bonheur des
Peuples ; enfin , au titre États de l'Empire
on trouve ce qui concerne les Membres du
Corps Germanique. Sans citer d'autres artìcles
, nous pouvons dire que ce Volume
foutient avantageufement la réputation des
précédens , & partage les juftes louanges
que nous leur avons données .
239
MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON ne peut qu'applaudir au difcernement
dont MM.les Comédiens Italiens viennent de
faire preuve , en remettant fous les yeux du
Public un Ouvrage de leur vieux Répertoire ,
l'Apparence Trompeufe , Comédie de Guyot
de Merville , en un Acte & en proſe.
Dorimon aime Florife, dont il eft aimé fans
le favoir. Libre par la mort d'un premier
époux , celle- ci craint de contracter de nouveaux
engagemens . Arifte , un ami.commun ,
un vieillard de foixante- dix ans , a toute la
confiance de Florife , qui lui écrit fouvent.
Les lettres , toujours foigneuſement fermées
, excitent la curiofité d'une Soubrette ,
dont l'orgueil eft en outre piqué du ton difcret
que fa Maîtreffe prend avec elle . En
conféquence une de ces lettres eft décachetée
par la curieufe , & le titre de mari , donné
au bonhomme Arifte , lui fait préfumer qu'il
a contracté un mariage fecret avec Hlorife..
Elle en inftruit Dorimon , dont la fureur eft in
terrompue par les propofitions qu'Arifte vient
lui faire de le fervir auprès de fon amante . Il
eft facile de fe peindre fa furprife & fon
indignation ; il diffimule néanmoins , & il .
DE FRANCE. 231
accepte les fervices du vieillard . Florife ,
vaincue par les remontrances d'Arifte , con--
fent à faire l'aveu de fa tendreffe ; un contrat
de mariage , dreffé d'avance , reçoit les noms
de Dorimon & de la Veuve. Le jeune homme
éclate , & montre la lettre avec laquelle il
croit confondre ce qu'il appelle l'impofture
de Florife & d'Arifte ; mais on lui répond par
un éclat de rire . Le nom de mari n'étoit qu'un
badinage , une pure plaifanterie ; Dorimon
rougit , demande fon pardon & l'obtient.
Cette petite Pièce eft un des meilleurs Cuvrages
de Guyot de Merville. Le plan nous en
a femblé bien conçu & bien exécuté. L'incident
qui en forme le noeud , eft fimple , naturel
& motivé avec beaucoup d'adreſſe. Le dialogue
eft facile & agréable.On n'y trouve point
de clinquant , point de faux bel efprit , point
de perfifflage , on y remarque au contraire
de la vérité , le ftyle de la converſation familière
, mais relative aux convenances Dramariques
; & voilà ce qui nous paroît infiniment
plus digne d'éloges que ce ton fautillant
& manièré, que cette recherche de mots pré
cieux qui donnent de l'éclat à certaines idées ,
& qui produifent ce qu'on nomme aujour
d'hui des traits, S'il y a quelque chofe à blâmer
dans ce joli Ouvrage , c'eſt le dénouement.
On le prévoit trop tôt , & c'est un
vice fans .contredit. Le fubtil Fontenelle a
prétendu qu'un dénouement n'étoit pas vicieux
, quoiqu'il fût prévu par les Spectateurs
, quand il étoit imprévu par les Pers
232 MERCURE
fonnages. Nous oferons dire que nous ne
fommes pas de cet avis. Il eft fans doute
intéreffant que les Acteurs d'une intrigue
éprouvent quelque embarras fur la manière
dont ils en fortiront ; mais il eft plus effentiel
encore que les Spectateurs l'ignorent ;
car c'est l'attention de ceux- ci qu'il faut fixer ,
c'eft leur curiofité qu'il faut foutenir; &
quand on leur a ou tout appris ou tout laiffé
deviner , que devient l'intérêt , & par conféquent
le plaifir ? On le demande aux Obfervateurs.
Ce n'eft pas qu'il n'y ait des circonftances
où un Auteur puiffe admettre un
dénouement de cette eſpèce , parce que fi
d'une part il fait appercevoir la fin de fon
intrigue , de l'autre il peut cacher les refforts
qui y conduiront ; mais ce moyen eft tou
jours très delicat , & nous paroit fufceptible
de n'être habilement employé que par des
hommes doués d'un génie fécond en reffources
comiques & capables de fuppléer ,
par le charme des incidens , aux pertes de la
curiofité. Au furplus , nous foumettons ces
idées à la critique des gens éclairés .
"
Le Samedi premier de ce mois , Mde
Chevalier a débuté dans l'emploi des Duègnes.
Nous n'avons pas été médiocrement furpris
de la réception qu'a faite à cette Actrice
une partie du Public , le premier jour de fon
Début. On ne l'avoit pas encore entendue, &
on lui témoignoit déjà de l'humeur. DédomDE
FRANCE. 253
magée de cet accueil par les applaudiffemens
des gens honnêtes , elle n'a pu cependant eloigner
d'elle une certaine timidite , un chagrin
qui a dû nuire beaucoup au développement de
fes moyens. On peut certamement lui reprocher
des défauts ; un jeu un peu trop défordonné
, une vivacité quelquefois excellive ,
un vice d'articulation affez apparent, qui peut
néanmoins fe corriger avec de l'étude ; mais
on lui doit auffi des éloges. Sa voix , fans
être abſolument nette , n'est pourtant point
défagréable , fon debit eft vrai , & généralement
bien entenda ; elle a une belle connoiffance
de la Scène , & une gaieté très- franche.
Avec ces qualités , qu'elle peut encore perfectioner
, Mde Chevalier fe confolera fur
d'autres Théâtres de la rigueur qu'elle a
éprouvée ici ; rigueur dont nous ne chercherons
pas les motifs , parce que peut être ſeroit-
il trop chagrinant de les trouver.
GB Peines d'un côté , plaifirs de l'autre : ainfi
va le monde. Pour Mde Chevalier , la carrière
avoit été femée d'épines ; pour Mde
Reymond , elle a été couverte de fleurs. Ce
que nous avons dit de l'accueil fait à la première
de ces Actrices , prouve que nous
fommes éloignés de blâmer les encouragemens
donnés à la feconde. Aux titres de Débutante
& de jolie femme , Mde Reymond
joint un titre plus intéreffant encore pour
les Amateurs du Spectacle : fon nom. Fille
7234
MERCURE
& Élève de M. Molé , elle a du être reçue
avec indulgence ; & le Public peut concevoir
de fon talent des efpérances que nous verrons
, fans doute , remplir. Si nous avons
remarqué des défauts dans cette jeune Adepte,
nous devous dire qu'ils ne font pas de la
nature de ceux qu'on ne corrige point. Nous
nous tairons fur ce qu'il y a d'embarras dans ſa
manièred'être en Scène ; elle manqued'ufage ,
& c'eft tout dire : mais nous l'engagerons à
moins multiplier fes geftes , à éviter , à la fin de
fesphrafes , la répétition de certains coups de
tête , dont quelques- unes de nos Soubrettes
lui ont donné l'exemple ; à fe balancer moins
fouvent fur fes hanches ; enfin , à ne point
avoir l'air de deviner ce que fes Interlocuteurs
ont à lui dire , avant qu'ils aient parlé.
Au refte , elle a déjà des qualités heureuſes.
Son jeu eft animé , on y voit de l'eſprit , de
la fineffe; fa phyfionomie a de la mobilité ,
de l'expreflion. Son débit eft quelquefois un
pen faccadé , mais il ne manque ni de juſteffe
ni d'intelligence . Ces heureufes difpofitions
, & le nom de fon inftituteur , nous
font préfumer que bientôt on verra fes
défauts diminuer & fon talent s'accroître.
DE FRANCE
235
2
VARIÉTÉ S.
Il nous eft tombé entre les mains une Lettre
adreffée à M. de Voltaire par M. l'Abbé Paulian ,
qui a fait depuis le Dictionnaire anti -philofophique ,
Ouvrage dans lequel M. de Voltaire eft traité avec
beaucoup de mépris . Nous avons cru que nos Lecteurs
ne feroient pas fâchés de la connoître . M. de
Voltaire avoit demandé au Libraire de M. l'Abbé
Paulian un Exemplaire du Dictionnaire de Phyfique.
L'Auteur lui écrivit la Lettre fuivante.
MONSIEUR ,
Il est bien flatteur pour moi que le plus beau
génie de ce fiècle veuille jeter les yeux fur quelqu'un
de mes Ouvrages. Je fuis fâché que la troifième
Édition du Dictionnaire que vous demandez
ne foit pas encore finie. Dès que ce Dictionnaire ,
augmenté d un Volume , paroîtra , j'aurai l'honneur
de vous en faire hommage. J'espère qu'il fera
moins indigne que celui -ci de vous être préfenté.
En attendant je vous prie d'accepter un Exemplaire
de mon Traité de paix entre Defcartes &
Newton. S'il mérite vore approbation , je fuis
affuré qu'il méritera par-la même l'immortalité.
J'ai l'honneur d'être , avec reſpect ,
Votre très-humble & trèsobéiffant
Serviteur ,
PAULIAN , ancien Profeffeur
de Phyfique du
College d'Avignon.
236 MERCURE
-
SCIENCES ET ARTS.
LETTRE de M. JULE DE LA FOSSE aux
Auteurs du Mercure.
L'IMPOR
IMPORTANCE des Longitudes en mer , a toujours
attiré les regards des Puiffances & des Savans.
MM. de l'Académie Royale de France , d'Angleterre
, de Hollande , &c. nous ont donné des preuves
de leur attachement ; mais les machines appuyées
fur les principes n'ayant point répondu aux vues de
MM. de la Marine , j'ai cru qu'il étoit du devoir
d'un Citoyen de s'appliquer à une découverte qui ,
en donnant la facilité de fe tranfporter dans toutes
les parties de notre Globe , affure encore la vie de
million d'ames obligées , par diverfes circonstances ,
à parcourir cette plaine liquide qui enveloppe la
terre.
Si les travaux que l'Auteur a faits , d'après MM.
les Académiciens , peuvent être utiles , & mériter
l'approbation d'un Corps auffi refpectable , ce fera
à vous , Monfieur , qu'il en aura l'obligation , puiſ
que vous aurez coopéré à fon intention en inferant
dans votre Mercure cette Lettre ; mais comme une
découverte de cette nature emporte avec elle des
connoiffances particulières , il prend la liberté de
donner un Extrait de la caufe fondamentale de la
conftruction de fon Inftrument ; il a v que s'il
étoit poffible d'avoir un rapport exact du temps &
des cfpaces parcourus en Latitude , on pourroit
avoir les degrés de Longitude ; auffi a - t- il , pour
cet effet , toujours conſervé pour baſe de fon Inftrument
le fectant. On fait qu'il eft composé princi-
2
DE FRANCE. 237
palement d'un alidade en cuivre , dont les degrés
marqués fur fon ouverture , fubdivifent ceux qui
font fur le limbe du grand arc de cercle ; au centre
de la tête de cet alidade eft adaptée une platine
ronde de cuivre divifée en quatre parties , repréfentant
les quatre points cardinaux , Nord , Sud ,
Eft & Oueft. Au point Queft s'élève perpendiculairement
un cylindre de cuivre qui fert à rappeler une
platine ronde de même métal , mais évidée à angle
droit , dont un des côtés répond en ligne droite à
115 degrés du limbe du fectant ; de forte que l'autre
côté de l'angle ſe trouve parallèle au diamètre de la
platine portant le cylindre : fur cette platine eft arrêté
un rapporteur pofé excentriquement , mais dont
le centre porte un alidade femblablement divifé au
grand ; en deffous de la première plate-forme eft
une aiguille de métal , dont l'extrémité va porter fur
un quart de cercle fitué au- deffous du miroir de
l'horizon des degrés relatifs à ceux trouvés par la
Latitude , lefquels donnent la valeur de la Longitude
obtenue par le temps employé à parcourir les
degrés de Longitude ; par ce moyen on voit qu'en
fuppofant partir par les 180 degrés Nord de ma
Latitude, & arrivé à 88 environ Nord- Oueft , je
trouve que pendant cet abaiſſement j'ai parcouru
90 degrés de l'Équateur ; ainfi j'ai cette proportion ;
ma Latitude eft à ma Longitude comme 88 environ
eft à 90.
Pour appliquer cette découverte fur la Carte,
l'Auteur a fait un compas qui porte à une de fes
jambes un quart de cercle divifé en minutes par
un onius portant des degrés femblables au grand
alidade. On voit que cette ouverture donne des
degrés de Longitude proportionnels à ceux de la
Latitude : or, pofant fur la Carte les degrés de l'Équateur
que donne l'ouverture du compas d'après
les degrés obfervés en Latitude , on aura des dif.238
MERCURE
tances proportionnelles & relatives aux différentes
mefures dont les degrés de Longitude font fufceptibles
; mais ces degrés étant plus ou moins grands, &
le cercle de la bouffole dont on a la coutume de
fe fervir étant divifé en parties égales , il n'eft pas
poffible de fuivre cette divifion ; auffi le même cornpas
porte au centre de fon mouvement une vis qui
fert à arrêter le centre d'une bouſſole non divifée
pour recevoir une divifion relative à celle trouvée ,
& pour la donner ; à l'extrémité du quart de cercle
adapté au compas, il s'élève à angle droit une rai
pure dans laquelle gliffe une pointe qui fe meut par
une vis de rappel à raifon du diamètre des bouffoles
, faifant parcourir par une des branches du
compas les degrés du quart de cercle ; la tête de ce
compas fait tourner la bouffole d'une quantité relas
tive à chaque degré parcouru fur le cercle ; &
comme les degrés augmentent ou diminuent , ces
diſtances tracées fur la platine de la bouffole font .
donc inégales , mais relatives à l'objet propofé.
Si le vaiffeau avoit toujours un mouvement uniforme,
ces deux Inftrumens fuffiroient pour fatisfaire
nos defirs ; mais comme il eft fujet à des
dérives occafionnées par une infinité de caufes étrangères
à notre objet , nous nous abftiendrons d'en
donner l'explication ; nous dirons feulement qu'il a
composé une forte de loch en pendule , dont la
divifion du cadran étant de 210 minutes au lieu
de 60 , porte encore au lieu de 12 heures 42 ,
2 heures 42
ce qui donne le rapport de 210 à 60
12 ; ainfi l'aiguille des heures étant fuppofée à
1 heure , elle répond en même temps sà de la
divifion 42 , & celle des minutes fe trouve alors fur
210 ; mais comme l'aiguille des fecondes parcourt
en une minute la révolution entière , il s'enfuit qu'en
une minute elle parcourt auffi les 210 or fi une
minute répond à 3 minutes 118 de l'Équateur , il faut
*
DE FRANCE.
23
'une minute d'obfervation de Latitude répondé à
de Longitude. L'Auteur fent parfaitement qu'un
expofé aufli bref ne peut donner qu'une idée foible
de cet Inftrument ; mais il ofe fe flatter que les
Savans voudront bien l'honorer de leur préfence. Il
demeure rue Grenier Saint Lazare , chez M. Cayrel ,
Négociant , maifon de M. Hazon.
GRAVURES.
HISTOIRE NATURELLE , ou Expoſition de
toutes fes parties , gravées & imprimnées en couleurs
naturelles par M. Gautier d'Agoty , cinquième
fils.
Règne minéral, feconde Livraison , composée de
dix Planches. Priz , 15 liv. pour les Soufcripteurs ,
& de zo liv. pour les Perfonnes qui ne voudront
point fouferire. A Paris , chez MM, Belu & Compagnie
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Expofition anatomique des organes des fens ,
jointe à la Neuvrologie entière du corps humain ,
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M. d'Agoty père , Volume in folio. A Paris , chez
Demonville , Libraire , rue Chriftine.
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DICTIONNAL
ICTIONNAIRE de Phyfique , par M. Sigaud
de la Fond , 4 Vol . ix - 8 ° . Prix , 24 livres reliés.
A Paris , rue & hôtel Serpente.
Éloge funèbre de Meffire Claude Léger , Curé de
Saint- André-des- Arts , prononcé en l'Églife de
240
MERCURE
I
cette Paroifle, le 17 Août 1781 , par M. l'Évêque de
Senez , in-4° . Prix , 1 livre 10 fols. A Paris , chez
Didot l'aîné , Imprimeur-Libraire , rue Pavée-Saint
André des- Arts..
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins ,
vient d'acquérir le reftant des Exemplaires de l'Oraifon
funèbre de M. le Comte du Muy , prononcée
aux Invalides, le 24 Avril 1776 , par M. de Beauvais
, Évêque de Senez , Brochure de 83 pages.
Prix , 1 liv . On trouve auffi chez le même Libraire
l'Oraifon funèbre de M. Charles de Broglie ,
Evêque, Comte de Noyon , Pair de France , auffi
prononcée par M. l'Evêque de Senez , le 7 Juillet
1778. Prix , I liv. 4 fols.
Nouveaux Élémens d'Arithmétique , d'Algèbre &
de Géométrie , fuivis d'un Traité de la Sphère appliquée
à la Géographie , Volume in 12. Prix ,
3 liv. 12 fols relié. A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire
, rue du Jardinet.
TABLE.
L'HOMME & le Temps ,
Fable ,
Les Affiches , Conte ,
Sciences Morale , &c. 228
230
235
206 Lettre de M. Jule de la Fofe,
193 Comédie Italienne ,
195 Variétes ,
Enigme & Logogryphe ,
Clémentine & Déformes , 207
Hftoire abrégée de la Ville de Gravures ,
de Saint-Quentin , &c. 121 Annonces Littéraires ,
Dictionnaire Univerfel des
AP PROBATION.
236
239
ibid.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Septembre. Je n'y ai
rien trouvé que puifle en empêcher l'impreffion. A Paris ,
kat Septembre 1781. DE ŠANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 18 Juillet.
LA Cour a expédié ces jours derniers un
Courier à Londres ; il porte , dit - on , des inftructions
à M. de Simolin , pour faire , de
concert avec les Miniftres de Suède & de Da
nemarck , des repréfentations fur la guerre
que l'Angleterre a déclaré aux Provinces-
Unies . On ne fe Aatte pas qu'elles produifent
plus d'effet que celles qui ont été faites
précédemment ; mais l'intérêt que les Puiffances
neutres prennent aux évènemens actuels
, prépare à l'influence qu'elles auront
fans doute fur la paix qui fera conclue.
Le commerce de la rhubarbe que le
Gouvernement s'étoit approprié jufqu'à
préfent , fera libre & permis àtout le monde
l'année prochaine , en payant cerrains droits
à l'Etar qui font fixés dans un Edit qui vient
d'être publié.
1er. Septembre 1781.
a
( 2 )
*
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 2 Août.
LES vaiffeaux de notre Compagnie Afiatique
, le Roi de Danemarck & le Difco ,
font revenus de la Chine après une traversée
de 6 mois & quelques jours ; ils ont apporté
quantité d'étoffes de foie , de toiles
de coton , de fago , de gallinga , de rhubarbe ,
de tuttenaga , de radix china & de thé. La
vente de cette riche cargaifon fe fera dans
le mois de Septembre prochain . D'après le
rapport de ces vaiffeaux , il eft resté à Canton
un navire Danois qui y étoit arrivé
en 1779 ; deux autres y étoient arrivés en
1780 , & commençoient déja à prendre leur
chargement , lorfque l'un d'eux , la Sophie-
Frédérique , a lauté en l'air ; tout l'équipage a
péri à l'exception d'un feul homme qui s'eft
fauvé. Ce vaiffeau avoit déja les trois quarts
de fon chargement. L'empereur de la Chine ,
avant le départ de nos navires , avoit condamné
à l'efclavage deux gros Négocians
de fes fujets qui le trouvoient en arrière
de quelques millions dont une partie étoit
due au fifc. Ils avoient de grandes relations
avec la Compagnie Angloife des
Indes.
( 3 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Août.
ON attend l'Empereur dans cette Capitale
le 10 de ce mois ; il a pris fa route
par Huningue , Fribourg , Infpruck &
Clagenfurth .
Selon des dépêches de notre Ambaſſadeur
à Pétersbourg , le Grand-Duc & la
Grande - Ducheffe doivent fe mettre en
route à la fin de ce mois ; & on fe flatte de
les voir ici à la fin de Septembre . On ignore
le féjour que LL. AA. II. feront dans
cette Ville ; on leur prépare au Palais les
appartemens de feue l'Impératrice - Reine .
L'Empereur a écrit la lettre fuivante au
Comte de Kollowrath .
ל כ
-
» Le Chancelier de Cour & d'Etat , le Prince de
Kaunitz , s'eft adreffé à moi , fuivant l'ordre ,
pour être maintenu dans le paiement des 13000
florins qui lui étoient affignés pour fon entretien
annuel , & j'ai accordé fa requête par un confentement
conçu en ces termes : Les fervices que
vous m'avez rendus & que vous continuez de me
rendre , font auffi précieux que votre manière de
penfer , & vos qualités font rares. Comme vous
êtes au nombre de ceux qui font dans le même
cas ce n'étoit que pour me fournir une nouvelle
occafion de pouvoir vous donner , par une diftinction
manifefte , une nouvelle preuve de ma
fincere eftime & amitié. Conformément à cela
j'envoie en ce moment les ordres néceffaires à la
Chancellerie. En conféquence , vous en ferez
rapport de bouche ou par écrit au Prince de Kaunitz
, & vous pourvoitez à ce qui eft requis , de
-
•
a 2
( 4)
façon que les 13000 florins foient , comme auparavant
, payés à l'avenir à ce Prince «.
De HAMBOURG , le 12 Août.
>
La rencontre des efcadres Angloiſe &
Hollandoife dans les mers du Nord
& le combat fanglant qui en a été la ſuite ,
paroît devoir faire regretter aux premiers
de s'être donné cet ennemi de plus , dans un
tems où ils en avoient affez fur les bras ; ils
viennent d'apprendre par une expérience
cruelle qu'ils ont eu tort de le mépriser. On
ne doute pas que ce combat & fon iffue qui
a été favorable aux Hollandois , malgré la
grande fupériorité des Anglois , n'influent fur
les Confeils de la République , & ne leur
donnent plus d'activité. Cet évènement , du
moins , peut appuyer efficacement les repréfentations
que les Puiffances neutres s'étoient
déterminées à faire encore à la G. B. fur fa
conduite avec la Hollande.
L'acceffion du Roi de Pruffe à la neutralité
armée , confirme l'Europe dans l'espoir
confolant , que malgré les efforts de la politique
de la Cour de Londres , le feu de la
guerre ne s'étendra pas davantage , & que le
Continent , du moins , n'y prendra aucune
part, L'efpérance de le voir éteindre fur les
mers fe foutient toujours , mais on ne peut
fe flatter de le voir réaliſer auffi-tôt qu'on le
défireroit. Ce n'eft qu'après une campagne
active & dans laquelle les fuccès ne feront
pas balancés , que l'on pourra entamer les
négociations qui doivent ramener la paix.
Selon nos lettres de Conftantinople , les
démarches des Rulles dans la Crimée , donnent
des inquiétudes à la Porte ; elle croit
s'appercevoir que fous le prétexte d'étendre
leur commerce , ils vifent à former des
établiffemens durables dans cette prefqu'ile ;
le Kan des Tartares les favorife ; & le Grand-
Vifir , dont l'attention eft fixée ſur ce qui
fe paffe de ce côté , a déposé plufieurs Gouverneurs
des Provinces voifines , fufpects
d'entretenir des intelligences fecrètes avec
les Ruffes & avec les Tartares . C'est pour
réprimer quelque révolte que le Capitan Bacha
a détaché de fa flotte quelques vaiffeaux
vers la mer Noire , l'Archipel & l'Egypte.
Il fe rendra lui même par tout où fa préfence
fera néceffaire.
Un homme qui étoit perclus de la moitié
du corps , écrit- on de la Bavière Autrichienne , a
été guéri de cette paralyfie par l'effet du tonnerre
qui étant tombé le jour de la St- Jean , circula aué
tour de fon lit. Il fut très - furpris , après l'orage ,
de fe trouver en état d'agir & de fe lever fans
aucun fecours. Si ce fait eft vrai , il eſt raturel
d'en attribuer la caufe à l'électricité que le malade
a fubie «.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 2 Août.
LE 24 du mois dernier on a vendu ici
à l'encan , 210 ballots de mouffeline des
a 3
( 6 )
Indes , apportées dernièrement en Europe
par nos vaiffeaux , & la valeur en a été portée
à 300,000 piaftres de notre monnoie.
vens. -
Il a été publié , il y a quelques jours , écrit- on
de Mantoue , une Ordonnance de l'Empereur adref,
fée à tous les Couvens de la Lombardie Autri
chienne de l'un & de l'autre fexe , par laquelle il
leur défend d'entretenir , quant à leur régime
aucune correfpondance avec les Généraux de leur
Ordre qui réfident à Rome ; leur enjoint de ne
relever à cet égard que des Supérieurs , Evêques
& Archevêques des lieux où font fitués leurs Cou
De pareils règlemens ont lieu dans tous
les Etats héréditaires. On dit que plufieurs Supérieurs
, avant le départ de l'Empereur , lui repréfentèrent
que ces innovations , en fait de difcipline
eccléfiaftique , avoient déja produit de la fermentation
dans bien des Cloîtres , & qu'ils craignoient
qu'il n'en réfultât bien des défordres & des émigrations.
Je fais , leur dit l'Empereur , après les
avoir écoutés , qu'il y a des lieux où ces règlemens
, qui vous caufent tant d'appréhenfion
n'exiftent pas. Je n'empêche pas qu'on aille y vi
vre eu vrais Moines. Si vous avez des Religieux
qui aient ce defir , vous pouvez leur dire que je
leur permets d'aller où ils voudront ; je tâcherai
d'attirer à leur place des cultivateurs utiles & laborieux.
On dit que S. M. I. a écrit à Rome une
lettre pleine d'expreffions les plus affe&tueufes , mais
en même-tems les plus preffantes , pour infifter fur
ce que l'on détermine , de la manière la plus précife
, les limites entre l'autorité fpirituelle & la
temporelle , qui ont caufé tant d'orages dans la
Chrétienté .
-
›
On affure que les Religieux mendians
vont être réduits à 3000 dans le Royaume
de Naples , où l'on en compte actuellement
(7)
16,000 ; ils y ont 700 Couvens , dont 466 .
feront fupprimés , de forte qu'il n'en refteroit
que 234 , qui nourriroient chacun 12
individus . Il paroît que cet arrangement
n'aura lieu , qu'en attendant l'exécution d'un
autre plan , fuivant lequel tous les Corps
Religieux feront réduits à deux Ordres.
לכ
» On affure , écrit-on de Rome , que l'Electeur
Palatin defirant établir dans les Etats de Bavière ,
une cinquième langue de l'Ordre de Malte , a fait
représenter au Pape que les revenus des Réguliers
fe montant à 700,000 florins , fon intention eft
d'en tirer les femmes néceffaires pour fonder deux
grands Prieurés & 30 Commanderies. On affure
que voulant concourir aux vues de ce Prince ,
S. Pere a chargé le Prélat Bellifoni , fon Nonce
à Cologne , de le tranfporter fur les lieux , pour
prendre connoiffance de toutes chofes , & faire
paffer au Saint-Siege un plan d'inftitution qui puiffe
obtenir fa fanction «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 3 Août.
le
LA petite flotte arrivée de Montevideo
fous l'efcorte de deux frégates , a apporté
du tabac , du cuivre , beaucoup de cuirs ,
de la laine vigogne , & quantité de barriques
de fuif. C'eft la premiere fois que nous
voyons arriver de Buenos - Ayres de cette
dernière denrée , d'une utilité fi journalière ;
auparavant nos Colons établis dans les vaftes
plaines de la Plata , fe contentoient d'affommer
leurs boeufs & d'en enlever le cuir ;
a 4
( 8 )
aujourd'hui ils fe font apperçus que cette
chaffe pouvoit leur fournir d'autres richeffes
auffi précieuſes , & ils ont fait du fuif,
de la graiffe , qu'ils abandonnoient auparavant
aux bêtes fauvages ; on peut juger de
ce qu'ils ont fourni cette année , & de ce
qu'ils pourront en fournir dans la fuite , par
les 4 ou 500,000 cuirs que cette flotte a
apportés.
On attend avec impatience des nouvelles
de l'expédition du Duc de Crillon ; on fait
feulement que fon convoi arrêté par le calme
à l'entrée de la Méditerranée , a été forcé
de relâcher à Carthagêne. On fe fatte que
ce retard n'aura aucune fuire fâcheufe : s'il
faut en croire des avis qu'on a de Minorque
, il y a eu une émeute dans cette ifle ;
les Habitans fe font foulevés contre la garnifon
; ils en ont été punis févèrement
puifque 20 d'entr'eux ont , dit- on , été pendus
, & les autres dépouillés de leurs armes .
Si ce fait eft vrai , cette difpofition des Habitans
, qui doivent être encore plus aigris
par la punition de leurs chefs , fera trèsfavorable
à M. de Crillon.
*
D. Francifco Winthuyfen , ci - devant
Commandant de la frégate la Santa-Leoca
dia , de 34 canons de 12 & de 6 , qui a
été prife le 1 Mai par le vaiffeau de guerre
Anglois le Canada , de 70 canons , de 36 ,
de 18 & 8 , a envoyé les détails fuivans de
fon combat.
I
र
Au point du jour , M. Winthuysen . découvrit
( 9 )
fous le vent une flotte de 68 voiles à deux mâts ,
efcortée par une frégate ; & remarquant qu'elle
fayoit , il arriva avec précaution pour la reconnoître
, lui faisant des fignaux à cet effet . Peu de
temps après il vit plus loin fous le vent un vaiffeau
qui , fans répondre à fes fignaux , lui donnoit
chaffe , & enfuite trente gros vaiffeaux , ce qui
l'ayant confirmé dans l'opinion qu'ils étoient tous
de l'efcadre de l'Amiral Darby , il ferra le vent
avec la plus grande force de voile , faifant fignal
à la Bélandre le meilleur parti qu'elle pourroit :
il manoeuvra tout le jour , tâchant d'éviter , autant
qu'il étoit poffible , l'approche de l'ennemi
Sur le foir , la frégate étant reftée fous le vent
qui étoit tombé , Winthuyfen mit toutes fes voiles
yent arrière , & fit ce qu'il put pour dérober fa
marche aux Anglois , à la faveur de la nuit ; mais
n'ayant pu y parvenir à caufe du clair de lune , &
le vent qui avoit mis fa frégate à la portée du
piftolet de l'ennemi , ayant tout- à - fait ceffé , il
affura fon pavillon & fit feu de toute fon artil
lerie & de fa moufqueterie. L'Anglois ripofta , &
il s'engagea un combat que notre frégate foutint
très -vigoureufement pendant une heure , malgré
la difproportion des moyens de défenfe. Au bout de
vingt- cinq minutes , M. Vinthuyfen ayant eu le
bras fracaffé d'un boulet de canon , fe vit dans
la néceffité de fe retirer , & il remit le comman
dement , avec ordre de continuer le combat tant
qu'il pourroit , à D. Juan- Perez Monte , fon fecond
qui lui-même ayant reçu une bleſſure à la langue ,
céda à fon tour le commandement à Don Joachim
Moſcoſo. Celui - ci continua de fe défendre
jufqu'à ce que la frégate fe trouvant tout - à- fait défemparée
, & l'eau y entrant en grande quantité
par les trous de deux boulets de canon à fleur d'eau
& de beaucoup d'autres à travers fes iancs , il fur
obligé de céder à des forces auffi- ſupérieures. II
as
( 16 )
eut dans le combat 20 hommes tues & 10 bleffés.
La frégate avoit été fi maltraitée , qu'il fallut
quatre jours à l'ennemi pour la mettre en état de
fe rendre dans le port «.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 21 Août.
LES nouvelles que la Cour a publiées
dernièrement de l'Amérique- Septentrionale,
ne font pas aufli complertes que la Nation
s'y attendoit. On s'eft contenté de lui
apprendre que le Lord Rawdon ayant reçu
Les renforts avoit fait lever le fiége de Ninety
Six , & que le Général Gréen s'étoit
retiré dans le Nord après avoir détruit le
Fort Augufta & quelques autres ; il faut
recourir aux relations publiées par le Congrès
pour avoir une idée des opérations de
l'armée de ce Général. La lettre fuivante ,
en date du 17 Mai , contient ces détails
dont la Gazette de la Cour ne nous fera
fans doute aucune part.
" au
»Le 8 Mai Camden a été évacué par l'ennemi
qui l'a abandonné avec la plus grande précipitation
, après avoir brûlé la majeure partie de fes
bagages & munitions , & jufqu'aux propriétés des
habitans. Il a auffi mis le feu à la prifon
moulin & à d'autres maiſons , de maniere que toute
la Ville n'eft prefque plus qu'un amas de ruines.
Les Anglois ont laiffé tous nos hommes
bleffés dans l'affaire du 25 , montant à 31 avec
8 des leurs , & 3 Officiers , tous trop griève,
ment bleffés pour être tranſportables . Les habi
( 1 )
---
tans de la Ville affurent que l'ennemi dans cette
derniere action n'a pas perdu moins de trois
cents hommes tant tués que bleffés, Immédiatement
après le départ de l'ennemi , nous prîmes
poffeffion de la place , & on en rafe les ouvrages ,
dont je vous envoie le plan . Si la Milice de Virginie
étoit arrivée à tems , toute la garnifon
Teroit tombée entre nos mains , parce que ce fecours
nous auroit mis en état d'inveſtir de toutes
parts l'ennemi , qui manquoit de provifions & de
munitions pour foutenir un fiége. Le détachement
aux ordres du Général Marian , & du Licutenant
Colonel Lée , ayant empêché la garnifon de
recevoir les vivres dont elle avoit befoin , & particulierement
le fel . dont elle étoit entierement
dépourvue. Le 11 le pofte Orange - Burg , commandé
par un Colonel , ayant fous fes ordres
une garnison de plus de 80 hommes & plufears
Officiers , la plûpart Anglois , s'eft rendu
au Général Sumpter , qui a tellement épouvanté
la garnifon par la maniere dont il a difpofe
fon artillerie & les troupes ; qu'il l'a déterminée
à rendre un Pofte très -fort , fans qu'il perdit ua
inftant ni un feul homme. · On a trouvé dans
cette place une grande quantité de provifions & de
munitions. - Le 12 le Fort - Motte s'eft rendu au
Général Marian. La garnifon étoit compofée de
plus de 150 hommes , dont 120 , tant Anglois
que Heffois , & fept ou huit Officiers . La place
a été inveftie le 8 , & les approches avoient été
pouffées jufqu'au pied de l'abbattis avant qu'elle
fe rendit. La redoute extrêmement forté , étoit
commandée par le Lieutenant M' Pherfon , trèsbrave
Officier . On doit de grands éloges au Général
Marian & au petit Corps de Milice qui
a été employé fous lui à la réduction de ce Pofte.
La légion du Lieutenant- Colonel Lée & les détachemens
aux ordres du Major Euton de M.
6
a 6
( 12 )
ont
Finley , Capitaine de l'Artillerie , & de MM
Oldham & Smith , Capitaines d'Infanterie ,
montré une ardeur infatigable dans tous les tra
vaux du fiége. On a trouvé dans la place une
caronade , environ 140 affortimens d'armes , unc
grande quantité de fel , de provifions & d'autres
munitions , dont les états feront envoyés à V. E.
-
—
Lorfque nous nous fommes mis en marche
de Deep-River pour Camden , j'ai écrit au Général
Pickens de faire enforte de raffembler un
Corps de Milice pour affiéger Augufta & Ninety-
Six , & ces deux places font actuellement invelties.
Le Fort à Friday- Ferry fera inveſti demain
matin. Le Lieutenant- Colonel Lée avec fa Légion ,
& quelques détachemens à fes ordres , s'eft mis
en marche hier au foir pour cet objet . Il a été
fuivi ce matin par toute l'armée . Suivant les
dernieres nouvelles que j'ai eues du Lord Rawdon
, il étoit alors à Nelfon Ferry , où l'ennemi
avoit un Pofte ; mais on en tranſportoit les munitions
à Charles-Town , ce qui faifoit croire
qu'il ne tarderoit pas à être évacué. Les Générauz
Sumpter & Marian furveillent les mouvemens
de l'ennemi. - Je vous envoie ci - joint des
copies de différentes lettres trouvées dans les
papiers du Lieutenant M' Pherfon. ( Ces papiers
font particuliers au Lord Rawdon , & confiftent
en lettres du Lord Huntingdon , qui invite le
Lord Rawdon à repaffer en Angleterre , & du
Gouverneur Martin , qui lui écrit qu'il eft fâché
de le voir déterminé à partir pour raifon de
fanté il n'y a rien au furplus fur les affaires
de l'Amérique , que ce que l'on en fait déja « .
-
Le Congrès a auffi publié les détails fuivans
de la prife du Fort Gramby par M.
H. Lée Junior.
J'ai l'honneur de vous faire part de la reddi((
13 )
-.
on
tion du Fort Gramby , & de vous envoyer une
copie de la capitulation . Le Colonel Taylor , que
j'ai trouvé ici avec un Corps de Milice laiffé
par le Général Sumpter pour incommoder & harceler
la garnifon , a agi avec beaucoup de vigueur
& de jugement , & il mérite une attention
particuliere. Les troupes fous mon commandement
, après une marche rapide du pofte de
Motte , font arrivées dans cette place le 14 au
foir, La pofition de l'ennemi étant reconnue
affembla les travailleurs , & l'on détermina la
ligne des approches. Pendant la nuit une batterie
fut élevée fur une pointe à portée du canon
du Fort , fous la direction du Lieutenant-
Colonel Head & du Coinette Lovel , foutenus
par des détachemens de Milice du Colonel Tay.
lor. Le is , à la pointe du jour , le Capitaine
Finley commença une canonnade en même temps
que la Légion d'Infanterie & le détachement du
Capitaine Oldham prirent une portion de défenfe.
Les chofes étant ainfi arrangées , j'ai
fait fommer le Fort de fe rendre , & j'ai l'honneur
de vous faire paffer les articles que fai
propofés & la réponse que j'ai reçue . -- Quelques
momens après il y eut une entrevue entre
moi & le Major Maxwel , & l'affaire s'arrangea.
Je me difpenferai de vous rien dire concernant
les efforts des Officiers & la fatigue des
troupes qui ont fervi , avec moi pendant la dérniere
expédition . La parfaite connoiffance que
vous avez de la bonne volonté , & de la bravoure
des Corps , & votre difpofition conftante à encourager
le mérite , leur affurent la récompenfe
à laquelle ils s'attendent ".
» Capitulation. 1 ° . Le détachement du corps des
Anglois avec leurs Officiers , fera prifonnier de
guerre , & conduit à Charles -Town par la route la
plus courte & y reftera , fur fa parole , jufqu'au
( 14 )
temps où il pourra être régulierement échangé.
2. La Milice aura l'option d'accepter ce premier
article & de marcher avec les Anglois jufqu'à
Charles-Town , & d'y refter jufqu'à ce qu'elle foit
échangée , ou de retourner chacun chez foi , fans
fe regarder comme prifonnier & fans être molefté
dans fa propriété . 3. Les Officiers & -les Soldats
de la Garnison pourront emporter leurs bagages ,
& on leur donnera à cet effet deux charriots . Cet
article s'étend à tous les effets de propriété particulière
. 4° . Les malades & les bleffés qui ne font
pas actuellement en état d'étre tranſportés , feront
libres d'aller à Charles-Town, auffi - tôt qu'ils le pourront.
5. Les Officiers pourront emporter leurs
épées & leurs piftolets . 69. La garni on commencera
à marcher demain , & on lui fournira des proviſions
avec une eſcorte fuffifante pour la protéger
contre toute infulte & mauvais traitement.
Le Capitaine Rudulph de la légion d'Infanterie ,
prendra poffeffion du Fort à midi . Et le Major
Maxwel ordonnera aux Chefs des départemens de
remettre les munitions des magafins aux Officiers
que le Capitaine Rudulph nommera pour les recevoir.
25
»Prifonniers faits au fort Gramby , le 15 Mai
1781. Du régiment du Prince de Galles , 1 Major ,
Chirurgien , 1 Sergent-Major , 4 Sergens , Caporaux
, 57 fimples Soldats , 4 Déferteurs , 1 Homme
perdu. Régiment d'Anglefiliy , 1 Lieutenant ,
1 fimple Soldat de recrues , 8 Sergens , 4 Caporaux
, 55 fimples Soldats , 3 Déferteurs. Compagnie
du Capitaine o Tolle , 1 Capitaine , I Lieu.
tenant , 1 Sergent Major , 2 Sergens , 75 fimples
Soldats 2 Déferteurs. Milice , I Lieutenant-
Colonel , 1 Major , s Capitaines , 4 Lieutenans ,
3 Enfeignes , Sergens , 117 fimples Soldats. En
tout , Lieutenant Colonel , 2 Majors , 6 Capitai
mes, 6 Lieutenans , 3 Enfeignes , 1 Chirurgien ,
"
• Sergens-Majors , 17 Sergens , 9 Caporaux , 309
fimples Soldats , 5 Déierteurs , 1 Homme perdu.
»Prifonniers faits au fort Motte , le 12 Mai
1781. Anglois , Capitaine , 2 Lieutenans , 2 Enfeignes
, 1 Sergent Major , 1 Sergent , 3 Caporaux,
1 Tambour & Fifre , 69 fimples Soldats . Heffois ,
I Lieutenant , Enfeigne , Caporaux , i Tambour
& Fifre , 51 fimples Soldats. Terris , 45 fuivant
le rapport qu'on m'en a fait. Total , 1 Capi
taine , 3 Lieutenans , 3 Enfeignes , 1 Sergent-
Major , Sergent , 8 Caporaux , I Tambour &
Fifre , 165 fimples Soldats.
» On n'a point rendu compte des prifonniers faits
à Orangebourg .
» État des munitions militaires prifes au fort
Gramby , le 15 Mai. 8928 cartouches à moufquet ,
192 moufquets , 16 bayonnettes , 100 boîtes à
cartouches , 63 carabines rayées , 3000 pierres à
fufil , 120 livres de poudre , 328 livres de plomb ,
I tambour , 3 caronades de deux livres , 1 obufier
de cinq pouces & demi « .
On n'a point reçu de nouvelles poftérieures
des Antilles. La relation de l'Amiral
Hood arrivée fi tard , n'a rien appris que ce
que l'on favoit. Il nous eft venu en mêmetems
une lettre d'un Officier qui s'eft trouvé
à ce combat du 29 Avril , qui peut paroître
curieuſe après avoir lu celle de Sir
Samuel.
ל כ
Quelque chofe que vous entendiez dire , foyez
bien sûr que dans la dernière affaire avec les François,
nous avons été horriblement battus. Les François
connoiffent l'art de manoeuvrer leurs vaiffeaux
tout auffi- bien que nous , pour ne pas dire mieux.
En général , leurs Officiers font auffi habiles que
les nôtres , & ils font tout pour l'honneur . Le
fervice Anglois eft perdu par les jeunes geus de
( 16 )
-
-
fa
en
gar.
qualité qu'on met à la tête de vieux Officiers
pleins de courage & d'expérience , parce que leurs
amis peuvent rendre des fervices dans le Parlement
au Miniftre. Si vous entendez parler de la prife
de quelqu'une de nos Ifles du Vent , vous pouvez
croire la chofe très - poffible , parce que les Fran
çois font maîtres de la mer. Sainte- Lucies efte e
sûreté , tant par les fortifications que par
nifon ; d'ailleurs , Saint - Léger , qui en eft .Gouver
neur , eft univerfellement aimé & prefque adoré.
Il est vrai que les habitans craignent de le perdre 3
car rien n'eft quelquefois fi défagréable au Minif
tère qu'un Commandant populaire. Il n'y a ja
mais eu d'hommes fi généralement déteſtés que
Rodney & Vaughan , qui fe montrent prefque partout
comme des crieurs d'encan . On ne parle que
de leur orgueil & de leur avarice . On prit der
nièremest a Sainte-Lucie un bâtiment Efpagnol qui
avoit à bord une grande quantité de mulets.
Saint Léger , toujours bon , toujours humain , dit
qu'il prélumoit pouvoir s'en fervir , pour épargner
un rade ouvrage aux Soldats qui étoient employés ,
comme autant de Sifyphes , à rouler de groffes
pierres fur les montagnes , quoiqu'il y eût dans la
Place des Nègres plus propres qu'eux à un pareil
fervice. On répondit à ce Gouverneur que s'il fe
fervoit des mulets , il falloit qu'il les payât.
Saint- Léger jura qu'il les payeroit de fa poche ,
plutôt que de faire faire le métier d'Efclave à de
braves Soldats fes compagnons , & effectivement
il donna le prix des mulets. Ce qu'il y a de vrai
ment fingulier , c'est que Rodney ne defcend pref
que jamais à terre « .
Les derniers évènemens paroiffent avoir
fait perdre beaucoup à l'Amiral Rodney
dans l'opinion publique. On dit qu'il avoit
avec lui un nombre confidérable de trou(
17 )
pes de débarquement lorfqu'il parut à la
hauteur de Tabago ; on prétend qu'il auroit
pu les mettre à terre & on demande
pourquoi il n'a fait aucune tentative pour
reprendre cette Ifle.
> +
» Cet Amiral , dit un de nos papiers , nous nourrit
d'efpérances depuis deux ans ; mais nous n'avons
pas encore vu d'heureux réſultats de fes promelles.
Nous avons perdu la Grenade , Saint-Vincent
, la Dominique & Tabago ; mais l'Amiral
nous recommande de n'avoir pas peur , & il promet
que la fin de la campagne fera auffi honteufe
pour l'Ennemi que le commencement lui a été favorable.
Ces promeſſes nous ont été répétées chaque
année , & cependant la campagne finit cha
que année par la perte d'une Ifle ; de forte que les
promefles de l'Amiral font de mauvais augure.
Il promet des fuccès , & la Grenade eſt perdue :
il marche fur Saint-Vincent ; il flatte l'Angleterre
de l'efpérance de voir cette Ifle rendue à la Cou
ronne Britannique ; mais , dans le fait , il ajoute
aux regrets que nous avons de l'avoir perdue , en
fe tirant très mal d'une expédition téméraire &
qu'il ne devoit pas entreprendre. Il raffemble fon
Efcadre une feconde fois pour fecourir Tabago ;
mais il ne s'y montre que pour être témoin du
déshonneur du Pavillon Britannique & du triomphe
des François qui prennent cette Ifle à la vue
du grand Rodney «..
On lit dans un autre de nos papiers les
obfervations fuivantes.
» L'Amiral Rodney eft- il un des plus grands piaffeurs
de l'Europe , & ne fe débite-t- il pas mille
contes de fés vanteries à Paris , & dans les Illes Fran
çoifes & Angloifes de l'Amérique. - N'eft - il pas
notoire que le premier Lord de l'Amirauté , qui ,
de l'aveu même de fes plus grands ennemis , eft
plein de fagacité & de pénétration , s'eft abfolu
( 18 )
-
---
ment opposé à la nomination de Rodney , fur.
nommé généralement l'Amiral aux doigts longs &
blancs. Ne fut- ce pas le Capitaine Young ( 1 )
qui , en forçant de voiles , & mettant les fignaux
néceffaires conduifit fon commandant tout au
milieu de l'efcadre Espagnole , lorsqu'il ne s'y at
tendoit point. Ne fut-ce point le même Capitaine
Young qui , contre l'avis de fon Comman
dant , porta un certain vaiffeau à pavillon pofitivement
fur le premier vaiſſeau pavillon de l'ennemi ,
& à moins d'une portée de boulet. - Ne fut ce
pas le Capitaine Young qui , lorfque fon Commandant
fe plaignit que les Capitaines ne répon
doient pas aux fignaux & ne les exécutoient point ,
lui déclara , fans détour , qu'il étoit bien fûr qu'ils
ne s'y conformeroient point , tant que leur Commandant
ne leur donneroit pas l'exemple , en portant
droit fur l'ennemi , & n'ajouta -t - il point :
c'eft alors qu'ils pourront & qu'ils devront vous
entendre ? -L'Amiral ne donna til pas des or
dres contraires à ceux du Capitaine ; & au lieu de
refter bord à bord du Burgoyne , ce qui étoit l'inten
tion du Capitaine , le Sandwich n'efluya-t-il pas
le feu du vaiffeau pavillon dont on vient de par
ler , & de quatre autres , au moyen de quoi il te
çut tout le mal qu'ils purent lui faire , & n'en fit
aucun à l'ennemi . Au moment que ce contreordre
fut donné , tout n'annonçoit il pas une dé
faite , & que le vaiffeau de l'Amiral avoit été forcé
de quitter la ligne ? Les Capitaines de l'efcadre
ne venoient- ils pas l'un après l'autre à leurs
poftes , & ne fe difpofoient-ils pas à ferrer bientôt
de près l'ennemi ? Le Burgoyne ne fouffrit - il
pas le canon tant pendant l'action , que par une
infinité d'autres circonftances ? — N'a-t-on pas
--
--
--
--
(1) C'est le Capitaine du Sandwich que monte Rodney,
( 19 )
-
-
rapporté le propos fuivant de Guichen à Bouillé ,'
Gouverneur de la Martinique , qui étoit à bord
de fon vaiſſeau ? » Si l'Amiral vous eût preffé vous
» & moi , nous aurions eu l'honneur de fouper ce
» foir à bord du Sandwich , car foyez certain
» que nous n'aurions pas pu tenir vis à - vis de lui
» quelques minutes «. M. de Bouillé n'a-t-il pas répété
la même chofe en préfence des colons Anglois
à fa table , & n'y a-t-il pas des gens à Londres
qui lui ont entendu tenir ce propos plus d'une
fois ? Tous les fujets Anglois des Inles du Vent
ne blâment-ils pas la pitoyable entreprife faite
fur St-Vincent au mois de Décembre dernier , &
cette place ne fe feroit - elle pas rendue , fi l'expédition
eût été fuivie ? La prétendue excufe
qu'on ne pouvoit avoir de l'eau n'a-t- elle pas excité
un rire univerfel ? Et de plus , n'eft- ce pas à bon
droit que les habitans Anglois de cette Ifle ont
en exécration les gens qui tantôt par leur légèreté
& tantôt par leur manque de réfolution , font
la caufe de toutes les misères & de toutes les oppreffions
qu'ils éprouvent aujourd'hui par rapport
aux foupçons que la France a contr'eux. Sain
te-Lucie auroit - elle pu réfifter , fi les Généraux
Grant & Meadows n'y euffent fait élever des fortifications
, voyant que l'Amiral l'abandonnoit à fon
fort ?
N'eft-ce pas la même négligence qui nous a fait
perdre Tabago ? car cette Ife feroit encore fous
la domination Britannique , fi la garniſon eût été
protégée par l'eſcadre , ou fi les ouvrages de Scarborough
euffent été achevés , & c'est ce qu'on avoit
demandé plus d'une fois à Rodney & à Vaughan.
Telles font les queftions que nous avions à
propofer , & qui méritent réponſe , quand ce ne
feroit que pour la raifon fuivante : favoir , qu'on
doit naturellement attendre beaucoup de celui qui
doit beaucoup.- Rodney a été nommé à un
( 20 )
poſte honorable & lucratif. Il a reçu des remer
ciemens de la part des deux Chambres du Parle
ment . Nous fommes fâchés que le Capitaine
Young n'ait pas été compris dans le vote.
----
» II ett rentré dans le Parlement , ayant été élu
tout d'une voix député de Weſtminſter , une des
villes les plus grandes & les plus peuplées du
Royaume. Il a eu une gratification annuelle de deux
mille livres fterling , fur l'établiſſement d'Irlande
pour lui & fa famille , pour 31 ans . M. Eden ,
Secrétaire d'Etat d'Irlande , le fait bien.
» Il a été mis en poffeffion des propriétés particu
lières de St-Eustache pour une fomme de près
de cinq cents mille livres fterl. Ses partiſans
ajoutent qu'il fera honoré d'une Pairie Angloife,
Pour nous fervir de l'expreffion d'un grand Jurif
confulte , nous pouvons dire qu'il a contracté visà-
vis de la Nation un engagement auquel il faut qu'il
fafle honneur en dépit de tous ceux qui l'adulent &
l'encenfent. La réputation & le profit font les fuites
des actions grandes , héroïques & utiles. Rodney
a été payé d'avance , & nous pouvons prédire que
τότ ou tard la Nation exigera de lui qu'il faffe la
balance de fon compte. Puiffe-t-elle tourner en fa
faveur ! c'eſt le defir ardent & honnête de l'Auteur'
des obfervations qui précèdent ; & en attendant il
ne demande qu'à guérir ceux de fes concitoyens ,
qui aujourd'hui paroiffent mordus de la rage de
Rodney ".
1
Si l'on en croit quelques Gazettes , on
a appris à la Jamaïque que la plus grande
partie des Officiers non- brévetés & des
Soldats du premier bataillon du premier
Régiment d'infanterie , appellé Royal Ecoffois
font morts de maladie à Sainte Lucie.
On ajoute que les vaiffeaux de guerre qui
font à la ftation de la Jamaïque font en
"
( 21 )
fi mauvais état que la Princeffe-Royale , l'Al
bion & le Ruby vont revenir avec le pro
chain convoi , & que le Ramillies fera le
feul vaiffeau de force qui y restera pour
protéger le commerce .
L'efcadre qui a foutenu le combat du s
avec les Hollandois , eft rentrée partie aux
Dunes & partie dans la Tamife ; les vaiffeaux
font bien maltraités & les équipages
en pauvre état ; il faut fe hâter de réparer
les premiers , ce qui entraînera dutems ,
& de remplacer les derniers , ce qui ne fera
pas aifé. On compte que l'efcadre dont on
aura befoin pour les mers du Nord , feulement
dans le cas où les hoftilités dureroient
au-delà de l'année préfente , employera au
moins 8000 matelors , fans compter les
corvettes & cutters qu'il faudra entretenir
dans ces mers contre les corfaires ennemis .
Pour cette année les embarras ne font
pas moindres ; voilà l'efcadre du Nord hors
de fervice ; nous avons befoin de renforcer
celles de l'Amérique Septentrionale & des
Ifles ; les vaiffeaux partis avec l'Amiral Digby
nefuffifent pas à ce befoin ; il eft impoffible
d'en détacher aucun de la flotte d'obfervation
de l'Amiral Darby , que nous nous attendons
à chaque inftant à voir rentrer dans
nos ports , depuis que nous fommes inftruits
de l'approche de la flotte ennemię combinée.
La nôtre n'eft pas en état de tenir la
mer devant elle ; & les fecours preffans
qu'il faudroit envoyer à Gibraltar & à Mi(
22 )
norque , qu'on dit auffi menacé , & où le
Lieutenant - Général Murray n'a que deux
vieux régimens , le 1 & le 6ie , quatre
compagnies franches , une compagnie d'artillerie
& deux bataillons d'Hanovriens ,fe
trouveront fufpendus.
Quant à Gibraltar les inquiétudes pour
cette place augmentent , & le dernier ravitaillement
n'a pas été auffi efficace qu'on
l'auroit défiré.
Un Officier dépêché par le Général Elliot , Gou
verneur de Gibraltar , eft arrivé ici le 4. Il eſt
forti de cette place le 13 Juillet fur un petit bâtiment
, & après avoir paffé au milieu de la flotte
combinée , il a mis pied à terre fur la partie méridionale
du Portugal , d'où il s'eft rendu à Lif
bonne & s'eft embarqué fur la Minerve ; Capitaine
Fielding. On dit que les dépêches du Général Elliot
portent en fubftance ce qui fuit : Depuis le départ
de l'efcadre de l'Amiral Darby , les Efpagnols ont
fait un feu continuel fur la place , tant de leur artillerie
que de leurs chaloupes canonnières , de forte
que les fortifications font très - endommagées , & la
ville totalement détruite . La garnifon a eu so
hommes tués & 180 bleffés , parmi lesquels on
compte 7 Officiers . Les troupes font extrêmement
fatiguées , & à moins que la place ne foit promp
tement fecourue , il y a tout à craindre pour elle.
い
Les nouvelles de l'Inde arrivées à Baffora
& adreffées de là à notre Ambaffadeur à
Conftantinople , font aujourd'hui totalement
tombées en difcrédit. Depuis
l'attentat commis contre le Lord Pigot ,
tout a été de mal en pis dans l'Inde , &
tous ceux qui en reviennent ne peignent la
fituation de la Compagnie que comme très(
23 )
précaire. La néceffité d'y faire paffer des
renforts est toujours très urgente ; on y a
envoyé cette année 5200 hommes , dont le
Commodore Johnſtone en conduifoit 3000,
confiftant dans le bataillon du 42e régiment ,
les régimens de Fullarton & d'Humberston
fous les ordres du Brigadier Général Meadow
; le refte étoit parti fur la dernière flotte
fortie fous le convoi du Sultan & du Magnanime
; mais ces troupes font encore loin
de leur destination ; & on a lieu de craindre
que Johnstone ne foit obligé de revenir , ou
de fe détourner fort loin de fa route pour
aller fe réparer.
On fe rappelle le duel de M. Francis avec
M. Haftings , Gouverneur général du Bengale
; immédiatement après cet évènement ,
le premier écrivit la lettre fuivante à l'affemblée
des Directeurs de la Compagnie des Indes
; elle contient des notions curieufes fur
l'état actuel des affaires de cette Compagnie ,
& fur ce qui en a été le principe.
» Les avis que vous recevrez d'un duel entre
M. Haftings & moi , pourront attirer votre attention
, jufqu'à certain point. Il eft important , pour
mon honneur & pour ma réputation , que cette
affaire foit expofée avec la plus grande exactitude ,
vous en premier lieu , & enfuite , par votre
organe , à la Compagnie. Il est pareillement
effentiel , pour les intérêts de la Compagnie , que
la caufe de cet évènement avec tous les actes ou
déclarations publiques des Membres de ce Confeil
qui y ont rapport plus ou moins prochain , foient
mis fous vos yeux dans toute leur intégrité . La
( 24 ) .
feu' moyen honnête & loyal de remplir cet objet,
elt de vous envoyer , comme je le fais , des extraits
au hestiques de celles de nos opérations qui y ont
rapport fans aucun hiftorique ni commentaire.
-Les papiers que je vous envoie font non- feu
lement neceffaires pour vous mettre au fait de la
nature & du fjet de la querelle perfonnelle entre
M. Haftings & moi , mais encore pour vous inftrire
de la fituanen des affaires de la Compagnie
dans certe partie de l'Inde , & des opérations qui
l'ont occafoncée en vous donnant fur ce fujet des
notions qui feront une impreffion profonde fur
vos efprits. Nous faifons actuellement tous
nos efforts pour revenir fur les fatales mefures
prifes depuis trois ans par ce Gouvernement & par
Îa Préfi dence de Bombay. Mais je ne répondrois
pas du fuccès , parce qu'il peut le faire qu'un bon
ſyſtême foit adopté trop tard , ou qu'on n'ait pas
employé les moyens les plus convenables pour le
faire réuffir. Dans la fituation où nous nous trouvens
, il eſt très difficile de dire quel eft le plan
dont on doit attendre le plus de fuccès , ni même
quel eft le plan le plus exact d'objections . On peut
compter fur mes avis & fur mon affiftance tant
que je ferai dans le Confeil ; mais je ne troublerai
point l'exécution des projets qui pourroient être
adoptés contre mon opinion par une oppofition
inutile & peut - être dangereufe . Mon zèle pour
prévenir les di graces actuelles , s'eft fignalé par
des feins fans relâche pendant un long efpace de
tems , & il vous auroit été utile fur les points les
plus effentiels , fi ce Gouvernement y avoit donné
plus d'attention , ou que vous euffiez mieux fe-
Condé mes efforts. Mais vous avez fouffert
qu'on renversât les principes fondamentaux de la
Compagnie ; que fes inftructions au Gouverneur
géné al & an Confeil ne faflent point obfervées
& même qu'en diverfes occafions on défobéît
--
impunément
( 25 )
impunément à vos ordres les plus précis ; vous
avez accumulé d'année en année la cenfure fur
le Gouverneur Général & fur un autre Membre
du Confeil , dans les termes les plus forts dont
on fe foit jamais fervi envers des hommes revêtus
d'emplois fi éminens , & vous les avez furle-
champ deftitués. Vous avez eu la bonté d'hc◄
norer , à plufieurs reprifes , le feu Chevalier John
Clavering , le Colonel Mouron , MM. Heeler &
moi des affurances de l'approbation que vous
donnez à nos principes & à notre conduite , & des
promeffes conftantes de nous foutenir . Vous nous
avez donné lieu d'attendre , fur plufieurs matières
importantes , des ordres définitifs & des règlemens
que vous ne nous avez jamais envoyés , & notamment
dans une affaire de la plus grande importance
, où vous nous avez déclaré que vous
alliez vous occuper fans délai & de la manière
» la plus férieufe des mesures qu'il pourroit être
» néceffaires que vous priffiez en conféquence de
» ce que nous vous mandions pour rétablir l'honneur
» de la Compagnie , & empêcher que de fem-
» blables abus ne fe renouvellaffent par la fuite ".
Voilà fix années écoulées depuis l'inftitution du
Gouvernement actuel , & il fe trouve que les
hommes dont vous avez fi hautement condamné la
conduite , n'ont jamais reçu aucune marque fé-.
rieufe de votre mécontentement ; mais qu'au contraire
, ils ont été continués par une nouvelle nomination
dans les places de confiance qu'ils occupoient.
Ces mêmes principes , ces mêmes mcfures
que vous ne ceffiez de réprouver , vous les
avez laiffé prédominer d'année en année jufqu'à
l'évènement actuel , au mépris de vos ordres &
de vos inftructions , malgré l'oppofition la plus
violente dans le Confeil , & les fortes remontrances
tant publiques que particulières , accompagnées
des explications les plus claires fur l'état réel
1er. Septembre 1781 .
b
( 26 )
>
"
des affaires dans ce pays ; j'ai pu trouver des
documens que depuis mon arrivée ici j'ai conftamment
fait paffer en Angleterre par tous les
moyens que j'ai eu en mon pouvoir. Rappellezvous
la fituation de vos affaires auffi long- tems
que les efforts du Chevalier John Clavering &
les miens , ont pu maintenir la paix de l'Inde ;
objet fur lequel , dans le premier article de nos
instructions vous nous avez ordonné de fixer
notre attention & comparez cette fituation
avec celle à laquelle elles font aujourd'hui rédaites
par une politique toute contraire que vous
avez permife , finon même encouragée . Il ne s'eft
pas fait dans ce paffage d'un extrême à l'autre ,
un feul pas dont vous n'ayez été inftruit exactement
& fucceffivement. Il n'eft pas arrivé un
feul évènement qui ne vous ait été prédit. Je ne me
charge point cependant de vous annoncer dans
quel état , felon toutes les apparences , feront les
poffeffions de la Compagnie dans l'Inde ; lorfque
cette lettre vous parviendra , vous aurez reçu alors
affez d'informations pour en juger vous- même .
La lutte à laquelle j'ai dévoué depuis fi long-tems
tous mes efforts avec tant de conftance & d'inefficacité
, & à laquelle j'ai facrifié fans fruit mon
repos phyfique & moral , eft enfin terminée. D'ici
à trois mois , je me propofe de quitter le Bengale
& de retourner en Angleterre , où peut- être
ma préfence fera plus utile qu'ici aux intérêts de
la Compagnie.
On fait que l'Amiral Rodney & le Général
Vaughan , à la prife de St- Eustache
firent arrêter les fieurs Curfon & Governour
, Agens des Américains dans cette
Ifle , & les envoyèrent en Angleterre ; accufés
du crime de haute trahison , ils furent
transférés à New gate à leur arriv
( 27 )
L
leur affaire a été portée au Procureur- Gé
néral , & a paru fi férieufe que l'on a
refufé d'accéder à la requête du fieur Curfon
, qui offrir caution pour fe représenter
& dont la fanté exigeoit qu'il fût relâché.
Après un long examen de divers papiers ,
l'un des deux a été envoyé à la nouvelle
prifon , comme accufé d'avoir entretenu
une correfpondance avec M. Adams , négociateur
Américain en Hollande , & d'avoir
envoyé des munitions de guerre aux
Colonies : l'autre , à raifon de fa fanté , eft
refté fous la garde d'un des Mellagers
d'Etat. >
Il refte à préfent à favoir , dit un de nos
papiers , fi on peut à Londres juger deux perfonnes
qui , dans le tems de leur prétendu délit ,
n'étoient ni fujets , ni jufticiables de la G. B. ,
qui même dans un pays alors ennemi , auroient
été autorifés , par le droit de la guerre , à faire
tour le mal poffible aux Anglois ? Au moins en
regardant leur conduite comme tenue dans un
pays neutre & un port libre , feroient- ils encore
moins coupables que tant de fujets de la G. B.
qui , fuivant les plaintes de Rodney , ont fait ce
commerce illicite « .
On fe plaint beaucoup ici de l'efpionage ;
on dit qu'il eft favorifé par la contrebande :
le moyen le plus sûr de fupprimer l'un &
Pautre eft entre les mains de la Légiflation..
» Le Danemarck , di : M. Sherlock , n'a qu'une
petite part dans le commerce de l'Inde. La plus
grande partie du thé qu'i importe , paff en Ecoffe
& dans d'autres endroits. 11 fe tranfporte auffi
b 2
( 28 )
de grandes quantités de thé de la côte de France
en Angleterre , quoique la Compagnie des Indes ,
par les valtes acquifitions , fe foit emparée par
le monopole , de la plus grande partie de ce
commerce. Quelle est donc cette pitoyable politique
de fouffrir que toutes les marchandifes dont
nous devrions fournir l'étranger , paffent en con.
trebande dans ce Royaume. Mais la perte qui en
réfukte pour les revenus de l'Etat , n'eft pas le
feul tort que nous falle la contrebande. Il paroît
par le procès de la Motte , que les bâtimens contrebandiers
dont la Manche eft couverte , font
employés à porter des nouvelles à l'ennemi. Un
de nos correfpondans nous affure que dans un
feul port de mer du Comté de Kent , mille familles
fe foutiennent par ce commerce illicite qu'ils
font à la face du foleil & en dépit de tous les
Officiers d'Accife & de Douane , qui fe plaignent
à très-jufte titre que s'ils font une faifie , ils ne
font point foutenus par le Gouvernement , qui
donne plutôt les mains à cette pratique , parce
qu'elle verfe des fommes confidérables d'argent
dans les poches des particuliers , ce qui diminue
le revenu de l'Etat . Il y a un nombre infini de
gens employés dans le commerce de contrebande
qui pourroient être employés plus utilement &
plus convenablement au fervice de mer , & le plus
grand malheur de tout , c'eft que nos ennemis
font informés par leur canal de tout ce qui fe
fait en Angleterre. On a fouvent dit aux Minif
tres diminuez les droits , & le revenu produira
davantage , fi votre intention eft de fupprimer la
contrebande , qui ne s'accroît qu'en proportion de
l'accroiffement des impôts & de la multiplicité.
des loix pénales.
Comme les Eſpagnols ont rempli un de
leurs objets , la réduction de la Floride
( 29 )
Occidentale , il y a lieu de croire qu'ils
fongent à attaquer St-Auguftin , & par- con
féquent à foumettre la Floride Orientale ,
ce qui opérera une diverfion en faveur des
Américains , parce que le Lord Rawdon
fera obligé de renforcer cette place auffi
bien que la Georgie , & pour lors les ren
forts reçus en dernier lieu , pour complet
ter la deftruction des Américains , feront
employés à un autre fervice.
Le Lord Germaine , dit un de nos papiers
difoit il y a quelque tems dans le Parlement ,
que Penfacola étoit d'une bien plus grande conféquence
pour l'Angleterre qu'on ne fe l'imaginoit.
Nous defirons que la chofe ne fait pas ainfi ,
mais il y a tout lieu de préfumer qu'avant peu
fon affertion ne ſe trouvera que trop vraie . Lorf
que nous étions en poffeffion de cette place , les
Espagnols étoient obligés d'employer un grand
nombre de leurs Croifeurs dans le golfe du Mexique
, pour protéger leurs flottes marchandes allant
à la Louifiane & dans d'autres ports du Continent,
contre les corfaires qui fortoient de Penfacola ;
mais comme aujourd'hui nous ne poflédons pas
un pouce de terrein dans la Floride occidentale ,
ces croifeurs feront employés à défoler notre com
merce de la Jamaïque ; & D. Solano étant de
retour à la Havanne , il fera impotlible à notre
flotte partant de la Jamaïque pour l'Angleterre ,
de traverser le golfe du Mexique.
On dit que le Chevalier Clinton doit
revenir inceffamment , & que le Lord Germaine
quittera le Ministère à ſon arrivée ;
mais il faut regarder cette nouvelle comme
tous les bruits de cette efpèce qui fe font
répandus fi fouvent.
b 3
( 30 )
:
#
FRANCE.
De VERSAILLES , le 28 Août,
LE 19 de ce mois la Marquife d'Aumont
a eu l'honneur d'être préſentée à
LL. MM à & la Famille Royale par la Ducheffe
de Vallequier.
S. M. a nommé à l'Abbaye de Livry
ordre de St - Auguftin , Diocèle de Paris ,
P'Abbé de Saint -Farre ; à l'Abbaye de la
Vieuville , Ordre de Cîreaux , Diocèfe de
Dol , l'Abbé Dupleffis , Vicaire- Général de
Rennes ; à l'Abbaye de Saint - André du Jan ,
Ordre de Cîteaux ; Diocèfe de Perpignan ,
l'Abbé Girbau , Vicaire- Général du même
Diocèfe ; à l'Abbaye régulière de Notre-
Dame de Ruiffeauville ; Ordre de Saint-
Auguftin , Diocèfe de Boulogne Dom
Hurtevent , Religieux de la même Abbaye ;
à l'Abbaye féculière du Chapitre noble
d'Andlau , Diocèfe de Strasbourg , la dame
de Truchfen de Rheinfelden , Doyenne
dudit Chapitre.
>
De PARIS , le 28 Août.
UN courier arrivé de Breft a apporté à
la Cour des paquets de la flotte combinée ,
qui ont été remis à Breft par la frégate la
Sibylle , commandée par M. de Vintimille.
Cetre frégate avoit quitté l'Armée le 12 ,
& l'avoit laiffée dans le meilleur état ; elle
étoit alors à 120 lieues dans le fud- ouest
( 31 )
d'Oueffant , & faifoit route au nord. Comme
nous avons une lettre de l'Amiral Darby
en date du 31 Juillet , à l'occaſion de la
prife du Lively , dont il venoit de s'emparer
, non loin de l'Orient , il y a apparence
que Digby & fon convoi étoient déjà fort
foin de ces parages , lorfque l'Armée combinée
s'en approchoit le 12 de ce mois.
Quant à l'Amiral Darby des perſonnes qui
ordinairement paroiffent bien inftruites ,
prétendent qu'il eft rentré dans la Manche
le 12 pour faire de l'eau ; mais on ne peut
garantir cette nouvelle , quoiqu'elle foit
très-probable ; ce n'eft pas que Darby ait
beſoin d'eau , mais n'ayant plus rien à
faire en mer , il fuit les coups qu'il pour
roit y gagner.
La Sibylle a apporté plufieurs lettres de
l'Armée ; & comme il y a fur les vaiffeaux
7 à 8000 hommes de troupes , plufieurs
Officiers penfent qu'ils pourroient être employés
à dévaſter & brûler quelques Ports ,
fi l'Armée s'approche du canal St-George.
M. de Guichen n'étoit qu'à 2 lieues du corps
d'Armée lorsqu'il a expédié la Sibylle.
Maintenant que Digby & fon nombreux
convoi ont paffé , on n'a plus l'espoir d'autre
capture que celle de la flotte de la Jamaïque
, mais il yy aa aappppaarreennccee qquuee celle-là ne
fera partie que fort tard , & qu'elle ne fera
aux attérages d'Europe qu'au moment de
l'Equinoxe , c'eſt à dire , lorſque nos efcadres
feront obligées de rentrer dans leurs
b 4
( 32 )
Ports refpectifs , car il eft incertain encore
fi les Efpagnols viendront à Breft.
Il faut que Digby & fon convoi n'ayent
pas été fort vite , puifqu'ils n'étoient pas
hors des Caps le 6. La frégate-corfaire l'Aigle
qui le fuivoit , s'eft emparé à 3 repriſes
différentes de trois traîneurs ; elle en a envoyé
2 à Brest & un à l'Orient ; ce dernier
vaut mieux que les autres , qui ne font
chargés que de falaifons & d'autres objets
de confommation . Ils étoient deftinés tous
les trois pour Québec. Par un hafard affez
fingulier , les deux derniers bâtimens pris
portent les noms de preneurs fort connus
le Général Vaughan & l'Amiral Rodney.
Il paroît qu'il eft arrivé dans nos Ports
quelques bâtimens de l'Amérique Septentrionale
, dont la traverfée a dû être fore .
courte , puifque l'on fait ici que tous les
petits poftes aux environs de New-Yorck
ont été emportés , & que cette ville eft
inveftie par le Général Washington & l'Armée
Françoife ; ce qui ne peut avoir eu lieu
que vers le 10 ou le 12 Juillet. Comme la
garnifon de New-Yorck eft conſidérable ,
on ne croit pas que l'on cherche à l'enporter
de vive force. Il n'y aura que l'approche
de M. de Graffe avec une efcadre
fupérieure à celle que l'Amiral Rodney
lui oppofera , qui en bloquant la ville pourroit
l'affamer & la réduire; encore faut- il
qu'il arrive avant Rodney. Les progrès du
Lord Cornwallis en Virginie , Province que
( 33 )
2
fa cavalerie parcourt fans trouver de réfiftance
, paroillent à beaucoup de perfonnes
avoir été la feule caufe des mouvemens de
l'Armée combinée ; elles prétendent qu'on
ne cherche pas tant à attaquer ce boulevart
qu'à caufer une diverfion favorable aux
Provinces du Sud ; & véritablement le Lord
Cornwallis fera obligé de dégarnir la Virginie
& d'envoyer des renforts à New-
Yorck, fi cette ville eft trop preffée. Dans
quelque tems nous ferons fans doute mieux
inftruits ; comme l'Armée du Comte de
Rochambeau a avec elle un de nos meilleurs
régimens d'artillerie , on peut fe promettre
quelques fuccès des attaques des principaux
poftes qui défendent la petite ifle où eft
fituée New-Yorck. Le canon ne s'eft pas
fait entendre , pour ainfi dite , de toute la
guerre fur le Continent ; nous verrons lorfque
les Anglois feront exposés à un feu terrible
& meurtrier , dirigé par les plus habiles
Artilleurs du monde , s'ils auront l'art de
lui réſiſter. L'intrépidité de nos troupes
nous prépare à quelqu'action d'éclat ; elle
eft générale dans tous les grades , depuis
l'Officier jufqu'au Soldat. La Gazette de
Philadelphie du 15 Mai nous en apprend
un qui mérite d'être connu .
›
Dans la dernière action du 16 Mars , entre M.
Deftouches & l'Amiral Arbuthnoth , un Grenadier
du Régiment de Soiffons ayant eu la jambe fracaflée
par un boulet de canon , tira fon couteau
& coupa entièrement les chairs auxquelles penbs
1 34 >
doit la jambe , qu'il jetta dans la mer ; après cela
il s'affit pour charger fon fufil , & dit : graces à
Dieu , il me reste encore deux bras & une jambe
pour le fervice de mon Roi. Cette anecdote eft
rapportée par un témoin occulaire qui l'attefte . Il
feroit aifé , en parcourant nos annales militaires ,
de trouver beaucoup de traits d'un courage , d'un
zèle & d'un fang-froid pareil dans les circonstances
les plus critiques . René Alexis le Sénéchal- Carcado ,
Marquis de Molac , Colonel du Régiment de Berry,
infanterie , mort à l'âge de 29 ans , à la fortie de
Prague , du 22 Août 1742 , en a donné un exemple
qu'on ne fauroit trop citer. Ce brave Offi
cier , dont le courage , le zèle & les talens répondoient
à fa naiflance , tomba percé de fept
coups de fufil ; fes derniers mots en tombant s'a
dreffèrent à l'Aide Major de fon Régiment : Menars
, lui dit- il , faites marcher les grenadiers &
tout mon détachement fur la gauche , les ennemis
fe portent de ce côté. L'année précédente , il
avoit été envoyé pour renforcer les troupes qui
bloquoient Egra ; placé avec fon Régiment dans
l'Abbaye de Waldfoxen , il incommodoit beaucoup la
garnifon Autrichienne. M. Doffing , qui commandoit
a Egra , parut faire des difpofitions pour l'attaquer ,
& lui écrivit la lettre fuivante , dans l'espoir de
l'intimider. M. , j'ai ordre de S. M. la Reine
de Hongrie & de Bohême , de vous accorder une
capitulation raisonnable , ou de vous forcer , à
quelque prix que ce foit , en cas de refus . Il ne
tiendra qu'à vous , M. , d'accepter fa gracieuſe
générosité , ou de vous attendre à la dernière rigueur
des armes . Vous êtes fage & prudent , &
je ne doute pas que vous n'acceptiez l'avantage
qui vous eft offert ; autrement ce feroit la perte
de votre Régiment , que vous conferverez pour
une meilleure occafion . J'attends votre réponſe , &
j'ai l'honneur d'être , &c. « . M. le Marquis de Mo-
1 33
( 35 )
lac répondit fur le champ : Il ne tiendra qu'à
vous , M. , de faire connoiffance avec moi , &
les troupes que je commande ; je me flatte de vous
perfuader que je n'étois point dans le cas de m'attendre
à votre propofition , que vous me donnez
comme une faveur ; mais que je fuis très-difpofé
à recevoir l'honneur que vous m'annoncez ; je
me preffe de vous répondre , pour n'avoir pas
à me reprocher de vous faire perdre du tems . J'ai
l'honneur d'étre, & c. « -Cette correfpondance rappelle
celle entre le Marquis de Bouillé & l'Ami.
ral Rodney. M. Doffing s'en tiut à la menace , &
ne jugea pas à propos d'attaquer le Marquis de
Molac. Par la mort trop prompte de ce brave Offi•
cier , qui n'avoit point été marié , fon frère , M.
le Marquis de Molac , actuellement Maréchal -decamp
& Commandeur de l'Ordre Royal & Mili
taire de St Louis , lui a fuccédé , & eft devenu
le chef de la feconde branche de l'illuftre & ancienne
maison de le Sénéchal- Carcado ; ils étoient fils
du Comte de Carcado Molac , mort en 1745 ; un
des plus anciens Lieutenans- Généraux du règne de
Louis XIV , ayant été fait Lieutenant Général en
1708 , au fiége de Lerida en Espagne , où il avoit
fervi avec la plus grande diftinction , & l'eftime
& l'amitié des plus célèbres Généraux de ce tems.
Nous n'avons encore aucune nouvelle
du Duc de Crillon ; jufqu'à ce que les
troupes Françoifes qu'on doit envoyer à
Mahon , & qui , dit - on , s'embarqueront
à Toulon le 20 ou le 25 du mois prochain ,
foient arrivées dans cette Ifle , & qu'il y ait
une correfpondance établie entre Minorque
& Marfeille & Toulon , nous n'aurons que
fort tard les nouvelles de cette expédition
b6
( 36 )
parce qu'il faut qu'elles paffent par Barcelonne
, delà à Madrid , & de Madrid ici.
" L'Argonaute de 74 canons , commandé par
M. de Cacqueray , écrit- on de Rochefort , a mis
à la voile de ce port avec un petit convoi que
l'on croit deftiné pour St - Domingue. Il eft plus
probable que l'Argonaute ira d'abord au Sénégal ,
où il a été précédé par l'Iphigénie & par l'A
mable. Le Brave , le dernier vaiffeau qui cette
année devoit fortir de ce port , fera à fon tour
bientôt en état de tenir la mer. On frète à force
pour le compte du Roi , & avant la fin de Novembre
ces armemens différens fortiront de nos
ports. Il est décidé qu'on enverra des troupes dans
' Inde. Il eft queftion de 5 à 6000 hommes que
M. de Buffy fe charge de conduire. Le nom de
ce Général eſt encore trop célèbre dans l'Inde ,
pour ne pas espérer que fa préfence n'y opère les
plus heureufes révolutions « .
M. le Comte de Broglio a fuccombé à
fa maladie ; le Maréchal fon frere qui étoit
en route pour ſe rendre auprès de lui , a appris
fa mort aux Ormes où il avoit couché
ce jour- là . C'étoit un Officier du plus grand
mérite. Il laiffe une riche dépouille à partager
, il étoit Gouverneur , Commandant
de Province , Inspecteur , Chevalier des
ordres du Roi , &c. & c. & c.
L'arrivée de M. Hector , Commandant à
Breft , & fon départ précipité font foupçonner
qu'il étoit venu prendre des inftructions
, & que les préparatifs de ce Port
exigent la plus grande célérité. Les troupes
font en mouvement pour s'y rendre , & un
nouveau_train d'artillerie , forti de Douai ,
( 37 )
a la même deſtination . Les Régimens Suiffes
qui paffent à Minorque , fi l'on en croit
le bruit public , font la Bretagne , Royal
Suédois , Lyonnois & d'Erlach , Suiffe. Le
Commandant de ce Corps n'eft pas encore
nommé, du moins il n'eft pas connu , puifque
le public en défigne deux ou trois .
Le corfaire la Fantaifie , de Dunkerque ,
Capitaine Pat Dawlin , Armateur M. Aget ,
a conduit à Morlaix 15 rançons qu'il a faites
depuis le 22 Juin dernier jufqu'au 7 Juillet ;
elles montent à 6350 guinées : il a réglé la
valeur de la guinée à 25 livres tournois ,
payables à Dunkerque entre les mains de
M. Ager , ce qui fera une fomme de
158,750 liv.
S
Les de ce mois , écrit- on de Limoges , vers
les heures du foir , un orage , accompagné d'éclairs
& de ronnerres , a répandu ici & dans les
environs la confternation & l'effroi. La pluie tomboit
en fi grande abondance , & étoit pouffée par
le vent d'E. S. O. avec tant d'impétuofité , qu'elle
pénétroit avec une rapidité étonnante dans l'inté
rieur des maifons. Prefque tous les habitans ont
eu des meubles ou des marchandifes endommagées.
Lorage a duré une heure ; la pluie
pendant un certain tems a été mêlée d'une petite
grêle qui a caffé beaucoup de vîtres ; plufieurs
cheminées ont été renverfées , des couvertures
de maifons enlevées des murs écroulés , des
arbres déracinés , &c . La Vienne s'eft débordée
extraordinairement ; les ruiffeaux qui y aboutiffent
formoient des torrens fi rapides , qu'ils
entraînoient des monceaux de fable & des pierres
d'une groffeur prodigieufe, Les moulins & les
•
( 38 )
maifons fituées le long de la rivière , ont beaucoup
fouffert. Perfonne ne fe rappelle d'avoir vu
un orage plus violent que le dernier ; celui de
1761 , quoique confidérable , ne fut pas à beaucoup
près i défaftreux . Nous trouvons dans nos annales
qu'en 1213 , il y en ent un qui caufa beaucoup
de dommages. En 1626 , après un mois de
pluie prefque continuelle , il y eut le 26 Juin , un
gros orage qui abbattic la plupart des vignes.
détruifit les fromens , avoines , chanvres & petits
bleds ; l'eau emporta le pont d'Aixe , 3 maiſons
voifines , les murailles du fort , 5 moulins à pa.
pier , un a bled & un à huile «.
Le Bailliage d'Amiens a rendu le 23 Juillet
dernier une Sentence qui condamne le
Curé de la Paroiffe de Lignieres - Chatelain ,
en 20 livres d'amende , pour avoir fait une
inhumation dans une Chapelle de ſa Paroiffe
, lui fait défenfe de récidiver fous
peine de plus forte amende. L'Avocat du
Roi , dont les conclufions ont été fuivies ,
avoit obfervé.
အ
→
Que le Curé de Lignieres fe trouvoit dans
le cas de la , prohibition prononcée par la loi de
1778 , concernant les inhumations puifque la
Chapelle où il avoit inhumé fon frère , étoit cloſe.
& fermée de vitraux , & que les Fidèles s'y réunifoient
pour la prière & la célébration des faints
Mystères ; que fa contravention étoit d'autant plus
grave , que depuis très - long - tems il régnoit dans
plufieurs villages du reffort , des maladies épidé
miques qui faifoient de très- grands ravages ; que
c'étoit pour diminuer ce fléau que la fageffe du
Roi , toujours attentif à la confervation de fes
fujets , avoit fait une loi expreffe qu'il étoit cruel
de voir enfreindre , fur- tout par les Miniftres des
( 39 )
Autels , qui , par état , doivent donner l'exemple
de la fomiffion aux loix du Prince , & en bons
Paſteurs , n'être occupés que du troupeau confié à
leurs loins .
›
MM. les Officiers & Chevaliers de la
Compag ie de la Milice Bourgeoile , établie
par le Gouvernement , en la ville de
Moret , près Fontainebleau , ont fait célé
brer le 30 du mois dernier , dans l'Eglife
de Notre Dame de la même Ville une
Meffe pour l'heureute délivrance de la Reine
& la confervation des jours précieux de S.
M. & de la Famille Royale. Ils invitèrent
à cette folemnité les Magiftrats , le Corps
Municipal & tous les Notebles de la Ville ;
le plus grand nomb.e leur fit l'honneur
d'y affifter.
Les perfonnes qui , ayant demeuré à Pragne en-
Allemagne , auroient connu René Scales , Valet
de-chambre de M. le Comte de Noftitz , décédé le
23 Juillet 1757 , à Sainte Marie de la Chaine de
Prague , & Anne Charlotte Semitre , fa femme ,
décédée en la même Ville le 4 Janvier 1762 ,
font priées de mettre à portée de fe procurer
les extraits mortuaires de Françoife & Anne-
Catherine Scales , leurs filles , dé édées à Prague ;
la derniere après avoir épousé François Jean
Holubka , Officier de M. le Comte de Moizin ;
même de les envoyer duement légalisés à M. de
Saint Paul , Notaire à Paris , rue de la Verrerie ,
qui remboursera les frais que l'on aura faits pour
la recherche & copies de ces ext : aits mortuaires.
6.
9
Le nommé Léonard Coudert , Laboureur , natif
de ma Paroiffe fe matia , le 19 Janvier 1745 ,
avec Léonarde Dumont , veuve de Jean Mouret ,
laquelle décéda le 3 Février 1750. Il époufa en
3
(( 400)
fecondes nôces , le 3 Avril de la même année ,
Marie Bayle , veuve de Blaife Pauliat , morte le 2
Février 1763. Il fe remaria pour la troiſième fois ,
le 14 Juin fuivant , avec Jeanne Noaillet , veuve
Malefond , décédée le 12 Mai 1768. Coudert pafla
en quatrièmes nôces , le 6 Février 1769 , avec
Catherine Valade , veuve Pradeau , morte le 3I
Octobre 1771. Le premier Juillet 1773 , il fe remaria
avec Anne Barget •veuve Lajoie , décédée
le 11 Janvier 1777. Le 27 Mai fuivant , il époufa
Françoise Delarbre veuve Albin , morte le 16
Juillet 1779. Enfin cet homme , actuellement âgé
de 58 ans , a paffé en feptièmes nôces , le 3 de
ce mois : il a époufé Françoife Lapeyre , veuve de
Léonard Faure. Ce relevé , qui fournit une preuve
convaincante du fait , a été tiré de regiſtres de ma
Paroille.
-
;
Dans une Affemblée du Corps - de-Ville ,
tenue le 16 de ce mois , MM. Famin ,
Confeiller de Ville , & Magimel , ont
été élus Echevins.
Le 18 Juillet , un feu confidérable qui éclata
vers les quatre heures du feir , au ' village de Sauqueule
, Diocèle de Beauvais , Généralité de Paris ,
en a décruit près d'un tiers & malheureuſement
une partie des grains , déja récoltés , s'eft trouvée
dans les granges qui ont été confumées . Un fenl
enfant y a péri. L'Abbé de Saint- Lucien , Seigneur,
du lieu , & le Subdélégué de la province ont pourvu
aux premiers befoins des malheureuſes victimes
de cet incendie. Dans leur affreufe fituation , elles
réclament les fecours des perfonnes charitables , qui
font priées de rendre dépofitaires de leurs libéralités
, le fieur Dizié , Subfticut du Procureur général
au Parlement de Paris , rue du Gros - chenet .
Le Prince régnant de Liechtenſtein , revenant des
Eaux de Spa , & retournant à Vienne , eft mort
( 41 )
Ton paffage à Metz , le 18 de ce mois , âgé de
56 ans.
La Faculté de Théologie de Paris vient
de publier une Cenfure de l'Hiftoire Philofophique
& Politique des établiſſemens des
Européens dans les deux Indes. Cette Cenfure
, dans laquelle la Faculté de Théologie
a extrait 84 Propofitions , contient 114
pages in-4° . , & fe trouve à Paris chez
Cloufier , Imprimeur de la Faculté de Théologie
, rue Saint-Jacques , vis - à- vis les Ma--
thurins , prix liv. 10 fols .
L'Univerfité de Paris a décerné , le 7 de ce
mois , les Prix felon fon ufage : elle a accordé
le Prix d'honneur au fieur Alair-François-
René Magon de Saint- Ellier , du Collège du
Pleffis Sorbonne. Le Prix d'éloquence latine ,
fondé par Jean- Baptifte Coignard en faveur
des Maîtres ès - Arts , a été remporté par Jean-
François-Alexandre Lefevre. Le fujet de ce
dernier Prix étoit d'établir que l'époque de la
vraie littérature d'une Nation étoit , non celle
qui produifoit un plus grand nombre d'écrivains
& de livres , mais celle où paroiffoient
les ouvrages les plus durables , & par conféquent
du plus grand mérite.
La Manufacture de velours mélangé de foie
& coton du fieur François Perret , annoncée
dans la Gazette du 7 Avril 1780 , nefetrouve
plus au fauxbourg de la ville de Lyon ; & en
conféquence d'un nouvel Arrêt du Confeil ,
du 12 Septembre dernier , elle eſt établie à
Neuville en Franc- Lyonnois. Son dépôt eft
(-42 )
toujours à Lyon , place de la Comédie ; & à
Paris , chez la dame Deluqui , rue St- Denys ,
vis -à - vis celle du Petit-Lion , au magalin
d'Italie.
Edit du Roi portant fuppreffion de plufieurs char
ges en la grande & en la petite Ecurie , donné à
Verſailles au mois de Juin , & enregistré , en la
Cour des Aides le 17 Août.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 28 Juin , qui
détermine les fonctions des Juges des Manufactures ,
lors de l'élection des Gardes- Jurés , & qui fixe les
droits qui leur feront payés. Autre du 8 Juillet ,
qui accorde une modération des droits d'entrée à
Paris fur les Gazes. Autre du 16 Juiller , qui
modère à 12 fols , par muid , les frais de commiffion
chargement & emmagafinage pour les vins qui feront
déposés à Choify - le - Roi , dans les Magafius qui
appartiennent à la Régie des Meffageries .
-
Par Arrêt du Parlement , rendu la Grand Chambre
affemblée , le 27 Juillet dernier , M. Elie de Beaumont
, ancien Avocat au Parlement , & Intendant
de M. le Comte d'Artois , a été déchargé de l'ac
cufation dans laquelle on l'avoit impliqué l'année
dernière , & qu'on avoit jointe à l'affaire générale
concernant l'Adminiftration de M. le Comte d'Artois.
Le Parlement l'a diftrait de cette affaire , qui lui
étoit absolument étrangère , par une disjonction
honorable , & conforme aux conclufions de MM.
les Gens du Roi. Trente- huit Magiftrats formoient
la Séance , & l'on affure que leur Arrêt a été unanime.
Il lui a été permis de faire imprimer & afficher
l'Arrêt par tout où bon lui femblera . Le Public a
vu , avec fatisfaction , la juſtice complette qui lui
a été rendue.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois ,
font : 84 , 43 , 46 , 51 & 2 .
( 43 )
·
De BRUXELLES , le 28 Août.
Il n'est encore queftion dans toutes les
lettres de Hollande que du combat du s
Août ; il est tout fimple qu'une action qui
fait tant d'honneur à la marine de la République
occupe tous les efprits ; il eſt à defirer
auffi qu'elle les réuniffe. Elle prouve
que quand elle agira de concert & qu'elle
fera férieufement des efforts , elle fera repentir
l'Angleterre de s'être attirée ces ennemis
de plus. Les Hollandois n'avoient
que 380 canons dans ce combat , & les
Anglois 610. Les premiers ont perdu le
vailleau la Hollande de 68 canons , qu'ils
ont été obligés d'abandonner 14 heures après
le combat & long-tems après que l'efcadre
Angloife s'étoit éloignée.
» Nous attendons avec impatience , écrit - on de
la Haye , les réfolutions des Etats Généraux ; on
efpere qu'ils s'emprefferont de réparer leur perte , &
de mettre de nouveaux vaiſſeaux en mer. Le Stathouder
a écrit une lettre aux équipages de l'efcadre qui
s'eft fi bien battue ; on fe flatte que cet évènement
doit donner une grande prépondérance à la Ville
d'Amfterdam dans les Confeils , & que les armemens
ne feront plus fufpendus . Quelques Gazettes
Hollandoifes ont publié des réflexions un peu
vives fur ce que les vaiffeaux de la Meufe & de
Zélande ne font pas fortis en même - tems que
ceux d'Amfterdam ; elles difent que quant aux
premiers , le vent qui étoit favorable au contre-
Amiral Zoutman , le leur étoit également , &
( 44
)
que quant à la dernière divifion , elle pouvoit
s'éloigner de fes ports fans crainte que les ennemis
vinffent les infulter ; car le Lord Mulgrave , depuis
quelques jours , étoit retourné aux Dunes. Il fe
roic affreux que ce fût de deffein prémédité qu'on
eût laiffé fortir Zoutman feul pour l'expofer'; on
préfere de croire comme le Gouvernement Fa
publié , que le tems feul & d'autres circonstan
ces n'ont pas permis aux autres vaiffeaux de for
tir s'ils l'avoient pu , l'efcadre de Parker étoit
détruite , & fon convoi en grand danger. On
remarque que Parker , dans fa lettre à l'Ami
rauté , obferve que les forces Hollandoifes étoient
plus confidérables qu'on ne les fuppofoit ; cette
obfervation en fait faire ici un grand nombre ,
dont quelques - unes font étranges. Elle profe
dit-on , que les Anglois s'attendoient en effet á
ne trouver en mer que la divifion d'Amfterdam`,
& qu'ils ne la croyoient pas auffi forte «.
•
:
Le Stathouder a écrit la lettre fuivante
aux équipages des navires de l'Etat qui fe
font battus avec tant de courage.
Nobles , Refpectables , Vertueux , nos amés &
féaux. Nous avons appris avec la plus grande fatisfaction
, que l'efcadre de l'Etat , fous le commandement
du Contre Amiral Zoutman quoique
beaucoup plus foible en navires , canons & hommes
que l'efcadre Angloife du Vice- Amiral Parker , a
réfifté fi courageufement les préfent à ſon attaque
, que Fefcadre Angloife , après un combat des
plus opiniâtres , qui a duré depuis huit heures du
matin jufqu'à onze heures & demie , a été obligée
de ceffer & de fe retirer. Le courage héroïque
avec lequel le Contre- Amiral Zoutman , les Capitaines
, Officiers , bas Officiers , fimples Matelots
& Soldats , qui ont eu part à l'action , & qui , fous
la bénédiction de Dieu Tout-puiffant , fe font fi
7 45 >
bien acquittés de leurs devoirs dans ce combat
saval , mérite tout éloge , & notre approbation
particulière c'eft pourquoi nous avons trouvé
bon , par la préfente , de vous écrire pour remercier
publiquement en notre nom , les fufdits
Contre- Amiral , Capitaines , Officiers , bas Officiers ,
fimples Matelots & Soldats , en faifant la lecture
de la préfente fur chaque navire qui a eu part à
l'action , & dont les Capitaines & Equipages ont
combattu avec tant de courage & de valeur ; &
d'en faire remettre , par le Secrétaire de la Flotte
de l'Etat , une copie authentique , tant au fuídit
Contre- Amiral Zoutman , qu'aux Commandans des
navires fous les ordres , de la conduire defquels
le fufdit Contre- Amiral a eu raifon d'être content ,
témoignant ultérieurement que nous ne doutons
point , qu'eux , & tous les autres Officiers de
I'Etat & Soldats , ne donnent , dans les occafions
qui pourront le préfenter , des marques que l'Etat
ne manque point de défenfeurs de la chère patrie
& de fa liberté , & que l'ancienne valeur héroïque
des Bataves revit encore , & ne fera point éteinte.
Sur ce , Nobles , Refpectables , Vertueux , nos
amés & féaux nous vous recommandons à la
protection Divine. Votre affectionné ami. Signé
G. PRINCE D'ORANGE "
>
Selon des lettres d'Amfterdam , on y a
reçu avis que les établiffemens Hollandois
font dans un état de défenſe refpectable.
» La bourgeoifie au cap de Bonne- Espérance a
pris les armes , & eft unanimement déterminée à
faire la réfiſtance la plus opiniâtre en cas d'attaque.
Les naturels du Pays informés de la guerre
ont offert de contribuer de tout leur pouvoir
la confervation de cet . établiſſement. Il y eft ar
( 46 )
-
rivé encore 3 vaiffeaux de la Compagnie des Indes
, richement chargés , dont deux attaqués par
un corfaire Anglois , l'ont fi bien reçu , qu'il a
difparu pendant la nuit après qu'on eut entendu
l'équipage pouffer de grands cris , ce qui fait croire
qu'il a coulé bas. Une lettre de l'ifle Danoife
de St Thomas en date du 12 Mai , porte que
l'ifle de Curaçao a été miſe dans un état de dé.
fenfe complet ; qu'il y avoit 15000 hommes fous
les armes , & que les forts avoient été fi bien ré.
parés & pourvus , qu'on n'y craignoit plus une
attaque ennemie «.
›
Si l'on a d'un côté cette perfpective confolante
, on n'eft pas fans inquiétude en
Hollande fur celle que préfente , à fon
tour le commerce de la République.
>
» Toutes les Puiffances de la neutralité armée "
écrit - on d'Amfterdam , profitent de l'efpèce de
léthargie dans laquelle fe trouve notre commerce.
La Ruffie , dont les reffources augmentent chaque
année a maintenant plus de navires marchands
qu'elle n'en a jamais eu ; & l'on eft occupé à en
conftruire de nouveaux dans tous fes chantiers.
On obferve que pendant l'année 1780 , il eſt forti
du feul port de Saint - Pétersbourg , 15 navires
Ruffes pour le Portugal , 14 pour l'Eſpagne , 14
pour la France , 18 pour l'Italie , 64 pour la Hol
lande , 72 pour la Suède , 30 pour le Danemarck ,
6 pour Roftock , 2 pour Hambourg , 46 pour
Lubeck , 9 pour Dantzick , s pour la Livonie , &
282 pour la Grande - Bretagne , tous chargés de
productions de la Ruffie . Que deviendra le commerce
des autres Nations , s'il eſt vrai , comme
on croit l'avoir découvert • que la prefqu'Iſle de
Kamtchatka n'eft diftante que de 40 milles des
rives occidentales de l'Afie !
( 47 )
On a ici des lettres de l'Orient , dans lef
quelles on lit les détails fuivans :
» Nous venons d'apprendre , avec certitude , que
les Anglois ont perdu , à la Chine , des fommes
confidérables , par la faifie que l'Empereur a fait
faire de tout ce que poffédoient les Compradors
ou Courtiers , qui ont été envoyés en exil . On
fait monter à 25 millions les effets faifis , dans
lefquels la Compagnie Angloife eft intéreffée pour
plus des trois quarts. Cette révolution provient
de ce que les Compradors , chargés de percevoir
les droits de l'Empire , tant fur les vaiffeaux que
fur les marchandifes , n'en tenoient pas compte.
En faififfant tous leurs biens , on a faifi les avances
qu'ils avoient reçues des diverfes Nations , fur les
contrats des marchandiſes à livrer. L'Empereur de
la Chine a fixé à 25 pour cent de la valeur les
droits fur toutes les marchandifes qui fortiront de
Les Etats.
Nos lettres de Cadix portoient , il y a
quelques jours que le Commandant Campbell
& M. Deans , chef de la marine à Penfacola
, avoient été envoyés prifonniers à
la Havane , pour avoir contrevenu à quelques
articles de la capitulation ; comme il
n'en étoit point fait inention dans un Journal
fort exact envoyé de Madrid , on doutoit
de ce fait ; il fe trouve confirmé par la Ga
zette de la Cour de Londres ; ces deux Chefs
ne font point à plaindre , ils fe font mal
défendus. S'ils avoient attaqué D. Bernard
de Galvez , lorfqu'il defcendit à l'ifle de Ste-
Rofe avec 1300 hommes feulement , ils
auroient pu faire manquer l'expédition . On
320
eft fâché qu'on ait confenti d'envoyer les
prifonniers à New-Yorck; il eft certain que
les Américains ne font point alliés des Efpagnols
, & la garnifon de Penſacola pourra
fervir au moment de fon débarquement , &
long - tems avant qu'elle foit échangée ; il
auroit été à fouhaiter qu'on eût envoyé les
prifonniers en Europe ; mais alors il en auroit
trop coûté à l'Espagne , qui s'eft chargée
de les faire tranſporter à fes frais.
La Gazette de Madrid du 15 Juin , ſous la datę
de Lisbonne, a affuré pofitivement qu'il avoit été rendu
parle Confeil de Portugal, le 7 Avril , un Arrêt qui
déclare innocentes du crime qu'on leur avoit imputé
, toutes les perfonnes tant vivantes que mortes
, qui furent jufticiées , exilées emprifonnées
, en vertu de la Sentence du 12 Janvier 1750.
Aujourd'hui la Cour de Lisbonne déclare que ce
paragraphe , copié d'après la Gazette d'Amfterdam ,
ne doit s'appliquer qu'à la premiere Sentence ; que
la Junte de l'Inconfidence , chargée de la révifion
de ce procès , n'a fini fa dernière féance que Te 23
Mai , mais que le réfultat n'en fera peut- être jamais
rendu public , & qu'il eft faux que tous les
accufés aient été reconnus & déclarés innocens.
Quelques papiers publics rapportent qu'il
eft arrivé d'Astracan à Pétersbourg , 2 hommes
& une femme âgés de 30 à 40 ans .
qui ont plus de 9 pieds de haut ; tous trois ,
ajoutent ces papiers , font nés à Ifpahan ,
de pères & mères de la même taille . Ces géans
auffi pareffeux que mal-adroits , font logés &
entretenus aux frais de la Cour. Leur nourriture
eft fort groffière , & il leur faut 12 à 15.)
heures de fommeil par jour.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE¸le 11 Août.
LE 7 de ce mois 215 navires marchands
ont paffé le Sund & font entrés dans la Baltique
; dans ce nombre , il y en a 108 Anglois
qui étoient fous l'eſcorte des frégates
la Camille de 36 canons , la Vénus de 24 ,
& la Galathée de 20.
On mande d'Helfingor qu'un corſaire Anglois
a pourſuivi & pris dans le port même
d'une des ifles du Cap Der- Neus , un vaiffeau
Américain qui s'y étoit réfugié. Cette
infraction au droit des gens a été commife
le 24 Juillet dernier ; elle doit fans doute attirer
l'attention du Gouvernement ; en attendant
elle alarme beaucoup nos Négocians qui
craignent avec raifon que les Américains ne
trouvant ni fûreté ni protection dans nos
ports , n'aillent porter leurs commiſſions
dans ceux de la Suède.
8 Septembre 1781 .
( 50 )
Deux navires Américains ont mouillé de
puis peu dans le port de Chriſtianſand , où
ils ont débarqué deux paffagers qui font munis
de lettres de change pour la valeur de
90,000 rixdalers qu'ils doivent employer à
des achats ; il eft important pour notre commerce
que nous les engagions à ne pas porter
cette fomme hors du Royaume.
- Le Comte de Moltke a de nouveau conduit
un corfaire Anglois à Fleckeroë en Norwège
. On ne fait pas fi ce brave Officier quit
tera bientôt cette ftation où il rend des fervices
très-importans ; on affure que le Lieutenant
Lutken qui s'eft beaucoup diſtingué
en protégeant pareillement le commerce
contre les pirateries des Anglois aux Antilles,
eft attendu de retour ici , & fera remplacé
par le Lieutenant Harboë.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 14 Août.
LL. MM. font encore au Château de
Drotningholm avec le Prince Royal , & la
Ducheffe de Sudermanie ; il paroît qu'elles
ne reviendront dans cette capitale qu'après
la belle faifon. Le Comte de Guemes , nouveau
Miniftre d'Eſpagne , a eu dans ce Château
fa première audience du Roi & de la
Famille Royale.
S. M. a nommé le Baron de Ramel , Chancelier
de la Cour , à la place du Baron de
Sparre , Gouverneur du Prince Royal,
( st ).
ALLEMAGNE.,
De VIENNE , le 15 Août.
L'EMPEREUR eft arrivé hier vers les fix
heures du foir , de retour de fon voyage
dans les Pays- Bas. Toute la haute nobleffe
s'étoit rendue dans cette capitale . On ne ſe
flatte pas de pofféder long - tems S. M. I.
C'eſt par un nouveau voyage qu'elle fe délaffe
du précédent ; elle doit partir demain
ou après demain pour le camp de Prague ,
dont les exercices commenceront le 20 de
ce mois , & dureront juſqu'au 30 ; elle fera
, dit-on , accompagnée par l'Archiduc
Maximilien .
On vient de publier par ordre de l'Empereur
de nouveaux arrangemens relatifs au
Clergé. Quatre des principales Abbayes ſeront
, dit-on , fécularifées.
On parle auffi beaucoup d'un Edit qui
défend à tous les jeunes gens au-deffous de
l'âge de 27 ans de voyager dans les pays
étrangers. Cet Edit ne peut que produire
de grands biens en reftreignant les voyages
à un âge où ils font plus avantageux , &
où il y a moins à craindre pour les moeurs
& pour la fanté.
On apprend de Pologne que le Comte
de Tyfzenhaufen , Grand-Tréforier de Lithuanie
, étant à la chaffe , a eu le malheur
de recevoir dans la jambe gauche un coup
de fufil , tiré imprudemment par un homine
C 2
152 )
de fa fuite . La bleſſure eft fi dangereuſe ;
qu'on croit qu'on ne pourra fauver ſa vie
fans avoir recours à l'amputation .
De HAMBOURG , le 20 Août.
Le combat glorieux dus de ce mois a
fait le plus grand honneur à la Nation Hollandoife
, & fait regretter que la République
ne fe foit pas mife plutôt en état de
réfifter à l'ennemi qui l'attaquoit ; on a
lieu de croire que cet évènement réunira
les partis divifés dans l'opinion d'oppoſer
la force à la force , & qui auroit dû être
adoptée depuis long- tems. Bien des perfonnes
cependant craignent que celui
qui veut la paix ne juge , trop tôt peut-être ,
que ce combat eft une circonftance favorable
, & qu'on ne perde en négociations
& en débats un tems précieux qu'on de
vroit employer à foutenir un fi beau commencement.
L'Angleterre ne manquera pas
d'employer fa politique ordinaire pour fufpendre
les efforts de la République ,fous l'efpérance
d'une paix particulière ; & celle- ci
peut en effet la favorifer , en penfant trop
que le combat du 5 doit rendre fon ennemi
moins difficile fur les conditions : elle
devroit fonger que c'eft en continuant d'agir
qu'elle en obtiendra de meilleures.
ן כ
Quant à la paix générale , elle ne paroît pas
encore prochaine ; s'il faut en croire nos Politiques
elle s'éloigne de jour en jour ; les Puiffances neutres
voient leur commerce s'agrandir & profpérer au
( 53 )
milieu de la guerre actuelle , & ne paroiffent pas
avoir intérêt à hâter le terme de ces avantages.
L'Espagne , attaquant par - tout fes ennemis , &
cueillant quelques lauriers , s'affer mit dans le deffein
de ne rien rabattre de fes prétentions ; la France ,
tenant auffi fes ennemis en échec dans les quatre
parties du Monde , fonge aux moyens de ne point
rallentir fes efforts ; & l'Angleterre , preffée de
toutes parts , fans qu'aucun revers ait altéré les
forces & fon courage , attend , avec confiance , qu'un
hafard favorable redonne , à fon pavillon , l'éclat
qu'il a perdu ; ceux qui penchent pour la paix ,
fe trouvent bien embarraffés pour affigner quelle eft
la Puiffance qui doit en faire les premières ou
vertures c.
On mande d'Helfingor que le 13 de ce
mois le tonnerre tomba fur le vaiffeau de
guerre Danois la Wilhelmine - Caroline , qui
croifoit au-delà du Détroit , & y caufa de
grands dommages fur-tout aux mâts. On
raconte que lors de la chûte de la foudre
un foldat , qui étoit fur ce vaiffeau , s'écria :
ah ! mon Dieu , je fuis mort : tous ceux qui
l'entendirent ne purent s'empêcher d'éclater
de rire au milieu de l'effroi dont ils
étoient faifis eux- mêmes.
» La Bavière , écrit - on de Munich , eft tellement
infeftée de brigands , qu'ils marchent en bandes
réglées fur les grands chemins , & s'avancent même
jufqu'aux portes de cette Capitale . On a déja arrêté
un nombre confidérable de ces malheureux ; on a
agravé les peines afflictives pour les intimider. On
dit que les Baillifs licentiés feront rétablis dans
leurs charges ; car ce n'eft que depuis leur réduction
que les malfaiteurs fe font tant multipliés . Pour
pouvoir leur donner la challe avec plus de vigueur ,
C 3
( 54 )
-
le corps deftiné à maintenir la sûreté publique ,
a reçu des renforts confidérables . La méthode
des conducteurs électriques ou des paratonnerres ,
commence à être adoptée ici . Nulle part la raiſon
ne fembloit la folliciter davantage ; car il y a peu
de pays où les orages foient fi fréquens , & où la
foudre caufe plus de défaftres . Une certaine répugnance
populaire , fondée fur une fauffe application
des meilleurs principes de morale , & fur
une connoiffance imparfaite de la Phyfique , avoit
retardé l'établiffement de ce préfervatif. Peu à peu
le préjugé s'eft diffipé . L'exemple du Souverain a
ouvert les yeux , & l'expérience vient de parler
en faveur de la nouveauté . L'Electeur a fait placer
17 conducteurs fur le Château de Nymphenbourg.
Quinze jours après , le 3 de ce mois un orage
'violent eft furvenu ; la foudre a donné fur la pointe
de la barre électrique , l'a fuivie jufques dans un
canal où ſon extrémité inférieure , difpofée en forme
d'étoile , étoit enfoncée de 6 pieds de profondeur.
Là s'eft faite une exploſion terrible , ſemblable à celle
d'une mine. Les pierres & le fable ont volé à droite
& à gauche , & ont laiffé le toît abfolument à découvert;
mais c'eft à quoi s'eft borné l'effet du tonnerre ,
uniquement dirigé fur ce point. Ce fait a accrédité
le paratonnerre ; plufieurs perfonnes - vont en faire
élever , notamment les Auguftins ; comme ce font
des Religieux , leur exemple aura du poids dans ce
pays «
ITALI E.
>
De NAPLES , le 2 Août.
UNE bande de voleurs , qu'on dit au
nombre de plus de 200 , infefte cette Ville ;
il y a quelques jours qu'ils ont mis le feu à
toutes les baraques ou boutiques en bois
( 55 )
de la place des Carmes ; & tandis qu'elles
brûloient ils ont volé tout ce qui leur eft
⚫ tombé fous la main. Dernièrement encore
dans notre Salle de Juftice , pendant l'Audience
, où il y avoit beaucoup de monde ,
ils ont eu le fecret , on ne fait comment ,
de faire tomber quelques pierres du plafond
; tout l'Auditoire s'eft effrayé , on s'eft
précipité vers les portes ; les voleurs fe font
alors jettés dans la foule & ont enlevé toutes
les montres toutes les boëtes & toutes
les , bourfes qui fe font trouvées à leur
portée.
53
>
Il y a quelques jours , écrit - on de Meffine
qu'il arriva , d'Alexandrie à Malthe , un vaiffeau qui
fe rendoit en Barbarie avec une charge de près de
40,000 ducats , en partant de Syrie ce navire avoit
à bord 11 paffagers Turcs & 15 hommes d'équipage ;
mais de ces 26 hommes , 12 étoient morts de la
pefte dans la traversée . Le Grand - Maître a fait tranf
porter au Lazaret les 15 hommes reftans , & mettre
enfuite le feu au navire fans permettre qu'on en
fortit le moindre effet . Cet évènement a déterminé
le Tribunal , confervateur de la Santé à Palerme
d'interdire , pour un certain tems , toute communication
avec les Malthois. «.
L'Académie Royale des Sciences , Belles-
Lettres & beaux Arts de cette Ville , fondée
par Ferdinand IV , & ouverte en Juillet
1780 , avoit élu de fon propre gré , avant
fon inauguration , au nombre des Affociés
étrangers , M. Valmont de Bomare , Démonftrateur
d'Hiftoire Naturelle à Paris.
Cette élection , faite dès le 29 Mars 1779,
C. 4
( 56 )
a été ratifiée & infcrite le s de ce mois dans
la féance que cette Académie a tenue.
Le 11 Juin , écrit-on d'Alger , il eft forti de ce
port huit corfaires appartenans à cette Régence
barbarefque ; le 1 de ce mois , il y eft entré un
bâtiment Danois , allant de Livourne à Oftende ,
& envoyé par un de ces corfaires. Ce n'eft pas
que les Algériens foient en guerre avec le Danemarck
, puifque cette Puiffance fait de grands facrifices
pour conferver la paix avec eux , & garantir
fon commerce de leurs pirateries . Le prétexte
de l'envoi de ce navire eft que dans le tems
que le corfaire le vifitoit , les deux bâtimens fe
font abordés , & que l'Algérien a fouffert par-là
du dommagè. Le vaiffeau Danois n'a été relâché
qu'après avoir payé une indemnité ; nouveau moyen
dont les corfaires barbarefques pourront fe fervit
déformais pour rançonner les bâtimens francs. Cependant
le Danemarck a envoyé récemment à cette
Régence foo tonneaux de poudre , 200 tonneaux
de gaudron , 80,000 boulets & 600 planches.—
La frégate Françoife l'Aurore , commandée par
le Chevalier de Cypierre , eft arrivée ici le 9 de
ce mois avec 3 navires marchands qu'elle eſcortoit.
Le principal objet de fa miſſion étoit de régler quelques
différends furvenus avec le Dey ; mais l'accommodement
final a éprouvé tant de difficultés , qu'on
eſt convenu d'un délai de trois mois pour en informer
la Cour de Verſailles & attendre la réponſe «.
De TURIN ,› le 22 Août.
MADAME Marie- Thérèſe de Savoie , foeur
du Roi , eft morte la nuit du 14 au 15 de
ce mois ; la pompe funèbre s'eft faite le 18
àરે 9୨ heures du foir. Le lendemain la Cour a
( 57 )
pris le deuil ; elle le portera pendant trois
mois , dont fix femaines en laine.
ESPAGNE.
De CADIx , le 8 Août.
L'EXPÉDITION de la Méditerranée a été contrariée
par le vent d'Eft & enfuite par le
calme. Nous venons d'apprendre cependant
qu'elle a été vue il y a deux jours entre
Carthagêne & Alicante ; & dans ce cas , fi
le vent d'Eft continue , elle ne tardera pas
à arriver à fa deftination .
Nous n'avons reçu aucunes nouvelles de
la grande Armée , depuis qu'elle s'eft éloignée
de nos parages ; & l'on n'eft occupé
ici depuis que les vaiffeaux de guerre font
en mer , qu'à mettre à terre les fruits apportés
par la flotte de Montevideo , eftimés
25 millions de réaux , ( un peu plus de 6
millions tournois ).
Le Journal du camp de St- Roch ne contient
que les détails ordinaires de quelques
canonnades , auxquelles la place a quelquefois
répondu , mais fans aucun effet.
- Le Journal du fiége de Penfacola , que
la Cour a fait imprimer , comme elle l'avoit
annoncé , contient 48 pages in- 8 °. Il paroît
que malgré l'audace & l'activité de D. Bernard
de Galvez , malgré la valeur & la
conftance de nos troupes , la prise de cette
place eût été beaucoup retardée , fi de faux
avis n'avoient amené D. Jofeph Solano au
C S
858 )
མ་
fecours des affiégeans. Les 8 vaiffeaux qui
parurent à la hauteur du Cap St Antoine ,
& que l'on prit pour des vaiffeaux de ligne
Anglois , n'en étoient pas. L'Amiral Parker
en avoit envoyés pour escorter la flotte de la
Jamaïque , & 2 ou 3 autres avoient été du
côté de Curaçao ; par conféquent on avoit
eu une fauffe alarme à la Havane . La garnifon
de Penſacola étoit compofée de 1600
hommes , fans compter les Nègres & une
multitude d'Indiens , répandus dans le pays
& dans la campagne , qui ont fait plus de
mal à nos troupes que les foldats Européens.
300 hommes s'étant fauvés pendant
qu'on dreffoit les articles de la capitulation ,
ce qui eft peut-être l'un des crimes du Commandant
Campbell , & les ennemis en ayant
perdu quelques-uns dans les différentes attaques
, le nombre de nos priſonniers n'a
été que de 1347 , en y comprenant 101
femmes & 123 enfans. Nous avons eu 74
hommes tués & 198 bleffés dans les troupes
de terre , & 21 tués & 4 bleffés dans celles
de la Marine. On a trouvé dans la place ou
dans les forts qui la défendoient , 4 mor
tiers , 143 canons , 6 obufiers & 40 pierriers.
Il y avoit auffi en uftenfiles & en mu
nitions de guerre , 1623 bombes , 1530
grenades , 844 boulets , 2142 fufils , 30,712
cartouches , 298 quintaux de poudre , &c.
&c.
( 59 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 28 Août.
Nous fommes toujours dans l'attente
des nouvelles de l'Amérique Septentrionale.
Nos papiers annonçoient , le 24 , que
le Lord Germaine en avoit reçu une trèsimport
nte ; il ne s'agiffoit de rien moins
que d'une affaire entre le Lord Cornwallis
& le Marquis de la Fayette , dans la Virginie
; felon une gazette Royale extraordinaire
de Rivington il y a eu 300 Américains
tant tués que bleffés , & 200 fauts prifonniers
voici les détails que l'on donne de
cette action .
,
Le Lord Cornwallis après s'être emparé de différens
poftes dans cette Province , s'étoit mis en marche
le 4 Juiller pour paffer la rivière James , & avoit
pris fon camp près de James -Town . Le 6 à midi , il
eut avis de l'approche de l'ennemi . A quatre heures ,
les poftes avancés furent attaqués ; & fur la fin du
jour l'affaire devint générale ; mais la brigade du
Colonel Dundas , confiftant dans le 43e le 76e.
& le 80e. Régimens qui formoient l'aîle gauche ,
ayant attaqué la ligne de Penfylvanie , & le détachement
des troupes Continentales , aux ordres du
Marquis de la Fayette , lenremi ne réfifta plus que
quelques minutes , & il prit la fuite , abandonnant
fon canon. La cavalerie étoit prête à le pour faivre ;
mais l'obfcurité de la nuit l'en empecha. Les Américains
avoient environ 2000 hommes de troupes ,
tant Continentales que de milices . Le Lord Cornwallis
croit que s'il eût cu une demi- heure de jour
1
€ 6
( 60 )
de plus , il auroit rendu d'eux un bien meilleur
compte «<.
Cette action ne peut pas être regardée
comme bien importante ; la nuit n'a pas permis
au Lord Cornwallis de la rendre décilive.
On ne ceffe d'annoncer de tous côtés que nous
avons de grands avantages , & il femble
qu'il y ait une fatalité attachée à nos armes
qui nous empêche d'en tirer parti. Malgré
nos victoires la guerre continue encore
dans l'Amérique Septentrionale , les Américains
fi fouvent vaincus , & réduits aux
abois dans nos papiers , fe défendent tou
jours , & pendant qu'on nous affure qu'ils
font prêts à fe foumettre , on les voit fans
ceffe fe préfenter de nouveau les armes à la
main pour nous combattre . On peut juger
de leurs difpofitions par la lettre ſuivante ,
écrite de Charles-Town.
*
» La Caroline Méridionale eft actuellement dans
la fituation la plus déplorable. Lorique Charles-
Town s'eft rendue à nos armes , on cût dit que
la Province , laffe des maux qu'elle avoit foufferts ,
étoit dans une difpofition générale de rentrer fous
le gouvernement Anglois. Mais à peine l'armée
fe fut établie à Charles- Town , que les plus terribles
effets du gouvernement militaire fe firent
fentir. Après le départ du Général Clinton , l'Officier
qui commandoit les troupes les abandonna,
à toute la licence imaginable. Elles entrèrent à
difcrétion dans les maifons , enlevèrent aux habitans
toute leur vaiffelle & les effets de quelque
valeur. La vaiffelle fut envoyée à New -Yorck.
Des femmes de la première diftinction furent trai
tées avec indignité. Il y en eut même à qui on
arracha avec violence les vêtemens qu'elles avoient
fur le corps. Toutes les marchandifes qu'on pouvoit
enlever , jufqu'à l'indigo , furent faifies de
force dans les magafins ; on n'épargna pas même
des articles qui paroiffoient être en fureté par leur
volume & leur poids. Tout fut pillé fans diftinction
avec cette différence feulement , que lorfque
les pillés paffoient pour inclinés en faveur des
Anglois , ils pouvoient eſpérer d'en retirer quel
ques articles , c'est-à- dire ceux qui frappoient allez
les yeux pour être bien diftingués . Quand il fut
queftion de payer les pillards , plufieurs des principaux
habitans de la Province furent emmenés de
force , fans qu'il y eût aucune charge particulière
contr'eux , & leurs familles laillées prefque fans
aucune reffource pour , fubfifter. Les perfonnes les
plus qualifiées furent traitées avec un dédain qui
les a aliénées fans retour & les a tellement irri
tées , que lorsqu'elles peuvent répandre leurs plaintes
dans le fein les unes des autres , elles font
accompagnées de toutes les imprécations qu'inf
pire le defir de la vengeance. Les femmes qui
veulent parler ouvertement & qui le font fouvent
par des déclamations violentes contre les Officiers ,
ont été menacées de la prifon . Les confidences par
lettres ne font pas même sûres ; on les livre ou
retient au Bureau , fuivant que l'on connoît ceux
à qui elles font adreffées. Il eft facile d'imaginer"
les conféquences d'une pareille conduite. Toute la
Province , à l'exception d'une petite partie à la
portée de la garnifon de Charles- Town , ne fau-'
roit paffer pour foumife ; il n'y a pas d'autre
ville que Camden , à foixante & dix milles de .
Charles- Town ; il n'y a même jamais eu de communication
régulière entre l'une & l'autre. Les
détachemens Américains s'avancent prefque juſ
qu'aux portes de Charles-Town. Ils fe font méme
( 62 )
emparés de plufieurs poftes entre cette ville &
Camden. Les Anglois ont beaucoup fouffert dans
leur marche circulaire de 600 milles a travers les
deux Carolines. Leur perte n'eft pas evaluée à guère
moins de trois mille hommes , dont une grande par.
tie a été faite prifonnière par les Américaius . Les
Officiers qui font revenus sur leur parole a Charles
Town , dépofent unanimement que toute la
cam agne eft enemie des Betons , & qu'ils y ont
peu d'amis . Dans le tems même où l'armée tenoit
la campagne , les environs étoient tellement infeltés
de partis Américains , qu'il n'étoit pas même
sûr de traverser les grandes rontés de Charles-
Town a Savannah . Tous les documens & papiers
publics du tréfor & les autres choles de conféquence
de la Province , ont été fauvés d'avance
& font actuellement en dépôt à Philadelphie.
Un bâtiment arrivé de New Yorck à Brif
tol a apporté des lettres , felen lefquelles ,
lors du départ des troupes commandées par
le Général Arnold , pour aller prendre pof
feffion de New Castle , le Général Washington
avoit raffemblé la milice des Etats- Sep
tentrionaux , & avoit été joint par les troupes
Françoiles venues de Rhode Iſland ; que
King's Bridge , firué dans Yorck- Ifland , étoit
affiégé par des forces fupérieures , & qu'en
conféquence le Général Clinton avoir renoncé
au deffein de fe rendre en perfonne
à la Delaware , & de mener un renfort à
Arnold. L'efcadre de M. de Graffe étoit
attendue chaque jour fur les côtes de l'Amérique
Septentrionale.
橥
On a la relation Eſpagnole de la prife de
Penſacola ; nous n'en avons point encore
( 63 )
d'autres que la fuivante , qui nous a
été fournie par la Gazette Royale de la
Caroline Méridionale du 21 Juin.
Le 9 Mais au matin , une forte E pagnole , confiftant
en 38 voiles , y compris un vaineau de 64
canons , 6 fiégates , & 5 ou 6 galères a rames ,
parut devant la Barre de Penſacola , ayant à bord le
General de Galvez avec environ 2500 hommes
dont la plus grande partie puit terre durant la nuit
en l'Ile de Sainte Role. Le 11 , ils établirent une
batterie de 6 canons , qui empêcha le navire le
Mentor , & la chaloupe le Port - Royal , de
mouiller aux poftes les plus propres por la dé
feufe du havie. Le 18 , un brigantin armé & 3
galères à rames entrèrent dans le Chinal de la
Pointe. Le lendemain , toute la flotte , excepté le
vaiffeau de 64 canons , les fivit , ayant vent &
marée favorables , malgré le feu violent de la
Redoute Royale de la Marine fur les Red Cliffs ;
& elle mouilla en deçà de l'Ile de Sainte Roe . Le
22 , les ennemis débarquèrent fur la Pointe-Tartare :
ils furent joints par le Colonel d'Ezpeleta avec 800
hommes de la Mobile , & le 23 , par 18 tranfports de
la Nouvelle - Orléans , ayant 1300 hommes à bord.
Le 26 , la flotte ennemie s'avança & mouil a un peu
au- detfous de la Ville , vis - à - vis la Lag ne de
Sutton , où elle mit , le 28 , toutes les forces à
terre elles marchèrent delà , le 30 , vers Neil's-
Meadows , environ à un mille & demi du Fort
George : elles y furent attaquées par les Indiens , qui
étoient foutenus par les troupes légères & 2 pieces
de campagne , fous les ordres du Capitaine Johnſton :
ils les chafsèrent de leur pofte avec une perte confidé
rable du côté de l'ennemi Parmi les tués , fut un
Colonel. Les Indiens emmenèrent 4 tambours en'
trophée , ainſi qu'un nombre de fufils . Le 12 Avril ,
mos troupes de la garniſon firent une fortic contre
( 64 )
un parti avancé de l'ennemi , & le forcèrent à fe
retirer. Le Général Galvez fut bleffé , & nombre
de fes gens tués. Dans cette occafion , nous perdîmes
un Subalterne. Le 19 , il parut une flotte , confiftant
en 11 vailleaux de ligne & 4 frégates Espagnols ;
4 vaiffeaux de ligne , une frégate , un brigantin
armé , & un cutter François ; en tout 22 voiles ,
ayant à bord 3 mille hommes , y compris les troupes
Marines , qui mirent pied à terre le 22 Avril. Il
y a tout lieu de croire que l'arrivée de ce renfort
empêcha le Général Galvez de lever le fiége & de
rembarquer les troupes . La nuit du 28 au 29 , l'ennemi
ayant achevé un chemin couvert de l'endroit
de fon débarquement , jufqu'à une hauteur environ
1500 verges de notre redoute extérieure , il y
commença une batterie , qui s'ouvrit le 2 Mai , &
fit , à nos fortifications , quelque dommage , qui
fut cependant toujours réparé dans la nuit. Après
la fortie du 12 Avril , les affiégés en firent plufieurs
autres , dans lesquelles l'ennemi fouffrit toujours
confidérablement , mais aucune d'importance jufqu'au
6 Mai , lorfque 100 hommes , commandés par le
Major M'Donald , attaquèrent vers midi , la bayon
nette au bout du fufil , & chafsèrent 7 ou 8 cents
ennemis de leurs ouvrages , qu'ils avoient avancés
jufqu'à la diſtance d'environ 600 verges de notre
redoute extérieure , firent prifonniers un Capitaine ,
2 Subalternes , & 4 foldats ; tuèrent 3 Offi.iers &
environ fo hommes ; enclouèrent s pièces de canon
de fonte , & mirent le feu aux ouvrages ennemis ,
avec perte feulement d'un Sergent tué & de 2 foldats
bleffes . Le 8 Mai , vers les 9. heures du matin , le
magafin de la redoute extérieure fauta par quelque
accident ; & par ce défafire , la redoute , avec la
plus grande partie de nos munitions d'artillerie ,
fut detruite entièrement , & plus de 100 hommes
tués. En conféquence , l'on bat it la chamade ; l'on
convint d'articles de capitulation ; & le 11 ; labrave
( 65 )
garnifon fortit de la place , au nombre de 800
hommes , y compris les Marins des deux vaiffeaux ,
& mit bas les armes devant le Général Galvez . Elle
étoit alors de quelques centaines d'hommes moindre
en nombre que celui que l'ennemi convenoit d'avoir
perdu durant le fiége. Notre perte , dans toutes
les actions , ne montoit pas au- delà de 20 hommes ,
jufqu'à ce que la redoute avancée fauta ; & , fi ce
n'eût été ce malheureux accident, il eft incertain fi
l'ennemi auroit réuffi à réduire la place , malgré
fa grande fupériorité. . . . Nous apprenons que
le Général Campbell eft réfolu d'aller à New -Yorck.
Nos nouvelles des Antilles fe réduifent
à ceci. Le Sandwich parti de la Jamaïque
le premier Juillet , a mis à la voile en mêmetems
qu'une des divifions de la flotte qui fera
de 200 voiles. Ce paquebot qui eſt arrivé ,
nous apprend qu'elle eſt eſcortée par 3 des
4 vaiffeaux de ligne qui reftoient à la Jamaïque
; ce qui nous fait juger que la deftination
de l'Agamemnon & du Prothée de
64 , partis de Portſmouth le 19 , fe rendent
à la Jamaïque. Si cette conjecture eft vraie ,
l'efcadre de cette ftation fera compófée de
nouveau de 4 vaiffeaux , favoir , le Ramillies
de 74 , le St- Alban , le Prothée &
Agamemnon de 64. La flotte de ifles eft une
des plus confidérables qu'on ait vu fortir
depuis long-tems des Indes occidentales. On
attend fon arrivée avec impatience ; les calculs
les plus modérés en portent la valeur à
2 millions fterling. Ces richeffes font fans
doute un objet très- intéreffant , mais dans
les circonftances préfentes l'arrivée de cette
( 66 )
flotte nous procureroit un autre avantage
celui de faciliter la levée de 3000 matelots
dont nous avons un befoin indifpenfable
pour envoyer à la mer 6 vaiffeaux de ligne ,
auxquels il ne manque que du monde pour
être en état d'appareiller fous peu de jours.
On a lieu de craindre que le paffage du Nord
que cette flotte a choifi pour éviter l'ennemi ,
ne prolonge fa traversée , & qu'au lieu d'arriver
à la fin de ce mois , elle ne paroiffe qu'à
la fin du prochain & peut-être plus tard ; encore
faut-il qu'elle échappe à l'armée ennemie
combinée dont on n'entend point parler,
mais que l'on fait être en mer , & qui peutêtre
croife dans les parages qu'elle doit tenir
pour l'intercepter.
Le 17 de ce mois , le Roi accompagné du
Prince de Galles a été à l'entrée de la tamife
voir l'efcadre qui a foutenu le combat du f.
Il a reçu les hommages de tous les Officiers
à bord du vaiffeau de l'Amiral Parker , à
qui il a donné des marques particulières
d'eftime & de bonté , fans pourtant le créer
Chevalier comme le bruit en a, couru Tous
les vaiffeaux de certe eſcadre font dans l'état
le plus déplorable. Le Prefton a 34 boulets
de 42 livres à fa flottaifon , fon grand mât
coupé au milieu , fon beau pré emporté ,
fes autres mâts , vergues , agrêts , & c. plus
ou moins endommagés ; le Puffalo étoit dans.
le même étar ; celui des autres n'étoit guère
meilleur , la Princeffe Amélie fur-tout qui
n'eft arrivée que long- tems après les autres ,
( 67 )
& dont on craignoit la perte , fera longtems
à réparer.
La Gazette de la Cour du 21 de ce mois
contient la lettre fuivante du Capitaine Drury
, du floop du Roi le Caméléon de 14 canons
de 6 , 4 caronades & ୨୦ hommes.
Ayez la bonté d'informer , Mylord , les Commiffaires
de l'Amirauté , qu'en conféquence de
l'ordre que j'avois reçu du Vice - Amiral Drake ,
Commandant en chef des vaiffeaux & navires de
S. M. dans les Dunes , de croifer entre le Galloper
, Middelburgh & le Broad Fourteens , le 14
courant , à fix heures du matin , le Texel nous
reftant à fix lieues au S. E. nous donnâmes chaffe
à un dogre Hollandois , appartenant aux Etats de
Hollande, montant 18 pièces de 6 & 20 pierriers.
A neuf heures moins un quart , nous nous
en approchâmes bord - à - bord , & l'invitâmes à
baiffer pavillon devant celui de S. M. B. Sur le
champ il nous envoya fa bordée , que nous lui
rendîmes à l'inftant , & l'action continua , nos
vergues engagées les unes dans les autres , jufqu'à
neuf heures & demie , alors le dogre fauta en
l'air , nous touchant bord à bord : l'exploſion fut
fi violente qu'elle fit chanceler nos gens fur leurs
jambes , & la fumée qui s'éleva fut fi épaiffe ,
que pendant deux minutes , il leur fut impoffible
de fe diftinguer les uns des autres fur le pont :
lorfqu'elle commença de fe diffiper , nous apperçumes
que nos huniers étoient en flammes dans
plufieurs endroits , particulièrement notre voile de
grande hane & celle du perit perroquet que je fus
obligé de faire détacher de fes vergues : cet accident
étoit occafionné par les éclats enflammés
des débris du vaiffeau , dont l'exploſion avoit couvert
le nôtre ; on trouva beaucoup de lambeaux
de chair humaine attachés à nos mâts & à nos
( 68 )
―
-
>
Le
agrêts , & l'on ramaffa fur le pont quelques membres
des Hollandois ; nous avons tout lieu de
croire que le grand mât du dogre tomba à la
mer en paffant par deffus nous , car nous l'avons vu
flottant le long de notre vaiffeau du côté de deffous
le vent fon pavillon en feu flottoit fur notre
bord auffi-tôt qu'il fut poffible de le faire ,
nous mîmes notre bateau à la mer , dans l'eſpoir
de fauver quelques - uns des gens de l'équipage ,
mais nous n'en avons pu voir un feul vivant :
notre pêche s'eft bornée à retirer fa flamme & le
chapeau d'un foldat de marine C'eft avec un
plaifir infini que j'informe L. S. que dans l'action
je n'ai eu que 12 hommes bleffés , dont aucun
quant à préfent , ne paroît l'être dangereufement.
Je fuis le feul Officier qui l'ait été , un éclat
ayant fait à ma jambe une légère bleffure , qui ,
très - probablement , n'aura aucune fuite.
vaiffeau a reçu des dommages confidérables dans
fes voiles & agrêts : je ne fache pas , jufqu'à préfent
, qu'il ait reçu dans fon corps aucun coup
dangereux , à l'exception d'un boulet , qui l'ayant
percé au- deffous de la flottaiſon , renverfa deux
hommes dans la foute aux poudres , & fut fe loger
dans l'endroit où couche le maître . Pour
rendre juftice aux Officiers & à l'équipage de mon
vaiffeau , je ne puis terminer cette lettre fans informer
L. S. de la conduite mâle & de l'intrépidité
dont ils ont fait preuve en cette occafion :
elles ont des droits à mes éloges les plus marqués ,
ainfi qu'à mon admiration , & j'efpere qu'elles les
recommanderont à la faveur de Leurs Seigneuries .
Le Commodore Shirley qui , à bord du
Léander de so canons , a paffé le 4 de ce
mois à la hauteur de Plymouth , fe rend
dit-on , fur la côte d'Afrique où il eſt chargé
d'une expédition contre les établiffemens
-
( 69 )
Hollandois . Les bâtimens de transport qui
font fous fon convoi , ont des troupes deftinées
à renforcer nos établiffemens à Difco-
Succondée , Commondas , &c.
Le bruit court qu'on a reçu la nouvelle que
les frégates croifières de l'Amiral Darby ont
rencontré & pris la frégate Françoile l'Emeraude
de 3 2 canons ,détachée de l'efcadre combinée
pour porter des dépêches qu'elle a malheureusement
jettées à la mer .
On équipe ici avec toute l'expédition poffible
26 cutters des meilleurs voiliers , du
port d'environ 150 à 200 tonneaux qui
après avoir pris à Woolwich Warren des
chargemens en bombes , boulets & poudre ,
feront à tout évènement voile pour Gibraltar.
On s'attend que plufieurs tomberont
entre les mains des ennemis , mais on efpère
que quelques- uns arriveront ; & cette
fortereffe eft dans un fi grand beſoin de
munitions , qu'à moins qu'elle n'en reçoive
un fecours immédiat , il en résultera les conféquences
les plus fâcheufes. Toutes les lettres
particulières ajoutent encore à l'horreur
des defcriptions qu'on a publiées de l'état
déplorable de cette place . Le bombardement
ne difcontinue pas , & l'effet en eft terrible ;
il a enfoncé la plupart des caves , dont il eſt
impoffible de fermer l'accès aux foldats , qui
font presque toujours ivres. Ce n'est peutêtre
pas un malheur bien grand , fi , comme
le difent ces lettres , les foldats lorsqu'ils
( 70 )
n'ont pas bû , fe livrent à des murmures
alarmans.
Il eft arrivé au Bureau du Comte de
Hillsborough un exprès venant des Indes
Orientales. Il n'en vient cependant pas
directement ni par le plus court chemin
puifque c'eft notre Ambaffadeur à Conftantinople
qui l'a reçu d'abord , & qui
l'a expédié ici . S'il faut en croire quelques
papiers , il apporte la nouvelle importante
que le Chevalier Eyre Coote a remporté
une victoire complette fur les troupes d'Hyder
Aly ; que les débris de fon Armée font
dans la plus grande détreffe par le manque
de provifions , & que le Chevalier Eyre
Coote avoit prefque obligé Hyder Aly de
quitter le Carnate ; la Cour dans la gazette du
25 de ce mois a dit un mot de ces nouvelles ,
qui feroient en effet bien fatisfaifantes fi elles
fe confirment. En attendant on nous raffure
ainfi fur le fort de Madras.
» Il eft abfolument impoffible que les vaiffeaux
de guerre François approchent du Fort St- George ,
ou qu'ils s'emparent des bâtimens mouillés dans
la rade de Madras . Il ne faut , pour s'en convaincre ,
que fe rappeller le fiége de Madras dans la dernière
guerre fous la conduite de M. le Comte de Lally .
Il y avoit alors dans la rade deux vaiſſeaux de la
Compagnie & quelques autres , & quoique les
François fuffent les maîtres de la mer & de la côte ,
ils ne purent jamais les prendre ni les détruire..
Les vaiffeaux enneinis dont il eft queftion dans le
rapport des Directeurs , composent toutes les forces
de la France dans cette partie du Monde. La plupart
de ces vaiffeaux font prodigieufement fales ; mais
au moyen de la nombreufe garnifon qu'ils ont à
( 71 )
-
bord , leurs équipages font affez complets . Ils ne
portent point d'autres troupes de terre , & ils n'ont
pas débarqué un feul homme pour favorifer les
opérations d'Hyder - Aly . Auffi - tôt que les
vaiſſeaux de l'eſcadre du Chevalier Edouard Hughes
auront été nettoyés & réparés , ils feront bien en
état de combattre les François , fi ceux- ci rettent
à la côte , & qu'ils n'éprouvent aucun accident de
la Mouffon. On fait que ce vent fouffle avec la
plus grande violence pendant le mois de Février ,
& qu'il continue jufqu'à la mi-Mars , tems auquel
le Chevalier Edouard Hughes fe propofe de fe
rendre à Madras.
On dit que 2 vaiffeaux de ligne & 3
frégates ont ordre d'aller fe pofter à la hauteur
de l'embouchure de la Meufe , pour
empêcher que les vaiffeaux de Rotterdam
ou d'Hellevoetsluis ne mettent à la voile
pour renforcer l'efcadre Hollandoife du Texel.
Mais il n'eft pas sûr qu'ils aient reçu
cet ordre à tems ; & il paroît qu'à leur arrivée
ces divifions feront déjà rendues à
leur deftination .
S'il faut en croire nos papiers , nous avons
actuellement 104 yaiffeaux de ligne en mer ;
on en radoube , & l'on en conſtruit à neuf
27 autres dans nos chantiers. Outre cela
chaque Province a , dit-on , réfolu d'offrir
au Roi un vaiffeau de guerre armé & équipé
, ce qui en feroit un nombre confidé
rable ; & il feroit à fouhaiter que ces bruits
fe vérifiâffent , car nous en avons un grand
befoin. On annonce comme prêts à être
lancés dans le cours du mois prochain , fur
( 72 )
la Tamiſe , du chantier de Deptford , le Goliath
, de 74 canons ; des chantiers de Rotherluthe
& Blackwall , le Gange , le Car
natick , le Bombay- Caftle , de même force ;
à Portſmouth , le Warrior , de 74 , & à Plymouth
l'Anfon , de 64.
» Nos papiers , lit- on dans une de nos Gazettes ,
s'étant permis de publier quelques confidérations
fur l'état de la France , relativement à la ſituation
de fes finances , on leur a répondu par un tableau
de nos dettes & de nos reſſources. Il fe trouve
que dans le moment actuel notre dette nationale ſe
monte à plus de 5 milliards ; ainfi à 3 pour cent
d'intérêts , ces cinq milliards forment une rente
de 150 millions par an ; la totalité des revenus des
trois Royaumes s'élève à peine à cette fomme de
150 millions ; de forte que fi l'on en déduifoit
les autres dépenfes publiques , l'Angleterre fe trouveroit
devoir tout ce qu'elle vaut inirinféquement.
Cependant elle fe foutient par cet efprit de patriotifme
, d'enthouſiaſme & de liberté , qui intéreffe
chaque individu à la confervation de l'Etat. Il ré
fulte de la comparaifon des Finances des deux
Royaumes , que la France a à cet égard un trèsgrand
avantage fur nous.
La place de Trésorier de l'Extraordinaire des
Guerres vaut en tems de guerre 50 mille livres
fterling par an celle de Tréforier de la Marine ,
30 mille ; & celle de l'Auditeur de l'Echiquier ,
40 mille. On prétend que le Roi a fait plus d'une
fois mention de l'immenfité de ces émolumens ,
depuis fa réconciliation avec les freres , & l'on
croit qu'après le décès de ceux qui en jouiffent
aujourd'hui , quelques branches de la Famille
Royale en feront pourvues : on dir que le Chancelier
a fortement recommandé cette mefure à
S. M. , ces places étant trop lucratives pour être
poffédées
( 73 )
poffédées par aucuns fujets quelconques , tandis
que les revenus des frères de S. M. font de beaucoup
inférieurs.
P. S. Ce qu'on avoit prévu eft arrivé.
L'Amiral Darby ayant rencontré un vaiffeau
marchand Portugais , qui lui a dit avoir
vu , le 15 , l'armée combinée de France
& d'Espagne , par les 47 degrés de latitude &
10 de longitude oueft , forte de 49 vaiffeaux
de ligne , a repris prudemment la route de
Torbay, où il eft entré heureuſement le 24. Sa
Alotte confifte en un vaiſſeau de 1 10 canons ,
2 de 100 , trois de 98 , 3 de 90 , un de 80 ,
10 de 74 , un de 64 , un de 60 , & 12
grandes frégates ; en tout 23 vaiffeaux de
ligne. Si le Saint- Alban , le Dublin
l'Afrique , la Bellone , de 74 ; le Nonfuch',
de 64 , & l'Affiftance , de 60 , ont reçu
ordre de le joindre , comme on le dit , il
n'aura pas plus de 29 vaiffeaux , & ne fera
pas en état de fortir pour ſe meſurer avec un
ennemi auffi fupérieur . Il y a bien des gens
ici qui doutent de l'approche de cette armée ;
ils veulent abfolument qu'elle foit occupée
de Gibraltar & de Minorque qu'elle peut
prendre plus facilement que nous faire beau
coup de mal ici.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 4 Septembre.
Le Roi a nommé aux places de Grand-
Croix vacantes dans l'Ordre de St- Louis ,
8 Septembre 1781 . d
( 74)
pour le fervice de terre , le Marquis de
Traifnel , le Comte de Choiſeul Beaupré , le
Comte de Fumel , Lieutenans - Généraux ,
& M. de Fourcroix , Maréchal - de- Camp ,
Commandeur dudit Ordre . Pour le fervice
de terre , le Comte de Goyon de Vaudurand ,
M. du Poral , le Comte de Blot , Lieutenans-
Généraux , le Comte de Barrin , le Marquis
d'Ambly & M. d'Aubigny , Maréchaux de
Camp.
Le 25 , jour de la Fête , S. M. reçut ,
dans fon Cabinet , les Grands - Croix &
Commandeurs préfens , & envoya aux abfens
ces décorations & la permiffion de les
porter. Elle reçut les refpects des Princes ,
Princeffes & des Seigneurs & Dames de la
Cour à l'occaſion de ſa Fête.
Le 27 , les Députés des Etats de Langue.
doc eurent l'honneur d'être admis à l'Audience
du Roi , conduits par MM . de Nantouillet
& de Watronville , Maître & Aide
des Cérémonies ; ils furent préfentés par le
-Maréchal Duc de Byron , Gouverneur de
la Province , & par M. Amelot , Secrétaire
d'Etat , en ayant le département. La Députation
étoit compofée pour le Clergé de
l'Evêque de Carcaffone qui porta la parole ;'
pour la Nobleffe , du Marquis de la Touretre
, Baron de Tour du Viva₁ais , Meftrede-
Camp en ſecond du Régiment de l'Ifle de
France ; pour le Tiers Etats , du Chevalier
de Morgues , Député du Puy , de M. Chal775
>
meton , Député des Vans , & de M. de
Rome , Sindyc général de la Province.
De PARIS , le 4 Septembre.
RIEN ne tranfpire ni des nouvelles que
l'on dit avoir été apportées de l'Armée combinée
par la Sibylle , & enfuite par la Néreide
, ni des ordres qui ont été donnés à
ces frégates , qui ont dû partir pour la rejoindre.
Il paroît qu'on n'eft pas mieux inftruit
en Espagne de fa pofition actuelle , &
des lieux où elle a établi fa croiſière..
» Nous n'avions , écrit-on de Bayonne , en date
du 25 Août , aucune nouvelle de l'armée combinée
depuis fon départ de Cadix , lorsqu'un cutter ,
qui s'en eft féparé , eft entré le 8 au paffage ; il
nous a appris que la flotte , qu'il a quittée le 12 ,
étoit alors à 20 lieues nord du cap Ortegal , dirigeant
la route vers Oneffant. Depuis qu'elle eft en
mer , elle a croifé jufqu'à 200 lieues à l'Oueft du
cap St Vincent , fans avoir fait d'autre rencontre
que celle d'un navire Américain , venant de Cadix.
Ĉe cutter a été expédié par le Général , avec des
paquets pour la Cour , qu'on a fair paffer fur le
champ à Madrid par un courier extraordinaire . Le
Capitaine du cutter rapporte encore que le jour de fa
féparation , il apperçut des fignaux qui indiquo ent
que l'on voyoit 20 voiles . La nuit furvint , & il
s'éloigna de la flotte. Il ajoute que lordre eft
donné à l'armée que les premiers va ffeaux qui aş❤
percevront des voiles , doivent chaffer & arraquer
fans attendre le ralliement , le plus ancien des Capitaines
, de quelle nation qu'il foit , devant commander
en pareil cas jufqu'à la réunion des chefs.
Ce cutter attend au paffage les paquets de la Cour ,
& il croit qu'il retrouvera l'armée ſur Ouellant .
d 2
( 76 )
Nous ne favons pas mieux ici qu'à Bayonne
où l'armée combinée a établi fa croifière
depuis le 12 Août , les uns la placent à
Oueffant , aux Sorlingues , les autres au
cap Clear, dans le canal St-George, & c. Il eft
tout fimple que fi elle fonge à intercepter les
Alottes attendues en Angleterre , elle fe foit
écartée des côtes , pour quefon apparition ne
donne point d'alarme , & ne faffe point expédier
de bâtimens pour leur porter des avis qui
les lui feroient manquer. La flotte de la Jamaïque
a dû partir dans les premiers jours
de Juillet ; elle fera aux attérages d'Angleterre
du 1 au 3 de ce mois ; ainfi on peut
efpérer qu'elle fera vue par notre Armée
navale , dût- elle s'élever dans le Nord comme
la dernière, M. de Guichen avec l'efcadre
légère , s'eft chargé , diteon , de veiller
de ce côté-là . Quant à l'Amiral Darby , les
lettres de Londres du 28 annoncent fon
ainfi il eft dans la Manche ; on
lui donne 22 ou 24 vaiffeaux . On regrette
qu'il foit parvenu à regagner fes
Ports fans recevoir quelques coups de canon .
retour
३
On fe promettoit beaucoup de la réfolution
du Général , de faire chaffer fans ordre à
l'apparition d'une efcadre ou d'un convoi ; fi
l'Amiral Darby reffort & eft apperçu le matin,
& que tous les bons voiliers de l'Armée courent
fur lui , felon l'ordre qu'on dit qu'ils
en ont reçu , il n'eft pas douteux qu'il ne foit
forcé de combattre . Il pourra le faire d'abord
avec avantage ; mais à la fin il faudra
777 )
bien qu'il fuccombe fous le nombre des
efcadres qui viendront l'entourer , ou qu'il
abandonne les mauvais marcheurs & les
vaiffeaux qui auront fouffert dans leurs agrêts
& leur mâture.
Le Courier arrivé ces jours derniers de
Madrid , n'a apporté que des dépêches relatives
au commerce. On a fu par lui que
l'armement de M. de Crillon étoit encore le
13 devant Carthagêne ; mais le vent ayant
changé dans l'après- midi , il avoit continué
fa route vers Mahon , où il auroit pu arriver
en 3 ou 4 jours , fi le vent d'oueft s'étoit
foutenu. On avoit envoyé à Barcelone des
ordres pour augmenter de 4 ou sooo hommes
l'armée de M. de Crillon. Un détachement
des Gardes Efpagnoles , & le régiment
Buch , Suiffe , étoient défignés pour être de
cet embarquement.
On a fu par un navire Suédois , arrivé à
Marſeille & forti le 11 de Mahon , qu'à
cette époque l'Ile étoit dans une fécurité
parfaite , & qu'on ne s'y doutoit pas que
l'on fongeât à l'attaquer ; fi cela eft ainsi , M.
de Crillon peut furprendre l'Ifle & s'emparer
de tous les corfaires ou les détruire.
