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1781, 02, n. 5-8 (3, 10, 17, 24 février)
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Texte
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES

CONTENANT.
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux les Inventions & Décokvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles
Les Caufes celebres; les Académies de Paris &
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c. canola ori
des
SAMEDI
FEVRIER
1781.
3
Di
ROTAZ
PARI
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
6
sh xing al
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi,
STOR
LIBRA
ARY
TABLE
PIÈCES
Du mois de Janvier 1781 .
IECES FUGITIVES .
Fers à l'Ombre de l'Impé
ratrice- Reine , 3
Epitre d M. le Baron de Grenaut
,
AMde de la Porte ,
Epttre à l'Editeur du Fakir
Couplets chantés à M.
·
Les Amours & la Mort de
76 Didon , Poëme,
Hiftoire Univerfelle des The
tresde toutes les Nations , 78
Hiftoire des Gouvernemens du
Nord , 106
Théâtre de M, Cailhava , 108
La France Illuftre, 116
123
169
& Le Soldat Citoyen,
Etrennésdu Parnaffe ,
Lettres de M, William Coxe,
52
97
103
Mde
....
Retour
de Provence
Avis
aux Peintres
,
Vers fur la Mort
de la Reine
de
Hongrie,
Impromptu
far la Maladie
de
M. Grétry,
145
146
ibid. Vers à M. Préville ,
Trop jufte Menace , d Mille
B ***

Lettre à M. Garat ,
165
Almanach des Muſes . - 168
Opuscules Mathématiques de
M. d'Alembert ,
L'Art du Fabricant de Velours
de Coton,
SPECTACLE S
178
182
39 148 Concert Spirituel ,
AcademieRoy de Mufig. 41
Enigmes & Logogryphes , 9 , Comedie Françoife , 85 , 1279
55 , 104 , 159
NOUVELLES LITTER .
Comédie Italienne , 87 , 129
Variétés,
88 , 184
Lettre d'un Membre du Congrès SCIENCES ET ARTS.
Américain
Flore Françoife ,
Almanach Littéraire
Euvres de M. Bofc
Le Génie Vengè ,
culture ,
Gravures , 189
39 Réponse de M. Carouge des
35
d'Antic ,
Bornes ,
Découvertes,
132
188
58 Gravures , 44 , 94 , 138, 189
67 Annonces Littéraires , 45 , 94 .
Le Grand Euvre de l'Agria na zoraga
l'Agria |-|
194
Tullodens 39.35 meft
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT.
rué de la Harpe , près Saint-Côme,

A
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 3 FÉVRIER 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
། ཀ༽ ?
VERS
SUR L'IMPÉRATRICE.
3
PEUPLES , ceffez les cris qu'une douleur amère
Arrache à vos coeurs abattus ;
3
L'heureux modèle des Vertus ATPO
Ne pouvoit plus long - temps habiter fur la terres
Digne Fille du fang des Dieux ,
Par leur ordre quittant les cieux ,
Elle nous fit jouir de fa chère préſence :
Les Immortels la rappellent vers eux
Et THÉRÈSE échappe à nos vær
Pour aller embellir le lieu de fa naiſland
31617
( Par M. Mayeur. )
x0ỘC KA?
Aij
MERCURE
ÉPITRE à ma Maifon du Chaumineau,
ASYIR
SYLE du repos & de la liberté ,
Séjour ouvert à la Sageffe ,
Toi , dont le nom peint la fimplicité ,
Qu'à ton aſpect je reffens d'allégreffe !
Qu'avec plaifir , à l'abri des revers ,
Et da trouble éternel de tant de fots divers
Dont fourmille l'humaine eſpèce ,
Je vais tracer ton image en ces vers !
Non loin des bords heureux que la Maîne tranquille
Atrofe en ferpentant dans fes profonds canaux ,
Évantard , qui s'élève au milieu des hameaux ,
Placés fur la côte fertile ,
Semble un chêne fuperbe entouré d'arbriffeaux.
De fes vieux bâtimens le gothique affemblage
Prend fous les mains de Graffe ** un air de nouveauté;
Les Arts qu'il y raffemble embelliffent l'ouvrage ,,
Et font de fon féjour un palais enchanté.
Dans les vaftes jardins une habile culture
Porte le germe heureux de la fécondité ,
* Château des Évêques d'Angers , à peu de diſtance de
la Mayenne , qu'on appelle dans l'Anjou , par contraction,
la Maine, *
** M. de Graffe , Évêque d'Angers , a décoré cette
maiſon & celle de l'Évêché dans la ville , des embelliffemens
dont elles étoient fufceptibles.
DE FRANCE.
Et le goût qui traça leur moderne ftructure ;
Semble ajouter à la beauté
Des dons qu'y répand la Nature.
* Un bois , ancien objet des foins de Pelletier ,
Y maintient la fraîcheur , la verdure & l'ombrage.
C'eft delà qu'un étroit fentier
Té fépare , & vers toi me préſente un paſſage.
De ce délicieux féjour
Tu n'as point les beautés ni le vaſte contour;
On ne voit point chez toi de fallons , de portiques ,
De pavillons , de tours , ni de donjons antiques
Ombrager les lieux d'alentour .
Plus refferré dans ton enceinte ,
Plus modelte cent fois dans ta fimple beauté
De l'humble médiocrité
Tu n'offres à mes yeux que la fidelle empreinte,
C'est elle qui traça de fon avare main ,
Sous tes toits élevés fans ordre & fans deffein ,
De tes appartemens l'inégal affemblage ,
Faut-il des palais pour le ſage?
Et n'eft-il ici bas de folide bonheur
Qu'aux lieux où règne la grandeur ?
Évantard , lieu chéri qu'habite mon Mécène ,
* Michel le Pelletier , fils du Miniftre d'État de ce nom ,
Évêque d'Angers , fur la fin du dernier fiécle , & mort dans
les premières années de celui- ci , nommé à l'Évêché
d'Orléans. Évantard lui doit , ainfi que fa Cathédrale &
fon Palais Épifcopal , une partie confidérable de fes
beautés .
A iij
MERCURE
Tu vis plus d'une fois tes Maîtres décorés
De ces noms éclatans , de ces titres facrés
Que donne la pourpre Romaine.
Des droits de leur grandeur l'étalage pompeux
En impofa fans doute , on les croyoit heureur.
Mais fous ce vain éclat qui féduit le vulgaire, ...
Sous les fuperbes toits de ces Grands qu'on révère ,
Pénètrent trop fouvent la crainte & les ennuis
Du bonheur des humains éternels ennemis.
Je l'ai vu ce bonheur, enfant de la fageffe,
Suivré cés Prélats vertueuxva
Qui , fuyant des honneurs l'appareil faftueux ,
Humbles dans la grandeur , pauvres dans la richeffe ,
Dans ces champêtres lieux , afyle de la paix ,
Cachoient leur gloire & leurs bienfaits .
Paix adorable , ô toi dont la douceur charmante
1
De nos coeurs agités modère les tranſports , vacatodi
Daigne prêter l'oreille à mes foibles accords Honorab
Je te vois , tu defcends dans les lieux que je chante.
C'eft-là , que fans éclat, fans fafte , fans defirs ,
Et dans le calme heureux d'une amie droite & pure ,
Du fpectacle de la Nature
Graffe vient fur tes pas amufer les loifirs ;
Et que , loin de la foule & du bruit de la ville ,
Et
light f
Laffé de foins & de travaux,
Il trouve un féjour plus tranquille ,
Qu'iljouir de lui, même & goûte un doax repos.y
Je te revois auffi dans mon humble retraite abo
Tu bannis les foucis de mon amic inquiète,
DE FRANCI
Et m'apprends à chérir ma médiocrité. *
L'ambition n'eſt point le tourment du vrai Sage ;
Content dans fon obfcurité ,
Il fe borne fans peine au modefte partage
Des talens & des biens dont le ciel l'a doté.
Près de toi voltigeant & couvrant de ſes aîtes
Tous les entours de mon réduit ,
L
12
3.00 * 1
>
Sous les traits dont la Fable a peint les immortelles „
J'entends la Liberté qui t'appelle & te fuit.
Avec elle je vois paroître
Un effaim de beaux arts qu'elle-même conduit ;
Mon ame à leur afpect reprend un nouvel être , ?
Et non génie étroit s'étend & s'agrandit.:
Séjour délicieux & retraite enchanterefft ,
Ou tout flatte mes goûts , où tout cède à mes voeux,
Que ta fimple beauté m'attache & m'intéreffe !
Cache-moi dans tes murs aux regards des facheux ;
Sauve- moi de ces traits dontla haine & l'envie $
Y 37 38 Me déchirèrent antrefois , e
Qui troublèrent long-tems les beaux jours de ma vie, D
Et pour moi tu feras le Louvre de nos Rois, olim, bI
-
!
Lu dans la dernière Séance de l'Académie Royale
des Sciences & Belles Lettres Angers ,
M. Rangeard , Archiprêtre , l'un des Trente" "de "
cette Académie.
par
* L'Auteur doit aux bienfaits de M. de Graffe un étas
qui le met aujourd'hui au- deſſus de cette médiocrité. as
A iv
co
MERCURE
HERMINE ET ARRODIAN ,
Anecdote du Règne d'Artus.
LE jeune Arrodian étoit Chevalier de la
Table Ronde . Dès fa plus tendre jeuneffe
la gloire fut le befoin le plus preffant de
fon coeur. Soname de feu n'étoit jamais
affez remplie. Il avoit beau parcourir rapidement
l'Angleterre , vaincre des Géants ,
forcer des Châteaux , délivrer des Belles ;
J'inquiet Guerrier fe plaignoit de n'être pas
affez occupé. L'Amour ne tarde guères à
venir au fecours de ces bouillans défauvrés
.
Un jour qu'il traverfoit la forêt d'Orca,
nie, fameufe par mille détours où les Voyageurs
s'égarent , Arrodian atteignit un Chevalier
qui faifoit la même route que lui ,
mais qui la faifoit plus doucement . Notre
Héros n'alloit fi vite que parce qu'il s'ennuyoit.
Charmé de trouver un compagnon
de voyage , il rallentit fa courfe , & falua
le Chevalier. Celui ci lui rendit fon falut en
détournant fon cheval pour le laiffer paffer.
Arrodian , qui brûloit de lier converfation ,
lui demanda s'il n'alloit pas à la Capitale
d'Orcanie. Non , répondit l'Inconnu . En
fuis-je encore loin , reprit Arrodian ? Oui ,
lui dit le Chevalier ; & l'entretien auroir
fini fi notre Héros n'avoit brûlé de le contiDE
FRANCE.
nuer , précisément parce que l'autre paroilfoit
ne pas s'en foucier. Après mille queftions
inutiles , Arrodian prit le parti de
louer l'Inconnu fur la beauté de fes armes
& de fon cheval. Celui ci le remercia trèsmodeftement
, & fur tout très - laconiquement.
Arrodian étoit au défefpoir ; il 'donnoit
cent coups d'éperon à fon courfier pour
que l'Inconnu lui en demandât au moins la
raifon. Le pauvre cheval faifoit des bonds
inutiles. Le tranquille Voyageur alloit au
pas fans tourner la tête de fon côté. Les deux
Guerriers avoient déjà fait une lieue , qui
avoit plus fatigué Arrodian & fon cheval
que dix journées de route.
Enfin , notre Héros ne put y tenir , &
s'adreffant au taciturne Chevalier d'une voix
très - animée : Seigneur , lui dit - il , la froideur
avec laquelle vous voyagez , prouve
clairement que vous me mépritez. Moi qui
fuis plus poli que vous , je vous eftime trop
pour fouffrir un pareil mépris. Vous ne met
trouvez pas digne de caufer avec vous ; mais
vous me ferez lûrement la grace de rompre
une lance. Je ne puis vous mêprifer , lui
dit l'Inconnu , puifque je ne vous connois
pas ; mais fi votre intention eft de vous battre
, dépêchons-nous , car la nuit vient , &
je veux aller coucher loin d'ici. Je fuis
faché de vous retarder , dit Arrodian ďun
ton piqué ; auffitôt , mettant fa lance en arrêt
, il vole pour prendre du champ , & revient
comme un tonnerre fur le tranquille
A v
10
MERCURE
Inconnu , qui l'attendoit avec intrépidité.
Les lances des deux Guerriers fe brifent ;
leurs cimeterres brillent , & mille coups
redoublés font jaillir le feu de leurs armes.
Arrodian étoit jaloux de la beauté des fiennes.
Sa cuiraffe , de l'acier le plus poli , étoit parfemée
de clous d'argent. Son cafque étoit
furmonté d'un coq d'or qui foutenoit un
panache fuperbe. Ce même coq étoit peint
fur fon bouclier avec ces mots : Guerre &
Amour. Les coups d'épée de l'Inconnu avoient
déjà défiguré le beau cafque d'Arrodian.
Furieux de voir la parure brifée , il abandonne
les rennes de fon cheval , & prenant
fon fabre à deux mains , il le fait tomber
fur la tête de fon ennemi de tout fon poids"
& de toute la fureur. Le coup fut terrible ;
mais il gliffa fur l'acier , & ne brifa
morion. Le cafque fe détache & roule fur
la pouflière. De longs cheveux blonds tombent
fur les épaules du Guerrier défarmé;
de grands yeux bleus , dont les longues pau
pières s'étoient baiffées par la force du coup ,
fe relèvent fur Arrodian , & reprennent la
victoire dont il fe félicitoit déjà . Notre Héros
tremblant laiffe tomber fon épée ; it
tombe lui-même de cheval , & jetant loin
de lui fon cafque , ce Vainqueur interdit
eft à genoux devant celle qu'il venoit de
vaincre..
que le
Arrodian étoit beau , le feu du courage.
qui brilloit dans fes yeux , cette émotion
que lui caufoit & le plaifir d'avoir vaincu
DE FRANCE. Ir
& la crainte d'avoir bleffé , fon attitude , fa
furprife , tout l'embelliffoit encore. La
Guerrière le regarde & rougit. Elle fe preffa
de fourire pour qu'Arrodian ne vit pas fa
rougeur, & lui tendant la main avec grace :
Levez vous , Chevalier , lui dit - elle , vous
êtes vainqueur , c'eft à moi de vous demander
la vie . Hélas! reprit Arredian , je feus
trop que la mienne va dépendre de vous."
Rendez- moi mon cafque , reprit la Guer
rière , & continuons le combat. L'honneur
vous le défend , lui dit notre Héros ; je ferois
feul contre vous & contre l'Amour . En difant '
ces mots , il lui rendit fon cafque , & remon
tant à cheval , ils pourfuivirent leur route!
fans fe parler , mais en perfant tous les deux
que c'étoit la dernière fois qu'ils fe battroient.
Cette belle Guerrière étoit la fille du Roi
de Camelide , la Princeffe Hermine. Aucun
Paladin ne la furpaffoit en courage , aucune
Belle ne l'égaloit en beauté. Son coeur n'avoit
encore rien akné , mais ce coeur fenfible
ne devoit jamais aimer qu'mme fois. ng b
Le beau vifage d'Arrodian , le refpect ,
l'Amour qu'elle avoit lus dans fes yeux occupoient
Hermine. Pour la première fois
elle defira de plaire ; & fous prétexte que
fon on cafque brifé la genoit , elle le pendità
l'arçon de fa felle , pour laiffer voir à l'amou
reux Arrodian fa belle têre & fes beaux che
veux blonds . Notre Héros qui , quelques
inftans auparavant , ne s'étoit bartur avec
elle que pour la faire parler , notte Héros
Avi
12 MERCURE 12
timide , embarraffe , la regarde & baiffe les
yeux ; il ouvre la bouche & la referme.
Mille queftions , mille penfées fe préfentent
en foule; il ne fait par où commencer ; fes
yeux fe promènent fur tous les arbres qui
font du côté d'Hermine , afin de fe repofer
un moment fur elle ; mais dès qu'ils rencontrent
les beaux yeux bleus de l'Héroïne ,
ils defcendent vite fur le chemin . Que ce
chemin parut court à Arrodian , & même
à Hermine ! Le foleil étoit couché depuis
long- temps ; la nuit alloit leur dérober à
tous les deux le plaifir de fe voir , lorsqu'ils
arrivèrent à un fuperbe Château.
>
L'on étoit alors au fort de l'été. Le foleil
avoit brillé fans nuage depuis fon lever. Ce
jour , le plus beau des jours d'Arrodian
avoit été beau pour toute la Nature. Mille
vapeurs que la terre brûlante avoit exhalées ,
s'enflammoient & voltigeoient fur l'horizon.
On entendoit dans le lointain le bruit
fourd de quelques coups de tonnerre ; les
arbres s'agitoient doucement & par degrés
depuis leurs racines jufqu'à leur fommet;
leurs rameaux fe preffant les uns contre les
autres fembloient fe plaindre du fort qui les
menaçoit. Le ciel devenu fombre perdoit à
chaque inftant quelque étoile ; fa voûte
noircie fe fillonnoit de traits enflammés :
tout annonçoit un affreux orage , & nos
Voyageurs n'y penfoient pas.
Un coup de tonnerre leur fit appercevoir
le Château. Arrodin propoſe d'y chercher
DE FRANCE.
13
71
un afyle. Hermine y confentit ; mais le pont
étoit levé, & des foffés larges & profonds en
défendoient l'entrée . Notre Héros fonne du
cor , auflitôt l'on voit paroître au haut d'une
tour & à la clarté du flambeau le plus brillant
, non pas un nain difforme tel que ceux
qui fervoient de Pages aux Seigneurs de ce
temps- là , mais un enfant , le plus beau des
enfans. D'une main il tenoit ce flambeau
dont la clarté étoit fi vive , de l'autre il pottoit
un petit arc. Chevaliers , leur cria - t- il ,
je fuis le Maître de ce Château , & feul je
fuffis pour en défendre l'entrée. C'eft en
vain que le Roi Artus & fes Paladins réunis
voudroient s'en rendre maîtres ; avec cet
arc je viendrois à bout de tous les Chevaliers
de la Table Rönde. Il eft un moyen
cependant , ajouta-t - il en fouriant , de trouver
un afyle chez moi . Deux Amans qui
font à la porte le ferment de s'aimer toujours
, font fürs de devenir mes Hôtes : c'eft
à vous de voir fi vous voulez entrer. A ces
mots Arrodian regarde Hermine , qui , fans
répondre , tourne bride , & reprend au petit
pas le chemin qu'elle vient de parcourir.
Notre Héros remercie l'enfant , & fuit triftement
fa Maitreffe. Cependant le tonnerre
gronde, les nuages répandent des torrens.
La fière Hermine defcend de cheval , s'affied
près d'un arbre , & malgré les éclairs ,
la foudre & la tempête , elle s'endort , ou
fait femblant de dormir. Arrodian debout
près d'elle ne fonge pas à prendre du repos
MERCURE
il regarde triftement ce beau Château où ils
auroient pu trouver un afyle; & fans ofer
murmurer de paffer la nuit dans le bois , il
fonge aux moyens de ramener quelque jour
Hermine frapper à la porte du beau Châ
teau.
Tandis qu'ils fe livroient tous deux à
leurs rêveries , & peut - être aux mêmes
penfées , le bruit d'un cor fe fait entendre.
Hermine eft à l'inftant fur pied ; ils regardent
, ils voient à la lueur des éclairs un
Chevalier qui fonnoit de toute fa force.
Bientôt le même enfant paroît fur la tour
& dit au Chevalier les mêmes chofes qu'il
avoit dites à Arrodian. Ouvrez, ouvrez,
répond une voix , c'étoit une jeune Dame
que le Paladin avoit en croupe. Ouvrez .
bien vire ; je fuis Yfeult : voici mon cher
Triſtan ; nous jurons de vivre à jamais l'un
pour l'autre. Sur- le-champ les flèches du
pont s'abattent , Triftan & Yfeult paffent ,
& le pont fe relève. Arrodian , retombé dans
la nuit , foupire. Hermine n'ofe foupirer ;
elle fe raffeoit au pied de fon arbre , & la
pluie tombe plus forte que jamais. Nos
deux Amans attendoient le jour en filence ;
il arriva enfin & la pluie ceffa. A peine
l'aurore avoit teint l'horizon , qu'Hermine
étoit à cheval, & Arrodian lafuivoit.Come
ils paffoient devant le Château , l'heureux
Triſtan, avec fa tendre Yfeult en croupe ,
en fortoit pour continuer fa route. Ces
deux Amans , tous deux à la fleur de l'âge,
EFRANCE i
beaux, frais & charmés du gite qu'ils avoient
trouvé , faluèrent en fouriant Hermine &
Arrodian , qui , tout mouillés , pâles &
défaits pour n'avoir pu prendre de repos, leur
rendirent gravement leur falut. Je me re
proche , dit Hermine , qui n'avoit pas ent
core parlé , de n'avoir pas employé la force
pour obtenir un afyle dans ce Château . Si
nous y revenons , reprit Arrodian , je vous
promers de ne rien épargner pour vous y
faire entrer. En effet , le Guerrier ne s'oc
cupoit que de ramener Hermine à ce Châ
teau , mais il craignoit de n'en plus retrou
ver le chemin ; les détours de la forêt d'Orcanie
en faifoient prefque un labyrinthe
Arrodian eût voulu pouvoir femer fur les
chemins quelque chofe de reconnoiffable
pour lui feul ; mais un Chevalier qui n'a
que les armes n'a rien à laiffer fur les che- 1
mins . L'Amour lui infpira une idée qui
penfa lui coûter bien cher.edia prog
Il imagina de déviffer toutes les vis d'argent
qui tenoient les pièces de fon armure.
A mesure qu'il les ôtoit , il les femoit fur
la route. Herimine ne s'en appercevoit pas ,
& voulant rompre un filence qui la gênoir,
elle lui demanda fon Hiftoire. Arrodian lat
lui raconta avec cette fenfibilité & re
charme que les Amans mettent aux récits
qu'ils font à leur Belle. Il parla peu de fest
exploits , point du tout des Maitrelles qu'il
avoit eues , & beaucoup du bonheur d'avoir
rencontré Hermine.
1
16
MERCURE
Cette belle Guerrière lui apprit à fon tour
& fa naiffance & la raifon qui l'obligeoit
de mener une vie errante. Elle avoit quitté
la Cour du Roi fon père , pour le dérober
aux pourfuites d'un Chevalier fameux par
fa férocité. Le redoutable Sacremor , fier
d'une taille gigantefque & d'une force peu
commune , avoir ofé demander Hermine à
fon père. Celui- ci , trop timide pour refufer
Sacremor , la lui avoit promife ; & la
jeune Princeffe , n'écoutant que fon courage
& fon avertion pour le barbare , fuyoit'
de tous les lieux où elle pouvoit rencontrer
Sacremor.
Le récit de la belle Guerrière enflammoit
de plus en plus Arrodian. Quand on
commence d'aimer , on tremble fi fort que
le coeur qu'on veut conquérir ne foit à
quelqu'un ! On demande en tremblant tout
ce qui peut éclairer fur ce doute ; & le
doute éclairci , notre amour & notre bonheur
font doublés. Arrodian écoutoit Hermine
avec tranfport. Hermine fe plaifoit à
lui redire les mêmes chofes ; & n'ofant
avouer qu'elle l'aimoit , elle s'en dédommageoit
en répétant qu'elle déteftoit Sacremor.
Pendant cette douce converfation ,
notre Paladin avoit achevé de défaire toutes
les vis de fon armure ; les braffars , fa cuiraffe
ne tiennent plus à rien ; mais que lui
importe ? il ne voit , il ne penfe qu'à Hermine
, il n'eft occupé que de la mener au
beau Château .
DE FRANCE. 17
"1
Comme ils tournoient une route , ils
vitent venir de loin un Chevalier monté fur
un fuperbe courfier. Ce Chevalier ne les
eut pas plutôt apperçus , qu'il vola au grand
galop vers eux. Hermine le regarde , & jette
un cri ; c'eſt Sacremor , dit - elle , & Arrodian
a déjà l'épée à la main. Deux rivaux fe
reconnoiffent fans s'être jamais vus . Le farouche
Sacremor lance un coup- d'oeil rertible
à Hermine , & vient l'épée haute fut
Arrodian ; il frappe , il eft frappé : le coup
d'Arrodian fair chanceler Sacremor ; mais
fes armes réfiftent ; celles d'Arrodian au
contraire ne tiennent à rien ; il en a ôté luimême
les vis : l'épée du barbare les ouvre
fans réfiftance , & fa pointe cruelle fait une
bleffure épouvantable à la poitrine du témé
raire Amant. Il tombe baigné dans fon fang ;
fes yeux mourans fe tournent vers Her
mine , mais ce n'eft pas pour demander vengeance
, ils femblent ne demander que de
l'amour. Le feroce vainqueur l'infulte : Foible
rival , lui dit- il , tu comptois fur le cou
rage de ta Belle , tu t'es cru difpenfé de la
favoir défendre : meurs , mais avant de mourir
vois là paffer dans mes bras . En difant
ces mots il defcend de cheval , & s'avance
vers Hermine. Le défefpoir , l'amour , la
rage étoient dans les yeux & dans le coeur
de la Guerrière ; n'approche pas , lui cria telle
, & défends - toi . Elle s'élance à terre ,
& fait tomber mille coups d'épée fur fa cri
nière. Celui-ci les pare , & craint de les renMERCURE
?
-T
2
dre à la belle Hermine ; mais la belle Herfow
mine n'étoit plus une femme , c'étoit Mars
en fureur qui veut brifer tout ce qui s'op
pofe à fa rage. Les armes de Sacremor volent
par éclats; fon fang rougit fa cuiraffe ; il ne
fait encore s'il doit fuir devant la Guerrière
ou la traiter en ennemi : à la fin la douleur
& la néceffité l'emportent. Sacremor n'é
coute plus rien ; il attaque à fon tour Her
mine ; il lui rend tous les coups qu'il en reçoit,
& les deux champions femblent acharnés
à ne ceffer de combattre qu'en ceffant
de vivre.
J
Enfin , la juftice & l'amour l'emportèrent.
Sacremor déjà étourdi par le coup
d'Arrodian & par ceux d'Hermine , ne peut
plus réfifter à cette vaillante Amazone . Il
chancelle au moment où elle alloit chanceler.
Hermine le voit , & fes forces redou
blent ; elle le preffe , il tombe à genoux , ili
demande grace : non traître , répond - elle,
en hui plongeant fon épée dans le fein. Elle
court vers Arrodian. Arrodian étoit fans
connoiffance ; elle fe met à genoux près de
lui , fes larmes tombent fur fa bleffure , &
ce baume divin ne la guérit pas. Le malheu
reux Atrodian , les yeux fermés , la bouche.p
à demi ouverte , ne refpire preſque plus ;
fon fang s'écoule à gros bouillons . Hermine .
l'arrête , l'étanche ; elle déchire les voiles .>>
qui la couvroient fous fes armes pour ban- 1
der la plaie de fon Amant ; elle foulève fa
ête, elle met fa main fur fon coeur pour
7
DE FRANCE 19 f
1
769
0
voir s'il palpitoit encore : rien ne la raffare :
elle craint qu'Arrodian n'ait rendu le der
nier foupir ; elle approche fa bouche de la
fienne, & en voulant s'affurer s'il ne refpiroit
plus , fes lèvres touchent celles du
moribond. Heureux Arrodian , ce fut ceck
qui vous fauva : tout ce qui vous reftoit de
fentiment le réveilla pour ce bailer. Arro
dian ouvre les yeux. Hermine tranſportée
court lui chercher de l'eau ; elle lui en
fait boire dans fon cafque : mon ami , lui
dit-elle , vivez pour moi , pour mon bonheur.
Ces paroles le raniment ; il regarde h
Hermine , il preffe fa main ; fes yeux luis
difent ce que fa bouche ne peut encore s
prononcer. Hermine veut le quitter pour
aller chercher du fecours , afin de le porter
au plus prochain Village. Non , non , s'écrie
Arrodián , qui raffemble alors toutes les
forces pour lui parler : non , retournons plud
tot au Château de cet enfant. Hermine enb
rougiffant craint de ne pouvoir en retrou
ver le chemin. Hélas ! lui dit le bleffé , les
clous brillans de mes armes vous guideront;
je les ai femés fur la route pour pouvoir
vous y reconduire ; je n'efpérois pas
que ce fût fi - tôt. Hermine attendrie comprit
alors la caufe de fa rompre defaite , &
crut payer une dette en retournant au Château
de l'Amour. Elle coupa fur- le - champ
plufieurs branches , dont elle fit un brancard
; elle l'attacha au cheval d'Arrodian &
à celui de Sacremor , & pofant deſſus le
1:
20 MERCURE
malheureux bleffé , elle conduifit ce convoi ,
fi cher à fon coeur , `en fuivant la trace des
clous d'argent.
I
A peine fut-elle arrivée , que l'enfant parut
fur la tour. Hermine ne lui donne pas le
temps de parler : ouvrez , dit- elle , nous
nous aimons pour toujours. Au mot toujours
les portes s'ouvrent le coeur du pauvre
Arrodian palpitoit en paffant fur le pont."
Les foins que l'on prit de lui dans le Châtean,
& ceux que lui prodiguoit Hermine lai
rendirent bientôt la fanté. Après un mois de
convalefcence , ils remercièrent le bel enfant
, & coururent à la Cour du père d'Hermine
, qui les unit l'un à l'autre.
(Par M. le Ch. de Fl.... , Capitaine de Dragons. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft les Sens ;
celui
du Logogryphe eft Bille , où se trouvent
ble , bile , Bill, Ifle.
ÉNIGM E.
Tous les tréfors que je poſsède ,
Je les tiens d'un fein paternel ;
Je fuis d'un fi doux naturel ,
Qu'il n'eft rien à quoi je ne cède.
C'eft toujours pour garder le lit
Que je prends mon plus bel habit.
DE FRANCE
Dans toute cervelle agitée
Je porte un calme afſoupiſſant ;
Et , comme le Devin Protée ,
On me confulte en me preffant.
(Par Mde de Clainville , unjour de pluie. )
LOGOGRYPH E.
Le gros animal que je fais !
Je veux offrir un doute à la raiſon humaine ,
Et je dis bêtement , qu'un de mes pieds démis ,
Chacun alors peut m'avaler fans peine.
(Par M. Dulaurens , Avocat au Parlement. }
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES Annales de la Vertu , ou Cours
d'Hiftoire à l'ufage des jeunes Perfonnes
par l'Auteur du Théâtre d'Education . A
Paris , chez Lambert & Baudouin , Impr.
Libraires , rue de la Harpe , au - deffus de
S. Côme. 2 vol. in- 8 ° . de plus de 500 pag.
Tous
ous ceux à qui ce titre rappellera les
charmantes Comédies de Mde la Comteffe
de G ***
avoueront que l'illuftre Auteur
dont l'imagination
fenfible a tracé des rableaux
fi parfaits de la vertu, avoit droit d'en
MERCURE
LA
raffembler les Annales , & qu'il y a même
quelque mérite , après en avoir été le Peintre
, à n'en vouloir être que l'Hiftorien. En
effet , pour bien juger ce nouvel Ouvrage,
il faut voir dans quel efprit il a été compofé.
5. Un recueil de cette nature , où néceffairement
tout eft d'emprunt , ne peut être regardé
comme l'effort du talent qui crée ,
mais comme le travail d'un bon eſprit qui
veut être utile. L'Auteur , qui pourſuit fon
plan général d'Éducation , a cru que , dans
la partie de fon fyftême qui concerne l'Hifhartoire
, il importoit de fixer principalement
l'attention des jeunes Élèves fur les plus
beaux exemples de vertu & d'héroïſme dont
les Peuples anciens & modernes peuvent fe
glorifier. Il eſt bien vrai que les Annales de
la Vertu ne peuvent pas être abſolument
féparées de celles du crime. Comme elle
ne brille que dans les épreuves & des dangers
, le tyran doit être fouvent à côté du
héros , & l'oppreffeur à côté de la victime.
L'Auteur n'a pas prétendu non plus laiffer
Signorer à fes Élèves que les hommes étoient
méchans ; mais en mettant , pour ainsi dire,
les perfonnages odieux dans l'ombre , &
préfentant dans le plus grand jour tout ce
qui eft digne d'admiration , elle a trouvé un
moyen très-louable de rendre les images de
la vertu familières à la première jeaneffe ,
fi fufceptible d'en recevoir les impreffions.
Elle a cru que l'on acquéroit toujours allez
830 côt une idéesjufte & complete de la per-
IA
DE FRANCE.
verfité humaine , mais que c'étoit violer en
quelque forte la pureté du premier âge
que de fouiller une imagination encore
tendre , de toutes les horreurs & de toutes
les atrocités qui rendent fouvent l'Hiftoire
fi dégoûtante; qu'il y avoit un avantage
certain à ne montrer le vice à la jeuneſſe
que dans l'éloignement , & le crime que
comme une eſpèce de monftruofité ; & à mettre
au contraire les vertus comme à ſa por
tée , à en renouveler fans ceffe les modèles,
de manière à lui perfuader que le bien eft naturel
au coeur de l'homme, & que le mal
lui eſt étranger.
L'Auteur rend compte elle- même de fes
vues , & donne ainfi le plan de fon Ouvrage
dans fa Préface » Il contient le détail des
belles actions & des traits finguliers &
mémorables tirés de l'Hiftoire générale &
particulière de tous les Peuples de la
terre , depuis la création du Monde jul
qu'à nos jours inclufivement , fuivant un
ordre chronologique , & renferme encore
un Précis des plus belles loix des différens
Législateurs , un Extrait de la Me-
" rale & des fentimens des Philofophes les
plus célèbres , & un Abrégé des moeurs &
Aucoutumes des Anciens.... Pour Fensh
#treprendre , il falloit les Extraits de douze
Stomans de lecture. On a lu toutes les Hif ST
14
#
toires générales & particulières , toutes
les Traductions des Auteurs Grecs & Lating,
les Hiftoriens Anglois, & Italiens
24
MERCURE
?
"
dans les originaux , & plufieurs 'Dictionnaires......
L'Ouvrage eft entièrement
achevé en manufcrit . On a cité avec foin
» tous les Auteurs dans lefquels on a puifé.
Le dernier Volume * contiendra une no-
» tice de tous ces Auteurs , tant anciens que
» modernes , avec un Abrégé de leur hif-
» toire , & un jugement fur leurs Ouvrages,
» tiré des meilleurs Critiques qui en aient
" fait mention , L'Auteur ne s'eft jamais
permis d'altérer ou d'embellir les traits
rapportés ; quelquefois elle étend ou ref
» ferre les récits , fans rien changer aux détails
; mais elle les écrit à fa manière , afin
» de conferver l'uniformité du ftyle. »
"
"
On fent bien que les Abrégés Chronologiques
de l'Hiftoire de chaque Peuple ne
contiennent ici que les époques & les dates
des faits principaux . Cette partie de l'Ouvrage,
plus faite même pour être confultée
que pour être lue , a l'avantage de difpenfer
les jeunes Élèves de la lecture , d'une
foule de Livres , réfervés à un autre rems ,
& particulièrement aux perfonnes qui veulent
faire une étude approfondie de l'Hif
toire. Ici l'Hiftoire n'eft proprement qu'un
Cours de Morale en action. On y trouve ce
que l'on doit y chercher , de la clarté , de
la précifion , de l'élégance , des réflexions
courtes & judicieufes , des notes inftruc-
Il n'en paroît encore que les deux premiers,
L'Ouvrage entier en aura fix.
aves
DE FRANCE. 25
tives , & dans la peinture des caractères , &
dans les réfumés des faits , ces traits énergiques
& rapides qui n'appartiennent qu'aux
excellens efprits & aux meilleurs Écrivains.
Qu'on en juge , entre autres exemples , par
ce portrait d'Augufte : » Dès l'inftant que
» fon autorité fut affermie , il fe conduifit
» avec autant de fageffe que de prudence.
» Sans les horreurs du Triumvirat , on
» pourroit lui pardonner fon ufurpation
puifqu'il fit le bonheur des Peuples qu'il
foumit ; mais il ne devint jufte que pour
» mieux affermir fon pouvoir. Quand il
» crut la cruauté néceffaire à fes deffeins ,
il s'y livra fans fcrupule. Depuis, il ne parut
» humain que pour fon intérêt , & fut
» affez malheureux pour ne connoître de
» la vertu que ce qu'elle a d'utile. » Il
feroit difficile de penfer & de s'exprimer
mieux en moins de mots.
"
"3
"3
"
L'Anteur réfute en quelques endroits les
opinions de quelques uns de nos plus cé
lèbres Écrivains , tels que Montefquieu
Rouffeau , Diderot ; le premier , fur Alexandre-
le-Grand , le fecond , fur le Czar Pierre,
le dernier, fur l'apologie de Sénèque. En les
combattant , elle leur . paie le jufte tribut
d'admiration qui leur eft dû , & réunit , à
ce qu'il nous a paru , le double avantage.
d'être jufte à leur égard , & d'avoir raiſon
contre eux. Cependant , on peut obſerver,
pour ce qui regarde Alexandre , que fi
Montefquieu a été trop indulgent envers
Dam. 3 Février 1781 .
B
26
MERCURE
lui , l'Auteur des Annales a peut- être été
trop févère. La même obfervation peut
avoir lieu fur l'article de Julien . Il paroît
que Voltaire a trop diffimulé fes fautes , &
que Mde de G ***. , dans les notes où elle
combat le fentiment de ce grand Écrivain ,
n'a pas rendu affez de juftice aux qualités
éminentes de cet Empereur. En général
quand il eft queftion de la Philofophie ancienne
& moderné , quoique l'Auteur foit
fort éloignée des déclamations fi fouvent
employées à ce fujet , elle femble l'envifager
plutôt par l'abus qu'on en a fait , que par
le bien dont l'humanité lui eft redevable. Il
feroit inutile de relever les obligations que
nous avons à la Philofophie moderne : ce
feul nom eft devenu un fignal de guerre ,
& ce n'eft pas ici le champ du combat ; mais
nous prierons l'illuftre Auteur des Annales ,
avec tout le refpect qu'on lui doit à tant
d'egards , de fe rappeler que la Philofophie
Stoïcienne , qu'elle traite quelquefois un
peu durement , a donné au monde les Antonins,
& quatre- vingt ans de bonheur.
Nous ajouterons qu'à l'article d'Epictète ,
elle a été trompée par des Traductions infidelles.
Elle reproche à ce Philofophe d'avoir
dit : Il faut plutôt fouffrir que votre
fils devienne méchant , que de vous rendre
malheureux, » Nous ne connoiffons
pas la verfion qu'elle a fuivie , mais l'Original
porte : Il vaut mieux avoir un méchant
Efclave , que d'être vous - même
"3
29
"
DE FRANCE. I
27
" malheureux. Ce qui eft prodigieufement
différent.Il eft vrai que communément le mot
Grec de peut fignifier ou fils , ou efclave ,
felon les circonftances où il eft place, comme
en Latin le mot puer a auffi également ces
deux acceptions. Mais il feroit facile de démontrer
que , dans l'endroit cité , waida ne
peut fignifier qu'efclave. Pour le prouver ,
il faudroit rapporter une page ou deux du
texte Grec , fuivre la chaîne des principes ,
& faire une efpèce de differtation , dont
nous prions le Lecteur de nous difpenfer.
Ceux qui font à portée d'en juger , peuvent
confulter le Manuel d'Epictete ; & fi l'occafion
le préfentoit ailleurs de difcuter
cette question , nous ofons affirmer que no.
the opinion peut être portée à un degré
d'évidence auquel il feroit difficile de réfifter.
Quoi qu'il en foit , fi l'on peut être quelquefois
d'un avis différent de l'Auteur des
Annales , on ne peut du moins s'empêcher
de reconnoître que , malgré quelques négligences
& quelques inexactitudes inévi-,
tables dans un fi long travail , ce travail
même eft très- eftimable par fon objet , &
par la manière dont cet objet eft rempli ;
que l'on doit favoir d'autant plus de gré à
l'Auteur de faire de fon tems un emploi fi
laborieux & fi utile , qu'il eft plus rare
que les perfonnes de fon fexe , de fon âge
& de fon rang , faffent un femblable ufage
de leurs momens ; & que ce mérite eft

1
1
Bij
28. MERCURE
2-4
d'autant plus grand dans Mde la Comteffe .
de G ***. , qu'après avoir prouvé un talent
enchanteur pour les Ouvrages d'imagination
, elle a réfifté à la féduction de ce même
talent , pour fe confacrer à des objets d'étude
beaucoup moins flatteurs pour l'amourpropre
, & dont la feule récompenfe , ou
du moins la plus sûre , eft le plaifir d'être .
utile.
-Si l'on ne favoit pas déjà combien Mde
de G ***. eft faite pour réuffir dans tous
les genres d'écrire qui demandent de l'ima- .
gination & de la fenfibilité , il fuffiroit de
lire dans fes Annales l'hiftoire d'Éponine &
de Sabinus. Nous n'avons pu nous défendre
de tranfcrire ce morceau charmant , dont
le fond eft du plus grand intérêt , & que ,
l'Auteur a embelli de toutes les grâces de
fon ftyle. Ce qu'il y a de plus remarquable ,
c'eft qu'elle a cru devoir s'excufer , dans une
note , de s'être permis cette feule fois des
: détails & des développemens qui femblent
tenir plus de l'illufion d'un Roman , ou de
l'effet d'un Drame , que de la gravité de
l'Hiftoire. Le pathétique du fujet étoit fans
doute une excufe fuffifante : mais telle eft
l'opinion févère de l'Auteur fur le ftyle convenable
à chaque genre , lorfque tant de
prétendus Légiflateurs affectent de n'en
plus diftinguer aucun.
" Sabinus étoit un Romain qui, durant les
Guerres Civiles , s'engagea dans un parti contraire
à celui de Vefpafien,&prétendit même
DE FRANCE. 29
à l'Empire. Mais quand la puiffance de Velpafien
fut bien établie , Sabinus ne s'occupa
que des moyens qui pouvoient le fouftraire
aux perfécutions , & en imagina un auffi
-bizarre que nouveau . Il poffédoit de vaftes
fouterrains , inconnus à tout le monde , &
il réfolut de s'y cacher ; cette lugubre retraite
l'affranchiffoit du moins de l'infupportable
crainte des fupplices , & d'une
mort ignominieufe , & il y portoit l'espoir
qué peut être quelque nouvelle révolution
lui donneroit la poffibilité de reparoître
dans le monde. Mais parmi tant de facrifices
, que fa fituation le forçoit de faire ,
'il en étoit un fur-tout qui déchiroit fon
coeur; il avoit une femme , jeune , belle ,
fenfible & vertueufe ; il falloit la perdre ,
& lui dire un éternel adieu , ou lui propofer
de s'enfevelir à jamais dans une fombre
prifon , & renoncer à la liberté , à la
fociété , à la clarté du jour. Sabinus connoiffoit
la tendreffe & la grandeur d'ame
d'Éponine , cette époufe fi chère : il étoit
sûr qu'elle confentiroit avec transport à le
fuivre, & à ne vivre que pour lui ; mais il
craignit pour elle les regrets , qui trop fou
vent fuccèdent à l'enthoufiafme , & dont la
vertu même ne garantit pas toujours ; enfin
, il eut affez de générofité pour ne vouloir
pas abufer de celle d'Eponine ou ,
pour mieux dire , il n'avoit qu'une idée imparfaite
de la manière dont une femme
peut aimer. Il ne mit dans fa confidence
Biij
+3.0 MERCURE
que deux Affranchis qui le fuivirent. Il affemble
fes Efclaves , leur perfuade qu'il eſt
décidé à fe donner la mort : il les récompenfe
, les congédie , brûle fa maiſon , &
le fauve enfuite dans fes fouterrains avec
fes deux fidèles Affranchis. Perfonne ne
douta de fa mort. Eponine étoit abfente ;
mais bientôt cette fauffe nouvelle parvint
jufqu'à elle , & l'abufa comme tout le
monde ; elle réfolut de ne point furvivre
à Sabinus ; comme elle étoit obfervée &
gardée avec foin par fes parens & fes amis,
elle choisit à regret le genre de mort le plus
lent , & refufa conftamment toute espèce
de nourriture. Cependant les Affranchis de
Sabinus , qui , tour-à-tour , fortoient chaque
foir du fouterrain pour aller chercher les
alimens , s'informèrent , par ordre de leur
maître , de la fituation d'Eponine , & ap
prirent qu'elle touchoit prefque aux derniers
momens de fa vie : ce rapport fit connoître
à Sabinus que lorfqu'il s'étoit cru
généreux , il n'avoit été qu'ingrat . Accablé
d'inquiétude , pénétré de reconnoiffance ,
il envoie fur le champ un de fes Affranchis
inftruire Eponine de fon fecret & du lieu
de fa retraite. Pendant que cette commitfion
s'exécutoit , quelles dûrent être les
craintes & l'impatience de Sabinus ? Son
Mellager trouvera-t-il Eponine vivante ? . Și
certe tendre épouſe refpire encore ,
la nouvelle
qu'on lui porte ne lui caufera - t - elle
pas une révolution funefte ? Sabinus , après
}
DE FRANCE.
31
1
avoir conduit Eponine fur le bord de fa
tombe , va- t - il , par fa fatale imprudence ,
l'y précipiter , & devenir l'affaffin du feul
objet qui puiffe l'attacher à la vie ? .... Voilà
donc le prix qu'elle recevra pour tant d'amour
& de fidélité ! ..... Mais tandis que le
malheureux Sabinus s'abandonne ainfi à ces
déchirantes réflexions , le ciel lui prépare
un moment de bonheur fait pour dédommager
d'une vie entière de fouffrances.
Avant la fin du jour , Eponine elle - même
doit paroître dans ce lugubre fouterrain ,
qui retentit fi triftement des gémiffemens
de Sabinus ..... Ce lieu d'horreur & de ténè
bres , déformais habité par la vertu la plus
pure , va devenir le temple augufte de la
fainte fidélité , & l'afyle heureux du bonheur.
Comment s'empêcher de regretter
que les Hiftoriens ne nous aient pas tranfmis
le détail touchant de la première entrevue
d'Éponine & de fon époux , lorfqu'elle
parut tout- à - coup à fes yeux , pâle , trem
blante , arrachée au trépas par trépas par le feul defir
de vivre dans un cachot avec ce qu'elle
aime ; & l'inftant où , fe jetant dans les bras
de Sabinus , elle lui dit fans doute : » Je
viens adoucir ton fort en le partageant ;
je viens reprendre les droits facrés &
d'époufe & d'amie ; je viens enfin te con-
» facrer la vie que tu m'as rendue. » Quelle
admiration , quelle reconnoiffance dut
éprouver Sabinus ! Comme dans un moment
tout eft changé autour de lui ! Quel
"
و ر
"
B iy
32
MERCURE
charme répand Éponine fur chaque objet
qui l'environne ! Cette vafte caverne n'offre
plus rien de trifte aux yeux de Sabinus ; cependant
, en fongeant que c'eft déformais.
la demeure d'Éponine , il foupire.... Hélas !
il ne peut offrir qu'une affreufe prifon à
celle qui feroit digne de régner dans un
Palais.
Éponine & Sabinus concertèrent enſemble
les mesures qu'ils devoient prendre pour
leur sûreté commune ; il étoit impoffible
qu'Eponine difparût entièrement du monde,
fans s'expofer à des recherches dangereufes;
d'ailleurs , en renonçant pour toujours à fa
famille & à fes amis , elle s'ôtoit les moyens
de fervir Sabinus fi l'occafion s'en préfentoit.
Il fut donc décidé qu'elle ne viendroit
dans le fouterrain que la nuit. Mais fa maifon
en étoit éloignée ; il falloit faire cinq
licues à pied; comment fupporteroit-elle
cette fatigue ? Comment une femme timide
& délicate , élevée dans le luxe & la molleffe
, oferoit- elle , fi belle & fi jeune , s'expofer
, fous la garde d'un feul Affranchi ,
à tous les dangers d'un voyage nocturne &
pénible , qui devoit fe renouveler fi fouvent
? Comment enfin auroit - elle affez de
difcrétion & de prudence pour dérober à
tous les yeux & fes démarches & fon fecret
?..... Comment ? Elle aimoit. Elle pou
voit fe paffer d'expérience , de force & de
courage ; elle étoit guidée par les deux plus
grands mobiles des actions extraordinaires
DE FRANCE. 33

l'amour & la vertu , fi rarement réunis ,
mais fi puiffans lorfqu'ils fe trouvent enfemble.
Eponine en effet tint avec exactitude
tous les engagemens que fon coeur lui
avoit fait prendre ; elle venoit régulièrement
chaque foir au fouterrain , & fouvent
elle y paffoit plufieurs jours de fuite ,
ayant fu prendre les précautions néceffaires
pour que fon abfence ne donnât aucun
foupçon. La vie fauvage & retirée qu'elle
menoit dans le monde , la douleur qu'on
lui fuppofoit , lui procuroient la facilité do
dérober fes démarches au Public , & d'échapper
aux obfervations des gens curieux
& défoeuvrés. Pour aller voir fon époux
elle triomphoit de tous les obftacles ; ni les
rigueurs de l'hiver , ni le froid , ni la pluie
ne pouvoient l'arrêter ou la retarder. Quel
fpectacle pour Sabinus , lorſqu'il la voyoit
arriver tremblante , hors d'haleine , pouvant
à peine fe foutenir fur fes pieds délicats &
meurtris , & tâchant cependant , par un
doux fourire , de diffimuler fa laffitude &
fa fouffrance , ou , pour mieux dire , les
oubliant auprès de lui ..... Mais un
nouvel événement doit rendre encore Éponine
plus chère , s'il eft poffible , à Sabinus
; elle va bientôt devenir mère , &
donner le jour à deux jumeaux ...... Quelle
nouvelle fource de bonheur pour elle , mais
en même tems de crainte & d'inquiétude !...
A quels embarras vont la livrer l'obligation
de cacher fon état à tout ce qui l'entoure ,
*
Bv
3.4
MERCURE
C
·
&l'impoffibilité d'avoir les fecours dont une
femme, dans fa fituation , peut fi difficilement
fe paffer !..... Mais , avec un coeur fi
fidèle & fi paflionné , Éponine eft - elle une
femme ordinaire ? Eft-il une épreuve audeffus
de les forces , & qui puiffe la décourager
ou l'abattre ?..... Non ; elle faura
dérober la connoiffance de fon important
fecret à fes domeftiques, à fa famille , à fes
amis : pourroit- elle manquer d'expédiens &
de prudence ? Il s'agit de conferver fon
honneur , fa réputation , ou la vie de Sabinus.
Elle faura triompher de la douleur
même , & la fupporter fans fe plaindre. Abfente
de Sabinus , & tout à - coup atteinte
d'un mal aufli nouveau pour elle que violent
, elle s'enferme , invoque , au défaut
des fecours humains , l'affiftance du ciel ,
répète mille fois le nom de Sabinus , & le
réfigne à fen fort avec autant de patience
que de courage. C'eft ainsi qu'elle devine
mère de deux enfans , dont l'existence , fi
chère la dédommage & la récompenfe de
tout ce qu'elle a fouffert. Auffi ter que la
nuit eft venue , Éponine prenant fes enfans
dans fes bras , s'échappe de fa maiſon , & ,
chargée de ce précieux fardean , elle arrive
au fouterrain. Qui pourroit peindre le profond
attendriffement , les tranfports & la
joie de Sabinus , en apprenant d'Eponine
qu'il eft père , & en recevant à la fois dans
fes bras & fon époufe & les enfans ! .... Ces
enfans , gages touchans de la tendrelle la
DE FRANCE.
35
plus parfaite & la plus pure , condamnés ,
dès leur naiffance , à vivre & à croître dans
une prifon ! ..... cruelle pentée ! faite pour
empoifonner le bonheur de Sabinus , qui ,
fans doute , en les embrallant , dut fe dire :
» Infortunés enfans , hélas ! quand pourrez-
» vous jouir de la lumière & de la liberté ! ....
Mais Eponine est votre mère; vous ferez
cheris
par elle ; ah ! vous ne vous plain-
» drez point de votre deſtinée, »
"
"
Les deux enfans d'Eponine furent élevés
dans le fouterrain , & n'en fortirent jamais
durant l'efpace de neuf ans que Sabinus y
refta caché. Loin que le tems eût diminué
l'alliduité d'Eponine , il ne fit que rendre
plus fréquens fes voyages au fouterrain ;
elle y trouvoit fon epoux , fes enfans : devenue
étrangère au monde & à la fociété ,
l'univers & le bonheur n'exiftoient pour
elle qu'au fond de la caverne de Sabinus.
Cependant fes abfences devenant chaque
jour plus multipliées & plus longues , donpèrent
enfin des foupçons , & l'excès de la
fécurité acheva de la perdre. Elle fut obfervée,
fuivie, & l'infortuné Sabinus découvert.
Des foldats envoyés par l'Empereur , vien-
, nent l'arracher de fon fouterrain , & ne
conçoivent pas , en voyant cette affreufe demeure
, qu'on puiffe la regretter , & verfer
des pleurs en la quittant. Dans cette extré
mite , Eponine , ne démentant ni fi vertu ,
ni le courage dont elle avoit donné tant de
preuves, fe rend au Palais de l'Empereur
t

B vj
36
MERCURE
fuivie de fes deux jeunes enfans ; on fe préci
pite en foule fur fon paffage ; chacun veut la
voir & l'applaudir ; tout le Palais retentit
des acclamations qu'elle excite , & c'eſt ainfi
qu'on vit du moins la vertu malheureuſe
obtenir le tribut d'éloges qu'elle mérite .
Éponine , infenfible à fa gloire , ne conprenant
pas même qu'on puiffe admirer fa
conduite , & plaignant ceux qu'elle étonne ,
s'avance triftement à travers la foule qui
l'environne , & arrive enfin à l'appartement
de l'Empereur. Tout le monde fe retire.
Alors Eponine , fe jetant avec fes enfans
aux pieds de Vefpafien , lui parla en
termes :
2
32x
ces
Voyez, Célar , à vos genoux la femme
& les enfans de l'infortuné Sabinus, ces en-
» fans innocens , élevés dans un lugubre cachot,
& qui ,pour la première fois,jouiffent
aujourd'hui de la vue du ſoleil. Eh quoi !
cet aftre radieux qui ne luit pour eux que
depuis fi peu d'inftans , doit-il éclairer
» le fupplice de Sabinus ; & ce jour , qui
» les arrache des ténèbres & de la captivité
, doit- il être enfin le dernier des jours
de leur père ?.... Mais quel fut le crime de
» Sabinus ? l'ambition. O Céfar ! fi cette
paffion n'eût pas dominé dans votre ame,
feriez-vous le bonheur de l'Univers ; feriez-
vous l'arbitre du fort de mon
époux ?.....Vous avez prouvé jufqu'ici que
la fortune ne fut point aveugle en vous
favorifant ; achevez de la juftifier par vo-
300
DE FRANCE. 37
"
و د
"
"
tre clémence..... Tout vous eft foumis ;
» vous régnez. Ah ! connoiffez le plus doux
charme de ce haut rang où vous a placé
» le fort ; plaignez les malheureux , & fachez
pardonner. Pourriez- vous être in-
» fenfible aux pleurs d'une épouſe , d'une
mère , aux gémiffemens de ces enfans ?
» Vous êtes Souverain , vous êtes père , &
» l'innocence & la nature auroient envain
» verfé des larmes à vos pieds... Hélas ! le ciel
» nes'eft-il pas chargé lui-même du châtiment
» de Sabinus ? Ne vous a-t-il pas ôté le droit
de le punir, en ne le livrant entre vos mains
qu'après neuf ans de captivité ? ..... Souf-
» frirez-vous qu'on puiffe vous reprocher
» un jour un excès de rigueur fi peu nécef-
» faire à votre sûreté ? Ah ! Célar , fongez
" y , votre inflexibilité ne peut ravir à Sa-
» binus qu'une vie obfcure & languiffante ,
» tandis qu'elle terniroit aux yeux de la
poftérité , cette gloire fi brillante & fi
» pure , heureux & jufte fruit de vos travaux
& de vos exploits ......
"
33

( Cet Article a été envoyéparM. de la Harpe.)
12
38
MERCURE
SPECTACLES.
M
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE
E Mardi 23 Janvier , on a repréſenté ,
pour la première fois , Iphigénie en Tauride,
Tragedie Lyrique en quatre Actes , paroles
de M. *** , Mufique de M. Ficcini.
A
Nous n'entrerons point dans de grands
détails fur le Poëme. L'Auteur a pris Guimond
de la Touche pour modèle ; mais fes
imitations ne font pas aufli heureuſes que
celles de M. Guillard , Auteur de l'Opera
du même nom mis en mufique par
M. Gluck. L'action du nouveau Drame
eft beaucoup moins rapide que celle du
premier ; le ftyle en eft infiniment moins
foutenu , & de l'expofition au noeud , l'intérêt
en eft moins attachant ; on peut même
dire qu'il languit , & que les longues doléances
d'Iphigénie au premier Acte , les Danfes
qui fuivent l'arrivée des deux Étrangers , Jes
actions de grâces que Thoas rend aux Dieux ,
& que les Scythes répètent en choeur au
milieu d'une fête d'autant plus froide qu'elle
n'eft relative ni à la fituation ni au carac
tère des habitans de la Taurique ; en un
mot, que tous ces objets ne font capables
que de fatiguer la curiofité du Spectateur;
mais le troifiène Acte , ainfi que le quatrième ,
>>
DIE FRANCE.
༡༡
jufques & compris la Scène de la reconnoiffance
d'Iphigénie & d'Orefte ,
font coupés
avec intelligence , ils font réellement
intéreflans ,
fait regretter qu'on n'ait pas fondu les deux
premiers Actes en un feul : chofe très -facile ,
fur laquelle nous ne donnerons ici aucune
obfervation , parce que les moyens de faire
ce travail ont éte indiqués , & font répétés
par- tout le monde. En voilà allez fur cet
objet : hâtons - nous de parler de la mu-
Lique.
tregrette
&
le
plaifir
qu'ils
procurent

Lorfque dans le Mercure du 29 Mars de
l'année dernière , nous hafardâmes quelques
idées fur les deux celèbres Muficiens qui
font naitre aujourd'hui tant de querelles ,
nous cûmes le courage d'avancer que les
premiers Ouvrages de M. Piccini donnoient
beaucoup à eſpérer de ceux dont il
occupoit. Les partifans de cet eftimable
Compofiteur trouvèrent l'eloge très- mince ,
fes detracteurs trouvèrent l'allertion abfurde ,
comme de raifon. Nous ne fumes furpris de
l'une ni de l'autre de ces deux manières de
voir , & nous attendîmes avec tranquillité
que l'Iphigénie en Tauride parûr. La premiere
repréfentation de cet Ouvrage a décidé
la queftion. Aux yeux de fes ennemis les
plus ardens , M. Piccini a paru fupérieur à
lui-même ; fa nouvelle production leur a
femblée digne d'un fuccès diftingué , & d'être
applaudie après 1Opéra de M. Gluck. Cet
Caveu , devenu public par la voie des Journaux
, eft le triomphe le plus éclatant que
2
4
40
MERCURE
pût jamais defirer l'Orphée de l'Italie , furtout
quand il a été , pour ainfi dire , arraché
à des juges difpofes dès -long- temps à l'examiner
avec toute la févérité qui résulte de
la prévention. Pour nous , qui nous fommes
fait une loi de ne jamais obeir qu'à la vérité ,
de la chercher , de la préfenter fans ceffe ,
nous qui préférons l'avantage de fervir l'Art ,
à celui d'engager les partis qui divifent aujourd'hui
toutes les têtes , à garder le filence
fur nous & fur nos obfervations ; en applaudiffant
avec le plus grand plaifir au fuccès de
M. Piccini , nous lui parlerons avec toute
la franchiſe dont nous faifons profeffion ,
& nous lui ferons quelques reproches. Ses
airs de Ballets font foibles ; & , ce qui eft certainement
plus condamnable, ils ne font pas
écrits dans le genre qui paroît analogue à
la danfe des Peuples de la Tauro- Scythie :
on trouve dans quelques- uns de fes airs de
chant des traits qui ne fe rapprochent pas
affez du ftyle qui eft propre à la Tragédie , &
à la Tragédie terrible, des répétitions un peu
fréquentes , & des facrifices trop réitérés de
la marche dramatique à la marche muficale .
Nous citerons pour exemple ce morceau
d'Orefte : Cruel! & tu dis que tu m'aimes,
dans lequel on entend avec peine ce membre
de phrafe: Non , tu ne m'as jamais chéri ,
parce que le Muficien , en le répétant pour
Completter fon motif , a quitté la nuance
pathétique que femble exiger le fentiment
que peignent les paroles . Cette autre phraſe
du même morceau n'a pas été goûtée ; Vois¬
DE FRANCE. 40
tu d'affreux ferpens..... de leurs longs replis te
ceindre & te preffer , parce que c'eft une image
difficile , pour ne pas dire impoflible , à rendre
en mufique , & que M. Piccini ne l'a
guères rendue qu'avec des notes. Nous cirerons
encore un trait du trio de la fixième
Scène du troisième Acte , où le ftyle du Muficien
nous a paru en contradiction avec
l'idée du Poëte Le voici : Ah ! dans cet embraffement
, grands Dieux ! faites que j'expire
; l'intention de ce trait n'eft point tragique,
& on eneft d'autant plus frappé , que le
trio , fauf cette légère faute , joint à la compofition
la plus pure, le chant le plus agréable
& un caractère auffi touchant que neuf. Nous
n'avons pas non plus entendu avec plaifir le
choeur de Prêtrelles qui ouvre le quatrième
Acte quoique bien fait , fi on le confidère
fimplement comme morceau de Mufique, il
eft dénué de cette expreffion fimple & douce
ment intéreffante que femblent réclamer dés
prières faites avant une cérémonie fanglante ,
& qui force les Sacrificateurs à pleurer fur
les victimes. Après la févérité dont nous
venons de faire ufage , nous devons rendre
à M. Piccini la juftice la plus authentique
fur les beautés du premier ordre dont fon
Ouvrage eft rempli. Tous les airs que chante
Iphigénie , portent avec eux un charme dont
if eft impoffible de fe défendre ; & quoique
la fituation de ce perfonnage foit prefque
toujours la même dans les trois premiers
Actes les > motifs en font variés , &
111 31
MERCURE
- -
-
-
les aecens en font modifiés avec un art
qui excite tout à la fois la furprife
& l'admiration , deux objets qu'il faut
diftinguer : ceci foit dit par parenthèſe , &
pour quelques- uns de nos Lecteurs . Rien de
plus frais que le petit choeur , Sans murmurerfervons
les Dieux. Celui qui termine le
premier Acte , & dans lequel Thoas & les
Scythes , Iphigénie & les Prêtreffes invoquent
tour- à- tour le Ciel par des raifons
différentes , eft de la facture la plus favante;
il eft parfaitement convenable à la fituation;
mais grâce à la mal adreffe des Chanteufes
des choeurs , le Public n'a encore pu
juger de fon effet que par apperçu . Pour ne
pas trop prolonger les détails , nous dirons en
fomme que le rôle de Pilade , & les differens
airs qui y font répandus , méritent les
plus grands éloges , mais nous appuierons fur
celui que chante ce Prince dans la cinquième
Scène du troisième Acte : Orefte ! au nom de
la Patrie. Que l'on fe figure tout ce que le
preftige de la mélodic la plus agréable
peut ajouter à la vérité , au pathétique de
l'expreffion , à l'éloquence du coeur , on aura
peut- être une idée du mérite de ce morceau,
qu'on ne peut entendre fans verfer des larmes
, & qui fait autant d'honneur à l'ame
qu'au talent de celui qui l'a compofé . Nous
ajouterons à ces éloges que le récitatif de
cet Opéra , & la marche de fon dialogue ,
font très fupérieurs à tout ce que M.
Piccini a fait en cette partie , tant dans
-
DE FRANCE.
43
I
Roland que dans Atys ; que cet habile
Compofiteur a fu y employer tous les tons
avec une égale intelligence ; & que fi dans
le style de Pilade & d'Iphigénie on trouve
tous les accens de la fenfibilité douce & aimable,
on trouve auffi dans celui d'Orefte
tout ce qui tient à l'énergie du caractère & à
la nobleffe du rang.La Scène troisième du quatrième
Acte eft fouvent écrite avec une vérité
fi frappante , avec tant de connoiffance de la
Profodie, qu'on a peine à croire qu'elle ait
été tracée par un Étranger. Toutes ces ré
flexions nous mènent à dire qu'avec quelques
pas M. Piccini va fe placer dans le
rang des Muficiens auxquels notre Académie
Royale de Mufique aura les plus grandes
obligations, & à qui la Nation Françoife devra
des plaifirs auffi vifs qu'ils étoient inconnus
pour elle avant l'heureufe révolution qui a
commencé à nous faire connoître un Art,dans
lequel nous croyions avoir fait de grands
progrès , tandis que nous y étions encore des
écoliers auffi indociles qu'ignorans. Qu'on
ne croie pas que cette réflexion ait pour ob .
jet d'infulter nos Artiftes. A Dieu , ne plaife
que jamais nous ayons cette idée. Nos premiers
Muficiens ont fait tout ce qu'on peut
faire quand on manque de guides éclaires ,
& nos Modernes ont tellement profité des
Jumières qu'on nous a apportées , qu'ils font
en Italie même regardés comme de grands.
Maîtres. Il fuffit de nommer Philidor pour
prouver que notre réflexion eft d'une vérité
44 MERCURE
inconteftable. Revenons à M. Piccini , & ter
minons cet Article. Quelques perfonnes lui
ont reproché la fimplicité de fon ſtyle tragique
ce reproche eſt d'autant moins furprenant
que , depuis quelques années , on nous a
écarté quelquefois des beautés naturelles, pour
nous rapprocher de celles qu'on eft convenu
de trouver dans des moyens fort énergiques ,
fans doute , & fouvent fort exagérés. Mais à
ceux qui voudroient répéter ce reproche, nous
objecterons cette phrafe d'un Ancien , &
qui nous paroît faite pour trouver ici ſa
place Grandis & , ut ita dicam › pudica
oratio non eft maculofa , nec turgida ,
fed naturali pulchritudine exfurgit. Au furplus
, nous ne comparons point M. Gluck
à M. Piccini : chacun de ces deux hommes
célèbres a fa manière , chacun a fon génie ;
chacun d'eux fait mériter nos fuffrages par des
beautés qui lui font particulières ; & tant
mieux pour les plaifirs de ceux qui ne mentent
ni à leur coeur , ni à leur efprit. Qu'est- il réfulté
des interminables querelles qu'ont opérées
les comparaifons multipliées deCorneille
& de Racine ? Des haines , des partis , &
pas un rayon de lumière pour l'Art Dramatique.
Ne comparons donc pas les Artiftés
les uns aux autres ; guériffons nous de cette
manie , & nous jouirons plus fouvent , plus
franchement des productions de leur génie.
Cependant , fi , dans une circonftance telle
que celle qui fait l'objet de cet article , on
ne peut , fuivant certains Amateurs, parler
DE FRANCE. 45
de M. Piccini fans dire un mot de M. Gluck;
s'il faut abfolument parler de ce qui diftingue
ces deux illuftres Muficiens , nous dirons que
la repréfentation de l'Iphigénie en Tauride de
M. Piccini , nous a rappelé Euripide portant
avec fuccès fur le Théâtre d'Athènes les mê
mes fujets qu'avoit traités Sophocle.
8
SÉANCE de l'Académie Françoife.
M. Lemière & M. le Comte de Treffan ont
été prendre leurs places à l'Académie Françoiſe le
Jeudi 26 de ce mois. La Séance a été très-remarquable
par le nombre & le choix des Spectateurs
qu'elle a attirés , & par les applaudiffemens que l'admiration
publique y a prodigués au talent.
L'efprit original de M. Lemière ne s'eft point
foumis aux formules ordinaires des Difcours de
Réception. Il n'a point paru étonné de ſe trouver
une place où l'on doit être appelé par la gloire ; &
même en remerciant l'Académie, il a laiffé fentir que
c'eft à fes talens qu'il en a été redevable. Ce ton
pouvoit paroître nouveau dans un lieu & dans un
moment où le génie même a coutume de fe montrer
modefte. Le Public a goûté cette franchiſe & l'a
vivement applaudie. M. Lemière a rappelé ce jeune
Prince qui, le jour de fon Sacre, arracha la Couronne
des mains de l'Archevêque qui devoit la lui pofer
fur la tête , & regardant fièrement le Prélat , fe couronna
de fes propres mains.
Le morceau qu'on a d'ailleurs le plus remarqué
dans fon Difcours , a été celui où il établit le Public
juge fuprême de toutes les productions Littéraires . Il
eft probable que cette opinion n'a guères trouvé de
contradicteur , même parmi les Académiciens ; il
46 MERCURE !
étoit beau cependant de l'énoncer à l'Académie ;
c'étoit imiter ces Patriciens , qui , au milieu même du
Sénat Romain dont ils étoient Membres , mettoient
en principe que c'étoit au Peuple feul qu'appartenoit
le droit de faire des Loix & de prononcer des Arrêts
de vie & de mort peut-être feulement a - t- on pu
remarquer que M. Lemière défendoit la compétence
d'un Tribunal où il vient de gagner une
grande caufe
La réponse de M. l'Abbé Delille , qui a plû fingulièrement
au Public , a dû flatter auffi beaucoup M.
Lemière . Farmi tous les titres du Récipiendaire ,
M. l'Abbé Delille a loué far-tout le Poëme de la
Peinture ; il Y a reconnu le talent du Poëte , &
M. Lemière conviendra qu'en attendant que les
cent voix du Public faffent entendre un jugement
unanime , il eſt beau de recevoir un pareil éloge de
part de M. l'Abbé Delille. la
Le Difcours de M. le Comte de Treffan a été
rempli prefque tout entier des expreflions de fa reconnoiffance.
En remerciant ceux qui ont récompenfé
fes talens , il s'eft fouvenu de ceux qui les ont
fait naître ; & la mémoire des Fontenelle , des Maupertuis
& des Voltaire , a partagé les remerciemens
que M. le Comte de Treffan a faits à l'Académie Si
la reconnoiffance eft noble & touchante , c'eft furtout
lorfque les bienfaits font anciens , fi elle eſt une
vertu , c'eft lorfqu'elle s'adreffe à des Bienfaiteurs
qui ne peuvent plus en entendre la voix .
M. le Comte de Treffan a loué M. l'Abbé de
Condillac en homme qui a cultivé les Sciences avant
de cultiver les Lettres ; mais cet éloge a fait peu
d'impreffion fur le Public : peut-être que les talens de
M. l'Abbé de Condillac qui ont eu plus d'utilité que
d'éclat, ne font-ils pas faits pour être loués devant une
Affemblée nombreuſe , incapable de toute attention
zéléchie , & avide de tout ce qui parle à l'imagina
I
DE FRANCE.
ríon & à l'ame ; M. l'Abbé de Condillac l'avoit déjà
éprouvé lui-même : fon Difcours de réception étoit
très-bon , & il n'eut aucun fuccès ; peut-être falloit-il
épargner un fecond outrage à la Philofophie.
Grace au genre des Ouvrages de M. le Comte de
Treffan , M. l'Abbé Delille a été plus heureux dans
le choix des objets dont il a compofé fa réponfe ; il
a beaucoup parlé de l'Ariofte , que l'on vient de relire
dans la nouvelle traduction de M. de Treffan . A
propos de l'Ariofte , il a beaucoup parlé de la grace
dans les écrits , devant une Affemblée où il y avoit
beaucoup de femmes ; fon Difcours , dont le ftyle
étoit toujours auffi ingénieux que les objets dont il
parloit étoient agréables , a recu des applaudiffemens
continuels . C'eft beaucoup dire , fans doute ,
mais cela eft vrai ; M. l'Abbé Delille a été auffi applaudi
dans fa Profe, qu'il a coutume de l'être dans
Les Vers.
M. Lemière a lu enfuite deux ou trois Scènes d'une
Tragédie de Barnevelt , on y a diftingué de beaux
Vers ; mais deux ou trois Scènes d'une Piece dont tour
le monde ne (e rappelle pas bien le fujet , ne pou
voient pas avoir un grand fuccès ; dans une Tragédie
bien faite , l'intérêt de chaque Scène tient
beaucoup à ce qui précède & à ce qui doit fuivre.
M. Lemière étoit plus fait qu'un autre pour prévoir
les inconvéniens de la lecture de quelques Scènes détachées
de l'action dont elles font partie.
M. l'Abbé Delille a terminé la Séance par la lec
ture d'un Chant entier de fon Poëme fur les Jardins
ou fur l'art d'embellir la Campagne ; ceux qui n'ont
pas affifté à cette lecture de M. l'Abbé Delille , ont
perdu la plus belle occafion de prendre quelque idée
de ces beaux fiècles des talens , ou des Peuples idolâtres
de tous les Arts de l'imagination , proclamoient
vainqueurs fur des Théâtres , les Poëtes qui venoient
de leur faire entendre de beaux Vers . Dès le début
48 MERCURE .
on a applaudi avec tranſport, & l'enthouſiaſme, l'ivreffe
de l'admiration n'ont fait qu'augmenter jufqu'à
la fin de la lecture. M. l'Abbé Delille venoit de dire
dans une de fes réponſes , que ce n'eft que dans les
fuccès du Théâtre que le Poëte entend toute fa renommée
: il femble que le Public ait voulu lui faire
voir qu'il pouvoit entendre auffi toute fa renommée
à l'Académie.
Nous rendrons compte des Difcours auffi - tôt
qu'ils feront imprimés .
( Cet Article eft de M. Garat. )
TABL E.
V 10 ERS fur l'Imperatrice , 3 Enigme & Logogryphe ,
Épître à ma Maison du Chau- Les Annales de la Vertu , 21
mineau, 4 Académie Roy. de Mufiq. 38
Hermine & Arrodian , Anec- Séance de l'Académie "Fran
dote du Règne d'Artus , 8 foife , 45
APPROBATIO N.
JAIlu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 3 Février , Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
Je 2 Février 1781. DE SANCY ,
MERCURE
30 21037
DE FRANCE.
SAMEDI IO FÉVRIER 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Pour être mis au bas du Portrait de
M. NECKER , Directeur- Général des
Finances.
QO
OIQUE formé dans une République ,
C'eft lui qui trouva le moyen .
D'augmenter les tréfors d'un État Monarchique ,
Sans appauvrir le Citoyen..
( Par M. Caraccioli. )
Sam. 10 Février 1781 , are
MERCURE
INVOCATION A L'AMOUR.
AMOUR,
MOUR
, permets
que je t'implore
Voilà trois grands jours que j'adore
Un objet qui charme les yeux.
On m'écoute , je fuis heureux ;
Mais cette coquette Iſabelle ,
De trois autres reçoit les voeux.
Pour la punir rends- la fidelle !
DELPHIRE a beaucoup de fraîcheur,
Des grâces ... J'aime auffi Delphire.
Oui ; mais elle eft d'une froideur....
Jamais on ne la vit fourite ;
Elle a toujours un air boudeur.
Son ame tranquille & paifible
Ignore tout , jufqu'au bonheur.
Dieu bienfaifant , rends -la fenfible !
Qu'elle ait un coeur , qu'elle ait des feu
Quoi ! quitter le monde à vingt ans !
Ah ! pourfuis- la dans fa retraite ;
Donne -lui des defirs preffans ! ...
Fais plus , Amour , rends- la coquette ! ...
Tu ne me verras point , Ainour ,
Te prier pour mon Eulalie.
Tu vas croire que je l'oublie ! ...
Ah! je perdrai plutôt le jour,
DE FRANCE.
Je ſuis tendre autant qu'elle eft belle. -
Amour , d'autres objets charmans
Peuvent bien féduire mes fens ,
Mais mon coeur eft toujours pour elle.
Que je l'aime jufqu'à cent ans,
Voilà tout ce que je ſouhaite ;
Et qu'alors à chaque printems ,
D'un myrthe ou d'une violette ,
Elle orne encor mes cheveux blancs !
( Par M. de... , Av. au P. de Rennes. J
Explication de l'Enigme & du Logogrypke
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft l'Oreiller ; celui
du Logogryphe eft Bauf, du quel ôtant le
B , il refte oeuf.
ÉNIGM E.
JE ne fuis efprit ni matière.
'Tu n'es donc rien , me dira-t-on ?
Peut-être bien ; j'ai cependant un nom ,
Nom qui fut quelquefois l'objet de ta prière.
Et toujours fans me voir on eft à ma pourfuite,
Très-fouvent on croit me tenir.
Un pas manqué dans la conduite
M'éloigne à ne plus revenir.
Apprends , Lecteur , que c'est moi qui ramène
Cij
52 MERCURE
Tous nos Héros qu'à travers les hafards
La valeur fit marcher fous les drapeaux de Mars.
Si Céladon rencontre une inhumaine ,
Il devient un Athée , il ne croit plus en moi ;
Mais fi Chloé reçoit la foi,
Et d'un air touché le contemple
3 Dans fon coeur il m'élève un temple.
Fait pour accompagner les Rois ,
Je fuis rarement fur le trône ,
Et je dédaigne leur Couronne
Quand de Tircis je la reçois.
Veux- tu me découvrir plus vîte ?
Pour me chercher, eft- ce affez travaillé ?
Adreffe- toi , Lecteur , au Comte de M .... é ,
C'eft lui qui m'a trouvé , c'eft chez lui que j'habite.
( Par M. de Rofival.
LOGO GRYPH E.
760 . J
AvE e fix pieds, Lecteur , fur ta table on me fert ; VE
Avec cinq, j'y figure au milieu du deffert ;
Avec quatre , je fuis ville de Picardie ;
Avec trois , je deviens une tête chérie ;
Une Nymphe , avec deux , rivale de Junon ;
Cela fuffit , je crois , pour connoître mon nom………..
( Par M. Bouchet. )
-
DE FRANCE. 53
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LES Nouvelles Découvertes des Ruffes
entre l'Afie & l'Amérique , avec l'Hiftoire
dela conquête de la Sibérie , & du Commerce
des Ruffes & des Chinois . Ouvrage traduit
de l'Anglois de M. Coxe. Vol. in-4°.
Prix , 12 liv. A Paris , chez Panckoucke ,
Hôtel de Thou , rue des Poitevins
CET Ouvrage commence à l'époque où
finit la Relation des premières découvertes
des Ruffes entre l'Afie & l'Amérique , par
M. Muller : il renferme les découvertes
faites depuis 1741 jufqu'en 1770 , & pourra
fervir d'introduction à celles du dernier
Voyage du célèbre & malheureux Capitaine
Cook , lorfque l'Amirauté Anglaife , dépo
fitaire de fon Journal , jugera à propos de
lui donner la publicité.
M. Coxe nous dit , que pour compofer
cette Hiftoire , il a raffemblé pendant fon féjour
à Pétersbourg , les Journaux de Voyages
les plus authentiques , & les Cartes les plus
eftimées auxquels il a joint les Obfervations
de MM . Muller & Pallas , & fur- tout
un Ouvrage Allemand imprimé à Hambourg
, & rédigé fur des Mémoires originaux
digues de la plus grande confiance. L'Auteur
Cuj
54 MERCURE
"
"
ود
fe fait un devoir de payer à l'Impératrice de
Ruffie , le tribut d'éloges que méritefi_juftement
fon efprit généreux & éclairé. « Depuis
» fon avénement au Trône , elle aa encoura-
» gé toutes les découvertes utiles , & les
Savans ont obtenu d'elle les fecours
qu'ils lui ont demandés. Elle a fait ranger
» par ordre les papiers de tous les Départemens
on permet à chacun de les confulter.
Elle a envoyé des Savans dans les
parties les plus éloignées de fes vaftes Domaines
, Europe & l'Afie lui doivent
» une foule de connoiffances nouvelles :
» & importantes fur la Géographie & l'Hif
" toire Naturelle de ces Contrées lointaines..
» Enfin , cette grande Princeffe a plus contribué
à la civilifation & aux progrès des lu-
» mières dans fon Empire , que tous fes:
Prédéceffeurs , depuis le règne glorieux de
Pierre le-Grand. Heureux les Souverains
qui afpirent à de pareils éloges , & qui les
préfèrent aux adulations des Courtifans !
"
"
ود
On ne compte que 300 hommes de troupes
Ruffles cantonnées dans le Kamtchátka..
La population de cette Péninfule eft à peine
ujourd'hui de 4000 ames. En 1768 , la petite
vérole emporta 5,368 perfonnes. Le
tribut que cette Nation paye annuellement
à la Ruffie , eft fixé à 279 zibelines , 464 renards
rouges , so groffes loutres de mer , &
38 petites . Les autres fourrures exportées
du Kamtchatka , payent un droit de dix.
pour ce Les Négocians remettent auf :
DE FRANCE.
SY
fux Douanes Ruffes le dixième des cargai
fons tirées des Ifles nouvellement découver
tes. Chaque année un vaiffeau de la Cou
ronne fe rend d'Ochorsk au Kamtchatka' ,
chargé de fel , de bled & de marchandiſes
des Manufactures Ruffes , & il en rapporte,
aux mois de Juin & de Juillet , des peaux
& des fourrures.
Cette Péninfule , hériffée de montagnes
produit en quelques endroits du bouleau
des peupliers , des aulnes , des faules , des
brouffailles & des fruits fauvages. Les choux
blancs , les navets , les radis , les bettraves ,
les carottes , les concombres & les herbages
y croiffent avec beaucoup de facilité. L'Agriculture
y eft fort négligée , à caufe des
gelees blanches très- âpres & de la nature du
fol.
On y voit plufieurs traces de volcans ; des
montagnes y brûlent encore le plus confiderable
eft fitué près de l'Oftrog inférieur.
En 1762 un bruit fouterrain annonça qu'il
étoit en travail ; il vomit des flammes , elles
furent fuivies d'un torrent de neige fondue
qui s'écoula dans une vallée voifine , & en
gloutit deux Kamtchatkas . Les cendres & les
matières combuftibles s'étendirent à 300 verf
tes de circonférence. ( environ 200 , 000
milles Anglois ) En 1767 , il y eut une feconde
éruption moins terrible; depuis cette
époque , on n'a point apperçu de flammes;
mais le volcan jette fans ceffe de la fumée
ainfi qu'un autre , nommé Tabact- Shinskiam
Civ
56 MERCURE
22
1
De cette extrémité du continent , l'Auteur
nous conduit aux différens groupes d'Ifles
qui le féparent de l'Amérique ; il nous fait
connoître ce que les Navigateurs Ruffes ont
obfervé dans ces nouvelles régions ; l'Ifle Buring
, les Kouriles , les Alcutiennes , les Illes
aux Renards ; d'où il réfulte que ces dernières
font à très - peu de diftance du continent
de l'Amérique. Il y a lieu de croire
» dit M. Coxe , que les Navigateurs Ruffes
» ne tarderont pas à reconnoître la côte
du Nouveau Monde. Les loutres de rivière
, les loups , les ours & les fangliers
qu'on a rencontrés à Kadyak , font
des indices probables d'un continent voi
fin ; on y a pris aufli des martes , animal
inconnu dans les parties orientales de la
Sibérie , & qu'on ne voit fur aucunes des
autres Ifles. Tous les quadrupèdes que je
viens de citer , les martes exceptées , fe
» trouvent à Alakfu , terre fituée plus au
Nord-Eft que Kadyak ; & il y a auffi des
» rennes & des chiens fauvages. J'ajouterai
» que c'eft une opinion commune parmi
les Infulaires d'Alakfu ou d'Alashka & de
Kadyak , qu'un pays montueux , couvert
» de forêts, & un grand promontoire , ap
pelé Atachatak , git plus au Nord-Eft. »
On lira avec beaucoup d'intérêt la partie
de cette Hiftoire qui concerne les différentes
invafions des Ruffes dans la Sibérie , les
conquêtes qu'ils y ont fu faire , leurs démêlés
avec les Chinois , & le traité de
*
و د
و د
99
>
}
DE FRA.N C E.
$7
commerce conclu entre ces deux grands
Empires.
Il paroît que les Ruffes ne connurent la
Sibérie que vers le milieu du feizième fiècle.
Strogonof, Négociant très habile , fut le premier
qui établit un commerce d'échange
avec les habitans de la partie Nord-Ouest de
cette contrée ; il achetoit des fourrures trèsprécieuſes
, pour de ces bagatelles que les
Sauvages préfèrent à l'or & à l'argent . Strogonof
acquit des richeffes immenfes , obrint
du Czar de vaftes conceffions ; fonda des Colonies
fur les bords des rivières de Kama &
de Thulfovaia , ce qui facilita la conquête entière
du pays.
Parmi les Guerriers qui jouèrent un rôle dans
la Sibérie , on diffingue fur - tout un Cofaque
da Don , appelé Yermac , chef d'une horde
de Brigands qui infeftoient les côtes de la
mer Cafpienne. Attaqué d'abord & battu
par les troupes Ruffes , il diriga fes efforts
contre
Kut
plus puiffant des
Princes de ces régions ; après l'avoir vaincu
& envahi fes États ' il eut recours au Czar
pourles conferver , lui offrant ce qu'il venoit
de conquérir , à condition qu'on lui enverroit
des fecours . A Faide de joo Ruffes , Yermac
pourfuit fes conquêtes , déployant une in
telligence prodigieufe dans un homme fans
éducation , il remporte un grand nombre
de victoires fur tous les Souverains des environs
qui veulent maintenir leur indépen
dance.
C
MERCURE
Pendant une nuit obfcure & pluvienfe
ce Guerrier fut furpris par Kutchun- Chan
dans une petite Ifle formée par deux branches
de l'irtish : 300 Rufes y furent égorgés.
fans réliftance Yermac , au milieu de la
confufion générale , conferva fon fang froid.
Les dangers de fa pofition augmentèrent
fon intrepidité ; après des actes d'héroïfme,
il s'ouvrit un chemin à travers les
" Troupes qui l'environnoient , & fe rendit
» fur les bords des l'irtish. Comme on le
faivoit de près , il voulut fe jeter dans un
bateau qui étoit fur la côte ; mais n'ayant
pas eu la force de fauter affez avant ,
il tomba dans le fleuve , où le poids de
fon armure le précipita tout de fuite au
,, fond. "
· -
Son corps fut expofé , par l'ordre du vainqueur
, à toutes les infultes que la vengeance
infpire à des barbares dans la phrénéfie du
fuccès ; mais ces premiers tranfports paffes ',
on vit tout à coup les Tartares s'indigner
contre la fureur de leur Chef. Les exploits
d'Yermac & fa valeur , auxquels ces
Peuples mettent un grand prix , s'offrirent à
leur fouvenir ; ils reprochèrent à leur Prince
d'avoir outragé le cadavre d'un Héros : leur
imagination exaltée en vint jufqu'à confacrer
fa mémoire ; ils l'enterrèrent avec toutes les
cérémonies du Paganifme , & ils offrirent des
facrifices à fes manes.
Bientôt on répandit fur fon compte une
multitude d'hiſtoires miraculeufes, qui furent
DE FRANCE.
39
crues aveuglement . Le feul attouchement de
fes os guériffoit toutes les maladies ; les vêtemens
& fes armes avoient la même vertu.
On ajoura qu'il s'elevoit par intervalles
des flammes autour de la tombe. Le Peuple
chaque jour alloit en foule fe précipiter fur
ces reftes facrés. Allai , Souverain des Calmouques
, fe guérit d'une maladie dangereufe
en buvant de l'eau infufée dans de la terte
prife fur le tombeau d'Yermac . On affure
que ce Prince portoit toujours avec lui un
peu de cette terre facrée , dès qu'il formoit
une entreprife importante , perfuadé qu'avec
ce talifman ,fes affaires ne pouvoient manquer
de bien réuffir
Cette vénération fuperftitieufe contribua
beaucoup au progrès des Ruffes dans la Sibérie.
Ils y renvoyèrent aullitôt 300 hom
mes , qui pénétrèrent prefque fans refiftance
depuis les bords de la Tura jufqu'à Tfchingi ,
ils y conftruifirent le fort de Tumen , & reprirent
leur autorité fur le pays des environs.
Renforcés enfuite par de nouvelles troupes ,
ils élevèrent les forterelfes de Tobolsk ,
de Sigut & Tara . Dès qu'ils eurent bâti ces
citadelles , ils ne tardèrent pas à fe rendre
. maîtres de tous les cantons qu'Yermac avoit
foumis à l'Empire de la Ruifie.
Les vainqueurs poufsèrent leurs conquêtes
avec la plus grande activité , exterininèrent
les Tartares , bâtirent de nouvelles
bourgades , multipliant de tous côtés leurs
Colonies. En moins d'un fiècle i's régnèrent
C vj
60 MERCURE
2
fur cette vafte étendue de pays , connue aujourd'hui
fous le nom de Sibérie , & qui
s'étend des confins de l'Europe jufqu'à
l'Océan oriental , & de la mer glaciale juf
qu'aux frontières actuelles de la Chine. Il
eft probable que les Czars auroient acquis
un
toire encore plus étendu , & que
toutes les hordes de la Tartarie indépendante
, qui habitent entre l'extrémité Sud-
Eft de l'Empire de Ruffie & la grande mu-
Faille de la Chine, auroient éprouvé le même
fort que
celles de la Sibérie , fi l'Empereur de
la Chine n'étoit pas venu tout- à- coup arrê
ter leurs progrès.
$
Après des hoftilités réciproques de la part
des deux Nations , il fallut en venir à des
conferences ; elles fe tinrent fous des tentes
près de la ville de Nershinsk. Les Plénipotentiaires
des deux Cours fignèrent & fcellèrent,
en 1689, un premier Traité, Lorfqu'il
s'agit de le ratifier par ferment , les Ambaffadeurs
Chinois offrirent de jurer fur le
Crucifix ; mais ceux de la Ruffie préférèrent
le ferment fait au nom des Dieux de la
Chine. En 1727, il y eut un fecond traité qui
abolit le privilége dont jouiffoient les Ruffes
de faire toute forte de commerce dans les
territoires Chinois & Mogols. On défigna ,
fur les confins de la Sibérie, deux places où ils
pourroient fe rendre ; l'une eft appelée
Zuruchaitu , l'autre Kiachta , du nom d'un
Buiffeau qui coule aux environs. Les Ruffes
* ont une Eglife avec. quatre Prêtres , &
DE FRANCE. 61