Une lettre de Marseille , en date du 22
Août , porte que le navire le Céfar , venant
de la Martinique & entré dans ce Port , a
laiffé l'armement Espagnol près de Mayorque
, d'où il alloir tirer quelques renforts .
On écrit de Cadix que 2 cutters Anglois
font entrés à Gibraltar , & que fuivant les
d 3
( 78 )
,
avis d'Algéfiras , l'efcadre Ruffe qui fe rend
dans la Méditerranée , a été vue dans le
Détroit. On lit dans la Gazette de Madrid
qu'une frégate Ruffe eft entrée à Lisbonne le
4 Août, qu'elle avoit quitté l'efcadre 14 jours
auparavant , & qu'elle l'attendoit à Lisbonne
où elle devoit venir fe raffraîchir . Si c'eft
la même qui vient de paffer dans la Méditerrannée
, que cette frégate annonçoit , on a
lieu de croire que fon mouillage à Lisbonne
n'est qu'une rufe.
Les Ports de l'Océan ne nous fourniſſent
rien d'intéreffant. Il fembleroit qu'ils ignorent
qu'une flotte formidable eft dans leurs
eaux , fi l'on n'écrivoit de Breft qu'on y prépare
pour elle des vins & des raffraîchiffemens
qu'on fera partir dès qu'ils feront
embarqués.
Les troupes font en mouvement pour
fe rendre en Bretagne ; au nombre des Régimens
qui paffent dans l'Inde , eſt le fecond
bataillon d'Aquitaine , dont le Marquis de
Crillon , fils aîné du Duc , eft Colonel-
Commandant. Il femble par les demandes
que le Miniftre a faites au Havre , à Nantes , à
Bordeaux , &c. que cet armement n'eſt pas le
feul qui fortira de nos Ports avant la fin de l'année.
Il fautque le befoin de vaiffeaux de tranfport
foit preffant, puifque le prix du frêt offert
aux Négocians ne leur ayant pas convenu , le
Miniftre s'eft , dit- on , déterminé à acheter
pour le compte du Roi , tous les navires
au-deffus de 300 tonneaux , fur l'eftimation
( 79 )
d'un Conftructeur de la Marine Royale &
d'un Conftructeur ordinaire des Ports.
» Nous venons écrit- on de Saint - Jean - d'Angeli
, de perdre M. le Comte de Broglie
qu'une fièvre nous a enlevé la nuit du 16 au 17
de ce mois. Lorfque pour le bien & la confervation
des troupes de S. M. , on s'est déterminé
à évacuer les garnifons de la Rochelle & de Ro
chefort , pour former un camp de falubrité dans
les environs de la ville de Saint-Jean-d Angely ,
on ne s'attendoit pas à ce fatal évènement , qui au
premier coup d'oeil femble détruire cette opinion.
Ce Citoyen refpectable paroît être , dans cette cir
conftance victime du bien public ; cat émule du
zèle de M. le Marquis de Voyer , Lieutenant-
Général des Armées , Commandant dans cette
Province , qui , depuis long - tems , fait les plus
grands efforts pour parvenir au défsèchement des
marais peftiférés qui entourent Rochefort , & dont
l'air corrompu pénètre juſqu'à la Rochelle & heux
intermédiaires , ces deux Officiers généraux après
avoir palé un jour à faire manoeuvrer les troupes
du Camp , fe font embarqués dans un canot pour
fuivre le cours des rivières de Boutonne & de Charente
jufqu'à Rochefort ; ils ont paffé onze heures
dans cette navigation pendant une chaleur exceflive ;
ils ont fait les obfervations les plus importantes ;
c'eft-là où M. le Comte de Broglie a pris le germede la
mort ; car le lendemain de fon arrivée à Rochefort ,
il a été attaqué par un violent accès de fièvre , qui
a paru fe déclarer tierce : on a voulu lui perfuader
de partir fans délai ; mais emporté par fon ardeur.
il a voulu continuer fon travail ; il eft tombé dans
l'affaiffement , c'eft l'état où il a paru en defce dant
de voiture dans l'Abbaye de Saint- Jean-d'Angely ,
où on l'a fait tranfporter trop tard ; la fièvre eft
devenue continue avec des redoublemens violens
d 4
( 80 )
auxquels il n'a pu réfifter. Aujourd'hui 18 , on a
fait fes funérailles avec toute la pompe poffible
tout le Clergé a été aſſemblé , il n'a rien manqué
aux cérémonies les plus auguftes de l'Egliſe ; M.
le Marquis de Voyer a ordonné toute la pompe
militaire & le plus nombreux cortége ; M. le Comte
de la Tour du Pin , Maréchal de Camp employé ,
a fait le deuil ; tous les Officiers & toutes les troupes
ont pris les armes & ont affifté à cette cérémonie
funèbre , ainsi que toute la nobleffe & les Corps
Civils & Municipaux , avec tout le zèle que pouvoient
infpirer le refpect & l'attachement qu'ils ont
voué à M. le Maréchal de Broglie & à l'illuftre
mort ſon frère «.
On vient de voir à Montefquieu de Volveftre
, en Languedoc , un nouvel exemple
du danger de fonner pendant les orages.
>
Le 30 Juin , environ à 3 heures après midi ,
pendant qu'un orage fe formoit fur la Ville , le
Sonneur , accompagné de fon fils & de 6 ou 7
jeunes garçons , ayant eu l'imprudence de monter
au clocher , la foudre éclata auffi tôt que les
cloches commencèrent à être en branle ; & étant
entrée par une lucarne , elle tua un jeune homme
de 20 ans , en terraffa un autre du même âge
ferpenta quelque tems autour des cloches , dont
elle fit tourner la plus groffe avec une vîteffe incroyable
, & prit enfuite fa direction vers l'escalier
, où 2 enfans de 10 à 12 ans furent trouvés
morts. Le fils du Sonneur en a été quitte pour
une commotion légère au bras & une égratignure
au fourcil Les autres en rentrant précipitamment
chez eux , font prefque tous tombés en fyncope.
Un des malheureux que la foudre avoit atteints ,
a été rappellé à la vie par le fecours des Chirur
giens mais il a eu à la fuite du traitement , des
convulfions affreuſes ; & il n'eſt pas encore tour àfait
hors de danger.
::
( 81 )
On a effuyé à Centpuis , village à 3 quarts
de lieue de Grandvilliers , gros bourg de
Picardie , un orage , dont on nous mande
ainfi les détails .
de
» La nuit du 10 au 11 de ce mois , le tonnerre
eft tombé fur le clocher de l'Eglife . Après avoir
brifé le coq , il a parcouru les quatre faces du
clocher , dont il a découvert la première fans endommager
les lattes ; il a coulé enfuite le long de
la face feptentrionale , & l'a dépouillée d'ardoifes ,
de lattes & de chevrons. De là , en fe relevant ,
il a fait fortir une pierre d'entablement du poids
300 livres environ , qu'il a pouffée violemment
par - deffus la nef , & qui est tombée dans la cour
du Curé. Un fait plus extraordinaire , c'eft qu'ayant
pénétré dans l'Eglife , par le toit , il eft allé frapper
le glacis d'une croifée du choeur , l'a foulevée , s'eft
introduit par le haut de cette croifée , en écartant
une pierre da cintre , & a pénétré affez loin dans
le mur en remontant ; une autre croifée de la nef
offre le même fpectacle, avec cette différence qu'il y a,
dans le glacis , un trou d'environ deux pieds , &
que la foudre s'étant relevée , s'eft infinuée par le
haut cintre , & enfin par le toit. Elle a parcouru
cet efpace fans mettre le feu à l'Eglife , & ne faifaut
que quelques dégradations , qui font eftimées
3000 livres ; les granges voifines appartenantes à
la Cure n'en ont pas même fouffert le plus petit
dommage.
1 L'Académie des Sciences , Belles - Lettres & Alts
de Besançon , diftribuera le 24 Août de l'année
prochaine , trois Prix pour le fujet déja proposé ,
de montrer que les vertus patriotiques peuvent
s'exercer avec autant d'éclat dans les Monarchies
que dans les Républiques. Elle a reçu plufeurs
Mémoires , dans lesquels elle regrette qu'an
mérite de la difcuffion , les Auteurs n'aient pas
( 82 )
-
›
joint celui de l'éloquence ; elle les invite à revenir
fur ce fujet qu'elle propofe de nouveau & pour
lequel elle aura trois médailles de 350 liv . chacune
à donner , que la bonté des ouvrages pourra
la déterminer à réunir ou à divifer. Le fujet
du fecond Prix , qui eft de 250 liv . eft de déterminer
quel a été l'état des Sciences & des Lettres
au Comté de Bourgogne , depuis le règne de Rodolphe-
le-Fainéant , juſqu'à la réunion de cette
Province à la Couronne , fous Louis XIV. —Le
troifième Prix , qui eft de 200 liv. , ſera donné
à celui qui indiquera les différentes espèces de
Marne qui fe trouvent en Franche-Comté , & la
manière d'en tirer le parti le plus avantageux
pour l'amélioration des champs & des prés , ainfi
que pour l'utilité des Arts. Le Prix d'Hiftoire
fera donné en 1783 , au meilleur Mémoire fur
l'Hiftoire d'une des Villes ou Abbayes de la Province.
L'Académie excepte les villes de Befançon ,
Vefoul , Poligny , Pontarlier , Baume- les - Dames &
Quingey ; & les Abbayes de Saint Claude , Liere
& Luxeuil , Saint-Paul & Saverney , fur lesquels
on a des éclairciffemens fuffifans. Elle demande
pour le Prix des Arts de la même année 1783 ,
quelles font les Manufactures que l'on pourroit
établir ou perfectionner en Franche Comté , &
quels font les moyens d'y réuffir en conciliant
la poffibilité avec la dépense. L'Académie
ayant reçu 250 liv. pour un prix de ces trois
fujets , 1º. La liaiſon intime de la Religion &
de l'Ordre Social. 2º. Le Luxe détruit les
Mours & les Empires. 3. Les funeftes effets de
la Fainéantife , & les moyens de la détruire
, annonce qu'elle recevra les Difcours fur
ces trois fujets jufqu'au 11 Décembre de cette
année.
---
Parmi les inventions curieuſes , celle
d'une cire à cacheter parfumée , par M.
( 83 )
Graffe , Graveur en cachet , mérite d'être
diftinguée ; MM. de Montigny & Macquer ,
chargés par l'Académie Royale des Sciences
de l'examiner , en ont rendu le compte fuivant
à cette Compagnie.
25 Quoiqu'en général la compofition de la cire à
cacheter ne foit point un fecret , & qu'on en trouve
un grand nombre de recetes dans différens livres
; ceux qui préparent cette matiere , ont chacun
des recettes & des manipulations particulières
qu'ils regardent comme les meilleures , qu'ils exécurent
eux- mêmes , & qu'ils ne communiquent à
perfonne. Le fieur Graffe nous a donné une connoiffance
entiere de la compofition de fa cire à
cacheter ; il en a fait quelques livres en notre préfence
: elle nous à paru très-belle ; nous en avons
fait plufieurs épreuves , en la comparant aux cires
les plus belles & les plus chères de nos Fabricans
, à celle qu'ils vendent fous le nom de Cire
à Graveur , & fur tout à la première qualité de
cire à cacheter de Hollande , laquelle eft recherchée
par les curieux en ce genre , & qui fe vend
ici 18 liv. la livre ; celle du fieur Graffe nous a
paru ne céder en rien à aucune de ces cires , en
y comprenant celle de Hollande : elle s'allume &
fe fond facilement , fans avoir le défaut ordinaire
des belles cires , qui eft d'être fi coulantes , qu'elles
tombent en gouttes auffi tôt qu'elles font allumées
, & ne donnent point le tems de les porter
à l'endroit où l'on veut appliquer le cachet ; elle
eft exempte auffi d'un autre défaut de beaucoup
d'efpèces de cires à cacheter , même des plus
belles & des plus coulantes : favoir , de ne pas
conferver leur flamme , ce qui oblige de les porter
plufieurs fois à la bougie pour achever le cachet.
Celle du fieur Graffe conferve ſa flamme
jufqu'à ce qu'on l'éteigne , fe parfond & fe purific
·
d 6
( 84 )
très bien fur le papier , & prend à merveille l'em
preinte du cachet refte d'un beau liffe & d'une
belle couleur , quand elle eſt refroidie , & enfin
demeure attachée au papier , de manière qu'on
ne peut l'enlever fans le déchirer : nous lui avons
donc trouvé toutes les bonnes qualités qu'on peut
defirer dans cette matière. Le fieur Graffe ne fait
entrer dans la compofition de fa cire ordinaire , que
les fubftances qu'on a coutume d'y employer : Tavoir
, la réfine , dite gomme - laque platte , qui
doit faire la base de toute bonne cire à cacheter ,
avec quelques autres fubftances réfineufes & les
matières colorantes : ainfi , ce qui lui eft particu
lier dans cette compofition , confifte dans les meil-
Beures proportions des ingrédiens & le jufte degré
de chaleur pour la fonte & pour le mélange.
I en fait qui a la dureté & la fragilité ordinaire
des cires à cacheter , & notamment de celle de
Hollande ; mais il peut , quand on veur , la proportionner
de maniere , que fans perdre aucune
de fes bonnes qualités , elle conferve à froid un
certain degré de molleffe & de flexibilité
qui eft affez agréable , en ce que lorsqu'on laiffe
tomber les bâtons de cette cire , ils ne fe caffent
pas , au lieu que les cires dures fe brifent quelquefois
en trois ou quatre bouts . A l'égard
des bonnes odeurs que le fieur Graffe donne à fa
cire idée de parfumer la cire à cacheter n'eft
pas novelle ; on a introduit dans cette préparation
différentes matières odorantes , tels que le
benjoin , le mufc & autres de ce genre , mais il
n'en a refulté que des odeurs d'encens , qui ` en'
général ne plaifent pas à beaucoup de perfonnes ;
mais le fieur Graffe a perfectionné ce genre d'agrément
, en produifant dans fa cire les odeurs les
plus fines , comme de bergamotte , de jaſmin ,
de rofe , de fleur d'orange , d'oeillet , en un mot ,
toutes les odeurs délicates de la parfumerie , que
-
ce
( 85 )
―
jufqu'à préfent on n'a pas pu allier avec la cire à
cacheter ; c'est une petite fenfualité tenant un peu
au luxe , qui pourra plaire à un ailez grand nombre
de gens qui aiment tout ce qui eft recherché
& peu commun . Comme l'Académie ne dédaigne
rien de ce qui peut contribuer aux progrès des
Arts , foit du côté de l'utilité , foit même du cô.
té de l'agrément , nous croyons qu'elle peut approuver
la cire à cacheter du fieur Graffe , làquelle
réunit ces deux avantages. Fait à l'Acadé
mie , au Louvre , ce Samedi 4 Août 1781. Signé,
DE MONTIGNY , MACQUER. La demeure du
fieur Graffe , Graveur en cachet , eft rue neuve
Saint-Roch , la deuxieme porte cochere à gauche ,
en entrant par la rue Saint-Honoré , chez le Bourre
lier , au deuxieme , à Paris .
-
M. Laurent , encouragé par l'accueil que
le Roi a bien voulu faire à fa gravure
de la mort du Chevalier d'Affas , s'eft engagé
à publier dans 18 mois , à compter du 15
Août dernier , 3 gravures pour lefquelles
S. M. & la Famille Royale ont foufcrit. Le
fujer de la premiere eft le Comte d'Estaing ,
récompenfant , à la prife de la Grenade , le
brave Ouradon , Sergent du régiment de
Hainaut. Le titre de la feconde , eft Louis XV
après la bataille de Fontenoy , & celui de la
troifième , Henri IV après la bataille d'Yvry.
La foufcription fera ouverte pendant 6 mois .
On s'adreffera à M. de Fontenay , Directeur
des Affiches , Hôtel de Croiffy , rue Neuve
St-Auguftin. Le prix eft de 2 liv.
Nous avons annoncé le Jaloux endormi , ECtampe
très- agréable , gravée par M. Vidal , d'après
M. Moitte . Un Tableau du même Peintre en
( 86 )
-
a fourni le Pendant qui vient de paroître fous le
titre de l'Infidélité reconnue , gravée par M. Dambrun
, qui mérite d'aller avec la précédente.
Cet habile Artiſte a publié auffi une autre Eftampe
que nous nous empreffons d'annoncer ; c'eſt
le Roi d'Ethyopie abufant de fon pouvoir. On
connoît le conte de M. de Voltaire , qui a fourni
ce fujet piquant ; il a été deffiné fupérieurement
par MM. Monnet & Moitte. M. Vidal l'a gravé
lui-même . Cette Eftampe très- agréable , eft la
feptième de celles qui font fuite aux Baigneufes
Surprises. On y retrouve le même burin , la même
grace , la même fraîcheur ( 1 ) .
La Société Royale de Médecine , dans fa féance
du 28 du mois dernier , a rendu compte de fes
travaux intéreffans pour T'humanité. Elle a propofé
en même tems les fujets des Prix qu'elle diftri
buera en 1783. Celui du premier , qui eft de
400 liv. , eft : quels font les fignes qui annoncent
une difpofition à la Pthifie pulmonaire , & quels
font les moyens d'en prévenir l'invasion & d'en
arrêter les progrès. Celui du fecond Prix , qui
eft de 300 liv. , eft de déterminer par l'analyſe
chymique quelle eft la nature des Remèdes antifcorbutiques
tirés de la famille des Plantes crucifères.
Les Mémoires pour le premier fe
ront envoyés avant le premier Juin 1783 , & ceux
pour le fecond , avant le premier Mai de la
même année , & adreffés à M. Vicq - d'Azir , Secrétaire
perpétuel , rue du Sépulcre , à Paris.-
La Société continuera de donner des Prix d'encou
ragement, à ceux qui lui adrefferont des Mémoires
fur les Maladies épidémiques , & fur l'analyſe &
les propriétés des Eaux minérales ; fur la Topogra
(1) Ces Eftampes fe trouvent chez M. Vidal , rue des
Noyers , la première porte cochère à droite par la rue St-
Jacques. Le prix de chacune eft de 3 liv.
( 87 )
phie médicale des différentes Villes ou Cantons ;
fur les maladies des Artiſans , & fur celles des
Beftiaux .
Maric Anne du Bourg de St - Polgues ,
époufe de M. Joſeph de Monteynard-Montfrein
, eft morte en fon Château de Felorre ,
en Bourgogne , le 17 Août , âgée de 33 ans.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du premier de ce mois ,
font : 71 , 53 , 26 , 13 , 38 .
BRUXELLES , le 4 Septembre.
LES lettres de Hollande ne parlent que des
honneurs rendus au Contre- Amiral Zourman
, & aux braves Officiers de fon efcadre
qui l'ont fi bien fecondé dans le combat du
5 Août ; le Stadhouder lui a fait préfent d'une
épée ; il a demandé lui- même aux Etats -Généraux
de le décorer d'une chaîne avec une
médaille d'or , telles que celles que les Miniftres
étrangers reçoivent à leur départ , &
de gratifier tous les Capitaines qui ont eu
part à l'action d'une pareille médaille d'or ,
pendante à un ruban. Il a été élevé en mêmetems
au grade de Vice-Amiral extraordinaire.
Pendant que le Gouvernement s'occupe à
récompenfer le mérite & la valeur par des
honneurs & des diftinctions , les particuliers
fe fignalent par des actes de bienfaiſance en
faveur des matelots bleffés ; ils ont ouvert
des fouſcriptions pour les foulager ; parmi
ceux qui ont cherché à manifefter leur pa(
88 )
triotifme & leur humanité par leur zèle , on
doit diftinguer un Apothicaire de Deventer.
Le fieur Rempelaar , touché de compaflion
envers les Officiers , foldats ou matelots qui ont
combattu à Doggersbank , dont les bleffures fe
gangrenent , foit par l'extrême chaleur de la faifon ,
foit par les matières corrofives que le canon y a ,
dit- on , fait entrer , vient de facrifier généreufement ,
en le rendant public , un fecret dont il faifoit ufage
depuis plus de 40 ans contre la gangrène , & qui
l'enrichiffoit. Voici ce fecret auquel on ne fauroit
donner trop de publicité. Prenez de l'alun
commun , une livre ; du vitriol blanc & du vitriol
verd , de chacun une demi- livre ; du falpêtre & du
fel commun , de chacun un quart de livre . Mettez
le tout dans un pot de terre fur un petit feu . Après
y avoir verfé une fuffifante quantité de vinaigre de
vin , faites lui prendre confiftance de miel ; mélez-y
alors une poudre faite de 3 onces de cérufe , d'une
once de bol d'Arménie , de 2 onces & deux dragmes
d'encens , & d'autant de myrrhe. Remucz ce mélange
jufqu'à évaporation , & qu'il falle maffe. Quand
vous voudrez en faire ufage , broyez fin 1 , 2 ou 3
onces de cette pâte , impregnez- là de 8 , 10 ou 12
onces de vinaigre commun ; trempez -y un linge ;
appliquez- le fur la plaie , en renouvellant l'opération
felon les circonftances , toutes les 4 , 6 ou 8 heures.
On mande d'Amfterdam que 8 vaiffeaux
de guerre de divers rangs ont reçu ordre , le
21 du mois dernier , de fe rendre au Texel ,
& que plufieurs autres qui font preſque en
état ne tarderont pas de les y fuivre. On forme
dans ce port une efcadre fraîche , à la
quelle les vailleaux de la Meufe &-de Zélande
ont ordre de fe joindre . Ceux qui ont
'été endommagés dans le dernier combat ,fe
7899
réparent avec beaucoup d'activité ; on doit
s'attendre que fi les Anglois envoyent une
nouvelle efcadre dans les mers du Nord ,
celle des Hollandois l'y devancera peut-être ,
& fi elles fe rencontrent , il eft vraisemblable
qu'il y aura une nouvelle action.
» On voit dans le public , écrit-on de la Haye ,
des copies d'une Requête que les Négocians de
Rotterdam ont préſenté à la Régence de leur ville ,
où ils fe plaignent amèrement de la conduite du
bureau d'Amirauté de la Meuſe , qui après leur avoir
promis une eſcorte fuffifante pour leurs vaiffeaux à
envoyer dans la Baltique , promeffe fur la foi de la
quelle ils ont chargé 16 à 18 navires pour cette
deftination , a laiffé néanmoins partir l'efcadre du
Texel fans y joindre le convoi de la Meufe , & a
prévenu enfuite ces Négocians qu'il ne pouvoit
donner à leurs bâtimens d'autre protection que celle
de 3 petits navires de 20 à 14 canons . On affure
que cette affaire fait un des objets des délibérations
des Etats de la Province , qui s'aſſemblent prefque
tous les jours «.
Selon des lettres du Texel , le Patron O
Trontheim , qui y eſt arrivé dernièrement ,
a déclaré qu'il avoit trouvé en mer une
caiffe dans laquelle il y a plufieurs pavillons
Anglois. Il a cette caifle fur fon bord.
S'il faut en croire d'autres Patrons , ils ont
vu dans la mer du Nord quantité de vergues
, d'agrêts & de cadavres flottans ; mais
ils n'ont pu diftinguer à quelle nation ils
appartenoient.
Les vents violens du Nord- Oueft qui ont
régné pendant quelque tems , ont caufé plufieurs
naufrages fur la côte de Hollande , de
790 )
puis le Texel jufqu'à l'embouchure de la
Meufe.
Le 21 de ce mois , écrit - on du Texel , on vit
à la pointe du jour flotter fur l'eau , a la rade de
ce Port , une grande quantité de morceaux de
bois , de mâts & d'autres pièces de bois , qui ,
peints en bleu & jaune , annonçoient la perte d'un
vailleau de guerre du premier rang. Peu après, on
vit les débris de la carcaffe du vaiffeau , fur lefquels
le trouvoient dix malheureux luttant contre la
morr : aufi-tôt le navirre de Guerre Hollandois
le Zwalow , Capitaine Borger , détacha fa cha
loupe , qui fut fuivie d'une barque de pilote , pour
voler au fecours de ces infortunés : la mer étoit
extrêmement agitée ; on ent cependant le bonheur
d'en fauver deux ou trois . On . apprit que c'étoit
le vaiffeau de guerre Suédois la Sophia Albertina ,
de 74 pieces de canon , commandé par M. Malm.
Schult. Enfuite on vit flotter le d rrière du navire ,
une partie de la poupe & la galerie , fur laquelle
il fe trouvoit huit perfonnes . Le Capitaine Raders
, commandant un vaiffeau de guerre Hollandois
, qui étoit au vent y envoya fa chaloupe &
les fauva , non fans un danger imminent. Le Capitaine
de Reineveld , commandant un autre vail
feau de guerre , en fauva deux. En tout , le nombre
des fauvés , dont on n'a pu recueillir les noms ,
monte à vingt - fix perfonnes dans ce nombre ,
font le troisième Pilote , deux Caporaux , trois
Canonniers , deux Matelots , le domeftique du Capitaine
, & quelques autres , qui ont été conduits
à une auberge , où l'on a donné les ordres pour
que rien ne leur foit refufé de ce dont ils peuvent
avoir befoin.
S
Des lettres poftérieures confirment ces
défaftres ; un bâtiment Suédois allant de
Stockolm à Breft, a été auffi briſé ſur le Haaks;
( 91 )
le Capitaine & deux hommes fe font fauvés ,
14 ont péri. Un navire Portugais allant à
Porto , & un autre venant de la Baltique ,
ont échoué , l'un près de Calantfoog , l'autre
fur le Hors , ifle du Texel , où la mer a jetté
fur le rivage une grande quantité de munitions
navales , & en particulier , so tonneaux
de poix ou de goudron. Un bâtiment d'Embden
allant de Rotterdam à Oftende , ayant
fait côte près l'embouchure de la Meufe ,
M. Lucas , commandant une des chaloupes
Garde Côtes , qui y font ftationnées , en a
retiré , avec le plus grand danger , l'équipage
& fept paffagers Anglois qu'il a traité à fon
bord avec la plus grande humanité.
Le bruit fe répand , écrit- on d'Amfterdam , qu'il
fera déformais permis aux Juifs de fervir en qualité
de matelots fur les vaiffeaux de la République , il y
en a déja eu un à bord de l'Ajax , & qui s'eft trèsbien
comporté pendant le combat. Cet infortuné ,
'téduit maintenant à l'état de matelot , étoit autrefois
'un Négociant confidérable dans l'Ile de St-Euftache
avant que les Anglois s'en fuffentemparés ; dépouillé
de tout ce qu'il poffédoit , il eft revenu en Europe
en fervant fur le bâtiment qui l'a amené , pour fe
défrayer de fon paffage qu'il n'étoit plus en état de
payer. L'ardeur de la vengeance , & la néceffité de fe
procurer de quoi vivre , lui avoient fait prendre parti
dans l'efcadre du Contre- Amiral Zoutman ; & pour
fon coup d'effai , il n'a pas été malheureux , puiſqu'il
a affifté à un combat «.
Le brave Baron de Bentinck eft mort la
nuit du 23 au 24 Août des fuites de la bleſſure
qu'il a reçue dans l'action du 5 du même mois.
Il a emporté les regrets de fes concitoyens.
( 92 )
Tous les vaiffeaux de guerre & marchands
qui mouilloient à Amfterdam , mirent leurs
pavillons en berne en figne de deuil. Le 28
il a été enterré dans l'Eglife neuve d'Amfterdam
avec tous les honneurs dûs au grade
de Contre-Amiral , auquel le Stadhouder
l'avoit élevé peu de tems avant la mort ,
en lui confervant le titre de fon Aide-de-
Camp Général.
On a parlé de la retraite du Baron de
Lynden, ci- devant Envoyé des Etats- Généraux
à la Cour de Stockholm , & nommé enfuite
pourremplir le même pofte à celle de Vienne.
On avoit dit un mot de fes motifs ; on les
connoîtra dans toute leur étendue , en lifant
la lettre qu'il écrivit aux Etats-Généraux fur
ce fujet , pour leur demander fa démiffion .
HH. & PP . SS . , ayant depuis 1766 l'honneur
d'être député à l'Affemblée de V. H. P. de la part de
la Province de Zéelande par commiffion permanente ,
je crois , fans bleffer le reſpect en aucune manière ,
pouvoir m'adreffer à V. H. P. , non par requête ,
mais par lettre , afin de faire mes fincères remercimens
de l'égard gracieux qu'elles ont eu à ma prière
pour être démis & difpenfé de la commiffion qui
m'avoit été décernée à Vienne , à raiſon de certaines
circonstances. Quoique je me rappelle avec toute
la fatisfaction & la reconnoiffancé poffible les marques
particulières de confiance & d'approbation que
V. H. P. ont données à mes efforts foibles , mais
bien intentionnés pour le bien- être de la République
durant ma résidence en Suède ; & quoiqu'elles ferviffent
à m'encourager à accepter le pofte qui m'avoit
été conféré , d'Envoyé extraordinaire de V. H. P. à
la Cour de Vienne , d'autant plus que , me trouvant
-
1939
encore à Stockholm , j'avois reçu de la part de M.
le Prince de Kaunitz - Rietberg , l'affurance authentique
que ma nomination ne feroit point désagréable
à cette Cour , ainfi que cela a été confirmé par le
témoignage de M. le Baron de Reiſchach ; j'ai été
néanmoins convaincu , par un examen réfléchi de
moi - même , ainſi que des circonftances où la République
fe trouve relativement à fon adminiftration
politique intérieure , de l'impoffibilité de lui rendre
actuellement aucun fervice en pays étrangers , conformément
à mon zèle bien intentionné pour la
patrie , ainfi que de lui être utile avec cet effet
qu'exigeroient mes fentimens patriotiques & l'importance
des affaires qui peut-être feront à traiter
à la Cour de S. M. I.; & qu'ainfi il étoit à préférer
pour moi d'être difpenfé de cette commiffion.
Pai eu l'honneur de communiquer amplement à
S. A. S. M. le Prince d'Orange , comme Chef éminent
de cette République , les motifs qui ont dû me
porter principalement à cette réfolution ; & je ne
crains point d'expofer pareillement à V. H. P. mon
griefbien fondé , à ce que je crois , & qui fe réduit
principalement à ceci : » Qu'étant , tant à titre de
ma naiffance que de ma charge , Membre de la
Régence de cette République libre , je fuis obligé
d'aider à maintenir fa forme fondamentale de Gouvernement
; favoir , l'alliance fédérative de fept
Provinces fouveraines , ayant à leur tête un Prince
de la Séréniffime Maifon d'Orange- Naſſau ; de récu
fer au contraire toute influence d'Etrangers , quel
qu'illuftre que foit leur naiffance , ou quelque puiffant
qu'ils foient en autorité , & de m'y oppofer , afin de
conferver l'honneur & l'indépendance de l'Etat «< , -
Jufqu'où donc ces fentimens de devoir & d'amour
envers la patrie peuvent s'accorder avec le crédit
que je crois que M. le Duc Louis de Brunfwick a
dans les délibérations de l'Etat ; c'eft ce que je laille
yolontiers au jugement éclairé & équitable de Y.
( 94 )
H. P. & de l'Union entière : c'eft auffi à Elles à déci
der , fi & jufqu'où il a été fait par le fufdit Seigneur
Duc , lors de la majorité de S. A. S. M. le Prince
Stadhouder en 1766 , des efforts pour le faire nommer
& reconnoître Confultant ou Confeiller unique
du Chef éminent de cette République , afin de dif
penfer par-la S. A. S. de fe former , d'entre les Régens
& les Ministres de l'Etat les plus capables & les
plus affidés , un Confeil , où tous les intérêts de la
République , tant à l'égard de l'intérieur que de l'étranger,
feroient convenablement pélés , confidérés &
préparés , afin d'être mis enfuite à exécution
par la
puillance fouveraine & exécutive ; établiſſement qui ,
approuvé & reçu dans des Gouvernemens Monarchiques
& même Defpotiques , paroît être d'autant
plus applicable à cette République , non- ſeulement
à raifon de fa forme de Gouvernement compliquée ,
qu'auffi parce que l'exemple de MM . les Stadhouders
précédens en démontre fuffifamment la néceffité &
l'utilité. Soumettant ces réflexions que j'ai faites
au jugement de mes fupérieurs légitimes , je déclare
au refte que je reconnoîtrai toujours de bon coeur
les fervices finguliers que le fufdit Seigneur Duc a
rendus en fa qualité de Tuteur de S. A. S. durant fa
minorité , comme auffi j'ai contribué dans ce tems
tout ce qui dépendoit de moi , cor formément à mon
devoir , pour aider à alléger le poids qui lui avoit
été impofé, & pour concourir à la fatisfaction perfonnelle.
C'eft aufli pour cette raison que j'ai donné
volontiers mon confentement à la réfolution de V.
H. P. en date du 8 Mars 1766 , priſe à l'occafion
de la majorité de S. A. S. M. le Stadhouder héréditaire
, par laquelle V, H. P. ont demandé à S. M. I.
en faveur dudit feigneur Dic de Brunſwick , fa
continuation au fervice de cet Etat , & l'ont obtenue ,
quoique fuivant le peu de lumières que j'ai fur le
fyftême politique des Cours de l'Europe , & à en
juger par d'autres circonftances , il n'y eût aucune
-
95 5
apparence que la préfence & les fervices dudit fei
gneur Duc feroient requis par la Cour de Vienne .
Je déclare pareillement que j'ai , pour le rang &
les talens militaires de M. le Duc de Brunſwick
comme auffi pour fon iiluftre naiffance , la haute
eftime que je crois être due à des Princes qui
font au fervice de l'Etat , & qui font nés des
Maifons les plus anciennes & les plus refpectables
des Princes d'Allemagne , comme de celle de
Helle & d'autres , dont la République a fouvent
reçu les fervices les plus fidèles , & en recevra
toujours , à ce que je m'affure , dans les occafions
qui pourront fe préfenter. Mais ne reconnoiffant
pour le refte audit Seigneur Duc aucune
qualité ni titre pour avoir quelque influence
même indirecte , dans les affaires qui concernent
le Gouvernement politique de cette République
& perfuadé néanmoins qu'il exerce une telle influence
, je me vois dans la néceffité de prier par
la préfente V. H. P. de me difpenfer pour le
préfent de toute miffion dans les pays étrangers ,
tandis que j'emploierai néanmoins , dans des circonftances
plus favorables , de très bon coeur &
avec tout le zèle poffible , le peu de talens que je
puis avoir en telle commiffion ou pofte dont V.
H. P. me jugeront capable pour la plus grande
utilité de l'Etat & de la Séréniffime Maiſon Stadhoudérienne
, dont les intérêts font inféparables ,
& pour lesquels je protefte être animé à la fois
de l'attachement le plus conftant & le plus fidèle ,
& du zèle le plus fincère , comme auffi je ne cefferai
jamais de donner des preuves de mon amour pour la
Patrie , & du refpect avec lequel je fuis invaria
blement , &c.
·
A la Haye le 26 Juillet 1771. Signé D.
W.VAA LYNDEN.
Il court içi des copies d'une lettre de Tou(
96 )
lon en date du 19 Août , dans laquelle on
lit les détails fuivans fur l'état de l'ifle de
Minorque. Ils confirment ceux que l'ona,
déja donnés , & qui prouvent que cette ifle
eft moins que jamais en état de faire de la
réſiſtance.
-
» Nous avons été informés de bonne part que la
garnifon du fort St-Philippe fous les ordres du Gé
néral Murray , Gouverneur , eft compofée des fit.
& 61e. régimens , de deux bataillons Hanovriens,
de 4 compagnies franches , & d'une compagnie d'ar
tillerie. Il y a lieu de croire que les troupes de
France jointes à celles d'Eſpagne feront ensemble
le fiége de cette place ; elle n'eft pas imprenable
comme on l'a vu dans la dernière guerre ; & dans
ce moment fur- tout ,, elle ne fauroit attendre la
protection d'une efcadre Angloife , tant que tou
tes les forces navales de la Grande- Bretagne , arrêtées
dans l'Océan par l'armée combinée ; fe verront
peut-être contraintes de regagner les ports des
trois Royaumes. Le régiment de Lyonnois en
garnifon ici , a reçu ordre de fe préparer à fon
départ ; & nous attendons quatre autres régimens
qui doivent arriver inceffamment dans cette ville ;
on ne doute pas que les uns & les autres ne foient
deftinés à paffer à Minorque , cependant on ne voit
faire encore aucun préparatif qui indique que cette
expédition doive être fi prochaine « .
un
P. S. » On reçoit dans ce moment une lettre
écrite de Mayorque en date du 18 de ce mois ,
Négociant de cette ville. Le Courier preffe & le
tems manque pour la tranfcrire ; je vous dirai feu
lement qu'elle annonce que M. le Duc de Crillon eft
arrivé à Mahon , & que la defcente de fon arinée
s'eft effectuée heureufement. «
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le rer. Août.
GIANIKLI - ALI , Pacha , fameux
pir
fa
fuite en Crimée , vient de rentrer par la
médiation même du Khan dans les bonnes
graces du Grand - Seigneur , qui l'a rétabli
dans fon Gouvernement de Trébifonde.
> S. H. a nommé Yzzed Méhémet , au Gouvernement
de la Morée , & rendu à Iskender-
Bey Méhémet - Aga , l'infpection générale
du corps des Bombardiers. Il en avoit
été deftitué il y a quelque tems ; & c'étoit
Inglis Muftapha- Aga , Renégat Anglois , qui
l'avoit remplacé . Iskender- Bey eft petit- fils
du fameux Comte de Bonneval.
La flotte qui croifoit dans la mer Blanche
aux ordres du Capitan Bacha , a dirigé ſa
route vers la Morée.
Gendſch Méhémet Bacha à trois queues
qui l'année dernière avoit encouru la dif-
15 Septembre 1781.
( 98 )
grace du Sultan , & perdu fa place à l'oc
cafion des troubles de la Crimée , vient de
rentrer en grace ; mais comme il ne vaque
aucun Gouvernement du premier ordre , on
ne lui en a donné qu'un petit dont il a été
forcé de fe contenter.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 12 Août.
La fête de la Grande- Ducheffe a été célébrée
dans cette capitale , où elle avoit amené
toute la Cour qui en eft partie le lendemain
pour retourner à Czarsko-Zélo .
Nos deux efcadres qui l'année précédente
ont croisé dans la Méditerranée , font rentrées
dans le port de Cronstadt depuis quelques
jours , & on s'occupe jour & nuit à les
réparer.
Les travaux pour l'établiffement de plufieurs
ports le long de la mer du Japon jufqu'à
Kamtfchatka , continuent avec la même
ardeur & avec le même fuccès. On fe flatte
auffi de pouvoir prolonger la navigation depuis
le golfe Lena juſqu'au golfe Perfique ,
& de réunir par ce moyen le commerce de
l'Europe à celui de l'Afie jufqu'aux endroits
les plus éloignés ; fi , comme on le dit , l'Amérique
n'eft éloignée de Kamtſchatka que de
40 milles , on fent combien cette découverte
eft importante pour notre commerce dans
cette partie du monde ( 1 ).
( 1 ) S'il faut en croire un Journal du dernier voyage du
( 99 )
L'Impératrice a envoyé depuis quelque
tems à la Chine plufieurs jeunes gens , qui
fous la conduite d'un Archimandrite , font
deftinés à apprendre la langue Chinoife &
la Tartare , à Pékin , ainſi qu'à s'inftruire des
Sciences & des Arts de cette nation , & à eſfayer
de fonder une correfpondance qui
puiffe faciliter le commerce des deux Empires
. Pour avancer l'exécution de ce projet ,
on doit propoſer à l'Empereur de la Chine
de recevoir un Envoyé extraordinaire Ruife,
qui réfideroit à Pékin , & d'en envoyer un
de fon côté à Pétersbourg avec de jeunes
Chinois qui s'inftruiroient auffi des coutumes
& des moeurs de l'Europe.
DANEMARCK.
D'ELSENEUR , le 18 Août.
Il y a actuellement 80 navires marchands
Anglois dans le Sund qui y font arrivés de
la Baltique ; on y en attend encore journellement
un grand nombre d'autres. On dit
que 20 de ces navires ont réfolu de partir ce
foir même , fi le tems & le vent le leur permettent
, parce qu'ils fe flattent qu'ils ne
trouveront point actuellement de navires
Anglois en iner.
Capitaine Cook qui vient d'être publié à Londres , & qui
n'étant pas celui de ce fameux navigateur doit être de quelqu'un
des Officiers de fon équipaque , l'éloignement des
deux Continens de l'Afie & de l'Amérique ? au 63 degré
48 minutes de latitude , & au 192e. , 10 minutes de longitude
, n'eft que de 12 lieues.
e 2
( 100 )
On prétend qu'un Capitaine de haut -bord ,
Danois , dont le vaiffeau a mouillé quelques
jours à Flefcheroen en Norwège , avec l'Amiral
Parker , ayant appris la victoire des
Hollandois à Doggers Bank , a dit : » Je n'en
fuis pas étonné ; Parker avoit du canon
mais point d'équipages ; il ne fe trouvoit pas
400 hommes fur le plus grand de ſes vaiffeaux
".
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 18 Août.
ON écrit de Gottenbourg la proteſtation
fuivante , que le Capitaine Olof Hedstrom
a été obligé de faire , à l'occafion des violences
qu'il a effuyées dans fon trajet de
Bordeaux à Fiume & à Trieſte.
,
2
Je partis de Bordeaux le 4 Avril avec une cargaifon
pour Smyrne & Triefte ; le 23 à 12 milles
a l'Ouest du Cap Spegel , à cinq heures aprèsmidi
, furvint un capre portant pavillon Améri
cain , & qui fe difoit tel , armé de 14 canons
autant de pierriers , & 40 hommes d'équipage ;
il me héla , me tira quelques coups de canons
m'obligea de lui envoyer ma chaloupe , mes papiers
, & de me rendre auffi- tôt à bord . A mon ar
rivée on m'arrêta , & on prit mes papiers ; après
quoi le corfaire me fit paroître devant lui , pour
m'annoncer que la cargaiſon étoit de bonne prife.
Je m'apperçus que ma chaloupe étoit relâchée ,
& que ceux qui étoient dedans travailloient pour
revenir au bâtiment du corfaire ; je le priai de fau
ver mes gens ; mais je ne pus rien gagner fur
lui. La nuit furvint , le tems étoit orageux ,
( 101 )
-
>
& le lendemain , mon bâtiment & la chaloupe
avoient difparu ; l'un & l'autre ont vraisemblablement
péri miférablement . Lui ayant repréſenté fa
barbarie à l'égard de mon équipage , il me menaça
de me faire pendre fi je ne me taifois . Jo
reitai fur fon bord jufqu'au 28 Avril , qu'un
navire de Lubeck , venant de Bordeaux , nous iencontra
le corfaire ôra à ce Capitaine fon ar
genterie & fes habits , nous menaçant tous
deux du traitement le plus févère , fi nous ne fignions
pas notre nom fur un papier où il n'y
avoit rien d'écrit. Le même Capitaine fut enfuite
obligé de me prendre a fon bord , où je reftai
jufqu'au 29 Mai , que je rencontrai le Capitaine
Erafme Heilmann. Le 4 Juin je rencontrai
dans la mer du Nord le Capitaine Effemberg , du
navire la Compofition , deſtiné pour Stockholm.
J'appris de lui que mon Pilote , & feulement cinq
hommes de mon équipage , étoient arrivés heureufement
avec mon bâtiment à Cadix . Le 24
Juin , j'ai relâché à Gotthemberg avec le Capi-
V toutes ces circonstances ,
& pour mettre mon bâtiment à l'abri de tout abus
que l'on pourroit faire de ma fignature en blanc
à laquelle le corfaire m'a forcé , j'ai protesté à
Gothenbourg , comme je protette encore , contre
tout ce que pourroit faire à mon défavantage le
corfaire ou le propriétaire de mon billet , déclarant
nul & de nulle valeur tout ce que le corfaire
voudroit prouver par ma fignature. figné OLor
HIDSTROM.
taine Heilmann . -
ALLEMAGNE.
De VIENNE le 22 Août.
›
L'EMPEREUR eft parti d'ici le 19 au foir
pour Peft , en Hongrie , où il va voir mae
3
( 102 )
noeuvrer les troupes qui y font raffemblées ;
on croit que de-là il ſe rendra à Prague pour
voir le camp qui fe forme près de cette
ville. Le Comte Olivier de Wallis y commande
l'infanterie , & le Comte de Wurmfer
la cavalerie. Les troupes qui y font
réunies montent à 38,430 hommes , dont
chacun fera fourni de 60 cartouches ; chaque
canon aura 150 coups à tirer .
Un Courier arrivé ici de Pétersbourg a
apporté l'avis que le Grand-Duc & la Grande-
Ducheffe en partiront le 11 du mois prochain
; ils font attendus le 11 Octobre à
Berlin , d'où ils fe rendront dans cette Capitale.
Le Rédacteur de la Gazette de Ville avoit
écrit dans une de fes Feuilles , que l'Empereur
avoit permis aux Magiftrats d'Anvers
de faire rouvrir inceffamment l'Efcaut. Il
vient de le rétracter par ordre de la Chancellerie
Impériale.
De FRANCFORT , le 25 Août.
Nos papiers , depuis quelque tems , ne font
remplis que de plans de pacification . Il n'y a
rien de plus naturel. Les oififs en tems de
paix ne parlent que de préparatifs de guerre ;
il est tout fimple quand elle eſt allumée
qu'ils rêvent auffi les moyens de l'éteindre.
Selon eux la Cour de Londres s'eft déclarée
aux Puiffances médiatrices , en propofant
pour fondement que chacune des parties
( 103 )
reftera en poffeffion de tout ce qu'elle pofsède
actuellement dans l'Amérique feptentrionale
, & qu'enfuite on reftituera les
poffeffions prifes de part & d'autre , celles
même enlevées à la République des Provinces
Unies . Mais il n'eft pas queftion de
l'indépendance de l'Amérique , de la fortereffe
de Gibraltar que l'Espagne veut fans
doute voir rentrer fous fa domination , &
de Minorque qu'elle n'attaque pas pour l'abandonner
fi elle s'en empare , ou pour ne
pas en exiger la ceffion , dès qu'une fois
elle aura montré le defir de la conquérir.
Cette Puiffance s'eft décidée tard à la guerre.
Mais dès qu'elle l'a une fois commencée
il est vraisemblable qu'elle ne fera pas la première
à céder ; au refte les évènemens qui
doivent ramener la paix ne font pas encore
arrivés. Chaque Puiffance a annoncé des prétentions
qu'elle eſt en état de foutenir , & aucune
ne paroît pas encore dans la fituation
qui doit les rapprocher.
On dit que 1 Evêque de Paffau cède à la
Maifon d'Autriche la Seigneurie d'Obernberg
avec les droits pour une rente annuelle
de 10,000 florins , & la fomme de 110,000
une fois payée.
» Il est arrivé ici , écrit - on de Varſovie , un
Prince Arabe âgé de 18 ans. Son intention eft de
fe former aux Sciences , aux Beaux-Arts , & furtout
d'apprendre le Deffin , la Peinture & l'Architecture
militaire. Sa fuite eft de 30 perfonnes , &
fes chevaux font d'une beauté rare . Comme il
vient de l'Arabie - Heureufe , il avoir fait charger
€ 4
( 104 )
10 chameaux d'épiceries de la meilleure espèce.
On dit qu'il veut refter ici pendant trois ans.
Mais pour remplir les beaux projets qu'il a formés
, on pourroit lui confeiller d'aller plus loin .
la
Une Princeffe Polonoife qui s'étoit fauvée du
Château ou fon mari la tenoit renfermée , ayant
été atteinte à 40 milles de là fur les terres de
Ruffie , & fon mari eſcorté de 60 Ulans , ayant
voulu employer la violence pour la ramener ,
Régence Ruffe s'y eft oppofée , l'a prife fous fa
garde , & l'a fait reconduire bien eſcortée dans
cette Capitale où fon affaire va être examinée
«.
›
ITALI E.
De LIVOURNE , le 24 Août.
LE Grand- Duc à l'occafion des tremblemens
de terre qui ont caufé dernièrement
de très grands dommages dans la Romagne
a affranchi la partie de cette province qui lui
appartient de tout impôt pendant un an ;
& les habitans de la partie qui appartient
au S. Siége ont fait vou de n'admettre pendant
deux ans aucuns divertiffemens ni
fpectacles publics.
ןכ
Depuis le 15 du mois dernier , écrit - on de
Lisbonne , jour où nous effuyâmes un tremblement
de terre dont les fecouffes durèrent quelques
fecondes , la terre ne nous alarme plus . Ce jour.
là & les précédens , il avoit fait une chaleur exceffive
& le thermomètre de Farenheit étoit
monté à 96. Notre Monaftère des Dames de
Santa Juanna , un des plus riches du Royaume ,
& où il y a ordinairement près de 300 Religieufes
, vient d'être la proie des flammes ; il n'en
-
( 105 )
fubfifte pour ainfi dire plus rien , & cinq Dames y
ont péri. C'eft , affure.t on , une d'entr'elles , dont
l'efprit étoit égaré , qui pendant la nuit a mis le
feu en trois endroits à ce beau Monaftère «
Les lettres de Rome ne nous apprennent
rien fi ce n'eft que la feconde partie de la
Diatribe intitulée : Memoria Catholica, vient
de paroître dans cette ville même quoique
la première y ait été déja brûlée. On fait
que cet Ouvrage eft en faveur de la ci devant
Société.
Le fyftéme que l'Empereur a adopté , écriton
de Mantoue , pour reftreindre les abus du pouvoir
Eccléfiaftique dans fes Etats , & pour rame.
ner le Clergé au niveau des autres Citoyens fous
l'autorité fouveraine , va s'exécuter auffi dans la
Lombardie Autrichienne. Le 27 Juillet , il a été
publié dans toute l'étendue de cette Province , un
Edit pareil à celui qui l'a été à Vienne il y a quelque
tems , pour interdire aux Communautés religieufes
toute communication avec les fupérieurs
de leur Ordre en pays étranger , leur ordonnant
de fe former dans un délai d'un mois , en Congré
gations gouve nées par leurs propres Supérieurs ,
fous l'infpection e rEvêque Diocéfain & l'autorité
civile du Gouvernement . Il a été ordonné en
même- tems à tous les Mei es étrangers de fortit
des Etats de S. M. I. Les naufs du Pays qui refteront ,
feront réunis en quelques Convens , les autres feront
fupprimés ; & de leurs bâtimens , il fera formé
des cafernes pour foulager ai fi les citoyens de
l'obligation de loger les Militaires.
S. A. R. le Grand Duc de Tofcane tou .
jours attentif au bien de fes fujets , s'occupe
des moyens de réprimer le luxe , on a adreffé ,
de fa part , la lettre fuivante aux Chefs des
es
( 106 )
Colléges des Nobles dans les Villes de fes
Etats.
---
» S. A. R. voit avec douleur le luxe exceffif qui
s'eft introduit dans les habillemens , & fur tout dans
ceux des femmes , & dont il prévoit les conféquences
funeftes. Les femmes à qui leur fortune perfonnelle
ou la complaifance de leurs maris permet de
difpofer d'un revenu confidérable , au lieu de le
confacrer à d'autres emplois plus nobles & plus
utiles , ont la foibleffe de le diffiper au gré d'une
vanité ridicule. Celles d'une condition égale , mais
qui font moins riches , fe croyent obligées , par
un faux point d'honneur , de s'égaler en tout aux
premières , & les femmes d'un moindre rang , par
une fuite de l'ambition naturelle à leur Sexe , font
des efforts ruineux pour fe rapprocher de celles
d'un rang fupérieur. Ces fantaifies difpendieufes que
le luxe a introduites dans la Capitale paffent dans
les Provinces & jufques dans les Campagnes où
elles ont des fuites encore plus déplorables.
-
Cer
De-là , plus de difficultés pour les mariages dans
tous les Etats ; de- là, le défaut d'argent pour l'éducation
des enfans , devoir fi important , ou pour la
dot des filles ; la difproportion de la dépense avec
les revenus , les dettes , l'infidélité à l'égard des
créanciers ; la diminution des capitaux pour le commerce
, des fonds pour les manufactures utiles , des
avances pour la culture ; la ruine des familles , les
divifions domeftiques , les mauvaiſes moeurs.
excès de vanité qui , dans quelques femmes n'eft
qu'une foibleffe méprifable , devient dans la plupart
de celles qui les imitent un véritable crime , puifqu'elles
ne peuvent fatisfaire cette vanité qu'aux
dépens de la fortune d'autrui , ou de ce qui devroit
être réservé aux devoirs les plus effentiels des peres
& des meres de famille . Cependant S. A. R. ,
fidèle au fyftême qu'elle s'eft formé de refpecter
La liberté des actions dans les fujers , n'a point
-
( 107 )
-
voula porter de loi contre le luxe ; elle fait d'ail
leurs combien il feroit difficile de foumettre à des
loix un objet dont les formes varient fans ceffe ,
& où principalement , pour ce qui regarde la parure
des femmes , le mal vient moins de la cherté des
matières qui forment les parures que de leurs multiplicités
& de l'abus qu'on en fait. Sa bonté pour
fes fujets ne lui permettra jamais de faire des loix ,
qu'il feroit également facile d'éluder & de faire
fervir de prétexte à des vexations ; mais elle compte
affez fur leur amour pour être fûr qu'ils s'emprefferont
de feconder fes vues paternelles , & de mériter
fon approbation . Comme c'eft par la Nobleſſe
que la réforme doit commencer , & que c'eſt à elle
à en donner l'exemple aux autres claffes de Citoyens ,
vous voudrez bien faire part aux Colléges des
Nobles des intentions du Souverain . - LL. AA.RR.
verront avec plaifir la Nobleffe des deux fexes
paroître à la Cour les jours de gala , & dans les
autres occafions publiques , en habits unis ou même
noirs , & dans cette fimplicité d'ajuftemens qui
s'accorde mieux avec la vraie grandeur & les graces
décentes qu'une parure recherchée & faite pour le
théâtre. Les Sujets de LL. AA. doivent penfer
qu'elles font capables d'eftimer les Membres de la
Nobleffe , non d'après leur magnificence dans les
habillemens , mais d'après l'élévation de leurs fentimens
, l'honnêteté de leur conduite , le bon ufage
de leurs revenus , & des actions d'une bienfaisance
éclairée . Au contraire S. A. R fera entrer dans
le jugement qu'elle portera du mérite de chaque
individu , la modération ou l'excès de la parte ,
tant pour lui- même que pour la femme ou fes filles ,
comme une forre piéfomption pour la bonne ou
mauvaise conduite , pour la foli fité ou la frivolité
de fon efprit , pour la fageffe ou la foibleffe de fon
caractère , & cette préfomption influera dans la
diſtribution des graces & fur-tout dans celle des
-
e 6
( 108 )
emplois publics , qu'on ne doit donner qu'à des
hommes d'un jugement fain , & qui , par leur
économie dans leurs propres affaires , ont mérité
que celles du Public leur foient confiées «.
ESPAGNE.
De MADRID le 20 Août.
Le Roi a fait une promotion nombreuſe
dans les armées de terre & de mer pour récompenfer
les fervices de fes Officiers . Ceux
dont les noms doivent être connus en France
, funt D. Bernard de Galvez , D. Manuel
Çagigal & D. Joſeph Solano. S. M. les a élevés
au grade de Lieutenant- Général . D. Bernard
de Galvez , quoique fort jeune , étoit
appellé à ce rang par le voeu de la nation.
La France ne doit pas être indifférente aux
fuccès de cet Officier. C'eft dans les troupes
que D. Bernard Galvez a fait fes premières ar
mes ; pendant la dernière guerre, il étoit entré
comme fimple Lieutenant dans le régiment
d'Aumont. Il a fait un chemin rapide depuis
qu'il eft rentré au fervice de fa nation .
On attend à chaque inftant quelques navires
qui ont dû partir de la Havane & qui
doivent amener le Gouverneur de Cuba .
On ne croit pas que D. Jofeph Solano vienne
lui-même avec le convoi de cette ifle. Il lui
donnera une eſcorte fuffifante . Le refte de fes
forces réuni à M. de Monteil , & aux vaiffeaux
que pourra laiffer M. de Graffe , tentera
quelque chofe dans les ifles.
( 109 )
Nous n'avons encore aucune nouvelle de
M. de Crillon , mais elles ne peuvent tarder;
on fait que le 13 il fe mit en mouvement pour
continuer fa route.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 4 Septembre.
ON n'a jamais été dans une plus grande
'difette de nouvelles , nos papiers pour y fuppléer
s'amufent à broder fur les évènemens
paffés ; s'il faut les en croire , la grande
quantité de munitions détruites par nos
troupes dans leurs dernières excurfions en
Virginie , & la défaite des troupes continentales
aux ordres du Marquis de la Fayette ,
doivent contribuer bien efficacement à ramener
cette province fous l'obéiffance du
Roi ; mais on ne fait pas attention que cette
belle victoire n'eft qu'une efcarmouche ,
qui eft peu de chofe de l'aveu même de
nos Généraux qui fe plaignent de ce que
la nuit les a empêchés de profiter de leur
avantage .
» Suivant les dernières nouvelles de l'Amérique ,
lit-on dans un de nos papiers , un grand nombre
des habitans de Charles - Town , prifonniers fur
leur parole , lors de la prife de cette Ville par les
troupes du Roi , ont été conduits à Saint- Auguftin
par ordre du Lord Cornwallis . Ils ont fait de fortes
repréſentations contre cet enlèvement , mais elles
n'ont point ébranlé le Général , qui a déclaré qu'irrité
au dernier point contre les habitans de cette
province , qui ne ceffent de fe révolter , & étant
( 110 )
bien convaincu par les papiers qui font tombés
entre les mains depuis la défaite de l'armée rebelle ,
des moyens qui ont été employés par quelques habitans
prifonniers fur leur parole à Charles -Town ,
pour exciter & fomenter la rébellion , il fe trouve
dans la néceffité d'ordonner au Commandant de
faire tranfporter lefdits habitans de Charles -Town.
à Saint-Auguftin , pour affurer la tranquillité de
cette province , & qu'il faut que cet ordre foit mis
en exécution .
Cet ordre prouve qu'il s'en faut de beaucoup
que les habitans foient diſpoſés à la
foumiffion , puifqu'ils ne ceffent de remuer
fous les yeux même des Anglois maîtres de
leur ville .
Toutes les lettres de New-Yorck annoncent
qu'on s'attend journellement à une
vifite de la part des François & des Américains
réunis , & que les premiers étoient
enfin parvenus à débarquer heureuſement à
Long-Ifland.
» Le Général Washington , lit - on dans une de
ces lettres , en date du 2 Juillet , remue ciel & terre
, & raſſemble toutes les forces pour nous affiéger
avec un renfort d'environ 4000 hommes
de troupes françoifes. Dans cette occafion , les habitans
de la Nouvelle- Angleterre montrent beaucoup
d'empreffement , & fe rendent en foule au
camp de l'ennemi , dans l'eſpérance de prendre cette
place ; en conféquence , nous nous attendons à
quelqu'action chaude avant qu'il foit un mois , atrendu
que les Rebelles nous inveſtiffent de tous côtés.
Quoiqu'il en foit , s'ils ont formé férieuſement
le projet de nous attaquer , comme ils nous
en menacent nos retranchemens font fi forts , &
notre garnifon qui , avec les milices , monte
,
(au )
près de 20,000 hommes , a tant d'ardeur & de
courage , que la présomption de l'ennemi pourra
lui coûter cher & mettre fin à fa rébellion «.
On craint ici que ce ne foit de la part de
la garnifon qu'il y ait de la présomption ;
elle eft nombreuſe , mais l'armée qui l'attaquera
eft confidérable ; les 4000 François
qui l'ont jointe ont avec eux un régiment
d'artillerie ; & on fait que les artilleurs de
cette nation font les premiers du monde ;
ce fera la première fois de cette guerre que
le canon aura agi fur le continent de l'Amérique
feptentrionale ; & nous ne pouvons
parler de fes effets que lorsqu'on les aura
vus. Ce fiége , s'il eft entrepris fera foutenu
par une efcadre , & M. de Graffe étoit attendu
de jour en jour à Rhodes Ifland ; on s'attend
bien qu'il fera (uivi par l'Amiral Rod ey;
mais il n'aura pas encore la fupériorité dans
ces parages ; & s'il eft parvenu à éviter aux
ifles toute action décifive avec les François ,
il ne fera peut-être pas auffi heureux dans
P'Amérique feptentrionale.
On mande , lit on dans un de nos papiers , la
nouvelle fuivante de Winchefter en Virginie . - Un
ancien foldat Heffois ayant été voir plufieurs fois
les prifonniers de Saratoga , donna lieu à des
foupçons contre lui . Sa conduite ayant été obfervée
de plus près , on crut devoir s'aflurer de fa
perfonne ; & pour éviter une mort prochaine , il
déclara un complot tramé par les Torys , & rom.
ma entr'autres complices un Colonel , qui for auffi
arrêté fur le champ. La maison de ce Colonel
ayant été inveſtie , on y trouva beaucoup de guinées
, des copies de commiffion , & d'autres pa(
112 )
piers qui indiquent que Charles Lée , Général
Américain , devoit étre le chef du complot. Un
detachement de milice & de Cavalerie légère fut
auffi-tôt envoyé a la maison de ce Général ; mais
il avoit déja pris la fute , & l'on croit générale
ment qu'il s'eit fauvé dans le camp des Angiois.
On connoît les démêlés de cet Officier
avec le Général Washington , & on croit que
le mécontentement a pu le porter à cette
trahifon. Depuis la défection d'Arnold celleci
doit moins étonner.
On dit que le Général Vaughan eft rappellé
, & que le commandement général de
nos forces aux ifles eft donné au Général
Meadows qui s'embarquera inceffamment
pour cette ftation.
Les lettres de St- Chriftophe & d'Antigoa,
du 2 & du 4 Juillet , difent que le départ
de la flotte pour l'Angleterre , ne devoit
avoir lieu qu'au mois d'Août ; on ſuppoſe
que cette difpofition a changé lorfque l'on
a appris le départ de M. de Graffe pour l'Amérique
feptentrionale , qui a eu lieu le s
Juillet.
Maintenant le fort de cette flotte & de
celle de la Jamaïque nous inquiètent beaucoup.
I eft certain que l'Amiral Darby eft
rentré à Torbay , & cela appuye fortement
ceux qui annoncent que l'armée ennemie
combinée s'approche de nos côtes , quoique
maintenant on cherche à répandre du doute
fur ce fait.
» Il est bien étrange que de toutes les Gazettes
( 113 )
-
qui ont paru depuis plufieurs jours , il n'y en ait
qu'une qui ait articulé d'une manière pofitive l'apparition
de l'Armée combinée , très - près de l'ouvert
de la Manche , & qu'aucun des autres Papiers publics
n'ait eu la hardieffe de contredire cette nouvelle. Le
fait n'eft cependant pas encore authentique. Si les
Miniftres favent qu'il eft faux , pourquoi ne pas
fixer l'opinion du public fur an objer aufli important
; ce qu'ils peuvent faire fans s'abbaifler jufqu'à
contredire un article de Gazette , mais fimplement
en indiquant le lieu où eft réellement l'Armée combinée
, fi elle n'eft point fur nos côtes. Ils favent
certainement ou du moins ils doivent favoir où eft
à-peu près cette Armée. Il eft auffi bien fingulier
que toutes les fois que notre grande efcadre eft en
mer, elle choififfe toujours pour rentrer dans nos
Ports , le moment précis où nos flottes des Indes
& d'autres également précieufes font attendues à
l'embouchure de la Manche , laiffant ainfi ces flottes
à la merci de l'ennemi , que l'on fait être en mer
avec les forces les plus redoutables . La même chofe
eſt arrivée l'année dernière & c'eft pour la feconde
fois de celle- ci. La dernière flotte de la Jamaïque
qui avoit pris par le Nord , dans la crainte de
rencontrer l'ennemi , vient enfin d'arriver après une
traverfée prefqu'auffi longue que fi elle fût venue
de l'Inde. Nous ferions cependant encore trop heureux
fi celles que nous attendons n'éprouvoient pas
d'autre malheur que celui - là . Il est bien fingulier
que nos Négocians vivert dans une telle anxiété
fans proférer la moindre plainte & fans demander
la protection que vingt- cinq millions ft. les autorifent
certainement à réclamer .
A quoi penfent auffi tous nos Miniftres de laiffer
la mer du Nord entièrement à la merci des Hollandois
qui peuvent entrer dans la Baltique ou en
fortir comme il leur plaît avec toutes les munitions
navales néceffaires , foit pour eux ou pour leurs
( 114 )
nouveaux Alliés ! Cette circonftance ouvre enfin à
leurs convois , pour les deux Indes , un paflage
libre par le Nord, en même - tems qu'elle leur livie
nos flottes de retour qui ont pris ce chemin ",
Les incertitudes qu'on affecte de laiffer
à la Nation fur l'approche de l'armée combinée
font fondées fur ce que c'est le 14
Août qu'on l'a vue pour la dernière fois
que depuis ce tems avec les vents que
l'on a eus , elle auroit déja paru fur ces
parages fi elle avoit eu cet objet en vue.
» Son véritable objet , dit un de nos papiers , eft
bien plus important qu'une invafion fur nos côtes ;
elle fe propofe de nous enfermer dans le canal ,
afin que nous ne puiffions envoyer aucun fecours
à Minorque & à Gibraltar. On ne peut douter
que le plan de la maifon de Bourbon ne foit de
s'emparer de ces deux places. Si ce projet s'effecte
cette campagne , la France & l'Eſpagne feront
en état de forcer la Grande Bretagne à
recevoir les conditions de paix qu'elles voudront
leur dicter. Comme nous n'avons point
d'efcadre capable de faire tête à la leur , Gibraltar
& Minorque ne peuvent manquer de tomber
entre leurs mains, pour peu qu'elles mettent de l'activité
dans leurs opérations. Dans la fituation déplorable
où fe trouve aujourd'hui la garnifon de Gibraltar
, il n'eft guere poffible que cette place
puiffe résister à une attaque par mer & par terre ,
fi elle eft bien conduite ; & cette clef de la Méditerranée
une fois perdue , la prife de Minorque
fuivra bientôt , parce qu'il n'y a rien de plus aifé
que de l'affamer . Ce n'eft qu'en confervant la fouveraineté
de la mer , qu'on peut garder ces deux
places ; fi nous la laiffons échapper , nous n'avons
qu'à leur dire adieu pour jamais «.
( 115 )
>
On affure que l'Amiral Darby a reçu ordre
de fortir fur le champ ; on lui fuppofe
l'ordre d'aller à Gibraltar & à Minorque
& de combattre l'ennemi par- tout où il
le rencontrera. On trouve un pareil ordre
un peu imprudent s'il a été en effet donné ;
mais pour le rendre vraisemblable , on fuppofe
que fa flotte eft augmentée de 18
vaiffeaux , dans un moment où en réuniffant
tous ceux que l'on deſtine à différentes
ftations , & qui n'ont pas encore leur complet
de matelots , on n'en trouve que 12
fans compter les 23 qu'avoit déja cet Amiral.
En voilà déja 2 de moins , s'il eft vrai ,
comme on le dit , que le Prothée & l'Agamemnon
, qui font fortis le 19 de Portsmouth
, vont en Amérique joindre l'Amiral
Darby. Il faudra encore en retrancher
le St Albans de 64 , qui , avec 2 frégates ,
a reçu le 20 l'ordre d'efcorter le convoi de
Corke pour les Ifles . Comme il eft queftion
d'embarquer les bataillons tirés des
régimens des Gardes à pied , à qui l'on a
donné ordre de fe préparer à s'embarquer
le plus promptement poffible , il faudra
encore une efcorte aux tranſports qui les
prendront à bord .
» On croit généralement , dit un de nos papiers ,
que le commerce de la Baltique ne pouvant le faire
qu'en été , la flotte Hollandoife doit faire une feconde
tentative pour fortir du Texel , afin de fe procurer
des munitions navales dont elle a le befoin le plus
urgent , & qu'elle ne pourra trouver ailleurs , fi
( 116 )
elle manque la faifon actuelle. — Selon une lettre
de Cove , il y est arrivé un vaiſſeau d Oftende ,
dont le patron rapporte qu'avant ſon départ , on
y avoit reçu la nouvelle qu'une forte elcadre de
vailleaux de guerre & un grand nombre de tranfports
étoient fortis di Texel , & qu'elle avoit été jointe
devant Guernesey par quelques frégates & autres
vailleaux armés & transports , ayant à bord des
troupes de Saint - Malo ; mais que leur deitination
étoit ignorée. Quoiqu'il en foit de cet avis qui
eft peut- être faux , il a été donné ordre ici à un
détachement d'Artillerie de fe tenir prêt à paffer
aux Inles de Jerſey & de Guernesey , pour relever
ou renforcer un autre détachement dans cette ftation
«<.
Les Hollandois que nous avons trop
affecté de méprifer quand nous leur avons
déclaré la guerre , nous caufent d'affez vives
inquiétudes depuis que nous avons appris
à nos dépens qu'ils n'ont pas oublié
T'art de fe bien battre . On a lieu de croire d'après
plufieurs circonstances , qu'ils fe propofent
de faire un effort pour détruire les
vaiffeaux qui pourroient fe trouver dans
les ports de quelques- unes des villes fituées
fur la côte orientale de ce Royaume , &
d'en mettre les habitans à contribution .
On dit que l'Amiral Hood continuera de
commander en fecond en Amérique fous
l'Amiral Digby , & que l'Amiral Graves ,
ira aux Ifles avec le Chevalier George Rodney
, quand la ſaiſon des orages fera paffée .
L'Union , corfaire de Poole , eft arrivé
à Kings - Road. Il vient d'Afrique & en
dernier lieu de la Barbade. Il a quitté cette
( 117 )
Ifle le 27 Juillet . La flotte de Corke y étoit
arrivée le 1 du même mois , & celle de
Londres le 10. Ces deux flottes n'avoient
pas perdu un feul bâtiment.
On dit que le Gouverneur Johnſtone a
informé le Gouvernement qu'il a pris un
vaiffeau Espagnol de Manille , dont la cargaifon
eft évaluée 100,000 liv . & qu'il eft
arrivé à Buenos Ayres , où il y a une révolte
à la tête de laquelle fe trouvent deux Officiers
Anglois ; cette nouvelle eft fans vraifemblance
depuis que l'on a appris que les
légers troubles qui s'étoient élevés dans les
établiffemens Efpagnols avoient été appaifés.
Si Johnſtone eft à Buenos - Ayres , on fait
que ce n'étoit pas fa deftination ; il n'a pu
renoncer à s'y rendre que forcé par l'impoffibilité
; & en conféquence fon affaire
dans la Baie de Praya a dû lui être plus
funcfte qu'il ne l'a dit ; fon arrivée aux Indes
étoit inftante , & M. de Suffren à
préfent eft fûr de donner à fa Nation une
plus grande fupériorité que celle qu'elle a
déja.
On engage actuellement en Allemagne un
corps de Heffois pour relever les Hanovriens
qui font à Gibraltar ; on ſe propoſe
d'envoyer ceux- ci en Amérique au commencement
du printems. Il s'agit de favoir fi ,
d'ici à ce tems , ils ne feront pas prifonniers
des Efpagnols.
Toutes les lettres de l'Ouest de l'Irlande
fe plaignent des prifes nombreuſes faites
( 118 )
dans le canal , plus de 20 corfaires ennemis
infeftent les côtes & le commerce de
ce Royaume , qui pour prévenir la ruine
totale , follicite des fecours du Gouvernement
; ceux qu'il obtient ne font pas confidérables
, puifque l'Amirauté s'eft contentée
de répondre qu'elle avoit ordonné à M.
Cooper , Capitaine du Stag de choisir un
floop ou un cutter pour fervir d'eſcorte
aux bâtimens qui vont de Newry à Chefter
& à Liverpool pour y faire le commerce
des toiles.
Trois frégates & cinq cutters , excellens voiliers ,
ont été envoyés de Portsmouth & de Falmouth
avec des Dépêches adreffées aux Capitaines des
vaiffeaux qui eſcortent la flotte de la Jamaïqué &
des Inles , portant ordre de relâcher dans le premier
port d'Irlande , & dans le cas où ils ne
jugeroient pas le parti convenable ou praticable ,
de prendre par le nord & d'aller mouiller dans
la rade de Leith . Ces bâtimens font partis avec
la plus grande diligence.
Une lettre d'Yarmouth porte , que lundi de la
femaine dernière les Américains , détenus dans les
prifons de cette ville , ont fait une tentative pour
s'échapper ; au moyen d'une montre d'argent & de
8 guinées , ils avoient gagné la fentinelle ; à une
heure du matin , le foldat leur avoit ouvert les
portes , mais malheureuſement pour eux , un fergent
étant furvenu en ce moment pour relever la fentinelle
, avoit découvert leur projet , & s'étoit afſuré
des prifonniers , ainfi que de leur garde , qu'on va
farre paffer par un Confeil de guerre. L'emplette
récente qu'il avoit faite d'un habit bourgeois , donne
lieu de fuppofer qu'il fe propofoit de voyager avec
Les affranchis.
( 119 )
M. Trumbull qui a été fi long - tems
détenu en prifon fur le foupçon qu'il avoit
entretenu une correfpondance criminelle
avec nos ennemis , a obtenu fon élargiffement
à condition qu'il fortira du Royaume .
Plufieurs Officiers Danois qui ont paffé
en Amérique , il y a environ deux ans , pour
y faire quelques campagnes , font revenus
ici en conféquence des ordres du Roi de
Danemarck publiés depuis quelque tems
à l'effet de rappeller les Officiers , Soldats'
& Matelots Danois , employés dans n'importe
quel fervice étranger. Ils n'ont fait
ici aucun féjour & font partis fur le champ
pour fe rendre dans leur patrie.
La flotte de la Plata , qui revient actuellement
du Mexique , paffe pour la plus riche
que l'Espagne ait jamais attendue dans fes
ports. Les remifes annuelles de cette contrée
, en y comprenant environ un quart
en-fus qui n'eft pas enregistré , afin de frauder
le droit du Roi , font portées à près
de 3,904,600 liv. fterling , & comme les
vaiffeaux de regiftre , dont on attend le
retour , font chargés du produit de deux
ans , la flotte qui auroit dû faire voile l'année
dernière pour l'Europe , ayant été arrê
tée à cauſe de la guerre , l'Efpagne recevra ,
fi ces vaiffeaux arrivent à bon port , la
fomme de 7,809,200 liv . fterling ou 178
millions 496 mille livres tournois,
( 120 )
S
FRANCE.
dit 4
De VERSAILLES , le 11 Septembre
ti
LES de ce mois la Cour s'eft rendue au
Château de la Muette , où elle ſe propoſe
de paffer quelques jours ; Mefdames Adelaïde
, Victoire & Sophie de France ont été
pendant ce tems à leur Château de Bellevue.
La Cour a repris le 8 de ce mois le deuil
à l'occafion de la mort du Duc de Brunfwick
; elle le portera fix jours .
Monfeigneur le Comte d'Artois & Madame
Elifabeth de France , tinrent le 24 du
mois dernier fur les fonds de baptême dans
la Chapelle du Château , les enfans du
Marquis & de la Marquife de Soucy , Sous-
Gouvernante des enfans de France. Les cérémonies
du baptême furent fuppléées à ces
deux enfans , dont l'un a été nommé Charles-
Philippe , & l'autre Philippe Charles ,
par l'Evêque de Termes , premier Aumônier
de Monfigneur le Comte d'Artois , en préfence
du Curé de la Paroiffe de Notre - Dame,
De PARIS , le 11 Septembre.
IL eft arrivé dans nos ports plufieurs bâtimens
de la Martinique. Les nouvelles qu'ils
apporrent , font que M. le Comte de Graffe
fit voile de cette ifle les Juillet avec toute
fa flotte & le convoi de St- Domingue . Il n'a
laiffé
( 121 )
laiffé que deux frégates à Fort-Royal ; les
bâtimens qui ont quitté le plus tard l'efcadre
, font l'Eau , l'Air , la Terre & le Feu ,
qui ont mouillé tous quatre à Breft . Sortis
de Fort- Royal le 5 Juillet avec la flotte , ils
ne s'en féparèrent que le 15 après avoir
dépaffé Porto- Ricco , & pour ainfì dire à
la vue de St-Domingue. Le convoi de M.
de Graffe étoit alors de 190 navires ; ainfi
lorfque tous ces bâtimens feront réunis à
ceux du Cap , des Cayes , &c . & que leur
chargement fera fait , ils formeront la flotte
la plus riche & la plus nombreuſe qui foit
partie depuis long-tems des Antilles.
» Nous n'avons pas encore , écrit - on de Breft ;
les lettres apportées par ces bâtimens . Si l'Amiral
Rodney veut arriver avant la flotte Françoile
dans l'Amérique Septentrionale , il pourra bien
fe trouver en défaut ; car on eft perfuadé à Saint-
Domingue , par tous les apprêts qu'on voit faire ,
& par le rendez - vous des vaiffeaux Espagnols &
des troupes de cette Nation , au cap Tiburon
qu'on n'a pas encore renoncé à toute entrepriſe
contre la Jamaïque , fur - tout fi Rodney ne vient
pas à fon fecours. Du refte , le convoi immenſe
que conduit M. de Graffe , & celui qui dépérit aux
Cayes , ne trouveront pas le Cap auffi dépourvu
qu'on pourroit le croire . Quantité de bâtimens
fortis de Saint -Eustache , qui ont atterri à Sainte-
Croix ou à Saint - Thomas , font venus depuis peu
de tems approvifionner Saint- Domingue . Il eft affez
fingulier que tandis qu'on voit l'Amiral Rodney
envoyer en Europe pieds & mains liés , des Négo
cians naturalifés , établis à Saint-Eustache , & qui
avoient le droit d'y faire le commerce , vendre
lui- même à des François , nou-feulement des vivres
Is Septembre 1781..
f
( 122 )
& des marchandifes , mais encore des munitions
de guerre & des munitions navales qui , convoyées
jufqu'à Saint-Thomas par les vaiffeaux , font arrivées
au Cap fans accident . Les derniers navires venus
de cette manière , étoient au nombre de 21 ; ainfi
il ne faut pas s'attendre que nos convois trouvent
un débit bien affuré & bien profitable de leurs cargaifons
, fur tout de cargaifons parties & entaffées
a bord des navires depuis & mois & même un an «.
Lorſque les lettres feront apportées par ces
bâtimens ces incertitudes fe diffiperont ; &
les premières qui arriveront de St-Domingue
détruiront peut - être les inquiétudes de nos
Négocians. Quelques perfonnes croient que
M. deGraffe n'a pas été mouiller au Cap , &
qu'étant arrivé aux atterrages de St- Domin-
› il a confié fon convoi à 2 vaiffeaux , &,
qu'il a fait route avec 23 autres & quelques
bâtimens marchands pour Rhode - Iſland . Si
cela eft ainfi , ce dont on doute ici , les voiles
apperçues fur les Bermudes par un navire
de Nantes le 28 Juillet , pourroient être la
flotte de M. de Graffe.
» Le bricq l'Uni , écrit - on de ce Port , vient
d'entrer dans la rivière . Il étoit parti de la Martinique
le 18 Juillet , étant par le travers des
Bermudes le 18 du même mois , il découvrit un
convoi de 28 navires , qu'il prit pour ennemi. Un
vaiffeau de so canons s'en détacha , & le chafla
depuis 4 heures du matin jufqu'à midi , qu'il reconnut
l'impoffibilité de l'atteindre. Plufieurs perfonnes
de l'équipage font perfuadées que ce vailleau
étoit l'Expériment , & que par conféquent le convoi
étoit François. Le bricq , arrivé fur nos atterrages
fans autre rencontre , apperçut , le 22 Août , à la
( 123 )
pointe du jour , une grande flotte ; il étoit alors
à 15 lieues de Pennemare ( entre l'Orient & Breft ) ;
chaffé par une frégate , il lui échappa par la fupériorité
de fa marche , & il apprit , d'un navire
Suédois , qu'il arraifonna le même jour , que cette
Alotte étoit celle de Darby , & qu'elle étoit compolée
de 23 vaifleaux de ligne.
Il dir que
I'Amiral Rodney , inftruit du départ de notre flotte
avoit paru le 10 Juillet , à la hauteur de Fort - Royal,
avec toutes les forces. Il fuppofe qu'il alloit fuivre
M. de Graffe , puiſqu'on le vit gouverner au Nord «.
On a reçu des lettres de l'armée combinée
en date du 27 & du 30 Août. Les Généraux
fe plaignent d'avoir eu toujours à lutter contre
le vent de nord - oueft , qui les a empêchés
de s'approcher trop près de la Manche
, où ils auroient pu être pouffés malgré
eux ; ils ont croifé conftamment fur les Sorlingues
; & d'après l'avis qui leur fut donné
qu'un convoi fe difpofoit à fortir de Cork,
ils coururent plus au nord , mais fans rien
trouver , pas même une feule chaloupe ennemie.
Le 29 Août ils apprirent par un
neutre que Darby averti de fon côté par
un navire neutre , s'étoit preffé de retourner
à Torbay. Le 30 l'Armée étoit par les 49
degrés ; & comme elle avoit reçu les paquets
dont la Sibylle avoit été chargée à fon
retour , elle fera remontée plus au nord
pour attendre la flotte de la Jamaïque.
. » On peut le rappeller ' , écrit on d'un de nos
ports , que M. d'Orvilliers , pour avoir longé les
côtes d'Espagne & de France , fut retardé dans fa
traversée , & perdit l'efpoir de joindre la flotte
ennemic. D. Louis de Cordova avoit donc eu raifon
f 2
(11246 ), nel T » !
2
de s'élever dans l'Oueft , & de porter tout de fuite
fur les Sorlingues , où il devoit penfer que croifoit
Darby. Mais le malheur attaché aux mouvemens
de nos efcadres combinées , a fait prendre le change
à nos Généraux ; & tandis qu'ils fe plaignoient du
vent de nord-oueft , ce vent étoit le plus favorable
qu'ils euffent pu defirer pour furprendre l'ennemi
& l'entourer. Car Darby , qu'ils cherchoient vers
les Sorlingues , eft resté conftamment depuis le 8
Août jufqu'au 15 & même au 20 , fur les côtes
d'Espagne , & enfuite fur les côtes de France . Il
auroit fui fans doute à leur approche ; cependant fi
D. Louis de Cordova avoit pu le furprendre à la
hauteur du cap Finistère , le 10 , & fur les côtes
de Bretagne , le 14 , il étoit le maître , le is ,
de fe placer à Oueffant , & de lei fermer l'entrée
de la Manche ; mais toutes ces belles fpéculations
ne fignifient peut - être pas grand chofe ; ce n'eft
pas fur mer qu'on peut fe propofer d'en faire &
de les exécuter ; la mer & les vents font des obf
tacles que toute la prudence humaine ne peut éviter.
A préfent l'espoir de l'armée combinée n'eft plas
que dans la rencontre de la flotte de la Jamaïque;
mais quand même celle - ci arriveroit de bonne
heure , on fait que c'eft au nord de l'Irlande qu'il
faudroit l'attendre ; notre flotte ne s'élevera pas
fi haut à l'approche de l'équinoxe , & il eft vraifem,
blable qu'elle a ordre de quitter ſa croiſière le 12
ou le is de ce mois «...
Selon des lettres de Londres le 29 du
mois dernier , l'Amiral Parker a demandé
fa démiffion au Roi qui la lui a accordée ,
elles ajoutent que le commandement de
l'efcadre qui étoit fous fes ordres a été
conféré au Cominodore Keith- Stewart.
Tous les avis de Nice , de Marſeille , de
( 125 )
Cette , de Toulon , & c. fur l'expédition de
M. de Crillon , étoient prématurés. Un Courier
extraordinaire vient de nous apprendre
que le débarquement n'a eu lieu que le 20
Août. M. de Crillon n'a point trouvé d'op
poſition. Le Général Murray inftruit de
l'objet de cette expédition peu de jours
avant que l'armement fût dans les parages
de fon ifle , a eu affez de tems pour appro
vifionner le fort St-Philippe , de manière à
ne pas craindre d'être réduit de long tems
par la famine. La divifion Françoife arrivera
à Minorque vers la fin de ce mois.
Elle y fera conduite par le Baron de Falkenhayn
, Maréchal - de- Camp. Alors on
pourra attaquer le fort St- Philippe ; & la
garnifon eft trop foible pour qu'elle falle
une longue résistance.
Le Courier expédié de Madrid par l'Ambaffadeur
de France , nous a appris que les
vaiffeaux du Roi l'Illuftre & le St- Michel
font entrés à Cadix ; ils avoient efcorté.
jufqu'aux Tercères les convois des Ifles &
des Indes orientales , qu'ils laifsèrent en
très-bon état , après avoir donné une frégate
au deuxième , & deux au premier. Ils revenoient
dans nos ports , lorfqu'ils furent
avertis , par 3 bâtimens neutres , que l'Amiral
Darby étoit fur les côtes de Galice ;
alors ne pouvant dépaffer le cap Finistère ,
fans rifquer de tomber dans la flotte Angloife
, ils rebroufsèrent chemin & allèrent
mouiller à Cadix.
f 3
( 126 )
"
On a été fort furpris que ce Courier
n'ait rien apporté de relatif à l'expédition
de M. de Crillon ; puifqu'on favoit à Barcelonne
, le 24 Août , que ce Général avoit
paru devant Minorque le 20 , & que toutes
fes troupes étoient entièrement débarquées
le 21 , il femble qu'on ne devoit pas l'ignorer
à Madrid le 29 ; mais comme c'eſt
par le paquebot ordinaire de Mayorque
qu'on a fu tout cela à Barcelonne , l'Intendant
n'aura peut - être pas ofé prendre
fur lui d'inftruire la Cour d'un fuccès dont
le Général doit lui donner le premier avis.
Cette nouvelle étoit venue prefque en
même-tems de Barcelonne & de Marfeille ,
& ayant été donnée , quoique fans détails
par un Intendant & un Conful - général
Eſpagnol , on la regarde ici comme trèsauthentique
.
Le le Baron de Falkenhayn eft parti le 9
de ce mois pour Toulon , où il va s'embarquer
avec les troupes qui paffent à
Mahon. Le régiment Suiffe , d'Erlach
n'eft plus de cette divifion ; on lui a fubftitué
le régiment de Bouillon . Comme il
n'y a nuls préparatifs dans les ports de
Toulon & de Marfeille pour l'embarquement
de cette petite armée , on étoit un
peu furpris , dans ces deux ports , d'apprendre
qu'elle approchoit fans qu'il y
eût de bâtimens propres à la recevoir ;
c'eft qu'on ignoroit que les tranſports qui
ont conduit les troupes Eſpagnoles vien(
127 )
droient à Toulon pour prendre les nôtres ;
cet arrangement eft fort fage , & fur-tout
économique .
La divifion de nos troupes , deftinées à
cette expédition , fera , dit - on , portée à
14 bataillons , formant environ dix mille
hommes. Ainfi , il n'eft plus douteux qu'on
ne veuille emporter le Fort Saint- Philippe
de vive force.
» Un aviſo arrivé à Cadix , a annoncé que M. de
Monteil avoit fait voile , le 19 Juin , pour retourner
à Saint - Domingue ; ainfi , il aura mouillé au Cap
peu de jours avant M. de Graffe , & ce fera lui
peut - être qui fera chargé d'eſcorter le convoi
pour l'Europe. Celui de la Havane , attendu à
Cadix avec tant d'impatience , non-feulement n'eft
pas en route , comme bien des gens l'affuroient
mais on ignore encore quand il aura la permiffion
de mettre à la voile . On préfume que D. J. Solano
me reviendra pas en Europe fans avoir auparavant
profité de l'ardeur des Officiers & de la bonne
volonté des troupes , & qu'il cherchera à feconder
quelqu'antre opération auffi agréable à la Cour
d'Efpagne que l'expédition contre Penſacola. Il eft
vrai qu'il ne peut rien entreprendre contre la
Jamaïque , s'il ne fait pas venir des troupes de
Porto-Ricco , & s'il ne les réunit à celles que peut
fournir Saint Domingue , on foupçonne que M.
de Monteil ne retournera au Cap que pour y faire
les préparatifs convenables pour une expédition de
cette eſpèce ".
On a envoyé à Toulon des ordres pour
hâter la conſtruction des vaiſſeaux le Suffifant
& le Dictateur , actuellement fur les
chantiers.
£ 4
7128 )
L'Argonaute étoit encore retenu au bas
de la rivière le 28 Aoûtt par les vents contraires
; il étoit prêt depuis 8 jours à mettre
à la voile avec fon convoi. Le Brave defcendra
la rivière à la fin du mois; & à la
fin de l'année il fortira des chantiers de
Rochefort autres vaiſſeaux.
Le corfaire la Princeffe Noire , Capitaine
Macatter , écrit on de Dunkerque , parti de Breft
le 30 Juillet , eft arrivé à Cherbourg le 16 Août ,
ayant fait les prifes fuivantes . Un navire de
150 tonneaux , chargé de 1400 facs d'avoine ,
arrivé à Morlaix. Le paquebot la Britannia ,
de 150 tonneaux , avec roo pallagers , chargé de
the , draps , &c. arrivé à Morlaix. Un grand
navire à trois mâts , chargé de foieries draps ,
toiles , &c. eftimé 25 , oco livres fterling . Ce navire
a été pris fous le Fort Saint -Yves , d'où le corfaire
a reçu bolets de 24 , qui lui ont tué fon fecond
Maître d'Equipage , & un des pallagers prifonniers .
Cette prife n'eft pas encore arrivée. Il a chaffé
un corfaire de 22 canons , qui a jetté fa batterie
à la mer , & s'eft fauvé dans les roches des Cafquets.
Il est arrivé à Cherbourg , où il a débarqué
le 16 , des ôtages pour 2200 guinées de rançon , &
environ 200 prifonniers «.
3
Les frégates la Lutine , la Montreal , la
Pleyade , & quelques autres nouvellement
arrivées du Levant à Toulon , vont être
armées fucceffivement pour repartir dans le
courant de ce mois. On parle auffi d'une
efcadre pour la Méditerranée.
Les lettres de Breft portent que le vaif
feau la Couronne eft entièrement fini , caréné
& doublé en cuivre ; il a dû être mis hors
31 ( 1290 )
du baffin le 4 de ce mois. Le Pegafe avance.
On compte que dans le courant de ce mois
ou du mois prochain , il fe fera dans ce
port un embarquement de munitions de
guerre & de bouche & même de troupes .
On parle toujours des embarquemens qui
doivent être faits en différens ports ; mais
il n'y a rien encore de certain fur le nombre
des troupes qui pafferont dans l'Inde &
en Amérique . Les uns prétendent qu'on
prendra 100 hommes de chaque régiment ,
les autres feulement 70 .
M. le Comte d'Estaing ayant été Mardi
dernier à l'Opéra , tout le monde ſe leva au
moment qu'il parut dans la falle . Ce témoi
gnage de l'affection & de l'eftime publiques
nefauroit être mieux mérité ; il prouve qu'on
le voyoit avec plaifir , & peut - être avec
regret dans un lieu pareil.
·
» Des chofes très-utiles , lit on dans une let
tre qu'on vient de nous adreffer , reftent fouvent
ignorées , même de ceux qui ont le plus grand
intérêt de les connoître , parce qu'elles font confignées
dans les ouvrages connus d'un petit nombre
de perfonnes. Il en eft ainfi fans doute du
moyen d'enlever à l'eau corrompue fon odeur fétide
, & de la rendre potable , qu'on trouve dans
un ouvrage pofthume de feu M. de Courcelles ,
premier Médecin de la Matine à Brest , publié
par M. le Chevalier de la Coudraie , ancien Lieutenant
de vaiffeau, puifque j'apprends dans ma retraite
qu'on s'occupe à Breft de beaucoup d'elais
fur un autre moyen , le même pour le fond , mais
beaucoup plus difpendieux & plus embarraffant,
Voici ce que dit M. de Courcelles , pag . 206 de
fs
( 130 )
- fon Mémoire. » L'Eau douce , qui fait une
partie confidérable de la boiffon des équipages
étant renfermée dans la calle des vaidleaux eft
fujette à fe corrompre ; elle devient puante & extrêmement
dégoûtante. Divers particuliers , fans
aucune expérience de la mer , ont imaginé de
prévenir cet accident par des mélanges & des
compofitions auffi ridicules qu'inefficaces . Voici un
moyen bien fimple. Il confifte dans un tuyau de fer
blanc terminé à une de fes extrêmités par une ca.
lotte demi fphérique , percée de petits trous comme
une écumoire. L'autre extrémité doit être en
forme de bec , pour recevoir un tuyau de foufflet.
En le faifant agir , on introduit un air frais dans
l'eau putréfiée , & l'on excite un bouillonnement
dans toute la maffe , au moyen duquel , en moins
d'un quart-d'heure , & fans grande fatigue , l'eau
perd la mauvaiſe odeur & fon mauvais goût bien
plus parfaitement que lorfqu'on fe contente de la
fouetter avec des palettes & des mouffoires. 11
en coûteroit peu d'embarquer fur des vaiffeaux.
cette machine de l'invention de M. Haley , le
Duhamel de l'Angleterre , Plus efficace que la peine
de pogayer , elle eft moins fatiguante «.
Le fejour de Rochefort eft funeſte aux
jeunes Officiers comme aux vieux. M. de la
Tour - du - Pin , Colonel du régiment de
Bourbon , infanterie , qui avoit été vifiter
ce port par fimple curiofité , eft revenu ma-
Aide au Château de fon père près d'Etampes ,
où il eft mort ces jours derniers. L'état de
M. de Poyanne eft toujours fort alarmant ; it
paroît qu'on défefpère de fa guérifon.
» Le 21 Août , écrit-on de Blanc en Berry , le
fieur Louis Bleu , marchand Epicier , & Marie- Anne
Gaillard , après avoir donné pendant so ans l'exemple
1 131 )
de l'union la plus édifiante , ont renouvellé leur
mariage dans l'Eglife de St - Genitours , leur Paroiffe.
Cette cérémonie , qui s'eft faite pour la première
fois ici , a attiré une foule de fpectateurs. Ces deux
époux n'ont actuellement , de leur mariage , que
2 filles , une petite- fille & 3 petits- fils . On fera fans
doute étonné d'apprendre que la mère ayant été
attaquée , quelque tems après fon mariage , d'une
paralyfe fur la langue qui l'a laiffée très - bègue ,
eft accouchée fucceffivement de trois filles qui font
devenues muettes ; & l'une d'elles a la douleur
d'avoir reproduit fon infirmité dans fa fille unique.
-
Il exifte actuellement , dans le bourg de Bethiay,
à deux lieues de cette Ville , un homme âgé 106
ans ; il fe nomme Savin Remeraud. Il jouit d'une
très-bonne fanté ; & n'a d'autre infirmité que celle
de ne pouvoir marcher «.
On lit dans une lettre de M. de St- Cir ,
Maître ès- Arts & en Chirurgie à Dezaigne ,
en Vivarais, ( qui s'eft égarée dans le tems , )
qu'il règne dans le canton de cette Province
& dans les environs , une épidémie qui dure
depuis près de deux ans ; ce font des fièvres
putrides malignes & bilieufes . Parmi le
nombre de perfonnes qu'elles ont enlevées
à Dezaigne , au nombre de 200 , on en
compte 7 d'un âge très- avancé ; M. Vernier
âgé de 88 ans , Pierre Sauvage âgé de 106 ,
Pierre Abbatue de 105 , & Pierre Fuſtier de
$8 ; ce dernier laiffe 88 enfans petitsenfans
& arrières - petits - enfans .
>
1
» Dans la Paroiffe de Saint - Prie , en Chalançon
Diocèle de Valence dans le haut Vivarais , ajoute
M. de Saint - Cir , la nommée Marie Chabanne
épouſe de Jean - Pierre Malfray , habitant du lieu
f 6
( 132 )
de la Prachayal , a mis au monde , d'une feule
couche , 3 enfans mâles, qui ont été baptifés à l'Eglife
Paroiffiale de Saint- Prie le même jour , fans avoir
été ondoyés à la maifon , & qui paroiffent de la
meilleure fanté. C'étoit un fardeau confidérable que
la mère portoit dans fon fein ; on a voulu en ſavoir
le poids , & celui des 3 enfans pelés a été trouvé
de 22 livres. Ces trois enfans , qui paroiffeur devoir
vivre , font relaxes du même côté «.
Aux détails que nous avons donnés de
la dernière féance de la Société Royale de
Médecine , nous joindrons ceux-ci ,
Elle avoit proposé pour un Prix de 600 livres ,
qui eft dû à la bienfaifance de feue Mlle Guerin ,
d'établir , par l'analyfe Chymique , 1º. la nature
des remèdes anti-fcorbutiques proprement dits. 2°.
Par l'obfervation , quels doivent être leur ufage &
combinaifon dans les différentes espèces & compli
cations du Scorbut. Ce Sujet étoit divifé en deux
parties ; les Mémoires envoyés au Concours n'ont
traité convenablement que la feconde ; la Société
n'a adjugé en conféquence que la moitié du Prix ; &
réferve l'autre pour celui qui traitera le mieux la
première partie du Sujet qu'elle propoſe de nouveau.
Le Prix de 300 livres , annoncé pour l'indication
des maladies qui règnent le plus communément parmi
les troupes , pendant la faifon de l'Automne ;
des moyens de les prévenir , de la méthode la plus
fimple , la plus facile & la moins difpendieufe de
les traiter, a été partagé entre M. Bonté , Docteur en
Médecine de l'Univerfité de Montpellier , & Thion ,
Médecin employé dans les Camps & Armées du Roi.
La bonté des Mémoires qu'a reçus la Société , l'a
déterminée à partager auffi l'acceffit . Après
avoir couronné les travaux de fes Correfpondans ,
la Société a eru devoir donner une marque publique
de fon eftime & de fa fatisfaction à M. Fauror
( 333 )
Docteur en Médecine , réfident près d'Autety Pa
roiffe de Franche Comté. Appellé auprès de plu
fieurs perfonnes mordues par un chien enragé , il
les a faignées avec autant de défintéreffement que
de fuccès ; entièrement dévoué au traitement des
épidémies dont le canton qu'il habite eft affligé , il
a plus d'une fois fourni les alimens & les remèdes
aux pauvres qui en étoient attaqués. Ces détails ont
été tranfmis à la Société par des perfonnes diftinguées
, témoins de fes bienfaits ; elle le prie de
trouver bon que le Public en foit informé , &
qu'elle lui offre une médaille de la valeur d'un
double jeton d'or.
Un homme de lettres , qui s'occupe depuis plufieurs
années , des moyens de fimplifier & d'abréger
l'étude des langues , convaincu par une heureufe
expérience de l'utilité de fes recherches , fe
propofe de confacrer fon temps à l'éducation de
quelques jeunes gens qui, avec le defir & la volonté
d'apprendre , fe trouveroient , par leur âge,
hors d'état de parcourir la carrière ordinaire . Čet
age eft depuis quinze jufqu'à vingt ans , & même
davantage. Ils fauront dans l'efpace de deux années
, ce qu'ils auroient appris dans un Collége ,
dont ils auroient fuivi les exercices , tout le tems
preferit par l'ufage. Pour lever tous les doutes.
que cette propofition peut faire naître , le Contractant
, jaloux d'affurer la confiance plus fo-
Jidement , autrement que par des promeffes , prévient
qu'il n'entend recevoir le fruit de fon travail
, qu'après avoir rempli les conditions auxquelles
il fe fera foumis . Les perfonnes qui defi
reront traiter , foir de vive voix ,
foit par
font priées de s'adreffer à M. Taillandier , Avocat
au Parlement , ruc Pavée Saint - André - des-
Arts. Le prix de la penfion annuelle fera de
1200 liv.
·
écrit ,
Lettres -Patentes du Roi , en forme de Déclaration ,
(
134 )
-
données à Versailles le 30 Mai , & enregistrées au
Parlement le 28 Août , portant défunión de l'Office
de Lieutenant- général de Police à Troyes , des Offices
du Bailliage de ladite Ville , pour être dorénavant
exercé par un feul Officier en titre . Autres du
24 Juin , enregistrées auffi le 28 Août , concernant
les Baux à cens dans le reffort de la Coutume de
Péronne , de Montdidier & de Roye. — Déclaration
du Roi , donnée à Versailles le 15 Août 1781 , enre
giftrée le 28 Août , qui ordonne la continuation de
la perception de 30 fols par muid de vin entrant
dans la ville & fauxbourgs de Paris , pendant cinq
années , trois mois , à commencer du premier
Octobre 1781 , en faveur de l'Hôtel - Dieu & de
l'Hôpital Général .
Arrêt du Confeil du 25 Août. » Sur le compte
rendu au Roi , des opérations faites en vertu de
fes ordres , par le fieur Malouet , Commiffaire-
Général , relativement à l'Arſenal de Marſeille ; S.
M. a confidéré que pour contribuer aux dépenfes
de la guerre qu'elle eft obligée de foutenir pour
l'honneur de fon pavillon & pour protéger le
commerce de fes fujets , le moyen le plus conforme
au defir qu'elle a de préferver fes peuples de nouveaux
impôts & d'adoucir même le poids des fubfi.
des déjà établis , eft de mettre hors de fes mains
les établiffemen's qui ne dépendant pas des anciens
domaines de fa Couronne , ne font que des acquêts
devenus onéreux à fes finances , ou inutiles
à fon fervice. Ayant fait vérifier l'état de fon
Arſenal de Marine dans la ville de Marfeille , l'objet
de fa deftination & les titres relatifs à l'acquifition
des terreins fur lefquels il a été établi , elle a
reconnu que Louis XIV avoit érigé cet établiffement
fur des terreins achetés de divers particuliers au
prix de l'eftimation faite par des Experts. Que la
conftruction , le radoub , l'équipement des Galères
& la confervation des Chiourmes , étoit l'unique
( 135 )
objet de fa deftination . Que le département des
Galères ayant été fupprimé en 1749 , & les forçats
diftribués enfuite dans différens ports , l'Arſenal de
Marſeille étoit devenu abfolument inutile au fervice
de S. M. , & onéreux à fes finances par les frais
d'entretien & par le nombre d'Officiers de Marine
& d'Administration qui y font employés . El'e s'eft
déterminée d'autant plus volontiers à vendre cet
Arfenal avec réferve des droits feigneuriaux , que
cette aliénation décharge fes finances d'une dépenfe
confidérable , leur procure par la réſerve des droits
de lods & mutation un produit important. Qu'elle
offre d'ailleurs aux acquéreurs la fûreté la plus
entière , attendu que les Loix relatives aux biens
appartenans au domaine de la Couronne , exceptent
de la règle de l'inaliénabilité , les domaines dont
les charges confomment les revenus , ceux qui
occafionnent de la perte en voulant les garder , &
du profit en les vendant. Que les domaines même
utiles & d'un produit avantageux font encore exceptés
de la rigueur de ces Loix dans le cas de vente
pour les néceffités de la guerre ; exception qui
donneroit dans tous les tems aux acquéreurs & à
leurs repréfentans auprès des Succeffeurs de S. M. ,
la fûreté la plus entière dans le cas même où l'Arfenal
de Marſeille feroit partie de l'ancien domaine
de fa Couronne , & où il feroit d'un produit avantageux
à fes finances ; mais il a été vérifié par les
titres de propriété , que cet Arfenal , attaché au
fervice des Galères , n'a jamais été uni expreflément
au domaine , & que c'eft un acquét dont il n'eft
jamais réfulté de jouiffance , ce qui fuffit dans les
principes des Loix domaniales pour qu'il demeure
libre dans les mains de S. M. , & qu'il eût pu
aliéné fans aucune formalité & fans pouvoir être
foumis au rachat. S. M. après avoir ainfi reconnu
les avantages qui réfuiteront de cette aliénation ,
& s'être affurée que les acquéreurs , leurs hoirs &
être
( 136 )
ayans caufe feront poffeffeurs tranquilles des acquifitions
qu'ils auront faites , a cru qu'il étoit dignė
de fon amour pour les peuples , de mettre la Communauté
de fa ville de Marſeille à portée de profiter
des avantages qui pourront réulter des reventes
partielles dudit Arfenal . En conféquence , S. M. à
précédemment commis le fieur Malouet pour en
propofer l'acquifitions aux Officiers municipaux de
ladite ville ; elle a va avec fatisfaction que les
foins dudit Commiffaire ont parfaitement répondu
à la confiance qu'elle lui a accordée. Que les ſujets
de ladite ville de Marſeille ont manifefté dans cette
occafion , pour le bien de fon fervice , le même
zèle dont ils ont donné dans plufieurs occafions les
preuves les plus éclatantes . Qu'après vérification
exactement faite par ledit fieur Malouet , de l'état
dudit Arfenal , de l'ufage auquel il étoit employé ,
de la valeur du terrein & des bâtimens qui y font
conftruits , les propofitions par lui faites de la part
de S. M., ont été acceptées par le Confeil municipal
avec les témoignages les plus expreffifs d'amour
& de fidélité . Qu'en conféquence , le traité préli
minaire pour parvenir à la vente dudit établiſſement ,
circonftances & dépendances , a été figné par ledic
Commiffaire de S. M. & les Députés dudit Confeil
municipal le 13 Mars dernier. Et qu'enfin ledit
Commiffaire pour s'aflurer que ladite ville de Marfeille
ne pourroit pas être léfée par les conditions
dudit traité , a pris la précaution de recevoir de
divers particuliers , pour la revente partielle des
terreins & bâtimens du lit Arfenal , des foufcriptions
jufqu'à la concurrence de fept millions & quatre
cents mille livres . Sur quoi S. M. nomme & commet
M. de la Tour, Intendant , Commiffaire départi
en Provence , ou fon Subdélégué , pour paffer
le contrat , & c. «
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi du 30 Juillet
dernier , pour l'ouverture du droit annuel ou cen(
1371
tième denier dû par les Officiers de Juftice , Po
lice , Finance & autres . Officiers Royaux , pour
l'année 1782. » S. M. ordonne par cet Arrêt que
tous les Officiers de Judicature , Police , Finance ,
& autres , fujets a les revenus cafuels , qui n'ont
pas fait le rachat du droit annuel ou centième
denter , conformément aux Lettres patentes da 27
Février 1780 , feront admis , comme par le paffé ,
ainfi qu'ils ont été autorisés à le faire par les
Arrêts du 19 Décembre 1780 , à payer annuellelement
le centième denier de leurs Offices ; que
ledit paiement fera fait , fuivant l'ufage , par avance
pour l'année 1782 , dans le courant des mois de
Novembre & de Décembre prochains , & de même
pour les années fuivantes , en acquittant en mêmetems
le montant des années précédentes dont ils
feront omiffionnaires ; & que les Offices de ceux
qui n'auront pas fatisfait au paiement dudit rachat ,
ou dadit droit annuel , reftent affujettis en cas de
réfignation , ou de décès , aux droits fixés par
lefdites Lettres- patentes du 27 Février 1780 " .
Autre du 18 Août , qui crée une Chambre Syndicale
à Metz.:
Autre du 24 Août , concernant le droit d'Entrée
à Paris fur le gibier & la volaille.
Autre du 31 du même mois , concernant l'Ordre
de Cireaux. » S. M. ordonne que dans 2 mois >
à compter du jour du préfent Arrêt , le fieur Abbé
Général de l'Ordre de Cireaux , les Abbés de la
Ferté , de Pontigny , de Clairvaux & de Mori
mond , ainfi que les autres Abbés de chacun des
Monaftères Réguliers dudit Ordre , & les Prieurs
des Abbayes en Commende , feront tenus chacun
en ce qui les concerne , de remettre entre les
mains de M. de Tolozan , Maître des Requêtes
Commiffaire- Rapporteur , des états exacts & cir
"
( 138 )
conftanciés du nombre des Religieux de leurs Monafières
, ainfi que de leurs revenus actuels «.
De BRUXELLES , le 11 Septembre.
L'HEUREUSE iffue du combat dus femble
avoir donné aux efprits en Hollande une
énergie qu'ils n'avoient pas avant cet évènement
. On affure que l'efcadre qui doit
fortir dans peu du Texel , pour eſcorter le
convoi de la Baltique , fera de 16 vaiffeaux
de guerre , dont le nombre des vaiffeaux
de ligne fera plus confidérable que la pre
mière fois.
>
» Plufieurs de nos papiers , écrit -on de la Haie ,
avoient dit d'une manière affez pofitive , que fi les
vaiffeaux de la Meufe ne s'étoient pas joints à
l'efcadre de l'Amiral Zoutman c'eft qu'ils avoient
reçu ordre de la laiffer partir. Le Gouvernement a
déja fait démentir cette nouvelle ; & M. de Bruyn ,
Commandant de ces vaiffeaux qui devoient fe rendre
de la rade de Goërée à celle du Texel , vient
de déclarer dans une lettre , que dès le 14 Janvier
Bernier , il avoit reçu l'ordre précis d'agir hoftilement
contre les Anglois ; qu'il lui a été enjoint
enfuite de fe joindre le plutôt poffible aux vaiffeaux
du Texel , que jamais il n'a reçu d'ordres
contraires ; que s'il n'a pas quitté la rade de
Goërée , c'eſt que tous fes efforts pour mettre en
mer ont été vains . Cette déclaration eft accompagnée
du témoignage du Pilote , envoyé du Texel
par le Vice- Amiral Hartfing , à M. Bruyes , & du
certificat de tous les Officiers & Pilotes de fon
vaiffeau , ainfi que de tous les Capitaines des vaiffeaux
de fon convoi.
( 139 )
? Les lettres de Zélande portent que le
Magiftrat a ordonné à tout bourgeois de
18 ans & au- deffus , excepté les membres
de la Régence , les Eccléfiaftiques de la religion
dominante , les Memnonites & les
infirmes , de s'armer à leurs frais & de fe
rendre tout-à- coup , quand on battra l'appel
, dans les différentes places de la ville
qui feront indiquées , foit pour y faire l'exercice
, foit pour repouffer l'ennemi en cas
d'invafion . Les Memnonites rendront , fuivant
les circonftances , d'autres fervices
corporels non contraires à leur fecte pacifique.
Cette Ordonnance n'eft qu'un renou
vellement d'une plus ancienne.
>
» Le Comte de Bentinck écrit-on d'Amfterdam
, eſt toujours regretté ; il fe fartoit encore
quelques jours avant la mort , d'en être quitte pour
la perte d'un bras , & de pouvoir , difoit-il , commander
de l'autre dans la premiere action contre la
Grande - Bretagne. Ce fut lui , qui , tour bleſſé
qu'il étoit , remarqua le premier dans un de ces
inftans de demi- calme que lui laiffoient les douleurs ,
que le mois d'Août avoit été fouvent favorable aux
armes de l'Etat . En 1652 , le 26 Août , difoit- il ,
Ruiter battit Afcue , qui avoit des forces fupérieures
à celles des Hollandois . Le 8 Août 1653 ,
Tromp défit l'Anglois Monk, Ces obfervations
n'ont pas manqué de faire faire beaucoup de
recherches fur les évènemens glorieux à la République
, qui ont eu en effet lieu en différens tems
dans le cours du même mois «.
On n'oubliera jamais un trait d'héroïsme de cet
Officier dans le dernier combat. Son vaiſſeau , le
(( 140 )
Batavier , de $4 canons étoit attaqué par deux
vailleaux Anglois ; dès le commencement de l'ac
tion , ce Héros avoit reçu le coup mortel ; e fecond
Capitaine foutenant le combat avec intrépidité
, lui fit favoir qu'il craignoit que la fupériorité
de l'ennemi ne l'obligeat de reculer : mats
M. de Bentinck lui fit répondre qu'il valoit mieux
tout rifquer , que de fur devant l'ennemi . Tous
les gens de l'équipage avoient déja prévenu cette
réponſe , en déclarant qu'ils ne fe rendroient ja
mais , & qu'ils aimeroient mieux faire couler à
fond le vaiffeau , que de reculer devant les Anglois.
1 .
7
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du 5 Septembre.
On dit le Parlement prorogé au 10 du mois
d'Octobre prochain . Celui d'Irlande l'eft au 9.
Le Bureau de la guerre vient d'expédier des
ordres à toute la Cavalerie de fe tenir prête à
marcher fur les côtes en cas de quelque attaque
de la part de l'ennemi .
90 Charpentiers ont été envoyés à Chatam à
bord de l'efcadre de l'Amiral Parker , pour réparet
, avec toute la diligence poffible , les
vaiffeaux qui ont été endommagés dans le dernier
combat avec les Hollandois. Ils font logés
& nourris à bord , & ont triple paie.
:
Les flottes qu'on attend actuellement , font les
fuivantes une des Ifles , une de la Jamaïque , une
de l'Inde & une de la Caroline . Celle des Ifles eft
évaluée à 2 millions fterl, & malheureufement on
craint que
fon eſcorte ne foit trop foible. On
ignore la valeur de celle de l'Inde , on fait feulement
qu'il y a cinq vailleaux à Sainte-Helène ,
prêts à venir avec le premier convoi , & peut-être
en route.
Le premier convoi qui partira pour l'Inde
fera compofé de 25 voiles pour le compte de la
( 141 )
Compagnie. On croit qu'il mettra à la voile vers
le milieu d Octobre. Les amis du Lord Ma
cartney , qui eft allé dans l'Inde , ont de l'inquiétude
fur fon compte , parce qu'on n'a aucune nou
velle de lui depuis qu'il eft parti , & qu'il s'eſt em.
barqué fur un floop.
On affure qu'il ne faudra pas moins de 17 mil
lions fterling pour le fervice de l'année prochaine ,
fl'on fe propofe de pourfuivre la guerre avec vi
gueur.
Les dernieres Lettres de la Virginie nous an
noncent que la campagne de 1781 eft prefque finie ;
ainfi , comme la guerre actuelle eft une guerre
offenfive , il est évident que nous avons défenfé
18 millions fterling pour un très-petit objet ; car,"
comme il eft impoffible que le Lord Cornwallis
fe maintienne dans l'intérieur de la province pendant
l'automne , il faudra qu'il s'établille près de
la mer , & qu'il abandonne le refte de la provin
ce , ou qu'il cherche à s'affurer une retraité
Charles-Town par la voie de Camden , ce qui
mettra ce Lord précisément dans la pofition où
il étoit en Mars 1780 , quatre mois avant le pre
mier combat de Camden , quoique nous ayons
furchargé notre detre nationale de 27 millions
fterling.
Le paquebot le Cumberland , qui apporte les
dépêches du Lord Conwallis , eft attendu avec la
plus vive impatience , parce qu'il y a toute raifon
de croire que le Général Gréen a fait fa jonction
avec le Marquis de la Fayette peu de jours après
la derniere affaire , & que cette jonction peut
avoir pour nous les fuites les plus fâcheufes.
On écrit d'Amérique que l'irhumanité & les
vexations des Anglois à l'égard des habitans , ne
( 142 )
peuvent manquer de produire les effets les plus
funeftes , & de remettre Charles-Town entre les
mains des Américains . Une pareille conduite eft
bienéloignée de cet efprit de douceur qui doit animer
le Gouvernement Britannique pour ramener à lui les
coeurs ; mais à peine fe foumettent-ils , qu'ils font
provoqués à la révolte par le brigandage de nos
foldats. Delà vient cette averfion enracinée qu'on
remarque dans la Caroline Méridionale pour notre
adminiſtration ; & un Anglois , quelqu'honnête
qu'il paroiffe , court danger de la vie , s'il hafarde
de fortir des limites de Charles-Town . Les
bâtimens chargés de riz , & qui étoient dernière
ment fur le point de fortir de ce port , ont été
obligés de mettre leur cargaifon à terre pour l'u
fage de la garnifon & de la ville , tant il eſt difficile
d'obtenir des provifions du pays , & il a été
mis un embargo fur les bâtimens , pour retenir les
matelots & autres perfonnes propres à défendre
la place , qui craint journellement d'être affiégée
par les Américains .
La Virginie produit une grande quantité de goudron
, de térébenthine , de bois de conftruction ,
& généralement de tous les articles de premiere
néceflité pour notre marine . Si le Général Cornwallis
parvenoit à fubjuguer cette Province , nous
tirerions des avantages confidérables du recouvrement
d'une branche de commerce fi précieuſe .
On doit envoyer avec la premiere flotte pour
l'Amérique , 60,000 uniformes complets pour l'hiver
, mais on les embarquera à bord de différens
vaiffeaux de force , pour empêcher qu'ils ne tombent
entre les mains de l'ennemi.
Le bois de construction eft fi rare à New-Yorck,
que tous les vaiffeaux de la flotte qui eft fur le
point de partir pour cette deftination , ont ordre
( 143 )
d'embarquer une certaine quantité de bois pour
Pufage des vaiffeaux de S. M.
Des lettres authentiques d'Amérique portent que
le Chevalier Henri Clinton a écrit au Lord Corne
wallis , pour lui demander quelques -unes des troupes
qu'il lui avoit envoyées , parce qu'il attendoit
Farrivée du Comte de Graffe , & qu'il foupçonnoit
que la flotte Françoife combineroit les opérations
avec celle du Général Washington pour affiéger
New-Yorck.
›
» Voici , lit - on dans une lettre de Chatham en
Amérique , tout ce que nous avons pu apprendre
de Kingsbridge. Les , un détachement commandé
par le Colonel Scammel , attaqua un parti
de Rebelles qui , après quelque réfiftance , fe retira ,
ayant eu beaucoup de tués & de bleffés. On ne
fait pas à quoi monte notre perte. Il eft auffi
queftion d'une feconde affaire , mais nous n'avons
rien entendu dire de certain . L'armée des
François & des Rebelles eft actuellement aux Plaines .
Blanches , & confiſte en 7000 hommes parmi
lefquels on compte 2000 François , qui font campés
fur la gauche des Américains «<,
On lit dans une lettre de Saint - Eustache en date
du -7 Juillet , » Je ſuis fâché de vous apprendre
qu'en conféquence d'une proclamation du Roi ,
tous les effets trouvés dans cette Ifle lors de fa
prife par Rodney & Vaughan , ont été condamnés
indiftinctement , & que la vente en a été annoncée
pour le 11 par des affiches. Les vaiffeaux & les
troupes du Roi prendront les proviſions , ou du
moins celles dont ils fe trouveront avoir befoin «
On vient d'apprendre la mort du Major - Général
Putnam , qui , depuis le commencement de la
guerre , a combattu fi vigoureufement pour le
parti Américain.
( 144 )
L'échange de la totalité des prifonniers dont on
parloit depuis fi long-tems , a été enfin terminé
& les transports , avec les prifonniers Rebelles à
bord , étoient prêts à partir pour la rivière James
& pour Philadelphie.
L'efcadre commandée par le Commodore Keith-
Steward , qui fe trouve à Lenore , a reçu ordre ,
le , de fe rendre promptement à Torbay , & de
joindre celle de l'Amiral Darby. Comme elle a
le befoin le plus preffant d'être renforcée
Commodore Keith - Steward , a dû prendre , en
paffant , l'efcadre des Dunes , & la conduire avec.
lui à Torbay.
›
le
La grande flotte , écrit - on de Torbay , aura
bientôt fini de prendre fon eau , & elle fait tous
Les préparatifs pour mettre à la voile. Elle confifte
en 21 vaiffeaux , qui doivent être renforcés par quelques
autres , qui viennent de Plymouth , au nombre
de 8. Elle compte mettre à la voile à la fin de la
femaine.
En conféquence d'un nouveau Règlement ,
n'entrera plus dans les Chantiers de Portsmouth
que par billets .
રે
Suivant des lettres d'Aberdeen , le Duc de Ni- '
vernois , corfaire François de 16 canons de 9 &
de 12 , & bien équipé en hommes , a coulé bas
3 lieues de cette ville , dans un combat contre
le corfaire le Mansfield ; tout l'équipage a péri , à
l'exception des hommes qui ont été lauvés , avec
beaucoup de peine , par les gens de la chaloupe
du Mansfield.
Le Général Conway , qui arrive de fon Gouver
nement de Jerfey , eut l'honneur , ces jours derniers
, d'être admis à l'audience du Roi , & d'avoir
une conférence avec S. M.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TUR QUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 1er. Août.
LEE rappel & le rétabliſſement de Gianikli-
Ali , de Batal - Bey fon fils & de Gendích ,
Méhémet Bacha , annoncent que le crédit
du Capitan-Bacha commence à diminuer , &
que fon influence fous le Grand- Vifir actuel
n'eft plus la même que celle qu'il avoit fous
fon prédéceffeur. C'étoit lui qui avoit caufé
leur difgrace , & rarement les grands pardonnent
à ceux qui les ont deffervis . Ceuxci
, & en particulier Gianikli , font fes ennemis
déclarés.
L'affaire de l'établiffement des Confulats
Ruffes dans la Moldavie & la Walachie
n'eft pas encore terminée . La Porte perfifte
dans fes oppofitions . Ne pouvant rien obtenir
de M. de Stachieff , elle a pris le parti d'écrire
directement au Comte de Panin , & de le
prier d'employer fes fervices auprès de fa
Souveraine pour obtenir qu'elle confente de
22 Septembre 1781 .
( 146 )
laiffer réfider à Siliftrie le Conful nommé
pour gérer les affaires de Ruffie en Moldavie
& en Walachie. La Porte allégue que
le Barat ou la Patente du Conful a déja été
expédiée fur ce pied , & qu'il feroit défagréable
de la révoquer.
Le Baron de Herbert , Internonce de la
Cour de Vienne , vient de préfenter à la
Porte un mémoire par lequel elle lui demande
qu'elle faffe reftituers bâtimens portant
pavillon Impérial , dont les Algériens ſe
font emparés au mépris des Firmans de S. H.
dont ces navires étoient pourvus ; & dans le
cas où elle ne pourroit faire effectuer cette
reftitution , l'Internonce réclame une indemnité
fuffifante , conformément aux traités.
Comme l'autorité du Grand- Seigneur
fur les régences Barbarefques , n'eſt pour
ainfi dire qu'un vain nom , cette demande
ne laiffe pas d'embarraffer le Gouvernement.
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 12 Août.
ON difpofe à l'inoculation les deux jeunes
Princes fils de S. A. I. le Grand-Duc de Ruffie.
Cette précaution falutaire ne peut que tranquillifer
le Grand -Duc & la Grande-Ducheffe
avant le voyage qu'ils doivent entreprendre.
L'Impératrice a fait publier un nouvel
Ukafe en vertu duquel on établira incef(
147 )
famment dans chaque province de l'Empire
des magafins de fel ; ils feront d'abord
conftruits aux frais du Gouvernement ; mais
les provinces qui en profiteront rembourferont
enfuite cette dépenfe. On y confervera
toujours une provifion de cette denrée
fi néceffaire pour deux ans.
Le Comte de Panin dont la fanté s'eft
parfaitement rétablie pendant le féjour qu'il
a fait dans fes terres , doit , dit- on , revenir
bientôt dans cette ville , où l'on croit qu'il
arrivera encore la femaine prochaine.
DANEMARC K.
De COPENHAGUE , le 25 Août.
Ce n'eft que le 15 de ce mois qu'on a reçu
ici le premier avis du combat entre l'efcadre
Britannique & la Hollandoife . Les Anglois
établis à Helfingor , ne doutant pas que
leur marine ne remportât une victoire complette
, & que tout le convoi Hollandois
& les vaiffeaux qui l'efcortoient n'euſſent
été pris & conduits en Angleterre , ſe préparoient
déja à célébrer cet évènement par
une fête , ils en ont été pour leurs apprêts ;
plufieurs bâtimens arrivés fucceffivement
leur ont appris & confirmé que leur marine
n'eft pas invincible.
·
Hier , écrit on d'Helfingor, jour anniverſaire de la
Princeffe Sophie Frédérique de Mecklenbourg-
Schwerin , époufe du Prince héréditaire de Danemarck
, il y eut une fête à bord du vaiffeau de
g 2
( 148 )
guerre que l'Amiral Fontenai monte dans le Détroit
du Sund. Il y eur un très - grand dîner auquel fe trouvèrent
plufieurs Généraux & beaucoup de perfonnes
du premier rang , tant de Copenhague que de cette
Ville on y vit quelques Capitaines de haut- bord
Suédois & Anglois , ainfi que les Miniftres étrangers.
On y but les fantés de cette Princeffe , de fon
augufte époux , des deux Familles Royale & Sénéréniffime
au bruit de 27 coups de canon que répétèrent
à l'envi tous les vaiffeaux Danois , & même
tous ceux de Suède qui étoient préfens ; les vaiffeaux
Anglois furent les feuls qui fe turent .
vingt navires marchands de cette Nation qui avoient
fait voile du Sund fans efcorte ont été forcés ,
par les vents , d'y rentier. Ils ont mis de nouveau
à la voile . Ce feroit une belle prise pour l'efcadre
Hollandoife du Texel , fi elle en étoit informée , &
qu'elle pûr mettre en mer à tems « .
Les
On a écrit que l'efcadre Angloife en
entrant dans le Sund , avoit refufé au pavillon
Danois le falut qu'elle lui devoit
felon les traités. L'exacte vérité veut qu'on
affure ici qu'il n'y a point eu de plainte
portée à cet égard , & qu'il y en auroit
eu certainement , fi le fait avoit eu lieu,
SUÈDE ,
De STOCKHOLM , le 25 Août.
LES Etats- Généraux des Provinces-Unies
ont établi dans ce Royaume avec l'agrément
du Roi , 3 Vice- Confuls qui tous font Suédois
, & qui conferveront leurs fonctions
pendant toute la durée de la guerre de la République
avec l'Angleterre ; ils réfident à
( 149 )
Gothenbourg , à Marstrand , & à Waerberg
en Halland.
On a allumé pour la première fois , le
premier de ce mois , un fanal à Marftrand
quelques minutes après le coucher du foleil.
Le Finlande , vaiffeau de notre Compa
gnie des Indes orientales , eſt arrivé à
Gothenbourg ; c'eft le troisième qui foit
revenu de la Chine cette année . Il n'a perdu
que quatre hommes , quoiqu'il ait été près
de fept mois en mer.
La Société pour l'inftruction de la jeuneffe
, fondée en 1778 , le premier Novembre
, en mémoire de l'heureuſe naiffance
du Prince héréditaire , s'occupe avec beaucoup
de zèle & d'activité des fonctions qui
lui font confiées. On fait qu'elle a pour Préfident
le Baron de Sparre , & pour Directeur
M. Gioervell , Bibliothécaire du Roi . Elle
a publié déja quelques bons livres élémen
taires pour l'ufage des Colléges de ce Royaume
; elle travaille à préfent à une Encyclopedie
Suédoife , à un Dictionnaire François
& Suédois,
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 26 Août.
LE Prince Charles de Radziwill , Palatin
de Wilna , n'ayant pu obtenir le paiement
des deux millions de florins que lui
avoit accordés la dernière Dière pour le
g 3
( ·150 )
dédommager des pertes qu'il avoit faites
pendant l'existence de la confédération de
Bar , a eu recours à l'Impératrice de Ruffie.
S. M. I. lui a adreffé une lettre par laquelle
elle l'affure de fa protection , & l'invite à fe
fixer à la Cour jufqu'à ce qu'il foit fatisfait
. Ce Prince eft parti avec une fuite de
16 perfonnes fous l'eſcorte de 100 Chevaux-
Légers Ruffes qui ont ordre de l'accompagner.
Le Roi toujours occupé de la liquidation
des dettes de l'Etat occafionnées par la même
confédération de Bar , a fupprimé tout
ce qui lui a paru porter dans les dépenfes
le caractère de la fuperfluité.
Le commerce Autrichien fait tous les
jours de grands progrès fur la Save , & le
Gouvernement a ordonné de réparer les
chemins qui font le long de ce fleuve pour
favorifer davantage ce commerce. De gros
bâtimens Turcs viennent auffi jufqu'à Peterwaradin
prendre des chargemens de
marchandifes du pays.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 27 Août.
L'EMPEREUR eft actuellement au camp de
Peft en Hongrie , on ne fait point s'il fe
rendra également à celui qui s'affemble à
Prague. Il doit y en avoir un troisième à
Brinn en Moravie , & un quatrième dans les
( 151 )
environs de Laxembourg , près du village de
Minkindorff.
On affure que le couronnement de S. M. I.
en qualité de Roi de Hongrie , fe fera dans
ce Royaume au mois d'Octobre prochain.
la
On fait ici de grands préparatifs pour
réception du Grand Duc & de la Grande-
Ducheffe de Rullie. Les appartemens que
l'on leur deftine à la Cour feront ornés des
tapifferies fuperbes de la manufacture des
Gobelins que S. M. I. a reçues en préfent
dans fon premier voyage en France. On dit
que fix régimens doivent marcher vers les
frontières où ils fe trouveront à l'arrivée
de LL . AA. II . On ajoute que pour leur garde ,
il fe trouvera un régiment à chaque ftation ,
où il y aura auffi grande table , bal ou comédic.
Le Comte Brigido , P.éfident de la
Régence de la Pologne Autrichienne , a été
nommé pour recevoir L. A. I. fur les frontières.
De HAMBOURG , le 31 Août.
ON mande de Cologne qu'on y voit paffer
fucceflivement & fréquemment des flottilles
de bois de conftruction pour le fervice
des Provinces -Unies , & pour celui de la
France . La Hollande paroît bien décidée à
n'en laiffer jamais manquer , tant qu'il feră
poffible d'en voiturer par le Rhin , par
I'Efcaut , & par les autres rivières qui lient
en quelque forte les forêts de la Prufe , de
la Pologne & de l'Allemagne à la France.
8 4
( 152 )
Le 28 de ce mois, ajoutent les mêmes lettres , fur
les deux heures de l'après - midi , il y a eu à Cologne
& dans les environs un orage épouvantable , accompagné
d'éclairs & de tonnerres , qui a renversé des
arbres , des étables & des maiſons ; des meules de foin
& des chaumières ont été mifes en feu par la foudre.
Un malheureux charretier qui fe trouvoit avec
fes chevaux & fa voiture au milieu de la campagne ,
y a été frappé mort. On ne fe rappelle pas d'avoir
vu depuis long-tems un orage fi violent & fi deftructeur
«.
On dit que les priviléges que l'Empereur
vouloit accorder aux Juifs rencontrent beaucoup
de difficultés . Plufieurs provinces , &
entre autres la Tranfilvanie ont fait d'humbles
, mais férieufes repréſentations à S. M. I.
& R. fur les conféquences qui réſulteroient
de ces priviléges .
" L'Evêque de la ville Neuve, écrit- on de Vienne ,
a adreflé , à tous les Eccléfiaftiques de fon Diocèfe ,
une lettre circulaire en langue latine , en date du 27
Juin , pour leur ordonner l'uniformité dans les rites.
Les lumières qui environnent le Trône réfléchiſſent
par- tout leur éclat ; la religion toujours refpectable
femble le devenir davantage par la fuppreffion d'une
meltrude d'abus & de fuperftitions qui faifoient gé
mir les bons Chrétiens , & rire les efprits forts qui
par un abus qu'on ne fauroit trop condamner confon
dent les accefloires avec le fond même du culte . On
ne fauroit trop applaudir aux règlemens pleins de
fageffe qu'on a publiés fur les reliques , les billets appeliés
de Lucas , l'acceptation des chofes vouées ,
&c. «.
Les lettres de Conftantinople n'annoncent
pas, que les différens entre la Ruffie & la
Porte foient encore près de s'arranger.
( 153 )
Le feul des objets , auparavant en litige , qui
paroiffe aujourd'hui hors de conteftation , difentelles
, c'eſt le paffage des vailleaux Ruffes qui viennent
de la mer Noire. Un paquebot arrivé dernièrement
de Taganrock a paffé fans effuyer aucune avarie
, quoiqu'il arborât le pavillon des navires de
guerre de fa nation. Lorsqu'il eut mouillé dans la
rade de Conftantinople , les Douaniers le vifitèrent
avec beaucoup de diicrétion ; il n'avoit point de marchandiſes
à bord ; il apportoit feulement les dépêches
de fa Cour & les lettres des particuliers. 2 vaiffeaux
marchands chargés de comestibles ont aufli paffé.
L'un s'eft rendu a Smyrne, la deftination apparente de
l'autre eft pour Alexandrie ; & l'on croit que la véri
table eft pour Marſeille. Cette nouvelle route que fe
fraye la navigation de la Ruffie , afait éclore plufieurs
nouveaux projets de commerce ; mais comme dans
toutes les entreprifes de ce genre la réuffite de la plupart
paroît douteufe , celle de fournir de la viande
fumée & falée en Ruffie , au département de la marine
Françoise à Toulon peut échouer par le défaut
de falaifon foit qu'on n'en ait pas l'habitude en
Ukraine , foit que le fel même y ait quelque vice «
ITALI E.
De LIVOURNE , le 29 Août.
Depuis la lettre que le Grand-Due a fait
adreffer à la nobleffe de fes Etats pour l'inviter
à le feconder dans fon deffein de réprimer
le luxe , il en a été publiée une autre adreffée
à la Députation fur les Monaftères pour mo
dérer également le luxe & les dépenfes qui
ont lieu lors de la vêture des Religieufes.
» S. A. R. y déclare en ſubſtance , qu'elle a ve
avec beaucoup de fatisfaction le prompt effet que la
( 154 )
dernière O donnance a produit fur les fidèles ſujets ,
& qu'elle espère que les filles qui fe deſtinent à la vie
Religieufe , ne fe croiront pas exemptes de s'y conformer
lors de leur vêture , & qu'elles fe difpenferont
d'étaler au pied des Autels ce fafte indécent qu'elles
doivent condamner par le voeu même de pauvreté
qu'elles fe propoſent de faire dans la fuire , en conféquence
la Députation fur les Monaftères , eft
chargée de veiller à ce que les jeunes filles qui fe
deltinent a la vie Monaftique , ne faffent ufage d'aucon
ornement dans leurs habits , depuis leur accep
tation jufqu'à la vêture ce
On mande de Milan qu'à l'occafion de
la preftation de ferment de ce Duché à
l'Empereur , l'Archiduc a fait jetter de ſon
Palais au peuple affemblé pour cette cérémonie
, quantité de pièces de monnoie , &
enfuite quelques médailles d'or , fur lefquelles
on lit d'un côté : Longobardiafides
facramentofirmata , & de l'autre les noms &
les titres divers de Jofeph II.
On a trouvé dans la vallée de Chiavona ,
au Diſtrict de Ronceno , une mine de cuivre ,
d'argent & même d'or ; felon les calculs faits
d'après l'exploitation commencée , elle a
donné jufqu'ici 25 livres de métal , l'un
portant l'autre , fur 100 livres de minerai
peut être produira-t- elle plus encore.
L'infulte faite au pavillon François dans ce port,
écrit-on de Tripoli de Barbarie , vient d'être réparée .
La Régence a ordonné au Commandant du port de fe
rendre avec des témoins honorables à l'Hôtel du
Conful de France , & d'y déclarer , dans les termes
les plus foumis , que fe repentant de fa conduite
paffée , il auroit déformais , pour le pavillon du Roi
( 155 )
.
-
Très Chrétien , tous les égards & tout le refpect qui
lui font dûs , proreftant que s'il lui avoit préféré celui
d'Angleterre ce n'avoit été que par imprudence , &
pour avoir prêté trop légèrement l'oreille aux féductions
d un certain Conful , qu'il ne nomma pas , mais
qu'on devine bien. Un Malth is , qui pour devenr
Rais ou Capitaine pirate au fervice de cette Régence
n'avoit pas craint d'apoftafier , a été pris dernièrement
par une galère de Malche , & conduit à la
Valette , où il a été pendu. Il en fera de même d'un
autre renégat Sicilien , qui a été également pris &
envoyé à Naples il y a quelques femaines. Comme il
a facrifié au méme Dieu l'intérêt , il aura fans doute
la même récompenfe «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 30 Août.
UN Courier expédié de Cadix & arrivé ici
le 22 du mois dernier , a apporté des dépêches
qui ont d'autant plus piqué la curiofité
publique que la Cour n'avoit rien publié
de leur contenu. On a fu depuis par les
lettres particulières l'arrivée d'un paquebot
de la Havane qui eft parti le 28 Juin & a
mouillé le 18 de ce mois à Cadix . Ce bâriment
n'étoit chargé que des dépêches de la
Cour & de 3 ou 4 lettres pour des particuliers
. On у lit que le 24 Juin . , il fortit de la
Havane 2 vaiffeaux de ligne pour la Véra-
Crux , où ils ont été prendre les fruits &
l'argent qui s'y trouvoient , ce qui fait craindre
que le convoi ne parte qu'à leur retour',
au lieu d'avoir mis à la voile en Juillet comme
le commerce s'en étoit Alatté d'après le
8 6
( 156 )
befoin preffant qu'il a des fonds retenus à
la Havane. L'efcadre de M. de Monteil s'eft
éloignée de ce port le 22 Juin , & ce qui fait
croire qu'elle va en droiture à St- Domingue ,
c'eft qu'elle a emporté 700,000 piaftres. Le
26 on vit arriver une frégate de M. de Graffe
qui prit 300,000 piaftres & qui repartit le
lendemain. Ces lettres confirment que MM .
de Navarro , Gouverneur- Général de Cuba ,
de Navia , Commandant des troupes ,
Bonnet , Commandant de la Marine , alloient
s'embarquer pour l'Europe.
Suivant les avis du camp de St- Roch les
barques canonnières ont mis le feu à un magafin
à poudre fitué fur la pointe d'Europe.
Son explofion , s'il faut en croire le rapport
de plufieurs déferteurs , a coûté la vie à plus
de 300 perfonnes.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 8 Septembre.
Nous attendons toujours avec anxiété des
nouvelles de toutes les parties du théâtre
de la guerre. On fait que le 31 du mois
dernier la Cour reçut des dépêches du Général
Clinton , de l'Amiral Rodney , du
Chevalier Peter Parker , & du Commandant
de Gibraltar ; jufqu'à préſent elle n'en a
rien publié ; & fon filence produit l'effet
ordinaire , de faire préfumer qu'elle n'a rien
de bon à annoncer. On commence à rabattre
beaucoup de la prétendue victoire rempor
( 157 )
tée le 6 Juillet par le Lord Cornwallis. Nous
n'en fommes inftruits que par la Gazette
extraordinaire de Rivington , qu'on fait
exagérer toujours les moindres avantages ,
& quelquefois en annoncer qui n'exiſtent
point. On penfe que fi en effet ce combat
avoit eu des fuites importantes , il ne fe
feroit pas écoulé deux mois fans qu'on eût
reçu des relations directes . Tandis que les
papiers vendus au Gouvernement annoncent
la réduction des trois Provinces méridionales
, en conféquence de cette victoire , des
lettres particulières nous préfentent le vainqueur
preflé par fes ennemis vaincus , fuyant
devant eux , pouffé vers Portfmouth , &
réduit à la néceflité de s'embarquer , &
d'abandonner la Province qu'on fuppofoit
qu'il avoit déjà conquiſe.
New-Yorck ne nous offre pas moins d'incertitudes
inquiétantes .
» Le 22 Juin , portent des lettres de Harford du
5 Juillet , M. de Rochambeau eft arrivé ici avec la
première divifion de l'armée à fes ordres ; les trois
autres divifions font arrivées les trois jours fuivans.
De 25 il s'eft mis en marche avec la première division
, & les autres l'ont fuivi dans l'ordre où elles
font arrivées. Jamais on n'a vu une plus belle troupe
fous les armes , & jamais armée n'a été mieux
fournie de tout ce qui lui eft néceffaire pour une
campagne. La bonne difcipline des troupes , & l'attention
des Officiers à empêcher qu'il ne foit fait
aucun tort aux particuliers , ont rendu très agréable
aux habitans le paffage de cette armée dans le pays ,
& nous avons la fatisfaction d'affarer tous nos compatriotes
qu'il n'eft arrivé aucun défordre . Le
( 158 )
Juillet notre armée a décampé de New- Windfor ,
& après avoir paflé la rivière d'Hudſon , elle s'eft
mife en marche pour les plaines Blanches , où l'on
s'attend que fe fera la jonction avec les troupes
Françoifes de Rhode- Iſland «.
Des lettres poftérieures annoncent cette
jonction ; mais elles ne parlent point de la
mauvaife réception qui a été faite à l'Armée
combinée à quelques-uns de nos poftes , devant
lefquels elle s'eft préfentée. On connoît
la nature de ces poftes & qu'il eft
difficile de les défendre , & on ſuppoſe que
le Général Clinton au lieu de fatiguer &
d'affoiblir inutilement fa garnifon , les aura
évacués pour la plupart , & réſervé les forces
pour faire toute la réfiftance qu'il peut
faire en effet avec fuccès dans New Yorck.
Les François & les Américains réunis n'attendoient
que l'arrivée de M. de Gralle pour
commencer le fiége de cette place.
La flotte Françoiſe ne peut avoir tardé à
paroître dans ces parages. Si la Cour avoit
publié quelques- unes des dépêches qu'elle
a reçues de l'Amiral Rodney , nous pourrions
favoir pofitivement l'époque du départ
des forces ennemies de la Martinique , &
nous pourrions calculer à peu-près celle de
fon apparition fur les côtes de l'Amérique
Septentrionale. On fuppofe ici que ce départ
n'a eu lieu que les Juillet , & que
l'Amiral Rodney a pris fur le champ la
même route. Les deux flottes ne pourront
manquer de fe rencontrer , & on s'attend
( 159 )
d'avance à la relation d'un combat. Nos
papiers , pour nous raffurer fur fon iffue
portent les forces de Rodney à 35 vaiſſeaux
de ligne ; mais il n'en a réellement que 31 ,
favoir 21 qu'il conduit avec lui , 7 qu'il
trouvera fous les ordres de l'Amiral Graves
& 3 que lui mène l'Amiral Digby. Four
lui donner la fupériorité on n'en donne que
31 à M. de Graffe ; mais on fait que fa flotte
eft de 26 , & que M. de Barras en a 8 à
Rhode- Ifland , ce qui en fait 34.
>
» Samedi dernier , 30 Juin , lit- on dans une lettre
de Boſton du 5 Juillet , la fregare Françoife la
Surveillante eft arrivée ici du cap François , après
une traversée de 20 jours . Le lendemain de fon
départ elle rencontra une frégate Angloife , & fe
batcit vivement avec eile. La Surveillante cut 14
hommes tués & environ 25 bleflés . Nous n'avons pas
encore d'autres détails de ce combat. On dit que la
Surveillante a apporté une grande quantité d'habits
pour les troupes Françoifes . Hier 4 , l'anniver
faire de la glorieufe Indépendance de l'Amérique a
été célébré ici avec la plus grande pompe «.
Nos autres nouvelles de l'Amérique Septentrionale
fe réduifent à celles ci , que nous
trouvons dans une Gazette de Philadelphie ,
du 1 Juillet.
» La mauvaiſe ſanté de M. Huntington , Préfident
du Congrès , ne lui permettant pas de continuer à
remplir les fonctions de cette place , M. Thomas ,
M' Kean a été élu pour lui fuccéder.
- Le bruit
couroit généralement il y a quelques jours que le
traître Arnold , déferteur de l'armée Américaine ,
Brigadier- Général dans l'armée Angloife , & ami de
coeur du Chevalier Clinton , avoit été foupçonné
d'avoir empoisonné le Major- Général Philips , mort
( 160 )
-
dernièrement dans la Virginie , & qu'en conféquencé
on s'étoit afluré de fa perfonne. - Il y a quelque
tems que ce même Arnold ayant demandé à un Capitaine
Américain qu'il avoit fait prifonnier , ce
qu'il croyoit que les compatriotes feroient de lui
s'il avoit le malheur de tomber entre leurs mains ;
je crois , lui répondit celui-ci , qu'ils vous couperoient
la jambe dont vous boitez , & qui a été bletlée
dans la caufe de la liberté & de la vertu qu'ils
brûleroient cette jambe avec les honneurs de la
guerre, & qu'enfuite ils enverroient le refte de votre
corps au gibet. Nous éprouvons ici des chaleurs
exceffives depuis quelques jours. Le 8 & le 9 de ce
mois , le thermomètre de Farenheit a été à 94 degrés.
-On apprend que dans le Maryland , depuis le rer
Mars jufqu'au 1er Juin , on a pendu 7 perfonnes
accufées de correspondance avec les troupes du Roi ,
& entr'autres 2 Juives «.
En attendant les nouvelles importantes
que nous ne pouvons manquer de recevoir
dans peu de tems de ces contrées , nous
parlerons ici d'un écrit que nous fourniffent
les mêmes papiers Américains ; il traite une
queftion qui intéreffe également la tranquillité
des Communautés particulières , & le
maintien de la paix générale.
Ayant feuilleté par hafard chez un de mes voisins
les minutes imprimées de la denière féance de l'Aſfemblée
générale de Penfylvanie , je fus furpris de
voir qu'il avoit été préfenté à la Chambre une pétition
, tendante à ce que les Habitans de Philadelphie
fuffent incorporés pour le maintien du bon ordre
dans cette Ville , & telles font les expreffions de
la minute , datée du 23 Mars ; n'ayant point entendu
dire dans les dernières excurfions que j'ai faites à
Philadelphie , qu'on fe fût adreffé à la Légiflation fur
un objet qu'il lui eft fi important de connoître , je
( 161 )
il
Je me
defirai vivement d'apprendre quel en avoit été le fuc
cès . Dans cette vûe j'examinai foigneufement le refte
des opérations de la Chambre juſqu'à la fin de la
première femaine d'Avril ; pendant tout ce tems ,
n'a rien paru de nouveau fur cet objet : trouvant alors
une réfolution qui portoit que l'Aflemblée finiroit fa
feffion le Mardi 10 , je fus fur le point d'abandonner
mes recherches . Cependant je les continuai , &
quel fut mon étonnement , lorfque je trouvai une
réfolution du 9 Avril qui portoit : Que les Députés
de la Cité formeront un Comité pour rédiger &
préfenter un Bill conformément à l'objet de ladite
pétition , dont la teneur étoit énoncée.
fuis procuré depuis une copie de cette pétition qui
n'a été fignée que par 54 perfonnes réfidantes principalement
dans la partie haute de Second Street ,
& dans le voisinage. On auroit pu attendre que les
repréfentans pour la Cité , en voyant une demande
de cette importance provenir d'un fi petit nombre
d'habitans , la plupart du même voifinage , auroient
fait dans la Chambre une motion tendante à ce qu'on
ordonnât de publier la pétition ou fa fubftance dans
une Gazette , dans la vue d'informer de ce qui s'a
gitoit les milliers d'habitans intérefiés dans cette
affaire ; on devoit efpérer au moins que le Comité
défigné pour rédiger le Bill auroit convoqué de manière
ou d'autre fes comettans , afin qu'ils priffent
connoiffance de la propofition , & qu'ils concertaffent
le plan du Bill , s'il étoit de leur goût. Il doit
paroître un peu fingulier que les Bourgs aient la fureur
en ce moment de former des corporations . Reading
( 1 ) , York & Carlisle ont des plans fembla-
—
( 1 ) Dans le Bill pour ériger Réading en corporation de
Bourg , il y a une claufe qui fixe la réfidence de la plupart
des Oficiers du Comté dans la Ville. Cet arrangement ne
rendra-t- il pas , en grande partie , les habitans de Réading
les feuls Maîtres de la nomination & du choix du Clerc &
Schériff du Comté ?
( 162 )
bles , dont le fuccès dépend de Bill foumis actuellement
à l'examen de l'Affemblée. On peut cependant
douter avec raifon fi les principes de notre gou
vernement populaire admettent la formation de telles
communautés , qui ne font qu'une pure imitation de
la politique de certains Etats Européens , lefquels
fe trouvent dans des circonftances très - différentes.
Dans chaque ville confidérable des Provinces- Unies
il existe depuis les tems reculés des Ducs de Bourgogne
, autrefois Souverains de tous les Pays - Bas ,
des corporations de ce genre , lefquelles jouiffent
de priviléges qui forment de ces Villes des Républi .
ques diftinctes en dedans de l'Etat circonftances
très-défavorables à l'unité & à l'expédition dans les
confeils nationaux ; car chacun de ces Gouvernemens
formant Imperia in Imperio , doit étre , ainfi
que les Etats de la Province , confultés fur tous les
objets nouveaux & importans qui fe préfentent dans
l'affemblée des Etats -Généraux. En Allemagne , lor
que les grands Vaffaux devinrent des Princes in lépendans
, fous le titre de Duc , Margrave , Comte ,
& même Archevêque & Evêque , les Corporations
adoptèrent la forme & la puiffance des Etats Ariftocratiques
. Telles font Hambourg , Francfort , Nuremberg
& autres [ 1 ]. C'eft ce qui fait que l'Al-
(1 ) Quelques Villes de la Suiffe ayant confervé , fous le
Gouvernement Républicain , le ſyſtême des Communautés
ou Corporations , fyftême affez convenable los fone ce Pays
étoit gouverné par les Empereurs d'Allemagre , Berne , Lu
cerne , Fribourg & Soleure étoient ariftocratiques , c'est- àdire
, entre les mains de quelques familles opulentés , d'autres
telles que Bâle , Zurich & Schaffhaufen étoient démocratiques
, chaque Bourgeois prenant part à l'Adminiftration
. Les Villes ont étendu leur pouvoir dérivé de l'ancien
fyftême des Corporations fur les territoires de leurs Cantons
refpectifs ; & les habitans des Villes , s'arrogeant toute l'autorité
gouvernent les cultivateurs comme leurs fujets . En
vain les Suiffes , en fecouant le joug de la Maifon d'Autriche
, bannirent-ils la nobleffe ; les Villes & mêre dars
certains cas des Plébéyens de ces Villes qui ont ufurpé tin
( 163 ) ~
lemagne eft divifée en quelques centaines d'Etats
& qu'elle a une multitude de Princes , dont elle eſt
obligée de foutenir les dépenfes domestiques , chacun
de ces Princes aimant le luxe , & voulant l'emporter
fur fes voifias. Aufli n'eft il point de Pays d'une
égale étendue qui foit aufli foible & auffi expofé à
l'infulte. Dans une Monarchie dont toutes les parties
font liées étroitement enſemble , de tels établiſſemens
font peut- être avantageux au Peuple , en ce
qu'ils tendent à reftreindre & modérer la Puiffance
Royale , & qu'ils élèvent ces Communautés juſqu'à
partager avec le Souverain le droit de légiſlation ;
mais dans un état démocratique tel que le nôtre ,
ils rendent à le morceler en le fubdivifant en de
moindres Etats , dont chacun a le pouvoir de faire
fes propres loix. Ils fervent à unir les habitans
pour des objets d'une nature locale en même tems
qu'ils font naître des factions dans les Villes , relativement
à des plans de peu ou d'aucune importance
, & font négliger , & peut - être exclure les
intérêts généraux de la Nation. En Angleterre , des
gens fages & défintéreffés , defirent que ces établif
femens foient abolis , parce qu'ils favorisent les
entraves mises à l'induftrie , & parce que les repréfentans
de ces Communautés , portent la corruption
dans la Chambre des Communes. Autrefois , lorf
que chaque Cultivateur & Artifan étoit le vilain ,
c'est- à - dire , l'Eſclave du Roi ou de quelque Seigneur
, c'étoit un grand privilége d'être homme
libre dans une Ville ; mais depuis que la Nation
entière et émancipée , les Bourgs francs font devenus
fans importance , relativement à leur premier
objet , & ils ont produit des inconvéniens. Quelque
fingulier que cela paroifle , il cft pourtant vrai que
pouvoir exhorbitant , ſecondés par l'efprit de ces anciennes
Affociations , ont trouvé le moyen de s'emparer de l'autorité
Suprême.
( 164 )
tandis que nos Villes s'efforcent d'obtenir ces affo
ciations , les habitans des Bourgs les plus opalens de
l'Angleterre, tels que Manchefter, Birmingham, &c. ,
qu'on pourroit appeller cités à caufe de leur étendue,
attribuent leur profpérité & leur accroulement, à l'avantage
qu'ils ont de ne point former des Corporations
. Rien n'alarmeroit autant peut - être les Manufacturiers
induftrieux de ces Bourgs , que fi on les
menaçoit de leur donner des Maires & des Aldermans.
Ils jouiffent d'une police parfaitement bonne
fous la protection de la Magift.ature commune du
Comté. Affranchis de toutes les entraves formées
par d'abfurdes loix locales & par d'injuftes reftrictions
, u'ayant rien à craindre des factions & des
difputes qui s'élèvent fi communément lors des
Elections annuelles des Officiers de corporation ,
ainfi que d'autres difcuffions inutiles , les habitans
de ces Bourgs fe livrent paisiblement & avec activité
à leurs affaires , fans que rien trouble leur heureuſe
harmonie. Qui eft ce qui ignore qu'à Londres ,
cette ville dont le Lord Maire & la corporation
font une fi pompeufe figure dans le fyftême politique
général , les Négocians & les plus habiles
Artifans évitent aujourd'hui de devenir Bourgeois ,
ou capables d'occuper les charges , & que la Magiftrature
& la Police de la Ville tombent de plus
en plus , chaque jour entre les mains de gens incapables
& fans importance , tant ces honneurs f
vantés & les priviléges de la première Ville de la
G. B. , font incommodes & tant ils font redoutés
par les individus . Bofton , ville remarquable
pour le bon ordre qui y règne , n'a point d'autre
plan de Police que celui qui eft commun à toutes
les autres Villes de l'Etat. » L'égalité des priviléges
, a dit M. Hume , eft la fource de la Concorde.-
Trenton dans le New-Jersey étoit autrefois
un Bourg avec corporation ; mais les habitans ayant
appris par l'expérience que leurs franchiſes leur
--
( 165 )
étoient plus à charge qu'elles ne valoient , ils
convinrent de les laiffer tomber en défuétude &
par conféquent de les abroger. Je n'ai plus
qu'une oble: vation à faire fur cet objet , c'est qu'en
créant des Magiftrats de corporation dans les
Capitales & autres Villes , on bleffe les droits des
Juges actuels , établis en vertu de la conftitution
ils font même expofés par ces arrangemens à être
fupplantés. La légiflation devroit s'occuper d'obtenir
des habitans de chaque lieu fufceptible d'être
formé en corporation , un confentement qui puiffe
autorifer une telle innovation ; car on ne fauroit
croire que des perfonnes qui , comme les Membres
de l'affemblée ont juré de ne point enfreindre
l'acte d'union , fe permettent fciemment rien qui
y foit contraire . «.
La curiofité publique ne trouve pas plus
d'alimens dans ce qui fe paffe en Europe ,
que dans ce qui fe paffe en Amérique. On
commence à revenir des terreurs que la
nouvelle de l'approche de l'armée combinée
avoit répandues . Comme elle ne s'eft point
encore montrée fur nos côtes , que la faifon
avance , & que la crainte de l'équinoxe doit
la forcer à rentrer bientôt dans fes ports ,
nous nous flattons ici qu'elle ne ſe retirera
pas toute entière à Breft , & que les Efpagnols
regagneront Cadix ; fi c'eft leur plan ,
leur féparation doit fe faire plutôt , & peutêtre
a - t - elle eu déja lieu maintenant. Ce
qui confirme cette conjecture , c'est que
Efpagne a befoin de fes forces auprès du
détroit de Gibraltar , pour empêcher les tentatives
que nous pourrions faire immédia
tement après l'équinoxe pour ravitailler cette
( 166 )
place , & pour porter des fecours à Mahon
que nous ne doutons plus que nos ennemis
menacent , & où ils font fans doute à préfent
defcendus . L'éloignement & la féparation
de l'armée combinée , laifferont la liberté
de fortir à l'Amiral Darby que l'efcadre
Françoiſe ne fera pas en état d'arrêter.
Quelques efforts que nous ayons faits juſqu'à
préfent , quoique tous les vaiffeaux que nous
avons aient eu ordre de joindre cet Amiral
à Torbay , fa flotte le premier de ce mois
n'étoit que de 21 vaiffeaux , elle en avoit
23 le 3 de ce mois ; tous nos papiers la
portent aujourd'hui à 36 ou 37 ; mais dans
ce nombre , il y en a 4 de so canons , &
s qui font de fimples garde côtes très -bons
pour faire nombre , & figurer dans une
ftation tranquille , mais peu propres à tenir
une place en ligne. Au refte fi la féparation
de l'armée combinée a bientôt lieu , fes
forces quelles qu'elles foient feront fuffi
fantes , puifqu'il n'aura point à combattre ,
& nous pourrons être raffurés fur le fort des
flottes que nous attendons . Il fe débite que
le départ de la flotte qu'on attend de la
Jamaïque eft différé , parce que l'Amiral
Rodney a cru qu'il n'étoit pas prudent d'affoiblir
fon efcadre pour donner une efcorte
à cette flotte.
On ne parle preſque plus aujourd'hui du
voyage du Commodore Johnſtone à Rio de la
Plata , de la prife qu'il a faite d'un riche vaif
feau Efpagnol, & de la révolte qui s'eft élevée
( 167 )
dans ces contrées , qu'il va appuyer ; il
paroît que ces nouvelles n'ont été jettées
d'abord dans le public que pour diftraire
l'attention de l'alarme caufée par l'approche
de l'armée combinée . Le Gouvernement
n'a point donné lui- même ces intéreffantes
nouvelles , & on les a mifes dans
nos papiers fans qu'on fache qui les a reçues
, & par quelle voie elles font arrivées.
Selon ces nouvelles , ce fut le premier Mai
que le Commodore après avoir réparé les
dommages qu'il avoit foufferts dans fa rencontre
avec M. de Suffren , partit de Praya ;
toute fa flotte marcha de conferve pendant
trois femaines , après quoi , le Héros de 74
& le Monmouth de 64 prirent la route de
l'Inde avec les vaiffeaux de la Compagnie ,
& Johnſtone avec le Romney , l'Ifis & le
Jupiter , de so canons , les frégates la Diane ,
l'Active , le Jafon , le Mercury , 3 floops ,
un brûlor , 2 galiotes à bombes , 7 bâtimens
de tranfport , 9 vivriers & 3 bâtimens armés
en flûte , fe rendit à Rio de la Plata , à l'embouchure
de laquelle il arriva vers la mi Juin ,
il remonta cette rivière jufqu'à 100 milles audeffus
de fon embouchure , où eft Monte-
Video , d'où l'on dit que fes lettres font
datées. Si ces détails font vrais , on commence
à regarder ici l'efcadre du Commodore
comme perdue ; elle peut avoir
d'abord quelques fuccès ; mais comment les
foutenir feul fans efpoir de renforts qu'on
ne peut lui envoyer , & expofé à voir à cha(
168 )
que inftant des foulèvemens qui peuvent en
un inftant le priver de tous les avantages.
On n'a pas lieu d'être fans inquiétude
fur le fort des vaiffeaux qu'il a détachés
pour eſcorter le convoi de l'Inde , fi les
François les attendent au cap de Bonne-
Espérance.
"
Le Lion- Gotick , vaiffeau de la Compagnie Danoife
des indes , écrit- on de Lisbonne , revenant de
la côte de Malabar , & qui a touché au Cap de Bonne-
Efpérance , vient de mouiller dans ce port , ( le 24
Juillet ) . Il nous apprend que M. de Tronjolly mouil
loit au Cap depuis le premier Mai dernier , & difoit
publiquement qu'il y étoit ftationné , pour intercep
ter une petite efcadre de vaiffeaux de guerre , ayant
fous fon convoi des bâtimens de transport & des vaiffeaux
de la Compagnie de l'Inde venant d'Angleterre,
dont il attendoit l'arrivée dans peu de tems . L'efcadre
de M. de Tronjolly , confiftoit en 6 vaiffeaux de
ligne & 2 frégates.
On affure que la Compagnie des Indes
a reçu avis de la prife du Swallow , paquebot
fur lequel étoit embarqué le Lord
Macartney , qui fe rendoit à fon Gouvernement
de Bengale. Elle n'a pas reçu de
même la confirmation des nouvelles intéreffantes
qu'on avoit publiées de l'Inde , &
qui préfentoient fes établiflemens à l'abri
des attaques des Marattes .
>
le
Les vaiffeaux qu'elle attend de Sainte-
Hélène font la Princeffe Royale
Sandwich , le True Britton , le Walpole ,
le Granby , le Fox & le Grafton ; les quatre
premiers font , depuis quelques mois
å
( 169 )
Sainte -Hélène , où ils attendent un convoi.
Les autres vaiffeaux que l'on fait être
en chemin pour revenir ici , font le Comte
d'Oxford , le Hafewell , la Refolution , le
Prince & le Duc de Kington.
» Les vaiffeaux de la Compagnie , dit un de nos
papiers font généralement tous conftruits fur le même
modèle ; leur port eft ordinairement de 750 à
900 tonneaux ; ils montent tous 26 canons & 99.
hommes d'équipage . La femaine dernière on en a
lancé à l'eau deux des chantiers de la Tamife ; l'un
a été nommé le Northington , l'autre le Warren-
Haftings ; on les équipe avec toute la diligence poſſi
ble , afin qu'ils puiffent partir avec la flotte qui , à
ce que l'on dit , doit appareiller vers la fin du mois
d'Octobre prochain. Cette flotte eft , à ce qu'on prétend
une des plus confidérables qui ait jama's fait
voile d'Angleterre pour cette partie du monde . Indépendamment
de 13 vaiffeaux deftinés pour les éta-.
bliffemens Afiatiques de la Compagnie , plufieurs navires
armés en flûtes , richement charges , feront
voile avec le même convoi . On affure qu'elle ne fera
pas moins de 25 vaiffeaux «.
Un cachalot ou petite baleine de 21
pieds de long fur 10 de large , a paru dans
la Tamife au -deffus du pont de Londres ,
le 29 du mois dernier , fur les 6 à 7 heu
res du matin. La furpriſe a été d'autant plus
grande , qu'on n'y en avoit jamais vu. Il
a fallu plus de quatre heures & quantité
d'affaillans , pour s'en faifir.
» Sur le grand chemin de Deptfort , dit un de nos
papiers , il y a 6 jeunes femmes ou files déguisées
en hommes qui , munies de piftolets , attaquent &
dévalifent les paffans. On vient , dit - on , d'en arrêter
une ; c'eſt la fille d'un certain Williams , Marchand
22 Septembre 1781 .
h
( 170 )
d'un des fauxbourgs de Deptfort ; elle avoit un
habit qui lui donnoit l'air d'un garçon Boulanger «
On ne parloit plus de l'Amiral Arbuth
not depuis fon arrivée ; un de nos papiers
vient de le remettre ainfi en ſpectacle au
public.
» On dit que dans la conférence de deux heures
que cet Amiral a eue avec le Roi , il s'eft montré un
adverfaire décidé de la guerre Américaine ; & qu'il a déclaré qu'il falloit ranger la réduction de l'Amérique
au nombre de ces impoffibilités
phyfiques qu'il n'eft pas au pouvoir des hommes de vaincre ; & il a ajouté que le Général Clinton eft du même fenti.
ment que lui. Cette opinion ne s'accorde guere avec celles des perfonnes qui ne ceffent de repréfenter
I'Amérique comme incapable de réfifter plus longtems
, & les Américains comme difpofés à rentrer fous la domination Britannique. Il feroit tems d'examiner
lequel des deux eft le plus avantageux , ou de la' continuation
de la guerre , ou d'une paix honorable
, en reconnoiffant
franchement
une indépendance
qu'on ne fauroit plus détruire. Si cette guerre dure encore une année , il faut s'attendre à une nouvelle
perte de 20 millions fterl. qui ne produiront
rien . Quand quelque miracle pourroit opérer la ré- duction de l'Amérique
, les dépenfes nécefaires
pour la conferver équivaudroient
prefque toujours à celles qu'il faudroit pour la fubjuguer ; car les fe mences de liberté qui s'y font répandues , éclateroient toujours à chaque inftant , & fourniroient
des four
ces intariffables
de dépenfes & des théâtres de lang «.
Le 6 , l'Amiral Parker a pris congé des
Lords de l'Amirauté de la manière la plus
amicale , & il s'eft mis en route pour Torbai
, où il va prendre le commandement
en fecond de l'efcadre aux ordres de l'Amiral
Darby.
( 171 )
FRANCE.
De PARIS , le 18 Septembre.
ON a appris par les lettres de Breft , què
les 19 vaiffeaux de ligne François aux ordres
de M. le Comte de Guichen ; qui faifoient
partie de l'Armée combinée , font
rentrés à Breft le s de ce mois pendant la
nuit. Les vaiffeaux Eſpagnols ont fait voile
pour Cadix. Le Journal de Breſt contient
les détails fuivans .
Le 3 , arrivée de la frégate la Terpficore .
venant de Bordeaux avec un convoi de is à 16
voiles. Le 4 , arrivée d'un convoi de Nantes de
27 à 28 voiles , efcorté par l'Etourdie & l'Epervier.
-
Les , arrivée de la frégate l'Attalante , du
lougre le Tartare , & de la corvette l'Alligator.
-Le même jour , à 9 heures du foir , les frégates
de l'armée de M. le Comte de Guichen , font entrées
en rade, & fucceffivement on a vu paroître pendant la
nuit tous les vaiſſeaux de l'efcadre . Les Officiers
rapportent que le même jour , environ vers les 6
heures du matin , à 15 lieues d'Oueffant , l'armée
Efpagnole s'eft féparée de l'armée Françoise pour
retourner à Cadix . Cette féparation ne devoit fe
faire que du 10 au is de ce mois ; mais D. Louis de
Cordova ayant reçu des ordres de la Cour d'ELpagne
, a jugé qu'il étoit à propos que les forces
de fa nation fe raffemblâffent dans ce moment- ci du
côté de Gibraltar . En conféquence il a quitté fa
croifière quelques jours plutôt.- Le vaiffeau Efpagnol
le Brillanté , s'étoit égaré ; & depuis le 2 de
ce mois , on n'en avoit aucune nouvelle , quoiqu'on
cût envoyé plufieurs frégates à fa recherche.
hz
( 172 )
-
L'armée Françoife eft rentrée en bon état , ayane
très- peu de malades à bord . Le, 10 , la Néréide
rentra ; c'étoit une des frégates envoyées à la recherche
du Brillanté; elle l'a trouvé à l'entrée de
la Manche , & après avoir marché quelque tems
avec lui , & l'avoir mis fur la route de l'armée
Eſpagnole , elle l'a quitté « .
Nous avons reçu enfin les détails de
l'expédition de M. le Duc de Crillon ; nous
nous empreffons de les tranfcrire ; ils font
contenus dans la lettre fuivante de Mahon ,
en date du 22 Août.
» Avant hier ( 19) nous fommes débarqués dans
l'Ile de Minorque , après trente jours de navigation
depuis notre départ pour Cadix . D'abord les vents
nous fervirent très -bien , puifque dans trois jours
F'armement eut paffé le Détroit : il étoit composé
de 10s voiles , dont 2 vaiffeaux de 70 , 5 frégates ,
6 chébecs & 6 bombardes. En vue de Carthagène ,
les vents devinrent totalement contraires , & nous
obligèrent de relâcher pendant 17 jours lorsqu'ils
nous permirent de reprendre notre route , des cal
mes vinrent encore la retarder ; enfin par là hauteur
de Malaga les vents redevinrent favorables , & en
trois jours ils nous mirent en vue de Minorque.
Dans ce moment tout fe difpofa pour la defcente ;
& fi les vents renforcés plus qu'il ne falloit fur les
attérages , n'euffent rendu le débarquement long &
pénible , nous aurions pu furprendre encore plus
l'ennemi qui n'avoit aucune connoiſſance de notre
arrivée , & qui ne nous attendoit pas . Voici l'ordre
du Commandant - Général aux Commandans de
chaque divifion , pour les inftruire de l'enſemble
de l'opération , feul moyen de l'exécuter avec précifion
dans toutes les parties. Auffi - tôt que le
vaiſſeau commandant aura tiré 23 coups de canons ,
-
( 173 )
fignal général de débarquement , je defcendrai à
terre à la cale de la Molquita , avec les deux brigades
qui forment l'avant-garde de l'armée. J'occuperai
le moins de terrain poffible , pour laiffer
aux bâtimens de guerre le jeu de leurs canons libre
pour balayer la côte. Dès que les deux brigades
feront débarquées , je les formerai , & je marcherai
rapidement fur quatre colonnes , fi le chemin le
permet , pour m'emparer des hauteurs qui fe trouvent
avant d'arriver à Saint-Antoine delà je me
porterai avec la même célérité juſqu'à Mahon pour
y attendre l'armée , & mettant cette Ville derrière
moi , j'y établirai le quartier général , lequel demeurera
couvert par ces deux brigades. Je les
employerai pour placer des gardes de fûreté & de
police dans Mahon ; je les aurai fous ma main ,
afin d'en tirer les détachemens néceffaires pour envoyer
dans le pays , felon les circonstances. Un
détachement fera fait fur le champ pour aller s'emparer
de ce que l'ennemi aura pu laiffer dans fes
magafins & arfenaux fitués fur la gauche du Port ,
& prendre pofte à la tour des fignaux pendant
cette halte à Mahon , je formerai un autre détachement
pour aller , auffi- tôt que la tête de l'armée
m'aura joint , s'emparer du port de Fornella & des
forts qui en défendent l'entrée ; ce port étant de
la plus grande importance, comme le feul capable ,"
en cas de mauvais tems , de recevoir non- feulement
tous nos bâtimens de tranſport , mais même ceux
de guerre , attendu qu'il n'eft qu'à quatre lieues de
Mahon. Au moment que j'aurai été joint par la
brigade de Burgos , qui doit faire la tête de l'armée ,
en venant jufqu'à Nevy , & qui en formera la
gauche dans l'inveftiffement du Fort Saint-Philippe ,
je conduirai cette brigade , en fuivant le chemin
qui mène de Mahon au Fort Saint - Philippe , julqu'à
la Nueva Araval ; d'où tournant fur la gauh3
( 174 )
che , elle marchera jufqu'à ce qu'elle ſe ſoit appuyée
au bord de la mer le long du Port , en cernant
la place le plus près poffible , avec l'attention néanmoins
de fe tenir toujours hors de la portée du
canon. La brigade d'Amérique & celle de Murcie,
ayant fuivi celle de Burgos , elles fe trouveront
naturellement , en arrivant fuivant l'ordre de bataille
, fur le terrain qu'elles doivent occuper , la
brigade de Murcie donnant la main , à la hauteur
de la Nuevra Araval ( point de réunion ) à la gauche
de la brigade de Savoie fera débarquée à la cale
de Alcofar , fous les ordres de Dom Louis de las
Cafas. Ce Brigadier a des inftructions particulières ,
foit pour achever de la même manière l'inveftiffement
parfait du Fort Saint-Philippe , dont fa bri
gade formera la droite à la hauteur de l'entrée
de Saint - Etienne , fi l'ennemi ne fait aucune réfiftance
, foit pour toute autre manoeuvre que je crois
avoir prévue & que je lui ai indiquée ; mais que
les circonftances & le coup d'oeil du moment peuvent
feules décider , dans le cas que l'ennemi fe
laiffât tenter parl'appât que je lui préfente , en nous
voyant débarquer en deux corps divifés & en plein
jour : ce que nous pourrions eſpérer de l'intrépidité
du Général Murray , Gouverneur du Fort , fi ce
même Général n'étoit trop trop habile pour fe
mettre entre deux feux & s'expofer à nous voir
entrer pêle- même avec les fiens dans le Fort , fi fes
troupes engageoient une affaire avec les nôtres . Les
logemens de MM . les Officiers Généraux feront
marqués dans les maiſons les plus voifines de leurs
divifions derrière la Nueva Araval ; MM . les Brigadiers
& Colonels , camperont à leurs poftes , à
moins qu'il ne fe trouve des maifons de campagne
placées à-peu-près fur le terrain que doivent occuper
leurs tentes ; & tous les autres Officiers , de quelquè
grade qu'ils foient , camperont felon l'Ordonnance
1
( 175 )
―
du Roi , & ne pourront fe loger fous aucun prétexte
dans aucune maifon , à moins d'une permiflion
expreffe du Commandant de la divifion . D'après
ce plan de defcente qui a été exécuté avec quelque
contrariété de la part des vents , on peut juger
combien il auroit eu plus de fuccès encore , fi la
brigade de Savoie qui fe trouvoit au vent n'eût été
obligée de différer de 36 heures fon débarquement.
Les deux cales de la Mofquita & d'Alcofar font à
une lieue de diftance du Fort Saint - Philippe &
éloignées entr'elles d'une lieue & demie. Les 2000
hommes débarqués à celle d'Alcofar , fi ce débarquement
fe fût effectué en même-tems que celui
de la Mofquita , pouvoient couper , dans leur marche
fur Mahon , les troupes Angloifes qui de cette
place font rentrées dans le Fort Saint- Philippe , &
on voir par les inftructions données à Don Louis
de las Calas , que le Général avoit prévu cet évènement
; mais la brigade de Savoie ne put débarquer
que long- tems après le corps de l'armée , & l'alerte
donnée au Gouverneur du Fort Saint- Philippe , lui
laiffa le tems d'y faire rentrer deux bataillons , &
même de forcer 500 habitans de Mahon à venir
augmenter la garnifon déja composée de 2500
hommes. Ce contre-tems a été d'autant plus fâcheux
, que les deux bataillons qui étoient hors de
la place , auroient pu être coupés & pris , & peutêtre
le Fort avec eux , fi la brigade de Savoie eût pu
débarquer à tems. Cependant , immédiatement
après le débarquement fait à la cale de la Mofquita ,
le Général fuivi feulement de la brigade de Catalogne
, & de celle des Grenadiers à la tête de
laquelle il a toujours marché , fe porta avec rapidité
fur Mahon , qu'il traverfa fans s'y arrêter , &
enfuite fur la nouvelle Araval , où il enleva deux
canons que les Grenadiers conduifirent au Camp :
chemin faifant il fit environ 300 prifonniers. Pen
h
4
( 176 )
dant cette nuit active , il plaça lui - même les gardes
avancées , & fit tracer le Camp. Enfin après avoir
replié les gardes avancées qui n'avoient été mifes
que pour faciliter toutes ces opérations , & avoir
formé la ligne d'inveftiilement du Fort St - Philippe ,
il partit fur les trois heures & demie du matin
pour Mahon , où il ſoupa à quatre heures de la
même matinée avec deux Officiers Anglois fes
prifonniers , & les Officiers de l'Etat- Major. Dans
La première marche fur Mahon , il s'empara chemin
faifant de l'arfenai , où on a trouvé une infinité
d'agrès , de cordages , d'apparaux & de canons :
l'ennemi toujours furpris de fon arrivée & encore
plus de fon activité n'a eu le tems , ni de détruire
:
magafins , ni de retirer l'artillerie . On travaille
actuellement à l'inventaire qui n'eft pas fini . Les
Villes & Fort de Citadella & de Fornella , ſe ſont
rendus fans fe défendre le débarquement a été
fini à minuit , après avoir commencé à 3 heures
de l'après - midi ; & en 24 heures , nous avons été
les maîtres de toute l'Ifle , à l'exception du Fort
Saint Philippe , d'où l'ennemi a tiré quelques coups
de canons , mais fans nous tuer un feul homme.
Il ne reste plus à notre Général , pour fatisfaire
à l'impatience de l'armée que de commencer le
fiége du Fort : nous attendons de jour en jour
4 ou sooo hommes de troupes ; & ce renfort fera
d'autant plus fuffifant , que le Duc de Criilon fera
parfaitement fecondé par Don Carlos le Maure ,
Maréchal Général des Logis , chef des Ingénieurs ,
& par Don Tortola , chef de l'Artillerie , & connu
pour un des plus grands mineurs de l'Europe.
Tout espoir de fecours eft fermé pour le Fort
St Philippe la communication par terre eft abfo.
lument impoffible , attendu le blocus formé par
l'armée , & le Port eft bloqué par notre eſcadre.
Hier , elle a pris deux bâtimens chargés de boeufs
:
( 177 )
#
pour St- Philippe . Le Général eſt allé lui -même vifiter
les poftes dans la ville , pour voir fi les ordres qu'il
avoit donnés pour la fûreté & pour la police avoient
été ponctuellement exécutés . A midi on a chanté le
Te Deum dans l'Eglife Cathédrale avec convocation`
de tous les corps : les Chefs ont dîné chez le Général ,
& le même jour , il a reçu au nom de S. M. C. le
ferment de fidélité de tous les Etats «. A
Selon d'autres lettres particulières , outre
160 pièces de canon depuis le calibre de 12
jufqu'à celui de 4 , qui étoient dans le Port ,
les Eſpagnols ont trouvé des magaſins iminenfes
, des marchandiſes & des richeffes
de toute eſpèce , en fi grande quantité , que
le butin peut être comparé à celui que l'Amiral
Rodney a fait à St- Euftache , & la
perte des Anglois en cette occafion eft pour
le moins auffi confidérable que celle qu'ils
ont fait éprouver aux Hollandois.
Si l'on en croit une lettre de St-Domin
gue , adreffée à une Maiſon de commerce,
& apportée fans doute par un bâtiment
particulier , M. de Monteil ni M. de Graſſe
n'avoient point encore paru au Cap le 25
Juillet. On n'en eft pas étonné, quant au premier
qui , felon les lettres de la Havane ,
ne pouvoit y arriver que dans les derniers
jours du mois. Quant au retard de M. de
Graffe , qui le 13 Juillet avoit dépaffé Porto-
Rico , on ne peut l'expliquer qu'en fuppofant
, comme cela eft vraiſemblable , qu'il
aura longé la côte du Sud , pour intercepter
hs
( 178 )
les croifeurs , délivrer le convoi des Cayes
& le conduire avec lui au Cap .
―
»Le 18 Août , écrit-on de Cadix , il eft arrivé
de Philadelphie un navire François qui a mis 30
jours à fa traversée. Les nouvelles qu'il nous ap
porte , font que le Marquis de la Fayette , renforcé
par beaucoup de milice , & réuni à un Général
Américain , pourſuivoit le Lord Cornwallis l'épée
dans les reins , & l'avoit obligé de faire 20 milles
dans un jour; qu'Arnold , foupçonné d'avoir empoifonné
le Général Philips , avoit été arrêté à New-
Yorck par l'ordre du Général Clinton , & qu'un
Convoi Anglois parti de Cork , étoit arrivé heureu
fement à Charles-Town. Le Capitaine de ce
navire ajoute qu'au moment de fon départ ,
regardoit le Général Cornwallis comme acculé à
Portſmouth , & n'ayant pas d'autre reffource que
celle de s'embarquer à la hâte , s'il ne vouloit fubir
le fort de Burgoyne. M. de Barras étoit parti avec
fon efcadre pour Boſton , afin d'y prendre Soo mazelots
qui devoient renforcer les équipages des
vaiffeaux qui étoient en flûtes , & qu'on finiffoit
d'armer. Le Général Washington & M. de Ro.
chambeau s'étoient réunis pour affiéger New-Yorck,
& le Chevalier Clinton préfumant ne pouvoir
défendre les ouvrages avancés , les avoit abandonnés
après les avoir détruits «.
on
Ces nouvelles font attendre avec impatience
celles qui doivent les confirmer ; un
bâtiment arrivé de Rhode Iſland à Breft en
17 jours de traverfée , étant parti le 19
Août , en confirme quelques unes. A fon
départ on n'attendoit que l'arrivée de M.
de Graffe pour commencer l'attaque de
Kingsbridge . Quant au Lord Cornwallis ,
( 179 )
rien n'étoit moins fondé que fa prétendue
victoire du 6 Août fur M. de la Fayette ,
comme les papiers Anglois l'annonçoient ;
s'il avoit eu un avantage , il ne feroit pas
tellement preffé , comme on affure qu'il l'eft
vers Portſmouth , qu'il aura été obligé de
s'embarquer.
» Deux corfaires Américains , écrit- on de Bor
deaux , croifant dans la baie de Biſcaye , découvri
rent un cutter que fa marche fupérieure ne leur
permit pas d'atteindre. Sur le déclin du jour les deux
corfaires feignirent de s'attaqner , l'un fous pavillon
Anglois , & l'autre fous pavillon Américain . Le
cutter voyant le combat engagé , voulut venir au
fecours de celui qu'il fuppofoit être de fa nation ;
il s'approcha en conféquence du bâtiment qui portoit
pavillon Anglois ; celui - ci fit un mouvement rapide
qui mit le cutter entre les deux corfaires ; ce cutter
fe rendit. On a fu que c'étoit un avifo expédié par
l'Amiral Rodney , mais le Capitaine avoit jetté les
dépêches à la mer. Il a été envoyé à Bilbao «.
Selon des lettres de Nantes, on y prépare un
armement confidérable pour le compte des
Hollandois , & qui eft deftiné pour le Cap
de Bonne-Efpérance & les autres poffeffions
de la République au- delà du Cap. L'avis
fuivant que nous nous empreffons de tranf
crire , donnera une idée de la force de
cet armement.
MM. le Séfne & Compagnie , Négocians & Ar
mateurs , ont annoncé à leurs Actionnaires , par la
voie de notre Journal , qu'ils avoient pris des mefures
pour fixer d'une manière invariable le départ de
leur armement , au mois de Novembre prochain , &
h 6
( 180 )
fous une forme plus étendue & plus redoutable que
celle qu'ils avoient annoncée en fe procurant par euxmêmes
, au befoin , des vaiffeaux tous conftruits. Ils
fe font un devoir de leur donner aujourd'hui connoiffance
, des noms , de la force & de l'encombrement
de chacun des vaiffeaux , fur la totalité defquels
ils ont affecté leur mife d'actions , & qui ont été
achetés tous armés de M. de Montieu , le 10 Août
dernier , en exécution du traité figné par un de leurs
affociés , avec les Députés de la Compagnie Hollandofe
des Indes Orientales , le 28 Juillet précédent.
Ces vaiffeaux font , Le Perfée , de so canons ,
& de 1200 tonneaux ; Andromede , de 32 , & de
800 tonneaux ; l'Union , de 245 & de 700 tonneaux ;
l'Amphitrite , de 20 , & de 430 tonneaux ; le Petit-
Coufin , de 14 , & de 160 tonneaux ; tous armés à
Nantes ; l'Alexandre , de 20 & de 600 tonneaux ,
armé à Bordeaux ; en tout 16c canons , & 3890 ton.
neaux. Le commandement en chef de cette expédition
eft confié à M. le Breton de la Vieuville , de St.-
Maló , connu par les actions de valeur & d'éclat dans
cette guerre , & qui a été très - particulièrement recommandé
à MM. le Séfne & Compagnie , par un
Officier Général du premier mérite , M. de la Rofiere
, Commandant de Saint- Malo.
4
Il y a long-tems qu'on annonce des remèdes
contre la rage ; jufqu'à préfent on
n'en a point trouvé qui foit toujours efficace
; il ne faut pas fe rebuter , fur- tout
lorfqu'il s'agit d'objets auffi intéreffans pour
l'humanité ; & nous n'avons pas befoin
d'autre apologie pour donner de la publicité
à l'avis fuivant.
Si quelque Médecin , ou Chirurgien , ou tout
autre ami de l'humanité , vouloit acheter un fecret
Infaillible contre la rage , tant des hommes que
( 181 )
des animaux , il faudroit s'adreffer à Madame la
Comteſſe de Fribois , à Rupierre , par Croifienville
en Normandie. Il exifte dans fa Parciffe un Pay-
Tan , poffeffeur de ce fecret , qui , après en avoir
fait ufage depuis plus de foixante ans , dans un
nombre infini de circonftances , n'a pas encore
éprouvé qu'il ait manqué une feule fois il garan
tit les animaux après la morfure , mais il guérit
radicalement les hommes quelqu'ait été le nombre
des accès.
Nous ne pouvons refufer de publier la
lettre fuivante , qui nous a été adreffée de
Guife le 3 de ce mois.
Monfieur , les Journaux perdroient fans doute
beaucoup de leur utilité , fi fe bornant abſolument à
la partie politique , ils ceffoient de vouloir faire
mention de quelques affaires dont il importe aux
intéreffés que le public foit inftruit , fur tout lorf
que d'abord abufé par des faits que la calomnie &
l'erreur ont pu déterminer , il eft quellion de le
ramener à une plus jufte opinion fur le degré d'eftime
dont des Citoyens d'un certain ordre font jaloux
de jouir à les yeux ; perfuadé que fur ce point
nous avons la même façon de penfer , j'ofe croire ,
M. , que vous vo diez bien ne pas faire difficulté
d'inférer le fait fuivant dans votre ouvrage. -
On inftruifoit criminellement au Bailliage Ducal de
cette ville le procès de deux particuliers accufés du
crime d'ufure ; des méchans , par une trame auffi
noire qu'elle étoit bien curdie , avoient trouvé le
fatal fecret impliquer dans cette affaire M. Warnet
, Préfident de l'Election , contre lequel intervint
en effet le 9 Janvier dernier une condamnation qui
fans le laver à la vérité , répandoit néanmoins fur
fon honneur & fur celui de fa nombreuſe & intéreffante
famille , un vernis louche & injurieux ,fuf
( 182 )
ceptible de leur faire perdre à toujours la confidéra
tion dont ils jouiffent à fi jufte titre : mais par Arrêt
du Parlement rendu ſur ſon appel de la Sentence de
Guile en la Tournelle Criminelle le 22 Août dernier
au rapport de M. Bruaut des Carrières . "
Or-
» La
Cour faifant droit fur les conclufions de M. le Procureur-
Général , décharge M. Warnet des plaintes
& accufations intentées contre lui à la requête du
Procureur- Fifcal du Bailliage Ducal de Guife , lui
permet de faire imprimer & afficher l'Arrêt par- tout
où bon lui femblera..... & enjoint aux Officiers
dudit Bailliage de Guife qui ont rendu la Sentence
dont étoit appel , de fe conformer aux Arrêts ,
donuances & Règlemens de la Cour & fur iceux
d'énoncer pofitivement & clairement dans leurs Sentences
définitives les faits dont ils déclarent les accufés
atteints & convaincus . L'intérêt que le
public avoit pris à cette affaire , n'a jamais pu être
apprécié que par les félicitations que M. Warnet
reçut de l'Univerfalité de ſes concitoyens , au moment
où l'Arrêt a été connu ; je ne doute pas que
ceux de vos lecteurs de fa connoiffance à qui cet
évènement n'eſt pas encore parvenu , n'éprouvent la
même fatisfaction en apprenant la juſtice que la
Cour lui a rendu d'une voix unanime. J'ai l'hon
neur d'être , &c. Signé , VIOLLETTE DE BRETAGNE
, Avocat.
-
-
Nous avons annoncé dernièrement les
travaux d'un homme de lettres , pour abréger
& faciliter l'étude des langues ; le fuccès
de fa Méthode ne fauroit être plus important
, puifqu'elle tend à perfectionner les
Plans d'Education publique , & à la fuppléer
, lorfque les défauts de moyens ou
d'autres circonftances n'ont pas permis
( 183 )
aux jeunes gens de fuivre les Cours ordi
naires . Un Elève de cet homme de lettres ,
honnête & laborieux , nous a adreffé la
lettre fuivante ; elle contient l'hommage de
fa reconnoiffance pour fon Inftituteur , &
la preuve du fuccès de fa Méthode ; & c'eft
à ce double titre que nous la tranfcrivons.
20 Monfieur , rien n'eft fi difficile à déraciner que
les préjugés accrédités par le temps , fur- tout lorf
qu'ils ont triomphé des efforts qui tendoient à les
détruire. L'ufage , par exemple , en matière d'édu
cation eft paffé en loi , & il eft arrêté que pour
apprendre les langues de Rome & d'Athènes , il
faut paffer dix mortelles années dans des claffes.
Pour moi , je rends graces à la fortune de n'avoir
pas fourni à mes parens les moyens d'enterrer
mon enfance , dans la lugubre enceinte d'un College,
pendant un fi long eſpace de temps . Je n'ai com
mencé à étudier le Latin qu'à vingt-cinq ans , & à
vingt-fix , j'expliquois Horace , Virgile & Cicéron ,
avec autant de facilité , j'oſe même dire , avec autant
d intelligence que fi j'euffe refté fept ou huic
années fur les bancs. Cette réuffite me fit croire
que le plan de M. l'Abbé B ..... n'étoit rien moins
qu'impraticable , & j'eus le plaifir d'amener à mon
opinion plufieurs Profeffeurs de l'Univerfité , que
j'avois confulté fur mon entrepriſe , & qui furent
témoins de mes fuccès. J'avoue qu'ils en parurent
étonnés. Par hafard m'étant trouvé il y a
quelques jours chez un de ces Meffieurs , qui
avoit raffemblé chez lui plufieurs de fes Confrères
, l'un d'eux , qui ne me connoiffoit pas
ayant entendu louer mon favoir-faire , foutine qu'il
étoit impoffible que j'euffe fait de grands progrès
dans l'efpace d'une année , que cela même paffoit
toute vraiſemblance. Il ajouta , que j'avois apparem(
184 )
ment eu pour Maître , un de ces Charlatans No
vateurs , dont l'efpèce trop multipliée , n'exifte
qu'en trompant le Public , à qui leur ton fcientifique
en impofe pour un moment. Je répondis à
mon Déclamateur , qu'il n'étoit rien de tout cela :
que j'avois eu pour Maître , à la vérité , un Jeune
homme , mais un Jeune homme déja nourri de la
lecture des Anciens & des Modernes , plein de goût
& de jugement , a qui , pour tout dire en un mot ,
il ne manquoit rien , que des années. J'ajoutai que
La manière d'enfeigner fe réduifoit à faire à chaque
pas une application raifonnée de les principes , à
élaguer ceux qui ne peuvent qu'embarrailer , fe ré-,
fervant à les faire connoître par la faite , à retrancher
toutes les exceptions aux règles , ( il fuppofe
d'abord la marche de la langue parfaitement régu
lière ) , à obferver les rapports des mots entr'eux
& des phrafes entr'elles ; enfin , à applanir les difficultés
à l'aide d'une dialectique fimple & lumineufe
, en fournifant à fon Élève adroitement &
comme à fon infu , l'occafion de les lever ; ce qui
ne contribue pas peu à réveiller fon application &
à foutenir fon ardeur , &c. &c. Cette petite differ
tation me valut un compliment de la part de ces
Meffieurs. Ils parurent défirer d'apprendre le nom
de mon Maître. J'allois les fatisfaire , quand l'un
d'eux m'arrêta pour dire à la Compagnie , qu'il
avoit lu , Monfieur , dans le dernier No. de votre
Journal , une Annonce où il s'agiffoit d'éducation ,
& que l'Auteur de l'Anronce affignoit un temps
affez court , pour cet objet. J'affurai que c'étoit de
lui dont il étoit queftion , & qu'il m'avoit même
fait part du deffein où il étoit de prendre plafieurs
Penfionnaires Chacun promit de ne rien négliger
pour lui fournir les moyens d'exercer fon talent ;
après quoi la Compagnie fe fépara . Pour moi , je
triomphai d'avoir fait changer d'opinion à des
( 185 )
gens qui n'en changent guères , & je m'en retour
nai fort joyeux d'avoir fi heureufement fignalé ma
reconnoiffance , en faveur d'un homme , à qui je
dois , pour ainfi dire , une feconde vie . J'ai l'honneur
d'être , & c. Signé , DE SAINT- L . R*.
Le fieur Jean Baptifte Le Roux- de Touffreville ,
ancien Officier de Dragons , & Gentilhomme du
Pays de Caux , cù il étoit Seigneur de plufieurs
Terres , s'eft abfenté depuis vingt ans , & n'a point
donné de fes nouvelles. Ceux qui pourroient en
favoir , ou en procurer , font priés de les adreffer
au Comte de Touftain-Richebourg , Chevalier de
Saint- Louis , & Lieutenant des Maréchaux de France
, à Harficur.
BRUXELLES , le 17 Septembre .
LE Gouvernement vient d'accorder aux
Magiftrats d'Oftende la permiffion d'emprunter
400,000 florins à un intérêt raifonnable.
Cette fomme eft deftinée à l'agrandiffement
de cette ville & de fon baffin ,
qui en ont befoin pour l'accroiffement de
fon commerce. MM. Lippens & Liofmans ,
ont la direction des travaux relatifs au
baffin.
» L'Intendant- Général de Police de cette Capitale ,
écrit-on de Lisbonne , informé qu'on devoit débarquer
de la contrebande du paquebot qui part chaque
femaine pour Londres , donna des ordres en conféquence
de quels la patrouille arrêta quatre matelots
employés à cette fraude , mais des compagnons de
ceux- ci , au nombre de 12 , les délivrèrent à main
armée , & reprirent les marchandiſes confifquées . La
( 186 )
Reine , inftruite de cette violence , défendit de laiffer
partir le paquebot fans une permiffion exprefle de fa
part ; & ce n'eft que le 7 Août qu'il lui a été permis
de remettre à la voile «.
Le tranfport des bois de conftruction pour
la France par l'Eſcaut & les autres rivières
des Pays-Bas Autrichiens ne fe rallentit point.
On voit paffer fans ceffe des bâtimens qui
en font chargés , & qui font ſuivis de trains
flottans. Cela prouve que les Hollandois
ne manquent pas de bois pour leur Marine ,
puifqu'ils en font paffer des quantités confidérables
en France.
» Le vaiffeau de guerre le Zuid-Beveland de 64
canons , écrit- on d'Amfterdam , & la chaloupe gardecôte
le Dauphin , font depuis le 4 de ce mois au
Texel avec les navires de la Compagnie des Indes
armés en guerre & en marchandiſes , le Zélandois
& le Both. La divifion de la Meufe doit y être à
préfent , & on eſpère que notre eſcadre pourra remettre
en mer avec le convoi pour la Baltique. En
attendant , nous avons la fatisfaction de voir que
depuis le combat du 5 Août , l'ardeur pour le fervice
de mer s'eft ranimée de plus en plus , & qu'il s'offre
tous les jours un nombre confidérable de matelots
pour s'engager fur les vaiffeaux de l'Etat. Il nous
en vient de tous les côtés ; il en eſt arrivé 77 qui
font tous des pêcheurs de Vlaardingue , & par conféquent
des hommes robuftes , exercés & endurcis
aux fatigues de la mer.
On prétend que 18 villes de la province de Hollande
, ont été d'avis que chaque Membre des Etats
eft autorisé à faire au Stadhouder , telle propofition
qu'il jugera convenable , relativement au Duc de
Brunfwick , & conformément à la conſtitution. On
( 187 )
ajoute que dans la dernière féance des Etats de Hollande
, on s'eft occupé férieuſement du projet d'un
Comité ou Confeil privé , à donner au Prince , &
qu'en cas de refus de la part de S. A. S. , on procédera
à la nomination des Membres qui doivent le
compofer. Les trois villes d'Amfterdam , de Harlem
& de Dordrecht en ont entraîné un grand nombre
d'autres dans leur parti ; & on prévoit que cette affaire
n'eft pas encore terminée «<.
On a appris la rentrée de la flotte combinée
; elle peut faire tort aux Hollandois ,
qui , ayant dû fortir du 10 au 15 de ce mois,
avec leur convoi , trouveront peut- être en
mer des forces encore fupérieures . Leur
flotte eft , dit-on , commandée par M. Van
Braum & on remarque ' que dans toute
l'efcadre il n'y a pas un feul des Capitaines
qui ont combattu fous l'Amiral Zoutman.
>
Les Etats de la Province d'Overyffel ont
réfolu d'ériger un monument à la mémoire
du brave Comte de Bentinck. Ce fut le
Baron de Pallandt qui fit cette propofition
aux Membres de la Nobleffe dans l'Affemblée
des Etats du 22 Août ; le difcours qu'il
prononça à cette occafion mérite d'être
connu .
Nobles & Puiffans Seigneurs :
La République doit à la mer fa naiffance , fes progrès
& fa profpérité : on peut dire qu'elle eft affermie
fur le fang des Héros marins. Les Eglife ; de diffé
rentes Villes des Provinces- Unies en confervent les
monumens ; & le but du Souverain , en les faifant
( 188 )
ériger , étoit non- feulement d'éternifer les exploits
des défunts, mais auffi d'animer les autres à fe rendre
dignes d'une gloire femblable. A la fuite des outrages
perfides & inouïs que l'Angleterre a fait effuyer
à cette République , on voit , ainfi que dans les premiers
tems , revivre le même courage héroïque :
toute fupériorité , fi grande qu'elle puifle être , n'eft
pas capable de l'effrayer , & il mérite à tous égards ,
d'être animé par des effets qui parlent. Il fe préfente
actuellement à nos yeuxune occafion glorieuſe . C'eft
avec la douleur la plus vive & qui pénètre mon ame,
que je rappelle , que le noble & puiflant Seigneur
Wolter- Jan , Baron Bentinck , Capitaine de hautbord
, commandant le Batavier , vailleau de guerre
de la République , dans la dernière bataille navale ,
auffi fanglante qu'opiniâtre , les de ce mois , entie
notre flotte & celle de la Grande- Bretagne , après
avoir , avec le courage & l'intrépidité la plus héroïque
, défendu valeureufement l'honneur de la nation,
a reçu une bleifure mortelle , dont , hélas ! peut-être,
il fera la malheureuſe victime. Ses qualités éminentes
, par lesquelles il s'eft attiré l'affection & l'eftime
non-feulement de nous , mais autfi de tous ceux qui
l'ont connu particul :érement , m'oblige de propofer
à vos Nobles Puiflances , s'il ne feroit pas convenable
de réfoudre , pour l'honneur & la mémoire éternelle
de ce brave Héros , pour fon courage & fa
bravoure fignalés au fervice de la patrie , de faire
ériger , dans l'Eglife de' Raalte ( 1 ) un beau monu--
ment aux frais de la Nobleffe ? 2
( 1 ) Raalte eft à quatre lieues de Zwoll ; Schonaten ,
maifon de la famille du défunt , eft de cette dépendance ;
il s'y trouve le Caveau de cette famille noble qui , depuis
longtems , a féance dans le corps de la nobleffe
Overyffel.
( 189 )
La nouvelle la plus intéreffante que nous
aient donné les derniers papiers Anglois ,
eft la relâche de Johnſtone à Rio-Janeiro .
L'article où il eft parlé de ce Commodore ,
donné d'abord par le General Advertiſer ,
& copié enfuite par tous les autres papiers,
eft fi mal conçu , & fi rempli d'abfurdités ,
qu'on l'auroit entiérement révoqué en
doute , s'il n'avoit pas été confirmé par
Lisbonne , que Johnstone a été véritablement
à Rio Janeiro , & même qu'il s'eft
fait donner de force toutes les munitions
navales qui lui étoient néceffaires pour
mettre fa flotte en état de retourner à la
mer. On peut douter de fon arrivée à
Monté-Vidéo ; & quant à fes projets fur
Buenos- Ayres , ils paroiffent fort extravagans.
On ne peut s'imaginer que le cabi
net de Saint-James au lieu de renforcer
les efcadres de l'Inde , ait voulu employer
fes vaiffeaux de guerre à une piraterie qui
ne peut rapporter nul profit à la nation ,
& qui ne ferviroit tout au plus qu'à enrichir
quelques particuliers. Ainfi la deſtination
de Johnſtone étoit fûrement pour
l'Inde ; forcé de relâcher à Rio-Janeiro où
il avoit envoyé gratuitement M. de Suffren ,
il fe peut que fon efprit entreprenant , &
fur-tout fon avidité , lui ait fait former
quelque deffein fur Buenos- Ayres , où il
peut être conduit par des pilotes Portu-
,
( 190 )
gais , qui connoiffent la rivière de la
Plata. Il aura été inftruit au Bréfil qu'une
partie de la garniſon de la place , & le
Vice-Roi lui- même l'avoient quittée pour
aller étouffer les reftes de rébellion du
Pérou ; mais il n'eft pas certain pour cela
que cette expédition réuffiffe. Johnſtone
arrivera dans la rivière au mois de Juin ,
c'est- à- dire , dans le tems de l'hyvernage
pendant que des ouragans affreux défolent
la Plata. Quand mêine il échapperoit
à tous les dangers de cette navigation , &
qu'il s'empareroit de Buenos - Ayres , la
prife de cette place n'indemniferoit pas le
Gouvernement de la dépenſe de l'armement
de Johnſtone . La flotte partie dans
le mois dernier , & qui vient d'arriver à
Cadix , a enlevé les productions de deux
années. Le Commodore fera réduit à fe contenter
de rançonner les habitans . Quant
au projet de fecourir les mécontens , il
eft ridicule pour ne rien dire plus. La rébellion
s'eft allumée bien avant dans les
terres , & il faudroit que les Anglois fiffent
400 lieues dans des plaines défertes , avant
de parvenir à l'entrée des provinces où il
peut y avoir encore des révoltés. Tout
porte donc à croire que fi cette expédition
a lieu , les Anglois n'en retireront pas
plus de fruit que de celle du lac Nicaraga.
( 191 )
Le Parlement qui étoit prorogé jufqu'au
13 Septembre , l'a été de nouveau juſqu'au
Jeudi 18 Octobre.
Une lettre de Greshernish dans l'Ifle de
Sky en Ecoffe , nous a donné avis que la
communication entre cette Ifle & celle de
Long- lflet , a été interceptée pendant plus
de huit jours par un corfaire François , qui
étoit en ftation entre Dunvegan- Head & la
côte occidentale. Il s'y eft emparé de plufieurs
bâtimens deſtinés pour l'Irlande , &
le Maître d'un de ces navires a rapporté
que lorfqu'il avoit quitté le corfaire >
Ce
dernier avoit à bord pour plus de 3000
guinées d'ôtages , & que tous les Fermiers
des environs du lac de Dunvegan , redoutoient
fort qu'il ne mît à terre une partie
de fes équipages pour les rançonner , ainfi
que cela eft arrivé à plufieurs autres Fermiers
le long des côtes.
» Le 26 Juin , écrit-on de Mahon , en date du
28 , le Général fut lui-même faire de très - près
la reconnoiffance du Fort Saint- Philippe ; & tout
eft difpofé pour commencer le fiége dès que les
renforts qu'on attend de Barcelone feront arrivés .
Les troupes Angloifes fe font retirées fort en défordre
dans le Fort ; elles ont abandonné l'arſenal
& différens magafins , auxquels elles pouvoient
mettre le feu ; & les Officiers en fe retirant de
Mahon , n'ont pas même eu le tems d'emporter
leurs hardes & leurs papiers . On a trouvé dans
la maifon de l'Ingénieur en chef, des renfeignemens
fur l'état & la force de la Place , les plans
du Fort qui refte à réduire ; on dit même que la
conduite des eaux eft tracée dans ces plans , de
( 192 )
manière à donner toutes les connoiffances néceffaires
pour priver dans peu la garnifon de cette reflource.
On ne peut qu'être étonné de la fécurité des Anglois
, ou pour mieux dire , de leur indifférence .”
Depuis deux mois que Mahon eft menacé , ils n'ont
rien fait pour mettre les fruits de leurs rapines à
Couvert ; ils n'ont pas même approvifionné lear
citadelle d'hommes & de vivres , pour la mettre
en état de tenir auffi long - tems que fon affiette &
fa force le comporte. Les Payfans ont déposé que
ce n'eft qu'au moment qu'on vit paroître les vaiffeaux
Espagnols , que le Général Murray envoya
des détachemens dans la Campagne pour enlever
quelques beftiaux & quelques vivres . Auffi M. de
Crillon , mande- t- il à un de fes amis , ma plus
grande furprife a été de voir Murray Surpris.
Plufieurs femmes qui font forties du Fort de peur
d'y être renfermées pendant tout le tems du fiége,
ont reçu du Général les politeffes qui caractérilent
un brave & galant Chevalier. Il leur a accordé
une garde pour les garantir de la crainte qu'elles
avoient d'être infultées , & cela avant même d'avoir
reçu les lettres du Général Murray qui les lui a
recommandées . Ces politeffes jointes aux atttentions
du Général pour les Habitans de l'Ifle , lui ont
déjà valu la moitié des Mahonois . Les Forts ont
commencé à faire feu de leurs batteries ; mais fans
qu'ils ayent caufé jufqu'ici aucun dommage «.
On mande de Breft que les parts de
prife du convoi intercepté par M. de la
Motte-Piquet , font réglées & fe payent
actuellement. Le Général a 118,000 liv.;
les Officiers généraux & Commandans de
vaiffeaux 39,000 liv.; les Capitaines de
vaiffeaux moitié de cette fomme , & ainfi
de fuite , toujours par moitié. Chaque
Matelot 364 liv. ·
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E,
De CONSTANTINOPLE , le 11 Août
M. de Bulgakow qui vient remplacer
ici M. de Stachieff, eft arrivé le 7 de ce mois
avec une fuite nombreuſe. Il a fait le trajet.
de Cherfom dans cette capitale avec 2 paquebots
Ruffes efcortés par une frégate de
fa nation. La veille il étoit arrivé un autre
paquebot de Kertsch , de forte que nous
avons à préfent dans cette rade s bâtimens
portant pavillon de guerre Ruffe . M. de
Bulgakow a d'abord fait annoncer confidemment
fon arrivée par fon premier Interprète
, & enfuite avec les formalités ordinaires
par fon premier Secrétaire. Le premier
Dragoman de la Porte a été le complimenter
ce matin. Il s'occupe à fe procurer
La première audience du Grand- Seigneur
avant le Ramazan , afin que M. de Stachieff
29 Septembre 1781.
i
( 194 )
puiffe encore partir pendant la belle faifon
pour retourner à Pétersbourg.
On dit que l'affaire de la reftitution des
biens des habitans de la Morée , qui pendant
la dernière guerre embraísèrent le parti
de la Rullie , & ſe réfugièrent fur les terres
de cet Empire , eft encore fort éloignée de
fa fin. Quoiqu'elle ait été réglée par le dernier
traité de paix , la Porte perfifte dans fa
réfolution de ne reftituer que les propriétés
de ceux qui n'ont point alors quitté la Morée.
Suivant la plupart des avis que l'on reçoit
d'Alexandrie & du Caire , la pefte a emporté
cette année le tiers des habitans de la première
de ces villes , & la moitié de ceux de
la feconde. La ville de Salonique n'a pas
moins fouffert de ce fléau , fi comme on le
dit , il eft vrai qu'il y foit mort plus de
40,000 perfonnes .
RUSSI E.
De PETERSBOURG
, le 24 Août.
ON affure que le départ de L. A, I. le
Grand-Duc & la Grande Ducheffe eft fixé
entre le 15 & le 20 du mois prochain , vieux
ftyle . Ils voyageront incognito , fous les noms
de Comte & de Comtefle du Nord. "
C'est le Docteur Anglois Dimfdale qui
eft chargé d'inoculer les deux jeunes Grands-
Ducs ; il eft arrivé depuis peu pour cet
effet .
( 195 )
Nous avons annoncé l'Ordonnance de
l'Impératrice pour la navigation marchande
& le commerce maritime de fes fujets ; elle
vient de paroître , elle eft divifée en neuf,
fections qui traitent 1 ° . De la navigation en
général. 2 ° . Des devoirs du Maître ou Patron :
de, navire. 3 ° . De ceux du Pilote. 4° . Du
Charpentier. 5. Des Matelots & de toutes
les perfonnes qui fe trouvent à bord des
navires. 6º. Des engagemens à contracter
entre le Maître & fon équipage . 7º . De
l'affrètement. 8 °. De la propriété de navires.
9. Des devoirs du Courtier . S. M. I.
a ajouté à cette Ordonnance le manifefte fuivant.
» Les progrès confidérables que le commerce de
cer Empire a faits fur mer pendant les dernières années
de notre règne , fe manifeftent par la quantité
de vaiffeaux qui le trouvent actuellement dans tous
les ports. Notre Pavillon a obtenu des égards mar
qués , non- feulement chez les Nations avec lesquelles
nous fommes unies par des Traités , mais encore
chez celles qui ne font pas nos alliées . C'eft avec la
plus vive fatisfaction que dans la pofition des affaires
préfentes , nous voyons les bâtimens Ruffes recherchés
préférablement à tous autres . Accoutumée à
protéger non-feulement nos fidèles fujets commerçans
& tout ce qui a rapport au négoce , mais à lui
donner encore une plus grande extenfion par des Or
donnances falutaires , nous avons fixé notre attention
fur le défaut de Règlemens convenables & relatifs
au Commerce Maritime , d'où réfultoit l'inconvénient
défagréable , mais forcé , de recourir fouvent
aux Loix étrangères , qui rarement font applicables
aux-difpofitions faites & agréées dans nos Etats . A
i 2
( 196 )
quoi il faut encore ajouter que , comme il n'y avoit
abfolument rien de fixé , qui pût fervir à la décifion
des engagemens entre les Propriétaires & les
Fréteurs des navires , ou des différentes perfonnes
qui s'y trouvent employées ; ce défaut occafionnoit
plufieurs déford es & difficultés , même des difcuffions
très - préjudiciables au Commerce. Or , pour
mettre cette partie de l'Adminiſtration fur un meilleur
pied , nous avons pris la peine de procurer a la
navigation marchande de nos fujets des Règlemens
particuliers , dont la première partie vient de fortir
des' preffes & que nous ordonnons de publier , pour
qu'ils foient exécutés . Le voeu de notre coeur & nos
peines feront abondamment compenfés , fi la fuite
des tems apprend qu'il en résulte un avantage réel
pour nos fujets fidèles & induftrieux ; à quoi nous
Prenons une part particulière «.
On ne fera pas fupris de ce que l'on dit
dans ce manifefte de l'accroiffement
extraordinaire
& fubit du commerce & de la návigation
de la Ruffie , fi l'on confidère que
dans le cours de l'année dernière , il eſt entré
dans le feul port de Pétersbourg 554
vaiffeaux , & qu'il en eft forti 575.
DANEMARCK
.
"
De COPENHAGUE
, le 6 Septembre.
1
LA flotte marchande Angloife & les 4
vaiffeaux de guerre de cette nation qui
doivent l'escorter , ont mis à la voile du
Sund le 4 de ce mois ; le calme les a forcés
de s'arrêter , & ce n'eft qu'hier qu'ils ont
continuer leur route. Il y a encore à
Elfeneur 150 navires marchands Britan
pu
( 197 )
niques , un vaiffeau de guerre de 64 canons
& 3 frégates. On dit qu'ils doivent y refter
jufqu'au milieu du mois prochain . Sur deux
de ces trois frégates , il fe trouve so Angloifes
. On eft fort étonné que les Capitaines
aient confenti à les embarquer. Ils
difent pour s'excufer que leurs bâtimens
ayant paffé plufieurs années en Amérique ,
reçurent en mouillant dans les ports de la
Grande-Bretagne en Europe , l'ordre de fe
rendre dans la Baltique. Les équipages fe
foulevèrent ; les belles Angloifes avec lef
quelles ils avoient fait connoiffance en
arrivant , ne contribuèrent pas peu à leur
donner de l'humeur ; on ne pouvoit les
appaifer qu'en confentant qu'ils ne s'en
féparaffent pas ; & c'eft à cette circonstance
que nous devons la cargaifon ſcandaleufe
qui a débarqué dans le Sund.
POLOGNE.
T
De VARSOVIE , le 6 Septembre.
ON apprend de Pétersbourg que le Prince
Charles de Radziwill , Palatin de Wilna
y eft heureuſement arrivé. L'efcorte que lui
avoit accordée l'Impératrice la conduir
jufques dans cette capitale. Il a obtenu
par- tout l'accueil le plus diftingué ; c'eft le
Prince Potemkin qui l'a introduit. L'intérêt
que S. M. I. prend à fon affaire lui donne
tout lieu d'en efpérer la plus favorable dé
cifion.
i 3
( 198 )
M. Botteman , dont le fils élevé en France
a foutenu le 16 Juillet dernier au Collége
de Mazarin à Paris , un acte public dont le
Roi avoit bien voulu, accepter la dédicace
n'ayant reçu que le 26 Août la thèſe deftinée
pour S. M. , fe préfenta à la Cour le
même jour à quatre heures après midi.
S. M. lui accorda fur le champ audience
dans fon cabinet , où elle l'a entretenu tête
à tête ; elle a beaucoup examiné la thèſe ,
fait les plus grands éloges du jeune homme
& remercié le pere de fon attention , en
l'aurant de la manière la plus gracieufe
qu'elle la reconnoîtroit . S. M. avoit été
déja prévenue du fuccès brillant qu'avoit
eu M. Botteman fils par fon Miniftre réfident
à Paris qui avoit affifté à cet acte &
fait les complimens les plus flatteurs à M.
Hortant qui a élevé le jeune Philofophe ,
& à M. Hauchecorné fon Profeffeur.
' ג
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 8 Septembre.
L'EMPEREUR arriva le 20 du mois dernier
, à 4 heutes du foir , au camp de Peft ;
à minuit on y battit la générale ; & à 2 heures
du matin les troupes tant infanterie que
cavalerie furent fous les armes . Vers les S
heures S. M. I. en fit la revue ; les exercices
eurent lieu enfuite , & ce ne fur que
vers midi que les foldats regagnèrent leurs
tentes. Le même jour il arriva un accident.
( 199 )
Le feu prit à un magafin , qui brûla , ainſi
qu'une maison voifine ; l'incendie , graces
aux fecours qu'on y porta fur le-champ , &
auxquels préfida l'Empereur , ne fit pas plus
de progrès. Le 22 , vers les 2 heures du matin
, il y eut une nouvelle alarme , parce
que le feu couvoit fous la cendre ; mais on
en fur quitte pour la peur. S. M. 1. revint
ici le 29 , & le lendemain au foir elle eſt
partie , accompagnée de l'Archiduc Maximilien
& de plufieurs Généraux , pour fe
rendre à Laxembourg , d'où elle a été au
camp de Minckendorff. Il y a encore deux
autres camps où elle eft attendue ; celui de
Bohême , dans les environs de Prague , &
celui de Moravie , à peu de diftance de
Brinn.
On dit qu'on fe propofe d'introduire dans
nos troupes quelques nouvelles manoeuvres ,
dont on fe propofe les effets les plus avantageux
, & qui confiftent à fimplifier infiniment
les anciennes .
On travaille dans notre manufacture de
porcelaine à deux fervices de la plus grande
beauté ; on dit qu'ils font destinés au Grand-
'Duc & à la Grande Ducheffe de Ruffie.
On prépare les deux grandes falles de
mafcarades , attenantes au manége Impérial ,
de manière qu'elles pourront contenir 12
à 15,000 perſonnes . Un grand nombre d'Etrangers
ont retenu des logemens dans cette
ville , où ils fe propofent de paffer l'hiver .
i 4
( 200 )
De FRANCFORT , le 10 Septembre.
,
L'ÉLECTEUR de Mayence a nommé une
commiffion pour faire l'inventaire des biens
de deux riches Couvens qui doivent être
fupprimés comme l'ont été ci-devant les
Chartreux de Mayence , ceux d'Erford &
ceux de Coblentz. La Bulle du Pape qui
permet cette fuppreffion eft publique ; &
l'on remarque que les Princes Catho
liques d'Allemagne font exhortés à empêcher
, autant qu'il eft en eux , que les
Proteftans ne fe prévalent de ces abolitions
de Maifons Religieufes , pour juftifier ce
qu'ils firent à la réforme.
» Il y a , écrit - on de Dantzick , fur les frontières
de la Pologne vers la Turquie , une espèce de fauterelles
qui y font les plus grands dégâts ; elles marchent
& font , dit - on , beaucoup plus voraces que
celles qui fautent . C'eft aux grandes chaleurs de la
faifon qu'on attribue ce fléau deftructeur . On craint
fort que la Pologne n'en foit affligée comme elle le
fur en 1690. Les fauterelles s'y répandirent en une
fi prodigieufe quantité , que l'air en étoit obfcurci ,
& la terre couverte comme d'un drap noir. On en
trouvoit de mortes les unes fur les autres jufqu'à 4
pieds de hauteur ; & celles qui vivoient & qui fe
perchoient fur les arbres étoient fi nombreufes ,
qu'elles en faifoient plier les branches. Elles firent
a rès leur mort autant de mal qu'elles en avoient fait
pendant leur vie. L'air fat infecté de leurs cadavres ;
il en refulta pour les hommes quantité de maladies
contagieu es ; & tous les beftiaux qui en mangèrent
avec l'herbe qu'ils paiffoient dans les campagnes , en
moururent prefqu'aufli - tôt «.
( 201 )
Selon des lettres de la Suiffe , la Régence de
la ville de Berne y a fait arrêter un Officier
au fervice du Canton , pour avoir engagé
du monde pour le fervice de la Compagnie
Angloife des Indes orientales . Elle a fait
renouveller en même-tems les défenſes rigoureufes
, publiées anciennement contre les
enrôlemens .
On dit que la Régence de la Pologne
Autrichienne a fait annoncer que par une
lettre de l'Ambaffadeur de la Cour de Vienne
à Conftantinople , on étoit informé que le
Grand Seigneur avoit envoyé aux Bachas
de Belgrade & d'Alep un firman , par lequel
il déclare exemptes de tour impôt au
paffage des frontières Ottomanes , les marchandifes
que les Marchands Autrichiens
feront paffer à Conftantinople & à Smyrne.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 31 Août.
LE Capitaine Demetrio Jancovich , arrivé
hier de Mahon dans ce Port ' , a débarqué
40 perfonnes , qu'il a tranfportées ici de
cette Place ; dans leur nombre fe trouvent
Madame Murray , époufe du Gouverneur
de Minorque ; l'époufe du Capitaine du Port
de Mahon , & quelques autres Dames Angloifes
; elles ont quitté cette Ifle à l'arrivée
de l'efcadre Efpagnole. 1
Le 25 de Juillet dernier , écrit-on de Naples , il
fe tint ici un Confeil d'Etat pour des affaires de
is
( 202 )
Juftice. Les Avocats des pauvres y follicitèrent la
grace de quelques criminels , en conféquence de
T'heureufe naiffance du dernier Prince Royal D.
Jofeph. Mais le Roi crut devoir leur refufer ce qu'ils
demandoient. Ces espèces de pardons , en laiffant
efpérer à des coupables quelqu'occafion femblable
d'obtenir leur grace , multiplient les crimes & com
promettent la sûreté publique.
Les mêmes lettres
Sciences & Bellesajoutent
que l'Académie des
Lettres de cette ville , a envoyé des lettres d'aggrégation
à 4 hommes de Lettres François , MM . d'Alembert
, de la Lande , Thomas & de Villoifon «.
Nos lettres de la côte de Barbarie annencent
une rupture prochaine entre la Régence
de Tripoli & la République de Venife.
On n'en connoît d'autre caufe que
l'avidité du Bey , fils du Pacha. Il s'intéreffe
beaucoup , pour fubvenir à fes dépenfes ,
aux pirateries que les corfaires de fon père
exercent dans le Levant. I croit que ces
corfaires feroient de plus grands profits , fi
la guerre étoit déclarée aux Vénitiens , dont
les vaiffeaux font ordinairement nombreux
& richement chargés.
ESPAGNE.
De CADIX , le 8 Septembre.
LA nouvelle du débarquement de nos
troupes dans l'ifle de Minorque eft arrivée
ici ; elles n'ont trouvé aucune oppofition ;
& il paroît à la manière dont les Anglois
ont été furpris , que fi l'expédition n'avoit
été ni retardée ni contrariée comme elle l'a
( 203 )
.
été par les vents , les piquets qui étoient à
Mahon , à Fornelle , & à la Nueva-Aroval ,
auroient été interceptés , & peut-être auroiton
auffi furpris le Fort St - Philippe.
,
Auffi-tôt que le Roi a été inftruit que fes
troupes occupoient Minorque , & que les
Habitans de cette ifle s'étoient empreffés
de fe ranger fous fa domination , S. M. a
ordonné des réjouiſſances publiques . Elle a
daigné témoigner en même-tems au chef de
cette expédition combien elle étoit fatisfaite
de fes premiers fuccès ; & elle lui a envoyé
la Toifon d'Or. Il ne s'eft rien paffé d'intéreffant
à Mahon depuis le jour de la defcente
jufqu'à la fin du mois dernier. Les
forts étoient bien inveftis , mais on n'en
avoit encore attaqué aucun parce que
la mer ayant été toujours fort houleufe , on
n'avoit pu mettre la groffe artillerie à terre.
On s'occupoit de ce débarquement le 29 ,
ainfi que de retirer de la mer tout ce que
les ennemis y avoient jetté. On découvroit
chaque jour de nouveaux magaſins
remplis de marchandifes & de toute forte
de munitions appartenant au Gouvernement.
On prétend que l'inventaire qu'on
en dreffe & qui fera rendu public , nous
étonnera par la quantité d'objets qué les
ennemis étoient parvenus à raffembler dans
ce petit coin de terre. Lorfque les renforts
que M. de Crillon attend feront arrivés
, le fort St-Philippe fera attaqué en
règle , & les troupes ont tant d'envie de
i &
( 204 )
J
fe diftinguer , qu'il ne feroit pas étonnant ,
malgré l'habileté du Général Murray , que ce
pofte ne fût emporté en moins de tems &
avec moins de perte que n'en éprouvèrent
les François , parce qu'aujourd'hui la garnifon
en eft bien moins nombreufe , & bien
plus mal compofée & approvifionnée que
lors du dernier fiége.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 15 Septembre.
-
Il y a aujourd'hui 8 jours que le paquebot
le Speedy eft arrivé de New Yorck , & la
Cour n'a publié encore aucune des dépêches
qu'elle a reçues du Général Clinton ..
Cependanr ce paquebot qui eft parti de
Shandy Hook le 31 Juillet , eût pu apporter
des nouvelles intérefantes. A cette époque
on devoit favoir à New Yorck quelles
avoient été les fuites du combat donné le
6 dans la Virginie , & dans lequel la Gazette
de Rivington nous donne l'avantage.
Nous n'en avons d'autres détails encore que
ceux que nous donnent les papiers imprimés
fous l'influence de nos Généraux ; la
Gazette de New-Yorck nous préfente encore
l'extrait fuivant du Freemans Journal
de Philadelphie
Extrait d'une lettre de King-William County, à
environ 50 milles de Williamsbourg. L'ennemi a
pillé différentes perfonnes dans,les environs de Williansbourg;
il eft actuellement campé à James- Town;
( 205
nous attendons d'un jour à l'autre une action générale.
Le Général a livré , le 6 , un combat , où il a cu
200 hommes tant tués que bleffés . Il nous manque
12 Officiers . L'ennemi s'eft emparé de deux pièces
de canon. Nous en avons repris une , & nous aurion's
pareillement repris . l'autre , fi nous avions eu des
chevaux pour l'emmener. La perte de l'ennemi
monte à plus de 300 hommes . Il n'y a que trois
de nos brigades qui aient combattu. Le Gazetier
de New -Yorck ajoute ici par apoſtille. 13 Il n'a
fallu au Colonel Dundas , que deux minutes pour
battre , avec deux Régimens nouvellement levés ,
les meilleures troupes des Américains , qui n'ont
échappé à une deftruction totale , que par la rapidité
de leur faite & l'obſcurité de la nuit . Le
Marquis de la Fayette n'ofant attendre notre armée
, s'eft replié sur les dernières de la Colonie , & ,
on n'a pas eu de fes nouvelies depuis cette action
où notre perte n'eft qu'une bagatelle .
pour con-
Pour juger de cette action , il faudroit
avoir les dépêches du Lord Cornwallis ;
s'il n'a point écrit encore il fut croire
que l'action entière n'eft qu'une bagatelle .
Si , comme on le dit , il a écrit ,
firmer fes avantages dans la Virginie , pourquoi
le Gouvernement ne publie- t- il pas fes
lettres ? Ce feroit la meilleure manière de
détruire les bruits qui fe répandent qu'il eft
dans la détreffe , & qu'il a befoin de renforts
pour fe maintenir dans la Province
où on lui attribue de fi grands avantages
ou pour aller tenter quelque entrepriſe ailleurs.
Ces renforts ne peuvent plus lui venir.
de New-Yorck , où tout confirme que le
( 206 )
Général Clinton s'attend à être attaqué. Pour
nous raffurer on nous dit que ce Général
eft fort tranquille ; que l'Armée Françoife
& Américaine qui étoit à la fin de Juillet
aux Plaines Blanches , n'eft que de 7000
hommes , dont 2000 François ; il n'eſt pas
vraisemblable qu'avec une fi petite Armée
les ennemis tentent le fiége d'une place ,
où l'on prétend que nous avons plus du
double. Une pareille garnifon ne fe renferme
pas dans des murs devant des forces auffi
inférieures ; les Gazetiers qui cherchent à
nous tromper , devroient du moins être plus
adroits . Ils fe démafquent trop groffiérement
pour ne pas infpirer de la défiancé fur tout
ce qu'ils débitent. On ne croit pas en conféquence
au peu de liaifon qu'ils difent
exifter entre les Officiers François & les Officiers
Américains . Cette méfintelligence
feroit une raifon de plus an Général Clinton
de les chercher avec toutes les forces , &
de les forcer à combattre.
S'il faut en croire quelques - uns de nos
papiers , qui ne nous infpirent pas plus de
confianceque ceux de New-Yorck , l'efcadre
de Sandy Hook étoit le 31 Juillet fupérieure
à l'efcadre Françoife mouillée à Rhode-
Iland. Les François & les Américains attendoient
M. de Graffe ; on fe flattoit que l'Amiral
Rodney le précéderoit .
» Le Général Anglois , ajoute - t - on , paroît fort
tranquille fur l'attaque de New- Yorck du côté de
terre , malgré les efforts réunis du Comte de
( 207 )
Rochambeau & de Washington ; mais il craint
que les renforts deftinés pour Rodney , ne le joi
gnent pas affez à tems pour faire , du côté de la
mer , la réfiftance qui feroit néceffaire pour la
confervation de la place. L'Amiral Rodney eft
attendu à New - Yorck le 3 Août ; & dans le cas
où l'ennemi renonceroit au projet d'attaquer cette
ville , il fera fait auffi - tôt , dans la Délaware , une
expédition que l'Amiral Anglois fecondera. Le
commerce de Philadelphie avec la Havane , eft
Je plus précieux qu'aient actuellement les Américains
; c'eft par ce feul moyen qu'ils fe procurent
des efpèces en échange de leurs productions . Il
s'agit de détruire ce commerce , & on f flatte
d'en venir à bout avec l'aide de nos flottes.c
Nos nouvelles des Ifles font encore bien
vagues. Selon les lettres que nous avons
reçues de France , c'eft le 5 Juillet, que
M. de Graffe eft parti de la Martinique ;
felon ce que nous rapporte le Roebuk ,
arrivé des Iles du Vent après avoir
appareillé de St- Eufache le 4 Août , l'ef
cadre Françoife eft partie beaucoup plus
tard .
» Le Comte de Graffe a remis à la voile de la
Martinique le 27 Juillet avec 25 vaiffeaux de ligne ,
& une flotte marchande confidérable . On croit généralement
qu'il doit la convoyer jufqu'à St - Domingue
, escorter enfuite la flotte deftinée pour l'Europe ,
jufqu'à une certaine latitude , & aller enfin à Rhode-
Inland. L'Amiral Rodney , avec 20 vaiffeaux de
ligne , a auffi quitté les Ifles peu de tems après
les François , & on ne doute pas qu'il ne foit allé
en droiture à New -Yorck. Le même paquebot nous
apprend que la flotte deftinée pour l'Angleterre , a
mis à la voile le premier Août , fous l'escorte du
Panther , de 60 canons , & de deux frégates «
( 208 )
Nous approchons du tems où les nou
velles de l'Amérique Septentrionale deviendront
intéreffantes. En attendant , on revient
à celles que l'on publie de Buenos-
Ayres , & dont le Gouvernement ne dit
cependant pas un mot.
On apprend de Lisbonne , difent plufieurs de
nos papiers , que le Commodore Johnſtone a détaché
le Capitaine Mac - Donald , pour convoyer un paquebot
jufqu'a une certaine latitude , où il doit
débarquer Ecclefiaftique qui nous a informé l'hiver
dernier de la rebellion des peuples de l'Amérique
méridionale. Ce Prêtre doit les encourager , par
l'affurance de la prochaine arrivée de notre efcadre ,
qui , indépendamment des troupes qu'elle leur amène ,
leur fournira 40,000 armes propres à ce pays - là.
Les Espagnols , privés par la de l'or & de l'argent
que leur fournit l'Amérique , ne trouveront pas de
grandes reffources chez eux « .
1
Ces belles fpéculations peuvent en impofer
à la multitude ; mais elles paroîtront
bien ridicules à ceux qui réfléchiffent &
qui connoiffent un peu là pofition des lieux
qu'on dit le théâtre de la révolte , la difficulté
d'y arriver , l'efpace immenfe de
déferts qu'il faut parcourir , en s'éloignant
des vaiffeaux qui font la reffource
de l'armée que Johnstone facrifieroit à
cette expédition . Son avidité a déja été
trompée ; en arrivant , il a trouvé que les
fruits de deux ans de cette partie de l'Amérique
, étoient déja parris pour l'Europe
, & par conféquent hors de fes atteintes.
Les richeffes qu'il efpéroit acquérir
( 209 )
par le pillage , fe borneront à quelqués
extorfions ; il rançonnera tout ce qu'il pourra.
Son parti le plus fage après cela , eft
de remettre en mer & de s'éloigner pour
conferver le fruit de fes brigandages. En at
tendant il aura manqué le but de fa véri
table expédition. Il devoit fe rendre dans
l'Inde , où il étoit important qu'il fe rendît
avant le Commandeur de Suffren , pour
nous conferver la fupériorité fi nous l'y
avons , ou pour nous la donner fi nous
ne l'y avons pas . Sa conduite paroît au
moins inexplicable , elle ne peut être excufée
que dans le cas où il auroit eu la liberté
de changer fa deftination ; ce qui feroit
bien étrange dans un moment où l'on
fait que le Gouvernement ne pouvoit lui
en donner d'autre que pour l'Inde. Cependant
nos affaires dans cette contrée femblent
prendre une tournure plus avantageuſe ;
la Compagnie a reçu , le 12 de ce mois ,
des dépêches de l'Inde , apportées par le
Capitaine Uppléby , qui étoit parti de Bombay
le 7 Avril. Selon ces lettres le Major
M'Cormick ayant été détaché par le Général
Goddart , avec ordre d'attaquer un corps
confidérable de Marattes , les atteignit le
20 Mars , & remporta fur eux une victoire
complette ; il ne leur tua ni ne leur bleffa pas
moins de 7 à 8000 hommes , & leur enleva
quantité de canons , d'éléphans , de
chevaux , de chameaux & de munitions
( 210 )
de toute efpèce. On efpéroit que l'Amiral
Hughes , qui étoit encore à Bombay avec
fon efcadre , en partiroit le 25 Avril pour
fe rendre à la côre de Coromandel , où le
Général Sir Eyre Coote , a non-feulement
remporté une victoire complette fur le redoutable
Hyder- Aly , mais a encore repris
fur lui , ou eft à la veille de reprendre toutes
fes conquêtes , après l'avoir forcé de retourner
précipitamment dans fes Etats. Le
Général Anglois l'a fuivi , & menace même
plufieurs fortereffes placés fur les frontières
de ce terrible ennemi .
1
Le bruit fe répand d'un autre côté que le
Comptoir Hollandois de Phulta dans le
Bengale , eft tombé , fans coup férir , entre
les mains des troupes de notre Compagnie ,
où l'on dit que l'on a fait un butin immenfe.
On attend avec impatiencé la publication
des dépêches qu'a reçues la Compagnie ;
elles nous offriront la relation de tous ces
évènemens , auxquels nous ne nous attendions
affurément pas , & qui peut - être
paroîtront moins brillans dans la relation
même. Quoiqu'il en foit , ces avis ont
produit un effet avantageux pour la Compagnie
; fes actions ont monté d'un &
demi pour cent. Ils ont raffuré fur la plûpart
des bruits qui s'étoient répandus depuis
quelque tems , & qui fembloient confirmés
par quelques lettres de Lisbonne. Maski
嘿
Le vaiffeau Portugais le Prince du Bréfi!,
revenant des Indes Orientales , & en dernier
lieu de Goa , eft rentré dans le Tage le
21 Août. Il a à bord le Capitaine & les
autres Officiers du vaiffeau de guerre Anglois
que montoit le Vice-Amiral Sir Edouard
Hughes ; ce qui fait croire que ce navire
qui eft le Superbe , de 74 canons , a coulé
bas. Parmi les nouvelles qu'apporte le
vaiffeau Portugais , étoit celle que le Chevalier
Hughes fe trouvoit , avec fon efcadre ,
au Bengale , d'où la mouffon l'empêchoit
d'aller au fecours de Madras , affiégé du
côté de terre par les troupes d'Hyder- Aly ,
& par l'efcadre Françoise du côté de la mer.
Il fe trouvoit dans le port cinq vaiffeaux de
la Compagnie des Indes , & plufieurs autres
plus petits . On prétendoit que les Officiers
Anglois qui ont fait le voyage fur ce navire
Portugais , convenoient tous unanimement
que nos affaires dans les contrées étoient
dans la pofition la plus critique & la plus
alarmante.
A
On avoit beſoin de l'arrivée du Capitaine
Uppléby , pour détruire l'impreffion qu'avoient
faite ces fâcheufes nouvelles. La
relation qu'il apporte paroîtra vraiſemblablement
demain ou après ; on peut juger
de l'impatience avec laquelle elle eft attendue.
On prétend que l'exprès de Bombay a
annoncé le départ prochain d'une flotte de
( 312 )
vaiffeaux de la Compagnie , mais qu'elle
attendoit un convoi plus fort , parce qu'elle
a appris qu'une efcadre Françoife & Hollandoife
étoit mouillée au Cap.
On avoit dit que l'ifle de Sainte-Hélène
avoit été prife ; cette nouvelle ne s'eft pas
confirmée ; mais on n'eft pas fans inquiétude
fur cette place , depuis que l'on fait qu'il
y a une efcadre Françoife au Cap de Bonne-
Efpérance , & qu'elle doit avoir été renforcée
par celle de M. de Suffren qui à
des troupes avec lui ; pour nous raffurer ,
on préſente ainfi dans nos papiers la fituation
de cette Iſle.
La Compagnie des Indes a dépensé depuis quel
ques années plufieurs milliers de livres fterl , pour
fortifier l'Ile de Ste-Hélène. On a élevé plufieurs
nouvelles batteries , dont la plupart ont des canons
de foute . Les deux feuls endroits de débarquement
dans l'Ifle , font la vallée de Rupert & celle de St-
Jame . Dans celle- ci eft la réfidence du Gouverneur ;
à l'entrée est un fort confidérable avec une belle
rangée de canons de fonte de 32 liv. de balles . Ce
fort eft flanqué par une batterie inacceffible , établie
fur le rocher de Munden . Tous les vaiſſeaux qui
veulent moiller devant la ville doivent paffer de
près fous cette batterie . La garnifon de la Compagnie
eft compofée ordinairement de 400 hommes . Il y
en a actuellement près de 700 , compris un corps
d'artillerie , deux compagnies ayant été envoyées il
ya quelques mois , comme un renfort ".
Les inquiétudes que nous avions au fujet
de Minorque font enfin réalifées. La
Gazette ordinaire de la Cour du ir de ce
( 213 )
imois , a publié ainfi l'invafion de cette
Ifle par les Espagnols.
Ce matin il eft arrivé , au Bureau du Comte
d'Hillsborough , l'un des principaux Secrétaires
d'Erat de S. M. , un Meflager chargé pour S. S.
d'une lettre de Sir Horace Mann , Baronnet &
Chevalier de l'Ordre du Bain , Envoyé extraordi
naire de S. M. à Florence , dans laquelle en étoit
inclufe une autre du Lieutenant - Général Murray ,
Gouverneur de Minorque , datée du Château Saint-
Philippe , le 19 Août , portant que dans la matinée
du même jour 19 , une divifion de la flotte & des
tranfports Efpagnols fe portoit vers la partie Orien
tale du Port de Mahon , dans l'intention , à ce que
l'on fuppofoit , de débarquer les troupes de ce côté ,
tandis qu'une autre divifion paroilloit gouverner
vers la partie Occidentale du neme Port : le Gouverneur
ajoute qu'il avoit été inftruit quelque tems
auparavant de l'intention de l'ennemi ; qu'il étoit
parfairement préparé à le recevoir ; que la garnison
étoit dans un état de fanté excellente , ainfi que
dans les meilleures difpofitions , & qu'il ne doutoit
nullement de pouvoir faire une réfiftance vigoureufe
«.
La Gazette de la Cour ne dit pas tout ;
elle annonce feulement que les Espagnols
faifoient des difpofitions pour débarquer ,
& que le Général Murray en faifoit pour
fe défendre. On fait que le débarquement
a été effectué fans réfiftance ; que l'Ile a
été foumife à l'arrivée de l'ennemi , & que
nous n'y poffédons plus que le fort Saint-
Philippe , qui peut tenir très long-tems ,
fi la garnifon eft nombreuſe , & fi elle eft
bien munie ; fi elle ne l'eft pas , nous ne
( 214 )
voyons guère comment on pourra l'approvifionner
& la renforcer.
Nous n'entendons plus parler de la flotte
combinée qui nous a infpiré d'abord tant
d'alarmes , & qui a fort exercé nos troupes
& nos milices fur les côtes d'Irlande
où on leur a fait faire une multitude de
mouvemens pour s'opposer à une deſcente
qu'on n'a tentée nulle part , puifque nulle
part la flotte ennemie ne s'eft montrée.
On fuppofe qu'à préfent elle s'eft éloignée
de nos côres ; l'approche de l'équinoxé doit
la contraindre de fe rapprocher de fes ports.
L'Amiral Darby qui s'étoit précédemment
refugié à Torbay , peut maintenant fortir
librement ; au lieu de 40 vaiffeaux qu'on
difoit qu'il avoit , il paroît que tous les
renforts qu'il a reçus & qu'on a pu lui
donner fe font réduits à porter fon
eſcadre à 24 ou 26 vaiffeaux de ligne. Il
fe préparoit à appareiller de Torbay le 11
& le foir il étoit forti du port ; mais contrarié
par les vents , il a été forcé d'y rentrer
; il y étoit encore le 14 mouillé fur
une ancre ; fon efcadre eft de 26 vaiffeaux
8 frégates & brûlots. Ceux du Commodore
Keith Stuart ne le joindront point ;"
ils font réfervés pour agir contre l'efcadre
du Texel ; mais ils ne font pas encore approvifionnés
, du moins hier il leur manquoit
encore bien des chofes. On n'eſpère
plus qu'il arrête l'efcadre Hollandoiſe &
( 215 )
fon convoi au Texel ; on fait qu'elle y
y étoit prête & raffemblée le 9 de ce mois ;
& depuis ce tems elle doit être partie. Ce
fera près de la Baltique qu'il faudra chercher
la première ; pour le fecond , il fera
en fureté. On s'attend à fe melurer encore
avec les Hollandois ; & comme le premier
combat donne beaucoup d'incertitude fur
l'iffue du fecond , on ne feroit pas faché
que ce que l'on dit foit vrai ; que les ports
de Norwege feront ouverts à nos vaiffeaux
de guerre comme à nos bâtimens marchands;
les uns & les autres pourront y trouver un
afyle en cas d'accident. On ajoute que
la
même faveur a été accordée aux Hollandois.
Pour nous raffurer fur la crainte que
nous avons que l'efcadre Hollandoiſe ne
forte avant la nôtre , & qu'elle ne foit plus
nombreuſe , la plupart de nos papiers ne
manquent pas de nous donner les nouvelles
fuivantes : Le 11 , le Lieutenant
Furnival du cutter le Burg , arriva à l'Amirauté
avec des dépêches du Chevalier.
Hyder Parker , en date du 10 Septembre ,
dans fa ftation , du Texel. On affure qu'il
informe l'Amirauté qu'il avoit alors fous
fes ordres tous, les vaiffeaux qui compofent
fa divifion , & qu'elle étoit affez for
midable pour en impofer aux forces que
les Hollandois peuvent lui oppofer ; il lui
apprend encore que les cutters fous fes ordres
, fe font emparé de plufieurs bateaux
( 216 )
pêcheurs Hollandois par lefquels il a ap
pris qu'il y avoit la plus grande difette de
munitions navales dans les Arfenaux du
Texel. On attribue entr'autres caufes.ce
déficit , au retardement de la flotte de la
Baltique chargée de mâts , de cordages , & c.
Selon les mêmes rapports , les vaiffeaux
tant fur les chantiers qu'en réparation dans
le Port , font pareillement négligés . Les
Sur-Intendans ont fait envain à ce fujet des
repréſentations aux Etats-Généraux . On leur
a répondu tant que l'efcadre Angloife in
tercepteroit la navigation des vaiffeaux de
la Republique , il feroit impoffible de re
médier aux inconvéniens, dont ils fe plaignent.
Le Chevalier Hyder Parker fait ef
pérer à l'Amirauté qu'il fera en état de lui
rendre bon compte des flottes qui reviennent
dans les Ports de cette République ,
comine auffi d'empêcher les Hollandois de
faire parvenir à ces flottes des informations
relativement aux forces dont il a le
commandement , & à fa pofition.
Le Gouvernement a donné ordre de mettre
en liberté les prifonniers de guerre qui
prouveront qu ils étoient Sujets des Pui-:
fances neutres . C'eft en conféquence de cet
ordre que 60 Danois qui étoient dans le
Château de Shrewsbury ont été relâchés.
Le Lord George Gordon l'a emporté fur
fes concurrens à la place de Député au Parlement
pour la ville de Londres. Il vient
d'être nommé. On s'attend que fon fanatifme
( 217 )
me donnera encore quelque fpectacle fcandaleux
à l'Angleterre ; il a demandé du
moins la permiffion de préfenter au Roi un
Ouvrage qui intéreſſe la Religion , & on lui
a fait dire qu'il pouvoit l'offrir à S. M. à
fon lever. En conféquence , il s'eft rendu
le 14 au Palais de Saint-James ; c'étoit la
première fois qu'il y paroiffoit depuis l'illumination
du 6 Juin 1780 ; lorfqu'il s'eft
mis en devoir de notifier à S. M. l'objet de
la miffion , il a eu la mortification d'en
recevoir la réponſe fuivante : Je n'ai rien
à faire ni avec vous , ni avec votre livre.
FRANC E.
De VERSAILLES , le 25 Septembre.
LE 2 de ce mois le Roi a nommé l'Abbé
Radix , Chanoine de l'Eglife de Paris , &
Confeiller de Grand'Chambre du Parlement
de Paris , à l'Abbaye de Notre- Dame de la
Prée , Ordre de Cîteaux , Diocèfe de Bourges
, fur la préfentation de Monfeigneur le
Comte d'Artois , en vertu de fon appanage,
LL. MM. & la Famille Royale ont figné
le contrat de mariage du Comte de Grainmont,
Capitaine du Régiment Dauphin ,
Dragons , avec la Comteffe Eugénie de
Boifgelin , Chanoineffe de Remiremont,
De PARIS , le 25 Septembre .
ON apprend de Breft que les vaiffeaux qui
doivent être réparés , font rentrés dans le
port , & que le 11 de ce mois le Hardi étoit
29 Septembre 1781.
k
( 248 )
?
déja dans le baffin. On croit que l'Alexan
dre , le Lion & l'Indien vont défarmer pour
être mis en flûtes . Selon les mêmes lettres ,
les différens piquets des troupes qui étoient à
bord de l'efcadre , ont été mis à terre pour fe
rafraîchir. Ils feront enfuite incorporés dans
les régimens deſtinés à être embarqués &
dont le complet fera alors de 1800 hommes.
11 y avoit peu de malades fur l'efcadre , &
rien n'empêcheroit d'envoyer aujourd'hui ,
10 ou 12 vaiffeaux , fi on le jugeoit néceffaire.
>
Ce fut le 8 à 6 heures du foir , & non
le 10 , que la Néreide & l'Emeraude qui
avoient été à la recherche du vaiffeau Efpagnol
le Brillant , rentrèrent à Breft après
l'avoir trouvé à l'entrée de la Manche , &.
l'avoir mis fur la voie de l'efcadre de fa nation.
Ces deux frégates rencontrèrent auffi
heureuſement une corvette Efpagnole , qui
cherchoit l'armée combinée , & qui lui apportoit
des ordres de la Cour de Madrid .
Cette corvette a également repris la route
de Cadix.
Le même jour les frégates la Friponne &
la Gloire , ainfi que la Terpficore ,la Tourterelle
, le cutter l'Aigle , & les gabarres la
Porteufe , l'Eclufe & la Payfanne , mirent
à la voile pour convoyer des bâtimens à
Bordeaux.
Les lettres du 1 ne parlent que de l'acti
vité qu'on met dans l'armement des navires
deftinés à transporter nos troupes .
Nous apprenons , écrit-on de Toulon , par
1
( 219 )
un bâtiment qui a touché à Barcelone , que le 3
une frégate Espagnole débarqua dans ce port un
Officier qui prit fur le champ la poste pour fe
rendre à Madrid. On ignoroit ce qu'il alloit annoncer
à la Cour. Les lettres particulières de
l'armée portoient que M. de Crillon ayant été
à la Tour des fignaux , pour reconnoître le Fort
Saint-Philippe , fur bleflé à la tête d'un éclat de
pierre que détacha un boulet tiré du Fort. Le
Général ne faifoit pas beaucoup d'attention à cette
légère contufion ; mais fur les inftances des Officiers
, & d'après le confeil de fes Chirurgiens ,
il s'est déterminé à fe faire faigner. Tous les
canons que les ennemis avoient jettés à la mer
& les navires qu'ils avoient fait échouer , étoient
hors de l'eau & remis à flot , & l'on découvroit
tous les jours des effets appartenans au Roi d'Angleterre
, que le Commandant avoit achetés à
différens particuliers. Il faut que la Place ne foir
pas trop bien approvifionnée , & que les troupes
prévoient & craignent une défenſe pénible ,
qu'elles défertent par bande: on dit qu'il eft déja venu
puif
au camp près de 400 Hanovriens ; le Commandant
les avoit fait fortir pendant la nuit , pour rapporter
dans le Fort beaucoup de choſes qu'il avoit
été obligé de laiffer au dehors le jour de la def
cente des Efpagnols . Au lieu de retourner dans la
Place , les foldats ont mieux aimé paffer dans le
camp ennemi , où ils ont été bien reçus . Quoiqu'il
en foit de cette nouvelle peu vraisemblable , &
que nous ne garantifons point , on leur fait dire
que le Fort eft défendu par 300 pièces de
canons qu'on augmentera jufqu'à soo , & par
60 mortiers. La garnifon n'eft plus actuellement
que de 1500 hommes , & de soo matelots ,
montoient les trois frégates qui s'étoient réfuqui
giées fur les glacis de la Place , où les Espagnols
ont été les enlever ; ainfi tous ces canons & ces
k2
( 220 )
mortiers feront inutiles au Général Murray , s'il
n'a pas plus de bras pour les fervir «.
Les régimens qui paffent à Mahon feront
portés à 1500 hommes , & à Toulon comme
à Breft , on ne choifit pour les augmentations
qui fe font dans les régimens deſtinés à
s'embarquer , que les hommes de bonne
volonté des régimens voifins.
L'arrivée d'un paquebot de Buenos- Ayres , dans
un des ports des Afturies , lit- on dans une lettre de
Cadix , a donné lieu à beaucoup de conjectures , &
nous attendons avec impatience le prochain Courier
de Madrid qui peut être nous inftruira de l'objet des
dépêches que la Cour aura reçues par cet avifo,
Elles piquent d'autant plus la curiofité qu'elles doivent
confirmer ou détruire la nouvelle répandue par
les Anglois de l'apparition du Commodore Johnftone
avec fon efcadre , de ces côtés.
Les cofaires la Victoire , de Dunkerque
& Aigle , de Calais , ont envoyé à Breft
2 prifes qui font entrées dans la rade le 9
à 6 heures du foir ; ce font 2 bâtimens Anglois
fortis de Cork , & chargés de fruits.
Le Roi a accordé à la veuve de M. le
Comte de Broglie , 15,000 liv. de penfion
10,000 à fon fils aîné , & 11,000 que partageront
les deux autres enfans.
Le 19 du mois d'Août dernier,Farotrois heures
au thatin , on a effuyé à Milly en Gâtinois , & aux
environs , un orage affreux , accompagné de rohnerre
, qui , en deux heures a inondé plufieurs
fermes établies fur le haut de la ville de Milly ;
on a vu venir de ces hauteurs plufieurs torrens
de vingt à vingt-cinq toifes de large , croiffant de
moment en moment , & entraînant dans la dans la vallée
quantité d'effets & uftenfiles de campagne ; l'eau
( 221 )
ayant pénétré & fubmergé les maifons du Fauxbourg
de Saint-Pierre , a forcé ceux qui y demeuroient
, d'en fortir avec leurs beftiaux , & d'abandonner
leurs grains & récoltes , qui ont éte prefqu'entièrement
perdus. On ne fauroit peindre la
confufion des premiers momens ; l'alarme étoit générale
, le danger preffant. Plufieurs perfonnes au-
Joient été noyées , fans la préfence d'efprit , la
force & le courage ede quelques autres , même
des principaux
de la Ville , qui font montés à
cheval , & ont enlevé du milieu des eaux des
enfans , des femmes & des malades. - Pour comble
de malheur , le 17 Septembre à 4 heures aprèsmidi
, unfecond orage , plus terrible que le premier,
a achevé de dévaſter le même canton de la Paroifle de
Milly; dans les fermes , tout a été inondé, lebled perdu
dans les granges , toutes les volailles emportées
, quelques beftiaux noyés & plufieurs bâtimens
écroulés ; les torrens qui defcendoient
de
ces fermes , ont tout entraîné ; on ne voit que
des abîmes, tous les chemins font rompus , la
plaire n'eft couverte que de fable , de graviers &
de pierres ; enfin , ce que les habitans du Faux-
-bourg de Saint Pierre avoient préfervé lors du
premier orage, a été détruit par ce dernier , qui
les réduit à la plus affreufe mifere
tant de dé.
faftres n'offrent à ces malheureux
habitans que le
trifte fpectacle de leur ruine , & leur ôte toute
efpérance de forcer la tetre à de nouvelles productions
pendant quelques années.
·
Les infortunées victimes de ce défaftre ont
des droits à la bienfaifance du Souverain ;
nous ne pouvons que les recommander à
la charité publique ; elles n'en font pas
moins dignes que les malheureux habitans
de Veulles qu'un incendie a ruinés . Les dé- .
tails que nous donnâmes de ce triſte évèk*;
( 222 )
nement dans le Journal du 18 Août dernier
n'étoient pas exacts ; un témoin oculaire
nous a fait paffer ceux- ci .
"
2.
» Le 6 Juillet , le feu prit à huit heures trois
quarts du foir , à une maifon fituée au milieu
du bourg , par la négligence d'une femme qui
faifoit lécher du lin dans la cheminée. A dix
heures & demie , le feu s'étant répandu en forme
de croix l'embrafement devint général , fans
qu'on pût y apporter aucun fecours ; chacun s'oc
cupoit de la confervation de fa vie & de fes effets
il n'eût rien épargné fans les fecours trèsprompts
de M. Jollin , Subdélégué à Saint- Vallery
; de M. de Veulles , Garde du Roi ; de M.
Angor , Officier Municipal à Saint- Vallery ; de plufieurs
habitans de cette Ville des Canonniers
Gardes - Cô: es , fous la conduite de l'Inſpecteur de
l'Artillerie ; de M. de Tourrents , Chef de divi.
fion ; M. le Seigneur , Capitaine ; & M. Corelle fils
'Lieutenant . 128 , tant maifons que granges , qui
renfermoient 171 familles , às perfonnes par famille
, ont prefque tout perdu. On a évalué ta
perte au plus bas à 400,000 liv. , fans compter
celle des Fabriquans de Rouen , qui faifoient travailler
pour leur compte. Le Subdélégué fit paffer
le lendemain 1500 livres de pain à ces familles
errantes fur les côtes. Les jours fuivans , le Car
dinal de la Rochefoucault , Archevêque de Rouen ,
l'Abbé de Clerci , Vicaire- Général , &c . leur ont
procuré les fecours les plus néceffaires , &c. «
Une lettre de Bulles nous fournit les détails
fuivans d'un autre incendie.
Le 1 de ce mois , vers les deux heures après
midi , le feu prit au village de Menil-fur- Bulles ,
près Clermont en Beauvoifis , & y a réduit en
cendres cinquante- fix maifons . Ce n'eft que vers
les cinq heures du foir qu'on parvint à couper la
communication des flammes & à préferver le
>
( 223 )
refte du village. Les Cavaliers de Maréchauffée
de Clermont en Beauvoifis , arrivèrent alors , &
donnèrent auffi -tôt des ordres aux Syndics des vil
lages qui avoifinoient le plus celui-ci , pour que
les habitans de chaque Paroiffe fe trouvaffent le
lendemain à cinq heures du matin , avec leurs chevaux
, charrettes , & des tonneaux remplis d'eau
pour achever d'éteindre le feu qui brûloit encore
fous les décombres des maifons . Cependant le 3
de ce mois , on n'avoit pu y parvenir totalelement
cet accident fut caufé par l'imprudence
d'un habitant , qui avoit tiré un coup de fufil dans fa
cour. Le feu du Ciel étoit déja tombé ſur quatre
maifons de ce village le 11 Mai dernier ; & en
une feule année , en voilà 60 de détruites . Deux
hommes ont été bleffés dangereufement , & on
les trouve fi maltraités , qu'on a lieu de craindre
qu'ils ne puiffent fe rétablir «<.
Les évènemens funeftes femblent fe multiplier
depuis quelque tems ; en voici un
qu'on nous mande de Verdun .
» Un loup , probablement enragé , après être
forti des bois des environs de Clermont , & avoir
fait beaucoup de mal aux beftiaux qu'il a attaqués ,
s'eft jetté fur le berger du village d'Autrecourt ,
& après une lutte également terrible & funefte
il a enfin arraché à ce malheureux berger une par
tie de la mâchoire , & lui a fait quantité d'autres
morfures. Cet animal furieux ne l'a quitté
que pour fe jetter fur un enfant . Le berger a encore
eu affez de courage pour voler à la défenfe
de cet infortuné ; il a forcé le loup à lâcher prife
& à prendre la fuite ; mais il a fait beaucoup de
dégâts fur la route mordant hommes & troupeaux.
Arrivé au village de Recourt , il s'eft jetté
fur un berger du lieu , qui l'a combattu longtemps
, & qui enfin a terraffé ce cruel animal , &
,
k 4
1224 1
l'a tué à coups de couteau , fa feule arme. Il l'a
chargé alors fur fes épaules , & l'a apporté à fon
viliage. Malheureuſement ce brave berger a été
mordu à la gorge & au bras ; & on a tout lieu de
craindre , fi l'animal étoit enragé. Le premier ber
ger , plus dangereuſement bleflé , a été tranſporté
chez M. Ponfelin , Chirurgien de M. le Prince de
Condé , qui fe charge de le foigner. Le fecond eſt
à l'Hopital de Verdun «<,
Nous avons rendu compte de l'intrépidité
, du fang froid & de l'intelligence avec
lefquels François Bonnardel , Patron du port
de Vienne en Dauphiné fauva le 25 Juin
dernier M. de Moncamp , Lieutenant des
Maréchaux de France & fon époufe , qui
faillirent à périr fur le Rhône , enfermés
dans leur chaife qui difparut auffi - tôt que
ce brave Patron les en eut retirés . On fait
auffi que le lendemain il s'expofa à de nonveaux
dangers pour chercher la voiture
qu'il retrouva à trois quarts de lieue de
Vienne , & dont il tira un porte- manteau
contenant 6600 livres qu'il rapporta à M.
de Moncamp. La bravoure & Phonnêteté
du Patron viennent de trouver la plus honorable
récompenfe dans les actes fuivans.
» Du Mardi 28 Acût 1781 , à deux heures après
midi , dans la falle de l'Hôtel - de-Ville de Vienne ,
où étoient aſſemblés MM . Jofeph- André Genet de
la Raucoliere , Maire ; J. F. Bouthier , Jofeph-
Louis Lambert , Jacques Petrequin & Pierre Bert ,
Echevins . François Bonnardel , Patron fur le
fleuve du Rhône , réfidant en cette ville , a préfenté
aux Officiers municipaux la Lettre que lui a écrite
l'Intendant de cette province , en date du 24 de ce
-
225 )
mois , avec une Ordonnance qui lui affure de la
part du Roi une penfion annuelle & viagère de 100
liy. pour gratification , & en récompenfe de l'action
courageule par laquelle il a fauvé, la nuit du 25
Juin dernier , plufieurs perfonnes diitinguées , du
naufrage dans le fleuve du Rhône , pour lors débordé,
& auquel il venoit lui- même d'être expofé ,
s'étant heureufement échappé dans un frêle bateau
& au premier cri de fecours jetté par les fufdits
naufragés , n'ayant pas craint de courir de nouveaux
rifques pour les tirer des flots. Nous empreffant
de confacrer à jamais un monument auſſi mémorable
d'un courage héroïque & plein d'humanité d'un de
nos toncitoyens , ainfi que de la bienfaiſance d'un
Roi , vraiment père de fes peuples , & à qui on
pourroit décerner d'avance le furnom de Bienfaifant
, & de l'empreffement de l'Intendant à procurer
des récompenfes au mérite & à la vertu , nous
avons unanimement arrêté que les fufdites Lettre
& Ordonnance feront enregistrées , pour y avoir
recours le cas échéant ; que l'évènement dont il
s'agit , & copie de la Lettre relative , feront envoyés
aux Rédacteurs des Papiers publics «< ,
La lettre de l'Intendant de Grenoble eft
du 24 Août & conçue ainfi. Multarant
"
Patron Bonnardel. » La belle action que vous
avez faite le 25 Juin dernier , au moment du naufrage
des fieur & dame de Moncamp , m'a paru
merveilleule, à caufe des circonftances qui l'accompagnèrent
, que je ne vous diffimule pas la
peine que j'ai eue à y ajouter foi ; mais les témoi
gnages avantageux qui m'en font venus de toutes
parts , m'ont paru fi pofitifs , qu'il ne m'a pas été
permis de douter que vous ne fuffiez un des plus
braves hommes de votre profeffion. Je n'ai plus
alors héfité d'en rendre compte au Miniftre du Roi ;
& Sa Majesté , après avoir admiré l'excès de votre
courage & de votre intelligence , dans la belle maks
( 226 )
-
noeuvre que vous avez fi heureuſement exécutée ,
me fait ordonner de vous en témoigner fa fatisfaction
, & de vous affurer , pour tout le cours de
votre vie , une penfion annuelle de 100 liv. Je me
hâte de vous adreffer l'Ordonnance en vertu de
laquelle vous en toucherez fur le champ la première
année , & de vous affurer de toute la fatis faction
que j'éprouve de me voir , dans cette occafion ,
l'organe des volontés d'un Maître adoré , qui fait fi
bien honorer le mérite & récompenfer la vertu .
Dans mon prochain voyage à Vienne , je me ménage
deux grands plaifirs , celui de voir finir le pont
de la Gère , & plus encore celui de faire connoiffance
avec le brave Bonnardel , dont le nom illuſtre
la Patrie ; il y fera plus durable que le beau mo
nument auquel nous travaillons depuis fi long - tems .
Signé , PAJOT DE MARCHEVAL , & c. Vu la
lettre à nous écrite le 16 Août dernier , par ordre
exprès de S. M. , en confidération de la belle &
mémorable action du Patron Bonnardel , dans une
manoeuvre qu'il a exécutée fur le Rhône le 25 Juin
1781 , & dont le fuccès a fauvé la vie à plufieurs
perfonnes diftinguées. Nous ordonnons au fieur
Geoffroi d'Affy , Caiffier de la caiffe commune des
Recettes générales , ou au fieur Faure fon Commis ,
fervant près de nous , de payer , des fonds libres
de la capitation de la préfente année , au nommé
Bonnardel , Patron fur le Rhône , la fomme de 100
livres , pour la première année de la gratification
annuelle que S. M. a bien voulu accorder audit
Bonnardel , en récompenfe de l'action courageuſe
& mémorable qu'il a faire , en retirant plufieurs
perfonnes du naufrage arrivé fur le Rhône le 29
Juin dernier ; & en rapportant par ledit fieur Geof
froi d'Affy la préfente Ordonnance , ladite fomme
de 100 liv. lui fera paffée & allouée par- tout cù il
appartiendra
( 227 )
Le Penfionnat du Collège de la ville d'Eu , dont
nous avons annoncé le Profpectus & le règlement
dans notre Journal de l'année dernière , n'eft point
un de ces établiſſemens qui n'ont qu'une exiſtence
paffagère le zèle de MM. les Adminiftrateurs
du College & les travaux de MM. les Profeffeurs
ont répondu aux vues fages de S. A. S. Monfeigneur
le Duc de Penthievre , & de S. E. Monfeigneur
le Cardinal de la Rochefoucault , qui en
font les protecteurs. Les penfionnaires ont été trèsbien
tenus. Les exercices publics ont mérité l'ap
plaudiffement des perfonnes les plus diftinguées,
M. le Comte de Lannoi , Lieutenant Général des
Armées du Roi , Gouverneur & Commandant de
la Ville & Comté d'Eu , a honoré de fa préfence
celui de la diftribution générale des Prix ,
& a couronné les jeunes vainqueurs. La penfion
n'eft que de 300 liv. pour l'année fcholaftique. Le
Règlement ou Profpectus du Penfionnat fe diftribue
gratuitement au Collége , & M. le Principal
f'envoie aux perfonnes qui le lui demandent. La
rentrée fe fera dans les premiers jours d'Octobre.
On a fait dernièrement à Saint- Severin la
cérémonie annuelle de la diftribution du
Prix inftitué par M. Artau , & appellé
Loterie des Filles fages. Des perfonnes refpectables
ont fecondé le zèle du Curé , &
fe font réunies à lui pour augmenter la
récompenfe qui étoit deſtinée à la vertu.
pu-
L'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts d'Amiens , dans fon Affemblée
blique du 25 Août dernier , a proposé pour
fujet du Prix qu'elle doit diftribuer le 25
Août 1783 , l'Eloge de Greffet. Le Prix eft
une médaille d'or de la valeur de 300 livres.
Les ouvrages feront adreffés, francs de port ,
k 6
( 228 )
avant le premier Juillet , à M. Baron , Avo
cat , Secrétaire perpétuel de l'Accadémie.
L'Académie Royale des Belles -Lettres , Sciences
& Arts de Bordeaux , avoit , cette année , deux
Prix à diftribuer : un extraordinaire d'une fømme
de denx mille livres , dont M. l'Intendant & un
Citoyen eftimable ont contribué à former les
fonds ; & le Prix courant fondé par M. le Dac de la
Force , confiftant en une médaille d'or de la valeur de
trois cents livres. Elle avoit deftiné le Prix
extraordinaire à l'Auteur qui propoferoit le moyen
de prévenir , dans l'ufage ordinaire d'allaiter les
Enfans-Trouvés , les dangers qui en résultent ,
foit pour ces Enfans , foit pour leurs Nourrices ,
& par une fuite néceffaire , pour la population
en général ; ou bien qui indiqueroit la Méthode
la meilleure , & en même temps la plus économique
, de fuppléer au lait de femme pour la
nourriture de ces Enfans. Et le fecond , à cette
queftion Quels font les Infectes qui attaquent
les différentes efpeces de Vignes , foit dans le
temps de la durée totale de cette Plante , foit
dans les différentes époques de fa végétation ?
Et quels font les moyens les plus fimples & les
plus efficaces de les détruire , & de remédier à
leurs effets deftructeurs ? -1°. Quand cette
Compagnie propofa le premier de ces deux fujets ,
elle vit , & ne fe diffimula point toute l'étendue
de l'obligation que le bien de l'Etat & l'intérêt
de l'humanité lai prefcrivoient également , lorf
que le temps feroit venu de difpenfer la Couronne
, & d'apprécier les moyens qui lui feroient
propofés pour remplir les vues ; elle fentit qu'alors
tout lui feroit un devoir de ne point s'arrêter
à de fimples probabilités , à de pures ſpéculations
, & même de s'expofer au reproche ( fi elle
pouvoit le craindre ) , de réferver trop fréquem(
229 )
-
ment la diftribution de fes Prix , plutôt que de
courir le rifque de compromettre un des intérêts
les plus effentiels de la Société , en confacrant ,
par fon fuffrage , une méthode d'allaiter les Enfans
- Trouvés , dont rien ne garantiroit la sûreté
& les avantages . Auffi avoit- elle prévenu les Auteurs
qui voudroient entrer en lice , qu'elle n'accueilleroit
aucun des moyens qu'ils auroient à
propofer , qu'autant qu'ils feroient établis fur
l'expérience , & que les fuccès en feroient bien &
duement certifiés . Aucun des Auteurs dont l'Académie
a reçu les ouvrages , n'ayant rempli cette
condition , elle eût été en droit de leur fermer
dès aujourd'hui le concours. Mais entraînée , &
par l'importance du fujet , & par le defir de contribuer,
autant qu'il eft en elle , à la recherche
d'une découverte pour laquelle tant de voeux fe
réuniffent depuis fi long-temps , elle a feulement
fufpendu de prononcer fur les Pièces qui lui ont
été envoyées ; & affumant fur elle l'obligation
que leurs Auteurs ont négligée , elle a voulu faire
faire fous les yeux l'effai des méthodes qui , parmi
celles que la Médecine & la Chymie même
fe font empreffées de lui préfenter , lui ont paru ,
au premier coup d'oeil , les plus praticables & les
moins fujettes à inconvénient ( 1 ) . Dès - lors elle a
vu ainfi fon engagement s'agrandir , & naître le
befoin qu'elle avoit pour elle -même , d'une prolongation
de délai , qui lui donnât un temps ſuffifant
pour interroger l'expérience , & pour recevoir
des éclairciffemens qu'elle a cru devoir demander
fur quelques ufages étrangers qu'on lui ci-
( 1) M. PIntendant , par une fuite de cet amour pour le
bien public & de ce zèle qui le portèrent à contribuer à la
formation de ce Prix , a bien voulu , étant , cette année ,
Directeur de l'Académie , lui procurer auffi & lui facíliver
les moyens de faire ces effais .
( 130 )
toit. Elle a donc remis la diftribution de ce Priz
au 25 Août 1785. Cependant ne voulant pas pro .
fiter feule de ce nouveau délai qu'elle prend , &
défirant y faire participer , foit les Auteurs qui ont
déja concouru , foit tous autres qui voudroient
encore le mettre fur les rangs , elle les avertit
qu'elle recevra les Supplémens , Corrections , ou
nouveaux Mémoires qu'ils voudront lui envoyer,
jufqu'au premier Août 1782 , exclufivement ; les
renvoyant , au furplus , pour l'énoncé de la Queftion
, le développement des motifs qui la firent
propofer , & les conditions impofées aux contendans
à fon Programme du 19 Mars 1778 .
2º. A l'égard du fecond fujet , l'Académie n'ayant
reçu aucun Ouvrage qui le concernât , elle a été
obligée d'en réserver le prix , & elle l'a réuni aux
deux mille livres deftinées à la queftion concer
nant l'allaitement des Enfans- Trouvés , pour ajou
ter par là une marque honorable à la récompenfe
promife à celui qui l'aura réfolue de la manière la
plus fatisfaifante.
-
L'Académie propofe pour l'année 1782 , 19. un
prix double , réfervé en 1779 : Existe-t - il quelque
indice fenfible qui puiffe faire connoître aux Obfervateurs
les moins exercés , le temps où les.
Arbres , & principalement les Chênes , ceffent de
croître , & où ils vont commencer à dépérir ? Et
ces indices ( à fuppofer qu'il y en ait ) , ont- ils
généralement lieu , & affectent - ils néceſſairement
les Arbres , dans quelque forte de terreins qu'ils.
foient venus ? 2º. Un prix fimple réſervé en
1780 : 1°. Quelle eft la loi hydraulique , qui
en fixant la hauteur d'eau néceffaire pour le jeu
des Moulins , préferveroit les fonds riverains
d'inondation ; & , s'il n'exifte point de loi pareille
qui puiffe être générale , & s'appliquer à
toutes les différentes espèces de Moulins à eau ,
placés fur quelque rivière que ce foit , quelles:
22
( 231 )
font les loix particulières qui conviendront à
chaque efpèce ? ..... 2 ° . Les circonstances dupoids
de l'eau , de fon volume , & de fa pente étant
données , de quelle efpèce doit être un Moulin ,
pour produire le plus grand effet ? 3. Pour les
Prix courant : L'Eloge de M. de Montesquieu.
:
4°. Pour un Prix extraordinaire de trois cents
livres Indiquer les Ouvrages qui traitent du
Lecti Minctio ( incontinence d'urine pendant la
nuit ) ; quelle eft la caufe , ou manifefte ou cachée
de cette infirmité ; quels en font les principes
, qu'elle foit habituelle ou par périodes régulières
, ou à des intervalles inégaux ; quels
font les différens remèdes qui ont été proposés
pour la guérir , & ceux enfin qu'une expérience
conftante peut faire regarder comme Spécifiques.
Pour l'année 1783. Un Prix fimple , réſervé
de 1777 & 1780 Comment la ville de Bor.
deaux tomba au pouvoir des Romains ; & quels
furent , fous leur domination l'état , les loix
les moeurs de fes habitans. Les Prix fimples
& ordinaires , fondés par M. le Duc de la Force
font une Médaille d'or , de la valeur de trois cents
livres les doubles font compofés d'une pareille
Médaille , & de trois cents livres en argent .
:
--
L'Académie ne reçoit les Pièces au concours que
jufqu'au premier Avril de chaque année , lorfqu'elle
n'a pås fixé d'autre terme aux Auteurs. Elle rejette
celles qui font écrites en d'autres langues
qu'en françois ou en latin , & celles dont les Au
tears fe font connoître , ou directement , ou indirectement.
Les Paquets feront affranchis de port ,
& adreffés à M. DE LAMONTAIGNE , Confeiller au
Parlement , & Secrétaire perpétuel de l'Académie.
Les perfonnes qui confervent depuis long-tems
dans leurs mains des polices & coupons d'actions'
fur l'armement de MM. le Séfne & Compagnie , fans
avoir fait remettre le montant dans aucunes des
caiffes préposées par ces Armateurs , à Paris & dans
( 232 )\
les Provinces , pour la sûreté & la facilité des foufe.
cripteurs , font inftamment priées de vouloir bien
renvoyer , le plutôt poffible , ces polices & coupons
auxdits fieurs le Séfne & Compagnie , rue Bailleul ,
à Paris , qui leur repréfentent de nouveau que leurs
difpofitions actuelles ne s'accordent point avec
l'augmentation d'aucun Actionnaire ; à moins qu'il
ne fut queſtion d'un furcroît de mife , qui ne pour
roit être refufé , & qu'ils attendent la rentrée de ces
polices & coupons pour achever le tableau des
intéreffés à cet armement , & faire paffer à chacun
d'eux un précis de l'expédition avantageufe dans
laquelle leurs fonds font employés . Jufques- là ils
peuvent feulement affurer que ce tableau ne fera
représentatif que de 50 à 60 mille livres , & que
leur intérêt particulier comme Armateurs , eft
aujourd'hui au- deffus de 200,000 livres dans l'expédition
totale , évaluée d'abord à 2 millions. Retenus
par les bornes du Journal , ils fe font un devoir
d'en offrir chez eux les plus amples connoiffances
aux Intéreffés , ainfi que des difpofitions qui feront
ultérieurement prifes ..
Charles , Comte de Broglie , Marquis de
Ruffec , Seigneur de Canchie , & c. Lieutenant
Général des Armées du Roi , Chevalier
de fes Ordres , Gouverneur de Saumur,
& du Saumurois , Commandant en chef
pour le Roi dans la Province de Franche-
Comté , & précédemment Ambaffadeur extraordinaire
de Sa Majesté auprès du Roi
& de la République de Pologne , eft mort
à St-Jean- d'Angely le 16 du mois dernier.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
royale de France du 17 de ce mois , font
42 , 75 , 62 , 49 , 18.
Seiva
72331
酱
'De BRUXELLES , le 25 Septembre.
SELON lés lettres de Hollande le Stadhouder a
été au Texel faire la revue de l'efcadre qui y
étoit affemblée, & qui a mis à la voile le 11 de
ce mois ; elle a dû être jointe par les vaiffeaux
qui étoient au Vlie ,& les navires marchands
qui fe rendent dans la Baltique. Comme la
divifion de la Meufe avoit mis en mer le
10 à fix heures du foir , on ne doute point
qu'elle ne l'ait encore renforcée ; les Hollandois
en préfentent le tableau fuivant :
Le Prince Guillaume , de 74 canons ; le Sud-
Bevelaud , de 64 , la Princeffe - Royale , & le
Glinthorst , de 54 ; l'Amiral de Tromp , de so ;
& les vaiffeaux de la Compagnie des Indes le
Schoonderloo , llee GGaannggeess , le Zee- Paard , le
Holland , le Voorberg , le Zeeuw , le Both , le
Java , de so. Le Phénix , de 44 ; le Jafon , la
Bellone , d'Amfterdam , le Zéphir , le Médenblick,
la Concorde , la Thétis , de 36 ; la Vigilance &
l'Ajax , de 24 ; la Bellone , de la Meule , de 20 ;
Expédition , de 18 ; le Dauphin , de 16 ; le
Kemphaan , la Promptitude , l'Espion , de 12. En
tour 28 bâtimens de différentes grandeurs ; ils font
fous les ordres du Contre-Amiral Van-Braam .- Selon
des lettres d'Amfterdam , on travaille avec beaucoup
d'ardeur dans les chantiers de cette Ville , d'où il
fortira bientôt un vaiffeau de 74 canons , 2 de
64, & un de 44.
L'affaire de la Ville d'Amfterdam avec le
Duc de Brunſwick n'eft pas encore près de
fe terminer ; les principales Villes de Hollande
& de Weftfrife ont déja donné leur
avis , & la plupart tendent à juftifier la dé
marche de la Ville d'Amfterdam . Le Quar7234
tier de Weftergo a fait les propofitions fuivantes
à l'affemblée des Etats de Weftfrife."
Le Quartier de Weftergo le voit indifpenfa.
blement obligé , à raison de la fituation critique
où notre Pays fe trouve , de donner férieuſement
en confidération aux Quartiers : Qu'attendu qu'il eft
plus que fuffifamment connu à chaque Membre de
l'Etat qu'il règne parmi les bons Citoyens , tant
grands que petits , une méfiance & un mécontentement
univerfel , relativement à la direction prin.
cipale des affaires , fpécialement à caufe de l'admi
niftration défectueufe de la matine de la Répu
blique ; méfiance & mécontentement auxquels la
façon d'envoyer en mer des vaiffeaux , un à un
& la difperfion d'une partie confidérable des forces
navales de l'Etat , peu de jours avant que l'Angle.
terre déclarât publiquement la guerre à la Repu
blique , paroiffent malheureufement , ainfi que divers
autres évènemens arrivés avant & après , n'avoir
que trop contribué ; que de cette défiance & mécontentement
, il eft réfulté une haine à - peu près
générale contre la perfonne & le ministère du
Seigneur Duc de Brunswick , qui , comme Confeiller
de S. A. le Seigneur Prince Stadhouder-Héréditaire ,
eft foupçonné être la caufe principale de l'admi
niftration défectueufe des affaires ; que de cette
défiance & mécontentement des bons habitans , on
peut craindre les fuires les plus funeftes pour le
repos public & pour la conftitution légitime de
cet Etat , qu'il eft du devoir de tout Régent bien
intentionné de travailler à prévenir , autant qu'il
lui eft poffible . Le fufdir Quartier de Weftergo
repréſente fi , en conféquence , il ne feroit pas à
propos de mettre , par une miffion , lefdites obfer
vations fous les yeux de S. A. le Seigneur Sta
dhouder -Héréditaire , & de témoigner que L. H. P. ,
pour prévenir les fuites pernicieufes qui font à
craindre de cette défiance & de ce mécontentement
V 335 Y
des habitans en général , foit pour la tranquillité
publique , foit pour la conftitution légitime de
l'Etat , ne peuvent fe difpenfer de fupplier , de la
manière la plus affectueufe & la plus preffante ,
S. A. S. de vouloir perfuader , de la manière la
plus efficace , le Seigneur Duc de Brunſwick de ne
plus le mêler de la direction des affaires , & de
quitter la République .
S'il faut en croire quelques lettres d'Amfterdam
, le bruit fe répand que le Duc de
Brunswick paroît décidé à faire un voyage
en Pays étranger. Les uns , ajoutent ces
lettres , attribuent cette réfolution à un motif
de fanté , les autres à quelque confidé .
ration politique.
La guerre actuelle a donné lieu d'examiner
en Angleterre l'origine & la nature
des liaifons politiques qui fe rencontrent
entre cette Puiffance & la Hollande. On
à fait auffi le même examen en Hollande ,
& à quelques obfervations qui fe reffentent
des préjugés Britanniques , on a oppofé celles-
ci .
• "5
Quand les Pays-Bas s'élevèrent fièrement contre
la tyrannie Espagnole , qu'après avoir effayé leurs
forces , ils crurent devoir le déclarer indépendans ,
l'Angleterre leur donna les mêmes fecours qu'elle
reproche actuellement à d'autres Puiffances d'avoir
donné aux Américains . Elle foutint d'abord par
des fecours fecrets , enfuite par une alliance publique
, les rebelles des Pays- Bas contre leur légitime
Souverain. It eft vrai que les Belges fe plaignoient
d'être les objets de la tyrannie des Espagnols ;
mais les Américains ne forment ils pas les mêmes
plaintes à l'égard de la G. B. ? Elle affure que les Américains
ne font pas dans le cas d'oppreffion ; les Elpagnols
affuroient auffi la même choſe à l'égard des Bel
·
( 236 )
mers.
---
ges, Ainfi commencèrent les liaiſons Angloifes avec la
République. Belgique , dont l'indépendance fut re
connue folemnellement à la Trève de 1609 ; enfin
, fans retour & fans restriction , à la Paix de
Munfter , par la feule Puiffance qui pouvoit la lui
contefter. A peine la République des Pays- Bas
Unis commençoit à refpirer , après une guerre de
80 ans , qu'elle trouva fon plus grand ennemi dans
l'Angleterre Depuis 1650 jufqu'en 1674 , ces deux
Etats maritimes furent prefque toujours engagés
dans des guerres ces guerres furent les plus vives
& les plus fanglantes qui jamais ont eu lieu fur les
Ce fut l'ambition de Louis XIV & la
politique de Guillaume III , qui cimentèrent la
nouvelle Union des deux Etats . Guillaume , deventi
Roi de la Grande-Bretagne , en détrônant fon beau.
père , les réunit , pour ainfi dire par l'impulfion
uniforme qu'il donnoit d'un côté en qualité de
Stadhouder. Les deux Etats n'avoient alors que
le même intérêt , l'abaiſſement de la Paiffance
Françoife ; mais ce Prince , plus fublime dans fes
projets , qu'heureux dans l'exécution , prefque toujours
infortuné dans les opérations militaires ,
mourut avant d'avoir atteint au combles de fes
vaux. Les ligues qu'il avoit formées , achevèrent ce
grand ouvrage au - delà de fes efpérances . Et la
Paix d'Utrecht , quoiqu'elle laifsât un Prince de
la Maifon de Bourbon fur le Trône d'Espagne ,
concilia les chofes de façon que la France n'a
plus , dans la fuite , offert à l'Europe la Puiffance
redoutable de Louis XIV . L'Angleterre s'attribue
toute la gloire de ce fuccès quoique fes alliés
n'y aient pas eu moins de part qu'elle , & que le
Prince Eugène ait bien autant fait que le Duc de
Marlboroug. La Paix d'Utrecht eût même été
plus avantageufe , fi l'Angleterre n'avoit été la
première à abandonner fes alliés , Las pofition de
la Grande - Bretagne , relativement à la France ,
femble en faire deux éternelles ennemies. Ce feroit
( 237 )
donc fon intérêt de ménager la Hollande ; mais
les intérêts du commerce , fouvent plus puiffans
que ceux de la politique , n'ont ceffé d'élever des
orages entre deux Nations que bien des motifs
devroient réunir. On dit que s'il étoit poffible
-
de former une Union folide entre l'Angleterre &
la Hollande , ces deux Etats auroient toujours une
influence décidée fur la France. C'eft fans doute
cette fauffe politique qui porta la Hollande à s'engager
dans la guerre de 1740 ; mais qu'en est - il
rétulté ? La Grande - Bretagne fut- elle en état de
défendre fes alliés ? Les François ne forcèrent - ils
pas leurs barrières , ne furent ils pas fur le point
de pénétrer jufques dans le fein de la République,
Cette invafion lui caufa un dommage qui n'eft pas
encore réparé ; & bien loin d'y gagner , les Anglois
y perdirent beauconp ; car pour forcer les
François à quitter le territoire de leurs alliés , ils
furent obligés de leur céder les conquêtes qu'ils
avoient faites fur eux en Amérique. C'est donc une
politique erronée que de fuppofer qu'il y a une
alliance naturelle entre l'Angleterre & la Hollande.
Iladevrait fans doute y avoir une alliance éternelle
entre la Hollande & tous les Etats de l'Univers '
car la guerre eft le plus grand des fléaux pour un
Etat maritime & commerçant. A confidérer les
chofes fans partialité , les Hollandois font auffi intéreflés
à ménager l'alliance de la France , que celle
de l'Angleterre. Il s'élève actuellement une nou
velle Puiffance dans le monde politique. C'est la
tyrannie ou la démence de la Grande-Bretagne qui
lui a donné naiffance : elle fe forme de les débris .
N'eft -ce pas dans l'Angleterre un excès de folie
que de provoquer les plus grandes Puiffances maritimes
de l'Europe ? Ne font - elles pas alors intéreffées
à cimenter l'établiſſement de cette nou̟-
velle Puiffance ? L'Amérique ne devient - elle pas ,
partoutes les circonftauces de la jonction & des
intérêts réciproques , l'allée naturelle des Provinces
Unies ?
,
( 238 )
On apprend de Fleffingue , que le cor
faire François le Sans- Peur , Capitaine
Fall , qui , après avoir foutenu pendant
quelques heures un combat très-vif contre
deux cutters Anglois , s'étoit retiré dans
cette rade , vient de metre en mer pour
continuer fa croiſière .
ERRATA. Les détails que nous avons donnés
dans le Journal du 15 de ce mois de la léance de
la Société Royale de Médecine , du 25 Août , réparent
les omiffions faites dans le compte que nous
avions déja rendu de cette même féance dans le Journal
précédent du 8 du même mois . Il s'y eft gliffé
quelques fautes d'impreffion aifées à corriger. Par
exemple , en parlant de M. Faurot Docteur en
Médecine , on lit : Appellé auprès de plufieurs
perfonnes mordues par un chien enragé , il les
a faignées avec autant de défintéreſſement que de
fuccès ; il faut lire , foignées ."
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du 17 Septembre.
» L'Amirauté a reçu avis de l'un de fes Réfidens
dans le Nord , qu'une quantité confidérable d'artil- .
lerie & d'autres munitions a été embarquée depuis
peu , à bord des vaiſeaux Suédois , Danois & Pruffiens
, ce qui eft contraire aux articles pofitifs de
leurs propres traités , & que ces bâtimens doivent
mettre à la voile fous peu de jours. En conféquence
le Commodore Keith Stewart a reçu ordre de veiller
avec le plus grand foin fur eux s'il les découvre,
de les envoyer dans nos Ports
Hier au foir , un exprès a apporté à l'Amirauté
la nouvelle de l'arrivée de so bâtimens venant
de la Baltique , à la rade de Yarmouth ,
ces vaiffeaux
font fortis du Sund le 4 , & s'étoient féparés
il y a quelques jours des vaiffeaux deſtinés pour
Leith & Hull. Cette flotte compofée de 150 voiles
étoit eſcortée par deux frégates.
( 239 )
Une lettre de Saint-Chriftophe , du 30 Juillet ,"
porte en fubftance que le Général Waughan va
retourner en Angleterre , & que l'Amiral Rodney
fe prépare à fe rendre à une deftination ignorée fur
un feul vaiffeau. Il y eft dit auffi , que 15 vaiffeaux
ont ordre d'aller joindre l'Amiral Digby en Amérique
, & que l'Amiral Hood en prendra le com.
mandement. Le mauvais état de la fanté de l'Amiral
Rodney , fait préfumer qu'il revient en Angleterre.
Le retour de cet Amiral fe confirme de plus en plus,
Il revient dit-on avec le Général Waughan fur la
frégate le Borée.
Le paquebot le Dafchwosd , nous a appris que
la flotte des Ifles a mis à la voile pour l'Angleterre
le premier Août. Cette flotte peut arriver du 25 au
30 Septembre.
dis
Le Général Washington a établi fon quar
tier de Dobbs ferry à Broux à 2 mille de Kingsbridge.
On dit qu'il y attend l'arrivée de l'efcadre de M.
de Graffe pour attaquer New Yorck par terre , tanque
celui- ci en fera autant du côté de la mer. On
affure que 24 pilotes côtiers d'Amérique ont appareillé
de Rhodes-Iſland pour les Ifles Françoifes,
Les dernieres lettres de New - Yorck difent que lè
Chevalier Clinton ne craint rien pour cette place ,
& que fi Washington l'attaque , c'eft pour cacher
quelqu'autre projet. En effet elle eft actuellement fi
bien défendue , qu'il n'y a pas d'apparence qu'on là
puiffe prendre. D'autres affurent que le Général
Clinton eft dans l'intention de préfenter le combat
aux ennemis s'ils approchent trop près de New-
Yorck. On dit qu'il a 18,000 hommes effectifs.
Les partifans les plus déclarés du Miniftre conviennent
que New Yorck eft dans la fituation la plus
critique , & ils tremblent du fort qui femble menacer
cette ville . Les habitans de la Caroline ont prouvé
clairement qu'il faut peu compter fur la foyauté &
fur l'amité des Américains , toutes les fois qu'il
s'offre quelqu'occafion de favorifer les vues du
( 240 )
Congrès ou leur fyftême d'indépendance. Nous
avons tout lieu de mettre la plus grande confiance
dans la vigueur & dans l'activité du brave Rodney .
mais fi le Comte de Graffe & le Général Washington
inveftilent conjointement New - Yorck quelques
jours avant l'arrivée de l'Amiral , comme la chofe
eft très- probable , il ne faudra rien moins que tour
les talens reconnus du Général Clinton pour réfifter
aux efforts réunis d'une attaque par terre & par mer
& aux intrigues fourdes des ennemis prefque publics
du Gouvernement , dans la ville même.
-
Le Fort Stanwix a été certainement évacué ou
détruit par les Rebelles , qui ont abandonné tous
leurs établiffememens fur la partie fupérieure de
la rivière Mohauk. Ces jours derniers , il eft
arrivé ici plufieurs bâtimens de Penſacola. La flotte
partie de cette place pour notre port , & à bord
de laquelle font les troupes & les habitans de Penfacola
, confifte en 15 voiles. Le refte eft attendy
à toute heure. On dit qu'un Officier fubalterne a
été détaché de Penfacola pendant le fiége , avec
un parti pour prendre pofte dans un petit Fort
près de la Nouvelle- Orléans , & que quoiqu'il ait
été attaqué vivement par les Efpagnols , il ne s'é
toit pas encore rendu lors du départ de la flotte.
On écrit de Gorée que le navire le Jofeph &
Mary , Capitaine Anderfon a été brûlé pendant la
nuit par les Naturels , tandis que l'équipage dormoit.
Le navire a été entièrement confumé , &
tous les gens ont péri , à l'exception du Capitaine
& de trois hommes qui fe font fauvés à terre &
qui ont manqué d'être maflacrés avant de pouvoir
gagner le Fort,
Le fieur Keliy a trouvé un fecret pour mettre
le feu à un vailleau à une diſtance donnée. Le
Bureau de l'Artillerie , à qui il a fait part de cette
découverte , n'en a point voulu profiter , par la
railon que les inventions tendantes à la deftruc
tion de l'efpèce humaine , font déja trop nom ,
breuſes,
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTENANT
Le Journal Folitique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & l'Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Laufes célèbres ; les Académies deParis & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI I SEPTEMBRE 1781.) DU
i
100
PALAIS
ROYAL
ERLION
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
STOR
BRA
Avec Approbation & Brevet du Roi
TABLE
Du mois d'Août 1781 .
PIÈCES
FUGITIVES .
Les Caprices ou la Mer
Fable ,
Saint - Mérice & Camille
Anecdote ,
De la Pulmonie , defes fymp
tômes , &c,
Théâtre de Société ,
.
Les Partraits , & c.
3
,
༨
49 Lettre aux Auteurs du Merc.
Quatrain à Mde la Com efe
d'Erout.
118
150
114
Efai fur la Mineralogie des
165 Pyrénées ,
Memore pour fervir à l'Hif
toirede la Révolution opérée
Ode à Mde de Querl *** , 97
dans la Mufique ,
Epitaphe d'un Financier , 102 Conjuration -
13
145 Idylle .
L'Ae Verd, Fable, 149 .
Enigmes & Logogryphes , 16 ,
175
des Epfagnols
contre Venifes
SPECTACLES.
178
Dialogue entre un Amateur &
53 , 102 , 153 un Comédien ,
NOUVELLES LITTER.
Eloge de Louis Dauphin de
321
39
Comédie Françoife , 45 , 94 ,
132 , 185
VARIÉTÉ S.
133
sf Lettre aux Auteurs du Mer
cure , 136
France , père du Roi , 18 Comédie Italienne , 46 , 95 ,
Du déplacement des Mers ,
Mémoires deFanny Spingler 36'
Jocafle , Tragédie,
Efai fur les Principes de la
Greffe ,
Nouveaux Effais fur la Nobleſſe
, 104
Le Page , Comédie , 116
Eloge de Claude -Jofeph Dorat
,
86 SCIENCES ET ARTS .
Procédé pour retirer l'Ar in
flammable des Méraux , 140
Invention du Sr Verret , pour
les Moulins à Sucre , 186
123 Gravures 46 , 142 , 190.
Mylord d'Ambi , Hiftoire An- Annonces Littéraires , 47 , 96 .
gloife
127
143 , 191
A Paris , de l'Imprimerie de MCHEL- LAMBERT
rue de la Harpo , près S. Côme , 178 1 .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I SEPTEMBRE 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Docteur PONS ART , Médecin
Confultant de LL. AA . Celfiffimes les
Princes de Liége & de Stavelot , & c .
A¯ï qui , parcourant une route inconnue ,
D'un Art cher aux humains embraffes l'étendue ,
Reçois avec bonté l'hommage de mes vers :
Il prélude à celui que te doit l'Univers.
En réglant tes deftins , la prodigue Nature ,
De fes plus riches dons , te combia fans mefure ;
Elle n'attendit pas que , fous le faix des ans ,
La vieilleffe courbât tes membres languiflans :
Par fon rare bienfait , au printemps de ton âge ,
Des maîtres de ton Art ta ravis le fuffrage.
Cette hydre qui , de l'homme enviant les plaiſirs ,
A ij
4
MERCURE
S'abreuve , fe nourrit de pleurs & de foupirs ,
La goutte , fous tes coups demeure anéantie.
Heureux par tes vertus , heureux par ton génie
Que pourroit contre toi le dépit des jaloux ?
Tes fuccès te mettront à l'abri de leurs coups ;
Et tes Écrits , connus jufqu'à l'autre hémisphère ,
Etoufferont bientôt leur clameur téméraire.
En écartant les maux de la fociété ,
Tu marches à grands pas vers l'immortalité.
Chez nos derniers neveux , étonnés de ta gloire
Le refpe&t & l'amour défendront ta mémoire.
O vous ! qui de la goutte éprouvez les rigueurs ,
Ponfart peut feul de l'Hydre étouffer les fureurs ;
Contre-elle il a par-tout des armes toujours prêtes :
Il ne la bleffe point , il abat fes cent têtes.
不需
( Par A. F. de Villers , ** Licentié ès Droits ;
Échevin de la Haute Cour de Malmedy. )
* Un Prince Étranger , vexé d'une goutte vague & habituelle
, eſt venu exprès du fond de la Pologne , ſe mettre
entre les mains de M. Ponfart , qui lui a procuré une
guériſon radicale l'an 1772 .
** Il a été témoin , il y a deux ans , de la guériſon
radicale de deux perfonnes , qui depuis n'ont plus reffenti
la moindre atteinte de goutte.
- DE FRANCE.
ROMANCE.
E -VI-TIZ , fen fi- bles Berge- res , Surtout
le foir , Les bois , les vallons fo- litaires,
Quand il fait noir. C'eft-là fouvent
qu'un Dieu vo- lage Dans un dé-
A iij
MEIR CURE
-
tour , Fait é-prou ver fon ef- cla- va - ge ;
Craignez l'Amour, Sur- tout le foir , Quandil
fair noir, Dansun dé tour , Craignez l'Amour.
On ne peut , de ce traître aimable ,
Sur-tout le fois, -
DE FRANCE 7
Braver le carquois redoutable
Quand il fait noir ;
Employant les plus belles armes.
Dans un détour ,
Il est toujours sûr de fes charmes :
Craignez l'Amour.
SOUVENT pour tromper l'innocence ,
Sur-tout le foir ,
Il prend de la naïve enfance,
Quand il fait noir ,
L'air doux , intéreffant & tendre
Dans un détour ,
Alers comment vous en défendre ? -
Craignez l'Amour.
TROMPÉES par les douces careffes ,
Sur- tout le foir ,
Vous céderez à fes promeffes
Quand il fait noir ;
Mais bientôt , triſtes & plaintives
Dans un détour ,
Vous répéterez fur ces rives :
Craignez l'Amour.
( Paroles de M. Lagache fils , Mufique de
M. ** ** . }
A iy
MERCURE
ES
LES MUSE S
Conte Anacréontique.
Les Mufes font quelquefois défoeuvrées ,
alors elles s'ennuyent comme les malheureux
humains. Un jour que la vive Thalie
ne favoit que faire ( depuis quelque
temps ele eft plus oive qu'autrefois) , elle
defcendit au pied du Parnalle pour voir fi
elle n'y trouveroit pas quelque Amant qui
valût la peine d'être écoute : cela amufe
toujours une femme.
Thalie ne trouva pas ce qu'elle cherchoir
, mais elle apperçut un enfant mak
vêtu , demi- nud , qui couroit dans une prairie,
fes cheveux blonds en défordre retomboient
fur fon vifage , d'une main il les
relevoit , de l'autre il prenoit des papillons
, & leur perçoit la tête d'une épingle.
Le malheureux papillon agitoit fes ailes en
fe debattant. Plus il paroiffoit fouffðir , plus
le méchant enfant rioit ; mais quand il
voyoit le papillon prêt d'expirer , il retiroit
l'épingle , fouloit fur la plaie , & le
moribond reprenant les efprits & fes couleurs
, s'envoloit plus gai & plus beau qu'au
paravant.
Thalie , après s'êrre amusée à confidérer
cet enfant , lui demanda comment il
pouvoit fe plaire à un jeu fi cruel. Ma belle
DE FRANCE. 9
maman, lui dit l'enfant , c'eft l'oifiveté qui
en eft caufe. Tel que vous me voyez , je luis
de bonne famille , mais j'ai éte fort mal
élevé , l'on ne m'a rien appris du tout ; je ne
fais que faire , & je fais du mal.
La vivacite & l'efprit qui brilloient dans
les yeux de l'enfant intérefsèrent Thalie.
Si vous voulez , lui dit-elle , je prendrai
foin de vous ; j'ai des foeurs qui paffent pour
inftruites , nous nous ferons un plaifir de
vous enfeigner tout ce que vous voudrez
apprendre , & peu de temps , nous fuffira
pour vous rendre le plus favant & le plus
aimable des hommes : voulez- vous me fuivre
? Je le veux bien , reprit l'enfant , mais
à condition que ces Dames dont vous me
parlez ne feront que mes Précepteurs , &
que vous feule ferez Maman. En difant ces
mots , il ramalla par terre un petit fac qui
avoit l'air rempli de morceaux de bois , &
le mettant fur fon épaule , il dit à Thalie de
lui donner la main. La Muſe lui demanda
ce qu'il avoit dans fon fac . Ah ! ce n'eft
rien , reprit- il , ce font mes joujoux. Il fe
mit à chanter une chanfon qui n'avoit ni
air ni paroles , & tantôt fautant à pieds
joints fur les buiffons qu'il rencontroit , tantot
s'arrêtant pour demander à la Muſe fi
elle ne favoit pas quelque nid d'oiſeau , il
arriva fur le haut du mont.
Le premier foin de Thalie fut de l'habiller
magnifiquement ; enfuite elle voulut
fe charger elle feule du foin de fon éduca-
A v
10 MERCURE
tion . Savez -vous lire , lui dit - elle ? Pas trop
bien , reprit l'enfant ; mais vous n'avez qu'à
m'écrire ma leçon , je lirai bientôt votre
écriture.
Thalie , qui l'aima bientôt plus qu'une
mère n'aime fon fils , craignit que fes foeurs
n'en devinflent aufli épriſes , & réſolut de
le leur cacher. Elle ht enclore un verger
d'une haie vive , & le donna pour prifon à
cet enfant fi chéri . C'étoit - là que dix fois le
jour la Muſe venoit lui donner leçon . Jamais
écolienne profita mieux ; il luffifoit de
lui dire une feule fois quelque chofe , il la
favoit à ne plus l'oublier. La pauvre Thalie
lui apprit en peu de temps tout ce qu'elle
favoit; mais en lui donnant la fcience elle
perdoit le repos ; fa tendreffe devenoit chaque
jour plus vive ; elle foupiroit fans favoir
pourquoi , & bientôt les leçons fe paſsèrent
à regarder l'écolier.
L'enfant s'en apperçut : Maman , lui ditil
, je fuis bien sûr que vous m'aimez beaucoup
, & cela m'encourage à vous demander
une grâce. Pourvu que ce ne foit pas de me
quitter , répon lit Thalie , je jure de ne rien
vous refufer. Ecoutez- moi , reprit l'enfant ,
yous portez toujours à la main un maſque
qui me paroît charmant , il rit d'une manière
fi gaie & fi vraie , que j'en ai toujours eu
envie. Si vous ne me le donnez pas, je vous
préviens que j'en mourrai de chagrin ; &
qui en fera le plus faché de nous deux ? ce
fera vous. Thalie voulu en vain lui repré-
་
DE FRANCE. II
fenter que ce mafque étoit la marque de la
Divinite; quand je l'aurai , lui répondit l'enfant
, ce fera la marque de votre tendreffe
pour moi , lequel aimez vous mieux ? Le
voilà , lui dit Thalie en foupirant , & le
frippon d'enfant lui fauta au cou , & mit le
matque dans fon fac.
Ce n'eft pas tout , ajouta t'il , vous m'avez
appris tout ce que vous favez , mais vous
m'avez promis davantage. Plus je vous
aime , plus je defire que vous me teniez parole
je veux apprendre la musique , la
danfe , l'aftronomie , la philofophie , toutes
les fciences pollibles , afin de vous devoir
davantage & de vous plaire encore plus.
Ayez la bonté de m'ouvrir le verger , pour
que j'aille m'inftruire auprès de chacune de
vos Soeurs , je reviendrai bientôt me renfermer
avec vous , & confacier à votre amuſement
tous les talens que ' aurai acquis.
Qui n'auroit pas été féduire par un tel
difcours? La crédule Thalie ouvrir à l'enfant,
& pouffa la bonté jufqu'à le recomthander
à chacune de fes fours. Ce foin étoit mutile;
elles l'aimèrent bientôt autant que Thalie
l'aimoit , l'enfant couroit de l'une à l'autre,
& fe faifoit un jeu de tourner la têre
aux filles de Jupiter. La grave Melpomène
fur celle qui réſiſta le plus ; mais elle céda
comme Calliope , comme Uranie qui avoienɛ
voulu fe défendre. Pour Terpficore , Euterpe
& Polynie, elles adorèrent l'enfant prefque
auffi tôt qu'elles le virent.
A vj
12 MERCURE
Voilà donc les neuf Soeurs toutes éprifes
du même objet. Dès ce moment elles ne
font plus foeurs , la jaloufie , l'envie, la niéfiance
entrent pour la première fois dans
leurs ames ; ces chaftes filles qui n'ont jamais
eu qu'un même fentiment , une même
volonté , s'obfervent , fe haïffent , fe querellent,
tout eft en défordre fur le Par
naffe, les Arts en oubli , les concerts interrompus.
Pour comble de malheur , ce fut
cet inftant que choifir Minerve pour venir
viliter les Mufes.
Quelle eft fa furpriſe en arrivant fur le
Mont facré ! Au lieu des chants d'allégreffe
qui annonçoient toujours la préfence , elle
trouve partout un filence profond : les
Mufes difperfées , rêveufes , folitaires , la
reconnoiffent à peine. Elle fe plaint , elle
menace ; les neuf Sours fe raffemblent
veulent chanter leur Protectrice , mais leurs
voix ne font plus d'accord ; elles ont oublié
leurs hymnes , aucune d'elles n'a fon attribut.
Melpomène avoit donné fon poignard
à l'enfant , & de peur qu'il ne fe bleſsâr
elle en avoit émoutfe la pointe ; Calliope
lui avoit fait don de fa trompette , Euterpe
lui avoit prête fa lyre , Uranie fon aftrolabe;
enfin les attributs des Mufes étoient
tous devenus les hochets d'un enfant.
ע
Ce ne fut pas leur dernière honte ; tandis
qu'elles cherchoient à s'excufer , elles voient
voltiger dans l'air ce fatal enfant ; il tenoit à
la main tous fes larcins : Adieu , leur dit-il
DE FRANCE. 13
2
en riant, ne m'oubliez pas, je fuis l'Amour :
il en coûte toujours quelque chofe pour
faire connoiffance avec moi.
La prudente Minerve fit alors un difcours
très - moral aux filles de Jupiter ;
celles - ci l'écoutèrent avec refpect , & s'excusèrent
, en l'affurant que le coupable enfant
avoit fi bien caché fes ailes , que pas une
d'elles ne les avoit apperçues.
( Par M. de F.) ·
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
E mot de l'Enigme eft Aujourd'hui ; celui
du Logogryphe et Molière , où le trouvent
Loire , Elie , Rome , Riom , Roie , merle
lori , lire , miel , l'oie , Loi , lime , Jérôme ,
moire, moi & rime.
ENIGM E..
JF. fuis quand mon frère n'eſt pas ,
Autrement je ne faurois être.
C'eft en mourant qu'il me fait naître ,
C'eft en reffufcitant qu'il caufe mon trépas.
( Par M. de Laroque , Capitaine en Second
au Régiment de Baffigni. )
14
MERCURE
DANS
LOGOGRYPHE.