d'autres perfonnes chargées d'apprendre la
langue du pays , & de fervir d'Interprètes
entre les deux Nations.
Dans la ville de Zuruchaitu , l'on voit un
temple élégant à la manière Chinoife ; il
renferme cinq idoles coloffates , placées au
Nord dans trois niches différentes. La principale
eft entre deux colonnes , autour defquelles
font entortillés des dragons couverts
de dorure : de grands drapeaux de foie qui
pendent du plafond , voilent la partie ſupérieure
de cette Divinité : elle a le vifage
brillant comme de l'or , les cheveux & la
barbe noirs , tenant en main une eſpèce de
tablette , où elle paroît lire avec beaucoup
d'attention . Les Chinois la nomment Loo-
Ye , c'eft-à-dire , le Dieu fupérieur , le premier
& le plus ancien des Dieux. A fa droite
on voit fept traits d'or , & à fa gauche un arc.
Le premier jour de la nouvelle & de la
pleine lune , on pratique les cérémonies du
culte. C'eft au mois de Février que tombe
la principale fête de l'année ; on regarde
cette époque comme la plus favorable à
l'expédition des affaires . Les Chinois arborent
ce jour- là des pavillons dans les Pagodes
; ils placent fur les tables des idoles ,
des viandes que les Prêtres enlèvent le foir ,
& qu'ils vont manger. On joue la Comédie
en l'honneur des Dieux , les Pièces font ordinairement
fatyriques , & la plupart dirigées
contre les Juges qui manquent à leurs devoirs.
62 MERCURE
?
Quoiqu'il y ait peu de cérémonies dans
le culte des Chinois , ils n'en font pas moins
fuperftitieux. M. Pallas nous apprend que
lorfqu'il arrive une éclipfe de lune , ils
pouffent des cris & des hurlemens horri
bles , fonnent les cloches , frappent contre
du bois ou des chaudrons , & touchent à
coups redoublés fur les timballes de la grande
Pagode, Ils croyent que le méchant efprit del'air
, Arachula , attaque la lune , & que
leurs hurlemens doivent l'effrayer . Pendant
le fejour de M. Pallas à Maimatfchin , le
feu prit dans la ville avec violence ; plufieurs
maifons étoient embrâfées ; aucun
habitant n'effaya de donner du fecours . On
fe tenoit autour du feu dans une confternation
oifive ; quelques - uns y jetoient feulement
par intervalles des gouttes d'eau pour
appaifer le Dieu du feu , qui avoit , difoientils
, choifi leurs habitations pour un facrifice.
Si les Ruffes n'avoient pas éteint l'incendie
, toute la ville auroit été réduite enr
cendres.
Nous regrettons de ne pouvoir donner
plus d'étendue à l'analyse d'un Ouvrage autfi
intéreffant. On y reconnoît la plume facile &
fage du Traducteur à qui nous fommes redevables
des Voyages de Bridone , du Capitaine
Cook , & d'un grand nombre d'autres
Livres étrangers non moins inftructifs que
celui- ci , & faits pour affurer à l'Auteur
l'eftime & la reconnoiffance du Public.
3
DE FRANCE
63
DISCOURS qui a remporté deux Prix
d'Eloquence à l'Académie des Sciences ,
Belles Lettres & Arts de Befançon , en
l'année 1780 , fur ce fujet : Les funeftes
effets de l'Egoifme , par M. Nonal de
Bonrepos , de l'Academie des Arcades.
Velle fuum cuique eft. Perf. Sat. 5. in- 8 °.
A Paris , chez Belin , Libraire , rue
S. Jacques.
Nos vices & nos vertus , dont le fond
eft toujours à peu près le même dans tous
les pays & dans tous les fiècles , prennent
cependant différens caractères chez les divers
peuples & dans les divers périodes de la
fociété. Il importe de les obferver & de lés
peindre fous toutes les formes qu'ils prennent.
Le Recueil de ces obfervations & de
ces tableaux fera la meilleure hiftoire de
T'homme , & le guide le plus sûr des Législateurs
& des Moraliftes.
Depuis vingt ans , à- peu- près , un mot
prefque nouveau dans la langue , le mot
d'égoïfme , eft devenu très -commun dans
nos écrits & dans nos converfations. S'il eft
vrai qu'on ne crée de nouveaux mots que
lorfqu'on a de nouvelles idées , ce doit être
fouvent aux dépens de nos moeurs que nos
efprits & nos langues s'enrichiffent : une
nouvelle idée & un nouveau mot nous annoncent
ſouvent un nouveau vice. Le plus
dangereux de tous pour la fociété , doit être
64 MERCURE
l'égoïfme : les autres vices troublent la fociété
, ou la rendent défagréable , celui- ci
tend à la détruire. Deux de nos Poëtes Comiques
l'ont attaqué fur le Théâtre de la
Nation il étoit jufte que le vice du fiècle
trouvât plus d'un dénonciateur ; mais il paroit
que leurs Ouvrages n'ont point eu le
fuccès qu'on devoit attendre de leurs talens.
Peut -être faut- il s'en prendre au fujet même,
plutôt qu'à la manière dont ils l'ont traité.
L'egoifme, qui appartient fur-tout aux fiècles
polis & éclairés , eft un vice qui n'eft ni
affez odieux , ni affez ridicule pour faire
naître l'indignation ou le rire en traçant
le portrait de l'égoïfte. Si vous en faites un
fcélérat, prefque tous les égoïftes font abfouts.
Ce vice eft commun fur- tout parmi ceux
qui font nés dans l'opulence : le crime leur
eft inutile ; & parce qu'ils ne font pas des
fcélérats ils croiront qu'ils ne font pas
des égoïtes : ils le trouveront juftifiés par
le portrait même qui devoit les dénoncer.
Si vous faites de l'égoïfte un homme ridicule,
c'eft bien pis encore , l'égoïfte entend trop
bien fes intérêts , il s'aime trop lui - même
pour n'avoir pas l'attention facile d'être aimable.
Rien n'eft plus ordinaire que de voir
toutes les grâces & toute la douceur d'un
homme du monde dans les traits & dans les
manières d'un homme dont l'ame a toute la
froideur & toute la fechereffe de l'égoïfme.
L'élégance des moeurs annonce leur ruine , a
dit un Poëte Philofophe. Il fuit de - là que les
>
DE t
FRANCE. 65
Poëtes Comiques devoient laiffer tracer ce
portrait aux Moraliftes : un caractère dont
les principaux traits font formés de nuances
fines & délicates , peut être peint avec fuecès
par La Bruyère ; Molière même peut- être
n'auroit pu le rendre théâtral . Si ce vice
n'étoit pas propre à être peint fur la Scène ,
il n'étoit pas plus fait pour y être corrigé.
Il naît prefque toujours d'une certaine foibleffe
, d'un certain épuifement de l'ame ;
c'eft lorfqu'il ne nous refte plus que très-peu
de fenfibilité , que nous la retirons toute
entière au-dedans de nous , & que nous
l'employons toute entière à nous aimer nousmêmes.
L'égoïfme arrive prefque toujours
après plufieurs fiècles de luxe & de jouiffances
; & lorfque la fource de nos fentimens
& de nos paffions eft prefque tarie ;
les peuples font comme les individus , ils
sufent & s'épuifent dans les plaiſirs & dans
les excès. Le Poete peut exalter les paffions
qui font dans toute leur force naturelle ; il
peut même intimider & contenir celles que
le monde condamne & profcrit ; mais lorf-
1
* Il faudroit être bien difficile pour ne pas reconnoître
beaucoup d'efprit & de talent dans l'Homme
Perfonnel de M. Barthe ; & peut-être qu'avec un peu
de bienveillance on avoueroit encore que les chofes
qui ont pu nuire le plus à l'effet de la ſcène , font
cellesprécisément où l'Auteur recherche , avec le plus
de faga cité , les traits peu prononcés du caractère de
l'égoïste.
$6
MERCURE
qu'il tire toute fa force & toute fon influences
des fentimens qui font dans nos ames , com
ment s'y prendra- t-il pour y faire renaître
des fentimens qui n'y font plus ? Cette gloire
ne peut appartenir aux talens du Poëte ; elle
eft même quelquefois au- deffus du génie des
Législateurs.L'égoïfme n'eft pas feulement le
vice & le caractère de quelques particuliers ;
c'eft la maladie de certains fiècles & de certains
Peuples; c'eft par de bonnes loix qu'an
peut la traiter & la guérir, & non par des
Pièces de Théâtre.
L'Académie de Befançon a fort bien fenti
à ce qu'il paroît , que ce fujet appartenoit
fur- tout à des Philofophes qui fauroient
écrire fur la Morale avec éloquence ; les Phi
lofophes qui répandent des lumières fur le
coeur humain,font les vrais confeils des Légis
fateurs : c'eft la bonne morale qui prépare
les bonnes loix.
FAL
Nous fommes fachés de le dire , mais le
difcours que l'Académie de Befançon vient
de couronner , nous paroît bien peu digne
& du fujet qu'on y traite , & du prix qu'il
a remporté
Le titre même mérite quelques obferva
tions. Difcours qui a remporté deux PRIX
D'ÉLOQUENCE. On croiroit, à ce titre , que
ce Difcours a été couronné ou par deux Académies,
ou deux fois par la même Académie :
rout ce qui en eft cependant , c'est que l'argent
deftiné à deux Prix d'Eloquence , on l'a
réuni dans le même Prix ; mais l'argent de
DE FRANCE.
5
Teax Prix ne fait pas deux Prix d'éloquence.
On peut être fort aife de l'avoir gagné , mais
il n'y a pas de quoi s'en vanter , & ce n'étoit
pas la peine de l'annoncer au Public dans le
titre même de fon Difcours.
L'objet de l'Exorde eft de donner la définition
de l'Egoïfme. On ne pouvoit le dé
finir trop tôt, mais M. Nonal de Bonre-
'pos le définit bien mal , ce me femble ; tout
ce qu'il en dit fe réduit à ceci : » c'eſt que
l'égoïfme naît d'un amour-propre dégradé
& que l'amour- propre eft dégradé lorfque
fe plaçant au centre du fyftème des êtres , it
ramène tout à fesjouiffances. Tout cela eft
bien vague & bien mal écrit. Il eft bien
vrai que l'Eime eft la corruption d'un
fentiment très -naturel & très-légitime dans
Thomme , de l'amour de foi ; mais ce fentiment
le corrompt & s'égare de plufieurs.
manières. Il eft égaré dans l'ambitieux , qui
Veut tout foumettre à fon pouvoir & à fes
volontés dans l'avare , qui fe condamne à
toutes les privations , pour avoir perpétuellement
fous fes yeux & fous la main , le figne
& le moyen de toutes les jouiffances.
L'Egoïfte eft pourtant autre chofe qu'un
ambitieux & un avare. Il falloit le féparer,
par des traits marqués & précis , de tous les
caractères avec lefquels il a le plus de reffemblance.
Parmi nos paffions & nos vices ,.
en eft un grand nombre qui ne font difingués
que par des nuances ; le mérite de
Fécrivain eft de faifir ces nuances fines qui fe
68 MERCURE
dérobent à prefque tous les yeux,, & de les
rendre fenfibles à tout le monde. Faute de
cette fagacité & de ce talent , on confond
tout , & l'on peut faire tout confondre à
fes lecteurs. C'est ce qui eft arrivé à M.
Nonal de Bonrepos. Pour n'avoir pas bien
fu ce qu'étoit l'égoifme , il prend tout pour
l'égoïfme , L'amant jaloux qui expofe la vie
pour punir un rival , eft un égoïite : le
verfificateur jaloux d'un Poëte, eft un égoïfte :
C'est parce qu'il a de l'égoïfme , qu'un
Philofophe eft opiniâtre dans la difpute.
Ce fatellite infâme de Sylla, qui , la tête de
fon père à la main , demandoit le falaire
de fon parricide , étoit un égoïſte. C'eſt
parce que Carthage étoit égoifte , que Carthage
vouloit envahir le commerce & l'Empire
du monde. On comprend qu'avec une
pareille méthode , il n'y a rien qui ne puiffe
être de l'égoïfme . Cela rappelle ce difcours
fingulier d'un Sophifte , qur entreprit de
prouver que tous les crimes naiffoient de
l'amour. Il crut avoir démontré que les crimes
de l'envie & de l'ambition en venoient auffi,
parce que l'envie naiffoit de l'amour de la
gloire , & l'ambition , de l'amour du pou
voir. Les Sophiftes avoient réduit en art la
fauffeté de l'efprit ; & tous les fiècles produifent
des déclamateurs qui n'ont pour
tout talent que cet art méprifable.
L'Auteur n'a pas mieux divifé fon fujet
qu'il ne l'a vu.
Pour en peindre avec avantage les fu
DE FRANCE. 69
39
23.
neftes effets , je confidérerai l'homme
fous les trois grands rapports qui embraf
fent & circonfcrivent fon être. Je le contemplerai
d'abord entre les mains de la
nature ; je l'amènerai enfuite au milieu
de la fociété ; je finirai par le placer fous
les yeux de la Patrie, »
» On a quelque peine à comprendre ce langage
; en lifant ce difcours , on voit que l'Au
teur a voulu dire qu'il prouvera , dans la
première partie , qu'il n'y a plus de père , de
mère , de fils & d'époux ; dans la feconde ,
qu'il n'y plus d'ami , de bienfaiteur , &
d'hommes reconnoiffans ; dans la troisième,
qu'il n'y a plus de citoyen & de patrie. Tous
ces effets de l'Egoifme fe reffemblent trop
pour devoir être confidérés fous tant de divifions.
Il ne faut divifer un difcours que lorfqu'il
y a des objets très différens qui appartiennent
au même fujet : celui de l'Egoïlme,
par exemple , eût offert affez naturellement
une divifion en trois parties , fi on avoit
confidéré d'abord les caractères de l'Egoïfine,
fi enfuite on avoit recherché fes caufes ,
qu'on eût fini par peindre fes effets , en indiquant
les moyens de les arrêter & d'en détruire
les caufes. Mais l'Auteur n'a pas vu
les deux premières parties de ſon ſujet , &
il en a fait trois d'une feule.
M. Nonal de Bonrepos a fait un étrange
abus de l'Hiftoire pour y trouver des preuves
de fes affertions.
"2 Qu'on me le dife; eft - ce un homme
MERCURE
perfonnel qui , à la tête d'une armée , s
defaifirfa proie , & prêt à écraser les ennemis
, immoleroit aux larmes d'une mère
fa gloire , fa vengeance , fa vie ? »
Cet homme, dont parle l'Auteur , eft Coriolan.
Coriolan ne crut point immoler fa
vie en accordant le falut de Rome aux larmes
de fa mère : il n'immola pointfa gloire.
Il n'y a point de gloire à porter le fer & la
flamme au milieu de fa patrie. Il fit grâce
à fes concitoyens , à Rome , & c'étoit encore
une affez belle vengeance pour une ame éle-.
vée. A la manière dont parle M. de Bonrepos
, ne croiroit on pas qu'on a prétendu
que l'homme perfonnel eft capable de grandes
chofes & de grands facrifices ? Čette ..
étrange idée n'eft entrée dans la tête de perfonne
, pas même dans celle des Egoïftes qui.
ont pu raifonner l'Egoïfme , & le réduire en
principes & en fyftêmes. Loin de fe croire:
capables de grands facrifices , ils font perfuadés
que les moindres facrifices font de grandes
folies , & des vertus de dupe.
Dans l'Egoïfte revêtu de fonctions importantes
, dir M. Nonal de Bonrepos , le goût .
du plaifir l'emporterafur lafidélité au devoir.
» C'eft Archias qui fe couronne de roſes
nage dans la joie du feftin , & remet , au
» lendemain les affaires. Durant la nuit fes
foldats font égorgés , & Thèbes a changé
" de Maître. »
.99
Non , elle n'a point changé de maître ;
elle a été délivrée d'un tyran , & a recou
DE FRANCE
ré fa liberté. Archias exerçoit tyranniquement
un pouvoit ufurpé : Epaminondas &-
Pélopidas , qui l'en punirent , rétablirent le
pouvoir des loix & de la République. Il eft
heureux que les méchans manquent quel
quefois de prudence , & ce n'eft pas alors
qu'il faut fe facher contre eux.
» Telle fut auffi ta conduite généreufe ,
Sully , lorfque la mort du bon Roi eut
brife les noeuds qui te lioient au bien pu-
» blic , tu courus te renfermer dans la re-
» traite comme dans une eſpèce de tom
», beau. Qu'aurois - tu fait à la Cour? »
-On ne lui permir pas d'y faire grand chofe,
mais il y refta encore quelque tems ; il y revint
même plufieurs foisaprès l'avoir quittée;
& M. Nonal de Bonrepos n'a vu nulle part
que Sully ait été s'enfevelir dans la retraite
auffi tôt après la mort de Henri IV. Il dit
ailleurs que ce fut par égoïíme que Riche
lieu , qui fuccéda à Sully , écrivit la Lettre
célèbre qui commence par ces mots : Le
Confeil a changé de maxime.
Il y a beaucoup d'erreurs dans ce peu de
mots. Premièrement , Richelieu ne fuccéda
point à Sully. Il y a eu entre eux trois ou
quatre Premiers Miniftres , Concini , De
Luynes , la Vieuville. En fecond lieu , en
changeant les maximes du Confeil au fu'et
de la Valteline , Richelieu ne faifoit que reprendre
les maximes de Sully & d'Henri IV,
Enfin , cette Lettre ammonçoit dans Richelieu
unevigueur de caractère qui , dans cette
2 MERCURE
circonftance , étoit glorieuse pour l'Etat ; &
il ne faut pas confondre les talens & le caractère
de Richelieu , avec les défauts & ſes
crimes.
Il y a dans ce Difcours beaucoup d'autres
erreurs de ce genre. Mais les erreurs hiftoriques
font peu dangereuſes ; les erreurs en
morale peuvent l'être davantage. M. de
Bonrepos entreprend de juftifier le préjugé
qui répand fur toute une famille innocente
l'ignominie d'un coupable qui périt fur l'échafaud
; & fa grande raiſon , c'eſt que c'eſt
la négligence des familles qui laiffe entrer
dans le coeur des enfans les vices qui les mè
nent au crime. Mais il eft injufte d'abord de
punir une négligence par l'opprobre du crime;
& l'on ne doit rien attendre de bon de l'injuftice.
Tous les foins d'une bonne éducation
font très-fouvent inutiles pour étouffer dans
une ame le germe des paffions criminelles ;
enfin , dans les pays où la fociété a fait beaucoup
de progrès , c'eft dans la fociété même,
beaucoup plus que dans les familles ,' que
les hommes reçoivent leur éducation . Faudra-
t-il donc flétrir une fociété entière pour
le crime d'un feul citoyen ? D'ailleurs , tous
les membres d'une famille partagent à peuprès
également la honte du coupable , quoiqu'il
n'y ait qu'un petit nombre qui ait pu
veiller fur fes actions. Un enfant au berceau
peut- il arrêter le bras de fon frère qui fe
rend coupable d'un meurtre à l'âge de vingt
ans ? Ceux qui combattent ce préjugé , dit
L'Auteur,
DE FRANCE. 773
و
l'Auteur , ont bien moins le defir de répandre
la vérité , que la crainte d'appartenir à
desperfonnes déshonorées. Nous voulons toujours
être NOUS & nous avons peur d'être
forcés à devenir quelquefois les AUTRES.
Pour n'être pas Egoifte , faut-il donc aimer
à être confondu avec les AUTRES quand ils
fe font déshonorés ? Voilà un excès bien incroyable
du fophifme & de la déclamation.
M. de Bonrepos cite l'exemple du Japons
où le voifinmême eft flétrifi fon voisin eftjufticié.
Eh bien , qu'en faut - il conclure ? C'eſt
que les moeurs & les loix font atroces au
Japon ; & voilà précisément ce que nous ap
prennent toutes les relations des voyageurs.
Le ftyle mérite autant de reproches que
tout le refte. On a dû déjà s'en appercevoir
au peu de phrafes que nous avons citées. La
première partie commence ainfi :
وو
Quelle eft donc cette impulfion puif-
» fante , qui , au feul nom de la nature ,
» fait palpiter tous les coeurs , & porte la férénité
jufques dans ces réduits que n'éclaira
» jamais la lumière du foleil ? »
»
La queftion qu'il fait à fes Lecteurs , tous
fes Lecteurs la feront fans doute à M. de
Bonrepos. Il eft impoffible de deviner de
quelle impulfion il parle. Tous les coeurs ne
palpitent pas au feul nom de la nature ; &
dans les prifons , par exemple , qui font des
réduits où la lumière du foleil ne pénétra jamais
, le nom de la nature devroit faire
Sam. 10 Février 1781,
*
D
74
MERCURE
frémir tous ceux qui l'ont outragée. L'Orateur
continue :
ود
و ر
» O nature ! ame du monde , principe gé-
» nérateur & confervateur des êtres , compagne
de la paix , mère de l'efpérance ; toi
» qui , par le témoignage de la confcience ,
ramènes la raifon au vrai , quand les fophifmes
de l'efprit la conduifent à l'er-
» reur ; fource délicieufe de nos fenfations ; -
» fource plus délicieuſe encore de nos fen
» timens ; l'Univers phyfique te doit l'exif-
» tence ; l'Univers moral te doit le bonheur.
C'est dans tes bras que le fage goûte
cette volupté raviffante que ne fuit le
pas
» remords ; c'eft fur ton fein que l'infor-
» tuné trouve ce fommeil paisible qui fuit
» les alcoves dorées. » .
Il eft inutile de faire des critiques détaillées
fur cette manière d'écrire. Mais M. de
Bonrepos attaque fouvent les Philofophes
& la Philofophie ; & nous lui obferverons
qu'il ne faut pas tant leur en vouloir lorfqu'on
fe permet d'écrire que l'Univers phyfique
doit fon existence à la Nature , que
la Nature eft le principe générateur des êtres.
A moins que M. de Bonrepos ne foit terriblement
philofophe , la Nature dont il parle
n'eft autre chofe que Dieu même ; & alors
c'eft à Dieu qu'il devoit adreffer toute cette
invocation. Mais il eft probable que M. de
Bonrepos a accumulé tous ces mots abftraits
de nature , d'être , fans trop fe rendre
compte des idées qu'il y attachoit,
DE FRANCE.. 75
20
38
L'Auteur veut peindre l'Egoïfte s'avançant
vers les autels de l'hymenée , & il s'écrie ,
Amans paffionnés , vous ne voyez autour
» de ces autels que les plaifirs & leurs guir-
Jandes , l'amour & fes flambeaux , Vénus
& fa ceinture , il n'y voit que Plutus &
fon or. Les grâces & la gaîté vous reconduifent
au fortir du Temple, & quand
le fils de Cypris , chaffe par le Tems , à
qui tout cède , s'éloigne de vos riantes de-
» meutes , il vous laille des Divinités moins
belles , mais plus aimables que lui. »
""
38
33
23
M. de Bonrepos parle ailleurs de la rofe
& defon épine , du laurier & defon éternelle
verdure, Son ſtyle reffemble , trop fouvent
à celui de ces verfificateurs qui ne parlent
Que d'Apollon ,
De Fégale & de Cupidon ,
Et telle fadeur fynonyme
Ignorant que ce vieux jargon ,
Relégué dans l'ombre des claffes ,
N'eft plus aujourd'hui de faifon
Chez la brillante fiction.
Si ce style ne peut être fupporté , même
dans les petits vers , on comprend combien
il doit déplaire dans un difcours dont le fujet
est très-philofophique. C'eft-là fur-tout
Qu'il faut être fans impofture
L'Intérprète de la Nature
Et le Peintre de la raiſon.
Dij
96 MERCURE
.
Quelque morceau que nous euffions cité de
ce Difcours, on eût vu toujours à peu - près les
mêmes défauts dans le ftyle. Et cependant ,
qui le croiroit ? en lifant le Difcours en enrier,
on eft affez porté à croire que M. de
Bonrepos n'eft pas né fans talent & fans
efprit ; mais , faute de goût & de réflexion ,
il déclame lorfqu'il veut montrer du talent ,
& il ne fait que des fophifmes lorsqu'il veut
approfondir fon ſujet.
Nous ne nous ferions pas arrêtés fi long
tems fur ce Diſcours, s'il n'avoit pas été cou
tonné par une Académie. Mais il eſt dangereux
pour les talens de voir donner des
Prix d'Éloquence à des Ouvrages mal écrits,
& qui manquent effentiellement de raifon.
Ou ne commence guères à cultiver les Lettres
en Province , que lorfqu'on eft déjà
dans la Capitale au fiècle de la Philofophie ;
& , par cette raiſon , il y a deux écueils que
les Académies de Province doivent beaucoup
redouter dans leurs jugemens : c'eft de pren
dre des images mille fois rebattues pour de
l'imagination , & des mots abftraits employés
fans intelligence , pour de la philofophie.
On commence toujours par des excès ,
& les productions du vrai talent ont quelque
chofe de raisonnable & de naturel qui
ne frappe pas du tout ceux qui commencent
à écrire & à juger. On eft expofé dans les
Provinces à avoir à la fois les vices du goût
qui n'eft pas formé encore , & les vices du
goût qui fe corrompt: l'imagination eft l'orne
ment de l'efprit,comme l'a dit un Philofophe
DE FRANCE.
plein de goût ; mais pour que les images or
nent un difcours , il faut qu'elles foient aulli
neuves que les idées : le ftyle n'eft lacureufement
figuré que lorsqu'on peint , pour la
première fois , par les mêmes exprellions , des
objets intéreffans de la nature & des idées
justes de l'efprit : tout le refte n'eſt que de
la réthorique ou de la mémoire. Il eſt auffi
très -bon , fans doute , de vouloir porter la
Philofophie dans l'Eloquence ; & dans leur
union , l'Eloquence peut prendre des caractères
nouveaux : elle ne doit pas être abfolu
ment la même chez des peuples qui ont beaucoup
de connoiffances & de lumières , &
chez des peuples qui n'ont que des fens.
Quelques hommes deLettres, dont je reſpecte
le goût & dont j'aime beaucoup les Ouvrages,
ont voulu bannir de l'Eloquence toutes ces
expreffions qu'on appelle générales , parce
qu'en rappelant un grand nombre d'idées à
la fois , elles n'en peignent aucune avec précilion
. Mais peut-être ya-t- il de l'excès dans
leur opinion. C'eft du moins condamner
beaucoup de chofes dans l'éloquence de
Reuffeau , de M. de Buffon & de M. Thomas
, qui fe fervent quelquefois de ces expreffions
dans leurs plus beaux morceaux.
La nature du bon goût eft d'être délicat , mais
non pas d'être foible. Un efprit affez étendu
pour voir beaucoup d'idées à la fois
ne peut fe réfoudre à n'en mettre qu'une
dans chaque mot ; & dans fa marche hardie
& rapide , le génie a befoin de ces
mots qui raffemblent un grand nombre
>
D iij
58 MERCURE
*
d'idées. Mais fi la jufteffe de leur application
ne fixe pas ce qu'ils ont d'incertain & de
vague; fi on ne les entoure pas d'expreffions
fenfibles & animées qui répandent fur eux
de la lumière & de la chaleur ; un ſtyle
formé de ces termes abftraits , eft le plus
mauvais de tous les ftyles : il a même un inconvénient
qui lui eft particulier , & le plus
terrible de tous ; c'eft qu'à moins que l'Écrivain
qui s'en fert n'ait une grande force d'ef
prit, il finit bientôt parne s'entendre plus luimême
, & par ne favoir plus ni ce qu'il a dir,
ni ce qu'il va dire. C'eft ce qui eft arrivé à M.
de Bonrepos. D'ailleurs , comme ce genre de
ftyle a un air de grandeur & de force, on peut
trop l'aimer , lots même qu'on n'en abufe
pas ; on peut le préférer à l'éloquence touchante
& perfuafive de l'ame : & c'eft- là un
grand malheur, il
éclairer moins l'aut mieux fans doute
& parler davantage
au coeur. L'homme ne penfe que par
effort ; il eft naturellement fenfible. Sur les
objets élevés , c'eft beaucoup que d'avoir des
idées juftes & faines ; & plufieurs de ceux qui
dédaignent le bon fens, feroient heureux d'en
favoir affez pour l'admirer.
( Cet Article eft de M. Garat. )
DE FRANCE. 79
TRAITÉ Élémentaire du Genre Épiftolaire ,
de l'Apologue & de la Narration
l'ufage des Humánifies du Collège Royal
de Limoges , par M. l'Abbé Vitrac , Sous-
Principal , des Académies de Montauban ,
Clermont- Ferrand , la Rochelle & Châlons-
fur-Marne. A Limoges , chez Martin
Barbou , Imprimeur du Roi.
CE Livre , utile à tous ceux qui veulent
fe former l'efprit & le goût , eft divifé en
trois articles. Le premier renferme des préceptes
fur le ftyle épiftolaire , puifés dans
les Ouvrages des meilleurs Maîtres , anciens.
& modernes , rédigés avec méthode & clarté ,
& appuyés d'exemples choifis. Les Lettres
de Cicéron , de Pline & de Mde de Sévigné ,
font les modèles que l'Auteur propofe. Dans
l'article fecond , il développe les règles de
l'Apologue; il le définit très bien.
33
و د
" L'Apologue eft le récit d'une action allégorique
, ordinairement attribuée aux
» animaux. Le but de l'Apologue eft d'inf-
" truire & de plaire. Il inftruit par les vérités
pratiques qu'il enfeigne ; il plaît par la
douceur & la naïveté qui doivent le ca-
» ractérifer. On nomme moralité la vérité
» qui réfulte du récit allégorique de l'Apologue
: elle doit être claire , courte , inté
و ر
n
D iv
·80 MERCURE
23
» reffante. Il n'y faut point de métaphyfique ,
» point de périodes , point de vérité trop
triviale , comme celle- ci : il faut ménager
» fa fanté.
و د
و د
Un précepte important qu'on doit encore
ajouter à ce qu'a dit l'Auteur , c'eft que la
moralité doit être tellement jufte , que le
fujet donné , on n'en puiffe pas tirer une
meilleure ; & à -propos de cela , il eft fingulier
que l'on fe foit trompé fur le motif
de Phèdre , dans fa Fable intitulée : Gracculus
Superbus , motif que La Fontaine n'a pas
faifi dans celle du Geai paré des plumes du
Paon. En l'appliquant aux plagiaires , il a
fuivi une autre idée que celle du Poëte
Latin. Qu'on le relife , & l'on verra qu'il
s'adreffe aux fimples particuliers qui veulent
Le faùfiler fans titre parmi des gens d'un
certain rang , & qui finiffent par être mé
prifés des grands qu'ils voyent , & ridicu
lifés par leurs égaux qu'ils ont quittés.
M. l'Abbé de Vitrac pofe encore , comme
une règle effentielle , & avec grande raiſon ,
que l'action de la Fable doit être une. " On
entend , dit-il , par unité d'action , que
toutes les parties qui la compofent ten-
» dent au même but. Notre efprit ne veut
» être ni embarrallé ni égaré. La Fable des.
» Deux Pigeons , de La Fontaine , péche
» contre l'unité . » Nous nous failons un
devoir de relever cette erreur , d'autant plus
qu'elle fe trouve dans un Livre claffique, &
"
:
DE FRANCE.
que d'ailleurs on nous a reproché d'avoir
un peu paffe la meſure dans les obfervations
critiques que nous nous fommes permifes
fur La Fontaine , article des Pièces
échappées à l'Almanach des Mufes , Nº . 46 .
Les adieux des deux pigeons & le voyage de
l'un d'eux , eft l'action de cette Fable. Les
diverfes aventures qu'il éprouve ne font que
les incidens d'une même action. Du refte ,
cette Fable eft un chef- d'oeuvre . Elle eft
pleine d'une molle naïveté , d'une heureufe
négligence , de ce fuperflu , non de maladreffe
d'expreffion, mais de vivacité d'imagi
nation, & d'abondance de fentiment, de cefu
perflu, chofe très-néceffaire, qui lie, qui fépare,
qui égare , qui ramène & qui délaffe , enfin
qui fait le charme de la narration , fur-tout
dans l'Apologue, La Fontaine eft le feul qui
ait été doué de cette heureufe qualité qui
manque à tous nos Fabuliftes , & qui juftifie
le mor connu d'une femme d'efprit ,
qui de fon temps l'appeloit le Fablier. C'eft
en lui reconnoiffant ce talent fi rare , fi
inimitable , que nous avons cru pouvoir
dire que la moitié de fes Fables nous
paroiffoient , en plufieurs endroits , trop
inégales , trop négligées , trop dénuées de
poélie, & même de nobleffe.
Leftyle le moins noble a pourtant fa nobleffe.
Il faut que les jeunes gens , dit Vor
taire , & fur-tout ceux qui dirigent leurs
Dv
82 MYEAR CURE
I
23
lectures , prennent bien garde à ne pas
confondre avec fon beau naturel , le fa-
» milier , le bas , le négligé , le trivial , défauts
dans lefquels il tombe trop fouvent.
Ce qui peut faire voir combien
cet avis eft utile & néceffaire , c'eſt que
parmi cinq ou fix Fables de La Fontaine ,
citées dans l'Ouvrage dont nous rendons
compte , on trouve celle de la Cigale & la
Fourmi. Il nous femble cependant qu'elle
renfermé tous les défauts que Voltaire indique
ci- deffus ,
La Cigale ayant chanté
Tout l'été.
De bonne-foi , font- ce là des vers ? Ce
n'eſt pas même de la profe. La Fable prefque
entière continue fur ce ten , trop familier
& trop profaïque.
"
Vous chantiez , j'en fuis fort aife :
Eh bien , danfez maintenant,
« Comment , obferve Voltaire , une
fourmi peut-elle dire ce proverbe du
peuple à une cigale ? »
Pour revenir à ce défaut d'unité , que
l'Abbé de Vitrac blâme à tort dans la Fable des
Deux Pigeons , il eût dû le faire fentir dans
celle de l'Enfant Corrigé, où il eft très-
* Fable de l'Abbé le Monnier,
*
DE FRANCE. 83
visible , & qu'il cire comme excellente. Elle
eft très - louable fans doute ; mais il eft manifefte
qu'elle renferme au moins trois actions
bien diftinctes. ° . Nicolas rencontre un
vieillard dans la forêt , il en a pitié , lui
coupe un fagot , & l'en charge. 2 ° . Tandis
que fa femme Marguerite s'inquiète de fon
retard , la petite Babet , fa voiline , s'eft dechiré
le bras en tombant fur un échalas ;
Marguerite en a pitié , elle panfe fa bieffure.
3 °. L'enfant plume la fauverte , ce qui fait
le fujer de la Fable , & il eft corrigé. Encore
ne parlons-nous point des incidens acceffoires.
Au furplus , tous les préceptes fur
l'Apologue que donne l'Auteur , font juftes ,
fi quelquefois l'application en eft vicieufe.
En voici un fecond exemple. « La jufteffe ,
dit-il , exige du Fabulifte qu'il dife direc-
» tement & avec précifion ce qu'il fe propofe
» de dire. "" Et il a raifon ; mais il fe trompe
quand il ajoute : « la Fable des Deux Moi-
» neaux péche contre la jufteffe. » C'est le
chef- d'oeuvre de la Mothe. Elle ne dépareroit
point le choix des plus belles Fables de La
Fontaine. On la lira fans doute avec le plus
grand plaifir.
و ر
Les Deux Moineaux , Fable.
DANS un bois habité d'un million d'oifeaux ,
Spacieufe cité du peuple volatile ,
L'Amour unifloit deux Moineaux ;
D vj
MERCURE
Amour conftant , quoique tranquilles
Careffe fur careffe , & feux toujours nouveaux ,
Ils ne fe quittoient point. Sur les mêmnes rameaux
On les cût vu percher toute la matinée ,
Voler enſemble à la dînée ,
S'abreuver dans les mêmes eaux ,
Célébrer tout le jour leur flamme fortunée,
Et de leurs amoureux duos
w
Attendrir au loin les échos.
Même roche la nuit eft encor leur hôteffe ;
Ils goûtent côte- à- côte un fommeil gracieux..
L'une fans fon amant , l'autre fans fa maîtreffe ,,
N'eût pu jamais fermer les yeux ..
Ainfi dans une paix profonde:
De plaifirs affidus nouriffant leurs amours ,
Entre tous les oifeaux du monde
Ils fe choififfoient tous les jours.
Tous deux à l'ordinaire allant de compagnie ,
Dans un piége fe trouvent pris.
En même cage auffi -tôt ils font mis.
Vous voilà , mes enfans , paffez- là votre vie ;;
Que vous êtes heureux d'être fi bons amis !
Mais dès le premier jour il ſemble
Que le couple encagé ne s'aime plus fi fort :
Second jour, ennui d'être enfemble ;
Troisième , coups de bec ; puis , on fe hait à mort..
Plus de duos ; c'eft mufique nouvelle ::
Difpute, & puis combat pour vuider la querelle
DE FRANCE.
Qui les appaifera ? Pour en venir à bout
fallut féparer le mâle & la femelle .
Leur flamme en liberté devoit être éternelle ;
La néceffité gâta tout
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
Du jour de la Purification.
Les nouveautés qu'on devoit entendre ce
jour-là au Concert Spirituel , y ont attiré
un plus grand nombre d'Amateurs qu'à
l'ordinaire. Mde Céfari a chanté , pour la
première fois , deux airs Italiens , l'un de
Piccini , l'autre de Sacchimi ; elle a été fort
applaudie. Sa manière de chanter eft facile
affez expreffive ; mais fon organe, plus nourri
dans les fons aigus que dans les autres parties
, femble moins fait pour réuffir en
Public qu'en particulier ; c'eft plutôt une
voix de fociété qu'une voix théâtrale.
99
Dans une nouvelle fymphonie de M.
Capron , les Connoiffeurs ont remarqué.
une petite manière , des idées communes ,
un ftyle fec & froid. Son concerto a mieux
réufi, parce qu'au mérite de la compofition ,
86 MERCURE
l'Auteur a fu joindre le preftige d'une exé
cution hardie , facile & brillante.
Un nouveau quaruor de M. Maréchal- ,
exécuté par lui- même fur le piano - forté , &
par MM. le Brun , Michel & Vernier , fur
le cors - de - chaffe , la clarinette & la harpe ,
a été exécuté avec goût , & entendu avec
intérêt , fur- tout dans les parties de dialogue
entre la clarinette & le forté-piano , & dans
certains pallages d'harmonie & de chant for
dus & phrafés d'une manière très - heureufe .
*
Le Pater Nofler , nouveau Motet à grand
chour, de la compoſition de M. l'Abbé
Schmitz , n'a pas été aufli favorablement accucilli
que celui de l'Auteur de Roland &
de la Nouvelle Iphigénie. Peut- être l'auroitil
été dans toute autre circonftance ; mais le
fimple talent doit s'éclipfer en préſence du
génie , aufli a t'on vu toute l'attention &
Penthoufalme fe réunir fur lui feul ; 'M.
Piccini a dû fentir en ce moment combien
le Public eftime & fa perfonne & fes
Cuvrages.
*
COMEDIE ITALIENNE./
LE Mardi 23 Janvier , on a donné la première
reprefentation de l'Amour Conjugal,
Comédie en un Acte & en profe.
Un Préfident , marié depuis long- tems , -
& qui a trouvé le bonheur dans les fuites
DE FRANCE. 87
-de fon mariage , ne veut point conſentir à
l'union de fon neveu avec Rofalie fa pupille.
Malheureuſement pour les deux jeunes
gens, la Préfidente n'eft pas dans de meilleures
difpolitions. Un valet intrigant , que
le neveu a fu mettre dans fes intérêts , tente
de faire réuflir ce mariage , en faifant croire
au Président. que fa femme eft amoureufe du
jeune homme , & en faifant entendre à celle-
-ci que fon mari eft amoureux de Rofalie.
Par le profond chagrin que leur donne
cette idée , le valet leur fait comprendre
qu'il n'eft point de peine plus cruelle pour
deux coeurs bien réellement enflammés, que
cellede renoncer à l'efpoir d'être unis . Cetre
réflexion les conduit tout naturellement à
la néceflité de confentir au mariage des deux
amans.
Cette Pièce eft de l'Auteur des deux
Oncles. On y remarque beaucoup de connoiffance
de la Scène , un efprit agréable &
gai , un dialogue facile , mais point affez
de réflexion dans le choix des refforts
qui font mouvoir une intrigue , & l'amènent
à fa fin d'une manière faire pour plaire
à tous les bons efprits. Quand elle fera imprimée
, on entrera dans des détails plus
erendus. Nous devons néanmoins dire ici que
les défauts qu'on peut lui reprocher n'altèrent
en rien les premières efpérances qu'a données
fon Auteur.
f
Nous, allions rendre compte de la Melomanie
, Comédie en un Acte , mêlée d'A88-
MERCUREOR
riettes , repréſentée pour la première fois le
Lundi 29 Janvier , lorfque nous avons appris
que l'on faifoit quelques changemens
à ce petit Ouvrage. Nous n'en parlerons donc
que quand il aura reparu. Nous ne pouvons
pourtant nous difpenfer de dire que la Mufique
fait beaucoup d'honneur à M. Champein
, & que cette compofition eft fort audeffus
de celle qu'il a déjà fait entendre fur
ce Théâtre.
VARIÉTÉ S.
C.
LETTRE de M. de MORVEAU à l'Auteur
du Mercure , fur le Sel neutre Arfenical."
ONSIEUR ,
Dans une Note qui fe trouve au bas d'ane Let
tre de M. Croharé, dans le N° . 17 de la Gazette de
Santé , on accufe les Auteurs des Élémens de Chimie
, de l'Académie de Dijon , d'avoir infpiré de la
fécurité pour le Sel neutre Arfénical , tandis qu'ils
font les premiers qui ayent affirmé & prouvé qu'il
étoit dangereux, Permettez - moi d'emprunter la
voie de votre Journal pour me plaindre , finon de
l'infidélité , du moins de la précipitation avec laquelle
le critique s'eft permis un reproche auf
grave & auffi peu fondé. Voici la note : « Nous ne
pouvons nous empêcher de témoigner la furprife
so que nous a caufée la lecture du deuxièmefvolume
» des Elémens de Chimie, &c . où l'on dit, pag.300,.
que la parfaite neutralifation du Sel neutre Ar
Lénical , femble annoncer qu'il peut être pris fans:
DE FRANCE. 89

danger au moins jufqu'à une certaine dofe ; cependant
la feule expérience que l'on rapporte en
preuve, n'eft pas trop propre à infpirer la fécurité
3 que cette phrafe ſemble faire naître , puifque l'a-
» nimal foumis à cette expérience en eft mort. »
»
ઉં.
J'obſerverai d'abord que ces mots : la parfaite
neutralisation femble annoncer, qui ont cauſé tant de
furprise au Critique, ne font pourtant que l'expreflion
fynonymne de cette analogie qui a fait dire à M. Mac
quer:comme les acides minéraux les plus corrofifs for
ment desfels très- doux lorfqu'ilsfont combinésjufqu'au
point de faturation avec des alkalis , on feroit tenté
de croire que l'Arfénic complettement faturé par un
alkali fixe , comme il l'eft dans le Sel neutre Arfénical
, pourroit de même former un fel très-doux , &c.
N'eft-il pas bien plus furprenant que l'Auteur de la
Note n'ait pas fenti de lui- même la vérité de ce principe
général , qu'il ait ignoré encore que ce principe
étoit rappelé , à l'occafion du même Sel , dans les
deux éditions du Dictionnaire de Chymie ? Mais ces
qui eft bien plus inconcevable, c'eft qu'il n'ait pas vu
que , loin de chercher à infpirer de la fécurité par ce
principe , nous avons porté l'exception plus loin
que M. Macquer , qui fe contente d'avertir que le
nom feul de l'Arfenic doit effrayer ; en un mot ,.
que nous avons décidé que ce Sel étoit dangereux,
qu'il ne pouvoit fervir en médecine , ce que ce célèbre
Chymifte laiffe encore en queftion , lorfqu il
recommande des épreuves multipliées fur les animaux.
Pour en convaincre quiconque entend le
François , il fuffit de mettre fous fes yeux le texte
critiqué.
La parfaite neutralifation du Sel Arfénical ,
femble annoncer qu'il peut être pris fans danger,
∞ au moins jufqu'à une certaine doſe ; nous en
» avons fait l'épreuve fur un chien , & un gros de
ce Sel lui a donné tous les fymptômes d'un poit
MERCURE 90
J

" fon, à la vérité plutôt lent que corrofif; il lan-
» guit pendant un mois dans la plus horrible mai-
» greur , ne prenant prefque aucune nouriture , &
» Les cuiffes affectées de paralyfie : le lait & les autres
mucilages ne purent remédier à ces accidens ;
après fa mort l'eftomac ne parut pas corrode. »
Suivent dans la même phrafe quelques réflexions
fur la manière d'agir de ce poifon , & le premier alinéa
préfente cette conclufion : « Ainfi ce n'eft pas
» le Sel neutre qui eft dangereux , c'eft un de fes
כפ
principes qui change de bafe dans le corps ani-
» mal. Il eſt fâcheux que la médecine ne puiffe fe pro-
» mettre de tirer parti de cette propriété fi marquée de
» l'Arfénic,de s'emparer du phlogistique.... L'Arfénic
qui reprend le même principe , ( le phlogiſtique )
ל כ
DEVIENT CORROSIF DESTRUCTEUR . »
Voilà comme les Auteurs des Élémens de Chimie
de l'Académie de Dijon , ont recommandé l'uſage
du Sel neutre Arfénical !
Au refte ; la Note dans laquelle ont a porté ce
jugement fi inconfidéré , paroît avoir été ajoutée
à la Lettre de M. Croharé ; on ne peut que
favoir gré à ce Chimifte du travail qu'il vient
de faire pour apprécier les craintes que le célèbre
Margraff nous avoit infpirées fur l'ufage de l'étain.
Mais, comment lui eft-il échappé de dire que : nous
n'avons acquis fur la nature , les principes conftituans
&la manière d'agir de l'Arfènic , d'autre connoiffance
que celles qui nous ont été tranfmifes par
Les Chymifes du fiècle dernier? N'eft- ce donc pas de
nos jours que M. Cadet a trouvé la liqueur fumante
'd'Alfénic , dont l'examen a conduit M. Durand à la
découverte du Phofphore Arfénical ? N'est - ce pas
de nos jours que M. Macquer a fait un premier
pas fi important vers la décompofition de l'Arfénic
, en nous apprenant à ncutralifer fon principe
effentiel & caractéristique ? N'eft- ce pas de nos jours
DE FRANCE. 91
que M. Bergman a confommé cette précieuſe découverte
, en nous donnant les moyens d'obtenir l'acide
arfénical pur , féparé de toute bafe ? Oh ! combien
l'amour-propre nous égare , s'il nous perfuade
que c'eft s'élever au-deffus de fon fiècle , que de
le juger avec dédain !
Je fuis , &c.
A Dijon, le 27 Juillet 1780.
SCIENCES ET ARTS.
AVIS du Sieur MAILLE , feul Vinaigrier
Difiillateur ordinaire du Roi.
LEE feur Maille , jaloux de conferver la réputation
dont on l'a honoré jufqu'ici , prévient le Public
que différens Particuliers diftribuent fous fon nom
des Vinaigres , des Moutardes & des Fruits confits
au Vinaigre , qui n'ont rien de commun avec les
fiens, Il n'a aucun entrepôt ni dans les Provinces ,
ni dans la Capitale ; fon feul Magafin eft à Paris ,
rue Saint André des Arcs , près de l'Églife . Voici
quelques- uns des principaux articles qu'on y trouve :
1. Vinaigre Romain qui blanchit les dents : 2. Crême
de Vinaigre pour blanchir le vifage : 3. Vinaigre
de Racines qui enlève les taches de la peau : 4. Vinaigre
fondant pour la guérifon des corps : 5. Vinaigre
des quatre Voleurs 6.. Vinaigre Rouge ,
avec la manière de s'en fervir : 7. Vinaigre à l'ufage
des Dames ; c'eft un aftringent parfait ; les moindres
bouteilles font de 6 livres ; elles fout accompagnées
d'une explication effentielle pour en faire ulage :
1
02
MERCURE
8. Vinaigre propre à noircir les cheveux : 9. Vinai
gre volatil en petits flacons de 3 & de 6 liv.
Moutardes aux câpres & enchois , au jus de
citron , aux truffes , aux moufferons , à l'estragon,
aux fines herbes , à l'ail , &c.
Moutarde des quatre graines pour la guériſon des
engelures. Le Sieur Maille la diftribue gratis aux
pauvres tous les Dimanches depuis huit heures
jufqu'à midi , à commencer du mois de Novembre
jufqu'à la fin de l'hiver.
Fruits confits.
Cornichons , al mariné , petits oignons , champignons
, bigarreaux , piment blanc , graines de capucines
, melons , haricots , truffes , brugnons ,
câpres , épine- vinette , haricots verds , &c. &c.
GRAVURES.
LA Fidélité furveillante , Eftampe gravée d'après
le Tableau original de Deshayes , par Hémery, Graveur,
rue Saint Jacques , vis-à-vis les Charniers de
Saint Benoît. Prix , 3 liv. Cette Gravure annonce un
travail libre , un accord dans fon exécution , une
difpofition de lumière dans les draperies , formant
un tout agréable & harmonieux. Son Auteur eft
déjà connu par différens morceaux très- eftimables.
,
1
Numéros 6 , 7, 8 9 & 10 du Recueil
Pittorefque.
A Paris , chez David , Graveur
, rue des
Noyers , vis- à- vis celle des Anglois . Toutes
ces EG
tampes font de même grandeur
, & font gravées
d'après Louterbourg
, F. Kobel & Moleaner
. Prix ,
liv. chacune.
Le même Artiſte annonce que ceux qui ne
feront pas infcrits pour les Antiquités d'Hercula
DE FRANCE. 93
num avant le premier Avril prochain , terme ou fera
délivré le fecond Cahier , compofé de douze Planches
, payeront à l'avenir chaque Cahier 8 liv. au
lien de 6 liv.
Les Amateurs qui defireront avoir le même Ouvrage
in -4°. , font priés de l'en avertir. Le nombre
des Perfonnes infcrites déterminera celui du
tirage, & le rang des épreuves fuivra la date des
infcriptions.
MUSIQUE,
Six Quatuors dialogués pour deux Violons alto
baffo , par M. Chartrain , OEuvre 12. Prix , 9 liv .
A Paris , chez Michaud , rue des Mauvais Garçons ,
proche celle de Buffy ; l'Erboriste , Fauxbourg Saint-
Germain , & aux adreffes ordinaires de Mufique.
Nouvelle Méthode de Guittare felon le Systême
des meilleurs Auteurs , par Baillon . Prix , 9 liv .
A Paris , chez l'Auteur , Marchand de Mufique , rue
Françoiſe , à la Mufe Lyrique.
Sixième Recueil d'Airs & Ariettes tirés des
Opéras , Opéras- Comiques , avec Accompagnement
de Guittare , par M. Tiffier , OEuvre 12. Prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez Bignon , Place dú
Louvre , près l'Académie à l'Accord parfait ,
fous le Veftibule de l'Opéra , & chez l'Auteur ,
rue Saint Honoré, à la Corbeille galante.

Six Sonates pour le Clavecin, Forté-Piano ou
la Harpe, avec Accompagnement de Violon & Violoncelle
, ad libitum , del fignor Giuftini . Prix ,
7 liv . 4 fols les trois Parties féparées , chez Mademoiſelle
Caſtagnery , rue des Prouvaires , à la Mufique
Royale.
Six Symphonies en Quatuor , contenant les plus
94
2
MERCURE
beaux Noëls françois & étrangers , avec Variations
pour un premier Violon cu Flûte , un deuxième
Violon , Alto & Baffe chiffrée , par M, Cornette.
Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris & à Lyon , aux adreſſes
ordinaires de Mufique.
H
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ISTOIRE Univerfelle du Règne végétal, in-folio ,
Tome treizième du Difcours . A Paris , chez Brunet ,
Libraire , rue des Écrivains.
Métamorphofes d'Ovide , Traduction nouvelle ,
conforme au texte latin de Jouvency , par M. de
Fontanelle , 2 Vol. in - 12 . A Paris , chez Nyon le
jeune , Libraire , près le Collége de Mazarin ; le
Boucher , Libraire , près le quai de l'Horloge ;
Colas , Libraire , Place Sorbonne.
Buvres de Lucien , Traduction nouvelle , par
M. l'Abbé Maffieu , 3 Vol . in - 12 . A Paris , chez ›
Moutard, Imprimeur-Libraire , rue des Mathurins.
Tomes XXXIX & XL du Répertoire Univerfel
de Jurifprudence , mis en ordre & publié par M.
Guyot , in- 8 ° . A Paris , chez Dupuis , Libraire , rue *
de la Harpe , près la rue Serpente
Difcours public fur les Langues en général, &fur” ·
la Langue Françoife en particulier , par M. de Vil-
Jencourt , Volume in- 8 ° . A Paris , chez l'Auteur ,
rue des Prouyaires , maifon d'un Teinturier ; & chez
la Veuve Duchefne , Durand neveu & Cellot
Libraires.
La Découverte Auftrale , par un homme volant,
ou le Dédale François , Nouvelle très-philofophique ,
4 Volumes in- 12 . Prix , 9 liv. A Paris , chez la
Veuve Duchefue , Libraire , rue Saint Jacques.
DE FRANCE.
95*
Réflexions Chrétiennes fur les huit Béatitudes,
par l'Auteur des Traités contre les Danfes & les
Parures , Volume in - 12. Prix , 2 liv. 10 fols relié
. A Paris , chez Morin , Imprimeur - Libraire ,
rue Saint Jacques.
Les Tomes IV, V & VI des Lettres Edifiantes
& Curieufes , viennent d'être miſes en vente à Paris ,
chez Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguf
tins.
De la lecture des Livres François , huitième Partie.
Livres de Philofophie , Sciences & Arts du
feizième fiècle, Volume in - 8° . A Paris , chez Moutard
, Imprimeur-Libraire , rue des Mathurins. On
trouve à la même adreffe les Tomes IX & X de
l'Hiſtoire de l'Églife , par M. Bérault- Bercaſtel .
De la formation des Maurs & de l'Esprit , ou
Connoiffances néceffaires aux jeunes Gens destinés à
des Profeffions qui n'exigent point le cours ordinaire
des Etudes , Volume in- 12 . A Paris , chez Delalain
le jeune , Libraire , rue Saint Jacques.
L'Analyfe des Eaux Minérales de Saint-Vincent
de Courmayeur , fe vend chez Didot & Lamy ,
Libraires , quai des Auguftins ; Méquignon , rue
des Cordeliers ; Belin , rue S. Jacques , & Guillot
rue de la Harpe,
Variétés Littéraires , qu nouveaux Mélanges
Hiftoriques , Critiques , de Phyfique , de Littérature
& de Poefie , par M. le Marquis d'Orbeffan , Préfident
à Mortier au Parlement de Toulouſe , 2 Vol.
in- 8 ° . Prix , 10 liv . reliés. A Paris , chez Méquignon
, rue des Cordeliers ; à Toulouſe , chez
Laporte ; à Bordeaux , chez Labotière, Libraires .
Effaifur les Alimens , pour fervir de CommonG
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taire aux Livres Diététiques d'Hippocrate , nouvelle
Édition , corrigée & augmentée , 2 Vol. in - 12 .
Prix, 6 liv. reliés. A Paris , chez Didot le jeune, Imprimeur
- Libraire , quai des Auguftins. On délivre
actuellement chez le même , le Tome II & la Table
du Dictionnaire de Chimie , in-4 ° .
Les Fruits de l'Automne , par M. M. Vol. in- 8 ° .
A Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue
Saint Jacques , & Baftien , Libraire , rue du petit
Lion.
Météorographie , ou l'Art d'obferver d'une manière
commode & utile les phénomènes de l'Atmofphère
, par M. Changeux , Vol. in - 8 ° . A Paris , rue
& Hôtel Serpente.
Difcours Oratoire , conténant l'Éloge de Guftave
III , Roi de Suède , Vol. in - 8 ° . A Paris , chez
Baftien , Libraire , rue du petit Lion.
TABLE.
VERS pour être mis au bas] Traité Elémentaire du Genre
duPortrait de M. Necker,49 Epiftolaire ,
Invocation à l'Amour, so Concert Spirituel ,
Enigme & Logogryphe , si Comédie Italienne,
53 Avis du Sieur Maille ,
7879
85
86
Les Nouvelles Découvertes des Lettre de M. de Morveau , 88
Ruffes ,
Difcours qui a remporté deux Gravurès ,
Prix d'Eloquence à l'Acadé- Mufique ,
mie de Besançon , 63 Annonces Littéraires ,
AP PROBATION.
91
92
93
94
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 10 Février. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 9 Février 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 17 FÉVRIER 1781.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Son Eminence Monfeigneur le Cardinal
DE BERN IS.
TROIS Cardinaux brillent chez les humains,
Sur au Parnaffe , à la Cour , à la Guerre ;
L'un , dangereux , redouté , fanguinaire ,
Avec Guftave effraya les Germains.
Savant, aimable , ignoré du vulgaire
L'autre aux François parla comme un Romain 3
Lucrèce même admira ſon Latin.
Plus que tous deux le troifième a fu plaire.
Du Saint-Elprit il n'eft point oublié ;
Et fi bientôt on en fait un Saint -Père ,
Je veux aller baiſer le pié
Du Dieu du goût , fucceſſeur de Saint- Pierre .
( Par M. de Calvi , Garde du Roi. )
Sam, 17 Février 1781.
E
98
MERCURE
VERS deftinés pour le Portrait de M. le
Chevalier DE LA MOTTE- PICQUET ,
Chef d'Efcadre , &c.
MARIN dès ta première aurore 3
Guerrier , cher même à tes rivaux !
La France fait ce que tu vaux ,
Et l'Angleterre mieux encore,
(Par M, de la Place. )
TRADUCTION d'un Diflique de Santeuil. *
Ici Thémis plaça fon tribunal auguſte 3 CI
La terreur du coupable , & l'afyle du juſte.
( Par M. l'Abbé Bordeaux. )
* Hic pæna fcelerum ultrices pofuere tribunal
Sontibus undè timor , civibus indè falus.
44
1
DE FRANCE. 99
CHANSON ÉLÉGIAQUE ,
Sur la Fuite de Pierrette.
Mon cher oifeau ne revient pas ;
ΟΝ
Hélas , ou peut-il être ?
Faut-il donc pleurer fon trépas ?.
A-t-il changé de maître ?
S'il est tombé fous ton ciſeau ,
O Parque meurtrière ,
-Fais-moi fuivre mon cher oiſeau ,
Ou rends-lui la lumière.
DES oifelettes du hameau,
Pierrette étoit la Reine ;
Elle alloit chanter fur l'ormeau
Et revenoit fans peine.
Un jour , dans de lointains pays ,
Elle vola fans guide.
Je ne vois rien venir depuis ,
Depuis la cage eft vuide.
L'AVEZ-VOUS vue , échos des bois ?
Eft-elle en votre empire ?
} bis.
Quelqu'un répond : Eh ! c'eft fa voix...
C'est écho qui foupire.
Nymphes de ce petit couvent ,
Ne l'auriez- vous point vuc ?...
}bis.
Ei
100 MERCURE
L'onde murmure en foupirant ,
Pierrette eft donc perdue ?
Si quelque moineau cajoleur
A féduit la pauvrette ,
Tendres oifeaux , grâce au voleur f
Mais rendez-moi Pierrette :
Je paîrai vos foins au printems
Quand vous aurez famille ;
Je protégerai vos enfans
Crainte qu'on ne les pille.
QUOIQU'ON ceffe de mériter
Un nid qu'on abandonne ,
Pierrette , reviens l'habiter:
Va , mon coeur te pardonne;
J'excufe tes folles amours
Si l'aveu les répare;
L'honneur fuit par tant de détours ,
Que par fois il s'égare,
MAIS l'ingraté fuit pour jamais ,
En vain ma voix l'appelle :
Perfide oifeau ! quoi je t'aimois !
J'aimois une infidelle !
Puiffe-tu fouffrir à ton tour
Les chagrins du veuvage.
Devenir conftante en amour
Et trouver un volage,
}
bise
bis.
}bise
}
bis
DE FRANCE.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
L'E mot de l'Enigme eft le Bonheur
celui du Logogryphe eft Poivre , où fe
trouvent poire , roie , Roi , Io.
ÉNIGM E.
POUR juger mon antiquité ,
Ne datez pas de la célébrité .
Que je tiens d'un Saint Patriarche.
Plufieurs fiècles avant , pour conftruire fon arche,
Je dûs être à Noé de quelqu'utilité.
Je ne m'en targue pas ; & , fans être fenfible ,
Je prête mon fecours à qui vient le chercher,
Ceux à qui je fuis acceffible
་ ན་
Peuvent fentir , goûter , voir , entendre , toucher
Ce qui , fans moi , feroit à leurs fens impoffible.
Les Sciences , les Arts , les Talens , les Métiers
Ufent de moi fouvent. Tantôt près de la nue ,
Tantôt au cabinet , & tantôt dans la rue ,
Comme aux Savans , je fers aux plus vils Ouvriers
A Paris , à Pékin , à Mofcou , fous la Zône ,
Mon miniſtère en tout temps eft offert ,
Sans acception de perfonne ,
Aux Vauban, aux Maçons, aux Gluck, aux d'Alembert,
(Par Mlle Friquet , Peintre en Eventails.)
E iij
102 MERCURE
JE me
LOGOGRYPH E.
E me place plus haut,je me place plus bas ,
Utile à chaque fexe , au fage , au petic-maître ,
(Pourtantcertains mortels ne fauroient où me mettre.)
Par ta faute fouvent j'embarraffe tes pas.
Chez la jeune beauté , fi je viens à paroître ,
Son innocente main me cache avec ardeur ,
Tandis qu'à tous les yeux , par les faveurs d'un maître,
Chez un peuple puiſſant , je marque la grandeur.
Si ces traits en tes mains ne mettent la victoire ,
Écoute , cher Lecteur , elle eft dans mon hiftoire.
dix ;
Je marche fur un pié , mais on m'en compte
Je rends ce qu'on prononce au temple de Thémis ;
Je forme des humains l'origine & le terme ;
Je fais deux élémens , l'invifible & le ferme ;
Je donne à la Nature un fuperbe rival ,
Et j'en forme auffi tot un chétif animal ;
Je contiens du poiffon l'incommode charpente ;
Je tire de mon fein ce qu'on fait quand on chante ;
Ce que doit avoir fort l'intrépide Coureur ;
Ce qui règle à l'Eglife & l'Autel & le Choeur ;
Ce que devoit favoir la fameufe Laitière ;
Ce qu'un fou fans motif a feul le droit de faire;
Enfin , je donne un môle à cet utile oiſeau ,
Qui t'offre mets exquis , lit mollet & pinceau.
(Par un Médecin des Pyrénées. )
DE FRANCE. 103:
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
POEME fur la Mort de l'Impératrice- Reine
Marie -Thérèfe d'Autriche , par M. de
Rochefort , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles - Lettres. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale , 1781. Chez
Lambert & Baudouin , Impr.- Libraires ,
rue de la Harpe.
Tous les grands événemens , qui commandent
à la Nation la joie ou les larmes ,
ne manquent jamais d'être confacrés par
une foule d'hommages poétiques . Mais ordinairement
les Mufes , qui femblent à l'affût
des événemens , femblent auffi ne fe flatter
d'être écoutées qu'à la faveur des circonftances
; & en général , leurs chanſons ou leurs
élégies ne fervent guères qu'à troubler la
joie publique , ou ne font diverfion à la
douleur que par l'ennui. Parmi les hommages
rendus à la mémoire de l'Augufte Souveraine
qui fait encore couler nos larmes ,
Je Poëme que nous annonçons a dû être diftingué
, & par fon propre mérite , & par le
nom de fon Auteur . M. de Rochefort eft
connu par une très-grande entrepriſe poétique
, la Traduction en vers des deux Poëmes
d'Homère.
E iv
104
MERCURE
Voici le commencement de fon Poëme
fur la Mort de l'Impératrice.
Brillantes fictions , trop féduiſans mensonges ,
O vous de qui long temps j'ai chéri les vains fonges,
Pourquoi m'offrir encor vos trompeufes couleurs ?
Votre art ne peut fuffire à peindre mes douleurs .
* En vain vous uniriez à vos récits funèbres
Les traits les plus fameux des Rois les plus célèbres ;
Mon coeur ne veut d'autre art que la fincérité.
Je n'implore que vous , puiffante Vérité ;
Prêtez à mes difcours confondus dans mes larmes ,
Ce touchant intérêt qui préfide à vos charmes.
Cette foible invocation ne pouvoit guè
res finir plus foiblement . Ces deux derniers
vers fur-tout n'auroient pas dû échapper à
une plume auffi exercée que celle de M. de
Rochefort. Mais ne pourroit-on , pas lui reprocher
auffi de l'obfcurité , pour ne pas dire
un peu de contradiction , dans la manière
dont il expofe fon fujet ? Cet Ouvrage , qui
offre au Lecteur le tableau des principaux
traits de la vie de Marie-Thérèfe , & de fa
mort , eft une espèce de Poëme épique. Il a
la marche poétique de l'Épopée. Ce font
des fonges qui avertiffent , un Génie qui apparoît
, ayant pris la ftature & la voix d'un
Héros . Cependant M. de Rochefort renonce
aux brillantes fictions dès le premier vers.
Peut on dire qu'on renonce aux fictions
quand on emploie le merveilleux ? La Vérité
qu'il invoque fe trouve dans fes récits , &
DE FRANCE. 105
2
même dans fes éloges ; mais c'est toujours
la Vérité embellie par la fiction. Ces premiers
vers font peut-être l'endroit le plus
foible de cet Ouvrage , qui annonce un
homme nourri de la lecture des Anciens. Ou
y trouvera une verfification harmonieufe ,
de la nobleffe dans l'expreffion , & de l'in
térêt dans les détails .
Mais où font-ils ces Rois formés par l'infortune ,"
Qui , méprifant l'éclat d'une vertu commune ,
Au- deffus de leur rang qu'ils favent dédaigner ,
Apprennent à fouffrir pour apprendre à régner ?
Dans les champs de Presbourg qu'ils fuivent leut
inodèle ,
Thérèſe les attend , & ma voix les appelle.
Fille d'un Empereur , Roi de puiffans États ,
Elle avoit vu fon père expirer dans fes bras.
A peine fa tendreffe en recueilloit la cendre
De la guerre déjà la voix s'eft fait entendre ;
La Difcorde s'éveille , & fait de toutes parts
Retentir les clairons , flotter les étendards.
L'Empire veut un Chef ; & cet augufte trône ,
Qui tient de les égaux l'éclat qui l'environne ,
Qui foumet dix rivaux au pouvoir qu'il leur doit,
Et leur prête à fon tour l'appui qu'il en reçoit ,
Cetrone antique & faint leur demandoit un maître, &e;
On ne pouvoit pas exprimer plus heureu
fement la conftitution politique de l'Alle
EV.
106 MERCURE
magne. Voici une tirade écrite avec nobleffe,
& dans la manière antique.
Il eft dans l'Univers un bienfaiſant génie ,
Qui des divers États entretient l'harmonie :
Qui dicta leurs traités , qui leur donna des lois ;
Qui des Gouvernemens fut établir les droits ;
Qui , pour les garantir par de fortes barrières,
Creufa le vafte lit des profondes rivières ,
Enchaîna cent pays par cent monts différens
Et fit fouvent pâlir l'orgueil des Conquérans.
Il s'élance , & des airs franchit la vafte plaine ,
Vole aux bords du Danube , aux remparts de Vienne.
Il prend du vieux Palfy la ftature & la voix ;
Palfy , ce noble Chef des fuperbes Hongrois,
Il arrive au palais , & couvert d'une nue,
Il franchit les détours d'une fecrète iffue ,
Penètre le réduit que , près d'un noir cercueil ,
Thérèſe rempliffoit de fanglots & de deuil.....
Ces citations fuffifent pour faire juger du
ftyle de ce Poëme. Nous ajouterons qu'en
prenant prefque au hafard , nous pourrions
offrir à nos Lecteurs nombre de tirades qui
valent les vers qu'on vient de lire.
**
DE FRANCE. toj
VOYAGE LITTéraire de PROVENCE,
contenant tout ce qui peut donner une idée
de l'état ancien & moderne des Villes ,
les Curiofités qu'elles renferment , la
pofition des anciens Peuples , quelques
Anecdotes Littéraires ; l'Hiftoire Naturelle
, les Plantes , &c. & cing Lettres
fur les Trouvères & les Troubadours
par M. P. D. L. A Paris , chez Barrois
l'aîné , Libraire , quai des Auguftins. 1780 .
LA Provence , ce jardin des Heſpérides
qui , fous un beau ciel , produit les parfums
de l'Arabie , les richeffes de l'Orient ,
de l'Espagne & de l'Afrique , mérite bien
de fixer l'attention & le goût des Curieux
& des Savans. Qui ne feroit point jaloux
de connoître une Nation dont le génie , les
vertus & les vices , la politeffe & les Arts ,
le Commerce & les Lettres , prouvent fa
liaifon avec les Romains , les Grecs & les
Gaulois ; peuple fpirituel , actif, d'uns
imagination vive & fenfible , dont la langue
, par fa liberté & fes graces , devint
celle des Poëtes & des Cours , & chez qui
l'amour , dans ce temps de franche & loyale
Chevalerie , fut le juge & le prix des Héros ?
Le Père Papon , de l'Oratoire , de l'Académie
de Marfeille , dans fon Hiftoire Gé
nérale , nous a déjà débrouillé les Annales
de fa Province avec autant de lumières que
de fagacité; il nous a montré l'origine de les
E vj
MERCURE
coutumes & de fes privilèges , les caufes &
les progrès de fon induftrie , fes changemens
politiques , fes établiffemens pour les Arts
& pour les Mours ; il a éclairé les Érudits
fur l'Antiquité , les Villes, fur leurs prérogaatives
, la Noblelle , fur l'éclat de fa naiffance.
Encouragé par les fuffrages du Public ,
ee laborieux Écrivain s'eft occupé à
réunir dans un Volume toutes les connoiffances
que fa Patrie peut fournir aux
Voyageurs , & par- tout il fair pailer fur
leur route Hiftoire & la Nature. S'ils:
pallent à Avignon , il les avertit de voir
dans l'Églife des Cordeliers le tombeau de
la belle Laure , fi célèbre par la beauté &
les trois cent dix- huic fonnets, & quatrevingt-
huit chanfons de Pétrarque. Dans une
des falles des Céleftins, un tableau fur lequek
on voit un fquélette de grandeur naturelle ,
& un cercueil enveloppé dans une roile
d'araignée , peinte avec beaucoup de vé
rité. Au bas du tableau on lit des vers en
lettres gothiques , qui atteftent que ce fqué>
lette eft celui d'une femme fameufe par fes
charmes. On dit que le Roi René l'avoit
aimée ; & qu'ayant enfuite éprouvé des remords
, il avoit voulu faire fentir l'aveuglement
de fa paffron en repréfentant fous
cette forme hideufe , la beauté dont il avoit
été idolâtre. Pourroit - on fe plaindre du
vent incommode qui fouffle dans cette
Ville , quand on fait le proverbe : Avenio
DE FRANCE. ~ 109
J
ventofa , fine vento ventuofa , cum vento
faftidiofa. La fontaine de Vauclufe ,
Où dans fes beaux jours
Pétrarque foupira fes vers & fes amours
nous rappelle la charmante Idylle de Mde
du Verdier d'Uzès , pleine d'idées , de fentimens
& d'images.
La Proceffion de la Fête-Dieu à Aix , date
certainement du tems où les Frères de la Paffion
repréfentoient les Myftères fut le théâtre
de Paris. Voici à - peu -près fa marche. Un Roi ,
vêtu d'une longue robe blanche , & la couronne
en tête , paroît le premier entouré
d'une douzaine de diables qui le harcèlent
avec de longues fourches. Ce Prince faute
tantôt d'un côté, tantôt d'un autre , fe fervant
comme il peut de fon fceptre pour
écarter les fourches ; & après s'être bien
débattu , il finir fon jeu par un grand faut.
Parmi ces diables, on diftingue la diableffe
à fon habillement & à fa coëffure.... Tous
ces diables , hériffés de cornes , portent deux
cordons de quinze à vingt fonnettes chacun,
qui fe croifent fur la poitrine. On peut
s'imaginer le tintamarre qu'elles font quand
ils dar.fent. Tous ces diables vont entendre
la Meffe à Saint Sauveur ; ils entrent dans
l'Églife une têtière à la main , & après la
Meffe , ils jettent de l'eau bénite deffus ,
en faifant le figne de la croix , pour empêcher
que quelque vrai diable ne fe mêle à
la troupe , & qu'à la fin il ne s'en trouve un
MERCURE
de plus , comme cela eft arrivé , difent- ils , a
il y a long-temps .... Tout cela eft terminé
par un trait qui eft comme la moralité de la
pièce , c'eft Saint Chriftophe qui porte le
Sauveur du Monde, pour nous avertir que
nous devons le porter dans le coeur.... Il y
a encore des ballets , comme celui des teigneux
, dont le jeu confifte à danfer autour
d'un Confrère , à lui peigner fa mauvaiſe
perruque , à la broffer & l'agiter avec des
cifeaux.
Les curieux n'oublient pas de vifiter , aux
Capucins , un Crucifix de bois qui reçut au
bras gauche un boulet lorfque la Ville fut
affiégée, en 1589, par le Duc d'Épernon . Le
bras n'en fut qu'un peu noirci , & le canon
fe brifa. On rapporte un trait pareil arrivé
à Naples. Un Crucifix de l'Églife des Carmes ,
dit Brantôme , voyant venir une canonade
droit à lui pour lui emporter la tête , lá
baiffa fort bas , en forte que la balle paſſa
par-deffus .
Сс
La guerre fut plus dangereufe pour les
deux cent mille Barbares que Marius défit
dans le territoire de Tretz. La rivière de l'Arc
fut teinte du fang des morts , & le cours
des caux fufpendu par les cadavres amoncelés
. Les femmes des Ambrons & des Teu-
" tons voyant leurs époux lâcher le pied.
" dans le fort du combat , prirent les premières
armes qui leur tombèrent fous la
main , & tout écumantes de rage & de
douleur , elles frappoient fans diftinction
20
"
29 ,
DE FRANCE 114
M
» leurs ennemis & leurs époux , les uns
» pour les repouffer , les autres poar les
» faire retourner au combat ; elles fe précipitèrent
même dans la mêlée , faiſillant
» avec leurs mains les épées nués de l'ennemi
, portant & recevant des coups avec
une intrépidité fans égale .
»
Mais détournons nos regards de ce théâtre
de carnage, où la gloire coûte des larmes
à l'humanité , pour les repofer fur Sainte-
Baume , où la Magdeleine fit pénitence.
Les pélerins y accourent de toutes parts ,
66
il y a peu de perfonnes parmi le peu-
" ple qui fe difpenfent de cette dévo-
» tion la première année de leur mariage ;
» & fi ce voyage n'eft pas ftipulé dans le
» contrat , il eft du moins regardé comme
» une preuve de la tendreffe des époux pour
leurs femmes. "
"
Nous n'entrerons pas dans l'Abbaye de la
Celle , fans penfer à Garfende de Sabran ,
Comteffe de Provence , & mère de Raymond-
Bérenger , qui y fut religieufe. « Elle
» aimoit les talens, & cette galanterie romanefque
fi propre à flatter les goûts & la
» vanité des perfonnes de fon fexe. Son
Troubadour , car il étoit de l'honneur des
» Dames d'en avoir un qui fit des vers pour
elles , comme il étoit de l'effence d'un
» Troubadour d'avoir une Dame à célébrer
» fon Troubadour , qui dans toutes fes chan-
" fons vantoit l'efprit , le mérite , la cour-
20
و و
toife , l'honnêteté & le favoir de cette
T12 MERCURE
ه ر
ود
ور
» Princeffe , difoit ingénieufement que pour
fe rendre digne d'elle , il vouloit prendre
» à Aimar fa politeffe , à Trincaler fa gentilleffe
, à Reudon fa générofité , au Dauphin
fes réponſes obligeantes , à Pierre de
" Mauléon fa plaifanterie , au Seigneur Béraud
fa bravoure , à Bertrand fon efprit ,
» au beau Caftillon fa courtoifie , à Nebles
fa magnificence dans les repas , à Mira-
» vals fes chanfons , à Pons de Cap d'oeil fa
» gaiété , à Bertrand de la Tour fa droiture.
» Un tel Amant , difoit-il , fera parfait :
» tous deux vous ne fauriez manquer de
» vous aimer à caufe de la reffemblance . ·28.
Quand l'art de louer commença l'art de plaite ,
employa-t'on une tournure plus délicate
& plus ingénieuſe ?
Devions - nous nous attendre à trouver
dans ce pays des Amphions , le plus affreux.
des forfaits ? Pourquoi , par refpect pour la
Nature, ne l'a -t- on pas enfeveli dans la nuit
des temps ? comme i la houte de la poftérité
la plus reculée , pouvoit expier la mort
tragique de Cabestaing ! " Ce jeune homme
" avoit une figure & des manières qui lui
" gagnèrent les bonnes graces de Raymond,
" dont il étoit Valet , & de Marguerite fa
» femme. Marguerite fe défia d'autant
» moins des premiers mouvemens de fon
coeur , qu'ils étoient réglés par ces prin-
" cipes d'honnêteté dont les Dames s'écar-
» toient d'autant moins , que les maximes
DE FRANCE. 117
99
و د
2
و ر
"3
,
de
la Chevalerie
les
y
rappeloient
fans
ceffe
.
Cependant
ces
goûts
, tout
inno-
»
cens
qu'ils
pouvoient
être
, firent
ombrage
à
Raymond
, qui
projeta
d'en
tirer
une
vengeance
terrible
. Ayant
conduit
un jour
Cabestaing
hors
du
Château
, je ne
fais
fous quel
prétexte
, il fondit
fur
lui
l'épée
à la
main
, le tua
, lui
coupa
la tête
, lui
arracha
le coeur
, &
mit
l'un
&
l'autre
dansun carnier
. Enfuite
étant
revenu
au
Château
, il manda
le
Cuisinier
, &
lai
donna
le
coeur
comme
un
morceau
de
" Yenaifon
, lui
enjoignit
de le
faire
cuire
&
d'y mettre
un affaifonnement
convenable
.
Ses
ordres
furent
exécutés
.
Marguerite
"
aimoit
la
fauvagine
, &
pour
fauvagine
"
elle
mangea
ce qu'on
lui
fervit
; puis
Raymond
lui
dit
: Dame
, favez
-vous
de
quelle
viande
vous
venez
de faire
fi bonne
chère
?
Je
n'en
fais
rien
, dit- elle
, finon
qu'elle
m'a
paru
exquife
. Vraiment
, je
le
crois
volontiers
, répliqua
le mari
, auffi
eft
ce
bien
chofe
que
vous
avez
le plus
chérie
,
&
c'étoit
bien
raifon
que
vous
aimaffiez
mort
ce qui
étoit
aimable
vivant
. A quoi
la
femme
étonnée
, répartit
avec
émotion
: Comment
! que
dites
-vous
? Alors
lui
montrant
la tête
fanglante
de
Cabef-
Taing
: Reconhoiffez
, ajouta
-t - il , celui
dont
vous
avez
mangé
le coeur
. A ce fpecracle
Marguerite
tombe
évanouie
, &
peuà-
peu
revenant
à elle
- même
: Oui
, ditelle
, d'une
voix