ANS mon entier , Lecteur , je n'ai rien que
d'auftère ;
Un de mes pieds ôté , je fuis célibataire ;
Avec quatre , je peux décider de ton fort ,
Te mettre à la galère ou te donner la mort.
(Par Mde la Comteffe de Chauvigny de Blot. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Jeudi 19 Juillet 1781 , à la
Réception de M. de Chamfort , Secrétaire
des Commandemens de S. A. S. Mgr le
Prince de Condé. A Paris, chez Demonville ,
Imprimeur Libraire de l'Académie Françoife
, rue Chriftine , aux Armes de
Dombes.
ARMI les talens que les fuccès appellent
aux récompenfes Littéraires , il en eft quelques-
uns que le Public femble défigner plus
particulièrement , fous le nom de talent
Académique. Cette dénomination particulière
paroit être au moins inarile , car les
plus grands talens font fans doute les talens
les plus Académiques. il eft difficile cepenDE
FRANCE.
dant de croire qu'on ait adopté aufli généradement
une nouvelle expreflion , fans y atta
cher des idées qui méritent d'être fixées avec
précifion ; & celle- ci eft peut - être de ce
genre. Parmi les Hommes de talent , il en
eft quelques- uns qui ne font qu'obeir , pour
ainfi dire , à l'inftinct qui les domine . Incapables
de fe replier fur eux- mêmes pour ob-
Lerver & pour diriger les procédés de leur
elprit , ils répandent les beautés & les défauts
fans favoir les diftinguer eux- mêmes :
ils produifent des morceaux qui font admirés
, & des ouvrages qu'on ne peut pas live.
Ils manquent de critique pour les Écrits des
autres comme pour les leurs ; jugent peu ,
mais admirent ou méprifent beaucoup , &
changent fouvent de goût & d'opinion . Ils
peuvent nuire au goût & aux Lettres même
en méritant une belle place dans la Littérature
.
Il eft des efprits , fans doute , plus heureux
qui , joignant la réflexion à l'inftinct ,
pénètrent tous les fecrets de leur talent , s'en
arendent les maîtres , & les dirigent tou ours
à leur gré. Ils ne marchent jamais que dans
´des routes qu'ils ont reconnues d'avance ,
& où ils ont porté la lumière . Leurs productions
reçoivent prefque toujours toute la
grandeur & la perfection à laquelle leur
talent peut s'élever. Ils peuvent enrichir la
théorie des Arts des expériences de leurs travaux
, & donner plus d'étendue aux prip76
MERCURE !
cipes du bon goût , fans jamais les altérer &
les corrompre. Voilà fans doute les Hommes
de Lettres auxquels on reconnoit plus particulièrement
le talent Académique. C'eft à
de pareils efprits fur tout que le dépôt de la
gloire Litteraire d'une Nation doit être
confié.
M. de Chamfort eft un des Hommes de
Lettres dont les Ouvrages ont le plus montre
ce caractère. Les Ecrits même de fa première
jeunelle annonçoient un esprit qui
devoit s'étendre , & un talent qui devoit fe
perfectionner par la reflexion . On l'a tou
jours vu occupé à réunir ce bon goût , cet
art du ftyle qu'on admire dans les Écrivains
du fiècle de Louis XIV, & ces vues fines , ces
réfultats inattendus qui font le grand mérite
de plufieurs Écrivains de notre fiècle. M. de
Chamfort a paru fentir de bonne heure que
les premières idées que préfentent les objets
ayant été rendues par les premiers Écrivains,
il n'y avoit plus de gloire à efperer que pour
ceux dont l'efprit eft affez pénétrant pour
fair les nuances légères des objets , & affez
fort , affez étendu pour raffembler des réfultats
profonds d'idées ; mais il a fenti auli
en même-temps que le goût aimoit peut- être
moins les idées acquifes par la reflexion ;
qu'il falloit , pour ainfi dire , en cacher l'origine
, ôter le langage philofophique à la
philofophie , & lui faire parler la langue
des arts ou celle du monde. Cet heureux arDE
FRANCE 17
-
tifice te remarque dans tout ce qui eft forti
de la plume de M. de Chamfort; & dans les
Éloges de Molière & de La Fontaine il a produit
deux Ouvrages qui méritent d'être placés
parmi les modèles du genre . Un autre
avantage des talens de cette etpèce , c'eft de
fe porter dans plufieurs carrières fans fe trouver
étranger dans aucune. M. de Chamfort a
fait deux petites Comedi s ; l'une eft pleine
d'intérêt , l'autre de gaiete ; toutes les deux
font restées au Théâtre. Il a fait une Tragedie
; & file fuccès en a été conteſté dans
un temps où des Écrivains , qu'il eft impoffible
de reconnoître pour des Hommes de
Lettres , ont obtenu des fuccès fur la Scène
Tragique , on n'a pu contefter au moins à
M. de Chamfort le mérite fi rare d'y avoir
parlé une langue qui rappelle fouvent celle
de Racine .
Le fuccès le plus difficile à obtenir , eſt
peut être celui du Difcours qu'un Homme
de Lettres prononce en entrant à l'Académie
; on veut qu'il fe montre digne de ſa
place en la prenant , & que les temoignages
même de fa reconnoiffance prouvent que ce
n'eft pas un bienfait qu'il a reçu. Il ne s'agit
pas feulement pour lui d'augmenter fa répu
tation , mais de défendre encore toute celle
qu'il a déjà acquife . Cette fituation eft périlleufe
; mais on ne doutoit point que M.
de Chamfort ne fût en éviter les dangers. It
n'a point cu recours cependant , comme
TTS MERCURE
•
plufieurs Récipiendaires , à quelque fujet
important de morale ou de littérature ; M.
de Chamfort a cru trouver un fujet affez
riche dans le tableau des talens & des, vertus
de M. de Saint- Palaye ; & c'eſt déjà un bel
hommage qu'il a rendu à fon prédéceffeur.
Il eft fâcheux de commencer un extrait par
des critiques ; cependant nous en avons à
faire , & il nous tarde d'en être débarraffés .
On a trouvé dans le début quelques phrafes
dont le fens ne fe préfente pas allez promptement
à l'efprit du Lecteur.
« Il y a des bienfaits qui ne trouvent point d'ingrats
, mais il y a des bienfaiteurs qui craignent
l'effufion de la recounoiffance ; ce font ceux qui ,
» raffafies d'hommages ne peuvent être honorés
» que par eux-mêmes , & c'est le terme où vous êtes
→ parvenus, »
Si M. de Chamfort avoulu dire , comme je
le crois , que les talens qui ont déjà reça
beaucoup d'hommages ne peuvent plus être
honorés que par eux mêmes , on peut lui
objecter que cette idée ne paroît pas jufte.
Les honneurs font toujours dans l'opinion
des autres , & dans les fignes , dans les témoignages
qui manifeftent cette opinion . La
vertu n'eft fouvent récompenfée que par
elle- même , elle eft même toujours fa plus
douce récompenfe ; mais le talent ne trouve
point en lui -même les honneurs & la gloire
qu'il ambitionne.
DE FRANCE.
....
.
Le tribut que vous négligez pour vous-
» mêmes. vous le réclamez pour votre illuftre
Fondateur , ce Miniftre qui , parmi fes titres à
l'immortalité , compte l'honneur d'avoir fuffi à
tant d'éloges qui la lui affurent. »
C'est par les titres à l'immortalité que
Richelieu a fuffi aux éloges qu'il a reçus à
l'Académie , & ce n'eſt pas là une chofe différente
de fes titres à l'immortalité . Il a fallu
fans doute beaucoup de fineffe d'efprit pour
croire même y appercevoir quelque differen-
-ce. Mais des idées fi fines , fi difficiles à faifir,
même à comprendre , font rarement d'une
grande juftelle ; & M. de Chamfort le fait
auffi bien que nous : ce n'eft pas pour lui que
nous faifons cette obfervation .
M. de Chainfort remarque , avec beau
coup de raifon & de verité , que les Récipiendaires
ne fe croyent plus obligés à exagérer
le mérite de l'Académicien qu'ils remplacent
, & que l'éloge qu'ils en font eft le
premier jugement de la poftérité. Rien n'eft
plus jufte ; mais il ajoute :
33
« Et fans vous écarter de cette bienveillance indulgente
qui , pour vous , eft fouvent un plaifir ,
toujours un devoir , une convenance ou un fentiment
, vous avez deffiné d'une main fure les pro-
» portions & les contours d'une ftatue , d'un bufte,
d'un portrait ; attention déformais indifpenfable ,
utile aux Lettres , utile même à la mémoire de
» ceux dont la place paroît moins brillante ; car
quiconque exagère n'a rien dit , & celui qu'on ne
croit pas n'a point loué. 2
ود
20 MERCURE
Peut -être faudroit il , pour que ces idées
fuffent très-juftes , que les ftatues , les buftes
& les portraits marquaffent la proportion
'du talent des hommes dont ils nous offrent
les images ; mais on repréfente Voltaire &
Montefquieu dans un portrait comme dans
un bulte & dans une ftatue , & nous avons
vu la ftatue & le bufte de pluſieurs hommes
qui ne méritoient pas même un portrait.
Il nous femble que c'eft auffi exagérer un
peu de prétendre qu'on ne dit rien quand on
exagère; on affoiblit ce qu'on dit , mais rien
n'empêche qu'on ne dife quelque chofe , fi
l'on exagère avec efprit ; & quoique dans ce
moment nous reprochions une exagération
à M. de Chamfort , nous trouvons cependant
que M. de Chamfort a dit quelque
chofe.
On a été fâché auffi de voir le Récipiendaire
balancer un moment pour favoir s'il
parteroit à la fois de l'honneur & de l'amour;
& comment ne pas voir tout de fuite qu'il
ne devoit pas les féparer dans fon Difcours ,
puifque leur réunion formoit l'effence même
de la Chevalerie ; puifque , felon l'expreffion
d'un Chevalier , rapportée par M. de
Chamfort lui -même , tout l'honneur de ce
monde vient des Dames ? Les traits de l'honneur
& de l'amour mêlés & confondus enfemble
, font faits pour prêter des charmes
& de la beauté au ftyle , comme pour élever .
les caractères & les rendre plus aimables. Il
fe peut cependant qu'il ne faille pas faire
DE FRANCE. 21
férieufement cette critique à M. de Chamfort;
lui-même, un moment après ſemble, fe
jouer de l'embarras où il feint de fe trouver..
ес
Queftion embarraffante , épineufe , dit-il , du'
» nombre de celles qui s'agitoient autrefois dans ces
» Tribunaux appelés Cour d'Amour, où l'on por
» toit les cas de confcience de cette eſpèce. »
Ce défaut , fi c'en eft, un , a une bien
meilleure excufe encore ; il a fourni à M. de
Chamfort l'une des tranfitions les plus heu
reufes de fon Difcours : celle qui a amenés
l'éloge du Prince qui honoroit cette Affem- .
blée de fa préfence. Cet éloge n'a qu'un
trait ; M. de Chamfort étoit sûr qu'en ne
faifant même que l'indiquer , il feroit achevé
par les applaudiffemens & les hommages du
Public. Cette manière de louer eft bien délicate.
Le morceau fur la Chevalerie , un des plus
étendus du Difcours , eft plein de vues ingénieufes
; il y en a même de grandes. Nous
en citerons tout-à l'heure des morceaux ;
mais peut-être n'offrent elles pas un réſultat
affez net , affez facile à faifir. Probablement
c'eſt moins à l'Auteur qu'au fujet qu'il faut
s'en prendre, M. de Chamfort n'aura pas
voulu combattre les idées aimables & brillantes
que le mot feul de Chevalerie réveille
parmi nous ; il n'aura pas trouvé non plus
dans cette inftitution de quoi juftifier l'en
thoufiafme qu'elle infpire lorfqu'on la juge
avec l'imagination feule , toujours fi facile à
彩盒
22
MERCURE
féduire. Il fera refté indécis , & fes réfultats
en feront devenus incertains.
Voilà bien des critiques , & nous convenons
qu'elles font févères ; mais il eft des
Ouvrages qu'on ne peut pas critiquer fans.
être difficile. On n'a pas befoin d'indulgence.
pour louer beaucoup celui de M. de Chamfort.
Le premier morceau que l'on remarque ,
eft celui où le Récipiendaire parle de deux
Ouvrages de M. de Saint- Palaye , qui ne font *
pas publiés encore ; l'un eft une Hiftoire des
Variations fucceffives de notre Langue , l'autre
un Dictionnaire de nos Antiquités Franfoijes.
99
« On verra dans le premier , dit M. de Cham-
2 fort , un idiome barbare , affemblage groffier
dés idiômes de nos Provinces , fe former lente-
» ment & par degrés prefqu'infenfibles ; lutter , pour
ainfi dire , contre lui- même ; indiquer l'accroif-
» fement & le progrès des idées nationales par les
» termes nouveaux , par les changemens que fubiffent
les anciens , par les tours , les figures
les métaphores qu'amènent fucceffivement les :
» Arts , les inventions nouvelles enfin, par les con-
» quêtes que notre langue fait de fiècle en fiècle fur
les langues étrangères . On obfervera , non fans
>> furprife , le caractère primitif de la Nation' configné
dans les élémens mêmes de fon langage. On
→ reconnoîtra le François défini en Europe , dès le
» huitième ſiècle , gái , brave & amoureux. On
verra les idées meurtrières de duel , de guerre , de
combats , affociées fouvent dans la même exprefs
» ſion aux idées de fêtes , de jeux , de palle-temps ,
ל כ
DE FRANCE. 23
30
» de rendez- vous . Et quelle autre Nation que la
nôtre cút défigné , fous le nom de la joyeuſe ,
l'épée que Charlemagne rendit fi redoutable à
» l'Europe »
30
M. de Chamfort fe plaint enfuite de ce
que la philofophie manque trop fouvent du
courage neceffaire pour le dévouer à ces recherches
de l'érudition.
39
30
"
" Que n'ofe -t'elle , en réuniffant fous un même
» point de vue le double objet des travaux de M.
» de Saint- Palaye , notre ancienne langue & nos
antiquités , l'hiftoire des faits & celle des mots , fe
*placer entre-elles deux , les éclairer l'une par
l'autre , & pofer un double fanal , l'un fur les
» matériaux informes de notre ancien idiôme , l'au- `
»-tre fur l'amas non moins groffier de nos premiers
» ufages. Là , qu'elle s'arrête & qu'elle examine ;
» elle verra , comme de deux fources inépuifables
» fe précipiter & defcendre de fiècle en fiècle jufqu'à
nous , le vice primitif de notre ancienne bar-
» barie , dont elle pourra fuivre de l'oeil le décroiffement
, les teintes diverfes & les nuances variées
» dans toutes leurs dégradations fucceflives . Elle *
» verra l'erreur , mère de l'erreur , entrer comme
„ élément dans nos idées , par la langue même &.
» par les mots ; le mal , auteur du mal , fe perpé .
» tuer dans nos moeurs par nos idées ; la perfection
philofophique du langage auffi impoffibleque
la perfection morale de la Société , & la
» raifon fera convaincue que la langue philofophique "
»¨ projetéé” par Léibuitz ne fe feroit parlée , s'il eût '
» pu la créer en effet , que dans la République imaginaire
de Platon , cu dans la Diète Européenne
» de l'Abbé de Saint - Pierre. »
Ces idées nous paroiffent neuves ; » elles24
MERCURE
font d'un efprit qui a bien de la fagacité &
bien de la philofophie. Mais les morceaux -
de ce genre font ceux qui reçoivent le moins
d'applaudiffemens , par la raifon que ce font
ceux qui ont le moins de juges. Il eft imême
beaucoup de Lecteurs qui font difpofés à en
faire peu de cas, en difant que c'eft de la métaphyfique.
Nous convenons que ce ne font
pas les beautés les plus fentibles ; mais ce
font , peut - être , celles qui donnent le plus
de durée aux Ouvrages. Le progrès des lumières
y répand tous les jours un nouvel
éclat , & l'éclat des idees plus faciles à failir,
eft fouvent effacé par le progrès des lumières.
On peut faire là - deffus une obſervation
affez importante , ce me femble . Il y a aujourd'hui
dans la converſation des hommes
du monde , & même des femmes , une multitude
d'idées qui paroiffent naturelles , &
qui étoient de la métaphyfique il y a vingt
ans. Ce qui n'a été dé ouvert que par l'analyfe
des hommes de génie , devient au bout
de quelques années une idée commune ,
une fenfation , pour ainsi dire , de tous les
efprits.
M. de Chamfort , qui avoit paru fi embarraffé
à parler à la fois de l'honneur & de
l'amour , a fini par dire des chofes charmantes
fur l'amour , & de belles chofes fur
l'honneur.
Et que dire encore de cette autre idée fi noble ,
» fi grande , ou créée ou adoptée par la Chevalerie ,
de cet honneur , indépendant des Rois en leur
» Vouant
DE FRANCE. 29
youant fidélité ; de cet honneur , puiffance da
» foible , tréfor de l'homme dépouillés de cet hon-
» neur , ce ſentiment de foi invincible , indomp-
» table des qu'il cxifte , facré dès qu'il le montre ,
feul arbitre dans fa cauſe , ſeul juge de lui-même,
» & du moins ne relevant que du ciel & de l'opinion
publique. »
39
Il cft difficile de ne pas admirer la beauté f
de ces idées & de ces expreffions , puiffance
dufoible , tréfor de l'homme dépouillé , &c.
tous les traits de cette définition paroiffent
avoir été dictés par un fentiment profond de
l'honneur.
M. de Chamfort rapporte plufieurs reproches
que M. de Saint- Palaye fait à l'inftitution
de la Chevalerie.
*
« Il voudroit trouver plus fouvent dans les ames
» de ces Guerriers quelques traits de cet héroïſme
» patriotique noblement populaire , qui feul purifie ,
» éternife la gloire des grand Hommes , en la ren-
33
לכ
Jant précieufe à tout un peuple , & fait de leur
» nom , pendant leur vie , & de leur mémoire après
» eux , une richeffe publique , & comme un patri-
» moine national. O du Guefclin ! ce fut ta vraie
» gloire , ta gloire la plus belle. O toi ! qui , à ton
» dernier moment, recommande le peuple aux Chefs
» de ton Armée ; ah ! qu'un ennemi , qu'un Anglois
vienne dépofer fut ton cercueil les clefs
» d'une ville que ton nom feul continuoit d'affiéger ,
qu'il ne veuille les remettre qu'à ce grand nom ,
» & pour ainfi dire à ton ombre , j'admire l'éclat ,
» les talens , la renommée d'un Général habile ;
mais fi j'apprends que ce même du Guefclin , mna.
lade , & fur fon lit de mort , entendit à travers
Sam. 1 Septembre 1781 .
B
"
26 MERCURE ..
» les gémiffemens de fes Soldats & des Peuples ,
» retentir dans la ville ennemie , affiégée par lui-
» même , le fignal des prières publiques adreffées
» au Ciel pour la guérifon ; fi je vois enfuite la
» France entière , je dis le Peuple , arrêter de ville
» en ville , & fuivre confterné ce cercueil augufte
baigné des larmes du pauvre...... Votre émotion
» prononce , Meffieurs ; elle attefte combien la vé-
» ritable vertu , l'humanité laiffe encore loin der-
» rière foi tous les triomphes , & que le Ciel n'a mis
la vraie gloi e que dans les hommages volontaires
de tout un peuple attendri. »
33
On ne fera pas furpris fans doute , en apprenant
que ce morceau , plein d'une fenfibilité
fi noble , a été l'un des plus applaudis
à l'Académie, Cette belle expreflion : que
ton nom feul continuoit d'effieger, rappelle
peut- être deux vers de la Hennade ,
*
Et fon nom , qui du Trône eſt le plus ferme appui ,
Semoit encore la crainte & combattoit pour lui.
Mais l'imitation , fi c'en eſt une , eſt trèsheureufe
, & la phrafe qui termine le morecau
nous paroît bien fupérieure encore.
M. de Chamfort compare l'efprit de la Chevalerie
à cet amour de l'ordre , à cette raifon
perfectionnée qui forme l'efprit des
fiècles éclairés,
35
Eh ! qui oferoit , dit- il , les comparer , foit dans
» leur fource, foit dans leurs effets ? L'un , l'efprit de
Chevalerie , ne portoit fes regards que fur un
point de la Société ; l'autre , cet efprit d'ordre &
» de raifon publique , embraffe la Société entière .
» Le premier ne formoit , ne demandoit que des
DE FRANCE. 27
Soldats ; le fecond fait former des Soldats , des
» Citoyens , des Magiftrats , des Législateurs , des
•
Rois ; l'un , déployant une énergie impétueufe,
» mais inégale , ne remédioit qu'à des abus dont il
» laiſſoit fubfifter les germes fans ceffe renaiſſans ;
» l'autre , développant une énergie plus calme , plus
» lente , mais plus sûre , extirpe en filence la racine
de ces abus ; le premier, influant fur les moeurs ,
» demeuroit étranger aux lois ; le fecond , épurant
par degrés les idées & les opinions , influe en
même-temps & fur les lois & fur les moeurs ; enfin,
» l'un féparant , divifant même les Citoyens , dimi-
» nuoit la force publique ; l'autre , les rapprochant ,
» accroît cette force par leur union. »
Le fujet fourniffoit fans doute ce parallèle
; mais il n'y avoit qu'un efprit_accou
tumé à méditer un fujet fous tous fes rapports,
qui pouvoit l'y appercevoir. C'eſt ainfi
qu'il eft permis d'agrandir l'objet que l'on
traite ; on paroît y avoir trouvé même ce
qu'on y porte. Ces rapprochemens , ces parallèles
des moeurs & du génie de plufieurs .
fiècles , peuvent avoir d'autres effets encore
que celui de faire remarquer la fagacité &
l'étendue de l'efprit qui les inftitue. C'eft en
comparant ainfi le fort de l'efpèce humaine
dans toutes les grandes époques , que l'on
peut voir d'où naiffent fes biens & les maux ,
fes vertus & fes vices ; c'eft en obfervant
comment le hafard & les circonftances l'ont
toujours modifiée , qu'on peut apprendre à
la modifier plus heureufement par la prévoyance
& par la fagelle. Tous les Légillateurs
devroient avoir fous les yeux un tableau
Bij
28 MERCURE
de l'humanité entière tracé ainfi par des Philofophes
, avant d'ofer graver une feule ligne
fur les tables des Lois.
Le morceau du Difcours de M. de Chamfort
qui étoit attendu avec le plus d'impatience
, étoit le tableau de l'amitié fi connue
de M, de Saint- Palaye & de M. de la Curne
fon frère ; & quoique ce foit un danger
d'être ainfi attendu , c'eſt le morceau du
Difcours qui a eu le plus de fuccès. C'étoit
auffi un avantage , il faut en convenir
d'avoir à repofer le coeur fur des fentimens
doux , & fur des vertus touchantes , après
avoir occupé long - temps l'efprit d'idées ingénieufes
& de vues philofophiques ; mais
cer avantage n'eût été qu'un inconvénient
pour un homme qui n'auroit pas fu trouver
dans fon talent la variété qu'il trouvoit dans
fon fujet,
« La tendreffe des deux frères , dit M. de
Chamfort , commença dès leur naiffance , car ils
» étoient jumeaux , circonftance précieufe qu'ils
rappeloient toujours avec plaifir. Ce titre de
jumeaux leur paroiffoit le préfent le plus heureux
que leur eût fait la Nature , & la portion la
plus chère de l'héritage paternel ; il avoit le mérite
de reculer pour eux l'époque d'une amitié
fi tendre , ou plutôt ils lui devoient le bonheur
,, ineftimable de ne pouvoir trouver dans leur vie
» entière un moment où ils ne fe fuffent point
» aimés. »
Il n'étoit guère poffible de trouver un fẹnDE
FRANCE.
timent plus heureux dans cette première cir
conftance de la vie de deux frères.
33
« Une même demeure , un même appartement,
» une même table , les mêmes fociétés réunirent
→ conſtamment MM . de la Curne : peines & plai-
50 firs , fentimens & penſées , tout leur fut commun ,
& je m'apperçois que cet éloge ne peut les féparer
; & pourquoi m'en ferois-je un devoir ? Fourquoi
M. de la Curne ne feroit-il affocié
pas
» l'éloge de fon frère ? C'étoit lui qui fecondoit le
» plus les travaux de M. de Saint- Palaye , en veillant
fur fa perfonne , fur fes befoins , fur fa
fanté , en fe chargeant de tous ces foins domefti-
» ques , qu'un fentiment rend fi nobles & fi pré-
» cieux . Heureux les deux frères fans doute ! mais
» plus encore celui des deux qui , voué aux Lettres ,
+
35
& plus fouvent folitaire , arraché à fes livres par
» ſon ami , reçoit de l'amitié les diftractions & fes
plaifirs , qui tous les jours épanche dans un com-
» merce chéri les fentimens de tous les jours , qui
» ne voit aucun moment de fa vie tromper les befoins
de fon coeur ; enfin , qui n'a jamais connu ce
» tourment d'une fenfibilité contrainte , aigrie ou
combattue , ce poifon des ames tendres , qui
change en amertume fecrette la douceur des plus
» aimables affections ! De-là fans doute dans M. de
Saint Palaye ce calme intérieur , cette tranquille
égalité de fon ame , qui , manifeftée dans les
» traits & dans la férénité de fon vilage , intéreffoit
d'abord en fa faveur , devenoit en lui une
» forte de féduction , & faifoit de fon bonheur
" même un de fes moyens de plaire. Ainfi s'écouloit
so cette vie fortunée , fous les aufpices d'un fenti-
» ment qui , par fa durée , devint enfin l'objet
» d'un intérêt général . Combien de fois a - t- on vu
les deux frères , fur - tout dans leur vieilleffe ,
23
T
*
·
B iij
30 MERCURE
paroiffant aux aſſemblées publiques , aux prome.
nades , aux concerts , attirer tous les regards ,
» l'attention , du refpect , même les applaudiffemens
! Avec quel plaifir , avec quel empreffe
ment on les aidoit à prendre place , on leur
montroit, on leur cédoit la plus commode ou la
plus diftinguée , triomphe dont leur coeur jouifsfoit
avec délices ; car , après la vertu , le fpectascle
le plus touchant eft celui de l'hommage que
lui rendent les hommes affemblés ; & dans les
» rencontres ordinaires de la fociété , on n'apperçut
so jamais un des deux frères fans croire qu'il cherchoit
l'autre. A force de les voir prefqu'inféparables
, on difoit , on affirmoit qu'ils ne s'étoient ja-
» mais féparés , même un feul jour. Il falloit bien
ajouter au prodige , & leur union étoit mife dès
leur vivant au rang de ces amitiés antiques &
fameufes , qui paffionnent les ames ardentes , &
dont on fe permet d'accroître l'intérêt par les
embelliffemens de la fiction . »
Il n'eft perfonne fans doute qui ne doive
fentir que tout ce morceau refpire le charme
& la douceur du fentiment dont M. de
Chamfort y trace le tableau. S'il étoit poffible
de diftinguer quelques traits particu
liers au milieu de l'impreffion qu'on reçoie
de l'enſemble , nous remarquerions fur - tour
cette phrafe : de- là fans doute dans M. de
Saint - Palaye , &c.; & cette autre , d'autant
plus heureufe qu'elle ne femble être que
le fimple récit d'un fait,& dans les rencontres
ordinaires de la Société, &c.
M. de Chamfort , touché des vertus qu'il
vertus qu'il
retrace , femble finir lui - même par y voir
DE FRANCE. 31
quelque chofe de furnaturel ; & lorsqu'il
reprefente M. de Saint- Palaye perdant
toutes fes facultés , fon bonheur & fa raifon
même en perdant ce frère fi chéri , ce prodige
de l'amitié , il ne peut plus le peindre
que fous les traits de l'imagination .
30.
« Il n'eft plus qu'une ombre , il aime encore ; &
femblable à ces mânes , habitans de l'Élysée , à
qui la Fable confervoit & leurs paffions & leurs
» habitudes , il vient à vos Séances , il vous parle
» de fon frère , & vous refpectez dans la dégrada-
❤tion de la Nature le fentiment dont elle s'honore
» davantage. »
Pour peindre ainfi l'amitié , il faut l'avoir
bien fentie ; & , comme a dit heureufement
une femme , c'eft mettre le Public dans la
confidence du fecret de fon ame & defon bonheur.
Dans la réponte , M. Séguier a remarqué
au très heureufement , que ce
tableau appartenoit à l'Ecrivain qui avoit
tracé fur la Scène le tableau de l'amitié de
Muftapha & de Zéangir. Peut- être ce fentiment
eft-il bien plus difficile à peindre que
les paffions. Celles - ci, produites par des impreffions
faites fur les fens , ont auffi des
fignes frappans qui les manifeftent audehors.
L'amitié femble appartenir plus particulièrement
à l'ame & s'y cacher davantage.
Tous les hommes à peu -près éprouvent
les paffions ; il en eft une fur tout qui , obfédant
perpétuellement l'ame de fes images ,
a dû trouver beaucoup de peintres parmi
Biv
32 MERCURE
tous les hommes qui nnee ffoonntt pas nés infenfibles.
L'amitié n'eſt guère que la paffion des
plus belles ames , des ames les plus délicates.
Enfin , malgré les critiques que nous nous
fommes permis d'en faire , le Difcours de
M. de Chamfort nous paroît un des meil
leurs qui aient été prononcés à l'Académie
Françoife ; & c'eft aujourd'hui un grand
éloge . Parmi les Difcours de Réception prononcés
depuis vingt ans , il en eft quelquesuns
qui font d'excellens Ouvrages . Cela ne
peut être contefté que par ceux dont le befoin
& le métier eft d'être toujours injuftes ."
M. Séguier a commencé fa réponſe par
juftifier l'ufage établi de confacrer une partie
des Difcours de Réception à célébrer , au
nom de l'Académie , les talens qu'elle a perdus
, & ceux qui réparent fes pertes. On a
aimé à voir les ufages de l'Académie défendus
par un defcendant du Chancelier célèbre
qu'elle compte parmi ceux qui ont le plus
protégé & favorifé fon Inftitution .
En parlant du fuccès des premiers Ouvrages
de M. de Chamfort , M. Séguier a
fait une obfervation générale d'une grande
vérité , & bien heureuſement exprimée.
ес
L'expérience nous apprend que dans un fiècle
» de lumières, dans un pays où l'on peut dire que
l'efprit eft une production du fol , où il abonde
de toutes parts , où l'habitude d'en montrer en
éclipfe le plus fouvent l'éclat , ce n'eft pas un
» avantage médiocre de fe donner de bonne heure
DE FRANCE. 33
» une célébrité réelle , & de faire diftinguer fa for-
» tune au milieu de la richeffe publique .":
גכ
Parmi les morceaux de cette réponſe , qui
ont été le plus applaudis à la Séance de
PAcadémie, le portrait du génie de Molière
eft celui qui l'a été davantage ; & l'on va
voir qu'il ne perd rien à la lecture : c'eſt
ane chofe rate après un fuccès obtenu de
vant le Public.
+
"
« Vous avez développé avec une fagacité pen
commune les beautés originales de ce grand
» Peintre des ridicules, & des vices , homme extraordinaire
, qui a fu donner à fes couleurs de
l'éclat & de la vivacité , du mouvement & de
» la vie pour tous les temps , qui n'aura jamais rien
à redouter des viciffitudes ordinaires chez un
peuple changeant , où il y a tant de goûts fugi-
» tifs , tant de modes pour les idées comme pour
les vêtemens ; efprit inventif & fécond , qui feul.
a connu l'art d'attacher également & d'amufer le
Spectateur par un fond de gaieté intariffable ,
» réunie à un but moral , & toujours réfultante de
l'ordonnance de fes plans ; enforte que par la
» feule fituation où il met fes perfonnages, les expreffions
les plus fimples deviennent comiques ,
tour prend la teinture du fond ; & les ris , qui ne
font que fuivre ordinairement les plaifanteries
précèdent le dialogue des Acteurs , & commen
» cent à l'ouverture même de la fcène. Génie robufte
qui , au milieu des variations de plus d'un
fiècle , n'a da fa confiftance inaltérable qu'au
foin particulier qu'il a pris de peindre toujours
plutôt la Nature qui refte , que le moment qui'
» paffe , l'homme dans les moeurs plutôt que dans
fes manières. Genie inimitable enfin , qui n'a fon
30
30
3.4 MERCURE
"
égal ni dans l'Antiquité ni dans les ' Nations
étrangères, & dont les deffins font fi corrects &
» fi vrais, qu'on en a peut être moins approché que
» des chefs-d'oeuvres de nos plus grands Poëtes
» tragiques. »
( Cet Article eft de M. Garat. )
TRAITÉ des Négations de la Langue Francoife
, in- 12 . A Paris , chez Guillor , Libraire
de MONSIEUR , au Collège de
Bayeux , rue de la Harpe. Conveniat
verbo eui apponitur.... Nifi aliquid efficitur
redundat. Quintil. Liv. 8 , Ch. 6 .
AUCUN Grammairien n'avoit jufqu'ici
traité des Négations ; & il faut convenir
qu'un Ouvrage fur cette matière , par l'abus
que quelques Écrivains font des Négations ,
foit en les adimettant lorfqu'il faut les fupprimer
, foit en les fupprimant lorfqu'il faut
les admettre , devenoit abfolument néceffaire.
Par exemple , doit -on dire : Le Rhône
impétueux remontera vers fa fource avant
que le Suiffe oublie ou n'oublie la liberté ?
Faut il empêcher que l'économie s'introduife
ou ne s'introduife dans la finance ? Less
Vifirs des Defpotes n'ont pas ordinairement
plus de probité qu'il faut ou qu'il ne faut.
On ne peut être plus malheureux que je le
fuis ou que je ne le fuis . Qui a fu imiter Caton
plus parfaitement que le fit ou ne le fit
Brutus? Perfonne a-t-il de meilleures moeurs ,<
ô Fabricius , que le font ou ne le font les
.
DE FRANCE. 35
vôtres ? Les Aliatiques , en fe donnant des
Maîtres arbitraires , ne pouvoient faire pis
qu'ils ont fait ou qu'ils n'ont fait. Cela n'eft
pas autrement que vous dites ou que vous .
ne dites. Je ne puis parler de Caton fans
que j'admire ou fans que je n'admire fa
vertu. Il s'en faut de beaucoup que nous
foyons ou ne foyions Citoyens comme Caton.
Loin que fous un grand Roi on falle
ou l'on ne faffe des progrès vers le defpo- .
tifme , c'eſt qu'au contraire il abolit la fervitude.
Nous ne défefpérons pas , ô Titus ,
que vous veniez ou ne veniez à bout de
nous rendre vertueux. Je ne nie pas , je ne
difconviens pas que l'on doive ou ne doive
préférer le bien général au bien particulier.
Nous ne défapprouvons pas que vous lai
rendiez ou ne rendiez ce fervice. Il n'y apas
jufqu'à Porcie qui combatte ou ne combatte
pour la liberté , &c. &c.
L'Auteur , après avoir expofe toutes les
phrafes douteufes , tâche de les réfoudre ,
tantôt par l'analogie qu'a la Langue Françoife
avec la Latine , tantôt par l'ufage feul ,
tantôt par des diftinctions nouvelles , &
qu'on ne trouve point dans les Grammaires ,
comme celle de l'interrogation par allertion
& de l'interrogation par dubitation ..
Quant à la divifion de fon Ouvrage , fon
procédé eft fort fimple , & il a trouvé dans
le texte que lui a fourni Quintilien pour fon.
Epigraphe , les deux parties de fon Traité ,
conveniat yerbo cui apponitur : voilà pour
Bvj
36
MERCURE
2114
les cas où il faut admettre la Négation ;
nifi aliquid efficitur redundat : voilà pour
les cas où il faut la retrancher. Cette production
nous a paru écrite avec clarté , &
même l'Auteur a cherché à y jeter de l'agrément,
afin que tout Lecteur pût l'entendre .
Sur la fin de fon Traité , l'Auteur , après
avoir fait voir que grace à l'établiffement
de l'Académie Françoife , notre Langue eft
aujourd'hui la mieux fondée en principes de
toutes les Langues modernes , relativement
à la dégénération des Langues , a fait intervenir
un Épifode qui réveille l'attention
de fes Lecteurs par la manière honnête &
décente dont il défend le fyftême de l'Auteur
des Epoques, contre ceux qui l'ont attaqué
fi vivement.
*
ACADÉMIE FRANÇOISE.
DANS la Séance publique du 25 du mois
dernier , l'Académie Françoife a adjugé fon
Prix d'Eloquence à M. Garat , Avocat au
Parlement. Le fujet de ce Prix étoit l'Éloge
du Duc de Montaufer , Gouverneur du
Dauphin , fils de Louis XIV.
M. de la Cretelle , Avocat au Parlement ,
a obtenu l'Acceffit d'une manière très - honorable.
Deux Citoyens amis des Lettres
ayant appris que l'Académie regrettoit de
n'avoir pas deux médailles à diftribuer , ont
offert le même jour à la Compagnie , fans
DE FOR ANIC E.
37
s'être concertés ; chacun une fomme de fix
cent livres ; lear offre a été acceptée , &
Fon a fait frapper une feconde médaille pour
l'Auteur de l'Acceffit.
Ma de la Harpe a lu le Difcours de M.
Garat & plufieurs morceaux de celui de M.
* de la Cretelle , qui ont été fort applaudis.
Nous rendrons compte inceffamment de ces
** deux Ouvrages.
*
9
2
L'Académie a fait une mention honorable
de deux autres Difcours ; l'un ayant pour
devile : Vir jufti verique tenax , & dans
lequel les Juges ont trouvé des choſes bien
vnes , écrites avec élégance. L'Auteur de ce
Difcours eft M. le Roi , ancien Commiffaire
de la Marine. L'Auteur du fecond Difcours
ne s'eft point fait connoître ; il a pour devife :
Illi robur. L'Académie y a trouvé auffi des
morceaux dignes d'éloge.
Ceux qui ont concouru pour le Prix de
Poéhe n'ont pas été plus heureux cette année
que la précédente ; aucune des Pièces envoyées
au Concours n'a paru digne d'être
couronnée . L'Académie en a témoigné fes
regrets n'ayant en effet jamais propofé de
fujer plus intéreffant pour la Nation , plus
digne de fa reconnoiffance , ni plus fair pour
exercer les talens de nos jeunes Verfificateurs.
Le fujet du Prix étoit : La Servitude abolie
dans les Domaines du Roi , fous le règne de
Louis XVI. Parmi les Pièces qui ont concouru
, l'Académie en a diftingué trois ; la
première , a pour devile : Je voudrois tout
३४ MERCURE
penfer & j'oferois tout dire. Elle a pour Auteur
M. de Carbon de Flins ; c'eft celle des
trois où les Juges ont cru voir le plus de
talent. La feconde a pour devife ce paffage.
de l'Esprit des Lois : Un chêne antiques'èleve ,
l'ail en voit les feuillages , il approche, il en
voit la tige , mais il n'en apperçoit point les
racines , ilfaut percer la terre pour les fouiller
L'Auteur de cette Pièce ne s'eft pas fait con
noître. La marche en eft languiffante , & le
coloris a peu de force ; mais elle a paru
moins inégale que les deux autres , & l'Auteur
a mieux vu & mieux traité le fajet ; c'eft
pour cette raison que l'Académie lui a donné
la feconde place , quoiqu'on y trouve moins
de vers dignes d'être cités que dans la troifième
Pièce. Celle- ci a pour devife : Le bien
qu'on fait au monde ajoute à mon partage ;
fon Auteur eft M. le Chevalier de Langeac.
M. Ducis a lu quelques fragmens de ces
trois Pièces , dont le Public a paru très fatisfait
, fur- tout des vers fuivans de M. Flins :
Mufe , célèbre un Prince ami du Laboureur ;
Bon , fans avoir connu la leçon du malheur....
Il reforme ces Lois qu'accufoit la raiſon ,
Ces Lois dont l'art cruel , épiant fes victimes ,
Avant de les prouver ofoit punir les crimes.
Un Citoyen qui aime les Arts , qui les
cultive avec fuccès , & qui voudroit les faire
DE FRANCE. 39
fervir à la gloire de fa Patrie , M. Davy de-
Chavigné , Auditeur des Comptes , a pré- ,
fenté à l'Académie l'Eftampe d'un monu
ment qu'il propoſe d'ériger pour conferver ,
le fouvenir du bien que le Roi a fait à les
Peuples par l'abolition de la fervitude, Ik,
confifte dans un pont qui joindroit l'ile
Saint - Louis à la Cité , & qui porteroit
une infcription relative à cette heureufe"
abolition . L'Académie a cru devoir expofer
dans fa Salle d'Affemblée , l'Eftampe qui repréfente
' ce monument de patriotifme
comme un hommage qu'elle rend autant
qu'il eft en elle , à fon auguſte Protecteur .
Avant d'annoncer les fujets deftinés aux
Prix de Poéfie & d'Eloquence pour les Concours
de 782 & 1783 , M. d'Alembert a lu des
Réflexions hiftoriques fur le Cardinal Dubois,
Membre de l'Académie Françoife ; perfonnage
trop fameux , fans doute , puifqu'il prouve
combien il eft facile d'arriver aux grandes places
par de vils moyens , & de réunir fur la
même tête tous les honneurs d'une monarchie
avec tout le mépris du Public. Mais ,
incapable de facrifier à des devoirs de convention
les droits imprefcriptibles de la vé
rité , l'Auteur de cette notice n'a tenté ni de
renverfer ni d'affoiblir l'opinion trop légitimement
établie contre le Cardinal Académi
cien. Sous les fleurs les plus brillantes de
Fefprit , laiffant toujours entrevoir l'auftère
fageffe du Philofophe , il a fu démontrer
qu'au faîte de l'opulence & des dignités cer
20 MERCURE
homme n'en fut pas moins malheureux ;
qu'il alloit fouvent fe plaindre & gémir
auprès de Fontenelle , dont il envioit le
calme intérieur & la douce philofophie :
leçon mémorable pour ceux qui placent leur
bonheur dans la vanité.adman
Après cette lecture , on a publié le Programme
fuivant.
Prix de Poéfie pour l'année 1782 .
LE vingt -cinquième jour du mois d'Août 1782,
Fête de Saint Louis , l'Académie Françoiſe donnera
le Prix de Poéfie qu'elle a été obligée de remettre *.
Le fujet , le genre du Poëme & la mefure des
vers font au choix des Auteurs.
L'Académie , fans propofer pour la troifième fois
le fujet de la Servitude abolie fous le règne de
Louis XVI ** , n'entend pas cependant l'exclure ,
& defireroit même de le voir traité avec plus de fuccès
que dans les deux Concours précédens .
On defire que la Pièce n'excède pas deux cens
yers.
Le Prix devroit être , fuivant l'afage , une Médaille
Ce Prix , ainfi que celui d'Eloquence , eft formé des
fondations réunies de MM. de Balzac , de Clermont- Tonnerre
, Évêque de Noyon , & Gaudron.
** Les jeunes Poëtes qui defireroient de nouveaux
faits fur cette matière , en trouveront dans les
Recherches Hiftoriquus fur la Main- Morte , par M. l'Abbé
du Tems. Elles font imprimées à la fin, de fon Panégy--
rique de S. Louis , dont nous avons rendu compte dans
un des derniers Numéro du Mereure.
DE FRANCE. 41
d'or de la valeur de cinq cens livres ; mais à caufe
de la double remife du Prix , cette Médaille fera de
mille livres.
Toutes perfonnes , excepté les Quarante de l'Académie
, feront reçues à compofer pour ce Prix.
Les Auteurs mettront leur nom dans un billet
cacheté , attaché à la Pièce de Poéfie qu'ils enverront
; & fur ce billet fera écrite la Sentence qu'ils
auront miſe à la tête de leur Ouvrage.
Ceux qui prétendent au Prix , font avertis , que
s'ils fe font connoître avant le jugement , ou s'ils
font connus , foit par l'indifcrétion de leurs amis ,
foit par des lectures faites dans des maifons particulières
, leurs Pièces ne feront point admifes au Con.
cours.
Les Ouvrages feront envoyés avant le premier
jour du mois de Juillet 1782 , & ne pourront être
remis qu'au fieur Demonville , Imprimeur- Libraire
de l'Académie Françoiſe , rue Chriftine , aux Armes
de Dombes : fi le port n'en eft point affranchi , ils
ne feront point retirés.
L'Académie propoſe d'avance , fuivant fon uſage ,
pour fujet du Prix d'Eloquence qu'elle donnera en
1783 , l'Eloge de Bernard de Fontenelle , de l'Académie
Françoife, de celle des Belles - Lettres , &
Secrétaire de l'Académie des Sciences.
42 MERCURE
VARIÉTÉ S.
LETTRE à M. *** , fur là Réception de
l'Orgue de Saint - Sulpice .
LA
réputation du célèbre Cliquot , auteur de
cet Inftrument , & celle de MM. les Arbitres, ont
attiré la plus grande affluence à l'Eglife . Ce jour
étoit un triomphe pour les grands talens , & une
vraie fête pour les Amateurs des Arts.
en
Le buffet de cet Orgue eft piquant par fa nouveauté
, & admirable par la richeffe de fon architecture.
On avoit craint que la forme nouvelle
donnée à cet Inftrument ne fît tort à fa mécani
que intérieure. Cette forme fans doute eût gêné
tout Facteur qui n'eût connu que la routine de fon
Art ; mais il n'eft pas de difficultés invincibles
pour un véritable Artifte. M. Cliquot a combiné ,
étendu fa mécanique & multiplié fes mouvemens
raifon de la diverfité des jeux qu'il avoit à placer
& de l'efpace immenfe qu'il avoit à peupler de
tuyaux & à foumettre à un feul point fous la
main de l'Organiſte , auffi a-t-on admiré la diftrie
bution intérieure de ce bel Inftrument : elle eft fi
bien entendue & fi bien ordonnée , que tous les
effets s'opèrent fans gêne, fans confufion , & qu'il
eft poffible , en cas du plus léger dérangement ,
de remédier à tout fans embarras au moment,
même , & fans nuire à aucune des parties de ce
grand tout. Cette nouvelle diftribution a donné à
l'Artifte l'occafion de prouver qu'il eft auffi habile
Facteur-Mécanicien que bon Facteur-Harmonifte .
On a remarqué avec étonnement que la qualité
du fon de cet Orgue , l'égalité de fa mélodie & la
DE FRANCE. 43
bonté de fon harmonie étoient auffi finies & auf
moëlleufes à ce premier effai que fi l'Inftrument cût
eu vingt ans d'exercice , degré de perfection que
l'on n'obtient ordinairement qu'après un temps confidérable.
Cet avantage précieux n'eft pas affez fenti ;
les Artiftes lui préfèrent trop fouvent un éclat
bruyant qui fatigue l'oreille fans rien dire a
coeur.....
i
Des Connoiffeurs prétendent que malgré l'effet
de cet Orgue , l'on ne jouit pas encore complettement
de la qualité de fon dont il eft fufceptible ,
non plus que de la plénitude de fon harmonie ; ils
en accufent les figures coloffales dont eft orné le
buffer ; ils trouvent qu'elles voilent le fon du grand
Orgue fi cela eft , c'eft un mal fans remède , au
moins la vue eft elle bien agréablement dédommagée
des pertes que peut y faire l'autre fens Mais en
fuppofant que cet inconvénient exiftât réellement ,
il feroit bien à defirer que MM . les Architectes , que
cette nouveauté pourroit féduire , fe perfuadaffent
bien de ce principe , que le buffet d'un Orgue doit
être abfolument fubordonné à la facture .
Les talens fupérieurs de MM. Couperin , Balbâ
tre , Séjan & Charpentier, qui font depuis long.
temps en poffeffion de plaire au Public , ont bien
fait les honneurs de ce fameux Inftrument. Il ne
s'agiffoit pas d'entrer en lice pour " fe combattre
comine rivaux , mais de déployer leurs talens pour
faire valoir l'Inftrument qu'ils avoient à juger. Ils
y ont parfaitement réaffi ; & le Public a fu admiser
en eux le génie qui commande , maftrife , entraine
; le goût qui préfente le plaifir fous mille
formes diverfes , & le fentiment qui fait parler aux
graces le langage le plus enchanteur.
Je fuis , &c. Signé , TRAVERSIER.
3
44 MERCURE
RÉPONSE à la Lettre de Mde DE LA
HAYE , Directrice du Spectacle de Stras
bourg, inférée dans le Mercure du 9 Juin .
JE ne fais ; Madame , fi les Directeurs de Specils
tacle de Province auront plus d'égard à vos propofitions
qu'ils n'en ont eu à celles que je leur ai faites
moi- même d'après vos avis. Je ne reçus prefque aucune
réponse aux offres que je leur fis il y a deux
ans de la partition de l'Infante de Zamora , & d'une
foufcription pour les deux Comteffes , que vous me
demandiez alors. Ce n'eft pas que les Directeurs ne
foient très- empreflés , comme vous le remarquez , à
fe procurer le plus de nouveautés poffible ; mais au
Keu de les payer à l'Auteur ce qu'elles valent ,
aiment beaucoup mieux les tenir de l'infidélité de
quelques Copiftes ou de quelques Acteurs : en con
féquence ils attendent qu'elles foient jouées dans
quelques Villes , d'où ils puiffent les avoir à vil prix,
C'eft ce qui eft arrivé pour l'Infante , jouée fans ma
participation , & avec un fuccès égal à celui de
Strasbourg dans plufieurs grandes Villes , dont les
Directeurs avoient refufé mes offres. Pour éviter
cet inconvénient , je fuis déterminé à ne délivrer les
deux Comteffes , & à n'entreprendre le Jaloux à
l'épreuve , que vous defirez , qu'après m'être affuré
un nombre fuffifant de foufcriptions , dont la
ferme fera une fimple foumiffion de prendre l'Ouvrage
, adreffée à moi -même out à M. Houbaut ,
Marchand de Mufique à côté de la Comédie Ita-
Lienne. De cette façon je n'aurai plus d'infidélités à
craindre, puifque toutes les partitions feront délivrées
à-la-fois, & ne le feront qu'après que la
foufcription fera remplie . Le peu d'efpace m'empê
DE FRANCE. 45
che, Madame , de vous remercier de tout ce que
vous me dites d'obligeant , & des foins que vous
avez donnés à mes deux Ouvrages , qui vous do
vent leur ccès.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé, FRAMERY.
GRAVURES.
Les Vendangeurs , en quatre Eftampes d'envifon
II pouces de haut , fur 7 de large , répréfentant
les fcènes les plus intéreffantes de la Comédie de ce
nom . Prix , 4 livres les quatre . A Paris , chez l'etit ,
rue du petit Pont , à l'image Notre- Dame.
Collection des Portraits des Hommes qui fe font
rendus célèbres dans la révolution des treize Etats-
Unis de l'Amérique Septentrionale , gravés par Prevôt
, fur les deffins faits d'après nature par M. du
Simitier , Peintre , format in 4°. Prix , 2 liv . chaque
Portrait. A Verſailles , chez Blaizor , Libraire , rue
Satory ; & à Paris , chez Chéreau , Marchand d'Eftampes
, rue des Mathurins- Saint-Jacques,
Les perfonnes qui possèdent déjà cinq de ces
Portraits pourront retirer la feconde livraifon
compofée des huit Portraits fuivans qui rem
pliffent l'objet de leur foufcription ; " favoir , nº.
2. Le Baron de Stenben ; no. 5. Charles Tomp
fon; n . 7. Le, Gouverneur Morris ; n . 9. Silas
Deane, ne, 10. W. H. Drayton; n . 11. J. Die
kenfon ; n° . 12 Le Général Reed ; plus , le Général
Arnold , qui fe vend féparément de la Collection
des douze autres Portraits , mais au même prix.
Comme on a déjà prévenu qu'il ne feroit tiré qu'un
petit nombre d'exemplaires pour être diftribués en
France , & que les Planches paffoient enſuite à Phi46
MERCURE
ladelphie , on invite les perfonnes que cette Collection
pourroit intéreffer, à ne pas perdre de temps
pour le la procurer.
MUSIQUE.
CINQ, fix & feptième Cahiers du nouveau Journal
d' Airs choifis , avec accompagnement de Harpe ,
par Hartmams . Il paroît tous les mois un Cahier ,
L'abonnement eft de 18 livres franc de port. On
s'abonne à Paris , chez Periffe , rue Pavée- Saint-
André , allée du Menuifier.
Trois Quatuors concertans pour deux Violons ,
Alto & Baffe , par M. Van Hôoff fils , OEuvre premier
Prix , 6 liv. A Paris , chez Cornouaille , montagne
Sainte Geneviève , à côté du Séminaire de
Laon. On trouve chez le même tous les Recucils des
trente -fix Ariettes d'Opéra , depuis le premier jufqu'au
fixième inclufivement de 1781. Prix , 18 liv.
chacun.
H
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ISTOIRE Générale des Provinces - Unies , par
MM. Desjardins & Sellius . Ouvrage orné de fix
Cartes , tant pour la Géographie ancienne que pour
la moderne , & pour les poffeffions de la République
dans les autres parties du monde , de cinquante- fix
Portraits des Comtes de Hollande , Stadhouders &
autres perfonnes illuftres , pris fur les fameux Originaux
de Titien , Rubens , Van Dyck , Honthorst,
Vifcher , & de plufieurs autres figures repréfentant
des Antiquités , Médailles , Vignettes , & c. 8 Vol.
DE FRANCE. 47.
in-4°. propofés à une diminution confidérable. A
Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet.
Pour mettre le Public dans le cas de fe procurer
cet Ouvrage , & le faire participer à l'avantage que
le Libraire a rencontré en faisant cette acquifition ,
il propofe de donner chaque Exemplaire , en petit
papier, à 48 livres en feuilles , au lieu de 80 livres
qu'il s'eft vendu par foufcription ; & le grand papier
a 60 livres , au lieu de 120 livres , le tout jufqu'au
premier Décembre prochain , paffé lequel temps cet
Ouvrage fera vendu au même prix que précédemment.
Les perfonnes qui n'auroient que les premiers
Volumes de cet ouvrage , & qui defireroient de le
compléter , paieront les Volumes du petit papier
7 livres , ceux du grand papier 9 livres en feuilles
jufqu'à la même époque.
On trouvera des Exemplaires , foit brochés , foit
reliés , en payant la relieure & la brochure ſéparément.
Blanche & Vermeille , Comédie paftorale en
deux Actes & en profe , mêlée de Mufique , repréfentée
en 1781 par les Comédiens Italiens , in- 8 °. A
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Abrégé Chronologique de l'Hiftoire Univerfelle
depuis le commencement du monde jufqu'à nosjours,
par M. Magnier , Curé au Diocèle de Beauvais ,
Volume in- 12 . Prix , 1 liv . 16 fols broché A Paris ,
chez Guillot , Libraire de Monfieur , rue de la
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Tome XXIX de l'Hiftoire Universelle , nouvellement
traduite de l'Anglois , in- 8 ° . A Paris ,
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MERCURE
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Volume in- 12. Prix , 1 livre 4 fols . A Paris , chez
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de Paphos , avec les airs notés , Brochure in - 8 °.
Prix , 1 liv. 10 fols. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
VE
T A BLE.
ERS à M. le Docteur Pon Traité des Négations de la
fart ,
Romance ,
3 Langue Françoise,
Académie Françoise
Les Mufes , Conte Anacréon- Lettre à M. ***
zique ,
Enigme & Logogryphe ,
34
36
42
3
8 Réponse à la Lettre de Mde de
13 la Haye ,
Difcours prononcés dansl'Aca- Gravures ,
démie Françoife,
44
45
14 Annonces Littéraires , ibid.
AP PROBATION.
J'Alu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1Septembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 31 Août 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 SEPTEMBRE 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Faits à l'Affemblée ordinaire des Savans &
des Artiftes.
RAPPELás , réunis par d'illuſtres Mécènes , ( 1 )
Enfin les Mufes & les Arts ,
Après maintes recherches vaines , ( 2 )
Ont un aſyle , un centre ouvert de toutes parts ( 3 )
A l'effor des talens , aux élans du génie ;
Sans ceffer d'être amis , les Artiftes rivaux ,
(1 ) Les Quaranze Protecteurs de l'Établiffement de la
Correspondance .
(2) On fait tous les obftacles que cet Établiffement a
έρτοινές.
(3 ) L'Affemblée ordinaire des Savans & des Autifts .
Sam. 3 Septembre 1781 .
C
So MERCURE
Dans la plus parfaite harmonie ,
Au tact du goût , ici foumettent leurs travaux :
En ce lieu l'amant d'Uranie ,
A l'élève de Phidias ,
"Tend la main & l'entraîne aux chants de Polymnie :
Savant dans l'Art utile inventé par Pallas ,
Un enfant d'Arachné , pour régler ſes efquies ,
Au Difciple d'Euclide emprunte le compas.
Pour obtenir de vous quelques regards propices
En vous reproduifant vos traits ,
De timides pinceaux vous offrent leurs prémices ,
Grâces ! ... ( 1 ) & dans vos yeux attendent leur fuccès.
Le crayon à la main , la fière Architecture
Accourt auffi préfenter fes projets ;
Aux merveilles de l'Art la féconde Nature
vient mêler encor fes plus rares bienfaits,
Par une main ( 2 ) médiatrice
Conduit à ce brillant hofpice ,
Dans fa langue ( 3 ) accueilli , le favant Étranger.
Se retrouve parmi des frères ;
Et bientôt il veut échanger
Ses chef- d'oeuvres & fes lumières ;
( 1 ) Allufion à l'entrée des femmes à l'Aſſemblée.
( 2 ) M. de la Blancherie , Agent-Général de Correfpondance
pour les Sciences & les Arts.
( 3 ) Allufion à l'Établiſſement des Bureaux de Correlpondance
, cù l'on écrit & où l'on parle les principales
langues de l'Europe ,
DE FRANCE.
On fe parle , on s'entend des bouts de l'Univers . (1 )
Une louable concurrence ,
( Noeud de tant d'intérêts divers )
Tourne au profit des Arts & de la bienfaiſance.... ( 2 )
Raffemblez- vous , Riches & Grands ;
Infcrits au temple de Mémoire ,
Voulez-vous que vos noms foient à l'abri du tems ?
Aimez les Arts ; honorez les Savans }
Affociez-vous à leur gloire,
Qu'on puiffe dire un jour de vous :
Les Grands fe font montrés jaloux
De la gloire de leur patrie ;
Par leurs encourageans regards
Les Grands ont redonné la vie
Aux nobles enfans des Beaux - Arts :
Et par leurs foins , par leurs égards ,
La France eft devenue un foyer du génie.
( Par M. Sylvain Maréchal. )
( 1 ) Allufion aux moyens de Correfpondance & à la
Feuille Hebdomadaire.
(2 ) Allution à la Claffe des Affociés audit Établiffement.
Cij
52 MERCURE
LE MALHEUR DES FEMMES ,
Conte , imité de l'Allemand.
UNE ville fut autrefois
Prife d'affaut. ( Dès lors , comme au temps où nous
ſommes ,
La guerre avoit de fort beaux droits . )
Or, le vainqueur , charmé de fes exploits ,
Veut qu'au fil de l'épée on paffe tous les hommes.
Dieu fait quels cris poufsèrent vers le Ciel
Les époufes qu'alarme un ordre fi cruel !
Figurez - vous entendre mille femmes
Crier toutes enfemble. On devine , je croi ,
Que c'étoit un beau train ! Mille ! pour moi , Mefdames
,
Deux feulement me font trembler d'effroi.
LE malheur commun les raffemble.
En défordre & de toutes parts ,
Les yeux en pleurs & les cheveux épars,
Pales & fans couleur , elles courent enfemble
Da Général embraffer les genoux ,
Et demander qu'on fauve leurs époux ,
Bon , me dira la critique importune ,
Quoi ! fur mille femmes , pas une
Ne fe fentit du goût pour le veuvage ? - Non,
J'en fuis furpris moi-même , & le dis fans façon.
Ah ! le bon teinps ! qu'un tel exemple eft rare !
DE FRANCE. 53
Le Général , Chef d'un peuple barbare ,
Ne le fut pas affez pour braver leurs douleurs.
Eh ! qui peut réfifter à des femmes en pleurs ?
Je n'aurois pas voulu , Mesdames ,
Etre ce vainqueur triomphant.
Si j'avois vu tomber à mes pieds tant de femmes ,
J'aurois pleuré comme un enfant :
A chacune j'aurois fait rendre
Son cher époux , & même un autre par-deffus ,
Loin de rendre leurs pleurs & leurs oris fuperflus.
LE Général eut l'ame un peu moins tendre.
Mes Belles , leur dit-il :... Ah ! bon ! -
Un Général barbare ... -& galant ! -pourquoi non ?
N'être pas né François , eft-ce un mal fans remède ?
Le Général d'ailleurs favoit , quoiqu'étranger ,
Que l'on peut dire fans danger -
Ma Belle, même à la plus laide.
Mes Belles , leur dit donc le vainqueur , vos maris
» Sont dans mes mains : rien ne peut les défendre .
"
Apportez-moi tous vos joyaux de prix
» Pour leur rançon , & je vais vous les rendre.
» Celle qui retiendra , plus avare que tendre ,
» Le plus petit de ſes bijoux ,
» Verra fur l'heure expirer fon époux. »
Quoi ! propofer qu'on le fépare
De fes bijoux ! ah ! le barbare !
'Quoi ! les femmes en l'écoutant .1 :
Ciij
$4
MERCURE
N'ont point frémi ? Quoi ! chacune à l'inftant
N'eft point tombée en défaillance !
Donner tous ces tréfers dont le coeur eft épris !
Tous leurs atours ! pour qui ? pour leurs maris !
Aucune pourtant ne balance ;
Tout fut apporté promptement ;
Et le vainqueur encore exigea le ferment
Qu'on ne feroit aux maris nulle plainte
Pour avoir donné les joyaux ,
Et que l'on n'emploiroit ftratagême , ni feinte
Pour en acquérir de nouveaux .
Cz ferment-là fut prononcé fans crainte ,
Même avec joie en des momens fi doux ;
Puis à chacune on rendit (on époux .
Je ne vous peindrai point avec quelle allégreffe
Cette troupe fidelle accomplit le traité.
Comme chacune appelle , embraffe avec tendreffe
Le mari qu'elle a racheté !
Enfin les ent emis abandonnent leur proie.
Puis ayant vu partir le Soldat inhumain ,
Chaque époule faifit fon mari par la main ,
Et droit vers la maiſon s'achemine avec joie .
Eh bien , eft - ce la fin de votre hiftoire ?
Chaque femme parut , huit jours après la fête ,
-M
Trifte , chagrine en fa maiſon ,
Non.
Sans expliquer fon mal , fans chercher guérifon ;
Car le parjure alarme un coeur honnête .
Enfin , chacune en proie à fa langueur ,
DE
55
FRANCE.
Se met au lit , y cache fa douleur.
Tous les Médecins qu'on appelle
Oppofent à leurs maux des fecours impuiffans.
Las ! en dix jours , fur mille il en mourut neuf cens.
Ah, maudit Général ! eh ! dis - nous donc laquelle ,
Pour ceux qu'a vaincu ta valeur ,
Eft plus à craindre & plus cruelle ,
Ou ta clémence ou ta rigueur?
DE *** , Infeription pour le Portrait de M. DE
ILS vertueux d'un moderne Créfus ,
Iltrouva l'art d'illuftrer fa naiffance ,
En ajoutant toujours à fa finance ,
Sans rien ôter jamáis à fes vertus.
( Par M. l'Abbé Morazain. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft la Nuit ; celui du
Logogryphe eft Carême , ou fe trouvent
Carme , rame & arme.
Civ
56 . MERCURE
ÉNIGM E.
JE viens de voir dans le Mercure
Un Logogryphe fait d'une étrange façon :
Trois mots compofent fa ftructure ,
Mais trois mots qui fouvent ne font qu'une chanſon.
Tout galant qui dit : Je vous aime,
1.
Avec fon air doux & flatteur ,
Ne penfe pas toujours de même,
Et fa bouche dément fon coeur.
Faifons en même genre une Enigme nouvelle ;
Mais choififfons trois mots qui , par arrangement ,
Forment les voeux de tout fujet fidèle ;
Trois mots , le cri du fentiment ,
Du zèle , de l'amour , de la reconnoiffance ;
Trois mots connus fur-tout en France ;
Trois mots qu'avec tranfport on prononce fouvent.
J'en dis affez certainement
Pour que chacun les reconnoiffe .
Répète donc , mon cher Lecteur ,
Ces trois mots fi chéris que la vive tendreffe
A gravés de tout temps dans le fond de ton coeur.
( Par M. de Cailhava , Gendarme du Roi. )
DE FRANCE.
57.
LOGO GRYP HE.
AVEC trois de nies pieds jamais aux Saints Autels
- Je n'ai , d'un tendre amant & de la jeune Amante ,
Venus pour le jurer leur foi pure & conftante ,
Uni le fort heureux par des uuds folennels .
Avec un pied de plus je fuis un animal ,
Quoiqu'en mes jeunes ans , deftiné par mon maître
A ſupporter la faim , la foif , les coups , le mal :
Pour un pareil deftin , hélas ! devois-je naître ?
J'apporte le fracas , l'épouvante & la mort
Avec cinq pieds qui forment ma ftructure ;
J'appaife quelquefois la querelle & l'injure ,
Fixant des Souverains la fplendeur & le fort.
Mais , fi l'on change mon office ,
Tu peux m'employer , cher Lecteur ,
A te rendre un autre fervice
Dont tu fentiras la douceur.
Cependant , de moi , Dieu te garde
Dans ces deux différens emplois.
Bon foir ; car peut- être il te tarde
De me tenir entre tes doigts.
( Par un Garde Moulin de Montfaucon ,
près Paris. )
Cv
58
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ANNALES Poétiques depuis l'origine de la
Poefie Françoife. Tome XVIII . A Paris ,
chez les Éditeurs , rue de la Jullienne ,
vis à - vis le corps - de - garde ; & chez
Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins , au coin de la rue Pavée , 1781 .
IL faut convenir , avant de parler de ce
dix -huitième Volume , que les Amateurs
de la Poéfie ont dû applaudir au projet de
cette immenfe Collection . Si jamais dans
une Nation on doit fouhaiter un Recueil
qui renferme ce qu'on a ecrit de mieux en
poéfie , c'eft au moment où les Poëtes , en
fe multipliant , ont furchargé les bibliothèques
de leurs volumincufes productions ;
au moment où les Lecteurs blafes , & par
conféquent pareifeux , aimeroient encore
mieux renoncer à l'efpoir de lire de bons.
vers , que de s'expofer au danger d'en lire
une foule de mauvais. Voilà certainement
l'époque où fe trouve aujourd'hui la Littérature
Françoife. La feule nomenclature de
nos Poëtes formeroit un vafte Dictionnaire ;
& l'abondance de nos richeffes en ce genre
nous a rendus dédaigneux. A la réferve de
quelques ans , tels que Voltaire , Greffet ,
&c. on ne lit guères plus les autres Poëtes ,
DE FRANCE. 59
quoique leurs noms foient connus & cités.
Parmi ceux qui n'ont jamais eu de célebrité
ou qui l'ont perdue , il fe trouve fans doute
des Pièces agréables , étouffees fous une
foule d'inepties. Mais où font les Lecteurs
qui ont le courage de dévorer plufieurs Volumes
d'ennui , pour trouver un petit nombre
de bons ou de jolis vers ? Et voilà la
fatigue qu'ont voulu nous épargner les Rédacteurs
des Annales Poétiques.
S'il eft vrai qu'un Recueil de ce genre foit
devenu très utile aux Amateurs de la poéfie ,
on peut dire avec autant de vérité qu'il nous
manquoit jufqu'à ce moment . Celui qu'on
attribue à Fontenelle , outre qu'il est trèsincomplet
, eft fait avec la plus grande négligence
, pour ne rien dire de pis . Quand on
lit ce Recueil , on eft fouvent tout aufli
étonné de ce qu'on y trouve que de ce qu'on
n'y trouve pas ; & s'il eft vrai que Fontenelle
en foit l'Auteur , il faudra convenir
qu'il étoit encore plus habile faiſeur qu'il
n'étoit bon juge.
La Collection des Annales Poëtiques eft
faite avec plus de foin , & fuppofe de plus
grandes recherches ; & quoiqu'elle nous ait
donné lieu quelquefois à des obfervations
critiques , nous croyons que ce travail ne
fauroit être trop encouragé. Le Volume que
nous annonçons renferme fept Poëtes , Boisrobert
, Saint Amant , l'Etoille , Charpentier
de Marigny , Sarafin , Malleville & Guillaume
Colletet. Prefque tous ces . Auteurs
C vj
60 MERCURE
font plus connus par leurs noms que pat
leurs Ouvrages. Celui de tous qu'on lit le
plus , c'eft Sarafin , qui eft remarquable furtout
par l'élégance & une aimable facilité.
Son églogue d'Orphée , qui eft imitée de
Virgile , offre des détails heureux ; on y diftingue
fur- tout ces deux vers 2
Le chien , qui de fes cris bat ces rives défertes ,
Retint près d'aboyer les trois gueules ouvertes.
Son Ode fur la bataille de Léns mérite
auffi des éloges. Il n'a pas moins réufli dans
le genre gracieux ; & parmi fes Epigrammes ,
nous avons remarqué celle- ci , qui nous a
paru pleine de fens.
Epitaphe de M. le Comte de Soiffons.
Soifons , que fon malheur armoit contre la France ,
Près des murs de Sedan combattit en lion ;
La Victoire en ce lieu couronna fa vaillance ,
Et la mort le punit de ſa rébeliion.
3
Boifrobert a bien peu de vers qu'on puiffe
citer ; on diroit prefque que fou plus grand
alent étoit d'amufer le Cardinal de Riche- >
¡ieu.
Saint Amant a de l'enjouement & de l'originalité.
La Pièce intitulée , Imprécation .
finir d'une manière piquante.
Charpentier de Marigny n'a prefque rien
fourni aux Annales Poetiques. C'est lui qui
eft Auteur d'une Ballade très- connue , dont
DE FRANCE. 61
le refrein eft : Qu'on eft for alors que POR
aime.
Le Colletet , dont il eft ici queftion , n'eft"
pas celui dont Boileau a parlé affez indifcrètement
dans fes Satyres , quand il a dit :
Tandis que Colletet , crotté jusqu'à l'échine ,
Va mendier fon pain de cuiſine en cuisine.
La deftinée de ce Poëte eft affez fingulière .
Il a joui de fon vivant de la réputation la
plus brillante ; & depuis fa mort il n'a
trouvé place dans prefque aucun Recueil
Poétique. Il a pourtant fourni aux Éditeurs
un très grand nombre de Pièces fort agréables
. Voici un de fes Sonnets , intitulé :
Confeffion amoureufe.
C'EST en vain que du coeur vous me voulez ôter
La folle paffion que je n'ofe vous taite ;
Quoique votre confeil me femble falutaire ,
Mon père , je l'écoute , & ne le puis gouter.
Ce tyran des efprits qui me vient agiter ,
CL
Fait que j'éprouve en moi ce mal fi néceſſaire ,
Qu'il n'eft point de raifon qui m'en puiffe diftraire ,
Ni d'homme qui me faffe à ce Dieu réliſter,
JE confeffe avec vous que , fuivre de la forte
L'aveugle mouvement d'une flamme ſi forte ,
C'eft un crime odieux dont je ferai blâme.
Mais avouez auffi , mon père , en récompente, do
62 MERCURE
Qu'aimer comme je fais fans pouvoir être aimé ,
C'eſt d'un péché fi doux faire la pénitence.
Malleville paffe pour avoir réuffi dans le
Sonnet. Ses rondeaux ne font pas moins
agreables ; & nous fommes en cela de l'avis
des Éditeurs , qui ajoutent que parmi nos
anciens Poëtes , celui - ci eft un des plus ingénieux.
Il y a certainement de l'efprit dans
la Pièce que nous allons citer , & qui eſt auffi
originale par le fond que par le titre.
Sur une belle Gueufe.
PIEDS nuds & toute échevelée ,
Philis , en l'avril de fes jours ,
Non moins belle que défolée ,
S'en va de porte en porte implorer du fecours.
Qui la voit en ce point fi pleine de triſtelle ,
Bénit fa rencontre & le lieu ,
Et donne moins au nom de Dieu
Que pour l'amour de la Déeffe.
Quor que tu puiffes demander ,
Tu l'obtiendras , je t'en affure ;
Philis , tes yeux fi beaux ont droit de commander ,
Au moment que ta voix humblement nous conjure.
Qui voudroit réfifter , réfifteroit en vain.
A l'effort de tes belles larmes :
Demander avec tant de charmes ,
C'eft demander les armes à la main.
DE FRANCE. 63
TELS que luifent au ciel les fuperbes flambeaux
Des voiles de la nuit perçant l'ombre fi noire ;
Telle plus brilante en fa gloire ,
Ta beauté luit au travers des lambeaux.
QUELLE main pourroit être cloſe
A celle qui fur nous fait de fi doux efforts ?
Qui pourroit nier quelque chofe
A qui le ciel déploya fes tréfors ?
LES foleils de tes yeux , dont la flamme eft fi claire ,
La fraîcheur de ton teint , la douceur de tes traits ,
Et tous les dons que Nature t'a fairs ,
Obligeront la fortune à t'en faire.
f
JUSQUES dans nos ames tu fouilles ; ·
Et tes yeux fi puiffans , en leur douce langueur ,
Savent bien faire ouvrir & la main & le coeur ,
Et s'enrichir de nos dépouilles.
Ou ton corps glorieux fait luire fes appas ,
Il répand une odeur célefte ;
Et lorfque loin de nous il détourne fes pas ,
Long-temps après le parfum nous en reſte.
CHACUN juge à ton port & l'être & le pouvoir
Dont le ciel t'a favorisée ,
Et croit que tu t'es déguisée
Seulement pour nous décevois.
64
MERCURE
BIEN que ta pauvreté jufqu'à l'ame nous touche ,
A peine en pourrois- tu le difcours garantir :
Ta bouche s'oppose à ta bouche ,
Et fuffit pour te démentir.
UN rang de perles nompareilles
Compofe l'ordre de tes dents ,
Et de l'éclat de deux rubis ardens
Tu fais celui de tes lèvres vermeilles.
CEPENDANT tu mets devant nous
Tout ce que l'indigence a de rigueurs extrêmes ,
Er viens prier , preſque à genoux ,
Ceux qui font prêts de te prier eux- mêmes.
Tout le monde te donne , & croit qu'à ta beauté ,
Qui va régner avec eftime ,
Il acquitte plutôt un tribut légitime
Qu'il ne fait une aumône à ta néceffité.
MERVEILLE plus digne d'offrandes
Que tu ne l'es de charités ,
Tu ravis aux paffans plus que tu ne demandes ,
Puifque tu prends les libertés.
Tu fais ta récolte en ta courſe ,
Par la vertu de tes charms vainqueurs ;
Mais tu commences par les coeurs ,
Et puis tu finis par la bourfe.
Des Stances intitulées , de la Vanité du
Monde , prouvent encore que Malleville
DE FRANCE. 65
n'étoit point fans talent pour le genre noble.
Nous nous contenterons d'en citer une où il
eft question des Souverains.
Miſérables mortels , aveugles que nous fommes ,
Jufqu'au trône des Dieux nous élevons des hommes
Qui doivent le tribut à l'empire du fort !
Tous leurs plus beaux rayons fe changent en ténèbres
Et le fceptre qu'on porte en leurs actes funèbres ,
Augmente feulement la pompe de la mort.
Boifrobert eft un de ceux qui figure le
moins dans ce Volume , quoique ce fût réellement
un homme de mérite . Les vers qu'on
a inférés de lui , fans être bien brillans , ne
font pas dépourvus de talent poétique. Nous
avons cru rencontrer quelques Fièces mediocres
que les Éditeurs auroient dû rejeter.
Qu'il nous foit permis de communiquer aux
Editeurs une réflexion qu'ils ont peut - être déjà,
faite avant nous : c'eft qu'à mesure qu'ils s'approchent
des jours brillans de notre poésie ,
leur choix doit devenir plus févère , Telle
Pièce qu'on auroit dû admettre avec éloge
fous le nom de Villon , doit être rejetée
avec mépris fous celui de Racan . Le Lecteur
n'attend pas du premier ce qu'il eft en droit
d'exiger de l'autre, Les mines que les Éditeurs
ont à fouiller déformais font plus
abondantes & d'une exploitation plus facile.
Le goût leur fait un devoir d'être févères ; &
ils peuvent l'être fans s'appauvrir.
66 MERCURE
SUITE des Épreuves du Sentiment , par M.
d'Arnaud . Tome cinquième , quatrième
Anecdote , Amélie. Prix , 3 liv . broché.
A Paris , chez Delalain , Libraire , rue
S. Jacques.
ONOn peut le rappeler d'avoir lu dans le
Courier de l'Europe , Nº . 11 , 6 Juillet
1779, l'aventure d'une jeune Angloiſe qui ,
fous un habit d'homme , ofa chercher fon
amint à Philadelphie , où l'avoit appelé
l'honneur de verfer fon fang pour la défenfe
de la liberté. Arrivée en Amérique , elle
demande , elle s'informe ; elle apprend qu'il
s'eft livré un combat , elle vole au champ
de bataille , elle cherche , elle regarde , elle
trouve celui qu'elle aime expirant d'une
bleffure qu'il avoit reçue . Dans les tranfports
de fon amour & de fa douleur , elle
fuce fa plaie , elle veut étancher fon fang ;
mais , hélas ! la flèche qui l'a bleffé eft imbibée
d'un venin mortel que les Sauvages
ont coutume d'employer contre leurs ennemis
; il meurt bientôt après douloureufemént
pénétré de la générofité de fa maîtreffe
qui , atteinte elle - même du poifon qu'elle
avoit fucé , mourut à fon retour en Angleterre
, dans le fein de fa famille , au village
d'Hammerfwith , fitué près de Londres.
Telle eft la malheureufe Héroïne du nouDE
FRANCE. 67
veau Roman de M. d'Arnaud . Il a fu l'embellir
des acceffoires les plus touchans & les
plus propres à répandre de l'intérêt fur une
Anecdote déjà fi intéreffante par elle - même.
Le retour de fon Héroïne dans la maifon de
fes parens , à l'inftant où , agités des plus
cruelles inquiétudes , ils fe préparoient à
s'embarquer pour chercher leur fille dans
le Nouveau-Monde , & le tableau des derniers
momens de cette infortunée font peints
avec ces couleurs fentimentales , qui font le
caractère diftinctif des productions multipliées
de M. d'Arnaud . Il ne falloit rien
moins que la fécondité de la plume , pour
développer avec une certaine étendue une fimple
Anecdote qui ne fembloit guère fournir
que la matière d'une Romance. Auffi en
avoit- elle déjà infpiré une charmante , que
M. d'Arnaud a recueillie . Nous apprenons
qu'elle eft de M. le Chevalier de Langeac ;
elle nous paroît avoir tout le mérite dont le
fujer & le genre de l'Ouvrage etoient fufceptibles
. La voici .
ROZ ET BETZI , Romance.
Le jeune Roz en Angleterre
Aimoit l'innocente Betzi ;
Tous deux à la rigueur d'un père
Déroboient leur tendre fouci ..
Mais à Bofton , pour ta quérelle ,
Tout va s'armer , ô Liberté !
MERCURE
Roz alors n'eft pas moins fidèle
A fon devoir qu'à la beauté.
IL part , au premier cri d'alarmes ,
Il part fans prévoir de retour ;
Et baigné des plus douces larmes ,
Combien il en donne à l'Amour !
Vainement une voix chérie
Voudroit encor le rappeler :
A l'honneur , au nom de l'atric ,
Son coeur brûlant peut s'immoler.
TREMBLANTE , à la douleur en proie ,
Betzi fuit les pas d'un amant :
Soudain la voile le déploie ,
Dieux ! quel objet & quel moment !
Ses yeux fe ferment ; on l'entraîne ,
Elle étend les bras vers les flots ,
Et le nom de Roz avec peine
S'échappe à travers des fanglots.
QU'ELLE regrette le délire
Oùfe confumoient de beaux jours !
En fecret elle aime à relire
Tous les fermens de leurs amours .
Heureufe encore de les croire ,
Et plus fenfible à fon tourment
En rivale elle hait la gloire
Qui lui fait perdre fon amant.
•
DE FRANCE. 69
Aux jours , aux longs jours de l'abſence
Elle ne peut s'accoutumer.
Plus épris , fon coeur la devance
Aux bords où l'on vit pour l'aimer ;
Des mers elle franchit l'eſpace ,
Et fur l'Océan agité
Son oeil cherche à fixer la trace
• Du vaiſſeau que Roz a monté,
ÉOLE attendri la feconde ;
Enfin , elle apperçoit le Port.
Sur les rives du Nouveau-Monde
Elle s'élance avec tranſport ;
Ses piés tremblans touchent la terre :
Elle fe peint Roz en danger ,
N'ofe parler , craint de fe taire ;
Elle frémit d'interroger.
MILLE voix que l'écho répète ,
Des étendards ceints de laurier ,
Le bronze tonnant , la trompette ,
Tout annonce un fuccès guerrier.
Betzi friffonne , & vers la foule
Elle s'empreffe de courir.
Mais ce peuple à grands flots s'écoule ,
Roz eft encore à découvrir.
ELLE vole aux champs du carnage.
Sous la cuiraffe d'un Soldat
70 MERCURE
Elle voit.... Dieux ! l'horrible image ;
Roz eft tombé dans le conibat.
Sur l'objet de fa triſte Aamme ,
Sa douleur va fe dépofer ;
Elle veut refpirer ſon ame ,
Et la retient par un baiſer.
SES lèvres preffent la bleſſure
Où reftoit le fer du vainqueur ;
Un mouvement qui la raffure
Attire fa main vers fon coeur.
Il palpite ; une main ſi chère
De fa vie obtient le retour ;
Roz enfin a vu la lumière ,
Et c'eft l'ouvrage de l'Amour.
FRAPPÉ d'une fubite ivreffe ,
Qui peut de l'excès du malheur
Paffer aux bras de fa maîtreſſe
Sans expirer de fon bonheur ?
C'eft-là ce que Betzi doit craindre.
Quels feroient , ô Dieux ! fes regrets !
L'Amour même l'oblige à feindre ;
Elle voile en pleurant les traits.
Qui que tu fois , parle- moi d'elle ,
S'écrioit Roz en foupirant.
C'eft Betzi qu'un amant fidèle
Te recommande en expirant.
DE FRANCE. 71
Berzi .... Tu la verras peut- être ;
Promets qu'à Londres , de retour ,
Tu diras que j'ai ceffé d'être
En ne penfant qu'à notre amour.
A CES mots , troublée , attendrie ,
Dans un muet faififfement ,
Betzi ne tient plus à la vie
Que pour la rendre à fon amant .
Un cri d'amour la fait connoître :
Roz encore a pu l'adorer.
Mais ce bonheur qui vient de naître ,
Hélas ! qu'il devoit peu durer.
Le glaive fous qui Roz expire
D'un venin ſubtil eſt armé ;
C'eft la mort que Betzi reſpire ,
La mort fur fon fein trop aimé.
Son amant qu'elle y vouloit ſuivre ,
Betzi le devance au tombeau ;
Pour l'aimer Roz a cru revivre ,
C'eft lai qui devient fon bourreau.
IL frémit , il pleure , il fuccombe ;
De fes mains veut fe déchirer.
Vivant , de Betzi , de fa tombe ,
Rien ne pourra le féparer .
Sa voix n'eſt plus qu'un long murmure ,
Que le cri profond du malheur..
72 MERCURE
Il guériffoit de fa bleſſure ,
Il expira de fa douleur.
N. B. Amélie termine le cinquième Volume
des Epreuves du Sentiment. Le Comte
de Gleichem ouvrira le fixième.
DICTIONNAIRE des Merveilles de la
Nature , par M. A. J. B. D. A Paris , rue
& Hôtel Serpente.
PUISQUE la Nature eft belle juſques dans ,
fes caprices, il eft permis fans doute de la
furprendre dans fon fanctuaire , & de foulever
le voile qui la cache ; mais fi elle laiſſe
voir au curieux tous les prodiges , il s'en
faut de beaucoup qu'elle l'initie dans fes myftères.
Ici c'eft une femme accouchant d'une
fille , qui accouche d'une autre au bout de
huit jours ; à côté , deux fouris qui , en naiſfant,
fe trouvent pleines de plufieurs autres ;
là , c'eft un canard qui prouve dans une cuifine
que Pilade a pu s'offrir pour Orefte fur
les autels de la Tauride. D'un côté , c'eſt un
homme qui mange en un feul déjeûner cent
perches , dix melons , vingt livres de raiſin ,
cent bec - figues & trente- trois douzaines
d'huîtres ; de l'autre , c'eſt un navet dont les
feuilles, dreffées en forme de palmes, forment
le plus beau panache , & qui repréſente une
femme nue affife fur fes pieds , les bras
croifés au - deffus de la poitrine. Demandons
à la Nature la caufe de toutes fes bizarreries
;
DE FRANCE. 73
pièce
reries ; elle ne nous répondra que par des
phénomènes encore plus extraordinaires.
Eh bien ! comme s'il n'étoit pas déjà affez
humiliant pour notre raison de ne rien entendre
à fes fecrets , l'indifcret qui a le courage
de l'étudier , fe fait encore un plaifir
de lui prêter des miracles. Ainfi l'Auteur
du nouveau Dictionnaire ſe déclare le protecteur
de la baguette divinatoire. Il prétend
que cette verge d'Aaron peut tourner
naturellement fur les fources. Il eft vrai
qu'il l'a vue de fes propres yeux s'agiter entre
les mains d'une Dame à Bourges fur de l'argent
renfermé dans un buffet , au- deffus
d'une pièce d'or , enfin fur tous les métaux
, l'étain excepté . N'eft- ce pas le chien
de la Foire qui faute pour le Roi de France ,
le Roi d'Espagne , & n'a plus de jambes
pour le Roi d'Angleterre ? Que penferonsnous
de de Mathurin qui naquit à Blois en
1725 , ayant dans les yeux deux cadrans
peints diftinctement , & où l'on comptoit
facilement les heures tracées en chiffres
Romains ? & de cet autre qui , à l'Hôtel-
Dieu de Paris , faifoit lire très - diftinctement
dans les yeux , fit nomen Domini benedictum?
Puifque M.A. J. BB., D. nous affure que
la mère du premier avoit eu un defir ardent.
de voir une montre , qui nous empêchera
de conjecturer que la feconde avoit cu
envie de regarder un écu de France ?
Il y a apparence que c'est pour appuyer
l'ancien fyftême de l'Abbé Nollet fur l'élec
Sam. 8 Septembre 1781 .
D
74
MERCURE
tricité, que M. A. J. B. D. nous donne comme
un fait certain que la matière du tonnerre
s'élève de la terre en même-temps qu'une
pareille matière s'échappe de la nuée orageufe.
Il s'agite pour démontrer l'identité
de la matière électrique avec celle qui fait
le tonnerre , & paffe précisément fous filence
les expériences les plus curieufes & les plus
directes , celle du Profeffeur Richman , qui
lui coûta la vie , & celle de M. de Réaumur.
Bientôt après il oublie cette identité ; car il
paroît étrangement furpris que la foudre ait
mis en fufion le fer d'une
boîte
à poudre à
canon fans allumer la poudre. Le Phyficien
fait que la matière électrique fond les
métaux , & qu'elle n'a jamais pu allumer
immédiatement de l'amadoue.
Nous croyons devoir avertir l'Auteur du
Dictionnaire , que la mâchoire de fon Curé
de Canlus , Diocèfe de Rieux , n'eft pas plus
électrique que la meule du gagne - petit , &
que nous avons vu de nos propres yeux ,
oui, vu à Draguignan en Provence , M. le
Chevalier .... tirer des étincelles de fa mâchoire
en retirant brufquement la lame d'un
couteau qu'il ferroit fortement entre fes
dents; & en vérité perfonne de la compagnie
ne s'avifa de croire que ces étincelles
étoient électriques .
Eft -ce pour faire fa cour aux vieilles
femmes que M. A. J. B. D. nous raconte
que Marguerite Kerdut , née à la Baſtide ,
près la Garonne , reprit à foixante - quatre
DE FRANCE. 75-
ans de l'embonpoint, qu'elle n'avoit jamais
eu ; que les rides s'effacerent , qu'elle n'eut
plus befoin de lunettes , que fa bouche ſe,
garnit d'un double rang de dents pointues ,
que fon fein fe remplit , & qu'enfin fes
mois revinrent ? Ah ! fi le fait n'étoit pas
attefté par des Gafcons , que de femmes
iroient fe baigner dans la Garonne ! Mais
puifque les Graces mêmes font mortelles
rappelons leur du moins que Mde Lullin
reçut, le jour qu'elle cut cent ans accomplis,
un bouquet de Voltaire , avec quatre vers
encadrés dans une guirlande de fleurs trèsbien
peintes.
Nos grands pères vous virent belle :
Par votre efprit vous plaiſez à cent ans ;
Vous méritez d'époufer Fontenelle ,
Et d'être fa veuve long- temps.
* Si nous ne cherchions qu'à amuſer nos
Lecteurs , nous raffemblerions fous leurs
yeux tous les contes de notre laborieux
Compilateur ; ils verroient un homme monter
au haut d'un mur de trente pieds en
s'aidant feulement des ongles de fes pieds .
& de fes mains , comme feroit une fouris ;
ils verroient un Cure , prononçant une
Oraifon funèbre , affurer à l'Affemblée que
fon Héros étant tombé dans l'eau à l'âge de
dix-fept ans , n'en avoit été retiré qu'au
bout de fept femaines , & qu'il mourut feptuagénaire;
ils entendroient enfin une femme
p - 930xiol 5 mq , sano Duif &
76 MERCURE
qui parle & chante fans langue , & peutêtre
n'en feroient - ils pas plus furpris que le
Seigneur Portugais qui fit ce Diftique en
préſence de M. de Jullieu.
Non mirum elinguis mulier quod verba loquatur :
Mirum cum linguâ quod taceat mulier.
Mais nous ne pouvons & nous ne devons
pás diffimuler que le Dictionnaire des Merveilles
ne remplit pas le but qu'il exige ; il
prouve que fon Auteur fe livre volontiers
aux recherches pénibles ; il permet du moins
de foupçonner qu'il n'eft pas doué d'une
critique très - profonde , & que la Phyſique'
ne lui eft pas trop familière. Ayons encore
le courage de dire tout haut qu'il pourroit
être plus verfé dans l'art d'écrire. Une Relation
dans laquelle il s'y agit de ; il fut heureux
que ; un arc- en- ciel lunaire qui a le
malheur de devancer un accident fâcheux ; un
Empereur qui a beaucoup de peine à ne point
être enfeveli fous les ruines d'une Ville détruite;
un garçon Boucher qui eft le pendant,
de la ville de Charenton ; un laps de temps
qui ne s'étend point à un quart d'heure , &c.
Toutes ces fautes feroient-elles fupportables,
même dans un Errata ?
DE FRANCE.
77
-
RÉFLEXIONS fur la Mufique Théâtrale ,
in- 8° . de 36 pag. A Naples , & à Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
IL fuffit de jeter un coup- d'oeil fur les
querelles qu'ont occafionnées les Arts , pour
s'appercevoir que moins l'objet des difputes
a été connu , plus on s'eft laiffé entraîner à
l'aigreur & à l'animofité. Depuis que MM,
Gluck & Piccini font venus enrichir de leurs
talens notre Académie Royale de Mufique ,
leurs compofitions ont donné lieu à beaucoup
d'Ecrits ; & dans le nombre étonnant
de Brochures & de Pamphlets qu'ont mis au
jour les Partifans de ces deux célèbres Ar
tiftes , à peine en exifte - t- il deux qui foient
exempts des excès que fait naître prefque toujours
la fureurde l'efprit de parti . Avec le defir
de prôner l'idole qu'il s'eft créée, chaque Ecrivain
laiffe percer fon humeur contre ceux qui
n'ont point adopté fon culte. Celui- ci , po¬
litique adroit & fpirituel , diftribue à pro
pos fes farcafmes , & fe fauve, par une épis
gramme , de fon impuiffance à réfoudre certaines
queftions. L'autre , trop emporté pour
écouter aucunfyftême de modération , tonne
éclate , & prononce fes oracles du ton d'un
enthouſiaſte afſis fur le trépied facré ; parlé
avec chaleur pour l'objet de fes hommages ,
& condamne fans retour tout ce qui n'eft pas
lui. Ce feroit en vain qu'on fe promettroit
Dij
78
MERCURE
› &
d'être utile à l'Art avec de tels moyens :
l'homme qui veut réellement éclairer , propofe
de bonne foi fes idées , les difcute avec
fageffe , examine avec attention les opinions
que l'on oppofe aux fiennes , fe juge avec
févérité , revient fur fes erreurs , les avoue ,
& préfente aux hommes qu'il a trompés fans
le vouloir , le réſultat de ſes réflexions devenucs
plus juftes. Il ne s'amufe point d'ailleurs
à de vaines diftinctions , à de petites fubtilités
capables d'en impofer aux fots
d'épargner à fon amour - propre la honte
d'avoir en tort : c'eft au fond de la chofe
qu'il s'attache , c'eft la principale queftion
qu'il traite , & il ne paffe aux queftions
acceffoires , qu'après avoir approfondi celles
dont découlent toutes les autres . Il faut dire
dans le grand nombre de propofitions
qui ont été faites fur la Mufique , il en a été
agité plufieurs qui n'étoient point du relfort
des Gens de Lettres , & qui ne pouvoient être
conduites à unefolution raifonnable que par
des gens du métier , c'eft- à- dire , par des Muficiens.
Vraisemblablement l'Auteur d'Orphée
ici
que
& celuide Roland n'ont pas dup Orphée
de grandes
lumières dans les Ecrits de ceux qui font
devenus , fans гор favoir pourquoi , leurs
admirateurs ou leurs ennemis : & tout en rendant
juftice à l'Anonyme de Vaugirard , & à
l'Auteur de l'Effai fur la révolution de la Mufique
en France ; ces deux illuftres Compof
teurs ont dûtrouver extraordinaire qu'on ima
ginât , que legoût propre à rendre compte avec
DE FRANCE. 79
efprit de fes fenfations en Mufique , pourroit
tenir lieu de connoiffances réelles dans cet Art.
Si ce n'eft pas pour inftruire des Artiſtes qu'on
écrit , pourquoi donc entretenir d'interminables
querelles fur des objets indifférens à
la plupart des Lecteurs ? Pourquoi s'arrêter
à des difcuffions oifeufes , au lieu de s'occuper
de celles dont il peut réfulter quelque
avantage ? En vain écrira t- on des deux côtés
pour tenter de donner la prééminence à l'Idole
de chaque parti. Les hommes de génie ne
font pas & ne peuvent pas être jugés en dernier
reffort par leurs Contemporains ; c'eſt
la Poftérité qui les place , en brifant les Arrêts
qui , avant elle , ont été dictés par la prévention
, l'enthoufiafme ou la haine.
D'après ces obfervations , nous ne pouvons
que blâmer l'Auteur du petit Ouvrage
dont nous rendons compte , de s'être laifié
emporter par fon humeur , au point d'adreffer
à ce qu'il appelle les Glukiftes , des expreflions
faites pour être bannies de tout
Ecrit dicté par le defir d'être utile . En réfutant
les idées que l'Auteur des Obfervations
fur la Mufique a conçues de la Mélodie , " ił
ne falloit pas fe permettre des critiques qui
puffent devenir perfonnelles. Il falloit fentir
que de telles critiques devoient être interdites
à tout hommehonnête , puifque le talent d'exécution
qui a fait regarder M. de C. comme un
Amateur très - eftimable n'appartenant point
au Public,il ne fauroit être jugé publiquement.
Il ne falloitpas non plus , après avoir mis cet
Div
80 MERCURE
Ecrivain en contradiction avec lui - même, citer
ces vers connus de Voltaire : Souvent un
air de véritéfe mêle au plus groffier menfonge :
cette citation eft incivile & dure ; & , quoique
nous ne penfions pas comme certaines
gens qui donnent aux Partifans de M. Gluck
tous les avantages de la politeffe , en accufant
ceux de M. Piccini d'y avoir manqué
fans ceffe , ce qui eft auffi mal fondé que
malhonnête nous condamnons hautement
cette manière de juger , parce qu'elle annonce
tout à la fois la partialité & la colère. A
quoi bon auffi les épigrammes adreffées
fourdement à quelques - uns des Admirateurs
de l'Auteur d'Alcefte ? Pourquoi dire ,
en parlant de l'un d'eux , qu'il ne fait pas une
note de Mufique ? D'où l'Ecrivain le fait- il ?
Si quelqu'un lui a fait le même reproche, il a
eu tort fans doute; mais pour répondre à une
affertion inconféquente , faut - il être inconféquent
foi- même , & s'expofer à des reproches
défagréables ? Comment a- t - il encore
imprimé d'une manière aufli générale , auffi
affirmative , que la Mélodie de . M. Gluck
n'a ni proportions , ni liaifon , ni deffin ?
Quoi ! l'Auteur d'Orphée & d'Alcefte n'apoint
de deffin dans fa Mélodie ! Quoi ! il
n'y a point de deflin ni de proportions dans
ce Morceau d'Iphigénie en Tauride : O
malheureufe Iphigénie ! Dans cet autre : Je
t'implore &je tremble , ô Déeffe implacable !
Quoi ! il n'y a point de deffin dans prefque
tous les morceaux qui compofent le rôle
}
DE FRANCE. Sr
d'Iphigénie en Aulide , un des Perfonnages
les plus parfaitement deflinés que la Mulique
ait portes fur la Scène ? Perfonne ne croira
que le Critique ait raifon ; & , finon tout
le monde , au moins la partie judicicufe des
Amateurs , auroit penfe comme lui , s'il
avoit fimplement avancé ce qui a déjà été
dit avec juftice ; que M. Gluck' , en voulant
fuivre la marche de l'action , brife trop
fouvent fes motifs , néglige trop la Mé
lodie , & fait peut - être trop fréquemment
le facrifice des règles de fon Art , au defir de
fervir l'Art dramatique.
La févérité dont nous nous fervons n'eft
que de la juftice , nous ofons le dire; &
nous devions l'employer avec d'autant plus
de raifon , que le Critique dont nous examinons
les idées a de grandes lumières fur la Mufique
, qu'il annonce beaucoup de goût &
d'efprit toutes les fois qu'il traite une Thèle
qui n'a avec l'Art qu'un rapport général.
Nous ferions fâchés que notre rigueur pût
lui déplaire , & nous le prions de croire
que dans notre manière de le juger , il n'entre
d'autres caufes que celles de la vérité , de
l'amour du bien & du refpect des Artiftes .
Après avoir fatisfait à ce que nous croyons
devoir à l'impartialité la plus rigoureufe ,
nous allons citer les morceaux eftimables
que l'on remarque avec plaifir dans ce petit
Ouviage.
On fait que, depuis long temps , la Mélodie
proprement dite eft un des moyens de
D v
82 MERCURE
l'Art mufical que l'on voudroit voir le plus
fouvent banni du Théatre : elle fe complait,
a dit quelqu'un , dans des écarts & dans de
vagues erreurs. Ce principe eft faux fans
doute. Que diroit- on d'un Ecrivain qui ávan
ceroit que l'Eloquence ne fe complaît que dans
un vain appareil de mots & dans des figures
vagues laborieufement accumulées : On lui
répondroit certainement qu'il a jugé l'Eloquence
d'après de mauvais Auteurs , & on
l'engageroit à étudier les bons modèles : on
peut dire la même chofe au fujer de la Mélodie
, & renvoyer fon Détracteur aux grands
Maîtres Italiens. On lui demanderoit alors
où font les écarts & les vagues erreurs du
morceau de Sacchini , fe cerca , fe dice ; de
cet air fublime de Piccini , fe il Ciel mi
divide. Peut être répondroit il que ce n'eft
pas là de la Mélodie , & il faudroit fe taire
par décence. Mais voyons comment l'Auteur
des réflexions prend la défenfe de la Mélodie
& des formes dont elle doit être embellie.
» Le befoin d'exprimer , dit-il , ne peut
difpenfer les Arts de la néceflité de plaire ,
» & réciproquement cette néceflité de plaire
ne les affranchit pas du befoin d'exprimer.
» Mais file plaifir & l'expreffion ne font pas
incompatibles , & doivent même être inféparables
, quels font les liens qui les
» uniffent l'un à l'autre ? Ces liens font les
» formes de l'Art. C'eſt à l'aide de ces for-
» mes , confacrées par le travail des grands
» Maîtres & par le fuffrage des Nations inf
"2
33
f
DE FRANCE.
211
ور
» truites , qu'un Art plait , & 11 , exprime....
Que deviendroient les Arts , fi
on leur permettoit de feparer la beauté
» des formes , & l'energie de l'expreffion ?
» Le Laocoon feroit-il plus parfait , fi , à
» travers les fymptômes de fa fouffrance ,
la contraction des mufcles , & tout ce
"
2
qui peut peindre les mouvemens les plus
» horribles de la douleur extrême , on ne
» démêloit pas le charme des proportions ,
la beauté du faire & le choix de la belle
» nature ? »
"
Il faudroit être de la mauvaife foi la plus
infigne , n'avoir aucune idée des Arts , ignorer
abfolument ce qu'eft le beau idéal , pour
ne pas fe rendre à l'evidence de ces proportions.
C'est l'obfervation de ce principe inconteſtable
qui engagea Molière à faire une
excellente Comédie de fon Tartufe , dont
quelques- uns de nos Modernes n'auroient
fait qu'un Drame monftrueux.
A ce premier exemple pris de la Sculpture ,
l'Auteur des Réflexions en ajoute un autre que
lui fournit l'Art dramatique. Il prend la belle
tirade de Burrhus à Néron , dans la troifième
Scène du quatrième acte de Britannicus ; il en
écarte tous les developpemens , toutes les
tranſitions , & réduit à treize vers cette tirade
que Racine a compofee de cinquante- trois.
Ce morceau ainfi arrangé n'eft plus qu'un
lambeau trifte , fec & froid ; c'eft un fquelette
dégoûtant qui redevient un corps vivant,
qui reprend tout fon embonpoint ,
AX 9 Dvj
$4
MERCURE
"
"
"
quand on l'a rétabli comme il a été tracé par
l'homme de génie. « Que fait , dit l'Obfer-
» vateur , le Muficien , lorfqu'il compofe un
» air ? Un fentiment principal le frappe
dans le Poëme ; il s'en pénètre , & fon
génie lui infpire à l'inftant un motif énergique
& propre à rendre ce fentiment
principal. Il fe remplit de ce motif , &
» bientôt la fenfibilité l'entraîne . Semblable
» à l'Orateur, qui ne quitte fon moyen vic-
» torieux que lorfqu'il en a tiré toutes les
» preuves dont il a beſoin , il retourne ce
motif , le ramène , le fait moduler , en
» varie , en renforce l'effet , établit , ou-
» tre ces acceffoires , celui des rapports qui
ajoutent à l'énergie.... Que faifoit Racine ,
» en compofant la Tirade citée ? La mê-
» me chofe abfolument que le Compofi-
ور
ود
» teur , & c . »
Cette comparaifon nous paroît infiniment
jufte & fufceptible de frapper tous les bons
efprits , tous les efprits faits pour fentir que
fi la Peinture , la Sculpture , la Poëfie , font
des Arts qui foumettent à l'obſervation de
leurs principes ceux qui les ont embraffés ,
la Mufique doit avoir le même empire fur
les Compofiteurs , & les foumettre à fes
loix.
Qu'on ne croie pourtant point que l'Auteur
des Réflexions condamne les libertés
que le Génie fe permet quelquefois ; il demande
feulement qu'il fe hâte bientôt de
leur rapporter fon hommage ; & en cela ,
DE FRANCE. 85%
on peut encore affirmer qu'il a raifon. Mais il
devoit peut-être ajouter que le goût & le genie
ne ſe reuniffent pas toujours dans le même
individu , & que le goût feul modère les
écarts du génie , & le ramène à l'obfervation
des règles.
En général , ce petit Ouvrage , malgré les
reproches qu'on peut lui faire , annonce un
homme inftruit , imbu d'excellens principes
de goût , nourri de la lecture des meilleurs
Maitres , & capable d'écrire d'une manière
utile fur la Mulique , quand il aura fu calmer
fon enthouſiaſme , & mettre un frein à
la fougue de fon humeur. Que lui importent
les obfervations d'une foule d'Amateurs qui ,
hors un homme , n'eftiment rien ? Chacun ne
peut- il pas avoir fon avis, & l'admiration exclu
five que l'on accorde à tel Artiſte , eft- elle
faite pour fixer le jugement de l'Europe favante
Il faut n'affectionner aucune fecte ,
aucun parti ; ne pas crier à la perfécution
du ton d'un perfecuteur , écrire pour éclai
rer , & dans tous les temps , parcere perfonis.
Les François d'ailleurs ne font pas encore
mûrs pour la Mufique , peut - être ne le feront-
ils jamais. De temps en temps on a vu
la Nation prendre la manie pour le goût même
de cet Art. Voici ce que nous trouvons dans
le Rendez-vous des Tuileries , Comédie de
Baron , reprefentée en 1685. « Je fais qu'il
» eft du bel air de faire l'Adorateur de la Mu
fique ; & je " fais un de nos bons amis)
ملا
» âgé de foixante ans , qui dernièrement me
86 MERCURE
33
vint dire très-férieufement que dans peu.
il efpéroit favoir folfier. » Cette épigramme
fur la Mulicomanie pourroit peut - être , malgré
le laps d'un fiècle , trouver plus d'une
application.
( Cet Article eft de M. de Charnois. )
SUPPLEMENT à l'Art du Serrurier , ou
Effai fur les Serrures de combinaison ,
publie par M. Feutry , de la Societe phi
lofophique de Philadelphie , Volume
infolio , avec figures. A Paris , chez
Lamy , Libraire , quai des Auguftins .
Ce nouvel Ouvrage répond parfaitement
à la réputation que M. Feutry s'eft
faite par plufieurs Traités folides & méthodiques
fur des objets utiles. , après s'être
diftingué par des Ecrits de Littérature agréa
bles. Dans la Collection des Arts publiée
par l'Académie des Sciences , celui du Serrurier
fe trouve décrit par M. Duhamel du
Monceau ; le Supplement nous paro digne
de ce premier Redacteur , & c'est tout dire.
La plupart des Serrures de combinaiſon ,
qui font analyfees & deffinées avec exactitude
, ont été prefentées à la Société libre
d'Emulation etablie à Paris pour encourager
& récompenfer les inventions qui tendent
à perfectionner la pratique des Arts &
des Métiers utiles ; elle a dejà confacré
depuis fon inftitution la fomme de deux
DE
FRANCE. 87
mille trois cent foixante- quatorze livres à
gratifier les Artiftes qui s'occupent avec
beaucoup de zèle en ce moment à perfectionner
l'Art de la Serrurerie , & s'eft procurée
par ce moyen une belle Collection de
chef d'oeuvres en ce genre,
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
C'EST EST en vain que les Chefs de l'Adminif
tration de l'Opéra ont multiplie les efforts
pour rendre intereffans les Concerts qu'on a
fait exécuter au Château des Tuilerics , la
Salle en a été conftamment deferte . Cette
tourbe de prétendus Connoiffeurs , dont les
endroits publics font inondes , a continué de
déclamer dans les cafés , mais elle n'a pas daigné
defcendre jufqu'à fréquenter des Concerts
, qui préfentoient des objets de comparaifon
dont on auroit pu tirer avantage . Les
partis qui exiftent actuellement, peuvent être
diftingués en trois claffes. La première eft com
pofée de quelques partifans de l'ancienne Mufique
Françoife: la feconde , de ceux qui
fuivent l'etendard Germanique ; & la trồifième
, du petit nombre d'amateurs qui ont
pris dans l'Italie même , l'habitude & le goût
de la Mufique Italienne. M. Dauvergne , qui
nous paroît s'être fait un devoir de ne rien fa88
MERCURE
crifier à l'efprit de parti , a réuni dans plufieurs
Concerts les differens genres de Muſique , qui
font aujourd'hui l'objet des querelles des
prétendus amateurs ; tous les foins de cet
Artifte eftimable ont été inutiles , & ces
Concerts ont été , s'il faut le dire , encore
plus abandonnés que ceux qui furent donnis
en 1763 , lors du premier incendie de
l'Opéra. Cette defertion a engagé l'Adminif
tration à recourir au moyen le plus propre
à répondre à l'impatience du Public , & l'on
a réfolu de faire exécuter fur le petit Théâtre
des Menus Plaiſirs , les Ouvrages Lyriques ,
dont la repréſentation n'exige pas une pompe
trop confidérable . Le Devin de Village , Myrtil
& Lycoris , Théodore , ont d'abord été
exécutés ; & fi le Public n'a pas témoigné
en revoyant ces Ouvrages toute la fatisfaction
qu'il a montrée dans d'autres temps ,
on ne peut attribuer le peu d'effet qu'ils
ont produit , qu'à la petiteffe du local , &
aux retranchemens qu'on a été obligé de
faire , tant dans l'Orchestre que dans les ac
ceffoires. Une chofe digne d'attention , eft le
zèle & l'adresse des Maîtres du Théâtre &
des Compoliteurs de Ballets ; ils ont fenti
qu'un petit cadre ne pouvoit comporter
qu'un certain nombre de perſonnages , &
que la multiplicité des figures nuiroit à l'effet
des tableaux ; ils ont mis infiniment de goût
dans le choix des fujets qu'ils ont admis ; les
Artiftes les plus diftingués ont éte employés
dans les différens genres , & l'on ne peut que
DE FRANCE. 89
les féliciter de ce qu'ils ont fait pour les Coni
pofiteurs & pour le Public. Parmi les divers
Ouvrages qu'on a choisis , comme les plus
fufceptibles d'être repréfentés fur ce Theatre,
on a diftingué Echo & Narciffe , Paftorale
Tragique , en trois Actes , par M. le Baron
de T ... y , Mufique de M. Gluck.
Cette production qui , malgré les cri
tiques qu'on en a faites dans quelques
Journaux , & notamment dans celui - ci , eft
réellement digne de plufieurs éloges , a eu
à cette reprife le fuccès le plus décidé.
On s'eft rappelé que lorfqu'elle fut repréfentée
pour la première fois , des Amateurs
diftingués trouvèrent que le Muficien
n'avoit eu d'autre tort que celui de proportionner
fa compofition au genre dans
lequel il travailloit , genre trop foible pour
le cadre dans lequel on le plaçoit , fi l'on excepte
le fecond Acte , dont l'effet eft certain
, quel que foit le Théâtre fur lequel on
le repréſente . Le rôle de Cynire , chanté
autrefois par M. Legros avec fuccès , a été;
chanté par M. Laïs , pour la voix du
quel il a été arrangé. A une excellente mé
thode de chant , ce jeune Virtuoſe a réuni
les qualités qui annoncent un Acteur ; du
goût , de l'ame & du zèle. Nous ne cherchons
point à lui donner de l'orgueil , mais
nous l'engageons à ne pas perdre de vue le
plaifir qu'il a donné au plus grand nombre des
Spectateurs , les encouragemens dont l'ont
honoréles véritables Amateurs, & fur- tout ce
90 MERCUREqu'il
fe doit à lui -même , s'il veut mériter la
réputation à laquelle il paroît digne de prétendre.
Mlle Laguerre , dont les talens font
connus , a chanté le rôle d'Echo avec tous
les moyens qui conftituent une Chanteufe
& une Actrice . Ses progrès dans l'art du jeu
font très évidens , la reconnoiffance des
Amateurs du Théâtre doit être égale à fes
efforts , & c'eft avec un vrai plaifir que nous
nous chargeons d'être leur interprète.
L'hymne à l'Amour , qui termine cet
Opéra, a été redemandé par le Public , & il
a été répété. Nous fommes éloignés de nous
élever contre les hommages que le Public
rend aux Artiftes , mais nous répétons ici ce
que nous avons déjà dit ailleurs . L'habitude
de redemander des morceaux de mufique eft
indigne d'un Théâtre auffi diftingue que
celui de l'Opéra. Elle peut amener des fuites
funeftes à l'Art & aux Artiftes ; & de la
part des Acteurs de ce Spectacle , c'eft s'affimiler
aux Acteurs forains que de céder aux
inftances de quelques extravagans qui affectent
de n'avoir point allez entendu un morceau
déjà exécuté cinquante fois . L'ufage de
répéter fouvent les repréſentations du même
Ouvrage dans le cours du même mois , doit
bannir de l'efprit des Spectateurs l'incertitude
de revoir bientôt l'objet qui a fu leur
plaire ; & de pareilles demandes , qui ne
font jamais faites que de la part d'un certain
nombre de perfonnes , annoncent plutôt
l'efprit de parti & de cabale , qu'un véri→
DE FRANCE. 91
table enthoufiafme. On pourra contefter
cette affertion ; mais elle eft fondée fur une
expérience acquife , & dont on ne donne
point ici de preuves , parce qu'on refpecte
le Public.
COMÉDIE ITALIENNE ^
ON vient de donner l'Automate , Comédie
en un Acte & en profe , mêlée d'Ariettes
, Mufique de M. Rigel.
Un Tureur qui veut époufer fa Pupille ; une
Pupille qui aime un jeune homme ; un Amant
inventif qui le fait tranfporter chez fon rival ,
dans le coftume d'un Automnate qui parle ,
meut & chante à refforts; un contrat qu'un
Notaire gagné fait figner au Vieillard qu'on
trompe ; l'Amant déguifé une feconde fois
fous le coftume d'un Clerc de Notaire, le défefpoir
du Tuteur dupé , & la joie des autres
Perfonnages qui fe font un bonheur du
chagrin du Vieillard tels font les refforts
de certe Comédie , dont le ftyle eft plus que
foible , Paction fans vraisemblance , l'intrigue
fans intérêt , & le dénouement ufé.
Exiger d'un Muficien une compofition
digne d'éloges fur un fujet pareil , für un fujet
exécuté avec fi peu de foin , ce feroit exiger
Timpoffible ; & quel que foit le talent de M.
Rigel , il ne peut produire des miracles.
CetteComédie a néanmoins été applaudie ;
quelques fituations bouffonnes , imitées d'an
92 MERCURE
canevas Italien , ont fait plaifir au peuple
des Spectateurs. La charge des Théâtres du
Rempart fait aujourd'hui le fuccès de certains
Ouvrages qu'on admet fur les Théâtres
Royaux ; retombons-nous donc dans la barbarie
:
SCIENCES ET ARTS.
DÉCOUVERTE pour la Cure des Fleurs
Blanches , par le Sieur Broignard.
IL eft des maladies fi communes, qu'on ne les regarde
prefque plus comme des maux , & qu'on né-,
glige d'en chercher le remède. Les unes attaquent
généralement l'humanité , d'autres les hommes feuls,
& d'autres les fermes . De ce nombre font les fleurs
blanches , qui vicient la fource de, la génération &
du plaifir .
Le fieur Broignard , connu pour la cure des
hernies , a découvert un fpécifique pour la guérifon
de cette maladie ; le voici :
Prenez une groffe poignée d'écorces de racines
d'orme , que vous effilerez par petits morceaux ; enfuite
faites les bouillir dans trois chopines de vin
rouge jufqu'à la réduction d'une bouteille. Après'
que la liqueur fera un peu refroidie , paffez -la au
travers d'un gros linge avec une forte expreffion'
des racines ; il en résultera une liqueur gluante &
très -favonneuse , dont on fera ufage de la manière
fuivante : Faites tiédir dans un petit vafe environ
un demi - verre de cette liqueur , enfuite trempez un
linge à diverfes reprifes pour en étuver pendant une
DE FRANCE.
93
minute l'intérieur de la partie malade ; enfuite vous
y en injectez avec une petite feringue trois ou
quatre fois ; on réitère la même opération trois fois
par jour , le matin , à midi & le foir avant de fe
coucher, jufqu'à la guérifon parfaite.
Cette liqueur a la propriété de réfoudre , déterger,
rendre le ton , le reffort & de cicatrifer. Le
feur Breignard en a fait l'expérience
fur fix femmes
de différens états , qui , fortement attaquées de ce
mal, en font parfaitement
guéries , les unes depuis
dix-huit mois , les autres depuis fix.
Il n'a pas été employé de remède interne dans.
tout ce traitement , & l'Auteur s'en rapporte aux
gens de l'Art pour y fuppléer d'eux-mêmes fi quélque
circonftance le rendoit néceffaire .
GRAVURES.
CARTE générale de la Suiffe , par Clermont.
-
Prix , 3 livres. Frontispice du fecond Volume des
Tableaux de la Suiffe. Prix , 3 livres , compofé &
deffiné par Moreau le jeune , gravé par Née. A
Paris , chez Née & Compagnie , rue des Francs-
Bourgeois. Le prix de la foufcription de ce Supplément
eft de 24 liv . pour le texte , & 24 livres pour
environ trente - fix Eftampes & Cartes. On paye
moitié en ſouſcrivant, & le refte en recevant l'Ouvrage.
-
Numéros cinq & fix des Eftampes représentant
divers fujets du Télémaque , dédiées à Mde la Marquife
de Villette , Dame de Ferney-Voltaire . Le
premier eft l'arrivée de Télémaque dans l'Ile de
Calipfo. Le fecond, les confeils de Thermofiris à
Télémaque. Le troifième , l'Amour parmi les
Nymphes de Calipfo. - Le quatrième, Télémaque
―
943
MERCURE
raconte fes aventures à Calipfo. Le cinquième ,
Vénus qui amène Cupidon au fecours de Calipfo. -
Le fixième,les Nymphes de Calipfo affemblées autour,
de Mentor, qui prennent plaifir à le queftionner..
Ces Eftampes, très- agréablement exécutées , font
deffinées par Manuel , & gravées par fatas & de
Mouchy ; elles fe vendent chez de Mouchy, Cloître,
Saint Benoît. L'Auteur prévient le Public que M.
Cochin s'occupe actuellement à definer la fuite de
cette Collection , & qu'on en publiera quatre ou
fix dans le courant de l'année prochaine.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ASTRONOMIE , par M. de la Lande , Lecteur
Royal en Mathématiques , de l'Académie Royale
des Sciences , &c. Tome quatrième. A Paris , chez
la Veuve Deffaint , 1781 , 788 pages in-4 °. , avec
figures. Prix , 12 liv.
Le grand Traité d'Aftronomie que M. de la
Lande publia il y a dix ans , fe trouve complété par
ce quatrième Volume . On y trouve des additions
importantes pour les trois premiers Volumes , un
grand Traité du Flux & du Reflux de la mer , & un
Mémoire très- curieux de M. Dupuis , qui contienf
F'explication aftronomique de la Mythologic.
ANDA
of
Arrêts du Grand- Confeil de S. M. I. & R.
feant en la Ville de Malines , recueillis par le
Comte de Coloma & par J. B. Hony , 2 Volumes
&
in 8 ° A Paris , chez Mérigot le père , Libraire
quai des Auguftins ; & à Malines, chez Hanicq ,
Imprimeur.
L'Art de nager, avec des avis pour fe baigner
utilement , fuivi d'une Diſſertation fur les Bains
DE FRANCE. 95
orientaux , par Thevenet, Volume in - 12 , avec
figures , quatrième Édition , corrigée & augmentée.
A Paris, chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins..
Traité des Erections des Bénéfices , par M. Lau
bry , Docteur en Théologie , & Avocat au Parle
ment , Volume in- 12 . Prix , 2 liv. ro fols broché,
& 3 livres relié. A París , chez Démonville , Imprimeur-
Libraire , rue Chriftine.
Traité de la Séduction confidérée dans l'ordre
judiciaire , par M. Fourniel , Avocat au Parlement ,
Volume in- 12 . Prix , 2 liv . 10 fols broché , & 3 liv.
relié. A Paris , chez Demonville , Imprimeur-Libraire
, rue Chriſtine,
Recueil de Pièces intéressantes pour fervir à
Hiftoire des Règnes de Louis XIII & de
Louis XIV, avec huit Portraits gravés en tailledouce
, Volume in- 12. Prix , 3 liv . broché. A Paris ,
chez Elprit , Libraire , au Palais Royal.
Hiftoire Naturelle de la France Méridionale,
par M. l'Abbé Soulavie , in - 4 ° . , Tome III . A
Paris , à l'Hôtel de Venife , Cloître Saint Benoît , &
chez Quillau , Belin & Mérigot l'aîné , Libraires.
Rhétorique Françoise à l'usage des Colleges ,
feconde Edition , Volume in- 12. A Paris , chez
Barbou, Imprimeur Libraire , rue des Mathurins ,
& Colas , Libraire , Place Sorbonne.
Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque .
nº. V , Romans du leizième fiècle , fections ry &
44, in- 8 A Paris , chez Moutard , Imprimeur-Li
braire , rue des Mathurins.
On trouve à la même adreffe les Tomes XI &
XII de l'Hiftoire de l'Eglife , par M. Bérault-Ber
caftel .
Life de Parens , Amis & Connoiſſances réſidens
à Paris , défignés par ordre alphabétique de leurs
96 MERCURE
demeures , pour leur faire parvenir Billets d'accouchement
, de naiffance , de mariage & autres Avis ,
Ouvrage utile à toutes les familles Parifiennes ,
2 Volumes . A Paris , chez Lottin l'aîné , Imprimeur-
Libraire , rue S. Jacques.
La France illuftre , ou le Plutarque François ,
par M. Turpin , troifième foufcription , nº . 7 , contenant
l'Hiftoire du Cardinal Mazarin . A Paris , chez
Deslauriers , Marchand de Papier , rue S. Honoré ,
près de la rue des Prouvaires.
N. B. Dans un des Mercures précédens , on a
annoncé l'Hiftoire de Fanny Spingler en un Volume
, cet Ouvrage eft en deux Volumes in- 12 ; il
fe vend chez Knapen , Imprimeur - Libraire , Pont
Saint Michel.
C'est par erreur qu'on a annoncé que l'Ouvrage
fur la Pulmonie , par M. Jeannet des Longrois ,
fe vendoit chez l'Auteur , on ne le trouve que chez
Méquignon , Libraire , rue des Cordeliers .
TABLE.
VERS àl'Assemblée ordinaire Beflexions fur la Mufique
des Savans & des Artiftes , Théâtrale ,
1
Le Malheur des Femmes
• Conte ,
Enigme & Logogryphe ,
Annales Poétiques ,
77
49 Supplément à l'Art du Serrurier
,
86
52 Académie Roy. de Mufiq . 87
56 Comédie Italienne , 91
58 Découverte pour la Cure des
Fleurs Blanches Suite des Epreuves du Senti- ,
ment . 66 Gravures ,
Dictionnaire des Merveilles de Annonces Littéraires ,
la Nature ,
J'AI
721
AP PROBATION.
92
93
24
AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 8 Sept. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris,
le 7 Sept. 1781. DE SANCY.
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 15 SEPTEMBRE 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
·EN VERS ET EN PROSE.
ODE AUX SOUVERAINS.
Our , vous êtes des Dieux , mais fachez à quel titte
Zélés adorateurs de l'éternel Arbitre ,
Vous devez protéger ſon culte & ſes autels
Défarmer l'injuftice , enchaîner la licencé ,
Venger la timide innocence ,
Et de l'oppreffiou garantir les mortels .
-Si de l'Etre Éternel la puiſſance infinier
N'eût aux foibles humains fait préfent de la vie ,
Que pour les accabler fous le poids des malheurs ,
Pourroient- ils , mandiffant leur misère profonde , i
Bénir la parole féconde
Qui les cût appelés du néant aux douleurs ?
REGNER, c'eft protéger , gouverner & défendrer
Sam. 15 Semptembre 1781 .
E
28
MERCURE
C'eft mériter l'amour par l'amour le plus tendre ;
Fonder fur la raiſon l'autorité des Lois :
Tel un Roi , du Très - haut eft l'image facrée ;
Et fous fa puiffance adorée
Tout eſt fécond , la terré & le peuple à la fois.
Rois , fymboles mortels du Monarque fuprême ,
Nos coeurs volent vers vous , confentez qu'on vous
aime !
Favorifez des Arts l'effor induftrieux ;
s
Par des regards fereins rendez les champs fertiles.
Réprimez le luxe des villes ,
Et brifez des Traitans l'orgueil ambitieux.
Le Commerce aux États affure l'abondance
De la terre & du ciel répare l'inclémence ,
Change en d'utiles biens de ftériles tréfors ;
Que vos Nochers voguans fur les plaines de l'onde ,
Soient les économes du monde ,
Et que tout l'Univers accoure dans vos ports.
Di vos auguftes droits , défenfeur intrépide ,
Qu'un premier Tribunal où la Vertu préfide ,
De vos peuples foumis foit l'afyle facré :
Perdent-ils près de vous ce protecteur'fidèle .
Ils tremblent qu'une main 'cruelle
*Ne les faffe gémir fous un joug abhorré. áp
N
DANS l'aurore des temps , l'innocente droitre ju
DE FRANCE. 99
La modération , richeffe la plus sûre
Fixeient chez les humains les douceurs de la paix :
Le Très -haut régnoit feul fur fes enfans dociles .
Ses fléaux étoient inutiles ,. de of
Et la Vertu par-tout, appeloit, fes bienfaits.
2 MAIS bientôt , infidèle à ce Monarque auguſte
L'homme devint pour l'homme un oppreffeur injufte;
La Liberté gémit & réclama fes droits ;
Jufqu'au trône des cieux elle fe fit entendre ;
Et l'Éternel , pour la défendre ,
D'un glaive falutaire arroa la main des Rois.
O vous donc , qui du Ciel exercez la puiffance,
Réglez-vous fur Dieu même & fur fa Providence !
Travaillez fans relâche à remplir fes deffeins !
La force , la bonté , la fageffe fublime
Confacrant un Roi légitime ,
E
Font de fes juftes lois les devoirs les plus faints .
TEL fur un être libre , intelligent , ſenſible ,
Eft le règné adoré de ce Maître invifible ;
De fon trône éternel la juftice eft l'appui..
Retracez à nos yeux fa douceur paternelle ;
Qu'il foit toujours votre modèle ,
Ou renoncez aux droits que vous tenez de lui.
1
MAIS YOUS , Peuples ; mais vous , ne jugez point voe
Maîtres !
Fuffent ils des Tyrans , des Oppreffeurs , des Traîtres,
Eij
ICO MERCURE
Dieu feul peut dépofer ces prévaricateurs.
S'il permet leurs excès , c'est pour punir vos crimes 3
. Fléchi par vos pleurs légitimes .
Il brifera leur fceptre ou changera leurs coeurs.
APLPAUDIS à ton fort , ô France ! ô ma Patrie !
D'un Monarque vainqueur la puiffance chérie
Maintient ta liberté par l'équité des Lois ;
Les fublimes Vertus dans fon ame imprimées ,
Et dans tout fon règne exprimées ,
Sont la gloire du Trône & l'exemple des Rois.
( Par M. de Reganhac , qui va publier une
Traduction en profe des Odes d'Horace ,
avec des Poéfies Lyriques. )
VERS
A Mademoiſelle THÉNARD , le lendemain
de la repréfentation de Tancrède , où elle
jouoit le rôle d'Aménaïde.
COMBIEN d'Acteurs ont fu de l'Art
Atteindre l'heureuſe impoſture !
Mais ton talent , belle Thénard ,
Eft le fecret de la Nature.
Hier , Aménaïde en pleurs ,
Darloit , & fubjuguoit les coeurs :
Je vis l'Amour à qui tout cèdejaM
Attendrir jufqu'à tes bourreaux
DE FRANCE. 101
Et donner au brave Tancrède
Tous les Spectateurs pour rivaux .
ENVO 1.
To me trompois , galant Ovide ,
Ainfi que toi , gentil Bernard !
Aimer , je crois , n'eft point un art ,
Ou c'eft celui d'Aménaïde ,
Ou c'eft le tien , jeune Thénard.
(Par M. Cuinet d'Orbeil. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Vive le Roi ! celui
du Logogryphe eft Canon d'Artillerie & de
Seringue , où fe trouvent non & anon.
ENIGM E.
Now , fans doute il n'eft pas de plus pompeuſe
gloire !
Je pare un Roi , le Prince & le Seigneur
Je fuis le prix d'une victoire ,
Souvent celui de la faveur.
Ainfi flatté par ces brillans
partages
Chez le Bourgeois j'ai mêmes avantages; .
Car le mérite & le rare talent
Me font un fort qui doit me plaire autant
E itj
102 MERCURE
Mais on s'imagine peut- être
Que , dédaignant l'humilité ,
Je fuis tout la vanité
Que je viens de faire paroître :
C'eft une erreur ; & l'inconftant deftin
M'attache encore au pauvre Capucin .
Ce trifte emploi , comme on le penfe ,
Des miens n'eft pas le plus chanceux ;
Et le beau fexe , en apparence ,
Me rend mille fois plus heureux :
t
Qui ,la brune & la blonde , & la jeune & la belle ,
Ufent de moi fans ceffe , & Life m'a ſur elle.
A voir mon fort , tu croirois , cher Lecteur ,'
Qu'il eft vraiment digne d'envie ;
Détrompe-toi , déplore mon malheur ;
Car j'ai , par fois , ôté la vie .
( Par un Officier de Royal Etranger. )
LOGOGRYPHE.
Nous portons même nom ,
Quoique d'efpèce différente.
Le même habit nous fert chaque faifon ;
La couleur eft pourtant plus ou moins éclatante .
Nous babitons divers climats ,
Chacun felon notre ftructure.
Lecteur , fi tu ne m'en crois pas ,
Confuke de Buffon le Traité de Nature.
DE FRANCEN
103
.
Pour nous trouver plus ailément ,
De nos fix pieds défais l'arrangement ,
· Tu vois en eux les cinq voyelles ;
Un être domestique , & qui porte des aîles ;
Un perfide élément ;
Tiffu dont peu fe fert le modefte indigent ;
Ce mot dit avec aſſurance
Pour attefter la vérité ;
Un autre fans lequel on feroit Roi de France ,
Et qui maintient l'homme dans l'efpérance
D'une félicité.
Ton cruel embarras me fait rire d'avance.
(Par M. le Chevalier Mefnard du Montelet. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
RECUEIL de Pièces Fugitives & de Contes
nouveaux , deux Parties. Vol. in- 12 . A
Londres , 1781 ; & fe trouvent à Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nou
veautés.
ON fe permettra peu de réflexions fur
:
cet Ouvrage il fuffit de tranfcrire pour
mettre le Lecteur en état de l'apprécier.
Le prologue du premier Conte commence
par ces vers ,
Si j'en crois les confeils de mes jeunes amis ,
Aujoug de l'éloquence Apollon eft foumis ,
E iv
164 MERCURE
Et déformais au ftyle il faut que je me livre.
Ce confeil eft fort bon , &c.
C'est un flyle un peu extraordinaire
que de fe livrer au fiyle , parce que dejeunes
amis confeillent qu'Apollon eft foumis au
joug de l'éloquence.
Il ne paroît pas d'ailleurs que l'Auteur
faffe trop de cas des confeils de les jeunes
amis , car il déclare qu'ils voudroient en
vain exiger de lui ,
D'être lent à produire , & prompt à corriger.
Et fur cela il ne manque pas d'alléguer
l'exemple de La Fontaine.
Quand le bon homme Jean bâtiſſoit pour les Grâces ,
Tous les vers à la fois couroient prendre leurs places,
Et l'on n'entendoit point far un pénible étau
Le monotone ton d'un technique marteau :
Puiffé-je comme lui paffer de rofe en rofe
Surpaffer maint Auteur qu'en fecret on m'oppoſe,
Et rire le premier pour faire rire auffi , & c .
Nous ne croyons pas que ce foit toujours
un bon moyen de faire rire que de rire le
premier. Au refte , il eft facile de fentir tout
le mérite d'une pareille poéfie fans qu'il ſoit
befoin de commentaire.
On trouve dans ce même prologue une
petite galerie de Portraits ; il n'eft pas queftion
d'examiner comment & pourquoi ils y
font placés. Voici le premier de ces Por-.
traits.
DE FRANCE. 101
Maris à peine échappe aux prifons du College ,
Que de fes fens éclos goûtant le privilége ,
Il préfume , en chantant de vulgaires atours ,
Que perfonne avant lui n'a chanté ſes amours ;
Sans fortir de la chambre il s'envole à Cythère ,
Il appelle fon lit un trône de fougère ;
Sous fon bonnet de nuit , en bandeau transformé ,
C'est lui-même qu'il nomme où l'Amour eft nommé.
Telle eft la manière de peindre de notre
Auteur ; il a dû s'écrier , comme le Corrége ,
Sonpittor anch'io.
Aux Portraits de ce Mæris , & d'un fade
Licidas , qui fait dire aux échos des fottifes
champêtres , fuccède celui d'Alcipe , Auteur
méchant ; enfin celui de Cléon , qui n'eft ni
méchant ni fade.
Cléon n'eft ni méchant ni fade ,
Et dans tous fes Écrits , tirade par tirade ,
Le bon goût fe promène aves auftérité
Pour les marquer au coin de la poſtérité.
Voilà le ftyle auquel l'Auteur fe livre dans
le prologue de la Mort des Dieux , Conte ,
qui feroit peut -être mieux intitulé , la Mort
des Lecteurs.
On lit plus volontiers les Papillottes Sy-.
riaques à la page 123 .
Les Papillottes Syriaques , Conte.
Près du temple immortel que le grand Richelieu
Confacra pour la gloire à la gloire de Dieu ,
Ev
106 MERCURE
3
Je viens de rencontrer Ricaric le Critique ,
Qui , s'approchant de noi d'un petit air cauftique :
Vous allez donc , dit-il , en cornets de papier ,
Envelopper le poivre ainfi que Pelletier ,
Et faire un foible hommage à la typomanie
De quelques méchans vers dépourvus d'harmonie ?
En vérité , Monfieur , reprens-je au même inftant , "
L'amour propre eft flatté d'un pareil compliment ;
Et le grand Despréaux , quoiqu'un peu votre maître ,
N'auroit ni mieux écrit ni mieux parlé , peut être :
Du Parnaffe François , Seigneur haut - jufticier ,
Il envoyoit auffi les gens chez l'Épicier ,
Sans fonger toutefois que le meilleur Ouvrage
Peut , au gré du haſard , fervir à tout uſage.
Ricaric auffi- tôt vers fon Barbier Forbas ,
A, fans répondre un mot , précipité fes pas :
Cet homme apparemment n'aime pas la réplique ;
Mais je l'ai pourfuivi jufques dans la boutique ;
Et plus il s'écrioit : Monfieur , je refte ici ,
Et plus je m'écriois : Monfieur , j'y reſte aufſi .
De quatre gros feuillets de Bibles polyglottes ,
Déjà deux gros garçons ont fait des papillottes ,
Et blafphemant gratis le nom facré de Dieu ,
Le coëffent pour fix fols & de grec & d'hébreu .
Ah ! parbleu Ricaric , m'écriai-je avec joie ,
Mon livre du beurrier peut bien être la proie ,
Puifque le plus augufte & le premier de tous ,
Sertà frifer les crins d'un homme tel que vous.
Lors à mon Ariftarque écumant de colère ,
DE FRANCE. 107
J'ai préſenté bien vite un miroir falutaire ,,
Et fur la tête il lut en Syriaque écrit :
Heureux les gens bénins & les pauvres d'efprit.
L'idée de la Confeffion de Thalie paroît
prife dans les premières Scènes de la Centenaire
de Molière , petite Comédie pleine
d'efprit , de M. Artaud. Quoi qu'il en foit ,
cette Confeflion contient des traits heureux.
Cependant l'Auteur , qui n'a pas cru nécef
faire ( comme il le dit lui -même ) de s'affervir
à l'ordre chronologique des Pièces qu'il
paffe en revue , devoit prévoir qu'on s'ac
coutumeroit difficilement à ce que Regnard ,
Baron , Dancourt , Deftouches obtinffent
les faveurs de Thalie avant Racine . On fait
trop que Molière étoit contemporain de
Racine ; que brouillé avec lui , il ramena par
fon fuffrage le Public aux repréfentations
des Plaideurs : trait de Molière prefque aufli
inimitable que fes Comédies.
Si l'Auteur confultoit de vieux amis , ils
lui confeilleroient fans doute d'étudier les
nuances qui féparent le bas du familier ; il
ne paroît pas avoir une idée bien jufte de
ces nuances , fi on en juge par le Dialogue
fuivant.
A Deux de Jeu , Conte.
Combien ce ruban- là , parlez , ma belle Dame ?
Cent fols , mon beau Monfieur , je n'en rabattrai rien,
Car il me coûte à moi quatre francs fur mon ame ,
E vj
108 MERCURE
Comme il eft vrai que vous êtes Chrétien
Et que je fuis honnête femme :
En ce cas-là ce n'eft pas fort certain ;
Car , voyez-vous , je ſuis athée :
Lors la Marchande , un peu déconcertée :
Parguienne , & moi ne fuis-je pas catin ?
Le Conte , ou plutôt le mot fuivant , eft
nieux tourné. Cependant nous obferverons
qu'il faut un terrible fond de gaieté pour en
apporter à de pareils fujets.
L'Actrice mortifiée , Conte.
On alloit rompre un malheureux ,
Quand tout-à- coup une Actrice effrénée
Ayant en Grêve une loge à l'année ,
Se mit à dire : oh ! comme il eft peureux !
Le patient , déjà nud jufqu'aux hanches ,
La reconnut à fon gentil parler ;
Et lui cria : Madame , on peut trembler
Quand on ne connoît pas fes planches.
Les Pièces Fugitives qui compofent la
feconde Partie du Recueil , ne font pas indignes
des Contes renfermés dans la pre- ,
mière .
Épire à un de mes Amis , qui étoit fujer
à l'ennui.
Tu répètes fans ceffe , & tu crois , cher Hortence,
Qu'à l'uniformité l'ennui doit ſa naiffance ;
Qu'ikfaut vivre au hafard fi l'on veut vivre heureux ,
DE FRANCE. 109
Et qu'une ombre de règle eft un joug onéreux.
Eft-ce un bonheur , ami , de languir par ſyſtême ,
Et de toujours fubir , d'un air facéticux ,
Les caprices fréquens d'un ſexe impérieux ?
Loin de moi ce bonheur , loin de moi l'indolence
Et la groffe gaieté de la molle opulence.
Ce dernier vers rappelle un peu trop celui
du Méchant ,
Et la groffe gaieté de l'épaiffe opulence.
Mais on doit le pardonner à l'Auteur , qui
n'a d'ailleurs aucun trait de reffemblance
avec Greffet.
Il n'eft pas néceffaire de pouffer plus loin
les citations de cette Epître à un Ami ,
de MM. de P... & B.... , qui avoit le malheur,
peu furprenant , d'être fujet à l'ennui.
Le Cardinal de Richelieu , tontpuiffant &
malade , s'ennuyoit fonvent. Ses Médecins
lui confeilloient alors une dofe de Bois - robert.
Comme nous ignorons fi M. Hortence ,
à qui s'adreffel'Epître , s'eft trouvé foulagé
après l'avoir luc , nous n'oferions propoſer :
la même recette à nos Lecteurs.
Le Publie prendroit fans doute beaucoup
d'intérêt aux Epîtres & aux petits Vers adresfés
à MM Beaunier , de Melun , Delêtre ,
Maitre à Danfer de la ville de Saintes ,
Duval de la Bucardière , Reifnier , Régnant
119
MERCURE
de Chaource , &c.; mais les bornes de cet
extrait ne nous permettent pas de les inférer
ici. Nous aimons mieux finir par tranſcrire
une ou deux Chanfons.
Chanfon fur nos Difputes Muficales , &c. *
A VOIR Meffieurs les Glukiftes
Avec Meffieurs les Ramiſtes ,
Et Meffieurs les Picciniftes
Perpétuer leurs débats ;
Je crois voir les Janféniftes
Querellant les Moliniftes ,
Et chercher noife aux Thomiftes
En fe difputant le pas.
LES premiers , dont la manie.
Dégénère en calomnie ,
Trouvent Rameau fans génie ,
Et foutiennent au procès
Que l'Auteur d'Iphigénie ,
Du fond de la Germanie ,
Apporte enfin l'harmonie
Aux imbécilles François.
LES feconds , que cela choque ,
Difent que Gluck eft baroque ;
>
* Nos Difpures Muſicales feroient moins vives & plus
ntiles , fi on ne s'obſtinoît pas de part & d'autre , à donner
fon goût pour règle exclufive , ce qui prouve beaucoup
d'amour- propre & peu de connoiffance de l'Art.
'DE FRANCE.
Qu'en France , avant fon époque ,
Le bon goût fe décida ;
Et qu'il n'eft point équivoque
Que Rameau , dont on fe moque ,
L'avoit tiré de la coque
Avec les fils de Léda.
LES troisièmes , qui font clique
Pour Piccini le Comique ,
Par maint bravo fanatique ,
Voudroient le proclamer Roi,
Et démontrer fans réplique
Que Rome eft le centre unique
De l'excellente Mufique ,
Auffi bien
que
de la Foi.
Oui , par malheur , voilà comme
De ce trio qu'on renomme ,
On veut nous prouver en fomme
Qu'un feul membre a de bons droits.
Ventrebleu , cela m'affomme :
Partageons plutôt la pomme ;
Pourquoi ne voir qu'un grand komme
Où nous pouvons en voir trois ?
Chanfon fur les Étrennes de Mercure
Opéra- Comique en trois Actes.
LI Lundi , premier de l'An ,
Nos Étrennes de Mercure
112 MERCURE
Ont réuffi foiblement , ture -lure ;
C'est ce que dit le Mercure ,
Robin ture-lure.
MAIS le Vendredi fuivant ,
Moyennant mainte coupure ,
On en parut fort content , ture-lure ;
C'est ce que tait le Mercure,
Robin , &c..
BIEN eft-il vrai que le plan
N'eft point dans fa contexture
Neuf originairement , ture - lure ,
C'est ce que dit le Mercure ,
Robin , &c.
MAIS un tableau du moment
Fait excufer fa bordure
Quand le fond en eft riant , ture- lure ;
C'eft ce que tait le Mercure ,
Robin , &c.
On y trouve cependant
Des couplers qui d'aventure
Sont faits agréablement , ture - lure ;
C'est ce que dit le Mercure ,
Robin , & c .
MAIS dans trois Actes de chant ,
Il en faut je vous affure ,
DE 113
FRANCE.
De liaiſon feulement , ture - lure ;
C'eft ce que tait le Mercure ,
Robin , &c.
On voudroit également
Qu'une gaze plus obfcure
Y voilât notre enjouement , ture - lure ;
C'eft ce que dit le Mercurè ,
Robin , & c.
MAIS au temps paffé vraiment ,
Où l'oreille étoit moins pure ,
Le coeur étoit innocent , ture -
Ceft ce que talt le Mercure ,
Robin , ture - lure ,
lare j
En général , les Chanfons nous ont paru
les Pièces les plus agréables de cette Collection.
Au reffe , il faut avouer qu'on n'a
jamais pouffe plus loin qu'aujourd'hui la
fureur , ou plutôt la foibleffe de recueillir &
de publier toutes les bagatelles de fociété.
Les Critiques ne peuvent rien contre cette
épidémie.
L'efprit & le talent ne fuffifent pas pour
réuffir dans les Pièces Fugitives , il faut encore
un grand ufage du monde ; le vrai ton
de ces fortes de Pièces n'eft réservé qu'à un
très-petit nombre d'Auteurs.
Nous avons dans ce moment fous les yeux
un Recueil manufcrit qui juftifie notre opinion.
Il eft compofé , prefqu'en entier ,
des
114
MERCURE
productions de MM de Boufflers , de Villette
& de Parny. La manière de ces Auteurs
feroit la critique la plus sûre de prefque
toutes les Pièces qu'on appelle Fugitives , fi
dans un extrait on fe permettoit d'en rapprocher
la comparaifon . Le goût eft le fentiment
délicat des convenances en tout genre.
Voilà ce qu'a dit M. d'Alembert , & ce que
devroient retenir les jeunes gens qui cèdent
trop volontiers à la démangeaifon d'écrire.
DISCOURS fur la Vie & les Ouvrages de
PASCAL , par M. L. B. Seconde Edition.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
du Jardiner.
PASCAL eft un des hommes qui ont fait
le plus d'honneur à la Nation Françoife , &
dont la réputation a le moins fouffert des
changemens que le temps amène dans les
opinions ; auffi fa gloire eft - elle fondée fur
des titres réels . Les Provinciales font un
chef-d'oeuvre de plaifanterie & de difcuffion.
On trouve dans les Penfées de grandes
vérités exprimées avec fimplicité & avec
force , & cette manière originale , auffi piquante
dans ceux en qui elle eft naturelle ,
que fatigante dans les hommes qui veulent
fe parer d'une originalité factice. On favoit
qu'il étoit parvenu à inventer une partie des .
Élémens de la Géométrie qu'on refuſoit de
lui apprendre , & qu'il avoit rendu cette
anecdote vraisemblable par les preuves qu'il
DE FRANCE. 119
donna de fon génie ; bien différent du Minime
Magnan, à la jeuneffe duquel on a fait honneur
de la même fagacité , mais à qui il
n'arriva plus de rien inventer. Il ruanquoit
une Edition complette des avres de
Pafcal , & même fes meilleurs Ouvrages. Sa
Théorie des combinaifons appliquée aux
probabilités , & fon Traité de la Roulette
étoient d'une rareté extrême. Un Géomètre
célèbre , qui eft en même temps un excellent
Ecrivain & un Littérateur éclairé , a donné
cette Collection complette en 1778 ; & ila
placé à la tête un Difcours fur la Vie &
les Ouvrages de Pafcal . C'eft ce Diſcours , où
l'Auteur a fait un grand nombre de changemens
importans , que l'on vient de réimprimer.
Cette réimpreffion doit être agréable au
Public , qui doit chercher à connoître un
homme à qui l'on vient de décerner une ſtatue
an nom de la Nation , & aux Gens de Lettres
, qui ont dans leurs bibliothèques les
Provinciales & les Penfées , & à qui le refte
des Ouvrages de Pafcal peut être indifférent.
Nous nous bornerons dans cet extrait à
en citer quelques morceaux qui nous ont
paru contenir des réflexions utiles . Pafcal eft
trop connu pour entrer dans d'autres détails.
L'Auteur parle de quelques Ouvrages de
Paſcal fur la Géométrie que l'on n'a pas pu
recouvrer. « N'exagérons pas , dit - il , des
" pertes , ou déjà réparées , ou aifément
réparables quant à l'objet effentiel , c'eft-
-à- dire , aux connoiffances qu'on pourroit
116
MERCURE
و د
"
efpérer de puifer dans ces Ouvrages. Con
» fidérons que fi on les retrouvoit aujour
d'hui , ils ne nous offriroient tout au plus
» que des vérités de détail , & non pas des
» fecours pour avancer la Science . En effet ,
depuis le temps où ils furent écrits , les
» Mathématiques fe font enrichies d'une
" foule de découvertes ; les méthodes font
» devenues plus fimples , plus faciles & plus
» fécondes. Les grands Géomètres de notre
20
33
temps ne lifent pas Archimède , ni même
» Newton , pour y apprendre de nouveaux
» fecrets de l'Art . Il y a dans ces recherches
" un progrès continuel de connoiffances ,
qui, aux anciens Ouvrages, en fait fuccéder
d'autres plus profonds & plus complets.
» On étudie ces derniers , parce qu'ils repré-
» fentent l'état actuel de la Science ; mais ils
» auront à leur tour la même destinée que
» ceux dont ils ont pris la place. Il n'en eft
pas ainfi dans les Arts qui dépendent de
l'imagination . Une Tragédie telle que
» Zaïre fera lue dans tous les temps avec le
même plaifir , tant que la langue Françoiſe
durera , parce qu'il ne refte rien à
» découvrir ni à peindre dans la jaloufie
» d'Orofmane & la tendreffe de Zaïre..
99
"
» Le Poëte & l'Orateur ont un autre
» avantage : leurs noms répétés fans ceffe par
» la multitude , parviennent très - promp
» rement à la célébrité . Cependant la gloire
» des Inventeurs dans les Sciences femble
» avoir un éclat plus fixe , plus impofant.
Ap
DE FRANCE. 117
Les vérités qu'ils ont découvertes circu-
» lent de fiècle en fiècle , pour l'utilité de
tous les hommes , fans être alfujéties à la
» viciffitude des langues. Si leurs Ouvrages
» ceffent de fervir immédiatement à l'inftruction
de la poftérité , ils fubfiftent
» comine des monumens deftinés à marquer,
pour ainfi dire , la borne de l'efprit
» humain à l'époque où ils ont paru. »
Avant de faire l'hiftoire des Provinciales ,
M. L. B. entre dans quelques détails fur l'origine
des querelles qui , dans le fiècle dernier
, & même dans le nôtre , ont troublé
l'Eglife & le Royaume.
99
« Il eſt vraiſemblable que les Jéfuites auroient
fuccombé dans leur pourſuite contre
» les difciples de Janfénius , fi des hommes
toutpuiffans dans l'Europe n'euffent eu
intérêt de fe joindre à eux. Le Cardinal
» de Richelieu , qui haïffoit perſonnelle-
» ment l'Abbé de St- Cyran , avoit d'abord
» tenté de faire condamner fes Ecrits par le
ל כ
Saint Siège ; mais il mit peu de fuite & de
» chaleur dans cette négociation : il n'étoit pas
homme à effuyer les lenteurs ordinaires à la
» Cour de Rome pour un objet auffi fri-
» vole à fes yeux que la cenfure de quatre
ou cinq propofitions fyftématiques , ha-
» fardées par un Théologien fans appuis il
trouva plus fimple & plus commode de
» faire enfermer l'Abbé de Saint- Cyran à
la Baftille .
"
» Mazarin , moins emporté , plus adroit
118
MERCURE
!
E
» dans l'art de cacher & d'affurer les effets
30
7
de fa haine , porta en fecret de plus rudes
" coups aux Janféniftes ; il étoit indifférent
au fond fur toutes les matières Théologiques
: il aimoit peu les Jéfuites ; mais il
favoit que les Solitaires de Port - Royal
» confervoient des liaiſons avec le Cardi-
» nal de Retz , fon enneini , qui l'avoit fait
» trembler. Sans approfondir la nature de
ces liaifons formées anciennement , &
très innocentes en elles -mêmes , il les
» jugea criminelles , & pour s'en venger il
» excita fourdement le Clergé à demander
» la Bulle de 1656. Ainfi une question qui
» ne devoit jamais être remuée , ou qui
» auroit dû naître & mourir dans l'obfcu
rité des Écoles , acquit de l'importance ,
& troubla l'État pendant plus de cent
» ans , parce que les Défenfeurs d'un Livre
inintelligible & deſtiné à l'oubli , étoient
les amis d'un Archevêque de Paris , qui
» avoit voulu faire chaffer le premier Mi-
» niftre du Roi de France , Mazarin ne
» prévit pas fans doute les funeftes fuites
» de fa foibleffe à mêler l'autorité dans
» une guerre Théologique dont il auroit
» fallu ignorer l'exiftence ; mais fon exemple
doit être une grande leçon pour les
Souverains & les Miniftres.
-99
3
99
Mde Perrier , four de Pafcal , a donné
une vie de fon frère. Il a paru il y a quel
ques années une autre vie de Pafeal affez
étendue , mais où il s'eft gliffe quelques
DE FRANCE. 119
inexactitudes ; & c'eſt au Difcours que
nous annonçons qu'il faut recourir fi l'on
veut bien connoître cet homme célèbre.
L'Auteur y a tout dit , ou mis à portée de
tout deviner.
LA VENGEANCE DE PLUTON , ou
fuite des Mufes Rivales , en un Acte ,
en vers & en profe , in 8 ° . A la Haye ;
& fe trouve à Paris , chez Gueffier , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe , &
Couturier fils , Libraire , quai & près
l'Églife des grands Auguftins , au Coq.
DANS le cours d'une année ou à -peu- près ,
la mort enleva tout-à - coup aux Lettres & à
l'humanité une foule d'hommes célèbres diftingués
dans tous les genres. Les uns moururent
quelque temps avant , les autres
quelque temps après Voltaire . Ces pertes
multipliées ont donné à M. le Chevalier de
C. l'idée de la Pièce dont nous allons parler.
En vertu du pouvoir accordé aux Auteurs
Dramatiques d'intervertir quelquefois
l'ordre des événemens , il fuppofe que Voltaire
eft mort le premier, & que les Perfonnages
qu'il a introduits dans fon Drame
font morts dans l'efpace de la même journée
ces Perfonnages font Haller , Rouffeau
, Lekain & Garrick. Voici quelle eſt la
fable de la Pièce..
Pluton eft inftruit par Mercure qu'Apol-
Jon , aidé du dieu Mars , à projeté de lui en120
MERCURE
lever Voltaire. Indigné de cet attentat , il
appelle Atropos , & lui ordonne de le venger,
en tranchant les jours des Écrivains &
des fujets qui foutiennent encore ſur la terre
la gloire des Arts chéris par Apollon. Atropos ,
dejà inftruite du projet des deux Divinités ,
venoit de commencer la vengeance de fon
maître en enlevant Haller à la Médecine.
Tandis que ce Philofophe vient fubir , fons
les yeux de Pluton , le jugement de Minos , la
Parque , fidelle aux ordres de fon Roi, entraîne
aux enfers Lekain , Garrick & Jean- Jacques
Rouffeau. Apollon , défefpéré de la mort de
fes plus chers favoris , vient implorer la
clémence de Pluton . Il avoue qu'il avoit formé
un deffin condamnable , mais qu'il eft devenu
coupable par excès d'amitié . Il renonce à fon
projet , & demande qu'au moins Garrick &
Lekain lui foient rendus. Lekain répond par
ces vers connus :
On ne voit point deux fois le rivage des morts ;.
Quand nous avons tous deux paffé les fombres bords ,
En vain vous espérez que Pluton nous renvoie ,
Et l'avare Achéron ne lâche point fa proić.
Le Dieu gémit; mais il ofe eſpérer que
Pluton , défarmé par fon repentir , épargnera
les amis qui lui reftent encore fur le Par
naffe François , fur tout d'Alembert &
·
Racine, Phèdre , Acte II , Scène V.
Buffon
DE FRANCE. 121
Buffon. Le dieu des enfers y confent ; mais
Apollon demande un bienfait plus precieux
pour fon coeur ; il dit :
ANTOINETTE & Louis , imitant les Céfars ,
M'ont fouri du haut de leur trône ;
On voit fleurir autour de leur double couronne
L'olive de Minerve & la palme des Arts .
Protège , tu le peux , leurs belles deſtinées !
J'implore cette grâce encor.
Pluton fe rend à fes defirs , & lui promet
de faire durer leurs années autant que celles
de Neftor. Tandis que l'on fe difpofe à
conduire les ombres illuftres aux champs
Élyfees , Apollon fait exécuter par fa fuite
un Ballet qui termine la Pièce,
Ce cadre eft fort ingénieux ; il amène
naturellement l'éloge des grands Hommes ,
fur la tombe defquels M. le Chevalier de
C. a voulu jeter quelques fleurs. Nous
allons parcourir rapidement les différentes
Scènes qui préfentent le tableau des talens
qui ont diftingué chacun d'eux. Ces tableaux
prennent un nouveau degré d'intérêt la
manière dont ils font faits. On aime à entendre
des Artiftes eftimables faire eux mêmes
leur apologie dans le féjour de la vérité.
Il en résulteroit peut - être un peu de
monotonie au Théâtre ; mais à la lecture
ce moyen devient piquant & agréable :
d'ailleurs , M. de C. y a jeté toute la variété
dent i étoit fufceptible. Haller paroît le
Sam, 15 Septembre 1781.
F
122
MERCURE
premier. Quels furent tes travaux , lui dit
Minos , raconte m'en l'hiftoire.
HALLE R.
J'inftruifis tour- à - tour & charmai les humains';
Ami de tous les Arts & de la tolérance ,
Je fus prefque chez les Germains
Ce que Voltaire fut en France.
Clio me plût toujours : cette Divinité ,
Récompenfant mes foins , mon affiduité ,
Ouvrit à mes regards les archives du monde ,
Et mon ail philofophe y lut la vérité
Que ma plume libre & féconde
Tranfinit à la postérité.
Bientôt.
Bientôt je fus plus fage , & j'étudiai l'homme.
Dans ce dédale obfcur , par un effort nouveau ,
Appuyé des fecours d'une heureufe ſcience ,
Je portai le double flambeau
De la raiſon & de l'expérience.
Sur le luth de Findare , en vers nobles , heureux ,
Je chantai les Alpes antiques ;
Et ces monts , qu'Annibal avoit rendu fameux ,
Vont l'être plus encor , grâces à mes Cantiques.
J'éveillai de ces monts les fenfibles échos ,
Je leur fis répéter ces plaintes admirées ,
Ces vers plus touchans & plus beaux
+
DE FRANCE. 123
Que j'allois foupirer fur les triftes tombeaux
De mes époufes adorées .
Le vice dans mes vers fut toujours combattu ,
D'horreur à fon aſpect mon ame étoit faiſie ;
Je revêtis enfin & parai la vertu
Des atours de la Poésie.
Ce portrait de Haller nous paroît bien
fait , & les nuances , qui composèrent , fi
nous pouvons le dire , la phyfionomie de
fon talent , nous femblent bien faifies . Il
étoit poffible fans doute de s'étendre davantage
fur un pareil fujet ; mais les reffources
que préfente une Scène Dramatique font
bien inférieures à celles que peut offrir un
Éloge académique . Le ftyle de cette tirade eft
fimple fans manquer d'élévation . Nous n'aimons
point ce vers , récompenfant mesfoins ,
mon affiduité; car outre qu'affiduité eft trifte
en vers , ce n'eft pas le mot propre . Une maîtreffe
peut récompenfer l'affiduité ou les affiduités
de fon amaut. Une Mufe comme Clio
échauffe , récompenfe le courage de celui qui
l'implore. L'expreflion cantiques nous paroît
aufli ne point convenir à l'Ode de Haller ;
elle peut convenir à une Ode facrée , & non
pas à une defcription des Alpes , quoiqu'on
remarque fouvent dans celle ci des fentimens
très religieux.
Lekain fuccède à Haller. Sa modeftie
d'abord l'engage à fe défendre d'avoir mérité
les éloges qu'on lui a prodigués fur la
Fij
124
MERCURE
terre. Pluton lui ordonne d'être fincère dans
un féjour où la fincérité eft un devoir. Après
avoir parlé de Baron & de Dufrefne , ainfi
que des avantages particuliers que ces deux
Ácteurs célèbres devoient à la Nature , il
continue :
Moins fortuné , du ciel je ne reçus qu'une ame ;
Ce fut mon feul tréfor , mais elle étoit de flamme :
Elle fut mon feul maître , & me tint lieu de tout ;
Seule , elle m'enſeigna tous les fecrets du goût ,
Seule , elle m'inftruifit des fineſſes d'un rôle ,
Me fit feule accorder le gefte & la parole ,
A tous mes traits enfin donnant de la grandeur ,
Elle feule en beauté transforma ma laideur.
Ma voix n'avoit d'abord ni grâce ni ſoupleſſe ,
Seule , elle en adoucit l'âpreté , la rudeffe ;
Fallut- il exprimer la clémence , l'amour ,
Le dépit, la fureur ? ma voix fut tour- à-tour
Tendre , foumife , fière , ironique , terrible ,
Elle acquit tous les tons. En ce moment horrible ,
Où cédant aux foupçons qui déchirent ſon ſein ,
Orofmane pourfuit , un poignard à la main ,
Les jours infortunés d'une femme innocente ;
Concentrée , étouffée , & pourtant menaçante
Elle n'eut plus , glaçant les coeurs & les eſprits ,
Que des rugiffemens , des fanglots & des cris ;
Mais même en déployant toute fa violence ,
Elle fut moins fublime encor que mon filence , &c.
Ces vers & d'autres , qu'il feroit trop
DE FRANCE. 125
long de citer, ne peuvent avoir été tracés que
par un admirateur de Lekain , par un homme
qui a fouvent éprouvé ces émotions profondes
que le grand Comédien fait partager aux
Spectateurs fenfibles. Il eft certain que le
foyer du talent de Lekain étoit dans fon
ame, & que c'eft là qu'il a puifé ces traits
fublimes qui le rendoient maître de tous les
efprits qu'il remuoit , pour ainfi dire , à fon
gré ; mais M. le Chevalier de C. a tort de
lui faire dire que fon ame feule lui donna la
commoiffance de tous les refforts qu'il faifoit
mouvoir pour développer le caractère
du Perſonnage qu'il avoit à repréſenter.
C'eft à tort qu'il ajoute que fon ame feule
lui donna tous les fecrets du goût , & l'inftruifie
des fineffes de fes rôles. La converfation
des Littérateurs les plus diftingués ; la
lecture de tous les grands Écrivains qui apprennent
à connoître l'homme & fes palfions
; l'étude de la Nature & de tous les
Arts qui concourent à donner plus de nobleffe
& de vérité aux repréfentations théâtrales
, à en augmenter l'illufion ; le travail
le plus opiniâtre , tant pour parvenir à affouplir
fon organe , à s'en rendre le maître ,
que pour donner à fes formes & aux différens
développemens de fon corps toute la
grace , toute la foupleffe , toute l'énergie dont
le bon goût fait une loi à l'Artifte de s'enrichir
voilà les moyens dont Lekain s'eft
fervi pendant vingt ans , & qui lui ont fait
atteindre le dernier degré de la fublimité du
Fiij
126 MERCURE
talent tragique . Son ame a fait le refte , &
elle a fait beaucoup ; mais nous croyons que
M. de C. devoit dire quelque chofe des
détails dans lefquels nous fommes entrés .
Nous penfons même que cela étoit indifpenfable
dans un temps où l'Art Dramatique
eft en proie à une foule d'avantageux , qui ,
fans éducation , fans étude , nourris d'amourpropre
& d'orgueil , indociles à tous les
avis , incapables de toute réflexion , s'élancent
dans une carrière autrefois honorée par
ceux qui la parcouroient , & dans laquelle
on pourroit à peine aujourd'hui diftinguer
dix perfonnes dignes d'y mériter des fuccès.
Nous obferverons encore que i Lekain a
mérité le reproche d'avoir rugi dans plufieurs
rôles , il n'eft pas adroit de préſenter ces
rugiffemens condamnables , comme une des
marques diftinctives de fon talent. Lekain
d'ailleurs avoit renoncé de bonne heure à
ces moyens dont il avoit reconnu la fauffeté ,
& il étoit devenu naturel fans fortir des conventions
de l'Art. De tous les modèles de
goût , Lekain , confidéré comme Acteur , a
peut- être été le plus parfait. Il ne falloit pas
non plus parler de la violence de ſa voix ; il
falloit parler de la vérité , de la variété , de
la force de fes accens , & de l'exprefliou par
laquelle ils étoient toujours animés ; & puis
violence le prend toujours en manvaile part.
Nous nous fommes un peu appefantis fut
cet article ; mais nous avions à parler de
Lekain , & nous répéterous ici avec Lucien :
DE FRANCE. 127
Le fouvenir d'un bon repas eft un régalpour un
homme affamé.
Une ombre folâtre , gaie , plaifante , qui
rit de tout , s'amufe de tout , fe moque de
tout , une ombre ſe préfente , c'eſt celle de
Garrick. On l'interroge , elle répond comme
les deux autres , & fait elle même la peinture
de fon talent. La Tragédie , la Comedie
lui étoient , dit - elle , également familières.
Hier parfait dans Othello , Garrick ne l'étoit
pas
moins le lendemain dans un Petit Maître .
De l'Art , dans ce paffage incroyable & ſoudain ,
J'offrois la diverfe merveille ;
Car le Falstaff * du lendemain
Éroit l'Othello de la veille.
Nous n'entendons pas ce que veut dire
la diverfe merveille : fi l'Auteur fe fût fervi
d'un pluriel , fon idée devenoit claire , mais
il a étégêné par la rime , & cette gêne l'a rendu
obfcur. S'il eft ainfi , dit Minos ,
S'il eft ainfi , jamais perſonne autant que toi
N'eut le don de charmer & la Cour & la Ville,
GARRI C K.
Oui , fi je n'avois point là - haut laiſſé Préville ,
Qui , moins univerfel , eft plus parfait que moi .
Il faudroit avoir vu Garrick fur le Théâtre
de Londres pour décider juſqu'à quel point
* Perfonrage très-ridicule des Femmes Joyeuses de
Windfor , Comédie de Shakeſpéar.
Fiv
128 MERCURE
pouvoit s'étendre l'univerfalité qu'on lui fuppofe
ici. Cette univerfalité a été conteſtée
par des perfonnes inftruites , & qui ont fuivi
les reprefentations de fon Théâtre pendant
des années ; elle a aufli trouvé des défenfeurs
; ce qui , pour des François , laiffe la
queſtion indécife. Quant à la perfection du
talent de M. Préville , elle eft atteftée par
toute la France ; & une pareille unanimité
de fuffrages juftifie l'éloge que M. de Cubières
a donné à cet illuftre Comédien.
Nous ne ferons qu'indiquer la Scène dans
laquelle M. de C. a placé Rouffeau. Nous
ne connoiffons rien de fi difficile que de
porter fur cet homme extraordinaire un jugement
degigé de toute efpèce de prévention.
Il eft d'ailleurs du petit nombre de ces
génies originaux fur le mérite defquels la
poftérité feule a le droit de prononcer fans
retour. Ses querelles avec des hommes célèbres
, fa mifantropie , fon courage , fa véracité
lui ont fait une foule d'ennemis qui ,
nés , pour la plupart avec des talens réels , &
déjà honorés d'une grande réputation , out
cherché à fe venger de lui en le peignant fous
des traits peu capables d'infpirer l'eftime. Les
nuages que l'on a jetés fur les qualités de fon
ame , fe font étendus jufques fur fes Ouvrages
; en conféquence le Philofophe qui écrivoit
pour être utile , a fouvent été accufé de
n'écrire que des paradoxes , & d'être l'apôtre
d'une mauvaife morale. Sa cendre fumoit
encore , & la haine vomiffoit fur fon tombeau
DE FRANCE. 129
tout ce qu'elle a de fiel & de fureur . Plaignons
fes perfécuteurs & fes admirateurs
exagérés. Souvenons - nous des qualités éminentes
de cet homme immortel ; n'oublions
pas à quels malheurs il a été en butte , les
perfécutions qu'il a éprouvées , gémiffons fur
la foibleffe naturelle à l'humanité, puifqu'elle
a caufé en partie les chagrins de Rouſſeau ,
& gardons le filence jufqu'au moment où
la vérité , dégagée des ombres qui la couvrent
encore , le fera connoître tel qu'il fut.
En attendant cette époque , le Citoyen de
Genève jouira d'une gloire affez brillante.
Ses Ouvrages font dans toutes les mains ; de
jour en jour on apprécie mieux fes talens .
Quand on élève quelques reproches contre
lui, quand on ofe nier qu'il ait eu des vertus,
les larmes qu'il fait répandre à fes Lecteurs
répondent à fes accufateurs de la manière
la plus victorieufe : elles atteftent , malgré
les erreurs dont il fut coupable , fans doute ,
puifqu'il étoit homme , que dans l'ame de
l'Auteur d'Émile , le génie ne fut que le compagnon
des vertus , & qu'il les a peintes fous
les couleurs les plus vraies , parce que perfonne
ne les a plus adorées que lui , & n'em
a mieux fenti les charmes .
( Cet Article eft de M. de Charnois).
FV
130
MERCURE
HISTOIRE de l'Églife , dédiée au Roi ,
par M. l'Abbé de Bérault - Bercaftel ,
Chanoine de l'Églife de Noyon , in 12 ,
Tomes XI & XII . A Paris , chez Moutard
, Imprimeur - Libraire , rue des Mathurins.
L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE de M. l'Abbé
Fleury n'auroit rien laiffe à defirer fur
cette matière , fi l'Auteur y avoit mis
la dernière main , & qu'au mérite d'une
critique judicieuſe , d'une fimplicité touchante
, d'une onction qui édifie , il eût
joint plus de précifion , de pureté & de
force. La compilation du Père Fabre , fon
Continuateur , écrite d'un ftyle aife , mais
fans correction & fans élégance , n'a fait
qu'augmenter les regrets du Public . Bonaventure
Racine a encore moins réuth que
les deux Écrivains dont il a entrepris d'abréger
l'Hiftoire . Si fes neuf premiers Volumes.
ont mérité quelques éloges , les quatre derniers
ont déplu aux Lecteurs impartiaux par
de longs details fur les querelles du Janfénifme
, & par un zèle fanatique pour la
caufe des Solitaires de Port Royal. Nous
ne parlerons point de l'Hiftoire Éccléfiaftique
de l'Abbé de Choify , qui n'a ri le ton
ni la gravité du genre , & où les galanteries
des Cours fe mêlent aux récits les plus
édifians , qui d'ailleurs n'ont ni affez d'exactitude
ni affez d'étendue. La difficulté de
DE FRANCE. 131
l'entrepriſe n'a point découragé M. l'Abbé
de Bérault ; on doit fans doute lui favoir
gré de fes efforts ; mais c'eft à ceux qui ont
déjà lu fes dix premiers Volumes , de juger
s'ils ont eu le fuccès qu'on pouvoit en
attendre. Les deux nouveaux que nous annonçons
renferment ce qui s'eft paffé depuis
1088 jufqu'en 1245. Le Livre trente - quatrième
commence ainfi : « Le relâchement
ม
de la difcipline & la dépravation des
» moeurs font les effets naturels de l'igno-
» rance & de l'oubli des faintes règles . On
» doit beaucoup moins s'étonner des abus
» établis dans les trois fiècles qui vont fer-
" vi de matière à la troisième Partie de
cecte Hiftoire , qu'on y doit admirer la
pureté conftante de l'enfeignement public,
» & les exemples de vertu qui ne celsèrent
» de troubler la coupable fécurité de ceux
» qui s'en écartoient. C'est là le point fixe
qu'il ne faut jamais perdre de vue en ob-
» fervant les différentes innovations & les
fcandales que va produire l'obfcurciffe-
» ment des anciennes maximes . On verra
39
93
و د
"
"
légitimer en quelque forte les divifions
» de l'Empire & du Sacerdoce ; les Souverains
& les Grands s'arroger les droits des
Évêques ; les Papes étendre le pouvoir des
» clefs aux chofes les moins fpirituelles , &
» faire la guerre aux Empereurs ; les Peuples
Chrétiens ériger en exercices de zèle
» & de vertu l'effufion du fang infidèle , y
» mêler celui de leurs frères errans ; des
"3
"
Fvj
132
MERCURE
33
Schifmatiques de la Grèce & des Hérétiques
d'Occident fe croifer même pour la
» defenfe des biens & des droits temporels
des Eglifes ; les pélerinages fuccéder à ces
» croitades multipliées, & le rachat pécuniaire
des pénitences aux pélerinages ; les
» Paſteurs errer comme les Peuples loin de
» leurs enfans en Jésus- Chrift & de l'Eglife
leur Epoufe ; les Papes enfin fixer leur
féjour dans leur pays natal , & laiffer
» Rome en butte aux attentats de la rivalité
» & de l'intrufion .
ود
Ce tableau , l'un des plus foignés de l'Auteur,
auroit pu être tracé avec plus de
netteté , de force & de correction ; on n'érige
point en exercices de vertu l'effufion du
fang infidèle , quoiqu'en le répandant on
croye faire une chofe agréable à Dieu .
Qu'entend M. l'Abbé de Bérault par les
frères errans des Peuples Chrétiens ? Cette
expreffion , confacrée par l'ufage pour défigner
les Hérétiques féparés de la communion
Romaine, paroît avoir ici le même fens
qu'à l'endroit où il eft dit qu'on verra les
Paſteurs errer comme les Peuples loin de leurs
enfans en Jésus - Chrift ; c'eft - à- dire , elle
fignifie que les Paſteurs , confidérés foit
comme croifés , foit comme pélerins , n'étoient
pas moins vagabonds que leurs
ouailles ; d'ailleurs , pour fuivre l'ordre des
événemens il ne falloit pas féparer dans ce
tableau hiftorique les courfes des Paſteurs de
celles des fimples fidèles , placer les voyages
DE FRANCE 133
des premiers après le rachat pécuniaire des
pénitences ; c'eft, dans le fens même de l'Aureur,
les placer fous une époque où l'Europe
étoit guérie de la fureur des croifades ou
- des pélerinages , & par confequent c'eft intervertir
l'ordre naturel du tableau : enfin ,
les Papes qui , en fixant leur fejour dans
leur patrie , laifferont Rome en butte aux attentats
de la rivalité & de l'intrufion , femblent
annoncer des faits qui ne font pas encore
arrivés , tandis qu'à l'époque de l'élection
d'Urbain II , Rome étoit déjà en proie à
la faction de l'anti Pape Guibert , & que
Victor III étoit mort au mont Caffin. Le
Volume onzième de M. l'Abbé de Bérault
eft divifé en trois Livres . Les événemens les
plus remarquables qu'on y trouve font l'entrée
du Pape Urbain II à Rome , & l'expul
fion de l'anti - Pape , l'affoibliffement du
fchifme en Allemagne , la fondation de
l'Ordre des Chartreux & des Antonins ,
l'affaire du Roi Philippe & de Bertrade , le
Concile célébré à Clermont par le Souverain
Pontife , le commencement des Croifades
, les malheureux fuccès de Gautier
fans avoir , & de Pierre l'Hermite , la
réduction de Jérufalem , & la royauté de
Godefroi de Bouillon , les revers de l'Empereur
Henri IV , les entrepriſes de Henri V
contre l'Eglife , l'établiffement de Fontevrault
, les commencemens de Saint Bernard
& de Saint Norbert , la condefcendance
de Pafchal II dans l'affaire des Invef134
MERCURE
titures , le Concile de Larrah tenu à ce
fujet , & les fuites de cette Affemblée , la
réconciliation de Henri V avec le S. Siége ,
le premier Concile général de Latran , les
démêlés entre Saint Bernard & Pierre le
Vénérable , les commencemens de l'Ordre
hofpitalier de Saint Jean de Jérufalem &
de l'Ordre Teutonique , le fchifmie d'Anaclet
, le deuxième Concile général de Latran
, la publication de la feconde Croifade.
les malheurs des Rois Conrad & Louis le
jeune en Orient , le divorce de ce dernier
Prince & d'Eléonore , l'élévation de Frédéric
Barberoulle à l'Empire ; enfin la mort
de Saint Bernard arrivée le 20 Août 1152 .
و د
و و
Toutes fes grandes oeuvres , dit M. l'Abbé
» de Bérault , ou plutôt celles de l'Eglife ,
» dont il fut le mobile auffi bien que le
» phénomène le plus inconcevable de fon
fiècle , la perfection de fes Ecrits , chef-
» d'oeuvre dans un temps barbare , & qui
» l'ont fair nommer comme par exclufion
» pour les temps à venir , le dernier des
» Pères de l'Eglife , le peignent de couleurs
qu'on ne pourroit qu'affoiblir en y ajou-
» tant. » Si l'on a dit de Saint Bernard qu'il
avoit été le dernier Père de l'Eglife , il étoit
inurile d'ajouter comme par exclufion pour
les temps à venir ; au rette , fans craindre
d'affoiblir l'éloge de l'illuftre Abbé de Clairvaux
, l'Auteur pouvoit le tracer d'une manière
plus intérellante . Un Hiftorien doit
peindre fans doute par des faits ; mais il ne
33
DE FRANCE. 135
doit pas négliger de raffembler les principaux
traits des perfonnages célèbres , de faire
connoitre en peu de mots leur caractère &
les titres qui leur affurent l'admiration & la
reconnoillance de la pofterite. Les portraits
font en quelque forte à l'hiftoire ce que font
les peroraifons à l'eloquence ; l'Orateur doit
en finiffant refferrer fon fujet pour lui donner
plus de force , & le faire pénétrer plus
avant dans l'efprit de ceux qui l'écoutent ;
P'Hiftorien qui a décrit les actions d'un grand
Homme doit, pour ainfi dire, en prendre l'efprit
pour en laiffer une image dont la vue
rappelle fans effort les traits qui le caractérifent.
Sans avoir la concifion de Tacite , la
fineffe , l'énergie , la vérité de fon pinceau ,
on peut du moins tenter quelques effais
d'après les modèles d'un auffi grand Maître :
par exemple , M. l'Abbé de Bérault eût
terminé la vie de Saint Bernard d'une 'manière
plus fatisfaifante , s'il eût emprunté les
termes de l'Auteur de l'Abrégé chronologique
de l'Hiftoire de France , dont on a
dit avec tant de raifon que c'étoit l'Ouvrage
le plus court & le plus plein fur
cette matière . Voici comment le Préfident
Hénault parle de Saint Bernard : « Ses con-
ور
-33
feils étoient reçus comme des ordres du
ciel ; il avoit été donné à cet homme ex-
» traordinaire de dominer les efprits ; on
le voyoit d'un moment à l'autre paffer
» du fond de fon défert au milieu des
Cours , jamais déplacé , fans titre , fans
ور
136 MERCURE
"
و د
"
" caractère , jouiffant de cette confidération
perfonnelle qui eft au-deffus de l'auto-
" rité ; fimple Moine de Clairvaux , plus
puiffant que l'Abbé Suger , premier Mi-
» niftre de France , & confervant fous le
Pape Eugène III , qui avoit été fon Diſciple
, un afcendant qui les honoroit l'un
» & l'autre ; cependant , S. Bernard n'étoit
» pas un auffi grand politique qu'il étoit un
faint homme & un bel efprit , fes Ser-
» mons font des chef- d'oeuvres de fenti-
» ment & de force. "
"
Révenons à l'Ouvrage de M. l'Abbé de Bérault;
nous y avons trouvé quelquefois de l'ordre
& de la clarté , mais peu de nouvelles recherches
& de critique. Ce qui nous a paru le
caractériſer , c'eſt un grand zèle pour les
progrès de la Religion & de la vertu. En
rendant hommage aux louables intentions
de l'Auteur , on ne fauroit diffimuler qu'il
ne poſsède pas l'art d'écrire ; il a rarement
le mot propre , il eft froid & fec ; nous y
avons remarqué un très grand nombre de
fautes de ftyle : par exemple , proférer tout
d'une voix la même clameur , faire grande
eftime ; fouvent même les conftructions de
fes phrafes ne font pas françoifes. En parlant
des reliques de S. Antoine, apportées de
Conftantinople par un Seigneur du pays
nommé Goffelin , qui les plaça dans fa
terre de la Motte près de Vienne , il dit :
Étant mortfubitement , elles pafsèrent à fes
héritiers. Ses expreffions font quelquefois
-
"
DE FRANCE. 137
familières , pour ne rien dire de plus ; ainfi
les légèretés de Pons , fucceffeur de Saint
Hugues , Abbé de Cluny , firent autant de
tort à fon Ordre qu'elles lui oecafionnèrent
à lui-même de déboires & de ridicules.
Defi loin qu'il put voir la Ville , il marcha
nuds pieds. Ives de Chartres ne voulant
point approuver le divorce de Philippe
avec Berthe , répondit au Roi qu'il n'avoit
aucune connoiffance de la décifion des
Evêques à ce fujet , & qu'à moins d'en avoir
toute la certitude convenable , il n'approuveroit
point par fa préfence une action fi
raifonnablement fufpecte. Guillaume , Roi
d'Angleterre , indigné de ce qu'Anſeline ,
Archevêque de Cantorbéry , s'étoit foumis
au Pape Urbain , donna pour un attentat fait
àfa Couronne de reconnoître un fouverain
Pontife en Angleterre fans fa permiſſion .
M. de Bérault paroît avoir beaucoup de prédilection
pour une tournure à peu près
femblable. Le Pape S. Anaclet donna les
Primats pour établis dans l'Eglife dès fon
origine. Siméon , Patriarche de Jérufalem ,
que tous les monumens donnent pour un
homme d'un grandfens , &c. Les plus grands
excès commis par les Croifés furent l'effet
du zèle mal entendu d'une multitude confufe
d'environ deux cent mille hommes de
pied , fans Chef & fans aucune teinture de
difcipline. Nous favions bien qu'on pouvoit
dire , n'avoir pas la moindre teinture des
Lettres , mais nous ne connoillions pas la
138 MERCURE
teinture de la difcipline des troupes . Pierre
l'Hermite diftribuoir ce qu'on lui donnoit
de meilleur , ne mangeoit que du pain & ne
buvoit que de l'eau , mais fans affectation ,
& avec la piété judicieufe qui convenoit à un
génie de cet ordre. Hugues de Grenoble voulut
fe retirer parmi les Chartreux de corps
& d'effet, comme il y étoit toujours de coeur
& defprit. Nous ne finirions pas i nous
rapportions toutes les tournures vicieuſes ,
les expreffions impropres ou trop familières
que nous avons trouvées dans le onzième
Volume dont nous rendons compte. Si
nous faifions moins de cas de cet Ouvrage ,
où règne un ton de candeur & de vérité ,
nous n'aurions pas pris la peine d'en relever
les défauts.
Le 12. Vol. eft auflì divifé en trois Livres.
Les objets les plus intéreffans qu'on y trouve,
font l'orgine des différends de Frédéric avec
les Papes , le Décret de Gratien , l'ancienneté
du droit de Régale , les événemens de la
feconde Croisade , les querelles de S. Thomas
de Cantorbéry avec Henri II , Roi
d'Angleterre , le troisième Concile de Latran
, les victoires de Saladin , l'affaire de
Philippe Augufte & d'Ifemburge ou Ingerburge
, l'élevation de Baudouin , Comte de
Flandre , à l'Empire d'Orient , les exploits
des Croifés de Languedoc fous Philippe Augufte
, Louis VIII & Louis IX , le quatrième
Concile général de Latran , les Inftituts de
S. Dominique & de S. François , la preDE
FRANCE. 139
mière expédition de S. Louis dans la Palettine
, & la convocation du Concile géneral
de Lyon en 1245. Chacun des deux Volumes
que nous venons d'annoncer eft terminé par
la Table des Ecrivains Eccléfiaftiques & des
principaux Conciles. Le ftyle du dernier
nous a paru un peu moins défectueux que le
précédent ; il y a même quelques morceaux
affez bien écrits. Nous invitons l'Auteur à
ne point perdre de vue cette maxime de
l'Horace François :
Sur-tout qu'en vos Écrits la Langue révérée
Dans fes plus grands excès vous ſoit toujours facrée ,
VARIÉTÉ S.
RÉPONSE à M. PIERRE ZÉPHIRINET,
ancien Meunier à Montmartre.
QUOIQUE
UOIQUI je ne fois pas , Monfieur & ancien
Confrère , un homme célèbre , & fans avoir l'honneur
d'être connu de vous , permettez- moi de répondre
à la Lettre que vous avez fait inférer dans
le Mercure de France , N ° . 29 du Samedi 21 Juillet
1781.
Vous déprimez les meules de pierre comme trèspernicieuſes
, à cause de la néceffité de les repiquer
de temps en temps. Je conviens avec vous de cette
néceffité ; mais j'ajoute que les plus fortes piqûres
ne font pas les meilleures. Un Meûnier entendu ne
les pique que légèrement , avec la plus grande douceur
poffible . en y formant des dentelures que nous
appelons rayons ou luifans plus ou moins larges ,
140 MERCURE
*
fuivant l'ufage des pays. D'après cette précaution ,
la meule fupérieure , appelée courante , étant bien
dreffée & refleurée , foit à la templure ou au pouce ,
ne peut produire aucune émanation pierreule dans
la farine par le frottement de ces globes . Des accidens
de cette nature ne pourroient avoir lieu que
dans le cas où il fe rencontreroit dans le bled quelque
corps étranger , tels que clous , fers , cailloux ,
grès , gravier ou autre chofe femblable par la faute
des particuliers qui négligent de le cribler.
દ
Quant aux cavités des meules , que nous appelons
éveillures , vous devez favoir comme moi que
lorfqu'elles font une fois remplies par la fleur du
premier bled , qui doit être de celui du Meûnier ,
c'eft pour jufqu'au temps qu'il y a néceffité de rele
ver ladite meule pour la repiquer. J'avoue que fi ,
par la négligence ou le manque d'attention du Meûnier,
il laiffoit ribler fon moulin , dans ce cas les
parties imbroyées gâteroient infailliblement la plus
belle farine, dont l'ufage feroit dangereux ; mais
ces accidens font fi rares , qu'il faut bien le garder
d'en conclure , comme vous , que les pratiques de
chaque moulin avalent tout ce qui manque aux
vieilles meules. Qui veut trop prouver , fouvent ne
prouve
rien.
Peut -être me répondrez -vous à cela , mon cher
Confrère , que mon génie borné refte , comme celui
des autres , dans l'ornière de la routine , dont il eſt
impoffible de le faire fortir. Je ſouhaite de tout mon
coeur que M. du H.... à qui vous adreffez votre
Lettre , & dont les talens font connus , faififfe l'importance
de l'idée que vous nefaites qu'indiquer. C'eft
à fes lumières que j'en appelle ; & d'après fon fentiment
, s'il vous cft favorable , je vous promets , malgré
mon petit génie de Chauny , de faire tous mes
efforts pour me tirer de l'ornière de la routine , &
de frayer le chemin à mes Confrères. J'y fuis en
DE FRANCE. 141
quelque forte plus intéreffé qu'un autre ; car , fans
prévention , je fuis un des plus forts Meuniers de la
Picardie, puifque je fais mouvoir journellement feize
meules de pierre , qui me coûtent 400 liv. la pièce,
fans la voiture & le placement.
7
Autfi jaloux qu'un autre du bien public & de mon
intérêt particulier , j'adopterois voluntiers votre méthode
, ti j'étois perfuadé de fes avantages par une
démonftration complette ; mais rien n'eft moins
clair que votre idée de réforme. Quelle eft , je vous
prie, la matière folide quelconque dont vous prétendez
former la meule dormante , c'est- à- dire , celle
de deffous ? Vous n'en déterminez point la nature
& l'efpèce ; c'eft une énigne que vous propofez ,
dont le mot reste à fous entendre & à deviner. Le
furplus des moyens que vous indiquez n'eft pas plus
fufceptible d'intelligence , & comporte des dangers
plus confidérables que ceux qu'il vous plaît d'imputer
aux meules ordinaires .
En effet , fi nous broyons habituellement un
quinzième à-peu-près des parties terreuſes & fablonneufes
qui fe trouvent néceffairement dans le
caput mortuum des meules de pierre , croyez-vous
de bonne- foi que les émanations de fer foient
plus faines au corps humain , les frottemens étant
les mêmes ? C'eft fur quoi il feroit à propos de confulter
la Faculté . En attendant ſa déciſion , ſouffrez
que je m'en rapporte , pour l'exécution de votre
projet , au jugement de M. du H...
Je fuis de tout mon coeur , Monfieur & ancien
Confrère ,
Votre très-humble Serviteur ,
LOUIS BAUDRY , Fermier
des moulins de Chauny en
Picardie & autres lieux,
142
MERCURE
GRAVURES.
POXI
ONT de Louis XVI , Monument projeté en
mémoire de l'abolition de la fervitude dans tous
les Domaines de Sa Majefté , pendant la guerre
entreprise pour la liberté du commerce & des mers.
Ce Pont eft deſtiné à fervir d'entrée aux Ports
au Bled & de la Grève , & à joindre l'Ile Saint
Louis à la Cité . A Paris , chez Chereau , rue des
Mathurins , aux Piliers d'or.
la rue des
Horatius Coclès , Eftampe de 27 pouces de largeur
, fur 20 pouces de hauteur , gravée dans la
manière du lavis , d'après le deffin au bistre de le
Barbier l'aîné , Peintre du Roi , par Ph . L. Parizeau.
Horatius Coclès foutient feul les efforts de l'armée
de Porfenna , & donne aux foldats Romains le temps '
de couper le pont derrière lui ; enfuite il paffe le
fleuve à la nage , & rentre dans Rome. A Paris ,
chez Ph. L. Parizeau , rue de Savoie , la quatrième
porte-cochère à droite en entrant par
grands Auguftins. Prix , 6 livres. Le fujet de cette
Eftampe , dont le deffin eft actuellement exposé au
Sallon de l'Académie Royale de Peinture , est trèsintéreffant.
On pourroit tirer un parti fort avantageux
de la manière dont elle eft gravée pour rendre
les grandes fuites de compofitions qui font fufcepti
bles d'un effet piquant , & qui , gravées au burin ,
entraînent néceffairement un travail auffi long que
pénible & difpendieux.
DE FRANCE. 143
ANNONCES LITTÉRAIRES.
THOMAS HOMAS BRUNET , Libraire , rue Mauconfeil ,
vient d'acquérir l'Édition de Molière , Drame , pat
M. Mercier , Volume in - 8ª . , grand papier , de
234 pages d'impreffion , qu'il vend 12 fols en
feuilles , & 14 fols broché.
La France illuftre , ou le Plutarque François ,
par M. Turpin , in - 4 ° . , troifième foufcription
n° . 7 , contenant l'Hiftoire du Cardinal Mazarin
. A Paris , au Bureau de l'abonnement , chez
Deslauriers , Marchand de Papier , rue S. Honoré ,
à côté de celle des Prouvaires.
Cours complet d'Agriculture Théorique , Pra-.
tique, Économique & de Médecine Rurale & Vétéri
naire , fuivi d'une Méthode pour étudier l'Agricul
ture par principes , ou Didionnaire d'Agriculture ,
par une Société d'Agriculteurs , rédigé par M. l'Abbé
Rozier , in -4 ° . , Tome premier. A Paris , rue &
Hôtel Serpente.
Phyfique du Monde , par M. le Baron de Mariverz
& par M. Gouffier , Tome II , in-4 ° . , ျ
compagné d'un Volume de Cartes & de Tables relatives
aux Planètes . A Paris , chez Didot le jeune ,
Cellot , Quillau , Mérigot le jeune , Nyon l'aîné &
Barrois le jeune , Libraires , quai des Auguſtins.
Principes de Morale , de Politique & de Droit
public , puifés dans l'Hiftoire de notre Monarchie ,
ou Difcours fur l'Hiftoire de France , dédiés au
Roi , par M. Moreau , in- 89 . , Tome XII. A Paris
chez Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins.
Tome LXXX du Journal des Caufes célèbres
144
MERCURE
de toutes les Cours du Royaume , avec les jugemens
qui les ont décidées . A Paris , chez M. des
Effarts , Avocat , rue Dauphine , à l'Hôtel de
Mouy , & Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftius .
Confidérations fur les Finances , avec des Réfle
xions fur la néceffité de comprendre l'Étude du Com
merce & des Finances dans celle de la Politique
feconde Édition , Volume in - 12 . Prix , 1 liv. 10 f .
A Paris , chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins
On trouve à la même adreffe , 1 ° . les Ouvrages
anciens & nouveaux fur les Abeilles , & un
Traité fur l'Education des Animaux qui fervent
d'amusement à l'homme : 2° . Théorie & Pratique
du Commerce de la Marine , traduite fur la feconde
Edition de l'Espagnol de D. Uftariz , Volume in-
4º . Prix , 8 liv. broché.
Fautes à corriger dans le dernier Mercure.
> Page 81 , ligne 8 avec juſtice , lifez : avec beaucoup
de jufteffe . Page 83 , lignes 16 & 17 , l'évidence
de ces proportions , lifez : de ces propofitions . Page
86 , ligne 3 , pourroit peut - être , lifez : pourroit encore.
TABLE.
ODDEE aux Souverains ,
Vers à Mlle Thénard ,
Enigme & Logogryphe ,
97 La Vengeance de Pluton , 119
100 Hiftoire de l'Eglife , 130
101 Réponse à M. Pierre Zéphi-
Recueil de Pièces Fugitives & rinet,
de Cont s nouveaux , 103 Gravures ,
Difcoursfur la Vie & les Ou Annonces Littéraires,
vrages de Pafcal, 114
AP PROBATION.
139
142
14?
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Septembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreffion. AParis ,
le 14 Septembre 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 SEPTEMBRE 1781 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
De Confolation d'une Veuve à une Veuve.
EGLÉ , dis - moi , quels font tes voeux .
Dis -moi fi Vauclufe t'appelle.
Nous allions feuvent dans ces lieux
Veir régner la faifon nouvelle.
Qu'irons- nous faire en ce ſéjour ?
Comment dans notre peine extrême
Jouir des rayons d'un beau jour ?
Ah ! font- ils paffés fans retour ,
Ces beaux jours , ces jours où l'on aime ?
Quand on perd l'objet de fes voeux ,
Tout languit ; il n'eft pas paffible
D'ouvrir fon coeur à d'autres feux ,
Sum. 22 Septembre 1781.
G
146 MERCURE
Et l'on croit refter infenfible ;
Les pleurs fe fixent dans nos yeux ;
Tout nourrit notre inquiétude.
Mais ce chagrin , ce trouble affreux
Enfia fe change en habitude ,
L'habitude en un calme heureux ;
Notre peine n'est plus ſi rude ;
Nos pleurs qui coulent font plus doux ,
Et dans le coeur je ne fais quoi murmure ;
On donne un regret à l'époux ,
Un fouvenir à la Nature,
Tu connus la tendre Zelmis.
D'une vive douleur elle donnoit des preuves.
Et tous ces fidèles amis
Qui viennent confoler les Veuves ,
Chez elle n'étoient point admis.
Elle renfermoit fes alarmes ,
Elle fe coëffoit à l'écart ,
Fleuroit, & fur ia glace où le peignoient fes charmes
A peine portoit un regard ,
Relevant fes cheveux fans art ,
Interdite , éperdue & belle de fes larmes.
L'art infenfiblement fe gliffe dans les noeuds
Qui foutiennent la chevelure ;
Et l'abandon de fes cheveux
Şemble de jour en jour lui fervir de parure.
Le temps amène d'autres goûts,
L'ami de fon mari lui femble
DE FRANCE. $47
Un confolateur affez doux.
La douceur de pleurer quelquefois les raffemble.
Daus le cabinet de l'époux
Ils foupiroient un jour enfemble :
Elle mettoit fa main dans la main de Damis ;
Mais un tourment ſecret ſemble agiter Zelmis.
Zelmis , expliquez-vous ! quelle peine eft la vôtre ?
Qui peut troubler votre repos ? »
29
Les époux étoient peints fur deux petits tableaux,
Placés à côté l'un de l'autre.
Elle s'émeut , Damis auffi .
« Ah ! dit Zelmis , quand je fus peinte ainfi ,.
» Je ne m'attendois pas à de telles difgrâces . »
Elle étoit peinte fans atours ,
Ayant fur le fein deux Amours ,
Et fouriant comme les Grâces.
Zelinis , en rougiffant , détache fon portrait,
Et veut brifer la mignature:
« Ah ! ciel ! que faites-vous ? Laiffez cette peinture.
Damis combattoit fon projet ,
Et Zelmis cherchoit à ſe rendre.
« Hélas ! dit-elle, avec un regard tendre ,
» Je la laiffe aux mains d'un ami ;
» A côté d'un époux chéri
" Je n'oferois plus la fufpendre. »
EGLI , qu'en penfes -tu ? J'en ai long-temps douté.
Il falloit que l'ami lui parût bien aimable ;
Et peut-être eft- ce un conte à plaifir inventé ;
19
Gij
148 MERCURE
Mais fi le fait eft véritable ,
Zelmis étoit à fon printemps ;
Et d'un peu d'indulgence on ne peut fe défendre ,
Églé , quand on n'a que vingt ans ,
Et qu'on a comme elle un coeur tendre.
( Par M. D *** , d'Aix . )
A Madame la Marquife DE COIGNY ,
au fujet de l'invitation qui m'étoit faite
de venir à la Campagne où elle étoit .
LE TROUBADOUR ET UN PASSANT ,
DIALOGUE.
( La Scène eft à la Campagne, })
LE PASSANT.
VINs chez nous , gentil Troubadour.
LE TROUBADOU R.
A prodiguer mes chants je renonce en ce jour.
Las ! il n'eft plus de prud'hommie ,
De bon goût , de chanſon jolie ,
De traits naïfs peignant naïf Amour.
LI
Que dis-tu ?
PASSAN T.
LI TROUBADOU R.
C'en est fait , je briſe ma guittarre.
DE FRANCE. 149
LE PASSANT.
Ah ! plutôr , répens-toi de ton courroux bizarre.
LE TROUBADOV r .
Écoute : fi tu peux m'indiquer un château
Où règnent loyauté , joyeuſeté , fimpleffe ,
Et qui m'offre l'accord nouveau
Des vertus & de la richefſe……………
Eh bien ! ....
LE
LE PASSANT.
TROUBADOUR .
Je veux encore y trouver à chanter
Quelque Beauté riante & printannière ,
Aux yeux charmans , au coeur fincère ,
Plaifant à tous fans s'en douter ,
Même en taillant naïve & débonnaire ,
Lifant , penfant , fachant goûter
Romans , Hiftoire , Politique ,
Beaux vers , tableaux exquis , raviſſante muſique……….
A ce prix , guide-moi , je cède à ton confeil.
LE PASSAN
T.
Viens donc , & fans délais fuis mes pas à Courteil .
( Par M. Sélis . )
G iij
750
MERCURE
.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent .
LE mot de l'Enigme eft Cordon , pris dans
toutes les acceptions ; cordon bleu , cordon
rouge , cordon noir , cordon qui ceint plufieurs
Religieux , cordon à l'ufage des femmes
, & cordon qu'envoie le Grand - Seigneur
pour faire mourir les Grands ; celui du
Logogryphe eft Oiseau , ou fe trouvent oże
eau ,foie, oui & fi.
ÉNIGM E.
JE fuis né , cher Lecteur , dans le fein des forêts ;
Dans més divers emplois j'ai différens faecès.
Tel brigue mon honneur , qui toute la journée
Me voit avec dédain changer de deftinée .
De la
pompe funèbre , ornement malheureux ,
De deux jeunes époux je rends le fort heureux.
En toutes les faifons fimple dans ma parure ,
Sur mon habit léger paroît la bigarure .
Hydropote éternel , mes pas en fens divers
Me font comme un ivrogne aller tout de travers ;
Et malgré mes bienfaits , avec un bout de corde ,
Ami , je fuis pendu , las ! fans miféricorde.
( Par M. le Double , Curé de Coligni , en Laonois.)
DE FRANCE. 251
LOGOGRYPHE.
LECTEUR , je fuis Françoiſe , & depuis ma naiſſance
Je n'ai
ק ט
faire un pas fur les terres de France ;
J'ai pourtant près d'un fiècle , & n'ai pas vifité
Mes fæcurs , que l'on y trouve en grande quantité.
Contente du bonheur de voir ſouvent mon Maître ,
Je renonce à celui de jamais les connoître .
L'on me compte dix pieds : en les décompofant .
Tu trouveras d'abord un animal rampant ;
Le nom d'un poids connu ; trois notes de muſique ,
Et l'élément léger fi cher à l'afthmatique ;
Ce qu'un Palefrenier place fur res chevaux ;
Ce qu'on fait en dormant ; le contraire de faux ;
Un grain qui naît fous l'eau , que dans l'Inde on
favoure ;
Un préfent de la mer ; enfin ce qu'elle entoure.
Adieu , mon cher Lecteur , je prends congé de toi ;
Peut-être quelque jour je te verrai chez moi,
( Par Mile Julie R.... , de Boudouire. ) •
Giv
152
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGES de Charles de Sainte- Maure , Duc
de Montaufier , Pair de France , Gouver
neur du Dauphin , fils de Louis XIV ,
par MM . Garat & la Cretelle. Épigraphe
de M. Garat ( qui a remporté le Prix de
l'Académie Françoife , en 1781 )
Jamais l'air de la Cour , & fon fouffle infecté ,
N'altéra de fon coeur l'auftère pureté .
VOLT. Henr.
Épigraphe de M. la Cretelle ( qui a obtenu
l'Acceffit :)
Je vais à la Cour , & j'y dirai la vérité .
MONTAUSIER lui - même.
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue
Chriftine , 1781. in - 8°.
MESSIEURS ESSIEURS GARAT & LA CRETELLE ,
( l'eftime publique ne féparera plus ces deux
noms ) donnent aux Lettres un fpectacle rare
prefque nouveau , celui de deux rivaux
qui s'aiment . Le vaincu , ( fi ce titre eft fait
pour un d'eux ) applaudit hautement au
triomphe du vainqueur ; manière de plus de
s'y affocier. Il femble que ce foit pour eux
DE FRANCE. 153
que M. de Voltaire ait fait ces beaux vers :
Je n'ai point d'ennemis , j'ai des rivaux que j'aime ;'
Je prends part à leur gloire, à leurs maux , à leurs biens ;
Les Arts nous ont unis , leurs beaux jours font les
miens.
C'est ainsi que la terre avec plaifir raffemble
Ces chênes , ces fapins qui s'élèvent enſemble ,
Un fuc toujours égal eft préparé pour eux………….
Leur trône inébranlable & leur pompeufe tête
Réfifte en fe touchant aux coups de la tempête ;
Ils vivent l'un par l'autre , ils triomphent du temps.
Ces deux jeunes Maîtres en éloquence
accoutumés , fur - tout le premier , à enrichir
le Mercure de morceaux excellens
de critique & de philofophie , vouloient ,
dit on , s'y juger réciproquement & nous
devons regretter qu'ils ne l'ayent pas fait .
Quelle fagacité l'oeil pénétrant du goût ,
l'oeil plus perçant encore de l'amitié , ne leur
euffent- ils pas donnée pour découvrir & développer
les beautés l'un de l'aurre ! c'eût
été à la fois un morceau précieux de critique
Littéraire , & un beau monument élevé à
l'amitié. Mais peut- être ont- ils craint que
cette amitié même ne rendit leur jugement
fufpect. C'est contre l'amour- propre des
autres Auteurs qu'il faut être en garde , c'eſt
contre la générofité de ceux - ci qu'il faut y
être ; l'un eût voulu defcendre de fon char
de triomphe & y faire monter fon rival ,
l'autre eût voulu s'enchaîner au char du vain-
Gy
154
MERCURE
1
queur. C'eft avec le plus fincère regret que
nous les remplaçons dans une fonction qu'ils
auroient fi bien remplie , & d'une manière fi
nouvelle. Nous n'avons eu connoiffance de
leur projet qu'en apprenant qu'ils s'en étoient
défiftés. Au refte , la malignité du Public , fi
pourtant le Public eſt fi malin , n'aura rien
à gagner ici , & nous n'aurons guères que
des éloges à donner aux deux Orateurs.
Si nous comparons d'abord l'impreffion
générale qui refte des deux Difcours , il nous
femble qu'on trouve dans le premier des
vues plus grandes , & cependant plus fages ,
plus mefurées ; dans le fecond , des idées
plus fortes & plus fortement exprimées.
Chez M. Garat , plus d'ordre , des tranfitions
plus heureufes , qui inettent les chofes plus
à leur place , qui les enchaînent & qui en
augmentent l'effet ; dans M. la Cretelle , les
objets font plutôt placés les uns après les
autres qu'ils ne naiffent les uns des autres ;
M. Garat paroît plus maître de fon fujet ;
M. la Cretelle plus entraîné par les objets ,
plus obéiffant à l'impreffion qu'il éprouve ;
d'un côté , de plus beaux développemens ,
des tableaux plus finis ; de l'autre , des mouvemens
plus vifs , des traits plus forts , des
coups de pinceau plus fiers ; M. Garat a plus
de correction , un ftyle plus pur , un goûr
plus sûr , M. la Cretelle , plus d'emportement
& de chaleur , les négligences , quelquefois
les familiarités heureufes de Boffuet ,
comme dans ce mot :
prenons garde à nos
ec
DE FRANCE.
155
39
paroles devant le plus irréconciliable en-
» nemi du menfonge & de la flatterie . » M.
Garat , fous des formes plus oratoires , a
plus de philofophie ; M. la Cretelle , fous
des formes plus philofophiques , a quelquefois
peut- être une éloquence plus originale ;
M. Garat est toujours M. Garat , un bel
efprit profond , un penfeur éloquent , un
digne Difciple de Montefquieu ; M. la Cretelle
, par fa franchiſe un peu fauvage , par
fon ton paffionné , par fon audace , par les
exagérations même , a peut- être plus le ton
de fon fujet ; c'eft , pour ainsi dire , le Monraufier
de l'Eloquence. Enfin , nous ne lerions
pas étonnés qu'on dît de ces deux Difcours :
L'un eft plus beau , plus achevé ,
Mais je voudrois avoir fait l'autre.
Si nous paffons de l'enfemble aux détails ,
nous en avons de trois eſpèces différentes à
comparer.
1º. Les morceaux correſpondans.
2º. Les morceaux oppofés , c'est- à- dire ,
où les Auteurs ont pris des routes , & quelquefois
des opinions différentes.
3. Les morceaux que l'un a traités avec
foin & que l'autre a négligés ou omis entièrement.
IⓇ.
Un des premiers morceaux qui fe préfen
tent à comparer dans les deux Diſcours , elt
le portrait du Cardinal de Richelieu : de
G vj
156 MERCURE
"
"
» cet homme , dit M. Garat , qui étendoit
» la gloire de la Nation , en attaquant fa
» liberté ; qui donnoit de la grandeur à des
» hommes dont il vouloit faire des efclaves ;
qui eût eu peut-être toutes les vertus d'un
» Roi fi on lui eût laiffé la puiffance ab-
» folue , qui détruit communément toutes
» les vertus ; de cet homme enfin , qui dût
» être odieux aux Grands , dont il combat-
» toit les prétentions en violant les Lois ;
» qui ne mérita jamais d'être aimé de la
» Nation , dont le bonheur ne parut jamais
entrer pour rien dans fes deffeins , mais
» qui dut plaire fouvent à une Nobleffe Militaire
, parce que fon génie concevoit des
plans qui ne pouvoient être exécutés que
» par des Héros .
"
"
20
و ر
"
33
ود
" Louis XIII , dit M. la Cretelle , n'eut
» d'autre part à fon propre règne , que de
» donner l'exemple de la foumiffion aux
volontés de fon Miniftre ; de ce Miniftre ,
qui fubjugua dans l'ame de fon Maître
jufqu'à la haine ; qui eut un vafte génie ,
chercha la gloire , fut dépofitaire de la
Puiffance Royale , mais qui ne les fit jamais
fervir qu'au maintien de fa grandeur ; qui
opprima la France pour abailler l'Au-
» triche ; appris aux Grands à tout craindre ,
» aux peuples à tout ſupporter ; qui ne vit
» jamais dans les Lois que des inftrumens
» ferviles entre les mains de l'homme puif-
» fant ; qui leur impofoit filence devant les
» volontés , ou leur commandoit de prêter
و د
לכ
33
و ر
و د
"
DE FRANCE, 157
» leurs formes & leurs noms à fes ven-
» geances , & qui ne devra qu'à la recon-
» noiffance des Lettres , d'échapper peut-
» être à la renommée de ces tyrans , qui eu-
>> rent des grandes qualités . »
22
Cet exemple eft un des plus propres à
faire connoître d'abord le caractère diftinctif
& la manière particulière des deux Orateurs .
M. la Cretelle jette un regard ennemi fur
les injuftices & les violences du Cardinal de
Richelieu , il fe livre à toute fon indignation
, nulle confidération n'en affoiblit le
témoignage , n'en adoucit l'exprellion; fon
ame fe decharge d'un fentiment pénible en
l'exhalant.
M. Garat , plus tranquille , plus calme ,
prend la balance , il examine tout à charge
& à décharge , il faifit des rapports plus fins ,
des contraftes plus ingénieux ; M. la Cretelle
accufe Richelieu , M. Garat le juge . Tous
deux , il faut l'avouer , ont jugé bien rigoureufement
le Cardinal Mazarin. M. Garat
eft au moins févère à fon égard , M. la Cretelle
, ( ofons le dire ) eft injufte. Ce Miniſtre
de paix , qui , en entrant dans la carrière ,
commença par féparer deux Armées au moment
où elles en venoient aux mains ; cet
homme , dont le Ministère fert d'époque à
deux des plus importans Traités qui aient
ramené pour un temps la paix parmi les
hommes ; Mazarin * ce , qui , né pour paci-
* Le Traité de Weftphalie & celui des Pyrénées
198
MERCURE
fier tout , & au- dedans & au- dehors , diffipa ,
prefque fans violence , tous les orages élevés
contre lui , & s'aflura les refpects de ceux
qui l'avoient le plus outragé , un tel Miniſtre
mérite quelques ménagemens. M. la Cretelle
a raifon de regarder comme le plus grand
des crimes celui de prolonger & d'éternifer
par l'éducation l'enfance des Rois ; &, il a
fait fur ce fujet une phraſe à retenir , mais
il n'a pas affez examiné fi elle devoit être
appliquée au Cardinal Mazarin , & fi au
contraire ce Roi diftingué entre tous les Rois
par le talent de régner , ne devoit pas en
partie ce talent aux leçons & aux exemples
de Mazarin.
La fourberie , dont on ne peut le laver ,
étoit fon défaut , & non pas fon feul talent ,
comme le dit M. la Cretelle avec trop d'exagération.
Quand tout eft dit fur ces deux Miniftres ,
( Richelieu & Mazarin ) dont on a tant
parlé , dont on parlera tant encore , il faut
en revenir à ce que M. de Voltaire en a
dit dans la Henriade , c'eft - là l'éternelle
vérité.
Richelieu , Mazarin , Miniftres immortels ,
Jufqu'au trône élevés de l'ombre des autels ,
Enfans de la Fortune & de la Politique ,
Marcheront à grands pas au pouvoir defpotique.
Richelieu , grand , fublime , implacable ennemi ;
Mazarin , fouple , adroit & dangereux ami ;
L'un fuyant avec art & cédant à l'orage ,
DE FRANCE. 159
L'autre aux ficts irrités oppofant fon courage ,
Des Princes de mon fang ennemis déclarés ,
Tous deux haïs du peuple & tous deux admirés ;
Enfin , par leurs efforts ou par leur induftrie ,
Utiles à leurs Rois , cruels à la Patrie.
ל כ
Revenons à Montaufier. Le moment où
il mène le Dauphin dans des chaumières
n'étoit pas de nature à être négligé par des
Crateurs fenfibles . M. Garat amène ce morceau
d'une manière fupérieure , à la fuite
d'un autre où il examine le parti qu'on peut
tirer du féjour même de la Cour pour l'education
des Princes. Il fe fait cette objection :
" Eft-ce à la Cour que le Prince pourra
s'attendrir à l'aspect des malheureux qu'il
doit foulager ? Il répond : Ne croyons
" point que Montaufier.... ait voulu éloigner
de l'Héritier d'un grand Empire les
leçons facrées de la pitié. Mais penfe-
" t-on que les malheureux foient fi éloignés
d'une Cour ? Ah ! le plus puiffant
Monarque n'en eft féparé fouvent que par
l'enceinte des Courtifans qui les lui cachent
: ils environnent fon palais , & on
» les repouffe; fi les louanges de la flatterie
» & les chants de la volupté fe taifoient un
» inftant , les gémiffemens & les cris du
>> malheur porteroient la douleur & l'effroi
» autour des trônes . »
"""
"3
"
33
97
"
Il peint enfuite le contrafte du luxe de
quelques hommes , & de la misère de tous.
« C'eft , dit- il , l'impreffion de ce contrafte
66
160 MERCURE
» qui a infpiré les plus grandes penſées aux
» hommes de génie , & les plus grands def-
» feins aux hommes d'État. Elle a renversé
» & élevé des Gouvernemens ..... Elle fait
» verfer des larmes à un jeune homme , à
» l'aîné des Gracques , qui traverſe les canr-
" pagnes de l'Italie ; & Rome , déjà cor-
" rompue , efpère revoir encore la fainteté
» de fes premières inftitutions. Si , dans tous
" les pays & dans tous les fiècles elle n'avoit
pas tourmenté certaines ames , les
» droits du genre humain feroient dès long-
» temps perdus , & il ne refteroit plus fur
» la terre que les crimes des tyrans & les
" malheurs des efclaves. >>
Voilà par quelle fuperbe route M. Garat
nous fait paffer du palais de Verſailles aux
chaumières ; mais pour le refte du tableau ,
c'eft dans M. la Cretelle qu'il faut le voir ,
c'eft lui qui en a été le plus fortement ému.
" Ils fortent un jour de ces magnifiques
jardins de Verfailles , que les Arts vien-
» nent de créer pour l'orgueil du Roi , &
qui femblent une victoire de fa puiffance
» fur la nature même.... Ils apperçoivent
2
23
و
des chaumières : elles couvrent l'étendue
» du Royaume ; les palais y brillent de loin
» en loin , & encore les chaumières les
preffent- elles de tous côtés . Ah ! qui peur ,
» dit le Prince , habiter ces triftes & dégoû-
» tantes demeures ? Monfeigneur , en-
» trez , & vous allez le favoir. Alors , à l'afpect
de ces murs délabrés , de ces meubles
29
DE FRANCE. 161
» vils & groffiers , de cette chétive nourri-
» ture du pauvre qui manque fouvent à fes
» befoins , de cette famille defféchée par
» le travail & la faim , le Gouverneur
» s'écrie : Voyez , Monfeigneur , c'est fous
» ce chaume , c'est dans cette miferable re-
» traite que logent le père , la mère , les
enfans , qui travaillent fans ceffe pour
» payer Por dont vos palais font ornés , &
» qui meurent de faim pour fubvenir aux frais
» de votre table. Son ame , profondément
bleffée de tout ce défordre moral des
grandes fociétés , de ce contrafte de l'ex-
» trême opulence & des befoins extrêmes ,
» ne peut plus contenir fa douleur. Il la ré
»
ود
"
وو
"
pand toute entière dans ce jeune coeur ,
» que tant d'objets déchirans ouvrent à la
» pitié ; & dans une fainte indignation , il
» lui parle des avantages attachés à fon
» rang , comme d'une forte de crime dont
» il avertit fa confcience. Ah ! ce n'eft pas
» avec d'induftrieux ménagemens , c'eft avec
» cette énergie qu'il faut parler aux Rois de
» leurs dettes envers les peuples . Que cette
» terrible vérité retentiffe encore une fois à
leurs oreilles fuperbes & délicates ! qu'elle
aille troubler la fauffe joie des Cours, &
» férrir toute leur pompe ! Je leur adreffe
» ici , au nom de tous les malheureux , ces
» belles paroles. »
33
>
Ici l'Auteur répète les paroles de M. de
Montaufier ; & on ne peut lui favoir trop
de gré de cette répétition , hafardée peut162
MERCURE
être , mais éloquente , qu'une profonde ſen
fibilité a pu feule lui infpirer.
On peut comparer encore les deux rivaux,
les deux amis dans plufieurs grands
morceaux correfpondans , tels que celui où
la pefte ravage le Gouvernement de M. de
Montaufier , celui où Montaufier eſt mis en
parallèle avec Turenne au fujet de l'embrâ
fement du Palatinat , & du refus que fie
Montaufier de prêter fon Ministère à une
pareille violence; celui enfin où Montaufier
eft fait Gouverneur du Dauphin. M. la Cretelle
nous paroît fupérieur daus le premier
tableau , par le rapprochement heureux des
Éloges de Mde de Montaufier & de l'Évêque
de Marfeille ( M. de Belfunce ) unis avec
l'éloge de Montaufier. M. Garat nous paroît
reprendre toute fa fupériorité dans le paral
lèle de Montaufier & de Turenne , & les
deux Orateurs nous paroiffent à peu - près
égaux ; c'est - à- dire , tous deux excellens dans
le troisième tableau.
Ils nous paroiffent encore à peu près égaux
dans deux morceaux bien importans : l'un
eft la peinture de la lutte perpétuelle de
Montaufier contre le vice , qui , pour s'infinuer
dans l'ame du jeune Dauphin , emprunte
toutes fortes de formes , & corrompt
jufqu'à l'ingénuité dé l'enfance ; l'autre eft
le moment de cette conjuration univerfelle
des courtifans qui accufent Montaufier
de mettre en danger la fanté du Dauphin par
l'excès du travail & la continuité des exerDE
FRANCE. 163
eices , & le jugement que Louis XIV prononce
entre fes Courtilans & le Gouverneut
de fon fils.
IIº.
M. de Voltaire , en comparant Racine &
Pradon , a obfervé que c'étoit lorfqu'ils difoient
les mêmes chofes qu'ils étoient le
plus différens l'un de l'autre ; on peut obfer
ver au contraire que M. Garat & M. la Cretelle
ne font peut-être jamais plus femblables
l'un à l'autre , plus faits pour mesurer
leurs forces & l'étendue de leurs reffources ,
que lorfqu'ils font oppofés l'un à l'autre ,
& qu'ils foutiennent des opinions contraires.
Nous n'en citerons qu'un exemple. Les deux
Orateurs examinent fi l'Héritier du Trône
doit être élevé à la Cour; ils fe partagent
fur cette grande queftion .
$
" Cet Enfant qui doit régner , dit M. la
» Cretelle , eft élevé au milieu de la Cour
» Sa foibleffe repofe dans un berceau ; mais
» ce berceau eft déjà entouré d'adorations ;
V
39
c'eft le trône de fon enfance. Perfonne ,
après le Souverain , n'eſt ſervi avec plus
» d'appareil , & ne reçoit plus d'hommages.
» Il marche , on fe profterne ; il bégaie
quelques mots , on écoute avec respect ;
» il fe fâche , on tremble ; il pleure , on diroir
» que l'ordre du monde eft interrompu.
On veut l'inftruire ; mais qu'auroit - il à
" apprendre ? Eft- il un enfant ? Eft il un
» homme? N'eft- il pas un Diou ? On ofe
164 MERCURE
"3
"
quelquefois lui parler de fes devoirs ;
mais tout ce qui l'environne ne lui retrace
» que fes droits & fa puiffance . Rois ! c'eft
» ainfi que l'étiquette des Cours a réglé l'inf-
» truction de votre jeuneffe ! Peuples , c'eſt
» ainfi que l'on forme vos Maîtres......
و د
-"
ود
༢
Quelle doit donc être l'éducation de
» l'Héritier du Trône ? Celle d'un homme
d'abord , enfuite celle d'un Roi. Il faut
qu'il paffe par tous les événemens qui
» peuvent lui donner des idées faines , des
fentimens humains ; qui peuvent exercer
fon courage , développer fon génie , af-
» fermir fa vertu. Tirez- le donc de la Cour;
tranſportez - le dans une folitude ; environ-
» nez- le de la misère publique , & non de
la magnificence du Trône ; cachez - lui ,
» s'il fe peut , fa naiffance ; privez - le de
» tout ce qui pourroit lui être dangereux ,
" même des careffes & de l'amour de fa
"
famille il n'eft pas né pour elle , mais
» pour un Empire. Il viendra un temps où
» vous pourrez l'amener à la Cour , lui dé-
» voiler fon rang , lui en faire véritablement
comprendre & les devoirs & les dangers ,
» & lui bien perfuader que ni la nature ni
» la raifon n'ont établi que l'on pourroit
» gouverner les hommcs fans des talens ,
» fans des vertus .
"
» Dans le temps de Montaufier , on ne
connoilfoit pas encore ces vérités , qui
» font aujourd'hui dans tous les bons efprits
; & il ne les apperçut pas lui- même :
"
ور
DE FRANCE. 165
♦ c'eſt un véritable malheur. Il les eût preſentées
, n'en doutons point , à Louis XIV
» lui - même , c'est-à- dire , au Roi le plus
jaloux de la majefté du Trône , & elles
» auroient de plus cette grande autorité. »
*
M. Garat ajoute ce que M. la Cretelle
auroit dû dire , peut-être : « Et l'on cût vu
l'exemple mémorable pour l'Univers , d'un
Prince fortant de la Cour de Louis XIV ,
» pour apprendre à régner.
"
»
و و
"3
"
Mais comme M. Garat n'adopte point ces
idées ; il ajoute :
N'y auroit - il donc aucun avantage à
» élever un enfant près du Trône même où
» il doit régner un jour , & un homme du
caractère de Montaufier ne pourroit- il
" faire tourner à l'inftruction de fon Élève
» tout ce qu'un pareil fejour peut avoir de
dangereux & de funefte ? L'ame d'un
» jeune homme ne peut- elle pas s'agrandir ?
» fes idées ne peuvent - elles pas s'élever &
» s'étendre au milieu de tous ces objets
qui lui parlent fans ceffe de la grandeur
» des deſtinées qui l'attendent , & de l'éten-
» due des devoirs qui lui font impofés ?
" Tandis qu'on lui fera chercher dans l'Hif-
" toire le tableau des Règnes & des Em-
» pires , faudra- il détourner fes regards de
l'exemple d'un règne qui paffe fous fes
» yeux , & dont il peut contempler les évé-
» nemens du pied du Trône même qui les
difpenfe ? Quelles inftructions plus touchantes
& plus perfuafives que celles
"3
و ر
و د
و د
166 MERCURÉ
qu'on reçoit de la gloire ou des malheurs
» d'un père ! ..... Dans ces palais ſuperbes ,
où tout femblera vouloir lui faire oublier
22
"
qu'il eft homme , il fentira , ou il verra
» plus d'une fois que fi les Princes font
exempts des befoins de la nature , ils ne
» le font pas de fes maux; & cette leçon ,
» la feule qu'on ait permis à la nature de
» leur donner, doit avoir bien plus de force
» auprès d'un Trône. »
"
Voilà la queſtion parfaitement traitée , &
le Lecteur eft à préfent en état de prononcer
, ou plutôt de reconnoître qu'il ne faut
pas prononcer légèrement fur un point fi
délicat . M. la Cretelle avoit l'avantage d'une
opinion , appuyée de toute la faveur de la
philofophie moderne , & il l'a bien fait
valoiril falloit que M. Garat trouvât des
raifons en faveur d'un ufage qui n'en avoit
point d'autres , peut-être , que la routine ,
& il y a réutfi .
III°.
Enfin , il y a des parties du fujet qui ont
échappé à l'un des deux Orateurs , ou qui
n'ont été qu'entrevues par l'un & que l'autre
a traitées à fond . Ici , M. la Cretelle nous
paroît plus riche que M. Garat ; il a traité
avec liberté , avec convenance , avec adreſſe
l'article de l'abjuration de Montauber , dont
M. Garat n'a point parlé ; il a préſenté un
tableau plus complet de la tendreffe mutuelle
de M. de Montaufier & de Julie d'Ana
DE FRANCE. 167
gennes ; il a mieux peint auffi l'hôtel de
Rambouiller , il a rapporte , avec toutes les
réflexions convenables , la Lettre de M. de
Montaufier fur la Prife de Philisbourg ; article
entièrement omis par M. Garat . Il a
fait enfin un parallèle d'Henri IV & de
Louis XIV , qui n'est point dans M. Garat ,
& qui n'étoit pas peut- être abſolument effentiel
au fujet , mais qui eft trop beau pour
que nous ne le rapportions pas ici .
39
" Combien le bon Henri fut plus grand
dans la fimplicité & la familiarité de fes
» moeurs ! il ne voyoit dans fes premiers
» Sujets que les anciens compagnons de fes
» victoires , & toutes les expreffions de
l'amitié fortoient continuellement de fa
bouche & de fon coeur.... Louis parut
» dédaigner l'exemple de la popularité de
fon aïeul. Ce Roi , chéri entre tous les
» autres comme le meilleur ami du peuple ,
le portoit vraiment dans fon coeur; on
» s'afluroit d'un bon accueil en lui en parlant
; il le cherchoit toujours au milieu
» de fes fêtes , & dans les jours de bonheur ,
39
par fa bonté attirante & paternelle , il
» relevoit l'humanité de cette dégradation
» où l'avoit fait romber la tyrannie féodale.
Louis renouvela , en quelque forte , ce
crime de la barbarie par l'orgueil de fa
magnificence. Toute cette grandeur dont
il marchoit environné , toute cette infle-
> xible dignité de fon maintien fembloient
» dire au peuple : Adore , mais n'approche
168
MERCURE
39
.
pas. Je le remarque avec douleur , mais
je dois à l'humanité d'exprimer cette
plainte , jamais il n'a reçu lui - même la
prière du pauvre , jamais il n'a adreffé une
parole à un homme du peuple.
و د
Nous ne pouvons nous refufer le plaifir
d'orner encore cet extrait du morceau où
M. la Cretelle répréſente Montaufier amoureux.
Il connut l'Amour , & l'Amour fervit à
" fa gloire , & même à la vertu. Ne croyez
» pas qu'il amolliffe les ames fortes , il ne
" fait que les adoucir , & fouvent il les
"9
و ر
و ر
ود
99
و و
perfectionne. Malheur aux grands carac-
» tères dans qui l'Amour n'eft pas venu dé-
» truire cette première roideur , qui eſt un
» excès , un danger , un écart ! il faut que
» l'homme fonde fa fageffe fur fa nature ;
il faut qu'il laiffe attendrir fon coeur ,
qu'il y éprouve des combats , des douleurs
, des foibleffes ; il faut qu'il en triomphe
; mais il faut autfi qu'il les ait con-
» nues. Il y a des vertus , ainfi que des talens,
que l'Amour feul peut nous donner ;
» mais quel noble & doux triomphe pour
» la beauté de régner fur ces grands courages
, d'entrer pour quelque chofe dans
» leurs généreux deffeins , de les douer de
» l'heureux don des Grâces , & de mettre
fa foibleffe fous la protection de tant de
fierté , de puiffance & de gloire !»
M. Garat , de fon côté , a rapporté quelques
traits qu'on ne trouve point dans M. la
Cretelle ,
"D
و و
23 22
DE FRANCE. 169
Cretelle , comme le mot de Louis XIV à
M. de Montaufier , qui lui annonçoit des
revers que les Courtifans cherchoient à lui
diffimuler : Monfieur de Montaufier , je vous
entends , mais je fais quel coeur vous avez
pour moi.
Mais c'eft fur-tout dans les réflexions, qu'il
faut chercher ce que M. Garat a de propre
& de caractériſtique ; elles font prefque toujours
diftinguées par la réunion de l'éclat &
de la profondeur. Telles font celles où il expofe
la manière dont la Cour d'un Monarque
devroit être compofée ( p. 11 & p. 18. )
Si des hommes du caractère de Montau-
» fier , dit - il , environnoient toujours les
Trônes , on ne trouveroit point dans la
Vie des Princes de ces fcandales qui for-
» cent l'Hiftoire à devenir fecrète & clan-
» deftine , qui l'obligent , pour ainfi dire ,
à fe cacher elle -même ; elle , dont la fonc-
» tion & le devoir eft de tout révéler.
ور
23
ور
Mais le fuprême mérite de M. Garat eſt
d'avoir fu finir par le morceau le plus penfé
de tout fon Difcours , & qui contient les
leçons les plus utiles pour fon fiècle.
Montaulier mourut dans un âge très- avancé
, fans avoir vu fa faveur fe déinentir.
Il est donc vrai que quelquefois au
moins on peut terminer l'éloge d'un grand
» Homme fans parler de fes malheurs &
» des triomphes de l'injuftice ! presque tous
» les hommages que l'eloquence a rendus
dans ce Lycée aux hommes qui ont ho
Sam. 22 Septembre 1781. H
170 MERCURE
و د
و د
و د
ود
» noré la Patrie , ont fini par des larmes
répandues fur leur deftinée. On a vu
» l'Hôpital & Sully terminant leurs jours
» dans la retraite & dans la difgrâce ; Def-
» cartes fuyant la perfécution de pays eir
» pays , & ne trouvant d'afyle que dans nn
» tombeau élevé fur une terre étrangère ;
Fénelon pratiquant fes dernières vertus ,
exilé d'une Cour où il avoit toujouts
» adouci la vérité par les grâces de fon
génie ; & Montaufier , qui n'a jamais rien
" ôté à la vérité de ce qu'elle a de terrible
» pour les méchans , termine dans une Cour
» fa longue carrière , pleine d'honneurs &
» de profpérités. O fpectacle encourageant
» pour l'homme de bien ! ...... L'Éloge de
Montaufier eft encore celai de Louis
» XIV..... En voyant dans la Vie de Mon-
" taufier le refpect de ce Monarque pour la
» vérité , le Cenfeur le plus fevère de fa
2 renommée oferoit - il effacer le titre de
» Grand de fa ftatue ? Ah ! les vertus qu'il
encouragea dans Montaufier feroient encore
plus néceffaires de nos jours , & on
» ne les a point vu reparoître .... Les Arts
» & le Génie ne peuvent fauver de fa déca-
» dence une Nation où les caractères s'affoi-
و د
ور
ور
ور
و ر
ور
و ر
bliffent. Eh ! que de Peuples on voit dans
» l'Hiftoire , retombant dans la barbarie des
» moeurs , éclairés encore de toutes leurs
lumières ! Nous ne voulons plus que des
qualités qui nous rendent aimables ; mais
n'oublions point que les vertus douces
"
ور
"
2
DE FRANCE. THI
23
33
» font les dernières qui paroiffent dans les
" Sociétés , & qu'elles touchent à l epoque
» de la corruption & de la honte des Peu-
» ples. Rappelons - nous que c'est dans les
fiècles de l'héroïfine , au milieu des victoires
, & dans les temps où les ames
» étoient vraies , parce qu'elles étoient for-
" tes , que le François a mérité la réputa-
» tion du peuple le plus aimable de l'Eu-
» rope ; & fi nous ne voulons pas perdre
» cette réputation , difons- nous fans cetle
» que pour conferver inême nos grâces , il
» faut conferver nos vertus ; & que fi le
» talent de plaire peut fuffire à un homme
privé , une Nation , pour être aimable ,
doit encore avoir de la grandeur. »
ود
و د
Après nous être livrés au plaifir d'admirer
de telles beautés , prendrons nous la trifle
diligence du Cenfeur & la pédanterie du Journalifte
, pour dire à M. li Cretelle que fi les
négligences & les familiarités de Boffuet
réufliffent quelquefois par le contraſte , fouvent
auffi c'eft malgré ces défauts qu'il réuflit ,
& qu'on doit toujours craindre de mettre
contre foi ces fautes faciles à fentir , faciles
à relever , & dont les fots font d'autant plus
de bruit que leur goût & leurs lumières ne
s'étendent que juſques là ? Prendrons nous la
liberté d'avertir M. Garat d'éviter le retour
un peu trop fréquent d'une même forme
d'exclamation : que ce courage eft rare ! que
fes regrets font touchans ! que fa douleur eft
longue & profonde ! qu'il faudroit peu con-
Hij
172 MERCURE
noutre la vertu ! qu'il mérita bien ce nom !
que la France eût été heureuſe ! que cettefcène
étoit digne d'être offerte ! qu'elle commençoit
dignement, cette éducation ! qu'elle étoit propre
à fonder l'Empire du Gouverneur ! ..... &c.
L'avertirons nous encore d'avoir le petit
foin d'éviter la fréquence des hiatus , furtout
de ceux qui font formés par le redoublement
de la même voyelle , & fur- tout
de la lettre A ? « Mazarin a apporté de
» l'Italie , &c. Il leur paroîtra afpirer , &c.
» Il a aſſez de grandeur , &c. Cet homme
» qu'on a accusé d'être dur , &c. La poſté-
» rité ne lui a accordé, &c. »
Il eft clair que quand on eft forcé de s'arrêter
à de ſemblables minuties , on n'a pas
de véritables fautes à relever.
Nous ne devons point oublier de dire
que deux Anonymes ont fourni le fecond
Prix que l'Académie regrettoit de n'avoir
point à donner au Difcours de M. la Cretelle.
DE FRANCE. 173
CATHÉCHISME fur les Morts apparentes ,
dites Afphyxies , ou Inftruction fur les
manières decombattre les différentes eſpèces
de Morts apparentes , par demandes & par
réponfes , fondéefur l'expérience , & mife
à la portée du Peuple; imprimé & publiépar
ordre du Gouvernement , par M. Gardanne ,
Docteur en Médecine. Vol. in- 8 °. A Paris ,
chez Valade , rue des Noyers , 1781.
*
RENDONS hommage au Citoyen qui préfide
à la Police de cette Capitale ; c'eſt à lui
qu'on eft redevable de l'idée de cet Ouvrage ,
ainfi que d'une multitude d'établiſſemens
dont l'influence s'étendra peu - à- peu`juſqu'aux
extrémités du Royaume , & qui même
pénètrent déjà chez les Nations étrangères .
Après avoir mérité , dans le Tribunal où il
fiégeoit dès fa première jeuneffe , la réputation
du premier Criminalifte de France , il
veut fe fignaler encore dans un Ministère
tour différent , & beaucoup plus difficile.
Chargé de veiller fur un million d'hommes
parmi lesquels fermentent toutes les paffions
, tous les vices , tous les élémens du
défordre , il s'occupe nuit & jour à y main-
* En 1779 , l'Impératrice- Reine fit demander à
M. le Noir , Lieutenant - Général de Police , an
détail des Etabliffemens de la Ville de Paris. On
peut confulter l'Ouvrage qui eft imprimé fous ce
titre , & qui a paru l'année dernière,
Hiij
174 MERCURE
tenir l'harmonie & la fecurité ; * on le voit
defcendre dans les plus minutieux détails
des affaires fans rien perdre des vues élevées
& profondes de l'homme d'État, les ingrats
qu'il multiplie chaque jour , loin d'endurcir
fon coeur ,femblent lui donner une nouvelle
activité pour le bien ; au moindre accident
on le voit voler où fa préfence peut ajouter
au zèle de ceux qu'il affocie à les travaux :
rien ne lui eft indifférent , fi ce n'est peutêtre
fon intérêt perfonnel ; & en ce point ,
nous ne craignons pas d'être contredits par
aucun de ceux qui font à portée d'obferver
de près le défintéreflement & l'inépuifable
bonté de ce Magiftrat. C'eft fous fes aufpices
que paroît l'Ouvrage dont nous allons rendre
compte. Il ne doit pas être rangé dans l'ordre
des Livres d'agrément ou de limple Litté
rature , qui n'intéreffent qu'un petit nombre
d'hommes ; il eft fait pour le pauvre comme
pour le riche , pour l'ignorant comme pour le
favant , pour toutes les claffes d'individus qui
compofent le Public. L'Auteur a jugé convenable
de lui donner la forme du dialogue
ou d'un catéchifine , parce que cette manière
d'inftruire le grave plus aifément dans la
mémoire. Les demandes & les réponses ,
* Les Ouvrages fouterrains qu'il fait exécuter dans
l'étendue des quartiers S. Marceau , S. Jacques ,
S. Germain & fous les grandes routes qui y aboutiffent
, formeront un monument digne de l'ancienne
Rome.
DE FRANCE. 175
obferve M. Gardane , m'ont facilité le moyen
de me faire des queftions expreffement pour le
peuple. " Je me fuis interdit les détails de
"""
ود
théorie ; & quand ils m'ont paru indifpenfablement
néceffaires , je les ai renvoyé
aux notes , fans oublier de les mettre,
» à la portée de tout le monde. Sur toutes
» chofes je me fuis attaché à décrire les pré-
» cautions qu'il falloit prendre , tant pour
connoître les lieux infectés par les moffetes,
que pour en retirer ceux qui s'en
» trouvent incommodés ; l'expérience ap-
» prenant tous les jours que le plus grand
» nombre des perfonnes tombées en afphy-
» xie , ne devoient ce malheur qu'à l'igno-
» rance ou à l'excès d'un zèle imprudent. »
02
و ر
L'Auteur diftingue les caufes de l'Afphyxie
fuivant l'ordre des faifons où l'on a coutume
de les obferver. Ainsi , le printemps
étant la faifon où l'on remue le plus fouvent
les terres , foit pour bâtir , foit pour faire
des excavations , foit pour creufer des puits
& des foffes , ou pour les nétoyer , il a cru
devoir placer dans cette partie de l'année ,
l'Afphyxie provenant de ces fortes d'agens
méphyriques.
On fe baigne en été , il tonne , on étouffe
dans les manufactures à feu , les fours , les
verreries , les étuves , les calles des vaiffeaux
, les églifes , les falles de fpectacle ,
les hôpitaux , les prifons , & même en plein
air , à certaines heures du jour ; il étoit donc
également naturel de placer dans ces trois
Hiv
176 MERCURE
mois de l'année les morts apparentes qui
proviennent de ces cauſes.
Il en eft de même à l'égard de l'automne ,
faifon des fruits , des récoltes , des vendanges
& de la plus grande partie des fubftances
qui entrent en fermentation pour reproduire
l'Afphyxie.
Enfin , l'on chaffe en hiver , & l'on s'enferme
, on brûle du charbon de toute efpèce
, où la néceffité fait endurer les plus
grands froids ; la mort apparente naît de
ces deux agens , quoiqu'oppofés ; c'étoit donc
encore fous les trois derniers mois de l'année
qu'il convenoit de ranger les funeftes effets
de l'Afphyxie.
Rien de plus fimple que ces diviſions. Les
Curés dans leurs prones pourroient en offrir
le tableau au peuple , où l'afficher pendant
le cours de chaque faifon , ce feroit fans
doute un moyen très efficace de prévenir un
grand nombre d'accidens . On y joindroit la
manière de traiter cette maladie , qui fe réduit
à éloigner d'abord l'Afphyxié de la moffete
; à le dépouiller auffi tôt de fes vêtemens ;
à le chauffer, fi fa mort apparente vient d'une
immerfion, dans un liquide quelconque ; à le
rafraîchir s'il a été furpris par un air méphy:
tique , & fur toute chofe , à ne point remplir
fa bouche d'un liquide fuperflu ; à le
tranfporter dans un air libre & pur , à le
bien nétoyer des odeurs qui pourroient conferver
l'odeur méphytique , à fouffler de
l'air dans les narines , à jeter de l'eau fraîche
DE FRANCE. 177
fur tout le corps , & principalement fur le
vifage , à , le rapprocher enfuite du feu par
gradation , à fe garantir foi même , par les
précautions les plus foigneufes , du danger
de partager fon accident lorfqu'on a été à
fon fecours , fans avoir détruit la vapeur qui
l'avoit fait périr.
Afin de mettre le Public a portée d'apprécier
le mérite & l'importance du travail
de M. Gardanne , nous allons en tranfcrire
un morceau pris à l'ouverture du Livre.
Afphyxies caufees par la combuftion des
corps , tels que le charbon ordinaire , la
braife , le charbon de terre , la tourbe , &
même par le trop grandfeu.
Demande. Quels font les fecours contre ces
fortes d'Afphyxies ?
Réponse . Ce genre d'Afphyxie , ainfi que
toutes celles que produifent les moffetes en général
, doit être combattu par des moyens rafraîchiffans
; ce qui differe effentiellement du traitement
des noyés , qu'il faut réchauffer fans ceffe . Cependant
comme on a vu que les perfonnes noyées dans
l'eau chaude , le vin & autres liquides femblables ,
ne devoient pas être autant réchauffées que celles
qui fe noient dans l'eau froide ; de même il y a
telles moffettes dont l'effet ne doit pas être combattu
par un traitement abfolument rafraichiffant.
Ces modifications feront indiquées en traitant de
chaque moffete en particulier.
D. Y a t-il des précautions à prendre en fecourant
les perfonnes frappées par la vapeur du
charbon ?
Hv
178 MERCURE
R. Pour le moins autant qu'en allant au fecours
des noyés. Vous en jugerez par le terrible exemple
du Boulanger de Chartres , qui perdit fes deux
fils , fa femme & fa fervante dans une cave où il
avoit imprudemment entaffé de la braife de fon
four. Deux de fes voifins y périrent encore , pour
avoir été imprudemment au fecours de ces infortu
nés. Une circonftance remarquable , c'eſt que la
fervante , retirée de la cave par le moyen d'un croc ,
refpira quand elle fut en plein air ; mais on la faigna
tout de fuite , & elle mourut fur la place.
D. Indiquez-moi ces précautions le plus tôt
poffible ?
R Vous avez déjà vu celles qu'en général il
eft néceffaire de prendre pour toutes les moffetes .
Une chofe qu'il faut bien retenir , c'eſt qu'indépendamment
du renouvellement de l'air par le moyen
d'un brafier allumé , on doit encore alors en changer
la nature en répandant de l'eau chaude ou
froide ; l'eau étant le véritable pécifique contre les
moffetes . C'eft pourquoi fi c'eft dans une chambre
que la moffete s'eft formée , n'y entrez pour en ou
vrir les portes & les fenêtres , & y établir un courant
d'air , qu'en tenant en main ún arrofoir ou un
broc plein d'eau , avec lequel vous la répandrez par
le moyen d'une espèce de goupillon .
D. Mais fi l'accident arrive dans une cave ou
dans quelqu'autre lien profond ?
R. Si ce lieu ne renferme pas des matières combustibles
, après y avoir donné entrée à l'air extérieur
par le plus d'ouvertures qu'il fera poffible d'y
pratiquer , defcendez - y un brafier al'umé , & mettezy
de l'eau en évaporation dans des vaiffeaux larges
d'ouverture , ou inondez - le d'eau froide . Ce n'eft
pas autrement que l'on vint à bout de détruire la
vapeur meurtrière de la cave de Chartres.
Ce moyen eſt encore celui que linventeur des
DE FRANCE. 1-9
poêles hydrauliques emploie , en plaçant au- deffus
du pole un vale d'eau qui s'évaporant fans cele
balance & détruit l'effet de la vapeur du charbon. *
D Après avoir chaffé ou détruit la vapeur du
cha bon de l'endroit profond qu'elle infectoit , peuton
y defcendre impunément ?
R. Non ; vous devez encore prendre les mefures
indiquées au Chapitre III pour les moffetes en
général , de peur que la moffete ne foit pas encore
abfolument détruire . Un homme périt dans la cave
de Chartres quind en la croyoit définfectée.
D. Cela étant , fi l'on ne pouvoit pas détruire
affez promptement la moffete , il faudroit donc
laiffer périr la perfonne qui en a été frappée fans
aller à fon fecours ?
* A propos de ces poëles hydrauliques , il eft néceffaire
de prévenir que la chaleur humide qui réfalte de
# cette manière de chauffer les appartemeas , n'eſt pas faine ,
& peut donner lieu à des affections fcorbutiques , furtout
parmi les enfans . On prévient ce fâcheux effet , en
pofant fur un carreau des fenêtres un petit ventilateur de
fer-blanc , & fur- tout en mêlant quelques cuillerées de
vinaigre à l'eau échauffée par le poële . Ce n'eſt pas non
plus fans danger que l'on chauffe les bains avec le cylindre ,
& qu'on place de la braiſe fous la table. C'eſt par cette
caufe que le Marchand & la Marchande de Modes de la
rue S. Honoré , à la Corbeille galante , périrent il y a
quelques années , & qu'au Séminaire de S Magloire ,
M. l'Abbé Briquet de la Vaux , fut également frappé
d'Afphyxie . La braife , mife fou la table , produit le
même effet.
On fe garantit d'accidens , dans le premier cas , en conduifant
à l'air libre la vapeur du cylindre , par un tuyau en
forme d'entornoir; & dans le ccond , en mettant un
petit vafe plein d'eap & de vinaigre fur le feu.
Hvj
180 MERCURE
R. Sans doute ; & ce parti , quoique violent ,
eft préférable , par la raifon qu'il vaut mieux ne perdre
qu'un feul homme que d'en perdre plufieurs.
Dans cette cruelle néceffité , on auroit recours à
P'usage du croc pour l'en retirer , & l'on continueroit
les moyens de détruire la moffete , jufqu'à ce qu'ils
euffent eu leur entier effet .
D. Quels font ceux de rappeler à la vie un
Afphyxié par la vapeur du charbon ?
R. Une fois que vous l'avez retiré du lieu méphitique
, il faut l'en éloigner le plus que vous pourrez
, le dégager avec promptitude de fes hardes ,
jarretières , col , & l'ayant mis entièrement à nud ,
le bien laver avec de l'eau & du vinaigre , & l'affeoir
fur une chaife en plein air , la tête foutenue
dans fa pofition naturelle , de manière que le corps
ne puiffe vaciller . Enfuite vous l'envelopperez d'un
drap exactement fixé fous le menton , comme un
linge à barbe , & vous répandrez de l'eau fraîche
fur ce linge. Sur toutes chofes ayez l'attention de
lui jeter avec force & fans relâche de l'eau trèsfroide
fur le vifage , principalement fous le nez ,
ce que vous executerez commodément avec un
verre ordinaire.
D. Faut -il continuer cette opération pendant
long-temps ?
R. Jufqu'à ce que vous apperceviez quelques
gnes de vie , ce qui n'arrive quelquefois qu'après
plufieurs heures . Afin de ne pas interrompre ce
fecours , ayez toujours à vos cô és des feaux pleins
d'eau fraîche , que d'autres affiftans auront foin de
remplir à mesure que ce fluide fera prêt à manquer
, & faites-vous remplacer dans cette opération
pour qu'elle puiffe être pratiquée long- temps fans interrup
ion & avec vigueur .
D. Quels font les premiers fignes auxquels on
connoît que l'Afphyxié revient à la vie ?
DE FRANCE. 181
R. Les fignes de ce retour font d'abord de
petits hoquets , le ferrement & le fifflement des narrines.
A mefure que les hoquets fe fuccèdent , le
ferrement des dents & des mâchoires augmente , &
alors le malade rejette de temps en temps par la
boache des glaires épaiffes & ecumeufes , quelquefois
même il vomit des matières noires ; enfin ce
vomiffement eft fuivi plus ou moins tard d'un
tremblement univerfel , qui eft l'avant- coureur du
retour de la refpiration.
D. A cette époque faut-il continuer de jeter de
l'eau froide au vifage de l'Afphyxié ?
R. Non : dans ces premiers momens , quand vous
Vous appercevrez des hoquets , & que l'Afphyxié
aura la bouche entr'ouverte profitez au plus tôt
de ces changemens pour placer entre fes dents de
perits morceaux de bois tendre arrondis , de liége
ou de racine de réglife , afiu d'empêcher que fes .
mâchoires ne fe refferrent avec plus de force ,
comme la chofe ne manqueroit pas d'arriver fans
cette précaution . En même temps mettez quelques
grains de fel de cuifine fur fa langue , & introduifez
dans fes nartines des mèches de papier roulé , imbibé
d'alkali volatil.
Ce n'eft qu'après avoir exécuté promptement
toutes ces chofes que vous reprendrez le plus tôt
poffible la projection de l'eau froide au vilage , pour
la continuer jufqu'à ce que le malade ait donné des
preuves de connoiffance , qu'il ait pouffé des cris ,
& qu'il commence à articuler quelques mots.
DA cette époque , les accidens font-ils entiè
rement diffipés ?
R. Non quand la parole eft revenue , l'Afphyzié
eft prefque dans le délire , il a les yeux ouverts ,
faillans , & ne diftingue aucun objet . Le retour de
la connoiffance fuit d'affez près cet état , qui n'eft
pour ainfi dire que momentané. Alors le malade fe
182 MERCURE
plaint d'une douleur à la nuque & d'un treffaillement
de coeur qui rend fon pouls intermittent , ou
bien d'un grand froid répandu fur fa perfonne , qui
reffemble affez à celui des fièvres d'accès . Ce fioid
eft remplacé par la chaleur , accompagnée d'un
affoupiffement plus ou moins confidérable , & ſuivie
d'une foibleffe & d'un accab'ement de tout le corps,
toujours relatif à la violence de l'attaque & au tempérament
du mlade.
D. Que faut- il faire contre ces nouveaux fymptômes
?
R. Ceffez de jeter de l'eau au vifage , & à
mefure que la connoiffance fubfillera & fe fortifiera
, tranfportez le malate dans un lit légèrement
balné , & effayez le avec des ferviettes chaudes.
Enfuite vous vous ferez aider par une autre perfonne,
dont une lui frictionnera le corps, & l'autre , les
extrémités , en mettant fous fon nez de l'efprit volatil
tammoniacal , & lui faifant avaler quelques cuillerées
de la potion fuivante : Prenez eau-de -vie , fix
cuillerées à bouche , alkali volatil , trente gouttes,
Donnez de cette potion par cuillerée à café , à un
demi-quart- d'heure de diftance d'une cuillerée à
T'autre.
D. Faut-il que la chambre foit chaude & fermée ?
R. Gardez vous en bien ; au contraire ayez grand
foin d'entretenir un courant d'air days la chambre
du malade , afin que fon rétabliment foit durable..
Confultez d'ailleurs le traitement de ceux qui fost
revents d'Alphyxie , indiqué à la fin de cet Ouvrage.
D. Si malgré tous ces foins l'Afphyxié venoit à
retomber dans fon premier état , que faudroit il
faire?
R Vous recommenceriez la projection de l'eau
froide , & vous la continuerez , comme je l'ai déjà
prefait
DE
183
FRANCE.
C'eft ainsi que M. Gardanne a traité toutes
les parties de fon fajet. Plus jaloux d'être
utile que d'étaler un lavoir , faftueux , ou
des mots fcientifiques , il ne paroit jamais
avoir d'autre but que de mettre fa doctrine
à la portée du commun des hommes ; de
diffiper leurs erreurs , de les prémunir contre
les dangers auxquels ils s'expofent , & d'offrir
les moyens de les en delivrer lorſqu'ils
font devenus les victimes de leur imprudence.
Afin d'infpirer plus de confiance à fes
Lecteurs , il leur indique les fources dans
lefquelles il a puifé fes leçons , & fait connoître
ce qu'on doit de reconnoiffance à
P'Académie , qui s'eft occupée de cette matière
avec le plus grand zèle , ainfi que MM.
Pia , Morand , Vicq d'Azir , Maret , de
Villiers , Parmentier , Laborie , &c. & furrout
M. Cadet de Veaux , en faveur de qui
Sa Majesté vient de créer la place d'Infpecteur
- Général des objets de Salubrité pour la
Généralité de Paris.
Pour faciliter l'acquifition de ce Catéchifme
, & empêcher qu'on n'y introduife
des erreurs en le contrefaifant , le Sieur
Valade l'offre au prix modique de 12 fols.
Il prévient les perfonnes charitables qu'il les
paffera à un plus bas prix , fi l'on en prend
une douzaine d'exemplaires à la fois.
184
MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Si les Nouveautés ne font pas fréquentes
à ce Théâtre , les remifes des anciens Ouvrages
ne font pas rares. Les Comédiens
aiment mieux remuer leur ancien répertoire
que de chercher à l'enrichir de quelques
Pièces nouvelles. Une telle conduite peut
avoir des motifs ; il eft naturel de le croire,
& prudent de ne le pas examiner. La remile
de l'École des Amis , Comédie de la
Chauffée en vers & en cinq Actes , n'a pas
fait une grande fenfation . Le but moral de
cet Ouvrage eft affez bien apperçu , mais la
marche en eft trifte & lente , & tous les
caractères ne font pas bien failis. Il y a du
comique dans les rôles de Dornane &
d'Aramont , deux amis comme on en voit
tant :
L'un d'eux n'eft qu'un bon homme ardent, officieux,
Qui tracaffe & qui veut toujours être de fête ;
L'autre n'a que du fafte & du vent dans la tête.
Le véritable ami , le modèle de l'amitié eft
parfaitement deffiné dans le perfonnage
d'Arifte. Celui - ci ne parle point ; il agit , il
fert , il rétablit les affaires de Monrofe ,
que l'imprudence & l'indifcrétion des deux
DE FRANCE. 185.
premiers avoient dérangées prefque fans reffource
; il follicite fous fon propre nom les
grâces que fon ami n'a pu obtenir , mais
c'eft pour les lui remettre ; enfin il lui rend
fa fortune , le bonheur & fa maîtreffe . Les caractères
de Monrofe & d'Hortenfe font un
peu romanefques , ainsi que les fituations
dans lefquelles l'Auteur les a places . Ce
défaut eft celui qu'on reproche à la Chauffee
le plus généralement & avec le plus de
raifon.
Cette Comédie a été jouée avec foin. M.
Molé a mis du pathétique dans le rôle de
Monrofe ; M. Vanhove, beaucoup de vérité
dans celui d'Arifte. Le perfonnage de Dornane
a été rendu fort agréablement par M.
Fleury , dont le talent pour la Comédie prend
chaque jour un nouvel eflor. Le rôle d'Ara
mont eft un des plus avantageux qu'il y aitau
Théâtre ; il a été joué par Monfieur Defeffarts.
De vieux Amateurs que nous aimons
à confulter , nous ont affuré que ce rôle commença
autrefois la réputation du Comédien
Fierville , qui le rendoit d'une manière fupérieure.
*
186 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
LE 2 Septembre on a donné pour la première
fois , Richard, Parodie de Richard III,
Tragédie.
Le merite de ce petit Ouvrage , que nous
devons à la plume de M. Parifau , feroit plus
vivement fenti , fi la Tragedic qui en a fourni
le fujet étoit plus connue par les repréſentations
, ou bien fi elle étoit imprimée . Les bornes
qui nous font prefcrites ne nous permettent
pas d'en citer tout ce que nous pourrions
y trouver d'agréable pour nos Lecteurs . Nous
nous contenterons de leur offrir une partie de
la Scène où Richard refte feul , après avoir été
raillé par Richmond , qui s'eft fair reconnoître
: & quelque chofe du dénouement.
Demandez - moi
Pourquoi ,
Pourquoi Richmond m'échappe ;
Mais fur-tout en ce danger- ci ,
Pourquoi j'ofe refter ici ,
AIR: Je fais un Luron.
Je m'en fuis douté :
Parfembleu , je rafte
Pour être agité
Des fureurs d'Orefte ;
Car
J'ai déjà la migraine fort.
Et j'aurai le tranſport.
DE FRANCE. 187
AIR: Trifle Raifon.
Raiſun , qu'eſt- tu ? Je fens foiblir la nôtres
Ah! loin de nous un regret mal- adroit ;
En la perdant , je pers bien moins qu'un autre ;
Un autre auffi perd bien moins qu'il ne croit.
La mienne eft éclipfée tout- à- fair: effayons
de lier deux idées enfemble . ( avec emphafe. ) '
La gloire eft unjour parforti du ſein des ombres. *
Ah ! c'en eft fait , je ne fais plus ce que je dis.
AIR: Ne v'la- t'il pas que j'aime.
En ce châtiment mérité ,
Oh ! faveur imprévue !
J'apperçois la postérité ,
Très- peu de gens l'ont vue .
AIR: Ma Grand'mère étoit peinte.
L'un m'y livre aux pleurs , aux fanglos
Dans une Tragédie.
Affublé d'airs & de grelots ,
L'autre me parodie ;
Mon oeil qui confond
Tragique & bouffon ,
Eft d'une perfidie ,
Qu'à peine je peux
Diftinguer des deux
Quelle eft la Parodie .
* Vers de la Tragédie de Richard III.
188
MERCURE
Il n'eft guères poffible de trouver dans
nos anciennes Parodies une Scène plus piquante
& plus comique. Une idée fort originale
eft celle du Deffinateur , qui vient fe
placer fur le devant du Théâtre , pour faire
un croquis de la fituation où Élifabeth eft
fur le point d'être poignardée par un Soldat
de Richard.
AIR: De Rémonde.
L'attitude me feconde ;
Le beau groupe , il eſt complet ;
Et pour peu que j'y répʊnde …………….
Richmond paroit à la tête de fes Soldats ,
& fe prépare à fondre fur les Troupes de
Richard. Le Deſſinateur , troublé , continue
fur le même air.
Milord ! Milord ! s'il vous plaît !
Ne dérangez pas le monde ,
Laiffez chacun comme il eft.
RICHMOND.
"
AIR: Vaudeville du Maréchal.
Cher ami , ne t'alarme pas ;
Ton art a pour moi des appas ; 6
Mais l'attitude n'eft pas neuve ,
Et tu pourras la retrouver, & c.
Certe Parodie fait beaucoup d'honneur à
l'efprit de M. Parifau. Prefque tous les couplets
font bien faits , coupés avec infiniment
DE FRANCE. 189
d'adreffe , terminés par des idées fines ,
& portant avec elles des épigrammes relatives
aux défauts de la Pièce parodiée . Nous
croyons que M. Parifau annonce affez de
connoiffance du Théâtre , pour que nous
ayons le droit de l'engager à mériter des fuccès
plus dignes d'un homme de Lettres , par
des Ouvrages d'imagination.
Au Mercure prochain les autres articles
de ce Spectacle.
VARIÉTÉ S.
M. D'ALEMBERT ayant envoyé au Roi de Pruffe ,
de la part de l'Auteur , une excellente Pièce de Vers
Latins fur la Mort de l'Impératrice- Reine , compofée
par M. Luce , Bourfier du Collège de Louisle
-Grand , ce Prince a chargé M. d'Alembert de
remettre de ſa part au jeune Écolier une gratification ,
pour l'aider & l'encourager dans fes Études. Ainfi le
grand Frédéric, qui a appelé dans fon Académie plufeurs
Étrangers du plus grand mérite , & qui depuis
près de trente années honore d'une penfion M. d'Alembert
, dont il a été le premier & long- temps le
feul Bienfaiteur , protège & favorife les Lettres &
les Sciences au- dedans & au-dehors de fes États , &
ne dédaigne pas même d'animer les talens naiffans
qui fe diftinguent ailleurs que chez lui.
M. Luce a étudié cette année au Collège de Louisle-
Grand , fous M. Selis , Profeffeur de Seconde au
même Collége , excellent Littérateur , connu par des
Ouvrages eftimés , & non moins recommandable
par Les qualités perfonnelles que par fes talens.
190 MERCURE
GRAVURES.
LA Fête du Saint - Sacrement , la Fête de -
Saint- Louis Prix , 3 liv. chacune . Ces deux fajets
font partie de la fuite des fêtes de l'année deffinées
par M. Cochin pour le Miffel de la Chapelle Royale
de Verfailles ; ils font gravés avec foin par M. Lucien
, & le trouvent à Paris , chez Chéreau , rue des
Mathurins , au coin de celle de Sorbonne.
Le pain des Anges , le pain des hommes. Prix ,
2 liv . chacune. Ces denx fujets allégoriques au Sacrement
de l'Euchariftie font aufli partie de la fuite
des Fêtes de l'année deffinées par M. Cochin pour
le Millel de la Chapelle Royale de Versailles ; ils
font très-bien gravés par Mde Lingée , & le trouvent
chez elle , rue S. Thomas , Porte S. Jacques ,
maifon de M. Prevoft.
La Mécanique appliquée aux Arts , aux Manufactures
, à l'Agriculture & à la Guerre , Ouvrage
orné de cent vingt Planches , par M. Berthelot , Ingénieur-
Mécanicien du Roi, Tome I , in - 4 : A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Saintonge au Marais , &
Demonville , rue Chriftine .
M. Berthelor eft déjà connu très avantageufement
du Public ; c'eft à lui qu'on doit l'invention
des nouveaux affuts de canon qui ant été adoptés
dans toutes les Villes de guerre & fur les Ports
de France , adoption qui prouve la fupériorité des
talens de ce Mécanicien ; les objets décrits dans ce
Volume font diverfes espèces de Moulins , de Grues,
de Machines propres à piloter , à fcier le bois & les
pierres , des Martinets , des Soufflets pour les forges
& fourneaux , &c. objets qui ont pour but des
DE FRANCE. 191
travaux ufuels. Les Artiftes & ceux qui font à la
tête de grands établiffemens trouveront dans cet
Ouvrage non- feulement des modèles de machines ,
mais des idées propres à en confìruite d'autres par
l'application des principes de l'Auteur.
RECUEI
MUSIQUE.
ECUEIL d'Airs , avec accompagnement de
Violon & Guittare , par M Delaunay, Amateur,
Prix , 3 liv. A Paris , chez la Veuve de la Gardette ,
rue du Roule , & aux adrelles ordinaires.
Premier Recueil de fix Duos pour deux Violons
compofés pour des Commençans , par Prot Chamin ,
de la Comédie Françoile , OEuvre III. Prix , 6 liv.
A Paris , chez Maillard , rue Geoffroy- l'Angevin ,
maiſon neuve de M. Caffier , & chez Bérault , près
l'ancienne Comédie Françoife , ainfi qu'aux adreffes
ordinaires.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LETRES ETRES du Chevalier de Saint- Alme & de Ma
demoiselle Melcourt , par Mlle de *** , Volume
in 12. A Paris , chez Delormel , Eſprit & la Veuve
Duchefne , Libraires.
Lettre de M l'Évêque de Saint - Omer au Clergé
de fon Diocèfe fur les Études ecclefiaftiques , in- 4°.
A Paris , chez Simon , Imprimeur - Libraire, rue
Mignon.
Effai fur l'Apocalipfe , ou Explication littérale &
hiftorique de la Révélation de l'Apôtre Saint Jean ,
avec des Remarques fur le Systême de M. Paftorini,
192
MERCURE
2 Volumes in - 12 . Prix , 4 liv. broché. A Paris , chez
Durand, Libraire , rue Galande.
Lettre d'un Médecin de la Faculté de Paris à
un Médecin du Collège de Londres , Ouvrage dans
lequel on prouve contre M. Mefmer que le magnétifme
animal n'existe pas , Brochure in - 8 ° . Prix ,
livre 4 fols. A Paris , chez Jombert l'aîné , Libraire
, rue Dauphine.
Réflexions fur le Corps de la Maréchauffée , adreffées
en forme de Lettre à l'Auteur intitulé : Défenſe
du Systême de la Guerre , où , après avoir réfuté les
idées de cet Auteur , concernant l'établiffement &
l'emploi des Troupes pendant la Paix , on examine
s'il feroit expédient de fupprimer la Ma : échauffée ,
pour confier le maintien de l'ordre public à nos
Régimens , Volume in- 8 °. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
TABLE.
AMde la Marquife de Coi- Comédie Françoife ,
VEERS de Confolarion d'une parentes , dites Aſphyxies ,
Veuve à une Veuve, 145
173
184
148 Comédie Italienne 186
189
190
191
152 Annonces Littéraires ibid.
gny ,
Enigme & Logogryphe
, 150 Variétés
Eloges de Charles de Sainte- Gravures ,
Maure , Duc de Montau- Mufique ,
fier ,
Cathéchifmefur les Morts ap
APPROBATION.
J'AI lu par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Sept. Je n'y ai
rica trouvé qui puiffe en empêcher l'impreflion. A Paris,
le 21 Sept. 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 SEPTEMBRE 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HOMME ET LE TEMPS .
Fable.
N raconte qu'un homme appeloit à grands cris
Le Temps , ce vieillard indocile.
Le Temps enfin parur ; & qui fut bien furpris ?
Ce fut notre homme : eh bien ! je viens en ton aſyle
Dit le vieillard , favoir ce que tu yeux de moi ;
Tu fatigues le Ciel par tes cris , & pourquoi ?
Pourquoi ? répondit- il , la demande eft plaiſante ;
Tu n'es jamais , felon mes voeux ,
Que trop long ou trep court : je languis dans l'attente
D'une fortune très -brillante ,
Et qui pourra me rendre heureux .
Je te demande , ô Temes impitoyable !
Que jufqu'à mon bonheur précipitint ton cours ,
Sam. 19 Semptembre 1781 .
I
194
MERCURE
Rapidement tu paffes fur les jours
Qui retardent encore cet inftant agréable,
Mais je t'implore vainement ,
Sourd à ma voix , à ma prière ,
Il femble que dans la carrière
Tu marches au contraire un peu plus lentement,
Je ris de ton extravagance ,
Répliqua le vieillard , que me demandes- tu ?
A peine de ces biens tu feras revêtu ,
Que la mort avec infolence
Viendra trancher tes jours ; elle compte mes pas ;
Si ten nombre eft complet , tu n'échapperas pas .
Crois-moi , l'ami , fais mieux ; du Temps apprends à
vivre.
eftpeu de momens qu'on ne puiffe égayer.
Jouis , fans defirer le moment qui va fuivre ,
Incertain fi le Ciel veut t'en gratifier ,
LON rencontre fouvent l'homme de cette Fable ;
Je vois chaque jour ſon femblable ,
Et je crois que le monde eft plein
De ces gens qui toujours vont defirant demain :
Arrivés à demain , ils en veulent un autre .
Croyant dans l'avenir trouver un meilleur fort ,
Ils voudroient abréger le temps que fuit la mort ,
La mort qu'ils craignent tous. Quelle erreur eft la
vôtre ,
Morrels inconfequens ! un feul plaifir préfent
Vaut mieux que mille en efpérance ;
DE FRANCE. 19F
Le premier eft à vous incontestablement ,
Les autres n'y font pas , voilà la différence :
Peut- être même , hélas ! n'y feront- ils jamais :
Vivez fans y compter , pour mourir fans regrets.
(Par M. le Comte de la Rodde. )
LES AFFICHES
Conte , imité de l'Allemand.
ON fonnoit la première Meſſe au Couvent
de..... Quoi ! déjà fept heures
s'écria Louiſe ! .... & il n'eft pas encore
venn ! elle ne favoit plus à quoi s'occuper ;
le déjeûner étoit prêt. Elle veut fe mettre à
fon filet , l'inquiétude enchaîne fes doigts.
Elle quitte l'Ouvrage , prend un Livre.....
mais ce ne font tout au plus que des caractères
qui fe peignent à fes regards.
On devine que Louife aimoit. Elle attendoit
Dorval , qui étoit arrivé la veille à minuit
d'un voyage de quelques femaines.
Dorval a coutume de venir déjeûner avec
Louife & fa mère , & il ne paroît pas aujourd'hui.
Toute autre que Louiſe auroit
trompé le temps à l'aide de fon miroir. On
auroit tâché d'être bien jolie ; depuis que
Dorval étoit parti , on ne l'avoit pas été.
Pour qui développera t'on fes charmes , fi
ce n'eft pour fon amant ? C'eft ainfi que la
vanité auroit un peu calmé les impatiences
I ij
196 MERCURE
de l'Amour. Mais Louife n'eft point vaine ;
elle eft belle & fimple comme une rofe qui
s'entrouvre aux premiers rayons du jour.
Mais quel obftacle retient Dorval ? La
fatigue feroit- elle la caufe de ce retard ? Le
voyage étoit long ; il ne s'eft peut- être pas
affez ménagé en revenant vers fa Louife.
Louife fentoit comme elle fe feroit hâtée à fa
place. Mais il eft temps de faire connoître
Dorval à nos Lecteurs,
Ses parens , qui n'étoient pas riches , lui
firent prendre une profeffion contraire à fes
goûts ; il avoit fuivi le barrean ; mais à leur
mort , ayant quitté la ville , pour diminuer
fes befoins , il chercha à la campagne un
afyle où il pût fe livrer à fon amour pour le
repos, Il le trouva dans la maifon de Mde
Dumouffeau , mère de Louife , qui s'étoit
retirée dans un village , fe difant veuve d'un
Officier mort à l'Armée .
A peine fut- il entré dans cette paisible ha
bitation , qu'il gagna l'eftime de tout le
monde. L'amitié fuivit l'eftime de près ; &
bientôt vous cuficz dit que c'étoit le fils de
Mde Dumouffeau & le frère de Louife.
L'amour du repos n'étoit pas le feul motif
qui l'avoit exilé de la ville. Des chagrins de
coeur avoient eu encore plus de part à cette
réfolution . Dorval avoit déjà aimé ; mais ,
trompé , facrifié à la richeffo , il s'étoit bien
promis de ne plus s'expofer à être le jouet
du caprice & la victime de l'intérêt . Le premier
& l'unique objet qui avoit enchaîné
DE FRANCE. 197
fon coeur , l'amour le lui avoit préfenté
comme l'ornement de fon fexe ; en le perdant
, il étoit naturel qu'il abjurât pour toujours
l'amour de ce fexe qu'il ne pouvoit
plus eftimer.
Il porta dans fa retraite un coeur ulcéré
par la haine & le reffentiment , un coeur qui
fe fentoit né pour l'Amour , & qui fe voyoit
forcé d'y renoncer. Cependant , au milieu
de fa folitude , abandonné comme à luimême
, il promenoit avec regret fes yeux
fur le paffe , il s'étonnoit du vuide de fon
coeur ; il fentoit bien qu'il manquoit quelque
chofe à fa tranquillité. Il avoit été trompé ,
& peut-être n'ofoit - il s'avouer , qu'il voudroit
bien encore s'expofer à l'être. Mon
reffentiment eft jufte , s'écrioit il ; je dois
hair , je dois fuir à jamais ce fexe perfide ;
mais il ne pouvoit étouffer une voix fecrète
qui lui difoit : il eft encore , il eft des coeurs
vertueux , capables d'aimer & dignes d'être
aimés. Il en venoit quelquefois jufqu'à pardonner
à l'objet qui l'avoit trahi . Il ne s'en
prenoit qu'à la féduction , & il commençoit
à excufer un fexe trop foible par lui- même,
& expofé encore à mille dangers .
Le temps n'étoit pas la feule caufe de fon
indulgence ; les charmes ingénus de la jeune
Louife y avoient beaucoup plus contribué.
Les vertus aimables de Mde Dumouſſeau
l'avoient confolé ; elles avoient diffipé fon
chagrin , & la candeur & la beauté de fa
fille avoient ramené dans fon coeur le defir &
I iij
198 MERCURE
l'espoir d'être heureux . Mde Dumouſſeau
avoit vu naître cette inclination ; & fon
coeur y avoit applaudi. De jour en jour celui
de Dorval fembloit s'épanouir davantage .
Chacun des charmes que l'âge ou l'éducation
faifoient éclore chez la tendre Louife , étoit
pour lui un nouveau lien qui l'attachoit plus
fortement. Si l'expérience & le malheur n'avoient
pu défendre Dorval contre l'Amour ,
quelles armes pouvoit lui oppoſer la jeune
& fenfible Louife ? Ce coeur naïf étoit peu
propre à diflimuler fes fentimens . Elle les
laiffà voir avant de s'en être apperçue ellemême.
Que dis -je ? Elle fembla venir audevant
de Dorval avec toute la fécurité de
fon innocence , & lui apporta fon coeur
avec une naïveté fi franche , que ce feul
trait auroit touché Dorval , fût-il demeuré
infenfible jufqu'alors.
Enfin , cet amant fortuné ne foupire plus
qu'après le moment qui doit mettre le comble
à fon bonheur. L'amour , l'amour feul
occupe tout fon efprit , remplit toute fon
ame. Il ne penfe , il ne refpire que pour fa
Louife . Rien ne manque à fon bonheur que
le plaifir d'être tout à elle. Un événement
inattendu vint confirmer fon efpérance ; c'eft
la mort d'une vieille tante , que le hafard
avoit enrichie depuis peu par un fort héritage
, & dont enfin Dorval alloit hériter à
fon tour. Il étoit parti pour aller recueillir
cette fucceffion . Le voilà de retour !.... & il
ne paroît point !
DE FRANCE. 199
Tandis que la tendre Louife fe livre aux
plus triftes idées , un bruit fe fait entendre ;
on defcend.... Ah ! le voilà ! - Non , ce
n'eft pas lui ; il voleroit .... c'est le lourd
Philippe , fon valet ! .... n'importe , entrez ,
Philippe. Votre maître n'eft donc pas encore
levé ? Il ne s'eft pas encore couché.
Comment ? Pendant toute la nuit il
a....que fais-je , tout ce qu'il a fair ! il a
foupiré, pleuré; il s'eft mis à écrire , il a tout
déchiré , il a ouvert la fenêtre , l'a refermée....
Il s'eft tordu les mains , s'eft promene,
s'eft affis , s'eft agité fur fa chaife..... Voila
tout ce qu'il a fait jufqu'au jour. Alors il
m'a dit d'avertir Mde votre mère qu'il defiroit
lui parler en particulier ; elle étoit
fortie , & je viens voir fi elle est revenue.
-
Mais , Philippe.... ô ciel ! ....- Depuis
quinze jours il eft de même.
Quel coup de foudre pour la tendre
Louife ! voilà donc le fuccès d'un voyage ,
d'où ils avoient attendu tout leur bonheur .
Elle continue d'interroger Philippe ; mais
pendant le féjour de Dorval à Wefel ( c'eftlà
qu'il devoit recueillir fa fucceflion ) Philippe
avoit été abfent plufieurs jours. A fon
retour , il avoit trouvé fon maître enfermé ,
feul , livré à la plus fombre trifteffe ; & qui
ne lui avoit parlé que pour lui donner fon
congé .... on n'avoit plus de pain à lui donner.
A ce récit , l'infortunée Louiſe demeure
comme anéantie .... Que lui eft - il donc arrivé
?.... Par quel accident ? .... Qu'il m'ex-
I iv
200 MERCURE
plique ce mystère , je veux le voir , lui patler
, à l'heure même.... ou je meurs.... Philippe
eft obligé de monter , & de prier Dorval
de defcendre.
Il revient.... Dorval ne peut fe tendre
auprès d'elle .... Il efpère qu'elle voudra bien
le lui pardonner. Mde Dumouffeau arrive.
Louife éperdue fe jette dans fes bras en fanglotant....
Il ne peut venir me parler , s'écriet'elle.
Cette bonne mère reſte immobile d'effroi.
Elle cherche à interpréter cet événement.
Son imagination alarmée lui préſente les
images les plus finiftres . Elle fe jette dans
les bras de fa fille , la preffe contre fon fein ,
& lui dit , du ton le plus trifte : c'eft moi ,
Louife , c'eft moi qui ai fait ton malheur.
Me pardonneras tu , ma fille ?
Ce difcours fut un nouveau coup de foudre
pour le tendre coeur de Louife. Ma fille ,
continua Mde Dumouffeau , il faut enfin
vous révéler des fecrets que j'ai cru devoir
vous cacher pour ne pas affliger votre tendreffe.
La violence de mes parens , qui vouloient
me faire époufer un jeune homme
indigne d'eux & de moi , m'a rendue coupable
& malheureufe . J'allai me jeter
dans les bras d'un Officier qui étoit en quartier
d'hiver à Wefel , qui m'avoit parlé
d'amour , & qui avoit fu me rendre fenfible .
Il me donna le titre de fon époufe . Mais
hélas ! ce coeur que j'avois cru digne de mon
amour , n'avoit brûlé que pour ma fortune.
DE FRANCE. 201
Il s'étoit datté de fe réconcilier avec mes parens
par l'entremife de fes fupérieurs . Mais
quand il vit fon eſpoir déçu par l'infléxibilité
de mon père , qui me déshérita , & qui
fit paifer en mourant tous fes biens au jeune
homme qu'il avoit voulu unir à mon fort ,
mon cruel époux ne cacha plus fes fentimens
fous une fauffe tendrelle ; le dégoût
fuivit le repentir ; la haine s'y joignit bientôt;
enfin il eut l'injuftice & la cruauté d'armer
la calomnie contre mon innocence ; le
menfonge parla plus haut que la vérité; mes
juges furent trompés , peut -être féduits ;
un divorce déshonorant fut le prix du plus
tendre amour; je quittai Wefel pour me réfugier
ici fous un nom fuppofé. C'eſt à
Wefel que Dorval vient de paifer trois femaines
; il y a fans doute appris mon hiftoire
; ainfi , ma fille , ce font mes fautes
& mes malheurs qui t'ont perdue malgré
moi.
Les craintes de Mde Dumouffeau ne paroiffoient
que trop fondées. La calomnie qui
l'avoit fait condamner avoit pu la poursuivre
encore ; & la conduite étrange de Dorval
étoit fans doute une fuite de l'indignation &
du mépris qu'il avoit conçus. Louife étoit
prête à fuccomber à fa douleur ; elle ne put
foutenir l'idée de perdre à jamais l'unique
objet de fon amour , un amant qui étoir
tout pour elle. Dans ce profond accablement
la raifon n'avoit aucun empire fur fon
coeur ; il étoit fermé à toute efpèce de con-
I'v
202
MERCURE
folation .... Étoit -il poffible de fe repréfenter
l'image d'un avenir fans Dorval ? ... Il entre
enfin ; voit fa Louife éperdue , mourant
... L'amour le fait tomber à fes pieds.
Il preffe fes mains de fes mains tremblantes;
un trouble fubit s'empare de fon âme. L'amour
, le défefpoir l'agitent tour à tour ; &
la vûe de ce qu'il aime lui rend l'idée de le
perdre mille fois plus accablante.
Louife revient à elle ; elle fixe fes yeux
languiffans fur ceux de Dorval .... Un rayon
confolateur pénètre dans fon âme .... elle fent
qu'elle vit encore..... mais peut- être , hélas !
pour détefter la vie , pour pleurer fon
amant.... Qui pourroit donc les défunir ?....
L'hiftoire malheureufe de fa mère fe retrace
alors à fon fouvenir.... Mais quand tout feroit
conforme à la vérité , Dorval devroitil
l'en aimer moins ? Elle jugeoit d'après fon
coeur.... la calomnie , l'infortune n'auroient
rien pu fur elle .... fur fon amour. Pénétrée
de ce fentiment , elle jette fur lui un regard
d'attendriffement & d'amertume , & s'éloigne
en pleurant , fans qu'il faffe le moindre
effort pour la retenir.
Voilà Dorval feul avec Mde Dumouffeau.
Ils demeurent tous deux dans le plus profond
filence , & à peine ofent- ils fe regarder. L'infortunée
mère de Louife attendoit en tremblant
que Dorval l'accablât de reproches.
Le temords & la honte l'avoient tourmentée
long - temp ; mais jamais elle n'avoit
fouffert ce qu'elle fouffroit alors ; & la
DE FRANCE. 104
crainte ne caufoit pas moins d'agitation
dans fon coeur que n'en avoit caute dans
celui de Louife le défelpoir de l'amour.
Qu'on juge de fa furprife lorfque Dorval
, après avoir recueilli fes efprits , vola
dans fes bras avec toute la tendreffe filiale
qu'il avoit coutume de lui témoigner , & au
milieu de fes fanglots verfa dans fon fein le
fecret fatal qu'il craignoit de dévoiler.
Dans les derniers jours de mon féjour à
Wefel , lui dit-il , je me fuis occupé à examiner
les papiers de la défunte , fur lef
quels je n'avois pas encore jeté les yeux. J'en
a trouvé un qui renverfe tout l'édifice du
bonheur que l'amour avoit élevé. C'eft une
lettre du parent dont ma tante avoit hérité ;
elle eft adreffée à elle - même. Par cette fatale
lettre , il lui prefcrit de faire des recherches
fur une famille qu'il a , dit - il , dépouillée de
fes biens ; & fi elle exifte encore , il ordonne
qu'on lui reftitue fa fortune. Je n'ai pu balancer
un inftant.... j'ai fait ce que vous auriez
fait à ma place , & malgré ….…. tout ce
qu'il va m'en coûter , j'ai fait avertir par les
Papiers Publics cette famille de venir prendre
poffeffion d'un bien fur lequel je n'ai
plus de prétentions.
De quel poids affreux Mde Dumouffeau
fe fentit foulagée à cette nouvelle ! la joie ,
l'admiration pour la nobleffe d'âme de ce
vertueux jeune homme , la crainte de le
perdre , lui qu'elle armoir comme fon fils
qui alloit le devenir ; ( car elle devoit nécef-
*
I vj
204
MERCURE
fairement lui accorder ce titre , fi elle vou
loit conferver fa chère Louife ) tous ces fentimens
réunis ne laiffent point de place à la
curiofité , & ne lui permettent point d'entrer
avec Dorval dans de plus grands détails.
Elle eft trop effrayée du trifte parti qu'il veut
prendre. Le deffein de Dorval étoit de ſe
défaire du peu de bien qui lui reftoit , &
d'entrer au Service étranger. Elle mit tout
en ufage pour l'en détourner ; mais que
pouvoit elle lui dire que l'amour ne lui eût
déjà dit , & à quoi la raifon n'eût déjà répondu
?
Dans l'espérance flatteufe de cette fucceffion
, Dorval avoit moins ménagé fon
bien. Quelques créanciers le preffoient vivement.
D'ailleurs , foit éloignement pour les
anciennes occupations , éloignement qu'aug
mentoit encore l'obstination avec laquelle
il s'étoit oppofé au zèle de fes amis & de
fes protecteurs , foit méfiance de ſes talens ,
tout lui perfuadoit qu'il n'avoit plus rien à
prétendre dans fa patrie , & qu'il ne s'y
produiroit jamais avec avantage.
Cependant , Mde Dumouffeau s'étoit
hâtée d'aller tout apprendre à fa fille ; &
au plus douloureux effroi avoit fuccédé le
plus tendre intérêt . Louiſe n'avoit jamais
penfé ce qu'elle fentoit alors , qu'elle pouvoit
encore armer davantage fon cher Dorval....
Mais hélas !.... fon malheur étoit trop
grand pour qu'elle pût croire à quelque
moyen d'y remédier. Elle connoiffoit DorDE
FRANCE. 205
>
val , & favoit ce qu'elle en devoit attendre;
auffi ne vouloit-elle pas le voir. Elle pleuroit
fon malheur en fe couvrant le vifage
de fes mains , lorfque Dorval , après avoir
tout arrangé pour fon départ , entra chez
elle.... Quel moment ! qu'on fe figure ces
deux amans , s'aimant plus que jamais
muets , fe tenant embraffes comme dans un
inftant qui concentroit toute l'éternité de
leur amour. Ils me fe parloient que par leurs
foupirs & par leurs larmes , lorfque la mère
entra fubitement , tenant en main une affiche
& une lettre du feul de fes amis de
Wefel , qui fût fa retraite & fes malheurs.
Avez - vous jamais vu fur le rivage une
mère dans les bras de laquelle on remet fon
enfant qu'elle croyoit enfeveli fous les flots ?
Telle repréfentez - vous la mère de Louife .
Dorval , lifez , s'écrie-t'elle , lifez : - C'eſt .
l'avis à la famille dont je vous ai parlé. - Eh
bien.... Dorval ! Louife ! mes enfans ! Dieu ! ....
nous fommes ces héritiers .....
Finiffez cette fcène , âmes capables de la
bien fentir.
( Par M. Friedel , Profeffeur des Pages
du Roi en furvivance. )
206 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Goupillon ; celui
du Logogryphe eft Verfailles , où le trouvent
ver , livre , re , la , fi , air , felle , rêve ,
vrai , ris , fel & Ifle.
ÉNIGM E.
UN fage ingénieux m'éleva des aurels ;
Son coeur difcret m'adoroit en filence .
Aujourd'hui d'entre les mortels.
On me chaffe avec arrogance.
Dans les Couvens on me croit exilé ,
Avec Frère Hippocondre , auprès de Soeur Difcrète.
Quelle erreur ! dans ces lieux mon ennemi fêté
Veille fans ceffe à me rompre la tête.
·
Les Sots toujours , les Savans quelquefois ,
Gagnent à fuivre mes lois.
Et pour me faire mieux connoître;
Car je hais les longs difcours ,
Si près de moi paroît un petit maître ,
Je me retire pour toujours.
Par M. Verninac. )
※
DE FRANCE. 207
JE
LOGOGRYPHE.
E ne fuis pas facile à deviner ,
Tant j'ai l'encolure hypocrite.
Il est pourtant bon de me défigner ;
Car je n'ai point d'autre mérite
Que de tromper les gens ,
En leur prodiguant de l'encens.
Mais le plus fage me méprile.
Ma première moitié préfente , de l'Églife
Le Chef Souverain ;
Je mange l'autre avec mon pain.
( Par M. Benoit , de Dourdan. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
*
Drame
CLEMENTINE & DÉSORMES ,
en cinq Actes & en profe , par M. Monvel.
A Paris , chez la Veuve Ducheſne , Libraire
, rue S. Jacques.
CEE
Drame , comme nous l'avons dit , a
eu beaucoup de fuccès , c'eſt à- dire , qu'il a
été fort applaudi aux repréſentations. Le
* On alloit imprimer cet Article, quand des raiſons
particulières s'y font oppofées. Après avoir donné
aux circonftances ce qu'elles exigeoient , on le publie
parce qu'on s'y eft engagé & parce que la caufe du
goût en a fair un devoir.
1
208 MERCURE
"
Peuple des Spectateurs,blâfé fur les Ouvrages
raifonnables , a beſoin , pour être ému , de ren
contrer des fituations violentes , des tableaux
bien douloureux , bien cruels . Ace Spectacle,
fon goût endormi fe réveille ; les fecoulies
qu'il éprouve foutiennent fon attention ; &
il appelle intérêt l'effroi que lui caufent les
Scènes révoltantes qu'on fait paffer ſous les
yeux. C'eſt à cette difpofition du plus grand
nombre des efprits qu'il faut attribuer le
fuccès des Ouvrages de ce genre qu'on a
repréfentés depuis quelque temps. Nous en
connoiffons peu dont les divers incidens
portent avec eux un caractère d'horreur
aufli marqué que celui dont nous allons rendre
compte, & les détails dans lesquels nous
entrerons en fourniront la preuve.
ACTE PREMIER. " Déformes , Intendant de
M. de Sirvan , ouvre la Scène par un monologue
, dans lequel il fait connoître le deffein
qu'il a formé de fuir Clémentine. Julie , Gouvernante
de celle - ci , vient l'inviter à fe rendre
chez la maîtreffe , que le chagrin accable.
M. de Sirvan , fon père , a réſiſté à fon défefpoir
& à fes larmes. Il veut abfolument
qu'elle époufe un homme qu'elle ne connoît
pas. C'eft le fils d'un Préfident au Parlement
de Grenoble ; quant à fon nom ,
c'eft encore un myftère.Deformes, après cette
converfation, promet à Julie de voir Clémenrine
: la Gouvernante fort. Autre monologue
dans lequel Déformes apoftrophe fon père abfent
& lui reproche fon aveuglement pour une
DE FRANCE. 20
marâtre cruelle qui l'a voué au malheur. On
lui annonce deux Fermiers de M. de Sirvan ,
qui lui apportent une partie du prix de leurs
Baux. Il en reçoit le montant , leur en donne
quittance , & les congédie.Troisième monologue,
dans lequel il fe propofe de ne pas voir
Mlle de Sirvan, mais de lui écrire. Elle arrive
moment même. Scène entre les deux
amans, qui fait connoître en partie la fituation
& la naiffance de Déformes . Fils d'un homme
qui tient un état diftingué dans une des
premières villes du Royaume , il a été la victime
de la haine d'une belle- mère , & chaffé
de la maifon de fon père. Ayant appris ,
par des voies indirectes , qu'on vouloit attenter
à fa liberté , il a quitté fon pays , eft
arrivé au château de Sirvan , a vu Clémentine
, l'a aimée , s'eft fait préfenter chez
M. de Sirvan , & y a été reçu comme Intendant.
Là , il a vainement attendu une circonftance
qui lui permit d'afpirer à devenir
fon gendre. Les deux infortunés forment ,
en pleurant , le deffein de facrifier leur tendreffe
au devoir. Déformes refte encore
feul ; & dans un quatrième monologue , fe
propofe de remettre à Julie une lettre pour
Mlle de Sirvan , & de partir enfuite . Il entend
une chaife de pofte ; elle amène le
père de l'époux qu'on deftine à Clémentine ;
il prend une dernière réfolution , celle de
porter à fa caiffe l'argent qu'il vient de recevoir
, & d'en renvoyer la clef à M. de
Sirvan. Julie vient lui apprendre qu'il eft
210 'MERCURE
dans l'appartement que doit occuper M. le
Préfident qui vient d'arriver. A ces mots il
rejette dans un fecrétaire les facs dont il s'étoit
chargé , relève le bureau fans le fermer , y
laiffe la clef , remet fa lettre à Julie , & fe
retire. Un vieux Domeftique , nommé Saint-
Germain , attaché à Valville , fils de M. de
Sirvan , vient demander à Julie fi elle a vu
fon jeune maître. Son père le demande depuis
une heure , pour lui ordonner de monter
à cheval le lendemain à cinq heures , &
d'aller au devant de fon futur beau- frère
M. de Franval le fils..... Car , dit il , on fait
enfin lemom de cet époux fi long- temps inconnu.
Une affaire d'honneur l'obligeoit de
fe cacher , elle vient d'être accommodée , tour
myftère eft déformais inutile. Julie n'a point
vu Valville . Saint- Germain va fervir à table,
& Julie court auprès de fa maîtreffe. »
Avant de faire aucune obfervation fur cet
Acte , nous croyons devoir donner l'analyſe
du fecond.
" Dans la première Scène , Clémentine eft
en proie au plus affreux défeſpoir , fa raiſon
commence à s'égarer , fon amour pour Déformes
cft plus violent que jamais , & l'idée
de devenir la femme de M. de Franval lui
en eft plus infupportable. L'arrivée de M. de
Sirvan & de M. de Franval le père interrompt
fes plaintes ; le premier lui ordonne
de fe retirer ; M. de Franval , fatigué du
voyage , fe retire de fon côté pour aller fe
repofer , & M. de Sirvan , avant de fe rendre
à fon appartement , ordonne à Valville
DE FRANCE. 2.11
de partir le lendemain à cinq heures. Valville
, demeuré feul , eft apperçu par fon Domeftique
, qui lui témoigne fa furpriſe de le
trouver debout , & fi tard . Après plufieurs
questions , auxquelles il répond à peine , il
avoue qu'il a joué & perdu mille louis , dont
neuf cens fur la parole ; que fon joueur eft un
Officier étranger qui part à quatre heures du
matin , & qui attend fon argent à trois . Le
feul moyen qu'imagine Saint - Germain dans
une telle circonftance , eft de tout avouer à
M. de Sirvan. La dureté de celui - ci détourne
Valville de choifir ce parti. Dans un mouvement
douloureux , fa main touche involontairement
la clef du fecrétaire de Déformes
; il ouvre ce fecrétaire , voit les facs ,
les regarde avec avidité , referme le bureau
s'en éloigne , y revient , & finit par propofer
à fon Valet de l'aider à emporter l'argent
qu'il y a vu. Ami de Franval le fils , qui vient
d'hériter du bien de fa mère , il lui racontera
fon hiſtoire , & remplacera cette fomme fur
le champ. Saint- Germain fe récrie contre
une pareille horreur , remonte à fon maître
ce qu'une telle reffource a d'odieux , & fe
jette à fes genoux. La néceffité a endurci Valville
, il menace le vieux Domeftique de fe
tuer à fes yeux , il le charge de plufieurs facs ,
prend quelques rouleaux , & fort avec lui
en frémiffant. »ןכ
Les expofitions de nos Pièces modernes
font ordinairement marquées à deux défauts ;
elles font ou lentes ou forcées , & méritent
au moins l'un des deux reproches . Celle - ci
212 MERCURE
les mérite tous deux. 1. Ce n'eft qu'à la
feptième Scène du premier Acte que Dé
formes fait réellement connoître fa fituation ,
fon état , fes malheurs ; ce n'eft qu'à ce mo
ment que Clémentine fait auffi connoître fa
réfolution d'immoler fa tendreffe à la volonté
de fon père , & que le Spectateur eft
inftruit de ce qui doit , au moins en apparence
, être le fujet , & fournir l'action du
Drame : c'eft - là enfin , quoiqu'un peu tard ,
que l'on croit appercevoir quelques développemens
néceffaires. 2 ° . Ce que Déformes
dit à Clémentine , il devroit le lui avoir dit
cent fois. Comment fuppofer qu'une fille
bien née , fenfible & vertueufe , fe foit
livrée à l'amour d'un inconnu , d'un homme
qui cache fon nom & fa nailfance , d'un
aventurier enfin ? Pour infpirer de l'intérêt ,
il faut que Clémentine aime Déformes avec
connoiffance de cauſe , qu'elle fache qu'il eft
digne d'elle , non - feulement par fes qualités ,
mais encore par la naiffance. Et depuis
quand un amant auffi tendre que Déformes
a- t'il des fecrets pour l'objet aimé ? Sa délicateile
d'ailleurs , dont il parle fi fouvent
ne devoit- elle pas lui faire une loi d'inf
truire fon aminte de tout ce qui le concerne
? Nous ne difons rien de fon nom qu'il
lui cache , même dans la déclaration qu'il
lui fait fous les yeux du Spectateur , non
plus que du nom de l'époux futur de Clémentine
, qu'on ignore dans la maiſon jufqu'au
départ de Déformes , & qu'on apprend
immédiatement après. On apperçoit dans
DE FRANCE. 1213
cette petite rufe l'embarras & les befoins de
l'Auteur; mais voici qui eft bien pis. Le premier
Acte & le fecond , jufqu'à la dernière
Scène exclufivement , ne préfentent encore
qu'une partie de l'expofition. La dernière
Scène du fecond Acte l'achève , comme on
va voir. Le premier Acte a fait penfer au Spectateur
que le facrifice des deux amans feroit
le motif de l'action , point du tout : elle roule
fur le vol que fait Valville . Ce vol , les foupçons
qu'il fait naître , les malheurs qui en réfultent
, voilà les véritables refforts de l'action.
Et que dire de ce vol , de cette affreufe fituation
, où un fils de famille , dans la crainte
d'effuyer les premiers éclats d'une colère qu'il
a juftement méritée , defcend jufqu'à commettre
une action infâme , jufqu'à en rendre
complice un vieux Domeftique , dont
il maîtrife les volontés . Quel fpectacle que
celui d'une Scène où le Valet joue le rôle
de l'homme vertueux , tandis que fon Maître ,
élevé dans les principes de l'honneur , dégrade
fon âme par un égarement qui annonce un
homme vil & lâche ! François , mes amis
mes frères , qu'eft devenu votre génie , puifque
vous applaudiffez à des tableaux de cette
nature ? Valville compte fur fon ami , dirat'on
, & qu'importe ! c'eft avec de pareils calculs
, avec de telles efpérances que tant de
malheureux ont fait dans le fentier du crime
les pas qui les ont conduits à l'échafaud .
ACTE III. « Clémentine a reçu la lettre de
Déformes ; fon délire & fon déſeſpoir en
ont augmenté ; Julje cherche en vain à la con214
MERCURE
foler. M. de Sirvan vient ajouter à fon trouble.
Déformes a fait remettre à celui - ci la clef
de fa caiſſe , il ne fait ce que veut fignifier
une pareille conduite. Un Domestique lui
annonce qu'il eft parti , qu'on l'a rencontré
dans la ville , faifant fes adieux à un ami.
Les foupçons de M. de Sirvan s'accroiffent ,
il ouvre le fecrétaire , & s'écrie : Je fuis volé!
ah ! le malheureux ! Un Domeftique propofe
de courir après Déformes. Non , dit M. de
Sirvan , laillez ce miférable aller chercher
ailleurs la peine due àfa baffeffe . Clémentine,
dans fon délire , parle à fon père de Déformes,
& lui remet la lettre qu'elle en a reçue.
A cette lecture , M. de Sirvan devient furieux
, & il ordonne qu'on fe hâte de fuivre
les pas du fcélérat. Nouveau défefpoir de
Clémentine , nouveaux éclats de fon père ,
dont les cris effraient & amènent M. de Franval
, qui entraîne fon ami dans fon appartement,
tandis que les Domeftiques conduisent
Clémentine dans le fien . »ود
ACTE IV . " M. de Franval engage M. de
Sirvan à ne point fuivre le premier mouvement
de fa colère , & à s'affurer fi Déformes
eft coupable. On annonce que Clémentine eſt
tombée dans l'état le plus affreux. Les deux
amis fortent pour voler à fon fecours . De
l'autre côté les Domeftiques amènent Déformes
échevelé , les vêtemens déchirés ; un
d'entre-eux l'infulte & l'outrage. A la vûe deM.
de Sirvan, Déformes court à lui , veut parler ;
il eft interrompu par les reproches les plus
humilians ; il les repouffe avec fierté. On le
DE FRANCE. 215
où
menace de l'échafaud , il s'indigne , penſe à
fon père , & pleure. Son defeſpoir augmente
à la vue de Clémentine , qui vient encore
prendre fa défenfe auprès de M. de Sirvan.
Celui- ci , toujours inflexible , écoute à peine
M. de Franval , dont la voix frappe Deſormes
, qui s'écrie , en le regardant : c'eft lui ,
jufte Dieu ! Pendant le refte de la Scène ,
la malheureufe amante parle toujours en
faveur de fon amant , M. de Franval examine
Déformes de l'oeil le plus curieux . Un
évanouiffement de Clémentine redouble la
fureur de M, de Sirvan , qui éclate en nouveaux
projets de vengeance. Franval refte
feul avec l'accufé, Il l'interroge, Celui ci ne
lui répond point , mais fa pantomime laiffe
voir ce qui fe paffe dans fon âme. ( Dans toute
cette Scène le jeu de M. Molé étoit fublime. )
Enfin , il répond lorfque M, de Franval lui demande
fi fon père vit encore, & il en résulte une
reconnoiffance entre les deux Interlocuteurs.
M. de Franval retrouve dans Déformes le
fils qu'un fecond mariage a banni de fon
coeur, Sa feconde femme , en mourant , a
déclaré les injuftices ; il frémit de l'abyme
dans lequel fa foibleffe a conduit fon fils
il fe propofe de l'arracher au fort qui le
menace. "
L'ANALYSE de ces deux Actes prouve abfo
lument ce que nous avons'avancé , que le vol
fait l'action de la Pièce. En vain , pour donner
le change , l'Auteur prête d'abord à M. de Sirvan
la réfolution de laiffer fuir Déformes avec
fon prétendu vol , & ne l'en fait changer que
216 MERCURE
fur la lecture de la lettre de cet infortuné ;
mais que dit cette lettre ? Accufe t'elle Déformes
? Qu'y dit- il ? Adieu pour jamais ;
oubliez-moi , votre bonheur en dépend.... Votre
image.... me fera refpecter des jours qui vous
ont été chers.... Vous m'aimez , & je vous
perds. Qu'eft- ce que cela prouve ? qu'il eft
aimé , voilà tout. Eft ce le féducteur que
M. de Sirvan cherche à punir ? Rien ne
prouve la féduction. Je ne fuis plus ton père ,
dit-il à Clémentine , je n'ai jamais donné la
vie à celle qui a choifi l'objet de fon amour
parmi ces êtres avilis , deftinés à périr unjour
avec ignominie. Et fur quoi M. de Sirvan
fuppofe t'il que Déformes eft un de ces êtres
avilis ? Sur ce qu'il a pris la fuite ; fur ce
qu'an Domeftique lui a dit que fans doute
Déformes a du dépofer dans le fecrétaire
l'argent qu'il a reçu des Fermiers. C'eft fur
certe affertion. fubalterne , que , fans aller
préliminairement à fa caiffe , M. de Sirvan
croit au vol. Quel tiffu d'abfurdités ! ce M. de
Sirvan eft ici cent fois plus fou que la folle
Clémentine , & c'eftun fou furieux ; on valui
voir tout à l'heure un autre caractère.
La fituation de Déformes ramené , infulté
par les Domeftiques , outragé par M. de
Sirvan , couvert d'opprobre par un frénétique
, eft le fpectacle le plus horrible que
l'on puifle préfenter à des gens délicats .
Qu'on obferve que fi le vol n'eût pas été
fait fous les yeux du Public , le Spectateur
indécis auroit pu héfiter fur l'intérêt que
L'accufé
DE FRANCE.
l'accufé lui infpire , qu'on auroit pu un moment
craindre qu'il ne fût coupable , & que
les angoifles fous lesquelles on le voit prêt à
fuccomber, auroient alors paru moins cruelles
. Mais l'Auteur femble avoir cherché à
tourmenter gratuitement les Spectateurs. Il
les a mis au fait de tout ; ils favent que Dé--
formes eft innocent ; & néanmoins c'eft
après les avoir privés de l'intérêt de curiofité ,
une des plus heureufes reffources de l'art ,
qu'il leur offre l'homme vertueux écraſe fous
de poids d'une accufation aufli Hétriffante que
fauffe , devenu la victime & la proie de tout
ce que la haine & la vengeance peuvent avoir
de fureur. Quel tableau ! de pareilles fituations
font-elles faites pour attacher ? Ne
font-elles pas faites au contraire pour porter
le défefpoir dans l'ame : Le moyen de faire
aimer la vertu , d'engager les hommes à en
faivre les lois , n'eft pas de la préſenter
comme impuiffante à fauver ceux qui la
chériffent , de la perfecution des méchans &
de l'inconféquence des gens fans caractère .
malheureufement l'innocence ef
trop fouvent la victime de la perfidie & des
apparences ; mais quelle vérité déſolante ? &
s'il eft quelquefois néceffaire de la rappeler
à la mémoire des hommes , eft-il befoin
d'accumuler toutes les horreurs , & de rendre
la leçon affreufe & infupportable ?
Qui
La reconnoiffance de Franval père & de
Déformes eft d'un genre neuf , piquant , &
qui , au Théâtre , produit beaucoup d'effet ;
Şam. 29 Septembre 1781 .
218
MERCURE
mais ce genre même eft dangereux , en cè
qu'il peut ramener la Comedie à la Pantomime
; ce qui feroit d'autant plus fâcheux ,
que le Public regarderoit bientôt comme
inutiles tous ces beaux développemens , par
lefquels l'Auteur , en prouvant que le coeur
humain lui eft connu , en facilite l'étude aux
Spectateurs ou à fes Lecteurs . La reconnoiffance
dont nous parlons eft pourtant fufceptible
d'autres reproches. Elle eft longue & dénuée
de vraisemblance en un point. Tout
changé qu'eft Déformes , il a quitté ſon père
dans l'âge où l'homme eft formé ; or
onze ans ne peuvent l'avoir rendu affez
méconnoiffable pour que ces mots , Dieu !
c'eft lui! dont Franval eft frappé au point
de s'écrier : Que dit - il ? Quelle furprife
à mon afpect ! ne lui expliquent pas une
partie du myſtère. Qu'on ajoute à cela que
M. de Franval vient de recevoir les derniers
foupirs de la belle- mère de Déformes ; que
celle- ci lui a dévoilé tous fes torts , toutes
ſes injuſtices ; & que dans ce cas , M. de
Franval doit éprouver des remords , qui ,"
dans une circonftance comme celle- ci , ne
peuvent que le conduire à reconnoître un
fils , dont l'idée doit l'occuper fans ceffe.
ACTE V. "On ne défefpère pas de la vie de
Clémentine. Saint Germain revient ; il précède
Valville , qui arrive avec M, de Franval
fils ; on lui rend compte de ce qui s'eft paffé
dans fon abfence ; il s'écrie en fortant avec
précipitation : Ah ! Dieu ! ah ! jufle Dieu !
DE FRANCE. 219 .