la
tendreffe
fe
fai-
9
33
و د
33
133
ל כ
A 28
1149
MERCURE

» foit fentir à travers le défeſpoir , oui , je
» l'ai trouvé tellement délicieux ce mets
» dont votre barbarie vient de me nourrir ,
» que je n'en mangerai jamais d'autre , pour
» ne pas perdre le goût qui m'en reſte : à
» bon droit m'avez rendu ce qui fut toujours
mien. Raymond tranſporté de fureur
» court , l'épée à la main , fur fa femme ;
» elle échappe au coup en fuyant , va fe
précipiter volontairement par la fenê-
» tre , & meurt de ſa chûte . »
"
Nous ne craignons point que nos Lecteurs
confondent cette horrible aventure
avec celle du Châtelain de Couci & de Gabrielle
de Vergy. Avec un air de reffemblance
, elles diffèrent dans un point effentiel
; car ici c'eft un mari furieux qui affaffine
l'Amant de fa femme , & lui arrache
le coeur : là c'eft un Amant tendre qui or
donne en mourant que fon coeur foit porté
à fa Dame , comme le dernier gage d'un
fentiment qui le fuit au tombeau. Il s'agiroit
de favoir auquel des deux il faut rapporter
cette effroyable hiftoire , ou à Couci
ou à Cabestaing. La queftion a déjà été
difcutée ; & le Père Papon , fans pourtant
ofer nier que les deux faits foient vrais , s'eft
cru en droit de conclure , d'après l'exactitude
de fes recherches , que fi l'une des
deux hiftoires a été calquée fur l'autre, c'eſt
fans doute celle de Raoul.
you
Il est donc vrai que l'Amour fait quelquefois
le malheur de la beauté ! La Vertu
DE FRANCE. 215
33
"
"
a donc raifon de lui en difputer quelquefois
la conquête ! Lorfque François I. paffa dans
Manofque , il logea chez un particulier dont
la fille lui avoit préfenté les clefs de la
Ville. « C'étoit une jeune perfonne dont
» la fageffe embelliffoit encore les charmes.
Sétant
apperçue qu'elle avoit fait fur l'efprit
du Roi une impreffion que ce Mo-
" narque n'avoit pu cacher , elle alla mettre
du
foufre dans un réchaud , & en reçut la
fumée
au vifage pour ſe défigurer , ce qui
lui réuffit au point qu'elle devint méconnoiffable
, François I. fut d'autant plus
frappé de ce trait de vertu , qu'ici la va-
"
nité de fubjuguer un Roi , étoit un piège -
dangereux dans un âge où l'envie de
plaire eft déjà fi forte & fi naturelle.
» Le Monarque voulant lui donner une
marque de fon eftime , lui affura une
fomme
confidérable pour fa dot.
Voici
un autre trait. " Le brave Por-
P cellet , né à Arles , avoit fuivi à la chaffe,
Davec
cinq autres Gentilshommes , Richard-
"
33-
"
93
"
Coeur-de-lion , Roi d'Angleterre , lorfqu'il
combattoit en Paleftine. Ils furent invef-
" tis par un corps de Sarrafins , qui tombèrent
fur eux le fabre à la main. Richard
" & fes fix compagnons fe défendirent vie
goureufement pendant quelque temps ;
mais des fix il y en avoit déjà quatre de
" tués , & il alloit lui - même perdre la vie
bu la liberté , lorſque Porcellet , faifant
"
"3
J
116 MERCURE
و ر
» encore des prodiges de valeur , s'écria en
langue Sarrafine : Je fuis le Roi. Autli-tốt
les Sarrafins qui combattoient contre Richard
abandonnent ce Prince , fe joi-
" gnent à ceux qui étoient aux prifes avec
Porcellet , croyant qu'effectivement c'é
" toit le Roi, ils s'attroupent autour de lui , le
» ferrent de près , & fe faitiffent de fa perfonne
, fans lui faire aucun mal , eſpérant
» d'avoir part à fa rançon. Cette méprife
» donna le temps à Richard de fe fauver ;
» & quand il fut en lien de fûreté , il fe
hâta de retirer des mains des Barbares
» l'homme généreux auquel il devoit la vie
», & la liberté. Il donna pour fa rançon les
22. "
dix plus puiffans Satrapes qu'il eûr parmi
» fes prifonniers , " Quelle eft la femme qui
n'auroit pas envié le bonheur de placer fur
la tête d'un fi fidèle ami de fon Roi, une couronne
civique de myrthes & de lauriers ?
Même à Arles , dans le temps où l'on fit ces
vers fur une ſtatue que les uns prenoient
pour une Vénus , & les autres pour une
Diane :
Silence, Calliftène , & ne difpute plus ,
Tes fentimens font trop prophanes :-
Dans Arles c'eft à tort que tu cherches Vénus ;
On n'y trouve que des Dianes.
Le Père Papon , que fon amour pour les
Lettres rend contemporain de tous les lieux ,
DE FRANCE. 117
ne nous laiffe rien à defirer fur cette fameufe
République de Marfeille , qui fut l'Athènes
des Gaules. Elle dût fon bonheur & fa durée
à fes loix fages , gravées fur des tables , &
affichées dans les places publiques . Celle
qui regardoit le fuicide eft une des plus remarquables.
« Elle défendoit aux Citoyens
d'attenter à leur vie ; & s'il s'en trouvoit qui
fuffent las de vivre , ils expofoient aux Ma
giftrats les raifons qu'ils avoient d'abréger
leurs jours. Si elles étoient approuvées ', on
leur donnoit du fuc de cigüe que l'on tenoit
tout préparé dans le lieu des Affemblées . »
Cette coutume, que la Religion & la Nature
réprouvent , trouvoit une excufe dans le
fyftême de la mérempfycofe. Il en avoit
encore fait naître une autre qui faifoit le
bonheur des fripons & des dupes. Les riches
prêtoient de l'argent dans ce monde pour en
retirer le payement dans le ciel ,
Le fort de Notre- Dame de la Garde , dont
l'Églife eft fameufe par la dévotion des Marins
, n'eft plus, comme du temps de Bachaumont
& de Chapelle , une mâfure prête à
tomber au premier vent , ni un
971
Gouvernement commode & beau ,
A qui fuffit pour toute garde
Un Suiffe avec fa hallebarde
Peint fur la porte du château.
Mais ces joyeux Voyageurs qui prirent
118 MERCURE
tant de plaifir à goûter , dans la petite ville
de Caffis ,
Ce mufcat adorable ,
Qu'un foleil proche & favorable ,
Confit dans les brûlans rochers ,
Ne furent jamais fi contens que lorſqu'ils
virent à Toulon
· Ce Paul , dont l'expérience
Gourmandoit la mer & le vent ,
Dont le bonheur & la vaillance
Rendoient formidable la France
A tous les peuples du levant.
«
Ce grand Homme , fils d'une Lavandière ,
vint au monde dans un bateau , au milieu
d'une tempête. De fimple Mouffe il devint
Vice-Amiral. Un jour qu'il paffoit fur le
port de Marfeille, accompagné des Officiers
des Galères , il apperçur un Matelot de fa
connoiffance qui , attiré comme les autres
par le defir de le voir , & d'être apperçu
peut - être , n'ofoit pourtant fe montrer.
Le Chevalier, Paul qui vit fon embarras ,
s'approcha : pourquoi me fuyez - vous ?
Croyez- vous que la fortune m'ait fait oublier
mes anciens amis ? Enfuite le tournant vers
ceux qui l'accompagnoient : Meffieurs , voilà
un de mes anciens camarades ; nous avons
été Mouffes fur le même vaiffeau : la fortune
m'a été favorable ; elle lui a été conDE
FRANCE. 119
traire , je ne l'en eftime pas moins. Souffrez
que je m'entretienne un moment avec lui. »
Il lui procura un emploi honnête , qui fit le
bonheur de fa famille. Voilà de ces traits
qui prouvent le Héros ; car
La gloire n'eft jamais où la vertu n'eft pas.
Qu'il eft agréable de voyager avec le P.
Papon ! Comme par - tout il inftruit , il
amufe , il intéreffe ! Paffons-nous à Hyères ?
" Voici la patrie de Maffillon , du Prédicateur
le plus éloquent de la France , fi , pour
obtenir le premier rang , il faut parer la
raifon des grâces du ftyle , & du charme du
fentiment.... Après les éloges délicats de
Louis XIV , il n'entendit peut-être rien qui
le flattât davantage que ce mot d'une femme
du peuple qui , fe trouvant preffée par la
foule , & entrant à Notre-Dame un jour
qu'il y prêchoir , dit avec un ton de vivacité
: Ce diable de Maffillon , quand ilprêche,
remue tout Paris. C'eft que parlant la langue
de tous les états , en parlant au coeur de
l'homme , dit l'Auteur de fon Eloge , tous
les états couroient à fes Sermons. » A
Cotignac , il faut aller voir à Notre-
Dame de Grâces un tableau remarquable.
C'est un vou de Louis XIII , qui , après 23
ans de mariage , n'avoit pas encore eu la
confolation d'être père. Nous favions déjà
que la Reine avoit fait beaucoup de pélerinages
; & qu'un jour Monfieur la rencontra
fortant de l'Eglife, & lui dit : Madame,
720 MERCURE
Vous venez de folliciter vos Juges contre
moi , je confens que vous gagniez votre procès
, fi le Roi a affez de crédit pour cela.
Mais le P. Papon nous conte une hiſtoire
moins connue. « Le Frère Fiacre , Auguftin
Déchauffé , demeurant à Paris , fe mit en
prières pour demander à Dieu la fécondité
de la Reine. La Ste Vierge , dit cet Hiftorien
, apparut à ce Religieux le 33 Novembre
1637 , & l'affura que fes prières étoient
exaucées.... Et pour preuve que ce n'étoit
point une illufion , elle ſe montra à lui telle
qu'elle eft repréſentée dans le tableau . Le
Roi & fon époufe ayant appris , de la bouche
même de ce Religieux , tout ce qui s'étoit
pallé , l'envoyèrent en Provence pour vérifier
fi la Ste Vierge étoit réellement peinte
dans ce tableau telle qu'il croyoit l'avoir
vue dans fon extafe : fi la chofe fe trouvoit
conforme à fon récit , ils fe chargèrent de
faire une neuvaine à Notre-Dame de Grâces ,
afin d'obtenir du ciel le fils qu'on leur promettoit.
Les PP. de l'Oratoire confervent la
lettre que le Roi leur écrivit à ce fujet. Le
Frère Fiacre reconnut que la vifion ne l'avort
point trompé , & remplit fa million. » C'eft
donc aux prières du Frère Fiacre que lemonde
doit Louis XIV ! Aufli ce Prince ,
par reconnnoiffance , fit - il préfent à la Vierge
de fon cordon bleu , que l'on conferve foigneufement
, & il lui envoya enfuite fon
contrat de mariage & le Traité des Pyrénées.
*
Enfin ,
16
DE FRANCE. 121 .
Enfin , ce ne fera pas la faute de notre
guide fi nous ne prenons point une idée parfaite
de la Provence , de fon climat , de fes
productions , de l'organiſation des montagnes
dont elle eft hériffée, des plantes qu'elle
produit , des fofiles qu'elle renferme , &
des révolutions phyfiques qu'elle a éprouvées.
Mais il lui reste à nous faire un paral·
lèle fur les Trouvères & les Troubadours , à
rapprocher les divers genres dans lesquels ils
fe font exercés , & quels font ceux que toutes
les Nations ont copiés ou imités , & chez,
qui , dans le treizième ſiècle , l'on eft venu
puifer dans le genre agréable des Contes.
L'Editeur des Fabliaux , dans fon Recueil
eftimable par le ftyle , les notes fur les
mours & les ufages de la Chevalerie , attribue
aux Trouvères cette vertu créative ,
cette vigueur & cette fécondité de production ,
qui, depuis , pour la feconde fois , mais à plus
jufte titre a rendu nos bons Ecrivains les
modèles & l'admiration de l'Europe. Le P.
Papon prétend que ces Patriarches de la Littérature
moderne , dépourvus d'imagination
& de fentiment , n'ont tiré de leur propre
fonds que des Fabliaux infipides , remplis de
chofes triviales , & froidement contées , &
qu'ils doivent leurs meilleures hiftoriettes
aux Orientaux , aux Italiens & aux Provençaux.
En effet , comment la France qui ,
depuis le règne de Louis d'Outremer jufqu'au
milieu du douzième fiècle , fut enfevelie fous
le voile de la plus épaiffe ignorance , auroit-
Sam. 17 Février 1781 .
F
122 MERCURE
>
elle pu produire quelqu'ouvrage digne de la
pofterite ? La Romance Françoile qui, pauvre,
ftérile , informe , ne pouvoit fournir ni
images , ni expreffions , n'étoit propre qu'à
rendre des Contes bas & méprifables
comme celui de Cocagne , le Siége prêté &
rendu , l'Indigeftion du Vilain , le Curé &
les deux Ribauds , &c. « La plupart de ces
Contes roulent fur un fujet plaifant ; mais
comme la plaifanterie demande une délicateffe
& un agrément dans l'efprit que les
Trouvères n'avoient pas ; comme elle dépend
auffi beaucoup du choix de l'expreſſion , des
allufions ingénieufes & du rapprochement
de certaines idées qui ne paroiffent pas
d'abord faites pour aller enfemble : ces mêmes
Trouvères , qui n'avoient ni affez de
talent , ni affez de goût pour réunir ces qualités
, font froids , infipides , & vous étalent
avec une diffufion infupportable des idées
prefque toujours triviales. Ainfi ne faites pas
difficulté de leur attribuer les Fabliaux où
vous trouverez une gaieté fans vivacité &
fans faillie , une plaifanterie fans fel & fans
agrément. "
Les Contes qu'ils ont imités font ceux où
règne la féerie , inventée par les Arabes , &
enfuite employée par les Troubadours. Ils
font tous calqués fur le même deffin . Ils en
ont pris beaucoup des Orientaux : on voit
qu'ils ont fervilement imité les uns en y
faifant des changemens pour les adapter à
leurs ufages , & qu'ils ont mis fimplement
DE FRANCE. 123
les autres en vers . Enfin , les Contes qu'ils
ont littéralement , traduits ont un mérite
bien différent. On ne s'y propofe pas d'étonner
par des événemens invraisemblables
mais d'inftruire , tantôt par une morale fage ,
tantôt par une philofophie indulgente. Il
fuffiroit de lire le Conte des Deux Amis ,
dans lequel il règne un pathétique qui en
décèle l'origine . Tous ceux- ci le reconnoiffent
à ce bon fens raffiné , qui annonce la
fubtilité des Grecs , & à cette manière de
conter qui tient au bon goût , à la culture
de l'efprit , & au ton d'un fiècle où régnoit
la politeffe.
que
Comme les Italiens font naturellement
railleurs , ils fe fàcheroient fans doute contre
celui qui leur diroit ferieufement qu'ils ont
imité nos Fabliaux , dignes des bonnes gens
destreizième, quatorzième, quinzième ſiècles,
eux qui avoient des Poëtes de mérite , tels
le Dante , en 1265 , Bocace , en 1313 .
Et qui ne trouve pas dans le Conte des
Trois Voleurs , par exemple , le génie Italien ,
foit pour l'invention du fujet , foit pour la
manière dont il eft raconté? « Deux Fripons,
dont le père avoit été pendu , volent fort
adroitement un cochon à un nommé Travers
: celui - ci , qui étoit un maître filou
trouve à fon tour le moyende le leur enlever.
Que fait l'un des voleurs ? Il fe dépouille ,
met fa chemife par- deffus fes habits , fe fait
une eſpèce de coëffe de femme , & dans cet
accoûtrement , court à toutes jambes par un
Fij
124
MERCURE
autre chemin à la maifon de Travers , qu'il
attend auprès de la porte ; quand il le
voit arriver , il s'avance au- devant de lui ,
comme fi c'étoit fa femme , & lui demande ,
en contrefaifant la voix , s'il a rattrapé le
cochon? Oui , je le tiens , répondit - il :
hé bien , donne- le moi , je vais le rentrer :
cours vite à l'étable , j'ai entendu du bruit ,
& je crains qu'ils ne l'ayent forcée. Travers
lui charge les épaules & va faire fa ronde. »
Ne croit- on pas voir Arlequin faifant un
de ces tours d'adreffe & de traveftiffement ,
fi commun dans les farces d'Italie ?
cc
Travers , qui ne vouloit point perdre
fon cochon , ayant appris le tour que les
voleurs venoient de lui jouer , les fuit dans
une forêt voifine , où ils s'étoient retirés , &
où ils faifoient déjà quelques grillades. Il
fe deshabille tout nud , monte fur un chêne ,
fe fufpend d'une main dans l'attitude d'un
pendu ; puis quand il les voit occupés à fouf-
Aler le feu , d'une voix de tonnerre il s'écrie :
Malheureux ! vous finirez comme moi !
Ceux- ci troublés croient voir leur père ,
dans un fiècle où l'on croyoit aux revenans ,
& ne fongent qu'à fe fauver. »
Il nous en coûte beaucoup de ne pouvoir
développer toutes les raifons qui moti
vent le fentiment du Père Papon. Il rend àla-
fois hommage à la vérité & à fa Patrie ,
en foutenant encore que les Trouvères ont
aufli imité ou copié les Troubadours. Quoique
leurs Poéfies , qui ont joui d'une répu
DE FRANCE.
125
tation étonnante , n'exiftent plus que dans
les traductions , on les diftingue bien des
productions des Fabliers. " Quand un Fabliau
refpirera la loyauté & l'amour pur tels
qu'on les trouve dans plufieurs chanfons
amoureufes des Troubadours ou dans quelques-
uns de leurs contes ; quand ces fentimens
feront peints avec une naïveté , une
candeur & une fimplicité que n'ont point les
Ouvrages qui appartiennent véritablement
aux Trouvères; quand les Fabliaux contiendront
des circonstances locales qui défignent
le pays où ils ont été faits ; quand ils paroî
tront visiblement calqués fur des Foéfies
Provençales : enfin , quand ils feront publiés
fans nom d'Auteur , ne ferons-nous pas autorifés
à dire qu'ils ont été traduits du Provençal
, ou du moins qu'ils ont été faits
d'après des pièces que nous connoiffons dans
cetre langue , & qui font d'une ancienneté à
laquelle le Fabliau ne peut remonter ? Or ,
c'est ce que nous force d'avouer la lecture
de plufieurs Fabliaux qui , même déguifés ,
portent un caractère national. » D'ailleurs ,
la langue Provençale étoit répandue dans
prefque tout l'Occident. Les Auteurs Italiens
les plus verfés dans la Littérature , &
Ducange , dont l'autorité eft d'un grand
poids , en convier.nent.
و ر
L'intérêt patriotique que le Père Papon
prend aux Poéfies des Troubadours , nous
difpenfe d'infifter fur leur mérite . Sans
F iij
126 MERCURE
doute qu'on y trouve autre chofe que des
tenfons , d'éternelles & ennuyeufes chanfons
d'amour fans couleur , fans images , fans
aucun intérêt ; en un mot , autre chofe
qu'une affoupillante monotonie. De plus , ce
qui élève les Troubadours au-deffus de leurs
rivaux , c'eft cet efprit de Chevalerie , cette
peinture vraie & naturelle des moeurs & des
ufages. L'efprit de leur fiècle refpire dans
leurs Ouvrages ; l'amour s'y peint; l'amour ,
cette paffion noble , le principe des belles
actions , qui affujétit aux loix de la bienféance
& de l'honneur , avoit toute la déli
cateffe & la vivacité de l'amitié. C'eft ce
fentiment pur & fublime qui mérita au
Comte Raymond Bérenger & à Béatrix de
Savoye , fon époufe , le rang le plus diftingué
parmi les Troubadours. " Ils ont eu la
gloire d'avoir rendu leur Cour une des plus
polies & des plus brillantes de l'Occident ,
par la protection éclairée qu'ils accordèrent
aux Lettres. L'amour des beaux Arts eft
peut- être dans un Prince la pallion qui lui
fait le plus d'honneur , parce qu'elle annonce
cette fenfibilité pour l'honnête & le beau,
qui eft le garant de la profpérité des Empires
, & un moyen affuré de fe faire un
nom . »
DE FRANCE.
127
ESSAI de Traduction en vers du Roland
Furieux de l'Ariofte. Brochure in- 8 ° .
A Paris , chez Alexandre Jombert ,
Libraire , rue Dauphine.
M. DE VOLTAIRE n'avoit ofé , dans l'Effai
fur la Poéfie épique donner un article à
l'Ariofte ; il craignoit de foulever contre
lui le peuple de ces Littérateurs de Collége ,
qu'il a eu foixante ans l'honneur d'avoir
pour ennemis. Enhardi par fa vieilleffe &
par fa renommée , il a , vers la fin de fa
carrière , rendu hautement juftice au génie
du Chantre de Roland . Le Public averti par
lui , & accoutumé à fuivre fes impreffions,
s'occupa de l'Ariofte comme d'un Ouvrage
nouveau ; mais la traduction de Mirabaud
paroiffoit froide : on demandoit un nouveau
Traducteur , dont la profe offrît à
ceux qui ignorent l'Italien quelques traces
de cette variété de tons , de cette fineffe de
plaifanterie , de ces grâces qu'on admire
dans le Poëte de Ferrare . On nommoit
M. le Comte de Treffan , qui , dans fon
Amadis , avoit approché de l'Ariofte autant
que dans les Ouvrages d'agrément la profe
peut approcher de la poéfie. Il a rempli
cette tâche difficile de manière que le Public
a paru fe féliciter de la lui avoir imposée ;
cependant cette traduction eft en profe ; les-
Amateurs de la poéfie regrettent que M. de
Fiv
128 MERCURE
Treffan ne l'ait pas faite en vers ; & l'un
d'eux a efpéré qu'en effayant de traduire en
vers le premier chant , il feroit naître à M.
de Treffan l'envie de tenter cette grande entrepriſe
, ne fût- ce que pour venger l'Ariofte ,
à ce que dit modeftement le nouveau Traducteur.
Cet Effai eft accompagné de notes intéreffantes.
La traduction de M. de Treffan eft fi
nouvelle , elle a été lue avec tant d'avidité ,
que pour faire connoître l'Effai de traduction
en vers , il nous fuffira d'en citer quelques
morceaux.
Renaud pourfuit Bayard , qui ne veut pas
fe laiffer prendre par fon maître , afin de
l'entraîner für fes traces , & de le conduire
plus fûrement fur le chemin d'Angélique.
Renaud , qui ne peut deviner les bonnes intentions
de fon cheval, eft indigné de fon
indocilité.
ee TOUT en courroux , alors Renaud le fuit...
Pour nous , fuivons notre belle * qui fuit ,
Qui fuit , perçant les forêts les plus fombres ,
Où l'horreur morne & l'épaiffeur des ombres
Font du jour même une feconde nuit.
Seule , incertaine en un déſert ſauvage
Elle erre, & n'a pour guide que la peur.
Le moindre vene agitant le feuillage
* Angélique.
DE FRANCE 129
Lui fait changer la route avec frayeur ;
Son ombre même excite fa terreur :
A droite , à gauche , elle s'ouvre un paffage ,
Gravit les rocs , traverse les valons ,
Et croit avoir Renaud fur les talons.
AINSI le faon de la douce gazelle ,
Qui , de fon fort , a vu , fais d'horreur ,
Un léopard à la griffe cruelle ,
Aux longues dents , écumant de fureur ,
Mettre en morceaux fa mère palpitante ,
En friffonnant s'élance & vole : il fuit
De bois en bois la bête menaçante ;
De bois en bois ill'entend qui le ſuit ;
Par
-tout, dans tout, il ne voit qu'elle feule:
S'il froiſſe un arbre , & caufe un léger bruit,
C'eſt encore elle , il fe croit dans fa gueule.
TELLE Angélique a couru tout le jour ;
La fombre nuit la vit errer encore ;
Elle
a
repris fa courſe avant l'aurore ,
Et des déſerts recommencé le tour .
Il eſt midi : dans un charmant bocage
Elle s'arrête. Un zéphir frais & doux
S'y fait fentir fous un épais ombrage ;
Avec
lenteur roulant fur des cailloux
Deux
clairs ruiffeaux font un tendre murmure ;
L'onde
argentine entretient la verdure ,
La
rend
plus vive & la couvre de fleurs .
Fv
130
MERCURE
EN sûreté notre belle croit être
Loin de Renaud dans ces lieux enchanteurs →
Et la fatigue & l'excès des chaleurs
Lui font chérir cet afyle champêtre.
Elle débride alors fon palefroi :
L'herbe eft épaiffe , il a befoin de paître ,
Sa belle main l'y lâche fur fa foi ;
Non fans l'avoir , par plus d'une careffe ,
Récompenfé du fervice rendu.
L'heureux cheval ! & l'aimable maîtreſſe !
TOUT à côté, la belle a reconnu
Un beau buiffon d'aubépine & de rofe,
Qui , fe mirant dans l'onde qui l'arrole ,
Paroît doubler le nombre de fes fleurs.
Un chêne altier le défend des ardeurs
Dont le foleil embrâfe l'atmosphère .
Jufte au milieu du buiffon rouge & vert
Eft un espace , où l'on peut à couvert.
Se retirer & dormir folitaire .
Un gazon fin y convie au repos :
Les jets fleuris arrondis en berceaux ,
Arrêteroient tout regard téméraire .
Notre beauté s'y place en foupirant ,
S'y croit cachée à la Nature entière ,
Et doucement y ferme lapaupière.
A peine Angélique eft- elle dans ce buiffon
qu'elle entend arriver un Guerrier : c'eft
Sacripant , un de fes Amans, il s'etend fur
DE FRANCE. 131
l'herbe , & fe plaint des rigueurs d'Angelique.
Le Traducteur a été obligé de faire des
changemens à ce difcours . Le Poëte original
mérite bien quelques reproches felon lui .
« La tête baſſe , au moins une grande heure,
Sans mouvement ce Chevalier demeure ;
Puiffe il commence, avec un ton fi doux ,
A lamenter la déplorable vie ,
Qu'une tigreffe en feroit attendrie :
Son défefpoir briferoit des cailloux .
De pleurs amers une ſource abondante
Sur chaque joue a fillonné fon lit ;
Et fa poitrine oppreffée , haletante ,
Semble un volcan qui s'enfle & qui mugit.
Cependant ce même Sacripant s'amuſe
dans fon difcours à comparer une jeune
fille qui a cédé à la paffion de fon Amant , à
une rofe qui a été détachée de fa tige.
« La jeune fille eft cette aimable roſe ,
" Qui , folitaire en un riant jardin,
» Sur fon épine en sûreté repoſe ,
» Loin des troupeaux , loin des Bergers : nul n'ofe
" En approcher une indifcrète main.
» Le doux zéphir & les pleurs du matin ,
" L'onde , la terre , à l'embellir conſpirent ;
22 Le tendre amant , l'amante la defirent ,
»
Pour
en orner ou leur tête ou leur fein.
»
Mais quand
, cédant
à la main
qui la cueille
,
F vj
132 MERCURE
» Elle a quitté la vive & verte feuille
Et délaiffé le rameau maternel ,
» Ces dons brillans qu'elle a reçus du ciel ,
Qui la rëndoient le charme de la terre ,
Grâces , fraîcheur , comme une ombre légère
Tout difparoît , tout fuit en peu de temps.
» Ainfi l'on voit la beauté qui fe donne ,
Qui des tréfors de fon jeune printemps
» A d'un ami comblé les voeux ardens ,
» Perdre bientôt l'éclat qui l'environne ,
Et tout fon prix pour les autres amans.
AH ! que lui font leur mépris , leur tendreffe ,
» Et ma douleur & mon juſte courroux !
» Elle aime & plaît ; elle règne en maîtreffe
Sur le mortel qu'enivre un bien fi doux. »
Cette comparaifon eft de Catulle , qui ,
dans une Épitalame , la fait chanter p r un
choeur de jeunes filles ; mais un choeur de
jeunes garçons répond par la comparaiſon
d'une jeune fille avec une vigne , qui , fi elle
ne s'unit à l'ormeau , rampe inutile fur la
terre. Ces deux couplets de Catulle font
charmans , fur - tout ils font bien à leur
place. Si les jeunes filles exagèrent la fierté
de leur fexe , les jeunes garçons leur oppofent
une raifon plus vraie & une morale
plus faine; au lieu que la première comparaifon
, ifolée dans l'Ariofte , n'eft qu'une
beauté hors d'oeuvre , & le Traducteur a
été
DE FRANCE.
133
igé de corriger fon Auteur , & de
du moins quelque liaiſon entre cette
Comparaifon & le difcours de Sacripant.
Il a cru devoir auffi donner dans une note
à fes Lecteurs , une traduction ou plutôt une
imitation des deux couplets de Catulle :
nous allons les rapporter.
Choeur des Jeunes Filles.
TELLE qu'une fleur née au milieu d'un jardin ,
Que la dent des troupeaux a toujours refpectée ,
Que le foc en paffant n'a jamais infultée ,
Brille & s'épanouit aux rayons du matin :
Le doux zéphir careffe & rafraîchit ſon ſein ,
L'eau du ciel la nourrit , le foleil la colore ;
Le vif adoleſcent pour celle qu'il adore
Brûle de la cueillir. Mais qu'un ongle tranchant
De fa tige natale enfin l'ait détachée ,
L'amoureuſe beauté , le vif adolefcent
N'ont plus que du mépris pour fa feuille féchée.
TELLE Croiffant en grâces , & chère à fes parens
Auffi pure qu'un lys la jeune Vierge éclate.
La pudeur embellit fes charmes innocens.
Mais quand elle a perdu cette fleur délicate ,
Ornement glorieux , tréfor de fon printems ,
Afes adorateurs elle ceffe de plaire ;
A fes compagnes même elle devient moins chère.
Choeur des Jeunes Garçons.
COMME en un champ défert une vigne iſolée ,
134
MERCURE
Sans gloire , & fur le fol triftement étalée ,
N'a jamais de fa sève enflé les doux raifins.
Son propre poids l'entraîne , & fes débiles mains
Vont embraffer le pied de fa tige rampante.
L'Agriculteur dédaigne une inutile plante ,
Et guide ailleurs l'effort de les jeunes taureaux.
Mais qu'un orme avec pompe étendant ſes rameaux
Au flexible farment offre fa tige heureuſe ,
Les bras reconnoiflans de la vigne amoureuſe
L'enlacent mollement , s'élèvent avec lui ;
L'oeil voit briller au loin , fous fon robuſte appui ,
En feftons colorés la grappe favoureufe ;
Animant fes taureaux l'actif Agriculteur
Autour du cep fécond follicite la terre.”
AINSI la beauté froide , & qui craint d'être mère ,
Languit abandonnée & vieillit fans honneur.
Mais quand mûre à l'Amour , utile à la Patrie ,
Elle cède à l'Hymen & connoît un vainqueur ,
De l'époux qui l'adore elle fait le bonheur ,
Et n'en eft que plus chère à ſa mère attendrie.
Revenons à la Traduction de l'Ariofte.
Angélique paroît touchee du diſcours de
Sacripant.
« Ce pauvre amant la trouvoit autrefois ,
Autant qu'un marbre , infenfible à fa voix.
Mais à préfent qu'elle eft ſeule en un bois ,
Manquant de tout , fans appui , fans reffouree ,
Et ne fachant où diriger fa courfe ,
DE FRANCE
135
Elle comprend que , dans l'eau jufqu'au cou ,
Ne pas crier au fecours feroit fou.
L'occafion lui préfente un bon guide ,
Un défenfeur , un amant , un héros ;
Refpectueux , foumis , tendre , intrépide ,
Nul ne l'efface ; aucun de fes rivaux
N'eft plus fidèle : elle en eft bien certaine,
La voilà prête à partir avec lui
Pour le pays dont elle eſt Souverainc.
MAIS , quoiqu'émue en voyant aujourd'hui
Notre Guerrier peindre fi bien la peine ,
Ne croyez pas qu'elle ait au fond du coeur
Aucun deffein de faire fon bonheur :
Ce feroit mal connoître l'inhumaine.
Bien qu'attendrie , elle eft encore très-loin
De mettre un prix fi doux à ſa conftance ,
Auffi long-temps qu'elle en aura befoin.
Elle prétend l'amuſer d'eſpérance ,
Et puis rentrer dans ſon indifférence.
Eût- ellé pu foutenir ce projet ,
Que tant de fois tant de belles ont fait ?
On eft fouvent meilleure qu'on ne penſe.
Ces trois derniers vers font du Traducteur
; nous croyons devoir en avertir , parce
qu'ils nous ont paru dignes de l'Ariofte . Au
lieu de & puis rentrer dans fon indifférence ,
il y a dans le texte , poi torni , all'ufo fuo,
eproterva. Le Traducteur reſpecte trop dura
136 MERCURE
les Dames pour donner à une belle Reine
de pareilles épithètes .
Angélique s'approche de Sacripant , l'embraffe
, & lui raconte les aventures ,
» Elle lui dit comment cette aſſiſtance
Retardant trop , il lui fallut en France
Suivre Roland , de qui le bras vainqueur
Des accidens l'a toujours préfervée ,
Tant & fi bien que de fon tendre honneur
La précieuſe & délicate fleur
Comme en naiſſant eft pure & confervée ,
Ce dernier point termine fes récits.
LA chofe étoit peut-être véritable.
Le vrai n'eſt pas toujours très- vraiſemblable :
Les gens bien froids , bien calmes , bien raffis ,
Doutent de tout ; mais un coeur bien épris
Doit croire tout de la bouche qu'il aime.
Quoi ! tout ? fans doute , & l'impoffible même.
Amour , Amour , ce font tes moindres jeux !
Tu fais douter de ce qu'ont vu nos yeux ,
Et ton flambeau fait voir ce qu'on defire.
LECTRICE aimable , oferai-je vous dire
L'avis fecret du tendre Sacripant ,
Dont le refpect & le conftant martyre
Vous ont touchée , & que vous aimiez tant ?
Las ! il le faut , je dois vous en inſtruire :
C'eſt à regret que je tranche le mot.
Le bon Roland ne lui parut qu'un fot.
1
DE FRANCE. 137
Il fe promet d'être plus téméraire ;
Et , fans tarder , de cette fleur fi chère
Il compte bien s'emparer en vainqueur ,
Lui , qu'à l'inftant vous trouviez fi crédule ,
Il ne croit pas à la noble rigueur
Quifait qu'en vain un fidèle amant brûle :
Il ne croit pas le refus dans le coeur ;
Et dans la bouche , il le croit ridicule ;
Même il fuppofe , & cela fait horreur ,
Les foupirs feints , & le courroux trompeur.
Ce travers-là par le monde circule ;
Et je rougis qu'il foit dans mon Auteur.
- C'eft encore ici un des paffages où il y a le
plus de changemens.
Le difcours de Sacripant eft direct dans
l'Ariofte il dit tout uniment, qu'il fait
bien que rien ne fait plus de plaifir à une
femme , que de fe voir arracher ce qu'elle
s'obtine tant à refufer , & que les pleurs
d'Angélique n'empêcheront pas qu'il n'accompliffe
fonprojet : Che non incarni ilfuo difegno.
Mais cette dernière expreffion renferme
dans l'Italien une équivoque très- plaifante ,
mais très - libre , & qu'il auroit été impoffible
de traduire , quand même le Traducteur ne fe
fe feroit pas fait une loi d'être toujours décent.
Un guerrier interrompt les projets de Sacripant
qui le défie : leurs lances le brifent ,
leurs chevaux ſe choquent, celui de Sacripant
138 MERCURE
tombe mort , le Chevalier inconnu pourſuit
fa route & laiffe Sacripant fe relever ; encore
tout meurtri de fa chûte , il voit arriver
un Courier , il le prie de lui dire le nom
du Chevalier blanc.
TRÈS- volontiers. C'eft une fille aimable ,
» Dont en tout lieu on vante les appas.
» Elle eft vaillante , elle eft plus belle encore ,
» Et fa main blanche eft la terreur du Manre .
Vous ne pouvez ignorer fon grand nom :
» Soeur de Renaud , fille du noble Aimon ,
C'eſt Bradamante. Or fus , prenez courage :
» Contre quelque autre , un jour, vous ferez mieux.
Dans l'Ariofte le Courier dit à Sacripant
que Bradamante lui a ôté tout l'honneur
qu'il avoit acquis pendant fa vie , ce qui eſt
dur , groffier & injufte.
En voilà fans doute affez pour donner à
nos Lecteurs une idée de cet Effai , & montrer
comment l'Auteur a fu prendre le ton de
l'Ariofte , en rendre les beautés en ajouter
de nouvelles , & le corriger quelquefois
.
par
Le Traducteur termine le premier Chant
ces deux vers :
Je vous dirai leur bataille terrible
Au fecond Chant , fi cela m'eft poffible.
Les amateurs de la Poëfie defireront qu'il
ait cette poffibilité , & fe joindront à nouspour
l'engager à imiter en tout l'Ariofte,
#
DE FRANCE. 139
qui a fu trouver , dans les intervalles d'occupations
plus férieufes & plus utiles ,
le temps de faire un long Poëme .
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Les repréſentations d'Iphigénie en Tauride ES
continuent d'avoir du fuccès. On a retranché
plufieurs airs & des ballets inutiles dans les
deux premiers Actes , de forte qu'ils ont
déjà perdu quelque chofe de leur langueur ;
mais il eft effentiel qu'on y faffe encore
quelques corrections , principalement dans
les Scènes qui ouvrent le premier. Le
Muficien fera fans doute obligé de faire
le facrifice de deux ou trois morceaux qui
lui font honneur ; mais l'intérêt de la Scène
les exige , & ce n'eft pas quand on eft rishe
qu'il eft permis d'être avare.
Le Jeudi 25 du mois dernier , M. Duquef
noy a débuté par le rôle de Colin , dans les
Devin de Village.
Il eft difficile d'avoir moins d'habitude de
la Scène que ce jeune Débutant , dont la
démarche , le maintien & les geftes font
extrêmement gênés ; mais on ne remarque
dans fonjeu aucun de ces défauts indompta140
MERCURE
1
bles qui ne laiffent entrevoir aucune espérance.
Sa voix eft agréable, & fon organe pur ; mais
fon Chant manque toujours de méthode ,
& très-fouvent de goût. Sa prononciation eſt
difficile , il graffeye d'une manière fatigante,
& la Profodie lui eft abfolument inconnue.
Nous lui indiquons ces défauts dans la feule
intention de l'engager à s'en défaire , s'il
veut mériter les fuffrages du Public de Paris.
Quand on a , comme Chanteur , un rival
tel que M. Legros , il eft difficile
bien glorieux de mériter des fuecès.
mais
COMÉDIE ITALIENNE.
DANS le compte qu'on a rendu , Nº . 3
de ce Journal , de la nouvelle édition que
M. Cailhava vient de donner de fes OEuvres
Dramatiques , on a cité quelques -unes des
nouvelles obfervations qu'il a ajoutées à fon
Traité des Caufes de la Décadence duThéâtre.
Parmi les différentes réflexions qu'on a tranf
crites , on a remarqué celle- ci :
» Les Italiens fe font noblement chargés
» de leur enlever leurs Acteurs ( aux Spec-
» tacles des Boulevards ) ; le Crifpin du Bois
» de Boulogne a débuté fur leur Théâtre ;
le fameux Jeannot , des Variétés Amufantes
, eft paffé fur leur Théâtre . »
Senfibles à ces reproches , MM. les Comédiens
Italiens ont adreffé au Bréveté de ce
DE FRANCE. 141
Journal , une Letrre dont nous avons l'original
, & dont nous fommes chargés de publier
les détails. Il en résulte ,
1 °. Que le fieur Boucher , qui a quitté
le Bois de Boulogne , pour débuter à la Comédie
Italienne , n'y a paru qu'en vertu
d'un ordre fupérieur , follicité par quelques
perfonnes puiffantes.
2°. Que le fieur Volange y a débuté en
vertu d'un pareil ordre ; que l'intention des
Comédiens Italiens n'a jamais été de le conferver
; enfin , que fept mois de féjour à ce
Spectacle ayant convaincu le Rofcius des
Remparts qu'il n'y feroit jamais utile , &
l'ayant engagé à retourner fur la Scène qui
lui convient , ils fe font empreffés de folliciter
fon ordre de retraite.
A ces moyens , qui ne laiffent aucun
doute fur la juftification des Comédiens Italens
, ils ajoutent que M. Cailhava , qui
leur reproche de s'être noblement chargés
d'enlever les fujets des Boulevards , a pourtant
contribué plus qu'eux au début du fieur
Jeannot Volange , puifque, de concert avec
M. d'Hèle , il s'eft donné la peine de rédiger
pour lui les Trois Jumeaux Venitiens
Comédie de Colalto , qu'il avoit demandée
pourfon premier début. » Si M. Cailhava ,
"
93.
"
difent- ils , n'a pas dédaigné de préparer
lui-même le début de Jeannot , s'il y a
coopéré , peut-il nous blâmer de l'avoir
fouffert , d'après les ordres que nous
» avions ? »
142 MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES..
PHILOC HILOCTETE , Tragédie traduite du Grec de
Sophocle , en trois Actes & en vers , par M. de la
Harpe , de l'Académie Françoife , in - 8 ° . Prix ,
1 liv. to fols . A Paris , chez Lambert & Baudouin ,
Imp. - Libraires , rue de la Harpe . On rendra compre
de cet Ouvrage , qui a déjà mérité les fuffrages
du Public dans une Séance de l'Académie Françoife ,
& qui nous femble fait pour ajouter à la réputation
de l'Auteur .
Laurette , Comédie en trois Actes & en vers ,
tirée des Contes de M. Marmontel , par M. d'Oifemont
, repréſentée par les Comédiens ordinaires du
Roi , le 2 Août 1779 , in-8 ° . Prix ,, 1 liv. 10 fols.
A Paris , chez Vente , Libraire des Menus- Plaifirs du
Roi, rue des Anglois.
Cécile , Comédie en trois Actes & en profe ,
mêlée d'Ariettes, par M. M ... mufique de M. Dezedes,
corrigée & imprimée fuivant la Repréſentation au
Théâtre des Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
en 1781 , in - 8 ° . Prix , 1 liv. 4 fols. A Paris , chez
le même Libraire.
De l'état actuel de l'Esprit humain , relativement
aux idées & aux découvertes nouvelles , ou la perfécution
attachée à la vérité & au génie , par J. J.
Rouffeau , in - 8 ° . A Paris , chez Valleyre l'aîné ,
Imprimeur- Libraire , rue de la Vieille - Bouclerie.
De l'Origine des Etrennes , par Jacob Spon ,
petit in- 12 . A Paris , chez Didot l'aîné , Imprimeur-
Libraire , rue Pavée , & G. Debure , Libraire , quai
des Auguftins.
Jacob Spon , Docteur en Médecine , Auteur de
DE FRANCE. 143
plufieurs Ouvrages d'Antiquités très - eſtimés , publia
cette Lettre fur l'Origine des Etrennes , le premier
Janvier 1674 , & l'adreffa à M. Stoffel , Confeiller
de S. A. S. Frederic Augufte , Duc de Wirtemberg.
Les recherches qu'il a faites prouvent que cet ufage
eft très-ancien , puifqu'il exifoit du temps de Romulus
, Fondateur de l'Empire Romain .
Nous croyons que le Public verra avec plaisir la
réimpreffion de cette petite Brochure , dont on trouvoit
très-difficilement des exemplaires : elle fait connoître
la manière dont cette coutume s'obfervoit chez
ce Peuple célèbre .
La partie Typographique de cet Ouvrage eft de
la plus grande beauté. Les mêmes Libraires vont
publier inceffamment une nouvelle Traduction du
Manuel d'Epictete , avec des Réflexions générales
fur la Philofophie Stoïcienne . Cette Traduction également
foignée , foit pour l'exactitude , foit pour le
ftyle & la précifion , eft imprimée fur le même papier
& du même format que la Collection de Monfeigneur
le Comte d'Artois , & avec les beaux carac
tères de Garamond , dont le nom feul fait l'éloge .
Les mêmes Libraires fe propofent d'imprimer de la
même manière les meilleurs Moraliftes de l'Antiquité
, & de raffembler ainfi dans un format élégant
& commode tout ce que les anciens Philofophes
Grecs & Latins ont écrit de plus judicieux & de plus
utile fur la Morale .
Effaifur l'action de l'air dans les maladies contagieufes
, qui a remporté le prix proposé par la
Société Royale de Médecine , par M. Menurel,
Vol, in- 12 . A Paris , rue & Hôtel Serpente.
Le Gentillatre , Comédie en trois Actes & en
profe , par M. Mercier , in- 8 ° . Prix , 1 liv. 4 fols .
A Paris , chez la Veuve Ballard, Imprimeur-Libraire ,
tue des Mathurins ; la Veuve Duchefne , Libraire,
144
MERCURE
rue Saint Jacques , & Vente , Libraire , rue des Anglois.
Le Brigandage de la Mufique Italienne , Vol. in-
Prix , 1 liv. 10 fols. A Paris , chez Baſtien , Libraire
, rue du petit Lion.
12.
Élémens de Phyfique , ou Abrégé du Cours complet
de Phyfique fpéculative & expérimentale , fyftématique
& géométrique de M. l'Abbé Para du Phaujas,
par l'Auteur , gros Volume in- 8 ° . , avec figures.
Prix , 7 liv. 10 fols . A Paris , chez Cellot , Imprimeur
- Libraire , rue Dauphine , & chez Jombert ,
où fe trouvent les autres Ouvrages du même Auteur.
Géographie de la Nature , ou diftribution naturelle
des trois règnes fur la furface de la terre , ſuivie
de la Carte Minéralogique & Botanique du Vivarais
; Ouvrage qui fert de préliminaire à l'Hiftoire
Naturelle de la France Méridionale , par M.
l'Abbé, Giraud - Soulavie , Brochure in- 8 ° . A Paris ,
à l'Hôtel de Venife , Cloître Saint Benoît , & chez
Dupain- Triel , Géographe , rue des Noyers.

TABLE.
ERS & Son Eminence Mgr ratrice- Reine ,
103
107
le Cardinal de Bernis , 97 Voyage Littéraire de Provence,
Verspourle Portrait de M. de
la Motte-Picquet,
Traduction d'un Diftique de
1 Santeuil ,
98 Effais de Traduction en vers
du Roland Furieux , 127
ib. Académie Roy. de Mufiq. 139
99 Comédie Italienne ,
101 Annonces Littéraires ,
Chanfon Elegiaque ,
Enigme & Logogryphe ,
Poëmefur la Mort de l'Impé-
APPROBATION.
140
142
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 17 Février. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris,
le 16 Février 1781. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 24 FÉVRIER 1781 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA METAMORPHOSE DE L'AMOUR,
Infcription pour le Portrait de S. A. S
Mde L A...... Princeffe du Sang.
L'AMOUR fourit à ce Portrait :
N'en devine-t'on pas la cauſe ?
C'est qu'il s'y voit peint trait pour trait ,
Et qu'il eft enchanté de ſa Métamorphoſe.
( Par M. Caftres. )
1
Sam. 24 Février 1781 .
G
146
MERCURE
VERS
A Mademoifelle H.... D... M., qui , en
me reprochant obligeamment qu'on memẹ
yoyoit trop peu chez elle & dans la Société,
m'avoit demandé plufieurs fois par quelles 瞿
raifons je me plaifois à fuir ainfi le monde,
HARD ARDI dans ce que je faifois ,
Et trouvant tout facile à faire ,
Quand j'étois jeune , je plaifois ;
Aujourd'hui je fais le contraire,
Ceffez donc , gentille Beauté ,
De dire qu'à tort je me cache.
Plus qu'à vous croyez qu'il me fâche
De me voir par l'âge arrêté.
Je ne ferois que trop porté
Afuivre un monde qui m'attache.
Mais chérie autant que vous l'êtes ,
Par les élégans d'alentour ,
Que feriez-vous dans votre Cour
D'un galant qui porte lunettes ?
J'ai déjà paffé cinquante ans ,
Vous en comptez deux après feize.
Je vous connois vingt courtisans ,
Jeunes , bien faits , nobles , galans ,
DE FRANCE. 147.
N'en est-il aucun qui vous plaiſe ?
Pourquoi m'agacez- vous toujours ?
L'un pour l'autre pouvons- nous vivre?
A mon âge on fuir les Amours ,
Au vôtre on commence à les fuivre .
Daignez-donc , féduiſante Églé ,
Me moins blâmer fur ma retraite
Mon coeur eft bien affez troublé
De vous adorer en cachette.
Dieux , qu'ai-je dit ! ... C'est à regret
Que m'échappe un aveu femblable .
Je n'étois qu'à demi coupable ,
Je viens de l'être tout-à-fait.
Mais la Nymphe la plus aimable
N'auroit jamais fu mon fecret ,
Si d'un babil trop indifcret
J'avois pu la croire capable.
J'AI parlé, vous l'avez voulu ;
C'eſt à vous à préfent à taire
Ce qu'à regret vous avez lu.
D'un écrit qui vous a déplu ,
Faites un éternel myſtère.
LA Vérité chez les amans
Doit marcher au milieu des Grâces ;
Les fleursfont filles du printemps ,
Git
143 MERCURE
L'hiver ne produit que des glaces ; '
Le Plaifir fuit les jeunes gens ,
L'Amour voltige fur leurs traces ;
Le ridicule , les difgrâces ,
Sont le lot des vieux foupirans.
BELLE Églé , que votre colère
N'ajoute rien à mes tourmens ;
La glace, fidelle & fincère ,
Qui me montre mes cheveux blancs ,
Vous venge affez. d'un téméraire ;
En un mot , divine Bergère ,
Croyez qu'avec mes fentimens
Le plus rude des châtimens
Eft d'aimer fans l'efpoir de plaire.
( Par M. le François , ancien Officier de Cav. )
Air d'Iphigénie de M. Piccini , chanté
par M. Legros.

ORESTE , au nom de la Pa- tri – e ,
au nom deta Scut & des Dieux , des Dieux , é
2
DE FRANCE 149
coute un a-mi qui te pri- e , é- coute
un ami qui te pri- e ; quand il veut
t'im-mo-ler fa vie , ne ré -fif- te
point à fes voeux , ne ré- fi- fte point
à fes voeux ; va por-ter au fein de la
Gre - ce , loin de ces fu- nef- tes climats
, loin de ces fu- nef- tes cli -mats , le
fou-ve-nir de ma ten -dreffe , & l'heureux
Guj
1150
MERCURE
fruit de mon tré - pas , de mon trépas.
O-re- fte , au nom de la Pa- tri - e,
au nom de ta Soeur & des
Dieux , é- coute un a- mi qui te prié-
cou-te un a - mi qui te pri- e¿
quand il veut t'im -mo- ler fa vi- e ,
ne ré - fi- fte point à fes voeux , ne
ré-fi-fte point à fes voeux.
DE FRANCE.
RÉFLEXIONS SUR L'ÉGOISME . *
ON entend & on doit entendre par Égoïſme ,
ún continuel facrifice des autres à foi ; mais ce facrifice
des autres à foi eft le propre de toutes les paffions,
de tous les vices. Les paffions , en nous faifant
placer tout notre bonheur dans la poffeffion de leur
objet , nous font tout facrifier pour l'obtenir. Les
vices , qui font des inclinations baffes & déréglées
de notre ame , nous font auffi tout immoler à
nos goûts & à nos habitudes . Il femble donc que
l'égoïfme fait le fond de toutes les paffions , de tous
les vices , de toutes nos mauvaiſes actions , & de
tous les mouvemens coupables de notre coeur.
Rien n'eft plus vrai . Chaque pallion , par les excès
ou par les écarts , chaque vice par cette force
que lui donde l'habitude , nous font troubler le
bonheur des autres hommes , pour parvenir à ce que
nous croyons le nôtre , & par conféquent nous rendent
Egoiftes.
Mais cet Égoilme n'a qu'un objet , qu'une feule
manière de fe produire & de s'exercer , & il prend
le nom de la paffion ou du vice qui l'abſorbe tout
Entier.
Au lieu que l'Égoïfme véritable fe manifefte de
toutes les manières & fans aucune paffion dominante
; c'eſt une habitude bien établie , ou un fyftême
adopté dans notre ame : il eft cela , ou il n'eſt
rien .
If peut être tout-à-la-fois une habitude & un fyl-
?
* Nous avons rendu compte du Difcours fur l'Egoïfme
couronné par l'Académie de Befançon . Voici un morceau
extrait d'un Difcours qui a concouru , & dont on n'a fait
aucune mention. C'eſt au Public à comparer & les idées
le Ayle.
Giv
282 MERCURE
ême ; mais il peut auffi être l'une fans être l'autre ,
& c'est ce qui me fait diftinguer deux fortes d'Egoïlme.
Le premier confifte uniquement en habitude ;
e'eft une complaifance exceffive pour notre perfonne
, un foin exclafif de notre repos & de nos
plaifirs , & le befoin de voir tout ce qui nous entoure
y concourir & s'en occuper. Il dépend beaucoup de
f'organiſation ; il exclud les paffions qui font les
ames énergiques & les efprits étendus ; il eft au contraire
le figne d'une petite ame , dont toute la fenfibilité
s'épuife pour elle -même , & d'un efprit borné
qui n'a rien apperçu de cette réciprocité d'affections
& de fervices qui entretient la vie fociale ; c'eft encore
plus le fruit d'une éducation molle & adulaerice
: auffi eft - il très-commun parmi les riches &
les grands ; il l'eft encore parmi les femmes , mais
il y eft moins dur & moins prononcé ; il peut
même ne pas déplaire en elles , parce qu'il a fon exeufe
dans leur foibleffe , qu'il fe dégaife fous l'apparence
du defir d'être aimées , & que notre penchant
à nous occuper d'elles le favorife. Mais lorsqu'il eft le
fond de leur caractère , il produit l'impatience & quelquefois
l'averfion , parce qu'on confent bien à les trouver
fort occupées d'elles- mêmes , mais non pas infenfibles
pour tout ce qui n'eft pas elles . J'appellerai
cette première espèce d'égoïsme, l'Égoïsme d'inftinet.
Je voudrois le montrer en action ; mais ce portrait
eft déjà fait par un grand Maître , & je ne
ferai pas affez imprudent pour refaire un portrait de
la Bruyère , quoique la Bruyère ait ofé refaire le
Tartuffe ; j'aime mieux embellir ce foible Écrit
d'un beau morceau d'une plume étrangère.
Ous les hom-
« Gnaton ne vit que pour foi , &,
* Il y a dans la Bruyère un Portrait d'un Hypocrite , qui
eft un nouvel effai de ce caractère , & même une critique
du Tartuffe de Molière.
DE FRANCE.
L5.3