Scène entre Déformes & Clémentine , où
celle- ci reprend l'efpérance & la raiſon en
apprenant que fon amant eft fils de M. de
Franval. La Scène fuivante préſente un tableau
déjà connu & réchauffé du Père de
Famille. M. de Sirvan amène un Exempt
pour arrêter Déformes , Clémentine s'évanouit
, l'amant fe jette dans les bras de
fon père. Franval fils s'élance l'épée à la
main entre l'Exempt & Déformes , en s'écriant
: C'est mon frère ! il n'eft point cou
pable..... Saint Germain & Valville tombent
aux genoux de M. de Sirvan , & font l'aveu
de leur faute. M. de Sirvan confondu , ne
fait comment réparer les torts. Il fait à fon
fils une leçon beaucoup trop foible , en proportion
de ce que l'on peut appeler fon
crime. Et vous , dit - il à Saint - Germain ,
vous , avoir eu la foibleffe ! .... Je l'ai vu
naître , dit le vieux Domeftique en pleu
rant : mot de fituation , plein d'énergie &
d'effer. Franval fils abandonne à fon frère,
tous les droits qu'on lui a donnés fur Clémentine
, & tout le monde eft - heureux. »
C'EST une choſe bien extraordinaire que
le caractère de ce M. de Sirvan qui , annoncé
comme un homme dur & terrible , l'est
toujours à contre fens , & qui pardonne à
fon fils avec la plus grande facilité une fante
qui a mis fa fille aux bords de la tombe , &
prefque conduit un honnête homme fur unn
échafaud, Quel exemple que celui d'un
pardon fi légèrement accordé ! & quels fu-
K ij
110 MERCURE
neftes effets ne peut - il pas produire fur de
jeunes fous qui , en fe rendant coupables des
mêmes excès, auront été encourages par l'elpoir
d'en obtenir facilement la grâce.
Nous ne nous etendrons pas fur tous
les vices de ce Drame , que nous fommes
encore etennés d'avoir vu repréfenter fur le
Théâtre de la Nation . Si l'on excepte le facrifice
que les deux amans veulent faire de leur
amour mutuel , en l'immolant au devoir &
à l'honneur , facrifice même qui n'eft qu'indiqué
, cet Ouvrage refpire la morale la plus
dangereuſe. La folie de Clementine , quî
commence avec la Pièce , & qui finit avant
elle , eft encore d'une invraiſemblance qui
paffe toutes les bornes de la liberté qu'accordent
les conventions Dramatiques. Enfin ,
la plus grande partie de l'effet que produit
cette Fièce, réfulte d'une multitude de Scènes
Pantomimes , qui ne prouvent pas un grand
effort de génie. Mais ce reffort eft un de ceux
que l'on emploie aujourd'hui le plus volontiers
; celui qui feduit le plus fouvent le
Public , & qui renouvellera , comme l'a trèsbien
dit M. de Chamfort : qui renouvellera
parmi nous ce qu'on a vu chez les Romains ;
la Comédie changée en fimple Pantomime ,
dont il ne reftera rien à la poflérité, que le nom
des Acteurs , qui , par leurs talens , auront
oaché la misère & lan nullité des Poëtes.
( Cet Article eft de M. de Charnois),
' DE FRANCE. 221
HISTOIRE Abrégée de la Ville de Saint
Quentin & de fes Franchifes , par M.
Hordret , ancien Avocat aux Confeils.
A Paris , chez Deffain junior , Libraire ,
Quai des Auguftins ; & à Saint- Quentin ,
chez F. T. Hautoy , Imprimeur Libraire
du Roi , 1781. gros in 3º . de fo8 pages.
Prix , liv. relié.
LE point de vue le plus favorable fous
lequel on puiffe envifager ces volumineuſes
Hiftoires de Provinces & de Villes , dont
notre Littérature paroît furchargée , eft celui
de matériaux qui peuvent fournir des traits
& des anecdotes à l'Hiftoire Générale , & la
réformer fur de certains détails dont la difcuffion
ne peut convenir qu'a l'Hiftoire particulière
. Sous cet afpect la prolixité même
devient une forte de mérite ; car des matériaux
ne fauroient être trop étendus ni trop
féconds ; & il vaut mieux pour celui qui
doit les employer , avoir à réduire qu'à étendre.
Ces fortes d'ouvrages ont encore un
intérêt, particulier , à la vérité, & borné, mais
qui n'en eft que plus fort pour ceux qu'il
concerne : chaque lieu croit s'ennoblir par
fes rapports avec l'Hiftoire générale du pays
dont il fait partie.
Cette Hiftoire de la Ville de S. Quentin ,
eft née d'un procès que cette Ville a foutenu
dans ces derniers temps pour la défenſe de
fon franc-aleu , attaqué par le Receveur du
Kij
222 MERCURE
C
Domaine , & dans lequel elle a été main
tenue par un Arrêt du Confeil , du 29 Mai
1775 , comme elle l'avoit été en toute occafion
, & nonimément fous Louis XIV , en
1693 .
Ainfi cet Ouvrage eft moitié une Hiftoire ,
où les faits concernant la Ville de Saint-
Quentin font rapportés , moitie un Factum ,
où les priviléges de cette Ville font difcutés
& défendus.
Les priviléges font fondés fur des titres ,
& les titres fur des fairs ; ainfi la partie
contentieufe a ei traîné la partie hiftorique ,
& l'Auteur nous paroît avoir faifi avec le
zèle d'un compatriote & d'un favant l'occafion
& le prétexte de remonter fur tous
les points aux origines les plus reculées , &
d'embraffer tous les entours de fon fujet.
Saint - Quentin , qu'on croit avoir été du
temps des Gaulois la Samarobriva , ou Ville
bâtie fur la Somme , dont Cicéron & Célar
ont parlé , fe nommoit , fous les Empereurs
Romains , Augufta Viromanduorum ; Saint-
Quentin y précha la foi , & y fouffrit le martyre
l'an 302 ; fon corps jeté dans la Somme ,
& enfoncé dans la vafe , y fut , dit- on ,
trouvé fain & entier cinquante- quatre ans
après , par une Dame Romaine , nommée
Eusèbe , qui le fit inhumer dans une Chapelle.
S. Eloi , Evêque de Noyon , fit rendre
à ce corps des honneurs particuliers en 641 ;
il diftingua par une tombe le lieu de fa fépulture
; il augmenta confidérablement la
DE FRANCE. 223
9
Chapelle où S. Quentin étoit enterré , & qui
avoit déjà eté fort augmentée par les Evêques
du Vermandois , fes prédéceffeurs. Fulrad ,
Abbé de Saint- Quentin , du temps de Charlemagne
, en fit une Bafilique , qui fut ruinée
cinquante- neuf ans après par les Normands ;
Hugues , fils naturel de Charlemagne , fuccefleur
de Fulrad , fit élever au Saint un mau
folée de marbre en 825. C'eft vers l'an 88 ,
que la Ville a pris le nom de S. Quentin.
Nous avons parlé des Evêques du Ver
mandois ; ces Evêques , felon notre Auteur
& felon la plupart des Savans qui ont traité
des origines de S. Quentin , réſidoient dans
cette Ville & non pas à Vermand , qui n'a
jamais été qu'un Village , & qui a reçu fon
nom du Vermandois , au lieu de le lui avoir
donné. Il faut voir les preuves de cette affertion
dans l'Ouvrage même & dans les Auteurs
qu'on y trouvera cités. Le premier de
ces Evêques du Vermandois fe nommoit
Hilaire : il vivoit vers l'an 365 ; il eut treize
fucceffeurs depuis cette époque jufqu'en
l'an 531 , que S. Médard , le dernier de ces
Évêques , né à Salency , près de Noyon ,
où il inſtitua la Fête de la Roſière , tranſféra
fon fiége à Noyon , foit par amour de
la patrie , foit par d'autres motifs qu'on
ignore ; ces motifs avoient vraisemblablement
la sûreté pour objet ; car on obſerve
que Noyon paffoit alors pour une des meilleures
places du pays , & que S. Quentin
n'eft devenu une place forte qu'en 884 ,
K iv
224
MERCURE
fans doute à l'occafion des ravages des Normands.
L'Eglife de S. Quentin , privée de
fes Evêques , conferva les droits pro- épifcopaux
, & n'en a été dépouillée qu'en 1703 ,
par un Arrêt du Conſeil du 13 Août , confirmé
par un autre Arrêt rendu en 1718.
Les Chefs de 1 Eglife de S. Quentin , qui
fuccédèrent à S. Medard , prirent d'abord le
titre d'Abbés , & le Chapitre celui de
Canobium Monafterium , ce qui ne doit ni
furprendre , ni perfuader que ce Chapitre
air changé de nature ou de forme. Longtemps
avant Charlemagne , & même encore
après lui , il y avoit peu de diftinction entre
les Chanoines & les Moines ; les uns & les
autres avoient des Abbés pour Chefs , un
monaftère ou cloître , un réfectoire & un
dortoir communs ; un vêtement uniforme.
La feule différence qu'il y eût entre eux ,
étoit que les Chanoines ne fe conformoient
qu'aux canons , ce qui les faifoit nommer
Chanoines , au lieu que les Moines faifoient
profeffion de fuivre une règle plus auſtère
à laquelle ils s'obligeoient par des voeux ; ce
qui les faifoit nommer Religieux ou Réguliers.
Les Abbés de S. Quentin joignirent quelquefois
le Gouvernement Civil au Gouvernement
Eccléfiaftique , & furent à la fois
Abbés & Comtes.
Mais les premiers Comtes héréditaires du
Vermandois defcendoient de Charlemagne
par Pépin , Roi d'Italie , & par Bernard ,
DE FRANCE. 225 .
fon fils , à qui Louis , dit le Débonnaire , fit
crever les yeux. Pepin , fils de Bernard , eut
le Comté de Vermandois , & fut la tige des
Comtes héréditaires de ce pays. Adèle , fille
unique d Heribert IV , dernier Comte de
Vermandois , de la race de Pépin , épousa
Hugues , fils de Henri I , Roi de France ,
aventurier illuftre qui mourut comblé de
gloire à Tarfe en Cilicie , des bleffures qu'il
avoit reçues dans la première croifade.
Raoul , fils de Hugues , eut un fils & deux.
filles qui ne laissèrent point d'enfans . Philippe
Augufte reunit le Comté de Vermandois
à la Couronne en 1214.
Charles VII , par le Traité d'Arras , conclu
en 1435 , abandonna S. Quentin & le Vermandois
au Duc de Bourgogne , Philippele-
Bon. Louis XI les recouvra en 1470 par
les foins du Connétable de Saint - Pol ; ee
Connétable le trahit dans la fuite , & fe retira
dans les Etats du Duc de Bourgogne , Charles-
le Téméraire , fils de Philippe- le - Bon.
Louis , pour obtenir que le Connétable lui
fût remis , céda , en 1475 , la ville de Saint-
Quentin au Duc de Bourgogne ; mais ce
Duc ayant été tué l'année fuivante devant
Nancy , les habitans de S. Quentin chafsèrent
les Bourguignons , & fe remirent d'euxmêmes
fous l'obéiffance du Roi de France.
Les guerres continuelles de la Maifon
d'Autriche & de la Maifon de France menaçoient
fouvent S. Quentin. Il penfa être
furpris par les Flamands Autrichiens le 26
Kv
226 MERCURE
Juin 1486. Les ennemis étoient déjà dans la
place , ils furent repouffés par la valeur des
habitans. La mémoire de cet heureux événement
eft célébrée tous les ans à Saint-
Quentin le 27 Juin , par une Proceffion folennelle.
Cette ville fut encore affiégée par les Autrichiens
en 1536 , fous le règne de François
1 , & la valeur des habitans força encore
les ennemis de lever le fiége. Cet événement
arriva le 10 Août 1536.
Les Autrichiens furent plus heureux en
1557 , fous les règnes de Philippe II & de
Henri II ; ils gagnèrent la bataille de Saint-
Laurent , & prirent S. Quentin , qu'ils gardèrent
jufqu'à la paix de Câteau Cambréfis ,
en 1559. Depuis ce temps S. Quentin n'a
point ceffé d'être à la France.
Les priviléges de cette Ville font principalement
fondés fur une Chartre , qu'on
croit être d'Albert I , Comte héréditaire du
Vermandois , qui commença de régner en
943 , & qui inourut en 983. Cette Charte
fut confirmée par Philippe- Augufte , par
Philippe-le-Hardi & par Philippe - le- Long ,
Rois de France.
L'Auteur de cet ouvrage en a confacré les
deux derniers Chapitres à l'Hiftoire Litté
raire , non - feulement de la ville de Saint-
Quentin, mais même de toute la Picardie.
Le dernier Chapitre eft de fa part un monu,
ment de reconnoiffance & de piété envers
Nicolas & François Desjardins , fes oncles ,
DE FRANCE. 227
tous deux Principaux & Profeffeurs de Rhétorique
au Collège de S. Quentin , & fous
lefquels l'Auteur a fait fes études ; il nous
donne leurs Poéfies tant latines que françoifes
; fes intentions font louables , mais
les vers font médiocres ; & on ne lit avec
plaifir que fix vers latins de Santeuil , qui
ne font rapportés ici que parce qu'ils ont
été traduits , ou plutôt foiblement imités en
vers françois par les deux Desjardins.
Ces vers ont pour fujet la prife de la
ville de S. Quentin par les Espagnols , en
1557 , & ils font cependant à la louange
des habitans , qui fignalèrent en cette occafion
leur valeur & leur conftance ; & qui ,
en fe faifant prendre d'affaut , & en s'immolant
fous les ruines de leur ville , fauvèrent
le refte de la Province. Voici ces vers qui ,
rès d'un fiècle & demi après l'événemt
été gravés en lettres d'or au frontifpice
de l'hôtel - de- ville .
Bellatrix , i , Roma ! tuos nunc objice muros :
Plus defenfa manu , plus nofiro hac tincta cruore
Mania laudis habent : furit hoftis & imminet urbi,
Civis murus erat ; fatis eft fibi civica virtus.
Urbs memor audacis facti dat marmore in ifto
Pro Patriâ cafos aternùm vivere cives.
L'Ouvrage de M. Hordret peut , en tota
lité, être mis au rang des Livres utiles ; il a
de la clarté , de la méthode ; on peut y puifer
de l'inftruction : mais ( ne trompons point
Kvj
228 MERCURE
+
le Public ) il eft mal écrit , & réunit la double
prolixité de l'érudition & de la difcuffion
polémique .
DICTIONNAIRE UNIVERSEL des Sciences
Morale , Économique , Politique &
Diplomatique , ou Bibliothèque de l'Homme
d'État & du Citoyen , mis en ordre &
publié par M. Robinet , Cenfeur Royal ,
Tome XVIII , in 4° . A Paris , chez l'Éditeur
, rue de la Harpe , à l'ancien Collège
de Bayeux , 1781 .
CE Volume commence par un excellent
Mémoire de M. Muret , Docteur en
Médecine , fur l'ulage d'enterrer les morts
dans l'enceinte des Villes & dans les Eglifes.
Nos Temples font pavés de cadavres ;
l'on y refpire la mort , & l'on ne peut y travailler
au falut de fon ame fans rifquer de
perdre la fanté du corps. La raifon a fait
fentir les inconvéniens de cet ufage barbare.
Nous voyons que depuis quelques
années le Gouvernement s'occupe des
moyens de l'abroger. A l'article "Efclave
on a difcuté la queftion s'il eft permis d'avoir
en fa poffeffion des Efclaves , & de s'en
fervir comme tels dans les Colonies de
l'Amérique ; & comme malheureuſement
le fait prononce pour l'affirmative , on
traite de l'achat des Efclaves en Afrique ,
de leur tranfport dans les Colonies , de
leur fort , de la meilleure manière de les
DE FRANCE.
229
gouverner pour leur bien-être & le profit
de leur Maitre. L'article Ffpagne prefente
le tableau hiſtorique & politique de cette
Monarchie; on y entre dans un très grand
détail fur le Commerce & les Finances. Le
Miniftre public trouvera an mot d'Eftrades,
un abrégé des négociations de cet habile
homme , placé à juste titre au nombre des
plus célèbres Négociateurs . L'article . État
eft très - étendu , on y confidère l'homme
dans l'état de nature , dans l'état moral
civil & politique ; on fait voir combien il
importe aux Princes de prendre une connoiffance
exacte de leurs États ; on leur
indique les moyens d'acquérir cette connoiffance
, & d'en faire ufage dans l'Art du
Gouvernement ; on traite aufli des attentions
néceffaires pour la confervation des
nouveaux Etats : fuit un Mémoire fur l'utilité
des États Provinciaux , où cette matière
eft envisagée relativement à l'Autorité
Royale , aux Finances & au bonheur des
Peuples ; enfin , au titre États de l'Empire
on trouve ce qui concerne les Membres du
Corps Germanique. Sans citer d'autres artìcles
, nous pouvons dire que ce Volume
foutient avantageufement la réputation des
précédens , & partage les juftes louanges
que nous leur avons données .
239
MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON ne peut qu'applaudir au difcernement
dont MM.les Comédiens Italiens viennent de
faire preuve , en remettant fous les yeux du
Public un Ouvrage de leur vieux Répertoire ,
l'Apparence Trompeufe , Comédie de Guyot
de Merville , en un Acte & en proſe.
Dorimon aime Florife, dont il eft aimé fans
le favoir. Libre par la mort d'un premier
époux , celle- ci craint de contracter de nouveaux
engagemens . Arifte , un ami.commun ,
un vieillard de foixante- dix ans , a toute la
confiance de Florife , qui lui écrit fouvent.
Les lettres , toujours foigneuſement fermées
, excitent la curiofité d'une Soubrette ,
dont l'orgueil eft en outre piqué du ton difcret
que fa Maîtreffe prend avec elle . En
conféquence une de ces lettres eft décachetée
par la curieufe , & le titre de mari , donné
au bonhomme Arifte , lui fait préfumer qu'il
a contracté un mariage fecret avec Hlorife..
Elle en inftruit Dorimon , dont la fureur eft in
terrompue par les propofitions qu'Arifte vient
lui faire de le fervir auprès de fon amante . Il
eft facile de fe peindre fa furprife & fon
indignation ; il diffimule néanmoins , & il .
DE FRANCE. 231
accepte les fervices du vieillard . Florife ,
vaincue par les remontrances d'Arifte , con--
fent à faire l'aveu de fa tendreffe ; un contrat
de mariage , dreffé d'avance , reçoit les noms
de Dorimon & de la Veuve. Le jeune homme
éclate , & montre la lettre avec laquelle il
croit confondre ce qu'il appelle l'impofture
de Florife & d'Arifte ; mais on lui répond par
un éclat de rire . Le nom de mari n'étoit qu'un
badinage , une pure plaifanterie ; Dorimon
rougit , demande fon pardon & l'obtient.
Cette petite Pièce eft un des meilleurs Cuvrages
de Guyot de Merville. Le plan nous en
a femblé bien conçu & bien exécuté. L'incident
qui en forme le noeud , eft fimple , naturel
& motivé avec beaucoup d'adreſſe. Le dialogue
eft facile & agréable.On n'y trouve point
de clinquant , point de faux bel efprit , point
de perfifflage , on y remarque au contraire
de la vérité , le ftyle de la converſation familière
, mais relative aux convenances Dramariques
; & voilà ce qui nous paroît infiniment
plus digne d'éloges que ce ton fautillant
& manièré, que cette recherche de mots pré
cieux qui donnent de l'éclat à certaines idées ,
& qui produifent ce qu'on nomme aujour
d'hui des traits, S'il y a quelque chofe à blâmer
dans ce joli Ouvrage , c'eſt le dénouement.
On le prévoit trop tôt , & c'est un
vice fans .contredit. Le fubtil Fontenelle a
prétendu qu'un dénouement n'étoit pas vicieux
, quoiqu'il fût prévu par les Spectateurs
, quand il étoit imprévu par les Pers
232 MERCURE
fonnages. Nous oferons dire que nous ne
fommes pas de cet avis. Il eft fans doute
intéreffant que les Acteurs d'une intrigue
éprouvent quelque embarras fur la manière
dont ils en fortiront ; mais il eft plus effentiel
encore que les Spectateurs l'ignorent ;
car c'est l'attention de ceux- ci qu'il faut fixer ,
c'eft leur curiofité qu'il faut foutenir; &
quand on leur a ou tout appris ou tout laiffé
deviner , que devient l'intérêt , & par conféquent
le plaifir ? On le demande aux Obfervateurs.
Ce n'eft pas qu'il n'y ait des circonftances
où un Auteur puiffe admettre un
dénouement de cette eſpèce , parce que fi
d'une part il fait appercevoir la fin de fon
intrigue , de l'autre il peut cacher les refforts
qui y conduiront ; mais ce moyen eft tou
jours très delicat , & nous paroit fufceptible
de n'être habilement employé que par des
hommes doués d'un génie fécond en reffources
comiques & capables de fuppléer ,
par le charme des incidens , aux pertes de la
curiofité. Au furplus , nous foumettons ces
idées à la critique des gens éclairés .
"
Le Samedi premier de ce mois , Mde
Chevalier a débuté dans l'emploi des Duègnes.
Nous n'avons pas été médiocrement furpris
de la réception qu'a faite à cette Actrice
une partie du Public , le premier jour de fon
Début. On ne l'avoit pas encore entendue, &
on lui témoignoit déjà de l'humeur. DédomDE
FRANCE. 253
magée de cet accueil par les applaudiffemens
des gens honnêtes , elle n'a pu cependant eloigner
d'elle une certaine timidite , un chagrin
qui a dû nuire beaucoup au développement de
fes moyens. On peut certamement lui reprocher
des défauts ; un jeu un peu trop défordonné
, une vivacité quelquefois excellive ,
un vice d'articulation affez apparent, qui peut
néanmoins fe corriger avec de l'étude ; mais
on lui doit auffi des éloges. Sa voix , fans
être abſolument nette , n'est pourtant point
défagréable , fon debit eft vrai , & généralement
bien entenda ; elle a une belle connoiffance
de la Scène , & une gaieté très- franche.
Avec ces qualités , qu'elle peut encore perfectioner
, Mde Chevalier fe confolera fur
d'autres Théâtres de la rigueur qu'elle a
éprouvée ici ; rigueur dont nous ne chercherons
pas les motifs , parce que peut être ſeroit-
il trop chagrinant de les trouver.
GB Peines d'un côté , plaifirs de l'autre : ainfi
va le monde. Pour Mde Chevalier , la carrière
avoit été femée d'épines ; pour Mde
Reymond , elle a été couverte de fleurs. Ce
que nous avons dit de l'accueil fait à la première
de ces Actrices , prouve que nous
fommes éloignés de blâmer les encouragemens
donnés à la feconde. Aux titres de Débutante
& de jolie femme , Mde Reymond
joint un titre plus intéreffant encore pour
les Amateurs du Spectacle : fon nom. Fille
7234
MERCURE
& Élève de M. Molé , elle a du être reçue
avec indulgence ; & le Public peut concevoir
de fon talent des efpérances que nous verrons
, fans doute , remplir. Si nous avons
remarqué des défauts dans cette jeune Adepte,
nous devous dire qu'ils ne font pas de la
nature de ceux qu'on ne corrige point. Nous
nous tairons fur ce qu'il y a d'embarras dans ſa
manièred'être en Scène ; elle manqued'ufage ,
& c'eft tout dire : mais nous l'engagerons à
moins multiplier fes geftes , à éviter , à la fin de
fesphrafes , la répétition de certains coups de
tête , dont quelques- unes de nos Soubrettes
lui ont donné l'exemple ; à fe balancer moins
fouvent fur fes hanches ; enfin , à ne point
avoir l'air de deviner ce que fes Interlocuteurs
ont à lui dire , avant qu'ils aient parlé.
Au refte , elle a déjà des qualités heureuſes.
Son jeu eft animé , on y voit de l'eſprit , de
la fineffe; fa phyfionomie a de la mobilité ,
de l'expreflion. Son débit eft quelquefois un
pen faccadé , mais il ne manque ni de juſteffe
ni d'intelligence . Ces heureufes difpofitions
, & le nom de fon inftituteur , nous
font préfumer que bientôt on verra fes
défauts diminuer & fon talent s'accroître.
DE FRANCE
235
2
VARIÉTÉ S.
Il nous eft tombé entre les mains une Lettre
adreffée à M. de Voltaire par M. l'Abbé Paulian ,
qui a fait depuis le Dictionnaire anti -philofophique ,
Ouvrage dans lequel M. de Voltaire eft traité avec
beaucoup de mépris . Nous avons cru que nos Lecteurs
ne feroient pas fâchés de la connoître . M. de
Voltaire avoit demandé au Libraire de M. l'Abbé
Paulian un Exemplaire du Dictionnaire de Phyfique.
L'Auteur lui écrivit la Lettre fuivante.
MONSIEUR ,
Il est bien flatteur pour moi que le plus beau
génie de ce fiècle veuille jeter les yeux fur quelqu'un
de mes Ouvrages. Je fuis fâché que la troifième
Édition du Dictionnaire que vous demandez
ne foit pas encore finie. Dès que ce Dictionnaire ,
augmenté d un Volume , paroîtra , j'aurai l'honneur
de vous en faire hommage. J'espère qu'il fera
moins indigne que celui -ci de vous être préfenté.
En attendant je vous prie d'accepter un Exemplaire
de mon Traité de paix entre Defcartes &
Newton. S'il mérite vore approbation , je fuis
affuré qu'il méritera par-la même l'immortalité.
J'ai l'honneur d'être , avec reſpect ,
Votre très-humble & trèsobéiffant
Serviteur ,
PAULIAN , ancien Profeffeur
de Phyfique du
College d'Avignon.
236 MERCURE
-
SCIENCES ET ARTS.
LETTRE de M. JULE DE LA FOSSE aux
Auteurs du Mercure.
L'IMPOR
IMPORTANCE des Longitudes en mer , a toujours
attiré les regards des Puiffances & des Savans.
MM. de l'Académie Royale de France , d'Angleterre
, de Hollande , &c. nous ont donné des preuves
de leur attachement ; mais les machines appuyées
fur les principes n'ayant point répondu aux vues de
MM. de la Marine , j'ai cru qu'il étoit du devoir
d'un Citoyen de s'appliquer à une découverte qui ,
en donnant la facilité de fe tranfporter dans toutes
les parties de notre Globe , affure encore la vie de
million d'ames obligées , par diverfes circonstances ,
à parcourir cette plaine liquide qui enveloppe la
terre.
Si les travaux que l'Auteur a faits , d'après MM.
les Académiciens , peuvent être utiles , & mériter
l'approbation d'un Corps auffi refpectable , ce fera
à vous , Monfieur , qu'il en aura l'obligation , puiſ
que vous aurez coopéré à fon intention en inferant
dans votre Mercure cette Lettre ; mais comme une
découverte de cette nature emporte avec elle des
connoiffances particulières , il prend la liberté de
donner un Extrait de la caufe fondamentale de la
conftruction de fon Inftrument ; il a v que s'il
étoit poffible d'avoir un rapport exact du temps &
des cfpaces parcourus en Latitude , on pourroit
avoir les degrés de Longitude ; auffi a - t- il , pour
cet effet , toujours conſervé pour baſe de fon Inftrument
le fectant. On fait qu'il eft composé princi-
2
DE FRANCE. 237
palement d'un alidade en cuivre , dont les degrés
marqués fur fon ouverture , fubdivifent ceux qui
font fur le limbe du grand arc de cercle ; au centre
de la tête de cet alidade eft adaptée une platine
ronde de cuivre divifée en quatre parties , repréfentant
les quatre points cardinaux , Nord , Sud ,
Eft & Oueft. Au point Queft s'élève perpendiculairement
un cylindre de cuivre qui fert à rappeler une
platine ronde de même métal , mais évidée à angle
droit , dont un des côtés répond en ligne droite à
115 degrés du limbe du fectant ; de forte que l'autre
côté de l'angle ſe trouve parallèle au diamètre de la
platine portant le cylindre : fur cette platine eft arrêté
un rapporteur pofé excentriquement , mais dont
le centre porte un alidade femblablement divifé au
grand ; en deffous de la première plate-forme eft
une aiguille de métal , dont l'extrémité va porter fur
un quart de cercle fitué au- deffous du miroir de
l'horizon des degrés relatifs à ceux trouvés par la
Latitude , lefquels donnent la valeur de la Longitude
obtenue par le temps employé à parcourir les
degrés de Longitude ; par ce moyen on voit qu'en
fuppofant partir par les 180 degrés Nord de ma
Latitude, & arrivé à 88 environ Nord- Oueft , je
trouve que pendant cet abaiſſement j'ai parcouru
90 degrés de l'Équateur ; ainfi j'ai cette proportion ;
ma Latitude eft à ma Longitude comme 88 environ
eft à 90.
Pour appliquer cette découverte fur la Carte,
l'Auteur a fait un compas qui porte à une de fes
jambes un quart de cercle divifé en minutes par
un onius portant des degrés femblables au grand
alidade. On voit que cette ouverture donne des
degrés de Longitude proportionnels à ceux de la
Latitude : or, pofant fur la Carte les degrés de l'Équateur
que donne l'ouverture du compas d'après
les degrés obfervés en Latitude , on aura des dif.238
MERCURE
tances proportionnelles & relatives aux différentes
mefures dont les degrés de Longitude font fufceptibles
; mais ces degrés étant plus ou moins grands, &
le cercle de la bouffole dont on a la coutume de
fe fervir étant divifé en parties égales , il n'eft pas
poffible de fuivre cette divifion ; auffi le même cornpas
porte au centre de fon mouvement une vis qui
fert à arrêter le centre d'une bouſſole non divifée
pour recevoir une divifion relative à celle trouvée ,
& pour la donner ; à l'extrémité du quart de cercle
adapté au compas, il s'élève à angle droit une rai
pure dans laquelle gliffe une pointe qui fe meut par
une vis de rappel à raifon du diamètre des bouffoles
, faifant parcourir par une des branches du
compas les degrés du quart de cercle ; la tête de ce
compas fait tourner la bouffole d'une quantité relas
tive à chaque degré parcouru fur le cercle ; &
comme les degrés augmentent ou diminuent , ces
diſtances tracées fur la platine de la bouffole font .
donc inégales , mais relatives à l'objet propofé.
Si le vaiffeau avoit toujours un mouvement uniforme,
ces deux Inftrumens fuffiroient pour fatisfaire
nos defirs ; mais comme il eft fujet à des
dérives occafionnées par une infinité de caufes étrangères
à notre objet , nous nous abftiendrons d'en
donner l'explication ; nous dirons feulement qu'il a
composé une forte de loch en pendule , dont la
divifion du cadran étant de 210 minutes au lieu
de 60 , porte encore au lieu de 12 heures 42 ,
2 heures 42
ce qui donne le rapport de 210 à 60
12 ; ainfi l'aiguille des heures étant fuppofée à
1 heure , elle répond en même temps sà de la
divifion 42 , & celle des minutes fe trouve alors fur
210 ; mais comme l'aiguille des fecondes parcourt
en une minute la révolution entière , il s'enfuit qu'en
une minute elle parcourt auffi les 210 or fi une
minute répond à 3 minutes 118 de l'Équateur , il faut
*
DE FRANCE.
23
'une minute d'obfervation de Latitude répondé à
de Longitude. L'Auteur fent parfaitement qu'un
expofé aufli bref ne peut donner qu'une idée foible
de cet Inftrument ; mais il ofe fe flatter que les
Savans voudront bien l'honorer de leur préfence. Il
demeure rue Grenier Saint Lazare , chez M. Cayrel ,
Négociant , maifon de M. Hazon.
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HISTOIRE NATURELLE , ou Expoſition de
toutes fes parties , gravées & imprimnées en couleurs
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Saint- André-des- Arts , prononcé en l'Églife de
240
MERCURE
I
cette Paroifle, le 17 Août 1781 , par M. l'Évêque de
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André des- Arts..
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins ,
vient d'acquérir le reftant des Exemplaires de l'Oraifon
funèbre de M. le Comte du Muy , prononcée
aux Invalides, le 24 Avril 1776 , par M. de Beauvais
, Évêque de Senez , Brochure de 83 pages.
Prix , 1 liv . On trouve auffi chez le même Libraire
l'Oraifon funèbre de M. Charles de Broglie ,
Evêque, Comte de Noyon , Pair de France , auffi
prononcée par M. l'Evêque de Senez , le 7 Juillet
1778. Prix , I liv. 4 fols.
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de Géométrie , fuivis d'un Traité de la Sphère appliquée
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TABLE.
L'HOMME & le Temps ,
Fable ,
Les Affiches , Conte ,
Sciences Morale , &c. 228
230
235
206 Lettre de M. Jule de la Fofe,
193 Comédie Italienne ,
195 Variétes ,
Enigme & Logogryphe ,
Clémentine & Déformes , 207
Hftoire abrégée de la Ville de Gravures ,
de Saint-Quentin , &c. 121 Annonces Littéraires ,
Dictionnaire Univerfel des
AP PROBATION.
236
239
ibid.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Septembre. Je n'y ai
rien trouvé que puifle en empêcher l'impreffion. A Paris ,
kat Septembre 1781. DE ŠANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 18 Juillet.
LA Cour a expédié ces jours derniers un
Courier à Londres ; il porte , dit - on , des inftructions
à M. de Simolin , pour faire , de
concert avec les Miniftres de Suède & de Da
nemarck , des repréfentations fur la guerre
que l'Angleterre a déclaré aux Provinces-
Unies . On ne fe Aatte pas qu'elles produifent
plus d'effet que celles qui ont été faites
précédemment ; mais l'intérêt que les Puiffances
neutres prennent aux évènemens actuels
, prépare à l'influence qu'elles auront
fans doute fur la paix qui fera conclue.
Le commerce de la rhubarbe que le
Gouvernement s'étoit approprié jufqu'à
préfent , fera libre & permis àtout le monde
l'année prochaine , en payant cerrains droits
à l'Etar qui font fixés dans un Edit qui vient
d'être publié.
1er. Septembre 1781.
a
( 2 )
*
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 2 Août.
LES vaiffeaux de notre Compagnie Afiatique
, le Roi de Danemarck & le Difco ,
font revenus de la Chine après une traversée
de 6 mois & quelques jours ; ils ont apporté
quantité d'étoffes de foie , de toiles
de coton , de fago , de gallinga , de rhubarbe ,
de tuttenaga , de radix china & de thé. La
vente de cette riche cargaifon fe fera dans
le mois de Septembre prochain . D'après le
rapport de ces vaiffeaux , il eft resté à Canton
un navire Danois qui y étoit arrivé
en 1779 ; deux autres y étoient arrivés en
1780 , & commençoient déja à prendre leur
chargement , lorfque l'un d'eux , la Sophie-
Frédérique , a lauté en l'air ; tout l'équipage a
péri à l'exception d'un feul homme qui s'eft
fauvé. Ce vaiffeau avoit déja les trois quarts
de fon chargement. L'empereur de la Chine ,
avant le départ de nos navires , avoit condamné
à l'efclavage deux gros Négocians
de fes fujets qui le trouvoient en arrière
de quelques millions dont une partie étoit
due au fifc. Ils avoient de grandes relations
avec la Compagnie Angloife des
Indes.
( 3 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Août.
ON attend l'Empereur dans cette Capitale
le 10 de ce mois ; il a pris fa route
par Huningue , Fribourg , Infpruck &
Clagenfurth .
Selon des dépêches de notre Ambaſſadeur
à Pétersbourg , le Grand-Duc & la
Grande - Ducheffe doivent fe mettre en
route à la fin de ce mois ; & on fe flatte de
les voir ici à la fin de Septembre . On ignore
le féjour que LL. AA. II. feront dans
cette Ville ; on leur prépare au Palais les
appartemens de feue l'Impératrice - Reine .
L'Empereur a écrit la lettre fuivante au
Comte de Kollowrath .
ל כ
-
» Le Chancelier de Cour & d'Etat , le Prince de
Kaunitz , s'eft adreffé à moi , fuivant l'ordre ,
pour être maintenu dans le paiement des 13000
florins qui lui étoient affignés pour fon entretien
annuel , & j'ai accordé fa requête par un confentement
conçu en ces termes : Les fervices que
vous m'avez rendus & que vous continuez de me
rendre , font auffi précieux que votre manière de
penfer , & vos qualités font rares. Comme vous
êtes au nombre de ceux qui font dans le même
cas ce n'étoit que pour me fournir une nouvelle
occafion de pouvoir vous donner , par une diftinction
manifefte , une nouvelle preuve de ma
fincere eftime & amitié. Conformément à cela
j'envoie en ce moment les ordres néceffaires à la
Chancellerie. En conféquence , vous en ferez
rapport de bouche ou par écrit au Prince de Kaunitz
, & vous pourvoitez à ce qui eft requis , de
-
•
a 2
( 4)
façon que les 13000 florins foient , comme auparavant
, payés à l'avenir à ce Prince «.
De HAMBOURG , le 12 Août.
>
La rencontre des efcadres Angloiſe &
Hollandoife dans les mers du Nord
& le combat fanglant qui en a été la ſuite ,
paroît devoir faire regretter aux premiers
de s'être donné cet ennemi de plus , dans un
tems où ils en avoient affez fur les bras ; ils
viennent d'apprendre par une expérience
cruelle qu'ils ont eu tort de le mépriser. On
ne doute pas que ce combat & fon iffue qui
a été favorable aux Hollandois , malgré la
grande fupériorité des Anglois , n'influent fur
les Confeils de la République , & ne leur
donnent plus d'activité. Cet évènement , du
moins , peut appuyer efficacement les repréfentations
que les Puiffances neutres s'étoient
déterminées à faire encore à la G. B. fur fa
conduite avec la Hollande.
L'acceffion du Roi de Pruffe à la neutralité
armée , confirme l'Europe dans l'espoir
confolant , que malgré les efforts de la politique
de la Cour de Londres , le feu de la
guerre ne s'étendra pas davantage , & que le
Continent , du moins , n'y prendra aucune
part, L'efpérance de le voir éteindre fur les
mers fe foutient toujours , mais on ne peut
fe flatter de le voir réaliſer auffi-tôt qu'on le
défireroit. Ce n'eft qu'après une campagne
active & dans laquelle les fuccès ne feront
pas balancés , que l'on pourra entamer les
négociations qui doivent ramener la paix.
Selon nos lettres de Conftantinople , les
démarches des Rulles dans la Crimée , donnent
des inquiétudes à la Porte ; elle croit
s'appercevoir que fous le prétexte d'étendre
leur commerce , ils vifent à former des
établiffemens durables dans cette prefqu'ile ;
le Kan des Tartares les favorife ; & le Grand-
Vifir , dont l'attention eft fixée ſur ce qui
fe paffe de ce côté , a déposé plufieurs Gouverneurs
des Provinces voifines , fufpects
d'entretenir des intelligences fecrètes avec
les Ruffes & avec les Tartares . C'est pour
réprimer quelque révolte que le Capitan Bacha
a détaché de fa flotte quelques vaiffeaux
vers la mer Noire , l'Archipel & l'Egypte.
Il fe rendra lui même par tout où fa préfence
fera néceffaire.
Un homme qui étoit perclus de la moitié
du corps , écrit- on de la Bavière Autrichienne , a
été guéri de cette paralyfie par l'effet du tonnerre
qui étant tombé le jour de la St- Jean , circula aué
tour de fon lit. Il fut très - furpris , après l'orage ,
de fe trouver en état d'agir & de fe lever fans
aucun fecours. Si ce fait eft vrai , il eſt raturel
d'en attribuer la caufe à l'électricité que le malade
a fubie «.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 2 Août.
LE 24 du mois dernier on a vendu ici
à l'encan , 210 ballots de mouffeline des
a 3
( 6 )
Indes , apportées dernièrement en Europe
par nos vaiffeaux , & la valeur en a été portée
à 300,000 piaftres de notre monnoie.
vens. -
Il a été publié , il y a quelques jours , écrit- on
de Mantoue , une Ordonnance de l'Empereur adref,
fée à tous les Couvens de la Lombardie Autri
chienne de l'un & de l'autre fexe , par laquelle il
leur défend d'entretenir , quant à leur régime
aucune correfpondance avec les Généraux de leur
Ordre qui réfident à Rome ; leur enjoint de ne
relever à cet égard que des Supérieurs , Evêques
& Archevêques des lieux où font fitués leurs Cou
De pareils règlemens ont lieu dans tous
les Etats héréditaires. On dit que plufieurs Supérieurs
, avant le départ de l'Empereur , lui repréfentèrent
que ces innovations , en fait de difcipline
eccléfiaftique , avoient déja produit de la fermentation
dans bien des Cloîtres , & qu'ils craignoient
qu'il n'en réfultât bien des défordres & des émigrations.
Je fais , leur dit l'Empereur , après les
avoir écoutés , qu'il y a des lieux où ces règlemens
, qui vous caufent tant d'appréhenfion
n'exiftent pas. Je n'empêche pas qu'on aille y vi
vre eu vrais Moines. Si vous avez des Religieux
qui aient ce defir , vous pouvez leur dire que je
leur permets d'aller où ils voudront ; je tâcherai
d'attirer à leur place des cultivateurs utiles & laborieux.
On dit que S. M. I. a écrit à Rome une
lettre pleine d'expreffions les plus affe&tueufes , mais
en même-tems les plus preffantes , pour infifter fur
ce que l'on détermine , de la manière la plus précife
, les limites entre l'autorité fpirituelle & la
temporelle , qui ont caufé tant d'orages dans la
Chrétienté .
-
›
On affure que les Religieux mendians
vont être réduits à 3000 dans le Royaume
de Naples , où l'on en compte actuellement
(7)
16,000 ; ils y ont 700 Couvens , dont 466 .
feront fupprimés , de forte qu'il n'en refteroit
que 234 , qui nourriroient chacun 12
individus . Il paroît que cet arrangement
n'aura lieu , qu'en attendant l'exécution d'un
autre plan , fuivant lequel tous les Corps
Religieux feront réduits à deux Ordres.
לכ
» On affure , écrit-on de Rome , que l'Electeur
Palatin defirant établir dans les Etats de Bavière ,
une cinquième langue de l'Ordre de Malte , a fait
représenter au Pape que les revenus des Réguliers
fe montant à 700,000 florins , fon intention eft
d'en tirer les femmes néceffaires pour fonder deux
grands Prieurés & 30 Commanderies. On affure
que voulant concourir aux vues de ce Prince ,
S. Pere a chargé le Prélat Bellifoni , fon Nonce
à Cologne , de le tranfporter fur les lieux , pour
prendre connoiffance de toutes chofes , & faire
paffer au Saint-Siege un plan d'inftitution qui puiffe
obtenir fa fanction «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 3 Août.
le
LA petite flotte arrivée de Montevideo
fous l'efcorte de deux frégates , a apporté
du tabac , du cuivre , beaucoup de cuirs ,
de la laine vigogne , & quantité de barriques
de fuif. C'eft la premiere fois que nous
voyons arriver de Buenos - Ayres de cette
dernière denrée , d'une utilité fi journalière ;
auparavant nos Colons établis dans les vaftes
plaines de la Plata , fe contentoient d'affommer
leurs boeufs & d'en enlever le cuir ;
a 4
( 8 )
aujourd'hui ils fe font apperçus que cette
chaffe pouvoit leur fournir d'autres richeffes
auffi précieuſes , & ils ont fait du fuif,
de la graiffe , qu'ils abandonnoient auparavant
aux bêtes fauvages ; on peut juger de
ce qu'ils ont fourni cette année , & de ce
qu'ils pourront en fournir dans la fuite , par
les 4 ou 500,000 cuirs que cette flotte a
apportés.
On attend avec impatience des nouvelles
de l'expédition du Duc de Crillon ; on fait
feulement que fon convoi arrêté par le calme
à l'entrée de la Méditerranée , a été forcé
de relâcher à Carthagêne. On fe fatte que
ce retard n'aura aucune fuire fâcheufe : s'il
faut en croire des avis qu'on a de Minorque
, il y a eu une émeute dans cette ifle ;
les Habitans fe font foulevés contre la garnifon
; ils en ont été punis févèrement
puifque 20 d'entr'eux ont , dit- on , été pendus
, & les autres dépouillés de leurs armes .
Si ce fait eft vrai , cette difpofition des Habitans
, qui doivent être encore plus aigris
par la punition de leurs chefs , fera trèsfavorable
à M. de Crillon.
*
D. Francifco Winthuyfen , ci - devant
Commandant de la frégate la Santa-Leoca
dia , de 34 canons de 12 & de 6 , qui a
été prife le 1 Mai par le vaiffeau de guerre
Anglois le Canada , de 70 canons , de 36 ,
de 18 & 8 , a envoyé les détails fuivans de
fon combat.
I
र
Au point du jour , M. Winthuysen . découvrit
( 9 )
fous le vent une flotte de 68 voiles à deux mâts ,
efcortée par une frégate ; & remarquant qu'elle
fayoit , il arriva avec précaution pour la reconnoître
, lui faisant des fignaux à cet effet . Peu de
temps après il vit plus loin fous le vent un vaiffeau
qui , fans répondre à fes fignaux , lui donnoit
chaffe , & enfuite trente gros vaiffeaux , ce qui
l'ayant confirmé dans l'opinion qu'ils étoient tous
de l'efcadre de l'Amiral Darby , il ferra le vent
avec la plus grande force de voile , faifant fignal
à la Bélandre le meilleur parti qu'elle pourroit :
il manoeuvra tout le jour , tâchant d'éviter , autant
qu'il étoit poffible , l'approche de l'ennemi
Sur le foir , la frégate étant reftée fous le vent
qui étoit tombé , Winthuyfen mit toutes fes voiles
yent arrière , & fit ce qu'il put pour dérober fa
marche aux Anglois , à la faveur de la nuit ; mais
n'ayant pu y parvenir à caufe du clair de lune , &
le vent qui avoit mis fa frégate à la portée du
piftolet de l'ennemi , ayant tout- à - fait ceffé , il
affura fon pavillon & fit feu de toute fon artil
lerie & de fa moufqueterie. L'Anglois ripofta , &
il s'engagea un combat que notre frégate foutint
très -vigoureufement pendant une heure , malgré
la difproportion des moyens de défenfe. Au bout de
vingt- cinq minutes , M. Vinthuyfen ayant eu le
bras fracaffé d'un boulet de canon , fe vit dans
la néceffité de fe retirer , & il remit le comman
dement , avec ordre de continuer le combat tant
qu'il pourroit , à D. Juan- Perez Monte , fon fecond
qui lui-même ayant reçu une bleſſure à la langue ,
céda à fon tour le commandement à Don Joachim
Moſcoſo. Celui - ci continua de fe défendre
jufqu'à ce que la frégate fe trouvant tout - à- fait défemparée
, & l'eau y entrant en grande quantité
par les trous de deux boulets de canon à fleur d'eau
& de beaucoup d'autres à travers fes iancs , il fur
obligé de céder à des forces auffi- ſupérieures. II
as
( 16 )
eut dans le combat 20 hommes tues & 10 bleffés.
La frégate avoit été fi maltraitée , qu'il fallut
quatre jours à l'ennemi pour la mettre en état de
fe rendre dans le port «.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 21 Août.
LES nouvelles que la Cour a publiées
dernièrement de l'Amérique- Septentrionale,
ne font pas aufli complertes que la Nation
s'y attendoit. On s'eft contenté de lui
apprendre que le Lord Rawdon ayant reçu
Les renforts avoit fait lever le fiége de Ninety
Six , & que le Général Gréen s'étoit
retiré dans le Nord après avoir détruit le
Fort Augufta & quelques autres ; il faut
recourir aux relations publiées par le Congrès
pour avoir une idée des opérations de
l'armée de ce Général. La lettre fuivante ,
en date du 17 Mai , contient ces détails
dont la Gazette de la Cour ne nous fera
fans doute aucune part.
" au
»Le 8 Mai Camden a été évacué par l'ennemi
qui l'a abandonné avec la plus grande précipitation
, après avoir brûlé la majeure partie de fes
bagages & munitions , & jufqu'aux propriétés des
habitans. Il a auffi mis le feu à la prifon
moulin & à d'autres maiſons , de maniere que toute
la Ville n'eft prefque plus qu'un amas de ruines.
Les Anglois ont laiffé tous nos hommes
bleffés dans l'affaire du 25 , montant à 31 avec
8 des leurs , & 3 Officiers , tous trop griève,
ment bleffés pour être tranſportables . Les habi
( 1 )
---
tans de la Ville affurent que l'ennemi dans cette
derniere action n'a pas perdu moins de trois
cents hommes tant tués que bleffés, Immédiatement
après le départ de l'ennemi , nous prîmes
poffeffion de la place , & on en rafe les ouvrages ,
dont je vous envoie le plan . Si la Milice de Virginie
étoit arrivée à tems , toute la garnifon
Teroit tombée entre nos mains , parce que ce fecours
nous auroit mis en état d'inveſtir de toutes
parts l'ennemi , qui manquoit de provifions & de
munitions pour foutenir un fiége. Le détachement
aux ordres du Général Marian , & du Licutenant
Colonel Lée , ayant empêché la garnifon de
recevoir les vivres dont elle avoit befoin , & particulierement
le fel . dont elle étoit entierement
dépourvue. Le 11 le pofte Orange - Burg , commandé
par un Colonel , ayant fous fes ordres
une garnison de plus de 80 hommes & plufears
Officiers , la plûpart Anglois , s'eft rendu
au Général Sumpter , qui a tellement épouvanté
la garnifon par la maniere dont il a difpofe
fon artillerie & les troupes ; qu'il l'a déterminée
à rendre un Pofte très -fort , fans qu'il perdit ua
inftant ni un feul homme. · On a trouvé dans
cette place une grande quantité de provifions & de
munitions. - Le 12 le Fort - Motte s'eft rendu au
Général Marian. La garnifon étoit compofée de
plus de 150 hommes , dont 120 , tant Anglois
que Heffois , & fept ou huit Officiers . La place
a été inveftie le 8 , & les approches avoient été
pouffées jufqu'au pied de l'abbattis avant qu'elle
fe rendit. La redoute extrêmement forté , étoit
commandée par le Lieutenant M' Pherfon , trèsbrave
Officier . On doit de grands éloges au Général
Marian & au petit Corps de Milice qui
a été employé fous lui à la réduction de ce Pofte.
La légion du Lieutenant- Colonel Lée & les détachemens
aux ordres du Major Euton de M.
6
a 6
( 12 )
ont
Finley , Capitaine de l'Artillerie , & de MM
Oldham & Smith , Capitaines d'Infanterie ,
montré une ardeur infatigable dans tous les tra
vaux du fiége. On a trouvé dans la place une
caronade , environ 140 affortimens d'armes , unc
grande quantité de fel , de provifions & d'autres
munitions , dont les états feront envoyés à V. E.
-
—
Lorfque nous nous fommes mis en marche
de Deep-River pour Camden , j'ai écrit au Général
Pickens de faire enforte de raffembler un
Corps de Milice pour affiéger Augufta & Ninety-
Six , & ces deux places font actuellement invelties.
Le Fort à Friday- Ferry fera inveſti demain
matin. Le Lieutenant- Colonel Lée avec fa Légion ,
& quelques détachemens à fes ordres , s'eft mis
en marche hier au foir pour cet objet . Il a été
fuivi ce matin par toute l'armée . Suivant les
dernieres nouvelles que j'ai eues du Lord Rawdon
, il étoit alors à Nelfon Ferry , où l'ennemi
avoit un Pofte ; mais on en tranſportoit les munitions
à Charles-Town , ce qui faifoit croire
qu'il ne tarderoit pas à être évacué. Les Générauz
Sumpter & Marian furveillent les mouvemens
de l'ennemi. - Je vous envoie ci - joint des
copies de différentes lettres trouvées dans les
papiers du Lieutenant M' Pherfon. ( Ces papiers
font particuliers au Lord Rawdon , & confiftent
en lettres du Lord Huntingdon , qui invite le
Lord Rawdon à repaffer en Angleterre , & du
Gouverneur Martin , qui lui écrit qu'il eft fâché
de le voir déterminé à partir pour raifon de
fanté il n'y a rien au furplus fur les affaires
de l'Amérique , que ce que l'on en fait déja « .
-
Le Congrès a auffi publié les détails fuivans
de la prife du Fort Gramby par M.
H. Lée Junior.
J'ai l'honneur de vous faire part de la reddi((
13 )
-.
on
tion du Fort Gramby , & de vous envoyer une
copie de la capitulation . Le Colonel Taylor , que
j'ai trouvé ici avec un Corps de Milice laiffé
par le Général Sumpter pour incommoder & harceler
la garnifon , a agi avec beaucoup de vigueur
& de jugement , & il mérite une attention
particuliere. Les troupes fous mon commandement
, après une marche rapide du pofte de
Motte , font arrivées dans cette place le 14 au
foir, La pofition de l'ennemi étant reconnue
affembla les travailleurs , & l'on détermina la
ligne des approches. Pendant la nuit une batterie
fut élevée fur une pointe à portée du canon
du Fort , fous la direction du Lieutenant-
Colonel Head & du Coinette Lovel , foutenus
par des détachemens de Milice du Colonel Tay.
lor. Le is , à la pointe du jour , le Capitaine
Finley commença une canonnade en même temps
que la Légion d'Infanterie & le détachement du
Capitaine Oldham prirent une portion de défenfe.
Les chofes étant ainfi arrangées , j'ai
fait fommer le Fort de fe rendre , & j'ai l'honneur
de vous faire paffer les articles que fai
propofés & la réponse que j'ai reçue . -- Quelques
momens après il y eut une entrevue entre
moi & le Major Maxwel , & l'affaire s'arrangea.
Je me difpenferai de vous rien dire concernant
les efforts des Officiers & la fatigue des
troupes qui ont fervi , avec moi pendant la dérniere
expédition . La parfaite connoiffance que
vous avez de la bonne volonté , & de la bravoure
des Corps , & votre difpofition conftante à encourager
le mérite , leur affurent la récompenfe
à laquelle ils s'attendent ".
» Capitulation. 1 ° . Le détachement du corps des
Anglois avec leurs Officiers , fera prifonnier de
guerre , & conduit à Charles -Town par la route la
plus courte & y reftera , fur fa parole , jufqu'au
( 14 )
temps où il pourra être régulierement échangé.
2. La Milice aura l'option d'accepter ce premier
article & de marcher avec les Anglois jufqu'à
Charles-Town , & d'y refter jufqu'à ce qu'elle foit
échangée , ou de retourner chacun chez foi , fans
fe regarder comme prifonnier & fans être molefté
dans fa propriété . 3. Les Officiers & -les Soldats
de la Garnison pourront emporter leurs bagages ,
& on leur donnera à cet effet deux charriots . Cet
article s'étend à tous les effets de propriété particulière
. 4° . Les malades & les bleffés qui ne font
pas actuellement en état d'étre tranſportés , feront
libres d'aller à Charles-Town, auffi - tôt qu'ils le pourront.
5. Les Officiers pourront emporter leurs
épées & leurs piftolets . 69. La garni on commencera
à marcher demain , & on lui fournira des proviſions
avec une eſcorte fuffifante pour la protéger
contre toute infulte & mauvais traitement.
Le Capitaine Rudulph de la légion d'Infanterie ,
prendra poffeffion du Fort à midi . Et le Major
Maxwel ordonnera aux Chefs des départemens de
remettre les munitions des magafins aux Officiers
que le Capitaine Rudulph nommera pour les recevoir.
25
»Prifonniers faits au fort Gramby , le 15 Mai
1781. Du régiment du Prince de Galles , 1 Major ,
Chirurgien , 1 Sergent-Major , 4 Sergens , Caporaux
, 57 fimples Soldats , 4 Déferteurs , 1 Homme
perdu. Régiment d'Anglefiliy , 1 Lieutenant ,
1 fimple Soldat de recrues , 8 Sergens , 4 Caporaux
, 55 fimples Soldats , 3 Déferteurs. Compagnie
du Capitaine o Tolle , 1 Capitaine , I Lieu.
tenant , 1 Sergent Major , 2 Sergens , 75 fimples
Soldats 2 Déferteurs. Milice , I Lieutenant-
Colonel , 1 Major , s Capitaines , 4 Lieutenans ,
3 Enfeignes , Sergens , 117 fimples Soldats. En
tout , Lieutenant Colonel , 2 Majors , 6 Capitai
mes, 6 Lieutenans , 3 Enfeignes , 1 Chirurgien ,
"
• Sergens-Majors , 17 Sergens , 9 Caporaux , 309
fimples Soldats , 5 Déierteurs , 1 Homme perdu.
»Prifonniers faits au fort Motte , le 12 Mai
1781. Anglois , Capitaine , 2 Lieutenans , 2 Enfeignes
, 1 Sergent Major , 1 Sergent , 3 Caporaux,
1 Tambour & Fifre , 69 fimples Soldats . Heffois ,
I Lieutenant , Enfeigne , Caporaux , i Tambour
& Fifre , 51 fimples Soldats. Terris , 45 fuivant
le rapport qu'on m'en a fait. Total , 1 Capi
taine , 3 Lieutenans , 3 Enfeignes , 1 Sergent-
Major , Sergent , 8 Caporaux , I Tambour &
Fifre , 165 fimples Soldats.
» On n'a point rendu compte des prifonniers faits
à Orangebourg .
» État des munitions militaires prifes au fort
Gramby , le 15 Mai. 8928 cartouches à moufquet ,
192 moufquets , 16 bayonnettes , 100 boîtes à
cartouches , 63 carabines rayées , 3000 pierres à
fufil , 120 livres de poudre , 328 livres de plomb ,
I tambour , 3 caronades de deux livres , 1 obufier
de cinq pouces & demi « .
On n'a point reçu de nouvelles poftérieures
des Antilles. La relation de l'Amiral
Hood arrivée fi tard , n'a rien appris que ce
que l'on favoit. Il nous eft venu en mêmetems
une lettre d'un Officier qui s'eft trouvé
à ce combat du 29 Avril , qui peut paroître
curieuſe après avoir lu celle de Sir
Samuel.
ל כ
Quelque chofe que vous entendiez dire , foyez
bien sûr que dans la dernière affaire avec les François,
nous avons été horriblement battus. Les François
connoiffent l'art de manoeuvrer leurs vaiffeaux
tout auffi- bien que nous , pour ne pas dire mieux.
En général , leurs Officiers font auffi habiles que
les nôtres , & ils font tout pour l'honneur . Le
fervice Anglois eft perdu par les jeunes geus de
( 16 )
-
-
fa
en
gar.
qualité qu'on met à la tête de vieux Officiers
pleins de courage & d'expérience , parce que leurs
amis peuvent rendre des fervices dans le Parlement
au Miniftre. Si vous entendez parler de la prife
de quelqu'une de nos Ifles du Vent , vous pouvez
croire la chofe très - poffible , parce que les Fran
çois font maîtres de la mer. Sainte- Lucies efte e
sûreté , tant par les fortifications que par
nifon ; d'ailleurs , Saint - Léger , qui en eft .Gouver
neur , eft univerfellement aimé & prefque adoré.
Il est vrai que les habitans craignent de le perdre 3
car rien n'eft quelquefois fi défagréable au Minif
tère qu'un Commandant populaire. Il n'y a ja
mais eu d'hommes fi généralement déteſtés que
Rodney & Vaughan , qui fe montrent prefque partout
comme des crieurs d'encan . On ne parle que
de leur orgueil & de leur avarice . On prit der
nièremest a Sainte-Lucie un bâtiment Efpagnol qui
avoit à bord une grande quantité de mulets.
Saint Léger , toujours bon , toujours humain , dit
qu'il prélumoit pouvoir s'en fervir , pour épargner
un rade ouvrage aux Soldats qui étoient employés ,
comme autant de Sifyphes , à rouler de groffes
pierres fur les montagnes , quoiqu'il y eût dans la
Place des Nègres plus propres qu'eux à un pareil
fervice. On répondit à ce Gouverneur que s'il fe
fervoit des mulets , il falloit qu'il les payât.
Saint- Léger jura qu'il les payeroit de fa poche ,
plutôt que de faire faire le métier d'Efclave à de
braves Soldats fes compagnons , & effectivement
il donna le prix des mulets. Ce qu'il y a de vrai
ment fingulier , c'est que Rodney ne defcend pref
que jamais à terre « .
Les derniers évènemens paroiffent avoir
fait perdre beaucoup à l'Amiral Rodney
dans l'opinion publique. On dit qu'il avoit
avec lui un nombre confidérable de trou(
17 )
pes de débarquement lorfqu'il parut à la
hauteur de Tabago ; on prétend qu'il auroit
pu les mettre à terre & on demande
pourquoi il n'a fait aucune tentative pour
reprendre cette Ifle.
> +
» Cet Amiral , dit un de nos papiers , nous nourrit
d'efpérances depuis deux ans ; mais nous n'avons
pas encore vu d'heureux réſultats de fes promelles.
Nous avons perdu la Grenade , Saint-Vincent
, la Dominique & Tabago ; mais l'Amiral
nous recommande de n'avoir pas peur , & il promet
que la fin de la campagne fera auffi honteufe
pour l'Ennemi que le commencement lui a été favorable.
Ces promeſſes nous ont été répétées chaque
année , & cependant la campagne finit cha
que année par la perte d'une Ifle ; de forte que les
promefles de l'Amiral font de mauvais augure.
Il promet des fuccès , & la Grenade eſt perdue :
il marche fur Saint-Vincent ; il flatte l'Angleterre
de l'efpérance de voir cette Ifle rendue à la Cou
ronne Britannique ; mais , dans le fait , il ajoute
aux regrets que nous avons de l'avoir perdue , en
fe tirant très mal d'une expédition téméraire &
qu'il ne devoit pas entreprendre. Il raffemble fon
Efcadre une feconde fois pour fecourir Tabago ;
mais il ne s'y montre que pour être témoin du
déshonneur du Pavillon Britannique & du triomphe
des François qui prennent cette Ifle à la vue
du grand Rodney «..
On lit dans un autre de nos papiers les
obfervations fuivantes.
» L'Amiral Rodney eft- il un des plus grands piaffeurs
de l'Europe , & ne fe débite-t- il pas mille
contes de fés vanteries à Paris , & dans les Illes Fran
çoifes & Angloifes de l'Amérique. - N'eft - il pas
notoire que le premier Lord de l'Amirauté , qui ,
de l'aveu même de fes plus grands ennemis , eft
plein de fagacité & de pénétration , s'eft abfolu
( 18 )
-
---
ment opposé à la nomination de Rodney , fur.
nommé généralement l'Amiral aux doigts longs &
blancs. Ne fut- ce pas le Capitaine Young ( 1 )
qui , en forçant de voiles , & mettant les fignaux
néceffaires conduifit fon commandant tout au
milieu de l'efcadre Espagnole , lorsqu'il ne s'y at
tendoit point. Ne fut-ce point le même Capitaine
Young qui , contre l'avis de fon Comman
dant , porta un certain vaiffeau à pavillon pofitivement
fur le premier vaiſſeau pavillon de l'ennemi ,
& à moins d'une portée de boulet. - Ne fut ce
pas le Capitaine Young qui , lorfque fon Commandant
fe plaignit que les Capitaines ne répon
doient pas aux fignaux & ne les exécutoient point ,
lui déclara , fans détour , qu'il étoit bien fûr qu'ils
ne s'y conformeroient point , tant que leur Commandant
ne leur donneroit pas l'exemple , en portant
droit fur l'ennemi , & n'ajouta -t - il point :
c'eft alors qu'ils pourront & qu'ils devront vous
entendre ? -L'Amiral ne donna til pas des or
dres contraires à ceux du Capitaine ; & au lieu de
refter bord à bord du Burgoyne , ce qui étoit l'inten
tion du Capitaine , le Sandwich n'efluya-t-il pas
le feu du vaiffeau pavillon dont on vient de par
ler , & de quatre autres , au moyen de quoi il te
çut tout le mal qu'ils purent lui faire , & n'en fit
aucun à l'ennemi . Au moment que ce contreordre
fut donné , tout n'annonçoit il pas une dé
faite , & que le vaiffeau de l'Amiral avoit été forcé
de quitter la ligne ? Les Capitaines de l'efcadre
ne venoient- ils pas l'un après l'autre à leurs
poftes , & ne fe difpofoient-ils pas à ferrer bientôt
de près l'ennemi ? Le Burgoyne ne fouffrit - il
pas le canon tant pendant l'action , que par une
infinité d'autres circonftances ? — N'a-t-on pas
--
--
--
--
(1) C'est le Capitaine du Sandwich que monte Rodney,
( 19 )
-
-
rapporté le propos fuivant de Guichen à Bouillé ,'
Gouverneur de la Martinique , qui étoit à bord
de fon vaiſſeau ? » Si l'Amiral vous eût preffé vous
» & moi , nous aurions eu l'honneur de fouper ce
» foir à bord du Sandwich , car foyez certain
» que nous n'aurions pas pu tenir vis à - vis de lui
» quelques minutes «. M. de Bouillé n'a-t-il pas répété
la même chofe en préfence des colons Anglois
à fa table , & n'y a-t-il pas des gens à Londres
qui lui ont entendu tenir ce propos plus d'une
fois ? Tous les fujets Anglois des Inles du Vent
ne blâment-ils pas la pitoyable entreprife faite
fur St-Vincent au mois de Décembre dernier , &
cette place ne fe feroit - elle pas rendue , fi l'expédition
eût été fuivie ? La prétendue excufe
qu'on ne pouvoit avoir de l'eau n'a-t- elle pas excité
un rire univerfel ? Et de plus , n'eft- ce pas à bon
droit que les habitans Anglois de cette Ifle ont
en exécration les gens qui tantôt par leur légèreté
& tantôt par leur manque de réfolution , font
la caufe de toutes les misères & de toutes les oppreffions
qu'ils éprouvent aujourd'hui par rapport
aux foupçons que la France a contr'eux. Sain
te-Lucie auroit - elle pu réfifter , fi les Généraux
Grant & Meadows n'y euffent fait élever des fortifications
, voyant que l'Amiral l'abandonnoit à fon
fort ?
N'eft-ce pas la même négligence qui nous a fait
perdre Tabago ? car cette Ife feroit encore fous
la domination Britannique , fi la garniſon eût été
protégée par l'eſcadre , ou fi les ouvrages de Scarborough
euffent été achevés , & c'est ce qu'on avoit
demandé plus d'une fois à Rodney & à Vaughan.
Telles font les queftions que nous avions à
propofer , & qui méritent réponſe , quand ce ne
feroit que pour la raifon fuivante : favoir , qu'on
doit naturellement attendre beaucoup de celui qui
doit beaucoup.- Rodney a été nommé à un
( 20 )
poſte honorable & lucratif. Il a reçu des remer
ciemens de la part des deux Chambres du Parle
ment . Nous fommes fâchés que le Capitaine
Young n'ait pas été compris dans le vote.
----
» II ett rentré dans le Parlement , ayant été élu
tout d'une voix député de Weſtminſter , une des
villes les plus grandes & les plus peuplées du
Royaume. Il a eu une gratification annuelle de deux
mille livres fterling , fur l'établiſſement d'Irlande
pour lui & fa famille , pour 31 ans . M. Eden ,
Secrétaire d'Etat d'Irlande , le fait bien.
» Il a été mis en poffeffion des propriétés particu
lières de St-Eustache pour une fomme de près
de cinq cents mille livres fterl. Ses partiſans
ajoutent qu'il fera honoré d'une Pairie Angloife,
Pour nous fervir de l'expreffion d'un grand Jurif
confulte , nous pouvons dire qu'il a contracté visà-
vis de la Nation un engagement auquel il faut qu'il
fafle honneur en dépit de tous ceux qui l'adulent &
l'encenfent. La réputation & le profit font les fuites
des actions grandes , héroïques & utiles. Rodney
a été payé d'avance , & nous pouvons prédire que
τότ ou tard la Nation exigera de lui qu'il faffe la
balance de fon compte. Puiffe-t-elle tourner en fa
faveur ! c'eſt le defir ardent & honnête de l'Auteur'
des obfervations qui précèdent ; & en attendant il
ne demande qu'à guérir ceux de fes concitoyens ,
qui aujourd'hui paroiffent mordus de la rage de
Rodney ".
1
Si l'on en croit quelques Gazettes , on
a appris à la Jamaïque que la plus grande
partie des Officiers non- brévetés & des
Soldats du premier bataillon du premier
Régiment d'infanterie , appellé Royal Ecoffois
font morts de maladie à Sainte Lucie.
On ajoute que les vaiffeaux de guerre qui
font à la ftation de la Jamaïque font en
"
( 21 )
fi mauvais état que la Princeffe-Royale , l'Al
bion & le Ruby vont revenir avec le pro
chain convoi , & que le Ramillies fera le
feul vaiffeau de force qui y restera pour
protéger le commerce .
L'efcadre qui a foutenu le combat du s
avec les Hollandois , eft rentrée partie aux
Dunes & partie dans la Tamife ; les vaiffeaux
font bien maltraités & les équipages
en pauvre état ; il faut fe hâter de réparer
les premiers , ce qui entraînera dutems ,
& de remplacer les derniers , ce qui ne fera
pas aifé. On compte que l'efcadre dont on
aura befoin pour les mers du Nord , feulement
dans le cas où les hoftilités dureroient
au-delà de l'année préfente , employera au
moins 8000 matelors , fans compter les
corvettes & cutters qu'il faudra entretenir
dans ces mers contre les corfaires ennemis .
Pour cette année les embarras ne font
pas moindres ; voilà l'efcadre du Nord hors
de fervice ; nous avons befoin de renforcer
celles de l'Amérique Septentrionale & des
Ifles ; les vaiffeaux partis avec l'Amiral Digby
nefuffifent pas à ce befoin ; il eft impoffible
d'en détacher aucun de la flotte d'obfervation
de l'Amiral Darby , que nous nous attendons
à chaque inftant à voir rentrer dans
nos ports , depuis que nous fommes inftruits
de l'approche de la flotte ennemię combinée.
La nôtre n'eft pas en état de tenir la
mer devant elle ; & les fecours preffans
qu'il faudroit envoyer à Gibraltar & à Mi(
22 )
norque , qu'on dit auffi menacé , & où le
Lieutenant - Général Murray n'a que deux
vieux régimens , le 1 & le 6ie , quatre
compagnies franches , une compagnie d'artillerie
& deux bataillons d'Hanovriens ,fe
trouveront fufpendus.
Quant à Gibraltar les inquiétudes pour
cette place augmentent , & le dernier ravitaillement
n'a pas été auffi efficace qu'on
l'auroit défiré.
Un Officier dépêché par le Général Elliot , Gou
verneur de Gibraltar , eft arrivé ici le 4. Il eſt
forti de cette place le 13 Juillet fur un petit bâtiment
, & après avoir paffé au milieu de la flotte
combinée , il a mis pied à terre fur la partie méridionale
du Portugal , d'où il s'eft rendu à Lif
bonne & s'eft embarqué fur la Minerve ; Capitaine
Fielding. On dit que les dépêches du Général Elliot
portent en fubftance ce qui fuit : Depuis le départ
de l'efcadre de l'Amiral Darby , les Efpagnols ont
fait un feu continuel fur la place , tant de leur artillerie
que de leurs chaloupes canonnières , de forte
que les fortifications font très - endommagées , & la
ville totalement détruite . La garnifon a eu so
hommes tués & 180 bleffés , parmi lesquels on
compte 7 Officiers . Les troupes font extrêmement
fatiguées , & à moins que la place ne foit promp
tement fecourue , il y a tout à craindre pour elle.
い
Les nouvelles de l'Inde arrivées à Baffora
& adreffées de là à notre Ambaffadeur à
Conftantinople , font aujourd'hui totalement
tombées en difcrédit. Depuis
l'attentat commis contre le Lord Pigot ,
tout a été de mal en pis dans l'Inde , &
tous ceux qui en reviennent ne peignent la
fituation de la Compagnie que comme très(
23 )
précaire. La néceffité d'y faire paffer des
renforts est toujours très urgente ; on y a
envoyé cette année 5200 hommes , dont le
Commodore Johnſtone en conduifoit 3000,
confiftant dans le bataillon du 42e régiment ,
les régimens de Fullarton & d'Humberston
fous les ordres du Brigadier Général Meadow
; le refte étoit parti fur la dernière flotte
fortie fous le convoi du Sultan & du Magnanime
; mais ces troupes font encore loin
de leur destination ; & on a lieu de craindre
que Johnstone ne foit obligé de revenir , ou
de fe détourner fort loin de fa route pour
aller fe réparer.
On fe rappelle le duel de M. Francis avec
M. Haftings , Gouverneur général du Bengale
; immédiatement après cet évènement ,
le premier écrivit la lettre fuivante à l'affemblée
des Directeurs de la Compagnie des Indes
; elle contient des notions curieufes fur
l'état actuel des affaires de cette Compagnie ,
& fur ce qui en a été le principe.
» Les avis que vous recevrez d'un duel entre
M. Haftings & moi , pourront attirer votre attention
, jufqu'à certain point. Il eft important , pour
mon honneur & pour ma réputation , que cette
affaire foit expofée avec la plus grande exactitude ,
vous en premier lieu , & enfuite , par votre
organe , à la Compagnie. Il est pareillement
effentiel , pour les intérêts de la Compagnie , que
la caufe de cet évènement avec tous les actes ou
déclarations publiques des Membres de ce Confeil
qui y ont rapport plus ou moins prochain , foient
mis fous vos yeux dans toute leur intégrité . La
( 24 ) .
feu' moyen honnête & loyal de remplir cet objet,
elt de vous envoyer , comme je le fais , des extraits
au hestiques de celles de nos opérations qui y ont
rapport fans aucun hiftorique ni commentaire.
-Les papiers que je vous envoie font non- feu
lement neceffaires pour vous mettre au fait de la
nature & du fjet de la querelle perfonnelle entre
M. Haftings & moi , mais encore pour vous inftrire
de la fituanen des affaires de la Compagnie
dans certe partie de l'Inde , & des opérations qui
l'ont occafoncée en vous donnant fur ce fujet des
notions qui feront une impreffion profonde fur
vos efprits. Nous faifons actuellement tous
nos efforts pour revenir fur les fatales mefures
prifes depuis trois ans par ce Gouvernement & par
Îa Préfi dence de Bombay. Mais je ne répondrois
pas du fuccès , parce qu'il peut le faire qu'un bon
ſyſtême foit adopté trop tard , ou qu'on n'ait pas
employé les moyens les plus convenables pour le
faire réuffir. Dans la fituation où nous nous trouvens
, il eſt très difficile de dire quel eft le plan
dont on doit attendre le plus de fuccès , ni même
quel eft le plan le plus exact d'objections . On peut
compter fur mes avis & fur mon affiftance tant
que je ferai dans le Confeil ; mais je ne troublerai
point l'exécution des projets qui pourroient être
adoptés contre mon opinion par une oppofition
inutile & peut - être dangereufe . Mon zèle pour
prévenir les di graces actuelles , s'eft fignalé par
des feins fans relâche pendant un long efpace de
tems , & il vous auroit été utile fur les points les
plus effentiels , fi ce Gouvernement y avoit donné
plus d'attention , ou que vous euffiez mieux fe-
Condé mes efforts. Mais vous avez fouffert
qu'on renversât les principes fondamentaux de la
Compagnie ; que fes inftructions au Gouverneur
géné al & an Confeil ne faflent point obfervées
& même qu'en diverfes occafions on défobéît
--
impunément
( 25 )
impunément à vos ordres les plus précis ; vous
avez accumulé d'année en année la cenfure fur
le Gouverneur Général & fur un autre Membre
du Confeil , dans les termes les plus forts dont
on fe foit jamais fervi envers des hommes revêtus
d'emplois fi éminens , & vous les avez furle-
champ deftitués. Vous avez eu la bonté d'hc◄
norer , à plufieurs reprifes , le feu Chevalier John
Clavering , le Colonel Mouron , MM. Heeler &
moi des affurances de l'approbation que vous
donnez à nos principes & à notre conduite , & des
promeffes conftantes de nous foutenir . Vous nous
avez donné lieu d'attendre , fur plufieurs matières
importantes , des ordres définitifs & des règlemens
que vous ne nous avez jamais envoyés , & notamment
dans une affaire de la plus grande importance
, où vous nous avez déclaré que vous
alliez vous occuper fans délai & de la manière
» la plus férieufe des mesures qu'il pourroit être
» néceffaires que vous priffiez en conféquence de
» ce que nous vous mandions pour rétablir l'honneur
» de la Compagnie , & empêcher que de fem-
» blables abus ne fe renouvellaffent par la fuite ".
Voilà fix années écoulées depuis l'inftitution du
Gouvernement actuel , & il fe trouve que les
hommes dont vous avez fi hautement condamné la
conduite , n'ont jamais reçu aucune marque fé-.
rieufe de votre mécontentement ; mais qu'au contraire
, ils ont été continués par une nouvelle nomination
dans les places de confiance qu'ils occupoient.
Ces mêmes principes , ces mêmes mcfures
que vous ne ceffiez de réprouver , vous les
avez laiffé prédominer d'année en année jufqu'à
l'évènement actuel , au mépris de vos ordres &
de vos inftructions , malgré l'oppofition la plus
violente dans le Confeil , & les fortes remontrances
tant publiques que particulières , accompagnées
des explications les plus claires fur l'état réel
1er. Septembre 1781 .
b
( 26 )
>
"
des affaires dans ce pays ; j'ai pu trouver des
documens que depuis mon arrivée ici j'ai conftamment
fait paffer en Angleterre par tous les
moyens que j'ai eu en mon pouvoir. Rappellezvous
la fituation de vos affaires auffi long- tems
que les efforts du Chevalier John Clavering &
les miens , ont pu maintenir la paix de l'Inde ;
objet fur lequel , dans le premier article de nos
instructions vous nous avez ordonné de fixer
notre attention & comparez cette fituation
avec celle à laquelle elles font aujourd'hui rédaites
par une politique toute contraire que vous
avez permife , finon même encouragée . Il ne s'eft
pas fait dans ce paffage d'un extrême à l'autre ,
un feul pas dont vous n'ayez été inftruit exactement
& fucceffivement. Il n'eft pas arrivé un
feul évènement qui ne vous ait été prédit. Je ne me
charge point cependant de vous annoncer dans
quel état , felon toutes les apparences , feront les
poffeffions de la Compagnie dans l'Inde ; lorfque
cette lettre vous parviendra , vous aurez reçu alors
affez d'informations pour en juger vous- même .
La lutte à laquelle j'ai dévoué depuis fi long-tems
tous mes efforts avec tant de conftance & d'inefficacité
, & à laquelle j'ai facrifié fans fruit mon
repos phyfique & moral , eft enfin terminée. D'ici
à trois mois , je me propofe de quitter le Bengale
& de retourner en Angleterre , où peut- être
ma préfence fera plus utile qu'ici aux intérêts de
la Compagnie.
On fait que l'Amiral Rodney & le Général
Vaughan , à la prife de St- Eustache
firent arrêter les fieurs Curfon & Governour
, Agens des Américains dans cette
Ifle , & les envoyèrent en Angleterre ; accufés
du crime de haute trahison , ils furent
transférés à New gate à leur arriv
( 27 )
L
leur affaire a été portée au Procureur- Gé
néral , & a paru fi férieufe que l'on a
refufé d'accéder à la requête du fieur Curfon
, qui offrir caution pour fe représenter
& dont la fanté exigeoit qu'il fût relâché.
Après un long examen de divers papiers ,
l'un des deux a été envoyé à la nouvelle
prifon , comme accufé d'avoir entretenu
une correfpondance avec M. Adams , négociateur
Américain en Hollande , & d'avoir
envoyé des munitions de guerre aux
Colonies : l'autre , à raifon de fa fanté , eft
refté fous la garde d'un des Mellagers
d'Etat. >
Il refte à préfent à favoir , dit un de nos
papiers , fi on peut à Londres juger deux perfonnes
qui , dans le tems de leur prétendu délit ,
n'étoient ni fujets , ni jufticiables de la G. B. ,
qui même dans un pays alors ennemi , auroient
été autorifés , par le droit de la guerre , à faire
tour le mal poffible aux Anglois ? Au moins en
regardant leur conduite comme tenue dans un
pays neutre & un port libre , feroient- ils encore
moins coupables que tant de fujets de la G. B.
qui , fuivant les plaintes de Rodney , ont fait ce
commerce illicite « .
On fe plaint beaucoup ici de l'efpionage ;
on dit qu'il eft favorifé par la contrebande :
le moyen le plus sûr de fupprimer l'un &
Pautre eft entre les mains de la Légiflation..
» Le Danemarck , di : M. Sherlock , n'a qu'une
petite part dans le commerce de l'Inde. La plus
grande partie du thé qu'i importe , paff en Ecoffe
& dans d'autres endroits. 11 fe tranfporte auffi
b 2
( 28 )
de grandes quantités de thé de la côte de France
en Angleterre , quoique la Compagnie des Indes ,
par les valtes acquifitions , fe foit emparée par
le monopole , de la plus grande partie de ce
commerce. Quelle est donc cette pitoyable politique
de fouffrir que toutes les marchandifes dont
nous devrions fournir l'étranger , paffent en con.
trebande dans ce Royaume. Mais la perte qui en
réfukte pour les revenus de l'Etat , n'eft pas le
feul tort que nous falle la contrebande. Il paroît
par le procès de la Motte , que les bâtimens contrebandiers
dont la Manche eft couverte , font
employés à porter des nouvelles à l'ennemi. Un
de nos correfpondans nous affure que dans un
feul port de mer du Comté de Kent , mille familles
fe foutiennent par ce commerce illicite qu'ils
font à la face du foleil & en dépit de tous les
Officiers d'Accife & de Douane , qui fe plaignent
à très-jufte titre que s'ils font une faifie , ils ne
font point foutenus par le Gouvernement , qui
donne plutôt les mains à cette pratique , parce
qu'elle verfe des fommes confidérables d'argent
dans les poches des particuliers , ce qui diminue
le revenu de l'Etat . Il y a un nombre infini de
gens employés dans le commerce de contrebande
qui pourroient être employés plus utilement &
plus convenablement au fervice de mer , & le plus
grand malheur de tout , c'eft que nos ennemis
font informés par leur canal de tout ce qui fe
fait en Angleterre. On a fouvent dit aux Minif
tres diminuez les droits , & le revenu produira
davantage , fi votre intention eft de fupprimer la
contrebande , qui ne s'accroît qu'en proportion de
l'accroiffement des impôts & de la multiplicité.
des loix pénales.
Comme les Eſpagnols ont rempli un de
leurs objets , la réduction de la Floride
( 29 )
Occidentale , il y a lieu de croire qu'ils
fongent à attaquer St-Auguftin , & par- con
féquent à foumettre la Floride Orientale ,
ce qui opérera une diverfion en faveur des
Américains , parce que le Lord Rawdon
fera obligé de renforcer cette place auffi
bien que la Georgie , & pour lors les ren
forts reçus en dernier lieu , pour complet
ter la deftruction des Américains , feront
employés à un autre fervice.
Le Lord Germaine , dit un de nos papiers
difoit il y a quelque tems dans le Parlement ,
que Penfacola étoit d'une bien plus grande conféquence
pour l'Angleterre qu'on ne fe l'imaginoit.
Nous defirons que la chofe ne fait pas ainfi ,
mais il y a tout lieu de préfumer qu'avant peu
fon affertion ne ſe trouvera que trop vraie . Lorf
que nous étions en poffeffion de cette place , les
Espagnols étoient obligés d'employer un grand
nombre de leurs Croifeurs dans le golfe du Mexique
, pour protéger leurs flottes marchandes allant
à la Louifiane & dans d'autres ports du Continent,
contre les corfaires qui fortoient de Penfacola ;
mais comme aujourd'hui nous ne poflédons pas
un pouce de terrein dans la Floride occidentale ,
ces croifeurs feront employés à défoler notre com
merce de la Jamaïque ; & D. Solano étant de
retour à la Havanne , il fera impotlible à notre
flotte partant de la Jamaïque pour l'Angleterre ,
de traverser le golfe du Mexique.
On dit que le Chevalier Clinton doit
revenir inceffamment , & que le Lord Germaine
quittera le Ministère à ſon arrivée ;
mais il faut regarder cette nouvelle comme
tous les bruits de cette efpèce qui fe font
répandus fi fouvent.
b 3
( 30 )
:
#
FRANCE.
De VERSAILLES , le 28 Août,
LE 19 de ce mois la Marquife d'Aumont
a eu l'honneur d'être préſentée à
LL. MM à & la Famille Royale par la Ducheffe
de Vallequier.
S. M. a nommé à l'Abbaye de Livry
ordre de St - Auguftin , Diocèle de Paris ,
P'Abbé de Saint -Farre ; à l'Abbaye de la
Vieuville , Ordre de Cîreaux , Diocèfe de
Dol , l'Abbé Dupleffis , Vicaire- Général de
Rennes ; à l'Abbaye de Saint - André du Jan ,
Ordre de Cîteaux ; Diocèfe de Perpignan ,
l'Abbé Girbau , Vicaire- Général du même
Diocèfe ; à l'Abbaye régulière de Notre-
Dame de Ruiffeauville ; Ordre de Saint-
Auguftin , Diocèfe de Boulogne Dom
Hurtevent , Religieux de la même Abbaye ;
à l'Abbaye féculière du Chapitre noble
d'Andlau , Diocèfe de Strasbourg , la dame
de Truchfen de Rheinfelden , Doyenne
dudit Chapitre.
>
De PARIS , le 28 Août.
UN courier arrivé de Breft a apporté à
la Cour des paquets de la flotte combinée ,
qui ont été remis à Breft par la frégate la
Sibylle , commandée par M. de Vintimille.
Cetre frégate avoit quitté l'Armée le 12 ,
& l'avoit laiffée dans le meilleur état ; elle
étoit alors à 120 lieues dans le fud- ouest
( 31 )
d'Oueffant , & faifoit route au nord. Comme
nous avons une lettre de l'Amiral Darby
en date du 31 Juillet , à l'occaſion de la
prife du Lively , dont il venoit de s'emparer
, non loin de l'Orient , il y a apparence
que Digby & fon convoi étoient déjà fort
foin de ces parages , lorfque l'Armée combinée
s'en approchoit le 12 de ce mois.
Quant à l'Amiral Darby des perſonnes qui
ordinairement paroiffent bien inftruites ,
prétendent qu'il eft rentré dans la Manche
le 12 pour faire de l'eau ; mais on ne peut
garantir cette nouvelle , quoiqu'elle foit
très-probable ; ce n'eft pas que Darby ait
beſoin d'eau , mais n'ayant plus rien à
faire en mer , il fuit les coups qu'il pour
roit y gagner.
La Sibylle a apporté plufieurs lettres de
l'Armée ; & comme il y a fur les vaiffeaux
7 à 8000 hommes de troupes , plufieurs
Officiers penfent qu'ils pourroient être employés
à dévaſter & brûler quelques Ports ,
fi l'Armée s'approche du canal St-George.
M. de Guichen n'étoit qu'à 2 lieues du corps
d'Armée lorsqu'il a expédié la Sibylle.
Maintenant que Digby & fon nombreux
convoi ont paffé , on n'a plus l'espoir d'autre
capture que celle de la flotte de la Jamaïque
, mais il yy aa aappppaarreennccee qquuee celle-là ne
fera partie que fort tard , & qu'elle ne fera
aux attérages d'Europe qu'au moment de
l'Equinoxe , c'eſt à dire , lorſque nos efcadres
feront obligées de rentrer dans leurs
b 4
( 32 )
Ports refpectifs , car il eft incertain encore
fi les Efpagnols viendront à Breft.
Il faut que Digby & fon convoi n'ayent
pas été fort vite , puifqu'ils n'étoient pas
hors des Caps le 6. La frégate-corfaire l'Aigle
qui le fuivoit , s'eft emparé à 3 repriſes
différentes de trois traîneurs ; elle en a envoyé
2 à Brest & un à l'Orient ; ce dernier
vaut mieux que les autres , qui ne font
chargés que de falaifons & d'autres objets
de confommation . Ils étoient deftinés tous
les trois pour Québec. Par un hafard affez
fingulier , les deux derniers bâtimens pris
portent les noms de preneurs fort connus
le Général Vaughan & l'Amiral Rodney.
Il paroît qu'il eft arrivé dans nos Ports
quelques bâtimens de l'Amérique Septentrionale
, dont la traverfée a dû être fore .
courte , puifque l'on fait ici que tous les
petits poftes aux environs de New-Yorck
ont été emportés , & que cette ville eft
inveftie par le Général Washington & l'Armée
Françoife ; ce qui ne peut avoir eu lieu
que vers le 10 ou le 12 Juillet. Comme la
garnifon de New-Yorck eft conſidérable ,
on ne croit pas que l'on cherche à l'enporter
de vive force. Il n'y aura que l'approche
de M. de Graffe avec une efcadre
fupérieure à celle que l'Amiral Rodney
lui oppofera , qui en bloquant la ville pourroit
l'affamer & la réduire; encore faut- il
qu'il arrive avant Rodney. Les progrès du
Lord Cornwallis en Virginie , Province que
( 33 )
2
fa cavalerie parcourt fans trouver de réfiftance
, paroillent à beaucoup de perfonnes
avoir été la feule caufe des mouvemens de
l'Armée combinée ; elles prétendent qu'on
ne cherche pas tant à attaquer ce boulevart
qu'à caufer une diverfion favorable aux
Provinces du Sud ; & véritablement le Lord
Cornwallis fera obligé de dégarnir la Virginie
& d'envoyer des renforts à New-
Yorck, fi cette ville eft trop preffée. Dans
quelque tems nous ferons fans doute mieux
inftruits ; comme l'Armée du Comte de
Rochambeau a avec elle un de nos meilleurs
régimens d'artillerie , on peut fe promettre
quelques fuccès des attaques des principaux
poftes qui défendent la petite ifle où eft
fituée New-Yorck. Le canon ne s'eft pas
fait entendre , pour ainfi dite , de toute la
guerre fur le Continent ; nous verrons lorfque
les Anglois feront exposés à un feu terrible
& meurtrier , dirigé par les plus habiles
Artilleurs du monde , s'ils auront l'art de
lui réſiſter. L'intrépidité de nos troupes
nous prépare à quelqu'action d'éclat ; elle
eft générale dans tous les grades , depuis
l'Officier jufqu'au Soldat. La Gazette de
Philadelphie du 15 Mai nous en apprend
un qui mérite d'être connu .
›
Dans la dernière action du 16 Mars , entre M.
Deftouches & l'Amiral Arbuthnoth , un Grenadier
du Régiment de Soiffons ayant eu la jambe fracaflée
par un boulet de canon , tira fon couteau
& coupa entièrement les chairs auxquelles penbs
1 34 >
doit la jambe , qu'il jetta dans la mer ; après cela
il s'affit pour charger fon fufil , & dit : graces à
Dieu , il me reste encore deux bras & une jambe
pour le fervice de mon Roi. Cette anecdote eft
rapportée par un témoin occulaire qui l'attefte . Il
feroit aifé , en parcourant nos annales militaires ,
de trouver beaucoup de traits d'un courage , d'un
zèle & d'un fang-froid pareil dans les circonstances
les plus critiques . René Alexis le Sénéchal- Carcado ,
Marquis de Molac , Colonel du Régiment de Berry,
infanterie , mort à l'âge de 29 ans , à la fortie de
Prague , du 22 Août 1742 , en a donné un exemple
qu'on ne fauroit trop citer. Ce brave Offi
cier , dont le courage , le zèle & les talens répondoient
à fa naiflance , tomba percé de fept
coups de fufil ; fes derniers mots en tombant s'a
dreffèrent à l'Aide Major de fon Régiment : Menars
, lui dit- il , faites marcher les grenadiers &
tout mon détachement fur la gauche , les ennemis
fe portent de ce côté. L'année précédente , il
avoit été envoyé pour renforcer les troupes qui
bloquoient Egra ; placé avec fon Régiment dans
l'Abbaye de Waldfoxen , il incommodoit beaucoup la
garnifon Autrichienne. M. Doffing , qui commandoit
a Egra , parut faire des difpofitions pour l'attaquer ,
& lui écrivit la lettre fuivante , dans l'espoir de
l'intimider. M. , j'ai ordre de S. M. la Reine
de Hongrie & de Bohême , de vous accorder une
capitulation raisonnable , ou de vous forcer , à
quelque prix que ce foit , en cas de refus . Il ne
tiendra qu'à vous , M. , d'accepter fa gracieuſe
générosité , ou de vous attendre à la dernière rigueur
des armes . Vous êtes fage & prudent , &
je ne doute pas que vous n'acceptiez l'avantage
qui vous eft offert ; autrement ce feroit la perte
de votre Régiment , que vous conferverez pour
une meilleure occafion . J'attends votre réponſe , &
j'ai l'honneur d'être , &c. « . M. le Marquis de Mo-
1 33
( 35 )
lac répondit fur le champ : Il ne tiendra qu'à
vous , M. , de faire connoiffance avec moi , &
les troupes que je commande ; je me flatte de vous
perfuader que je n'étois point dans le cas de m'attendre
à votre propofition , que vous me donnez
comme une faveur ; mais que je fuis très-difpofé
à recevoir l'honneur que vous m'annoncez ; je
me preffe de vous répondre , pour n'avoir pas
à me reprocher de vous faire perdre du tems . J'ai
l'honneur d'étre, & c. « -Cette correfpondance rappelle
celle entre le Marquis de Bouillé & l'Ami.
ral Rodney. M. Doffing s'en tiut à la menace , &
ne jugea pas à propos d'attaquer le Marquis de
Molac. Par la mort trop prompte de ce brave Offi•
cier , qui n'avoit point été marié , fon frère , M.
le Marquis de Molac , actuellement Maréchal -decamp
& Commandeur de l'Ordre Royal & Mili
taire de St Louis , lui a fuccédé , & eft devenu
le chef de la feconde branche de l'illuftre & ancienne
maison de le Sénéchal- Carcado ; ils étoient fils
du Comte de Carcado Molac , mort en 1745 ; un
des plus anciens Lieutenans- Généraux du règne de
Louis XIV , ayant été fait Lieutenant Général en
1708 , au fiége de Lerida en Espagne , où il avoit
fervi avec la plus grande diftinction , & l'eftime
& l'amitié des plus célèbres Généraux de ce tems.
Nous n'avons encore aucune nouvelle
du Duc de Crillon ; jufqu'à ce que les
troupes Françoifes qu'on doit envoyer à
Mahon , & qui , dit - on , s'embarqueront
à Toulon le 20 ou le 25 du mois prochain ,
foient arrivées dans cette Ifle , & qu'il y ait
une correfpondance établie entre Minorque
& Marfeille & Toulon , nous n'aurons que
fort tard les nouvelles de cette expédition
b6
( 36 )
parce qu'il faut qu'elles paffent par Barcelonne
, delà à Madrid , & de Madrid ici.
" L'Argonaute de 74 canons , commandé par
M. de Cacqueray , écrit- on de Rochefort , a mis
à la voile de ce port avec un petit convoi que
l'on croit deftiné pour St - Domingue. Il eft plus
probable que l'Argonaute ira d'abord au Sénégal ,
où il a été précédé par l'Iphigénie & par l'A
mable. Le Brave , le dernier vaiffeau qui cette
année devoit fortir de ce port , fera à fon tour
bientôt en état de tenir la mer. On frète à force
pour le compte du Roi , & avant la fin de Novembre
ces armemens différens fortiront de nos
ports. Il est décidé qu'on enverra des troupes dans
' Inde. Il eft queftion de 5 à 6000 hommes que
M. de Buffy fe charge de conduire. Le nom de
ce Général eſt encore trop célèbre dans l'Inde ,
pour ne pas espérer que fa préfence n'y opère les
plus heureufes révolutions « .
M. le Comte de Broglio a fuccombé à
fa maladie ; le Maréchal fon frere qui étoit
en route pour ſe rendre auprès de lui , a appris
fa mort aux Ormes où il avoit couché
ce jour- là . C'étoit un Officier du plus grand
mérite. Il laiffe une riche dépouille à partager
, il étoit Gouverneur , Commandant
de Province , Inspecteur , Chevalier des
ordres du Roi , &c. & c. & c.
L'arrivée de M. Hector , Commandant à
Breft , & fon départ précipité font foupçonner
qu'il étoit venu prendre des inftructions
, & que les préparatifs de ce Port
exigent la plus grande célérité. Les troupes
font en mouvement pour s'y rendre , & un
nouveau_train d'artillerie , forti de Douai ,
( 37 )
a la même deſtination . Les Régimens Suiffes
qui paffent à Minorque , fi l'on en croit
le bruit public , font la Bretagne , Royal
Suédois , Lyonnois & d'Erlach , Suiffe. Le
Commandant de ce Corps n'eft pas encore
nommé, du moins il n'eft pas connu , puifque
le public en défigne deux ou trois .
Le corfaire la Fantaifie , de Dunkerque ,
Capitaine Pat Dawlin , Armateur M. Aget ,
a conduit à Morlaix 15 rançons qu'il a faites
depuis le 22 Juin dernier jufqu'au 7 Juillet ;
elles montent à 6350 guinées : il a réglé la
valeur de la guinée à 25 livres tournois ,
payables à Dunkerque entre les mains de
M. Ager , ce qui fera une fomme de
158,750 liv.
S
Les de ce mois , écrit- on de Limoges , vers
les heures du foir , un orage , accompagné d'éclairs
& de ronnerres , a répandu ici & dans les
environs la confternation & l'effroi. La pluie tomboit
en fi grande abondance , & étoit pouffée par
le vent d'E. S. O. avec tant d'impétuofité , qu'elle
pénétroit avec une rapidité étonnante dans l'inté
rieur des maifons. Prefque tous les habitans ont
eu des meubles ou des marchandifes endommagées.
Lorage a duré une heure ; la pluie
pendant un certain tems a été mêlée d'une petite
grêle qui a caffé beaucoup de vîtres ; plufieurs
cheminées ont été renverfées , des couvertures
de maifons enlevées des murs écroulés , des
arbres déracinés , &c . La Vienne s'eft débordée
extraordinairement ; les ruiffeaux qui y aboutiffent
formoient des torrens fi rapides , qu'ils
entraînoient des monceaux de fable & des pierres
d'une groffeur prodigieufe, Les moulins & les
•
( 38 )
maifons fituées le long de la rivière , ont beaucoup
fouffert. Perfonne ne fe rappelle d'avoir vu
un orage plus violent que le dernier ; celui de
1761 , quoique confidérable , ne fut pas à beaucoup
près i défaftreux . Nous trouvons dans nos annales
qu'en 1213 , il y en ent un qui caufa beaucoup
de dommages. En 1626 , après un mois de
pluie prefque continuelle , il y eut le 26 Juin , un
gros orage qui abbattic la plupart des vignes.
détruifit les fromens , avoines , chanvres & petits
bleds ; l'eau emporta le pont d'Aixe , 3 maiſons
voifines , les murailles du fort , 5 moulins à pa.
pier , un a bled & un à huile «.
Le Bailliage d'Amiens a rendu le 23 Juillet
dernier une Sentence qui condamne le
Curé de la Paroiffe de Lignieres - Chatelain ,
en 20 livres d'amende , pour avoir fait une
inhumation dans une Chapelle de ſa Paroiffe
, lui fait défenfe de récidiver fous
peine de plus forte amende. L'Avocat du
Roi , dont les conclufions ont été fuivies ,
avoit obfervé.
အ
→
Que le Curé de Lignieres fe trouvoit dans
le cas de la , prohibition prononcée par la loi de
1778 , concernant les inhumations puifque la
Chapelle où il avoit inhumé fon frère , étoit cloſe.
& fermée de vitraux , & que les Fidèles s'y réunifoient
pour la prière & la célébration des faints
Mystères ; que fa contravention étoit d'autant plus
grave , que depuis très - long - tems il régnoit dans
plufieurs villages du reffort , des maladies épidé
miques qui faifoient de très- grands ravages ; que
c'étoit pour diminuer ce fléau que la fageffe du
Roi , toujours attentif à la confervation de fes
fujets , avoit fait une loi expreffe qu'il étoit cruel
de voir enfreindre , fur- tout par les Miniftres des
( 39 )
Autels , qui , par état , doivent donner l'exemple
de la fomiffion aux loix du Prince , & en bons
Paſteurs , n'être occupés que du troupeau confié à
leurs loins .
›
MM. les Officiers & Chevaliers de la
Compag ie de la Milice Bourgeoile , établie
par le Gouvernement , en la ville de
Moret , près Fontainebleau , ont fait célé
brer le 30 du mois dernier , dans l'Eglife
de Notre Dame de la même Ville une
Meffe pour l'heureute délivrance de la Reine
& la confervation des jours précieux de S.
M. & de la Famille Royale. Ils invitèrent
à cette folemnité les Magiftrats , le Corps
Municipal & tous les Notebles de la Ville ;
le plus grand nomb.e leur fit l'honneur
d'y affifter.
Les perfonnes qui , ayant demeuré à Pragne en-
Allemagne , auroient connu René Scales , Valet
de-chambre de M. le Comte de Noftitz , décédé le
23 Juillet 1757 , à Sainte Marie de la Chaine de
Prague , & Anne Charlotte Semitre , fa femme ,
décédée en la même Ville le 4 Janvier 1762 ,
font priées de mettre à portée de fe procurer
les extraits mortuaires de Françoife & Anne-
Catherine Scales , leurs filles , dé édées à Prague ;
la derniere après avoir épousé François Jean
Holubka , Officier de M. le Comte de Moizin ;
même de les envoyer duement légalisés à M. de
Saint Paul , Notaire à Paris , rue de la Verrerie ,
qui remboursera les frais que l'on aura faits pour
la recherche & copies de ces ext : aits mortuaires.
6.
9
Le nommé Léonard Coudert , Laboureur , natif
de ma Paroiffe fe matia , le 19 Janvier 1745 ,
avec Léonarde Dumont , veuve de Jean Mouret ,
laquelle décéda le 3 Février 1750. Il époufa en
3
(( 400)
fecondes nôces , le 3 Avril de la même année ,
Marie Bayle , veuve de Blaife Pauliat , morte le 2
Février 1763. Il fe remaria pour la troiſième fois ,
le 14 Juin fuivant , avec Jeanne Noaillet , veuve
Malefond , décédée le 12 Mai 1768. Coudert pafla
en quatrièmes nôces , le 6 Février 1769 , avec
Catherine Valade , veuve Pradeau , morte le 3I
Octobre 1771. Le premier Juillet 1773 , il fe remaria
avec Anne Barget •veuve Lajoie , décédée
le 11 Janvier 1777. Le 27 Mai fuivant , il époufa
Françoise Delarbre veuve Albin , morte le 16
Juillet 1779. Enfin cet homme , actuellement âgé
de 58 ans , a paffé en feptièmes nôces , le 3 de
ce mois : il a époufé Françoife Lapeyre , veuve de
Léonard Faure. Ce relevé , qui fournit une preuve
convaincante du fait , a été tiré de regiſtres de ma
Paroille.
-
;
Dans une Affemblée du Corps - de-Ville ,
tenue le 16 de ce mois , MM. Famin ,
Confeiller de Ville , & Magimel , ont
été élus Echevins.
Le 18 Juillet , un feu confidérable qui éclata
vers les quatre heures du feir , au ' village de Sauqueule
, Diocèle de Beauvais , Généralité de Paris ,
en a décruit près d'un tiers & malheureuſement
une partie des grains , déja récoltés , s'eft trouvée
dans les granges qui ont été confumées . Un fenl
enfant y a péri. L'Abbé de Saint- Lucien , Seigneur,
du lieu , & le Subdélégué de la province ont pourvu
aux premiers befoins des malheureuſes victimes
de cet incendie. Dans leur affreufe fituation , elles
réclament les fecours des perfonnes charitables , qui
font priées de rendre dépofitaires de leurs libéralités
, le fieur Dizié , Subfticut du Procureur général
au Parlement de Paris , rue du Gros - chenet .
Le Prince régnant de Liechtenſtein , revenant des
Eaux de Spa , & retournant à Vienne , eft mort
( 41 )
Ton paffage à Metz , le 18 de ce mois , âgé de
56 ans.
La Faculté de Théologie de Paris vient
de publier une Cenfure de l'Hiftoire Philofophique
& Politique des établiſſemens des
Européens dans les deux Indes. Cette Cenfure
, dans laquelle la Faculté de Théologie
a extrait 84 Propofitions , contient 114
pages in-4° . , & fe trouve à Paris chez
Cloufier , Imprimeur de la Faculté de Théologie
, rue Saint-Jacques , vis - à- vis les Ma--
thurins , prix liv. 10 fols .
L'Univerfité de Paris a décerné , le 7 de ce
mois , les Prix felon fon ufage : elle a accordé
le Prix d'honneur au fieur Alair-François-
René Magon de Saint- Ellier , du Collège du
Pleffis Sorbonne. Le Prix d'éloquence latine ,
fondé par Jean- Baptifte Coignard en faveur
des Maîtres ès - Arts , a été remporté par Jean-
François-Alexandre Lefevre. Le fujet de ce
dernier Prix étoit d'établir que l'époque de la
vraie littérature d'une Nation étoit , non celle
qui produifoit un plus grand nombre d'écrivains
& de livres , mais celle où paroiffoient
les ouvrages les plus durables , & par conféquent
du plus grand mérite.
La Manufacture de velours mélangé de foie
& coton du fieur François Perret , annoncée
dans la Gazette du 7 Avril 1780 , nefetrouve
plus au fauxbourg de la ville de Lyon ; & en
conféquence d'un nouvel Arrêt du Confeil ,
du 12 Septembre dernier , elle eſt établie à
Neuville en Franc- Lyonnois. Son dépôt eft
(-42 )
toujours à Lyon , place de la Comédie ; & à
Paris , chez la dame Deluqui , rue St- Denys ,
vis -à - vis celle du Petit-Lion , au magalin
d'Italie.
Edit du Roi portant fuppreffion de plufieurs char
ges en la grande & en la petite Ecurie , donné à
Verſailles au mois de Juin , & enregistré , en la
Cour des Aides le 17 Août.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 28 Juin , qui
détermine les fonctions des Juges des Manufactures ,
lors de l'élection des Gardes- Jurés , & qui fixe les
droits qui leur feront payés. Autre du 8 Juillet ,
qui accorde une modération des droits d'entrée à
Paris fur les Gazes. Autre du 16 Juiller , qui
modère à 12 fols , par muid , les frais de commiffion
chargement & emmagafinage pour les vins qui feront
déposés à Choify - le - Roi , dans les Magafius qui
appartiennent à la Régie des Meffageries .
-
Par Arrêt du Parlement , rendu la Grand Chambre
affemblée , le 27 Juillet dernier , M. Elie de Beaumont
, ancien Avocat au Parlement , & Intendant
de M. le Comte d'Artois , a été déchargé de l'ac
cufation dans laquelle on l'avoit impliqué l'année
dernière , & qu'on avoit jointe à l'affaire générale
concernant l'Adminiftration de M. le Comte d'Artois.
Le Parlement l'a diftrait de cette affaire , qui lui
étoit absolument étrangère , par une disjonction
honorable , & conforme aux conclufions de MM.
les Gens du Roi. Trente- huit Magiftrats formoient
la Séance , & l'on affure que leur Arrêt a été unanime.
Il lui a été permis de faire imprimer & afficher
l'Arrêt par tout où bon lui femblera . Le Public a
vu , avec fatisfaction , la juſtice complette qui lui
a été rendue.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois ,
font : 84 , 43 , 46 , 51 & 2 .
( 43 )
·
De BRUXELLES , le 28 Août.
Il n'est encore queftion dans toutes les
lettres de Hollande que du combat du s
Août ; il est tout fimple qu'une action qui
fait tant d'honneur à la marine de la République
occupe tous les efprits ; il eſt à defirer
auffi qu'elle les réuniffe. Elle prouve
que quand elle agira de concert & qu'elle
fera férieufement des efforts , elle fera repentir
l'Angleterre de s'être attirée ces ennemis
de plus. Les Hollandois n'avoient
que 380 canons dans ce combat , & les
Anglois 610. Les premiers ont perdu le
vailleau la Hollande de 68 canons , qu'ils
ont été obligés d'abandonner 14 heures après
le combat & long-tems après que l'efcadre
Angloife s'étoit éloignée.
» Nous attendons avec impatience , écrit - on de
la Haye , les réfolutions des Etats Généraux ; on
efpere qu'ils s'emprefferont de réparer leur perte , &
de mettre de nouveaux vaiſſeaux en mer. Le Stathouder
a écrit une lettre aux équipages de l'efcadre qui
s'eft fi bien battue ; on fe flatte que cet évènement
doit donner une grande prépondérance à la Ville
d'Amfterdam dans les Confeils , & que les armemens
ne feront plus fufpendus . Quelques Gazettes
Hollandoifes ont publié des réflexions un peu
vives fur ce que les vaiffeaux de la Meufe & de
Zélande ne font pas fortis en même - tems que
ceux d'Amfterdam ; elles difent que quant aux
premiers , le vent qui étoit favorable au contre-
Amiral Zoutman , le leur étoit également , &
( 44
)
que quant à la dernière divifion , elle pouvoit
s'éloigner de fes ports fans crainte que les ennemis
vinffent les infulter ; car le Lord Mulgrave , depuis
quelques jours , étoit retourné aux Dunes. Il fe
roic affreux que ce fût de deffein prémédité qu'on
eût laiffé fortir Zoutman feul pour l'expofer'; on
préfere de croire comme le Gouvernement Fa
publié , que le tems feul & d'autres circonstan
ces n'ont pas permis aux autres vaiffeaux de for
tir s'ils l'avoient pu , l'efcadre de Parker étoit
détruite , & fon convoi en grand danger. On
remarque que Parker , dans fa lettre à l'Ami
rauté , obferve que les forces Hollandoifes étoient
plus confidérables qu'on ne les fuppofoit ; cette
obfervation en fait faire ici un grand nombre ,
dont quelques - unes font étranges. Elle profe
dit-on , que les Anglois s'attendoient en effet á
ne trouver en mer que la divifion d'Amfterdam`,
& qu'ils ne la croyoient pas auffi forte «.
•
:
Le Stathouder a écrit la lettre fuivante
aux équipages des navires de l'Etat qui fe
font battus avec tant de courage.
Nobles , Refpectables , Vertueux , nos amés &
féaux. Nous avons appris avec la plus grande fatisfaction
, que l'efcadre de l'Etat , fous le commandement
du Contre Amiral Zoutman quoique
beaucoup plus foible en navires , canons & hommes
que l'efcadre Angloife du Vice- Amiral Parker , a
réfifté fi courageufement les préfent à ſon attaque
, que Fefcadre Angloife , après un combat des
plus opiniâtres , qui a duré depuis huit heures du
matin jufqu'à onze heures & demie , a été obligée
de ceffer & de fe retirer. Le courage héroïque
avec lequel le Contre- Amiral Zoutman , les Capitaines
, Officiers , bas Officiers , fimples Matelots
& Soldats , qui ont eu part à l'action , & qui , fous
la bénédiction de Dieu Tout-puiffant , fe font fi
7 45 >
bien acquittés de leurs devoirs dans ce combat
saval , mérite tout éloge , & notre approbation
particulière c'eft pourquoi nous avons trouvé
bon , par la préfente , de vous écrire pour remercier
publiquement en notre nom , les fufdits
Contre- Amiral , Capitaines , Officiers , bas Officiers ,
fimples Matelots & Soldats , en faifant la lecture
de la préfente fur chaque navire qui a eu part à
l'action , & dont les Capitaines & Equipages ont
combattu avec tant de courage & de valeur ; &
d'en faire remettre , par le Secrétaire de la Flotte
de l'Etat , une copie authentique , tant au fuídit
Contre- Amiral Zoutman , qu'aux Commandans des
navires fous les ordres , de la conduire defquels
le fufdit Contre- Amiral a eu raifon d'être content ,
témoignant ultérieurement que nous ne doutons
point , qu'eux , & tous les autres Officiers de
I'Etat & Soldats , ne donnent , dans les occafions
qui pourront le préfenter , des marques que l'Etat
ne manque point de défenfeurs de la chère patrie
& de fa liberté , & que l'ancienne valeur héroïque
des Bataves revit encore , & ne fera point éteinte.
Sur ce , Nobles , Refpectables , Vertueux , nos
amés & féaux nous vous recommandons à la
protection Divine. Votre affectionné ami. Signé
G. PRINCE D'ORANGE "
>
Selon des lettres d'Amfterdam , on y a
reçu avis que les établiffemens Hollandois
font dans un état de défenſe refpectable.
» La bourgeoifie au cap de Bonne- Espérance a
pris les armes , & eft unanimement déterminée à
faire la réfiſtance la plus opiniâtre en cas d'attaque.
Les naturels du Pays informés de la guerre
ont offert de contribuer de tout leur pouvoir
la confervation de cet . établiſſement. Il y eft ar
( 46 )
-
rivé encore 3 vaiffeaux de la Compagnie des Indes
, richement chargés , dont deux attaqués par
un corfaire Anglois , l'ont fi bien reçu , qu'il a
difparu pendant la nuit après qu'on eut entendu
l'équipage pouffer de grands cris , ce qui fait croire
qu'il a coulé bas. Une lettre de l'ifle Danoife
de St Thomas en date du 12 Mai , porte que
l'ifle de Curaçao a été miſe dans un état de dé.
fenfe complet ; qu'il y avoit 15000 hommes fous
les armes , & que les forts avoient été fi bien ré.
parés & pourvus , qu'on n'y craignoit plus une
attaque ennemie «.
›
Si l'on a d'un côté cette perfpective confolante
, on n'eft pas fans inquiétude en
Hollande fur celle que préfente , à fon
tour le commerce de la République.
>
» Toutes les Puiffances de la neutralité armée "
écrit - on d'Amfterdam , profitent de l'efpèce de
léthargie dans laquelle fe trouve notre commerce.
La Ruffie , dont les reffources augmentent chaque
année a maintenant plus de navires marchands
qu'elle n'en a jamais eu ; & l'on eft occupé à en
conftruire de nouveaux dans tous fes chantiers.
On obferve que pendant l'année 1780 , il eſt forti
du feul port de Saint - Pétersbourg , 15 navires
Ruffes pour le Portugal , 14 pour l'Eſpagne , 14
pour la France , 18 pour l'Italie , 64 pour la Hol
lande , 72 pour la Suède , 30 pour le Danemarck ,
6 pour Roftock , 2 pour Hambourg , 46 pour
Lubeck , 9 pour Dantzick , s pour la Livonie , &
282 pour la Grande - Bretagne , tous chargés de
productions de la Ruffie . Que deviendra le commerce
des autres Nations , s'il eſt vrai , comme
on croit l'avoir découvert • que la prefqu'Iſle de
Kamtchatka n'eft diftante que de 40 milles des
rives occidentales de l'Afie !
( 47 )
On a ici des lettres de l'Orient , dans lef
quelles on lit les détails fuivans :
» Nous venons d'apprendre , avec certitude , que
les Anglois ont perdu , à la Chine , des fommes
confidérables , par la faifie que l'Empereur a fait
faire de tout ce que poffédoient les Compradors
ou Courtiers , qui ont été envoyés en exil . On
fait monter à 25 millions les effets faifis , dans
lefquels la Compagnie Angloife eft intéreffée pour
plus des trois quarts. Cette révolution provient
de ce que les Compradors , chargés de percevoir
les droits de l'Empire , tant fur les vaiffeaux que
fur les marchandifes , n'en tenoient pas compte.
En faififfant tous leurs biens , on a faifi les avances
qu'ils avoient reçues des diverfes Nations , fur les
contrats des marchandiſes à livrer. L'Empereur de
la Chine a fixé à 25 pour cent de la valeur les
droits fur toutes les marchandifes qui fortiront de
Les Etats.
Nos lettres de Cadix portoient , il y a
quelques jours que le Commandant Campbell
& M. Deans , chef de la marine à Penfacola
, avoient été envoyés prifonniers à
la Havane , pour avoir contrevenu à quelques
articles de la capitulation ; comme il
n'en étoit point fait inention dans un Journal
fort exact envoyé de Madrid , on doutoit
de ce fait ; il fe trouve confirmé par la Ga
zette de la Cour de Londres ; ces deux Chefs
ne font point à plaindre , ils fe font mal
défendus. S'ils avoient attaqué D. Bernard
de Galvez , lorfqu'il defcendit à l'ifle de Ste-
Rofe avec 1300 hommes feulement , ils
auroient pu faire manquer l'expédition . On
320
eft fâché qu'on ait confenti d'envoyer les
prifonniers à New-Yorck; il eft certain que
les Américains ne font point alliés des Efpagnols
, & la garnifon de Penſacola pourra
fervir au moment de fon débarquement , &
long - tems avant qu'elle foit échangée ; il
auroit été à fouhaiter qu'on eût envoyé les
prifonniers en Europe ; mais alors il en auroit
trop coûté à l'Espagne , qui s'eft chargée
de les faire tranſporter à fes frais.
La Gazette de Madrid du 15 Juin , ſous la datę
de Lisbonne, a affuré pofitivement qu'il avoit été rendu
parle Confeil de Portugal, le 7 Avril , un Arrêt qui
déclare innocentes du crime qu'on leur avoit imputé
, toutes les perfonnes tant vivantes que mortes
, qui furent jufticiées , exilées emprifonnées
, en vertu de la Sentence du 12 Janvier 1750.
Aujourd'hui la Cour de Lisbonne déclare que ce
paragraphe , copié d'après la Gazette d'Amfterdam ,
ne doit s'appliquer qu'à la premiere Sentence ; que
la Junte de l'Inconfidence , chargée de la révifion
de ce procès , n'a fini fa dernière féance que Te 23
Mai , mais que le réfultat n'en fera peut- être jamais
rendu public , & qu'il eft faux que tous les
accufés aient été reconnus & déclarés innocens.
Quelques papiers publics rapportent qu'il
eft arrivé d'Astracan à Pétersbourg , 2 hommes
& une femme âgés de 30 à 40 ans .
qui ont plus de 9 pieds de haut ; tous trois ,
ajoutent ces papiers , font nés à Ifpahan ,
de pères & mères de la même taille . Ces géans
auffi pareffeux que mal-adroits , font logés &
entretenus aux frais de la Cour. Leur nourriture
eft fort groffière , & il leur faut 12 à 15.)
heures de fommeil par jour.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE¸le 11 Août.
LE 7 de ce mois 215 navires marchands
ont paffé le Sund & font entrés dans la Baltique
; dans ce nombre , il y en a 108 Anglois
qui étoient fous l'eſcorte des frégates
la Camille de 36 canons , la Vénus de 24 ,
& la Galathée de 20.
On mande d'Helfingor qu'un corſaire Anglois
a pourſuivi & pris dans le port même
d'une des ifles du Cap Der- Neus , un vaiffeau
Américain qui s'y étoit réfugié. Cette
infraction au droit des gens a été commife
le 24 Juillet dernier ; elle doit fans doute attirer
l'attention du Gouvernement ; en attendant
elle alarme beaucoup nos Négocians qui
craignent avec raifon que les Américains ne
trouvant ni fûreté ni protection dans nos
ports , n'aillent porter leurs commiſſions
dans ceux de la Suède.
8 Septembre 1781 .
( 50 )
Deux navires Américains ont mouillé de
puis peu dans le port de Chriſtianſand , où
ils ont débarqué deux paffagers qui font munis
de lettres de change pour la valeur de
90,000 rixdalers qu'ils doivent employer à
des achats ; il eft important pour notre commerce
que nous les engagions à ne pas porter
cette fomme hors du Royaume.
- Le Comte de Moltke a de nouveau conduit
un corfaire Anglois à Fleckeroë en Norwège
. On ne fait pas fi ce brave Officier quit
tera bientôt cette ftation où il rend des fervices
très-importans ; on affure que le Lieutenant
Lutken qui s'eft beaucoup diſtingué
en protégeant pareillement le commerce
contre les pirateries des Anglois aux Antilles,
eft attendu de retour ici , & fera remplacé
par le Lieutenant Harboë.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 14 Août.
LL. MM. font encore au Château de
Drotningholm avec le Prince Royal , & la
Ducheffe de Sudermanie ; il paroît qu'elles
ne reviendront dans cette capitale qu'après
la belle faifon. Le Comte de Guemes , nouveau
Miniftre d'Eſpagne , a eu dans ce Château
fa première audience du Roi & de la
Famille Royale.
S. M. a nommé le Baron de Ramel , Chancelier
de la Cour , à la place du Baron de
Sparre , Gouverneur du Prince Royal,
( st ).
ALLEMAGNE.,
De VIENNE , le 15 Août.
L'EMPEREUR eft arrivé hier vers les fix
heures du foir , de retour de fon voyage
dans les Pays- Bas. Toute la haute nobleffe
s'étoit rendue dans cette capitale . On ne ſe
flatte pas de pofféder long - tems S. M. I.
C'eſt par un nouveau voyage qu'elle fe délaffe
du précédent ; elle doit partir demain
ou après demain pour le camp de Prague ,
dont les exercices commenceront le 20 de
ce mois , & dureront juſqu'au 30 ; elle fera
, dit-on , accompagnée par l'Archiduc
Maximilien .
On vient de publier par ordre de l'Empereur
de nouveaux arrangemens relatifs au
Clergé. Quatre des principales Abbayes ſeront
, dit-on , fécularifées.
On parle auffi beaucoup d'un Edit qui
défend à tous les jeunes gens au-deffous de
l'âge de 27 ans de voyager dans les pays
étrangers. Cet Edit ne peut que produire
de grands biens en reftreignant les voyages
à un âge où ils font plus avantageux , &
où il y a moins à craindre pour les moeurs
& pour la fanté.
On apprend de Pologne que le Comte
de Tyfzenhaufen , Grand-Tréforier de Lithuanie
, étant à la chaffe , a eu le malheur
de recevoir dans la jambe gauche un coup
de fufil , tiré imprudemment par un homine
C 2
152 )
de fa fuite . La bleſſure eft fi dangereuſe ;
qu'on croit qu'on ne pourra fauver ſa vie
fans avoir recours à l'amputation .
De HAMBOURG , le 20 Août.
Le combat glorieux dus de ce mois a
fait le plus grand honneur à la Nation Hollandoife
, & fait regretter que la République
ne fe foit pas mife plutôt en état de
réfifter à l'ennemi qui l'attaquoit ; on a
lieu de croire que cet évènement réunira
les partis divifés dans l'opinion d'oppoſer
la force à la force , & qui auroit dû être
adoptée depuis long- tems. Bien des perfonnes
cependant craignent que celui
qui veut la paix ne juge , trop tôt peut-être ,
que ce combat eft une circonftance favorable
, & qu'on ne perde en négociations
& en débats un tems précieux qu'on de
vroit employer à foutenir un fi beau commencement.
L'Angleterre ne manquera pas
d'employer fa politique ordinaire pour fufpendre
les efforts de la République ,fous l'efpérance
d'une paix particulière ; & celle- ci
peut en effet la favorifer , en penfant trop
que le combat du 5 doit rendre fon ennemi
moins difficile fur les conditions : elle
devroit fonger que c'eft en continuant d'agir
qu'elle en obtiendra de meilleures.
ן כ
Quant à la paix générale , elle ne paroît pas
encore prochaine ; s'il faut en croire nos Politiques
elle s'éloigne de jour en jour ; les Puiffances neutres
voient leur commerce s'agrandir & profpérer au
( 53 )
milieu de la guerre actuelle , & ne paroiffent pas
avoir intérêt à hâter le terme de ces avantages.
L'Espagne , attaquant par - tout fes ennemis , &
cueillant quelques lauriers , s'affer mit dans le deffein
de ne rien rabattre de fes prétentions ; la France ,
tenant auffi fes ennemis en échec dans les quatre
parties du Monde , fonge aux moyens de ne point
rallentir fes efforts ; & l'Angleterre , preffée de
toutes parts , fans qu'aucun revers ait altéré les
forces & fon courage , attend , avec confiance , qu'un
hafard favorable redonne , à fon pavillon , l'éclat
qu'il a perdu ; ceux qui penchent pour la paix ,
fe trouvent bien embarraffés pour affigner quelle eft
la Puiffance qui doit en faire les premières ou
vertures c.
On mande d'Helfingor que le 13 de ce
mois le tonnerre tomba fur le vaiffeau de
guerre Danois la Wilhelmine - Caroline , qui
croifoit au-delà du Détroit , & y caufa de
grands dommages fur-tout aux mâts. On
raconte que lors de la chûte de la foudre
un foldat , qui étoit fur ce vaiffeau , s'écria :
ah ! mon Dieu , je fuis mort : tous ceux qui
l'entendirent ne purent s'empêcher d'éclater
de rire au milieu de l'effroi dont ils
étoient faifis eux- mêmes.
» La Bavière , écrit - on de Munich , eft tellement
infeftée de brigands , qu'ils marchent en bandes
réglées fur les grands chemins , & s'avancent même
jufqu'aux portes de cette Capitale . On a déja arrêté
un nombre confidérable de ces malheureux ; on a
agravé les peines afflictives pour les intimider. On
dit que les Baillifs licentiés feront rétablis dans
leurs charges ; car ce n'eft que depuis leur réduction
que les malfaiteurs fe font tant multipliés . Pour
pouvoir leur donner la challe avec plus de vigueur ,
C 3
( 54 )
-
le corps deftiné à maintenir la sûreté publique ,
a reçu des renforts confidérables . La méthode
des conducteurs électriques ou des paratonnerres ,
commence à être adoptée ici . Nulle part la raiſon
ne fembloit la folliciter davantage ; car il y a peu
de pays où les orages foient fi fréquens , & où la
foudre caufe plus de défaftres . Une certaine répugnance
populaire , fondée fur une fauffe application
des meilleurs principes de morale , & fur
une connoiffance imparfaite de la Phyfique , avoit
retardé l'établiffement de ce préfervatif. Peu à peu
le préjugé s'eft diffipé . L'exemple du Souverain a
ouvert les yeux , & l'expérience vient de parler
en faveur de la nouveauté . L'Electeur a fait placer
17 conducteurs fur le Château de Nymphenbourg.
Quinze jours après , le 3 de ce mois un orage
'violent eft furvenu ; la foudre a donné fur la pointe
de la barre électrique , l'a fuivie jufques dans un
canal où ſon extrémité inférieure , difpofée en forme
d'étoile , étoit enfoncée de 6 pieds de profondeur.
Là s'eft faite une exploſion terrible , ſemblable à celle
d'une mine. Les pierres & le fable ont volé à droite
& à gauche , & ont laiffé le toît abfolument à découvert;
mais c'eft à quoi s'eft borné l'effet du tonnerre ,
uniquement dirigé fur ce point. Ce fait a accrédité
le paratonnerre ; plufieurs perfonnes - vont en faire
élever , notamment les Auguftins ; comme ce font
des Religieux , leur exemple aura du poids dans ce
pays «
ITALI E.
>
De NAPLES , le 2 Août.
UNE bande de voleurs , qu'on dit au
nombre de plus de 200 , infefte cette Ville ;
il y a quelques jours qu'ils ont mis le feu à
toutes les baraques ou boutiques en bois
( 55 )
de la place des Carmes ; & tandis qu'elles
brûloient ils ont volé tout ce qui leur eft
⚫ tombé fous la main. Dernièrement encore
dans notre Salle de Juftice , pendant l'Audience
, où il y avoit beaucoup de monde ,
ils ont eu le fecret , on ne fait comment ,
de faire tomber quelques pierres du plafond
; tout l'Auditoire s'eft effrayé , on s'eft
précipité vers les portes ; les voleurs fe font
alors jettés dans la foule & ont enlevé toutes
les montres toutes les boëtes & toutes
les , bourfes qui fe font trouvées à leur
portée.
53
>
Il y a quelques jours , écrit - on de Meffine
qu'il arriva , d'Alexandrie à Malthe , un vaiffeau qui
fe rendoit en Barbarie avec une charge de près de
40,000 ducats , en partant de Syrie ce navire avoit
à bord 11 paffagers Turcs & 15 hommes d'équipage ;
mais de ces 26 hommes , 12 étoient morts de la
pefte dans la traversée . Le Grand - Maître a fait tranf
porter au Lazaret les 15 hommes reftans , & mettre
enfuite le feu au navire fans permettre qu'on en
fortit le moindre effet . Cet évènement a déterminé
le Tribunal , confervateur de la Santé à Palerme
d'interdire , pour un certain tems , toute communication
avec les Malthois. «.
L'Académie Royale des Sciences , Belles-
Lettres & beaux Arts de cette Ville , fondée
par Ferdinand IV , & ouverte en Juillet
1780 , avoit élu de fon propre gré , avant
fon inauguration , au nombre des Affociés
étrangers , M. Valmont de Bomare , Démonftrateur
d'Hiftoire Naturelle à Paris.
Cette élection , faite dès le 29 Mars 1779,
C. 4
( 56 )
a été ratifiée & infcrite le s de ce mois dans
la féance que cette Académie a tenue.
Le 11 Juin , écrit-on d'Alger , il eft forti de ce
port huit corfaires appartenans à cette Régence
barbarefque ; le 1 de ce mois , il y eft entré un
bâtiment Danois , allant de Livourne à Oftende ,
& envoyé par un de ces corfaires. Ce n'eft pas
que les Algériens foient en guerre avec le Danemarck
, puifque cette Puiffance fait de grands facrifices
pour conferver la paix avec eux , & garantir
fon commerce de leurs pirateries . Le prétexte
de l'envoi de ce navire eft que dans le tems
que le corfaire le vifitoit , les deux bâtimens fe
font abordés , & que l'Algérien a fouffert par-là
du dommagè. Le vaiffeau Danois n'a été relâché
qu'après avoir payé une indemnité ; nouveau moyen
dont les corfaires barbarefques pourront fe fervit
déformais pour rançonner les bâtimens francs. Cependant
le Danemarck a envoyé récemment à cette
Régence foo tonneaux de poudre , 200 tonneaux
de gaudron , 80,000 boulets & 600 planches.—
La frégate Françoife l'Aurore , commandée par
le Chevalier de Cypierre , eft arrivée ici le 9 de
ce mois avec 3 navires marchands qu'elle eſcortoit.
Le principal objet de fa miſſion étoit de régler quelques
différends furvenus avec le Dey ; mais l'accommodement
final a éprouvé tant de difficultés , qu'on
eſt convenu d'un délai de trois mois pour en informer
la Cour de Verſailles & attendre la réponſe «.
De TURIN ,› le 22 Août.
MADAME Marie- Thérèſe de Savoie , foeur
du Roi , eft morte la nuit du 14 au 15 de
ce mois ; la pompe funèbre s'eft faite le 18
àરે 9୨ heures du foir. Le lendemain la Cour a
( 57 )
pris le deuil ; elle le portera pendant trois
mois , dont fix femaines en laine.
ESPAGNE.
De CADIx , le 8 Août.
L'EXPÉDITION de la Méditerranée a été contrariée
par le vent d'Eft & enfuite par le
calme. Nous venons d'apprendre cependant
qu'elle a été vue il y a deux jours entre
Carthagêne & Alicante ; & dans ce cas , fi
le vent d'Eft continue , elle ne tardera pas
à arriver à fa deftination .
Nous n'avons reçu aucunes nouvelles de
la grande Armée , depuis qu'elle s'eft éloignée
de nos parages ; & l'on n'eft occupé
ici depuis que les vaiffeaux de guerre font
en mer , qu'à mettre à terre les fruits apportés
par la flotte de Montevideo , eftimés
25 millions de réaux , ( un peu plus de 6
millions tournois ).
Le Journal du camp de St- Roch ne contient
que les détails ordinaires de quelques
canonnades , auxquelles la place a quelquefois
répondu , mais fans aucun effet.
- Le Journal du fiége de Penfacola , que
la Cour a fait imprimer , comme elle l'avoit
annoncé , contient 48 pages in- 8 °. Il paroît
que malgré l'audace & l'activité de D. Bernard
de Galvez , malgré la valeur & la
conftance de nos troupes , la prise de cette
place eût été beaucoup retardée , fi de faux
avis n'avoient amené D. Jofeph Solano au
C S
858 )
མ་
fecours des affiégeans. Les 8 vaiffeaux qui
parurent à la hauteur du Cap St Antoine ,
& que l'on prit pour des vaiffeaux de ligne
Anglois , n'en étoient pas. L'Amiral Parker
en avoit envoyés pour escorter la flotte de la
Jamaïque , & 2 ou 3 autres avoient été du
côté de Curaçao ; par conféquent on avoit
eu une fauffe alarme à la Havane . La garnifon
de Penſacola étoit compofée de 1600
hommes , fans compter les Nègres & une
multitude d'Indiens , répandus dans le pays
& dans la campagne , qui ont fait plus de
mal à nos troupes que les foldats Européens.
300 hommes s'étant fauvés pendant
qu'on dreffoit les articles de la capitulation ,
ce qui eft peut-être l'un des crimes du Commandant
Campbell , & les ennemis en ayant
perdu quelques-uns dans les différentes attaques
, le nombre de nos priſonniers n'a
été que de 1347 , en y comprenant 101
femmes & 123 enfans. Nous avons eu 74
hommes tués & 198 bleffés dans les troupes
de terre , & 21 tués & 4 bleffés dans celles
de la Marine. On a trouvé dans la place ou
dans les forts qui la défendoient , 4 mor
tiers , 143 canons , 6 obufiers & 40 pierriers.
Il y avoit auffi en uftenfiles & en mu
nitions de guerre , 1623 bombes , 1530
grenades , 844 boulets , 2142 fufils , 30,712
cartouches , 298 quintaux de poudre , &c.
&c.
( 59 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 28 Août.
Nous fommes toujours dans l'attente
des nouvelles de l'Amérique Septentrionale.
Nos papiers annonçoient , le 24 , que
le Lord Germaine en avoit reçu une trèsimport
nte ; il ne s'agiffoit de rien moins
que d'une affaire entre le Lord Cornwallis
& le Marquis de la Fayette , dans la Virginie
; felon une gazette Royale extraordinaire
de Rivington il y a eu 300 Américains
tant tués que bleffés , & 200 fauts prifonniers
voici les détails que l'on donne de
cette action .
,
Le Lord Cornwallis après s'être emparé de différens
poftes dans cette Province , s'étoit mis en marche
le 4 Juiller pour paffer la rivière James , & avoit
pris fon camp près de James -Town . Le 6 à midi , il
eut avis de l'approche de l'ennemi . A quatre heures ,
les poftes avancés furent attaqués ; & fur la fin du
jour l'affaire devint générale ; mais la brigade du
Colonel Dundas , confiftant dans le 43e le 76e.
& le 80e. Régimens qui formoient l'aîle gauche ,
ayant attaqué la ligne de Penfylvanie , & le détachement
des troupes Continentales , aux ordres du
Marquis de la Fayette , lenremi ne réfifta plus que
quelques minutes , & il prit la fuite , abandonnant
fon canon. La cavalerie étoit prête à le pour faivre ;
mais l'obfcurité de la nuit l'en empecha. Les Américains
avoient environ 2000 hommes de troupes ,
tant Continentales que de milices . Le Lord Cornwallis
croit que s'il eût cu une demi- heure de jour
1
€ 6
( 60 )
de plus , il auroit rendu d'eux un bien meilleur
compte «<.
Cette action ne peut pas être regardée
comme bien importante ; la nuit n'a pas permis
au Lord Cornwallis de la rendre décilive.
On ne ceffe d'annoncer de tous côtés que nous
avons de grands avantages , & il femble
qu'il y ait une fatalité attachée à nos armes
qui nous empêche d'en tirer parti. Malgré
nos victoires la guerre continue encore
dans l'Amérique Septentrionale , les Américains
fi fouvent vaincus , & réduits aux
abois dans nos papiers , fe défendent tou
jours , & pendant qu'on nous affure qu'ils
font prêts à fe foumettre , on les voit fans
ceffe fe préfenter de nouveau les armes à la
main pour nous combattre . On peut juger
de leurs difpofitions par la lettre ſuivante ,
écrite de Charles-Town.
*
» La Caroline Méridionale eft actuellement dans
la fituation la plus déplorable. Lorique Charles-
Town s'eft rendue à nos armes , on cût dit que
la Province , laffe des maux qu'elle avoit foufferts ,
étoit dans une difpofition générale de rentrer fous
le gouvernement Anglois. Mais à peine l'armée
fe fut établie à Charles- Town , que les plus terribles
effets du gouvernement militaire fe firent
fentir. Après le départ du Général Clinton , l'Officier
qui commandoit les troupes les abandonna,
à toute la licence imaginable. Elles entrèrent à
difcrétion dans les maifons , enlevèrent aux habitans
toute leur vaiffelle & les effets de quelque
valeur. La vaiffelle fut envoyée à New -Yorck.
Des femmes de la première diftinction furent trai
tées avec indignité. Il y en eut même à qui on
arracha avec violence les vêtemens qu'elles avoient
fur le corps. Toutes les marchandifes qu'on pouvoit
enlever , jufqu'à l'indigo , furent faifies de
force dans les magafins ; on n'épargna pas même
des articles qui paroiffoient être en fureté par leur
volume & leur poids. Tout fut pillé fans diftinction
avec cette différence feulement , que lorfque
les pillés paffoient pour inclinés en faveur des
Anglois , ils pouvoient eſpérer d'en retirer quel
ques articles , c'est-à- dire ceux qui frappoient allez
les yeux pour être bien diftingués . Quand il fut
queftion de payer les pillards , plufieurs des principaux
habitans de la Province furent emmenés de
force , fans qu'il y eût aucune charge particulière
contr'eux , & leurs familles laillées prefque fans
aucune reffource pour , fubfifter. Les perfonnes les
plus qualifiées furent traitées avec un dédain qui
les a aliénées fans retour & les a tellement irri
tées , que lorsqu'elles peuvent répandre leurs plaintes
dans le fein les unes des autres , elles font
accompagnées de toutes les imprécations qu'inf
pire le defir de la vengeance. Les femmes qui
veulent parler ouvertement & qui le font fouvent
par des déclamations violentes contre les Officiers ,
ont été menacées de la prifon . Les confidences par
lettres ne font pas même sûres ; on les livre ou
retient au Bureau , fuivant que l'on connoît ceux
à qui elles font adreffées. Il eft facile d'imaginer"
les conféquences d'une pareille conduite. Toute la
Province , à l'exception d'une petite partie à la
portée de la garnifon de Charles- Town , ne fau-'
roit paffer pour foumife ; il n'y a pas d'autre
ville que Camden , à foixante & dix milles de .
Charles- Town ; il n'y a même jamais eu de communication
régulière entre l'une & l'autre. Les
détachemens Américains s'avancent prefque juſ
qu'aux portes de Charles-Town. Ils fe font méme
( 62 )
emparés de plufieurs poftes entre cette ville &
Camden. Les Anglois ont beaucoup fouffert dans
leur marche circulaire de 600 milles a travers les
deux Carolines. Leur perte n'eft pas evaluée à guère
moins de trois mille hommes , dont une grande par.
tie a été faite prifonnière par les Américaius . Les
Officiers qui font revenus sur leur parole a Charles
Town , dépofent unanimement que toute la
cam agne eft enemie des Betons , & qu'ils y ont
peu d'amis . Dans le tems même où l'armée tenoit
la campagne , les environs étoient tellement infeltés
de partis Américains , qu'il n'étoit pas même
sûr de traverser les grandes rontés de Charles-
Town a Savannah . Tous les documens & papiers
publics du tréfor & les autres choles de conféquence
de la Province , ont été fauvés d'avance
& font actuellement en dépôt à Philadelphie.
Un bâtiment arrivé de New Yorck à Brif
tol a apporté des lettres , felen lefquelles ,
lors du départ des troupes commandées par
le Général Arnold , pour aller prendre pof
feffion de New Castle , le Général Washington
avoit raffemblé la milice des Etats- Sep
tentrionaux , & avoit été joint par les troupes
Françoiles venues de Rhode Iſland ; que
King's Bridge , firué dans Yorck- Ifland , étoit
affiégé par des forces fupérieures , & qu'en
conféquence le Général Clinton avoir renoncé
au deffein de fe rendre en perfonne
à la Delaware , & de mener un renfort à
Arnold. L'efcadre de M. de Graffe étoit
attendue chaque jour fur les côtes de l'Amérique
Septentrionale.
橥
On a la relation Eſpagnole de la prife de
Penſacola ; nous n'en avons point encore
( 63 )
d'autres que la fuivante , qui nous a
été fournie par la Gazette Royale de la
Caroline Méridionale du 21 Juin.
Le 9 Mais au matin , une forte E pagnole , confiftant
en 38 voiles , y compris un vaineau de 64
canons , 6 fiégates , & 5 ou 6 galères a rames ,
parut devant la Barre de Penſacola , ayant à bord le
General de Galvez avec environ 2500 hommes
dont la plus grande partie puit terre durant la nuit
en l'Ile de Sainte Role. Le 11 , ils établirent une
batterie de 6 canons , qui empêcha le navire le
Mentor , & la chaloupe le Port - Royal , de
mouiller aux poftes les plus propres por la dé
feufe du havie. Le 18 , un brigantin armé & 3
galères à rames entrèrent dans le Chinal de la
Pointe. Le lendemain , toute la flotte , excepté le
vaiffeau de 64 canons , les fivit , ayant vent &
marée favorables , malgré le feu violent de la
Redoute Royale de la Marine fur les Red Cliffs ;
& elle mouilla en deçà de l'Ile de Sainte Roe . Le
22 , les ennemis débarquèrent fur la Pointe-Tartare :
ils furent joints par le Colonel d'Ezpeleta avec 800
hommes de la Mobile , & le 23 , par 18 tranfports de
la Nouvelle - Orléans , ayant 1300 hommes à bord.
Le 26 , la flotte ennemie s'avança & mouil a un peu
au- detfous de la Ville , vis - à - vis la Lag ne de
Sutton , où elle mit , le 28 , toutes les forces à
terre elles marchèrent delà , le 30 , vers Neil's-
Meadows , environ à un mille & demi du Fort
George : elles y furent attaquées par les Indiens , qui
étoient foutenus par les troupes légères & 2 pieces
de campagne , fous les ordres du Capitaine Johnſton :
ils les chafsèrent de leur pofte avec une perte confidé
rable du côté de l'ennemi Parmi les tués , fut un
Colonel. Les Indiens emmenèrent 4 tambours en'
trophée , ainſi qu'un nombre de fufils . Le 12 Avril ,
mos troupes de la garniſon firent une fortic contre
( 64 )
un parti avancé de l'ennemi , & le forcèrent à fe
retirer. Le Général Galvez fut bleffé , & nombre
de fes gens tués. Dans cette occafion , nous perdîmes
un Subalterne. Le 19 , il parut une flotte , confiftant
en 11 vailleaux de ligne & 4 frégates Espagnols ;
4 vaiffeaux de ligne , une frégate , un brigantin
armé , & un cutter François ; en tout 22 voiles ,
ayant à bord 3 mille hommes , y compris les troupes
Marines , qui mirent pied à terre le 22 Avril. Il
y a tout lieu de croire que l'arrivée de ce renfort
empêcha le Général Galvez de lever le fiége & de
rembarquer les troupes . La nuit du 28 au 29 , l'ennemi
ayant achevé un chemin couvert de l'endroit
de fon débarquement , jufqu'à une hauteur environ
1500 verges de notre redoute extérieure , il y
commença une batterie , qui s'ouvrit le 2 Mai , &
fit , à nos fortifications , quelque dommage , qui
fut cependant toujours réparé dans la nuit. Après
la fortie du 12 Avril , les affiégés en firent plufieurs
autres , dans lesquelles l'ennemi fouffrit toujours
confidérablement , mais aucune d'importance jufqu'au
6 Mai , lorfque 100 hommes , commandés par le
Major M'Donald , attaquèrent vers midi , la bayon
nette au bout du fufil , & chafsèrent 7 ou 8 cents
ennemis de leurs ouvrages , qu'ils avoient avancés
jufqu'à la diſtance d'environ 600 verges de notre
redoute extérieure , firent prifonniers un Capitaine ,
2 Subalternes , & 4 foldats ; tuèrent 3 Offi.iers &
environ fo hommes ; enclouèrent s pièces de canon
de fonte , & mirent le feu aux ouvrages ennemis ,
avec perte feulement d'un Sergent tué & de 2 foldats
bleffes . Le 8 Mai , vers les 9. heures du matin , le
magafin de la redoute extérieure fauta par quelque
accident ; & par ce défafire , la redoute , avec la
plus grande partie de nos munitions d'artillerie ,
fut detruite entièrement , & plus de 100 hommes
tués. En conféquence , l'on bat it la chamade ; l'on
convint d'articles de capitulation ; & le 11 ; labrave
( 65 )
garnifon fortit de la place , au nombre de 800
hommes , y compris les Marins des deux vaiffeaux ,
& mit bas les armes devant le Général Galvez . Elle
étoit alors de quelques centaines d'hommes moindre
en nombre que celui que l'ennemi convenoit d'avoir
perdu durant le fiége. Notre perte , dans toutes
les actions , ne montoit pas au- delà de 20 hommes ,
jufqu'à ce que la redoute avancée fauta ; & , fi ce
n'eût été ce malheureux accident, il eft incertain fi
l'ennemi auroit réuffi à réduire la place , malgré
fa grande fupériorité. . . . Nous apprenons que
le Général Campbell eft réfolu d'aller à New -Yorck.
Nos nouvelles des Antilles fe réduifent
à ceci. Le Sandwich parti de la Jamaïque
le premier Juillet , a mis à la voile en mêmetems
qu'une des divifions de la flotte qui fera
de 200 voiles. Ce paquebot qui eſt arrivé ,
nous apprend qu'elle eſt eſcortée par 3 des
4 vaiffeaux de ligne qui reftoient à la Jamaïque
; ce qui nous fait juger que la deftination
de l'Agamemnon & du Prothée de
64 , partis de Portſmouth le 19 , fe rendent
à la Jamaïque. Si cette conjecture eft vraie ,
l'efcadre de cette ftation fera compófée de
nouveau de 4 vaiffeaux , favoir , le Ramillies
de 74 , le St- Alban , le Prothée &
Agamemnon de 64. La flotte de ifles eft une
des plus confidérables qu'on ait vu fortir
depuis long-tems des Indes occidentales. On
attend fon arrivée avec impatience ; les calculs
les plus modérés en portent la valeur à
2 millions fterling. Ces richeffes font fans
doute un objet très- intéreffant , mais dans
les circonftances préfentes l'arrivée de cette
( 66 )
flotte nous procureroit un autre avantage
celui de faciliter la levée de 3000 matelots
dont nous avons un befoin indifpenfable
pour envoyer à la mer 6 vaiffeaux de ligne ,
auxquels il ne manque que du monde pour
être en état d'appareiller fous peu de jours.
On a lieu de craindre que le paffage du Nord
que cette flotte a choifi pour éviter l'ennemi ,
ne prolonge fa traversée , & qu'au lieu d'arriver
à la fin de ce mois , elle ne paroiffe qu'à
la fin du prochain & peut-être plus tard ; encore
faut-il qu'elle échappe à l'armée ennemie
combinée dont on n'entend point parler,
mais que l'on fait être en mer , & qui peutêtre
croife dans les parages qu'elle doit tenir
pour l'intercepter.
Le 17 de ce mois , le Roi accompagné du
Prince de Galles a été à l'entrée de la tamife
voir l'efcadre qui a foutenu le combat du f.
Il a reçu les hommages de tous les Officiers
à bord du vaiffeau de l'Amiral Parker , à
qui il a donné des marques particulières
d'eftime & de bonté , fans pourtant le créer
Chevalier comme le bruit en a, couru Tous
les vaiffeaux de certe eſcadre font dans l'état
le plus déplorable. Le Prefton a 34 boulets
de 42 livres à fa flottaifon , fon grand mât
coupé au milieu , fon beau pré emporté ,
fes autres mâts , vergues , agrêts , & c. plus
ou moins endommagés ; le Puffalo étoit dans.
le même étar ; celui des autres n'étoit guère
meilleur , la Princeffe Amélie fur-tout qui
n'eft arrivée que long- tems après les autres ,
( 67 )
& dont on craignoit la perte , fera longtems
à réparer.
La Gazette de la Cour du 21 de ce mois
contient la lettre fuivante du Capitaine Drury
, du floop du Roi le Caméléon de 14 canons
de 6 , 4 caronades & ୨୦ hommes.
Ayez la bonté d'informer , Mylord , les Commiffaires
de l'Amirauté , qu'en conféquence de
l'ordre que j'avois reçu du Vice - Amiral Drake ,
Commandant en chef des vaiffeaux & navires de
S. M. dans les Dunes , de croifer entre le Galloper
, Middelburgh & le Broad Fourteens , le 14
courant , à fix heures du matin , le Texel nous
reftant à fix lieues au S. E. nous donnâmes chaffe
à un dogre Hollandois , appartenant aux Etats de
Hollande, montant 18 pièces de 6 & 20 pierriers.
A neuf heures moins un quart , nous nous
en approchâmes bord - à - bord , & l'invitâmes à
baiffer pavillon devant celui de S. M. B. Sur le
champ il nous envoya fa bordée , que nous lui
rendîmes à l'inftant , & l'action continua , nos
vergues engagées les unes dans les autres , jufqu'à
neuf heures & demie , alors le dogre fauta en
l'air , nous touchant bord à bord : l'exploſion fut
fi violente qu'elle fit chanceler nos gens fur leurs
jambes , & la fumée qui s'éleva fut fi épaiffe ,
que pendant deux minutes , il leur fut impoffible
de fe diftinguer les uns des autres fur le pont :
lorfqu'elle commença de fe diffiper , nous apperçumes
que nos huniers étoient en flammes dans
plufieurs endroits , particulièrement notre voile de
grande hane & celle du perit perroquet que je fus
obligé de faire détacher de fes vergues : cet accident
étoit occafionné par les éclats enflammés
des débris du vaiffeau , dont l'exploſion avoit couvert
le nôtre ; on trouva beaucoup de lambeaux
de chair humaine attachés à nos mâts & à nos
( 68 )
―
-
>
Le
agrêts , & l'on ramaffa fur le pont quelques membres
des Hollandois ; nous avons tout lieu de
croire que le grand mât du dogre tomba à la
mer en paffant par deffus nous , car nous l'avons vu
flottant le long de notre vaiffeau du côté de deffous
le vent fon pavillon en feu flottoit fur notre
bord auffi-tôt qu'il fut poffible de le faire ,
nous mîmes notre bateau à la mer , dans l'eſpoir
de fauver quelques - uns des gens de l'équipage ,
mais nous n'en avons pu voir un feul vivant :
notre pêche s'eft bornée à retirer fa flamme & le
chapeau d'un foldat de marine C'eft avec un
plaifir infini que j'informe L. S. que dans l'action
je n'ai eu que 12 hommes bleffés , dont aucun
quant à préfent , ne paroît l'être dangereufement.
Je fuis le feul Officier qui l'ait été , un éclat
ayant fait à ma jambe une légère bleffure , qui ,
très - probablement , n'aura aucune fuite.
vaiffeau a reçu des dommages confidérables dans
fes voiles & agrêts : je ne fache pas , jufqu'à préfent
, qu'il ait reçu dans fon corps aucun coup
dangereux , à l'exception d'un boulet , qui l'ayant
percé au- deffous de la flottaiſon , renverfa deux
hommes dans la foute aux poudres , & fut fe loger
dans l'endroit où couche le maître . Pour
rendre juftice aux Officiers & à l'équipage de mon
vaiffeau , je ne puis terminer cette lettre fans informer
L. S. de la conduite mâle & de l'intrépidité
dont ils ont fait preuve en cette occafion :
elles ont des droits à mes éloges les plus marqués ,
ainfi qu'à mon admiration , & j'efpere qu'elles les
recommanderont à la faveur de Leurs Seigneuries .
Le Commodore Shirley qui , à bord du
Léander de so canons , a paffé le 4 de ce
mois à la hauteur de Plymouth , fe rend
dit-on , fur la côte d'Afrique où il eſt chargé
d'une expédition contre les établiffemens
-
( 69 )
Hollandois . Les bâtimens de transport qui
font fous fon convoi , ont des troupes deftinées
à renforcer nos établiffemens à Difco-
Succondée , Commondas , &c.
Le bruit court qu'on a reçu la nouvelle que
les frégates croifières de l'Amiral Darby ont
rencontré & pris la frégate Françoile l'Emeraude
de 3 2 canons ,détachée de l'efcadre combinée
pour porter des dépêches qu'elle a malheureusement
jettées à la mer .
On équipe ici avec toute l'expédition poffible
26 cutters des meilleurs voiliers , du
port d'environ 150 à 200 tonneaux qui
après avoir pris à Woolwich Warren des
chargemens en bombes , boulets & poudre ,
feront à tout évènement voile pour Gibraltar.
On s'attend que plufieurs tomberont
entre les mains des ennemis , mais on efpère
que quelques- uns arriveront ; & cette
fortereffe eft dans un fi grand beſoin de
munitions , qu'à moins qu'elle n'en reçoive
un fecours immédiat , il en résultera les conféquences
les plus fâcheufes. Toutes les lettres
particulières ajoutent encore à l'horreur
des defcriptions qu'on a publiées de l'état
déplorable de cette place . Le bombardement
ne difcontinue pas , & l'effet en eft terrible ;
il a enfoncé la plupart des caves , dont il eſt
impoffible de fermer l'accès aux foldats , qui
font presque toujours ivres. Ce n'est peutêtre
pas un malheur bien grand , fi , comme
le difent ces lettres , les foldats lorsqu'ils
( 70 )
n'ont pas bû , fe livrent à des murmures
alarmans.
Il eft arrivé au Bureau du Comte de
Hillsborough un exprès venant des Indes
Orientales. Il n'en vient cependant pas
directement ni par le plus court chemin
puifque c'eft notre Ambaffadeur à Conftantinople
qui l'a reçu d'abord , & qui
l'a expédié ici . S'il faut en croire quelques
papiers , il apporte la nouvelle importante
que le Chevalier Eyre Coote a remporté
une victoire complette fur les troupes d'Hyder
Aly ; que les débris de fon Armée font
dans la plus grande détreffe par le manque
de provifions , & que le Chevalier Eyre
Coote avoit prefque obligé Hyder Aly de
quitter le Carnate ; la Cour dans la gazette du
25 de ce mois a dit un mot de ces nouvelles ,
qui feroient en effet bien fatisfaifantes fi elles
fe confirment. En attendant on nous raffure
ainfi fur le fort de Madras.
» Il eft abfolument impoffible que les vaiffeaux
de guerre François approchent du Fort St- George ,
ou qu'ils s'emparent des bâtimens mouillés dans
la rade de Madras . Il ne faut , pour s'en convaincre ,
que fe rappeller le fiége de Madras dans la dernière
guerre fous la conduite de M. le Comte de Lally .
Il y avoit alors dans la rade deux vaiſſeaux de la
Compagnie & quelques autres , & quoique les
François fuffent les maîtres de la mer & de la côte ,
ils ne purent jamais les prendre ni les détruire..
Les vaiffeaux enneinis dont il eft queftion dans le
rapport des Directeurs , composent toutes les forces
de la France dans cette partie du Monde. La plupart
de ces vaiffeaux font prodigieufement fales ; mais
au moyen de la nombreufe garnifon qu'ils ont à
( 71 )
-
bord , leurs équipages font affez complets . Ils ne
portent point d'autres troupes de terre , & ils n'ont
pas débarqué un feul homme pour favorifer les
opérations d'Hyder - Aly . Auffi - tôt que les
vaiſſeaux de l'eſcadre du Chevalier Edouard Hughes
auront été nettoyés & réparés , ils feront bien en
état de combattre les François , fi ceux- ci rettent
à la côte , & qu'ils n'éprouvent aucun accident de
la Mouffon. On fait que ce vent fouffle avec la
plus grande violence pendant le mois de Février ,
& qu'il continue jufqu'à la mi-Mars , tems auquel
le Chevalier Edouard Hughes fe propofe de fe
rendre à Madras.
On dit que 2 vaiffeaux de ligne & 3
frégates ont ordre d'aller fe pofter à la hauteur
de l'embouchure de la Meufe , pour
empêcher que les vaiffeaux de Rotterdam
ou d'Hellevoetsluis ne mettent à la voile
pour renforcer l'efcadre Hollandoife du Texel.
Mais il n'eft pas sûr qu'ils aient reçu
cet ordre à tems ; & il paroît qu'à leur arrivée
ces divifions feront déjà rendues à
leur deftination .
S'il faut en croire nos papiers , nous avons
actuellement 104 yaiffeaux de ligne en mer ;
on en radoube , & l'on en conſtruit à neuf
27 autres dans nos chantiers. Outre cela
chaque Province a , dit-on , réfolu d'offrir
au Roi un vaiffeau de guerre armé & équipé
, ce qui en feroit un nombre confidé
rable ; & il feroit à fouhaiter que ces bruits
fe vérifiâffent , car nous en avons un grand
befoin. On annonce comme prêts à être
lancés dans le cours du mois prochain , fur
( 72 )
la Tamiſe , du chantier de Deptford , le Goliath
, de 74 canons ; des chantiers de Rotherluthe
& Blackwall , le Gange , le Car
natick , le Bombay- Caftle , de même force ;
à Portſmouth , le Warrior , de 74 , & à Plymouth
l'Anfon , de 64.
» Nos papiers , lit- on dans une de nos Gazettes ,
s'étant permis de publier quelques confidérations
fur l'état de la France , relativement à la ſituation
de fes finances , on leur a répondu par un tableau
de nos dettes & de nos reſſources. Il fe trouve
que dans le moment actuel notre dette nationale ſe
monte à plus de 5 milliards ; ainfi à 3 pour cent
d'intérêts , ces cinq milliards forment une rente
de 150 millions par an ; la totalité des revenus des
trois Royaumes s'élève à peine à cette fomme de
150 millions ; de forte que fi l'on en déduifoit
les autres dépenfes publiques , l'Angleterre fe trouveroit
devoir tout ce qu'elle vaut inirinféquement.
Cependant elle fe foutient par cet efprit de patriotifme
, d'enthouſiaſme & de liberté , qui intéreffe
chaque individu à la confervation de l'Etat. Il ré
fulte de la comparaifon des Finances des deux
Royaumes , que la France a à cet égard un trèsgrand
avantage fur nous.
La place de Trésorier de l'Extraordinaire des
Guerres vaut en tems de guerre 50 mille livres
fterling par an celle de Tréforier de la Marine ,
30 mille ; & celle de l'Auditeur de l'Echiquier ,
40 mille. On prétend que le Roi a fait plus d'une
fois mention de l'immenfité de ces émolumens ,
depuis fa réconciliation avec les freres , & l'on
croit qu'après le décès de ceux qui en jouiffent
aujourd'hui , quelques branches de la Famille
Royale en feront pourvues : on dir que le Chancelier
a fortement recommandé cette mefure à
S. M. , ces places étant trop lucratives pour être
poffédées
( 73 )
poffédées par aucuns fujets quelconques , tandis
que les revenus des frères de S. M. font de beaucoup
inférieurs.
P. S. Ce qu'on avoit prévu eft arrivé.
L'Amiral Darby ayant rencontré un vaiffeau
marchand Portugais , qui lui a dit avoir
vu , le 15 , l'armée combinée de France
& d'Espagne , par les 47 degrés de latitude &
10 de longitude oueft , forte de 49 vaiffeaux
de ligne , a repris prudemment la route de
Torbay, où il eft entré heureuſement le 24. Sa
Alotte confifte en un vaiſſeau de 1 10 canons ,
2 de 100 , trois de 98 , 3 de 90 , un de 80 ,
10 de 74 , un de 64 , un de 60 , & 12
grandes frégates ; en tout 23 vaiffeaux de
ligne. Si le Saint- Alban , le Dublin
l'Afrique , la Bellone , de 74 ; le Nonfuch',
de 64 , & l'Affiftance , de 60 , ont reçu
ordre de le joindre , comme on le dit , il
n'aura pas plus de 29 vaiffeaux , & ne fera
pas en état de fortir pour ſe meſurer avec un
ennemi auffi fupérieur . Il y a bien des gens
ici qui doutent de l'approche de cette armée ;
ils veulent abfolument qu'elle foit occupée
de Gibraltar & de Minorque qu'elle peut
prendre plus facilement que nous faire beau
coup de mal ici.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 4 Septembre.
Le Roi a nommé aux places de Grand-
Croix vacantes dans l'Ordre de St- Louis ,
8 Septembre 1781 . d
( 74)
pour le fervice de terre , le Marquis de
Traifnel , le Comte de Choiſeul Beaupré , le
Comte de Fumel , Lieutenans - Généraux ,
& M. de Fourcroix , Maréchal - de- Camp ,
Commandeur dudit Ordre . Pour le fervice
de terre , le Comte de Goyon de Vaudurand ,
M. du Poral , le Comte de Blot , Lieutenans-
Généraux , le Comte de Barrin , le Marquis
d'Ambly & M. d'Aubigny , Maréchaux de
Camp.
Le 25 , jour de la Fête , S. M. reçut ,
dans fon Cabinet , les Grands - Croix &
Commandeurs préfens , & envoya aux abfens
ces décorations & la permiffion de les
porter. Elle reçut les refpects des Princes ,
Princeffes & des Seigneurs & Dames de la
Cour à l'occaſion de ſa Fête.
Le 27 , les Députés des Etats de Langue.
doc eurent l'honneur d'être admis à l'Audience
du Roi , conduits par MM . de Nantouillet
& de Watronville , Maître & Aide
des Cérémonies ; ils furent préfentés par le
-Maréchal Duc de Byron , Gouverneur de
la Province , & par M. Amelot , Secrétaire
d'Etat , en ayant le département. La Députation
étoit compofée pour le Clergé de
l'Evêque de Carcaffone qui porta la parole ;'
pour la Nobleffe , du Marquis de la Touretre
, Baron de Tour du Viva₁ais , Meftrede-
Camp en ſecond du Régiment de l'Ifle de
France ; pour le Tiers Etats , du Chevalier
de Morgues , Député du Puy , de M. Chal775
>
meton , Député des Vans , & de M. de
Rome , Sindyc général de la Province.
De PARIS , le 4 Septembre.
RIEN ne tranfpire ni des nouvelles que
l'on dit avoir été apportées de l'Armée combinée
par la Sibylle , & enfuite par la Néreide
, ni des ordres qui ont été donnés à
ces frégates , qui ont dû partir pour la rejoindre.
Il paroît qu'on n'eft pas mieux inftruit
en Espagne de fa pofition actuelle , &
des lieux où elle a établi fa croiſière..
» Nous n'avions , écrit-on de Bayonne , en date
du 25 Août , aucune nouvelle de l'armée combinée
depuis fon départ de Cadix , lorsqu'un cutter ,
qui s'en eft féparé , eft entré le 8 au paffage ; il
nous a appris que la flotte , qu'il a quittée le 12 ,
étoit alors à 20 lieues nord du cap Ortegal , dirigeant
la route vers Oneffant. Depuis qu'elle eft en
mer , elle a croifé jufqu'à 200 lieues à l'Oueft du
cap St Vincent , fans avoir fait d'autre rencontre
que celle d'un navire Américain , venant de Cadix.
Ĉe cutter a été expédié par le Général , avec des
paquets pour la Cour , qu'on a fair paffer fur le
champ à Madrid par un courier extraordinaire . Le
Capitaine du cutter rapporte encore que le jour de fa
féparation , il apperçut des fignaux qui indiquo ent
que l'on voyoit 20 voiles . La nuit furvint , & il
s'éloigna de la flotte. Il ajoute que lordre eft
donné à l'armée que les premiers va ffeaux qui aş❤
percevront des voiles , doivent chaffer & arraquer
fans attendre le ralliement , le plus ancien des Capitaines
, de quelle nation qu'il foit , devant commander
en pareil cas jufqu'à la réunion des chefs.
Ce cutter attend au paffage les paquets de la Cour ,
& il croit qu'il retrouvera l'armée ſur Ouellant .
d 2
( 76 )
Nous ne favons pas mieux ici qu'à Bayonne
où l'armée combinée a établi fa croifière
depuis le 12 Août , les uns la placent à
Oueffant , aux Sorlingues , les autres au
cap Clear, dans le canal St-George, & c. Il eft
tout fimple que fi elle fonge à intercepter les
Alottes attendues en Angleterre , elle fe foit
écartée des côtes , pour quefon apparition ne
donne point d'alarme , & ne faffe point expédier
de bâtimens pour leur porter des avis qui
les lui feroient manquer. La flotte de la Jamaïque
a dû partir dans les premiers jours
de Juillet ; elle fera aux attérages d'Angleterre
du 1 au 3 de ce mois ; ainfi on peut
efpérer qu'elle fera vue par notre Armée
navale , dût- elle s'élever dans le Nord comme
la dernière, M. de Guichen avec l'efcadre
légère , s'eft chargé , diteon , de veiller
de ce côté-là . Quant à l'Amiral Darby , les
lettres de Londres du 28 annoncent fon
ainfi il eft dans la Manche ; on
lui donne 22 ou 24 vaiffeaux . On regrette
qu'il foit parvenu à regagner fes
Ports fans recevoir quelques coups de canon .
retour
३
On fe promettoit beaucoup de la réfolution
du Général , de faire chaffer fans ordre à
l'apparition d'une efcadre ou d'un convoi ; fi
l'Amiral Darby reffort & eft apperçu le matin,
& que tous les bons voiliers de l'Armée courent
fur lui , felon l'ordre qu'on dit qu'ils
en ont reçu , il n'eft pas douteux qu'il ne foit
forcé de combattre . Il pourra le faire d'abord
avec avantage ; mais à la fin il faudra
777 )
bien qu'il fuccombe fous le nombre des
efcadres qui viendront l'entourer , ou qu'il
abandonne les mauvais marcheurs & les
vaiffeaux qui auront fouffert dans leurs agrêts
& leur mâture.
Le Courier arrivé ces jours derniers de
Madrid , n'a apporté que des dépêches relatives
au commerce. On a fu par lui que
l'armement de M. de Crillon étoit encore le
13 devant Carthagêne ; mais le vent ayant
changé dans l'après- midi , il avoit continué
fa route vers Mahon , où il auroit pu arriver
en 3 ou 4 jours , fi le vent d'oueft s'étoit
foutenu. On avoit envoyé à Barcelone des
ordres pour augmenter de 4 ou sooo hommes
l'armée de M. de Crillon. Un détachement
des Gardes Efpagnoles , & le régiment
Buch , Suiffe , étoient défignés pour être de
cet embarquement.
On a fu par un navire Suédois , arrivé à
Marſeille & forti le 11 de Mahon , qu'à
cette époque l'Ile étoit dans une fécurité
parfaite , & qu'on ne s'y doutoit pas que
l'on fongeât à l'attaquer ; fi cela eft ainsi , M.
de Crillon peut furprendre l'Ifle & s'emparer
de tous les corfaires ou les détruire.
Une lettre de Marseille , en date du 22
Août , porte que le navire le Céfar , venant
de la Martinique & entré dans ce Port , a
laiffé l'armement Espagnol près de Mayorque
, d'où il alloir tirer quelques renforts .
On écrit de Cadix que 2 cutters Anglois
font entrés à Gibraltar , & que fuivant les
d 3
( 78 )
,
avis d'Algéfiras , l'efcadre Ruffe qui fe rend
dans la Méditerranée , a été vue dans le
Détroit. On lit dans la Gazette de Madrid
qu'une frégate Ruffe eft entrée à Lisbonne le
4 Août, qu'elle avoit quitté l'efcadre 14 jours
auparavant , & qu'elle l'attendoit à Lisbonne
où elle devoit venir fe raffraîchir . Si c'eft
la même qui vient de paffer dans la Méditerrannée
, que cette frégate annonçoit , on a
lieu de croire que fon mouillage à Lisbonne
n'est qu'une rufe.
Les Ports de l'Océan ne nous fourniſſent
rien d'intéreffant. Il fembleroit qu'ils ignorent
qu'une flotte formidable eft dans leurs
eaux , fi l'on n'écrivoit de Breft qu'on y prépare
pour elle des vins & des raffraîchiffemens
qu'on fera partir dès qu'ils feront
embarqués.
Les troupes font en mouvement pour
fe rendre en Bretagne ; au nombre des Régimens
qui paffent dans l'Inde , eſt le fecond
bataillon d'Aquitaine , dont le Marquis de
Crillon , fils aîné du Duc , eft Colonel-
Commandant. Il femble par les demandes
que le Miniftre a faites au Havre , à Nantes , à
Bordeaux , &c. que cet armement n'eſt pas le
feul qui fortira de nos Ports avant la fin de l'année.
Il fautque le befoin de vaiffeaux de tranfport
foit preffant, puifque le prix du frêt offert
aux Négocians ne leur ayant pas convenu , le
Miniftre s'eft , dit- on , déterminé à acheter
pour le compte du Roi , tous les navires
au-deffus de 300 tonneaux , fur l'eftimation
( 79 )
d'un Conftructeur de la Marine Royale &
d'un Conftructeur ordinaire des Ports.
» Nous venons écrit- on de Saint - Jean - d'Angeli
, de perdre M. le Comte de Broglie
qu'une fièvre nous a enlevé la nuit du 16 au 17
de ce mois. Lorfque pour le bien & la confervation
des troupes de S. M. , on s'est déterminé
à évacuer les garnifons de la Rochelle & de Ro
chefort , pour former un camp de falubrité dans
les environs de la ville de Saint-Jean-d Angely ,
on ne s'attendoit pas à ce fatal évènement , qui au
premier coup d'oeil femble détruire cette opinion.
Ce Citoyen refpectable paroît être , dans cette cir
conftance victime du bien public ; cat émule du
zèle de M. le Marquis de Voyer , Lieutenant-
Général des Armées , Commandant dans cette
Province , qui , depuis long - tems , fait les plus
grands efforts pour parvenir au défsèchement des
marais peftiférés qui entourent Rochefort , & dont
l'air corrompu pénètre juſqu'à la Rochelle & heux
intermédiaires , ces deux Officiers généraux après
avoir palé un jour à faire manoeuvrer les troupes
du Camp , fe font embarqués dans un canot pour
fuivre le cours des rivières de Boutonne & de Charente
jufqu'à Rochefort ; ils ont paffé onze heures
dans cette navigation pendant une chaleur exceflive ;
ils ont fait les obfervations les plus importantes ;
c'eft-là où M. le Comte de Broglie a pris le germede la
mort ; car le lendemain de fon arrivée à Rochefort ,
il a été attaqué par un violent accès de fièvre , qui
a paru fe déclarer tierce : on a voulu lui perfuader
de partir fans délai ; mais emporté par fon ardeur.
il a voulu continuer fon travail ; il eft tombé dans
l'affaiffement , c'eft l'état où il a paru en defce dant
de voiture dans l'Abbaye de Saint- Jean-d'Angely ,
où on l'a fait tranfporter trop tard ; la fièvre eft
devenue continue avec des redoublemens violens
d 4
( 80 )
auxquels il n'a pu réfifter. Aujourd'hui 18 , on a
fait fes funérailles avec toute la pompe poffible
tout le Clergé a été aſſemblé , il n'a rien manqué
aux cérémonies les plus auguftes de l'Egliſe ; M.
le Marquis de Voyer a ordonné toute la pompe
militaire & le plus nombreux cortége ; M. le Comte
de la Tour du Pin , Maréchal de Camp employé ,
a fait le deuil ; tous les Officiers & toutes les troupes
ont pris les armes & ont affifté à cette cérémonie
funèbre , ainsi que toute la nobleffe & les Corps
Civils & Municipaux , avec tout le zèle que pouvoient
infpirer le refpect & l'attachement qu'ils ont
voué à M. le Maréchal de Broglie & à l'illuftre
mort ſon frère «.
On vient de voir à Montefquieu de Volveftre
, en Languedoc , un nouvel exemple
du danger de fonner pendant les orages.
>
Le 30 Juin , environ à 3 heures après midi ,
pendant qu'un orage fe formoit fur la Ville , le
Sonneur , accompagné de fon fils & de 6 ou 7
jeunes garçons , ayant eu l'imprudence de monter
au clocher , la foudre éclata auffi tôt que les
cloches commencèrent à être en branle ; & étant
entrée par une lucarne , elle tua un jeune homme
de 20 ans , en terraffa un autre du même âge
ferpenta quelque tems autour des cloches , dont
elle fit tourner la plus groffe avec une vîteffe incroyable
, & prit enfuite fa direction vers l'escalier
, où 2 enfans de 10 à 12 ans furent trouvés
morts. Le fils du Sonneur en a été quitte pour
une commotion légère au bras & une égratignure
au fourcil Les autres en rentrant précipitamment
chez eux , font prefque tous tombés en fyncope.
Un des malheureux que la foudre avoit atteints ,
a été rappellé à la vie par le fecours des Chirur
giens mais il a eu à la fuite du traitement , des
convulfions affreuſes ; & il n'eſt pas encore tour àfait
hors de danger.
::
( 81 )
On a effuyé à Centpuis , village à 3 quarts
de lieue de Grandvilliers , gros bourg de
Picardie , un orage , dont on nous mande
ainfi les détails .
de
» La nuit du 10 au 11 de ce mois , le tonnerre
eft tombé fur le clocher de l'Eglife . Après avoir
brifé le coq , il a parcouru les quatre faces du
clocher , dont il a découvert la première fans endommager
les lattes ; il a coulé enfuite le long de
la face feptentrionale , & l'a dépouillée d'ardoifes ,
de lattes & de chevrons. De là , en fe relevant ,
il a fait fortir une pierre d'entablement du poids
300 livres environ , qu'il a pouffée violemment
par - deffus la nef , & qui est tombée dans la cour
du Curé. Un fait plus extraordinaire , c'eft qu'ayant
pénétré dans l'Eglife , par le toit , il eft allé frapper
le glacis d'une croifée du choeur , l'a foulevée , s'eft
introduit par le haut de cette croifée , en écartant
une pierre da cintre , & a pénétré affez loin dans
le mur en remontant ; une autre croifée de la nef
offre le même fpectacle, avec cette différence qu'il y a,
dans le glacis , un trou d'environ deux pieds , &
que la foudre s'étant relevée , s'eft infinuée par le
haut cintre , & enfin par le toit. Elle a parcouru
cet efpace fans mettre le feu à l'Eglife , & ne faifaut
que quelques dégradations , qui font eftimées
3000 livres ; les granges voifines appartenantes à
la Cure n'en ont pas même fouffert le plus petit
dommage.
1 L'Académie des Sciences , Belles - Lettres & Alts
de Besançon , diftribuera le 24 Août de l'année
prochaine , trois Prix pour le fujet déja proposé ,
de montrer que les vertus patriotiques peuvent
s'exercer avec autant d'éclat dans les Monarchies
que dans les Républiques. Elle a reçu plufeurs
Mémoires , dans lesquels elle regrette qu'an
mérite de la difcuffion , les Auteurs n'aient pas
( 82 )
-
›
joint celui de l'éloquence ; elle les invite à revenir
fur ce fujet qu'elle propofe de nouveau & pour
lequel elle aura trois médailles de 350 liv . chacune
à donner , que la bonté des ouvrages pourra
la déterminer à réunir ou à divifer. Le fujet
du fecond Prix , qui eft de 250 liv . eft de déterminer
quel a été l'état des Sciences & des Lettres
au Comté de Bourgogne , depuis le règne de Rodolphe-
le-Fainéant , juſqu'à la réunion de cette
Province à la Couronne , fous Louis XIV. —Le
troifième Prix , qui eft de 200 liv. , ſera donné
à celui qui indiquera les différentes espèces de
Marne qui fe trouvent en Franche-Comté , & la
manière d'en tirer le parti le plus avantageux
pour l'amélioration des champs & des prés , ainfi
que pour l'utilité des Arts. Le Prix d'Hiftoire
fera donné en 1783 , au meilleur Mémoire fur
l'Hiftoire d'une des Villes ou Abbayes de la Province.
L'Académie excepte les villes de Befançon ,
Vefoul , Poligny , Pontarlier , Baume- les - Dames &
Quingey ; & les Abbayes de Saint Claude , Liere
& Luxeuil , Saint-Paul & Saverney , fur lesquels
on a des éclairciffemens fuffifans. Elle demande
pour le Prix des Arts de la même année 1783 ,
quelles font les Manufactures que l'on pourroit
établir ou perfectionner en Franche Comté , &
quels font les moyens d'y réuffir en conciliant
la poffibilité avec la dépense. L'Académie
ayant reçu 250 liv. pour un prix de ces trois
fujets , 1º. La liaiſon intime de la Religion &
de l'Ordre Social. 2º. Le Luxe détruit les
Mours & les Empires. 3. Les funeftes effets de
la Fainéantife , & les moyens de la détruire
, annonce qu'elle recevra les Difcours fur
ces trois fujets jufqu'au 11 Décembre de cette
année.
---
Parmi les inventions curieuſes , celle
d'une cire à cacheter parfumée , par M.
( 83 )
Graffe , Graveur en cachet , mérite d'être
diftinguée ; MM. de Montigny & Macquer ,
chargés par l'Académie Royale des Sciences
de l'examiner , en ont rendu le compte fuivant
à cette Compagnie.
25 Quoiqu'en général la compofition de la cire à
cacheter ne foit point un fecret , & qu'on en trouve
un grand nombre de recetes dans différens livres
; ceux qui préparent cette matiere , ont chacun
des recettes & des manipulations particulières
qu'ils regardent comme les meilleures , qu'ils exécurent
eux- mêmes , & qu'ils ne communiquent à
perfonne. Le fieur Graffe nous a donné une connoiffance
entiere de la compofition de fa cire à
cacheter ; il en a fait quelques livres en notre préfence
: elle nous à paru très-belle ; nous en avons
fait plufieurs épreuves , en la comparant aux cires
les plus belles & les plus chères de nos Fabricans
, à celle qu'ils vendent fous le nom de Cire
à Graveur , & fur tout à la première qualité de
cire à cacheter de Hollande , laquelle eft recherchée
par les curieux en ce genre , & qui fe vend
ici 18 liv. la livre ; celle du fieur Graffe nous a
paru ne céder en rien à aucune de ces cires , en
y comprenant celle de Hollande : elle s'allume &
fe fond facilement , fans avoir le défaut ordinaire
des belles cires , qui eft d'être fi coulantes , qu'elles
tombent en gouttes auffi tôt qu'elles font allumées
, & ne donnent point le tems de les porter
à l'endroit où l'on veut appliquer le cachet ; elle
eft exempte auffi d'un autre défaut de beaucoup
d'efpèces de cires à cacheter , même des plus
belles & des plus coulantes : favoir , de ne pas
conferver leur flamme , ce qui oblige de les porter
plufieurs fois à la bougie pour achever le cachet.
Celle du fieur Graffe conferve ſa flamme
jufqu'à ce qu'on l'éteigne , fe parfond & fe purific
·
d 6
( 84 )
très bien fur le papier , & prend à merveille l'em
preinte du cachet refte d'un beau liffe & d'une
belle couleur , quand elle eſt refroidie , & enfin
demeure attachée au papier , de manière qu'on
ne peut l'enlever fans le déchirer : nous lui avons
donc trouvé toutes les bonnes qualités qu'on peut
defirer dans cette matière. Le fieur Graffe ne fait
entrer dans la compofition de fa cire ordinaire , que
les fubftances qu'on a coutume d'y employer : Tavoir
, la réfine , dite gomme - laque platte , qui
doit faire la base de toute bonne cire à cacheter ,
avec quelques autres fubftances réfineufes & les
matières colorantes : ainfi , ce qui lui eft particu
lier dans cette compofition , confifte dans les meil-
Beures proportions des ingrédiens & le jufte degré
de chaleur pour la fonte & pour le mélange.
I en fait qui a la dureté & la fragilité ordinaire
des cires à cacheter , & notamment de celle de
Hollande ; mais il peut , quand on veur , la proportionner
de maniere , que fans perdre aucune
de fes bonnes qualités , elle conferve à froid un
certain degré de molleffe & de flexibilité
qui eft affez agréable , en ce que lorsqu'on laiffe
tomber les bâtons de cette cire , ils ne fe caffent
pas , au lieu que les cires dures fe brifent quelquefois
en trois ou quatre bouts . A l'égard
des bonnes odeurs que le fieur Graffe donne à fa
cire idée de parfumer la cire à cacheter n'eft
pas novelle ; on a introduit dans cette préparation
différentes matières odorantes , tels que le
benjoin , le mufc & autres de ce genre , mais il
n'en a refulté que des odeurs d'encens , qui ` en'
général ne plaifent pas à beaucoup de perfonnes ;
mais le fieur Graffe a perfectionné ce genre d'agrément
, en produifant dans fa cire les odeurs les
plus fines , comme de bergamotte , de jaſmin ,
de rofe , de fleur d'orange , d'oeillet , en un mot ,
toutes les odeurs délicates de la parfumerie , que
-
ce
( 85 )
―
jufqu'à préfent on n'a pas pu allier avec la cire à
cacheter ; c'est une petite fenfualité tenant un peu
au luxe , qui pourra plaire à un ailez grand nombre
de gens qui aiment tout ce qui eft recherché
& peu commun . Comme l'Académie ne dédaigne
rien de ce qui peut contribuer aux progrès des
Arts , foit du côté de l'utilité , foit même du cô.
té de l'agrément , nous croyons qu'elle peut approuver
la cire à cacheter du fieur Graffe , làquelle
réunit ces deux avantages. Fait à l'Acadé
mie , au Louvre , ce Samedi 4 Août 1781. Signé,
DE MONTIGNY , MACQUER. La demeure du
fieur Graffe , Graveur en cachet , eft rue neuve
Saint-Roch , la deuxieme porte cochere à gauche ,
en entrant par la rue Saint-Honoré , chez le Bourre
lier , au deuxieme , à Paris .
-
M. Laurent , encouragé par l'accueil que
le Roi a bien voulu faire à fa gravure
de la mort du Chevalier d'Affas , s'eft engagé
à publier dans 18 mois , à compter du 15
Août dernier , 3 gravures pour lefquelles
S. M. & la Famille Royale ont foufcrit. Le
fujer de la premiere eft le Comte d'Estaing ,
récompenfant , à la prife de la Grenade , le
brave Ouradon , Sergent du régiment de
Hainaut. Le titre de la feconde , eft Louis XV
après la bataille de Fontenoy , & celui de la
troifième , Henri IV après la bataille d'Yvry.
La foufcription fera ouverte pendant 6 mois .
On s'adreffera à M. de Fontenay , Directeur
des Affiches , Hôtel de Croiffy , rue Neuve
St-Auguftin. Le prix eft de 2 liv.
Nous avons annoncé le Jaloux endormi , ECtampe
très- agréable , gravée par M. Vidal , d'après
M. Moitte . Un Tableau du même Peintre en
( 86 )
-
a fourni le Pendant qui vient de paroître fous le
titre de l'Infidélité reconnue , gravée par M. Dambrun
, qui mérite d'aller avec la précédente.
Cet habile Artiſte a publié auffi une autre Eftampe
que nous nous empreffons d'annoncer ; c'eſt
le Roi d'Ethyopie abufant de fon pouvoir. On
connoît le conte de M. de Voltaire , qui a fourni
ce fujet piquant ; il a été deffiné fupérieurement
par MM. Monnet & Moitte. M. Vidal l'a gravé
lui-même . Cette Eftampe très- agréable , eft la
feptième de celles qui font fuite aux Baigneufes
Surprises. On y retrouve le même burin , la même
grace , la même fraîcheur ( 1 ) .
La Société Royale de Médecine , dans fa féance
du 28 du mois dernier , a rendu compte de fes
travaux intéreffans pour T'humanité. Elle a propofé
en même tems les fujets des Prix qu'elle diftri
buera en 1783. Celui du premier , qui eft de
400 liv. , eft : quels font les fignes qui annoncent
une difpofition à la Pthifie pulmonaire , & quels
font les moyens d'en prévenir l'invasion & d'en
arrêter les progrès. Celui du fecond Prix , qui
eft de 300 liv. , eft de déterminer par l'analyſe
chymique quelle eft la nature des Remèdes antifcorbutiques
tirés de la famille des Plantes crucifères.
Les Mémoires pour le premier fe
ront envoyés avant le premier Juin 1783 , & ceux
pour le fecond , avant le premier Mai de la
même année , & adreffés à M. Vicq - d'Azir , Secrétaire
perpétuel , rue du Sépulcre , à Paris.-
La Société continuera de donner des Prix d'encou
ragement, à ceux qui lui adrefferont des Mémoires
fur les Maladies épidémiques , & fur l'analyſe &
les propriétés des Eaux minérales ; fur la Topogra
(1) Ces Eftampes fe trouvent chez M. Vidal , rue des
Noyers , la première porte cochère à droite par la rue St-
Jacques. Le prix de chacune eft de 3 liv.
( 87 )
phie médicale des différentes Villes ou Cantons ;
fur les maladies des Artiſans , & fur celles des
Beftiaux .
Maric Anne du Bourg de St - Polgues ,
époufe de M. Joſeph de Monteynard-Montfrein
, eft morte en fon Château de Felorre ,
en Bourgogne , le 17 Août , âgée de 33 ans.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du premier de ce mois ,
font : 71 , 53 , 26 , 13 , 38 .
BRUXELLES , le 4 Septembre.
LES lettres de Hollande ne parlent que des
honneurs rendus au Contre- Amiral Zourman
, & aux braves Officiers de fon efcadre
qui l'ont fi bien fecondé dans le combat du
5 Août ; le Stadhouder lui a fait préfent d'une
épée ; il a demandé lui- même aux Etats -Généraux
de le décorer d'une chaîne avec une
médaille d'or , telles que celles que les Miniftres
étrangers reçoivent à leur départ , &
de gratifier tous les Capitaines qui ont eu
part à l'action d'une pareille médaille d'or ,
pendante à un ruban. Il a été élevé en mêmetems
au grade de Vice-Amiral extraordinaire.
Pendant que le Gouvernement s'occupe à
récompenfer le mérite & la valeur par des
honneurs & des diftinctions , les particuliers
fe fignalent par des actes de bienfaiſance en
faveur des matelots bleffés ; ils ont ouvert
des fouſcriptions pour les foulager ; parmi
ceux qui ont cherché à manifefter leur pa(
88 )
triotifme & leur humanité par leur zèle , on
doit diftinguer un Apothicaire de Deventer.
Le fieur Rempelaar , touché de compaflion
envers les Officiers , foldats ou matelots qui ont
combattu à Doggersbank , dont les bleffures fe
gangrenent , foit par l'extrême chaleur de la faifon ,
foit par les matières corrofives que le canon y a ,
dit- on , fait entrer , vient de facrifier généreufement ,
en le rendant public , un fecret dont il faifoit ufage
depuis plus de 40 ans contre la gangrène , & qui
l'enrichiffoit. Voici ce fecret auquel on ne fauroit
donner trop de publicité. Prenez de l'alun
commun , une livre ; du vitriol blanc & du vitriol
verd , de chacun une demi- livre ; du falpêtre & du
fel commun , de chacun un quart de livre . Mettez
le tout dans un pot de terre fur un petit feu . Après
y avoir verfé une fuffifante quantité de vinaigre de
vin , faites lui prendre confiftance de miel ; mélez-y
alors une poudre faite de 3 onces de cérufe , d'une
once de bol d'Arménie , de 2 onces & deux dragmes
d'encens , & d'autant de myrrhe. Remucz ce mélange
jufqu'à évaporation , & qu'il falle maffe. Quand
vous voudrez en faire ufage , broyez fin 1 , 2 ou 3
onces de cette pâte , impregnez- là de 8 , 10 ou 12
onces de vinaigre commun ; trempez -y un linge ;
appliquez- le fur la plaie , en renouvellant l'opération
felon les circonftances , toutes les 4 , 6 ou 8 heures.
On mande d'Amfterdam que 8 vaiffeaux
de guerre de divers rangs ont reçu ordre , le
21 du mois dernier , de fe rendre au Texel ,
& que plufieurs autres qui font preſque en
état ne tarderont pas de les y fuivre. On forme
dans ce port une efcadre fraîche , à la
quelle les vailleaux de la Meufe &-de Zélande
ont ordre de fe joindre . Ceux qui ont
'été endommagés dans le dernier combat ,fe
7899
réparent avec beaucoup d'activité ; on doit
s'attendre que fi les Anglois envoyent une
nouvelle efcadre dans les mers du Nord ,
celle des Hollandois l'y devancera peut-être ,
& fi elles fe rencontrent , il eft vraisemblable
qu'il y aura une nouvelle action.
» On voit dans le public , écrit-on de la Haye ,
des copies d'une Requête que les Négocians de
Rotterdam ont préſenté à la Régence de leur ville ,
où ils fe plaignent amèrement de la conduite du
bureau d'Amirauté de la Meuſe , qui après leur avoir
promis une eſcorte fuffifante pour leurs vaiffeaux à
envoyer dans la Baltique , promeffe fur la foi de la
quelle ils ont chargé 16 à 18 navires pour cette
deftination , a laiffé néanmoins partir l'efcadre du
Texel fans y joindre le convoi de la Meufe , & a
prévenu enfuite ces Négocians qu'il ne pouvoit
donner à leurs bâtimens d'autre protection que celle
de 3 petits navires de 20 à 14 canons . On affure
que cette affaire fait un des objets des délibérations
des Etats de la Province , qui s'aſſemblent prefque
tous les jours «.
Selon des lettres du Texel , le Patron O
Trontheim , qui y eſt arrivé dernièrement ,
a déclaré qu'il avoit trouvé en mer une
caiffe dans laquelle il y a plufieurs pavillons
Anglois. Il a cette caifle fur fon bord.
S'il faut en croire d'autres Patrons , ils ont
vu dans la mer du Nord quantité de vergues
, d'agrêts & de cadavres flottans ; mais
ils n'ont pu diftinguer à quelle nation ils
appartenoient.
Les vents violens du Nord- Oueft qui ont
régné pendant quelque tems , ont caufé plufieurs
naufrages fur la côte de Hollande , de
790 )
puis le Texel jufqu'à l'embouchure de la
Meufe.
Le 21 de ce mois , écrit - on du Texel , on vit
à la pointe du jour flotter fur l'eau , a la rade de
ce Port , une grande quantité de morceaux de
bois , de mâts & d'autres pièces de bois , qui ,
peints en bleu & jaune , annonçoient la perte d'un
vailleau de guerre du premier rang. Peu après, on
vit les débris de la carcaffe du vaiffeau , fur lefquels
le trouvoient dix malheureux luttant contre la
morr : aufi-tôt le navirre de Guerre Hollandois
le Zwalow , Capitaine Borger , détacha fa cha
loupe , qui fut fuivie d'une barque de pilote , pour
voler au fecours de ces infortunés : la mer étoit
extrêmement agitée ; on ent cependant le bonheur
d'en fauver deux ou trois . On . apprit que c'étoit
le vaiffeau de guerre Suédois la Sophia Albertina ,
de 74 pieces de canon , commandé par M. Malm.
Schult. Enfuite on vit flotter le d rrière du navire ,
une partie de la poupe & la galerie , fur laquelle
il fe trouvoit huit perfonnes . Le Capitaine Raders
, commandant un vaiffeau de guerre Hollandois
, qui étoit au vent y envoya fa chaloupe &
les fauva , non fans un danger imminent. Le Capitaine
de Reineveld , commandant un autre vail
feau de guerre , en fauva deux. En tout , le nombre
des fauvés , dont on n'a pu recueillir les noms ,
monte à vingt - fix perfonnes dans ce nombre ,
font le troisième Pilote , deux Caporaux , trois
Canonniers , deux Matelots , le domeftique du Capitaine
, & quelques autres , qui ont été conduits
à une auberge , où l'on a donné les ordres pour
que rien ne leur foit refufé de ce dont ils peuvent
avoir befoin.
S
Des lettres poftérieures confirment ces
défaftres ; un bâtiment Suédois allant de
Stockolm à Breft, a été auffi briſé ſur le Haaks;
( 91 )
le Capitaine & deux hommes fe font fauvés ,
14 ont péri. Un navire Portugais allant à
Porto , & un autre venant de la Baltique ,
ont échoué , l'un près de Calantfoog , l'autre
fur le Hors , ifle du Texel , où la mer a jetté
fur le rivage une grande quantité de munitions
navales , & en particulier , so tonneaux
de poix ou de goudron. Un bâtiment d'Embden
allant de Rotterdam à Oftende , ayant
fait côte près l'embouchure de la Meufe ,
M. Lucas , commandant une des chaloupes
Garde Côtes , qui y font ftationnées , en a
retiré , avec le plus grand danger , l'équipage
& fept paffagers Anglois qu'il a traité à fon
bord avec la plus grande humanité.
Le bruit fe répand , écrit- on d'Amfterdam , qu'il
fera déformais permis aux Juifs de fervir en qualité
de matelots fur les vaiffeaux de la République , il y
en a déja eu un à bord de l'Ajax , & qui s'eft trèsbien
comporté pendant le combat. Cet infortuné ,
'téduit maintenant à l'état de matelot , étoit autrefois
'un Négociant confidérable dans l'Ile de St-Euftache
avant que les Anglois s'en fuffentemparés ; dépouillé
de tout ce qu'il poffédoit , il eft revenu en Europe
en fervant fur le bâtiment qui l'a amené , pour fe
défrayer de fon paffage qu'il n'étoit plus en état de
payer. L'ardeur de la vengeance , & la néceffité de fe
procurer de quoi vivre , lui avoient fait prendre parti
dans l'efcadre du Contre- Amiral Zoutman ; & pour
fon coup d'effai , il n'a pas été malheureux , puiſqu'il
a affifté à un combat «.
Le brave Baron de Bentinck eft mort la
nuit du 23 au 24 Août des fuites de la bleſſure
qu'il a reçue dans l'action du 5 du même mois.
Il a emporté les regrets de fes concitoyens.
( 92 )
Tous les vaiffeaux de guerre & marchands
qui mouilloient à Amfterdam , mirent leurs
pavillons en berne en figne de deuil. Le 28
il a été enterré dans l'Eglife neuve d'Amfterdam
avec tous les honneurs dûs au grade
de Contre-Amiral , auquel le Stadhouder
l'avoit élevé peu de tems avant la mort ,
en lui confervant le titre de fon Aide-de-
Camp Général.
On a parlé de la retraite du Baron de
Lynden, ci- devant Envoyé des Etats- Généraux
à la Cour de Stockholm , & nommé enfuite
pourremplir le même pofte à celle de Vienne.
On avoit dit un mot de fes motifs ; on les
connoîtra dans toute leur étendue , en lifant
la lettre qu'il écrivit aux Etats-Généraux fur
ce fujet , pour leur demander fa démiffion .
HH. & PP . SS . , ayant depuis 1766 l'honneur
d'être député à l'Affemblée de V. H. P. de la part de
la Province de Zéelande par commiffion permanente ,
je crois , fans bleffer le reſpect en aucune manière ,
pouvoir m'adreffer à V. H. P. , non par requête ,
mais par lettre , afin de faire mes fincères remercimens
de l'égard gracieux qu'elles ont eu à ma prière
pour être démis & difpenfé de la commiffion qui
m'avoit été décernée à Vienne , à raiſon de certaines
circonstances. Quoique je me rappelle avec toute
la fatisfaction & la reconnoiffancé poffible les marques
particulières de confiance & d'approbation que
V. H. P. ont données à mes efforts foibles , mais
bien intentionnés pour le bien- être de la République
durant ma résidence en Suède ; & quoiqu'elles ferviffent
à m'encourager à accepter le pofte qui m'avoit
été conféré , d'Envoyé extraordinaire de V. H. P. à
la Cour de Vienne , d'autant plus que , me trouvant
-
1939
encore à Stockholm , j'avois reçu de la part de M.
le Prince de Kaunitz - Rietberg , l'affurance authentique
que ma nomination ne feroit point désagréable
à cette Cour , ainfi que cela a été confirmé par le
témoignage de M. le Baron de Reiſchach ; j'ai été
néanmoins convaincu , par un examen réfléchi de
moi - même , ainſi que des circonftances où la République
fe trouve relativement à fon adminiftration
politique intérieure , de l'impoffibilité de lui rendre
actuellement aucun fervice en pays étrangers , conformément
à mon zèle bien intentionné pour la
patrie , ainfi que de lui être utile avec cet effet
qu'exigeroient mes fentimens patriotiques & l'importance
des affaires qui peut-être feront à traiter
à la Cour de S. M. I.; & qu'ainfi il étoit à préférer
pour moi d'être difpenfé de cette commiffion.
Pai eu l'honneur de communiquer amplement à
S. A. S. M. le Prince d'Orange , comme Chef éminent
de cette République , les motifs qui ont dû me
porter principalement à cette réfolution ; & je ne
crains point d'expofer pareillement à V. H. P. mon
griefbien fondé , à ce que je crois , & qui fe réduit
principalement à ceci : » Qu'étant , tant à titre de
ma naiffance que de ma charge , Membre de la
Régence de cette République libre , je fuis obligé
d'aider à maintenir fa forme fondamentale de Gouvernement
; favoir , l'alliance fédérative de fept
Provinces fouveraines , ayant à leur tête un Prince
de la Séréniffime Maifon d'Orange- Naſſau ; de récu
fer au contraire toute influence d'Etrangers , quel
qu'illuftre que foit leur naiffance , ou quelque puiffant
qu'ils foient en autorité , & de m'y oppofer , afin de
conferver l'honneur & l'indépendance de l'Etat «< , -
Jufqu'où donc ces fentimens de devoir & d'amour
envers la patrie peuvent s'accorder avec le crédit
que je crois que M. le Duc Louis de Brunfwick a
dans les délibérations de l'Etat ; c'eft ce que je laille
yolontiers au jugement éclairé & équitable de Y.
( 94 )
H. P. & de l'Union entière : c'eft auffi à Elles à déci
der , fi & jufqu'où il a été fait par le fufdit Seigneur
Duc , lors de la majorité de S. A. S. M. le Prince
Stadhouder en 1766 , des efforts pour le faire nommer
& reconnoître Confultant ou Confeiller unique
du Chef éminent de cette République , afin de dif
penfer par-la S. A. S. de fe former , d'entre les Régens
& les Ministres de l'Etat les plus capables & les
plus affidés , un Confeil , où tous les intérêts de la
République , tant à l'égard de l'intérieur que de l'étranger,
feroient convenablement pélés , confidérés &
préparés , afin d'être mis enfuite à exécution
par la
puillance fouveraine & exécutive ; établiſſement qui ,
approuvé & reçu dans des Gouvernemens Monarchiques
& même Defpotiques , paroît être d'autant
plus applicable à cette République , non- ſeulement
à raifon de fa forme de Gouvernement compliquée ,
qu'auffi parce que l'exemple de MM . les Stadhouders
précédens en démontre fuffifamment la néceffité &
l'utilité. Soumettant ces réflexions que j'ai faites
au jugement de mes fupérieurs légitimes , je déclare
au refte que je reconnoîtrai toujours de bon coeur
les fervices finguliers que le fufdit Seigneur Duc a
rendus en fa qualité de Tuteur de S. A. S. durant fa
minorité , comme auffi j'ai contribué dans ce tems
tout ce qui dépendoit de moi , cor formément à mon
devoir , pour aider à alléger le poids qui lui avoit
été impofé, & pour concourir à la fatisfaction perfonnelle.
C'eft aufli pour cette raison que j'ai donné
volontiers mon confentement à la réfolution de V.
H. P. en date du 8 Mars 1766 , priſe à l'occafion
de la majorité de S. A. S. M. le Stadhouder héréditaire
, par laquelle V, H. P. ont demandé à S. M. I.
en faveur dudit feigneur Dic de Brunſwick , fa
continuation au fervice de cet Etat , & l'ont obtenue ,
quoique fuivant le peu de lumières que j'ai fur le
fyftême politique des Cours de l'Europe , & à en
juger par d'autres circonftances , il n'y eût aucune
-
95 5
apparence que la préfence & les fervices dudit fei
gneur Duc feroient requis par la Cour de Vienne .
Je déclare pareillement que j'ai , pour le rang &
les talens militaires de M. le Duc de Brunſwick
comme auffi pour fon iiluftre naiffance , la haute
eftime que je crois être due à des Princes qui
font au fervice de l'Etat , & qui font nés des
Maifons les plus anciennes & les plus refpectables
des Princes d'Allemagne , comme de celle de
Helle & d'autres , dont la République a fouvent
reçu les fervices les plus fidèles , & en recevra
toujours , à ce que je m'affure , dans les occafions
qui pourront fe préfenter. Mais ne reconnoiffant
pour le refte audit Seigneur Duc aucune
qualité ni titre pour avoir quelque influence
même indirecte , dans les affaires qui concernent
le Gouvernement politique de cette République
& perfuadé néanmoins qu'il exerce une telle influence
, je me vois dans la néceffité de prier par
la préfente V. H. P. de me difpenfer pour le
préfent de toute miffion dans les pays étrangers ,
tandis que j'emploierai néanmoins , dans des circonftances
plus favorables , de très bon coeur &
avec tout le zèle poffible , le peu de talens que je
puis avoir en telle commiffion ou pofte dont V.
H. P. me jugeront capable pour la plus grande
utilité de l'Etat & de la Séréniffime Maiſon Stadhoudérienne
, dont les intérêts font inféparables ,
& pour lesquels je protefte être animé à la fois
de l'attachement le plus conftant & le plus fidèle ,
& du zèle le plus fincère , comme auffi je ne cefferai
jamais de donner des preuves de mon amour pour la
Patrie , & du refpect avec lequel je fuis invaria
blement , &c.
·
A la Haye le 26 Juillet 1771. Signé D.
W.VAA LYNDEN.
Il court içi des copies d'une lettre de Tou(
96 )
lon en date du 19 Août , dans laquelle on
lit les détails fuivans fur l'état de l'ifle de
Minorque. Ils confirment ceux que l'ona,
déja donnés , & qui prouvent que cette ifle
eft moins que jamais en état de faire de la
réſiſtance.
-
» Nous avons été informés de bonne part que la
garnifon du fort St-Philippe fous les ordres du Gé
néral Murray , Gouverneur , eft compofée des fit.
& 61e. régimens , de deux bataillons Hanovriens,
de 4 compagnies franches , & d'une compagnie d'ar
tillerie. Il y a lieu de croire que les troupes de
France jointes à celles d'Eſpagne feront ensemble
le fiége de cette place ; elle n'eft pas imprenable
comme on l'a vu dans la dernière guerre ; & dans
ce moment fur- tout ,, elle ne fauroit attendre la
protection d'une efcadre Angloife , tant que tou
tes les forces navales de la Grande- Bretagne , arrêtées
dans l'Océan par l'armée combinée ; fe verront
peut-être contraintes de regagner les ports des
trois Royaumes. Le régiment de Lyonnois en
garnifon ici , a reçu ordre de fe préparer à fon
départ ; & nous attendons quatre autres régimens
qui doivent arriver inceffamment dans cette ville ;
on ne doute pas que les uns & les autres ne foient
deftinés à paffer à Minorque , cependant on ne voit
faire encore aucun préparatif qui indique que cette
expédition doive être fi prochaine « .
un
P. S. » On reçoit dans ce moment une lettre
écrite de Mayorque en date du 18 de ce mois ,
Négociant de cette ville. Le Courier preffe & le
tems manque pour la tranfcrire ; je vous dirai feu
lement qu'elle annonce que M. le Duc de Crillon eft
arrivé à Mahon , & que la defcente de fon arinée
s'eft effectuée heureufement. «
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le rer. Août.
GIANIKLI - ALI , Pacha , fameux
pir
fa
fuite en Crimée , vient de rentrer par la
médiation même du Khan dans les bonnes
graces du Grand - Seigneur , qui l'a rétabli
dans fon Gouvernement de Trébifonde.
> S. H. a nommé Yzzed Méhémet , au Gouvernement
de la Morée , & rendu à Iskender-
Bey Méhémet - Aga , l'infpection générale
du corps des Bombardiers. Il en avoit
été deftitué il y a quelque tems ; & c'étoit
Inglis Muftapha- Aga , Renégat Anglois , qui
l'avoit remplacé . Iskender- Bey eft petit- fils
du fameux Comte de Bonneval.
La flotte qui croifoit dans la mer Blanche
aux ordres du Capitan Bacha , a dirigé ſa
route vers la Morée.
Gendſch Méhémet Bacha à trois queues
qui l'année dernière avoit encouru la dif-
15 Septembre 1781.
( 98 )
grace du Sultan , & perdu fa place à l'oc
cafion des troubles de la Crimée , vient de
rentrer en grace ; mais comme il ne vaque
aucun Gouvernement du premier ordre , on
ne lui en a donné qu'un petit dont il a été
forcé de fe contenter.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 12 Août.
La fête de la Grande- Ducheffe a été célébrée
dans cette capitale , où elle avoit amené
toute la Cour qui en eft partie le lendemain
pour retourner à Czarsko-Zélo .
Nos deux efcadres qui l'année précédente
ont croisé dans la Méditerranée , font rentrées
dans le port de Cronstadt depuis quelques
jours , & on s'occupe jour & nuit à les
réparer.
Les travaux pour l'établiffement de plufieurs
ports le long de la mer du Japon jufqu'à
Kamtfchatka , continuent avec la même
ardeur & avec le même fuccès. On fe flatte
auffi de pouvoir prolonger la navigation depuis
le golfe Lena juſqu'au golfe Perfique ,
& de réunir par ce moyen le commerce de
l'Europe à celui de l'Afie jufqu'aux endroits
les plus éloignés ; fi , comme on le dit , l'Amérique
n'eft éloignée de Kamtſchatka que de
40 milles , on fent combien cette découverte
eft importante pour notre commerce dans
cette partie du monde ( 1 ).
( 1 ) S'il faut en croire un Journal du dernier voyage du
( 99 )
L'Impératrice a envoyé depuis quelque
tems à la Chine plufieurs jeunes gens , qui
fous la conduite d'un Archimandrite , font
deftinés à apprendre la langue Chinoife &
la Tartare , à Pékin , ainſi qu'à s'inftruire des
Sciences & des Arts de cette nation , & à eſfayer
de fonder une correfpondance qui
puiffe faciliter le commerce des deux Empires
. Pour avancer l'exécution de ce projet ,
on doit propoſer à l'Empereur de la Chine
de recevoir un Envoyé extraordinaire Ruife,
qui réfideroit à Pékin , & d'en envoyer un
de fon côté à Pétersbourg avec de jeunes
Chinois qui s'inftruiroient auffi des coutumes
& des moeurs de l'Europe.
DANEMARCK.
D'ELSENEUR , le 18 Août.
Il y a actuellement 80 navires marchands
Anglois dans le Sund qui y font arrivés de
la Baltique ; on y en attend encore journellement
un grand nombre d'autres. On dit
que 20 de ces navires ont réfolu de partir ce
foir même , fi le tems & le vent le leur permettent
, parce qu'ils fe flattent qu'ils ne
trouveront point actuellement de navires
Anglois en iner.
Capitaine Cook qui vient d'être publié à Londres , & qui
n'étant pas celui de ce fameux navigateur doit être de quelqu'un
des Officiers de fon équipaque , l'éloignement des
deux Continens de l'Afie & de l'Amérique ? au 63 degré
48 minutes de latitude , & au 192e. , 10 minutes de longitude
, n'eft que de 12 lieues.
e 2
( 100 )
On prétend qu'un Capitaine de haut -bord ,
Danois , dont le vaiffeau a mouillé quelques
jours à Flefcheroen en Norwège , avec l'Amiral
Parker , ayant appris la victoire des
Hollandois à Doggers Bank , a dit : » Je n'en
fuis pas étonné ; Parker avoit du canon
mais point d'équipages ; il ne fe trouvoit pas
400 hommes fur le plus grand de ſes vaiffeaux
".
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 18 Août.
ON écrit de Gottenbourg la proteſtation
fuivante , que le Capitaine Olof Hedstrom
a été obligé de faire , à l'occafion des violences
qu'il a effuyées dans fon trajet de
Bordeaux à Fiume & à Trieſte.
,
2
Je partis de Bordeaux le 4 Avril avec une cargaifon
pour Smyrne & Triefte ; le 23 à 12 milles
a l'Ouest du Cap Spegel , à cinq heures aprèsmidi
, furvint un capre portant pavillon Améri
cain , & qui fe difoit tel , armé de 14 canons
autant de pierriers , & 40 hommes d'équipage ;
il me héla , me tira quelques coups de canons
m'obligea de lui envoyer ma chaloupe , mes papiers
, & de me rendre auffi- tôt à bord . A mon ar
rivée on m'arrêta , & on prit mes papiers ; après
quoi le corfaire me fit paroître devant lui , pour
m'annoncer que la cargaiſon étoit de bonne prife.
Je m'apperçus que ma chaloupe étoit relâchée ,
& que ceux qui étoient dedans travailloient pour
revenir au bâtiment du corfaire ; je le priai de fau
ver mes gens ; mais je ne pus rien gagner fur
lui. La nuit furvint , le tems étoit orageux ,
( 101 )
-
>
& le lendemain , mon bâtiment & la chaloupe
avoient difparu ; l'un & l'autre ont vraisemblablement
péri miférablement . Lui ayant repréſenté fa
barbarie à l'égard de mon équipage , il me menaça
de me faire pendre fi je ne me taifois . Jo
reitai fur fon bord jufqu'au 28 Avril , qu'un
navire de Lubeck , venant de Bordeaux , nous iencontra
le corfaire ôra à ce Capitaine fon ar
genterie & fes habits , nous menaçant tous
deux du traitement le plus févère , fi nous ne fignions
pas notre nom fur un papier où il n'y
avoit rien d'écrit. Le même Capitaine fut enfuite
obligé de me prendre a fon bord , où je reftai
jufqu'au 29 Mai , que je rencontrai le Capitaine
Erafme Heilmann. Le 4 Juin je rencontrai
dans la mer du Nord le Capitaine Effemberg , du
navire la Compofition , deſtiné pour Stockholm.
J'appris de lui que mon Pilote , & feulement cinq
hommes de mon équipage , étoient arrivés heureufement
avec mon bâtiment à Cadix . Le 24
Juin , j'ai relâché à Gotthemberg avec le Capi-
V toutes ces circonstances ,
& pour mettre mon bâtiment à l'abri de tout abus
que l'on pourroit faire de ma fignature en blanc
à laquelle le corfaire m'a forcé , j'ai protesté à
Gothenbourg , comme je protette encore , contre
tout ce que pourroit faire à mon défavantage le
corfaire ou le propriétaire de mon billet , déclarant
nul & de nulle valeur tout ce que le corfaire
voudroit prouver par ma fignature. figné OLor
HIDSTROM.
taine Heilmann . -
ALLEMAGNE.
De VIENNE le 22 Août.
›
L'EMPEREUR eft parti d'ici le 19 au foir
pour Peft , en Hongrie , où il va voir mae
3
( 102 )
noeuvrer les troupes qui y font raffemblées ;
on croit que de-là il ſe rendra à Prague pour
voir le camp qui fe forme près de cette
ville. Le Comte Olivier de Wallis y commande
l'infanterie , & le Comte de Wurmfer
la cavalerie. Les troupes qui y font
réunies montent à 38,430 hommes , dont
chacun fera fourni de 60 cartouches ; chaque
canon aura 150 coups à tirer .
Un Courier arrivé ici de Pétersbourg a
apporté l'avis que le Grand-Duc & la Grande-
Ducheffe en partiront le 11 du mois prochain
; ils font attendus le 11 Octobre à
Berlin , d'où ils fe rendront dans cette Capitale.
Le Rédacteur de la Gazette de Ville avoit
écrit dans une de fes Feuilles , que l'Empereur
avoit permis aux Magiftrats d'Anvers
de faire rouvrir inceffamment l'Efcaut. Il
vient de le rétracter par ordre de la Chancellerie
Impériale.
De FRANCFORT , le 25 Août.
Nos papiers , depuis quelque tems , ne font
remplis que de plans de pacification . Il n'y a
rien de plus naturel. Les oififs en tems de
paix ne parlent que de préparatifs de guerre ;
il est tout fimple quand elle eſt allumée
qu'ils rêvent auffi les moyens de l'éteindre.
Selon eux la Cour de Londres s'eft déclarée
aux Puiffances médiatrices , en propofant
pour fondement que chacune des parties
( 103 )
reftera en poffeffion de tout ce qu'elle pofsède
actuellement dans l'Amérique feptentrionale
, & qu'enfuite on reftituera les
poffeffions prifes de part & d'autre , celles
même enlevées à la République des Provinces
Unies . Mais il n'eft pas queftion de
l'indépendance de l'Amérique , de la fortereffe
de Gibraltar que l'Espagne veut fans
doute voir rentrer fous fa domination , &
de Minorque qu'elle n'attaque pas pour l'abandonner
fi elle s'en empare , ou pour ne
pas en exiger la ceffion , dès qu'une fois
elle aura montré le defir de la conquérir.
Cette Puiffance s'eft décidée tard à la guerre.
Mais dès qu'elle l'a une fois commencée
il est vraisemblable qu'elle ne fera pas la première
à céder ; au refte les évènemens qui
doivent ramener la paix ne font pas encore
arrivés. Chaque Puiffance a annoncé des prétentions
qu'elle eſt en état de foutenir , & aucune
ne paroît pas encore dans la fituation
qui doit les rapprocher.
On dit que 1 Evêque de Paffau cède à la
Maifon d'Autriche la Seigneurie d'Obernberg
avec les droits pour une rente annuelle
de 10,000 florins , & la fomme de 110,000
une fois payée.
» Il est arrivé ici , écrit - on de Varſovie , un
Prince Arabe âgé de 18 ans. Son intention eft de
fe former aux Sciences , aux Beaux-Arts , & furtout
d'apprendre le Deffin , la Peinture & l'Architecture
militaire. Sa fuite eft de 30 perfonnes , &
fes chevaux font d'une beauté rare . Comme il
vient de l'Arabie - Heureufe , il avoir fait charger
€ 4
( 104 )
10 chameaux d'épiceries de la meilleure espèce.
On dit qu'il veut refter ici pendant trois ans.
Mais pour remplir les beaux projets qu'il a formés
, on pourroit lui confeiller d'aller plus loin .
la
Une Princeffe Polonoife qui s'étoit fauvée du
Château ou fon mari la tenoit renfermée , ayant
été atteinte à 40 milles de là fur les terres de
Ruffie , & fon mari eſcorté de 60 Ulans , ayant
voulu employer la violence pour la ramener ,
Régence Ruffe s'y eft oppofée , l'a prife fous fa
garde , & l'a fait reconduire bien eſcortée dans
cette Capitale où fon affaire va être examinée
«.
›
ITALI E.
De LIVOURNE , le 24 Août.
LE Grand- Duc à l'occafion des tremblemens
de terre qui ont caufé dernièrement
de très grands dommages dans la Romagne
a affranchi la partie de cette province qui lui
appartient de tout impôt pendant un an ;
& les habitans de la partie qui appartient
au S. Siége ont fait vou de n'admettre pendant
deux ans aucuns divertiffemens ni
fpectacles publics.
ןכ
Depuis le 15 du mois dernier , écrit - on de
Lisbonne , jour où nous effuyâmes un tremblement
de terre dont les fecouffes durèrent quelques
fecondes , la terre ne nous alarme plus . Ce jour.
là & les précédens , il avoit fait une chaleur exceffive
& le thermomètre de Farenheit étoit
monté à 96. Notre Monaftère des Dames de
Santa Juanna , un des plus riches du Royaume ,
& où il y a ordinairement près de 300 Religieufes
, vient d'être la proie des flammes ; il n'en
-
( 105 )
fubfifte pour ainfi dire plus rien , & cinq Dames y
ont péri. C'eft , affure.t on , une d'entr'elles , dont
l'efprit étoit égaré , qui pendant la nuit a mis le
feu en trois endroits à ce beau Monaftère «
Les lettres de Rome ne nous apprennent
rien fi ce n'eft que la feconde partie de la
Diatribe intitulée : Memoria Catholica, vient
de paroître dans cette ville même quoique
la première y ait été déja brûlée. On fait
que cet Ouvrage eft en faveur de la ci devant
Société.
Le fyftéme que l'Empereur a adopté , écriton
de Mantoue , pour reftreindre les abus du pouvoir
Eccléfiaftique dans fes Etats , & pour rame.
ner le Clergé au niveau des autres Citoyens fous
l'autorité fouveraine , va s'exécuter auffi dans la
Lombardie Autrichienne. Le 27 Juillet , il a été
publié dans toute l'étendue de cette Province , un
Edit pareil à celui qui l'a été à Vienne il y a quelque
tems , pour interdire aux Communautés religieufes
toute communication avec les fupérieurs
de leur Ordre en pays étranger , leur ordonnant
de fe former dans un délai d'un mois , en Congré
gations gouve nées par leurs propres Supérieurs ,
fous l'infpection e rEvêque Diocéfain & l'autorité
civile du Gouvernement . Il a été ordonné en
même- tems à tous les Mei es étrangers de fortit
des Etats de S. M. I. Les naufs du Pays qui refteront ,
feront réunis en quelques Convens , les autres feront
fupprimés ; & de leurs bâtimens , il fera formé
des cafernes pour foulager ai fi les citoyens de
l'obligation de loger les Militaires.
S. A. R. le Grand Duc de Tofcane tou .
jours attentif au bien de fes fujets , s'occupe
des moyens de réprimer le luxe , on a adreffé ,
de fa part , la lettre fuivante aux Chefs des
es
( 106 )
Colléges des Nobles dans les Villes de fes
Etats.
---
» S. A. R. voit avec douleur le luxe exceffif qui
s'eft introduit dans les habillemens , & fur tout dans
ceux des femmes , & dont il prévoit les conféquences
funeftes. Les femmes à qui leur fortune perfonnelle
ou la complaifance de leurs maris permet de
difpofer d'un revenu confidérable , au lieu de le
confacrer à d'autres emplois plus nobles & plus
utiles , ont la foibleffe de le diffiper au gré d'une
vanité ridicule. Celles d'une condition égale , mais
qui font moins riches , fe croyent obligées , par
un faux point d'honneur , de s'égaler en tout aux
premières , & les femmes d'un moindre rang , par
une fuite de l'ambition naturelle à leur Sexe , font
des efforts ruineux pour fe rapprocher de celles
d'un rang fupérieur. Ces fantaifies difpendieufes que
le luxe a introduites dans la Capitale paffent dans
les Provinces & jufques dans les Campagnes où
elles ont des fuites encore plus déplorables.
-
Cer
De-là , plus de difficultés pour les mariages dans
tous les Etats ; de- là, le défaut d'argent pour l'éducation
des enfans , devoir fi important , ou pour la
dot des filles ; la difproportion de la dépense avec
les revenus , les dettes , l'infidélité à l'égard des
créanciers ; la diminution des capitaux pour le commerce
, des fonds pour les manufactures utiles , des
avances pour la culture ; la ruine des familles , les
divifions domeftiques , les mauvaiſes moeurs.
excès de vanité qui , dans quelques femmes n'eft
qu'une foibleffe méprifable , devient dans la plupart
de celles qui les imitent un véritable crime , puifqu'elles
ne peuvent fatisfaire cette vanité qu'aux
dépens de la fortune d'autrui , ou de ce qui devroit
être réservé aux devoirs les plus effentiels des peres
& des meres de famille . Cependant S. A. R. ,
fidèle au fyftême qu'elle s'eft formé de refpecter
La liberté des actions dans les fujers , n'a point
-
( 107 )
-
voula porter de loi contre le luxe ; elle fait d'ail
leurs combien il feroit difficile de foumettre à des
loix un objet dont les formes varient fans ceffe ,
& où principalement , pour ce qui regarde la parure
des femmes , le mal vient moins de la cherté des
matières qui forment les parures que de leurs multiplicités
& de l'abus qu'on en fait. Sa bonté pour
fes fujets ne lui permettra jamais de faire des loix ,
qu'il feroit également facile d'éluder & de faire
fervir de prétexte à des vexations ; mais elle compte
affez fur leur amour pour être fûr qu'ils s'emprefferont
de feconder fes vues paternelles , & de mériter
fon approbation . Comme c'eft par la Nobleſſe
que la réforme doit commencer , & que c'eſt à elle
à en donner l'exemple aux autres claffes de Citoyens ,
vous voudrez bien faire part aux Colléges des
Nobles des intentions du Souverain . - LL. AA.RR.
verront avec plaifir la Nobleffe des deux fexes
paroître à la Cour les jours de gala , & dans les
autres occafions publiques , en habits unis ou même
noirs , & dans cette fimplicité d'ajuftemens qui
s'accorde mieux avec la vraie grandeur & les graces
décentes qu'une parure recherchée & faite pour le
théâtre. Les Sujets de LL. AA. doivent penfer
qu'elles font capables d'eftimer les Membres de la
Nobleffe , non d'après leur magnificence dans les
habillemens , mais d'après l'élévation de leurs fentimens
, l'honnêteté de leur conduite , le bon ufage
de leurs revenus , & des actions d'une bienfaisance
éclairée . Au contraire S. A. R fera entrer dans
le jugement qu'elle portera du mérite de chaque
individu , la modération ou l'excès de la parte ,
tant pour lui- même que pour la femme ou fes filles ,
comme une forre piéfomption pour la bonne ou
mauvaise conduite , pour la foli fité ou la frivolité
de fon efprit , pour la fageffe ou la foibleffe de fon
caractère , & cette préfomption influera dans la
diſtribution des graces & fur-tout dans celle des
-
e 6
( 108 )
emplois publics , qu'on ne doit donner qu'à des
hommes d'un jugement fain , & qui , par leur
économie dans leurs propres affaires , ont mérité
que celles du Public leur foient confiées «.
ESPAGNE.
De MADRID le 20 Août.
Le Roi a fait une promotion nombreuſe
dans les armées de terre & de mer pour récompenfer
les fervices de fes Officiers . Ceux
dont les noms doivent être connus en France
, funt D. Bernard de Galvez , D. Manuel
Çagigal & D. Joſeph Solano. S. M. les a élevés
au grade de Lieutenant- Général . D. Bernard
de Galvez , quoique fort jeune , étoit
appellé à ce rang par le voeu de la nation.
La France ne doit pas être indifférente aux
fuccès de cet Officier. C'eft dans les troupes
que D. Bernard Galvez a fait fes premières ar
mes ; pendant la dernière guerre, il étoit entré
comme fimple Lieutenant dans le régiment
d'Aumont. Il a fait un chemin rapide depuis
qu'il eft rentré au fervice de fa nation .
On attend à chaque inftant quelques navires
qui ont dû partir de la Havane & qui
doivent amener le Gouverneur de Cuba .
On ne croit pas que D. Jofeph Solano vienne
lui-même avec le convoi de cette ifle. Il lui
donnera une eſcorte fuffifante . Le refte de fes
forces réuni à M. de Monteil , & aux vaiffeaux
que pourra laiffer M. de Graffe , tentera
quelque chofe dans les ifles.
( 109 )
Nous n'avons encore aucune nouvelle de
M. de Crillon , mais elles ne peuvent tarder;
on fait que le 13 il fe mit en mouvement pour
continuer fa route.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 4 Septembre.
ON n'a jamais été dans une plus grande
'difette de nouvelles , nos papiers pour y fuppléer
s'amufent à broder fur les évènemens
paffés ; s'il faut les en croire , la grande
quantité de munitions détruites par nos
troupes dans leurs dernières excurfions en
Virginie , & la défaite des troupes continentales
aux ordres du Marquis de la Fayette ,
doivent contribuer bien efficacement à ramener
cette province fous l'obéiffance du
Roi ; mais on ne fait pas attention que cette
belle victoire n'eft qu'une efcarmouche ,
qui eft peu de chofe de l'aveu même de
nos Généraux qui fe plaignent de ce que
la nuit les a empêchés de profiter de leur
avantage .
» Suivant les dernières nouvelles de l'Amérique ,
lit-on dans un de nos papiers , un grand nombre
des habitans de Charles - Town , prifonniers fur
leur parole , lors de la prife de cette Ville par les
troupes du Roi , ont été conduits à Saint- Auguftin
par ordre du Lord Cornwallis . Ils ont fait de fortes
repréſentations contre cet enlèvement , mais elles
n'ont point ébranlé le Général , qui a déclaré qu'irrité
au dernier point contre les habitans de cette
province , qui ne ceffent de fe révolter , & étant
( 110 )
bien convaincu par les papiers qui font tombés
entre les mains depuis la défaite de l'armée rebelle ,
des moyens qui ont été employés par quelques habitans
prifonniers fur leur parole à Charles -Town ,
pour exciter & fomenter la rébellion , il fe trouve
dans la néceffité d'ordonner au Commandant de
faire tranfporter lefdits habitans de Charles -Town.
à Saint-Auguftin , pour affurer la tranquillité de
cette province , & qu'il faut que cet ordre foit mis
en exécution .
Cet ordre prouve qu'il s'en faut de beaucoup
que les habitans foient diſpoſés à la
foumiffion , puifqu'ils ne ceffent de remuer
fous les yeux même des Anglois maîtres de
leur ville .
Toutes les lettres de New-Yorck annoncent
qu'on s'attend journellement à une
vifite de la part des François & des Américains
réunis , & que les premiers étoient
enfin parvenus à débarquer heureuſement à
Long-Ifland.
» Le Général Washington , lit - on dans une de
ces lettres , en date du 2 Juillet , remue ciel & terre
, & raſſemble toutes les forces pour nous affiéger
avec un renfort d'environ 4000 hommes
de troupes françoifes. Dans cette occafion , les habitans
de la Nouvelle- Angleterre montrent beaucoup
d'empreffement , & fe rendent en foule au
camp de l'ennemi , dans l'eſpérance de prendre cette
place ; en conféquence , nous nous attendons à
quelqu'action chaude avant qu'il foit un mois , atrendu
que les Rebelles nous inveſtiffent de tous côtés.
Quoiqu'il en foit , s'ils ont formé férieuſement
le projet de nous attaquer , comme ils nous
en menacent nos retranchemens font fi forts , &
notre garnifon qui , avec les milices , monte
,
(au )
près de 20,000 hommes , a tant d'ardeur & de
courage , que la présomption de l'ennemi pourra
lui coûter cher & mettre fin à fa rébellion «.
On craint ici que ce ne foit de la part de
la garnifon qu'il y ait de la présomption ;
elle eft nombreuſe , mais l'armée qui l'attaquera
eft confidérable ; les 4000 François
qui l'ont jointe ont avec eux un régiment
d'artillerie ; & on fait que les artilleurs de
cette nation font les premiers du monde ;
ce fera la première fois de cette guerre que
le canon aura agi fur le continent de l'Amérique
feptentrionale ; & nous ne pouvons
parler de fes effets que lorsqu'on les aura
vus. Ce fiége , s'il eft entrepris fera foutenu
par une efcadre , & M. de Graffe étoit attendu
de jour en jour à Rhodes Ifland ; on s'attend
bien qu'il fera (uivi par l'Amiral Rod ey;
mais il n'aura pas encore la fupériorité dans
ces parages ; & s'il eft parvenu à éviter aux
ifles toute action décifive avec les François ,
il ne fera peut-être pas auffi heureux dans
P'Amérique feptentrionale.
On mande , lit on dans un de nos papiers , la
nouvelle fuivante de Winchefter en Virginie . - Un
ancien foldat Heffois ayant été voir plufieurs fois
les prifonniers de Saratoga , donna lieu à des
foupçons contre lui . Sa conduite ayant été obfervée
de plus près , on crut devoir s'aflurer de fa
perfonne ; & pour éviter une mort prochaine , il
déclara un complot tramé par les Torys , & rom.
ma entr'autres complices un Colonel , qui for auffi
arrêté fur le champ. La maison de ce Colonel
ayant été inveſtie , on y trouva beaucoup de guinées
, des copies de commiffion , & d'autres pa(
112 )
piers qui indiquent que Charles Lée , Général
Américain , devoit étre le chef du complot. Un
detachement de milice & de Cavalerie légère fut
auffi-tôt envoyé a la maison de ce Général ; mais
il avoit déja pris la fute , & l'on croit générale
ment qu'il s'eit fauvé dans le camp des Angiois.
On connoît les démêlés de cet Officier
avec le Général Washington , & on croit que
le mécontentement a pu le porter à cette
trahifon. Depuis la défection d'Arnold celleci
doit moins étonner.
On dit que le Général Vaughan eft rappellé
, & que le commandement général de
nos forces aux ifles eft donné au Général
Meadows qui s'embarquera inceffamment
pour cette ftation.
Les lettres de St- Chriftophe & d'Antigoa,
du 2 & du 4 Juillet , difent que le départ
de la flotte pour l'Angleterre , ne devoit
avoir lieu qu'au mois d'Août ; on ſuppoſe
que cette difpofition a changé lorfque l'on
a appris le départ de M. de Graffe pour l'Amérique
feptentrionale , qui a eu lieu le s
Juillet.
Maintenant le fort de cette flotte & de
celle de la Jamaïque nous inquiètent beaucoup.
I eft certain que l'Amiral Darby eft
rentré à Torbay , & cela appuye fortement
ceux qui annoncent que l'armée ennemie
combinée s'approche de nos côtes , quoique
maintenant on cherche à répandre du doute
fur ce fait.
» Il est bien étrange que de toutes les Gazettes
( 113 )
-
qui ont paru depuis plufieurs jours , il n'y en ait
qu'une qui ait articulé d'une manière pofitive l'apparition
de l'Armée combinée , très - près de l'ouvert
de la Manche , & qu'aucun des autres Papiers publics
n'ait eu la hardieffe de contredire cette nouvelle. Le
fait n'eft cependant pas encore authentique. Si les
Miniftres favent qu'il eft faux , pourquoi ne pas
fixer l'opinion du public fur an objer aufli important
; ce qu'ils peuvent faire fans s'abbaifler jufqu'à
contredire un article de Gazette , mais fimplement
en indiquant le lieu où eft réellement l'Armée combinée
, fi elle n'eft point fur nos côtes. Ils favent
certainement ou du moins ils doivent favoir où eft
à-peu près cette Armée. Il eft auffi bien fingulier
que toutes les fois que notre grande efcadre eft en
mer, elle choififfe toujours pour rentrer dans nos
Ports , le moment précis où nos flottes des Indes
& d'autres également précieufes font attendues à
l'embouchure de la Manche , laiffant ainfi ces flottes
à la merci de l'ennemi , que l'on fait être en mer
avec les forces les plus redoutables . La même chofe
eſt arrivée l'année dernière & c'eft pour la feconde
fois de celle- ci. La dernière flotte de la Jamaïque
qui avoit pris par le Nord , dans la crainte de
rencontrer l'ennemi , vient enfin d'arriver après une
traverfée prefqu'auffi longue que fi elle fût venue
de l'Inde. Nous ferions cependant encore trop heureux
fi celles que nous attendons n'éprouvoient pas
d'autre malheur que celui - là . Il est bien fingulier
que nos Négocians vivert dans une telle anxiété
fans proférer la moindre plainte & fans demander
la protection que vingt- cinq millions ft. les autorifent
certainement à réclamer .
A quoi penfent auffi tous nos Miniftres de laiffer
la mer du Nord entièrement à la merci des Hollandois
qui peuvent entrer dans la Baltique ou en
fortir comme il leur plaît avec toutes les munitions
navales néceffaires , foit pour eux ou pour leurs
( 114 )
nouveaux Alliés ! Cette circonftance ouvre enfin à
leurs convois , pour les deux Indes , un paflage
libre par le Nord, en même - tems qu'elle leur livie
nos flottes de retour qui ont pris ce chemin ",
Les incertitudes qu'on affecte de laiffer
à la Nation fur l'approche de l'armée combinée
font fondées fur ce que c'est le 14
Août qu'on l'a vue pour la dernière fois
que depuis ce tems avec les vents que
l'on a eus , elle auroit déja paru fur ces
parages fi elle avoit eu cet objet en vue.
» Son véritable objet , dit un de nos papiers , eft
bien plus important qu'une invafion fur nos côtes ;
elle fe propofe de nous enfermer dans le canal ,
afin que nous ne puiffions envoyer aucun fecours
à Minorque & à Gibraltar. On ne peut douter
que le plan de la maifon de Bourbon ne foit de
s'emparer de ces deux places. Si ce projet s'effecte
cette campagne , la France & l'Eſpagne feront
en état de forcer la Grande Bretagne à
recevoir les conditions de paix qu'elles voudront
leur dicter. Comme nous n'avons point
d'efcadre capable de faire tête à la leur , Gibraltar
& Minorque ne peuvent manquer de tomber
entre leurs mains, pour peu qu'elles mettent de l'activité
dans leurs opérations. Dans la fituation déplorable
où fe trouve aujourd'hui la garnifon de Gibraltar
, il n'eft guere poffible que cette place
puiffe résister à une attaque par mer & par terre ,
fi elle eft bien conduite ; & cette clef de la Méditerranée
une fois perdue , la prife de Minorque
fuivra bientôt , parce qu'il n'y a rien de plus aifé
que de l'affamer . Ce n'eft qu'en confervant la fouveraineté
de la mer , qu'on peut garder ces deux
places ; fi nous la laiffons échapper , nous n'avons
qu'à leur dire adieu pour jamais «.
( 115 )
>
On affure que l'Amiral Darby a reçu ordre
de fortir fur le champ ; on lui fuppofe
l'ordre d'aller à Gibraltar & à Minorque
& de combattre l'ennemi par- tout où il
le rencontrera. On trouve un pareil ordre
un peu imprudent s'il a été en effet donné ;
mais pour le rendre vraisemblable , on fuppofe
que fa flotte eft augmentée de 18
vaiffeaux , dans un moment où en réuniffant
tous ceux que l'on deſtine à différentes
ftations , & qui n'ont pas encore leur complet
de matelots , on n'en trouve que 12
fans compter les 23 qu'avoit déja cet Amiral.
En voilà déja 2 de moins , s'il eft vrai ,
comme on le dit , que le Prothée & l'Agamemnon
, qui font fortis le 19 de Portsmouth
, vont en Amérique joindre l'Amiral
Darby. Il faudra encore en retrancher
le St Albans de 64 , qui , avec 2 frégates ,
a reçu le 20 l'ordre d'efcorter le convoi de
Corke pour les Ifles . Comme il eft queftion
d'embarquer les bataillons tirés des
régimens des Gardes à pied , à qui l'on a
donné ordre de fe préparer à s'embarquer
le plus promptement poffible , il faudra
encore une efcorte aux tranſports qui les
prendront à bord .
» On croit généralement , dit un de nos papiers ,
que le commerce de la Baltique ne pouvant le faire
qu'en été , la flotte Hollandoife doit faire une feconde
tentative pour fortir du Texel , afin de fe procurer
des munitions navales dont elle a le befoin le plus
urgent , & qu'elle ne pourra trouver ailleurs , fi
( 116 )
elle manque la faifon actuelle. — Selon une lettre
de Cove , il y est arrivé un vaiſſeau d Oftende ,
dont le patron rapporte qu'avant ſon départ , on
y avoit reçu la nouvelle qu'une forte elcadre de
vailleaux de guerre & un grand nombre de tranfports
étoient fortis di Texel , & qu'elle avoit été jointe
devant Guernesey par quelques frégates & autres
vailleaux armés & transports , ayant à bord des
troupes de Saint - Malo ; mais que leur deitination
étoit ignorée. Quoiqu'il en foit de cet avis qui
eft peut- être faux , il a été donné ordre ici à un
détachement d'Artillerie de fe tenir prêt à paffer
aux Inles de Jerſey & de Guernesey , pour relever
ou renforcer un autre détachement dans cette ftation
«<.
Les Hollandois que nous avons trop
affecté de méprifer quand nous leur avons
déclaré la guerre , nous caufent d'affez vives
inquiétudes depuis que nous avons appris
à nos dépens qu'ils n'ont pas oublié
T'art de fe bien battre . On a lieu de croire d'après
plufieurs circonstances , qu'ils fe propofent
de faire un effort pour détruire les
vaiffeaux qui pourroient fe trouver dans
les ports de quelques- unes des villes fituées
fur la côte orientale de ce Royaume , &
d'en mettre les habitans à contribution .
On dit que l'Amiral Hood continuera de
commander en fecond en Amérique fous
l'Amiral Digby , & que l'Amiral Graves ,
ira aux Ifles avec le Chevalier George Rodney
, quand la ſaiſon des orages fera paffée .
L'Union , corfaire de Poole , eft arrivé
à Kings - Road. Il vient d'Afrique & en
dernier lieu de la Barbade. Il a quitté cette
( 117 )
Ifle le 27 Juillet . La flotte de Corke y étoit
arrivée le 1 du même mois , & celle de
Londres le 10. Ces deux flottes n'avoient
pas perdu un feul bâtiment.
On dit que le Gouverneur Johnſtone a
informé le Gouvernement qu'il a pris un
vaiffeau Espagnol de Manille , dont la cargaifon
eft évaluée 100,000 liv . & qu'il eft
arrivé à Buenos Ayres , où il y a une révolte
à la tête de laquelle fe trouvent deux Officiers
Anglois ; cette nouvelle eft fans vraifemblance
depuis que l'on a appris que les
légers troubles qui s'étoient élevés dans les
établiffemens Efpagnols avoient été appaifés.
Si Johnſtone eft à Buenos - Ayres , on fait
que ce n'étoit pas fa deftination ; il n'a pu
renoncer à s'y rendre que forcé par l'impoffibilité
; & en conféquence fon affaire
dans la Baie de Praya a dû lui être plus
funcfte qu'il ne l'a dit ; fon arrivée aux Indes
étoit inftante , & M. de Suffren à
préfent eft fûr de donner à fa Nation une
plus grande fupériorité que celle qu'elle a
déja.
On engage actuellement en Allemagne un
corps de Heffois pour relever les Hanovriens
qui font à Gibraltar ; on ſe propoſe
d'envoyer ceux- ci en Amérique au commencement
du printems. Il s'agit de favoir fi ,
d'ici à ce tems , ils ne feront pas prifonniers
des Efpagnols.
Toutes les lettres de l'Ouest de l'Irlande
fe plaignent des prifes nombreuſes faites
( 118 )
dans le canal , plus de 20 corfaires ennemis
infeftent les côtes & le commerce de
ce Royaume , qui pour prévenir la ruine
totale , follicite des fecours du Gouvernement
; ceux qu'il obtient ne font pas confidérables
, puifque l'Amirauté s'eft contentée
de répondre qu'elle avoit ordonné à M.
Cooper , Capitaine du Stag de choisir un
floop ou un cutter pour fervir d'eſcorte
aux bâtimens qui vont de Newry à Chefter
& à Liverpool pour y faire le commerce
des toiles.
Trois frégates & cinq cutters , excellens voiliers ,
ont été envoyés de Portsmouth & de Falmouth
avec des Dépêches adreffées aux Capitaines des
vaiffeaux qui eſcortent la flotte de la Jamaïqué &
des Inles , portant ordre de relâcher dans le premier
port d'Irlande , & dans le cas où ils ne
jugeroient pas le parti convenable ou praticable ,
de prendre par le nord & d'aller mouiller dans
la rade de Leith . Ces bâtimens font partis avec
la plus grande diligence.
Une lettre d'Yarmouth porte , que lundi de la
femaine dernière les Américains , détenus dans les
prifons de cette ville , ont fait une tentative pour
s'échapper ; au moyen d'une montre d'argent & de
8 guinées , ils avoient gagné la fentinelle ; à une
heure du matin , le foldat leur avoit ouvert les
portes , mais malheureuſement pour eux , un fergent
étant furvenu en ce moment pour relever la fentinelle
, avoit découvert leur projet , & s'étoit afſuré
des prifonniers , ainfi que de leur garde , qu'on va
farre paffer par un Confeil de guerre. L'emplette
récente qu'il avoit faite d'un habit bourgeois , donne
lieu de fuppofer qu'il fe propofoit de voyager avec
Les affranchis.
( 119 )
M. Trumbull qui a été fi long - tems
détenu en prifon fur le foupçon qu'il avoit
entretenu une correfpondance criminelle
avec nos ennemis , a obtenu fon élargiffement
à condition qu'il fortira du Royaume .
Plufieurs Officiers Danois qui ont paffé
en Amérique , il y a environ deux ans , pour
y faire quelques campagnes , font revenus
ici en conféquence des ordres du Roi de
Danemarck publiés depuis quelque tems
à l'effet de rappeller les Officiers , Soldats'
& Matelots Danois , employés dans n'importe
quel fervice étranger. Ils n'ont fait
ici aucun féjour & font partis fur le champ
pour fe rendre dans leur patrie.
La flotte de la Plata , qui revient actuellement
du Mexique , paffe pour la plus riche
que l'Espagne ait jamais attendue dans fes
ports. Les remifes annuelles de cette contrée
, en y comprenant environ un quart
en-fus qui n'eft pas enregistré , afin de frauder
le droit du Roi , font portées à près
de 3,904,600 liv. fterling , & comme les
vaiffeaux de regiftre , dont on attend le
retour , font chargés du produit de deux
ans , la flotte qui auroit dû faire voile l'année
dernière pour l'Europe , ayant été arrê
tée à cauſe de la guerre , l'Efpagne recevra ,
fi ces vaiffeaux arrivent à bon port , la
fomme de 7,809,200 liv . fterling ou 178
millions 496 mille livres tournois,
( 120 )
S
FRANCE.
dit 4
De VERSAILLES , le 11 Septembre
ti
LES de ce mois la Cour s'eft rendue au
Château de la Muette , où elle ſe propoſe
de paffer quelques jours ; Mefdames Adelaïde
, Victoire & Sophie de France ont été
pendant ce tems à leur Château de Bellevue.
La Cour a repris le 8 de ce mois le deuil
à l'occafion de la mort du Duc de Brunfwick
; elle le portera fix jours .
Monfeigneur le Comte d'Artois & Madame
Elifabeth de France , tinrent le 24 du
mois dernier fur les fonds de baptême dans
la Chapelle du Château , les enfans du
Marquis & de la Marquife de Soucy , Sous-
Gouvernante des enfans de France. Les cérémonies
du baptême furent fuppléées à ces
deux enfans , dont l'un a été nommé Charles-
Philippe , & l'autre Philippe Charles ,
par l'Evêque de Termes , premier Aumônier
de Monfigneur le Comte d'Artois , en préfence
du Curé de la Paroiffe de Notre - Dame,
De PARIS , le 11 Septembre.
IL eft arrivé dans nos ports plufieurs bâtimens
de la Martinique. Les nouvelles qu'ils
apporrent , font que M. le Comte de Graffe
fit voile de cette ifle les Juillet avec toute
fa flotte & le convoi de St- Domingue . Il n'a
laiffé
( 121 )
laiffé que deux frégates à Fort-Royal ; les
bâtimens qui ont quitté le plus tard l'efcadre
, font l'Eau , l'Air , la Terre & le Feu ,
qui ont mouillé tous quatre à Breft . Sortis
de Fort- Royal le 5 Juillet avec la flotte , ils
ne s'en féparèrent que le 15 après avoir
dépaffé Porto- Ricco , & pour ainfì dire à
la vue de St-Domingue. Le convoi de M.
de Graffe étoit alors de 190 navires ; ainfi
lorfque tous ces bâtimens feront réunis à
ceux du Cap , des Cayes , &c . & que leur
chargement fera fait , ils formeront la flotte
la plus riche & la plus nombreuſe qui foit
partie depuis long-tems des Antilles.
» Nous n'avons pas encore , écrit - on de Breft ;
les lettres apportées par ces bâtimens . Si l'Amiral
Rodney veut arriver avant la flotte Françoile
dans l'Amérique Septentrionale , il pourra bien
fe trouver en défaut ; car on eft perfuadé à Saint-
Domingue , par tous les apprêts qu'on voit faire ,
& par le rendez - vous des vaiffeaux Espagnols &
des troupes de cette Nation , au cap Tiburon
qu'on n'a pas encore renoncé à toute entrepriſe
contre la Jamaïque , fur - tout fi Rodney ne vient
pas à fon fecours. Du refte , le convoi immenſe
que conduit M. de Graffe , & celui qui dépérit aux
Cayes , ne trouveront pas le Cap auffi dépourvu
qu'on pourroit le croire . Quantité de bâtimens
fortis de Saint -Eustache , qui ont atterri à Sainte-
Croix ou à Saint - Thomas , font venus depuis peu
de tems approvifionner Saint- Domingue . Il eft affez
fingulier que tandis qu'on voit l'Amiral Rodney
envoyer en Europe pieds & mains liés , des Négo
cians naturalifés , établis à Saint-Eustache , & qui
avoient le droit d'y faire le commerce , vendre
lui- même à des François , nou-feulement des vivres
Is Septembre 1781..
f
( 122 )
& des marchandifes , mais encore des munitions
de guerre & des munitions navales qui , convoyées
jufqu'à Saint-Thomas par les vaiffeaux , font arrivées
au Cap fans accident . Les derniers navires venus
de cette manière , étoient au nombre de 21 ; ainfi
il ne faut pas s'attendre que nos convois trouvent
un débit bien affuré & bien profitable de leurs cargaifons
, fur tout de cargaifons parties & entaffées
a bord des navires depuis & mois & même un an «.
Lorſque les lettres feront apportées par ces
bâtimens ces incertitudes fe diffiperont ; &
les premières qui arriveront de St-Domingue
détruiront peut - être les inquiétudes de nos
Négocians. Quelques perfonnes croient que
M. deGraffe n'a pas été mouiller au Cap , &
qu'étant arrivé aux atterrages de St- Domin-
› il a confié fon convoi à 2 vaiffeaux , &,
qu'il a fait route avec 23 autres & quelques
bâtimens marchands pour Rhode - Iſland . Si
cela eft ainfi , ce dont on doute ici , les voiles
apperçues fur les Bermudes par un navire
de Nantes le 28 Juillet , pourroient être la
flotte de M. de Graffe.
» Le bricq l'Uni , écrit - on de ce Port , vient
d'entrer dans la rivière . Il étoit parti de la Martinique
le 18 Juillet , étant par le travers des
Bermudes le 18 du même mois , il découvrit un
convoi de 28 navires , qu'il prit pour ennemi. Un
vaiffeau de so canons s'en détacha , & le chafla
depuis 4 heures du matin jufqu'à midi , qu'il reconnut
l'impoffibilité de l'atteindre. Plufieurs perfonnes
de l'équipage font perfuadées que ce vailleau
étoit l'Expériment , & que par conféquent le convoi
étoit François. Le bricq , arrivé fur nos atterrages
fans autre rencontre , apperçut , le 22 Août , à la
( 123 )
pointe du jour , une grande flotte ; il étoit alors
à 15 lieues de Pennemare ( entre l'Orient & Breft ) ;
chaffé par une frégate , il lui échappa par la fupériorité
de fa marche , & il apprit , d'un navire
Suédois , qu'il arraifonna le même jour , que cette
Alotte étoit celle de Darby , & qu'elle étoit compolée
de 23 vaifleaux de ligne.
Il dir que
I'Amiral Rodney , inftruit du départ de notre flotte
avoit paru le 10 Juillet , à la hauteur de Fort - Royal,
avec toutes les forces. Il fuppofe qu'il alloit fuivre
M. de Graffe , puiſqu'on le vit gouverner au Nord «.
On a reçu des lettres de l'armée combinée
en date du 27 & du 30 Août. Les Généraux
fe plaignent d'avoir eu toujours à lutter contre
le vent de nord - oueft , qui les a empêchés
de s'approcher trop près de la Manche
, où ils auroient pu être pouffés malgré
eux ; ils ont croifé conftamment fur les Sorlingues
; & d'après l'avis qui leur fut donné
qu'un convoi fe difpofoit à fortir de Cork,
ils coururent plus au nord , mais fans rien
trouver , pas même une feule chaloupe ennemie.
Le 29 Août ils apprirent par un
neutre que Darby averti de fon côté par
un navire neutre , s'étoit preffé de retourner
à Torbay. Le 30 l'Armée étoit par les 49
degrés ; & comme elle avoit reçu les paquets
dont la Sibylle avoit été chargée à fon
retour , elle fera remontée plus au nord
pour attendre la flotte de la Jamaïque.
. » On peut le rappeller ' , écrit on d'un de nos
ports , que M. d'Orvilliers , pour avoir longé les
côtes d'Espagne & de France , fut retardé dans fa
traversée , & perdit l'efpoir de joindre la flotte
ennemic. D. Louis de Cordova avoit donc eu raifon
f 2
(11246 ), nel T » !
2
de s'élever dans l'Oueft , & de porter tout de fuite
fur les Sorlingues , où il devoit penfer que croifoit
Darby. Mais le malheur attaché aux mouvemens
de nos efcadres combinées , a fait prendre le change
à nos Généraux ; & tandis qu'ils fe plaignoient du
vent de nord-oueft , ce vent étoit le plus favorable
qu'ils euffent pu defirer pour furprendre l'ennemi
& l'entourer. Car Darby , qu'ils cherchoient vers
les Sorlingues , eft resté conftamment depuis le 8
Août jufqu'au 15 & même au 20 , fur les côtes
d'Espagne , & enfuite fur les côtes de France . Il
auroit fui fans doute à leur approche ; cependant fi
D. Louis de Cordova avoit pu le furprendre à la
hauteur du cap Finistère , le 10 , & fur les côtes
de Bretagne , le 14 , il étoit le maître , le is ,
de fe placer à Oueffant , & de lei fermer l'entrée
de la Manche ; mais toutes ces belles fpéculations
ne fignifient peut - être pas grand chofe ; ce n'eft
pas fur mer qu'on peut fe propofer d'en faire &
de les exécuter ; la mer & les vents font des obf
tacles que toute la prudence humaine ne peut éviter.
A préfent l'espoir de l'armée combinée n'eft plas
que dans la rencontre de la flotte de la Jamaïque;
mais quand même celle - ci arriveroit de bonne
heure , on fait que c'eft au nord de l'Irlande qu'il
faudroit l'attendre ; notre flotte ne s'élevera pas
fi haut à l'approche de l'équinoxe , & il eft vraifem,
blable qu'elle a ordre de quitter ſa croiſière le 12
ou le is de ce mois «...
Selon des lettres de Londres le 29 du
mois dernier , l'Amiral Parker a demandé
fa démiffion au Roi qui la lui a accordée ,
elles ajoutent que le commandement de
l'efcadre qui étoit fous fes ordres a été
conféré au Cominodore Keith- Stewart.
Tous les avis de Nice , de Marſeille , de
( 125 )
Cette , de Toulon , & c. fur l'expédition de
M. de Crillon , étoient prématurés. Un Courier
extraordinaire vient de nous apprendre
que le débarquement n'a eu lieu que le 20
Août. M. de Crillon n'a point trouvé d'op
poſition. Le Général Murray inftruit de
l'objet de cette expédition peu de jours
avant que l'armement fût dans les parages
de fon ifle , a eu affez de tems pour appro
vifionner le fort St-Philippe , de manière à
ne pas craindre d'être réduit de long tems
par la famine. La divifion Françoife arrivera
à Minorque vers la fin de ce mois.
Elle y fera conduite par le Baron de Falkenhayn
, Maréchal - de- Camp. Alors on
pourra attaquer le fort St- Philippe ; & la
garnifon eft trop foible pour qu'elle falle
une longue résistance.
Le Courier expédié de Madrid par l'Ambaffadeur
de France , nous a appris que les
vaiffeaux du Roi l'Illuftre & le St- Michel
font entrés à Cadix ; ils avoient efcorté.
jufqu'aux Tercères les convois des Ifles &
des Indes orientales , qu'ils laifsèrent en
très-bon état , après avoir donné une frégate
au deuxième , & deux au premier. Ils revenoient
dans nos ports , lorfqu'ils furent
avertis , par 3 bâtimens neutres , que l'Amiral
Darby étoit fur les côtes de Galice ;
alors ne pouvant dépaffer le cap Finistère ,
fans rifquer de tomber dans la flotte Angloife
, ils rebroufsèrent chemin & allèrent
mouiller à Cadix.
f 3
( 126 )
"
On a été fort furpris que ce Courier
n'ait rien apporté de relatif à l'expédition
de M. de Crillon ; puifqu'on favoit à Barcelonne
, le 24 Août , que ce Général avoit
paru devant Minorque le 20 , & que toutes
fes troupes étoient entièrement débarquées
le 21 , il femble qu'on ne devoit pas l'ignorer
à Madrid le 29 ; mais comme c'eſt
par le paquebot ordinaire de Mayorque
qu'on a fu tout cela à Barcelonne , l'Intendant
n'aura peut - être pas ofé prendre
fur lui d'inftruire la Cour d'un fuccès dont
le Général doit lui donner le premier avis.
Cette nouvelle étoit venue prefque en
même-tems de Barcelonne & de Marfeille ,
& ayant été donnée , quoique fans détails
par un Intendant & un Conful - général
Eſpagnol , on la regarde ici comme trèsauthentique
.
Le le Baron de Falkenhayn eft parti le 9
de ce mois pour Toulon , où il va s'embarquer
avec les troupes qui paffent à
Mahon. Le régiment Suiffe , d'Erlach
n'eft plus de cette divifion ; on lui a fubftitué
le régiment de Bouillon . Comme il
n'y a nuls préparatifs dans les ports de
Toulon & de Marfeille pour l'embarquement
de cette petite armée , on étoit un
peu furpris , dans ces deux ports , d'apprendre
qu'elle approchoit fans qu'il y
eût de bâtimens propres à la recevoir ;
c'eft qu'on ignoroit que les tranſports qui
ont conduit les troupes Eſpagnoles vien(
127 )
droient à Toulon pour prendre les nôtres ;
cet arrangement eft fort fage , & fur-tout
économique .
La divifion de nos troupes , deftinées à
cette expédition , fera , dit - on , portée à
14 bataillons , formant environ dix mille
hommes. Ainfi , il n'eft plus douteux qu'on
ne veuille emporter le Fort Saint- Philippe
de vive force.
» Un aviſo arrivé à Cadix , a annoncé que M. de
Monteil avoit fait voile , le 19 Juin , pour retourner
à Saint - Domingue ; ainfi , il aura mouillé au Cap
peu de jours avant M. de Graffe , & ce fera lui
peut - être qui fera chargé d'eſcorter le convoi
pour l'Europe. Celui de la Havane , attendu à
Cadix avec tant d'impatience , non-feulement n'eft
pas en route , comme bien des gens l'affuroient
mais on ignore encore quand il aura la permiffion
de mettre à la voile . On préfume que D. J. Solano
me reviendra pas en Europe fans avoir auparavant
profité de l'ardeur des Officiers & de la bonne
volonté des troupes , & qu'il cherchera à feconder
quelqu'antre opération auffi agréable à la Cour
d'Efpagne que l'expédition contre Penſacola. Il eft
vrai qu'il ne peut rien entreprendre contre la
Jamaïque , s'il ne fait pas venir des troupes de
Porto-Ricco , & s'il ne les réunit à celles que peut
fournir Saint Domingue , on foupçonne que M.
de Monteil ne retournera au Cap que pour y faire
les préparatifs convenables pour une expédition de
cette eſpèce ".
On a envoyé à Toulon des ordres pour
hâter la conſtruction des vaiſſeaux le Suffifant
& le Dictateur , actuellement fur les
chantiers.
£ 4
7128 )
L'Argonaute étoit encore retenu au bas
de la rivière le 28 Aoûtt par les vents contraires
; il étoit prêt depuis 8 jours à mettre
à la voile avec fon convoi. Le Brave defcendra
la rivière à la fin du mois; & à la
fin de l'année il fortira des chantiers de
Rochefort autres vaiſſeaux.
Le corfaire la Princeffe Noire , Capitaine
Macatter , écrit on de Dunkerque , parti de Breft
le 30 Juillet , eft arrivé à Cherbourg le 16 Août ,
ayant fait les prifes fuivantes . Un navire de
150 tonneaux , chargé de 1400 facs d'avoine ,
arrivé à Morlaix. Le paquebot la Britannia ,
de 150 tonneaux , avec roo pallagers , chargé de
the , draps , &c. arrivé à Morlaix. Un grand
navire à trois mâts , chargé de foieries draps ,
toiles , &c. eftimé 25 , oco livres fterling . Ce navire
a été pris fous le Fort Saint -Yves , d'où le corfaire
a reçu bolets de 24 , qui lui ont tué fon fecond
Maître d'Equipage , & un des pallagers prifonniers .
Cette prife n'eft pas encore arrivée. Il a chaffé
un corfaire de 22 canons , qui a jetté fa batterie
à la mer , & s'eft fauvé dans les roches des Cafquets.
Il est arrivé à Cherbourg , où il a débarqué
le 16 , des ôtages pour 2200 guinées de rançon , &
environ 200 prifonniers «.
3
Les frégates la Lutine , la Montreal , la
Pleyade , & quelques autres nouvellement
arrivées du Levant à Toulon , vont être
armées fucceffivement pour repartir dans le
courant de ce mois. On parle auffi d'une
efcadre pour la Méditerranée.
Les lettres de Breft portent que le vaif
feau la Couronne eft entièrement fini , caréné
& doublé en cuivre ; il a dû être mis hors
31 ( 1290 )
du baffin le 4 de ce mois. Le Pegafe avance.
On compte que dans le courant de ce mois
ou du mois prochain , il fe fera dans ce
port un embarquement de munitions de
guerre & de bouche & même de troupes .
On parle toujours des embarquemens qui
doivent être faits en différens ports ; mais
il n'y a rien encore de certain fur le nombre
des troupes qui pafferont dans l'Inde &
en Amérique . Les uns prétendent qu'on
prendra 100 hommes de chaque régiment ,
les autres feulement 70 .
M. le Comte d'Estaing ayant été Mardi
dernier à l'Opéra , tout le monde ſe leva au
moment qu'il parut dans la falle . Ce témoi
gnage de l'affection & de l'eftime publiques
nefauroit être mieux mérité ; il prouve qu'on
le voyoit avec plaifir , & peut - être avec
regret dans un lieu pareil.
·
» Des chofes très-utiles , lit on dans une let
tre qu'on vient de nous adreffer , reftent fouvent
ignorées , même de ceux qui ont le plus grand
intérêt de les connoître , parce qu'elles font confignées
dans les ouvrages connus d'un petit nombre
de perfonnes. Il en eft ainfi fans doute du
moyen d'enlever à l'eau corrompue fon odeur fétide
, & de la rendre potable , qu'on trouve dans
un ouvrage pofthume de feu M. de Courcelles ,
premier Médecin de la Matine à Brest , publié
par M. le Chevalier de la Coudraie , ancien Lieutenant
de vaiffeau, puifque j'apprends dans ma retraite
qu'on s'occupe à Breft de beaucoup d'elais
fur un autre moyen , le même pour le fond , mais
beaucoup plus difpendieux & plus embarraffant,
Voici ce que dit M. de Courcelles , pag . 206 de
fs
( 130 )
- fon Mémoire. » L'Eau douce , qui fait une
partie confidérable de la boiffon des équipages
étant renfermée dans la calle des vaidleaux eft
fujette à fe corrompre ; elle devient puante & extrêmement
dégoûtante. Divers particuliers , fans
aucune expérience de la mer , ont imaginé de
prévenir cet accident par des mélanges & des
compofitions auffi ridicules qu'inefficaces . Voici un
moyen bien fimple. Il confifte dans un tuyau de fer
blanc terminé à une de fes extrêmités par une ca.
lotte demi fphérique , percée de petits trous comme
une écumoire. L'autre extrémité doit être en
forme de bec , pour recevoir un tuyau de foufflet.
En le faifant agir , on introduit un air frais dans
l'eau putréfiée , & l'on excite un bouillonnement
dans toute la maffe , au moyen duquel , en moins
d'un quart-d'heure , & fans grande fatigue , l'eau
perd la mauvaiſe odeur & fon mauvais goût bien
plus parfaitement que lorfqu'on fe contente de la
fouetter avec des palettes & des mouffoires. 11
en coûteroit peu d'embarquer fur des vaiffeaux.
cette machine de l'invention de M. Haley , le
Duhamel de l'Angleterre , Plus efficace que la peine
de pogayer , elle eft moins fatiguante «.
Le fejour de Rochefort eft funeſte aux
jeunes Officiers comme aux vieux. M. de la
Tour - du - Pin , Colonel du régiment de
Bourbon , infanterie , qui avoit été vifiter
ce port par fimple curiofité , eft revenu ma-
Aide au Château de fon père près d'Etampes ,
où il eft mort ces jours derniers. L'état de
M. de Poyanne eft toujours fort alarmant ; it
paroît qu'on défefpère de fa guérifon.
» Le 21 Août , écrit-on de Blanc en Berry , le
fieur Louis Bleu , marchand Epicier , & Marie- Anne
Gaillard , après avoir donné pendant so ans l'exemple
1 131 )
de l'union la plus édifiante , ont renouvellé leur
mariage dans l'Eglife de St - Genitours , leur Paroiffe.
Cette cérémonie , qui s'eft faite pour la première
fois ici , a attiré une foule de fpectateurs. Ces deux
époux n'ont actuellement , de leur mariage , que
2 filles , une petite- fille & 3 petits- fils . On fera fans
doute étonné d'apprendre que la mère ayant été
attaquée , quelque tems après fon mariage , d'une
paralyfe fur la langue qui l'a laiffée très - bègue ,
eft accouchée fucceffivement de trois filles qui font
devenues muettes ; & l'une d'elles a la douleur
d'avoir reproduit fon infirmité dans fa fille unique.
-
Il exifte actuellement , dans le bourg de Bethiay,
à deux lieues de cette Ville , un homme âgé 106
ans ; il fe nomme Savin Remeraud. Il jouit d'une
très-bonne fanté ; & n'a d'autre infirmité que celle
de ne pouvoir marcher «.
On lit dans une lettre de M. de St- Cir ,
Maître ès- Arts & en Chirurgie à Dezaigne ,
en Vivarais, ( qui s'eft égarée dans le tems , )
qu'il règne dans le canton de cette Province
& dans les environs , une épidémie qui dure
depuis près de deux ans ; ce font des fièvres
putrides malignes & bilieufes . Parmi le
nombre de perfonnes qu'elles ont enlevées
à Dezaigne , au nombre de 200 , on en
compte 7 d'un âge très- avancé ; M. Vernier
âgé de 88 ans , Pierre Sauvage âgé de 106 ,
Pierre Abbatue de 105 , & Pierre Fuſtier de
$8 ; ce dernier laiffe 88 enfans petitsenfans
& arrières - petits - enfans .
>
1
» Dans la Paroiffe de Saint - Prie , en Chalançon
Diocèle de Valence dans le haut Vivarais , ajoute
M. de Saint - Cir , la nommée Marie Chabanne
épouſe de Jean - Pierre Malfray , habitant du lieu
f 6
( 132 )
de la Prachayal , a mis au monde , d'une feule
couche , 3 enfans mâles, qui ont été baptifés à l'Eglife
Paroiffiale de Saint- Prie le même jour , fans avoir
été ondoyés à la maifon , & qui paroiffent de la
meilleure fanté. C'étoit un fardeau confidérable que
la mère portoit dans fon fein ; on a voulu en ſavoir
le poids , & celui des 3 enfans pelés a été trouvé
de 22 livres. Ces trois enfans , qui paroiffeur devoir
vivre , font relaxes du même côté «.
Aux détails que nous avons donnés de
la dernière féance de la Société Royale de
Médecine , nous joindrons ceux-ci ,
Elle avoit proposé pour un Prix de 600 livres ,
qui eft dû à la bienfaifance de feue Mlle Guerin ,
d'établir , par l'analyfe Chymique , 1º. la nature
des remèdes anti-fcorbutiques proprement dits. 2°.
Par l'obfervation , quels doivent être leur ufage &
combinaifon dans les différentes espèces & compli
cations du Scorbut. Ce Sujet étoit divifé en deux
parties ; les Mémoires envoyés au Concours n'ont
traité convenablement que la feconde ; la Société
n'a adjugé en conféquence que la moitié du Prix ; &
réferve l'autre pour celui qui traitera le mieux la
première partie du Sujet qu'elle propoſe de nouveau.
Le Prix de 300 livres , annoncé pour l'indication
des maladies qui règnent le plus communément parmi
les troupes , pendant la faifon de l'Automne ;
des moyens de les prévenir , de la méthode la plus
fimple , la plus facile & la moins difpendieufe de
les traiter, a été partagé entre M. Bonté , Docteur en
Médecine de l'Univerfité de Montpellier , & Thion ,
Médecin employé dans les Camps & Armées du Roi.
La bonté des Mémoires qu'a reçus la Société , l'a
déterminée à partager auffi l'acceffit . Après
avoir couronné les travaux de fes Correfpondans ,
la Société a eru devoir donner une marque publique
de fon eftime & de fa fatisfaction à M. Fauror
( 333 )
Docteur en Médecine , réfident près d'Autety Pa
roiffe de Franche Comté. Appellé auprès de plu
fieurs perfonnes mordues par un chien enragé , il
les a faignées avec autant de défintéreffement que
de fuccès ; entièrement dévoué au traitement des
épidémies dont le canton qu'il habite eft affligé , il
a plus d'une fois fourni les alimens & les remèdes
aux pauvres qui en étoient attaqués. Ces détails ont
été tranfmis à la Société par des perfonnes diftinguées
, témoins de fes bienfaits ; elle le prie de
trouver bon que le Public en foit informé , &
qu'elle lui offre une médaille de la valeur d'un
double jeton d'or.
Un homme de lettres , qui s'occupe depuis plufieurs
années , des moyens de fimplifier & d'abréger
l'étude des langues , convaincu par une heureufe
expérience de l'utilité de fes recherches , fe
propofe de confacrer fon temps à l'éducation de
quelques jeunes gens qui, avec le defir & la volonté
d'apprendre , fe trouveroient , par leur âge,
hors d'état de parcourir la carrière ordinaire . Čet
age eft depuis quinze jufqu'à vingt ans , & même
davantage. Ils fauront dans l'efpace de deux années
, ce qu'ils auroient appris dans un Collége ,
dont ils auroient fuivi les exercices , tout le tems
preferit par l'ufage. Pour lever tous les doutes.
que cette propofition peut faire naître , le Contractant
, jaloux d'affurer la confiance plus fo-
Jidement , autrement que par des promeffes , prévient
qu'il n'entend recevoir le fruit de fon travail
, qu'après avoir rempli les conditions auxquelles
il fe fera foumis . Les perfonnes qui defi
reront traiter , foir de vive voix ,
foit par
font priées de s'adreffer à M. Taillandier , Avocat
au Parlement , ruc Pavée Saint - André - des-
Arts. Le prix de la penfion annuelle fera de
1200 liv.
·
écrit ,
Lettres -Patentes du Roi , en forme de Déclaration ,
(
134 )
-
données à Versailles le 30 Mai , & enregistrées au
Parlement le 28 Août , portant défunión de l'Office
de Lieutenant- général de Police à Troyes , des Offices
du Bailliage de ladite Ville , pour être dorénavant
exercé par un feul Officier en titre . Autres du
24 Juin , enregistrées auffi le 28 Août , concernant
les Baux à cens dans le reffort de la Coutume de
Péronne , de Montdidier & de Roye. — Déclaration
du Roi , donnée à Versailles le 15 Août 1781 , enre
giftrée le 28 Août , qui ordonne la continuation de
la perception de 30 fols par muid de vin entrant
dans la ville & fauxbourgs de Paris , pendant cinq
années , trois mois , à commencer du premier
Octobre 1781 , en faveur de l'Hôtel - Dieu & de
l'Hôpital Général .
Arrêt du Confeil du 25 Août. » Sur le compte
rendu au Roi , des opérations faites en vertu de
fes ordres , par le fieur Malouet , Commiffaire-
Général , relativement à l'Arſenal de Marſeille ; S.
M. a confidéré que pour contribuer aux dépenfes
de la guerre qu'elle eft obligée de foutenir pour
l'honneur de fon pavillon & pour protéger le
commerce de fes fujets , le moyen le plus conforme
au defir qu'elle a de préferver fes peuples de nouveaux
impôts & d'adoucir même le poids des fubfi.
des déjà établis , eft de mettre hors de fes mains
les établiffemen's qui ne dépendant pas des anciens
domaines de fa Couronne , ne font que des acquêts
devenus onéreux à fes finances , ou inutiles
à fon fervice. Ayant fait vérifier l'état de fon
Arſenal de Marine dans la ville de Marfeille , l'objet
de fa deftination & les titres relatifs à l'acquifition
des terreins fur lefquels il a été établi , elle a
reconnu que Louis XIV avoit érigé cet établiffement
fur des terreins achetés de divers particuliers au
prix de l'eftimation faite par des Experts. Que la
conftruction , le radoub , l'équipement des Galères
& la confervation des Chiourmes , étoit l'unique
( 135 )
objet de fa deftination . Que le département des
Galères ayant été fupprimé en 1749 , & les forçats
diftribués enfuite dans différens ports , l'Arſenal de
Marſeille étoit devenu abfolument inutile au fervice
de S. M. , & onéreux à fes finances par les frais
d'entretien & par le nombre d'Officiers de Marine
& d'Administration qui y font employés . El'e s'eft
déterminée d'autant plus volontiers à vendre cet
Arfenal avec réferve des droits feigneuriaux , que
cette aliénation décharge fes finances d'une dépenfe
confidérable , leur procure par la réſerve des droits
de lods & mutation un produit important. Qu'elle
offre d'ailleurs aux acquéreurs la fûreté la plus
entière , attendu que les Loix relatives aux biens
appartenans au domaine de la Couronne , exceptent
de la règle de l'inaliénabilité , les domaines dont
les charges confomment les revenus , ceux qui
occafionnent de la perte en voulant les garder , &
du profit en les vendant. Que les domaines même
utiles & d'un produit avantageux font encore exceptés
de la rigueur de ces Loix dans le cas de vente
pour les néceffités de la guerre ; exception qui
donneroit dans tous les tems aux acquéreurs & à
leurs repréfentans auprès des Succeffeurs de S. M. ,
la fûreté la plus entière dans le cas même où l'Arfenal
de Marſeille feroit partie de l'ancien domaine
de fa Couronne , & où il feroit d'un produit avantageux
à fes finances ; mais il a été vérifié par les
titres de propriété , que cet Arfenal , attaché au
fervice des Galères , n'a jamais été uni expreflément
au domaine , & que c'eft un acquét dont il n'eft
jamais réfulté de jouiffance , ce qui fuffit dans les
principes des Loix domaniales pour qu'il demeure
libre dans les mains de S. M. , & qu'il eût pu
aliéné fans aucune formalité & fans pouvoir être
foumis au rachat. S. M. après avoir ainfi reconnu
les avantages qui réfuiteront de cette aliénation ,
& s'être affurée que les acquéreurs , leurs hoirs &
être
( 136 )
ayans caufe feront poffeffeurs tranquilles des acquifitions
qu'ils auront faites , a cru qu'il étoit dignė
de fon amour pour les peuples , de mettre la Communauté
de fa ville de Marſeille à portée de profiter
des avantages qui pourront réulter des reventes
partielles dudit Arfenal . En conféquence , S. M. à
précédemment commis le fieur Malouet pour en
propofer l'acquifitions aux Officiers municipaux de
ladite ville ; elle a va avec fatisfaction que les
foins dudit Commiffaire ont parfaitement répondu
à la confiance qu'elle lui a accordée. Que les ſujets
de ladite ville de Marſeille ont manifefté dans cette
occafion , pour le bien de fon fervice , le même
zèle dont ils ont donné dans plufieurs occafions les
preuves les plus éclatantes . Qu'après vérification
exactement faite par ledit fieur Malouet , de l'état
dudit Arfenal , de l'ufage auquel il étoit employé ,
de la valeur du terrein & des bâtimens qui y font
conftruits , les propofitions par lui faites de la part
de S. M., ont été acceptées par le Confeil municipal
avec les témoignages les plus expreffifs d'amour
& de fidélité . Qu'en conféquence , le traité préli
minaire pour parvenir à la vente dudit établiſſement ,
circonftances & dépendances , a été figné par ledic
Commiffaire de S. M. & les Députés dudit Confeil
municipal le 13 Mars dernier. Et qu'enfin ledit
Commiffaire pour s'aflurer que ladite ville de Marfeille
ne pourroit pas être léfée par les conditions
dudit traité , a pris la précaution de recevoir de
divers particuliers , pour la revente partielle des
terreins & bâtimens du lit Arfenal , des foufcriptions
jufqu'à la concurrence de fept millions & quatre
cents mille livres . Sur quoi S. M. nomme & commet
M. de la Tour, Intendant , Commiffaire départi
en Provence , ou fon Subdélégué , pour paffer
le contrat , & c. «
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi du 30 Juillet
dernier , pour l'ouverture du droit annuel ou cen(
1371
tième denier dû par les Officiers de Juftice , Po
lice , Finance & autres . Officiers Royaux , pour
l'année 1782. » S. M. ordonne par cet Arrêt que
tous les Officiers de Judicature , Police , Finance ,
& autres , fujets a les revenus cafuels , qui n'ont
pas fait le rachat du droit annuel ou centième
denter , conformément aux Lettres patentes da 27
Février 1780 , feront admis , comme par le paffé ,
ainfi qu'ils ont été autorisés à le faire par les
Arrêts du 19 Décembre 1780 , à payer annuellelement
le centième denier de leurs Offices ; que
ledit paiement fera fait , fuivant l'ufage , par avance
pour l'année 1782 , dans le courant des mois de
Novembre & de Décembre prochains , & de même
pour les années fuivantes , en acquittant en mêmetems
le montant des années précédentes dont ils
feront omiffionnaires ; & que les Offices de ceux
qui n'auront pas fatisfait au paiement dudit rachat ,
ou dadit droit annuel , reftent affujettis en cas de
réfignation , ou de décès , aux droits fixés par
lefdites Lettres- patentes du 27 Février 1780 " .
Autre du 18 Août , qui crée une Chambre Syndicale
à Metz.:
Autre du 24 Août , concernant le droit d'Entrée
à Paris fur le gibier & la volaille.
Autre du 31 du même mois , concernant l'Ordre
de Cireaux. » S. M. ordonne que dans 2 mois >
à compter du jour du préfent Arrêt , le fieur Abbé
Général de l'Ordre de Cireaux , les Abbés de la
Ferté , de Pontigny , de Clairvaux & de Mori
mond , ainfi que les autres Abbés de chacun des
Monaftères Réguliers dudit Ordre , & les Prieurs
des Abbayes en Commende , feront tenus chacun
en ce qui les concerne , de remettre entre les
mains de M. de Tolozan , Maître des Requêtes
Commiffaire- Rapporteur , des états exacts & cir
"
( 138 )
conftanciés du nombre des Religieux de leurs Monafières
, ainfi que de leurs revenus actuels «.
De BRUXELLES , le 11 Septembre.
L'HEUREUSE iffue du combat dus femble
avoir donné aux efprits en Hollande une
énergie qu'ils n'avoient pas avant cet évènement
. On affure que l'efcadre qui doit
fortir dans peu du Texel , pour eſcorter le
convoi de la Baltique , fera de 16 vaiffeaux
de guerre , dont le nombre des vaiffeaux
de ligne fera plus confidérable que la pre
mière fois.
>
» Plufieurs de nos papiers , écrit -on de la Haie ,
avoient dit d'une manière affez pofitive , que fi les
vaiffeaux de la Meufe ne s'étoient pas joints à
l'efcadre de l'Amiral Zoutman c'eft qu'ils avoient
reçu ordre de la laiffer partir. Le Gouvernement a
déja fait démentir cette nouvelle ; & M. de Bruyn ,
Commandant de ces vaiffeaux qui devoient fe rendre
de la rade de Goërée à celle du Texel , vient
de déclarer dans une lettre , que dès le 14 Janvier
Bernier , il avoit reçu l'ordre précis d'agir hoftilement
contre les Anglois ; qu'il lui a été enjoint
enfuite de fe joindre le plutôt poffible aux vaiffeaux
du Texel , que jamais il n'a reçu d'ordres
contraires ; que s'il n'a pas quitté la rade de
Goërée , c'eſt que tous fes efforts pour mettre en
mer ont été vains . Cette déclaration eft accompagnée
du témoignage du Pilote , envoyé du Texel
par le Vice- Amiral Hartfing , à M. Bruyes , & du
certificat de tous les Officiers & Pilotes de fon
vaiffeau , ainfi que de tous les Capitaines des vaiffeaux
de fon convoi.
( 139 )
? Les lettres de Zélande portent que le
Magiftrat a ordonné à tout bourgeois de
18 ans & au- deffus , excepté les membres
de la Régence , les Eccléfiaftiques de la religion
dominante , les Memnonites & les
infirmes , de s'armer à leurs frais & de fe
rendre tout-à- coup , quand on battra l'appel
, dans les différentes places de la ville
qui feront indiquées , foit pour y faire l'exercice
, foit pour repouffer l'ennemi en cas
d'invafion . Les Memnonites rendront , fuivant
les circonftances , d'autres fervices
corporels non contraires à leur fecte pacifique.
Cette Ordonnance n'eft qu'un renou
vellement d'une plus ancienne.
>
» Le Comte de Bentinck écrit-on d'Amfterdam
, eſt toujours regretté ; il fe fartoit encore
quelques jours avant la mort , d'en être quitte pour
la perte d'un bras , & de pouvoir , difoit-il , commander
de l'autre dans la premiere action contre la
Grande - Bretagne. Ce fut lui , qui , tour bleſſé
qu'il étoit , remarqua le premier dans un de ces
inftans de demi- calme que lui laiffoient les douleurs ,
que le mois d'Août avoit été fouvent favorable aux
armes de l'Etat . En 1652 , le 26 Août , difoit- il ,
Ruiter battit Afcue , qui avoit des forces fupérieures
à celles des Hollandois . Le 8 Août 1653 ,
Tromp défit l'Anglois Monk, Ces obfervations
n'ont pas manqué de faire faire beaucoup de
recherches fur les évènemens glorieux à la République
, qui ont eu en effet lieu en différens tems
dans le cours du même mois «.
On n'oubliera jamais un trait d'héroïsme de cet
Officier dans le dernier combat. Son vaiſſeau , le
(( 140 )
Batavier , de $4 canons étoit attaqué par deux
vailleaux Anglois ; dès le commencement de l'ac
tion , ce Héros avoit reçu le coup mortel ; e fecond
Capitaine foutenant le combat avec intrépidité
, lui fit favoir qu'il craignoit que la fupériorité
de l'ennemi ne l'obligeat de reculer : mats
M. de Bentinck lui fit répondre qu'il valoit mieux
tout rifquer , que de fur devant l'ennemi . Tous
les gens de l'équipage avoient déja prévenu cette
réponſe , en déclarant qu'ils ne fe rendroient ja
mais , & qu'ils aimeroient mieux faire couler à
fond le vaiffeau , que de reculer devant les Anglois.
1 .
7
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du 5 Septembre.
On dit le Parlement prorogé au 10 du mois
d'Octobre prochain . Celui d'Irlande l'eft au 9.
Le Bureau de la guerre vient d'expédier des
ordres à toute la Cavalerie de fe tenir prête à
marcher fur les côtes en cas de quelque attaque
de la part de l'ennemi .
90 Charpentiers ont été envoyés à Chatam à
bord de l'efcadre de l'Amiral Parker , pour réparet
, avec toute la diligence poffible , les
vaiffeaux qui ont été endommagés dans le dernier
combat avec les Hollandois. Ils font logés
& nourris à bord , & ont triple paie.
:
Les flottes qu'on attend actuellement , font les
fuivantes une des Ifles , une de la Jamaïque , une
de l'Inde & une de la Caroline . Celle des Ifles eft
évaluée à 2 millions fterl, & malheureufement on
craint que
fon eſcorte ne foit trop foible. On
ignore la valeur de celle de l'Inde , on fait feulement
qu'il y a cinq vailleaux à Sainte-Helène ,
prêts à venir avec le premier convoi , & peut-être
en route.
Le premier convoi qui partira pour l'Inde
fera compofé de 25 voiles pour le compte de la
( 141 )
Compagnie. On croit qu'il mettra à la voile vers
le milieu d Octobre. Les amis du Lord Ma
cartney , qui eft allé dans l'Inde , ont de l'inquiétude
fur fon compte , parce qu'on n'a aucune nou
velle de lui depuis qu'il eft parti , & qu'il s'eſt em.
barqué fur un floop.
On affure qu'il ne faudra pas moins de 17 mil
lions fterling pour le fervice de l'année prochaine ,
fl'on fe propofe de pourfuivre la guerre avec vi
gueur.
Les dernieres Lettres de la Virginie nous an
noncent que la campagne de 1781 eft prefque finie ;
ainfi , comme la guerre actuelle eft une guerre
offenfive , il est évident que nous avons défenfé
18 millions fterling pour un très-petit objet ; car,"
comme il eft impoffible que le Lord Cornwallis
fe maintienne dans l'intérieur de la province pendant
l'automne , il faudra qu'il s'établille près de
la mer , & qu'il abandonne le refte de la provin
ce , ou qu'il cherche à s'affurer une retraité
Charles-Town par la voie de Camden , ce qui
mettra ce Lord précisément dans la pofition où
il étoit en Mars 1780 , quatre mois avant le pre
mier combat de Camden , quoique nous ayons
furchargé notre detre nationale de 27 millions
fterling.
Le paquebot le Cumberland , qui apporte les
dépêches du Lord Conwallis , eft attendu avec la
plus vive impatience , parce qu'il y a toute raifon
de croire que le Général Gréen a fait fa jonction
avec le Marquis de la Fayette peu de jours après
la derniere affaire , & que cette jonction peut
avoir pour nous les fuites les plus fâcheufes.
On écrit d'Amérique que l'irhumanité & les
vexations des Anglois à l'égard des habitans , ne
( 142 )
peuvent manquer de produire les effets les plus
funeftes , & de remettre Charles-Town entre les
mains des Américains . Une pareille conduite eft
bienéloignée de cet efprit de douceur qui doit animer
le Gouvernement Britannique pour ramener à lui les
coeurs ; mais à peine fe foumettent-ils , qu'ils font
provoqués à la révolte par le brigandage de nos
foldats. Delà vient cette averfion enracinée qu'on
remarque dans la Caroline Méridionale pour notre
adminiſtration ; & un Anglois , quelqu'honnête
qu'il paroiffe , court danger de la vie , s'il hafarde
de fortir des limites de Charles-Town . Les
bâtimens chargés de riz , & qui étoient dernière
ment fur le point de fortir de ce port , ont été
obligés de mettre leur cargaifon à terre pour l'u
fage de la garnifon & de la ville , tant il eſt difficile
d'obtenir des provifions du pays , & il a été
mis un embargo fur les bâtimens , pour retenir les
matelots & autres perfonnes propres à défendre
la place , qui craint journellement d'être affiégée
par les Américains .
La Virginie produit une grande quantité de goudron
, de térébenthine , de bois de conftruction ,
& généralement de tous les articles de premiere
néceflité pour notre marine . Si le Général Cornwallis
parvenoit à fubjuguer cette Province , nous
tirerions des avantages confidérables du recouvrement
d'une branche de commerce fi précieuſe .
On doit envoyer avec la premiere flotte pour
l'Amérique , 60,000 uniformes complets pour l'hiver
, mais on les embarquera à bord de différens
vaiffeaux de force , pour empêcher qu'ils ne tombent
entre les mains de l'ennemi.
Le bois de construction eft fi rare à New-Yorck,
que tous les vaiffeaux de la flotte qui eft fur le
point de partir pour cette deftination , ont ordre
( 143 )
d'embarquer une certaine quantité de bois pour
Pufage des vaiffeaux de S. M.
Des lettres authentiques d'Amérique portent que
le Chevalier Henri Clinton a écrit au Lord Corne
wallis , pour lui demander quelques -unes des troupes
qu'il lui avoit envoyées , parce qu'il attendoit
Farrivée du Comte de Graffe , & qu'il foupçonnoit
que la flotte Françoife combineroit les opérations
avec celle du Général Washington pour affiéger
New-Yorck.
›
» Voici , lit - on dans une lettre de Chatham en
Amérique , tout ce que nous avons pu apprendre
de Kingsbridge. Les , un détachement commandé
par le Colonel Scammel , attaqua un parti
de Rebelles qui , après quelque réfiftance , fe retira ,
ayant eu beaucoup de tués & de bleffés. On ne
fait pas à quoi monte notre perte. Il eft auffi
queftion d'une feconde affaire , mais nous n'avons
rien entendu dire de certain . L'armée des
François & des Rebelles eft actuellement aux Plaines .
Blanches , & confiſte en 7000 hommes parmi
lefquels on compte 2000 François , qui font campés
fur la gauche des Américains «<,
On lit dans une lettre de Saint - Eustache en date
du -7 Juillet , » Je ſuis fâché de vous apprendre
qu'en conféquence d'une proclamation du Roi ,
tous les effets trouvés dans cette Ifle lors de fa
prife par Rodney & Vaughan , ont été condamnés
indiftinctement , & que la vente en a été annoncée
pour le 11 par des affiches. Les vaiffeaux & les
troupes du Roi prendront les proviſions , ou du
moins celles dont ils fe trouveront avoir befoin «
On vient d'apprendre la mort du Major - Général
Putnam , qui , depuis le commencement de la
guerre , a combattu fi vigoureufement pour le
parti Américain.
( 144 )
L'échange de la totalité des prifonniers dont on
parloit depuis fi long-tems , a été enfin terminé
& les transports , avec les prifonniers Rebelles à
bord , étoient prêts à partir pour la rivière James
& pour Philadelphie.
L'efcadre commandée par le Commodore Keith-
Steward , qui fe trouve à Lenore , a reçu ordre ,
le , de fe rendre promptement à Torbay , & de
joindre celle de l'Amiral Darby. Comme elle a
le befoin le plus preffant d'être renforcée
Commodore Keith - Steward , a dû prendre , en
paffant , l'efcadre des Dunes , & la conduire avec.
lui à Torbay.
›
le
La grande flotte , écrit - on de Torbay , aura
bientôt fini de prendre fon eau , & elle fait tous
Les préparatifs pour mettre à la voile. Elle confifte
en 21 vaiffeaux , qui doivent être renforcés par quelques
autres , qui viennent de Plymouth , au nombre
de 8. Elle compte mettre à la voile à la fin de la
femaine.
En conféquence d'un nouveau Règlement ,
n'entrera plus dans les Chantiers de Portsmouth
que par billets .
રે
Suivant des lettres d'Aberdeen , le Duc de Ni- '
vernois , corfaire François de 16 canons de 9 &
de 12 , & bien équipé en hommes , a coulé bas
3 lieues de cette ville , dans un combat contre
le corfaire le Mansfield ; tout l'équipage a péri , à
l'exception des hommes qui ont été lauvés , avec
beaucoup de peine , par les gens de la chaloupe
du Mansfield.
Le Général Conway , qui arrive de fon Gouver
nement de Jerfey , eut l'honneur , ces jours derniers
, d'être admis à l'audience du Roi , & d'avoir
une conférence avec S. M.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TUR QUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 1er. Août.
LEE rappel & le rétabliſſement de Gianikli-
Ali , de Batal - Bey fon fils & de Gendích ,
Méhémet Bacha , annoncent que le crédit
du Capitan-Bacha commence à diminuer , &
que fon influence fous le Grand- Vifir actuel
n'eft plus la même que celle qu'il avoit fous
fon prédéceffeur. C'étoit lui qui avoit caufé
leur difgrace , & rarement les grands pardonnent
à ceux qui les ont deffervis . Ceuxci
, & en particulier Gianikli , font fes ennemis
déclarés.
L'affaire de l'établiffement des Confulats
Ruffes dans la Moldavie & la Walachie
n'eft pas encore terminée . La Porte perfifte
dans fes oppofitions . Ne pouvant rien obtenir
de M. de Stachieff , elle a pris le parti d'écrire
directement au Comte de Panin , & de le
prier d'employer fes fervices auprès de fa
Souveraine pour obtenir qu'elle confente de
22 Septembre 1781 .
( 146 )
laiffer réfider à Siliftrie le Conful nommé
pour gérer les affaires de Ruffie en Moldavie
& en Walachie. La Porte allégue que
le Barat ou la Patente du Conful a déja été
expédiée fur ce pied , & qu'il feroit défagréable
de la révoquer.
Le Baron de Herbert , Internonce de la
Cour de Vienne , vient de préfenter à la
Porte un mémoire par lequel elle lui demande
qu'elle faffe reftituers bâtimens portant
pavillon Impérial , dont les Algériens ſe
font emparés au mépris des Firmans de S. H.
dont ces navires étoient pourvus ; & dans le
cas où elle ne pourroit faire effectuer cette
reftitution , l'Internonce réclame une indemnité
fuffifante , conformément aux traités.
Comme l'autorité du Grand- Seigneur
fur les régences Barbarefques , n'eſt pour
ainfi dire qu'un vain nom , cette demande
ne laiffe pas d'embarraffer le Gouvernement.
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 12 Août.
ON difpofe à l'inoculation les deux jeunes
Princes fils de S. A. I. le Grand-Duc de Ruffie.
Cette précaution falutaire ne peut que tranquillifer
le Grand -Duc & la Grande-Ducheffe
avant le voyage qu'ils doivent entreprendre.
L'Impératrice a fait publier un nouvel
Ukafe en vertu duquel on établira incef(
147 )
famment dans chaque province de l'Empire
des magafins de fel ; ils feront d'abord
conftruits aux frais du Gouvernement ; mais
les provinces qui en profiteront rembourferont
enfuite cette dépenfe. On y confervera
toujours une provifion de cette denrée
fi néceffaire pour deux ans.
Le Comte de Panin dont la fanté s'eft
parfaitement rétablie pendant le féjour qu'il
a fait dans fes terres , doit , dit- on , revenir
bientôt dans cette ville , où l'on croit qu'il
arrivera encore la femaine prochaine.
DANEMARC K.
De COPENHAGUE , le 25 Août.
Ce n'eft que le 15 de ce mois qu'on a reçu
ici le premier avis du combat entre l'efcadre
Britannique & la Hollandoife . Les Anglois
établis à Helfingor , ne doutant pas que
leur marine ne remportât une victoire complette
, & que tout le convoi Hollandois
& les vaiffeaux qui l'efcortoient n'euſſent
été pris & conduits en Angleterre , ſe préparoient
déja à célébrer cet évènement par
une fête , ils en ont été pour leurs apprêts ;
plufieurs bâtimens arrivés fucceffivement
leur ont appris & confirmé que leur marine
n'eft pas invincible.
·
Hier , écrit on d'Helfingor, jour anniverſaire de la
Princeffe Sophie Frédérique de Mecklenbourg-
Schwerin , époufe du Prince héréditaire de Danemarck
, il y eut une fête à bord du vaiffeau de
g 2
( 148 )
guerre que l'Amiral Fontenai monte dans le Détroit
du Sund. Il y eur un très - grand dîner auquel fe trouvèrent
plufieurs Généraux & beaucoup de perfonnes
du premier rang , tant de Copenhague que de cette
Ville on y vit quelques Capitaines de haut- bord
Suédois & Anglois , ainfi que les Miniftres étrangers.
On y but les fantés de cette Princeffe , de fon
augufte époux , des deux Familles Royale & Sénéréniffime
au bruit de 27 coups de canon que répétèrent
à l'envi tous les vaiffeaux Danois , & même
tous ceux de Suède qui étoient préfens ; les vaiffeaux
Anglois furent les feuls qui fe turent .
vingt navires marchands de cette Nation qui avoient
fait voile du Sund fans efcorte ont été forcés ,
par les vents , d'y rentier. Ils ont mis de nouveau
à la voile . Ce feroit une belle prise pour l'efcadre
Hollandoife du Texel , fi elle en étoit informée , &
qu'elle pûr mettre en mer à tems « .
Les
On a écrit que l'efcadre Angloife en
entrant dans le Sund , avoit refufé au pavillon
Danois le falut qu'elle lui devoit
felon les traités. L'exacte vérité veut qu'on
affure ici qu'il n'y a point eu de plainte
portée à cet égard , & qu'il y en auroit
eu certainement , fi le fait avoit eu lieu,
SUÈDE ,
De STOCKHOLM , le 25 Août.
LES Etats- Généraux des Provinces-Unies
ont établi dans ce Royaume avec l'agrément
du Roi , 3 Vice- Confuls qui tous font Suédois
, & qui conferveront leurs fonctions
pendant toute la durée de la guerre de la République
avec l'Angleterre ; ils réfident à
( 149 )
Gothenbourg , à Marstrand , & à Waerberg
en Halland.
On a allumé pour la première fois , le
premier de ce mois , un fanal à Marftrand
quelques minutes après le coucher du foleil.
Le Finlande , vaiffeau de notre Compa
gnie des Indes orientales , eſt arrivé à
Gothenbourg ; c'eft le troisième qui foit
revenu de la Chine cette année . Il n'a perdu
que quatre hommes , quoiqu'il ait été près
de fept mois en mer.
La Société pour l'inftruction de la jeuneffe
, fondée en 1778 , le premier Novembre
, en mémoire de l'heureuſe naiffance
du Prince héréditaire , s'occupe avec beaucoup
de zèle & d'activité des fonctions qui
lui font confiées. On fait qu'elle a pour Préfident
le Baron de Sparre , & pour Directeur
M. Gioervell , Bibliothécaire du Roi . Elle
a publié déja quelques bons livres élémen
taires pour l'ufage des Colléges de ce Royaume
; elle travaille à préfent à une Encyclopedie
Suédoife , à un Dictionnaire François
& Suédois,
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 26 Août.
LE Prince Charles de Radziwill , Palatin
de Wilna , n'ayant pu obtenir le paiement
des deux millions de florins que lui
avoit accordés la dernière Dière pour le
g 3
( ·150 )
dédommager des pertes qu'il avoit faites
pendant l'existence de la confédération de
Bar , a eu recours à l'Impératrice de Ruffie.
S. M. I. lui a adreffé une lettre par laquelle
elle l'affure de fa protection , & l'invite à fe
fixer à la Cour jufqu'à ce qu'il foit fatisfait
. Ce Prince eft parti avec une fuite de
16 perfonnes fous l'eſcorte de 100 Chevaux-
Légers Ruffes qui ont ordre de l'accompagner.
Le Roi toujours occupé de la liquidation
des dettes de l'Etat occafionnées par la même
confédération de Bar , a fupprimé tout
ce qui lui a paru porter dans les dépenfes
le caractère de la fuperfluité.
Le commerce Autrichien fait tous les
jours de grands progrès fur la Save , & le
Gouvernement a ordonné de réparer les
chemins qui font le long de ce fleuve pour
favorifer davantage ce commerce. De gros
bâtimens Turcs viennent auffi jufqu'à Peterwaradin
prendre des chargemens de
marchandifes du pays.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 27 Août.
L'EMPEREUR eft actuellement au camp de
Peft en Hongrie , on ne fait point s'il fe
rendra également à celui qui s'affemble à
Prague. Il doit y en avoir un troisième à
Brinn en Moravie , & un quatrième dans les
( 151 )
environs de Laxembourg , près du village de
Minkindorff.
On affure que le couronnement de S. M. I.
en qualité de Roi de Hongrie , fe fera dans
ce Royaume au mois d'Octobre prochain.
la
On fait ici de grands préparatifs pour
réception du Grand Duc & de la Grande-
Ducheffe de Rullie. Les appartemens que
l'on leur deftine à la Cour feront ornés des
tapifferies fuperbes de la manufacture des
Gobelins que S. M. I. a reçues en préfent
dans fon premier voyage en France. On dit
que fix régimens doivent marcher vers les
frontières où ils fe trouveront à l'arrivée
de LL . AA. II . On ajoute que pour leur garde ,
il fe trouvera un régiment à chaque ftation ,
où il y aura auffi grande table , bal ou comédic.
Le Comte Brigido , P.éfident de la
Régence de la Pologne Autrichienne , a été
nommé pour recevoir L. A. I. fur les frontières.
De HAMBOURG , le 31 Août.
ON mande de Cologne qu'on y voit paffer
fucceflivement & fréquemment des flottilles
de bois de conftruction pour le fervice
des Provinces -Unies , & pour celui de la
France . La Hollande paroît bien décidée à
n'en laiffer jamais manquer , tant qu'il feră
poffible d'en voiturer par le Rhin , par
I'Efcaut , & par les autres rivières qui lient
en quelque forte les forêts de la Prufe , de
la Pologne & de l'Allemagne à la France.
8 4
( 152 )
Le 28 de ce mois, ajoutent les mêmes lettres , fur
les deux heures de l'après - midi , il y a eu à Cologne
& dans les environs un orage épouvantable , accompagné
d'éclairs & de tonnerres , qui a renversé des
arbres , des étables & des maiſons ; des meules de foin
& des chaumières ont été mifes en feu par la foudre.
Un malheureux charretier qui fe trouvoit avec
fes chevaux & fa voiture au milieu de la campagne ,
y a été frappé mort. On ne fe rappelle pas d'avoir
vu depuis long-tems un orage fi violent & fi deftructeur
«.
On dit que les priviléges que l'Empereur
vouloit accorder aux Juifs rencontrent beaucoup
de difficultés . Plufieurs provinces , &
entre autres la Tranfilvanie ont fait d'humbles
, mais férieufes repréſentations à S. M. I.
& R. fur les conféquences qui réſulteroient
de ces priviléges .
" L'Evêque de la ville Neuve, écrit- on de Vienne ,
a adreflé , à tous les Eccléfiaftiques de fon Diocèfe ,
une lettre circulaire en langue latine , en date du 27
Juin , pour leur ordonner l'uniformité dans les rites.
Les lumières qui environnent le Trône réfléchiſſent
par- tout leur éclat ; la religion toujours refpectable
femble le devenir davantage par la fuppreffion d'une
meltrude d'abus & de fuperftitions qui faifoient gé
mir les bons Chrétiens , & rire les efprits forts qui
par un abus qu'on ne fauroit trop condamner confon
dent les accefloires avec le fond même du culte . On
ne fauroit trop applaudir aux règlemens pleins de
fageffe qu'on a publiés fur les reliques , les billets appeliés
de Lucas , l'acceptation des chofes vouées ,
&c. «.
Les lettres de Conftantinople n'annoncent
pas, que les différens entre la Ruffie & la
Porte foient encore près de s'arranger.
( 153 )
Le feul des objets , auparavant en litige , qui
paroiffe aujourd'hui hors de conteftation , difentelles
, c'eſt le paffage des vailleaux Ruffes qui viennent
de la mer Noire. Un paquebot arrivé dernièrement
de Taganrock a paffé fans effuyer aucune avarie
, quoiqu'il arborât le pavillon des navires de
guerre de fa nation. Lorsqu'il eut mouillé dans la
rade de Conftantinople , les Douaniers le vifitèrent
avec beaucoup de diicrétion ; il n'avoit point de marchandiſes
à bord ; il apportoit feulement les dépêches
de fa Cour & les lettres des particuliers. 2 vaiffeaux
marchands chargés de comestibles ont aufli paffé.
L'un s'eft rendu a Smyrne, la deftination apparente de
l'autre eft pour Alexandrie ; & l'on croit que la véri
table eft pour Marſeille. Cette nouvelle route que fe
fraye la navigation de la Ruffie , afait éclore plufieurs
nouveaux projets de commerce ; mais comme dans
toutes les entreprifes de ce genre la réuffite de la plupart
paroît douteufe , celle de fournir de la viande
fumée & falée en Ruffie , au département de la marine
Françoise à Toulon peut échouer par le défaut
de falaifon foit qu'on n'en ait pas l'habitude en
Ukraine , foit que le fel même y ait quelque vice «
ITALI E.
De LIVOURNE , le 29 Août.
Depuis la lettre que le Grand-Due a fait
adreffer à la nobleffe de fes Etats pour l'inviter
à le feconder dans fon deffein de réprimer
le luxe , il en a été publiée une autre adreffée
à la Députation fur les Monaftères pour mo
dérer également le luxe & les dépenfes qui
ont lieu lors de la vêture des Religieufes.
» S. A. R. y déclare en ſubſtance , qu'elle a ve
avec beaucoup de fatisfaction le prompt effet que la
( 154 )
dernière O donnance a produit fur les fidèles ſujets ,
& qu'elle espère que les filles qui fe deſtinent à la vie
Religieufe , ne fe croiront pas exemptes de s'y conformer
lors de leur vêture , & qu'elles fe difpenferont
d'étaler au pied des Autels ce fafte indécent qu'elles
doivent condamner par le voeu même de pauvreté
qu'elles fe propoſent de faire dans la fuire , en conféquence
la Députation fur les Monaftères , eft
chargée de veiller à ce que les jeunes filles qui fe
deltinent a la vie Monaftique , ne faffent ufage d'aucon
ornement dans leurs habits , depuis leur accep
tation jufqu'à la vêture ce
On mande de Milan qu'à l'occafion de
la preftation de ferment de ce Duché à
l'Empereur , l'Archiduc a fait jetter de ſon
Palais au peuple affemblé pour cette cérémonie
, quantité de pièces de monnoie , &
enfuite quelques médailles d'or , fur lefquelles
on lit d'un côté : Longobardiafides
facramentofirmata , & de l'autre les noms &
les titres divers de Jofeph II.
On a trouvé dans la vallée de Chiavona ,
au Diſtrict de Ronceno , une mine de cuivre ,
d'argent & même d'or ; felon les calculs faits
d'après l'exploitation commencée , elle a
donné jufqu'ici 25 livres de métal , l'un
portant l'autre , fur 100 livres de minerai
peut être produira-t- elle plus encore.
L'infulte faite au pavillon François dans ce port,
écrit-on de Tripoli de Barbarie , vient d'être réparée .
La Régence a ordonné au Commandant du port de fe
rendre avec des témoins honorables à l'Hôtel du
Conful de France , & d'y déclarer , dans les termes
les plus foumis , que fe repentant de fa conduite
paffée , il auroit déformais , pour le pavillon du Roi
( 155 )
.
-
Très Chrétien , tous les égards & tout le refpect qui
lui font dûs , proreftant que s'il lui avoit préféré celui
d'Angleterre ce n'avoit été que par imprudence , &
pour avoir prêté trop légèrement l'oreille aux féductions
d un certain Conful , qu'il ne nomma pas , mais
qu'on devine bien. Un Malth is , qui pour devenr
Rais ou Capitaine pirate au fervice de cette Régence
n'avoit pas craint d'apoftafier , a été pris dernièrement
par une galère de Malche , & conduit à la
Valette , où il a été pendu. Il en fera de même d'un
autre renégat Sicilien , qui a été également pris &
envoyé à Naples il y a quelques femaines. Comme il
a facrifié au méme Dieu l'intérêt , il aura fans doute
la même récompenfe «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 30 Août.
UN Courier expédié de Cadix & arrivé ici
le 22 du mois dernier , a apporté des dépêches
qui ont d'autant plus piqué la curiofité
publique que la Cour n'avoit rien publié
de leur contenu. On a fu depuis par les
lettres particulières l'arrivée d'un paquebot
de la Havane qui eft parti le 28 Juin & a
mouillé le 18 de ce mois à Cadix . Ce bâriment
n'étoit chargé que des dépêches de la
Cour & de 3 ou 4 lettres pour des particuliers
. On у lit que le 24 Juin . , il fortit de la
Havane 2 vaiffeaux de ligne pour la Véra-
Crux , où ils ont été prendre les fruits &
l'argent qui s'y trouvoient , ce qui fait craindre
que le convoi ne parte qu'à leur retour',
au lieu d'avoir mis à la voile en Juillet comme
le commerce s'en étoit Alatté d'après le
8 6
( 156 )
befoin preffant qu'il a des fonds retenus à
la Havane. L'efcadre de M. de Monteil s'eft
éloignée de ce port le 22 Juin , & ce qui fait
croire qu'elle va en droiture à St- Domingue ,
c'eft qu'elle a emporté 700,000 piaftres. Le
26 on vit arriver une frégate de M. de Graffe
qui prit 300,000 piaftres & qui repartit le
lendemain. Ces lettres confirment que MM .
de Navarro , Gouverneur- Général de Cuba ,
de Navia , Commandant des troupes ,
Bonnet , Commandant de la Marine , alloient
s'embarquer pour l'Europe.