mes enſemble font à fon égard comme s'ils
n'étoient pas. Non content de remplir à une
tablé la première place , il occupe lui feul celle
de deux autres ; il oublie que le repas eft pour lui
& pour toute la compagnie ; il ſe rend maître du
plat , & fair fon propre de chaque fervice ; il ne
» s'attache à aucuns mets qu'il n'ait achevé d'eſſayer
de tous ; il voudroit pouvoir les favourer tous toutà-
la-fois. Il mange haut & avec grand bruit ; la
table eft pour lui un ratelier ; il écure fes dents ,
≫ & il continue à manger ; il fe fait , quelque part
» où il fe trouve , une manière d'établiſſement , &
ne fouffre pas d'être plus preffé au fermon & au
* théâtre que dans fa chambre. Il n'y a dans un
carroffe que les places du fond qui lui convien-
» nent. S'il fait un voyage avec plufieurs , il les prévient
dans les hôtelleries , & il fait toujours fe
» conferver dans la meilleure chambre le meilleur
» lit ; il tourne tout à fon ufage ; fes valets &
ceux d'autrui courent dans le même temps pour
fon fervice ; il embarraffe tout le monde , & ne
fe contraint pour perfonne , ne plaint perfonne ,
→ ne connoît de maux que les fiens , ne pleure point
» la mort des autres , n'appréhende que la fienne ,
qu'il racheteroit volontiers de l'extinction du
genre-humain ».
23
33
L'autre eſpèce d'Égoïfme eft une combinaiſon ,
un fyftême , une volonté conftante de ne vivre que
pour nous , & de tout ramener au foin de notre
bonheur. Je l'appellerai l'Égoiſme de réflexion .
Le premier peut exifter fans celui- ci ; mais celuici
fuppofe l'autre néceffairement.
Il eft plus adouci dans les formes ; il craint de
fe montrer, & il fe conduit avec adreffe .
Il fuppofe un homme froid , qui fait maîtrifer fes
paffions, & foumettre toutes les actions au calcul de
Les intérêts.
GY
154
MERCURE
Il n'exclud pas l'efprit , qui n'eft qu'une combi
naifon heureufe & facile dans les idées ; mais il exclud
auffi l'énergie de l'ame , d'où fort tout ce qui
eft grand.
ec
Il n'eft pas de tous les âges ; il ſe forme par le rai
fonnement & par l'habitude de la vie ; il ne peut
guères être un pli du caractère que dans l'âge mûr.
Cependant , il s'annonce de bonne heure , parce
qu'il commence par être un Égoffme d'instinct , lequel
, comme je l'ai dit , dépend beaucoup de Porganifation
, & parce qu'il fe naturalife dans l'ame par
des jugemens qu'un enfant eft bientôt en état de
faire ,
& des exemples qu'il fait encore plutôt s'ap
proprier. On ne peut trop fe hâter d'en étouffer le
germe ; il n'en eft qu'un moyen , c'eft de fatiguer
l'enfant dans une longue épreuve de cette dépendance
où les hommes font entre-eux. Obligé d'inplorer
des fecours , il apprendra à quelles condi
tions on les obtient. Il faut auffi cultiver dans lui ce
penchant à la bienveillance , dont aucune créature
humaine n'eft privée .
L'égoïsme de réflexion eft beaucoup plus rare
qu'on ne le croit. Il a quelque chofe de trop
profond & de trop fuivi pour être à la portée de
bien des hommes . Beaucoup d'entre eux peuvent fe
furprendre fouvent dans des actions , ou au moins
dans des difpofitions d'égoïfme ; mais peu en viennent
jufqu'à fe faire des Egoïftes d'habitude.
Le grand principe de l'égoïfme, c'eft la perfuafion
que tous les hommes font Egoïftes ; l'égoïfme ne
paroît plus alors qu'une revanche , & voilà où peut
nous conduire ce mépris général pour nos fembla
bles , fouvent conçu fi légèrement quand nous fommes
nés plus conféquens que généreux.
L'Égoïsme d'inftinct eft de tous les temps & de
tous les pays ; c'eft un vice de la nature humaine.
L'égoïlme de réflexion n'appartient qu'aux époques
DE FRANCE. 155
d'une grande dépravation dans l'ordre focial ; mais
alors il peut le fortifier & fe répandre d'une manière
effrayante. Par-tout où l'amour de la patrie ne
fera plus qu'une vertu fans effet & fans objet ; partout
où l'on n'a confervé des moeurs domestiques
que ce qu'il en faut pour déguifer l'indifférence &
jouer la décence ; où l'argent eft devenu le reffort
unique , le principe & la fin de tout ; où l'honneur
confiftera à faire uniquement certaines chofes convenues
; où les jouiflances du luxe auront fait ou
blier les plaifirs de la Nature , & feront devenues
des befoins ; où tout fe trouvera mis à prix , les plaifirs
& même la confidération ; où les hommes n'ayant
plus les uns pour les autres ni eftime , ni amitié , ni
confiance, pourront cependant vivre ensemble , parce'
qu'ils fe font fait des plaifirs où tout cela n'entre
pas , & qu'ils ont pris un mafque de politeffe fous
lequel ils peuvent cacher leur haine , leur mépris &
leurs fourberies réciproques ; par-tout où ces chofes
fe pafferont, il fe trouvera fréquemment des hommes
qui fe diront : « Tout eft impoſture , vices &
défordres autour de moi , pourquoi vaudrois -je
mieux que mon fiècle ? Je veux mon bien particulier
, cela m'eft permis ; je le veux aux dépens de
tout , & en cela je relfemble à tout le monde. Je ne
fongerai donc qu'à moi ; je ne ferai ni dupe des
conventions fociales , ni victime des penchans de
mon coeur. Je n'attendrai pas qu'on me donne ma
part de bonheur , je la ferai. Les autres hommes
vont tous au même but que moi , mais ils en font
écartés par leurs paffions ; moi , je n'aurai point de
paffions , & je profiterai des folies qu'elles leur feront
faire. Avec de la prudence je puis me fervir de tout ,
avec de l'infenfibilité je puis me rendre indépendant
de tout : foyons donc prudens & infenfibles , & que
tout cet appareil menteur de la fociété ferve au
G vj
156 MERCURE
moins , s'il fe
peut , à faire un feul heureux. » Voilà
les principes de l'Egoïftes , voici fa conduite.
Portrait de l'Égoifte.
L'Égoïfte voit quelque avantage dans la probité,
& il en a ; mais il en a tout juste ce qu'il en faut
pour ne pas être réputé en manquer.
Il croit les principes la fageffe même ; mais il
Lent qu'ils doivent être odieux , & il n'eft empreffé
ni à les étaler ni à en affecter de contraires , différent
en ceci du cynique & de l'hypocrite.
Il n'a pas dans les manières la groffièreté que l'on
devroit attendre d'un homme occupé de lui feal ; ik
fent au contraire le befoin de cacher la dureté de fon
ame fous des dehors prévenans ; mais fa politeffe
n'eft ni l'envie de plaire , ni celle de fervir ; elle le
réduit à ces frivoles attentions qui coûtent peu , &
qui n'engagent à rien .
Il aime les plaifirs , mais il en redoute les fuites
il n'eft pas débauché.
L'argent doit être fa paffion dominante ; mais il
le recherche pour en ufer , & non pour l'accumuler
& l'enfouir , comme l'avare.
Ce qui le touche le plus dans les dignités & les
places , ce font les avantages réels qui en résultent ,
& il ne les recherche pas avec l'emportement de
l'ambition.
Il eft habituellement froid & indifférent pour tour
ce qui ne le regarde pas ; il devient cruel dès que
fon intérêt l'exige ; mais fa cruauté éclate bien pluspar
des refus que par des violences ; il ufe fans pitié
de fes droits , mais il n'eft pas für d'attaquer impunément
ceux des autres.
Une feule penſée l'occupe dans tous les inftans
& dans toutes les circonftances , c'est l'utilité qu'ik.
peut tirer des chofes , des lieux & des hommes ; elle
DE FRANCE
157
l'occupe dans un défaſtre public ; elle l'occupe dans
un malheur domeftique ; elle l'occupe au pied du lit
de mort de fon père. Au moment où le vieillard®
expire , fon imagination parricide entre en poſſeſfion
de l'hérédité.
Il porte cette pensée jufques dans l'amour. Je lui
fuppofe de l'union , parce qu'il peut trouver une
femme belle & aimable , & alors pourquoi ne s'enflammeroit-
il pas pour elle ? C'eſt un objet qui lui
promet le bonheur , pourquoi ne s'emprefferoit - il
pas à le conquérir & à fe l'affurer ? Il fe rendra
même aimable autant qu'il le pourra , parce qu'il
faut fouvent le devenir pour être aimé , & il n'eſt
pas infenfible à l'avantage d'être aimé ; au contraire,
cet avantage en général le toucheroit fort, & fur-tout
l'arrangeroit fort bien ; ce feroit un excellent moyen
pour que tout le monde confentît à fe facrifier continuellement
à lui. L'Égoïfte peut prendre de l'amour,
mais il ne fe marie pas ; il ne voit dans le mariage
que des embarras qu'il redoute , & des plaifirs qu'on
trouve ailleurs. Il fe mariera pourtant fi vous voulez
le rendre riche & puiffant, & alors fa femme & fes
enfans devront bien s'occuper de fon bonheur , &
pour récompenfe ils lui deviendront fi néceffaires,
qu'il ne leur accordera aucune autre occupation.
J'ai connu un père qui n'a jamais voulu permettre
à fon fils un court voyage , d'où dépendoit fa fortune
, parce que ce fils étoit plaifant & l'amufoit .
Voilà comment il eft père ; voici comme il eft
ami. Vous épanchez dans ſon ſein un coeur dévoré
de chagrins ; s'il a éprouvé quelques - uns de ces
chagrins , il fe dira , avec une fatisfaction fecrète :
J'ai été dans cette fituation là , & je n'y fais plus.
Et c'eft ainfi qu'il tirera un plaifir pour lui- même
de la douleur dont il eft confident. Il pourra bien
vous accorder quelques fignes d'intérêt , quelques
paroles de confolation ; mais ne croyez pas que
198 MERCURE
vos peines aient laiffé aucun autre fentiment dans
fon ame.
3
Il ne voit dans tout ce qu'on appelle belles actions,
que des traits de dupe qu'un homme prudent ne
fait pas , & dont celui qui les éprouve peut s'acquitter
avec des mots ; dans les amis , que des perfonnes
dont on préfère la fociété; dans les parens , que des
gens de qui on attend des fucceffions , & avec qui
malheureufement on les partage ; dans tous les hom
mes , que des êtres plus ou moins femblables à
lur, & par conféquent de qui il ne faut rien attendre t
tel eft l'égoïfte.
vue
Nota. On donné au Théâtre François , il y a
deux ans , une Pièce intitulée l'Egoïsme. En rendant
juftice à plufieurs beautés dramatiques qui m'ont
frappé dans cet Ouvrage , j'ai cru y faifir deux
défauts , produits tous deux
fur le par fauffe une
caractère même . D'abord l'Auteur donne à chacun
de fes Perfonnages fon Egoïsme particulier , aux
gens de bien comme aux méchans ; de forte que fi
cette Comédie étoit vraiment le tableau de la fociété,
la fociété ne marcheroit que par l'égoïfme qui la
détruit , & il faudroit honorer dans la vertu le
principe que l'on flétrit fous le même nom dans le
vice. En fecond lieu , l'Auteur a fait de fon princi
pal Égoïfte un fcélérat hypocrite , & c'est encore là
fe méprendre fur fon objet . Si un Perfonnage ef
un fcélérat , il faut lui conferver ce nom ; s'il eſt en→
core un hypocrite , il faut les lui donner tous les
deux, & non pas les exprimer par le mot d'égoïfte ;
car l'Egoïlme doit être un vice diftinct de ceux-ci ,
où il n'a pas befoin d'une dénomination propre .
Il m'a paru auffi que dans le monde on ne s'entens
doit pas davantage fur les idées qu'on devoit attacher
à ces mots d'Égoïsme & d'Égoifte. C'est que
ces mots abſtraits expriment une certaine fuite d'ac
DE FRANCE.
tions , & que le plus puiffant mobile de ces actions
ne fe montre pas toujours avec évidence. Il faut
donc , pour faifir ces mots dans l'étendue & les bornes
de leur fignification , parcourir les Actes qui
tiennent à un caractère , démêler leurs caufes , &
déterminer la force & l'influence de chacune. Alors
on s'affure du mot par l'examen de la chofe ; c'eft
ce que j'ai tâché de faire dans quelques idées que
j'écrivis dans ce temps fur l'Egoifme . Depuis il a
paru une autre Comédie fur- le même fujet. ( l'Homme
Perfonnet de M. Barthe ) On a remarqué des défauts
dans la conduite & l'intrigue. Il ne m'appartient pas
de la juger fous cet afpect. Je ne la confidère que
dans l'apperçu & le développement du caractère , &
ils m'ont paru d'une vue nette & d'une exécution
énergique. La Pièce a beaucoup de détails pleins
d'efprit & de talent, & tous ces traits d'efprit repto
duifent les actions & les fentimens d'un Égoïste.
J'avois conçu ce caractère tel à-peu-près qu'il m'a
été repréſenté dans cette Pièce.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Échelle ; celui
du Logogryphe eſt Jarretière , où se trouvent
Arrêt
air , terre , art , rat , amête , air
( à chanter ) , jarret , rite , traire , rire , jar
( qui eſt le mâle de l'oie. )
тво MERCURE
M.
ÉNIGM E.
Es portraits font connus ; tous les tons de décence
,
De beauté, de grandeur règnent dans mes contours.
Celui qui m'a donné mon nom , mon exiſtence ,
Eft un Dieu pour mon coeur , & le fera toujours.
Je ne fuis point un être ifolé dans le monde ;
J'ai voyagé beaucoup : Rome , Paris , Canton ,
Et prefque tous les lieux de la machine ronde ,
S'ils ne m'ont pas connue , ont reſpecté mon nom.
Mon père n'a que moi pour enfant légitime .
Tous ceux qui fe croiroient quelque prétention ,
J'ai de quoi leur prouver leur erreur & leur crime ;
Je le dis fans orgueil & fans prévention ;
Qui ne me connoît pas eft indigne de vivre.
Celui que je conduis trouve en moi ſon bonheur ;
J'offre aux foibles mortels un fort plein de douceur ,
Et leur fraye un chemin doux & facile à ſuivre.
Sans moi tu maudirois des ans le trifte cours :
En tous temps , en tous lieux , je viens à ton fecours;
Qui fait fentir mon prix , goûte une paix durable ;
Je procure à ton coeur le feul bien véritable ,
Sans quoi dans l'Univers tout le refte n'eft rien.
Ne cherche plus , Lecteur , car tu me connois bien.
( Par Mde la Marquife de Noailles , dans fæ
Terrede Morfontaine , près Marle , au Diocèfe
de Laon. )
DE FRANCE 161
ON me
LOGOGRYPHE.
$
N me donne , Lecteur , deux fens bien différens
Énorgueilli dans l'un , je fuis digne d'envie ;
Dans l'autre humilié , je rampe aux derniers rangs,
Si de me combiner il te prend fantaiſie ,
Dans mes huit pieds tu trouveras
Ce qui brille dans les combats ;
Autrefois à la guerre
Une arme néceffaire ;
Dans la douleur ce qu'on répand
Cet endroit où fouvent
L'on débite autant de fottifes
Qu'on vend de marchandiſes ;
Un Moine ; de nos corps
Ce qui meut les refforts ;
Un élément perfide & fantastique ;
Un Patriarche révéré ;
En Tartaric un nom facré,
Tu n'as plus qu'à trouver deux notes de mufique.
(Par M. Chardon. )
162 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Jeudi 25 Janvier 1781 ,
la reception de M. le Mierre.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Jeudi 25 Janvier 1781 , à
la Réception de M. le Comte de Treffans
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue
Chriſtine , aux Armes de Dombe's.
Nous rendrons compte dans le même
extrait des quatre Difcours qui ont été prononcés
dans la même Séance de l'Académie
Françoife.
M. le Mierre a parlé le premier , comme
fucceffeur de M. l'Abbé Batteux , dont la
place a été la première vacante.
Nous avons déjà annoncé que M. le
Mierre n'a point fuivi , dans fon Difcours
de réception , la route qui lui avoit été tracée
par fes prédéceffeurs . Il a craint qu'en fe
montrant trop modefte , il ne parût affoiblir
le choix de l'Académie.
« Dans quel embarras cependant le trouve né
» ceffairement celui qui vient prendre place parmi
» vous ? Montre - t'il trop de reconnoiffance de
DE FRANCE. 163
l'honneur qu'il reçoit ? Il public votre indul-
» gence , il affoiblit votre choix ; il paroît avoir
30 reçu une grâce plutôt qu'une récompenfe ; il abdique
, pour ainfi dire , la place dont il vient
so prendrepoffeffion. Laiffe -t'il entrevoir qu'il reçoit
comme une dette la gloire d'une affociation fi
so flatteuſe I ſe rend fufpec d'une vanité qu'on
» ne lui pardonne pas , au milieu de fon triomphe;
il indifpofe les efprits , en paroiflant ſe couronner
» de fes propres mains ; il fe trouve ainfi place
» entre deux écueils , une préfomption révoltante &
pune défiance déplacée. »
M. le Mierre a peut être un peu exagéré
l'embarras de fa pofition. La modeftie d'un
Écrivain n'eft jamais prife à la lettre; parce
qu'il n'ofe pas parler de fes titres , il feroit
dur de conclure qu'il n'en a point : le Public
eft plus jufte que cela ; on le croit fans orgueil
, mais non pas fans talens ; & fes talens
s'embelliffent même de fa modeftie. Ce feroit
être auffi trop févère que d'accufer
d'une présomption révoltante l'Homme de
Lettres qui a le courage de dire qu'il ne fe
croit point indigne d'une place qu'il a demandée
, & qu'il a dû demander pour l'ob
tenir. La modeftie eft fi fouvent une vertu
fauffe , qu'on peut aimer quelquefois un
amour-propre qui fe montre avec candeur,
C'eft précisément parce que l'opinion qu'on
a de foi eft un fecret que tous les hommes
cachent avec le plus grand foin , qu'on doit
être tenté de beaucoup applaudir un homme
qui choifit le Public affemblé pour confident
164 -MERCURE
de ce fecret. Auffi M. le Mierre a- t'il été
très-applaudi lorſqu'il a ajouté bientôt après ,
« La place que vous m'accordez eft d'autang
» plus flatteufe pour moi , que ne l'ayant follicitée
que par mes Ecrits , je ferois prefque tenté de
croire que je n'ai eu affaire qu'à des Juges. »
Il feroit peut-être utile que tous les Récipiendaires
fe cruffent obligés à faire une
proteftation femblable.
M. le Mierre a d'autant mieux loué M.
l'Abbé Batteux , qu'il ne l'a point trop loué.
Il paroît l'avoir apprécié comme un Littérateur
laborieux & utile , plutôt que comme
un homme de talent & un bon Ecrivain :
Il prit pour modèle Ariftote dans l'art
» d'analyfer les idées; & s'il tint quelque-
» fois de la féchereffe du Philofophe Grec
», il eut auffi fa méthode & fa clarté. » S'il
en eût eu le génie , M. le Mierre n'auroit
fûrement pas manqué de le dire.
On doit avoir obfervé que depuis quelques
années , ce qu'un nouvel Académicien
dit de fon prédéceffeur , eft plutôt un jugement
qu'un éloge; l'Auteur des Lettres Perfannes
n'imprimeroit plus. aujourd'hui , que
fitôt que les Récipiendaires font initiés dans
les myſtères de l'Académie , la fureur du Panégyrique
vient lesfaifir , & ne les quitte plus.
Ils fongent moins aujourd'hui à ce qu'ils
doivent à l'Homme de Lettres qu'ils remplacent
, qu'à ce qu'ils doivent au Public &
à la vérité ; leurs éloges ne font guère que,
DE FRANCE. 165
les arrêts même que la poftérité doit prononcer.
M. le Mierre a rapporté , comme une
opinion de M. l'Abbé Batteux , qu'en matière
de philofophie même , il falloit étudier ceux
qui ont écrit les premiers , parce que leurs Ouvrages
, quelles que puiffent être leurs erreurs
font empreints d'un caractère original , &
qu'ils font en quelqueforte LES VRAIS PROPRIÉTAIRES
DE L'ART DE PENSER.
Cette idée de M. l'Abbé Batteux , a ellemême
une certaine originalité ; mais le grand
mérite des idées n'eft pas d'être originales ,
c'eft d'être vraies. Les vrais propriétaires de
Part de penfer, font ceux dans les mains def
quels cet art a découvert le plus de vérités ,
& dans ce fens , il appartient fans doute autant
à Locke & à Montefquieu qu'à Platon
& à Ariftote. C'eft ici fur- tout qu'il faudroit
dire avec La Fontaine : le premier occupant ,
eft-ce une loi plus fage ?
M. le Mierre a reuffi plufieurs fois fur la
Scène Tragique ; & c'eſt à ceux qui ont réuffi
dans un Art qu'il appartient fur-tout d'en
tracer les principes. M. le Mierre a confacré
une partie de fon Difcours à parler de la
poélie dramatique,
pc C'eft-là ( au Théâtre ) que le Poëte dramatique
doit apprendre quelle eft la dignité de fa voca-
» tion ; c'eft-là qu'il doit fentir combien il tient dans
» fa main le coeur des Spectateurs & la morale de
» tous les états ; combien il eſt maître , & par conféquent
garant des impreffions publiques & des
166
MERCURE
"
+
93
""
actions qui en peuvent réfulter ; c'eft-là qu'il doit
» marquer la prépondérance de la vertu , toujours
fimple , fur l'éloquence artificieufe qu'il eft forcé
» de prêter aux paffions , dans les contraftes qu'il
» préfente, Obligé de mettre fur la Scène des perfonnages
élevés en dignité fur les autres hommes ,
il doit faire entendre aux puiffans un langage qui,
foit un démenti folennel donné aux flatteurs , &
faire da Théâtre un fupplément, ou plutôt un
correctif à l'éducation des Grands ; il doit fe
garder dans fa Fable de laiffer tomber un Héros
as dans des crimes réfléchis , les grandes ames pou-
» vant être fufceptibles de foibleffes ou de violences ,
» mais jamais de tentations baffes & honteufes ;
» épargner à la vertu cet outrage & ce décourage- i
» ment , de la montrer à la merci des événemens ,
22 & aux prifes avec les remords ; éloigner des yeux
des Spectateurs ces horreurs gratuites , trop étrangères
à l'homme pour lui être offertes , ou trop
révoltantes pour être fuppofées , qui ne peuvent
avoir un contre-poids fuffifant dans la correction
» théâtrale , quelle qu'elle foit , & dont le plus puif-
» fant préſervatif eft de les laiſſer ignorées .
39.
30
לכ
Quelques - unes de ces idées demanderoient
peut - être des explications ; d'autres
pourroient être conteftées. Le morceau entier
eft écrit d'une manière énergique & impofante,
Peut-être qu'il ne falloit pas confondre
les crimes réfléchis avec des tentations
baffes & honteufes. On voit que M. le Mierre
a confidéré en homme de bien l'art dans lequel
il a eu le plus de fuccès comme Poëte, On fe
fouvient que dans fonPoëme de la Peinture, il
vouloit chaffer auffi de nos Temples tous les
tableaux qui montrent la vertu dans les foufDEFRANCE,
167
frances & dans les fupplices. Dans des principes
femblables, il faut voir fur-tout des
fentimens honnêtes & vertueux .
C'est à peu près dans le même morceau
que M. le Mierre confidère le Public
comme le Juge unique de toutes les produc
tions Littéraires , comme une postérité préfente
& anticipée. Ce langage ne peut guère
être tenu que par un Ecrivain très - content
de fon fiècle ; ceux qui ne fe croient pas
goûtés du Public , n'en font pas autant
Féloge , & n'accordent pas autant d'autorité
à fes jugemens, M. le Mierre n'eſt pas ce
Poëte dont Boileau difoit ,
*
Et fi contre fes vers fon fiècle fe rébelle .
A la postérité d'abord il en appelle.
Le début de la réponſe de M. l'Abbé
Delille attefte que M. le Mierre ne s'eft
point fait illufion fur les difpofitions du
Public à fon égard.
« L'Académie , lui a dit le Directeur , répond
» ordinairement au Public du choix de fes Mem
bres ; aujourd'hui c'eft le Public qui lui eft garant
du vôtre; c'eft lui qui a follicité pour vous ; &
jamais follicitation n'a été ni plus preffante ni
plus honorable. If eft vrai que vous avez vous-
» même brigué ſon fuffrage & la faveur de la manière
la plus puiffante & la plus sûre , par vos
talens & vos Ouvrages. »
M. l'Abbé Delille eft trop élevé dans fon
genre , pour avoir befoin de croire que fon
genre eft le premier de tous. Il a accordé la
168 MERCURE
prééminence à celui dans lequel M. le Mierre
a obtenu les plus grands fuccès.
« Des joûtes Académiques , vous avez paffé aux
joûtes plus brillantes du Théâtre , & je conçois
» l'attrait qui a dû vous y entraîner. Le Théâtre ,
en effet , eft le véritable empire de la gloire Lit-
* téraire. Dans les autres genres , les fuffrages font
épars , fouvent perdus pour l'Auteur; il n'entend
» pas toute fa renommée , & les rayons de la gloire
» ne viennent que fucceffivement & lentement fe
» réanir enfin fur fon front. Mais au Théâtre ,
» c'eſt au milieu des acclamations , des cris , de
l'ivreffe , dans le lieu même de fon fuccès , & , fi
j'ofe m'exprimer ainfi , dans le champ de la victoire
, que l'Auteur reçoit fa palme & fa couronne
de l'élite brillante de la Nation aſſemblée.
39
Un parallèle de nos ufages & de ceux des
Anciens , eft le morceau de cette réponſe
qui a reçu le plus d'applaudiffemens .
« Un autre fujet moins heureux , peut-être en
» effet , mais plus fécond en apparence , eft venu
» rire à votre imagination avec tous les charmes de
» la variété & l'intérêt d'un Poëme national ; vous
» avez mis en vers les ufages & les coutumes de
votre pays. Ovide vous en avoit donné l'exemple
& l'idée ; mais combien fon fujet lui offroit de
reffources dont vous avez été privé ! Notre re-
» ligion vénérable & fainte repouffe la fiction ;
» leur culte abondoit en menfonges rians ; plufieurs
de leurs ufages avoient été choisis chez ces Grecs ,
-fi polis & fi ingénieux ; plufieurs des nôtres font
» nés chez des peuples barbares. Nos ufages man-
» quent fur-tour d'un but politique , les leurs étoient
une feconde législation , qui gouvernoit le peuple
» par les feus. Ces cérémonies impofantes & religieufes
,
DE FRANCE. 169
gieufes , qui accompagnoient les traités de paix &
» les déclarations de guere , l'ouverture & la clô-
» ture folennelle de l'année ; ces bacchanales pleines'
de la joie tumultueule du Dieu qu'elles célé- *
» breient ; ces fêtes riantes de Céres & de Flore
» la
pompe majeftucufe des triomphes ; la magnifique
abfurdité des apothéofes ; enfin toutes ces
» folennités , tantôt champêtres , d'un peuple agri-
» culteur , tantôt militaires , d'un peuple conquérant;
& dans les derniers temps , toutes les
» richeſſes des nations vaincues prodiguées dans ces
» fêtes des Souverains du monde. Quel plus riche
& plus magnifique fujet ? »
Ce morceau , comme on voit , eft plein
d'idées heureufes , heureufement exprimées.
Il y en a même de belles , comme celle- ci ;
les leurs étoient une feconde légiflation , qui
gouvernoit le peuple par les fens. M. l'Abbé
Delille , dans ce parallèle , a plufieurs fois
affez élevé fa penfée pour lui donner , fans
exagération , les ornemens de fon ſtyle poétique.
Comme on n'accorde deux talens au
même Écrivain que le plus tard poffible , on
fe préparoit à écouter la profe de M. l'Abbé
Delille avec indulgence ; des applaudiffemens
redoublés ont rendu l'indulgence
inutile. On auroit dû penfer , peut - être ,
qu'un Écrivain fupérieur en
vers écrit
bien en profe dès qu'il en veut prendre la
peine. Un efprit médiocre , il eft vrai , peut
fe cacher fous de certaines formes heureuſes
du ftyle poétique ; mais il empruntera_ces
formes , il n'en créera point ; & à fuppofer
même qu'on eût d'ailleurs le plus
Sam. 24 Février 1781.
H
ך ס
1'
MERCURE
grand talent , on n'écrira point des Poëmes
d'une élégance & d'une perfection continues
fi on n'a point reçu de la Nature un efprit.
affez diftingué pour fe faire remarquer fous
les formes plus fimples & moins féduifantes
de la profe.
Ce qu'il a dit du Poëme des Faftes a donné
à M. l'Abbé Delille l'occaſion d'une tranfition
très-heureuſe.
En parcourant les campagnes que vous peignez
» avec intérêt , vous faififfez , vous confacrez les
traces de la bienfaiſance touchante qui va furprendre
l'indigence fous le chaume ; (1) & dans
la peinture que vous en faites , le Public a re-
20 connu avec plaifir les traits de la Perfonne Augufte
( 2 ) qui honore cette Affemblée de ſa pré-
» fence , & dont je n'aurois ofé bleſſer la modeftie,
» fi l'éloge que vous avez fait de fon coeur ne faifoit
>> celui de vos talens. »
"
Cet éloge fi délicat , a été confacré par
le Public , dont les applaudiffemens fe font
détournés de l'Orateur pour fe réunir fur la
Princeffe qui en a reçu l'hommage : c'eft
devant le Public affemblé qu'il convient furtout
de louer les vertus qui brillent dans un
rang élevé ; c'eft - là que les applaudiſſemens
ou le filence approuvent ou condamnent
l'éloge , & que l'interprète de la nation eſt .
diftingué des flatteurs. C'eſt au Public qu'il
(1) Allufion à un épiſode du Poëme des Faftes.
(2) Madame la Ducheffe de Chartres.
DE FRANCE. 175
appartient fur - tout de louer les Grands
parce que c'eft lui fur-tout qui a le droit de
les juger.
Les trois Orateurs ont auffi payé leurs
tributs d'hommages à la Souveraine que
l'Empire vient de perdre , & que l'Europe,
regrettera long- temps. M. l'Abbé Delille a
rapporté ces mots d'une lettre écrite par un
Souverain. " Elle fut la gloire du trône & de,
» fon fexe ; je lui ai fait la guerre , mais je
» n'ai jamais été fon ennemi . » Ce Roi fera
peut-être reconnu plus aifément encore
lorfqu'on faura que cette Lettre a été écrite
à M. d'Alembert.
و د
>
« Mon coeur s'émeut à l'afpect de ce nouveau
" Lycée , a dit M. le Comte de Treffan dès le début ,
» de fon Difcours ; tout m'y rappelle la mémoire
» chère & facrée de ceux qui protégèrent mon enfance
, & qui fe plurent toujours à m'éclairer.
" Sage Fontenelle , aimable Buffy - Rabutin , Hé
» nault , Maupertuis , Mairan , la Condamine , vous
» dont le nom vivra toujours dans le coeur de vos
dignes Confrères , je vous compterai toujours
» au nombre de mes Bienfaiteurs ! Que ne dois -je
» pas auffi au grand Homme que nous avons perdu?
» Combien de fois , dans mon adoleſcence , M. de
" Voltaire ne quitta t'il point cette lyre & cette
» trompette éclatante , qui déjà l'immortalifoient
» pour placer ma jeune & foible main fur une flûte
champêtre , ou pour lui apprendre à fe fervir de
» la plume d'Hamilton ! Pardonnez , Meffieurs , au
» Vieillard que vous faites affeoir près de vous ,
" d'ofer vous parler de fes premières années. Mon
exemple peut être utile à ceux qui commencent
leur carrière avec des dons fupérieurs aux taleme
30

Hij
172 MERCURE.
» qu'on m'avoit foupçonnés. Puiffe cet exemple en-
» courager mes jeunes Compatriotes à mériter que
deux illuftres Compagnies couronnent leurs cheveux
blancs . »
Ce début a quelque chofe de touchant '
on aime à voir qu'il y ait un bonheur dont
la vieilleffe puiffe jouir encore avec tant de
fenfibilité. La gloire fied bien à la jeuneffe ,
elle lui donne & en reçoit plus d'éclat ; mais
elle eft plus touchante dans la vieilleffe
elle lui eft plus néceffaire. C'eſt la dernière
paffion du fage , a dit Tacite ; elle eſt done
auffi fouvent le dernier plaifir de l'homme.
M. de Treffan a loué M. l'Abbé de Condillac
en caractériſant tous les Ouvrages de
ce Philofophe. La vérité même donnoit ici
au Récipiendaire le ftyle du panégyrique ,
M. de Treffan a annoncé au Public un nouvel
Ouvrage de M. l'Abbé de Condillac
fur les langues confidérées comme des méthodes
analytiques , &fur l'algèbre conſidéré
comme une langue, Il a paru redouter un
peu pour les talens de l'imagination, une méthode
qui définiroit tous les mots avec une
précifion géométrique : on ne peut guère
prévoir jufqu'à quel point une pareille méthode
arrêteroit l'eflor de l'imagination &
les mouvemens de l'ame ; mais on peut obferver
à M. de Treffan , & lui - même l'a fouvent
obfervé fans doute , que les plus grands
talens fe font toujours rencontrés avec les
efprits les plus juftes , & que les plus grands
Ecrivains font ceux qui fixent le mieux le

DE FRANCE.
373
fens des mots dont ils fe fervent. Bien définir
& bien-peindre , voilà tout le génie des grands
Écrivains , a dit la Bruyère. Le génie peut
fe paffer de méthode , mais la méthode peut
être très utile à ceux qui n'ont pas de
génie.
·
M. le Comte de Treffan devoit trouver
des objets plus agréables & d'un intérêt plus
univerfel , en parlant de ſes goûts & de fes
Ouvrages .
» J'ai toujours cru , Meffieurs , m'unir à vos
5 travaux en m'occupant à retracer tout ce qui
» tient aux lois , aux moeurs , aux ufages de l'an-
35
cienne Chevalerie. Toujours animé pour la gloire
» de mon Roi & pour celle de la Nobleffe Françoife
, lorfque les armes font devenues trop pefantes
pour des mains qui les portoient depuis
» 60 ans , je me fuis propofé de mettre en action
tout ce qui peut rappeler à nos jeanes Guerriers
l'ancien efprit de leurs pères ; j'ai tâché de peindre
» avec force cette ardeur héroïque , qui ne laiffe
voir que des lauriers fur le front hériflé d'une
phalange ennemie , ou fur une brèche embrâfée;
» cet honneur épuré , qui n'interprète ni n'excufe
» aucun acte foible ou coupable , cette inébranlable
» fidélité pour le Souverain auquel on doit la vie,
» & pour celle qui peut en affurer le bonheur. &
33
M. l'Abbé Delille a cru devoir ajouter
quelques éloges à ceux que la mémoire
de M. l'Abbé de Condillac avoit déjà reçus
de M. de Trellan ; & c'eſt par- là qu'il a conv
mencé fa réponſe .
« M. l'Abbé de Condillac orna d'un ſtyle noble ,
clair & précis différens objets de la Métaphyfique,
Hiij
174
MERCURE
cette fcience à la fois fi vaſte & fi bornée ; fi valte
» par fon objet , fi bornée par les limites prefcrites
> à la raifon. Placée entre les mystères auguftes de
la Religion , & les myftères impénétrables de la
Nature , entre ce qu'il eft ordonné de croire & ce
qu'il eft impoffible de connoître , elle peut creufer
dans ce champ fi étroit , mais elle ne peute
l'élargir. »
»
¡ Ces idées font très ingénieufes , mais peatêtre
qu'elles ne conviennent guère qu'à l'ancienne
Métaphyfique . Celle de Locke & de
l'Abbé de Condillac ne s'occupe plus du
tout ni des myftères de la Religion , ni des
myftères de la Nature. La Métaphyfique a
changé de place ainfi que d'objet , de méthode
& de ftyle. Comme la phyfique , elle
s'appuie fur l'obfervation des faits , elle en
a la certitude ; & les faits qu'elle obferve ,
font ce que nous pouvons le mieux connoître
, ce font nos fenfations . Il ne s'agit
plus dans la Métaphyfique ni de lafubftance
& de l'être en général, ni de l'union de l'ame
& du corps. Elle analyfe l'efprit humain
mais toujours dans ce qu'il a de plus fenfible
, & fouvent dans fes talens & dans fes
productions les plus agréables . Cette fcience ,
autrefois fi hérifiée d'abstractions , cherche
aujourd'hui dans les Beaux - Arts la lumière
qu'elle doit répandre fur eux , elle s'eft placée
tout près de la Poéfie. L'une & l'autre en
effet s'occupent également de nos ſenſations.
On conçoit que M. l'Abbé Delille a pu croire
avec peine que le Métaphyficien fût auf
DE FRANCE 175
près du Poëte. Il paroît difficile en effet
de voir ce que les Ouvrages de l'Abbé de
Condillac , dépourvus abfolument d'imagination
, peuvent avoir de commun avec les
vers de M. l'Abbé Delille , qui abondent en
tableaux & en images. Mais ce n'étoit pas
parce qu'il étoit Métaphyficien que M. l'Abbé
de Condillac manquoit d'imagination ; il
n'en avoit point , parce que la Nature ne lui
en avoit point donné. La Métaphyfique
changé , mais fon nom eft refté le même ;
elle fera long-temps encore confondue avec
une fauffe fcience , que fa principale gloire
eft d'avoir détruite : l'abus des mots , contre
lequel elle s'eft tant récriée , lui fera longtemps
encore funefte à elle- même.
C'eft dans les Difcours Académiques, furtout
, que la louange eft obligée d'être ingénieufe
& délicate. Comme elle est toujours
prévue, il faut qu'elle furprenne , au moins ,
par des formes & des tournures inattendues.
Tout ce que M. l'Abbé Delille a adreflé de
flatteur à M. le Comte de Treffan , eft plein
de grâce & de fineffe ; c'eſt le ton d'un homme
du monde parlant à un homme du monde .
Un moyen encore de plaire à M. de Treffan
c'étoit de lui parler beaucoup de l'Arioft
& M. l'Abbé Delille a eu cette attention. 3
« Vous favez que , lorfque fon Poëme parut ,
quelqu'un lui demanda où il avoit pris toutes ces
» folies. Vous , Monfieur , qui l'avez reproduit
» dans notre langue , vous lui avez plus d'une fois
demandé où il avoit pris ce génie fi fouple &
39
H iv
376 MERCURE
J
ככ
-
facile , qui parcourt fans difparate les tons les plus
oppofés ; qui , par un genre de plaifanterie nouveau
, ne relève les objets que pour mieux les
abaiffer ; de l'expreffion fublime defcend fubite-
» ment , mais fans fecouffe , à l'expreffion familière
, pour caufer au Lecteur , tout- à-coup défabufé
, la plus agréable furprife ; fe joue du fublime
, du pathétique , de fon fujet , de fon Lecteur
; commence mille illufions qu'il détruit auffitôt
; fait fuccéder le rire aux larmes , cache la
gaîté fous le férieux , & la raifon fous la folie ,
efpèce de tromperie ingénieufe & nouvelle, ajoutée
aux menfonges rians de la polie. Il femble
que le peu d'importance qu'il paroît attacher à
» toutes ces imaginations , auroit dû défarmer la
critique ; cependant à ce Poëte fi peu férieux ,
» même quand il paroît l'être le plus , elle a trèsférieufement
reproché le défordre de fon plan.
Vous favez mieux que perfonne , Monfieur , com-
» bien ce défordre eft piquant ; combien il a fallu
d'art pour rompre & relier tous ces fils ; pour faire
» déméler au Lecteur cette trame , comme il le dit
» lui - même , d'événemens entrelacés les uns dans
» les autres , pour l'arrêter au moment le plus in
téreffant fans le rebuter , & , ce qui eft le comble
» de l'adreffe , entretenir toujours une curiofité
toujours trempée. »
ב כ
58
Il ne faut point douter qu'on ne ferve
beaucoup les talens quand on démêle aing
tous les fecrets du génie d'un grand Poëte.
En convenant que M. de Treffan a redreſſe
les torts des Traducteurs de l'Ariofte , M.
l'Abbé Delille n'a pas voulu cependant abandonner
entièrement la réputation de M. de
Mirabaud : « L'Ouvrage de M. de Mirabaud ,
DE FRANCE.
177
a-t'il dit , fe lit avec intérêt ; & pour tout
» dire en un mot , il a traduit un Roman,
» vous avez traduit un Poëme. »
Il s'enfuit que M. de Treffan feul a traduit
l'Ariofte ; car l'Orlando Furiofo eft un Poëme ,
& non pas un Roman .
Nous ferions sûrs de donner un grand prix
à cet extrait , fi nous pouvions rapporter
quelques vers de ce Chant du Poëme de M.
l'Abbé Delille , dont la lecture a fait une
impreffion fi vive & fi générale . Ceux qui
ont entendu ces beaux vers les cherchent
depuis dans leur mémoire ; ceux qui n'ont
point aflifté à la Séance de l'Académie , auroient
quelques regrets de moins ; mais le
plus léger changement nuit beaucoup à la
perfection ; & lorfqu'elle a un grand fuccès
à punir , la critique n'a garde de foupçonner
que les fautes qu'elle découvre peuvent
fort bien n'être pas du Poëte. Malgré ces inconvéniens
, nous citerons deux morceaux
de ce Chant : nous avons les plus fortes raifons
de croire que nous les rapportons tels
qu'ils ont été lus.
Le premier vient à la fuite du tableau
d'une Ferme. Le Poëte parle des oiſeaux qui
vivent dans la baffe - cour.
Aimez-donc , protégez ce peuple domestique ;
Que leur logis foit fain & non pas magnifique.
Que leur font ces réduits richement décorés ,
Le marbre des baffins , les grillages dorés ?
Un feul grain de millet leur plairoit davantage ,
T
H.v
178
MERCURE
La Fontaine l'a dit. O véritable fage
La Fontaine , c'eft toi qu'il faudroit en ces lieux ,
Poëte de l'instinct , ils t'infpireroient mieux.
Le paon , fier d'étaler l'iris qui le décore ,
Du dindon rengorgé l'orgueil plus fot encore ,
Pourroient à nos dépens égaïer ton pinceau :
Là , de tes deux pigeons tu verrois le tableau ,
Et deux coqs amoureux à la diſcorde en proie ,
Te feroient dire encore : Amour , tu perdis Troie.
Le fecond morceau eft le tableau d'une
Ménagerie.
Mais dans ce nouveau lieu, quel peuple renfermé
De les cris inconnus a frappé mon oreille ?
Là , font des animaux , étrangère merveille ,
Là, dans un doux repos vivent emprisonnés
Quadrupèdes , oifeaux , l'un de l'autre étonnés.
Ne recherchez point trop les eſpèces bizarres ,
Préférez les plus beaux & non pas les plus rares ;
Offrez - nous ces oifeaux qui , nés fous debeaux cieux,
Favoris du foleil , brillent de tous les feux ,
L'or pourpré du phéſan , l'émail de la pintade;
Logez plus richement ces oiſeaux de parade ,
Eux-mêmes font un luxe ; & puifque leur beauté
Rachette à vos regards leur inutilité ,
De ces captifs brillans que la priſon ſoit belle.
Excluez toutefois ceux dont l'orgueil rébelle
Craint trop la fervitude & languit dans nos fers.
Eh ! quel oil fans regretpeut voir le roi des airs
DE FRANCE. 179
l'aigle , qui fe jouoit au milieu de l'orage,
Oublier aujourd'hui , dans une indigne cage ,
La fierté de fon vol & l'éclair de fes yeux ?
Rendez-lui le foleil & la voûte des cieux :
Un être dégradé ne peut jamais me plaire.
(Cet Article eft de M. Garat. )
L'ILIADE D'HOMERE en vers François ,
par M. le Baron de Baumanoir , Chevalier
de S. Louis , ancien Capitaine de Dragons ,
2 Vol. in-8°. Prix , 3 liv. le Vol. broche.
A Paris , chez la Veuve Duchefne , rue
S. Jacques ; Mérigot le jeune , quai des
Auguftins ; Belin , rue S. Jacques ; Efprit ,
au Palais Royal ; Hardouin , rue des
Prêtres S. Germain- l'Auxerrois.
S'IL faut un rare talent pour traduire en
bons vers un Poëme tel que l'Iliade , il faut
encore un grand courage pour l'entreprendre.
Ce feul projet doit exciter l'attention
& l'intérêt des Amateurs de la Poésie. Il fuppofe
dans l'homme qui l'a conçu , cette courageufe
opiniâtreté , qui n'eft pas toujours
la preuve du talent , mais qui en eft la compagne
ordinaire ; nous parlons ici de ce talent
qui fait entreprendre de grandes chofes.
Mais le fuccès d'une pareille Traduction
eft difficile à obtenir Un Traducteur eft
jugé dans ce cas -là , ou par ceux qui connoiffent
& qui fentent le Poëte Grec ; & ces
juges- là font difficiles à fatisfaire ; ou bien
M vj
180 MERCURE *
par des gens à qui la Littérature antique eft
étrangère ; & ceux- ci rifquent de trouver
fouvent ridicule le Prince des Poëtes . Un
Traducteur de l'Iliade ne peut donc efpérer
qu'un petit nombre de Lecteurs. Le feul
Poëme épique , peut-être , qui puiffe prétendre
à circuler dans les diverfes claffes de
la Société , c'eft celui du Taffe , parce qu'au
mérite de l'épopée , il joint la grâce & l'in
térêt du Roman.
S'il eft beau de voir un Littérateur courageux
entreprendre un autli long & pénible
Ouvrage , combien n'eft- il pas intéreffant de
voir un refpectable Militaire , qui , pouvant
demeurer oifif dans une retraite honorable ,
emploie fes momens à acquérir une gloire.
nouvelle , & qui femble ne fe délaffer qué par
de nouveaux travaux ?
Tel cft M. le Baron de Baumanoir , qui
vient de fimir la Traduction de l'Iliade , &
qui nous promet , dans le cours d'un an ,
celle de l'Odyffée . Le préjugé le moins favo
rable qu'un tel Ouvrage puiffe établir en faveur
de fon Auteur , c'eft de lui fuppofer
des connoiffances qu'il eût pu fe difpenfer
d'acquérir. Il prouve que M. le Baron de
Baumanoir n'a pas donné toutes les heures
de repos à fes plaiſirs , ou qu'il a fu du moins
ennoblir fes plaifirs par l'étude ; & que s'il a
brillé dans la carrière des Héros , il a fu acquérir
le talent qui fert à immortalifer leur
mémoire.
Le nouveau Traducteur s'eft permis quel
DE FRANCE. 181
I
ques retranchemens qu'il a cru indifpenfa
bles pour rendre la lecture d'Homère plus
intereffante pour nous. " En admirant , ditil
, fes fublimes Ouvrages , je ne me fuis
pas difficulé l'abus que le génie d'Homère
" a fait de fes richeffes & de fa fécondité ;
» des longueurs , des répétitions , des récits
22
de batailles trop multipliés en peuvent
» rendre la lecture un peu fatigante . » Il a
traduit en profe le dénombrement du fecond
Livre , ne l'ayant regardé en quelque
» façon que comme une efpèce de table
chronologique & géographique , peu fufceptible
de l'harmonie des vers , & tota-
» lement étrangère à la fuite du Poëme. »
Il eft certain qu'en lifant cette Traduction,
'on ne doit pas foupçonner l'Auteur d'avoir
voulu , par ces retranchemens , éviter la
peine de traduire. On fént que les vers cou
lent de fa plume avec une facile abondance .
Cette facilité eft fans doute un don précieux ;
mais elle eft toujours fi voifine de la négligence
, qu'il lui devient prefque impoflible de
ne pas y tomber. C'est ce qui eft arrivé fouvent
à M. le Baron de Baumanoir. Par
exemple , on lit , Chant fixième ,
i
«Incertain fi les Dieux , dans leurs cruels décrets ,
» Ne m'aurontpoint nommé pour victime des Grees.
Si cette manière de rimer n'eft pas admiflible
dans le ftyle familier , comment le
fera t'elle dans le genre héroïque ? On trouve
dans le même Chant ,
182 MERCURE
Je ne fuis point furpris de vous voit irrité ;
Vos reproches font durs , je les ai mérité.
Cette dernière négligence eft encore plus
condamnable que la première. C'eft une
faute de langue des plus évidentes. Il falloit
dire indifpenfablement , je les ai mérités.
Nous espérons que M. le Baron de Baumanoir
ne verra point dans ces réflexions le
projet de troubler fes plaifirs , en foumettant
fon travail àune critique minutieufe. On fent
combien la carrière où il eft entré étoit difficile
à parcourir. D'ailleurs , les bornes qui
nous font prefcrites ne nous permettent ni la
marche de l'analyfe, ni un examen prolongé.
Aux négligences que nous venons de mettre
fous les yeux de nos Lecteurs , nous allons
oppofer quelques vers harmonieux du Chant
fixième. C'eft dans les adieux d'Hector &
d'Andromaque.
Andromaque livrée à de juſtes alarmes ,
Prend la main du Héros , & la baignant de larmes
L'embraſſe tendrement , le careffe & lui dit :
Quelle aveugle fureur au trépas te conduit !
Tu chéris ton enfant, Andromaque t'eſt chère ,
Et tufais le malheur du fils & de la mère !
Je te vois au carnage , & je crois voir encor
Les Grecs fe difputer la dépouille d'Hector.
Dieux ! fi vous ordonnez que ce Héros ſuccombe ,
Que je puifle avant lui defcendre dans la tombe !
Sans Hector je me vois au comble des malheurs
DE FRANCE. 183
Je n'ai plus de parens pour effuyer mes pleurs :
Ma mère ne vit plus , & le vaillant Achille
A fait périr mon père , en faccageant ſa ville.
Ce vainqueur honora les mânes d'Étion
Pour fervir de trophée à ſon ambition ;
Jufqu'au foin du bûcher il voulut bien defcendre ,
Et conftruire la tombe où repoſe fa cendre , &c.
Le peu d'efpace nous force de borner nos
citations à ce qui peut fuffire pour faire connoître
la manière du Traducteur.
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
Il y a environ deux ans qu'on a repréfenté
, fur un des Théâtres du Rempart , une
petite Pièce en un Acte, intitulée : La Muficomanie.
Dans ce Drame comme dans la
Mélomanie , dont nous avons dit quelque
chofe No. 6 de ce Journal , page 88 , le
principal Perfonnage aime la Mufique avec
fureur ; il prétend que tout ce qui l'approche
partage fon goût ; il ne veut donner fa fille
qu'à un Virtuofe ; & dans les deux Ouvrages
un Amant aimé prend le nom d'un Muficien
célèbre pour obtenir le confentement du
vieux fou. Lequel de ces deux Drames eft
antérieur à l'autre c'est ce que nous igno
184
MERCURE
rons. Aux Boulevards , on n'attend pas long
temps pour être repréfenté ; aux Spectacles
Royaux, on ne l'eft qu'après plufieurs an
nées. Cette réflexion jette quelque doute fur
le droit d'aîneffe , même de celle qui a paru la
première. Le hafard feuf a- t-il fait la reffemblance
qui exifte entre le fujet & l'intrigue
de la Mélo & de la Mufico - manie ? Cela
nous paroît difficile à croire. Quoi qu'il en
foit , & nous fommes fachés d'être obligés
de l'avouer , l'Ouvrage repréſenté fur les
Boulevards annonce plus de talent , eft plus
gai , plus comique que celui que l'on joue à
la Comédie Italienne. On avoit annoncé que
ce dernier étoit fufpendu pour être remis
avec des changemens ; nous avons été furpris
de voir , le famedi 17 de ce mois , que
ces changemens confiftoient uniquement en
quelques phrafes fupprimées dans le dialogue
du dénouement , & en quelques vers
ajoutés dont le Muficien a fait une finale. En
bonne foi , eft- ce ainfi qu'on abufe le Public
? L'Ouvrage jugé médiocre quant aux
fituations & au ftyle, ne péchoit pas feulement
par le dénouement. Les corrections
annoncées donnoient à croire qu'on s'occupoit
de faire difparoître les taches que
le Public avoit indiquées aux deux premières
repréſentations ; & voilà que cette prétendue
foumiffion aux arrêts des Connoiffeurs regarde
fimplement le Muficien .Une telle conduite
nous paroît incompréhensible , & entraînera
après elle un inconvénient défagréable. Les
DE FRANCE. 189
Amateurs du Spectacle , trompés dans leur
attente relativement aux corrections fur lefquelle
ils comptoient dans cette circonftance
, ne croiront plus déformais aux promelles
de cette nature qu'on pourra leur
faire , & les Auteurs modeftes & jaloux de
plaire feront les victimes de l'indocilité ou
de la négligence d'un Écrivain fans doute
mal confeillé . Nous faifons cette obfervation
, parce qu'on nous a inftruits qu'il a été
réellement fait des changemens affez confidérables
à ce petit Ouvrage , mais qu'ils n'ont
point été adoptés par la Perfonne qui repréfente
à Paris l'Auteur de la Melomanie.
Peut-être a t- elle eu raifon de les refufer ;
mais en ce cas il ne falloit laiffer tromper
le Public , ou fe hâter de le défabufer.
pas
Nous parlerons inceffamment de Jenneval,
Drame en cinq Actes & en profe , par M.
Mercier , dont il n'a encore été donné qu'une
repréſentation . On fait combien ce genre
a éprouvé de conteftations , combien il a
d'ennemis & de partifans ; il eft donc impoffible
de ne pas entrer dans quelques dé-
Fails , devenus , à notre avis , plus néceffaires
que jamais ; & la place que nous
avons à remplir nous les interdit aujourd'hui.
186 MERCURE
GRAVURES.
COLLECTION des Portraits des Généraux , Minif
tres & Magiftrats qui fe font rendus célèbres dans
! la Révolution des Treize Etats-Unis de l'Amérique
- Septentrionale , gravés en taille - douce en
forme de Médaillons ; hauteur 6 pouces , largeur
4 pouces 4 lignes , & imprimés fur beau
papier de France.
Tous les Portraits qui compofent cette Collection
ont été deffinés d'après nature par M. du Simitier
, Peintre , & l'un des Curateurs de la Société Philofophique
de Philadelphie. La gravure en a été
confiée à M. Prevoft , de l'Académie Impériale &
Royale de Vienne , dont la réputation eft fondée
fur plufieurs Ouvrages diftingués.
Le but de l'Auteur étant de préparer un Monument
pour l'Hiftoire de la grande Révolution de
l'Amérique - Septentrionale , il ajoutera fucceffivement
à fon Recueil les Portraits des Hommes déjà
célèbres qu'il n'a pas encore eu occafion de fe procurer
, ainfi que de ceux qui pourront encore fe
rendre célèbres dans la fuite.
La Soufcription que l'on propoſe actuellement au
Public n'étant que pour douze Portraits , les Amateurs
s'engageront fimplement à les prendre à mefure
qu'ils paroîtront , & iis feront libres dans la
fuite de continuer ou de ne pas continuer leur engagement
pour un plus grand nombre ; mais fi ce Recueil
devient auffi complet qu'on a lieu de s'en flatter
, ils auront néanmoins la préférence comme premiers
Soufcripteurs en cas qu'ils defirent les Supplémens.
On diftribue actuellement cinq Portraits ;
& fi la Soufcription fe trouve remplie à l'époque du
DE FRANCE. 187
28 de ce mois , on continuera les livraiſons fans inserruption
de deux mois en deux mois .
Le prix de chaque Portrait fera de quarante fols.
On foufcrit à Paris , chez Chereau , Marchand
d'Eftampes , rue des Mathurins , près celle de Sorbonne
; & à Versailles , chez Blaizot , Libraire du
Roi & de la Reine : c'eft chez eux qu'on pourra
voir les Portraits qui doivent paroître les premiers ,
& qu'on recevra les différentes livraiſons.
LISTE des Portraits de la Collection actuelle.
N°. 1. Le Général Washington. 2. Le Général
Baron de Steuben. 3. John Jay , ancien Préſident du
Congrès. 4. Henri Laurens , ancien Préfident du
Congrès. 5. Charles Thompfon , Secrétaire du Con-
-grès. 6. Le Général Gates. 7. Le Général Arnold.
8. S. Huntingdon , Préfident actuel du Congrès.
9. Silas Deane , Membre du Congrès , & Plénipotentiaire
en France. 10. W. H. Drayton , Membre
du Congrès. 11. J. Dickenfon , Membre du Congrès
, & Auteur des Letres d'un Fermier de Penfylvanie.
11. Le Général Reed, Membre du Congrès,
Préfident & Commandant en chef de l'État de Penfylvanie.
PROSPECTUS pour unefuite d'Estampes , definée à
décorer la nouvelle Edition de M. de Voltaire ;
propofée par Soufcription ,par M. Moreau lejeune ,
Deffinateur & Graveur du Cabinet du Roi , &
Agréé de fon Académie Royale de Peinture &
Sculpture.
La fuperbe Édition des OEuvres de M. de Voltaire ,
avec les caractères de Baskerville , propofée par
Soufcription , vient de faire naître à M. Moreau le
jeune , l'idée d'en ouvrir une autre totalement fépa →
rée & diftincte de cette Edition , mais relative au
même objet , c'eft-à - dire , à celui d'orner encore le
188 MERCURE
monument de refpect que M. de Beaumarchais &
Compagnie élève à la gloire de ce grand Homme.
Depuis long- temps les Eftampes font en pofleffion
de décorer les Ouvrages des Hommes de
Lettres le moindre Roman , la moindre bagatelle
ne paroît guères qu'avec cette parure devenue à la
mode , & qui femble du goût du Public. La plus
belle & la plus complette des Éditions du plus étonnant
& du plus fécond génie de la France , doit- elle
être privée de cet ornement ; & n'eft-il pas à croire
que la plupart des Soufcripteurs de cette belle Edition
, defireront encore d'acquérir des Eftampes qui
puiffent l'enrichir ?
D'après ces réflexions , qui doivent venir à tout
le monde , M. Moreau a conçu le projet de faire
une fuite d'Eftampes exécutées d'après les deffins &
fous fa direction , d'un format in- 4 ° . , & par conféquent
de grandeur à y être adaptées.
Cet Artifte voudroit pouvoir , comme M. de
Beaumarchais & Compagnie , livrer au Public toure
la fuite à la fois ; mais comme il ne veut point avoir
recours à des capitaliftes , dont les intérêts à payer
abforberoient le fruit de fon travail , il s'en tiendra
à la marche ordinaire , celle de donner cette fuite
par livraiſon : cet ufage facilite à la fois & l'Artiſte
& les Acquéreurs.
M. Morcat préfume , pour les Pièces de Théâtre ,
Poëmes , Contes , Romans , & autres Ouvrages fuf.
ceptibles de
gravure , que
le tout pourra fe monter
à environ cent Planches.
Quand cet Artifte aura vu un nombre fuffifant
de Soufcripteurs pour le couvrir de fes frais & lui
produire le fruit qu'il doit attendre de fes peines , il
annoncera l'époque de la première livraiſon , compofée
de dix Eftampes , & les autres fuivantes ,
pareil nombre , auront lieu de quatre mois en
quatre mois .
de
DE FRANCE.
Il n'y aura point à craindre , pour cette foufcription
, le relâchement qui quelquefois fe fait fentir
vers la fin d'une femblable entreprise . Une Compagnie
plus occupée de la prompte rentrée de fes fonds
que d'une belle exécution du côté de l'Art , n'y furveille
pas comme un Artiſte jaloux de travailler en
même - temps & pour les intérêts & pour fa gloire,
Si M. Moreau ofcit fe citer , il donneroit pour preuve
de ce qu'il avance les trente Eftampes de l'Édition
de Bruxelles , in-4 ° . des OEuvres de J. J. Rouffeau ,
dont la dernière eft gravée avec autant de foin que
la première ; il prouveroit encore que les Figures de
Hiftoire de France , exécutées d'après fes deffins &
fous la direction de M. Lebas, fon Confrère , viennent
à l'appui de cette vérité.
Le prix de chaque Eftampe imprimée grand in-
4. fur le papier Nom de Jéfus , fera de 2 liv.
Les Soufcripteurs dépoferont la fomme de 24 liv.
chez M. Giard , Notaire , rue de la Montagne Sainte
Geneviève , qui délivrera les quittances de foufcription
, qui feront fignées par M. Moreau.
Dans trois mois , à partir de la date du Profpec
tus , on annoncera l'époque de la première livraiſon
dans les Journaux & Papiers publics ; & l'Ouvrage
une fois commencé , on tiendra compte de ladite
fomme de 24 liv. dépofée fur les deux dernières
livraiſons , c'est-à-dire , que les Soufcripteurs ne
feront obligés , à ces deux dernières , que de payer
la fomme de 8 liv. au lieu de celle de 20 , prix des
précédentes.

Nota. Cette fuite d'Eftampes pourra décorer
toutes les Éditions in-4° . de M. de Voltaire.
190 MERCURE
MUSIQU E.
Six Concertos pour le Clavecin ou le Forte-
Piano , avec accompagnement de deux Violons &
Baffe , compofés par M. Giordani , OEuvre XX.
A Lyon , chez Guera , & à Paris , chez Lemeau &-
Boyer , rue du Roule , Prix , 12 liv.
Six Trios pour deux Violons & Baffe , compofés.
par G. Demachi , OEuvre XX. A Lyon & à Paris,
aux mêmes adieffes. Prix , 7 liv . 4 fols.
Treizième Recueil de Pièces Françoifes & Italiennes
, petits Airs , Menuets , &c. avec des Variations
, accommodés pour deux Flûtes , Violons,
&c. par M. Taillart l'aîné. A Paris , chez Taillart ,
rue de la Monnoye , & aux adreffes ordinaires. Prix,
• liv.
Troisième Concerto pour le Violon à grand Or
cheftre , par M. Chartrain , exécuté au Concert Spirituel.
Prix , 1 liv. 4 fols. A Paris , chez M. Michaud ,:
rue des Mauvais Garçons , & aux adreſſes ordinaires.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
EDITION complette des Buvres de M. l'Abbé
Métaftafe, en douze Vol . in - 4° . & in- 8 ° . A Paris ,
chez Molini , Libraire , rue du Jardinet ; Durand
neveu , Libraire , rue Galande ; & Eſprit , Libraire ,
au Palais Royal. A
On vient de publier les Tomes IV, V & VI de
cette magnifique Édition , exécutée avec tant de³
foin & d'intelligence , & qui fait tant d'honneur aux
Preffes de Madame Hériffant. L'égalité , l'élégance
& la netteté des caractères du célèbre Fournier y
paroiffent dans tout leur éclat.
Comme cette Édition cft un hommage rendu à
DE FRANCE.
191
l'amitié , l'Homme de Lettres qui s'eft chargé de le
rendre, n'a rien négligé de ce qui pouvoit prouver la
fienne à M. l'Abbé Métaftafe. Non content de
donner tous fes foins à la partie Typographique ,
nous favons qu'il a engagé les meilleurs Deffinateurs
& Graveurs de l'Europe de s'occuper des ornemens
; qu'il les a aidés de fes confeils & de fes'
lumières. MM. Bartholozzi à Londres , Carmona à
Madrid , Volpato à Rome, Porporati à Turin , &
les Graveurs les plus habiles de Paris travaillent aux
Eftampes ; celles qui viennent de paroître dans les
trois derniers Volumes , font de MM. Saint- Aubin ,
Martini , Duclos & Trieves. Le choix des momens
pour chaque pièce, a été fait avec goût & intelligence .
Ca a préféré en général les fituations qui offroient
des fentimens à peindre, à celles qui n'auroient préfenté
que du tumulte , des cérémonies pompeules ,
&c. Ainfi l'on a choifi dans Caton l'inftant où il
exige de fa fille le ferment de renoncer à Céfar ;
dans Thémiftocle , celui où il fe découvre à Xercès
fon ennemi ; & dans Zénobic , celui où le traître
Zopire eft fur le point de poignarder cette Princeſſe
fous les yeux de Rhadamiſte , &c.
Un mérite rare & cependant effentiel que cette
Édition a encore par- deffus toutes les autres , c'eſt la
correction ; elle a été pouffée fi loin par l'Éditeur ,
que l'Auteur lui- même en a été étonné : la correzione
èportentoza, lui a-t-il mandé.
Nous croyons enfin que cette Entrepriſe fera du petit
nombre de celles de ce genre où les Soufcripteurs
reçoivent mieux & plus que ce qui leur a été promis.
Eloge de Louis Dauphin de France , père du Roi.
A Paris , chez Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins.
Difcours qui a remporté le prix proposé par
une Société amie de la Religion & des Lettres , par

192. MERCURE
M. l'Abbé Boulogne . Prix , 1 liv. 10 £. Vol. in -8 ° . ·
La Navigation , Poëme en quatre Chants , in-
8. Prix , 2 livres 8 fols. A Paris , à la même
adreffe.
Le Jaloux fans amour , Comédie en cinq Actes
& en vers libres , par M. Imbert , représentée pour
la première fois par les Comédiens François le 8
Janvier 1781. Prix , 1 liv. 10 fols. A Paris , chez
Lambert & Baudouin , Impr. Libraires , ruc de la
Harpe , près S. Côme ; Delalain , Libraire , rue S.
Jacques , vis-à-vis la rue du Plâtre , & la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Traité des Evictions & de la Garantie formelle , '
par M. Berthelot , Avocat au Parlement , Docteur
aggrégé de la Faculté de Droit de Paris , 2 Vol.
in- 12 . Prix , 5 liv. broché. A Paris , chez Lottin le
jeune , Libraire , rue S. Jacques.
TABLE.
LA Métamorphofe de l'A- Difcours prononcés dans l'A-
-mour
J
145
162
Fers à Mlle H.... D... M.. L'Iliade d'Homère , en vers
cadémie Françoife ,
146 François 179
183
148 Gravures , 186
190
160 Annonces Littéraires ,
ib .
Air d'Iphigénie de M. Pic- Comédie Italienne ,
Réflexions fur l'Egoifme , 151 Mafique ,
cini,
Enigme & Logogryphe ,
AP PROBATION.
J'AI lu , per ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 24 Février. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
10-23 Février 1781. DE SANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 25 Décembre:
Les Envoyés des Etats - Généraux des Provinces
- Unies ayant reçu par un Exprès , dépêché
de la Haie , la réfolution formelle par
laquelle L. H. P. accèdent à la neutralité
armée , ont déployé fur- le-champ le caractère
d'Ambaffadeurs extraordinaires. Le 23 ,
jour de la fête de la naiffance du Grand-
Duc , ils eurent une audience publique &
folemnelle de l'Impératrice , à laquelle ils préfentèrent
leurs nouvelles lettres de créance
en cette qualité. S. M. I. , après leur avoir
témoigné la fatisfaction qu'elle avoit de la
démarche de la République , nomma un
Comité pour régler avec eux la grande
affaire du traité à conclure en conféquence .
Ce Comité eft compofé du Comte de
Panin , premier Miniftre d'Etat , du Comte
d'Ofterman , de M. Bacunin , Confeiller
d'Etat , & M. Besborodka , Général- Major
& Secrétaire du Cabinet.
3 Février 1781.
2
( 2 }
Le Miniftre de la Grande - Bretagne en
cette Cour , fit partir le même jour un
Courier pour Londres , où il envoie vraifemblablement
la nouvelle de ce qui vient
de fe paffer. La Cour de Ruffie en a auffi
expédié deux qui vont fans doute porter la
même nouvelle à Copenhague & à Stockholm
.
11 eft arrivé depuis quelques jours un
Courier de Vienne , chargé d'une lettre de
PEmpereur à S. M. I. pour lui notifier la
mort de fon augufte mère. Le Prince Wolkonski
, Capitaine au régiment des Gardes
Preobachenski , eft parti pour porter à l'Empereur
les complimens de condoléance de
l'Impératrice.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 31 Décembre.
LA confifcation faire par ordre de l'Empereur
dans le diſtrict de Zalaſzczik , des
terres qui appartiennent au Roi & au Prince
Lubomirski , a été fuivie de celle des terres
du Prince Poniatowski , ancien Chambellan
, & de fa penfion de 6000 ducats ; de
celles du Prince Poninski , Tréforier de la
Couronne , & de celles du Caftellan-Un-
Kwicz , qui font toutes fituées dans la
Galicie. Cet évènement a donné lieu à l'expédition
de plufieurs Couriers pour différentes
Cours étrangères. Il eſt auſſi queſtion
( 3 )
d'une autre fatisfaction que la Cour de
Vienne exige de la République , & qui
donnera lieu à la publication d'un Mémoire.
On n'eft pas ici fans inquiétudes , quoiqu'on
fe flatte toujours que l'Empereur faifira peutêtre
l'occafion de fon avènement pour fignaler
fa générofité & fa bonté naturelles , en
remettant les chofes fur l'ancien pied.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 9 Janvier.
. LE Prince Nicolas Wolkonsky , Capitaine
des Gardes du Corps de l'Impératrice
de Ruffie , arriva ici de Pétersbourg le 27
du mois dernier , & le 4 de celui - ci il eut
une audience de l'Empereur , à qui il remit
, de la part de fa Souveraine , une lettre
de condoléance fur la mort de l'Impóratrice-
Reine.
On affure que S. M. I. a réfolu d'envoyer
le fils d'un de fes Miniftres d'Etat à
Conftantinople , avec le caractère d'Ambaffadeur
extraordinaire , pour notifier à la
Porte la perte de fon augufte Mere & fon
avènement au gouvernement des Etats
qu'elle lui a laiffés .
Madame l'Archiducheffe Chriftine d'Autriche
, & le Duc de Saxe - Tefchen fon
époux , font de retour de Presbourg depuis
le 30 du mois dernier. Ils refteront dans
cette Capitale jufqu'au moment où ils partia
2
(4 )
ront pour les Pays-Bas. La veille de leur
départ de Presbourg , il fut tenu au Gouvernement
un Confeil auquel le Duc de
Saxe , Stadhouder du Royaume de Hongrie
, préſida pour la dernière fois . Pendant
ce tems , Madame l'Archiducheffe alla faire
une visite à la Comteffe Douairière de
Palfy , aux Chanoineffes du Chapitre de
Notre-Dame & aux Religieufes Urfulines ;
elle laiffa à toutes des marques de fa magnificence,
De HAMBOURG , le 12 Janvier.
SUIVANT des lettres de Francfort-fur- le-
Mein , il y a paffé , il y a quelque tems , un'
courier Anglois allant en Italie , dirigeant fa
route par la Suiffe. On affure qu'il va s'embarquer
à Livourne pour le Levant , d'où
il doit fe rendre par terre aux Indes Orien
tales. On ne doute pas de la nature des
ordres qu'il y va porter ; ils regardent vrai
femblablement les établiffemens Hollandois
; & on eft très-perfuadé qu'il étoit déja
parti long- tems auparavant d'autres exprès
avec la même iniffion. On eft fort curieux
d'apprendre quel eft le parti que prendront
les Puiffances neutres depuis l'acceffion de
la Hollande à cette neutralité. On a dit
que la Ruffie avoit déclaré que la République
feroit admife aux avantages de l'al
liance , à compter du jour qu'elle auroit figné
l'acte d'acceffion . Il l'a été au commencement
de Novembre ; la déclaration de guer
( 5 )
.
te de la part de l'Angleterre n'eft que du
20 Décembre , & par conféquent bien poftérieure.
On ignore fi elle n'apportera aucun
changement aux difpofitions des Cours
du Nord , à qui la République n'offre
plus qu'un nouvel allié qu'il faut défendre
dès le premier pas. On ne peut tarder à
préfent à favoir comment fe décidera cette
grande affaire.
-
}
412 .
Le nombre des navires venus dans ce port en
1780 , écrit- on de Dantzick , non compris celui
des navires chargés de bois à brûler , eft de 405 ,
parmi lesquels 110 Hollandois. Il en eft forti
Trois navires Hollandois font reftés pour paffer
l'hiver ici . La quantité de bled arrivé de la
·Pologne & des environs , monte à 13,072 lafts
de toutes fortes de grains , & l'exportation de
cette denrée monte à 19,330 lafts . L'importation
du bled de Pologne pour cette Ville diminue
chaque année , parce qu'il en paffe une partie confidérable
à Elbing. La provifion qui nous refte ,
monte à 5000 lafts de froment & 8000 de feigle.
Le prix en a confidérablement augmenté depuis que
nous avons appris que l'importation des grains en
Angleterre y a été déclarée libre « .
ESPAGNE.
-
De MADRID , le 6 Janvier.
D. Pablo Eftapar , Lieutenant de frégate ,
commandant à Ceuta le lougre le Fox
de to canons de 2 & de 35 hommes d'équipage
, & D. Diego de Fuentes , Commandant
(en fecond , ayant vu une bélandre
Angloife de 16 canons de 8 & de 80 homa63
( 6 )
mes d'équipage , s'avancer vers Gibraltar ,
ont fait les plus grands efforts pour em
pêcher ce fecours d'entrer dans la place
bloquée , malgré la difpofition des forces,
l'inégalité des bâtimens & les mouvemens
du calme , ils parvinrent à s'approcher du
navire ennemi ; ils osèrent tenter l'abordage
avec tant de valeur & d'opiniâtreté , que
la balandre , fupérieure en tout , ayant défemparé
le lougre de D. Pablo Eftapar , &
la nacelle fur laquelle étoit D. Diego de
Fuentes , qui toujours revenoient au combat
& à leur deffein de l'aborden , prit la
fuite , & fut pourfuivie par ces Officiers
jufqu'à la portée des feux de la Place , à la
faveur defquels elle entra. Les chébecs
d'Algéfire , contrariés par le calme , ne purent
malheureufement feconder affez-tôt les
efforts du Fox. Le Roi a fait paffer D. Pablo
Eftapar & D. Diego de Fuentes , fur
fes vaiffeaux de haut - bord , avec le même
grade qu'ils avoient , & a fait diftribuér
des récompenfes aux familles de ceux qui
ont péri dans le combat.
» Toutes les fois que le tems le permet , écrit on
du Camp de Saint- Roch , les troupes s'occupent à
perfectionner la tranchée & à faire de petits épaulemens
pour la commodité & la fûreté du paffage de
la nouvelle batterie. Le feu des ennemis n'a pas
difcontinué , mais il n'a pu lui donner la même
activité qu'auparavant , parce qu'il peut moins s'alfurer
de fon effet & de fa direction , par l'ignorance
où il eft du lieu où font nos travailleurs . Les
travaux du boulevard de Saint- Paul ſemblent ter(
7 )
minés ; & autant qu'on peut l'obſerver , on y a
pratiqué un cavalier pouvant porters canons dans
la direction des herfes de la place . L'ennemi a élevé
auffi fur le boulevard de Saint- Pierre , des ouvrages
qui depuis ce tems - là puiffent le mettre à l'abri de
notre fea , & il commence à travailler à l'épaulement
d'un mortier placé fur la pointe la plus élevée
de la montagne «.
On lit dans une lettre de Lisbonne les
détails fuivans :
» Le vaifleau la Notre- Dame d'Arrabide , vient
d'arriver de Bombay , d'où il eſt parti le 27 Juillet
dernier. Le Capitaine rapporte que la guerre continae
entre les Anglois & les Marates fur la côte
de Malabar ; que le Grand- Mogol , d'intelligence
avec ces derniers , attend un inftant favorable pour
chaffer les Anglois de l'Inde. L'Amiral Hugues
étoit alors fur la côte de Coromandel, Loin de fe
difpofer à une expédition contre les Philippines ,
comme on l'avoit dit , il fongeoit à fe mettre en
garde contre les préparatifs que les François ont
faits à l'Ile de France , & qui annoncent le projet
d'une expédition importante. Il ajoute que le
bruit couroit dans l'Inde que les François avoient
pris douze vaiffeaux de la Compagnie Angloife , &
que l'Arfenal de Calcutta avoit été détruit par un
incendie «<.
----
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 18 Janvier.
LA Gazette de la Cour fe tait encore fur
ce qui fe paffe dans l'Amérique Septentrionale
. Les papiers publics , arrivés de ces
contrées , & que les nôtres s'empreffent de
tranfcrire , fe réduisent à un extrait de la
a 4
( 8 )
Gazette Royale de la Caroline Méridionale ,
où l'on rend compte d'une petite action entre
le Lieutenant-Colonel Tarleton & l'ar
rière-garde de M. Sumpter , qui a été défaite
fans qu'il en foit échappé un feul homme ;
il cft vrai qu'après cette expreflion affurément
précife , il eſt échappé au relateur de
dire que la nuit avoit favorifé la fuite des
Américains , & en avoit fauvé beaucoup du
carnage. Le corps de M. Tarleton a eu so
hommes tant tués que bleffés , & on porte
ce corps à 280 hommes.
La même Gazette nous apprend que le
Général Américain Waughan , ayant appris
que nos troupes avoient évacué Camden
s'en étoit approché pour s'en emparer ; mais
qu'ayant fu enfuite qu'elles y étoient encore ,
il s'étoit retiré. Ceci n'eft pas une action ,
celle qui eut lieu près du gué de Fishdans ,
entre 160 Anglois & les Américains , n'eft
pas plus importante que celle du Lieute--
nant- Colonel Tarleton : ces petites affaires
de parti , qu'on nous préfente comme des
victoires , font fimplement des efcarmouches
, après lefquelles le vaincu ſe retire &
recommence le lendemain . Peut être les Gazettes
du Congrès montreroient - elles ce
qu'elles ont fouvent montré , que nos pertes
furpaffent quelquefois celles de nos ennemis
; il fe pourroit auffi qu'elles confirmâffent
de plus grands avantages , tels par
exemple que la prife d'Augufta dans le Savanah
par un parti Américain ; celle de
(9 ).
plufieurs Officiers Britanniques , & entr'autres
le Colonel Brown , furpris tenant confeil
avec les Indiens , & avec lesquels font
tombés entre les mains de nos ennemis
300 chevaux , chargés de préfens pour les
Sauvages , qu'ils vouloient engager à faire
cauſe commune avec eux ; celle de George-
Town , dans la Caroline Méridionale ; la
retraite précipitée du Général Cornwallis
vers Charles -Town , dans laquelle il a
abandonné fes provifions , &c.
On ne tardera pas fans doute à favoir à
quoi il faut s'en tenir fur tous ces détails ;
ce qu'il y a de sûr , c'eft que depuis la victoire
de Camden le Lord Cornwallis n'a
rien fait , que les Américains battus n'ont
été ni découragés ni difperfés , que le
Général Gates eft toujours à la tête de fon
armée , que cette armée renforcée tient fes
vainqueurs en échec , que la défaite du
Major Ferguſon eſt une véritable revanche
de la victoire de Camden , puifqu'elle en a
arrêté toutes les fuites ; & que malgré nos
efforts , nous ferons forcés de reconnoître
l'indépendance des Etats-Unis .
On a beaucoup parlé des prifes que nous
avons faites fur les Américains ; mais on
s'eft bien gardé de dire un mot de celles
qu'ils font fur nous . On fait monter à plus
de 90 celles qu'ils ont conduites à Boſton &
à Philadelphie , dans les feuls mois de Juillet
& Août. Une Gazette de Penfylvanie ,
af
( 10 )
en date du 25 Octobre dernier , s'exprime
ainfi.
» Mercredi eft arrivé , après une courte croifière , le
Saratoga , chaloupe de guerre , commandée par le
Capitaine Jean Young. Le 30 Novembre il reprit la
chaloupe l'Elifabeth ; le 8 du courant , il rencontra
la Charmante Molly de 22 canons , qui fe rendit
après un combat très vif. Le 9 , il s'empara du bri .
gantin le Nancy de 14 canons , alors en compagnie
avec l'Elifabeth de 28 , commandée par le Capitaine
Taylor , qui amena également après un
engagement très - chaud . Ces trois vaiffeaux alloient
de la Jamaïque à New -Yorck avec une riche cargaifon
de rum , fucre , & c. Pour comble de gloire
le même Capitaine a repris le brigantin , la Providence
«.
Les mêmes papiers Américains annoncent
la récompenfe que le Congrès a accordée
aux trois jeunes volontaires de la milice ,
qui arrêtèrent le Major André , & qui ne
fe laifsèrent pas féduire par les offres éblouif
fantes qu'il leur fit. Ils recevront annuellement
pendant leur vie 200 dollars du tréfor
public , & le Bureau de la Guerre leur fera
donner une médaille d'argent frappée à ce
fujet , dont un côté repréfentera un bouclier
avec le mot Fidelity , & cette infcription
au revers : Vincit amor Patria. Par un
autre arrêté du Congrès , le nom d'Arnold a
été rayé de la lifte des Officiers de l'armée
des Etats -Unis.
» On a vu , lit-on dans une lettre de Boſton , le
langage qu'Arnold a cru devoir adopter après avoir
ajouté à les qualités de concuffionnaire & de fauffaire,
( II )
celle de traître envers la patrie. Mais pour juger de
la vérité du tableau qu'il s'eft avifé de tracer du peuple
Américain qu'il repréfente comme gémillant fous
l'oppreffion & la tyrannie du Congrès , il n'y a qu'à
jetter les yeux fur l'impreffion que fa trahifon a
faire fur ce peuple. Par - tout il s'eft empreflé
de montrer fa haine & fon horreur pour la conduite
vénale & perfide de ce foi-difant patriote . Les habitans
de cette Ville entr'autres , d'ont brûlé en effigie le 14
Octobre dernier. Ils firent , à cette occafion , une
proceffion folemnelle dans laquelle , entr'autres repréfentations
emblématiques , on voyoit l'effigie
d'Arnold , vêtue de fon grand uniforme , mais ayant
deux vifages , pour marquer d'un côté le zèle qu'il a
montré ci- devant pour la caufe de fes concitoyens , &
de l'autre la perfidie dont il s'eft rendu coupable à leur
égard. Une bourfe remplie d'eſpèces que le diable faifoit
fonner à fes oreilles, exprimoit l'idée où l'on eft ici
généralement , qu'une fomme de 15,000 1. ft. (qufauroit
été augmentée encore en cas de fuccès) a opéré fa
converfion en faveur des intérêts de la Couronne.
Cette proceffion fut une efpèce de Fête publique . Les
habitans les plus diftingués y prirent part. La marche
fut ouverte par un nombre de jeunes gens à cheval ;
enfuite venoient plufieurs Officiers continentaux , fuivis
d'une file des principaux citoyens , & d'un détachement
de la garde bourgeoife de cette Ville qui
précédoit l'effigie qui fut brûlée aux acclamations
d'un concours de peuple innombrable « .
Toutes les nouvelles des Indes occidentales
continuent de donner les détails les
plus affligeans du dernier ouragan . Le bruit
fe foutient que les ifles Bermudes ont entièrement
difparu de la furface du globe ;
quelques Papiers difent que la Capitale feule
( S. George ) a été engloutie avec tous les
habitans & environ 1000 maiſons , que le
a 6
( 12 )
refte a fouffert à- peu- près comme la Barbade.
Le nombre des habitans des Bermudes
eft évalué à 14 à 15,000 ames ; il y avoit
6 compagnies du 44e régiment , quelques
foldats de la marine & des invalides. Les
nouvelles de France & de Hollande prouvent
que nous avons fort exagéré ce qu'avoient
fouffert la Martinique & St- Eustache.
Nous avons voulu effrayer nos ennemis ,
& détourner leur attention des préparatifs
de guerre , pour la porter toute entière fur
les fecours qu'ils devoient à leurs établiſfemens
ruinés ; mais tout le fait ; ils ont moins
befoin que nous de fonger à porter des vivres
dans leurs ifles; il paroît que cela nous deviendra
difficile ; il nous faut beaucoup de
bâtimens ; l'empreffement avec lequel on
a armé pour courir contre les Hollandois ,
fait qu'ils font rares ; & cette nouvelle guerre
dans laquelle nous nous fommes au moins
très-indifcrettement engagés , peut occafionner
la famine dans toutes nos ifles , faute
de navires pour les approvifionner.
» La partie de la nation , dit un Politique qui voit
bien, croit toujours voir notre ancienne influence dans
l'Europe , & fe perſuade auffi que notre commerce ,
nos moyens & nos reffources font encore dans l'état
brillant & paffager où ils étoient en effet , lorsqu'on
ne nous oppofoit que de foibles réclamations , lorfque
nos flottes en impofant à celles de nos ennemis , n'étoient
pas obligées pour rentrer de faire un long circuit
, & d'aller chercher la route difficile du Nord , &
lorfqu'à la voix de nos Négociateurs prefque toutes
les Cours immoloient par habitude leurs propres
( 13 )
droits à l'honneur de favorifer nos prétentions. C'eft .
cette même claſſe de citoyens qui avec l'enthouſiaſme
qu'on lui connoît , continue de foutenir que notre déclaration
de guerre contre la Hollande , eft un acte
héroïque d'adminiftration , une preuve de magpanimité
, puifque loin de s'effrayer du nombre de nos
ennemis , on le groffit chaque année dans l'espoir
d'en triompher avec plus de gloire ; mais fans parler
ici du parti de l'Oppofition qu'on verra fans doute s'expliquer
différemment dans les féances prochaines du
Parlement , combien cette Capitale ne renfermet-
elle pas d'habitans dont les calculs oppofés à ceux
des premiers , leur offrent dans la réſolution à laquelle
le Cabinet s'eft porté, une espèce d'énergie que
donne quelquefois le défefpoir , en aveuglant ceux
qu'elle anime , mais dont il eft difficile de fe promettre
d'heureufes fuites. Une combinaiſon redoutable de
grands intérêts divers & réunis , nous prépare des
obftacles difficiles à vaincre. Et comment fe diffimuler
qu'il s'élève aujourd'hui contre nous , un fyftême
de droit public maritime ; que cet édifice a
pour bafe la raifon & l'équité refpectives , & qu'il
fuffit que toutes les parties intéreffées à rendre aux
mers la liberté inhérente qu'elles tiennent de la nation
, aient une fois réfléchi en commun fur cet ob
jet , pour qu'elles s'attachent fortement à faire difparoître
de l'Empire des mers tout defpotifme &
toute tirannie. Cette ardeur qui ſe manifeſte aujourd'hui
parmi nos Commerçans & nos Corfaires pour
faire aux Etats- Généraux de la Hollande , le plus de
mal qu'il fera poffible , foit en Europe , foit dans
tous les lieux où ils ont des poffeffions , ne fera fans
doute qu'augmenter la crainte qu'infpirent notre
puiffance & notre nom même , & par conféquent accélérer
& juftifier en même-tems les efforts de la confédération
des neutres , pour mettre l'Europe à l'abri
d'une domination dont nous cachons fi peu les prés
tentions univerfelles «.
( 14 )
Les petits manèges qu'on a employés pour
donner le change aux Puiffances étrangères ,
& leur faire croire que l'acceffion des Etats-
Généraux à la neutralité n'étoit pas la cauſe
de la déclaration de guerre , n'en ont impofé
à aucune. Il eft certain que la Cour
avoit été informée par le Chevalier Yorke
de la réfolution des Etats - Généraux , & de
la déclaration qu'ils lui feroient faire , &
que ce fut d'après ces informations qu'elle
prit le parti de rompre avec la République
dans l'efpérance qu'en rompant dès 1 inftant
elle feroit exclue de la confédération ; pour
cet effet elle a eu foin de faire paroître fa
déclaration de guerre avant celle qu'on lui
annonçoit de la part des Etats - Généraux
qu'elle n'a eu garde de recevoir des mains
du Comte de Welderen à qui les Miniftres
ont renvoyé tous fes paquets fans les ouvrir.
On fait auffi que l'Exprès envoyé par l'Ambaffadeur
aux Etats - Généraux pour les inftruire
de ce qui fe paffoit & leur envoyer
notre manifefte , a été retardé ; & c'eſt
ainfi qu'on raconte les caufes de ce délai.
?
» M. de Welderen , comme s'il eût prévu ce qui
eft arrivé , avoit voulu faire paffer ces pièces à la
Haye , par deux voies différentes ; par le paquebot
de Harwich , & par la voie de Margate , d'où les
chaloupes particulières paffent par cette Ville. Antoine
Carlebuhr , employé au comptoir de quelques
Négocians Hollandois établis à Londres , fut le
particulier auquel il s'adreffa . Celui - ci n'ayant pû
trouver perfonne qui voulût fe charger de la coinmiffion,
alla lui - même , de l'avis de fes Maîtres ,
( 15 )
le
à Margate , pour y chercher une occafion d'expédier
paquet , & le Comte le munit de deux paffeports ,
l'un pour lui , l'autre en blanc pour celui à qui on
le remettroit. Carlebuhr arrivé à Margate , ne put
s'afſurer d'aucun des paquebots de ce port pour la
Hollande. Il fit une autre tentative à Ramsgate ; &
n'étant pas plus heureux , il fe porta jufqu'aux
Dunes , accompagné d'un nommé François Dumetz ,
de fa connoiffance , qu'il engagea à fe charger de
la commiffion. Leur deffein étoit de paffer à Dou
vres , où Dumetz comptoit pouvoir le procurer le
moyen de gagner la Hollande ; mais aux Dunes ,
un Pilote - Cotier nommé Edward Pain , auquel
Dumetz propofa de le conduire à Helvoet - Sluys
pour cent guinées , en donna avis au Capitaine
Clarke, celui- ci en parla au Lieutenant- Maire de la
place , qui croyant de fon devoir de s'affurer des
deux paffagers , les fit arrêter malgré la fidélité &
l'uniformité de leur dépofition , malgré les paffeports
d'un Miniftre public , pour un paquet adreffé
à des Membres du Gouvernement , dont le Comte
de Welderen étoit le repréfentant connu . Le Maire
retint donc les deux prifonniers & écrivit à Mylord
Stormont , qu'il efpéroit que fa conduite en cette
Occasion auroit fon approbation . En effet , on n'a
pas appris que ce Miniftre , qui a cependant fait
relâcher les deux prifonniers , ait donné au Maire
la plus légère marque d'improbation d'un procédé fi
étrange , & qui a pu caufer la perte de quelques
millions aux Négocians de la République , informés
par là trois ou quatre jours plus tard qu'ils ne
devoient l'être «.
-
On n'eft pas fans inquiétade fur les fuites
que peut avoir cette nouvelle guerre. Un
de nos Papiers préfente à cette occafion les
réflexions fuivantes .
( 16 )
»Dans la ficuation alarmante & réellement critique
où font actuellement nos affaires , fi la neutralité fe
croyoit obligée de protéger les Hollandois contre
nous , cette circonftance n'entraîneroit- elle pas les
conféquences les plus funeftes pour la G. B. , & un
danger auffi éminent n'eft - il pas bien propre à
fixer.notre attention ? Un pareil évènement n'eft ,
nullement improbable. Qui eft ce qui peut
affir.
mer avec quelque degré de certitude que les Hollandois
n'ont pas figné la confédération générale.
Mais en fuppofant même qu'ils ne l'aient point fi
gnée , cette confedération porte fur des principes
de nature à ne pouvoir manquer de nous rendre les
aggreffeurs , & jufqu'à préfent toutes nos meſures
femblent annoncer que nous voulons paffer pour
tels aux yeux de l'Europe entière . Or , je deman
de quelle eft la Puiffance qui voudra faire caufe
commune avec un Etat qui a perdu tout fentiment
d'honneur national au point de n'avoir d'autre am
bition que celle de fe rendre généralement odieux.
Ne taxeroit-on pas , à juste titre , de folie , l'homme
qui s'engageroit dans une querelle d'où il ne peut
réfulter pour lui que des coaps & du déshonneur.
Il eft en vérité bien étrange que les Anglois ,
qui vantent depuis fi long-tems & avec tant de rai
fon les priviléges dont ils jouiffent , veuillent ref
traindre , ou plutôt anéantir les droits les plus évidens
de toutes les autres Nations. La conduite
des Puiffances neutres envers nous n'eft point naturellement
hoftile : ce font nos procédés feuls qui
peuvent la rendre telle . Leur principal , ou pour
mieux dire , leur unique objet , eft de porter li
brement leurs marchandifes aux endroits où on les
leur paie le mieux. Ces puiffances n'ont - elles pas
le droit de défendre leurs propriétés contre les dé
prédations des pirates & des corfaires . Il eft actuel
lement bien démontré qu'elles exerceront ce droit
( 17 )
-
en dépit de toute opposition quelconque. Et pourquoi
voudrions- nous faire la loi à des Nations qui
font fiparfaitement indépendantes de nous. Pouvons
- nous croire que fervilement foumises à nos
volontés fuprêmes, elles nousfacrifieront jufqu'à leurs
intérêts les plus précieux ; & nous - mêmes , à leur
place , ne rougirions -nous pas à la feule idée d'un
abaillement auffi honteux ? Notre querelle avec
les Hollandois provient de ce qu'ils n'ont pas voulu
, par pure complaifance pour nous , abandonner.
une branche de commerce très-lucrative , & s'expofer
au reffentiment d'une Nation qui peut leur
faire au moins autant de mal que nous. Cette dé
marche est décifive , & les confédérés doivent en
conclure qu'il n'y a que le fentiment de notre impuiffance
qui puifle nous empêcher de les traiter
de la même manière , & que la Hollande a toutes
fortes de droits à leur foutien & à leur protection .
- Comment nous eft-il poffible de lutter contre
tant d'ennemis , ou de nous ſouftraire à la ruine
qui nous menace depuis fi long- tems. Il faut donc
enfin renoncer à cet empire des mers dont nous
étions fi vains. Mais ce n'eft pas tout , il faut re
noncer à toute espèce de commerce. D'où pour
rons-nous attendre un revenu lorfque les fources
en feront taries Enfin comment payer l'intérêt
de nos emprunts , par quel moyen foutenir nos
fonds publics , & dans l'anéantiflement abſolu do
cette prétendue union nationale , comment prévenir
une révolution générale «< ?
Quelques perfonnes qui voient d'une autre
manière , propofent aux Miniftres un plan
de defcente en Hollande.
» Si la Réſolution prife par le Cabinet , relativement
à la guerre avec la Hollande , n'eſt pas fuivie
de mefares qui répondent à la fermeté qui l'a dic
tée , elle cauſera beaucoup de mal à l'Angleterre ,
( 18 )
.
"
-
& produira peut- être même fa ruine. Les Miniftres
& leurs partifans déclarent hardiment que le manifefte
n'a fait qu'accélérer un évènement qui devoit
avoir lieu dès qu'on auroit pu lever le mafque
fans danger. Les chofes étant ainfi , un Anglois
qui méprife également les entraves où la dépendance
retient les Cours , & les fottes clameurs
de la populace , recommande les avis fuivans
à ceux qui ont le pouvoir de les exécuter. II
faut équiper fans délai une efcadre de dix vaiffeaux
de ligne pour croifer à la hauteur d'Oxfordneff ,
ou dans quelque ftation convenable fur la côte de
Norfolk ou de Suffolk ; ftationner à la hauteur
des points de terre ou caps , depuis Portland à
' Eft jufqu'au Nort Foreland , des deux côtés de
la Manche , 20 ou 30 frégates , & quelques vaiffeaux
de 64 ; embarquer pendant ce tems dix
mille hommes de troupes au moins & équiper
plufieurs galiottes à bombes & brûlots , & faire
tous les préparatifs néceffaires pour une guerre de
defcente , de manière , pour m'exprimer comme
le fait Lord Chatham , à entretenir une vive alar
me fur toutes les côtes de la Hollande depuis une
extrémité jufqu'à l'autre ; pour effectuer entièrement
ce plan d'hoftilités , ftationner huit ou dix
frégates à l'embouchure du Texel , afin de couper
toute communication avec la mer du Nord. En
procédant ainfi , non- feulement tous les bâtimens
deftinés pour la Hollande , portant des munitions
militaires ou navales , foit Hollandois ou neutres ,
feroientinterceptés , mais auffi tous les détachemens ,
munitions , pour les établiffemens Hollandois aux
Indes Orientales & Occidentales. Comme nous
n'avons à préfent aucun jufte motif de redouter les
efforts réunis de la France & de l'Espagne fur nos
côtes , nous devrions , fans perdre un feul moment
, mettre à profit les avantages que nous avons
-
( 19 )
fur nos prétendus amis , les faux & avares Hollandois.
D'après le témoignage de quelqu'un
qui a examiné dernièrement avec attention les côtes
de la Hollande , de gros vaiſſeaux pourroient mouil
ler en fûreté à la hauteur des deux bancs de fable
qui forment l'embouchure de la Meufe ; des frégates
& petits bâtimens pourroient remonter cette
rivière fans obftacle jufqu'à l'éclufe du Mazeland .
Si l'on vouloit faire defcente vis - à-vis de cet endroit
, on pourroit marcher droit à Rotterdam
fans être inquiété ; ou fi , d'après les circonstances ,
on imaginoit qu'il fût plus praticable de débarquer
les troupes au Nord , & de marcher enfuite à Delft ,
on pourroit prendre cette Ville & Rotterdam par
un coup de main , ou bien en faifant la defcente à
environ dix milles au Sud , dans Vofterward , s'emparer
de la Brille , ce qui nous rendroit maîtres de
la navigation de la rivière jufqu'à Rotterdam . On
objectera fans doute que le pays peut en un inftant
être mis fous l'eau , & qu'on empécheroit de la
forte nos troupes de s'avancer vers Delft , Rotterdam
, la Brille ou tout autre ville dans le voifinage.
En réponse à cette objection , il fuffit d'obferver
qu'une telle defcente rempliroit l'objet d'une
petite guerre , qui eft de faire du mal à l'ennemi
, pour l'obliger ou le porter à accepter des
conditions de paix juftes & raiſonnables , Fleflingue
-eft également très- acceffible , de même que
toute l'Ifle de Middelburgh ou des vaiffeaux d'un
tirant d'eau quelconque , gouvernés par des pilotes
fages & judicieux , peuvent s'approcher affez des
côtes pour protéger un débarquement ou un embarquement.
Helvoet- Sluys même , quoique d'un
plus difficile accès , à caufe des bancs de fable &
des hauts fonds de fa rade & de fon havre , la
Brille fe rendroit , fubiroit le même fort . Il pourra
être fait que dernière objection contre les defcen-
-
( 20 )
1
"
tes momentanées en général , à caufe des grandes
forces militaires qu'exigeroit un tel plan , & que
le genre de guerre propofé ne produiroit point de
· conquêtes ou d'acquifitions importantes & durables,
mais des rapines & des repréfailles . Mais lorsque
les Hollandois , fous le règne de Charles il ,
vinrent jufqu'à Sheerneff & Chatam , ils n'avoient
pas deffein de conferver ces places , mais ils vouloient
fimplement nous obliger à une paix qu'ils
croyoient être fûre , jufte & honorable. L'inté
rieur de la Hollande , par les lacs , ou pour m'ex
primer plus convenablement , par les mers de l'intérieur
, eft ouvert au genre d'attaque propoſé cideffous.
Il y a trois paffages ou ouvertures pour
entrer de l'Océan dans le Zuyder-Zee. C'eft prefqu'au
fond de cette mer qu'Amfterdam eft fituée.
Le premier lac ou celui qui eft le plus au Sud , fe
trouve entre l'Ifle du Texel & le Continent ; ce
paffage eft appellé communément le Canal ou le
Texel ; le fecond eft entre les Illes de Wieland &
de Schelling , & celui qui eft le plus au Nord eft
entre la pointe Septentrionale de l'Ile Schelling &
'Ifle d'Ameland. Il n'eft aucun de ces paffages par
lequel un vaiffeau gouverné par de bons pilotes ,
ne puiffe entrer fans danger ; on pourroit donc ,
avec des forces fuffifantes y exercer des rapines
dont les Hollandois fe fentiroient pendant plus
d'un fiècle.
Ces projets peuvent faire quelque effet
fur ie papier ; ils amufent du moins le citoyen
oifif qui les lit ; mais le Gouvernement
qui fait mieux ce qui eft poffible &
ce qui ne l'eft pas , fe donne bien de garde
de les mettre à exécution .
Le Capitaine du vaiffeau de guerre Hollandois
pris dans les Dunes , par la Bellone , ignoroit ab(
21 )
-
folument la rupture entre la Grande-Bretagne & la
République. Le Capitaine qui commandoit ce vaiffeau
a affuré que s'il l'avoit fu , il n'auroit jamais
amené tant qu'il auroit eu un homme pour tirer
du canon. Le commencement de la guerre actuelle
reffemble parfaitement à celui de nos hoftilités
avec la France en 1755. L'Amiral Bofcawen
en allant à l'Amérique Septentrionale , prit deux
vaiffeaux de guerre François , l'Alcide & le Lys ,
chargés de troupes deftinées pour Québec. Cet évè
nement eut lieu au mois de Juillet 1755, & cependant
lá guerre ne fut déclarée qu'au mois de Mai fuivant .
Pendant cet intervalle nous ne prîmes pas moins
de 870 bâtimens François , & le jour de la déclaration
de guerre nous avions dans nos prifons'
23,000 de leurs matelots. Ce fut de notre part
une opération très- vigoureufe & très - fage ; par ce
moyen non-feulement nous ruinâmes leurs marchands
& nous détruisîmes leur commerce , mais
encore nous les empêchâmes d'équiper leur marine.
Deux ans après ils eurent fur le papier une
flotte affez confidérable , mais ils n'avoient pas la
moitié de ce qu'il leur falloit de matelots pour
combattre ou pour naviguer. Les de ce mois .
nous avions déjà pris 300 vaiffeaux Hollandois &
3,000 matelors .
>
?
Les lettres qu'on reçoit de tems en tems
de Gibraltar montrent toujours la néceffité
preffante de ravitailler cette Place , fi l'on
veut la conferver. Le Gouverneur écrit
qu'elle eft fi exactement bloquée du côté
de la mer qu'il n'y peut entrer aucun fecours
effentiel. A la vigilance des Eſpagnols
Le joint une autre circonftancé qui rend
les approvifionnemens difficiles : l'Empeteur
de Maroc nous refuſe ceux que nous
( 22 )
pourrions tirer de fes Etats. On peut juger
de notre pofition vis-à-vis de ce Prince par
la lettre fuivante de Tanger , en date du 26
Décembre. On y verra que nous ne nous
fommes pas mieux conduits avec cette
Puiffance d'Afrique qu'avec toutes cellesde
l'Europe.
» Tous les Espagnols de confidération , & les Confuls
étrangers réfidans ici , furent appellés le 23 au
Château de cette ville par ordre du Roi de Maroc ,
& en leur préfence on lut avec la plus grande folemnité
deux déclarations ou manifeftes de ce Souverain
: l'un fur les raisons qu'il a de fe plaindre des
Anglois , & l'autre fur celles qui le portent à fe louer
du Roi catholique. Ces manifeftes mettent dans le
plus grand jour les motifs pour lefquels ce Souverain
traite les Anglois comme il fait aujourd'hui , en
même-tems qu'il fait éprouver à la nation Eſpagnole
des diftinctions & des faveurs de toute efpèce.
-Dans le premier font exposés les faits fuivans : un
vaiffeau de S. M. Maroquine , de 22 canons ayant
échoué fur les côtes d'Espagne , les Anglois s'offrirent
à le fauver du nauffrage , & fous prétexte de le réparer,
ils le conduifirent à Gibraltar où ils le retinrent , fe
contentant de renvoyer feulement l'équipage en Barbarie
; & malgré toutes les inftances qui furent faites
à ce fujet au Gouverneur , il a toujours allégué de
mauvaiſes excufes pour le garder. Ce procédé détermina
S. M. Maroquine à envoyer à Gibraltar fur
fes propres vaiffeaux les matelots Anglois de divers ,
bâtimens de cette place qui avoient relâché dans les
ports de Barbarie , ne voulant point renvoyer leurs bâtimens
& déclarant que fi les Anglois ne pouvoient
pas venir les chercher , ils refteront dans fes ports
jufqu'à ce qu'ils fe perdent ou qu'ils fe pourriffent ; réfolution
autorifée par les mauvais procédés des An(
23 )
glois dont voici de nouveaux exemples. 1 ° . S. M.
ayant envoyé un de ſes ſujets à Londres avec 20 mille
piaftres fortes pour être employées en diverſes marchandifes
qu'elle recommanda aux Miniftres Anglois
, ceux-ci n'eurent aucun égard à cette recommandation
& le commiffionnaire fe rembarqua pour
Tunis après avoir ditipé prefque tout l'argent qui
lui avoit été confié. 2 ° . Tahar Feniz ayant été dans
la même Cour en qualité d'Ambaſſadeur du Roi de
Maroc avec une grande quantité de cuivre pour l'échanger
contre de l'artillerie , les Anglois fe contentèrent
d'envoyer , comme en préfent , quelques
mauvais canons avec leurs affuts qui crevèrent à la
première décharge , fans vouloir jamais rendre
compte ou faire remife du montant du cuivre qui
étoit confidérable , ni de l'artillerie qu'on demandoit
en échange. 3 ° . Le Conful Anglois à Tanger n'a ja
mais cherché qu'à brouiller S. M. Maroquine avec
les Efpagnols & avec les propres fujets , la décriant
au fujet de la bonne intelligence qu'elle entretenoit
avec l'Espagne , excitant les fujets Maroquins à défobéir
aux ordres du Roi favorables aux Eſpagnols ,
& à infulter ceux- ci par des paroles & par des actions
. De plus il a fuborné les Maures de la côte
jufqu'à Centa , pour qu'ils faffent tout le mal poffible
aux bâtimens Espagnols qui y abordent. Tel eft le
procédé des Anglois & la reconnoiffance dont ils
payent les faveurs continuelles du Monarque Africain
, qui par conféquent ne fe croit pas dans l'obli
gation de donner aux vaiffeaux & cargaifons qu'ils
ont à Tanger d'autre protection que celle que les
Anglois ont accordée aux fiens ,
Dans le fecond Manifefte on fait voir les obliga
tions que le Roi de Maroc a eues dans tous les tems
à S. M. Catholique , & qui concourent à lui faire
préférer fon amitié à celle des Anglois , & à favorifer
dans toutes les circonstances poffibles les intérêts
( 24)
de la nation Eſpagnole. 1. Ledit Prince Maure
ayant accordé à diverfes nations Européennes l'extraction
de bled par Fédala , moyennant certains
droits , le Roi d'Efpague fut fi reconnoiffant da
bled que fes fujets tirèrent , qu'indépendamment du
prix de ce bled , il envoya en préfent au Roi de
Maroc so mille piaftres fortes & 200 efclaves
Mahometans. 2 °. Un vaiffeau de guerre Maroquin
prefque hors d'état de fervir , fut reparé aux frais
de S. M. C. , au point qu'il devint enfuite la terreur
des Algériens , fadite Majefté ayant entretenu pendant
neuf mois à fes dépens le Capitaine de l'équi
page Morefque. 3 ° . Dans le tems même que S. M.
Maroquine bombardoir le Préfide de Melille , elle
reçut de S. M. C. un grand préfent d'effets précieux
& 100 esclaves Maures de l'Arfenal de Carthagêne ,
par le canal de ſon Ambaſſadeur Cid - Abdel- Mehid-
El Saré ; c'est par cet acte de magnificence , que
le Roi Catholique ( 1 ) s'élevoit au- deflus des hoftilités
exercées contre les Préfides , & malgré ces
hoftilités il ne fit aucune difficulté d'accorder la paix
au Roi de Maroc dès que l'on la lui demanda. 4° .
S. M. Maroquine ayant envoyé à Cadix 40 mille
piaftres fortes pour être échangées en or, cette
fomme lui fut renvoyée en or , par ordre & pour
le compte de S. M. C. , pour fauver les fonds de
tout rifque. Enfin le Roi Catholique a montré tant
de bonne volonté envers le Prince Africain , lorfque
les Etats de celui- ci fe font trouvés dans la difette ,
qu'il les a pourvus de grains & de comeftibles de
toute efpèce , de manière que le pain & les fruits
de la table de S. M. Maroquine , & le bled qui
(1 ) L'attaque de Melille par les troupes du Roi de
Maroc , fut en effet fi imprévue que fon Ambaffadeur
étoit encore en route en Espagne avec les préfens qui lưi
avoient été remis pour fon Maître.
croît
( 25 )
troit dans la plupart de fes Provinces lui font venus
d'Efpagne , & ont été vendus à un prix même
au-deffous des prix courans dans cette Péninfule ,
&c. c.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 30 Janvier.
LE 21 de ce mois la Comteffe de St-Aulaire
& la Baronne de Makau , ont eu l'honneur
d'être préfentées à LL. MM . & à la
Famille Royale ; la première par la Marquife
d'Eftourmel , Dame pour accompagner
Madame Victoire de France , & la feconde
par la Baronne de Makau , fous- Gouvernante
des Enfans de France.
Le Roi a accordé , au mois de Décembre
dernier , un Brevet de Confeiller d'Etat
à M. d'Aubigny , Préfident & Lieutenant-
Général au Bailliage d'Epernay.
De PARIS , le 30 Janvier.
La nouvelle de la rentrée à Breft , le 11
de ce mois , de la divifion des bâtimens
vivriers , aux ordres de Macnemara , étoit
prématurée. On dir aujourd'hui qu'elle eſt
au Ferrol , & cela eft vraiſemblable.
2
L'efcadre de 4 vaiffeaux de ligne, 2 frégates
& 2 cutters , commandés par M. de Barras
qui étoit fortie le 9 , eft rentrée le 19 à Breft
avec les petits bâtimens qui l'avoient ac-
Février 1781 . b
( 26 )
compagnée. Elle a été augmentée du vaiffeau
le Languedoc , des frégates l'Aigrette , la Diligence
, l'Allerte , & n'attend qu'un vent favorable
pour fortir de nouveau . Il y eft arrivé
aufli une flotte nombreufe venant de Bordeaux
, fous l'eſcorte de la frégate du Roi la
Renommée & de 2 ou 3 petits bâtimens , L'activité
est toujours la même dans ce Port : les
travaux relatifs aux réparations des vaiffeaux
avancent , & l'on eſpère que tout ſera prêt à
la mi-Février. M, de la Porte , Intendant de
la Marine à Breſt , a été nommé Intendant
général de la Marine.
On parle d'un cartel qui nous eft , diton
, propofé , pour permettre à des vaiffeaux
Parlementaires de porter des vivres & autres
provifions aux Iffes dévastées par l'ouragan
; mais on ne dit pas qu'il y ait quel
que chofe de décidé à ce fujet. Il s'en
faut de beaucoup que nos poffeffions aient
été auffi maltraitées dans cette occafion que
celles de nos ennemis le Capitaine qui
commandoit la Junon , qui , pendant l'ouragan
a fait naufrage fur l'Ile de St- Vincent
, & qui vient d'arriver ici , dit que la
Martinique a très - peu fouffert la plus
grande perte eft celle des bâtimens qui tous
ont été déradés & difperfés ; ainfi les relations
Angloifes qui groffiffoient notre défaftre
n'étoient faites que pour nous épouvan
ter cela n'empêchera pas qu'on envoie
bientôt dans ces établiflemens précieux tous
:
( 27 )
les fecours qu'ils font en droit d'attendre
de nous.
>.
Les lettres du Cap , du mois de Novembre
dernier , ajoutent les détails fuivans à
ceux que nous avons déja donnés de la croifière
de M. de Monteil , & des effets de l'ouragan.
ge
L'efcadre Françoiſe eut connoiffance , le 5 Novembre
, d'un vaiffeau de guerre Anglois & d'une
frégate. Elle leur donna chaffe pendant 36 heures.
Ces bâtimens doublés en cuivre , & ayant une marche
avantageufe , ont échappé , malgré tous les
efforts qu'on fit pour les joindre ; elle reconnut
enfuite trois navires qui fe trouvèrent être l'Union ,
le Comte d'Artois & l'Elizabeth , faifant partie,
du convoi. L'efcadre les efcorta jufqu'à l'entrée
de la rade , où ils entrèrent le 8 Novembre."
Voici les dérails qu'ils nous ont donnés relativement
au convoi deradé . Ce convoi , composé
de so voiles marchandes , appareilla de la rivière
de Bordeaux le 8 Juin dernier , fous l'efcorte du
Guerrier , de 74 , des frégates neuves , la Cérès &
la Railleufe , de 32 ; de la corvette le Sénégal ,
& du cutter le Chevreuil . Le 14 , il fut chaffé , par
des forces ennemies fupérieures qui l'obligèrent de
relâcher à la Corogne , & par une manoeuvre habile
, M. du Pavillon fut le mettre à couvert ; il
n'y eut qu'an navire de perdu ( l'Aimable Artibonite
) , qui ayant donné fur un rocher , coula
bas , & ne donna que le tems de fauver l'équipage.
Le 21 Juin , le convoi à peine forti de la Corogne
, fut encore chaffé par des forces fupérieures
qui l'obligèrent de rentrer tant dans ce port
que dans celui du Ferrol , où il refta deux mois .
Il appareilla enfin le 21 Août , fous la protection
des vaiffeaux du Roi , l'Invincible , le Bien- Aimé
1
b 2
( 28 )
& le Guerrier , de 74 ; l'Alexandre , de 64 , de
3 vailleaux Efpagnols & de plufieurs frégates Françoifes.
Il fut conduit ainfi jufqu'à la vue de Madere
où l'efcadre le quitta le 11 Septembre , le
laiffant fous l'efcorte des frégares du Roi l'Inconftante
, la Cérès & le cutter le Chevreuil.
-- La
traverfée a été des plus heureufes, Le 2 Octobre , le convoi eut connoiffance de 2 bâtimens ennemis .
La Cérès s'empara de l'un , tandis que l'Inconftante
donna chafle à l'autre , qui paroiffoit mieux ar- mé. Le 8 , le convoi reconnut l'Ile de la Defirade
; & le ୨
à 7 heures du foir , il étoit vis -à- vis
Saint- Pierre de la Martinique , côtoyant la terre &
cherchant à gagner le Fort Royal . Le même jour, le Commandant fit fignal aux bâtimens d'entrer à
Saint-Pierre où ils mouillèrent tous dans la jourheures
du matin , le
née du 10. Le 11 , à quatre
vent du nord commença à fouffler avec une telle
violence , qu'aucun des bâtimens ne put tenir fur fes ancres ; ils furent tous obligés de dérader ; il
y en aura probablement
beaucoup de perdus. La
quantité de bois pouffés fur les parages de Porto,
Rico & de Saint -Domingue , ne donne que trop
lieu de le craindre «<,
و
1
D'autres lettres de St-Domingue
préfentent
encore quelques détails que nous tranfcrirons
.
des détails » Du Cap. On écrit de toutes parts .
effrayans des ravages occafionnés par l'ouragan,
Les débordemens des rivières ont été au point
qu'on ne fe rappelle pas d'avoir jamais rien vu de
pareil. En attendant des rapports plus circonftanciés ,
nous favons en gros que ce font les rives de l'Arsibonite
& de la grande rivière qui ont le plus fouffert. L'activité du Commandant-Général l'auroit
engagé d'aller par-tout fur les lieux pour voir
( 29 )
par lui-même les dégâts & donner les ordres né
ceffaires pour y remédier , mais les circonftances
ne lui ont permis de vifiter que la grande rivière ,
où il a ordonné fur le champ les réparations les
plus urgentes ; & de concert avec M. l'Ordonnateur
, a fait paffer des fecours dans les quartiers
qui en avoient le plus befoin. Les défaftres fur mer
feront plus terribles.
Des Cayes. Il nous eft arrivé , depuis quelques
jours , plufieurs bâtimens de Curaçao ; un d'eux
a relâché à la Jamaïque , pouffé par un vent af
freux qui a fait les plus grands ravages dans cette
Ifle. Ils nous apprenennt que la prife du convoi
Anglois ( faite le 10 Août en Europe , par l'armée
combinée ) , a répandu la plus grande confternation
dans toutes les Colonies Angloiles , fur- tout
à la Jamaïque , où l'on craint de manquer de vivres .
A la fuite de ce malheur , eft arrivé le terrible ouragan
qui a occafionné des défaftres i grands
qu'on ne fe rappelle pas que cette Colonie ait effuyé
rien de fi affreux depuis le tremblement de
terre de 1692. Les pertes font inappréciables dans
les parties de l'O. & du N. La ville de Savanahla
Mar a été renverfée par un tremblement de
terre ; il n'eft refté qu'une feule maiſon habitable ;
plus de 80 perfonnes ont été enfévelies fous les
ruines. La fecoufle s'est fait fentir auffi dans les
villes de Montaigu Bay & Lucy ; enfin , dans les
différentes places de la Colonie on compte qu'il a
péri par ces débordemens ou le tremblement de
terre , environ 1500 Blancs . On n'ofe pas encore
calculer le nombre des Nègres. Beaucoup de navires
ont été jettés à la côte. La ville de Kingſton
eft prefque la feule qui n'ait pas fouffert. Les Négocians
ont ouvert fur le champ une foufcription
en faveur des malheureux , & tout le monde s'eft
empreffé d'en prendre part.
b3
( 30 )
On dit que M. de Navia , Commandant
à la Havanne , a écrit le 8 Novembre , qu'au
commencement du mois d'Octobre M. de
Solano étoit forti avec 7 vaifleaux de ligne ,
quelques frégates & autres bâtimens , &
environ 30 à 32 tranfports ayant à bord
8000 hommes de troupes ; les tempêtes qui
ont régné depuis le 10 , ajoute -t- on , ont
maltraité trois de fes vaiffeaux & difperfé
fon convoi. On ajoute qu'on eſpère que ce
convoi fe fera raffemblé au rendez -vous
qui lui a été indiqué en partant , en cas
d'accident , & que l'expédition projettée
aura eu lieu ; elle avoit pour objet Penfacola.
Le Maraudeur , corfaire de Dunkerque ,
Capitaine Cornu , a conduit au Havre , le
19 de ce mois , le corfaire Anglois le Chaf
fear , de Douvres : il a été pris à la hauteur
de Cherbourg.
La frégate corfaire la Jofephine , en armement
au Havre , doit appareiller inceffamment
fous le commandement du brave
Capitaine Favre. Les corfaires de Granville ,
Madame, le Patriote & le d'Agueffeau , font,
dehors. La Ducheffe de Polignac , de St-Malo
, ne tardera pas à fortir.
Un vaiffeau Efpagnol , arrivé des Philippines
, confirme la nouvelle apportée à Lisbonne
, par un vaiffeau de Bombay , de la
prife faite par M. de Tronjolly de 12 vaiffeaux
de la Compagnie Angloife des Indes
( 31 )
qu'on eftime 40 millions de nos livres : il
fe peut que ce foit la même nouvelle ; mais
on commence à y ajouter foi.
Par le rapport de quelques corfaires , il
fembloit que la flotte Angloiſe , deſtinée à
ravitailler Gibraltar , avoit mis à la voile ;
mais cette nouvelle eft fauffe. On dit que
M. le Comte d'Aranda envoya le 21 un
Courier à la Cour pour l'en prévenir ; mais
qu'en même-tems il affuroit qu'il ne tenoit
point à cet avis ; en effet , la flotte Angloife
a été trop maltraitée dans fa dernière croifière
pour qu'elle eût pu fi-tôt retourner en
mer.
Selon les lettres de Toulon , du 14 , il
devoit en partir le lendemain , fi les vents
étoient favorables , un convoi confidérable
( de 105 voiles ) pour le Levant , fous l'ef
corte des frégates la Précieufe , l'Aurore &
la Mignone. Le vaiffeau le Majeflueux , de
110 canons , qu'on conftruit dans ce Port ,
eft prefque fini , & il pourra être armné en
Mars prochain .
Le fieur Luel , Chirurgien François , venant
de Portfmouth , d'où il eft parti le
13 & arrivé le 14 à Morlaix , fur le parlementaire
la Molly , a fait , dit-on , le rapport
fuivant.
» Le 11 , font arrivés à Plimouth , fur divers
paquebots , environ 150 hommes de la légion de
Luxembourg , au nombre defquets étoient fix Officiers
qui ont dit que M. de Rullecourt , après
le débarquement , s'étoit avancé fur Saint - Hellier
b 4
( 32 )
·
fans aucun empêchement , s'en étoit rendu maître ,
ainfi que de 4 pièces de canons ; que le Commandant
de l'Ifle avoit été fait prifonnier ; que M. de
Rullecourt l'ayant obligé de fommer le Fort Elifabeth
de fe rendre l'Officier qui y commande
avoit répondu qu'il fe défendroit , & fait tirer fur
les François , qui furent obligés de fe retirer dans
Saint-Hellier ; qu'ils fe poftèrent fur la place du
marché , au centre de la ville , & difpoferent leurs
canons vers 5 grandes rues qui y aboutiffent ;
qu'après avoir refté fix heures dans cette pofition ,
les troupes de l'Ile qui s'étoient raffemblées arrivèrent
, & les fommèrent à leur tour de fe rendre
, ou qu'elles alloient les attaquer ; que M. de
Rullecourt , après s'être confulté avec quelqu'un
de fes Officiers avoit ordonné à fa troupe de faire
feu ; que l'ennemi ripofta vivement; que les François
ayant été fort maltraités & leur Commandant
tué , fe rendirent ; qu'on ne fait pas le nombre
des tués & des bleffés , mais qu'il eft arrivé en
Angleterre 500 hommes de la Légion. Les habitans
de Jerſey , ajoute le fieur Luel , font perfuadés
qu'ils ont été trahis . Ils ont déja fait pendre
un habitant coupable , & ils font garder à vue le
Commandant jufqu'à ce qu'ils aient trouvé des
éclairciffemens fur la conduite ".
La lettre fuivante qui nous a été adreffée ,
peut intéreffer par fon objet & par fes vues ;
c'eft à ce titre que nous nous empreffons de
la tranfcrire.
Les Entrepreneurs , M. , de la Manufacture
d'Huile de Vitriol établie à Javelle , n'ont pu obtenir
du Gouvernement un Privilége exclufif qu'ils
follicitoient à titre d'Inventeurs pour la fabrication
de l'Alun factice ; ils ont cru en conféquence pouvoir
en appeller au tribunal du Public , à ce tribunal
qui , à la vérité , juge les décifions elles- mê(
33 )
mes, & qui fans avoir le droit de fouftraire à leurs
effets ceux qui le croyent fondés à s'en plaindre ,
les confole au moins quelquefois & les venge par
fon fuffrage. Ces Entrepreneurs ont donc fait imprimer
, & ont répandu dans le Public leur correfpondance
fur cette affaire. On ne difconviendra
pas qu'elle ne fût très- intéreffante , pour eux , s'entend
; car le Public s'en occupoit fort peu , cela ne
faifoit pas leur affaire ; il falloit donc réchauffer
l'attention , & ils fe font flattés d'y parvenir en
obtenant dans la feuille du 28 Octobre dernier du
Journal de Paris , des conclufions affez favorables
. Occupé tout bonnement à roo licues de
la Capitale à fabriquer auffi de l'Alun factice , fans
me douter , moi , que je fuffe Inventeur , mon efprit
étoit au moins à 200 lieues des prétentions
des Entrepreneurs de Javelle , & je n'eufle jamais
foupçonné qu'il fût poffible d'en former de ce genre ,
fi quelques affaires ne m'euffent conduit à Paris .
On aime toujours à s'entretenir de fon métier ; if
m'arrive donc un beau jour de parler d'Acide vi
triolique , d'Acide nitreux , d'Alun ; on m'arrêtemais
, M. , vous ne fabriquez fûrement pas d'Alum
factice , ch ! pourquoi pas , Monfieur ,
--
mais
af
c'eft un fecret , & ce fecret n'eft qu'à Javelle.
A Javelle , j'ouvre les oreilles , je queſtionne , on
cherche le N° . du 28 Octobre , on me le fait
lire l'avo,ue&raimeà mvoailhàonbtieen,tôjte anu'enfuis mais , je
fuis pas encore *
Tadmiration. Et cependant , c'eft le feul mot , diton
, le feul qui convienne à la chofe. Per-
-mettez-moi , M., de vous communiquer à ce fujer
quelques réflexions bien franches , bien naturelles ,
acu vous ne verrez ni fiel , ni jalouſie , & qui fixeront
peut-être votre opinion & celle du Public ,
fi cependant ce même Public n'a pas déjà depuis
long-tems pris fon parti fur cette affaire ; dans tous
bs
( 34 )
les cas je crains bien pour les Entrepreneurs de
Javelle , qu'accoutumé comme il l'eft depuis quatre
ans , à confirmer par les applaudiffemens tout
ce qui émane de l'Adminiftration actuelle des Finances
, il ne tienne encore plus , dans cette circonftance
, à cette douce habitude . Affurément les
Entrepreneurs de Javelle font des Citoyens utiles
qui , en confacrant à la fabrication des réfultats
chymiques néceffaires au Commerce , une fortune
acquife avec honneur dans des travaux d'un autre
genre , doivent mériter aux yeux du Gouvernement :
mais ne doit- on pas voir avec peine que ces mêmes
Citoyens qui , dans le principe n'ont établi leur
Manufacture que pour fabriquer l'Acide vitriolique
, l'Acide nitreux , &c. qui , en conféquence
n'avoient réellement calculé l'indemnité de leurs
avances & la récompenfe de leurs travaux , que
fur les bénéfices réfultans de ces articles , ne voiton
pas , dis-je , avec peine , que ces mêmes Ci .
toyens au bout de quatre ans de fuccès , inftruits
par le hafard en 1779 , des moyens de faire en
grand l'Alun factice découvert dix-huit ou vingt
ans auparavant , fe foient préfentés comme des Inventeurs
, ayent , reclamé à ce titre , pour quinze
années le Privilége exclufif de cette fabrication ?
Que l'on confulte les Ouvrages de M. Macquer ,
les Mémoires de M. Beaumé fur les Argilles , & on
fera convaincu que par la générofité des premiers
Inventeurs , cette découverte a accru depuis dixhuit
ans le patrimoine des Chymiftes. - Que Penfer
donc de l'infructueufe perfévérance de ces Entrepreneurs
à fuivre une demande au moins indifcrette
? L'appas toujours éblouiffant d'un gain facile
& affuré , aura commencé leur erreur , & aujourd'hui
un peu d'amour-propre , peut- être , la
perpétue. Mais pour fe rendre plus intéreffans
aux yeux du Public , falloit- il chercher à ravaler
( 35)
-
les travaux de M. Holker , cet homme fi recommandable
par les fervices qu'il a rendus , & dont
l'établiilement pour la fabrication des réſultats Chymiques
, eft le premier dont la Nation puiffe fe féliciter
? Ne peut-on plus , de nos jours , louer un
homme célèbre , un Artifte , fans dénigrer fon
émule. On pro ligue à l'établillement de Javelle
le mot d'admiration , mais quel fentiment réfervera-
t-on pour les chef- d'oeuvres & les vraies
découvertes. La fabrication de l'huile de vitriol
finira par ne devenir qu'un acceffoire de cet établiffement
; ainfi donc l'Huile de vitriol a été d'abord
le principal but de l'établiffement de Javelle ,
le principal objet des dépenſes & des frais qu'il a
occafionnés ; & pourquoi veut - on que ces dépenfes
fervent aujourd'hui de motifs à l'obtention du
Privilége exclufif demandé pour la fabrication poftérieure
de l'Alun. Pour être en état de continuer
cette fabrication , ils demandent un Privilége exclufif,
quoi , pour être en état ! Mais quels Entrepreneurs
ont jamais eu plus de reffources dans leur
fortune & dans leur crédit ? Pour être en état ! Et
ils ont refufé la gratification qui leur étoit offerte
par le Gouvernement. ( V. page 20 de leur Correfpondance
) . Si les Priviléges exclufifs font la
récompenfe de l'industrie , aucun établiſſement n'y
a plus de droit ; mais s'ils ne font & ne doivent
être que la récompenfe d'une invention , d'une découverte
, les Entrepreneurs de Javelle font-ils en
droit d'y prétendre , puifqu'ils n'ont rien inventé ,
ni rien découvert. C'eft de l'étranger que nous
tirons tout notre Alun ; fans doute , il falloit bien
pour donner plus de prix au nouvel Alun , ne faire
aucune mention des Mines du Forez , ni de celles
de Prades en Rouffillon , & fe garder fur-tout de
parler des autres établiſſemens femblables exiſtans
dans le Royaume. L'Alun étranger eft inférieur
-
—-
b 6
( 36 )
---
à celui de Javelle , comme il confte par le rapport
des Commiffaires de l'Académie ; lifons le rapport ,
En voici les propres expreffions , » il réfulte de
» ces expériences , que le morceau d'Alun de Javelle
fur lequel nous avons opéré , eft d'une qualité
à- peu près égale à l'Alun de Roche de Commerce ,
» il eft même fenfiblement plus pur en ce qu'il
" contient moins de fer , & c. «< On vient de
diftribuer fous le titre de Correfpondance de Particuliers
, &c. une petite Brochure.
Il faut
hire au moins le titre des Mémoires produits par
ceux que l'on protége ; cette brochure eft intitulée :
Correlpondance des Propriétaires , & non pas des
Particuliers. On ne verra pas fans étonnement
les petites tracafferies auxquelles fe trouvent expo
fés , &c. Comment peut-on appeller petites tracalferies
la ferme & fage réfolution du Miniftre des
Finances qui ne veut accorder de Privilége exclufif
qu'à des Inventeurs , petite tracafferie , le rapport
de l'Académie des Sciences qui a dabord nié for
mellement la réalité de la découverte ; mais qui
depuis a gardé fur ce point le filence , par une condefcendance
inutile pour ces Entrepreneurs , puifqu'il
falloit au Gouvernement un témoignage pofitif.
Enfin on appellera petites tracafferies le réſultat
& toute la Correfpondance préfentée au Gouvernement
par les Magiftrats défenfeurs & protecteurs
dut Commerce. Enfin on finit par promettre
aux Entrepreneurs de Javelle le voeu général des
Chymiftes , on voudra bien cependant en excepter ›
le mien ; je ne fuis point ce M. Vincent de Gre
noble dont on a cherché à déprifer les talens &
les reffources ; mais je confacre mes foins & mes
travaux à un Etabliffement tout - à-fait femblable à
celui de M. Holker , & à celui de Javelle , & qui
place dès-à -préfent au rang des objets de fa fabri
cation l'Alun commerçable. On ne ſoupçonnera
( 37 )
:
sûrement point les Entrepreneurs de Javelle de nous
avoir communiqué leurs procédés s'ils ont fait
une découverte , & nous donc auffi nous ferions
inventeurs , mais cependant nous ne demandons
rien au Gouvernement , fi ce n'eft quelques- uns
de ces regards qui foutiennent le zèle , ennobliffent
tous les travaux utiles à l'Etat , & font la première
& la plus douce récompenfe du Commer
çant Citoyen. Voilà , M. , ces réflexions que
je vous avois annoncées , vous voyez à découvert
ma bonhommie , ma franchife , mon peu d'ambition
; la concurrence , voilà mon cri & ma devife :
je ferois fort aile que ma lettre pût trouver place
dans l'un de vos premiers Journaux , & fi j'cbtiens
votre approbation , je ne déſeſpérerai pas
de celle du Public ".
Le 12 de ce mois , écrit-on de Grenoble , le
bourg d'Oifans , chef- lieu d'un Mandement confidérable
, fur la route de cette ville à Briançon , a
été réduit en cendres par un incendie qui s'eft
manifefté dans une écurie & une grange affez écar
tées du gros bourg. Un vent violent du Sud - Ouest
y porta les flammes & les difperfa fur tant de
points , qu'en moins de deux heures l'incendie fur
général . Le nombre des maifons brûlées eft de
171 , non compris . 80 granges , qui ont été également
confumées ; il n'eft échappé de l'incendie
que l'Eglife , le Presbytère , le Couvent des
Récollets , le Château du Seigneur & celui du
Marquis de Viennois , & 3 autres bâtimens. Sur
1500 habitans que contenoit ce Bourg , 1200 font
réduits à la mifere la plus abfolue. On les a mis
à couvert dans le Couvent des Récollets , & les
deux Eglifes échappées aux flammes . Plufieurs
particuliers des environs leur ont fait paffer des
fecours . On leur en envoie beaucoup de cette Ville,
d'où on leur porte du pain , de la farine , du riz
( 38 )
des couvertures , & c. Les Corps & les perfonnes
de confidération de cette Ville , leur ont fait
des dons confidérables . Les Comédiens actuellement
à Grenoble , ont donné une repréfentation
au bénéfice des malheureux incendiés. La
recette a été de 688 liv . , le Directeur n'a pas
voulu en prélever fes frais. Les Muficiens ont refufé
leur rétribution , & les Grenadiers de garde.
au Spectacle ont marqué le même défintéreffement
«.
Maximilienne- Louife- Gabrielle de Béthune
, fille de Maximilien-Antoine - Armand
de Béthune , Duc de Béthune & de Sully
Pair de France , & de Gabrielle- Louiſe de
Châtillon , Ducheffe de Béthune , eft morte,
en cette ville le 18 de ce mois , âgée de
19 ans .
" Les fieurs le Sefne & Compagnie , Négocians
& Armateurs des frégates la Chevalière d'Eon & la
Rofalie , annoncent à MM . leurs Actionnaires , que
la première de ces frégates deſtinée d'abord à porter
44 canons en aura 54 en deux batteries , fans gaillards
favoir , 26 de 18 & 24 livres de balle à la
première , & 28 de 12 à la feconde. Comme fes
dimenfions principales font égales , à un pied ou
deux près , à celles d'un vaiffeau de ligne de 64
canons , les Ingénieurs les plus éclairés ont jugé ce
changement facile & avantageux , parce que la
frégate en fera plus propre à l'attaque & à la défenfe ,
& que cette augmentation de forces qui en fait un
vaiffeau en état d'entrer en ligne , exigera d'autant
moins de dépenfes fenfibles pour , les Actionnaires ,
que les plus grands frais font faits , & que les canons.
font fournis par le Roi . Ils faififfent cette occafion
pour prévenir plus généralement , que l'ufage indifcret
que l'on a fait du crédit qu'ils ont accordé à
( 39 )
des Négocians inexacts , les a décidés à rejetter
toutes les demandes d'acceptations ou de crédit
qui leur feroient faites , avant que leur Armement
foit en mer, à moins qu'elles ne fuffent relatives à
fon exécution. Ils ajoutent enfin qu'ils ont donné
leur procuration à MM. de Benefeck & Comp. ,
Directeurs du Bureau Royal de Correspondance
Générale & Etrangère , pour faire valoir leurs prétentions
contre qui il appartiendra , afin de n'être
plus diftraits des foins de leur Armement par des
affaires litigieufes , qu'ils ne font d'ailleurs pas en
état de fuivre «<.
Demoiselle Catherine Moreaux , âgée de 51 ans
s'eft abfentée de Vitry- le - François le 27 Novembre
dernier , & s'eft rendue en la Ville de Troyes en
Champagne ; on n'a pu découvrir quelle route elle
a prife en fortant de cette Ville. Ceux qui feront inftruits
de fa retraite font priés d'en inftruire la dame
veuve Morcaux fa mere , demeurant à Vitry- le-
François , rue Saint- Georges , & de prêter à ladite
demoiſelle Moreaux les fommes qui lui feront néceffaires
pour retourner à Vitry, & de lui procurer une
perfonne fure pour l'accompagner dans fon retour.
Les avances qui auront été faites à cette demoifelle ,
feront remifes à fon retour à Vitry- le - François à la
perfonne qui l'accompagnera , à qui les frais de voya
ge feront remis , & le tems qu'elle y employera fera
payé.
·
Ordonnance du Roi concernant les Novices-
Volontaires Matelots en date du ୨ Janvier.
Ceux des fujets de S. M. depuis l'âge de 18 julqu'à
25 ans , qui fe préfenteront pour être reçus
Novices Volontaires - Matelots , & s'engageront
pendant trois ans , recevront , en arrivant au dépôt
, 12 liv. de gratification ; ils feront nourris
comme, les Matelots employés dans les Ports , &
auront en outre 12 liv . de paie par mois. Ils feront
payés un mois d'avance fur les bâtimens du
( 40 )
Roi , pour les voyages de cabotage , & deux mois
pour ceux de long cours. Ils auront part aux
prifes comme les Matelots claffés. Ceux qui en
fe rendant aux dépôts déferteront après s'être engagés
, feront arrêtés par la Maréchauffée , mis
en prifon , & perdront les douze livres de gratification.
Ceux qui déferteront après avoir été admis
dans les Dépôts , outre la privation de la gra
tification , feront frappés de cordes , en courant
deux fois la bouline , pour la première fois ; pour
la feconde , ils fubiront la peine de la cale , &
feront enfuite chaffés. Ceux qui déferteront des
vaiffeaux de Roi feront punis comme les déferteurs.
Les Volontaires feront admis à la demi- folde en cas
de bleffures. Les veuves & les enfans de ceux qui
auront été tués à bord , obtiendront dés récompenfes
, & c.
Arrêt du Confeil du 6 Novembre , qui défend
aux Armateurs de troubler les bateaux pêcheurs
Anglois qui feront fans armes offenfives , même
ceux qui fe trouveroient chargés de poiffons frais
qui n'auroient pas été pêchés ſur ces bâtimens , à
moins qu'ils ne foient convaincus d'avoir fait quelques
fignaux qui indiquent des intelligences avec
les corfaires ou bâtimens ennemis . Çet Arrêt a été
rendu fur la Requête de la Chambre du Commerce
de Dunkerque. Le corfaire le Printems avoit pris
le 13 Avril dernier le navire Anglois le Jean & Sara,
qu'il avoit rançonné pour 225 guinées. Ce bâtiment
étoit chargé de poiffons frais venant de Hol
lande . M. Leroi , Armateur du corfaire , inftruit de
fa cargaison & de l'Ordonnance du Roi , follicita
lui même la liberté de la rançon qui répondoit de
Ja prife , & l'obtint. Le 10 Mai fuivant , le Confeil
des Prifes déclara le Jean & Sara de bonne prife . La
Chambre du Commerce a interjetté appel de ce
Jugement, far lequel a été rendu l'Arrêt du Confeil
dont il eft question.
( 41 )
De BRUXELLES , le 30 Janvier.
LES lettres de Hollande portent qu'on y
eft dans l'impatience d'apprendre la réfolution
de la Cour de Ruffie au fujet du parti
à prendre relativement à la République ,
depuis la déclaration de guerre de l'Angleterre
. On attend avec autant de curiofité
que d'empreffement le retour du Courier
qui a été expédié à Pétersbourg pour y porter
l'acceffion des Etats- Généraux à la neutralité.
On n'eſt pas fans inquiétudes fur les
changemens que peut faire naître la conduite
inattendue de la Grande Bretagne qui ,
dans l'efpoir d'affoiblir la neutralité , s'eft
bâté de tirer la Hollande de fon état de paix
pour la mettre au nombre des puiffances
belligérantes. Il fe pourroit que fes combinaifons
euffent des fuites plus graves , &
qu'elle n'a pas prévues. L'acceffion de LL.
HH. PP. eft arrivée à Pétersbourg . On a
reçu la nouvelle que le traité qui devoit
être conclu en conféquence avoit été figné
le 5 de ce mois ; il eft à préfumer qu'à
cette époque on n'y étoit pas inftruit
de la déclaration de guerre qui cût pu
retarder cette fignature. Dans ce cas , les
fecours que les alliés doivent fe fournir
mutuellement pourront avoir lieu , & on
eft curieux de favoir ce que fera l'Angleterre .
( 42 )
Elle s'eft préparé d'avance l'impoffibilité de
reftituer les navires enlevés aux Hollandois
, par la renonciation que le roi a faite
à toute part dans les prifes ; elle efpère fans
doute s'excufer fur cet objet par cette impoffibilité
, & gagner du tems par les recherches
qu'exigeroit cette fatisfaction
qu'elle ne peut plus donner . Mais elle n'a
peut être pas fenti qu'elle accroît le cri univerfel
élevé déja contr'elle , la défiance &
les plaintes de toutes les Puiffances neutres ,
& qu'elle ne peut qu'ajouter au voeu général
formé pour fon abaiffement dont elle
fait une néceffité que reclame l'intérêt de
toute l'Europe .
S'il eft vrai , comme on le dit , que deux
vaiffeaux Suédois chargés de farine à Nantes
pour Cadix , ont été pris par 2 frégates Angloifes
, que le Gouvernement , inftruit de
la nature du chargement de ces bâtimens ,
& de leur destination , a envoyées , avec
l'ordre exprès de les enlever , il n'eft pas
douteux que les Puiffances neutres ne foient
plus affermies dans les réfolutions qui leur
ont fait prendre les armes pour protéger
leur commerce. Il ne s'agit pas ici d'une
prife faite par des corfaires qu'on peut
défavouer ; c'en eft une exécutée par des
vaiffeaux du Roi , dont le Gouvernement
répond , & dont il doit une réparation authentique
qui fera fans doute réclamée : les
actes de cette espèce fe font trop multipliés
( 43 )
pour que les nouveaux ne comblent pas la
mefure .
On prétend auffi que les vaiffeaux du Roi
d'Angleterre fe font emparés d'un bâtiment
Pruffien chargé également pour l'Espagne.
C'eft une grande imprudence de leur part
d'avoir ofé mécontenter cette Puiffance qu'il
étoit important de ménager , qui n'avoit pris
encore aucun parti parce qu'elle a moins
d'intérêts maritimes ; mais qui par cette raifon
reffentira plus vivement peut- être ce
manquement.
Les Hollandois ont expédié des Couriers
à Pétersbourg , à Stockolm & Copenhague
pour réclamer les fecours ftipulés par le traité
de neutralité. En attendant les réponses de
ces Cours , ils prennent les mesures néceffaires
pour repouffer les hoftilités. La Province
de Zélande , celle de toutes les Provinces-
Unies dont les intérêts politiques &
commerciaux ont toujours été le plus intimement
liés avec ceux de la Grande Bretagne
, eft la feule qui ait montré de la ré-;
pugnance à adopter des mefures devenues,
enfin indifpenfables ; elle a fait repréſenter
le 8 de ce mois aux Etats- Généraux .
Que perfiftant dans le fentiment que la voie de la)
négociation eft la plus convenable pour applanir les
plaintes réciproques entre les deux Puiffances, elle con
feille de la prendre encore ; cependant , ajoute-t- elle ,
elle ne fait point cette propofition , par un principe de
crainte ou de confternation depuis la démarche inattendue
de la G. B. Qu'elle a trop mérité de la confé(
44 )
dération pour qu'on puiffe l'en foupçonner ; qu'elle
eft encore la même que lorsqu'il étoit queftion de
la défenfe de la religion & de la liberté ; qu'elle
facrifieroit fes biens & fon fang pour ces objets ;
mais qu'elle juge que l'intérêt de la République
dans les conjonctures actuelles eft de cultiver la paix
avec tous les voifins , & fes engagemens d'Amitié
avec la G. B. à des conditions raisonnables & honnêtes
.
Cette nouvelle tentative de la Zélande n'a
pas empêché les Etats Généraux d'arrêter , le
12 de ce mois , qu'il feroit accordé des lettres
de repréfailles & de marque aux habitans
de la République pour leur fervir de dédommagement
des prifes de leurs bâtimens
par les Anglois , & de fixer des fommes pour
les malheureux & les bleffés. Le Stathouder
a , en fa qualité d'Amiral , renoncé à tout ce
qui pourroit lui en revenir.
» Il a déja été diftribué beaucoup de commiffions
pour aller en courfe contre les Anglois , écrit-on de
la Haye. L'ardeur des habitans de cette République
à coopérer dans les mesures que prennent nos Souverains
pour maintenir la dignité de l'Etat eft incroyable.
On a ouvert dans plufieurs villes des foufcriptions
; & à Amfterdam deux particuliers feuls ont
figné pour 100 mille florins chacun. Cette ville
arme 24 frégates & Rotterdam 16 pour la courſe.
Entre elles deux elles en font 40 , ce qui eft plus que
fuffifant peut- être pour troubler le commerce des
Anglois dans la Baltique. C'eft à peu- près dans cette
mer feule qu'ils en font aujourd'hui ; & on ne feroit
pas étonné fi les Puiffances du Nord mécontentes
venoient à la leur fermer. La Province de Hol
( 45 )
lande fe fignale de plus en plus par fon zèle patriotique.
Après avoir confenti à l'augmentation
des forces deterre , elle a demandé qu'il foit préſenté
à LL. HH. PP. an nouveau plan pour faire diftribuer
ces nouvelles levées fur les vaiffeaux de la République
& en renforcer la marine. La pétition
que le Confeil d'Etat a réfolue pour l'augmentation
de la marine , confifte en trois articles , favoir :
1. pour l'équipement des nouveaux vaiffeaux de
guerre 7,342,536 florins. 2 ° . Pour l'achat des canons
& munitions de guerre 1,500,000 florins,
3º. Pour trois quarts dans les dépenses & pour l'é.
quipement extraordinaire 5,763,135 florins . 4 ° .
1,921,045 florins qu'on tirera du Laft - en Veilgeld.
Les députés de la pêche de Zélande ont eu une lon
gue conférence avec le Chevalier Yorke à Anvers
pour demander la liberté de leur pêche. On dit qu'il
leur a répondu qu'il n'étoit actuellement revêtu d'aucun
caractère ; mais qu'il étoit perfuadé que le Roi
ne feroit pas attention à de pareilles minuties , &
qu'ils pouvoient par provifion envoyer à la pêche 3
bâtimens pour lefquels il tâcheroit d'obtenir une
fauve-garde. Le féjour de cet Ex-Miniftre à Anvers
ne laiffe pas d'exercer nos fpéculatifs . On dit
qu'il attend avec autant d'impatience que la Républi .
que la réponſe de la Cour de Ruffie , & qu'il a ordre
de refter toujours à portée de voir ce qui le pafle dans
la République , & qu'il fait quelquefois des propo
fitions indirectes . On affure même qu'il en a déja
fait faire par le Miniftre d'une Puiſſance neutre
mais qu'il a été répondu qu'on n'en écouteroit aucune
à moins qu'elle ne fe fit directement par
L'Angleterre ".
T.
Ces nouvelles prouvent que la Cour de
Londres s'étoit Hattée de divifer les Hollandois
, & d'un parti qui pourroit balancer
( 46 )
celui qui eft contre elle ; elle a dû voir que
la Province de Zélande eft la feule qui tienne
encore pour elle ; mais fix Provinces font
d'une autre opinion ; & fa conduite n'étoit
pas propre à lui affurer leurs fuffrages.
Il est entré ici , écrit- on de Cadix , en
date du 9 de ce mois , un navire du convoi
de Don Solano. Il nous confirme que
les ouragans ont défolé les Antilles , &
qu'ils ont caufé principalement aux Anglois
des pertes irréparables . On a vu à
Porto - Ricco une de leurs frégates de 32
canons , venir fe brifer contre les roches .
L'équipage & l'Etat-Major qu'on eft parnu
à fauver , ont été faits prifonniers . Nous
favions qu'un de leurs vaiffeaux de guerre
avoit été jetté fur la côte de Cuba ; mais
nous ignorions qu'un autre avoit péri à
Porto - Rico .
·
Le Conful Hollandois a appris hier que
la Grande Bretagne venoit de déclarer l
guerre à fa Nation. C'eſt à notre Ambaffadeur
à Paris qu'il doit cet avis important
; & notre Cour s'eft empreffée de le
répandre dans tous nos ports.
On nous mande d'Algéfiras qu'il eft
venu au Camp de Saint-Roch un déferteur
Irlandois qui a dépofé que les deux bâtimens
entrés dans la baie depuis 15 jours ,
n'ont pas jetté de grands rafraîchiffemens
dans Gibraltar, La Bélandre n'étoit chargée
que des paquets de la Cour, & la petite
( 47 )
tartane Mahonoife avoit fort peu de comeftibles
. Le déferteur affure que la ration
des troupes eft encore affez forte , mais le
pain & la viande font d'une très - mauvaife
qualité. Cette nourriture cauſe beaucoup
de maladies.
Notre flotte a ordre de fe tenir prête à
fortir à la premiere apparition des Hottes
ennemies qui tenteront de ravitailler Gibraltar.
Fin du Traité de commerce entre la Hollande &
les Etats- Unis de l'Amérique Septentrionale .
31. Les navires ou bâtimens des fujets ou habitans
de chacune des parties , abordant à une côte
de la dépendance des Etats de l'un ou de l'autre des
Confédérés , lefquels néanmoins ne voudront pas
entrer dans un port , ou qui après y être entrés
ne voudront pas décharger leur cargaifon , ou
rompre le frêt , ne feront pas obligés de déclarer
le contenu de leur charge , finon lorfqu'ils paroîtroient
fufpects , par quelques indices manifeftes ,
de potter des effets de contrebande à l'ennemi de
l'allié refpectif : or , pour lors , dans le cas d'un
pareil foupçon , les fafdits & habitans de chacune
des parties , feront obligés d'exhiber dans les ports
où ils fe trouvent , leurs paffe -ports & certificats
dreflés de la manière fus- mentionnée.
32. Lorsque les navires ou bâtimens des fujets
ou habitans de chacune des parties , naviguant le
long des côtes ou en pleine mer , feront rencontrés
par quelque vaiffeau de guerre , armateur ou bâti
ment armé de l'autre partie , ces derniers , pour
éviter tout défordre , fe tiendront hors de la portée
du canon , pouvant néanmoins envoyer leurs cha-
Joupes à bord du navire marchand qu'ils auroient
( 48 )
trouvé dans leur route en obfervant de ne faire
monter à bord du fufdit bâtiment , que deux ou
trois hommes, auxquels le Pátron ou Commandant
du bâtiment exhibera fon pafle port , indiquant la
propriété du navire ou bâtiment , conformément au
modèle , annexé ci après. Après quoi le fufdit navite
ou bâtiment , ayant produit fon paffe- port , pourta
librement continuer la route , fans que lou puifle
fous tel prétexte que ce foit , le molefter, le vifiter
ni lui donnet chaffe , ou le forcer à changer fon
cours.
33. On eft encore convenu que les effets , unc
fois embarqués à bord de l'un des navires des parties
refpectives , ne feront plus foumis à aucune vifite
ou recherche ultérieure , après celle qui aura le faire avant l'embarquement ; toutes aura dû fe
les marchan
difes prohibées devant avoir été arrêtées fur le lien
même avant qu'elles n'aient été tranfporréesafus, les
navires ou bâtimens des fujets ou habitans des parties
refpectives: Quant aux perfonnes ou effets des fujets
ou habitans des fept Provinces- Unies de Hollande
ou ceux des Etats-Unis d'Amérique , ils ne pourront
pas être arrêtés , ni moleftés par quelqu'autre espèce
d'embargo , pour la caufe fuldite ; mais le fujet de
la Puillance chez lequel auront été trouvés des effets
de cette nature ou qui auront dû l'être , & qui
fe feroit expofé à en tranfporter , ou à en détourner ,
ne fera puni pour ce délit que felon les Loix , Cou
tumes & Ordonnances de fon pay's natal.

34. Les parties contractantes s'accordent récia
proquement la liberté de pouvoir établir dans les
ports refpectifs , des Confuls , Vice- Confulsagens
& Commiſſaires par elles
es nommés , & dont les fauce
rtions feront réglées par une convention particulière.
toutes les fois que chaque partie jugera apropos
d'établir des Officiers de cette efpèce.
wat on ཀུརྒྱུད ། ༣༦, ཚེ །
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , les Janvier.
LES Commiffaires de l'Impératrice , & les
Ambaffadeurs extraordinaires des Etats - Généraux
des Provinces-Unies n'ont pas perdu
un moment pour travailler au traité de l'acceffion
de la République à la neutralité armée.
Dimanche dernier ils s'affemblèrent
encore au fujet de l'article par lequel on
devoit régler fi ce feroit un Officier Ruffe ou
un Hollandois qui commanderoit les flottes
refpectives en cas de rencontre ou de jonction.
Il fut arrêté qu'on s'en rapporteroit fur
cet objet , à l'ufage établi entre les trois Couronnes
& la République. Le lendemain les
Plénipotentiaires firent part à S. M. de tout
ce qui s'étoit paffé dans leurs conférences.;
elle y donna fon approbation ; & les pleins
pouvoirs ayant été échangés de part & d'auils
ont figné hier au foir l'acte d'acceffion.
Les Anglois ont mis tout en oeuvre
pour faire exclure la République de cette
alliance ; leurs démarches ont été plus acti-
10 Février 1781.
с
( 50 )
ves & plus preffantes au moment où cette
grande affaire approchoit de fa fin ; mais
S. M. I. a perfifté invariablement dans fes
réfolutions & dans fes fentimens.
SUÈDE.
De STOCKOLM , le 9 Janvier.
LE Comte de Reventlau , nouvel Envoyé
de la Cour de Danemarck auprès du Roi ,
eft arrivé ici avec Madame fon épouse. Il
aura fa première audience de S. M. à fon
retour de Grypsholm d'où elle eſt attendue
avec toute la Cour demain ou après de-
'main.
Le Roi a envoyé à Carlfcron , ordre d'y
équiper au plutôt 10 vaiffeaux de ligne &
6 frégates qui doivent aller au printems
prochain croifer dans la mer du Nord &
dans la Méditerranée . Les vaiffeaux de ligne
font : la Sophie- Madeleine , le Roi Adolphe-
Frédéric , le Roi Guftave III de 70 canons ,
le Prince Charles , le Prince Frédéric Adolphe
, la Sophie-Albertine, le Wafa , le Prince
Ferdinand & le Frédéric Rex de 60. Les frégates
font : la Gripen & l'Upland de
nons , le Prince Guftave , le Holken , Illerim
de 36 , & le Jarramas de 34 .
POLOGNE.
40 ca-
De VARSOVIE , le 12 Janvier.
LE Comte de Branicki , Grand- Général de
( 5 )
la Pologne , eft parti d'ici pour Pétersbourg ,
où il va célébrer fon mariage avec la Princeffe
Eléonore Poremkin . Il a à fa fuite 4
carroffes attelés de 6 chevaux , & une garde
de 20 Ulans , qu'il entretient à fes dépens .
On évalue à 150,000 ducats les préſens qu'il
deftine à fa nouvelle époufe , qui eft nièce &
unique héritière du Prince Potemkin , &
qui lui apporte une dot immenſe & des
efpérances qui la furpaffent encore.
La plupart de nos Magnats partent fueceffivement
pour Dubno , ou pour Grodno
ou pour Lemberg , afin d'y affifter aux contrats.
On fait que c'eft dans cette eſpèce
de foire que nos grands , vendent , achètent
ou engagent des terres , & règlent tout ce
qui concerne leurs finances pendant le cours
de l'année . Elle commence le jour de l'Epiphanie
, & dure jufqu'à la fin de ce mois
La veuve du Grand - Chancelier, qui eft unc
Comteffe de Borth née Tifen-haufen , fe propofe
de partir inceffamment pour Pétersbourg
où elle compte fe fixer. Son fils qui a été cidevant
Capitaine de Cavalerie dans l'armée
de la Couronne , reftera ici ; & le Roi lui a
promis la première Staroftie vacante.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 12 Janvier.
MESDAMES les Archiducheffes Marianne &
Elifabeth fe rendront le printems prochain ,
l'une à Klagenfurth & l'autre à Infpruck.
C 2
( 52 )
L'Empereur reçoit journellement des Requêtes
& des Mémoires qu'on lui préſente ,
& fur lefquels il prononce lui-même avec
autant de fageffe que d'équité. Ce Prince
voulant entrer dans tous les détails , & n'en
regardant aucuns comme petits , pour peu
qu'ils intéreffent fes fujets , a ordonné à tous
les Chefs de départemens , de lui préfenter
tous les fix mois , la lifte de leurs fubalternes
, & des notes fur leur conduite.
De HAMBOURG , le 17 Janvier.
LA fignature du traité conclu à Péterfbourg
, en conféquence de l'acceffion des
Provinces-Unies à la neutralité , a eu lieu
au commencement de ce mois ; on eft fort
curieux maintenant d'en apprendre les fuites
& de favoir quelle fera la première démarche
des Puiffances neutres alliées , &
l'effet de leurs réclamations en Angleterre.
Lorfque le Comte de Welderen prit congé
de S. M. B. , il lui dit que dans le nombre
des ennemis que l'Angleterre s'étoit attirée
les Etats-Généraux étoient peut-être les plus
dangereux. Le commentaire naturel de cette
phrafe femble être que l'agreffion volontaire
commife contre la Hollande doit convertir
la neutralité armée en une confédération
qui ne vouloit être que défenfive , & qui
deviendra offenfive , & qu'elle pourroit
avoir des fuites auffi fàcheufes que l'infurrection
Américaine , que dans l'origine le
( 53 )
Ministère Britannique fe flittoit d'étouffer
avec une efcouade de guet.
Les Couriers font très-fréquens entre Pétersbourg
, Copenhague & Stockholm ; les
Miniftres des Puiffances refpectives qui
avoient obtenu la permiffion de s'abfenter
font tous retournés à leurs deftinations ; la
correfpondance des trois Cours a une plus
grande activité dans les circonftances préfentes
; & on fe flatte de voir éclorre de
ces négociations un fyftême de liberté pour
le commerce & la navigation de tous les
peuples , qui prouvera au Miniflère Anglois
que ni les moyens de violence , ni les manéges
de flatterie ni de corruption , qu'il a
fucceffivement tenté d'employer , n'ont pu
prévaloir auprès des Souverains juftes ,
contre les intérêts évidens de l'humanité.
Le Gouvernement de cette Ville s'eft
empreffé de feconder le Miniftre des Etats-
Généraux , pour avertir les Capitaines des
bâtimens Hollandois de la déclaration de
guerre de l'Angleterre . Le Conful fit affembler
fur-le- champ le Collége de Commerce
, les Courtiers , les Commiffionnaires
& les chargea de faire paffer cet avis partour
, fous peine de perdre leurs emplois
en cas de négligence : il fit même imprimer
à fes frais la réfolution de L. H. P. , la fit
diftribuer par- tout , & l'envoya dans tous
les Ports fur l'Elbe.
c 3
( 54 )
ESPAGNE.
De
CADIX , le 13 Janvier.
IL eft arrivé de Madrid un ordre de faire
fortir 10 vaiffeaux de ligne' ; en conféquence
D. Vincent Doz fe prépare à fortir ; on
ignore fa deftination ; tout ce qu'on fait ,
c'eft qu'il prend des vivres pour 4 mois ,
& qu'il fe fait accompagner par 2 frégates.
Nous espérons voir paroître à chaque
inftant l'avifo de la Havanne , qui doit
nous apporter des nouvelles de l'expédition
contre. Penfacola. Il n'y a rien de nouveau
au camp ; les ennemis font toujours
un feu d'enfer & en pure perte. Il eft vrai
que fi l'on parvient à les réduire par famine
, il feroit douloureux pour eux de n'avoir
pas touché leurs munitions de guerre , en
conféquence ils ne les épargnent pas.
La Reine douairière de Portugal eft attaquée
d'une maladie , dont les fymptômes
n'ont pas cédé aux véficatoires & aux autres
remèdes qu'on a employés . Le 3 de ce
mois elle fe fentit accablée d'une fi forte
oppreffion de poitrine , que les Médecins
jugèrent qu'il convenoit de la faire adininiftrer
; elle reçut ce jour- là le Viatique à
8 heures du foir avec une dévotion exemplaire;
fon état paroiffoit déſeſpéré au départ
du dernier Courier.
9.7
( 55 )
-
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 27 Janvier.
Nous fommes toujours fans aucunes
nouvelles de l'Amérique feptentrionale : le
Gouvernement en a cependant reçu ; mais
il garde un filence qui n'eft pas de bon augure.
Avant - hier au foir on apprit au bureau
de la pofte que le paquebot le Swift
étoit arrivé de New- Yorck , d'où il eft parti
le. 23 Décembre. A cette date on n'avoit
aucune nouvelle des vaiffeaux de ligne le
Thunderer & le Sterling Castle ; on eft d'autant
plus inquiet de leur fort qu'il n'y avoit
plus que New-Yorck , d'où l'on peut en
apprendre des nouvelles. M. Poole , ci - devant
Capitaine de la frégate le Huſſard
qui s'eft perdue en Amérique , a apporté
des dépêches de l'Amiral Arbuthnot ; mais
il n'en tranfpire rien. Le Major Evans
étoit fur le même paquebot , avec des lettres
du Général Clinton. On dit que quand
il a quitté Shandy Hook le Général Arnold
alloit s'embarquer avec 2000 hommes pour
une expédition fecrette au fud ; on dit ici
qu'il va reprendre poffeffion des poftes de
la Virginie que le Général Leſlie a été obligé
d'évacuer. L'armée Angloife reftera , diton
, après ce dernier détachement , forte
de. 18,000 hommes effectifs , ce qui ne
laiffe pas de paroître douteux.
Le filence de la Cour fur les autres nou-
C 4
( 56 )
་ 》
velles que le paquebot a dû apporter ne
laiffe pas d'inquiéter. Divers papiers Américains
du mois de Décembre , contiennent
en effet des avis qui ne font pas propres
à nous donner une idée riante de notre
fituation on y lit entr'autres la lettre fui-
· vante du Général Leflie au Lord Cornwallis ,
en date de Portsmouth le 4 Novembre , que
les Américains ont interceptée. Il y a une
femaine que je fuis occupé ici à établir un
pofte je vous ai écrit à Charles - Town , &
par un autre meffager auffi par terre . Je ne
puis favoir avec certitude où vous êtes :
j'attends vos ordres : le porteur fera bien
récompenfé s'il m'apporte de vos nouvelles
". Peu de jours après avoir écrit cette
lettre le Général Leflie s'éloigna de Portf
mouth.
Nous venons de recevoir l'avis , écrivoit on le 8
Novembre, que l'ennemi a entièrement évacué Portf
mouth , que toute fa flotte , au nombre de 60 voiles ,
étoit hier à la mer dans la rade d'Hampton , & que le
16 , un détachement de notre cavalerie légère étoit
arrivé à Portſmouth. It paroît que l'ennemi n'a fait
d'autre mal que celui qui résulte de fes exploits
ordinaires ; c'est-à- dire , quelques batailles fanglantes
contre nos bêtes à cornes , des fiéges de nos
toits à porcs , & de violens affauts contre nos
poulaillers.
» Le Major Brunn , ci-devant Aide - de- Camp du
Major Général Sullivan , écrivoit le Général Gates
au Congrès le 14 Novembre , vient d'arriver au
camp : il m'apprend qu'il y a eu une action entre le
Général Sumpter & le Major Wemys dans laquelle
celui- ci a été complettement battu , bleffé & fait pri(
57 )
fonnier avec 25 hommes de la troupe . L'ennemi a
laiffé fur le champ de bataille beaucoup de morts
& le Général Sumpter s'eft emparé d'un grand nom
bre d'armes & de chevaux très - fins . On a trouvé
dans la poche du Major Wemys une lifte des maifons
Whigs qu'il abrûlées fur le Pedie ; auffi-tôt que j'aurai
cette lifte & les autres papiers , je ne manquerai
pas d'envoyer le tout au Congrès. L'ennemi ne pofsède
pas un pofte à l'eft de George- Town , ou au
nord de Camden ; tandis que le Colonel Merian
& le Général Harrington commandent tout le pays
à l'eft de Sautée , & interrompent continuellement
la navigation de l'ennemi fur cette rivière «.
Le Congrès a publié la relation des opérations
de l'armée occidentale , depuis le 25
Septembre jufqu'à la défaite du Major Fergufon.
tués
1
Les forces de l'ennemi dans cette journée confiftoient
en 1125 hommes , dont il a perdu , troupes réglées
, 1 Major , 1 Capitaine , 2 Sergens , Is Soldats
, 35 Soldats bleffés & reftés fur le champ de
bataille hors d'état de marcher. 2 Capitaines , 4 Lieutenans
, 3 Enfeignes , 1 Chirurgien , s Sergens , 3
Capora , Tambour , 45 Soldats prifonniers.
Torys. 2 Colonels , 3 Capitaines , 201 Soldats tués.
1 Major , 127 Soldats bleffés & reftés fur le champ
de bataille , hors d'état de marcher. 1 Colonel , 12
Capitaines , 11 Lieutenans , 2 Enfeignes , 1 Quartier.
Maître , Adjudant , 2 Commiffaires , 18 Sergens
& 600 Soldats prifonniers . Total de la perte de l'ennemi
1105 hommes . Celle des Américains a été de
28 tués & 62 bleffés «.
Le Congrès a fait publier avec les plus
grands éloges pour le Major Benjamin Talladge
, la relation de fon expédition contre
le Fort Anglois Saint- George , dans l'Ifle
Longue ; elle eft adreffée au Général Was(
58 )
hington , en date du 25 Novemmbbrree , & conçue
ainfi.
>
» En conféquence des ordres de V. E. , du 11 de
ce. mois ( Novembre ) , un détachement des Dragons
démontés du Colonel Sheldon , fous le commandement
du Capitaine Edgar , eut ordre le 16
de marcher le lendemain à Fairfield , où je fis réparer
un bon nombre de bateaux. Les troupes ar .
rivèrent le 18 au foir dans le voifinage de Fairfield
, où les gros tems les retinrent jusqu'au 21 ;
elles formoient en tout , y compris les équipages
, environ 80 hommes. Au moyen d'un vent
favorable , nous débarquâmes heureusement à Long-
Inland, dans un lieu appellé The Old Man's , fur
les huit heures du foir même. Après avoir laiffé
zo hommes avec les bateaux fous les ordres du
Capitaine Sutton , nous nous mîmes en marche
mais un très - gros tems , quoiqu'il eût pu être
favorable pour l'attaque du Fort , m'obligea de
m'arrêter , parce que je prévoyois qu'il m'en falloit
un bon pour repaffer le Sound ( qui , dans
ect endroit , a plus de 20 milles de largeur ) je
cachai done les troupes jufqu'au foir du 22. A 7.
heures , nous traversâmes Long- Inland & à trois
heures du lendemain matin , les troupes fe trouvèrent
à Southaven , à deux milles du fort Saint-
George. Je fus , d'après les informations les plus
exactes , que le Fort & les autres ouvrages avoient été
entièrement achevés peu de jours auparavant , &
que la garnifon étoit compofée d'environ so hommes.
Ces ouvrages confiftoient en deux maiſons
très-fortes , & un Font d'environ 90 pieds quarrés,
joints enſemble par une très - bonne paliffade , ou
une ligne de piquets pointus de douze pieds de
long , le tout formant un triangle , le Fort & les
maifons étant fur les angles. Le Fort confiftoit en
une haute muraille & un foffé profond , entouré
de forts abattis , n'ayant qu'une porte de fortie qui
>
( 59 )
conduifoit directement à la place de parade , en
dedans des piquets. Il avoir des embraſures pour
fix canons , quoiqu'il n'y en eût que deux de mon-,
tés , & les maifons étoient fortement barricadées.
Je crus néceffaire , quoiqu'avec un très - petit détachement
, de faire trois différentes attaques à la
fois . Je détachai ſeize hommes fous le Lieutenant
Jackfon , avec ordre d'avancer le plus près du fort
qu'il pourroit , de ne point fe montrer , & de faire
halte jufqu'à ce que l'alarme fût donnée par l'approche
du détachement que j'avois fous mes ordres.
L'avant-garde de ce détachement , qui portoit
des haches pour ouvrir un paffage , fût conduite
par le Lieutenant Brewster , contre la nouvelle maifon
, & fut fuivie de près par le refte , ayant à
à la tête le Capitaine Edgar & moi même. Une
autre petite divifion défila pour entourer l'autre
maiſon , M. Simmons conduifant l'arrière - garde ,
avec ordre de s'arrêter où l'on pourroit faire la
brèche pour empêcher la garuifon d'échapper. Les
chofes ainfi difpofées , les troupes fe mirent en
mouvement à quatre heures préciſes ; & contre
mon attente , les pionniers avancèrent à 20 verges
des ouvrages avant d'être découverts. La fentinelle
ayant tiré , les divers détachemens fondirent
tout-à- coup avec précipitation , & furmontant tout
obſtacle , ils fe trouvèrent dans le même-rems au
centre du Fort ; mais les deux maifons renfermoient
le principal corps de la garnifon , qui com .
mença à tirer par les fenêtres . J'ordonnai auffi - tôt
aux troupes d'entrer dans ces maiſons , dont les
portes , quoique bien fermées & barricadées , fu
rent bientôt enfoncées ; & en moins de dix minutes
, toute la garnifon fut faite prifonnière.
Sur l'avis que j'eus qu'il y avoit , à la vue du port,
un vaiffeau chargé de munitions de guerre , dé
vin & de fucre , je détachai un parti qui l'abor
da & le prit. Nous trouvant les maîtres de tout ,
1
-
c 6
( 60 )
&c.
mon premier objet fut de démolir , autant qu'il
feroit pollible , les ouvrages des ennemis ,
Nous mîmes le feu au petit Fort , aux édifices.
à la paliffade & aux abattis. Nous brûlâmes auffi
les provifions publiques qu'on put raffembler , ainfi
qu'une grande quantité de munitions & d'armes , qui
ne purent être emportées par nos troupes déja
très - fatiguées , & qui avoient encore une longue
marche à faire pour s'en retourner . Nous demeurâmes
au Fort depuis quatre heures du matin
jufqu'à huit ; & après avoir détruit tout ce que
nous pûmes , nous revtemes fur nos pas . Le vailfeau
étant échoué , fut brûlé. J'ai la fatisfaction
d'apprendre à V. E. que dahs cette expédi
tion nous n'avons pas perdu un feul homme , &
que nous n'avons eu qu'un bleffé que nous avons
emporté. Les ennemis ont eu fept hommes tués.
ou bleſſés mortellement. La fapriſe a été fi complette
qu'ils ont tous été faits prifonniers avant
de pouvoir fe rallier. A notre retour , j'ai fait
monter dix hommes fur les chevaux pris au Fort ;
& tandis que le Capitaine Edgar traverſoit l'Ifle
avec le détachement & les prifonniers , j'ai défilé
à Coram avec le Lieutenant Brewfter , & j'ai mis
le feu à tous les magafins de fourrage qui s'y
trouvoient , & qu'on eftime contenir plus de 300
tonneaux , après quoi j'ai rejoint le détachement
en moins de deux heures. Sur ces entrefaites , la
milice commença à s'affembler , mais elle évita
prudemment de s'approcher de nous . A quatre
heures de l'après dîné du même jour , nous
regagnâmes nos chaloupes , & ayant embarqué les
troupes & les prifonniers , nous arrivâmes heureufement
ici le 23 à onze heures du foir. Ainfi
dans l'efpace de 21 heures , nous avons fait une
marche de près de 40 milles , nous avons pris le
Fort Saint- George , &c. & en moins de fix autres
nous avons débarqué ici .
>
( 61 )
Le 18 de ce mois au foir , M. Stailey , um
des Meffagers de S. M. , eft arrivé de Rallie
au bureau du Secrétaire d'Etat. Il a apporté
des dépêches qui ont fait tenir un Conſeil
du Cabinet le lendemain 19 , & dont la
durée a été de 4 heures. A l'iffue de ce Confeil
l'ordre a été donné pour qu'un Meffager
fe tînt prêt à partir pour Pétersbourg.
S'il faut en croire nos papiers , l'Impératrice
de Ruffie déclare qu'elle ne varie point dans fes
fentimens d'amitié pour l'Angleterre , & qu'elle eft
très -fâchée de la rupture avec la Hollande ; mais
qu'il faut que le traité qu'elle a conclu avec d'au
tres Puiffances , pour la confervation & le foutien
du commerce des Neutres ait tout fon effet ; l'objet
de cette confédération lui paroiffant être d'une néceffité
abfolue à la liberté & au bonheur de l'Europe.
Par le langage que tient cette Souveraine ,
il y a tout lieu de croire qu'elle regardera la rupture
avec la Hollande , comme une entrepriſe contre
la ligue des neutres , & qu'elle eft décidée à donner
aux Provinces- Unies l'affiftance ftipulée. Les papiers
miniftériels s'efforcent de nous raffurer en difant
que les dépêches de la Ruffie ne contiennent au
cune expreffion inquiétante. Mais ils fe donnent
une peine bien inutile. Perfonne ne peut imaginer
que ces dépêches puiffent rouler fur notre Manifefte
qui n'a été publié que le 20 du mois dernier ,
& qui n'avoit pu arriver en Ruffie au départ du
meflager. Elles font très-probablement relatives aux
derniers mémoires menaçans préfentés par le Chevalier
Yorck aux Etats - Généraux , On préfume que
FImpératrice même défapprouve ce langage impérieux
, & qu'elle a répondu aux menaces qu'ils
contiennent par celle d'époufer la caufe des Etats-
Généraux , comme failant partie de la neutralité.
Or fi de fimples menaces ont fuffi pour la fare
( 62 )
parler fur ce ton , à quoi ne doit- on pas s'attendre
lorfqu'elle aura fu que la rupture a été effec
tuée. Ce font ces réflexions qui font dire que le
Miniftre de Ruffie ne tardera pas à prendre congé "
Quoiqu'il en foit , il eft certain que le
Confeil dura fi long - tems qu'il n'y eut point
de lever à St- James ; ce qui prouve que des
circonftances fubites y donnèrent lieu , c'eft
que le Lord North remit à un autre jour le
rendez - vous qu'il avoit donné aux Agens des
Indes Occidentales , en leur difant qu'on
l'avoit envoyé chercher au moment où il s'y
attendoit le moins.
Le navire la Nancy , arrivé à Greenhock
parti des Bermudes le 19 Décembre , a raffuré
fur ces Ifles. Elles ont fouffert du coup
de vent ; plufieurs navires y ont été jettés
à la côte , mais il y a eu fort peu de dégât ;
ces Ifles n'ont point été englouties , quelques
maifons feulement fe font écroulées
dans la ville de St-George.
>
--- II
Le 23
jour
de
la rentrée
de la Chambre
des
Communes
, le Nord
North
informa
la
Chambre
que
Jeudi
25 , il lui
apporteroit
un
meffage
du Roi
relativement
à la guerre
avec
la
Hollande
& qu'un
pareil
feroit
remis
en mémetems
aux
Lords
qui
rentroient
ce jour
-là
préfenta
à la Chambre
une
pétition
des habitans
.
de la Jamaïque
, qui
fupplioient
le Parlement
de
venir
à leur
fecours
..
M. Eftwick
, Agent
de
rifle
de Barbade
, en préfenta
un pareil
au nom
des
habitans
de cette
Ifle ; l'un
& l'autre
furent
renvoyés
à un comité
.
Le refte
de la féance
ſe
paffa
en débats
fur
le tems
où feroit
jugée
la difcuffion
pour
l'élection
de
Coventry
.
Plufieurs
"
www
( 63 )
nouveaux Membres prêtèrent ferment , & entr'autres
M. Edouard Burke, pour le Bourg de Malton.-
Dans cette féance , le Lord Mahon dénonça un
fingulier abus. Il fit d'abord lire l'ordre de la
Chambre du 29 Novembre , pour une production
de regiftres de maifons taxables depuis 1759 , jufqu'à
17795 il apprit à la Chambre , qui vit bien
que cet ordre n'avoit pas eu fon exécution , que
tous les regiftres en queftion , qui étoient les feuls
élémens pour connoître l'état de la Nation , fe
trouvoient difperfés chez des beurrières , des pâtiffiers
& des marchands de chandelles , & il por
ta la motion fuivante , pour arrêter » que c'étoit
» un procédé très - répréhenfible de vendre les regiftres
publics de la Nation aux pâtiffiers , aur
» beurrières «. Cette motion ne fut pourtant pas
fecondée , de peur fans doute de publier avec trop
d'éclat un abus tout à la fois fi dangereux & fi ridicule.
5
Le 24 Janvier, le Général Smith annonça que le
2 Février il demanderoit que la pétition du Bengale
fût mife en comité . L'objet de cette pétition
eft de faire révoquer l'acte du Parlement qui établit
une Cour de Judicature dans les provinces de
Bengale , Bahar & Orixa , établiffement dont font
réfultés les plus fâcheux effets , au point que le
Confeil de Bengale a été forcé par violence de
fufpendre fes opérations . Le Lord North convint
que l'acte en queftion pouvoit avoir fes inconvéniens
; mais il foutint qu'il pouvoit y en avoir
auffi à le révoquer en fa totalité. Il confentit que
la Chambre ne différât que le moins poffible
de s'occuper de la pétition , la regardant
comme une affaire de très grande importance.
La Chambre en comité de fubfide , Milord
North remit fur le tapis les pétitions de la Jamaïque
& de la Barbade : Le défaftre eft trop notoire
, le befoin trop preffant pour qu'il foit ap(
64 )
39
porté aucun délai par une Enquête à l'affiſtance
» demandée par ces Ifles. Nous ne devons nous
» occuper que de la proportion à obferver dans
» la répartition des fecours. Deux Paroiffes feu-
לכ
lement ont fouffert à la Jamaïque. C'eft l'lfle
» entière de la Barbade qui eft dévastée . Il eft
» vrai que fi on compare l'importance respecti
ve , les deux Paroifles de la Jamaïque font plus
précieufes à l'Angleterre que toute la Barbade ;
» mais à la Jamaïque la perte ne tombe que
fur
» des Planteurs opulens , tandis qu'à la Barbade
tout eft ruiné aux deux Paroiffes de la Jamaique
, il refte des voifins qui peuvent les
aider , mais à la Barbade il n'y a pas un habitant
qui n'ait perdu la totalité de fa fortune «,
ל כ
Ayant ainfi balancé l'intérêt des malheureux
de part & d'autre , il conclud que le Parlement ne
pouvant point réparer la totalité des pertes , mais
feulement accorder quelque foulagement aux plus
maltraités , il convenoit que la Barbade eût le
double de la fomme qui feroit votée , & dont il
propofa le montant à 120,000 liv. fterl . favoir :
80,000 liv. pour la Barbade , & 40,000 pour la
Jamaïque. Ces fecours feront envoyés partie en
argent & partie en provifions & en merrein , &
ils partiront dans les mois de Mai ou de Jui
prochain. Le Chevalier Will Guife propofa d'arrê
ter que la Trésorerie ne prendroit aucuns droits
& ne feroit aucunes retenues fur cette fomme. Le
Lord North confentit qu'il fût pris à cet égard
un arrêté.
Lezs , le Lord Stormont préfenta à la Chambre.
Haute un Meffage de S. M. figné G. R. , pour expofer
les raifons qui l'ont portée à donner des lettres de mar
que & de repréfailles contre la République de Hollande
, ( ce qui n'étoit qu'une répétition dr Manifefte) &
pour demander le confeil & l'affiftance des Lords.
Auffi-tôt après la lecture de ce papier , le Lord
( 65 )
--
Stormont en préfenta divers autres dont il demanda
que lecture fut faite par le Greffier. Ces papiers
étoient cotés jufqu'au numéro 8. Le premier étoit
le Manifefte que l'on a vu dans la Gazette de Londres ;
les fix autres étoient des mémoires & des remontrances
préfentés par le Chevalier Joſeph York à la Haye ,
conformément aux ordres de S. M. , & le numéro &
contenoit un plan ou projet pour un traité entre les
fept Provinces- Unies & les Etats - Unis d'Amérique.
Lorfqu'on fut venu à la lecture de ce traité , le Lord
Stormont propofa qu'il fût - lu par extrait , ce qui fut
exécuté en partie ; mais le Duc de Richmond déclara
qu'il s'y oppofoit à moins que le Lord Stormont ne
promit de mettre fous les yeux de la Chambre toute
la partie intéreffante de la correfpondance. Cette
propofition fut vivement combattue par le Lord
Chancelier dont l'avis prévalut . Le numéro 8
ayant été lu par extrait , le Duc renouvella fon
oppofition , déclarant que fes motifs feroient dé.
duits au bas de la proteftation qu'il feroit à ce sujet.
Le Comte de Stormont prononça enfuite un trèslong
difcours qu'il termina par un projet d'adreffe
en réponse au Meffage du Roi , ce qui donna lieu à
de très -long débats qui prirent divers caractères &
différens tons à mesure qu'ils fe prolongèrent. Le
commencement fut trifte , fec & prolixe; le milieu
en beaucoup d'endroits vraiment gai pour ne pas dire
bouffon , & la conclufion qui contenoit les difcours
du Lord Shelburne , du Lord Chancelier & du Lord
Cambden , contenoit une des difcuffions les plus importantes
& les mieux faites qui aient jamais eu
jeu dans le Parlement Britannique qui mérite des
détails. Nous rapporterons ici les morceaux les
plus importans de quelques -uns de ces difcours . Le
Lord Stormont qui prétendoit prouver l'inutilité de
la communication des papiers relatifs à la Hollande ,
parce que la République n'avoit jamais tépondu aux
--
"
( 66 )
mémoires de la G. B. , expofa ainfi le tableau rapide
des événemens.
-
En 1714 ( 1 ) les Etats- Généraux conclurent avecla
G. B. un traité dont l'efprit & la lettre difoient pofitivement
, que dans le cas où l'une des parties contractantes
feroit attaquée , la partie non attaquée fufpendroit
fur le champ tout commerce amical avec l'Etat
agreffeur , & deux mois après donneroit à fon alliée
eertains fecours ftipulés. Lorfque l'agreffion de la
France força la G. B. à entrer en hoftilité avec cette
Couronne , le traité de 1714 exiſtoit : cependant elle
s'abſtint d'en réclainer l'exécution , elle ne demanda
pas au moment même que tout commerce amical für
fufpendu entre la France & les Etats- Généraux , & à
l'expiration des deux mois , elle ne forma pas la demande
des fecours ftipulés. Lorsque l'Efpagne entra
enfuite dans la confédération vifiblement formée
dans la vue d'obscurcir la fplendeur de l'Empire Bri
tannique , peut- être d'anéantir fon existence politique
, un furcroît de danger exigeant un furcroît de
reffſources , on cut recours à celles qui paroiffoient les
plus naturelles : on s'adreſſa à la Hollande avec la confiance
qui doit régner entre deux alliés : mais à cette
époque même , malgré l'urgence des befoins , on eut
la délicateffe de ne demander rien qui pût gêner le
commerce de la Hollande dans aucune de ſes bran
ches : tout ce qu'on défira d'elle ſe bornoit à ce que
fon Gouvernement n'autorisât pas le tranſport illicite
des approvifionnemens qui manquoient dans les arfenaux
ennemis ; une attention fi marquée de notre part ,
méritoit peut-être des remerciemens , nous n'en reçûmes
point ! notre requifition modérée méritoit une
réponſe , on n'en fit point ! cependant , les affaires
prenant une tournure plus férieuſe , nos beſoins de-
( 1 ) C'est le Traité de 1678 renouvellé à l'occafion de
George I.
( 67 )
-
venus plus preffans , la néceffité d'ufer de toutes nos
refources , plus indifpenfable , notre Ambaffadeur
fut chargé de redoubler fes inftances , de former des
demandes plus directes , de preffer vivement fans s'écarter
des règles de la décence ; on n'obtint point de
réponſe : les Hollandois continaèrent de fournir aux
Puiflances ouvertement en guerre avec la G. B.; les
munitions de toute efpèce , dont elles pouvoient avoir
befoin pour pouffer plus vigoureufement cette guerrecontre
leur ancienne alliée ; il ne ſe bornèrent pas à des
fpéculations de commerce , au tranfport intéreſſé des
munitions deguerre qui pouvoient en être l'objet ; on
cûrpu en rejetter la faute fur l'avidité des particuliers ;
mais le Gouvernement même favorifa ouvertement
ce commerce prohibé , & pour que les approvifionnemens
deftinés à nos ennemis arrivaffent plus promptement
dans leurs ports , il fupprima les droits impofés
fur divers articles. Ils ont récemment tenté
d'éluder l'obligation que leur impofoit le traité de
Breda , en alléguant que le cas particulier dans les
quel ils fe trouvent n'eſt pas prévu dans le traité : que
ce n'eft pas proprement ce qu'on appelle le cafusfo
deris : la claufe que l'Angleterre invoque dit pofitivement
& abfolument que l'obligation impofée aux
deux Hautes parties contractantes , commencera à l'é
gard de l'une , au moment où l'autre fera attaquée par
n'importe quelle Puiffance : n'avons - nous pas été
attaqués par la France ? Cette attaque étoit- elle pro
voquée de notre part ? Il en eft de même de l'Efpagne.
Où trouvera- t- on le cafus foederis s'il ne fe
trouve pas dans l'agreffion non provoquée de la
maifon de Bourbon ? Mais voici quelque chofe de
bien plus fort encore , un fait qui démontrera combien
leur conduite a été répréhenfible à notre égard :
cette claufe du traité de Breda qu'ils ont cru pouvoir
vieler impunément , exiftoit dans le traité d'Utrecht ,
qui affujettiffoit la G. B. & la France à cette même
obligation que la Hollande a fecouée : lorfque nos
( 68 )
Colons de l'Amérique feptentrionale fe révoltèrent
contre leur Métropole , les François , tout injuftes
qu'ils ont été envers nous , fentirent la force de l'obli
gation qu'ils avoient contractée par le traité d'U
trecht:ils affiftèrent fecrettement nos fujets rebelles ,
mais jamais ouvertement ; ils connoiflent trop les
loix qu'impofe la décence & le reſpect dû aux
traités ; il étoit réfervé aux Hollandois de les
méconnoître au point de recevoir dans leurs ports
un Pirate Américain , de le protéger , de lui permettre
de monter la garde dans un de leurs Forts .
--
S. M. redoutant le moment où il ne feroit plus
poffible de garder des ménagemens qui obtencient
fi peu de tour , le vit avec douleur arriver avec la
découverte de l'infulte la plus fanglante qu'une
Tête couronnée puifle recevoir , je parle du traité
inique figné entre la Province d'Amfterdam & le
Congrès des Colonies révoltées . Vous connoiffez
la teneur infultante de ce traité ; il étoit propre à
révolter la conftance la plus éprouvée. S. M. ne
voulut envifager dans cette dernière provocation ,
que la ville , ou même que les Magitt rats qui avoient
concerté ce complot ; elle fe borna à fare deman
der la punition des auteurs de l'infulte. Après
avoir négligé quelque tems les remontrances preffantes
de notre Ambaffadeur , les Etats-Généraux
condefendirent enfin à donner pour toute réponfe
qu'ils avoient renvoyé l'affaire ad referendum !
ce qui étoit précisément nous dire que c'étoit le
moindre de leurs foucis. Le Penfionnaire Van
Berkel , conducteur de cette trame coupable , inserrogé
, pour la forme , fur les motifs de fa conduite
à cet égard , eut non-feulement l'imprudence
d'avouer qu'il avoit tout conduit , mais même de
s'en glorifier ; & les Amfterdamois , qui conftituent
en Hollande la faction prépondérante , eu
sent l'audace de déclarer à l'affemblée générale des
Etats , qu'ils regardoient le traité conclu avec les
( 69 )
Américains , comme un acte de devoir indifpenfable
de leur part , ajoutant qu'ils répondoient des
faites , & les prenoient fur eux ! Telle eft la gradation
des torts accumulés de la Hollande à notre
égard .
Le Lord termina fon difcours par des réflexions
fur la néceffité où l'on avoit été de déclarer la
guerre à la République , & il conclut que les avis
ne feroient pas partagés fur les remercimens que
la Chambre devoit au Roi. Le Duc de Richmont
repliqua fur le champ , avec beaucoup de force ;
après quelques autres difcours , le Lord Schelburne
parla ainſi : » On étoit accoutumé à l'étonnement
, l'adminiftration actuelle avoit familiarilé
la Nation avec le plus étrange des fyftêmes , mais
l'habitude elle- même s'eft trouvée en défaut lorfqu'on
a entendu parler , pour la première fois , du
dernier Manifefte : ce n'eft plus l'efprit qui eft
étonné , c'eft la raifon même qui fe trouve confondue
; ce n'eſt pas tel parti , ce n'eft pas tel autre
qui dit je n'y conçois rien , c'eſt le monde éntier
qui s'écrie : je ne le comprends pas . Puiffe ma
voix être tendue du haut du Trône , retentir dans
toutes les parties de l'Empire , & difpofer tous mes
concitoyens à faifir les moyens de conciliation quil
paroiffent être encore ouverts : la Zélande a fair
plus qu'entrevoir qu'on accommodement étoit encore
praticabie ne fermons pas la porte qui s'entrouvre
à la paix . Qui fit fi la Providence n'a pas
élevé ces nuages pour en faire fortir avec plus
d'éclat l'aurore des beaux jours de la paix , fi clle
n'a pas choifi la Hollande pour médiatrice entre
les Puiffances belligérantes. Je fuis bien éloi
gué de penfer que les Hollandois foient les agref
feurs : on a pofé en fait que les Puiffances qui
gouvernent la Hollande avoient conclu un traité
avec l'Amérique : les chofes font elles effective
ment telles qu'on les repréfente ? Ne leur a- t- on
-
( 70 )
pas donné une tournure forcée ? On a raiſonné ;
à-peu-près comme Periclès , en parlant de la Grèce
, gouvernée , difoit- il , par fon fils. « La Hotlande
eft gouvernée par Amfterdam , Amfterdam
eft gouvernée par un Confeil , le Confeil , par le
Penfionnaire Van Berkel , ergo le penfionnaire Van
Berkel ayant fait un traité , ce font les Puiffances
qui gouvernent la Hollande , qui ont fait un traité
! C'est d'après cette belle conclufion que nos Miniftres
ont rompu brufquement avec notre ancienne
Alliée ; ils nous difent pofitivement que c'eft
parce que les Hollandois ont conclu un traité de
paix avec l'Amérique ; & la chofe examinée , il
fe trouve qu'ils n'ont pas même fongé à conclure
un traité , qu'ils ne font jamais entrés en négociation
avec qui que ce foit dans la vue de conclu
re un traité , qu'en un mot , il n'y a eu de négociation
qu'entre M. Van Berkel & une perfonne qui
a dit être autorifée par le Congrès à traiter avec
lui il eft inconcevable que l'on puiffe fe laiffer
aveugler par la prévention au point de vouloir
trouver un traité où il n'en a jamais exiftè « . —
Quant à la Hollande en général , quels font nos
griefs contre elle ? Nos Miniftres nous difent que
le plus grand de tous eft le filence obftiné qu'elle
a gardé qu'elle n'a jamais fait la moindre réponſe
à nos remontrances réitérées ; cela seft difficile à
croire les Miniftres eux- mêmes juftifient mes doutes
fur une affertion auffi étrange ; ils nous difent
que les Etats- Généraux ont renvoyé un de leurs
Mémoires ad referendum. Comment le favent - ils ?
Et puifqu'ils le favent , ce fait même n'eft -il pas
une réponse ? Ils n'ont demandé que du tems : or,
quiconque connoît la conftitution Batave ; fait qu'il
n'y a rien de fi lent que les Confeils : indépendamment
de cette lenteur inféparable des formalités
prefcrites par la conftitution , le caractère national
n'eft rien moins que précipité : le Hollan-
:
( 71 )
"
dois n'eft pas accoutumé comme nous à commencer
par agir , à finir par penter ; il penfe d'abord ,
il réfléchit , délibère de fang froid : une troisième
circonftance dans le cas actuel , ajoutoit encore à
fa lenteur ordinaire ; après s'être arrêté à un avis ,
il falloit recueillir ceux des co - Etats ; & récemment
entrés dans une confédération étrangère , les Hollan.
dois ne devoient & ne pouvoient s'arrêter à un parti
quelconque avant de prendre encore les avis de ceux
qui conftituent cette neutralité armée qu'ils avoient
rendu l'arbitre de leur conduite ; & c'est parce
qu'au milieu de toutes ces entraves les Hollandois
n'ont pas été auili prompts à répondre , que
nous le fommes à écrire des Mémoires que nous
leur déclarons la guerre. On s'eft empreffé d'équiper
force corfaires ; on a conté aux bonnes
vieilles & à leurs filles que le coup de filet qu'on
alloit faire étoit la plus belle chofe du monde , que
tout étoit pour le mieux : il faut croire que les
Miniftres voient auffi tout cela en beau ; mais auffi
les Hollandois n'uferont ils pas de repréfailles ? Et
avant beaucoup de tems , ne nous feront - ils pas
payer dix pour un nos avantages paffagers ? Et puis
que diront les Puisances du Nord ? Comment fommes-
nous avec elles ! Les Miniftres ont- ils pensé à
ces Puiffances du Nord , à cette neutralité armée ?
Et particulièrement à la Ruffie ? Dès la dernière
feffion , je les ai invités à donner quelqu'attention
à ces Puiffances neutres qui armoient avec activité
, équipoient des efcadres ; il étoit encore tems
de prévenir le mal , mais lorsque je l'ai indiqué ,
Ils ont ri de mes obfervations ; ils font rieurs de
leur nature lorsque j'ai plus particulièrement infifté
fur la Ruffie , que je les ai avertis qu'il falloit
prendre garde à cette Puiffance naiſſante , ou
vrage d'une Princeffe fage , juftement appellée
grande , parce qu'elle eft une Princeffe jufte , on
m'a répondu ironiquement avec cet orgueil &
( 72)
-
cette infolence qui caractérisent les hommes ac
tuellement revêtus du pouvoir ; que la neutralite
armée n'avoit point de vues hoftiles , que l'Impé
ratrice de Ruffie étoit jufte , fage , & connoiffoit
trop les intérêts pour s'embarquer dans une guer
re avec l'Angleterre : malheureufement on nous a
`dit auffi à diverſes repriſes : d abord que la France
, enfuite que l'Espagne , & enfin que la Hollande
connoiffoient trop leurs intérêts pour rompre
avec la Grande-Bretagne . L'évènement a décidé la
queſtion. On parle de faire une guerre vigourcufe
& active ; activité , vigueur , font de
grands mots ; on eft maître à- peu- près de l'acti
vité ; mais l'eft - on de même de la vigueur ? En
quoi peut confifter la nôtre ? Indépendamment des
milices , nous n'avons pas actuellement 15,000
hommes de troupes réglées dans le Royaume :
où au lieu d'augmenter, ce nombre diminue tous
les jours ; les milices & les nouveaux corps font
compofés d'hommes ramaffés par- tout , plus propres
à infpirer la pitié que la terreur. On parle
de prendre Saint-Euftache , mais que nous en reviendra-
t-il ? Des amis très- intelligents que j'ai dans
la Cité m'ont affuré que les Hollandois fe fenti-
Foient à peine de fa perte. Si nous manquons
d'hommes par- tout , nous fommes dans le même
cas pour les vailleaux ; où en trouverons- nous le
nombre qu'exige je ne dis pas une guerre offenfive
, mais notre défenfe feule ? Nous n'en avons
certainement pas affez dans les Indes Occidentales
; nous fentons dans ce moment- ci que nous
n'en avons pas affez pour fecourir Gibraltar ;
avant que nous foyons en état de porter quelques
coups aux Hollandois dans les Indes Orien
tales , il faut que nous renforcions confidérablement
l'efcadre que nous avons dans ces Contrées :
le befoin d'une addition de forces fe fait également
fentir par-tour. A quoi fert donc de parler
de
( 73 )
de vigueur , lorfque tour annonce la foibleffe : il
ne fuffit pas de dire : faifons une guerre vigoureufe
; il faut en avoir les moyens. Dans notre
fituation , il vaut mieux fonger à la paix , & je
recommande inftamment à L. S. dans leur adreffe
au Trône , la demande preffante d'une paix immédiate
avec la Hollande .'
L'adreffe fure & fimple fut votée à la pluralité
de 84 voix contre 19 ; neuf Pairs fignèrent une
proteftation en forme que le défaut de place ne nous
permet pas de mettre ici .
Le 24 le Lord George Gordon à été amené
au Tribunal du Banc du Roi , où lecture lui
a été faite des griefs à fa charge ; ayant à répondre
s'il fe croyoit coupable , il a déclaré
qu'il ne croyoit point l'être. Son jugement
eft fixé au s du mois prochain : il fut reconduit
à la Tour dans le même carroffe qui l'avoit
amené , accompagné de fes frères le Duc
de Gordon & le Lord William .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 6 Février.
Le Roi a nommé le Marquis de Saiffeval ;
à la place de Colonel en fecond du Régiment
de Normandie , vacante par la mort
du Vicomte de Langeron.
M. de Bellifle eut l'honneur d'être préfenté
le 21 du mois dernier à LL. MM. &
à la Famille Royale par le Duc d'Orléans ,
en qualité de Sur- Intendant des maiſons ,
domaines , finances & bâtimens de ce Prince
, & en celle de fon Chancelier en furvivance.
10 Février 1781. d
( 74 )
De PARIS , le 6 Février.
LA frégate du Roi la Cerès commandée
par le Baron de Bombelles , eft arrivée à
Rochefort ; elle vient de la Martinique d'où
elle apporte des dépêches intéreffantes du
Marquis de Bouillé , Commandant aux ifles
du Vent. Elles font en date du 20 Décembre
, & voici les détails que le Ministère en
a publiés.
» Le convoi parti du Ferrol le 2 Novembre ,
eft arrivé en très - bon état au Fort Royal de la Martinique
, il ne manquoit que trois ou quatre bâtimens.
-
Le 14 Décembre , la divifion de 14 vailleaux de
ligne , aux ordres de M. d'Albert de St-Hipolyte ,
que M. de Monteil a envoyé aux Inles du Vent ,
mouilla à St - Pierre. - L'Amiral Rodney , de retour
de l'Amérique Septentrionale , ne s'eft pas arrêté
long- tems à Sainte-Lucie , il avoit fur fes vailfeaux
1500 hommes de troupes , il en prit un pareil
nombre à Sainte - Lucie , qui joints à 1000 hommes
de la Marine , lui formèrent un corps de 4000 hommes
, avec lesquels il fe propofoit d'enlever quelqu'une
de nos poffeffions . Le Général Vaughan prit
Je commandement de cette petite armée , & il la conduifit
à St-Vincent , où elle débarqua le 16 Décembre
au matin ; l'attaque n'eut lieu que dans la nuit du
même jour. M. de Blanchelande , Lieutenant- Colonel
du régiment de Viennois , qui n'étoit arrivé dans
I'Ifle que depuis 2 jours , la défendit avec tant d'habileté
& de fuccès , que les ennemis échouèrent ,
& furent contraints de fe rembarquer avec perte.
Nos Officiers fe louent beaucoup des Caraïbes qui
ont montré , dans cette occafion , combien ils font
attachés aux François «.
Tous les détails qu'on a fu depuis ſe
( 75 )
réduifent à ceci. Le Marquis de Bouillé
ayant été inftruit des préparatifs de l'Amiral
Rodney , & jugeant qu'ils ne menaçoient
que St - Vincent , avoit envoyé dans cette
ille M. de Blanche - Lande avec Soo hom
mes , qui joints à 300 hommes de milices
qui s'affemblèrent fur le champ & à un
corps de Caraïbes , ont fuffi pour la défendre.
Quoique M. de Bouillé fût fans forces
maritimes , il fe difpofuit à y envoyer de
nouvelles troupes , lorfqu'il apprit que les
Anglois s'étoient rembarqués . L'Amiral Rodney
avoit 10 vaiffeaux de ligne avec lui. Cette
expédition imprévue , & qui a manqué ne
lui fait pas d'honneur auprès de nos militaires.
Ce n'eft pas ainfi , difent- ils , que
nos Commandans en ont ufé envers les
malheureux que l'ouragan avoit maltraités.
Une feule frégate auroit réduit la Barbade ;
le Marquis de Bouillé n'a pas voulu l'attaquer
dans fa détreffe ; l'Amiral Rodney n'a
pas eu la même délicateffe , & il en a été
puni ; comme il a fait enterrer fes morts ,
& qu'il a pu rembarquer fes bleffés , on ne
fait point quelle eft fa perte. Elle doit être
affez confidérable. L'attaque a été chaude ;
les Caraïbes tiroient à bout portant , & ils
ajuftent bien.
Quelques Officiers de l'armée du Comte
de Rochambeau , qui ont eu la permiffion de
revenir en France , ainfi que le neveu de
M. Gerard , l'un des Confeillers d'Ambaffade
à Philadelphie , s'embarquèrent à New
dz
( 76 ).
Port le 22 de ce mois , fur, un bâtiment
Américain ; ils ont eu une traverfée heureuſe.
Ils ont apporté au Miniftre des dépêches
de nos Commandans. L'armée & la
Hotte font en très-bon état . Le feul Officier
de marque que nous avons perdu , eft M. de
Ternay enlevé en peu de jours par une maladie
aiguë. M. des Touches , le plus ancien
Capitaine de Vaiffeau de l'efcadre , en a pris
le commandement. Cet Officier eft fort eftimé
; & on ne doute pas qu'il n'aille fe mefurer
avec l'Amiral Arbuthnot , quoique
celui - ci ait un ou deux vaiffeaux de plus
que M. des Touches. Les armées étant dans
leurs quartiers d'hiver , tout eft tranquille
de ce côté ; ce n'eft que dans la partie du
Sud , que les Anglois fe propofent de faire
la guerre pendant l'hiver.
Lorfque les lettres particulières dont ces
Officiers ontdû fe charger feront diftribuées ,
nous aurons des détails plus circonftanciés
de l'état de notre armée & des projets de
M. de Rochambeau.
Le grand armement qu'on prépare à Breft ,
paroît deftiné pour les ifles , où il eft à préfumer
que l'on veut porter nos principales
forces. La flotte de M. de la Touche- Tréville
, eft compofée de 25 vaiffeaux de ligne
dont 18 font doublés en cuivre , & 3 font
à trois ponts. Cette belle efcadre mettra en
mer avant la fin du mois . Le plus grand
nombre des vaiffeaux eft déja en rade , &
tous les Officiers font nommés.
( 77 )
Les flûres & les autres bâtimens vivriers
font revenus dans le port ; ils avoient été
jufqu'à Cadix. Le Minotaure a péri non loin
de Breft ; mais on dit que l'équipage a été
fauvé.
Parmi les croifières intéreffantes de nos
armateurs , celle de la frégate corfaire Madame
, Capitaine Langlois , mérite d'être
diftinguée ; elle n'a duré que 20 jours ; &
il en a été fait peu d'auffi pleines & d'auffi
heureuſes.
Cette frégate , partie de Granville le 13 Décem
bre, appareilla de Saint - Malo le 5 Janvier ; le
lendemain , elle fut chaffée par un vaiffeau de guerre
Anglois , conduifant à la remorque une frégate
totalement défemparée de fa mâture ( le Courageux,
de 74 , & la Minerve , frégate françoife ).
Le 7
de conferve
avec
le
corfaire
le Patriote
,
elle
s'eft
emparée
du
Glouton
, fénau
allant
de
Montsbaie
à Gaernefey
, chargé
de fabors
, madai
.
res
, poudre
, & c. qu'elle
a expédié
pour
le premier
port
de France
.
Le 8 , de compagnie
avec
le même
corfaire
, elle
a pris
un
floop
venant
de
Darmouth
( la Providence
) , armé
de
2 canons
24
hommes
, qu'elle
a pareillement
expédié
pour
France
.
Le
9 , elle
eut
connoiffance
d'un
navire
3 mâts , qu'elle chaffa toutes voiles hautes ; celui-
ci l'ayant attendu fermement , les deux bâtimens
fe trouvèrent à portée de canon , & M. Langlois
vit qu'il avoit affaire à un bâtiment de
guerre , qui de fon côté reconnut fon erreur , &
voulut fuir. A l'inftant M. Langlois arbora pavillon
François , & l'affara d'un coup de canon à boulet ;
l'ennemi ayant fait de même l'action s'engagea ; &
après une heure & demie de combat , l'Anglois
amena , c'étoit la corvette ou floop du Roi d'And
3
( 78 )

gleterre , le Fairy , de 18 canons 125 hommes
d'équipage , commandé par M. J. Brawe, Capitai
ne de frégate , forti depuis cinq jours de Plimouth,
pour croifer. -Le 13 , Madame eſcortant fa prife,
fut chaffée pendant deux heures & demie par un
vailleau de guerre de 74. M. Langlois s'en laiſſa
approcher jufqu'à deux portées de canon , pour
donner le tems à la corvette de s'éloigner ; voyant
que l'ennemi s'avançoit de trop près , il crut devoir
l'éviter ( ce qu'il fit aisément à la faveur de
fa marche ) , & abandonner fa prife ; mais il efpère
qu'à la faveur de la nuit & des vents d'Eft
qui ont régné long- tems , elle aura pu relâcher à
La Corogne , dont elle n'étoit pas fort éloignée. -
Le 18 , de conferve avec le Duc de Chartres ( cotfaire
de Saint - Malo ) , elle eut connoiffance d'un
gtand navire au boffoir de deffous , qui arrivoit
fur eux à contre - bord ; le Duc de Chartres le
héla en Anglois , celui-ci lui répondit par fa volée
entière à laquelle le premier ripofta ; & Madame ,
de fon côté lui lâcha , à portée du piftolet, huit
You dix coups de canons , qui l'obligèrent de fe reti .
zer ; les deux corfaires revinrent d'abord auffi -tôt
pour courir deffus , mais la brume le déroba à
leur vue, Le 19 , continuant de croiſer avec
le Duc de Chartres , M. Langlois rançonna pour
1600 liv. tournois le brick l'Adam , & s'empara
d'un autre brick ( le Linfter ) , chargé de foude ,
boeuf & autres provifions , qu'il a expédié pour
le premier port de France .
avecle même corfaire , il rançonna pour 33.00 guinées
le Goodwil, navire de Cork , chargé de boeuf.
-Le 22 , Madame fut chaffée par un vaiffeau de
guerre , qu'elle évita à la faveur de fa marche.
Le 24 , elle s'empara d'un navire marchand venant
de Curaçao , chargé de fucre , café , tabac ,
cacao & indigo. Ce bâtiment , nommé le Neerlans-
Uni , du port de 350 tonneaux , étoit une prifè
Le 20 , de conferve
( 79 )
— -
Hollandoife faite ci-devant par la frégate du Roi
d'Angleterre l'Ambufeade. Le 2'5 elle a mouillé
Cancalle avec cette prife , & a déposé à Saint-
Malo plus de cent cinquante prifonniers An
glois.
·
Les calculs contenus dans la lettre fui-
Vante nous ont été adreífés par un homme
qui voit bien , à qui nous avons déja des
obligations de ce genre , & à qui nous fommes
flattés de faire un hommage public de
notre reconnoiffance .
לכ
M. , vous avez inféré dans votre Journal ,
No. 14 , 1780 , un relevé des prifes faites fur mer
par les Puiffances belligérantes , depuis le commencement
des hoſtilités jufqu'à la fin de Décem
bre 1779. Si vous croyez que cela puiffe intéreſfer
quelques-uns de vos lecteurs , je continuerai de
Vous envoyer chaque année un femblable état des
prifes refpectives ; & en les réuniffant à la fin de
l'année , on pourra , d'un ' coup d'oeil , voir le réfumé
général des pertes de chaque nation. Vous
trouverez ici l'état de l'année 1780. On n'a pas
cru devoir s'en rapporter au Courier de l'Europe
, parce qu'on s'étoit convaincu l'année derniere
que la lifte du Café de Lloids , qui fert de guide ,
ne mérite que peu de croyance . On s'en tient à
la Gazette de France & à votre Journal. Shivant
cette gazette , les François ont pris aux Anglois
, en 1780 ,
223 bâtimens.
Les Espagnols ,
Plus , le convoi de
85
56
364
-
En tout
> ·
Nous avons déja obfervé que l'Auteur de la Gazette
de France ne fait mention que des prifes dont
on lui fait paffer l'annonce , & qu'il y en a beaucoup
d
4
( 80 )
--
dont il n'a pas connoiffance ; entr'autres , de celles
faites par les Américains , ou dans des parages
éloignés. La lifte qui vous eft adreflée par une
maifon d'affurance d'Angleterre , doit être plus
complette ; elle ne commence qu'au 18 Février
1780. Depuis ce jour jufqu'à la fin de la même an
née , elle fait prendre fur les Anglois , par les Fran
çois , les Espagnols & les Américains , 548 bât.
Les Anglois ne leur en ont pris que 347
Excédent de la part des Anglois , 201
Mais ce qui rend les chofes à-peu- près égales
de part & d'autre , c'eft que de $ 48 bâtimens pris
aux Anglois , il leur en a été rendu plus de 200 ,
pour des rançons. Quelque forte fomme qu'ils aient
payée , elle ne peut entrer en parallèle avec le
préjudice que leur auroit occafionné la privacion
de leurs bâtimens , & fur- tout celle de leurs matelots
. Auffi tous les vrais patriotes ont-ils vu , avec
une fatisfaction fingulière , l'Arrêt du Confeil d'Etat
du 11 Octobre 1780 , qui défend les rançons ,
fauf en certains cas défignés audit Arrêt . Si l'on
fait attention aux abus qu'entraînoit la faculté illimitée
de rançonner les prifes , on conviendra
que cette loi n'eft pas moins favorable aux intérêts
des Armateurs qu'à ceux de l'Etat .
Les
Anglois , peu fatisfaits apparemment du nombre
de leurs captures , viennent , pour s'en dédommager
, d'agir envers la Hollande comme ils l'ont
fait envers la France en 1755 ; & cette nouvelle
piraterie leur produit une affez bonne récolte en
ce moment- ci ; mais comme il eft aflez probable
que cette guerre va prendre une tournure différente
de celle de 1755 , on peut espérer que les
Anglois reftitueront avec ufure aux Hollandois ce
qu'ils leur enlèvent aujourd'hui , par des procédés
indignes de toute nation policée ; & cet évène
• ( SI )
ment peut même accélérer le retour d'une p..
folide , que l'Angleterre ne pourra plus troubler ,
fous les prétextes les plus frivoles ; c'est le voeu
de tous les amis de l'humanité. Puiffent alors les
nations & les particuliers montrer autant de zèle
à foulager & à réparer mutuellement leurs maux ,
qu'ils en mettent à préfent à s'entre détruire !
Le 25 du mois dernier le Parlement a
fupprimé un imprimé qui a pour titre :
Lettre de M. le Chevalier de *** , à M.
Treilhard , Avocat , comme diffamatoire
calomnieux , &c. Cet Arrêt a été rendu fur
le réquifitoire de M. Séguier , Avocat du
Roi qui a parlé ainfi.
» Cet Ouvrage anonyme , ne préfente qu'un tiflu
d'injures auffi groffières que déplacées , de plaifanteries
auf froides qu'indécentes , d'allufions triviales
& de farcafmes malhonnêtes . L'Auteur accoutumé ,
fans doute , à tremper fa plume dans le fiel de la
fatyre , femble avoir pris plaifir à en faire paffer
toute l'amertume dans cet écrit. On ne fait ce qui
doit étonner le plus , ou de fa méchanceté , ou de
fa prudence à garder l'anonyme. Il peint fon
caractère dans fon libelle ; il a poulé l'audace jufqu'à
faire diftribuer dans toutes les Chambres de la Cour
une de ces productions éphémères , dont la malignité
publique s'amufe quelques inftans , & qu'elle rejette
bien-tôt avec le mépris qu'elles doivent infpirer.
Nous rougiffons d'être en quelque forte forcés de
tirer une feuille auffi méprifable des ténèbres qui la
redemandent. Elle eft plutôt digne de l'animadverfion
de la Juftice. C'eſt le fruit de la haine & l'ouvrage
de l'envie. Les talens s'honorent , fe refpectent &
ne doivent exciter que l'émulation. Les perfonnalités
répandues dans cet Imprimé , ne peuvent affecter
une profeffion faite pour s'élever au- deffus des invectives.
Un Avocat fe confacre à la défenſe de ſes
d's
( 82 )
Concitoyens ; un Jurifconfulte ne connoît que la
modération & la vérité , & , après qu'il a rempli
avec décence les fonctions que lui impofent l'honnêteté
& la nobleſſe de ſa profeffion , c'eft aux Magiftrats
à févir contre ceux qui ofent attaquer ſa réputation.
C'eſt ainfi que vous avez toujours pris la
défense d'un Ordre auffi précieux à la Société que
néceffaire à la Justice. Nous lui rendons cet hommage,
& notre ministère , chargé de veiller au
maintien du bon ordre & à la manutention de la
Librairie nous met encore dans la néceffité de
requérir l'exécution des Règlemens «.
La lettre fuivante feroit peut-être mieux
à fa place dans un Journal littéraire ; comme
il ne s'agit que de lui donner de la publicité
, ce Journal peut auffi bien qu'un autre
remplir ce but. D'ailleurs l'Ouvrage utile
& intéreffant dont il eft queftion , ne nous
eft point étranger ; il nous a fourni plufieurs
fois des obfervations précieuſes. On regrettera
que les occupations de l'Auteur ne lui
permettent pas de s'y livrer uniquement ,
& de répondre à l'empreffement où le Public
feroit d'en jouir.
» Voulez- vous bien , M. , que j'emprunte la voie
de votre Journal , pour répondre aux reproches
obligeants que je reçois , relativement à l'Ouvrage,
dont j'ai donné les quatre premiers cahiers .
Plufieurs perfonnes ont l'honnêteté de fe plaindre
de ce que depuis 1778 , je n'ai pas fait paroître un
plus grand nombre de feuilles ; je dois , M. , leur
zappeller qu'en m'occupant d'un objet qui femble
être la caufe publique , je n'ai pas pour cela renoncé
aux affaires privées , & que je fais fouvent forcé
de me féparer pendant plufieurs mois d'un fujet
général , pour me hyrer tout entier à des intérêts
( 83 )
- une
particuliers . C'eft ce qui m'arriva en 1779 , lorfque
je tâchai de remplir les vûes de la Marquife de Cabris ,
dont la juftification & les malheurs excitèrent un
vif intérêt. — L'année dernière je fus forcé de
fufpendre ce travail très- diftinct de celui que ma
profeffion m'impofe , pour défendre les Génois ,
qui n'eurent befoin que de faire entendre leur caufe
au digne Frère du Roi , pour en obtenir la juftice
qu'ils en attendoient . Dans ce moment- ci ,
maiſon illuftre dont les droits légitimes font combattus
par une partie de la Province de Normandie
exige de moi le même facrifice . Qu'on ne m'accuſe
donc point de négligence , qu'on ne me falle pas
fur-tout le reproche de manquer à mes engagemens.
Je n'en ai formé qu'avec les malheureux & les
opprimés. Mais pour diffiper juſqu'à l'apparence
de fervitude de ma part , & prévenir toute efpèce
de murmure de la part du Public , j'invite ceux qui
veulent bien défirer la continuation de mon Ouvrage
à retirer l'argent qu'ils ont pu dépofer chez le
Libraire chargé de le vendre. Je leur fais cette
-
prière avec d'autant plus de raifon , que les deux
feuilles qui restent à publier pour compléter le premier
volume , verront le jour enfemble , & que je
n'en donnerai plus fous cette forme éphemère. Plufeurs
perfonnes s'étant accordé à cenfurer le titre
de Réflexions Philofophiques fur la Civilifation ,
je dois leur avouer que perfonne n'a mieux fenti
que moi combien le titre étoit vague ; mais des
confidérations particulières m'ont obligé de le:
fubftituer à celui d'Ofervations fur la Législation.
Criminelle de France que je lui ai d'abord donné ,
& que j'efpère pouvoir lui rendre. Content du
fuccès qu'ont cu mes premières feuilles , je defireque
le moyen que j'ai indiqué dans la dernière ,.
pour dédommager & confoler l'innocence accufée ,,
ne foit pas plongé dans l'abyme des chimères . Quel
homme honnête ofera blâmer le voeu que je faiss
d. 6.
( 84 ).
pour que cet infortuné , accufé d'avoir égaré un
enfant fourd & muet confié a fes foins , ( s'il fort
triomphant de cette accufation) puiffe offrir un figne
vifible de fon innocence, aux regards de ceux qui
l'ont vû traverser une partie de la France , chargé
de chaînes , & ont frémi à fon afpect comme à la
vue d'un affaffin . Je fuis , &c. Signé , DE LA
CROIX ",
*
» On voit à Paris , chez la veuve Tilhard & fils
Libraires , rue de la Harpe , au coin de celle Pierre-
Sarrafin , une véritable Momie d'Egypte , qui mérite
l'attention des curieux , qui eft à vendre , &
chez qui ceux qui voudront l'acquérir peuvent la voir
tous les matins , depuis 9 heures juſqu'à 2 ; c'eſt
le cadavre d'un enfant embaumé à la façon des Egyp
tiens ; il a environ 2 pieds & demi de long ; il eft
Très-bien confervé , & enveloppé de bandelettes. Sur
fon vifage cft une espèce de mafque colorié qui repréfente
les yeux , la bouche , le nez , & c. Le long
du corps jufqu'aux pieds règnent trois rangs d'efpèce.
de cartons peints avec des caractères hieroglyphi
ques . Cette Momie a une odeur affez agréable : il ſe
trouve encore dans la même boîte des morceaux de
la tête d'une autre Momie , dont on peut faire ufage
dans la Médecine , & de plus quelques oignons d'E
gypte & une bouteille de baume ; à l'égard de l'enfant
embaumé il mérite d'occuper une place dif
tinguée dans les plus beaux Cabinets.
+ Henri- Marie Bernardin de Roffet de
Ceilhes de Fleury , Archevêque Duc de
Cambray , Prince du St-Empire , Abbé Commandataire
des Abbayes royales de Royau
mont , de Rebais , & Chanoine honoraire.
de l'Eglife de Paris , eft mort à Can bray
le 22 du mois dernier dans la 63e année de
fon âge.
( 85 )
Elifabeth Picot , veuve de Pierre - Bazín
Duclos , ancien Fermier des Coutumes du
Duc d'Orléans au Comté de Mortain , eft
mort le premier Novembre dernier dans la
ioje année de fon âge & n'a eu dans tout
le cours de fa vie aucune autre incommodité
qu'une furdité qui lui furvint à 91
ans.

» Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 24 Janvier
1781 , concernant les domaines engagés . Le Roi ,
examinant avec attention toutes les reffources de fes
finances , afin de préferver fon peuple de nouveaux
impôts permanens , ou pour en adoucir le poids par
tous les moyens que fa juftice & fa fagefle lui préfentent
, S. M. a dû arrêter fes regards fur l'aliénation
de fes domaines , & elle n'a pu voir fans peine
que cet ancien patrimoine de la Couronne étoit tellement
diminué par la libéralité des Rois fes prédéceffeurs
, par des conceffions à vil prix , par des
échanges défavantageux & par des ufurpations , qu'il
ne reftoit maintenant entre fes mains que le plus
modique revenu dans cette nature des biens.
Louis XIV , par fon Edit de 1667 , & Louis XV,
par un Arrêt du Confeil rendu en 1729 , ont ordonné
la réunion à la Couronne de tous les domaines aliénés .
Il a été depuis accordé des permiffions aux Particu
liers de provoquer , au gré de leur convenance , la
revente & l'adjudication des domaines entre les
mains des Engagiftes ; mais par une foule de raifons
exprimées dans le préambule , toutes ces loix ont
produit peu d'effet , & les aliénations ayant continué
, ont diminué chaque jour un fonds d'autant plus
précieux , qu'il s'accroît avec l'augmentation du puméraire
, & par les mêmes caufes qui élèvent le prix
des denrées & la fomme des dépenfes publiques.
Par les difpofitions de cet Arrêt , S. M. remplit
différentes vues intéreffantes ; elle affure à fes
( 86 )
d'une
finances une augmentation de revenu que les circonftances
rendent encore plus précieufe ; elle procure
au domaine de la Couronne un avantage
grande importance , en raffemblant des connoiffances
certaines fur les Terres & les Seigneuries qui le compofent
: enfin elle donne à l'agriculture un nouvel
encouragement , en mettant les Engagiftes à portée
d'acquérir , par une redevance jufte & modérée , la
tranquillité la plus parfaite pendant fon règne ; & f
les principes de S. M. font adoptés par les fucceffeurs
, ces mêmes Engagiftes pourront , à chaque
renouvellement de règne , être confirmés dans leur
poffeffion , ou par la continuation de la même redevance
, ou par la fixation d'une nouvelle ; mais ils
ne fauroient perdre de vue que le Roi ne pourroit
renoncer entièrement au revenu de fes domaines
aliénés , fans préjudicier aux intérêts de fes peuples
qui auroient en effet à fe plaindre de l'étendue
des charges qu'ils fupportent , ou des nouveaux impôts
que les befoins de l'Etat rendroient néceffaires
fi S. M. abandonnoit les reffources que lui préfente le
libre exercice de fes droits . Elle a d'ailleurs remarqué.
avec fatisfaction , qu'en adoptant , à cet égard , des.
principes de modération & d'équité , elle étoit d'autant
plus affurée que fes intentions feroient remplies.
d'une manière uniforme & générale ; car elle ne
pourroit fupporter qu'une opération d'ordre public
qu'elle auroit jugée néceffaire , devînt dans fon
exécution purement arbitraire ; & que tandis qu'une.
claffe de fes fujets feroit ménagée , on
fuivit en fon nom que des Engagiftes obfcurs &
fans crédit , ce qui convertiroit ainfi fes loi dans.
un fyftême de partialité & d'exception indigne.
également , & de fa grandeur , & de la pureté de.
La justice.
ne pour-
Tous poffeffeurs & détenteurs de biens & droits.
quelconques , faifant partie du domaine de la Cou
ronne , engagés , aliénés ou concédés à tems , à ▼ie ou
( 87 )
autrement , à quelque titre que ce foit , à l'exception
des dons fairs aux Eglifes , des apanages & des échanges
faits dans la forme preferite par les règlemens , en
vertu de Lettres -Patentes duement vérifiées , ferout
tenus de rapporter , avant le premier Janvier de l'année
prochaine 1782 ,à l'Adminiftrateur général de fes
Finances , les Contrats , Arrêts , Lettres-Patentes ou
autres titres , en vertu defquels ils jouiffent defdits
domaines & droits , les quittances des finances qui
auront été par eux payées, avec une déclaration fignée
d'eux , ou paffée par- devant Notaires , contenant en
détail les objets par eux poffédés , les revenus & produits
de chacun defdits objets , enſemble les charges
réelles , foncières & autres , de quelque nature que ce
foit , dont lefdits biens & droits peuvent être grevés ;
comme auffi de remettre , au foutien de leur déclaration
, les originaux , expéditions ou copies collationnées
des beaux , lièves , cueilloirs & autres titres juftificatifs
defdits revenus & charges. En cas d'aucun
recellement des objets defdits domaines & droits ,
dans les déclarations qui feront fournies , veut S. M.
que lefdits objets recelés , foient & demeurent réunis
au domaine de la Couronne , en vertu du préfent
Arrêt , fans que , pour raifon defdits objets , les engagiftes
ou poffeffeurs puiffent prétendre aucun rembourfement
ni indemnité.
-
Ceux qui , dans le délai preferit ci- deffus , n'auront
pas fourni leur déclaration des domaines & droits par
eux poffédés , & rapporté les titres au foutien , feront
& demeureront privés de la jouiffance des objets par
eux poffédés , jufqu'à ce qu'ils y aient fatisfait : veut
S..M. , que dans ce cas , il foit procédé à la ſaiſie des
revenus defdits objets , fommation préalablement
faite à ceux qui feront en retard.
pour être confir Pourront lefdits détenteurs
més dans leur poffeffion & jouiffance defdits do
( 88 )
G
maines & droits , offrir telle rente ou fupplément
de rente d'engagement qu'ils jugeront convenable ,
& joindre lefdites offres à la déclaration ordonnée
ci - deffus . Lefdites déclarations , offres &
foumiffions qui feront données , enfemble les ti
tres , pièces & mémoires qui feront rapportés en
exécution des difpofitions ci deffus , feront com
muniqués aux Adminiftrateurs des Domaines de
S. M. , pour être par eux vérifiés , difcutés , acceptés
ou refufés ; & en cas d'acceptation desdites
offres & d'accord fur la fixation des finances ,
fera rendu Arrêt du Confeil en conformité.
Lafuite à l'ordinaire prochain.
De BRUXELLES , le 6 Février.
il
LE Courier qui a apporté la nouvelle de
la fignature du traité conclu entre la Ruffie
& la République , eft arrivé à la Haye le 21
du mois dernier ; il a fait une diligence
prodigieufe , puifqu'il n'a mis que 17 jours
à fon voyage. On s'attend à voir le Chevalier
Yorck quitter bientôt Anvers , où il eft
encore ; il paroîe que la Cour de Londres
s'eft toujours flattée que fa démarche effraye
roit les Hollandois , & occafionneroit parmi
eux quelques divifions , dont elle pourroit
profiter , & qui fourniroit à fon Miniftre
l'occafion de retourner à la Haye . Elle
a dû être bien trompée dans fon attente :
l'acceptation de l'acceffion de la Républi
que change la face des chofes ; la nezatralité
ne fe fera pas armée pour rien ; elle parlera
avec hauteur : elle aura pour ell < k
( 89 )
eri général de l'Europe contre une Puiffan
ce orgueilleufe , qui n'a ufé de fes forces
que pour tyrannifer le commerce de toutes
les Nations , qui forment le même voeu ;
celui de la voir remettre à fa place.
Les Hollandois ont déja réclamé de la
part de leurs alliés les fecours que leur
affurent le traité qui vient d'être figné ;
mais en attendant ils arment.
-
ont
» Les Etats - Généraux , écrit-on de la Haye ,
arrêté , le 27 , divers Placards ; l'un lève l'Embar
go & défend aux habitans des fept Provinces- Unies
d'exporter vers les poffeffions de la G. B. aucune forte
quelconque de munitions de guerre & navales , des
grains , de l'avoine , des fèves pour les pigeons &
chevaux , & enfin l'importation de la contrebande
fur des bâtimens neutres. Un autre Placard défend
toute navigation vers l'Etranger , ainfi que la pêche
du harang & de la baleine , ( connues fous le nom de
grande & petite pêche ) fous peine de 20 mille florins
d'amende ; les bâtimens de navires étrangers font
exempts de cette défenſe , pourvu qu'ils foient munis
de certificats , paffeports & permiffions en bonne
forme. L'exportation des bâtimens & effets des
Anglois eft auffi permife , pendant fix mois , conformément
au trente-deuxième Article du Traité de
Bréda , pourvu que le Ministère Anglois obferve auffi
la teneur dudit Article. La navigation fur les rivières
intérieures refte ouverte , de même que pour les bâtimens
chargés de poiffon frais , du port feulement
30 lafts & montés par 3 hommes & un mouſſe ;
les bâtimens deftinés pour les Indes Orientales &
Occidentales font auffi compris dans cette permiffion
, pourvu que les derniers foient équipés de 80 à'
100 hommes & qu'ils donnent les cautions prefcride
-
( 90. )
tes . De plus , il a été arrêté un Placard portant dé
fenfe de tranfporter & conduire des effets & bâtimens
des Royaumes & Etats étrangers vers les Ports de la
Grande- Bretagne , ainfi que de louer , ou vendre des
bâtimens à cette dernière Puiffance , fous peine de
nullité , à compter de la date dudit Placard. —Enfin
L. H. P. ont arrêté de remercier folemnellement
le Roi de France pour l'amitié que S. Maj . T. C. a
témoignée en envoyant des exprès à tous les Ports
de les Etats & mêmè en Espagne, pour annoncer aux
vaiffeaux Hollandois la Déclaration de
guerre de
l'Angleterre à la République, en donnant , en mêmetems
, ordre à fes vaiffeaux & corfaires d'accorder la
protection de fon pavillon aux navires Hollandois ,
toutes les fois que ceux - ci la demanderoient , & en
offrant d'une manière très - amicale à M. de Berkenrode
, Ambaffadeur de la République à fa Cour ,
de fe fervir de l'occaſion du départ d'un bâtiment pour
PMe Maurice , afin de prévenir le Gouverneur du
Cap de Bonne-Efpérance de la rupture entre la G. B
& la République. Il a été arrêté auffi par L. H. P.
d'écrire à M. de Berkenrode pour le charger de propofer
à la Cour de France une convention au fujet des
bâtimens Hollandois qui feront repris par des vaiffeaux
ou corfaires François , ainfi que touchant la
permiffion à accorder aux fujets de la République
de conduire dans les Ports de S. M. Tr. Chrét. &
d'y pouvoir vendre les prifes faites fur les Anglois
«
-
Selon une lettre de Marfeille , en date du
12 du mois dernier , nous avons encore une
autre obligation aux François .
(
» On vient d'apprendre que les Employés des Fermes
du Roi ont arrêté , hier matin , une felouque
Génoife à la hauteur du Caffis , (petit port fur cette
côte às lieues d'ici ) , qui alloit de Nice à Mahon &
que le vent avoit fans doute pouffé aflez près de
( 91 )
terre pour la faire foupçonner de vouloir faire la con
trebande. Dans l'examen , qui a été fait en confé
quence , les gardes ont découvert dans un endroit
caché un fac de lettres , auquel tenoit une corde avec
des pièces de fer , fans doute pour le pouvoir jetter
à la mer en cas de befoin. Le Patron de la felouque &
fon équipage s'oppofèrent d'abord à ce qu'il ne fût
point touché à ce fac , mais n'ayant pas été les plus
forts , ils cherchèrent à corrompre les gardes , en
leur offrant de l'argent , ce qui ne leur ayant pas
mieux réuffi , mais rendu au contraire ce fac encore
plus fufpect , il fut tranfporté fur le champ chez
l'Officier de l'Amirauté dudit lieu du Caflis . A l'ou
verture de ce fac on y a trouvé 32 paquets de dépêches
pour les Commandans & autres Officiers de
Port-Mahon , ainfi que pour divers particuliers de
cette ifle. Tous ces paquets ont aufli-tôt été envoyés
à Aix ; mais comme le Commandant & l'Intendant
de la Province font abfens , il y a apparence, qu'on les
fera paffer à Versailles. On préfume que ces paquets
contenoient des lettres de marque & autres dépêches
de l'Angleterre contre la République ; cela étant , la
prife de ces papiers fournira aux bâtimens Hollandois
, détenus à Mahon , mais qui font prêts à en partir
, un délai fuffifant pour en pouvoir appareiller ,
comme il fauvera auffi ceux qui pourroient paffer
dans les parrages de cette ifle ".
La plupart des Provinces ont voté unanimement
pour l'augmentation des forces
de terre & de celles de mer ; les Etats de Frife
ont infifté , pour que dans les efforts qu'on
avoit à faire , ces derniers fuffent préférés ;
ils ont exposé les raifons de cette réfolution
dans un avis très - détaillé , dont nous
extrairons quelques morceaux.
( 92 )
» Aucun des Confédérés ne peut nier que c'eft du
côté de la mer que la République a le plus à craindre.
Les flottes formidables de vaiffeaux de guerre , le
grand nombre d'Armateurs & de pirates , qui couvrent
les mers , prouvent que le commerce , qui eft l'heureufe
fource de l'état floriffant de ces pays & même
du bonheur de toute la République , par l'influence
qu'il a fur fon bien- être , peut effuyer les coups les
plus fenfibles & par-là caufer tant de préjudice à l'Etat,
que bien des années s'écouleront avant qu'il puiffe reprendre
fon ancien éclat & fon ancienne confidération.
Pleinement convaincus de ces raifons , ils fe
croient obligés d'exhorter , de la manière la plus pref
fante , tous les Confédérés , de s'appliquer , le plus
& même uniquement , au rétabliffement de la marine
fi fort déchue, & à l'équipement de vaiffeaux de toutes
fortes ; ils penfent , à l'occafion de l'augmentation
des troupes de terre , que loin d'être d'aucune utilité ,
elle feroit préjudiciable au dernier point , dans les
circonftances où la République a le malheur de fe
trouver : & à raison du contingent exhorbitant qu'ils
verfent dans les charges de la généralité , les finances
déja fi chargées de leur Province pourroient y fuffire.
D'ailleurs le fyftême politique qu'ils penfent devoir
adopter actuellement , demande qu'on s'arme & fe
couvre contre le danger du côté où il eft le plus pref
fant , du côté où l'on voit qu'il eft prochain & comme
inévitable . L. N. P. font obligées de bien fe
garder de faire de grandes dépenfes du côté où il n'y
a aucun danger. Car la République n'a encore rien
à redouter de fon ennemi fur terre ; attendu que le Roi
de la G. B. employe toutes les forces pour dominer
fur les mers & y exercer un empire illimité , dans
un tems où les forces de terre font à peine en état de
défendre complettement fes Royaumes , ni de reconquérir
les poffeffions perdues hors de l'Europe , &
( 93 )
qu'ainfi il n'eft nullement en état d'attaquer la République
des Provinces - Unies du côté de la terre , de
l'envahir & d'en faire un théâtre de la guerre. Et s'il
eft certain que le feu de la guerre peut le communiquer
au continent par une révolution imprévue de
circonftances , il ne l'eft pas moins qu'il ne feroit pas
de la politique de le préparer à des attaques imprévues,
dans un tems & dans des circonstances où ces prépa
ratifs doivent néceffairement nuire , & tenir effectivement
en arrière les armemens néceffaires qu'on eft
obligé de faire fur mer , où il n'y a pas feulement
un danger menaçant , mais un danger réel «.
pas Malgré ces obfervations on ne laiffera
d'augmenter l'armée ; elle fera divifée en 3
corps , dont le premier doit camper dans
le voisinage de la Haye , fous les ordres
du Stadhouder ; le fecond dans la Nord-
Hollande , fous ceux du Général Major
Van der Hoop ; le Commandant du troifième
n'eft point encore nommé ; il s'affemblera
près de Stanwyk , pour couvrir
la Frife , Groningue , les Ommelandes &
le Pays de Dreuthe.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. , du 31 Janvier
L'Amiral Darby eft parti le 26 de Londres pour
Portsmouth où il va prendre le commandement de
l'efcadre. Le Prince William Henri partira demain ,
pour s'embarquer fur cette efcadre qui doit fervir à
faire fortir la flotte pour l'Inde , à protéger la rentrée
de celle qui eft en Irlande , & à conduire des fecours
à Gibraltar . Nos Miniftres font débiter qu'elle fera
auffi forte que dans fa dernière croifière , c'eſt- à- dire
de 22 vaiffeaux. Il faut cependant obferver qu'il y en
à encore 6 ou 7 qui n'ont pas reçu les réparations né(
94 )
de l'Inde >
ceffaires , qu'il en faut 6 pour ramener les vaiffeaux
qui font au nombre de 11 , & qu'il faut
qu'il en refte dans nos ports. La marine royale
attend avec impatience ces vaiffeaux de l'Inde pour
en prendre les équipages.
On a dit que la petite efcadre de Johnstone devoit
partir le premier Février. On difoit hier que fa deſtination
eft changée , qu'il ne va plus dans l'Inde , qu'il
reftera à la ſtation de Lisbonne pour enlever les bâtimens
Hollandois attendus fous le convoi de Byland.
En ce cas on ne fait plus quel eft le Commandant qui
conduira l'expédition confiée au Colonel Fullarton ;
peut- être ces régimens font deftinés à relever une
partie des Anglois qui font à Gibraltar. --- Dans
quelques jours il partira quelques bâtimens pour l'Amérique
. Le Lord Lincoln doit s'embarquer pour
commander 4000 hommes de l'armée de Cornwallis .
Ce qui fortifie les inquiétudes fur les difpofitions
de la Ruffie , c'est la manière équivoque dont s'en eft
expliqué le Lord North dans les débats du 25. On lui
demandoit s'il n'étoit pas à craindre que la Ruffie ne
tînt à notre égard une conduite pareille à celle de la
Hollande , & qu'il n'y eûr les mêmes raifons pour décider
l'Angleterre à en venir à une rupture avec elle
& enfuite avec les autres Etats , & fi le Miniftre étoit
für que ces Puiflances agiroient en amies ou qu'elles
refteroient neutres . M. Fox lui arracha cette réponſe
dont on conferve les expreffions . » Sur ma parole, je
ne fais fi nous aurons notre honneur à défendre contre
la Ruffie & le Portugal ; mais ce que je fais , c'eft
que nous ne leur avons donné aucun fujet de nous
provoquer , & que nous ne devons point être dans le
cas de craindre leur reffentiment ; fi on nous provo
que fans fujet , il faudra bien réfifter ; je fuis plein
de confiance en la juftice de notre caufe , le courage
de la Nation , & j'espère que nous triompherons de
toutes les difficultés contre lefquelles nous avons
1
( 95 )
à lutter & de tous les dangers qui nous menacent
Ce langage équivoque reflemble à celui qu'on
lui a entendu tenir peu de tems avant les Manifeftes
de la France & de l'Espagne.
x

و د
On a encore remarqué dans cette féance les expreffions
du même Miniftre. J'ai déja exprimé mes
regrets de la guerre avec la Hollande ; les intérêts
des deux pays font inféparables , & la prudence exigeoit
qu'ils s'uniffent pour réfifter à un torrent qui
menace l'Europe de fa deftruction . Une prompte réconciliation
avecla Hollande eft ce que je defire , je
ne lui fouhaite point de mal ; je dis plus , même en
ce moment , après que nous en avons effuyé de fi
fortes provocations , s'il étoit poffible que ce pays
fut attaqué par la France & l'Espagne , je confeillerois
de le défendre & de le foutenir de tout le pouvoir de
cette Monarchie «. Cette tirade de fon difcours
fat fort applaudie. On l'a remarqué à l'occafion
du difcours de ce Lord. » C'eft une réponſe adroite
pour éviter de s'expliquer fur les difpofitions de la
Ruffie , & on peut la regarder comme un fûr indice
d'une prochaine rupture. Pourquoi ne nous annoncet-
il pas de folides affurances d'amitié dans ce moment
de détreffe ? Peut- il oublier que dans le cours de la
harangue il a dit qu'il regardoit l'acceffion des Hollandois
à la neutralité comme un début d'hoftilités
contre nous ? S'il donne cette interprétation à l'acceffion
, peut- on s'empêcher de voir & ne doit- il pas
voir lui -même des difpofitions pareilles dans les auteurs
de cette ligue «<? On affure avoir entendu
dire au Lord Mansfield que la Ruffie infifte fi fortement
pour le mêler de nos querelles , qu'il appréhende
que nous ne foyons bientôt forcés à une paix
défavantageuſe.
On parloit fortement le 26 d'une guerre prochaine
avec la Ruffie , depuis le Comité du 23
chez le Lord North ; le Lord Germaine l'avoit
( 96 )
quitté pour aller au lever du Roi ; mais il y étoit
retourné à la hâte , fur un meffage qui lui avoit
été envoyé.
Les Miniftres , dit un papier de l'Oppofition ,
font en poffeffion d'une déclaration authentique de
la Ruffie , portant que fi notre Conr avoit déclaré
la guerre aux Provinces Unies lorfqu'elles
ne tenoient encore à rien , & avant leur acceffion
à la neutralité , elle ne s'en feroit point oc
cupée , & que les Etats s'en feroient tirés comme
ils l'auroient pu . Mais notre Cour s'étant déclarée
auffi-tôt après que la République a été unie à la
neutralité , l'Impératrice regarde cette démarche
comme caractériſant un commencement d'hoftilité
de la part de la Grande Bretagne , & elle croit
fon honneur engagé à foutenir les Hollandois dé
tout fon crédit & de tout fon pouvoir.
·
Un
certain Lord il y a apparence que c'eft le Duc de
Richmont ) , favoit ces détails le 26 , & les à
rapportés en bonne compagnie. Ces difpofitions
de la Ruffie font conféquentes au projet de la
confédération qui feroit nul fans cela. On ne
doit pas douter que fon exemple n'entraîne la:
Suède & le Danemarck , puiſque c'est elle qui eft
le grand mobile de toute cette affaire. Il faut
avouer que nous avons bien pris notre tems.
On dit que l'Empereur exige que tous les
effets de les fujets trouvés dans les vaiffeaux Hollandois
, pris par l'Angleterre , feront rendus à
ceux à qui ils appartiennent , & que notre Cour
a bien promis de ne pas y manquer.
P. S. Nous recevons une lettre en téponſe à celle
qui nous a été adreffée au fujet de la manufacture
établie à Javelle . Notre impartialité nous obligeroit
de la tranferite , quand la juftice ne nous en feroit
pas un devoir. Le défaut de place nous force de la remettre
à l'ordinaire prochain.

JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE,
De CONSTANTINOPLE , le 30 Décembre.
L'AMBASSADEUR d'Angleterre , perfuadé
qu'il feroit également fûr & avantageux aux
Négocians de fa nation qui font établis ici ,
de faire paffer leurs marchandifes par terre
en les tranfportant d'abord par les Etatsd'Autriche
, & enfuite par l'Alleinagne , en
Angleterre , s'eft occupé depuis quelque tems
à leur ouvrir cette nouvelle route . Un riche
Négociant nommé Thooke , vient de faire.
le premier effai de ce plan. Il a accompagné
jufqu'à Semlin 135 balles de la plus belle
foie du Levant , pefant 32 milliers. On ne
doute pas que ce tranfport ne foit bientôt
fuivi de quelques autres . Les frais feront
fans doute plus conſidérables ; mais les Commerçans
y gagneront. Les trajets par mer font
fouvent exposés à de longs retards ; on peut
au contraire calculer avec précifion le temsque
doivent refter en route les denrées qu'on
expédie par terre , & s'arranger en confé-
17 Février 1781 .
( 98 )
quence pour les faire arriver à leur destination
; peut- être auffi les fommes que l'on
feroit forcé de donner aux affureurs fuffiront
pour payer les frais des tranſports par
térre .
Le de ce mois la tête de Dangeſtanli ,
Bacha de Sebaſte a été exposée fur la
porte du ferrail.
,
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 12 Janvier.
Le Roi pour récompenfer M. Schumacher,
chargé des affaires de cette Cour à celle de
Pétersbourg , des bons fervices qu'il a rendus
à l'occafion de la conclufion du traité d'alliance
de la neutralité armée entre les Cou- .
ronnes du Nord , a été nommé Confeiller
d'Etat actuel , & fera employé en cette qualité
à fon retour ici.
Le Gouvernement s'occupe actuellement
à former un plan pour augmenter dans les
circonftances préfentes le commerce & la
navigation de ce Royaume.
Il est arrivé en Norwege un bâtiment
parti de Sainte- Croix le 20 Octobre dernier.
Il nous a appris que nos ifles n'ont
rien fouffert du terrible ouragan du 11 du
même mois. On n'avoit de l'inquiétude que
pour une frégate de guerre qui avoit mis
à la voile quelques jours auparavant avec
quelques navires marchands qu'elle avoit
fous fon convoi,
( 99 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Janvier.
L'EMPEREUR vient d'accorder au Prince .
de Naffau-Ufingue , ci- devant au fervice des
Provinces-Unics , le régiment de Cuiralliers
qu'avoit le feu Général Hood ; il a écrit à
ce Prince à cette occafion la lettre la plus
gracieufe & la plus flatteuſe .
Le teftament de feue l'Impératrice Reine
contient les legs fuivans.
" L'Empereur eft nommé légataire univerfel ; il
eft légué au Grand - Duc de Tofcane trois Seigneuries
en Hongrie; 100 mille florins par an à l'Archiduc
Maximilien , jufqu'à ce qu'il fuccède à l'Electorat ,
80,000 à l'Archiducheffe Marianne , tant qu'elle
fera la réfidence à Klagenfurth ; 40,000 à l'Archiducheffe
Elifabeth , fi elle réfide à Infpruck , & fi
elle fe rend à Prague 60,000 , & 20,000 fielle refte
à Vienne ; 3000 florins de penfion à Madame de
Bechtold & à Madame de Werſchkowitz , fes Dames
d'honneur ; autant à Mademoiſelle de Gutherberg ,
outre les appointemens actuels ; à chaque femme de
garde-robe 1200 florins , aux femmes - de - chambre
1000 ; à chaque fille de garde- robe 500 ; au Confeiller
Aulique de Greiner un legs de 1000 ducats ;
au Prince de Schwartzenberg , Grand -Maître - d'Hôtel ,
au Prince de Rosemberg , Grand- Chambellan , au
Comte de Dietrichſtein , Grand- Ecuyer , au Comte
de Sternberg , & au Baron de Kiermayer , Confeiller
Aulique une rabatière de grand prix à chacun ; il y
a d'autres legs pour le Militaire & pour la Comteffe
de Logie «.
S. M. I. par un billet écrit de fa main , a
informé le Confeil Aulique de guerre, qu'elle
e 2
( 100 )
fera payer ineeffamment les legs d'un mois
d'appointemens que feue l'Impératrice fon
augufte Mere a laiffé par fon teſtament à
tous les Militaires , & que comme la fomme
néceffaire pour ce paiement ne fe trouve
pas en entier dans l'argent comptant de la
fucceffion allodiale , il fournira le furplus
de fa caiffe.
Il paroît 2 Ordonnances , dont l'une en
date du 17 du mois dernier porte en ſubſtance.
»
Ayant reconnu que ceux qui embraffent la
vie Religieufe difpofent fouvent de leurs biens
en faveur des Maifons dans lesquelles ils entrent ,
avant l'émiffion de leurs voeux , contrevenant en ce
point à la loi expreffe d'amortiffement publiée le
26 Août 1771 , & qu'ils font même à ces Maiſons,
fous différens prétextes des donations de fommes
ou d'effers beaucoup plus confidérables qu'il n'eſt
permis par la loi ; S. M. I. , pour obvier à de pareils
abus , ftatue qu'aucun Novice ou Religieux
qui voudra tefter ou faire quelqu'autre acte de
dernière volonté , avant l'émiffion de fes voeux ,
ne pourra , fous peine de nullité , & fous quelque
prétexte que ce foit , abftraction faite de la penfion
qui lui eft accordée par l'ufage , donner auxdites
Maifons au delà de 1500 florins du Rhin ,
comme les loix l'avoient déja preferit , lui étant
libre d'employer une partie de cette fomme à des
ufages pies , mais jamais rien au delà . En conféquence
de cette Ordonnance , ceux qui fe trouveront
léfés par de pareilles difpofitions , peuvent
avoir recours à la Juftice , & en efpérer une prompte
fatisfaction «.
La feconde Ordonnance eft du 23 du
mois dernier ; elle revient fur l'article 6 de
( 101 )
celle de 1761 , fur les déferteurs où il est
queſtion de la confifcation de leurs biens.
" Il avoit été ftatué que cette peine ne s'étendroit
pas fur leurs fucceffions à venir. L'Empereurordonne
auffi que les déferteurs , à compter du
jour de leur défertion , feront auffi inhabiles à fuccéder
que s'ils n'exiftoient pas , & que les fucceffions
qui pourroient leur écheoir dans la fuite ,
roient réparties entre les autres héritiers «.
De HAMBOURG , le 27 Janvier.
Le-
ON apprend de Dantzick qu'on y a acheté
pour le compte de l'Angleterre une trèsgrande
quantité de bois de conftruction , &
1200 lafts de feigle qui doivent y être tranf
portés le plus promptement poffible . On
ajoute que les Marchands Anglois ont déja
fait les difpofitions néceffaires pour tirer
leur argent par Hambourg , parce qu'ils ont
raifon d'être perfuadés que ceux d'Amfterdam
refuferoient d'accepter leurs lettres de
change.
On affure que les Généraux de Wurmfer
& d'Althon , qui ont acquis tant de
célébrité pendant le cours de la dernière
guerre , viennent d'obtenir leur démiffion
du fervice Autrichien , & qu'ils paffent à
celui de Saxe , en qualité de Généraux de
Cavalerie.
Le Roi de Pruffe a pris diverfes mesures
pour diminuer la confommation du café
dans fes Etats , d'où l'on affure que cette
boiffon fait fortir toutes les années plus de
7 à 800,000 rixdahlers. Les Marchands ,
e 3
( 102 )
qui vivent du trafic de cette marchandife ,
ont fait des repréfentations à S. M. , dont
ils n'ont obtenu que la réponfe fuivante..
33
L'ufage exceffif du café & les défordres de la contrebande
auxquels il donne lieu font les feules raifons
qui ont engagé S. M. à faire des règlemens
fur ce fujet. S. M. n'avoit en vue que d'interdire
l'afage de cette boiffon aux payfans , fervantes &
autres gens qui vivent du travail de leurs mains ; &
comme elle n'avoir pour objet que le plus grand bien
de ſes ſujets , il eft d'autant moins poffible d'y déroger
& d'avoir égard à la propofition qui lui a
été faite le 10 de ce mois par les Marchands , que la
confomination trop grande de cette production étrangère
, s'étend jufqu'aux dernières claffes de la fociété,
& donne occafion à de grandes contrebandes «.
Le nouveau corps de troupes que le
Prince de Heffe - Caffel fait lever pour le
fervice de l'Angleterre eft de 800 hommes.
On mande de Francfort fur le Mein , que
le Magiftrat de cette. Ville a permis à ce
Prince de faire des recrues dans fon enceinte.
» Notre Ambaffadeur à la Cour de France , écrite
on de la Haye , doit , dit-on , propofer à cette Puif
fance d'agir à l'avenir d'un commun accord. On a
tout lieu d'efpérer que de cette heureuſe harmonie
entre deux Etats engagés contre les mêmes ennemis
pour la liberté du commerce & de la naviga.
tion , il réfultera des opérations vigoureufes & fatales
à l'ennemi commun. Ce ne feroit pas la première
fois qu'on auroit vu les flottes de France &
de Hollande combinées . En 1304 , elles livrèrent
un combat aux Flamands , entre les Illes de
Zélande , & la victoire la plus brillante fut l'effet
de cette jonction & de cene alliance . Elles ont été
( 103 ) 1
unies en plufieurs autres occafions , & entr'autres ,
en 1665 , dans une circonstance qui a beaucoup
de reflemblance avec celle où nous fommes actuellement.
Le Roi de France avoit alors fi peu de raifon
de préférer l'alliance des Etats à celle de l'Angleterre
, qu'on fit courir le bruit qu'il s'entendoit
fourdement avec Charles II , & qu'il ne foutenoit
les Hollandois que pour les tromper . On ne tarda pas
à connoître que cette prétendue intelligence fecrète
une étoit chimère ; une partie de la flotte Angloife
ayant été détachée pour empêcher la jonction , Ruiter
faifit cette occafion , tomba fur la flotte Angloife
affoiblie par cette divifion , combattit pendant quatre
jours , & remporta la victoire la plus complette.
La pofition des Anglois à l'entrée du
canal , où ils ont plufieurs excellens havres ,
leur donne , il eft vrai , un avantage fur les deux
Nations auffi ne manquent-ils pas de fe prévaloir
de cette faveur de la nature , pour en conclure que
le domaine de la mer leur appartient ; mais la
fituation actuelle des chofes eft bien différente .
La France , n'avoit alors qu'une petite flotte à
Toulon , & aucun autre navire fur l'Océan , qu'an
bulor . Les Hollandois , qui dans ce tems faifoient
trembler feuls cette Reine de POctan' ,
fecondés à préfent par une Puiflance auffi formi .
dable ont droit de fe promettre une heureuſe
iffue de cette guerre «.

:
Pendant que l'Angleterre foulève toutes
les Puiffances maritimes contr'elle , les politiques
prétendent entrevoir divers mouvemens
qui pourroient étendre l'incendie
dans l'intérieur de l'Europe : ils parlent
d'alliances recherchées , par les Anglois ,
dans quelques endroits , de levées de troupes
dans d'autres ; mais à fuppofer que tous
€ 4
( 104 )
ces mouvemens fuffent vrais , on devroit
faire attention qu'ils fe croifent , qu'ils
doivent fe nuire mutuellement ; que l'intérêt
des Puiffances de terre ne paroit pas
être de fe mêler d'une querelle qui s'eſt
élevée fur les mers , qui doit y refter , &
dans laquelle tous les Etats maritimes ne
femblent former qu'un feul voeu qui eft
contre l'Angleterre.
IT ALI E.
De LIVOURNE , le Is Janvier.
LE Conful Hollandois , réfident dans ce
Port , a reçu avis de la rupture entre la
République & la Cour de Londres ; il en
a auffi- tôt fait part aux bâtimens de fa Nation
qui fe trouvent ici , au nombre de
trois ainfi qu'à la frégate de guerre la
Brielle , commandée par le Capitaine Oorthus
, & qui eft réparée des dommages
qu'elle avoit reçus à fon gouvernail.
Le Conful Anglois a , dit- on , auffi reçu
un grand nombre de lettres de marque ,
pour les diftribuer aux corfaires de fa Nation
, qui ne manqueront pas d'en faire
ufage contre les bâtimens Hollandois.
ESPAGNE.
De CADIX , le 16 Janvier.
VENDREDI , Samedi & Dimanche der
niers , nous avons eu ici des tems affreux
1
( 105 )
qui ont coupe beaucoup de cables & ´mis
en danger quelques vaiffeaux. Le St-Raphael
, qui vient d'être caréné , eft heureufement
le feul qui ait échoué ; les prompts
fecours que lui donna la Ste-Trinité empêchèrent
qu'il ne fouffrit beaucoup , & au
retour de la marée il s'eft remis à flot . On
ne s'eft pas apperçu qu'il ait effuyé de
grands dommages par cet accident. On
avoit annoncé la fortie prochaine de 10
vaiffeaux , il paroît aujourd'hui que toute
la flotte les fuivra ( 1 ) .
On écrit d'Algéfiras que les travaux du
camp conſiſtent toujours à fortifier les nouvelles
batteries avancées contre la place.
Le 7 au matin on vit à la porte de terre
de la place un Sergent des Gardes Vallones
, que les ennemis y avoient pendu :
cet homme avoit déferté , dit - on , il y a
deux mois , avec l'agrément du Général
à qui il avoit promis de rendre bon compte
de l'état des ennemis : il poffédoit parfaitement
l'Anglois & le François , & il ne
manquoit pas d'efprit & d'intelligence ; il
faut pourtant qu'il ait été découvert , puifqu'on
l'a traité en efpion .
Le 9 on lança à la mer une nouvelle
chaloupe canonnière : leur nombre eſt actuellement
de 7 , portant du canon de 24 ,
& de 2 qui en ont de 12 , fans compter
(1 ) Elle alloit fans doute mettre en mer , fur la fauffe
nouvelle que Darby étoit forti.
e s
>
( 106 )
des bombardes qui peuvent faire le même
fervice. Ce jour- là on effaya fur les der
rières de lIfle , afin que les ennemis n'en
euffent pas connoiffance , les nouveaux
mortiers de fonte placés fur ces bombardes
; l'effet en fut très-fatisfaifant , le corps
du bâtiment foutint parfaitement l'explo
fion & il ne s'enfonça dans l'eau que d'environ
un pouce.
Le Journal d'Algéfiras , qui finit au 13 ,
marque pour ce jour l'arrivée d'une prife
chargée de comeftibles , faite par les ché
becs , & le renvoi dans Gibraltar des Anglois
livrés par le Roi de Maroc.

ANGLETERRE.
De LONDRES , le 2 Février.
DEPUIS l'arrivée des dépêches apportées
de New -Yorck par le paquebot le Swift , la
Cour n'a publié aucunes nouvelles de l'Amérique
Septentrionale. On eft forcé de fe
contenter de commenter le peu de détails
vagues qu'on a répandus . On porte à 2000
hommes le corps de troupes que le Général
Arnold a dû conduire en Virginie , &
avec lequel il s'étoit embarqué le 23 Décembre
à Shindy- Hook , n'attendant qu'un
vent favorable ; ce corps eft compofé d'un
régiment d'Ecoffois , qui forme le 8oe , compofé
de 2 bataillons de 450 hommes.chacun ,
des chaffeurs dela Reine , montant à goog dur
( 107 )
régiment d'Arnold & de 2 bataillons de Provinciaux
. On avoit enbarqué avec lui 400
biides , felles & autres équipages , pour for-,
mer 4 corps de cavalerie de 100 hommes.
chacun fur les lieux , avec un train de grofle
artillerie. On n'a pas ici beaucoup de confiance
au fuccès de l'expédition de ce général
, fi décrié dans toutes les parties des Etats-
Unis , par la déſertion , & fur - tout par la
mauvaiſe conduite qui l'a précédée & que la
loi avoit rendue néceffaire.
On lit dans quelques- uns de nos papiers
la lettre fuivante , qu'on dit écrite de San
tona , en date du 9୨ Janvier.
-
}
Nous apprenons , par un Officier François arrivé
dans ce port , d'où il a pris fur le champ la pofte
pour fe rendre en France , les détails fuivans qu'il a
laiffés au Conful de fa Nation. L'armée Françoife
eft à Rhode Island , fo s la protection de la place
qui eft fortifiée de manière qu'elle y paffera l'hiver
fans aucune inquiétude . L'Amiral Rodney ayant vou
lu la bloquer avec ſon eſcadre , il arriva un corps de
15 000 Américains a x ordres du Général Heats , &
il n'eut rien de plus preilé que de fe retirer à leur ap
proche , & de faire les difpofitions pour retourner
aux Antilles . La défaire du Colonel Fergufon ne
fouffre aucun doute . Dans le mois d'Octobre dernier
, le Congrès a fait ratifier l'indépendance des
treize Province Américaines , & le célèbre Jean Hanscock
a été nommé Gouverneur de Maliachuffet. - 90
Chefs de Savages Oncides arrivèrent le 17 Septem,
bre à Rhode-Inland où ils furent reçus avec toutes les
marques d'amitié pollibles, par MM . de Rochambeau,
de Ternay & Heats , qui leur firent en même- tems
de riches préfens dont ces guerriers furent très-com
-
--
c 6
( 108 )
tens . On ne doute pas qu'ils ne foient fort inclinés.
pour les Américains .
Cette lettre paroît faire beaucoup d'impreffion
; on s'eft hâté de la diminuer , par
une autre qui a été mife dans la plupart de
nos papiers fous la rubrique de New-Yorck
& qui répand des doutes fur cette nouvelle.
Les prifonniers faits fur un floop parti de la Havanne
, ont dépofé qu'une flotte Eſpagnole de 10
vaiffeaux de ligne & de 70 tranfports ayant soo hommes
à bord, étoit partie de la Havanne le 14 Octobre
pour attaquer Penſacola. Ces prifonniers à leur retour
ont rencontré le 24 du même mois un avilo expédié
par l'Amiral Efpagnol pour aller porter au
Commandant François , à St -Domingue , la fâcheuſe
nouvelle que cette flotte avoit été difperfée par un
coup de vent , qui avoit démâté le vaiſeau Amiral &
plufieurs autres , de forte qu'elle étoit dans la plus
grande détreffe , & que 40 voiles de cette flotte re-
Tournoient vers la Havanne où il fe trouvoit encore
8 vaiffeaux de ligne «e ,
Quoiqu'il en foit de ces détails contradictoires
, qui ne tarderont pas à être éclaircis
par des nouvelles plus pofitives , nos
affaires ne font pas dans une fituation brillante
fur le Continent ; elles pourroient
l'être davantage dans les Ifles où l'Amiral-
Rodney a certainement la fupériorité ; on
n'a ceffé de publier qu'il n'attendoit que
l'arrivée de l'Amiral Hood pour tenter quel
que opération ; cet Amiral avoit été arraifonné
avec toute fon efcadre en très- bon
état à 10 journées de la Barbade . Aujour
d'hui l'on fait que le Chevalier Rodney n'a
( 109 )
pas attendu les renforts que lui conduit
l'Amiral Hood , & qu'il a tenté une expédition
contre St- Vincent , d'où il a été repouffé
; cette nouvelle nous vient par la voie
de France ; le Ministère l'a peut être déja
reçue , mais il ne l'a point publiée encore ;
on n'en eft pas étonné ; on fait qu'une relation
de ce genre demande un travail dans
le cabinet avant d'être publiée. Il faut dimi
nuer ce qu'elle offre de défavantageux ; mais
malgré tous les efforts qu'on fera , on ne
pourra diffimuler qu'elle a échoué ; il fe
peut auffi que le filence du Gouvernement
ferve à jetter des doutes qui font fans doute
intéreffans dans ce moment où le Parlement
eft affemblé , & où l'on n'a pas approuvé.
que la Couronne nous ait attiré un quatrième
ennemi , quand ce n'étoit qu'avec la plus
grande peine qu'on faifoit face aux trois
que nous avions déja . Les débats , qui ont
éu lieu le 25 dans la Chambre haute , n'ont
pas été moins vifs dans celle des Communes.
Cette féance fur laquelle nous devons des détails ,
fut ouverte par le rapport de la réfolution priſe la
veille par le Comité , pour le fecours d'argent deftiné
à la Jamaïque & à la Barbade ( 80,000 liv . fterl . à
celle-ci , & 40,000 à celle - là ) . M. Townshend dé→
clara que loin de s'y oppofer , il fouhaitoit qu'on prît
les moyens les plus prompts & les plus efficaces pour
Fexécution de cet arrêté. Il parla d'une idée qui avoit
été agitée dans le Parlement & dehors , qu'il défireroit
voir fe réalifer. Les poffeffions des Puiffances
110 )
en guerre ayant fouffert également ( 1 ) de cette ca.
lamité générale , il conviendroit qu'elles fiffent entre
elles une effè e de trève pour l'approvifionnement de
leurs ifles. Ce feroir peut - être un premier pas vers
une paix dont elles ont le plus grand befoin ; ce feroit
du moins autant de rabat u fur les horreurs de la
guere dont la mefure eft deja comblée.
Le Lord North préfenta enfuite le meffage du
Roi , conçu dans les mêmes termes que celui qui
avoit été préſenté aux Pairs ; il mit fur le bureau les
mêmes pièces , & notamment le projet de traité entre
la Hollande & les Etats Unis ; après un petit difcours
fur l'objet de cette production , il préfenta un projet
d'adreffe dans laquelle la Chambre exprimetoit le
déplaifir avec lequel elle avoit vu le Roi réduit à
l'inévitable néceffité de faire expé lier des repréfailles
& letties de marque contre l'allié ancien & naturel de
l'Anglererie , en affirant S. M. de toute l'atliftance
qu'il feroit poffible de lui donner pour le foutien de
fa couronne & de fa dignité. Il fut fecondé par le
Lord Levisham . Bientôt l'Oppofition entra en lice
conduite par M. Townshend , qui demanda pourquoi
, a nombre des papiers produits ne fe trouvoit
pas le Mémoire préfenté en 1777 aux Etats - Généraux
par le Chevalier Yorck . * - *
» CeMémoire eft conçu , dit- il , dans des termes
dont jamais peut - être un Etat indépendant ne s'eft
fervi vis-à vis d'un autre Etat indépendant comme
lui ; & ceft depuis ce moment que le parti de la
France a pris un afcendant irréfiftible dans les
Confeils de la Hollande Le langage du Lord North
cft pareillement une infulte à la raison & a l'indé-
(1) N. B C'est ce que l'Angleterre s'eft perfuadée d'a
bord & ce que fe Gazettes ont voulu faire croite au refte
de l'Europe Mais heureusement les poffeffions Françoifes ,
Efpagnoles & Hollind ife , n'ont pas , à beaucoup près
autant fouffert de ce fléau que celles des Anglois.
( 1 )
pendance des Membres de la Chambre. Ce Mi
niftre a eu en effet la hardieffe de dire que la démarche
étoit faite , & qu'il falloit qu'elle für fou
tenue. Pour moi , je luis perfuadé que l'on ne de
voit point fane cette démarche , & qu'il faut en
core moins l'appuyer . Nous n avions déja que trop
d'ennemis & beaucoup plus même que ce Royaus
me ne nous offre de reflources pour les combat.
tre avec quelque apparence de fuccès. Il paroît
que tout le monde s'attend à une guerre avec les·
neutres contédérés , & qu'on la regarde comme la
première con équence de notre rupture avec la
Hollande , mais je fais très-bien que ces conléquences
& toutes les autres dont je pourrois par

ler , nee
feront
pas
la
moindre
impreflion
fur
nos
,
Muites. Une circonftance néanmoias qui provoque
toute mon indignation , c'est l'air de férénité
& même de fatisfaction complette avec lequel
le Lord North a informé la Chambre que
nous avions de nouveaux ennemis ; c'est la con
fance avec laquelle il sett félicité de la motion
pour une adreffe , comme de la plus fage , la plus
convenable , la meilleure enfin que l'on pût adop
ter.... Le Miniftre pourroit il nous dire fi dans ces
circonftances nous pouvons être parfaitement tranquilles
fur les difpofitions de la Ruffie & du Portugal
?
Le Lord North excufa cette omiffion en difant
que cette pièce n'avoit rien de relatifaux circonstan
ces actuelles , pui que depuis ce Mémoire la bonne
harmonie avoit régné entre les deux Pays. Il entra
enfuite dans les dérails des différens motifs qui
avoient engagé les Miniftres à confeiller de publier
le Manifefte contre la Hollande."
Les Mémoires qui ont été lus , dit it , prouvent
l'attention forup leufe avec laquelle on s'eft effor
cé de prévenir les facheufes conféquences d'une
ruptore entre deux nations qui ont vécu & long(
112 )
tems dans les liens d'une alliance mutuelle. Mais
ces mesures ont eu fi peu de fuccès , que le parti
de la France a pris un afcendant irréſiſtible dans
les Confeils des Provinces- Unies , & fur- tout par
le moyen de la ville d'Amfterdam , où la faction
Françoiſe a toujours eu de la prépondérance . Cette
influence a été portée au point que les Hollandois
ont négocié un traité avec les fujets rebelles de
S. M. en Amérique , traité dont on n'a eu connoiffance
que par les Papiers pris avec M. Laurens . Lorfque
la copie de ce traité fut mife fous les yeux des
Etats- Généraux , & qu'ils furent fommés de défavouer
la conduite de la ville d'Amfterdam , ils
répondirent que l'affaire avoit été renvoyée ad referendum
, & c'étoit dans le fait un aveu qu'on
s'occupoit réellement de cette négociation avec les
Etats-Unis d'Amérique. Toutes les guerres font
férieufes , ajouta-t-il mais celles avec d'anciens
alliés font fâcheufes. L'alliance entre l'Angleterre
& la Hollande commença en 1679 ; elle fut re..
nouvellée en 1714 , & depuis elle a fubfifté depuis
plus d'un fiècle fans interruption . Un Amiral
Hollandois ( à St Euſtache ) , vient de s'emparer
de, tous les vaiffeaux , neutres qui avoient été con
damnés comme bonne prife par les Anglois à Antigoa
, & il leur a donné la liberté fans aucune
forme de procès. Je fuis bien fûr qu'il y a dans les
Provinces - Unies des gens fentés qui défapprouvent
l'appui donné à la Maifon de Bourbon , & qui dé,
plorent , les progrès de la faction Françoife comme
le plus grand danger qui puiffe menacer leur pays.
9
-
Les Etats - Généraux ne voudroient pas même
confentir à être neutres , quand même nous leur
rendrions les vaiffeaux que nous leur avons pris ,
après en avoir payé les cargaifons , ce qui pourtant
les contenteroit & devroit les contenter fans
Jeur partialité pour la France. Quant à la crainte
( 113 )
de voir augmenter le nombre de nos ennemis , il
m'eft impoffible , pourfuivit- il , de rien répondre
de pofitif à ce fujet. Mais je dois affurer la Chambre
que je ne vois aucun fondement à des alarmes
de cette nature. Tout ce que je fais ,
c'est que
-nous n'avons rien fait pour provoquer le Portugal
ou la Ruffie , ni aucune autre Puiffance de la neutralité
armée. ` -
1
M. Rixal dans un difcours de plas d'une heure ,
rendit compte d'un plan qu'il a formé pour engager
la France dans une guerre de terre . » D'après un tableau
des intérêts Politiques des différentes Cours de
PEurope , on feroit tenté de préfumer que les évènemens
peuvent dévenir favorables aux intérêts de la
G. B. Ileft poffible , par exemple , qu'une guerre fur-
'vienne entre la France & l'Autriche , & dans ce cas la
marine de France ne feroit plus aufli formidable
qu'elle l'eft actuellement , parce que l'argent qu'on
dépense pour cet objet prendroit néceffairement un
autre cours . M. Rixal propofa d'offrir un million
de fubfides à l'Empereur & une année d'avance
pour l'engager à prendre parti pour la G. B. — Le
Lord Jonh Cavendish propofa un amendement au
projet d'adreffe , il s'agiffoit de retrancher les mots
néceffité indifpenfable & l'affurance que le Roi feroit
foutenu , en y fubftituant que fi la Chambre
après avoir mûrement examiné les papiers , jugeoit
que cette rupture avoit été amenée par une néceffité
indifpenfable , elle feroit tout ce qui feroit en
fon pouvoir pour foutenir la Couronne & la dignité
:
de S. M.
» Je ne m'oppofe point , ajouta-t-il , à une guerre
avec la France & l'Espagne , parce que ces. Etats
ont été les agreffeurs ; mais j'avoue que lorfqu'on
la déclare à la Hollande , je me trouve embarraflé.
Je voudrois qu'on fit de nouvelles informations à
ce fujet. Je voudrois favoir fi cette guerre eft
inévitable. Le Lord North s'eft plaint que les Hol(
114 )
landois ont rompu leur traité avec nons ; mais
a-t-on mis en ufage les moyens ' convenables pour
les engager à ne point s'écarter de ce traité ? Le
noble Lord ne devoit - il pas favoir que les traités
ne lient jamais aucune nation quand ils font contraires
à de fortes paſſions ou à l'intérêt. De notre
côté , avons-nous pris quelque foin de ménager
les paffions & l'intérêt de la Hollande ? Le noble
Lord a parlé de l'efficacité de l'or François dans
les Provinces - Unies. Et pourquoi n'y a- t-on pas envoyé
un peu d'or Anglois pour contrebalancer l'or
François Notre or a été fouvent plus mal employé.
Je ne m'oppose à aucune motion tendante
à foutenir une guerre contre la Hollande , mais je
defire qu'il foit accordé du tems pour délibérer ?
ود
M. Sanbridge parla à l'appui de l'amandement.
» D'après la force des expreflions employées par
le Lord North pour recommander fa motion , il
me paroît , dit - il , que ce Lord a reçu ( 1 )
l'ordre formel de la faire adopter par la Cham .
bre. En effet , je fuis perfuadé qu'il n'auroit
point parlé fur ce ton - là d'une motion qui n'au
zoit été que de lui ; mais il eft du devoir de la
Chambre de s'oppofer à une motion aufli incompatible
avec la fituation préfente des affaires
& avec les intérêts réels de ce pays. Les
Miniftres ne s'écartent point du fyftême ruineux
de politique qui leur a fait entreprendre
la guerre d'Amérique , & qui confifte à augmen
ter fans, ceffe le nombre de nos ennemis au point
que nous nous trouvons actuellement en guerre
prefqu'avec le monde entier. 11 eft tems , fans
contredit , ou jamais , de réfléchir qu'ayant tout
3
( 1 ) On fait que c'eft le Lord Thurlon qui a décidé le
Confeil à la rupture avec la Hollande : on dit que le
Manifefte eft en grande partie l'ouvrage de ce Chancelier
qui aujourd'hui à feul la confiance du Roivriended.
( IIS )
le monde contre nous , nous fommes dans nostres
tort , ou du moins il est évident qu'il nous
eft impoffible de réfifter à la confédération de
tout l'Univers .
Je ne crois pas qu'il y air
de honte à tâcher d'adoucir le reffentiment d'un
allié naturel , aujourd'hui notre ennemi contre
nature. Je defite qu'aucune espèce de violence ou
de précipitation de la part de cette Chambre ,
n'augmente l'incendie. Mes voeux font plutôt pour
que les chofes fe pacifient par des difcours modé
rés & des confeils prudens. Il me feroit aifé de
prouver que les Miniftres ont été les agrelleurs
dans chacune des quatre guerres où ils nous ont
engagés. C'eft Farrogance de la Grande- Bretagne
quia ligué contr'elle tout l'Univers. La guerre
avec la Hollande eft injufte & imprudente . Lorf
que la France eft devenue la première Puiffance
de l'Europe , les Nations voifines fe confédérèrent
pour l'humilier. Lorsque la Grande- Bretagne eft
parvenue à un point de grandeur qui l'a rendue
Fobjet de la jaloufie de toute l'Europe , elle aus
roit dû craindre une pareille confédération
l'exemple de la France auroit dû être pour nos
Miniftres une leçon de justice , de fageffe & de
modération ". M. Fox prononçaun difcours trèslong
, mais plein d'énergie , & fur - tout d'une
connoiffance profonde de fon fujet . Il parla des
difpofitions des Puillances qui ont déja pris les ar
mes contre nous , ou qui , felon toutes les appa
rences , ne tarderont pas à les prendre. Selon lui ,
toutes les mesures qui nous ont réduits à cette fi
tuation , font abfurdes au fuprême degré & ruineufes
dans leurs conféquences. Je ne fuis pas hom.
me à me ( 1 ) décourager ailément ; mais le vrai
> &
une (1 ) Il y avoit huit jours que M. Fox , attaqué furt
grande route , par des voleurs , avoit fait une fi belle réfiftance
qu'il les avoit obligés à la fuite ; quelques coups de
piftolets tirés fur lui ne lui ont pas fait peur.
L
( 116 )
courage ne confifte pas à affronter aveuglément le
danger , il confifte à ouvrir les yeux , à examiner fa
grandeur , & délibérer fur les moyens de l'éviter.
J'attribue l'origine de cette rupture avec la Hollande
au Mémoire du Lord Suffolk aux Etats des
Provinces- Unies en 1777. Ce Mémoire alarma l'orgueil
& la jaloufie des Hollandois , & donna à la
faction Françoife des armes contre les amis de l'Angleterre.
Ce font ces amis que vous deviez plutôt
foutenir que la France , nation orgueilleufe & altière
qui cherche à vous traiter comme fes efclaves
, & non pas comme un peuple libre. Tous les
troubles qui ont affiégé notre Nation , doivent
leur origine à un changement d'opinion politique.
En effet , fi les vrais principes Whigs prévaloient ,
tels qu'ils fubfiftoient du tems du Roi Guillaume &
de la Reine Anne , du moins dans la première par
tie de ce dernier règne , & dans les deux règnes
fuivans , l'Amérique combattroit aujourd'hui du côté
de la Grande-Bretagne , ou plutôt les libertés de
l'Amérique n'ayant pas été envahies , toutes les que
relles qui exiftent aujourd'hui n'auroient point eu
lieu. Mais à préfent on imagine que l'intérêt du
Prince , c'eft- à-dire du Miniftre , eft différent de
celui du Peuple : on veut que l'honneur de la Cou
ronne foit maintenu au prix de la ruine du Peu
ple ; & pourvu qu'on gouverne , la condition de
ceux qui obéiffent eft la chofe du monde la plus indifférente
. Le règne de Charles II a paffé pour un
règne infâme ; mais aucun des Stuard n'a fait autant
de mal à l'Angleterre que le Ministère actuel.
Le mal opéré fous les règnes des Stuard a été réparé
par une révoluion dans les principes politiques ;
mais les malheurs arrivés fous le préfent règne
font irréparables. L'Impératrice de Ruffie & George
III font montés fur le Trône à peu près dans
le même tems. Mais quelle différence dans les deux
règnes ! La Grande-Bretagne a décliné avec une vi(
117 )
teffe égale à la rapidité avec laquelle la Ruffie s'eft
élevée au degré de fplendeur où nous la voyons.
J'entends dire fans ceffe que nous fommes dans une
mauvaiſe pofition , qu'il ne fert à rien de demander
comment nous y fommes venus , & qu'il s'agit
de nous en tirer. Ce feroit affez bien raiſonner
fi nous étions réduits à la dernière extrémité ; mais
c'eft mal raiſonner tant qu'il nous reftera le moindre
rayon d'efpérance. Lorsqu'il eft encore poffible
que nos Miniftres , par leur ineptie , rendent notre
état encore plus déplorable qu'il ne l'eft à préfent
, il n'eft ni mal à propos ni inutile de rechercher
la caufe de l'accroiffement de nos calamités.
Lorfque les Colonies fe font révoltées , on a dit :
à quoi fert de rechercher la caufe de ce malheur.
Efforçons-nous de le réparer. Moi je foutiens qu'il
eût été avantageux de remonter à la fource de ce
mal , car fi nous l'euffions fait , nous n'aurions
point eu de guerre avec l'Espagne & avec la France.
Lorfque cette guerre arriva , on répéta cette
queftion ridicule ; & moi je répète que fi les Miniftres
euffent été alors renvoyés , nous n'aurions pas
aujourd'hui la guerre avec la Hollande. A préfent.
il refte à demander s'il n'eft pas poffible d'empêcher
une guerre avec la Ruffie , le Portugal , la,
Suède , &c. Le Lord North dit : » Sur ma parole
ɔɔ je ne fais pas fi nous aurons notre honneur
ภ» défendre
contre la Ruffie & le Portugal , mais ce que je fais , c'eft que la Grande-Bretagne
ne leur a jamais donné aucune provocation
, & ainfi
» elle n'a aucune raifon de craindre leur reffenti-
» ment «. Ce font les propres expreffions
du Lord
North. Mais nous avons fu de même , de la bou- che du Lord North , que nous n'avions
jamais donné aucune provocation
à la France ou à l'Ef- pagne , & cependant
elles font devenues
nos enne- mies. It n'y avoit pas de raifon de s'attendre
à un pareil évènement
, & cependant
cet évènement
a eu lieu. Que faire done aujourd'hui
pour favoir fi nous
( 118 )
n'aurons pas auffi la guerre avec la Ruffie & le
Portugal ? Je prie le noble Lord de nous donner
quelque rayon d'efpoir , en nous difant les raifons
qu'il peut avoir de préfumer que la chofe n'arri
vera pas ainfi . Si toutes ces Puiffances fe liguent
contre nous , fi les flottes Ruffes , Suédoifes , Danoifes
& Hollandoifes , fe joignent aux efcadres
des Bourbons , quelle eft la forte qui nous protégera
, qui nous fauvera ? Sera- ce celle qui s'eft
tenue cachée depuis deux ans dans la Manche , oư
plutôt qui a pris la fuite devant une force inférieure
, comme on dit que l'a fait dernièrement
l'Amiral Darby ? Le Secrétaire de la guerre a fait
fonner bien haut que nous n'avions rien perdu l'année
dernière. Mais fi delenda eft carthago , en
parlant de la flotte de France , comment en venir
à bout au moyen de ces avantages négatifs ? Notre
devife eft aujourd'hui fugere & fallere tempus ,
triumphus eft. M. Burke foutint avec chaleur
M. Fox , auquel il donna les plus grands éloges.
Il obferva entr'autres qu'un Empire divifé avec luimênie
devoit toujours être fans alliés . On ne
contracte , dit- il , des traités d'alliance qu'avec un
Erat entiers of il eft tel Etat à l'égard duquel les
conditions des traités ne pourroient être remplies
fans avoir la guerre avec une partie de cet Etat
dent on feroit l'allié . Dans toutes les guerres des
Maiſons d'Yorck & de Lancaftre , & dans celle de
Charles Ier , nous étions fans alliés . Je vois avec
douleur que la pofition terrible où la folie & lignorance
de nos Miniftres ont amené la Nation ,
choque l'efprit d'infolence & de hauteur qui femble
animer le Lord Germaine. Pourquoi fommes.
nous à préfent fans alliés , fi ce n'eft à caufe de
l'efprit d'arrogance qui règne dans nos Confeils ?
Il en résulte qu'après la Hollande , nous aurons
encore contre nous la Ruffie & les autres Puiffances
de la neutralité armée. Dans le cours naturel
des chofes , ce qui paroît défavorable au premier
"
( 119 )
afpect , prend fouvent une tournure très - avanta- :
geufe . Il fe pourroit faire que cette neutralité ar
mée , formidable en apparence pour la Grande-
Bretagne , lui tendît , dans l'extrémité une main
fecourable pour la fauver de l'abîme entrouvert
fous les pas, & maintenir par ce moyen l'équilibre du
pouvoir ; mais aujourd'hui que nous avons attaqué
inopinément une de ces Puiflances, les autres liées par
le même traité ne peuvent manquer de prendre le parti
de celle qui a été provoquée. La Hollande , par la fituation
& d'autres circonftances , peut être confidérée
comme une espèce de marché général avec lequel.
tous les Etats de l'Europe ont plus ou moins de
liaifons . Son commerce eft une eſpèce de neutralité
mercantille , & elle porte affez loin fes vues pour
vendre non feulement à d'autres Nations belligérantes
, mais même à fes propres ennemis , des
armes & des munitions de guerre qu'elle fait
devoir être employées contr'elle. Ainfi la caufe
d'une Nation confidérée comme fi univerſellement
utile , devroit être commune. Il m'eft impoffible
de donner mon approbation à une guerre qui
traîne après elle des conféquences fi dangereufes
fans être plus particulièrement inftruit des motifs
qui l'ont fufcitée. M. Dunning examina la juf
tice & la propriété de notre requifition , pour ,
que Van Berkel fût puni. Cette requifition , ditil
, eft auffi arbitraire & auffi injufte que celle de
la Ruffie , lorfque fous le règne de la Reine Anne
cette Puiffance demanda la tête des Schérifs qui
avoient offenfé fon Ambaffadeur. Van Berkel ne
s'étant rendu coupable d'aucun délit contre les
loix de fon pays , nous n'avons aucun droit pour
demander fa punition..
>
La Chambre ayant été aux voix , il y en cut
180 pour l'adreffe , & 101 pour l'amendement ,
& par conféquent une pluralité de 79 pour l'a
dreffe , telle qu'elle avoit été proposée par le Lord,
North.
( 120 )
La chaleur & la vivacité de ces débats
annoncent affez que la nation eft loin d'approuver
la rupture avec la Hollande ; fi la
prépondérance que le Ministère s'eft affurée
dans le nouveau Parlement , le met hors
d'inquiétude à l'égard de cette affemblée.
nationale , il s'en faut de beaucoup qu'il foit
auffi tranquille qu'il affecte de le paroître
relativement aux Puiffances étrangères ; les
conférences fréquentes qu'a le Miniſtre de
Ruffie avec le Vicomte de Stormont , les
confeils qui fe tiennent après ces conféren-.
ces , femblent annoncer en effet que l'Impé
ratrice parle avec la fermeté qui lui eft
naturelle , & qu'autoriſe la juftice de la
caufe qu'elle défend . Tous ces mouvemens
auxquels d'autres Miniftres étrangers pren-.
nent part , ne laiffent pas d'infpirer les plus
vives alarmes à la partie de la Nation qui ne
s'aveugle point par l'idée qu'elle eft en état
de tenir tête à tant de Puiffances réunies ;
un de nos Gazetiers voulant apparemment
diffiper ces craintes , affura que les entre-.
tiens des Miniftres avoient pour objet la
découverte qu'on avoit faite , que M. de.
Simolin étoit un efpion. Cette belle annonce
fut auffi- tôt copiée par toutes les autres feuil
les de cette capitale. Mais on s'eft empreflé
de faire juftice du calomniateur téméraire.
La rupture avec la Hollande affecte beaucoup
plufieurs branches de nos manufactures
qui n'avoient d'autres débouchés que les
Provinces Unies pour paffer dans le refte
de
7
( 121 )
de l'Europe ; il en eft de même des toiles
peintes & autres marchandifes des Indes-
Orientales , dont l'uſage eft défendu ici ,
mais ce commerce prendra peut-être un
nouveau cours par les Pays-Bas Autrichiens ,
s'il n'y a pas un prompt accommodement
entre la République & l'Angleterre.
>
On a lieu de craindre que l'emprunt du
Lord North ne fe rempliffe difficilement , li
comme on le dit , les Hollandois fe défont
de près de 40 millions fterling qu'ils ont
dans nos fonds . On fe flatte qu'ils ne le feront
pas , parce que le feul bruit , s'il s'en
répandoit , feroit baiffer les actions & les
expoferoit à une perte trop grande ; mais
s'ils confentoient en effet à perdre quelque
chofe , à envoyer ces billets fur toutes les
places de l'Europe en même tems , ils nous
porteroient un coup auquel nous ne réſiſterions
pas. On fait qu'ils payent déja par -tout
avec nos actions , qu'ils tirent des quantités
incroyables de nos guinées , à un taux audeffus
de leur évaluation , & qu'ils les
payent en actions ; de manière que fi cela
dure , nous aurons beaucoup de papier &
peu de monnoie.
On parle toujours du départ d'une flotte:
qui eſcortera le convoi qu'on deftine à ravitailler
Gibraltar ; imais elle eſt toujours dans
les ports , le Prince Henri étoit hier à la
Comédie , & le Commodore Johnſtone au
Parlement, où on a encore difcuté l'éternelle
& ennuyeufe affaire de l'Amiral Keppel &
17 Février 1781 .
f
( 122 )
ou
du Vice - Amiral Pallifer. Ils doivent , dit- on ,
partir aujourd'hui pour Portſmouth ,
l'on équipe auffi des vaiffeaux pour eſcorter
le convoi deftiné pour nos ifles . Mais aucun
de ces armemens , dont le départ eft devenu
d'une néceffité preffante , n'a encore mis à
la voile.
On fera bien- aife de trouver ici les détails
de ce qui s'eft paffé Mercredi dernier au
tribunal du banc du Roi , lorfque le
Lord Gordon y a paru. Avant qu'on lui
lût l'indictment , c'est- à-dire les chefs d'accufation
, il demanda la permiffion de parler
& s'exprima ainſi :
--
» En entrant dans Weſtminſter , j'ai été trèsétonné
de remarquer que les portes de la falle étoient
fermées ; qu'en conféquence l'accès en étoit interdit
au peuple , qui ne pourroit ni affifter à mes interrogatoires
, ni fuivre la marche de mon procès :
j'ai été d'autant plus frappé de cette remarque qu'en
général j'ai été rigoureufement traité , ma dérention
a été extraordinairement longue ; ma fituation ,
à tous égards , plus que finguliere ; j'ai été victime
de la prévention publique & j'en ai beaucoup fouffert
; une autre chofe qui m'étonne c'eft qu'un nombre
fi prodigieux de Jurés ait été appellé à mon
procès & que l'on m'ait ôté la liberté de les récu
fer: j'ai appris d'ailleurs que l'on avoit confulté
jufqu'aux Juges fur la nature de mon cas ; mais
j'efpere qu'il paroîtra par l'évènement que je n'ai
pas été préjugé une autre chofe qui m'eft revenue
, c'eſt que l'on a fait venir d'Ecoffe des témoins
pour les produire contre moi : je ne fais
ce qu'ils ont entrepris de prouver ; j'ignore de
même comment je pourrai faire venir de cette même
Icoffe des témoins pour les confronter avec les
pas
( 123 )
1
-
Premiers , parce que l'on m'a dit que la jurifdiction
de cette Cour ne s'étendoit pas à l'Ecoffe . La loi
pofitive du pays porte que dans toute accuſation de
haute trahifon , le fait qui conftitue la trahison
doit être fpécifié dans mon indictment , ce qui
néceſſairement doit me jetter dans un grand embarras
, parce que faute de connoître la nature du
fait , je ne puis appeller les témoins , qui démontreroient
qu'il eft fuppofé ; je me flatte cependant
que , felon l'ufage obfervé dans les cas de l'efpèce
du mien , la Cour elle- même voudra bien être mon
confeil , lorfque je folliciterai cette indulgence de
fa part : tout ce que je demande c'eft que mon
procès me foit fait avec candeur & impartialité «.-
Le Comte de Mansfield ayant affuré qu'il pouvoir
compter fur toute l'indulgence poffible , on luc
l'indictment & l'Huiffier fomma le prifonnier d'y
répondre. Lord George répondit non coupable.-
L'Huiffier ; comment voulez - vous être jugé ?
Lord George. Par Dieu , & par mon Pays.
L'Huiffier. (fe retirant ) Dieu vous accorde une
heureufe délivrance. Le Procureur-Général demanda
alors que le prifonnier fût repréfenté à la
barre de la Cour le lundi 5 Février ( jour auquel
commencera le procès ) ce qui ayant été arrêté ,
Lord George fe retira en faifant une profonde révérence
à la Cour , & on le reconduifit à la Tour.—
Lorfqu'il entra dans la falle de Weſtminſter , it
étoit accompagné de fes deux freres le Duc de Gordon
& Lord William ; des Lords Aboyne & Haddo
du Colonel Woodford , de plufieurs autres amis de
diſtinction , de M. Erskine fon confeil & de M.
Albany Wallis fon folliciteur : il étoit en deuil15
fes cheveux felon fon ufage , ronds , fans frifure
fans poudre il marqua beaucoup de férénité &
de force d'efprit ; il fe conduifit à tous égards avec
beaucoup de dérence : la garde qui eſcortoit la voi
où il étoit avec le Lieutenant - Gouverneur de
ture ,
>
£ 2
( 124 )
la Tour , n'étoit pas confidérable : les voitures de?
fes amis fuivoient : le concours du peuple étoit im
menfe , mais tout fe paffa décemment & avec beau,
coup de tranquillité « .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 13 Février
LE 4 de ce mois , le Chevalier de Corberon
, Miniftre plénipotentiaire du Roi près
le Duc des Deux- Ponts , & le Baron de
Grofchlag , auffi Miniftre plénipotentiaire
près les Princes & Etats du cercle du Haut-
Rhin , de retour en cette Cour par congé ,
'ont eu l'honneur d'être préfentés au Roi
par le Comte de Vergennes.
Le même jour LL. MM, & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du.
Vicomte de Nort , ancien Capitaine des vaiffeaux
du Roi , avec Mademoiſelle Dupré de
Saint-Maur.
Le Roi a nommé à l'Archevêché de Cambrai
, l'Archevêque de Bordeaux ; à l'Archevêché
de Bordeaux , l'Evêque de Rodès
, & à l'Evêché de Rodès , l'Abbé de
Colbert , Vicaire- Général de Touloufe..
S. M. a difpofé du commandement en
chef du Comté de Bourgogne en faveur du
Comte de Broglie , Lieutenant - Général de
fes Armées , qui eft remplacé dans le commandement
en fecond des Evêchés , par le
Comte de Caraman , Lieutenant- Général.
( 125 )
De PARIS, le 13 Février.
LES premières lettres de Breft qui ont
annoncé la rentrée des bâtimens vivriers envoyés
au- devant de M. le Comte d'Eftaing ,
s'étoient trompées parlant de la perte du
Minotaure. De poftérieures ont rectifié cette
nouvelle .
>
C'est l'Atlas ( l'ancien Northumberland ) &
non le Minotaure , qui a péri . On a fauvé ce que
l'on a pu de l'équipage , dont 30 hommes font
arrivés ici . Le Minotaure a été plus heureux ; il
s'étoit réfugié dans la petite baie d'Audouan ; le
mauvais tems força un gros bâtiment de chercher
le même afyle ; il portoit pavillon Hollandois . On
attendoit qu'il fe calmât pour aller le vifiter
lorfqu'un matelot de ce vaiffeau fe jetta à la mer ,
& vint avertir le Minotaure que ce navire étoit
une prife Hollandoife : on y envoya fur le champ
la chaloupe , avec des hommes armés qui s'en emparèrent.
Ils y trouvèrent is Anglois , qui ne firent
aucune réfiftance. On prétend que la cargaifon de
ce navire vaut plus de 600,000 liv. Le matelot qui
s'expofa à périr pour donner cet avis , eft Efpagnol
. Il faut croire qu'il fera bien récompenfé. Le
Minotaure eft entré à Brest avec fa riche capture .
On ne peut pas mettre plus d'activité dans l'armement
& le ravitaillement des vaiffeaux deſtinés
pour l'Amérique ; ils embarqueront 6000 hommes
de troupes. Voici la liste de cette flotte . Nous
marquerons de la lettre C les vaiffeaux doublés en
cuivre.
Vaiffeaux.
LaVille de Paris. C.
L'Augufte, C.
Canons.
110
Commandans.
MM. La Touche Tréville,
Chef- d'Efcadre.
80 Barras St- Laurent , idem.
£ 3.
( 126 )
Vaiffeaux.
Le Languedoc.
Canons. Commandans
80 Baron d'Arros , Capitais
ne de vaiffeaux.
Le Saint- Elprit. C. 80. De Chabert.
Le Sceptre. C. 74
Le Célar , C.
74
Chevalier de Retz.
De Coriolis d'Eſpinouſe.
Le Magnanime . C.. 74 Chevalier de Vaudreuil,
Le Citoyen, C. 74 La Porte Vezins.
Le Souverain. C.
74 Chevalier de Glandèves.
Le Héros . C.
LeNorthumberland.C . 74
L'Annibal.
Le Pluton.
74 De Suffien.
De Briqueville.
74 De Trémigon l'aîné.
74 Albert de Rions.
Le Diademe. 74
Le Marfeillois . C.- 74
La Bourgogne, C. 74
Chevalier de Montecler.
Caftelanne Majaſtre.
Chevalier de Charrite.
Le Zélé. C. 74 Chev. Gras de Préville
Le Scipion . C. 74 De Clavel ,
L'Hector. C. 74 Renauld d'Aleins.
L'Hercule. C.
74 De Turpin.
Le Glorieux. C. 74 Vicomte d'Efcars.
L'Artéfien .
64 D'Ethy .
Le Vaillant. 64 De Caffy.
Le Vengeur. C. 64 De Forbin.
Le Sphinx. C.
Total ... 25
64 Du Chilleau. "
1864 .
Il paroît qu'il y aura quelque changement
dans le commandement de cette belle
efcadre. M. de la Touche- Tréville ne prit
pas congé du Roi le 4 de ce mois comme
on le croyoit ; on fuppofa alors que fes
inftructions n'étoient pas prêtes ; on a appris
enfuite que M. le Comte de Guichen avoit
été appellé à la Cour , où il eft arrivé le 7
de ce mois ; dès ce moment le bruit s'eft
( 127 )
tépandu qu'on alloit lui propofer de retourner
en Amérique avec la Rotte de Breft qui
fera augmentée , dit-on , de 4 vaiffeaux de
ligne . On donne à M. de la Touche Tréville
le commandement de Rochefort
qu'avoit fon frere , & celui- ci fera créé
Directeur Général des Ports ; tels font du
moins les bruits publics auxquels a donné
lieu l'arrivée de M. de Guichen. On croit
affez généralement qu'il retournera en Amérique
; on defire feulement que fa flotte mette
bientôt en mer; fi elle attendoit le mois de
Mars pour appareiller de Breft , la campagne
aux Antilles feroit de trop courte durée. Mais
comme on ignore les projets du Cabinet ,
peut- être que nos forces ne font pas deftinées
à refter aux ifles du Vent. Le fentiment
général eft qu'elles ne s'y arrêteront que
pour prendre des troupes , qui jointes a
celles que M. de Guichen y conduira , &
à 10,060 Efpagnols , feront une armée de
24,000 hommes foutenus par 45 vaiffeaux de
ligne , avec laquelle on pourra tenter les
plus grandes entrepriſes.
Quant à M. le Comte d'Eftaing , on dit
qu'on lui réferve le commandement des
Alottes combinées qui cette année ſe propofent
d'agir offenfivement. On prétend
que l'objet de fon voyage en Efpagne n'étoit
pas feulement de ramener les convois ,
mais qu'il étoit chargé d'une commiffion
importante auprès de S. M. C. dans laquelle
£ 4
( 128 )
il s'agifloit peut- être du plan de la campagne
en Amérique.
Les navires de Bordeaux déradés de la Martinique
par le coup de vent du 11 Octobre dernier
, mais qui font arrivés avec avaries au Cap ,
à la Guadeloupe , Jacomel , &c. font le Comte
d'Artois , l'Union , le Cafimir , l'Elifabeth , le
Vicomte de Noailles , la Victoire , le Vicomte
d'Urtabie , le Héros , le Lys , le Début. Ceux
de Nantes , font le Sabran , les Deux Soeurs & la
Fauvette.
Le navire le Chaumont , venant de l'Ifle
de France , & arrivé à Rochefort , apporte
des nouvelles intéreffantes de l'Inde.
,
» Hider Alikan , a eu de grands avantages fur
les Anglois ; Mahé où il marchoit , doit être à
préfent en fon pouvoir. On lui avoit envoyé de l'ifle
de France , comme il l'avait fait demander , du
canon & des munitions de guerre . M. d'Orves ,
qui commande les vaiffeaux du Roi dans cette partie
du monde , pourra fecourir plus efficacement
encore le Nabab , s'il eſt appellé . On a appris
par la même voie la perte que la Marine
de M. de St. Orens , Capitaine de vaiſſeau , le
même qui avait pris l'Ofterley. On a fu auffi que
M. de Tronjoly étoit parti avant le Chaumont
fur la frégate la Sibylle , pour revenir en Europe.
Son retard donne quelque inquiétude «.
-
faite
9
On attend chaque jour le Courier qui doit
apporter la réfolution de l'Impératrice de
* Ruffie au fujet de la déclaration de guerre
faite à la Hollande.
,
Les Anglois , quoiqu'ils en difent ne
paroiffent pas encore prêts pour le ravitaillement
de Gibraltar . Ils peuvent fortir pour
cet effet avec 27 ou 29 vaiffeaux , & les
( 129 )
1
4
Efpagnols pourront fe mefurer avec eux.
Les derniers vaiffeaux arrivés de l'Amé
rique ont apporté à M. Franklin les réfolutions
fuivantes du congrès en date du S
Octobre.
mens,
-
Le Congrès ayant pris en confidération le rap .
port du comité fur la motion relative aux propofitions
de l'Impératrice de Ruffie , a arrêté les ré
folutions fuivantes . S. M. I. de toutes les Ruffies ,
attentive à la liberté du commerce & aux droits
des nations , ayant propofé dans fa déclaration aux
Puiffances belligérantes & neutres , des règles fondées
fur des principes de juftice & de modération ,
qui ont été approuvées par L. M. T. C. & C. & la
plupart des Puiffances maritimes & neutres.
Le Congrès voulant témoigner fon attention & fes
égards pour les droits du commerce , & fon refpect
pour la Souveraine qui a propofé ces Règle-
& pour les Puiffances neutres qui les ont
approuvés , a réfölu- que le Bureau de l'Amirauté
prépare & rapporte des inftructions pour les Commandans
des vaiffeaux armés , & ayant des commillions
des Etats- Unis , lefquelles inftructions feront
conformes aux principes contenus dans la
Déclaration de l'Impératrice de Ruffie fur les droits
des vaiffeaux neutres . Que les Miniftres Plénipotentiaires
des Etats- Unis , s'ils y fontes ,
feront , & font par les préfentes , autorités à accé
der à tout Règlement conforme à l'efprit de ladite
Déclaration , qui pourra être convenu & accepté,
en conféquence de l'invitation de S. M. I. -
Ordonné que copie des réfolutions ci-deffus , feront
envoyées aux Miniftres refpectifs des Erats -Unis dans
les Cours étrangères , & à l'honorable Miniftre
Plénipotentiaire de France «.
Nous recueillerons ici le précis de plufieurs
croifières intéreffantes ; aux détails que
}
7130
)
nous avons déja donné de celles des co
faires de Granville , nous joindrons ceux- ci .
L'Américaine a fait deux prifes , dont un corfaire
Anglois de 10 canons , amené à Breft ; l'autre ,
qui étoit une prife Hollandoife , chargée de fruit ,
s'eft perdue à l'entrée de la rivière de Nantes. -
Le Patriote a conduit le 25 Janvier à Granville
un corfaire de 8 canons , & a déposé environ 150
prifonniers , provenant de trois autres petits core
faires & d'un bâtiment chargé de morue , venant
de Terre Neuve , dont il s'eft emparé. Le Dagueffeau
n'a pas été auffi heureux ; le 13 , il tomba au pouvoir
d'un vaiffeau de guerre de 74 canons , ( l'Alexan
der ) qui l'a mené à Portsmouth . La frégate
Madame a dû reprendre la mer le 6 ou le 7 de
ce mois.
Les corfaires de Dunkerque ne font pas
'des croifières moins heureuſes ; celle de la
frégate le Calonne de ce port ne fauroit être
plus brillante , elle peut faire le pendant de
celle du Sieur Langlois dont nous avons
parlé ; nous donnerons ici le précis de fon
Journal.
» Le 7 Janvier dernier , M. Ryan appareilla de
Morlaix , où il avait relâché , & le même jour il
s'empara du cutter corfaire la Marie , qu'il coula
bas , après avoir pris à fon bord l'équipage.
Il donna enfuite chaffe à deux caiches du Roi
d'Angleterre , qu'il aurait infailliblement prifes , fi
un jeune homme de fon bord , tombé du haut
des vergues à la mer , ne l'eût obligé de revirer
& de baiffer fes voiles pour le fauver . Le 18 ,
il fe trouva , par un tems brumeux , au milieu de
trois frégates Angloifes , qu'il ne reconnut pour
ennemies qu'à la portée du canon. M. Ryan en
héla une qui lui répondant qu'elle venoit de Plimouth
, lui lâcha fa bordée. Le Capitaine Fran
----
( 131 )
-
ois ayant aufli-tôt difpofé fon monde au combat ,
arriva fur la feconde , & la falua de toute fa bordée
, ainfi que de fa moufqueterie , à la portée
du piſtolet , à quoi l'ennemi ne répondit que par
trois coups de canons . Le Calonne ayant reçu
beaucoup de dommages dans fon gréement , &
plufieurs boulets dans fa calle , força de voiles
pour échapper à un ennemi auffr fupérieur ; dans
cette action , il n'eut qu'un mouffe de bleffé. -
Le 19 , il s'empara de la frégate le Plymouth de
18 canons , 65 hommes , au fervice du Gouvernement
Britannique. Cette frégate était ci - devant
le corfaire la Comteffe d'Artois de Dunkerque
pris par le vaiffeau du Roi d'Angleterre le Bienfaifant
de 64. Le 21 , il prit la goëlette corfaire
le Kite de Darmouth , de 8 canons & 38
-hommes. Le même jour , il reprit fur le corfaire
l'Union , de Jerfey , l'Amitié , navire Hollandois
allant de Séville à Oftende , chargé de fruits & de
vin. Le 26 , le Calonne relâcha à Oftende avec
le Plymouth feulement , ayant perdu le Kite par
un gros tems la nuit du 25 au 26 , entré Calais
& Boulogne. Quant à l'Amitié , il ne put le convoyer
que jufqu'à la hauteur de St-Malo ; il a dépofé
à Oftende 122 prifonniers.
On fe rappellera
que la première croifière de cette frégate
n'a pas été moins brillante , & que du 24 Novembre
, jour de fa fortie de Dunkerque , au s
Décembre , jour de fa relâche à Breft , M. Ryan
avait pris fept bâtimens, en avait fait échouer un
& fait couler bas un autre «.
Le 30 Janvier dernier M. Clerc , ancien
Maire de la ville de Flavigny en Bourgogne ,
a célébré la cinquantième année de fon
mariage. Il eft âgé de 76 & fa femme de 705
l'un & l'autre jouiffent de la meilleure fanté.
On a remarqué à cette occafion que le pere
£ 6
( 132 )
de M. Clerc , auffi Maire , avoit pareillement
renouvellé fon mariage , & que fa femme a
vécu fans infimités jufqu'à l'âge de 97 ans.
On a vu le 23 du même mois à Nantes
la même cérémonie. Le couple qui en a été
l'objet , eft M. Martin Cadou , ancien Capitaine
Garde- Côtes des Compagnies détachées
des paroiffes de St-Vian & de Froyfay
, & Dame Marie Eftevelin des Hautes--
Landes. L'un & l'autre font nés en 1707.
M. Cadou , le 2 Février , & fon époufe
le 12 Mars.
On a lu avec intérêt une lettre de M.
Croharé fur l'arfenic & fur l'étain ; fes obfervations
fur ces deux fubftances ne fauroient
être trop répandues , foit pour raffu
rer le Public , foit pour infpirer des précautions
néceffaires à ceux qui en font ufage.
L'extrait fuivant de cette lettre peut remplir
cet objet , & répondre aux demandes
que nous ont faites plufieurs de nos Souf
cripteurs.
Si c'eft un titre à l'eftime de fes concitoyens que
de détruire des erreurs accréditées qui retardent &
arrêtent même toujours les progrès des connoif
fances humaines , c'eft fur- tout lorfque les erreurs
intéreffent effentiellement l'utilité publique , comme
la fanté & la vie des hommes . L'arfenic eft un poifon
contre lequel on ne connoiffoit que des fecours
généraux ; on publia il y a quelques années , que
le vinaigre & même les alkalis combinés avec le
foufre , en fe neutraliſant , en étoient des antidores
affurés . Ces moyens feroient bien précieux fans doute
, fans être nuifibles eux - mêmes , ils em(
133 )
pechoient l'action de ce minéral ; mais quels faneftes
effets au contraire ne doivent - ils pas produire
non- feulement en détournant les yeux de
deffus le vrai fecours , fi au lieu d'empêcher
cette action , ils ne pouvoient que la rendre affurée ,
quoique plus lente & conféquemment moins fenfible
, en augmentant la diffolution de l'arſenic ? C'eſt
cependant ce qui paroît évident , puifque l'orpin &
le réalgar qui font une combinaifon de foufre &
d'arfenic , ne font pas moins des poiſons mortels ,
quoique beaucoup plus lents que l'arfenic. Au refte ,
comme M. Croharé renvoie aux expériences & aux
obfervations de M. Majant , Docteur- Régent de la
Faculté de Médecine de Paris , dont une partie n'eft
point encore publiée , fans nous arrêter plus longtems
fur ce fujet important , nous pafferons à la partie
de la lettre où il s'efforce de rendre à l'étain la
confiance qu'il vient d'ôter aux contre-poifons de
l'arfenic. L'ufage qu'on faifoit généralement de
l'étain , depuis un tems immémorial , pour les uftenfiles
de cuifine , femblou devoir le mettre à l'abri de
foupçon du côté de la falubrité , lorfque MM . Schutter
& Henckel publièrent qu'on le trouve minéralité
par l'arfenic. Dans le même tems , M. Geoffroi , de
Acad. des S. , obfervant que l'étain répand des fumées
pendant fa calcination , affura qu'il ne doutoit
pas qu'elles ne fuffent de l'arfenic . Ce n'étoit encore
que des affertions dénuées de preuves , & il étoit réfervé
à M. Margraf de fonner l'alarme & de détruire
abfolument la confiance qu'une longue fuite de fiècles
lui avoit justement méritée , par l'appareil impofant
de l'expérience. C'eft au même flambeau que M.
Croharé vient réclamer en faveur d'un métal fi précieux
aux arts & au peuple par une qualité effenielle
, qui eft l'économie . Nous allons le fuivre dans
les trois propofitions où il renferme fa difcuffion.
1°. L'étain , dans fa mine , eft- il combiné avec l'arfenic
? La pefanteur extrême de cette mine , tandis
( 134
que le métaf eft très léger par lui- même , peut avoir .
produit cette erreur , d'autant plus que dans d'autres
méraux , elle eft réellement dûe à la préfence de
l'arfenic qui les minéralife. M. Croharé penfe , au
contraire , que cette pefanteur eft dûe au fer ; en
effet , en mêlant la chaux d'étain à un douzième de
fer , il a obtenu un verre femblable , par la couleur
aux cryftaux ifolés de mine d'étain que l'on conferve
dans les cabinets . Ce qui confirme encore - certe opinion
, c'eft qu'il a trouvé le fer dans toutes les mines
d'étain qu'il a examinées , & même dans l'étain d'Angleterre.
Au refte , perfonne n'a démontré l'arfenic
dans la mine d'étain , & M. Margraf lui- même avoue
qu'elle en eft exempte. Qu'il nous foit donc permis
de demander ici d'où peut venir l'arſenic dans l'étain ,
s'il eft vrai que la mine de ce métal n'en contienne
pas ?
2. M. Margraf a-t - il démontré l'arfenic dans
F'étain pur , c'est- à-dire exempt de plomb ? M.
Croharé a répété avec foin les expériences de ce
favant Chymifte , & il paroît que les phénomènes
qui lui en ont impofé , ne font nullement dus à la
préfence de l'arfenic , comme la fublimation des
feurs d'étain qu'il appelle arfenicale , quoique la
chaux d'étain ne fe fublime réellement que quand les
vaiffeaux font dans l'incandefcence ; tandis que
Parfenic fe volatilife au premier degré de feu. Il
en eft de même de l'efpèce de foie de foufre formé
en faifant fublimer un mélange de parties égales
de foufre & de fel d'étain , que l'on appelle encore
communément réalgar , d'après M. Margraf, fans
autre preuve que la couleur jaune rougeâtre , de
ee fublimé ; couleur qui fe développe , cependant
plus ou moins , lorfqu'on fublime le foufre mêlé
avec la chaux d'autres métaux & même avec des
terres non métalliques . Enfin quand on allie l'arfenic
& l'étain , il fuffit de calciner le dernier , pour
( 135 )
détruire & diffiper l'arfenic ; comme auroit du le
remarquer M. Margraf lui-même , qui a attribué
l'augmentation néceffaire du poids qu'a acquis le
métal réduit en chaux dans cette opération , à l'abforbtion
d'une partie de l'arfenic , telle néanmoins
qu'il n'eft plus poffible de l'en dégager , ni de
démontrer la préfence. 3. Quels font les
reproches que l'on peut faire aux uftenfiles d'étain ?
Aucuns qui fe rapportent à ce métal ; mais feule
-ment au plomb que la loi autorife à lui allier , &
dont les effets pernicieux ne font ni inconnus ni
incertains. M. Croharé finit en nous affurant qu'on
peut donner à peu de frais à l'étain une dureté qui
ne le rendroit pas moins agréable qu'utile. Il feroit
fans doute bien digne de ce Chymifte éclairé ,
qu'après avoir victorieufement difculpé Pétain , il
daignât s'occuper à le perfectionner à l'exemple despeuples
d'Orient qu'il rapporte ; nous l'invitons au
moins à publier les expériences nombreuſes qu'il a
annoncées fur ce Minéral. Ce fera un titre de plus
à notre reconnoiffance «
*
» Le 27 Janvier 1781 , le Corps de Ville de Melun
La fait célébrer en l'Eglife 'Royale & Collégiale de
Notre-Dame , la Meffe folemnelle & annuelle fondée
pour la confervation des jours précieux du Ror & de
-la Famille Royale. Le Régiment de Dragons de la
Rochefoucault , en quartier en cette Ville , y a affifté :
-les Officiers , à la tête d'un détachement dudit Régiment
, précédés de leur Mufique , fe font rendus
a l'Hôtel-de- Ville , d'où ils partirent en ordre avec:
les Officiers Municipaux , la Compagnie des Grenadiers
de la Ville , tous les Officiers de la Milice Bourgeoife
& les Sergens en uniforme , pour le rendre à
Eglife ; avant que d'entrer & de fortir , it fe fit plu-
-fieurs décharges de moufqueterie. Cette Meffe où le
Grand-Chantre de Notre - Dame officia , avoit été
annoncée , la veille , au fon des cloches , au bruit
( 136 )
du canon & par des aumônes en pain qui ont été
envoyées à MM. les Curés de la Ville , pour les diftribuer
aux pauvres de leurs Paroiffes. Le peuple
immenfe de la ville & des environs , & les différens
Corps que cette folemnité a affemblés , prouvent ,
dans cette circonftance , combien cette Fête patriotique
leur eft agréable , par leur dévorion & leur zèle
y affifter «.
L'empreffement avec lequel la nation accueille
tout ce qui eft relatif à l'indépendance des Etats-
Unis de l'Amérique Septentrionale , affure le fuccès
d'une collection de portraits des Généraux , Miniftres
& Magiftrats qui fe font rendus célèbres
dans cette révolution . Ils ont tous été deffinés d'après
nature par M. du Simitier , Peintre , l'un des
Curateurs de la Société philofophique de Philadel
phie ; la gravure en a été confiée à M. Prévost ,
de l'Académie Impériale & Royale de Vienne. Ils
font actuellement au nombre de douze. L'annonce
de cette production intéreffante des Arts , fe joint
naturellement au récit des évènemens . Le public
ne peut qu'être empreffé de connoître les traits des
perfonnages dont notre emploi eft d'effayer de lui
préfenter les actions.
A cette annonce qu'autorifent également des
Voeux refpectables auxquels notre devoir eft d'obéir
, & l'intérêt de nos Lecteurs qui n'a pas moins de
poids fur nous, nous nous croyons autorisés à en joindre
une qui ne fera pas moins de plaifir à ces derniers.
C'eft celle du portrait de M. le Noir , Confeitler
d'Etat , Lieutenant- Général de Police. C'eſt le premier
& le feul réellement reffemblant , d'un Magiftrat
cher à la Capitale ; il a été deffiné d'après
nature par M. Pujos , Peintre en miniature , quai
Pelletier , près la Grève , chez qui on le trouve, &
gravé par Madame Lingée.
Jeanne-Perrette de Bufancy- Parant , de
( 137 )
l'ancienne Maifon de Pierre- Fonds en Valois
, veuve de Charles-François Ferdinand ,
Marquis de Champagne , Brigadier des Armées
du Roi , eft morte le 2 Décembre dernier
au Château de Chapton en Brie dans
la 42e année de fon âge.
Charlotte de la Rochefoucault , veuve
du Marquis de Ganges , Colonel de Dragons
, Baron des Etats de Languedoc , eft
morte au Château de Ganges le 22 Janvier
âgée de 81 ans.
Marie Anne l'Evefque des Vallettes , véuve
d'Annibal- François de Farcy , Seigneur
de Mué , eft morte à Laval âgée de 95 ans.
Guillaume Alcxandre , Comte de la Noue
de Vair , ancien Vicaire- Général du Diocèfe
de Meaux , Abbé Commandataire de l'Abbaye
Royale de St- Severin , Ordre de Saint-
Auguſtin , Diocèſe de Poitiers , eft mort le 2
de ce mois.
,
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
royale de France du premier de ce mois
font : 48 , 3 , 78 , 53 & 71 .
Suite de l'Arrêt du Confeil d'Etat concernant les
Domaines engagés.
Dans le cas où les offres des Engagiftes ne feront
pas acceptées , les Adminiſtrateurs remettront les déclarations
, offres & foumiffions des Engagiftes ,
avec leurs obfervations , aux fieurs de Beaumont ,
Confeiller d'Etat ordinaire , & au Confeil Royal
des Finances ; de Fourqueux , Confeiller d'Etat ,
& au Confeil Royal du Commerce ; de Villeneuve
, Confeiller d'Etat ; & Debonnaire de Forges ,
Maître des Requêtes ; que S. M. a commis & com(
138 )
met à cet effet pour être ftatué fur leur avis , foiz
fur l'admiffion des offres faites par les Engagiftes
ou poffeffeurs , foit par la fixation de telle rente
ou fupplément de rente d'engagement , d'après les
principes qui auront été établis par le Roi ; voulant
S. M. que dans la fixation desdites nouvelles
rentes ou redevances , lefdits Commiflaires aient
égard au capital des finances anciennes payées ,
à la nature defdits Domaines & droits , à l'époque
de la poffeffion des détenteurs actuels , aux
charges dont lefdits biens fe trouveront grevés
& à toutes les autres circonftances qui peuvent
intéreffer la juftice due aux Engagiftes.
Seront tenus les poffeffeurs & détenteurs defdits
Domaines & droits , dans les trois mois du jour de
la fignification qui leur fera faite de l'Arrêt rendu fur
l'avis defdits fieurs Commiffaires , à la requête , pourfuite
& diligence des Administrateurs généraux des
Domaines , d'opter ou de conferver leidits Domaines
& droits à eux engagés , en payant , ว compter
du premier Janvier 1782 , la rente qui aura été
fixée par lefdits Arrêts , ou de les remettre moyennant
le rembourfement réel & effectif de leurs finances
, lequel en ce cas leur fera fait des deniers à ce
deftinés fuivant la liquidation qui en aura été faite
par lefdits Arrêts . Ceux qui auront opté de conferver
la jouiffance defdits Domaines & droits à
eux engagés ou par eux poffédés , feront tenus de
faire dans ledit délai de trois mois , au Greffe du fieur
Thurin , Greffier des Commiffions extraordinaires da
Confeil , que S. M. a commis à cet effet , leur fou
miffion contenant leur acquiefcement auxdits Arrêts,
& leur confentement d'acquitter à l'avenir , à comptér
dudit jour premier Janvier 1782 , la rente qui
aura été fixée par lefdits Arrêts , & d'exécuter toutes
les claufes , charges & conditions y contenues,
à peine de réunion defdits Domaines & droits ;
-
( 139
-
faute de quoi , les Adminiftrateurs des Domaines,
feront autorilés , à l'expiration dudit délai & en
vertu du préfent Arrêt , à faire rembourfer les finances
d'engagement , & à fe mettre en poffeffion def.
dits domaines & droits. Veut & entend S. M..
que pendant la durée de fon règne , ceux qui auront
obtenu arrêt fur leurs offres , ou qui auront acquiefcé
auxdits arrêts , ne puiffent être ni eux , ni leurs fuc
ceffeurs , pour raifon defdits domaines & droits ,
affujettis à aucun autre fupplément de rente , taxe
ou droit de confirmation , & qu'ils n'en puiffent
être dépoflédés fous quelque prétexte que ce foit ;
à l'effet de quoi S. M. interdit toute provocation
de revente. N'entend néanmoins S. M. fe priver
de la faculté de réunir à fon Domaine , en rembourfant
préalablement les finances d'engagement , les
portions de terreins enclavées dans fes forêts ou
qui y font contigues & à la proximité des Maiſons
Royales , même les petites portions démembrées
du corps
du Domaine , qui y font tellement enclavées
qu'elles nuifent à fon exploitation . Difpenfe
S. M. lefdits Engagiftes , Poffeffeurs & Dé
tenteurs qui auront repréfenté leurs titres & fourni
leurs déclarations , & qui feront maintenus dans
feurs poffeffions & jouiffance , de l'obligation à etx
impofée , notamment par l'Arrêt du Confeil du 19
Septembre 1684 , & par les Edits d'Avril 1685 ,
Décembre 1701 , & autres Règlemens intervenus
depuis , de fournir de cinq ans en cinq ans , dès
états en détail de la confiftance des Domaines &
droits dont ils continueront de jouir : Veut feulement
S. M. qu'à chaque mutation , le nouveau po
feffeur , à tel titre que ce foit , juftifie de fon droit ,
& fourniffe au Bureau des Finances ou autres Jarifdictions
domaniales de la fituation defdits Domaines
& droits , une nouvelle déclaration des objets par
Lui poffédés par détail & avec les confrontations &
( 140 )
autres changemens furvenus depuis celle fournie par
fon prédéceffeur ; de laquelle déclaration il fera tend
d'envoyer au Confeil une expédition délivrée par
le Greffier. Lefquelles obligations ledit nouveau
Poffeffeur fera tenu de remplir dans les fix mois
de fa poffeffion , à peine de faifie & perte des produits
, jufqu'à ce qu'il y ait fatisfait. Les Dé.
tenteurs fans titre , de Domaines ou droits domaniaux
, ou d'aucune portion d'iceux , qui feront lent
déclaration conformément & ainfi qu'il eft porté
au préfent Arrêt , feront confirmés dans la poffeffion
& jouiffance defdits domaines & droits ou portions
d'iceux , en payant à l'avenir & à compter du premier
Janvier 1782 , les rentes & redevances qui leur feront
impofées par l'Arrêt rendu fur l'avis dedits
Beurs Commiffaires. Leur fait S. M. don & remife ,
dans ce cas , des fruits du paffé jufqu'audit jour
premier Janvier : Et faute par eux de fatisfaire à
ce qui eft preferit ci - deffus , veut S. M. qu'ils foient
contraints , tant au délaiffement des objets dont ils
jouiroient fans titre valable , qu'à la reftitution
des fruits par eux indûement perçus. Excepte
S. M. de l'exécution du préfent Arrêt , les Engagiftes
des droits de péages feulement , fur lesquels
Elle a annoncé les intentions par l'Arrêt de fon
Confeil du 15 Août 1779.- N'entend S. M. comprendre
dans les difpofitions ci - deffus les Domaines
fitués dans fes Duchés de Lorraine & de Bar , fe
réfervant de faire connaître à cet égard les intentions.
En cas de conteftation fur l'exécution da
préfent Arrêt , S. M. s'en réferve la connoiffance
& à fon Confeil , & icelle interdit à toutes les
Cours & autres Juges.

Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 25 Novembre
, concernant la conceffion de 672 arpens de
terrein ou molières , fitués au lieu de Marquen .
terie , faite par Mgr le Comté d'Artois à M. Guer
( 141 )
et de Lamoy, Autre du 14 Décembre , qui »
accorde un délai aux Fabricans de bas au métier ,
pour être reçus dans la Communauté des Bonnetiers
, Chapeliers formée d'Angers . - Autre du
11 Janvier , qui ordonne qu'à compter du jour de
la publication , les fers en tôle de l'étranger acquitteront
à toutes les entrées du Royaume 30 fols du
quintal. Autre du 21 Janvier , portant défenſe
de délivrer en facs les pièces de fix liards & de
deux fols , & règle la quantité qui pourra en être
donnée dans les paiemens . Il n'en fera délivré que
découvert , & ce qu'il faut pour les appoints qui
pourront fe payer en écus de 6 & de 3 livres .
ne
De BRUXELLES , le 13 Février.
LA réfolution de l'Angleterre , en s'emparant
à l'improvifte des vaiffeaux Hollandois
, fera funefte à plufieurs maisons des
Pays -Bas Autrichiens . Elles ont déja fait par
venir leurs plaintes à Vienne , & l'Ambaf- "
fadeur de S. M. I. à Londres , a , dit- on , réçu
des inftructions à ce fujet. On attend avec
impatience la réponſe qui lui fera faite : il
ya apparence que tous les effets & les marchandifes
appartenans aux Négocians Flamands
leur feront rendus ; mais comment
les indemnifer des avaries & fur- tout du
tort que cette détention va caufer à leur
commerce ? L'Angleterre en pareille occafion
n'accorde guères de dommages & intérêts
: il eft vrai qu'elle a befoin de ménager
l'Empereur ; on dit que peu de tems ayant
qu'elle fe fût donnée un nouvel ennemi ,
( 142 )
elle demanda la médiation de S. M. I. pout
faire fon accommodement avec la maifon
de Bourbon.
"
On a reçu des nouvelles du Chevalier de Gri
mouard , Lieutenant de Vaiffeau , ci- devant commandant
la frégate la Minerve , prife & conduite
à Portſmouth , & l'on efpère que ce brave
Officier guérira de la bleffure dangereufe qu'il a
reçue . La frégate la Minerve fut rencontrée le 4
Janvier dernier , par les deux vaiffeaux Anglois
le Courageux & le Vaillant , de 74 ; le Courageux
l'atteignit le premier ; le combat s'engagea
& dura plus d'une heure , fouvent à la portée du
piftolet ; le Vaillant joignit enfuite & envoya
deux bordées à la frégate. Le Chevalier de Grimouard
fe trouvant alors bleffé , & la moitié de
fon équipage étant hors de combat fes canons
étant démontés , la moitié de fes mâts à bas , les .
autres prêts à tomber , toutes fes manoeuvres ha
chées , la cale & l'entrepont le rempliffant d'eau
fut obligé d'amener. Ce combat , fi inégal , fait
un honneur infini au Chevalier de Grimouard
ainfi qu'à fes Officiers & à fon équipage , dont il
fait les plus grands éloges. Le fieur Andrieu de
Saint-André , Lieutenant de frégate en pied , a été
tué ; le Chevalier de Noffay , Garde de la Marine,
eft mort de fes bleffures . Le Chevalier de Grimouard
a été bleſſé très- grièvement ; le Chevalier
de Montvilleneuve , Enfeigne de Vaiffeau , a
reçu une forte contufion ; & les fieurs Saudré
& Guiora , Lieutenans de frégate pour la campagne
, ont été légèrement bleflés ; so hommes de
l'équipage ont été tués , & 23 bleffés , prefque
tous grièvement. Il paroît que le Lord Mulgrave ;
commandant le Courageux , a marqué beaucoup
d'attentions au Chevalier de Grimouard & à Les
( 143 )
Officiers & équipages , dont il a admiré la bras
Noure.
La nouvelle s'étoit répandue en Hollan
de que le Miniftre de Ruffie avoit quitté
Londres fans prendre congé ; elle y avoit
été écrite d'Oftende , le 29 Janvier ; mais
les lettres de Londres , poftérieures à cette
date , ne l'ont point confirmée ; elles annoncent
que cet Envoyé a de fréquentes
conférences avec les principaux Membres
du Ministère de Londres.
Une nouvelle plus pofitive c'eft le départ
du Chevalier Yorck , qui le 11 de ce
mois a quitté Anvers , où il s'étoit arrêté
dans l'efpérance fans doute de trouver
quelqu'occafion de retourner à fon ancienne
réfidence ; on fe flattoit que la déclaration
de guerre lui en auroit fourni quelqu'une
en divifant la République ; la Cour de Londres
a été trompée dans fon attente.
Il a été préfenté aux Etats- Généraux un
nouveau plan d'augmentation de 20,170
hommes de troupes ; il y en aura 926 de
cavalerie , 16,671 d'infanterie , 88 mineurs ,
1285 d'artillerie , & 1200 pour le fervice
de la marine. Leur dépenfe montera annuellement
à 3,050,158 florins , & celle
des recrues à 1,430,652.
» Le voeu des Sept Provinces eft maintenant una-.
nime , écrit - on d'Amfterdam les Etats de Zélande
qui feuls ont paru long-tems répugner aux
mefures prifes par les Etats - Généraux contre l'Angleterre
, fe font réunis au voeu général de leurs co(
144 )
Ftats , par une réfolution en date du 24 du mois.
dernier. Ils ont confenti à la conceffion des lettres
de marque , à fournir leur contingent pour les opérations
générales , & à recevoir le placard qui in- ,
terdit à tous les bâtimens Anglois l'entrée des eaux
& balifes de ce Pays. Outre les motifs également
évidens & juftes d'agir avec vigueur contre nos
ennemis , les Zélandois n'ont pas pu fe diffunuler
que les Anglois ne leur montreroient aucun égard ,
qu'ils ne les diftingueroient pas des Hollandois en
épargnant leurs vaiffeaux quand la prife leur en
paroîtroit attrayante . Cette démarche eft d'autant
plus importante & d'autant plus heureufe , qu'elle
annonce l'unanimité fi néceffaire dans les circonf
tances actuelles , & qu'il n'y a guère de Province
plus à portée de nuire aux Anglois , par fa poff.
tion , par la facilité de faire des armemens , par le
grand nombre , la bravoure & l'intrépidité de ſes
marins «<,
Le Commodore Johnſtone a été préſenté au Roi
comme Commandant d'une efcadre qui eft actuel
lement à Portſmouth , prête à mettre en mer , &
à fe joindre à la grande flotte. Cette flotte fera a
prêre fous peu de jours ; on dit actuellement qu'elle
fera commandée par le Lord How. Dans ce cas
là campagne prochaine commencera infailliblement
par quelque action décifive , d'autant plus que
cet Amiral paffe généralement dans la marine pour
le meilleur Officier qui foit actuellement au fervice
de la Grande- Bretagne. Quoiqu'il foi : quef
tion dans ce moment- ci de fecourir Gibraltar , l'o
pinion actuelle du Cabinet eft que nous faifons
tous les ans une dépenfe énorme pour entretenir
une garnison fur un rocher qui ne nous fert de
rien auffi nous pouvons nous attendre qu'à la paix
prochaine , nous rendrons ce rocher à fes anciens
Maîtres , les Espagnols .
:
-
JOURNAL POLITIQUE
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 2 Janvier.
>
ES différens qui fe font élevés entre la
Ruffie & cet Empire , & qui menaçoient leur
tranquillité refpective , font enfin arrangés.
Après bien des oppofitions , la Porte a confenti
à reconnoître M. de Lafcaroff en qualité
de Conful - Général de Ruffie , dans les
deux Principautés de Walachie & de Moldavie
, ainfi que dans la Beffarabie. Elle a
également confenti à recevoir ici les paquebots
Ruffes qui viendront de la mer Noire ,
pourvu qu'ils n'y paroiffent que fous la dénomination
de bâtimens marchands & fans
appareil de guerre.
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le Is Janvier.
Le nombre des vaiffeaux , qui dans le
cours de l'année dernière ont paffé le Sund ,
monte à 8304 ; il y en a eu 1345 Danois
24 Février 1781 .
( 146 )
& Norwégiens ; 1973 Hollandois ; 1878 Suédois
; 1697 Anglois ; 1208 Pruffiens , Portugais
, Lubékois , Embdenois Dantzikois
& Bremois ; 203 Ruffes, Hambourgeois'
& Colbergeois .

Sur les repréſentations qu'a faites la Norwège
que le trop grand nombre de matelots
qu'on lui avoit demandés pour le fervice
de la Marine Royale , attaquoit trop
fortement la population , S. M. a réduit
à 2800 les 3500 matelots que ce Royaume
devoit fournir . -
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Janvier.
ON apprend de Zamofc que le Comte
de Zamoiski , ancien Grand Chancelier de
ce Royaume , élevé récemment par l'Empereur
au Gouvernement général de la Galicie
& de Lodomerie , y eft mort fubitement.
Il s'étoit plaint un foir d'un violent
mal de tête , & le lendemain on l'a trouvé
mort dans fon lit.
,
Toutes les nouvelles de la Podolie & de
la Volhynie confirment que les maladies y
ont entièrement ceffé ; le cordon Pruffien
exiſte encore , mais on ne doute pas qu'il
ne foit bientôt levé , & le Roi de Pologne´
fe propofe de le demander inceffamment à
la Cour de Berlin .
( 147 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 30 Janvier.
S. M. a réfolu d'augmenter les trois régimens
d'artillerie de soo hommes de plus
chacun.
Le 21 de ce mois les théâtres ont été
rouverts ; on a quitté en même tems les
grandes pleureufes . C'eft l'unique changement
qui a été fait au deuil .
De HAMBOURG , le 2 Février.
ON attend toujours avec impatience la
réfolution que prendra la Ruffie dans les
circonftances actuelles , relativement à la
Hollande , depuis l'acceptation de fon acceffion
à la neutralité , & la déclaration de
guerre de l'Angleterre , qui a femblé avoir
pour objet de changer l'ordre des chofes .
Le parti qu'elle prendra influera néceffairement
fur celui que prendront auffi les
autres Puiffances du Nord ; & la Grande- .
Bretagne , fi elle ne réuffit pas à détourner
le coup qui paroît la menacer , pourra regretter
amèrement la précipitation d'une
démarche qui n'aura fait que multiplier fes
embarras & fes ennemis ; fi les flottes du
Nord ne peuvent pas fortir de la Baltique ,
d'ici au beau tems , on peut lui porter un
autre coup plus fenfible & plus terrible .
Où en feroit- elle fi l'on fe décidoit à lui fermer
l'entrée de la Baltique , à la priver par
g 2
( 148 )
ce moyen des fecours en bois , en munitions
navales & en grains , qu'elle ne peut
plus tirer que delà ? Elle ne doit peut-être
pas fe raffurer fur cette opération , parce
qu'elle annonceroit une partialité contraire
aux principes de la neutralité . Elle ne peut
fe diffimuler qu'elle a manqué à cette neutralité
; qu'elle l'a attaquée en cherchant à
la déconcerter , à l'affoiblir , en déclarant la
guerre à la Hollande pour l'en détacher.
Le bruit court que dans un moment où
toutes les Puiffances maritimes , qu'elle a
aliénées , ne forment qu'un même voeu
contr'elle , elle a cherché un allié ſur terre ;
on parle même déja d'un traité d'alliance &
d'amitié , qui n'eft cependant ni offenfif ni
défenfif; mais qui , elle s'en flatte du moins ,
pourroit le devenir. Cependant il n'existe pas
le plus léger indice de la réalité d'un pareil
traité.
On mande de Berlin qu'il eft queſtion
d'y lever un nouveau Régiment d'infanterie
, qui en tems de paix fera fur le même
pied que les autres Régimens de campagne
, & qui en tems de guerre fervira avec
l'augmentation néceffaire pour en former
des bataillons francs.
Les recrues qu'on fait dans la Heffe font
prefque tous d'étrangers ; on dit qu'on en
embarquera dans peu 600 hommes , avec
les Officiers néceffaires , pour l'Amérique
Septentrionale.
Le Prince-Evêque d'Ofnabrug , fils puîné
( 149 )
du Roi d'Angleterre , eft arrivé à Hanovre
le 26 du mois dernier à 6 heures du foir.
Un navire Hollandois nommé le Galion ,
d'Amfterdam , venant du Levant avec un
chargement de coton , voulut il y a quelques
mois entrer à Oftende ; mais les braits
publics qui avoient annoncé une nouvelle
contagion , ayant fait foupçonner ce bâtiment
d'en être infecté , il fut refufé. Il
s'eft préfenté ces jours derniers à Roffow
en Ruffie , mais il effuya un nouveau refus ,
& depuis ce tems il vogue dans la Baltique
.& cherche fans doute à aborder quelque
part des ordres très- précis viennent d'être
envoyés dans tous les ports de cette iner
pour qu'il n'y entre pas ; on a même formé
des détachemens de cavalerie , qui font des
patrouilles le long des côtes pour empêcher
que perfonne de ce malheureux nayire n'y
mette pied à terre.
ITALIE. ·
De LIVOURNE , le 26 Janvier.
LA frégate Hollandoife la Brielle de 26
canons , Capitaine Oorthuis , eft partie d'ici
pour Gênes , où elle eſcorte plufieurs bâtimens
de différentes nations. Depuis fon départ
, il est entré dans ce port un vaiſſeau
de guerre & une autre frégate des Etats-
Généraux deftinés l'un & l'autre à protéger la
navigation Hollandoiſe dans la Méditerranée.
On dit que l'efcadre Ruffe qui eft mouillée
8 3
( 150 )
ici & qui devoit paffer au printems dans l'Archipel
pourroit bien retourner dans l'Océan .
Le motif de fon voyage au Levant étoit de
déterminer le Grand- Seigneur à fe prêter
aux vues de l'Impératrice ; mais ce motif
n'existe plus depuis le rétabliſſement de la
bonne harmonie entre les deux Empires.
» On a arrêté , écrit - on de Rome , un Imprimeur
foupçonné d'avoir publié un écrit ſcandaleux ,
fous le titre de Mémoire Catholique à préfenter
à S. S. à Cofmopoli 1730. On a fait auffi des perquifitions
chez un Eccléfiaftique foupçonné d'être
l'Auteur de cet Ouvrage : l'un & l'autre ont été conftitués
prifonniers ; & on travaille à faire leur procès.
On a également arrêté un Juif de Livourne nommé
Salvator Finzi , qui demeure depuis quelques jours
dans la Juiverie , dont on a de fortes raifons de croire
qu'il a eu part à la publication de cet Ouvrage . Le
Maire du Palais Apoftolique a fait publier un Edit
qui en défend la lecture fous les peines les plus févères
".
ESPAGNE.
De CADIX , le 24 Janvier.
LA nouvelle de la difperfion de la flotte de
M. de Solano partie de la Havanne pour l'expédition
de Penfacola , s'eft confirmée , mais
elle n'eft pas accompagnée de détails auffi
affligeans que ceux que les Anglois avoient
répandus. Voici ceux que l'on lit dans des
lettres apportées par deux paquebots venant
l'un de la Havane & l'autre de Carracas.
» M. de Solano étant parti le 16 Octobre , fur
accueilli le lendemain par une tempête horrible , qui
( 151 )
dura 3 jours avec la même violence , & qui difperfa
fon efcadre & fon convoi. Trois vaiffeaux de
ligne furent démâtés ; les autres fouffrirent moins
& ils eurent le bonheur de revenir tous à la Havane
, le Dragon excepté , qu'on crut d'abord avoir
péri , mais qui , le 19 Novembre , reparut dans
l'Anfe de la Tortue , vis - à- vis la Havane. La plus
grande partie du convoi fe réfugia à Campêche ; &
on affure qu'il n'a péri que trois bâtimens de tranfport.
Comme les mêmes nouvelles ajoutent qu'on
travaille avec beaucoup d'activité à la Havane ,
réparer les frégates , il femble qu'on n'a pas renoncé
à l'expédition projettée . On a appris par les
mêmes paquebots que les Anglois étant venus en
force attaquer le Fort que M. de Galvez leur enleva
l'année dernière , ils ont été repouffés avec perte .
-
-
-
à
D'un autre côté , le Gouverneur de Guatimola
écrit qu'il a chaffé les Anglois de deux fortins qu'ils
avoient élevés fur la rivière de Saint-Jean , au
pays des Mofquites , & qu'il répondoit que de toute
cette troupe d'aventuriers venus de la Jamaïque , il
n'échappera pas un feul homme. La Cour a reçu
par la même voie des lettres du Pérou , qui font mention
du foulèvement d'Aréquipa , comme d'une émeute
paffagère qui n'a pas caufé une grande fenfation
dans le pays , puifque tout étoit calmé avant que
les troupes fuffent arrivées à Aréquipa : ainfi tout
ce qui nous vint de Glafcow à ce sujet , étoit controuvé
& inventé par les agioteurs Anglois , peutêtre
même par le Ministère «,
On lit dans une lettre d'Algéfiras , en
date du 22 de ce mois , les détails fuivans :
Les deux bâtimens qui ont porté à Gibraltar
les Anglois établis à Tanger , font revenus dans ce
port le 16. Le principal Reis appellé Farrachés
chargé de les conduite , étant fort connu ici , s'y
eft arrêté quelques jours ; & c'est en dînant chez
% 4
( 152 )
D. Antonio Barcelo, qu'il nous a appris les détails qui
fuivent.- Il avoue d'abord qu'il a été mal reçu par
le Gouverneur de la place ; & fur la demande qu'il
lui a faite de lui laiffer acheter quelques objets qui
étoient à ſa bienséance , le Gouverneur ne l'a pas
voulu permettre , lui donnant pour raifon que fes
bons amis , les Efpagnols , le pourvoiroient de
tout ce qui pouvoit lui manquer. Les foldats
n'ont que
du pain fort noir , ou de mauvaiſe qualité
; au lieu de viande , dont ils étoient privés depuis
quelques jours , on leur donne de la morue
mais en petite quantité. Le Reis affure que la Place
ne peut pas tenir trois mois , fi elle n'eft pas ravitaillée
, la garnifon ayant entamé le dernier magafin
, qui avoit été établi dans l'Eglife . Les Habitans
Jui ont paru fort pâles , maigres & décharnés . On
Jeur vend pour 10 fols , 10 onces de pain frais
qu'ils vont prendre dans un endroit fermé par une
grille très-forte : précaution qui indique que l'on
craint que la boulangerie ne foit un jour forcée
par des ventres affamés ; la livre d'huile coûte ro
fols ; & ce qui paroîtra incroyable , 6 liv . de bois
neuf fe vendent 20 liv. tournois , & le même poids
de vieilles planches de bâtimens dépécés , 15 liv. Un
tonneau de vin contenant environ 400 pintes , a été
vendu 300 piaftres . Tous ces objets avoient été apportés
par les bâtimens Mahonnois qui entrèrent dernièrement
dans la Place. Le Reis n'a trouvé que 4
fujets Maures dans Gibraltar ; il en a ramené un
les trois autres attendoient pour en fortir , le recouvrement
entier de ce qui leur étoit dû par différens
particuliers . —Voilà les détails les plus intéreffans
qu'il a pu nous donner. Il a ajouté que la
garde de la porte de terre n'eft confiée qu'à des Officiers
connus particulièrement du Gouverneur , qui ,
par leur vigilance & leur fidélité reconnues , ont mé
rité cette diftinction honorable ; ce pofte étant le
plus important & le plus expofe «.
-
( 153 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 10 Février.
LE 3 de ce mois la Cour a publié la lettre
fuivante de l'Amiral Rodney , en daté de
Ste-Lucie , le 12 Décembre.
» J'ai l'honneur de vous informer qu'en arrivant
dans cette ifle j'ai reçu tous vos ordres & toutes vos
lettres depuis le 10 Juillet jufqu'au 20 Octobre. Je
vous prie de vouloir bien informer L. S. que le Général
Vaughan & moi fommes déterminés à une
sentreprise qui , nous nous flattons , aura du fuccès , &
dont je vous rendrai bon compte fous peu de jours.
2.
-
Quatre vaiffeaux de ligne ennemis faifant partie
de leur efcadre de St-Domingue , font dans ces
mers ; je ferai de mon mieux pour les prendre ou les
détruire avant l'arrivée des forces que l'ennemi attend
toute heure <<
On fent combien cet avis de la part d'un
chef , auffi entreprenant & auffi heureux
que l'Amiral Rodney , a dû exciter les efpérances
de la Nation le lendemain elles
ont été déconcertées par ce qu'on a appris
de l'iffue d'une expédition , dont l'Amiral
& le Général fe promettoient tant. La Cour
n'a publié que le 6 l'extrait des dépêches
qu'elle a reçues , qui font auffi datées de Ste-
Lucie , le 22 Décembre .
» J'ai l'honneur de vous informer que l'Amiral &
moi , ayant reçu plufieurs rapports concernant l'état
ruiné dans lequel fe trouvoit l'ifle de Saint-Vincent
depuis l'ouragan , défirant toujours avec anxiété de
recouvrer les poffeffions de S. M. nous jugeâmes
convenable comme la flotte alloit entrer en croifière
g S
( ·154')
de voir fur quels fondemens partoient ces rapports
& fi l'on pouvoit titer quelque avantage de la fituation
de l'ennemi . En conféquence nous embarquâmes
30c hommes des Corps de Flanc ; le 15 nous parûmes
devant l'ifle , & nous les fimes débarquer avec
le Corps des tropes de Marine , je marchai avec
eux l'efpace de 4 milles dans l'intérieur de l'ifle pour
me mettre à portée de reconnoître les ouvrages de
l'ennemi ; à l'inſpection ils me parurent fi parfaitement
fortifiés l'art &
par par la nature , que je fuis
perfuadé que fi trois fois autant d'hommes que nous
étions , les cuflent attaqués , l'entreprife eût été trèsdouteufe
; ayant communiqué ce que j'en penfois à
l'Amiral , il fut conclu qu'elles fe rembarqueroient ,
ce qu'elles firent en conféquence le 17 fans être
moleftées «.
L'Amiral Rodney écrit les mêmes détails ,
il ne manque pas de les terminer par affurer
que les troupes fe rembarquèrent fans
que l'ennemi osât fortir de fes retranchemens
; on fait que cette phrafe eft de forme
dans les dépêches de cet Amiral , qui
quand il eft battu dit toujours modeflement
qu'il eft vainqueur , & qui , dans ce
moment où il échouoit dans une conquête ,
ne pouvoit fe difpenfer d'ajouter qu'il en
avoit impofé à l'ennemi. On ne doute point
que la relation des François ne foit plus
exacte. On eft très - perfuadé ici que la Cour
a diminué le nombre des troupes employées
à cette expédition ; en effet , le Général Vaughan
ne feroit p s parti lui même pour ſe
mettre à la tête de 300 hommes , & il ne
leur auroit pas fallu dix vaiffeaux de ligne
( 155 )
pour les conduire & les efcorter ; ce font
trois frégates de M. le Comte d Estaing qui
nous ont enlevé cette Ifle ; il n'y avoit pas
affez de tems pour qué nous euffions oublié
l'état des fortifications , & pour que nous ne
foupçonnallions pas ce qu'on pouvoit y avoir
ajouté. Il auroit été humiliant d'avouer que
nous avons employé 4000 hommes & que
nous avons échoué ; mais il n'en eft pas
moins vrai que ce nombre étoit au moins
néceffaire , puifqu'il n'a pas été fuffiſant. On
peut fe faire une idée de l'importance de
cette Ifle par ce qu'en dit le Chevalier Charles
Whitworth.
» Elle eft par 13 degrés 30 minutes de latitude
feptentrionale , & par 61 degrés de lor gi ude occidentale
, à 30 milles au Sud de Sainte -Lucie ; elle
a environ 24 milles de long & 18 de large ; le
terrein en est très -fertile & très propre à la culture
de l'indigo. Il y a beaucoup de bonnes fources
qui arrofent fuffifamment le pays ; on y trouve
auffi beaucoup de boi , de charpente de bonne
qualité & d'excellens arbres fruitiers , dont quelques-
uns font particuliers à cette Ifle ; elle produit
encore du tabac d'une excellente qualité. Au
N-O. & au S. O. de l'Ifle , il y a des baies & des
anles fort commodes , qui forment de bons encrages
; l'extrémité du Sud a en particulier une
baie fablonneufe , fpacienfe & profonde , appellée
la baie de St-Antoine. De très gros vailleaux penvent
y mouiller librement & commodément Les
importations & le exportations de Anglois y font
augmentées ; en 1765 , les premières étaient de
4,459 liv . 14 & 5 d. fteri . , & les dernières de
1443 liv . 15 f. 9 d. ſterl . ; en 1773 , les premières
g 6
( 156 )
montaient à 145,619 liv. fterling , & les dernières
à 38 444 (1 ) « .
Ce tableau du commerce que nous faifions
dans cette Ifle juftifiera les regrets que
nous avons de l'avoir perdue , & les efforts
que nous avons faits pour la recouvrer. Pour
détourner nos yeux de deffus les réflexions
affligeantes qui naiffent naturellement d'une
tentative inutile ; on s'eft avifé dans quelques
uns de nos papiers , de dire que l'Amiral
Rodney n'a eu d'autre intention , en débarquant
à St- Vincent , que de donner le
change aux François , & que fans perdre
de tems il s'eft porté à la Martinique , dont
il tenoit le port bloqué ; mais on fait qu'on
ne bloque pas des Ports , & qu'il n'y a rien
de plus difficile que d'en garder l'entrée du
côté de la mer ; outre cela , l'Amiral Rodney
, en quitant le 17 St -Vincent , eft retourné
à Ste Lucie , où il étoit encore le 22 , date
de fes lettres. Il n'eft pas vraisemblable qu'il
eût pouffé les choſes fi loin dans la première
Ifle , s'il n'avoit voulu que donner une fauffe
alarme ; & c'eût été le cas de dire que c'étoit
tropfi ce n'étoit qu'un badinage , & troppeuft
c'étoit tout de bon.
(1) Voyez le Commerce de la Grande-Bretagne , & le
Tableau de les importations & exportations , depuis l'année
2697 jufqu'à la fin de l'année 1773. Cet ouvrage piquant
& utile , intéreffant fur- tout dans les ciroonftances actuelles
, a été traduit en François , imprimé à l'Imprimerie
Royale & fe trouve à Paris chez Dupuis , Libraire, rue de la
Harpe , près la rue Serpente , un vol. in-fol.
( 157 )
}
1
·
Il feroit curieux , dit à cette occaſion un de nog
papiers où l'on ne paroît pas partager l'admiration
générale pour cet Amiral , d'apprécier à leur jufte
valeur les talens d'un homme qu'un premier enthoufiafme
pour des fuccès finguliers & imprévus.
a rendu fi célèbre . Mais cela nous méneroit trop
loin . Il faudroit raconter comment cet Amiral invincible
s'empara d'un convoi Eſpagnol qui vine
tomber de lui - même dans fes filets , de la même
manière qu'un gros convoi Anglois tomba , l'année
fuivante , dans l'armée Espagnole ; comment avec
20 vaiffeaux de ligne , il en écrafa. fept Efpagnols
; comment il tranfporta le Prince Guillaume
fur le fommet de la montagne de Gibraltar , &
lui faifant remarquer autour de lui l'Océan & la
Méditerranée , les pointes d'Europe & d'Afrique ,
il lui dit : C'est moi qui vous affurerai l'empire
de la mer & de la terre , &c.; comment en paffant
devant Cadix , il falua noblement la flotte ,
Efpagnole qui n'était pas encore en état de fortir
comment il cingla à pleines voiles vers les Antilles
; comment il battit trois fois les François
dans fes pompeufes dépêches , au point qu'il fue
lui-même en danger d'être coupé ou coulé à fond
avec une partie de la flotte ; comment ce preux &
modefte Chevalier vendit la peau de l'ours en
parlant de D. Solano , dont il devoit rendre un fi
bon compte , & qu'il évita adroitement lorfqu'il
eut vu qu'il étoit mieux accompagné que D. Juan
de Langara ; comment il fit voile vers New-Yorck
pour y aller chercher M. de Guichen qui alors
faifoit voile pour l'Europe ; comment il voulut
attaquer les François à Rhode- Ifland , & fe ravifa
quoi qu'il fût bien fupérieur en forces maritimes ;
comment il écrivit dernièrement qu'il partoit pour
une glorieuse entrepriſe dont il efpéroit un brillant
Luccès ; & comment enfin deux jours après , les
( 158 )
Miniftres apprirent qu'il avoit jugé plus prudent
de rembarquer les troupes débarquées à St- Vincent
, après avoir été atteint par quelques boulers de
canon , tirés au hazard ; comment ... mais il faut
attendre les nouvelles dépêches de Sir George «,
7
On n'a point encore de dépêches officielles
de l'Amérique Septentrionale ; les Gazettes
étrangères y ont abondamment fuppléé ;
il réfulte des détails qu'elles contiennent que
tel eft à peu près l'état de nos affaires dans
cette partie du monde.
» Notre armée , fous le Colonel Ferguſon , compofée
de 1200 hommes , a été entièrement défaite ,
tous les foldats ont été tués ou pris . Le Général
Leflie a échoué dans fon expédition à la Virginie ,
& il court les plus grands dangers , faute de fecours
qu'il attend en vain du Lord Cornwallis .
Notre armée , fous ce dernier , fe retire à Charles-
Town , & les troupes fe trouvent dans une
pofition auffi critique qu'elles étoient avant l'affaire
de Camden ; il eft à craindre que leur retraite à
Charles Town ne foit coupée , parce que beaucoup
d'Américains rompent leur ferment d'obéiilance ,
& qu'il n'v a qu'un fecond miracle qui puiffe fauver
l'armée dans le même lieu & dans les mêmes
circonftantes Enfin le Général Clinton , épuiſé
par les fecours qu'il a envoyés au Loid Cornwallis
, & réduit au défeffoir , fe plaint amèrement
des Miniftres qui ont négligé de lui faire paffer
les renforts fur lefquels il compt ›it . Le 25 Novembre
le Général Leflie a fait emba quer toutes
fes troupes à Portsmouth dans la Virginie , & il
a appareillé pour le cap Fear dans la Caroline'
Septentrionale ; auffi - tôt que les habitans ont fu
fes intentions ils lui ont far fentir combien il
étoit affligeant pour eux de fe voir abandonnés par
lui après le ferment d'obéillance qu'il avoit exigé
,
( 159 )
d'eux. Ils lui repréfentèrent que le Chevalier George
Collier avoit déja tenu la même conduite à leur
égard ; qu'ils avoient endaré bien des maux pour
avoir témoigné leur fidéli é en cette occafion , &
que file Général Lefl: e les abandonnoit , ils étoient
déterminés à ne plus ajouter foi à toutes les affurances
qui pourraient leur être données à l'avenir.
Le Gén ral répondit que lorfqu'il avoit débarqué
chez eux , il ne doutoit point que lui & le Lord
Cornwallis ne pulent fe joindre , mais que l'armée
de ce Lord avoit rencontre quantité d'obſtacles
imprévus , qui avaient empêché fa marche ;
qu'an refte ; lui , Leflie , feroit tout fon poble
Pour engager le Chevalier Henri Clinton a leur
envoyer des troupes pour les protéger. Ce corps
de troupes a été env yé depuis fous la conduite
d'Arnold , dont tout le monde connoît l'honneur
& l'intégrité cc.
Les papiers Américains nous ont apporté
la lettre fuivante du Major général Smallwood'
à M. John Penn , membre du Bureau
de la guerre de la Caroline Méridionale , &
datée de New - Moravian - Town , le. 18
Octobre.
ce mois
Dans ma route à Yadkin , j'ai appris le 14 de
me trouvant a la maison du Capitaine
Lindlay , à environ douze milles au Sud de Guildfor
Court-Heufe , que les Torys de la partie fupérieure
du Comté de Sorry s'étoient affemblés &
mi en marche pour Old- Moravian- Town , dans le
deffein de traverser le gue de Shallow , pour join.
dre les Anglois On dit que leur nombre montoit
à 900. Chemin faifant , ils pilèrent , dé armèrent
& fient prifonniers , fur leur parole , beaucoup
d'habitans , empriſonnant & enimenant ceuz
qi avoient fait le plus de réfiftance ; cela me détermina
à marcher à eux avec toute la diligence
( 160 )
poffible , afin de les attaquer & de les couper.
J'y arrivai hier 17 à midi , & j'envoyai auffi- tốt
des batteurs d'eftrade , pour avoir des nouvelles
plus certaines de leurs forces & de leur fituation .
Pendant ce tems - là , je pris dans la milice deux
mille cavaliers volontaires , la plupart chaffeurs ,
je leur propofai de fe mettre en marche le foir
même à dix heures , afin de furprendre les ennemis
aujourd'hui à la pointe du jour , parce que j'étois
fûr qu'ils ne s'attendoient point à trouver une
cavalerie continentale dans cette partie ; mais les
batteurs d'eftrade étant revenus hier au foir , m'apprirent
que les ennemis avoient tenté le 16 de paffer
le Gué de Shallow , ou la rivière Yadkin , à quinze
milles de Moravian- Town , & qu'ils avoient été
attaqués & défaits par le Major Cloyd , à la tête de
cent-foixante hommes des milices de la Virginie &
de la Caroline , à l'inſtant même où le Colonel
Paifley , qui avoit été détaché du camp de Sumner
avec 380 hommes , étoit arrivé à un mille du lieu
où fe paffoit l'action . Les Torys ont eu 15 hom
mes túés & 4 bleffés , mais on préfume que leur
perte a été plus confidérable , parce que ceux - ci ont
été trouvés difperfés dans les bois . Nous avons eu
un Capitaine tué & quatre foldats bleſſés : nous
n'avons point fait de prifonniers ; les Torys étant
très -bien montés fe font enfuis dans les bois ' du
pays , mais j'ai ordonné à la milice volontaire de
les pourfuivre , & je ne doute pas qu'elle ne revienne
avec quelques prifonniers . J'ai donné ordre
au Colonel Paifley de retourner au camp avec fon
détachement , & je vais m'y rendre avec la cavalerie
.
Je fuis , & c.
Pour détourner l'attention de notre pofition
fâcheufe en Amérique , peut-être trop
prouvée par le défaut de dépêches reçues
( 161 )
par le Gouvernement , ou du moins par le
filence qu'il garde fur celles qu'il peut avoir ,
on a mis dans quelques papiers une nouvelle
bien intéreffante , fi elle étoit vraie ; un bâtiment
arrivé à Liverpool , de New-Yorck ,
apporté une Gazette de Rivington , dans laquelle
il n'eft pas queftion de triomphes de
notre part , mais d'une défection dans l'armée
de Washington , qui , fi elle avoit eu lieu
en effet , équivaudroit à une victoire . Un
gros corps de troupes , dit- on , ( quelques
brigades fans doute ) ayant un officier à leur
tête , ont demandé leur folde en argent ; le
Général n'ayant pu les fatisfaire , elles fe
font retirées , entraînant avec elles une
grande partie de l'armée. Mais ce n'eſt pas
la première fois que le Gazetier Américain a
donné de fauffes nouvelles ; que nos Généraux
, dans ces contrées , ont fait faire des
Gazettes telles qu'ils les defirent pour les
envoyer en Europe où elles font enfuite
publiées , fans l'avoir été en Amérique.
En attendant que des nouvelles poftérieures
détruifent cette nouvelle , ce qui
n'étonnera pas beaucoup ici , parce que peu
de perfonnes y croyent , nous placerons ici
une pièce qui nous eft venue auffi d'au- delà
des mers. C'eft un parallèle entre les finances
de l'Angleterre & celles de l'Amérique .
La Grande-Bretagne n'eft point entrée en guerre
avec l'Amérique pour acquérir des domaines
puifqu'elle étoit déja en poffeffion ; ce ne fut pas
pour étendre le commerce , puifqu'il étoit affervi
( 162 ) •
-
onen
entier à fon monopole , & que l'Amérique s'y
étoit prêtée ; ce n'étoit pas non plus pour étouffer
ce qu'elle pouvoit appeller la rébellion , puifqu'il
n'y avoit point de réfiitance avant que l'Angleterre
l'eût attaquée . Elle ne pouvoit donc avoir d'autre
motif que l'avarice , ou le deffein d'établir d'abord
les mêmes taxes en Amérique qu'en Angleterre ,
lefquelles font , comme je vais le faire voir ,
ze fois plus onéreufes que les taxes que nous payons
actuellement en Amérique pour l'année 1780 ) ; ou
en fecond lieu , de confifquer toutes les propriétés
de l'Amérique en cas de réfiſtance , & de fuccès dans
fes entreprifes de conquête . Je vais maintenant
faire voir quelles font les taxes en Angleterre , &
ce que lui coûte annuellement la guerre préfente ;
quot montent les taxes de l'Amérique , & quelles
feront les dépentes annuelles à notre charge pour
nous défendre par ce fuccès , & je tâcherai d'indiquer
en peu de mois la fource de nos embarras , les
avantages qui fe trouvent d'un côté , & les fuites
qu'il y a à craindre de l'autre dans le cas où nous nous
mettrons en état de défenfe , ou bien dans celui où
nous négligerions de nous y mettre. Je vois partout
le defir de chaffer l'ennemi de l'Amérique .
J'entends murmurer de ce que la guerre n'eft pas
pouffé avec plus de vigueur ; mon deffein eft
d'en faire voir en peu de mots la cauſe & le remède.
à
Le nombre des habitans en Angleterre ( fans
compter l'Ecoffe & l'Irlande ) , eft de fept millions
( 1 ) , & le nombre d'habitans en Amérique
eft de trois millions. Le montant des taxes en
Angleterre ( exclufivement à l'Ecoffe & à l'Irlande ) ,
étoit , avant le commencement de la guerre ac-
-
(1 ) C'est le nombre le plus fort auquel ait été ou puiſſe
être évaluée la population en Angleterre .
( 163 )
tuelle , de 11 millions 642 mille 653 liv. fterl.
Cette fomme réparcie fur les hommes , femmes
& enfans , ne fait pas moins d'une livre , 13 fchel .
& 3 fols fterl. par tête chaque année ; fans compter
les taxes municipales , les taxes pour le foutien
des pauvres , & le dixième de tout le produit des
terres pour le foutien des Evêques & du Clergé ( 1 ).
Près de cinq millions de cette fomme fervoient
annuellement à payer l'intérêt de la dette nationale
contractée dans les guerres précédentes , & le reftant
des 6 millions 642 mille 600 liv. fterl . étoit
employé aux dépenfes annuelles du Gouvernement ,
(2) Ce qui fuit eft tiré de l'état dreffé par le Dr. Price
des taxes d'Angleterre , pages 96 , 97 & 98.
Lifte des taxes levées tous les ans fur le Public , qui eft le
terme moyen de trois années avant 1776.
Montant des Douanes en Angleterre ,
Montant de l'Accife en Angleterre ,
Taxe des terrres , 3 fchellings ,
Taxe des terres à I fcheling parlivre,
Droits fur les Eftampes , les Cartes , les Dés ,
les Avertiîemens , les Actes , les Baux , ies Contrats
, les Gazettes , les Almanachs , & c .
Près de 5 millions de cette fomme fervoient
annuellement.
Droits fur les Maifons & les Fenêtres ,
Bureau de la Pofte , Saiſies , Licences
Vin , Fiacres , & c .
Gain annuel fur les Loteries ,
2,528,275
4,649,892
1,300,000
450,000
280,788
3859369
pour le
250,000
150,000
297,887
468,703
25,000
250,000
27,000
18,000
Frais pour recueillir l'Accife en Angleterre ,
Frais pour recuellir les Douanes en Angleterre ,
Intérêts des emprunts fur la taxe des terres à 4
Schelings frais de Collection , Milice , & c .
Cafuels fuppofés des Officiers de la Douane ,
Frais pour recueillir les Droits fur le Sel en
Angleterre 10 d. & demi pour 100 ,
Droits fur le poiffon exporté ,
Frais pour recueillir les Droits fur les Eftampes,
les Cartes , les Avertiffemens , 5 d. pour 100 , 18,000
Total . 11,642,653 1. ft.
( 164 )
--
aux fonds de l'armée & de la marine en tems de
paix , au paiement des gens en place , à celui des
penfions , & le total de ces énormes taxes étant
appliqué de la forte , il ne reftoit rien à l'Angleterre
pour foutenir les frais de la guerre actuelle ,
ou de toute autre. Si , comme nous , elle n'eût pas
été endettée au commencement de la guerre , &
que comme nous elle n'eût eu qu'une guerre de
terre , & non pas une guerre de mer à foutenir ,
fon revenu d'onze millions & demi fterl. auroit
payé chaque année les frais de la guerre & de l'adminiſtration
. Mais la chofe n'étant pas ainſi à
fon égard , elle eft obligée d'emprunter environ
dix millions fterl . tous les ans pour continuer la
guerre dans laquelle elle eft engagée ( cette année
1780 elle en a emprunté douze ) , & de mettre de
nouvelles taxes pour payer les intérêts , en ſuppofant
que la actuelle ne lui a coûté que so
guerre
millions fterl , l'intérêt de cette fomme à 5 pour
cent fera de deux millions & demi , par conféquent
le montant de les taxes actuelles doit être de quatorze
millions , qui étant répartis fur tous les habitans
, hommes , femmes & enfans , ne donnent pas
moins de 40 fchellings par tête. Cette fomme de
cinquante millions ayant été empruntée avec
l'efpérance de fubjuguer l'Amérique , & l'avarice
étant le premier motif qui a engagé la Grande-
Bretagne à commencer la guerre , combien
déplorable feroit la fituation de l'Amérique , fi
elle fouffroit , par fon manque de vigueur , qu'un
ennemi auffi indifpofé contre elle , & qui fe trouve
dans de telles circonftances , la réduife à la foumiffion.
Je vais maintenant parler des revenus de l'Amérique.
J'ai fixé le nombre des habitans en Amérique
à trois millions ; & d'après un calcul que j'ai fait ,
& que j'ai toutes les raifons de croire fuffilamment
( 165 )
jufte , tous les frais de la guerre & les dépenfes
pour le foutien des divers gouvernemens peuvent
fe monter à deux millions de liv . fterl. par an,
Cette fomme étant répartie fur les hommes , femmes
& enfans , donne 13 fchellings & 4 fols fterl.
par tête , & à la fin de la guerre en tems de paix ,
les frais d'adminiftration ne feront que de trois
quarts d'un million ous fchellings fterl, par tête.
Én ôtant donc de la balance tout ce qui a rapport
à l'honneur , aux principes , au bonheur , à la liberté
& à la réputation , & en n'envisageant les
chofes que du côté de l'intérêt , j'établis la thèſe
fuivante : - Suppofé que la Grande- Bretagne fubju
guât l'Amérique , & qu'ufant modérément des droits
de la victoire , elle ne lui impofât d'autres charges que
celle de payer les mêmes taxes que les habitans de
F'Angleterre; notre contingent alors feroit de 6 millions
fterl. par an. Comment donc pourroit-on difcuter
raisonnablement s'il eft plus avantageux de
lever deux millions pour défendre notre pays & le
gouverner nous - mêmes & de ne payer que les
trois quarts d'un million à la fin de la guerre , ou
de
payer fix millions pour prix de notre aſſerviſ
fement , & de laiffer l'ennemi gouverner.
on imaginer que les vainqueurs confentiroient à
payer des taxes plus onéreufes que les vaincus. En
Angleterre , la taxe fur le rum eft de 5 fchellings
& un fol fterl. par galon , ce qui fait un dollar d'ar
gent & 14 de cuivre . Ne feroit-il pas ridicule de
croire qu'après avoir fait autant de dépenfes , les
Anglois permiffent que les Whigs ou les Torys de
l'Amérique euffent la boiffon à meilleur marché
qu'eux. Le café , qui eft ici un article d'une grande
confommation , & qui eft néceffaire à la fanté , eft
chargé en Angleterre d'un droit qui en fait monter le
prix à 5 & 6 fchellings par livre , & il y a une
amende de so liv . fterl. contre toute perfonne qui
2
Peut(
166 )
enbrûleroit chez foi , lorfqu'elle eft furprise en contravention.
Il exifte à peine un feul article , foit en
comestibles , en boiffon , en objets de parure ou
de jouiffance , qui n'y ſoit chargé d'une taxe ; même
la clarté du jour ne peut luire dans les maifons
qu'en payant 18 fols fterl. par fenêtres tous les
ans ; & la boiffon la plus modefte , la petite -bière ,
eft taxée de près de deux coppers par galon , fans
parler d'une taxe très -onéreufe fur le malt , & d'une
autre fur le houblon , avant qu'il ne foit braflé ,
exclufivement à une taxe fur la terre qui le pro.
duit ; en un mot , la condition de ce pays en fait de
taxes , eft fi oppreffive , le nombre de fes pauvres
eft fi confidérable , les folles dépenfes & l'avidité
de la Cour font fi énormes , que fi l'Angleterre parvenoit
à fubjuguer l'Amérique , c'eft alors vraiment
que les malheurs de ce pays commenceroient. Il
importeroit peu que l'on fût Whig ou Tory ; les
habitans de l'Angleterre & les Miniftres n'admettent
point cette diftinction parmi nous . L'objet de leur
ambition eft un revenu clair & folide , & les moyens
qu'ils employeroient pour le le procurer fe feroient
également fentir à tous . Leur manière de raifonner
feroit concife , parce qu'ils concluroient naturellement
qu'ayant été en état de foutenir une guerre de
cinq ou fix ans contr'eux , nous pouvons bien auffi
payer les mêmes taxes qu'eux. J'ai déja prouvé
que les frais de la guerre actuelle & de l'adminif
tration des différentes Colonies peuvent être acquittés
avec deux millions fterl . & la dépenfe en tems
de paix avec les trois quarts d'un million ( 1 ) .
( 1) J'ai fait mes calculs en liv. fterl . , parce que cette manière
de compter eft connue dans tous les Etats , & parce
qu'elle admet une balance aiſée de nos dépenfes avec celles
de l'ennemi pour le foutien de la guerre . Quatre dollars demi
d'argent font une liv, & trois fols fterl.
( 167 )
Quant aux affaires de la Marine , elles font en fi
bon état , & font fi bien dirigées par des individus ,
que je pense qu'il eft conforme à tout principe de.
vraie utilité & d'économie , de convertir la marine
en eſpèces fonnantes ( en ne confervant que trois
ou quatre paquebots ) , & d'employer cet argent au
fervice de terre. Nous n'aurons pas pour cela un
vaiffeau de moins . La navigation & les profits qu'elle
amène recevront un grand accroiffement , & ce
fyftême épargnera des dépenfes à l'Etat . Nous
fommes actuellement alliés à une puiffance maritime
formidable dont nous tirons les mêmes avantages
que fi nous euffions une marine ; le plan que
nous devons fuivre pour réduire l'ennemi commun
& faire profpérer l'alliance d'autant plus efficacement
, eft de donner la plus férieufe attention au
fervice de terre .
• Suivant mes calculs , l'entretien d'une armée
la paye de fes Officiers , & toutes les dépenfes
contingentes qui fuffifent pour la défenfe de l'Amérique
, ne doivent pas coûter plus de 1,200,000
liv . fterl. avec lefquels on entretiendroit une armée
de 40,000 hommes à 30 liv. fterl. par tête.
J'alloue également 400 mille livres sterling pour
les dépenfes du Continent au- dedans & -au - dehors .
Et 400 mille livres fterling pour les frais d'adminiftration
des divers Etats. Le montant de ces
fommes fera alors
-
Pour l'année
Dépenfes Continentales au-dedans
& au- dehors
Adminiftration des divers Etats
TOTAL ·
1,200,000 1. ft.
400,000
400,000
2,000,000
Je pense que le contingent de l'état de Penfil
vanie , eft la huitième partie de ce que doivent
fournir les treize Etats- Unis ; alors notre quote
( 168 )
fera de 250 mille liv. fterl . dont 200 mille feront
appliqués pour notre part au foutien & à la paye
de l'armée & aux dépenfes Continentales au dodans
& au- dehors , & so mille aux frais d'adminiſtration.
Pour donner une idée de la proportion
de ce contingent , à celui que doivent fournir
les autres Etats , je fais le calcul fuivant.
La Pensilvanie contient 375 mille habitans
kommes , femmes & enfans , ce qui fait également
la huitième partie de tous les habitans des Etats-
Unis ; fi on lève donc 350 mille livres sterling
fur 375 mille perfonnes , cette fomme répartie
donne 13 shelings & 4 fols fterl. par tête tous
les ans , ou quelque chofe de plus qu'un sheling
fterl. par mois. Notre contingent dans les trois
quarts d'un million à fournir en tems de paix pour
l'adminiſtration du pays , fera de 93 mille 750
liv. fterl. , dont so mille feront appliquées aux frais
d'adminiſtration des Etats & 43,750 liv. pour
dépenfes Continentales , au-dedans & au-dehors.
>
Les frais d'adminiftration , en tems de paix , feront
donc des shellings par tête. Il n'en eft pas
de même de l'Angleterre ; fi elle s'en tenoit où
elle en eft maintenant & que la guerre cefsât ,
fes frais d'adminiſtration en tems de paix , feroient
les mêmes qu'ils le font actuellement , c'eft-àdire
, 40 fchelings par tête ; fi donc les taxes qu'il eft
néceffaire que nous fupportions pour continuer la
guerre fe montoient à autant par tête que les
fiennes en ce moment , & que la feule différence
fût de décider fi à la fin de la guerre nous ferions
taxes à cinq shellings ou à 40 shellings ,
par tête ; le parti que nous aurions à prendre eft clair.
Mais pouvant défendre & conferver facilement ce
pays pour un tiers de moins que ne feroit notre
charge fi l'Amérique étoit fubjuguée , & pouvant
après la guerre , foutenir les frais d'adminiſtration
pour
( 169 )
>
your le huitième de ce que la Grande - Bretagne
feveroit fur nous fi je trouvois un avare dont le
coeur n'a jamais fenti la moindre émotion géné
reufe, cet homme- là même qui n'eft guidé que
par l'amour de l'argent , & incapable d'aucun
autre attachement que de celui qui fe rapporte à fes
intérêts ; cet homme , dis - je , contribueroit , & il
doit le faire , s'il veut agir d'après les principes de
ſtricte Economie qui le guident à la défenſe de ce
pays ; autrement ce n'eft pas un avare , c'eſt un
idiot. Mais lorfque nous ajoutons à ces motifs d'intérêt
tout ce qui peut faire honneur à l'efpèce humaine
, lorfque notre bonheur fe trouve lié à nos
intérêts , lorfque tout ce qui peut réjouir & animer
le coeur ; lorfque tous les fentimens d'honneur &
de réputation au-dedans & au- dehors font mêlés
non - feulement avec la sûreté , mais avec l'augmentation
des propriétés il ne fe trouvera pas
un homme en Amérique , à moins que ce ne foit
un efpion gagé , qui ne reconnoiffe que fon bonheur
eft lie avec la défenfe de fon pays.

Il est enfin décidé que c'eft l'Amiral
Darby qui commandera l'expédition à Gibraltar.
Son efcadre fera de 15 vaiffeaux
de ligne en 3 divifions. Il aura 2 Amiraux à
fes ordres. On dit qu'il compte appareiller
du 15 au 20 de ce mois. Il aura fous fon
convoi les flottes pour Opporto , Lisbonne
& Faro , ainfi que celles pour Gibraltar &
pour Livourne. Comme les vaiffeaux pour
I'Inde voudront , fans doute , profiter de
cette eſcorte , la flotte entière qu'il aura à
convoyer pourra être de près de 300 voiles ,
ce qui comprend les bâtimens de transport
24 Février 1781 .
h
( 170 )
pour les vivres , l'artillerie , & c. qui font
la moitié de ce nombre.
La divifion aux ordres du Commodore
Johnſtone , partira avant la grande efcadre ;
elle fervira d'efcadre d'obſervation pour
aller reconnoître les forces de l'ennemi
s'il fe difpofe à nous empêcher de jetter
du fecours dans Gibraltar.
On a envoyé à Plimouth , ordre de
tenir 7 vaiffeaux prêts , qui fe joindront à
la flotte de Darby , lorfqu'elle paffera devant
ce Port.
On travaille , dit- on , avec tant d'activité
à la batterie flottante qu'on fe propoſe d'amarrer
à l'entrée du port d'Harwich , qu'on
prétend qu'elle fera placée avant, la fin de
ce mois. Elle s'appellera la Royale Charlotte
, & portera 36 canons de 12 ,
de 10:
& de 24 livres de balle. }
Au milieu des embarras qui nous environnent
on cherche des alliances , fans lefquelles
il eft difficile que nous puiflions nous
foutenir ; on a parlé , long-tems avant qu'il
fût queftion de la neutralité armée , de deux
que nous pouvions attendre de la Ruffie ;
depuis que cette neutralité eft formée , &
que perfonne n'ignore que c'est notre conduite
qui l'a , néceffitée , depuis que nous
avons manqué à cette confédération formidable
en attaquant la Hollande , il y a des
écrivains qui reviennent encore à nos an(
171 )
ciennes efpérances fur l'affiftance de la Ruffie
, & qui annoncent un traité , en conféquence
duquel on verra bientôt dans la
Manche 1 2 vaiffeaux de ligne Ruffes , &
16,000 hommes de troupes ; mais en général
la nation eft perfuadée que fi cet envoi
a lieu , il agira contre nous & non pour
nous . Son attention fe tourne d'un autre
côté pour trouver des reffources ; le difcours
de M. Wraxall (& non Rixall ) dans la Chambre
des Communes , du 25 du mois dernier ,
a exalté toutes les têtes . Nous nous fommes
contentés de l'indiquer en parlant de ceux
qui furent prononcés dans cette féance ;
notre deffein n'eft pas de le rapporter ; le
respect dû aux têtes couronnées auroit dû
empêcher qu'il fût tranfcrit dans les papiers
publics ; il a acquis une grande publicité
dans plufieurs nous ne le rappellons ici
qu'à caufe du plan qu'il propofe pour procurer
un allié à l'Angleterre . Ce plan que'
les demi - politiques croient praticable ne
le paroît pas de même à tout le monde ;
des injures , des infamies , n'ont pas befoin
de commentaire.
L'Efcadre de l'Amiral Darby , deftinée`-
pour Gibraltar , n'eft jufqu'ici compofée
que de quinze vaiffeaux de ligne , formant
trois divifions , dont il commandera la première
; les chefs des deux autres ne font
pas encore connus. Elle doit cependant
mettre à la voile dans quinze jours au
h 2
( 172 )
plus tard , avec les convois pour Opporto
, Lisbonne , Faro & Gibraltar. On
croit que celui de l'Inde partira en même-
'tems , & que le tout formera une flotte
de plus de 250 voiles y compris les bâtimens
vivriers & les tranfports pour l'artillerie
, qui compofent plus de la moitié de
ces 250 voiles.
,
On a envoyé à Plimouth les ordres de
l'Amirauté , pour que la Princeffe Amelia
& le Foudroyant , de 80 ; l'Edgar , le Canada
& Invincible , de 74 ; le Bienfaifant .
& l'Inflexible fe tinffent prêts à joindre
l'Amiral Darby , lorſqu'il paroîtra devant
ce Port : d'autres vaiffeaux qu'on y répare
feront bientôt en état de tenir la mer.
D'après ce tableau l'Efcadre , deſtinée
pour fecourir Gibraltar , ne feroit que de
vingt-deux vaiffeaux de ligne , & fi , comme
on le dit , celle d'Efpagne à Cadix eft
renforcée de dix vaiffeaux François , le
fuccès de la nôtre eft au moins fort doureux
; mais on croit que l'Amirauté fe
prépare à la porter à un nombre de vaiffeaux
à - peu-près égal à celui que les ennemis
pourront lui oppoſer.
Les de ce mois , après de très - longuçs
plaidoieries au Tribunal du Banc du Roi ,
le Lord George Gordon a été déclaré par le
Juré non coupable. Ce procès fingulier , qui a
fixé l'attention générale , n'auroit peut-être
( 173 )
pas eu la même iffue s'il avoit été jugé fur
le champ. On a eu l'attention de laiffer calmer
l'effervefcence dont le Lord auroit peutêtre
éré la victime : il a été jugé avec plus de
fang-froid & d'impartialité. -
Un des vaiffeaux de l'Inde , arrivé dans la baye
de Crookhaven , amène en Angleterre le fils du
Rajah de Tanjaour , qui vient porter des plaintes
contre quelques Officiers de la Compagnie , à l'occafion
de la conduite qu'ils ont tenue relativement
aux biens de fon père . On affure que ces détails
jerteront un nouveau jour fur cette fuite d'horreurs
& de pratiques infernales qui fe font terminées par
la mort du Lord Pigot.
Le Maire de Norwich reçut , il y a quelques jours ;
une lettre du Lord Lieutenant du Comté de Norfolck
, & de la ville de Norwich , pour exhorter
les habitans à fe pourvoir d'armes & de munitions ,
attendu que la guerre avec la Hollande , expofe
toute cette côte aux attaques de l'ennemi. Les Offi
ciers municipaux s'étant affemblés en conféquence","
ont réfolu de remercier le Lord Lieutenant , & de
récommander aux habitans les mesures qui feront
jugées nécellaires pour la sûreté générale.
Lorfque le Prince de Galles aura atteint 2 ans , le
Roi fon père lui fera comptable de la fomme de 398,
aco 1. ft. , produit des Mines d'étain qui appartiennent
en propre à S. A. R. En qualité de Duc de Cornwall ,
ce Prince a droit aux revenus des Mines , évalués
à 18,000 liv. fterling par année , ce qui fait en
conféquence 298,000 en 21 ans. En qualité de fus
aîné du Roi , & né après l'avènement au Trône , il
eft né & non créé Duc de Cornwall. Le Prince qui
jouit de cete dignité , eft en poffeffion de ce revenu
dès le moment de fa naiffance. Le Roi , cependant >
h3
( 174 )
en lui rendant compte de cette fomme , peut mettre
à fa charge les frais de fon éducation ; ce revenu
étant deftiné pour l'éducation du fils aîné du Souverain.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 20 Février.
LE Comte de Souza de Coutinho , Ambaffadeur
de LL. MM. TT. FF . a notifié au
Roi , le 11 de ce mois , la mort de la Reine
Douairière de Portugal .
Le même jour LL. MM. & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Comte de Saint - Paër , Meftre de Camp de
Cavalerie , Officier aux Gardes de Monfeigneur
le Comte d'Artois , avec Mademoifelle
du Sauffay.
Le même jour la Comteffe de Harcourt
eut l'honneur d'être préfentée à LL. MM .
& à la Famille Royale par la Marquise de
Beuvron , & la Comteffe de Venoix d'Amfreville
, par la Marquife de Saint- Aignan .
De PARIS , le 20 Février.
l'ac-
LES nouvelles de Breft portent que
tivité est toujours la même dans ce port ;
la flotte deftinée pour l'Amérique eft à peuprès
prête dans ce moment ; & les autres
vaiffeaux qui ont besoin de réparations oce
( 175 )
cupent actuellement les ouvriers qui continuent
de travailler fans relâche.
Il ne paroît pas qu'il y ait encore rien
de décidé fur l'Officier qui commandera
cette flotte ; du moins les vues du Gouvernement
à cet égard ne font point encore
connues ; on ne fait pas pofitivement fi M.
de Guichen retournera en Amérique ; nous
n'avons fur ce fujet que des bruits publics ,
qui varient journellement ; celui du jour
eft que M. de Graffe aura ce commandement
, M. de la Touche - Tréville , le cordon
rouge & le commandement de Rochefort.
Vraiſemblablement on ne fera mieux inftruit
qu'au départ de l'efcadre qui ne peut être
éloigné , & qui aura fans doute lieu avant
la mi- Mars , à caufe de l'équinoxe qu'on
n'attendra pas. Les Anglois , au refte , ne font
pas prêts eux-mêmes ; FAmiral Darby ne s'expofera
pas à aller vers Gibraltar avec des forces
inférieures , & pour en avoir d'égales ,
il est forcé d'attendre encore quelque
tems.
On dit que le Marquis de Vaudreuil ,
Chef- d'Efcadre , ayant demandé à S. M. la
permiffion de fervir fur mer pendant toute
la guerre , a donné fa démiffion du gouvernement
général de St-Domingue qu'il avoit
obtenu , & qui lui fera rendu à la paix.
La Gazette de la Martinique du 19 Octobre
dernier contient les détails fuivans fur
h 4
( 176 )
des effets de l'ouragan qu'on y a effuyé dans
ce mois.
2.1
>
Le 10 au foir , la flotte de 2 voiles partie de la
Corogne , avoit heureufement mouillé dans notre
rade , à l'exception de quelques traîneurs qui étoient
tombés en dérive . L'atmosphère chargée de vapeurs,
la lune pâle & réfléchiffant une trifte clarté , fembloient
nous préfager quelques évènemens finiftres ;
à minuit les vents fe mirent à l'E . N. E
& commencèrent à fouffler avec violence
cette efpèce de bourafque dura trois jours . Quelques
bâtimens de la flotte déraderent dans la matmée
du 11. Beaucoup d'autres eurent bientôt le
même fort , lorfque la nuit vint nous cacher une
partie de ce fpectacle , à peine reftoit - il 12 ou is
navires de la flotte dans la rade , avec 30 ou 35 petits
bâtimens de toute efpèce ; quelques - uns de ces
derniers avoient appareillé dans le courant de la
journée. Une pluie abondante qui tomba le foir
depuis fix heures jufqu'à fept heures & demie , nous
fit efpérer que le vent s'appaiferoit . Après quel
ques inftans d'un calme perfide , le vent à l'Eſt S. E.
fe déchaîna avec plus de fureur que jamais ; les
toits furent découverts & les arbres déracinés . A
11 heures & demie du foir , la terre trembla , les
vents paffèrent fucceffivement de l'E , S. E. au S. &
à l'O. Le vent régna toujours avec violence juf
qu'à cinq heures du matin , & perdit alors de fon
impétuofité , & nous commencions à refpirer , lorfque
les premiers rayons du jour vinrent nous éclairer
fur nos pertes . Il ne reftait plus dans notre rade
qu'un brigantin , une goëlette , un bateau & trois
bâtimens de la flotte , dont les cables réſiſtoient encore
à la mer. Le navire le Jeune Dauphin avoit
échoué fur la côte au milieu de la nuit , il n'avoit
perdu que deux hommes de fon équipage , qui s'é7177
toient jettés à la nage pour gagner la terre ; tous les
autres avoient été fauvés à la pointe du jour , après
avoir refté long-tems attachés aux canons & à la
mâture fracailée du navire. Une goëlette qui devoit
faire voile le lendemain pour France , eft venue àla
côte , & s'eſt brifee en mille pièces fur une maifon
neuve ; de vingt hommes , qui compofoient l'équi
page de ce bâtiment , il ne s'en eft lauvé que neuf.
La mer a jetté bas 63 maifons dans le quartier
de la Galère ; dans celui du Fort , deux maifons
particulières ; le Fort même , qu'on avoit toujours
cru à l'abri de cet accident. Le quartier des Chanoines
& une grande partie de la batterie de Saint-
Louis , 27 mailons dans la rue Dauphine , 16 dans
le quartier du Figuier , 11 au bord de la mer
depuis la Calle- Boiffon jufqu'à celle de l'Hopital ,
& 36 depuis cette dernière jufqu'à l'extrémité du
mouillage ; la mer s'eft élevée de 22 à 25 pieds , &
toutes les maiſons , murs & chauffées qui fe font
Un
ouvés à cette portée , menacent ruine. De 60 grandes
ou petites maifons qui compofoient le bourg
du Prêcheur , 6 feulement qui fe trouvoient plus
élevées que les autres , ont été épargnées.
bateau qui dérada au milieu de la nuit du 11 au 12,
fut emporté dans le canal de la Dominique , lorfque
la mer devenue un peu moins furieufe , permit
aux habitans de cette Ifle de venir à fon bord , ils lui
apportèrent des vivres qui lui manquoient. Ce bateau
eft rentré avant-hier dans notre rade , il nous
apprend que le coup de vent s'eft fait fentir avec
autant de violence à la Dominique que dans notre
Colonie. Toutes les maifons fituées au bord de
mer du Rofeau & de Charlotteville , ont été détraites
. - On apprit Lundi dernier de Sainte- Lucie
les détails les plus effrayans fur le fort de cette:
Colonie ; elle a effayé durant 48 heures un coupde-
vent du Sud qui a tout détruir , tout exterminé .
-
h &
( 178 )
S
& qui a fait de toutes ces habitations autant de déferts
affreux . Le vaiffeau de guerre Anglois l'Ajax,
de 74 canons , & 2 frégates qui étoient mouillées
au gros iflet , fe font brifés en mille pièces fur la
côte. On affure qu'il ne s'eft pas fauvé un feul
homme de ces équipages. La frégate Angloife le
Laurier , de 36 canons , qui croifoit devant notre
Ifle , eft perdue fur les Cayes de Marabou ; de 250
hommes qui compofoient fon équipage , il ne s'en
eft fauvé que 17. Une lauche Eſpagnole & un brigantin
Américain qu'elle avoit pris , fe font échoués.
Un petit vaiffeau Anglois de 44 canons , s'eft auffi
perdu dans les mêmes parages , & les équipages
n'ont été plus heureux
pas
les autres que .
vant les rapports d'un Maître de bateau arrivé hier
de la pointe à Pitre , qu'il a laiffée le 15 , le vent
s'eft fait fentir avec beaucoup moins de violence
à la grande Terre-Guadeloupe. Les plantations y
ont été foiblement endommagées , & le bonrg de
la pointe à Pitre n'a rien fouffert.
- Sui-
Suivant les lettres de différens Ports nos
Armateurs continuent de faire quantité de
priſes ; dans leur nombre on compte beaucoup
de corfaires Anglois ; on fait qu'il en
étoit forti plufieurs pour croifer contre les
Hollandois ; ces captures n'enrichiffent pas
toujours les preneurs , mais elles diminuent
le nombre des ennemis du commerce.
On apprend du Havre que la frégatc corfaire
la Jofephine , qui avoit appareillé de ce
Port le 6 de ce mois , y eft rentrée le 10 avec
la prife la Colombe , corfaire Anglois de
14 canons , 12 pierriers & 43 hommes d'équipage
, dont elle s'étoit emparée le lendeinain
de fa fortie. Le corfaire la Liberté , de
( 179 )
St-Malo , y a conduit auffi le 10 un petit corfaire
Anglois de 2 canons , 6 pierriers & 16
hommes . Le 9 , la frégate corfaite de Granville
, Madame , appareilla de Cancalle pour
continuer la croiſière. Le 6 il étoit arrivé au
Havre un Parlementaire Anglois , venant de
New-York , d'où il a ramené 183 prifonniers
François.
MM. Perreau & Compagnie , de Dunkerque
, Armateurs du corfaire le Sans- Peur ,
ont reçu d'Hellevoet la lettre fuivante de
leur Capitaine M. Tall.
Nous vous informons que nous nous portons
bien , dieu-merci , quoique bien fatigués ; nous
fommes arrivés ici ce jour avec 14 rançons , enfemble
5400 guinées ; & le 3 du courant , nous
nous fommes emparés d'un Hollandois venant de
Riga , chargé de graine de lin ; à dix heures , nous
avons été chaffés par un bricq qui nous a joints à
cinq heures , & après un combat de quatre heures
il amena ; c'étoit un vaiffeau de Leith de feize canons
de 6 , & 70 hommes d'équipage ; deux heures
après l'avoir amariné , il coula bas , nous fauvâmes
l'équipage dont nous avions tué fept hommes
& bleffé 16. Dans le combat , nous avons le
bonheur de n'avoir pas un feul homme de bleffé ,
mais nos agrêts & nos manoeuvres font en pièce.
Le 4 , nous fommes venus à la traverſe du Ranger
cotter de Wels , ci -devant la Lady Washington
de Dunkerque , montant 12 canons de 4 a
82.45
hommes d'équipage que nous avons avec nous
dans ce port. Nous nous déterminons de faire
route pour Dunkerque , auffi-tôt que nous ferons
réparés ; nous avons 123 prifonniers & 14 ôtages .
Le 4 , en chaffant le cotter au vent nous nous
h 6
( 180 )
fommes tellement éloignés de la prife , que nous
l'avons perdue de vue , mais noùs efpérons qu'elle
fera bien arrivée au Texel , les vents fe trouvant
alors au Sud- Oueft.
Le Parlement avoit mandé au commencement
de ce mois les Gens du Roi du Chatelet
, & leur avoit ordonné de faire des
recherches fur les différentes banqueroutes
qu'il y a éu dans Paris depuis 5 à 6 mois
ainfi que fur les fuites qu'elles ont ; eu ; ik
leur avoit été enjoint en même tems de
faire promptement leur rapport à la Cour,
pour être ftatué par elle ce qu'il appartiendroit.
Ils fe rendirent en conféquence au
Parlement le 9 de ce mois. Les informations.

qu'ils avoient prifes méritèrent l'attention
de la Cour qui s'affembla encore le 13. Les
Pairs n'avoient pas été convoqués ce jourlà
, comme le bruit s'en étoit répandu , il s'y
en trouva cependant 14 , au nombre def
quels étoit M. l'Archevêque de Paris ; il
fut décidé dans cette féance de les convoquer
pour aujourd'hui. On dit que les jeux.
de hafard ont été pris en confidération , &
que toutes les perfonnes chez lefquelles on
les joue ont été dénoncées : on eſt fort empreffé
d'apprendre le réſultat de la féance
d'aujourd'hui.
Il y a quelques jours qu'on s'apperçut à
la Bourfe qu'il avoit été négocié quelques
faux billets de la dernière Loterie royale ;
on a fait fur- le - champ des recherches , & on
a arrêté & conduit à la Baftille l'auteur de ce ..
( 181 )
faux , & l'Imprimeur dont il s'eft fervi , &
qu'il paroît avoir trompé. Cette affaire a
fait beaucoup de bruit ; on n'aura pas man
qué d'en écrire par-tout les détails ; les papiers
étrangers s'emprefferont de les copier.
Les Anglois ne manqueront pas de faifir
cette occafion d'exagérer le nombre des faux
billets répandus , de tâcher d'inſpirer des
alarmes & de la défiance ; c'est une raifon
pour nous de prévenir ces impreffions en
publiant ce qui eft vrai les faux billets
diftribués étoient au nombre de 30 , on les
a tous retirés ; on a faifi tous ceux qui étoient
prêts à l'être , & ceux qui n'étoient pas encore
remplis , de manière qu'il n'y en a plus
aucun dans le public.
Le 8 de ce mois l'Académie Françoiſe a convoqué
une affemblée , pour difpofer du legs annuel de
1200 liv. de M. le Comte de Vaibelle , & l'a adjugé
à M. Garar. M. d'Alembert a fait part de cette déli
bération à M. Garat , qui n'ayant pas jugé à propos ૩
de l'accepter , a écrit à l'Académie que , fatisfait de
l'honneur d'avoir obtenu fon fuffrage , il l'a prioit
de lui permettre de lui rendre ce legs. En le ren
dant , a dit M. Garat , dans fa lettre , je conferve ce
qu'il a de plus honorable , & je fens bien que j'au
rois tout gardé s'il avoit fallu tout rendre. L'Aca
démie en conféquence s'eft affemblée de nouveau le
17 , & a adjugé ce legs à M. Conet de Gebelin , qui
l'avoit déja obtenu l'année dernière .
!
Nous avons annoncé , il y a quelque tems , les ↓
Romaines à cadran de M. Hanin , Méchanicien du
Roi , rue Notre-Dame , en face des Enfans- Trouvés ,
maifon du Limonadier , à Paris . Ce Méchanifme ,
également ingénieux & utile , approuvé par l'Aca
( 182 )
démie Royale des Sciences , offre un moyen de pefer
fans poids ni fléau ; il marque par une aiguille fur
un cadran , comme celle de la pendule marque l'heure
, la quantité de livres pefant qu'on y applique.
Son utilité , fa jufteffe & fa folidité font démontrées.
On s'eft empreffé , dans l'étranger , de fe le procurer;
l'Inventeur a reçu une multitude de demandes auxquelles
il n'a pas pu fatisfaire d'abord , à caufe des
divers poids employés dans chaque pays , qui diffèrent
du plus au moins de celui de Paris , fur lequel
on a fait d'abord ces Romaines. L'habile & ingénieux
Méchanicien qui les a inventées , après avoir
travaillé de nouveau , eft parvenu à les perfectionner
, au point de pouvoir les graduer fur tous les
poids quelconques qui lui ont été , ou qui peuvent
lui être demandés en défignant la force des poids
requis. Il en a fabriqué depuis ce tems de toutes les
eſpèces , depuis une once jufqu'à 15 livres pefant ,
& depuis un quart , jufqu'à so , 75 & 100 livres
pefant , & de fuite depuis une livre jufqu'à 10
milliers on fe fert de celles - ci pour les fortes pefées
; il y joint un mouffe ou doubles poulies pour
enlever les marchandifes. Le diamètre ou cadran
de ces Romaines , eſt relatif à la force du poids ; il
eft de 4 à 5 pouces pour celles qui pèfent depuis so
jufqu'à 100 livres ; de 8 pouces pour celles de 200
livres , & ainfi jufqu'aux plus fortes qui portent 4
pieds de diamètre ; toutes font garanties .
On écrit de Valmont que le nommé
George Bocquet , né dans la Paroiffe d'Anville
, y eft mort âgé de 106 ans , fans avoir
eu d'autre infirmité dans fa vieilleffe qu'une
cécité , qui a précédé fa mort de quelques
-années .
"
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois de Eévrier
1781 , regiſtré en Parlement le 13 deſdits mois
( 183 )
& an , portant création de fix millions de rentes viagères.
Les befoins de la guerre obligeant à onvrir
un nouvel emprunt , S. M. s'eft déterminée à
créer fix millions de rentes viagères , aux mêmes
conditions que les précédentes , mais exemptes de
toute espèce de retenue : c'eſt un facrifice que les
circonftances exigent de fa fageffe ; mais ce n'eft pas
moins un engagement contracté de bonne foi , &
dont S. M. maintiendra foigneufement l'obferva-
.tion . En même tems S. M. s'étant fait rendre un
compte exact de la fituation de fes finances , & défirant
de connoître fi Elle feroit forcée de mettre un impôt
pour fervir de gage à cet emprunt , Elle a vu , avec
Latisfaction , que l'état de fes revenus ordinaires furpaffoit
celui de fes dépenfes ordinaires de vingt- fepa
millions , en y comprenant dix- fept millions appliqués
à des rembourfemens ; & comme , après y avoir fait
beaucoup d'attention , S. M. n'a rien vu ,
dans cet
état de fes finances , & dans le compte qui lui en aété
rendu , qui exigeât du fecret , Elle a cru qu'en en permettant
la publicité , il n'en pouvoit réfulter que des
avantages , & Elle a fuivi , fans peine , une marche
fimple & ouverte , qui , quoique nouvelle dans les
affaires publiques , lui a paru s'accorder avec les principes
qu'Elle a adoptés ; car autant Elle a à coeur de
préferver les peuples de nouveaux impôts permanens ,
autant il importe à fa juftice de manifefter le foin
qu'Elle prend de la fûreté des perfonnes qui , dans des
circonftances difficiles , lui donnent des preuves de
leur confiance ; & , en admettant ainſi ſes fidèles fujets
à la connoiffance de l'état de fes finances , S. M.
croit les rapprocher d'Elle , & entretenir de plus en
plus cette unité d'intérêt & ce rapport de confiance ,
qui font la force des Etats & le bonheur d'un Monarque.
· Crée S. M. fix millions de livres actuelles
&effectives de rentes viagères , auxquelles rentes font
affectés par préférence à la partie du Tréfor Royal les
( 184 )
droits d'Aides , Gabelles & cinq groffes Fermes ; cŚ
rentes pourront être acquifes fur une feule tête , à
raifon de dix pour cent par an ; fur deux têtes , à raiſon
de neuf pour cent par an ; fur trois têtes , à raiſon
de huit & demi pour cent par an ; &fur quatre rêtes ;
à raifon de huit pour cent par an le tout fans diftinction
d'âge , & au choix des acquéreurs.
Les arrrérages
defdites rentes feront exempts à toujours de
la retenue du dixième d'amortiffement , des vingtiè
mes , quatre fols pour livre du premier vingtième ,
& de toute autre impofition généralement quelconque
qui pourroit avoit lieu par la fuite. Les confti-
-
tutions particulières , qui ne pourront étre moindres
de cinq cens livres de principal , feront faites indiftinctement
, à tous âges , fur le pied ci- deffus fixé ,
pour jouir par les acquéreurs , leur vie durant , foit
fur leur tête, foit fur celle de toutes autres personnes
que bon leur femblera ; & les contrats feront paffés
par devant Notaires au Châtelet de Paris lefdits
acquéreurs voudront choifir , qui feront tenus de
leur délivrer leurs dits contrats fans frais , fe réfervant
S. M. de leur payer leurs falaires raiſonnables.
que
On recevra au Tréfor Royal , immédiatement
après la publication du préfent Edit , les capitaux:
defdites rentes , qui auront cours , en quelque tems
qu'elles foient acquifes , du premier jour du quar
tier dans lequel lefdits capitaux auront été fournis au
Tréfor Royal. Toutes perfonnes , de quelque
âge , fexe & condition que ce puiffe être , méme los
Religieux & Religieufes qui peuvent avoir quelque
pécule , pourront acquérir lefdites rentes , en faire
les contrats fous les noms qu'ils voudront choifir ,
avec les réferves de jouiffance , &, autres claufes &
conditions qu'ils jugeront à propos. Les arrérages
defdits rentes feront payés , de fix mois en fix
mois , par les Payeurs des rentes de l'Hôtel- de-
Ville , en la même forme & manière que. les autres
-
( 185 )
rentes viagères. Les rentes qui auront été confti
tuées fur une feule tête , feront payées jufqu'au jour
du décès de ceux fur la tête defquels elles auront été
conftituées ; & celles qui l'auront été fur plufieurs
têtes , feront payées jufqu'au jour du décès du fui- ·
vant.- Les étrangers non naturalifés , même ceux
demeurans hors du Royaume , pourront acquérir
lefdites rentes , encore bien qu'ils fuffent fujets des
Princes & Etats avec lefquels S. M. pourroit être en
guerre. Les conteftations qui pourront furvenir
a l'occafion defdites rentes , feront jugées en première
inftance par les Prevôts des Marchands & Echevins
de la Ville de Paris , ſauf l'appel au Parlement.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
royale de France , le 16 de ce mois , font :
71 , 16 , 5 , 26 , 41.
De BRUXELLES > le 20 Février.
SALON les nouvelles de Londres , les Anglois
fe flattent toujours d'un accommodement
avec les Provinces-Unies ; la fufpenfion
de l'ouverture de l'emprunt de 15 millions
dont ils ont fi grand befoin , n'a , dit- on ,
d'autre caufe que l'efpoir de cet accommo
dement , après lequel ils fe flatrent que les
Hollandois feroient affez difpofés à y contribuer.
Pour les encourager , on débite avec
foin que quel que puiffe être le réſultat de
la querelle entre les deux Nations , les capitaux
des fujets des Provinces- Unies feront
affurés & l'intérêt payé avec la plus
grande régularité. On ne voit pas que ces
promeffes excitent beaucoup de confiances
( 186 )
on remarque au contraire que les Hollan
dois achètent le plus de guinées qu'ils peuvent
, qu'ils en donnent même un affez bon
prix pour encourager les marchands d'argent
à leur en procurer , & qu'ils les payent
toutes en papier , dont ils fe défont ainfi à
peu de perte.
Le Secrétaire du Chevalier Yorck étoit
refté à la Haye depuis le départ de cet
Ambaffadeur où il avoit confervé la plus
grande partie de fa maifon ; on connoit l'efpoir
qui avoit empêché ce Miniftre de la
renvoyer ; il s'eft évanoui ; le Secrétaire eſt
parti le 31 du mois dernier pour rejoindre
S. E. à Anvers , & le Miniftre lui- même
en eft enfin parti le 4 de ce mois pour attendre
à Oftende un vent favorable à fon
retour à Londres .
ל כ
Jufqu'à préfent , écrit-on de la Haye , on ignore
encore la réponse que l'Impératrice de Ruffie a faite
à la demande des Etats- Généraux des fecours ſtipulés
par le traité de la neutralité armée. Le Courier qui
doit l'apporter eft encore attendu ; il en eft bien
arrivé un chez le Prince de Gallitzin , & il eft reparti
peu de momens après pour Londres . On ignore éga
lement le contenu de fes dépêches & le but de fon
voyage. On dit que le Roi de Suède a répondu à LL.
HH. PP. qu'il feroit tout ce qui dépendroit de lui
pour protéger leur commerce & leur navigation. On
n'a pas encore la réponſe du Roi de Danemarck.
Dans ce moment de crife on ne laiffe pas de répandre
une infinité de bruits qui fe trouvent détruits
le lendemain . On a parlé , il y a quelque tems de
7187 )
propofitions de paix par la G. B .; il n'en eft plus
queftion aujourd'hui ; d'ailleurs ces propofitions
étoient par leur contenu , de nature à dévoiler les
véritables vues de cette Puiffance , qui ne font que
de divifer entre elles celles qui font intéreſſées à
abaiffer fa fierté . Selon des lettres de Zélande ,
un corfaire Anglois ayant envoyé à terre fa chaloupe
avec 6 hommes pour reconnoître le pays de
Cadzant , 16 payfans qui les avoient apperçus les
arrêtèrent , & s'étant mis enfuite dans fa chaloupé ,
ils s'avancèrent vers le corfaire qui fe doutant par
le nombre de gens qu'il voyoit dans la barque qu'il
avoit été découvert , mit auffi - tôt à la voile. On a
pofté des gardes - côtes dans tous les endroits les plus
expofés aux defcentes des ennemis . Le garde- côte
pofté devant Fleffingue s'eft déja emparé d'un petit
bâtiment Anglois dont l'équipage a été fait piifonnier
«.
Le 2 de ce mois les Etats- Généraux ont
pris les réfolutions fuivantes .
» Il fera répondu à M. Leftevon de Berkenrode ,
Ambaffadeur de LL. HH. PP. à la Cour de France ,
afin de l'autorifer à remercier le Ministère de S. M. le
Roi de France , & , fi l'occaſion ſe préfente , S. M.
elle- même , au nom & de la part de LL. HH . PP.
des bons offices , des foins & des ordres obligeans qu'il
lui a plû de donner , en informant les navires marchands
de ces pays- ci , & le Gouvernement du Cap de
Bonne-Efpérance de la déclaration & des ordres de
S. M. B. , ainfi qu'en prenant les vaiffeaux des Pays-
Bas -Unis , fous la protection des vaiffeaux de guerre
de S. M. T. C. Quant aux navires qui feroient
repris fur les Anglois , S. E. pourra & devra déclarer
, que LL. HH. PP. font difpofées , prêtes & défirent
même de faire , à ce fujet , une convention
avec S. M. fur le pied de celle , conclue en 1689 le

( 188 )
22 Octobre , entre LL. HH. PP. & S. M. B. , avec
l'omiffion de ce qui n'a rapport qu'aux flottes combi .
nées , fuivant les articles II & III de ladite convention
, faifant mention de la répartition du droit de
protection entre le Roi & LL. HH PP . , ainſi qu'avec
omiffion de cette période ; » à condition que telle
récompenfe fera donnée par ledit Roi ou les Etats ,
des proportions qui leur font affignées ou accor
dées reffectivement de la fufdi e manière « ; ou
fur le pied de la Réfolution de LL. HH . PP. du 34
Avril 1748 , ou fur tel autre jugée la plus convenable
& la plus avantageufe aux fujets refpectifs.
$3
Avec l'autorisation ultérieure pour lui Ambaſſadeur
, d'entamer & de conclure , fous l'approbation
de LL. HH. PP. ladite convention , avec ceux que
S. M. T. C. jugera à propos de nommer à ce fujet.
A cette fin , il fera envoyé audit Ambaſſadeur ,
so copie de la convention du 22 Octobre 1689 &
de la réfolution de LL. HH. PP. du 24 Avril 1748 ,
» autant qu'il s'agit du fufdit point , pour fon avis
» & information « Qu'il fera auffi écrit à M. Leftevenon
de Berkenrode , que LL. HH. PP. fouhaite
roient , que dans ladite convention il fût inféré un
article , portant que pendant les troubles préfens ,
non-feulement dans les ports réciproques de 1 Europe
, mais encore dans ceux des Indes occidentales ,
feront admis les vaiffeaux de guerre & armateurs de
part & d'autre , avec les prifes qu'ils auront faites
fur les Anglois ; qu'ils pourront les y garder , foigner
& vendre , en cas que quelques- unes fuffent
chargées de marchandifes fujettes à le corrompre ,
la Sentence ou Adjudication ne pourroit être attendue
, que leur vente fera pleinement permife à ceux
qui les ont prifes & que tout fera fait , conformeent
à ce qui fe pratique chez des Puiffances contractantes
, relativement aux prifes faites par des
vaiffeaux de guerre ou armateurs , & c . Et ilfera
( 189 )
remis , par l'Agent M. de Spieringshoek , un extrait
de ladite réfolution au Duc de la Vauguyon , Amballadeur
de S. M. le Roi de France , en le requérant
de vouloir l'appuyer de fes bons offices auprès de
S.. M. T. C. «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL . , des 13 & 14 Février.
On dit que le Baron de Nolken a remis , par
ordre du Roi de Suède , fon maître , un mémoire
au Sécrétaire d'Etat du Nord , relativement à la
prife qu'un de nos vaiffeaux de guerre a faite de
deux vaiffeaux Hollandois qui paroiffent avoir été
entièrement chargés d'effets appartenans à quelques
fujets Suédois. D'après cela , nous devons nous
attendre à des plaintes continuelles de la part de
tout Prince qui voudra profiter de nos calamités
publiques pour nous braver.
Les flottes , tant pour l'efcadre que pour les
Ifles , qui s'affemblent à Portsmouth , ont reçu
ordre d'être prêtes le 20.
On charge dans la Tamife , pour les Ifles , douze
bâtimens chargés de briques & autres matériaux
pour la conftruction .
Le Lord Macartney eft arrivé, le 26 Janvier à
Dublin , & parti fur le champ pour Limeric , où
l'attend la corvette qui doit le tranfporter dans l'Inde.
Il aura appareillé auffi- tôt , s'il a pu.
On n'a point de nouvelles du Lord Cornwallis.
Le Gouvernement eft très - inquiet à fon fujer.
On craint que fon filence ne foit occafionné par
quelque défaftre .
Les Vaiffeaux de la Compagnie des Indes arrivés
en Irlande , favoir , le Calcutta , le Morfe ,
l'Alfred & le Royal- Henry , ont eu pour aller
de Chine au Cap de Bonne-Efpérance , la traverfée
la plus longue & la plus ennuyeuſe qu'aucune
( 190 )
1
flotte ait jamais eue auparavant. Ils ont appareillé
de Chine le 20 Janvier, & après avoir été difperfés
deux ou trois fois , ils n'ont relâché au Cap que
le 22 Août. C'eſt cependant à cette longue traverfée
qu'ils font redevables de leur falut , ayant
évité de rencontrer trois vaiffeaux de ligne François
, qui les attendoient au détroit de la Sonde
& cinq autres vaiffeaux François qui ont croifé
deux mois devant le Cap pour les intercepter. Si '
nos vaiffeaux de la Compagnie fuffent arrivés dix
jours plutôt à la baie de la Table , ils auroient
indubitablement péri dans l'horrible coup de vent
qu'on y a éprouvé.
» La Gazette de la Cour n'a point encore annoncé
la prétendue défection des troupes de Penfylvanie .
Quelques Gazettes difent que le Gouvernement a reçu
la confirmation de cet évènement annoncé , dit-on ,
dans celle de Rivington. Mais pourquoi ce Gouvernement
garderoit- il pour lui feul la connoiffance d'un
fait fi important & que l'on dit fi décifif. On trouve
ailleurs fur cet extrait de Rivington quelques obfervations
qui ont un certain degré de jufteffe . 1 ° . Quiconque
a fuivi la marche des affaires de l'Amérique
fait qu'il n'y a plus de foldats dans l'armée du continent
qui ne foit engagé pour le cours de la guerre .
2°. Si une partie de l'armée continentale s'étoit effectivement
trouvée le premier Janvier au terme de fon
engagement , les corps de Penſylvanie font ceux de
l'armée entière, qui probablement fe trouvoient moins
dans le cas de fe révolter faute de paie , parce que l'été
dernier l'Etat de Penſylvanie créa une banque expreffément
pour affurer la paie de fes troupes , & pour
leur donner même toutes les douceurs qu'elles pourroient
défirer ; on fait qu'elles témoignèrent combien
elles étoient fatisfaites de cet arrangement. 3 ° . Le
Général Poot & fon fucceffeur n'appartenoient pas àla
( 191 )
ligne , mais à celle de New-Hampshire. 4 ° . Conçoiton
que le Général Washington que l'on fait être à
la tête de 18,000 hommes , eût fouffert tranquillementqu'un
corps de 2000 eût encloué les canons , &c.
5° . Enfin la Gazette de Rivington dit d'abord que
c'eft la plus grande partie de l'armée Américaine qui
s'est révoltée , & vers la fin ce nombre fe trouve être
de 2000 hommes y compris les Riflemen; il faudroit
donc croire que l'armée de Washington n'étoit que
4000 hommes, ce qui eft abfurde .
de
-
Le Ministère hélite d'envoyer des fecours à Gibraltar
fous le convoi d'une efcadre. Il ne veut point
en détacher une trop foible , & il n'eft point en état
d'en envoyer une de la force fuffifante qui devroit
être de 30 vaiffeaux de ligne au moins. La grande
efcadre deftinée à convoyer les diverfes flottes af
femblées à Spithéad , auroit , dit - on appareillé le 12
fi le vent n'eut pas été fi orageux . Cependant les écrivains
des vaiffeaux pour l'Inde , n'ont quitté Londres
qué le 12 , & un vaiffeau auffi pour l'Inde qui doit
profiter de ce convoi , n'eſt parti de Graveland que
le même jour , & le Prince William Henri , n'eft
parti auffi que le 11 pour Portſmouth.
nitionnaires des 6 vaiffeaux de la Compagnie des
Indes ne font auffi partis que le 12 pour Portſmouth.
Le même jour la Fortitude , vaiffeau neuf de la Compagnie
, a appareillé de Gravefand pour le même port.
-Les vailleaux arrivés de l'Inde en Irlande ont paffé
le 9 devant Portſmouth , fous le convoi des vaiffeaux
de guerre qui les ont amenés . Ils ont continué
leur route pour la Tamife. Le mauvais tems les
a obligés de relâcher aux Dunes , où l'un des vaiſſeaux
de l'Inde a péri,
-
- Les mu
Le Céfar, corfaire de Briftol qui a pris l'Amazone,
paquebot François , rapporte que le 28 Décembre
les François avoient à Rhode- Inland 8 vaiffeaux de
ligne & frégates ; que leurs forces de terre & de
( 192 )
mer dans cette ifle , montoient à plus de 16, com
hommes. Les provifions y font en abondance ; le
boeuf n'y coûte que 5 d. fterl. la livre , tandis que
d'après le rapport de quelques prifonniers de New-
Yorck , il vaut dans cette dernière place 2 f. 6 d. la
livre.
Quoique les partiſans des Miniftres affurent que
ceux- ci font plus affermis que jamais dans leurs places
, il n'en eft pas moins vrai que tout récemment
il a été queftion du moins de quelque changement
pour ne pas dire un déplacement général. Le Lord
Weymouth a été choisi pour négociateur. Le 2 de
ce mois il a été enfermé pendant 2 heures avec le
Roi. Le projet a échoué , ou par ce que S. M. n'a pas
voulu renvoyer le Lord North , ou parce que le parti
de Bedford n'a pas voulu le joindre à lui . Mais le 12
ce parti débitoit que l'Adminiftration actuelle ne dureroit
que quelques femaines , & qu'on avoit en vue
quelque changement.
»
Ces jours derniers le Lord Georges Gordon reçat
ce billet de compliment . Les amis proteftans
du Lord Gordon qui ont toujours refté afſociés par
rapport à lui depuis le 5 Octobre dernier , & dont
les réfolutions ont fait tant de bruit dans les deux
Royaumes unis , prennent la liberté de faire leurs
très humbles complimens à leur digne & ferme
Préfident , fur ce qu'il vient d'être déchargé d'une
accufation dort ils ne l'ont jamais cru coupabic,
Cet exemple frappant de la protection divine , leur
impofe , comme proteftans , l'obligation d'en rendre.
gloire à Dieu. Ils fouhaitent au Lord un prompt &
parfait rétabliflement de fanté , & ils font les prières
les plus ardentes pour que la faveur fignalée qu'il
vient de recevoir , attirent fur lui & fur eux tous.
les biens où tendent toutes les opérations de la
Providence «<,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le