Suivant les avis du camp de St- Roch les
barques canonnières ont mis le feu à un magafin
à poudre fitué fur la pointe d'Europe.
Son explofion , s'il faut en croire le rapport
de plufieurs déferteurs , a coûté la vie à plus
de 300 perfonnes.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 8 Septembre.
Nous attendons toujours avec anxiété des
nouvelles de toutes les parties du théâtre
de la guerre. On fait que le 31 du mois
dernier la Cour reçut des dépêches du Général
Clinton , de l'Amiral Rodney , du
Chevalier Peter Parker , & du Commandant
de Gibraltar ; jufqu'à préſent elle n'en a
rien publié ; & fon filence produit l'effet
ordinaire , de faire préfumer qu'elle n'a rien
de bon à annoncer. On commence à rabattre
beaucoup de la prétendue victoire rempor
( 157 )
tée le 6 Juillet par le Lord Cornwallis. Nous
n'en fommes inftruits que par la Gazette
extraordinaire de Rivington , qu'on fait
exagérer toujours les moindres avantages ,
& quelquefois en annoncer qui n'exiſtent
point. On penfe que fi en effet ce combat
avoit eu des fuites importantes , il ne fe
feroit pas écoulé deux mois fans qu'on eût
reçu des relations directes . Tandis que les
papiers vendus au Gouvernement annoncent
la réduction des trois Provinces méridionales
, en conféquence de cette victoire , des
lettres particulières nous préfentent le vainqueur
preflé par fes ennemis vaincus , fuyant
devant eux , pouffé vers Portfmouth , &
réduit à la néceflité de s'embarquer , &
d'abandonner la Province qu'on fuppofoit
qu'il avoit déjà conquiſe.
New-Yorck ne nous offre pas moins d'incertitudes
inquiétantes .
» Le 22 Juin , portent des lettres de Harford du
5 Juillet , M. de Rochambeau eft arrivé ici avec la
première divifion de l'armée à fes ordres ; les trois
autres divifions font arrivées les trois jours fuivans.
De 25 il s'eft mis en marche avec la première division
, & les autres l'ont fuivi dans l'ordre où elles
font arrivées. Jamais on n'a vu une plus belle troupe
fous les armes , & jamais armée n'a été mieux
fournie de tout ce qui lui eft néceffaire pour une
campagne. La bonne difcipline des troupes , & l'attention
des Officiers à empêcher qu'il ne foit fait
aucun tort aux particuliers , ont rendu très agréable
aux habitans le paffage de cette armée dans le pays ,
& nous avons la fatisfaction d'affarer tous nos compatriotes
qu'il n'eft arrivé aucun défordre . Le
( 158 )
Juillet notre armée a décampé de New- Windfor ,
& après avoir paflé la rivière d'Hudſon , elle s'eft
mife en marche pour les plaines Blanches , où l'on
s'attend que fe fera la jonction avec les troupes
Françoifes de Rhode- Iſland «.
Des lettres poftérieures annoncent cette
jonction ; mais elles ne parlent point de la
mauvaife réception qui a été faite à l'Armée
combinée à quelques-uns de nos poftes , devant
lefquels elle s'eft préfentée. On connoît
la nature de ces poftes & qu'il eft
difficile de les défendre , & on ſuppoſe que
le Général Clinton au lieu de fatiguer &
d'affoiblir inutilement fa garnifon , les aura
évacués pour la plupart , & réſervé les forces
pour faire toute la réfiftance qu'il peut
faire en effet avec fuccès dans New Yorck.
Les François & les Américains réunis n'attendoient
que l'arrivée de M. de Gralle pour
commencer le fiége de cette place.
La flotte Françoiſe ne peut avoir tardé à
paroître dans ces parages. Si la Cour avoit
publié quelques- unes des dépêches qu'elle
a reçues de l'Amiral Rodney , nous pourrions
favoir pofitivement l'époque du départ
des forces ennemies de la Martinique , &
nous pourrions calculer à peu-près celle de
fon apparition fur les côtes de l'Amérique
Septentrionale. On fuppofe ici que ce départ
n'a eu lieu que les Juillet , & que
l'Amiral Rodney a pris fur le champ la
même route. Les deux flottes ne pourront
manquer de fe rencontrer , & on s'attend
( 159 )
d'avance à la relation d'un combat. Nos
papiers , pour nous raffurer fur fon iffue
portent les forces de Rodney à 35 vaiſſeaux
de ligne ; mais il n'en a réellement que 31 ,
favoir 21 qu'il conduit avec lui , 7 qu'il
trouvera fous les ordres de l'Amiral Graves
& 3 que lui mène l'Amiral Digby. Four
lui donner la fupériorité on n'en donne que
31 à M. de Graffe ; mais on fait que fa flotte
eft de 26 , & que M. de Barras en a 8 à
Rhode- Ifland , ce qui en fait 34.
>
» Samedi dernier , 30 Juin , lit- on dans une lettre
de Boſton du 5 Juillet , la fregare Françoife la
Surveillante eft arrivée ici du cap François , après
une traversée de 20 jours . Le lendemain de fon
départ elle rencontra une frégate Angloife , & fe
batcit vivement avec eile. La Surveillante cut 14
hommes tués & environ 25 bleflés . Nous n'avons pas
encore d'autres détails de ce combat. On dit que la
Surveillante a apporté une grande quantité d'habits
pour les troupes Françoifes . Hier 4 , l'anniver
faire de la glorieufe Indépendance de l'Amérique a
été célébré ici avec la plus grande pompe «.
Nos autres nouvelles de l'Amérique Septentrionale
fe réduifent à celles ci , que nous
trouvons dans une Gazette de Philadelphie ,
du 1 Juillet.
» La mauvaiſe ſanté de M. Huntington , Préfident
du Congrès , ne lui permettant pas de continuer à
remplir les fonctions de cette place , M. Thomas ,
M' Kean a été élu pour lui fuccéder.
- Le bruit
couroit généralement il y a quelques jours que le
traître Arnold , déferteur de l'armée Américaine ,
Brigadier- Général dans l'armée Angloife , & ami de
coeur du Chevalier Clinton , avoit été foupçonné
d'avoir empoisonné le Major- Général Philips , mort
( 160 )
-
dernièrement dans la Virginie , & qu'en conféquencé
on s'étoit afluré de fa perfonne. - Il y a quelque
tems que ce même Arnold ayant demandé à un Capitaine
Américain qu'il avoit fait prifonnier , ce
qu'il croyoit que les compatriotes feroient de lui
s'il avoit le malheur de tomber entre leurs mains ;
je crois , lui répondit celui-ci , qu'ils vous couperoient
la jambe dont vous boitez , & qui a été bletlée
dans la caufe de la liberté & de la vertu qu'ils
brûleroient cette jambe avec les honneurs de la
guerre, & qu'enfuite ils enverroient le refte de votre
corps au gibet. Nous éprouvons ici des chaleurs
exceffives depuis quelques jours. Le 8 & le 9 de ce
mois , le thermomètre de Farenheit a été à 94 degrés.
-On apprend que dans le Maryland , depuis le rer
Mars jufqu'au 1er Juin , on a pendu 7 perfonnes
accufées de correspondance avec les troupes du Roi ,
& entr'autres 2 Juives «.
En attendant les nouvelles importantes
que nous ne pouvons manquer de recevoir
dans peu de tems de ces contrées , nous
parlerons ici d'un écrit que nous fourniffent
les mêmes papiers Américains ; il traite une
queftion qui intéreffe également la tranquillité
des Communautés particulières , & le
maintien de la paix générale.
Ayant feuilleté par hafard chez un de mes voisins
les minutes imprimées de la denière féance de l'Aſfemblée
générale de Penfylvanie , je fus furpris de
voir qu'il avoit été préfenté à la Chambre une pétition
, tendante à ce que les Habitans de Philadelphie
fuffent incorporés pour le maintien du bon ordre
dans cette Ville , & telles font les expreffions de
la minute , datée du 23 Mars ; n'ayant point entendu
dire dans les dernières excurfions que j'ai faites à
Philadelphie , qu'on fe fût adreffé à la Légiflation fur
un objet qu'il lui eft fi important de connoître , je
( 161 )
il
Je me
defirai vivement d'apprendre quel en avoit été le fuc
cès . Dans cette vûe j'examinai foigneufement le refte
des opérations de la Chambre juſqu'à la fin de la
première femaine d'Avril ; pendant tout ce tems ,
n'a rien paru de nouveau fur cet objet : trouvant alors
une réfolution qui portoit que l'Aflemblée finiroit fa
feffion le Mardi 10 , je fus fur le point d'abandonner
mes recherches . Cependant je les continuai , &
quel fut mon étonnement , lorfque je trouvai une
réfolution du 9 Avril qui portoit : Que les Députés
de la Cité formeront un Comité pour rédiger &
préfenter un Bill conformément à l'objet de ladite
pétition , dont la teneur étoit énoncée.
fuis procuré depuis une copie de cette pétition qui
n'a été fignée que par 54 perfonnes réfidantes principalement
dans la partie haute de Second Street ,
& dans le voisinage. On auroit pu attendre que les
repréfentans pour la Cité , en voyant une demande
de cette importance provenir d'un fi petit nombre
d'habitans , la plupart du même voifinage , auroient
fait dans la Chambre une motion tendante à ce qu'on
ordonnât de publier la pétition ou fa fubftance dans
une Gazette , dans la vue d'informer de ce qui s'a
gitoit les milliers d'habitans intérefiés dans cette
affaire ; on devoit efpérer au moins que le Comité
défigné pour rédiger le Bill auroit convoqué de manière
ou d'autre fes comettans , afin qu'ils priffent
connoiffance de la propofition , & qu'ils concertaffent
le plan du Bill , s'il étoit de leur goût. Il doit
paroître un peu fingulier que les Bourgs aient la fureur
en ce moment de former des corporations . Reading
( 1 ) , York & Carlisle ont des plans fembla-
—
( 1 ) Dans le Bill pour ériger Réading en corporation de
Bourg , il y a une claufe qui fixe la réfidence de la plupart
des Oficiers du Comté dans la Ville. Cet arrangement ne
rendra-t- il pas , en grande partie , les habitans de Réading
les feuls Maîtres de la nomination & du choix du Clerc &
Schériff du Comté ?
( 162 )
bles , dont le fuccès dépend de Bill foumis actuellement
à l'examen de l'Affemblée. On peut cependant
douter avec raifon fi les principes de notre gou
vernement populaire admettent la formation de telles
communautés , qui ne font qu'une pure imitation de
la politique de certains Etats Européens , lefquels
fe trouvent dans des circonftances très - différentes.
Dans chaque ville confidérable des Provinces- Unies
il existe depuis les tems reculés des Ducs de Bourgogne
, autrefois Souverains de tous les Pays - Bas ,
des corporations de ce genre , lefquelles jouiffent
de priviléges qui forment de ces Villes des Républi .
ques diftinctes en dedans de l'Etat circonftances
très-défavorables à l'unité & à l'expédition dans les
confeils nationaux ; car chacun de ces Gouvernemens
formant Imperia in Imperio , doit étre , ainfi
que les Etats de la Province , confultés fur tous les
objets nouveaux & importans qui fe préfentent dans
l'affemblée des Etats -Généraux. En Allemagne , lor
que les grands Vaffaux devinrent des Princes in lépendans
, fous le titre de Duc , Margrave , Comte ,
& même Archevêque & Evêque , les Corporations
adoptèrent la forme & la puiffance des Etats Ariftocratiques
. Telles font Hambourg , Francfort , Nuremberg
& autres [ 1 ]. C'eft ce qui fait que l'Al-
(1 ) Quelques Villes de la Suiffe ayant confervé , fous le
Gouvernement Républicain , le ſyſtême des Communautés
ou Corporations , fyftême affez convenable los fone ce Pays
étoit gouverné par les Empereurs d'Allemagre , Berne , Lu
cerne , Fribourg & Soleure étoient ariftocratiques , c'est- àdire
, entre les mains de quelques familles opulentés , d'autres
telles que Bâle , Zurich & Schaffhaufen étoient démocratiques
, chaque Bourgeois prenant part à l'Adminiftration
. Les Villes ont étendu leur pouvoir dérivé de l'ancien
fyftême des Corporations fur les territoires de leurs Cantons
refpectifs ; & les habitans des Villes , s'arrogeant toute l'autorité
gouvernent les cultivateurs comme leurs fujets . En
vain les Suiffes , en fecouant le joug de la Maifon d'Autriche
, bannirent-ils la nobleffe ; les Villes & mêre dars
certains cas des Plébéyens de ces Villes qui ont ufurpé tin
( 163 ) ~
lemagne eft divifée en quelques centaines d'Etats
& qu'elle a une multitude de Princes , dont elle eſt
obligée de foutenir les dépenfes domestiques , chacun
de ces Princes aimant le luxe , & voulant l'emporter
fur fes voifias. Aufli n'eft il point de Pays d'une
égale étendue qui foit aufli foible & auffi expofé à
l'infulte. Dans une Monarchie dont toutes les parties
font liées étroitement enſemble , de tels établiſſemens
font peut- être avantageux au Peuple , en ce
qu'ils tendent à reftreindre & modérer la Puiffance
Royale , & qu'ils élèvent ces Communautés juſqu'à
partager avec le Souverain le droit de légiſlation ;
mais dans un état démocratique tel que le nôtre ,
ils rendent à le morceler en le fubdivifant en de
moindres Etats , dont chacun a le pouvoir de faire
fes propres loix. Ils fervent à unir les habitans
pour des objets d'une nature locale en même tems
qu'ils font naître des factions dans les Villes , relativement
à des plans de peu ou d'aucune importance
, & font négliger , & peut - être exclure les
intérêts généraux de la Nation. En Angleterre , des
gens fages & défintéreffés , defirent que ces établif
femens foient abolis , parce qu'ils favorisent les
entraves mises à l'induftrie , & parce que les repréfentans
de ces Communautés , portent la corruption
dans la Chambre des Communes. Autrefois , lorf
que chaque Cultivateur & Artifan étoit le vilain ,
c'est- à - dire , l'Eſclave du Roi ou de quelque Seigneur
, c'étoit un grand privilége d'être homme
libre dans une Ville ; mais depuis que la Nation
entière et émancipée , les Bourgs francs font devenus
fans importance , relativement à leur premier
objet , & ils ont produit des inconvéniens. Quelque
fingulier que cela paroifle , il cft pourtant vrai que
pouvoir exhorbitant , ſecondés par l'efprit de ces anciennes
Affociations , ont trouvé le moyen de s'emparer de l'autorité
Suprême.
( 164 )
tandis que nos Villes s'efforcent d'obtenir ces affo
ciations , les habitans des Bourgs les plus opalens de
l'Angleterre, tels que Manchefter, Birmingham, &c. ,
qu'on pourroit appeller cités à caufe de leur étendue,
attribuent leur profpérité & leur accroulement, à l'avantage
qu'ils ont de ne point former des Corporations
. Rien n'alarmeroit autant peut - être les Manufacturiers
induftrieux de ces Bourgs , que fi on les
menaçoit de leur donner des Maires & des Aldermans.
Ils jouiffent d'une police parfaitement bonne
fous la protection de la Magift.ature commune du
Comté. Affranchis de toutes les entraves formées
par d'abfurdes loix locales & par d'injuftes reftrictions
, u'ayant rien à craindre des factions & des
difputes qui s'élèvent fi communément lors des
Elections annuelles des Officiers de corporation ,
ainfi que d'autres difcuffions inutiles , les habitans
de ces Bourgs fe livrent paisiblement & avec activité
à leurs affaires , fans que rien trouble leur heureuſe
harmonie. Qui eft ce qui ignore qu'à Londres ,
cette ville dont le Lord Maire & la corporation
font une fi pompeufe figure dans le fyftême politique
général , les Négocians & les plus habiles
Artifans évitent aujourd'hui de devenir Bourgeois ,
ou capables d'occuper les charges , & que la Magiftrature
& la Police de la Ville tombent de plus
en plus , chaque jour entre les mains de gens incapables
& fans importance , tant ces honneurs f
vantés & les priviléges de la première Ville de la
G. B. , font incommodes & tant ils font redoutés
par les individus . Bofton , ville remarquable
pour le bon ordre qui y règne , n'a point d'autre
plan de Police que celui qui eft commun à toutes
les autres Villes de l'Etat. » L'égalité des priviléges
, a dit M. Hume , eft la fource de la Concorde.-
Trenton dans le New-Jersey étoit autrefois
un Bourg avec corporation ; mais les habitans ayant
appris par l'expérience que leurs franchiſes leur
--
( 165 )
étoient plus à charge qu'elles ne valoient , ils
convinrent de les laiffer tomber en défuétude &
par conféquent de les abroger. Je n'ai plus
qu'une oble: vation à faire fur cet objet , c'est qu'en
créant des Magiftrats de corporation dans les
Capitales & autres Villes , on bleffe les droits des
Juges actuels , établis en vertu de la conftitution
ils font même expofés par ces arrangemens à être
fupplantés. La légiflation devroit s'occuper d'obtenir
des habitans de chaque lieu fufceptible d'être
formé en corporation , un confentement qui puiffe
autorifer une telle innovation ; car on ne fauroit
croire que des perfonnes qui , comme les Membres
de l'affemblée ont juré de ne point enfreindre
l'acte d'union , fe permettent fciemment rien qui
y foit contraire . «.
La curiofité publique ne trouve pas plus
d'alimens dans ce qui fe paffe en Europe ,
que dans ce qui fe paffe en Amérique. On
commence à revenir des terreurs que la
nouvelle de l'approche de l'armée combinée
avoit répandues . Comme elle ne s'eft point
encore montrée fur nos côtes , que la faifon
avance , & que la crainte de l'équinoxe doit
la forcer à rentrer bientôt dans fes ports ,
nous nous flattons ici qu'elle ne ſe retirera
pas toute entière à Breft , & que les Efpagnols
regagneront Cadix ; fi c'eft leur plan ,
leur féparation doit fe faire plutôt , & peutêtre
a - t - elle eu déja lieu maintenant. Ce
qui confirme cette conjecture , c'est que
Efpagne a befoin de fes forces auprès du
détroit de Gibraltar , pour empêcher les tentatives
que nous pourrions faire immédia
tement après l'équinoxe pour ravitailler cette
( 166 )
place , & pour porter des fecours à Mahon
que nous ne doutons plus que nos ennemis
menacent , & où ils font fans doute à préfent
defcendus . L'éloignement & la féparation
de l'armée combinée , laifferont la liberté
de fortir à l'Amiral Darby que l'efcadre
Françoiſe ne fera pas en état d'arrêter.
Quelques efforts que nous ayons faits juſqu'à
préfent , quoique tous les vaiffeaux que nous
avons aient eu ordre de joindre cet Amiral
à Torbay , fa flotte le premier de ce mois
n'étoit que de 21 vaiffeaux , elle en avoit
23 le 3 de ce mois ; tous nos papiers la
portent aujourd'hui à 36 ou 37 ; mais dans
ce nombre , il y en a 4 de so canons , &
s qui font de fimples garde côtes très -bons
pour faire nombre , & figurer dans une
ftation tranquille , mais peu propres à tenir
une place en ligne. Au refte fi la féparation
de l'armée combinée a bientôt lieu , fes
forces quelles qu'elles foient feront fuffi
fantes , puifqu'il n'aura point à combattre ,
& nous pourrons être raffurés fur le fort des
flottes que nous attendons . Il fe débite que
le départ de la flotte qu'on attend de la
Jamaïque eft différé , parce que l'Amiral
Rodney a cru qu'il n'étoit pas prudent d'affoiblir
fon efcadre pour donner une efcorte
à cette flotte.
On ne parle preſque plus aujourd'hui du
voyage du Commodore Johnſtone à Rio de la
Plata , de la prife qu'il a faite d'un riche vaif
feau Efpagnol, & de la révolte qui s'eft élevée
( 167 )
dans ces contrées , qu'il va appuyer ; il
paroît que ces nouvelles n'ont été jettées
d'abord dans le public que pour diftraire
l'attention de l'alarme caufée par l'approche
de l'armée combinée . Le Gouvernement
n'a point donné lui- même ces intéreffantes
nouvelles , & on les a mifes dans
nos papiers fans qu'on fache qui les a reçues
, & par quelle voie elles font arrivées.
Selon ces nouvelles , ce fut le premier Mai
que le Commodore après avoir réparé les
dommages qu'il avoit foufferts dans fa rencontre
avec M. de Suffren , partit de Praya ;
toute fa flotte marcha de conferve pendant
trois femaines , après quoi , le Héros de 74
& le Monmouth de 64 prirent la route de
l'Inde avec les vaiffeaux de la Compagnie ,
& Johnſtone avec le Romney , l'Ifis & le
Jupiter , de so canons , les frégates la Diane ,
l'Active , le Jafon , le Mercury , 3 floops ,
un brûlor , 2 galiotes à bombes , 7 bâtimens
de tranfport , 9 vivriers & 3 bâtimens armés
en flûte , fe rendit à Rio de la Plata , à l'embouchure
de laquelle il arriva vers la mi Juin ,
il remonta cette rivière jufqu'à 100 milles audeffus
de fon embouchure , où eft Monte-
Video , d'où l'on dit que fes lettres font
datées. Si ces détails font vrais , on commence
à regarder ici l'efcadre du Commodore
comme perdue ; elle peut avoir
d'abord quelques fuccès ; mais comment les
foutenir feul fans efpoir de renforts qu'on
ne peut lui envoyer , & expofé à voir à cha(
168 )
que inftant des foulèvemens qui peuvent en
un inftant le priver de tous les avantages.
On n'a pas lieu d'être fans inquiétude
fur le fort des vaiffeaux qu'il a détachés
pour eſcorter le convoi de l'Inde , fi les
François les attendent au cap de Bonne-
Espérance.
"
Le Lion- Gotick , vaiffeau de la Compagnie Danoife
des indes , écrit- on de Lisbonne , revenant de
la côte de Malabar , & qui a touché au Cap de Bonne-
Efpérance , vient de mouiller dans ce port , ( le 24
Juillet ) . Il nous apprend que M. de Tronjolly mouil
loit au Cap depuis le premier Mai dernier , & difoit
publiquement qu'il y étoit ftationné , pour intercep
ter une petite efcadre de vaiffeaux de guerre , ayant
fous fon convoi des bâtimens de transport & des vaiffeaux
de la Compagnie de l'Inde venant d'Angleterre,
dont il attendoit l'arrivée dans peu de tems . L'efcadre
de M. de Tronjolly , confiftoit en 6 vaiffeaux de
ligne & 2 frégates.
On affure que la Compagnie des Indes
a reçu avis de la prife du Swallow , paquebot
fur lequel étoit embarqué le Lord
Macartney , qui fe rendoit à fon Gouvernement
de Bengale. Elle n'a pas reçu de
même la confirmation des nouvelles intéreffantes
qu'on avoit publiées de l'Inde , &
qui préfentoient fes établiflemens à l'abri
des attaques des Marattes .
>
le
Les vaiffeaux qu'elle attend de Sainte-
Hélène font la Princeffe Royale
Sandwich , le True Britton , le Walpole ,
le Granby , le Fox & le Grafton ; les quatre
premiers font , depuis quelques mois
å
( 169 )
Sainte -Hélène , où ils attendent un convoi.
Les autres vaiffeaux que l'on fait être
en chemin pour revenir ici , font le Comte
d'Oxford , le Hafewell , la Refolution , le
Prince & le Duc de Kington.
» Les vaiffeaux de la Compagnie , dit un de nos
papiers font généralement tous conftruits fur le même
modèle ; leur port eft ordinairement de 750 à
900 tonneaux ; ils montent tous 26 canons & 99.
hommes d'équipage . La femaine dernière on en a
lancé à l'eau deux des chantiers de la Tamife ; l'un
a été nommé le Northington , l'autre le Warren-
Haftings ; on les équipe avec toute la diligence poſſi
ble , afin qu'ils puiffent partir avec la flotte qui , à
ce que l'on dit , doit appareiller vers la fin du mois
d'Octobre prochain. Cette flotte eft , à ce qu'on prétend
une des plus confidérables qui ait jama's fait
voile d'Angleterre pour cette partie du monde . Indépendamment
de 13 vaiffeaux deftinés pour les éta-.
bliffemens Afiatiques de la Compagnie , plufieurs navires
armés en flûtes , richement charges , feront
voile avec le même convoi . On affure qu'elle ne fera
pas moins de 25 vaiffeaux «.
Un cachalot ou petite baleine de 21
pieds de long fur 10 de large , a paru dans
la Tamife au -deffus du pont de Londres ,
le 29 du mois dernier , fur les 6 à 7 heu
res du matin. La furpriſe a été d'autant plus
grande , qu'on n'y en avoit jamais vu. Il
a fallu plus de quatre heures & quantité
d'affaillans , pour s'en faifir.
» Sur le grand chemin de Deptfort , dit un de nos
papiers , il y a 6 jeunes femmes ou files déguisées
en hommes qui , munies de piftolets , attaquent &
dévalifent les paffans. On vient , dit - on , d'en arrêter
une ; c'eſt la fille d'un certain Williams , Marchand
22 Septembre 1781 .
h
( 170 )
d'un des fauxbourgs de Deptfort ; elle avoit un
habit qui lui donnoit l'air d'un garçon Boulanger «
On ne parloit plus de l'Amiral Arbuth
not depuis fon arrivée ; un de nos papiers
vient de le remettre ainfi en ſpectacle au
public.
» On dit que dans la conférence de deux heures
que cet Amiral a eue avec le Roi , il s'eft montré un
adverfaire décidé de la guerre Américaine ; & qu'il a déclaré qu'il falloit ranger la réduction de l'Amérique
au nombre de ces impoffibilités
phyfiques qu'il n'eft pas au pouvoir des hommes de vaincre ; & il a ajouté que le Général Clinton eft du même fenti.
ment que lui. Cette opinion ne s'accorde guere avec celles des perfonnes qui ne ceffent de repréfenter
I'Amérique comme incapable de réfifter plus longtems
, & les Américains comme difpofés à rentrer fous la domination Britannique. Il feroit tems d'examiner
lequel des deux eft le plus avantageux , ou de la' continuation
de la guerre , ou d'une paix honorable
, en reconnoiffant
franchement
une indépendance
qu'on ne fauroit plus détruire. Si cette guerre dure encore une année , il faut s'attendre à une nouvelle
perte de 20 millions fterl. qui ne produiront
rien . Quand quelque miracle pourroit opérer la ré- duction de l'Amérique
, les dépenfes nécefaires
pour la conferver équivaudroient
prefque toujours à celles qu'il faudroit pour la fubjuguer ; car les fe mences de liberté qui s'y font répandues , éclateroient toujours à chaque inftant , & fourniroient
des four
ces intariffables
de dépenfes & des théâtres de lang «.
Le 6 , l'Amiral Parker a pris congé des
Lords de l'Amirauté de la manière la plus
amicale , & il s'eft mis en route pour Torbai
, où il va prendre le commandement
en fecond de l'efcadre aux ordres de l'Amiral
Darby.
( 171 )
FRANCE.
De PARIS , le 18 Septembre.
ON a appris par les lettres de Breft , què
les 19 vaiffeaux de ligne François aux ordres
de M. le Comte de Guichen ; qui faifoient
partie de l'Armée combinée , font
rentrés à Breft le s de ce mois pendant la
nuit. Les vaiffeaux Eſpagnols ont fait voile
pour Cadix. Le Journal de Breſt contient
les détails fuivans .
Le 3 , arrivée de la frégate la Terpficore .
venant de Bordeaux avec un convoi de is à 16
voiles. Le 4 , arrivée d'un convoi de Nantes de
27 à 28 voiles , efcorté par l'Etourdie & l'Epervier.
-
Les , arrivée de la frégate l'Attalante , du
lougre le Tartare , & de la corvette l'Alligator.
-Le même jour , à 9 heures du foir , les frégates
de l'armée de M. le Comte de Guichen , font entrées
en rade, & fucceffivement on a vu paroître pendant la
nuit tous les vaiſſeaux de l'efcadre . Les Officiers
rapportent que le même jour , environ vers les 6
heures du matin , à 15 lieues d'Oueffant , l'armée
Efpagnole s'eft féparée de l'armée Françoise pour
retourner à Cadix . Cette féparation ne devoit fe
faire que du 10 au is de ce mois ; mais D. Louis de
Cordova ayant reçu des ordres de la Cour d'ELpagne
, a jugé qu'il étoit à propos que les forces
de fa nation fe raffemblâffent dans ce moment- ci du
côté de Gibraltar . En conféquence il a quitté fa
croifière quelques jours plutôt.- Le vaiffeau Efpagnol
le Brillanté , s'étoit égaré ; & depuis le 2 de
ce mois , on n'en avoit aucune nouvelle , quoiqu'on
cût envoyé plufieurs frégates à fa recherche.
hz
( 172 )
-
L'armée Françoife eft rentrée en bon état , ayane
très- peu de malades à bord . Le, 10 , la Néréide
rentra ; c'étoit une des frégates envoyées à la recherche
du Brillanté; elle l'a trouvé à l'entrée de
la Manche , & après avoir marché quelque tems
avec lui , & l'avoir mis fur la route de l'armée
Eſpagnole , elle l'a quitté « .
Nous avons reçu enfin les détails de
l'expédition de M. le Duc de Crillon ; nous
nous empreffons de les tranfcrire ; ils font
contenus dans la lettre fuivante de Mahon ,
en date du 22 Août.
» Avant hier ( 19) nous fommes débarqués dans
l'Ile de Minorque , après trente jours de navigation
depuis notre départ pour Cadix . D'abord les vents
nous fervirent très -bien , puifque dans trois jours
F'armement eut paffé le Détroit : il étoit composé
de 10s voiles , dont 2 vaiffeaux de 70 , 5 frégates ,
6 chébecs & 6 bombardes. En vue de Carthagène ,
les vents devinrent totalement contraires , & nous
obligèrent de relâcher pendant 17 jours lorsqu'ils
nous permirent de reprendre notre route , des cal
mes vinrent encore la retarder ; enfin par là hauteur
de Malaga les vents redevinrent favorables , & en
trois jours ils nous mirent en vue de Minorque.
Dans ce moment tout fe difpofa pour la defcente ;
& fi les vents renforcés plus qu'il ne falloit fur les
attérages , n'euffent rendu le débarquement long &
pénible , nous aurions pu furprendre encore plus
l'ennemi qui n'avoit aucune connoiſſance de notre
arrivée , & qui ne nous attendoit pas . Voici l'ordre
du Commandant - Général aux Commandans de
chaque divifion , pour les inftruire de l'enſemble
de l'opération , feul moyen de l'exécuter avec précifion
dans toutes les parties. Auffi - tôt que le
vaiſſeau commandant aura tiré 23 coups de canons ,
-
( 173 )
fignal général de débarquement , je defcendrai à
terre à la cale de la Molquita , avec les deux brigades
qui forment l'avant-garde de l'armée. J'occuperai
le moins de terrain poffible , pour laiffer
aux bâtimens de guerre le jeu de leurs canons libre
pour balayer la côte. Dès que les deux brigades
feront débarquées , je les formerai , & je marcherai
rapidement fur quatre colonnes , fi le chemin le
permet , pour m'emparer des hauteurs qui fe trouvent
avant d'arriver à Saint-Antoine delà je me
porterai avec la même célérité juſqu'à Mahon pour
y attendre l'armée , & mettant cette Ville derrière
moi , j'y établirai le quartier général , lequel demeurera
couvert par ces deux brigades. Je les
employerai pour placer des gardes de fûreté & de
police dans Mahon ; je les aurai fous ma main ,
afin d'en tirer les détachemens néceffaires pour envoyer
dans le pays , felon les circonstances. Un
détachement fera fait fur le champ pour aller s'emparer
de ce que l'ennemi aura pu laiffer dans fes
magafins & arfenaux fitués fur la gauche du Port ,
& prendre pofte à la tour des fignaux pendant
cette halte à Mahon , je formerai un autre détachement
pour aller , auffi- tôt que la tête de l'armée
m'aura joint , s'emparer du port de Fornella & des
forts qui en défendent l'entrée ; ce port étant de
la plus grande importance, comme le feul capable ,"
en cas de mauvais tems , de recevoir non- feulement
tous nos bâtimens de tranſport , mais même ceux
de guerre , attendu qu'il n'eft qu'à quatre lieues de
Mahon. Au moment que j'aurai été joint par la
brigade de Burgos , qui doit faire la tête de l'armée ,
en venant jufqu'à Nevy , & qui en formera la
gauche dans l'inveftiffement du Fort Saint-Philippe ,
je conduirai cette brigade , en fuivant le chemin
qui mène de Mahon au Fort Saint - Philippe , julqu'à
la Nueva Araval ; d'où tournant fur la gauh3
( 174 )
che , elle marchera jufqu'à ce qu'elle ſe ſoit appuyée
au bord de la mer le long du Port , en cernant
la place le plus près poffible , avec l'attention néanmoins
de fe tenir toujours hors de la portée du
canon. La brigade d'Amérique & celle de Murcie,
ayant fuivi celle de Burgos , elles fe trouveront
naturellement , en arrivant fuivant l'ordre de bataille
, fur le terrain qu'elles doivent occuper , la
brigade de Murcie donnant la main , à la hauteur
de la Nuevra Araval ( point de réunion ) à la gauche
de la brigade de Savoie fera débarquée à la cale
de Alcofar , fous les ordres de Dom Louis de las
Cafas. Ce Brigadier a des inftructions particulières ,
foit pour achever de la même manière l'inveftiffement
parfait du Fort Saint-Philippe , dont fa bri
gade formera la droite à la hauteur de l'entrée
de Saint - Etienne , fi l'ennemi ne fait aucune réfiftance
, foit pour toute autre manoeuvre que je crois
avoir prévue & que je lui ai indiquée ; mais que
les circonftances & le coup d'oeil du moment peuvent
feules décider , dans le cas que l'ennemi fe
laiffât tenter parl'appât que je lui préfente , en nous
voyant débarquer en deux corps divifés & en plein
jour : ce que nous pourrions eſpérer de l'intrépidité
du Général Murray , Gouverneur du Fort , fi ce
même Général n'étoit trop trop habile pour fe
mettre entre deux feux & s'expofer à nous voir
entrer pêle- même avec les fiens dans le Fort , fi fes
troupes engageoient une affaire avec les nôtres . Les
logemens de MM . les Officiers Généraux feront
marqués dans les maiſons les plus voifines de leurs
divifions derrière la Nueva Araval ; MM . les Brigadiers
& Colonels , camperont à leurs poftes , à
moins qu'il ne fe trouve des maifons de campagne
placées à-peu-près fur le terrain que doivent occuper
leurs tentes ; & tous les autres Officiers , de quelquè
grade qu'ils foient , camperont felon l'Ordonnance
1
( 175 )
―
du Roi , & ne pourront fe loger fous aucun prétexte
dans aucune maifon , à moins d'une permiflion
expreffe du Commandant de la divifion . D'après
ce plan de defcente qui a été exécuté avec quelque
contrariété de la part des vents , on peut juger
combien il auroit eu plus de fuccès encore , fi la
brigade de Savoie qui fe trouvoit au vent n'eût été
obligée de différer de 36 heures fon débarquement.
Les deux cales de la Mofquita & d'Alcofar font à
une lieue de diftance du Fort Saint - Philippe &
éloignées entr'elles d'une lieue & demie. Les 2000
hommes débarqués à celle d'Alcofar , fi ce débarquement
fe fût effectué en même-tems que celui
de la Mofquita , pouvoient couper , dans leur marche
fur Mahon , les troupes Angloifes qui de cette
place font rentrées dans le Fort Saint- Philippe , &
on voir par les inftructions données à Don Louis
de las Calas , que le Général avoit prévu cet évènement
; mais la brigade de Savoie ne put débarquer
que long- tems après le corps de l'armée , & l'alerte
donnée au Gouverneur du Fort Saint- Philippe , lui
laiffa le tems d'y faire rentrer deux bataillons , &
même de forcer 500 habitans de Mahon à venir
augmenter la garnifon déja composée de 2500
hommes. Ce contre-tems a été d'autant plus fâcheux
, que les deux bataillons qui étoient hors de
la place , auroient pu être coupés & pris , & peutêtre
le Fort avec eux , fi la brigade de Savoie eût pu
débarquer à tems. Cependant , immédiatement
après le débarquement fait à la cale de la Mofquita ,
le Général fuivi feulement de la brigade de Catalogne
, & de celle des Grenadiers à la tête de
laquelle il a toujours marché , fe porta avec rapidité
fur Mahon , qu'il traverfa fans s'y arrêter , &
enfuite fur la nouvelle Araval , où il enleva deux
canons que les Grenadiers conduifirent au Camp :
chemin faifant il fit environ 300 prifonniers. Pen
h
4
( 176 )
dant cette nuit active , il plaça lui - même les gardes
avancées , & fit tracer le Camp. Enfin après avoir
replié les gardes avancées qui n'avoient été mifes
que pour faciliter toutes ces opérations , & avoir
formé la ligne d'inveftiilement du Fort St - Philippe ,
il partit fur les trois heures & demie du matin
pour Mahon , où il ſoupa à quatre heures de la
même matinée avec deux Officiers Anglois fes
prifonniers , & les Officiers de l'Etat- Major. Dans
La première marche fur Mahon , il s'empara chemin
faifant de l'arfenai , où on a trouvé une infinité
d'agrès , de cordages , d'apparaux & de canons :
l'ennemi toujours furpris de fon arrivée & encore
plus de fon activité n'a eu le tems , ni de détruire
:
magafins , ni de retirer l'artillerie . On travaille
actuellement à l'inventaire qui n'eft pas fini . Les
Villes & Fort de Citadella & de Fornella , ſe ſont
rendus fans fe défendre le débarquement a été
fini à minuit , après avoir commencé à 3 heures
de l'après - midi ; & en 24 heures , nous avons été
les maîtres de toute l'Ifle , à l'exception du Fort
Saint Philippe , d'où l'ennemi a tiré quelques coups
de canons , mais fans nous tuer un feul homme.
Il ne reste plus à notre Général , pour fatisfaire
à l'impatience de l'armée que de commencer le
fiége du Fort : nous attendons de jour en jour
4 ou sooo hommes de troupes ; & ce renfort fera
d'autant plus fuffifant , que le Duc de Criilon fera
parfaitement fecondé par Don Carlos le Maure ,
Maréchal Général des Logis , chef des Ingénieurs ,
& par Don Tortola , chef de l'Artillerie , & connu
pour un des plus grands mineurs de l'Europe.
Tout espoir de fecours eft fermé pour le Fort
St Philippe la communication par terre eft abfo.
lument impoffible , attendu le blocus formé par
l'armée , & le Port eft bloqué par notre eſcadre.
Hier , elle a pris deux bâtimens chargés de boeufs
:
( 177 )
#
pour St- Philippe . Le Général eſt allé lui -même vifiter
les poftes dans la ville , pour voir fi les ordres qu'il
avoit donnés pour la fûreté & pour la police avoient
été ponctuellement exécutés . A midi on a chanté le
Te Deum dans l'Eglife Cathédrale avec convocation`
de tous les corps : les Chefs ont dîné chez le Général ,
& le même jour , il a reçu au nom de S. M. C. le
ferment de fidélité de tous les Etats «. A
Selon d'autres lettres particulières , outre
160 pièces de canon depuis le calibre de 12
jufqu'à celui de 4 , qui étoient dans le Port ,
les Eſpagnols ont trouvé des magaſins iminenfes
, des marchandiſes & des richeffes
de toute eſpèce , en fi grande quantité , que
le butin peut être comparé à celui que l'Amiral
Rodney a fait à St- Euftache , & la
perte des Anglois en cette occafion eft pour
le moins auffi confidérable que celle qu'ils
ont fait éprouver aux Hollandois.
Si l'on en croit une lettre de St-Domin
gue , adreffée à une Maiſon de commerce,
& apportée fans doute par un bâtiment
particulier , M. de Monteil ni M. de Graſſe
n'avoient point encore paru au Cap le 25
Juillet. On n'en eft pas étonné, quant au premier
qui , felon les lettres de la Havane ,
ne pouvoit y arriver que dans les derniers
jours du mois. Quant au retard de M. de
Graffe , qui le 13 Juillet avoit dépaffé Porto-
Rico , on ne peut l'expliquer qu'en fuppofant
, comme cela eft vraiſemblable , qu'il
aura longé la côte du Sud , pour intercepter
hs
( 178 )
les croifeurs , délivrer le convoi des Cayes
& le conduire avec lui au Cap .
―
»Le 18 Août , écrit-on de Cadix , il eft arrivé
de Philadelphie un navire François qui a mis 30
jours à fa traversée. Les nouvelles qu'il nous ap
porte , font que le Marquis de la Fayette , renforcé
par beaucoup de milice , & réuni à un Général
Américain , pourſuivoit le Lord Cornwallis l'épée
dans les reins , & l'avoit obligé de faire 20 milles
dans un jour; qu'Arnold , foupçonné d'avoir empoifonné
le Général Philips , avoit été arrêté à New-
Yorck par l'ordre du Général Clinton , & qu'un
Convoi Anglois parti de Cork , étoit arrivé heureu
fement à Charles-Town. Le Capitaine de ce
navire ajoute qu'au moment de fon départ ,
regardoit le Général Cornwallis comme acculé à
Portſmouth , & n'ayant pas d'autre reffource que
celle de s'embarquer à la hâte , s'il ne vouloit fubir
le fort de Burgoyne. M. de Barras étoit parti avec
fon efcadre pour Boſton , afin d'y prendre Soo mazelots
qui devoient renforcer les équipages des
vaiffeaux qui étoient en flûtes , & qu'on finiffoit
d'armer. Le Général Washington & M. de Ro.
chambeau s'étoient réunis pour affiéger New-Yorck,
& le Chevalier Clinton préfumant ne pouvoir
défendre les ouvrages avancés , les avoit abandonnés
après les avoir détruits «.
on
Ces nouvelles font attendre avec impatience
celles qui doivent les confirmer ; un
bâtiment arrivé de Rhode Iſland à Breft en
17 jours de traverfée , étant parti le 19
Août , en confirme quelques unes. A fon
départ on n'attendoit que l'arrivée de M.
de Graffe pour commencer l'attaque de
Kingsbridge . Quant au Lord Cornwallis ,
( 179 )
rien n'étoit moins fondé que fa prétendue
victoire du 6 Août fur M. de la Fayette ,
comme les papiers Anglois l'annonçoient ;
s'il avoit eu un avantage , il ne feroit pas
tellement preffé , comme on affure qu'il l'eft
vers Portſmouth , qu'il aura été obligé de
s'embarquer.
» Deux corfaires Américains , écrit- on de Bor
deaux , croifant dans la baie de Biſcaye , découvri
rent un cutter que fa marche fupérieure ne leur
permit pas d'atteindre. Sur le déclin du jour les deux
corfaires feignirent de s'attaqner , l'un fous pavillon
Anglois , & l'autre fous pavillon Américain . Le
cutter voyant le combat engagé , voulut venir au
fecours de celui qu'il fuppofoit être de fa nation ;
il s'approcha en conféquence du bâtiment qui portoit
pavillon Anglois ; celui - ci fit un mouvement rapide
qui mit le cutter entre les deux corfaires ; ce cutter
fe rendit. On a fu que c'étoit un avifo expédié par
l'Amiral Rodney , mais le Capitaine avoit jetté les
dépêches à la mer. Il a été envoyé à Bilbao «.
Selon des lettres de Nantes, on y prépare un
armement confidérable pour le compte des
Hollandois , & qui eft deftiné pour le Cap
de Bonne-Efpérance & les autres poffeffions
de la République au- delà du Cap. L'avis
fuivant que nous nous empreffons de tranf
crire , donnera une idée de la force de
cet armement.
MM. le Séfne & Compagnie , Négocians & Ar
mateurs , ont annoncé à leurs Actionnaires , par la
voie de notre Journal , qu'ils avoient pris des mefures
pour fixer d'une manière invariable le départ de
leur armement , au mois de Novembre prochain , &
h 6
( 180 )
fous une forme plus étendue & plus redoutable que
celle qu'ils avoient annoncée en fe procurant par euxmêmes
, au befoin , des vaiffeaux tous conftruits. Ils
fe font un devoir de leur donner aujourd'hui connoiffance
, des noms , de la force & de l'encombrement
de chacun des vaiffeaux , fur la totalité defquels
ils ont affecté leur mife d'actions , & qui ont été
achetés tous armés de M. de Montieu , le 10 Août
dernier , en exécution du traité figné par un de leurs
affociés , avec les Députés de la Compagnie Hollandofe
des Indes Orientales , le 28 Juillet précédent.
Ces vaiffeaux font , Le Perfée , de so canons ,
& de 1200 tonneaux ; Andromede , de 32 , & de
800 tonneaux ; l'Union , de 245 & de 700 tonneaux ;
l'Amphitrite , de 20 , & de 430 tonneaux ; le Petit-
Coufin , de 14 , & de 160 tonneaux ; tous armés à
Nantes ; l'Alexandre , de 20 & de 600 tonneaux ,
armé à Bordeaux ; en tout 16c canons , & 3890 ton.
neaux. Le commandement en chef de cette expédition
eft confié à M. le Breton de la Vieuville , de St.-
Maló , connu par les actions de valeur & d'éclat dans
cette guerre , & qui a été très - particulièrement recommandé
à MM. le Séfne & Compagnie , par un
Officier Général du premier mérite , M. de la Rofiere
, Commandant de Saint- Malo.
4
Il y a long-tems qu'on annonce des remèdes
contre la rage ; jufqu'à préfent on
n'en a point trouvé qui foit toujours efficace
; il ne faut pas fe rebuter , fur- tout
lorfqu'il s'agit d'objets auffi intéreffans pour
l'humanité ; & nous n'avons pas befoin
d'autre apologie pour donner de la publicité
à l'avis fuivant.
Si quelque Médecin , ou Chirurgien , ou tout
autre ami de l'humanité , vouloit acheter un fecret
Infaillible contre la rage , tant des hommes que
( 181 )
des animaux , il faudroit s'adreffer à Madame la
Comteſſe de Fribois , à Rupierre , par Croifienville
en Normandie. Il exifte dans fa Parciffe un Pay-
Tan , poffeffeur de ce fecret , qui , après en avoir
fait ufage depuis plus de foixante ans , dans un
nombre infini de circonftances , n'a pas encore
éprouvé qu'il ait manqué une feule fois il garan
tit les animaux après la morfure , mais il guérit
radicalement les hommes quelqu'ait été le nombre
des accès.
Nous ne pouvons refufer de publier la
lettre fuivante , qui nous a été adreffée de
Guife le 3 de ce mois.
Monfieur , les Journaux perdroient fans doute
beaucoup de leur utilité , fi fe bornant abſolument à
la partie politique , ils ceffoient de vouloir faire
mention de quelques affaires dont il importe aux
intéreffés que le public foit inftruit , fur tout lorf
que d'abord abufé par des faits que la calomnie &
l'erreur ont pu déterminer , il eft quellion de le
ramener à une plus jufte opinion fur le degré d'eftime
dont des Citoyens d'un certain ordre font jaloux
de jouir à les yeux ; perfuadé que fur ce point
nous avons la même façon de penfer , j'ofe croire ,
M. , que vous vo diez bien ne pas faire difficulté
d'inférer le fait fuivant dans votre ouvrage. -
On inftruifoit criminellement au Bailliage Ducal de
cette ville le procès de deux particuliers accufés du
crime d'ufure ; des méchans , par une trame auffi
noire qu'elle étoit bien curdie , avoient trouvé le
fatal fecret impliquer dans cette affaire M. Warnet
, Préfident de l'Election , contre lequel intervint
en effet le 9 Janvier dernier une condamnation qui
fans le laver à la vérité , répandoit néanmoins fur
fon honneur & fur celui de fa nombreuſe & intéreffante
famille , un vernis louche & injurieux ,fuf
( 182 )
ceptible de leur faire perdre à toujours la confidéra
tion dont ils jouiffent à fi jufte titre : mais par Arrêt
du Parlement rendu ſur ſon appel de la Sentence de
Guile en la Tournelle Criminelle le 22 Août dernier
au rapport de M. Bruaut des Carrières . "
Or-
» La
Cour faifant droit fur les conclufions de M. le Procureur-
Général , décharge M. Warnet des plaintes
& accufations intentées contre lui à la requête du
Procureur- Fifcal du Bailliage Ducal de Guife , lui
permet de faire imprimer & afficher l'Arrêt par- tout
où bon lui femblera..... & enjoint aux Officiers
dudit Bailliage de Guife qui ont rendu la Sentence
dont étoit appel , de fe conformer aux Arrêts ,
donuances & Règlemens de la Cour & fur iceux
d'énoncer pofitivement & clairement dans leurs Sentences
définitives les faits dont ils déclarent les accufés
atteints & convaincus . L'intérêt que le
public avoit pris à cette affaire , n'a jamais pu être
apprécié que par les félicitations que M. Warnet
reçut de l'Univerfalité de ſes concitoyens , au moment
où l'Arrêt a été connu ; je ne doute pas que
ceux de vos lecteurs de fa connoiffance à qui cet
évènement n'eſt pas encore parvenu , n'éprouvent la
même fatisfaction en apprenant la juſtice que la
Cour lui a rendu d'une voix unanime. J'ai l'hon
neur d'être , &c. Signé , VIOLLETTE DE BRETAGNE
, Avocat.
-
-
Nous avons annoncé dernièrement les
travaux d'un homme de lettres , pour abréger
& faciliter l'étude des langues ; le fuccès
de fa Méthode ne fauroit être plus important
, puifqu'elle tend à perfectionner les
Plans d'Education publique , & à la fuppléer
, lorfque les défauts de moyens ou
d'autres circonftances n'ont pas permis
( 183 )
aux jeunes gens de fuivre les Cours ordi
naires . Un Elève de cet homme de lettres ,
honnête & laborieux , nous a adreffé la
lettre fuivante ; elle contient l'hommage de
fa reconnoiffance pour fon Inftituteur , &
la preuve du fuccès de fa Méthode ; & c'eft
à ce double titre que nous la tranfcrivons.
20 Monfieur , rien n'eft fi difficile à déraciner que
les préjugés accrédités par le temps , fur- tout lorf
qu'ils ont triomphé des efforts qui tendoient à les
détruire. L'ufage , par exemple , en matière d'édu
cation eft paffé en loi , & il eft arrêté que pour
apprendre les langues de Rome & d'Athènes , il
faut paffer dix mortelles années dans des claffes.
Pour moi , je rends graces à la fortune de n'avoir
pas fourni à mes parens les moyens d'enterrer
mon enfance , dans la lugubre enceinte d'un College,
pendant un fi long eſpace de temps . Je n'ai com
mencé à étudier le Latin qu'à vingt-cinq ans , & à
vingt-fix , j'expliquois Horace , Virgile & Cicéron ,
avec autant de facilité , j'oſe même dire , avec autant
d intelligence que fi j'euffe refté fept ou huic
années fur les bancs. Cette réuffite me fit croire
que le plan de M. l'Abbé B ..... n'étoit rien moins
qu'impraticable , & j'eus le plaifir d'amener à mon
opinion plufieurs Profeffeurs de l'Univerfité , que
j'avois confulté fur mon entrepriſe , & qui furent
témoins de mes fuccès. J'avoue qu'ils en parurent
étonnés. Par hafard m'étant trouvé il y a
quelques jours chez un de ces Meffieurs , qui
avoit raffemblé chez lui plufieurs de fes Confrères
, l'un d'eux , qui ne me connoiffoit pas
ayant entendu louer mon favoir-faire , foutine qu'il
étoit impoffible que j'euffe fait de grands progrès
dans l'efpace d'une année , que cela même paffoit
toute vraiſemblance. Il ajouta , que j'avois apparem(
184 )
ment eu pour Maître , un de ces Charlatans No
vateurs , dont l'efpèce trop multipliée , n'exifte
qu'en trompant le Public , à qui leur ton fcientifique
en impofe pour un moment. Je répondis à
mon Déclamateur , qu'il n'étoit rien de tout cela :
que j'avois eu pour Maître , à la vérité , un Jeune
homme , mais un Jeune homme déja nourri de la
lecture des Anciens & des Modernes , plein de goût
& de jugement , a qui , pour tout dire en un mot ,
il ne manquoit rien , que des années. J'ajoutai que
La manière d'enfeigner fe réduifoit à faire à chaque
pas une application raifonnée de les principes , à
élaguer ceux qui ne peuvent qu'embarrailer , fe ré-,
fervant à les faire connoître par la faite , à retrancher
toutes les exceptions aux règles , ( il fuppofe
d'abord la marche de la langue parfaitement régu
lière ) , à obferver les rapports des mots entr'eux
& des phrafes entr'elles ; enfin , à applanir les difficultés
à l'aide d'une dialectique fimple & lumineufe
, en fournifant à fon Élève adroitement &
comme à fon infu , l'occafion de les lever ; ce qui
ne contribue pas peu à réveiller fon application &
à foutenir fon ardeur , &c. &c. Cette petite differ
tation me valut un compliment de la part de ces
Meffieurs. Ils parurent défirer d'apprendre le nom
de mon Maître. J'allois les fatisfaire , quand l'un
d'eux m'arrêta pour dire à la Compagnie , qu'il
avoit lu , Monfieur , dans le dernier No. de votre
Journal , une Annonce où il s'agiffoit d'éducation ,
& que l'Auteur de l'Anronce affignoit un temps
affez court , pour cet objet. J'affurai que c'étoit de
lui dont il étoit queftion , & qu'il m'avoit même
fait part du deffein où il étoit de prendre plafieurs
Penfionnaires Chacun promit de ne rien négliger
pour lui fournir les moyens d'exercer fon talent ;
après quoi la Compagnie fe fépara . Pour moi , je
triomphai d'avoir fait changer d'opinion à des
( 185 )
gens qui n'en changent guères , & je m'en retour
nai fort joyeux d'avoir fi heureufement fignalé ma
reconnoiffance , en faveur d'un homme , à qui je
dois , pour ainfi dire , une feconde vie . J'ai l'honneur
d'être , & c. Signé , DE SAINT- L . R*.
Le fieur Jean Baptifte Le Roux- de Touffreville ,
ancien Officier de Dragons , & Gentilhomme du
Pays de Caux , cù il étoit Seigneur de plufieurs
Terres , s'eft abfenté depuis vingt ans , & n'a point
donné de fes nouvelles. Ceux qui pourroient en
favoir , ou en procurer , font priés de les adreffer
au Comte de Touftain-Richebourg , Chevalier de
Saint- Louis , & Lieutenant des Maréchaux de France
, à Harficur.
BRUXELLES , le 17 Septembre .
LE Gouvernement vient d'accorder aux
Magiftrats d'Oftende la permiffion d'emprunter
400,000 florins à un intérêt raifonnable.
Cette fomme eft deftinée à l'agrandiffement
de cette ville & de fon baffin ,
qui en ont befoin pour l'accroiffement de
fon commerce. MM. Lippens & Liofmans ,
ont la direction des travaux relatifs au
baffin.
» L'Intendant- Général de Police de cette Capitale ,
écrit-on de Lisbonne , informé qu'on devoit débarquer
de la contrebande du paquebot qui part chaque
femaine pour Londres , donna des ordres en conféquence
de quels la patrouille arrêta quatre matelots
employés à cette fraude , mais des compagnons de
ceux- ci , au nombre de 12 , les délivrèrent à main
armée , & reprirent les marchandiſes confifquées . La
( 186 )
Reine , inftruite de cette violence , défendit de laiffer
partir le paquebot fans une permiffion exprefle de fa
part ; & ce n'eft que le 7 Août qu'il lui a été permis
de remettre à la voile «.
Le tranfport des bois de conftruction pour
la France par l'Eſcaut & les autres rivières
des Pays-Bas Autrichiens ne fe rallentit point.
On voit paffer fans ceffe des bâtimens qui
en font chargés , & qui font ſuivis de trains
flottans. Cela prouve que les Hollandois
ne manquent pas de bois pour leur Marine ,
puifqu'ils en font paffer des quantités confidérables
en France.
» Le vaiffeau de guerre le Zuid-Beveland de 64
canons , écrit- on d'Amfterdam , & la chaloupe gardecôte
le Dauphin , font depuis le 4 de ce mois au
Texel avec les navires de la Compagnie des Indes
armés en guerre & en marchandiſes , le Zélandois
& le Both. La divifion de la Meufe doit y être à
préfent , & on eſpère que notre eſcadre pourra remettre
en mer avec le convoi pour la Baltique. En
attendant , nous avons la fatisfaction de voir que
depuis le combat du 5 Août , l'ardeur pour le fervice
de mer s'eft ranimée de plus en plus , & qu'il s'offre
tous les jours un nombre confidérable de matelots
pour s'engager fur les vaiffeaux de l'Etat. Il nous
en vient de tous les côtés ; il en eſt arrivé 77 qui
font tous des pêcheurs de Vlaardingue , & par conféquent
des hommes robuftes , exercés & endurcis
aux fatigues de la mer.
On prétend que 18 villes de la province de Hollande
, ont été d'avis que chaque Membre des Etats
eft autorisé à faire au Stadhouder , telle propofition
qu'il jugera convenable , relativement au Duc de
Brunfwick , & conformément à la conſtitution. On
( 187 )
ajoute que dans la dernière féance des Etats de Hollande
, on s'eft occupé férieuſement du projet d'un
Comité ou Confeil privé , à donner au Prince , &
qu'en cas de refus de la part de S. A. S. , on procédera
à la nomination des Membres qui doivent le
compofer. Les trois villes d'Amfterdam , de Harlem
& de Dordrecht en ont entraîné un grand nombre
d'autres dans leur parti ; & on prévoit que cette affaire
n'eft pas encore terminée «<.
On a appris la rentrée de la flotte combinée
; elle peut faire tort aux Hollandois ,
qui , ayant dû fortir du 10 au 15 de ce mois,
avec leur convoi , trouveront peut- être en
mer des forces encore fupérieures . Leur
flotte eft , dit-on , commandée par M. Van
Braum & on remarque ' que dans toute
l'efcadre il n'y a pas un feul des Capitaines
qui ont combattu fous l'Amiral Zoutman.
>
Les Etats de la Province d'Overyffel ont
réfolu d'ériger un monument à la mémoire
du brave Comte de Bentinck. Ce fut le
Baron de Pallandt qui fit cette propofition
aux Membres de la Nobleffe dans l'Affemblée
des Etats du 22 Août ; le difcours qu'il
prononça à cette occafion mérite d'être
connu .
Nobles & Puiffans Seigneurs :
La République doit à la mer fa naiffance , fes progrès
& fa profpérité : on peut dire qu'elle eft affermie
fur le fang des Héros marins. Les Eglife ; de diffé
rentes Villes des Provinces- Unies en confervent les
monumens ; & le but du Souverain , en les faifant
( 188 )
ériger , étoit non- feulement d'éternifer les exploits
des défunts, mais auffi d'animer les autres à fe rendre
dignes d'une gloire femblable. A la fuite des outrages
perfides & inouïs que l'Angleterre a fait effuyer
à cette République , on voit , ainfi que dans les premiers
tems , revivre le même courage héroïque :
toute fupériorité , fi grande qu'elle puifle être , n'eft
pas capable de l'effrayer , & il mérite à tous égards ,
d'être animé par des effets qui parlent. Il fe préfente
actuellement à nos yeuxune occafion glorieuſe . C'eft
avec la douleur la plus vive & qui pénètre mon ame,
que je rappelle , que le noble & puiflant Seigneur
Wolter- Jan , Baron Bentinck , Capitaine de hautbord
, commandant le Batavier , vailleau de guerre
de la République , dans la dernière bataille navale ,
auffi fanglante qu'opiniâtre , les de ce mois , entie
notre flotte & celle de la Grande- Bretagne , après
avoir , avec le courage & l'intrépidité la plus héroïque
, défendu valeureufement l'honneur de la nation,
a reçu une bleifure mortelle , dont , hélas ! peut-être,
il fera la malheureuſe victime. Ses qualités éminentes
, par lesquelles il s'eft attiré l'affection & l'eftime
non-feulement de nous , mais autfi de tous ceux qui
l'ont connu particul :érement , m'oblige de propofer
à vos Nobles Puiflances , s'il ne feroit pas convenable
de réfoudre , pour l'honneur & la mémoire éternelle
de ce brave Héros , pour fon courage & fa
bravoure fignalés au fervice de la patrie , de faire
ériger , dans l'Eglife de' Raalte ( 1 ) un beau monu--
ment aux frais de la Nobleffe ? 2
( 1 ) Raalte eft à quatre lieues de Zwoll ; Schonaten ,
maifon de la famille du défunt , eft de cette dépendance ;
il s'y trouve le Caveau de cette famille noble qui , depuis
longtems , a féance dans le corps de la nobleffe
Overyffel.
( 189 )
La nouvelle la plus intéreffante que nous
aient donné les derniers papiers Anglois ,
eft la relâche de Johnſtone à Rio-Janeiro .
L'article où il eft parlé de ce Commodore ,
donné d'abord par le General Advertiſer ,
& copié enfuite par tous les autres papiers,
eft fi mal conçu , & fi rempli d'abfurdités ,
qu'on l'auroit entiérement révoqué en
doute , s'il n'avoit pas été confirmé par
Lisbonne , que Johnstone a été véritablement
à Rio Janeiro , & même qu'il s'eft
fait donner de force toutes les munitions
navales qui lui étoient néceffaires pour
mettre fa flotte en état de retourner à la
mer. On peut douter de fon arrivée à
Monté-Vidéo ; & quant à fes projets fur
Buenos- Ayres , ils paroiffent fort extravagans.
On ne peut s'imaginer que le cabi
net de Saint-James au lieu de renforcer
les efcadres de l'Inde , ait voulu employer
fes vaiffeaux de guerre à une piraterie qui
ne peut rapporter nul profit à la nation ,
& qui ne ferviroit tout au plus qu'à enrichir
quelques particuliers. Ainfi la deſtination
de Johnſtone étoit fûrement pour
l'Inde ; forcé de relâcher à Rio-Janeiro où
il avoit envoyé gratuitement M. de Suffren ,
il fe peut que fon efprit entreprenant , &
fur-tout fon avidité , lui ait fait former
quelque deffein fur Buenos- Ayres , où il
peut être conduit par des pilotes Portu-
,
( 190 )
gais , qui connoiffent la rivière de la
Plata. Il aura été inftruit au Bréfil qu'une
partie de la garniſon de la place , & le
Vice-Roi lui- même l'avoient quittée pour
aller étouffer les reftes de rébellion du
Pérou ; mais il n'eft pas certain pour cela
que cette expédition réuffiffe. Johnſtone
arrivera dans la rivière au mois de Juin ,
c'est- à- dire , dans le tems de l'hyvernage
pendant que des ouragans affreux défolent
la Plata. Quand mêine il échapperoit
à tous les dangers de cette navigation , &
qu'il s'empareroit de Buenos - Ayres , la
prife de cette place n'indemniferoit pas le
Gouvernement de la dépenſe de l'armement
de Johnſtone . La flotte partie dans
le mois dernier , & qui vient d'arriver à
Cadix , a enlevé les productions de deux
années. Le Commodore fera réduit à fe contenter
de rançonner les habitans . Quant
au projet de fecourir les mécontens , il
eft ridicule pour ne rien dire plus. La rébellion
s'eft allumée bien avant dans les
terres , & il faudroit que les Anglois fiffent
400 lieues dans des plaines défertes , avant
de parvenir à l'entrée des provinces où il
peut y avoir encore des révoltés. Tout
porte donc à croire que fi cette expédition
a lieu , les Anglois n'en retireront pas
plus de fruit que de celle du lac Nicaraga.
( 191 )
Le Parlement qui étoit prorogé jufqu'au
13 Septembre , l'a été de nouveau juſqu'au
Jeudi 18 Octobre.
Une lettre de Greshernish dans l'Ifle de
Sky en Ecoffe , nous a donné avis que la
communication entre cette Ifle & celle de
Long- lflet , a été interceptée pendant plus
de huit jours par un corfaire François , qui
étoit en ftation entre Dunvegan- Head & la
côte occidentale. Il s'y eft emparé de plufieurs
bâtimens deſtinés pour l'Irlande , &
le Maître d'un de ces navires a rapporté
que lorfqu'il avoit quitté le corfaire >
Ce
dernier avoit à bord pour plus de 3000
guinées d'ôtages , & que tous les Fermiers
des environs du lac de Dunvegan , redoutoient
fort qu'il ne mît à terre une partie
de fes équipages pour les rançonner , ainfi
que cela eft arrivé à plufieurs autres Fermiers
le long des côtes.
» Le 26 Juin , écrit-on de Mahon , en date du
28 , le Général fut lui-même faire de très - près
la reconnoiffance du Fort Saint- Philippe ; & tout
eft difpofé pour commencer le fiége dès que les
renforts qu'on attend de Barcelone feront arrivés .
Les troupes Angloifes fe font retirées fort en défordre
dans le Fort ; elles ont abandonné l'arſenal
& différens magafins , auxquels elles pouvoient
mettre le feu ; & les Officiers en fe retirant de
Mahon , n'ont pas même eu le tems d'emporter
leurs hardes & leurs papiers . On a trouvé dans
la maifon de l'Ingénieur en chef, des renfeignemens
fur l'état & la force de la Place , les plans
du Fort qui refte à réduire ; on dit même que la
conduite des eaux eft tracée dans ces plans , de
( 192 )
manière à donner toutes les connoiffances néceffaires
pour priver dans peu la garnifon de cette reflource.
On ne peut qu'être étonné de la fécurité des Anglois
, ou pour mieux dire , de leur indifférence .”
Depuis deux mois que Mahon eft menacé , ils n'ont
rien fait pour mettre les fruits de leurs rapines à
Couvert ; ils n'ont pas même approvifionné lear
citadelle d'hommes & de vivres , pour la mettre
en état de tenir auffi long - tems que fon affiette &
fa force le comporte. Les Payfans ont déposé que
ce n'eft qu'au moment qu'on vit paroître les vaiffeaux
Espagnols , que le Général Murray envoya
des détachemens dans la Campagne pour enlever
quelques beftiaux & quelques vivres . Auffi M. de
Crillon , mande- t- il à un de fes amis , ma plus
grande furprife a été de voir Murray Surpris.
Plufieurs femmes qui font forties du Fort de peur
d'y être renfermées pendant tout le tems du fiége,
ont reçu du Général les politeffes qui caractérilent
un brave & galant Chevalier. Il leur a accordé
une garde pour les garantir de la crainte qu'elles
avoient d'être infultées , & cela avant même d'avoir
reçu les lettres du Général Murray qui les lui a
recommandées . Ces politeffes jointes aux atttentions
du Général pour les Habitans de l'Ifle , lui ont
déjà valu la moitié des Mahonois . Les Forts ont
commencé à faire feu de leurs batteries ; mais fans
qu'ils ayent caufé jufqu'ici aucun dommage «.
On mande de Breft que les parts de
prife du convoi intercepté par M. de la
Motte-Piquet , font réglées & fe payent
actuellement. Le Général a 118,000 liv.;
les Officiers généraux & Commandans de
vaiffeaux 39,000 liv.; les Capitaines de
vaiffeaux moitié de cette fomme , & ainfi
de fuite , toujours par moitié. Chaque
Matelot 364 liv. ·
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E,
De CONSTANTINOPLE , le 11 Août
M. de Bulgakow qui vient remplacer
ici M. de Stachieff, eft arrivé le 7 de ce mois
avec une fuite nombreuſe. Il a fait le trajet.
de Cherfom dans cette capitale avec 2 paquebots
Ruffes efcortés par une frégate de
fa nation. La veille il étoit arrivé un autre
paquebot de Kertsch , de forte que nous
avons à préfent dans cette rade s bâtimens
portant pavillon de guerre Ruffe . M. de
Bulgakow a d'abord fait annoncer confidemment
fon arrivée par fon premier Interprète
, & enfuite avec les formalités ordinaires
par fon premier Secrétaire. Le premier
Dragoman de la Porte a été le complimenter
ce matin. Il s'occupe à fe procurer
La première audience du Grand- Seigneur
avant le Ramazan , afin que M. de Stachieff
29 Septembre 1781.
i
( 194 )
puiffe encore partir pendant la belle faifon
pour retourner à Pétersbourg.
On dit que l'affaire de la reftitution des
biens des habitans de la Morée , qui pendant
la dernière guerre embraísèrent le parti
de la Rullie , & ſe réfugièrent fur les terres
de cet Empire , eft encore fort éloignée de
fa fin. Quoiqu'elle ait été réglée par le dernier
traité de paix , la Porte perfifte dans fa
réfolution de ne reftituer que les propriétés
de ceux qui n'ont point alors quitté la Morée.
Suivant la plupart des avis que l'on reçoit
d'Alexandrie & du Caire , la pefte a emporté
cette année le tiers des habitans de la première
de ces villes , & la moitié de ceux de
la feconde. La ville de Salonique n'a pas
moins fouffert de ce fléau , fi comme on le
dit , il eft vrai qu'il y foit mort plus de
40,000 perfonnes .
RUSSI E.
De PETERSBOURG
, le 24 Août.
ON affure que le départ de L. A, I. le
Grand-Duc & la Grande Ducheffe eft fixé
entre le 15 & le 20 du mois prochain , vieux
ftyle . Ils voyageront incognito , fous les noms
de Comte & de Comtefle du Nord. "
C'est le Docteur Anglois Dimfdale qui
eft chargé d'inoculer les deux jeunes Grands-
Ducs ; il eft arrivé depuis peu pour cet
effet .
( 195 )
Nous avons annoncé l'Ordonnance de
l'Impératrice pour la navigation marchande
& le commerce maritime de fes fujets ; elle
vient de paroître , elle eft divifée en neuf,
fections qui traitent 1 ° . De la navigation en
général. 2 ° . Des devoirs du Maître ou Patron :
de, navire. 3 ° . De ceux du Pilote. 4° . Du
Charpentier. 5. Des Matelots & de toutes
les perfonnes qui fe trouvent à bord des
navires. 6º. Des engagemens à contracter
entre le Maître & fon équipage . 7º . De
l'affrètement. 8 °. De la propriété de navires.
9. Des devoirs du Courtier . S. M. I.
a ajouté à cette Ordonnance le manifefte fuivant.
» Les progrès confidérables que le commerce de
cer Empire a faits fur mer pendant les dernières années
de notre règne , fe manifeftent par la quantité
de vaiffeaux qui le trouvent actuellement dans tous
les ports. Notre Pavillon a obtenu des égards mar
qués , non- feulement chez les Nations avec lesquelles
nous fommes unies par des Traités , mais encore
chez celles qui ne font pas nos alliées . C'eft avec la
plus vive fatisfaction que dans la pofition des affaires
préfentes , nous voyons les bâtimens Ruffes recherchés
préférablement à tous autres . Accoutumée à
protéger non-feulement nos fidèles fujets commerçans
& tout ce qui a rapport au négoce , mais à lui
donner encore une plus grande extenfion par des Or
donnances falutaires , nous avons fixé notre attention
fur le défaut de Règlemens convenables & relatifs
au Commerce Maritime , d'où réfultoit l'inconvénient
défagréable , mais forcé , de recourir fouvent
aux Loix étrangères , qui rarement font applicables
aux-difpofitions faites & agréées dans nos Etats . A
i 2
( 196 )
quoi il faut encore ajouter que , comme il n'y avoit
abfolument rien de fixé , qui pût fervir à la décifion
des engagemens entre les Propriétaires & les
Fréteurs des navires , ou des différentes perfonnes
qui s'y trouvent employées ; ce défaut occafionnoit
plufieurs déford es & difficultés , même des difcuffions
très - préjudiciables au Commerce. Or , pour
mettre cette partie de l'Adminiſtration fur un meilleur
pied , nous avons pris la peine de procurer a la
navigation marchande de nos fujets des Règlemens
particuliers , dont la première partie vient de fortir
des' preffes & que nous ordonnons de publier , pour
qu'ils foient exécutés . Le voeu de notre coeur & nos
peines feront abondamment compenfés , fi la fuite
des tems apprend qu'il en résulte un avantage réel
pour nos fujets fidèles & induftrieux ; à quoi nous
Prenons une part particulière «.
On ne fera pas fupris de ce que l'on dit
dans ce manifefte de l'accroiffement
extraordinaire
& fubit du commerce & de la návigation
de la Ruffie , fi l'on confidère que
dans le cours de l'année dernière , il eſt entré
dans le feul port de Pétersbourg 554
vaiffeaux , & qu'il en eft forti 575.
DANEMARCK
.
"
De COPENHAGUE
, le 6 Septembre.
1
LA flotte marchande Angloife & les 4
vaiffeaux de guerre de cette nation qui
doivent l'escorter , ont mis à la voile du
Sund le 4 de ce mois ; le calme les a forcés
de s'arrêter , & ce n'eft qu'hier qu'ils ont
continuer leur route. Il y a encore à
Elfeneur 150 navires marchands Britan
pu
( 197 )
niques , un vaiffeau de guerre de 64 canons
& 3 frégates. On dit qu'ils doivent y refter
jufqu'au milieu du mois prochain . Sur deux
de ces trois frégates , il fe trouve so Angloifes
. On eft fort étonné que les Capitaines
aient confenti à les embarquer. Ils
difent pour s'excufer que leurs bâtimens
ayant paffé plufieurs années en Amérique ,
reçurent en mouillant dans les ports de la
Grande-Bretagne en Europe , l'ordre de fe
rendre dans la Baltique. Les équipages fe
foulevèrent ; les belles Angloifes avec lef
quelles ils avoient fait connoiffance en
arrivant , ne contribuèrent pas peu à leur
donner de l'humeur ; on ne pouvoit les
appaifer qu'en confentant qu'ils ne s'en
féparaffent pas ; & c'eft à cette circonstance
que nous devons la cargaifon ſcandaleufe
qui a débarqué dans le Sund.
POLOGNE.
T
De VARSOVIE , le 6 Septembre.
ON apprend de Pétersbourg que le Prince
Charles de Radziwill , Palatin de Wilna
y eft heureuſement arrivé. L'efcorte que lui
avoit accordée l'Impératrice la conduir
jufques dans cette capitale. Il a obtenu
par- tout l'accueil le plus diftingué ; c'eft le
Prince Potemkin qui l'a introduit. L'intérêt
que S. M. I. prend à fon affaire lui donne
tout lieu d'en efpérer la plus favorable dé
cifion.
i 3
( 198 )
M. Botteman , dont le fils élevé en France
a foutenu le 16 Juillet dernier au Collége
de Mazarin à Paris , un acte public dont le
Roi avoit bien voulu, accepter la dédicace
n'ayant reçu que le 26 Août la thèſe deftinée
pour S. M. , fe préfenta à la Cour le
même jour à quatre heures après midi.
S. M. lui accorda fur le champ audience
dans fon cabinet , où elle l'a entretenu tête
à tête ; elle a beaucoup examiné la thèſe ,
fait les plus grands éloges du jeune homme
& remercié le pere de fon attention , en
l'aurant de la manière la plus gracieufe
qu'elle la reconnoîtroit . S. M. avoit été
déja prévenue du fuccès brillant qu'avoit
eu M. Botteman fils par fon Miniftre réfident
à Paris qui avoit affifté à cet acte &
fait les complimens les plus flatteurs à M.
Hortant qui a élevé le jeune Philofophe ,
& à M. Hauchecorné fon Profeffeur.
' ג
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 8 Septembre.
L'EMPEREUR arriva le 20 du mois dernier
, à 4 heutes du foir , au camp de Peft ;
à minuit on y battit la générale ; & à 2 heures
du matin les troupes tant infanterie que
cavalerie furent fous les armes . Vers les S
heures S. M. I. en fit la revue ; les exercices
eurent lieu enfuite , & ce ne fur que
vers midi que les foldats regagnèrent leurs
tentes. Le même jour il arriva un accident.
( 199 )
Le feu prit à un magafin , qui brûla , ainſi
qu'une maison voifine ; l'incendie , graces
aux fecours qu'on y porta fur le-champ , &
auxquels préfida l'Empereur , ne fit pas plus
de progrès. Le 22 , vers les 2 heures du matin
, il y eut une nouvelle alarme , parce
que le feu couvoit fous la cendre ; mais on
en fur quitte pour la peur. S. M. 1. revint
ici le 29 , & le lendemain au foir elle eſt
partie , accompagnée de l'Archiduc Maximilien
& de plufieurs Généraux , pour fe
rendre à Laxembourg , d'où elle a été au
camp de Minckendorff. Il y a encore deux
autres camps où elle eft attendue ; celui de
Bohême , dans les environs de Prague , &
celui de Moravie , à peu de diftance de
Brinn.
On dit qu'on fe propofe d'introduire dans
nos troupes quelques nouvelles manoeuvres ,
dont on fe propofe les effets les plus avantageux
, & qui confiftent à fimplifier infiniment
les anciennes .
On travaille dans notre manufacture de
porcelaine à deux fervices de la plus grande
beauté ; on dit qu'ils font destinés au Grand-
'Duc & à la Grande Ducheffe de Ruffie.
On prépare les deux grandes falles de
mafcarades , attenantes au manége Impérial ,
de manière qu'elles pourront contenir 12
à 15,000 perſonnes . Un grand nombre d'Etrangers
ont retenu des logemens dans cette
ville , où ils fe propofent de paffer l'hiver .
i 4
( 200 )
De FRANCFORT , le 10 Septembre.
,
L'ÉLECTEUR de Mayence a nommé une
commiffion pour faire l'inventaire des biens
de deux riches Couvens qui doivent être
fupprimés comme l'ont été ci-devant les
Chartreux de Mayence , ceux d'Erford &
ceux de Coblentz. La Bulle du Pape qui
permet cette fuppreffion eft publique ; &
l'on remarque que les Princes Catho
liques d'Allemagne font exhortés à empêcher
, autant qu'il eft en eux , que les
Proteftans ne fe prévalent de ces abolitions
de Maifons Religieufes , pour juftifier ce
qu'ils firent à la réforme.
» Il y a , écrit - on de Dantzick , fur les frontières
de la Pologne vers la Turquie , une espèce de fauterelles
qui y font les plus grands dégâts ; elles marchent
& font , dit - on , beaucoup plus voraces que
celles qui fautent . C'eft aux grandes chaleurs de la
faifon qu'on attribue ce fléau deftructeur . On craint
fort que la Pologne n'en foit affligée comme elle le
fur en 1690. Les fauterelles s'y répandirent en une
fi prodigieufe quantité , que l'air en étoit obfcurci ,
& la terre couverte comme d'un drap noir. On en
trouvoit de mortes les unes fur les autres jufqu'à 4
pieds de hauteur ; & celles qui vivoient & qui fe
perchoient fur les arbres étoient fi nombreufes ,
qu'elles en faifoient plier les branches. Elles firent
a rès leur mort autant de mal qu'elles en avoient fait
pendant leur vie. L'air fat infecté de leurs cadavres ;
il en refulta pour les hommes quantité de maladies
contagieu es ; & tous les beftiaux qui en mangèrent
avec l'herbe qu'ils paiffoient dans les campagnes , en
moururent prefqu'aufli - tôt «.
( 201 )
Selon des lettres de la Suiffe , la Régence de
la ville de Berne y a fait arrêter un Officier
au fervice du Canton , pour avoir engagé
du monde pour le fervice de la Compagnie
Angloife des Indes orientales . Elle a fait
renouveller en même-tems les défenſes rigoureufes
, publiées anciennement contre les
enrôlemens .
On dit que la Régence de la Pologne
Autrichienne a fait annoncer que par une
lettre de l'Ambaffadeur de la Cour de Vienne
à Conftantinople , on étoit informé que le
Grand Seigneur avoit envoyé aux Bachas
de Belgrade & d'Alep un firman , par lequel
il déclare exemptes de tour impôt au
paffage des frontières Ottomanes , les marchandifes
que les Marchands Autrichiens
feront paffer à Conftantinople & à Smyrne.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 31 Août.
LE Capitaine Demetrio Jancovich , arrivé
hier de Mahon dans ce Port ' , a débarqué
40 perfonnes , qu'il a tranfportées ici de
cette Place ; dans leur nombre fe trouvent
Madame Murray , époufe du Gouverneur
de Minorque ; l'époufe du Capitaine du Port
de Mahon , & quelques autres Dames Angloifes
; elles ont quitté cette Ifle à l'arrivée
de l'efcadre Efpagnole. 1
Le 25 de Juillet dernier , écrit-on de Naples , il
fe tint ici un Confeil d'Etat pour des affaires de
is
( 202 )
Juftice. Les Avocats des pauvres y follicitèrent la
grace de quelques criminels , en conféquence de
T'heureufe naiffance du dernier Prince Royal D.
Jofeph. Mais le Roi crut devoir leur refufer ce qu'ils
demandoient. Ces espèces de pardons , en laiffant
efpérer à des coupables quelqu'occafion femblable
d'obtenir leur grace , multiplient les crimes & com
promettent la sûreté publique.
Les mêmes lettres
Sciences & Bellesajoutent
que l'Académie des
Lettres de cette ville , a envoyé des lettres d'aggrégation
à 4 hommes de Lettres François , MM . d'Alembert
, de la Lande , Thomas & de Villoifon «.
Nos lettres de la côte de Barbarie annencent
une rupture prochaine entre la Régence
de Tripoli & la République de Venife.
On n'en connoît d'autre caufe que
l'avidité du Bey , fils du Pacha. Il s'intéreffe
beaucoup , pour fubvenir à fes dépenfes ,
aux pirateries que les corfaires de fon père
exercent dans le Levant. I croit que ces
corfaires feroient de plus grands profits , fi
la guerre étoit déclarée aux Vénitiens , dont
les vaiffeaux font ordinairement nombreux
& richement chargés.
ESPAGNE.
De CADIX , le 8 Septembre.
LA nouvelle du débarquement de nos
troupes dans l'ifle de Minorque eft arrivée
ici ; elles n'ont trouvé aucune oppofition ;
& il paroît à la manière dont les Anglois
ont été furpris , que fi l'expédition n'avoit
été ni retardée ni contrariée comme elle l'a
( 203 )
.
été par les vents , les piquets qui étoient à
Mahon , à Fornelle , & à la Nueva-Aroval ,
auroient été interceptés , & peut-être auroiton
auffi furpris le Fort St - Philippe.
,
Auffi-tôt que le Roi a été inftruit que fes
troupes occupoient Minorque , & que les
Habitans de cette ifle s'étoient empreffés
de fe ranger fous fa domination , S. M. a
ordonné des réjouiſſances publiques . Elle a
daigné témoigner en même-tems au chef de
cette expédition combien elle étoit fatisfaite
de fes premiers fuccès ; & elle lui a envoyé
la Toifon d'Or. Il ne s'eft rien paffé d'intéreffant
à Mahon depuis le jour de la defcente
jufqu'à la fin du mois dernier. Les
forts étoient bien inveftis , mais on n'en
avoit encore attaqué aucun parce que
la mer ayant été toujours fort houleufe , on
n'avoit pu mettre la groffe artillerie à terre.
On s'occupoit de ce débarquement le 29 ,
ainfi que de retirer de la mer tout ce que
les ennemis y avoient jetté. On découvroit
chaque jour de nouveaux magaſins
remplis de marchandifes & de toute forte
de munitions appartenant au Gouvernement.
On prétend que l'inventaire qu'on
en dreffe & qui fera rendu public , nous
étonnera par la quantité d'objets qué les
ennemis étoient parvenus à raffembler dans
ce petit coin de terre. Lorfque les renforts
que M. de Crillon attend feront arrivés
, le fort St-Philippe fera attaqué en
règle , & les troupes ont tant d'envie de
i &
( 204 )
J
fe diftinguer , qu'il ne feroit pas étonnant ,
malgré l'habileté du Général Murray , que ce
pofte ne fût emporté en moins de tems &
avec moins de perte que n'en éprouvèrent
les François , parce qu'aujourd'hui la garnifon
en eft bien moins nombreufe , & bien
plus mal compofée & approvifionnée que
lors du dernier fiége.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 15 Septembre.
-
Il y a aujourd'hui 8 jours que le paquebot
le Speedy eft arrivé de New Yorck , & la
Cour n'a publié encore aucune des dépêches
qu'elle a reçues du Général Clinton ..
Cependanr ce paquebot qui eft parti de
Shandy Hook le 31 Juillet , eût pu apporter
des nouvelles intérefantes. A cette époque
on devoit favoir à New Yorck quelles
avoient été les fuites du combat donné le
6 dans la Virginie , & dans lequel la Gazette
de Rivington nous donne l'avantage.
Nous n'en avons d'autres détails encore que
ceux que nous donnent les papiers imprimés
fous l'influence de nos Généraux ; la
Gazette de New-Yorck nous préfente encore
l'extrait fuivant du Freemans Journal
de Philadelphie
Extrait d'une lettre de King-William County, à
environ 50 milles de Williamsbourg. L'ennemi a
pillé différentes perfonnes dans,les environs de Williansbourg;
il eft actuellement campé à James- Town;
( 205
nous attendons d'un jour à l'autre une action générale.
Le Général a livré , le 6 , un combat , où il a cu
200 hommes tant tués que bleffés . Il nous manque
12 Officiers . L'ennemi s'eft emparé de deux pièces
de canon. Nous en avons repris une , & nous aurion's
pareillement repris . l'autre , fi nous avions eu des
chevaux pour l'emmener. La perte de l'ennemi
monte à plus de 300 hommes . Il n'y a que trois
de nos brigades qui aient combattu. Le Gazetier
de New -Yorck ajoute ici par apoſtille. 13 Il n'a
fallu au Colonel Dundas , que deux minutes pour
battre , avec deux Régimens nouvellement levés ,
les meilleures troupes des Américains , qui n'ont
échappé à une deftruction totale , que par la rapidité
de leur faite & l'obſcurité de la nuit . Le
Marquis de la Fayette n'ofant attendre notre armée
, s'eft replié sur les dernières de la Colonie , & ,
on n'a pas eu de fes nouvelies depuis cette action
où notre perte n'eft qu'une bagatelle .
pour con-
Pour juger de cette action , il faudroit
avoir les dépêches du Lord Cornwallis ;
s'il n'a point écrit encore il fut croire
que l'action entière n'eft qu'une bagatelle .
Si , comme on le dit , il a écrit ,
firmer fes avantages dans la Virginie , pourquoi
le Gouvernement ne publie- t- il pas fes
lettres ? Ce feroit la meilleure manière de
détruire les bruits qui fe répandent qu'il eft
dans la détreffe , & qu'il a befoin de renforts
pour fe maintenir dans la Province
où on lui attribue de fi grands avantages
ou pour aller tenter quelque entrepriſe ailleurs.
Ces renforts ne peuvent plus lui venir.
de New-Yorck , où tout confirme que le
( 206 )
Général Clinton s'attend à être attaqué. Pour
nous raffurer on nous dit que ce Général
eft fort tranquille ; que l'Armée Françoife
& Américaine qui étoit à la fin de Juillet
aux Plaines Blanches , n'eft que de 7000
hommes , dont 2000 François ; il n'eſt pas
vraisemblable qu'avec une fi petite Armée
les ennemis tentent le fiége d'une place ,
où l'on prétend que nous avons plus du
double. Une pareille garnifon ne fe renferme
pas dans des murs devant des forces auffi
inférieures ; les Gazetiers qui cherchent à
nous tromper , devroient du moins être plus
adroits . Ils fe démafquent trop groffiérement
pour ne pas infpirer de la défiancé fur tout
ce qu'ils débitent. On ne croit pas en conféquence
au peu de liaifon qu'ils difent
exifter entre les Officiers François & les Officiers
Américains . Cette méfintelligence
feroit une raifon de plus an Général Clinton
de les chercher avec toutes les forces , &
de les forcer à combattre.
S'il faut en croire quelques - uns de nos
papiers , qui ne nous infpirent pas plus de
confianceque ceux de New-Yorck , l'efcadre
de Sandy Hook étoit le 31 Juillet fupérieure
à l'efcadre Françoife mouillée à Rhode-
Iland. Les François & les Américains attendoient
M. de Graffe ; on fe flattoit que l'Amiral
Rodney le précéderoit .
» Le Général Anglois , ajoute - t - on , paroît fort
tranquille fur l'attaque de New- Yorck du côté de
terre , malgré les efforts réunis du Comte de
( 207 )
Rochambeau & de Washington ; mais il craint
que les renforts deftinés pour Rodney , ne le joi
gnent pas affez à tems pour faire , du côté de la
mer , la réfiftance qui feroit néceffaire pour la
confervation de la place. L'Amiral Rodney eft
attendu à New - Yorck le 3 Août ; & dans le cas
où l'ennemi renonceroit au projet d'attaquer cette
ville , il fera fait auffi - tôt , dans la Délaware , une
expédition que l'Amiral Anglois fecondera. Le
commerce de Philadelphie avec la Havane , eft
Je plus précieux qu'aient actuellement les Américains
; c'eft par ce feul moyen qu'ils fe procurent
des efpèces en échange de leurs productions . Il
s'agit de détruire ce commerce , & on f flatte
d'en venir à bout avec l'aide de nos flottes.c
Nos nouvelles des Ifles font encore bien
vagues. Selon les lettres que nous avons
reçues de France , c'eft le 5 Juillet, que
M. de Graffe eft parti de la Martinique ;
felon ce que nous rapporte le Roebuk ,
arrivé des Iles du Vent après avoir
appareillé de St- Eufache le 4 Août , l'ef
cadre Françoife eft partie beaucoup plus
tard .
» Le Comte de Graffe a remis à la voile de la
Martinique le 27 Juillet avec 25 vaiffeaux de ligne ,
& une flotte marchande confidérable . On croit généralement
qu'il doit la convoyer jufqu'à St - Domingue
, escorter enfuite la flotte deftinée pour l'Europe ,
jufqu'à une certaine latitude , & aller enfin à Rhode-
Inland. L'Amiral Rodney , avec 20 vaiffeaux de
ligne , a auffi quitté les Ifles peu de tems après
les François , & on ne doute pas qu'il ne foit allé
en droiture à New -Yorck. Le même paquebot nous
apprend que la flotte deftinée pour l'Angleterre , a
mis à la voile le premier Août , fous l'escorte du
Panther , de 60 canons , & de deux frégates «
( 208 )
Nous approchons du tems où les nou
velles de l'Amérique Septentrionale deviendront
intéreffantes. En attendant , on revient
à celles que l'on publie de Buenos-
Ayres , & dont le Gouvernement ne dit
cependant pas un mot.
On apprend de Lisbonne , difent plufieurs de
nos papiers , que le Commodore Johnſtone a détaché
le Capitaine Mac - Donald , pour convoyer un paquebot
jufqu'a une certaine latitude , où il doit
débarquer Ecclefiaftique qui nous a informé l'hiver
dernier de la rebellion des peuples de l'Amérique
méridionale. Ce Prêtre doit les encourager , par
l'affurance de la prochaine arrivée de notre efcadre ,
qui , indépendamment des troupes qu'elle leur amène ,
leur fournira 40,000 armes propres à ce pays - là.
Les Espagnols , privés par la de l'or & de l'argent
que leur fournit l'Amérique , ne trouveront pas de
grandes reffources chez eux « .
1
Ces belles fpéculations peuvent en impofer
à la multitude ; mais elles paroîtront
bien ridicules à ceux qui réfléchiffent &
qui connoiffent un peu là pofition des lieux
qu'on dit le théâtre de la révolte , la difficulté
d'y arriver , l'efpace immenfe de
déferts qu'il faut parcourir , en s'éloignant
des vaiffeaux qui font la reffource
de l'armée que Johnstone facrifieroit à
cette expédition . Son avidité a déja été
trompée ; en arrivant , il a trouvé que les
fruits de deux ans de cette partie de l'Amérique
, étoient déja parris pour l'Europe
, & par conféquent hors de fes atteintes.
Les richeffes qu'il efpéroit acquérir
( 209 )
par le pillage , fe borneront à quelqués
extorfions ; il rançonnera tout ce qu'il pourra.
Son parti le plus fage après cela , eft
de remettre en mer & de s'éloigner pour
conferver le fruit de fes brigandages. En at
tendant il aura manqué le but de fa véri
table expédition. Il devoit fe rendre dans
l'Inde , où il étoit important qu'il fe rendît
avant le Commandeur de Suffren , pour
nous conferver la fupériorité fi nous l'y
avons , ou pour nous la donner fi nous
ne l'y avons pas . Sa conduite paroît au
moins inexplicable , elle ne peut être excufée
que dans le cas où il auroit eu la liberté
de changer fa deftination ; ce qui feroit
bien étrange dans un moment où l'on
fait que le Gouvernement ne pouvoit lui
en donner d'autre que pour l'Inde. Cependant
nos affaires dans cette contrée femblent
prendre une tournure plus avantageuſe ;
la Compagnie a reçu , le 12 de ce mois ,
des dépêches de l'Inde , apportées par le
Capitaine Uppléby , qui étoit parti de Bombay
le 7 Avril. Selon ces lettres le Major
M'Cormick ayant été détaché par le Général
Goddart , avec ordre d'attaquer un corps
confidérable de Marattes , les atteignit le
20 Mars , & remporta fur eux une victoire
complette ; il ne leur tua ni ne leur bleffa pas
moins de 7 à 8000 hommes , & leur enleva
quantité de canons , d'éléphans , de
chevaux , de chameaux & de munitions
( 210 )
de toute efpèce. On efpéroit que l'Amiral
Hughes , qui étoit encore à Bombay avec
fon efcadre , en partiroit le 25 Avril pour
fe rendre à la côre de Coromandel , où le
Général Sir Eyre Coote , a non-feulement
remporté une victoire complette fur le redoutable
Hyder- Aly , mais a encore repris
fur lui , ou eft à la veille de reprendre toutes
fes conquêtes , après l'avoir forcé de retourner
précipitamment dans fes Etats. Le
Général Anglois l'a fuivi , & menace même
plufieurs fortereffes placés fur les frontières
de ce terrible ennemi .
1
Le bruit fe répand d'un autre côté que le
Comptoir Hollandois de Phulta dans le
Bengale , eft tombé , fans coup férir , entre
les mains des troupes de notre Compagnie ,
où l'on dit que l'on a fait un butin immenfe.
On attend avec impatiencé la publication
des dépêches qu'a reçues la Compagnie ;
elles nous offriront la relation de tous ces
évènemens , auxquels nous ne nous attendions
affurément pas , & qui peut - être
paroîtront moins brillans dans la relation
même. Quoiqu'il en foit , ces avis ont
produit un effet avantageux pour la Compagnie
; fes actions ont monté d'un &
demi pour cent. Ils ont raffuré fur la plûpart
des bruits qui s'étoient répandus depuis
quelque tems , & qui fembloient confirmés
par quelques lettres de Lisbonne. Maski
嘿
Le vaiffeau Portugais le Prince du Bréfi!,
revenant des Indes Orientales , & en dernier
lieu de Goa , eft rentré dans le Tage le
21 Août. Il a à bord le Capitaine & les
autres Officiers du vaiffeau de guerre Anglois
que montoit le Vice-Amiral Sir Edouard
Hughes ; ce qui fait croire que ce navire
qui eft le Superbe , de 74 canons , a coulé
bas. Parmi les nouvelles qu'apporte le
vaiffeau Portugais , étoit celle que le Chevalier
Hughes fe trouvoit , avec fon efcadre ,
au Bengale , d'où la mouffon l'empêchoit
d'aller au fecours de Madras , affiégé du
côté de terre par les troupes d'Hyder- Aly ,
& par l'efcadre Françoise du côté de la mer.
Il fe trouvoit dans le port cinq vaiffeaux de
la Compagnie des Indes , & plufieurs autres
plus petits . On prétendoit que les Officiers
Anglois qui ont fait le voyage fur ce navire
Portugais , convenoient tous unanimement
que nos affaires dans les contrées étoient
dans la pofition la plus critique & la plus
alarmante.
A
On avoit beſoin de l'arrivée du Capitaine
Uppléby , pour détruire l'impreffion qu'avoient
faite ces fâcheufes nouvelles. La
relation qu'il apporte paroîtra vraiſemblablement
demain ou après ; on peut juger
de l'impatience avec laquelle elle eft attendue.
On prétend que l'exprès de Bombay a
annoncé le départ prochain d'une flotte de
( 312 )
vaiffeaux de la Compagnie , mais qu'elle
attendoit un convoi plus fort , parce qu'elle
a appris qu'une efcadre Françoife & Hollandoife
étoit mouillée au Cap.
On avoit dit que l'ifle de Sainte-Hélène
avoit été prife ; cette nouvelle ne s'eft pas
confirmée ; mais on n'eft pas fans inquiétude
fur cette place , depuis que l'on fait qu'il
y a une efcadre Françoife au Cap de Bonne-
Efpérance , & qu'elle doit avoir été renforcée
par celle de M. de Suffren qui à
des troupes avec lui ; pour nous raffurer ,
on préſente ainfi dans nos papiers la fituation
de cette Iſle.
La Compagnie des Indes a dépensé depuis quel
ques années plufieurs milliers de livres fterl , pour
fortifier l'Ile de Ste-Hélène. On a élevé plufieurs
nouvelles batteries , dont la plupart ont des canons
de foute . Les deux feuls endroits de débarquement
dans l'Ifle , font la vallée de Rupert & celle de St-
Jame . Dans celle- ci eft la réfidence du Gouverneur ;
à l'entrée est un fort confidérable avec une belle
rangée de canons de fonte de 32 liv. de balles . Ce
fort eft flanqué par une batterie inacceffible , établie
fur le rocher de Munden . Tous les vaiſſeaux qui
veulent moiller devant la ville doivent paffer de
près fous cette batterie . La garnifon de la Compagnie
eft compofée ordinairement de 400 hommes . Il y
en a actuellement près de 700 , compris un corps
d'artillerie , deux compagnies ayant été envoyées il
ya quelques mois , comme un renfort ".
Les inquiétudes que nous avions au fujet
de Minorque font enfin réalifées. La
Gazette ordinaire de la Cour du ir de ce
( 213 )
imois , a publié ainfi l'invafion de cette
Ifle par les Espagnols.
Ce matin il eft arrivé , au Bureau du Comte
d'Hillsborough , l'un des principaux Secrétaires
d'Erat de S. M. , un Meflager chargé pour S. S.
d'une lettre de Sir Horace Mann , Baronnet &
Chevalier de l'Ordre du Bain , Envoyé extraordi
naire de S. M. à Florence , dans laquelle en étoit
inclufe une autre du Lieutenant - Général Murray ,
Gouverneur de Minorque , datée du Château Saint-
Philippe , le 19 Août , portant que dans la matinée
du même jour 19 , une divifion de la flotte & des
tranfports Efpagnols fe portoit vers la partie Orien
tale du Port de Mahon , dans l'intention , à ce que
l'on fuppofoit , de débarquer les troupes de ce côté ,
tandis qu'une autre divifion paroilloit gouverner
vers la partie Occidentale du neme Port : le Gouverneur
ajoute qu'il avoit été inftruit quelque tems
auparavant de l'intention de l'ennemi ; qu'il étoit
parfairement préparé à le recevoir ; que la garnison
étoit dans un état de fanté excellente , ainfi que
dans les meilleures difpofitions , & qu'il ne doutoit
nullement de pouvoir faire une réfiftance vigoureufe
«.
La Gazette de la Cour ne dit pas tout ;
elle annonce feulement que les Espagnols
faifoient des difpofitions pour débarquer ,
& que le Général Murray en faifoit pour
fe défendre. On fait que le débarquement
a été effectué fans réfiftance ; que l'Ile a
été foumife à l'arrivée de l'ennemi , & que
nous n'y poffédons plus que le fort Saint-
Philippe , qui peut tenir très long-tems ,
fi la garnifon eft nombreuſe , & fi elle eft
bien munie ; fi elle ne l'eft pas , nous ne
( 214 )
voyons guère comment on pourra l'approvifionner
& la renforcer.
Nous n'entendons plus parler de la flotte
combinée qui nous a infpiré d'abord tant
d'alarmes , & qui a fort exercé nos troupes
& nos milices fur les côtes d'Irlande
où on leur a fait faire une multitude de
mouvemens pour s'opposer à une deſcente
qu'on n'a tentée nulle part , puifque nulle
part la flotte ennemie ne s'eft montrée.
On fuppofe qu'à préfent elle s'eft éloignée
de nos côres ; l'approche de l'équinoxé doit
la contraindre de fe rapprocher de fes ports.
L'Amiral Darby qui s'étoit précédemment
refugié à Torbay , peut maintenant fortir
librement ; au lieu de 40 vaiffeaux qu'on
difoit qu'il avoit , il paroît que tous les
renforts qu'il a reçus & qu'on a pu lui
donner fe font réduits à porter fon
eſcadre à 24 ou 26 vaiffeaux de ligne. Il
fe préparoit à appareiller de Torbay le 11
& le foir il étoit forti du port ; mais contrarié
par les vents , il a été forcé d'y rentrer
; il y étoit encore le 14 mouillé fur
une ancre ; fon efcadre eft de 26 vaiffeaux
8 frégates & brûlots. Ceux du Commodore
Keith Stuart ne le joindront point ;"
ils font réfervés pour agir contre l'efcadre
du Texel ; mais ils ne font pas encore approvifionnés
, du moins hier il leur manquoit
encore bien des chofes. On n'eſpère
plus qu'il arrête l'efcadre Hollandoiſe &
( 215 )
fon convoi au Texel ; on fait qu'elle y
y étoit prête & raffemblée le 9 de ce mois ;
& depuis ce tems elle doit être partie. Ce
fera près de la Baltique qu'il faudra chercher
la première ; pour le fecond , il fera
en fureté. On s'attend à fe melurer encore
avec les Hollandois ; & comme le premier
combat donne beaucoup d'incertitude fur
l'iffue du fecond , on ne feroit pas faché
que ce que l'on dit foit vrai ; que les ports
de Norwege feront ouverts à nos vaiffeaux
de guerre comme à nos bâtimens marchands;
les uns & les autres pourront y trouver un
afyle en cas d'accident. On ajoute que
la
même faveur a été accordée aux Hollandois.
Pour nous raffurer fur la crainte que
nous avons que l'efcadre Hollandoiſe ne
forte avant la nôtre , & qu'elle ne foit plus
nombreuſe , la plupart de nos papiers ne
manquent pas de nous donner les nouvelles
fuivantes : Le 11 , le Lieutenant
Furnival du cutter le Burg , arriva à l'Amirauté
avec des dépêches du Chevalier.
Hyder Parker , en date du 10 Septembre ,
dans fa ftation , du Texel. On affure qu'il
informe l'Amirauté qu'il avoit alors fous
fes ordres tous, les vaiffeaux qui compofent
fa divifion , & qu'elle étoit affez for
midable pour en impofer aux forces que
les Hollandois peuvent lui oppofer ; il lui
apprend encore que les cutters fous fes ordres
, fe font emparé de plufieurs bateaux
( 216 )
pêcheurs Hollandois par lefquels il a ap
pris qu'il y avoit la plus grande difette de
munitions navales dans les Arfenaux du
Texel. On attribue entr'autres caufes.ce
déficit , au retardement de la flotte de la
Baltique chargée de mâts , de cordages , & c.
Selon les mêmes rapports , les vaiffeaux
tant fur les chantiers qu'en réparation dans
le Port , font pareillement négligés . Les
Sur-Intendans ont fait envain à ce fujet des
repréſentations aux Etats-Généraux . On leur
a répondu tant que l'efcadre Angloife in
tercepteroit la navigation des vaiffeaux de
la Republique , il feroit impoffible de re
médier aux inconvéniens, dont ils fe plaignent.
Le Chevalier Hyder Parker fait ef
pérer à l'Amirauté qu'il fera en état de lui
rendre bon compte des flottes qui reviennent
dans les Ports de cette République ,
comine auffi d'empêcher les Hollandois de
faire parvenir à ces flottes des informations
relativement aux forces dont il a le
commandement , & à fa pofition.
Le Gouvernement a donné ordre de mettre
en liberté les prifonniers de guerre qui
prouveront qu ils étoient Sujets des Pui-:
fances neutres . C'eft en conféquence de cet
ordre que 60 Danois qui étoient dans le
Château de Shrewsbury ont été relâchés.
Le Lord George Gordon l'a emporté fur
fes concurrens à la place de Député au Parlement
pour la ville de Londres. Il vient
d'être nommé. On s'attend que fon fanatifme
( 217 )
me donnera encore quelque fpectacle fcandaleux
à l'Angleterre ; il a demandé du
moins la permiffion de préfenter au Roi un
Ouvrage qui intéreſſe la Religion , & on lui
a fait dire qu'il pouvoit l'offrir à S. M. à
fon lever. En conféquence , il s'eft rendu
le 14 au Palais de Saint-James ; c'étoit la
première fois qu'il y paroiffoit depuis l'illumination
du 6 Juin 1780 ; lorfqu'il s'eft
mis en devoir de notifier à S. M. l'objet de
la miffion , il a eu la mortification d'en
recevoir la réponſe fuivante : Je n'ai rien
à faire ni avec vous , ni avec votre livre.
FRANC E.
De VERSAILLES , le 25 Septembre.
LE 2 de ce mois le Roi a nommé l'Abbé
Radix , Chanoine de l'Eglife de Paris , &
Confeiller de Grand'Chambre du Parlement
de Paris , à l'Abbaye de Notre- Dame de la
Prée , Ordre de Cîteaux , Diocèfe de Bourges
, fur la préfentation de Monfeigneur le
Comte d'Artois , en vertu de fon appanage,
LL. MM. & la Famille Royale ont figné
le contrat de mariage du Comte de Grainmont,
Capitaine du Régiment Dauphin ,
Dragons , avec la Comteffe Eugénie de
Boifgelin , Chanoineffe de Remiremont,
De PARIS , le 25 Septembre .
ON apprend de Breft que les vaiffeaux qui
doivent être réparés , font rentrés dans le
port , & que le 11 de ce mois le Hardi étoit
29 Septembre 1781.
k
( 248 )
?
déja dans le baffin. On croit que l'Alexan
dre , le Lion & l'Indien vont défarmer pour
être mis en flûtes . Selon les mêmes lettres ,
les différens piquets des troupes qui étoient à
bord de l'efcadre , ont été mis à terre pour fe
rafraîchir. Ils feront enfuite incorporés dans
les régimens deſtinés à être embarqués &
dont le complet fera alors de 1800 hommes.
11 y avoit peu de malades fur l'efcadre , &
rien n'empêcheroit d'envoyer aujourd'hui ,
10 ou 12 vaiffeaux , fi on le jugeoit néceffaire.
>
Ce fut le 8 à 6 heures du foir , & non
le 10 , que la Néreide & l'Emeraude qui
avoient été à la recherche du vaiffeau Efpagnol
le Brillant , rentrèrent à Breft après
l'avoir trouvé à l'entrée de la Manche , &.
l'avoir mis fur la voie de l'efcadre de fa nation.
Ces deux frégates rencontrèrent auffi
heureuſement une corvette Efpagnole , qui
cherchoit l'armée combinée , & qui lui apportoit
des ordres de la Cour de Madrid .
Cette corvette a également repris la route
de Cadix.
Le même jour les frégates la Friponne &
la Gloire , ainfi que la Terpficore ,la Tourterelle
, le cutter l'Aigle , & les gabarres la
Porteufe , l'Eclufe & la Payfanne , mirent
à la voile pour convoyer des bâtimens à
Bordeaux.
Les lettres du 1 ne parlent que de l'acti
vité qu'on met dans l'armement des navires
deftinés à transporter nos troupes .
Nous apprenons , écrit-on de Toulon , par
1
( 219 )
un bâtiment qui a touché à Barcelone , que le 3
une frégate Espagnole débarqua dans ce port un
Officier qui prit fur le champ la poste pour fe
rendre à Madrid. On ignoroit ce qu'il alloit annoncer
à la Cour. Les lettres particulières de
l'armée portoient que M. de Crillon ayant été
à la Tour des fignaux , pour reconnoître le Fort
Saint-Philippe , fur bleflé à la tête d'un éclat de
pierre que détacha un boulet tiré du Fort. Le
Général ne faifoit pas beaucoup d'attention à cette
légère contufion ; mais fur les inftances des Officiers
, & d'après le confeil de fes Chirurgiens ,
il s'est déterminé à fe faire faigner. Tous les
canons que les ennemis avoient jettés à la mer
& les navires qu'ils avoient fait échouer , étoient
hors de l'eau & remis à flot , & l'on découvroit
tous les jours des effets appartenans au Roi d'Angleterre
, que le Commandant avoit achetés à
différens particuliers. Il faut que la Place ne foir
pas trop bien approvifionnée , & que les troupes
prévoient & craignent une défenſe pénible ,
qu'elles défertent par bande: on dit qu'il eft déja venu
puif
au camp près de 400 Hanovriens ; le Commandant
les avoit fait fortir pendant la nuit , pour rapporter
dans le Fort beaucoup de choſes qu'il avoit
été obligé de laiffer au dehors le jour de la def
cente des Efpagnols . Au lieu de retourner dans la
Place , les foldats ont mieux aimé paffer dans le
camp ennemi , où ils ont été bien reçus . Quoiqu'il
en foit de cette nouvelle peu vraisemblable , &
que nous ne garantifons point , on leur fait dire
que le Fort eft défendu par 300 pièces de
canons qu'on augmentera jufqu'à soo , & par
60 mortiers. La garnifon n'eft plus actuellement
que de 1500 hommes , & de soo matelots ,
montoient les trois frégates qui s'étoient réfuqui
giées fur les glacis de la Place , où les Espagnols
ont été les enlever ; ainfi tous ces canons & ces
k2
( 220 )
mortiers feront inutiles au Général Murray , s'il
n'a pas plus de bras pour les fervir «.
Les régimens qui paffent à Mahon feront
portés à 1500 hommes , & à Toulon comme
à Breft , on ne choifit pour les augmentations
qui fe font dans les régimens deſtinés à
s'embarquer , que les hommes de bonne
volonté des régimens voifins.
L'arrivée d'un paquebot de Buenos- Ayres , dans
un des ports des Afturies , lit- on dans une lettre de
Cadix , a donné lieu à beaucoup de conjectures , &
nous attendons avec impatience le prochain Courier
de Madrid qui peut être nous inftruira de l'objet des
dépêches que la Cour aura reçues par cet avifo,
Elles piquent d'autant plus la curiofité qu'elles doivent
confirmer ou détruire la nouvelle répandue par
les Anglois de l'apparition du Commodore Johnftone
avec fon efcadre , de ces côtés.
Les cofaires la Victoire , de Dunkerque
& Aigle , de Calais , ont envoyé à Breft
2 prifes qui font entrées dans la rade le 9
à 6 heures du foir ; ce font 2 bâtimens Anglois
fortis de Cork , & chargés de fruits.
Le Roi a accordé à la veuve de M. le
Comte de Broglie , 15,000 liv. de penfion
10,000 à fon fils aîné , & 11,000 que partageront
les deux autres enfans.
Le 19 du mois d'Août dernier,Farotrois heures
au thatin , on a effuyé à Milly en Gâtinois , & aux
environs , un orage affreux , accompagné de rohnerre
, qui , en deux heures a inondé plufieurs
fermes établies fur le haut de la ville de Milly ;
on a vu venir de ces hauteurs plufieurs torrens
de vingt à vingt-cinq toifes de large , croiffant de
moment en moment , & entraînant dans la dans la vallée
quantité d'effets & uftenfiles de campagne ; l'eau
( 221 )
ayant pénétré & fubmergé les maifons du Fauxbourg
de Saint-Pierre , a forcé ceux qui y demeuroient
, d'en fortir avec leurs beftiaux , & d'abandonner
leurs grains & récoltes , qui ont éte prefqu'entièrement
perdus. On ne fauroit peindre la
confufion des premiers momens ; l'alarme étoit générale
, le danger preffant. Plufieurs perfonnes au-
Joient été noyées , fans la préfence d'efprit , la
force & le courage ede quelques autres , même
des principaux
de la Ville , qui font montés à
cheval , & ont enlevé du milieu des eaux des
enfans , des femmes & des malades. - Pour comble
de malheur , le 17 Septembre à 4 heures aprèsmidi
, unfecond orage , plus terrible que le premier,
a achevé de dévaſter le même canton de la Paroifle de
Milly; dans les fermes , tout a été inondé, lebled perdu
dans les granges , toutes les volailles emportées
, quelques beftiaux noyés & plufieurs bâtimens
écroulés ; les torrens qui defcendoient
de
ces fermes , ont tout entraîné ; on ne voit que
des abîmes, tous les chemins font rompus , la
plaire n'eft couverte que de fable , de graviers &
de pierres ; enfin , ce que les habitans du Faux-
-bourg de Saint Pierre avoient préfervé lors du
premier orage, a été détruit par ce dernier , qui
les réduit à la plus affreufe mifere
tant de dé.
faftres n'offrent à ces malheureux
habitans que le
trifte fpectacle de leur ruine , & leur ôte toute
efpérance de forcer la tetre à de nouvelles productions
pendant quelques années.
·
Les infortunées victimes de ce défaftre ont
des droits à la bienfaifance du Souverain ;
nous ne pouvons que les recommander à
la charité publique ; elles n'en font pas
moins dignes que les malheureux habitans
de Veulles qu'un incendie a ruinés . Les dé- .
tails que nous donnâmes de ce triſte évèk*;
( 222 )
nement dans le Journal du 18 Août dernier
n'étoient pas exacts ; un témoin oculaire
nous a fait paffer ceux- ci .
"
2.
» Le 6 Juillet , le feu prit à huit heures trois
quarts du foir , à une maifon fituée au milieu
du bourg , par la négligence d'une femme qui
faifoit lécher du lin dans la cheminée. A dix
heures & demie , le feu s'étant répandu en forme
de croix l'embrafement devint général , fans
qu'on pût y apporter aucun fecours ; chacun s'oc
cupoit de la confervation de fa vie & de fes effets
il n'eût rien épargné fans les fecours trèsprompts
de M. Jollin , Subdélégué à Saint- Vallery
; de M. de Veulles , Garde du Roi ; de M.
Angor , Officier Municipal à Saint- Vallery ; de plufieurs
habitans de cette Ville des Canonniers
Gardes - Cô: es , fous la conduite de l'Inſpecteur de
l'Artillerie ; de M. de Tourrents , Chef de divi.
fion ; M. le Seigneur , Capitaine ; & M. Corelle fils
'Lieutenant . 128 , tant maifons que granges , qui
renfermoient 171 familles , às perfonnes par famille
, ont prefque tout perdu. On a évalué ta
perte au plus bas à 400,000 liv. , fans compter
celle des Fabriquans de Rouen , qui faifoient travailler
pour leur compte. Le Subdélégué fit paffer
le lendemain 1500 livres de pain à ces familles
errantes fur les côtes. Les jours fuivans , le Car
dinal de la Rochefoucault , Archevêque de Rouen ,
l'Abbé de Clerci , Vicaire- Général , &c . leur ont
procuré les fecours les plus néceffaires , &c. «
Une lettre de Bulles nous fournit les détails
fuivans d'un autre incendie.
Le 1 de ce mois , vers les deux heures après
midi , le feu prit au village de Menil-fur- Bulles ,
près Clermont en Beauvoifis , & y a réduit en
cendres cinquante- fix maifons . Ce n'eft que vers
les cinq heures du foir qu'on parvint à couper la
communication des flammes & à préferver le
>
( 223 )
refte du village. Les Cavaliers de Maréchauffée
de Clermont en Beauvoifis , arrivèrent alors , &
donnèrent auffi -tôt des ordres aux Syndics des vil
lages qui avoifinoient le plus celui-ci , pour que
les habitans de chaque Paroiffe fe trouvaffent le
lendemain à cinq heures du matin , avec leurs chevaux
, charrettes , & des tonneaux remplis d'eau
pour achever d'éteindre le feu qui brûloit encore
fous les décombres des maifons . Cependant le 3
de ce mois , on n'avoit pu y parvenir totalelement
cet accident fut caufé par l'imprudence
d'un habitant , qui avoit tiré un coup de fufil dans fa
cour. Le feu du Ciel étoit déja tombé ſur quatre
maifons de ce village le 11 Mai dernier ; & en
une feule année , en voilà 60 de détruites . Deux
hommes ont été bleffés dangereufement , & on
les trouve fi maltraités , qu'on a lieu de craindre
qu'ils ne puiffent fe rétablir «<.
Les évènemens funeftes femblent fe multiplier
depuis quelque tems ; en voici un
qu'on nous mande de Verdun .
» Un loup , probablement enragé , après être
forti des bois des environs de Clermont , & avoir
fait beaucoup de mal aux beftiaux qu'il a attaqués ,
s'eft jetté fur le berger du village d'Autrecourt ,
& après une lutte également terrible & funefte
il a enfin arraché à ce malheureux berger une par
tie de la mâchoire , & lui a fait quantité d'autres
morfures. Cet animal furieux ne l'a quitté
que pour fe jetter fur un enfant . Le berger a encore
eu affez de courage pour voler à la défenfe
de cet infortuné ; il a forcé le loup à lâcher prife
& à prendre la fuite ; mais il a fait beaucoup de
dégâts fur la route mordant hommes & troupeaux.
Arrivé au village de Recourt , il s'eft jetté
fur un berger du lieu , qui l'a combattu longtemps
, & qui enfin a terraffé ce cruel animal , &
,
k 4
1224 1
l'a tué à coups de couteau , fa feule arme. Il l'a
chargé alors fur fes épaules , & l'a apporté à fon
viliage. Malheureuſement ce brave berger a été
mordu à la gorge & au bras ; & on a tout lieu de
craindre , fi l'animal étoit enragé. Le premier ber
ger , plus dangereuſement bleflé , a été tranſporté
chez M. Ponfelin , Chirurgien de M. le Prince de
Condé , qui fe charge de le foigner. Le fecond eſt
à l'Hopital de Verdun «<,
Nous avons rendu compte de l'intrépidité
, du fang froid & de l'intelligence avec
lefquels François Bonnardel , Patron du port
de Vienne en Dauphiné fauva le 25 Juin
dernier M. de Moncamp , Lieutenant des
Maréchaux de France & fon époufe , qui
faillirent à périr fur le Rhône , enfermés
dans leur chaife qui difparut auffi - tôt que
ce brave Patron les en eut retirés . On fait
auffi que le lendemain il s'expofa à de nonveaux
dangers pour chercher la voiture
qu'il retrouva à trois quarts de lieue de
Vienne , & dont il tira un porte- manteau
contenant 6600 livres qu'il rapporta à M.
de Moncamp. La bravoure & Phonnêteté
du Patron viennent de trouver la plus honorable
récompenfe dans les actes fuivans.
» Du Mardi 28 Acût 1781 , à deux heures après
midi , dans la falle de l'Hôtel - de-Ville de Vienne ,
où étoient aſſemblés MM . Jofeph- André Genet de
la Raucoliere , Maire ; J. F. Bouthier , Jofeph-
Louis Lambert , Jacques Petrequin & Pierre Bert ,
Echevins . François Bonnardel , Patron fur le
fleuve du Rhône , réfidant en cette ville , a préfenté
aux Officiers municipaux la Lettre que lui a écrite
l'Intendant de cette province , en date du 24 de ce
-
225 )
mois , avec une Ordonnance qui lui affure de la
part du Roi une penfion annuelle & viagère de 100
liy. pour gratification , & en récompenfe de l'action
courageule par laquelle il a fauvé, la nuit du 25
Juin dernier , plufieurs perfonnes diitinguées , du
naufrage dans le fleuve du Rhône , pour lors débordé,
& auquel il venoit lui- même d'être expofé ,
s'étant heureufement échappé dans un frêle bateau
& au premier cri de fecours jetté par les fufdits
naufragés , n'ayant pas craint de courir de nouveaux
rifques pour les tirer des flots. Nous empreffant
de confacrer à jamais un monument auſſi mémorable
d'un courage héroïque & plein d'humanité d'un de
nos toncitoyens , ainfi que de la bienfaiſance d'un
Roi , vraiment père de fes peuples , & à qui on
pourroit décerner d'avance le furnom de Bienfaifant
, & de l'empreffement de l'Intendant à procurer
des récompenfes au mérite & à la vertu , nous
avons unanimement arrêté que les fufdites Lettre
& Ordonnance feront enregistrées , pour y avoir
recours le cas échéant ; que l'évènement dont il
s'agit , & copie de la Lettre relative , feront envoyés
aux Rédacteurs des Papiers publics «< ,
La lettre de l'Intendant de Grenoble eft
du 24 Août & conçue ainfi. Multarant
"
Patron Bonnardel. » La belle action que vous
avez faite le 25 Juin dernier , au moment du naufrage
des fieur & dame de Moncamp , m'a paru
merveilleule, à caufe des circonftances qui l'accompagnèrent
, que je ne vous diffimule pas la
peine que j'ai eue à y ajouter foi ; mais les témoi
gnages avantageux qui m'en font venus de toutes
parts , m'ont paru fi pofitifs , qu'il ne m'a pas été
permis de douter que vous ne fuffiez un des plus
braves hommes de votre profeffion. Je n'ai plus
alors héfité d'en rendre compte au Miniftre du Roi ;
& Sa Majesté , après avoir admiré l'excès de votre
courage & de votre intelligence , dans la belle maks
( 226 )
-
noeuvre que vous avez fi heureuſement exécutée ,
me fait ordonner de vous en témoigner fa fatisfaction
, & de vous affurer , pour tout le cours de
votre vie , une penfion annuelle de 100 liv. Je me
hâte de vous adreffer l'Ordonnance en vertu de
laquelle vous en toucherez fur le champ la première
année , & de vous affurer de toute la fatis faction
que j'éprouve de me voir , dans cette occafion ,
l'organe des volontés d'un Maître adoré , qui fait fi
bien honorer le mérite & récompenfer la vertu .
Dans mon prochain voyage à Vienne , je me ménage
deux grands plaifirs , celui de voir finir le pont
de la Gère , & plus encore celui de faire connoiffance
avec le brave Bonnardel , dont le nom illuſtre
la Patrie ; il y fera plus durable que le beau mo
nument auquel nous travaillons depuis fi long - tems .
Signé , PAJOT DE MARCHEVAL , & c. Vu la
lettre à nous écrite le 16 Août dernier , par ordre
exprès de S. M. , en confidération de la belle &
mémorable action du Patron Bonnardel , dans une
manoeuvre qu'il a exécutée fur le Rhône le 25 Juin
1781 , & dont le fuccès a fauvé la vie à plufieurs
perfonnes diftinguées. Nous ordonnons au fieur
Geoffroi d'Affy , Caiffier de la caiffe commune des
Recettes générales , ou au fieur Faure fon Commis ,
fervant près de nous , de payer , des fonds libres
de la capitation de la préfente année , au nommé
Bonnardel , Patron fur le Rhône , la fomme de 100
livres , pour la première année de la gratification
annuelle que S. M. a bien voulu accorder audit
Bonnardel , en récompenfe de l'action courageuſe
& mémorable qu'il a faire , en retirant plufieurs
perfonnes du naufrage arrivé fur le Rhône le 29
Juin dernier ; & en rapportant par ledit fieur Geof
froi d'Affy la préfente Ordonnance , ladite fomme
de 100 liv. lui fera paffée & allouée par- tout cù il
appartiendra
( 227 )
Le Penfionnat du Collège de la ville d'Eu , dont
nous avons annoncé le Profpectus & le règlement
dans notre Journal de l'année dernière , n'eft point
un de ces établiſſemens qui n'ont qu'une exiſtence
paffagère le zèle de MM. les Adminiftrateurs
du College & les travaux de MM. les Profeffeurs
ont répondu aux vues fages de S. A. S. Monfeigneur
le Duc de Penthievre , & de S. E. Monfeigneur
le Cardinal de la Rochefoucault , qui en
font les protecteurs. Les penfionnaires ont été trèsbien
tenus. Les exercices publics ont mérité l'ap
plaudiffement des perfonnes les plus diftinguées,
M. le Comte de Lannoi , Lieutenant Général des
Armées du Roi , Gouverneur & Commandant de
la Ville & Comté d'Eu , a honoré de fa préfence
celui de la diftribution générale des Prix ,
& a couronné les jeunes vainqueurs. La penfion
n'eft que de 300 liv. pour l'année fcholaftique. Le
Règlement ou Profpectus du Penfionnat fe diftribue
gratuitement au Collége , & M. le Principal
f'envoie aux perfonnes qui le lui demandent. La
rentrée fe fera dans les premiers jours d'Octobre.
On a fait dernièrement à Saint- Severin la
cérémonie annuelle de la diftribution du
Prix inftitué par M. Artau , & appellé
Loterie des Filles fages. Des perfonnes refpectables
ont fecondé le zèle du Curé , &
fe font réunies à lui pour augmenter la
récompenfe qui étoit deſtinée à la vertu.
pu-
L'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts d'Amiens , dans fon Affemblée
blique du 25 Août dernier , a proposé pour
fujet du Prix qu'elle doit diftribuer le 25
Août 1783 , l'Eloge de Greffet. Le Prix eft
une médaille d'or de la valeur de 300 livres.
Les ouvrages feront adreffés, francs de port ,
k 6
( 228 )
avant le premier Juillet , à M. Baron , Avo
cat , Secrétaire perpétuel de l'Accadémie.
L'Académie Royale des Belles -Lettres , Sciences
& Arts de Bordeaux , avoit , cette année , deux
Prix à diftribuer : un extraordinaire d'une fømme
de denx mille livres , dont M. l'Intendant & un
Citoyen eftimable ont contribué à former les
fonds ; & le Prix courant fondé par M. le Dac de la
Force , confiftant en une médaille d'or de la valeur de
trois cents livres. Elle avoit deftiné le Prix
extraordinaire à l'Auteur qui propoferoit le moyen
de prévenir , dans l'ufage ordinaire d'allaiter les
Enfans-Trouvés , les dangers qui en résultent ,
foit pour ces Enfans , foit pour leurs Nourrices ,
& par une fuite néceffaire , pour la population
en général ; ou bien qui indiqueroit la Méthode
la meilleure , & en même temps la plus économique
, de fuppléer au lait de femme pour la
nourriture de ces Enfans. Et le fecond , à cette
queftion Quels font les Infectes qui attaquent
les différentes efpeces de Vignes , foit dans le
temps de la durée totale de cette Plante , foit
dans les différentes époques de fa végétation ?
Et quels font les moyens les plus fimples & les
plus efficaces de les détruire , & de remédier à
leurs effets deftructeurs ? -1°. Quand cette
Compagnie propofa le premier de ces deux fujets ,
elle vit , & ne fe diffimula point toute l'étendue
de l'obligation que le bien de l'Etat & l'intérêt
de l'humanité lai prefcrivoient également , lorf
que le temps feroit venu de difpenfer la Couronne
, & d'apprécier les moyens qui lui feroient
propofés pour remplir les vues ; elle fentit qu'alors
tout lui feroit un devoir de ne point s'arrêter
à de fimples probabilités , à de pures ſpéculations
, & même de s'expofer au reproche ( fi elle
pouvoit le craindre ) , de réferver trop fréquem(
229 )
-
ment la diftribution de fes Prix , plutôt que de
courir le rifque de compromettre un des intérêts
les plus effentiels de la Société , en confacrant ,
par fon fuffrage , une méthode d'allaiter les Enfans
- Trouvés , dont rien ne garantiroit la sûreté
& les avantages . Auffi avoit- elle prévenu les Auteurs
qui voudroient entrer en lice , qu'elle n'accueilleroit
aucun des moyens qu'ils auroient à
propofer , qu'autant qu'ils feroient établis fur
l'expérience , & que les fuccès en feroient bien &
duement certifiés . Aucun des Auteurs dont l'Académie
a reçu les ouvrages , n'ayant rempli cette
condition , elle eût été en droit de leur fermer
dès aujourd'hui le concours. Mais entraînée , &
par l'importance du fujet , & par le defir de contribuer,
autant qu'il eft en elle , à la recherche
d'une découverte pour laquelle tant de voeux fe
réuniffent depuis fi long-temps , elle a feulement
fufpendu de prononcer fur les Pièces qui lui ont
été envoyées ; & affumant fur elle l'obligation
que leurs Auteurs ont négligée , elle a voulu faire
faire fous les yeux l'effai des méthodes qui , parmi
celles que la Médecine & la Chymie même
fe font empreffées de lui préfenter , lui ont paru ,
au premier coup d'oeil , les plus praticables & les
moins fujettes à inconvénient ( 1 ) . Dès - lors elle a
vu ainfi fon engagement s'agrandir , & naître le
befoin qu'elle avoit pour elle -même , d'une prolongation
de délai , qui lui donnât un temps ſuffifant
pour interroger l'expérience , & pour recevoir
des éclairciffemens qu'elle a cru devoir demander
fur quelques ufages étrangers qu'on lui ci-
( 1) M. PIntendant , par une fuite de cet amour pour le
bien public & de ce zèle qui le portèrent à contribuer à la
formation de ce Prix , a bien voulu , étant , cette année ,
Directeur de l'Académie , lui procurer auffi & lui facíliver
les moyens de faire ces effais .
( 130 )
toit. Elle a donc remis la diftribution de ce Priz
au 25 Août 1785. Cependant ne voulant pas pro .
fiter feule de ce nouveau délai qu'elle prend , &
défirant y faire participer , foit les Auteurs qui ont
déja concouru , foit tous autres qui voudroient
encore le mettre fur les rangs , elle les avertit
qu'elle recevra les Supplémens , Corrections , ou
nouveaux Mémoires qu'ils voudront lui envoyer,
jufqu'au premier Août 1782 , exclufivement ; les
renvoyant , au furplus , pour l'énoncé de la Queftion
, le développement des motifs qui la firent
propofer , & les conditions impofées aux contendans
à fon Programme du 19 Mars 1778 .
2º. A l'égard du fecond fujet , l'Académie n'ayant
reçu aucun Ouvrage qui le concernât , elle a été
obligée d'en réserver le prix , & elle l'a réuni aux
deux mille livres deftinées à la queftion concer
nant l'allaitement des Enfans- Trouvés , pour ajou
ter par là une marque honorable à la récompenfe
promife à celui qui l'aura réfolue de la manière la
plus fatisfaifante.
-
L'Académie propofe pour l'année 1782 , 19. un
prix double , réfervé en 1779 : Existe-t - il quelque
indice fenfible qui puiffe faire connoître aux Obfervateurs
les moins exercés , le temps où les.
Arbres , & principalement les Chênes , ceffent de
croître , & où ils vont commencer à dépérir ? Et
ces indices ( à fuppofer qu'il y en ait ) , ont- ils
généralement lieu , & affectent - ils néceſſairement
les Arbres , dans quelque forte de terreins qu'ils.
foient venus ? 2º. Un prix fimple réſervé en
1780 : 1°. Quelle eft la loi hydraulique , qui
en fixant la hauteur d'eau néceffaire pour le jeu
des Moulins , préferveroit les fonds riverains
d'inondation ; & , s'il n'exifte point de loi pareille
qui puiffe être générale , & s'appliquer à
toutes les différentes espèces de Moulins à eau ,
placés fur quelque rivière que ce foit , quelles:
22
( 231 )
font les loix particulières qui conviendront à
chaque efpèce ? ..... 2 ° . Les circonstances dupoids
de l'eau , de fon volume , & de fa pente étant
données , de quelle efpèce doit être un Moulin ,
pour produire le plus grand effet ? 3. Pour les
Prix courant : L'Eloge de M. de Montesquieu.
:
4°. Pour un Prix extraordinaire de trois cents
livres Indiquer les Ouvrages qui traitent du
Lecti Minctio ( incontinence d'urine pendant la
nuit ) ; quelle eft la caufe , ou manifefte ou cachée
de cette infirmité ; quels en font les principes
, qu'elle foit habituelle ou par périodes régulières
, ou à des intervalles inégaux ; quels
font les différens remèdes qui ont été proposés
pour la guérir , & ceux enfin qu'une expérience
conftante peut faire regarder comme Spécifiques.
Pour l'année 1783. Un Prix fimple , réſervé
de 1777 & 1780 Comment la ville de Bor.
deaux tomba au pouvoir des Romains ; & quels
furent , fous leur domination l'état , les loix
les moeurs de fes habitans. Les Prix fimples
& ordinaires , fondés par M. le Duc de la Force
font une Médaille d'or , de la valeur de trois cents
livres les doubles font compofés d'une pareille
Médaille , & de trois cents livres en argent .
:
--
L'Académie ne reçoit les Pièces au concours que
jufqu'au premier Avril de chaque année , lorfqu'elle
n'a pås fixé d'autre terme aux Auteurs. Elle rejette
celles qui font écrites en d'autres langues
qu'en françois ou en latin , & celles dont les Au
tears fe font connoître , ou directement , ou indirectement.
Les Paquets feront affranchis de port ,
& adreffés à M. DE LAMONTAIGNE , Confeiller au
Parlement , & Secrétaire perpétuel de l'Académie.
Les perfonnes qui confervent depuis long-tems
dans leurs mains des polices & coupons d'actions'
fur l'armement de MM. le Séfne & Compagnie , fans
avoir fait remettre le montant dans aucunes des
caiffes préposées par ces Armateurs , à Paris & dans
( 232 )\
les Provinces , pour la sûreté & la facilité des foufe.
cripteurs , font inftamment priées de vouloir bien
renvoyer , le plutôt poffible , ces polices & coupons
auxdits fieurs le Séfne & Compagnie , rue Bailleul ,
à Paris , qui leur repréfentent de nouveau que leurs
difpofitions actuelles ne s'accordent point avec
l'augmentation d'aucun Actionnaire ; à moins qu'il
ne fut queſtion d'un furcroît de mife , qui ne pour
roit être refufé , & qu'ils attendent la rentrée de ces
polices & coupons pour achever le tableau des
intéreffés à cet armement , & faire paffer à chacun
d'eux un précis de l'expédition avantageufe dans
laquelle leurs fonds font employés . Jufques- là ils
peuvent feulement affurer que ce tableau ne fera
représentatif que de 50 à 60 mille livres , & que
leur intérêt particulier comme Armateurs , eft
aujourd'hui au- deffus de 200,000 livres dans l'expédition
totale , évaluée d'abord à 2 millions. Retenus
par les bornes du Journal , ils fe font un devoir
d'en offrir chez eux les plus amples connoiffances
aux Intéreffés , ainfi que des difpofitions qui feront
ultérieurement prifes ..
Charles , Comte de Broglie , Marquis de
Ruffec , Seigneur de Canchie , & c. Lieutenant
Général des Armées du Roi , Chevalier
de fes Ordres , Gouverneur de Saumur,
& du Saumurois , Commandant en chef
pour le Roi dans la Province de Franche-
Comté , & précédemment Ambaffadeur extraordinaire
de Sa Majesté auprès du Roi
& de la République de Pologne , eft mort
à St-Jean- d'Angely le 16 du mois dernier.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
royale de France du 17 de ce mois , font
42 , 75 , 62 , 49 , 18.
Seiva
72331
酱
'De BRUXELLES , le 25 Septembre.
SELON lés lettres de Hollande le Stadhouder a
été au Texel faire la revue de l'efcadre qui y
étoit affemblée, & qui a mis à la voile le 11 de
ce mois ; elle a dû être jointe par les vaiffeaux
qui étoient au Vlie ,& les navires marchands
qui fe rendent dans la Baltique. Comme la
divifion de la Meufe avoit mis en mer le
10 à fix heures du foir , on ne doute point
qu'elle ne l'ait encore renforcée ; les Hollandois
en préfentent le tableau fuivant :
Le Prince Guillaume , de 74 canons ; le Sud-
Bevelaud , de 64 , la Princeffe - Royale , & le
Glinthorst , de 54 ; l'Amiral de Tromp , de so ;
& les vaiffeaux de la Compagnie des Indes le
Schoonderloo , llee GGaannggeess , le Zee- Paard , le
Holland , le Voorberg , le Zeeuw , le Both , le
Java , de so. Le Phénix , de 44 ; le Jafon , la
Bellone , d'Amfterdam , le Zéphir , le Médenblick,
la Concorde , la Thétis , de 36 ; la Vigilance &
l'Ajax , de 24 ; la Bellone , de la Meule , de 20 ;
Expédition , de 18 ; le Dauphin , de 16 ; le
Kemphaan , la Promptitude , l'Espion , de 12. En
tour 28 bâtimens de différentes grandeurs ; ils font
fous les ordres du Contre-Amiral Van-Braam .- Selon
des lettres d'Amfterdam , on travaille avec beaucoup
d'ardeur dans les chantiers de cette Ville , d'où il
fortira bientôt un vaiffeau de 74 canons , 2 de
64, & un de 44.
L'affaire de la Ville d'Amfterdam avec le
Duc de Brunſwick n'eft pas encore près de
fe terminer ; les principales Villes de Hollande
& de Weftfrife ont déja donné leur
avis , & la plupart tendent à juftifier la dé
marche de la Ville d'Amfterdam . Le Quar7234
tier de Weftergo a fait les propofitions fuivantes
à l'affemblée des Etats de Weftfrife."
Le Quartier de Weftergo le voit indifpenfa.
blement obligé , à raison de la fituation critique
où notre Pays fe trouve , de donner férieuſement
en confidération aux Quartiers : Qu'attendu qu'il eft
plus que fuffifamment connu à chaque Membre de
l'Etat qu'il règne parmi les bons Citoyens , tant
grands que petits , une méfiance & un mécontentement
univerfel , relativement à la direction prin.
cipale des affaires , fpécialement à caufe de l'admi
niftration défectueufe de la matine de la Répu
blique ; méfiance & mécontentement auxquels la
façon d'envoyer en mer des vaiffeaux , un à un
& la difperfion d'une partie confidérable des forces
navales de l'Etat , peu de jours avant que l'Angle.
terre déclarât publiquement la guerre à la Repu
blique , paroiffent malheureufement , ainfi que divers
autres évènemens arrivés avant & après , n'avoir
que trop contribué ; que de cette défiance & mécontentement
, il eft réfulté une haine à - peu près
générale contre la perfonne & le ministère du
Seigneur Duc de Brunswick , qui , comme Confeiller
de S. A. le Seigneur Prince Stadhouder-Héréditaire ,
eft foupçonné être la caufe principale de l'admi
niftration défectueufe des affaires ; que de cette
défiance & mécontentement des bons habitans , on
peut craindre les fuires les plus funeftes pour le
repos public & pour la conftitution légitime de
cet Etat , qu'il eft du devoir de tout Régent bien
intentionné de travailler à prévenir , autant qu'il
lui eft poffible . Le fufdir Quartier de Weftergo
repréſente fi , en conféquence , il ne feroit pas à
propos de mettre , par une miffion , lefdites obfer
vations fous les yeux de S. A. le Seigneur Sta
dhouder -Héréditaire , & de témoigner que L. H. P. ,
pour prévenir les fuites pernicieufes qui font à
craindre de cette défiance & de ce mécontentement
V 335 Y
des habitans en général , foit pour la tranquillité
publique , foit pour la conftitution légitime de
l'Etat , ne peuvent fe difpenfer de fupplier , de la
manière la plus affectueufe & la plus preffante ,
S. A. S. de vouloir perfuader , de la manière la
plus efficace , le Seigneur Duc de Brunſwick de ne
plus le mêler de la direction des affaires , & de
quitter la République .
S'il faut en croire quelques lettres d'Amfterdam
, le bruit fe répand que le Duc de
Brunswick paroît décidé à faire un voyage
en Pays étranger. Les uns , ajoutent ces
lettres , attribuent cette réfolution à un motif
de fanté , les autres à quelque confidé .
ration politique.
La guerre actuelle a donné lieu d'examiner
en Angleterre l'origine & la nature
des liaifons politiques qui fe rencontrent
entre cette Puiffance & la Hollande. On
à fait auffi le même examen en Hollande ,
& à quelques obfervations qui fe reffentent
des préjugés Britanniques , on a oppofé celles-
ci .
• "5
Quand les Pays-Bas s'élevèrent fièrement contre
la tyrannie Espagnole , qu'après avoir effayé leurs
forces , ils crurent devoir le déclarer indépendans ,
l'Angleterre leur donna les mêmes fecours qu'elle
reproche actuellement à d'autres Puiffances d'avoir
donné aux Américains . Elle foutint d'abord par
des fecours fecrets , enfuite par une alliance publique
, les rebelles des Pays- Bas contre leur légitime
Souverain. It eft vrai que les Belges fe plaignoient
d'être les objets de la tyrannie des Espagnols ;
mais les Américains ne forment ils pas les mêmes
plaintes à l'égard de la G. B. ? Elle affure que les Américains
ne font pas dans le cas d'oppreffion ; les Elpagnols
affuroient auffi la même choſe à l'égard des Bel
·
( 236 )
mers.
---
ges, Ainfi commencèrent les liaiſons Angloifes avec la
République. Belgique , dont l'indépendance fut re
connue folemnellement à la Trève de 1609 ; enfin
, fans retour & fans restriction , à la Paix de
Munfter , par la feule Puiffance qui pouvoit la lui
contefter. A peine la République des Pays- Bas
Unis commençoit à refpirer , après une guerre de
80 ans , qu'elle trouva fon plus grand ennemi dans
l'Angleterre Depuis 1650 jufqu'en 1674 , ces deux
Etats maritimes furent prefque toujours engagés
dans des guerres ces guerres furent les plus vives
& les plus fanglantes qui jamais ont eu lieu fur les
Ce fut l'ambition de Louis XIV & la
politique de Guillaume III , qui cimentèrent la
nouvelle Union des deux Etats . Guillaume , deventi
Roi de la Grande-Bretagne , en détrônant fon beau.
père , les réunit , pour ainfi dire par l'impulfion
uniforme qu'il donnoit d'un côté en qualité de
Stadhouder. Les deux Etats n'avoient alors que
le même intérêt , l'abaiſſement de la Paiffance
Françoife ; mais ce Prince , plus fublime dans fes
projets , qu'heureux dans l'exécution , prefque toujours
infortuné dans les opérations militaires ,
mourut avant d'avoir atteint au combles de fes
vaux. Les ligues qu'il avoit formées , achevèrent ce
grand ouvrage au - delà de fes efpérances . Et la
Paix d'Utrecht , quoiqu'elle laifsât un Prince de
la Maifon de Bourbon fur le Trône d'Espagne ,
concilia les chofes de façon que la France n'a
plus , dans la fuite , offert à l'Europe la Puiffance
redoutable de Louis XIV . L'Angleterre s'attribue
toute la gloire de ce fuccès quoique fes alliés
n'y aient pas eu moins de part qu'elle , & que le
Prince Eugène ait bien autant fait que le Duc de
Marlboroug. La Paix d'Utrecht eût même été
plus avantageufe , fi l'Angleterre n'avoit été la
première à abandonner fes alliés , Las pofition de
la Grande - Bretagne , relativement à la France ,
femble en faire deux éternelles ennemies. Ce feroit
( 237 )
donc fon intérêt de ménager la Hollande ; mais
les intérêts du commerce , fouvent plus puiffans
que ceux de la politique , n'ont ceffé d'élever des
orages entre deux Nations que bien des motifs
devroient réunir. On dit que s'il étoit poffible
-
de former une Union folide entre l'Angleterre &
la Hollande , ces deux Etats auroient toujours une
influence décidée fur la France. C'eft fans doute
cette fauffe politique qui porta la Hollande à s'engager
dans la guerre de 1740 ; mais qu'en est - il
rétulté ? La Grande - Bretagne fut- elle en état de
défendre fes alliés ? Les François ne forcèrent - ils
pas leurs barrières , ne furent ils pas fur le point
de pénétrer jufques dans le fein de la République,
Cette invafion lui caufa un dommage qui n'eft pas
encore réparé ; & bien loin d'y gagner , les Anglois
y perdirent beauconp ; car pour forcer les
François à quitter le territoire de leurs alliés , ils
furent obligés de leur céder les conquêtes qu'ils
avoient faites fur eux en Amérique. C'est donc une
politique erronée que de fuppofer qu'il y a une
alliance naturelle entre l'Angleterre & la Hollande.
Iladevrait fans doute y avoir une alliance éternelle
entre la Hollande & tous les Etats de l'Univers '
car la guerre eft le plus grand des fléaux pour un
Etat maritime & commerçant. A confidérer les
chofes fans partialité , les Hollandois font auffi intéreflés
à ménager l'alliance de la France , que celle
de l'Angleterre. Il s'élève actuellement une nou
velle Puiffance dans le monde politique. C'est la
tyrannie ou la démence de la Grande-Bretagne qui
lui a donné naiffance : elle fe forme de les débris .
N'eft -ce pas dans l'Angleterre un excès de folie
que de provoquer les plus grandes Puiffances maritimes
de l'Europe ? Ne font - elles pas alors intéreffées
à cimenter l'établiſſement de cette nou̟-
velle Puiffance ? L'Amérique ne devient - elle pas ,
partoutes les circonftauces de la jonction & des
intérêts réciproques , l'allée naturelle des Provinces
Unies ?
,
( 238 )
On apprend de Fleffingue , que le cor
faire François le Sans- Peur , Capitaine
Fall , qui , après avoir foutenu pendant
quelques heures un combat très-vif contre
deux cutters Anglois , s'étoit retiré dans
cette rade , vient de metre en mer pour
continuer fa croiſière .
ERRATA. Les détails que nous avons donnés
dans le Journal du 15 de ce mois de la léance de
la Société Royale de Médecine , du 25 Août , réparent
les omiffions faites dans le compte que nous
avions déja rendu de cette même féance dans le Journal
précédent du 8 du même mois . Il s'y eft gliffé
quelques fautes d'impreffion aifées à corriger. Par
exemple , en parlant de M. Faurot Docteur en
Médecine , on lit : Appellé auprès de plufieurs
perfonnes mordues par un chien enragé , il les
a faignées avec autant de défintéreſſement que de
fuccès ; il faut lire , foignées ."
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du 17 Septembre.
» L'Amirauté a reçu avis de l'un de fes Réfidens
dans le Nord , qu'une quantité confidérable d'artil- .
lerie & d'autres munitions a été embarquée depuis
peu , à bord des vaiſeaux Suédois , Danois & Pruffiens
, ce qui eft contraire aux articles pofitifs de
leurs propres traités , & que ces bâtimens doivent
mettre à la voile fous peu de jours. En conféquence
le Commodore Keith Stewart a reçu ordre de veiller
avec le plus grand foin fur eux s'il les découvre,
de les envoyer dans nos Ports
Hier au foir , un exprès a apporté à l'Amirauté
la nouvelle de l'arrivée de so bâtimens venant
de la Baltique , à la rade de Yarmouth ,
ces vaiffeaux
font fortis du Sund le 4 , & s'étoient féparés
il y a quelques jours des vaiffeaux deſtinés pour
Leith & Hull. Cette flotte compofée de 150 voiles
étoit eſcortée par deux frégates.
( 239 )
Une lettre de Saint-Chriftophe , du 30 Juillet ,"
porte en fubftance que le Général Waughan va
retourner en Angleterre , & que l'Amiral Rodney
fe prépare à fe rendre à une deftination ignorée fur
un feul vaiffeau. Il y eft dit auffi , que 15 vaiffeaux
ont ordre d'aller joindre l'Amiral Digby en Amérique
, & que l'Amiral Hood en prendra le com.
mandement. Le mauvais état de la fanté de l'Amiral
Rodney , fait préfumer qu'il revient en Angleterre.
Le retour de cet Amiral fe confirme de plus en plus,
Il revient dit-on avec le Général Waughan fur la
frégate le Borée.
Le paquebot le Dafchwosd , nous a appris que
la flotte des Ifles a mis à la voile pour l'Angleterre
le premier Août. Cette flotte peut arriver du 25 au
30 Septembre.
dis
Le Général Washington a établi fon quar
tier de Dobbs ferry à Broux à 2 mille de Kingsbridge.
On dit qu'il y attend l'arrivée de l'efcadre de M.
de Graffe pour attaquer New Yorck par terre , tanque
celui- ci en fera autant du côté de la mer. On
affure que 24 pilotes côtiers d'Amérique ont appareillé
de Rhodes-Iſland pour les Ifles Françoifes,
Les dernieres lettres de New - Yorck difent que lè
Chevalier Clinton ne craint rien pour cette place ,
& que fi Washington l'attaque , c'eft pour cacher
quelqu'autre projet. En effet elle eft actuellement fi
bien défendue , qu'il n'y a pas d'apparence qu'on là
puiffe prendre. D'autres affurent que le Général
Clinton eft dans l'intention de préfenter le combat
aux ennemis s'ils approchent trop près de New-
Yorck. On dit qu'il a 18,000 hommes effectifs.
Les partifans les plus déclarés du Miniftre conviennent
que New Yorck eft dans la fituation la plus
critique , & ils tremblent du fort qui femble menacer
cette ville . Les habitans de la Caroline ont prouvé
clairement qu'il faut peu compter fur la foyauté &
fur l'amité des Américains , toutes les fois qu'il
s'offre quelqu'occafion de favorifer les vues du
( 240 )
Congrès ou leur fyftême d'indépendance. Nous
avons tout lieu de mettre la plus grande confiance
dans la vigueur & dans l'activité du brave Rodney .
mais fi le Comte de Graffe & le Général Washington
inveftilent conjointement New - Yorck quelques
jours avant l'arrivée de l'Amiral , comme la chofe
eft très- probable , il ne faudra rien moins que tour
les talens reconnus du Général Clinton pour réfifter
aux efforts réunis d'une attaque par terre & par mer
& aux intrigues fourdes des ennemis prefque publics
du Gouvernement , dans la ville même.
-
Le Fort Stanwix a été certainement évacué ou
détruit par les Rebelles , qui ont abandonné tous
leurs établiffememens fur la partie fupérieure de
la rivière Mohauk. Ces jours derniers , il eft
arrivé ici plufieurs bâtimens de Penſacola. La flotte
partie de cette place pour notre port , & à bord
de laquelle font les troupes & les habitans de Penfacola
, confifte en 15 voiles. Le refte eft attendy
à toute heure. On dit qu'un Officier fubalterne a
été détaché de Penfacola pendant le fiége , avec
un parti pour prendre pofte dans un petit Fort
près de la Nouvelle- Orléans , & que quoiqu'il ait
été attaqué vivement par les Efpagnols , il ne s'é
toit pas encore rendu lors du départ de la flotte.
On écrit de Gorée que le navire le Jofeph &
Mary , Capitaine Anderfon a été brûlé pendant la
nuit par les Naturels , tandis que l'équipage dormoit.
Le navire a été entièrement confumé , &
tous les gens ont péri , à l'exception du Capitaine
& de trois hommes qui fe font fauvés à terre &
qui ont manqué d'être maflacrés avant de pouvoir
gagner le Fort,
Le fieur Keliy a trouvé un fecret pour mettre
le feu à un vailleau à une diſtance donnée. Le
Bureau de l'Artillerie , à qui il a fait part de cette
découverte , n'en a point voulu profiter , par la
railon que les inventions tendantes à la deftruc
tion de l'efpèce humaine , font déja trop nom ,
breuſes,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères