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1780, 05, n. 19-22 (6, 13, 20, 27 mai)
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MERCURE
DE FRANCE ,
POLITIQUE ,
HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE.
N
( No. 19. )
SAMEDI 6 MAI 1780 .
PROSPECTUS.
OUVELLE Édition des Lettres édifiantes & curieufes
, réunies aux Mémoires du Levant. Ouvrage
en 22 Volumes in- 12 , propofé par foulcription.
Les Lettres édifiantes & curieufes , avec
les Mémoires du Levant , forment un Recueil confidérable
, & non moins intéreffant pour ceux qui
aiment les Arts & les Sciences , que pour les perfonnes
picules qui confervent du zèle pour les progrès
de la Religion.
Cet Ouvrage eft encore très- recherché ; mais on
fe plaint qu'il devient fort rare ; c'eft ce qui détermine
à en donner une nouvelle édition .
On ne retranchera rien d'effentiel de la première
; on y ajoutera même beaucoup de Lettres
& de Mémoires qui n'avoient point encore parir.
Cependant , pour la commodité du Public , certe
Thion
3710155200
Collection , aujourd'hui en 43 Volumes , fera réduire
à 22 Vol. d'environ 5oo pages chacun , d'un
caractère très- lifible , mais moins fort que celui de
la première édition .
M. de Fontenelle difoit des Lettres édifiantes &
curieufes , que jamais Ouvrage n'avoit mieux rempli
fon titre.
Conditions de la Soufcription.
On donnera 6 liv. en fouferivant , & ainfi de
fuite 6 liv. à chaque livraifon de 3 volumes en
feuilles , qui fe fera au moins de trois mois en trois
mois ; & l'on recevra gratis les trois derniers volumes
, en préfentant la quittance de la Soufcription,
qu'on laiffera alors au Libraire.
Chacun des volumes , quoique prefque tous ornés
de Cartes Géographiques & de Planches telatives
, pour la plupart à l'Hiftoire Naturelle , ne
fera donc que de 2 liv, pour les Soufcripteurs.
Ceux qui n'auront pas foufcrit paieront chaque
volume 2 liv. 10 f. On promet la plus grande
exactitude ; & fi le nombre des Soufcripteurs fe
trouvoit infuffifant pour cette entreprife utile, mais
difpendieufe , par la voie des Journaux on avertira
les Soufcripteurs de retirer leur argent au bout
de fix mois que la Soufcription ceffera d'être ouverte
. On pourra fouferire dès le moment de la publication
du Profpectus jufqu'à la fin de Septembre de
cette année , à Paris , chez J. G. MERIGOT le jeune,
Libraire , quai des Auguftins , au coin de la rue
Pavée.
On trouve chez le même Libraire une nouvelle
édition des Mémoires pour fervir à l'Hiftoire de
feu M. le Dauphin , avec un Traité de la Connoiffance
des Hommes , fait par fes ordres en
1719
Jer . 135.
MERCURE
DE FRANCE .
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
Les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis -
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 6 MAI 1780 .
A PARIS,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevité du Roi.
TABLE .
Des Matières du mois d'Avril.
PIÈCES
FUGITIVES .
49
Le Ruiffeau ,
Air d'Atys ,
Chanfon ,
Les Muses Réunies , Prologue
52
Vers à M. de laHarpe , 97
A Zilia
98 →
86
111
Contes de J. Bocace,
Poëme fur les Eclipfes ,.
VoyagePittor, de l'Italie, 120
Lettre à Madame la Baronne
de ** , fur la chaleur da
Globe , 126
Atlas portatif, à l'usage des
Colleges, 130
Lettre aux Rédacteurs du Mélanges d'une grande Bi-
Mercure ,
103
145
162
167
bliothèque,
Abrégé de l'Histoire générale
des Voyages
Monde Primitif,
Les Amours , Elégies , 216
Obfervationsfur Londres & fes
Réponse de M. de la Harpe
aux Vers que M. le Marquis
de Villette lui a
adreffés,
Versfur Mllede Condé , 147
Obfervations Critiques fur les
Fabliaux ,
Epitre d'une Jeune Polo Concert Spirituel ,
noife à une defes Concitoyen
nes ,
environs ,
ibid. SPECTACLES.
200
226
39
Académie Roy, de Mufiq.177.
193 230.
Enigmes & Logogryphes , 9 , Comédie Françoiſe , 42 , 179
65 , 110 , 161 , 198. Comédie Italienne , 44 , 186 ,
NOUVELLES LITTÉR. 233.
Almanach des Mufes , 10
Académies ,
Variétés ,
133
88,235
94, 141 , 191
46 , 142
Almanachde MONSIEUR , 36
Defcription Hiftorique de la Gravures ,
Lorraine & du Barrois , 38 Annonces Littéraires , 47, 941
Mufique
Lettres choifies de Voiture , 66
Médecine Domestique , 82 143 , 191 , 239 .
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint -Gôme.
BAR
TOTHECA
SOCIA
CENSIS
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 6 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
MES AGES.
Il fut un tems , il m'en ſouvient encor ,
C'étoit le bon tems de ma vie.
Parmi les jeux , à l'abri de l'envie ,
Mes jours avoient un libre effor.
Tout à mes yeux étoit prodige :
Une fource qui jailliſſoit ,
La fleur qui couronnoit la tige
Le Zéphir qui la carefſoit ,
Un nid de Fauvettes .... Que dis-je ?
Un Papillon m'intéreſſoit.
Aujourd'hui , tout eft grand ; armés de leur balance,
Les États attentifs croifent leurs mouvemens ;
Le Midi craint le Nord , le repouffe en filence ;
La Paix vole indécife aux champs des Mufulmans 3
Sur un Monarque aimé notre Empire s'appuie ;
A ij
MERCURE
De vrais Républicains combattent leurs tyrans ;
Tout eft fpectacle ! ..... & je m'ennuie,
Il fut un tems , ce beau tems eft paffé ,
Où mon efprit , aux voûtes éternelles
S'élançoit d'un vol empreffé,
Audacieux aiglon , dans mes courſes nouvelles ,
Imitant l'Aigle altier qui traverſe les Cieux ,
Je fuivois les fentiers , & du flambeau des Dieux
J'allois ravir les étincelles ,
Et l'Algébre & fes profondeurs ,
Et les fecrets de la Chymie ,
Et les fyftêmes féducteurs
De la pompeuſe Aſtronomie ;
Je fondai tout , hormis la fcience des coeurs...
J'en avois un pourtant ; je l'appris de Thémire,
C'eft alors que , dans mon délire ,
Je m'écriois : Tout n'eft qu'erreurs ,
» Hors le fentiment qu'elle infpire ! »
Il fut , ce tems , cet heureux tems ,
Où je difois à ma Maîtreffe :
» Prends mon coeur & mes dix -huit ans ;
» Hélas ! c'eft toute ma richeffe. ,., »
DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
M. D'ALEM BERT.
S'11 parle, il fait prendre le ton
De Théophrafte dans Athène.
S'il prend la plume , c'eft Platon ;
Avec le compas , c'eft Newton ;
Quand on le voit , c'eft La Fontaine.
( Par M. de V...)
L'AMOUR CRÉÉ PAR LA BEAUTÉ
ou les Illufions du Cloitre , Hiftoriette
Anacréontique *.
DANS
ANS un Couvent de Naples , où , loin du
monde & des plaifirs , quelques jeunes filles
vont faire profeffion de s'ennuyer , deux
Penfionnaires , Euphrofine & Aglaé , ayant
à peine quinze ans , jolies , fpirituelles , ne
demand int pas mieux que de devenir fenfibles
, voyoient à regret s'évanouir les
plus beaux jours & les plus belles nuits de
leur printemps . La jaloufie de leurs compagnes
& le befoin de s'amufer , befoin fi
preffant à leur âge , achevèrent entre- elles
* Une petite ftatue de cire , faite par deux jolies
Penfionnaires de Couvent , a donné lieu à ce badinage.
A iij
MERCURE
une liaiſon que la conformité de goûts avoit
commencée. Il faut aux femmes un objet
d'affections. Les deux charmantes Penfionnaires
conçurent bientôt l'une pour l'autre
la tendreffe la plus vive. Les mêmes agrémens
qui , dans le monde , en auroient fait
deux rivales , dans le cloître en firent deux
amies.
Fatiguées de leur folitude , elles cherchèrent
dès - lors à s'y procurer quelques
amuſemens qui puffent au moins les diftraire
de l'image qu'elles fe faifoient des plaifirs de
la fociété. On peut prefcrire des bornes à la
liberté des filles qui ont quinze ans , mais on
n'en donnera jamais à leur imagination ."
Celle de nos jeunes Réclufes , à chaque inftant
plus inventive , leur fourniffoit des
dédommagemens de toute efpèce. Un jour
pourtant qu'elles ne favoient que faire , elles
fe mirent à lire. Il n'eft pas étonnant que ce
fût-là leur dernière reffource ; car , hélas !
elles ne lifoient jamais de Romans , ni de
Contes pour rire , ni toutes ces jolies bagatelles
du jour qui font rêver l'efprit , &
difpofent le coeur à faire encore mieux.
Aucune de ces brochures ne paroiffoit dans
le Couvent ; la Supérieure y mettoit bon
ordre. En revanche , tout ce qui s'appelle
livres de dévotion , y avoit fes entrées
libres.
Euphrofine & Aglaé aimoient beaucoup
la Bible. En la parcourant , elles tombent
ce jour-là fur un des Chapitres de la Genèſe ,
DE FRANCE.
7
où elles trouvent que le Créateur voyant le
premier homme former encore des defirs
au fein des délices du Paradis terreftre , dit :
faifons - lui une compagne. Eh bien ! ma
bonne, s'écrie auffi-tôt Euphrofine , nous ne
fommes pas , à beaucoup près , dans le Paradis
terreftre , & nous nous ennuyons pour le
moins autant que notre premier père ; que
ne nous faifons-nous aufli un compagnon ?
En confcience , le Ciel nous devroit bien ce
préfent. Un compagnon ! répond Aglaé ,
mais tu n'y penfes pas. Eh ! comment ? Par
quel moyen ? Les voilà qui cherchent , qui
fe promènent en rêvant autour de leur
cellule.
- Une petite Madone de cire , qu'elles.
n'avoient pas encore apperçue , s'offre toutà-
coup à leurs yeux. Elles fe la montrent du
bout du doigt en fouriant , mais elles n'ofent
point s'en faifir. Un refte de fcrupule combat
quelque temps en fa faveur ; il cède
enfin au defir que l'on a de fe procurer un
compagnon. Il faut que le Lecteur apprenne ,
avant tout , que les deux amies favoient
parfaitement deffiner , & qu'elles avoient
même quelques notions de la fculpture. La
ftatue eft déjà dans les mains d'Euphrofine.
Comme elle poffédoit fort bien la Fable , fa
première idée fut d'en faire un Hercule :
c'étoit fon héros , chacun a le fien. Aglaé ,
plus prudente , fe décida pour un petit
Cupidon , afin , dit- elle , qu'en cas de furprife
, la Mère Supérieure , en voyant fes
"
A iv
8 MERCURE
aîles , pût aifément le prendre pour un Ange.
Bref, voici la Madone en pièces , & mes
belles à l'ouvrage.
Grâce aux plus jolis doigts du monde , la
cire molle & flexible s'arrondiffoit & prenoit
déjà des formes heureuſes , lorsqu'il
s'élève tout-à- coup une difpute entre nos
deux jeunes ouvrières , au fujet des traits
dont elles devoient former le vifage de
l'Amour. Où trouver , dit Euphrofine à fon
amie , des yeux aufli beaux , auffi doux , auffi
ter dres que les tiens ? Allons , il aura tes
yeux. Non , repond Aglaé , ce font les tiens
qu'il faut lui donner ; ils font vifs & malins ;
ils conviennent à l'Amour. Je gage que luimême
les choifiroit . Eh bien , dit Euphrofine
, ie confens à ce que tu veux : il aura
donc des yeux femblables aux miens ; mais
c'eft à condition que ta bouche fraîche &
vermeille fervira de modèle à la fienne.
Ainfi , la figure de Cupidon ne fut qu'un
affemblage des traits d'Euphrofine &
d'Aglaé.
Sous la main de nos jeunes Prométhées ,
les charmes de l'Amour naiffent à meſure ,
croiffent , fe développent , autant toutefois
qu'il leur étoit poffible de les développer.
On fe fouviendra qu'elles n'ont pas quinze
ans.
Quoi qu'il en foit , fes bras terminés par
de petites mains rondes & potelées , faites
fur celles d'Euphrofine , offrent à l'oeil & au
toucher des contours frais & gracieux. Mais
DE FRANCE.
༡
ce que les friponnes paîtriflent avec le plus
de foin & de plaifir , ce font les jambes de
l'Amour. On ne peut en effet rien voir d'aufli
parfait. La beauté des formes s'y joint à la
jufteffe des proportions : on ne ceffe de les
louer que pour admirer des pieds mignons &
délicats ; c'étoient ceux d'Aglaé.
Leur ouvrage à peu près fini , elles ne fet
laffent point de l'examiner , & femblent y
trouver fans ceffe quelque chofe à defirer.
Il eſt touché , retouché ; on critique , on cor
rige , & toujours on foupçonne un mieux
auquel on voudroit atteindre. C'étoit bien
d'ailleurs le plus joli chef- d'oeuvre qui fût
jamais forti de la main des femmes ; tous
fes traits fembloient refpirer ; il ne lui
manquoit guères que la parole. Il paffoit
tour-à- tour des mains d'Aglaé dans celles
d'Euphrofine ; cette dernière ne le rendoit
que pour le reprendre aufli - tôt . Qu'il eft
gentil ! ... Quelle bouche ! Quels yeux ! ...
Aglaé , vois , il femble nous fourire... Ces
mots étoient accompagnés des careffes les
plus vives. Elles tâchoient , par mille &
mille baifers , de lui donner une ame &
des fens. Il est sûr qu'on en auroit une à
moins.
Après ces premiers tranfports , Aglaé propofa
d'habiller l'Amour. L'habiller , dit
Euphroline ! Eh ! pourquoi ? Ce feroit dommage.
Pour moi , reprit Aglaé , je ne faurois
le voir ainfi nud , fans éprouver une fecrette
peine. Quoiqu'il foit infenfible , je crois à
A v
10 MERCURE
chaque inftant que le pauvre petit grelotte
de froid. N'y auroit- il pas un moyen de lecouvrir
, fans pourtant le cacker ? Tiens-, je
ne fais , mais il me femble qu'alors je le regarderois
avec moins d'inquiétude. Une
gaze légère & tranfparente mit nos belles.
d'accord , en voilant le Dieu qu'elles venoient
de former. Il est encore inutile de
prévenir qu'on mit un art infini à donner à
certe toilette tout l'air & toutes les grâces
de la négligence.
Ainfi nos jeunes filles , enchantées de leur
ouvrage , ne trouvoient plus leur cellule
auffi déplaifante , & paffoient avec lui des
heures entières. Elles le careffoient , le baifoient
, le baifoient encore , lui parloient
le grondoient de ne pas répondre , & lui
adreffoient les voeux les plus tendres....
Les illufions n'ont qu'un temps. Celle des
deux Penfionnaires fut , hélas ! trop tôt diffipée.
On commença par négliger le pauvre
petit Amour ; on ne lui dit bientôt qu'un
mot en paffant. Plus de careffes , plus de
baifers , à peine un léger coup- d'oeil, On
s'apperçut enfin que cet objet fi fêté , fi
chéri , n'étoit qu'un morceau de cire. On
plaifanta d'abord de fa folie , on finit par
en rougir ; & tout ce grand changement ne
fut , qui le croiroit ! que l'effet d'une visite
au parloir.
DE FRANCE. II
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent,
LE mot de l'énigme eſt Montre ; celui
du Logogryphe eſt d'Estaing , où le trouvent
deftin , fage , ane , finge , Ange , Denis ,
fatin , dais , étang , nid , tige, gain , anſe
danfe , fein , gaze.
ÉNIGM E.
Des mains de l'Art je reçus l'exiſtence ;
Le fer , le feu , la terre & l'eau
Eurent tous part à ma naiſſance ,
Et pour combattre l'air je quittai le berceau.
Par mon état placée à la claſſe femelle ,
Je n'eus jamais d'époux ; j'ai cependant un fils ;
Je le porte en mon fein ; & fa nature eft telle ,
Qu'il exiftoit peut-être avant que je naquis.
D'un foufre menaçant , mortel , je te délivre ,
Car je fuis , de tous temps , ardente à te ſervir ,
Ma voix t'avertit de bien vivre ,
Et toi , de mes bienfaits tu perds le fouvenir.
Des plaifirs & des jeux quand la troupe légère
T'entraîne , à tes devoirs je fais te ramener ;
Je te rends à l'Amour ; & plus d'une Bergère
N'eût pas reçu fans moi l'hommage du Berger.
Prends-tu le deuil ? Senfible à tes alarmes ,
Par de triftes accens je réponds à tes larmes ,
A vj
12 MERCURE
L'hymen couronne-t'il ton amoureuſe ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit , fortant de fes demeures fombres ,
Sème dans l'Univers le filence & les ombres ,
Tu dors ; & refpectant ce précieux fommeil ,
Je me tais pour ne point trop hâter ton réveil.
Pour prix de mes bienfaits , quelle eft ma deſtinée ?
Tu me charges de fers , me mets la corde au cou ;
Au plus haut d'un gibet je me vois attachée ;
C'est l'acte d'un ingrat , ou bien celui d'un fou.
(Par M. Bodin , C. D. F. D. R. )
LOGOGRYPHE.
Nous tic formons qu'un corps , quoique deux foeurs
jumelles ;
Nos bras élastiques & grêles
Forment les mêmes mouvemen's ;
Du plus actif des élémens
L'on évite par nous les atteintes cruelles ;
Et Ducerceau , jadis en vers charmans ,
Jaloux de nous rendre immortelles ,
Célébra nos divers talens.
Le retour de Zéphyr nous pourfuit & nous chaffe ;
Mais auffi -tôt que la neige & la glace ,
Triftes filles de l'Aquilon ,
De l'empire François couvriront la furface ,
Chacun nous fommera de rentrer au falon.
Sous cette enveloppe un peu fombre
DE FRANCE. 13
Si tu ne peux , Lecteur , nous deviner ,
De trois fois trois nos pieds forment le nombre ;
Ton affaire à préfent eft de les combiner.
D'abord tu trouveras un arbre très -utile ;
Un oiſeau jafeur & fripon ;
En Languedoc un port fort bon ;
Des États de Savoye une agréable ville ;
Une autre encore où le grand Conftantin
Contre Arius fit tenir un Concile ;
L'un des fept tons de l'Arétin ;
Un mont connu , des Alpes fort voiſin ;
Au Bûcheron un outil néceffaire ;
Le temps où la moiffon mûrit ;
Un fon impératif qui preferit de fe taire ;
Ce que l'enfant embraffe & ce qui le nourrit 3
De la liqueur bachique une honnête meſure ;
De la belle Cypris la magique ceinture ;
Un petit trait piquant ; un Empereur Romain ;
Des Athlètes l'antique armure,
Et le vent frais qui vient des portes du matin.
( Par M. l'Abbé Dourneau. J
"
14
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSA1 fur la Mufique Ancienne & Moderne.
4 Vol. in- 4° . A Paris , chez Onfroy ,
Libraire , rue du Hurepoix .
RASSEMBL ASSEMBLER , du moins en ſubſtance ,
tout ce que l'on a écrit d'intéreffant ou de
fenfé fur la Mufique ; préſenter le tableau de
fes efforts , de fes progrès , de fes révolutions
dans tous les temps & dans tous les lieux ;
joindre à l'expofition & à la difcuffion de fes
principes les recherches les plus intéreffantes
fur les inftrumens qu'elle a inventés , fur les
ufages auxquels on l'a confacrée, fur les Artiftes
, les Savans & les Poëtes qui l'ont enrichie
, éclairée ou fervie : tel eft le plan de
l'Ouvrage que nous annonçons au Public.
Cette entrepriſe , auffi utile que vaſte , exigeoit
à la fois le talent de l'Artifte , les lumières
du Savant , le zèle infatigable & noble
de l'Amateur. Une érudition immenfe ,
curieufe & variée , une critique fondée fur
la connoiffance profonde de l'Art , auffi
éloignée de la froide analyfe du raifonneur
que des préjugés exclufifs & defpotiques de
l'enthoufiafte , ont préfidé à l'exécution . Cette
érudition , cette analyfe , ces difcuffions
n'ont rien d'aride ni de repouffant. Faites
avec choix , elles amufent fans fatiguer ; &
DE FRANCE.
d'ailleurs cet Art eſt trop cher aux ames ſenfibles
dont il fait les délices , pour qu'elles
ne s'occupent pas avec plaifir & emprellement
de tout ce qui le concerne , de tout ce
qui peut les mettre à portée de comparer
feurs fenfations à celles que le même Art a
fait éprouver à d'autres peuples & dans d'autres
temps.
L'Auteur examine l'hiftoire & la théorie
de la Mufique chez les Grecs anciens & modernes
, chez les Romains , les Égyptiens ,
les Juifs , les Chaldéens , les Gaulois , les
Chinois , les Perfans , les Turcs , les Arabes ,
les Ruffes , les Hongrois , les Morlaques &
les Européens modernes. Il joint à cette
hiftoire tout ce qu'il a pu découvrir ſur les
inftrumens , tant anciens que modernes , de
ces différens peuples ; & tels font les vaftes
objets qu'embraffe fon premier Volume.
Ses regards ont dû fe tourner d'abord vers la
Mufique ancienne ; mais tout concourt à répandre
fur cette partie de l'hiſtoire de l'Art
l'obfcurité & l'incertitude . Les monumens qui
nous en reftent , ou ne décident rien , ou ſe
contredifent, & font plus propres à nous égarer
qu'à nous inftruire. Que penfer en effet d'un
Art dont les Philofophes les plus graves ne
parlent qu'avec enthoufiafine ; dont les Hiftoriens
rapportent les effets les plus extraordinaires
, qui étoit l'organe des oracles , des
lois , de la morale , l'un des objets principaux
de l'attention publique , & la partie la
plus effentielle de l'éducation , mais dont les
16
MERCURE
principes compliqués , les fignes innombrables
, la theorie abftraite & minutieuſe ,
femblent s'arrêter aux premiers élémens de
la Mutique moderne , & donner le démenti
le plus formel à tout l'étalage de gloire &
de puiffance dont on a voulu la décorer ?
Le premier moyen de concilier ces contradictions
apparentes femble devoir fe tirer
de la conftitution physique & morale des
peuples anciens. « La Mulique ne nous tou-
» che qu'à proportion de la fenfibilité de
» nos organes. Il y a tel homme pour qui
l'harmonie n'eft que du bruit; il y en a
» d'autres qu'elle tranfporte jufqu'à fufpendre
en eux le fouvenir de leurs affaires &
» de leurs chagrins. . . . .
ל כ
33
" Ce que l'Hiftoire nous a confervé des
» effets étonnans que la Mufique produifoit
» chez les Grecs , mis à côté de l'imperfec-
» tion de cet Art chez cette nation , ne
» prouve que fon extrême fenfibilité. Nés
fous un climat plus chaud que le nôtre ;
plus fufceptibles de paffions que nous ne
» le fommes ; doués d'un goût plus vif ,
» d'un fentiment plus exquis pour les plaifirs
, & d'une pénétration plus active pour
tout ce qu'ils voyoient & entendcient ;
élevés d'ailleurs , pour la plupart , dans la
liberré du gouvernement populaire , fe
» livrant fans crainte à tout ce qui pouvoit
» flatter leur imagination , & n'épargnant
» rien de ce qui étoit capable de leur procurer
du plaifir : c'eft à la délicatele des
">
DE FRANCE. 17
-
» organes des Grecs qu'il faut faire hon-
" neur de toutes les merveilles que l'on a
» débitées au fujet de leur Mufique....
"
· L'union conftante de la Poelie & de la
Mufique femble encore jeter quelque lumière
fur les faits dont il s'agit. La Poefie
pouvoit communiquer à la Mufique une
partie de fa puiffance ; cela eft vrai de nos
jours , à plus forte raifon chez les anciens ,
dont la Mulique étoit beaucoup plus fubordonnée
à la Poélie que parmi nous. Mais
comment allier cette conjecture avec l'idée
de Platon , qui vouloit « qu'avec une lyre
» on pût fi bien repréſenter les fentimens &
» les penfées , que l'Auditeur fût à portée
» de les deviner & de les diftinguer ; qu'un
» Muficien peignît par les feuls fons d'un
inftrument , un ordre ou une prière , un
confentement ou un refus , un confeil ou
» une perfuafion ? » Comment accorder
Platon avec lui- même , lorfqu'après avoir
conçu une fi grande idée du pouvoir de la
Mufique , il avance que la Mufique inftrumentale
eft une chofe fans fignification ?
Comment fe former une idée préciſe d'un
Art fur lequel le même homme , l'un des
plus grands hommes de l'antiquité , réuniffoit
des idées fi incohérentes , & même fi
contradictoires?
و ر
""
"
Laiffons les Hiftoriens & les déclamateurs
, & cherchons dans ce qui nous reſte
des principes de la Mufique ancienne , ce
qui peut nous éclairer davantage.
18 MERCURE
Sous le nom de Mufique , les anciens comprenoient
un grand nombre d'objets. Indépendamment
de l'influence qu'ils fuppofoient
à l'harmonie dans la création & dans .
les lois de l'Univers , dans les fonctions de
nos facultés , en un mot , dans toute la nature
; la Mufique proprement dite , réuniffoit
d'abord le chant , la poéfie & la danſe :
dans la fuite , elle fe fépara des deux dernières
, & cette révolution dût lui faire perdre
beaucoup de fa confidération. 8
Nous ne fuivrons pas l'Auteur dans le
détail des divifions anciennes de la Mufique
en théorique phyfique ou artificielle , & pratique
ufuelle ou narrative. Ce plan , qui
renfermoit la fcience de l'acouſtique , le
rapport calculé des intervalles , les régles de
la mélodie , du rhythme , de la poélie , de
la danfe , & même du gefte , eft plus vafte
que le nôtre , foit que les anciens euffent cru
devoir réunir fous le même nom des connoiffances
qui tenoient enfemble par une
dépendance mutuelle & plus intime que
chez nous , foit que chacune de ces fciences ,
plus fimple encore & moins approfondie
ne fuffit pas pour former feule un corps de
théorie qui eût une certaine confiſtance.
Le rhythme ou la mefure faifoit le point
capital de la Mufique des anciens , & en
étoit l'ame ; tandis que la fimple mélodie
n'en étoit , pour ainfi dire , que le corps.
L'exactitude de leur profodie les rendoit
DE FRANCE. 19
très -fcrupuleux fur la mefure , & dès- lors
très-fenfibles au rhythme.
و د
"Nous ofons affurer , continue l'Auteur ,
» que dans ces fameux effets tant vantés de
» la mufique des anciens , après la poésie ,
» le rhythme étoit ce qui devoit les faire
" naître ; car le rhythme feul , fans le fecours
des paroles ni de l'harmonie , eſt
capable d'agiter l'ame , comme on l'éprou-
» ve en entendant des tambours , timbales ,
→ cymbales , &c.
ود
"
»Nous croyons auffi que le rhythme de la
» Mufique vocale ancienne étoit plus parfait
» que le nôtre..... mais qu'en revanche ,
» celui de notre Mufique inftrumentale
l'emporte infiniment fur celui de leur Mufique
de même eſpèce.
33
و د
Nous l'emportons également fur cux
» dans la Mélopée , ou Art de compofer un
chant , dont l'exécution recevoit le noma
» de mélodie. »
Les règles de leur Mufique comprenoient
les fons , les intervalles , les genres , les fyftêmes
, les modes , les muances & la mélopée.
Soit que leurs oreilles fuffent plus délicates
que les nôtres , foit que leur enharmonique
fût, comme le nôtre, une eſpèce de
charlatanerie , ils comptoient le quart de
ton au nombre de leurs intervalles. L'emploi
de ce quart de ton conftituoit leur genre enharmonique
; celui des demi - tons conftisuoit
leur genre chromatique , & le diato20
. MERCURE
nique procédoit par les intervalles que nous
appelons intervalles naturels.
Les fons combinés les uns avec les autres
formoient les fiftémes. Le fyftême ou l'affemblage
des fons , ufites dans la plus ancienne
Mufique , fe réduifoit à un terracorde
compofé de quatre fons diatoniques. Les
nouveaux fons dont elle s'enrichir, formèrent.
de nouveaux tétracordes & de nouveaux
fyftêmes.
Les tons ou modes répondoient à peuprès
à ce que nous avons appelé du même
nom.
Les muances étoient les changemens qui
pouvoient arriver dans le cours d'un chant.
Ces changemens portoient ou fur le genre ,
ou fur le fyfiême , ou fur le mode , ou fur
la mélorée , lorfque le chant , par exemple ,
paffoit du ferieux au gai , du grave à l'impétueux
, &c.
La mélopée étoit réduite à un petit nombre
de préceptes , parce qu'il ne s'agilloit pas
alors de compofition à plufieurs parties , &
que le Muficien n'avoit pour objet que de
chercher des chants qui s'accordaffent bien
avec la quantité des fyllabes. Aristide Quintilien
reconnoît dans la mélopée neuf
fortes de nomes ou chants déterminés par des
règles fixes , & dit qu'ils fe chantoient fu
neuf modes différens.
Tout cela n'eft pas trop fatisfaifant , &
l'on a cherché prefque inutilement à l'éclaircir
par des commentaires fans nombre.
DE FRANCE. 21
Nous avons , comme les Grecs , des genres,
des fyftêmes , des modes & des muances,
Nous y mettons moins d'importance qu'eux ;
& ce ne font encore parmi nous que les
premiers rudimens de l'Art. Que penfer de
ces nomes , dont les modes , l'ufage & l'expreffion
étoient déterminés ? Etoient- ce ce
que nous nommons des airs ? Étoient - ce des
formules muſicales qui fervoient de motif
& de bafe aux chants plus étendus que l'on
en tiroit ? Ne feroient - ce pas plutôt ces
formes de couplets que nous connoiffons
dans la poétique ancienne fous le nom d'alcaïque
, de faphique , &c. & fur le modèle
defquels les Poëtes compofoient les ftrophes
de leurs odes ? Le rhythme & le mode auroient
pu y être déterminés fans que cela
fixât les inflexions vocales,
Chaque fon du fyftême antique avoit
pour caractère ou pour note une lettre de
l'alphabet , & ces caractères s'écrivoient fur
une feule ligne. Suivant les genres , les fyf
têmes , les modes auxquels on les faifoit fervir
, ces lettres étoient ou entières ou mutilées
, fimples , doublées , alongées , accentuées
, &c. Ils avoient auffi des caractères
de durée. En un mot , tous les caractères
ufités montoient au nombre de 1620 ; nombre
prodigieux , & d'après lequel il n'eft pas
étonnant qu'il fallût trois ans d'étude pour
fortir des premiers élémens de l'Art.
Cette differtation fur la Mufique Grecque
eft accompagnée de quatre morceaux
22 MERCURE
de Mufique ancienne , les feuls qui nous
reftent. L'Auteur préfente ces morceaux
notés avec les caractères antiques , & avec
les notes de notre Mufique ; il a même
effayé d'y ajouter trois parties vocales d'harmonie
, afin de faire voir ce que les anciens
auroient gagné à connoître le contrepoint.
Ces morceaux fi précieux , quoique fi peu
décififs , font fuivis d'une table générale des
caractères en ufage dans la mufique ancienne ,
comparés aux fons correfpondans du ſyſtême
moderne.
Ce fut des Grecs que les Romains reçurent
leur muſique. Les Étrufques avoient
une mufique avant la fondation de Rome ;
mais elle étoit très-bornée ; & juſqu'à l'arrivée
d'Évandre , on ne connoiffoit en Italie
que les pipeaux des Bergers. Ainfi l'on peut
appliquer à la mufique Romaine tout ce
qu'on peut favoir de la mufique Grecque.
Nous avons déjà dit que cet Art comprenoit
le gefte & la danfe. L'Auteur examine
avec le plus grand détail tout ce qui nous
refte fur cette partie de la mufique des anciens.
Cela le conduit aux recherches les plus
curieufes fur les jeux des anciens , fur leurs
théâtres , fur leurs drames , fur ces pantomimes
dont on conte tant de merveilles ,
fur la forme même des applaudiffemens ;
car chez ces peuples tout étoit affujéri à des
formes & à des coutumes fixes & déterminées.
Par - tout on voit les traces d'un enthoufiafine
que l'habitude augmentoit loin
DE FRANCE ·23
de l'affoiblir : le fameux cri des Romains ,
panem & circenfes , peut en donner une idée.
Mais quelle étoit la mufique d'un peuple
qui fe plaifoit à voir couler le fang des Gladiateurs
, à voir brifer des chars & écrafer
ceux qui les conduifoient , chez qui les femmes
même dévouoient à la mort , par un
gefte féroce , le malheureux qui s'immoloit
à leurs barbares plaifirs ? Et tels étoient les
paffe temps du fage Caton , du voluptueux
Luculle , du poli Cicéron , de l'harmonieux
& fenfible Virgile.
Quoi qu'il en foit , la mufique des Ro-
» mains étoit fi peu de chofe par elle- même,
" que Vitruve fut obligé , pour expliquer le
و د
و د
fyftême d'Ariftoxène , d'adopter tous les
» termes de la langue Grecque. On ignore
» s'ils eurent des Compofiteurs fameux ;
» leurs noms ni leurs ouvrages ne font pas
» venus jufqu'à nous. On fait feulement
qu'ils aimoient beaucoup les chanſons , &
qu'ils chantoient prefque toutes leurs
poéfies. Il paroît comme certain que plufieurs
odes d'Horace ont été parodiées fur
» des airs Grecs ; on prétend même qu'il
» nous en refte quelques-uns dont on fe fert
» encore pour nos hymnes , entre autres un
qui a été fait du temps de Sapho , & fur
féquel on chante l'hymne Ut queant laxis ,
» qui a été faite dans les premiers fiécles de
» l'Eglife.
ود
39
L'Auteur a fait graver cet air avec des
paroles d'Horace. S'il eft auffi ancien qu'on
24 MERCURE
le dit , nous avouons avec lui que c'eſt
monument précieux, de la mufique ancienne.
Mais il nous permettra de lui obferver qu'en
voulant l'affujérir à notre mefure à deux
temps , il en a probablement altéré le
rhythme. Non- feulement les fyllabes brèves
n'ont pas un rapport exact de durée avec les
fyllabes longues qui devoient toujours en
être doubles , mais elles ne font pas même
égales entre elles.
Les Romains n'avoient donc à eux
que la déclamation & la danfe ; mais ce
qui femble s'éloigner fingulièrement de
nos ufages , c'eft de noter & même de
foutenir par des inftrumens leur déclamation
oratoire. Comme elle fe formoit des
accens & du rhythme , il fulifoit d'y employer
les caractères des accens & de la mefure.
Ces notes déterminoient les fons &
leur durée ; cependant l'Orateur ou l'Acteur
pouvoit déclamer avec plus ou moins de
lenteur. Cicéron écrivoit à Atticus qu'il
avoit ralenti fa déclamation , & obligé le
joueur de flûte qui l'accompagnoit à ralentir
les fons de fon inftrument,
La mufique , foit vocale , foit inftrumentale
, accompagnoit les feftins , les triomphes
, les funérailles , les facrifices , tous les
jeux & toutes les fêtes.
Ici le préfente une difficulté. Ce qui précède
a pu faire penfer que les beautés de la
mufique dépendoint beaucoup de la poéfie
qui lui étoit jointe , & dont elle obfervoit
fcrupuleufement
DE FRANCE.
25
fcrupuleufement le rhythme . Cette mufique
n'étoit , à ce qu'il femble ; qu'une déclamation
plus accentuée , & dans laquelle
l'expreffion la plus forte ſe bornoit à quelques
légers écarts . Ce n'étoit qu'une forte de
plein chant monotone , & dont la marche
vague & incertaine n'avoit ni le retour ni
l'enlacement flatteur de nos modulations
ni les charmes puiffans de notre harmonie.
Avec des paroles énergiques , dans l'appareil
d'une fête ou d'une cérémonie intereffante
pour des ames Républicaines , il pouvoit
toutefois exciter l'enthoufiafme. Mais d'ou
la mufique inftrumentale tiroit- elle fa puiffance
? Comment expliquer fes prodiges
auffi fréquens que ceux de la muſique vocale
? Faudra t'il accorder aux anciens une
mélodie affez féconde , affez puiffante pour
les émouvoir indépendamment de la poéfie ?
Le rhythme feul fuffira t'il en ce cas pour
exciter ou calmer les paflions au gré de l'Artifte
? Ou les Grecs feront - ils dans le même
cas que ces peuples barbares , qui n'ont befoin
, pour être violemment émus , que d'un
bruit fans art , caufé par des inftrumens auffi
barbares qu'eux ?
Quoi qu'il en foit , l'Auteur fe croit fondé
à conclure que la mufique ancienne étoit
fort inférieure à la nôtre. Il ne croit , dit- il ,
depuis Jubal jufqu'à Lulli , qu'à un pleinchant
qui a varié dans tous les fiécles . Il eft
également perfuadé que les anciens ne connoiffoient
pas l'harmonie , quoique leur mu
Sam. 9 Mai 1780, B
26 MERCURE
fique en fût fufceptible ; ce qu'il a effayé de
prouver , en joignant aux morceaux qu'il en
cite , des parties vocales d'accompagnement.
,
Il ne croit pas qu'on doive , avec Rouſſeau ,
les féliciter de n'avoir pas connu le contrepoint.
En effet , comment Rouffeau , qui
connoiffoit l'impreffion que produit fur
l'oreille & fur l'ame le retour d'une confonnance
quelque temps fufpendue , qui a
lui-même affigné le caractère d'expreffion
particulier à chacun des accords , qui a écrit
que l'harmonie découverte ou perfectionnées
avoit ouvert à la mufique de nouvelles routes
pour plaire ou pour émouvoir * comment
Rouffeau a t'il pu avancer ce paradoxe ? Auroit-
il voulu prétendre que l'expreffion n'eft
pas le but des Arts , ou plutôt qu'ils s'eloignent
de la perfection à mefure qu'ils ont
plus de moyens de peindre ou de toucher ?
Quand on fonge , dit Rouffeau , que de
tous les peuples de la terre qui ont une
mufique & un chant , les Européens font
les feuls qui aient une harmonie , des
» accords , & qui trouvent ce mêlange
» agréable , &c. il eft bien difficile de ne pas
foupçonner que toute notre harmonie
n'eft pas une invention gothique & bar-
» bare...... C'eft comme fi l'on difoit :
quand on fonge que de tous les peuples
du monde qui ont une poéfie plus ou
» moins étendue , les Européens font les
"
9)
* Dicționaire de Rouffeau , Att. Opéra,
DE FRANCE. 27
feuls qui aient un Homère , un Virgile ,
" un Horace , un Racine , un Voltaire , un
Taffe , un Milton , & qui trouvent dans
leurs vers un charme inexprimable ,Fil eft
bien difficile de ne pas foupçonner que
» tout cela n'eft que barbarie. »
Rien de plus jufte que ce raifonnement :
rien de plus jufte encore que la manière
dont l'Auteur combat ce principe chimérique
que quelques Amateurs le font fait fi
gratuitement : par- tout où il n'y a pas d'imi
tation , il n'y a pas de mufique. Certainement
la musique eft quelquefois imitative ,
mais cette faculté ne lui eft ppaass effentielle
elle fe réduit même à peu de chofe quant
aux images phyfiques , & ne mérite férieufement
l'attention de l'Artifte que dans les
accens de la voix , par rapport au fentiment.
Alors il eft inconteftable que l'accent mufical
doit être imitatif, c'est-à- dire , analogue
à l'accent que la nature ou le génie des langues
ont attaché à l'expreffion de telle ou
telle affection de l'ame. Mais , en cela même ,
T'erreur de ceux qui ont abuſé du mot d'imitation
, eft de prétendre qu'imiter foit faire .
une chofefemblable , au lieu qu'en mufique.
comme en poélie , ce n'eft que faire une
chofe phis ou moins approchante de
la vérité. L'imitation muficale eft vague
comme celle de la pantomime ; elle doit
bien être affez diftincte & affez fenfible
pour réveiller dans l'ame l'idée ou le fentituent
général de telle ou telle affection ,
Bij
26 MERCURE
fique en fût fufceptible ; ce qu'il a eſſayé de
prouver , en joignant aux morceaux qu'il en
cite , des parties vocales d'accompagnement.
Il ne croit pas qu'on doive , avec Rouſſeau ,
les féliciter de n'avoir pas connu le contrepoint.
En effet , comment Rouffeau , qui
connoiffoit l'impreffion que produit fur
P'oreille & fur l'ame le retour d'une confonnance
quelque temps fufpendue , qui a
lui-même affigné le caractère d'expreffion
particulier à chacun des accords , qui a écrit
que l'harmonie découverte ou perfectionnée ,
avoit ouvert à la mufique de nouvelles routes
pour plaire ou pour
*
émouvoir comment
Rouffeau a t'il pu avancer ce paradoxe ? Auroit-
il voulu prétendre que l'expreffion n'eft
pas le but des Arts , ou plutôt qu'ils s'éloignent
de la perfection à mefure qu'ils ont
plus de moyens de peindre ou de toucher ?
" Quand on fonge , dit Rouffeau , que de
,
tous les peuples de la terre qui ont une
mufique & un chant , les Européens font
» les feuls qui aient une harmonie , des
» accords , & qui trouvent ce mêlange
» agréable , &c. il eft bien difficile de ne pas
foupçonner que toute notre harmonie
n'eft
pas une invention gothique & bar-
» bare...... C'eft comme fi l'on difoit :
quand on fonge que de tous les peuples
» du monde qui ont une poéfie plus ou
moins étendue , les Européens font les
ע
Dictionaire de Rouſſeau , Art. Opéra,
DE FRANCE. 27
feuls qui aient un Homère , un Virgile ,
" un Horace , un Racine , un Voltaire , un
Taffe , un Milton , & qui trouvent dans
leurs vers un charme inexprimable , il eſt
bien difficile de ne pas foupçonner que
» tout cela n'eft que barbarie.
pas
Rien de plus jufte que ce raiſonnement :
rien de plus jufte encore que la manière
dont l'Auteur combat ce principe chiméri
que que quelques Amateurs fe font fait fi
gratuitement : par- tout où il n'y a pas d'imi
tation , il n'y a pas de mufique. Certainement
la mulique eft quelquefois imitative ,
mais cette faculté ne lui eft ellentielle ;
elle fe réduit même à peu de chofe quant
aux images phyfiques , & ne mérite férieufement
l'attention de l'Artifte que dans les
accens de la voix , par rapport au fentiment.
Alors il eft incontestable que l'accent muſical
doit être imitatif , c'est-à- dire , analogue
à l'accent que la nature ou le génie des langues
ont attaché à l'expreffion de telle ou
telle affection de l'ame. Mais , en cela même ,
T'erreur de ceux qui ont abufé du mot d'imitation
, eft de prétendre qu'imiter foit faire .
une chofe femblable , au lieu qu'en mufique.
comme en poélie , ce n'eft que faire une
chofe phis ou moins approchante de
la vérité. L'imitation muficale eft vague
comme celle de la pantomime ; elle doit
bien être affez diftincte & affez fenfible
pour réveiller dans l'ame l'idée ou le fentiuent
général de telle ou telle affection ,
•
Bij
28 MERCURE
comme la joie , la douleur , la tendreffe , la
crainte , &c,; mais ni l'un ni l'autre ne peut
atteindre , fans le fecours de la parole , à
l'indication précife & individuelle de tel ou
tel fentiment. Ainfi , dans le même fens que
la pantomime eft imitative , la mufique
peut l'être , & c'eft dans ce fens - là que nous
difons avec l'Auteur qu'il imite en maſſe , &
non pas en détail ,
Mais nous ne faurions être entièrement
'de fon avis , lorſqu'à propos des regrets que
les Philofophes Grecs donnoient à la Mufique
des premiers temps , il rappelle ceux
des Amateurs modernes de Lulli , & qu'il
dit : " La Mufique n'eft bonne que quand
» elle amufe, Il n'y a pas de beau fixe en
Mufique comme en Peinture , Sculpture &
» Architecture. »
"
"
Cette propofition nous femble du moins
avoir befoin d'être entendue & éclaircie, Elle
préfente un fens que l'Auteur défavoueroit
fans doute , & qui pourroit décourager les
Artiftes , en ne leur offrant , pour prix de
leurs veilles , que des applaudiffemens de
mode ou d'habitude , fruits paffagers d'un
vain caprice. Qu'il nous foit permis de hafarder
quelques idées à ce fujet.
Nous avouons que la beauté musicale
tient beaucoup aux moeurs & aux circonftances,
La beauté phyfique elle - même ,
n'eft-elle pas foumife aux caprices des fens ,
du climat & de l'opinion ? En pouffant ce
raifonnement , un Rigorifte nieroit l'exifDE
FRANCE. 20
tence du beau dans tous les genres poffibles .
Un Art fait des progrès lorfque fes moyens
s'augmentent , que fa carrière s'étend , que
fes objets s'aggrandiffent & fe multiplient.
Les productions d'un Art font d'autant plus
belles qu'elles atteignent à un but plus
reculé , plus important , plus difficile , &
qu'elles donnent le fentiment du beau à des
hommes plus exercés & plus délicats.
A chaque pas que fait un Art , la sphère
du beau change donc pour lui . Ce qu'on
appeloit la beauté par excellence , peut devenir
une beauté médiocre ; elle peut deve
nir triviale ; la concurrence feule peut lui
faire perdre de fon prix ; mais fi elle a un
but d'une importance quelconque , elle ne
ceffera pas d'être une beauté. Nous admirons
encore, dans Lulli le naturel de fon
récitatif & la facilité de fon ftyle . Maintenant
que l'Orchestre s'eft ranimé , que la
mélodie s'eft enrichie , que des tableaux.
pathétiques ou terribles ont remplacé la
froide & monotone langueur de la mufique
de l'autre fiècle , on l'oublie & on la
dédaigne. Mais , ce qu'elle avoit de bon ,
fon naturel , fa facilité , nous paroît tel
encore ; ce qu'on y defire , c'eft l'énergie ,
la variété , la chaleur , qualités qui n'ont
rien de capricieux ni d'arbitraire.
Le beau fixe & le beau relatif ne font
point contradictoires. Il y a un beau fixe
dans tous les Arts , puifque tous les Arts
ont un but , & que tout ce qui atteint à
B iij
50
MER
CURE
ce but et beau. Mais ce but a plufieurs
parties plus ou moins importantes , & c'eſt
l'importance de ces parties qui détermine
le beau relatif.
Un Art ne peut changer de but , mais
ce but peut s'étendre. S'il change , l'Art fe
dégrade. C'eft ainfi qu'au moment de la
perfection , la crainte de n'être qu'imitateurs
égare les Artiftes , leur fait abandon
ner la vraie route , parce qu'elle eft trop
battue ; ou que , revenant fur leurs pas ,
ils s'attachent à une partie qui avoit été
négligée , & font leur objet principal de ce
qui ne devoit être qu'un acceffoire.
Après avoir ainfi raffemblé & difcuté
tout ce que l'on peut favoir de la Mufique
des Anciens , l'Auteur examine l'état
de cet Art chez les autres peuples qui
P'ont cultivé. Il fuit le même plan que pour
la Mulique Grecque ; il expofe l'hiftoire
la théorie de la Mufique chez ces différens
peuples , & tâche d'en donner l'idée la plus
complette qu'il eft poffible. Des faits curieux
, des coutumes fingulières animent ce
yafte tableau. Mais dans une matière fi éten
due , où l'Auteur lui- même a été forcé , par
l'abondance des détails , à ne les préfenter
fouvent que fous la forme de fimples notices
, nous eft impoffible de le fuivre
pas -à- pas.
Les Bardes avoient établi dans les.Gaules
une Mufique analogue fans doute à leur.
culte barbare. Cependant elle étoit allu
DE FRANCE. 31
jétie à des règles & avoit des écoles. Elle
s'enfuit avec eux à l'approche des Romains.
Tranfmis aux Gaulois , les Arts de Rome
fe virent bientôt étouffés par les peuples
du Nord ; mais la Mufique réfugiée aux
pieds des autels y conferva , quoique défiguree
, un pouvoir proportionné à celui
de l'Eglife On la voit enfuite infpirer les
Troubadours , les Ménétriers , les Romanciers
, fe perfectionner avec les autres
Arts , & atteindre enfin le fiècle où nous
vivons.
Chez les Chinois , comme chez tous les
peuples qui ont une Hiftoire , on retrouve
les mêmes contes , la mêine prévention ,
le même enthoufiafme que chez les Grecs.
Mais ce Peuple fingulier avoit trouvé les
principes de Pytagore & de fyftême des
Egyptiens ; il avoit foumis au calcul , appro
fondi & perfectionné fa Mufique longtems
avant les Linus & les Amphions .
Depuis les fiècles les plus reculés juſqu'à
nos jours , on voit les Empereurs Chinois
mettre la Mufique au nombre des principaux
objets de leur adminiftration , affurer
l'invariabilité de fes principes , & régler
même la facture des inftrumens par
des Édits folennels. Peuple heureux , qui
Te fuffit à lui même ; dont les Maîtres ,
libres d'affaires étrangères , peuvent s'occuper
uniquement de fes befoins , & même
de fes plaifirs !
Chez les Perfans , les Turcs & les Ara-
BAV
32 MERCURE
bes , on retrouve des traces de la Muſique
Grecque . Ils ont , comme les anciens , des
modes , & peut-être des nomes , fi toutefois
les phrafes harmoniques & invariables
dont ils font ufage , peuvent repréſenter ce
que les Grecs appeloient des nomes.. On
expliquera comme on voudra le rapport
fingulier & frappant qui fe trouve entre
la gamme Arabe & la gamme Italienne.
Mais en faifant attention aux lettres initiales
de chaque mot , il eft difficile de fe perfuader
que cette reffemblance foit un effet
du hafard.
Gamme Arabe.
'Alif, mim , lam.
Be , fe , fin.
Gim , fad , dal.
Gamme Italienne.
|A. mi , la.
B. fa , fi.
C. fol , do ou ut.
Dal , lam , re. D. la , re.
He , fin , mim. E. fi , mi.
Waw , dal , fe, F. do , fa.
Zain , re , fad. G. re , fol.
Après tant de révolutions , les Grecs
modernes confervent encore de foibles reftes
des moeurs & de l'efprit de leurs ancêtres
. Paffionnés pour les plaifirs & furtout
pour la Mufique , ils chantent encore
à table , boivent à la fanté de leurs Maîtreffes
, & finiffent par danfer au fon de
la lyre ou de la Guittare. L'Auteur préfente
quelques- unes de leurs chanfons . On
y apperçoit encore les traces de la delicaDE
FRANCE. 33
teffe d'un meilleur âge ; elles refpirent la
paffion & la volupté , & le goût Oriental
qui s'y eft mêlé , n'a pas entièrement étouffé
le génie de cette Nation célèbre.
C'eft aux Grecs , peut-être que les Turcs
doivent leurs chanfons. Elles ne font pas
dénuées de cette fineffe de fentiment , de
ces mouvemens naturels & paffionnés qui
caractériſent Anacréon & même Horace.
La feconde partie de ce premier volume
eft employée toute entière au détail des
inftrumens de Mufique chez tous les peuples
anciens & modernes. La facture , les
principes , les paffages même de mélodie
les plus favorables aux principaux de ces
.inftrumens , tout concourt à faire de cette
partie intéreffante un répertoire auffi complet
que l'ont pu former trente années de
travail & de recherches. Des figures trèsbien
gravées , tirées des monumens antiques
, des manufcrits du moyen âge , des
voyageurs les plus eftimés , expliquent le
texte. En un mot , l'Auteur n'a rien négligé
, ni rien épargné pour remplir le vatte
plan qu'il s'eft tracé.
Nous aurions bien voulu fuivre l'Auteur
dans toute l'étendue de fa carrière , &
donner du moins au Public une idée fuffifante
de fon travail mais forcés de nous
reftreindre , ce que nous allons ajouter
n'eft qu'une notice rapide & très - imparfaite
des différens objets qui rempliffent les trois
derniers Volumes,
BY
34 MERCURE
Le troifième Livre renferme l'abrégé d'un
traité de compoiition . Des rapprochemens
curieux , des difcuffions pleines de la meilleure
critique y tempèrent l'aridité des préceptes.
L'Auteur trouve dans fon fujet le
moyen de jeter encore un nouveau jour fur
la Mulique ancienne , fur la divifion , juſqu'à
prefent vicieuſe, de notre échelle, fur le tempérament
, en un mot fur la théorie entière
de ces fons , de ces intervalles , de ces accords
que la phyfique & le calcul peuvent
bien determiner , mais qu'il n'appartient
qu'au talent & au génie d'employer & de
faire valoir, A la fuite de ce Livre font
graves plufieurs morceaux d'harmonie tra→
vaikee , parmi lefquels on en verra quelques
uns des 16 & 17 fiécles .
Le quatrième Livre traite des chanſons ,
de ce genre où nous fommes fi jaloux d'exceller
, & dans lequel , il faut l'avouer ,
nous avons bien moins d'obligations à nos
Muficiens qu'à nos Poëtes. La partie hifto
Lique de ce Livre eft aufli complette qu'in
téreflante. Après des recherches fur les chanfons
Grecques & Romaines , fur les révolutions
de la langue romance , & fur ces
fameux Provençaux qui formèrent Pétrarque
& furent les premiers Maitres de l'Italie , on
verra avec plaifir une notice de nos anciens
Chanfonniers , & une collection nombreuſe
de celles de leurs chanfons que le temps
nous a confervées. Les plus curieufes fans
DE FRANCE.
35
doute font celles du Comte de Champagne ,
& de l'infortuné Châtelain de Coucy. L'Auteur
a recouvré ces dernières avec la mufique
du temps. Il a joint cette muſique aux paroles
; & fi elle eft par elle-même peu capable
de nous plaire, il n'en eft pas moins
intéreflant de retrouver ces mêmes airs qui
attendriffoient l'épouſe du barbare Fayel , &
qui foulageoient les peines & la douleur de
l'infortuné Raoul .
Le reste de l'Ouvrage contient tout ce
que l'on peut favoir des Poëtes , des Muficiens
, des Auteurs , des Chanteurs qui
ont bien mérité de la mufique , parmi les
anciens , & parmi les modernes , foit par
leurs talens , foit par leur travail fur la
théorie de l'Art , en France & en Italie depuis
Gui d'Arezzo jufqu'à nos jours. Les notices
alphabétiques que l'Auteur en donne , ren
ferment tout ce qui peut les rendre intéreffantes
: anecdotes curieufes , opinions expo
fées & difcutées , &c. cette partie eft complette.
Les articles de nos Poëtes lyriques
font accompagnés des plus jolies & des
moins connues de leurs chanfons. Les Savans
verront avec plaifir les articles Ariftoxène,
Pythagore, Guy d'Arezzo , Rouſſeau , Rouf
fier , Blainville , Rameau , Tartini , Zarlins
&c. Les Amateurs liront de même les
articles Piccinni , Sacchini , Traëtta ,
golefe , Philidor, Quinault , Métaftafe , &c.
&c. Mais ils regretteront de ne pas voir à
Per
B vj
36 MERCURE
côté de ces Hommes célèbres , ceux dont
l'Allemagne s'honore à juste titre , les Stamitz,
les Hayden , les Vaggenzeil, & fur- tout
le Chevalier Gluck , méritoient d'y occuper
un rang diftingué. On pourroit auffi reprocher
à l'Auteur d'avoir laiffé de la confufion
dans quelques parties de ce grand Ouvrage.
NOUVELLES Lettres d'un Voyageur
Anglois , par M. Sherlock.
Incenditque animum fama venientis amore.
Vol. in-8°. A Londres , & fe trouve à Paris ,
chez Efprit , Libraire , au Palais Royal , &
chez la Veuve Duchefne , rue S. Jacques.
CET Ouvrage peut être regardé comme le
fecond Volume de celui que M. Sherlock a
publié il y a quelques mois , & dont on a
tendu compte dans un des Numéros précédens.
Il contient quarante- quatre Lettres ,
dont les principales traitent de l'Italie , de
la Poéfie , de la Mufique , de Paris , du Goût
& de Shakeſpear. L'accueil bien mérité , que
le Public a fait aux premières Lettrès du
Voyageur Anglois , promet à ce nouveau
Recueil un fuccès pour le moins égal. On
n'y trouvera point ces détails minutieux &
froids , dont la plupart de nos Voyageurs
enflent leurs Volumes. M. Sherlock ne traîne
point , comme eux , fon Lecteur fur les
1
DE FRANCE. 37
:
grandes routes ; il ne le retient point dans
les auberges ; mais lui faifant franchir d'un
faut les efpaces qui féparent les objets intéreffans
, il ne l'arrête que dans les lieux où il
peut trouver quelque agrément ou recueillir
quelque fruit. Quoique l'Auteur embraffe
plufieurs matières , fon Livre eft fort court;
& ce reproche , que les Lecteurs font fi rarement
, ils le feront sûrement tous à M. Sherlock.
Mais pourquoi le condamner fans l'entendre
? Peut-être a-t'il penfé qu'il falloit
traiter notre légère nation comme l'on traite
ces eftomacs foibles & délicats , auxquels
on ne permet qu'une petite quantité ďalimens
à la fois. Si c'eft par cette confidération
qu'il s'eft décidé à ne publier qu'un petit
volume , avouons le , il n'a fait par-là que
nous donner une preuve de plus de fon difcernement.
Au refte , le petit volume de
M. Sherlock renferme plus d'idées dans fes
deux cent pages que n'en contiennent fouvent
des ouvrages de longue haleine ; & nous
pouvons appliquer ici ce que l'on a dit du
même Auteur à l'occafion de fes premières
Lettres : il ufe , on ne peut mieux , du talent
Anglois , de penfer beaucoup en peu de mots ,
& deparler à l'efprit par abbréviation .
Ce qui diftingue fur tout M. Sherlock
de la foule des Voyageurs Écrivains ,
c'eſt qu'il ne répète jamais ce que d'autres ont
* dit avant lui. Il rapporte ce qu'il a vu , & il
a tout vu avec Les yeux ; il écrit ce qu'il a
F
1
*
38 MERCURE
penfé , & il n'a point penfé d'après les autres :
par-tout il eft lui-même. C'eſt- là ce qui donne
à fon ouvrage ce caractère d'originalité , qui ,
lorfqu'il eft accompagné de la raiſon & du
goût , eft , j'oſe le dire , l'empreinte & le ſceau
du génie.
M. Sherlock commence par nous préſenter
l'Italie dans fon enfemble ; & la manière dont
il le fait , eft auffi nouvelle qu'ingénieufe. Il
enviſage ce beau pays comme un tableau ;
& après nous en avoir donné une copie
peinte à grands traits : « voilà le tableau ,
dit- il ; voici le cadre , la Méditerranée &
les Alpes ». La beauté de ce dernier
trait eft trop frappante pour avoir beſoin de
commentaire.
ود
ود
Ne vous attendez pas à trouver dans ces
Lettres les noms de tous les tableaux fameux
ou de toutes les belles ftatues de l'Italie.
M. Sherlock a bien fenti qu'une pareille nomenclature
qui d'ailleurs fe trouve partout
) fatiguoit vainement la mémoire fans .
intereffer l'efprit , & qu'il y avoit des objets
qu'on ne pouvoit voir qu'avec raviffement ,
& dont on ne pouvoit lire les defcriptions
qu'avec ennui. Il fait un livre & non pas
un catalogue. Les chef-d'oeuvres les plus parfaits
font les feuls qui trouvent place dans
fes Lettres , & il n'en parle jamais qu'avec
une clarté , une grâce & une noblelle qui
font difparoitre aux yeux du Lecteur tout ce
que de femblables defcriptions ont pour l'orDE
FRANCE.
12
dinaire de fec & de rebutant. Non content
de nous montrer l'ouvrage qu'il veut nous
faire connoître , il nous montre dans l'ouvrage
le génie de l'Artifte. C'est ainsi que
dans fes premières Lettres il a peint le génie
du Sculpteur Grec par l'Apollon du Belvédère;
& c'eft ainfi que dans ce nouveau Recueil
il nous fait voir dans la Transfiguration
le génie de Raphaël. Ce morceau eft admirable
; mais fon étendue nous empêche de
le citer, & fa préciſion nous ôte la polfibilité
de l'abréger.
Si M. Sherlock juge les productions de
l'Art en Amateur éclairé , il juge les hommes
en Philofophe profond. Le portrait qu'il
fait des Italiens eft digne de Sallufte. « L'Italien
en général eft extrêmement bon , ou
» mauvais à l'excès . Il y a d'excellens coeurs
» dans ce pays ; mais , comme les grands
tableaux , ils font rares. Les hommes y
naiffent avec des paffions violentes , & ne
» recevant point d'éducation , il n'eft pas
a étonnant qu'ils commettent fouvent de
grands crimes. Sous un extérieur froid ils
" cachent des coeurs brûlans , & leur exté
" rieur n'eft froid que pour cacher leurs
21
coeurs , &c. » Voici ce qu'il dit de l'efprit
des Napolitains. " Examinez le Napolitain
fur tous les fujets dont il eft inftruit , &
Vous verrez s'il manque d'efprit naturel :
il reffemble au fol de fon pays . Un champ
» labouré dans le Royaume de Naples donné
»
40 MERCURE
» les récoltes les plus abondantes ; négligé ;
il ne produit que des ronces & des char-
" dons. Il en eft de même de l'efprit des habitans
: cultivé , il eft capable de tout ; en
friche , il ne produit que des folies & des
" vices. ">
35
29
Les femmes font dans tous les pays un
objet trop intéreffant pour le coeur , & pour
l'efprit un fujet d'obſervations trop fertile ,
pour que M. Sherlock, ait oublié de parler
de celles de l'tralie. « Les femmes en général
» ne font pas jolies en Italie ; mais quand
» elles attachent , elles attachent pour long-
» temps. Plus parfaites que les hommes
» dans les rafinemens de la diffimulation ,
» elles paroiffent d'une naïveté qui trompe
" même les Italiens. Ajoutez à cela l'en-
» chantement de leur voix , & c . » M. Sherlock
s'étend enfuite fur les moeurs des Italiennes
; & de tout ce qu'il dit d'elles , on
peut conclure que ce n'eft pas feulement
chez nous que la Nature a donné l'inconftance
pour compagne à la Beauté , comme fi
elle eût craint que les femmes ne régnaffent
fur les hommes avec trop d'empire , fi elles
étoient à la fois aimables & fidelles.
L'idée des femmes Italiennes rappelle naturellement
l'idée des Chevaliers Servans.
L'Auteur des Nouvelles Lettres remonte à
leur origine , & nous explique comment de
gardiens qu'ils étoient de la chafteté des
femmes , ils en font devenus les corrup
DE FRANCE. 41
ود
و د
teurs. Les moeurs du pays ont dégénéré ;
» le feu Platonique que Pétrarque avoit
» rallumé eſt actuellement éteint , & l'état
» du Chevalier Servant eft devenu le plus
» corrompu qu'il y ait fous le ciel ; fes devoirs
font entièrement changés , & fa
fituation eft la plus aviliffante que je connoiffe;
car avant de jouir des droits de
» l'Amour , le malheureux eft forcé de tra-
» hir l'Amitié ». Ce trait fait l'éloge du
coeur de M. Sherlock. Ce n'eft point la
réflexion amère d'un fcrupuleux moraliſte ,
c'eft le cri d'un honnête homme , dont l'ame
franche & loyale fe foulève à la vue de la
trahifon. Il entre enfuite dans le détail de la
conduite du Cigisbée , de celle de la femme ,
de celle du mari , & faififfant à la fois le
côté plaifant & le côté férieux de ſon ſujet :
" tout cela , conclut- t'il , fait une brouillerie
» d'Amour & d'Amitié , qui feroit comique
» fi elle n'étoit pas affreufe . »
"
J'invite tout homme de Lettres à lire avec
attention ce que M. Sherlock dit des Grecs.
Il fait voir qu'ils ont excellé dans tous les
Arts ; que les Artiftes & les Écrivains les
plus parfaits , de quelque nation qu'ils fuffent
, les ont eus pour maîtres & pour modèles
, & que perfonne ne les a encore égalés.
Pourquoi les bornes qui me font prefcrites
ne me permettent- elles pas de citer les
éloges que le Voyageur Anglois donne au
Prince des Poëtes ! Il parle de lui dans plu42
MERCURE
fieurs endroits de fes Lettres , & toujours
avec une chaleur & une élévation qui feroient
croire qu'Homère lui a prêté fon génie pour
le louer. Il est bien à fouhaiter que la vive
admiration que M. Sherlock fent pour les
Grecs , puiffe paffer toute entière dans l'ame
de fes Lecteurs , & rappeler enfin les Artif
tes & les Écrivains à l'étude des bons mo.
dèles qu'ils ont malheureufement trop négligés.
"3
Mais fi l'Auteur des Nouvelles Lettres veut
qu'on étudie les Auteurs Grecs , il ne veut
pas qu'on les copie. « Il faut prendre leur
eſprit , dit- il , mais non pas leurs idées.....
» La Nature eft l'original que vous avez à
copier. Homère , Virgile , Sophocle l'ont
peinte avec hardielle & avec vérité ; peignez-
la donc comme ils l'ont peinte ; &
puis vous pouvez devenir un Homère ou
» un Sophocle ; mais Copiſte des Copiſtes ,
» vous refterez toujours fervile & froid. "
"
"
99
ל כ
Suivez les confeils de M. Sherlock , jeunes
Poëtes , vous qui dites & répétez qu'il n'y a
plus d'idées nouvelles , que toutes les matières
font épuifées ; étudiez la Nature ; &
fi vous avez des yeux pour voir , vous ne
direz plus qu'il n'y a rien de nouveau , &
vous ne le ferez plus dire à vos Lecteurs.
Le Recueil de M. Sherlock renferme encore
plufieurs Lettres fur la Mufique. Son
objet eft de prouver que notre langue eft
rébelle à l'harmonie. Il en apporte deux raiDE
FRANCE 43
fons principales. La première , c'eft qu'elle
eft chargée de fyllabes fourdes & nazales ;
la feconde , c'eft qu'elle manque prefque
entièrement d'accent. Je ne vois pas que l'on
puiffe nier ces deux faits , ni fe difpenfer
d'avouer avec M. Sherlock , que la langue
Italienne , plus mélodieufe , plus fonore ,
plus cadencée que la nôtre , eft à tous ces
titres infiniment plus favorable à la Mufique.
Jufqu'ici le Lecteur aura admiré dans le
Voyageur Anglois un efprit jufte & profond ,
un goût sûr & éclairé. Croiroit-on que celui
qui a fi bien analyfé les chef d'oeuvres du
Vatican , qui a fu apprécier Homère , Virgile
, Boileau , & qui a vanté aux Italiens la
perfection de Racine , croiroit- on que c'eft
le même homme qui va s'extafier pour Shakefpéar
? Voici comme il entre en matière.
" Malheur au profane qui penfe à arracher
» une feuille des lauriers qui ornent les im-
» mortelles têtes de Corneille & de Racine.
» Malheur à l'ame ignoble & à l'eſprit ré-
» tréci qui s'imagine qu'on ne peut élever
» un ouvrage fublime fans en déprimer un
» autre , & qui croit que pour rendre juf-
» tice à la façade du Louvre , il eft néceffaire
de déchirer le périftyle de S. Pierre.
" Que Corneille & que Racine portent
» avec fierté les couronnes qu'ils ont fi juftement
méritées ; que Sophocle & Eu-
» ripide les admettent pour égaux , & que
» la voix de toutes les Nations confirme
44
MERCURE
»
و د
leur arrêt ; que Molière foit préféré à
l'Italie & à la Grèce ; que Plaute & Arif
tophane récufent la décifion ; mais que
» l'impartiale Europe leur impofe filence ,
» & les force , en dépit d'eux, de reconnoître
» un fupérieur. Que Shakespear auffi´ait fa
place , & qu'elle foit celle , & celle feule
qui lui feroit accordée par les fuffrages
» unanimes d'Homère & de Milton , de
Virgile & de Pope , d'Horace , de Longin
» & de Boileau. ››
و د
33
"
M. Sherlock entreprend enfuite de réfuter
M. de Voltaire ; & , quoiqu'il s'en acquitte
avec beaucoup d'efprit & d'adreffe ,
nous fommes perfuadés qu'il ne fera chez
nous aucun profélyte. Quand même il pourroit
nous rendre fenfibles toutes les beautés
qu'il voit dans fon Poëte chéri ; quand même
ces beautés feroient auffi nombreuses &
auffi fublimes que fes défauts font multipliés
& choquans , ce feroit encore vainement
qu'il viendroit l'offrir à notre admiration.
Če ne font pas de beaux traits femés dans
un Ouvrage qui en font le mérite , c'eft la
perfection de l'enfemble. Si la façade du
Louvre préfentoit de belles colonnes Corinthiennes
, couplées avec des pilaftres d'une
architecture Gothique , certes elle pourroit
étonner par les contraftes ; mais au lieu de
paffer pour un chef- d'oeuvre de goût , elle
ne pourroit jamais être regardée que comme
un monument de Barbarie . Ce que l'on diDE
FRANCE. 45
roit , dans ma fuppofition , de la façade du
Louvre , voilà pofitivement ce que l'on peut
dire de chacun des Drames de , Shakespear,
Nous confeillons donc à M, Sherlock d'abandonner
le projet qu'il paroît avoir , de faire
chez nous l'apothéofe du Poëte Anglois,
Nous ofons lui prédire qu'il ne convertira
perfonne , & qu'on ne croira pas plus en
France à la divinité de Shakelpéar , qu'il
n'a cru lui même en Italie , à la divinité
du Dante.
Nous regrettons beaucoup d'avoir été forcés
de paffer fous filence plufieurs lettres
qui offrent toutes une lecture piquante &
variée , & fur -tout celle où l'Auteur fait un
éloge fi bien fenti de M. le Maréchal de Biron.
Nous remarquerons en paffant que
perfonne ne poffède mieux que M. Sherlock
le talent fi difficile de fouer fans fadeur.
Les louanges qui fortent de ſa plume,
fuppofent une connoiffance de l'homme &
une pénétration fi parfaites , & font exprimées
avec une nobleffe fi impofante , &
un ton de franchife fi perfuafif , qu'il eft
vrai de dire qu'elles honorent à la fois celui
qui les reçoit & celui qui les donne, *
Les nouvelles Lettres du Voyageur Anglois
finiffent par ces mots : » les premiers
» efforts que j'ai faits pour plaire au Public
*
Voyez la Lettre XXXV fur M. le Maréchal de
Biron , la Dédicace à Milord Briſtol , & une Note
fur M. l'Abbé de Lageard , Lettre XXIV.
46 MERCURE
و د
» ont été favorablement reçus : fi celui-ci
» eft accueilli avec la même indulgence ,
je continuerai d'écrire ; s'il ne mérite pas
» cet accueil , comme je n'écris que pour
» la gloire , fi je ceffe d'intéreffer , je jette
» ma plume.
""
Non , M. Sherlock ; que votre plume
refte encore long tems entre vos mains
pour notre inftruction & pour votre gloire.
Continuez d'écrire , & vous continuerez
d'intéreffer. Quand , avec des idées neuves
& vraies , avec un goût delicat , un tact
sûr , un efprit droit & orné , une imagi
nation brillante , une expreffion heureuſe,
quand , avec tous ces avantages , on montré
encore un coeur droit & le caractère d'une
ame honnête , on peut fe flatter , de plaire
à tout homme qui penfe & qui fent , &
d'obtenir l'eftime & l'admiration des gens
de goût & des gens vertueux de toutes les
Nations & de tous les fiècles.
GRAVURES.
11
COLLECTION Précieufe & Coloriée des Plantès
les plus belles & les plus curieuses , qui fe cultivent
tant dans les Jardins de la Chine que dans ceux
de l'Europe , par M, Buc'hoz , Médecin de MONSIEUR.
Seconde Partie , cinquième Cahier, In-fol.
Papier d'Hollande . A Paris , chez l'Auteur ,, rue de
1a Harpe , la première porte cochère après le Col-
Jége d'Harcourt , en montant.
TO
Ce Cahier ne le cède en rien aux précédens ; il
DE FRANCE.
47
renferme dix plantes : le Lys jaune à feuilles étroites
, le Pain de Pourceau à fleurs rouges , le Lys .
blanc , la Rofe panachée à fleurs femi-doubles , le
Pavot cornu , une Tulipe nouvelle de toute beauté,
la Fleur des Inças , l'Amaryllis jaune , la Pivoine à
fleurs fimples , & l'Ixia d'Afrique à fleurs couleur de
fafran. Ce Cahier fera fuivi inceffamment du fixième.
On efpère finir , dans le courant de l'année
toute la Collection , qui renfermera 20 Cahiers ,
dont les 10 premiers font deftinés aux Fleurs de la
Chine , & les 10 autres , aux fleurs les plus belles
qu'on cultive dans nos Jardins. On donnera l'Explication
gravée de ces Planches à la fuite du vingtième
Cahier. Le Prix de chaque Cahier eſt de 24 1.
Il en paroît actuellement quinze.
La Petite Jeannette , Eftampe gravée d'après le
tableau original de M. Greuze , Peintre du Roi , par
Chriſt Guérin. A Paris , chez l'Auteur , rue de Tournon,
maiſon du Journal de Littérature. Prix, 1 l. 16 f.
On trouve chez le même Graveur l'Euvre da
M. Muller , Graveur du Roi.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
TANGU
ANGU & Félime , Poëme en 4 Chants , par M.
de la Harpe , de l'Académie Françoife. Vol. in- 12
avec figures. Prix , 3 liv. 12 f. A Paris , chez Piffot,
Libraire , quai des Auguſtins.
Procès-Verbal des Séances de l'Affemblée Provinciale
de haute- Guienne , tenue à Villefranche
dans les mois de Septembre & d'Octobre 1779 ;
avec la permiffion du Roi. Vol. in- 4 ". Prix , 3 I.
12 f. A Villefranche, chez Vedeilhié , Imprimeur
du Roi, & à Paris , chez Moutard , rue des Ma48
MERCURE
thurins. On rendra compte au premier jour de
cet Ouvrage , fi intéreffant pour toutes nos Provinces.
€ Hiftoire univerfelle depuis le commencement du
Monde jufqu'à préfent , compofée en Anglois par
une fociété de gens de Lettres , & nouvellement
traduite en François par une fociété de gens de
Lettres , enrichie de Figures & de Cartes. Tomes
1 & 2 in - 8 ° . A Paris , chez Moutard , Imprimeur
Libraire , rue des Mathurins.
Troisième Cahier des Hommes Illuftres de la Ma
rine Françoife , leurs actions mémorables & leurs
Portraits. In-4° . A Paris , chez M. Graincourt ,
rue de la Juffienne ; Jorry , rue de la Huchette , &
Baſtien , rue du Petit- Lion.
Suite des Éloges lus dans la Séance de la Société
Royale de Médecine , par M. Vicq - d'Azyr ,
Secrétaire perpétuel de la Société . In-4° . A Paris
chez Pierres , Imprimeur - Libraire , rue Saint-
Jacques.
MES Ages ,
TABL E.
3 Effai fur la Mnfique Ancienne
& Moderne,
Vers pour mettre au bas du 14
Portrait de M. d'Alem- Nouvelles Lettres d'un Voyabert
,
geur Anglois ,
ibid Annonces Littéraires ,
L'Amour créé par la Beauté , Gravures ,
t
Enigme & Logogryphe , I1
APPROBATION
.
36
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 6 Mai. Je n'y ài
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Patis
les Mai 1780. DE SANCY.
Речі Jér : 135.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
CONSEIL AUX AMANS QUITTÉS,
RIEN
IEN ne retient un coeur qui veut brifer fa chaîne ,
Rien ne ramène un coeur tout prêt à s'en aller.
On y prendroit une inutile peine.
Qu'y faire done? favoir s'en confoler.
Votre amante vous quitte ? eh bien, faites comme elle ;
Enflammez- vous pour de nouveaux objets ,
Et n'allez pas , maudiffant la cruelle ,
Fatiguer les échos d'inutiles regrets.
Si votre coeur refuſe une chaîne nouvelle ,
Dites qu'ailleurs vos voeux font adreſſés ;
Et fi par fois encor vous pleurez l'infidelle ,
Au moins cachez-lui bien les pleurs que vous verfez .
( Par M. Dieudonné Guibal , Profeſſeur de
Mathématiques à Luntville. )
Sam. 13 Mai 1780. C
So
MERCURE
AU RÉDACTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR ,
La réputation des Chanfons Provençales
& Languedociennes eft faite depuis longtems.
L'autre jour , en lifant un excellent
Ouvrage dont vous avez rendu compte ,
(les Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque)
je trouvai une Chanfon Provençale que je
ne connoiffois point , & qui me fit grand
plaifir. J'effayai de la traduire en François.
Si vous jugez , Monfieur , que j'aie rendu ,
au moins en partie , les graces ingénues de
l'Original , je vous prie d'imprimer ma traduction
à côté du texte . A quelques détails
près que j'ai cru ne pouvoir paffer
dans l'idiôme François , j'ai traduit littéralement
, couplet par couplet , & en vers
de même meſure. Ils peuvent être chantés
fur l'air ; quoi ! ma Commère , es- tu fâchée?
comme l'indique l'Auteur de l'Ouvrage
que j'ai cité , ou bien fur l'ancien air original
que je vous envoie noté , & qui ne me
paroît pas fans agrémens.
J'ai l'honneur d'être , &c,
BANNIOTHECAN
ARRIA
RAGENSIS
DE FRANCE.
CHANSON PROVENÇALE.
Le beau Tir- cis, loin de la plai - ne , Seulet
un jour , Con-toit aux bois fa dou- ce
pei- ne , Son mal d'a- mour : Ber- ge- re
plei- ne d'in-juf ti- ce , Va-t-il chan-
重
tant : Faut-il qu'ain -fi l'on me ha- if- ſe ,
Quand j'ai me tant ?
Lov beou Tircis ſe proumenavo
Soulet un jour,
Countan ez bouez ce qu'en duravo
Dou maou d'amour;
Cit
52 MERCURE
Et lié dijié : belle Bergiero ,
Yeou t'aime tant !
Que t'aifa per eftre tant fièro
Defpici un an !
MON chien & mes moutons pâtiffent
Pleins de langueur ;
Pauvrets , hélas ! ils dépériffent
Par ta rigueur.
Tandis que le mal de leur maître
Les fait fouffrir ,
Je fuis fidèle & je veux l'être
Jufqu'au mourir,
Moun chin & meiz avets patiſſoun
De teïs rigours ;
Leipecaires defperiffoun
Dejours enjours ;
Maïper ce qu'ez deï maou dou meftré ,
Creboun lou couer ;
Ex fidele, & lou voaou ben eftré
Jufqu'a la mouer.
CRUELLE , hélas ! tu te fais gloire
De mon fouci.
Belle , ah ! crois - moi , dans ta mémoire
Retiens ceci :
La rofe , dont la rouge feuille
Parfume l'air ,
DE FRANCE.
53
Lorfqu'au printemps on ne la cucille ,
Meurt en hiver.
Tu téfaz uno fauffo glori
De mefugi ,
Vos pas mettre din ta mémori
Ce qu'yeou t'ai di :
Que leiflous lei plus efpandidos
Dou beou printén ,
Quand dinfoun tén foun pas culidos ]
L'iverpui vén.
Toi qui , dans mon jardin fans ceffe
Chantes l'Amour ,
Roffignol , vas voir ma maîtreffe
Au point du jour.
Vole ; & dis -lui , dans ton langage
Tant amoureux ,
Qu'il n'eft que moi dans ce village
De malheureux.
Rouffignou que cantez s'en ceffo
Din mounjardin ,
Vai dire à la mieou Meftreffo ,
De bouen matin ,
Et digo lié din toun lengagi
Tant
amouroux ,
Queficou lou bergié dou vilagi
Lou mens huroux.
Cij
54
MERCURE
MAIS bien que ta voix fi jolic
Ait mille appas ,
Si ma maîtreſſe eſt endormie ,
Chante tout bas .
Parle du ton qu'Amour confeille ,
Avec douceur ;
Ne touche qu'un peu fon oreille ,
Beaucoup , fon coeur.
Maï bén que ta voix fié poulido
Et doux , toun chan ,
Si ma Meftreffo ez endormido ,
Cante lié plan,
D'un toun que tendreffo confeillo ,
Senfé eftrefouer ,
Noun toquez qu'un paou foun aureillo ,
Mai prou , foun cuer.
TE's cheveux font plus noirs qu'ébène ;
Blanche eft ta main ;
Le lys des champs égale à peine
Ceux de ton fein.
Ta lèvre eft la rofe nouvelle
Du point du jour :
Et quand l'Amour te rend fi belle
Tu fuis l'Amour !
Toux teint ez plus uni que glacço ,
Plus beau qu'un liz:
DE FRANCE.
SS
Et ta bouco vermeillo esfaco
Tous leïs rubis.
Giz dejayiet n'ez comparablé
A teïs beou peoux ,
Teïs yeux que mefan miférable,
Soun douzfouleous.
TA beauté laiffe tes compagnes
Au rang dernier ,
Comme un fapin dans nos campagnes
Le bas fraifier.
Mais , belle , hélas ! de ta rudeffe
S'il faut parler ,
Je n'ai rien vu que ma tendreſſe
Pour l'égaler.
PASSEZ en beouta tei
De la façoun
compagnos
Que lei haous fapins dei montagnos
Fan ei bouiffons :
Maï, per ce qu'ez de ta rudeffo ,
N'ai ren trouba ,
Que la grandour de ma tendreffo
Per l'égala.
Le ciel eft témoin de mes peines
Ft de mes pleurs ;
J'attendris l'écho de nos plaines
Par mes douleurs ;
Civ
15
MERCURE
Toi feule tu ne fais que rire
De mon chagrin ;
La mort au moins , de mon martyre
Sera la fin.
Lov ciel ez témouin de mei penos
૨૧
Et de meï plours ,
La terre porte mas cadenos
1
Et maz doulours :
Tu foulette n'en faz que riré ,
Et te trufa :
Maï vendra ' n tems que mou martyre·
S'y finira.
PAR bonheur écoutoit la belle ,
Et fans ennui ;
Et voyant bien qu il n'aimoit qu'elle ,
N'aima que lui.
Un doux fouris lui fait comprendre
Qu'il eft heureux ;
Mais il faudroit , pour le bien rendre,
Aimer comme eux.
PER bonheur la bell ' escoutavo
Sei defpici,
Et conneifer coumben l'aimavo ,
L'aimét auffi ;
S'approché d'eou , & d'un air tendré,
Lou regardé ;
Facu ama coum eou , per comprendre
Ce que fenté.
J
DE FRANCE.
57
L'HÉRITIER MALHEUREUX ,
Anecdote.
AH! maudite fortune ! tu es encore plus
ingrate que légère . Tu n'as pas d'yeux pour
faire le bien; tu vois très- clair à faire le inal.
Souvent on te trouve fans te chercher , &
l'on te fait fuir en courant après toi .
On n'a jamais eu pour cette ingrate un
amour plus vrai & plus naïf que le pauvre
Oriphile ; il avoit un goût décidé pour les
héritages , parce qu'il jugeoit que de toutes
les manières de s'enrichir , celle d'hériter
étoit toujours la plus commode & la plus
innocente. Tous les habits noirs en pleuréufes
qu'il rencontroit le faifoient fourire ,
& lui donnoient des idées agréables. Voilà
peut-être un héritier , fe difoit- il ! Il prétendoit
que ce mot étoit le plus doux & le
-plus harmonieux de la langue Françoife.
Oriphile avoit un oncle & une tante. Tous
deux étoient riches , & tous deux l'appeloient
auprès de leur perfonne. Eft-ce à la
rante, eft- ce à l'oncle qu'il donnera la préférence
: C'eft ce qu'il ne voulût décider
qu'après une mûre délibération. Comme Oriphile
vouloit n'avoir rien à fe reprocher , il
n'épargna ni les interrogations ni les démarches.
Avant de prendre fon parti , il s'étoit
fait donner un état de leurs biens ; il avoit
fait lever leur extrait-baptiftaire, pour favoir
Cv
1
58 MERCURE
au jufte leur âge ; & enfin il avoit pris fur
leur fanté l'avis de leurs Médecins. Il fe décida
pour la tante , parce qu'avec autant de
fortune que l'oncle , elle avoit au moins
douze ans de plus. On voit qu'Oriphile n'agiffoit
point en étourdi , & qu'il raiſonnoit
fa conduite.
Rendu auprès d'elle , il mit en pratique
les premiers principes de l'art de plaire ; il
étudia le caractère de la vieille tante. Le
fuccès étoit difficile ; mais une grande envie,
de réuflir en fournit prefque toujours les
moyens. Du côté des petits foins , il n'étoit
jamais en défaut ; & pour le travail , il étoit
infatigable. Madame Erbine , ( c'eſt le nom
de la veuve ) aimoit beaucoup la lecture ;
mais comme elle ne pouvoit plus lire fans
lunettes , & qu'elle ne vouloit point paffer
pour avoir befoin de lunettes , elle faifoit
lire continuellement fon neveu , fous prétexte
qu'il lifoit bien. Le pauvre Oriphile
étoit condamné à faire des lectures continuelles
: le jour , pour amufer fa tante, la nuit,
pour l'endormir. Et il lifoit prefque toute la
nuit, parce que Madame Erbine ne pouvant
jamais fermer l'oeil fans le fecours d'un Orateur
ou d'un Poëte , comme elle ne s'endormoit
qu'au bruit de la voix de fon Lecteur
, elle fe réveilloit aufli dès que la voix
fe taifoit.
Le jour il n'étoit pas queftion d'aller prendre
un feul repas en ville . Il n'avoit point
à fe négliger , parce qu'il y avoit d'autres
DE FRANCE.
59
#
parens , & de proches parens. Enfin la vie
d'Oriphile n'étoit qu'un travail & un facrifice
continuel. Auffi Madame Erbine ne
parloit que de fon charmant neveu. Il étoit
charmant en effet. Avec le titre d'héritier , il
avoit les grâces de l'Etat. Il avoit appris à
être gracieux dans fes révérences , minutieux
dans fes foins , ingénieux dans fes complaifances
; il faifoit l'éloge du temps paffe , &
la fatyre du temps préfent ; il ne fe plaifoit
qu'avec la vieilleffe , les jeunes gens l'excé
doient. Il ajoutoit fur cela de nombreufes
réflexions que des quatre âges de l'homme
il y en avoit deux à réformer ; que de plein
faut , on auroit dû paffer de l'enfance à la
vieilleffe ; que l'intervalle qui s'écouloit entre
ces deux points de la vie humaine , étoit
réellement du temps perdu , puiſqu'il étoit
toujours partagé entre des projets fous & des
démarches infenfées ; enfin mille autres difcours
tout auffi profonds qui enchantoient
la bonne tante , même un peu trop pour les
intérêts d'Oriphile ; car la fatisfaction qu'elle
en avoit influoit fur fa fanté , & fembloit la
rajeunir. Oriphile fe plaignoit tout bas du
trop grand fuccès de fes foins ; ce qui lui
fourniffoit une réflexion morale. Il est bien
malheureux , difoit-il en lui-même , qu'un
galant homme ne puiffe mériter un héritage
que par des foins qui fervent à en retarder
le moment !
Tandis qu'il s'enfonçoit dans ces réflexions
, il reçut une lettre qui lui apprenoit
C vj
60 MERCURE
que fon oncle étoit bien malade & aban
donné des Médecins. Oriphile , toujours
fenfé , taifonnant fes moindres actions , fir
des réflexions nouvelles ; & il conclut , en
fe réfumant , qu'il falloit quitter la tante
pour aller trouver l'oncle , parce qu'une
jeune perfonne agonifante eft naturellement
plus près de la mort qu'une autre plus âgée ,
inais en bonne fanté. Voilà qui s'appelle raifonner
, fonger à tout.. Sa confcience même
y étoit intéreffée ; car enfin les malades ont
plus befoin d'être fecourus que ceux qui fe
portent bien. Il écrivit donc fon départ à la
tante , qui cria beaucoup , mais inutilement ;
puifqu'Oriphile étoit déjà auprès de fon
oncle..
Cet Oncle s'appeloit d'Herminy. Oriphile
eut affez d'adreffe pour s'excufer de
n'être pas venu plus tôt auprès de lui. Il
montra tant de zèle pour le fervir , que
par les foins du préfent , il fit oublier la
négligence du paffé. Enfin , il ne tarda point
à gagner la confiance & l'amitié du malade.
Mon cher neveu , lui dit un jour ce dermier
, dans un moment d'épanchement ; fi
tu avois toujours été auprès de moi , je
ne ferois pas dans l'état où je fuis ! & Ori
phile fut fur le point de lui répondre : fi
vous n'étiez pas dans l'état où vous êtes , je
ne ferois pas auprès de vous.
Cependant d'Herminy , que la Faculté
& la Société Royale avoient abandonné ,
fe mit entre les mains d'un Charlatan , qui
DE FRANCE. 61
>
parvint à le guérir , foit par fcience , foit
par hafard. Ce guériffeur avoit cherché
& cherchoit encore la pierre philofophale.
D'Herminy revenu en fanté
lui ayant demandé un jour comment il
avoit pu le guérir , quand les plus fameux
Médecins l'avoient condamné , il répondit
que c'étoit par des fecrets qu'il avoit découverts
dans l'étude de l'Alchymie. S'étant
liés tous deux étroitement , l'Alchymifte ,
qui étoit de bonne -foi , découvrit à d'Herminy
une partie de fes fecrets .
veu ,
Un jour , ce dernier entra chez fon neavec
un air de fanté formidable.
Mon cher Oriphile , lui dit- il , avec une
effufion de joie & de tendreſſe je viens
te faire une confidence , qui , j'en fuis sûr,
te fera le plus grand plaifir. Tu connois.
l'homme qui m'a guéri ? Oui , mon oncle,
dit Oriphile , & je fais quelle reconnoiffance
je lui dois pour un tel ſervice. Ch , reprend
d'Herminy, tu ne fais pas encore toutes
les obligations que tu lui as. Oriphile , qui
connoilloit les prétentions de l'Alchymifte,
s'imagina d'abord qu'il avoit communiqué
à fon oncle le fecret de faire des lingots ;
& aufli -tôt , avec un air d'attendri ffement ,
il demanda à d'Herminy fi fon ami lui
avoit appris à faire de l'or. Mieux que
cela , répond fon oncle. Mieux que cela ,
s'écria Oriphile ! Je ne vous enten ds plus.
Alors d'Herminy , croyant combler de joie
fon tendre neveu , lui confia , en baiſſan
62 MERCURE
la voix , que l'Alchymifte lui avoit donné
une liqueur qui devoit le faire vivre des
fiècles entiers. On devine affez l'impreffion
que fit fur le tendre neveu cette confidence
inattendue . Elle étoit d'autant plus
faite pour alarmer , que la guérifon inefpérée
de d'Herminy lui prêtoit de la vrai-
Temblance , & devoit infpirer de la confiance
pour le favoir de l'Alchymifte. Oriphile
en fut fi effrayé qu'il s'enfuit à toutes
jambes , en fouhaitant à ſon oncle une douce
immortalité.
En attendant qu'il pût faire négocier fa
réconciliation avec fa tante , il fe logea
dans une maifon où logeoit aufli la vieille
Orphife. C'étoit une perfonne auffi chargée
d'années que de richeffes , & encore plus
accablée d'infirmités. Dans le chagrin où
étoit Oriphile , elle n'eût pas excité fon attention
, s'il n'eût appris par hafard qu'elle
étoit riche & fans parens. Cette circonftance
l'intéreffa. La pauvre femme , fe ditil
être riche , & n'avoir pas le moindre
neveu auprès de foi ! Il lui fit , en qualité
de voifin , une vifite d'honnêteté ; il prit
fort bien , revint bien v te , enſuite fort
fouvent , & avec tant de fruit , que , fans
avoir jamais eu la moindre ex.lication avec
elle , il fut bientôt reg : dé comme l'héritier
de la maifon ; il en recevoit prefque les
complimens.
Depuis peu il venoit auffi chez Orphiſe
un jeune homme affez aimable , qui alarDE
FRANCE. 63
moit un peu Oriphile. Un jour Orphife
fe trouvant feule avec ce dernier , lui
dit du ton le plus affectueux : Mon cher
Oriphile , j'ai fait l'épreuve de vos fentimens
pour moi , j'ai reconnu votre attachement
, votre amitié défintéreffée ; il
faut que je vous faffe part d'un projet que
j'ai conçu . Oriphile à ces mots croyoit déjà
voir un Notaire prêt à écrire fon nom en toutes
lettres fur un bon & valide teftament ,
lorfqu'Orphife ajouta : je me marie ; vous
connoiffez ce jeune homme qui vient ici
fort fouvent c'est lui que j'épouſe , & je
lui fais donation de tous mes biens.
A cette confidence , qui valoit bien celle
qu'il avoit reçue de fon oncle , Oriphile.
demeura muet & immobile. Félicitez- moi
donc , lui dit Orphife , puifque vous vous
intéreffez à mon bonheur ; car vous favez
que ce jeune homme eft aimable . Oriphile
, en balbut ant , lui fit un compliment
qui n'avoit pas le fens commun. Un moment
après il lui dit adieu ; & dès le lendemain
il quitta fon appartement. Il étoit
furieux ; & , pour achever de le défoler ,
on lui apprit en même tems que fa tante ne
vouloit. plus entendre prononcer fon nom.
Il faut avouer néanmoins que jufqu'ici Oriphile
eft irréprochable , & que s'il n'eft pas
encore arrivé au grade d'héritier , il n'a
rien négligé pour y parvenir.
Il étoit fi piqué de n'avoir pu réuffir encore
, qu'il avoit juré de renoncer à ce
64 MERCURE
genre de pourfuites , lorfqu'un nouvel incident
vint réveiller dans fon coeur fon
amour pour les héritages. Il lut dans les
papiers publics qu'un particulier fort âgé',
rapportant de chez l'étranger une grande
fortune , defiroit favoir s'il lui reftoit encore
des parens. La reffemblance de fon nom avec
celui de la mère d'Oriphile , fit concevoir
à ce dernier les plus flatteuſes eſpérances.
Il fe préfenta comme parent de l'étranger . Je
ne fais point s'il l'étoit : mais il le prouva.
Le vieillard le pria de refter auprès de lui
pour lui fermer la paupière. Oriphile ne
demandoit pas mieux ; car il étoit bon parent.
Il ne tarda pas à gagner l'amitié du
vieillard qui étoit bon homme. On l'appeloit
Valémon. Bientôt il ne vit plus que
par les yeux d'Oriphile , ne jugea que par fon
efprit. Il avoit pour lui toute la tendreffe d'un
père. Après le lui avoir prouvé par les difcours
, par fes éloges , il en vint à la grande
preuve , au teftament. Oh ! pour le coup
le voilà héritier , & le hafard concourut à
lui faire fentir plus vivement cette jouiffance.
On eûr dit que Valémon , en afſurant
fa fucceflion à Oriphile , vouloit encore
en accélérer le moment ; car, le Tef
tament à peine écrit , il tomba malade.
Enfin la fortune avoit mis un terme à fon
ingratitude ; le tems de la Justice étoit
venu , & Oriphile ne négligea rien pour
mériter de plus en plus fon bonheur.
Depuis quelque tems Valémon étoit en
DE FRANCE. 61
procès. Ce procès devint plus confidérable
qu'on ne l'avoit d'abord imaginé : il
devint même défaftreux. Valémon le perdit
, je veux dire , Oriphile ; car Valémon
eut l'adreffe de mourir un quart d'heure
avant qu'on apprit la perte de fon procès.
Oriphile fut reconnu pour le véritable
héritier de Valémon : mais comme il étoit
écrit que la fortune le perfécuteroit jufqu'au
bout , la perte de ce procès entraîna
toute la fortune du défunt . Enfin , le malheureux
Oriphile , en qualité d'héritier
ayant plus à payer qu'il ne recueilloit de
la fucceffion , fut obligé d'y renoncer légalement.
Et voilà fans contredit un héritier
malheureux ! Après avoir couru toute fa
vie après les héritages , il n'en put attrapper
qu'un feul , & il fe vit forcé de le répudier.
Il n'eut d'autre confolation que le
témoignage de fa confcience ; car il n'avoit
jamais rien épargné pour hériter fructueufement.
( Par M. Imbert. )
*
86 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Cloche ; celui du
Logogryphe eft les Pincettes, où le trouvent
pin , pie , Cette, Nice , Nicée , fi , Cenis , fcie,
été, ft , fein , pinte , cefte , Tite , le ceft , Eft.
ÉNIGM E.
AL'ÉCRITU L'ÉCRITURE je dois l'être ,
Et l'écriture me détruit;
Elle feule me fait paroître,
Et feule au néant me réduit;
Toujours foumiſe à ſon caprice ,
Il faut qu'en tout temps je ſubiſſe
La loi qui plaît à ſon humeur;
Et , ( quel eft mon deftin bifarre ! )
Si l'écrivain fait une erreur,
A mes dépens il la répare.
Veux-tu dans quelqu'endroit , Lecteur ,
Me trouver de grande meſure ?
Vas chercher des vers fans céfure ,
Ou des groffes de Procureur.
( Par M. Parthon. )
DE FRANCE. 67
LOGO GRYPHE
D'UNEM UNE moitié de ma ſubſtance
La terre eft toujours le berceau ;
A l'air, l'autre doit fa naiſſance ;
Et je fuis tout entier dans l'eau.
Si vous m'ôtez un pied , Sylvie ,
Craignez-moi ; car tel eft mon fort :
Mon tout eft utile à la vie ;
Sans ce pied , je donne la mort.
( Par M. de Sionville. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE DE VOLTAIRE , par M. de la
Harpe , de l'Académe Françoiſe , vol .
in- 8° . de 112 pages , prix , 1 liv. 16 fols.
A Paris , chez Pilfot , Libraire , Quai des
Auguftins .
L'EXISTENCE de Voltaire eft , fans contredit ,
la plus belle époque de l'efprit humain :
c'eft fur-tout pendant le cours de fa brillante
carrière qu'on a fecoué le joug de l'école
pour cultiver la raifon & fe livrer à l'étude
des chofes utiles ; jamais la Philofophie ne
prit un effor auffi favorable aux Nations
tandis que les Montefquieu , les Buffon , les
2
9
68 MERCURE
Rainal , &c. faifoient circuler cet éfprit
vivifiant dans la legislation , dans l'hiftoire
naturelle , dans les fciences économiques &
politiques , Voltaire rendoit le même ſervice
à l'art dramatique , à l'épopée , à l'hiſtoire ,
à tous les genres de littérature. Auffi , quel
enthouſiaſme n'a-t-il pas excité avant, comme
après fa mort ? La gloire de fon nom a franchi
l'Europe & les mers ; elle brille à Pétersbourg
& à Philadelphie comme au centre
de la France. Par-tout on rencontre fon
image à côté des monumens de fon génie ;
la peinture , la gravure , la fculpture , ont
reproduit cet Écrivain fous mille allégories
infpirées par la reconnoiffance & l'adiniration
; pendant 60 ans il a été l'idole des Artiftes
, des Savans & des Hommes-de- Lettres
les plus diftingués ; les Souverains , les
grands perfonnages de fon fiècle , jaloux de
fon fuffrage , & cultivant à l'envi fon amitié
, l'ont comblé de tous les honneurs auxquels
un fimple particulier puiffe jamais
afpirer : pour achever le fupplice de fes détracteurs
, il fuffiroit de mettre au jour les
lettres de cette multitude d'hommes de tous
les rangs & de toutes les nations , telles
qu'on les a retrouvées dans fes papiers après
fa mort à la tête de cette lifte , unique dans
les faftes du monde , on compteroit les noms
d'un Benoît XIV , d'un Stanislas , de tous les
Rois du Nord , & fur- tout de ce Monarque
philofophe & littérateur , qui le premier
traça l'Éloge funèbre de Voltaire , au pied
DE FRANCE. 69
des montagnes de la Bohême , au milieu du
tumulte d'un camp , lorfqu'affailli par toutes
les forces de la Maiſon d'Autriche , il combattoit
encore pour la liberté de l'Empire
Germanique .
Parmi les écrits dignes de tranſmettre à
nos neveux les fentimens & les opinions de
la faine partie du Public fur la perfonne &
les Ouvrages de cet homme extraordinaire ,
on diftinguera fans doute ceux du Panégyritte
de Catinat & de Fénélon. Après l'avoir célébré
en vers au Théâtre & à l'Académie
Françoife , il a voulu fe fignaler de nouveau
par un Éloge en profe ; cette nouvelle production
juftifiera ce que nous avons déjà
obfervé fur le mérite littéraire de M. de la
Harpe ; elle ajoutera même à fa réputation
dans l'efprit des Lecteurs non prévenus,
L'Éloge eft divifé en trois parties : dans la
première on paffe en revue les principaux
Ouvrages de Voltaire , & chacun d'eux fournit
au Panégyrifte ou des faits précieux , ou
des remarques favantes , des rapprochemens
inftructifs , des peintures éloquentes , des
jugemens dictés par un goût exquis , des
portraits d'une touche mâle & fidelle ; en
un mot , on y retrouve tous les moyens que
raffemble l'Orateur , lorfqu'il entreprend la
défenſe d'une grande caufe , & qu'il veut
exciter un vif intérêt.
D'abord il juſtifie la Henriade , qui , malgré
la fureur des Critiques , a fait naître dans l'Europe
entière la plus tendre vénération pour
70 MERCURE
Henri IV. C'est dans ce Poëme que l'Auteur
déclare une guerre éternelle à la fuperf
tition , à la tyrannie , au fanatifme. « Pour
la première fois l'Humanité entendit plaider
fa cauſe en beaux vers , & vit fes intérêts
confiés à l'éloquence poétique. Celle - ci
avoit plus d'une fois confacré dans
Louis XIV , les victoires remportées fur
le monftre de l'héréfie , victoires trop fouvent
déshonorées par la violence , & que
la Religion même a pleurées ; Voltaire lui
apprit à célébrer d'autres triomphes , ceux
de la Raifon fur le monftre de l'Intolérance ;
triomphes purs , & qui ne coûtent de larmes
qu'aux ennemis du genre -humain. »
C'eſt encore dans la Henriade que Voltaire
a fu confacrer des vérités d'un autre
ordre , & qui feules pourroient immortaliſer
fon Poëme. Quel homme chez les anciens
ou chez les modernes fut embellir comme
lui la langue d'Uranie ? Où trouveroit- t'on
des vers comparables à ceux- ci ?
Dans le centre éclatant de ces orbes immenfes ,
Qui n'ont pu nous cacher leur marche & leurs diftances
,
Luit cet aftre du jour par Dieu même allumé ,
Qui tourne autour de foi ſur ſon axe enflammé,
De lui partent fans fin des torrens de lumière ;
Il donne en fe montrant la vie à la matière ,
Et difpenfe les jours , les faifons & les ans ,
Ades mondes divers autour de lui fottans.
.
DE FRANCE; 70
Ces aſtres afſervis à la loi qui les preffe ,
S'attirent dans leur courſe & s'évitent fans ceffe ;
Et, fervant l'un & l'autre & de règle & d'appui ,
Se prêtent des clartés qu'ils reçoivent de lui .
Par-delà tous les cieux , le Dieu des cieux réfide , &c.
" Avec des beautés fi neuves & fi frappantes
, avec l'intérêt attaché au nom du
Héros , avec un ftyle toujours élégant &
harmonieux , tour-à- tour plein de force &
de charme , faut- il s'étonner que la Henriade
, quoique deftituée de l'ancienne Mythologie
, ait triomphé de toutes les attaques
, fe foit encore affermie par le temps.
dans l'efprit des connoiffeurs , & foit devenue
un ouvrage national ? »
M. de la Harpe parcourt enfuite les Pièces
Dramatiques de fon Héros : ici l'on reconnoît
un Littérateur verfé dans la théorie &
la pratique de ce grand Art ; plein de fon
fujet , il en parle avec véhémence , fon ftyle
eft riche & facile , fes idées & fes fentimens
fe précipitent , on a fous les yeux les magnifiques
fcènes dont il retrace le fouvenir , on
en découvre la magie , on fe croit tranfporté
au Théâtre même où Voltaire difpute
à Corneille , à Racine , à Crébillon la gloire
de charmer fes Concitoyens,
M. de la Harpe faifit avec une fagacité
admirable les nuances fugitives qui caractérifent
le génie de ces quatre Auteurs Tragiques
; il balance leurs défauts & leur mé
72 -MER CURE
rite refpectif avec une équité rare , & fait
rendre à chacun le tribut d'éloges que leur
doivent le goût & la raiſon. Quel tableau
feduifant il nous fait de Zaïre ! Avec quelle
fupériorité il développe les caufes de l'enthoufiafme
univerfel pour ce chef-d'oeuvre
de l'intérêt tragique ? « Auroit - on cru
qu'après Racine , on pût fur la Scène ajouter ,
quelque chofe aux triomphes de l'Amour ?
Ah ! c'est que parmi fes victimes on n'a
jamais montré deux êtres plus intéreſſans ,
plus aimables que Zaïre & fon amant . La .
douleur de Bérénice eft tendre , mais la
paffion de Titus eft foible. Hermione , Roxane
, Phèdre font fortement paffionnées ;
mais les deux premiers parlent d'amour le
poignard à la main , l'autre ne peut en parler
qu'en rougiffant. Tout l'effet de l'Auteur nepeut
aller qu'a faire plaindre ces femmes
malheureufes & forcénées ; & c'est tout
l'effet que peut produire fur le Théâtre un
amour qui n'eft pas partagé. Mais jamais on
n'y plaça deux perfonnages auffi chers aux
Spectateurs qu'Orofmane & fon amante ;
jamais il n'y en eût dont on defirât plus ardemment
l'union & le bonheur. Tous deux
entraînés l'un vers l'autre par le choix de
leur coeur ; tous deux dans cet âge où l'amour
, à force d'ardeur & de vérité , femble
avoir le charme de l'innocence ; tous deux
prêts à s'unir par le noeud le plus faint & le
plus légitime : Orofmane enivré du bonheur
de
DE FRANCE. 73
de couronner fa maîtreffe ; Zaïre , toute remplie
de ce plaifir , plus délicat peut - être encore
de devoir tout à ce qu'elle aime : quel
tableau ! & quel terrible pouvoir exerce le
génie dramatique , quand tout-à- coup , à ce
que l'amour a de plus féduifant & de plus
tendre , il vient oppofer ce que la Nature
a de plus facré , ce que la Religion a de plus
augufte ! A - t'il jamais fait mouvoir enfemble
de plus puiſſans refforts ? Et n'est- ce
pas- là que , fe changeant pour ainfi dire en
tyran , tourmentant à la fois & l'Auteur
qu'il infpire & le Spectateur qu'il ſubjugue ,
il fe plaît à nous faire paffer par toutes les
angoiffes de la crainte , du defir , de la douleur
, de la pitié , & à régner parmi les larmes
& les fanglots ? Quel moment que celui
où l'infortuné Orofmane , dans la nuit , le
poignard à la main , entendant la voix de
Zaïre ! ... Mais , prétendrois-je retracer un
tableau fait de la main de Voltaire avec les
crayons de Melpomène ? C'eſt à l'imagination
des Spectateurs à fe reporter au Théâtre
dans cette nuit de défolation ; c'eſt aux coeurs
qui ont aimé à lire dans celui d'Oroſmane
à comparer fes fouffrances & les leurs , à
juger cet état épouvantable , où l'ame mortellement
atteinte , ne peut être foulagée ni
par les pleurs , ni par le fang ; ne trouve
dans la vengeance qu'un malheur de plus ;
& , pour le fauver de l'abyme du déſeſpoir ,
fe jette dans les bras de la mort. »
Voilà ce que les favans & refpectables
Sam. 13 Mai 1780.
D
74 MERCURE
Critiques de M. de la Harpe qualifient de
féchereffe , de pefanteur , d'incohérence d'idées
, de fentimens glacés & factices. Les
morceaux fuivans ne font également à leurs
yeux que de l'emphafe & de l'incorrection ;
ils n'offrent ni penfees , ni couleurs.
» Comme autrefois l'hypocrifie s'étoit
débattue contre Molière , qui la peignit
dans toute fa baffeffe , le fanatifme s'eft
efforcé d'échapper à Voltaire , qui le peignoit
dans toute fon horreur. Mais cette
horreur s'arrête au terme que l'Art lui a
preferit ; & ce même art fait la tempérer
par la pitié. S'il ferre l'ame , il la foulage.
Semblable à ce Guerrier dont la lance
guériffoit les bleffures qu'elle avoit faites ,
le Poëte fait mêler aux fentimens amers qui
déchirent le coeur , un fentiment plus doux
qui le confole ; il nous attendrit après nous
avoir fait frémir , & nous délivre , par les
Jarmes , de l'oppreffion qui nous tourmentoit.
Ce mélange heureux des émotions les
plus douloureufes & les plus douces , ce
paffage continuel & rapide de la terreur à
T'attendriffement , & de l'impreffion vio-
Mente des peintures atroces , au charme
-confolant des affections les plus chères à
la nature ; ce fecret de la Tragédiens qui
l'a jamais poffédé comme l'Auteur de Mahomer
& de Sémiramis ? "
C'eft dans ce Drame augufte & pompeux,
(Mahomet ) rempli d'une terreur religieufe
, & fur lequel femble s'arrêter , dès la
D'E FRANCE. IS
première Scène , un nuage qui renferme les
fecrets du Ciel & des Enfers , & d'où fort
enfin la vengeance ; c'eft dans cette Tragédie
fublime aufli impofante qu'Athalie ,
& plus intéreffante , c'eft dans le troisième
Acte de Tancrède , dans le cinquième de
Mérope , dans le premier de Brutus que la
Scène s'eft aggrandie par un appareil qu'elle
avoit eu bien rarement depuis les Grecs.
>>> Eh ! n'était- ce pas encore une nouvelle
richelle que cette peinture des Nations
qui a donné aux Ouvrages de Voltaire un
coloris fi brillant & fi varié ? Sans doute
ice mérite ne fut pas étranger au peintre de
da grandeur Romaine , encore moins à ce-
-lui qui traça avec tant de fidélité & d'énergie
les moeurs Grecques & les moeurs
-du Sétail , l'aviliffement de Rome fous les
ayrans , la Théocratie toujours fi puiflante
achez les Juifs. Mais combien cette partie
du Drame a -t- elle encore plus d'effet &
plus d'étendue entre les mains de l'Écrivain
fécond qui a mis fous nos yeux le contrafte
favant & théâtral des Efpagnols & des Améericains
, des Chinois & des Tartares ; qui
a fu attacher l'intérêt de les Tragédies aux
grandes époques de l'hiſtoire , à la naiffance
du Mahométifme , qui , depuis , à étendu
-fur tant de peuples le voile de l'ignorance
& le joug d'un defpotifine ftupide ; à l'invafion
d'un nouveau monde devenu la proie
du nôtre ; là ce triomphe unique dans les
Annales du genre humain, de la raifon fur
f
Dij
MERCURE!
la force, & des loix fur les Armes , qui a
foumis les Sauvages , conquérans de l'Afie ,
aux tranquilles Législateurs du Katay ; à ce
règne de la Chevalerie , qui feule , en Europe
, au dixième fiècle , balançoit la féracité
des moeurs , épuroit l'héroïfine guerrier
, le feul qu'on connût alors , & qui fuppléoit
aux Loix par les principes de l'honneur!
»
C'eft ainfi que M. de la Harpe fait
louer le génie Dramatique de Voltaire.
Tous les gens de goût feront d'accord avec
lui fur les obfervations qu'il fait à ce fu-
´jet ; il en faut cependant excepter deux qui
pourront trouver des contradictions : la
première tend à réfuter une opinion du Difcours
prononcé par M. Ducis le jour de
fa réception à l'Académie Françoife ; Difcours
dans lequel on attribue les fruits
du génie Dramatique à l'influence des moeurs
& du fiècle. M, de la Harpe ne croit point
que le fouvenir encore récent de nos Guerres
civiles ait pu exalter la tête de Corneille.,
ni que la Cour voluptueufe de Louis XIV
ait fervi à diriger l'ame de Racine vers les
rôles de tendreffe & d'amour . Traitant ces
idées de préventions , il foutient que l'efprit
d'un peuple influe moins fur l'homme
de génie que celui - ci n'influe fur fon-fiècle
, & que le Génie eftplus fait pour donner
la loi que pour la recevoir. A cet égard,
nous croyons que fi l'Auteur du Difcours
Académique a donné trop d'action à cetto
DE FRANCE. 77
influence , fon Collégué en diminue beaucoup
trop l'empire ; il n'eft point de ca
ractère qui ne foit plus ou moins foumis à
cette caufe ; elle agit fur l'homme à fon
infçu , elle le modifie à tout âge ; & s'il la
méconnoît , c'eft parce qu'elle agit d'une
manière trop continue. 25 3
.M. de la Harpe nous paroît auffi trop févère
dans le jugement qu'il porte fur les dernières
Tragédies de Voltaire. Il dit qu'Edipe
a été le moment de la naiffance de ce grand
Tragique ; Zaïre , celui de fa force ; Mérope
, celui de fa maturité , & Tancrède
où il a fini. Ileft bien vrai que les Pièces
poftérieures à l'époque de Tancrède , annoncent
la décadence du génie , mais elles
n'en fuppofent nullement l'extinction totale.
Pour s'en convaincre , il fuffit de les comparer
à celle où le grand Corneille a fini ;
quelle distance entre les dernières productions
de l'Auteur d'Agéfilas , & de l'Auteur
des Scythes , du Triumvirat , des Pélopides
, d'Irène & d'Olimpie ! Au refte , le
reproche que nous faifons ici à M. de la
Harpe , prouve du moins qu'il a fu, fe garantir
de l'aveugle engouement des Panégyriftes.,
ing roles A
111
I
C'eft , à regret que nous abandonnons la
partie de de Difcours ou l'Auteur entre
dans les détails les plus intéteffans fur les
Difcours en vers , fur la Pucelle fur l'Hif
toire de Charles XII & de Louis XIV , fur
L'Hiſtoire Générale, 18, une milétude d'au
Cij
78 MERACTURES
tres ouvrages en profe , fortis de la mêmei
plume; nous nous bornerons à citer le
morceau qui concerne les Pièces légères.
A
Ces Poéfies qu'on appelle Fugitives , parde
qu'elles femblent s'échapper avec la
même facilité & de la plume qui les produit
, & des mains qui les recueillent ;
mais qui , après avoir couru de bouche en
bouche , reftent dans la mémoire des Ama->
reurs , & font confacrées par le goût. Ik
feroit également difficile , ou de fe rappeler
toutes les fiennes , ou de choisir dans la
foule , ou d'en rejeter aucune. Ce n'eft ni
la fineffe d'Hamilton , ni la douceur naïve
de Deshoullières , ni la gaîté de Chapelle,
ni la molleffe de Chaulieu ; c'eft l'enfemble
& la perfection de tous les tons ; c'eſt
la facilité brillante d'un efprit toujours fupérieur
& aux fujets qu'il traite , & aux
perfonnes à qui il s'adreffe. S'il parle aux
Rois , aux Grands , aux femmes , aux beaux
efprits , c'eft le tact le plus sûr de toutes les
convenances , avec l'air d'être au deffus de
toutes les formes; c'eft cette familiarité
Hibre & pourtant décente , qui laiffe au
rang toutes fes prérogatives , & au talena
toute fa dignité. Il eft le premier qui , dans
cette correfpondance , ait mis une forte
d'égalité qui ne peut pas bleffer la grandeur
, & qui honore le Génie ; & cet art,
qui peut être auffi celui de l'amour propre,
eft caché du moins fous l'agrément des tourmaxes.
C'eft- là fur-tout qu'il fait voir que
V
DE FRANCE.
79
La grace étoit un des caractères de fon ef
prit. La grace diftingue fa politeffe & fes
éloges. Chez lui la flatterie n'eft que le defir
de plaire , dont on eft convenu de faire
un des liens de la fociété. Il fe joue avec la
Jouange ; & quand il careffe la vanité , sûr
qu'alors le feul moyen d'avoir la mefure
jufte , c'eft de la paffer un peu , jamais du
moins il ne paroît ni être dupe lui-même,
ni prétendre qu'on le foit. Il écrit à la fois
en Poëte & en homme du monde ; mais
de manière à faire croire qu'il eft aufle
naturellement l'un que l'autre.. Il loue d'un
mor , i peint d'un trait , il effleure
une foule d'objets , & rapproche les plus
éloignés ; mais fes contraftes font piquans
& non pas bizarres . Il n'exagère point le
fentiment, & ne charge pas la plaifanterie.
Cette imagination , dont le vol eft fi rapide,
le goût ne la perd jamais de vue. Le goût
lui a appris , comme par inftinct , que fi les
fautes difparoiffent dans un grand ouvrage,
une bagatelle doit être finie ; que le talent,
qui peut être inégal dans fes efforts , doit
être toujours le même dans les jeux , & qu'il
ne peut fe permettre d'autres négligences
que celle qui eft une grace de plus , & qui
ne peut appartenir qu'à lui . "
*
Pourquoi M. de la Harpe , après avoir fi
bien développé le caractère des Poéfies fagitives
de Voltaire , ne s'eft-t'il pas étendu
de même fur fes Romans ? Les bornes que
doit fe preferire un Orateur, l'ont fans doute
Div
So MERCURE
empêché d'approfondir un genre de Littérature
où fon Héros a fait une aufli grande
révolution que dans l'Hiftoire. Confacré
jufqu'alors aux aventures de galanterie , le
Roman s'eft affranchi de l'esclavage de l'amour
& des femmes pour devenir l'organe
de la raifon contre l'impofture , & le défen-.
feur de la Nature contre nos inſtitutions barbares.
A la voix de l'Auteur , de Candide
les Nations des deux mondes font venues
comparoître fur ce théâtre magique , avec
leurs ridicules , leurs vices , leurs erreurs.
C'eft-là que , pour attaquer plus efficacement
nos coutumes & nos opinions infenfés , il les
met aux prifes avec les coutumes & les opinions
de cent autres peuples non moins abfurdes
que nous -mêmes. C'eft- là , comme
l'obferve l'Auteur du Difcours déjà cité
qu'offrant le côté plaifant des plus grands
objets , & le côté moral des plus petits , il
fubftitue à l'intérêt d'une intrigue ,
mouvemens d'une grande paffion le
tableau bizarre de nos inconféquences , &
Les traits fatyriques d'un efprit plein de fens
& de gaîté , c'eft- là que , par une affociation ,
nouvells , il a fu faire marcher enſemble
le génie de l'Hiftoire , celui de la Comédie
celui de la Satyre , celui de la Philofophie
morale , & quelquefois le merveilleux des
Orientaux , qui devient philofophique par
les grandes leçons qu'il en tire , & qui étonne
& amufe par le charme que tout merveilleux
a fur notre imagination .
>
aux
DEFRANCE. 81
"
ICC
Avec d'aufli puiffans moyens , quel empire
Voltaire ne dût -t'il pas exercer fur fon
fécle : C'eft fous ce point de vue que M. de
la Harpe le confidère dans la feconde Partie
de fon Éloge. Il reproduifoit fous toutes
les formes ces maximes d'indulgence fraternelle
& réciproque , devenues le code des
honnêtes gens , ces anathêmes lancés contre
l'espèce de tyrannie qui veut tourmenter les
ames & affujétir les opinions , ce mépris
mêlé d'horreur pour la baffe hypocrifie qui
fe fait un mérite & un revenu de la délation
& de la calomnie. Le perfécuteur fut livré
à l'opprobre , & l'enthoufiafte à la rifée. La
méchanceté puiffante craignit une plume
qui écrivox pour le monde entier , & qui
fixoit l'opinion ; & alors s'établit une nou
velle Magiftráture , dont le Tribunal étoit à
Fernay , & dont les oracles , rendus en profe
éloquente &ien vers charmans , fe faifoient
entendre au-delà des mers , dans les Capi
tales , dans les Cours , dans les Tribunaux &
Mans les Confeils des Rois. Le pouvoir ini
que , ou prévenu , ou oppreffeur , qui effayoit
d'échapper à cette juridiction fuprê
me, fe trouvoit de toutes parts heurté , inveſti
par cette force qu'exerce la fociété chez un
peuple aù elle eft le premier befoin. Parq
tout on rencontroit Voltaire; par- tout : on
entendoit la voix ; & il n'y avoit perfonne
qui ne dût craindre d'être infcrit fur ces
tables de juftice & de vengeance , où la main
du génie gravoit pour l'immortalité. »
Dy
82 MERCURE
T
Retiré dans une foliende au pied des Alpes ,
ce vieillard octogénaire étoit devenu l'objet
de tous les regards , d'oracle: destames fenst
fibles & raisonnables , l'appui des innocensi
opprimés. " C'est là que vous vintes cou→
verts des haillons de lindigence & baignési
des larmes du défefpoir , déplorables enfans
de: Calas , & toi , imalheureux Sirven , victimes
d un fanatifme atrode , & d'une jurif
prudence barbare ! c'eft- là que vous vintes
embraffer fes genoux , hui raconter vos dér
faftres , & implorer fes fecours & fa pitié
Hélas ! & qui vous amenoit dans la folitude
champêtre d'un Philofophe chargé d'années 2
On ne vous avoit point dit que ce fût un
homme puiffant par fes places ou par fes
titres. Vous ne vites autour de lui aucunes
de ces marques impofantes des fonctions
publiques , qui annoncent un foutien & une
fauvegarde à quiconque fuit l'oppreflion ;
& vous êtes à fes pieds & vous venez l'in→
voquer comme un Dieu tutélaire ! ... Vous
avez penfez que , fait pour éclairer les hom ?
mes , il l'étoit aufli pour les fecourir ....
Jouiffez déjà des pleurs qu'il mêle à ceux
que vous verfez. Reçus dans fes bras , dans
fon fein , vous êtes déformais facrés , & la
perfécution ' va s'éloigner de vous. Ah !ice
moment lui eft plus doux &oplus cher que
celui où il voyoit triompher Zaire & Mé→
rope, & l'agrandit davantage à nos yeux
Oui , shil eft beau de voir le génie donnant
aux hommes raffemblés de puiffantes émo
•
DE FRANCE. &3
tions , oh ! qu'il paroît encore plus augufte ,
quand il s'attendrit lui-même fur le malheur
, & qu'il jure de venger l'innocence ! »
Après avoir confidéré Voltaire comme
Foracle & le bienfaiteur de fon fiécle , les
Panégyrifte jette un coup- d'oeil rapide fur
les perfécutions & les tracafferies continuelles
qu'il eut à effuyer dans fa Patrie..
Affailli par une multitude innombrable der
libelles , exilé pour la charmante Pièce du
Mondain , obligé de s'expatrier lui-même
pour finir & publier le fiècle de Louis XIV ,
il s'efforce en vain d'appaifer fes ennemis
par des chef- d'oeuvres ; Zaïre eſt déchirée
dans vingt brochures , Orefte & Nanine font
accueillies avec dédain ; par leurs intrigues
Sémiramis tombe , & les repréſentations de
Mahomet font arrêtées. On s'efforce de l'humilier
en prodiguant à un fimple Poëte lyri--
que le nom de grand ; on le met en parallèle
avec Piron , à qui l'on accorde les honneurs
du génie, pour ne laiffer à fon rival que ceux
d'un bel- efprit , on lui cherche en tous lieux:
des rivaux ou des maîtres qui puiffent l'ar--
rêter au milieu de fa courfe. « Alors vivoit :
à Paris , dans une obfcurité volontaire, dans :
une oifiveté que l'on pouvoit reprocher à
fes goûts , & dans une indigence qu'on
pouvoit reprocher à fa patrie , un homme:
d'un génie brut & de moeurs agreftes , qui',,
après s'être fait , quoiqu'un peu tard , une
réputation acquife par plus d'un fuccès , depuis
trente ans s'étoit laiffé oublier , en
D vjj
84
MERCURE
oubliant fon talent. Cet homme étoit
Crébillan , Écrivain mâle & tragique , qui ,
avec plus de verve que de goût , un ftyle
énergique & dur , des beautés fortes & une
foule de défauts , avoit pourtant eu la gloire
de remplir l'intervalle entre la mort de
Racine & la naiffance de Voltaire. Mais ce
feu fombre & dévorant dont il avoit, pour
ainsi dire , noirci fes premières compofitions
, n'avoit depuis jeté de loin en loin
que de pâles étincelles , & paroiffoit même
entièrement confumé , femblable à ces volcans
éteints , qui , après quelques exploſions
fubites & terribles , fe font refroidis & refermés
, & fur lefquels le voyageur paſſe , en
demandant où ils étoient. »
C'est ce vieillard oublié qu'on ramène
tout-à- coup fur la fcène , & qu'on peint ,
dans mille brochures , comme le Dieu de
la Tragédie , & l'unique héritier du génie de
Racine & de Corneille. On l'oppose à
Voltaire qui n'avoit , difoit - on , qu'une
réputation ufurpée par l'intrigue & les car
bales. Crébillon fait jouer fon Catilina ,
Voltaire fa Sémiramis ; le drame barbare
de l'un eft applaudi avec des tranfports
infenfes , l'autre n'obtient que des outrages.
:
On a fouvent blâmé ce grand homme
d'avoir pourfuivi avec trop d'ardeur ceux
qui s'acharnoient contre fa perfonne ou fes
Ouvrages ; mais on oublie à quels excès fes
ennemis osèrent porter la licence ; on ne
DE FRANCE.
veut point le fouvenir que pendant la moitié
de fa carrière il a toléré les Critiques , fans
en réfuter aucune ; ce n'eft qu'après quarante
ans de perfécutions qu'il le détermine
à punir enfin des agreffeurs trop long- temps
couverts du mafque de l'hypocrifie. Un
homme doué d'une fenfibilité fi vive
pour
les maux de fes femblables , pouvoit- il être
infenfible aux traits qu'on lui lançoit de
toutes parts ? Plaignons - le, non d'avoir humilié
la fottife infolente & l'ignorance préfomptueufe
, non d'avoir fait une juftice éclatante
des fanatiques, des calomniateurs & des
fourbes , mais de ce qu'il n'a pu en exterminer
toute la race ; & difons avec fon
éloquent Panégyrifte , « que fi Voltaire a été
égaré par un fentiment trop vif des maux
qu'a faits à l'humanité l'abus d'une religion
qui doit la protéger,.. s'il n'a pas affez refpecté
le trône facré qui raffemble tant de
nations fous fon ombre immenfe , il faut
laiffer à l'Arbitre Suprême , à celui qui feul
lit dans les confciences , à juger fes intentions
& fes erreurs , fes fautes & fes excufes,
les torts qu'il cut , & le bien qu'il fit .
Voltaire fut du moins un des plus conftans
adorateurs de la Divinité.
Si Dieu n'exiftoit pas , il faudroit l'inventer.
Ce beau vers fut une des penfées de fa
vieilleffe , & c'eft le vers d'un Philofophe.
Quand on ira vifiter le féjour qu'il a longtemps
embelli & vivifié , on lira fon nom
MERCURE
"
25
4
fur le frontifpice d'un temple élevé par fon
ordre & fous les yeux , au Dieu qu'il avoit
chanté. Ses vallaux qui l'ont perdu , leurs
énfans , héritiers de les bienfaits , diront au
voyageur qui fe fera détourné pour voir
Fernay : « Voilà les maifons qu'il a bâties ,
les retraites qu'il a données aux arts utiles ,
les terres qu'il a rendues à la culture &
dérobées à l'avidité des exacteurs. Cette:
ir colonie nombreufe & floriffante eft néefous
fes aufpices , & a remplacé un défert.
Voilà les bois , les avenues , les fentiers
où nous l'avons vu tant de fois..
C'eft ici que s'arrêta le charriot qui por--
toit la famille défolée de Calas. C'eft- là:
que tous ces infortunés l'environnèrent
» en embraffant fes genoux. Regardez cet
arbré confacré par la reconnoiffance , &:
que le fer n'abattra point ; c'eft celui.
fous lequel il étoit affis , quand des La-
» Boureurs ruinés vinrent implorer fes fecours
, qu'il leur accorda en pleurant , &
qui leur rendirent la vie. Cet autre en-
» droit eft celui où nous le vîmes pour la
dernière fois ... » Et à ce récit , le
voyageur qui aura verfé des larmes en lifant
Zaïre , en donnera peut-être de plus douces
à la mémoire des bienfaits. "
Tel eft l'hommage vrai , noble & touchant
que M. de la Harpe à fu rendre aux
mânes du Philofophe de Fernay. Au lieu de
chercher les taches qu'on pourroit décou
vrir dans cer Éloge , & dont aucun Ouvrage
DE FRANCE. 87
n'eft exempt , au lieu même de nous étendre
en éloges fur un grand nombre de morceaux
que nous n'avons pu citer , nous allons
tranfcrire un fragment de lettre écrite à ce
fujet, par un homme qui réunit le goût & les.
talens littéraires à la diftinction que donnent
la naiffance & les dignités.
ob a
EXTRAIT d'une Lettre de M. de
"
, י י מ , !ל
**
J
Ce Difcours paroît avoir réuni tous les fuffrages
fi l'on excepte , comme de raifon , ceux qui font
par métier & par fyfteme les ennemis de Voltaire
& de fon Panégyrifte , & dont l'avis eft connu
d'avance , parce qu'ils ne peuvent jamais en cbanger.
Mais quoi qu'ils puiffent dire , il eſt bien
beau , bien honorable à l'Auteur de s'être furpaflé
lui- même, après des Ouvrages tels que l'Eloge de Fénélon,
celui de Catinat, celui de Racine, celui de La Fontaine,
qui font mis par tous les bons juges au rang des
chef- d'oeuvres de notre langue. On peut dire , après
féloge de Voltaire , ce que M. de la Harpe luimêine
difoit , en parlant de l'Eloge de Marc- Aurèle
par M. Thomas : ce n'eft pas-là du génie &de l'éloquence
, il n'y en eut jamais. En effet , ce Difcours
réunit tout ; le mérite d'avoir. rempli un fujet G
vafte , & d'avoir rajeuni ce qui fembloit fi ufé , le
mérite du plus bel enfemble , devenu bien rare aujourd'hui
que nous n'avons plus que des morceaux ;;
une marche claire , foutenue & attachante , ou
vrage de l'Art , mais où l'Art eſt toujours caché ; la :
flexibilité d'un ftyle qui a tous les tons & tous les mouvemens,
ingénieux & fin dans la difcuffion, toujours
noble & oratoire , & s'élevant quand il le fautau
pathétique & au fublime ; une foule d'idées ou
de philofophie , ou de morale , ou de goûr ; enfin,
88 MERCURE !
une diction fi pure , fi animée &, fi intéreffante
qu'il eft impoffible de ne pas achever l'ouvrage,
quand on l'a commencé , & de n'avoir pas envie,
de le relire quand on l'a fini.
瀑
!
Je ne peux pas non plus me refufer à une réflexion
que bien d'autres feront comme moi :
c'eft pourtant-là cet Écrivain en butte à tant d'injuftices
& de calomnies , conftamment pourſuivil
par des ennemis nombreux & acharnés , qui annonçoient
publiquement le projet de décourager du
moins un talent qu'on n'efpéroit pas d'anéantir !
ils accufoient de fécheresse & de froideur , l'Auteur
de Mélanie & de l'Eloge de Fénélon : ces deux
Ouvrages font peut-être ceux où il y a le plus
de ce charme de ftyle qui rappelle les beaux
jours de Louis XIV. I eft temps enfin d'être
jufte , & je me féliciterai d'en donner l'exemple
Plus un homme d'un véritable talent a été pèrfécuté
, plus il devient intéreffant pour les ames honnêtes.
Et quel plus noble ufage de ce talent que les
Mules rivales & l'Eloge de Voltaire ? Quel Écrivain
donne plus d'efpérances à notre Littérature ,
& mérite plus d'être encouragé? On ne fait ce qui
doit étonner le plus , ou de l'injuftice avec laquelle
on a traité un écrivain fi diftingué , ou du courage
qu'il a eu 'de pourfuivre avec éclar fa carrière au
milieu de tant d'obſtacles .
DE FRANCE. 89
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a retiré l'Acte de Philémon & Baucis ,
& on y a fubftitué la Cour d'Amour , ou les
Troubadours , Acte de l'Union de l'Amour
& des Arts.
Aglaé , Préfidente de la Cour d'Amour,
n'a point encore fait l'aveu de la tendreffe
que Floridan lui a infpirée. Le Berger a fu
mettre dans fes intérêts Céphife , amie de
fon amante , fous le nom de Mifis : le vifage
couvert d'un mafque , il fe préfente au
tribunal d'Aglaé , & la prie de prononcer
fur un fait d'amour. Il fe plaint d'une Bergère
infenfible qui refuſe de répondre à fa
flamme. La Préfidente juge en fa faveur ; il
fe démafque , apprend à Aglaé qu'elle vient
de fe juger elle-même. Émue, attendrie, convaincue
de la fidélité de fon amant , elle
avoue fa défaite , & cède à fon vainqueur.
L'hiftoire des Tribunaux bizarres , connus,
fous le nom de Cours d'Amour , pouvoit
offrir à l'Auteur de cet Acte des détails & des,
acceffoires qu'il a eu tort de négliger. Le
fujet eft plutôt apperçu que traité. La Scène
entre Floridan & Aglaé manque des développemens
néceffaires à fon intelligence , &
qui font indifpenfables même à l'Opéra. Le
MERCURE
moyen qu'emploie Floridan pour tromper
Aglaé eft fufceptible de reproches , relativement
au Théâtre fur lequel l'Ouvrage eft
repréfenté ; car , en fuppofant que le demimafque
dont le Berger a couvert fon vifage
fuffife pour le rendre méconnoiffable aux
yeux de fa maîtreffe , il lui eft impoffible de
déguifer fa voix , & fa voix trahit le myrère.
L'Auteur a tâché de prévenir cette obfervation
, en faisant dire tout bas par
Aglaé;
Qu'entends-je ! quels accens ! ciel ! fachons - nous
contraindre.
Mais alors , que devient l'intérêt de la Scène ?
Par quel objet la curiofité peut- elle être
fourenue? Le Spectateur n'a plus d'incertitude
, il prévoit le dénouement ; & Aglaé ,
qui a prononcé contre elle avec connoiffance
de caufe , ne peut plus éprouver de
trouble ni de furprife , au moment où Floridan
lui dit , vous vous jugez vous- même.
Depuis la première repréfentation de
Union de l'Ainour & des Arts , le fyftême
de notre Théâtre lyrique eft abfolument
changé. On y veut plus de vérité , plus d'illufion
qu'autrefois . On exige des Auteurs
qu'ils fachent régler les écarts de leur imagination,
& que les fituations qu'ils employent,
foient au naturellement amenées & expofées
que le peuvent permettre les conventions
de l'art. Il n'eft pas douteux que ce
ouveau. fyftême n'excite les plaintes & les
DE FRANCE.
rumeurs de quelques efprits indociles , qui
fe croient les confervateurs du bon genre ,
parce qu'ils font religieufement attachés à
de vieilles erreurs ; mais on aura toujours à
leur répondre par l'exemple des grands
Maitres de notre Littérature , qui ont ſu ſe
faire un nom immortel , & mériter d'être
placés au rang des Génies créateurs , fans
s'écarter des bornes qui ont été pofées par
le goût & par la raifon.
Nous parlerons dans le prochain Numéro
de la remife de Caftor & Pollux.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE
JE SAMEDI 29 Avril , on a donné la pre
mière repréſentation de la repriſe de la Veuve
du Malabar , Tragédie en cinq Actes , par
M. le Mière.
Cette Tragédie , jouée pour la première
fois le 30 Juillet 1770 , n'avoit eu qu'un
fuccès médiocre. M. le Mière y a fait des
changemens confidérables. Nous donnons ici
une analyfe fuccincte de cet Ouvrage.
Le chefdes Bramines veut hâter le facrifice
auquel une veuve doit fe dévouer après
la mort de fon époux , fuivant le barbare
ufage du pays. Un Bramine nouvellement
mitié , et chargé de l'affermir dans la réfos
lution qu'elle a prife , & de la conduire au
bûcher qui doit la confumer. Tout indigné
qu'il eft de cette coutume atroce , le jeune
initié acceptéee fatal miniftere , dans le
MERCUREA
deffein de fouftraire à la mort cette malheureuſe
victime du fanatifme & de la fuperftition.
Quelle eft fa furpriſe , quel eft
fon effroi , quand il retrouve une foeur dans
cette infortunée ! Sa terreur redouble encore
quand il apprend de fa bouche qu'ayant
époufé par foumiffion le mari qu'elle vient
de perdre , ayant renoncé pour jamais à l'efpérance
de revoir un François dont elle étoit
adorée , elle eft réfolue à mourir. Cependant
la ville eft affiégée par des troupes
Françoifes. On demande à leur Général une,
trêve de douze heures , elle eft accordée. Ce
temps eft destiné à la confommation du facrifice.
Montalban (c'eft Te nom du Géné
ral François ) en eft inftruit , & prenda fans
la connoître encore , le plus grand intérêt.
au fort de la victime. Il fe propofe de l'arracher
à fon cruel deftin. On peut juger
s'il s'affermit dans fon projet , quand il apprend
que la femme pour laquelle il veut
s'armer eft une maîtreffe adorée , & dont le
fouvenir vit encore dans fon ame. Au mo
ment même où le farouche Bramine fait
allumer le bûcher , où toute entière à fon
défefpoir , l'infortunée s'y précipite , Mona
talbán , fuivi de fes foldats , s'introduit dans
la ville par un fouterrein qu'il a découvert ,
arrache fa maîtreffe aux flammes abolit
comme, vainqueur , l'abominable ufage qui
privoit l'État de tant de mères & de citoyennes
, & pardonne aux malheureux que
la fanatifine avoit rendus barbares.
*
DE FRANCE.
93
Les deux premiers Actes de cette Tragé
die font froids ; le troisième eft plein de
beautés du premier ordre ; le quatrième eft
un peu languiffant , & la catastrophe eft
énergique. Le ftyle eft celui de M. le Mière ,
c'eft- à- dire , tour-à-tour nerveux , fier , dur ,
barbare , négligé. Au refte , cet Ouvrage ne
peut que lui faire honneur , malgré les défauts
qu'on y remarque : il eft infpiré par
l'humanité. On y trouve des penfees fortes ,
d'autres un peu hafardées , de la douceur &
de la fenfibilité. Le caractère de Montalban
a généralement produit la plus grande fenfation
. M, la Rive l'a très- bien conçu ; &
nous croyons que ce qu'il y a déployé de
talens & de nouveaux moyens d'ame &
d'intelligence , doit le rendre cher au Public
éclairé,
COMÉDIE ITALIENNE,
LE Mardi 2 Mai , Mde Perceval a débuté
par le rôle de Marton dans les Fauffes Confidences
, & le Vendredis , par celui de
Lifette , du Jeu de l'Amour & du Hafard
Une fort belle figure , une taille qui a de
la majefté ; un organe rond , mais plus
ferme que flexible ; de l'intelligence , de
l'ufage , de l'efprit , de la décence , & même
de la difpofition à la nobleffe; telles font
les qualités que nous avons apperçues dans
Mde Perceval : elles font précicules , mais
94 IM ER CURE !
conviennent - elles toutes à l'emploi des
foubrettes , qui exige un jeu rapide de phifionomie
, de la légèreté , de la foupleffe,
en débit vif & animé ? Nous ne le croyons
pas. Eft- il poffible à l'Actrice dont nous
parlons , de parvenir à forcer fa nature au
point de lui prêter les nuances de jeu qui
paroiffent incompatibles avec fa conftitu
tion ? Nous n'ofons prononcer fur cette
queſtion , mais nous en pouvons doutet.
Au furplus , le rems fera voir finothe
doute eft ou n'eſt pas fondé.
Le Mercredi , on a donné la première
Repréfentation d'à Trompeur , Trompeur &
demi , ou les Torts du Sentiment , Comédie-
Proverbe én un Acte , mêlée d'Ariettes ;
Mufique de M. Defaides.
.. Comme l'Auteur du Poëme s'occupe de
corrections & de changemens qu'il a jugés
néceffaires , nous attendrons , pour en rendre
compte , que la Pièce ait été remife fous
le titre du Retour du Sentiment , qu'on a
cru devoir fubftituer au premier.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
MONDE
ONDE Primitif, analyfé & comparé avec le
Monde Moderne , confidéré dans les origines Latines
, ou Dictionnaire Etymologique de la Langue
Latine , avec une Carte & des Planches , par M.
Court de Gebelin. Seconde Partie - in-4°. A-Paris ,
DE FRANCE. 95
chez l'Auteur , rue Poupée ; & chez Valleyre.l'aîné,
Sorin & Saugrin , Libraires.
Les Ouvrages fuivans fe trouvent chez Nyon
T'aîné , rue du Jardinet , quartier S. André- des - Arts.
1. Hiftoire des Colonies Européennes dans l'Amérique
, traduite de l'Anglois de M. William Burck.
2 vol. in- 12 . Prix , 5 liv . reliés. 2 ° . Le Lutrin , en
Latin & en François , avec Fig. 1 Vol. in-8°. Prix ,
2 liv . 8 fols. 3 ° . Recueil d'Ouvrages fur l'Économie
politique & rurale , traduit de l'Anglois par M. de
Fréville. 2 vol . in- 8 ° . Prix reliés , ro liv. 4º . Mélanges
Hiftoriques , Politiques & Critiques , ou Précis
des événemens les plus intéreffans de l'Hiftoire ancienne
& moderne , & principalement de l'Hiftoire de
France , depuis le règne de Louis XVjufqu'en 1766 ,
par M. Ducrot. 2 vol. in - 8 ° . Prix , 6 liv. reliés .
5. Hiftoire du Cardinal de Polignac. 2 vol. in-12.
Prix , 6 liv. reliés. 6 ° . Abrégé de l'Hiftoire de la
Milice Françoife du P. Daniel , avec un Précis de
fon état actuel. 2 vol. in- 12 . avec Fig. Prix , 6 liv.
reliés 7°. Réflexions Critiques & Patriotiques.
Troisième Édition. 1 vol. in- 12. Prix , 2 liv. 10 f.
8°. Traité des Vernis . in- 12 . Prix , 1 liv. 10 fols.
9°. Fables extraites d'Ovide , traduites en François
avec le Latin à côté , & des notes fur chaque Fable ,
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M. de Kervillars. in - 12 . Prix , 30 fols.
Miffellanea , ou Amuſemens d'un Solitaire des
bords de la Vienne , in- 12. Prix , 2 liv. A Paris ,
chez Baſtien , Librairë , rue du Petit-Lion.
Penfées du Pape Clément XIV , extraites de fes
Lettres. Vol. in- 12 . Prix , 2 liv . A Paris , chez
'Lottin le jeune , Libraire , rue S. Jacques.
Porte- Feuille du Phyficicn , ou Recueil inftructif
des actions & des moeurs des animaux , par M. de la
96 MERCURE
Croix. 2 Parties in- 12 . Prix , 3 liv. A Paris , chez le
Jay, Libraire , rue S Jacques.
De l'état & du fort des Colonies & des anciens
peuples. Vol. in - 8 ° . Prix , 3 liv . A Paris , chez
Debure l'aîné , quai des Auguſtins.
Shakespear , traduit de l'Anglois par M. le Tourneur.
Tomes 7 & 8. A Paris , chez Mérigot , Libraire
, quai des Auguſtins.
Penfées fur plufieurs points importans de Littérature
, de Politique & de Religion , recueillies de
l'Hiftoire Ancien ie & du Traité des Études de M.
Rollin , par M. l'Abbé Lucet . Vol. in- 12 . A Paris ,
chez les Frères Etienne , Libraires , rue S. Jacques.
N. B. En annonçant la Traduction nouvelle de
Bocace , in- 8 °. & in- 12 . , avec cent onze Estampes ,
on a omís de prévenir le Public que la reliure fe paye
féparément.
TABLE.
CONSEIL aux Amans quit- Éloge de Voltaire
tés,
64
49 Académie Roy. de Mufiq. 8
Chanfon Provençale , 51 Comedie Françoise ,
L'Héritier Malheureux, Anec- Comédie Italienne 39
dote ,
57
Enigme & Logogryphe , 66 |
Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
91
93
94
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 13 Mại. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 12 Mai 1780. DE SANCY.
Jer . 135..
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A MA PREMIÈRE MAITRESSE.
OURQUOI m'appelez-vous infidèle , volage ?
Nous ne pouvions nous aimer bien long-tems.
Vous avez plus de quarante ans ,
Moi , je n'ai pas encor la moitié de votre âge.
Je promis autrefois de ne changer jamais ;
ous jurâtes auffi d'être toujours la même.
*Yous laiſſez par le temps moiffonner vos attraits ,
Et vous voulez que je vous aime ?
Je ne vois plus en vous la belle que j'aimois, ..
Quelle métamorphofe étrange !
Vos yeux mornes n'ont plus ce feu que j'admirois...
Donc c'est vous qui changez , ce n'eſt pas moi qui
change.
† Par M. D... Avocat au Parlement de Rennes. )
Sam. 20 Mai 1780.
E
98
MERCURE
A Mademoiſelle DEVARDON , fur fon
Ode de la Parfaite Indifférence , imitée de
Métaftafe.
To1 , qui de Cupidon mépriſes la puiſſance ,
Es-tu bien sûre , Églé , d'avoir brifé les fers ?
Hier , je t'écoutois prôner l'Indifférence ;
Mais l'Amour ,
dans tes yeux , ſe moquoit de tes vers.
( Par M. M...)
Réponse de Mademoiſelle DEV ARDon.
JAMAIS la froide Indifférence
Ne conduifit au vrai bonheur.
Si dans mes vers elle a la préférence ,
L'Enfant aîlé l'emporte dans mon coeur.
A Madame D E...... de Genève.
Vousdemandez un impromptu
Pour ces yeux , ces traits , ce ſourire ,
Pour les grâces de la Vertu.
C'eft trop de chofes à décrire ,
Et je renonce à l'impromptu.
( Par M. de V...)
LAULTONENG
DE FRANCE. 99
LA TOURTERELLE ET LE PINÇONS
Fable.
Sous un de ces rians berceaux ,
Ouvrage heureus de la Nature ,
Un ſoir d'été , fur la verdure
Babilloient de jeunes oiſeaux .
Une charmante Tourterelle
Ymêloit fes plaintifs accens.
Hélas ! pourquoi , leur diſoit- elle ,
Avec des dehors fi touchans ,
Mon Tourtereau n'eſt- il qu'un traître ?
J'aimois , j'étois aimée , au moins je croyois l'être ;
L'inconftant m'a quittée : un trifte fouvenir
Eft tout ce qu'en partant le perfide me laiſſe ;
Mes pleurs feront - ils plus que n'a fait ma tendreſſe ?
Il a fui fans retour , je n'ai plus qu'à mourir.
Un Pinçon au brillant plumage ,
Au babil importun , reprit d'un ton railleur :
Se plaindre d'un amant volage ,
C'eſt dire en un autre langage
Qu'on a perdu plus que fon coeur.
Retenez bien cette leçon , ma belle :
D'un jeune amant quand on comble les voeux ,
On croit avoir fait un heureux ,
Et l'on n'a fait fouvent qu'un infidèle .
(Par Mlle Julie de Ruperi. )
E ij
100 MERCURE
OBSERVATIONS fur les degrés de certitude
des Connoiffances humaines.
JAMAIS on ne fit de plus nobles efforts pour
découvrir la vérité. De toutes parts on cherche
à lever le voile fous lequel la nature a
voulu nous la cacher, Les fiècles derniers
furent donnés à la Littérature. Celui- ci eft
confacré plus fpécialement à la recherche
du vrai ; on a abandonné l'efprit de fyftême ;
on veut des faits ; on en fait des collections
immenſes ; on multiplie les méthodes ... Si
on n'a pas fait tous les progrès qu'on devoit
attendre , c'eft , je crois , qu'on ne s'eſt pas
affez attaché à remonter aux premiers principes
de nos connoiffances. On ne fait pas
encore bien clairement l'idée que l'on doit
attacher au mot évidence. L'un la trouve
où l'autre ne voit que probabilité . Que disje
? Souvent ce qui eft évident pour celui-ci ,
eft abfurde pour celui - là .
Convaincu que l'évidence doit être une ,
j'ai recherché d'où pouvoient venir ces contradictions
, & j'ai vu qu'on n'avoit point
encore d'idées de ce qu'on doit appeler certitude.
J'ai tâché d'aller à la fource de nos
connoiffances , & de fixer les différens degrés
de certitude que nous pouvons avoir.
Quand je fens , je fens ; il ne fe peut que
je ne fente pas . C'eft une vérité inconteftable,
que jamais perfonne n'a niée ; c'eft un
DE FRANCE ΙΟΥ
degré de certitude au maximum. Je fens du
blanc , je fens du noir , je flaire des odeurs
agréables , je goûte des faveurs délicieuſes ,
j'entends des fons mélodieux... Ce font autant
de fentimens , qui ont toute la certitude
poffible pour moi. Quand je les fens , il ne
fe peut que je ne les fente pas.
: Ce font ces fentimens que j'appelle idées
premières , & il n'y a d'autres idées premières
que celles que j'acquiers ainfi. Tout le monde
convient de leur exiſtence.
Non - feulement je fens , mais je fais que
je fens. Je fens que j'écris fur ce papier ,
que les traits que ma plume y trace font
d'une couleur toute différente que celle de
ce papier. C'est ce que j'appelle juger. Ce
jugement eft pour moi auffi certain que le
fentiment premier. Je fuis tout auffi sûr que
je fens la couleur noire différente de la couleur
blanche , que je fuis sûr que je fens du
blanc , que je fens du noir. Ainfi , tous les
jugemens de cet ordre ont toute la certitude
poffible. Toutes les vérités appuyées fur de
pareils jugemens , auront donc la plus grande
certitude pour moi. C'eft ainſi que j'acquiers
l'idée des rapports de mes différens fentimens
les uns avec les autres. Plufieurs jugemens
réunis forment le raifonnement.
Les vérités de cet ordre font en très-grand
nombre. Tous les axiomes dont on fent
l'évidence , mais qu'on ne fauroit démontrer,
font dans cette claffe. Je fens qu'une ligne
droite eft plus courte qu'une courbe , partant
E iij
102 MERCURE
l'une & l'autre de deux mêmes points que
deux droites fe coupant , forment des angles
oppofés au fommet parfaitement égaux ;
que deux droites ou courbes femblables ,
comprifes entre deux parallèles & également
inclinées , font proportionnelles ; que la
figure inferite eft plus petite que la circonfcrite...
Je conclus en général pour toutes
ces vérités , qui ne fe prouvent que par lefen--
timent , parce que le fujet & l'attribut font
fynonymes , & qu'elles fe réduifent à dire ,
deux lignes égales font égales , une ligne plus
longue eft réellement plus longue ; car dire
une figure inferite eft plus petite que la circonfcrite
, c'eft dire ce qui eft plus petit eft
plus petit. Ces vérités fe fentent & ne fe
démontrent pas. On appelle démonſtration
lorfqu'il y a un certain nombre de comparaifons
à faire. Ellesfont également certaines ,
étant fondées fur le fentiment.
Ce que nous venons de dire des combinaifons
de l'étendue , nous pouvons le dire
de toutes les combinaiſons de nos autres
fentimens , des couleurs , des odeurs , des faveurs
, des fons , des tacts , de la faim , de la
foif, des différens degrés de force , de mouvement
, de viteffe , des nombres , des différens
degrés de fenfibilité , & c. Tous ces.
différens fentimens peuvent le combiner , fe
comparer, & donneront des vérités de toute
certitude.
C'est ainsi qu'on peut calculer la fenfibilité
, l'intelligence & tous les autres fentiDE
FRANCE. 103
mens moraux & leurs différens degrés ,
comme on calcule l'étendue & fes différentes .
formes , la forçe , le mouvement & leurs
différens degrés. On pourra donc appliquer
le calcul à la métaphyfique & à la moralę,
comme on a fait à la phyſique.
Toutes les qualités des êtres , telles que
l'étendue , la figure , la mobilité , &c . la fenfibilité,
l'intelligence , l'amour , la haine , &c.
font fufceptibles d'un grand nombre de degrés
d'intensité , dont nous pouvons exprimer
le premier par 1 , & le dernier , le plus intenfe
, par maximum 8. La férie des nombres
naturels 1 , 2 , 3 ... 8 repréſentera
donc les différens degrés d'intensité de chacune
de ces qualités. Le minimum d'intelligence
fera l'être qui aura le moins de connoiffances
poffibles. Le maximum d'intelligence
fera celui qui connoîtra tout ce qu'un
être peut connoître.
Tous les êtres peuvent fe réduire à deux
grandes claffes , les étendus ou matériels , &
les fpirituels ou intelligens . Les êtres étendus
peuvent être plus ou moins étendus ,
plus ou moins denfes , avoir telle ou telle
figure , &c. Ces qualités font fufceptibles
d'un certain nombre de combinaiſons qu'on
peut exprimer par des féries. Elles ne peuà
la vérité , être fommées ; mais exprimons
ces combinaiſons par la férie a , b ,
c, d.... x , ou celle des nombres naturels ,
2,3 ... 8. Cette nouvelle férie donnera
tous les êtres étendus poſſibles .
›
E iv
104 MERCURE
L'être fpirituel peut avoir un nombre
plus ou moins grand d'idées premières , telles
que les fons , les odeurs , les faveurs , les
couleurs & toutes les autres idées que nous
ne connoiffons pas. Il peut les avoir à un
feul degré ou à plufieurs. Il peut en avoir
d'une feule eſpèce , ou de plufieurs , ou de
toutes. Ce qui nous donnera pour l'être fpirituel
un nombre de combinaiſons comme
pour l'être étendu , que nous repréſenterons
également par la férie 1 , 2 , 3 , 4... 8.
Telles font les fameufes féries des êtres.
Nous donnerons également un exemple
de la manière dont on peut appliquer le
calcul à la morale . Soient deux êtres intelligens
A , B , dont l'un ait ico degrés de perfection
& l'autre 10 , je devrai à l'un 100
degrés d'eftime , d'amour , & à l'autre 10 ,
puifque ces fentimens font en raifon des
perfections. Si c'est moi qui ai 10 degrés de
perfection , je me devrai to degrés d'eftime
& 100° à A , appelant cet excès d'eftime
refpect ; le refpect que je devrai à cet être
fera 90 degrés.
Tous les premiers axiomes de métaphyfique
, tels que ceux- ci , le tout eft plus grand
que fa partie , deux êtres femblables à un
troisième , font femblables entre- eux , &c.
font également fondés fur le fentiment , &
ont la même certitude.
L'évidence , cette lumière vive , ne fera
donc que le fentiment. Elle nous entraîne
d'une manière victorieuſe , parce que ſentant ,►
-
DE FRANCE. 105
nous ne pouvons pas ne pas fentir. Mais
comment fe peut - il que fi fouvent on fe
trompe , croyant avoir l'évidence ? Ceci
tient à plufieurs caufes. La première eſt la
difficulté de favoir fentir . Que de chofes
voit le Naturalifte dans un infecte , dans
une plante , dans une pierre , dans un métal ,
que n'apperçoit pas celui qui ignore cette
fcience ! C'eft fur -tout dans de longs raiſonnemens
qu'on fe trompe. Si j'ai , par exemple
, dix fentimens à comparer , dix rapports
à faifir , je manquerai un ou deux de ces
rapports , & dès - lors je crois avoir l'évidence.
C'eft ce qui rend les démonſtrations
mathématiques compliquées fi difficiles à
faifir pour la plupart des efprits. Il faut pour
lors imiter l'infecte , qui remonte par fon
fil pour voir quel eft le chaînon manqué.
Une autre fource d'erreurs très - féconde ,
eft l'inexactitude du langage. La plupart des
difputes giffent fur les mots. On n'y attache
point d'idées fixes , en forte qu'ils font pris
en fens différens . Dès que le vrai fens eft déterminé
par des définitions exactes , on eft
bientôt d'accord.
Mais il eft des vérités d'un autre ordre ,
dont la certitude n'eft plus la même. J'éprouve
un fentiment avec le fentiment de
l'avoir déjà éprouvé : c'eft la mémoire.
Je me fouviens d'avoir été aux Tuileries.
J'y retourne. Je les vois telles que la mémoire
me l'avoit dit. Elle ne m'a donc pas
trompé. Je vérifie ainfi la mémoire par
Ev
106 MERCURE
mille épreuves , & je vois que fouvent elle
ne me trompe pas , d'autres fois elle me
trompe. Tout ce qui m'eft affuré par la mémoire
, n'aura donc que differens degrés
de probabilité , dont le plus intenſe fera
exprimé par 81, & le moindre par 1 ,
& on pourra former des féries de ces degrés
de probabilités exprimées , par celle des
nombres naturels 1 , 2 , 3 ... 8 — 1 .
La mémoire me dit que j'ai été aux
Tuileries . J'y vais , je le vois. Elle me dit
que cette plume a jadis écrit ; j'en conclus
qu'elle peut encore écrire. C'eft ce que
j'appelle analogie. L'analogie eft donc un
raifonnement par lequel je conclus de ce
qui a été ou eft , à ce qui fera ou à ce qui
a été. Ce raifonnement n'eft appuyé que fur
les probabilités , car fouvent l'analogie
trompe. On pourra également exprimer ces
différens degrés de probabilité par la férie
des nombres naturels , depuis 8 I jufqu'à
1 ; mais l'analogie n'eft fondée que fur
la mémoire , qui elle- même n'eft que probable.
Son plus haut degré de probabilité
fera donc 8-2.
-
J'ai encore un troisième motif de crédibilité.
L'analogie me dit que les autres hommes
font affectés comme moi. Effectivement
je les vois agir comme moi dans les
mêmes circonftances. Je leur dis ce dont j'ai
été affecté , ils m'en difent autant. J'ai vérifié
par mille expériences qu'affez fouvent
ils me difent la vérité, quoique très-ſouvent
DE FRANCE. 107
ils me trompent. Leur témoig ge ne fera
donc également que dans la claffe des probabilités
, donc on pourra auffi exprimer les
différens degrés par la férie des nombres
naturels ; mais il n'eft appuyé que fur l'analogie
, dont le plus haut degré eft 8-2.
Ainfi , la plus grande probabilité du témoignage
des hommes fera 8 — 3 , & la moindre
fera 1.
par
Toutes les connoiffances que nous pou̸-
vons avoir font fondées fur un de ces quatre
motifs de crédibilité. Ou ce font des fentimens
que nous éprouvons , & elles ont toute
la certitude poffible ; ou elles font rappelées
la mémoire , & leur plus grande probabi
lité égalera 8 1; ou elles feront fondées
fur l'analogie , & leur plus grand degré de
probabilité fera 82 ; ou elles feront
appuyées fur le témoignage des hommes , &
83 donnera leur plus haut motif de
crédibilité.
Apportons un exemple : je fuis sûr de
l'existence du foleil quand je le vois ; je fais
par la mémoire qu'il fe lève toutes les 24
heures ; l'analogie me dit qu'il fe levera encore
demain , & le témoignage des hommes,
m'allure que depuis des fiècles il parcourt la
même période.
Tels font les différens motifs de crédibilité
que nous avons. Toutes nos connoiffancès
portent fur un des quatre , quelquefois
fur plufieurs en même- temps.
E vj
108 MERCURE
On pourroit donc conftruire de la manière
fuivante des Tables des différens degrés de
certitude des Connoiffances Humaines.
Connoiffances
fondées fur les
fentimens pré- pelées par
la mémoi fens.
Conneif Connoif- Connoiffances
rap fances fondées
fur
l'Analogie
fances fondées
fur le
témoigna
re.
ge des
Hommes.
xxxxxx
P
pppppp
4
TABLE des motifs de crédibilité des Connoiffances
Sentimens
humaines.
préfens. Mémoire. Analogic.
Témoignages
des hommes.
Certitude Qu'il a
éclairé hier
-I + 8-2
que je vois
Le Soleil
quand je
le regarde
p
Qu'il
éclairera
demain .
-2 · 3
Que le
feu brûle.
812
Qu'il a éclairé
il y a 100 ans .
-
3
Que Louis XIV
a exifté.
8 -
- 3
DE FRANCE.
109
En fixant, comme les Géomètres pratiquent
pour les Sinus , la valeur de 8 à un nombre
quelconque, 10,000,000 par exemple ,
on pourroit peut-être claffer quelques-unes
de nos
Connoiffances , & affigner le degré
de certitude que chacune peut avoir.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Énigme eſt Marge ; celui
du Logogryphe eft Poiſſon , où se trouvent
pois , fon & poiſon.
ÉNIGM E.
POLYGAME ici -bas , là-haut célibataire
Mes attributs & mes goûts font divers
Tantôt je plane dans les airs ,
Et tantôt je gratte la terre.
Je ne me connois point d'égal :
La hardieffe & le courage
Furent toujours mon apanage ;
Et j'ai fouvent triomphé ďun rival.
Malgré cette fierté , qui m'eft fi naturelle ,
Sur un fumier l'on m'apperçoit fouvent ;
Et fans changer de nom , je vois d'où vient le vent,
J'annonce le beau temps , & l'orage , & la grêle.
Autrefois ,
A ma voix ,
110 MERCURE
Un très- grand perfonnage
De pleurs inonda fon viſage ;
Mais aujourd'hui mes chants infructueux
Fatiguent les humains , fur-tout les parcffeux .
( Par Mlle Brifoult l'aînée , à S. Dizier.)
LOGOGRYPHE.
JE n'ai que deux pieds , cher Lecteur ;
Cependant je marche fur quatre.
Jadis un certain Dieu voulut , par ſa faveur ,
Pofer deffus mon chef des armes pour combattre.
Ma forme approche affez de la forme d'un boeuf;
Pourtant je ne fus pas autrefois auffi bête.
En moi tu trouveras la figure d'un oeuf,
Si de mon corps tu détaches la tête .
( Par M. le C. de M. , Colonel d'Infanterie. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE générale de Provence , tome II ,
in-4°. AParis , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire de la Reine , rue des Mathurins.
Prix , 12 liv. en feuilies.
DANS l'extrait que nous avons donné du
tome premier , on a vu ce qui s'eft paffe de
mémorable en Provence , depuis la fondation
de Marſeille jufqu'au règne d'Antonin.
DE FRANCE. I
Le tome fecond va nous préfenter le tableau
de tout ce que l'ambition & la cruauté
peuvent produire dans les fiècles de barbaric.
Placée entre l'Italie & les Gaules , la Provence
devient en proie à tous les partis qui
fe formèrent en- deçà des Alpes , & les
mêmes cauſes qui détruifirent l'Empire Romain
, mettent cette Province fous le joug
des Barbares. En vain les Empereurs Ro
mains s'efforcent de la défendre contre des
ufurpateurs : les Bourguignons & les Vifigots
s'en emparent , la cèdent aux Oftrogots ,
d'où elle paffe aux Francs , fous lefquels les
Normands & les Sarrafins mettent le comble
à la misère publique. Au milieu de ces
événemens , le peuple vexé , avili , dégradé ,
tombe dans un chaos où , à travers les ufages
, les moeurs & les loix des Barbares , on
apperçoit encore l'empreinte de la domination
Komaine. Nous allons fuivre la marche
de l'Auteur.
L'Empereur Conftantin , après avoir heureufement
échappé aux perfides attentats de
Maximilien -Hercule , fon beau-père , vint
'établit fa réfidence à Arles , & ramena par
fa préfence la paix dans cette fertile contrée.
Les prérogatives attachées à cette ville ,
& fon heureufe fituation , la faifoient regarder
comme la plus importante des Gaules.
Bâtie fur la rive gauche du Rhône ,
maîtreffe du pont conftruit fur ce fleuve ,
elle ouvroit un paffage à l'armée Impériale
quand on vouloit aller châtier les Rébelles
112 MERCURE
dans la feconde Aquitaine , attaquer les
Vendales en Efpagne , & fecourir la Nar
bonnoife feconde contre les entrepriſes des
Viligors , après qu'ils fe furent cantonnés fur
les bords de la Garonne.
"
" Ces peuples fortis du fond du Nord ,
» après avoir ravagé l'Italie , vinrent en-deçà
des Alpes , où ils fe rendirent formidables
» par leur courage & la célébrité de leurs
ils n'ai- la exploits . Nés pour guerre ,
moient que
les armes & les chevaux.
Vaillans , hardis , infatigables , ils s'engageoient
volontiers dans une entrepriſe , &
» la foutenoient avec autant de prudence
" que de zèle. »
"
ود
#
On ne peut fe faire une idée des ravages
que ces Barbares commirent dans la Provence
; & ce qui paroîtra plus étonnant
peut-être, c'eſt que malgré la violence de
leurs perfécutions , Euric , un de leurs Rois ,
eut la gloire de voir rechercher fon alliance
par plulieurs Souverains , & de les contenir
tous par
la terreur de fon nom . Mais après
fa mort , les Bourguignons & les Francs
s'étant ligués , vinrent mettre le fiége devant
Arles , traînant par-tout avec eux l'horreur
& l'épouvante. C'en étoit fait de la ville , fi
Théodoric , Roi d'Italie , n'eût accouru
promptement à fon fecours. Battre les ennemis
, les chaffer , reprendre leurs con
quêtes , fut l'ouvrage d'une même campagne.
Alaric II , gendre de Théodoric , ayant
DE FRANCE.
113
perdu la vie dans une bataille contre Clovis,
à Vouglé dans le Poitou , n'avoit laiffé pour
fucceffeur qu'un fils en bas-âge , nommé
Amalarie. Cependant la fituation des affaires
demandoit un Prince qui fût en état de gouverner
par lui-même , & de prévenir les
défordres de l'Anarchie. Théodoric fut déclaré
tuteur de fon petit-fils , le fit reconnoître
pour Roi dans tous les États des
Vifigots , l'envoya en Eſpagne pour y recevoir
une éducation convenable à fon rang ,
& fe réferva la Provence , qu'il gouverna
avec autant de fageife que de douceur.
ور
" Ce Monarque fignala fon avénement à
» la Régence par un trait de générofité bien
capable de lui gagner les coeurs . Il écrivit
» aux habitans d'Arles , qui avoient extrême-
» ment fouffert de la longueur du fiége ,
» qu'un Souverain devant avoir pour objet
principal le foulagement du peuple , il les
déchargeoit d'une partie des impôts , &
» leur envoyoit de l'argent pour fubvenir
» aux befoins des malheureux , & réparer
les murailles de la ville . »
: Théodoric avoit toutes les vertus qui font
un grand Roi , une valeur extraordinaire ,
& une bonté qui n'avoit au - deffus d'elle
qu'une prudence plus rare encore. Il mourut
à Rome l'an 26 , laiffant l'adminiftration
du Royaume entre les mains d'Amalazonthe
, fon époufe , Princeffe bien digne
d'occuper un trône. Il y en a peu dans l'hiftoire
qui méritent de lui être comparées
114 MERCURE
pour la pénétration & la vivacité de l'efprit ,
la folidité du jugement , & la fermeté du
caractère. Avec des qualités fi brillantes , on
ne peut que bien gouverner , quand on y
joint le talent de cacher fes projets , & de
pénétrer ceux des autres , talent qu'Amalazonthe
poffedoit dans un dégré éminent.
Généreufe , affable & modefte , elle faifoit .
les délices de l'Italie. Ses vertus fembloient
devoir lui affurer un règne long & paiſible ;
mais de quoi n'eft pas capable la perfidie ,
quand elle eft foutenue de la puiſſance ?
Amalazonthe fut étranglée dans le bain
ordre de Théodat , fon coufin - germain ,
qu'elle avoit elle- même placé fur le trône.
Ce perfide ne jouit pas long-temps de fon
crime ; il mourut peu de temps après ; &.
Vitigès , fon fucceffeur , craignant une irruption
des Francs en Italie , fit un traité avec
eux , & leur céda la Frovence.
par
Après la mort de Clotaire , elle échut en
partage à Gontran & Sigebert , fes fils , qui
la défolèrent rour -à- tour . La famine & la
pefte furvinrent , & cette fertile contrée ne
fut bientôt plus qu'un vafte défert. A peine
délivrée de ces fléaux de la colère céleste ,
la Provence vit fondre tout - à- coup fur elle
un orage non moins terrible. Les Sarrafins
féduits par Mahomet , animés de fon fanatifme,
pouffes par le même efprit de rapine
& de brigandage qui leur avoit mis les armes
à la main , après avoir ruiné ou foumis
en peu de temps l'Empire des Perfes , pafDE
FRANCE.
115
sèrent d'Afrique en Eſpagne , firent tout
plier fous l'effort de leurs armes , envahirent
le Languedoc , & fe répandirent plufieurs
fois dans le refte des Gaules , tantôt vainqueurs
, tantôt vaincus , jamais domptés.
La Provence fut , de toutes les Provinces
qu'ils attaquèrent , la feule qu'ils ne purent
alors envahir. Ils en furent écartés par la
vigoureuſe réſiſtance des peuples fitués fur
la rive gauche du Rhône ; mais la perfidie
du Gouverneur fut rendre inutiles les efforts
de ces généreux défenfeurs de la Patrie. Les
Sarrafins y commirent toutes fortes d'horreurs.
" Avides de pillage , altérés de fang ,
» ennemis jurés de la Religion & de fes
» Miniftres, ils mettoient le feu aux Églifes ,
détruifoient les Monaftères , violoient les
» Vierges çonfacrées à Dieu , mallacroient
les Moines , pilloient les villes , maltrai→
» toient les hommes , deshonoroient le fexe ,
» & laiffoient par - tout des marques de leur
» brutalité.
"
93
"3
Informé de ces brigandages , Charles-
Martel affemble promptement une armée ,
arrive devant Avignon , forme le fiége de
cette ville , l'emporte d'affaut , la livre au
pillage & aux flammes , & paffe les Sarrafins
au fil de l'épée. De-là pénétrant dans le reſte
de la Provence , il chaffe les Infidèles des
villes dont ils s'étoient emparés , & les force
d'aller chercher un afyle dans les montagnes.
Cependant leur retraite ne fut pas de longue
116 MERCURE
durée ; on les vit revenir fouvent à la char
ge , & l'on eût dit qu'ils ne mettoient entre
leurs courfes fur les mêmes terres , qu'autant
d'intervalle qu'il en falloit pour laiſſer réparer
aux habitans leurs premières pertes ,
afin de trouver un plus riche butin.
Après cette époque , la Provence paſſa
fucceffivement entre les mains de différens
maîtres. Charles- le-Chauve étant mort ,
Bozon , fon beau- frère , réuffit par fes alliances
, fes intrigues , & peut - être plus encore
par la faveur du Pape , à fe faire couronner
Roi de Provence. En habile Politique
, il fignala les commencemens de fon
règne par de grands bienfaits qu'il répandit
fur les Églifes & fur les Monaftères. Louis
& Carloman s'unirent pour lui déclarer la
guerre, & mirent fur pied une armée fórmidable.
Le Pape craignant de s'attirer aufli
leur reffentiment , abandonna les intérêts
de Bozon; & après avoir prodigué , peu de .
jours auparavant , les éloges les plus flatteurs
à ce Prince , il n'eut pas honte de le traiter.
de préfomptueux , de tyran , & de perturbateur
du repos public, L'intrépide Bozon
trouva dans fon expérience des reffources
pour conjurer l'orage. Ses ennemis , malgré
la fupériorité de leurs armes , ne purent jamais
ni le faire enlever , ni l'attirer dans
aucun piége. Par fon adreffe à manier les
efprits , il fut maintenir dans l'obéiffance les
peuples & les foldats , & s'attacher conftamment
les Seigneurs qui s'étoient décla
DE FRANCE. 117
rés pour lui , quoique l'Empereur & les
Rois de France n'euffent oublié ni promeffes
ni menaces pour les détacher de fes intérêts.
Il mourut paifiblement à Vienne , dont il
s'étoit emparé au mois de Décembre 882 ,
& laiffa fes États à fon fils Louis , encore
mineur , fous la régence d'Ermengarde fa
mère. Le règne de ce jeune Prince n'offre
qu'un fpectacle douloureux & attendriffant.
Hugues qui lui fuccéda , rendit à la nation
une forte d'existence politique ; & lorfque
dans la fuite elle eut donné des maîtres à la
Lombardie , on la vit bientôt reprendre ,
pour ainsi dire , une forme nouvelle . Ses
alliances avec les principales Républiques
d'Italie , le commerce qu'elle fit avec elles ,
l'efprit de la Chevalerie qui fuccéda à la
fureur des Croifades , ouvrirent une carrière
aux talens & à l'induftrie. Ces différentes
cauſes contribuèrent enfin à ramener la liberté
, le goût des Lettres , & cette politeffe
qui eft une fuite néceffaire de l'amour des
Beaux-Arts.
Ceux qui liront cette Hiftoire , verront
avec plaifir qu'à la fin de chaque époque
l'Auteur a trouvé le moyen d'inférer quelques
articles nouveaux ,
tels que l'hérédité
de la nobleffe fous le règne des Empereurs
& des Francs , la naiffance & les progrès de
la puiffance temporelle du Clergé , la difpure
fameufe qui s'éleva entre l'Évêque
d'Arles & celui de Vienne , au fujet de la
Primatie , & les différens démembremens de
-118
MERCURE
l'ancienne Narbonnoife , dont le formèrent
de nouvelles Provinces. A ces articles l'Auteur
ajoute encore tout ce qu'il a pu recueillir
de plus intereilant fur ces fameux Troubadours
fi connus & autrefois fi répandus
dans la Provence.
Enfin l'Ouvrage eft terminé par trois Mémoires.
Le premier roule fur l'origine & les
progrès de la langue Provençale ; le fecond
eft une Differtation fur la fucceffion hiftorique
& chronologique des premiers Comtes
de Provence. On y examine de quelle nature
étoient autrefois les fiefs de cette Province ,
& à quelle époque ils ont commencé à devenir
héréditaires. Le troifième traite des
monnoies qui ont eu cours en Provence depuis
la fin du dixième ſiècle juſqu'au milieu
du reizième , où finit la partie hiftorique de
ce ſecond volume,
·
Plan d'Établiſſement tendant à l'extinction
de la Mendicité. In 8°. A Paris , de
l'Imprimerie de Cellot , rue Dauphine.
Un Établiſſement qui tend au foulagement
de la Clalle indigente , doit obtenir
un accueil favorable du Ministère & du
Public. Les vues de bienfaifance & de bonordre
qui font développées dans cet Ouvrage
, nous femblent mériter l'attention de
tous les gens de bien.
Il exifte dans le Royaume un grand nom
bre d'Hôpitaux ; mais quelque bien admiDE
FRANCE. TIS
niftrés qu'ils foient , leurs reffources font
bornées , & femblent chaque jour devenir
plus infuffifantes. On a déjà formé plufieurs
Établiſſemens avec fuccès : mais la plupart
ne font foutenus que par un feul genre
de travail , & ne fe foutiennent qu'auffi
long-tems qu'ils peuvent fatisfaire aux vues
intéreffées des Entrepreneurs. Les vues que
l'on propofe dans ce Mémoire , pourroient,
fans augmenter les charges du Gouverne
ment , & fans attaquer fous aucun rapport
l'état ni la fortune des particuliers , fubve
nir aux befoins de tous les vrais indigens ;
contenir ceux qui , dans la parelle , ufurpent
les droits que la feule impuiffance de
travailler peut donner à la libéralité des
riches , & les rendroient tous utiles à la
Société. C'eft un enfemble de plufieurs objets
d'induftrie qui fe foutiennent réciproquement
pour épargner à l'ouvrier une fufpenfion
inattendue dans les moyens de pourvoir
à ſa ſubſiſtance , fufpenfion plus dangereufe
que la continuité même de la misère.
Le Citoyen qui a conçu le projet d'éteindre
la mendicité , a réuni , dans un plan
de Commerce & de Charité , les principaux
moyens propres à la détruire. Il joint à
ces avantages celui de fervir l'Agriculture
& les diverfes Fabriques du Royaume :
nous nous contenterons de les expoſer en
peu de mots.
Une Compagnie de Commerce pourroit
120 MERCURE
mettre en uſage toutes les reffources dont
les travaux de la Campagne , ceux des Fabriques
& des autres métiers font ſuſceptibles
, pour employer le plus d'hommes qu'il
eft poffible , & diminuer le nombre des
malheureux.
On établiroit à Paris un Bureau Général
Correfpondant avec tout le Royaume , qui
feroit divifé en quatre - vingt Directions.
Chaque Direction établiroit des Atteliers de
Fabrique & d'Apprentiffage dans tous les
lieux de fon diftrict où ils feroient néceffaires.
Les Ouvriers ou Apprentifs des Villes
& des Campagnes qui ne trouveroient point
à s'occuper , s'y feroient infcrire , & défi
gneroient les genres d'ouvrages auxquels ils
font propres. On leur paieroit le falaire
de leurs travaux deux ou quatre fols pour
livre au deffous du cours ordinaire du
Canton.
-
Le produit des fols retenus feroit deftiné
à la dépenfe des Maifons qu'on feroit
obligé d'établir pour cet effet. Si ce produit
ne fuffifoit pas , on efpère qu'il feroit
augmenté par les fecours des gens de bien.
Quelle eft l'ame honnête qui fe refuſeroit
à ces bonnes oeuvres , dont le fruit feroit de
changer en citoyens utiles des malheureux
abandonnés à eux-mêmes , qui fe livrent
à tous les vices qu'enfante le défoeuvrement.
Quelles que foient néanmoins les reffources
de la Compagnie de Commerce ,
elle
DE FRANCE. 20
elle ne pourroit porter l'emploi des ouvriers
indigens au- delà des befoins que les
Fabriques & l'Agriculture ont de leurs travaux.
3
La Société de Charité devient alors trèsnéceffaire
: elle feule peut fuppléer par des
travaux publics à la Compagnie de Commerce.
Il faudroit que l'homme compatiffant
, loin de difpenfer des fecours indif
férens , qui font dérobés le plus fouvent
aux véritables befoins , confentît à réunir
fes dons en une feule maffe , qu'il confieroit
aux perfonnes vouées au fervice des
pauvres.
Par rapport aux malheureux fans afyle ,
il feroit à fouhaiter qu'ils fuffent tous réunis
dans les maifons de Charité déjà établies
; il fuffiroit d'y faire quelques légères
augmentations. Ceux qui feroient valides
gagneroient alfez , par leur travail , pour
acquitter leur dépenfe , & les Sociétés de
Charité paieroient celle des infirmes & va¬
létudinaires.
Nous n'entrerons point dans tous les dé
tails de l'Adminiftration . Nous n'avons
pu expofer que fommairement les raifons
d'ordre & d'humanité qui font defirer
l'exécution d'un plan fi digne d'être ap¬
prouvé.
Sam. 20 Mai 1780,
122 MERCURE
·
OEUVRES de M. l'Abbé Métaftafe , nouvelle
édition , corrigée & augmentée. A Paris ,
chez la veuve Hériffant , Imprimeur-
Libraire , rue neuve Notre-Dame , in-4°
& in-8°.
Les trois premiers volumes de cette magnifique
édition viennent de paroître ; elle eft
dédiée à la Reine ; nous inférerons ici l'Épître
Dédicatoire en vers de l'Éditeur ( M. l'Abbé
Pezzana ) mais nous nous garderons bien de
la traduire. Le charme de ce genre de poëfie
tient principalement à un langage poétique ,
noble , hardi , harmonieux , riche en images ;
il feroit abfolument détruit dans une traduction
Françoiſe & en profe.
DEL regio tuo favor , del nome eccello
Superbi , a riveder tornan la luce ,
Degni del cedro , alta Regina , i carmi
Del maggior vate , ch' oggi Italia onori.
I_
CANDIDO cigno fotto gli ampj vanni
Dell' auftriaca fcettrata aquila , il fai ,
Viffe , e cantò finor. D'Idalie rofe
Godean le Grazie a lui teffer ghirlande ,
E ricantarne le foavi note ;
Quando negli atti , e nel real ſembiante .
A te , crefcente Auguſta Pargoletta ,
Tempravan maeftà , vezzi , e decoro;
Prefaghe e liete di fregiarne un trono,
DE FRANCE. 123
E QUAL mai potev' io nume più faufto
Impetrar fu la fenna a lui che feppe
Sofocle aufonio , di vetufti Eroi
Coſtumi fimular , vicende , e affetti
Pinger fi al vivo , che a gridar ne ſprona :
Ecco l'anima atroce di catone ,
L'amante Dido , e l'iracondo Achille ?
TECO dell' arti , e delle Muſe il regno
Palla divide , ed il cetrato Apollo ;
Nè mai più altera fra le fcene appare ,
Di gemmato coturno il piè calzata ,
Melpomene, d'allor che con fecreta
Forza , e diletto, da' tuoi vaghi lumi
Elice il pianto , e dalle palme il plauſo.
İTE fecuri, avventurofi carmi :
Voi , ſcuola di virtù , fonte di vezzi
Legge l'Anglo fevero , il culto Gallo ,
L'adufto Lufitano , e il freddo Ruffo ;
Su l'Iftro bellicofo a voi forride
L'immortal Madre , ed il Germano invitto ;
Figlia , e Germana , dal ſublime foglio ,
Ove regna congiunta a un nuovo Tito,
Virradierà d'un bel celefte rifo
L'Auguſta Donna , amor de' franchi , e fpeme.
Cette édition joint au mérite typographique,
à l'agrément des gravures , l'avantage
d'une exactitude fingulière ; après avoir
Fi
124
MERCURE
1
épuifé pendant l'impreffion tous les moyens
poffibles de s'affurer qu'il ne reftoit plus de
fautes , on a encore foumis chaque volume
à l'examen le plus févère , & on a refait des
cartons pour le petit nombre de fautes qui
avoient échappé aux foins de l'Éditeur.
L'in- 4 , grand papier , eft un des plus beaux
livres qui foient jamais fortis de la preffe.
Les Poëmes de M. l'Abbé Métaftafe font
connus. Il a fu faire des Tragédies intéreffantes
, malgré les entraves que lui donnoit
la néceffité de fe foumettre à la forme ridicule
des Opéras Italiens , & d'interrompre
les fituations les plus touchantes par des airs
deftinés à faire admirer les tours de force
d'un Muficien ou d'un Chanteur , &
oublier les perfonnages , la pièce & le Poëte,
Son dialogue eft naturel & rapide. Son ftyle
a tous les caractères qu'exige la difference
des fujets & des perfonnages , mais il eſt toujours
fimple , noble & clair. Il a même cette
dernière qualité à un degré tel que l'on peut
commencer l'étude de la langue Italienne
par la lecture de fes Tragédies ; éloge le plus
grand peut-être qu'on puiffe faire d'un Ecriwain
, les autres qualités du ftyle tiennent
plus encore à la manière de penſer ou de
fentir qu'à l'art d'écrire.
L'Italie doit à M. l'Abbé Métaftafe l'avantage
d'avoir produit un grand Poëte tragique,
avantage qu'elle ne partage qu'avec la Grèce
& la France ; car il n'a encore exifté fur la
terre que trois peuples qui aient eu des
DE FRANCE. 115
Tragédies , quoiqué prefque tous aient eu
des fpectacles dramatiques , & que même
quelques - uns s'obstinent encore à préférer
leurs farces nationales aux chefs - d'oeuvres
d'Athènes , de Vienne & de Paris.
*
LA Difcipline de l'Églife de France , vol.
in-quarto. A Paris , chez P. D. Pierres ,
Imprimeur du Roi , rue S. Jacques.
QUOIQUE cet Ouvrage ne fuppofe , de la
part de fon Auteur ni de profondes méditations
, ni de vaftes connoiffances , ni de
longues recherches , cependant il peut être
fort utile à un grand nombre de perfonnes.
On y trouve les règles qui concernent le
Culte divin, les principaux monumens de la
Juridiction Eccléfiaftique & des matières
bénéficiales , tout ce qui a rapport aux droits
& aux obligations des Évêques , des Abbés
Réguliers & Commendataires , des Officiaux
& des grands Vicaires , des Curés , des
Chanoines & autres Bénéficiers. C'eft dans
Le vafte dépôt des Mémoires du Clergé de
France qu'on a recueilli tout ce que renfer
me cette nouvelle compilation ; elle
même en tenir lieu à bien des égards.
pourra
L'Ouvrage eft divifé en fept parties. La
première traite des Sacremens & du Culte
divin. La feconde , de l'autorité du Pape &
* Prefque toutes les Pièces de M. l'Abbé Méraftafe
ont été faites à Vienne , pour le Théâtre de la Cour
Impériale.
Fuj
126 MERCURE
des Évêques. La troisième , des droits & des
devoirs des Curés & des Chanoines. Dans
la quatrième , on examine ceux des Abbés
Réguliers & des Prieurs Commendataires ,
la divifion des biens des Moines , leur origine
, leurs exemptions , la difcipline des
Cloîtres , les voeux , &c. Dans la cinquième ,
les monumens principaux de la Juridiction
Eccléfiaftique , les fonctions des Officiaux &
des Promoteurs , les appels comme d'abus.
Dans la fixième , les matières bénéficiales ,
les droits des Gradués , ceux de patronage &
de collation , ceux de régale , les réfignations
, les permutations , la fimonie , le dévolut
, &c. Dans la feptième , on a raffemblé
, d'après le P. Thomaffin , les autorités
des Saints-Pères & des Théologiens les plus
fameux fur la vie cléricale , fur la difcipline
ancienne & nouvelle de l'Églife. C'eft - là
qu'on apprendra à connoître & à admirer
ces hommes qui , fuivant Boffuet , s'étoient
nourris du froment des Élus , de cette pure
fubftance de la Religion ; pleins de cet efprit
primitif qu'ils avoient reçu de plus près ,
comme de lafource même, ce quifort de leur
plume eftplus nourriffant que ce qui a été médité
depuis.
Dans la Préface de cet Ouvrage , on nous
apprend que « des perfonnes de la première
confidération dans le Clergé , qui ont approuvé
l'idée & le plan de ce Livre , &
qui ont même pris beaucoup de part à fa
publication , ont confeillé à l'Auteur d'y
23
23
DE FRANCE. 127
ajouter un abrégé fuccinct de l'adminiftration
du temporel de l'Églife de France ,
" & une lifte de tous les Bénéfices, » On
trouve ces deux objets à la fin du volume.
SPECTACLES.
LE peu d'eſpace qui reftoit à remplir dans
le dernier Numéro de ce Journal , ne nous
a pas permis d'y rendre un compre fuivi de
tout ce qui s'étoit paffé de remarquable fur
nos Théâtres. Nous reprenons dans cette
feuille les articles que nous avions été obligés
d'omettre , & nous indiquons , fuivant
l'ufage , leurs dates & leurs époques.
ACADEMIE ROYALE DE musique.
LE Dimanche Mai , on a remis Caftor
& Pollux , Tragédie - Opéra de Bernard ,
mufique de Rameau.
De tous les Ouvrages qui ont été repréfentés
fur notre Théâtre Lyrique , avant la
révolution de la mufique en France , c'eſt
celui qui , par le choix heureux du fujet, par
les beautés de détail qu'on y rencontre , par
l'affluence qu'il a toujours amenée , jouit de
la confidération la plus foutenue. Remis au
mois d'Octobre 1778 , il a , pendant plus de
trente repréſentations , fixé le goût volage de
Fiv
128 MERCURE
nos Spectateurs modernes , qui y accourent
en foule au moment où nous écrivons. A
quoi peut - on attribuer le fuccès conftant
qui femble lui être attaché ? Au refpect que
Fon conferve avec raifon , fans doute , pour
celui de nos Opéras nationaux , dont la réputation
a eu le plus d'éclat. Et ce refpect
n'eft- il pas dû à la mémoire de l'illuftre Muficien
, dont le génie laiffe beaucoup à defirer
à des gens éclairés par les nouvelles décou
vertes qu'on a faites dans la mufique ; mais
dont la France doit & devra toujours s'honorer
, malgré les cris de ceux qui adorent
exclufivement les idoles qu'ils fe font élevées.
Il faut convenir que des oreilles , accoutumées
aux effets d'orcheftre créés par nos
Muficiens actuels , doivent trouver un peu
vuides les accompagnemens de Rameau ; que
chez lui la Scène eft fouvent languiffante &
froides que fes tranfitions paroiffent brufques
& précipitées ; que le langage de fes
differens Acteurs eft à peu-près le même dans.
tout ce qui eft dialogue ; mais malgré ces
défauts , quelle richeffe d'harmonie , quelle
connoiffance de la belle compofition n'apperçoit-
on pas dans les productions de notre
Muficien ! comme fon chant eft quelque
fois agréable & naturel ! comme la partie
des airs de ballets eft brillante & variée !
Puifqu'en dépit des nouvelles créations , il
refte encore à Rameau des parties qui le font
diftinguer , il n'eft pas très- étonnant que
dans le fein de la Capitale il ait conſervé dess
vil
DE FRANCE. 129
admirateurs , & qu'on s'y reffente encore du
refpect que l'envie même eft obligée d'éprouver
au fouvenir d'un Artifte célèbre . Nous ne
citerons pas l'Auteur de Caftor comme un
modèle , puifque notre fyftême muſical a
changé ; mais nous nous réjouirons toujours
à l'afpect de la haute confidération à laquelle
il a fu forcer des compatriotes , dont le
défaut n'eft pas de trop aimer ceux qui ont
reçu le jour fur le fol qu'ils habitent.
"
Le Poëme , où l'on trouve de fort belles
chofes , eft néanmoins fufceptible de beaucoup
de reproches , aujourd'hui fur-tout ,
qu'on eft devenu plus exigeant & plus févère. ·
Qu'est- ce que la jaloufe Phébé , foeur de
Thélaïre , & amante de Caftor , qui n'eft
utile dans l'expofition que pour annoncer
qu'elle eft rivale de fà foeur , & qu'elle peut
difpofer des fureurs de Lincée ? Qui ne fait
rien pour le noeud , qui difparoît au milieu
du quatrième Acte , & dont on apprend la
mort au cinquième , dans l'inftant où elle
eft abfolument oubliée ? Qu'est - ce qu'un
Lincée , des fureurs duquel Phébé peut dif
pofer, perfonnage qui femble devoir fixer
Tattention , puifqu'il a des armées à fa
difpofition , & qu'il peut prétendre à la¹
main de Thélaïre ; & qui n'eft qu'un Ac¬ ~
teur muet , un Pantomime obſcur , qui
vient à la fin du premier Acte immolers
un rival aimé , pour tomber. fur le champa
fous l'effort d'un autre ? Nous ne porterons
pas plus loin ces détails on fent combien
Fly-
&
D:
130 MERCURE
nous pourrions les étendre ; il fuffit d'indiquer
à ceux qui veulent fuivre la carrière
du Théâtre lyrique , les reproches qu'ont
mérités leurs prédéceffeurs par la légereté ,
l'infouciance avec laquelle ils ont traité des
fujets vraiment dignes de la ſcène , & de
leur prouver par l'exemple même des Ouvrages
qui ont joui d'un fuccès diftingué ,
combien les révolutions qu'a éprouvées
depuis fix ans le Théâtre de Polymnie
ont rendu difficile un art qui jufqu'alors
avoit paru fi aifé , qu'à peine daignoit- on y
faire quelque attention.
Il faut pourtant dire quelque chofe d'une
inconféquence dont nous avons été frappés;
il est très étonnant qu'elle n'ait encore été
relevée par perfonne , & qu'on n'ait pas
cherché à la faire difparoître. A la fin du
premier acte , Caftor tombe fous les coups
de Lincée . Au commencement du fecond
acte , le Théâtre , dit l'Auteur , repréfente le
lieu de la fepulture des Rois de Sparte , au
milieu duquel eft élevé un tombeau militaire
pour les funérailles de Caftor. Voilà qui eft
clair & poffible ; un tombeau militaire eſt
une décoration de circonftance , facile à
placer en très- peu de temps. Mais que devient
l'illufion quand ce tombeau militaire
n'existe pas ? quand le Théâtre n'offre à l'oeil
du Spectateur que l'idée d'un vafte tombeau
bien maffif , & qui n'a pu qu'être l'ouvrage
d'un long temps ? Que deviennent la raifon
& la vérité , quand autour de ce tombeau fi
DE FRANCE. 135
folidement établi , on entend le choeur des
Spartiates chanter
Préparons , élevons d'éternels monumens
Au plus malheureux des amans.
Els exiftent , il font fous nos yeux ; qu'on ne
parle plus de les élever.
Voilà de ces vieilles erreurs qu'on a trop
refpectées , qui ont attiré tant de plaifanteries
fur le genre & fur le fpectacle de
l'Opéra, & qu'il faut avoir le courage de
bannir de la Scène , quand on connoît un
peu les illufions dramatiques.
Les Ballets dont cet Opéra eft rempli ,
font exécutés avec une perfection qu'on ne
peut rencontrer fur aucun autre Théâtre du
monde. Il fuffit de nommer les Veftris , les
Gardel , les Dauberval , les Heinel , les
Guimard , les Peflin , les Théodore , pour
faire fentir combien la partie de la danfe eft
agréable. Jamais la folâtre Therpficore n'a vu
marcherfur fes traces un auffi grand nombre
de fuivans dignes de fes faveurs & de nos
éloges.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
EPUIS long- temps M. la Rive fembloit
avoir abandonné le genre de la comédie ,
pour le livrer tout entier au tragique , & les
amateurs du fpectacle n'avoient vu cet
abandon qu'avec peine. En effet , la figure
Fvj
132 MERCURE:
.
aimable & noble de ce. Comédien , fa conf
titution mâle & vigoureufe , lui donnent.
des droits inconteftables fur les rôles comi
ques qui exigent un phyfique avantageux &
une repréfentation impofante.. D'ailleurs ,.
l'habitude de jouer dans un genre qui ne
demande qu'un débit fimple & vrai , peut
devenir très- utile à un Acteur tragique..
Elle rend infenfiblement fon organe plus
fouple ; en le rapprochant de la nature , elle
Pécarte du ton fouvent emphatique & bourfoufflé
qu'on emploie dans la tragédie. I
étoit donc de l'intérêt des connoiffeurs & du
talent même de M. la Rive , que ce Comédien
n'abandonnât pas le genre comique..
On l'y a vu reparoître avec plaifir les Lundi
24 Avril & Samedi 6 Mai , par le rôle du
Somnambule , dans la Pièce de ce nom. Il
l'a joué avec beaucoup de décence & de
gaieté. On ne fe fera vraisemblablement pas .
flatté en vain du plaifir de le revoir dans
quelques autres rôles , & comme nous
croyons que le voeu d'un affez grand nom →
bre de gens de goût peut être de quelque
poids auprès de M. la Rive , nous nous
Tommes volontiers chargés de le rendre public
, & nous l'invitons à y répondre.
.
>
Puifque nous avons parle du Somnambule
, nous dirons deux mots de fes Auteurs..
Dans la plus grande partie des nomencla→
tures dramatiques , cet Ouvrage eft attribué
à M. de Pont-de-Veyle ; dans quelques
autres on s'eft contenté de dire qu'il y avoie
DE FRANCE. 1335
eu la plus grande part , fans faire mention
de ceux qui ont coopéré à cette jolie Comé
die. Nous allons réparer cette omiffion .
Feu M. le Comte de Caylus , dont le mérite
eft trop connu pour que nous entrions ici
dans aucun détail fur cet objet , étoit lié
d'amitié avec M. Sallé , homme de beaucoup
d'efprit ; il lui propofa de travailler
enfemble à mettre un Somnambule fur
la fcène. Un tel perfonnage ne parut pas
moins fufceptible de fituations comiques
à M. Sallé qu'à M. de Caylus ; les deux
amis s'occupèrent de ce dramatique projets
l'Ouvrage achevé , il fut lu devant M. de :
Pont- de - Veyle, qui le trouva aſſez agréables
pour propofer aux Auteurs des avis capables
d'ajouter à fa perfection. Sa propofition fur:
acceptée; la Pièce fur retouchée conformé
ment à ſes obfervations , & repréſentée avec
un fuccès décidé. Comme M. de Pont-de-
Veyle fe chargea de tous les foins qu'exigent
la lecture , la réception & la repréſentation
d'une Comédie , & que les premiers Auteurs
ne fe nommèrent point , on a cité le premier
, fans parler des autres . Des circonf
tances nous ont inftruits de tous ces détails ,
& nous avons cru qu'il étoit du devoir d'un
Obfervateur des Théâtres de leur donner des
la publicité : car , quelque petite que puiffe
être la gloire attachée à la création d'une
Pièce en un acte , encore faut- il rendre à
chacun ce qui lui appartient. Cette anec$
34
MERCURE
dote n'eft pas la feule de ce genre que nous
ayions à mettre au jour ; l'Auteur de ces
articles en a plufieurs autres qu'il fera
connoître à mesure que l'occafion s'en préfentera.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 24 Avril , on a remis l'Olym
piade , Comédie en trois Actes & en vers,
mêlée d'Ariettes , parodiées fur la Muſique
de Sacchini.
Cet Ouvrage eft du genre héroïque ; par
conféquent , dans le nombre de ceux que
MM. les Comédiens Italiens devroient bannir
de leur Théâtre. On le leur a déjà fou
vent répété , mais inutilement. L'habitude
de jouer l'Opéra-Comique du genre bas
ou Paftoral , ne peut que nuire beaucoup
à la nobleffe des moyens néceffaires à la
repréſentation des Ouvrages d'un ton élevé.
La fimplicité ruftique de Blaife ou de Mathurin
, ne fauroit préparer l'Acteur qui
les repréfente , à la dignité qui convient à
un Chevalier ou à un Roi. Quelle que foit
l'intelligence des fujets qui fe trouvent chargés
de ces derniers rôles , elle ne peut qu'atténuer
, mais non pas bannir les effets at--
tachés à la longue habitude d'un genre inférieur
, & lorfque dans un Drame héroïque
, on n'eft que médiocrement noble , on
avoifine beaucoup le ridicule.. Les deux derDE
FRANCE. 139
nières repréſentations de l'Olympiade viennent
de donner une nouvelle preuve de ce
que nous avançons. MM. les Comédiens
Italiens feront-ils enfin éclairés par le petit
chagrin qu'ils ont éprouvé ? Nous l'ignorons
, mais nous croyons néceffaire de leur
dire qu'il y va de leur intérêt & de leur
amour-propre.
Nous ne jugeons pas qu'il foit bien néceffaire
d'entrer dans de grands détails fur
un Acteur qui a débuté , le Samedi 29 Avril,
dans l'emploi des Baffes- tailles. Des moyens.
très-foibles , joints à une timidité extraordinaire
, ne lui ont pas permis d'achever ſon
début.
Le Vendred S Mai, on a donné une repréfentation
du Jeu de l'Amour & du. Hafard
, Comédie de Marivaux , dans laquelle
Mlle Pitrot a joué le rôle de Sylvia. Nous
avons reproché quelquefois à cette Actrice
de ne point travailler à corriger fes défauts
, & l'intérêt que nous prenons au talent
nous avoit engagés à lui faire ce reproche.
La loi que nous nous fommes ri¬
goureufement impofée de n'écouter jamais
que la voix de la juftice , nous ordonne aujourd'hui
d'accorder à cette jeune Actrice
le tribut d'éloges qui lui eft dû. La manière
dont elle a rendu le rôle de Sylvia ,
prouve qu'elle s'eft occupée férieufement
d'affouplir fon organe , de combattre les
vices de fa prononciation , de rechercher les
moyens faits pour donner plus d'effor à fon
12
136 MERCURE
ame , & d'expreffion à fa fenfibilité. Il y
a long - tems , nous ofons le dire , que nous
n'avons vu jouer un rôle d'Amoureuſe avec
un charme fi attachant , & c'eft avec une
fatisfaction bien douce que nous engageons
publiquement Mlle Pitrot à continuer un
travail capable de lui affurer inconteſtable--
ment les fuffrages des gens éclairés qu'elle
a fu réunir le jour de la repréſentationdont
nous parlons.
Nous ne dirons rien de la reprife d'une
Comédie de d'Alainval , qui a pour titre :
le Tour de Carnaval. On y trouve de la gaîté,
de l'efprit , mais de mauvaifes pointes ,
des plaifanteries du genre le plus miférable :
enfin , elle n'eft recommandable que par les
divertiffemens que Pannard y a ajoutés, & .
qui n'ont plus aujourd'hui l'attrait de la
nouveauté , le premier attrait du Vaudeville.
Les autres Articles de ce Spectacle , au
N°.
prochain...
VARIÉTÉ S.
LETTRE fur le Code des Gentoux
L'Éditeur du Mercure..
QUOIQUE le Mercure ait fait deux Extraits du
Code des Gentoux , permettez , Monfieur , qu'on en
* La Traduction Françoiſe du Code des Gentoux , 2
été imprimée il ya 18 mois , chez Stoupe , rue de ~
la Harps.
>
DE FRANCE. 13
dife encore un mot. Cet Ouvrage important ; dont
Tes Anglois ont publié quatre Éditions en moins de
deux années , ayant excité l'attention des Philofophes
, des Jurifconfultes , & de tous les vrais Litté
rateurs , on a demandé quelquefois dans la Grande-
Bretagne , & dans les autres pays de l'Europe , fi
Fon peut compter fur l'authenticité de tous les détails
du Code . Un Anglois , revenu de l'Inde depuis peu ,
a fait imprimer une Lettre qu'on fera fans doute
bien -aiſe de connoître. La voici telle qu'elle eſt tirée
d'un Papier Anglois..
Lettre de M. Ashley à M. Milford.
Le Code des Gentoux a été rédigé à Calcuta , par
onze Brames , qui ont employé 22 mois à ce travail.
Je les ai vus & queftionnés pendant tout ce temps ; &
je dois déclarer que rien n'égala jamais leur exactitude
& leur zèle . J'ai vérifié moi - même , dans les
Shafters , les différens paffages qu'ils tranfpofoient
dans leur compilation ; & comme je lis affez bien la
langue Samskrère , je puis vous affurer qu'ils n'y one
pas fait le moindre changement J'ai fuivi de plus la
traduction qu'on a faite en Perfan fous les yeux des
Brames ; & puifque vous me fuppofez des connoiffances
dans cette langue , mon témoignage ne doit
vous laiffer aucun doute.
Ce n'eft pas tout. Dès le moment où M. Haftings
a conçu le projet de faire compiler ce Code , j'ai
jugé qu'il feroit le plus curieux de tous les Livres
que répandra l'Imprimerie ; qu'il feroit la plus vive:
fenfation en Europe , qu'il ne tarderoit pas à fe placer
dans toutes les Bibliothèques , & qu'enfin il exci--
teroit une foule d'idées lumineufes dans la tête des
Savans. Je me fuis fait un plaifir de prendre toutes
les informations qu'on pourroit me demander après
mon retour. Pour cela , j'ai multiplié mes recherches
128
MERCURE
à l'infini. J'ai prié M. Halhed de me donner une
copie de fa traduction Angloiſe , à mesure qu'il y
travailloit; j'ai interrogé enfuite fur chaque partie
du Code les hommes les plus éclairés des villes &
des villages de l'Inde , & ils m'ont tous répondu que.
je leur citois mot à mot les lois d'après lefquelles
ils étoient gouvernés par les Brames avant ces temps
d'anarchie. Sur les cas qui n'étoient pas arrivés de
mémoire d'homme ( tels que l'article qui ordonne de
plonger un fer chaud dans la feffe d'un Sooder qui
s'affied fur le tapis d'un Brame ) , ils ajoutoient,
qu'une tradition dont ils avoient fouvent entendu
parler , étoit d'accord avec ma verſion .
Je voudrois qu'un Philofophe éclairé ( vous , par
exemple , entreprit un Commentaire de ce Code ;
c'eft-à-dire , qu'il raffemblât les réflexions & les
difcuffions que préfentent en foule les différens
articles ; je defirerois fur-tout qu'on montrât les lois
que les différens peuples de la terre ont tirées de l'Inde,
& qu'on m'expliquât par quel hafard les lois des
Gentoux , fur les fucceffions & le partage des propriétés
, font , juſques dans les détails les plus extraor
dinaires , d'une conformité parfaite avec celles des
Romains,
SCIENCES ET ARTS.
ECLAIRCISSEMENS fur le Chauffage économique
préparé par le fieur Ling, extraits d'une Lettre
de M. Morand , de l'Académie Royale des
Sciences , à M. le Roi , de la même Académie.
QUOIQUE
le fieur Ling nous annonce le char
bon de terre , épuré à fa manière , comme une
découverte nouvelle , comme un nouveau combuf
DE FRANCE. 139
tible dont les avantages font méconnus même en
Angleterre , l'Hiftoriographe des mines de charbon
de terre & de leur exploitation , des uſages & du
commerce de ce foffile en différens pays , M.
Morand, bon Juge en cette matière , penfe que ,
dans le fait , les braifes ( 1 ) provenantes des feux
entretenus par du charbon de terre brut dans de
grands appartemens , ou dans de grandes cuiſines ,
ou dans des atteliers , les coaks fabriqués à la
manière Angloife , & le charbon préparé par le fieur
Ling , font la même chofe , avec cette différence
que les braifes réfultent naturellement d'une combuftion
fpontanée , c'eft - à - dire , abandonnée à
elle-même , & qui a déjà été utile dans fon premier
tems d'inflammation ; que ces braifes font ,
en conféquence , plus complettement réduites ; au
lieu que les coaks , cowks ou cinders d'Angleterre
& les charbons épurés ou défoufrés de France ,
font moins épuifés , parce qu'ils ont été veillés
dans le cuiffage : les coaks font fabriqués en grande
quantité , foit uniment , de la même manière que fe
prépare le charbon de bois , foit dans des fourneaux
de brique , formant à la meule de charbon
qu'on y renferme , une chemiſe à demeure pour ier
vir à d'autres fournées fucceffives. Du refe , toutes
ces différentes braifes , quelles qu'elles foient ,
font dures , poreufes , légères , fonores comme le
charbon de bois , & , comme toute eſpèce de charbon
, furnagent à l'eau. Cette dernière qualité
n'eft donc pas particulière aux charbons préparés
par le fieur Ling
(1 ) Ces Braifes portent différens noms en France : on,
les nomme Efcrabiles en Provence , Efcarbilles en Au
vergne , Carral en Rouergue , Groneffes en Haynaut ,
Grefillons recuits dans le Lyonnois ; on les appelle
Krahavs à Liége.
740 MERCURE
Pour fe former une idée jufte de la houille épu
rée , du charbon défoufré , de quelque manière que
ce foit , il eft à propos de comparer cette braise à
celie qui , dans un beau feu de bois , fuccède au
tems que la flamme ne peut plus avoir lieu , &
qui fe maintient enfuite plus ou moins . Les char
bons épurés , lents à fe détruire au feu , à parvenir
à l'état incinéré , font , après avoir été éteints ,
toujours fufceptibles ( à l'aide de la ventilation ménagée
par une construction particulière des foyers )
de reprendre au feu une incandefcence paisible &
tranquille, qui fe foutient tant qu'ils ne font pas
détruits , & qui eft accompagnée de chaleur fans
flamme , & , lorfque le tems eft au fec , fans odeur.
marquée.
Ces avantages des charbons préparés , & leurs
propriétés éprouvées dans quantité de pays , les ont
fait propofer , dès 1770 , pour chauffage aux per
fonnes qui habitent des appartemens dont les che
minées ont l'inconvénient de renvoyer la fumée,
our qui craignent l'ufage du charbon de terre
brut. ( 1 ) Feu M. Venel , dans fon Ouvrage pu
blié en 1775 , par ordre des Etats de Languedoc ,,
a aufli adopté cette idée qui est très - fimple. ( 2 )
En 1778 , il parut à Paris un Imprimé de trois .
pages in
4° . François & Allemand , intitulé :
Avantages de la méthode nouvellement découverte.
d'épurer le charbon de terre , où l'on propofoit d'ap
(1 ) Mémoires fur la nature , les effets , propriétés ,
avantages du feu de charbon de terre apprêté , pour êtres
employé convenablement , économiquement & fans inconvénient
, au chauffage & à tous les fages domeſti
ques . In- 12. A Paris , chez Lottin , 1770 .
(2 ) Inftructions fur les feux de houille , Part. I.
Chap. IV. Efpèces artificielles de houille , p. 93 .
DE FRANCE. 147
provifionner les pays qui font entre le Rhin , la
Sarre & la Mofelle , avec des charbons de terre
de la Principauté de Naffau - Sarrebruck , & du
Comté de Linange , les feuls de ces Cantons qui
foient fufceptibles de cet épurement.
Il résulte que ce nouveau chauffage , quelle que
foit la manière d'obtenir les braifes ou braifons ,
fera en la fuppofant toujours économique ) trèscommode
, très-utile pour des cabinets de toilette,
pour des antichambres , pour des dortoirs de Communauté
, de grands atteliers , &c . Mais M. Morand
eft d'avis que l'ufage en doit être borné aux
feuls endroits de l'efpèce qu'on vient de nommer
& dans des cheminées. Il préfume que les perfonnes
en état de fe procurer un grand feu de bois,
qui , de tems en tems , donne le fpectacle récréa
tif d'une flamme en mouvement , ne s'accommo¬
deroient pas d'un brafier trifte & uniforme , quelque
volumineux & quelque chaud qu'il pût être .
·
Quant aux ufages particuliers auxquels ces braifes
font applicables , le fieur Ling les donne pour
très-utiles aux forges des Serruriers , des Maréchaux,
des Taillandiers , & autres ouvriers de ce genre.
Sur quoi , M. Morand obferve à propos que les
charbons préparés étant dénués de l'activité de la
flamme , pourroient bien n'être pas d'un ufage
économique pour les ouvriers qui s'en ferviront. Il
révoque auffi en doute la propriété de leurs cen- .
dres pour le blanchiffage du linge. On ne les emploie
à cet ufage dans aucun pays , & il eft à
préfumer que ce n'eft pas faute de - l'avoir tenté ;
feu M. Venel dit expreffément l'avoir effayé fans
fuccès. ( 1 ) Au furplus , en s'en tenant fimplement
(1) Inftructions fur l'ufage de la Houille , Part. I,
Chap. II , Section 3. Des cendres , p. 36 , & Chap. V
" MERCURE 142
à l'avantage inconteſtable de pouvoir ſuppléer utilement
, dans beaucoup d'occafions , avec ces braifes
de charbon de terre , au bois & au charbon
de bois , dont il fe fait une confommation immenfe
qui doit faire craindre une difette de cette
matière , on ne peut qu'applaudir au renouvellement
du Projet de faire connoître dans la Capitale
une reffource pour les Perfonnes plus aifées,
auxquelles elle devient de jour en jour de la plus
grande conféquence.
Le fieur Ling avance , dans l'intitulé & dans les
détails de fon Profpectus , que ce chauffage n'exhale
aucune vapeur délétaire , & n'expofe pas les confommateurs
aux accidens de l'afphyxie. Cette affertion
importante pour la fanté publique , mérite
une attention particulière , toute erreur fur ce point
étant très- dangereufe. M. Morand croit donc devoir
prévenir le Public que les braiſes allumées ,
tant celles qui font préparées par le fieur Ling ,
que toutes les autres obtenues de toute autre manière ,
produisent le même gas méphitique ; & qu'ainfi employées
dans des lieux fermés , elles cauferoient des
afphixies. D'ailleurs elles n'exhalent réellement aucune
vapeur nuifible en brûlant , c'eſt -à -dire , lorſqu'elles
font embrafées ; mais , dir le Chymifte déjà
cité , les coaks répandent , dès le commence-
» ment de leur combuſtion , & fur-tout quand leur
feu expire , quelques bouffées , rares à la vérité,
» mais très fenfibles , de vapeur acide fulphureufe
; (1 ) enforte , ajoute-il , que la prépara-
» tion deſtinée à épurer les houilles ne les corri-
» ge que pour le tems de leur combuſtion , pen-
-
Section 4. Difette des Cendres propres à leffiver le linge.
P. 156.
(1 ) Ibid. Part. I , Chap. IV , Section 1 , p. 97.
DE FRANCE. 143
dantlequel elles n'exhalent aucun principe fulphu-
» reux. Cette préparation y a laiffé fubfifter en
» entier les principes & la difpofition d'après la-
23
quelle toute houille brute ou préparée , exhale
» à la fin de la combuftion une légère vapeur
fulphureufe ( 1 ) qui fe manifefte même affez
» conftamment dans un lieu fermé , fi l'on fe fert
» de ce feu hors d'une cheminée. ( 2 ) » Il y auroit
donc de l'imprudence à prétendre & à affirmer que
jamais il ne peut en réfulter d'effets incommodes
& dangereux. Il ne faut pas non plus alarmer
vainement les efprits : il fera plus aifé d'éviter
les accidens en ne fe fervant de ces braifes
que dans des cheminées , & en ouvrant les fenêtres
des appartemens lorfqu'elles entrent en combuftion
, ou que leur feu expire , que de parvenir à
charbonner la houille de manière qu'on la dépouille
entièrement de tour principe fulphureux.
Pour ce qui eft du prix de ce chauffage , comparé
à celui du bois , l'économie n'en fauroit être
bien connue & appréciée que par l'expérience que
chacun en fera. Tout bon citoyen doit defirer de
voir réuffir une tentative utile : il doit même la
favorifer dans tout ce qui peut dépendre de lui.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
DESCRIPTION du Théâtre de la Ville de Vicence
en Italie , chef- d'oeuvre d'Antoine Palladio , levé &
deffiné par M. Patte , Architecte , &c. in-4° . avec
des planches en taille-douce. Prix , 3 liv. 12 föls.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Marais , Fauxbourg
S. Germain ; & chez Gueffier & Quillau , Impri-
(1 ) Ibid. page 98.
(1 ) Ibid, Chap. I , Section 1 , p . 30 , Note «.
144
MERCURE
meurs-Libraires. Cet Ouvrage , très - bien éxécuté,
mérite le fuffrage des Amateurs , il honore le zèle &
les talens de M. Patte,
L'Iliade d'Homère , Traduction nouvelle , précédée
de Réflexions fur Homère , & fuivie de Remarques
, par M. Bitaubé. 3 Vol . in- 8 °. Prix , 12 liv.
A Paris , chez Prault , Nyon , Piffot & Durand
neveu , Libraires.
Fautes effentielles à corriger dans le N° . 20.
Page 89 , ligne 13 ,fon amante , fous le nom de
Mifis , lifez : fon amante . Sous le nom de Mifis.
Page 93 , lignes , énergique , lifez : magique.
TABLE.
AMA première Maitrejje ‚ \ __či‹è ,
AMde Devardon ,
118
97 Euvres de M. l'Abbé Mé-
98 raftafe , 122
A Mile DE.... de Genève , ib. La Difcipline de l'Eglife de
La Tourterelle & le Pinçon ,
Fable ,
France , 125
99 Académie Roy. de Mufiq. 127
Obfervations fur les Connoif- Comédie Françoiſe ,
100 Comédie Italienne , fances humaines ,
134
134
Enigme & Logogryphe , 109 Lettre fur le Code des Gen
Hiftoire générale de Provence, toux 2
110 Eclairciffemens fur le
Plan d'Etablissement tendant fage économique ,
àl'extinction de la Mendi- Annonces Litteraires,
J'
APPROBATION. ·
136
Chauf
138
148
AT lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Mai . Je n'y ai
sien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris
Je 19 Mai 1780. DESANCY.
Fer24 . 135 .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 27 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Comte DE TRESSAN.
LE joyeux Vieillard de Théos ,
Qui du Temps captiva les aîles ,
Et laiſſa dans un doux repos
Couler fes Chanfons immortelles ,
Occupé du foin de jouir ,
Savoit aimer , chanter & boire ,
Et fur la route du plaiſir
Fit connoiffance avec la Gloire ;
Mais fa main , qui dictoit des lois
Afa lyre aimable & rapide ,
N'auroit foutenir le poids
pu
Du compas que tenoit Euclide.
C'eft dans le célèbre vallon
Sam. Mai 1780.
27
i G
146 MERCURE
Où Jean-Jacque inftruifit Émile,
Qu'il faut revoir Anacréon
Sous les berceaux de Franconville ,
Rival de l'Anglois indompté,
Dont l'auftère & mâle génie
A couronné la Liberté
Dans les murs de Philadelphie ,
Il gouverne les noirs foyers *
Qui s'embrâfent dans l'atmoſphère ;
Et fa voix commande au tonnerre
De venir mourir à ſes pieds.
Il porte dans le fanctuaire
De d'Alembert & de Buffon ,
Des Grâces la palme légère
Et les guirlandes d'Apollon.
Si fa Philofophic éclaire ,
Ses loisirs nous rendent heureux ;
Et quoiqu'il foit un peu goûteux ,
Il voyage encore à Cythère.
Mais parmi tous ces dons brillans ,
Il en eft un plus cher encore ;
Quand il voit M ** qu'il adore ,
Héritière de fes talens ,
Semer des fleurs dans fa carrière ,
Des larmes coulent de les yeux ,
* M. le Comte de Treffan a dans fon porte -feuille
un excellent Ouvrage fur l'Électricité , où il a deviné le
fyftême du Docteur Franklin. ( Nece de l'Auteur. )
BIBLIOTHECA
REGLA
MWAGENSIS.
DE FRANCE. £47
Le titre le plus glorieux
Eft pour lui le titre de père.
( Par M. d'Oigni. )
A LESBIE , imitation de l'Italien.
Non , je ne fuis plus jeune , ô ma chère Lesbic ;
J'ai vu défleurir mon printemps ;
Mes plus beauxjours ont coulé fur ma vie ,
Et bientôt j'ai paffé l'automne de mes ans.
Déjà , tenant en main le fabfier du Temps ,
Le vieux Nocher m'appelle en la fatale barquet,
Déjà de l'inflexible Parque
Je vois s'ouvrir les cifeaux menaçans.
Mais en moi les glaces de l'âge
N'ont point éteint le goût pour le plaifir ;
J'ai toujours même ardeur , Lesbie , & mon langage
Eſt encor celui du defir.
Que cette Divinité fière,
Qui règle à fon gré nos deftins ,
De jours orageux ou ſereins
Compoſe ma faifon dernière ,
Je n'irai pas de noirs chagrins
Semer la fin de ma carrière.
Lafaulx du vieillard inconftant .
Brille fur nos fronts , ô Lesbie ;
l'éclair brillant de la vie
G
148
MERCURE
Luit & s'éteint au même inſtant.
Ah ! connois le prix véritable
De cet inftant qui fuit fans revenir ;
C'eft en le donnant au Plaifir
Qu'on peut le rendre plus durable.
N'attends pas que de tes attraits ,
Par le temps , la fleur foit fanée ;
Quand on a perdu ſa journée ,
Le foir amène les regrets.
Abandonne ton ame à la volupté pure ;
Suis la douce voix du defir ;
C'est le confeil de la Nature
Qui nous avertit de jouir.
Mais fois fage en ton choix, prends un amant paisible ,
Dont l'âge ait modéré les feux ;
Qui , fans être moins amoureux ,
Soit plus conftant & plus fenfible.
Un jeune coeur , trop facile à brûler ,
N'a qu'une flamme inconftante , incertaine ;
Un fouffle la fait vaciller,
Et l'air à fon gré la promène .
Crois-moi , cette flatteufe ardeur ,
Qu'aux yeux d'un jeune amant ton fouris fait éclore
Eft l'effet de fes fens & non pas de fon coeur ;
Ainfi , lorſque la nuit un brillant météore
Dans les airs attache tes yeux ,
Tu crois voir s'échapper de la voûte des cieux
Un rayon de pure lumière ,
7 DE FRANCE. 149
Et c'est une vapeur groffière
Que la terre a produite en fes flancs fulphureux.
Méprife la fougue éphémère
D'un jeune adorateur violent , mais léger ;
Son feu momentané ne fauroit fatisfaire
Qu'un goûtfrivole & paſſager :
Ah ! pour voir les jours de ta vie
Filés par la main du bonheur ,
Il ne fuffit pas , ô Lesbie ,
De choifir un amant , il faut choisir un coeur.
Le mien t'offre , ô beauté chérie ,
Cet amour paifible & conftant ,
De l'ardeur fans emportement ,
Et de la gaîté fans folie.
Si mes traits , par l'âge flétris ,
N'ont plus de ma première aurore
La fraîcheur & le coloris ,
Des feux de mon midi tout mon ſang brûle encore ;
Ce font les foins cruels , les foucis dévorans
Qui , fur un jeune front , appellent la vieilleſſe ;
On fupporte le poids des ans
Mieux que celui de la triſteſſe .
Qu'indépendant des coups du fort
L'homme s'arme d'indifférence ;
Qu'au-deffus de lui- même il prenne ſon efſor,
Et chaffe loin de lui la crainte & l'eſpérance ;
Alors il verra , fans pâlir ,
Ce terme redouté , l'écueil de plus d'un fage ,
Gij
Fo
MERCURE
Ce terme ou tout doit aboutir ;
Quand fes derniers foleils fe couchent fans nuage ,'
Sans regret il les voit finir.
Le temps nous fuit ; crois-moi , hâtons-nous d'en
jouir ;
Réparons les pertes de l'âge;
De nos jours paffés fans plaifir ,
Que le plaifir nous dédommage.
Moins il me refte de momens ,
Moins j'en dois perdre la durée ;
Airfi, quand du foleil les rayons expirans
Laiffent briller au ciel l'aftre de Cythérée ,
Qui de la nuit annonce le retour ,
Le Voyageur , preffant fa marche rallentie ,
Profite avec économie
Des dernières faveurs du jour.
( Par M. Laurenceau. J
EST- CE UN RÊVE , Conte..
UNN peu de philofophie, un peu d'infomnie
, & fi l'on veut des vapeurs , avec tout
cela on ne dort guères , mais tout cela
amène les plus jolis fonges. En vérité je
plains ceux qui dans leur lit dorment toujours
& ne rêvent jamais. Un rêve eft quelquefois
fi intéreffant , fi prophétique !
Je rêvois donc. Tout- à- coup l'image du
chaos me frappe & m'épouvante. Où fuisje
, m'écriai- je , où vais-je ? Eh ! d'où fuis-je
DE FRANCE.
tiré? Je furnageois parmi les élémens confondus
; & fur leur furface inégale planoient
les génies architectes du monde. Infenfiblement
les clémens ſe féparèrent , mais la matière
refta brute. Je vis ici les germes créa
teurs , là toutes les formes , plus loin le feu
qui devoit tout animer. Aufli - tôt les génies
paîtrirent la pâte docile : mais trop diftraits ,
ils fe jouoient en créant le monde , & multiplioient
les méprifes à l'infini. Dans le corps
d'un homme , ils plaçoient l'ame craintive
d'une femme ; dans celui d'une femme , les
penchans , les defirs & l'intempérance d'un
homme. Quelquefois ils oublioient de donner
une ame à la beauté , & par un caprice
étonnant , dévouoient au ridicule un être
contrefait , en lui prodiguant trop d'amourpropre
& trop de fenlibilité. Je pofai la
main fur des coeurs de toutes les espèces ;
les uns étoient fi durs , qu'il n'étoit pas
poffible de les amollir ; les autres étoient
-fi fouples , prenoient tant de formes , qu'ils
ne pouvoient jamais être propres à rien.
A l'aide d'un magnétifme que les génies
diftribuoient au hafard , je vis parmi certains
coeurs des rapprochemens finguliers
& des contraftes bizarres. Si j'avois été
éveillé , j'aurois reconnu les bigarrures de
nos corteries , de nos mariages , & de quel
ques -unes de nos conventions.
Devant moi s'ouvrit enfuite l'attelier
diaphane des idées. Je diftinguai auffi - tôr
les anciennes à leur à-plomb , les nouvelles
Giv
152 MERCURE
à leur denfité. J'étois déjà convaincu que
pour élever le monde , les anciennes avoient
dû être fortes & nourries ; maintenant que
l'univers eft furchargé d'idées , il importe
fans doute que les nouvelles foient affez
volatiles pour percer fans déchirement l'atmofphère
des vieilles connoiffances, encroûté
dans les vieux préjugés. Je vis , bon Dieu ,
quelles têtes ! les unes étoient fi légères , ce
n'étoit que du vent : celles- ci étoient fi vaines
, ce n'étoit encore que du vent. Les fiècles
paffes rouloient devant moi à travers cette
fourmillière. Les uns étoient bien ignorans ,
les autres bien fanguinaires , ceux-là bien
fuperftitieux ; le plus odieux de tous étoit le
feizième fiècle. Ses mains étoient teintes de
fang , dégouttantes des poifons qu'il avoit
préparés ; il fembloit encore regretter les
flammes des bûchers nombreux qu'il avoit
állumés. Après lui marchoit un génie revêtu
d'une robe rouge , politique vindicatif,
moitié fujet , moitié defpote , & qui cimen ~
toit avec du fang la puiffance royale , dont
il avoit ufurpé l'autorité ; tandis qu'un foible
Monarque vouloit & n'ofoit la reprendre , &
haïffant fon Miniftre , livroit à fa vengeance
les fujets qu'il aimoit le plus. Un grand proble
me reftoit encore à réfoudre en France, favoir
fi ce génie, avec moins de fang répandu , n'auroit
pas pu faire autant de bien qu'il en a
fait à l'État, & fi ce fang n'étoit pas répandu
plutôt pour le défaire de fes propres ennemis
que de ceux de la France , qui , dans le
,
DE FRANCE.
153
vrai , n'en avoit plus à craindre dans fon
fein , fi ce n'eft le parti Huguenot . Cependant
la populace appeloit ce génie un grand
génie ; les bons citoyens abhorroient fa mémoire.
Un autre génie en robe rouge le
fuivoit de près ; il baifoit la belle main
d'une Régente , fur laquelle il s'appuyoit
auffi-tôt qu'il faifoit un faux pas ; mais il
difparut bien vîte de la fcène du monde : le
génie brillant de Louis XIV précipitoit fa
retraite. Je vis défiler devant moi de petits
génies qui avoient tenu le timon de l'Etat ,
& qui ne méritoient pas l'honneur d'être
comptés. La marche étoit terminée par un
efprit aimable & doux qui régnoit en Souverain
fur une maffe d'idées,parmi lesquelles j'en
remarquai beaucoup qui étoient compofées
de philofophie, d'humanité, de marine , de liberté
des mers , de combats & de victoires.
Une d'entre-elles portoit un pavillon fur
lequel étoit peint un lys , & deffous un dix
& un huit , avec ces mots : pavillon dufiècle.
Je vis fur-tout (je n'en perdrai jamais le
fouvenir ) dans une tête royale de vingt-cinq
ans , les mêmes idées qui ont rendu chère
la mémoire de Marc- Aurèle : près d'elle
étoit placée une autre tête un peu plus âgée ,
qui avoit raffemblé les combinaiſons les plus
faines fur l'économie d'État , & remplie de
plans de réformes néceffaires. On eût dit de
la tête de Colbert dirigée par l'ame de Sully.
Ou je ferai bien trompé , m'écriai -je , ou cès
deux têtes feront bien des heureux.
Gv
354 MERCURE
Mon rêve fe prolongeant toujours , je vis.
un monde fortir du néant devant moi. Au
monde , on l'a dit depuis long-temps, il faut
des maîtres. Les génies confièrent au hafard
la diftribution des individus. Le hafard les
partagea indiftinctement en deux claffes.
Dans un des baffins de la balance furent
placés du fer , des inftrumens aratoires , des
compas , la navette & le métier. Dans l'autre,
des fceptres , des épées , des écuffons , de
l'or. Ceux à qui échut le premier lot furent
nommés peuple , les autres Rois , Princes ,
Comtes , & c. & c. Je vis ces hommes utiles,
qui foulevoient le fer d'un bras nerveux
shumilier devant ces êtres que l'or, l'orgueil
& les vices amolliffoient déjà . Déjà de nombreuximpôts
fouloient le peuple ; déjàje n'appercevois
d'un côté que misère , de l'autre
que des abus . Un génie malfaifant divifoit
tous les citoyens , & par un moi abfolu , ifoloir
chaque individu. Le monde étoit près.
de rentrer dans le chaos , quand je vis pa-
Foître cette tête royale de vingt- cinq ans ,
fecondée par celle dont j'ai déjà parlé , & de
laquelle s'échappèrent auffi - tôt autant de
réformes utiles qu'il s'échappoit jadis de
vérités de la main de Zénon. Je veux , difoit
le Roi , être le père de mon peuple , dût- il
être ingrat. J'en ferai toujours l'ami , difoit
te Miniftre avec l'accent de la douleur. Le
peuple difoit au Roi : voici vos enfans , &
montroir au Miniftre les pages lacérées d'un
libelle odieux : c'est ainsi , continuoit le peuDE
FRANCE. 155'
ple , que nous accueillons ces écrits calomnieux.
Confolez- vous : Sully & Colbert ne
furent point à l'abri de la calomnie. Comme
eux elle vous perfécute. La nation les a vengés
; attendez tout d'elle. Ce difcours me réveilla.
Eft- il un Royaume qui reſſemble à
celui-là N'eft-ce qu'un rêve?
( Par M. Mayer. ).
A S. A. S. Mgr le Prince DE CONDÉ,
Colonel - Général de l'Infanterie.
Nos Soldats aujourd'hui ne font qu'ur Bataillon :
Ceft le Fils d'un Héros , c'eft CONDÉ qui les mène..
On fe plaît à voir un Bourbon
Qui , né pour les dangers où fa valeur l'entraîne ,
Sait commander comme Turenne,,
Et qui fe bar comme Crillon.
(Par un vieuxTémoin defes Campagnes. )
1A CHÈVRE ET LES MOUTONS
Fable
Sux un mont efcarpé , pendant et précipice, en
Barbe la Chèvre un jour voulut monter ;
Non par fanfaronnade , ou par un vain caprice
Mais bien à deſſein d'y brouter.
Obſervez que la route en étoit mal-aiſées,
De ronces par-tout hériffée ,
Thégale , pierreufe & pleine de détours.
Ge vj
156
MERCURE
•
Barbe, n'en eft pas rebutée.
Elle s'effaye à la montée,
Franchit d'épais buiffons , s'engage en des contours ;
Fait tant qu'après bien des tournées ,
Après avoir rodé trois ou quatre journées ,
Enfin elle gagne le haut.
Or la voilà qui fait maint faut ,
Qui s'applaudit , qui gambade , qui broute.
Un Troupeau, qui d'en -bas la voit mangeant ſon faou,
Prétend auffi tenter la route.
»Plus qu'elle , rifque - t'on de fe caffer le cou ?
» Montons ». L'on défile , l'on monte.
Dame Chèvre, voyant ceci ,
Leur tend fa patte blanche :-Approchez par ici. -
De l'aide ? à nous ? oh fi ! ce feroit une honte ;
Nous fammes leftes , dieu merci ;
Et nous monterons feuls auffi.
Puis de faire la culebute ,
Puis de grimper encor , puis de tomber toujours.
Robin Mouton , effrayé de leur chûte ,
Moins fier qu'eux , de la Chèvre accepte le fecours.
Tout anffitôt l'officieuſe bête
Le mène par des fentiers courts ,
Et lève à chaque pas l'obftacle qui l'arrête.
Après cent pénibles détours
On a terminé le voyage :
Robin a donc gagné le fommet ſourcilleux ,
D'où jetant alors les yeux
Sur l'inférieure plage ,
DE FRANCE. 157
Il voit fes compagnons fufpendus , gambillans ,
E: tout-à-coup dégringolans ,
Dupes de leur orgueil , defcendre au noir rivage.
CETTE chûte eft commune aux Auteurs d'aujourd'hui,
Qui, fans un maître habile , entrent dans la carrière.
Qu'un Savant nous ſerve d'appui ,
Qu'il nous guide , qu'il nous éclaire,
Et nous deviendrons grands en marchant avec lui.
( Par M. le Bailly. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE m
E mot de l'Enigme eft Coq ; celui du
Logogrypheeft Io , dont en ôtant l'I , refte Q.
ÉNIGM E.
CONNOISSEZ - VO
NOISSEZ - VOUS fept foeurs de diverſe figure,
Et d'originale encolure ?
L'une a le teint fort soir , & l'autre l'a fort blanc ;
L'une a la jambe droite , & l'autre l'a crochue ;
Telle autre.en eft dépourvue ,
Toutes ont un nom différent ;
Et le fort veut qu'en naiſſant ,
Sur des cordes exprès tendues ,
Par leur père avec art elles foient étendues ;
Bien plus , la tête en bas , par les pieds les liant ,
1,8 MERCURE
Avec foupirs il les y pend ,
Mais ,le croiriez-vous bien ? malgré cette poſture,
Chacune monte & defcend
Avec cadence & meſure.
( Par M. Fl... )
LOGOGRYPHE.
JE fuis ou d'une grande ou petite étendue ;-
Je marche für fix pieds , & jamais ne remue ;
Je renferme en mon fein plus d'un être penſant ,
Que je mets à l'abri de l'orage & du vent.
Deviens-tu curieux , Lecteur , de me connoître ?
Cherche dans ton efprit , tu trouveras peut- être
Chez moi deux monts connus, & qu'ont rendus fameux
Les Écrits tant vantés de nos Auteurs Hébreux ;
Huit différens pronoms ; une ville de Flandre ;
Un ancien mot Gaulois , qu'on a peine à comprendre
Deux notes de mufique ; un des plus jolis mois ;
Le nom d'un Saint Apôtre , exiftant autrefois ;
Le contraire de plus ; le dérivé d'un verbe ;
Un membre très - utile , avec un fimple adverbe ;
Un nom chéri du fage , & trop peu reſpecté ,
Dont abuſe un perfide avec impunité..
Mais je m'arrête ici , car trop parler peut nuire ;
Si je me dévoilois on n'en feroit que rire ;
D'ailleurs , pour des Lecteurs intelligens , fenfes ,
Cela devroit fuffire , & j'en ai dit-affez .
(Par M. Holthouſen , de Bruxelles. ) -
DE FRANCE.
15% /
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE DE VOLTAIRE , composé par
lui - même , avec cette Épigraphe :
De toute fiction l'adroite fauffeté
Ne tend qu'a faire aux yeux briller la vérité.
BOILEAU.
A Paris , chez les Libraires qui vendent
des Nouveautés.
MONSIEU ONSIEUR Le Chevalier de Cubières eft:
Auteur de ce nouvel Éloge : paroiffant
après tant d'autres , il a pourtant trouvé
une manière de le louer qui ne reffemble
point à la leur. Il a évité l'emphafe , l'ana-
Lyfe ; & je ne fais quel air de catalogue
qui fe retrouve dans plufieurs Éloges, &
qui provient de la néceffité de célébrer
Bun après l'autre , & de faire paffer pour
ainfi dire en revue les grands ouvrages &
les différens genres par lefquels s'eft diftingué
cet homme le plus étonnant , peutêtre
, qui ait jamais exiſté.
Au lieu de ces tournures oratoires &
froides , M. le Chevalier de Cubières a
imaginé de faire de cet Éloge une Scène
dramatique , un Dialogue entre le plus:
grand. des modernes & le plus fameux dess
160 MERCURE 1
injuftes Critiques de l'antiquité. Ce qui
donne du mouvement , de la vie & de l'intérêt
à tout fon ouvrage.
Il fuppofe qu'en arrivant aux Champs
Élysées , M. de Voltaire rencontre Zoyle.
Ce détracteur d'Homère l'arrête , l'infulte , &
veut le forcer à fortir de ce féjour. Voltaire
alloit s'en éloigner : les autres ombres l'environment
, le retiennent , l'engagent à ſe
défendre contre ce farouche ennemi des
talens. Par-là ce grand homme eft obligé de
fe louer lui - même , & de citer les titres qu'il
a pour habiter parmi les gens de bien & les
hommes de génie.
Il étoit impoffible d'imiter le ſtyle de
Voltaire en le faifant parler : on n'imite
jamais long- temps , on n'imite jamais bien :
l'Auteur n'a pas eu cette prétention. Il a dû
& il a fu très-heureuſement oppofer des
vers ingénus & des vers plaifans à des vers
fublimes , mélange heureux dont M. de Voltaire
a donné tant d'exemples , & qui peutêtre
caractériſe plus que toute autre chofe
fa manière d'écrire quand il n'eft ni tragique
ni épique.
Par ce mélange , le ftyle fe rapproche de
la converfation , il a plus de vérité , il eft
plus animé , l'Auteur évite ainfi avec beaucoup
d'art de faire prendre à fon héros le
ton du panégyrifte , qui ne fied jamais à
l'homme qui parle de foi , quoiqu'on permette
à l'homme qui fe défend de fe vanter
un peu. Il rappelle aufli à fon Lecteur par
DE FRANCE. 161
des tranfitions heureufes , que celui qui
parle repouffe les attaques d'un adverfaire
, & ne nous entretient pas de lui-même
fans raifon.
Lorfque ce grand homme a ceffé fon
difcours , au moment où Zoyle s'apprêtoit
à lui répondre , Alecton furvient , & faifit ce
Satyrique échappé du Tartare ; elle le chaffe
à grands coups de ferpens , & le replonge
dans ce gouffre. Les ombres heureufes conduifent
Voltaire dans le boſquet deſtiné aux
Génies , & voici ce qui s'y paffe : c'eft toujours
M. de Voltaire qui eft fuppofé parler
& raconter ce qui lui eft arrivé.
J'y fuis entre Corneille & Racine placé ;
Leur laurier poétique au mien eft enlacé.
L'Auteur de Bajazet , qu'on aime & qu'on admire ,
A les yeux attachés fur ma tendre Zaïre.
Corneille lit Brutus . Le grave Defpréaux ,
:
Non loin de nous affis , tient mes Difcours Moraux ;
Je crois qu'il les compare à fes belles Épîtres ,
Et qu'à fon indulgence il leur trouve des titres.
Pope en me voyant-là juge que tout est bien.
L'Ariofte föurit , & ce n'eft pas pour rien .
Anacréon plus loin décoiffe une bouteille,
Et boit à ma fanté fous l'ombre d'une treille.
Des Contes de Vadé qu'il loue ingénument ,
La Fontaine à Vadé veut faire compliment.
Ses yeux cherchent par-tout cet Écrivain ſublime .
Mais , qu'entends- je ? Boileau , mon juge légitime
162 MERCURE
•
Vient tout-à-coup fur moi de porter fon arrêt.
Je rougirai long- temps d'un aufi beau portrait ,
Et mon ami C.... doutera qu'il reffemble :
Tous les efprits divers fon efprit les raffemble. »
Combien d'ouvrages loués finement dans
ce peu de vers , combien ils font juftes , &
avec quelle précifion ils caractérisent & les
Poëtes & les écrits dont s'occupe chacun
d'eux ! Voulez -vous une grande & fublime
image dite fans emphafe , écoutez ces
vers.
Beaucoup de beaux- efprits que j'ai vus depuis peu ,
Ont des velléités de ne pas croire en Dieu.
Pour moi j'y crus toujours ; fur la sphère étoilée ,
Trône immenfe où s'affied fa majefté voilée ,
Toujours avec refpect j'ai porté mes regards ,
Et vu les traits empreints dans les mondes épars ,
Qu'aux matches de fon trône une chaîne balance.
Je voudrois bien vous en citer encore
d'autres comme celui - ci , fur les Hiftoriens
du fiècle dernier.
On avoit mis l'hiftoire en oraifon funèbre.
Comme ceux- ci fur Racine.
La langue fous fes mains eft une molle argile
Qui , docile à fes voeux , s'arrondit & s'étend ,
Que fon goût délicat foumet à chaque inftant
A de nouvelles lois , à des formes nouvelles.
Et ceux-ci , fur le fondateur du Théâtre.
DE FRANCE.
163
Corneille plus hardi , plus ami de l'écart ,
Laiffe marcher fon ſtyle & fa verve au hafard :
Il eft , fans le favoir , éloquent & fublime ,
Il ne met point fon vers fous le joug de la lime.
Plus ces vers font heureux , plus cet ou
vrage nous a paru ingénieux par fon plan ,
plus l'Auteur a marqué de goût & de juftelle
dans fes jugemens , plus il a fu ſe garantir
d'un défaut très en vogue aujourd'hui , de
celui de parler de tout en termes emphatiques
, de chanter les Bergers avec la trompette
, de plier fon fujet à fon ftyle , au lieu
de conformer fon ftyle à fon fujet , & plus
nous regrettons qu'il ait quelquefois facrifié
à la mode qui règne depuis la mort du grand
Poëte que l'Europe regrette. Je dis la mode,
parce que nous croyons avoir remarqué que
dans tous les arts il s'établit de temps en
temps une manière vicieufe , que la plupart
-des Artiftes adoptent pendant quelques
mois ou quelques années , & qu'ils abandonnent
enfuite pour une autre. Nous
fommes très- fachés que cet Auteur n'ait
toujours , felon les principes du goût , de
T'harmonie , de la raiſon , & de Boileau ,
Dans les bornes du vers , renfermé fa penfée.
pas
Qu'il imite quelquefois ceux qui ra
mènent la poéfie à l'état d'enfance où elle
étoit avant Malherbe ; depuis cet homme
de génie , qui , le premier , écrivit avec goût
164
MERCURE
& avec clarté , qui corrigea les Auteurs de
fon fiècle.
Les ftances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Aujourd'hui des Auteurs , qui d'ailleurs
font remplis de mérite , fe permettent &
affectent même cette conftruction vicieuſe
qui anéantit le vers ,, qui change les plus
beaux en de fimples lignes de profe rimée.
C'est même parce que des hommes d'un
vrai talent fe font abandonnés à cette négligence
qui rend l'art d'écrire fi facile , qu'il
faut prémunir contre elle ceux qui feroient
tentés de s'y livrer auffi. Pour fentir combien
le principe de Boileau eft jufte , & combien
le mécanisme du vers doit être reſpecté , je
citerai un exemple. Les deux premiers vers
de la Henriade font fimples & fans défauts :
tout le monde les connoît.
Je chante ce Héros qui régna fur la France,
Et par droit de conquête & par droit de naiffance.
M. de Voltaire a bien , dans les bornes du
vers , renferméfa penfée. Écrivez maintenant
ces deux vers a la manière moderne.
Je chante ce Héros qui , par droit de naiſſance
Et par droit de conquête , a régné fur la France.
Ce font les mêmes mots , la même penfée
; cependant au lieu de deux beaux vers ,
vous n'avez plus que deux lignes de profe ,
& même d'une profe-foible. On peut ajouDE
FRANCE. 165
ter à cela qu'on ne retient jamais que les
vers qui renferment une penſée complette :
que tout vers qui enjambe eſt condamné à
un oubli éternel. Mais Racine n'a- t- il pas
dit ,
Je répondrai , Madame , avec la liberté
D'un Soldat, qui fait mal farder la vérité.
Oui fans doute ; mais fi Racine , au lieu
d'ajouter ces mots , qui fait mal farder la
vérité, & qui font le complément de fon
vers , avoit regardé fa phrafe comme finie ,
& en avoit commencé une autre , jamais on
n'eût retenu ce beau vers ; il n'eût été qu'une
ligne de profe brifée pour attraper une rime.
Ces derniers mots mêmes, quifait malfarder
la vérité, n'ajoutent rien à la penfée : elle
étoit plus forte fans eux. Mais Racine connoiffoit
parfaitement toutes les convenances
& toutes les bienféances ; il fentoit qu'en
parlant à la mère de l'Empereur , on ne devoit
pas fe vanter de la liberté d'un foldat :
qu'il falloit mettre quelque adouciffement à
cette expreffion , & peindre du moins un
foldat qui , même en voulant s'exprimer avec
refpect , ne favoit pas déguifer fa penſée.
Alors tout eft parfait , la penſée eſt énergique,
& l'expreffion ne manque pas d'égard ;
le fens eft entier , l'oreille eft fatisfaite , &
l'Auditeur emporte ces beaux vers avec lui ,
& ne les oublie jamais.
On auroit auffi defiré que l'Auteur du
nouvel Éloge de M. de Voltaire eût fait un
166 MERCURE
ufage plus fréquent de l'inverfion ; c'eſt elle
qui foutient le ftyle dans la poéfie. Voyez ce
beau vers d'Athalie.
Oui, je viens dans fon temple adcrer l'Éternel.
Écrivez-le fans inverſion , & voyez comme
il tombe.
Oui , je viens adorer l'Éternel dans fon temple.
Le plaiſir malin de trouver quelques taches
dans un ouvrage eftimable , n'eft pas ce qui
nous a engagés à faire ces légères obfervations
: elles nous ont paru néceffaires dans ce
moment- ci . Au refte , l'Auteur de cet article
dira comme le bon la Fontaine :
Je donne-là de beaux confeils fans doute ,
Les ai-je pris pour moi-même ? hélas ! non.
LE Chanfonnier François. Seconde Partie
Volume in-12. A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques.
Il ne falloit point donner à ce Recueil le
titre de Choix des meilleures Chanfons ;
plufieurs nous ont paru médiocres , &
quelques-unes ne méritoient pas d'être recueillies,
On peut divifer les Chanfons de
ce Tome 2. en deux claffes , les anciennes
& les modernes. Les anciennes font prefque
toutes charmantes & délicates. Telles font
celles de Moncrif, plufieurs de l'Abbé l'Attaignant
, la fameufe Romance de Daphné ,
de M. de Marmontel ; les autres Pièces en
DE FRANCE. 167
ce genre , celles de MM. Favart & Collé.
Les modernes ne jouiffent pas du même
avantage ; elles manquent , à l'exception de
quelques- unes , de naturel & de gaîté : l'abus
de l'efprit gâte tour. L'une des plus agréables
& des plus connues parmi celles dont nous
parlons , a , malgré le fuccès dont elle jouit ,
plus de fautes que d'agrément.
Du ferin qui tefait envie,
Eglé , je te fais le préſent.
C'étoit l'attribut de Lesbie ,
Le meffager de fon amant.
Sans bleffer la délicateffe ,
Songe qu'un tel cadeau fouvent
Expoſe un coeur à la tendreffe ,
Et prépare un engagement.
Tout le monde connoît les charmans Hendecaffyllabes
de Catulle , fur l'oifeau de
Lesbie. Il n'étoit point l'attribut de cette
belle , il étoit fon favori. Il n'étoit point le
mellager de fon amant. Anacréon , il eſt vrai ,
fe fervoit d'une colombe pour envoyer fes
lettres à Batyle ; le vieillard de Théos nous
l'apprend dans fon ode neuvième ; mais Catulle
n'a dit nulle part qu'il eût fufpendu
fes billets doux au bec d'un moineau pour
les porter à fa maîtreffe. Après de pareilles
fautes, nous ne parlerons point du verbe faire
qui fe trouve dans les deux premiers vers
de cette Chanſon.
168 MERCURE
A M. le Vicomte de V ***.
Adieu , beau Chevalier François ;
Quand vous quittez nos femmes ,
Faites payer cher aux Anglois
Les douleurs de ces Dames.
Mars & l'Amour arment vos mains :
Il faut finir vos preuves ;
Allez faire autant d'orphelins
Que vous laiſſez de veuves.
Faites payer cher aux Anglois
les dondeurs
de ces Dames
, eft de ce miférable
jargon
qu'on a fubftitué
dans nos Chanfons
modernes
à la joyeuſe
naïveté
des anciennes
.
L'Auteur
a cru dire une chofe très- ingénieuſe
à M. le Vicomte
de V ** , en l'exhortant
à
aller faire autant
d'orphelins
qu'il a laiſſé de
veuves
; cette exhortation
ne nous paroît ni
galante
ni philofophique
. M. de Voltaire
,'
qui poffedoit
fi bien & le bon ton & le bon
goût , parle ainfi au Roi de Pruffe
dans une
de fes lettres.
Au milieu des canons , fur des morts entaffés ,
Affrontant le trépas & fixant la victoire ,
Je vous pardonne tout , fi vous en gémiſſés.
S'il eft dans ce Recueil plufieurs Chanfons
que nous voudrions corriger , il en eft d'autres
que nous voudrions en retrancher tout.
à-fait. Telle est celle de Piron fur la Sémiramis
; il nous femble qu'il vaudroit mieux
enfevelir
DE FRANCE. 169
enfevelir que reffufciter ces monumens de
l'injuftice & de l'envie. D'ailleurs , nous ne
croyons pas que jamais on s'avife de chanter
dans un fouper les vers fuivans :
Prêtres & Bedeaux ,
Chapelle & tombeaux ,
Blafphêmes nouveaux ,
Vieux dictons dévots ,
Que n'a-t'on pas mis
Dans Sémiramis ?
1
De pareils vers font fans grâces & même
fans gaîté. Tout le monde les trouvera déteſtables
; & fi demain on repréſente Sémiramis
, tout Paris ira l'applaudir. Il y a eu
jadis à Nevers un Menuifier nommé Billaut
ou Maître Adam. On n'a pas manqué d'inférer
ici fon chef-d'oeuvrè. Voici le fecond
couplet.
Auffi-tôt que la lumière
Vient redorer nos coteaux
Preffé du defir de boire
Je careſſe les tonneaux.
Maître Adam , quoique Menuifier , favoit
fort bien que lumière & boire ne riment
pas. L'Éditeur auroit dû faire imprimer ces
couplets tels qu'ils ont été faits , c'est- à - dire
mieux rimés. Ils font dans la bouche de tous
les joyeux convives.
On n'auroit pas dû faire imprimer fous
Sam. 27 Mai 1780.
H
170
MERCURE
le nom de le Sage & de Crébillon père , des
couplets qui ne peuvent que nous ennuyer
& nuire à leur gloire. Les hommes qui ont
fait Électre & Rhadamifte , Gilblas & Turcaret
, fe pafferoient fort de la gloriole que
donnent des Chanfons , & le Public n'y
perdroit rien.
MES LOISIRS , ou Poéfies diverſes , par
M. L. Pons de Verdun , Avocat au Parlement,
A Londres , & le trouvent à Paris
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés
, vol, in- 12 ,
UN Auteur a beau déclarer qu'il eft
fans prétention en publiant fes petits vers ,
cette modeftie apparente peut lui concilier
les fuffrages d'une fociété qui l'accueille
, mais elle ne le fauvera jamais de
la févérité des gens de goût , s'il s'expofe
imprudemment au jour de l'impreflion. -
Quelque léger que foit le genre qu'il cultive ,
il doit fe répéter long- temps avant de paroître
, qu'il n'en exifte aucun en poélie qui
puiffe faire pardonner la médiocrité. L'inimitable
Écrivain qui a dit fi modeftement
de lui-même que les longs Ouvrages lui fai
foient peur, & qui doutoit fi naïvement de
fes forces , favoit fort bien que le plus court
des Poëmes a moins de droits à l'indulgence
du Public , s'il eft médiocre , que le plus
long s'il eft ennuyeux . Moins la carrière eft
DE FRANCE. 171
longue à fournir , plus on eft impardonnable
de ne pas s'y montrer avec fuccès .
M. Pons de Verdun ne nous paroît pas auffi
fortement perfuadé de cette vérité. On ne
devine point la raifon qui l'a pu déterminer
à groffir fon petit Recueil de cinquante vers
lâches & dégoûtans, fur un cliftère qui ne fait
pas rire.
La Baronne de Roguet
Avoit beſoin d'un cliſtère ;
Et vite , un Apothicaire !
On court chez M. Droguet.
Cylindre en main il arrive.
Monfieur , n'eft -il pas trop chaud?
Madame , il eft comme ilfaut.
Mettez- vous fur le qui vive,
A l'approche du canon.
La Baronne fe recule.
Eh ! Monfieur Droguet , de grâce ,
Je lens bien ce que je lens,
- Je fuis maître de la place ;
Et vos cris font impuiffans,
1 Je vous dis pure grimace ,
J'ai bon ail & bonne main , &c.
Toute la Pièce eft remplie de ce pitoyable
jargon ; nul trait , nulle eſpèce de faillie
qui faffe au moins tolérer le mauvais ton de
ce Dialogue prolixe & barbare. O déplorable
facilité !
Hij
172
MERCURE
Gloire à Monfieur de Brochando ,
Son effai paſſe un coup de maître ;
Hier, en fortant de fon dodo ,
Gloire à Monfieur de Brochando ,
Il fit logogryphe & rondeau
Qu'au Mercure on verra paroître,
Gloire à Monfieur de Brochando ,
Son effai paffe un coup de maître.
Il faut que l'Auteur trouve un mérite réel
à rimer plufieurs fois en do avec le même
terme , pour avoir fait imprimer cette Pièce
qu'il nomme un Triolet, La difficulté vaincue
effaceroit-t'elle à fes yeux l'irrégularité du
troiſième vers ? Hier doit être de deux fyl-,
labes. Mais , que ne lui pafferoit - on pas
en faveur du dodo , qu'il a fi heureuſement
trouvé pour rimer à brochando ? Nous
lui confeillons cependant de mettre ou plus
de grâce ou plus de raifon dans fes vers ,
ne dût-il pas rimer fi richement. Nous
fommes perfuadés qu'il peut mieux faire
avec des foins & du travail, Quelques
fragmens de fon Recueil annoncent de l'efprit,
Le mot du Conte fuivant étoit connu ;
mais la manière ingénieufe dont il eſt
amené le rajeunit , & nous a paru plai-
Lante.
Frère Ange , Cuifinier des Pères Récollets ,
Avoit , un jour de jeûne , à ce que dit l'hiſtoire ,
Gliffé du lard dans tous les mets
DE FRANCE. 173
Que l'on devoit fervir au réfectoire :
Or , ce n'étoit du tout agir en bon Chrétien .
Un Novice le vit , & crut qu'en confcience
Il devoit dénoncer Frère Ange à fon Gardien ,
Comme infracteur de la fainte abftinence.
Ainfi fut fait. Grand Dieu ! qu'eft- ce que tout ceci?
S'écria le Pater en allongeant la mine :
De l'avis , Frère , grand merci ;
Mais ne mettez jamais le pied dans la cuiſine .
Parmi les Contes & les Épigrammes
qu'on trouve dans ce Recueil , il en eft peu
qui n'aient déjà été imprimés dans l'Almanach
des Mufes. Si l'Auteur vouloit s'attacher
à diftinguer le trivial & le bouffon de
la bonne plaifanterie , & à ne pas délayer
en plufieurs vers ce que tout le monde fait
en deux , il pourroit peut-être avoir des
fuccès en ce genre . L'idée du Conte que
nous allons citer , n'eft pas plus neuve que
selle du précédent , mais elle a le mérite
d'être expofée avec autant de précision que
de naïveté.
Guillot tout fier revenoit de Verſailles ;
Jean lui demande : as - tu bien vu le Roi ?
Vraiment , compère , il a parlé de moi
En me voyant. Bon , reprit Jean , tu railles.
Nenni parguienne ! hier pour le mirer ,
Tout droit à lui j'allions à la ſourdeine ;
Hiij
174
MERCURE
Il a bian dit : qu'on faffe retirer
Cet homme- là , je n'aime point fa meine.
Les premiers vers d'une Épître à Mademoifelle
*** , font tournés avec grâce.
44
Il eft une heure dans la vie
Trop prompte , hélas ! à s'écouler ,
Et de regrets toujours fuivie ,
Car on ne peut la rappeler.
L'entendez -vous , jeune Sylvie ?
La voilà qui fonne pour vous ;
Le Temps , qui vous voit fi jolie ,
Poſe fa failx à vos genoux ;
Tandis que ce vieillard jaloux
Près de vous s'arrête & s'oublie ,
L'Amour eft là qui vous fupplie
De faifir un inftant fi doux ,
Pour le donner à la Folie.
Tout le refte eft foible & fans harmonie.
Croyez-moi , fuivez les avis ;
L'Amour , ma chère , eft un grand maître ;
De ne les avoir pas fuivis
Vous vous repentirez peut- être.
Si-tôt que , de votre printemps ,
Toutes les fleurs feront fanées ,
Vous accuferez le Deftin ,
Et vous vous écrierez en vain :
i
DE FRANCE. 175
Ah! que le foir de mes années
Eft différent de leur matin !
Ce Commentaire profaïque de la pre
mière idée de l'Auteur , énoncée en vers
agréables , prouve combien eft dangereufe
cette facilité trop commune qui ne fait jamais
s'arrêter. Il nous paroît impoflible qu'en
relifant fon Épître , M. Pons n'ait pas vu
que le troifième vers difoit feul tout ce qu'il
répète en vers martelés dans cette dernière
tirade & dans la fuite de la Pièce. N'eft-il
plus d'amis pour les jeunes gens qui font des
Recueils , ou l'amour- propre eft- il plus fort
que tous les confeils ?
Les deux derniers vers qui terminent un
Conte de ce volume , feroient-ils applicables
à l'Auteur lui - même ?
Pour trouver bons des vers qui font mauvais ,
Il n'eft rien tel que de les avoir faits .
Puifqu'il faifit le ridicule de cette aveugle
prédilection , que n'a- t - il eu affez de févérité
pour faire le facrifice de cette foule de
mauvais vers , où il s'agit d'une culotte qui
laiffe paffer la bife par plus d'un endroit ?
( expreffions de l'Auteur ) De ces triftes plaifanteries
tant redites , tant rebattues , fur
l'accoûtrement & l'ameublement des mauvais
Poëtes ? Elles amufent moins les fots
qu'elles ne révoltent les bons efprits. Il de-
VLoit fe perfuader que des mots burlesques ,
Hiy
176 MERCURE
fans idées , ne peuvent exciter qu'un rire
de pitié. Il n'eft permis d'employer ces
termes ignobles qu'à l'Auteur qui fait les
rendre piquans fans bleffer l'oreille & le
goût , ou plutôt le goût doit les reprouver.
Si M. de Voltaire , dans fes Épîtres légères ,
n'a pas toujours dédaigné les détails vulgaires
& les mots les plus communs , il femble
qu'il veuille nous faire pardonner ces écarts ,
en y verfant à pleines mains le fel de la plus
fine plaifanterie. On fait par coeur fes vers à
Philis.
Philis , qu'eft devenu ce temps
Où dans un fiacre promenée ,
Sans laquais , fans ajuſtemens ,
De vos feules grâces ornée , &c.
Il eft inutile de citer tout entier cet élégant
badinage. Il eft connu de tout le
monde.
Le mauvais ton & le mauvais goût font
inféparables. L'Auteur des vous & des tu en -
a toujours préſervé la plus faible de fes
Pièces Fugitives ; M. Pons en remplit toujours
la moins mauvaiſe des fiennes. II
feroit malheureux pour lui qu'avec des dif
pofitions au talent , il ne parvint jamais à
l'acquérir.
DE FRANCE. 177
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LORSQUE ORSQUE nous avons annoncé , dans le
17 N° . de ce Journal , que l'Adminiftration
de l'Académie Royale de Mufique venoit
de paffer entre les mains de M. Berton ,
nous étions éloignés de penfer que cinq femaines
après, il nous faudroit parler au Public
de la mort de cet Artifte.
Pierre Montan Berton , Sur- Intendant de
la Mufique du Roi , étoit né en 1727. Deſtiné
à l'Art Muſical dès fa plus tendre enfance
il fixa l'attention des Maîtres dans un âge où
les élémens de la Mufique font à peine familiers
à la jeuneffe. Ses premières productions
donnèrent de très- grandes efpérances ,
auxquelles une fortune médiocre, des voyages,
& les occupations attachées à la Place de Directeur
de l'Opéra , dont il a été revêtu plufieurs
fois , ne lui ont pas permis de répondre
autant qu'il auroit pu le faire . Nous ne
parlerons ni du féjour qu'il fit à Senlis dans
fon enfance , ni de fon début à Paris , ni
de fes débuts en Province ; nous ne nous
arrêterons qu'à ce qui le diftingue comme
Compofiteur. Chargé de corriger , élaguer
ou changer des morceaux de nos anciens
Hv
178
MERCURE
Opéras , il s'eft acquitté de ce travail pénible
& peu fatteur , avec un goût &une connoiffance
du ftyle des différens Muficiens qui
i ont concilié tous les fuffrages . On fe fouvient
encore , malgré les révolutions arrivées
dans notre Mufique , des changemens
qu'il fit à l'Iphigénie en Tauride de Campra ,
& en particulier de fa Chaconne , qui fut
trouvée , après celle du célèbre Rameau ,
la plus belle qu'on eut encore entendue , &
qui a été exécutée en Italie & dans plufieurs
Cours du Nord, avec le fuccès le plus décidé.
L'année dernière , on a vu applaudir
avec tranſport le choeur qu'il a ajouté à Vertumne
& Pomone. L'Opéra de Sylvie, qu'il
compofa en fociété avec feu Trial , eft un
ouvrage charmant ; & celui d'Érofine , qu'il
a compofé feul , ne mérite pas moins d'éloges.
Lorfqu'il fallut faire quelques changemens
aux Opéras de Caftor & de Dardanus ,
il eut le bon efprit de puifer dans les anciennes
productions de Rameau qui ne fe remettent
plus au Théâtre , les morceaux qu'il ſubſtitua
à ceux qu'il crut devoir profcrire ; &
quand il en plaça quelques - uns de fa compofition
dans les ouvrages de ce grand
homme , ce fut après avoir inutilement
cherché les moyens de corriger Rameau par
Rameau même. M. Berton a partagé avec
plufieurs Artiftes célèbres le foupçon de
n'être point l'Auteur des Ouvrages exécutés
fous fon nom. Cette idée a même été répandue
avec une telle profufion , que bien
DE FRANCE. 179
des gens l'ont adoptée comme une vérité inconteftable.
On peut affurer le Public que
cette imputation eft auffi abfurde que calomnieufe
; & s'il falloit à certaines gens un témoi
gnage irrécufable , nous pourrions citer M.
Francoeur , Sur - Intendant de la Muſique du
Roi , fous les yeux duquel M. Berton a , pour
ainfi dire , compofé les morceaux qui ont
fixé fa réputation.
Une maladie inflammatoire l'a enlevé en
fix jours à la Mufique & à l'Opéra , qui a
perdu en lui un homme précieux par fes
talens , par fon intelligence , & par l'expérience
que fes travaux & fes différentes directions
lui avoient acquife. Il eſt mort le
Dimanche 14 Mai.
L'Auteur de cet Article a trop peu connu
M. Berton pour entrer dans le détail de
fes qualités perfonnelles ; mais ce qui
parle en fa faveur , & ce qui honore beaucoup
fa mémoire , c'eſt la douleur profonde
qu'il laiffe après lui dans le coeur de Madame
Berton fa veuve , dont on nous affure qu'il
étoit adoré.
COMÉDIE ITALIENNE.
JAMAIS AMAIS les débuts n'ont été fi fréquens à
ce Théâtre que depuis quelque temps. En
voilà fix en quinze jours. Nous dirons quelque
chofe des quatre premiers dans ce N°
H vj
180 MERCURE
& nous parlerons des autres dans la
chaine Feuille.
pro-
Mademoiſelle Solin & Mademoiſelle
Girardin ont débuté le même jour dans la
Colonie, la première , par le rôle de Marine,
la feconde , par celui de Bélinde. Mademoifelle
Solin a déjà débuté à ce Théâtre il y a
trois ans. Nous lui avons trouvé de l'intelligence
& des moyens foibles , foutenus par
beaucoup d'adreffe.
Nous ne parlerons de Mademoiſelle Girardin
que comme Chanteuſe , & nous lui
donnerons des éloges ; quant aux qualités qui
'conftituent l'Actrice , nous ne pouvons que
l'exhorter à travailler beaucoup pour les
acquérir.
M. de Lizy , qui a débuté dans l'Amant
Jaloux par le rôle de Don Alonze , nous
paroît avoir de l'intelligence & de la fenfibilité
; mais la voix eft foible , & ne fe fait
entendre que difficilement.
Nous indiquerons , fans autres détails
le début de Mademoiſelle Ducoffay ; elle
n'a pas eu le bonheur de plaire au Public.
On a remis le 12 de ce mois , Nicaife ,
Opéra- Comique en un acte , par Vadé.
Le Conte de la Fontaine & l'Ouvrage de
Vadé , font trop connus pour que nous analyfions
ici ce petit Drame , où l'on retrouve
Pefprit naturel & vrai , & la gaieté qui diftinguent
particulièrement fon Auteur.
DE FRANCE. 181
Il exifte encore aujourd'hui un grand
nombre d'Amateurs qui fe fouviennent
d'avoir vu à l'ancien Opéra- Comique le
rôle de Nicaife repréſenté par M. Bouret ;
ne les engage point à chercher à la
Comédie Italienne un objet de comparaiſon.
VARIÉTÉ S.
LETTRE au fujet du nouveau Théâtre de
Bordeaux.
MONSIEUR ,
Vous étiez à Bordeaux quand on pofa les fondemens
de la magnifique Salle de Spectacle , dont
l'inauguration vient d'être faite le 7 de ce mois ,
par la repréſentation d'Athalie , précédée d'un Frologue
relatif à la circonftance. Le projet de ce fu
perbe monument eft dû aux foins de M. le Maréchal
de Richelieu , jaloux de joindre , pendant le calme de
la paix , le laurier des Arts aux palmes de Mahon..
Ce Seigneur , brûlant d'embellir la capitale de fon
gouvernement d'un Théâtre qui répondît à l'opulence
d'une vafte Cité , jeta les yeux fur M. Louis ,
Architecte , dont les effais donnoient les plus grandes.
efpérances ; elles viennent de fe réalifer de manière
à lui affarer une glorieufe célébrité. Je voudrois ,
Monfieur , qu'il vous fût libre de venir fur les lieux
joindre votre fuffrage à celui des Amateurs éclairés ,
qui n'ont pu refufer leur admiration à un édifice:
digne des plus beaux jours de l'architecture. Mais
pour répondre à votre empreffement , je vais tâcher
"
182 MERCURE
de vous en donner une idée, plus propre fans doute à
piquer votre curiofité qu'à la fatisfaire.
La nouvelle Salle de cette ville eft fituée dans un
local également agréable & fpacieux ; elle forme un
grand corps de bâtiment ifolé par tous les côtés ,
ayant 265 pieds de longueur fur 140 pieds en largeur,
& environ 56 pieds d'élevation ; c'eft fur toute
la largeur de 140 pieds qu'eft élevée la principale
façade de l'édifice . Elle s'annonce par une colonnade
Corinthienne d'une beauté impofante , formant
un périftile ifolé aux extrémités , dont les colonnes
ont trois pieds de diamètre , furmontées dun entablement
avec baluftrade & piédeftaux , pour recevoir
douze figures analogues à la deftination du
lieu. Ce périftile, qui annonce fi noblement un Palais
des Mules , eft compofé d'onze entrecolonnemens,
Il donne au-deffus de fon ordonnance une grande
terraffe ; elle s'étend fur toute la furface de cette
partie , laquelle fe trouve au plein de l'étage attique
qui règne tout autour fur les quatre façades du monument.
Les façades latérales & la façade poftérieure
font décorées du même ordre d'architecture ,
mais en pilaftres , avec une galerie en arcades qui
s'étend fur toute la longueur. On y a ménagé des
boutiques qui rendent les côtés très -vivans , & affurent
à la ville une rétribution confidérable . En raifon
de la pente du terrein , le derrière de la Salle fe
trouve pofé fur un foubaffement ou ftylobate fervant
de piédeftal à la décoration fupérieure , au milieu
duquel eft un perron pour dégager & faciliter la
circulation publique.
La majestueuse colonnade dont je viens , Monfieur,
de vous entretenir , eft obliquement apperçue de
deffus le cours de Tourni , à qui cette riche perfpective
prête un nouvel agrément ; mais l'on a ménagé
une place de se toifes de longueur fur 24 toifes de
largeur , d'où l'on contemple l'entière façade de
DE FRANCE. 183
l'entrée fous un point de- vue qui permet d'apprécier
tout l'effet de cette fuperbe ordonnance. Les façades
latérales très -nobles , quoique moins ornées , forment
des galeries fous lefquelles on marche à couvert ;
ainfi la plus grande affluence de fpectateurs ne fauroit
caufer le moindre embarras.
Après avoir traverſé le périftile , on entre dans un
veſtibule très-vaſte , décoré de feize colonnes doriques
, portant des plates -bandes droites qui foutiennent
un plafond plat , comparti de différens membres
d'architecture & de fculpture. Le fond du veftibule
répète les cinq arcades de l'entrée qui leur font
oppofées , & forment autant de portiques ouverts.
Les trois du milieu communiquent au principal efcalier
, & les deux des extrémités aux galeries ou
paffages menant d'un côté au parterre ou paradis ,
& de l'autre à l'eſcalier qui conduit aux troifièmes
loges.
Le principal efcalier qui fe préfente à la fuite du
veftibule occupant le centre du bâtiment , eft trèsorné
, & la beauté de ce morceau , dignement apprécié
par les gens de goût, a toujours paru faire l'impreffion
la plus vive fur tous les ordres de fpectaseurs.
La grandeur réelle de la cage eft de 36 pieds
en quarré ; mais comme elle est entourée des ouvertures
des portiques qui s'élèvent au rez-de- chauffée ,
& des entrecolonnemens des périftiles adjacens qui
font au premier étage , fa difpofition locale préfente
à l'ail des dimenfions apparentes beaucoup plus
grandes. La première rampe en face du milieu ,
monte par 14 marches. On arrive à un grand pallier
vis-à- vis la porte d'entrée des premières loges ; cette
porte eft richement décorée : deux grandes cariatides
repréfentent Thalie & Melpomene , furmontées
d'un fronton , avec des attributs allégoriques qui
défignent aux arrivans l'entrée de la Salle dès le
commencement du périftile. De ce grand efcalier
184 MERCURE
pour arriver au bel étage du bâtiment , partent deur
rampes ; la première aboutit à un grand veftibule
diftribué avec des colonnes Ioniques , lequel précède
les pièces particulières deftinées au Public. Le vuide
de l'escalier eft terminé par un dôme quadrangulaire
orné & percé de douze lunettes , dont l'élévation
totale , depuis le carellement jufqu'à la lanterne ,
eft de 60 pieds , appuyant des côtés , par des platesbandes
droites , fur les colonnes du premier étage ,
de forte que le veftibule d'entrée , le principal efcalier
& les périftiles adjaçans du premier étage , font ,
pour ainfi dire , unis enſemble , faifant un tout que
le fpectateur parcourra avant de pénétrer dans la
Salle.
Les pièces destinées à l'adminiſtration du Spectacle
, compofent à droite divers appartemens au
niveau du premier étage ; de l'autre côté eſt un Café
très -commode , une galerie d'été agréable & fpacicufe
, pour remplacer durant la belle faifon le grand
foyer d'hiver. La galerie ornée avec goût , eft furtout
intéreffante par les médaillons des hommes
célèbres , dont les talens furent confacrés aux divers
Théâtres. Au-deffus du veftibule d'entrée eft une
Salle de Concert d'une forme ovale , décorée avec
une élégante fumptuofité , & qui peut contenir onze
à douze cent perfonnes , ayant parquet , orchestre ,
trois rangs de loges , un fallon d'accord , & deux
efcaliers particuliers qui communiquent au veftibule
d'entrée. Les périftiles adjaçens au principal efcalier
de l'édifice , fervent d'entrée à la Salle du Concert.
Le foyer & les galeries ferviront également au
Public dans les jours confacrés à la mufique de
pupitre .
Vous favez , Monfieur , combien les fenfations
extérieures influent fur notre moral . La partie de
rédifice que je nommerai la Salle proprement dite ,
nous en offre un exemple frappant. Durant votre
DE FRANCE. 185
féjour à Bordeaux, vous vous êtes plaint fouventde ce
que , malgré la garde affez nombreuſe , notre Spectacle
étoit un des plus bruyans de la Province ; fans
doute la majeſté du lieu a fait plus d'impreffion que
les ordres de la Police. Il règne aujourd'hui durant
les repréſentations & même pendant les entr'actes ,
un calme & un air de bien féance qui , jufqu'ici , nous
étoient étrangers. Cette impreffion fubite de refpect
& de retenue, eft aux yeux du Philofophe le plus bel
hommage qu'une Nation puiffe rendre aux productions
du génie ; j'ajouterai , Monfieur , que l'Artiſte
feroit amplement confolé de toutes les critiques , s'il
devinoit le trouble délicieux qui s'élève dans l'ame
du Spectateur fenfible au moment où il pénètre dans
ce Temple augufte des Arts . Sa forme intérieure eft
un cercle parfait , dont la largeur du Théâtre occupe
la quatrième partie. Trois arcs doubleaux répètent
celui de l'avant - fcène & font couronnés d'une
corniche circulaire qui fait cadre au plafond , dans
lequel M. Robin , de l'Académie Royale , a peint un
fujet allégorique . Il repréfente la ville de Bordeaux
élevant un temple à Apollon & aux Mufes.
Comme la defcription de cet ouvrage très -cftimable
a été précédemment imprimée , je crois fuperflu de
vous la rappeler.
Le pourtour de la Salle eſt décoré de douze colonnes
compofites adoffées à la cloiſon ; elles partent
du niveau de la galerie , & comprennent dans leur
hauteur deux rangs de loges terminées par l'entablement
régnant tout au pourtour & fur les côtés de
l'avant-fcène ; ces colonnes , qui donnent au vaiffeau
l'air de la plus grande magnificence , reçoivent deux
rangs de bras ou girandolles en bronze doré , repréfentant
des bouquets de lys , & répandant la lumière
qui fort du calice de chaque fleur. Cette manière
d'éclairer fauve le défagrément des luftres qui
éblouiffent les yeux , coupent la vue du Spectateur ,
186 MERCURE
dégradent les plafonds , & verfent fouvent des flots
de cire fur le Public.
Les premières loges fuivent le plan circulaire de
la Salle , forme fi naturelle , quoique abfolument
nouvelle dans nos Spectacles François . Cette galerie
eft compofée de trois gradins en amphithéâtre , &
bordée d'une balustrade qui en fait l'appui , fur laquelle
fera , dit -on , jeté un tapis de velours bleu
orné de crépines , & relevé par diftances avec des
cordons en or & leurs glands pendans , du même
métal.
Les fecondes & troifièmes loges , compofées de
deux gradins , font pratiquées dans les entrecolonnemens
elles font avant-corps fur le nud du mur,
& forment des tribunes en faillies. Cette forme évite
la monotonie , qui fans doute auroit réfulté de plufieurs
galeries uniformément élevées les unes fur les
autres.
Le paradis , placé fur l'entablement qui lui fert
d'appui , préfente , à travers les vuides, des arcs doubleaux
qui répètent celui de l'ayant - ſcène , trois
grands culs-de-four en forme de demi- coupolles :
ceci donne par l'élévation & par le plan trois parties
femblables très-étendues , où l'on a placé autant
d'amphithéâtres , d'où les rayons vifuels plongent
fur le théâtre. M. Louis fait éclairer fon plafond
par des réverbères cachés derrière la corniche de
l'entablement qui lui fert de cadre. L'effet de cette
lumière douce eft d'imiter le jour naturel. Ce procédé
ingénieux concourt , avec des ventilations ha
bilement diftribuées , à purifier l'air , fans l'agiter
d'une manière ſenſible ; auffi eft- il dégagé de toute
vapeur défagréable , tandis que par tout ailleurs les
quatrièmes & fouvent les troisièmes loges ne laiffent
refpirer qu'une atmosphère impure & mal-faine.
C'eſt ainfi , Monfieur , qu'après avoir été ravi de la
beauté de la maffe totale de l'ordonnance , l'AmaDE
FRANCE. 187
tenr , en portant un oeil attentif fur chaque partie ,
découvre de nouveaux motifs d'apprécier les précautions
délicates & les vues multipliées de l'Artifte,
La même intelligence qui a présidé à l'enſemble , ſe
divife enfuite , pour ainfi dire , de manière à ce que
chaque morceau , en concourant à la beauté générale
, ait le mérite d'un fini particulier. Avec un peu
de fuite dans fes obfervations , il eft aifé de fe convaincre
qu'il eft peu de monumens où les foins de la
recherche foient auffi étonnamment foutenus , & fuppofent
dans l'exécution une tête fi fortement orgapifée.
Une foule de précautions voilées font abfolument
perdues pour le gros du Public , qui ne peut
tenir compte à l'Artifte de tout ce qu'il a imaginé
pour les plaifirs & la commodité des citoyens . On
n'apprendroit , par exemple , qu'avec reconnoiffance ,
qu'il exifte nombre de grands réfervoirs pleins d'eau ,
placés dans la partie fupérieure de la ſalle , afin d'affurer
, en cas de malheur , les moyens d'arrêter les
progrès d'un incendie.
Croiriez - vous , Monfieur , que l'Architecte , déformais
célèbre , à qui nous devons le bel Ouvrage.
que je vous efquiffe , a pouffé l'ingénieufe prévoyance
jufqu'à compofer toute la carcaffe intérieure
de fa falle en pièces rapportées de bois trèsfec.
Cette fuperficie , recouverte par les peintures ,
ne laiffe pas foupçonner un vafte inftrument fi favamment
combiné & fi favorable à la voix , que le
plus foible organe fe fait entendre dans toutes les
parties du vaiffeau fans écho comme fans confufion.
-
Je crois fuperflu , Monfieur , de vous entretenir
de l'amphithéâtre , de l'orcheftre & du parterre , qui ,
dans cet édifice comme dans tous les autres de ce
genre , occupent dans la diftribution le même local.
Je me bornerai à vous obferver que le parterre ,
beaucoup plus large que profond , rapproche le Spectateur
de la Scène , dont il ne perd abfolument rien.
188 MERCURE
Cette forme rend moins longue la colonne des auditeurs
, placés debout , qui tendent toujours à foncer
vers l'orcheſtre ; auffi ces agitations, que l'on nomme
flux & reflux , font devenues prefque infenfibles les
jours même de la plus grande preffe. La décoration
répond parfaitement à la dignité de l'édifice . Le fond
total de la falle eft de marbre blanc veiné . La corniche
circulaire du plafond , les arcs doubleaux ,
compartis de caiffons , le grand entablement , dont
la frife eft en guirlande , les chapiteaux des colonnes ,
leurs cannelures , bafes & focles , les baluftrades des
loges , les arabefques dans les panneaux des portes
d'entrée , le plafond au - deſſus de l'avant-ſcène , &c.
&c. &c. toutes ces parties font en ornemens rehauffés
en or , avec des draperies bleues peintes dans le
fond des loges , élégamment retrouffées à l'endroit des
portes , manière d'ornement abfolument neuve , qui
fatte infiniment la vue, &produit un effet pittorefque,
foit que les venteaux fe trouvent ouverts ou fermés .
Le rideau du Profcenium , qui précède la riche
toile de l'avant-fcène , préfente au milieu une fuperbe
porte de bronze ; il répète l'architecture de
la falle , à laquelle il répond & fe marie fi parfaitement
, que le théâtre ainfi fermé dans les momens
où la repréſentation eft interrompue , offre aux regards
du Public une rotonde parfaite. Ainfi le Profcenium
, au-devant duquel font exécutées en fculpture
dorée & en grand les Armes de France avec les
deux Anges leurs fupports , repofe très-agréablement
les yeux de l'affemblée.
Comme il eft indubitable , Monfieur , que par la
fuite ce bel édifice fera gravé , & que les moindres
parties en feront décrites avec foin , je ne chargerai
point ma lettre de longs détails relatifs aux acceffoires
, tels que les pièces deftinées à l'Adminiſtration
, les magafins , les dégagemens , les loges des
Acteurs , & beaucoup d'appartemens fufceptibles de
DE FRANCE. 189
location ; mais vous vous convaincrez un jour que .
M. Louis , fans dégrader fon monument par l'empreffement
mefquin d'y attacher plus de revenu pour
la ville , a fu tirer parti du terrein avec une fructueuse
mais honorable économie.
Divers Peintres de réputation travaillent fans relâche
aux principales décorations ; plufieurs d'entreelles
ont été déjà très - applaudies . Elles méritent de
concourir à la pompe du théâtre , l'un des plus
vaftes que l'on connoiffe. Il recèle un travail immenfe
qui ajoute encore à la réputation de M. Louis ;
il fera pourvu de toutes les machines propres à
effectuer les preftiges du grand Opéra : fes couliffes
font conftruites de manière à étendre ou refferrer
le local de la fcène , fuivant le genre des ouvrages
qui pourroient être repréſentés ; & , par l'ingénieufe
entente de l'avant-fcène , on peut avoir à ſon gré
un petit ou un grand théâtre.
Permettez -moi , Monfieur une dernière réflexion.
Les étrangers nous reprochent que dans notre
ville le Commerce paroît tout abforber ; mais, hélas !
la médiocrité de nos jouiffances dans les Beaux-
Arts n'excufe-t'elle pas un peu notre indifférence ?
J'ofe efpérer , Monfieur , du fuperbe monument que
je viens de vous décrire , une heureuſe révolution
dans nos goûts ; la Sculpture , la Danſe , la Mufique ,
la Peinture & les autres talens agréables femblent
déployer une émulation nouvelle pour briller dans
le fuperbe cadre qui leur eft deſtiné ; paroiffant
déformais dans tout leur éclat , fans doute ils fauront
piquer notre empreffemenr , exciter notre enthoufiafme
& ravir nos hommages.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
Votre très-humble & trèsobéiffant
ferviteur ,
P *. F *.
190
MERCURE
GRAVURES.
PLAN Topographique de la Ville de Toulouſe &
defa Banliue , levé géométriquement fur les lieux ,
par le Sieur Dapain-Triel fils , Ingénieur Géographe
du Roi , & dédié à M. le Comte de Périgord ,
Commandant de la Province. Ce plan , gravé par
un célèbre Artiſte , eſt ſur le format de grand aigle ,
& accompagné d'une Table des triangles ( en forme
de légende qui déterminent trigonométriquement
les objets de la ville , avec leurs diſtances à la méridienne
& à la perpendiculaire de cette même ville.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Noyers , près Saint-
Yves ; & chez fon père , Géographe- Breveté de
MONSIEUR , Cloître Notre - Dame. Prix ,, 3 liv.
La Veuve de Sarepta , ou l'Hofpitalité Récom
penfée , Eftampe d'environ 15 pouces de haut fur
10 de large , gravée en manière noire , par J.
Barbier , d'après le tableau original de Piétre de
Cortone. A Paris , chez l'Auteur , rue de Savoye ,
la première porte-cochère en entrant par la rue Pavée.
RECUELL
MUSIQUE.
ECUEIL d'Airs , avec des variations pour le
Violon & accompagnement de Baffe , dédié à M.
de Saint-Félix , par M. Michaud l'aîné , OEuvre IV,
Prix , 4 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue des Mauvais-
Garçons , près la rue de Buffy.
Six Quatuors concertans pour deux Violons ,
Alto & Baffe , par M. Rochefort. OEuvre II . Prix ,
9 liv. A Paris, à la même adreſſe.
191
PF
POUI
JD JE
LA
lecture
truit l'ignora
avantageux
qui analyſe
des Journaux
de meilleur p
intéreffant , q
liftes , & in
eft fûrement
& la vérité
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modérée dans 1
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tout aux petite
des chofes quiitus &
compofées, de 12.
Nous n'aurorlunier
,
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les autres . Elle
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former un véritat &
La Logique
, ch. 8 .
abaits
de notre part.
ch.8*.
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nommée l'Art d de
La grammair
à la Logique & t à Fres
tion fuffit pour ,
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La Phyfique euvu ,
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Nous penfonsuri de
toutes les conn > me
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contre lecontre
ceux du
fon induftrie , vé, lai
des principes de
tous les lieux. Lobacs
nous viennent mer
de la terre & q
qu'elle y ajo
que les lo
pie
,
10
190
( 4 )
pitions pour la Soufcription.
de ia paru tous les mois , avec la plus
de , a commencé au premier Octobre de
Par puis ce tems , il a toujours été compofe
pho
hes par an , de huit feuilles d'impreffion
"in- 12 . Déformais on le donnera en deux
e feuilles d'impreffion chacune , ce qui
& re volumes par année.
Co
un
de
les onner en tout tems : le prix de l'abonaque
année ne fera toujours que de vingttant
pour Paris que pour la Province ,
urnal foit augmenté ; & l'Ouvrage fera Yv
port , à Meffieurs les Abonnés.
A
Paris , chez Madame la Préfidente D'ORMOY,
Manteaux , près la rue du Chaume ;
pene BALLARD & Fils , Imprimeurs du
Iolathurins ;
BaIGOT le jeune , Libraire , quai des Auguftins ,
Cole Pavée.
la hez le même Libraire la Collection com
aux de MONSIEUR , à dater du premier
jufqu'à ce jour.
x qui auront des Ouvrages ou Articles à
Journal , de les envoyer,
francs de port ,
Adeffus.
Vi
de .
Price 18 Avril 1780. Signé , DE SAUVIGNY.
vai
tion , permis d'imprimer , à la charge de
it à la Chambre Syndicale , le 19 Avril
ALE NOIR.
n , fur le Registre de Police de
le des Libraires & Imprimeurs
Réalemens .
DE FRANCE. 191
邃
ANNONCES LITTÉRAIRES.
TRAITÉ RAITÉ contre l'Amour des Parures & le Luxe des
Habits , par l'Auteur du Traité contre les Danfes &
les mauvaifes Chanfons. Seconde Edition . Vol. in- 12.
relié , grand papier , 1 liv. 16 fols ; petit papier ,
1 liv. 10 fols. A Paris , chez Lottin l'aîné , Imprimear
Libraire , rue S. Jacques,
Élémens de Géométrie fouterraine , théorique &
pratique , d'après les leçons de M. Koenig , extraits
des Voyages Métallurgiques de M. Jars. Vol, in- 8 °.
Prix , 2 liv. 8 fols . A Paris , chez Cellot & Jombert',
Libraires , rue Dauphine.
Avis aux Citoyens fur les caufes , les caractères
& les remèdes de l'aveuglement , de la furdité, &
les principaux accidens Vénériens , par M. Andrieu ,
Docteur en Médecine. Volume in- 8º . A Paris , chez
l'Auteur , rue de la Comédie Françoiſe , hôtel de la
Fautrière ; & chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Dictionnaire analytique , hiftorique , étymolo
gique , critique & interprétatif de la Coutume de
Normandie , par M. Houdard, Avocat. in-4 ° . Tome
premier. Prix , 12 liv. A Rouen , chez le Boucher le
jeune , Libraire , rue Ganterie ; & à Paris , chez Durand
le jeune , Libraire , rue Galande .
Réflexions fur les Époques de la Nature. Volume
in- 12. A Paris , chez Couturier fils , Libraire , quai
des Auguftins.
Le Payfan Magiftrat , Comédie en cinq Actes
& en profe , imitée de l'Eſpagnol , par M. Collot
d'Herbois. in- 8 ° . A Paris , chez les Libraires qui
yendent des Nouveautés.
192
MERCURE
Traité de la Châtaigne , par M. Parmentier.
in- 8°. A Paris , chez Monory , Libraire , rue de la
Comédie Françoiſe.
Elémens de Médecine en forme d'Aphorifmes,
par M. Barbeu du Bourg , Docteur en Médecine.
Volume in- 12. A Paris , chez Didot l'aîné , Imprimeur-
Libraire , Quai des Auguftins.
Bibliothèque Politique , Eccléfiaftique , Phyſique
& Littéraire de France , ou Concordance de nos
Hiftoriens jufqu'à préfent . Seconde Époque , Partie
première , No. 1 , 2 , 3 & 4. Cet Ouvrage paroît le
1 & le 15 de chaque mois. Le Prix de la Soufcription
eft de 24 liv. pour Paris , & de 30 pour la Province.
On s'abonne au Bureau , rue du Plâtre Saint-
Jacques , vis -à- vis l'hôtel de Francfort ; & chez les
principaux Libraires de l'Europe.
TABLE.
VERS à M. le Comte de Eloge de Voltaire,
Treffan ,
859
145 Le Chanfonnier François , 166
A Lesbie, imitation de l'Ita- Mes Loifirs ,
170
147 Académie Roy. de Mufiq. 177
150 Comédie Italienne , 179 lien ,
Eft-ce un Rêve , Conte ,
A S. A. S. Mgr le Prince de Lettre au fujet du nouveau
Théâtre de Bordeaux , 181
La Chèvre & les Moutons , Gravures ,
Condé,
Fable
ISS
ibid. Mufique ,
Enigme & Logogryphe , 157 Annonces Littéraires ,
J'
APPROBATION.
190
ibid.
191
A1 lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 27 Mai. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
le 26 Mai 1780. DESANCY.
TABLE.
JOURNAL POLITIQUE . Livourne ,
Conftantinople,
Pétersbourg ,
Varfovie,
Vienne,
Hambourg ,
1 Madrid ,
2 Londres ,
3 Verfailles ,
Paris
6 Bruxelles
Vaiffeaux pris fur les Anglois.
70
12024939
LE Hope , de Yarmouth pour Cork ; pris & rançonné
pour 1000 liv . fterl. Le Merchant , de
Lynn; pris & rançonné pour 350 liv. fterl . Le
Polly, de Londres , pour Madère & New- Yorck
pris par le Dunkerquois , Corfaire , & envoyé à
Morlaix. Le Goldfmid , de la Jamaïque pour
Londres ; pris & envoyé à S. Malo. - Deux Bâtimens
, de New-Yorck pour l'Angleterre ; pris par la
Flotte Françoife , & envoyés à la Guadeloupe.
Vaiffeaux pris par les Anglois.
Le Henriade , de l'Orient pour les Ifles Françoifes
, munitions & approvifionnemens ; pris &
envoyé à Lisbonne. Trois Bâtimens pour les
Ports de France , munitions ; pris par Endymion ',
Vaiffeau de guerre , & envoyés à Spithéad. Un
Brigantin Elpagnol , de S. Jago pour Cadix ; pris
par l'Ambufcade, Vaiffeau de guerre.
AVIS.
LE fieur Masst , Muficien , enfeigne le Solfège
& le goût du Chant; il fe flatte , par fa méthode
d'enfeigner , de faire en fix mois lire la Mufique,
& chanter avec accompagnement , toute perfonne
qui aura la voix jufte . Il prie les perfonnes qui
voudront l'honorer de leur confiance , de faire remettre
leur adreffe chez Mde Bauvet , rue Montmartre,
Maifon du Bois de Vincennes , près de
la rue des Foffés Montmartre , au fecond , fur le
devant.
PISSOT , Libraire , quai des Auguftins , vient de
mettre fous preffe une nouvelle Traduction de
l'ORLANDO FURIOSO de l'Ariofte , par M. le Comte
de Treffan , Traducteur de l'Amadis de Gaule. Cet
Ouvrage paroîtra dans le mois de Septembre prochain.
MERCURE
DE FRANCE ,
POLITIQUE,
HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE .
( No. 20 .
SAMEDI 13 MAI 1780.
NOUVEAU Profpectus pour la troisième
Livraifon de la France Illuftre, ou Plutarque
François. Treize Cahiers in-4° . figures ,
parM. Turpin.
Lice
ACCUEIL que le Public a fait aux deux premières
Livraifons du PLUTARQUE FRANÇOIS , promet
un fuccès favorable pour la troifième
annonce aujourd'hui.
que l'on
Le choix du fujet de chaque Eloge , la beauté
des gravures , la partie typographique foignée , ne
peuvent que rendre ce nouvel Abonnement intéreffant
, & faire defirer l'entière exécution de cet
Ouvrage important. Sully , Colbert , Catinat , Richelieu
, Mazarin , Louvois , l'Hôpital , Séguier
AAAAAAAI
Montmorency , Lowendalh , Luxembourg , le
Baron de la Garde , ennobliront cette Collection ,
qui a paru dans le courant d'Avril dernier , par
l'Eloge de Catinat , & fera terminée par la quatrième
& dernière partie du Tableau hiftorique de
la Marine Françoife.
Le prix de la Soufcription eft de 30 liv . pour
tout le Royaume , franc de port. Les Cahiers feront
envoyés èrement par la petite Pofte
pour Paris , & par la grande Pofte pour la Pro- l
vince , en donnant exactement le nom & la demeure
, ou le changement de domicile.
Ceux qui voudront fe procurer la première &
la feconde Livraifons , les recevront aux mêmes
conditions.
Le fieur DESLAURIERS ne fe rend refponfable
que des Soufcriptions prifes au Bureau de Correfpondance
du Plutarque François ; il délivrera les
quittances gravées & fignées de lui feul , pour parer
à tous inconvéniens .
Les perfonnes qui n'auront pas fouferit , paieront
les Cahiers 3 liv.
On eft prié d'affranchir le port des Lettres & de
Fargent adreffés pour le prix dudit Abonnement
pour lequel on fouferit en tout tems chez ledit fieur
DESLAURIERS , Marchand de Papier , rue S. Honoré
, à côté de celle des Prouvaires , à Paris ,
1780.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le is Mars:
LES incendies fi fréquens dans cette capitale
, viennent d'y répandre de nouveau
l'alarme. Cette nuit il s'en eft manifefté un
dans le quartier de Sultan Méhémet. Malgré
les fecours que l'on y a portés fur le champ ,
il a duré plus de 4 heures , & a réduit audelà
de so maifons en cendres. Il y en a eu
un autre dans le même-tems à Scutari place
fituée vis -à-vis de cette capitale ; mais il a été
plus promptement éteint ; le dommage qu'il
caufe fe réduit à quelques maifons & à
quelques boutiques qui ont été brûlées.
Le Grand- Vifir , chargé de la Police de
cette capitale , a rendu dernièrement un jugement
affez remarquable.
» Un Artifan avoit une très -jolie femme qu'il ne
trouva plus en rentrant chez lui ; défeſpéré , il courut
porter la plainte chez le Cadi , qui lui demanda des
renfeignemens fur cette femme enlevée , ajoutant
qu'il lui feroit difficile de la faire retrouver , s'il ne
répondoit à toutes les queftions fur la figure , le
caractère & l'humeur de la moitié . L'Artifan piqué
du fang froid & de l'ironie affectée du Cadi , s'adreffa
par une fupplique au Grand-Vifir. Celui- ci
6 Mai 1780 .
( 2 )
commença par lui demander fi fa femme avoit emporté
fes nipes. Et fur la réponſe qui lui fut faite
qu'elle avoit feulement pris les clefs des coffres qui
les contenoient , il ordonna qu'on apportât ces coffres.
Il les fit ouvrir en préfence du mari , & on inventoria
les robes & les bijoux de la femme. Il s'y
trouva des effets fi riches & fi précieux , que l'Artifan
fut honteux de ce luxe , & confefla douloureuſement
qu'il n'avoit jamais été en état de faire de tels préfens .
Sur cela le Vifir fit appeller tous les Tailleurs de la
Ville , & l'un d'eux lui déclara que les robes qu'on
lui préfentoit avoient été commandées & payées par
le Cadi qui avoit reçu la première plainte de l'Artifan.
Il fut mandé à l'inftant & obligé de confeffer fon
rapt ; enfuite il fut puni felon la loi ; quant aux
époux , ils retournèrent chez eux avec leurs coffres
& les parures qu'ils tenoient de la générofité du
Cadic .
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 26 Mars.
Le voyage que l'Impératrice fe propoſe
de faire dans fes nouveaux Etats en Lithuanie
, eft fixé au 10 du mois prochain . Une
partie des cuifines & des offices a déja été
envoyée depuis quelques jours aux ftations
& autres lieux de relais fur la route. Les
Gouverneurs des provinces que S. M. I. parcourra
, font les plus grands préparatifs pour
la recevoir. Les Seigneurs de la Cour qui ont
des terres fur fon paffage , font partis pour
s'y rendre, & lui préparer des fêtes . Le Feld-
Maréchal Comte Czagar de Czernicheff ,
Gouverneur- Général de la Ruffie - Blanche
eft parti dans cette intention avec fa femme
( 3 }
pour fa terre de Schloff. Il fe confirme pleinement
que l'Impératrice aura une entrevue
avec l'Empereur. On dit que ce dernier , qui
fe propofe de vifiter auffi fes nouvelles Pro-
. vinces en Pologne , ayant été inftruit du
voyage de notre augufte Souveraine , témoigna
au Prince de Gallitzin , notre Miniſtre à
Vienne , qu'il vouloit lui faire une vifite , &
qu'il s'en remettoit à elle pour le choix du
lieu où elle voudroit le recevoir. Le Prince
de Gallitzin en fit part auffi-tôt par un Courier
à l'Impératrice qui a indiqué la ville de
Mohilow . Ce voyage doit durer 6 ſemaines .
POLOGNE.
De VARSOVIE , les Avril.
M. Alexandrowicz , nouvel Evêque de
Chelm , & M. Sobolewski , nouveau Caltellan
de cette ville , ont prêté ferment entre
les mains du Roi , en qualité de Sénateurs
du Royaume.
C'eſt le Comte de Borch , Sous -Chancelier
de la Couronne , qui remplace le Comte de
Mlodziejowski en qualité de Grand-Chancelier.
On avoit dit que fa mauvaiſe ſanté
l'avoit porté à ne point fe mettre au nombre
des prétendans ; & il n'a point , en effet
follicité cette dignité ; le voeu général eſt
qu'il la conſerve ; il n'y a guère que fes
concurrens qui ne le partagent pas.
Il s'eft tenu ces jours paffés une Diétine de
la Nobleffe du District de cette capitale ,
2 2
( 4 )
pour l'élection d'un nouveau Notaire de ce
pays à la place de M. Sobolewski devenu
Caftellan.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 10 Avril.
Le voyage de l'Empereur eſt toujours fixé
au 20 ou au 26 de ce mois.
LL . MM. II. ont donné depuis peu une
nouvelle preuve de leur affection pour la
Nation Hongroife , en accordant à la garde
noble Hongroife qui eft à la Cour , la fonction
de courier fecret du cabinet . On a
choifi en conféquence dans ce corps , 20
fujets qui feront employés à porter les dépêches
Impériales dans les Cours étrangères ;
ce quifournira à cette jeune nobleffe l'occa
fion de connoître les pays étrangers en voyageant.
Lorfqu'ils arriveront en quelque Cour ,
ils feront préſentés au Souverain par les Miniftres
Impériaux , & conduits en qualité
d'Officiers de LL. MM. II . chez les perfonnes
du premier rang; & afin que dans les
réfidences où ils remettront leurs dépêches ,
ils aient le tems de voir tout ce qu'il y a de
curieux , il leur fera , dit-on , toujours per-.
mis de s'y arrêter un mois. C'eft dans cette
vue que M. Jean Schboky vient de partir
pour Madrid , on lui a donné pour guide un
des ci-devant couriers de la Cour.
" » Au commencement du mois dernier , écrit-on
de Presbourg , deux Manoeuvres en creulant un foffé
près des vignes de Semlin , trouvèrent 23 pièces
( 3 )
2
de monnoie d'argent fort anciennes , & dont la
plupart pèfent environ une demi- once ; cette découverte
ne tarda pas à être divulguée. Le Magiftrat
de Semlin s'eft empreffé d'en faire l'acquifition
en les payant généreufement. Ces monnoies font de
l'argent le plus fin , mais frappées affez groffièrement.
On y voit d'un côté un homme affis dans un
fauteuil entre deux colonnes , & tenant la main
élevée ; fur cette dernière repoſe un oiſeau qui reffemble
à un pigeon. Sur le revers , qui eft entouré
d'un cercle un peu relevé , on voit une tête couronnée
de lauriers , dont la bouche eft exceffivement
fendue. Les caractères , qui font encore vifibles
.fur quelques - unes de ces pièces , Tont grecques
; elles font d'un Monarque. Quelques Antiquaires
les attribuent à Alexandre- le Grand , mais plufieurs
ne font pas de cet avis.
On raconte ici l'anecdote fuivante , que
nous nous contenterons de tranſcrire.
Un jeune Gentilhomme Anglois fe trouva ici ,
il y a quelques années , avec fon père , qui étoit
fort âgé ; il fréquentoit beaucoup la maifon du Comte
de Palfy , Chambellan de LL . MM. II ; comme il
jouoit très-gros jeu , il perdit un jour contre le
Comte 120,000 florins , & lui remit un billet de
cette fomme , ne voulant pas , dit - il , affliger fon
pere en lui en demandant une auffi confidérable ,
& promettant de l'acquitter à fa mort. Cette délicateffe
plut au Comte de Palfy , qui rendit au vieillard
le billet de fon fils , après l'avoir déchiré. Le
jeune Anglois ne s'eft pas cru quitte , & M. de
Palfy vient de recevoir une lettre- de - change de
120,000 florins que ce jeune Anglois , devenu maî
tre d'une grande fortune par la mort de fon pere ,
lui a adreffée .
a 2
( 6 )
De HAMBOURG , le 15 Avril.
L'ATTENTION générale eft fixée maintenant
fur la neutralité armée projettée dans le
Nord , & dont l'exécution pourra finir par
rendre la paix à l'Europe , & affurer à jamais
la liberté des mers , fur lefquelles toutes les
Puiffances maritimes ayant un droit égal ,
doivent fe réunir contre celle qui en ufurpe
la fuprématie. La conduite de l'Angleterre a
feule amené ces évènemens importans , & les
politiques qui en ſuivent l'origine & la fuite ,
ont de la peine à concevoir que les Confeils
de cette Nation n'ayent pas prévu des révolutions,
que de la modération & de la juftice
auroient prévenues. La guerre contre
les Colonies fembloit d'abord n'avoir pour
objet que l'agrandiffement de la prérogative
Royale en Angleterre . Des intérêts de commerce
ont bientôt fait entrer dans cette difcuffion
importante la France & l'Eſpagne
que la Grande - Bretagne a mécontentées lorfqu'elle
devoit les ménager ; après avoir cu
l'imprudence de s'attirer ces ennemis puiffans
, elle ne s'eft point corrigée , elle a indifpofé
le refte de l'Europe , à qui elle a fait
voir que du fuccès de la guerre actuelle dépendoit
abfolument la liberté de fon commerce.
L'infulte éclatante faite au pavillon
de fes alliés les Hollandois , a dû avertir fes
autres alliés de ſe mettre en garde contre un
pareil traitement. Si elle fe fût contentée de
la neutralité des Etats-Généraux dont elle
( 7 )
1
pouvoit tirer autant d'avantages que les
Puiffances à qui elle fait la guerre , jamais
l'Europe n'auroit peut - être eu de raiſon de
s'alarmer de fes projets ambitieux couverts :
du voile de faire rentrer fes Colonies fous
fon obéiffance. Mais en voulant forcer fes
alliés à embraffer une.cauſe à laquelle elle ne
peut plus fuffire feule , elle a néceffité l'alliance
des Puiffances du Nord.
La Ruffie a fait propofer à la Suède d'accéder
à la déclaration qu'elle a fait faire aux
Provinces -Unies ; la Cour de Stockolm paroît
très -décidée à entrer dans ces vues ; on
affure feulement qu'avant de prendre un
parti , elle veut en donner avis à la Cour de
France. En attendant , le Miniftre Ruffe à
Stockholm a reçu ordre de traiter directement
de cette affaire , tant avec le Prince de
Gallitzin , Envoyé extraordinaire de fa Souveraine
en Hollande , qu'avec les autres Miniftres
de cette Puiffance dans les Cours
étrangères .
La même notification ,faite à Copenhague
y a donné lieu à un Confeil , à l'iffue duquel
nos lettres portent qu'il a été donné ordre
d'équiper 17 vaiffeaux de guerre qui doivent
mettre en mer auffi -tôt qu'ils feront prêts
pour protéger le commerce & la navigation
des fujets de ce Royaume.
On apprend que 300 hommes des troupes
de Saxe viennent d'entrer dans le Comté de
Schoenberg , pour en obliger les fujets à
a 4
( 8 )
payer le refte de leurs contributions qu'ils
refufoient abfolument d'acquitter .
On mande de Caffel que 1 200 hommes de
recrues pour l'Amérique , font partis au
commencement de ce mois , pour s'embarquer
fur le Wefer.
Selon les lettres de Mayence , l'Electeur a
adopté le projet de la régence précédente de
bâtir une ville entre Mayence & Francfort ,
& d'accorder de grands priviléges , entr'autres
la liberté de religion à ceux qui viendront
s'y établir.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 10 Avril.
LES lettres de Lisbonne portent que le 26
du mois dernier le navire Autrichien , le
Prince'de Kaunitz , a mis à la voile avec un
vent favorable. Sa deftination eft pour la
côte de Coromandel , où il porte , outre
une riche cargaifon , une fomme de 30,000
piaftres en argent.
L'Impératrice-Reine a envoyé à l'Adminiſtration
de la Lombardie , l'ordre de payer à
l'Archiduc Ferdinand toutes les penfions
dont avoit joui ci - devant le Duc de Modène
. On fait que ce Prince avoit légué à la
Princelle Melzi toute fon argenterie ; elle
lui fut portée en conféquence après le décès
du Duc ; on dit qu'elle a refufé de l'accepter
& qu'elle l'a renvoyée au Duc régnant ,
( و )
fe contentant de la penfion qui lui a été affurée
pendant fa vie.
Selon les lettres de Rome le Pape en a dû
partir le 7 de ce mois , pour aller vifiter les
Marais-Pontins. Un détachement de so fol
dats Corfes l'a précédé pour faire des patrouilles
fur la route , & former fa garde
pendant qu'il s'arrêtera à Velletri.
On a depuis peu découvert , ajoutent les mêmes
lettres , à l'endroit où le joignent les excava
tions faites dans l'ancienne ville d'Ocréa , une falle
octogone de 54 pieds de diamètre , dont le pavé eft
d'une très belle mofaïque , formée de petits morceaux
de marbre d'une couleur très - brillante. Cette
falle a 4 portes qui correfpondent à autant de chambres
, 4 niches dans les angles , des courtines , des
arcs , & une voûte en partie ruinée . Ses carreaux
font ornés de figures qui repréfentent des Divinités
de la Fable & d'autres objets très- bien exécutés. Lẹ
pavé d'une des chambres contigues eft formé d'une
mofaïque noire & blanche , repréfentant des figures
de monftres & le navire d'Ulyffe , lorfque le Héros
craignant le chant des Sirènes , fe fit lier à fon
mât , après avoir fait boucher avec de la cire les
oreilles de fes compagnons . Ces excavations fe continuent
par les foins du Cardinal Palotta , Vice-
Tréforier- Général , qui feconde en cela les defirs
du Souverain Pontife «.
Depuis le 14 jufqu'au 20 du mois dernier ,
il est entré dans ce Port plus de 90 navires
marchands , tant grands que petits , chargés
de marchandiſes.
Les corfaires Anglois ne ceffent pas de
troubler la navigation des neutres. Le bâtiment
l'Henriette , Capitaine Dominico Noras
( 10 )
dio , Vénitien ,. chargé de grains , parti de
Veniſe & deſtiné pour Marſeille , a été amené
dans ce Port , par des Anglois qui s'en
étoient emparés. On examina tous les papiers
& fes renfeignemens , & après avoir acquis
la preuve que le navire , ainfi que fa cargai
fon , appartenoit réellement à des commerçans
Vénitiens , il fut relâché , & il doit fe
remettre en route pour le lieu de fa deftination.
ESPAGNE.
De MADRID , le 8 Avril..
SELON les nouvelles de Cadix , les vaiffeaux
de ligne & les tranſports deſtinés pour
l'Amérique étoient prêts dès le 1er de ce
mois ; ce font les.vaiffeaux de regiſtre que la
flotte doit escorter qui en ont fufpendu le départ
, qui ne pourra guère avoir lieu que le
10 de ce mois. On a embarqué fur la divifion
aux ordres de D. Solano , un train confidérable
d'artillerie & d'affuts , & fur les vaiffeaux
de tranfports beaucoup de chariots &
d'attirails de campagne. Le Comte d'O- Reilly
, Commandant de la Province , Infpecteur
Général de l'Infanterie , eft arrivé à Cadix
, où il a fait la revue des troupes qui s'y
font embarquées .
Les mêmes lettres portent que le 27 du
mois dernier on effuya dans la rade un coup
de vent d'eft des plus violens , & qui y caufa
quelques défaftres : le principal eft la perte
( 11 )
>
d'un grand bateau , qui venoit du port de
Sainte Marie & qui fut fubmergé à peu
de diſtance du quai. On envoya fur le champ
des canots au fecours ; mais ils ne purent
arriver affez à tems pour fauver tout le
monde ; quelques perfonnes périrent , & on
n'en favoit pas encore le nombre au départ
du courier. Un navire marchand Hollandois,
chargé de fel , & prêt à partir , ayant chaſſé
fur fes ancres , échoua auffi près de la côte ;
perfonne n'a péri , mais on croit que le
chargement eft entièrement perdu . Le vaiffeau
de guerre la Sainte-Trinité , chaſſa ſur
fes ancres , & échoua fur des bas-fonds ,
mais on eft parvenu à le remettre à flot..
» Il y a actuellement , ajoutent d'autres lettres ,
7 vaiffeaux dans le Détroit avec D. Barcello ; &
quand les efcadres prêtes à mettre à la voile feront
parties , il reftera dans la rade de Cadix 14 vaiffeaux
, dont 6 ont beſoin de radoub ; nous en avons
encore 13 au Ferrol , dont 8 font à radouber &
s prêts à fortir ; enfin il y en a 3 à Carthagêne ; de
forte que fans compter les efcadres de D. Solano
& de D. Thomaffeo , nous ferons en état de mettre
encore 36 vaiffeaux de ligne en mer avant la fin
de Juin c .
S
Des lettres particulières de Lisbonne font
entrevoir que cette Cour n'eft pas trop fatisfaite
de la conduite que les corſaires Anglois
tiennent fur les côtes de Portugal & d'Eſpagne
; elles annoncent même que les mouvemens
du Cabinet annoncent quelque changement
important dans le fyftême ſuivi jufqu'à
préfent relativement à l'état de neutralité.
a 6
( 12 ) .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 22 Avril.
Le paquebot le Swift arrivé de New -York
à Falmouth , a apporté des dépêches du Général
Robertfon , nouveau Gouverneur de
cette Ville , d'où il eft parti le 31 Mars ;
elles nous donnent enfin les nouvelles fuivantes
du Général Clinton.
» Nous apprenons par le Ruffel , que l'efcadre de
l'Amiral Arbuthnot , ayant fous fon convoi les bâ
timens de tranfport à bord defquels étoit l'armée
royale destinée à agir dans les Provinces rebelles
au Sud , eft arrivée à Tybée vers le 1 Février der-
`nier. Auffi - tôt le Général Clinton détacha le Géné-›
ral Paterfon dans la vue d'empêcher qu'on ne jettât
des fecours dans Charles-Town , & de couper
la retraite à la garniſon fi elle tentoit de l'évacuer.
En avançant dans le pays , le Général Patterſon a
été renforcé par quantité de Royaliſtes empreffés
de montrer leur loyauté. Nons apprenons que les
Rebelles ont coupé la langue de terre qui joignoit
Charles- Town au Continent ; ils ont percé deux canaux
qui traverfent la ville en fe croifant , afin
que fi quelque partie prenoit feu pendant le fiége ils
puiffent l'éteindre plus aifément.
Le Général Clinton ayant augmenté fon armée
de plufieurs Corps volontaires , débarqua à l'Ifle
James dans la baie de Charles - Town : ayant
reçu avis que 200 hommes de Cavalerie légère
- des Rebelles , avec un détachement d'Infante
rie , efcortaient soo pièces de bétail pour la
garnifon , il donna ordre à un gros détachement de
grenadiers Anglois & d'infanterie légère , de traverfer
Ashley- Ferry pour les intercepter . Le do
meftique d'un Officier s'étant écarté , fut pris mak
( 13 )
heureufement par les Rebelles , qui abandonnèrent
le bétail & fe retirèrent dans la ville . Les Anglois
prirent le troupeau & l'envoyèrent dans leur camp
avec plufieurs prifonniers , parmi lesquels font
MM. John Lloid & Farmer , célèbres par leurs
grands biens , leur mérite & leur zèle à fomenter
la rébellion .
Une lettre particulière d'un Officier contient
les détails fuivans.
Le pofte important de Stono- Ferry a été occupé
par le 14e. régiment des Bobs , le 33e. des Fuli-`
liers , & le 33e. des Chaffeurs. Les Grenadiers fe
font portés à Gibbs ( quartier du Lord Cornwallis )
à John-Iflande. Le quartier- général eſt établi à l'habitation
de M Fenwick , excellent fujet qui a beaucoup
fouffert. Le Major Hay & le Capitaine Montcrieff
ont été nommés Commiffaires de tous les
effets , captures , &c . au moyen defquels les troupes .
font dans l'abondance . Les forces des Rebelles à
Charles-Town , y compris l'armée de Lincoln ,
font portées , par les déferteurs , à 3 ou 4000
hommes. Les habitans de tous les environs ont été
fommés de venir défendre la ville , & s'en font excufés
fur les grands ravages que fait parmi eux la
petite vérole. Telle eft la fituation des affaires. H
eft probable que l'armée , à préſent bien repofée ,
va le mettre en marche inceffamment pour voir
l'ennemi de plus près.
A ces détails tirés de la Gazette Royalifte
de New-Yorck , on peut joindre ceux- ci de la
Gazette de la Caroline Méridionale , mais
rapportés auffi dans celle de New - Yorck
qui nous les fournit.
» De Charles-Town ( Caroline Méridionale ) le 9
Février. Le 27 Janvier la Providence & le Ranger fré
gates du Congrès , avec la corvette l'Aigle revinrent
ala Barre , après avoir croifé à la hauteur de Tibée ,
( 14 )
où elles découvrirent cinq vaiffeaux Anglois mouil
lés , ayant l'air de vaiffeaux de ligne , & huit autres
vaiffeaux fous voiles . Les fufdites frégates ont envoyé
dans ce Port deux gros floops de New- Yorck , allant
en Georgie , qu'elles avoient pris , lefquels avoient
à bord 4 Officiers & paffagers , & 32 Officiers fans
Commiffion , qui fervoient comme volontaires dans
les Dragons du Lord Cathcart , & beaucoup de munitions
de Cavalerie. Il paroît que ces floops font
partie de la flotte difperfée avec laquelle le brigantin
Lady Crosby , ( dont nous avons parlé dans notre
dernière feuille ) , mit à la voile de New- Yorck le
23 Décembre , avec l'Amiral Arbuthnot ; cette
flotte confiftoit en 140 voiles dont 97 étoient vaiſfeaux
de guerre , tranfports , & les autres étoient
des petits bâtimens vivriers retournant en Europe ,
& qui avoient été probablement convoyés par le
Robufte de 74 canons & le Romulus de 44. Les
avis. que nous avons reçus du nombre de troupes
embarquées fur cette flotte , & des Officiers Généraux
qui les commandent varient tellement , qu'il
eft encore impoffible de donner à nos lecteurs des
détails fatisfaiſans fur ces points. Aucun n'en fixe
le nombre au- deffous de 8000 , mais il y en a qui le
font monter jufqu'à 11,000 ; tous s'accordent à dire
que c'est le Chevalier Henry Clinton ou le Lord
Cornwallis qui les commande ; mais il eft , plus
vraisemblable que c'est le Chevalier Henry Clinton.
On nous apprend auffi que 1400 chevaux ont été
embarqués fur cette flotte , mais qu'il n'y a pas d'apparence
qu'on en ait fauvé 300 , le mauvais tems
que la flotte a effuyé , ayant obligé la plupart des
vaiffeaux de les jetter à la mer ; l'un des floops amenés
en ce Port , n'en a fauvé qu'un fur 31. Les prifonniers
difent qu'ils ont vu un vaiſſeau qui avoit
chaviré «.
"
Le 29 Janvier , un floop chargé de fel entra
dans ce Port , venant de Turk'd's Inland , il avoit vû
( 15 )
•
plufieurs bâtimens en différens tems , qu'il fupofoit
faire partie de la flotte difperfée de New- Yorck «.
Dans l'après midi du même jour , la Providence
& le Ranger frégates du Congrès , accompagnées dé
l'Eagle , entrèrent dans ce port , ayant apperçu un
vailleau de guerre de so canons , qu'elles imaginoient
être le Roebuck & une frégate venant du
Sud. Le premier s'étoit approché preſqu'à la portée
du canon de la Providence , avant qu'elle entrât. Le
tems a été depuis très- heureux , & l'Eagle étant forti
mercredi dernier pour aller à la découverte , elle apperçut
deux gros vaiffeaux au large , & fi près de la
barre qu'elle fut obligée de fe fervir de ſes rames
pour échapper.
» Le premier Février , le Corps légiflatif, confor
mément aux ordres de la conftitution , procéda à
l'élection de cinq Délégués , pour repréfenter cet Etat
dans le Congrès , & l'hon. Henri- Laurent , & John
Mathews furent élus de nouveau , les trois autres élus
furent l'honorable Thomas Bée , Francis Kinloch &
Arthur Middleton. A la même occafion l'honorable
Henri -Laurent , revenu dernièrement du Congrès ,
reçut les remercimens bien mérités de fon Pays ,
pour les fidèles fervices qu'il lui avoit rendus à cette
affemblée. I
» Nous apprenons de Georgie , qu'il y a 200 Indiens
& environ 400 Noirs armés , campés dans les
lignes formées par les François à Savannah , dans
la dernière expédition ".
Quelques circonftances particulières font préfumer
que les frégates Françoifes qui ont appareillé
d'ici la femaine dernière , fous le commandement
de M. Durumain , pour croifer , font allées vifiter
les Bermudes ou New- Providence «.
"Nous obfervons avec plaifir qu'on fait ici tous
les préparatifs néceffaires pour bien recevoir l'ennemi
au cas où une partie de l'embarquement de
New-Yorck , ou même le tout , feroit deſtiné pour
( 16 )
ce pays. Il arrive des fecours de différens quartiers
& nos troupes paroiffent fort animées «.
Maryland du 7 Mars , » Une perfonne arrivée
Dimanche au foir 5 , de Charles-Town , d'où elle eft
partie le 10 du mois dernier , nous apprend que le
12 , dans le voisinage de cette Capitale , elle avoit
entendu tirer les canons pour donner l'alarme , &
annoncer l'approche des Anglois , attendus depuis
fi longtems ; que quelqu'un , à quelques lieues de
Charles-Town , l'avoit affuré que l'ennemi étoit entré
dans le paffage de North-Tdifton , à environ 40
milles de cette Place , avec 45 où so petits bâtitens
de tranfport , & qu'un corps de troupes qu'on
fuppofoit être commandé par le Chevalier Henri
Clinton , ou par le Comte Cornwallis , avoit depuis
débarqué dans l'Ile de Wockmalaw , vis - à-vis de
Stono-Ferry , environ à 26 milles de Charles-Town .
-Que l'arrivée heureufe d'une ou plusieurs galères
envoyées de Charles-Town par le Général Lincoln ,
pour défendre ce paffage important , avoit empêché
l'ennemi de s'avancer davantage. --- La même
perfonne ajoute , que la garnifon de Charles Town
paroiffoit déterminée à défendre cette Place juſqu'à
la dernière extrémité , & que pour cet effet , on
faifoit tous les préparatifs poffibles par terre & par
eau , & que fooo hommes étoient prêts à garnir
les lignes formidables de cette Place au premier
commandement .
Le Général Scott s'eft mis en marche le 21 du
mois dernier avec fa divifion de troupes de la Virginie
, pour joindre le Général Lincoln «.
On ne Lit pas ce qui fe paffe aux
Ifles ; s'il faut en croire les papiers Miniftériaux
, nous y avons remporté de grands
avantages ; mais felon les autres , il y a auffi
des Capitaines marchands qui ont rencontré
des bâtimens d'avis expédiés en France , qui
( 17 )
"
prouvent que loin de rien tenter de ces côtés ,
nous nous fommes tenus fur la défenfive ; &
que les François , malgré leur infériorité ,
ne nous ont pas permis de les entamer &
nous ont inquiétés beaucoup ; que fera- ce
quand ils auront recouvré la fupériorité qu'ils
doivent avoir à préfent. Le Comte de Guichen
qui a été vu le 19 Février au- delà des
Canaries , doit être arrivé . Nous favons que
Rodney étoit encore à Madère le 22 , &
ne devoit en partir que le 25 ou le 26 ;
& quand il arriveroit en même-tems que
le Chef- d'efcadre François , nous reſterons
toujours inférieurs.
Le renfort que devoit conduire l'Amiral
Walfingham a effuyé bien des retards : il a
appareillé 3 fois , & 3 fois les vents contraires
l'ont forcé de revenir ; on dit que parti
de nouveau le 18 il s'eft arrêté dans la rade
de Torbay , parce qu'il a appris qu'une eſcadre
Françoife croifoit à l'entrée de la Manche
, ce qui n'eft pas vraisemblable parce
qu'on en auroit eu quelques avis plutôt. On
préfume qu'il eft retenu par les ordres du
Ministère , qui connoît la force de l'efcadre
qui doit partir de Breft , & qui eft peut- être
déja en route , mais dont il ignore la deftination
; ce qu'il y a de plus sûr , c'eft qu'il n'étoit
pas encore parti hier. Ces délais qui ne
font pas favorables , dans des circonstances
auffi alarmantes , donneront fans doute le
tems à l'Amiral Graves de fe joindre à Walfingham
: on ne manquera pas de faire fentir
( 18 )
à la Nation combien leur réunion eft intéreffante
, & ils arriveront enfuite quand ils
pourront à leur deftination . Voilà comme
l'on conduit la guerre. Le 19 de ce mois il
y a eu 5 ans que les hoftilités ont commencé
en Amérique , par la bataille de Lexington ,
au-deffus de Concorde , dans la nouvelle
Angleterre .
On travaille dans nos Ports à l'équipement
de la grande flotte , deſtinée à croiſer
cette année dans la Manche & dans l'Océan ;
on prétend qu'elle ne fera pas moindre de
40 vaiffeaux de ligne ; il eft vrai que l'on ne
dit pas où l'on prendra les vaiffeaux néceffaires
pour la porter à ce nombre ; en attendant
on nomme pour la commander le Chevalier
Hardy , qui aura fous lui les Amiraux Darby
, Barrington & Digby. Le premier eft parti
pour Plimouth , où l'on dit qu'il va preffer
les équipemens ; d'autres prétendent qu'il
n'y a été avec le Comte Levisham , fon collègue
, que pour briguer l'élection de cette
Ville dans le nouveau Parlement.
" Les mécontentemens , dit un de nos papiers ,
femblent augmenter avec les malheurs de la nation
; elle n'en a peut - être jamais éprouvé de
plus conftans. Un de nos Correfpondans en fait
l'énumération fuivante : 1. la perte du continent
de l'Amérique femble fe confolider . Si on en croit
des lettres de la Virginie , l'armée continentale fe
renforce dans l'espoir d'être fecondée inceffamment
par des troupes Françoiles. 2. Nos Ifles font en
danger par l'impuiflance où nous nous trouvons
d'y envoyer des forces fuffifantes . 3º. Les alliés
( 19 )
1
à
naturels de la Grande- Bretagne l'abandonnent peu
peu , & le Nord fur lequel nous comptions),
femble enfin entrer dans les vues que la politique
& la Cour de France lui dictent. 4°. Nos propres
foyers font menacés par une flotte ennemie
qui va fe réunir . 5 °. Le mécontentement de l'Irlande
a paffé en Angleterre , & le trouble du dedans
nuit aux opérations du dehors. 6°. Pendant le
tems de quatre ans de guerre , la valeur des biensfonds
a confidérablement diminué dans les trois
Royaumes , ce qui eft le figne le plus pofitif de
la décadence de l'empire «. 3
Toutes ces confidérations n'échappent
point à la partie faine de la Nation ; & elles
alimentent les divifions auxquelles nous fom
mes en proie.
Il y a long-tems que nous follicitons la
Hollande de fe déclarer pour nous , & que
nous prévoyons qu'elle n'en fera rien. Il
étoit peut-être prudent de ne pas l'aliéner ,
& de chercher à profiter de fa neutralité qui
nous offroit autant d'avantages qu'elle peut
en offrir à nos ennemis . Ce plan étoit bien
fimple & bien fage ; il n'a pas plu à nos Miniftres
de l'adopter ; ils font conféquens dans
la conduite qu'ils ont tenue jufqu'à préfent ;
& fi elle avoit été meilleure dans le principe ,
nous n'aurions rien à leur dire . La proclamation
fuivante , publiée dans la Gazette de
la Cour du 18 de ce mois , fera voir avec
quelle conftance nous fuivons ici le ſyſtême
d'abord adopté.
» Attendu que depuis le commencement de la
guerre , dans laquelle la G. B. fe trouve engagée
par l'aggreffion , non provoquée , de la France & de
( 20 )
Efpagne , l'Ambaffadeur de S. M. près des Etats-
Généraux des Provinces- Unies , leur a itérativement
préfenté des mémoires , à l'effet de leur demander
des fecours ftipulés par traité ; réquifition à laquelle ,
'malgré les inftances preffantes confignées dans le
dernier mémoire du 31 Mars , L. H. P. n'ont point
donné de réponſe , n'ont pas même témoigné qu'elles
fuffent difpofées à fe prêter. Attendu auffi , qu'en
ne rempliffant pas les engagemens les plus clairs ,
elles renoncent à l'alliance qui a fi long-tems fubfifté
entre la Couronne de la G. B. & la République ,
& fe mettent dans la pofition d'une Puiffance neutre
qui n'eft liée par aucun traité à l'égard de ce Royaume ,
tous les principes de la fageffe & de la justice exigent
que S. M. ne les confidère déformais que fous les
rapports de distance où elles fe font placées ellesmêmes.
S. M. en conféquence , ayant pris cet objet
en fa confidération Royale , de l'avis & avec l'avis
de fon Confeil Privé , juge qu'il eft convenable de
mettre en exécution immédiate , les intentions qui
ont été antérieurement notifiées dans le Mémoire
préfenté par fon Ambaffadeur , le 21 Mars dernier ,
& préalablement fignifiées par une déclaration verbale
officiellement faite par le Lord Vicomte de Stormont ,
l'un des principaux Secrétaires d'Etat de S. M. ,
au Comte de Welderen , Envoyé Extraordinaire &
Plénipotentiaire de la République , près de deux
mois avant que le fufdit Mémoire fût délivré. A
ces caufes : S. M. de l'avis & avec l'avis de fon
Confeil Privé , déclare que les Sujets des Provinces-
Unies doivent être confidérés déformais comme
étant fur le pied des autres Etats neutres qui ne font
point privilégiés par traité ; de plus , S. M. par la
préfente Déclaration , fufpend provifionnellement &
jufqu'à nouvel ordre toutes les ftipulations particu
lières ( concernant la liberté de la navigation & du
commerce , en tems de guerre , pour les Sujets des
Etats-Généraux ) contenues dans les traités divers
( 21 )
qui fubfiftent actuellement entre S. M. & la Répu
blique , & plus particulièrement celles contenues
dans le Traité de Marine , conclu entre la G. B. &
les Provinces - Unies , à Londres , le 11 Décembre
1674 «.
» Par humanité , par égard pour les intérêts des
particuliers , defirant qu'ils ne fouffrent d'aucune
furprife , S. M. , de l'avis & avec l'avis de fon
Confeil Privé , déclare que l'effet de les ordres
n'aura lieu qu'aux termes fuivants : dans la Manche ,
& dans les mers du Nord , 12 jours après la date
de la préfente Déclaration. De la Manche , des mers
Britanniques & des mers du Nord jufqu'aux Ifles
Canaries inclufivement , foit dans l'Océan , foit
dans la Méditerranée , le terme fera de 6 femaines
à compter de la date fufdite. Trois mois , defdites
Ifles Canaries jufqu'à la ligne Equinoxiale ou l'Equateur.
Et enfin , fix mois au - delà de ladite ligne ou de
P'Equateur & dans toutes les autres parties du Monde ,
fans aucune exception & fans autre defcription plus
particulière , foit de tems , foit de lieu «.
Il femble qu'au moment où l'on a reçu la
déclaration de la Ruffie , il ne convenoit pas
de prendre un parti auffi extrême. Nous
fommes d'ailleurs dans des circonftances
fâcheufes , où nous n'avons pas befoin de
voir augmenter le nombre de nos ennemis.
Dans tout autre tems , un acte de fermeté
auroit pu en impofer peut- être ; mais dans
celui- ci , quel eft notre efpoir ? on ne verra ici
que le dernier effort de l'orgueil & de l'impuiffance.
Oferons - nous exécuter les menaces
que nous faifons , fouiller les vailleaux
neutres ? nous ne ferons que confolider l'alliance
des Puiflances armées pour le mainrien
de la neutralité ; & une fois cette al-
›
( 22 )
liance conclue , leurs intérêts deviendront
communs ; nous ne pourrons manquer à
une fans être obligés à une réparation éclatante
réclamée par toutes , qui feront nonfeulement
en droit , mais en état de la prefcrire.
» Nos Miniftres , dit un de nos papiers , le
London courant , avoient peur de fâcher la Ruffic
ou de lui donner le plus léger fujet de mécontentement
, car plufieurs vaiffeaux Rufles chargés de
chanvre pour la France , pris par quelques -uns de
nos corfaires , viennent d'être rendus aux propriétaires
avec dommages & intérêts fur la fimple demande
d'un Conful . Voilà l'excès d'humiliation où
nous fommes réduits par la cabale qui , fous ce
malheureux règne , a fait adopter fon pernicieux
fyftême de gouvernement. Une Puiffance de deux
jours n'a qu'un mot à dire pour nous faire trembler.
Sous le dernier règne la vieille Angleterre
étoit respectée , fous celui - ci chacun la méprife «<..
La Chambre des Communes s'eft ajournée
le 14 de ce mois au 24 , à caufe de la mauvaife
fanté de l'Orateur , qui demandoit à ſe
démettre de fa place , & à qui l'on a cru devoir
accorder une femaine de repos.
Cette huitaine de vacances , dit, un de nos
papiers , fera utile aux deux partis pour les brigues
d'élection ; ce qui eft un indice fûr que le nouveau
Parlement ne tardera pas à être formé , c'eſt
que les Députés oublient dans ce moment que la
courfe des chevaux vient de s'ouvrir à Newmarket ,
& qu'ils préfèrent d'aller voir leurs Conftituans
dans les lieux qui les ont députés... 1
Le Lord North, a dit feulement à quelques
membres de l'Oppofition , qu'ils ne favent point
conferver leurs avantages quand ils en ont obte 37
( 23 )
nu; que c'eft inutilement que la majorité le donne
à eux , parce qu'ils n'en tirent point parti comme
ils le devroient ; que le Ministère fait la regagner
toutes les fois qu'il lui arrive de la perdre , & que
les membres de l'Oppofition reffemblent à de mauvais
chiens qui perdent la voie ; & qui laiſſent aller
le cerf de meute pour courir après une vache ou
un âne.
L'Oppofition fe propofe de faire la motion d'une
adreffe au Roi pour que le Parlement ne foit point
diffous avant que les redreffemens demandés par
les pétitions n'aient eu lieu , & de faire arrêter
-par la Chambre qu'il ne fera paſſé aucun bill de
taxe, qu'on n'ait obtenu une loi pour reftreindre
l'influence de la couronne «<.
La Chambre , avant de s'ajourner , s'eſt occupée
d'un bill en faveur des Habitans de la
Grenade , qu'il falloit traiter fur le pied de
ceux de la Dominique. Les Edits humains
du Roi de France , en leur faveur , leur permettant
de tranfporter leurs effets à des Ports
neutres , ce feroit l'excès de l'injuftice à la
G. B. de permettre à ſes vaiffeaux de guerre
ou à fes corfaires de les faifir. Ce bill fut ordonné
: ceux de taxe ne feront repris qu'après
la vacance actuelle. » S'ils ne paffent point ,
difent nos politiques , le Ministère , par qui
l'Oppofition s'eft laiffée un peu duper , ne
fera pas pour cela dans l'embarras ; fon emprunt
aura même fon plein effet , parce qu'il
a eu l'adreffe de faire hypothéquer pour le
paiement des intérêts , le produit du fond
d'amortiffement ".
Le Comte de Bellamont , arrivé ici d'Irlande
, a eu une audience de S. M. & plu(
24 )
fieurs conférences avec les Miniftres. Comme
il eft un des principaux appuis de l'Adminiſtration
dans le pays , on fuppofe que
fa venue eft caufée par la crife où les affaires
fe trouvent dans le moment. Comme
le Parlement a dû reprendre fes féances le 10
de ce mois , on attend inceffamment des avis
intéreffans , concernant le tour qu'y auront
pris les affaires . On fait que M. Yelverton
avoit deffein de propoſer à la rentrée un Bill
déclaratoire des droits du Parlement d'Irlande
, en tant qu'ils regardent la Loi de
Poyning & la manière de paffer les Bills Irlandois
en Angleterre. On affure que la
Cour eft déterminée à la révocation de
cette Loi de Poyning , s'il n'y a pas d'autre
moyen de calmer la fermentation des efprits.
Il y a grande apparence que quatre des mutins
du vaiffeau l'Invincible feront condamnés à
mort par le Confeil de guerre ; mais on doute
que cet exemple diminue la défertion qui n'a jamais
été auffi générale. Il y a actuellement à Dartmout
400 matelots déferteurs , dont les efcadres
n'ofent approcher. C'eft leur entrepôt , & les Marchands
vont les engager dans ce Port. Mais leur
prix eft de 6 à 7 liv. fterl. par mois pour les
voyages de proche en proche.
Le Héro , la Jane , & le John & Elifabeth , écriton
de Cork , tous trois chargés de provifions , ont
éré enlevés par les François à leur retour de Waterword
ici. Ils avoient à bord 36 , coo barils de cochon
falé , 650 de boeuf , & 290 de beurre. La Mary
Anne a été prife par un corfaire! ennemi qui l'a
conduite au Havre- de- Grace. L'allège le Spry
qui
( 25)
qui alloit de Waterford à Plimouth avec 160
matelots levés par la preffe , s'eft rendu au cor.
faire la Dunkerquoife , fur qui elle a été repriſe
par le vaiffeau du Roi l'Embufcade , qui l'a conduite
à Plimouth ; mais il n'y avoit plus que 19
matelots le reſte avec le Lieutenant de l'allège
avoir été pris à bord du corfaire qui s'étoit féparé
de la prife pour donner chaffe à deux autres
bâtimens «<.
FRANCE
De VERSAILLES , le 2 Mai.
Lɛ 16 du mois dernier le Marquis de
Bombelles , Miniftre du Roi près la Diète
générale de l'Empire , eut l'honneur d'être
préſenté à S. M. par le Miniftre des Affaires
Etrangères , & d'en prendre congé pour
retourner à Ratisbonne.
Le 23 , LL. MM. & la Famille Royale fignèrent
le contrat de mariage du Comte de
la Ferté Senecterre , Capitaine d'infanterie ,
attaché au Régiment de Bourbon , avec Mademoiſelle
Amelot , fille de M. Amelot ,
Secrétaire d'Etat,& celui du Comte de Saint-
Aulaire avec Mademoiſelle de Saint- Janvier.
Le 25 , le Prince Héréditaire de Heffe
Darmstadt , prit congé de LL. MM . & de
'la Famille Royale ; il étoit conduit par M.
la Live de la Briche , Introducteur des Ambaffadeurs
; M. de Sequeville , Secrétaire ordinaire
du Roi à la conduite des Ambaffadeurs
, précédoit .
Le 23 , M. de Gaine , ancien Officier d'In-
6 Mai 1780. b
( 26 )
7
fanterie , Auteur de l'Encyclopédie Poétique,
eut l'honneur de remettre à LL. MM . & à la
Famille Royale , le 12 volume de cet Ouvrage
, pour lequel elles ont foufcrit.
De PARIS , le 2 Mai.
Les vents contraires qui ont régné conftamment
depuis le commencement du mois
dernier , ont retardé le départ de l'eſcadre
de M. de Ternay ; on eſpère qu'ils ont enfin
changé , dans ce cas on apprendra fans doute
inceffamment qu'elle a mis à la voile. Lorfque
les tranfports fortirent du Goulet , le 16,
& furent obligés de rentrer le lendemain ,
2 navires s'abordèrent , mais ne ſe firent heureufement
aucun dommage confidérable. Le
Languedoc a été menacé d'en effuyer un plus
grave ; pendant qu'on le chauffoit le feu prit
à fes foutes ; les prompts fecours qu'on y
porta fur le champ l'eurent bientôt éteint ,
& ce beau vaiffeau n'eft point endommagé.
On a donné quelques détails du naufrage
du St-Jofeph : voici ceux que M. de Canus ,
commandant la frégate Eſpagnole la Carmen,
a écrit au Vice- Conful d'Efpagne.
" Les vents étant montés au nord le 6 de ce
mois ( d'Avril ) , nous mîmes à la voile à 10 heures
du matin. Comme ma frégate , fuivant l'ordre de
notre marche , devoit faire l'avant- garde , je fortis
le premier. Je fus fuivi par le vaiffeau le St -Jofeph
& quelques flûtes ; à heures du foir me trouvant
avancé en mer , je virai de bord , pour venir
joindre le Général , ce que je fis habilement. Plu(
27 )
feurs bâtimens de notre convoi n'avoient encore
pu fortir. Le vent étant tombé de 3 aires , à 7
heures , le Commandant fit fignal de mouiller visà-
vis de Berthome , ce que nous fimes dans l'inftant.
Le St-Jofeph , la Rofe & moi , nous trouvant
très- près de la côte du nord , fur-tout ma
frégate qui n'en étoit qu'à une portée de fufil.
La nuit fut paflablement belle jufqu'à minuit ; mais
à ce moment le ciel s'obfcurcit & à deux heures
le vent fauta au fud , ce qui nous mit dans le
plus grand danger. A fix heures du matin , le vent
commença à fraîchir ; le Commandant fit fignal de
lever l'ancre ; comme nous allions commencer à
manoeuvrer , ie vent augmenta furieuſement , &
comme je me trouvois le plus près de la côte ,
je ne jugeai pas convenable d'exécuter fes ordres ,
& je reftat où j'étois en jettant une autre ancre.
Le St-Jofeph & la Rofe mirent à la voile à 9
heures , après avoir coupé leurs cables , & dans ce
moment le vent toujours au fud devint fi violent
,, que c'étoit un véritable ouragan . Le St- Jofeph
vira de bord une fois , mais à la feconde , le vent
abattit fes huniers , amarra fes mifaines , & dans le
même inftant fon mât de mifaine fe rompit . Dans
cette pofition critique , il mit deux ancres à la
mer ; mais les cables fe rompirent auffi -tôt. Il remit
à la voile avec la grande voile & celle d'artimon
qui furent enlevées par le vent . Ne fachant
plus que faire dans une fi cruelle pofition , il fe
préfenta devant ma poupe , en tirant des coups de
canon & en demandant des fecours. Il échouà une
demi- heure après fur la côte . J'étois dans la plus
grande affliction de ne pouvoir lui donner le moindre
fecours ; je craignois à tous momens un fort
pareil , parce que j'étois fi près des roches de
Berthome , que l'écume que faifoit la mer en fe
brifant contr'elles , venoit jufqu'au -deffus de ma
poupe. La Rofe éprouva le même malheur à trèsb2
( 28 )
peu de diftance du St-Jofeph , & tous deux n'étoient
qu'à une portée de canon de ma frégate. La mer
fe couvrit auffi - tôt de pièces de bois , & nous
vîmes fur la plage plufieurs hommes en chemife.
Nous découvrions le navire entre des montagnes
d'écumes & de pierres avec toutes les voiles démontées.
Le vent continuoit de fouffler avoit vio-
Jence , la mer s'élevoit jufqu'à nous , le tems étoit
fort obfcur , la pluie , la neige & la grêle tombant
fans difcontinuer , ne nous permettoient pas
d'attendre aucun fecours. La Rofe fut fubmergée
en un inftant. Nous appercevions toujours le vaiffeau
entre les lames de mer , répétant les fignaux
de détreffe. A 7 heures du foir , j'appellai tous mes
Officiers dans la chambre du Confeil ; je leur te .
montrai la trifte fituation dans laquelle nous étions ,
& que dans la nuit notre perte étoit évidente
parce que le cable de notre ancre commençoit à
menacer ruine , & que nous n'étions pas à 20
varres des rochers. Je propofai en conféquence de
couper notre mât pour diminuer l'agitation de la
frégate , & en faire des radeaux afin de fauver
l'équipage. Tout le monde fut de mon avis ; nous
allions mettre la main à l'oeuvre ; il étoit alors s
heures , quand le vent qui avoit paffé à l'oueft le
calma un peu. Je fis auffi-tôt appareiller , ce qui
me réuffit heureuſement , puifqu'à une heure &
demie j'entrai dans cette rade , m'etant fauvé comme
par miracle. Nous avons la confolation d'apprendre
dans notre malheur que tout le monde s'eft
fauvé , & que l'on peut retirer beaucoup d'effets «.
Le petit convoi Efpagnol , que le S.Jofeph
fe propofoir d'efcorter jufqu'à la Corogne , a
profité une feconde fois du premier vent favorable
, pour fortir du Port ; il partit le 15,
& comme il n'a pas reparu on efpère qu'il
a continué heureufement fa route.
( 29 )
Le navire le Jeli , écrit - on de la Rochelle ,
a mouillé le 20 dans notre Port ; il vient de la
Martinique , d'où il eft parti le 15 Mars. Il nous
apprend que la corvette qui avoit précédé M. de
Guichen , eft heureufement arrivée au port du Fort-
Royal , & qu'au moment où l'on a été inftruit à
la Martinique de l'approche de la flotte , le Commandant
a donné aux troupes les ordres néceffai
res pour qu'elles fe tiennent prêtes à la feconder
dans fes opérations. Les rapports de l'équipage fur
la trifte fituation des troupes & des vaiffeaux en¬
nemis à Ste- Lucie , s'accordent à les préfenter dans,
l'érat le plus déplorable. Tous les jours le climat
meurtrier de cette Ifle dévore une . quantité prodigicufe
d'hommes. On a déja dépecé 2 vaiffeaux
qui ont fervi à en radouber quelques autres tano
bien que mal ; & il paffe pour conftant à la Martinique
qu'il y en a 6 ou 7 qu'on fera obligé de
dépecer auffi , parce qu'il eft impoffible non- feulement
qu'ils reviennent jamais en Europe , mais
méme qu'ils puiffent tenir la mer pendant une
courte croifière. Du reſte toutes nos . colonies font
bien approvifionnées & on ne craint l'ennemi nulle
part. Tous les navires qu'on attendoit à la Martinique
y font arrivés en bon états .
Le Miniftre de la Marine a reçu 3 paquets
par ce même navire , & avec eux des dépê
ches de M. le Marquis de Vaudreuil. On
avoit répandu la nouvelle de fa mort d'après
des lettres de Cadix , où l'on difoit qu'elle
avoit été apportée par la polacre la Vengeance.
Il paroît que le Capitaine de ce bâtiment ,
forti en dernier lieu de la Trinité , avoit été
trompé par une lettre d'un Officier du Fendant
qui écrivoit : Notre Commandant eft,
mort. C'étoit de M. de Pont-de -Vaux , comb'
3
( 30 )
mandant les troupes de terre qu'il vouloit
parler. Ce Colonel eft mort en effet à la
Martinique , peu de jours après l'arrivée du
Fendant. Voici la relation qu'on a publiée
du voyage de ce vaiffeau de la baie de Chéfapeak
à la Martinique.
" Le Marquis de Vaudreuil , Chef- d'Efcadre ,
Commandant le vaiffeau du Roi le Fendant , de
74 canons , avoit fait dès le commencement de
Janvier , fes difpofitions pour mettre à la voile de
Ja baie de Chefapeak , où il s'étoit rendu , conformément
à fes ordres , après l'expédition contre
Savannah. Mais le froid devint fi vif * , que les
rivières qui ont leur embouchure dans la baie de
Cheapeak, furent gelées , & qu'on fut obligé de voiturer
par terre les vivres néceflaires pour approvifionner
le Fendant. Les glaces qui fe détachoient ,
firent plufieurs fois chaffer le vaiffeau fur fes ancres ,
& obligeoient de les relever pour les remouiller.
Toutes ces difficultés retardèrent fon départ jufqu'au
25. Depuis ce jour jufqu'au 2 de Février , que le
Marquis de Vaudreuil parvint à fortir de la baie ,
le vaiffeau fut continuellement entouré de bancs de
glaces , qui le firent échouer plufieurs fois , fans lui
occafionner d'autres dommages que la perte de
quelques ancres ; mais le 31 , il courut les plus
grands rifques , n'ayant pu fe dégager d'un banc de
glaces d'un quart de lieue de longueur & de dixhuit
pouces d'épaiffeur , dont la force & la direction
maîtrifoient le vaiffeau & le portoient fur un banc
de la baie , dont le fond dur l'auroit brifé. Pendant
plus de 3 heures , la fonde n'annonça que trois pieds
* Quoique la baie de Chefapeak ne foit que par 37
dégrés de latitude , le thermometre y eft defcendų au
même degré au-deflous de la congélation , qu'à Paris dans
l'hiver de 1740.
( ༣t )
d'eau , fous la quille. Heureufement la bonne manoeuvre
du Marquis de Vaudreuil parvint , à l'aide,
de la marée , à lui faire contourner ce banc ; il fe
trouva dégagé de tout danger , & le 2 de Février , il
étoit hors de la baie de Cheſapeak . Sa traverſée , de
cette rade jufqu'à la vue de la Martinique , n'a été
que de 12 jours. Il y attérit le 14 du même mois ,
& il comptoit mouiller dans la journée au Fort-
Royal , lorfqu'à la pointe du jour on découvrir une
Efcadre en croifière dans le canal de la Dominique .
Les fignaux de reconnoiffance , auxquels il fut mal répondupar
cette Efcadre ; les fignaux inconnus qu'ellemême
fit au Fendant , ne laiſsèrent aucun doute au
Marquis de Vaudreuil que ce ne fût une Escadre
ennemie. I prit chaffe pour paffer par le vent de la
Martinique. L'Efcadre Angloife le pourfuivit juf
qu'au moment où le foleil fe coucha . Il y eut du
calme pendant la nuit : le vent contraire fuccéda : &
ce ne fur que le lendemain , à dix heures du foir ,
qu'étant parvenu jufqu'au cap iSalomon qui eft à
l'entrée de la baie Fort- Royal, que le Marquis de Vaudreuil
découvrit une nouvelle Eſcadre , un peu au
vent à lui , mais affez loin pour en paffer hors de
la portée du canon . Obligé de courir quelques bords
pour entrer au Fort- Royal , ce ne fut qu'au troifième
qu'il reconnut que c'étoit une divifion de l'Eſcadre
ennemie , parce que les vaiffeaux qui la compofoient
tirèrent fur lui à toute volée ; mais le Fendant
n'en reçut aucun dommage , & mouilla le 17 , au
Fort- Royal.
M. de Sartine , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
département de la Marine , ayant mis fous les yeux
du Roi les fervices du Marquis de Vaudreuil , &
fa conduite diftinguée dans tous les évènemens de
la Campagne , S. M. a nommé ce Chef- d'Eſcadre
Commandeur de l'Ordre de Saint- Louis , & a bien
voulu lui permettre d'en porter la décoration jufqu'à
ce qu'il puiffe être reçu «.
b4
( ༣ ཏྠཾ )
On a appris par des lettres particulières ,
que M. de la Mothe-Piquet , en fortant de
la Guadeloupe avec 6 vaiffeaux a chaffé
l'Amiral Parker qui avoit le même nombre
de bâtimens . Celui- ci a toujours évité le
combat juſqu'au moment que 4 autres vaiffeaux
de ligne s'étant joints à lui , il a à fon
tour provoqué le Chef d'Efcadre François
qui eft entré au port de Fort - Royal. Les
mêmes lettres ajoutent que M. de la Mothe-
Piquet devoit en fortir quelques jours après :
avec 4 vaiffeaux & 2 frégates pour con--
voyer jufqu'à St- Domingue 28 bâtimens
' marchands.
"
» Un bâtiment parti de Baltimore le 24 Mars ,
& dont la traversée a été des plus heureufes
écrit-on de Nantes , a mouillé ici le 22. Il apporte
enfin des nouvelles du Général Clinton , qui
eft arrivé dans la Caroline le 8 Mars ; à l'époque
du départ du bâtiment , le Général étoit à 15 millest
de Charles -Town , dans un fort mauvais état . Ses
troupes ont fouffert au - delà de toute expreffion
dans leur traversée. Il n'a amené avec lui que 35
navires de 100 au moins qu'étoit compofé fon
convoi en partant de New-Yorck. On fait monter
à 4 ou sooo hommes les troupes defcendues à
terre. On n'étoit pas fort inquiet à Charles - Town ,
où depuis plus d'un mois on fe préparoit à le recevoir.
Il y a , dit - on , dans la ville & dans les
environs près de 20,000 hommes , dont la moitié
eft composée de troupes continentales «< .
Une lettre de Baltimore , en date du 7 ..
Mars , contient les détails fuivans :
" Une perfonne arrivée la foirée précédente
de Pétersburg en Virginie, nous donne avis que le
( 337
Dimanche 27 du paffé , un Officier des Dragons
du
Colonel Baylors y étoit arrivé exprès de Charles-
Town (en deux femaines ) avec des ordres du Général
Lincoln au Général Scott , pour qu'il s'avançât
avec les troupes qu'il avoit à fon commandement
en toute diligence
, en conféquence
de l'approche
d'un corps formidable
d'ennemis
qui ſe diſpoſoit
à
affiéger cette Place.- Celui qui nous a apporté cette
nouvelle dit s'être entretenu avec cet Officier qui
lui avoit dit , que le jour qu'il étoit partie de Charles-
Town l'ennemi avoit débarqué
6000 hommes à 15milles
de la Ville , que les Américains
au moment de leur
départ difoient qu'ils alloient lui livrer le combat.
Et qu'il avoit rencontré lé Général Hogan avec
fa brigade à so milles de Charles-Town.
1 » Le Général Scott étoit tout prêt à fe mettre en
marche avec fa Divifion de troupes de la Virginie ,
le 21 du mois paffé ".
Le 20 du mois dernier le brigantin Anglois la
Betfy , du port d'environ 100 tonneaux , chargé
de commeftibles , & parti de Londres pour Halifax
, a été conduit dans le port de Morlaix par
un Officier du corfaire de Granville l'Américaine ,
qui s'en eft emparé.
On a reçu de Dunkerque un état des prifes faites
fur les Anglois , par les corfaires de ce Port , depuis
le premier jufqu'au 31 Mars dernier. Il réfulte
de cet état que le Prince Noir & la Princeffe
Noire ont fait 8 prifes ; la Dunkerquoife 3 ; le
Prince de Soubife une ; la Revanche une , qui étoit
fur fon left : toutes les autres étoient chargées de
différentes marchandiſes.
Monfieur , frère du Roi , a bien voulu accorder
au Chapitre de la noble & infigne Eglife de Saint-
Martin de Tours , dont ce Prince eft Chanoine
d'honneur , fon Portrait en grand , pour être placé
dans la Salle des Affemblées Capitulaires. Les Rois
bs
( 34 )
de France ont agréé depuis huit fiècles les titres
d'Abbé , Chef & Protecteur de cette Eglife.
Nous avons annoncé l'arinement qu'on
fait à Granville de 2 frégates deſtinées pour
la courfe ; nous nous empreffons de joindre
ici le nouvel avis qu'on vient de publier.
Les foins & le zèle des chefs de l'entrepriſe ,
le nom de M. Ducaffou qui doit la comman
der , font faits pour infpirer la plus grande
confiance.
» Les fieurs le Sefue & Compagnie , Négocians
& Armateurs à Paris , rue Bailleul , s'étant chargés
feals , depuis le premier Janvier de la préfente an
née , de la fuite de l'armement annoncé à Nantes
de fix frégates & deux corvettes , donnent avis à
MM. les Actionnaires qui ont bien voulu s'y intéreffer
, que la mife des fonds dans cette opération ,
trop étendue pour une exécution auffi prompte que
celle qui avoit été promife aux intéreffés , ayant
multiplié les Actionnaires par la modicité d'un
deux , trois & quatre louis , fans produire des fonds
auffi confidérables que l'exige une entrepriſe de
cette nature , ils fe font vus forcés , par la néceffité
de juſtifier de leurs efforts aux yeux de leurs
actionnaires & du Public , de réduire , pour le
préfent , cette expédition à l'armement d'une groffe
frégate de 44 canons du plus fort calibre , & d'une
feconde frégate légère de 20 canons ; en conféquence
ils préviennent qu'à compter du premier Mai de
la préfente année , ces courons trop modiques feront
remplacés par des actions de 1000 livres ,
des demi - actions de 500 livres , & des coupons
de 250 livres , qui feront reçues à Paris par MM .
J. F. Frin & Compagnie , Banquiers , rue du Carrouzel
; M. du Jardin de Ruzé , rue de Clery ;
M. Lavenant , Agent de Change , rue du Four(
35 )
Saint Honoré ; & les fieurs le Sefne & Compagnie ,
Négocians & Armateurs , rue Bailleul ; & à Grandville
, lieu de la conftruction & armement des deux
frégates , par M. Anquetil Brutiére , Armateur audit
Port , qui y repréſentera la maison de MM. le
Sefne & Compagnie , pour les opérations relatives .
à l'armement fubordonné , à la connoiffance du local
& à la réfidence.
Les reconnoiffances d'actions feront fignées par
les fieurs le Sefne & Compagnie , qui rendront un
compte exact de l'armement , mife hors , frais de
relâche , & aviſeront exactement des prifes , ainfi
que du produit de leurs ventes conftatées par les
liquidations particulières des Officiers de l'Amirauté
, & dont la répartition fera faite à chaque actionnaire
le plus promptement poffible , fuivant fa
mife. Les Intéreftés pour les actions précédemment
prifes , & qui ne voudront point augmenter leur
mife , refteront dans le même état , & partageront
les bénéfices au prorata de la fomme pour laquelle
ils font actionnaires , & dont il leur a été délivré
des reconnoiffances que les fieurs le Sefne & Compagnie
reconnoiffent valables ,
Les motifs qui , ont déterminé les fieurs le Sefne
& Compagnie à donner la préférence au Port de
Granville , fur les autres ports du Royaume , pour
la conftruction & armement de leur grande frégate
, font fondés fur des principes de la plus
grande économie & célérité dans l'exécution qu'ils
on: deja fait connoître en fubftance à leurs Actionnaires
, & qui font appuyés , 1 ° . par tous les
moyens qu'on y trouve de fe procurer promptement
& avec plus d'avantage qu'ailleurs , les matières
propres à la conftruction , armement & avitaillement
des vaiffeaux. 2 ° . L'abondance des ouvriers
dans tous les genres , & dont les falaires font moins
b . 6
( 36 )
chers que dans la plupart des autres ports. 3 ° . La
facilité de foriner un équipage de bons marins que
l'habitude journalière de la mer rend plus propres
pour une navigation laborieuſe . 4°. Enfin la fituation
même du lieu qui , dès le moment de la fortie , offre
à des frégates de cette force , une croisière trèsavantageufe
.
ل ا
Le commandement en chef de cette expédition
eft confié au Capitaine Pierre- Denis du Caffou de
Bayonne , dont le nom , les récompenfes honorables
qu'il a reçues du Roi pour les actions de valeur &
d'éclat dans cette guerre , & la protection du Miniftre
, juftifient la préférence qui lui a été donnée.
Il montera la première frégate nommée la Louife ,
& il aura conféquemment auffi fous fes ordres la
feconde frégate , nommée la Rofalie , qui a été
conftruite dans un port voifin , & dont le commandement
particulier eft donné au fieur Burgain , Officier
plein de bravoure , de connoiffance & de zèle
pour le fervice de l'Etat .
fous
L'expérience ayant convaincu que les bâtimens
marchands de chaque Nation , d'un chargement
précieux , naviguent rarement autrement que
convoi & par flotte , & qu'un corfaire feul , de
quelque force qu'il foit , s'il rencontre une de ces
flottes , obligé de combattre les vaifleaux d'eſcorte ,
s'empare difficilement des bâtimens marchands
parce que quand l'iffue du combat paroît douteuse ,
le chef ennemi donne le fignal de fuite ; on a jugé ,.
d'après l'avis des marins les plus expérimentés & les,
plus en réputation , qu'en réuniffant pour faire la courfe
, deux frégates auffi redoutables que celles qui
formeront cette expédition , on peut le promettre
Jes plus grands avantages ; dans le tems que la plus
forte , fi elles trouvent de la réfiſtance , ſera occupée
au combat , l'autre , plus légère , amarinera
le plus de prifes qu'il lui fera poflible , & qui fans
cela échapperoient ; & lorfqu'elles s'empareront de
( 37 )
quelques bâtimens d'une valeur conféquente , cette
dernière les convoyera jufqu'à l'entrée des ports de
France , four éviter que les ennemis n'en faffent la
recouffe , & rejoindra enfuite la frégate la Louife
dans la ftation convenue. Il a donc été déterminé
que ces deux frégates marcheront toujours de conferve
dans leur croifière , & qu'elles feront d'abord
une courfe de 4 mois de mer effectifs , divifés
en deux croisières de deux mois chacune ; leur
réunion eft d'autant plus intéreffante & d'autant
plus lucrative , qu'elles n'auront point à redouter
les frégates ennemies , & que la vitefle de leur
marche les garantira de l'atteinte des vaiffeaux de
ligne.
Cette expédition étant accueillie auffi favorablement
des zélés patriotes qu'elle mérite de l'être ,
les fieurs le Sefe & Compagnie ofent promettre
qu'elle fera en état de mettre à la mer au mois
d'Août prochain , tems favorable pour la courfe.
On évalue par apperçu la mife- hors de cette entreprife
, tout compris , à la fomme de 600,000 liv.;
fi toutefois l'économie , que l'on continuera d'apporter
dans toutes fes parties , procure quelque diminution
fur cette fomme , le furplus fera réſervé
pour les cas imprévus , & on en fera compte aux
Actionnaires lors de la répartition des bénéfices.
S. M. aux termes de fa Déclaration du 24 Juin 1778 ,
devant fournir les canons , ou en rembourfer la valeur
, il en fera tenu compte à l'armement. La frégate
la Louife fe conftruit à Grandville avec activité
, fous la direction du fieur J. Epron , Conftructeur
expérimenté , & fur un devis qu'on a jugé,
propre à lui procurer la marche la plus fupérieure ;
fes dimenfions principales font 138 pieds de longueur
de quille , portant fur terre , 37 pieds de lar-"
geur abfolue , & 150 pieds de tête en tête , à fa
ligne de flottaifon . :
Michel Ancel Defgranges , Doyen des
( 38 )
Lieutenans - Généraux des armées du Roi ,
Maître des Cérémonies de France , eft mort
ici le 12 du mois dernier , dans la 93 année)
de fon âge.
Charles-Céfar de Menildot , Comte de
Tourville , arrière- neveu du Maréchal de ce
nom , eft mort en fon château de Saint- Germain-
le-Vicomte , le 15 de ce mois , âgé de
38 ans.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du premier de ce mois ,
font : 82 , 13 , 33 , 88 & 25 .
L'Ordonnance du Roi portant création de la
place de Colonel - Général de fon Infanterie Françoife
& étrangère , eft du 5 Avril , & ainfi motivée.
S. M. voulant donner à M. le Prince de
Condé une marque de fon eftime particulière &
de la juftice qu'elle rend à fes fervices , à fa
valeur , à fes talens & à fes actions à la guerre ,
crée & établit en fa faveur par la préfente Or.
donnance la place de Colonel Général de fon Infanterie
Françoife & étrangère , fans rien innover
à la charge & à l'autorité du Colonel- Général des
Suiffes & Grifons entretenus à fon fervice. Par le
difpofitif tous les régimens d'Infanterie feront tenus
de lui obéir en ce qu'il leur preferira pour le
ſervice de S. M. Le premier régiment quitte le
nom de Picardie & prend celui de Colonel- Général
; & celui formé en 1776 de fon dédoublement ,
quitte fon nom de Provence & prend celui de
Picardie. M. le Prince de Condé travaillera feul
avec le Roi fur la nomination aux emplois , fur
les graces & tout ce qui peut concerner le feul
régiment Colonel- Général ; dérogeant à l'égard des
autres régimens , à ce qui avoit été preferit par
l'Ordonnance du 30 Mai 1721 , concernant les
( 39 )
droits & prérogatives du Colonel- Général de l'Infanterie.
Les Colonels - Commandans & en fecond ,
auront la qualité de Meftre-de- Camp ; il ne fera
reçu aucun Officier qui ne fera pas pourvu de
l'attache du Colonel- Général. S. M. entend ne pas
comprendre dans les difpofitions de la préfente
Ordonnance , le régiment des Gardes Françoifes ,
le fien d'Infanterie , le Corps-Royal d'Artillerie ,
celui du Génie , ni les régimens Suiffes & Grifons.
Cependant fi le régiment des Gardes-Françoiſes ou
celui d'Infanterie de S. M. fe trouvoit feul dans
le lieu où feroit le Colonel Général , ils fourniroient
pour la Garde. Les Officiers - Généraux chargés
de l'infpection des troupes , & les Chefs des
régimens d'Infanterie , continueront de s'adreffer
au Secrétaire d'Etat de la Guerre comme cidevant
, &c «,
>
De BRUXELLES , le 2 Mai.
TOUTES les nouvelles de Hollande annoncent
que les fept Provinces fe font dé
terminées unanimement à accorder des convois
illimités au commerce , & à refuſer à
l'Angleterre les fecours qu'elle a demandés,
La Cour de Londres n'a pas attendu la ré
folution des Etats- Généraux qui fera bientôt
prife fi elle ne l'eft déja , & qui ne peut
qu'être l'expofé du voeu des Provinces Unies,
pour exécuter les menaces qu'elle avoit fait
faire par le Chevalier Yorck. Le parti qu'elle
a pris de fufpendre l'effet du traité de marine
conclu entre les deux Puiffances en 1674 , a
paru étonnant , fur- tout dans les circonftances
préfentes. Il n'y a cependant rien de
plus pofitif que les articles de ce traité ; les
( 40 )
Anglois l'ont enfreint de la manière la plus
violente ; leur conduite avoit certainement
difpenfé les Hollandois de l'exécution des
traités fubfequens d'alliance offenfive & défenfive.
La proclamation de la Cour de Lon .
dres , après un acte comme celui dont elle
s'eft rendue coupable en attaquant des vaiffeaux
fous convoi , ne peut qu'achever
d'indifpofer les Puiffances neutres ; elle ne
doit pas ignorer que ce font fes excès qui ont
donné lieu au projet de la neutralité armée .
Ils ont appuyé plus que toute autre chofe les
négociations qui ont procuré cet avantage ,
en faifant fentir la néceffité d'un plan de
cette importance.
On est très -impatient , écrit-on de la Haye , d'apprendre
comment le ministère Anglois aura reçu la
Déclaration de Pétersbourg ; à en juger par l'ìmpreffion
qu'elle a faite fur la Nation , on ne peut
douter qu'elle n'ait déconcerté les projets formés
dans le cabinet de Saint-James , qui paroît ne s'y
être pas attendu ; il femble que dans tout le cours
de cette guerre il ne s'eft attendu à rien de ce qui
eft arrivé. Peut être touchons - nous au moment
de voir le dénouement des évènemens intéreffans &
long tems defirés. En attendant le courier Ruffe
qui a été porter cette Déclaration à Londres , en
eft revenu le 16 accompagné d'un courier Anglois ;
& tous deux ont continué leur route vers Saint-
Pétersbourg , avec toute la diligence poffible .
Les Provinces Unies ont pris des réfolutions
aufli unanimes fur le Mémoire
du Prince de Gallitzin ; quelques - unes
ont déja envoyé leur avis ; celui de celle de
Hollande entr'autres tend à accepter l'invi:(
41 )
tation dans des termes remplis de dévoue
ment & de reconoiffance ; elle déclare qu'elle'
eft déterminée à entrer en négociation avec
les Puillances maritimes neutres , & à faire,
une déclaration conforme à celle de la Ruffie
aux Puiffances belligérantes ; elle a voulu
en même-tems que copie de fa réfolution
fût envoyée au Prince de Gallitzin , Envoyé
de l'Impératrice à la Haye , & aux Miniftres
de la République aux Cours de Suède , de
Danemarck & de Portugal , & d'y feconder .
autant qu'il fera poffible les vues de l'Impératrice
de Ruffie.
On affure que les Etats- Généraux ont déja
pris leur réfolution à cet égard , & que le
24 ils l'ont remife au Prince de Galitzin ;
elle eft conforme au vou de toutes les Provinces.
Le 26 , M. le Duc de la Vauguyon , Ambaffadeur
de France , remit aux Etats- Généraux
le Mémoire fuivant :
כ כ »H.&P.S.LefyftêmepolitiqueduRoiefteffentiellement
fondé fur des principes invariables de juftice
& de modération ; S. M. en a donné les témoignages
les moins équivoques dès l'origine des troubles qui
fe font élevés entr'elle & le Roi d'Angleterre , en
prévenant toutes les Puiffances neutres par le déve
loppement des difpofitions les plus favorables à leur
profpérité , & en ne leur propofant d'autres conditions
que celle de la plus abfolue impartialité ,
elle s'eft vue forcée avec le plus fincère regret de n'en
pas reconnoître les caractères dans la réfolution des
Etats Généraux du 19 Novembre 1778 , par laquelle
V. H. Puillances fufpendoient les effets de leur protection
, relativement à une branche de commerce ,
dont les loix de l'équité publique , & les ftipula(
42 )
tions les plus précifes des Traités , leur affuroient
la liberté. Le Roi me chargea alors d'annoncer à
V. H. P. que fi elles fe déterminoient à faire ainſi
le facrifice d'une partie de leurs droits à fes ennemis
, S. M. ne pouvoit conferver à leurs Sujets
les avantages conditionnellement promis par fon
dernier Règlement , ni les anciennes faveurs dont
leur commerce jouit dans fes Etats , & qui ne font
la fuite d'aucune convention , mais d'une bienveil .
lance & d'une affection héréditaire . V. H. P. s'empreffèrent
d'affurer le Roi qu'elles étoient décidées à
obferver la plus exacte neutralité , pendant la duréee
des troubles furvenus entre la France & l'Angleterre
; mais fi elles annoncèrent que l'acte qui
fufpendoit les effets de la protection efficace de la
République en faveur des navires chargés de bois
de conftruction , devoit être regardé comme nonavenu
, à moins qu'il ne fût confirmé ultérieurement
; elles déclarèrent en même - tems que toute
difcuffion fur cette matière feroit furfife jufqu'après
les délibérations qui devoient fixer les convois.
S. M. n'appercevant pas dans cette difpofition nouvelle
un changement réel d'intention , ne crut pas
pouvoir le difpenfer de mettre des bornes aux avantages
accordés dans les différens ports de fon Royaume
, au commerce Hollandois , lorſque V. H. P.
continuoient à fufpendre en faveur des ennemis de
fa Couronne l'exercice des droits les plus folidement
établis ; mais elle s'eft plu à les conferver
aux différens Membres de la République , à meſure
qu'ils ont adopté un ſyſtême qui , en même tems
qu'il eft conforme à fes vues , eft effentiellement
jufte elle a applaudi aux réclamations de V. H. P.:
auprès de la Cour de Londres , aux efforts qu'elles
ont faits pour recouvrer les moyens de rendre au
pavillon des Provinces - Unies fon ancienne confidération
, ainsi qu'à l'ordre pofitif qu'elles ont donné
à une efcadre de fe tenir prête à eſcorter & proté.
ger tous les navires chargés d'objets non-compris .
( 43 )
parmi les marchandifes de contrebande , dès que les
convois illimités feroient arrêtés , & elle a conftamment
defiré que V. H. P. ceffaffent enfin de
mettre obftacle aux témoignages de fon affection ,
en s'abandonnant entièrement aux principes fondamentaux
de leur intérêt. Inftruite de leurs intentions
définitives à cet égard , & affurée du développement
que V. H. P. font déterminées à donner
à leur neatralité , en accordant une protection efficace
& indéfinie au commerce & a la navigation de
leurs fujets , S. M. a écouté avec plaifir les repréfentations
que plufieurs Membres de l'Union , &
notamment le Prince qui eft a la téte de la République
, lui ont faites relativement aux gênes que le
commerce des différentes provinces éprouve dansles
porcs de fon Royaume , & S. M. m'a ordonné
de déclarer à V. H. P. qu'elle a révoqué par un
Arrêt de fon Confeil du 22 Avril 1780 , dont j'ai
l'honneur de leur remettre une copie authentique,
ceux des 14 Janvier , 27 Avril , 5 Juin & 18 Septembre
1779 ; mais elle ne veut pas le borner à rétablir
ainfi les fujets de V. H. P. dans la jouiffance
des faveurs qu'ils éprouvoient avant la publication
de ces nouvelles loix , & dans tous les avantages
conditionnellement promis par fon règlement concernant
le commerce & la navigation des neutres , elle
veut leur donner une preuve éclatante de fa bienveillance
, & elle me charge d'annoncer à V. H. P.
qu'elle a ordonné la remife de toutes les fommes
perçues par les Préposés de fes Fermes , en vertu
defdits Arrêts ; elle fe flatte que des témoignages
auffi importans de fon affection convaincront V.
H. P. non-feulement qu'elle prend l'intérêt le plus
fincère à la profpérité des Provinces- Unies , mais
auffi que la juftice , la modération & la bienfaisance
forment la bafe effentielle & invariable de fa conduite
& de fes procédés.
L'Arrêt du Confeil annoncé dans ce Mémoire
eft du 22 Avril &
conçu
ainfi :
( 44 )
Le Roi étant informé des difpofitions faites par
les Etats- Généraux des Provinces Unies , pour fup→
pléer à la réciprocité requise par fon règlement du
26 Juillet 1778 , concernant la navigation des bâtimens
neutres, & S. M. voulant en conféquence de
ces mêmes difpofitions , donner une nouvelle preuve
de fon affection auxdites Provinces- Unies , s'eft déterminé
à faire cefler les gênes que le commerce de
leurs fujets éprouvoit dans fes Etats , à l'effet de
quoi , oui le rapport , le Roi étant en fon Confeil ,
ordonné & ordonne ce qui fuit.
a
1º. S. M. a révoqué & révoque l'Arrêt de fon
Confeil du 14 Janvier 1779 , qui affujettit à un droit
de fret les bâtimens defdits fujets des Etats-Généraux
des Provinces -Unies des Pays Bas , ceux du 25
Avril & Juin 1779 , qui établitlent un nouveau
tarif pour les cbjets provenant de leur crû , pêche ,
fabrique & commerce , & celui du 18 Septembre
1779 , qui interdit & prohibe l'entrée des fromages
de Nord- Hollande dans le Royaume. 2 ° . S. Ma
confirmé en faveur defdits fojets des Etats- Généraux
des Provinces - Unies des Pays - Bas , les avantages conditionnellement
promis par les difpofitions de fon
règlement du 26 Juillet 1778 , concernant la navi
gation des bâtimens neutres en tems de guerre. 3 °.
Voulant S. M. donner auxdits fujets defdits Etats-
Généraux des Provinces Unies des Pays - Bas , unc
preuve éclatante de fa bienfaifance , S. M. a or
donné & ordonne la remiſe de toutes les fommeș
perçues par le Préposé de fes Fermes , en vertu de
l'Arrêt ci- deffus mentionné.
Nos dernières nouvelles de Londres portent
que l'Amiral Walfingham n'étoit pas
encore parti le 26 : on peut juger de là de l'avance
qu'aura fur lui le Comte de Guichen.
Elles ajoutent que la motion faite en Irlande.
pour l'abolition de la loi de Poyning , a été
( 45 )
rejettée par une forte majorité pour les Miniftres
; cependant elle ne l'a pas
été de manière
à ne pouvoir y revenir,
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 17 Avril.
DES écrits ministériels fourmillent de plaintes
contre ce qu'on leur ordonne d'appeller la licence
des Républicains . C'eft aux lecteurs défintéreflés
à décider fi les traits de la calomnie ne partent
pas plutôt des gazertes aux gages des Miniftres ,
& à mettre dans la balance les charges qui ont
été avancées contre le Duc de Richmond , lequel ,
dans le Morning poft du 8 de ce mois , eft dénoncé
comme entretenant aujourd'hui avec l'ennemi
une correfpondance contre l'Etat. Que nous fommes
heureux de vivre dans un tems où ceux qui,
en leur qualité de Membres du Parlement , ofent
cenfurer la nomination inexcufable de certains in
dividus fans expérience , aux places les plus im
portantes , doivent répondre de leur opinion
fur leurs têtes , & où le Miniftre peut , dans
la Chambre des Communes , représenter un
effort pour foutenir ce pays chancelant comme
tendant à bouleverfer la conftitution , tandis qu'au
dehors on aiguile les traits de la calomnie en qua
lifiant du nom de trabifon la vertu publique , qui
eft l'objet de cette conſtitution .
Les Ecrivains miniſtériels ne ceffent de nous dire
que c'eft moins avec les Espagnols qu'avec la Cour
de Madrid que nous avons guerre ; que les peuples
de ce Royaume déteftent la guerre , & que d'après
fon mauvais fuccès il y a tout lieu de croire que
les Miniftres de S. M. C. vont nous crier merci.
Mais les perfonnes qui débitent ces nouvelles , &
fur-tout celles qui font affez difpofées à les croire ,
devroient bien auparavant confidérer deux choſes :
( 46 )
1. que malgré le cii général de toute la Nation
contre la guerre d'Amérique , le Gouvernement ne
s'y eft pas moins embarqué ; 2°. qu'à tous les
échecs que nous avons éprouvés dans cette guerre ,
& dans les tems mêmes où nos affaires étoient dans
la plus mauvaiſe poſture , l'Orateur Ministériel ,
M. Wedderburne , nous a toujours dit que ce
n'étoit point là le moment de penfer à la paix ,
& qu'il falloit attendre que nous fuffions en état
de la faire à des conditions plus raisonnables. Tel
fera probablement le fyftême des Miniftres Efpa.
gnols , & ils vont mettre tout en oeuvre pour rétablir
leurs affaires au point que lorsqu'ils traiteront
de la paix , ils puiffent le faire avec la dignité
qui convient à une grande Nation .
Il s'en faut bien que l'Irlande foit auffi contente
que nos Miniftres le difent . Dans les Provinces de
Leinster & de Connaugt le peuple eft affez tranquille
, mais c'eft à caufe des affurances réitérées
que le Duc de Leinster & le Comte de Clauricard ,
fes Colonels -Volontaires , lui donnent que le Gonvernement
est prêt à lui accorder tout ce qu'il demande.
A Munſter le Peuple fe plaint , & très - haut ,
que les Miniftres ne cherchent qu'à le cajoler afin
de lui faire mettre bas les armes , ce qu'il ne veut
pas faire que tous les griefs ne foient redreffés.
Dans la Province d'Ulfter, où il y a 30,000 , familles
Proteftantes , ( c'eft-à - dire , plus qu'il n'y en
a dans tout le refte de l'Irlande ) , le Peuple eft
déterminé à fe faire rendre juftice , & une juftice
complette & fans réferve ; il a déclaré qu'il ne quit
teroit les armes que lorfque tous les griefs feroient
redreflés ; qu'il avoit un droit à la liberté dont il
jouiffoit , & que la Loi de Poyning étoit un inftrument
diabolique entre les mains du Miniftre
Anglois «.
» Le Comte de Buckinghamshire , Lord- Licu(
47 )
tenant d'Irlande , a inftruit le Ministère , par fes
dernières dépêches , que prefque tous les Magif
trats de ce Royaume n'ont point voulu mettre à
exécution les loix faites par le Parlement de la
Grande - Bretagne. Le premier exemple de la défobéiflance
a été donné par le Comté de Mayo , où
les Magiftrats ont refufé formellement d'exécuter
la loi contre les Déferteurs , fous prétexte que le
Parlement d'Irlande n'avoit point paffé d'acte
fur le fait de la défertion , & qu'ils ne pouvoient
reconnoître d'autres loix que celles de leur propre
légiflation . D'après cette réfolution , le Gouvernement
n'a rien de mieux à faire que de rappeller au
plus vite l'armée qu'il entretient en Irlande , fans
quoi elle fera bientôt réduite à rien par la déſertion.
Il a été tenu en conféquence un Conſeil du Cabinet ,
dont le réſultat eft , dit-on , de ne pas céder en la
moindre choſe à l'Irlande , mais d'affecter la plus
grande affurance , & de prendre le haut ton. Le
fecond Tome de l'Hiftoire d'Amérique !
Dans le cordage d'un vaiffeau , on diftingue ,
en Anglois , fous le nom de Peintre , certain cableau
qui fert à amarrer un bateau au bord du vaiſſeau
dont il dépend. Ces jours derniers , un Peintre étant
occupé à barbouiller la figure des éperons d'un bâtiment
mouillé près de la Tour de Londres , le Com.
mandant qui venoit l'aborder dans la chaloupe ,
cria au Mouffe jette le Peintre à l'eau. - Le
Mouffe ne connoiffant point encore cette eſpèce de
cordage , courut au Peintre , qui avoit déja le corps
à moitié hors du bâtiment , & le précipita dans la
mer. Le Capitaine ne voyant point tomber de fon
côté le cordage , fe mit à crier après le Mouffe en
jurant jette donc le Peintre ? Eh , je l'ai jetté ,
répartit l'autre , avec fon pot & fa broffe. - Le
Capitaine fongea heureufement que ce pouvoit être
fon ouvrier , & le fit repêcher fur- le -champ
-
( 48 )
Le Lord North qui a déjà fait perdre au
royaume prefque tout fon Commerce , paroit déterminé
à vouloir détruire la Compagnie des Indes ,
ce Miniftre , en lui faifant favoir que le Gouvernément
la rembourferoit , n'a eu d'autre intention que
de donner à fes affaires dans l'Inde une impreffion
défavorable. Un exprès fut dépêché de la Trésorerie
à Madraff, le jour même que cet avis fut donné ,
pour informer les créatures du Miniftre dans ce
pays , que la Compagnie alloit être diffoute . Il en
réfultera que les Princes Indiens fe croyant abandonnés
par 1.s Anglois , s'accommoderont le mieux
qu'ils pourront avec les François , les Hollandois
& les Danois. Il naîtra delà un défordre qui obli - `
gera notre Compagnie d'avoir recours à la protection
du Gouvernement qui ne la lui accordera qu'à condition
que la Compagnie fe mettra abfolument fous
la tutelle du Miniftre .
Quelque étrange que cela puiffe paroître , on
affure que malgré la guerre que nous avons avec
la France , il s'eft introduit ici , en contrebande ,
par la voie d'Hollande , une troupe de Comédiens
François , dont le Directeur eft de la même nation.
Notre principale Nobleffe a fait une foufcription
pour les foutenir . Leur théâtre eft dans la maifon
du Lord Coventry , & ils ont joué pour la première
fois le 12 de ce mois.
La proclamation du Roi relativement aux Hollandois
, a fait beaucoup de bruit à la Bourfe . Le
cri général eft qu'elle pourroit occafionner avec la
Hollande une guerre à laquelle le Ministère Britannique
auroit donné le fujet le plus légitime ;
que c'étoit le moyen le plus fûr d'achever la
ruine du commerce ; que c'étoit fe fermer le canal
par lequel on pouvoit , même pendant la guerre ,
faire patler des marchandiſes Britanniques en France
& en Espagne , & c.
JOURNAL POLITIQUE
2
DE BRUXELLES.
RUSSIE
De PETERSBOURG , le 31 Mars.
Tous les grands Gouvernemens de cet
Empire fe mettent infenfiblement fur le pied
fixé par l'Ordonnance de 1775 ; celui d'Ingermanie
fubira ce changement au mois de
Mai prochain , c'est le Feld - Maréchal Prince
Galitzin , que l'Impératrice a chargé de ce
foin . On s'occupe déja des préparatifs néceffaires
, & fur-tout de ceux qui regardent
l'élection des Membres qui compoferont les
nouveaux Tribunaux de Juftice . L'Ouverture
s'en fera avec beaucoup de folemnité ; & il
y aura des illuminations & des fêtes publiques
dans tous les lieux des cercles où ils
font établis .
Le Comte Alexis Orlow , arrivé ici de
Mofcou , eft parti la ſemaine dernière pour
les Pays étrangers. Il va prendre les bains
de Toplitz , Carlsbad , Aix- la- Chapelle &
Spa. De là il fe rendra par la Hollande en
Angleterre. Ce voyage à donné lieu à une
multitude de conjectures ; il paroît cependant
que la curiofité en eft le feul objet , &
13 Mai 1780.
( 50 )
qu'il n'eft venu de Moskou que pour avoir
l'honneur de prendre congé de l'Impératrice
.
L'Officier que la Cour avoit envoyé au
Prince Baratinski,Ambaſſadeur de S. M. I. auprès
de la Cour de Verſailles , eft de retour ; il
a paflé à la Haye , d'où il a apporté des dépêches
de l'Ambaffadeur de l'Impératrice auprès
des Etats- Généraux des Provinces-Unies .
On en ignore le contenu ; mais on croit
remarquer que la Cour en eft fatisfaite.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , ie Is Avril.
ON apprend que la Cour de Danemarck
s'est déclarée formellement fur les propofitions
de la Ruffie , relativement à une neutralité
armée. On ignore encore la réſolution
que prendra notre Cour ; mais il est trèsprobable
qu'elle entrera dans les mêmes.
vues. En attendant , on continue les armemens
deſtinés à protéger notre commerce ; &
le Collége Royal d'Amirauté de cette ville a
expédié à tous les Agens & Confuls qui réſident
en pays étrangers , une ordonnance par
laquelle on annonce à tous les patrons des
navires Suédois , qu'on leur donnera les
convois néceffaires.
On apprend d'Elfeneur que la frégate de
guerre Ruffe le Kulden , montée de 24 canons
, & commandée par le Capitaine Lieuenant
Bolfchmanoff qui a hiverné à Co(
51 )
penhague , a paffé par le Sund le 12 de ce
mois pour aller prendre en Hollande l'équipage
de la frégate Ruffe la Natalie , qui a
péri près du Texel.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 16 Avril.
M. OKENCKI , Coadjuteur de Poſnanie , a
été fait Vice - Chancelier de la Couronne en
même-tems que le Comte de Borch , qui
occupoit cette place , a été élevé à celle de
Chancelier.
Les 60 canons de différens calibres , dont
l'Impératrice de Ruffie fait préfent au Roi ,
ont été envoyés avec une forte eſcorte de
Kiovie à Bialacerkiew , par le Feld-Maréchal
, Comte de Romanzow. M. Stempkowski
, Régimentaire de la Couronne , a
été chargé de les recevoir & de les faire paffer
ici où ils font arrivés. S. M. a fait préfent
de 300 ducats à M. de Stempkowski &
a accordé un brevet de Lieutenant à ſon fils ,
qui eft encore fort jeune.
Le Comte Oginski , Grand- Général de
Lithuanie , eft reparti pour Slonim. Peu de
jours avant fon départ , un Officier étranger
lui a fait préfent d'un fabre que l'on eftime,
d'un grand prix ; la lame eft de l'acier le
plus fin & très- tranchante ; on y lit en lettres
d'or Aureng- Zeb , & le millésime de
1679 ; ce fabre , dont la poignée eft d'or &
bien travaillée , fut pris fur Aureng- Zeb par
:
C 2
( 52 )
1
les Perfes ; ceux- ci le perdirent dans une bataille
contre les Turcs , & un de leurs Agas
le vendit au Congrès de Buchareſt à un Officier
Ruffe , à la conclufion de la paix entre
la Ruffie & la Porte . Celui qui a fait préſent
de ce fabre au Grand- Général en a reçu 200
ducats , avec une place confidérable parmi
les Officiers de fa maifon , fa fanté ne lui permettant
plus le ſervice militaire.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Avril.
UN courier , arrivé dernièrement d'Italie ,
vient de remettre à la Cour le teftament du
feu Duc de Modène , ainfi que le codicile
que ce Prince a fait pendant fa dernière maladie
, & par lequel l'Empereur eft déclaré
fon exécuteur teftamentaire.
L'Impératrice eft revenue le 12 de Prefbourg
; pendant fon féjour elle a honoré
d'une vifite la Comteffe Douairiere du
Comte Léopold Palfy , & a été voir le nouveau
palais qu'on y conſtruit pour le Cardinal
-Primat du Royaume de Hongrie.
On parle beaucoup de faire une nouvelle
chauffée vers la Stirie & Gratz ; elle feroit
très-avantageufe pour le commerce , parce
qu'elle ouvriroit un chemin plus court &
plus facile aux voitures , qui font obligées
de faire un grand détour à travers des pays
montagneux.
Comme cette Cour n'a aucun traité avec
( 53 )
les Puiffances barbarefques , le commerce
de fes fujets dans la Méditerranée , fe trouve
expofé aux pirates qui infeftent cette mer ;
on prétend qu'à la requifition des Marchands
, elle va faire équiper à Trieſte & à
Fiume un vaiffeau & 2 frégates pour les
protéger.
De HAMBOURG , le 27 Avril.
LA Déclaration de la Ruffie accueillie avec
empreffement dans le Nord , prépare peutêtre
un nouvel ordre de chofes ; une union
folide entre les Puiffances commerçantes
en fera du moins le fruit . Si elle amène ,
comme on l'efpère , dans le Commerce
une balance politique , ſemblable à
celle qui s'eft établie dans les forces de
terre des Etats de l'Europe , les prétextes de
guerre deviendront moins fréquens , &
l'humanité devra beaucoup aux Souverains
de qui elle tiendra cet avantage , ce grand
évènement , pour l'effet duquel le voeu eſt
général , femble avoir été prévu.
לכ
Si , dit un papier public , dans le tems où le
fyftême d'une balance politique de puiffance en
Europe prit naiffance , & où ce fyftême intéreffa
tous les Etats à leur confervation refpective , fi
dans ce tems , dis - je , on avoit imaginé que le
commerce maritime étoit une fource commune de
richeffe & de puiffance , il eft aifé de préfumer
qu'on auroit établi auffi une balance politique de
commerce ; on l'oublia , & l'Angleterre , gouvernée
alors par un homme ambitieux & heureux , profita
de cette faute pour jetter les fondemens d'un comc
3
( 54 )
merce prefque exelufif. Cet acte de fuprématie ,
appellé acte de navigation , augmenta d'abord les
forces maritimes de l'Angleterre , & elles finirent
par fubjuguer , à la longue , celles des autres nations .
Des fuccès continuels rendirent cette fuprématie
chère aux Anglois ; & ils ont tout facrifié , juſqu'à
leur félicité même , au beſoin de la perpétuer «.
Mais jamais l'Europe ne s'eft unie pour
attaquer ce Coloffe ; la Hollande & le Portugal
l'ont toujours étayé ; à la veille d'être
privé de ces deux appuis , il penche aujourd'hui
vers fa ruine , & il tombera enfin
fi l'exécution du projet de la Ruffie répond
à la fageſſe avec laquelle il a été conçu .
Tandis que l'Europe attend de la neutralité
armée le moyen de mettre promptement
fin à la Guerre , ou du moins de la
concentrer , l'obftination du Miniſtère Britannique
femble chercher à l'étendre. On
affure qu'il a fait faire fous main à une
Cour puiffante des propofitions , dont l'objet
feroit d'occafionner une Guerre de terre ,
& qu'une autre Puiffance a déclaré que
dans ce cas l'Angleterre trouveroit en lui
un nouvel ennemi ; mais ces bruits n'ont
peut-être aucun fondement.
Le Duc Régnant de Wurtemberg a conclu
le 11 de ce mois , avec les Princes fes
frères , une convention pour régler fa fucceffion
, ainfi que le paiement des douanes
& des penfions dont elle eft grévée , &
entr'autres de la penfion de 8000 florins
affurée par S. A. S. à Madame la Comteffe
de Hogenhaim .
( 55 )
On dit que par le teftament de la feue
Ducheffe de Wurtemberg , le Prince Henri
de Pruffe hérite de tout l'argent comptant ,
montant à 84,000 écus , & que l'argenterie
, les bijoux & les diamans doivent fe
partager entre le Prince Ferdinand de Pruffe ,
la Princeffe Amélie de Pruffe , la Reine de
Suède & la Ducheffe Douairiere de Brunfwick.
Le Roi de Pruffe vient de faire adreffer
à fon Grand - Chancelier un ordre du Cabinet
, en date du 14 de ce mois , en forme de
lettre , fur la réforme de la Juftice dans fes
Etats.
» Mon cher Grand- Chancelier ! Vous ne pouvez
pas ignorer qu'en 1746 , & déjà avant ce tems ,
nous avons apporté toute notre attention à abolir
& à corriger les abus & les irrégularités qui fe font
gliffés dans l'adminiſtration de la juftice dans nos
Etats , en ftatuant : 1 ° . De mettre tous nos Collégés
de Juftice fur un meilleur pied , en n'y admettant
que des membres d'une capacité & probité reconnues.
2 °. De purger la procédure des caufes litigieufes
de toutes les formalités inutiles , pour faciliter
les moyens d'en reftreindre la conclufion dans
l'efpace d'un an ; 3 °. & de faire un recueil de nos
loix , éparfes jufques- là dans une infinité de volumes
, & de déterminer le fens clair & précis de
celles qui pourroient paroître équivoques , & induire
en erreur.
Quant au premier point , nous ne doutons nullement
qu'on ne parvienne ailément à ce but , en
établiſſant une plus grande fubordination dans les
Colléges , plus d'ordre dans les affaires , & fur-tour
en s'en tenant ftrictement & rigoureuſement à notre
inftruction , fuivant laquelle on doit examiner les
C 4
( 56 )
jeunes Candidats qui fe préfentent , éprouver leur
capacité & s'affurer de la régularité de leur conduite
& de leurs moeurs ; & fur-tout en prolongeant le
tems qu'ils font tenus de travailler en qualité de
Référendaires dans nos Colléges de Juftice . Mais,
comme une ordonnance auffi fage ne peut être qu'entièrement
infructueuse , à moins que les préfidens
& les directeurs de chaque collège ne tiennent
rigoureufement la main à ſon exécurion , c'eſt à
vous à y veiller, & nous voulons & ordonnons par
la préfente qu'elle foit fuivie par-tout avec la plus
fcrupuleuse exactitude . Pour cet effet tous préfidens
& directeurs des Colléges de Juftice auront à vous
informer ponctuellement & avec la plus parfaite
impartialité, de la conduite de leurs inférieurs ; &
c'eſt à quoi dans vos vifites , vous apporterez une
attention particulière ; en obfervant , qu'il ne fuffic
pas qu'un membre de quelque college foit irréprochable
à l'égard de quelque infidélité , de corruption
ouverte ; il doit encore , jufques dans les moindres
actions qui fe rapportent à ſon office , agir conftamment
fans paffion , & éviter toute apparence de
partialité. Tout homme fans conduite & fans
moeurs , oublie aifément fes devoirs , & doit être
rejetté du corps des Juges , fans acception de perfonnes
, & fans confidération quelconque pour fa
famille , ni même pour les talens & la capacité
qu'il pourroit avoir d'ailleurs . Lorsqu'au contraire
nous pourrons nous affurer de l'intégrité & de
l'incorruptibilité inviolable de nos Tribunaux , nous
ne manquerons pas de leur rendre juftice , de les
honorer & les récompenfer felon leur mérite. En
revanche nous ne connoiffons point de peines afflictives
allez graves , pour punir ceux qui manquant
à des devoirs auffi effentiels , feroient capables d'abufer
du pouvoir d'un office , jufqu'à opprimer
l'innocence , renverfer & anéantir la juftice , pour
la défenſe & le maintien defquelles cet office leur
a été confié.
( 57 ) Quant au fecond point qui concerne la procédure , je veux croire qu'on en a en grande partie aboli
dont toute l'Allemagne
a eu à ſe plaindre
les abus ; mais dans le fond vous conviendrez
, qu'on y voit encore le même tiffa inepte du droit
(
Supplément aux Nouvelles de Londres,le Samedi 6 Mai
1789.
9
LE Général Clinton, dansfa dernière dépêche, qui eft du, Mars, évitede rendre compte dela traverfée dela Flotte&de l'Arinée
de New- Yorckàla Caroline
Méridionale,
vraisemblablement parce
qu'il croyoit que c'étoità l'Amiral
Arbuthnotà envoyerà l'Ami-
Yauté cette partie de l'hiſtoire de
l'Expédition. Mais, foit que l'Amiral
n'ait pas jugéà proposdela
compléter, quoiquefi
intéreffante,
foit que les Lordsde
l'Amirauté n'aient pas cru devoir mettrele
récit qu'ila puen faire fous les yeuxdu Public, nousne favons
quela moitiédece qui intéreffe notre curiofité.
re,
Le Capitaine Drake,
commandantle Rufel, quoiqu'à fon retour
dela Carolineà New- Yorckil n'eût rien
d'importantà écri
a penfé qu'il feroit
repréhenfible de laiffer partir des dépêches
des
Officiers
commandans furtere, fansy joindre quelque chofe
du fien, enfa qualité d'Officier de Marine, alors
Commandanten
Chef fur les lieux. En
conféquence,il donneun détaildece qu'il
a appris, pour fervir de fuiteàla Relation qu'il fuppofe avoir été
envoyée par l'Amiral
Arbuthnot, de forte que nous avonsla continuation
da lin
Sɔ
égard . L'ufage conftant de ce peuple oulige
rien qui pune
( 56 )
jeunes Candidats qui le préfentent , éprouver leur
capacité & s'affurer de la régularité de leur conduite
& de leurs moeurs ; & fur-tout en prolongeant le
tems qu'ils font tenus de travailler en qualité de
Référendaires dans nos Colléges de Inthic Ma
embaGrcarozauKcednpvqieatilrtueddndtauitenedeseesnre:
la Cour, fi c'eft le Major- General Pattifon ou le Lieutenant-Genéral
CKonmympahHneaNdCfurefahefqowfneeeeuitf-ftnniàsét,,
feoxnceYchrtoabltcisrcieoeo'loecueiunnelunknnàrtss.s,
cocnofméFqmléau'avuaerlnruni'oEtdceu2lirl&neern5etee,
ccehoanaaMnvcvmraoooardmroui2nrnuil&cesns7s;eetta,i,
pddrheeeibrrmfnnoetipiiuoèreelifrerrller&se-eeaaase,,
SeDpéltp'eaAnrmtrtéipermTnoamiioonreqètaounurdrlîtteeeeet.
boulienveexrpfleicichdnaêéaaebttuddonnlra&neessetet.
DféoptNacmerromnoqtesntuieduae'èû'érisseeu-tysel,
l'SSSAeeemcccérrréréémtttieaaaqiiinddunnnrrrteeeiiieee,,
ECCmoopammqlaeSuummonuoceftiiyuunlirnssésni-eni,,-
l'Amcéaoftqrfolnuiaauq'qiietlrdfofuuûe&eefeeneetsssé,
gboaeuuamvrcmueêohocreiomiolnleelelnueenteessprsétss-,
actueqlul'eevmlmoelannneletts.
dCerlmYeaiNaonrnnfrnrq'etpioedcuoaSvrfwlékensiaétàteddo'cuaAfaqhrvveuutoearrt'rfefunivrlièifiàexteelalsntl,-
fHurolCcp'dhThiACeaaotrevrrqamtalgwuluétndee'enxeetràess-.
iPcnrfootamvoldmpiupu'onttlbdeAidceeurlfu-sàeersseat,
d'jOucéftttqCmeaou'bomdbv'elosrpierasi'liùssseuittyell.
dEyfufreboniptflfeaéitirtueèeoiauvlnnuelfr&eessàseees.
d'aYivmplioNooflfriqieetfbucaeonuIeelrfwkuuseLssets-,
iexmtppdéroefrerrfeiefteprfefqnlaoautlufnunnréeetssessss,
Wasehntircneogpnuprttainoddrlrfeneeeate.
inquiféovtppniufOrqegpvdaiddunueaeenNfleeeetrssssea
d'ChGCloTéhainnafopnnérfuotawerlineuoauelrnfernlrseet.-
L'acharémnmneedeonpdnqm'teuraooeutr'mcnunnrtieyetsteael
1SM78aa01mi.()3.
juitice , pour
te & le maintien defquelles cet office leur
a été
confié.
( 57 )
1
..
Quant au fecond point qui concerne la procédure ,
je veux croire qu'on en a en grande partie aboli
les abus ; mais dans le fond vous conviendrez ,
qu'on y vcit encore le même tiffu inepte du droit
canon , dont toute l'Allemagne a eu à fe plaindre
depuis tant d'années .
Il répugne à la nature des chofes , que les Parties
ne puiffent plaider ou du moins expofer ou défendre
en perfonne leur caufe & leurs droits devant les
Juges , & qu'il faille qu'ils les abandonnent à des
avocats engagés par leur intérêt & leur cupidité ,
à multiplier les procès & à les tirer en longueur.
Le plus honnête homme même d'entr'eux qui défi .
reroit remplir les devoirs d'un bon citoyen au préjudice
de fes intérêts , n'oferoit , comme demandeur
ou défendeur , agir avec franchiſe , de crainte qu'un
expofé fimple , une narration vraie & circonftanciée
du fait , ne donnât lieu à fon adverfaire d'abufer de
fa bonne foi & de l'accabler de preuves qui le meneroient
dans un labyrinthe dont il ne pourroit fortir
qu'aux dépends de la bonne caufe de fon client.
UnJuge , entre les mains duquel on ne remet les actes
ou mémoires d'un procès , qu'après que les avocats
auront à leur gré obfcurci , tordu le fens du cas
litigieux , perd de vue l'objet , ne l'apperçoir plus
tel qu'il eft , & s'égare : De là les fauffes décifions ,
les jugemens injuftes que bien fouvent , parce qu'il
fe trouve obligé de fuivre le fil & la marche des
affaires , felon les formes de la juſtice , il fe voit
forcé de prononcer contre fa propre conviction.
On ne me perfuadera jamais que ces procédures
monftrueufes aient été inventées & prefcrites par
un des anciens & fages légiflateurs . Elles ne peuvent
être éclofes que du fein de la barbarie des
fiècles paffés , ou enfantées par la pareffe & la commodité
des Juges . L'hiftoire Romaine ne fournit
rien qui puiffe me faire changer de fentiment à cet
égard . L'ufage conftant de ce peuple obligeoit les
de
Heflois
la Cour,fi c'eft le Major-
Général Pattiton oule
Lieutenant Gener
Riende plus
embarraffant quede
découvrir dans cette Gazette
Tantone fans en avoirle
commencement
.
Knunhaufqeeufnit
( 58 )
Juges à s'enquérir du fait des procès , & à en prendre
une parfaite connoiffance , avant que les orateurs
des parties fuffent entendus , & qu'on en eût porté
un jugement ; & , s'il eft vrai que les loix Papales
chargent les Juges de l'examen du fait des procès
& qu'elles ne permettent aux avocats que la défenſe
des droits de leurs cliens , mon opinion devient une
conviction pour moi à ce sujet «.
La fuite à l'ordinaire prochain.
Les lettres de Drefde nous apprennent que l'Electrice
Douairière de Saxe , y eft morte le 23 de ce
mois , âgée de 56 ans & 3 mois ; S. A. R. étoit fille
de l'Empereur Charles VII.
ESPAGNE.
De CADIX , le 14 Avril.
TOUT eft embarqué & la flotte eſt à pic
depuis hier. Il paroît que D. Gaſton avec
une forte divifion ira la convoyer jufqu'à
une certaine hauteur. Les vaifleaux François
ne resteront ici que le tems qu'il leur
faut pour s'approvifionner. Le Héros eft le
feul qui a eu befoin d'une carène. Les quatre
autres font dans le meilleur état.
Un Bâtiment forti de Baltimore le 19
Mars , nous confirme l'arrivée du Général
Clinton dans la Caroline , & tout ce que
fon armée a fouffert dans fa traverfée. Il
faut qu'elle ait été horriblement maltraitée ,
puifque la Défiance , vaiffeau de Guerre de
64 canons a péri , & qu'on a été obligé de
jetter à la iner 700 chevaux pour lesquels
on n'avoit plus de fourrages. La faifon qui
avance & qui doit de jour en jour devenir
( 59 )
meilleure , nous fait efpérer que notre belle
armée & celle qui va fortir de Breſt , n'éprouveront
pas un malheur pareil.
Le Règlement annoncé de la part de notre
Cour concernant la Navigation des Neutres
, eft du 13 du mois dernier. Il eſt écrit
en forme de lettre , & adreffé par le Comte
de Florida Bianca au Marquis Gonzales de
Castejon , Miniftre de la Marine.
Dès le commencement de la préfente guerre
avec la G. B. le Roi déclara fincèrement , & même
d'une façon dont il n'y a point d'exemple , fes intentions
de faire bloquer la place de Gibraltar ; & S.
M. en fit donner par moi l'avis formel à tous les Ainbaffadeurs
& Miniftres Etrangers , afin qu'ils fuffent
en état d'en inftruire les Nations refpectives , & que
celles- ci puffent éviter dans leur navigation & leur conduite
les conféquences & les procédés autorisés par
le droit des gens & les loix générales de la guerre. Le
Roi déclara pareillement par fes Ordonnances pour
la Courſe , publiées & connues de tout le monde :
Qu'à l'égard des Marchandifes , Productions & Effets
Anglois , chargés à bord de bâtimens portant pavillon
ami ou neutre , S. M. fe conduiroit fuivant le
procédé dont des Anglois en ufoient envers des chargemens
du même genre , afin d'éviter par cette réciprocité
de conduite l'inégalité énorme, le préjudice ,
ou même la ruine, auxquels le Commerce & les Sujets
de S. M. fe trouveroient expofés «.
ג כ
Malgré des difpofitions fi pleines d'équité , de
franchife & de bonne foi , les Capitaines & Patrons
de bâtimens neutres n'ont pas ceffé d'abufer de l'immunité
de leur pavillon , foit en fe gliffant furtivement
dans la place de Gibraltar avec des caigaifons
de vivres , même avec celles qui étoient destinées
pour les flottes & armées du Roi , foit en cachant
une grande partie de leur chargement, confiftant en
c 6
( 60 )
poudre & autres marchandifes de contrebande ; ou en
déguifant par des papiers doubles & fimulés , qu'ils
jettoient en mer lorfqu'ils fe voyoient poursuivis , la
propriété des navires & des effers , ainfi que leur deftination
pour des perfonnes & des endroits différens
de ceux auxquels ils appartenoient réellement & où
ils le rendoient ; foit enfin en faifant une réſiſtance
formelle contre les vaiffeaux du Roi ou contre fes
corfaires , lorfqu'ils cherchoient à reconnoître quelques
bâtimens qu'ils fuppofoient neutres «<,
" Quoique ces faits foient notoires & qu'ils aient
été prouvés par des procédures formelles , ces hommes
avides de gain & pervers , ont rempli toute l'Europe
du bruit de leurs clameurs , répandant fauffement
qu'il avoit été donné ordre de détenir & de faifir
tous bâtimens neutres , qui vouloient paffer le Détroit
, tandis qu'en réalité les ordres fe font bornés à
la détention des navires fufpects par leur route ou
leurs papiers , & qui étoient chargés de vivres ou
d'effets ennemis ; modération bien différente de la
conduite qu'ont tenue la Marine & les corfaires Anglois
, en détenant & déclarant de bonne prife les
vaiffeaux neutres , non - feulement lorsqu'ils portoient
des productions Espagnoles , mais de quelque genre
que fuffent les marchandifes qu'ils avoient chargées
dans les ports d'Efpagne , ou quoiqu'ils fe rendiffent
fimplement à cette prefqu'Ifle , amenant auffi à la
place de Gibraltar les bâtimens neutres qui paffoient
à leur vue avec des chargemens de vivres , quoique
tout ne fût qu'une feinte & un accord fimulé ,
fait d'avance avec les intéreſſés en ces fraudes «.
"
» Ces clameurs ont accompagné plufieurs plaintes
qui ont été portées au Roi en différens recours, remplis
des exagérations & des fauffetés fus-mentionnées ;
& les plaignans fe font adreffés de la même façon à
leurs Cours refpectives , fans faire attention que ,
conformément à tous les traités de paix & de commerce
, les Tribunaux royaux de Marine d'Amirauté ,
( GI )
tant inférieurs que fupérieurs , leur étoient ouverts
pour entendre leurs moyens & leur prononcer Sentence
fur les procès qu'ils y auroient formés , & réparer
les torts que les vaiffeaux détenus auroient foufferts
dans un cas ou dans l'autre fans raifon fuffifam
te , quoique jufqu'à ce moment ce point n'ait jamais
été légalement vérifié ; mais les Capitaines & Patrons
fe font conftamment opiniâtrés à vouloir , que fans
autres preuves que leurs relations & leur recours à ce
Miniftere, on les relâchât & qu'on leur bonifiât les retardemens
ou délais de la détention ; & cela uniquement
parce que la clémence du Roi , l'équité & même
l'indulgence , recommandées aux Juges de la
Marine , ont fait remettre en liberté plufieurs bâtimens
, qui avoient été détenus avec juftice , & qui
auroient pu être déclarés de bonne prife , conformément
à l'Ordonnance , & à ce que pratiquoient nos
ennemis , d'autant qu'on vouloit bien diffimuler içi
les défauts très effentiels des papiers des uns & les
violents foupçons qu'il y avoit contre d'autres ".
» Pour faire évanouir juſqu'à l'ombre de pareils
recours , le Comte de Rechteren , Envoyé des Provinces-
Unies, & les autres Miniftres des Cours étrangères
, furent prévenus que s'ils propofoient des
moyens d'empêcher les caufes de foupçon & les fraudes
, le Roi , pour donner une nouvelle preuve de
la bonne correfpondance & amitié qu'il defiroit de
maintenir avec ces Cours , adopteroit ceux de ces
moyens qui feroient propres à produire un tel effet ; &
comme jufqu'à ce jour ils n'ont propofé ni réglé aucuns
moyens de ce genre , S. M. a jugé à propos de
prendre par Elle même les mesures qui conviennent
à la Souveraineté , réuniifant à cet effet la ſubſtance
de celles qui ont été communiquées jufqu'ici , &
manifeftant d'une maniere , s'il fe peut , encore plus
pofitive , fes intentions fi pleines de juftice , d'équité
& de modération , comme étant fondées fur la réfolution
de les faire obſerver avec exactitude .
Les Articles du Règlement à l'ordinaire prochain.
( 62 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Mai.
LA Cour a publié dans fa Gazette ordinaire
du 29 du mois dernier , les dépêches
officielles qui confirment les nouvelles contenues
dans les papiers royaliſtes de New-
Yorck , arrivés avec le paquebot le Svift.
La lettre du Chevalier Henri Clinton eft
datée de Jame's-Ifland dans la Caroline-Méridionale
le 9 Mars ; la Cour en a donné l'extrait
fuivant.
» Mes dernières dépêches , N° . 83 , auront appris
à V. E. que pour mettre en mer , l'Amiral & moi ,
nous n'attendions que des avis pofitifs concernant l'efcadre
du Comte d'Estaing nons fçûmes , vers la
fin de Décembre , qu'elle avoit quitté la côte , &
comme les troupes étoient embarquées depuis quelque
tems , l'Amiral fe trouva en état d'appareiller le
26. Je ne fatiguerai pas V. E. des détails d'un voyage
rendu très - ennuyeux par les mauvais tems qui fe
font foutenus d'une manière extraordinaire ; je me
bornerai à vous dire que les équipages des tranſports
que nous avons perdus ont été fauvés ; qu'il n'y en a
eu qu'un d'égaré , ayant à bord un détachement
d'Heffois on fuppofe qu'il a pris la route des Indes
Occidentales ; mais nous avons à regretter la perte
totale d'un vaiffeau chargé d'artillerie qui a coulé
bas , & de la majeure partie des chevaux qu'on avoit
embarqués fur la flotte pour la Cavalerie & d'autres
ufages publics . Arrivés à Tybéc , on jugea qu'il
étoit plus à propos de fe rendre à North - Bifto par
une feconde navigation ; depaffer delà à John's-Ifland,
& enfuite à Jame's-Inland : de cette dernière Ifle , en
jettant un pont fur la faignée de Wappoo , nous
( 63 )
-
avons gagné les bords de la rivière Ashley : mon
intention eft de me porter , le plutôt poffible , vers
l'Ifthme de Charles-Town. J'apprens que l'ennemi
y a raffemblé toutes les forces , que l'on dit ne pas
excéder à préfent le nombre de 5000 hommes ;
on y attend journellement des renforts. Comme
l'objet principal des Rebelles eft la défenſe de Charles-
Town , j'ai pris de mon côté le parti d'y raffembler
des forces plus confidérables , & dans cette
vue , j'ai expédié , à un corps que j'avois laiſſé en
Géorgie , l'ordre de joindre immédiatement cette
armée ; il paffera la rivière Savanah , & me joindra
par terre . Les forces navales qui mouillent devant
Charles- Town , confiftent en quatre frégates Rebelles
, une frégate Françoiſe , un vieux vaiſſeau de
60 canons , quelques brigantins & galères . Quoique
la longueur de notre voyage , & les délais inévitables
qui fe font écoulés depuis , aient donné aux Rebelles
le tems de fortifier Charles Town du côté de la
terre , travail que la quantité de leurs Nègres a confidérablement
facilité , plein de confiance dans les
troupes que j'ai l'honneur de commander , dans la
grande affiftance que je reçois de la part du Comte
de Cornwallis , & dans la coopération ultérieure
de la Marine , j'ai le plus grand eſpoir de réuffir.
Je ne puis terminer ma lettre fans exprimer combien
j'ai déja eu d'obligations à l'Amiral Arbuthnot ,
à caufe de l'affiftance qu'il m'a donnée par le miniſtère
du Capitaine Elphinstone , qui jufqu'à préfent
a été principalement employé aux opérations navales
qui concernoient immédiatement les troupes ; l'attention
fans relâche que cer Officier nous à donnée
depuis qu'il a conduit fi habilement & avec tant de
fuccès les tranfports dans North - Edifto , jufqu'à
préfent ; l'utilité extrême dont il m'a été , par fes
connoiffances de la navigation dans l'intérieur des
terres fur cette partie de la côte , méritent nos remerciemens
les plus affectueux «,
-
( 64 )
P. S. Depuis que ma lettre eft écrite , il eft entré
dans Charles Town un renfort que l'on dit être
de 2000 hommes tirés de l'armée du Nord.
·
Cette lettre du Général Clinton eft fuivie
de l'extrait d'une du Général Knyphaufen ,
datée de New-Yorck le 27 Mars.
-- Les
» Depuis que le Général Clinton eft parti d'ici , le
26 Décembre dernier , nous avons eu l'hyver le
plus long & le plus rigoureux dont on ait jamais
confervé le fouvenir ; tout ce qui nous environnoit
étoit une continuation du Continent. Des chevaux
traînant les voitures les plus pefantes , pouvoient
aller fur la glace dans les Jerfeys , & paffer d'une
Ifle à l'autre ; & ce n'eft que depuis le 20 Février
que les rivières & le détroit font navigables.
Rebelles ont cru pouvoir tirer avantage de certe
facilité de communication , & ont médité l'attaque
de Staten - Inland , où fe trouvoient environ 1800
hommes , aux ordres du Brigadier- Général Sterling ,
affez bien retranchés à cet effet , le Général Washington
, dont l'armée étoit cantonnée à Moris-
Town , détacha un corps de 2700 hommes , avec
6 pièces de canon , 2 mortiers & quelque cavalerie ,
le tout commandé par le Lord Sterling , qui arriva
le 18 Janvier de grand matin dans l'Ifle , nos poftes
avancés s'étant retirés à fon approche.-Ces troupes
fe formèrent en ligne , firent quelques mouvemens
dans le cours de la journée , & fe retirèrent dans
la nuit même , après avoir brûlé une maiſon , mis
quelques autres au pillage , emmenant avec elles environ
200 pièces de bétail . - Le jour de leur arrivée
dans l'Ifle , j'avois fait embarquer 600 hommes , à
l'effet de tenter le paffage , & de foutenir le Général
Sterling ; mais les glaces qui flottoient fur l'eau s'y
étant oppofées , ils furent obligés de revenir : j'imagine
que ces tranfports chargés de troupes , que l'ennemi
put découvrir fur la fin du jour , le déterminèrent
à cette retraite fubite , parce qu'il ne pouvoic
( 65 )
1
•
juger du fuccès qu'auroit la tentative. On lui fit
quelques prifonniers lors de fa retraite ; peu de
jours après , un pofte avancé qu'il avoit à Newark
confiftant en une compagnie , fut furpris & enlevé
par un détachement parti d'ici & de Paulus- Hook ,
aux ordres du Major Luman. Le même jour , le
Général Sterling détacha un autre corps commandé
par le Lieutenant - Colonel Boskirk , qui furprit
le piquet d'Elizabeth - Town , & fit prifonniers de
guerre 2 Majors , 2 Capitaines & 47 hommes .
Ces deux entreprifes ne nous ont pas coûté un feul
homme. Quelque tems après , le Général Mathews
envoya un détachement de Gardes & de Cavalerie
provinciale , aux ordres du Lieutenant - Colonel
Northon , pour attaquer un pofte à John's-Houſe
dans les plaines Blanches ( White plains ) . Ce coup.
de main ne réullit pas tout- à - fait à fon gré ; cependant
les Rebelles , qui étoient poftés dans une maifon
, furent attaqués & délogés , avec perte de 40
hommes qu'on leur tua , & 97 faits prifonniers ; au
nombre de ces derniers , fe trouvoient un Lieutenant-
Colonel , un Major & 5 Officiers . Nous eûmes
3 hommes tués , & 15 bleſſés . — Dans la nuit du 22
du courant , nous furprîmes & enlevâmes en partie ,
dans les Jerfeys , un pofte confiftant en 250 hommes ,
dont nous ne fimes que 65 prifonniers , parce que
deux embarquemens , l'un d'ici , aux ordres du Lieu
tenant-Colonel Macpherſon , l'autre de Kings'bridge ,
aux ordres du Lieutenant- Colonel Howard , n'arri
vèrent pas au tems convenu. Notre perte , en cette
occafion , a été très - peu confidérable. Le Capitaine
Armstrong , du 42e Régiment , eft bleffé . Autant
que nous pouvons être exacts dans le calcul , ces
petites entreprises , faites dans le cours de l'hyver ,
nous ont donné 320 prifonniers , & ont coûté à
l'ennemi environ 65 hommes qui ont été tués.
D'après les meilleurs avis que j'ai pu me pro
curer , l'armée du Général Washington à Moris.
1-
( 66 )
T
.
"
Town , confifte en 5000 hommes environ , en ne
comprenant point les milices dans ce nombre. Elle
a beaucoup fouffert de la défertion . Un mécontentement
général règne parmi ces troupes , fatiguées
de la guerre , & encore moins fatisfaites à caufe
de l'aviliffement qui affecte la valeur de leur monnoie
courante «.
On voit par ces détails que les Généraux
Anglois en Amérique ne perdent pas leur
ancienne manière de préfenter les fujets &
les troupes des Etats - Unis ; fi leurs réflexions
fur les mécontentemens généraux , le difcrédit
du papier , qu'on fait être fans fondement
, ne leur font pas dictées par les Miniftres
, elles juftifieroient ceux - ci qui pourroient
dire enfuite qu'on leur en a impofé
fur la fituation des Américains ; mais la Nation
pourroit leur répondre encore , pourquoi
vous êtes - vous laiffé abufer par des
dépêches qui n'ont pas produit cet effet fur
le peuple ?
La gazette du 29 contient encore d'autres
pièces. La principale eft une lettre du Major-
Général Pattifon d'une date antérieure aux
précédentes , puifqu'elle eft de New - Yorck
le 22 Février.
» Les fortes gelées , accompagnées d'une forte
neige , ayant commencé ici vers le milieu de Décembre
, ont fermé la communication de ce Port avec
la mer. Peu de jours après que la flotte de l'Amiral
Arbuthnot fut partie de Sandyhook avec les troupes
aux ordres du Commandant en chef, la rigueur de
la faifon s'accrut à un tel point , que vers le milieu
de Janvier toutes les communications par eau furent
entièrement coupées pour cette Ville , & on en ouvrit
( 67 )
un nombre égal fur la glace : à proprement parler ,
nous ne pouvions pas dire que nous étions des infulaires.
Vers le 19 , le paffage de la rivière North
fut praticable pour le canon du plus gros calibre
dans fa plus grande largeur d'ici à Paulus - Hook ,
c'est-à-dire dans l'efpace de zoco verges ; évènement
dont perfonne ne fe rappelle d'exemple. Très - peu
de tems après , on commença à tranfporter des prifonniers
fur des traîneaux , & des détachemens de
cavalerie marchèrent fur la glace de New-Yorck à
Staten-Inland , ce qui eft un trajet de 11 milles . La
rivière de l'Eft a été auffi fermée pendant plufieurs
jours jufqu'à Brooklin dans Long - Ifland.
Dans ces circonstances , cette Ville s'eſt trouvée
ouverte de plufieurs côtés à l'attaque d'un ennemi entreprenant
. Malgré le peu de fuceès de la tentative
qu'il avoit faite fur Staten Ifland le 14 Janvier ,
le bruit courcir que le Général Washington méditoit
quelque grand coup contre New Yorck , avec
toutes les forces qu'il devoit employer à différentes
attaques. Quoique cette entreprife parût trop hardie
pour être juftifiée , cependant les avis réitérés que
l'on recevoit des préparatifs divers que faifoit l'ennemi
à cet effet , ne permettoient pas que l'on regardât
abfolument ce projet comme n'ayant point
été formé. En conféquence , comme au mois de
Novembre dernier j'avois reçu une adreffe fignée par
les principaux Habitans , tant en leur nom qu'en celui
de leurs concitoyens , par laquelle ils demandoient
qu'il leur fût permis de prendre l'habit militaire , je
crus qu'il fe préfentoit une occafion favorable de
mettre leur fincérité à l'épreuve , d'ajouter à la fécurité
de la Ville & de la Garnifon , dont le Commandant
en chef avoit bien voulu me faire l'honneur
de me confier le foin & le commandement , & d'établir
pour l'avenir une défenſe intérieure , affez forte
pour qu'une Garniſon moins confidérable pût fuffire
en général à la poſition de cette place . Je confultai
( 68 )
3
le Général Tryon fur cette mefure , & le trouvant
de mon avis , après m'être affuré des difpofitions des
principaux Citoyens , je n'hésitai point , & je publiai
une proclamation aux fins de faire prendre les
armes à tous les Habitans mâles de l'âge de 17 à
celui de 60 ans , & d'en former des Corps Militaires.
L'empreffement & le plaifir avec lesquels on fe
prêta univerfellement à mes vues , pafsèrent mon
attente , & dans l'efpace de 7 jours , après la proclamation
, nous eumes le plaifir de voir 40 Compagnies
fournies par les fix quartiers de cette Ville , enrôlées
, commandées par des Officiers & fous les armes
, le tout montant à 2660 hommes , dont plufieurs
faifant partie des Citoyens les plus refpectables
, fervirent comme fimples fufiliers dans chaque
Compagnie. Plus de 900 d'entr'eux achetèrent des
armes à leurs frais , & s'il y eût eu dans la Ville affez
de fufils à vendre , tous en euffent acheté ; mais
comme il n'y en avoit pas une quantité fuffifante ,
on fut obligé de fuppléer à ce défaut , en tirant des
magafins du Roi le nombre qui manquoit. J'ordonnai
feulement qu'ils ne fuffent livrés qu'à titre de
prêt , & à condition que le Capitaine s'en rendroit
refponfable , en donnant un reçu figné de fa main au
Garde-Magafin , avec promeffe de les rendre lorfqu'il
en feroit requis , ou de payer pour chaque
affortiment complet 36 shellings . Les Officiers qui
commandent ces Compagnies font tous connus pour
avoir des principes d'affection . - Cet efprit , cette ardeur
louables , s'étant ainfi manifeftés , fe communiquent
rapidement à toutes les claffes d'hommes.
Les divers départemens publics fe difputent à l'envi
l'honneur d'offrir les premiers leurs fervices comme
volontaires J'acceptai volontiers leurs offres , & en
conféquence je les formai en Compagnies. Les anciennes
Compagnies volontaires qui exiftoient déja ,
augmentèrent leur nombre, & peu de jours après je les
paſſai toutes en revue fous les armes ; la plupart
( 69 )
avoient fait la dépenfe d'uniformes qu'elles portoient.
Le Général Kniphauſen , le Général Tryon & tous
les Officiers Généraux étoient préfens , & tous exprimèrent
la fatisfaction infinie que leur donnoit la vue
d'un Corps fi refpectable. L'état que j'ai l'honneur de
joindre à ma Lettre inftruira V. S. du nombre de
ces nouvelles Compagnies affociées , & de celui des
hommes effectifs dont elles font formées. J'ai de
plus reçu un Mémoire de la part de so particuliers
diftingués , Habitans de cette Ville , par lequel ils
offrent de fe former en une Compagnie de Cavalerie
( fe chargeant à leurs frais des chevaux , des
uniformes & des armes ) , & de fervir lorsqu'ils en
feront requis , foit dans cette Ifle , foit à Long-
Inland.
Le zèle diftingué & plein de mérite que les
Officiers de la Marine Royale ont fait éclater dans
cette occafion fingulière , demande toutes les expref
fions de ma reconnoiffance. Les Capitaines Edgar ,
Brenton , Osborne , Ardefoif & Aplin , dont les
vaiffeaux étoient arrêtés par la glace , m'offrirent
leurs fervices perfonnels pour agir à terre avec
tous leurs matelots. Le Capitaine Howe de la
Thames , en fa qualité de Commandant me
notifia par une lettre officielle le defir que témoi
gnoient tous les autres Officiers de fervir fous
mes ordres de la manière dont ils pourroient fe
rendre plus utiles . Ces offres généreuses furent
acceptées avec reconnoiffance. On forma une redoute
circulaire près de la rivière de l'Eft , avec
8 pièces de 12 & une de 9 livres de balle ; on
la leur confia , & elle fut nommée fur le champ
Redoute de la Marine Royale , attention qui parut
être un jufte tribut d'honnêteté . Les matelots
, dont le nombre montoit à environ 350 ,
furent diftribués en dix compagnies , dont chacune
étoit commandée par un Lieutenant de vaiffeau
de guerre. Deux de ces compagnies fervoient
( 70 )
alternativement dans cette redoute , & il étoit
convenu qu'en cas d'alarme elles feroient renforcées
par cinq autres ; les trois autres , dans ce
cas , devoient le rendre à un pofte qui leur convenoit
plus que tout autre , c'eſt- à - dire , fur une
hauteur qui couvre l'Arfenal du Roi , laquelle devoit
être auffi défendue par la compagnie formée
des ouvriers de l'Arfenal fous les ordres du Garde-
Magafin de la Marine , qui eût commandé comme
Capitaine.
Les matelots appartenans aux bâtimens vivriers ,
aux tranfports , aux petits navires & aux vaiſſeaux
marchands , arinés de piques , & fous la direction
du Capitaine Agent Laird , étoient destinés à
garder & à protéger la chaîne entière des quais
& des navires depuis le chantier jufqu'à la batterie
baffe , fituée à l'autre extrémité de la Ville.
Les Capitaines de la milice , defirant la rendre
permanente & de la plus grande utilité poffible
ont rédigé & figné plufieurs Règlemens relatifs à
fon adminiſtration , pour affujettir à des amendes
ceux de ce corps qui s'abfenteront de la parade
ou qui ne fe préfenteront pas à leur tour pour
faire le fervice dans la Ville , pour les obliger à
tenir en bon ordre leurs armes , leurs munitions ,
&c. ; la milice doit auffi s'affembler tous les Samedis
, & les compagnies volontaires tous les
Dimanches , à l'effet d'être exercées & accoutumées
à l'ufage des armes. J'ai nommé le fieur Amiel ,
qui a fervi 12 ans en qualité d Officier dans le
fixième régiment , Major de Brigade commandant
la Milice. Je lui ai donné un Aide- Major , &
les appointemens de ces deux Officiers feront pris
fur les fonds de la Ville.
Heureufement la rigueur du froid diminue actuellement
, & nous avons la perspective agréa
ble d'un dégel complet , de forte que les idées
d'attaque n'exiftent plus. Cependant il eût été à
( 71 )
defirer que l'ennemi en eût fait la tentative , nous
étions fi bien préparés à le recevoir qu'elle lui
eût coûté cher . Nous apprenons déja qu'indépendamment
de l'addition de force dont nous fommes
redevables à l'efprit de loyauté qui s'est récemment
manifefté ici , cet efprit a beaucoup influé
fur les amis du Gouvernement au delà des lignes
, & même fur l'ennemi qui a craint que l'on
ne méditât une attaque contre les forces principales
à Morris-Town. Cette circonftance a probablement
contribué auffi à la défertion confidérable
de leurs troupes dans les Jerfeys. Depuis quelques
femaines 160 hommes de leurs déferteurs font
arrivés , & fe font enrôlés ici avec les Recruteurs
de nos Corps Provinciaux.
L'état annoncé des forces de New -Yorck ,
indépendamment des troupes du Roi , eft
comme il fuit.
Anciennes Compagnies. » Les Chaffeurs de New-
Yorck , avec uniforme , une Compagnie , Capinaine
, 2 Lieutenans , 4 Officiers non brevetés , 100
Fufiliers , en tout 107 hommes.
Les Montagnards de New- Yorck , avec uniforme ,
une Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 4
Officiers non brevetés , 100 Fufiliers , en tout 107
hommes.
Les Volontaires de New-Yorck , avec uniforme ,
7 Compagnies , 7 Capitaines , 15 Lieutenans , 28
Officiers non brevetés , 405 Fufiliers , en tout
455 hommes.
Nouvelles Compagnies affociées . L'Artillerie de
la Marine de New - Yorck , avec uniforme , une
Compagnie , 1 Capitaine , 1 Lieutenant , 1 Officier
non breveté , 95 Fufiliers , en tout 98 hommes.
Les Volontaires Loyaux du Commiſſariat , avec
uniforme , 2 Compagnies , 2 Capitaines , 4 Lieutenants
, 6 Officiers non brevetés , 195 Fufiliers , en
hommes. tout 207
( 72)
1 Volontaires de l'Artillerie , avec uniforme , une
Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 4 Officiers
non brevetés , 149 Fufiliers , en tout 166 hommes.
Les Volontaires Ingénieurs , avec uniforme , une
Compagnie , 1 Capitaine , 6 Lieutenans , 9 Officiers
non brevetés , 118 Fufiliers , en tout 134 hommes.
Les Volontaires du Quartier - Maître Général ,
une Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 3
Officiers non brevetés , so Fufiliers , en tout 56
hommes.
Les Volontaires du Maître- Général des Cafernes ,
une Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 4
Officiers non brevetés , 84 Fufiliers , en tout 91
hommes.
Les Volontaires de l'Arcenal du Roi , 3 Compagnies
, 3 Capitaines , 4 Lieutenans , 6 Officiers
non brevetés , 148 Fufiliers , en tout 161 hommes.
>
La Milice de la Ville , 40 Compagnies , 40
Capitaines , 80 Lieutenans 260 Officiers non
brevetés , 2382 Fufiliers , en tout 2662 hommes.
Total des Compagnies incorporées , 62 .
La Marine Royale fervant fur terre ; s Capitaines
, 10 Lieutenans , 340 hommes , en tout 355
hommes.
Matelots tirés des tranfports , des Bâtimens
Vivriers de la Marine , des Vaiffeaux Marchands ,
des petits Navires , Pilotes de New -Yorck , tous
armés de piques , 5 Capitaines , 5 Lieutenans , 1119
hommes , en tout 1129 .
Total général ,
Officiers fans brevet.
Çapitaines. • .. 72.
137.
Lieutenans. · 139. Fufiliers , & c . $ 348.
Total . $ 796.
N. B.
( 73 )
ers
3
ON. B. Une Compagnie de 60 hommes de
Cavalerie légère , tirée du département des chevaux
de l'Artillerie , eft armée de fabres & de piftolets ,
habillée en uniforme à fes frais , & commandée par
le Capitaine Scott ; l'Artillerie de la Marine de
New- Yorck , eft formée de la Société de Marine ,
établie par une Chartre Royale «.
Toutes ces pièces font terminées par
l'extrait fuivant d'une lettre du Capitaine
Drake du vaiffeau de S. M. le Ruffel en
date de New- Yorck le 29 Mars.
כ
Quoique je n'ai rien de particulièrement intéreffant
à apprendre aux Lords - Commiffaires de
l'Amirauté , je ne croirois pas convenable de laiffer
partir un paquebot de ce Port , fans vous prier
d'informer leurs Excellences , que le 8 du courant
j'ai laiffé le Vice Amiral Arbuthnot devant la Barre
de Charles - Town , ayant fon pavillon à bord du
vailleau de S. M. le Roebuck : Il avoit avec lui le
Renown , le Romulus , la Blonde , le Perfeus ,
la Camilla & le Raleigh : Tous ces vaiffeaux étoient
prêts à paffer la Barre dans la matinée même du
8 Mars , fi un brouillard ne s'y fût oppofé. Le Rich
mond étoit arrivé deux jours auparavant devant
Tybée avec un convoi ; les tranſports alloient de
Nord-Edifton cu ils avoient débarqué les troupes ,
à Stono ; au moment de mon départ , les troupes
étoient à Jame's- Inland . Les frégates rébelles qui
fe trouvoient en dedans de la Barre étoient difpofées
de la manière fuivante : La Bricole , la Providence ,
le Bofton , le Ranger , & deux galères mouilloient
devant Sullivans Illand , quatre autres frégates &
trois galères mouilloient devant la Ville ; je fuis
arrivé ici avec le vaiffeau de S. M. que je commande
, le 21 courant , le Vice - Amiral m'ayant
chargé du commandement de ce Port. -Ayant joint
l'Amiral devant Stono , au moment où j'arrivois
de Tybée , & où il fe portoit vers la Barre de
13 Mai 1789.
-
d
( 74 )
1
Charles-Town , & l'ayant quitté fur le champ pour
me rendre ici , je n'ai pas été à portée de vous
tranſmettre aucuns détails ultérieurs , relatifs au
plan d'opération qui avoit été arrêté « .
Il femble que le Commandant du Ruffel
auroit pu donner quelque connoiffance des
premiers efforts qu'on a faits pour paffer la
Barre ; il eft à préfumer qu'il n'y a pas manqué
, mais que la Cour n'a pas jugé à propos
de les publier. Des lettres particulières les
annoncent ainfi.
›
» Le vailleau de guerre la Défiance , montant 64
canons , Capitaine Jacobbs a péri en ellayant de
paffer la Barre de Charles -Town , 4 bâtimens de tranſport
ont eu le même ſort , au même endroit & en
faifant la même tentative. On n'a pas de grandes efpérances
du fuccès du fiége de Charles - Town. La
Ville a été fortifiée avec toute la régularité poffible
par des ingénieurs François ; outre une fortegarniſon
quila défend , elle eft couverte encore par une armée
de 6000 hommes parfaitement bien retranchés. Le
devant Fort Sullivan , conftruit fur l'Ifle de ce nom ,
lequel Sir Henri Clinton fut repouffé en Juillet 1776,
& qui domine fur un côté du port , n'a pas été attaqué
. S'il refte entre les mains des Américains , il les
mettra en état d'incommoder beaucoup les affiégeans.
La Ville eft déterminée à la plus vigoureufe défenſe;
le fuccès avec lequel elle a repouffé l'année dernière
le Général Prevoft , lui donne l'efpérance d'en avoir
un pareil vis - à- vis le Général Clinton . Il ne peut qu'y
avoir beaucoup de fang répandu. En fuppofant que
fir Henri Clinton réuffiffe , l'avantage de poffeder
Charles-Town pendant un été compenfera- t-il la
perte de quelques milliers d'hommes qu'il faut néceffairement
facrifier pour f'obtenir ? D'ailleurs pon
vons -nous regarder comme un avantage la multiplication
de nos poftes ? Plus nous en occupons , plus
( 75 )
nous en affoibliffons les garnifons , plus nous ' no'ls
expofons à voir nos forces coupées en détail . Dès le
mois d'Avril , les chaleurs exceffives de l'été commencent
à fe faire fentir dans la Caroline & fe foutiennent
jufqu'en Octobre. Cette circonftance feule
fuffit pour détruire une partie de notre armée «.
Les premières nouvelles qu'on recevra
de ces contrées ne peuvent qu'être intéreffantes.
Elles nous apprendront où le Général
Clinton en eft de cette expédition projettée
depuis fi long- tems & fi contrariée.
En annonçant qu'il va faire fes approches
il avoue qu'il eft arrivé un renfort aux
Sooo hommes qui étoient déjà dans Charles-
Town , & on eft généralement inquiet ici
fur le fort de cette entreprife.
>
Parmi les papiers reçus de l'Amérique ,
il est arrivé une Gazette de Boſton du 20
Février dernier , dont nous tranſcrirons un
article très intéreffant.
» Jeudi dernier , 17 Février , le bâtiment armé le
Thorn , Capitaine Daniel Waters , mouilla dans
la rade de Nantasket , venant d'une croiſière.
Les détails fuivans font tirés du Journal du premier
Lieutenant à bord dudit bâtiment.
―
2
10 Le 24 Décembre , tems clair & agréable , à
heures du matin , nous découvrimes deux voiles
au vent qui portoient à N. N. O. Nous reftâmes
en panne jufqu'à ce que nous cûmes reconnu que
c'étoient des brigantins armés. - A 4 heures après
midi ils étoient à environ quatre milles fur notre
hanche au vent ; nous fîmes voile & ferrâmes le
plus près , feignant de vouloir nous éloigner d'eux
pour les attirer à la portée du canon. A 7 heures
du foir , prefque calme , notre vaiffeau en ordre ,
les gens de l'équipage à leurs poftes & pleins
d 2
( 76 )
----
--
d'ardeur pour le combat , tems calme toute la
nuit. Le lendemain matin , 25 Décembre , à 6
heures du matin , les deux brigantins étoient par
notre travers babord à environ deux milles . '
Brife légère de l'Ouest , l'ennemi paroiffant faire
des préparatifs pour le combat. A 9 heures du
matin le vent fauta au S. O. Nous portâmes fur
l'ennemi en auffi bon ordre que les circonftances
le permettoient. A 10 heures du matin nous
joignîmes le brigantin de l'arrière qui étoit le
plus pefant ; il héla , de Whitehall , & on demanda
au Capitaine Waters quel droit il avoit de porter
les 15 étoile dans fa flamme, Le Capitaine Waters
répondit ; je vais vous le faire favoir dans le
moment ; & il hilla notre pavillon & lui envoya
une bordée à la portée du piftolet , à laquelle il
répondit ainfi que l'autre brigantin qui étoit par
notre boffoir au vent. Un combat vif commença
des deux côtés & dura deux horloges ; alors
le plus gros brigantin nous aborda fur notre
hanche au vent , tandis que l'autre entretenoit un
feu régulier contre nous par notre boffoir au
vent. Mais celui qui s'étoit placé fur notre hanche
reconnut bientôt fon erreur recevant un feu fi
vif & fi bien dirigé de nos foldats de Marine
& voyant fes propres hommes courir fur le pont
avec des piques au dos au lieu de les avoir en
main , ils furent fans doute fort aifes de s'éloigner
; mais ce brigantin nous allongea de nouveau
peu de tems après , & il recommença fon feu avec
un courage étonnant ; il fut cependant obligé après
avoir effuyé deux ou trois bordées d'amener ce
qui reftoit de fon pavillon, Il faut qu'il y eût eu
beaucoup de fang répandu , car nous vîmes le fang
couler des dalots . L'autre Brigantin voyant que
fon camarade avoit amené , fit le plus de voiles
poffibles pour échapper , mais il nous trouva auffi
difpofés à lui donner challe qu'il l'étoit à fuir ,
?
( 7 )
après que le Capitaine Waters eut ordonné à fa
prife de fuivre. Ce combat dura environ quatre
horloges. Le Capitaine Waters reçut une bleffure
au genou droit environ une demi - heure avant que
le premier eût amené.
>
--
A3 heures après midi nous joignîmes l'autre
après lui avoir envoyé plufieurs boulets de nos
canons de chafle à travers fa hanche , & alors il
amena , quoiqu'avec répugnance. Le Capitaine
Waters m'ordonna de me rendre à bord pour
faire paffer les Officiers à bord du Thorn , & faire
voilé auffi -tôt pour rejoindre le premier Brigantin
qui s'éloignoit de nous. Brife fraîche & tems
nébuleux , nous perdîmes de vue la chaffe .
Tems orageux , le lendemain matin nous vîmes
plufieurs rames , lits , caillebotes , & nous jugeâmes
que ces effets appartenoient au brigantin & qu'il
avoit coulé bas. Ces deux brigantins étoient des
corfaires de New-Yorck , l'un appellé le Tryon ,
commandé par Georges Sibbles , montant 16
canons de 12 , 6 & 4 livres de balles , & ayanc
86 hommes d'équipage ; l'autre eft le Sir William
Erskine , commandé par Alexandre Hamilton , &.
montant 18 canons de 6 & de 4 livres de balle
& ayant 85 hommes.
Pendant le combat , la perte du Sir William
Erskine a été 20 tués & bleffés ; celle de l'autre
n'eft pas connue , mais elle a été probablement
beaucoup plus forte , parce que nous le ferrâmes
de très-près & qu'il effuya un feu bien dirigé ; il
avoit d'ailleurs l'air fort défemparé lorsqu'il amena.
Notre perte dans cette occafion fat de 18 tués
& bleffés. La principale partie de ces derniers fera
bientôt rétablie .
Le Dimanche 2 Janvier nous apperçumes une
voile , nous lui donnâmes chaffe & la joignîmes ,
c'étoit un brigantin de New- Yorck fur fon left
& ayant un grand mât de rechange ; nous le
d 3
( 78 )
laiflames aller après avoir mis à bord tous nos
prifonniers.
Le Jeudi 13 Janvier nous apperçûmes une voile
fous le vent à nous. C'étoit le Sparling de Liverpool
allant à New-Yorck , commandé par Jonathan
Jackſon , montant 18 canons de 6 livres
de balle & ayant 75 hommes d'équipage , chargé
de charbon , de provifions & de balotteries. Après
un combat d'environ dix minutes , il amena.
Notre perte fut I tué & S bleffés ; la leur fut 3
tués & 10 bleffés , au nombre defquels étoient le
Capitaine & deux Lieutenans .
L'avertiſſement fuivant , relatif aux brigantins
dont il vient d'être queftion , eft tiré du Mercure
de New-Yorck , en date du 19 Novembre : » Le
" Brigantin le Tryon , corfaire , Capitaine Georges
» Sibbles , & le Brigantin Sir William Erskine
appareilleront Dimanche prochain avec la per-
» million de l'Amiral . Voici une glorieufe occafion
pour une heureuſe croifière qui le préfente
» à environ 12 bons matelots qui voudront s'em-
לכ
barquer fur chacun de ces brigantins , qui ont
» befoin de ce nombre pour completter leurs équi-
→ pages. On leur promet tous les encouragemens
» poffibles «<,
On ne les trompoit point ; l'occafion étoit en
effet bien glorieuſe !
Nous n'avons aucune nouvelle des Ifles ,
on dit feulement que l'Iphigénie a été prife
par la Vénus de 36 canons. Le retard du
départ du Commodore Walfingham ne peut
qu'avoir des fuites fâcheuses . Il laiße au
Comte de Guichen une fupériorité dont il
aura le tems de profiter pour nous faire
beaucoup de mal : nos papiers donnent
l'état fuivant de nos forces dans ces parages.,
» L'efcadre de l'Amiral Hyde Parker confifte en 17
( 79 )
vaiffeaux de ligne , 2 de so le Prefton & le Centurion.
Le Chevalier George Rodney en a 4 ; & les 3 flottes
parties pour les Ifles en ont chacune un pour eſcorte ,
favoir l'Hector , le Triomphe & l'Intrépide. 24 vaiffeaux
de ligne & 2 de so canons ; le Commodore
Walfingham en a 6 qui les portera à 32 ; mais dans
ce compte on ne défalque pas les gou 10 de l'Amiral
Parker qui font hors d'état de fervir. L'efcadre Françoiſe
confifte en 12 vaiffeaux fous les ordres de MM.
de la Mothe- Piquet & de Graffe , 16 fous ceux de M.
de Guichen : rotal 28 .
L'Amiral Walfingham n'eft pas encore
près d'arriver. Il n'a pu partir le 28 ni les
jours fuivans , le vent étant refté au Sud.
Il a fauté à l'Eft , N. E. le 1 de ce mois ,
& vraisemblablement il en aura profité. On
renforce de quelques vaifleaux l'efcadre
de l'Amiral Graves qui eft deftinée pour le
Canada.
On travaille tant qu'on peut à équiper la
Flotte d'obfervation ; la néceffité de la fortifier
, nous oblige de diminuer celles que
nous aurions befoin d'envoyer en Amérique
; on affure toujours que le Chevalier
Hardy en aura le commandement , le Vice-
Amiral Derby , Amiral de l'Efcadre bleue ,
commandera en fecond , & le Vice- Amiral
Barrington en troifième , le Contre-Amiral
Digby en quatrième..
Le Lord Stormont a adreffé le 17 de ce .
mois la lettre fuivante au Comte de Welderen
, Ambaffadeur des Provinces - Unies .
Le Roi a toujours espéré que la foi des traités ,
& les liens d'une alliance qui a fubfifté depuis
plus d'un fiècle , ainfi que ceux d'une amitié réci
d
4
( 80 )
proque & d'un intérêt commun , joints à l'évidence
du danger qui menace la République elle -même
fi la France & l'Espagne remplifloient leurs deffeins
ambitieux , porteroient L. H. P. à aider S. M. à
s'opposer à ces deffeins , en lui fourniffant les
fecours ftipulés par les traités les plus folemnels.
Mais puifque L. H. P. ont adopté un autre fyftême
, auffi contraire aux intérêts de la République
, qu'à ceux de la G. B.; puifqu'elles n'ont
fait aucune réponſe à la réclamation réitérée de
ces fecours , & n'ont pas même montré la moiudre
intention de remplir des engagemens auffi
clairs & auffi formels , S. M. s'eft vue dans la
néceffité d'exécuter fes intentions , qui ont été fi
clairement annoncées dans le mémoire que fon
Ambaffadeur a préfenté le 21 Mars paffé , & dans
la déclaration verbale que j'ai eu l'honneur de
vous faire par ordre exprès du Roi . Comme vous
êtes parfaitement inftruit , M. , des fentimens de
S. M. , il ne me reste qu'à vous communiquer
ministériellement l'ordre que le Roi vient de donner
en fon Confeil , & de vous prier d'en inftruire
L. H. P. En lifant cet ordre , vous y verrez , M. ,
une attention particulière aux intérêts des fujets
commerçans de L. H. P. La publicité du mémoire
préfenté par l'Ambaffadeur du Roi , ainfi que celle
de la déclaration verbale , difpenferoit fans doute
de tout avertiffement ultérieur ; mais le Roi defire
que les individus fouffrent auffi peu que poffible ,
des fuites du fyftême que L. H. P. ont adopté ,
& qui paroît auffi oppofé aux fentimens de la
nation Hollandoife , qu'il eft contraire aux intérêts
de la République .
Cette lettre & la proclamation qui l'a
précédée , n'ont pas fatisfait la Nation qui
craint toujours qu'une conduite auffi violente
n'ait des fuites. On ne peut fe diflimuler
que c'eft ce qui a attiré la déclaration
( 81 )
de la Ruffie , & le projet de la neutralité armée
qui nous menace , &qui ne nous laiffera
pas le droit que nous avons ufurpé d'inter
préter les traités felon notre bon plaifir ou
nos intérêts , & d'étendre la lifte des mar
chandifes de contrebande . Les 3 articles du
traité de 1734 , auxquels la Ruffie fe réfère
dans fa déclaration à notre Cour , fixent
d'une manière précife quelles font les marchandifes
de contrebande , & les droits du
commerce refpectif des deux Empires
lorfque l'un ou l'autre fera en guerre.
›
» Article X. les fujets de l'une ou de l'autre des
parties , ne payeront pas plus de douanes ou droits
pour l'entrée ou fortie des mêmes marchandiſes , que
ce qui eft payé pour l'entrée ou fortie des marchandifes
pour les fujets d'aucune autre nation & pour
empêcher toutes fraudes des Douanes d'un & d'autre
côté , les marchandiſes qui ont gliffé la Douane pour
éviter le payement des droits d'entrée feront confifquées
, & on n'infligera pas d'autre châtiment aux
marchands de l'une & de l'autre des parties « .
XI. Il eſt convenu que l'une & l'autre des parties
puiffent librement aller , venir & commercer dans
dans tous les états qui font ou pourront être ci-après
en inimitié avec aucunedes parties , excepté feulement
les places qui font actuellement bloquées ou affiégées ,
pourvu qu'ils ne portent point de munitions de guerre
à l'ennemi. Avec tous autres effets , les vaiffeaux
les paffagers , & les effets feront libres & fans em .
pêchemens «.
>
» XII. Les canons , mortiers , armes à feu , piftolets
, bombes grenades , boulets , balles , fufées &
pierres à feu , mèches , poudre , falpêtre , foufre ,
cuiraffes , piquers , épées , ceinturons , gibecières ,
poches à cartouches , felles & brides , en aucune
as
( 82 )
quantité au-delà de ce qu'il en faut pour la provifion
du vaiffeau , ou ce qui peut appartenir & être jugé
néceffaire pour chaque homme appartenant au vaiffeau
ou au paffager , feraeftimé munitions de guerre ;
& fi l'on en trouve , on pourroit les faifir & les confifquer
,fuivant les Loix , mais ni le vaiffeau, paffagers
ou le refte des effets , ne feront détenus pour cette
rai´on , ou empêchés de pourfuivre leurs voyages «.
Le 27 de ce mois on affuroit pofitivement
qu'attendu la retraite de l'Orateur de la
Chambre des Communes , le mécontentement
général de la Nation , la grande probabilité
d'une difpute entre les deux Chame
bres du Parlement , l'incertitude de favoir
file Lord North feroit paffer le Bill de la
nouvelle taxe fur la drèche , & beaucoup
d'autres raifons , les Miniftres avoient pris
la réfolution de diffoudre le Parlement la
femaine prochaine . La feule difficulté effentielle
qui arrêtoit , doit être , dit- on , levée;
elle roule fur l'argent qui a été emprunté ,
fans que l'intérêt , c'est-à- dire les nouvelles
taxes , foit affuré . On a confulté un certain
nombre des principaux prêteurs d'argent , &
ils ont confenti à prendre le fond d'amortif
fement , comme une sûreté du moment , jufqu'à
ce que le Parlement leur donne une
fûreté permanente .
» Si cette nouvelle intéreffante n'eft pas fans fondement
, dit un de nos papiers , il faut de néceffité
que les propriétaires des terres en foient inftruits au
plutôt . En tout tems la diffolution Parlement est
un évènement de conféquence ; mais dans un moment
de cife comme celui - ci , il devient plus important
qu'il ne l'a jamais été, La première fetlion dunouveau
( 83 )
Parlement impofera fur les terres des charges beaucoup
plus lourdes qu'on ne fe l'imagine. Il faudra affigner
des impôts à l'intérêt de la dette non conftituée
, qui feule eſt égale à des fubfides d'une année
( peut - être 20 millions fterl . ) , enfuite à l'emprunt de
1780 , & enfin aux fubfides pour l'année 1781 ; en
tout il n'y aura pas moins de 40 millions fterl. à
trouver dans la première feffion de ce nouveau Parlement.
Si une pareille fecouffe ne réveille pas la Nation
, il faut qu'elle foit dans une léthargie bien profonde
«.
Le parti de la Cour l'a emporté dans le
Parlement d'Irlande fur la révocation de la
fameufe loi de Poyning ; M. Grattam n'a
pas mieux réuffi dans la propofition qu'il a
faire d'un bill déclaratoire de l'indépendance
de ce Parlement , qui devoit produire le
même effet que l'abolition de la loi . Quoique
fon bill n'ait pas été rejetté , il a été remis
à un terme indéfini , ce qui peut être
long. On doit s'attendre que le voeu de la
Nation l'emportera enfin à la longue fur les
efforts du parti des Miniftres.
Au fpectacle qu'offre cette Ville & les environs ,
écrit- on de Dublin , il femble que notre Pays foit devenu
le théâtre de la guerre. On ne voit de tous côtés que
des préparatifs militaires , & tous les Dimanches font
des jours de parade pour les Troupes. A fix heures du
matin , les Compagnies indépendantes font paffées
en revue fur la place du Change , & chacun des
hommes qui les compofent eft fourni de provifions ,
de poudre , de balles , & c. &c. pour toute la journée.
Après la revue elles fe mettent en marche pour
les Campagnes voifines , où on leur lit les prières;
enfuite elles fe féparent en plufieurs corps , qui prennent
différentes routes , & le refte la matinée eft
employé en marches & en efcarmouches fimulées
,
( 84 )
jufqu'à l'heure du dîner. L'après - midi , répétition
des mêmes exercices , & le foir , les Compagnies
raffemblées rentrent dans la Ville tambours battans
& drapeaux déployés , vont fe former fur la place
du Change ; après quoi , elles fe féparent , & chacan
retourne chez foi «.
Il circule d'autres lettres qui affurent que
le Duc de Leinfter a déclaré hautement &
publiquement , qu'il prêtera fon appui au
peuple de ce Royaume , pour lui faire
obtenir la plus entière liberté dans fa conftitution.
On fait combien on a cherché à jetter de
doutes fur les difpofitions de ce Seigneur
qui a été préſenté tour à tour comme attaché
à l'Adminiſtration & au parti du peuple.
Il n'eft pas le feul que l'on ait outragé :
dans les papiers publics le Duc de Richmond
l'a été violemment dans le Morning-
Poft. Comme il a obtenu qu'on fit une information
, on ne fera pas fâché de trouver
ici quelques détails.
» Le 24 , M. Peckam s'étoit adreffé à la Cour du
Banc du Roi , de la part du Duc de Richmond ,
pour qu'il fût fait une information contre l'Imprimeur
du Morning - Poft. M. Peckham a exposé
à la Cour que , depuis plufieurs années , cette Gazette
étoit le véhicule des plus abominables libelles contre
le Duc de Richmond ; mais que ce Seigneur & fes
amis n'avoient oppofé, à ce miférable Mercenaire,que
le filence & le dédain avec lesquels ils ont toujours
traité fes trahifons encore plus méprifables que lui.
Après avoir reproché au Duc de Richmond tous les
crimes du Décalogue , ils ont fini par l'accufer de
haute trahifon dans le Morning- Poft du 25 Février.
Le Duc ne pouvoit intenter une action civile contre
le vil Gazetier , parce que les calomnies ne lui ont
( 85 )
pas fait le moindre tort , mais il l'a attaqué au criminel
, en demandant cette information , pour que
le miférable reçût le châtiment qu'il mérite. En
effet , s'il favoit que le Duc fût un traître , il étoit
obligé , en fidèle fujet , de le révéler , & il auroit
dû le dénoncer au Secrétaire d'Etat , au Procureur-
Général , ou à quelqu'autre de fes amis ou commettans.
Il n'a pas ofè le faire , parce qu'une pareille
accufation étoit démentie & détruite par la vie en
tière du Duc de Richmond , & que s'il falloit à ce
Seigneur des témoins pour prouver qu'il a été l'ami
réel de fon Souverain , il pourroit produire toute la
Nation.
On a procédé enfuite à la lecture des questions ,
dont voici les principales & les plus criminelles .
» N'avez -vous pas fourni , à la Cour de France ,
des plans des parties de cette Ifle les plus foibles &
les moins défendues ?
» N'est- ce pas fur votre avis & à votre inftigation
que les armées havales combinées font venues nous
trouver devant Plimouth , pour tâcher d'effectuer
une defcente fur la côte de Suffex , qui étoit votre
projet favori «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 9 Avril.
Nous redonnons ici la lifte des nouveaux
Colonels pour rectifier quelques inexactitu
des qui fe trouvoient dans celle que nous
avons publiée d'abord .
1
» Le Roi a accordé , le 13 de ce mois , les régimens
fuivans. Dans l'Infanterie au Comte de
Rabodange , le régiment Colonel général de l'Infan
terie , ci - devant Picardie ; au Marquis de Faudoas ,
celui de Picardie , ci -devant Provence ; au Marquis
de la Farre , celui de Piémont ; au Comte Edouard
Dillon , celui de Blaifois ; au Comte de Raftignac , celui
de Champagne ; au Marquis de Sainte- Hermine ,
( 86 )
celui de Normandie ; au Marquis de Bartillat , celui
de Béarn ; au Marquis d'Angoffe , celui de Cam.
bréfis ; au Marquis de Pardieu , celui de Guyenne ;
au Marquis de la Suze , celui Dauphin ; au Marquis
d'Epinay Saint-Luc , celui du Perche ; au Comte
d'Apchon , celui d Aunis ; au Comte de Poudenx ,
celui de Touraine ; au Vicomte d'Hautefeuille , celui
de l'Ile de France ; au Comte de Chalabre , celui
de Limofin ; au Vicomte d'Hautefort , celui d'Haynault
; au Marquis de Vauborel , celui de Royal-
Rouillon ; au Marquis de Montecler , celui de Beauvoifis
; au Comte de Bernis , celui de Vermandois ;
au Marquis de Thémines , celui de Beauce ; au Comte
d'Avaux , celui de Médoc ; au Chevalier de Collé ,
celui de Vivarais ; a Marquis de Caulaincourt , celui
de Rohan-Soubife , & au Marquis de la Tour- du Pin-
Gouvernet , celui de Bourbon . Deux régimens de
Grenadiers - roya.x ; au Comie de Joviac & au
Chevalier de Monchat . Six régimens Provinciaux ;
au Comte de la Grandville , au Comte de Brancion ,
au Marquis du Guefclin au Comte d'Effiat ,
Marquis de Gayon & au Comte Defuos. Dans la
Cavalerie ; le régiment Dauphin au Comte de
Toulongeon , & celui de Berry au Comte de Rieux.
Deux régimens de Chevaux - légers ; au Comte de
Touftain de Viray & au Baron de Coulanges. Trois
régimens de Dragons ; au Chevalier de Coigny
au Marquis du Cayla & au Marquis de l'Efcure.
Cinq régimens de Chaffeurs à cheval ; au Baron de
Klinglin , au Comte de la Galiffonnière , au Baron
de Baltazard , au Vicomte de Maillé & au Marquis
de Sarlabous « .
3 ац
» Sa Majesté a auffi nommé , le même jour , dans
l'Infanterie , Meftres - de- Camps en fecond ; du régiment
de Dauphiné, le Comte de Courbon - Blénac ; de
celui d'Armagnac , le Marquis de Fouquet - d'Auvillars
; de celui Maréchal -de-Turenne , le Vicomte de
Saint-Chamans ; de celui de Barrois , le Comte de
Bafchy ; de celui de Blaifois , le Vicomte d'Aumale 3
( 87 )
de celui de Poitou , le Comte de Bourfonne ; de celui
de Beaujollois , le Marquis de Maubourg ; de celui de
la Marine , M. de Tramain ; de celui de Normandic ,
le Vicomte de Langeron ; de celui d'Anjou , le Comte
de Bourbon- Buffet ; de celui de Flandre , le Marquis
du Pleffis - Belliere ; de celui de Limofin , le Marquis
Charles de Simiane ; de celui de Rouergué , le Comte
de Toulongeon ; de celui de Bourgogne , le Marquis
de Mongaillard ; de celui Royal-la - Marine , le Marquis
de Barbantanne ; de celui de Beauce , le Comte de
Broiffia ; de celui du Perche , le Chevalier de Ver.
gennes ; de celui de Touraine , M. du Fléchin , & dé
celui de Condé , le Chevalier de Grimaldi. Dans la
Cavalerie ; de celui de Berry , le Duc de Cruffol ;
de celui de Royal- Piémont , le Marquis de Roquefeuille
de celui de Royal-Etranger , le Duc de Sully;
de celui du Meftre- de- Camp Général , le Chevalier
de Lameth ; de celui Royal , le Comte de Tracy ; de
celui Royal- Lorraine , M. de Marmiers ; de celui
Royal Champagne , le Vicomte de Clermont-Tonnerre
; de celui du Roi , le Comte de Selmaiſons ; de
celui d'Artois , le Comte de Gain. Et dans les
Dragons ; de celui de Lanan , le Comte de Loftanges ;
de celui de Bourbon , le Vicomte de Sainte- Hermine ;
de celui du Roi , le Baron de Viclla ; de celui de la
Reine , le Baron de la Tour - du - Pin ; de celui de Lan,
guedoc , le Baron de Rannes ; de celui de Noailles , le
Vicomte de Ségur ; de celui de Monfieur , M. de
Savonnieres , & de celui de Schomberg , le Comte
de Turpin ".
De PARIS , le g Mai.
On a appris , le 4 de ce mois , par un
Courier extraordinaire , arrivé de Breft , que
le premier de ce mois , le vent ayant tourné
au Sud-Eft , le fignal du départ de la flotte fut
hiffé vers le foir , & le lendemain dès les s
heures du matin l'armée appareilla. Comme
( 88 )
depuis ce moment le vent a été favorable , il
y a apparence quelle fera beaucoup de che
min en peu de tems . La veille du départ
on avoit mis à terre tous les malades , & on
les avoit remplacés par des matelots frais &
par des foldats tirés des régimens d'Anhalt &
de Neuftrie .
Dans les derniers paquets qu'on a reçus
de la Martinique , plufieurs Officiers ont
joint à leurs dépêches la lettre fuivante : elle
fait trop d'honneur à celui qui l'a écrite & à
celui a qui elle eft adreffée , pour que nous ne
nous empreffions pas de la tranfcrire ; elle eft
de l'Amiral Parker à M. de la Mothe-Piquet.
» M. , jai reçu la lettre que V. E. m'a fait l'honneur
de m'écrite par le petit St -Michel ( bâtiment
Parlementaire ). Quoiqu'il y ait fi peu de tems que
vous m'ayez enlevé une frégate & plufieurs autres
bâtimens , je ne puis m'empêcher de vous estimer,
& d'admirer la conduite que V. E. a tenue dans
l'affaire du 18 de ce mois ( 1 ) . Elle juftifie pleinement
la haute réputation dont vous jouiffez parmi
hous , & je vous avoue que je n'ai pu , fans envie ,
être témoin de l'habileté que vous avez fait voir en
cette occafion. Nos inimitiés font pallagères , &
dépendent de nos maîtres , mais votre mérite a gravé
dans mon coeur la plus profonde vénération.
Je prendrai toujours le plus grand foin pour que
vos Parlementaires & vos prifonniers foien : bien
traités , & je faifirai , avec plaifir , toutes les occafions
qui pourront fe préfenter de vous donner des
preuves de la confidération & de l'eftime avec la
quelle je fuis , &c «.
On voit avec plaifir que l'Amiral Parker
(1 ) Lorfque M. de la Mothe - Piquet fortit feul & fauya
la plus grande partie du convoi del'Aurore.
( 89 )
rend plus de juſtice à fon ennemi que ne l'a
fait l'Amiral Digby à M. du Chilleau , qui
vient d'arriver avec les autres Officiers du
Prothée : ils fe plaignent beaucoup de cet
Amiral ; non - feulement il les a laiffé dépouiller
de tous leurs effets ; mais il a eu la
barbarie de les empêcher d'écrire à leurs fa→
milles pour en obtenir des fecours. La manière
dont il a rendu compte de la prife du
Prothée , rend croyable tout ce qu'on dit de
lui: La défenfe de M. du Chilleau a été trop
belle pour qu'on ne lui donné pas bientôt
un autre vaiffeau .
L'équipage & les troupes qui étoient à
bord du vaiffeau la Victoire , qui faifoit par
tie de la flotte de l'Inde & qui a été pris , font
arrivés à l'Orient. Ce navire a foutenu deux
combats dont on fera bien aife de trouver
ici les détails.
Le 17 de Février , jour du départ de la flotte
de l'Inde , le vaiſſeau la Victoire de 16 canons de
fix , perdit la flotte par défaut de marche : il fit
route feul jufqu'au 23 , qu'il fut attaqué par l'Appollo
, frégate Angloiſe de 36 canons de 12 , qui
après un combat de trois quarts d'heures la força
d'amener. Il y a eu dans ce premier combat trois
hommes de tués , dont M. de Blangermont , Chevalier
de Saint- Louis , premier Capitaine au régiment
d'Auftrafie eft un , & deux foldats ; cinq
bleffés . La frégate Angloife après avoir remorqué
le bâtiment pendant une heure , l'abandonna pour
aller donner avis à la flotte de Rodney que le
vaiffeau faifoit partie d'un convoi pour l'Inde. Elle
laiffa à bord vingt - cinq matelots & cinq Officiers
Anglois pour conferver la prife , ayant fait paffer
à fon bord quatre Officiers du régiment d'Auf(
90 )
trafie , quatre Officiers de l'Erat- Major du vaiſſeau ,
vingt foldats & vingt-fept matelots . M. de Malard,
Lieutenant au même régiment , reſta à bord
de la Victoire avec foixante foldats & huit mate.
lots. I forma le deffein de reprendre le vaiffeau
fur les Anglois ; ce qu'il exécuta avec autant de
bravoure que de prudence , quoique bleffé dans le
commencement de la repriſe d'un coup de fabre ,
& ayant la moitié de fes foldats enfermés dans
la calle & le refte fans arines. Après s'être rendu
maître du vaiſſeau , il fit route pour le port le
plus proche , n'ayant pour conduire fon navire
que le fecond Lieutenant du vaiffeau , jeune homme
plein de bonne volonté . Il n'étoit plus qu'à dixhuit
lieues de la Corogne , lorfqu'il fut chaffé par
un corfaire de 20 canons , qui , après un fecond
combat hors de toute égalité l'a repris & conduit
en Angleterre. Il a eu un feul foldat de tué dans
fa défenfe contre le corfaire. Les Anglois d'ailleurs
fur lesquels il avoit repris le vaiffeau , avoient
pendant le combat forcé les fentinelles & emporté
le gaillard- d'avant , ce qui le mit hors d'état de
foutenir un effort bien fupérieur à lui , mais dans
lequel il a montré la valeur qui eft toujours l'appauage
de la noblefle Françoife.
On a reçu par la voie de Hollande une
lertre du Cap de Bonne- Efpérance , en date
du zo Janvier dernier , qui contient les détails
fuivans.
» Le vaiffeau marchand François le Salomon ,
eft arrivé ici de l'Ile Maurice ; il a effuyé , près du
Cap , une tempête qui l'a teilement endommagé
qu'à fon arrivée dans la rade , il faifeit 10 pieds
d'eau ; & hier il en faifoit 15. On fera obligé de
le détruire. Le vaffeau le Mentor , de la Compagnie
Hollandoie , qui retournoit en Europe , a péri
dans cette même tempête . Deux matelots qui s'é
toient faifis d'une pièce de la poupe , ont erré au
gré des flots jufqu'au 9 qu'ils ont atteint le bâtiment
( 91 )
>
- - Les
François le Salomon , qui les a recueillis & conduits
ici. Ces deux hommes font les feuls qui fe font
fauvés de l'équipage & des paffagers du Mentor ,
à bord duquel étoient embarqués M. Pierre Walckenaar
ci - devant Gouverneur & Directeur de
Ternate , ſa femme , fes enfans & ceux de plufieurs
des principales familles établies aux Indes , & que
le Capitaine s'étoit chargé de conduire en Europe.
Le bâtiment François leur ayant donné avis qu'il
avoit vu flotter un vaiffeau Anglois tout démâté ,
3 vaiffeaux de guerre François , qui étoient ici , ont ›
d'abord mis à la voile pour lui donner chaffe .
4 & 5 Juillet dernier , les bâtimens François le
Sirven , les Bons Amis & l'Hercule , font arrivés ,
& ont fait voile le 13 pour l'Ile Maurice. Le z :
Novembre , le Grand Bourbon , de la même Nation ,"
vint jetter l'ancre dans notre rade ; le
Décembre
le Triton arriva ; & le 25 , le vaiffeau de Cartel
le Sartine. Le 12 de ce mois , les vaiffeaux de S. M.
T. C. le Brillant , l'Orient , le Flamand , la Confolante
, la Subtile , commandés par M. de Tronjoly
, qui monte le Brillant , font venus mouiller
ici ; cette efcadre eft partie le 6 Décembre de l'Ifle
Maurice , & on dit qu'elle y retournera «.
Tous les ports de la Bretagne voient arriver
journellement de nouvelles prifes . Les
Corfaires de Dunkerque & de Granville font
ceux qui fe font principalement diftingués
depuis 15 jours. L'Américaine feule a fait 4
priſes qui toutes font arrivées à bon port.
Le Duc de Coigny , après avoir jetté 73 prifonniers
à Morlaix , a été reprendre fa croifière.
La Manche verra bientôt d'autres Capitaines
non moins redoutables que ceux
qui la maîtrifent , s'il eft vrai que Paul Jones ,
Fabre & Cottineau fe difpofent à fortir de
nos ports,
( 91 )
» La Commiffion pour l'examen des Réguliers ,
vient d'être fuprimée avant la petite Affemblée du
Clergé. L'Arrêt du Confeil d'Etat , porte que les
Commiffaires nommés en exécution de l'Arrêt du
23 Mai 1766 , ayant repréſenté au Roi que l'objet
de leur miffion eft rempli , l'ont fupplié de les décharger
de la furveillance que l'exécution dudit
Arrêt exigeoit de leur part. S. M. , en leur témoignant
fa fatisfaction de leurs travaux & de leur zèle ,
a jugé à propos de fe rendre à leur demande. Elle
enjoint aux Supérieurs & Membres des Ordres &
Congrégations Religieufes , de fe conformer aux
Conftitutions , Statuts & Règlemens rédigés dans
leurs Chapitres , autorifés par le Saint - Siége , &
revêtus de l'autorité de S. M. Elle exhorte les Archevêques
& Evêques de fon Royaume d'en maintenir
l'exécution «.
Aucunes des familles qui fe font préfentées
n'ont pu réuffir à prouver qu'elles étoient
parentes ou héritières de M. Dumas , mort
ab inteftat , Receveur- Général des Finances
de la Généralité d'Orléans. Depuis 5 à 6 ans ,
la Juſtice a été occupée de différentes réclamations
; elles ne pouvoient manquer de fe
multiplier pour une pareille fucceffion ; on
l'évalue à 4 ou 5 millions , d'autant que M.
Dumas avoir réuni à la grande fortune qui
pouvoit fe faire de fon tems dans la finance ,
celle de fon frère qui avoit été Gouverneur
très- opulent de Pondichéri . Il a été jugé définitivement
au Parlement que cette fucceffion
étoit ouverte par droit de deshérence ;
ainfi les Procureurs ne chercheront plus à
lui établir une généalogie , & ſes biens tombent
, felon qu'ils font fitués , aux Domaines
du Roi & des Seigneurs Hauts - Jufticiers .
( 93 )
Par exemple , la veuve d'un Préſident de la
Chambre des Comptes va , dit-on , hériter
d'une terre en Beauce de 7 à 800 mille liv.
S'il avoit été bâtard , toute fa fucceffion auroit
appartenu au Roi. Le Domaine s'en
feroit emparé.
» Un Jardinier qui avoit un tas de fumier dans
la ruelle des Récollets , Fauxbourg Saint - Martin ,
en ayant voulu enlever une partie , y a trouvé enfouies
6 têtes , dont 4 d'enfans & 2 de femmes , qui
fembloient y avoir été placées dès la veille, Le
Jardinier a appellé les voisins ; bientôt la populace
du Fauxbourg eft accourue , & il n'y a point de
contes ridicules qu'elle n'ait imaginés à cette occafion
. Enfin , le Châtelet eft venu ; il a fait enlever
ces têtes , qui ont refté long- tems à la Morne , & que
perfonne n'a reconnues. Tout ce que l'on imagine
de plus vraisemblable à ce fujet , c'eſt qu'elles avoient
été cachées dans cet endroit par des Etudians en
Chirurgie qui les avoient volées dans quelques cimetières
voifins « .
:
» Il est arrivé ces jours derniers fur le Rhône , un
de ces évènemens bizarres qui méritent d'être confervés.
La femme d'un batelier chargea un de fes
jeunes enfans , de porter à fon mari qui étoit fur
la rivière une clef; l'enfant fe rend au lieu indiqué
& n'y trouve plus fon père qui étoit defcendu´plus
bas cependant le batelier qui n'étoit pas encore à
terre , voit flotter fur l'eau un petit foulier ; ce bon
père imaginant que le foulier qu'il voit peut fervir
à fon enfant , va à la rencontre & le prend , le
foulier tenoit à un pied & à un enfant , c'étoit le
fien il étoit tombé dans la rivière & faivoit le
courant , lorsqu'il a été retiré de l'eau par fon propre
père ; heureufement il n'étoit pas entièrement fuffoqué
, & on eft parvenu à force de foins à le rappeller
à la vie ; le batelier a été fi frappé de cet
éyénement malheureux , étrange & fortuné , qu'il
:
( 94 )
en à été malade. Il est aujourd'hui hors de tout
danger , ainfi que fon enfant «.
Anne - Marguerite le Ferrand , veuve de
Claude- Charles , Marquis de Guify , ancien
Capitaine au régiment du Roi , & Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , eft morte ici dans la 84° année de
fon âge.
De BRUXELLES , le 9 Mai.
ont
LES réfolutions unanimes des fept Provinces
- Unies , fur les 3 points importans fur
lefquels l'Europe attendoit leur avis ,
dicté celles des Etats - Généraux ; elles font
de refufer les fecours demandés par l'Angleterre
, d'accorder des convois illimités
& d'accepter avec reconnoiffance l'invitation
de la Ruffie. Quant au premier objer,
le Comte de Welderen a dû recevoir des inftructions
& la réponſe en forme de la Répu
blique , que l'Angleterre n'a pas attendue
pour prendre un parti. Il doit réclamer les
vaiffeaux fortis fous convoi , & leur renvoi
fans forme ultérieure de procès , & infiſter de
la manière la plus férieufe fur une fatisfaction
&une réparation convenable d'un fait qu'on
ne peut regarder que comme une attaque
directe & nonprovoquée du pavillon Hollan
dois , de l'indépendance & de la fouveraineté
de la République.
Les mêmes lettres ajoutent que les ordres
pour armer des vaiffeaux ont été expédiés &
s'exécutent avec beaucoup d'activité . Les
( 95 )
Etats -Généraux font entrés en conférence
avec le Prince de Gallitzin , Amballadeur de
Ruffie , au fujet de la propofition de fa Souveraine.
Il s'agit de favoir à préfent comment
l'Angleterre fe tirera de l'embarras dans lequel
elle s'eft jettée elle-même . Rien ne contrafte
mieux avec fa conduite injuſte & tyrannique
que celle de la France & de l'Efpagne
; leur modération & leur équité font
mieux reffortir le defpotifme Britannique ,
& ne peuvent que finir par foulever entiè
rement l'Europe contre une Puiflance qui ne
ceffe de fe permettre les procédés les plus
révoltans , & qui enfuite accuſe ſes ennemis
de projets ambitieux , & cherche à détourner
fouvent les défiances qu'elle feule doit inf
pirer.
و د
Quoique tout femble faire préfumer , écrit-on
de la Haye , que les différends qui fe font élevés entre
cette République & la Cour de Londres , pourroient
avoir des fuites férieufes , cependant on ne
perd pas tout- à- fait l'efpoir de les voir terminer à
Tamiable. Les Ambaffadeurs refpectifs ne font encore
nulles difpofitions pour le retirer ; & la Cour
de Londres s'eft contentée des ordres qu'elle a envoyés
aux Capitaines de les vaifleaux & aux corfaires
, fans publier encore le règlement qu'elle annonce
dans fa déclaration . Il eft tout fimple que ce règle
ment ne foit pas facile à rédiger ; il eft très-délicat.
S'il n'eft pas auffi fage , auffi modéré , aufli jufte que
ceux qui ont été publiés en France & en Espagne relativement
au commerce & à la navigation des neu
tres , il excitera un cri général ; & s'il l'eft , c'eſt
avouer tacitement que jufqu'à préſent on s'eft mal
conduit ; on a ufurpé des droits qu'on n'avoit pu
détruire foi -même , cette fuprématie.maritime à la(
96 )
quelle on eft fi attaché , & qui eft anéantie quand
J'Europe le voudra « .
Selon des lettres de Londres , le Ministère ,
pour manifefter fon inclination à la paix , a
fait , dit-on , faire des ouvertures à la Cour
de Verfailles ; on ajoute qu'elles font fondées
fur les inftructions de M. Adams , Miniftre du
Congrès Américain , qui eft venu en France
pour ne pas retarder la paix quand on voudra
Y travailler. Plufieurs Puiffances , s'emploient
, dit- on , vivement pour cet effet ;
mais l'indépendance de l'Amérique , ce mot
fatal auquel les oreilles du Ministère Britany
nique ne peuvent s'accoutumer encore , cone
tinue d'être le principal & peut- être l'unique
obftacle qui arrête l'effet de ces négociations.
Il a été conclu entre la France & l'Autriche
un traité de limites des Etats refpectifs
des deux Puiffances dans le Pays- Bas ce
traité eft du 18 Novembre de l'année dernière.
f 1
On lit dans un papier public l'article fuivant
, que nous tranfcrivons tel que nous le
trouvons .
"» Il paffe pour conftant que la Reine de Portugal
a ordonné la révision de tous les procès, & de toutes
les conteftations qu'on a intentées aux Jéfuites fous
le règne de fon père. On prétend que les perfécu
tions qu'ils ont effuyées , les calomnies dont on
les a chargés , font l'ouvrage d'une cabale puiffante
qui les a fait fuccomber. Il fera cependant difficile
à la nouvelle Adminiftration de les excufer entièrement
; & fi elle cherche à réhabiliter la mémoire
de quelques individus , il eft douteux que la Société.
bien éteinte en retire aucun profit «,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
--
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 18 Avril.
LE Roi , par une Ordonnance en date du
22 du mois dernier , a établi un droit que
doivent payer tous ceux qui pafferont fur des
paquebots de ce port à Lubeck , tant pour
leurs perfonnes que pour leurs effets . Les
enfans au-deffous de 12 ans , les pauvres &
les compagnons artifans qui viendront travailler
dans cette ville , font exempts de ce
droit. Les Navigateurs venant de Lubeck
répondront du payement.
Il n'y aura plus de flottille de vaiſſeaux de
guerre & de frégates en ftation à Frideric-
Waren , en Norwège , comme cela fe pratiquoit
depuis 5 ans. L'Amiral Fitcher qui
avoit le commandement de cette flottille , a
ordre de revenir ici . L'attelier & les galères
du lieu feront commandés à l'avenir par un
fimple Capitaine.
}
Les vaiffeaux qui doivent être de garde
l'été prochain , font les fuivans. Dans le.
Sund , le Groenland ; dans cette rade le
20 Mai 1780. e
( 98 )
1
Cheval- Marin , & au Balt , la hourque le
Femern.
On vient d'apprendre que le vaiffeau du
Capitaine Roaberg , d'Iftadt , allant de Stockholm
à Dublin , chargé de fer , a péri corps
& biens près de Marſtrand .
Le bâtiment du Capitaine With , deftiné
pour la Chine , a fait voile pour la mer du
Nord , le 26 du mois dernier. On apprend
d'Helfingor qu'il y eft arrivé le 2 de ce mois
62 bâtimens de la mer du Nord , parmi lefquels
on compte une frégate Angloiſe de 28
canons venant de Hull , avec un convoi de
32 voiles fur leur left , allant dans la Baltique
pour faire des chargemens.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Avril.
Le Comte Ogrodzki ' , Grand- Secrétaire de
la Couronne , vient de fe démettre pour
raifon de fanté , de fa charge de Secrétaire
du Confeil Permanent pour le département
des affaires étrangères ; le Roi a nommé le
Comte de Mnifzeck , Grand- Secrétaire de
Lithuanie pour le remplacer .
Plufieurs de nos Magnats fe difpofent à fe
rendre en Lithuanie pour aller préſenter
leurs hommages à l'Impératrice de Ruflie
pendant le féjour qu'elle y fera. On compte
dans leur nombre le Comte de Braniki
Grand-Général de la Couronne , le Général
Prince Staniflas Poniatowski , & le Baron de
( 99 )
Cocceji , chef des gardes de la Couronne.
Plufieurs autres fe rendront à Léopold pour
s'acquitter du même devoir auprès de l'Empereur.
Le voyage des deux Souverains , &
l'entrevue qu'ils doivent avoir , font ici le
principal objet de l'attention publique. Le
Prince de Gallitzin , Envoyé de l'Impératrice
de Ruffie à la Cour de Vienne , accompagnera
, dit on , l'Empereur , & les principaux
Seigneurs qui fe trouveront à la fuite
de l'Impératrice de Ruffie , font le Prince
Potenkin , le Comte Iwan de Czernicheff ,
le Prince Dolgorucki & le Comte de Stroganow.
Selon les lettres de Czaflaw , il eft arrivé
fucceffivement dans les environs de cette
place plufieurs détachemens de troupes
Pruffiennes , tant de cavalerie que de huffards
, chargés , dit-on , d'acheter des chevaux.
Mais comme le nombre s'en eft accru
juſqu'à 5400 hommes , & que même il augmente
journellement , on penſe que ces
troupes doivent fervir à veiller à la tranquillité
de la Diète qui doit s'affembler dans
peude tems.Leurs quartiers s'étendent depuis
Dubno en Wolhynie , juſqu'à Oftrog dans
l'Ukraine.
On voit ici des copies d'une lettre du
Comte de Stackelberg , Arnbafladeur de
Ruffie , au Nonce du S. Siége , concernant les
ex- Jéfuites confervés dans la Lithuanie Ruffe.
»La protection efficace ( y eft-il dit ) que l'Impératrice
a accordé er tout tems aux Individus de l'Ee
2
( 100 )
glife Romaine , a dû convaincre la Cour de Rome
des favorables intentions de S. M. I. pour fon intérêt,
& particulièrement depuis le moment de la réunion de
la Ruffie- Blanche avec les autres Etats. C'est dans ce
moment même , que S. M. I. ayant voulu mettre un
ordre convenable , tant dans les affaires fpirituelles
que civiles de ces Provinces , & ne refpirant que
la tolérance & la concorde , n'a pas voulu qu'on
gênât la liberté de confcience de ſes ſujets , en
confervant les priviléges accordés de nouveau aux
Eccléfiaftiques & Ordres réguliers , ainfi qu'aux
Inftitats formés pour l'éducation de la Jeuneſſe. La
jouiffance de ces priviléges dépendoit uniquement
de leur fidélité inviolable & de l'obfervation des
devoirs impofés à des fujers fidèles , & tant qu'ils
en donneront des preuves , ils pourront mettre leur
confiance dans la parole facrée de S. M. I. Jufqu'à
ce moment les fujets Catholiques- Romains s'y font
conformés , & principalement en ce qui regarde l'éducation
de la jeuneffe : mais comme cette éducation
a été confiée aux foins des Ordres Réguliers , & le
Gouvernement ayant remarqué avec beaucoup de
fatisfaction le zèle qu'ils ont fait paroître dans leurs
travaux ; feroit - il jufte de priver les fujets de la
Ruffie Blanche d'un établiſſement fi précieux ? Ce
qui arriveroit néanmoins , s'il falloit expulfer de
l'exercice de leurs fonctions des Religieux qui travaillent
pour le bien public. Or , comme tout
Gouvernement indépendant n'eft tenu de rendre à
qui que ce foit aucun compte de ce qu'il juge à pro,
pos de faire envers des individus qui lui paroufent
de quelque utilité pour les vues , l'Impératrice ne
peut admettre aucune idée étrangère fur ce qui concerne
le bien -être de fon Empire , & puifqu'elle a
honoré de fon approbation tout ce que l'Evêque de
la Ruffic-Blanche a établi à l'avantage de l'éducation
de la Jeuneffe , S. M. I. a reconnu par - la que l'Edit
te ce Prélat , loin de reafermer quelque chofe de
( 101 )
--
·
préjudiciable , ne contient au contraire que des règlemens
d'économie , revétus de l'approbation de
S. M. I. & qui tendent à l'avantage de fes fujets Catholiques
- Romains. Enfin , cé Prélat eft il moins
templi de zèle pour ce qu'il doit à la Cour de Rome,
parce qu'il témoigne fa reconnoiffance pour la protection
efficace & publique dont il jouit , & dont
il tâche de mériter la confervation par l'exercice
de toutes les vertus qui diftinguent un bon Paſteur
de l'Eglife ? Telles font les qualités qui lui ont
acquis la bienveillance de fa Souveraine , & qui
de rendent très- digne d'être recommandé à la bonté
de S. S. «
-
ALLEMAGNÉ.
De VIENNE , le 26 Avril.
L'EMPEREUR eft parti ce matin ; l'Archiducheffe
Chriftine , le Duc Albert , étoient
arrivés ici de Presbourg hier , pour prendre
congé de S. M. I. qui a pris fa route fur
Brunn , pour fe rendre en Gallicie. Elle eſt
accompagnée du Général- Major Comte de
Braun , d'un des neveux du Feld- Maréchal
Comte de Lafcy , & des Colonels Zehnter
& Lang.
Un courier arrivé ici le 20 , nous a appor
té la nouvelle que le 12 de ce mois , la Reine
des Deux-Siciles eft accouchée heureufement
d'un Prince. Le 23 il y a eu à cette occafion
grand gala à la Cour ; la grande falle a été
magnifiquement illuminée , & tous les Ambaffadeurs
& Miniftres des Cours étrangères
y font allés faire leurs complimens de félicitation
à LL. MM. II.
ez
( 102 )
On écrit de Péterwaradin , qu'il y vient
beaucoup d'émigrans de la Turquie , le jour
de Pâques , il en arriva près de Zemlin 23
familles à la fois qui , après la quarantaine
ordinaire , s'établiront toutes fur le territoire
Impérial.
Il vient de partir deux Commiffaires Impériaux
pour Cinq-Eglifes où ils font chargés
de remettre folemnellement les patentes qui
l'ont érigée en ville libre , & d'y faire des
règlemens relatifs à l'économie & à la prompte
adminiftration de la juftice .
De HA MBOURG , le 28 Avril.
LES lettres de Stokholm ne parlent point
encore de la réfolution que la Cour de Suède
a prife relativement aux propofitions d'une
neutralité armée faite par la Ruffie . On ne
doute pas cependant qu'elle ne foit déja entrée
ou du moins réfolue d'entrer dans cette
alliance fi intéreffante & fi refpectable , &
dont le but doit être d'un fi grand avantage
pour toutes les Puiffances commerçantes de
PEurope. Ces lettres portent feulement que
le bruit général eft que le Roi fera cet été un
voyage à Stralfund & peut-être à Aix la Chapelle
& Spa .
On écrit de Copenhague que cette Cour
eft décidée à entrer dans la neutralité armée ;
on a vu pendant plufieurs jours des couriers
partir de cette Ville pour Pétersbourg ; quoi.
qu'il ne foit pas encore queftion de préparatifs
qui annoncent quelque armement confi
( 103 )
-3
не
dérable fur mer , il a cependant été fait dé
fenfe dans tous les Ports du Royaume d'y
employer pour le commerce , jufqu'à nouvel
ordre , aucun des matelots de la marine
royale ; l'ordre a été en même- tems expédié à
tous les Gouverneurs des Forts fitués le long
des Côtes , de ne pas permettre que les vaiffeaux
qui portent le pavillon des Puiffances
en guerre commettent aucunes hoftilités à la
portée du canon de ces Forts.
On mande de Kænisberg que le bruit s'y
répand que le Prince Henri de Pruffe fe rendra
aufli à Mohilow, dans la Ruffie blanche ,
où l'Impératrice doit arriver dans le mois de
Mai prochain. Le but de ce voyage eft , diton
, de conférer avec cette Souveraine fur
différens objets très- importans.
Suite de la Lettre du Roi de Pruffe à fon Grand-
Chancelier.
לכ
9
Quoiqu'il en puiffe être nous voulons & ordonnons
par la préfente , qu'il foit enjoint généralement
à tous les Juges de nos tribunaux , d'entendre
les plaintes des parties litigantes , de s'enquérir
& de prendre une exacte connoiffance de leur
différend , des cauſes qui y ont donné lieu ainfi
que des preuves qu'elles peuvent alléguer pour établir
leur droit , afin qu'en qualité de confultans , ils
puiflent effayer , par une décifion préliminaire , conforme
aux loix du pays , de mettre d'accord les plaideurs
, ou les porter à un accommodement amiable.
Nous fommes affurés d'avance qu'en fuivant reli
gieufement cette méthode on coupera racine à
une infinité de procès , uniquement parce que les
parties feront éclaircies fur leurs véritables intérêts ,
fur la nature & la vraie fituation de leur cas liti
>
€ 4
( 104 )
·
gieux. Ce n'eft point que nous entendions par là
priver les parties de l'affiftance amicale d'un Avo.
cat , d'un Jurifconfulte entendu , durant la plaidoirie
& la pourfuite de leur caufe : nous jugeons au
contraire qu'il eft d'une néceffité indiſpenſable d'en
enjoindre un , tant au demandeur qu'au défendeur
pour fervir d'aide & de confeil , pour redreffer
même tout Juge & le ramener à ſon devoir , s'il arrivoit
que celui - ci , foit par négligence , foit par
efprit de partialité , ou par défaut d'intelligence
s'en écartat & voulût faire violence aux loix.
»Mais , pour que cette nouvelle eſpèce d'Avocars
ne dégénère point , pour qu'ils rempliffent leur devoir
fans relâchement , & ne marchent point fur
les brifées des autres , il faut aller à la fource du
mal , empêcher qu'ils ne foient plus engagés par
intérêt à retarder , traîner en longueur & multi,
plier les procès , il faut leur préfenter une autre
perfpective de fortune. Pour cet effet , nos Réfé
rendaires , fuivant notre nouveau plan d'adminiftration
de Justice , feront principalement employés
dans l'examen des cas litigieux , fous les yeux des
Confeillers , auxquels ils ferviront d'aides & d'af
fiftans. Ceux d'entr'eux qui fe diftingueront dans
les occafions par leur capacité & leur intelligence ,
feront confervés & avancés aux Offices d'Avocats
qu'on nommera mieux à l'avenir Aides- Confeillers,
ou Confeillers-Affiftans . C'est dans ce pofte qu'ils
doivent jouir , de même que les Confeillers de nos
Colléges , d'un appointement fixe qui fera pris fur
les honoraires provenant des caufes qu'ils auront
défendues , pour quels honoraires on établira une
caiffe particulière. Ce fera auffi dans leur claffe
qu'on choifira déformais tous les Confeillers pour
nos tribunaux fupérieurs de Juftice. Comme il eft
à préfumer que parmi le grand nombre d'Avocats
actuels on ne pourra trouver que très peu de fujets
capables & dignes d'être élevés au grade de
( 103 )
TO
10
2
Confeillers de Collége , nous voulons que ceux
dont la conduite fera trouvée irréprochable , foient
pourvus de manière ou d'autre , foit aux magiftratures
des villes ou aux autres Tribunaux inférieurs .
Quant aux individus fans talens & fans moeurs ......
x - là ne méritent ceux- aucune attention.
» Enfin , pour ce qui concerne nos loix mêmes ,
L'ufage établi qui veut qu'elles foient écrites en une
langue inconnue & inintelligible à ceux qui ont le
plus grand intérêt à les entendre , comme devant
leur fervir de règle pour le bien conduire , eft ,
quoiqu'on en puiffe dire , contraire à l'équité & à
la faine raifon. Une chofe qui ne choque pas moins
le fens commun , c'eft que dans un Etat libre où
le Souverain eft reconnu le feu! Législateur , on
fouffre des loix qui , par leur obfcurité , leur ambiguité
, ont donné lieu à de fréquentes difputes , à
de vifs débats parmi les Jurifconfultes , pour favoir
fi ces mêmes loix ont jamais exifté , ou fi
elles ont jamais été en vigueur. Il faut donc que
vous apportiez une attention & une application particulières
à ce que toutes les loix faites pour nos
Etats foient miles à la portée & à l''entendement
de nos fujets ; qu'elles foient rédigées en leur langue
, complettement recueillies & expliquées auffi
clairement qu'il fera poffible . Mais comme plutieurs
de nos Provinces ont leurs us & coutumes particuliers
qui ont paffé en force de loi , il faudra néceſ
fairement en faire une compilation & une collec
tion exacte , pour les configner dans un code féparé
où la différence des droits coutumiers de chaque
province fera diftinctement & fidèlement
énoncée.
35
Quoique le code Juftinien qui , comme l'on fait,
eft une collection des loix anciennes , ainfi que des
décisions juridiques faites par différens Jurifconfultes
ne contienne , pour la plupart , que des
loix & des formalités anciennes , abolies par le
›
es
1
( 186 )
non-ufage , & ne convenant plus aux circonſtances
de notre tems ; qu'il foit rempli de contradictions
groffières , l'on ne pourra cependant le rejetter &
le bannir entièrement de nos Tribunaux , attendu
que depuis plufieurs fiècles il a formé & forme encore
aujourd'hui le corps des loix civiles chez plufieurs
Nations européennes. Mais en l'abrégeant ,
en n'en tirant que l'effentiel , ce qui eft conforme
à la loi naturelle , & convenant aux circonftances
du tems ; en fupprimant tout ce qui eft inutile , &
en y fubftituant les loix du pays , on formera un
code fubfidiaire de loix , auquel les Juges pourront
avoir recours dans toutes les occafions où le défaut
de nos loix pourra leur faire naître des doutes
ou partager leurs opinions. Il faut obferver , en
paffant , au fajet de nos anciens Législateurs , que
quoiqu'ils aient épuifé toutes les fubtilités de la
Jurifprudence , ils fembient néanmoins avoir perdu
de vue le véritable but que doit avoir un Légifla
teur , celui d'avifer aux moyens par tefquels on
peut éviter & prévenir la concurrence d'où naiffent
les différens. En effet , tout le monde fait à quelle
infinité de chicanes & de conteftations l'ignorance ,
la précipitation & le défaut de clarté dans l'expreffion
de la part des parties contractantes peut
donner lieu or , on préviendroit certainement
tous ces inconvéniens , en ftatuant que tout contrat
d'achat ou de vente , pour avoir la qualité
d'authenticité requife , feroit paffé devant un tribunal
de juftice , & que les Juges auroient attention
à ce que ces actes fuffent pailés dans la meilleure
forme judiciaire. Toutes querelles entre les citoyens
doivent être comptées au nombre des maux
qui affligent la fociété la meilleure loi eft donc
celle qui les prévient.
»Si la réforme des loix & de l'adminiſtration de la
Juftice que nous nous propofons de faire dans nos
Etats , réuffit , comme nous ne doutons aucune(
107 ) ce
ns
&
ment de fon heureux fuccès , nous prévoyons en
même tems que la plupart de nos graves Docteurs ,
les chofes étant fimplifiées à ce point , perdront leur
latin , ainfi que cet air mystérieufement favant
qu'ils favent affecter , & que le corps entier des
Avocats actuels rentrera dans fon néant ; mais
nous croyons foulager par là nos peuples d'une
charge d'autant plus incommode , qu'aucun autre
moyen n'étoit capable de l'alléger. Les arts , le
commerce , les manufactures y gagneront également
en attirant plus de fujets habiles qui s'y
adonneront.
Au reste , l'exécution d'un projet aufli im
portant que celui dont nous venons de vous char
ger , ne pouvant être l'ouvrage d'un feul homme ,
il faudra chercher à vous afföcier des fujets doués
des éminentes qualités pour ce travail , en former
un Collége permanent & partager entr'eux l'élabo
ration des différens objets relatifs à la Jurifprudence.
En outre cette Commiffion légiſlative fervira
à fuppléer dans la fuite à tous les défauts , au
manque de précifion & aux ambiguités des loix
qui pourroient être gliffées dans la rédaction du
nouveau Code , ainfi qu'à éclaircir les doutes & à
lever toutes les difficultés des queſtions litigieufes
qu'on leur oppofera. Cependant , le cas où l'on
jugeroit néceffaire de faire un changement notable,
quelque nouvel aboliſſement effentiel , cette réfor
me ne fe fera qu'avec l'approbation unanime de la
fufdite Commiffion légiſlative , préfidée par vous ,
& après que vous nous en aurez fait. votre rapport :
du refte , nous ne voulons & ne permettrons point
qu'aucun Juge , aucun de nos Colléges , ni qu'aucun
de nos Miniftres d'Etat , s'arroge le pouvoir d'interprêter,
d'étendre ou de reftreindre le fens de nos loix ;
mais qu'ils aient à s'en rapporter uniquement à cet
égard aux décisions du Collège ci- deffus nommé . Enfin
en vous chargeant de l'exécution de cet important
ouvrage , en vous invitant à l'examiner & à y réfié.
e 6
( 108 )
chir mûrement , nous vous donnons l'affurance de
vous défendre & de vous maintenir conſtamment
contre toutes les cabales , toutes les factions qui
pourroient s'élever contre vous & vous accordons
toure notre protection , ainſi que notre affection
royale «<.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 30 Avril.
LE II de ce mois il eſt entré ici un corſaire
Anglois ; on n'a pas tardé à apprendre que
c'eſt celui qui a maltraité la frégate Suédoiſe
l'Illerim. Il dit pour s'excufer qu'il n'auroit
point fait feu fi on n'avoit pas fait à fes quef
tions une réponſe qui l'autorifoit à des hoftilités
; on ne doute pas que cette affaire n'ait
des fuites , & à préfent que le corfaire eft
connu il pourra être examiné , & puni
comme il mérite de l'être , lorfque la Cour
de Suède aura porté des plaintes.
On dit que le Miniftre de S. M. B. à Naples
a préfenté à cette Cour un Mémoire ,
par lequel il demande pour fa Nation deux
Ports francs , où les vaiffeaux puiffent entrer
avec leurs prifes , les vendre & s'y approvifionner.
Selon une lettre de Smyrne , en date du 23
du mois dernier , il y eft arrivé une lettre de
l'Ambaffadeur de France à Conftantinople ,
adreffée au Conful de fa Nation à Smyrne ,
pour qu'il ait foin qu'on ne mette aucun
obftacle à l'arrivée d'un navire Hollandois ,
qu'un corfaire François avoit forcé de fe ré(
109 ).
ent
00
fugier dans le port de Forchie. Des avis ultérieurs
nous informent que ce bâtiment eft
entré enfuite fans empêchement dans le port
de Smyrne.
Des lettres de Conftantinople , du 3 Mars ,
font mention d'un tremblement de terre arrivé
à Tauris , Capitale de la Province d'Adherbigian
en Perfe ; on dit qu'il a été plus .
terrible que celui qu'on y éprouva en 1651 ,
& s'il faut s'en rapporter aux premières relations
que fouvent la frayeur exagère , cette
Ville , qui contient 15000 maifons & beaucoup
de magafins de commerce , n'offre plus .
que des ruines , puifqu'on compte que fur
100 maifons à peine en eft-il refté 2. Un
grand nombre de citoyens a été enveloppé
dans ce défaftre.
2
> On écrit de Meffine en Sicile , le z du mois dernier,
qu'on vient d'y éprouver pendant plufieurs jours , par
de vives fecouffes de tremblement de terre , les
allarmes les plus fortes , & qu'on n'y eft pas encore
exempt de toute crainte. Ce fléau s'eft d'abord manifefté
dans les hauteurs de Lipari par l'explofion du
volcan de cette Ille , qu'a fuivi de près un tremblement
de terre , dont le mouvement , d'abord vertical
, s'eft étendu enfuite horizontalement du Nord
au Sud , & a duré 6 à 7 fecondes. Le 28 du mois
précédent , à minuit 20 minutes , la même exploſion
a été fuivie d'une autre fecouffe momentanée & fans
ondulation , à laquelle deux autres mouvemens de
même nature mais moins forts , ont fuccédé.
A heures trois quarts & à 5 heures & demie du
matin , la répétition fucceffive & fréquente de cette
convulfion de la terre , a fait abandonner la ville aux
habitans , dont les uns fe font construit , fur l'efplanade
de la citadelle , des baraques & les autres des
"
,
( 110 )
.
tentes où il ont campé jufqu'au premier de ce mois.
Comme on reffent toujours quelque mouvement
extraordinaire fous le fol , & qu'on fait que nonfeulement
le volcan de Lipari jette encore une fumée
très-épaifle , mais qu'il fort auffi de l'Etna un retentiffement
fouterrain , qui préfage , dit-on , une
éruption foudaine , on ne fe raffurera ou l'on ne prendra
un parti quelconque , qu'au retour des perfonnes
qu'on a envoyées pour obferver l'un & l'autre de ces
gouffres de feu «.
» Les dommages qu'ont caufés les divers tremblemens
de terre dont on vient de parler , ont été
proportionnés à la folidité du fol & des édifices.
Meffine a peu fouffert , parce que fon terrain ſablonneux
a fait moins de réfiftance , & parce que la plus
grande partie de la ville eft bâtie fur pilotis. Ils ont
renverfé au contraire des Eglifes & plufieurs maifons
à Roccalumera , Tavermina , Jaci d'Aquila & fur les
montagnes qui ferment cette vallée , dont le fol eft
de pierre dire & de matière calcaire . Il n'y a eu à
Catania que quelques maiſons endommagées , & l'on
attend des nouvelles des endroits plus éloignés . Les
mêmes fecouffes fe font fentir fur toute la côte de
Calabre, parallèle à la Sicile , & elles y ont produit
à- peu - près les mêmes effets «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 21 Avril.
LA flotte & l'armée font toujours dans
cette baie , mais prêtes à partir : en voici
un état fort exact.
Première divifion. Le St-Louis de 80 canons , D.
Jofeph Solano , Chef- d'efcadre , D. J. Ant. Camino,
Capitaine de Pavillon ; St- Auguftin de 70 D. Juan
Salavarna , Brigadier ; Arrogante de 70 , D. Felippo
Lopez Carrizola , Capitaine de vaiffeau ; St-François
( III )
de Paule , D. Domingo Grandellana , Capitaine de
vailleau ; Gallardo de 70 , D. Joſeph Zavala ;
Aftuto de 64 , de Stanislao Velafco. Ces deux derniers
font Capitaines de frégates.
Deuxième divifion. St -Nicolas de 80 , D. Juan
Tomafeo , chef- d'efcadre ; D. F. Morales , Capitaine
de Pavillon ; St- François d'Affife de 70 , D. Jofeph
Domas ; St-Gennaro de 70 , D. Felix Texada ; Velafco
de 70 , D. Sant Jago Munnos de Velasco ; Dragon
64 , D. Pedro Autran ; Guerrero de 70 , D.
Sidel de Eflaba.
Frégates. Ste-Cecile & Ste- Rofalie de 34 , D.
Auguftin Moncada & D. Ant. Talon ; l'Andalous ,
chambequin de 30, D. Magdorel ; St-Gilles , paque .
bot de 16 , D. Juan Aguirre ; Cornouailles , lougre ,
D. Ant. Vatezabel.
Les vailleaux de commerce & de tranfport font au
nombre de 83 fur lefquels on a embarqué les régimens
fuivans. Du Roi , de la Couronne , de Soria ,
de Guadalaxara , d'Hibernia, d'Arragon , de Flandres ;
formant 14 bataillons de 8 Compagnies de fufiliers
, de 80 hommes chacune , & d'une Compagnie
de grenadiers ; il faut y ajouter le deuxième régiment
de Catalogne , formant 2 bataillons de 8 Compagnies
de fufiliers & de 100 grenadiers ; en tout
11,460 hommes , y compris une Compagnie de
100 artilleurs.
On n'eft pas fans inquiétude fur le vaiffeau
de ligne le St- Laurent , que l'on fait
avoir débouqué le 16 pour venir ici , & qui
n'a pas encore paru . Le tems n'a pas été
affez mauvais pour le forcer de gagner le
large.
Nous avons appris ce matin que 2 vaiſ
feaux de ligne Anglois & 2 frégates , qui
étoient mouillés à Gibraltar , en appareillé--
rent hier ; D. Barcelo mit fur le champ à
( 112 )
leur pourfuite 3 vaiffeaux de ligne. Les f
gnaux de la côte ont donné plufieurs avis
aujourd'hui : nous faurons ce foir ce qu'ils
ont annoncé , & fi la divifion de Barcelo a
pu joindre les ennemis.
La dernière Gazette de Madrid contient un fup
plément très - étendu , offrant le détail des opérations
exécutées contre les Anglois fur la côte de
Campêche depuis le 2 Août jufqu'au 5 Novembre
de l'année dernière , & la relation de la prife
& de la reprise d'Omoa. Les ennemis ont été entièrement
chaffés de la Province de Campêche , où
tous les établiſſemens qu'ils avoient ont été dé
truits. On a fait un grand nombre de prifonniers ,
& enlevé 307 esclaves .
1
Les Anglois avec un vaiffeau de so canons
deux frégates de 36 & une goélette de 18 , mouillèrent
le 23 Septembre à Golfo-Dulce , près du
fort St-Philippe de Caftille ; leurs chaloupes allè
rent reconnoître les magafins placés fur les bords,
de la rivière , où l'on dépofe ordinairement les
effets du commerce d'Europe ; mais ils n'y trouvèrent
rien. Le Gouverneur de Guatimala avoit ,
dès la déclaration de guerre , fait transporter toutes
les marchandifes dans l'intérieur du pays ; elles
valoient un million & demi de piaftres . Les deux
frégates du commerce de Cadix s'étoient réfugiées
à Omoa. On ne put avertir le Commandant de
ce fort de fe tenir fur fes gardes ; la mer n'était
pas libre , & le chemin par terre impraticable à
caufe des montagnes inacceffibles qui s'élèvent entre
St- Philippe de Caftille & Omoa. Le Gouverneur
de la Province , mettant à profit le peu de refources
qu'il pouvoit retirer d'une Province ruinée par
les tremblemens de terre qui avoient détruit fa
capitale , qui , depuis peu d'années avoit été le
théâtre des calamités les plus affreuſes , prit les
( 113 )
mefures de manière à être en état de repouffer
l'ennemi , ou du moins de lui fermer l'entrée de
l'intérieur du pays , s'il réuffiffoit à s'établir dans
quelques ports le long de la côte. C'étoit l'unique
parti qu'il avoit à prendre dans les circonstances
où il fe trouvoit , parce qu'en renforçant la garnifon
du château de St-Fernand d'Omoa , il n'auroit
fait que facrifier la meilleure partie des troupes
de la Province dans un lieu où l'air eft mortel ,
& fe priver des troupes qui lui reftoient pour em
pêcher les ennemis de pénétrer plus loin , à l'aide
des fauvages Mofquites & Zambos . En gardant
les défilés & les fentiers inacceffibles qui féparent
les côtes & l'intérieur du pays , il étoit impoffible
à une armée ennemie , quelle que fût fa force ,
d'en tenter la conquête. La prife d'Omoa ne devoit
pas inquiéter , parce que les Anglois ne pouvoient
le garder faute de moyens de fe fournir
des vivres que par mer , & qu'ils auroient fini par
l'évacuer , forcés par les maladies & la difette.
Ils s'en emparèrent en effet , mais ils ne le du
rent qu'à la défertion des Nègres , qui , entendant
crier aux armes , au lieu de venir repouffer
P'ennemi , forcèrent les portes du château , & s'échappèrent
en laillant feuls les Officiers & Soldats
Efpagnols . Les Anglois ne firent de prife impor
tante que celle des deux vaiffeaux de Cadix ; elle
l'étoit moins qu'ils ne l'ont publié ; s'ils conte
noient encore quelques effets précieux , ils n'y
étoient restés que par la défobéiffance des Capitaines
, qui , n'écoutant que leur intérêt , n'exécutèrent
pas l'ordre pofitif qui leur avoit été donné
de laiffer leur cargaifon à St- Philippe. Le Préfident
de Guatimala ne tarda pas à accourir auffi-tôt qu'il
eut reçu la nouvelle de la prife d'Omoa. Il s'y
rendit par un chemin de 80 lieues & très-difficile ,
avec 54 hommes d'un bataillon d'Infanterie , 99
Dragons , 318 Miliciens , 80 exilés du Préfide de
( 114 )
la capitale , & 60 Nègres efclaves . Les Anglois
finirent par évacuer le fort & fe retirèrent avec leurs
vaiffeaux par la mer qui étoit libre.
Le décret fuivant de S. M. donné au Pardo
, les de ce mois , eft trop intéreffant pour
que nous ne le tranfcrivions pas tout entier.
" J'ai toujours defiré de foulager mes chers
peuples , & pour les rendre heureux j'ai profité
de tous les moyens qui m'ont été propofés & qui
ſe font préſentés ; aujourd'hui que l'heureuſe naiffance
de l'Infant m'eft une nouvelle preuve de la
protection vifible que le Tout- Puiffant accorde à
ma Perfonne , à ma Famille & à tous ces Royau.
mes ; ma volonté royale feroit de donner du foulagement
à mes fidèles fujets par la diminution
& même par l'affranchiffement de leurs charges ,
fi la guerre avec la Grande-Bretagne ne m'occafionnoit
des dépenfes qui me forcent de faire ufage
de toutes les reffources que l'amour éprouvé de
mes fujets peut offrir & fournir pour leur propre
défenfe & pour le foutien de l'honneur & des
droits de cette Monarchie. Nonobftant une pofition
aufli épineufe , j'ai confidéré que les befoins
& les calamités de la guerre , devant tôt ou tard
avoir un terme , ce feroit une chofe très - convenable
& digne de ma prévoyance paternelle, que de me procurer
d'avance tous les renfeignemens , examens &
connoiffances qui tendent à fecourir mes peuples ,
& à les foulager de leurs peines paffées , fans aucune
perte de tems dès que l'heureux_moment de
la paix fe manifeftera. Pour cet effet , j'ai réfolu
que dans chaque capitale de Province de
ces Royaumes vous formiez une affemblée compo
fée de l'Intendant & Contador , d'un Régidor ou
Officier de la Maifon de Ville que celle ci nommera
, d'un Particulier zélé & intelligent choifi
parmi le Peuple & nommé par la Société écono(
115 )
S
mique où il s'en trouvera , & à fon défaut , par
le Corregidor , & de l'Adminiftrateur - Général des
revenus ; lefquels convoqués pour être entendus
quand il fera jugé à propos par le Procureur-
Syndic & le Procureur fondé , s'atfembleront une
fois au moins chaque femaine , & examineront
mûrement & à fond fi , d'après la population , les
productions , le commetce & l'induftrie des Peuples
de la Province , leur progrès , leur accroiffement
ou leur déclin , & l'état & la forme de
leurs contributicns , il convient de faire pour le
préfent dans lefdites contributions quelque variation
, fubrogation ou diminution particulière , ſoit
dans la fubftance ou dans la forme , ayant pour
objet de combiner autant qu'il eft poffible le foulagement
de mes Sujets de ces Provinces , relativement
aux circonftances où ils fe trouvent , avec
les obligations de la Couronne & le paiement de
fes dettes & engagemens , fans préjudice de ce
qu'en fuivant la règle générale il me fera propofé
dans fon tems par mon Confeil des Finances &
la Chambre de l'unique contribution . Ils examineront
auffi féparément les moyens qu'il y auroit pour
former deux fonds de fecours , l'un pour encourager
& étendre l'agriculture & pour foutenir les
Laboureurs malheureux ; & l'autre pour le même
objet par rapport aux Arts & aux Fabriques
c'est-à dire , pour augmenter leur nombre & faciliter
leur perfection & leur débit par le moyen
du commerce , propofant les idées , les refources
& les règles de toute efpèce qui s'offriront à eux
pour cet objet , & qu'ils feront paffer fucceffivement
par vos mains fans attendre la conclufion des
trois points dont il s'agit , d'autant qu'ils feront
tenus d'envoyer féparément leurs avis motivés
tout au long fur chacun de ces points , dès qu'ils
feront en état. De cette manière on examinera
( 116 )
auffi fucceffivement les expédiens de cette nature
dans l'affemblée d'Etat , & vous me rendrez compte
de ces avis au fujet de ces expédiens , pour que
je prenne la réfolution qui convient. C'est ce que
je vous fais connoître pour que vous le mettiez
à exécution ; & vous expédierez les ordres néceffaires
à cette fin.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 6 Mai.
Les dernières nouvelles de l'Amérique
font attendre avec impatience celles qui
doivent les fuivre ; en attendant qu'elles arrivent
nous placerons ici l'apperçu polititique
fuivant , qui donnera une idée de
l'impreffion qu'elles ont faites & de l'état
d'anxiété de la Nation au- dedans & au - dehors
.
La dernière Gazette de la Cour , en confirmant
prefque toutes nos prédictions , a laillé une grandeincertitude
dans les efprits relativement à l'état de
nos flottes & de nos armées à New Yorck & dans
la Caroline , à leurs mouvemens d'une place à l'au
tre , & à toutes les circonftances de cette expédition.
Le filence abfolu de l'Amiral Arbuthnot , & la re
lation incomplette du Général Clinton , ont donné
beaucoup d'inquiétudes , & même de vives alarmes
fur les conféquences des opérations déja entamées ,
& de celles qui doivent les fuivre. Dans une telle
entreprife , tout paroît affreux , jufqu'au fuccès
même. En effet , quelle conquête que celle d'une
Place qui de toutes parts fumera du fang Britannique
répandu au - dedans comme au- dehors de fes
remparts ! Quel triomphe que celui qui ne fera
peut - être célèbre que par la deftruction d'une grande
ville , & le ravage de tout le pays des environs !
UA
( 117 )
1
er
-
D'un autre côté , un échec pourroit avoir des fuites
fi funettes , qu'il feroit trop cruel d'anticiper l'horreur
d'un pareil tableau .
·
Qui fait fi au moment où le Général Clinton
prendra d'affaut Charles Town , le Général Vashington
ne fera pas fubir le même fort à New-
Yorck ? Il femble que tout doive l'encourager à.
tenter cette entreprife , d'autant plus qu'il a un grand
nombre d'amis dans la ville . En ce cas , deux grandes
cités nageront en même- tems dans le fang Anglois
werfé par des mains Angloifes . Encore une fois, tirons
le rideau fur cette scène déchirante , & cherchons
s'il eft poffible , à repofer nos yeux fur des objets
moins repouffans .
•
Dans les Illes de l'Amérique , nos affaires préfentent
, jufqu'ici , une perfpective agréable . La
fcène doit être encore plus brillante depuis l'arrivée
de Rodney , qui ne peut manquer d'être réuni actuellement
à Parker , & dont nous attendons des nou
velles d'un jour à l'autre.
Quant à l'intérieur , il n'y a pas trop ༣ nous applaudir
de notre activité ; il ne paroît pas même
que nous ayons fait de grands préparatifs pour
porter un coup décifif à cette maffe d'ennemis confédérés
contre nous . Ce qu'il y a de sûr , c'eſt qu'il
s'en faut de beaucoup que nos côtes foient bien gar.
dées contre les Flibuftiers qui viennent enlever les
bâtimens de notre commerce intérieur , & jufqu'à
nos transports prefque fous les yeux de la marine
Britannique.
Toute l'attention des Miniftres a été dirigée fur
la campagne Parlementaire , qui tire actuellement
à fa fin , & dans laquelle ils ont eu des fuccès
prodigieux. Le Lord North a bien voulu permettre
aux Patriotes de s'amufer , cux & leurs Adminiftrateurs
, de longues & très - longues harangues , ornées
de toutes les fleurs & de toutes les figures de la
Rhétorique , & il leur a même laiffé le plaifir de
( 118 )
voir décider , à leur avantage , quelques queftions
qui ne rouloient , à la vérité , que fur des objets
de fpéculation. Quant à celles où il s'agiffoit de
réformes effectives , elles ont toutes été rejettées .
En même tems le Miniftre ne s'eſt jamais déſiſté
de fon grand objet . De l'argent ! de l'argent ! de
l'argent ! Il a obtenu toutes les fommes qu'il a
demandées , quelqu'exorbitantes qu'elles fuflent
fans en rabattre un denier , fans redreſſer un feul
des griefs de la Nation , fans même une promeſſe
Ministérielle , & donnée feulement pour la forme ,
de redreffer ces griefs réels , ou imaginaires. Après
cela , doit - on étre furpris de voir ces champions
du peuple difparoître tout - à - coup comme des gens
frappés de la foudre pendant un beau rêve, pour aller,
fuivant l'expreffion de M. Norton ( Orateur de la
Chambre ) , rendre compte à leurs créateurs ( leurs
commettans ) des lauriers dont ils fe font couverts .
Dans ce champ d'horreurs , où , s'il faut les en croire ,
on les a vus arracher les richcffes publiques des mains
toujours prêtes à l'envahir , faire trembler les Miniftres
, anéantir le Cabinet , & pren die la fuite au mo❤
ment de la victoire.
Eft -il une fituation plus affreufe que celle du
peuple de la Grande - Bretagne ! exposé d'un côté aux
piéges des Miniftres , & de l'autre à la trahison de fes
prétendus amis , qui l'abandonnent dans le moment
de crife. Il eft tems qu'il n'ait plus d'autre ami que
lui -même , s'il veut prévenir la ruine. Ce confeil ne
doit point être regardé comme le fignal de la fédition
& de la révolte. L'objet eft honnête & légitime :
pourquoi les moyens ne le feroient - il pas ? C'eſt aux
loix , c'eft à la conftitution même à nous fournir
les armes refpectables qui nous rétabliront dans
l'exercice de nos droits fans expofer , ni nous , ni
notre patrie.
Les fidèles Economes qui , en fix ans , ont volé
plus de 60 millions fterl, de l'argent national , in(
119 )
1
01
$
dépendamment des fubfides ordinaires de chaque
année , fans qu'il leur ait été produit un compte
net d'un feul million , ne tarderont pas à prier leurs
pauvres maîtres de les garder à leurs fervices , en
la même qualité , pendant fept ans encore ; vraifemblablement
dans l'intention de donner tout ce
qui refte d'argent , ou du moins le double de la
fomme qu'ils ont octroyée , en fuppofant qu'il y
ait allez d'efpèces en Angleterre pour cela. Mais
les peuples auroient- ils la patience de fouffrir une
pareille vexation pendant une autre période de fept
années ? Dans ce cas , laiffons leurs têtes ferviles
plier fous le poids de toutes les taxes dont un Miniftre
, avide & diffipateur , peut prendre plaifir à
les charger. Mais efpérons du moins que nos enfans
& leur poftérité feront en état de rejetter loin
d'eux ce fardeau aviliflant , & que , foulant aux
pieds leurs impitoyables taxateurs , ils en feront
un exemple terrible , & fans doute falutaire pour
toutes les générations à venir.
Quant à nos alliés , les chofes font toujours fur
le même pied , nous n'en avons aucuns en Europe ,
ni nulle part ailleurs , mais en revanche nous y
avons une foule d'ennemis qui fe multiplient fans
ceffe , & pour comble de mal , les plus cruels de
ces ennemis font parmi nous «.
La réponſe faite à la déclaration de la
Ruffie a été expédiée le 13 du mois dernier
, par un exprès , au Chevalier Harris ,
Envoyé extraordinaire du Roi à Pétersbourg
: elle eft conçue ainfi.
» Pendant tout le cours de la guerre dans laquelle
le Roi de la Grande-Bretagne fe trouve engagé par
l'aggreffion de la France & de l'Efagne , il a manifefté
les fentiment de juftice , d'équité & de modération
qui gouvernent toutes les démarches. Sa Majeſté a
réglé fa conduite envers les Puiffances amies & neutres
d'après la leur à fon égard , la conformant aux prin(
120 )
cipes les plus clairs , & le plus généralement reconnus
du droit des gens , qui eft la feule Loi entre les
Nations qui n'ont point de traité , & à la teneur de
fes différens engagemens avec d'autres Puiflances ,
lefquels engagemens ont varié cette Loi primitive ,
par des ftipulations mutuelles , & l'ont variée de
beaucoup de manières différentes , felon la volonté
& la convenance des parties contractantes «<.
» Fortement attaché à S. M. l'Impératrice de toutes
les Ruffies par les liens d'une amitié réciproque , &
d'un intérêt commun , le Roi , dès le commencement
de ces troubles , donna les ordres les plus précis ,
de refpecter le Pavillon de S. M. Impériale , & le
commerce de ſes ſujets felon le droit des gens & la
teneur des engagemens qu'il a contractés dans fon
traité de commerce avec Elle , & qu'il remplira avec
l'exactitude la plus fcrupuleufe. Les ordres à ce fujet
ont été renouvellés , & on veillera ftrictement à
l'exécution . I eft à préfumer qu'ils empêcheront
toute irrégularité ; mais s'il arrivoit qu'il y eût la
moindre violation de ces ordres réitérés , les Tribunaux
d'Amirauté qui dans ce pays -ci , comme dans
rous les autres , font établis pour connoître de pareilles
matières , & qui dans tous les cas , jugent
uniquement par le droit général des Nations , & par
les ftipulations particulières des différens traités ,
redrefferoient les torts d'une manière fi équitable ,
que S. M. I feroit entièrement fatisfaite de leurs
décifions , & y reconnoîtroit cet efprit de juftice qui
l'anime elle même «.
On ne doute pas que les ordres les plus
précis ne foient donnés pour traiter les vaiffeaux
Ruffes avec plus de ménagemens que
l'on ne traite les Hollandois ; nos corfaires
ont déja faifi & conduit dans nos Ports plufeurs
de ces derniers , où ils font déclarés
de bonne prife ; il eft à craindre que cette
violation
( 121 )
5
es
C
violation manifefte de nos traités n'ait des
fuites fâcheufes , & n'accélère l'alliance des
Puiflances neutres ; alors il fera difficile de
manquer à l'une fans fe les attirer toutes
fur les bras , d'autant mieux qu'elles feront
immanquablement un traité défenſif , &
qu'elles ne tarderont pas à nous le communiquer
auffi - tôt qu'il aura été figné. Cette
circonftance rend notre pofition plus embarraffante
; & foit que nous jettions les yeux
au dehors ou que nous les portions audedans
, il femble que les étrangers comme
les nationaux fe font donnés le mot pour
réclamer à la fois les droits ufurpés par le
Ministère ; l'Europe entière nous redemande
les mers , l'Irlande fa liberté , & la Nation
fes priviléges ; de forte que nous sommes
affaillis de toutes parts & que la conftitution
même eft menacée d'une révolution.
On a fait à l'occafion des derniers débats
du Parlement , une remarque fingulière ;
lorfque l'on recueillit les voix dans la Chambre
haute , fur le bill des Traitans , 39 Pairs
furent pour le bill ; parmi ceux qui le rejettèrent
, au nombre de 38 , il y en avoit 26
qui ont des places ou des penfions . Ce furent
tous les Pairs d'Ecoffe , qui étoient au
nombre de 11 , & 11 Prélats qui donnèrent
la majorité au Ministère. On a fait la même
remarque fur le partage des voix dans la
Chambre des Communes le 6 Avril , le
nombre des Membres de cette Chambre
eft de 558 ; il y en avoit r08 abfens ou dont
20 Mai 1780.
f
( 122 )
"
les places étoient vacantes . La majorité pour
la motion de M. Dunning fut composée alors
de 49 repréſentans des Comtés d'Angleterre,
de 13 pour le pays de Galles , de 6 pour les
bourgs de Cornouailles , de 3 pour les cinq
Ports & de 5 pour l'Ecoffe . Le parti minitériel
ne fut formé ce jour là que par 8 repréfentans
des Comtés Anglois , 9 pour le pays
de Galles , 27 pour le bourg de Cornouailles,
13 pour les cinq Ports & 8 pour l'Ecoffe. Ce
tableau de comparaifon , difent nos papiers ,
prouve la néceflité d'un changement dans le
corps repréfentatif de la Nation , fuivant le
plan adopté par les aſſociations .
Lorfque l'on difcuta le 2 5 dans la Chambre
Haute l'affaire de l'état de défenſe où étoit
Plimouth lorfque les flottes combinées de
-France & d'Espagne le préfentèrent devant
ce port , le Duc de Richmond dit qu'il avoit
été informé par le Général Lindſey que pour
178 canons dont la citadelle étoit garnie &
- dont le fervice exigeoit au moins 1050 hommes
, il n'y avoit que 35 canoniers ; que dans
tout le port il ne fe trouvoit pas plus de so
matelots . Sa motion finit par être rejettée à la
pluralité de 92 voix dont 22 par procuration ,
contre 51 dont 7 par procuration auffi .
43 » Dans la féance de la Chambre des Communes ,
du premier de ce mois , M. David Hartley fe leva
pour faire connoître la fubftance des motions qu'il
avoit deffein de préfenter le vendredis , concernant
l'état préfent de la guerre. Dans fon difcours , il
propofa que la Chambre fe fit apporter un exemplaire
du Mémoire François , intitulé : Obfervations
( 123 )
DOL
lor
DAY
les,
C:
ers,
ן ע
&
10
fur le Mémoire juftificatif du Roi de la Grande-
Bretagne , vu qu'il contient plufieurs points concernant
la France , Efpagne & l'Amérique , fur
lefquels il feroit très - néceffaire de prendre des
informations. Il lut enfuite les trois motions fuivantes
, dont la première , qui vient du Comté
d'York , doit être faite conjointement par M.
Hartley , & fon ami le Chevalier George Saville.
M. Hartley lut alors fes motions , à - peu - près dans
les termes fuivans .
1º. La Chambre eſtime que la continuation d'une
guerre offenfive dans l'Amérique Septentrionale , eft
très-évidemment un fyfteme qui , en employ ant nos
grandes & énormément difpendieufes opérations
militaires contre les habitans de ces contrées ',
empêche la Grande - Bretagne de raffembler & de
porter les efforts les plus vigoureux & les plus
foutenus contre la France & 1'Efpagne ; & que ce
fyftême ne produit d'autre effet fur l'Amérique ,
que de faire durer , & par conféquent d'augmenter
l'inimitié qui malheureufement fubfifte depuis fi
long- tems de part & d'autre que loin d'opérer
quelque bien , ce fyftême , en fermant les voies de
réconciliation , menace l'Empire Britannique de fa
deftruction entière .
2°. Qu'il foit préfenté au Roi une Adreffe où
l'on faffe connoître l'objet de la réſolution précédente
, & où S. M. foit fuppliée de concourir à
cette réfolution ; repréfentant en même - tems que
la Chambre croiroit trahir S. M. & fes Conftituans
fi elle ne faifait voir clairement à S. M. que les fautes
paffées étant trop notoires , il n'y a rien moins
qu'un changement total dans fes Confeils qui puitle
prévenir la confommation de la ruine publique ;
mais exprimant d'un autre côté la ferme confiance
où eft la Chambre que moyennant une prompte
& fondamentale réforme dans les Confeils , & une
fage & vigilante adminiftration , elle fera en état
f 2
( 224 )
de maintenir l'honneur & la dignité du Royaumē.
contre toute confédération de la France & de l'E (-
pagne ,
& d'effectuer une réconciliation avec l'Amérique
, à des conditions avantageufes , juftes & honorables.
3°. Qu'il foit permis de paffer un Bill qui auto.
rife S. M. à nommer des Commiffaires revêtus de
pouvoirs fuffifans pour négocier , délibérer & prendre
un parti définitif fur les moyens de rétablir la paix
avec les Provinces de l'Amérique Septentrionale.
Le Général Conway fe leva enfuite pour déclarer
qu'il avoit un Bill à propofer au fujet de la guerre
Américaine , & qu'il le mettroit fous les yeux de
la Chambre les «.
Hier le Général Conway a en effet lu le
projet du bill qu'il vouloit propofer. » 1 °. De
révoquer toutes les loix faites relativement
aux Colonies depuis 1763 , & qu'elles ont
regardées comme injurieuſes. 2 ° . D'autorifer
la Couronne à traiter avec les affemblées
d'Amérique à telles conditions ultérieures
qu'il paroîtra le plus utile & le plus convenable
de leur accorder ". Le Lord Nugent a
appuyé cette motion , & a déclaré que la
paix avec l'Amérique étoit devenue fi indifpenfable
, qu'il falloit abfolument la conclure
, & pour ainfi dire à quelque prix que
ce foit. M. Eden s'étant levé pour demander
qu'on s'occupât préalablement de l'ordre du
jour , cette motion occafionna de longs
débats dans lefquels aucuns des Orateurs n'a
approuvé ni condamné directement la
demande du Général Conway. On alla enfin
aux voix , & il fut décidé à la pluralité de
123 voix contre 81 que la motion du Général
( 125 )
R
-
·
Conway feroit remiſe à un autre jour. La
Chambre fe fépara à minuit , & s'ajourna au 8 .
En attendant qu'on revienne fur ce grand
objet , on lit dans nos papiers les propofitions
fuivantes de pacification générale , qu'on
attribue au Doyen de Glocefter.
» Toutes les Puiffances belligérantes fe repentent
bien fincèrement de l'imprudence avec laquelle elles
fe font engagées dans la guerre ; cette affertion n'a
pas befoin de preuves. Il eft même notoire qu'elles
feroient très-aifes de fe retirer de la plupart des projets
qu'elles ont fi inconfidérément adoptés pourvu
qu'on leuren facilitât les moyens en fauvant ce qu'elles
appellent leur honneur , je veux dire l'honneur. Car
à l'égard du profit ou de l'avantage qui pourroit
réfulter de la guerre, elles font actuellement convain
cues qu'elles fe font trompées ; ainfi des propofitions
pour terminer les différends actuels , peuvent fe concilier
avec ce qu'on appelle honneur. D'après ce principe
, l'Auteur offre humblement les propofitions
fuivantes à tous ceux que la chofe peut intéreffer ,
non pas comme ce qu'il peut recommander de plus
prudent & de meilleur ; mais comme ce qu'il imagine
de plus praticable , de moins répugnant aux préjugés ,
& par conféquent comme ce qui doit être plus probablement
accepté par chacune des parties contef
tantes. Tant qu'elles fe profterneront toutes devant
la gloire Nationale , au lieu de ne chercher que
leurs intérêts véritables & permanents , je n'imagine
pas qu'on puiffe rien propofer de mieux , avec quelqu'apparence
de fuccès . Voici donc les propofitions à
faire aux Anglois , aux Américains , aux François &
aux Espagnols , actuellement en guerre « .
1 °. La Grande- Bretagne gardera Terre - Neuve avec
les côtes déferres de Labrador ainfi que le Canada ,
la Nouvelle-Ecoffe & le pays qui borde la baie de
Fundy , jufqu'à la baie & la rivière de Penobſcot.
f 3
4
( 128 )
+
2. Tout le pays , depuis la rivière Penobſcot ;
jufqu'à la rivière Connecticut , contenant prefqu'en
entier les quatre Provinces populeufes de la Nouvelle-
Angletterre , fera cédé aux Américains . 3 ° . Tout le
pays , depuis le Connecticut juſqu'à la rivière Délaware
, contenant toute la Nouvelle-York , Long-
Inland & les Jerfeys , avec quelques parties de deux
autres Provinces qui rentrent dans ces pays , retournera
à la Grande Bretagne. 4° . Tout le pays depuis
la Délaware jufqu'à la frontière Septentrionale de la
Caroline Méridionale , contenant la plus grande
partie de la Penfylvanie , tout le Maryland , la Virginie
& la Caroline Septentrionale , fera cédé aux
Américains. 5. Tout le pays depuis la frontière Septentrionale
de la Caroline Méridionale , jufqu'à l'extrémité
de la Floride Orientale , contenant toutes
les trois Provinces , fera confervé à la Grande-
Bretagne . 6º. La Floride Occidentale , terre ingrate
& fablonneuſe , ainfi que la Fortereffe de Gibraltar ,
totalement inutile , feront cédées à l'Espagne , pour
fatisfaire le point d'honneur de cette Nation , & les
Efpagnols donneront en échange Porto - Rico , Inle
à laquelle ils ne paroiffent attacher aucune importance
& qui en effet ne leur eft d'aucun ufage , quoique
grande par elle- même , fournie de bons Ports ,
bien fituée & fufceptible d'amélioration entre les
mains des Anglois . 70. Enfin , les Anglois rendront
les conquêtes qu'ils ont faites fur les François dans
l'Inde , & les François rendront aux Anglois celles
qu'ils ont faites dans les Illes d'Amérique.
» Le point d'honneur étant ainfi ménagé de tous
les côtés autant que les circonftances le permettent ,
il ne refte qu'une objection à faire contre ce plan ,
par rapport à la Grande - Bretagne. Mais hélas ! elle
eft d'une nature qui probablement fera manquer tout
le projet. Ce projet ne refpire que le patriotifme , &
eft trop honnête pour être favorifé de bonne foi ,
foit par les fubalternes dans l'adminiftration , foit
( 127 )
par les chefs de l'Oppofition . Nous prétendons à des ;
chofes incompatibles , c'eft ce qui a fait notre malheur
, & ce qui complettera notre ruine , fi nous
perfiftons dans les mêmes idées . Malheureuſement ,
nous ne ceffons de defirer d'être un Peuple de Héros
& en même tems une Nation de Commerçans &
d'Artifans . Nous avons l'ambition d'impofer la Loi
à tout l'Univers , & principalement fur la mer , &
nous voulons que l'Univers nous regarde comme
un Peuple tranquille , & nullement difpofé à infulter
ou à provoquer ; tous les parties de ce Royaume.
participent à cette erreur fatale ; c'est pourquoi ils
font tous étonnés aujourd'hui de voir que les honneurs
de la guerre & les douceurs de la paix , la gloire des
conquêtes & les récompenfes de l'induftrie , la diffipation
d'un Empire vafte difperfé , difficile à manier ,
& l'économie d'un Etat modéré & refferré , ne puiffent
pas marcher enfemble. Il y a long- tems que nous
devrions avoir reconnu combien ces chofes font
incompatibles. Si nous nous étions contentés de la
portion de richeffes & d'honneurs que l'honnêteté ,
l'induftrie , l'adreffe , la candeur & la frugalité Nationales
pouvoient nous procurer , fans porter nos
vues plus loin , nous n'aurions pas à déplorer la
malheureufe fituation où nous nous trouvons . Que
nous reste -t- il donc à faire que de revenir fur nos
pas ? Nous n'avons point d'autre moyen de fortir
d'embarras. Mais hélas ! nous ferons encore bien ,
d'autres épreuves avant d'embraffer le feul parti qui
puiffe nous convenir «.
Ces propofitions , quant aux Américains ,
font ridicules à l'excès, & par conféquent fur
tous les autres points . Les Américains fe foumettroient
plutôt à une guerre de cent ans
qu'à une paix à de pareilles conditions qui
les rendroient le jouet de la G. B. - On trou
yera plus raiſonnable & plus juſte , l'applica
f 4
( 128 )
tion fuivante d'un paffage remarquable du
célèbre Lord Bolingbroke.
» Le point précis où le dérange l'équilibre du
Pouvoir , eft imperceptible comme celui du folftice
dans l'un où l'autre Tropique , au moins pour
un obfervateur trop peu exercé ; & dans ces deux
cas il faut qu'il y ait déjà quelques pas de faits
pour qu'il foit poffible de s'appercevoir du changement
de route. La balance politique diffère des autres
, en ce que celui de fes deux baffins qui eft
vuide , eft celui qui s'abaiffe , au lieu que c'est celui
qui s'élève dans les balances ordinaires , tandis que
le baffin rempli s'abaiffe . Or les peuples placés dans
le baffin que fon vuide porte vers le bas , accoutu
més à fe croire fupérieurs par les richeſſes ou par
la puiffance , ou par le génie , ou par le courage ,
ont de la peine à fe défaire de ces flatteufes préventions
& de la confiance qu'elles donnent. D'un
autre côté , ceux du baffin qui s'élève ne fentent
pas non plus tout- à- coup leur force , & il ſe paſſe
quelque tems avant qu'ils prennent ce ton affuré qui
doit réfulter de l'épreuve de leurs forces . Il arrive
fouvent que les yeux les plus intéreflés à observer les
variations de cette balance , trompés par les mêmes
préventions , voient auffi les chofes autrement qu'elles
ne font réellement . C'eft ce qui fait que telle Nation
continue de craindre une Puiffance qui n'eft plus en
état de lui faire aucun mal , ou que telle autre perfévère
dans fa fécurité fur les progrès d'un ennemi
qui devient de jour en jour plus formidable.
L'Espagne a juftifié la première de ces obfervations
, lorfque fière & pauvre , audacieufe & foible,
elle fe croyoit toujours en état de fe mefurer avec
la France, Celle- ci a juſtifié la feconde obſervation ,
lorfque la triple alliance arrêta le progrès de fes armes
; ce que , par la fuite , des alliances beaucoup
plus confidérables ne purent pas effectuer. Chacune
des autres Puillances de l'Europe a juſtifié à fon
tour la troisième obfervation de ces deux parties.
( 129 )
1
( Bolingbroke. Effaifur l'hiftoire & fur lafituation
de l'Europe ).
La vérité de ces obfervations n'a jamais
été plus fenfible que dans la circonftance
actuelle.
Les Anglois fiers & pauvres , audacieux & foibles
, dit un de nos papiers , fe croient toujours en
état de faire face à la France , à l'Espagne & à
l'Amérique , & peut- être même à tout l'Univers ;
mais ce délire touche à fon terme.
La France , l'Espagne & la Hollande continuent
de craindre une Puiffance qui n'eft plus en état de
leur faire aucun mal , mais c'eſt une crainte qui ne
tardera pas à s'évanouir.
L'équilibre du Pouvoir n'a peut - être jamais
éprouvé une variation auffi fenfible , & dans un fi
court efpace de tems. Si la confiance des François
& des Espagnols avoit augmenté en proportion de
l'accroiffement de leurs forces , & fi le découragement
des Anglois eût diminué en raifon de la réduc
tion de leurs forces , déja la Puiflance de la Grande-
Bretagne n'exifteroit plus.
Vous favez que le Lord Bolingbroke eft l'Ecrivain
le plus éloquent que l'Angleterre ait jamais
produit. On admire fur-tout fes ouvrages politiques
comme fupérieurs à tous ceux de fes compatriotes
fur le même fujet . La vérité frappante de ces obfervations
& la jufteffe de leur application aux tems
actuels , fortifiées encore par le nom & par l'autorité
de ce grand homme , ne peuvent manquer
de faire la plus forte impreffion fur tous les gens
fenfés dans les Nations belligérantes.
Il y a quelques jours que l'Orateur de la
Chambre des Communes a été au moment
de réfigner fa place. Un de nos papiers a faifi
cette occafion pour rapporter les détails fuivans
de l'élection d'un Orateur de la Chamfs
( 130 )
bre des Communes d'Irlande fous le règnet
de Jacques II.
→ On venoit de convoquer un nouveau Parlement ;
après les difcours d'ufage , émanés du Trône , les
Communes eurent ordre d'élire leur Orateur. Il y
avoit deux concurrens pour cette place. Le premier
étoit le Chevalier John David , Procureur - Général
d'Irlande , recommandé par le Roi , & l'autre , le
Chevalier John Everard , oppofé au parti de la
Cour , citoyen vraiment refpectable qui avoit été
Juge du Banc du Roi , & qui , ayant mieux aimé fe
démettre de cet Office que de prêter le ferment
exigé de lui par la Cour , s'étoit cependant retiré
avec une penfion. Mais le parti qui le foutenoit
prétendit qu'avant de procéder à l'élection d'un
Orateur , il falloit préalablement déterminer le
droit d'élection .
Il y eut à ce fujet beaucoup d'altercations , &
même de tumulte. On étoit au plus fort du chamaillis
lorfque le Chevalier Oliver St. John crut
pouvoir appailer les efprits par l'obfervation fuivante.
Les difputes , dit-il , doivent être décidées
par des queftions , & les queftions par des fuffrages.
Il eft d'ufage que le parti qui eft pour l'affi-
» mative forte de la Chambre , & que les Membres
» du parti contraire reftent à leurs places . En conféquence
, que tous ceux qui ont donné leurs
fuffrages au Chevalier John David , me ſuivent
dans le veftibule , & il fut fuivi par la ma-
» jorité «.
כ כ
Ces Membres fortis , ceux qui reftoient dans la
Chambre n'ayant point voulu être comptés , fe
perfuadèrent qu'ils formeroient la majorité des
Membres légaux , qu'ils avoient incontestablement
le droit de procéder à l'élection en l'abfence des
aurres. Un cri unanime ayant nommé Everard
Orateur , ils l'inſtallèrent tumultueufement dans le
fauteuil deftiné à cet Officier . Les amis du Gou(
131 )
vernement étant rentrés dans la Chambre , firent
éclater toute leur indignation d'un pareil outrage ,
& déclarèrent que David avoit été légalement élu.'
Non content des injures , ils mettent en oeuvre la
force pour chaffer l'ufurpateur. On leur oppoſe
une vive réſiſtance , mais enfin le Membre l'emporte
, & David eft inftallé dans le fauteuil fur
les genoux de fon concurrent . Cette fcène de tumulte
& de confufion fe termina par une augmen
tation du nombre des oppofans qui refusèrent conframment
de reconnoître le Chevalier Davis pour
leur Orateur . Pour faire ceifer ce défordre , le
Roi fut obligé de caffer ce Parlement peu de tems
après «.
Les nouvelles d'Irlande ne font pas encore
auth fatisfaifantes qu'on le defireroit ; fi
le 19 du mois dernier le Ministère a eu un'
avantage dans la Chambre des Communes'
de Dublin , il peut n'être pas durable ; il a,
obtenu feulement que quant à préfent on ne
prononceroit rien fur la propofition de faire
déclarer par la Chambre que le Roi , les Pairs
& les Communes d'Irlande conftituent la
feule puiffance en droit de faire des loix
obligatoires pour ce Royaume. Mais il eſt à
préfumer qu'on reviendra fur cette propofition
, le difcours patriotique & vigoureux de
M. Grattam fur ce fujet , a fait beaucoup de
fenfation , la réfolution ne fut pas couchée
fur les regiftres comme ayant été approuvée
par la Chambre en plein ; & les plus zélés
partifans de la Cour, déclarèrent eux- mêmes'
dans la chaleur des débats qu'ils facrifieroient
leurs biens & leurs vies pour foutenir à cet
égard l'indépendance de leur patrie.
f 6
( 132 )
Il a tant été queftion de cet acte , que nous
croyons devoir mettre ici fous les yeux du
public les deux clauſes de la loi de Poyning ,
& le ftatut de la 6e année de Georges I qui
forment les entraves que ce Royaume veut
lever ; cette lecture pourra faire juger jufqu'à
quel point des citoyens nommés fujets
d'un Gouvernement libre , méritoient cette
qualification , & l'état dans lequel reſteroient
les Irlandois , fi la motion de M. Grattam
n'eft pas repriſe dans la feffion actuelle.
Voici le fens que le ftatut de la 4. année de
Philippe & de Marie, chap . 4 , fixe à la loi de Poyning.
» Cet acte de la 10° . année de Henri VII , fera expliqué
& entendu de la manière fuivante , c'est- à- dire ,
qu'aucun Parlement ne fera tenu ou convoqué dans
le Royaume d'Irlande , que le Lieutenant , le Gouverneur
ou Gouverneurs en chef , & le Conſeil d'Ir .
lande n'aient certifié auprès de leurs Majeftés le Roi &
Já Reine , leurs héritiers & fucceffeurs , fous le grand
ſceau du Royaume , les confidérations , caufes & articles
des actes qu'ils jugeront de nature à être paffés
içi par le Parlement , & qu'ils n'aient auffi reçu la
réponſe de LL. MM. fous le grand fceau d'Angleterre;
déclarant leur volonté foit pour que lesdits actes paffent
dans la forme qu'ils auront été envoyés en Angléterre
, foit qu'ils foient changés en totalité ou en
partie « .
Section deuxième. » Après le renvoi desdits actes
& la permiffion & l'autorité de convoquer un Parlement
dans ledit Royaume d'Irlande , accordés fous
le grand fceau d'Angleterre auxdits Lieutenant ou
Gouverneurs en chef du fufdit Royaume , lefdits
Lieutenant , Gouverneur ou Gouverneurs en chef de
ce Royaume , peuvent convoquer & affembler un
Parlement pour paffer les actes , & non d'autres
(
133 >
qui leur auront été ainfi renvoyés fous le grand
fceau d'Angleterre.
Statuts de la 6e année de George ler.
Chap. 5 , Ject. 1ere. » Le Royaume d'Irlande a
été , eft , & doit être de droit fubordonné à la
Couronne Impériale de la Grande - Bretagne , &
dépendant d'icelle , comme y étant inféparablement
uni & annexé : & le Roi , du confentement des
Lords & des Communes de la Grande - Bretagne ,
en Parlement , a le pouvoir de faire des loix d'une
force fuffifante pour obliger le Royaume & les
peuples d'Irlande .
Section 2. » La Chambre
des Lords d'Irlande
n'a ni ne doit avoir , de droit , aucune Jurifdiction
pour s'attribuer , confirmer ou infirmer aucun jugement
ou décret rendu dans aucune Cour dudit
Royaume
, & toutes procédures
de la Chambre
des Lords fur aucun jugement ou décret de cette
eſpèce font nulles «. Abrégé de Bullingbroke.
On pourra juger par l'anecdote fuivante
du difcrédit où font tombés les honneurs de
la Cour..
à
" Lorfque le Capitaine Pierfon , Commandant
du Serapis , fut préfenté au Roi , S. M. lui offrit
de le faire Chevalier. Le Capitaine marqua toute
la reconnoiffance dont il étoit pénétré pour une
preuve auffi fenfible des bontés du Roi , mais il
en refufa l'effet. Le Lord Sandwich l'ayant pris
part lui fit fentir l'efpèce d'indécence d'un pareil
procédé. Il lui annonça en même tems que ,
fi la dépenfe de la cérémonie qui montoit à environ
100 liv. fterl . entroit pour quelque chofe
dans les raisons de , cet étrange refus , S. M. fe
feroit un plaifir de lever cet obftacle en fe chargeant
de payer tous les frais . Cette circonftance
a déterminé le Capitaine Pierfon , qui , à ce prix ,
a bien voulu fe foumettre à l'honneur de la Chevalerie.
C'est peut - être le premier Anglois à qui
( 134 )
f'on ait été obligé de donner de l'argent pour
lui
faire accepter un pareil titre «<
P. S. du 9 Mai. Le paquebot le Mercury , Capitaine
Dillon, arrivé à Falmouth le 6 de ce mois, a apporté
une malle de St Chriftophe , du 5 Avril . Il circule
une lettre de cette malle , qui eft datée de Saint Chriftophe
le 29 Mars , & dont voici le contenu.
3
Il y a environ trois ſemaines ( vers le 6 Mars )
que nous étions ici dans la plus grande joie , comptant
que le Général Vaughan étant arrivé , il alloit
être frappé un grand coup. Deux des Régimens qu'il
a amenés , favoir le 28e. & le 55e . qui étoient en
quartier dans cette Ifle ( Saint- Christophe ) , avoient
l'ordre de s'embarquer , & de le joindre à Antigoa ,
pourpaffer de- là à Sainte Lucie , d'où l'expédition devoit
partir vers la fin de ce mois ; mais une flotte devant
la Martinique ayant été fignalée , l'Amiral Parker
a appareillé auffi -tôt , & s'eft porté vers elle avec
fon efcadre. L'Amiral Rowley en a été fi près pour
découviir fa force , qu'il s'eft vu à la portée du canon
des vaiffeaux à deux ponts. L'ennemi fe trouvoit
avoir 25 vaiffeaux de ligne , tandis que nous n'en
avions que 16. Le 55e. Régiment a été envoyé à
Antigoa , & le 28e . eft revenu dans cette Ifle ( Saint-
Chriftophe ) ; le Général Prefcot étoit le dernier qui
fe fût embarqué avec les deux dernières compagnies
du 28e. La flotte Françoife fe trouvoit alors fi près
de Sainte - Lucie , que le tranfport le Cyclope , fur lequel
étoit le Général Prefcot , a traversé une partie de
la flotte Françoife , qui fit plufieurs faux feux ea
voyant ce bâtiment étranger ; mais il eut le bonheur
de lui échapper. Elle étoit alors à trois lieues de
Sainte- Lucie , où tous nos vaiffeaux de guerre étoient
mouillés , faifant leurs préparatifs pour le défendre «.
» Le Général Prefcot n'a pas eu plutôt mis pied à
terre ici ( Saint- Chriftophe ) , qu'il s'eft occupé de
fortifier tous les poftes intéreffans , & entr'autres la
Soufrière , où il fait travailler 300 Nègres aux batte(
135 )
ries . Il y fait auffi amafler les provifions & muni.
tions néceffaires. Il eft bien réfolu à tenir le plus
long-tems qu'il lui fera poffible , fi les François viennent
attaquer l'Ifle.
>
Extrait de la Gazette générale des Iſles Caraïbes
de la Baffe -Terre , le 28 Mars ( Saint- Chriftophe ).
» Samedi dernier 25 nous avons eu une vive
alarme en voyant arriver la frégate l'Andromède &
le floop le Hornet , avec quatre compagnies du
28e. Régiment , qu'on a jugé à propos de renvoyer
dans cette Ifle ( Saint-Chriftophe ) , fur la connoiffance
qu'on a eue de l'arrivée d'un renfort confidérable
de vaiffeaux & de troupes à la Martinique . Le
refte du Régiment , avec le Général Prescot , eft
arrivé à Sandy-Point , où les autres compagnies ont
eu ordre de fe rendre aujourd'hui .
On parle fi diverſement de la force du renfort
François , tant en vaiffeaux qu'en troupes , qu'on ne
fait fur quoi compter. Nous ofons pourtant croire
que l'Amiral Rodney a la fuperiorité à la mer.
L'Amiral Rodney eft préfentement malade. 11 a
envoyé fes 4 vaiffeaux , & l'Intrépide de 64 canons
à l'Amiral Parker , qui garde le commandement jufqu'à
ce que l'Amiral Rodney foit en état d'agir , & de
forcer l'ennerni à une action , ainſi qu'il a réſolų de
le faire s'il lui eft poffible. "
Le sse . Régiment relève le se. , & un autre à
bord de la flotte : ces derniers ont ordre de venir
droit ici.
Nous attendons d'un moment à l'autre 7 vaiffeaux
de ligne , qui doivent nous amener un gros corps
de troupes. C'eft cet armement qui a été caufe que
l'AmiralRodney eft venu avec fi peu de vaiffeaux .
Deux autres bâtimens font arrivés à Liverpool de
Saint Chriftophe , d'où ils font partis le 10 Avril . On
apprend par eux que le renfort François eft de 16
vaiffeaux de ligne ; qu'il eft arrivé quelques jours
avant l'Amiral Rodney ; que l'arméenavale Françoife
( 136 )
étoit forte de 23 vaiffeaux de ligne , & que les
Anglois n'en avoient que 21 .
DePlimouth le ss Mai. Le Commodore Walfingham
venant de Torbay avec fa flotte , a paffé devant
ce Port le Mercredi 3. Hier 4 , l'Amiral Graves eft
forti avec fon efcadre pour le joindre ; mais le vent
ayant changé , ils ont été obligés de revenir l'un &
l'autre. Walfingham eft retourné à Torbay , &
Graves eft rentré dans le Goulet de Plimouth.
FRANCE
De VERSAILLES , le 16 Mai.
LE 8 de ce mois LL. MM. Monfieur , Madame
, Madame la Comteffe d'Artois , &
Madame Elifabeth , de France , allèrent dîner
à la Muette ; après le dîner le Roi paffa en
revue le Régiment des Gardes-Françoiſes &
celui des Gardes- Suiffes , qui , après avoir
fait l'exercice , défilèrent devant le Roi &
Monfieur , & enfuite devant la Reine , qui
s'étoit aufli rendue à la plaine des Sablons ,
accompagnée des Princeffes.
Le Prince de Montbarrey ayant obtenu de
S. M. C. la Grandeffe d'Eſpagne de la première
claffe , eut l'honneur de faire fes remerciemens
au Roi le 6 de ce mois. Le len
demain le Duc d'Ayen & le Marquis d'Offun
eurent auffi l'honneur de remercier S. M. ,
qui leur a permis de fe décorer de l'Ordre de
la Toifon d'Or , dont le Roi d'Eſpagne les a
honorés .
Le même jour LL. MM. & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Comte de Teffon , Ecuyer ordinaire du Roi ,
( 137 )
avec Demoiſelle d'Agrun. La Comteffe de
Mailly & la Comteffe de la Ferté- Senecterre
furent préſentées à LL. MM . & à la Famille
Royale , la première par la Ducheffe de
Mailly , Dame d'Atours de la Reine , & la
feconde par la Maréchale d'Armentieres .
Hier le Roi a pris le deuil pour la mort de
l'Electrice Douairière de Saxe ; S. M. le portera
21 jours .
De PARIS , le 16 Mai.
L'ESCADRE aux ordres de M. le Chevalier
de Ternay , qui a appareillé de la rade de Breſt
le 2 de ce mois à 5 heures du matin , eſt compofée
des vaiffeaux ſuivans.
Le Duc de Bourgogne , de 80 canons M. le
Chevalier de Ternay , M. le Chevalier de Medine ,
Capitaines de pavillon ; le Neptune & le Conquérant,
de 74 , MM. Deftouches & de la Gaudière ; l'Eveillé ,
la Provence , le Jafon , l'Ardent , de 64 , MM.
de Tilly de Lombar , de la Clochetterie , le Chevalier
de Marigny ; le Fantafque , fervant d'hopital ,
armé en fûte , M. de Vaudoré , Officier auxiliaire.
Les frégates la Surveillante & l'Amazone , de 32
canons , MM. le Chevalier de Villeneuve Cillard &
de la Peyroufe ; le cotter la Guêpe , de 14 , le Chevalier
de Maulevrier.
Les bâtimens de tranfport font au nombre de 23 ,
portant la première divifion de l'armée & des troupes
aux ordres de M. le Comte de Rochambeau , Lieutenant-
Général .
Quartier général. Le Comte de Rochambeau ,
commandant l'armée ; M. de Tartel , Intendant ;
M. de Beville , Maréchal - Général - des- Logis de
l'armée ; le Chevalier de Chaftellux , Maréchal - de-
Camp , Major- Général . Les Aides - de-Camp de M.
de Rochambeau , faifant fonctions de Maréchaux(
138 )
des Logis , font MM. le Comte de Damas , le
Chevalier Lameth , le Comte de Ferfen , Collot ,
Dumas , Cubouchet.
Corps Royal d' Artillerie. MM. Daboville ,
Commandant en chef ; Goulet de la Tour , Commandant
en fecond ; Nadal , Directeur du Port ;
de Lazier , Major des Equipages ; de Chazel , commandant
les Mineurs ; de la Chaize , commandant
les Ouvriers. Un bataillon du régiment d'Auxonne ,
un détachement de Mineurs , un autre d'Ouvriers.
Corps Royal du Génie. MM. Deffaundrouins ,
Commandant ; de Quernet , Lieutenant Colonel.
Régimens. Bourbonnois , M M. le Marquis de
Laval , Colonel ; le Vicomte de Rochambeau ,
Colonel en fecond . Soiffonnois , MM . le Comte
de Félix de S. Meſme , Colonel ; le Vicomte de
Noailles , Colonel en fecond Saintonge , MM. de
Cuftine , Colonel ; de Chalax , Colonel en fecond.
Royal Deux Ponts , MM. le Comte de Deux - Ponts ,
Colonel ; le Chevalier de Deux - Ponts , Colonel en
fecond. 600 hommes de la Légion de Lauzun
MM. le Duc Lauzun , Colonel ; le Baron d'Aroz ,
Colonel en fecond. En tout 5100 hommes , fans
compter les piquets des troupes répandues fur
chaque vaiffeau & montant à plus de 1200
hommes.
>
On a embarqué avec cette divifion un
équipage d'artillerie , de fiége & de campagne.
On va travailler tout de fuite à l'embarquement
de la feconde , commandée par le
Comte de Witgenſtein dont doivent être les
régimens de Neuftrie & d'Anhalt.
»Le vent a changé depuis hier , écrit - on de Breft ,
en date du 5 ; mais l'armée doit être trop au large ,
pour qu'il nuife à la marche , quoique la navigation
du raz foit périlleufe. M. de Ternay a choifi cette
route , & le vent étoit fi favorable , qu'il le palla de
bonne heure le 2 , ce qui lui a abrégé beaucoup de
( 139 )
chemin. Tous les croifeurs qui reviennent d'Oueffant
& du Cap Lézard , n'ont point rencontré de bâtimens
ennemis , ce qui avoit raffuré fur les avis qu'il
auroient pu recevoir de la fortie de l'efcadre. Dans
le Port on avoit pris la précaution d'arrêter tous les
navires qui auroient pu mettre à la voile en mêmetems
que la flotte ; ils n'ont pu fortir que 24 heures
après fon départ . Un Hollandois feul appareilla de
grand matin , & fembloit vouloir précéder le convoi.
M. de Ternay lui fit tirer un coup de canon à
poudre , il n'en tint point de compte . On lui tira un
fecond coup à boulet , qui l'atteignit , & on fit fignal
en même tems à la batterie du Mengaud de l'arrêter
au paflage du Goulet ; alors il vira de bord & vint
mouiller à fa première place .
» La Bellonne qui a fuivi le convoi , dit une autre
lettre du 8 , eft rentrée hier au foir à 10 heures . Elle
a laiffé la flotte à 5 5 licues dans l'O- S- Q. de Belle- Ifle,
faifant route audit air de vent avec des vents du
Nord , toutes voiles dehors. Il y a à parier que depuis
hier , elle a doublé le Cap Ortegal «.
Le Roi ayant donné le commandement du
Royal- Louis à M. de Breugnon , ce Chef- d'Efcadre
& M. de Bougainville , commandant le
Languedoc , prirent le 7 congé de S. M. pour
retourner à Breft. Le Terrible qu'on arme à
Toulon ayant été donné à M. de Beauffet, il y
a apparence que ce Chef- d'Efcadre attendra
à Cadix les vaiffeaux de la Méditerranée , &
qu'à fon arrivée il quittera avec fon Etat-
Major le vaiffeau le Glorieux qu'il a monté
jufqu'ici .
و د
Depuis deux ou trois jours , écrit-on de Cher
bourg , en date du 6 de ce mois , une flottille ennemie
eft dans nos parages ; elle s'approche quelquefois
du port ; mais un boulet de nos batteries
la fait bien-tôt reculer. Les bâtimens du Havre que
( 140 )
nous avons recelés nous attirent fans doute cette
vifite ; il fera difficile aux ennemis de tenter avec
fuccès quelques entreprifes fur ce port ; nos canonnières
nous raffurent encore fur l'effet de leurs
bombes , s'il eft vrai qu'ils fe propofent de nous
en jetter , car il n'eft pas fûr qu'ils aient des galiottes
à bombes «<.
La mort du brave Royer eft une véritable
perte ; tels font les détails qu'on en donne
dans une lettre de Dunkerque.
» Le 27 Avril dernier , le Capitaine Royer , commandant
de frégates armées en courſe , après avoir
combattu avec avantage , une frégate de 36 canons ,
qui efcortoit une flotte de navires Anglois , s'étoit
emparé d'un de ces navires nommé le Caftor ; les
autres fe difperfèrent & fe fauvèrent à la faveur de
la nuit ; le 30 fuivant , il eut connoiffance d'une
autre flotte à la hauteur du Cap Flamborough; au
moment qu'il fe difpofoit à lui donner chaffe , il vit
arriver fur lui 4 frégates Angloifes de 36 à 30 canons .
Il en avoit à les ordres 3 de 28 , avec lesquelles il·
n'héfita point de livrer combat. Ayant attaqué luimême
celle des ennemis , qui étoit la plus avancée ,
il lui fit effuyer à la demi-portée du canon , un feu
fi vifqu'elle étoit en déroute & fur le point d'amener ,
lorfque les trois autres arrivèrent pour la fecourir.
Le Rohan Soubife que montoit le Capitaine Royer ,
reçut alors toutes leurs bordées , & y ripofta avec la
plus grande audace , fecondé par les frégates le Robecq
& le Calonne. Après une heure & demie de combat ,
foutenu avec un acharnement dont il y a peu d'exemple,
entre ces trois frégates & les quatre frégates
ennemies , fupérieures en force , le Capitaine Royer
eut le malheur de recevoir un coup de pierrier qui
fui fracaffa la cuiffe , & le força de laiffer le commandement
à fon Capitaine en fecond , qui continua
le combat jufqu'à ce que les ennemis furent
forcés de l'abandonner . Leur retraite ne permet pas
de douter qu'ils n'ayent été très-maltraités . Il y a cu
( 141 )
&
hommes tués , entr'autres M. de Lauture , Lieute .
nant , commandant le détachement du régiment de
Rouergue , qui étoit à bord du Rohan- Soubife ,
une vingtaine de bleffés . Le Capitaine Royer eft mort
de fa bleffure , le fur- lendemain. Son corps a été
rapporté à Dunkerque , où les trois frégates font
rentrées , après avoir fait depuis le combat trois
prifes peu confidérables ; toute la ville a été confternée
de la perte de ce brave homme , à qui l'on
a rendu les honneurs funèbres les plus diftingués.
Le Roi a bien voulu accorder une penfion à ſa
veuve «<,
On vient d'apprendre que l'Empereur de
la Chine , Cam - hi , eft mort ; ce Prince qui
protégeoit les artiftes & les favans Européens ,
étoit favant lui-même & fort bon Poète. Il
avoit été vifiter les provinces éloignées de
fon Royaume ; & on dit qu'il eft mort de
chagrin en voyant fes villes mal fortifiées ,
mal approvifionnées & fon peuple malheureux
; cette extrême fenfibilité eft refpectable
fans doute ; il eft fâcheux qu'il y ait fuccom
bé. Un Prince ferme gémit des défaftres
publics , ne meurt point & les répare . Comme
il eft mort loin de fa capitale , on craint que
fon fucceffeur qui eft un de fes plus jeunes
fils , n'arrive pas affez à tems à Pékin pour
empêcher fes frères d'exciter des troubles
dans l'Empire.
» Le 2 de ce mois , à 3 heures 20 minutes du
matin , écrit - on de la Rochelle , nous avons effuyé
ici une fecouffe affez forte de tremblement de
terre ; elle n'a duré qu'environ une demi-minute ,
mettant les maifons , leurs vitres & leurs meubles
dans une commotion fenfible . La fecouffe a été
précédée & accompagnée d'un bruit fouterrain af
fez femblable à celui d'un orage. Sa direction pa(
142 )
roiffoit être du midi au nord , ou plutôt du fud
oueft au nord- eft . Un vent de fud- oueft très - violent
avoit regné la veille toute la journée , & continué
dans la nuit ; mais il étoit calmé au moment
de la fecouffe , & il n'a pas repris le lendemain
".
Les Receveurs-Généraux des Finances qui
doivent faire le travail des 48 fupprimés
font choifis ; il leur a été donné 6 Adjoints ,
les premiers forment l'ancien Comité.
Ce font MM. Mouchard , ci - devant de la
Généralité de Châlons , de France , de celle
de Soiffons ; Boutin , de Tours ; Baujon , de la
Rochelle ; Harvoin , d'Alençon ; Watelet ,
d'Orléans ; Choart , de Bourges , Richard ,
de Tours ; Delorme , de Soiffons ; Fayard de
Bourdeil , de Grenoble ; Meulan , de Paris ;
& Derbet , de Poitiers . Adjoints MM . Fougeres
, de Befarçon ; Parat de Charlaudray
de Lorraine ; PAmoureux , de Moulins ;
Ourfin de Montchevreil , de Caen ; Charnoi
d'Auch ; & Marquet , de Bordeaux.
On a plaidé ces jours derniers au Châtelet une
Caufe qui intérefle l'état des Juifs. Il s'agit de
favoir fi le divorce eft admis parmi eux. Cette
conteftation eft intéreffante par la nature de la
queflion & par la manière dont les Défenfeurs des
Parties ( les Sieur & Dame Peixotto ) l'ont traitée.
Cette affaire eſt véritablement une cauſe célèbre :
auffi M. Des- Effarts l'a t- il inférée dans le volume
de fon Journal des Caufes célèbres , qui vient de
paroître. On y lit tous les détails de ce procès
fameux avec beaucoup d'intérêt , & il eft peu dé
recueils plus piquans & plus curieux que celui dé
M. Des Effarts (*).
(1) On foufcrit en tout tems pour ce Journal chez M.
( 143 )
De BRUXELLES , le 16 Mai.
La forme de la conftitution de la Hollande
, qui fert d'heureux prétexte à la République
pour traîner en longueur les délibérations
dans les matières politiques , fur lefquelles
fon intérêt eft de ne s'expliquer que
le plus tard poffible , ne paroît pas retarder
beaucoup fes réfolutions lorfqu'il lui importe
de les accélérer . Sa réponſe à la Ruſſie en
offre la preuve ; elle n'avoit reçu la déclaration
de cette Puiffance que le 3 Avril , & le
18 elle a pu lui remettre fa réponſe formelle ,
qui comme on s'y attendoit eft conforme à
l'invitation de l'Impératrice de Ruffie.
Bien des gens penfent que cette neutralité
armée ne fe mettra point réellement en armes
, & que lorfque fon affociation fera bien
confolidée , elle fe convertira en une médiation
qui cherchera à réconcilier les Puiffances
belligérantes , foit par la voie des négociations
amicales , foit par la menace de fe.
déclarer contre celle qui fe montrera trop
récalcitrante à des propofitions raisonnables
d'accommodement.
On mande d'Amſterdam qu'il y eſt arrivé
un vaiffeau de Boſton ; à ſon départ , en date
du er Mars , on n'avoit à Boſton aucune
nouvelle de l'expédition de Clinton ; pour
s'oppofer à celui- ci , le Général Gates avoit
quitté Rhode- Ifland , avec une partie de
l'armée Continentale , & étoit arrivé dans le
Des-Effarts , rue Dauphine à l'Hôtel de Mouy , & chez
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins.
( 44 )
Maryland , en allant à Charles Town. Tout
étoit tranquille à Boſton : le papier monnoie
y gagnoit tous les jours plus de crédit ;
les Armateurs avoient été fingulièrement
heureux , & la terre ayant donné d'excellentes
récoltes en toutes chofes , toutes les
productions & provifions étoient comme
autrefois en abondance & à bon prix.
» Une gazette de la Martinique , en date du 30
Mai , & qu'on vient de recevoir , écrit - on de
Paris , annonce l'arrivée de M. de Guichen avec fes
vaiffeaux de tranfport à la Martinique ; qu'auffi-tôt
le Marquis de Bouillé s'eft embarqué avec des troupes
, & que M. de Guichen va chercher les An.
glois .
>
On y lit encore que M. de la Motte Piquet a eu
connoiffance aux attérages de Saint - Domingue , de
l'efcadre Angloife , compofée du Rubis & du Lion ,
vaiffeaux de ligne , & de 3 vaiffeaux de so canons.
Après avoir fait entrer fon convoi dans lequel
étoient 4 vaiffeaux de Regiftre Espagnols , & un.
chargé de munitions de Porto - Rico pour la Havane
il a marché aux Anglois ; mais les ayant
atteints , il a été pris du calme , & a effuyé un
combat défavantageux de deux jours de durée ,
dans lequel il a été bleffé d'une mitraille morte.
Le Diadême a bien maltraité le vailleau Anglois
qui l'a combattu. M. de la Motte Piquet rentré à
St-Domingue lorfque l'ennemi a pris la fuite , a écrit
que dans quinze jours il feroit en état de fortir , &
qu'on favoit bien qu'il n'aimoit pas à refter en rade.
Dans fon combat , il n'a perdu que 15 hommes «<.
La flotte Espagnole , les vaiffeaux de regiſtre & les
tranfports font partis le 28 avec un très - bon vent qui
s'eft foutenu jufqu'au premier , date des lettres . On
en conclut que le 30 , elle étoit déja avancée au large ;
& fi M. de Ternay doit la joindre , la jonction peut
être faite actuellement ou fur le point de le faire."
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De
CONSTANTINOPLE , le 4 Avril.
LE canon du Serrail nous a annoncé ces
jours derniers l'heureuſe délivrance d'une
des femmes du Grand- Seigneur qui eft accouchée
d'une Princeffe. Ces circonftances
étoient autrefois fort intéreffantes pour ceux
qui faifoient le commerce des diamans. Ils
en fourniffoient ordinairement pour plus de
300,000 piaftres aux Grands qui étoient
obligés de faire des préfens à S. H. & à fa
Favorite & au nouveau- né. Ils n'ont plus cet
avantage , maintenant que la forme de ces
préfens qui ont toujours lieu a changé , &
qu'on les fait en argent.
Dans la nuit du 18 au 19 du mois dernier ,
le feu prit au palais d'Abdoul Rezac , cidevant
Reis- Effendi , ou Miniftre des affaires
étrangères , & à préfent Pacha d'Aidain. Les
flammes firent des progrès fi rapides , qu'en
peu de tems ce magnifique palais fut réduit
en cendres. Le fils d'Abdoul Rezac qui s'y
trouvoit y a malheureuſement perdu la vie
avec 16 perfonnes. Deux autres hôtels ont
27 Mai 1780. g
( 146 )
eu le même fort ; le premier étoit rempli de
meubles précieux & de bijoux dont on n'a
pu rien fauver, & on évalue la perte feule du
Pacha à plus de 200,000 écus au lion.
La pefte s'eft manifeftée de nouveau à
Arnautkeny , village peu éloigné de cette
capitale. C'eſt une famille Grecque qui en a
été attaquée . Une perfonne en eft déja morte,
deux autres font à l'extrémité ; on fe flatte
cependant par les précautions qu'on a priſes
que ce terrible fléau ne s'étendra pas plus
loin.
RUSSIE
De PETERSBOURG , le Is Avril.
Le départ de l'Impératrice eft fixé au 9
Mai , qu'elle fe mettra en route de Czarsko-
Zelo après fon dîner pour aller coucher à
Crafnoe-Zelo. Elle doit arriver le 27 à Mohilow
, où l'Empereur doit arriver le lendemain.
Le Feld- Maréchal Comte de Romanzow
a été nommé pour aller recevoir
S. M. I. fur les frontières.
La fuite de l'Impératrice fera beaucoup
augmentée. C'eft le Prince Potenkin qui eſt
chargé de faire la lifte des perfonnes qui
doivent la compofer. Le Comte Iwan Czernifcheff
, Préſident de l'Amirauté , eft déja
nommé pour accompagner S. M. I. L'Opéra
Italien la fuivra auffi. Il doit fe trouver 350
chevaux de relais à chaque ſtation,
( 147 )
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 25 Avril.
HADGI Abderhaman Aga , Ambaſſadeur
de Tripoli, qui eft ici depuis le mois d'Août , a
eu Samedi dernier fon audience de congé du
Comte Ulrich de Scheffer , & il ſe prépare
à partir dans peu de jours pour Copenhague.
Le Chargé des affaires de la Cour de Danemarck
a fait dernièrement part à notre
Ministère de l'acceffion du Roi fon maître à
l'invitation de l'Impératrice de Ruffie aux
Puiffances neutres , tendant à effectuer de
concert une neutralité armée ; il a invité
S. M. Suédoife à y accéder également. On
ignore encore la réponſe qui lui a été faite
mais on ne doute pas que l'on n'adopte ici le
même ſyſtême. La Cour paroît bien décidée
à foutenir le commerce de fes fujets & l'indépendance
de fon pavillon.
On apprend de Copenhague qu'on s'y
occupe actuellement de l'équipement de
plufieurs vaiffeaux de guerre , entr'autres de
la Princeffe Sophie-Frédérique de 74 canons
& du Danebrog de 60 .
POLOGNE...
De VARSOVIE , le 27 Avril.
LES limites entre la Roffie - Neuve &
l'Ukraine Polonoiſe qui n'avoient pas encore
été réglées vont l'être inceffamment par une
g 2
( 148 )
commiffion nommée par les deux Cours à
cet effet. Les Commiffaires de la part de la
Ruffie font , le Général Major Prince de
Potenkin , & M. de Bulgakow , Conſeiller
de légation.
Tout le prépare pour l'ouverture de la
Diète prochaine ; on fe flatte qu'elle fe tiendra
avec toute la sûreté & la tranquillité défirables
. C'eft fans fondement qu'on a répandu
qu'un nombre confidérable de troupes Pruffiennes
occupoit les environs de cette ville.
Ce qui a donné lieu à ce bruit , c'est peutêtre
le paffage d'un détachement de Huffards
Pruffiens qui ont traversé la Pologne pour ſe
rendre en Wolhynie où ils vont acheter des
chevaux de remonte.
ALLEMAGNE.
De VIENNE le ro Mai.
L'EMPEREUR , parti le 26 du mois dernier
à 8 heures du matin , avoit 3 voitures à fa
fuite : il y avoit ordre de tenir 40 chevaux
prêts à chaque ftation. Ce Prince n'en a fait
afage qu'à la 3. On dit qu'il fera à cheval la
vifite qu'il fe propofe de faire dans ſes nouveaux
Etats de Pologne : fa fuite eft peu nombreuſe.
Il a pris avec lui un grand nombre de
bijoux précieux , & entr'autres unetabatière
qu'on évalue à 60,000 florins , qu'il deſtine
à faire divers préfens fur fa route.
S. M. I. & R. a nommé fon Miniftre à la
Cour de Sardaigne le Comte de Breuner.
( 149 )
Le 30 du mois dernier on effuya pendant
la nuit , ici & dans les environs , un orage
violent , qui défola tous les endroits par
lefquels il avoit pris fa.direction . La grêle
qui tomba pendant cette nuit , & qui refta
quelques heures fur la terre , étoit d'un pied
de haut. Dans le même- tems on reffentit à
Lintz un tremblement de terre qui n'y a
pourtant caufé aucun dommage.
De RATISBONNE , le 8 Mai.
LE Directoire de Mayence ayant refufé
d'accepter le plein pouvoir de M. Fiſcher
en qualité d'Envoyé des Colléges des Comtés
en Weftphalie , celui- ci a préſenté ce pleinpouvoir
au Corps Evangélique , qui l'a fait
inférer dans fes états , & lui en a donné un
reçu en date du 2 Février dernier.
Le Prince de Gallitzin , neveu de l'Ambaffadeur
de Ruffie à Vienne , eft içi depuis
8 jours. Il fe propoſe d'aller paffer 2 ans à
Strasbourg , & de continuer enfuite fes
voyages dans les diverfes parties de l'Europe.
>
» Les funérailles de l'Electrice - Douairière de
Saxe , écrit-on de Drefde , ont été faites le 28 du
mois dernier ; le 2 la Cour s'eft rendue à Pilnitz ;
elle a pris le deuil , qu'elle portera pendant fix
mois. Le revenu de 150 mille écus dont jouiffoit la
Princeſſe défunte , retombe à la Chambre Electorale ,
qui vient de recevoir auffi un accroiffement de revenu
confidérable par l'extinction de la Maiſon des
Princes de Feudi , Comtes de Mansfield. Trois cinquièmes
de ce Comté le trouvent par- là réunis à la
8 3
( 150 )
Saxe , qui aura auffi le fuffrage de ce Comté à la
Diète fur le banc des Comtes de Wétéravie «.
On apprend de Berlin que le 2 de ce mois
às heures du matin , la Princeffe , épouse
du Prince de Pruffe , eft heureuſement accouchée
d'une Princeſſe.
Le trait fuivant paroîtra bien extraordinaire ; il
prouve à quels excès la fuperftition peut porter les
malheureux qu'elle domine , & que fi elle est tourà-
tour ridicule & funefte , elle eft quelquefois l'un
& l'autre en même- tems. Une femme du peuple ,
nourrie de tous ces préjugés abfurdes , que l'on ne
fonge pas affez à détruire , croyoit fincérement que
les Juifs , dans quelques- unes de leurs cérémonies ,
avoient befoin du fang d'un enfant chrétien ; elle
fonda fur cette idée l'efpérance d'une petite fomme ;
elle vola en conféquence un enfant de 9 ans , &
l'amena ici pour le vendre à un Juif. Celui à qui
elle s'adreffa , lui dit qu'il n'étoit pas affez riche
pour faire cette dépenſe , mais qu'il alloit la conduire
à quelqu'un qui lui donneroit la véritable valeur
de fa marchandife ; il la conduifit en effet au
Magiftrat , qui a fait mettre cette malheureuſe en
prifon.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 2 Mai.
On dit que la Cour de Tofcane , voulant
faire tourner à l'avantage de fes Sujets les
inconvéniens que le commerce des François
& des Anglois éprouve dans le Levant, par la
guerre, a formé le projet d'en établir un direct
entre ce Port & Conftantinople ; on fait ici
des voeux pour fon fuccès , mais il s'élève déja
quelques difficultés affez graves pour en faire
douter.
( 151 )
Selon nos lettres d'Otrante , les avis que l'on teçoit
de l'Albanie ne font rien moins que favorables
pour la Potte. Le Bacha de Scutari , qui refufe de
fe foumettre aux ordres du Grand- Seigneur , ainfi
qu'avoir fait feu fon pere Méhémet Balla , a levé.
à fes propres frais un corps de troupes Albanoifes ,
d'environ 20,000 hommes , & l'on craint qu'il ne
s'empare de toute l'Albanie-Supérieure. Ces lettres
ajoutent que Curt Baffa , plufieurs autres Beys , &
tous les Dulcignotes , s'étoient rangés de fon párti
, & qu'on croit que le Grand-Seigneur enverra le
Capitan Bacha pour effayer d'y rétablir la tranquillité.
Un grand nombre de Turcs Albanois font
entrés dans la Morée , où ils ont pillé la ville de
Patras , & traité les habitans Turcs & Grecs fans
diſtinction , de la manière la plus barbare.
ESPAGNE.
De CADIX , le 2 Mai.
L'ESCADRE , aux ordres de D. Solano , eſt
partie le 28 du mois dernier par un vent
favorable , qui s'eft foutenu juſqu'à préfent.
D. Tomafeo a mis à la voile avec lui ; on
ignore s'il le fuivra jufqu'à fa deftination ,
ou s'il ne fera que l'accompagner jufqu'à
une certaine diftance ; les approvifionne
mens qu'il a pris femblent annoncer un
voyage de plus long cours. Le convoi auquel
fe font joints 27 bâtimens , venans de
la Méditerranée , eft compofé de 144 voiles."
Le Roi , pour récompenfer les fervices, de ,
D. Manuel d'Azlor , Lieutenant - Général &
Gouverneur de la place de Girone l'a
nommé Vice- Roi & Capitaine Général de
Navarre.
8 4
( 152 )
On apprend de Madrid que M. Jay , ancien
Préſident du Congrès , y étoit arrivé dès
le 15 du mois dernier ; mais il n'avoit pas
encore déployé fon caractère public en qualité
de Miniftre des Etats-Unis de l'Amérique
Septentrionale.
Suite du règlement concernant la navigation des
vaiffeaux neutres.
22 1. Les vaiffeaux d'un pavillon neutre , faifant:
voile par le Détroit , foit du côté de l'Océan , ou
de celui de la Méditerranée , ne feront point moleftés
ni empêchés dans leur navigation , tant qu'ils
rangeront autant qu'il fera poffible , les côtes de
l'Afrique , en s'éloignant de celles de l'Europe
durant le cours de la traversée , depuis l'entrée juf
qu'à la fortie , pourvu toutes fois que leurs papiers
& cargaifons foient en règle , & qu'ils ne fourniffent
aucun motif légitime de faire naître des
foupçons , foit en voulant s'éloigner on faire réfiftance
, foit par un cours irrégulier ou d'autres
fignes de correfpondance avec la place bloquée ,
ou les navires ennemis. 2 ° . Lorsque les fufdits
bâtimens neutres feront deſtinés avec leurs cargaifons
pour quelques Ports , fitués fur la côte
Efpagnole dans le Détroit , tels que ceux d'Algeziras
ou Tarifa , ils mettront en travers ( a travefante
fobre las gabias ) & attendront l'arrivée
d'un vaiffeau Efpagnol , qui , faifant voile vers eux ,
leur donnera le fignal , en tirant un coup de canon ,
& après avoir reçu leur déclaration , les efcorrera ,
ou leur indiquera , fuivant les circonstances , la
voie qu'ils devront strictement livre pour parvenir
plus promptement , fans aucun danger , & fans
donner matière à aucun foupçon , au lieu de leur
deftination. 3 °. Dans le cas où les vaiffeaux Elpagnols
, croifant dans le Détroit , à l'entrée ou à
la fortie , felon l'exigence du cas & du licu , &
( 153 )
conformément aux ordres dont ils pourroient être
chargés , jugeroient néceffaire de convoyer les
bâtimens neutres qui doivent traverser le Détroit ,
même ceux qui doivent côtoyer l'Afrique , les
navires neutres ne s'oppoferont point à fe foumettre
au convoi , fans s'en éloigner ni fournir
des raifons de foupçon : cependant , comme ils
pourroient arriver en grand nombre à différentes
heures , de manière qu'il pourroit leur devenir
préjudiciable d'attendre le moment d'être convoyés,
& que d'ailleurs il feroit extrêmement embaraf
fant d'escorter chaque navite en particulier , ils
dirigeront leur cours vers la côte d'Afrique & la
fuivront jufqu'à ce que quelqu'un des vaiffeaux
Espagnols , placés ou croifant dans le Détroit , fe
préfente pour les eſcorter hors la vue de la Place
ennemie & de fes avenues ; & à cette fin , les
bâtimens auxquels on aura donné le fignal , s'ar
rêteront & fe conformeront aux difpofitions faites
à leur égard , en produifant fans difficulté ni réfiftance
, leurs papiers , & fe foumettant à tout ce
qui eft prefcrit par les traités & le droit commun
des gens , afin de conftater la propriété des navi.
res , la légitimité de leurs documens , leurs car
gaifons & deftination . 4° . Lorfque des bâtimens ,
fous l'apparence de neutres , fortiront des Ports
fitués fur la côte d'Afrique dans le Détroit , on
les vifitera & on en ufera avec eux fuivant la
nature de leur cargaifon , ou les foupçons qu'ils
auroient pu donner d'avoir voulu faire voile pour
porter des fecours à Gibraltar ; en fuppofant toutes
fis , que les navires fortis des ports fufdits dans
le deffein d'entrer à Gibraltar , aient en effet arboré
le pavillon neutre , & en aient abufé.
. Quand les bâtimens neutres ne fe conforme .
ront pas aux fufdites difpofitions , en totalité ou en
partie , en des cas particuliers , on s'en faifira , &
on les amenera dans les ports où ils feront déclarés
g S
( 154 )
de bonne prife , avec tous leurs effets & cargaifon
, uniquement pour être chargés de vivres , ou
de ces fortes d'effets spécifiés par l'Article XV du
Règlement pour les Armateurs , fans qu'il foit befoin
d'aucune autre preuve judiciaire ; & , au cas
que les Articles fufmentionnés ne le trouvaffent
point à bord de ces navires , on examinera juridiquement
les motifs de la contravention & de l'éloignement
, dont il fera rendu compte à S. M. par
le Secrétaire d'Etat & du Département de la Marine
qui enfuite fera connoître la réfolution
de S. M.
6°. Dans le cas où indépendamment de la contravention
, il feroit prouvé qu'un bâtiment fous pavillon
neutre feroit entré dans la place , ou qu'on
le découvriroit y allant ( ce qui manifeſteroit un
deffein vifible & formel d'y aborder ) fans avoir
mis en travers ni attendu le vaiffeau Espagnol qui
l'auroit fuivi & lui auroit donné le fignal , ou qu'il
fe feroit éloigné de la côte d'Afrique , ou enfin qu'il
fe feroit féparé du convoi , il fera , à tous égards ,
tant en entrant qu'en fortant , traité comme un navire
ennemi , déclaré felon la teneur des loix de la
guerre , de bonne prife , telle que für fa cargaison,
& tout l'équipage fait prifonnier de guerre ; attendu
que dans un cas femblable les pavillons & documens
doivent être fuppofés faux , le navire & la
cargaifon appartenir à l'ennemi , ou que l'un ou l'autre
eft destiné pour fon ſervice.
17°. Les bâtiniens neutres qui vifiteront les vailfeaux
du Roi , ou corfaires , fur d'autres mers ou
côtes de l'Océan & de la Méditerranée , qui n'ont
aucune communication avec le Détroit de Gibraltar
, ne feront point arrêtés ni amenés dans les
ports , finon dans les cas fpécifiés par le règlement
Royal fait le 10 Juillet 1779 , pour les Armateurs ;
aucune vexation ni violence ne ſera exercée contre
les Patrons de ces navires , & il ne leur ſera rien
( 155 )
enlevé , telle modique qu'en pût être la valeur ,fous
la peine ftatuée par le fufdit Règlement , portée
même par l'Article XIX , jufqu'à celle de mort
le tout felon l'exigence des cas «.
La fuite à l'ordinaire prochain.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 14 Mai.
ON attend toujours avec autant d'inquiétude
que d'impatience des nouvelles ulté .
rieures du Général Clinton . Le renfort qu'il
a demandé de New Yorck fait préfumer qu'il
a trouvé la place mieux fortifiée qu'il ne s'y
attendoit ; bien des perfonnes parient ici que
fi elles n'étoit pas priſe à la fin d'Avril , l'armée
aura été obligée de fe retirer , car les
chaleurs & les vapeurs peftiférées commencent
dans cette contrée vers le Avril au
plus tard .
כ כ
gageures que
» Il s'eft fait d'autres Charles-Town
n'étoit pas encore pris le 29 Mars ; & le P. S. de la
lettre du Général les a fait hauffer de 25 pour 100 .
On dit que nos Miniftres auroient tout auffi bien
fait de ne pas laiffer fubfifter ces deux lignes de P. S.
qui n'ont eu d'autre objet que d'annoncer que les
Rebelles venoient de recevoir un renfort de 2000
hommes. Cet aveu , obfervent nos mécontens , étoit
très- inutile ; il n'a pas fait retrouver au Général un
feul cheval des 340 qu'il a perdus dans fa traversée ,
fur le nombre total de 400 ; & il ne fait pas avancer
d'un feul jour l'arrivée des fecours qu'il a demandés
à New-Yorck. Les Miniftres , cependant , affectent
la plus grande fécurité ; ils le font cmpreffés de faire
publier , dans quelques papiers , des nouvelles qu'ils
n'avouent pas. La plus importante affurément , fi el'e
étoit fondée , c'eft que le Général Clinton avoit déjà
g 6
( 156 )
gagné un grand avantage en s'affutant de la prefqu'lfle
& des hauteurs que l'ennemi n'a pas eu l'a-'
dreffe de mettre en état de défenſe ; s'il fallait les en
croire , Charles-Town feroit déja pris ; d'autres avis,
qui ne font pas mieux fondés , ont annoncé la défaite
de nos troupes. Mais ni notre perte , ni notre
triomphe n'ont pris aucun crédit . Les premières nou
velles nous apprendront ce qu'il faut croire ; en attendant
la perplexité continue. Elle eft augmentée ,
par ce que l'on fait du parti qu'ont pris les Américains
de faire une , & même plufieurs Inles de Charles-
Town , par le moyen de plufieurs canaux. Nos
Miniftres prétendent que ce fera un défavantage
pour la garnifon , qui s'eft fermé par-là toutes les
voies de la retraite. Mais on trouve en général qu'on
a tout à craindre d'un ennemi qui brûle ſes vaiffeaux
fur lesquels il eft venu faire une invaſion , ou qui
s'enferme dans une place , en briſant tous les ponts
par lefquels il pourroit en fortir «.
Du côté des Ifles notre fituation n'eft pas
plus avantageuſe , les nouvelles qui font arrivées
dernièrement & que le Miniſtère s'eſt
bien gardé de publier , nous ont ôté toutes
les belles efpérances que nous fondions fur
l'arrivée de l'Amiral Rodney ; ceux qui s'y
livroient oublioient le nombre des vaiffeaux
avec lefquels il eft parti , & ceux que conduifoit
le Comte de Guichen , dont l'apparition
a déconcerté tous nos projets offenfifs
de ces côtés , & nous a réduits à la défenfive.
» Ceux qui fe perfuadent , obfervent quelques
Politiques très inftruits , que M. de la Mothe- Piquet
aura trouvé , dans la ſtation de la Jamaïque , deux
ou trois vaiffeaux de ligne , ignorent qu'il devoit
s'en être détaché deux de l'efcadre des Ifles du Vent
favoir le Sultan , l'Hector & le Phénix , de 40
canons , pour renforcer la ſtation de la Jamaïqué ,
( 157 )
& y convoyer environ 45 bâtimens de la flotte partie
d'Europe avec Rodney. Mais fi cette ſtation eſt un'
peu plus forte, la méfintelligence qui y règne entre
le Commandant des troupes & l'Amiral Peter Parker ,
nous laille toujours de grands fujets d'inquiétude qui
s'augmentent encore par la nouvelle d'une femblable
défunion aux Ifles du Vent , entre l'Amiral Hyde ,
l'Amiral Rowley & le Général Vaughan. On comptoit
que l'Amiral Rodney les réconcilieroit ; mais il
eft resté à la Barbade , tourmenté par la goutte , &
peut être encore plus par l'inquiétude & le chagrin.
On attribue à ce défaut d'harmonie , celui du fuccès
de l'expédition pour laquelle les troupes s'étoient
embarquées , lors de l'arrivée de M. de Guichen,
Les quatre vaiflcaux de Rodney , arrivés le 17 Mars ,
& l'Intrépide , lorsqu'ils auront rejoint les autres à
Sainte- Lucie , porteront à 21 le nombre des vaiffeaux
de ligne Anglois , qui devroit être de 23 , fi l'Hettor
& le Sultan n'avoient point été détachés pour la
Jamaïque. C'eft ce qui fait voir qu'il n'y a point eu
de vaiffeaux dépecés comme on l'avoit dit
quoiqu'il y en ait plufieurs de dépeçables . Le Triomphe
, de 74 , parti de Corke le 21 Mars , en portera
le nombre à 22 ; enfuite on attendra Walfingham «.
On a appris que l'Efcadre de M de Ternay
étoit partie de Breft le 2 de ce mois . L'Amiral
Rodney attendoit à la fin de Mars , aux
Ifles , l'Efcadre de Walfingham , qui devoit
renforcer la fienne ; il feroit bien étenré
d'apprendre qu'elle n'a pas quitté encore
l'Europe. Le 9 un furieux coup de vent a
tellement tourmenté cette Efcadre & celle
de Graves , dans la rade de Torbay & dans
le goulet de Plimouth , qu'il faut à préfent
faire de nouvelles réparations à leurs vaiffeaux
, & qu'on ne fait plus quand ils fe-
୨
( 158 )
ront en état de partir . Ce qu'il y a de sûr
c'eft qu'avant leur départ on peut apprendre
des Ifles des nouvelles qui impoſeront
la néceflité d'y en envoyer un plus grand
nombre.
On dit ici , mais on en doute généralement
, que la flotte d'obſervation le rendra
à la rade de Spithead le 17 de ce mois ; on
la porte à 35 vaiffeaux de ligne , dont 3 du
premier rang , 7 du ſecond , 16 de 74 & 9
de 64 , avec 11 frégates , 4 floops , s cutters ,
4 brûlots & 26 bombardes : elle formera 4
divifions.
Pendant qu'on ne fe laffe pas d'annoncer
que les Américains & les François fois las
de la guerre & difpofés à rompre leur alliance
, que l'Espagne n'eft pas preffée d'y accéder
, que l'on fe fatte de s'accommoder
avec les Colonies , les nouvelles du nouveau
Monde démentent ces bruits ; & on
lit dans le général Advertiſer l'article fuivant
qui peut faire voir le peu de fondement qu'ils
ont à l'égard de l'Europe.
» On a fait l'accueil le plus flatteur à M. Adams
& à fes compagnons de voyage lors de leur paffage
fur les terres d'Efpagne. En voici une relation
fur l'autenticité de laquelle on peut compter.
On y verra la preuve de l'attachement cordial &
fincère de la Cour & de la Nation Eſpagnoles
pour les Etats - Unis .
MM . Adams , Dana & Taxter , mirent à la
voile de Bofton fur la frégate Françoife la Senfible.
Ce bâtiment , feu de tems après fon départ ,
fir une voie d'eau qui mit dans la néceffité de
fervir deux pompes jour & nuit fans aucune in(
159 )
terruption , & les paffagers y travaillèrent chacun
à leur tour , malgré la force de l'équipage compofé
de 350 hommes.
M. de Chavagne , commandant la Senfible , qui
avoit paffé trois mois à Boſton , où il a été parfaitement
bien accueilli , dirigea fa route vers la
première terre. Ayant reconnu le cap Finiftere ,
il entra au Ferrol , où les Américains furent reçus
avec toutes les marques de la plus fincère
amitié par le Comte de Sade , commandant l'efcadre
Françoiſe , alors mouillée dans ce Port. Les
Officiers François & Efpagnols , le Conful & le
Vice-Conful de France , & notamment D. Jofeph
St-Vincent , alors Commandant en chef de la Marine
d'Espagne au Ferrol , leur témoignèrent la
plus grande cordialité . Ils paffèrent quelques jours
dans cette place , où ils virent les chantiers , les
Arfenaux & les fortifications , dont la force & la
magnificence excitèrent leur admiration. S'étant
rendus de cette Ville à la Corogne , ils y furent
traités avec tous les égards imaginables par M.
Laganere , Agent d'Amérique ; M. de Tournelle ,
Conful de France ; tous les Officiers en général ,
& fur-tout par ceux des Régimens Irlandois ; l'Adminiftrateur
des Finances , l'Avocat- Général , le
Régent ou Président de la Grande Audience , le
Gouverneur de la ville de la Corogne , & particul.
èrement par D. Pedro - Martin Cermonio , Vice-
Roi du Royaume de Galice ; ce Grand Officier
( qui en vertu de fa place réunit toute l'autorité
royale , civile , politique & militaire ) accompagné
de fon Lieutenant ou Gouverneur de la ville
de Corogne & de plufieurs autres Officiers , alia
en perfonne rendre vifite à M. Adams dans la
maiſon le lendemain du jour de fon arrivée , &
le prier de demander tout ce dont il pourroit
avoir befoin. Il lui offrit même des voitures avec
des guides au fait des routes & de la manière de
Voyager, & qui encore fauroient parler Anglois.
( 160 )
Il le pria d'accepter une garde de foldats pendant
toute la route fur les terres d'Espagne : M.
Adams s'excufa d'accepter ces offres obligeantes ,
l'Agent Américain ayant amplement pourvu à tous
les befoins de cette efpèce . M. Adams & fes Collègues
répondirent qu'ils étoient bien fürs qu'ils n'avoient
à craindre en Eſpagne aucun ennemi ni aucun
danger. Le Vice- Roi répliqua que dans tous les
cas il feroit aux ordres de M. Adams ; qu'à la vérité
ces offres étoient venues de lui ; mais qu'elles ne
s'accordoient pas moins avec les devoirs de fa
place , qu'avec les fentimens particuliers , & qu'il
avoit reçu du Roi des ordres pofitifs de traiter
tous les Américains qui arriveroient dans fon
Gouvernement comme les meilleurs amis de l'FCpagne.
M. Adams & fes Collègues ont dîné une
fois chez le Vice- Roi . Dans ces différentes visites ,
D. Pedro leur fit avec tous les ménagemens de la
politele , une infinité de queftions fur l'Amérique ,
fur l'union & la difpofition des peuples , fur leurs
fentimens envers l'Angleterre , la France & l'Epagne
, la nature de leurs revenus & la forme de
leurs confédérations & de leurs nouveaux Gouvernemens.
Il en parla lui- même en homme inftruit
& qui avoit beaucoup réfléchi fur cet objet ,
& il parut très - flatté de l'occafion qui fe préfentoit
de traiter à fond cette matiere avec des
particuliers qui la poffédoient aufli parfaitement ,
& qui fe firent un plaifir de lui donner tous les
éclairciffemens qu'il pouvoit defirer . Il montra entr'autres
la plus grande envie de connoître la famille
, l'âge , le caractère & toutes les circonf
tances relatives à M. Jay ( Miniftre Plénipotentiaire
des Etats Unis à la Cour de Madrid ).
M. Adams eft intimément lié avec ce Ministre depuis
l'année 1774 , en conféquence perfonne n'étoit
plus en état que lui de fatisfaire la curiofité
du Vice-Roi. Il entra à ce fujet dans les plus grands
détails en donnant , comme il le deroit , les plus
( 161 )
S
grands éloges aux vertus perfonnelles de M. Jay ,
a l'étendue de fes talens & à toutes les qualités
aqu'il avoit déployées dans les premières places de
l'Etat & du Congrès. Les Américains curent la
fatisfaction d'entendre dire par tout qu'aucun Ambaffadeur
des plus anciennes & des plus refpectables
Puiffances de l'Europe , fans en excepter la
France , n'a pu être traité avec plus de confidération
, d'égard & d'affabilité , & que l'objet d'un
accueil auffi diftingué , étoit de faire éclater aux
yeur de l'Amérique & de tout l'univers la bienveillance
& l'affection de l'Espagne pour les Etats-
Unis. Ils ont pris leur route par Bitanzos , Lugo
Aftorgo , Léon & Burgos. On leur a prodigué
par-tout les mêmes attentions & les mêmes égards ;
ils ont fur-tout infiniment à fe louer des différentes
branches de la maifon Guardegni à Bilbao ,
M. Adams a reçu des Banquiers & d'autres perfonnes
d'Alicante , d'Aftorgo , de Bilbao , de Madrid
, de Bordeaux & de Bayonne , des lettres par
lefquelles on lui offroit toutes les fommes d'argent
dont il pourroit avoir befoin. La tournure
de ces offres ajoutoit encore à leur prix. On lui
mandoit que dans la perfuafion qu'il avoit été
jetté à l'improvifte fur la côte d'Espagne , d'où
il avoit pris la route de terre pour le rendre à
Paris avec une nombreuſe fuite , il pouvoit fe
faire qu'il n'eût pas de fonds avec lui. Mais dans
ce cas même , non-feulement l'Agent d'Amérique
étoit en état de fournir à fes compatriotes tous
les fecours néceffaires , mais qu'il trouveroit encore
fort mauvais qu'ils euffent cette obligation à
d'autres qu'à lui . Les Américains n'en ont pas
moins fenfibles à l'extrême honnêteté de ces offres
qu'ils regardent comme une nouvelle preuve de
l'attention des Efpagnols pour l'honneur des Etats-
Unis , & de l'amitié de cette Nation dont ils confervent
la plus vive & la plus jufte reconnoiffance
".
été
( 162 )
On foupçonne que notre Gouvernement ,
qui fans doute n'a pas aflez d'affaires fur les
bras , eft menacé d'un foulèvement dans
l'Inde , par une refpectueufe pétition envoyée
des pays de Bengale , de Bahar & d'Orixa
, contre le Tribunal fuprême de Judicature
, dont les Provinces veulent faire reftraindre
le pouvoir exorbitant. On n'a point
entendu parler des expéditions qu'on afſuroit
que devoient faire les Amiraux Hugues
& Vernon ; on a appris feulement qu'ils croifoient
dans la mer des Indes avec 8 vaiffeaux
de ligne & 6 frégates ; mais on fait auffi en
revanche qu'une Efcadre Françoiſe s'eſt ſtationnée
à la hauteur du Cap de Bonne Efpérance
, où elle incommode beaucoup notre
navigation. Deux de nos navires , qui revenoient
des Indes , richement chargés , ont
failli à tomber entre fes mains , & ils ne lui
ont échappé qu'en fe réfugiant pendant la
nuit fous le Fort Hollandois , dans la baie
de la Table , devant laquelle l'Eſcadre Françoife
fe préfenta le lendemain.
» Dans une des dernières Séances de la Chambre
des Pairs , il s'éleva une altercation entre les
Lords Shelburne & Stormont , au fujet de préten
dues intelligences avec l'ennemi ; le premier , après
avoir défié le Miniftre de produire des preuves de
fa correfpondance avec les ennemis , au préjudice
de l'Etat , ajouta que , dans un Comté éloigné ,
quelqu'un avoit dit au Duc de Cholmondely, d'après
l'autorité du Gouvernement , que le Duc de Richemont
avoit entretenu une correfpondance dangereuse
avec l'ennemi . » J'ai appris , poursuivit- il ,
» que le Lord Stormont avoir appuyé les faux
( 163
I
» bruits qui avoient couru à Paris , que j'avois parlé
avec mépris de la nation Françoife , & que je
» m'étois même permis des perfonnalités contr'elle
» dans le Parlement Britannique ". Je n'ai pas eu le
» moindre reffentiment contre ce Lord. Je n'en au-
» rai pas davantage actuellement , s'il eft en état de
produire des preuves que j'aie eu des relations &
correfpondances avec les François . Mais je ne
» lui demanderai que ce que je ferois moi - même
» pour lui ou pour tout autre Pair. Dans le cas où
» quelque Pair ( & en parlant de la forte il regar
» doit en face le Lord Mansfield , qui paroiffoit ne
"
ဘ
pas prendre plaifir à fe voir ainfi fixé ) . Dans le
» cas , dis-je , où quelque Pair me demanderoit fi ,
» lorfque j'étois Secrétaire d'Etat , j'ai eu des preu-
» ves qu'il eût entretenu avec des Miniftres étrangers
des relations & une correfpondance préjudiciables
aux intérêts du Royaume , je proteſte à la
Chambre que je fuis prêt à répondre à toutes
les queftions qui me feront faites à ce fujet « .
Lord Mansfield ne témoigna aucune curiofité , &
le Comte de Stormont anéanti par le filence de
fon oncle , ne montra pas une contenance moins
humiliée «.
Le
La féance de la Chambre des Communcs
du 28 Avril a offert des débats intéreffans.
M. Burke avoit propofé de fupprimer les
Offices de Maître de la grande Garde- Robe ,
Maître de la Garde Robe, l'Office des Joyaux ,
&c.
» Le Général Conway lut à cette occafion des
extraits de différens Edits du Roi de France , on
refpirent le patriotisme le plus pur & une affection
paternelle pour fon peuple . Louis XVI a fuccédé à
fon ayeul , dont le règne a été un enchaînement
de diffipations que le petit - fils paroît déterminé à
éviter. Ce Monarque a continué la guerre , il a
pourvu à toutes les dépenses publiques , & cepen(
164 )
dant il n'a impofé aucune nouvelle taxe fur les peuples
, tandis que nous avons été obligés d'en établir
de nouvelles & d'immenfes , pour payer l'intérêt
de 40 millions d'emprunt. Le Lord North regardant
cet éloge comme une cenfure indirecte de
la conduite du Roi , & un outrage qu'on avoit
deffein de faire à S. M. , prit la parole avec cha
leur. Si la Chambre , dit-il , a réfolu de préfenter
une adreffe au Roi fur l'objet de la motion , ce qui
eft plus décent que de porter des décifions parlementaires
fur ce qui concerne uniquement la Couronne
, j'ole allurer , d'après la connoillance perfonnelle
que j'ai du patriotifme du Roi , fon affection
pour les peuples , qu'il n'y a point de facrifice
qui lui coûte. Il doit donner , & il donnera
toujours la plus férieufe attention à une adreffe de
cette Chambre ; lorfque les voeux de fes fujets lui
parviendront par cette voie , on peut être fur qu'il
les écoutera avec les difpofitions les plus favora
bles ; & toutes les fois qu'il s'agira de faire des lacrifices
à l'intérêt de fon peuple , le Monarque que
j'ai l'honneur de fervir , ne le cédera à aucun autre
Souverain de l'Univers .
Le Général Conway appella le Lord North à
l'ordre , il dit qu'il n'avoit point fait de comparaifons
entre les Rois de France & d'Angleterre , mais
entre les Miniftres des deux Royaumes. Les Mi
niftres François , » pourſuivit-il , n'ont en vie que
la gloire de leur Souverain & l'intérêt de fes fu-
» jets , & l'un & l'autre paroiffent être très- indifférens
aux Miniftres Britanniques «. Le Lord North
répliqua qu'il n'avoit point prétendu dire que le
Général Conway eût établi un parallèle entre les
deux Rois , qu'il n'avoit parlé que par effufion de
coeur , & pour rendre aux vertus de fon Souverain
l'hommage qu'il favoit lui être dû. M. Dunning
obferva que s'il n'avoit que cet objet , fes exprel
fions étoient déplacées , parce que perfonne dans la
Chambre n'avoit une antre opinion des vertus du
( 165 )
Souverain . Le Lord North maintint toujours fa
propofition . Paffant enfuite à l'examen des finances
de la France & de l'Angleterre , il fit à ce sujet les
obfervations fuivantes : les finances de la France ,
dit il , font à la vérité dirigées par un Miniftre
très-habile & très - honnête ; mais la conftitution
des deux Royaumes ne diffère pas moins fur l'objet
des finances que fur la légiflation . En Angleterre
, un Miniftre eft obligé d'affecter une taxe
Spécifique à chaque emprunt public ; en France ,
on n'eft pas dans cet ufage. La puiffance de la Conronne
qui , dans les Gouvernemens populaires , eft
partagée entre un certain . nombre de perfonnes
fournit aux Adminiftrateurs d'une Monarchie abſolue
, des expédiens dont il eft impoffible d'ufer dans
une Monarchie limitée . Peut- être même , entre le
peu de bonnes chofes qui le trouvent dans les gouvernemens
abfolus , la prérogative de la Couronne
à cet égard eft- elle ce qu'il y a de mieux . Mais
puifque l'on parle tant de la réforme faite dans la
Mailon du Roi de France , il eft bon de rappeller
que la lifte civile de ce Monarque eft trois fois plus
forte que celle du Roi d'Angleterre . Cependant
les appointemens des Ambaffadeurs auprès des Puiffances
étrangères , n'en font point partie . Les dépenfes
fecrètes font auffi prifes fur un autre fond ,
ainfi tous les frais des Cours de Juftice . De cette
que
manière le Roi de France peut très-bien fupprimer
un grand nombre de places inutiles , & conferver ,
pour l'entretien feulement de fa maiſon , le double
de la fomme que le Roi d'Angleterre dépenfe pour
fa Cour , les Ambaffadeurs , les Tribunaux , &c.
Après quelques débats , on alla aux voix & la
motion fut rejettée à la pluralité de 210 voix contre
162. Le Comité paffa enfuite à l'examen du
Bureau des Bâtimens , qui fut pareillement commué
à la pluralité de 203 voix contre 188 .
Un de nos papiers contient le farcalme
fuivant.
( 166 )
לכ
» Nous fommes toujours très -méchans dans le farcafme
, mais les étrangers nous trouvent rarement
fins & adroits . Il nous en échappe pourtant quelquefois
de plaifans. En voici un de cette eſpèce ; il eft
fondé fur l'opinion que les ennemis de Mylord
Germaine font parvenus à établir en Angleterre
de fa bravoure à la bataille de Minden , quoiqu'il
foit affez avéré que ce fut par morgue qu'il s'abſtine
de donner avec la cavalerie Angloife qu'il commandoit,
& parce qu'il étoit révolté que les foudoyans
fuffent aux ordres des foudoyés. C'eſt ainfi
que M. Fox parla dans la Chambre des Communes
où l'on fe débattoit fur l'établiſſement du Comité
pour l'inſpection des comptes publics . Il voulut faire
entendre que tout ordre civil étoit interverti au point
de nous ramener aux plus étranges métamorphofes.
» Un François , dit-il , en converfation avec un Anglois
de fa connoiffance lui demandoit cequ'on avoit
» fait de M. Fullarton depuis que Mylord Stormont,
auprès de qui il étoit Secrétaire d'Ambaſſade à Paris,
3 occupoit une place d'un des principaux Secrétaires
» d'Etat. Ce jeune homme , dit le François , avoit une
» tournure heureufe pour les affaires ; fans doute vos
» Miniftres l'ont chargé de quelque négociation im-
» portante en pays étranger. Point du tout , répondit
l'Anglois , il eft actuellement Colonel d'un Régi-
»ment 2 & on lui a confié le foin d'une expédition
» militaire. Et le Chevalier Guy Carleton , continua
» le François , qui a dirigé & commandé en perfonne
» pendant plufieurs années les expéditons les plus im-
» portantes & les plus hafardeufes dans le Canada
» vous l'avez apparemment envoyé quelque part dans
» l'Inde pour frapper un grand coup fur les établiffe-
» mens des Efpagnols .Oh ! non , reprit l'Anglois , on
» lui a donné une place de Commis chargé de revifer
» & de régler le compte des dépenfes publiques .Vous
» me furprenez bien , ajouta le François , eft ce
» qu'on auroit eu à lui reprocher quelque trait de lâ-
"
בכ
က
50
( 167 )
scheté ou de défobéiffance aux ordres de fon Géné-
» ral ? Eh ! non , M. , repliqua l'Anglois , avec vi-
» vacité ; il n'eft pas queftion de pareille chofe : fi
» cela étoit le Roi en auroit fait un Miniftre «,
Apperçu politique à la date actuelle.
» ˆIl s'éſt élevé un nuage dans la partie de l'Ouest.
Nos nouvelles des Ifles du vent , ne font rien moins
que fatisfaifantes. On affure que le démon de la
difcorde quia fi long - tems déchiré le coeur de la G. B.
a étendu fa rage jufqu'à ces régions éloignées où l'ef
prit de faction divife tous nos Officiers. Il eft vrai
que nous avons la fatisfaction de favoir que notre
brave Amiral Rodney cft arrivé dans ces parages,
Mais il n'y eft arrivé qu'avec 4 vaiffeaux , c'est àdire
un bien petit renfort pour une petite eſcadre
éparpillée , délabrée , & dont la plupart des vaiffeaux
font en mauvais état , mal approvifionnés , & inférieurs
à l'ennemi par le nombre & par la force,
L'Amiral lui-même eft retenu dans fon lit par la
maladie , & peut - être par le découragement & le
chagrin d'avoir trouvé nos affaires dans une fituation
aufli défefpérée . Nos forces navales , qui font encore
à Torbay auroient dû être avant lui aux Ifles de
l'Amérique , ou du moins l'y accompagner. Pourquoi
n'a- t- on pas fait partir avec lui de Gibraltar
use efcadre plus confidérable ? Autant auroit- il valu
ne lui point donner le commandement en chef. En
effet , que fert - il d'avoir une commiſſion , ſi on eft
privé des moyens de l'exécuter ?
>
-
Pour fermer la bouche à tous les frondeurs , le
Loid North vient de faire la campagne Parlemen .
taire la plus terrible dont on ait jamais entendu
parler. Transformé tout à coup en Commis de
l'accife , il est allé dans toutes les brafferies jauger
les tonnes , les grains , enfin tout , jufqu'à la petite
biere d'Ecoffe , c'eft - à - dire à - peu - près de l'eau
claire , & pour environ un farthing ( liard ) par
gallon fur cette miférable boiffon , il s'eft pris de
querelle avec les bons amis les Ecoffois , au point
( 168 )
que ceux - ci , pouffés à bout , l'ont menacé d'ur
rébellion , dont le fiége ne feroit pas dans l'Amériqu
Septentrionale , ni même en Irlande , mais dans
coeur même de la Grande- Bretagne. Mais ce Miniſtr
eft tellement accoutumé aux tumultes , aux féditions ,
aux foulèvemens & aux rébellions , qu'il eft devent
infenfible à tout. Peut - être auffi penfe - t - il qu'une
rébellion en éteindra une autre , & qu'ainfi le Gou
vernement n'aura autre choſe à faire qu'à fe tenir à
l'écart pour juger des coups ; & cela , d'après ce prin
cipe , qu'un Miniftre , qui n'a pas pu éteindre unt
rébellion en Amérique feulement , cft cependant en
état de conduire une grande guerre , & de batte
la France , l'Espagne & l'Amérique encore par-detlus
le marché avec toutes les autres Puiflances qui auront
l'audace de fe mêler de la querelle.
Mais la grande , l'importante victoire remportée
par le Miniftre dans le champ de bataille parlementaire
, & qui immortalifera fon nom dans les faftes
de la Grande - Bretagne , eft celle de l'acte feptenaf :
paffé par une pluralité de deux contre un. Le peu de
peine qu'un pareil fuccès a coûté , les auxiliaires ,
par le moyen defquels il fe l'eft procuré , & furtout
la nature du triomphe le plus complet qui ait
jamais été remporté fous les yeux & fur le ventre
de cette foule de péritionnaires , d'allociés , de comités
, de francs-tenanciers , de confeils communs
& d'habitans de l'Angleterre , qu'il a foulés aux
pieds avec mépris : voilà ce qui doit paroître réelfement
merveilleux & furnaturel à nos yeux , fuppofé
que nous ayons encore des yeux pour voir , des
oreilles pour entendre , ou quelque ombre de raison
pour connoître & diftinguer le jufte & l'injofte ,
la lumière & les ténèbres , ou enfin le moindre fentiment
de calamités dont ce coloffe ministériel a
accablé la Grande Bretagne. Cette grande queſtion
qui renfermoit toutes les autres , étant ainfi décidée
en faveur du Miniftre , & cela du confentement
très-formel de nos divins orateurs & incomparables
聚
( 169 )*
parables patriotes , nous n'avons plus à préfent aucun
fujet de débat , & il ne nous refte autre choſe
à faire qu'à nous foumettre humblement & fans
réfiſtance aux ordres fuprêmes de notre Dictareur.
L'Afrique paroît entièrement abandonnée par
l'Adminiſtration. Il ne nous en refte rien que le
nom d'une Compagnie de Commerce en Afrique ,
avec une dépense annuelle , fans bénéfice pour la
Nation . Nous n'avons reçu de l'Inde aucune nouvelle
authentique que celle d'une installation de
Chevalier du Bain en la perfonne du Chevalier
Munro ; avec une pompeufe relation de cette cérémopie
, qui en rempliffant la gazette de la Cour ,
nous en a fait encore plus remarquer le vuide. II
fant que l'exprès qui a rapporté cette magnifique
dépêche , n'eût rien de plus dans fa malle , ou que
le Gouvernement n'ait pas jugé à propos de publier
le refte .
Nos préparatifs intérieurs pour la Manche & pour
le Golfe de Gascogne , vont très - lentement & trèsfoiblement
, & tout nous annonce que cet été ſe
pallera comme les autres en fanfaronades .
On diroit que les Miniftres d'Angleterre & de
France fe font donné le mot pour amuſer chacun
leur Nation par une grande parade navale & un
fimulacre de combat de retraite fans porter de
part & d'autre aucun coup décifif. Ce fyftême fait
de la guerre un jeu au dernier écu , dont l'évènement
décidera lequel des deux fyftêmes eft fait
pour tenir le plus long - tems , celui de l'économie
& de la frugalité Françoifes , on celui de l'extravagance
& de la prodigalité Angloifes.
Malgré l'ardeur qui continue d'animer
une partie de la Nation Irlandoife , on prétend
que le Gouvernement Britannique eft
parvenu à détacher du parti patriotique une
27 Mai 1780.
h
( 170 )
portion affez confidérable pour rendre illufoire
le projet de ce parti de profiter de la
conjoncture préfente à l'effet de procurer à
l'Irlande l'indépendance politique , comme
l'indépendance commerciale. On connoît
le fort de la motion de M. Grattan , &
celui de la motion faite le 26 par M. Yelverton
pour la révocation de l'acte de Poyning
qui , après de grands efforts de part &
d'autre , a été rejettée par une pluralité de
130 voix contre 105. M. Conolly , M. le
Duc de Leinster & les autres adhérens nombreux
de ce Seigneur , votèrent en faveur du
Miniftère . M. Huffey Burgh , premier Avocat
du Roi , eft resté fidele au parti populaire.
M. Yelverton fe propofe , dit -on , de faire
au premier jour une nouvelle motion pour
altérer l'acte de Poyning par quelques modifications.
De
FRANCE
VERSAILLES le 23 Mai. ›
LL. MM. & la Famille Royale font à la
Muerte depuis le 16 de ce mois & doivent
en revenir demain.
Le 12 de ce mois S. M. a . nommé aux
charges de fous - Lieutenans , vacantes dans
le Corps de la Gendarmerie , le Marquis
de la Bourdonnaye , ci- devant Capitaine
réformé à la fuite du Régiment Royal,
cavalerie ; le Comte du Cofnac , ci-devant
( 171 )
Capitaine réformé à la fuite du Régiment
Dauphin , dragons , & le Marquis de Ste-
Aldegonde , ci-devant Capitaine réformé à
la fuite du Régiment de Meftre de Camp-
Général , dragons.
Le 14, jour de la Pentecôte , S. M.fe rendit
à fa Chapelle avec les Chevaliers - Commandeurs
& Officiers de l'Ordre du S. Efprit ,
avec la pompe & les cérémonies ordinaires ;
S. M. y reçut Prélat-Commandeur de l'Ordre
le Cardinal de la Rochefoucault . Elle
entendit la Grand'Melle , célébrée par l'Evêque
de Senlis , Prélat- Commandeur de
l'Ordre , chantée par fa Mufique , & pendant
laquelle la Comteffe de Charlus fit la
quête , & elle fe rendit enfuite dans fon appartement.
L
LL. MM . & la Famille Royale ; fignèrent
ce jour-là le contrat de mariage du Comte
de Caftellane , Officier au Régiment du Roi ,
avec Demoiſelle de Béthune. Le même jour
le Vicomte de Vibray , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi près le Duc de Wurtemberg ,
& fon Miniftre près le Cercle de Souabe ,
qui étoit de retour ici par congé , eut l'honneur
d'être préfenté à S. M. & d'en prendre
congé pour retourner à fa deſtination.
MM. de Caffini , de Montigny & Perronnet
, préfentèrent à S. M. & à la Famille
Royale , s nouvelles Feuilles de la Carte de
S
la France , qui comprennent les Villes de
Limoges , de St- Flour , de Mende , d'Aix &
de Marſeille .
h 2
( 172 )
Le 16 M. de la Foffe préfenta à LL. MM.
& à la Famille Royale la 13 livraiſon du
Voyage Pittorefque de l'Italie.
De PARIS , le 23 Mai.
Les nouvelles des Ifles , dont nous avons
déja donné le précis , méritent d'être connues
dans tous leurs détails : nous allons les donner
ici. La première Lettre eft du Cap François
, St- Domingue , le 31 Mars.
» L'Eſcadre du Roi , aux ordres de M. de la
Mothe - Piquet , compofée des vaiffeaux l'Annibal
& le Diadême , de 74 canons ; le Réfléchi , de 64 ,
& l'Amphion , de so , commandés , ces trois derniers
, par le Commandeur de Dampierre , & MM.
Cillart de Suville & de Saint - Cézaire , avoit appareillé
le 13 Mars de la rade du Fort- Royal de
la Martinique , efcortant un convoi confidérable
de navires du commerce , qui devoient le rendre
à Saint- Domingue. M. de la Mothe- Piquet , préfumant
qu'il pourroit y en avoir à Porto- Rico d'Efpagnols
deftinés pour les Illes de fous le vent ,
détacha la frégate l'Amphitrite , commandée par
le Chevalier de Langan-Boisfevrier , pour offrir
la protection de l'Escadre aux navires qui pourroient
le trouver dans les ports de cette Ifle , &
4 bâtimens richement chargés , s'y rangèrent fous
lefcorte de l'Amphitrite. Le 19 , à 11 heures du
foir , étant à environ fept lieues de diſtance de la
Grange ( Ile Saint-Domingue ) , M. de la Motte-
Piquet eut connoiffance , dans la partie du N. O. ,
de trois vailleaux qui faifoient des fignaux . Il fit
à fon efcadre celui de fe préparer au combat , &
au convoi celui de forcer de voiles , & de gagner
la terre : ce qui fut exécuté. Ces premiers fignaux
furent fuivis immédiatement de celui de donner
chaffe aux bâtimens découverts . Le 20 au point
( 173 )
IN
d
en
1
du jour, on diftingua clairement trois vaiffeaux
de lignes & deux corvettes ; mais le calme ne
permit pas de les joindre. Ce ne fut qu'à 5 heures
du foir , que le vaiffeau l'Annibal , monté par M.
de la Mothe - Piquet , qui avoit eu la fupériorité
de marche fur les autres vaiffeaux de l'eſcadre
du Roi , parvint à fe trouver à la portée du canon
des trois vaiffeaux chaſſés , qui furent recon ."
nus pour ennemis ; & il
le combat ,
engagea
faifant feu contre les trois jufqu'à 11 heures du
foir , que le Diadême & le Réfléchi ayant pu
s'approcher , tirèrent quelques volées fur les vaiffeaux
Anglois : l'Amphion étoit encore trop éloigné
. Aune heure après- minuit , les ennemis avoient
affez gagné de l'avant pour s'être mis hors de la'
portée du canon ; mais le 21 , à 4 heures du matin
, l'Annibal , le Diadême & le Réfléchi , fe
trouvèrent affez près des vaiffeaux Anglois pour
recommencer le combat qui eût été décifif , fi le
calme qui furvint , & les courans qui manioiont
les vaiffeaux , ne fe fuffent oppofés à toute évolution
ils engagèrent même l'Annibal dans la
pofition la plus défavantageuſe pour un vaiffeau
en préfentant fa poupe au travers d'un des vaiffeaux
ennemis , dont le feu l'incommoda beaucoup.
M. de la Mothe- Piquét fut atteint dans la poitrine
d'une balle de mitraille , qui heureuſement avoit
perdu une grande partie de fa force. Sa bleſſure ,
à laquelle il fit mettre fur le pont un premier
appareil , n'empêcha point qu'il ne continuât de
donner les ordres. Un peu de vent qui s'éleva
alors , permit à l'Annibal de fe rapprocher des
trois autres vaiffeaux du Roi qui faifoient tous
leurs efforts pour venir le couvrir contre les trois
vaiffeaux ennemis qui , par leurs pofitions de
circonftances , enveloppoient l'Annibal. Les quatre
vaiffeaux de M. de la Mothe Piquet recommencerent
bientôt à faire feu fur les Anglois , qui de
h3
( 174 )
nouveau prirent chaffe . Un calme plat qui furvine
ne permit pas de les pourfuivre. Le 22 , au point
du jour , l'efcadre du Roi n'en étoit qu'à une
portée & demie de canon , lorfque M. de la Mothe-
Piquet , qui avoit efpérance de les joindre dans
moins d'une heure , & de recommencer le combat ,
apperçut quatre bâtimens failant route à toutes
voiles fur les deux efcadres . Il continua la chaffe
pendant quelque tems ; mais à 6 heures , il reconnut
que trois de ces bâtimens étoient des vaiffeaux
de guerre ; il fit à fon efcadre le ſignal de
tenir le vent , & dirigea fa route pour faire entrer
fes vaiffeaux dans le port du Cap François ,
où ils mouillèrent dans la journée .
D'autres lettres ajoutent que M. de la Mothe-
Piquet devoit remettre à la voile au
commencement d'Avril. Les lettres de la
Martinique font du 2 Avril & contiennent
les détails fuivans.
L'Eſcadre du Roi , aux ordres du Comte de Guichen
, Lieutenant - Général des armées navales ,
mouilla dans la rade de ce port le 22 Mars , avec
le convoi confidérable qu'elle avoit amené de France
fous fon eſcorte. Les vaiffeaux commandés par le
Comte de Graffe , en avoient appareillé quelques
jours auparavant , & avoient été au- devant de l'efcadre,
à laquelle ils s'étoient joints fur la Dominique
. Le 21 , le Comte de Guichen avoit eu connoiffance
de 4 vaiffeaux qu'il fit chaffer depuis 9
heures du matin jufqu'à du ſoir ; mais le trouvant
par le travers de l'ile de la Defirade , fous
le vent , & la chaiſe le conduifant dans le canal
d'Antigue , cette route eût mis la flotte confidérablement
fous le vent de la Martinique , d'où elle
eût eu beaucoup de peine à remonter : cette confidération
le détermina à abandonner la chaffe
pour rejoindre la flotte & paller au vent de la
( 175 )
›
Dominique. Il ne prit que le tems néceffaire pour
débarquer les malades au Fort- royal , en appareilla
le 23 à quatre heures du matin , avec les vaiffeaux
réunis , au nombre de 13 , le Dauphin royal étant
en réparation , & il fit voile pour Sainte - Lucie
où il fut informé qu'à fon approche les vaiffeaux
ennemis s'étoient réfugiés au nombre de 17. Le
Marquis de Bouillé , Maréchal - de- camp , Gouverneur-
Général de la Martinique , s'étoit embarqué
fur l'efcadre pour commander les troupes de débarquement
, s'il y avoit lieu à une expédition . On
éprouva une réfiftance invincible de la part des
courans ; & les bordées que l'efcadre fit pour
s'élever , ne furent pas favorables au corps de bataille
; les feuls vaiffeaux de tête , le Robufte & le
Citoyen , avoient pu gagner le vent du gros Iflet .
On découvrit alors les 17 vaiffeaux ennemis mouiltés
& emboffés. Le Marquis de Bouillé fut inftruit
en même-tems par le rapport du Comte de Bouillé
fon neveu , que les ennemis avoient reçu un renfort
confidérable qui portoit le nombre des troupes
de Sainte-Lucie à plus de sooo hommes , qui s'étoient
fortifiés au morne Fortuné , de manière à ne
pouvoir y être attaqués avec avantage. On renonça
pour le moment à l'expédition , & l'efcadre revint
faire de l'eau & du bois au Fort Royal , d'où elle
a dû remettre en mer le 4 ou le 6 d'Avril.
L'arrivée de l'efcadre au ordres du Comte de
Guichen , dans la mer des Antilles , a déconcerté
tous les projets des ennemis qui fe difpofoient à
faire l'attaque de quelques - unes des Ifles Fraçoiles
ou conquifes ; ils avoient , dans cette vue , retiré de
quelques- unes des leurs une partie des garnisons
pour en former un corps d'armée ; mais à l'approche
de l'efcadre de S. M. , toutes ces troupes ont
été renvoyées à leurs ftations refpectives , où l'ennemi
paroît réduit actuellement à fe tenir fur la
défenfive,
h 4
( 176 )
Toutes les lettres de Londres annoncent
la fufpenfion du départ du Commodore
Walfingham & de l'Amiral Graves , que les
vents ont contrarié , & dont quelques vaiffeaux
ont été affez maltraités pour avoir befoin
de réparations , qui retiendront la flotte
encore quelque tems en Europe , & laiffe
ront à M. de Guichen celui de fuivre les opérations
avant que les Anglois puiffent recevoir
les renforts qu'ils attendent , & dont
ils ont befoin . Cette circonftance favorife
auffi l'expédition de M. de Ternay qui gagne
tous les jours de l'avance , & qui peut le réunir
dans fa route à l'Efcadre Eſpagnole partie
de Cadix.
On apprend de Breft que les armemens de
ce Port fe continuent avec beaucoup d'activité
. L'Hector & le Vaillant , armés à l'Orient
, étoient prêts dès le 8 de ce mois , &
font fans doute partis pour Breft , où ils doivent
fe joindre à l'armée d'obfervation. L'Efcadre
de Toulon , felon plufieurs lettres ,
devoit être prête à mettre à la voile le 15 , &
on préfumoit toujours que fa deſtination
étoit pour Cadix & delà à Breft .
L'Ordonnance du Roi , concernant le traitement
des troupes deftinées à une expédition
particulière , paroît avoir pour objet
l'armée de M. de Rochambeau ; nous en ferons
connoître les principaux articles.
» Les appointemens & fupplémens de folde des.
corps employés à cette expédition , font fixés par
cette Ordonnance ; il leur a été payé comptant ,
avant l'embarquement , un mois d'avance de la
( 177 )
une
maffe , & trois mois d'appointemens & de folde ,
pour les mettre en état de fe pourvoir de toutes les
chofes qui leur feront néceffaires . S. M. veut qu'il
foit fourni aux bas - officiers & foldats effectifs ,
ration compofée de 24 onces de pain , ou de 20
onces de farine , ou de 18 de bifcuit , de 8 onces
de boeuf frais ou falé , ou de 4 onces de lard , à
défaut de boeuf , & d'une once de riz ; il fera fourni
en outre une livre de fel par mois par homme ; &
dans le cas où ces comeftibles manqueroient , il y
fera fuppléé par des denrées du pays. La retenue à
exercer fur les troupes , eft fixée à raifon de 2 fols
par ration de pain , farine ou biſcuit ; 1 fol 6 den.
par ration de viande fraîche ou falée ; le fel diftribué
des magafins du Roi , fera payé 1 fol 6 den.
le riz fera donné par gratification . L'intention de
S. M. eft qu'il ne foit embarqué que des hommes
fains , en état de fupporter des voyages de long
cours , & qu'il foit détaché pour refter en France
trois Officiers par régiment , & le nombre de bas - `
officiers néceffaires , tant pour veiller à la conduite
des hommes qui resteront , que pour s'occuper
de l'achat & de la confection des corps refpectifs."
L'Officier Général commandant en chef, eft autorisé
à faire fournir aux bas - officiers & foldats , par
gratification , de l'eau - de-vie & du vinaigre , quand'
il le croira néceffaire ; & s'il arrivoit que le corps
de troupes pour lequel $ . M. a jugé à propos de
rendre la préfente Ordonnance , fut employé en'
tout ou en partie à tenir garnifon dans les colonies
de l'Amérique Septentrionale , fon intention
eft qu'il y foit traité conformément à ſon règlement
du 28 Août 1777 , concernant les troupes employées
dans les colonies de l'Amérique.
La promotion que le Roi a faite dans fat
Marine , le 4 du mois d'Avril dernier , vient
d'être rendue publique ; elle confifte en 34
Capitaines de Vaiffeaux , 28 Lieutenans & G
hs
( 178 )
Enfeignes . Nous ne donnerons que les noms
des nouveaux Capitaines.
Département de Breft . MM . Petit , Kermorvan
de Gouzillon , Chevalier de Nirere , Cibon , de
Baudran , Fougeroux de Sceval , de la Ville-Brun ,
de Tarade , Chevalier Burin de la Galiffonnière , Vicomte
de la Couldre- la - Bretoniere , de Charniere ,
de Bavre , Chevalier de Vaugiraud de Rofnay , de
la Percufe du Galaup , Chevalier de Trolong-
Durumain ; ces quatre derniers ne prendront rang
qu'à la premiere promotion.
·
Département de Toulon MM . de Norbel,Champ-
Martin , Befly de Contenfon , de Mazilles , de Seigucurel
, Marquis de Treffemanes , Brunon , Adhemar
, Chavalier de Village , Chevalier de Treffemanes-
Chateuil , Chauffegros , de Barbaſan , Chevalier
de Vintimille.
Département de Rochefort . MM . Dupin de Belugard
, Marcaty Marteig es , du Bois , Guignard ,
Macnemera , Comte de Vavincourt , de Fourunet.
La réponſe faite par la Cour de France à
la déclaration que l'Impératrice de Ruffie lui
avoit fait remettre , ainfi qu'à celles de Madrid
& de Londres , eft du 25 du mois dernier
& conçue ainfi :
" La guerre dans laquel'e le Roi fe trouve engagé
n'ayant d'autre objet que l'attachement de S. M. au
principe de la liberté des mers , Elle n'a pu voir
qu'avec une vraie fatisfaction l'Impératrice de Roffie
adopter ce même principe & fe montrer réfolue à le
foutenir. , Ce que S. M. I. reclame des Puiſſances belligérantes
n'eft autre chofe que les règles preferites
à la Matine Françoife , dont l'exécution eft maintenue
avec une exactitude casue & applaudie de toute
l'Europe «
» La liberté des bâtiment , reftreinte dans un petit
nombre de cas feulement , eft une conféquence directe
( 179 )
du droit naturel , la fauve-garde des nations , le foutlagement
même de celles que le fléau de la guerre
afflige . A fli le Roi a t 1l.defiré de procurer non feu
lement aux fujets de l'Impératrice de Ruffie , mais à
ceux de tous les Etats qui ont embraffé la neutralité ,
la liberté de naviguer aux mêmes conditions , qui
font énoncées dans la Déclaration , à laquelle S. M.
répond aujourd'hui . Elle croyoit avoir fait un grand
pas vers le bien général , & avoir préparé une époque
glorieufe pour fon règne , en fixant par fon exemple
Tes droits , que toute Puiffance belligérante peut &
doit reconnoître être acquis aux navires nentres : fon
efpérance n'a pas été déçue , puifque l'Impératrice ,
en fe vouant à la neutralité la plus exacte fe déclare
pour le fyftéme que le Roi foutient au prix du fang
de les peuples , & qu'Elle reclame les mêmes droits ,
dont S. M. voudroit faire la bafe du Code Maritime
.
S'il étoit befoin de nouveaux ordres , pour que
les vaiffeaux de S. M. I. n'euffent aucun lieu de craindre
d'être inquiétés dans leur navigation par les fujets
du Roi , S. M s'emprefferoit de les donner ; mais
l'Impératrice s'en repofera fans doute far les difpofitions
de S. M confignées dans les Règlemens
qu'Elle a publiés : elles ne tiennent point aux circonftances
: elles font fondées fur le droit des gens ;
& elles conviennent à un Prince affez heureux pour
trouver toujours dans la profpérité générale la mefure
de celle de fon Royaume. Le Roi fouhaite , que S.
M. I. ajoute aux moyens , qu'Elle prend pour fixer
la nature des marchandifes , dont le commerce eft
réputé de contrebande en tems de guerre , des règles
précifes fur la forme des papiers de mer , dont les
vaiffeaux Ruffes feront munis . Avec cette précaution,
S. M. eft affrée qu'il ne naîtra aucun incident qui
puiffe lui faite regretter d'avoir rendu , pour ce qui
la concerne la condition des navigateurs Ruffes
auffi avantageufe qu'il foit pollible en tems de guerre.
h 6
( 180 )
D'heureufes circonftances ont déja mis plus d'une
fois les deux Cours à portée d'éprouver combien
il importon qu'elles s'expliquaffent avec franchiſe fur
leurs intérêts refpectifs « .
>> S. M. fe félicite d'avoir à exprimer à S. M. I. fa
façon de penfer fur un point intéreffant pour la Ruffie
& pour toutes les Puiff, commerçantes de l'Europe :
elle applaudit d'autant plus fincèrement aux principes
& aux vues qui dirigent l'Impératrice , que S. M.
partage le fentiment qui a porté cette Princeſſe à
des mefures d'où doivent réfulter également l'avantages
de les fujets & celui de toutes les Nations «.
L'enregistrement des Edits du Roi , concernant
la perception de la Taille & la prorogation
du fecond Vingtième , s'eft fait dans
Toutes les Cours fouveraines avec des témoignages
de reconnoiffance pour les difpoli
tions bienfaifantes & paternelles que montre
notre jeune Monarque dans toutes les
loix d'adminiſtration qu'il a publiées . Celui
du Parlement de Nancy eft conçu ainfi .
·
» Lu , publié & regiftré , oui , ce requérent le
Procureur Général du Roi , pour être fuivi &
exécuté felon la forme & teneur ; & fera le Seigneur
Roi très-humblement fupplié de vouloir bien
regarder la promptitude de cet enregistrement , ainfi
que le généreux dévouement de fes fujets , comme
un hommage public de la confiance qu'infpire l'adminiſtration
actuelle des finances de l'Etat , dont
les vaftes reffources & les grandes vues économiques
auffi courageufement entreprifes que juftement
dirigées , foutiennent les effets de la Nation
en même-tems qu'elles allarment les ennemis ; &
e'eft dans l'espoir de ce meilleur ordre de chofes
annoncé par les Edits récens de S. M. , que fa Cour
de Parlement s'arrête dans ce moment -ci à en folliciter
l'entier accompliffement , en fe réfervant
( 181 )
de faire , dans un autre tems , de très-humbles fup+
plications pour obtenir la ceffation la plus prochaine
du fecond Vingtième , & la fixation d'un
terme au premier , ainfi que les autres foulagemens
qu'il eft néceffaire d'accorder aux befoins des peuples
de fon reffort , dès que les circonftances pour
ront permettre à S. M. de fe livrer à cet égard
aux mouvemens de fon coeur , fur la bonté duquel
fes fidèles fujets fe repolent entièrement «<,
La lettre fuivante contient l'expreffion
de tous les bons Citoyens fur ces loix intéreflantes
, dictées par la bienfaifance ; elle
offre en même tems un projet que la
reconnoiffance ne manquera pas d'adopter.
-
" Je ne fais fi tout le monde a été en état de
fentir tout le prix de la Déclaration du Roi du
13 Février 1780 , & de la diftinguer particulièrement
de toutes celles qui marquent fes foins paternels
; il faut favoir pour cela que la taille
beaucoup plus ancienne , mais rendue perpétuelle
en 1445 , a bien été établie légalement fur le
confentement des Etats , mais que la quotité n'en
ayant jamais été bien fixée , elle a été fucceffivement
portée de 1,800,000 à plus de 60,000,000
liv. , au moyen de beaucoup d'impofitions extraordinaires
qui y ont été jointes , & qui n'étoient
faites qu'en vertu de fimples Arrêts du Confeil,
La Chambre des Comptes principalement a toujours
réclamé contre cette illégalité , mais une poffeffion
& un ufage de plufieurs fiècles , paroiffent
affurer le droit du Roi.
Il en étoit de même de la capitation établie
légalement en 1695 & 1701 ; mais la quotité n'en
ayant jamais été fixée , cette impofition arbitraire
par la nature , l'eft devenue doublement par la
fixation générale, comme elle l'étoit par l'impofi
tion particulière. Un Miniftre eft venu , qui a eu
( 182 )
le courage , en attendant encore un mieux qu'il nous
promet , de propoſer au Roi de borner , ou pour
parler plus exactement , de foumettre fon autorité
à l'examen des Cours ; & nous avons un
Roi qui a affez de grandeur d'ame & de générofité
pour s'y foumettre , pour renoncer à des droits
defpotiques acquis depuis plufieurs fiècles , & fe
reftraindre à cette autorité paternelle qui écoute
les remontrances de les enfans . Non , Monfieur ,
on ne peut lire cette Déclaration , quand on faura
ces faits , fans être attendri & pénétré de fentimens
de reconnoillanco , de refpect & d'amour
pour notre Roi , & d'eftime & de vénération pour
fes Miniftres. Mais comment leur témoigner tous
ces fentimens ce n'eft pas au Roi à fire frapper
une médaille pour conferver le fouvenir d'un
acte d'héroï me & de bienfaifance ; fa modeftie s'y
oppofe c'est donc à fes fujets & à fes enfans à
le faire. En conféquence je propofe une foufcrip .
tion pour une Médaille & une Estampe qui repréfentent
cet évènement. J'invite.des perfonnes plus
capables que moi à imaginer l'une & l'autre ; la
foufcription fera depuis 12 jufqu'à 150 liv. Pout
12 liv. on aura l'Eftampe ; pour 75 liv . une Médaille
& une Etampe ; & pour 150 liv. deux
Estampes & deux Médailles.
:
:
Ceux qui , au jugement de l'Aca lémie des Infcriptions
, auront donné le plus beau deflin de l'une &
de la tre auront chacun autant que le Soufcripteur
de 150 liv . Au reste , trouvez bon , Monfieur
, que je ne me nomme pas ; mais la preave
de la vérité de ce que j'avance eft un dépôt de
150 liv. chez M. Dufrenoy , Notaire , rue Vivienne
, à qui j'ai remis en mime rems copie de la
préfente , & qui délivrera les reconnoiffances « .
de ce mois le College de Chirurgie a
fait la diftribution des Prix fodés par M. Ho let ,
& qui font adjugés tous les ans aux Elèves de
» Le
( 183
)
l'Ecole- Pratique , qui ont fatisfait le mieux à l'era
men public qu'il eft d'ufage de faire auparavant ."
Les quatre Médailles d'or de la valeur de 100
livres chacune , ont été adjugées à MM Douyau ,
d'Heres , Diocèle de Tarbes ; Miraut d'Angers
Gesbert d'Avranches , & Boutlelin de Vienne en
Dauphiné.
J
Les quatre Médailles d'argent , comme acceffit ,
ont été adjugées à M. Ducaftaing d'Heres , Diocèfe
de Tarbes , auquel le College auroit accordé
une Médaille d'or , s'il en avoit eu une cinquième
à diftribuer à M. Grégoire de la Landaffe , Diocèfe
de Sarlat ; a M. Baltazar de Narci , Diocèſe
de Châlons , & à M. Gartier d'Angers « .
On vient de former pour l'Ecole royale Vétéri
naire de cette ville , au château d'Alfort , près Charenton
, un établiffement d'une Ecole gratuite de
principes relatifs à la fidèle repréfentation des animaus
, tant en peinture qu'en fculpture Cette Ecole
ouvrira le premier Dimanche de Septembre prochain
, un Cours en faveur des Artistes qui étudient
les arts de la Peinture & de la Sculpture . Les
inftructions en feront gratuites , & les jours de le
çons feront les dimanches , fêtes , & jeudis de
toute l'année . On commencera par la démonftration
du cheval , & l'ordre les leçons fur cet animal fera
celui qui eft fuivi dans l'ouvrage connu de feu
M. Go ffon , & de M. Vincent fon adjoint . On démontrera
de plus fur la nature , l'oſtéologie , la
myologie , les proportions & toutes les autres parties
de l'art. Ceux qui defireront affifter à ces lecons
, fe feront inferire pendant le mois d'Acût
foit à l'hôtel de l'Ecole royale Vétérinaire , chez
M. Chabert , Infpedeur Général , & en fon ab
fence , chez M. Vincent , Profeffeur ; ou à Paris ,
dans le Bureau de M. Clerigny , chez M.
Bertin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , rue des
Capucines .
>
( 184 )
On plaide depuis un mois à la Tournelle fur la
demande de M. Cazeaux d'y évoquer tout ce qui
concerne l'accufation faite contre lui de s'être chargé
de perdre le jeune Comte de Solar , fourd & muer ,
pour en débarraffer fa mère. Il y avoit lieu de
croire que l'information faite en Languedoc, confor
mément à l'Arrêt du Parlement du 20 Avril 1779 ,
détruiroit ou confirmeroit fans réplique les foupçons
que l'Abbé de Lépée s'eft cru obligé de
dénoncer à la Juftice d'après ce que lui a fait entendre
par fon idiome , l'enfant trouvé fur le
grand chemin en Picardie le 11 Août 1773. Cette
inftruction difpendieufe femble plus embrouiller le
procès qu'auparavant . Car le petit Jofeph n'a pas
reconnu les perfonnes ni les lieux que le petit Comte'
de Solar avoit le plus fréquentés ; beaucoup de
perfonnes l'ont elles- mêmes méconnu ; d'autres qui
l'avoient le moins vu , ont affuré le reconnoître
quoique le trouvant en contradiction fur la reffemblance
des traits ainfi que ceux de Mademoiſelle
de Solar envoyée avec lui ; 33 dépofans conviennent
que M. Cazeaux n'eft parti de Toulouſe que
le 4 ou les premiers jours de Septembre 1773 avec
un Abbé fon coufin , un Domeftique , & le jeune
Solar qu'il conduifoit aux caux de Banières , d'où
il réfulte l'impoffibilité phyfique que le jeune Solar
foit l'enfant trouvé fur le chemin de Peronne
à Cavilly un mois auparavant , & conduit à Bicêtre
le 2 Septembre. Il eft de plus conitaté par
les dépofans que le même Comte de Solar a été
vu aux eaux , & au retour à Charlas , Diocèse de
Cominges , où il eft mort de la petite vérole &
a été enterré dans la fépulture des Cazeaux le 29
Janvier 1774. L'un des Défenfeurs de M. Cazeaux ,
M. Elie de Beaumont , obfervant qu'il eût été
poffible que le départ du jeune Solar pour les eaux
& fon retour à Charlas n'euffent été connus de
perfonne , demande ce que deviendroit alors le
( 185 )
fieur Cazeaux , s'il n'avoit pas ce point d'appui
que lui donnent 33 témoins far un fait décifif ,
s'il n'eût pas eu cette preuve d'impoffibilité phyfique
, & c.
› Il fe plaide , au Châtelet une caufe qui doit
attirer l'attention des pères & mères de famille.
Un jeune homme de qualité , âgé de vingt -fept
ans , voulant époufer une créole & n'ayant pu
obtenir de fa mère fon confentement à ce mariage ,
lui a fait faire des fommations refpectueuſes au nom
de fon père , parce qu'il n'eft pas dans l'âge requis
par la loi pour les faire en fon nom.
La mère , en perfiftant dans fes motifs d'oppofition
, foutient que fon mari eft non recevable à
demander , en fon nom , ce que fon fils n'ofe pas
demander au fien , dans la crainte d'être exhérédé.
» Un père , dit M. de la Croix qui plaide pour
» la mère , a- t-il le droit de mettre fon fils juridi-
» quement en oppofition avec la volonté de ſa mère ?
Lorfque ce fils craint , en frondant directement
» la volonté de celle qui lui a donné le jour , d'en-
33
courir la peine de l'exhérédation , & paroît ne
» pas vouloir faire le facrifice de fes efpérances légi-
» times , le père peut - il , par la feule autorité
expofer fon fils aux dangers de l'exhérédatione ?
Le même Défenfeur , après avoir juftifié les raifons
qui déterminent la mère à refufer le confentement
qu'on lui demande , découvre au fils le
rifque qu'il court , en bravant la défenfe de celle
qui s'oppofe à fon mariage , avant le tems où les
loix permettent à un fils de famille de fuivre le penchant
de fon coeur & de contracter , fans élever
contre lui le moyen d'exhérédation , un engagement
licite , quoique défaprouvé foit par fon père , foit
par fa mère. Il démontre à ce fils , & par le texte
des Ordonnances qu'il rapporte , & par plufieurs
Airêts qu'il cite , » que
lors qu'il s'agit de cet a&e
( 186 )
לכ
important , l'autorité de la mère eft égale à celle
5 du père , parce que le fils eft , aux yeux de la loi ,
la propriété de l'un , comme celle de l'autre.
» Le Marquis D. . . . répéte - t - on , a le confen-
» tement de fon père. Eh bien , il recueillira l'héritage
de fon père , dont il n'a point méprifé
» l'autorité ; mais celui de fa mère .... ô jeune
» homme , qui vous laillez emporter par un fol
amour , ne vous flattez pas d'une vaine efpérance !
» écoutez la loi qui crie : Soumiffion pour la volonté
» de votre mère , ou exhérédation. Ne dites point
» que placé entre deux autorités , vous ne faites que
» céder à la plus impérieuſe ; c'eſt vous , au contraire ,
qui entraînez l'une , & qui bravez l'autre « . M.
Target , qui eft l'Avocat du père , a fait valoir
l'autorité du chef de famille dans toute fa force.
Nous regrettons que fon plaidoyer ne foit point
imprimé , pour pouvoir en citer quelques morceaux
qui feroient plaifir à nos Lecteurs.
">
Nous nous ferons toujours un devoir
d'annoncer tout ce qui a rapport au zèle &
au patriotifme ; tous les ordres des citoyens
en ont donné des preuves ; le projet contenu
dans la lettre que nous joignons ici fait
honneur à ceux qui l'ont conçu , & mérite
une publicité qui eft la récompenfe des bons
citoyens , & un encouragement pour les
exciter.
Je me fuis chargé avec plaifir , Monfieur , de
vous faire part du projet d'une petite Société de
fix Curés du Vexin François , dont j'ai l'honneur
d'être membre , & que vous voudrez bien inférer
dans le prochain mercure . Animés d'un zèle patriotique
, n'ayant rien de plus à coeur que d'erre
utiles au Roi & à l'Etat , & defirant contribuer
pour quelque chofe à venger & foutenir l'honneur
du Pavillon François , nous propofons à tous MM.
( 187 )
les Curés de tout le Diocèle de Rouen , y compris
le grand - Vicariat de Pontoife , de faire conftruire
& armer en guerre une frégate de 30 à
36 canons à frais & dépens communs. Le Diocèle
eft compofé de près de 1400 Curés ; ce feroit
peu pour chacun , & chacun y contribueroit au
prorata de fon revenu , par exemple de 24 livres
par mille livres du produit de fon bénéfice , ou
plus s'il étoit néceffaire . Ce feroit une grande fatisfaction
pour nous , Monfieur , fi nous pouvions
exécuter ce projet par l'envie que nous avons
d'abattre l'orgueil & l'infolence d'une nation qui
ne doit ou qu'à la ſurpriſe , ou qu'à la fupériorité
momentanée de quelques forces navales le peu de
réuffite qu'elle paroît avoir eu fur les François qui
la furpafferont toujours en valeur & en bonne foi.
Nous espérons qu'aucun de MM . les Curés.
du Diocèle de Rouen ne refuſeront de nous feconder
dans un projet auffi patriotique.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite confidération
, Monfieur , Votre très -humble , & c.
DE GOUVILLE de Bretheville , Curé de N. D.
de Veteuil , par & à Mantes fur- Seine .
P.S. MM . les Curés font priés de m'adreffer leurs
lettres d'avis en réponse à celle - ci , qui devient
circulaire pour tous , en affranchiffant le port , &
à l'adreffe ci - deffus , à Veteuil.
Le tems n'eft point borné , mais je les prie
inftamment de me faire l'honneur de m'écrire le
plutôt poffible.
Claude-Jofeph Dorat , né en Bourgogne ,
ci- devant Moufquetaire de la garde du Roi
connu dans la Littérature où il a acquis la
réputation d'un Poète léger , facile & ingénieux
, eft mort ici le 29 du mois dernier..
Charles David , ouvrier en laine , eft mort
le premier de ce mois dans la paroiffe de
( 188 )
Saint -Hilaire de Chartres âgé de 104 ans ; cet
homine n'avoit jamais été faigné pendant ſa
vie.
Marie-Anne Beaupoil de Saint-Aulaire
âgée d'environ 26 ans , fille de Martin Beaupoil
, Marquis de Saint- Aulaire , eſt morte
en cette Ville le 6 de ce mois.
François-Maurice Pichault , Docteur en
Théologie de la Faculté de Paris , Conſeiller,
Aumônier & Prédicateur ordinaire du Roi ,
Général & grand Miniftre de l'Ordre des
Chanoines réguliers de la Sainte Trinité ,
pour la rédemption des Captifs , eft mort
en cette Ville le 9 de ce mois , dans la 65º
année de fon âge.
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie
Royale de France , du 17 de ce mois ,
font : 49 , 29 , 53 , 9 , 47.
De BRUXELLES , le 16 Mai.
On a été étonné en Hollande de voir dans
la lettre miniftérielle du Lord Stormond au
Comte de Welderen , l'affectation avec laquelle
il a prétendu apprécier les fentimens
de la Nation , & les préfenter en oppofition
avec la détermination du Gouvernement ;
il auroit été plus exact s'il avoit obfervé que
la Nation à long- tems follicité le Gouvernement
de prendre la réfolution qu'il a prife ;
enfin , & que s'il y a eu des murmures , ils
n'ont été caufés que par fa lenteur à fe
décider conformément au voeu général . Cette
réfolution a été entièrement conforme au
( 189 )
voeu de la Province de Hollande & de
Weftfrife , dont l'avis a été envoyé à Londres
pour fervir de réponſe , & porte en
fubftance :
ל כ
Que L. H. P. ne peuvent nullement ſe contenter
de la réponſe du Lord Stormont , donnée le 16 Mars ,
aux juftes répréfentations de L. H. P. fur la violence
faite à leur convoi ; d'autant que cette réponſe ne fert
qu'à rejetter fur elles par des argumens forcés , le
blâme de ce qui s'eft paffé , & à repréfenter , contre
toute vérité, leur Officier comme ayant été l'aggreffeur
que L. H. P. tant pour fe juftifier aux yeux
de toute l'Europe , que pour convaincre , s'il eft poffible
, la Grande - Bretagne , ont jugé devoir répréfenter
ultérieurement , que les munitions navales
n'étant point marchandiles de contrebande fuivant
la lettre expreffe des traités , leur viſitation & leur
détention , faites par ordre , fur- tout fous le pavillon
de L. H. P. , eft une attaque directe de ce pavillon
ainfi que de leur indépendance & de leur fouveraineté :
que quant à l'allégation du traité de 1674 , fait par
Mylord Stormont , concernant la vifite des marchandifes
fufpectes , le contraire de ce qu'il avance appert
de la manière la plus évidente par la fimple lecture
du traité que la nature d'un convoi rendant toute
vifite non néceffaire , les articles V & VI de ce traité
fe bornent manifeftement à des navires particuliers ,
defquels cependant l'on ne peut dans ce cas exiger
encore l'exhibition de leurs lettres de mer , & à
l'égard des bâtimens deftinés pour des ports ennemis
celle de leurs paffe- ports : qu'ainfi la conduite du
Commodore Fielding , approuvée par S. M. , importe
une violation ouverte de ce traité : que par conféquent
ni les ordres de L. H. P. ni le fait de l'Officier chargé
de leur exécution , n'ayant porté aucune atteinte aux
traités , ni aucunes hoftilités n'ayant été commifes
deleur part , mais le Commodore Fielding ayant emque
( 190 )
ployé pour l'exécution de fes ordres ,la force des armes
contre le convoi de la République , il n'existe pas le
moindre motif de plainte du côté de S. M. ; mais que
du côté de L. H. P. l'on a eu la plus jufte raifon de
fe plaindre , & qu'on doit encore infifter, ( comme L.
H. P. infiftent de la manière la plus ſérieuſe, ) ſur une
fatisfaction & une réparation convenable , ainfi que
fur la relaxation , fans forme ultérieure de procès , des
navires marchands & de lears cargaifons, naviguant
fous le convoi de la République , détenus par voie de
fait & par force contre la teneur des traités , & condamnés
par le Juge de la Cour d'Amirauté , avec la
même injuftice qu'ils ont été attaqués par le Com
modore Fielding , pris & conduits en Angleterre : que
conformément à ces principes , le Comtede Welderen
fera chargé de donner une réplique au Lord Stormont,
& de l'appuyer le plus efficace ment toutes les
fois qu'il le jugera ultérieurement utile , & c . «.
ON attendoit avec impatience des nouvelles
de la manière dont le Ministère Anglois
prendroit la réfolution des Hollandois .
Une lettre de Londres contient à ce ſujet les
détails fuivans.
» Le Comte de Welderen remit le 4 de ce mois
un Mémoire fort étendu au Lord Stormont , avec
lequel il eut une conférence. Le Miniftre lut ce
Mémoire , dans lequel il est démontré que le but
de la conduite qu'ont tenue les Anglois avant &
après la rencontre da Commodore Fielding & du
Comte de Byland , eft de ruiner le commerce des
habitans de la République , & que tous les
traités deviennent inutiles , lorfqu'une des parties
contractantes fe croit en droit de les interpréter
felon qu'il convient à fes intérêts & à fes
vues. Le Lord Stormont après cette lecture , dit
qu'il le mettroit fous les yeux du Roi , & lui demanderoit
les ordres à ce fujet ; qu'en attendant
( 191 )
il pouvoit affurer l'Ambaladeur que S. M. approu
voit non feulement la conduite du Commodore
Anglois , mais encore la manière dont il avoit exécuté
fa commiflion . Il ajouta que l'on étoit convaincu
à Londres que M. Fielding avoit agi conformément
aux traités , & que c'étoit le Comte de
Byland lui - même qui les avoit enfreint.
Cette déclaration donna lieu à une conteftation
très-vive entre le Miniftre & l'Ambaſſadeur ; celuici
prouva que l'agreffion étoit du côté des Anglois ,
& que jamais LL. HH. PP . n'avoient confenti à
ce qu'aucun navire le trouvant fous l'efcorie d'un
de leurs vaiffeaux de guerre , fût vilité ; que par
conféquent le Commodore Fielding , qui ne devoit
pas avoir ignoré les traités , y avoit porté une atteinte
manifefte en mettant en mer fa chaloupe
armée.
Comme le Mémoire étoit terminé , par la demande
expreffe de la République , exigeant que les bâtimens
& les cargaifons qui font fous le convoi de
l'Etat , & qu'on a arrêtés & faifis avec violence ,
foient relâchés fans autre forme de procédure , le
Lord Stormont ne crut pas devoir retarder fa ré
ponfe fur ce point ; elle eft , qu'il n'eft pas au pouvoir
du Roi de faire quelques changemens dans
la fentence hors des formalités ordinaires , mais
que la voie d'appel eft ouverte aux intéreffés. Le
réſultat de cette conférence fut que les deux Mi.
niftres fe féparèrent très mécontens l'un de
l'autre «.
·
Quoiqu'en dife le Lord Stormont , l'opinion
générale de la Nation n'eft pas abfolument
conforme à celle du Miniftère ; elle
convient qu'on en a agi d'une manière allez
lefte avec la Hollande , & on n'eft pas fans
inquiétude fur les fuites de cette conduite.
» On a eu tort , dit un papier Anglois , de ne
ود
( 192 )
pas ménager une puiffance dont la neutralité nous
auroit été auffi avantageufe qu'à nos ennemis , &
qui , fi elle fe déclare , ne peut plus fe déclarer que
contre nous. On n'a pas affez pelé les resources ;
ce qu'elle a fait donnera une idée de ce qu'elle peut
faire encore. Son revenu ordinaite approche de deux
millions iterlings. Dans la guerre avec l'Angleterre
en 1665 , elle leva le double de cette fomme ; &
dans la guerre générale , qui commença en 1702 ,
& qui finit en 1715 , fon revenu annuel fut porté à
cinq millions fterlings . En cas de guerre ou d'autres
befoins urgens , les Hollandois font face à leurs
dépenfes extraordinaires , en levant la huitième
partie des biens du peuple , en impofant une capi
tation , ou en employant d'autres moyens extraor
dinaires . En 1666 , ils avoient plus de 60,000 hom
mes de troupes de terre , & de cent vaiffeaux de
guerre en mer. Du tems de Cromwel , en 1652 ,
& fous Charles II , ils n'en eurent pas moins de
150 ; ce fut alors qu'on vit combattre les plus
grandes flottes qui euffent jamais paru fur l'Océan .
Outre la force des Hollandois au dedans , leur
Compagnie des Indes eft en état d'équiper dans les
établi fèmens , une flotte de 60 vaifleaux de guerre ,
& de faire fur terre une levée de 40,000 hommes.
Le commerce qu'ils font en effet eft fi confidérable ,
qu'on a vu 22 vailleaux attiver de cette partie du
monde en une année « .
Les lettres de Cadix portent qu'il y eft
arrivé un paquebot venant de la Havane ,
d'où il eft forti le 28 Février. Il raconte que
le 12 du même mois l'Amiral Bonnet avoit
appareillé de ce port avec s vaiffeaux de
ligne & des bâtimens de tranfport portant
4000 hommes. Accueilli par un ouragan , il
fut obligé de regagner le port d'où il ne put
reffortir que le 25. On préfume que cette
expédition ne peut regarder que Penſacola.
TABLE.
T
OURNAL POLITIQUE | Cadix
deux
Pétersbourg ,
Stockholm
$8
49 Londres
eterre
Varfovie
so Verfailles ,
85
SI Paris ,
702
Vienne ,
Hambourg ,
87
52 Bruxelles ,
94
$ 31
urs
re
es
elt
e,
ie
it
de
it
it
20
DOIT
Vaiffeaux pris fur les Anglois.
LE Wafa - Orden, de Pool , pour Livourne ; pris
& envoyé à Algéziras. Cinq Bâtimens , pris &
envoyés dans différens Ports de France . Le Owners-
Adventure , de Londres , pour Cork ; pris par le
Prince-Noir , & envoyé à l'Orient. La Maria,
de Tingmouth ; pris & rançonné pour 250 guinées.
Deux Bâtimens , pris par un Corfaire François.
Le Libertg , de Londres ; pris par un Corfaire de
Dunkerque, & rançonné pour 850 guinées.
Vaiffeaux pris par les Anglois.
Deux Bâtimens pris par l'Hector , Corfaire , & envoyés
à Mahon. La Dunkerquoife , Corfaire
François ; pris par l'Emerald , Vaiffeau de Guerre ,
& envoyéà Portsmouth. Le Het-Hoff-Vanderlyn ,
de Morlaix , pour Rouen ; pris par le Portland ,
Vaiffeau de Guerre , & envoyé à Portſmouth . — Le
George , de S. Euftache , pour Bofton ; pris par la
Galatea , Vaiffeau de Guerre , & envoyé à New-
Yorck. Le Amfterdam , pris par le Neptune , Corfaire
, & envoyé à Portsmouth. Trois Bâtimens ,
pris par la Galatea, & envoyés à New- Yorck.
AVERTISSEMENT au fujet de la Médecine
Domeftique.
ON répand dans les Provinces , & même dans la
Capitale , le Profpectus d'une nouvelle Édition de
la Médecine Domestique en 6 ou 7 Volumes in-12 ,
propofée par Soufcription , à Genève , chez Téron
l'aîné. Cet Ouvrage n'a encore que deux Editions ,
toutes deux imprimées à Paris par G. Defprez ,
rue S. Jacques. La première étoit en s Volumes
in- 12 ; & la feconde , qui vient de paroître , eft
in-8 °. auffi en cinq Volunes. M. Duplanil , Traducteur
de la Médecine Domeftique , qui n'avoue
que les Éditions forties des preffes du Sieur Defprez ,
déclare qu'il n'a aucune part à celle qu'on prépare
à Genève ; & il croit cette déclaration d'autant
plus importante , que fi les contrefaçons en général
font juftement rejetées par le Public éclairé & jaloux
de s'inftruire , parce qu'étant faites furtivement , à la
hâte , & loin des yeux de l'Auteur , elles fourmillent
de fautes , & fouvent d'erreurs ; celle d'un Livre de
Médecine doit infpirer encore bien plus de défiance .
puifque la faute d'impreffion la plus légère en apparence
, fur tout dans la prefcription des remèdes
, peut avoir des conféquences très-fâcheuſes ,
& quelquefois mortelles ; & ces confidérations acquièrent
un nouveau degré de force , quand on réfléchit
que la Médecine Domestique paroît deftinée à
être entre les mains de tout le monde , & fouvent
de perfonnes qui étant dépourvues de toutes connoiffances
en Médecine , font incapables de rectifier
une erreur d'impression.
DE FRANCE ,
POLITIQUE ,
HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE.
N
( No. 19. )
SAMEDI 6 MAI 1780 .
PROSPECTUS.
OUVELLE Édition des Lettres édifiantes & curieufes
, réunies aux Mémoires du Levant. Ouvrage
en 22 Volumes in- 12 , propofé par foulcription.
Les Lettres édifiantes & curieufes , avec
les Mémoires du Levant , forment un Recueil confidérable
, & non moins intéreffant pour ceux qui
aiment les Arts & les Sciences , que pour les perfonnes
picules qui confervent du zèle pour les progrès
de la Religion.
Cet Ouvrage eft encore très- recherché ; mais on
fe plaint qu'il devient fort rare ; c'eft ce qui détermine
à en donner une nouvelle édition .
On ne retranchera rien d'effentiel de la première
; on y ajoutera même beaucoup de Lettres
& de Mémoires qui n'avoient point encore parir.
Cependant , pour la commodité du Public , certe
Thion
3710155200
Collection , aujourd'hui en 43 Volumes , fera réduire
à 22 Vol. d'environ 5oo pages chacun , d'un
caractère très- lifible , mais moins fort que celui de
la première édition .
M. de Fontenelle difoit des Lettres édifiantes &
curieufes , que jamais Ouvrage n'avoit mieux rempli
fon titre.
Conditions de la Soufcription.
On donnera 6 liv. en fouferivant , & ainfi de
fuite 6 liv. à chaque livraifon de 3 volumes en
feuilles , qui fe fera au moins de trois mois en trois
mois ; & l'on recevra gratis les trois derniers volumes
, en préfentant la quittance de la Soufcription,
qu'on laiffera alors au Libraire.
Chacun des volumes , quoique prefque tous ornés
de Cartes Géographiques & de Planches telatives
, pour la plupart à l'Hiftoire Naturelle , ne
fera donc que de 2 liv, pour les Soufcripteurs.
Ceux qui n'auront pas foufcrit paieront chaque
volume 2 liv. 10 f. On promet la plus grande
exactitude ; & fi le nombre des Soufcripteurs fe
trouvoit infuffifant pour cette entreprife utile, mais
difpendieufe , par la voie des Journaux on avertira
les Soufcripteurs de retirer leur argent au bout
de fix mois que la Soufcription ceffera d'être ouverte
. On pourra fouferire dès le moment de la publication
du Profpectus jufqu'à la fin de Septembre de
cette année , à Paris , chez J. G. MERIGOT le jeune,
Libraire , quai des Auguftins , au coin de la rue
Pavée.
On trouve chez le même Libraire une nouvelle
édition des Mémoires pour fervir à l'Hiftoire de
feu M. le Dauphin , avec un Traité de la Connoiffance
des Hommes , fait par fes ordres en
1719
Jer . 135.
MERCURE
DE FRANCE .
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
Les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis -
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 6 MAI 1780 .
A PARIS,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevité du Roi.
TABLE .
Des Matières du mois d'Avril.
PIÈCES
FUGITIVES .
49
Le Ruiffeau ,
Air d'Atys ,
Chanfon ,
Les Muses Réunies , Prologue
52
Vers à M. de laHarpe , 97
A Zilia
98 →
86
111
Contes de J. Bocace,
Poëme fur les Eclipfes ,.
VoyagePittor, de l'Italie, 120
Lettre à Madame la Baronne
de ** , fur la chaleur da
Globe , 126
Atlas portatif, à l'usage des
Colleges, 130
Lettre aux Rédacteurs du Mélanges d'une grande Bi-
Mercure ,
103
145
162
167
bliothèque,
Abrégé de l'Histoire générale
des Voyages
Monde Primitif,
Les Amours , Elégies , 216
Obfervationsfur Londres & fes
Réponse de M. de la Harpe
aux Vers que M. le Marquis
de Villette lui a
adreffés,
Versfur Mllede Condé , 147
Obfervations Critiques fur les
Fabliaux ,
Epitre d'une Jeune Polo Concert Spirituel ,
noife à une defes Concitoyen
nes ,
environs ,
ibid. SPECTACLES.
200
226
39
Académie Roy, de Mufiq.177.
193 230.
Enigmes & Logogryphes , 9 , Comédie Françoiſe , 42 , 179
65 , 110 , 161 , 198. Comédie Italienne , 44 , 186 ,
NOUVELLES LITTÉR. 233.
Almanach des Mufes , 10
Académies ,
Variétés ,
133
88,235
94, 141 , 191
46 , 142
Almanachde MONSIEUR , 36
Defcription Hiftorique de la Gravures ,
Lorraine & du Barrois , 38 Annonces Littéraires , 47, 941
Mufique
Lettres choifies de Voiture , 66
Médecine Domestique , 82 143 , 191 , 239 .
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint -Gôme.
BAR
TOTHECA
SOCIA
CENSIS
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 6 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
MES AGES.
Il fut un tems , il m'en ſouvient encor ,
C'étoit le bon tems de ma vie.
Parmi les jeux , à l'abri de l'envie ,
Mes jours avoient un libre effor.
Tout à mes yeux étoit prodige :
Une fource qui jailliſſoit ,
La fleur qui couronnoit la tige
Le Zéphir qui la carefſoit ,
Un nid de Fauvettes .... Que dis-je ?
Un Papillon m'intéreſſoit.
Aujourd'hui , tout eft grand ; armés de leur balance,
Les États attentifs croifent leurs mouvemens ;
Le Midi craint le Nord , le repouffe en filence ;
La Paix vole indécife aux champs des Mufulmans 3
Sur un Monarque aimé notre Empire s'appuie ;
A ij
MERCURE
De vrais Républicains combattent leurs tyrans ;
Tout eft fpectacle ! ..... & je m'ennuie,
Il fut un tems , ce beau tems eft paffé ,
Où mon efprit , aux voûtes éternelles
S'élançoit d'un vol empreffé,
Audacieux aiglon , dans mes courſes nouvelles ,
Imitant l'Aigle altier qui traverſe les Cieux ,
Je fuivois les fentiers , & du flambeau des Dieux
J'allois ravir les étincelles ,
Et l'Algébre & fes profondeurs ,
Et les fecrets de la Chymie ,
Et les fyftêmes féducteurs
De la pompeuſe Aſtronomie ;
Je fondai tout , hormis la fcience des coeurs...
J'en avois un pourtant ; je l'appris de Thémire,
C'eft alors que , dans mon délire ,
Je m'écriois : Tout n'eft qu'erreurs ,
» Hors le fentiment qu'elle infpire ! »
Il fut , ce tems , cet heureux tems ,
Où je difois à ma Maîtreffe :
» Prends mon coeur & mes dix -huit ans ;
» Hélas ! c'eft toute ma richeffe. ,., »
DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
M. D'ALEM BERT.
S'11 parle, il fait prendre le ton
De Théophrafte dans Athène.
S'il prend la plume , c'eft Platon ;
Avec le compas , c'eft Newton ;
Quand on le voit , c'eft La Fontaine.
( Par M. de V...)
L'AMOUR CRÉÉ PAR LA BEAUTÉ
ou les Illufions du Cloitre , Hiftoriette
Anacréontique *.
DANS
ANS un Couvent de Naples , où , loin du
monde & des plaifirs , quelques jeunes filles
vont faire profeffion de s'ennuyer , deux
Penfionnaires , Euphrofine & Aglaé , ayant
à peine quinze ans , jolies , fpirituelles , ne
demand int pas mieux que de devenir fenfibles
, voyoient à regret s'évanouir les
plus beaux jours & les plus belles nuits de
leur printemps . La jaloufie de leurs compagnes
& le befoin de s'amufer , befoin fi
preffant à leur âge , achevèrent entre- elles
* Une petite ftatue de cire , faite par deux jolies
Penfionnaires de Couvent , a donné lieu à ce badinage.
A iij
MERCURE
une liaiſon que la conformité de goûts avoit
commencée. Il faut aux femmes un objet
d'affections. Les deux charmantes Penfionnaires
conçurent bientôt l'une pour l'autre
la tendreffe la plus vive. Les mêmes agrémens
qui , dans le monde , en auroient fait
deux rivales , dans le cloître en firent deux
amies.
Fatiguées de leur folitude , elles cherchèrent
dès - lors à s'y procurer quelques
amuſemens qui puffent au moins les diftraire
de l'image qu'elles fe faifoient des plaifirs de
la fociété. On peut prefcrire des bornes à la
liberté des filles qui ont quinze ans , mais on
n'en donnera jamais à leur imagination ."
Celle de nos jeunes Réclufes , à chaque inftant
plus inventive , leur fourniffoit des
dédommagemens de toute efpèce. Un jour
pourtant qu'elles ne favoient que faire , elles
fe mirent à lire. Il n'eft pas étonnant que ce
fût-là leur dernière reffource ; car , hélas !
elles ne lifoient jamais de Romans , ni de
Contes pour rire , ni toutes ces jolies bagatelles
du jour qui font rêver l'efprit , &
difpofent le coeur à faire encore mieux.
Aucune de ces brochures ne paroiffoit dans
le Couvent ; la Supérieure y mettoit bon
ordre. En revanche , tout ce qui s'appelle
livres de dévotion , y avoit fes entrées
libres.
Euphrofine & Aglaé aimoient beaucoup
la Bible. En la parcourant , elles tombent
ce jour-là fur un des Chapitres de la Genèſe ,
DE FRANCE.
7
où elles trouvent que le Créateur voyant le
premier homme former encore des defirs
au fein des délices du Paradis terreftre , dit :
faifons - lui une compagne. Eh bien ! ma
bonne, s'écrie auffi-tôt Euphrofine , nous ne
fommes pas , à beaucoup près , dans le Paradis
terreftre , & nous nous ennuyons pour le
moins autant que notre premier père ; que
ne nous faifons-nous aufli un compagnon ?
En confcience , le Ciel nous devroit bien ce
préfent. Un compagnon ! répond Aglaé ,
mais tu n'y penfes pas. Eh ! comment ? Par
quel moyen ? Les voilà qui cherchent , qui
fe promènent en rêvant autour de leur
cellule.
- Une petite Madone de cire , qu'elles.
n'avoient pas encore apperçue , s'offre toutà-
coup à leurs yeux. Elles fe la montrent du
bout du doigt en fouriant , mais elles n'ofent
point s'en faifir. Un refte de fcrupule combat
quelque temps en fa faveur ; il cède
enfin au defir que l'on a de fe procurer un
compagnon. Il faut que le Lecteur apprenne ,
avant tout , que les deux amies favoient
parfaitement deffiner , & qu'elles avoient
même quelques notions de la fculpture. La
ftatue eft déjà dans les mains d'Euphrofine.
Comme elle poffédoit fort bien la Fable , fa
première idée fut d'en faire un Hercule :
c'étoit fon héros , chacun a le fien. Aglaé ,
plus prudente , fe décida pour un petit
Cupidon , afin , dit- elle , qu'en cas de furprife
, la Mère Supérieure , en voyant fes
"
A iv
8 MERCURE
aîles , pût aifément le prendre pour un Ange.
Bref, voici la Madone en pièces , & mes
belles à l'ouvrage.
Grâce aux plus jolis doigts du monde , la
cire molle & flexible s'arrondiffoit & prenoit
déjà des formes heureuſes , lorsqu'il
s'élève tout-à- coup une difpute entre nos
deux jeunes ouvrières , au fujet des traits
dont elles devoient former le vifage de
l'Amour. Où trouver , dit Euphrofine à fon
amie , des yeux aufli beaux , auffi doux , auffi
ter dres que les tiens ? Allons , il aura tes
yeux. Non , repond Aglaé , ce font les tiens
qu'il faut lui donner ; ils font vifs & malins ;
ils conviennent à l'Amour. Je gage que luimême
les choifiroit . Eh bien , dit Euphrofine
, ie confens à ce que tu veux : il aura
donc des yeux femblables aux miens ; mais
c'eft à condition que ta bouche fraîche &
vermeille fervira de modèle à la fienne.
Ainfi , la figure de Cupidon ne fut qu'un
affemblage des traits d'Euphrofine &
d'Aglaé.
Sous la main de nos jeunes Prométhées ,
les charmes de l'Amour naiffent à meſure ,
croiffent , fe développent , autant toutefois
qu'il leur étoit poffible de les développer.
On fe fouviendra qu'elles n'ont pas quinze
ans.
Quoi qu'il en foit , fes bras terminés par
de petites mains rondes & potelées , faites
fur celles d'Euphrofine , offrent à l'oeil & au
toucher des contours frais & gracieux. Mais
DE FRANCE.
༡
ce que les friponnes paîtriflent avec le plus
de foin & de plaifir , ce font les jambes de
l'Amour. On ne peut en effet rien voir d'aufli
parfait. La beauté des formes s'y joint à la
jufteffe des proportions : on ne ceffe de les
louer que pour admirer des pieds mignons &
délicats ; c'étoient ceux d'Aglaé.
Leur ouvrage à peu près fini , elles ne fet
laffent point de l'examiner , & femblent y
trouver fans ceffe quelque chofe à defirer.
Il eſt touché , retouché ; on critique , on cor
rige , & toujours on foupçonne un mieux
auquel on voudroit atteindre. C'étoit bien
d'ailleurs le plus joli chef- d'oeuvre qui fût
jamais forti de la main des femmes ; tous
fes traits fembloient refpirer ; il ne lui
manquoit guères que la parole. Il paffoit
tour-à- tour des mains d'Aglaé dans celles
d'Euphrofine ; cette dernière ne le rendoit
que pour le reprendre aufli - tôt . Qu'il eft
gentil ! ... Quelle bouche ! Quels yeux ! ...
Aglaé , vois , il femble nous fourire... Ces
mots étoient accompagnés des careffes les
plus vives. Elles tâchoient , par mille &
mille baifers , de lui donner une ame &
des fens. Il est sûr qu'on en auroit une à
moins.
Après ces premiers tranfports , Aglaé propofa
d'habiller l'Amour. L'habiller , dit
Euphroline ! Eh ! pourquoi ? Ce feroit dommage.
Pour moi , reprit Aglaé , je ne faurois
le voir ainfi nud , fans éprouver une fecrette
peine. Quoiqu'il foit infenfible , je crois à
A v
10 MERCURE
chaque inftant que le pauvre petit grelotte
de froid. N'y auroit- il pas un moyen de lecouvrir
, fans pourtant le cacker ? Tiens-, je
ne fais , mais il me femble qu'alors je le regarderois
avec moins d'inquiétude. Une
gaze légère & tranfparente mit nos belles.
d'accord , en voilant le Dieu qu'elles venoient
de former. Il est encore inutile de
prévenir qu'on mit un art infini à donner à
certe toilette tout l'air & toutes les grâces
de la négligence.
Ainfi nos jeunes filles , enchantées de leur
ouvrage , ne trouvoient plus leur cellule
auffi déplaifante , & paffoient avec lui des
heures entières. Elles le careffoient , le baifoient
, le baifoient encore , lui parloient
le grondoient de ne pas répondre , & lui
adreffoient les voeux les plus tendres....
Les illufions n'ont qu'un temps. Celle des
deux Penfionnaires fut , hélas ! trop tôt diffipée.
On commença par négliger le pauvre
petit Amour ; on ne lui dit bientôt qu'un
mot en paffant. Plus de careffes , plus de
baifers , à peine un léger coup- d'oeil, On
s'apperçut enfin que cet objet fi fêté , fi
chéri , n'étoit qu'un morceau de cire. On
plaifanta d'abord de fa folie , on finit par
en rougir ; & tout ce grand changement ne
fut , qui le croiroit ! que l'effet d'une visite
au parloir.
DE FRANCE. II
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent,
LE mot de l'énigme eſt Montre ; celui
du Logogryphe eſt d'Estaing , où le trouvent
deftin , fage , ane , finge , Ange , Denis ,
fatin , dais , étang , nid , tige, gain , anſe
danfe , fein , gaze.
ÉNIGM E.
Des mains de l'Art je reçus l'exiſtence ;
Le fer , le feu , la terre & l'eau
Eurent tous part à ma naiſſance ,
Et pour combattre l'air je quittai le berceau.
Par mon état placée à la claſſe femelle ,
Je n'eus jamais d'époux ; j'ai cependant un fils ;
Je le porte en mon fein ; & fa nature eft telle ,
Qu'il exiftoit peut-être avant que je naquis.
D'un foufre menaçant , mortel , je te délivre ,
Car je fuis , de tous temps , ardente à te ſervir ,
Ma voix t'avertit de bien vivre ,
Et toi , de mes bienfaits tu perds le fouvenir.
Des plaifirs & des jeux quand la troupe légère
T'entraîne , à tes devoirs je fais te ramener ;
Je te rends à l'Amour ; & plus d'une Bergère
N'eût pas reçu fans moi l'hommage du Berger.
Prends-tu le deuil ? Senfible à tes alarmes ,
Par de triftes accens je réponds à tes larmes ,
A vj
12 MERCURE
L'hymen couronne-t'il ton amoureuſe ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit , fortant de fes demeures fombres ,
Sème dans l'Univers le filence & les ombres ,
Tu dors ; & refpectant ce précieux fommeil ,
Je me tais pour ne point trop hâter ton réveil.
Pour prix de mes bienfaits , quelle eft ma deſtinée ?
Tu me charges de fers , me mets la corde au cou ;
Au plus haut d'un gibet je me vois attachée ;
C'est l'acte d'un ingrat , ou bien celui d'un fou.
(Par M. Bodin , C. D. F. D. R. )
LOGOGRYPHE.
Nous tic formons qu'un corps , quoique deux foeurs
jumelles ;
Nos bras élastiques & grêles
Forment les mêmes mouvemen's ;
Du plus actif des élémens
L'on évite par nous les atteintes cruelles ;
Et Ducerceau , jadis en vers charmans ,
Jaloux de nous rendre immortelles ,
Célébra nos divers talens.
Le retour de Zéphyr nous pourfuit & nous chaffe ;
Mais auffi -tôt que la neige & la glace ,
Triftes filles de l'Aquilon ,
De l'empire François couvriront la furface ,
Chacun nous fommera de rentrer au falon.
Sous cette enveloppe un peu fombre
DE FRANCE. 13
Si tu ne peux , Lecteur , nous deviner ,
De trois fois trois nos pieds forment le nombre ;
Ton affaire à préfent eft de les combiner.
D'abord tu trouveras un arbre très -utile ;
Un oiſeau jafeur & fripon ;
En Languedoc un port fort bon ;
Des États de Savoye une agréable ville ;
Une autre encore où le grand Conftantin
Contre Arius fit tenir un Concile ;
L'un des fept tons de l'Arétin ;
Un mont connu , des Alpes fort voiſin ;
Au Bûcheron un outil néceffaire ;
Le temps où la moiffon mûrit ;
Un fon impératif qui preferit de fe taire ;
Ce que l'enfant embraffe & ce qui le nourrit 3
De la liqueur bachique une honnête meſure ;
De la belle Cypris la magique ceinture ;
Un petit trait piquant ; un Empereur Romain ;
Des Athlètes l'antique armure,
Et le vent frais qui vient des portes du matin.
( Par M. l'Abbé Dourneau. J
"
14
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSA1 fur la Mufique Ancienne & Moderne.
4 Vol. in- 4° . A Paris , chez Onfroy ,
Libraire , rue du Hurepoix .
RASSEMBL ASSEMBLER , du moins en ſubſtance ,
tout ce que l'on a écrit d'intéreffant ou de
fenfé fur la Mufique ; préſenter le tableau de
fes efforts , de fes progrès , de fes révolutions
dans tous les temps & dans tous les lieux ;
joindre à l'expofition & à la difcuffion de fes
principes les recherches les plus intéreffantes
fur les inftrumens qu'elle a inventés , fur les
ufages auxquels on l'a confacrée, fur les Artiftes
, les Savans & les Poëtes qui l'ont enrichie
, éclairée ou fervie : tel eft le plan de
l'Ouvrage que nous annonçons au Public.
Cette entrepriſe , auffi utile que vaſte , exigeoit
à la fois le talent de l'Artifte , les lumières
du Savant , le zèle infatigable & noble
de l'Amateur. Une érudition immenfe ,
curieufe & variée , une critique fondée fur
la connoiffance profonde de l'Art , auffi
éloignée de la froide analyfe du raifonneur
que des préjugés exclufifs & defpotiques de
l'enthoufiafte , ont préfidé à l'exécution . Cette
érudition , cette analyfe , ces difcuffions
n'ont rien d'aride ni de repouffant. Faites
avec choix , elles amufent fans fatiguer ; &
DE FRANCE.
d'ailleurs cet Art eſt trop cher aux ames ſenfibles
dont il fait les délices , pour qu'elles
ne s'occupent pas avec plaifir & emprellement
de tout ce qui le concerne , de tout ce
qui peut les mettre à portée de comparer
feurs fenfations à celles que le même Art a
fait éprouver à d'autres peuples & dans d'autres
temps.
L'Auteur examine l'hiftoire & la théorie
de la Mufique chez les Grecs anciens & modernes
, chez les Romains , les Égyptiens ,
les Juifs , les Chaldéens , les Gaulois , les
Chinois , les Perfans , les Turcs , les Arabes ,
les Ruffes , les Hongrois , les Morlaques &
les Européens modernes. Il joint à cette
hiftoire tout ce qu'il a pu découvrir ſur les
inftrumens , tant anciens que modernes , de
ces différens peuples ; & tels font les vaftes
objets qu'embraffe fon premier Volume.
Ses regards ont dû fe tourner d'abord vers la
Mufique ancienne ; mais tout concourt à répandre
fur cette partie de l'hiſtoire de l'Art
l'obfcurité & l'incertitude . Les monumens qui
nous en reftent , ou ne décident rien , ou ſe
contredifent, & font plus propres à nous égarer
qu'à nous inftruire. Que penfer en effet d'un
Art dont les Philofophes les plus graves ne
parlent qu'avec enthoufiafine ; dont les Hiftoriens
rapportent les effets les plus extraordinaires
, qui étoit l'organe des oracles , des
lois , de la morale , l'un des objets principaux
de l'attention publique , & la partie la
plus effentielle de l'éducation , mais dont les
16
MERCURE
principes compliqués , les fignes innombrables
, la theorie abftraite & minutieuſe ,
femblent s'arrêter aux premiers élémens de
la Mutique moderne , & donner le démenti
le plus formel à tout l'étalage de gloire &
de puiffance dont on a voulu la décorer ?
Le premier moyen de concilier ces contradictions
apparentes femble devoir fe tirer
de la conftitution physique & morale des
peuples anciens. « La Mulique ne nous tou-
» che qu'à proportion de la fenfibilité de
» nos organes. Il y a tel homme pour qui
l'harmonie n'eft que du bruit; il y en a
» d'autres qu'elle tranfporte jufqu'à fufpendre
en eux le fouvenir de leurs affaires &
» de leurs chagrins. . . . .
ל כ
33
" Ce que l'Hiftoire nous a confervé des
» effets étonnans que la Mufique produifoit
» chez les Grecs , mis à côté de l'imperfec-
» tion de cet Art chez cette nation , ne
» prouve que fon extrême fenfibilité. Nés
fous un climat plus chaud que le nôtre ;
plus fufceptibles de paffions que nous ne
» le fommes ; doués d'un goût plus vif ,
» d'un fentiment plus exquis pour les plaifirs
, & d'une pénétration plus active pour
tout ce qu'ils voyoient & entendcient ;
élevés d'ailleurs , pour la plupart , dans la
liberré du gouvernement populaire , fe
» livrant fans crainte à tout ce qui pouvoit
» flatter leur imagination , & n'épargnant
» rien de ce qui étoit capable de leur procurer
du plaifir : c'eft à la délicatele des
">
DE FRANCE. 17
-
» organes des Grecs qu'il faut faire hon-
" neur de toutes les merveilles que l'on a
» débitées au fujet de leur Mufique....
"
· L'union conftante de la Poelie & de la
Mufique femble encore jeter quelque lumière
fur les faits dont il s'agit. La Poefie
pouvoit communiquer à la Mufique une
partie de fa puiffance ; cela eft vrai de nos
jours , à plus forte raifon chez les anciens ,
dont la Mulique étoit beaucoup plus fubordonnée
à la Poélie que parmi nous. Mais
comment allier cette conjecture avec l'idée
de Platon , qui vouloit « qu'avec une lyre
» on pût fi bien repréſenter les fentimens &
» les penfées , que l'Auditeur fût à portée
» de les deviner & de les diftinguer ; qu'un
» Muficien peignît par les feuls fons d'un
inftrument , un ordre ou une prière , un
confentement ou un refus , un confeil ou
» une perfuafion ? » Comment accorder
Platon avec lui- même , lorfqu'après avoir
conçu une fi grande idée du pouvoir de la
Mufique , il avance que la Mufique inftrumentale
eft une chofe fans fignification ?
Comment fe former une idée préciſe d'un
Art fur lequel le même homme , l'un des
plus grands hommes de l'antiquité , réuniffoit
des idées fi incohérentes , & même fi
contradictoires?
و ر
""
"
Laiffons les Hiftoriens & les déclamateurs
, & cherchons dans ce qui nous reſte
des principes de la Mufique ancienne , ce
qui peut nous éclairer davantage.
18 MERCURE
Sous le nom de Mufique , les anciens comprenoient
un grand nombre d'objets. Indépendamment
de l'influence qu'ils fuppofoient
à l'harmonie dans la création & dans .
les lois de l'Univers , dans les fonctions de
nos facultés , en un mot , dans toute la nature
; la Mufique proprement dite , réuniffoit
d'abord le chant , la poéfie & la danſe :
dans la fuite , elle fe fépara des deux dernières
, & cette révolution dût lui faire perdre
beaucoup de fa confidération. 8
Nous ne fuivrons pas l'Auteur dans le
détail des divifions anciennes de la Mufique
en théorique phyfique ou artificielle , & pratique
ufuelle ou narrative. Ce plan , qui
renfermoit la fcience de l'acouſtique , le
rapport calculé des intervalles , les régles de
la mélodie , du rhythme , de la poélie , de
la danfe , & même du gefte , eft plus vafte
que le nôtre , foit que les anciens euffent cru
devoir réunir fous le même nom des connoiffances
qui tenoient enfemble par une
dépendance mutuelle & plus intime que
chez nous , foit que chacune de ces fciences ,
plus fimple encore & moins approfondie
ne fuffit pas pour former feule un corps de
théorie qui eût une certaine confiſtance.
Le rhythme ou la mefure faifoit le point
capital de la Mufique des anciens , & en
étoit l'ame ; tandis que la fimple mélodie
n'en étoit , pour ainfi dire , que le corps.
L'exactitude de leur profodie les rendoit
DE FRANCE. 19
très -fcrupuleux fur la mefure , & dès- lors
très-fenfibles au rhythme.
و د
"Nous ofons affurer , continue l'Auteur ,
» que dans ces fameux effets tant vantés de
» la mufique des anciens , après la poésie ,
» le rhythme étoit ce qui devoit les faire
" naître ; car le rhythme feul , fans le fecours
des paroles ni de l'harmonie , eſt
capable d'agiter l'ame , comme on l'éprou-
» ve en entendant des tambours , timbales ,
→ cymbales , &c.
ود
"
»Nous croyons auffi que le rhythme de la
» Mufique vocale ancienne étoit plus parfait
» que le nôtre..... mais qu'en revanche ,
» celui de notre Mufique inftrumentale
l'emporte infiniment fur celui de leur Mufique
de même eſpèce.
33
و د
Nous l'emportons également fur cux
» dans la Mélopée , ou Art de compofer un
chant , dont l'exécution recevoit le noma
» de mélodie. »
Les règles de leur Mufique comprenoient
les fons , les intervalles , les genres , les fyftêmes
, les modes , les muances & la mélopée.
Soit que leurs oreilles fuffent plus délicates
que les nôtres , foit que leur enharmonique
fût, comme le nôtre, une eſpèce de
charlatanerie , ils comptoient le quart de
ton au nombre de leurs intervalles. L'emploi
de ce quart de ton conftituoit leur genre enharmonique
; celui des demi - tons conftisuoit
leur genre chromatique , & le diato20
. MERCURE
nique procédoit par les intervalles que nous
appelons intervalles naturels.
Les fons combinés les uns avec les autres
formoient les fiftémes. Le fyftême ou l'affemblage
des fons , ufites dans la plus ancienne
Mufique , fe réduifoit à un terracorde
compofé de quatre fons diatoniques. Les
nouveaux fons dont elle s'enrichir, formèrent.
de nouveaux tétracordes & de nouveaux
fyftêmes.
Les tons ou modes répondoient à peuprès
à ce que nous avons appelé du même
nom.
Les muances étoient les changemens qui
pouvoient arriver dans le cours d'un chant.
Ces changemens portoient ou fur le genre ,
ou fur le fyfiême , ou fur le mode , ou fur
la mélorée , lorfque le chant , par exemple ,
paffoit du ferieux au gai , du grave à l'impétueux
, &c.
La mélopée étoit réduite à un petit nombre
de préceptes , parce qu'il ne s'agilloit pas
alors de compofition à plufieurs parties , &
que le Muficien n'avoit pour objet que de
chercher des chants qui s'accordaffent bien
avec la quantité des fyllabes. Aristide Quintilien
reconnoît dans la mélopée neuf
fortes de nomes ou chants déterminés par des
règles fixes , & dit qu'ils fe chantoient fu
neuf modes différens.
Tout cela n'eft pas trop fatisfaifant , &
l'on a cherché prefque inutilement à l'éclaircir
par des commentaires fans nombre.
DE FRANCE. 21
Nous avons , comme les Grecs , des genres,
des fyftêmes , des modes & des muances,
Nous y mettons moins d'importance qu'eux ;
& ce ne font encore parmi nous que les
premiers rudimens de l'Art. Que penfer de
ces nomes , dont les modes , l'ufage & l'expreffion
étoient déterminés ? Etoient- ce ce
que nous nommons des airs ? Étoient - ce des
formules muſicales qui fervoient de motif
& de bafe aux chants plus étendus que l'on
en tiroit ? Ne feroient - ce pas plutôt ces
formes de couplets que nous connoiffons
dans la poétique ancienne fous le nom d'alcaïque
, de faphique , &c. & fur le modèle
defquels les Poëtes compofoient les ftrophes
de leurs odes ? Le rhythme & le mode auroient
pu y être déterminés fans que cela
fixât les inflexions vocales,
Chaque fon du fyftême antique avoit
pour caractère ou pour note une lettre de
l'alphabet , & ces caractères s'écrivoient fur
une feule ligne. Suivant les genres , les fyf
têmes , les modes auxquels on les faifoit fervir
, ces lettres étoient ou entières ou mutilées
, fimples , doublées , alongées , accentuées
, &c. Ils avoient auffi des caractères
de durée. En un mot , tous les caractères
ufités montoient au nombre de 1620 ; nombre
prodigieux , & d'après lequel il n'eft pas
étonnant qu'il fallût trois ans d'étude pour
fortir des premiers élémens de l'Art.
Cette differtation fur la Mufique Grecque
eft accompagnée de quatre morceaux
22 MERCURE
de Mufique ancienne , les feuls qui nous
reftent. L'Auteur préfente ces morceaux
notés avec les caractères antiques , & avec
les notes de notre Mufique ; il a même
effayé d'y ajouter trois parties vocales d'harmonie
, afin de faire voir ce que les anciens
auroient gagné à connoître le contrepoint.
Ces morceaux fi précieux , quoique fi peu
décififs , font fuivis d'une table générale des
caractères en ufage dans la mufique ancienne ,
comparés aux fons correfpondans du ſyſtême
moderne.
Ce fut des Grecs que les Romains reçurent
leur muſique. Les Étrufques avoient
une mufique avant la fondation de Rome ;
mais elle étoit très-bornée ; & juſqu'à l'arrivée
d'Évandre , on ne connoiffoit en Italie
que les pipeaux des Bergers. Ainfi l'on peut
appliquer à la mufique Romaine tout ce
qu'on peut favoir de la mufique Grecque.
Nous avons déjà dit que cet Art comprenoit
le gefte & la danfe. L'Auteur examine
avec le plus grand détail tout ce qui nous
refte fur cette partie de la mufique des anciens.
Cela le conduit aux recherches les plus
curieufes fur les jeux des anciens , fur leurs
théâtres , fur leurs drames , fur ces pantomimes
dont on conte tant de merveilles ,
fur la forme même des applaudiffemens ;
car chez ces peuples tout étoit affujéri à des
formes & à des coutumes fixes & déterminées.
Par - tout on voit les traces d'un enthoufiafine
que l'habitude augmentoit loin
DE FRANCE ·23
de l'affoiblir : le fameux cri des Romains ,
panem & circenfes , peut en donner une idée.
Mais quelle étoit la mufique d'un peuple
qui fe plaifoit à voir couler le fang des Gladiateurs
, à voir brifer des chars & écrafer
ceux qui les conduifoient , chez qui les femmes
même dévouoient à la mort , par un
gefte féroce , le malheureux qui s'immoloit
à leurs barbares plaifirs ? Et tels étoient les
paffe temps du fage Caton , du voluptueux
Luculle , du poli Cicéron , de l'harmonieux
& fenfible Virgile.
Quoi qu'il en foit , la mufique des Ro-
» mains étoit fi peu de chofe par elle- même,
" que Vitruve fut obligé , pour expliquer le
و د
و د
fyftême d'Ariftoxène , d'adopter tous les
» termes de la langue Grecque. On ignore
» s'ils eurent des Compofiteurs fameux ;
» leurs noms ni leurs ouvrages ne font pas
» venus jufqu'à nous. On fait feulement
qu'ils aimoient beaucoup les chanſons , &
qu'ils chantoient prefque toutes leurs
poéfies. Il paroît comme certain que plufieurs
odes d'Horace ont été parodiées fur
» des airs Grecs ; on prétend même qu'il
» nous en refte quelques-uns dont on fe fert
» encore pour nos hymnes , entre autres un
qui a été fait du temps de Sapho , & fur
féquel on chante l'hymne Ut queant laxis ,
» qui a été faite dans les premiers fiécles de
» l'Eglife.
ود
39
L'Auteur a fait graver cet air avec des
paroles d'Horace. S'il eft auffi ancien qu'on
24 MERCURE
le dit , nous avouons avec lui que c'eſt
monument précieux, de la mufique ancienne.
Mais il nous permettra de lui obferver qu'en
voulant l'affujérir à notre mefure à deux
temps , il en a probablement altéré le
rhythme. Non- feulement les fyllabes brèves
n'ont pas un rapport exact de durée avec les
fyllabes longues qui devoient toujours en
être doubles , mais elles ne font pas même
égales entre elles.
Les Romains n'avoient donc à eux
que la déclamation & la danfe ; mais ce
qui femble s'éloigner fingulièrement de
nos ufages , c'eft de noter & même de
foutenir par des inftrumens leur déclamation
oratoire. Comme elle fe formoit des
accens & du rhythme , il fulifoit d'y employer
les caractères des accens & de la mefure.
Ces notes déterminoient les fons &
leur durée ; cependant l'Orateur ou l'Acteur
pouvoit déclamer avec plus ou moins de
lenteur. Cicéron écrivoit à Atticus qu'il
avoit ralenti fa déclamation , & obligé le
joueur de flûte qui l'accompagnoit à ralentir
les fons de fon inftrument,
La mufique , foit vocale , foit inftrumentale
, accompagnoit les feftins , les triomphes
, les funérailles , les facrifices , tous les
jeux & toutes les fêtes.
Ici le préfente une difficulté. Ce qui précède
a pu faire penfer que les beautés de la
mufique dépendoint beaucoup de la poéfie
qui lui étoit jointe , & dont elle obfervoit
fcrupuleufement
DE FRANCE.
25
fcrupuleufement le rhythme . Cette mufique
n'étoit , à ce qu'il femble ; qu'une déclamation
plus accentuée , & dans laquelle
l'expreffion la plus forte ſe bornoit à quelques
légers écarts . Ce n'étoit qu'une forte de
plein chant monotone , & dont la marche
vague & incertaine n'avoit ni le retour ni
l'enlacement flatteur de nos modulations
ni les charmes puiffans de notre harmonie.
Avec des paroles énergiques , dans l'appareil
d'une fête ou d'une cérémonie intereffante
pour des ames Républicaines , il pouvoit
toutefois exciter l'enthoufiafme. Mais d'ou
la mufique inftrumentale tiroit- elle fa puiffance
? Comment expliquer fes prodiges
auffi fréquens que ceux de la muſique vocale
? Faudra t'il accorder aux anciens une
mélodie affez féconde , affez puiffante pour
les émouvoir indépendamment de la poéfie ?
Le rhythme feul fuffira t'il en ce cas pour
exciter ou calmer les paflions au gré de l'Artifte
? Ou les Grecs feront - ils dans le même
cas que ces peuples barbares , qui n'ont befoin
, pour être violemment émus , que d'un
bruit fans art , caufé par des inftrumens auffi
barbares qu'eux ?
Quoi qu'il en foit , l'Auteur fe croit fondé
à conclure que la mufique ancienne étoit
fort inférieure à la nôtre. Il ne croit , dit- il ,
depuis Jubal jufqu'à Lulli , qu'à un pleinchant
qui a varié dans tous les fiécles . Il eft
également perfuadé que les anciens ne connoiffoient
pas l'harmonie , quoique leur mu
Sam. 9 Mai 1780, B
26 MERCURE
fique en fût fufceptible ; ce qu'il a effayé de
prouver , en joignant aux morceaux qu'il en
cite , des parties vocales d'accompagnement.
,
Il ne croit pas qu'on doive , avec Rouſſeau ,
les féliciter de n'avoir pas connu le contrepoint.
En effet , comment Rouffeau , qui
connoiffoit l'impreffion que produit fur
l'oreille & fur l'ame le retour d'une confonnance
quelque temps fufpendue , qui a
lui-même affigné le caractère d'expreffion
particulier à chacun des accords , qui a écrit
que l'harmonie découverte ou perfectionnées
avoit ouvert à la mufique de nouvelles routes
pour plaire ou pour émouvoir * comment
Rouffeau a t'il pu avancer ce paradoxe ? Auroit-
il voulu prétendre que l'expreffion n'eft
pas le but des Arts , ou plutôt qu'ils s'eloignent
de la perfection à mefure qu'ils ont
plus de moyens de peindre ou de toucher ?
Quand on fonge , dit Rouffeau , que de
tous les peuples de la terre qui ont une
mufique & un chant , les Européens font
les feuls qui aient une harmonie , des
» accords , & qui trouvent ce mêlange
» agréable , &c. il eft bien difficile de ne pas
foupçonner que toute notre harmonie
n'eft pas une invention gothique & bar-
» bare...... C'eft comme fi l'on difoit :
quand on fonge que de tous les peuples
du monde qui ont une poéfie plus ou
» moins étendue , les Européens font les
"
9)
* Dicționaire de Rouffeau , Att. Opéra,
DE FRANCE. 27
feuls qui aient un Homère , un Virgile ,
" un Horace , un Racine , un Voltaire , un
Taffe , un Milton , & qui trouvent dans
leurs vers un charme inexprimable ,Fil eft
bien difficile de ne pas foupçonner que
» tout cela n'eft que barbarie. »
Rien de plus jufte que ce raifonnement :
rien de plus jufte encore que la manière
dont l'Auteur combat ce principe chimérique
que quelques Amateurs le font fait fi
gratuitement : par- tout où il n'y a pas d'imi
tation , il n'y a pas de mufique. Certainement
la musique eft quelquefois imitative ,
mais cette faculté ne lui eft ppaass effentielle
elle fe réduit même à peu de chofe quant
aux images phyfiques , & ne mérite férieufement
l'attention de l'Artifte que dans les
accens de la voix , par rapport au fentiment.
Alors il eft inconteftable que l'accent mufical
doit être imitatif, c'est-à- dire , analogue
à l'accent que la nature ou le génie des langues
ont attaché à l'expreffion de telle ou
telle affection de l'ame. Mais , en cela même ,
T'erreur de ceux qui ont abuſé du mot d'imitation
, eft de prétendre qu'imiter foit faire .
une chofefemblable , au lieu qu'en mufique.
comme en poélie , ce n'eft que faire une
chofe phis ou moins approchante de
la vérité. L'imitation muficale eft vague
comme celle de la pantomime ; elle doit
bien être affez diftincte & affez fenfible
pour réveiller dans l'ame l'idée ou le fentituent
général de telle ou telle affection ,
Bij
26 MERCURE
fique en fût fufceptible ; ce qu'il a eſſayé de
prouver , en joignant aux morceaux qu'il en
cite , des parties vocales d'accompagnement.
Il ne croit pas qu'on doive , avec Rouſſeau ,
les féliciter de n'avoir pas connu le contrepoint.
En effet , comment Rouffeau , qui
connoiffoit l'impreffion que produit fur
P'oreille & fur l'ame le retour d'une confonnance
quelque temps fufpendue , qui a
lui-même affigné le caractère d'expreffion
particulier à chacun des accords , qui a écrit
que l'harmonie découverte ou perfectionnée ,
avoit ouvert à la mufique de nouvelles routes
pour plaire ou pour
*
émouvoir comment
Rouffeau a t'il pu avancer ce paradoxe ? Auroit-
il voulu prétendre que l'expreffion n'eft
pas le but des Arts , ou plutôt qu'ils s'éloignent
de la perfection à mefure qu'ils ont
plus de moyens de peindre ou de toucher ?
" Quand on fonge , dit Rouffeau , que de
,
tous les peuples de la terre qui ont une
mufique & un chant , les Européens font
» les feuls qui aient une harmonie , des
» accords , & qui trouvent ce mêlange
» agréable , &c. il eft bien difficile de ne pas
foupçonner que toute notre harmonie
n'eft
pas une invention gothique & bar-
» bare...... C'eft comme fi l'on difoit :
quand on fonge que de tous les peuples
» du monde qui ont une poéfie plus ou
moins étendue , les Européens font les
ע
Dictionaire de Rouſſeau , Art. Opéra,
DE FRANCE. 27
feuls qui aient un Homère , un Virgile ,
" un Horace , un Racine , un Voltaire , un
Taffe , un Milton , & qui trouvent dans
leurs vers un charme inexprimable , il eſt
bien difficile de ne pas foupçonner que
» tout cela n'eft que barbarie.
pas
Rien de plus jufte que ce raiſonnement :
rien de plus jufte encore que la manière
dont l'Auteur combat ce principe chiméri
que que quelques Amateurs fe font fait fi
gratuitement : par- tout où il n'y a pas d'imi
tation , il n'y a pas de mufique. Certainement
la mulique eft quelquefois imitative ,
mais cette faculté ne lui eft ellentielle ;
elle fe réduit même à peu de chofe quant
aux images phyfiques , & ne mérite férieufement
l'attention de l'Artifte que dans les
accens de la voix , par rapport au fentiment.
Alors il eft incontestable que l'accent muſical
doit être imitatif , c'est-à- dire , analogue
à l'accent que la nature ou le génie des langues
ont attaché à l'expreffion de telle ou
telle affection de l'ame. Mais , en cela même ,
T'erreur de ceux qui ont abufé du mot d'imitation
, eft de prétendre qu'imiter foit faire .
une chofe femblable , au lieu qu'en mufique.
comme en poélie , ce n'eft que faire une
chofe phis ou moins approchante de
la vérité. L'imitation muficale eft vague
comme celle de la pantomime ; elle doit
bien être affez diftincte & affez fenfible
pour réveiller dans l'ame l'idée ou le fentiuent
général de telle ou telle affection ,
•
Bij
28 MERCURE
comme la joie , la douleur , la tendreffe , la
crainte , &c,; mais ni l'un ni l'autre ne peut
atteindre , fans le fecours de la parole , à
l'indication précife & individuelle de tel ou
tel fentiment. Ainfi , dans le même fens que
la pantomime eft imitative , la mufique
peut l'être , & c'eft dans ce fens - là que nous
difons avec l'Auteur qu'il imite en maſſe , &
non pas en détail ,
Mais nous ne faurions être entièrement
'de fon avis , lorſqu'à propos des regrets que
les Philofophes Grecs donnoient à la Mufique
des premiers temps , il rappelle ceux
des Amateurs modernes de Lulli , & qu'il
dit : " La Mufique n'eft bonne que quand
» elle amufe, Il n'y a pas de beau fixe en
Mufique comme en Peinture , Sculpture &
» Architecture. »
"
"
Cette propofition nous femble du moins
avoir befoin d'être entendue & éclaircie, Elle
préfente un fens que l'Auteur défavoueroit
fans doute , & qui pourroit décourager les
Artiftes , en ne leur offrant , pour prix de
leurs veilles , que des applaudiffemens de
mode ou d'habitude , fruits paffagers d'un
vain caprice. Qu'il nous foit permis de hafarder
quelques idées à ce fujet.
Nous avouons que la beauté musicale
tient beaucoup aux moeurs & aux circonftances,
La beauté phyfique elle - même ,
n'eft-elle pas foumife aux caprices des fens ,
du climat & de l'opinion ? En pouffant ce
raifonnement , un Rigorifte nieroit l'exifDE
FRANCE. 20
tence du beau dans tous les genres poffibles .
Un Art fait des progrès lorfque fes moyens
s'augmentent , que fa carrière s'étend , que
fes objets s'aggrandiffent & fe multiplient.
Les productions d'un Art font d'autant plus
belles qu'elles atteignent à un but plus
reculé , plus important , plus difficile , &
qu'elles donnent le fentiment du beau à des
hommes plus exercés & plus délicats.
A chaque pas que fait un Art , la sphère
du beau change donc pour lui . Ce qu'on
appeloit la beauté par excellence , peut devenir
une beauté médiocre ; elle peut deve
nir triviale ; la concurrence feule peut lui
faire perdre de fon prix ; mais fi elle a un
but d'une importance quelconque , elle ne
ceffera pas d'être une beauté. Nous admirons
encore, dans Lulli le naturel de fon
récitatif & la facilité de fon ftyle . Maintenant
que l'Orchestre s'eft ranimé , que la
mélodie s'eft enrichie , que des tableaux.
pathétiques ou terribles ont remplacé la
froide & monotone langueur de la mufique
de l'autre fiècle , on l'oublie & on la
dédaigne. Mais , ce qu'elle avoit de bon ,
fon naturel , fa facilité , nous paroît tel
encore ; ce qu'on y defire , c'eft l'énergie ,
la variété , la chaleur , qualités qui n'ont
rien de capricieux ni d'arbitraire.
Le beau fixe & le beau relatif ne font
point contradictoires. Il y a un beau fixe
dans tous les Arts , puifque tous les Arts
ont un but , & que tout ce qui atteint à
B iij
50
MER
CURE
ce but et beau. Mais ce but a plufieurs
parties plus ou moins importantes , & c'eſt
l'importance de ces parties qui détermine
le beau relatif.
Un Art ne peut changer de but , mais
ce but peut s'étendre. S'il change , l'Art fe
dégrade. C'eft ainfi qu'au moment de la
perfection , la crainte de n'être qu'imitateurs
égare les Artiftes , leur fait abandon
ner la vraie route , parce qu'elle eft trop
battue ; ou que , revenant fur leurs pas ,
ils s'attachent à une partie qui avoit été
négligée , & font leur objet principal de ce
qui ne devoit être qu'un acceffoire.
Après avoir ainfi raffemblé & difcuté
tout ce que l'on peut favoir de la Mufique
des Anciens , l'Auteur examine l'état
de cet Art chez les autres peuples qui
P'ont cultivé. Il fuit le même plan que pour
la Mulique Grecque ; il expofe l'hiftoire
la théorie de la Mufique chez ces différens
peuples , & tâche d'en donner l'idée la plus
complette qu'il eft poffible. Des faits curieux
, des coutumes fingulières animent ce
yafte tableau. Mais dans une matière fi éten
due , où l'Auteur lui- même a été forcé , par
l'abondance des détails , à ne les préfenter
fouvent que fous la forme de fimples notices
, nous eft impoffible de le fuivre
pas -à- pas.
Les Bardes avoient établi dans les.Gaules
une Mufique analogue fans doute à leur.
culte barbare. Cependant elle étoit allu
DE FRANCE. 31
jétie à des règles & avoit des écoles. Elle
s'enfuit avec eux à l'approche des Romains.
Tranfmis aux Gaulois , les Arts de Rome
fe virent bientôt étouffés par les peuples
du Nord ; mais la Mufique réfugiée aux
pieds des autels y conferva , quoique défiguree
, un pouvoir proportionné à celui
de l'Eglife On la voit enfuite infpirer les
Troubadours , les Ménétriers , les Romanciers
, fe perfectionner avec les autres
Arts , & atteindre enfin le fiècle où nous
vivons.
Chez les Chinois , comme chez tous les
peuples qui ont une Hiftoire , on retrouve
les mêmes contes , la mêine prévention ,
le même enthoufiafme que chez les Grecs.
Mais ce Peuple fingulier avoit trouvé les
principes de Pytagore & de fyftême des
Egyptiens ; il avoit foumis au calcul , appro
fondi & perfectionné fa Mufique longtems
avant les Linus & les Amphions .
Depuis les fiècles les plus reculés juſqu'à
nos jours , on voit les Empereurs Chinois
mettre la Mufique au nombre des principaux
objets de leur adminiftration , affurer
l'invariabilité de fes principes , & régler
même la facture des inftrumens par
des Édits folennels. Peuple heureux , qui
Te fuffit à lui même ; dont les Maîtres ,
libres d'affaires étrangères , peuvent s'occuper
uniquement de fes befoins , & même
de fes plaifirs !
Chez les Perfans , les Turcs & les Ara-
BAV
32 MERCURE
bes , on retrouve des traces de la Muſique
Grecque . Ils ont , comme les anciens , des
modes , & peut-être des nomes , fi toutefois
les phrafes harmoniques & invariables
dont ils font ufage , peuvent repréſenter ce
que les Grecs appeloient des nomes.. On
expliquera comme on voudra le rapport
fingulier & frappant qui fe trouve entre
la gamme Arabe & la gamme Italienne.
Mais en faifant attention aux lettres initiales
de chaque mot , il eft difficile de fe perfuader
que cette reffemblance foit un effet
du hafard.
Gamme Arabe.
'Alif, mim , lam.
Be , fe , fin.
Gim , fad , dal.
Gamme Italienne.
|A. mi , la.
B. fa , fi.
C. fol , do ou ut.
Dal , lam , re. D. la , re.
He , fin , mim. E. fi , mi.
Waw , dal , fe, F. do , fa.
Zain , re , fad. G. re , fol.
Après tant de révolutions , les Grecs
modernes confervent encore de foibles reftes
des moeurs & de l'efprit de leurs ancêtres
. Paffionnés pour les plaifirs & furtout
pour la Mufique , ils chantent encore
à table , boivent à la fanté de leurs Maîtreffes
, & finiffent par danfer au fon de
la lyre ou de la Guittare. L'Auteur préfente
quelques- unes de leurs chanfons . On
y apperçoit encore les traces de la delicaDE
FRANCE. 33
teffe d'un meilleur âge ; elles refpirent la
paffion & la volupté , & le goût Oriental
qui s'y eft mêlé , n'a pas entièrement étouffé
le génie de cette Nation célèbre.
C'eft aux Grecs , peut-être que les Turcs
doivent leurs chanfons. Elles ne font pas
dénuées de cette fineffe de fentiment , de
ces mouvemens naturels & paffionnés qui
caractériſent Anacréon & même Horace.
La feconde partie de ce premier volume
eft employée toute entière au détail des
inftrumens de Mufique chez tous les peuples
anciens & modernes. La facture , les
principes , les paffages même de mélodie
les plus favorables aux principaux de ces
.inftrumens , tout concourt à faire de cette
partie intéreffante un répertoire auffi complet
que l'ont pu former trente années de
travail & de recherches. Des figures trèsbien
gravées , tirées des monumens antiques
, des manufcrits du moyen âge , des
voyageurs les plus eftimés , expliquent le
texte. En un mot , l'Auteur n'a rien négligé
, ni rien épargné pour remplir le vatte
plan qu'il s'eft tracé.
Nous aurions bien voulu fuivre l'Auteur
dans toute l'étendue de fa carrière , &
donner du moins au Public une idée fuffifante
de fon travail mais forcés de nous
reftreindre , ce que nous allons ajouter
n'eft qu'une notice rapide & très - imparfaite
des différens objets qui rempliffent les trois
derniers Volumes,
BY
34 MERCURE
Le troifième Livre renferme l'abrégé d'un
traité de compoiition . Des rapprochemens
curieux , des difcuffions pleines de la meilleure
critique y tempèrent l'aridité des préceptes.
L'Auteur trouve dans fon fujet le
moyen de jeter encore un nouveau jour fur
la Mulique ancienne , fur la divifion , juſqu'à
prefent vicieuſe, de notre échelle, fur le tempérament
, en un mot fur la théorie entière
de ces fons , de ces intervalles , de ces accords
que la phyfique & le calcul peuvent
bien determiner , mais qu'il n'appartient
qu'au talent & au génie d'employer & de
faire valoir, A la fuite de ce Livre font
graves plufieurs morceaux d'harmonie tra→
vaikee , parmi lefquels on en verra quelques
uns des 16 & 17 fiécles .
Le quatrième Livre traite des chanſons ,
de ce genre où nous fommes fi jaloux d'exceller
, & dans lequel , il faut l'avouer ,
nous avons bien moins d'obligations à nos
Muficiens qu'à nos Poëtes. La partie hifto
Lique de ce Livre eft aufli complette qu'in
téreflante. Après des recherches fur les chanfons
Grecques & Romaines , fur les révolutions
de la langue romance , & fur ces
fameux Provençaux qui formèrent Pétrarque
& furent les premiers Maitres de l'Italie , on
verra avec plaifir une notice de nos anciens
Chanfonniers , & une collection nombreuſe
de celles de leurs chanfons que le temps
nous a confervées. Les plus curieufes fans
DE FRANCE.
35
doute font celles du Comte de Champagne ,
& de l'infortuné Châtelain de Coucy. L'Auteur
a recouvré ces dernières avec la mufique
du temps. Il a joint cette muſique aux paroles
; & fi elle eft par elle-même peu capable
de nous plaire, il n'en eft pas moins
intéreflant de retrouver ces mêmes airs qui
attendriffoient l'épouſe du barbare Fayel , &
qui foulageoient les peines & la douleur de
l'infortuné Raoul .
Le reste de l'Ouvrage contient tout ce
que l'on peut favoir des Poëtes , des Muficiens
, des Auteurs , des Chanteurs qui
ont bien mérité de la mufique , parmi les
anciens , & parmi les modernes , foit par
leurs talens , foit par leur travail fur la
théorie de l'Art , en France & en Italie depuis
Gui d'Arezzo jufqu'à nos jours. Les notices
alphabétiques que l'Auteur en donne , ren
ferment tout ce qui peut les rendre intéreffantes
: anecdotes curieufes , opinions expo
fées & difcutées , &c. cette partie eft complette.
Les articles de nos Poëtes lyriques
font accompagnés des plus jolies & des
moins connues de leurs chanfons. Les Savans
verront avec plaifir les articles Ariftoxène,
Pythagore, Guy d'Arezzo , Rouſſeau , Rouf
fier , Blainville , Rameau , Tartini , Zarlins
&c. Les Amateurs liront de même les
articles Piccinni , Sacchini , Traëtta ,
golefe , Philidor, Quinault , Métaftafe , &c.
&c. Mais ils regretteront de ne pas voir à
Per
B vj
36 MERCURE
côté de ces Hommes célèbres , ceux dont
l'Allemagne s'honore à juste titre , les Stamitz,
les Hayden , les Vaggenzeil, & fur- tout
le Chevalier Gluck , méritoient d'y occuper
un rang diftingué. On pourroit auffi reprocher
à l'Auteur d'avoir laiffé de la confufion
dans quelques parties de ce grand Ouvrage.
NOUVELLES Lettres d'un Voyageur
Anglois , par M. Sherlock.
Incenditque animum fama venientis amore.
Vol. in-8°. A Londres , & fe trouve à Paris ,
chez Efprit , Libraire , au Palais Royal , &
chez la Veuve Duchefne , rue S. Jacques.
CET Ouvrage peut être regardé comme le
fecond Volume de celui que M. Sherlock a
publié il y a quelques mois , & dont on a
tendu compte dans un des Numéros précédens.
Il contient quarante- quatre Lettres ,
dont les principales traitent de l'Italie , de
la Poéfie , de la Mufique , de Paris , du Goût
& de Shakeſpear. L'accueil bien mérité , que
le Public a fait aux premières Lettrès du
Voyageur Anglois , promet à ce nouveau
Recueil un fuccès pour le moins égal. On
n'y trouvera point ces détails minutieux &
froids , dont la plupart de nos Voyageurs
enflent leurs Volumes. M. Sherlock ne traîne
point , comme eux , fon Lecteur fur les
1
DE FRANCE. 37
:
grandes routes ; il ne le retient point dans
les auberges ; mais lui faifant franchir d'un
faut les efpaces qui féparent les objets intéreffans
, il ne l'arrête que dans les lieux où il
peut trouver quelque agrément ou recueillir
quelque fruit. Quoique l'Auteur embraffe
plufieurs matières , fon Livre eft fort court;
& ce reproche , que les Lecteurs font fi rarement
, ils le feront sûrement tous à M. Sherlock.
Mais pourquoi le condamner fans l'entendre
? Peut-être a-t'il penfé qu'il falloit
traiter notre légère nation comme l'on traite
ces eftomacs foibles & délicats , auxquels
on ne permet qu'une petite quantité ďalimens
à la fois. Si c'eft par cette confidération
qu'il s'eft décidé à ne publier qu'un petit
volume , avouons le , il n'a fait par-là que
nous donner une preuve de plus de fon difcernement.
Au refte , le petit volume de
M. Sherlock renferme plus d'idées dans fes
deux cent pages que n'en contiennent fouvent
des ouvrages de longue haleine ; & nous
pouvons appliquer ici ce que l'on a dit du
même Auteur à l'occafion de fes premières
Lettres : il ufe , on ne peut mieux , du talent
Anglois , de penfer beaucoup en peu de mots ,
& deparler à l'efprit par abbréviation .
Ce qui diftingue fur tout M. Sherlock
de la foule des Voyageurs Écrivains ,
c'eſt qu'il ne répète jamais ce que d'autres ont
* dit avant lui. Il rapporte ce qu'il a vu , & il
a tout vu avec Les yeux ; il écrit ce qu'il a
F
1
*
38 MERCURE
penfé , & il n'a point penfé d'après les autres :
par-tout il eft lui-même. C'eſt- là ce qui donne
à fon ouvrage ce caractère d'originalité , qui ,
lorfqu'il eft accompagné de la raiſon & du
goût , eft , j'oſe le dire , l'empreinte & le ſceau
du génie.
M. Sherlock commence par nous préſenter
l'Italie dans fon enfemble ; & la manière dont
il le fait , eft auffi nouvelle qu'ingénieufe. Il
enviſage ce beau pays comme un tableau ;
& après nous en avoir donné une copie
peinte à grands traits : « voilà le tableau ,
dit- il ; voici le cadre , la Méditerranée &
les Alpes ». La beauté de ce dernier
trait eft trop frappante pour avoir beſoin de
commentaire.
ود
ود
Ne vous attendez pas à trouver dans ces
Lettres les noms de tous les tableaux fameux
ou de toutes les belles ftatues de l'Italie.
M. Sherlock a bien fenti qu'une pareille nomenclature
qui d'ailleurs fe trouve partout
) fatiguoit vainement la mémoire fans .
intereffer l'efprit , & qu'il y avoit des objets
qu'on ne pouvoit voir qu'avec raviffement ,
& dont on ne pouvoit lire les defcriptions
qu'avec ennui. Il fait un livre & non pas
un catalogue. Les chef-d'oeuvres les plus parfaits
font les feuls qui trouvent place dans
fes Lettres , & il n'en parle jamais qu'avec
une clarté , une grâce & une noblelle qui
font difparoitre aux yeux du Lecteur tout ce
que de femblables defcriptions ont pour l'orDE
FRANCE.
12
dinaire de fec & de rebutant. Non content
de nous montrer l'ouvrage qu'il veut nous
faire connoître , il nous montre dans l'ouvrage
le génie de l'Artifte. C'est ainsi que
dans fes premières Lettres il a peint le génie
du Sculpteur Grec par l'Apollon du Belvédère;
& c'eft ainfi que dans ce nouveau Recueil
il nous fait voir dans la Transfiguration
le génie de Raphaël. Ce morceau eft admirable
; mais fon étendue nous empêche de
le citer, & fa préciſion nous ôte la polfibilité
de l'abréger.
Si M. Sherlock juge les productions de
l'Art en Amateur éclairé , il juge les hommes
en Philofophe profond. Le portrait qu'il
fait des Italiens eft digne de Sallufte. « L'Italien
en général eft extrêmement bon , ou
» mauvais à l'excès . Il y a d'excellens coeurs
» dans ce pays ; mais , comme les grands
tableaux , ils font rares. Les hommes y
naiffent avec des paffions violentes , & ne
» recevant point d'éducation , il n'eft pas
a étonnant qu'ils commettent fouvent de
grands crimes. Sous un extérieur froid ils
" cachent des coeurs brûlans , & leur exté
" rieur n'eft froid que pour cacher leurs
21
coeurs , &c. » Voici ce qu'il dit de l'efprit
des Napolitains. " Examinez le Napolitain
fur tous les fujets dont il eft inftruit , &
Vous verrez s'il manque d'efprit naturel :
il reffemble au fol de fon pays . Un champ
» labouré dans le Royaume de Naples donné
»
40 MERCURE
» les récoltes les plus abondantes ; négligé ;
il ne produit que des ronces & des char-
" dons. Il en eft de même de l'efprit des habitans
: cultivé , il eft capable de tout ; en
friche , il ne produit que des folies & des
" vices. ">
35
29
Les femmes font dans tous les pays un
objet trop intéreffant pour le coeur , & pour
l'efprit un fujet d'obſervations trop fertile ,
pour que M. Sherlock, ait oublié de parler
de celles de l'tralie. « Les femmes en général
» ne font pas jolies en Italie ; mais quand
» elles attachent , elles attachent pour long-
» temps. Plus parfaites que les hommes
» dans les rafinemens de la diffimulation ,
» elles paroiffent d'une naïveté qui trompe
" même les Italiens. Ajoutez à cela l'en-
» chantement de leur voix , & c . » M. Sherlock
s'étend enfuite fur les moeurs des Italiennes
; & de tout ce qu'il dit d'elles , on
peut conclure que ce n'eft pas feulement
chez nous que la Nature a donné l'inconftance
pour compagne à la Beauté , comme fi
elle eût craint que les femmes ne régnaffent
fur les hommes avec trop d'empire , fi elles
étoient à la fois aimables & fidelles.
L'idée des femmes Italiennes rappelle naturellement
l'idée des Chevaliers Servans.
L'Auteur des Nouvelles Lettres remonte à
leur origine , & nous explique comment de
gardiens qu'ils étoient de la chafteté des
femmes , ils en font devenus les corrup
DE FRANCE. 41
ود
و د
teurs. Les moeurs du pays ont dégénéré ;
» le feu Platonique que Pétrarque avoit
» rallumé eſt actuellement éteint , & l'état
» du Chevalier Servant eft devenu le plus
» corrompu qu'il y ait fous le ciel ; fes devoirs
font entièrement changés , & fa
fituation eft la plus aviliffante que je connoiffe;
car avant de jouir des droits de
» l'Amour , le malheureux eft forcé de tra-
» hir l'Amitié ». Ce trait fait l'éloge du
coeur de M. Sherlock. Ce n'eft point la
réflexion amère d'un fcrupuleux moraliſte ,
c'eft le cri d'un honnête homme , dont l'ame
franche & loyale fe foulève à la vue de la
trahifon. Il entre enfuite dans le détail de la
conduite du Cigisbée , de celle de la femme ,
de celle du mari , & faififfant à la fois le
côté plaifant & le côté férieux de ſon ſujet :
" tout cela , conclut- t'il , fait une brouillerie
» d'Amour & d'Amitié , qui feroit comique
» fi elle n'étoit pas affreufe . »
"
J'invite tout homme de Lettres à lire avec
attention ce que M. Sherlock dit des Grecs.
Il fait voir qu'ils ont excellé dans tous les
Arts ; que les Artiftes & les Écrivains les
plus parfaits , de quelque nation qu'ils fuffent
, les ont eus pour maîtres & pour modèles
, & que perfonne ne les a encore égalés.
Pourquoi les bornes qui me font prefcrites
ne me permettent- elles pas de citer les
éloges que le Voyageur Anglois donne au
Prince des Poëtes ! Il parle de lui dans plu42
MERCURE
fieurs endroits de fes Lettres , & toujours
avec une chaleur & une élévation qui feroient
croire qu'Homère lui a prêté fon génie pour
le louer. Il est bien à fouhaiter que la vive
admiration que M. Sherlock fent pour les
Grecs , puiffe paffer toute entière dans l'ame
de fes Lecteurs , & rappeler enfin les Artif
tes & les Écrivains à l'étude des bons mo.
dèles qu'ils ont malheureufement trop négligés.
"3
Mais fi l'Auteur des Nouvelles Lettres veut
qu'on étudie les Auteurs Grecs , il ne veut
pas qu'on les copie. « Il faut prendre leur
eſprit , dit- il , mais non pas leurs idées.....
» La Nature eft l'original que vous avez à
copier. Homère , Virgile , Sophocle l'ont
peinte avec hardielle & avec vérité ; peignez-
la donc comme ils l'ont peinte ; &
puis vous pouvez devenir un Homère ou
» un Sophocle ; mais Copiſte des Copiſtes ,
» vous refterez toujours fervile & froid. "
"
"
99
ל כ
Suivez les confeils de M. Sherlock , jeunes
Poëtes , vous qui dites & répétez qu'il n'y a
plus d'idées nouvelles , que toutes les matières
font épuifées ; étudiez la Nature ; &
fi vous avez des yeux pour voir , vous ne
direz plus qu'il n'y a rien de nouveau , &
vous ne le ferez plus dire à vos Lecteurs.
Le Recueil de M. Sherlock renferme encore
plufieurs Lettres fur la Mufique. Son
objet eft de prouver que notre langue eft
rébelle à l'harmonie. Il en apporte deux raiDE
FRANCE 43
fons principales. La première , c'eft qu'elle
eft chargée de fyllabes fourdes & nazales ;
la feconde , c'eft qu'elle manque prefque
entièrement d'accent. Je ne vois pas que l'on
puiffe nier ces deux faits , ni fe difpenfer
d'avouer avec M. Sherlock , que la langue
Italienne , plus mélodieufe , plus fonore ,
plus cadencée que la nôtre , eft à tous ces
titres infiniment plus favorable à la Mufique.
Jufqu'ici le Lecteur aura admiré dans le
Voyageur Anglois un efprit jufte & profond ,
un goût sûr & éclairé. Croiroit-on que celui
qui a fi bien analyfé les chef d'oeuvres du
Vatican , qui a fu apprécier Homère , Virgile
, Boileau , & qui a vanté aux Italiens la
perfection de Racine , croiroit- on que c'eft
le même homme qui va s'extafier pour Shakefpéar
? Voici comme il entre en matière.
" Malheur au profane qui penfe à arracher
» une feuille des lauriers qui ornent les im-
» mortelles têtes de Corneille & de Racine.
» Malheur à l'ame ignoble & à l'eſprit ré-
» tréci qui s'imagine qu'on ne peut élever
» un ouvrage fublime fans en déprimer un
» autre , & qui croit que pour rendre juf-
» tice à la façade du Louvre , il eft néceffaire
de déchirer le périftyle de S. Pierre.
" Que Corneille & que Racine portent
» avec fierté les couronnes qu'ils ont fi juftement
méritées ; que Sophocle & Eu-
» ripide les admettent pour égaux , & que
» la voix de toutes les Nations confirme
44
MERCURE
»
و د
leur arrêt ; que Molière foit préféré à
l'Italie & à la Grèce ; que Plaute & Arif
tophane récufent la décifion ; mais que
» l'impartiale Europe leur impofe filence ,
» & les force , en dépit d'eux, de reconnoître
» un fupérieur. Que Shakespear auffi´ait fa
place , & qu'elle foit celle , & celle feule
qui lui feroit accordée par les fuffrages
» unanimes d'Homère & de Milton , de
Virgile & de Pope , d'Horace , de Longin
» & de Boileau. ››
و د
33
"
M. Sherlock entreprend enfuite de réfuter
M. de Voltaire ; & , quoiqu'il s'en acquitte
avec beaucoup d'efprit & d'adreffe ,
nous fommes perfuadés qu'il ne fera chez
nous aucun profélyte. Quand même il pourroit
nous rendre fenfibles toutes les beautés
qu'il voit dans fon Poëte chéri ; quand même
ces beautés feroient auffi nombreuses &
auffi fublimes que fes défauts font multipliés
& choquans , ce feroit encore vainement
qu'il viendroit l'offrir à notre admiration.
Če ne font pas de beaux traits femés dans
un Ouvrage qui en font le mérite , c'eft la
perfection de l'enfemble. Si la façade du
Louvre préfentoit de belles colonnes Corinthiennes
, couplées avec des pilaftres d'une
architecture Gothique , certes elle pourroit
étonner par les contraftes ; mais au lieu de
paffer pour un chef- d'oeuvre de goût , elle
ne pourroit jamais être regardée que comme
un monument de Barbarie . Ce que l'on diDE
FRANCE. 45
roit , dans ma fuppofition , de la façade du
Louvre , voilà pofitivement ce que l'on peut
dire de chacun des Drames de , Shakespear,
Nous confeillons donc à M, Sherlock d'abandonner
le projet qu'il paroît avoir , de faire
chez nous l'apothéofe du Poëte Anglois,
Nous ofons lui prédire qu'il ne convertira
perfonne , & qu'on ne croira pas plus en
France à la divinité de Shakelpéar , qu'il
n'a cru lui même en Italie , à la divinité
du Dante.
Nous regrettons beaucoup d'avoir été forcés
de paffer fous filence plufieurs lettres
qui offrent toutes une lecture piquante &
variée , & fur -tout celle où l'Auteur fait un
éloge fi bien fenti de M. le Maréchal de Biron.
Nous remarquerons en paffant que
perfonne ne poffède mieux que M. Sherlock
le talent fi difficile de fouer fans fadeur.
Les louanges qui fortent de ſa plume,
fuppofent une connoiffance de l'homme &
une pénétration fi parfaites , & font exprimées
avec une nobleffe fi impofante , &
un ton de franchife fi perfuafif , qu'il eft
vrai de dire qu'elles honorent à la fois celui
qui les reçoit & celui qui les donne, *
Les nouvelles Lettres du Voyageur Anglois
finiffent par ces mots : » les premiers
» efforts que j'ai faits pour plaire au Public
*
Voyez la Lettre XXXV fur M. le Maréchal de
Biron , la Dédicace à Milord Briſtol , & une Note
fur M. l'Abbé de Lageard , Lettre XXIV.
46 MERCURE
و د
» ont été favorablement reçus : fi celui-ci
» eft accueilli avec la même indulgence ,
je continuerai d'écrire ; s'il ne mérite pas
» cet accueil , comme je n'écris que pour
» la gloire , fi je ceffe d'intéreffer , je jette
» ma plume.
""
Non , M. Sherlock ; que votre plume
refte encore long tems entre vos mains
pour notre inftruction & pour votre gloire.
Continuez d'écrire , & vous continuerez
d'intéreffer. Quand , avec des idées neuves
& vraies , avec un goût delicat , un tact
sûr , un efprit droit & orné , une imagi
nation brillante , une expreffion heureuſe,
quand , avec tous ces avantages , on montré
encore un coeur droit & le caractère d'une
ame honnête , on peut fe flatter , de plaire
à tout homme qui penfe & qui fent , &
d'obtenir l'eftime & l'admiration des gens
de goût & des gens vertueux de toutes les
Nations & de tous les fiècles.
GRAVURES.
11
COLLECTION Précieufe & Coloriée des Plantès
les plus belles & les plus curieuses , qui fe cultivent
tant dans les Jardins de la Chine que dans ceux
de l'Europe , par M, Buc'hoz , Médecin de MONSIEUR.
Seconde Partie , cinquième Cahier, In-fol.
Papier d'Hollande . A Paris , chez l'Auteur ,, rue de
1a Harpe , la première porte cochère après le Col-
Jége d'Harcourt , en montant.
TO
Ce Cahier ne le cède en rien aux précédens ; il
DE FRANCE.
47
renferme dix plantes : le Lys jaune à feuilles étroites
, le Pain de Pourceau à fleurs rouges , le Lys .
blanc , la Rofe panachée à fleurs femi-doubles , le
Pavot cornu , une Tulipe nouvelle de toute beauté,
la Fleur des Inças , l'Amaryllis jaune , la Pivoine à
fleurs fimples , & l'Ixia d'Afrique à fleurs couleur de
fafran. Ce Cahier fera fuivi inceffamment du fixième.
On efpère finir , dans le courant de l'année
toute la Collection , qui renfermera 20 Cahiers ,
dont les 10 premiers font deftinés aux Fleurs de la
Chine , & les 10 autres , aux fleurs les plus belles
qu'on cultive dans nos Jardins. On donnera l'Explication
gravée de ces Planches à la fuite du vingtième
Cahier. Le Prix de chaque Cahier eſt de 24 1.
Il en paroît actuellement quinze.
La Petite Jeannette , Eftampe gravée d'après le
tableau original de M. Greuze , Peintre du Roi , par
Chriſt Guérin. A Paris , chez l'Auteur , rue de Tournon,
maiſon du Journal de Littérature. Prix, 1 l. 16 f.
On trouve chez le même Graveur l'Euvre da
M. Muller , Graveur du Roi.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
TANGU
ANGU & Félime , Poëme en 4 Chants , par M.
de la Harpe , de l'Académie Françoife. Vol. in- 12
avec figures. Prix , 3 liv. 12 f. A Paris , chez Piffot,
Libraire , quai des Auguſtins.
Procès-Verbal des Séances de l'Affemblée Provinciale
de haute- Guienne , tenue à Villefranche
dans les mois de Septembre & d'Octobre 1779 ;
avec la permiffion du Roi. Vol. in- 4 ". Prix , 3 I.
12 f. A Villefranche, chez Vedeilhié , Imprimeur
du Roi, & à Paris , chez Moutard , rue des Ma48
MERCURE
thurins. On rendra compte au premier jour de
cet Ouvrage , fi intéreffant pour toutes nos Provinces.
€ Hiftoire univerfelle depuis le commencement du
Monde jufqu'à préfent , compofée en Anglois par
une fociété de gens de Lettres , & nouvellement
traduite en François par une fociété de gens de
Lettres , enrichie de Figures & de Cartes. Tomes
1 & 2 in - 8 ° . A Paris , chez Moutard , Imprimeur
Libraire , rue des Mathurins.
Troisième Cahier des Hommes Illuftres de la Ma
rine Françoife , leurs actions mémorables & leurs
Portraits. In-4° . A Paris , chez M. Graincourt ,
rue de la Juffienne ; Jorry , rue de la Huchette , &
Baſtien , rue du Petit- Lion.
Suite des Éloges lus dans la Séance de la Société
Royale de Médecine , par M. Vicq - d'Azyr ,
Secrétaire perpétuel de la Société . In-4° . A Paris
chez Pierres , Imprimeur - Libraire , rue Saint-
Jacques.
MES Ages ,
TABL E.
3 Effai fur la Mnfique Ancienne
& Moderne,
Vers pour mettre au bas du 14
Portrait de M. d'Alem- Nouvelles Lettres d'un Voyabert
,
geur Anglois ,
ibid Annonces Littéraires ,
L'Amour créé par la Beauté , Gravures ,
t
Enigme & Logogryphe , I1
APPROBATION
.
36
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 6 Mai. Je n'y ài
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Patis
les Mai 1780. DE SANCY.
Речі Jér : 135.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
CONSEIL AUX AMANS QUITTÉS,
RIEN
IEN ne retient un coeur qui veut brifer fa chaîne ,
Rien ne ramène un coeur tout prêt à s'en aller.
On y prendroit une inutile peine.
Qu'y faire done? favoir s'en confoler.
Votre amante vous quitte ? eh bien, faites comme elle ;
Enflammez- vous pour de nouveaux objets ,
Et n'allez pas , maudiffant la cruelle ,
Fatiguer les échos d'inutiles regrets.
Si votre coeur refuſe une chaîne nouvelle ,
Dites qu'ailleurs vos voeux font adreſſés ;
Et fi par fois encor vous pleurez l'infidelle ,
Au moins cachez-lui bien les pleurs que vous verfez .
( Par M. Dieudonné Guibal , Profeſſeur de
Mathématiques à Luntville. )
Sam. 13 Mai 1780. C
So
MERCURE
AU RÉDACTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR ,
La réputation des Chanfons Provençales
& Languedociennes eft faite depuis longtems.
L'autre jour , en lifant un excellent
Ouvrage dont vous avez rendu compte ,
(les Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque)
je trouvai une Chanfon Provençale que je
ne connoiffois point , & qui me fit grand
plaifir. J'effayai de la traduire en François.
Si vous jugez , Monfieur , que j'aie rendu ,
au moins en partie , les graces ingénues de
l'Original , je vous prie d'imprimer ma traduction
à côté du texte . A quelques détails
près que j'ai cru ne pouvoir paffer
dans l'idiôme François , j'ai traduit littéralement
, couplet par couplet , & en vers
de même meſure. Ils peuvent être chantés
fur l'air ; quoi ! ma Commère , es- tu fâchée?
comme l'indique l'Auteur de l'Ouvrage
que j'ai cité , ou bien fur l'ancien air original
que je vous envoie noté , & qui ne me
paroît pas fans agrémens.
J'ai l'honneur d'être , &c,
BANNIOTHECAN
ARRIA
RAGENSIS
DE FRANCE.
CHANSON PROVENÇALE.
Le beau Tir- cis, loin de la plai - ne , Seulet
un jour , Con-toit aux bois fa dou- ce
pei- ne , Son mal d'a- mour : Ber- ge- re
plei- ne d'in-juf ti- ce , Va-t-il chan-
重
tant : Faut-il qu'ain -fi l'on me ha- if- ſe ,
Quand j'ai me tant ?
Lov beou Tircis ſe proumenavo
Soulet un jour,
Countan ez bouez ce qu'en duravo
Dou maou d'amour;
Cit
52 MERCURE
Et lié dijié : belle Bergiero ,
Yeou t'aime tant !
Que t'aifa per eftre tant fièro
Defpici un an !
MON chien & mes moutons pâtiffent
Pleins de langueur ;
Pauvrets , hélas ! ils dépériffent
Par ta rigueur.
Tandis que le mal de leur maître
Les fait fouffrir ,
Je fuis fidèle & je veux l'être
Jufqu'au mourir,
Moun chin & meiz avets patiſſoun
De teïs rigours ;
Leipecaires defperiffoun
Dejours enjours ;
Maïper ce qu'ez deï maou dou meftré ,
Creboun lou couer ;
Ex fidele, & lou voaou ben eftré
Jufqu'a la mouer.
CRUELLE , hélas ! tu te fais gloire
De mon fouci.
Belle , ah ! crois - moi , dans ta mémoire
Retiens ceci :
La rofe , dont la rouge feuille
Parfume l'air ,
DE FRANCE.
53
Lorfqu'au printemps on ne la cucille ,
Meurt en hiver.
Tu téfaz uno fauffo glori
De mefugi ,
Vos pas mettre din ta mémori
Ce qu'yeou t'ai di :
Que leiflous lei plus efpandidos
Dou beou printén ,
Quand dinfoun tén foun pas culidos ]
L'iverpui vén.
Toi qui , dans mon jardin fans ceffe
Chantes l'Amour ,
Roffignol , vas voir ma maîtreffe
Au point du jour.
Vole ; & dis -lui , dans ton langage
Tant amoureux ,
Qu'il n'eft que moi dans ce village
De malheureux.
Rouffignou que cantez s'en ceffo
Din mounjardin ,
Vai dire à la mieou Meftreffo ,
De bouen matin ,
Et digo lié din toun lengagi
Tant
amouroux ,
Queficou lou bergié dou vilagi
Lou mens huroux.
Cij
54
MERCURE
MAIS bien que ta voix fi jolic
Ait mille appas ,
Si ma maîtreſſe eſt endormie ,
Chante tout bas .
Parle du ton qu'Amour confeille ,
Avec douceur ;
Ne touche qu'un peu fon oreille ,
Beaucoup , fon coeur.
Maï bén que ta voix fié poulido
Et doux , toun chan ,
Si ma Meftreffo ez endormido ,
Cante lié plan,
D'un toun que tendreffo confeillo ,
Senfé eftrefouer ,
Noun toquez qu'un paou foun aureillo ,
Mai prou , foun cuer.
TE's cheveux font plus noirs qu'ébène ;
Blanche eft ta main ;
Le lys des champs égale à peine
Ceux de ton fein.
Ta lèvre eft la rofe nouvelle
Du point du jour :
Et quand l'Amour te rend fi belle
Tu fuis l'Amour !
Toux teint ez plus uni que glacço ,
Plus beau qu'un liz:
DE FRANCE.
SS
Et ta bouco vermeillo esfaco
Tous leïs rubis.
Giz dejayiet n'ez comparablé
A teïs beou peoux ,
Teïs yeux que mefan miférable,
Soun douzfouleous.
TA beauté laiffe tes compagnes
Au rang dernier ,
Comme un fapin dans nos campagnes
Le bas fraifier.
Mais , belle , hélas ! de ta rudeffe
S'il faut parler ,
Je n'ai rien vu que ma tendreſſe
Pour l'égaler.
PASSEZ en beouta tei
De la façoun
compagnos
Que lei haous fapins dei montagnos
Fan ei bouiffons :
Maï, per ce qu'ez de ta rudeffo ,
N'ai ren trouba ,
Que la grandour de ma tendreffo
Per l'égala.
Le ciel eft témoin de mes peines
Ft de mes pleurs ;
J'attendris l'écho de nos plaines
Par mes douleurs ;
Civ
15
MERCURE
Toi feule tu ne fais que rire
De mon chagrin ;
La mort au moins , de mon martyre
Sera la fin.
Lov ciel ez témouin de mei penos
૨૧
Et de meï plours ,
La terre porte mas cadenos
1
Et maz doulours :
Tu foulette n'en faz que riré ,
Et te trufa :
Maï vendra ' n tems que mou martyre·
S'y finira.
PAR bonheur écoutoit la belle ,
Et fans ennui ;
Et voyant bien qu il n'aimoit qu'elle ,
N'aima que lui.
Un doux fouris lui fait comprendre
Qu'il eft heureux ;
Mais il faudroit , pour le bien rendre,
Aimer comme eux.
PER bonheur la bell ' escoutavo
Sei defpici,
Et conneifer coumben l'aimavo ,
L'aimét auffi ;
S'approché d'eou , & d'un air tendré,
Lou regardé ;
Facu ama coum eou , per comprendre
Ce que fenté.
J
DE FRANCE.
57
L'HÉRITIER MALHEUREUX ,
Anecdote.
AH! maudite fortune ! tu es encore plus
ingrate que légère . Tu n'as pas d'yeux pour
faire le bien; tu vois très- clair à faire le inal.
Souvent on te trouve fans te chercher , &
l'on te fait fuir en courant après toi .
On n'a jamais eu pour cette ingrate un
amour plus vrai & plus naïf que le pauvre
Oriphile ; il avoit un goût décidé pour les
héritages , parce qu'il jugeoit que de toutes
les manières de s'enrichir , celle d'hériter
étoit toujours la plus commode & la plus
innocente. Tous les habits noirs en pleuréufes
qu'il rencontroit le faifoient fourire ,
& lui donnoient des idées agréables. Voilà
peut-être un héritier , fe difoit- il ! Il prétendoit
que ce mot étoit le plus doux & le
-plus harmonieux de la langue Françoife.
Oriphile avoit un oncle & une tante. Tous
deux étoient riches , & tous deux l'appeloient
auprès de leur perfonne. Eft-ce à la
rante, eft- ce à l'oncle qu'il donnera la préférence
: C'eft ce qu'il ne voulût décider
qu'après une mûre délibération. Comme Oriphile
vouloit n'avoir rien à fe reprocher , il
n'épargna ni les interrogations ni les démarches.
Avant de prendre fon parti , il s'étoit
fait donner un état de leurs biens ; il avoit
fait lever leur extrait-baptiftaire, pour favoir
Cv
1
58 MERCURE
au jufte leur âge ; & enfin il avoit pris fur
leur fanté l'avis de leurs Médecins. Il fe décida
pour la tante , parce qu'avec autant de
fortune que l'oncle , elle avoit au moins
douze ans de plus. On voit qu'Oriphile n'agiffoit
point en étourdi , & qu'il raiſonnoit
fa conduite.
Rendu auprès d'elle , il mit en pratique
les premiers principes de l'art de plaire ; il
étudia le caractère de la vieille tante. Le
fuccès étoit difficile ; mais une grande envie,
de réuflir en fournit prefque toujours les
moyens. Du côté des petits foins , il n'étoit
jamais en défaut ; & pour le travail , il étoit
infatigable. Madame Erbine , ( c'eſt le nom
de la veuve ) aimoit beaucoup la lecture ;
mais comme elle ne pouvoit plus lire fans
lunettes , & qu'elle ne vouloit point paffer
pour avoir befoin de lunettes , elle faifoit
lire continuellement fon neveu , fous prétexte
qu'il lifoit bien. Le pauvre Oriphile
étoit condamné à faire des lectures continuelles
: le jour , pour amufer fa tante, la nuit,
pour l'endormir. Et il lifoit prefque toute la
nuit, parce que Madame Erbine ne pouvant
jamais fermer l'oeil fans le fecours d'un Orateur
ou d'un Poëte , comme elle ne s'endormoit
qu'au bruit de la voix de fon Lecteur
, elle fe réveilloit aufli dès que la voix
fe taifoit.
Le jour il n'étoit pas queftion d'aller prendre
un feul repas en ville . Il n'avoit point
à fe négliger , parce qu'il y avoit d'autres
DE FRANCE.
59
#
parens , & de proches parens. Enfin la vie
d'Oriphile n'étoit qu'un travail & un facrifice
continuel. Auffi Madame Erbine ne
parloit que de fon charmant neveu. Il étoit
charmant en effet. Avec le titre d'héritier , il
avoit les grâces de l'Etat. Il avoit appris à
être gracieux dans fes révérences , minutieux
dans fes foins , ingénieux dans fes complaifances
; il faifoit l'éloge du temps paffe , &
la fatyre du temps préfent ; il ne fe plaifoit
qu'avec la vieilleffe , les jeunes gens l'excé
doient. Il ajoutoit fur cela de nombreufes
réflexions que des quatre âges de l'homme
il y en avoit deux à réformer ; que de plein
faut , on auroit dû paffer de l'enfance à la
vieilleffe ; que l'intervalle qui s'écouloit entre
ces deux points de la vie humaine , étoit
réellement du temps perdu , puiſqu'il étoit
toujours partagé entre des projets fous & des
démarches infenfées ; enfin mille autres difcours
tout auffi profonds qui enchantoient
la bonne tante , même un peu trop pour les
intérêts d'Oriphile ; car la fatisfaction qu'elle
en avoit influoit fur fa fanté , & fembloit la
rajeunir. Oriphile fe plaignoit tout bas du
trop grand fuccès de fes foins ; ce qui lui
fourniffoit une réflexion morale. Il est bien
malheureux , difoit-il en lui-même , qu'un
galant homme ne puiffe mériter un héritage
que par des foins qui fervent à en retarder
le moment !
Tandis qu'il s'enfonçoit dans ces réflexions
, il reçut une lettre qui lui apprenoit
C vj
60 MERCURE
que fon oncle étoit bien malade & aban
donné des Médecins. Oriphile , toujours
fenfé , taifonnant fes moindres actions , fir
des réflexions nouvelles ; & il conclut , en
fe réfumant , qu'il falloit quitter la tante
pour aller trouver l'oncle , parce qu'une
jeune perfonne agonifante eft naturellement
plus près de la mort qu'une autre plus âgée ,
inais en bonne fanté. Voilà qui s'appelle raifonner
, fonger à tout.. Sa confcience même
y étoit intéreffée ; car enfin les malades ont
plus befoin d'être fecourus que ceux qui fe
portent bien. Il écrivit donc fon départ à la
tante , qui cria beaucoup , mais inutilement ;
puifqu'Oriphile étoit déjà auprès de fon
oncle..
Cet Oncle s'appeloit d'Herminy. Oriphile
eut affez d'adreffe pour s'excufer de
n'être pas venu plus tôt auprès de lui. Il
montra tant de zèle pour le fervir , que
par les foins du préfent , il fit oublier la
négligence du paffé. Enfin , il ne tarda point
à gagner la confiance & l'amitié du malade.
Mon cher neveu , lui dit un jour ce dermier
, dans un moment d'épanchement ; fi
tu avois toujours été auprès de moi , je
ne ferois pas dans l'état où je fuis ! & Ori
phile fut fur le point de lui répondre : fi
vous n'étiez pas dans l'état où vous êtes , je
ne ferois pas auprès de vous.
Cependant d'Herminy , que la Faculté
& la Société Royale avoient abandonné ,
fe mit entre les mains d'un Charlatan , qui
DE FRANCE. 61
>
parvint à le guérir , foit par fcience , foit
par hafard. Ce guériffeur avoit cherché
& cherchoit encore la pierre philofophale.
D'Herminy revenu en fanté
lui ayant demandé un jour comment il
avoit pu le guérir , quand les plus fameux
Médecins l'avoient condamné , il répondit
que c'étoit par des fecrets qu'il avoit découverts
dans l'étude de l'Alchymie. S'étant
liés tous deux étroitement , l'Alchymifte ,
qui étoit de bonne -foi , découvrit à d'Herminy
une partie de fes fecrets .
veu ,
Un jour , ce dernier entra chez fon neavec
un air de fanté formidable.
Mon cher Oriphile , lui dit- il , avec une
effufion de joie & de tendreſſe je viens
te faire une confidence , qui , j'en fuis sûr,
te fera le plus grand plaifir. Tu connois.
l'homme qui m'a guéri ? Oui , mon oncle,
dit Oriphile , & je fais quelle reconnoiffance
je lui dois pour un tel ſervice. Ch , reprend
d'Herminy, tu ne fais pas encore toutes
les obligations que tu lui as. Oriphile , qui
connoilloit les prétentions de l'Alchymifte,
s'imagina d'abord qu'il avoit communiqué
à fon oncle le fecret de faire des lingots ;
& aufli -tôt , avec un air d'attendri ffement ,
il demanda à d'Herminy fi fon ami lui
avoit appris à faire de l'or. Mieux que
cela , répond fon oncle. Mieux que cela ,
s'écria Oriphile ! Je ne vous enten ds plus.
Alors d'Herminy , croyant combler de joie
fon tendre neveu , lui confia , en baiſſan
62 MERCURE
la voix , que l'Alchymifte lui avoit donné
une liqueur qui devoit le faire vivre des
fiècles entiers. On devine affez l'impreffion
que fit fur le tendre neveu cette confidence
inattendue . Elle étoit d'autant plus
faite pour alarmer , que la guérifon inefpérée
de d'Herminy lui prêtoit de la vrai-
Temblance , & devoit infpirer de la confiance
pour le favoir de l'Alchymifte. Oriphile
en fut fi effrayé qu'il s'enfuit à toutes
jambes , en fouhaitant à ſon oncle une douce
immortalité.
En attendant qu'il pût faire négocier fa
réconciliation avec fa tante , il fe logea
dans une maifon où logeoit aufli la vieille
Orphife. C'étoit une perfonne auffi chargée
d'années que de richeffes , & encore plus
accablée d'infirmités. Dans le chagrin où
étoit Oriphile , elle n'eût pas excité fon attention
, s'il n'eût appris par hafard qu'elle
étoit riche & fans parens. Cette circonftance
l'intéreffa. La pauvre femme , fe ditil
être riche , & n'avoir pas le moindre
neveu auprès de foi ! Il lui fit , en qualité
de voifin , une vifite d'honnêteté ; il prit
fort bien , revint bien v te , enſuite fort
fouvent , & avec tant de fruit , que , fans
avoir jamais eu la moindre ex.lication avec
elle , il fut bientôt reg : dé comme l'héritier
de la maifon ; il en recevoit prefque les
complimens.
Depuis peu il venoit auffi chez Orphiſe
un jeune homme affez aimable , qui alarDE
FRANCE. 63
moit un peu Oriphile. Un jour Orphife
fe trouvant feule avec ce dernier , lui
dit du ton le plus affectueux : Mon cher
Oriphile , j'ai fait l'épreuve de vos fentimens
pour moi , j'ai reconnu votre attachement
, votre amitié défintéreffée ; il
faut que je vous faffe part d'un projet que
j'ai conçu . Oriphile à ces mots croyoit déjà
voir un Notaire prêt à écrire fon nom en toutes
lettres fur un bon & valide teftament ,
lorfqu'Orphife ajouta : je me marie ; vous
connoiffez ce jeune homme qui vient ici
fort fouvent c'est lui que j'épouſe , & je
lui fais donation de tous mes biens.
A cette confidence , qui valoit bien celle
qu'il avoit reçue de fon oncle , Oriphile.
demeura muet & immobile. Félicitez- moi
donc , lui dit Orphife , puifque vous vous
intéreffez à mon bonheur ; car vous favez
que ce jeune homme eft aimable . Oriphile
, en balbut ant , lui fit un compliment
qui n'avoit pas le fens commun. Un moment
après il lui dit adieu ; & dès le lendemain
il quitta fon appartement. Il étoit
furieux ; & , pour achever de le défoler ,
on lui apprit en même tems que fa tante ne
vouloit. plus entendre prononcer fon nom.
Il faut avouer néanmoins que jufqu'ici Oriphile
eft irréprochable , & que s'il n'eft pas
encore arrivé au grade d'héritier , il n'a
rien négligé pour y parvenir.
Il étoit fi piqué de n'avoir pu réuffir encore
, qu'il avoit juré de renoncer à ce
64 MERCURE
genre de pourfuites , lorfqu'un nouvel incident
vint réveiller dans fon coeur fon
amour pour les héritages. Il lut dans les
papiers publics qu'un particulier fort âgé',
rapportant de chez l'étranger une grande
fortune , defiroit favoir s'il lui reftoit encore
des parens. La reffemblance de fon nom avec
celui de la mère d'Oriphile , fit concevoir
à ce dernier les plus flatteuſes eſpérances.
Il fe préfenta comme parent de l'étranger . Je
ne fais point s'il l'étoit : mais il le prouva.
Le vieillard le pria de refter auprès de lui
pour lui fermer la paupière. Oriphile ne
demandoit pas mieux ; car il étoit bon parent.
Il ne tarda pas à gagner l'amitié du
vieillard qui étoit bon homme. On l'appeloit
Valémon. Bientôt il ne vit plus que
par les yeux d'Oriphile , ne jugea que par fon
efprit. Il avoit pour lui toute la tendreffe d'un
père. Après le lui avoir prouvé par les difcours
, par fes éloges , il en vint à la grande
preuve , au teftament. Oh ! pour le coup
le voilà héritier , & le hafard concourut à
lui faire fentir plus vivement cette jouiffance.
On eûr dit que Valémon , en afſurant
fa fucceflion à Oriphile , vouloit encore
en accélérer le moment ; car, le Tef
tament à peine écrit , il tomba malade.
Enfin la fortune avoit mis un terme à fon
ingratitude ; le tems de la Justice étoit
venu , & Oriphile ne négligea rien pour
mériter de plus en plus fon bonheur.
Depuis quelque tems Valémon étoit en
DE FRANCE. 61
procès. Ce procès devint plus confidérable
qu'on ne l'avoit d'abord imaginé : il
devint même défaftreux. Valémon le perdit
, je veux dire , Oriphile ; car Valémon
eut l'adreffe de mourir un quart d'heure
avant qu'on apprit la perte de fon procès.
Oriphile fut reconnu pour le véritable
héritier de Valémon : mais comme il étoit
écrit que la fortune le perfécuteroit jufqu'au
bout , la perte de ce procès entraîna
toute la fortune du défunt . Enfin , le malheureux
Oriphile , en qualité d'héritier
ayant plus à payer qu'il ne recueilloit de
la fucceffion , fut obligé d'y renoncer légalement.
Et voilà fans contredit un héritier
malheureux ! Après avoir couru toute fa
vie après les héritages , il n'en put attrapper
qu'un feul , & il fe vit forcé de le répudier.
Il n'eut d'autre confolation que le
témoignage de fa confcience ; car il n'avoit
jamais rien épargné pour hériter fructueufement.
( Par M. Imbert. )
*
86 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Cloche ; celui du
Logogryphe eft les Pincettes, où le trouvent
pin , pie , Cette, Nice , Nicée , fi , Cenis , fcie,
été, ft , fein , pinte , cefte , Tite , le ceft , Eft.
ÉNIGM E.
AL'ÉCRITU L'ÉCRITURE je dois l'être ,
Et l'écriture me détruit;
Elle feule me fait paroître,
Et feule au néant me réduit;
Toujours foumiſe à ſon caprice ,
Il faut qu'en tout temps je ſubiſſe
La loi qui plaît à ſon humeur;
Et , ( quel eft mon deftin bifarre ! )
Si l'écrivain fait une erreur,
A mes dépens il la répare.
Veux-tu dans quelqu'endroit , Lecteur ,
Me trouver de grande meſure ?
Vas chercher des vers fans céfure ,
Ou des groffes de Procureur.
( Par M. Parthon. )
DE FRANCE. 67
LOGO GRYPHE
D'UNEM UNE moitié de ma ſubſtance
La terre eft toujours le berceau ;
A l'air, l'autre doit fa naiſſance ;
Et je fuis tout entier dans l'eau.
Si vous m'ôtez un pied , Sylvie ,
Craignez-moi ; car tel eft mon fort :
Mon tout eft utile à la vie ;
Sans ce pied , je donne la mort.
( Par M. de Sionville. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE DE VOLTAIRE , par M. de la
Harpe , de l'Académe Françoiſe , vol .
in- 8° . de 112 pages , prix , 1 liv. 16 fols.
A Paris , chez Pilfot , Libraire , Quai des
Auguftins .
L'EXISTENCE de Voltaire eft , fans contredit ,
la plus belle époque de l'efprit humain :
c'eft fur-tout pendant le cours de fa brillante
carrière qu'on a fecoué le joug de l'école
pour cultiver la raifon & fe livrer à l'étude
des chofes utiles ; jamais la Philofophie ne
prit un effor auffi favorable aux Nations
tandis que les Montefquieu , les Buffon , les
2
9
68 MERCURE
Rainal , &c. faifoient circuler cet éfprit
vivifiant dans la legislation , dans l'hiftoire
naturelle , dans les fciences économiques &
politiques , Voltaire rendoit le même ſervice
à l'art dramatique , à l'épopée , à l'hiſtoire ,
à tous les genres de littérature. Auffi , quel
enthouſiaſme n'a-t-il pas excité avant, comme
après fa mort ? La gloire de fon nom a franchi
l'Europe & les mers ; elle brille à Pétersbourg
& à Philadelphie comme au centre
de la France. Par-tout on rencontre fon
image à côté des monumens de fon génie ;
la peinture , la gravure , la fculpture , ont
reproduit cet Écrivain fous mille allégories
infpirées par la reconnoiffance & l'adiniration
; pendant 60 ans il a été l'idole des Artiftes
, des Savans & des Hommes-de- Lettres
les plus diftingués ; les Souverains , les
grands perfonnages de fon fiècle , jaloux de
fon fuffrage , & cultivant à l'envi fon amitié
, l'ont comblé de tous les honneurs auxquels
un fimple particulier puiffe jamais
afpirer : pour achever le fupplice de fes détracteurs
, il fuffiroit de mettre au jour les
lettres de cette multitude d'hommes de tous
les rangs & de toutes les nations , telles
qu'on les a retrouvées dans fes papiers après
fa mort à la tête de cette lifte , unique dans
les faftes du monde , on compteroit les noms
d'un Benoît XIV , d'un Stanislas , de tous les
Rois du Nord , & fur- tout de ce Monarque
philofophe & littérateur , qui le premier
traça l'Éloge funèbre de Voltaire , au pied
DE FRANCE. 69
des montagnes de la Bohême , au milieu du
tumulte d'un camp , lorfqu'affailli par toutes
les forces de la Maiſon d'Autriche , il combattoit
encore pour la liberté de l'Empire
Germanique .
Parmi les écrits dignes de tranſmettre à
nos neveux les fentimens & les opinions de
la faine partie du Public fur la perfonne &
les Ouvrages de cet homme extraordinaire ,
on diftinguera fans doute ceux du Panégyritte
de Catinat & de Fénélon. Après l'avoir célébré
en vers au Théâtre & à l'Académie
Françoife , il a voulu fe fignaler de nouveau
par un Éloge en profe ; cette nouvelle production
juftifiera ce que nous avons déjà
obfervé fur le mérite littéraire de M. de la
Harpe ; elle ajoutera même à fa réputation
dans l'efprit des Lecteurs non prévenus,
L'Éloge eft divifé en trois parties : dans la
première on paffe en revue les principaux
Ouvrages de Voltaire , & chacun d'eux fournit
au Panégyrifte ou des faits précieux , ou
des remarques favantes , des rapprochemens
inftructifs , des peintures éloquentes , des
jugemens dictés par un goût exquis , des
portraits d'une touche mâle & fidelle ; en
un mot , on y retrouve tous les moyens que
raffemble l'Orateur , lorfqu'il entreprend la
défenſe d'une grande caufe , & qu'il veut
exciter un vif intérêt.
D'abord il juſtifie la Henriade , qui , malgré
la fureur des Critiques , a fait naître dans l'Europe
entière la plus tendre vénération pour
70 MERCURE
Henri IV. C'est dans ce Poëme que l'Auteur
déclare une guerre éternelle à la fuperf
tition , à la tyrannie , au fanatifme. « Pour
la première fois l'Humanité entendit plaider
fa cauſe en beaux vers , & vit fes intérêts
confiés à l'éloquence poétique. Celle - ci
avoit plus d'une fois confacré dans
Louis XIV , les victoires remportées fur
le monftre de l'héréfie , victoires trop fouvent
déshonorées par la violence , & que
la Religion même a pleurées ; Voltaire lui
apprit à célébrer d'autres triomphes , ceux
de la Raifon fur le monftre de l'Intolérance ;
triomphes purs , & qui ne coûtent de larmes
qu'aux ennemis du genre -humain. »
C'eſt encore dans la Henriade que Voltaire
a fu confacrer des vérités d'un autre
ordre , & qui feules pourroient immortaliſer
fon Poëme. Quel homme chez les anciens
ou chez les modernes fut embellir comme
lui la langue d'Uranie ? Où trouveroit- t'on
des vers comparables à ceux- ci ?
Dans le centre éclatant de ces orbes immenfes ,
Qui n'ont pu nous cacher leur marche & leurs diftances
,
Luit cet aftre du jour par Dieu même allumé ,
Qui tourne autour de foi ſur ſon axe enflammé,
De lui partent fans fin des torrens de lumière ;
Il donne en fe montrant la vie à la matière ,
Et difpenfe les jours , les faifons & les ans ,
Ades mondes divers autour de lui fottans.
.
DE FRANCE; 70
Ces aſtres afſervis à la loi qui les preffe ,
S'attirent dans leur courſe & s'évitent fans ceffe ;
Et, fervant l'un & l'autre & de règle & d'appui ,
Se prêtent des clartés qu'ils reçoivent de lui .
Par-delà tous les cieux , le Dieu des cieux réfide , &c.
" Avec des beautés fi neuves & fi frappantes
, avec l'intérêt attaché au nom du
Héros , avec un ftyle toujours élégant &
harmonieux , tour-à- tour plein de force &
de charme , faut- il s'étonner que la Henriade
, quoique deftituée de l'ancienne Mythologie
, ait triomphé de toutes les attaques
, fe foit encore affermie par le temps.
dans l'efprit des connoiffeurs , & foit devenue
un ouvrage national ? »
M. de la Harpe parcourt enfuite les Pièces
Dramatiques de fon Héros : ici l'on reconnoît
un Littérateur verfé dans la théorie &
la pratique de ce grand Art ; plein de fon
fujet , il en parle avec véhémence , fon ftyle
eft riche & facile , fes idées & fes fentimens
fe précipitent , on a fous les yeux les magnifiques
fcènes dont il retrace le fouvenir , on
en découvre la magie , on fe croit tranfporté
au Théâtre même où Voltaire difpute
à Corneille , à Racine , à Crébillon la gloire
de charmer fes Concitoyens,
M. de la Harpe faifit avec une fagacité
admirable les nuances fugitives qui caractérifent
le génie de ces quatre Auteurs Tragiques
; il balance leurs défauts & leur mé
72 -MER CURE
rite refpectif avec une équité rare , & fait
rendre à chacun le tribut d'éloges que leur
doivent le goût & la raiſon. Quel tableau
feduifant il nous fait de Zaïre ! Avec quelle
fupériorité il développe les caufes de l'enthoufiafme
univerfel pour ce chef-d'oeuvre
de l'intérêt tragique ? « Auroit - on cru
qu'après Racine , on pût fur la Scène ajouter ,
quelque chofe aux triomphes de l'Amour ?
Ah ! c'est que parmi fes victimes on n'a
jamais montré deux êtres plus intéreſſans ,
plus aimables que Zaïre & fon amant . La .
douleur de Bérénice eft tendre , mais la
paffion de Titus eft foible. Hermione , Roxane
, Phèdre font fortement paffionnées ;
mais les deux premiers parlent d'amour le
poignard à la main , l'autre ne peut en parler
qu'en rougiffant. Tout l'effet de l'Auteur nepeut
aller qu'a faire plaindre ces femmes
malheureufes & forcénées ; & c'est tout
l'effet que peut produire fur le Théâtre un
amour qui n'eft pas partagé. Mais jamais on
n'y plaça deux perfonnages auffi chers aux
Spectateurs qu'Orofmane & fon amante ;
jamais il n'y en eût dont on defirât plus ardemment
l'union & le bonheur. Tous deux
entraînés l'un vers l'autre par le choix de
leur coeur ; tous deux dans cet âge où l'amour
, à force d'ardeur & de vérité , femble
avoir le charme de l'innocence ; tous deux
prêts à s'unir par le noeud le plus faint & le
plus légitime : Orofmane enivré du bonheur
de
DE FRANCE. 73
de couronner fa maîtreffe ; Zaïre , toute remplie
de ce plaifir , plus délicat peut - être encore
de devoir tout à ce qu'elle aime : quel
tableau ! & quel terrible pouvoir exerce le
génie dramatique , quand tout-à- coup , à ce
que l'amour a de plus féduifant & de plus
tendre , il vient oppofer ce que la Nature
a de plus facré , ce que la Religion a de plus
augufte ! A - t'il jamais fait mouvoir enfemble
de plus puiſſans refforts ? Et n'est- ce
pas- là que , fe changeant pour ainfi dire en
tyran , tourmentant à la fois & l'Auteur
qu'il infpire & le Spectateur qu'il ſubjugue ,
il fe plaît à nous faire paffer par toutes les
angoiffes de la crainte , du defir , de la douleur
, de la pitié , & à régner parmi les larmes
& les fanglots ? Quel moment que celui
où l'infortuné Orofmane , dans la nuit , le
poignard à la main , entendant la voix de
Zaïre ! ... Mais , prétendrois-je retracer un
tableau fait de la main de Voltaire avec les
crayons de Melpomène ? C'eſt à l'imagination
des Spectateurs à fe reporter au Théâtre
dans cette nuit de défolation ; c'eſt aux coeurs
qui ont aimé à lire dans celui d'Oroſmane
à comparer fes fouffrances & les leurs , à
juger cet état épouvantable , où l'ame mortellement
atteinte , ne peut être foulagée ni
par les pleurs , ni par le fang ; ne trouve
dans la vengeance qu'un malheur de plus ;
& , pour le fauver de l'abyme du déſeſpoir ,
fe jette dans les bras de la mort. »
Voilà ce que les favans & refpectables
Sam. 13 Mai 1780.
D
74 MERCURE
Critiques de M. de la Harpe qualifient de
féchereffe , de pefanteur , d'incohérence d'idées
, de fentimens glacés & factices. Les
morceaux fuivans ne font également à leurs
yeux que de l'emphafe & de l'incorrection ;
ils n'offrent ni penfees , ni couleurs.
» Comme autrefois l'hypocrifie s'étoit
débattue contre Molière , qui la peignit
dans toute fa baffeffe , le fanatifme s'eft
efforcé d'échapper à Voltaire , qui le peignoit
dans toute fon horreur. Mais cette
horreur s'arrête au terme que l'Art lui a
preferit ; & ce même art fait la tempérer
par la pitié. S'il ferre l'ame , il la foulage.
Semblable à ce Guerrier dont la lance
guériffoit les bleffures qu'elle avoit faites ,
le Poëte fait mêler aux fentimens amers qui
déchirent le coeur , un fentiment plus doux
qui le confole ; il nous attendrit après nous
avoir fait frémir , & nous délivre , par les
Jarmes , de l'oppreffion qui nous tourmentoit.
Ce mélange heureux des émotions les
plus douloureufes & les plus douces , ce
paffage continuel & rapide de la terreur à
T'attendriffement , & de l'impreffion vio-
Mente des peintures atroces , au charme
-confolant des affections les plus chères à
la nature ; ce fecret de la Tragédiens qui
l'a jamais poffédé comme l'Auteur de Mahomer
& de Sémiramis ? "
C'eft dans ce Drame augufte & pompeux,
(Mahomet ) rempli d'une terreur religieufe
, & fur lequel femble s'arrêter , dès la
D'E FRANCE. IS
première Scène , un nuage qui renferme les
fecrets du Ciel & des Enfers , & d'où fort
enfin la vengeance ; c'eft dans cette Tragédie
fublime aufli impofante qu'Athalie ,
& plus intéreffante , c'eft dans le troisième
Acte de Tancrède , dans le cinquième de
Mérope , dans le premier de Brutus que la
Scène s'eft aggrandie par un appareil qu'elle
avoit eu bien rarement depuis les Grecs.
>>> Eh ! n'était- ce pas encore une nouvelle
richelle que cette peinture des Nations
qui a donné aux Ouvrages de Voltaire un
coloris fi brillant & fi varié ? Sans doute
ice mérite ne fut pas étranger au peintre de
da grandeur Romaine , encore moins à ce-
-lui qui traça avec tant de fidélité & d'énergie
les moeurs Grecques & les moeurs
-du Sétail , l'aviliffement de Rome fous les
ayrans , la Théocratie toujours fi puiflante
achez les Juifs. Mais combien cette partie
du Drame a -t- elle encore plus d'effet &
plus d'étendue entre les mains de l'Écrivain
fécond qui a mis fous nos yeux le contrafte
favant & théâtral des Efpagnols & des Améericains
, des Chinois & des Tartares ; qui
a fu attacher l'intérêt de les Tragédies aux
grandes époques de l'hiſtoire , à la naiffance
du Mahométifme , qui , depuis , à étendu
-fur tant de peuples le voile de l'ignorance
& le joug d'un defpotifine ftupide ; à l'invafion
d'un nouveau monde devenu la proie
du nôtre ; là ce triomphe unique dans les
Annales du genre humain, de la raifon fur
f
Dij
MERCURE!
la force, & des loix fur les Armes , qui a
foumis les Sauvages , conquérans de l'Afie ,
aux tranquilles Législateurs du Katay ; à ce
règne de la Chevalerie , qui feule , en Europe
, au dixième fiècle , balançoit la féracité
des moeurs , épuroit l'héroïfine guerrier
, le feul qu'on connût alors , & qui fuppléoit
aux Loix par les principes de l'honneur!
»
C'eft ainfi que M. de la Harpe fait
louer le génie Dramatique de Voltaire.
Tous les gens de goût feront d'accord avec
lui fur les obfervations qu'il fait à ce fu-
´jet ; il en faut cependant excepter deux qui
pourront trouver des contradictions : la
première tend à réfuter une opinion du Difcours
prononcé par M. Ducis le jour de
fa réception à l'Académie Françoife ; Difcours
dans lequel on attribue les fruits
du génie Dramatique à l'influence des moeurs
& du fiècle. M, de la Harpe ne croit point
que le fouvenir encore récent de nos Guerres
civiles ait pu exalter la tête de Corneille.,
ni que la Cour voluptueufe de Louis XIV
ait fervi à diriger l'ame de Racine vers les
rôles de tendreffe & d'amour . Traitant ces
idées de préventions , il foutient que l'efprit
d'un peuple influe moins fur l'homme
de génie que celui - ci n'influe fur fon-fiècle
, & que le Génie eftplus fait pour donner
la loi que pour la recevoir. A cet égard,
nous croyons que fi l'Auteur du Difcours
Académique a donné trop d'action à cetto
DE FRANCE. 77
influence , fon Collégué en diminue beaucoup
trop l'empire ; il n'eft point de ca
ractère qui ne foit plus ou moins foumis à
cette caufe ; elle agit fur l'homme à fon
infçu , elle le modifie à tout âge ; & s'il la
méconnoît , c'eft parce qu'elle agit d'une
manière trop continue. 25 3
.M. de la Harpe nous paroît auffi trop févère
dans le jugement qu'il porte fur les dernières
Tragédies de Voltaire. Il dit qu'Edipe
a été le moment de la naiffance de ce grand
Tragique ; Zaïre , celui de fa force ; Mérope
, celui de fa maturité , & Tancrède
où il a fini. Ileft bien vrai que les Pièces
poftérieures à l'époque de Tancrède , annoncent
la décadence du génie , mais elles
n'en fuppofent nullement l'extinction totale.
Pour s'en convaincre , il fuffit de les comparer
à celle où le grand Corneille a fini ;
quelle distance entre les dernières productions
de l'Auteur d'Agéfilas , & de l'Auteur
des Scythes , du Triumvirat , des Pélopides
, d'Irène & d'Olimpie ! Au refte , le
reproche que nous faifons ici à M. de la
Harpe , prouve du moins qu'il a fu, fe garantir
de l'aveugle engouement des Panégyriftes.,
ing roles A
111
I
C'eft , à regret que nous abandonnons la
partie de de Difcours ou l'Auteur entre
dans les détails les plus intéteffans fur les
Difcours en vers , fur la Pucelle fur l'Hif
toire de Charles XII & de Louis XIV , fur
L'Hiſtoire Générale, 18, une milétude d'au
Cij
78 MERACTURES
tres ouvrages en profe , fortis de la mêmei
plume; nous nous bornerons à citer le
morceau qui concerne les Pièces légères.
A
Ces Poéfies qu'on appelle Fugitives , parde
qu'elles femblent s'échapper avec la
même facilité & de la plume qui les produit
, & des mains qui les recueillent ;
mais qui , après avoir couru de bouche en
bouche , reftent dans la mémoire des Ama->
reurs , & font confacrées par le goût. Ik
feroit également difficile , ou de fe rappeler
toutes les fiennes , ou de choisir dans la
foule , ou d'en rejeter aucune. Ce n'eft ni
la fineffe d'Hamilton , ni la douceur naïve
de Deshoullières , ni la gaîté de Chapelle,
ni la molleffe de Chaulieu ; c'eft l'enfemble
& la perfection de tous les tons ; c'eſt
la facilité brillante d'un efprit toujours fupérieur
& aux fujets qu'il traite , & aux
perfonnes à qui il s'adreffe. S'il parle aux
Rois , aux Grands , aux femmes , aux beaux
efprits , c'eft le tact le plus sûr de toutes les
convenances , avec l'air d'être au deffus de
toutes les formes; c'eft cette familiarité
Hibre & pourtant décente , qui laiffe au
rang toutes fes prérogatives , & au talena
toute fa dignité. Il eft le premier qui , dans
cette correfpondance , ait mis une forte
d'égalité qui ne peut pas bleffer la grandeur
, & qui honore le Génie ; & cet art,
qui peut être auffi celui de l'amour propre,
eft caché du moins fous l'agrément des tourmaxes.
C'eft- là fur-tout qu'il fait voir que
V
DE FRANCE.
79
La grace étoit un des caractères de fon ef
prit. La grace diftingue fa politeffe & fes
éloges. Chez lui la flatterie n'eft que le defir
de plaire , dont on eft convenu de faire
un des liens de la fociété. Il fe joue avec la
Jouange ; & quand il careffe la vanité , sûr
qu'alors le feul moyen d'avoir la mefure
jufte , c'eft de la paffer un peu , jamais du
moins il ne paroît ni être dupe lui-même,
ni prétendre qu'on le foit. Il écrit à la fois
en Poëte & en homme du monde ; mais
de manière à faire croire qu'il eft aufle
naturellement l'un que l'autre.. Il loue d'un
mor , i peint d'un trait , il effleure
une foule d'objets , & rapproche les plus
éloignés ; mais fes contraftes font piquans
& non pas bizarres . Il n'exagère point le
fentiment, & ne charge pas la plaifanterie.
Cette imagination , dont le vol eft fi rapide,
le goût ne la perd jamais de vue. Le goût
lui a appris , comme par inftinct , que fi les
fautes difparoiffent dans un grand ouvrage,
une bagatelle doit être finie ; que le talent,
qui peut être inégal dans fes efforts , doit
être toujours le même dans les jeux , & qu'il
ne peut fe permettre d'autres négligences
que celle qui eft une grace de plus , & qui
ne peut appartenir qu'à lui . "
*
Pourquoi M. de la Harpe , après avoir fi
bien développé le caractère des Poéfies fagitives
de Voltaire , ne s'eft-t'il pas étendu
de même fur fes Romans ? Les bornes que
doit fe preferire un Orateur, l'ont fans doute
Div
So MERCURE
empêché d'approfondir un genre de Littérature
où fon Héros a fait une aufli grande
révolution que dans l'Hiftoire. Confacré
jufqu'alors aux aventures de galanterie , le
Roman s'eft affranchi de l'esclavage de l'amour
& des femmes pour devenir l'organe
de la raifon contre l'impofture , & le défen-.
feur de la Nature contre nos inſtitutions barbares.
A la voix de l'Auteur , de Candide
les Nations des deux mondes font venues
comparoître fur ce théâtre magique , avec
leurs ridicules , leurs vices , leurs erreurs.
C'eft-là que , pour attaquer plus efficacement
nos coutumes & nos opinions infenfés , il les
met aux prifes avec les coutumes & les opinions
de cent autres peuples non moins abfurdes
que nous -mêmes. C'eft- là , comme
l'obferve l'Auteur du Difcours déjà cité
qu'offrant le côté plaifant des plus grands
objets , & le côté moral des plus petits , il
fubftitue à l'intérêt d'une intrigue ,
mouvemens d'une grande paffion le
tableau bizarre de nos inconféquences , &
Les traits fatyriques d'un efprit plein de fens
& de gaîté , c'eft- là que , par une affociation ,
nouvells , il a fu faire marcher enſemble
le génie de l'Hiftoire , celui de la Comédie
celui de la Satyre , celui de la Philofophie
morale , & quelquefois le merveilleux des
Orientaux , qui devient philofophique par
les grandes leçons qu'il en tire , & qui étonne
& amufe par le charme que tout merveilleux
a fur notre imagination .
>
aux
DEFRANCE. 81
"
ICC
Avec d'aufli puiffans moyens , quel empire
Voltaire ne dût -t'il pas exercer fur fon
fécle : C'eft fous ce point de vue que M. de
la Harpe le confidère dans la feconde Partie
de fon Éloge. Il reproduifoit fous toutes
les formes ces maximes d'indulgence fraternelle
& réciproque , devenues le code des
honnêtes gens , ces anathêmes lancés contre
l'espèce de tyrannie qui veut tourmenter les
ames & affujétir les opinions , ce mépris
mêlé d'horreur pour la baffe hypocrifie qui
fe fait un mérite & un revenu de la délation
& de la calomnie. Le perfécuteur fut livré
à l'opprobre , & l'enthoufiafte à la rifée. La
méchanceté puiffante craignit une plume
qui écrivox pour le monde entier , & qui
fixoit l'opinion ; & alors s'établit une nou
velle Magiftráture , dont le Tribunal étoit à
Fernay , & dont les oracles , rendus en profe
éloquente &ien vers charmans , fe faifoient
entendre au-delà des mers , dans les Capi
tales , dans les Cours , dans les Tribunaux &
Mans les Confeils des Rois. Le pouvoir ini
que , ou prévenu , ou oppreffeur , qui effayoit
d'échapper à cette juridiction fuprê
me, fe trouvoit de toutes parts heurté , inveſti
par cette force qu'exerce la fociété chez un
peuple aù elle eft le premier befoin. Parq
tout on rencontroit Voltaire; par- tout : on
entendoit la voix ; & il n'y avoit perfonne
qui ne dût craindre d'être infcrit fur ces
tables de juftice & de vengeance , où la main
du génie gravoit pour l'immortalité. »
Dy
82 MERCURE
T
Retiré dans une foliende au pied des Alpes ,
ce vieillard octogénaire étoit devenu l'objet
de tous les regards , d'oracle: destames fenst
fibles & raisonnables , l'appui des innocensi
opprimés. " C'est là que vous vintes cou→
verts des haillons de lindigence & baignési
des larmes du défefpoir , déplorables enfans
de: Calas , & toi , imalheureux Sirven , victimes
d un fanatifme atrode , & d'une jurif
prudence barbare ! c'eft- là que vous vintes
embraffer fes genoux , hui raconter vos dér
faftres , & implorer fes fecours & fa pitié
Hélas ! & qui vous amenoit dans la folitude
champêtre d'un Philofophe chargé d'années 2
On ne vous avoit point dit que ce fût un
homme puiffant par fes places ou par fes
titres. Vous ne vites autour de lui aucunes
de ces marques impofantes des fonctions
publiques , qui annoncent un foutien & une
fauvegarde à quiconque fuit l'oppreflion ;
& vous êtes à fes pieds & vous venez l'in→
voquer comme un Dieu tutélaire ! ... Vous
avez penfez que , fait pour éclairer les hom ?
mes , il l'étoit aufli pour les fecourir ....
Jouiffez déjà des pleurs qu'il mêle à ceux
que vous verfez. Reçus dans fes bras , dans
fon fein , vous êtes déformais facrés , & la
perfécution ' va s'éloigner de vous. Ah !ice
moment lui eft plus doux &oplus cher que
celui où il voyoit triompher Zaire & Mé→
rope, & l'agrandit davantage à nos yeux
Oui , shil eft beau de voir le génie donnant
aux hommes raffemblés de puiffantes émo
•
DE FRANCE. &3
tions , oh ! qu'il paroît encore plus augufte ,
quand il s'attendrit lui-même fur le malheur
, & qu'il jure de venger l'innocence ! »
Après avoir confidéré Voltaire comme
Foracle & le bienfaiteur de fon fiécle , les
Panégyrifte jette un coup- d'oeil rapide fur
les perfécutions & les tracafferies continuelles
qu'il eut à effuyer dans fa Patrie..
Affailli par une multitude innombrable der
libelles , exilé pour la charmante Pièce du
Mondain , obligé de s'expatrier lui-même
pour finir & publier le fiècle de Louis XIV ,
il s'efforce en vain d'appaifer fes ennemis
par des chef- d'oeuvres ; Zaïre eſt déchirée
dans vingt brochures , Orefte & Nanine font
accueillies avec dédain ; par leurs intrigues
Sémiramis tombe , & les repréſentations de
Mahomet font arrêtées. On s'efforce de l'humilier
en prodiguant à un fimple Poëte lyri--
que le nom de grand ; on le met en parallèle
avec Piron , à qui l'on accorde les honneurs
du génie, pour ne laiffer à fon rival que ceux
d'un bel- efprit , on lui cherche en tous lieux:
des rivaux ou des maîtres qui puiffent l'ar--
rêter au milieu de fa courfe. « Alors vivoit :
à Paris , dans une obfcurité volontaire, dans :
une oifiveté que l'on pouvoit reprocher à
fes goûts , & dans une indigence qu'on
pouvoit reprocher à fa patrie , un homme:
d'un génie brut & de moeurs agreftes , qui',,
après s'être fait , quoiqu'un peu tard , une
réputation acquife par plus d'un fuccès , depuis
trente ans s'étoit laiffé oublier , en
D vjj
84
MERCURE
oubliant fon talent. Cet homme étoit
Crébillan , Écrivain mâle & tragique , qui ,
avec plus de verve que de goût , un ftyle
énergique & dur , des beautés fortes & une
foule de défauts , avoit pourtant eu la gloire
de remplir l'intervalle entre la mort de
Racine & la naiffance de Voltaire. Mais ce
feu fombre & dévorant dont il avoit, pour
ainsi dire , noirci fes premières compofitions
, n'avoit depuis jeté de loin en loin
que de pâles étincelles , & paroiffoit même
entièrement confumé , femblable à ces volcans
éteints , qui , après quelques exploſions
fubites & terribles , fe font refroidis & refermés
, & fur lefquels le voyageur paſſe , en
demandant où ils étoient. »
C'est ce vieillard oublié qu'on ramène
tout-à- coup fur la fcène , & qu'on peint ,
dans mille brochures , comme le Dieu de
la Tragédie , & l'unique héritier du génie de
Racine & de Corneille. On l'oppose à
Voltaire qui n'avoit , difoit - on , qu'une
réputation ufurpée par l'intrigue & les car
bales. Crébillon fait jouer fon Catilina ,
Voltaire fa Sémiramis ; le drame barbare
de l'un eft applaudi avec des tranfports
infenfes , l'autre n'obtient que des outrages.
:
On a fouvent blâmé ce grand homme
d'avoir pourfuivi avec trop d'ardeur ceux
qui s'acharnoient contre fa perfonne ou fes
Ouvrages ; mais on oublie à quels excès fes
ennemis osèrent porter la licence ; on ne
DE FRANCE.
veut point le fouvenir que pendant la moitié
de fa carrière il a toléré les Critiques , fans
en réfuter aucune ; ce n'eft qu'après quarante
ans de perfécutions qu'il le détermine
à punir enfin des agreffeurs trop long- temps
couverts du mafque de l'hypocrifie. Un
homme doué d'une fenfibilité fi vive
pour
les maux de fes femblables , pouvoit- il être
infenfible aux traits qu'on lui lançoit de
toutes parts ? Plaignons - le, non d'avoir humilié
la fottife infolente & l'ignorance préfomptueufe
, non d'avoir fait une juftice éclatante
des fanatiques, des calomniateurs & des
fourbes , mais de ce qu'il n'a pu en exterminer
toute la race ; & difons avec fon
éloquent Panégyrifte , « que fi Voltaire a été
égaré par un fentiment trop vif des maux
qu'a faits à l'humanité l'abus d'une religion
qui doit la protéger,.. s'il n'a pas affez refpecté
le trône facré qui raffemble tant de
nations fous fon ombre immenfe , il faut
laiffer à l'Arbitre Suprême , à celui qui feul
lit dans les confciences , à juger fes intentions
& fes erreurs , fes fautes & fes excufes,
les torts qu'il cut , & le bien qu'il fit .
Voltaire fut du moins un des plus conftans
adorateurs de la Divinité.
Si Dieu n'exiftoit pas , il faudroit l'inventer.
Ce beau vers fut une des penfées de fa
vieilleffe , & c'eft le vers d'un Philofophe.
Quand on ira vifiter le féjour qu'il a longtemps
embelli & vivifié , on lira fon nom
MERCURE
"
25
4
fur le frontifpice d'un temple élevé par fon
ordre & fous les yeux , au Dieu qu'il avoit
chanté. Ses vallaux qui l'ont perdu , leurs
énfans , héritiers de les bienfaits , diront au
voyageur qui fe fera détourné pour voir
Fernay : « Voilà les maifons qu'il a bâties ,
les retraites qu'il a données aux arts utiles ,
les terres qu'il a rendues à la culture &
dérobées à l'avidité des exacteurs. Cette:
ir colonie nombreufe & floriffante eft néefous
fes aufpices , & a remplacé un défert.
Voilà les bois , les avenues , les fentiers
où nous l'avons vu tant de fois..
C'eft ici que s'arrêta le charriot qui por--
toit la famille défolée de Calas. C'eft- là:
que tous ces infortunés l'environnèrent
» en embraffant fes genoux. Regardez cet
arbré confacré par la reconnoiffance , &:
que le fer n'abattra point ; c'eft celui.
fous lequel il étoit affis , quand des La-
» Boureurs ruinés vinrent implorer fes fecours
, qu'il leur accorda en pleurant , &
qui leur rendirent la vie. Cet autre en-
» droit eft celui où nous le vîmes pour la
dernière fois ... » Et à ce récit , le
voyageur qui aura verfé des larmes en lifant
Zaïre , en donnera peut-être de plus douces
à la mémoire des bienfaits. "
Tel eft l'hommage vrai , noble & touchant
que M. de la Harpe à fu rendre aux
mânes du Philofophe de Fernay. Au lieu de
chercher les taches qu'on pourroit décou
vrir dans cer Éloge , & dont aucun Ouvrage
DE FRANCE. 87
n'eft exempt , au lieu même de nous étendre
en éloges fur un grand nombre de morceaux
que nous n'avons pu citer , nous allons
tranfcrire un fragment de lettre écrite à ce
fujet, par un homme qui réunit le goût & les.
talens littéraires à la diftinction que donnent
la naiffance & les dignités.
ob a
EXTRAIT d'une Lettre de M. de
"
, י י מ , !ל
**
J
Ce Difcours paroît avoir réuni tous les fuffrages
fi l'on excepte , comme de raifon , ceux qui font
par métier & par fyfteme les ennemis de Voltaire
& de fon Panégyrifte , & dont l'avis eft connu
d'avance , parce qu'ils ne peuvent jamais en cbanger.
Mais quoi qu'ils puiffent dire , il eſt bien
beau , bien honorable à l'Auteur de s'être furpaflé
lui- même, après des Ouvrages tels que l'Eloge de Fénélon,
celui de Catinat, celui de Racine, celui de La Fontaine,
qui font mis par tous les bons juges au rang des
chef- d'oeuvres de notre langue. On peut dire , après
féloge de Voltaire , ce que M. de la Harpe luimêine
difoit , en parlant de l'Eloge de Marc- Aurèle
par M. Thomas : ce n'eft pas-là du génie &de l'éloquence
, il n'y en eut jamais. En effet , ce Difcours
réunit tout ; le mérite d'avoir. rempli un fujet G
vafte , & d'avoir rajeuni ce qui fembloit fi ufé , le
mérite du plus bel enfemble , devenu bien rare aujourd'hui
que nous n'avons plus que des morceaux ;;
une marche claire , foutenue & attachante , ou
vrage de l'Art , mais où l'Art eſt toujours caché ; la :
flexibilité d'un ftyle qui a tous les tons & tous les mouvemens,
ingénieux & fin dans la difcuffion, toujours
noble & oratoire , & s'élevant quand il le fautau
pathétique & au fublime ; une foule d'idées ou
de philofophie , ou de morale , ou de goûr ; enfin,
88 MERCURE !
une diction fi pure , fi animée &, fi intéreffante
qu'il eft impoffible de ne pas achever l'ouvrage,
quand on l'a commencé , & de n'avoir pas envie,
de le relire quand on l'a fini.
瀑
!
Je ne peux pas non plus me refufer à une réflexion
que bien d'autres feront comme moi :
c'eft pourtant-là cet Écrivain en butte à tant d'injuftices
& de calomnies , conftamment pourſuivil
par des ennemis nombreux & acharnés , qui annonçoient
publiquement le projet de décourager du
moins un talent qu'on n'efpéroit pas d'anéantir !
ils accufoient de fécheresse & de froideur , l'Auteur
de Mélanie & de l'Eloge de Fénélon : ces deux
Ouvrages font peut-être ceux où il y a le plus
de ce charme de ftyle qui rappelle les beaux
jours de Louis XIV. I eft temps enfin d'être
jufte , & je me féliciterai d'en donner l'exemple
Plus un homme d'un véritable talent a été pèrfécuté
, plus il devient intéreffant pour les ames honnêtes.
Et quel plus noble ufage de ce talent que les
Mules rivales & l'Eloge de Voltaire ? Quel Écrivain
donne plus d'efpérances à notre Littérature ,
& mérite plus d'être encouragé? On ne fait ce qui
doit étonner le plus , ou de l'injuftice avec laquelle
on a traité un écrivain fi diftingué , ou du courage
qu'il a eu 'de pourfuivre avec éclar fa carrière au
milieu de tant d'obſtacles .
DE FRANCE. 89
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a retiré l'Acte de Philémon & Baucis ,
& on y a fubftitué la Cour d'Amour , ou les
Troubadours , Acte de l'Union de l'Amour
& des Arts.
Aglaé , Préfidente de la Cour d'Amour,
n'a point encore fait l'aveu de la tendreffe
que Floridan lui a infpirée. Le Berger a fu
mettre dans fes intérêts Céphife , amie de
fon amante , fous le nom de Mifis : le vifage
couvert d'un mafque , il fe préfente au
tribunal d'Aglaé , & la prie de prononcer
fur un fait d'amour. Il fe plaint d'une Bergère
infenfible qui refuſe de répondre à fa
flamme. La Préfidente juge en fa faveur ; il
fe démafque , apprend à Aglaé qu'elle vient
de fe juger elle-même. Émue, attendrie, convaincue
de la fidélité de fon amant , elle
avoue fa défaite , & cède à fon vainqueur.
L'hiftoire des Tribunaux bizarres , connus,
fous le nom de Cours d'Amour , pouvoit
offrir à l'Auteur de cet Acte des détails & des,
acceffoires qu'il a eu tort de négliger. Le
fujet eft plutôt apperçu que traité. La Scène
entre Floridan & Aglaé manque des développemens
néceffaires à fon intelligence , &
qui font indifpenfables même à l'Opéra. Le
MERCURE
moyen qu'emploie Floridan pour tromper
Aglaé eft fufceptible de reproches , relativement
au Théâtre fur lequel l'Ouvrage eft
repréfenté ; car , en fuppofant que le demimafque
dont le Berger a couvert fon vifage
fuffife pour le rendre méconnoiffable aux
yeux de fa maîtreffe , il lui eft impoffible de
déguifer fa voix , & fa voix trahit le myrère.
L'Auteur a tâché de prévenir cette obfervation
, en faisant dire tout bas par
Aglaé;
Qu'entends-je ! quels accens ! ciel ! fachons - nous
contraindre.
Mais alors , que devient l'intérêt de la Scène ?
Par quel objet la curiofité peut- elle être
fourenue? Le Spectateur n'a plus d'incertitude
, il prévoit le dénouement ; & Aglaé ,
qui a prononcé contre elle avec connoiffance
de caufe , ne peut plus éprouver de
trouble ni de furprife , au moment où Floridan
lui dit , vous vous jugez vous- même.
Depuis la première repréfentation de
Union de l'Ainour & des Arts , le fyftême
de notre Théâtre lyrique eft abfolument
changé. On y veut plus de vérité , plus d'illufion
qu'autrefois . On exige des Auteurs
qu'ils fachent régler les écarts de leur imagination,
& que les fituations qu'ils employent,
foient au naturellement amenées & expofées
que le peuvent permettre les conventions
de l'art. Il n'eft pas douteux que ce
ouveau. fyftême n'excite les plaintes & les
DE FRANCE.
rumeurs de quelques efprits indociles , qui
fe croient les confervateurs du bon genre ,
parce qu'ils font religieufement attachés à
de vieilles erreurs ; mais on aura toujours à
leur répondre par l'exemple des grands
Maitres de notre Littérature , qui ont ſu ſe
faire un nom immortel , & mériter d'être
placés au rang des Génies créateurs , fans
s'écarter des bornes qui ont été pofées par
le goût & par la raifon.
Nous parlerons dans le prochain Numéro
de la remife de Caftor & Pollux.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE
JE SAMEDI 29 Avril , on a donné la pre
mière repréſentation de la repriſe de la Veuve
du Malabar , Tragédie en cinq Actes , par
M. le Mière.
Cette Tragédie , jouée pour la première
fois le 30 Juillet 1770 , n'avoit eu qu'un
fuccès médiocre. M. le Mière y a fait des
changemens confidérables. Nous donnons ici
une analyfe fuccincte de cet Ouvrage.
Le chefdes Bramines veut hâter le facrifice
auquel une veuve doit fe dévouer après
la mort de fon époux , fuivant le barbare
ufage du pays. Un Bramine nouvellement
mitié , et chargé de l'affermir dans la réfos
lution qu'elle a prife , & de la conduire au
bûcher qui doit la confumer. Tout indigné
qu'il eft de cette coutume atroce , le jeune
initié acceptéee fatal miniftere , dans le
MERCUREA
deffein de fouftraire à la mort cette malheureuſe
victime du fanatifme & de la fuperftition.
Quelle eft fa furpriſe , quel eft
fon effroi , quand il retrouve une foeur dans
cette infortunée ! Sa terreur redouble encore
quand il apprend de fa bouche qu'ayant
époufé par foumiffion le mari qu'elle vient
de perdre , ayant renoncé pour jamais à l'efpérance
de revoir un François dont elle étoit
adorée , elle eft réfolue à mourir. Cependant
la ville eft affiégée par des troupes
Françoifes. On demande à leur Général une,
trêve de douze heures , elle eft accordée. Ce
temps eft destiné à la confommation du facrifice.
Montalban (c'eft Te nom du Géné
ral François ) en eft inftruit , & prenda fans
la connoître encore , le plus grand intérêt.
au fort de la victime. Il fe propofe de l'arracher
à fon cruel deftin. On peut juger
s'il s'affermit dans fon projet , quand il apprend
que la femme pour laquelle il veut
s'armer eft une maîtreffe adorée , & dont le
fouvenir vit encore dans fon ame. Au mo
ment même où le farouche Bramine fait
allumer le bûcher , où toute entière à fon
défefpoir , l'infortunée s'y précipite , Mona
talbán , fuivi de fes foldats , s'introduit dans
la ville par un fouterrein qu'il a découvert ,
arrache fa maîtreffe aux flammes abolit
comme, vainqueur , l'abominable ufage qui
privoit l'État de tant de mères & de citoyennes
, & pardonne aux malheureux que
la fanatifine avoit rendus barbares.
*
DE FRANCE.
93
Les deux premiers Actes de cette Tragé
die font froids ; le troisième eft plein de
beautés du premier ordre ; le quatrième eft
un peu languiffant , & la catastrophe eft
énergique. Le ftyle eft celui de M. le Mière ,
c'eft- à- dire , tour-à-tour nerveux , fier , dur ,
barbare , négligé. Au refte , cet Ouvrage ne
peut que lui faire honneur , malgré les défauts
qu'on y remarque : il eft infpiré par
l'humanité. On y trouve des penfees fortes ,
d'autres un peu hafardées , de la douceur &
de la fenfibilité. Le caractère de Montalban
a généralement produit la plus grande fenfation
. M, la Rive l'a très- bien conçu ; &
nous croyons que ce qu'il y a déployé de
talens & de nouveaux moyens d'ame &
d'intelligence , doit le rendre cher au Public
éclairé,
COMÉDIE ITALIENNE,
LE Mardi 2 Mai , Mde Perceval a débuté
par le rôle de Marton dans les Fauffes Confidences
, & le Vendredis , par celui de
Lifette , du Jeu de l'Amour & du Hafard
Une fort belle figure , une taille qui a de
la majefté ; un organe rond , mais plus
ferme que flexible ; de l'intelligence , de
l'ufage , de l'efprit , de la décence , & même
de la difpofition à la nobleffe; telles font
les qualités que nous avons apperçues dans
Mde Perceval : elles font précicules , mais
94 IM ER CURE !
conviennent - elles toutes à l'emploi des
foubrettes , qui exige un jeu rapide de phifionomie
, de la légèreté , de la foupleffe,
en débit vif & animé ? Nous ne le croyons
pas. Eft- il poffible à l'Actrice dont nous
parlons , de parvenir à forcer fa nature au
point de lui prêter les nuances de jeu qui
paroiffent incompatibles avec fa conftitu
tion ? Nous n'ofons prononcer fur cette
queſtion , mais nous en pouvons doutet.
Au furplus , le rems fera voir finothe
doute eft ou n'eſt pas fondé.
Le Mercredi , on a donné la première
Repréfentation d'à Trompeur , Trompeur &
demi , ou les Torts du Sentiment , Comédie-
Proverbe én un Acte , mêlée d'Ariettes ;
Mufique de M. Defaides.
.. Comme l'Auteur du Poëme s'occupe de
corrections & de changemens qu'il a jugés
néceffaires , nous attendrons , pour en rendre
compte , que la Pièce ait été remife fous
le titre du Retour du Sentiment , qu'on a
cru devoir fubftituer au premier.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
MONDE
ONDE Primitif, analyfé & comparé avec le
Monde Moderne , confidéré dans les origines Latines
, ou Dictionnaire Etymologique de la Langue
Latine , avec une Carte & des Planches , par M.
Court de Gebelin. Seconde Partie - in-4°. A-Paris ,
DE FRANCE. 95
chez l'Auteur , rue Poupée ; & chez Valleyre.l'aîné,
Sorin & Saugrin , Libraires.
Les Ouvrages fuivans fe trouvent chez Nyon
T'aîné , rue du Jardinet , quartier S. André- des - Arts.
1. Hiftoire des Colonies Européennes dans l'Amérique
, traduite de l'Anglois de M. William Burck.
2 vol. in- 12 . Prix , 5 liv . reliés. 2 ° . Le Lutrin , en
Latin & en François , avec Fig. 1 Vol. in-8°. Prix ,
2 liv . 8 fols. 3 ° . Recueil d'Ouvrages fur l'Économie
politique & rurale , traduit de l'Anglois par M. de
Fréville. 2 vol . in- 8 ° . Prix reliés , ro liv. 4º . Mélanges
Hiftoriques , Politiques & Critiques , ou Précis
des événemens les plus intéreffans de l'Hiftoire ancienne
& moderne , & principalement de l'Hiftoire de
France , depuis le règne de Louis XVjufqu'en 1766 ,
par M. Ducrot. 2 vol. in - 8 ° . Prix , 6 liv. reliés .
5. Hiftoire du Cardinal de Polignac. 2 vol. in-12.
Prix , 6 liv. reliés. 6 ° . Abrégé de l'Hiftoire de la
Milice Françoife du P. Daniel , avec un Précis de
fon état actuel. 2 vol. in- 12 . avec Fig. Prix , 6 liv.
reliés 7°. Réflexions Critiques & Patriotiques.
Troisième Édition. 1 vol. in- 12. Prix , 2 liv. 10 f.
8°. Traité des Vernis . in- 12 . Prix , 1 liv. 10 fols.
9°. Fables extraites d'Ovide , traduites en François
avec le Latin à côté , & des notes fur chaque Fable ,
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M. de Kervillars. in - 12 . Prix , 30 fols.
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bords de la Vienne , in- 12. Prix , 2 liv. A Paris ,
chez Baſtien , Librairë , rue du Petit-Lion.
Penfées du Pape Clément XIV , extraites de fes
Lettres. Vol. in- 12 . Prix , 2 liv . A Paris , chez
'Lottin le jeune , Libraire , rue S. Jacques.
Porte- Feuille du Phyficicn , ou Recueil inftructif
des actions & des moeurs des animaux , par M. de la
96 MERCURE
Croix. 2 Parties in- 12 . Prix , 3 liv. A Paris , chez le
Jay, Libraire , rue S Jacques.
De l'état & du fort des Colonies & des anciens
peuples. Vol. in - 8 ° . Prix , 3 liv . A Paris , chez
Debure l'aîné , quai des Auguſtins.
Shakespear , traduit de l'Anglois par M. le Tourneur.
Tomes 7 & 8. A Paris , chez Mérigot , Libraire
, quai des Auguſtins.
Penfées fur plufieurs points importans de Littérature
, de Politique & de Religion , recueillies de
l'Hiftoire Ancien ie & du Traité des Études de M.
Rollin , par M. l'Abbé Lucet . Vol. in- 12 . A Paris ,
chez les Frères Etienne , Libraires , rue S. Jacques.
N. B. En annonçant la Traduction nouvelle de
Bocace , in- 8 °. & in- 12 . , avec cent onze Estampes ,
on a omís de prévenir le Public que la reliure fe paye
féparément.
TABLE.
CONSEIL aux Amans quit- Éloge de Voltaire
tés,
64
49 Académie Roy. de Mufiq. 8
Chanfon Provençale , 51 Comedie Françoise ,
L'Héritier Malheureux, Anec- Comédie Italienne 39
dote ,
57
Enigme & Logogryphe , 66 |
Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
91
93
94
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 13 Mại. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 12 Mai 1780. DE SANCY.
Jer . 135..
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A MA PREMIÈRE MAITRESSE.
OURQUOI m'appelez-vous infidèle , volage ?
Nous ne pouvions nous aimer bien long-tems.
Vous avez plus de quarante ans ,
Moi , je n'ai pas encor la moitié de votre âge.
Je promis autrefois de ne changer jamais ;
ous jurâtes auffi d'être toujours la même.
*Yous laiſſez par le temps moiffonner vos attraits ,
Et vous voulez que je vous aime ?
Je ne vois plus en vous la belle que j'aimois, ..
Quelle métamorphofe étrange !
Vos yeux mornes n'ont plus ce feu que j'admirois...
Donc c'est vous qui changez , ce n'eſt pas moi qui
change.
† Par M. D... Avocat au Parlement de Rennes. )
Sam. 20 Mai 1780.
E
98
MERCURE
A Mademoiſelle DEVARDON , fur fon
Ode de la Parfaite Indifférence , imitée de
Métaftafe.
To1 , qui de Cupidon mépriſes la puiſſance ,
Es-tu bien sûre , Églé , d'avoir brifé les fers ?
Hier , je t'écoutois prôner l'Indifférence ;
Mais l'Amour ,
dans tes yeux , ſe moquoit de tes vers.
( Par M. M...)
Réponse de Mademoiſelle DEV ARDon.
JAMAIS la froide Indifférence
Ne conduifit au vrai bonheur.
Si dans mes vers elle a la préférence ,
L'Enfant aîlé l'emporte dans mon coeur.
A Madame D E...... de Genève.
Vousdemandez un impromptu
Pour ces yeux , ces traits , ce ſourire ,
Pour les grâces de la Vertu.
C'eft trop de chofes à décrire ,
Et je renonce à l'impromptu.
( Par M. de V...)
LAULTONENG
DE FRANCE. 99
LA TOURTERELLE ET LE PINÇONS
Fable.
Sous un de ces rians berceaux ,
Ouvrage heureus de la Nature ,
Un ſoir d'été , fur la verdure
Babilloient de jeunes oiſeaux .
Une charmante Tourterelle
Ymêloit fes plaintifs accens.
Hélas ! pourquoi , leur diſoit- elle ,
Avec des dehors fi touchans ,
Mon Tourtereau n'eſt- il qu'un traître ?
J'aimois , j'étois aimée , au moins je croyois l'être ;
L'inconftant m'a quittée : un trifte fouvenir
Eft tout ce qu'en partant le perfide me laiſſe ;
Mes pleurs feront - ils plus que n'a fait ma tendreſſe ?
Il a fui fans retour , je n'ai plus qu'à mourir.
Un Pinçon au brillant plumage ,
Au babil importun , reprit d'un ton railleur :
Se plaindre d'un amant volage ,
C'eſt dire en un autre langage
Qu'on a perdu plus que fon coeur.
Retenez bien cette leçon , ma belle :
D'un jeune amant quand on comble les voeux ,
On croit avoir fait un heureux ,
Et l'on n'a fait fouvent qu'un infidèle .
(Par Mlle Julie de Ruperi. )
E ij
100 MERCURE
OBSERVATIONS fur les degrés de certitude
des Connoiffances humaines.
JAMAIS on ne fit de plus nobles efforts pour
découvrir la vérité. De toutes parts on cherche
à lever le voile fous lequel la nature a
voulu nous la cacher, Les fiècles derniers
furent donnés à la Littérature. Celui- ci eft
confacré plus fpécialement à la recherche
du vrai ; on a abandonné l'efprit de fyftême ;
on veut des faits ; on en fait des collections
immenſes ; on multiplie les méthodes ... Si
on n'a pas fait tous les progrès qu'on devoit
attendre , c'eft , je crois , qu'on ne s'eſt pas
affez attaché à remonter aux premiers principes
de nos connoiffances. On ne fait pas
encore bien clairement l'idée que l'on doit
attacher au mot évidence. L'un la trouve
où l'autre ne voit que probabilité . Que disje
? Souvent ce qui eft évident pour celui-ci ,
eft abfurde pour celui - là .
Convaincu que l'évidence doit être une ,
j'ai recherché d'où pouvoient venir ces contradictions
, & j'ai vu qu'on n'avoit point
encore d'idées de ce qu'on doit appeler certitude.
J'ai tâché d'aller à la fource de nos
connoiffances , & de fixer les différens degrés
de certitude que nous pouvons avoir.
Quand je fens , je fens ; il ne fe peut que
je ne fente pas . C'eft une vérité inconteftable,
que jamais perfonne n'a niée ; c'eft un
DE FRANCE ΙΟΥ
degré de certitude au maximum. Je fens du
blanc , je fens du noir , je flaire des odeurs
agréables , je goûte des faveurs délicieuſes ,
j'entends des fons mélodieux... Ce font autant
de fentimens , qui ont toute la certitude
poffible pour moi. Quand je les fens , il ne
fe peut que je ne les fente pas.
: Ce font ces fentimens que j'appelle idées
premières , & il n'y a d'autres idées premières
que celles que j'acquiers ainfi. Tout le monde
convient de leur exiſtence.
Non - feulement je fens , mais je fais que
je fens. Je fens que j'écris fur ce papier ,
que les traits que ma plume y trace font
d'une couleur toute différente que celle de
ce papier. C'est ce que j'appelle juger. Ce
jugement eft pour moi auffi certain que le
fentiment premier. Je fuis tout auffi sûr que
je fens la couleur noire différente de la couleur
blanche , que je fuis sûr que je fens du
blanc , que je fens du noir. Ainfi , tous les
jugemens de cet ordre ont toute la certitude
poffible. Toutes les vérités appuyées fur de
pareils jugemens , auront donc la plus grande
certitude pour moi. C'eft ainſi que j'acquiers
l'idée des rapports de mes différens fentimens
les uns avec les autres. Plufieurs jugemens
réunis forment le raifonnement.
Les vérités de cet ordre font en très-grand
nombre. Tous les axiomes dont on fent
l'évidence , mais qu'on ne fauroit démontrer,
font dans cette claffe. Je fens qu'une ligne
droite eft plus courte qu'une courbe , partant
E iij
102 MERCURE
l'une & l'autre de deux mêmes points que
deux droites fe coupant , forment des angles
oppofés au fommet parfaitement égaux ;
que deux droites ou courbes femblables ,
comprifes entre deux parallèles & également
inclinées , font proportionnelles ; que la
figure inferite eft plus petite que la circonfcrite...
Je conclus en général pour toutes
ces vérités , qui ne fe prouvent que par lefen--
timent , parce que le fujet & l'attribut font
fynonymes , & qu'elles fe réduifent à dire ,
deux lignes égales font égales , une ligne plus
longue eft réellement plus longue ; car dire
une figure inferite eft plus petite que la circonfcrite
, c'eft dire ce qui eft plus petit eft
plus petit. Ces vérités fe fentent & ne fe
démontrent pas. On appelle démonſtration
lorfqu'il y a un certain nombre de comparaifons
à faire. Ellesfont également certaines ,
étant fondées fur le fentiment.
Ce que nous venons de dire des combinaifons
de l'étendue , nous pouvons le dire
de toutes les combinaiſons de nos autres
fentimens , des couleurs , des odeurs , des faveurs
, des fons , des tacts , de la faim , de la
foif, des différens degrés de force , de mouvement
, de viteffe , des nombres , des différens
degrés de fenfibilité , & c. Tous ces.
différens fentimens peuvent le combiner , fe
comparer, & donneront des vérités de toute
certitude.
C'est ainsi qu'on peut calculer la fenfibilité
, l'intelligence & tous les autres fentiDE
FRANCE. 103
mens moraux & leurs différens degrés ,
comme on calcule l'étendue & fes différentes .
formes , la forçe , le mouvement & leurs
différens degrés. On pourra donc appliquer
le calcul à la métaphyfique & à la moralę,
comme on a fait à la phyſique.
Toutes les qualités des êtres , telles que
l'étendue , la figure , la mobilité , &c . la fenfibilité,
l'intelligence , l'amour , la haine , &c.
font fufceptibles d'un grand nombre de degrés
d'intensité , dont nous pouvons exprimer
le premier par 1 , & le dernier , le plus intenfe
, par maximum 8. La férie des nombres
naturels 1 , 2 , 3 ... 8 repréſentera
donc les différens degrés d'intensité de chacune
de ces qualités. Le minimum d'intelligence
fera l'être qui aura le moins de connoiffances
poffibles. Le maximum d'intelligence
fera celui qui connoîtra tout ce qu'un
être peut connoître.
Tous les êtres peuvent fe réduire à deux
grandes claffes , les étendus ou matériels , &
les fpirituels ou intelligens . Les êtres étendus
peuvent être plus ou moins étendus ,
plus ou moins denfes , avoir telle ou telle
figure , &c. Ces qualités font fufceptibles
d'un certain nombre de combinaiſons qu'on
peut exprimer par des féries. Elles ne peuà
la vérité , être fommées ; mais exprimons
ces combinaiſons par la férie a , b ,
c, d.... x , ou celle des nombres naturels ,
2,3 ... 8. Cette nouvelle férie donnera
tous les êtres étendus poſſibles .
›
E iv
104 MERCURE
L'être fpirituel peut avoir un nombre
plus ou moins grand d'idées premières , telles
que les fons , les odeurs , les faveurs , les
couleurs & toutes les autres idées que nous
ne connoiffons pas. Il peut les avoir à un
feul degré ou à plufieurs. Il peut en avoir
d'une feule eſpèce , ou de plufieurs , ou de
toutes. Ce qui nous donnera pour l'être fpirituel
un nombre de combinaiſons comme
pour l'être étendu , que nous repréſenterons
également par la férie 1 , 2 , 3 , 4... 8.
Telles font les fameufes féries des êtres.
Nous donnerons également un exemple
de la manière dont on peut appliquer le
calcul à la morale . Soient deux êtres intelligens
A , B , dont l'un ait ico degrés de perfection
& l'autre 10 , je devrai à l'un 100
degrés d'eftime , d'amour , & à l'autre 10 ,
puifque ces fentimens font en raifon des
perfections. Si c'est moi qui ai 10 degrés de
perfection , je me devrai to degrés d'eftime
& 100° à A , appelant cet excès d'eftime
refpect ; le refpect que je devrai à cet être
fera 90 degrés.
Tous les premiers axiomes de métaphyfique
, tels que ceux- ci , le tout eft plus grand
que fa partie , deux êtres femblables à un
troisième , font femblables entre- eux , &c.
font également fondés fur le fentiment , &
ont la même certitude.
L'évidence , cette lumière vive , ne fera
donc que le fentiment. Elle nous entraîne
d'une manière victorieuſe , parce que ſentant ,►
-
DE FRANCE. 105
nous ne pouvons pas ne pas fentir. Mais
comment fe peut - il que fi fouvent on fe
trompe , croyant avoir l'évidence ? Ceci
tient à plufieurs caufes. La première eſt la
difficulté de favoir fentir . Que de chofes
voit le Naturalifte dans un infecte , dans
une plante , dans une pierre , dans un métal ,
que n'apperçoit pas celui qui ignore cette
fcience ! C'eft fur -tout dans de longs raiſonnemens
qu'on fe trompe. Si j'ai , par exemple
, dix fentimens à comparer , dix rapports
à faifir , je manquerai un ou deux de ces
rapports , & dès - lors je crois avoir l'évidence.
C'eft ce qui rend les démonſtrations
mathématiques compliquées fi difficiles à
faifir pour la plupart des efprits. Il faut pour
lors imiter l'infecte , qui remonte par fon
fil pour voir quel eft le chaînon manqué.
Une autre fource d'erreurs très - féconde ,
eft l'inexactitude du langage. La plupart des
difputes giffent fur les mots. On n'y attache
point d'idées fixes , en forte qu'ils font pris
en fens différens . Dès que le vrai fens eft déterminé
par des définitions exactes , on eft
bientôt d'accord.
Mais il eft des vérités d'un autre ordre ,
dont la certitude n'eft plus la même. J'éprouve
un fentiment avec le fentiment de
l'avoir déjà éprouvé : c'eft la mémoire.
Je me fouviens d'avoir été aux Tuileries.
J'y retourne. Je les vois telles que la mémoire
me l'avoit dit. Elle ne m'a donc pas
trompé. Je vérifie ainfi la mémoire par
Ev
106 MERCURE
mille épreuves , & je vois que fouvent elle
ne me trompe pas , d'autres fois elle me
trompe. Tout ce qui m'eft affuré par la mémoire
, n'aura donc que differens degrés
de probabilité , dont le plus intenſe fera
exprimé par 81, & le moindre par 1 ,
& on pourra former des féries de ces degrés
de probabilités exprimées , par celle des
nombres naturels 1 , 2 , 3 ... 8 — 1 .
La mémoire me dit que j'ai été aux
Tuileries . J'y vais , je le vois. Elle me dit
que cette plume a jadis écrit ; j'en conclus
qu'elle peut encore écrire. C'eft ce que
j'appelle analogie. L'analogie eft donc un
raifonnement par lequel je conclus de ce
qui a été ou eft , à ce qui fera ou à ce qui
a été. Ce raifonnement n'eft appuyé que fur
les probabilités , car fouvent l'analogie
trompe. On pourra également exprimer ces
différens degrés de probabilité par la férie
des nombres naturels , depuis 8 I jufqu'à
1 ; mais l'analogie n'eft fondée que fur
la mémoire , qui elle- même n'eft que probable.
Son plus haut degré de probabilité
fera donc 8-2.
-
J'ai encore un troisième motif de crédibilité.
L'analogie me dit que les autres hommes
font affectés comme moi. Effectivement
je les vois agir comme moi dans les
mêmes circonftances. Je leur dis ce dont j'ai
été affecté , ils m'en difent autant. J'ai vérifié
par mille expériences qu'affez fouvent
ils me difent la vérité, quoique très-ſouvent
DE FRANCE. 107
ils me trompent. Leur témoig ge ne fera
donc également que dans la claffe des probabilités
, donc on pourra auffi exprimer les
différens degrés par la férie des nombres
naturels ; mais il n'eft appuyé que fur l'analogie
, dont le plus haut degré eft 8-2.
Ainfi , la plus grande probabilité du témoignage
des hommes fera 8 — 3 , & la moindre
fera 1.
par
Toutes les connoiffances que nous pou̸-
vons avoir font fondées fur un de ces quatre
motifs de crédibilité. Ou ce font des fentimens
que nous éprouvons , & elles ont toute
la certitude poffible ; ou elles font rappelées
la mémoire , & leur plus grande probabi
lité égalera 8 1; ou elles feront fondées
fur l'analogie , & leur plus grand degré de
probabilité fera 82 ; ou elles feront
appuyées fur le témoignage des hommes , &
83 donnera leur plus haut motif de
crédibilité.
Apportons un exemple : je fuis sûr de
l'existence du foleil quand je le vois ; je fais
par la mémoire qu'il fe lève toutes les 24
heures ; l'analogie me dit qu'il fe levera encore
demain , & le témoignage des hommes,
m'allure que depuis des fiècles il parcourt la
même période.
Tels font les différens motifs de crédibilité
que nous avons. Toutes nos connoiffancès
portent fur un des quatre , quelquefois
fur plufieurs en même- temps.
E vj
108 MERCURE
On pourroit donc conftruire de la manière
fuivante des Tables des différens degrés de
certitude des Connoiffances Humaines.
Connoiffances
fondées fur les
fentimens pré- pelées par
la mémoi fens.
Conneif Connoif- Connoiffances
rap fances fondées
fur
l'Analogie
fances fondées
fur le
témoigna
re.
ge des
Hommes.
xxxxxx
P
pppppp
4
TABLE des motifs de crédibilité des Connoiffances
Sentimens
humaines.
préfens. Mémoire. Analogic.
Témoignages
des hommes.
Certitude Qu'il a
éclairé hier
-I + 8-2
que je vois
Le Soleil
quand je
le regarde
p
Qu'il
éclairera
demain .
-2 · 3
Que le
feu brûle.
812
Qu'il a éclairé
il y a 100 ans .
-
3
Que Louis XIV
a exifté.
8 -
- 3
DE FRANCE.
109
En fixant, comme les Géomètres pratiquent
pour les Sinus , la valeur de 8 à un nombre
quelconque, 10,000,000 par exemple ,
on pourroit peut-être claffer quelques-unes
de nos
Connoiffances , & affigner le degré
de certitude que chacune peut avoir.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Énigme eſt Marge ; celui
du Logogryphe eft Poiſſon , où se trouvent
pois , fon & poiſon.
ÉNIGM E.
POLYGAME ici -bas , là-haut célibataire
Mes attributs & mes goûts font divers
Tantôt je plane dans les airs ,
Et tantôt je gratte la terre.
Je ne me connois point d'égal :
La hardieffe & le courage
Furent toujours mon apanage ;
Et j'ai fouvent triomphé ďun rival.
Malgré cette fierté , qui m'eft fi naturelle ,
Sur un fumier l'on m'apperçoit fouvent ;
Et fans changer de nom , je vois d'où vient le vent,
J'annonce le beau temps , & l'orage , & la grêle.
Autrefois ,
A ma voix ,
110 MERCURE
Un très- grand perfonnage
De pleurs inonda fon viſage ;
Mais aujourd'hui mes chants infructueux
Fatiguent les humains , fur-tout les parcffeux .
( Par Mlle Brifoult l'aînée , à S. Dizier.)
LOGOGRYPHE.
JE n'ai que deux pieds , cher Lecteur ;
Cependant je marche fur quatre.
Jadis un certain Dieu voulut , par ſa faveur ,
Pofer deffus mon chef des armes pour combattre.
Ma forme approche affez de la forme d'un boeuf;
Pourtant je ne fus pas autrefois auffi bête.
En moi tu trouveras la figure d'un oeuf,
Si de mon corps tu détaches la tête .
( Par M. le C. de M. , Colonel d'Infanterie. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE générale de Provence , tome II ,
in-4°. AParis , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire de la Reine , rue des Mathurins.
Prix , 12 liv. en feuilies.
DANS l'extrait que nous avons donné du
tome premier , on a vu ce qui s'eft paffe de
mémorable en Provence , depuis la fondation
de Marſeille jufqu'au règne d'Antonin.
DE FRANCE. I
Le tome fecond va nous préfenter le tableau
de tout ce que l'ambition & la cruauté
peuvent produire dans les fiècles de barbaric.
Placée entre l'Italie & les Gaules , la Provence
devient en proie à tous les partis qui
fe formèrent en- deçà des Alpes , & les
mêmes cauſes qui détruifirent l'Empire Romain
, mettent cette Province fous le joug
des Barbares. En vain les Empereurs Ro
mains s'efforcent de la défendre contre des
ufurpateurs : les Bourguignons & les Vifigots
s'en emparent , la cèdent aux Oftrogots ,
d'où elle paffe aux Francs , fous lefquels les
Normands & les Sarrafins mettent le comble
à la misère publique. Au milieu de ces
événemens , le peuple vexé , avili , dégradé ,
tombe dans un chaos où , à travers les ufages
, les moeurs & les loix des Barbares , on
apperçoit encore l'empreinte de la domination
Komaine. Nous allons fuivre la marche
de l'Auteur.
L'Empereur Conftantin , après avoir heureufement
échappé aux perfides attentats de
Maximilien -Hercule , fon beau-père , vint
'établit fa réfidence à Arles , & ramena par
fa préfence la paix dans cette fertile contrée.
Les prérogatives attachées à cette ville ,
& fon heureufe fituation , la faifoient regarder
comme la plus importante des Gaules.
Bâtie fur la rive gauche du Rhône ,
maîtreffe du pont conftruit fur ce fleuve ,
elle ouvroit un paffage à l'armée Impériale
quand on vouloit aller châtier les Rébelles
112 MERCURE
dans la feconde Aquitaine , attaquer les
Vendales en Efpagne , & fecourir la Nar
bonnoife feconde contre les entrepriſes des
Viligors , après qu'ils fe furent cantonnés fur
les bords de la Garonne.
"
" Ces peuples fortis du fond du Nord ,
» après avoir ravagé l'Italie , vinrent en-deçà
des Alpes , où ils fe rendirent formidables
» par leur courage & la célébrité de leurs
ils n'ai- la exploits . Nés pour guerre ,
moient que
les armes & les chevaux.
Vaillans , hardis , infatigables , ils s'engageoient
volontiers dans une entrepriſe , &
» la foutenoient avec autant de prudence
" que de zèle. »
"
ود
#
On ne peut fe faire une idée des ravages
que ces Barbares commirent dans la Provence
; & ce qui paroîtra plus étonnant
peut-être, c'eſt que malgré la violence de
leurs perfécutions , Euric , un de leurs Rois ,
eut la gloire de voir rechercher fon alliance
par plulieurs Souverains , & de les contenir
tous par
la terreur de fon nom . Mais après
fa mort , les Bourguignons & les Francs
s'étant ligués , vinrent mettre le fiége devant
Arles , traînant par-tout avec eux l'horreur
& l'épouvante. C'en étoit fait de la ville , fi
Théodoric , Roi d'Italie , n'eût accouru
promptement à fon fecours. Battre les ennemis
, les chaffer , reprendre leurs con
quêtes , fut l'ouvrage d'une même campagne.
Alaric II , gendre de Théodoric , ayant
DE FRANCE.
113
perdu la vie dans une bataille contre Clovis,
à Vouglé dans le Poitou , n'avoit laiffé pour
fucceffeur qu'un fils en bas-âge , nommé
Amalarie. Cependant la fituation des affaires
demandoit un Prince qui fût en état de gouverner
par lui-même , & de prévenir les
défordres de l'Anarchie. Théodoric fut déclaré
tuteur de fon petit-fils , le fit reconnoître
pour Roi dans tous les États des
Vifigots , l'envoya en Eſpagne pour y recevoir
une éducation convenable à fon rang ,
& fe réferva la Provence , qu'il gouverna
avec autant de fageife que de douceur.
ور
" Ce Monarque fignala fon avénement à
» la Régence par un trait de générofité bien
capable de lui gagner les coeurs . Il écrivit
» aux habitans d'Arles , qui avoient extrême-
» ment fouffert de la longueur du fiége ,
» qu'un Souverain devant avoir pour objet
principal le foulagement du peuple , il les
déchargeoit d'une partie des impôts , &
» leur envoyoit de l'argent pour fubvenir
» aux befoins des malheureux , & réparer
les murailles de la ville . »
: Théodoric avoit toutes les vertus qui font
un grand Roi , une valeur extraordinaire ,
& une bonté qui n'avoit au - deffus d'elle
qu'une prudence plus rare encore. Il mourut
à Rome l'an 26 , laiffant l'adminiftration
du Royaume entre les mains d'Amalazonthe
, fon époufe , Princeffe bien digne
d'occuper un trône. Il y en a peu dans l'hiftoire
qui méritent de lui être comparées
114 MERCURE
pour la pénétration & la vivacité de l'efprit ,
la folidité du jugement , & la fermeté du
caractère. Avec des qualités fi brillantes , on
ne peut que bien gouverner , quand on y
joint le talent de cacher fes projets , & de
pénétrer ceux des autres , talent qu'Amalazonthe
poffedoit dans un dégré éminent.
Généreufe , affable & modefte , elle faifoit .
les délices de l'Italie. Ses vertus fembloient
devoir lui affurer un règne long & paiſible ;
mais de quoi n'eft pas capable la perfidie ,
quand elle eft foutenue de la puiſſance ?
Amalazonthe fut étranglée dans le bain
ordre de Théodat , fon coufin - germain ,
qu'elle avoit elle- même placé fur le trône.
Ce perfide ne jouit pas long-temps de fon
crime ; il mourut peu de temps après ; &.
Vitigès , fon fucceffeur , craignant une irruption
des Francs en Italie , fit un traité avec
eux , & leur céda la Frovence.
par
Après la mort de Clotaire , elle échut en
partage à Gontran & Sigebert , fes fils , qui
la défolèrent rour -à- tour . La famine & la
pefte furvinrent , & cette fertile contrée ne
fut bientôt plus qu'un vafte défert. A peine
délivrée de ces fléaux de la colère céleste ,
la Provence vit fondre tout - à- coup fur elle
un orage non moins terrible. Les Sarrafins
féduits par Mahomet , animés de fon fanatifme,
pouffes par le même efprit de rapine
& de brigandage qui leur avoit mis les armes
à la main , après avoir ruiné ou foumis
en peu de temps l'Empire des Perfes , pafDE
FRANCE.
115
sèrent d'Afrique en Eſpagne , firent tout
plier fous l'effort de leurs armes , envahirent
le Languedoc , & fe répandirent plufieurs
fois dans le refte des Gaules , tantôt vainqueurs
, tantôt vaincus , jamais domptés.
La Provence fut , de toutes les Provinces
qu'ils attaquèrent , la feule qu'ils ne purent
alors envahir. Ils en furent écartés par la
vigoureuſe réſiſtance des peuples fitués fur
la rive gauche du Rhône ; mais la perfidie
du Gouverneur fut rendre inutiles les efforts
de ces généreux défenfeurs de la Patrie. Les
Sarrafins y commirent toutes fortes d'horreurs.
" Avides de pillage , altérés de fang ,
» ennemis jurés de la Religion & de fes
» Miniftres, ils mettoient le feu aux Églifes ,
détruifoient les Monaftères , violoient les
» Vierges çonfacrées à Dieu , mallacroient
les Moines , pilloient les villes , maltrai→
» toient les hommes , deshonoroient le fexe ,
» & laiffoient par - tout des marques de leur
» brutalité.
"
93
"3
Informé de ces brigandages , Charles-
Martel affemble promptement une armée ,
arrive devant Avignon , forme le fiége de
cette ville , l'emporte d'affaut , la livre au
pillage & aux flammes , & paffe les Sarrafins
au fil de l'épée. De-là pénétrant dans le reſte
de la Provence , il chaffe les Infidèles des
villes dont ils s'étoient emparés , & les force
d'aller chercher un afyle dans les montagnes.
Cependant leur retraite ne fut pas de longue
116 MERCURE
durée ; on les vit revenir fouvent à la char
ge , & l'on eût dit qu'ils ne mettoient entre
leurs courfes fur les mêmes terres , qu'autant
d'intervalle qu'il en falloit pour laiſſer réparer
aux habitans leurs premières pertes ,
afin de trouver un plus riche butin.
Après cette époque , la Provence paſſa
fucceffivement entre les mains de différens
maîtres. Charles- le-Chauve étant mort ,
Bozon , fon beau- frère , réuffit par fes alliances
, fes intrigues , & peut - être plus encore
par la faveur du Pape , à fe faire couronner
Roi de Provence. En habile Politique
, il fignala les commencemens de fon
règne par de grands bienfaits qu'il répandit
fur les Églifes & fur les Monaftères. Louis
& Carloman s'unirent pour lui déclarer la
guerre, & mirent fur pied une armée fórmidable.
Le Pape craignant de s'attirer aufli
leur reffentiment , abandonna les intérêts
de Bozon; & après avoir prodigué , peu de .
jours auparavant , les éloges les plus flatteurs
à ce Prince , il n'eut pas honte de le traiter.
de préfomptueux , de tyran , & de perturbateur
du repos public, L'intrépide Bozon
trouva dans fon expérience des reffources
pour conjurer l'orage. Ses ennemis , malgré
la fupériorité de leurs armes , ne purent jamais
ni le faire enlever , ni l'attirer dans
aucun piége. Par fon adreffe à manier les
efprits , il fut maintenir dans l'obéiffance les
peuples & les foldats , & s'attacher conftamment
les Seigneurs qui s'étoient décla
DE FRANCE. 117
rés pour lui , quoique l'Empereur & les
Rois de France n'euffent oublié ni promeffes
ni menaces pour les détacher de fes intérêts.
Il mourut paifiblement à Vienne , dont il
s'étoit emparé au mois de Décembre 882 ,
& laiffa fes États à fon fils Louis , encore
mineur , fous la régence d'Ermengarde fa
mère. Le règne de ce jeune Prince n'offre
qu'un fpectacle douloureux & attendriffant.
Hugues qui lui fuccéda , rendit à la nation
une forte d'existence politique ; & lorfque
dans la fuite elle eut donné des maîtres à la
Lombardie , on la vit bientôt reprendre ,
pour ainsi dire , une forme nouvelle . Ses
alliances avec les principales Républiques
d'Italie , le commerce qu'elle fit avec elles ,
l'efprit de la Chevalerie qui fuccéda à la
fureur des Croifades , ouvrirent une carrière
aux talens & à l'induftrie. Ces différentes
cauſes contribuèrent enfin à ramener la liberté
, le goût des Lettres , & cette politeffe
qui eft une fuite néceffaire de l'amour des
Beaux-Arts.
Ceux qui liront cette Hiftoire , verront
avec plaifir qu'à la fin de chaque époque
l'Auteur a trouvé le moyen d'inférer quelques
articles nouveaux ,
tels que l'hérédité
de la nobleffe fous le règne des Empereurs
& des Francs , la naiffance & les progrès de
la puiffance temporelle du Clergé , la difpure
fameufe qui s'éleva entre l'Évêque
d'Arles & celui de Vienne , au fujet de la
Primatie , & les différens démembremens de
-118
MERCURE
l'ancienne Narbonnoife , dont le formèrent
de nouvelles Provinces. A ces articles l'Auteur
ajoute encore tout ce qu'il a pu recueillir
de plus intereilant fur ces fameux Troubadours
fi connus & autrefois fi répandus
dans la Provence.
Enfin l'Ouvrage eft terminé par trois Mémoires.
Le premier roule fur l'origine & les
progrès de la langue Provençale ; le fecond
eft une Differtation fur la fucceffion hiftorique
& chronologique des premiers Comtes
de Provence. On y examine de quelle nature
étoient autrefois les fiefs de cette Province ,
& à quelle époque ils ont commencé à devenir
héréditaires. Le troifième traite des
monnoies qui ont eu cours en Provence depuis
la fin du dixième ſiècle juſqu'au milieu
du reizième , où finit la partie hiftorique de
ce ſecond volume,
·
Plan d'Établiſſement tendant à l'extinction
de la Mendicité. In 8°. A Paris , de
l'Imprimerie de Cellot , rue Dauphine.
Un Établiſſement qui tend au foulagement
de la Clalle indigente , doit obtenir
un accueil favorable du Ministère & du
Public. Les vues de bienfaifance & de bonordre
qui font développées dans cet Ouvrage
, nous femblent mériter l'attention de
tous les gens de bien.
Il exifte dans le Royaume un grand nom
bre d'Hôpitaux ; mais quelque bien admiDE
FRANCE. TIS
niftrés qu'ils foient , leurs reffources font
bornées , & femblent chaque jour devenir
plus infuffifantes. On a déjà formé plufieurs
Établiſſemens avec fuccès : mais la plupart
ne font foutenus que par un feul genre
de travail , & ne fe foutiennent qu'auffi
long-tems qu'ils peuvent fatisfaire aux vues
intéreffées des Entrepreneurs. Les vues que
l'on propofe dans ce Mémoire , pourroient,
fans augmenter les charges du Gouverne
ment , & fans attaquer fous aucun rapport
l'état ni la fortune des particuliers , fubve
nir aux befoins de tous les vrais indigens ;
contenir ceux qui , dans la parelle , ufurpent
les droits que la feule impuiffance de
travailler peut donner à la libéralité des
riches , & les rendroient tous utiles à la
Société. C'eft un enfemble de plufieurs objets
d'induftrie qui fe foutiennent réciproquement
pour épargner à l'ouvrier une fufpenfion
inattendue dans les moyens de pourvoir
à ſa ſubſiſtance , fufpenfion plus dangereufe
que la continuité même de la misère.
Le Citoyen qui a conçu le projet d'éteindre
la mendicité , a réuni , dans un plan
de Commerce & de Charité , les principaux
moyens propres à la détruire. Il joint à
ces avantages celui de fervir l'Agriculture
& les diverfes Fabriques du Royaume :
nous nous contenterons de les expoſer en
peu de mots.
Une Compagnie de Commerce pourroit
120 MERCURE
mettre en uſage toutes les reffources dont
les travaux de la Campagne , ceux des Fabriques
& des autres métiers font ſuſceptibles
, pour employer le plus d'hommes qu'il
eft poffible , & diminuer le nombre des
malheureux.
On établiroit à Paris un Bureau Général
Correfpondant avec tout le Royaume , qui
feroit divifé en quatre - vingt Directions.
Chaque Direction établiroit des Atteliers de
Fabrique & d'Apprentiffage dans tous les
lieux de fon diftrict où ils feroient néceffaires.
Les Ouvriers ou Apprentifs des Villes
& des Campagnes qui ne trouveroient point
à s'occuper , s'y feroient infcrire , & défi
gneroient les genres d'ouvrages auxquels ils
font propres. On leur paieroit le falaire
de leurs travaux deux ou quatre fols pour
livre au deffous du cours ordinaire du
Canton.
-
Le produit des fols retenus feroit deftiné
à la dépenfe des Maifons qu'on feroit
obligé d'établir pour cet effet. Si ce produit
ne fuffifoit pas , on efpère qu'il feroit
augmenté par les fecours des gens de bien.
Quelle eft l'ame honnête qui fe refuſeroit
à ces bonnes oeuvres , dont le fruit feroit de
changer en citoyens utiles des malheureux
abandonnés à eux-mêmes , qui fe livrent
à tous les vices qu'enfante le défoeuvrement.
Quelles que foient néanmoins les reffources
de la Compagnie de Commerce ,
elle
DE FRANCE. 20
elle ne pourroit porter l'emploi des ouvriers
indigens au- delà des befoins que les
Fabriques & l'Agriculture ont de leurs travaux.
3
La Société de Charité devient alors trèsnéceffaire
: elle feule peut fuppléer par des
travaux publics à la Compagnie de Commerce.
Il faudroit que l'homme compatiffant
, loin de difpenfer des fecours indif
férens , qui font dérobés le plus fouvent
aux véritables befoins , confentît à réunir
fes dons en une feule maffe , qu'il confieroit
aux perfonnes vouées au fervice des
pauvres.
Par rapport aux malheureux fans afyle ,
il feroit à fouhaiter qu'ils fuffent tous réunis
dans les maifons de Charité déjà établies
; il fuffiroit d'y faire quelques légères
augmentations. Ceux qui feroient valides
gagneroient alfez , par leur travail , pour
acquitter leur dépenfe , & les Sociétés de
Charité paieroient celle des infirmes & va¬
létudinaires.
Nous n'entrerons point dans tous les dé
tails de l'Adminiftration . Nous n'avons
pu expofer que fommairement les raifons
d'ordre & d'humanité qui font defirer
l'exécution d'un plan fi digne d'être ap¬
prouvé.
Sam. 20 Mai 1780,
122 MERCURE
·
OEUVRES de M. l'Abbé Métaftafe , nouvelle
édition , corrigée & augmentée. A Paris ,
chez la veuve Hériffant , Imprimeur-
Libraire , rue neuve Notre-Dame , in-4°
& in-8°.
Les trois premiers volumes de cette magnifique
édition viennent de paroître ; elle eft
dédiée à la Reine ; nous inférerons ici l'Épître
Dédicatoire en vers de l'Éditeur ( M. l'Abbé
Pezzana ) mais nous nous garderons bien de
la traduire. Le charme de ce genre de poëfie
tient principalement à un langage poétique ,
noble , hardi , harmonieux , riche en images ;
il feroit abfolument détruit dans une traduction
Françoiſe & en profe.
DEL regio tuo favor , del nome eccello
Superbi , a riveder tornan la luce ,
Degni del cedro , alta Regina , i carmi
Del maggior vate , ch' oggi Italia onori.
I_
CANDIDO cigno fotto gli ampj vanni
Dell' auftriaca fcettrata aquila , il fai ,
Viffe , e cantò finor. D'Idalie rofe
Godean le Grazie a lui teffer ghirlande ,
E ricantarne le foavi note ;
Quando negli atti , e nel real ſembiante .
A te , crefcente Auguſta Pargoletta ,
Tempravan maeftà , vezzi , e decoro;
Prefaghe e liete di fregiarne un trono,
DE FRANCE. 123
E QUAL mai potev' io nume più faufto
Impetrar fu la fenna a lui che feppe
Sofocle aufonio , di vetufti Eroi
Coſtumi fimular , vicende , e affetti
Pinger fi al vivo , che a gridar ne ſprona :
Ecco l'anima atroce di catone ,
L'amante Dido , e l'iracondo Achille ?
TECO dell' arti , e delle Muſe il regno
Palla divide , ed il cetrato Apollo ;
Nè mai più altera fra le fcene appare ,
Di gemmato coturno il piè calzata ,
Melpomene, d'allor che con fecreta
Forza , e diletto, da' tuoi vaghi lumi
Elice il pianto , e dalle palme il plauſo.
İTE fecuri, avventurofi carmi :
Voi , ſcuola di virtù , fonte di vezzi
Legge l'Anglo fevero , il culto Gallo ,
L'adufto Lufitano , e il freddo Ruffo ;
Su l'Iftro bellicofo a voi forride
L'immortal Madre , ed il Germano invitto ;
Figlia , e Germana , dal ſublime foglio ,
Ove regna congiunta a un nuovo Tito,
Virradierà d'un bel celefte rifo
L'Auguſta Donna , amor de' franchi , e fpeme.
Cette édition joint au mérite typographique,
à l'agrément des gravures , l'avantage
d'une exactitude fingulière ; après avoir
Fi
124
MERCURE
1
épuifé pendant l'impreffion tous les moyens
poffibles de s'affurer qu'il ne reftoit plus de
fautes , on a encore foumis chaque volume
à l'examen le plus févère , & on a refait des
cartons pour le petit nombre de fautes qui
avoient échappé aux foins de l'Éditeur.
L'in- 4 , grand papier , eft un des plus beaux
livres qui foient jamais fortis de la preffe.
Les Poëmes de M. l'Abbé Métaftafe font
connus. Il a fu faire des Tragédies intéreffantes
, malgré les entraves que lui donnoit
la néceffité de fe foumettre à la forme ridicule
des Opéras Italiens , & d'interrompre
les fituations les plus touchantes par des airs
deftinés à faire admirer les tours de force
d'un Muficien ou d'un Chanteur , &
oublier les perfonnages , la pièce & le Poëte,
Son dialogue eft naturel & rapide. Son ftyle
a tous les caractères qu'exige la difference
des fujets & des perfonnages , mais il eſt toujours
fimple , noble & clair. Il a même cette
dernière qualité à un degré tel que l'on peut
commencer l'étude de la langue Italienne
par la lecture de fes Tragédies ; éloge le plus
grand peut-être qu'on puiffe faire d'un Ecriwain
, les autres qualités du ftyle tiennent
plus encore à la manière de penſer ou de
fentir qu'à l'art d'écrire.
L'Italie doit à M. l'Abbé Métaftafe l'avantage
d'avoir produit un grand Poëte tragique,
avantage qu'elle ne partage qu'avec la Grèce
& la France ; car il n'a encore exifté fur la
terre que trois peuples qui aient eu des
DE FRANCE. 115
Tragédies , quoiqué prefque tous aient eu
des fpectacles dramatiques , & que même
quelques - uns s'obstinent encore à préférer
leurs farces nationales aux chefs - d'oeuvres
d'Athènes , de Vienne & de Paris.
*
LA Difcipline de l'Églife de France , vol.
in-quarto. A Paris , chez P. D. Pierres ,
Imprimeur du Roi , rue S. Jacques.
QUOIQUE cet Ouvrage ne fuppofe , de la
part de fon Auteur ni de profondes méditations
, ni de vaftes connoiffances , ni de
longues recherches , cependant il peut être
fort utile à un grand nombre de perfonnes.
On y trouve les règles qui concernent le
Culte divin, les principaux monumens de la
Juridiction Eccléfiaftique & des matières
bénéficiales , tout ce qui a rapport aux droits
& aux obligations des Évêques , des Abbés
Réguliers & Commendataires , des Officiaux
& des grands Vicaires , des Curés , des
Chanoines & autres Bénéficiers. C'eft dans
Le vafte dépôt des Mémoires du Clergé de
France qu'on a recueilli tout ce que renfer
me cette nouvelle compilation ; elle
même en tenir lieu à bien des égards.
pourra
L'Ouvrage eft divifé en fept parties. La
première traite des Sacremens & du Culte
divin. La feconde , de l'autorité du Pape &
* Prefque toutes les Pièces de M. l'Abbé Méraftafe
ont été faites à Vienne , pour le Théâtre de la Cour
Impériale.
Fuj
126 MERCURE
des Évêques. La troisième , des droits & des
devoirs des Curés & des Chanoines. Dans
la quatrième , on examine ceux des Abbés
Réguliers & des Prieurs Commendataires ,
la divifion des biens des Moines , leur origine
, leurs exemptions , la difcipline des
Cloîtres , les voeux , &c. Dans la cinquième ,
les monumens principaux de la Juridiction
Eccléfiaftique , les fonctions des Officiaux &
des Promoteurs , les appels comme d'abus.
Dans la fixième , les matières bénéficiales ,
les droits des Gradués , ceux de patronage &
de collation , ceux de régale , les réfignations
, les permutations , la fimonie , le dévolut
, &c. Dans la feptième , on a raffemblé
, d'après le P. Thomaffin , les autorités
des Saints-Pères & des Théologiens les plus
fameux fur la vie cléricale , fur la difcipline
ancienne & nouvelle de l'Églife. C'eft - là
qu'on apprendra à connoître & à admirer
ces hommes qui , fuivant Boffuet , s'étoient
nourris du froment des Élus , de cette pure
fubftance de la Religion ; pleins de cet efprit
primitif qu'ils avoient reçu de plus près ,
comme de lafource même, ce quifort de leur
plume eftplus nourriffant que ce qui a été médité
depuis.
Dans la Préface de cet Ouvrage , on nous
apprend que « des perfonnes de la première
confidération dans le Clergé , qui ont approuvé
l'idée & le plan de ce Livre , &
qui ont même pris beaucoup de part à fa
publication , ont confeillé à l'Auteur d'y
23
23
DE FRANCE. 127
ajouter un abrégé fuccinct de l'adminiftration
du temporel de l'Églife de France ,
" & une lifte de tous les Bénéfices, » On
trouve ces deux objets à la fin du volume.
SPECTACLES.
LE peu d'eſpace qui reftoit à remplir dans
le dernier Numéro de ce Journal , ne nous
a pas permis d'y rendre un compre fuivi de
tout ce qui s'étoit paffé de remarquable fur
nos Théâtres. Nous reprenons dans cette
feuille les articles que nous avions été obligés
d'omettre , & nous indiquons , fuivant
l'ufage , leurs dates & leurs époques.
ACADEMIE ROYALE DE musique.
LE Dimanche Mai , on a remis Caftor
& Pollux , Tragédie - Opéra de Bernard ,
mufique de Rameau.
De tous les Ouvrages qui ont été repréfentés
fur notre Théâtre Lyrique , avant la
révolution de la mufique en France , c'eſt
celui qui , par le choix heureux du fujet, par
les beautés de détail qu'on y rencontre , par
l'affluence qu'il a toujours amenée , jouit de
la confidération la plus foutenue. Remis au
mois d'Octobre 1778 , il a , pendant plus de
trente repréſentations , fixé le goût volage de
Fiv
128 MERCURE
nos Spectateurs modernes , qui y accourent
en foule au moment où nous écrivons. A
quoi peut - on attribuer le fuccès conftant
qui femble lui être attaché ? Au refpect que
Fon conferve avec raifon , fans doute , pour
celui de nos Opéras nationaux , dont la réputation
a eu le plus d'éclat. Et ce refpect
n'eft- il pas dû à la mémoire de l'illuftre Muficien
, dont le génie laiffe beaucoup à defirer
à des gens éclairés par les nouvelles décou
vertes qu'on a faites dans la mufique ; mais
dont la France doit & devra toujours s'honorer
, malgré les cris de ceux qui adorent
exclufivement les idoles qu'ils fe font élevées.
Il faut convenir que des oreilles , accoutumées
aux effets d'orcheftre créés par nos
Muficiens actuels , doivent trouver un peu
vuides les accompagnemens de Rameau ; que
chez lui la Scène eft fouvent languiffante &
froides que fes tranfitions paroiffent brufques
& précipitées ; que le langage de fes
differens Acteurs eft à peu-près le même dans.
tout ce qui eft dialogue ; mais malgré ces
défauts , quelle richeffe d'harmonie , quelle
connoiffance de la belle compofition n'apperçoit-
on pas dans les productions de notre
Muficien ! comme fon chant eft quelque
fois agréable & naturel ! comme la partie
des airs de ballets eft brillante & variée !
Puifqu'en dépit des nouvelles créations , il
refte encore à Rameau des parties qui le font
diftinguer , il n'eft pas très- étonnant que
dans le fein de la Capitale il ait conſervé dess
vil
DE FRANCE. 129
admirateurs , & qu'on s'y reffente encore du
refpect que l'envie même eft obligée d'éprouver
au fouvenir d'un Artifte célèbre . Nous ne
citerons pas l'Auteur de Caftor comme un
modèle , puifque notre fyftême muſical a
changé ; mais nous nous réjouirons toujours
à l'afpect de la haute confidération à laquelle
il a fu forcer des compatriotes , dont le
défaut n'eft pas de trop aimer ceux qui ont
reçu le jour fur le fol qu'ils habitent.
"
Le Poëme , où l'on trouve de fort belles
chofes , eft néanmoins fufceptible de beaucoup
de reproches , aujourd'hui fur-tout ,
qu'on eft devenu plus exigeant & plus févère. ·
Qu'est- ce que la jaloufe Phébé , foeur de
Thélaïre , & amante de Caftor , qui n'eft
utile dans l'expofition que pour annoncer
qu'elle eft rivale de fà foeur , & qu'elle peut
difpofer des fureurs de Lincée ? Qui ne fait
rien pour le noeud , qui difparoît au milieu
du quatrième Acte , & dont on apprend la
mort au cinquième , dans l'inftant où elle
eft abfolument oubliée ? Qu'est - ce qu'un
Lincée , des fureurs duquel Phébé peut dif
pofer, perfonnage qui femble devoir fixer
Tattention , puifqu'il a des armées à fa
difpofition , & qu'il peut prétendre à la¹
main de Thélaïre ; & qui n'eft qu'un Ac¬ ~
teur muet , un Pantomime obſcur , qui
vient à la fin du premier Acte immolers
un rival aimé , pour tomber. fur le champa
fous l'effort d'un autre ? Nous ne porterons
pas plus loin ces détails on fent combien
Fly-
&
D:
130 MERCURE
nous pourrions les étendre ; il fuffit d'indiquer
à ceux qui veulent fuivre la carrière
du Théâtre lyrique , les reproches qu'ont
mérités leurs prédéceffeurs par la légereté ,
l'infouciance avec laquelle ils ont traité des
fujets vraiment dignes de la ſcène , & de
leur prouver par l'exemple même des Ouvrages
qui ont joui d'un fuccès diftingué ,
combien les révolutions qu'a éprouvées
depuis fix ans le Théâtre de Polymnie
ont rendu difficile un art qui jufqu'alors
avoit paru fi aifé , qu'à peine daignoit- on y
faire quelque attention.
Il faut pourtant dire quelque chofe d'une
inconféquence dont nous avons été frappés;
il est très étonnant qu'elle n'ait encore été
relevée par perfonne , & qu'on n'ait pas
cherché à la faire difparoître. A la fin du
premier acte , Caftor tombe fous les coups
de Lincée . Au commencement du fecond
acte , le Théâtre , dit l'Auteur , repréfente le
lieu de la fepulture des Rois de Sparte , au
milieu duquel eft élevé un tombeau militaire
pour les funérailles de Caftor. Voilà qui eft
clair & poffible ; un tombeau militaire eſt
une décoration de circonftance , facile à
placer en très- peu de temps. Mais que devient
l'illufion quand ce tombeau militaire
n'existe pas ? quand le Théâtre n'offre à l'oeil
du Spectateur que l'idée d'un vafte tombeau
bien maffif , & qui n'a pu qu'être l'ouvrage
d'un long temps ? Que deviennent la raifon
& la vérité , quand autour de ce tombeau fi
DE FRANCE. 135
folidement établi , on entend le choeur des
Spartiates chanter
Préparons , élevons d'éternels monumens
Au plus malheureux des amans.
Els exiftent , il font fous nos yeux ; qu'on ne
parle plus de les élever.
Voilà de ces vieilles erreurs qu'on a trop
refpectées , qui ont attiré tant de plaifanteries
fur le genre & fur le fpectacle de
l'Opéra, & qu'il faut avoir le courage de
bannir de la Scène , quand on connoît un
peu les illufions dramatiques.
Les Ballets dont cet Opéra eft rempli ,
font exécutés avec une perfection qu'on ne
peut rencontrer fur aucun autre Théâtre du
monde. Il fuffit de nommer les Veftris , les
Gardel , les Dauberval , les Heinel , les
Guimard , les Peflin , les Théodore , pour
faire fentir combien la partie de la danfe eft
agréable. Jamais la folâtre Therpficore n'a vu
marcherfur fes traces un auffi grand nombre
de fuivans dignes de fes faveurs & de nos
éloges.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
EPUIS long- temps M. la Rive fembloit
avoir abandonné le genre de la comédie ,
pour le livrer tout entier au tragique , & les
amateurs du fpectacle n'avoient vu cet
abandon qu'avec peine. En effet , la figure
Fvj
132 MERCURE:
.
aimable & noble de ce. Comédien , fa conf
titution mâle & vigoureufe , lui donnent.
des droits inconteftables fur les rôles comi
ques qui exigent un phyfique avantageux &
une repréfentation impofante.. D'ailleurs ,.
l'habitude de jouer dans un genre qui ne
demande qu'un débit fimple & vrai , peut
devenir très- utile à un Acteur tragique..
Elle rend infenfiblement fon organe plus
fouple ; en le rapprochant de la nature , elle
Pécarte du ton fouvent emphatique & bourfoufflé
qu'on emploie dans la tragédie. I
étoit donc de l'intérêt des connoiffeurs & du
talent même de M. la Rive , que ce Comédien
n'abandonnât pas le genre comique..
On l'y a vu reparoître avec plaifir les Lundi
24 Avril & Samedi 6 Mai , par le rôle du
Somnambule , dans la Pièce de ce nom. Il
l'a joué avec beaucoup de décence & de
gaieté. On ne fe fera vraisemblablement pas .
flatté en vain du plaifir de le revoir dans
quelques autres rôles , & comme nous
croyons que le voeu d'un affez grand nom →
bre de gens de goût peut être de quelque
poids auprès de M. la Rive , nous nous
Tommes volontiers chargés de le rendre public
, & nous l'invitons à y répondre.
.
>
Puifque nous avons parle du Somnambule
, nous dirons deux mots de fes Auteurs..
Dans la plus grande partie des nomencla→
tures dramatiques , cet Ouvrage eft attribué
à M. de Pont-de-Veyle ; dans quelques
autres on s'eft contenté de dire qu'il y avoie
DE FRANCE. 1335
eu la plus grande part , fans faire mention
de ceux qui ont coopéré à cette jolie Comé
die. Nous allons réparer cette omiffion .
Feu M. le Comte de Caylus , dont le mérite
eft trop connu pour que nous entrions ici
dans aucun détail fur cet objet , étoit lié
d'amitié avec M. Sallé , homme de beaucoup
d'efprit ; il lui propofa de travailler
enfemble à mettre un Somnambule fur
la fcène. Un tel perfonnage ne parut pas
moins fufceptible de fituations comiques
à M. Sallé qu'à M. de Caylus ; les deux
amis s'occupèrent de ce dramatique projets
l'Ouvrage achevé , il fut lu devant M. de :
Pont- de - Veyle, qui le trouva aſſez agréables
pour propofer aux Auteurs des avis capables
d'ajouter à fa perfection. Sa propofition fur:
acceptée; la Pièce fur retouchée conformé
ment à ſes obfervations , & repréſentée avec
un fuccès décidé. Comme M. de Pont-de-
Veyle fe chargea de tous les foins qu'exigent
la lecture , la réception & la repréſentation
d'une Comédie , & que les premiers Auteurs
ne fe nommèrent point , on a cité le premier
, fans parler des autres . Des circonf
tances nous ont inftruits de tous ces détails ,
& nous avons cru qu'il étoit du devoir d'un
Obfervateur des Théâtres de leur donner des
la publicité : car , quelque petite que puiffe
être la gloire attachée à la création d'une
Pièce en un acte , encore faut- il rendre à
chacun ce qui lui appartient. Cette anec$
34
MERCURE
dote n'eft pas la feule de ce genre que nous
ayions à mettre au jour ; l'Auteur de ces
articles en a plufieurs autres qu'il fera
connoître à mesure que l'occafion s'en préfentera.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 24 Avril , on a remis l'Olym
piade , Comédie en trois Actes & en vers,
mêlée d'Ariettes , parodiées fur la Muſique
de Sacchini.
Cet Ouvrage eft du genre héroïque ; par
conféquent , dans le nombre de ceux que
MM. les Comédiens Italiens devroient bannir
de leur Théâtre. On le leur a déjà fou
vent répété , mais inutilement. L'habitude
de jouer l'Opéra-Comique du genre bas
ou Paftoral , ne peut que nuire beaucoup
à la nobleffe des moyens néceffaires à la
repréſentation des Ouvrages d'un ton élevé.
La fimplicité ruftique de Blaife ou de Mathurin
, ne fauroit préparer l'Acteur qui
les repréfente , à la dignité qui convient à
un Chevalier ou à un Roi. Quelle que foit
l'intelligence des fujets qui fe trouvent chargés
de ces derniers rôles , elle ne peut qu'atténuer
, mais non pas bannir les effets at--
tachés à la longue habitude d'un genre inférieur
, & lorfque dans un Drame héroïque
, on n'eft que médiocrement noble , on
avoifine beaucoup le ridicule.. Les deux derDE
FRANCE. 139
nières repréſentations de l'Olympiade viennent
de donner une nouvelle preuve de ce
que nous avançons. MM. les Comédiens
Italiens feront-ils enfin éclairés par le petit
chagrin qu'ils ont éprouvé ? Nous l'ignorons
, mais nous croyons néceffaire de leur
dire qu'il y va de leur intérêt & de leur
amour-propre.
Nous ne jugeons pas qu'il foit bien néceffaire
d'entrer dans de grands détails fur
un Acteur qui a débuté , le Samedi 29 Avril,
dans l'emploi des Baffes- tailles. Des moyens.
très-foibles , joints à une timidité extraordinaire
, ne lui ont pas permis d'achever ſon
début.
Le Vendred S Mai, on a donné une repréfentation
du Jeu de l'Amour & du. Hafard
, Comédie de Marivaux , dans laquelle
Mlle Pitrot a joué le rôle de Sylvia. Nous
avons reproché quelquefois à cette Actrice
de ne point travailler à corriger fes défauts
, & l'intérêt que nous prenons au talent
nous avoit engagés à lui faire ce reproche.
La loi que nous nous fommes ri¬
goureufement impofée de n'écouter jamais
que la voix de la juftice , nous ordonne aujourd'hui
d'accorder à cette jeune Actrice
le tribut d'éloges qui lui eft dû. La manière
dont elle a rendu le rôle de Sylvia ,
prouve qu'elle s'eft occupée férieufement
d'affouplir fon organe , de combattre les
vices de fa prononciation , de rechercher les
moyens faits pour donner plus d'effor à fon
12
136 MERCURE
ame , & d'expreffion à fa fenfibilité. Il y
a long - tems , nous ofons le dire , que nous
n'avons vu jouer un rôle d'Amoureuſe avec
un charme fi attachant , & c'eft avec une
fatisfaction bien douce que nous engageons
publiquement Mlle Pitrot à continuer un
travail capable de lui affurer inconteſtable--
ment les fuffrages des gens éclairés qu'elle
a fu réunir le jour de la repréſentationdont
nous parlons.
Nous ne dirons rien de la reprife d'une
Comédie de d'Alainval , qui a pour titre :
le Tour de Carnaval. On y trouve de la gaîté,
de l'efprit , mais de mauvaifes pointes ,
des plaifanteries du genre le plus miférable :
enfin , elle n'eft recommandable que par les
divertiffemens que Pannard y a ajoutés, & .
qui n'ont plus aujourd'hui l'attrait de la
nouveauté , le premier attrait du Vaudeville.
Les autres Articles de ce Spectacle , au
N°.
prochain...
VARIÉTÉ S.
LETTRE fur le Code des Gentoux
L'Éditeur du Mercure..
QUOIQUE le Mercure ait fait deux Extraits du
Code des Gentoux , permettez , Monfieur , qu'on en
* La Traduction Françoiſe du Code des Gentoux , 2
été imprimée il ya 18 mois , chez Stoupe , rue de ~
la Harps.
>
DE FRANCE. 13
dife encore un mot. Cet Ouvrage important ; dont
Tes Anglois ont publié quatre Éditions en moins de
deux années , ayant excité l'attention des Philofophes
, des Jurifconfultes , & de tous les vrais Litté
rateurs , on a demandé quelquefois dans la Grande-
Bretagne , & dans les autres pays de l'Europe , fi
Fon peut compter fur l'authenticité de tous les détails
du Code . Un Anglois , revenu de l'Inde depuis peu ,
a fait imprimer une Lettre qu'on fera fans doute
bien -aiſe de connoître. La voici telle qu'elle eſt tirée
d'un Papier Anglois..
Lettre de M. Ashley à M. Milford.
Le Code des Gentoux a été rédigé à Calcuta , par
onze Brames , qui ont employé 22 mois à ce travail.
Je les ai vus & queftionnés pendant tout ce temps ; &
je dois déclarer que rien n'égala jamais leur exactitude
& leur zèle . J'ai vérifié moi - même , dans les
Shafters , les différens paffages qu'ils tranfpofoient
dans leur compilation ; & comme je lis affez bien la
langue Samskrère , je puis vous affurer qu'ils n'y one
pas fait le moindre changement J'ai fuivi de plus la
traduction qu'on a faite en Perfan fous les yeux des
Brames ; & puifque vous me fuppofez des connoiffances
dans cette langue , mon témoignage ne doit
vous laiffer aucun doute.
Ce n'eft pas tout. Dès le moment où M. Haftings
a conçu le projet de faire compiler ce Code , j'ai
jugé qu'il feroit le plus curieux de tous les Livres
que répandra l'Imprimerie ; qu'il feroit la plus vive:
fenfation en Europe , qu'il ne tarderoit pas à fe placer
dans toutes les Bibliothèques , & qu'enfin il exci--
teroit une foule d'idées lumineufes dans la tête des
Savans. Je me fuis fait un plaifir de prendre toutes
les informations qu'on pourroit me demander après
mon retour. Pour cela , j'ai multiplié mes recherches
128
MERCURE
à l'infini. J'ai prié M. Halhed de me donner une
copie de fa traduction Angloiſe , à mesure qu'il y
travailloit; j'ai interrogé enfuite fur chaque partie
du Code les hommes les plus éclairés des villes &
des villages de l'Inde , & ils m'ont tous répondu que.
je leur citois mot à mot les lois d'après lefquelles
ils étoient gouvernés par les Brames avant ces temps
d'anarchie. Sur les cas qui n'étoient pas arrivés de
mémoire d'homme ( tels que l'article qui ordonne de
plonger un fer chaud dans la feffe d'un Sooder qui
s'affied fur le tapis d'un Brame ) , ils ajoutoient,
qu'une tradition dont ils avoient fouvent entendu
parler , étoit d'accord avec ma verſion .
Je voudrois qu'un Philofophe éclairé ( vous , par
exemple , entreprit un Commentaire de ce Code ;
c'eft-à-dire , qu'il raffemblât les réflexions & les
difcuffions que préfentent en foule les différens
articles ; je defirerois fur-tout qu'on montrât les lois
que les différens peuples de la terre ont tirées de l'Inde,
& qu'on m'expliquât par quel hafard les lois des
Gentoux , fur les fucceffions & le partage des propriétés
, font , juſques dans les détails les plus extraor
dinaires , d'une conformité parfaite avec celles des
Romains,
SCIENCES ET ARTS.
ECLAIRCISSEMENS fur le Chauffage économique
préparé par le fieur Ling, extraits d'une Lettre
de M. Morand , de l'Académie Royale des
Sciences , à M. le Roi , de la même Académie.
QUOIQUE
le fieur Ling nous annonce le char
bon de terre , épuré à fa manière , comme une
découverte nouvelle , comme un nouveau combuf
DE FRANCE. 139
tible dont les avantages font méconnus même en
Angleterre , l'Hiftoriographe des mines de charbon
de terre & de leur exploitation , des uſages & du
commerce de ce foffile en différens pays , M.
Morand, bon Juge en cette matière , penfe que ,
dans le fait , les braifes ( 1 ) provenantes des feux
entretenus par du charbon de terre brut dans de
grands appartemens , ou dans de grandes cuiſines ,
ou dans des atteliers , les coaks fabriqués à la
manière Angloife , & le charbon préparé par le fieur
Ling , font la même chofe , avec cette différence
que les braifes réfultent naturellement d'une combuftion
fpontanée , c'eft - à - dire , abandonnée à
elle-même , & qui a déjà été utile dans fon premier
tems d'inflammation ; que ces braifes font ,
en conféquence , plus complettement réduites ; au
lieu que les coaks , cowks ou cinders d'Angleterre
& les charbons épurés ou défoufrés de France ,
font moins épuifés , parce qu'ils ont été veillés
dans le cuiffage : les coaks font fabriqués en grande
quantité , foit uniment , de la même manière que fe
prépare le charbon de bois , foit dans des fourneaux
de brique , formant à la meule de charbon
qu'on y renferme , une chemiſe à demeure pour ier
vir à d'autres fournées fucceffives. Du refe , toutes
ces différentes braifes , quelles qu'elles foient ,
font dures , poreufes , légères , fonores comme le
charbon de bois , & , comme toute eſpèce de charbon
, furnagent à l'eau. Cette dernière qualité
n'eft donc pas particulière aux charbons préparés
par le fieur Ling
(1 ) Ces Braifes portent différens noms en France : on,
les nomme Efcrabiles en Provence , Efcarbilles en Au
vergne , Carral en Rouergue , Groneffes en Haynaut ,
Grefillons recuits dans le Lyonnois ; on les appelle
Krahavs à Liége.
740 MERCURE
Pour fe former une idée jufte de la houille épu
rée , du charbon défoufré , de quelque manière que
ce foit , il eft à propos de comparer cette braise à
celie qui , dans un beau feu de bois , fuccède au
tems que la flamme ne peut plus avoir lieu , &
qui fe maintient enfuite plus ou moins . Les char
bons épurés , lents à fe détruire au feu , à parvenir
à l'état incinéré , font , après avoir été éteints ,
toujours fufceptibles ( à l'aide de la ventilation ménagée
par une construction particulière des foyers )
de reprendre au feu une incandefcence paisible &
tranquille, qui fe foutient tant qu'ils ne font pas
détruits , & qui eft accompagnée de chaleur fans
flamme , & , lorfque le tems eft au fec , fans odeur.
marquée.
Ces avantages des charbons préparés , & leurs
propriétés éprouvées dans quantité de pays , les ont
fait propofer , dès 1770 , pour chauffage aux per
fonnes qui habitent des appartemens dont les che
minées ont l'inconvénient de renvoyer la fumée,
our qui craignent l'ufage du charbon de terre
brut. ( 1 ) Feu M. Venel , dans fon Ouvrage pu
blié en 1775 , par ordre des Etats de Languedoc ,,
a aufli adopté cette idée qui est très - fimple. ( 2 )
En 1778 , il parut à Paris un Imprimé de trois .
pages in
4° . François & Allemand , intitulé :
Avantages de la méthode nouvellement découverte.
d'épurer le charbon de terre , où l'on propofoit d'ap
(1 ) Mémoires fur la nature , les effets , propriétés ,
avantages du feu de charbon de terre apprêté , pour êtres
employé convenablement , économiquement & fans inconvénient
, au chauffage & à tous les fages domeſti
ques . In- 12. A Paris , chez Lottin , 1770 .
(2 ) Inftructions fur les feux de houille , Part. I.
Chap. IV. Efpèces artificielles de houille , p. 93 .
DE FRANCE. 147
provifionner les pays qui font entre le Rhin , la
Sarre & la Mofelle , avec des charbons de terre
de la Principauté de Naffau - Sarrebruck , & du
Comté de Linange , les feuls de ces Cantons qui
foient fufceptibles de cet épurement.
Il résulte que ce nouveau chauffage , quelle que
foit la manière d'obtenir les braifes ou braifons ,
fera en la fuppofant toujours économique ) trèscommode
, très-utile pour des cabinets de toilette,
pour des antichambres , pour des dortoirs de Communauté
, de grands atteliers , &c . Mais M. Morand
eft d'avis que l'ufage en doit être borné aux
feuls endroits de l'efpèce qu'on vient de nommer
& dans des cheminées. Il préfume que les perfonnes
en état de fe procurer un grand feu de bois,
qui , de tems en tems , donne le fpectacle récréa
tif d'une flamme en mouvement , ne s'accommo¬
deroient pas d'un brafier trifte & uniforme , quelque
volumineux & quelque chaud qu'il pût être .
·
Quant aux ufages particuliers auxquels ces braifes
font applicables , le fieur Ling les donne pour
très-utiles aux forges des Serruriers , des Maréchaux,
des Taillandiers , & autres ouvriers de ce genre.
Sur quoi , M. Morand obferve à propos que les
charbons préparés étant dénués de l'activité de la
flamme , pourroient bien n'être pas d'un ufage
économique pour les ouvriers qui s'en ferviront. Il
révoque auffi en doute la propriété de leurs cen- .
dres pour le blanchiffage du linge. On ne les emploie
à cet ufage dans aucun pays , & il eft à
préfumer que ce n'eft pas faute de - l'avoir tenté ;
feu M. Venel dit expreffément l'avoir effayé fans
fuccès. ( 1 ) Au furplus , en s'en tenant fimplement
(1) Inftructions fur l'ufage de la Houille , Part. I,
Chap. II , Section 3. Des cendres , p. 36 , & Chap. V
" MERCURE 142
à l'avantage inconteſtable de pouvoir ſuppléer utilement
, dans beaucoup d'occafions , avec ces braifes
de charbon de terre , au bois & au charbon
de bois , dont il fe fait une confommation immenfe
qui doit faire craindre une difette de cette
matière , on ne peut qu'applaudir au renouvellement
du Projet de faire connoître dans la Capitale
une reffource pour les Perfonnes plus aifées,
auxquelles elle devient de jour en jour de la plus
grande conféquence.
Le fieur Ling avance , dans l'intitulé & dans les
détails de fon Profpectus , que ce chauffage n'exhale
aucune vapeur délétaire , & n'expofe pas les confommateurs
aux accidens de l'afphyxie. Cette affertion
importante pour la fanté publique , mérite
une attention particulière , toute erreur fur ce point
étant très- dangereufe. M. Morand croit donc devoir
prévenir le Public que les braiſes allumées ,
tant celles qui font préparées par le fieur Ling ,
que toutes les autres obtenues de toute autre manière ,
produisent le même gas méphitique ; & qu'ainfi employées
dans des lieux fermés , elles cauferoient des
afphixies. D'ailleurs elles n'exhalent réellement aucune
vapeur nuifible en brûlant , c'eſt -à -dire , lorſqu'elles
font embrafées ; mais , dir le Chymifte déjà
cité , les coaks répandent , dès le commence-
» ment de leur combuſtion , & fur-tout quand leur
feu expire , quelques bouffées , rares à la vérité,
» mais très fenfibles , de vapeur acide fulphureufe
; (1 ) enforte , ajoute-il , que la prépara-
» tion deſtinée à épurer les houilles ne les corri-
» ge que pour le tems de leur combuſtion , pen-
-
Section 4. Difette des Cendres propres à leffiver le linge.
P. 156.
(1 ) Ibid. Part. I , Chap. IV , Section 1 , p. 97.
DE FRANCE. 143
dantlequel elles n'exhalent aucun principe fulphu-
» reux. Cette préparation y a laiffé fubfifter en
» entier les principes & la difpofition d'après la-
23
quelle toute houille brute ou préparée , exhale
» à la fin de la combuftion une légère vapeur
fulphureufe ( 1 ) qui fe manifefte même affez
» conftamment dans un lieu fermé , fi l'on fe fert
» de ce feu hors d'une cheminée. ( 2 ) » Il y auroit
donc de l'imprudence à prétendre & à affirmer que
jamais il ne peut en réfulter d'effets incommodes
& dangereux. Il ne faut pas non plus alarmer
vainement les efprits : il fera plus aifé d'éviter
les accidens en ne fe fervant de ces braifes
que dans des cheminées , & en ouvrant les fenêtres
des appartemens lorfqu'elles entrent en combuftion
, ou que leur feu expire , que de parvenir à
charbonner la houille de manière qu'on la dépouille
entièrement de tour principe fulphureux.
Pour ce qui eft du prix de ce chauffage , comparé
à celui du bois , l'économie n'en fauroit être
bien connue & appréciée que par l'expérience que
chacun en fera. Tout bon citoyen doit defirer de
voir réuffir une tentative utile : il doit même la
favorifer dans tout ce qui peut dépendre de lui.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
DESCRIPTION du Théâtre de la Ville de Vicence
en Italie , chef- d'oeuvre d'Antoine Palladio , levé &
deffiné par M. Patte , Architecte , &c. in-4° . avec
des planches en taille-douce. Prix , 3 liv. 12 föls.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Marais , Fauxbourg
S. Germain ; & chez Gueffier & Quillau , Impri-
(1 ) Ibid. page 98.
(1 ) Ibid, Chap. I , Section 1 , p . 30 , Note «.
144
MERCURE
meurs-Libraires. Cet Ouvrage , très - bien éxécuté,
mérite le fuffrage des Amateurs , il honore le zèle &
les talens de M. Patte,
L'Iliade d'Homère , Traduction nouvelle , précédée
de Réflexions fur Homère , & fuivie de Remarques
, par M. Bitaubé. 3 Vol . in- 8 °. Prix , 12 liv.
A Paris , chez Prault , Nyon , Piffot & Durand
neveu , Libraires.
Fautes effentielles à corriger dans le N° . 20.
Page 89 , ligne 13 ,fon amante , fous le nom de
Mifis , lifez : fon amante . Sous le nom de Mifis.
Page 93 , lignes , énergique , lifez : magique.
TABLE.
AMA première Maitrejje ‚ \ __či‹è ,
AMde Devardon ,
118
97 Euvres de M. l'Abbé Mé-
98 raftafe , 122
A Mile DE.... de Genève , ib. La Difcipline de l'Eglife de
La Tourterelle & le Pinçon ,
Fable ,
France , 125
99 Académie Roy. de Mufiq. 127
Obfervations fur les Connoif- Comédie Françoiſe ,
100 Comédie Italienne , fances humaines ,
134
134
Enigme & Logogryphe , 109 Lettre fur le Code des Gen
Hiftoire générale de Provence, toux 2
110 Eclairciffemens fur le
Plan d'Etablissement tendant fage économique ,
àl'extinction de la Mendi- Annonces Litteraires,
J'
APPROBATION. ·
136
Chauf
138
148
AT lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Mai . Je n'y ai
sien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris
Je 19 Mai 1780. DESANCY.
Fer24 . 135 .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 27 MAI 1780.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Comte DE TRESSAN.
LE joyeux Vieillard de Théos ,
Qui du Temps captiva les aîles ,
Et laiſſa dans un doux repos
Couler fes Chanfons immortelles ,
Occupé du foin de jouir ,
Savoit aimer , chanter & boire ,
Et fur la route du plaiſir
Fit connoiffance avec la Gloire ;
Mais fa main , qui dictoit des lois
Afa lyre aimable & rapide ,
N'auroit foutenir le poids
pu
Du compas que tenoit Euclide.
C'eft dans le célèbre vallon
Sam. Mai 1780.
27
i G
146 MERCURE
Où Jean-Jacque inftruifit Émile,
Qu'il faut revoir Anacréon
Sous les berceaux de Franconville ,
Rival de l'Anglois indompté,
Dont l'auftère & mâle génie
A couronné la Liberté
Dans les murs de Philadelphie ,
Il gouverne les noirs foyers *
Qui s'embrâfent dans l'atmoſphère ;
Et fa voix commande au tonnerre
De venir mourir à ſes pieds.
Il porte dans le fanctuaire
De d'Alembert & de Buffon ,
Des Grâces la palme légère
Et les guirlandes d'Apollon.
Si fa Philofophic éclaire ,
Ses loisirs nous rendent heureux ;
Et quoiqu'il foit un peu goûteux ,
Il voyage encore à Cythère.
Mais parmi tous ces dons brillans ,
Il en eft un plus cher encore ;
Quand il voit M ** qu'il adore ,
Héritière de fes talens ,
Semer des fleurs dans fa carrière ,
Des larmes coulent de les yeux ,
* M. le Comte de Treffan a dans fon porte -feuille
un excellent Ouvrage fur l'Électricité , où il a deviné le
fyftême du Docteur Franklin. ( Nece de l'Auteur. )
BIBLIOTHECA
REGLA
MWAGENSIS.
DE FRANCE. £47
Le titre le plus glorieux
Eft pour lui le titre de père.
( Par M. d'Oigni. )
A LESBIE , imitation de l'Italien.
Non , je ne fuis plus jeune , ô ma chère Lesbic ;
J'ai vu défleurir mon printemps ;
Mes plus beauxjours ont coulé fur ma vie ,
Et bientôt j'ai paffé l'automne de mes ans.
Déjà , tenant en main le fabfier du Temps ,
Le vieux Nocher m'appelle en la fatale barquet,
Déjà de l'inflexible Parque
Je vois s'ouvrir les cifeaux menaçans.
Mais en moi les glaces de l'âge
N'ont point éteint le goût pour le plaifir ;
J'ai toujours même ardeur , Lesbie , & mon langage
Eſt encor celui du defir.
Que cette Divinité fière,
Qui règle à fon gré nos deftins ,
De jours orageux ou ſereins
Compoſe ma faifon dernière ,
Je n'irai pas de noirs chagrins
Semer la fin de ma carrière.
Lafaulx du vieillard inconftant .
Brille fur nos fronts , ô Lesbie ;
l'éclair brillant de la vie
G
148
MERCURE
Luit & s'éteint au même inſtant.
Ah ! connois le prix véritable
De cet inftant qui fuit fans revenir ;
C'eft en le donnant au Plaifir
Qu'on peut le rendre plus durable.
N'attends pas que de tes attraits ,
Par le temps , la fleur foit fanée ;
Quand on a perdu ſa journée ,
Le foir amène les regrets.
Abandonne ton ame à la volupté pure ;
Suis la douce voix du defir ;
C'est le confeil de la Nature
Qui nous avertit de jouir.
Mais fois fage en ton choix, prends un amant paisible ,
Dont l'âge ait modéré les feux ;
Qui , fans être moins amoureux ,
Soit plus conftant & plus fenfible.
Un jeune coeur , trop facile à brûler ,
N'a qu'une flamme inconftante , incertaine ;
Un fouffle la fait vaciller,
Et l'air à fon gré la promène .
Crois-moi , cette flatteufe ardeur ,
Qu'aux yeux d'un jeune amant ton fouris fait éclore
Eft l'effet de fes fens & non pas de fon coeur ;
Ainfi , lorſque la nuit un brillant météore
Dans les airs attache tes yeux ,
Tu crois voir s'échapper de la voûte des cieux
Un rayon de pure lumière ,
7 DE FRANCE. 149
Et c'est une vapeur groffière
Que la terre a produite en fes flancs fulphureux.
Méprife la fougue éphémère
D'un jeune adorateur violent , mais léger ;
Son feu momentané ne fauroit fatisfaire
Qu'un goûtfrivole & paſſager :
Ah ! pour voir les jours de ta vie
Filés par la main du bonheur ,
Il ne fuffit pas , ô Lesbie ,
De choifir un amant , il faut choisir un coeur.
Le mien t'offre , ô beauté chérie ,
Cet amour paifible & conftant ,
De l'ardeur fans emportement ,
Et de la gaîté fans folie.
Si mes traits , par l'âge flétris ,
N'ont plus de ma première aurore
La fraîcheur & le coloris ,
Des feux de mon midi tout mon ſang brûle encore ;
Ce font les foins cruels , les foucis dévorans
Qui , fur un jeune front , appellent la vieilleſſe ;
On fupporte le poids des ans
Mieux que celui de la triſteſſe .
Qu'indépendant des coups du fort
L'homme s'arme d'indifférence ;
Qu'au-deffus de lui- même il prenne ſon efſor,
Et chaffe loin de lui la crainte & l'eſpérance ;
Alors il verra , fans pâlir ,
Ce terme redouté , l'écueil de plus d'un fage ,
Gij
Fo
MERCURE
Ce terme ou tout doit aboutir ;
Quand fes derniers foleils fe couchent fans nuage ,'
Sans regret il les voit finir.
Le temps nous fuit ; crois-moi , hâtons-nous d'en
jouir ;
Réparons les pertes de l'âge;
De nos jours paffés fans plaifir ,
Que le plaifir nous dédommage.
Moins il me refte de momens ,
Moins j'en dois perdre la durée ;
Airfi, quand du foleil les rayons expirans
Laiffent briller au ciel l'aftre de Cythérée ,
Qui de la nuit annonce le retour ,
Le Voyageur , preffant fa marche rallentie ,
Profite avec économie
Des dernières faveurs du jour.
( Par M. Laurenceau. J
EST- CE UN RÊVE , Conte..
UNN peu de philofophie, un peu d'infomnie
, & fi l'on veut des vapeurs , avec tout
cela on ne dort guères , mais tout cela
amène les plus jolis fonges. En vérité je
plains ceux qui dans leur lit dorment toujours
& ne rêvent jamais. Un rêve eft quelquefois
fi intéreffant , fi prophétique !
Je rêvois donc. Tout- à- coup l'image du
chaos me frappe & m'épouvante. Où fuisje
, m'écriai- je , où vais-je ? Eh ! d'où fuis-je
DE FRANCE.
tiré? Je furnageois parmi les élémens confondus
; & fur leur furface inégale planoient
les génies architectes du monde. Infenfiblement
les clémens ſe féparèrent , mais la matière
refta brute. Je vis ici les germes créa
teurs , là toutes les formes , plus loin le feu
qui devoit tout animer. Aufli - tôt les génies
paîtrirent la pâte docile : mais trop diftraits ,
ils fe jouoient en créant le monde , & multiplioient
les méprifes à l'infini. Dans le corps
d'un homme , ils plaçoient l'ame craintive
d'une femme ; dans celui d'une femme , les
penchans , les defirs & l'intempérance d'un
homme. Quelquefois ils oublioient de donner
une ame à la beauté , & par un caprice
étonnant , dévouoient au ridicule un être
contrefait , en lui prodiguant trop d'amourpropre
& trop de fenlibilité. Je pofai la
main fur des coeurs de toutes les espèces ;
les uns étoient fi durs , qu'il n'étoit pas
poffible de les amollir ; les autres étoient
-fi fouples , prenoient tant de formes , qu'ils
ne pouvoient jamais être propres à rien.
A l'aide d'un magnétifme que les génies
diftribuoient au hafard , je vis parmi certains
coeurs des rapprochemens finguliers
& des contraftes bizarres. Si j'avois été
éveillé , j'aurois reconnu les bigarrures de
nos corteries , de nos mariages , & de quel
ques -unes de nos conventions.
Devant moi s'ouvrit enfuite l'attelier
diaphane des idées. Je diftinguai auffi - tôr
les anciennes à leur à-plomb , les nouvelles
Giv
152 MERCURE
à leur denfité. J'étois déjà convaincu que
pour élever le monde , les anciennes avoient
dû être fortes & nourries ; maintenant que
l'univers eft furchargé d'idées , il importe
fans doute que les nouvelles foient affez
volatiles pour percer fans déchirement l'atmofphère
des vieilles connoiffances, encroûté
dans les vieux préjugés. Je vis , bon Dieu ,
quelles têtes ! les unes étoient fi légères , ce
n'étoit que du vent : celles- ci étoient fi vaines
, ce n'étoit encore que du vent. Les fiècles
paffes rouloient devant moi à travers cette
fourmillière. Les uns étoient bien ignorans ,
les autres bien fanguinaires , ceux-là bien
fuperftitieux ; le plus odieux de tous étoit le
feizième fiècle. Ses mains étoient teintes de
fang , dégouttantes des poifons qu'il avoit
préparés ; il fembloit encore regretter les
flammes des bûchers nombreux qu'il avoit
állumés. Après lui marchoit un génie revêtu
d'une robe rouge , politique vindicatif,
moitié fujet , moitié defpote , & qui cimen ~
toit avec du fang la puiffance royale , dont
il avoit ufurpé l'autorité ; tandis qu'un foible
Monarque vouloit & n'ofoit la reprendre , &
haïffant fon Miniftre , livroit à fa vengeance
les fujets qu'il aimoit le plus. Un grand proble
me reftoit encore à réfoudre en France, favoir
fi ce génie, avec moins de fang répandu , n'auroit
pas pu faire autant de bien qu'il en a
fait à l'État, & fi ce fang n'étoit pas répandu
plutôt pour le défaire de fes propres ennemis
que de ceux de la France , qui , dans le
,
DE FRANCE.
153
vrai , n'en avoit plus à craindre dans fon
fein , fi ce n'eft le parti Huguenot . Cependant
la populace appeloit ce génie un grand
génie ; les bons citoyens abhorroient fa mémoire.
Un autre génie en robe rouge le
fuivoit de près ; il baifoit la belle main
d'une Régente , fur laquelle il s'appuyoit
auffi-tôt qu'il faifoit un faux pas ; mais il
difparut bien vîte de la fcène du monde : le
génie brillant de Louis XIV précipitoit fa
retraite. Je vis défiler devant moi de petits
génies qui avoient tenu le timon de l'Etat ,
& qui ne méritoient pas l'honneur d'être
comptés. La marche étoit terminée par un
efprit aimable & doux qui régnoit en Souverain
fur une maffe d'idées,parmi lesquelles j'en
remarquai beaucoup qui étoient compofées
de philofophie, d'humanité, de marine , de liberté
des mers , de combats & de victoires.
Une d'entre-elles portoit un pavillon fur
lequel étoit peint un lys , & deffous un dix
& un huit , avec ces mots : pavillon dufiècle.
Je vis fur-tout (je n'en perdrai jamais le
fouvenir ) dans une tête royale de vingt-cinq
ans , les mêmes idées qui ont rendu chère
la mémoire de Marc- Aurèle : près d'elle
étoit placée une autre tête un peu plus âgée ,
qui avoit raffemblé les combinaiſons les plus
faines fur l'économie d'État , & remplie de
plans de réformes néceffaires. On eût dit de
la tête de Colbert dirigée par l'ame de Sully.
Ou je ferai bien trompé , m'écriai -je , ou cès
deux têtes feront bien des heureux.
Gv
354 MERCURE
Mon rêve fe prolongeant toujours , je vis.
un monde fortir du néant devant moi. Au
monde , on l'a dit depuis long-temps, il faut
des maîtres. Les génies confièrent au hafard
la diftribution des individus. Le hafard les
partagea indiftinctement en deux claffes.
Dans un des baffins de la balance furent
placés du fer , des inftrumens aratoires , des
compas , la navette & le métier. Dans l'autre,
des fceptres , des épées , des écuffons , de
l'or. Ceux à qui échut le premier lot furent
nommés peuple , les autres Rois , Princes ,
Comtes , & c. & c. Je vis ces hommes utiles,
qui foulevoient le fer d'un bras nerveux
shumilier devant ces êtres que l'or, l'orgueil
& les vices amolliffoient déjà . Déjà de nombreuximpôts
fouloient le peuple ; déjàje n'appercevois
d'un côté que misère , de l'autre
que des abus . Un génie malfaifant divifoit
tous les citoyens , & par un moi abfolu , ifoloir
chaque individu. Le monde étoit près.
de rentrer dans le chaos , quand je vis pa-
Foître cette tête royale de vingt- cinq ans ,
fecondée par celle dont j'ai déjà parlé , & de
laquelle s'échappèrent auffi - tôt autant de
réformes utiles qu'il s'échappoit jadis de
vérités de la main de Zénon. Je veux , difoit
le Roi , être le père de mon peuple , dût- il
être ingrat. J'en ferai toujours l'ami , difoit
te Miniftre avec l'accent de la douleur. Le
peuple difoit au Roi : voici vos enfans , &
montroir au Miniftre les pages lacérées d'un
libelle odieux : c'est ainsi , continuoit le peuDE
FRANCE. 155'
ple , que nous accueillons ces écrits calomnieux.
Confolez- vous : Sully & Colbert ne
furent point à l'abri de la calomnie. Comme
eux elle vous perfécute. La nation les a vengés
; attendez tout d'elle. Ce difcours me réveilla.
Eft- il un Royaume qui reſſemble à
celui-là N'eft-ce qu'un rêve?
( Par M. Mayer. ).
A S. A. S. Mgr le Prince DE CONDÉ,
Colonel - Général de l'Infanterie.
Nos Soldats aujourd'hui ne font qu'ur Bataillon :
Ceft le Fils d'un Héros , c'eft CONDÉ qui les mène..
On fe plaît à voir un Bourbon
Qui , né pour les dangers où fa valeur l'entraîne ,
Sait commander comme Turenne,,
Et qui fe bar comme Crillon.
(Par un vieuxTémoin defes Campagnes. )
1A CHÈVRE ET LES MOUTONS
Fable
Sux un mont efcarpé , pendant et précipice, en
Barbe la Chèvre un jour voulut monter ;
Non par fanfaronnade , ou par un vain caprice
Mais bien à deſſein d'y brouter.
Obſervez que la route en étoit mal-aiſées,
De ronces par-tout hériffée ,
Thégale , pierreufe & pleine de détours.
Ge vj
156
MERCURE
•
Barbe, n'en eft pas rebutée.
Elle s'effaye à la montée,
Franchit d'épais buiffons , s'engage en des contours ;
Fait tant qu'après bien des tournées ,
Après avoir rodé trois ou quatre journées ,
Enfin elle gagne le haut.
Or la voilà qui fait maint faut ,
Qui s'applaudit , qui gambade , qui broute.
Un Troupeau, qui d'en -bas la voit mangeant ſon faou,
Prétend auffi tenter la route.
»Plus qu'elle , rifque - t'on de fe caffer le cou ?
» Montons ». L'on défile , l'on monte.
Dame Chèvre, voyant ceci ,
Leur tend fa patte blanche :-Approchez par ici. -
De l'aide ? à nous ? oh fi ! ce feroit une honte ;
Nous fammes leftes , dieu merci ;
Et nous monterons feuls auffi.
Puis de faire la culebute ,
Puis de grimper encor , puis de tomber toujours.
Robin Mouton , effrayé de leur chûte ,
Moins fier qu'eux , de la Chèvre accepte le fecours.
Tout anffitôt l'officieuſe bête
Le mène par des fentiers courts ,
Et lève à chaque pas l'obftacle qui l'arrête.
Après cent pénibles détours
On a terminé le voyage :
Robin a donc gagné le fommet ſourcilleux ,
D'où jetant alors les yeux
Sur l'inférieure plage ,
DE FRANCE. 157
Il voit fes compagnons fufpendus , gambillans ,
E: tout-à-coup dégringolans ,
Dupes de leur orgueil , defcendre au noir rivage.
CETTE chûte eft commune aux Auteurs d'aujourd'hui,
Qui, fans un maître habile , entrent dans la carrière.
Qu'un Savant nous ſerve d'appui ,
Qu'il nous guide , qu'il nous éclaire,
Et nous deviendrons grands en marchant avec lui.
( Par M. le Bailly. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE m
E mot de l'Enigme eft Coq ; celui du
Logogrypheeft Io , dont en ôtant l'I , refte Q.
ÉNIGM E.
CONNOISSEZ - VO
NOISSEZ - VOUS fept foeurs de diverſe figure,
Et d'originale encolure ?
L'une a le teint fort soir , & l'autre l'a fort blanc ;
L'une a la jambe droite , & l'autre l'a crochue ;
Telle autre.en eft dépourvue ,
Toutes ont un nom différent ;
Et le fort veut qu'en naiſſant ,
Sur des cordes exprès tendues ,
Par leur père avec art elles foient étendues ;
Bien plus , la tête en bas , par les pieds les liant ,
1,8 MERCURE
Avec foupirs il les y pend ,
Mais ,le croiriez-vous bien ? malgré cette poſture,
Chacune monte & defcend
Avec cadence & meſure.
( Par M. Fl... )
LOGOGRYPHE.
JE fuis ou d'une grande ou petite étendue ;-
Je marche für fix pieds , & jamais ne remue ;
Je renferme en mon fein plus d'un être penſant ,
Que je mets à l'abri de l'orage & du vent.
Deviens-tu curieux , Lecteur , de me connoître ?
Cherche dans ton efprit , tu trouveras peut- être
Chez moi deux monts connus, & qu'ont rendus fameux
Les Écrits tant vantés de nos Auteurs Hébreux ;
Huit différens pronoms ; une ville de Flandre ;
Un ancien mot Gaulois , qu'on a peine à comprendre
Deux notes de mufique ; un des plus jolis mois ;
Le nom d'un Saint Apôtre , exiftant autrefois ;
Le contraire de plus ; le dérivé d'un verbe ;
Un membre très - utile , avec un fimple adverbe ;
Un nom chéri du fage , & trop peu reſpecté ,
Dont abuſe un perfide avec impunité..
Mais je m'arrête ici , car trop parler peut nuire ;
Si je me dévoilois on n'en feroit que rire ;
D'ailleurs , pour des Lecteurs intelligens , fenfes ,
Cela devroit fuffire , & j'en ai dit-affez .
(Par M. Holthouſen , de Bruxelles. ) -
DE FRANCE.
15% /
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE DE VOLTAIRE , composé par
lui - même , avec cette Épigraphe :
De toute fiction l'adroite fauffeté
Ne tend qu'a faire aux yeux briller la vérité.
BOILEAU.
A Paris , chez les Libraires qui vendent
des Nouveautés.
MONSIEU ONSIEUR Le Chevalier de Cubières eft:
Auteur de ce nouvel Éloge : paroiffant
après tant d'autres , il a pourtant trouvé
une manière de le louer qui ne reffemble
point à la leur. Il a évité l'emphafe , l'ana-
Lyfe ; & je ne fais quel air de catalogue
qui fe retrouve dans plufieurs Éloges, &
qui provient de la néceffité de célébrer
Bun après l'autre , & de faire paffer pour
ainfi dire en revue les grands ouvrages &
les différens genres par lefquels s'eft diftingué
cet homme le plus étonnant , peutêtre
, qui ait jamais exiſté.
Au lieu de ces tournures oratoires &
froides , M. le Chevalier de Cubières a
imaginé de faire de cet Éloge une Scène
dramatique , un Dialogue entre le plus:
grand. des modernes & le plus fameux dess
160 MERCURE 1
injuftes Critiques de l'antiquité. Ce qui
donne du mouvement , de la vie & de l'intérêt
à tout fon ouvrage.
Il fuppofe qu'en arrivant aux Champs
Élysées , M. de Voltaire rencontre Zoyle.
Ce détracteur d'Homère l'arrête , l'infulte , &
veut le forcer à fortir de ce féjour. Voltaire
alloit s'en éloigner : les autres ombres l'environment
, le retiennent , l'engagent à ſe
défendre contre ce farouche ennemi des
talens. Par-là ce grand homme eft obligé de
fe louer lui - même , & de citer les titres qu'il
a pour habiter parmi les gens de bien & les
hommes de génie.
Il étoit impoffible d'imiter le ſtyle de
Voltaire en le faifant parler : on n'imite
jamais long- temps , on n'imite jamais bien :
l'Auteur n'a pas eu cette prétention. Il a dû
& il a fu très-heureuſement oppofer des
vers ingénus & des vers plaifans à des vers
fublimes , mélange heureux dont M. de Voltaire
a donné tant d'exemples , & qui peutêtre
caractériſe plus que toute autre chofe
fa manière d'écrire quand il n'eft ni tragique
ni épique.
Par ce mélange , le ftyle fe rapproche de
la converfation , il a plus de vérité , il eft
plus animé , l'Auteur évite ainfi avec beaucoup
d'art de faire prendre à fon héros le
ton du panégyrifte , qui ne fied jamais à
l'homme qui parle de foi , quoiqu'on permette
à l'homme qui fe défend de fe vanter
un peu. Il rappelle aufli à fon Lecteur par
DE FRANCE. 161
des tranfitions heureufes , que celui qui
parle repouffe les attaques d'un adverfaire
, & ne nous entretient pas de lui-même
fans raifon.
Lorfque ce grand homme a ceffé fon
difcours , au moment où Zoyle s'apprêtoit
à lui répondre , Alecton furvient , & faifit ce
Satyrique échappé du Tartare ; elle le chaffe
à grands coups de ferpens , & le replonge
dans ce gouffre. Les ombres heureufes conduifent
Voltaire dans le boſquet deſtiné aux
Génies , & voici ce qui s'y paffe : c'eft toujours
M. de Voltaire qui eft fuppofé parler
& raconter ce qui lui eft arrivé.
J'y fuis entre Corneille & Racine placé ;
Leur laurier poétique au mien eft enlacé.
L'Auteur de Bajazet , qu'on aime & qu'on admire ,
A les yeux attachés fur ma tendre Zaïre.
Corneille lit Brutus . Le grave Defpréaux ,
:
Non loin de nous affis , tient mes Difcours Moraux ;
Je crois qu'il les compare à fes belles Épîtres ,
Et qu'à fon indulgence il leur trouve des titres.
Pope en me voyant-là juge que tout est bien.
L'Ariofte föurit , & ce n'eft pas pour rien .
Anacréon plus loin décoiffe une bouteille,
Et boit à ma fanté fous l'ombre d'une treille.
Des Contes de Vadé qu'il loue ingénument ,
La Fontaine à Vadé veut faire compliment.
Ses yeux cherchent par-tout cet Écrivain ſublime .
Mais , qu'entends- je ? Boileau , mon juge légitime
162 MERCURE
•
Vient tout-à-coup fur moi de porter fon arrêt.
Je rougirai long- temps d'un aufi beau portrait ,
Et mon ami C.... doutera qu'il reffemble :
Tous les efprits divers fon efprit les raffemble. »
Combien d'ouvrages loués finement dans
ce peu de vers , combien ils font juftes , &
avec quelle précifion ils caractérisent & les
Poëtes & les écrits dont s'occupe chacun
d'eux ! Voulez -vous une grande & fublime
image dite fans emphafe , écoutez ces
vers.
Beaucoup de beaux- efprits que j'ai vus depuis peu ,
Ont des velléités de ne pas croire en Dieu.
Pour moi j'y crus toujours ; fur la sphère étoilée ,
Trône immenfe où s'affied fa majefté voilée ,
Toujours avec refpect j'ai porté mes regards ,
Et vu les traits empreints dans les mondes épars ,
Qu'aux matches de fon trône une chaîne balance.
Je voudrois bien vous en citer encore
d'autres comme celui - ci , fur les Hiftoriens
du fiècle dernier.
On avoit mis l'hiftoire en oraifon funèbre.
Comme ceux- ci fur Racine.
La langue fous fes mains eft une molle argile
Qui , docile à fes voeux , s'arrondit & s'étend ,
Que fon goût délicat foumet à chaque inftant
A de nouvelles lois , à des formes nouvelles.
Et ceux-ci , fur le fondateur du Théâtre.
DE FRANCE.
163
Corneille plus hardi , plus ami de l'écart ,
Laiffe marcher fon ſtyle & fa verve au hafard :
Il eft , fans le favoir , éloquent & fublime ,
Il ne met point fon vers fous le joug de la lime.
Plus ces vers font heureux , plus cet ou
vrage nous a paru ingénieux par fon plan ,
plus l'Auteur a marqué de goût & de juftelle
dans fes jugemens , plus il a fu ſe garantir
d'un défaut très en vogue aujourd'hui , de
celui de parler de tout en termes emphatiques
, de chanter les Bergers avec la trompette
, de plier fon fujet à fon ftyle , au lieu
de conformer fon ftyle à fon fujet , & plus
nous regrettons qu'il ait quelquefois facrifié
à la mode qui règne depuis la mort du grand
Poëte que l'Europe regrette. Je dis la mode,
parce que nous croyons avoir remarqué que
dans tous les arts il s'établit de temps en
temps une manière vicieufe , que la plupart
-des Artiftes adoptent pendant quelques
mois ou quelques années , & qu'ils abandonnent
enfuite pour une autre. Nous
fommes très- fachés que cet Auteur n'ait
toujours , felon les principes du goût , de
T'harmonie , de la raiſon , & de Boileau ,
Dans les bornes du vers , renfermé fa penfée.
pas
Qu'il imite quelquefois ceux qui ra
mènent la poéfie à l'état d'enfance où elle
étoit avant Malherbe ; depuis cet homme
de génie , qui , le premier , écrivit avec goût
164
MERCURE
& avec clarté , qui corrigea les Auteurs de
fon fiècle.
Les ftances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Aujourd'hui des Auteurs , qui d'ailleurs
font remplis de mérite , fe permettent &
affectent même cette conftruction vicieuſe
qui anéantit le vers ,, qui change les plus
beaux en de fimples lignes de profe rimée.
C'est même parce que des hommes d'un
vrai talent fe font abandonnés à cette négligence
qui rend l'art d'écrire fi facile , qu'il
faut prémunir contre elle ceux qui feroient
tentés de s'y livrer auffi. Pour fentir combien
le principe de Boileau eft jufte , & combien
le mécanisme du vers doit être reſpecté , je
citerai un exemple. Les deux premiers vers
de la Henriade font fimples & fans défauts :
tout le monde les connoît.
Je chante ce Héros qui régna fur la France,
Et par droit de conquête & par droit de naiffance.
M. de Voltaire a bien , dans les bornes du
vers , renferméfa penfée. Écrivez maintenant
ces deux vers a la manière moderne.
Je chante ce Héros qui , par droit de naiſſance
Et par droit de conquête , a régné fur la France.
Ce font les mêmes mots , la même penfée
; cependant au lieu de deux beaux vers ,
vous n'avez plus que deux lignes de profe ,
& même d'une profe-foible. On peut ajouDE
FRANCE. 165
ter à cela qu'on ne retient jamais que les
vers qui renferment une penſée complette :
que tout vers qui enjambe eſt condamné à
un oubli éternel. Mais Racine n'a- t- il pas
dit ,
Je répondrai , Madame , avec la liberté
D'un Soldat, qui fait mal farder la vérité.
Oui fans doute ; mais fi Racine , au lieu
d'ajouter ces mots , qui fait mal farder la
vérité, & qui font le complément de fon
vers , avoit regardé fa phrafe comme finie ,
& en avoit commencé une autre , jamais on
n'eût retenu ce beau vers ; il n'eût été qu'une
ligne de profe brifée pour attraper une rime.
Ces derniers mots mêmes, quifait malfarder
la vérité, n'ajoutent rien à la penfée : elle
étoit plus forte fans eux. Mais Racine connoiffoit
parfaitement toutes les convenances
& toutes les bienféances ; il fentoit qu'en
parlant à la mère de l'Empereur , on ne devoit
pas fe vanter de la liberté d'un foldat :
qu'il falloit mettre quelque adouciffement à
cette expreffion , & peindre du moins un
foldat qui , même en voulant s'exprimer avec
refpect , ne favoit pas déguifer fa penſée.
Alors tout eft parfait , la penſée eſt énergique,
& l'expreffion ne manque pas d'égard ;
le fens eft entier , l'oreille eft fatisfaite , &
l'Auditeur emporte ces beaux vers avec lui ,
& ne les oublie jamais.
On auroit auffi defiré que l'Auteur du
nouvel Éloge de M. de Voltaire eût fait un
166 MERCURE
ufage plus fréquent de l'inverfion ; c'eſt elle
qui foutient le ftyle dans la poéfie. Voyez ce
beau vers d'Athalie.
Oui, je viens dans fon temple adcrer l'Éternel.
Écrivez-le fans inverſion , & voyez comme
il tombe.
Oui , je viens adorer l'Éternel dans fon temple.
Le plaiſir malin de trouver quelques taches
dans un ouvrage eftimable , n'eft pas ce qui
nous a engagés à faire ces légères obfervations
: elles nous ont paru néceffaires dans ce
moment- ci . Au refte , l'Auteur de cet article
dira comme le bon la Fontaine :
Je donne-là de beaux confeils fans doute ,
Les ai-je pris pour moi-même ? hélas ! non.
LE Chanfonnier François. Seconde Partie
Volume in-12. A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques.
Il ne falloit point donner à ce Recueil le
titre de Choix des meilleures Chanfons ;
plufieurs nous ont paru médiocres , &
quelques-unes ne méritoient pas d'être recueillies,
On peut divifer les Chanfons de
ce Tome 2. en deux claffes , les anciennes
& les modernes. Les anciennes font prefque
toutes charmantes & délicates. Telles font
celles de Moncrif, plufieurs de l'Abbé l'Attaignant
, la fameufe Romance de Daphné ,
de M. de Marmontel ; les autres Pièces en
DE FRANCE. 167
ce genre , celles de MM. Favart & Collé.
Les modernes ne jouiffent pas du même
avantage ; elles manquent , à l'exception de
quelques- unes , de naturel & de gaîté : l'abus
de l'efprit gâte tour. L'une des plus agréables
& des plus connues parmi celles dont nous
parlons , a , malgré le fuccès dont elle jouit ,
plus de fautes que d'agrément.
Du ferin qui tefait envie,
Eglé , je te fais le préſent.
C'étoit l'attribut de Lesbie ,
Le meffager de fon amant.
Sans bleffer la délicateffe ,
Songe qu'un tel cadeau fouvent
Expoſe un coeur à la tendreffe ,
Et prépare un engagement.
Tout le monde connoît les charmans Hendecaffyllabes
de Catulle , fur l'oifeau de
Lesbie. Il n'étoit point l'attribut de cette
belle , il étoit fon favori. Il n'étoit point le
mellager de fon amant. Anacréon , il eſt vrai ,
fe fervoit d'une colombe pour envoyer fes
lettres à Batyle ; le vieillard de Théos nous
l'apprend dans fon ode neuvième ; mais Catulle
n'a dit nulle part qu'il eût fufpendu
fes billets doux au bec d'un moineau pour
les porter à fa maîtreffe. Après de pareilles
fautes, nous ne parlerons point du verbe faire
qui fe trouve dans les deux premiers vers
de cette Chanſon.
168 MERCURE
A M. le Vicomte de V ***.
Adieu , beau Chevalier François ;
Quand vous quittez nos femmes ,
Faites payer cher aux Anglois
Les douleurs de ces Dames.
Mars & l'Amour arment vos mains :
Il faut finir vos preuves ;
Allez faire autant d'orphelins
Que vous laiſſez de veuves.
Faites payer cher aux Anglois
les dondeurs
de ces Dames
, eft de ce miférable
jargon
qu'on a fubftitué
dans nos Chanfons
modernes
à la joyeuſe
naïveté
des anciennes
.
L'Auteur
a cru dire une chofe très- ingénieuſe
à M. le Vicomte
de V ** , en l'exhortant
à
aller faire autant
d'orphelins
qu'il a laiſſé de
veuves
; cette exhortation
ne nous paroît ni
galante
ni philofophique
. M. de Voltaire
,'
qui poffedoit
fi bien & le bon ton & le bon
goût , parle ainfi au Roi de Pruffe
dans une
de fes lettres.
Au milieu des canons , fur des morts entaffés ,
Affrontant le trépas & fixant la victoire ,
Je vous pardonne tout , fi vous en gémiſſés.
S'il eft dans ce Recueil plufieurs Chanfons
que nous voudrions corriger , il en eft d'autres
que nous voudrions en retrancher tout.
à-fait. Telle est celle de Piron fur la Sémiramis
; il nous femble qu'il vaudroit mieux
enfevelir
DE FRANCE. 169
enfevelir que reffufciter ces monumens de
l'injuftice & de l'envie. D'ailleurs , nous ne
croyons pas que jamais on s'avife de chanter
dans un fouper les vers fuivans :
Prêtres & Bedeaux ,
Chapelle & tombeaux ,
Blafphêmes nouveaux ,
Vieux dictons dévots ,
Que n'a-t'on pas mis
Dans Sémiramis ?
1
De pareils vers font fans grâces & même
fans gaîté. Tout le monde les trouvera déteſtables
; & fi demain on repréſente Sémiramis
, tout Paris ira l'applaudir. Il y a eu
jadis à Nevers un Menuifier nommé Billaut
ou Maître Adam. On n'a pas manqué d'inférer
ici fon chef-d'oeuvrè. Voici le fecond
couplet.
Auffi-tôt que la lumière
Vient redorer nos coteaux
Preffé du defir de boire
Je careſſe les tonneaux.
Maître Adam , quoique Menuifier , favoit
fort bien que lumière & boire ne riment
pas. L'Éditeur auroit dû faire imprimer ces
couplets tels qu'ils ont été faits , c'est- à - dire
mieux rimés. Ils font dans la bouche de tous
les joyeux convives.
On n'auroit pas dû faire imprimer fous
Sam. 27 Mai 1780.
H
170
MERCURE
le nom de le Sage & de Crébillon père , des
couplets qui ne peuvent que nous ennuyer
& nuire à leur gloire. Les hommes qui ont
fait Électre & Rhadamifte , Gilblas & Turcaret
, fe pafferoient fort de la gloriole que
donnent des Chanfons , & le Public n'y
perdroit rien.
MES LOISIRS , ou Poéfies diverſes , par
M. L. Pons de Verdun , Avocat au Parlement,
A Londres , & le trouvent à Paris
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés
, vol, in- 12 ,
UN Auteur a beau déclarer qu'il eft
fans prétention en publiant fes petits vers ,
cette modeftie apparente peut lui concilier
les fuffrages d'une fociété qui l'accueille
, mais elle ne le fauvera jamais de
la févérité des gens de goût , s'il s'expofe
imprudemment au jour de l'impreflion. -
Quelque léger que foit le genre qu'il cultive ,
il doit fe répéter long- temps avant de paroître
, qu'il n'en exifte aucun en poélie qui
puiffe faire pardonner la médiocrité. L'inimitable
Écrivain qui a dit fi modeftement
de lui-même que les longs Ouvrages lui fai
foient peur, & qui doutoit fi naïvement de
fes forces , favoit fort bien que le plus court
des Poëmes a moins de droits à l'indulgence
du Public , s'il eft médiocre , que le plus
long s'il eft ennuyeux . Moins la carrière eft
DE FRANCE. 171
longue à fournir , plus on eft impardonnable
de ne pas s'y montrer avec fuccès .
M. Pons de Verdun ne nous paroît pas auffi
fortement perfuadé de cette vérité. On ne
devine point la raifon qui l'a pu déterminer
à groffir fon petit Recueil de cinquante vers
lâches & dégoûtans, fur un cliftère qui ne fait
pas rire.
La Baronne de Roguet
Avoit beſoin d'un cliſtère ;
Et vite , un Apothicaire !
On court chez M. Droguet.
Cylindre en main il arrive.
Monfieur , n'eft -il pas trop chaud?
Madame , il eft comme ilfaut.
Mettez- vous fur le qui vive,
A l'approche du canon.
La Baronne fe recule.
Eh ! Monfieur Droguet , de grâce ,
Je lens bien ce que je lens,
- Je fuis maître de la place ;
Et vos cris font impuiffans,
1 Je vous dis pure grimace ,
J'ai bon ail & bonne main , &c.
Toute la Pièce eft remplie de ce pitoyable
jargon ; nul trait , nulle eſpèce de faillie
qui faffe au moins tolérer le mauvais ton de
ce Dialogue prolixe & barbare. O déplorable
facilité !
Hij
172
MERCURE
Gloire à Monfieur de Brochando ,
Son effai paſſe un coup de maître ;
Hier, en fortant de fon dodo ,
Gloire à Monfieur de Brochando ,
Il fit logogryphe & rondeau
Qu'au Mercure on verra paroître,
Gloire à Monfieur de Brochando ,
Son effai paffe un coup de maître.
Il faut que l'Auteur trouve un mérite réel
à rimer plufieurs fois en do avec le même
terme , pour avoir fait imprimer cette Pièce
qu'il nomme un Triolet, La difficulté vaincue
effaceroit-t'elle à fes yeux l'irrégularité du
troiſième vers ? Hier doit être de deux fyl-,
labes. Mais , que ne lui pafferoit - on pas
en faveur du dodo , qu'il a fi heureuſement
trouvé pour rimer à brochando ? Nous
lui confeillons cependant de mettre ou plus
de grâce ou plus de raifon dans fes vers ,
ne dût-il pas rimer fi richement. Nous
fommes perfuadés qu'il peut mieux faire
avec des foins & du travail, Quelques
fragmens de fon Recueil annoncent de l'efprit,
Le mot du Conte fuivant étoit connu ;
mais la manière ingénieufe dont il eſt
amené le rajeunit , & nous a paru plai-
Lante.
Frère Ange , Cuifinier des Pères Récollets ,
Avoit , un jour de jeûne , à ce que dit l'hiſtoire ,
Gliffé du lard dans tous les mets
DE FRANCE. 173
Que l'on devoit fervir au réfectoire :
Or , ce n'étoit du tout agir en bon Chrétien .
Un Novice le vit , & crut qu'en confcience
Il devoit dénoncer Frère Ange à fon Gardien ,
Comme infracteur de la fainte abftinence.
Ainfi fut fait. Grand Dieu ! qu'eft- ce que tout ceci?
S'écria le Pater en allongeant la mine :
De l'avis , Frère , grand merci ;
Mais ne mettez jamais le pied dans la cuiſine .
Parmi les Contes & les Épigrammes
qu'on trouve dans ce Recueil , il en eft peu
qui n'aient déjà été imprimés dans l'Almanach
des Mufes. Si l'Auteur vouloit s'attacher
à diftinguer le trivial & le bouffon de
la bonne plaifanterie , & à ne pas délayer
en plufieurs vers ce que tout le monde fait
en deux , il pourroit peut-être avoir des
fuccès en ce genre . L'idée du Conte que
nous allons citer , n'eft pas plus neuve que
selle du précédent , mais elle a le mérite
d'être expofée avec autant de précision que
de naïveté.
Guillot tout fier revenoit de Verſailles ;
Jean lui demande : as - tu bien vu le Roi ?
Vraiment , compère , il a parlé de moi
En me voyant. Bon , reprit Jean , tu railles.
Nenni parguienne ! hier pour le mirer ,
Tout droit à lui j'allions à la ſourdeine ;
Hiij
174
MERCURE
Il a bian dit : qu'on faffe retirer
Cet homme- là , je n'aime point fa meine.
Les premiers vers d'une Épître à Mademoifelle
*** , font tournés avec grâce.
44
Il eft une heure dans la vie
Trop prompte , hélas ! à s'écouler ,
Et de regrets toujours fuivie ,
Car on ne peut la rappeler.
L'entendez -vous , jeune Sylvie ?
La voilà qui fonne pour vous ;
Le Temps , qui vous voit fi jolie ,
Poſe fa failx à vos genoux ;
Tandis que ce vieillard jaloux
Près de vous s'arrête & s'oublie ,
L'Amour eft là qui vous fupplie
De faifir un inftant fi doux ,
Pour le donner à la Folie.
Tout le refte eft foible & fans harmonie.
Croyez-moi , fuivez les avis ;
L'Amour , ma chère , eft un grand maître ;
De ne les avoir pas fuivis
Vous vous repentirez peut- être.
Si-tôt que , de votre printemps ,
Toutes les fleurs feront fanées ,
Vous accuferez le Deftin ,
Et vous vous écrierez en vain :
i
DE FRANCE. 175
Ah! que le foir de mes années
Eft différent de leur matin !
Ce Commentaire profaïque de la pre
mière idée de l'Auteur , énoncée en vers
agréables , prouve combien eft dangereufe
cette facilité trop commune qui ne fait jamais
s'arrêter. Il nous paroît impoflible qu'en
relifant fon Épître , M. Pons n'ait pas vu
que le troifième vers difoit feul tout ce qu'il
répète en vers martelés dans cette dernière
tirade & dans la fuite de la Pièce. N'eft-il
plus d'amis pour les jeunes gens qui font des
Recueils , ou l'amour- propre eft- il plus fort
que tous les confeils ?
Les deux derniers vers qui terminent un
Conte de ce volume , feroient-ils applicables
à l'Auteur lui - même ?
Pour trouver bons des vers qui font mauvais ,
Il n'eft rien tel que de les avoir faits .
Puifqu'il faifit le ridicule de cette aveugle
prédilection , que n'a- t - il eu affez de févérité
pour faire le facrifice de cette foule de
mauvais vers , où il s'agit d'une culotte qui
laiffe paffer la bife par plus d'un endroit ?
( expreffions de l'Auteur ) De ces triftes plaifanteries
tant redites , tant rebattues , fur
l'accoûtrement & l'ameublement des mauvais
Poëtes ? Elles amufent moins les fots
qu'elles ne révoltent les bons efprits. Il de-
VLoit fe perfuader que des mots burlesques ,
Hiy
176 MERCURE
fans idées , ne peuvent exciter qu'un rire
de pitié. Il n'eft permis d'employer ces
termes ignobles qu'à l'Auteur qui fait les
rendre piquans fans bleffer l'oreille & le
goût , ou plutôt le goût doit les reprouver.
Si M. de Voltaire , dans fes Épîtres légères ,
n'a pas toujours dédaigné les détails vulgaires
& les mots les plus communs , il femble
qu'il veuille nous faire pardonner ces écarts ,
en y verfant à pleines mains le fel de la plus
fine plaifanterie. On fait par coeur fes vers à
Philis.
Philis , qu'eft devenu ce temps
Où dans un fiacre promenée ,
Sans laquais , fans ajuſtemens ,
De vos feules grâces ornée , &c.
Il eft inutile de citer tout entier cet élégant
badinage. Il eft connu de tout le
monde.
Le mauvais ton & le mauvais goût font
inféparables. L'Auteur des vous & des tu en -
a toujours préſervé la plus faible de fes
Pièces Fugitives ; M. Pons en remplit toujours
la moins mauvaiſe des fiennes. II
feroit malheureux pour lui qu'avec des dif
pofitions au talent , il ne parvint jamais à
l'acquérir.
DE FRANCE. 177
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LORSQUE ORSQUE nous avons annoncé , dans le
17 N° . de ce Journal , que l'Adminiftration
de l'Académie Royale de Mufique venoit
de paffer entre les mains de M. Berton ,
nous étions éloignés de penfer que cinq femaines
après, il nous faudroit parler au Public
de la mort de cet Artifte.
Pierre Montan Berton , Sur- Intendant de
la Mufique du Roi , étoit né en 1727. Deſtiné
à l'Art Muſical dès fa plus tendre enfance
il fixa l'attention des Maîtres dans un âge où
les élémens de la Mufique font à peine familiers
à la jeuneffe. Ses premières productions
donnèrent de très- grandes efpérances ,
auxquelles une fortune médiocre, des voyages,
& les occupations attachées à la Place de Directeur
de l'Opéra , dont il a été revêtu plufieurs
fois , ne lui ont pas permis de répondre
autant qu'il auroit pu le faire . Nous ne
parlerons ni du féjour qu'il fit à Senlis dans
fon enfance , ni de fon début à Paris , ni
de fes débuts en Province ; nous ne nous
arrêterons qu'à ce qui le diftingue comme
Compofiteur. Chargé de corriger , élaguer
ou changer des morceaux de nos anciens
Hv
178
MERCURE
Opéras , il s'eft acquitté de ce travail pénible
& peu fatteur , avec un goût &une connoiffance
du ftyle des différens Muficiens qui
i ont concilié tous les fuffrages . On fe fouvient
encore , malgré les révolutions arrivées
dans notre Mufique , des changemens
qu'il fit à l'Iphigénie en Tauride de Campra ,
& en particulier de fa Chaconne , qui fut
trouvée , après celle du célèbre Rameau ,
la plus belle qu'on eut encore entendue , &
qui a été exécutée en Italie & dans plufieurs
Cours du Nord, avec le fuccès le plus décidé.
L'année dernière , on a vu applaudir
avec tranſport le choeur qu'il a ajouté à Vertumne
& Pomone. L'Opéra de Sylvie, qu'il
compofa en fociété avec feu Trial , eft un
ouvrage charmant ; & celui d'Érofine , qu'il
a compofé feul , ne mérite pas moins d'éloges.
Lorfqu'il fallut faire quelques changemens
aux Opéras de Caftor & de Dardanus ,
il eut le bon efprit de puifer dans les anciennes
productions de Rameau qui ne fe remettent
plus au Théâtre , les morceaux qu'il ſubſtitua
à ceux qu'il crut devoir profcrire ; &
quand il en plaça quelques - uns de fa compofition
dans les ouvrages de ce grand
homme , ce fut après avoir inutilement
cherché les moyens de corriger Rameau par
Rameau même. M. Berton a partagé avec
plufieurs Artiftes célèbres le foupçon de
n'être point l'Auteur des Ouvrages exécutés
fous fon nom. Cette idée a même été répandue
avec une telle profufion , que bien
DE FRANCE. 179
des gens l'ont adoptée comme une vérité inconteftable.
On peut affurer le Public que
cette imputation eft auffi abfurde que calomnieufe
; & s'il falloit à certaines gens un témoi
gnage irrécufable , nous pourrions citer M.
Francoeur , Sur - Intendant de la Muſique du
Roi , fous les yeux duquel M. Berton a , pour
ainfi dire , compofé les morceaux qui ont
fixé fa réputation.
Une maladie inflammatoire l'a enlevé en
fix jours à la Mufique & à l'Opéra , qui a
perdu en lui un homme précieux par fes
talens , par fon intelligence , & par l'expérience
que fes travaux & fes différentes directions
lui avoient acquife. Il eſt mort le
Dimanche 14 Mai.
L'Auteur de cet Article a trop peu connu
M. Berton pour entrer dans le détail de
fes qualités perfonnelles ; mais ce qui
parle en fa faveur , & ce qui honore beaucoup
fa mémoire , c'eſt la douleur profonde
qu'il laiffe après lui dans le coeur de Madame
Berton fa veuve , dont on nous affure qu'il
étoit adoré.
COMÉDIE ITALIENNE.
JAMAIS AMAIS les débuts n'ont été fi fréquens à
ce Théâtre que depuis quelque temps. En
voilà fix en quinze jours. Nous dirons quelque
chofe des quatre premiers dans ce N°
H vj
180 MERCURE
& nous parlerons des autres dans la
chaine Feuille.
pro-
Mademoiſelle Solin & Mademoiſelle
Girardin ont débuté le même jour dans la
Colonie, la première , par le rôle de Marine,
la feconde , par celui de Bélinde. Mademoifelle
Solin a déjà débuté à ce Théâtre il y a
trois ans. Nous lui avons trouvé de l'intelligence
& des moyens foibles , foutenus par
beaucoup d'adreffe.
Nous ne parlerons de Mademoiſelle Girardin
que comme Chanteuſe , & nous lui
donnerons des éloges ; quant aux qualités qui
'conftituent l'Actrice , nous ne pouvons que
l'exhorter à travailler beaucoup pour les
acquérir.
M. de Lizy , qui a débuté dans l'Amant
Jaloux par le rôle de Don Alonze , nous
paroît avoir de l'intelligence & de la fenfibilité
; mais la voix eft foible , & ne fe fait
entendre que difficilement.
Nous indiquerons , fans autres détails
le début de Mademoiſelle Ducoffay ; elle
n'a pas eu le bonheur de plaire au Public.
On a remis le 12 de ce mois , Nicaife ,
Opéra- Comique en un acte , par Vadé.
Le Conte de la Fontaine & l'Ouvrage de
Vadé , font trop connus pour que nous analyfions
ici ce petit Drame , où l'on retrouve
Pefprit naturel & vrai , & la gaieté qui diftinguent
particulièrement fon Auteur.
DE FRANCE. 181
Il exifte encore aujourd'hui un grand
nombre d'Amateurs qui fe fouviennent
d'avoir vu à l'ancien Opéra- Comique le
rôle de Nicaife repréſenté par M. Bouret ;
ne les engage point à chercher à la
Comédie Italienne un objet de comparaiſon.
VARIÉTÉ S.
LETTRE au fujet du nouveau Théâtre de
Bordeaux.
MONSIEUR ,
Vous étiez à Bordeaux quand on pofa les fondemens
de la magnifique Salle de Spectacle , dont
l'inauguration vient d'être faite le 7 de ce mois ,
par la repréſentation d'Athalie , précédée d'un Frologue
relatif à la circonftance. Le projet de ce fu
perbe monument eft dû aux foins de M. le Maréchal
de Richelieu , jaloux de joindre , pendant le calme de
la paix , le laurier des Arts aux palmes de Mahon..
Ce Seigneur , brûlant d'embellir la capitale de fon
gouvernement d'un Théâtre qui répondît à l'opulence
d'une vafte Cité , jeta les yeux fur M. Louis ,
Architecte , dont les effais donnoient les plus grandes.
efpérances ; elles viennent de fe réalifer de manière
à lui affarer une glorieufe célébrité. Je voudrois ,
Monfieur , qu'il vous fût libre de venir fur les lieux
joindre votre fuffrage à celui des Amateurs éclairés ,
qui n'ont pu refufer leur admiration à un édifice:
digne des plus beaux jours de l'architecture. Mais
pour répondre à votre empreffement , je vais tâcher
"
182 MERCURE
de vous en donner une idée, plus propre fans doute à
piquer votre curiofité qu'à la fatisfaire.
La nouvelle Salle de cette ville eft fituée dans un
local également agréable & fpacieux ; elle forme un
grand corps de bâtiment ifolé par tous les côtés ,
ayant 265 pieds de longueur fur 140 pieds en largeur,
& environ 56 pieds d'élevation ; c'eft fur toute
la largeur de 140 pieds qu'eft élevée la principale
façade de l'édifice . Elle s'annonce par une colonnade
Corinthienne d'une beauté impofante , formant
un périftile ifolé aux extrémités , dont les colonnes
ont trois pieds de diamètre , furmontées dun entablement
avec baluftrade & piédeftaux , pour recevoir
douze figures analogues à la deftination du
lieu. Ce périftile, qui annonce fi noblement un Palais
des Mules , eft compofé d'onze entrecolonnemens,
Il donne au-deffus de fon ordonnance une grande
terraffe ; elle s'étend fur toute la furface de cette
partie , laquelle fe trouve au plein de l'étage attique
qui règne tout autour fur les quatre façades du monument.
Les façades latérales & la façade poftérieure
font décorées du même ordre d'architecture ,
mais en pilaftres , avec une galerie en arcades qui
s'étend fur toute la longueur. On y a ménagé des
boutiques qui rendent les côtés très -vivans , & affurent
à la ville une rétribution confidérable . En raifon
de la pente du terrein , le derrière de la Salle fe
trouve pofé fur un foubaffement ou ftylobate fervant
de piédeftal à la décoration fupérieure , au milieu
duquel eft un perron pour dégager & faciliter la
circulation publique.
La majestueuse colonnade dont je viens , Monfieur,
de vous entretenir , eft obliquement apperçue de
deffus le cours de Tourni , à qui cette riche perfpective
prête un nouvel agrément ; mais l'on a ménagé
une place de se toifes de longueur fur 24 toifes de
largeur , d'où l'on contemple l'entière façade de
DE FRANCE. 183
l'entrée fous un point de- vue qui permet d'apprécier
tout l'effet de cette fuperbe ordonnance. Les façades
latérales très -nobles , quoique moins ornées , forment
des galeries fous lefquelles on marche à couvert ;
ainfi la plus grande affluence de fpectateurs ne fauroit
caufer le moindre embarras.
Après avoir traverſé le périftile , on entre dans un
veſtibule très-vaſte , décoré de feize colonnes doriques
, portant des plates -bandes droites qui foutiennent
un plafond plat , comparti de différens membres
d'architecture & de fculpture. Le fond du veftibule
répète les cinq arcades de l'entrée qui leur font
oppofées , & forment autant de portiques ouverts.
Les trois du milieu communiquent au principal efcalier
, & les deux des extrémités aux galeries ou
paffages menant d'un côté au parterre ou paradis ,
& de l'autre à l'eſcalier qui conduit aux troifièmes
loges.
Le principal efcalier qui fe préfente à la fuite du
veftibule occupant le centre du bâtiment , eft trèsorné
, & la beauté de ce morceau , dignement apprécié
par les gens de goût, a toujours paru faire l'impreffion
la plus vive fur tous les ordres de fpectaseurs.
La grandeur réelle de la cage eft de 36 pieds
en quarré ; mais comme elle est entourée des ouvertures
des portiques qui s'élèvent au rez-de- chauffée ,
& des entrecolonnemens des périftiles adjacens qui
font au premier étage , fa difpofition locale préfente
à l'ail des dimenfions apparentes beaucoup plus
grandes. La première rampe en face du milieu ,
monte par 14 marches. On arrive à un grand pallier
vis-à- vis la porte d'entrée des premières loges ; cette
porte eft richement décorée : deux grandes cariatides
repréfentent Thalie & Melpomene , furmontées
d'un fronton , avec des attributs allégoriques qui
défignent aux arrivans l'entrée de la Salle dès le
commencement du périftile. De ce grand efcalier
184 MERCURE
pour arriver au bel étage du bâtiment , partent deur
rampes ; la première aboutit à un grand veftibule
diftribué avec des colonnes Ioniques , lequel précède
les pièces particulières deftinées au Public. Le vuide
de l'escalier eft terminé par un dôme quadrangulaire
orné & percé de douze lunettes , dont l'élévation
totale , depuis le carellement jufqu'à la lanterne ,
eft de 60 pieds , appuyant des côtés , par des platesbandes
droites , fur les colonnes du premier étage ,
de forte que le veftibule d'entrée , le principal efcalier
& les périftiles adjaçans du premier étage , font ,
pour ainfi dire , unis enſemble , faifant un tout que
le fpectateur parcourra avant de pénétrer dans la
Salle.
Les pièces destinées à l'adminiſtration du Spectacle
, compofent à droite divers appartemens au
niveau du premier étage ; de l'autre côté eſt un Café
très -commode , une galerie d'été agréable & fpacicufe
, pour remplacer durant la belle faifon le grand
foyer d'hiver. La galerie ornée avec goût , eft furtout
intéreffante par les médaillons des hommes
célèbres , dont les talens furent confacrés aux divers
Théâtres. Au-deffus du veftibule d'entrée eft une
Salle de Concert d'une forme ovale , décorée avec
une élégante fumptuofité , & qui peut contenir onze
à douze cent perfonnes , ayant parquet , orchestre ,
trois rangs de loges , un fallon d'accord , & deux
efcaliers particuliers qui communiquent au veftibule
d'entrée. Les périftiles adjaçens au principal efcalier
de l'édifice , fervent d'entrée à la Salle du Concert.
Le foyer & les galeries ferviront également au
Public dans les jours confacrés à la mufique de
pupitre .
Vous favez , Monfieur , combien les fenfations
extérieures influent fur notre moral . La partie de
rédifice que je nommerai la Salle proprement dite ,
nous en offre un exemple frappant. Durant votre
DE FRANCE. 185
féjour à Bordeaux, vous vous êtes plaint fouventde ce
que , malgré la garde affez nombreuſe , notre Spectacle
étoit un des plus bruyans de la Province ; fans
doute la majeſté du lieu a fait plus d'impreffion que
les ordres de la Police. Il règne aujourd'hui durant
les repréſentations & même pendant les entr'actes ,
un calme & un air de bien féance qui , jufqu'ici , nous
étoient étrangers. Cette impreffion fubite de refpect
& de retenue, eft aux yeux du Philofophe le plus bel
hommage qu'une Nation puiffe rendre aux productions
du génie ; j'ajouterai , Monfieur , que l'Artiſte
feroit amplement confolé de toutes les critiques , s'il
devinoit le trouble délicieux qui s'élève dans l'ame
du Spectateur fenfible au moment où il pénètre dans
ce Temple augufte des Arts . Sa forme intérieure eft
un cercle parfait , dont la largeur du Théâtre occupe
la quatrième partie. Trois arcs doubleaux répètent
celui de l'avant - fcène & font couronnés d'une
corniche circulaire qui fait cadre au plafond , dans
lequel M. Robin , de l'Académie Royale , a peint un
fujet allégorique . Il repréfente la ville de Bordeaux
élevant un temple à Apollon & aux Mufes.
Comme la defcription de cet ouvrage très -cftimable
a été précédemment imprimée , je crois fuperflu de
vous la rappeler.
Le pourtour de la Salle eſt décoré de douze colonnes
compofites adoffées à la cloiſon ; elles partent
du niveau de la galerie , & comprennent dans leur
hauteur deux rangs de loges terminées par l'entablement
régnant tout au pourtour & fur les côtés de
l'avant-fcène ; ces colonnes , qui donnent au vaiffeau
l'air de la plus grande magnificence , reçoivent deux
rangs de bras ou girandolles en bronze doré , repréfentant
des bouquets de lys , & répandant la lumière
qui fort du calice de chaque fleur. Cette manière
d'éclairer fauve le défagrément des luftres qui
éblouiffent les yeux , coupent la vue du Spectateur ,
186 MERCURE
dégradent les plafonds , & verfent fouvent des flots
de cire fur le Public.
Les premières loges fuivent le plan circulaire de
la Salle , forme fi naturelle , quoique abfolument
nouvelle dans nos Spectacles François . Cette galerie
eft compofée de trois gradins en amphithéâtre , &
bordée d'une balustrade qui en fait l'appui , fur laquelle
fera , dit -on , jeté un tapis de velours bleu
orné de crépines , & relevé par diftances avec des
cordons en or & leurs glands pendans , du même
métal.
Les fecondes & troifièmes loges , compofées de
deux gradins , font pratiquées dans les entrecolonnemens
elles font avant-corps fur le nud du mur,
& forment des tribunes en faillies. Cette forme évite
la monotonie , qui fans doute auroit réfulté de plufieurs
galeries uniformément élevées les unes fur les
autres.
Le paradis , placé fur l'entablement qui lui fert
d'appui , préfente , à travers les vuides, des arcs doubleaux
qui répètent celui de l'ayant - ſcène , trois
grands culs-de-four en forme de demi- coupolles :
ceci donne par l'élévation & par le plan trois parties
femblables très-étendues , où l'on a placé autant
d'amphithéâtres , d'où les rayons vifuels plongent
fur le théâtre. M. Louis fait éclairer fon plafond
par des réverbères cachés derrière la corniche de
l'entablement qui lui fert de cadre. L'effet de cette
lumière douce eft d'imiter le jour naturel. Ce procédé
ingénieux concourt , avec des ventilations ha
bilement diftribuées , à purifier l'air , fans l'agiter
d'une manière ſenſible ; auffi eft- il dégagé de toute
vapeur défagréable , tandis que par tout ailleurs les
quatrièmes & fouvent les troisièmes loges ne laiffent
refpirer qu'une atmosphère impure & mal-faine.
C'eſt ainfi , Monfieur , qu'après avoir été ravi de la
beauté de la maffe totale de l'ordonnance , l'AmaDE
FRANCE. 187
tenr , en portant un oeil attentif fur chaque partie ,
découvre de nouveaux motifs d'apprécier les précautions
délicates & les vues multipliées de l'Artifte,
La même intelligence qui a présidé à l'enſemble , ſe
divife enfuite , pour ainfi dire , de manière à ce que
chaque morceau , en concourant à la beauté générale
, ait le mérite d'un fini particulier. Avec un peu
de fuite dans fes obfervations , il eft aifé de fe convaincre
qu'il eft peu de monumens où les foins de la
recherche foient auffi étonnamment foutenus , & fuppofent
dans l'exécution une tête fi fortement orgapifée.
Une foule de précautions voilées font abfolument
perdues pour le gros du Public , qui ne peut
tenir compte à l'Artifte de tout ce qu'il a imaginé
pour les plaifirs & la commodité des citoyens . On
n'apprendroit , par exemple , qu'avec reconnoiffance ,
qu'il exifte nombre de grands réfervoirs pleins d'eau ,
placés dans la partie fupérieure de la ſalle , afin d'affurer
, en cas de malheur , les moyens d'arrêter les
progrès d'un incendie.
Croiriez - vous , Monfieur , que l'Architecte , déformais
célèbre , à qui nous devons le bel Ouvrage.
que je vous efquiffe , a pouffé l'ingénieufe prévoyance
jufqu'à compofer toute la carcaffe intérieure
de fa falle en pièces rapportées de bois trèsfec.
Cette fuperficie , recouverte par les peintures ,
ne laiffe pas foupçonner un vafte inftrument fi favamment
combiné & fi favorable à la voix , que le
plus foible organe fe fait entendre dans toutes les
parties du vaiffeau fans écho comme fans confufion.
-
Je crois fuperflu , Monfieur , de vous entretenir
de l'amphithéâtre , de l'orcheftre & du parterre , qui ,
dans cet édifice comme dans tous les autres de ce
genre , occupent dans la diftribution le même local.
Je me bornerai à vous obferver que le parterre ,
beaucoup plus large que profond , rapproche le Spectateur
de la Scène , dont il ne perd abfolument rien.
188 MERCURE
Cette forme rend moins longue la colonne des auditeurs
, placés debout , qui tendent toujours à foncer
vers l'orcheſtre ; auffi ces agitations, que l'on nomme
flux & reflux , font devenues prefque infenfibles les
jours même de la plus grande preffe. La décoration
répond parfaitement à la dignité de l'édifice . Le fond
total de la falle eft de marbre blanc veiné . La corniche
circulaire du plafond , les arcs doubleaux ,
compartis de caiffons , le grand entablement , dont
la frife eft en guirlande , les chapiteaux des colonnes ,
leurs cannelures , bafes & focles , les baluftrades des
loges , les arabefques dans les panneaux des portes
d'entrée , le plafond au - deſſus de l'avant-ſcène , &c.
&c. &c. toutes ces parties font en ornemens rehauffés
en or , avec des draperies bleues peintes dans le
fond des loges , élégamment retrouffées à l'endroit des
portes , manière d'ornement abfolument neuve , qui
fatte infiniment la vue, &produit un effet pittorefque,
foit que les venteaux fe trouvent ouverts ou fermés .
Le rideau du Profcenium , qui précède la riche
toile de l'avant-fcène , préfente au milieu une fuperbe
porte de bronze ; il répète l'architecture de
la falle , à laquelle il répond & fe marie fi parfaitement
, que le théâtre ainfi fermé dans les momens
où la repréſentation eft interrompue , offre aux regards
du Public une rotonde parfaite. Ainfi le Profcenium
, au-devant duquel font exécutées en fculpture
dorée & en grand les Armes de France avec les
deux Anges leurs fupports , repofe très-agréablement
les yeux de l'affemblée.
Comme il eft indubitable , Monfieur , que par la
fuite ce bel édifice fera gravé , & que les moindres
parties en feront décrites avec foin , je ne chargerai
point ma lettre de longs détails relatifs aux acceffoires
, tels que les pièces deftinées à l'Adminiſtration
, les magafins , les dégagemens , les loges des
Acteurs , & beaucoup d'appartemens fufceptibles de
DE FRANCE. 189
location ; mais vous vous convaincrez un jour que .
M. Louis , fans dégrader fon monument par l'empreffement
mefquin d'y attacher plus de revenu pour
la ville , a fu tirer parti du terrein avec une fructueuse
mais honorable économie.
Divers Peintres de réputation travaillent fans relâche
aux principales décorations ; plufieurs d'entreelles
ont été déjà très - applaudies . Elles méritent de
concourir à la pompe du théâtre , l'un des plus
vaftes que l'on connoiffe. Il recèle un travail immenfe
qui ajoute encore à la réputation de M. Louis ;
il fera pourvu de toutes les machines propres à
effectuer les preftiges du grand Opéra : fes couliffes
font conftruites de manière à étendre ou refferrer
le local de la fcène , fuivant le genre des ouvrages
qui pourroient être repréſentés ; & , par l'ingénieufe
entente de l'avant-fcène , on peut avoir à ſon gré
un petit ou un grand théâtre.
Permettez -moi , Monfieur une dernière réflexion.
Les étrangers nous reprochent que dans notre
ville le Commerce paroît tout abforber ; mais, hélas !
la médiocrité de nos jouiffances dans les Beaux-
Arts n'excufe-t'elle pas un peu notre indifférence ?
J'ofe efpérer , Monfieur , du fuperbe monument que
je viens de vous décrire , une heureuſe révolution
dans nos goûts ; la Sculpture , la Danſe , la Mufique ,
la Peinture & les autres talens agréables femblent
déployer une émulation nouvelle pour briller dans
le fuperbe cadre qui leur eft deſtiné ; paroiffant
déformais dans tout leur éclat , fans doute ils fauront
piquer notre empreffemenr , exciter notre enthoufiafme
& ravir nos hommages.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
Votre très-humble & trèsobéiffant
ferviteur ,
P *. F *.
190
MERCURE
GRAVURES.
PLAN Topographique de la Ville de Toulouſe &
defa Banliue , levé géométriquement fur les lieux ,
par le Sieur Dapain-Triel fils , Ingénieur Géographe
du Roi , & dédié à M. le Comte de Périgord ,
Commandant de la Province. Ce plan , gravé par
un célèbre Artiſte , eſt ſur le format de grand aigle ,
& accompagné d'une Table des triangles ( en forme
de légende qui déterminent trigonométriquement
les objets de la ville , avec leurs diſtances à la méridienne
& à la perpendiculaire de cette même ville.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Noyers , près Saint-
Yves ; & chez fon père , Géographe- Breveté de
MONSIEUR , Cloître Notre - Dame. Prix ,, 3 liv.
La Veuve de Sarepta , ou l'Hofpitalité Récom
penfée , Eftampe d'environ 15 pouces de haut fur
10 de large , gravée en manière noire , par J.
Barbier , d'après le tableau original de Piétre de
Cortone. A Paris , chez l'Auteur , rue de Savoye ,
la première porte-cochère en entrant par la rue Pavée.
RECUELL
MUSIQUE.
ECUEIL d'Airs , avec des variations pour le
Violon & accompagnement de Baffe , dédié à M.
de Saint-Félix , par M. Michaud l'aîné , OEuvre IV,
Prix , 4 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue des Mauvais-
Garçons , près la rue de Buffy.
Six Quatuors concertans pour deux Violons ,
Alto & Baffe , par M. Rochefort. OEuvre II . Prix ,
9 liv. A Paris, à la même adreſſe.
191
PF
POUI
JD JE
LA
lecture
truit l'ignora
avantageux
qui analyſe
des Journaux
de meilleur p
intéreffant , q
liftes , & in
eft fûrement
& la vérité
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modérée dans 1
au Phyfique
fauffe Philoſophond
tout aux petite
des chofes quiitus &
compofées, de 12.
Nous n'aurorlunier
,
qu
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les autres . Elle
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former un véritat &
La Logique
, ch. 8 .
abaits
de notre part.
ch.8*.
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nommée l'Art d de
La grammair
à la Logique & t à Fres
tion fuffit pour ,
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La Phyfique euvu ,
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fon induftrie , vé, lai
des principes de
tous les lieux. Lobacs
nous viennent mer
de la terre & q
qu'elle y ajo
que les lo
pie
,
10
190
( 4 )
pitions pour la Soufcription.
de ia paru tous les mois , avec la plus
de , a commencé au premier Octobre de
Par puis ce tems , il a toujours été compofe
pho
hes par an , de huit feuilles d'impreffion
"in- 12 . Déformais on le donnera en deux
e feuilles d'impreffion chacune , ce qui
& re volumes par année.
Co
un
de
les onner en tout tems : le prix de l'abonaque
année ne fera toujours que de vingttant
pour Paris que pour la Province ,
urnal foit augmenté ; & l'Ouvrage fera Yv
port , à Meffieurs les Abonnés.
A
Paris , chez Madame la Préfidente D'ORMOY,
Manteaux , près la rue du Chaume ;
pene BALLARD & Fils , Imprimeurs du
Iolathurins ;
BaIGOT le jeune , Libraire , quai des Auguftins ,
Cole Pavée.
la hez le même Libraire la Collection com
aux de MONSIEUR , à dater du premier
jufqu'à ce jour.
x qui auront des Ouvrages ou Articles à
Journal , de les envoyer,
francs de port ,
Adeffus.
Vi
de .
Price 18 Avril 1780. Signé , DE SAUVIGNY.
vai
tion , permis d'imprimer , à la charge de
it à la Chambre Syndicale , le 19 Avril
ALE NOIR.
n , fur le Registre de Police de
le des Libraires & Imprimeurs
Réalemens .
DE FRANCE. 191
邃
ANNONCES LITTÉRAIRES.
TRAITÉ RAITÉ contre l'Amour des Parures & le Luxe des
Habits , par l'Auteur du Traité contre les Danfes &
les mauvaifes Chanfons. Seconde Edition . Vol. in- 12.
relié , grand papier , 1 liv. 16 fols ; petit papier ,
1 liv. 10 fols. A Paris , chez Lottin l'aîné , Imprimear
Libraire , rue S. Jacques,
Élémens de Géométrie fouterraine , théorique &
pratique , d'après les leçons de M. Koenig , extraits
des Voyages Métallurgiques de M. Jars. Vol, in- 8 °.
Prix , 2 liv. 8 fols . A Paris , chez Cellot & Jombert',
Libraires , rue Dauphine.
Avis aux Citoyens fur les caufes , les caractères
& les remèdes de l'aveuglement , de la furdité, &
les principaux accidens Vénériens , par M. Andrieu ,
Docteur en Médecine. Volume in- 8º . A Paris , chez
l'Auteur , rue de la Comédie Françoiſe , hôtel de la
Fautrière ; & chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Dictionnaire analytique , hiftorique , étymolo
gique , critique & interprétatif de la Coutume de
Normandie , par M. Houdard, Avocat. in-4 ° . Tome
premier. Prix , 12 liv. A Rouen , chez le Boucher le
jeune , Libraire , rue Ganterie ; & à Paris , chez Durand
le jeune , Libraire , rue Galande .
Réflexions fur les Époques de la Nature. Volume
in- 12. A Paris , chez Couturier fils , Libraire , quai
des Auguftins.
Le Payfan Magiftrat , Comédie en cinq Actes
& en profe , imitée de l'Eſpagnol , par M. Collot
d'Herbois. in- 8 ° . A Paris , chez les Libraires qui
yendent des Nouveautés.
192
MERCURE
Traité de la Châtaigne , par M. Parmentier.
in- 8°. A Paris , chez Monory , Libraire , rue de la
Comédie Françoiſe.
Elémens de Médecine en forme d'Aphorifmes,
par M. Barbeu du Bourg , Docteur en Médecine.
Volume in- 12. A Paris , chez Didot l'aîné , Imprimeur-
Libraire , Quai des Auguftins.
Bibliothèque Politique , Eccléfiaftique , Phyſique
& Littéraire de France , ou Concordance de nos
Hiftoriens jufqu'à préfent . Seconde Époque , Partie
première , No. 1 , 2 , 3 & 4. Cet Ouvrage paroît le
1 & le 15 de chaque mois. Le Prix de la Soufcription
eft de 24 liv. pour Paris , & de 30 pour la Province.
On s'abonne au Bureau , rue du Plâtre Saint-
Jacques , vis -à- vis l'hôtel de Francfort ; & chez les
principaux Libraires de l'Europe.
TABLE.
VERS à M. le Comte de Eloge de Voltaire,
Treffan ,
859
145 Le Chanfonnier François , 166
A Lesbie, imitation de l'Ita- Mes Loifirs ,
170
147 Académie Roy. de Mufiq. 177
150 Comédie Italienne , 179 lien ,
Eft-ce un Rêve , Conte ,
A S. A. S. Mgr le Prince de Lettre au fujet du nouveau
Théâtre de Bordeaux , 181
La Chèvre & les Moutons , Gravures ,
Condé,
Fable
ISS
ibid. Mufique ,
Enigme & Logogryphe , 157 Annonces Littéraires ,
J'
APPROBATION.
190
ibid.
191
A1 lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 27 Mai. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
le 26 Mai 1780. DESANCY.
TABLE.
JOURNAL POLITIQUE . Livourne ,
Conftantinople,
Pétersbourg ,
Varfovie,
Vienne,
Hambourg ,
1 Madrid ,
2 Londres ,
3 Verfailles ,
Paris
6 Bruxelles
Vaiffeaux pris fur les Anglois.
70
12024939
LE Hope , de Yarmouth pour Cork ; pris & rançonné
pour 1000 liv . fterl. Le Merchant , de
Lynn; pris & rançonné pour 350 liv. fterl . Le
Polly, de Londres , pour Madère & New- Yorck
pris par le Dunkerquois , Corfaire , & envoyé à
Morlaix. Le Goldfmid , de la Jamaïque pour
Londres ; pris & envoyé à S. Malo. - Deux Bâtimens
, de New-Yorck pour l'Angleterre ; pris par la
Flotte Françoife , & envoyés à la Guadeloupe.
Vaiffeaux pris par les Anglois.
Le Henriade , de l'Orient pour les Ifles Françoifes
, munitions & approvifionnemens ; pris &
envoyé à Lisbonne. Trois Bâtimens pour les
Ports de France , munitions ; pris par Endymion ',
Vaiffeau de guerre , & envoyés à Spithéad. Un
Brigantin Elpagnol , de S. Jago pour Cadix ; pris
par l'Ambufcade, Vaiffeau de guerre.
AVIS.
LE fieur Masst , Muficien , enfeigne le Solfège
& le goût du Chant; il fe flatte , par fa méthode
d'enfeigner , de faire en fix mois lire la Mufique,
& chanter avec accompagnement , toute perfonne
qui aura la voix jufte . Il prie les perfonnes qui
voudront l'honorer de leur confiance , de faire remettre
leur adreffe chez Mde Bauvet , rue Montmartre,
Maifon du Bois de Vincennes , près de
la rue des Foffés Montmartre , au fecond , fur le
devant.
PISSOT , Libraire , quai des Auguftins , vient de
mettre fous preffe une nouvelle Traduction de
l'ORLANDO FURIOSO de l'Ariofte , par M. le Comte
de Treffan , Traducteur de l'Amadis de Gaule. Cet
Ouvrage paroîtra dans le mois de Septembre prochain.
MERCURE
DE FRANCE ,
POLITIQUE,
HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE .
( No. 20 .
SAMEDI 13 MAI 1780.
NOUVEAU Profpectus pour la troisième
Livraifon de la France Illuftre, ou Plutarque
François. Treize Cahiers in-4° . figures ,
parM. Turpin.
Lice
ACCUEIL que le Public a fait aux deux premières
Livraifons du PLUTARQUE FRANÇOIS , promet
un fuccès favorable pour la troifième
annonce aujourd'hui.
que l'on
Le choix du fujet de chaque Eloge , la beauté
des gravures , la partie typographique foignée , ne
peuvent que rendre ce nouvel Abonnement intéreffant
, & faire defirer l'entière exécution de cet
Ouvrage important. Sully , Colbert , Catinat , Richelieu
, Mazarin , Louvois , l'Hôpital , Séguier
AAAAAAAI
Montmorency , Lowendalh , Luxembourg , le
Baron de la Garde , ennobliront cette Collection ,
qui a paru dans le courant d'Avril dernier , par
l'Eloge de Catinat , & fera terminée par la quatrième
& dernière partie du Tableau hiftorique de
la Marine Françoife.
Le prix de la Soufcription eft de 30 liv . pour
tout le Royaume , franc de port. Les Cahiers feront
envoyés èrement par la petite Pofte
pour Paris , & par la grande Pofte pour la Pro- l
vince , en donnant exactement le nom & la demeure
, ou le changement de domicile.
Ceux qui voudront fe procurer la première &
la feconde Livraifons , les recevront aux mêmes
conditions.
Le fieur DESLAURIERS ne fe rend refponfable
que des Soufcriptions prifes au Bureau de Correfpondance
du Plutarque François ; il délivrera les
quittances gravées & fignées de lui feul , pour parer
à tous inconvéniens .
Les perfonnes qui n'auront pas fouferit , paieront
les Cahiers 3 liv.
On eft prié d'affranchir le port des Lettres & de
Fargent adreffés pour le prix dudit Abonnement
pour lequel on fouferit en tout tems chez ledit fieur
DESLAURIERS , Marchand de Papier , rue S. Honoré
, à côté de celle des Prouvaires , à Paris ,
1780.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le is Mars:
LES incendies fi fréquens dans cette capitale
, viennent d'y répandre de nouveau
l'alarme. Cette nuit il s'en eft manifefté un
dans le quartier de Sultan Méhémet. Malgré
les fecours que l'on y a portés fur le champ ,
il a duré plus de 4 heures , & a réduit audelà
de so maifons en cendres. Il y en a eu
un autre dans le même-tems à Scutari place
fituée vis -à-vis de cette capitale ; mais il a été
plus promptement éteint ; le dommage qu'il
caufe fe réduit à quelques maifons & à
quelques boutiques qui ont été brûlées.
Le Grand- Vifir , chargé de la Police de
cette capitale , a rendu dernièrement un jugement
affez remarquable.
» Un Artifan avoit une très -jolie femme qu'il ne
trouva plus en rentrant chez lui ; défeſpéré , il courut
porter la plainte chez le Cadi , qui lui demanda des
renfeignemens fur cette femme enlevée , ajoutant
qu'il lui feroit difficile de la faire retrouver , s'il ne
répondoit à toutes les queftions fur la figure , le
caractère & l'humeur de la moitié . L'Artifan piqué
du fang froid & de l'ironie affectée du Cadi , s'adreffa
par une fupplique au Grand-Vifir. Celui- ci
6 Mai 1780 .
( 2 )
commença par lui demander fi fa femme avoit emporté
fes nipes. Et fur la réponſe qui lui fut faite
qu'elle avoit feulement pris les clefs des coffres qui
les contenoient , il ordonna qu'on apportât ces coffres.
Il les fit ouvrir en préfence du mari , & on inventoria
les robes & les bijoux de la femme. Il s'y
trouva des effets fi riches & fi précieux , que l'Artifan
fut honteux de ce luxe , & confefla douloureuſement
qu'il n'avoit jamais été en état de faire de tels préfens .
Sur cela le Vifir fit appeller tous les Tailleurs de la
Ville , & l'un d'eux lui déclara que les robes qu'on
lui préfentoit avoient été commandées & payées par
le Cadi qui avoit reçu la première plainte de l'Artifan.
Il fut mandé à l'inftant & obligé de confeffer fon
rapt ; enfuite il fut puni felon la loi ; quant aux
époux , ils retournèrent chez eux avec leurs coffres
& les parures qu'ils tenoient de la générofité du
Cadic .
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 26 Mars.
Le voyage que l'Impératrice fe propoſe
de faire dans fes nouveaux Etats en Lithuanie
, eft fixé au 10 du mois prochain . Une
partie des cuifines & des offices a déja été
envoyée depuis quelques jours aux ftations
& autres lieux de relais fur la route. Les
Gouverneurs des provinces que S. M. I. parcourra
, font les plus grands préparatifs pour
la recevoir. Les Seigneurs de la Cour qui ont
des terres fur fon paffage , font partis pour
s'y rendre, & lui préparer des fêtes . Le Feld-
Maréchal Comte Czagar de Czernicheff ,
Gouverneur- Général de la Ruffie - Blanche
eft parti dans cette intention avec fa femme
( 3 }
pour fa terre de Schloff. Il fe confirme pleinement
que l'Impératrice aura une entrevue
avec l'Empereur. On dit que ce dernier , qui
fe propofe de vifiter auffi fes nouvelles Pro-
. vinces en Pologne , ayant été inftruit du
voyage de notre augufte Souveraine , témoigna
au Prince de Gallitzin , notre Miniſtre à
Vienne , qu'il vouloit lui faire une vifite , &
qu'il s'en remettoit à elle pour le choix du
lieu où elle voudroit le recevoir. Le Prince
de Gallitzin en fit part auffi-tôt par un Courier
à l'Impératrice qui a indiqué la ville de
Mohilow . Ce voyage doit durer 6 ſemaines .
POLOGNE.
De VARSOVIE , les Avril.
M. Alexandrowicz , nouvel Evêque de
Chelm , & M. Sobolewski , nouveau Caltellan
de cette ville , ont prêté ferment entre
les mains du Roi , en qualité de Sénateurs
du Royaume.
C'eſt le Comte de Borch , Sous -Chancelier
de la Couronne , qui remplace le Comte de
Mlodziejowski en qualité de Grand-Chancelier.
On avoit dit que fa mauvaiſe ſanté
l'avoit porté à ne point fe mettre au nombre
des prétendans ; & il n'a point , en effet
follicité cette dignité ; le voeu général eſt
qu'il la conſerve ; il n'y a guère que fes
concurrens qui ne le partagent pas.
Il s'eft tenu ces jours paffés une Diétine de
la Nobleffe du District de cette capitale ,
2 2
( 4 )
pour l'élection d'un nouveau Notaire de ce
pays à la place de M. Sobolewski devenu
Caftellan.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 10 Avril.
Le voyage de l'Empereur eſt toujours fixé
au 20 ou au 26 de ce mois.
LL . MM. II. ont donné depuis peu une
nouvelle preuve de leur affection pour la
Nation Hongroife , en accordant à la garde
noble Hongroife qui eft à la Cour , la fonction
de courier fecret du cabinet . On a
choifi en conféquence dans ce corps , 20
fujets qui feront employés à porter les dépêches
Impériales dans les Cours étrangères ;
ce quifournira à cette jeune nobleffe l'occa
fion de connoître les pays étrangers en voyageant.
Lorfqu'ils arriveront en quelque Cour ,
ils feront préſentés au Souverain par les Miniftres
Impériaux , & conduits en qualité
d'Officiers de LL. MM. II . chez les perfonnes
du premier rang; & afin que dans les
réfidences où ils remettront leurs dépêches ,
ils aient le tems de voir tout ce qu'il y a de
curieux , il leur fera , dit-on , toujours per-.
mis de s'y arrêter un mois. C'eft dans cette
vue que M. Jean Schboky vient de partir
pour Madrid , on lui a donné pour guide un
des ci-devant couriers de la Cour.
" » Au commencement du mois dernier , écrit-on
de Presbourg , deux Manoeuvres en creulant un foffé
près des vignes de Semlin , trouvèrent 23 pièces
( 3 )
2
de monnoie d'argent fort anciennes , & dont la
plupart pèfent environ une demi- once ; cette découverte
ne tarda pas à être divulguée. Le Magiftrat
de Semlin s'eft empreffé d'en faire l'acquifition
en les payant généreufement. Ces monnoies font de
l'argent le plus fin , mais frappées affez groffièrement.
On y voit d'un côté un homme affis dans un
fauteuil entre deux colonnes , & tenant la main
élevée ; fur cette dernière repoſe un oiſeau qui reffemble
à un pigeon. Sur le revers , qui eft entouré
d'un cercle un peu relevé , on voit une tête couronnée
de lauriers , dont la bouche eft exceffivement
fendue. Les caractères , qui font encore vifibles
.fur quelques - unes de ces pièces , Tont grecques
; elles font d'un Monarque. Quelques Antiquaires
les attribuent à Alexandre- le Grand , mais plufieurs
ne font pas de cet avis.
On raconte ici l'anecdote fuivante , que
nous nous contenterons de tranſcrire.
Un jeune Gentilhomme Anglois fe trouva ici ,
il y a quelques années , avec fon père , qui étoit
fort âgé ; il fréquentoit beaucoup la maifon du Comte
de Palfy , Chambellan de LL . MM. II ; comme il
jouoit très-gros jeu , il perdit un jour contre le
Comte 120,000 florins , & lui remit un billet de
cette fomme , ne voulant pas , dit - il , affliger fon
pere en lui en demandant une auffi confidérable ,
& promettant de l'acquitter à fa mort. Cette délicateffe
plut au Comte de Palfy , qui rendit au vieillard
le billet de fon fils , après l'avoir déchiré. Le
jeune Anglois ne s'eft pas cru quitte , & M. de
Palfy vient de recevoir une lettre- de - change de
120,000 florins que ce jeune Anglois , devenu maî
tre d'une grande fortune par la mort de fon pere ,
lui a adreffée .
a 2
( 6 )
De HAMBOURG , le 15 Avril.
L'ATTENTION générale eft fixée maintenant
fur la neutralité armée projettée dans le
Nord , & dont l'exécution pourra finir par
rendre la paix à l'Europe , & affurer à jamais
la liberté des mers , fur lefquelles toutes les
Puiffances maritimes ayant un droit égal ,
doivent fe réunir contre celle qui en ufurpe
la fuprématie. La conduite de l'Angleterre a
feule amené ces évènemens importans , & les
politiques qui en ſuivent l'origine & la fuite ,
ont de la peine à concevoir que les Confeils
de cette Nation n'ayent pas prévu des révolutions,
que de la modération & de la juftice
auroient prévenues. La guerre contre
les Colonies fembloit d'abord n'avoir pour
objet que l'agrandiffement de la prérogative
Royale en Angleterre . Des intérêts de commerce
ont bientôt fait entrer dans cette difcuffion
importante la France & l'Eſpagne
que la Grande - Bretagne a mécontentées lorfqu'elle
devoit les ménager ; après avoir cu
l'imprudence de s'attirer ces ennemis puiffans
, elle ne s'eft point corrigée , elle a indifpofé
le refte de l'Europe , à qui elle a fait
voir que du fuccès de la guerre actuelle dépendoit
abfolument la liberté de fon commerce.
L'infulte éclatante faite au pavillon
de fes alliés les Hollandois , a dû avertir fes
autres alliés de ſe mettre en garde contre un
pareil traitement. Si elle fe fût contentée de
la neutralité des Etats-Généraux dont elle
( 7 )
1
pouvoit tirer autant d'avantages que les
Puiffances à qui elle fait la guerre , jamais
l'Europe n'auroit peut - être eu de raiſon de
s'alarmer de fes projets ambitieux couverts :
du voile de faire rentrer fes Colonies fous
fon obéiffance. Mais en voulant forcer fes
alliés à embraffer une.cauſe à laquelle elle ne
peut plus fuffire feule , elle a néceffité l'alliance
des Puiffances du Nord.
La Ruffie a fait propofer à la Suède d'accéder
à la déclaration qu'elle a fait faire aux
Provinces -Unies ; la Cour de Stockolm paroît
très -décidée à entrer dans ces vues ; on
affure feulement qu'avant de prendre un
parti , elle veut en donner avis à la Cour de
France. En attendant , le Miniftre Ruffe à
Stockholm a reçu ordre de traiter directement
de cette affaire , tant avec le Prince de
Gallitzin , Envoyé extraordinaire de fa Souveraine
en Hollande , qu'avec les autres Miniftres
de cette Puiffance dans les Cours
étrangères .
La même notification ,faite à Copenhague
y a donné lieu à un Confeil , à l'iffue duquel
nos lettres portent qu'il a été donné ordre
d'équiper 17 vaiffeaux de guerre qui doivent
mettre en mer auffi -tôt qu'ils feront prêts
pour protéger le commerce & la navigation
des fujets de ce Royaume.
On apprend que 300 hommes des troupes
de Saxe viennent d'entrer dans le Comté de
Schoenberg , pour en obliger les fujets à
a 4
( 8 )
payer le refte de leurs contributions qu'ils
refufoient abfolument d'acquitter .
On mande de Caffel que 1 200 hommes de
recrues pour l'Amérique , font partis au
commencement de ce mois , pour s'embarquer
fur le Wefer.
Selon les lettres de Mayence , l'Electeur a
adopté le projet de la régence précédente de
bâtir une ville entre Mayence & Francfort ,
& d'accorder de grands priviléges , entr'autres
la liberté de religion à ceux qui viendront
s'y établir.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 10 Avril.
LES lettres de Lisbonne portent que le 26
du mois dernier le navire Autrichien , le
Prince'de Kaunitz , a mis à la voile avec un
vent favorable. Sa deftination eft pour la
côte de Coromandel , où il porte , outre
une riche cargaifon , une fomme de 30,000
piaftres en argent.
L'Impératrice-Reine a envoyé à l'Adminiſtration
de la Lombardie , l'ordre de payer à
l'Archiduc Ferdinand toutes les penfions
dont avoit joui ci - devant le Duc de Modène
. On fait que ce Prince avoit légué à la
Princelle Melzi toute fon argenterie ; elle
lui fut portée en conféquence après le décès
du Duc ; on dit qu'elle a refufé de l'accepter
& qu'elle l'a renvoyée au Duc régnant ,
( و )
fe contentant de la penfion qui lui a été affurée
pendant fa vie.
Selon les lettres de Rome le Pape en a dû
partir le 7 de ce mois , pour aller vifiter les
Marais-Pontins. Un détachement de so fol
dats Corfes l'a précédé pour faire des patrouilles
fur la route , & former fa garde
pendant qu'il s'arrêtera à Velletri.
On a depuis peu découvert , ajoutent les mêmes
lettres , à l'endroit où le joignent les excava
tions faites dans l'ancienne ville d'Ocréa , une falle
octogone de 54 pieds de diamètre , dont le pavé eft
d'une très belle mofaïque , formée de petits morceaux
de marbre d'une couleur très - brillante. Cette
falle a 4 portes qui correfpondent à autant de chambres
, 4 niches dans les angles , des courtines , des
arcs , & une voûte en partie ruinée . Ses carreaux
font ornés de figures qui repréfentent des Divinités
de la Fable & d'autres objets très- bien exécutés. Lẹ
pavé d'une des chambres contigues eft formé d'une
mofaïque noire & blanche , repréfentant des figures
de monftres & le navire d'Ulyffe , lorfque le Héros
craignant le chant des Sirènes , fe fit lier à fon
mât , après avoir fait boucher avec de la cire les
oreilles de fes compagnons . Ces excavations fe continuent
par les foins du Cardinal Palotta , Vice-
Tréforier- Général , qui feconde en cela les defirs
du Souverain Pontife «.
Depuis le 14 jufqu'au 20 du mois dernier ,
il est entré dans ce Port plus de 90 navires
marchands , tant grands que petits , chargés
de marchandiſes.
Les corfaires Anglois ne ceffent pas de
troubler la navigation des neutres. Le bâtiment
l'Henriette , Capitaine Dominico Noras
( 10 )
dio , Vénitien ,. chargé de grains , parti de
Veniſe & deſtiné pour Marſeille , a été amené
dans ce Port , par des Anglois qui s'en
étoient emparés. On examina tous les papiers
& fes renfeignemens , & après avoir acquis
la preuve que le navire , ainfi que fa cargai
fon , appartenoit réellement à des commerçans
Vénitiens , il fut relâché , & il doit fe
remettre en route pour le lieu de fa deftination.
ESPAGNE.
De MADRID , le 8 Avril..
SELON les nouvelles de Cadix , les vaiffeaux
de ligne & les tranſports deſtinés pour
l'Amérique étoient prêts dès le 1er de ce
mois ; ce font les.vaiffeaux de regiſtre que la
flotte doit escorter qui en ont fufpendu le départ
, qui ne pourra guère avoir lieu que le
10 de ce mois. On a embarqué fur la divifion
aux ordres de D. Solano , un train confidérable
d'artillerie & d'affuts , & fur les vaiffeaux
de tranfports beaucoup de chariots &
d'attirails de campagne. Le Comte d'O- Reilly
, Commandant de la Province , Infpecteur
Général de l'Infanterie , eft arrivé à Cadix
, où il a fait la revue des troupes qui s'y
font embarquées .
Les mêmes lettres portent que le 27 du
mois dernier on effuya dans la rade un coup
de vent d'eft des plus violens , & qui y caufa
quelques défaftres : le principal eft la perte
( 11 )
>
d'un grand bateau , qui venoit du port de
Sainte Marie & qui fut fubmergé à peu
de diſtance du quai. On envoya fur le champ
des canots au fecours ; mais ils ne purent
arriver affez à tems pour fauver tout le
monde ; quelques perfonnes périrent , & on
n'en favoit pas encore le nombre au départ
du courier. Un navire marchand Hollandois,
chargé de fel , & prêt à partir , ayant chaſſé
fur fes ancres , échoua auffi près de la côte ;
perfonne n'a péri , mais on croit que le
chargement eft entièrement perdu . Le vaiffeau
de guerre la Sainte-Trinité , chaſſa ſur
fes ancres , & échoua fur des bas-fonds ,
mais on eft parvenu à le remettre à flot..
» Il y a actuellement , ajoutent d'autres lettres ,
7 vaiffeaux dans le Détroit avec D. Barcello ; &
quand les efcadres prêtes à mettre à la voile feront
parties , il reftera dans la rade de Cadix 14 vaiffeaux
, dont 6 ont beſoin de radoub ; nous en avons
encore 13 au Ferrol , dont 8 font à radouber &
s prêts à fortir ; enfin il y en a 3 à Carthagêne ; de
forte que fans compter les efcadres de D. Solano
& de D. Thomaffeo , nous ferons en état de mettre
encore 36 vaiffeaux de ligne en mer avant la fin
de Juin c .
S
Des lettres particulières de Lisbonne font
entrevoir que cette Cour n'eft pas trop fatisfaite
de la conduite que les corſaires Anglois
tiennent fur les côtes de Portugal & d'Eſpagne
; elles annoncent même que les mouvemens
du Cabinet annoncent quelque changement
important dans le fyftême ſuivi jufqu'à
préfent relativement à l'état de neutralité.
a 6
( 12 ) .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 22 Avril.
Le paquebot le Swift arrivé de New -York
à Falmouth , a apporté des dépêches du Général
Robertfon , nouveau Gouverneur de
cette Ville , d'où il eft parti le 31 Mars ;
elles nous donnent enfin les nouvelles fuivantes
du Général Clinton.
» Nous apprenons par le Ruffel , que l'efcadre de
l'Amiral Arbuthnot , ayant fous fon convoi les bâ
timens de tranfport à bord defquels étoit l'armée
royale destinée à agir dans les Provinces rebelles
au Sud , eft arrivée à Tybée vers le 1 Février der-
`nier. Auffi - tôt le Général Clinton détacha le Géné-›
ral Paterfon dans la vue d'empêcher qu'on ne jettât
des fecours dans Charles-Town , & de couper
la retraite à la garniſon fi elle tentoit de l'évacuer.
En avançant dans le pays , le Général Patterſon a
été renforcé par quantité de Royaliſtes empreffés
de montrer leur loyauté. Nons apprenons que les
Rebelles ont coupé la langue de terre qui joignoit
Charles- Town au Continent ; ils ont percé deux canaux
qui traverfent la ville en fe croifant , afin
que fi quelque partie prenoit feu pendant le fiége ils
puiffent l'éteindre plus aifément.
Le Général Clinton ayant augmenté fon armée
de plufieurs Corps volontaires , débarqua à l'Ifle
James dans la baie de Charles - Town : ayant
reçu avis que 200 hommes de Cavalerie légère
- des Rebelles , avec un détachement d'Infante
rie , efcortaient soo pièces de bétail pour la
garnifon , il donna ordre à un gros détachement de
grenadiers Anglois & d'infanterie légère , de traverfer
Ashley- Ferry pour les intercepter . Le do
meftique d'un Officier s'étant écarté , fut pris mak
( 13 )
heureufement par les Rebelles , qui abandonnèrent
le bétail & fe retirèrent dans la ville . Les Anglois
prirent le troupeau & l'envoyèrent dans leur camp
avec plufieurs prifonniers , parmi lesquels font
MM. John Lloid & Farmer , célèbres par leurs
grands biens , leur mérite & leur zèle à fomenter
la rébellion .
Une lettre particulière d'un Officier contient
les détails fuivans.
Le pofte important de Stono- Ferry a été occupé
par le 14e. régiment des Bobs , le 33e. des Fuli-`
liers , & le 33e. des Chaffeurs. Les Grenadiers fe
font portés à Gibbs ( quartier du Lord Cornwallis )
à John-Iflande. Le quartier- général eſt établi à l'habitation
de M Fenwick , excellent fujet qui a beaucoup
fouffert. Le Major Hay & le Capitaine Montcrieff
ont été nommés Commiffaires de tous les
effets , captures , &c . au moyen defquels les troupes .
font dans l'abondance . Les forces des Rebelles à
Charles-Town , y compris l'armée de Lincoln ,
font portées , par les déferteurs , à 3 ou 4000
hommes. Les habitans de tous les environs ont été
fommés de venir défendre la ville , & s'en font excufés
fur les grands ravages que fait parmi eux la
petite vérole. Telle eft la fituation des affaires. H
eft probable que l'armée , à préſent bien repofée ,
va le mettre en marche inceffamment pour voir
l'ennemi de plus près.
A ces détails tirés de la Gazette Royalifte
de New-Yorck , on peut joindre ceux- ci de la
Gazette de la Caroline Méridionale , mais
rapportés auffi dans celle de New - Yorck
qui nous les fournit.
» De Charles-Town ( Caroline Méridionale ) le 9
Février. Le 27 Janvier la Providence & le Ranger fré
gates du Congrès , avec la corvette l'Aigle revinrent
ala Barre , après avoir croifé à la hauteur de Tibée ,
( 14 )
où elles découvrirent cinq vaiffeaux Anglois mouil
lés , ayant l'air de vaiffeaux de ligne , & huit autres
vaiffeaux fous voiles . Les fufdites frégates ont envoyé
dans ce Port deux gros floops de New- Yorck , allant
en Georgie , qu'elles avoient pris , lefquels avoient
à bord 4 Officiers & paffagers , & 32 Officiers fans
Commiffion , qui fervoient comme volontaires dans
les Dragons du Lord Cathcart , & beaucoup de munitions
de Cavalerie. Il paroît que ces floops font
partie de la flotte difperfée avec laquelle le brigantin
Lady Crosby , ( dont nous avons parlé dans notre
dernière feuille ) , mit à la voile de New- Yorck le
23 Décembre , avec l'Amiral Arbuthnot ; cette
flotte confiftoit en 140 voiles dont 97 étoient vaiſfeaux
de guerre , tranfports , & les autres étoient
des petits bâtimens vivriers retournant en Europe ,
& qui avoient été probablement convoyés par le
Robufte de 74 canons & le Romulus de 44. Les
avis. que nous avons reçus du nombre de troupes
embarquées fur cette flotte , & des Officiers Généraux
qui les commandent varient tellement , qu'il
eft encore impoffible de donner à nos lecteurs des
détails fatisfaiſans fur ces points. Aucun n'en fixe
le nombre au- deffous de 8000 , mais il y en a qui le
font monter jufqu'à 11,000 ; tous s'accordent à dire
que c'est le Chevalier Henry Clinton ou le Lord
Cornwallis qui les commande ; mais il eft , plus
vraisemblable que c'est le Chevalier Henry Clinton.
On nous apprend auffi que 1400 chevaux ont été
embarqués fur cette flotte , mais qu'il n'y a pas d'apparence
qu'on en ait fauvé 300 , le mauvais tems
que la flotte a effuyé , ayant obligé la plupart des
vaiffeaux de les jetter à la mer ; l'un des floops amenés
en ce Port , n'en a fauvé qu'un fur 31. Les prifonniers
difent qu'ils ont vu un vaiſſeau qui avoit
chaviré «.
"
Le 29 Janvier , un floop chargé de fel entra
dans ce Port , venant de Turk'd's Inland , il avoit vû
( 15 )
•
plufieurs bâtimens en différens tems , qu'il fupofoit
faire partie de la flotte difperfée de New- Yorck «.
Dans l'après midi du même jour , la Providence
& le Ranger frégates du Congrès , accompagnées dé
l'Eagle , entrèrent dans ce port , ayant apperçu un
vailleau de guerre de so canons , qu'elles imaginoient
être le Roebuck & une frégate venant du
Sud. Le premier s'étoit approché preſqu'à la portée
du canon de la Providence , avant qu'elle entrât. Le
tems a été depuis très- heureux , & l'Eagle étant forti
mercredi dernier pour aller à la découverte , elle apperçut
deux gros vaiffeaux au large , & fi près de la
barre qu'elle fut obligée de fe fervir de ſes rames
pour échapper.
» Le premier Février , le Corps légiflatif, confor
mément aux ordres de la conftitution , procéda à
l'élection de cinq Délégués , pour repréfenter cet Etat
dans le Congrès , & l'hon. Henri- Laurent , & John
Mathews furent élus de nouveau , les trois autres élus
furent l'honorable Thomas Bée , Francis Kinloch &
Arthur Middleton. A la même occafion l'honorable
Henri -Laurent , revenu dernièrement du Congrès ,
reçut les remercimens bien mérités de fon Pays ,
pour les fidèles fervices qu'il lui avoit rendus à cette
affemblée. I
» Nous apprenons de Georgie , qu'il y a 200 Indiens
& environ 400 Noirs armés , campés dans les
lignes formées par les François à Savannah , dans
la dernière expédition ".
Quelques circonftances particulières font préfumer
que les frégates Françoifes qui ont appareillé
d'ici la femaine dernière , fous le commandement
de M. Durumain , pour croifer , font allées vifiter
les Bermudes ou New- Providence «.
"Nous obfervons avec plaifir qu'on fait ici tous
les préparatifs néceffaires pour bien recevoir l'ennemi
au cas où une partie de l'embarquement de
New-Yorck , ou même le tout , feroit deſtiné pour
( 16 )
ce pays. Il arrive des fecours de différens quartiers
& nos troupes paroiffent fort animées «.
Maryland du 7 Mars , » Une perfonne arrivée
Dimanche au foir 5 , de Charles-Town , d'où elle eft
partie le 10 du mois dernier , nous apprend que le
12 , dans le voisinage de cette Capitale , elle avoit
entendu tirer les canons pour donner l'alarme , &
annoncer l'approche des Anglois , attendus depuis
fi longtems ; que quelqu'un , à quelques lieues de
Charles-Town , l'avoit affuré que l'ennemi étoit entré
dans le paffage de North-Tdifton , à environ 40
milles de cette Place , avec 45 où so petits bâtitens
de tranfport , & qu'un corps de troupes qu'on
fuppofoit être commandé par le Chevalier Henri
Clinton , ou par le Comte Cornwallis , avoit depuis
débarqué dans l'Ile de Wockmalaw , vis - à-vis de
Stono-Ferry , environ à 26 milles de Charles-Town .
-Que l'arrivée heureufe d'une ou plusieurs galères
envoyées de Charles-Town par le Général Lincoln ,
pour défendre ce paffage important , avoit empêché
l'ennemi de s'avancer davantage. --- La même
perfonne ajoute , que la garnifon de Charles Town
paroiffoit déterminée à défendre cette Place juſqu'à
la dernière extrémité , & que pour cet effet , on
faifoit tous les préparatifs poffibles par terre & par
eau , & que fooo hommes étoient prêts à garnir
les lignes formidables de cette Place au premier
commandement .
Le Général Scott s'eft mis en marche le 21 du
mois dernier avec fa divifion de troupes de la Virginie
, pour joindre le Général Lincoln «.
On ne Lit pas ce qui fe paffe aux
Ifles ; s'il faut en croire les papiers Miniftériaux
, nous y avons remporté de grands
avantages ; mais felon les autres , il y a auffi
des Capitaines marchands qui ont rencontré
des bâtimens d'avis expédiés en France , qui
( 17 )
"
prouvent que loin de rien tenter de ces côtés ,
nous nous fommes tenus fur la défenfive ; &
que les François , malgré leur infériorité ,
ne nous ont pas permis de les entamer &
nous ont inquiétés beaucoup ; que fera- ce
quand ils auront recouvré la fupériorité qu'ils
doivent avoir à préfent. Le Comte de Guichen
qui a été vu le 19 Février au- delà des
Canaries , doit être arrivé . Nous favons que
Rodney étoit encore à Madère le 22 , &
ne devoit en partir que le 25 ou le 26 ;
& quand il arriveroit en même-tems que
le Chef- d'efcadre François , nous reſterons
toujours inférieurs.
Le renfort que devoit conduire l'Amiral
Walfingham a effuyé bien des retards : il a
appareillé 3 fois , & 3 fois les vents contraires
l'ont forcé de revenir ; on dit que parti
de nouveau le 18 il s'eft arrêté dans la rade
de Torbay , parce qu'il a appris qu'une eſcadre
Françoife croifoit à l'entrée de la Manche
, ce qui n'eft pas vraisemblable parce
qu'on en auroit eu quelques avis plutôt. On
préfume qu'il eft retenu par les ordres du
Ministère , qui connoît la force de l'efcadre
qui doit partir de Breft , & qui eft peut- être
déja en route , mais dont il ignore la deftination
; ce qu'il y a de plus sûr , c'eft qu'il n'étoit
pas encore parti hier. Ces délais qui ne
font pas favorables , dans des circonstances
auffi alarmantes , donneront fans doute le
tems à l'Amiral Graves de fe joindre à Walfingham
: on ne manquera pas de faire fentir
( 18 )
à la Nation combien leur réunion eft intéreffante
, & ils arriveront enfuite quand ils
pourront à leur deftination . Voilà comme
l'on conduit la guerre. Le 19 de ce mois il
y a eu 5 ans que les hoftilités ont commencé
en Amérique , par la bataille de Lexington ,
au-deffus de Concorde , dans la nouvelle
Angleterre .
On travaille dans nos Ports à l'équipement
de la grande flotte , deſtinée à croiſer
cette année dans la Manche & dans l'Océan ;
on prétend qu'elle ne fera pas moindre de
40 vaiffeaux de ligne ; il eft vrai que l'on ne
dit pas où l'on prendra les vaiffeaux néceffaires
pour la porter à ce nombre ; en attendant
on nomme pour la commander le Chevalier
Hardy , qui aura fous lui les Amiraux Darby
, Barrington & Digby. Le premier eft parti
pour Plimouth , où l'on dit qu'il va preffer
les équipemens ; d'autres prétendent qu'il
n'y a été avec le Comte Levisham , fon collègue
, que pour briguer l'élection de cette
Ville dans le nouveau Parlement.
" Les mécontentemens , dit un de nos papiers ,
femblent augmenter avec les malheurs de la nation
; elle n'en a peut - être jamais éprouvé de
plus conftans. Un de nos Correfpondans en fait
l'énumération fuivante : 1. la perte du continent
de l'Amérique femble fe confolider . Si on en croit
des lettres de la Virginie , l'armée continentale fe
renforce dans l'espoir d'être fecondée inceffamment
par des troupes Françoiles. 2. Nos Ifles font en
danger par l'impuiflance où nous nous trouvons
d'y envoyer des forces fuffifantes . 3º. Les alliés
( 19 )
1
à
naturels de la Grande- Bretagne l'abandonnent peu
peu , & le Nord fur lequel nous comptions),
femble enfin entrer dans les vues que la politique
& la Cour de France lui dictent. 4°. Nos propres
foyers font menacés par une flotte ennemie
qui va fe réunir . 5 °. Le mécontentement de l'Irlande
a paffé en Angleterre , & le trouble du dedans
nuit aux opérations du dehors. 6°. Pendant le
tems de quatre ans de guerre , la valeur des biensfonds
a confidérablement diminué dans les trois
Royaumes , ce qui eft le figne le plus pofitif de
la décadence de l'empire «. 3
Toutes ces confidérations n'échappent
point à la partie faine de la Nation ; & elles
alimentent les divifions auxquelles nous fom
mes en proie.
Il y a long-tems que nous follicitons la
Hollande de fe déclarer pour nous , & que
nous prévoyons qu'elle n'en fera rien. Il
étoit peut-être prudent de ne pas l'aliéner ,
& de chercher à profiter de fa neutralité qui
nous offroit autant d'avantages qu'elle peut
en offrir à nos ennemis . Ce plan étoit bien
fimple & bien fage ; il n'a pas plu à nos Miniftres
de l'adopter ; ils font conféquens dans
la conduite qu'ils ont tenue jufqu'à préfent ;
& fi elle avoit été meilleure dans le principe ,
nous n'aurions rien à leur dire . La proclamation
fuivante , publiée dans la Gazette de
la Cour du 18 de ce mois , fera voir avec
quelle conftance nous fuivons ici le ſyſtême
d'abord adopté.
» Attendu que depuis le commencement de la
guerre , dans laquelle la G. B. fe trouve engagée
par l'aggreffion , non provoquée , de la France & de
( 20 )
Efpagne , l'Ambaffadeur de S. M. près des Etats-
Généraux des Provinces- Unies , leur a itérativement
préfenté des mémoires , à l'effet de leur demander
des fecours ftipulés par traité ; réquifition à laquelle ,
'malgré les inftances preffantes confignées dans le
dernier mémoire du 31 Mars , L. H. P. n'ont point
donné de réponſe , n'ont pas même témoigné qu'elles
fuffent difpofées à fe prêter. Attendu auffi , qu'en
ne rempliffant pas les engagemens les plus clairs ,
elles renoncent à l'alliance qui a fi long-tems fubfifté
entre la Couronne de la G. B. & la République ,
& fe mettent dans la pofition d'une Puiffance neutre
qui n'eft liée par aucun traité à l'égard de ce Royaume ,
tous les principes de la fageffe & de la justice exigent
que S. M. ne les confidère déformais que fous les
rapports de distance où elles fe font placées ellesmêmes.
S. M. en conféquence , ayant pris cet objet
en fa confidération Royale , de l'avis & avec l'avis
de fon Confeil Privé , juge qu'il eft convenable de
mettre en exécution immédiate , les intentions qui
ont été antérieurement notifiées dans le Mémoire
préfenté par fon Ambaffadeur , le 21 Mars dernier ,
& préalablement fignifiées par une déclaration verbale
officiellement faite par le Lord Vicomte de Stormont ,
l'un des principaux Secrétaires d'Etat de S. M. ,
au Comte de Welderen , Envoyé Extraordinaire &
Plénipotentiaire de la République , près de deux
mois avant que le fufdit Mémoire fût délivré. A
ces caufes : S. M. de l'avis & avec l'avis de fon
Confeil Privé , déclare que les Sujets des Provinces-
Unies doivent être confidérés déformais comme
étant fur le pied des autres Etats neutres qui ne font
point privilégiés par traité ; de plus , S. M. par la
préfente Déclaration , fufpend provifionnellement &
jufqu'à nouvel ordre toutes les ftipulations particu
lières ( concernant la liberté de la navigation & du
commerce , en tems de guerre , pour les Sujets des
Etats-Généraux ) contenues dans les traités divers
( 21 )
qui fubfiftent actuellement entre S. M. & la Répu
blique , & plus particulièrement celles contenues
dans le Traité de Marine , conclu entre la G. B. &
les Provinces - Unies , à Londres , le 11 Décembre
1674 «.
» Par humanité , par égard pour les intérêts des
particuliers , defirant qu'ils ne fouffrent d'aucune
furprife , S. M. , de l'avis & avec l'avis de fon
Confeil Privé , déclare que l'effet de les ordres
n'aura lieu qu'aux termes fuivants : dans la Manche ,
& dans les mers du Nord , 12 jours après la date
de la préfente Déclaration. De la Manche , des mers
Britanniques & des mers du Nord jufqu'aux Ifles
Canaries inclufivement , foit dans l'Océan , foit
dans la Méditerranée , le terme fera de 6 femaines
à compter de la date fufdite. Trois mois , defdites
Ifles Canaries jufqu'à la ligne Equinoxiale ou l'Equateur.
Et enfin , fix mois au - delà de ladite ligne ou de
P'Equateur & dans toutes les autres parties du Monde ,
fans aucune exception & fans autre defcription plus
particulière , foit de tems , foit de lieu «.
Il femble qu'au moment où l'on a reçu la
déclaration de la Ruffie , il ne convenoit pas
de prendre un parti auffi extrême. Nous
fommes d'ailleurs dans des circonftances
fâcheufes , où nous n'avons pas befoin de
voir augmenter le nombre de nos ennemis.
Dans tout autre tems , un acte de fermeté
auroit pu en impofer peut- être ; mais dans
celui- ci , quel eft notre efpoir ? on ne verra ici
que le dernier effort de l'orgueil & de l'impuiffance.
Oferons - nous exécuter les menaces
que nous faifons , fouiller les vailleaux
neutres ? nous ne ferons que confolider l'alliance
des Puiflances armées pour le mainrien
de la neutralité ; & une fois cette al-
›
( 22 )
liance conclue , leurs intérêts deviendront
communs ; nous ne pourrons manquer à
une fans être obligés à une réparation éclatante
réclamée par toutes , qui feront nonfeulement
en droit , mais en état de la prefcrire.
» Nos Miniftres , dit un de nos papiers , le
London courant , avoient peur de fâcher la Ruffic
ou de lui donner le plus léger fujet de mécontentement
, car plufieurs vaiffeaux Rufles chargés de
chanvre pour la France , pris par quelques -uns de
nos corfaires , viennent d'être rendus aux propriétaires
avec dommages & intérêts fur la fimple demande
d'un Conful . Voilà l'excès d'humiliation où
nous fommes réduits par la cabale qui , fous ce
malheureux règne , a fait adopter fon pernicieux
fyftême de gouvernement. Une Puiffance de deux
jours n'a qu'un mot à dire pour nous faire trembler.
Sous le dernier règne la vieille Angleterre
étoit respectée , fous celui - ci chacun la méprife «<..
La Chambre des Communes s'eft ajournée
le 14 de ce mois au 24 , à caufe de la mauvaife
fanté de l'Orateur , qui demandoit à ſe
démettre de fa place , & à qui l'on a cru devoir
accorder une femaine de repos.
Cette huitaine de vacances , dit, un de nos
papiers , fera utile aux deux partis pour les brigues
d'élection ; ce qui eft un indice fûr que le nouveau
Parlement ne tardera pas à être formé , c'eſt
que les Députés oublient dans ce moment que la
courfe des chevaux vient de s'ouvrir à Newmarket ,
& qu'ils préfèrent d'aller voir leurs Conftituans
dans les lieux qui les ont députés... 1
Le Lord North, a dit feulement à quelques
membres de l'Oppofition , qu'ils ne favent point
conferver leurs avantages quand ils en ont obte 37
( 23 )
nu; que c'eft inutilement que la majorité le donne
à eux , parce qu'ils n'en tirent point parti comme
ils le devroient ; que le Ministère fait la regagner
toutes les fois qu'il lui arrive de la perdre , & que
les membres de l'Oppofition reffemblent à de mauvais
chiens qui perdent la voie ; & qui laiſſent aller
le cerf de meute pour courir après une vache ou
un âne.
L'Oppofition fe propofe de faire la motion d'une
adreffe au Roi pour que le Parlement ne foit point
diffous avant que les redreffemens demandés par
les pétitions n'aient eu lieu , & de faire arrêter
-par la Chambre qu'il ne fera paſſé aucun bill de
taxe, qu'on n'ait obtenu une loi pour reftreindre
l'influence de la couronne «<.
La Chambre , avant de s'ajourner , s'eſt occupée
d'un bill en faveur des Habitans de la
Grenade , qu'il falloit traiter fur le pied de
ceux de la Dominique. Les Edits humains
du Roi de France , en leur faveur , leur permettant
de tranfporter leurs effets à des Ports
neutres , ce feroit l'excès de l'injuftice à la
G. B. de permettre à ſes vaiffeaux de guerre
ou à fes corfaires de les faifir. Ce bill fut ordonné
: ceux de taxe ne feront repris qu'après
la vacance actuelle. » S'ils ne paffent point ,
difent nos politiques , le Ministère , par qui
l'Oppofition s'eft laiffée un peu duper , ne
fera pas pour cela dans l'embarras ; fon emprunt
aura même fon plein effet , parce qu'il
a eu l'adreffe de faire hypothéquer pour le
paiement des intérêts , le produit du fond
d'amortiffement ".
Le Comte de Bellamont , arrivé ici d'Irlande
, a eu une audience de S. M. & plu(
24 )
fieurs conférences avec les Miniftres. Comme
il eft un des principaux appuis de l'Adminiſtration
dans le pays , on fuppofe que
fa venue eft caufée par la crife où les affaires
fe trouvent dans le moment. Comme
le Parlement a dû reprendre fes féances le 10
de ce mois , on attend inceffamment des avis
intéreffans , concernant le tour qu'y auront
pris les affaires . On fait que M. Yelverton
avoit deffein de propoſer à la rentrée un Bill
déclaratoire des droits du Parlement d'Irlande
, en tant qu'ils regardent la Loi de
Poyning & la manière de paffer les Bills Irlandois
en Angleterre. On affure que la
Cour eft déterminée à la révocation de
cette Loi de Poyning , s'il n'y a pas d'autre
moyen de calmer la fermentation des efprits.
Il y a grande apparence que quatre des mutins
du vaiffeau l'Invincible feront condamnés à
mort par le Confeil de guerre ; mais on doute
que cet exemple diminue la défertion qui n'a jamais
été auffi générale. Il y a actuellement à Dartmout
400 matelots déferteurs , dont les efcadres
n'ofent approcher. C'eft leur entrepôt , & les Marchands
vont les engager dans ce Port. Mais leur
prix eft de 6 à 7 liv. fterl. par mois pour les
voyages de proche en proche.
Le Héro , la Jane , & le John & Elifabeth , écriton
de Cork , tous trois chargés de provifions , ont
éré enlevés par les François à leur retour de Waterword
ici. Ils avoient à bord 36 , coo barils de cochon
falé , 650 de boeuf , & 290 de beurre. La Mary
Anne a été prife par un corfaire! ennemi qui l'a
conduite au Havre- de- Grace. L'allège le Spry
qui
( 25)
qui alloit de Waterford à Plimouth avec 160
matelots levés par la preffe , s'eft rendu au cor.
faire la Dunkerquoife , fur qui elle a été repriſe
par le vaiffeau du Roi l'Embufcade , qui l'a conduite
à Plimouth ; mais il n'y avoit plus que 19
matelots le reſte avec le Lieutenant de l'allège
avoir été pris à bord du corfaire qui s'étoit féparé
de la prife pour donner chaffe à deux autres
bâtimens «<.
FRANCE
De VERSAILLES , le 2 Mai.
Lɛ 16 du mois dernier le Marquis de
Bombelles , Miniftre du Roi près la Diète
générale de l'Empire , eut l'honneur d'être
préſenté à S. M. par le Miniftre des Affaires
Etrangères , & d'en prendre congé pour
retourner à Ratisbonne.
Le 23 , LL. MM. & la Famille Royale fignèrent
le contrat de mariage du Comte de
la Ferté Senecterre , Capitaine d'infanterie ,
attaché au Régiment de Bourbon , avec Mademoiſelle
Amelot , fille de M. Amelot ,
Secrétaire d'Etat,& celui du Comte de Saint-
Aulaire avec Mademoiſelle de Saint- Janvier.
Le 25 , le Prince Héréditaire de Heffe
Darmstadt , prit congé de LL. MM . & de
'la Famille Royale ; il étoit conduit par M.
la Live de la Briche , Introducteur des Ambaffadeurs
; M. de Sequeville , Secrétaire ordinaire
du Roi à la conduite des Ambaffadeurs
, précédoit .
Le 23 , M. de Gaine , ancien Officier d'In-
6 Mai 1780. b
( 26 )
7
fanterie , Auteur de l'Encyclopédie Poétique,
eut l'honneur de remettre à LL. MM . & à la
Famille Royale , le 12 volume de cet Ouvrage
, pour lequel elles ont foufcrit.
De PARIS , le 2 Mai.
Les vents contraires qui ont régné conftamment
depuis le commencement du mois
dernier , ont retardé le départ de l'eſcadre
de M. de Ternay ; on eſpère qu'ils ont enfin
changé , dans ce cas on apprendra fans doute
inceffamment qu'elle a mis à la voile. Lorfque
les tranfports fortirent du Goulet , le 16,
& furent obligés de rentrer le lendemain ,
2 navires s'abordèrent , mais ne ſe firent heureufement
aucun dommage confidérable. Le
Languedoc a été menacé d'en effuyer un plus
grave ; pendant qu'on le chauffoit le feu prit
à fes foutes ; les prompts fecours qu'on y
porta fur le champ l'eurent bientôt éteint ,
& ce beau vaiffeau n'eft point endommagé.
On a donné quelques détails du naufrage
du St-Jofeph : voici ceux que M. de Canus ,
commandant la frégate Eſpagnole la Carmen,
a écrit au Vice- Conful d'Efpagne.
" Les vents étant montés au nord le 6 de ce
mois ( d'Avril ) , nous mîmes à la voile à 10 heures
du matin. Comme ma frégate , fuivant l'ordre de
notre marche , devoit faire l'avant- garde , je fortis
le premier. Je fus fuivi par le vaiffeau le St -Jofeph
& quelques flûtes ; à heures du foir me trouvant
avancé en mer , je virai de bord , pour venir
joindre le Général , ce que je fis habilement. Plu(
27 )
feurs bâtimens de notre convoi n'avoient encore
pu fortir. Le vent étant tombé de 3 aires , à 7
heures , le Commandant fit fignal de mouiller visà-
vis de Berthome , ce que nous fimes dans l'inftant.
Le St-Jofeph , la Rofe & moi , nous trouvant
très- près de la côte du nord , fur-tout ma
frégate qui n'en étoit qu'à une portée de fufil.
La nuit fut paflablement belle jufqu'à minuit ; mais
à ce moment le ciel s'obfcurcit & à deux heures
le vent fauta au fud , ce qui nous mit dans le
plus grand danger. A fix heures du matin , le vent
commença à fraîchir ; le Commandant fit fignal de
lever l'ancre ; comme nous allions commencer à
manoeuvrer , ie vent augmenta furieuſement , &
comme je me trouvois le plus près de la côte ,
je ne jugeai pas convenable d'exécuter fes ordres ,
& je reftat où j'étois en jettant une autre ancre.
Le St-Jofeph & la Rofe mirent à la voile à 9
heures , après avoir coupé leurs cables , & dans ce
moment le vent toujours au fud devint fi violent
,, que c'étoit un véritable ouragan . Le St- Jofeph
vira de bord une fois , mais à la feconde , le vent
abattit fes huniers , amarra fes mifaines , & dans le
même inftant fon mât de mifaine fe rompit . Dans
cette pofition critique , il mit deux ancres à la
mer ; mais les cables fe rompirent auffi -tôt. Il remit
à la voile avec la grande voile & celle d'artimon
qui furent enlevées par le vent . Ne fachant
plus que faire dans une fi cruelle pofition , il fe
préfenta devant ma poupe , en tirant des coups de
canon & en demandant des fecours. Il échouà une
demi- heure après fur la côte . J'étois dans la plus
grande affliction de ne pouvoir lui donner le moindre
fecours ; je craignois à tous momens un fort
pareil , parce que j'étois fi près des roches de
Berthome , que l'écume que faifoit la mer en fe
brifant contr'elles , venoit jufqu'au -deffus de ma
poupe. La Rofe éprouva le même malheur à trèsb2
( 28 )
peu de diftance du St-Jofeph , & tous deux n'étoient
qu'à une portée de canon de ma frégate. La mer
fe couvrit auffi - tôt de pièces de bois , & nous
vîmes fur la plage plufieurs hommes en chemife.
Nous découvrions le navire entre des montagnes
d'écumes & de pierres avec toutes les voiles démontées.
Le vent continuoit de fouffler avoit vio-
Jence , la mer s'élevoit jufqu'à nous , le tems étoit
fort obfcur , la pluie , la neige & la grêle tombant
fans difcontinuer , ne nous permettoient pas
d'attendre aucun fecours. La Rofe fut fubmergée
en un inftant. Nous appercevions toujours le vaiffeau
entre les lames de mer , répétant les fignaux
de détreffe. A 7 heures du foir , j'appellai tous mes
Officiers dans la chambre du Confeil ; je leur te .
montrai la trifte fituation dans laquelle nous étions ,
& que dans la nuit notre perte étoit évidente
parce que le cable de notre ancre commençoit à
menacer ruine , & que nous n'étions pas à 20
varres des rochers. Je propofai en conféquence de
couper notre mât pour diminuer l'agitation de la
frégate , & en faire des radeaux afin de fauver
l'équipage. Tout le monde fut de mon avis ; nous
allions mettre la main à l'oeuvre ; il étoit alors s
heures , quand le vent qui avoit paffé à l'oueft le
calma un peu. Je fis auffi-tôt appareiller , ce qui
me réuffit heureuſement , puifqu'à une heure &
demie j'entrai dans cette rade , m'etant fauvé comme
par miracle. Nous avons la confolation d'apprendre
dans notre malheur que tout le monde s'eft
fauvé , & que l'on peut retirer beaucoup d'effets «.
Le petit convoi Efpagnol , que le S.Jofeph
fe propofoir d'efcorter jufqu'à la Corogne , a
profité une feconde fois du premier vent favorable
, pour fortir du Port ; il partit le 15,
& comme il n'a pas reparu on efpère qu'il
a continué heureufement fa route.
( 29 )
Le navire le Jeli , écrit - on de la Rochelle ,
a mouillé le 20 dans notre Port ; il vient de la
Martinique , d'où il eft parti le 15 Mars. Il nous
apprend que la corvette qui avoit précédé M. de
Guichen , eft heureufement arrivée au port du Fort-
Royal , & qu'au moment où l'on a été inftruit à
la Martinique de l'approche de la flotte , le Commandant
a donné aux troupes les ordres néceffai
res pour qu'elles fe tiennent prêtes à la feconder
dans fes opérations. Les rapports de l'équipage fur
la trifte fituation des troupes & des vaiffeaux en¬
nemis à Ste- Lucie , s'accordent à les préfenter dans,
l'érat le plus déplorable. Tous les jours le climat
meurtrier de cette Ifle dévore une . quantité prodigicufe
d'hommes. On a déja dépecé 2 vaiffeaux
qui ont fervi à en radouber quelques autres tano
bien que mal ; & il paffe pour conftant à la Martinique
qu'il y en a 6 ou 7 qu'on fera obligé de
dépecer auffi , parce qu'il eft impoffible non- feulement
qu'ils reviennent jamais en Europe , mais
méme qu'ils puiffent tenir la mer pendant une
courte croifière. Du reſte toutes nos . colonies font
bien approvifionnées & on ne craint l'ennemi nulle
part. Tous les navires qu'on attendoit à la Martinique
y font arrivés en bon états .
Le Miniftre de la Marine a reçu 3 paquets
par ce même navire , & avec eux des dépê
ches de M. le Marquis de Vaudreuil. On
avoit répandu la nouvelle de fa mort d'après
des lettres de Cadix , où l'on difoit qu'elle
avoit été apportée par la polacre la Vengeance.
Il paroît que le Capitaine de ce bâtiment ,
forti en dernier lieu de la Trinité , avoit été
trompé par une lettre d'un Officier du Fendant
qui écrivoit : Notre Commandant eft,
mort. C'étoit de M. de Pont-de -Vaux , comb'
3
( 30 )
mandant les troupes de terre qu'il vouloit
parler. Ce Colonel eft mort en effet à la
Martinique , peu de jours après l'arrivée du
Fendant. Voici la relation qu'on a publiée
du voyage de ce vaiffeau de la baie de Chéfapeak
à la Martinique.
" Le Marquis de Vaudreuil , Chef- d'Efcadre ,
Commandant le vaiffeau du Roi le Fendant , de
74 canons , avoit fait dès le commencement de
Janvier , fes difpofitions pour mettre à la voile de
Ja baie de Chefapeak , où il s'étoit rendu , conformément
à fes ordres , après l'expédition contre
Savannah. Mais le froid devint fi vif * , que les
rivières qui ont leur embouchure dans la baie de
Cheapeak, furent gelées , & qu'on fut obligé de voiturer
par terre les vivres néceflaires pour approvifionner
le Fendant. Les glaces qui fe détachoient ,
firent plufieurs fois chaffer le vaiffeau fur fes ancres ,
& obligeoient de les relever pour les remouiller.
Toutes ces difficultés retardèrent fon départ jufqu'au
25. Depuis ce jour jufqu'au 2 de Février , que le
Marquis de Vaudreuil parvint à fortir de la baie ,
le vaiffeau fut continuellement entouré de bancs de
glaces , qui le firent échouer plufieurs fois , fans lui
occafionner d'autres dommages que la perte de
quelques ancres ; mais le 31 , il courut les plus
grands rifques , n'ayant pu fe dégager d'un banc de
glaces d'un quart de lieue de longueur & de dixhuit
pouces d'épaiffeur , dont la force & la direction
maîtrifoient le vaiffeau & le portoient fur un banc
de la baie , dont le fond dur l'auroit brifé. Pendant
plus de 3 heures , la fonde n'annonça que trois pieds
* Quoique la baie de Chefapeak ne foit que par 37
dégrés de latitude , le thermometre y eft defcendų au
même degré au-deflous de la congélation , qu'à Paris dans
l'hiver de 1740.
( ༣t )
d'eau , fous la quille. Heureufement la bonne manoeuvre
du Marquis de Vaudreuil parvint , à l'aide,
de la marée , à lui faire contourner ce banc ; il fe
trouva dégagé de tout danger , & le 2 de Février , il
étoit hors de la baie de Cheſapeak . Sa traverſée , de
cette rade jufqu'à la vue de la Martinique , n'a été
que de 12 jours. Il y attérit le 14 du même mois ,
& il comptoit mouiller dans la journée au Fort-
Royal , lorfqu'à la pointe du jour on découvrir une
Efcadre en croifière dans le canal de la Dominique .
Les fignaux de reconnoiffance , auxquels il fut mal répondupar
cette Efcadre ; les fignaux inconnus qu'ellemême
fit au Fendant , ne laiſsèrent aucun doute au
Marquis de Vaudreuil que ce ne fût une Escadre
ennemie. I prit chaffe pour paffer par le vent de la
Martinique. L'Efcadre Angloife le pourfuivit juf
qu'au moment où le foleil fe coucha . Il y eut du
calme pendant la nuit : le vent contraire fuccéda : &
ce ne fur que le lendemain , à dix heures du foir ,
qu'étant parvenu jufqu'au cap iSalomon qui eft à
l'entrée de la baie Fort- Royal, que le Marquis de Vaudreuil
découvrit une nouvelle Eſcadre , un peu au
vent à lui , mais affez loin pour en paffer hors de
la portée du canon . Obligé de courir quelques bords
pour entrer au Fort- Royal , ce ne fut qu'au troifième
qu'il reconnut que c'étoit une divifion de l'Eſcadre
ennemie , parce que les vaiffeaux qui la compofoient
tirèrent fur lui à toute volée ; mais le Fendant
n'en reçut aucun dommage , & mouilla le 17 , au
Fort- Royal.
M. de Sartine , Miniftre & Secrétaire d'Etat au
département de la Marine , ayant mis fous les yeux
du Roi les fervices du Marquis de Vaudreuil , &
fa conduite diftinguée dans tous les évènemens de
la Campagne , S. M. a nommé ce Chef- d'Eſcadre
Commandeur de l'Ordre de Saint- Louis , & a bien
voulu lui permettre d'en porter la décoration jufqu'à
ce qu'il puiffe être reçu «.
b4
( ༣ ཏྠཾ )
On a appris par des lettres particulières ,
que M. de la Mothe-Piquet , en fortant de
la Guadeloupe avec 6 vaiffeaux a chaffé
l'Amiral Parker qui avoit le même nombre
de bâtimens . Celui- ci a toujours évité le
combat juſqu'au moment que 4 autres vaiffeaux
de ligne s'étant joints à lui , il a à fon
tour provoqué le Chef d'Efcadre François
qui eft entré au port de Fort - Royal. Les
mêmes lettres ajoutent que M. de la Mothe-
Piquet devoit en fortir quelques jours après :
avec 4 vaiffeaux & 2 frégates pour con--
voyer jufqu'à St- Domingue 28 bâtimens
' marchands.
"
» Un bâtiment parti de Baltimore le 24 Mars ,
& dont la traversée a été des plus heureufes
écrit-on de Nantes , a mouillé ici le 22. Il apporte
enfin des nouvelles du Général Clinton , qui
eft arrivé dans la Caroline le 8 Mars ; à l'époque
du départ du bâtiment , le Général étoit à 15 millest
de Charles -Town , dans un fort mauvais état . Ses
troupes ont fouffert au - delà de toute expreffion
dans leur traversée. Il n'a amené avec lui que 35
navires de 100 au moins qu'étoit compofé fon
convoi en partant de New-Yorck. On fait monter
à 4 ou sooo hommes les troupes defcendues à
terre. On n'étoit pas fort inquiet à Charles - Town ,
où depuis plus d'un mois on fe préparoit à le recevoir.
Il y a , dit - on , dans la ville & dans les
environs près de 20,000 hommes , dont la moitié
eft composée de troupes continentales «< .
Une lettre de Baltimore , en date du 7 ..
Mars , contient les détails fuivans :
" Une perfonne arrivée la foirée précédente
de Pétersburg en Virginie, nous donne avis que le
( 337
Dimanche 27 du paffé , un Officier des Dragons
du
Colonel Baylors y étoit arrivé exprès de Charles-
Town (en deux femaines ) avec des ordres du Général
Lincoln au Général Scott , pour qu'il s'avançât
avec les troupes qu'il avoit à fon commandement
en toute diligence
, en conféquence
de l'approche
d'un corps formidable
d'ennemis
qui ſe diſpoſoit
à
affiéger cette Place.- Celui qui nous a apporté cette
nouvelle dit s'être entretenu avec cet Officier qui
lui avoit dit , que le jour qu'il étoit partie de Charles-
Town l'ennemi avoit débarqué
6000 hommes à 15milles
de la Ville , que les Américains
au moment de leur
départ difoient qu'ils alloient lui livrer le combat.
Et qu'il avoit rencontré lé Général Hogan avec
fa brigade à so milles de Charles-Town.
1 » Le Général Scott étoit tout prêt à fe mettre en
marche avec fa Divifion de troupes de la Virginie ,
le 21 du mois paffé ".
Le 20 du mois dernier le brigantin Anglois la
Betfy , du port d'environ 100 tonneaux , chargé
de commeftibles , & parti de Londres pour Halifax
, a été conduit dans le port de Morlaix par
un Officier du corfaire de Granville l'Américaine ,
qui s'en eft emparé.
On a reçu de Dunkerque un état des prifes faites
fur les Anglois , par les corfaires de ce Port , depuis
le premier jufqu'au 31 Mars dernier. Il réfulte
de cet état que le Prince Noir & la Princeffe
Noire ont fait 8 prifes ; la Dunkerquoife 3 ; le
Prince de Soubife une ; la Revanche une , qui étoit
fur fon left : toutes les autres étoient chargées de
différentes marchandiſes.
Monfieur , frère du Roi , a bien voulu accorder
au Chapitre de la noble & infigne Eglife de Saint-
Martin de Tours , dont ce Prince eft Chanoine
d'honneur , fon Portrait en grand , pour être placé
dans la Salle des Affemblées Capitulaires. Les Rois
bs
( 34 )
de France ont agréé depuis huit fiècles les titres
d'Abbé , Chef & Protecteur de cette Eglife.
Nous avons annoncé l'arinement qu'on
fait à Granville de 2 frégates deſtinées pour
la courfe ; nous nous empreffons de joindre
ici le nouvel avis qu'on vient de publier.
Les foins & le zèle des chefs de l'entrepriſe ,
le nom de M. Ducaffou qui doit la comman
der , font faits pour infpirer la plus grande
confiance.
» Les fieurs le Sefue & Compagnie , Négocians
& Armateurs à Paris , rue Bailleul , s'étant chargés
feals , depuis le premier Janvier de la préfente an
née , de la fuite de l'armement annoncé à Nantes
de fix frégates & deux corvettes , donnent avis à
MM. les Actionnaires qui ont bien voulu s'y intéreffer
, que la mife des fonds dans cette opération ,
trop étendue pour une exécution auffi prompte que
celle qui avoit été promife aux intéreffés , ayant
multiplié les Actionnaires par la modicité d'un
deux , trois & quatre louis , fans produire des fonds
auffi confidérables que l'exige une entrepriſe de
cette nature , ils fe font vus forcés , par la néceffité
de juſtifier de leurs efforts aux yeux de leurs
actionnaires & du Public , de réduire , pour le
préfent , cette expédition à l'armement d'une groffe
frégate de 44 canons du plus fort calibre , & d'une
feconde frégate légère de 20 canons ; en conféquence
ils préviennent qu'à compter du premier Mai de
la préfente année , ces courons trop modiques feront
remplacés par des actions de 1000 livres ,
des demi - actions de 500 livres , & des coupons
de 250 livres , qui feront reçues à Paris par MM .
J. F. Frin & Compagnie , Banquiers , rue du Carrouzel
; M. du Jardin de Ruzé , rue de Clery ;
M. Lavenant , Agent de Change , rue du Four(
35 )
Saint Honoré ; & les fieurs le Sefne & Compagnie ,
Négocians & Armateurs , rue Bailleul ; & à Grandville
, lieu de la conftruction & armement des deux
frégates , par M. Anquetil Brutiére , Armateur audit
Port , qui y repréſentera la maison de MM. le
Sefne & Compagnie , pour les opérations relatives .
à l'armement fubordonné , à la connoiffance du local
& à la réfidence.
Les reconnoiffances d'actions feront fignées par
les fieurs le Sefne & Compagnie , qui rendront un
compte exact de l'armement , mife hors , frais de
relâche , & aviſeront exactement des prifes , ainfi
que du produit de leurs ventes conftatées par les
liquidations particulières des Officiers de l'Amirauté
, & dont la répartition fera faite à chaque actionnaire
le plus promptement poffible , fuivant fa
mife. Les Intéreftés pour les actions précédemment
prifes , & qui ne voudront point augmenter leur
mife , refteront dans le même état , & partageront
les bénéfices au prorata de la fomme pour laquelle
ils font actionnaires , & dont il leur a été délivré
des reconnoiffances que les fieurs le Sefne & Compagnie
reconnoiffent valables ,
Les motifs qui , ont déterminé les fieurs le Sefne
& Compagnie à donner la préférence au Port de
Granville , fur les autres ports du Royaume , pour
la conftruction & armement de leur grande frégate
, font fondés fur des principes de la plus
grande économie & célérité dans l'exécution qu'ils
on: deja fait connoître en fubftance à leurs Actionnaires
, & qui font appuyés , 1 ° . par tous les
moyens qu'on y trouve de fe procurer promptement
& avec plus d'avantage qu'ailleurs , les matières
propres à la conftruction , armement & avitaillement
des vaiffeaux. 2 ° . L'abondance des ouvriers
dans tous les genres , & dont les falaires font moins
b . 6
( 36 )
chers que dans la plupart des autres ports. 3 ° . La
facilité de foriner un équipage de bons marins que
l'habitude journalière de la mer rend plus propres
pour une navigation laborieuſe . 4°. Enfin la fituation
même du lieu qui , dès le moment de la fortie , offre
à des frégates de cette force , une croisière trèsavantageufe
.
ل ا
Le commandement en chef de cette expédition
eft confié au Capitaine Pierre- Denis du Caffou de
Bayonne , dont le nom , les récompenfes honorables
qu'il a reçues du Roi pour les actions de valeur &
d'éclat dans cette guerre , & la protection du Miniftre
, juftifient la préférence qui lui a été donnée.
Il montera la première frégate nommée la Louife ,
& il aura conféquemment auffi fous fes ordres la
feconde frégate , nommée la Rofalie , qui a été
conftruite dans un port voifin , & dont le commandement
particulier eft donné au fieur Burgain , Officier
plein de bravoure , de connoiffance & de zèle
pour le fervice de l'Etat .
fous
L'expérience ayant convaincu que les bâtimens
marchands de chaque Nation , d'un chargement
précieux , naviguent rarement autrement que
convoi & par flotte , & qu'un corfaire feul , de
quelque force qu'il foit , s'il rencontre une de ces
flottes , obligé de combattre les vaifleaux d'eſcorte ,
s'empare difficilement des bâtimens marchands
parce que quand l'iffue du combat paroît douteuse ,
le chef ennemi donne le fignal de fuite ; on a jugé ,.
d'après l'avis des marins les plus expérimentés & les,
plus en réputation , qu'en réuniffant pour faire la courfe
, deux frégates auffi redoutables que celles qui
formeront cette expédition , on peut le promettre
Jes plus grands avantages ; dans le tems que la plus
forte , fi elles trouvent de la réfiſtance , ſera occupée
au combat , l'autre , plus légère , amarinera
le plus de prifes qu'il lui fera poflible , & qui fans
cela échapperoient ; & lorfqu'elles s'empareront de
( 37 )
quelques bâtimens d'une valeur conféquente , cette
dernière les convoyera jufqu'à l'entrée des ports de
France , four éviter que les ennemis n'en faffent la
recouffe , & rejoindra enfuite la frégate la Louife
dans la ftation convenue. Il a donc été déterminé
que ces deux frégates marcheront toujours de conferve
dans leur croifière , & qu'elles feront d'abord
une courfe de 4 mois de mer effectifs , divifés
en deux croisières de deux mois chacune ; leur
réunion eft d'autant plus intéreffante & d'autant
plus lucrative , qu'elles n'auront point à redouter
les frégates ennemies , & que la vitefle de leur
marche les garantira de l'atteinte des vaiffeaux de
ligne.
Cette expédition étant accueillie auffi favorablement
des zélés patriotes qu'elle mérite de l'être ,
les fieurs le Sefe & Compagnie ofent promettre
qu'elle fera en état de mettre à la mer au mois
d'Août prochain , tems favorable pour la courfe.
On évalue par apperçu la mife- hors de cette entreprife
, tout compris , à la fomme de 600,000 liv.;
fi toutefois l'économie , que l'on continuera d'apporter
dans toutes fes parties , procure quelque diminution
fur cette fomme , le furplus fera réſervé
pour les cas imprévus , & on en fera compte aux
Actionnaires lors de la répartition des bénéfices.
S. M. aux termes de fa Déclaration du 24 Juin 1778 ,
devant fournir les canons , ou en rembourfer la valeur
, il en fera tenu compte à l'armement. La frégate
la Louife fe conftruit à Grandville avec activité
, fous la direction du fieur J. Epron , Conftructeur
expérimenté , & fur un devis qu'on a jugé,
propre à lui procurer la marche la plus fupérieure ;
fes dimenfions principales font 138 pieds de longueur
de quille , portant fur terre , 37 pieds de lar-"
geur abfolue , & 150 pieds de tête en tête , à fa
ligne de flottaifon . :
Michel Ancel Defgranges , Doyen des
( 38 )
Lieutenans - Généraux des armées du Roi ,
Maître des Cérémonies de France , eft mort
ici le 12 du mois dernier , dans la 93 année)
de fon âge.
Charles-Céfar de Menildot , Comte de
Tourville , arrière- neveu du Maréchal de ce
nom , eft mort en fon château de Saint- Germain-
le-Vicomte , le 15 de ce mois , âgé de
38 ans.
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du premier de ce mois ,
font : 82 , 13 , 33 , 88 & 25 .
L'Ordonnance du Roi portant création de la
place de Colonel - Général de fon Infanterie Françoife
& étrangère , eft du 5 Avril , & ainfi motivée.
S. M. voulant donner à M. le Prince de
Condé une marque de fon eftime particulière &
de la juftice qu'elle rend à fes fervices , à fa
valeur , à fes talens & à fes actions à la guerre ,
crée & établit en fa faveur par la préfente Or.
donnance la place de Colonel Général de fon Infanterie
Françoife & étrangère , fans rien innover
à la charge & à l'autorité du Colonel- Général des
Suiffes & Grifons entretenus à fon fervice. Par le
difpofitif tous les régimens d'Infanterie feront tenus
de lui obéir en ce qu'il leur preferira pour le
ſervice de S. M. Le premier régiment quitte le
nom de Picardie & prend celui de Colonel- Général
; & celui formé en 1776 de fon dédoublement ,
quitte fon nom de Provence & prend celui de
Picardie. M. le Prince de Condé travaillera feul
avec le Roi fur la nomination aux emplois , fur
les graces & tout ce qui peut concerner le feul
régiment Colonel- Général ; dérogeant à l'égard des
autres régimens , à ce qui avoit été preferit par
l'Ordonnance du 30 Mai 1721 , concernant les
( 39 )
droits & prérogatives du Colonel- Général de l'Infanterie.
Les Colonels - Commandans & en fecond ,
auront la qualité de Meftre-de- Camp ; il ne fera
reçu aucun Officier qui ne fera pas pourvu de
l'attache du Colonel- Général. S. M. entend ne pas
comprendre dans les difpofitions de la préfente
Ordonnance , le régiment des Gardes Françoifes ,
le fien d'Infanterie , le Corps-Royal d'Artillerie ,
celui du Génie , ni les régimens Suiffes & Grifons.
Cependant fi le régiment des Gardes-Françoiſes ou
celui d'Infanterie de S. M. fe trouvoit feul dans
le lieu où feroit le Colonel Général , ils fourniroient
pour la Garde. Les Officiers - Généraux chargés
de l'infpection des troupes , & les Chefs des
régimens d'Infanterie , continueront de s'adreffer
au Secrétaire d'Etat de la Guerre comme cidevant
, &c «,
>
De BRUXELLES , le 2 Mai.
TOUTES les nouvelles de Hollande annoncent
que les fept Provinces fe font dé
terminées unanimement à accorder des convois
illimités au commerce , & à refuſer à
l'Angleterre les fecours qu'elle a demandés,
La Cour de Londres n'a pas attendu la ré
folution des Etats- Généraux qui fera bientôt
prife fi elle ne l'eft déja , & qui ne peut
qu'être l'expofé du voeu des Provinces Unies,
pour exécuter les menaces qu'elle avoit fait
faire par le Chevalier Yorck. Le parti qu'elle
a pris de fufpendre l'effet du traité de marine
conclu entre les deux Puiffances en 1674 , a
paru étonnant , fur- tout dans les circonftances
préfentes. Il n'y a cependant rien de
plus pofitif que les articles de ce traité ; les
( 40 )
Anglois l'ont enfreint de la manière la plus
violente ; leur conduite avoit certainement
difpenfé les Hollandois de l'exécution des
traités fubfequens d'alliance offenfive & défenfive.
La proclamation de la Cour de Lon .
dres , après un acte comme celui dont elle
s'eft rendue coupable en attaquant des vaiffeaux
fous convoi , ne peut qu'achever
d'indifpofer les Puiffances neutres ; elle ne
doit pas ignorer que ce font fes excès qui ont
donné lieu au projet de la neutralité armée .
Ils ont appuyé plus que toute autre chofe les
négociations qui ont procuré cet avantage ,
en faifant fentir la néceffité d'un plan de
cette importance.
On est très -impatient , écrit-on de la Haye , d'apprendre
comment le ministère Anglois aura reçu la
Déclaration de Pétersbourg ; à en juger par l'ìmpreffion
qu'elle a faite fur la Nation , on ne peut
douter qu'elle n'ait déconcerté les projets formés
dans le cabinet de Saint-James , qui paroît ne s'y
être pas attendu ; il femble que dans tout le cours
de cette guerre il ne s'eft attendu à rien de ce qui
eft arrivé. Peut être touchons - nous au moment
de voir le dénouement des évènemens intéreffans &
long tems defirés. En attendant le courier Ruffe
qui a été porter cette Déclaration à Londres , en
eft revenu le 16 accompagné d'un courier Anglois ;
& tous deux ont continué leur route vers Saint-
Pétersbourg , avec toute la diligence poffible .
Les Provinces Unies ont pris des réfolutions
aufli unanimes fur le Mémoire
du Prince de Gallitzin ; quelques - unes
ont déja envoyé leur avis ; celui de celle de
Hollande entr'autres tend à accepter l'invi:(
41 )
tation dans des termes remplis de dévoue
ment & de reconoiffance ; elle déclare qu'elle'
eft déterminée à entrer en négociation avec
les Puillances maritimes neutres , & à faire,
une déclaration conforme à celle de la Ruffie
aux Puiffances belligérantes ; elle a voulu
en même-tems que copie de fa réfolution
fût envoyée au Prince de Gallitzin , Envoyé
de l'Impératrice à la Haye , & aux Miniftres
de la République aux Cours de Suède , de
Danemarck & de Portugal , & d'y feconder .
autant qu'il fera poffible les vues de l'Impératrice
de Ruffie.
On affure que les Etats- Généraux ont déja
pris leur réfolution à cet égard , & que le
24 ils l'ont remife au Prince de Galitzin ;
elle eft conforme au vou de toutes les Provinces.
Le 26 , M. le Duc de la Vauguyon , Ambaffadeur
de France , remit aux Etats- Généraux
le Mémoire fuivant :
כ כ »H.&P.S.LefyftêmepolitiqueduRoiefteffentiellement
fondé fur des principes invariables de juftice
& de modération ; S. M. en a donné les témoignages
les moins équivoques dès l'origine des troubles qui
fe font élevés entr'elle & le Roi d'Angleterre , en
prévenant toutes les Puiffances neutres par le déve
loppement des difpofitions les plus favorables à leur
profpérité , & en ne leur propofant d'autres conditions
que celle de la plus abfolue impartialité ,
elle s'eft vue forcée avec le plus fincère regret de n'en
pas reconnoître les caractères dans la réfolution des
Etats Généraux du 19 Novembre 1778 , par laquelle
V. H. Puillances fufpendoient les effets de leur protection
, relativement à une branche de commerce ,
dont les loix de l'équité publique , & les ftipula(
42 )
tions les plus précifes des Traités , leur affuroient
la liberté. Le Roi me chargea alors d'annoncer à
V. H. P. que fi elles fe déterminoient à faire ainſi
le facrifice d'une partie de leurs droits à fes ennemis
, S. M. ne pouvoit conferver à leurs Sujets
les avantages conditionnellement promis par fon
dernier Règlement , ni les anciennes faveurs dont
leur commerce jouit dans fes Etats , & qui ne font
la fuite d'aucune convention , mais d'une bienveil .
lance & d'une affection héréditaire . V. H. P. s'empreffèrent
d'affurer le Roi qu'elles étoient décidées à
obferver la plus exacte neutralité , pendant la duréee
des troubles furvenus entre la France & l'Angleterre
; mais fi elles annoncèrent que l'acte qui
fufpendoit les effets de la protection efficace de la
République en faveur des navires chargés de bois
de conftruction , devoit être regardé comme nonavenu
, à moins qu'il ne fût confirmé ultérieurement
; elles déclarèrent en même - tems que toute
difcuffion fur cette matière feroit furfife jufqu'après
les délibérations qui devoient fixer les convois.
S. M. n'appercevant pas dans cette difpofition nouvelle
un changement réel d'intention , ne crut pas
pouvoir le difpenfer de mettre des bornes aux avantages
accordés dans les différens ports de fon Royaume
, au commerce Hollandois , lorſque V. H. P.
continuoient à fufpendre en faveur des ennemis de
fa Couronne l'exercice des droits les plus folidement
établis ; mais elle s'eft plu à les conferver
aux différens Membres de la République , à meſure
qu'ils ont adopté un ſyſtême qui , en même tems
qu'il eft conforme à fes vues , eft effentiellement
jufte elle a applaudi aux réclamations de V. H. P.:
auprès de la Cour de Londres , aux efforts qu'elles
ont faits pour recouvrer les moyens de rendre au
pavillon des Provinces - Unies fon ancienne confidération
, ainsi qu'à l'ordre pofitif qu'elles ont donné
à une efcadre de fe tenir prête à eſcorter & proté.
ger tous les navires chargés d'objets non-compris .
( 43 )
parmi les marchandifes de contrebande , dès que les
convois illimités feroient arrêtés , & elle a conftamment
defiré que V. H. P. ceffaffent enfin de
mettre obftacle aux témoignages de fon affection ,
en s'abandonnant entièrement aux principes fondamentaux
de leur intérêt. Inftruite de leurs intentions
définitives à cet égard , & affurée du développement
que V. H. P. font déterminées à donner
à leur neatralité , en accordant une protection efficace
& indéfinie au commerce & a la navigation de
leurs fujets , S. M. a écouté avec plaifir les repréfentations
que plufieurs Membres de l'Union , &
notamment le Prince qui eft a la téte de la République
, lui ont faites relativement aux gênes que le
commerce des différentes provinces éprouve dansles
porcs de fon Royaume , & S. M. m'a ordonné
de déclarer à V. H. P. qu'elle a révoqué par un
Arrêt de fon Confeil du 22 Avril 1780 , dont j'ai
l'honneur de leur remettre une copie authentique,
ceux des 14 Janvier , 27 Avril , 5 Juin & 18 Septembre
1779 ; mais elle ne veut pas le borner à rétablir
ainfi les fujets de V. H. P. dans la jouiffance
des faveurs qu'ils éprouvoient avant la publication
de ces nouvelles loix , & dans tous les avantages
conditionnellement promis par fon règlement concernant
le commerce & la navigation des neutres , elle
veut leur donner une preuve éclatante de fa bienveillance
, & elle me charge d'annoncer à V. H. P.
qu'elle a ordonné la remife de toutes les fommes
perçues par les Préposés de fes Fermes , en vertu
defdits Arrêts ; elle fe flatte que des témoignages
auffi importans de fon affection convaincront V.
H. P. non-feulement qu'elle prend l'intérêt le plus
fincère à la profpérité des Provinces- Unies , mais
auffi que la juftice , la modération & la bienfaisance
forment la bafe effentielle & invariable de fa conduite
& de fes procédés.
L'Arrêt du Confeil annoncé dans ce Mémoire
eft du 22 Avril &
conçu
ainfi :
( 44 )
Le Roi étant informé des difpofitions faites par
les Etats- Généraux des Provinces Unies , pour fup→
pléer à la réciprocité requise par fon règlement du
26 Juillet 1778 , concernant la navigation des bâtimens
neutres, & S. M. voulant en conféquence de
ces mêmes difpofitions , donner une nouvelle preuve
de fon affection auxdites Provinces- Unies , s'eft déterminé
à faire cefler les gênes que le commerce de
leurs fujets éprouvoit dans fes Etats , à l'effet de
quoi , oui le rapport , le Roi étant en fon Confeil ,
ordonné & ordonne ce qui fuit.
a
1º. S. M. a révoqué & révoque l'Arrêt de fon
Confeil du 14 Janvier 1779 , qui affujettit à un droit
de fret les bâtimens defdits fujets des Etats-Généraux
des Provinces -Unies des Pays Bas , ceux du 25
Avril & Juin 1779 , qui établitlent un nouveau
tarif pour les cbjets provenant de leur crû , pêche ,
fabrique & commerce , & celui du 18 Septembre
1779 , qui interdit & prohibe l'entrée des fromages
de Nord- Hollande dans le Royaume. 2 ° . S. Ma
confirmé en faveur defdits fojets des Etats- Généraux
des Provinces - Unies des Pays - Bas , les avantages conditionnellement
promis par les difpofitions de fon
règlement du 26 Juillet 1778 , concernant la navi
gation des bâtimens neutres en tems de guerre. 3 °.
Voulant S. M. donner auxdits fujets defdits Etats-
Généraux des Provinces Unies des Pays - Bas , unc
preuve éclatante de fa bienfaifance , S. M. a or
donné & ordonne la remiſe de toutes les fommeș
perçues par le Préposé de fes Fermes , en vertu de
l'Arrêt ci- deffus mentionné.
Nos dernières nouvelles de Londres portent
que l'Amiral Walfingham n'étoit pas
encore parti le 26 : on peut juger de là de l'avance
qu'aura fur lui le Comte de Guichen.
Elles ajoutent que la motion faite en Irlande.
pour l'abolition de la loi de Poyning , a été
( 45 )
rejettée par une forte majorité pour les Miniftres
; cependant elle ne l'a pas
été de manière
à ne pouvoir y revenir,
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 17 Avril.
DES écrits ministériels fourmillent de plaintes
contre ce qu'on leur ordonne d'appeller la licence
des Républicains . C'eft aux lecteurs défintéreflés
à décider fi les traits de la calomnie ne partent
pas plutôt des gazertes aux gages des Miniftres ,
& à mettre dans la balance les charges qui ont
été avancées contre le Duc de Richmond , lequel ,
dans le Morning poft du 8 de ce mois , eft dénoncé
comme entretenant aujourd'hui avec l'ennemi
une correfpondance contre l'Etat. Que nous fommes
heureux de vivre dans un tems où ceux qui,
en leur qualité de Membres du Parlement , ofent
cenfurer la nomination inexcufable de certains in
dividus fans expérience , aux places les plus im
portantes , doivent répondre de leur opinion
fur leurs têtes , & où le Miniftre peut , dans
la Chambre des Communes , représenter un
effort pour foutenir ce pays chancelant comme
tendant à bouleverfer la conftitution , tandis qu'au
dehors on aiguile les traits de la calomnie en qua
lifiant du nom de trabifon la vertu publique , qui
eft l'objet de cette conſtitution .
Les Ecrivains miniſtériels ne ceffent de nous dire
que c'eft moins avec les Espagnols qu'avec la Cour
de Madrid que nous avons guerre ; que les peuples
de ce Royaume déteftent la guerre , & que d'après
fon mauvais fuccès il y a tout lieu de croire que
les Miniftres de S. M. C. vont nous crier merci.
Mais les perfonnes qui débitent ces nouvelles , &
fur-tout celles qui font affez difpofées à les croire ,
devroient bien auparavant confidérer deux choſes :
( 46 )
1. que malgré le cii général de toute la Nation
contre la guerre d'Amérique , le Gouvernement ne
s'y eft pas moins embarqué ; 2°. qu'à tous les
échecs que nous avons éprouvés dans cette guerre ,
& dans les tems mêmes où nos affaires étoient dans
la plus mauvaiſe poſture , l'Orateur Ministériel ,
M. Wedderburne , nous a toujours dit que ce
n'étoit point là le moment de penfer à la paix ,
& qu'il falloit attendre que nous fuffions en état
de la faire à des conditions plus raisonnables. Tel
fera probablement le fyftême des Miniftres Efpa.
gnols , & ils vont mettre tout en oeuvre pour rétablir
leurs affaires au point que lorsqu'ils traiteront
de la paix , ils puiffent le faire avec la dignité
qui convient à une grande Nation .
Il s'en faut bien que l'Irlande foit auffi contente
que nos Miniftres le difent . Dans les Provinces de
Leinster & de Connaugt le peuple eft affez tranquille
, mais c'eft à caufe des affurances réitérées
que le Duc de Leinster & le Comte de Clauricard ,
fes Colonels -Volontaires , lui donnent que le Gonvernement
est prêt à lui accorder tout ce qu'il demande.
A Munſter le Peuple fe plaint , & très - haut ,
que les Miniftres ne cherchent qu'à le cajoler afin
de lui faire mettre bas les armes , ce qu'il ne veut
pas faire que tous les griefs ne foient redreffés.
Dans la Province d'Ulfter, où il y a 30,000 , familles
Proteftantes , ( c'eft-à - dire , plus qu'il n'y en
a dans tout le refte de l'Irlande ) , le Peuple eft
déterminé à fe faire rendre juftice , & une juftice
complette & fans réferve ; il a déclaré qu'il ne quit
teroit les armes que lorfque tous les griefs feroient
redreflés ; qu'il avoit un droit à la liberté dont il
jouiffoit , & que la Loi de Poyning étoit un inftrument
diabolique entre les mains du Miniftre
Anglois «.
» Le Comte de Buckinghamshire , Lord- Licu(
47 )
tenant d'Irlande , a inftruit le Ministère , par fes
dernières dépêches , que prefque tous les Magif
trats de ce Royaume n'ont point voulu mettre à
exécution les loix faites par le Parlement de la
Grande - Bretagne. Le premier exemple de la défobéiflance
a été donné par le Comté de Mayo , où
les Magiftrats ont refufé formellement d'exécuter
la loi contre les Déferteurs , fous prétexte que le
Parlement d'Irlande n'avoit point paffé d'acte
fur le fait de la défertion , & qu'ils ne pouvoient
reconnoître d'autres loix que celles de leur propre
légiflation . D'après cette réfolution , le Gouvernement
n'a rien de mieux à faire que de rappeller au
plus vite l'armée qu'il entretient en Irlande , fans
quoi elle fera bientôt réduite à rien par la déſertion.
Il a été tenu en conféquence un Conſeil du Cabinet ,
dont le réſultat eft , dit-on , de ne pas céder en la
moindre choſe à l'Irlande , mais d'affecter la plus
grande affurance , & de prendre le haut ton. Le
fecond Tome de l'Hiftoire d'Amérique !
Dans le cordage d'un vaiffeau , on diftingue ,
en Anglois , fous le nom de Peintre , certain cableau
qui fert à amarrer un bateau au bord du vaiſſeau
dont il dépend. Ces jours derniers , un Peintre étant
occupé à barbouiller la figure des éperons d'un bâtiment
mouillé près de la Tour de Londres , le Com.
mandant qui venoit l'aborder dans la chaloupe ,
cria au Mouffe jette le Peintre à l'eau. - Le
Mouffe ne connoiffant point encore cette eſpèce de
cordage , courut au Peintre , qui avoit déja le corps
à moitié hors du bâtiment , & le précipita dans la
mer. Le Capitaine ne voyant point tomber de fon
côté le cordage , fe mit à crier après le Mouffe en
jurant jette donc le Peintre ? Eh , je l'ai jetté ,
répartit l'autre , avec fon pot & fa broffe. - Le
Capitaine fongea heureufement que ce pouvoit être
fon ouvrier , & le fit repêcher fur- le -champ
-
( 48 )
Le Lord North qui a déjà fait perdre au
royaume prefque tout fon Commerce , paroit déterminé
à vouloir détruire la Compagnie des Indes ,
ce Miniftre , en lui faifant favoir que le Gouvernément
la rembourferoit , n'a eu d'autre intention que
de donner à fes affaires dans l'Inde une impreffion
défavorable. Un exprès fut dépêché de la Trésorerie
à Madraff, le jour même que cet avis fut donné ,
pour informer les créatures du Miniftre dans ce
pays , que la Compagnie alloit être diffoute . Il en
réfultera que les Princes Indiens fe croyant abandonnés
par 1.s Anglois , s'accommoderont le mieux
qu'ils pourront avec les François , les Hollandois
& les Danois. Il naîtra delà un défordre qui obli - `
gera notre Compagnie d'avoir recours à la protection
du Gouvernement qui ne la lui accordera qu'à condition
que la Compagnie fe mettra abfolument fous
la tutelle du Miniftre .
Quelque étrange que cela puiffe paroître , on
affure que malgré la guerre que nous avons avec
la France , il s'eft introduit ici , en contrebande ,
par la voie d'Hollande , une troupe de Comédiens
François , dont le Directeur eft de la même nation.
Notre principale Nobleffe a fait une foufcription
pour les foutenir . Leur théâtre eft dans la maifon
du Lord Coventry , & ils ont joué pour la première
fois le 12 de ce mois.
La proclamation du Roi relativement aux Hollandois
, a fait beaucoup de bruit à la Bourfe . Le
cri général eft qu'elle pourroit occafionner avec la
Hollande une guerre à laquelle le Ministère Britannique
auroit donné le fujet le plus légitime ;
que c'étoit le moyen le plus fûr d'achever la
ruine du commerce ; que c'étoit fe fermer le canal
par lequel on pouvoit , même pendant la guerre ,
faire patler des marchandiſes Britanniques en France
& en Espagne , & c.
JOURNAL POLITIQUE
2
DE BRUXELLES.
RUSSIE
De PETERSBOURG , le 31 Mars.
Tous les grands Gouvernemens de cet
Empire fe mettent infenfiblement fur le pied
fixé par l'Ordonnance de 1775 ; celui d'Ingermanie
fubira ce changement au mois de
Mai prochain , c'est le Feld - Maréchal Prince
Galitzin , que l'Impératrice a chargé de ce
foin . On s'occupe déja des préparatifs néceffaires
, & fur-tout de ceux qui regardent
l'élection des Membres qui compoferont les
nouveaux Tribunaux de Juftice . L'Ouverture
s'en fera avec beaucoup de folemnité ; & il
y aura des illuminations & des fêtes publiques
dans tous les lieux des cercles où ils
font établis .
Le Comte Alexis Orlow , arrivé ici de
Mofcou , eft parti la ſemaine dernière pour
les Pays étrangers. Il va prendre les bains
de Toplitz , Carlsbad , Aix- la- Chapelle &
Spa. De là il fe rendra par la Hollande en
Angleterre. Ce voyage à donné lieu à une
multitude de conjectures ; il paroît cependant
que la curiofité en eft le feul objet , &
13 Mai 1780.
( 50 )
qu'il n'eft venu de Moskou que pour avoir
l'honneur de prendre congé de l'Impératrice
.
L'Officier que la Cour avoit envoyé au
Prince Baratinski,Ambaſſadeur de S. M. I. auprès
de la Cour de Verſailles , eft de retour ; il
a paflé à la Haye , d'où il a apporté des dépêches
de l'Ambaffadeur de l'Impératrice auprès
des Etats- Généraux des Provinces-Unies .
On en ignore le contenu ; mais on croit
remarquer que la Cour en eft fatisfaite.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , ie Is Avril.
ON apprend que la Cour de Danemarck
s'est déclarée formellement fur les propofitions
de la Ruffie , relativement à une neutralité
armée. On ignore encore la réſolution
que prendra notre Cour ; mais il est trèsprobable
qu'elle entrera dans les mêmes.
vues. En attendant , on continue les armemens
deſtinés à protéger notre commerce ; &
le Collége Royal d'Amirauté de cette ville a
expédié à tous les Agens & Confuls qui réſident
en pays étrangers , une ordonnance par
laquelle on annonce à tous les patrons des
navires Suédois , qu'on leur donnera les
convois néceffaires.
On apprend d'Elfeneur que la frégate de
guerre Ruffe le Kulden , montée de 24 canons
, & commandée par le Capitaine Lieuenant
Bolfchmanoff qui a hiverné à Co(
51 )
penhague , a paffé par le Sund le 12 de ce
mois pour aller prendre en Hollande l'équipage
de la frégate Ruffe la Natalie , qui a
péri près du Texel.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 16 Avril.
M. OKENCKI , Coadjuteur de Poſnanie , a
été fait Vice - Chancelier de la Couronne en
même-tems que le Comte de Borch , qui
occupoit cette place , a été élevé à celle de
Chancelier.
Les 60 canons de différens calibres , dont
l'Impératrice de Ruffie fait préfent au Roi ,
ont été envoyés avec une forte eſcorte de
Kiovie à Bialacerkiew , par le Feld-Maréchal
, Comte de Romanzow. M. Stempkowski
, Régimentaire de la Couronne , a
été chargé de les recevoir & de les faire paffer
ici où ils font arrivés. S. M. a fait préfent
de 300 ducats à M. de Stempkowski &
a accordé un brevet de Lieutenant à ſon fils ,
qui eft encore fort jeune.
Le Comte Oginski , Grand- Général de
Lithuanie , eft reparti pour Slonim. Peu de
jours avant fon départ , un Officier étranger
lui a fait préfent d'un fabre que l'on eftime,
d'un grand prix ; la lame eft de l'acier le
plus fin & très- tranchante ; on y lit en lettres
d'or Aureng- Zeb , & le millésime de
1679 ; ce fabre , dont la poignée eft d'or &
bien travaillée , fut pris fur Aureng- Zeb par
:
C 2
( 52 )
1
les Perfes ; ceux- ci le perdirent dans une bataille
contre les Turcs , & un de leurs Agas
le vendit au Congrès de Buchareſt à un Officier
Ruffe , à la conclufion de la paix entre
la Ruffie & la Porte . Celui qui a fait préſent
de ce fabre au Grand- Général en a reçu 200
ducats , avec une place confidérable parmi
les Officiers de fa maifon , fa fanté ne lui permettant
plus le ſervice militaire.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Avril.
UN courier , arrivé dernièrement d'Italie ,
vient de remettre à la Cour le teftament du
feu Duc de Modène , ainfi que le codicile
que ce Prince a fait pendant fa dernière maladie
, & par lequel l'Empereur eft déclaré
fon exécuteur teftamentaire.
L'Impératrice eft revenue le 12 de Prefbourg
; pendant fon féjour elle a honoré
d'une vifite la Comteffe Douairiere du
Comte Léopold Palfy , & a été voir le nouveau
palais qu'on y conſtruit pour le Cardinal
-Primat du Royaume de Hongrie.
On parle beaucoup de faire une nouvelle
chauffée vers la Stirie & Gratz ; elle feroit
très-avantageufe pour le commerce , parce
qu'elle ouvriroit un chemin plus court &
plus facile aux voitures , qui font obligées
de faire un grand détour à travers des pays
montagneux.
Comme cette Cour n'a aucun traité avec
( 53 )
les Puiffances barbarefques , le commerce
de fes fujets dans la Méditerranée , fe trouve
expofé aux pirates qui infeftent cette mer ;
on prétend qu'à la requifition des Marchands
, elle va faire équiper à Trieſte & à
Fiume un vaiffeau & 2 frégates pour les
protéger.
De HAMBOURG , le 27 Avril.
LA Déclaration de la Ruffie accueillie avec
empreffement dans le Nord , prépare peutêtre
un nouvel ordre de chofes ; une union
folide entre les Puiffances commerçantes
en fera du moins le fruit . Si elle amène ,
comme on l'efpère , dans le Commerce
une balance politique , ſemblable à
celle qui s'eft établie dans les forces de
terre des Etats de l'Europe , les prétextes de
guerre deviendront moins fréquens , &
l'humanité devra beaucoup aux Souverains
de qui elle tiendra cet avantage , ce grand
évènement , pour l'effet duquel le voeu eſt
général , femble avoir été prévu.
לכ
Si , dit un papier public , dans le tems où le
fyftême d'une balance politique de puiffance en
Europe prit naiffance , & où ce fyftême intéreffa
tous les Etats à leur confervation refpective , fi
dans ce tems , dis - je , on avoit imaginé que le
commerce maritime étoit une fource commune de
richeffe & de puiffance , il eft aifé de préfumer
qu'on auroit établi auffi une balance politique de
commerce ; on l'oublia , & l'Angleterre , gouvernée
alors par un homme ambitieux & heureux , profita
de cette faute pour jetter les fondemens d'un comc
3
( 54 )
merce prefque exelufif. Cet acte de fuprématie ,
appellé acte de navigation , augmenta d'abord les
forces maritimes de l'Angleterre , & elles finirent
par fubjuguer , à la longue , celles des autres nations .
Des fuccès continuels rendirent cette fuprématie
chère aux Anglois ; & ils ont tout facrifié , juſqu'à
leur félicité même , au beſoin de la perpétuer «.
Mais jamais l'Europe ne s'eft unie pour
attaquer ce Coloffe ; la Hollande & le Portugal
l'ont toujours étayé ; à la veille d'être
privé de ces deux appuis , il penche aujourd'hui
vers fa ruine , & il tombera enfin
fi l'exécution du projet de la Ruffie répond
à la fageſſe avec laquelle il a été conçu .
Tandis que l'Europe attend de la neutralité
armée le moyen de mettre promptement
fin à la Guerre , ou du moins de la
concentrer , l'obftination du Miniſtère Britannique
femble chercher à l'étendre. On
affure qu'il a fait faire fous main à une
Cour puiffante des propofitions , dont l'objet
feroit d'occafionner une Guerre de terre ,
& qu'une autre Puiffance a déclaré que
dans ce cas l'Angleterre trouveroit en lui
un nouvel ennemi ; mais ces bruits n'ont
peut-être aucun fondement.
Le Duc Régnant de Wurtemberg a conclu
le 11 de ce mois , avec les Princes fes
frères , une convention pour régler fa fucceffion
, ainfi que le paiement des douanes
& des penfions dont elle eft grévée , &
entr'autres de la penfion de 8000 florins
affurée par S. A. S. à Madame la Comteffe
de Hogenhaim .
( 55 )
On dit que par le teftament de la feue
Ducheffe de Wurtemberg , le Prince Henri
de Pruffe hérite de tout l'argent comptant ,
montant à 84,000 écus , & que l'argenterie
, les bijoux & les diamans doivent fe
partager entre le Prince Ferdinand de Pruffe ,
la Princeffe Amélie de Pruffe , la Reine de
Suède & la Ducheffe Douairiere de Brunfwick.
Le Roi de Pruffe vient de faire adreffer
à fon Grand - Chancelier un ordre du Cabinet
, en date du 14 de ce mois , en forme de
lettre , fur la réforme de la Juftice dans fes
Etats.
» Mon cher Grand- Chancelier ! Vous ne pouvez
pas ignorer qu'en 1746 , & déjà avant ce tems ,
nous avons apporté toute notre attention à abolir
& à corriger les abus & les irrégularités qui fe font
gliffés dans l'adminiſtration de la juftice dans nos
Etats , en ftatuant : 1 ° . De mettre tous nos Collégés
de Juftice fur un meilleur pied , en n'y admettant
que des membres d'une capacité & probité reconnues.
2 °. De purger la procédure des caufes litigieufes
de toutes les formalités inutiles , pour faciliter
les moyens d'en reftreindre la conclufion dans
l'efpace d'un an ; 3 °. & de faire un recueil de nos
loix , éparfes jufques- là dans une infinité de volumes
, & de déterminer le fens clair & précis de
celles qui pourroient paroître équivoques , & induire
en erreur.
Quant au premier point , nous ne doutons nullement
qu'on ne parvienne ailément à ce but , en
établiſſant une plus grande fubordination dans les
Colléges , plus d'ordre dans les affaires , & fur-tour
en s'en tenant ftrictement & rigoureuſement à notre
inftruction , fuivant laquelle on doit examiner les
C 4
( 56 )
jeunes Candidats qui fe préfentent , éprouver leur
capacité & s'affurer de la régularité de leur conduite
& de leurs moeurs ; & fur-tout en prolongeant le
tems qu'ils font tenus de travailler en qualité de
Référendaires dans nos Colléges de Juftice . Mais,
comme une ordonnance auffi fage ne peut être qu'entièrement
infructueuse , à moins que les préfidens
& les directeurs de chaque collège ne tiennent
rigoureufement la main à ſon exécurion , c'eſt à
vous à y veiller, & nous voulons & ordonnons par
la préfente qu'elle foit fuivie par-tout avec la plus
fcrupuleuse exactitude . Pour cet effet tous préfidens
& directeurs des Colléges de Juftice auront à vous
informer ponctuellement & avec la plus parfaite
impartialité, de la conduite de leurs inférieurs ; &
c'eſt à quoi dans vos vifites , vous apporterez une
attention particulière ; en obfervant , qu'il ne fuffic
pas qu'un membre de quelque college foit irréprochable
à l'égard de quelque infidélité , de corruption
ouverte ; il doit encore , jufques dans les moindres
actions qui fe rapportent à ſon office , agir conftamment
fans paffion , & éviter toute apparence de
partialité. Tout homme fans conduite & fans
moeurs , oublie aifément fes devoirs , & doit être
rejetté du corps des Juges , fans acception de perfonnes
, & fans confidération quelconque pour fa
famille , ni même pour les talens & la capacité
qu'il pourroit avoir d'ailleurs . Lorsqu'au contraire
nous pourrons nous affurer de l'intégrité & de
l'incorruptibilité inviolable de nos Tribunaux , nous
ne manquerons pas de leur rendre juftice , de les
honorer & les récompenfer felon leur mérite. En
revanche nous ne connoiffons point de peines afflictives
allez graves , pour punir ceux qui manquant
à des devoirs auffi effentiels , feroient capables d'abufer
du pouvoir d'un office , jufqu'à opprimer
l'innocence , renverfer & anéantir la juftice , pour
la défenſe & le maintien defquelles cet office leur
a été confié.
( 57 ) Quant au fecond point qui concerne la procédure , je veux croire qu'on en a en grande partie aboli
dont toute l'Allemagne
a eu à ſe plaindre
les abus ; mais dans le fond vous conviendrez
, qu'on y voit encore le même tiffa inepte du droit
(
Supplément aux Nouvelles de Londres,le Samedi 6 Mai
1789.
9
LE Général Clinton, dansfa dernière dépêche, qui eft du, Mars, évitede rendre compte dela traverfée dela Flotte&de l'Arinée
de New- Yorckàla Caroline
Méridionale,
vraisemblablement parce
qu'il croyoit que c'étoità l'Amiral
Arbuthnotà envoyerà l'Ami-
Yauté cette partie de l'hiſtoire de
l'Expédition. Mais, foit que l'Amiral
n'ait pas jugéà proposdela
compléter, quoiquefi
intéreffante,
foit que les Lordsde
l'Amirauté n'aient pas cru devoir mettrele
récit qu'ila puen faire fous les yeuxdu Public, nousne favons
quela moitiédece qui intéreffe notre curiofité.
re,
Le Capitaine Drake,
commandantle Rufel, quoiqu'à fon retour
dela Carolineà New- Yorckil n'eût rien
d'importantà écri
a penfé qu'il feroit
repréhenfible de laiffer partir des dépêches
des
Officiers
commandans furtere, fansy joindre quelque chofe
du fien, enfa qualité d'Officier de Marine, alors
Commandanten
Chef fur les lieux. En
conféquence,il donneun détaildece qu'il
a appris, pour fervir de fuiteàla Relation qu'il fuppofe avoir été
envoyée par l'Amiral
Arbuthnot, de forte que nous avonsla continuation
da lin
Sɔ
égard . L'ufage conftant de ce peuple oulige
rien qui pune
( 56 )
jeunes Candidats qui le préfentent , éprouver leur
capacité & s'affurer de la régularité de leur conduite
& de leurs moeurs ; & fur-tout en prolongeant le
tems qu'ils font tenus de travailler en qualité de
Référendaires dans nos Colléges de Inthic Ma
embaGrcarozauKcednpvqieatilrtueddndtauitenedeseesnre:
la Cour, fi c'eft le Major- General Pattifon ou le Lieutenant-Genéral
CKonmympahHneaNdCfurefahefqowfneeeeuitf-ftnniàsét,,
feoxnceYchrtoabltcisrcieoeo'loecueiunnelunknnàrtss.s,
cocnofméFqmléau'avuaerlnruni'oEtdceu2lirl&neern5etee,
ccehoanaaMnvcvmraoooardmroui2nrnuil&cesns7s;eetta,i,
pddrheeeibrrmfnnoetipiiuoèreelifrerrller&se-eeaaase,,
SeDpéltp'eaAnrmtrtéipermTnoamiioonreqètaounurdrlîtteeeeet.
boulienveexrpfleicichdnaêéaaebttuddonnlra&neessetet.
DféoptNacmerromnoqtesntuieduae'èû'érisseeu-tysel,
l'SSSAeeemcccérrréréémtttieaaaqiiinddunnnrrrteeeiiieee,,
ECCmoopammqlaeSuummonuoceftiiyuunlirnssésni-eni,,-
l'Amcéaoftqrfolnuiaauq'qiietlrdfofuuûe&eefeeneetsssé,
gboaeuuamvrcmueêohocreiomiolnleelelnueenteessprsétss-,
actueqlul'eevmlmoelannneletts.
dCerlmYeaiNaonrnnfrnrq'etpioedcuoaSvrfwlékensiaétàteddo'cuaAfaqhrvveuutoearrt'rfefunivrlièifiàexteelalsntl,-
fHurolCcp'dhThiACeaaotrevrrqamtalgwuluétndee'enxeetràess-.
iPcnrfootamvoldmpiupu'onttlbdeAidceeurlfu-sàeersseat,
d'jOucéftttqCmeaou'bomdbv'elosrpierasi'liùssseuittyell.
dEyfufreboniptflfeaéitirtueèeoiauvlnnuelfr&eessàseees.
d'aYivmplioNooflfriqieetfbucaeonuIeelrfwkuuseLssets-,
iexmtppdéroefrerrfeiefteprfefqnlaoautlufnunnréeetssessss,
Wasehntircneogpnuprttainoddrlrfeneeeate.
inquiféovtppniufOrqegpvdaiddunueaeenNfleeeetrssssea
d'ChGCloTéhainnafopnnérfuotawerlineuoauelrnfernlrseet.-
L'acharémnmneedeonpdnqm'teuraooeutr'mcnunnrtieyetsteael
1SM78aa01mi.()3.
juitice , pour
te & le maintien defquelles cet office leur
a été
confié.
( 57 )
1
..
Quant au fecond point qui concerne la procédure ,
je veux croire qu'on en a en grande partie aboli
les abus ; mais dans le fond vous conviendrez ,
qu'on y vcit encore le même tiffu inepte du droit
canon , dont toute l'Allemagne a eu à fe plaindre
depuis tant d'années .
Il répugne à la nature des chofes , que les Parties
ne puiffent plaider ou du moins expofer ou défendre
en perfonne leur caufe & leurs droits devant les
Juges , & qu'il faille qu'ils les abandonnent à des
avocats engagés par leur intérêt & leur cupidité ,
à multiplier les procès & à les tirer en longueur.
Le plus honnête homme même d'entr'eux qui défi .
reroit remplir les devoirs d'un bon citoyen au préjudice
de fes intérêts , n'oferoit , comme demandeur
ou défendeur , agir avec franchiſe , de crainte qu'un
expofé fimple , une narration vraie & circonftanciée
du fait , ne donnât lieu à fon adverfaire d'abufer de
fa bonne foi & de l'accabler de preuves qui le meneroient
dans un labyrinthe dont il ne pourroit fortir
qu'aux dépends de la bonne caufe de fon client.
UnJuge , entre les mains duquel on ne remet les actes
ou mémoires d'un procès , qu'après que les avocats
auront à leur gré obfcurci , tordu le fens du cas
litigieux , perd de vue l'objet , ne l'apperçoir plus
tel qu'il eft , & s'égare : De là les fauffes décifions ,
les jugemens injuftes que bien fouvent , parce qu'il
fe trouve obligé de fuivre le fil & la marche des
affaires , felon les formes de la juſtice , il fe voit
forcé de prononcer contre fa propre conviction.
On ne me perfuadera jamais que ces procédures
monftrueufes aient été inventées & prefcrites par
un des anciens & fages légiflateurs . Elles ne peuvent
être éclofes que du fein de la barbarie des
fiècles paffés , ou enfantées par la pareffe & la commodité
des Juges . L'hiftoire Romaine ne fournit
rien qui puiffe me faire changer de fentiment à cet
égard . L'ufage conftant de ce peuple obligeoit les
de
Heflois
la Cour,fi c'eft le Major-
Général Pattiton oule
Lieutenant Gener
Riende plus
embarraffant quede
découvrir dans cette Gazette
Tantone fans en avoirle
commencement
.
Knunhaufqeeufnit
( 58 )
Juges à s'enquérir du fait des procès , & à en prendre
une parfaite connoiffance , avant que les orateurs
des parties fuffent entendus , & qu'on en eût porté
un jugement ; & , s'il eft vrai que les loix Papales
chargent les Juges de l'examen du fait des procès
& qu'elles ne permettent aux avocats que la défenſe
des droits de leurs cliens , mon opinion devient une
conviction pour moi à ce sujet «.
La fuite à l'ordinaire prochain.
Les lettres de Drefde nous apprennent que l'Electrice
Douairière de Saxe , y eft morte le 23 de ce
mois , âgée de 56 ans & 3 mois ; S. A. R. étoit fille
de l'Empereur Charles VII.
ESPAGNE.
De CADIX , le 14 Avril.
TOUT eft embarqué & la flotte eſt à pic
depuis hier. Il paroît que D. Gaſton avec
une forte divifion ira la convoyer jufqu'à
une certaine hauteur. Les vaifleaux François
ne resteront ici que le tems qu'il leur
faut pour s'approvifionner. Le Héros eft le
feul qui a eu befoin d'une carène. Les quatre
autres font dans le meilleur état.
Un Bâtiment forti de Baltimore le 19
Mars , nous confirme l'arrivée du Général
Clinton dans la Caroline , & tout ce que
fon armée a fouffert dans fa traverfée. Il
faut qu'elle ait été horriblement maltraitée ,
puifque la Défiance , vaiffeau de Guerre de
64 canons a péri , & qu'on a été obligé de
jetter à la iner 700 chevaux pour lesquels
on n'avoit plus de fourrages. La faifon qui
avance & qui doit de jour en jour devenir
( 59 )
meilleure , nous fait efpérer que notre belle
armée & celle qui va fortir de Breſt , n'éprouveront
pas un malheur pareil.
Le Règlement annoncé de la part de notre
Cour concernant la Navigation des Neutres
, eft du 13 du mois dernier. Il eſt écrit
en forme de lettre , & adreffé par le Comte
de Florida Bianca au Marquis Gonzales de
Castejon , Miniftre de la Marine.
Dès le commencement de la préfente guerre
avec la G. B. le Roi déclara fincèrement , & même
d'une façon dont il n'y a point d'exemple , fes intentions
de faire bloquer la place de Gibraltar ; & S.
M. en fit donner par moi l'avis formel à tous les Ainbaffadeurs
& Miniftres Etrangers , afin qu'ils fuffent
en état d'en inftruire les Nations refpectives , & que
celles- ci puffent éviter dans leur navigation & leur conduite
les conféquences & les procédés autorisés par
le droit des gens & les loix générales de la guerre. Le
Roi déclara pareillement par fes Ordonnances pour
la Courſe , publiées & connues de tout le monde :
Qu'à l'égard des Marchandifes , Productions & Effets
Anglois , chargés à bord de bâtimens portant pavillon
ami ou neutre , S. M. fe conduiroit fuivant le
procédé dont des Anglois en ufoient envers des chargemens
du même genre , afin d'éviter par cette réciprocité
de conduite l'inégalité énorme, le préjudice ,
ou même la ruine, auxquels le Commerce & les Sujets
de S. M. fe trouveroient expofés «.
ג כ
Malgré des difpofitions fi pleines d'équité , de
franchife & de bonne foi , les Capitaines & Patrons
de bâtimens neutres n'ont pas ceffé d'abufer de l'immunité
de leur pavillon , foit en fe gliffant furtivement
dans la place de Gibraltar avec des caigaifons
de vivres , même avec celles qui étoient destinées
pour les flottes & armées du Roi , foit en cachant
une grande partie de leur chargement, confiftant en
c 6
( 60 )
poudre & autres marchandifes de contrebande ; ou en
déguifant par des papiers doubles & fimulés , qu'ils
jettoient en mer lorfqu'ils fe voyoient poursuivis , la
propriété des navires & des effers , ainfi que leur deftination
pour des perfonnes & des endroits différens
de ceux auxquels ils appartenoient réellement & où
ils le rendoient ; foit enfin en faifant une réſiſtance
formelle contre les vaiffeaux du Roi ou contre fes
corfaires , lorfqu'ils cherchoient à reconnoître quelques
bâtimens qu'ils fuppofoient neutres «<,
" Quoique ces faits foient notoires & qu'ils aient
été prouvés par des procédures formelles , ces hommes
avides de gain & pervers , ont rempli toute l'Europe
du bruit de leurs clameurs , répandant fauffement
qu'il avoit été donné ordre de détenir & de faifir
tous bâtimens neutres , qui vouloient paffer le Détroit
, tandis qu'en réalité les ordres fe font bornés à
la détention des navires fufpects par leur route ou
leurs papiers , & qui étoient chargés de vivres ou
d'effets ennemis ; modération bien différente de la
conduite qu'ont tenue la Marine & les corfaires Anglois
, en détenant & déclarant de bonne prife les
vaiffeaux neutres , non - feulement lorsqu'ils portoient
des productions Espagnoles , mais de quelque genre
que fuffent les marchandifes qu'ils avoient chargées
dans les ports d'Efpagne , ou quoiqu'ils fe rendiffent
fimplement à cette prefqu'Ifle , amenant auffi à la
place de Gibraltar les bâtimens neutres qui paffoient
à leur vue avec des chargemens de vivres , quoique
tout ne fût qu'une feinte & un accord fimulé ,
fait d'avance avec les intéreſſés en ces fraudes «.
"
» Ces clameurs ont accompagné plufieurs plaintes
qui ont été portées au Roi en différens recours, remplis
des exagérations & des fauffetés fus-mentionnées ;
& les plaignans fe font adreffés de la même façon à
leurs Cours refpectives , fans faire attention que ,
conformément à tous les traités de paix & de commerce
, les Tribunaux royaux de Marine d'Amirauté ,
( GI )
tant inférieurs que fupérieurs , leur étoient ouverts
pour entendre leurs moyens & leur prononcer Sentence
fur les procès qu'ils y auroient formés , & réparer
les torts que les vaiffeaux détenus auroient foufferts
dans un cas ou dans l'autre fans raifon fuffifam
te , quoique jufqu'à ce moment ce point n'ait jamais
été légalement vérifié ; mais les Capitaines & Patrons
fe font conftamment opiniâtrés à vouloir , que fans
autres preuves que leurs relations & leur recours à ce
Miniftere, on les relâchât & qu'on leur bonifiât les retardemens
ou délais de la détention ; & cela uniquement
parce que la clémence du Roi , l'équité & même
l'indulgence , recommandées aux Juges de la
Marine , ont fait remettre en liberté plufieurs bâtimens
, qui avoient été détenus avec juftice , & qui
auroient pu être déclarés de bonne prife , conformément
à l'Ordonnance , & à ce que pratiquoient nos
ennemis , d'autant qu'on vouloit bien diffimuler içi
les défauts très effentiels des papiers des uns & les
violents foupçons qu'il y avoit contre d'autres ".
» Pour faire évanouir juſqu'à l'ombre de pareils
recours , le Comte de Rechteren , Envoyé des Provinces-
Unies, & les autres Miniftres des Cours étrangères
, furent prévenus que s'ils propofoient des
moyens d'empêcher les caufes de foupçon & les fraudes
, le Roi , pour donner une nouvelle preuve de
la bonne correfpondance & amitié qu'il defiroit de
maintenir avec ces Cours , adopteroit ceux de ces
moyens qui feroient propres à produire un tel effet ; &
comme jufqu'à ce jour ils n'ont propofé ni réglé aucuns
moyens de ce genre , S. M. a jugé à propos de
prendre par Elle même les mesures qui conviennent
à la Souveraineté , réuniifant à cet effet la ſubſtance
de celles qui ont été communiquées jufqu'ici , &
manifeftant d'une maniere , s'il fe peut , encore plus
pofitive , fes intentions fi pleines de juftice , d'équité
& de modération , comme étant fondées fur la réfolution
de les faire obſerver avec exactitude .
Les Articles du Règlement à l'ordinaire prochain.
( 62 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Mai.
LA Cour a publié dans fa Gazette ordinaire
du 29 du mois dernier , les dépêches
officielles qui confirment les nouvelles contenues
dans les papiers royaliſtes de New-
Yorck , arrivés avec le paquebot le Svift.
La lettre du Chevalier Henri Clinton eft
datée de Jame's-Ifland dans la Caroline-Méridionale
le 9 Mars ; la Cour en a donné l'extrait
fuivant.
» Mes dernières dépêches , N° . 83 , auront appris
à V. E. que pour mettre en mer , l'Amiral & moi ,
nous n'attendions que des avis pofitifs concernant l'efcadre
du Comte d'Estaing nons fçûmes , vers la
fin de Décembre , qu'elle avoit quitté la côte , &
comme les troupes étoient embarquées depuis quelque
tems , l'Amiral fe trouva en état d'appareiller le
26. Je ne fatiguerai pas V. E. des détails d'un voyage
rendu très - ennuyeux par les mauvais tems qui fe
font foutenus d'une manière extraordinaire ; je me
bornerai à vous dire que les équipages des tranſports
que nous avons perdus ont été fauvés ; qu'il n'y en a
eu qu'un d'égaré , ayant à bord un détachement
d'Heffois on fuppofe qu'il a pris la route des Indes
Occidentales ; mais nous avons à regretter la perte
totale d'un vaiffeau chargé d'artillerie qui a coulé
bas , & de la majeure partie des chevaux qu'on avoit
embarqués fur la flotte pour la Cavalerie & d'autres
ufages publics . Arrivés à Tybéc , on jugea qu'il
étoit plus à propos de fe rendre à North - Bifto par
une feconde navigation ; depaffer delà à John's-Ifland,
& enfuite à Jame's-Inland : de cette dernière Ifle , en
jettant un pont fur la faignée de Wappoo , nous
( 63 )
-
avons gagné les bords de la rivière Ashley : mon
intention eft de me porter , le plutôt poffible , vers
l'Ifthme de Charles-Town. J'apprens que l'ennemi
y a raffemblé toutes les forces , que l'on dit ne pas
excéder à préfent le nombre de 5000 hommes ;
on y attend journellement des renforts. Comme
l'objet principal des Rebelles eft la défenſe de Charles-
Town , j'ai pris de mon côté le parti d'y raffembler
des forces plus confidérables , & dans cette
vue , j'ai expédié , à un corps que j'avois laiſſé en
Géorgie , l'ordre de joindre immédiatement cette
armée ; il paffera la rivière Savanah , & me joindra
par terre . Les forces navales qui mouillent devant
Charles- Town , confiftent en quatre frégates Rebelles
, une frégate Françoiſe , un vieux vaiſſeau de
60 canons , quelques brigantins & galères . Quoique
la longueur de notre voyage , & les délais inévitables
qui fe font écoulés depuis , aient donné aux Rebelles
le tems de fortifier Charles Town du côté de la
terre , travail que la quantité de leurs Nègres a confidérablement
facilité , plein de confiance dans les
troupes que j'ai l'honneur de commander , dans la
grande affiftance que je reçois de la part du Comte
de Cornwallis , & dans la coopération ultérieure
de la Marine , j'ai le plus grand eſpoir de réuffir.
Je ne puis terminer ma lettre fans exprimer combien
j'ai déja eu d'obligations à l'Amiral Arbuthnot ,
à caufe de l'affiftance qu'il m'a donnée par le miniſtère
du Capitaine Elphinstone , qui jufqu'à préfent
a été principalement employé aux opérations navales
qui concernoient immédiatement les troupes ; l'attention
fans relâche que cer Officier nous à donnée
depuis qu'il a conduit fi habilement & avec tant de
fuccès les tranfports dans North - Edifto , jufqu'à
préfent ; l'utilité extrême dont il m'a été , par fes
connoiffances de la navigation dans l'intérieur des
terres fur cette partie de la côte , méritent nos remerciemens
les plus affectueux «,
-
( 64 )
P. S. Depuis que ma lettre eft écrite , il eft entré
dans Charles Town un renfort que l'on dit être
de 2000 hommes tirés de l'armée du Nord.
·
Cette lettre du Général Clinton eft fuivie
de l'extrait d'une du Général Knyphaufen ,
datée de New-Yorck le 27 Mars.
-- Les
» Depuis que le Général Clinton eft parti d'ici , le
26 Décembre dernier , nous avons eu l'hyver le
plus long & le plus rigoureux dont on ait jamais
confervé le fouvenir ; tout ce qui nous environnoit
étoit une continuation du Continent. Des chevaux
traînant les voitures les plus pefantes , pouvoient
aller fur la glace dans les Jerfeys , & paffer d'une
Ifle à l'autre ; & ce n'eft que depuis le 20 Février
que les rivières & le détroit font navigables.
Rebelles ont cru pouvoir tirer avantage de certe
facilité de communication , & ont médité l'attaque
de Staten - Inland , où fe trouvoient environ 1800
hommes , aux ordres du Brigadier- Général Sterling ,
affez bien retranchés à cet effet , le Général Washington
, dont l'armée étoit cantonnée à Moris-
Town , détacha un corps de 2700 hommes , avec
6 pièces de canon , 2 mortiers & quelque cavalerie ,
le tout commandé par le Lord Sterling , qui arriva
le 18 Janvier de grand matin dans l'Ifle , nos poftes
avancés s'étant retirés à fon approche.-Ces troupes
fe formèrent en ligne , firent quelques mouvemens
dans le cours de la journée , & fe retirèrent dans
la nuit même , après avoir brûlé une maiſon , mis
quelques autres au pillage , emmenant avec elles environ
200 pièces de bétail . - Le jour de leur arrivée
dans l'Ifle , j'avois fait embarquer 600 hommes , à
l'effet de tenter le paffage , & de foutenir le Général
Sterling ; mais les glaces qui flottoient fur l'eau s'y
étant oppofées , ils furent obligés de revenir : j'imagine
que ces tranfports chargés de troupes , que l'ennemi
put découvrir fur la fin du jour , le déterminèrent
à cette retraite fubite , parce qu'il ne pouvoic
( 65 )
1
•
juger du fuccès qu'auroit la tentative. On lui fit
quelques prifonniers lors de fa retraite ; peu de
jours après , un pofte avancé qu'il avoit à Newark
confiftant en une compagnie , fut furpris & enlevé
par un détachement parti d'ici & de Paulus- Hook ,
aux ordres du Major Luman. Le même jour , le
Général Sterling détacha un autre corps commandé
par le Lieutenant - Colonel Boskirk , qui furprit
le piquet d'Elizabeth - Town , & fit prifonniers de
guerre 2 Majors , 2 Capitaines & 47 hommes .
Ces deux entreprifes ne nous ont pas coûté un feul
homme. Quelque tems après , le Général Mathews
envoya un détachement de Gardes & de Cavalerie
provinciale , aux ordres du Lieutenant - Colonel
Northon , pour attaquer un pofte à John's-Houſe
dans les plaines Blanches ( White plains ) . Ce coup.
de main ne réullit pas tout- à - fait à fon gré ; cependant
les Rebelles , qui étoient poftés dans une maifon
, furent attaqués & délogés , avec perte de 40
hommes qu'on leur tua , & 97 faits prifonniers ; au
nombre de ces derniers , fe trouvoient un Lieutenant-
Colonel , un Major & 5 Officiers . Nous eûmes
3 hommes tués , & 15 bleſſés . — Dans la nuit du 22
du courant , nous furprîmes & enlevâmes en partie ,
dans les Jerfeys , un pofte confiftant en 250 hommes ,
dont nous ne fimes que 65 prifonniers , parce que
deux embarquemens , l'un d'ici , aux ordres du Lieu
tenant-Colonel Macpherſon , l'autre de Kings'bridge ,
aux ordres du Lieutenant- Colonel Howard , n'arri
vèrent pas au tems convenu. Notre perte , en cette
occafion , a été très - peu confidérable. Le Capitaine
Armstrong , du 42e Régiment , eft bleffé . Autant
que nous pouvons être exacts dans le calcul , ces
petites entreprises , faites dans le cours de l'hyver ,
nous ont donné 320 prifonniers , & ont coûté à
l'ennemi environ 65 hommes qui ont été tués.
D'après les meilleurs avis que j'ai pu me pro
curer , l'armée du Général Washington à Moris.
1-
( 66 )
T
.
"
Town , confifte en 5000 hommes environ , en ne
comprenant point les milices dans ce nombre. Elle
a beaucoup fouffert de la défertion . Un mécontentement
général règne parmi ces troupes , fatiguées
de la guerre , & encore moins fatisfaites à caufe
de l'aviliffement qui affecte la valeur de leur monnoie
courante «.
On voit par ces détails que les Généraux
Anglois en Amérique ne perdent pas leur
ancienne manière de préfenter les fujets &
les troupes des Etats - Unis ; fi leurs réflexions
fur les mécontentemens généraux , le difcrédit
du papier , qu'on fait être fans fondement
, ne leur font pas dictées par les Miniftres
, elles juftifieroient ceux - ci qui pourroient
dire enfuite qu'on leur en a impofé
fur la fituation des Américains ; mais la Nation
pourroit leur répondre encore , pourquoi
vous êtes - vous laiffé abufer par des
dépêches qui n'ont pas produit cet effet fur
le peuple ?
La gazette du 29 contient encore d'autres
pièces. La principale eft une lettre du Major-
Général Pattifon d'une date antérieure aux
précédentes , puifqu'elle eft de New - Yorck
le 22 Février.
» Les fortes gelées , accompagnées d'une forte
neige , ayant commencé ici vers le milieu de Décembre
, ont fermé la communication de ce Port avec
la mer. Peu de jours après que la flotte de l'Amiral
Arbuthnot fut partie de Sandyhook avec les troupes
aux ordres du Commandant en chef, la rigueur de
la faifon s'accrut à un tel point , que vers le milieu
de Janvier toutes les communications par eau furent
entièrement coupées pour cette Ville , & on en ouvrit
( 67 )
un nombre égal fur la glace : à proprement parler ,
nous ne pouvions pas dire que nous étions des infulaires.
Vers le 19 , le paffage de la rivière North
fut praticable pour le canon du plus gros calibre
dans fa plus grande largeur d'ici à Paulus - Hook ,
c'est-à-dire dans l'efpace de zoco verges ; évènement
dont perfonne ne fe rappelle d'exemple. Très - peu
de tems après , on commença à tranfporter des prifonniers
fur des traîneaux , & des détachemens de
cavalerie marchèrent fur la glace de New-Yorck à
Staten-Inland , ce qui eft un trajet de 11 milles . La
rivière de l'Eft a été auffi fermée pendant plufieurs
jours jufqu'à Brooklin dans Long - Ifland.
Dans ces circonstances , cette Ville s'eſt trouvée
ouverte de plufieurs côtés à l'attaque d'un ennemi entreprenant
. Malgré le peu de fuceès de la tentative
qu'il avoit faite fur Staten Ifland le 14 Janvier ,
le bruit courcir que le Général Washington méditoit
quelque grand coup contre New Yorck , avec
toutes les forces qu'il devoit employer à différentes
attaques. Quoique cette entreprife parût trop hardie
pour être juftifiée , cependant les avis réitérés que
l'on recevoit des préparatifs divers que faifoit l'ennemi
à cet effet , ne permettoient pas que l'on regardât
abfolument ce projet comme n'ayant point
été formé. En conféquence , comme au mois de
Novembre dernier j'avois reçu une adreffe fignée par
les principaux Habitans , tant en leur nom qu'en celui
de leurs concitoyens , par laquelle ils demandoient
qu'il leur fût permis de prendre l'habit militaire , je
crus qu'il fe préfentoit une occafion favorable de
mettre leur fincérité à l'épreuve , d'ajouter à la fécurité
de la Ville & de la Garnifon , dont le Commandant
en chef avoit bien voulu me faire l'honneur
de me confier le foin & le commandement , & d'établir
pour l'avenir une défenſe intérieure , affez forte
pour qu'une Garniſon moins confidérable pût fuffire
en général à la poſition de cette place . Je confultai
( 68 )
3
le Général Tryon fur cette mefure , & le trouvant
de mon avis , après m'être affuré des difpofitions des
principaux Citoyens , je n'hésitai point , & je publiai
une proclamation aux fins de faire prendre les
armes à tous les Habitans mâles de l'âge de 17 à
celui de 60 ans , & d'en former des Corps Militaires.
L'empreffement & le plaifir avec lesquels on fe
prêta univerfellement à mes vues , pafsèrent mon
attente , & dans l'efpace de 7 jours , après la proclamation
, nous eumes le plaifir de voir 40 Compagnies
fournies par les fix quartiers de cette Ville , enrôlées
, commandées par des Officiers & fous les armes
, le tout montant à 2660 hommes , dont plufieurs
faifant partie des Citoyens les plus refpectables
, fervirent comme fimples fufiliers dans chaque
Compagnie. Plus de 900 d'entr'eux achetèrent des
armes à leurs frais , & s'il y eût eu dans la Ville affez
de fufils à vendre , tous en euffent acheté ; mais
comme il n'y en avoit pas une quantité fuffifante ,
on fut obligé de fuppléer à ce défaut , en tirant des
magafins du Roi le nombre qui manquoit. J'ordonnai
feulement qu'ils ne fuffent livrés qu'à titre de
prêt , & à condition que le Capitaine s'en rendroit
refponfable , en donnant un reçu figné de fa main au
Garde-Magafin , avec promeffe de les rendre lorfqu'il
en feroit requis , ou de payer pour chaque
affortiment complet 36 shellings . Les Officiers qui
commandent ces Compagnies font tous connus pour
avoir des principes d'affection . - Cet efprit , cette ardeur
louables , s'étant ainfi manifeftés , fe communiquent
rapidement à toutes les claffes d'hommes.
Les divers départemens publics fe difputent à l'envi
l'honneur d'offrir les premiers leurs fervices comme
volontaires J'acceptai volontiers leurs offres , & en
conféquence je les formai en Compagnies. Les anciennes
Compagnies volontaires qui exiftoient déja ,
augmentèrent leur nombre, & peu de jours après je les
paſſai toutes en revue fous les armes ; la plupart
( 69 )
avoient fait la dépenfe d'uniformes qu'elles portoient.
Le Général Kniphauſen , le Général Tryon & tous
les Officiers Généraux étoient préfens , & tous exprimèrent
la fatisfaction infinie que leur donnoit la vue
d'un Corps fi refpectable. L'état que j'ai l'honneur de
joindre à ma Lettre inftruira V. S. du nombre de
ces nouvelles Compagnies affociées , & de celui des
hommes effectifs dont elles font formées. J'ai de
plus reçu un Mémoire de la part de so particuliers
diftingués , Habitans de cette Ville , par lequel ils
offrent de fe former en une Compagnie de Cavalerie
( fe chargeant à leurs frais des chevaux , des
uniformes & des armes ) , & de fervir lorsqu'ils en
feront requis , foit dans cette Ifle , foit à Long-
Inland.
Le zèle diftingué & plein de mérite que les
Officiers de la Marine Royale ont fait éclater dans
cette occafion fingulière , demande toutes les expref
fions de ma reconnoiffance. Les Capitaines Edgar ,
Brenton , Osborne , Ardefoif & Aplin , dont les
vaiffeaux étoient arrêtés par la glace , m'offrirent
leurs fervices perfonnels pour agir à terre avec
tous leurs matelots. Le Capitaine Howe de la
Thames , en fa qualité de Commandant me
notifia par une lettre officielle le defir que témoi
gnoient tous les autres Officiers de fervir fous
mes ordres de la manière dont ils pourroient fe
rendre plus utiles . Ces offres généreuses furent
acceptées avec reconnoiffance. On forma une redoute
circulaire près de la rivière de l'Eft , avec
8 pièces de 12 & une de 9 livres de balle ; on
la leur confia , & elle fut nommée fur le champ
Redoute de la Marine Royale , attention qui parut
être un jufte tribut d'honnêteté . Les matelots
, dont le nombre montoit à environ 350 ,
furent diftribués en dix compagnies , dont chacune
étoit commandée par un Lieutenant de vaiffeau
de guerre. Deux de ces compagnies fervoient
( 70 )
alternativement dans cette redoute , & il étoit
convenu qu'en cas d'alarme elles feroient renforcées
par cinq autres ; les trois autres , dans ce
cas , devoient le rendre à un pofte qui leur convenoit
plus que tout autre , c'eſt- à - dire , fur une
hauteur qui couvre l'Arfenal du Roi , laquelle devoit
être auffi défendue par la compagnie formée
des ouvriers de l'Arfenal fous les ordres du Garde-
Magafin de la Marine , qui eût commandé comme
Capitaine.
Les matelots appartenans aux bâtimens vivriers ,
aux tranfports , aux petits navires & aux vaiſſeaux
marchands , arinés de piques , & fous la direction
du Capitaine Agent Laird , étoient destinés à
garder & à protéger la chaîne entière des quais
& des navires depuis le chantier jufqu'à la batterie
baffe , fituée à l'autre extrémité de la Ville.
Les Capitaines de la milice , defirant la rendre
permanente & de la plus grande utilité poffible
ont rédigé & figné plufieurs Règlemens relatifs à
fon adminiſtration , pour affujettir à des amendes
ceux de ce corps qui s'abfenteront de la parade
ou qui ne fe préfenteront pas à leur tour pour
faire le fervice dans la Ville , pour les obliger à
tenir en bon ordre leurs armes , leurs munitions ,
&c. ; la milice doit auffi s'affembler tous les Samedis
, & les compagnies volontaires tous les
Dimanches , à l'effet d'être exercées & accoutumées
à l'ufage des armes. J'ai nommé le fieur Amiel ,
qui a fervi 12 ans en qualité d Officier dans le
fixième régiment , Major de Brigade commandant
la Milice. Je lui ai donné un Aide- Major , &
les appointemens de ces deux Officiers feront pris
fur les fonds de la Ville.
Heureufement la rigueur du froid diminue actuellement
, & nous avons la perspective agréa
ble d'un dégel complet , de forte que les idées
d'attaque n'exiftent plus. Cependant il eût été à
( 71 )
defirer que l'ennemi en eût fait la tentative , nous
étions fi bien préparés à le recevoir qu'elle lui
eût coûté cher . Nous apprenons déja qu'indépendamment
de l'addition de force dont nous fommes
redevables à l'efprit de loyauté qui s'est récemment
manifefté ici , cet efprit a beaucoup influé
fur les amis du Gouvernement au delà des lignes
, & même fur l'ennemi qui a craint que l'on
ne méditât une attaque contre les forces principales
à Morris-Town. Cette circonftance a probablement
contribué auffi à la défertion confidérable
de leurs troupes dans les Jerfeys. Depuis quelques
femaines 160 hommes de leurs déferteurs font
arrivés , & fe font enrôlés ici avec les Recruteurs
de nos Corps Provinciaux.
L'état annoncé des forces de New -Yorck ,
indépendamment des troupes du Roi , eft
comme il fuit.
Anciennes Compagnies. » Les Chaffeurs de New-
Yorck , avec uniforme , une Compagnie , Capinaine
, 2 Lieutenans , 4 Officiers non brevetés , 100
Fufiliers , en tout 107 hommes.
Les Montagnards de New- Yorck , avec uniforme ,
une Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 4
Officiers non brevetés , 100 Fufiliers , en tout 107
hommes.
Les Volontaires de New-Yorck , avec uniforme ,
7 Compagnies , 7 Capitaines , 15 Lieutenans , 28
Officiers non brevetés , 405 Fufiliers , en tout
455 hommes.
Nouvelles Compagnies affociées . L'Artillerie de
la Marine de New - Yorck , avec uniforme , une
Compagnie , 1 Capitaine , 1 Lieutenant , 1 Officier
non breveté , 95 Fufiliers , en tout 98 hommes.
Les Volontaires Loyaux du Commiſſariat , avec
uniforme , 2 Compagnies , 2 Capitaines , 4 Lieutenants
, 6 Officiers non brevetés , 195 Fufiliers , en
hommes. tout 207
( 72)
1 Volontaires de l'Artillerie , avec uniforme , une
Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 4 Officiers
non brevetés , 149 Fufiliers , en tout 166 hommes.
Les Volontaires Ingénieurs , avec uniforme , une
Compagnie , 1 Capitaine , 6 Lieutenans , 9 Officiers
non brevetés , 118 Fufiliers , en tout 134 hommes.
Les Volontaires du Quartier - Maître Général ,
une Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 3
Officiers non brevetés , so Fufiliers , en tout 56
hommes.
Les Volontaires du Maître- Général des Cafernes ,
une Compagnie , 1 Capitaine , 2 Lieutenans , 4
Officiers non brevetés , 84 Fufiliers , en tout 91
hommes.
Les Volontaires de l'Arcenal du Roi , 3 Compagnies
, 3 Capitaines , 4 Lieutenans , 6 Officiers
non brevetés , 148 Fufiliers , en tout 161 hommes.
>
La Milice de la Ville , 40 Compagnies , 40
Capitaines , 80 Lieutenans 260 Officiers non
brevetés , 2382 Fufiliers , en tout 2662 hommes.
Total des Compagnies incorporées , 62 .
La Marine Royale fervant fur terre ; s Capitaines
, 10 Lieutenans , 340 hommes , en tout 355
hommes.
Matelots tirés des tranfports , des Bâtimens
Vivriers de la Marine , des Vaiffeaux Marchands ,
des petits Navires , Pilotes de New -Yorck , tous
armés de piques , 5 Capitaines , 5 Lieutenans , 1119
hommes , en tout 1129 .
Total général ,
Officiers fans brevet.
Çapitaines. • .. 72.
137.
Lieutenans. · 139. Fufiliers , & c . $ 348.
Total . $ 796.
N. B.
( 73 )
ers
3
ON. B. Une Compagnie de 60 hommes de
Cavalerie légère , tirée du département des chevaux
de l'Artillerie , eft armée de fabres & de piftolets ,
habillée en uniforme à fes frais , & commandée par
le Capitaine Scott ; l'Artillerie de la Marine de
New- Yorck , eft formée de la Société de Marine ,
établie par une Chartre Royale «.
Toutes ces pièces font terminées par
l'extrait fuivant d'une lettre du Capitaine
Drake du vaiffeau de S. M. le Ruffel en
date de New- Yorck le 29 Mars.
כ
Quoique je n'ai rien de particulièrement intéreffant
à apprendre aux Lords - Commiffaires de
l'Amirauté , je ne croirois pas convenable de laiffer
partir un paquebot de ce Port , fans vous prier
d'informer leurs Excellences , que le 8 du courant
j'ai laiffé le Vice Amiral Arbuthnot devant la Barre
de Charles - Town , ayant fon pavillon à bord du
vailleau de S. M. le Roebuck : Il avoit avec lui le
Renown , le Romulus , la Blonde , le Perfeus ,
la Camilla & le Raleigh : Tous ces vaiffeaux étoient
prêts à paffer la Barre dans la matinée même du
8 Mars , fi un brouillard ne s'y fût oppofé. Le Rich
mond étoit arrivé deux jours auparavant devant
Tybée avec un convoi ; les tranſports alloient de
Nord-Edifton cu ils avoient débarqué les troupes ,
à Stono ; au moment de mon départ , les troupes
étoient à Jame's- Inland . Les frégates rébelles qui
fe trouvoient en dedans de la Barre étoient difpofées
de la manière fuivante : La Bricole , la Providence ,
le Bofton , le Ranger , & deux galères mouilloient
devant Sullivans Illand , quatre autres frégates &
trois galères mouilloient devant la Ville ; je fuis
arrivé ici avec le vaiffeau de S. M. que je commande
, le 21 courant , le Vice - Amiral m'ayant
chargé du commandement de ce Port. -Ayant joint
l'Amiral devant Stono , au moment où j'arrivois
de Tybée , & où il fe portoit vers la Barre de
13 Mai 1789.
-
d
( 74 )
1
Charles-Town , & l'ayant quitté fur le champ pour
me rendre ici , je n'ai pas été à portée de vous
tranſmettre aucuns détails ultérieurs , relatifs au
plan d'opération qui avoit été arrêté « .
Il femble que le Commandant du Ruffel
auroit pu donner quelque connoiffance des
premiers efforts qu'on a faits pour paffer la
Barre ; il eft à préfumer qu'il n'y a pas manqué
, mais que la Cour n'a pas jugé à propos
de les publier. Des lettres particulières les
annoncent ainfi.
›
» Le vailleau de guerre la Défiance , montant 64
canons , Capitaine Jacobbs a péri en ellayant de
paffer la Barre de Charles -Town , 4 bâtimens de tranſport
ont eu le même ſort , au même endroit & en
faifant la même tentative. On n'a pas de grandes efpérances
du fuccès du fiége de Charles - Town. La
Ville a été fortifiée avec toute la régularité poffible
par des ingénieurs François ; outre une fortegarniſon
quila défend , elle eft couverte encore par une armée
de 6000 hommes parfaitement bien retranchés. Le
devant Fort Sullivan , conftruit fur l'Ifle de ce nom ,
lequel Sir Henri Clinton fut repouffé en Juillet 1776,
& qui domine fur un côté du port , n'a pas été attaqué
. S'il refte entre les mains des Américains , il les
mettra en état d'incommoder beaucoup les affiégeans.
La Ville eft déterminée à la plus vigoureufe défenſe;
le fuccès avec lequel elle a repouffé l'année dernière
le Général Prevoft , lui donne l'efpérance d'en avoir
un pareil vis - à- vis le Général Clinton . Il ne peut qu'y
avoir beaucoup de fang répandu. En fuppofant que
fir Henri Clinton réuffiffe , l'avantage de poffeder
Charles-Town pendant un été compenfera- t-il la
perte de quelques milliers d'hommes qu'il faut néceffairement
facrifier pour f'obtenir ? D'ailleurs pon
vons -nous regarder comme un avantage la multiplication
de nos poftes ? Plus nous en occupons , plus
( 75 )
nous en affoibliffons les garnifons , plus nous ' no'ls
expofons à voir nos forces coupées en détail . Dès le
mois d'Avril , les chaleurs exceffives de l'été commencent
à fe faire fentir dans la Caroline & fe foutiennent
jufqu'en Octobre. Cette circonftance feule
fuffit pour détruire une partie de notre armée «.
Les premières nouvelles qu'on recevra
de ces contrées ne peuvent qu'être intéreffantes.
Elles nous apprendront où le Général
Clinton en eft de cette expédition projettée
depuis fi long- tems & fi contrariée.
En annonçant qu'il va faire fes approches
il avoue qu'il eft arrivé un renfort aux
Sooo hommes qui étoient déjà dans Charles-
Town , & on eft généralement inquiet ici
fur le fort de cette entreprife.
>
Parmi les papiers reçus de l'Amérique ,
il est arrivé une Gazette de Boſton du 20
Février dernier , dont nous tranſcrirons un
article très intéreffant.
» Jeudi dernier , 17 Février , le bâtiment armé le
Thorn , Capitaine Daniel Waters , mouilla dans
la rade de Nantasket , venant d'une croiſière.
Les détails fuivans font tirés du Journal du premier
Lieutenant à bord dudit bâtiment.
―
2
10 Le 24 Décembre , tems clair & agréable , à
heures du matin , nous découvrimes deux voiles
au vent qui portoient à N. N. O. Nous reftâmes
en panne jufqu'à ce que nous cûmes reconnu que
c'étoient des brigantins armés. - A 4 heures après
midi ils étoient à environ quatre milles fur notre
hanche au vent ; nous fîmes voile & ferrâmes le
plus près , feignant de vouloir nous éloigner d'eux
pour les attirer à la portée du canon. A 7 heures
du foir , prefque calme , notre vaiffeau en ordre ,
les gens de l'équipage à leurs poftes & pleins
d 2
( 76 )
----
--
d'ardeur pour le combat , tems calme toute la
nuit. Le lendemain matin , 25 Décembre , à 6
heures du matin , les deux brigantins étoient par
notre travers babord à environ deux milles . '
Brife légère de l'Ouest , l'ennemi paroiffant faire
des préparatifs pour le combat. A 9 heures du
matin le vent fauta au S. O. Nous portâmes fur
l'ennemi en auffi bon ordre que les circonftances
le permettoient. A 10 heures du matin nous
joignîmes le brigantin de l'arrière qui étoit le
plus pefant ; il héla , de Whitehall , & on demanda
au Capitaine Waters quel droit il avoit de porter
les 15 étoile dans fa flamme, Le Capitaine Waters
répondit ; je vais vous le faire favoir dans le
moment ; & il hilla notre pavillon & lui envoya
une bordée à la portée du piftolet , à laquelle il
répondit ainfi que l'autre brigantin qui étoit par
notre boffoir au vent. Un combat vif commença
des deux côtés & dura deux horloges ; alors
le plus gros brigantin nous aborda fur notre
hanche au vent , tandis que l'autre entretenoit un
feu régulier contre nous par notre boffoir au
vent. Mais celui qui s'étoit placé fur notre hanche
reconnut bientôt fon erreur recevant un feu fi
vif & fi bien dirigé de nos foldats de Marine
& voyant fes propres hommes courir fur le pont
avec des piques au dos au lieu de les avoir en
main , ils furent fans doute fort aifes de s'éloigner
; mais ce brigantin nous allongea de nouveau
peu de tems après , & il recommença fon feu avec
un courage étonnant ; il fut cependant obligé après
avoir effuyé deux ou trois bordées d'amener ce
qui reftoit de fon pavillon, Il faut qu'il y eût eu
beaucoup de fang répandu , car nous vîmes le fang
couler des dalots . L'autre Brigantin voyant que
fon camarade avoit amené , fit le plus de voiles
poffibles pour échapper , mais il nous trouva auffi
difpofés à lui donner challe qu'il l'étoit à fuir ,
?
( 7 )
après que le Capitaine Waters eut ordonné à fa
prife de fuivre. Ce combat dura environ quatre
horloges. Le Capitaine Waters reçut une bleffure
au genou droit environ une demi - heure avant que
le premier eût amené.
>
--
A3 heures après midi nous joignîmes l'autre
après lui avoir envoyé plufieurs boulets de nos
canons de chafle à travers fa hanche , & alors il
amena , quoiqu'avec répugnance. Le Capitaine
Waters m'ordonna de me rendre à bord pour
faire paffer les Officiers à bord du Thorn , & faire
voilé auffi -tôt pour rejoindre le premier Brigantin
qui s'éloignoit de nous. Brife fraîche & tems
nébuleux , nous perdîmes de vue la chaffe .
Tems orageux , le lendemain matin nous vîmes
plufieurs rames , lits , caillebotes , & nous jugeâmes
que ces effets appartenoient au brigantin & qu'il
avoit coulé bas. Ces deux brigantins étoient des
corfaires de New-Yorck , l'un appellé le Tryon ,
commandé par Georges Sibbles , montant 16
canons de 12 , 6 & 4 livres de balles , & ayanc
86 hommes d'équipage ; l'autre eft le Sir William
Erskine , commandé par Alexandre Hamilton , &.
montant 18 canons de 6 & de 4 livres de balle
& ayant 85 hommes.
Pendant le combat , la perte du Sir William
Erskine a été 20 tués & bleffés ; celle de l'autre
n'eft pas connue , mais elle a été probablement
beaucoup plus forte , parce que nous le ferrâmes
de très-près & qu'il effuya un feu bien dirigé ; il
avoit d'ailleurs l'air fort défemparé lorsqu'il amena.
Notre perte dans cette occafion fat de 18 tués
& bleffés. La principale partie de ces derniers fera
bientôt rétablie .
Le Dimanche 2 Janvier nous apperçumes une
voile , nous lui donnâmes chaffe & la joignîmes ,
c'étoit un brigantin de New- Yorck fur fon left
& ayant un grand mât de rechange ; nous le
d 3
( 78 )
laiflames aller après avoir mis à bord tous nos
prifonniers.
Le Jeudi 13 Janvier nous apperçûmes une voile
fous le vent à nous. C'étoit le Sparling de Liverpool
allant à New-Yorck , commandé par Jonathan
Jackſon , montant 18 canons de 6 livres
de balle & ayant 75 hommes d'équipage , chargé
de charbon , de provifions & de balotteries. Après
un combat d'environ dix minutes , il amena.
Notre perte fut I tué & S bleffés ; la leur fut 3
tués & 10 bleffés , au nombre defquels étoient le
Capitaine & deux Lieutenans .
L'avertiſſement fuivant , relatif aux brigantins
dont il vient d'être queftion , eft tiré du Mercure
de New-Yorck , en date du 19 Novembre : » Le
" Brigantin le Tryon , corfaire , Capitaine Georges
» Sibbles , & le Brigantin Sir William Erskine
appareilleront Dimanche prochain avec la per-
» million de l'Amiral . Voici une glorieufe occafion
pour une heureuſe croifière qui le préfente
» à environ 12 bons matelots qui voudront s'em-
לכ
barquer fur chacun de ces brigantins , qui ont
» befoin de ce nombre pour completter leurs équi-
→ pages. On leur promet tous les encouragemens
» poffibles «<,
On ne les trompoit point ; l'occafion étoit en
effet bien glorieuſe !
Nous n'avons aucune nouvelle des Ifles ,
on dit feulement que l'Iphigénie a été prife
par la Vénus de 36 canons. Le retard du
départ du Commodore Walfingham ne peut
qu'avoir des fuites fâcheuses . Il laiße au
Comte de Guichen une fupériorité dont il
aura le tems de profiter pour nous faire
beaucoup de mal : nos papiers donnent
l'état fuivant de nos forces dans ces parages.,
» L'efcadre de l'Amiral Hyde Parker confifte en 17
( 79 )
vaiffeaux de ligne , 2 de so le Prefton & le Centurion.
Le Chevalier George Rodney en a 4 ; & les 3 flottes
parties pour les Ifles en ont chacune un pour eſcorte ,
favoir l'Hector , le Triomphe & l'Intrépide. 24 vaiffeaux
de ligne & 2 de so canons ; le Commodore
Walfingham en a 6 qui les portera à 32 ; mais dans
ce compte on ne défalque pas les gou 10 de l'Amiral
Parker qui font hors d'état de fervir. L'efcadre Françoiſe
confifte en 12 vaiffeaux fous les ordres de MM.
de la Mothe- Piquet & de Graffe , 16 fous ceux de M.
de Guichen : rotal 28 .
L'Amiral Walfingham n'eft pas encore
près d'arriver. Il n'a pu partir le 28 ni les
jours fuivans , le vent étant refté au Sud.
Il a fauté à l'Eft , N. E. le 1 de ce mois ,
& vraisemblablement il en aura profité. On
renforce de quelques vaifleaux l'efcadre
de l'Amiral Graves qui eft deftinée pour le
Canada.
On travaille tant qu'on peut à équiper la
Flotte d'obfervation ; la néceffité de la fortifier
, nous oblige de diminuer celles que
nous aurions befoin d'envoyer en Amérique
; on affure toujours que le Chevalier
Hardy en aura le commandement , le Vice-
Amiral Derby , Amiral de l'Efcadre bleue ,
commandera en fecond , & le Vice- Amiral
Barrington en troifième , le Contre-Amiral
Digby en quatrième..
Le Lord Stormont a adreffé le 17 de ce .
mois la lettre fuivante au Comte de Welderen
, Ambaffadeur des Provinces - Unies .
Le Roi a toujours espéré que la foi des traités ,
& les liens d'une alliance qui a fubfifté depuis
plus d'un fiècle , ainfi que ceux d'une amitié réci
d
4
( 80 )
proque & d'un intérêt commun , joints à l'évidence
du danger qui menace la République elle -même
fi la France & l'Espagne remplifloient leurs deffeins
ambitieux , porteroient L. H. P. à aider S. M. à
s'opposer à ces deffeins , en lui fourniffant les
fecours ftipulés par les traités les plus folemnels.
Mais puifque L. H. P. ont adopté un autre fyftême
, auffi contraire aux intérêts de la République
, qu'à ceux de la G. B.; puifqu'elles n'ont
fait aucune réponſe à la réclamation réitérée de
ces fecours , & n'ont pas même montré la moiudre
intention de remplir des engagemens auffi
clairs & auffi formels , S. M. s'eft vue dans la
néceffité d'exécuter fes intentions , qui ont été fi
clairement annoncées dans le mémoire que fon
Ambaffadeur a préfenté le 21 Mars paffé , & dans
la déclaration verbale que j'ai eu l'honneur de
vous faire par ordre exprès du Roi . Comme vous
êtes parfaitement inftruit , M. , des fentimens de
S. M. , il ne me reste qu'à vous communiquer
ministériellement l'ordre que le Roi vient de donner
en fon Confeil , & de vous prier d'en inftruire
L. H. P. En lifant cet ordre , vous y verrez , M. ,
une attention particulière aux intérêts des fujets
commerçans de L. H. P. La publicité du mémoire
préfenté par l'Ambaffadeur du Roi , ainfi que celle
de la déclaration verbale , difpenferoit fans doute
de tout avertiffement ultérieur ; mais le Roi defire
que les individus fouffrent auffi peu que poffible ,
des fuites du fyftême que L. H. P. ont adopté ,
& qui paroît auffi oppofé aux fentimens de la
nation Hollandoife , qu'il eft contraire aux intérêts
de la République .
Cette lettre & la proclamation qui l'a
précédée , n'ont pas fatisfait la Nation qui
craint toujours qu'une conduite auffi violente
n'ait des fuites. On ne peut fe diflimuler
que c'eft ce qui a attiré la déclaration
( 81 )
de la Ruffie , & le projet de la neutralité armée
qui nous menace , &qui ne nous laiffera
pas le droit que nous avons ufurpé d'inter
préter les traités felon notre bon plaifir ou
nos intérêts , & d'étendre la lifte des mar
chandifes de contrebande . Les 3 articles du
traité de 1734 , auxquels la Ruffie fe réfère
dans fa déclaration à notre Cour , fixent
d'une manière précife quelles font les marchandifes
de contrebande , & les droits du
commerce refpectif des deux Empires
lorfque l'un ou l'autre fera en guerre.
›
» Article X. les fujets de l'une ou de l'autre des
parties , ne payeront pas plus de douanes ou droits
pour l'entrée ou fortie des mêmes marchandiſes , que
ce qui eft payé pour l'entrée ou fortie des marchandifes
pour les fujets d'aucune autre nation & pour
empêcher toutes fraudes des Douanes d'un & d'autre
côté , les marchandiſes qui ont gliffé la Douane pour
éviter le payement des droits d'entrée feront confifquées
, & on n'infligera pas d'autre châtiment aux
marchands de l'une & de l'autre des parties « .
XI. Il eſt convenu que l'une & l'autre des parties
puiffent librement aller , venir & commercer dans
dans tous les états qui font ou pourront être ci-après
en inimitié avec aucunedes parties , excepté feulement
les places qui font actuellement bloquées ou affiégées ,
pourvu qu'ils ne portent point de munitions de guerre
à l'ennemi. Avec tous autres effets , les vaiffeaux
les paffagers , & les effets feront libres & fans em .
pêchemens «.
>
» XII. Les canons , mortiers , armes à feu , piftolets
, bombes grenades , boulets , balles , fufées &
pierres à feu , mèches , poudre , falpêtre , foufre ,
cuiraffes , piquers , épées , ceinturons , gibecières ,
poches à cartouches , felles & brides , en aucune
as
( 82 )
quantité au-delà de ce qu'il en faut pour la provifion
du vaiffeau , ou ce qui peut appartenir & être jugé
néceffaire pour chaque homme appartenant au vaiffeau
ou au paffager , feraeftimé munitions de guerre ;
& fi l'on en trouve , on pourroit les faifir & les confifquer
,fuivant les Loix , mais ni le vaiffeau, paffagers
ou le refte des effets , ne feront détenus pour cette
rai´on , ou empêchés de pourfuivre leurs voyages «.
Le 27 de ce mois on affuroit pofitivement
qu'attendu la retraite de l'Orateur de la
Chambre des Communes , le mécontentement
général de la Nation , la grande probabilité
d'une difpute entre les deux Chame
bres du Parlement , l'incertitude de favoir
file Lord North feroit paffer le Bill de la
nouvelle taxe fur la drèche , & beaucoup
d'autres raifons , les Miniftres avoient pris
la réfolution de diffoudre le Parlement la
femaine prochaine . La feule difficulté effentielle
qui arrêtoit , doit être , dit- on , levée;
elle roule fur l'argent qui a été emprunté ,
fans que l'intérêt , c'est-à- dire les nouvelles
taxes , foit affuré . On a confulté un certain
nombre des principaux prêteurs d'argent , &
ils ont confenti à prendre le fond d'amortif
fement , comme une sûreté du moment , jufqu'à
ce que le Parlement leur donne une
fûreté permanente .
» Si cette nouvelle intéreffante n'eft pas fans fondement
, dit un de nos papiers , il faut de néceffité
que les propriétaires des terres en foient inftruits au
plutôt . En tout tems la diffolution Parlement est
un évènement de conféquence ; mais dans un moment
de cife comme celui - ci , il devient plus important
qu'il ne l'a jamais été, La première fetlion dunouveau
( 83 )
Parlement impofera fur les terres des charges beaucoup
plus lourdes qu'on ne fe l'imagine. Il faudra affigner
des impôts à l'intérêt de la dette non conftituée
, qui feule eſt égale à des fubfides d'une année
( peut - être 20 millions fterl . ) , enfuite à l'emprunt de
1780 , & enfin aux fubfides pour l'année 1781 ; en
tout il n'y aura pas moins de 40 millions fterl. à
trouver dans la première feffion de ce nouveau Parlement.
Si une pareille fecouffe ne réveille pas la Nation
, il faut qu'elle foit dans une léthargie bien profonde
«.
Le parti de la Cour l'a emporté dans le
Parlement d'Irlande fur la révocation de la
fameufe loi de Poyning ; M. Grattam n'a
pas mieux réuffi dans la propofition qu'il a
faire d'un bill déclaratoire de l'indépendance
de ce Parlement , qui devoit produire le
même effet que l'abolition de la loi . Quoique
fon bill n'ait pas été rejetté , il a été remis
à un terme indéfini , ce qui peut être
long. On doit s'attendre que le voeu de la
Nation l'emportera enfin à la longue fur les
efforts du parti des Miniftres.
Au fpectacle qu'offre cette Ville & les environs ,
écrit- on de Dublin , il femble que notre Pays foit devenu
le théâtre de la guerre. On ne voit de tous côtés que
des préparatifs militaires , & tous les Dimanches font
des jours de parade pour les Troupes. A fix heures du
matin , les Compagnies indépendantes font paffées
en revue fur la place du Change , & chacun des
hommes qui les compofent eft fourni de provifions ,
de poudre , de balles , & c. &c. pour toute la journée.
Après la revue elles fe mettent en marche pour
les Campagnes voifines , où on leur lit les prières;
enfuite elles fe féparent en plufieurs corps , qui prennent
différentes routes , & le refte la matinée eft
employé en marches & en efcarmouches fimulées
,
( 84 )
jufqu'à l'heure du dîner. L'après - midi , répétition
des mêmes exercices , & le foir , les Compagnies
raffemblées rentrent dans la Ville tambours battans
& drapeaux déployés , vont fe former fur la place
du Change ; après quoi , elles fe féparent , & chacan
retourne chez foi «.
Il circule d'autres lettres qui affurent que
le Duc de Leinfter a déclaré hautement &
publiquement , qu'il prêtera fon appui au
peuple de ce Royaume , pour lui faire
obtenir la plus entière liberté dans fa conftitution.
On fait combien on a cherché à jetter de
doutes fur les difpofitions de ce Seigneur
qui a été préſenté tour à tour comme attaché
à l'Adminiſtration & au parti du peuple.
Il n'eft pas le feul que l'on ait outragé :
dans les papiers publics le Duc de Richmond
l'a été violemment dans le Morning-
Poft. Comme il a obtenu qu'on fit une information
, on ne fera pas fâché de trouver
ici quelques détails.
» Le 24 , M. Peckam s'étoit adreffé à la Cour du
Banc du Roi , de la part du Duc de Richmond ,
pour qu'il fût fait une information contre l'Imprimeur
du Morning - Poft. M. Peckham a exposé
à la Cour que , depuis plufieurs années , cette Gazette
étoit le véhicule des plus abominables libelles contre
le Duc de Richmond ; mais que ce Seigneur & fes
amis n'avoient oppofé, à ce miférable Mercenaire,que
le filence & le dédain avec lesquels ils ont toujours
traité fes trahifons encore plus méprifables que lui.
Après avoir reproché au Duc de Richmond tous les
crimes du Décalogue , ils ont fini par l'accufer de
haute trahifon dans le Morning- Poft du 25 Février.
Le Duc ne pouvoit intenter une action civile contre
le vil Gazetier , parce que les calomnies ne lui ont
( 85 )
pas fait le moindre tort , mais il l'a attaqué au criminel
, en demandant cette information , pour que
le miférable reçût le châtiment qu'il mérite. En
effet , s'il favoit que le Duc fût un traître , il étoit
obligé , en fidèle fujet , de le révéler , & il auroit
dû le dénoncer au Secrétaire d'Etat , au Procureur-
Général , ou à quelqu'autre de fes amis ou commettans.
Il n'a pas ofè le faire , parce qu'une pareille
accufation étoit démentie & détruite par la vie en
tière du Duc de Richmond , & que s'il falloit à ce
Seigneur des témoins pour prouver qu'il a été l'ami
réel de fon Souverain , il pourroit produire toute la
Nation.
On a procédé enfuite à la lecture des questions ,
dont voici les principales & les plus criminelles .
» N'avez -vous pas fourni , à la Cour de France ,
des plans des parties de cette Ifle les plus foibles &
les moins défendues ?
» N'est- ce pas fur votre avis & à votre inftigation
que les armées havales combinées font venues nous
trouver devant Plimouth , pour tâcher d'effectuer
une defcente fur la côte de Suffex , qui étoit votre
projet favori «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 9 Avril.
Nous redonnons ici la lifte des nouveaux
Colonels pour rectifier quelques inexactitu
des qui fe trouvoient dans celle que nous
avons publiée d'abord .
1
» Le Roi a accordé , le 13 de ce mois , les régimens
fuivans. Dans l'Infanterie au Comte de
Rabodange , le régiment Colonel général de l'Infan
terie , ci - devant Picardie ; au Marquis de Faudoas ,
celui de Picardie , ci -devant Provence ; au Marquis
de la Farre , celui de Piémont ; au Comte Edouard
Dillon , celui de Blaifois ; au Comte de Raftignac , celui
de Champagne ; au Marquis de Sainte- Hermine ,
( 86 )
celui de Normandie ; au Marquis de Bartillat , celui
de Béarn ; au Marquis d'Angoffe , celui de Cam.
bréfis ; au Marquis de Pardieu , celui de Guyenne ;
au Marquis de la Suze , celui Dauphin ; au Marquis
d'Epinay Saint-Luc , celui du Perche ; au Comte
d'Apchon , celui d Aunis ; au Comte de Poudenx ,
celui de Touraine ; au Vicomte d'Hautefeuille , celui
de l'Ile de France ; au Comte de Chalabre , celui
de Limofin ; au Vicomte d'Hautefort , celui d'Haynault
; au Marquis de Vauborel , celui de Royal-
Rouillon ; au Marquis de Montecler , celui de Beauvoifis
; au Comte de Bernis , celui de Vermandois ;
au Marquis de Thémines , celui de Beauce ; au Comte
d'Avaux , celui de Médoc ; au Chevalier de Collé ,
celui de Vivarais ; a Marquis de Caulaincourt , celui
de Rohan-Soubife , & au Marquis de la Tour- du Pin-
Gouvernet , celui de Bourbon . Deux régimens de
Grenadiers - roya.x ; au Comie de Joviac & au
Chevalier de Monchat . Six régimens Provinciaux ;
au Comte de la Grandville , au Comte de Brancion ,
au Marquis du Guefclin au Comte d'Effiat ,
Marquis de Gayon & au Comte Defuos. Dans la
Cavalerie ; le régiment Dauphin au Comte de
Toulongeon , & celui de Berry au Comte de Rieux.
Deux régimens de Chevaux - légers ; au Comte de
Touftain de Viray & au Baron de Coulanges. Trois
régimens de Dragons ; au Chevalier de Coigny
au Marquis du Cayla & au Marquis de l'Efcure.
Cinq régimens de Chaffeurs à cheval ; au Baron de
Klinglin , au Comte de la Galiffonnière , au Baron
de Baltazard , au Vicomte de Maillé & au Marquis
de Sarlabous « .
3 ац
» Sa Majesté a auffi nommé , le même jour , dans
l'Infanterie , Meftres - de- Camps en fecond ; du régiment
de Dauphiné, le Comte de Courbon - Blénac ; de
celui d'Armagnac , le Marquis de Fouquet - d'Auvillars
; de celui Maréchal -de-Turenne , le Vicomte de
Saint-Chamans ; de celui de Barrois , le Comte de
Bafchy ; de celui de Blaifois , le Vicomte d'Aumale 3
( 87 )
de celui de Poitou , le Comte de Bourfonne ; de celui
de Beaujollois , le Marquis de Maubourg ; de celui de
la Marine , M. de Tramain ; de celui de Normandic ,
le Vicomte de Langeron ; de celui d'Anjou , le Comte
de Bourbon- Buffet ; de celui de Flandre , le Marquis
du Pleffis - Belliere ; de celui de Limofin , le Marquis
Charles de Simiane ; de celui de Rouergué , le Comte
de Toulongeon ; de celui de Bourgogne , le Marquis
de Mongaillard ; de celui Royal-la - Marine , le Marquis
de Barbantanne ; de celui de Beauce , le Comte de
Broiffia ; de celui du Perche , le Chevalier de Ver.
gennes ; de celui de Touraine , M. du Fléchin , & dé
celui de Condé , le Chevalier de Grimaldi. Dans la
Cavalerie ; de celui de Berry , le Duc de Cruffol ;
de celui de Royal- Piémont , le Marquis de Roquefeuille
de celui de Royal-Etranger , le Duc de Sully;
de celui du Meftre- de- Camp Général , le Chevalier
de Lameth ; de celui Royal , le Comte de Tracy ; de
celui Royal- Lorraine , M. de Marmiers ; de celui
Royal Champagne , le Vicomte de Clermont-Tonnerre
; de celui du Roi , le Comte de Selmaiſons ; de
celui d'Artois , le Comte de Gain. Et dans les
Dragons ; de celui de Lanan , le Comte de Loftanges ;
de celui de Bourbon , le Vicomte de Sainte- Hermine ;
de celui du Roi , le Baron de Viclla ; de celui de la
Reine , le Baron de la Tour - du - Pin ; de celui de Lan,
guedoc , le Baron de Rannes ; de celui de Noailles , le
Vicomte de Ségur ; de celui de Monfieur , M. de
Savonnieres , & de celui de Schomberg , le Comte
de Turpin ".
De PARIS , le g Mai.
On a appris , le 4 de ce mois , par un
Courier extraordinaire , arrivé de Breft , que
le premier de ce mois , le vent ayant tourné
au Sud-Eft , le fignal du départ de la flotte fut
hiffé vers le foir , & le lendemain dès les s
heures du matin l'armée appareilla. Comme
( 88 )
depuis ce moment le vent a été favorable , il
y a apparence quelle fera beaucoup de che
min en peu de tems . La veille du départ
on avoit mis à terre tous les malades , & on
les avoit remplacés par des matelots frais &
par des foldats tirés des régimens d'Anhalt &
de Neuftrie .
Dans les derniers paquets qu'on a reçus
de la Martinique , plufieurs Officiers ont
joint à leurs dépêches la lettre fuivante : elle
fait trop d'honneur à celui qui l'a écrite & à
celui a qui elle eft adreffée , pour que nous ne
nous empreffions pas de la tranfcrire ; elle eft
de l'Amiral Parker à M. de la Mothe-Piquet.
» M. , jai reçu la lettre que V. E. m'a fait l'honneur
de m'écrite par le petit St -Michel ( bâtiment
Parlementaire ). Quoiqu'il y ait fi peu de tems que
vous m'ayez enlevé une frégate & plufieurs autres
bâtimens , je ne puis m'empêcher de vous estimer,
& d'admirer la conduite que V. E. a tenue dans
l'affaire du 18 de ce mois ( 1 ) . Elle juftifie pleinement
la haute réputation dont vous jouiffez parmi
hous , & je vous avoue que je n'ai pu , fans envie ,
être témoin de l'habileté que vous avez fait voir en
cette occafion. Nos inimitiés font pallagères , &
dépendent de nos maîtres , mais votre mérite a gravé
dans mon coeur la plus profonde vénération.
Je prendrai toujours le plus grand foin pour que
vos Parlementaires & vos prifonniers foien : bien
traités , & je faifirai , avec plaifir , toutes les occafions
qui pourront fe préfenter de vous donner des
preuves de la confidération & de l'eftime avec la
quelle je fuis , &c «.
On voit avec plaifir que l'Amiral Parker
(1 ) Lorfque M. de la Mothe - Piquet fortit feul & fauya
la plus grande partie du convoi del'Aurore.
( 89 )
rend plus de juſtice à fon ennemi que ne l'a
fait l'Amiral Digby à M. du Chilleau , qui
vient d'arriver avec les autres Officiers du
Prothée : ils fe plaignent beaucoup de cet
Amiral ; non - feulement il les a laiffé dépouiller
de tous leurs effets ; mais il a eu la
barbarie de les empêcher d'écrire à leurs fa→
milles pour en obtenir des fecours. La manière
dont il a rendu compte de la prife du
Prothée , rend croyable tout ce qu'on dit de
lui: La défenfe de M. du Chilleau a été trop
belle pour qu'on ne lui donné pas bientôt
un autre vaiffeau .
L'équipage & les troupes qui étoient à
bord du vaiffeau la Victoire , qui faifoit par
tie de la flotte de l'Inde & qui a été pris , font
arrivés à l'Orient. Ce navire a foutenu deux
combats dont on fera bien aife de trouver
ici les détails.
Le 17 de Février , jour du départ de la flotte
de l'Inde , le vaiſſeau la Victoire de 16 canons de
fix , perdit la flotte par défaut de marche : il fit
route feul jufqu'au 23 , qu'il fut attaqué par l'Appollo
, frégate Angloiſe de 36 canons de 12 , qui
après un combat de trois quarts d'heures la força
d'amener. Il y a eu dans ce premier combat trois
hommes de tués , dont M. de Blangermont , Chevalier
de Saint- Louis , premier Capitaine au régiment
d'Auftrafie eft un , & deux foldats ; cinq
bleffés . La frégate Angloife après avoir remorqué
le bâtiment pendant une heure , l'abandonna pour
aller donner avis à la flotte de Rodney que le
vaiffeau faifoit partie d'un convoi pour l'Inde. Elle
laiffa à bord vingt - cinq matelots & cinq Officiers
Anglois pour conferver la prife , ayant fait paffer
à fon bord quatre Officiers du régiment d'Auf(
90 )
trafie , quatre Officiers de l'Erat- Major du vaiſſeau ,
vingt foldats & vingt-fept matelots . M. de Malard,
Lieutenant au même régiment , reſta à bord
de la Victoire avec foixante foldats & huit mate.
lots. I forma le deffein de reprendre le vaiffeau
fur les Anglois ; ce qu'il exécuta avec autant de
bravoure que de prudence , quoique bleffé dans le
commencement de la repriſe d'un coup de fabre ,
& ayant la moitié de fes foldats enfermés dans
la calle & le refte fans arines. Après s'être rendu
maître du vaiſſeau , il fit route pour le port le
plus proche , n'ayant pour conduire fon navire
que le fecond Lieutenant du vaiffeau , jeune homme
plein de bonne volonté . Il n'étoit plus qu'à dixhuit
lieues de la Corogne , lorfqu'il fut chaffé par
un corfaire de 20 canons , qui , après un fecond
combat hors de toute égalité l'a repris & conduit
en Angleterre. Il a eu un feul foldat de tué dans
fa défenfe contre le corfaire. Les Anglois d'ailleurs
fur lesquels il avoit repris le vaiffeau , avoient
pendant le combat forcé les fentinelles & emporté
le gaillard- d'avant , ce qui le mit hors d'état de
foutenir un effort bien fupérieur à lui , mais dans
lequel il a montré la valeur qui eft toujours l'appauage
de la noblefle Françoife.
On a reçu par la voie de Hollande une
lertre du Cap de Bonne- Efpérance , en date
du zo Janvier dernier , qui contient les détails
fuivans.
» Le vaiffeau marchand François le Salomon ,
eft arrivé ici de l'Ile Maurice ; il a effuyé , près du
Cap , une tempête qui l'a teilement endommagé
qu'à fon arrivée dans la rade , il faifeit 10 pieds
d'eau ; & hier il en faifoit 15. On fera obligé de
le détruire. Le vaffeau le Mentor , de la Compagnie
Hollandoie , qui retournoit en Europe , a péri
dans cette même tempête . Deux matelots qui s'é
toient faifis d'une pièce de la poupe , ont erré au
gré des flots jufqu'au 9 qu'ils ont atteint le bâtiment
( 91 )
>
- - Les
François le Salomon , qui les a recueillis & conduits
ici. Ces deux hommes font les feuls qui fe font
fauvés de l'équipage & des paffagers du Mentor ,
à bord duquel étoient embarqués M. Pierre Walckenaar
ci - devant Gouverneur & Directeur de
Ternate , ſa femme , fes enfans & ceux de plufieurs
des principales familles établies aux Indes , & que
le Capitaine s'étoit chargé de conduire en Europe.
Le bâtiment François leur ayant donné avis qu'il
avoit vu flotter un vaiffeau Anglois tout démâté ,
3 vaiffeaux de guerre François , qui étoient ici , ont ›
d'abord mis à la voile pour lui donner chaffe .
4 & 5 Juillet dernier , les bâtimens François le
Sirven , les Bons Amis & l'Hercule , font arrivés ,
& ont fait voile le 13 pour l'Ile Maurice. Le z :
Novembre , le Grand Bourbon , de la même Nation ,"
vint jetter l'ancre dans notre rade ; le
Décembre
le Triton arriva ; & le 25 , le vaiffeau de Cartel
le Sartine. Le 12 de ce mois , les vaiffeaux de S. M.
T. C. le Brillant , l'Orient , le Flamand , la Confolante
, la Subtile , commandés par M. de Tronjoly
, qui monte le Brillant , font venus mouiller
ici ; cette efcadre eft partie le 6 Décembre de l'Ifle
Maurice , & on dit qu'elle y retournera «.
Tous les ports de la Bretagne voient arriver
journellement de nouvelles prifes . Les
Corfaires de Dunkerque & de Granville font
ceux qui fe font principalement diftingués
depuis 15 jours. L'Américaine feule a fait 4
priſes qui toutes font arrivées à bon port.
Le Duc de Coigny , après avoir jetté 73 prifonniers
à Morlaix , a été reprendre fa croifière.
La Manche verra bientôt d'autres Capitaines
non moins redoutables que ceux
qui la maîtrifent , s'il eft vrai que Paul Jones ,
Fabre & Cottineau fe difpofent à fortir de
nos ports,
( 91 )
» La Commiffion pour l'examen des Réguliers ,
vient d'être fuprimée avant la petite Affemblée du
Clergé. L'Arrêt du Confeil d'Etat , porte que les
Commiffaires nommés en exécution de l'Arrêt du
23 Mai 1766 , ayant repréſenté au Roi que l'objet
de leur miffion eft rempli , l'ont fupplié de les décharger
de la furveillance que l'exécution dudit
Arrêt exigeoit de leur part. S. M. , en leur témoignant
fa fatisfaction de leurs travaux & de leur zèle ,
a jugé à propos de fe rendre à leur demande. Elle
enjoint aux Supérieurs & Membres des Ordres &
Congrégations Religieufes , de fe conformer aux
Conftitutions , Statuts & Règlemens rédigés dans
leurs Chapitres , autorifés par le Saint - Siége , &
revêtus de l'autorité de S. M. Elle exhorte les Archevêques
& Evêques de fon Royaume d'en maintenir
l'exécution «.
Aucunes des familles qui fe font préfentées
n'ont pu réuffir à prouver qu'elles étoient
parentes ou héritières de M. Dumas , mort
ab inteftat , Receveur- Général des Finances
de la Généralité d'Orléans. Depuis 5 à 6 ans ,
la Juſtice a été occupée de différentes réclamations
; elles ne pouvoient manquer de fe
multiplier pour une pareille fucceffion ; on
l'évalue à 4 ou 5 millions , d'autant que M.
Dumas avoir réuni à la grande fortune qui
pouvoit fe faire de fon tems dans la finance ,
celle de fon frère qui avoit été Gouverneur
très- opulent de Pondichéri . Il a été jugé définitivement
au Parlement que cette fucceffion
étoit ouverte par droit de deshérence ;
ainfi les Procureurs ne chercheront plus à
lui établir une généalogie , & ſes biens tombent
, felon qu'ils font fitués , aux Domaines
du Roi & des Seigneurs Hauts - Jufticiers .
( 93 )
Par exemple , la veuve d'un Préſident de la
Chambre des Comptes va , dit-on , hériter
d'une terre en Beauce de 7 à 800 mille liv.
S'il avoit été bâtard , toute fa fucceffion auroit
appartenu au Roi. Le Domaine s'en
feroit emparé.
» Un Jardinier qui avoit un tas de fumier dans
la ruelle des Récollets , Fauxbourg Saint - Martin ,
en ayant voulu enlever une partie , y a trouvé enfouies
6 têtes , dont 4 d'enfans & 2 de femmes , qui
fembloient y avoir été placées dès la veille, Le
Jardinier a appellé les voisins ; bientôt la populace
du Fauxbourg eft accourue , & il n'y a point de
contes ridicules qu'elle n'ait imaginés à cette occafion
. Enfin , le Châtelet eft venu ; il a fait enlever
ces têtes , qui ont refté long- tems à la Morne , & que
perfonne n'a reconnues. Tout ce que l'on imagine
de plus vraisemblable à ce fujet , c'eſt qu'elles avoient
été cachées dans cet endroit par des Etudians en
Chirurgie qui les avoient volées dans quelques cimetières
voifins « .
:
» Il est arrivé ces jours derniers fur le Rhône , un
de ces évènemens bizarres qui méritent d'être confervés.
La femme d'un batelier chargea un de fes
jeunes enfans , de porter à fon mari qui étoit fur
la rivière une clef; l'enfant fe rend au lieu indiqué
& n'y trouve plus fon père qui étoit defcendu´plus
bas cependant le batelier qui n'étoit pas encore à
terre , voit flotter fur l'eau un petit foulier ; ce bon
père imaginant que le foulier qu'il voit peut fervir
à fon enfant , va à la rencontre & le prend , le
foulier tenoit à un pied & à un enfant , c'étoit le
fien il étoit tombé dans la rivière & faivoit le
courant , lorsqu'il a été retiré de l'eau par fon propre
père ; heureufement il n'étoit pas entièrement fuffoqué
, & on eft parvenu à force de foins à le rappeller
à la vie ; le batelier a été fi frappé de cet
éyénement malheureux , étrange & fortuné , qu'il
:
( 94 )
en à été malade. Il est aujourd'hui hors de tout
danger , ainfi que fon enfant «.
Anne - Marguerite le Ferrand , veuve de
Claude- Charles , Marquis de Guify , ancien
Capitaine au régiment du Roi , & Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , eft morte ici dans la 84° année de
fon âge.
De BRUXELLES , le 9 Mai.
ont
LES réfolutions unanimes des fept Provinces
- Unies , fur les 3 points importans fur
lefquels l'Europe attendoit leur avis ,
dicté celles des Etats - Généraux ; elles font
de refufer les fecours demandés par l'Angleterre
, d'accorder des convois illimités
& d'accepter avec reconnoiffance l'invitation
de la Ruffie. Quant au premier objer,
le Comte de Welderen a dû recevoir des inftructions
& la réponſe en forme de la Répu
blique , que l'Angleterre n'a pas attendue
pour prendre un parti. Il doit réclamer les
vaiffeaux fortis fous convoi , & leur renvoi
fans forme ultérieure de procès , & infiſter de
la manière la plus férieufe fur une fatisfaction
&une réparation convenable d'un fait qu'on
ne peut regarder que comme une attaque
directe & nonprovoquée du pavillon Hollan
dois , de l'indépendance & de la fouveraineté
de la République.
Les mêmes lettres ajoutent que les ordres
pour armer des vaiffeaux ont été expédiés &
s'exécutent avec beaucoup d'activité . Les
( 95 )
Etats -Généraux font entrés en conférence
avec le Prince de Gallitzin , Amballadeur de
Ruffie , au fujet de la propofition de fa Souveraine.
Il s'agit de favoir à préfent comment
l'Angleterre fe tirera de l'embarras dans lequel
elle s'eft jettée elle-même . Rien ne contrafte
mieux avec fa conduite injuſte & tyrannique
que celle de la France & de l'Efpagne
; leur modération & leur équité font
mieux reffortir le defpotifme Britannique ,
& ne peuvent que finir par foulever entiè
rement l'Europe contre une Puiflance qui ne
ceffe de fe permettre les procédés les plus
révoltans , & qui enfuite accuſe ſes ennemis
de projets ambitieux , & cherche à détourner
fouvent les défiances qu'elle feule doit inf
pirer.
و د
Quoique tout femble faire préfumer , écrit-on
de la Haye , que les différends qui fe font élevés entre
cette République & la Cour de Londres , pourroient
avoir des fuites férieufes , cependant on ne
perd pas tout- à- fait l'efpoir de les voir terminer à
Tamiable. Les Ambaffadeurs refpectifs ne font encore
nulles difpofitions pour le retirer ; & la Cour
de Londres s'eft contentée des ordres qu'elle a envoyés
aux Capitaines de les vaifleaux & aux corfaires
, fans publier encore le règlement qu'elle annonce
dans fa déclaration . Il eft tout fimple que ce règle
ment ne foit pas facile à rédiger ; il eft très-délicat.
S'il n'eft pas auffi fage , auffi modéré , aufli jufte que
ceux qui ont été publiés en France & en Espagne relativement
au commerce & à la navigation des neu
tres , il excitera un cri général ; & s'il l'eft , c'eſt
avouer tacitement que jufqu'à préſent on s'eft mal
conduit ; on a ufurpé des droits qu'on n'avoit pu
détruire foi -même , cette fuprématie.maritime à la(
96 )
quelle on eft fi attaché , & qui eft anéantie quand
J'Europe le voudra « .
Selon des lettres de Londres , le Ministère ,
pour manifefter fon inclination à la paix , a
fait , dit-on , faire des ouvertures à la Cour
de Verfailles ; on ajoute qu'elles font fondées
fur les inftructions de M. Adams , Miniftre du
Congrès Américain , qui eft venu en France
pour ne pas retarder la paix quand on voudra
Y travailler. Plufieurs Puiffances , s'emploient
, dit- on , vivement pour cet effet ;
mais l'indépendance de l'Amérique , ce mot
fatal auquel les oreilles du Ministère Britany
nique ne peuvent s'accoutumer encore , cone
tinue d'être le principal & peut- être l'unique
obftacle qui arrête l'effet de ces négociations.
Il a été conclu entre la France & l'Autriche
un traité de limites des Etats refpectifs
des deux Puiffances dans le Pays- Bas ce
traité eft du 18 Novembre de l'année dernière.
f 1
On lit dans un papier public l'article fuivant
, que nous tranfcrivons tel que nous le
trouvons .
"» Il paffe pour conftant que la Reine de Portugal
a ordonné la révision de tous les procès, & de toutes
les conteftations qu'on a intentées aux Jéfuites fous
le règne de fon père. On prétend que les perfécu
tions qu'ils ont effuyées , les calomnies dont on
les a chargés , font l'ouvrage d'une cabale puiffante
qui les a fait fuccomber. Il fera cependant difficile
à la nouvelle Adminiftration de les excufer entièrement
; & fi elle cherche à réhabiliter la mémoire
de quelques individus , il eft douteux que la Société.
bien éteinte en retire aucun profit «,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
--
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 18 Avril.
LE Roi , par une Ordonnance en date du
22 du mois dernier , a établi un droit que
doivent payer tous ceux qui pafferont fur des
paquebots de ce port à Lubeck , tant pour
leurs perfonnes que pour leurs effets . Les
enfans au-deffous de 12 ans , les pauvres &
les compagnons artifans qui viendront travailler
dans cette ville , font exempts de ce
droit. Les Navigateurs venant de Lubeck
répondront du payement.
Il n'y aura plus de flottille de vaiſſeaux de
guerre & de frégates en ftation à Frideric-
Waren , en Norwège , comme cela fe pratiquoit
depuis 5 ans. L'Amiral Fitcher qui
avoit le commandement de cette flottille , a
ordre de revenir ici . L'attelier & les galères
du lieu feront commandés à l'avenir par un
fimple Capitaine.
}
Les vaiffeaux qui doivent être de garde
l'été prochain , font les fuivans. Dans le.
Sund , le Groenland ; dans cette rade le
20 Mai 1780. e
( 98 )
1
Cheval- Marin , & au Balt , la hourque le
Femern.
On vient d'apprendre que le vaiffeau du
Capitaine Roaberg , d'Iftadt , allant de Stockholm
à Dublin , chargé de fer , a péri corps
& biens près de Marſtrand .
Le bâtiment du Capitaine With , deftiné
pour la Chine , a fait voile pour la mer du
Nord , le 26 du mois dernier. On apprend
d'Helfingor qu'il y eft arrivé le 2 de ce mois
62 bâtimens de la mer du Nord , parmi lefquels
on compte une frégate Angloiſe de 28
canons venant de Hull , avec un convoi de
32 voiles fur leur left , allant dans la Baltique
pour faire des chargemens.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Avril.
Le Comte Ogrodzki ' , Grand- Secrétaire de
la Couronne , vient de fe démettre pour
raifon de fanté , de fa charge de Secrétaire
du Confeil Permanent pour le département
des affaires étrangères ; le Roi a nommé le
Comte de Mnifzeck , Grand- Secrétaire de
Lithuanie pour le remplacer .
Plufieurs de nos Magnats fe difpofent à fe
rendre en Lithuanie pour aller préſenter
leurs hommages à l'Impératrice de Ruflie
pendant le féjour qu'elle y fera. On compte
dans leur nombre le Comte de Braniki
Grand-Général de la Couronne , le Général
Prince Staniflas Poniatowski , & le Baron de
( 99 )
Cocceji , chef des gardes de la Couronne.
Plufieurs autres fe rendront à Léopold pour
s'acquitter du même devoir auprès de l'Empereur.
Le voyage des deux Souverains , &
l'entrevue qu'ils doivent avoir , font ici le
principal objet de l'attention publique. Le
Prince de Gallitzin , Envoyé de l'Impératrice
de Ruffie à la Cour de Vienne , accompagnera
, dit on , l'Empereur , & les principaux
Seigneurs qui fe trouveront à la fuite
de l'Impératrice de Ruffie , font le Prince
Potenkin , le Comte Iwan de Czernicheff ,
le Prince Dolgorucki & le Comte de Stroganow.
Selon les lettres de Czaflaw , il eft arrivé
fucceffivement dans les environs de cette
place plufieurs détachemens de troupes
Pruffiennes , tant de cavalerie que de huffards
, chargés , dit-on , d'acheter des chevaux.
Mais comme le nombre s'en eft accru
juſqu'à 5400 hommes , & que même il augmente
journellement , on penſe que ces
troupes doivent fervir à veiller à la tranquillité
de la Diète qui doit s'affembler dans
peude tems.Leurs quartiers s'étendent depuis
Dubno en Wolhynie , juſqu'à Oftrog dans
l'Ukraine.
On voit ici des copies d'une lettre du
Comte de Stackelberg , Arnbafladeur de
Ruffie , au Nonce du S. Siége , concernant les
ex- Jéfuites confervés dans la Lithuanie Ruffe.
»La protection efficace ( y eft-il dit ) que l'Impératrice
a accordé er tout tems aux Individus de l'Ee
2
( 100 )
glife Romaine , a dû convaincre la Cour de Rome
des favorables intentions de S. M. I. pour fon intérêt,
& particulièrement depuis le moment de la réunion de
la Ruffie- Blanche avec les autres Etats. C'est dans ce
moment même , que S. M. I. ayant voulu mettre un
ordre convenable , tant dans les affaires fpirituelles
que civiles de ces Provinces , & ne refpirant que
la tolérance & la concorde , n'a pas voulu qu'on
gênât la liberté de confcience de ſes ſujets , en
confervant les priviléges accordés de nouveau aux
Eccléfiaftiques & Ordres réguliers , ainfi qu'aux
Inftitats formés pour l'éducation de la Jeuneſſe. La
jouiffance de ces priviléges dépendoit uniquement
de leur fidélité inviolable & de l'obfervation des
devoirs impofés à des fujers fidèles , & tant qu'ils
en donneront des preuves , ils pourront mettre leur
confiance dans la parole facrée de S. M. I. Jufqu'à
ce moment les fujets Catholiques- Romains s'y font
conformés , & principalement en ce qui regarde l'éducation
de la jeuneffe : mais comme cette éducation
a été confiée aux foins des Ordres Réguliers , & le
Gouvernement ayant remarqué avec beaucoup de
fatisfaction le zèle qu'ils ont fait paroître dans leurs
travaux ; feroit - il jufte de priver les fujets de la
Ruffie Blanche d'un établiſſement fi précieux ? Ce
qui arriveroit néanmoins , s'il falloit expulfer de
l'exercice de leurs fonctions des Religieux qui travaillent
pour le bien public. Or , comme tout
Gouvernement indépendant n'eft tenu de rendre à
qui que ce foit aucun compte de ce qu'il juge à pro,
pos de faire envers des individus qui lui paroufent
de quelque utilité pour les vues , l'Impératrice ne
peut admettre aucune idée étrangère fur ce qui concerne
le bien -être de fon Empire , & puifqu'elle a
honoré de fon approbation tout ce que l'Evêque de
la Ruffic-Blanche a établi à l'avantage de l'éducation
de la Jeuneffe , S. M. I. a reconnu par - la que l'Edit
te ce Prélat , loin de reafermer quelque chofe de
( 101 )
--
·
préjudiciable , ne contient au contraire que des règlemens
d'économie , revétus de l'approbation de
S. M. I. & qui tendent à l'avantage de fes fujets Catholiques
- Romains. Enfin , cé Prélat eft il moins
templi de zèle pour ce qu'il doit à la Cour de Rome,
parce qu'il témoigne fa reconnoiffance pour la protection
efficace & publique dont il jouit , & dont
il tâche de mériter la confervation par l'exercice
de toutes les vertus qui diftinguent un bon Paſteur
de l'Eglife ? Telles font les qualités qui lui ont
acquis la bienveillance de fa Souveraine , & qui
de rendent très- digne d'être recommandé à la bonté
de S. S. «
-
ALLEMAGNÉ.
De VIENNE , le 26 Avril.
L'EMPEREUR eft parti ce matin ; l'Archiducheffe
Chriftine , le Duc Albert , étoient
arrivés ici de Presbourg hier , pour prendre
congé de S. M. I. qui a pris fa route fur
Brunn , pour fe rendre en Gallicie. Elle eſt
accompagnée du Général- Major Comte de
Braun , d'un des neveux du Feld- Maréchal
Comte de Lafcy , & des Colonels Zehnter
& Lang.
Un courier arrivé ici le 20 , nous a appor
té la nouvelle que le 12 de ce mois , la Reine
des Deux-Siciles eft accouchée heureufement
d'un Prince. Le 23 il y a eu à cette occafion
grand gala à la Cour ; la grande falle a été
magnifiquement illuminée , & tous les Ambaffadeurs
& Miniftres des Cours étrangères
y font allés faire leurs complimens de félicitation
à LL. MM. II.
ez
( 102 )
On écrit de Péterwaradin , qu'il y vient
beaucoup d'émigrans de la Turquie , le jour
de Pâques , il en arriva près de Zemlin 23
familles à la fois qui , après la quarantaine
ordinaire , s'établiront toutes fur le territoire
Impérial.
Il vient de partir deux Commiffaires Impériaux
pour Cinq-Eglifes où ils font chargés
de remettre folemnellement les patentes qui
l'ont érigée en ville libre , & d'y faire des
règlemens relatifs à l'économie & à la prompte
adminiftration de la juftice .
De HA MBOURG , le 28 Avril.
LES lettres de Stokholm ne parlent point
encore de la réfolution que la Cour de Suède
a prife relativement aux propofitions d'une
neutralité armée faite par la Ruffie . On ne
doute pas cependant qu'elle ne foit déja entrée
ou du moins réfolue d'entrer dans cette
alliance fi intéreffante & fi refpectable , &
dont le but doit être d'un fi grand avantage
pour toutes les Puiffances commerçantes de
PEurope. Ces lettres portent feulement que
le bruit général eft que le Roi fera cet été un
voyage à Stralfund & peut-être à Aix la Chapelle
& Spa .
On écrit de Copenhague que cette Cour
eft décidée à entrer dans la neutralité armée ;
on a vu pendant plufieurs jours des couriers
partir de cette Ville pour Pétersbourg ; quoi.
qu'il ne foit pas encore queftion de préparatifs
qui annoncent quelque armement confi
( 103 )
-3
не
dérable fur mer , il a cependant été fait dé
fenfe dans tous les Ports du Royaume d'y
employer pour le commerce , jufqu'à nouvel
ordre , aucun des matelots de la marine
royale ; l'ordre a été en même- tems expédié à
tous les Gouverneurs des Forts fitués le long
des Côtes , de ne pas permettre que les vaiffeaux
qui portent le pavillon des Puiffances
en guerre commettent aucunes hoftilités à la
portée du canon de ces Forts.
On mande de Kænisberg que le bruit s'y
répand que le Prince Henri de Pruffe fe rendra
aufli à Mohilow, dans la Ruffie blanche ,
où l'Impératrice doit arriver dans le mois de
Mai prochain. Le but de ce voyage eft , diton
, de conférer avec cette Souveraine fur
différens objets très- importans.
Suite de la Lettre du Roi de Pruffe à fon Grand-
Chancelier.
לכ
9
Quoiqu'il en puiffe être nous voulons & ordonnons
par la préfente , qu'il foit enjoint généralement
à tous les Juges de nos tribunaux , d'entendre
les plaintes des parties litigantes , de s'enquérir
& de prendre une exacte connoiffance de leur
différend , des cauſes qui y ont donné lieu ainfi
que des preuves qu'elles peuvent alléguer pour établir
leur droit , afin qu'en qualité de confultans , ils
puiflent effayer , par une décifion préliminaire , conforme
aux loix du pays , de mettre d'accord les plaideurs
, ou les porter à un accommodement amiable.
Nous fommes affurés d'avance qu'en fuivant reli
gieufement cette méthode on coupera racine à
une infinité de procès , uniquement parce que les
parties feront éclaircies fur leurs véritables intérêts ,
fur la nature & la vraie fituation de leur cas liti
>
€ 4
( 104 )
·
gieux. Ce n'eft point que nous entendions par là
priver les parties de l'affiftance amicale d'un Avo.
cat , d'un Jurifconfulte entendu , durant la plaidoirie
& la pourfuite de leur caufe : nous jugeons au
contraire qu'il eft d'une néceffité indiſpenſable d'en
enjoindre un , tant au demandeur qu'au défendeur
pour fervir d'aide & de confeil , pour redreffer
même tout Juge & le ramener à ſon devoir , s'il arrivoit
que celui - ci , foit par négligence , foit par
efprit de partialité , ou par défaut d'intelligence
s'en écartat & voulût faire violence aux loix.
»Mais , pour que cette nouvelle eſpèce d'Avocars
ne dégénère point , pour qu'ils rempliffent leur devoir
fans relâchement , & ne marchent point fur
les brifées des autres , il faut aller à la fource du
mal , empêcher qu'ils ne foient plus engagés par
intérêt à retarder , traîner en longueur & multi,
plier les procès , il faut leur préfenter une autre
perfpective de fortune. Pour cet effet , nos Réfé
rendaires , fuivant notre nouveau plan d'adminiftration
de Justice , feront principalement employés
dans l'examen des cas litigieux , fous les yeux des
Confeillers , auxquels ils ferviront d'aides & d'af
fiftans. Ceux d'entr'eux qui fe diftingueront dans
les occafions par leur capacité & leur intelligence ,
feront confervés & avancés aux Offices d'Avocats
qu'on nommera mieux à l'avenir Aides- Confeillers,
ou Confeillers-Affiftans . C'est dans ce pofte qu'ils
doivent jouir , de même que les Confeillers de nos
Colléges , d'un appointement fixe qui fera pris fur
les honoraires provenant des caufes qu'ils auront
défendues , pour quels honoraires on établira une
caiffe particulière. Ce fera auffi dans leur claffe
qu'on choifira déformais tous les Confeillers pour
nos tribunaux fupérieurs de Juftice. Comme il eft
à préfumer que parmi le grand nombre d'Avocats
actuels on ne pourra trouver que très peu de fujets
capables & dignes d'être élevés au grade de
( 103 )
TO
10
2
Confeillers de Collége , nous voulons que ceux
dont la conduite fera trouvée irréprochable , foient
pourvus de manière ou d'autre , foit aux magiftratures
des villes ou aux autres Tribunaux inférieurs .
Quant aux individus fans talens & fans moeurs ......
x - là ne méritent ceux- aucune attention.
» Enfin , pour ce qui concerne nos loix mêmes ,
L'ufage établi qui veut qu'elles foient écrites en une
langue inconnue & inintelligible à ceux qui ont le
plus grand intérêt à les entendre , comme devant
leur fervir de règle pour le bien conduire , eft ,
quoiqu'on en puiffe dire , contraire à l'équité & à
la faine raifon. Une chofe qui ne choque pas moins
le fens commun , c'eft que dans un Etat libre où
le Souverain eft reconnu le feu! Législateur , on
fouffre des loix qui , par leur obfcurité , leur ambiguité
, ont donné lieu à de fréquentes difputes , à
de vifs débats parmi les Jurifconfultes , pour favoir
fi ces mêmes loix ont jamais exifté , ou fi
elles ont jamais été en vigueur. Il faut donc que
vous apportiez une attention & une application particulières
à ce que toutes les loix faites pour nos
Etats foient miles à la portée & à l''entendement
de nos fujets ; qu'elles foient rédigées en leur langue
, complettement recueillies & expliquées auffi
clairement qu'il fera poffible . Mais comme plutieurs
de nos Provinces ont leurs us & coutumes particuliers
qui ont paffé en force de loi , il faudra néceſ
fairement en faire une compilation & une collec
tion exacte , pour les configner dans un code féparé
où la différence des droits coutumiers de chaque
province fera diftinctement & fidèlement
énoncée.
35
Quoique le code Juftinien qui , comme l'on fait,
eft une collection des loix anciennes , ainfi que des
décisions juridiques faites par différens Jurifconfultes
ne contienne , pour la plupart , que des
loix & des formalités anciennes , abolies par le
›
es
1
( 186 )
non-ufage , & ne convenant plus aux circonſtances
de notre tems ; qu'il foit rempli de contradictions
groffières , l'on ne pourra cependant le rejetter &
le bannir entièrement de nos Tribunaux , attendu
que depuis plufieurs fiècles il a formé & forme encore
aujourd'hui le corps des loix civiles chez plufieurs
Nations européennes. Mais en l'abrégeant ,
en n'en tirant que l'effentiel , ce qui eft conforme
à la loi naturelle , & convenant aux circonftances
du tems ; en fupprimant tout ce qui eft inutile , &
en y fubftituant les loix du pays , on formera un
code fubfidiaire de loix , auquel les Juges pourront
avoir recours dans toutes les occafions où le défaut
de nos loix pourra leur faire naître des doutes
ou partager leurs opinions. Il faut obferver , en
paffant , au fajet de nos anciens Législateurs , que
quoiqu'ils aient épuifé toutes les fubtilités de la
Jurifprudence , ils fembient néanmoins avoir perdu
de vue le véritable but que doit avoir un Légifla
teur , celui d'avifer aux moyens par tefquels on
peut éviter & prévenir la concurrence d'où naiffent
les différens. En effet , tout le monde fait à quelle
infinité de chicanes & de conteftations l'ignorance ,
la précipitation & le défaut de clarté dans l'expreffion
de la part des parties contractantes peut
donner lieu or , on préviendroit certainement
tous ces inconvéniens , en ftatuant que tout contrat
d'achat ou de vente , pour avoir la qualité
d'authenticité requife , feroit paffé devant un tribunal
de juftice , & que les Juges auroient attention
à ce que ces actes fuffent pailés dans la meilleure
forme judiciaire. Toutes querelles entre les citoyens
doivent être comptées au nombre des maux
qui affligent la fociété la meilleure loi eft donc
celle qui les prévient.
»Si la réforme des loix & de l'adminiſtration de la
Juftice que nous nous propofons de faire dans nos
Etats , réuffit , comme nous ne doutons aucune(
107 ) ce
ns
&
ment de fon heureux fuccès , nous prévoyons en
même tems que la plupart de nos graves Docteurs ,
les chofes étant fimplifiées à ce point , perdront leur
latin , ainfi que cet air mystérieufement favant
qu'ils favent affecter , & que le corps entier des
Avocats actuels rentrera dans fon néant ; mais
nous croyons foulager par là nos peuples d'une
charge d'autant plus incommode , qu'aucun autre
moyen n'étoit capable de l'alléger. Les arts , le
commerce , les manufactures y gagneront également
en attirant plus de fujets habiles qui s'y
adonneront.
Au reste , l'exécution d'un projet aufli im
portant que celui dont nous venons de vous char
ger , ne pouvant être l'ouvrage d'un feul homme ,
il faudra chercher à vous afföcier des fujets doués
des éminentes qualités pour ce travail , en former
un Collége permanent & partager entr'eux l'élabo
ration des différens objets relatifs à la Jurifprudence.
En outre cette Commiffion légiſlative fervira
à fuppléer dans la fuite à tous les défauts , au
manque de précifion & aux ambiguités des loix
qui pourroient être gliffées dans la rédaction du
nouveau Code , ainfi qu'à éclaircir les doutes & à
lever toutes les difficultés des queſtions litigieufes
qu'on leur oppofera. Cependant , le cas où l'on
jugeroit néceffaire de faire un changement notable,
quelque nouvel aboliſſement effentiel , cette réfor
me ne fe fera qu'avec l'approbation unanime de la
fufdite Commiffion légiſlative , préfidée par vous ,
& après que vous nous en aurez fait. votre rapport :
du refte , nous ne voulons & ne permettrons point
qu'aucun Juge , aucun de nos Colléges , ni qu'aucun
de nos Miniftres d'Etat , s'arroge le pouvoir d'interprêter,
d'étendre ou de reftreindre le fens de nos loix ;
mais qu'ils aient à s'en rapporter uniquement à cet
égard aux décisions du Collège ci- deffus nommé . Enfin
en vous chargeant de l'exécution de cet important
ouvrage , en vous invitant à l'examiner & à y réfié.
e 6
( 108 )
chir mûrement , nous vous donnons l'affurance de
vous défendre & de vous maintenir conſtamment
contre toutes les cabales , toutes les factions qui
pourroient s'élever contre vous & vous accordons
toure notre protection , ainſi que notre affection
royale «<.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 30 Avril.
LE II de ce mois il eſt entré ici un corſaire
Anglois ; on n'a pas tardé à apprendre que
c'eſt celui qui a maltraité la frégate Suédoiſe
l'Illerim. Il dit pour s'excufer qu'il n'auroit
point fait feu fi on n'avoit pas fait à fes quef
tions une réponſe qui l'autorifoit à des hoftilités
; on ne doute pas que cette affaire n'ait
des fuites , & à préfent que le corfaire eft
connu il pourra être examiné , & puni
comme il mérite de l'être , lorfque la Cour
de Suède aura porté des plaintes.
On dit que le Miniftre de S. M. B. à Naples
a préfenté à cette Cour un Mémoire ,
par lequel il demande pour fa Nation deux
Ports francs , où les vaiffeaux puiffent entrer
avec leurs prifes , les vendre & s'y approvifionner.
Selon une lettre de Smyrne , en date du 23
du mois dernier , il y eft arrivé une lettre de
l'Ambaffadeur de France à Conftantinople ,
adreffée au Conful de fa Nation à Smyrne ,
pour qu'il ait foin qu'on ne mette aucun
obftacle à l'arrivée d'un navire Hollandois ,
qu'un corfaire François avoit forcé de fe ré(
109 ).
ent
00
fugier dans le port de Forchie. Des avis ultérieurs
nous informent que ce bâtiment eft
entré enfuite fans empêchement dans le port
de Smyrne.
Des lettres de Conftantinople , du 3 Mars ,
font mention d'un tremblement de terre arrivé
à Tauris , Capitale de la Province d'Adherbigian
en Perfe ; on dit qu'il a été plus .
terrible que celui qu'on y éprouva en 1651 ,
& s'il faut s'en rapporter aux premières relations
que fouvent la frayeur exagère , cette
Ville , qui contient 15000 maifons & beaucoup
de magafins de commerce , n'offre plus .
que des ruines , puifqu'on compte que fur
100 maifons à peine en eft-il refté 2. Un
grand nombre de citoyens a été enveloppé
dans ce défaftre.
2
> On écrit de Meffine en Sicile , le z du mois dernier,
qu'on vient d'y éprouver pendant plufieurs jours , par
de vives fecouffes de tremblement de terre , les
allarmes les plus fortes , & qu'on n'y eft pas encore
exempt de toute crainte. Ce fléau s'eft d'abord manifefté
dans les hauteurs de Lipari par l'explofion du
volcan de cette Ille , qu'a fuivi de près un tremblement
de terre , dont le mouvement , d'abord vertical
, s'eft étendu enfuite horizontalement du Nord
au Sud , & a duré 6 à 7 fecondes. Le 28 du mois
précédent , à minuit 20 minutes , la même exploſion
a été fuivie d'une autre fecouffe momentanée & fans
ondulation , à laquelle deux autres mouvemens de
même nature mais moins forts , ont fuccédé.
A heures trois quarts & à 5 heures & demie du
matin , la répétition fucceffive & fréquente de cette
convulfion de la terre , a fait abandonner la ville aux
habitans , dont les uns fe font construit , fur l'efplanade
de la citadelle , des baraques & les autres des
"
,
( 110 )
.
tentes où il ont campé jufqu'au premier de ce mois.
Comme on reffent toujours quelque mouvement
extraordinaire fous le fol , & qu'on fait que nonfeulement
le volcan de Lipari jette encore une fumée
très-épaifle , mais qu'il fort auffi de l'Etna un retentiffement
fouterrain , qui préfage , dit-on , une
éruption foudaine , on ne fe raffurera ou l'on ne prendra
un parti quelconque , qu'au retour des perfonnes
qu'on a envoyées pour obferver l'un & l'autre de ces
gouffres de feu «.
» Les dommages qu'ont caufés les divers tremblemens
de terre dont on vient de parler , ont été
proportionnés à la folidité du fol & des édifices.
Meffine a peu fouffert , parce que fon terrain ſablonneux
a fait moins de réfiftance , & parce que la plus
grande partie de la ville eft bâtie fur pilotis. Ils ont
renverfé au contraire des Eglifes & plufieurs maifons
à Roccalumera , Tavermina , Jaci d'Aquila & fur les
montagnes qui ferment cette vallée , dont le fol eft
de pierre dire & de matière calcaire . Il n'y a eu à
Catania que quelques maiſons endommagées , & l'on
attend des nouvelles des endroits plus éloignés . Les
mêmes fecouffes fe font fentir fur toute la côte de
Calabre, parallèle à la Sicile , & elles y ont produit
à- peu - près les mêmes effets «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 21 Avril.
LA flotte & l'armée font toujours dans
cette baie , mais prêtes à partir : en voici
un état fort exact.
Première divifion. Le St-Louis de 80 canons , D.
Jofeph Solano , Chef- d'efcadre , D. J. Ant. Camino,
Capitaine de Pavillon ; St- Auguftin de 70 D. Juan
Salavarna , Brigadier ; Arrogante de 70 , D. Felippo
Lopez Carrizola , Capitaine de vaiffeau ; St-François
( III )
de Paule , D. Domingo Grandellana , Capitaine de
vailleau ; Gallardo de 70 , D. Joſeph Zavala ;
Aftuto de 64 , de Stanislao Velafco. Ces deux derniers
font Capitaines de frégates.
Deuxième divifion. St -Nicolas de 80 , D. Juan
Tomafeo , chef- d'efcadre ; D. F. Morales , Capitaine
de Pavillon ; St- François d'Affife de 70 , D. Jofeph
Domas ; St-Gennaro de 70 , D. Felix Texada ; Velafco
de 70 , D. Sant Jago Munnos de Velasco ; Dragon
64 , D. Pedro Autran ; Guerrero de 70 , D.
Sidel de Eflaba.
Frégates. Ste-Cecile & Ste- Rofalie de 34 , D.
Auguftin Moncada & D. Ant. Talon ; l'Andalous ,
chambequin de 30, D. Magdorel ; St-Gilles , paque .
bot de 16 , D. Juan Aguirre ; Cornouailles , lougre ,
D. Ant. Vatezabel.
Les vailleaux de commerce & de tranfport font au
nombre de 83 fur lefquels on a embarqué les régimens
fuivans. Du Roi , de la Couronne , de Soria ,
de Guadalaxara , d'Hibernia, d'Arragon , de Flandres ;
formant 14 bataillons de 8 Compagnies de fufiliers
, de 80 hommes chacune , & d'une Compagnie
de grenadiers ; il faut y ajouter le deuxième régiment
de Catalogne , formant 2 bataillons de 8 Compagnies
de fufiliers & de 100 grenadiers ; en tout
11,460 hommes , y compris une Compagnie de
100 artilleurs.
On n'eft pas fans inquiétude fur le vaiffeau
de ligne le St- Laurent , que l'on fait
avoir débouqué le 16 pour venir ici , & qui
n'a pas encore paru . Le tems n'a pas été
affez mauvais pour le forcer de gagner le
large.
Nous avons appris ce matin que 2 vaiſ
feaux de ligne Anglois & 2 frégates , qui
étoient mouillés à Gibraltar , en appareillé--
rent hier ; D. Barcelo mit fur le champ à
( 112 )
leur pourfuite 3 vaiffeaux de ligne. Les f
gnaux de la côte ont donné plufieurs avis
aujourd'hui : nous faurons ce foir ce qu'ils
ont annoncé , & fi la divifion de Barcelo a
pu joindre les ennemis.
La dernière Gazette de Madrid contient un fup
plément très - étendu , offrant le détail des opérations
exécutées contre les Anglois fur la côte de
Campêche depuis le 2 Août jufqu'au 5 Novembre
de l'année dernière , & la relation de la prife
& de la reprise d'Omoa. Les ennemis ont été entièrement
chaffés de la Province de Campêche , où
tous les établiſſemens qu'ils avoient ont été dé
truits. On a fait un grand nombre de prifonniers ,
& enlevé 307 esclaves .
1
Les Anglois avec un vaiffeau de so canons
deux frégates de 36 & une goélette de 18 , mouillèrent
le 23 Septembre à Golfo-Dulce , près du
fort St-Philippe de Caftille ; leurs chaloupes allè
rent reconnoître les magafins placés fur les bords,
de la rivière , où l'on dépofe ordinairement les
effets du commerce d'Europe ; mais ils n'y trouvèrent
rien. Le Gouverneur de Guatimala avoit ,
dès la déclaration de guerre , fait transporter toutes
les marchandifes dans l'intérieur du pays ; elles
valoient un million & demi de piaftres . Les deux
frégates du commerce de Cadix s'étoient réfugiées
à Omoa. On ne put avertir le Commandant de
ce fort de fe tenir fur fes gardes ; la mer n'était
pas libre , & le chemin par terre impraticable à
caufe des montagnes inacceffibles qui s'élèvent entre
St- Philippe de Caftille & Omoa. Le Gouverneur
de la Province , mettant à profit le peu de refources
qu'il pouvoit retirer d'une Province ruinée par
les tremblemens de terre qui avoient détruit fa
capitale , qui , depuis peu d'années avoit été le
théâtre des calamités les plus affreuſes , prit les
( 113 )
mefures de manière à être en état de repouffer
l'ennemi , ou du moins de lui fermer l'entrée de
l'intérieur du pays , s'il réuffiffoit à s'établir dans
quelques ports le long de la côte. C'étoit l'unique
parti qu'il avoit à prendre dans les circonstances
où il fe trouvoit , parce qu'en renforçant la garnifon
du château de St-Fernand d'Omoa , il n'auroit
fait que facrifier la meilleure partie des troupes
de la Province dans un lieu où l'air eft mortel ,
& fe priver des troupes qui lui reftoient pour em
pêcher les ennemis de pénétrer plus loin , à l'aide
des fauvages Mofquites & Zambos . En gardant
les défilés & les fentiers inacceffibles qui féparent
les côtes & l'intérieur du pays , il étoit impoffible
à une armée ennemie , quelle que fût fa force ,
d'en tenter la conquête. La prife d'Omoa ne devoit
pas inquiéter , parce que les Anglois ne pouvoient
le garder faute de moyens de fe fournir
des vivres que par mer , & qu'ils auroient fini par
l'évacuer , forcés par les maladies & la difette.
Ils s'en emparèrent en effet , mais ils ne le du
rent qu'à la défertion des Nègres , qui , entendant
crier aux armes , au lieu de venir repouffer
P'ennemi , forcèrent les portes du château , & s'échappèrent
en laillant feuls les Officiers & Soldats
Efpagnols . Les Anglois ne firent de prife impor
tante que celle des deux vaiffeaux de Cadix ; elle
l'étoit moins qu'ils ne l'ont publié ; s'ils conte
noient encore quelques effets précieux , ils n'y
étoient restés que par la défobéiffance des Capitaines
, qui , n'écoutant que leur intérêt , n'exécutèrent
pas l'ordre pofitif qui leur avoit été donné
de laiffer leur cargaifon à St- Philippe. Le Préfident
de Guatimala ne tarda pas à accourir auffi-tôt qu'il
eut reçu la nouvelle de la prife d'Omoa. Il s'y
rendit par un chemin de 80 lieues & très-difficile ,
avec 54 hommes d'un bataillon d'Infanterie , 99
Dragons , 318 Miliciens , 80 exilés du Préfide de
( 114 )
la capitale , & 60 Nègres efclaves . Les Anglois
finirent par évacuer le fort & fe retirèrent avec leurs
vaiffeaux par la mer qui étoit libre.
Le décret fuivant de S. M. donné au Pardo
, les de ce mois , eft trop intéreffant pour
que nous ne le tranfcrivions pas tout entier.
" J'ai toujours defiré de foulager mes chers
peuples , & pour les rendre heureux j'ai profité
de tous les moyens qui m'ont été propofés & qui
ſe font préſentés ; aujourd'hui que l'heureuſe naiffance
de l'Infant m'eft une nouvelle preuve de la
protection vifible que le Tout- Puiffant accorde à
ma Perfonne , à ma Famille & à tous ces Royau.
mes ; ma volonté royale feroit de donner du foulagement
à mes fidèles fujets par la diminution
& même par l'affranchiffement de leurs charges ,
fi la guerre avec la Grande-Bretagne ne m'occafionnoit
des dépenfes qui me forcent de faire ufage
de toutes les reffources que l'amour éprouvé de
mes fujets peut offrir & fournir pour leur propre
défenfe & pour le foutien de l'honneur & des
droits de cette Monarchie. Nonobftant une pofition
aufli épineufe , j'ai confidéré que les befoins
& les calamités de la guerre , devant tôt ou tard
avoir un terme , ce feroit une chofe très - convenable
& digne de ma prévoyance paternelle, que de me procurer
d'avance tous les renfeignemens , examens &
connoiffances qui tendent à fecourir mes peuples ,
& à les foulager de leurs peines paffées , fans aucune
perte de tems dès que l'heureux_moment de
la paix fe manifeftera. Pour cet effet , j'ai réfolu
que dans chaque capitale de Province de
ces Royaumes vous formiez une affemblée compo
fée de l'Intendant & Contador , d'un Régidor ou
Officier de la Maifon de Ville que celle ci nommera
, d'un Particulier zélé & intelligent choifi
parmi le Peuple & nommé par la Société écono(
115 )
S
mique où il s'en trouvera , & à fon défaut , par
le Corregidor , & de l'Adminiftrateur - Général des
revenus ; lefquels convoqués pour être entendus
quand il fera jugé à propos par le Procureur-
Syndic & le Procureur fondé , s'atfembleront une
fois au moins chaque femaine , & examineront
mûrement & à fond fi , d'après la population , les
productions , le commetce & l'induftrie des Peuples
de la Province , leur progrès , leur accroiffement
ou leur déclin , & l'état & la forme de
leurs contributicns , il convient de faire pour le
préfent dans lefdites contributions quelque variation
, fubrogation ou diminution particulière , ſoit
dans la fubftance ou dans la forme , ayant pour
objet de combiner autant qu'il eft poffible le foulagement
de mes Sujets de ces Provinces , relativement
aux circonftances où ils fe trouvent , avec
les obligations de la Couronne & le paiement de
fes dettes & engagemens , fans préjudice de ce
qu'en fuivant la règle générale il me fera propofé
dans fon tems par mon Confeil des Finances &
la Chambre de l'unique contribution . Ils examineront
auffi féparément les moyens qu'il y auroit pour
former deux fonds de fecours , l'un pour encourager
& étendre l'agriculture & pour foutenir les
Laboureurs malheureux ; & l'autre pour le même
objet par rapport aux Arts & aux Fabriques
c'est-à dire , pour augmenter leur nombre & faciliter
leur perfection & leur débit par le moyen
du commerce , propofant les idées , les refources
& les règles de toute efpèce qui s'offriront à eux
pour cet objet , & qu'ils feront paffer fucceffivement
par vos mains fans attendre la conclufion des
trois points dont il s'agit , d'autant qu'ils feront
tenus d'envoyer féparément leurs avis motivés
tout au long fur chacun de ces points , dès qu'ils
feront en état. De cette manière on examinera
( 116 )
auffi fucceffivement les expédiens de cette nature
dans l'affemblée d'Etat , & vous me rendrez compte
de ces avis au fujet de ces expédiens , pour que
je prenne la réfolution qui convient. C'est ce que
je vous fais connoître pour que vous le mettiez
à exécution ; & vous expédierez les ordres néceffaires
à cette fin.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 6 Mai.
Les dernières nouvelles de l'Amérique
font attendre avec impatience celles qui
doivent les fuivre ; en attendant qu'elles arrivent
nous placerons ici l'apperçu polititique
fuivant , qui donnera une idée de
l'impreffion qu'elles ont faites & de l'état
d'anxiété de la Nation au- dedans & au - dehors
.
La dernière Gazette de la Cour , en confirmant
prefque toutes nos prédictions , a laillé une grandeincertitude
dans les efprits relativement à l'état de
nos flottes & de nos armées à New Yorck & dans
la Caroline , à leurs mouvemens d'une place à l'au
tre , & à toutes les circonftances de cette expédition.
Le filence abfolu de l'Amiral Arbuthnot , & la re
lation incomplette du Général Clinton , ont donné
beaucoup d'inquiétudes , & même de vives alarmes
fur les conféquences des opérations déja entamées ,
& de celles qui doivent les fuivre. Dans une telle
entreprife , tout paroît affreux , jufqu'au fuccès
même. En effet , quelle conquête que celle d'une
Place qui de toutes parts fumera du fang Britannique
répandu au - dedans comme au- dehors de fes
remparts ! Quel triomphe que celui qui ne fera
peut - être célèbre que par la deftruction d'une grande
ville , & le ravage de tout le pays des environs !
UA
( 117 )
1
er
-
D'un autre côté , un échec pourroit avoir des fuites
fi funettes , qu'il feroit trop cruel d'anticiper l'horreur
d'un pareil tableau .
·
Qui fait fi au moment où le Général Clinton
prendra d'affaut Charles Town , le Général Vashington
ne fera pas fubir le même fort à New-
Yorck ? Il femble que tout doive l'encourager à.
tenter cette entreprife , d'autant plus qu'il a un grand
nombre d'amis dans la ville . En ce cas , deux grandes
cités nageront en même- tems dans le fang Anglois
werfé par des mains Angloifes . Encore une fois, tirons
le rideau fur cette scène déchirante , & cherchons
s'il eft poffible , à repofer nos yeux fur des objets
moins repouffans .
•
Dans les Illes de l'Amérique , nos affaires préfentent
, jufqu'ici , une perfpective agréable . La
fcène doit être encore plus brillante depuis l'arrivée
de Rodney , qui ne peut manquer d'être réuni actuellement
à Parker , & dont nous attendons des nou
velles d'un jour à l'autre.
Quant à l'intérieur , il n'y a pas trop ༣ nous applaudir
de notre activité ; il ne paroît pas même
que nous ayons fait de grands préparatifs pour
porter un coup décifif à cette maffe d'ennemis confédérés
contre nous . Ce qu'il y a de sûr , c'eſt qu'il
s'en faut de beaucoup que nos côtes foient bien gar.
dées contre les Flibuftiers qui viennent enlever les
bâtimens de notre commerce intérieur , & jufqu'à
nos transports prefque fous les yeux de la marine
Britannique.
Toute l'attention des Miniftres a été dirigée fur
la campagne Parlementaire , qui tire actuellement
à fa fin , & dans laquelle ils ont eu des fuccès
prodigieux. Le Lord North a bien voulu permettre
aux Patriotes de s'amufer , cux & leurs Adminiftrateurs
, de longues & très - longues harangues , ornées
de toutes les fleurs & de toutes les figures de la
Rhétorique , & il leur a même laiffé le plaifir de
( 118 )
voir décider , à leur avantage , quelques queftions
qui ne rouloient , à la vérité , que fur des objets
de fpéculation. Quant à celles où il s'agiffoit de
réformes effectives , elles ont toutes été rejettées .
En même tems le Miniftre ne s'eſt jamais déſiſté
de fon grand objet . De l'argent ! de l'argent ! de
l'argent ! Il a obtenu toutes les fommes qu'il a
demandées , quelqu'exorbitantes qu'elles fuflent
fans en rabattre un denier , fans redreſſer un feul
des griefs de la Nation , fans même une promeſſe
Ministérielle , & donnée feulement pour la forme ,
de redreffer ces griefs réels , ou imaginaires. Après
cela , doit - on étre furpris de voir ces champions
du peuple difparoître tout - à - coup comme des gens
frappés de la foudre pendant un beau rêve, pour aller,
fuivant l'expreffion de M. Norton ( Orateur de la
Chambre ) , rendre compte à leurs créateurs ( leurs
commettans ) des lauriers dont ils fe font couverts .
Dans ce champ d'horreurs , où , s'il faut les en croire ,
on les a vus arracher les richcffes publiques des mains
toujours prêtes à l'envahir , faire trembler les Miniftres
, anéantir le Cabinet , & pren die la fuite au mo❤
ment de la victoire.
Eft -il une fituation plus affreufe que celle du
peuple de la Grande - Bretagne ! exposé d'un côté aux
piéges des Miniftres , & de l'autre à la trahison de fes
prétendus amis , qui l'abandonnent dans le moment
de crife. Il eft tems qu'il n'ait plus d'autre ami que
lui -même , s'il veut prévenir la ruine. Ce confeil ne
doit point être regardé comme le fignal de la fédition
& de la révolte. L'objet eft honnête & légitime :
pourquoi les moyens ne le feroient - il pas ? C'eſt aux
loix , c'eft à la conftitution même à nous fournir
les armes refpectables qui nous rétabliront dans
l'exercice de nos droits fans expofer , ni nous , ni
notre patrie.
Les fidèles Economes qui , en fix ans , ont volé
plus de 60 millions fterl, de l'argent national , in(
119 )
1
01
$
dépendamment des fubfides ordinaires de chaque
année , fans qu'il leur ait été produit un compte
net d'un feul million , ne tarderont pas à prier leurs
pauvres maîtres de les garder à leurs fervices , en
la même qualité , pendant fept ans encore ; vraifemblablement
dans l'intention de donner tout ce
qui refte d'argent , ou du moins le double de la
fomme qu'ils ont octroyée , en fuppofant qu'il y
ait allez d'efpèces en Angleterre pour cela. Mais
les peuples auroient- ils la patience de fouffrir une
pareille vexation pendant une autre période de fept
années ? Dans ce cas , laiffons leurs têtes ferviles
plier fous le poids de toutes les taxes dont un Miniftre
, avide & diffipateur , peut prendre plaifir à
les charger. Mais efpérons du moins que nos enfans
& leur poftérité feront en état de rejetter loin
d'eux ce fardeau aviliflant , & que , foulant aux
pieds leurs impitoyables taxateurs , ils en feront
un exemple terrible , & fans doute falutaire pour
toutes les générations à venir.
Quant à nos alliés , les chofes font toujours fur
le même pied , nous n'en avons aucuns en Europe ,
ni nulle part ailleurs , mais en revanche nous y
avons une foule d'ennemis qui fe multiplient fans
ceffe , & pour comble de mal , les plus cruels de
ces ennemis font parmi nous «.
La réponſe faite à la déclaration de la
Ruffie a été expédiée le 13 du mois dernier
, par un exprès , au Chevalier Harris ,
Envoyé extraordinaire du Roi à Pétersbourg
: elle eft conçue ainfi.
» Pendant tout le cours de la guerre dans laquelle
le Roi de la Grande-Bretagne fe trouve engagé par
l'aggreffion de la France & de l'Efagne , il a manifefté
les fentiment de juftice , d'équité & de modération
qui gouvernent toutes les démarches. Sa Majeſté a
réglé fa conduite envers les Puiffances amies & neutres
d'après la leur à fon égard , la conformant aux prin(
120 )
cipes les plus clairs , & le plus généralement reconnus
du droit des gens , qui eft la feule Loi entre les
Nations qui n'ont point de traité , & à la teneur de
fes différens engagemens avec d'autres Puiflances ,
lefquels engagemens ont varié cette Loi primitive ,
par des ftipulations mutuelles , & l'ont variée de
beaucoup de manières différentes , felon la volonté
& la convenance des parties contractantes «<.
» Fortement attaché à S. M. l'Impératrice de toutes
les Ruffies par les liens d'une amitié réciproque , &
d'un intérêt commun , le Roi , dès le commencement
de ces troubles , donna les ordres les plus précis ,
de refpecter le Pavillon de S. M. Impériale , & le
commerce de ſes ſujets felon le droit des gens & la
teneur des engagemens qu'il a contractés dans fon
traité de commerce avec Elle , & qu'il remplira avec
l'exactitude la plus fcrupuleufe. Les ordres à ce fujet
ont été renouvellés , & on veillera ftrictement à
l'exécution . I eft à préfumer qu'ils empêcheront
toute irrégularité ; mais s'il arrivoit qu'il y eût la
moindre violation de ces ordres réitérés , les Tribunaux
d'Amirauté qui dans ce pays -ci , comme dans
rous les autres , font établis pour connoître de pareilles
matières , & qui dans tous les cas , jugent
uniquement par le droit général des Nations , & par
les ftipulations particulières des différens traités ,
redrefferoient les torts d'une manière fi équitable ,
que S. M. I feroit entièrement fatisfaite de leurs
décifions , & y reconnoîtroit cet efprit de juftice qui
l'anime elle même «.
On ne doute pas que les ordres les plus
précis ne foient donnés pour traiter les vaiffeaux
Ruffes avec plus de ménagemens que
l'on ne traite les Hollandois ; nos corfaires
ont déja faifi & conduit dans nos Ports plufeurs
de ces derniers , où ils font déclarés
de bonne prife ; il eft à craindre que cette
violation
( 121 )
5
es
C
violation manifefte de nos traités n'ait des
fuites fâcheufes , & n'accélère l'alliance des
Puiflances neutres ; alors il fera difficile de
manquer à l'une fans fe les attirer toutes
fur les bras , d'autant mieux qu'elles feront
immanquablement un traité défenſif , &
qu'elles ne tarderont pas à nous le communiquer
auffi - tôt qu'il aura été figné. Cette
circonftance rend notre pofition plus embarraffante
; & foit que nous jettions les yeux
au dehors ou que nous les portions audedans
, il femble que les étrangers comme
les nationaux fe font donnés le mot pour
réclamer à la fois les droits ufurpés par le
Ministère ; l'Europe entière nous redemande
les mers , l'Irlande fa liberté , & la Nation
fes priviléges ; de forte que nous sommes
affaillis de toutes parts & que la conftitution
même eft menacée d'une révolution.
On a fait à l'occafion des derniers débats
du Parlement , une remarque fingulière ;
lorfque l'on recueillit les voix dans la Chambre
haute , fur le bill des Traitans , 39 Pairs
furent pour le bill ; parmi ceux qui le rejettèrent
, au nombre de 38 , il y en avoit 26
qui ont des places ou des penfions . Ce furent
tous les Pairs d'Ecoffe , qui étoient au
nombre de 11 , & 11 Prélats qui donnèrent
la majorité au Ministère. On a fait la même
remarque fur le partage des voix dans la
Chambre des Communes le 6 Avril , le
nombre des Membres de cette Chambre
eft de 558 ; il y en avoit r08 abfens ou dont
20 Mai 1780.
f
( 122 )
"
les places étoient vacantes . La majorité pour
la motion de M. Dunning fut composée alors
de 49 repréſentans des Comtés d'Angleterre,
de 13 pour le pays de Galles , de 6 pour les
bourgs de Cornouailles , de 3 pour les cinq
Ports & de 5 pour l'Ecoffe . Le parti minitériel
ne fut formé ce jour là que par 8 repréfentans
des Comtés Anglois , 9 pour le pays
de Galles , 27 pour le bourg de Cornouailles,
13 pour les cinq Ports & 8 pour l'Ecoffe. Ce
tableau de comparaifon , difent nos papiers ,
prouve la néceflité d'un changement dans le
corps repréfentatif de la Nation , fuivant le
plan adopté par les aſſociations .
Lorfque l'on difcuta le 2 5 dans la Chambre
Haute l'affaire de l'état de défenſe où étoit
Plimouth lorfque les flottes combinées de
-France & d'Espagne le préfentèrent devant
ce port , le Duc de Richmond dit qu'il avoit
été informé par le Général Lindſey que pour
178 canons dont la citadelle étoit garnie &
- dont le fervice exigeoit au moins 1050 hommes
, il n'y avoit que 35 canoniers ; que dans
tout le port il ne fe trouvoit pas plus de so
matelots . Sa motion finit par être rejettée à la
pluralité de 92 voix dont 22 par procuration ,
contre 51 dont 7 par procuration auffi .
43 » Dans la féance de la Chambre des Communes ,
du premier de ce mois , M. David Hartley fe leva
pour faire connoître la fubftance des motions qu'il
avoit deffein de préfenter le vendredis , concernant
l'état préfent de la guerre. Dans fon difcours , il
propofa que la Chambre fe fit apporter un exemplaire
du Mémoire François , intitulé : Obfervations
( 123 )
DOL
lor
DAY
les,
C:
ers,
ן ע
&
10
fur le Mémoire juftificatif du Roi de la Grande-
Bretagne , vu qu'il contient plufieurs points concernant
la France , Efpagne & l'Amérique , fur
lefquels il feroit très - néceffaire de prendre des
informations. Il lut enfuite les trois motions fuivantes
, dont la première , qui vient du Comté
d'York , doit être faite conjointement par M.
Hartley , & fon ami le Chevalier George Saville.
M. Hartley lut alors fes motions , à - peu - près dans
les termes fuivans .
1º. La Chambre eſtime que la continuation d'une
guerre offenfive dans l'Amérique Septentrionale , eft
très-évidemment un fyfteme qui , en employ ant nos
grandes & énormément difpendieufes opérations
militaires contre les habitans de ces contrées ',
empêche la Grande - Bretagne de raffembler & de
porter les efforts les plus vigoureux & les plus
foutenus contre la France & 1'Efpagne ; & que ce
fyftême ne produit d'autre effet fur l'Amérique ,
que de faire durer , & par conféquent d'augmenter
l'inimitié qui malheureufement fubfifte depuis fi
long- tems de part & d'autre que loin d'opérer
quelque bien , ce fyftême , en fermant les voies de
réconciliation , menace l'Empire Britannique de fa
deftruction entière .
2°. Qu'il foit préfenté au Roi une Adreffe où
l'on faffe connoître l'objet de la réſolution précédente
, & où S. M. foit fuppliée de concourir à
cette réfolution ; repréfentant en même - tems que
la Chambre croiroit trahir S. M. & fes Conftituans
fi elle ne faifait voir clairement à S. M. que les fautes
paffées étant trop notoires , il n'y a rien moins
qu'un changement total dans fes Confeils qui puitle
prévenir la confommation de la ruine publique ;
mais exprimant d'un autre côté la ferme confiance
où eft la Chambre que moyennant une prompte
& fondamentale réforme dans les Confeils , & une
fage & vigilante adminiftration , elle fera en état
f 2
( 224 )
de maintenir l'honneur & la dignité du Royaumē.
contre toute confédération de la France & de l'E (-
pagne ,
& d'effectuer une réconciliation avec l'Amérique
, à des conditions avantageufes , juftes & honorables.
3°. Qu'il foit permis de paffer un Bill qui auto.
rife S. M. à nommer des Commiffaires revêtus de
pouvoirs fuffifans pour négocier , délibérer & prendre
un parti définitif fur les moyens de rétablir la paix
avec les Provinces de l'Amérique Septentrionale.
Le Général Conway fe leva enfuite pour déclarer
qu'il avoit un Bill à propofer au fujet de la guerre
Américaine , & qu'il le mettroit fous les yeux de
la Chambre les «.
Hier le Général Conway a en effet lu le
projet du bill qu'il vouloit propofer. » 1 °. De
révoquer toutes les loix faites relativement
aux Colonies depuis 1763 , & qu'elles ont
regardées comme injurieuſes. 2 ° . D'autorifer
la Couronne à traiter avec les affemblées
d'Amérique à telles conditions ultérieures
qu'il paroîtra le plus utile & le plus convenable
de leur accorder ". Le Lord Nugent a
appuyé cette motion , & a déclaré que la
paix avec l'Amérique étoit devenue fi indifpenfable
, qu'il falloit abfolument la conclure
, & pour ainfi dire à quelque prix que
ce foit. M. Eden s'étant levé pour demander
qu'on s'occupât préalablement de l'ordre du
jour , cette motion occafionna de longs
débats dans lefquels aucuns des Orateurs n'a
approuvé ni condamné directement la
demande du Général Conway. On alla enfin
aux voix , & il fut décidé à la pluralité de
123 voix contre 81 que la motion du Général
( 125 )
R
-
·
Conway feroit remiſe à un autre jour. La
Chambre fe fépara à minuit , & s'ajourna au 8 .
En attendant qu'on revienne fur ce grand
objet , on lit dans nos papiers les propofitions
fuivantes de pacification générale , qu'on
attribue au Doyen de Glocefter.
» Toutes les Puiffances belligérantes fe repentent
bien fincèrement de l'imprudence avec laquelle elles
fe font engagées dans la guerre ; cette affertion n'a
pas befoin de preuves. Il eft même notoire qu'elles
feroient très-aifes de fe retirer de la plupart des projets
qu'elles ont fi inconfidérément adoptés pourvu
qu'on leuren facilitât les moyens en fauvant ce qu'elles
appellent leur honneur , je veux dire l'honneur. Car
à l'égard du profit ou de l'avantage qui pourroit
réfulter de la guerre, elles font actuellement convain
cues qu'elles fe font trompées ; ainfi des propofitions
pour terminer les différends actuels , peuvent fe concilier
avec ce qu'on appelle honneur. D'après ce principe
, l'Auteur offre humblement les propofitions
fuivantes à tous ceux que la chofe peut intéreffer ,
non pas comme ce qu'il peut recommander de plus
prudent & de meilleur ; mais comme ce qu'il imagine
de plus praticable , de moins répugnant aux préjugés ,
& par conféquent comme ce qui doit être plus probablement
accepté par chacune des parties contef
tantes. Tant qu'elles fe profterneront toutes devant
la gloire Nationale , au lieu de ne chercher que
leurs intérêts véritables & permanents , je n'imagine
pas qu'on puiffe rien propofer de mieux , avec quelqu'apparence
de fuccès . Voici donc les propofitions à
faire aux Anglois , aux Américains , aux François &
aux Espagnols , actuellement en guerre « .
1 °. La Grande- Bretagne gardera Terre - Neuve avec
les côtes déferres de Labrador ainfi que le Canada ,
la Nouvelle-Ecoffe & le pays qui borde la baie de
Fundy , jufqu'à la baie & la rivière de Penobſcot.
f 3
4
( 128 )
+
2. Tout le pays , depuis la rivière Penobſcot ;
jufqu'à la rivière Connecticut , contenant prefqu'en
entier les quatre Provinces populeufes de la Nouvelle-
Angletterre , fera cédé aux Américains . 3 ° . Tout le
pays , depuis le Connecticut juſqu'à la rivière Délaware
, contenant toute la Nouvelle-York , Long-
Inland & les Jerfeys , avec quelques parties de deux
autres Provinces qui rentrent dans ces pays , retournera
à la Grande Bretagne. 4° . Tout le pays depuis
la Délaware jufqu'à la frontière Septentrionale de la
Caroline Méridionale , contenant la plus grande
partie de la Penfylvanie , tout le Maryland , la Virginie
& la Caroline Septentrionale , fera cédé aux
Américains. 5. Tout le pays depuis la frontière Septentrionale
de la Caroline Méridionale , jufqu'à l'extrémité
de la Floride Orientale , contenant toutes
les trois Provinces , fera confervé à la Grande-
Bretagne . 6º. La Floride Occidentale , terre ingrate
& fablonneuſe , ainfi que la Fortereffe de Gibraltar ,
totalement inutile , feront cédées à l'Espagne , pour
fatisfaire le point d'honneur de cette Nation , & les
Efpagnols donneront en échange Porto - Rico , Inle
à laquelle ils ne paroiffent attacher aucune importance
& qui en effet ne leur eft d'aucun ufage , quoique
grande par elle- même , fournie de bons Ports ,
bien fituée & fufceptible d'amélioration entre les
mains des Anglois . 70. Enfin , les Anglois rendront
les conquêtes qu'ils ont faites fur les François dans
l'Inde , & les François rendront aux Anglois celles
qu'ils ont faites dans les Illes d'Amérique.
» Le point d'honneur étant ainfi ménagé de tous
les côtés autant que les circonftances le permettent ,
il ne refte qu'une objection à faire contre ce plan ,
par rapport à la Grande - Bretagne. Mais hélas ! elle
eft d'une nature qui probablement fera manquer tout
le projet. Ce projet ne refpire que le patriotifme , &
eft trop honnête pour être favorifé de bonne foi ,
foit par les fubalternes dans l'adminiftration , foit
( 127 )
par les chefs de l'Oppofition . Nous prétendons à des ;
chofes incompatibles , c'eft ce qui a fait notre malheur
, & ce qui complettera notre ruine , fi nous
perfiftons dans les mêmes idées . Malheureuſement ,
nous ne ceffons de defirer d'être un Peuple de Héros
& en même tems une Nation de Commerçans &
d'Artifans . Nous avons l'ambition d'impofer la Loi
à tout l'Univers , & principalement fur la mer , &
nous voulons que l'Univers nous regarde comme
un Peuple tranquille , & nullement difpofé à infulter
ou à provoquer ; tous les parties de ce Royaume.
participent à cette erreur fatale ; c'est pourquoi ils
font tous étonnés aujourd'hui de voir que les honneurs
de la guerre & les douceurs de la paix , la gloire des
conquêtes & les récompenfes de l'induftrie , la diffipation
d'un Empire vafte difperfé , difficile à manier ,
& l'économie d'un Etat modéré & refferré , ne puiffent
pas marcher enfemble. Il y a long- tems que nous
devrions avoir reconnu combien ces chofes font
incompatibles. Si nous nous étions contentés de la
portion de richeffes & d'honneurs que l'honnêteté ,
l'induftrie , l'adreffe , la candeur & la frugalité Nationales
pouvoient nous procurer , fans porter nos
vues plus loin , nous n'aurions pas à déplorer la
malheureufe fituation où nous nous trouvons . Que
nous reste -t- il donc à faire que de revenir fur nos
pas ? Nous n'avons point d'autre moyen de fortir
d'embarras. Mais hélas ! nous ferons encore bien ,
d'autres épreuves avant d'embraffer le feul parti qui
puiffe nous convenir «.
Ces propofitions , quant aux Américains ,
font ridicules à l'excès, & par conféquent fur
tous les autres points . Les Américains fe foumettroient
plutôt à une guerre de cent ans
qu'à une paix à de pareilles conditions qui
les rendroient le jouet de la G. B. - On trou
yera plus raiſonnable & plus juſte , l'applica
f 4
( 128 )
tion fuivante d'un paffage remarquable du
célèbre Lord Bolingbroke.
» Le point précis où le dérange l'équilibre du
Pouvoir , eft imperceptible comme celui du folftice
dans l'un où l'autre Tropique , au moins pour
un obfervateur trop peu exercé ; & dans ces deux
cas il faut qu'il y ait déjà quelques pas de faits
pour qu'il foit poffible de s'appercevoir du changement
de route. La balance politique diffère des autres
, en ce que celui de fes deux baffins qui eft
vuide , eft celui qui s'abaiffe , au lieu que c'est celui
qui s'élève dans les balances ordinaires , tandis que
le baffin rempli s'abaiffe . Or les peuples placés dans
le baffin que fon vuide porte vers le bas , accoutu
més à fe croire fupérieurs par les richeſſes ou par
la puiffance , ou par le génie , ou par le courage ,
ont de la peine à fe défaire de ces flatteufes préventions
& de la confiance qu'elles donnent. D'un
autre côté , ceux du baffin qui s'élève ne fentent
pas non plus tout- à- coup leur force , & il ſe paſſe
quelque tems avant qu'ils prennent ce ton affuré qui
doit réfulter de l'épreuve de leurs forces . Il arrive
fouvent que les yeux les plus intéreflés à observer les
variations de cette balance , trompés par les mêmes
préventions , voient auffi les chofes autrement qu'elles
ne font réellement . C'eft ce qui fait que telle Nation
continue de craindre une Puiffance qui n'eft plus en
état de lui faire aucun mal , ou que telle autre perfévère
dans fa fécurité fur les progrès d'un ennemi
qui devient de jour en jour plus formidable.
L'Espagne a juftifié la première de ces obfervations
, lorfque fière & pauvre , audacieufe & foible,
elle fe croyoit toujours en état de fe mefurer avec
la France, Celle- ci a juſtifié la feconde obſervation ,
lorfque la triple alliance arrêta le progrès de fes armes
; ce que , par la fuite , des alliances beaucoup
plus confidérables ne purent pas effectuer. Chacune
des autres Puillances de l'Europe a juſtifié à fon
tour la troisième obfervation de ces deux parties.
( 129 )
1
( Bolingbroke. Effaifur l'hiftoire & fur lafituation
de l'Europe ).
La vérité de ces obfervations n'a jamais
été plus fenfible que dans la circonftance
actuelle.
Les Anglois fiers & pauvres , audacieux & foibles
, dit un de nos papiers , fe croient toujours en
état de faire face à la France , à l'Espagne & à
l'Amérique , & peut- être même à tout l'Univers ;
mais ce délire touche à fon terme.
La France , l'Espagne & la Hollande continuent
de craindre une Puiffance qui n'eft plus en état de
leur faire aucun mal , mais c'eſt une crainte qui ne
tardera pas à s'évanouir.
L'équilibre du Pouvoir n'a peut - être jamais
éprouvé une variation auffi fenfible , & dans un fi
court efpace de tems. Si la confiance des François
& des Espagnols avoit augmenté en proportion de
l'accroiffement de leurs forces , & fi le découragement
des Anglois eût diminué en raifon de la réduc
tion de leurs forces , déja la Puiflance de la Grande-
Bretagne n'exifteroit plus.
Vous favez que le Lord Bolingbroke eft l'Ecrivain
le plus éloquent que l'Angleterre ait jamais
produit. On admire fur-tout fes ouvrages politiques
comme fupérieurs à tous ceux de fes compatriotes
fur le même fujet . La vérité frappante de ces obfervations
& la jufteffe de leur application aux tems
actuels , fortifiées encore par le nom & par l'autorité
de ce grand homme , ne peuvent manquer
de faire la plus forte impreffion fur tous les gens
fenfés dans les Nations belligérantes.
Il y a quelques jours que l'Orateur de la
Chambre des Communes a été au moment
de réfigner fa place. Un de nos papiers a faifi
cette occafion pour rapporter les détails fuivans
de l'élection d'un Orateur de la Chamfs
( 130 )
bre des Communes d'Irlande fous le règnet
de Jacques II.
→ On venoit de convoquer un nouveau Parlement ;
après les difcours d'ufage , émanés du Trône , les
Communes eurent ordre d'élire leur Orateur. Il y
avoit deux concurrens pour cette place. Le premier
étoit le Chevalier John David , Procureur - Général
d'Irlande , recommandé par le Roi , & l'autre , le
Chevalier John Everard , oppofé au parti de la
Cour , citoyen vraiment refpectable qui avoit été
Juge du Banc du Roi , & qui , ayant mieux aimé fe
démettre de cet Office que de prêter le ferment
exigé de lui par la Cour , s'étoit cependant retiré
avec une penfion. Mais le parti qui le foutenoit
prétendit qu'avant de procéder à l'élection d'un
Orateur , il falloit préalablement déterminer le
droit d'élection .
Il y eut à ce fujet beaucoup d'altercations , &
même de tumulte. On étoit au plus fort du chamaillis
lorfque le Chevalier Oliver St. John crut
pouvoir appailer les efprits par l'obfervation fuivante.
Les difputes , dit-il , doivent être décidées
par des queftions , & les queftions par des fuffrages.
Il eft d'ufage que le parti qui eft pour l'affi-
» mative forte de la Chambre , & que les Membres
» du parti contraire reftent à leurs places . En conféquence
, que tous ceux qui ont donné leurs
fuffrages au Chevalier John David , me ſuivent
dans le veftibule , & il fut fuivi par la ma-
» jorité «.
כ כ
Ces Membres fortis , ceux qui reftoient dans la
Chambre n'ayant point voulu être comptés , fe
perfuadèrent qu'ils formeroient la majorité des
Membres légaux , qu'ils avoient incontestablement
le droit de procéder à l'élection en l'abfence des
aurres. Un cri unanime ayant nommé Everard
Orateur , ils l'inſtallèrent tumultueufement dans le
fauteuil deftiné à cet Officier . Les amis du Gou(
131 )
vernement étant rentrés dans la Chambre , firent
éclater toute leur indignation d'un pareil outrage ,
& déclarèrent que David avoit été légalement élu.'
Non content des injures , ils mettent en oeuvre la
force pour chaffer l'ufurpateur. On leur oppoſe
une vive réſiſtance , mais enfin le Membre l'emporte
, & David eft inftallé dans le fauteuil fur
les genoux de fon concurrent . Cette fcène de tumulte
& de confufion fe termina par une augmen
tation du nombre des oppofans qui refusèrent conframment
de reconnoître le Chevalier Davis pour
leur Orateur . Pour faire ceifer ce défordre , le
Roi fut obligé de caffer ce Parlement peu de tems
après «.
Les nouvelles d'Irlande ne font pas encore
auth fatisfaifantes qu'on le defireroit ; fi
le 19 du mois dernier le Ministère a eu un'
avantage dans la Chambre des Communes'
de Dublin , il peut n'être pas durable ; il a,
obtenu feulement que quant à préfent on ne
prononceroit rien fur la propofition de faire
déclarer par la Chambre que le Roi , les Pairs
& les Communes d'Irlande conftituent la
feule puiffance en droit de faire des loix
obligatoires pour ce Royaume. Mais il eſt à
préfumer qu'on reviendra fur cette propofition
, le difcours patriotique & vigoureux de
M. Grattam fur ce fujet , a fait beaucoup de
fenfation , la réfolution ne fut pas couchée
fur les regiftres comme ayant été approuvée
par la Chambre en plein ; & les plus zélés
partifans de la Cour, déclarèrent eux- mêmes'
dans la chaleur des débats qu'ils facrifieroient
leurs biens & leurs vies pour foutenir à cet
égard l'indépendance de leur patrie.
f 6
( 132 )
Il a tant été queftion de cet acte , que nous
croyons devoir mettre ici fous les yeux du
public les deux clauſes de la loi de Poyning ,
& le ftatut de la 6e année de Georges I qui
forment les entraves que ce Royaume veut
lever ; cette lecture pourra faire juger jufqu'à
quel point des citoyens nommés fujets
d'un Gouvernement libre , méritoient cette
qualification , & l'état dans lequel reſteroient
les Irlandois , fi la motion de M. Grattam
n'eft pas repriſe dans la feffion actuelle.
Voici le fens que le ftatut de la 4. année de
Philippe & de Marie, chap . 4 , fixe à la loi de Poyning.
» Cet acte de la 10° . année de Henri VII , fera expliqué
& entendu de la manière fuivante , c'est- à- dire ,
qu'aucun Parlement ne fera tenu ou convoqué dans
le Royaume d'Irlande , que le Lieutenant , le Gouverneur
ou Gouverneurs en chef , & le Conſeil d'Ir .
lande n'aient certifié auprès de leurs Majeftés le Roi &
Já Reine , leurs héritiers & fucceffeurs , fous le grand
ſceau du Royaume , les confidérations , caufes & articles
des actes qu'ils jugeront de nature à être paffés
içi par le Parlement , & qu'ils n'aient auffi reçu la
réponſe de LL. MM. fous le grand fceau d'Angleterre;
déclarant leur volonté foit pour que lesdits actes paffent
dans la forme qu'ils auront été envoyés en Angléterre
, foit qu'ils foient changés en totalité ou en
partie « .
Section deuxième. » Après le renvoi desdits actes
& la permiffion & l'autorité de convoquer un Parlement
dans ledit Royaume d'Irlande , accordés fous
le grand fceau d'Angleterre auxdits Lieutenant ou
Gouverneurs en chef du fufdit Royaume , lefdits
Lieutenant , Gouverneur ou Gouverneurs en chef de
ce Royaume , peuvent convoquer & affembler un
Parlement pour paffer les actes , & non d'autres
(
133 >
qui leur auront été ainfi renvoyés fous le grand
fceau d'Angleterre.
Statuts de la 6e année de George ler.
Chap. 5 , Ject. 1ere. » Le Royaume d'Irlande a
été , eft , & doit être de droit fubordonné à la
Couronne Impériale de la Grande - Bretagne , &
dépendant d'icelle , comme y étant inféparablement
uni & annexé : & le Roi , du confentement des
Lords & des Communes de la Grande - Bretagne ,
en Parlement , a le pouvoir de faire des loix d'une
force fuffifante pour obliger le Royaume & les
peuples d'Irlande .
Section 2. » La Chambre
des Lords d'Irlande
n'a ni ne doit avoir , de droit , aucune Jurifdiction
pour s'attribuer , confirmer ou infirmer aucun jugement
ou décret rendu dans aucune Cour dudit
Royaume
, & toutes procédures
de la Chambre
des Lords fur aucun jugement ou décret de cette
eſpèce font nulles «. Abrégé de Bullingbroke.
On pourra juger par l'anecdote fuivante
du difcrédit où font tombés les honneurs de
la Cour..
à
" Lorfque le Capitaine Pierfon , Commandant
du Serapis , fut préfenté au Roi , S. M. lui offrit
de le faire Chevalier. Le Capitaine marqua toute
la reconnoiffance dont il étoit pénétré pour une
preuve auffi fenfible des bontés du Roi , mais il
en refufa l'effet. Le Lord Sandwich l'ayant pris
part lui fit fentir l'efpèce d'indécence d'un pareil
procédé. Il lui annonça en même tems que ,
fi la dépenfe de la cérémonie qui montoit à environ
100 liv. fterl . entroit pour quelque chofe
dans les raisons de , cet étrange refus , S. M. fe
feroit un plaifir de lever cet obftacle en fe chargeant
de payer tous les frais . Cette circonftance
a déterminé le Capitaine Pierfon , qui , à ce prix ,
a bien voulu fe foumettre à l'honneur de la Chevalerie.
C'est peut - être le premier Anglois à qui
( 134 )
f'on ait été obligé de donner de l'argent pour
lui
faire accepter un pareil titre «<
P. S. du 9 Mai. Le paquebot le Mercury , Capitaine
Dillon, arrivé à Falmouth le 6 de ce mois, a apporté
une malle de St Chriftophe , du 5 Avril . Il circule
une lettre de cette malle , qui eft datée de Saint Chriftophe
le 29 Mars , & dont voici le contenu.
3
Il y a environ trois ſemaines ( vers le 6 Mars )
que nous étions ici dans la plus grande joie , comptant
que le Général Vaughan étant arrivé , il alloit
être frappé un grand coup. Deux des Régimens qu'il
a amenés , favoir le 28e. & le 55e . qui étoient en
quartier dans cette Ifle ( Saint- Christophe ) , avoient
l'ordre de s'embarquer , & de le joindre à Antigoa ,
pourpaffer de- là à Sainte Lucie , d'où l'expédition devoit
partir vers la fin de ce mois ; mais une flotte devant
la Martinique ayant été fignalée , l'Amiral Parker
a appareillé auffi -tôt , & s'eft porté vers elle avec
fon efcadre. L'Amiral Rowley en a été fi près pour
découviir fa force , qu'il s'eft vu à la portée du canon
des vaiffeaux à deux ponts. L'ennemi fe trouvoit
avoir 25 vaiffeaux de ligne , tandis que nous n'en
avions que 16. Le 55e. Régiment a été envoyé à
Antigoa , & le 28e . eft revenu dans cette Ifle ( Saint-
Chriftophe ) ; le Général Prefcot étoit le dernier qui
fe fût embarqué avec les deux dernières compagnies
du 28e. La flotte Françoife fe trouvoit alors fi près
de Sainte - Lucie , que le tranfport le Cyclope , fur lequel
étoit le Général Prefcot , a traversé une partie de
la flotte Françoife , qui fit plufieurs faux feux ea
voyant ce bâtiment étranger ; mais il eut le bonheur
de lui échapper. Elle étoit alors à trois lieues de
Sainte- Lucie , où tous nos vaiffeaux de guerre étoient
mouillés , faifant leurs préparatifs pour le défendre «.
» Le Général Prefcot n'a pas eu plutôt mis pied à
terre ici ( Saint- Chriftophe ) , qu'il s'eft occupé de
fortifier tous les poftes intéreffans , & entr'autres la
Soufrière , où il fait travailler 300 Nègres aux batte(
135 )
ries . Il y fait auffi amafler les provifions & muni.
tions néceffaires. Il eft bien réfolu à tenir le plus
long-tems qu'il lui fera poffible , fi les François viennent
attaquer l'Ifle.
>
Extrait de la Gazette générale des Iſles Caraïbes
de la Baffe -Terre , le 28 Mars ( Saint- Chriftophe ).
» Samedi dernier 25 nous avons eu une vive
alarme en voyant arriver la frégate l'Andromède &
le floop le Hornet , avec quatre compagnies du
28e. Régiment , qu'on a jugé à propos de renvoyer
dans cette Ifle ( Saint-Chriftophe ) , fur la connoiffance
qu'on a eue de l'arrivée d'un renfort confidérable
de vaiffeaux & de troupes à la Martinique . Le
refte du Régiment , avec le Général Prescot , eft
arrivé à Sandy-Point , où les autres compagnies ont
eu ordre de fe rendre aujourd'hui .
On parle fi diverſement de la force du renfort
François , tant en vaiffeaux qu'en troupes , qu'on ne
fait fur quoi compter. Nous ofons pourtant croire
que l'Amiral Rodney a la fuperiorité à la mer.
L'Amiral Rodney eft préfentement malade. 11 a
envoyé fes 4 vaiffeaux , & l'Intrépide de 64 canons
à l'Amiral Parker , qui garde le commandement jufqu'à
ce que l'Amiral Rodney foit en état d'agir , & de
forcer l'ennerni à une action , ainſi qu'il a réſolų de
le faire s'il lui eft poffible. "
Le sse . Régiment relève le se. , & un autre à
bord de la flotte : ces derniers ont ordre de venir
droit ici.
Nous attendons d'un moment à l'autre 7 vaiffeaux
de ligne , qui doivent nous amener un gros corps
de troupes. C'eft cet armement qui a été caufe que
l'AmiralRodney eft venu avec fi peu de vaiffeaux .
Deux autres bâtimens font arrivés à Liverpool de
Saint Chriftophe , d'où ils font partis le 10 Avril . On
apprend par eux que le renfort François eft de 16
vaiffeaux de ligne ; qu'il eft arrivé quelques jours
avant l'Amiral Rodney ; que l'arméenavale Françoife
( 136 )
étoit forte de 23 vaiffeaux de ligne , & que les
Anglois n'en avoient que 21 .
DePlimouth le ss Mai. Le Commodore Walfingham
venant de Torbay avec fa flotte , a paffé devant
ce Port le Mercredi 3. Hier 4 , l'Amiral Graves eft
forti avec fon efcadre pour le joindre ; mais le vent
ayant changé , ils ont été obligés de revenir l'un &
l'autre. Walfingham eft retourné à Torbay , &
Graves eft rentré dans le Goulet de Plimouth.
FRANCE
De VERSAILLES , le 16 Mai.
LE 8 de ce mois LL. MM. Monfieur , Madame
, Madame la Comteffe d'Artois , &
Madame Elifabeth , de France , allèrent dîner
à la Muette ; après le dîner le Roi paffa en
revue le Régiment des Gardes-Françoiſes &
celui des Gardes- Suiffes , qui , après avoir
fait l'exercice , défilèrent devant le Roi &
Monfieur , & enfuite devant la Reine , qui
s'étoit aufli rendue à la plaine des Sablons ,
accompagnée des Princeffes.
Le Prince de Montbarrey ayant obtenu de
S. M. C. la Grandeffe d'Eſpagne de la première
claffe , eut l'honneur de faire fes remerciemens
au Roi le 6 de ce mois. Le len
demain le Duc d'Ayen & le Marquis d'Offun
eurent auffi l'honneur de remercier S. M. ,
qui leur a permis de fe décorer de l'Ordre de
la Toifon d'Or , dont le Roi d'Eſpagne les a
honorés .
Le même jour LL. MM. & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Comte de Teffon , Ecuyer ordinaire du Roi ,
( 137 )
avec Demoiſelle d'Agrun. La Comteffe de
Mailly & la Comteffe de la Ferté- Senecterre
furent préſentées à LL. MM . & à la Famille
Royale , la première par la Ducheffe de
Mailly , Dame d'Atours de la Reine , & la
feconde par la Maréchale d'Armentieres .
Hier le Roi a pris le deuil pour la mort de
l'Electrice Douairière de Saxe ; S. M. le portera
21 jours .
De PARIS , le 16 Mai.
L'ESCADRE aux ordres de M. le Chevalier
de Ternay , qui a appareillé de la rade de Breſt
le 2 de ce mois à 5 heures du matin , eſt compofée
des vaiffeaux ſuivans.
Le Duc de Bourgogne , de 80 canons M. le
Chevalier de Ternay , M. le Chevalier de Medine ,
Capitaines de pavillon ; le Neptune & le Conquérant,
de 74 , MM. Deftouches & de la Gaudière ; l'Eveillé ,
la Provence , le Jafon , l'Ardent , de 64 , MM.
de Tilly de Lombar , de la Clochetterie , le Chevalier
de Marigny ; le Fantafque , fervant d'hopital ,
armé en fûte , M. de Vaudoré , Officier auxiliaire.
Les frégates la Surveillante & l'Amazone , de 32
canons , MM. le Chevalier de Villeneuve Cillard &
de la Peyroufe ; le cotter la Guêpe , de 14 , le Chevalier
de Maulevrier.
Les bâtimens de tranfport font au nombre de 23 ,
portant la première divifion de l'armée & des troupes
aux ordres de M. le Comte de Rochambeau , Lieutenant-
Général .
Quartier général. Le Comte de Rochambeau ,
commandant l'armée ; M. de Tartel , Intendant ;
M. de Beville , Maréchal - Général - des- Logis de
l'armée ; le Chevalier de Chaftellux , Maréchal - de-
Camp , Major- Général . Les Aides - de-Camp de M.
de Rochambeau , faifant fonctions de Maréchaux(
138 )
des Logis , font MM. le Comte de Damas , le
Chevalier Lameth , le Comte de Ferfen , Collot ,
Dumas , Cubouchet.
Corps Royal d' Artillerie. MM. Daboville ,
Commandant en chef ; Goulet de la Tour , Commandant
en fecond ; Nadal , Directeur du Port ;
de Lazier , Major des Equipages ; de Chazel , commandant
les Mineurs ; de la Chaize , commandant
les Ouvriers. Un bataillon du régiment d'Auxonne ,
un détachement de Mineurs , un autre d'Ouvriers.
Corps Royal du Génie. MM. Deffaundrouins ,
Commandant ; de Quernet , Lieutenant Colonel.
Régimens. Bourbonnois , M M. le Marquis de
Laval , Colonel ; le Vicomte de Rochambeau ,
Colonel en fecond . Soiffonnois , MM . le Comte
de Félix de S. Meſme , Colonel ; le Vicomte de
Noailles , Colonel en fecond Saintonge , MM. de
Cuftine , Colonel ; de Chalax , Colonel en fecond.
Royal Deux Ponts , MM. le Comte de Deux - Ponts ,
Colonel ; le Chevalier de Deux - Ponts , Colonel en
fecond. 600 hommes de la Légion de Lauzun
MM. le Duc Lauzun , Colonel ; le Baron d'Aroz ,
Colonel en fecond. En tout 5100 hommes , fans
compter les piquets des troupes répandues fur
chaque vaiffeau & montant à plus de 1200
hommes.
>
On a embarqué avec cette divifion un
équipage d'artillerie , de fiége & de campagne.
On va travailler tout de fuite à l'embarquement
de la feconde , commandée par le
Comte de Witgenſtein dont doivent être les
régimens de Neuftrie & d'Anhalt.
»Le vent a changé depuis hier , écrit - on de Breft ,
en date du 5 ; mais l'armée doit être trop au large ,
pour qu'il nuife à la marche , quoique la navigation
du raz foit périlleufe. M. de Ternay a choifi cette
route , & le vent étoit fi favorable , qu'il le palla de
bonne heure le 2 , ce qui lui a abrégé beaucoup de
( 139 )
chemin. Tous les croifeurs qui reviennent d'Oueffant
& du Cap Lézard , n'ont point rencontré de bâtimens
ennemis , ce qui avoit raffuré fur les avis qu'il
auroient pu recevoir de la fortie de l'efcadre. Dans
le Port on avoit pris la précaution d'arrêter tous les
navires qui auroient pu mettre à la voile en mêmetems
que la flotte ; ils n'ont pu fortir que 24 heures
après fon départ . Un Hollandois feul appareilla de
grand matin , & fembloit vouloir précéder le convoi.
M. de Ternay lui fit tirer un coup de canon à
poudre , il n'en tint point de compte . On lui tira un
fecond coup à boulet , qui l'atteignit , & on fit fignal
en même tems à la batterie du Mengaud de l'arrêter
au paflage du Goulet ; alors il vira de bord & vint
mouiller à fa première place .
» La Bellonne qui a fuivi le convoi , dit une autre
lettre du 8 , eft rentrée hier au foir à 10 heures . Elle
a laiffé la flotte à 5 5 licues dans l'O- S- Q. de Belle- Ifle,
faifant route audit air de vent avec des vents du
Nord , toutes voiles dehors. Il y a à parier que depuis
hier , elle a doublé le Cap Ortegal «.
Le Roi ayant donné le commandement du
Royal- Louis à M. de Breugnon , ce Chef- d'Efcadre
& M. de Bougainville , commandant le
Languedoc , prirent le 7 congé de S. M. pour
retourner à Breft. Le Terrible qu'on arme à
Toulon ayant été donné à M. de Beauffet, il y
a apparence que ce Chef- d'Efcadre attendra
à Cadix les vaiffeaux de la Méditerranée , &
qu'à fon arrivée il quittera avec fon Etat-
Major le vaiffeau le Glorieux qu'il a monté
jufqu'ici .
و د
Depuis deux ou trois jours , écrit-on de Cher
bourg , en date du 6 de ce mois , une flottille ennemie
eft dans nos parages ; elle s'approche quelquefois
du port ; mais un boulet de nos batteries
la fait bien-tôt reculer. Les bâtimens du Havre que
( 140 )
nous avons recelés nous attirent fans doute cette
vifite ; il fera difficile aux ennemis de tenter avec
fuccès quelques entreprifes fur ce port ; nos canonnières
nous raffurent encore fur l'effet de leurs
bombes , s'il eft vrai qu'ils fe propofent de nous
en jetter , car il n'eft pas fûr qu'ils aient des galiottes
à bombes «<.
La mort du brave Royer eft une véritable
perte ; tels font les détails qu'on en donne
dans une lettre de Dunkerque.
» Le 27 Avril dernier , le Capitaine Royer , commandant
de frégates armées en courſe , après avoir
combattu avec avantage , une frégate de 36 canons ,
qui efcortoit une flotte de navires Anglois , s'étoit
emparé d'un de ces navires nommé le Caftor ; les
autres fe difperfèrent & fe fauvèrent à la faveur de
la nuit ; le 30 fuivant , il eut connoiffance d'une
autre flotte à la hauteur du Cap Flamborough; au
moment qu'il fe difpofoit à lui donner chaffe , il vit
arriver fur lui 4 frégates Angloifes de 36 à 30 canons .
Il en avoit à les ordres 3 de 28 , avec lesquelles il·
n'héfita point de livrer combat. Ayant attaqué luimême
celle des ennemis , qui étoit la plus avancée ,
il lui fit effuyer à la demi-portée du canon , un feu
fi vifqu'elle étoit en déroute & fur le point d'amener ,
lorfque les trois autres arrivèrent pour la fecourir.
Le Rohan Soubife que montoit le Capitaine Royer ,
reçut alors toutes leurs bordées , & y ripofta avec la
plus grande audace , fecondé par les frégates le Robecq
& le Calonne. Après une heure & demie de combat ,
foutenu avec un acharnement dont il y a peu d'exemple,
entre ces trois frégates & les quatre frégates
ennemies , fupérieures en force , le Capitaine Royer
eut le malheur de recevoir un coup de pierrier qui
fui fracaffa la cuiffe , & le força de laiffer le commandement
à fon Capitaine en fecond , qui continua
le combat jufqu'à ce que les ennemis furent
forcés de l'abandonner . Leur retraite ne permet pas
de douter qu'ils n'ayent été très-maltraités . Il y a cu
( 141 )
&
hommes tués , entr'autres M. de Lauture , Lieute .
nant , commandant le détachement du régiment de
Rouergue , qui étoit à bord du Rohan- Soubife ,
une vingtaine de bleffés . Le Capitaine Royer eft mort
de fa bleffure , le fur- lendemain. Son corps a été
rapporté à Dunkerque , où les trois frégates font
rentrées , après avoir fait depuis le combat trois
prifes peu confidérables ; toute la ville a été confternée
de la perte de ce brave homme , à qui l'on
a rendu les honneurs funèbres les plus diftingués.
Le Roi a bien voulu accorder une penfion à ſa
veuve «<,
On vient d'apprendre que l'Empereur de
la Chine , Cam - hi , eft mort ; ce Prince qui
protégeoit les artiftes & les favans Européens ,
étoit favant lui-même & fort bon Poète. Il
avoit été vifiter les provinces éloignées de
fon Royaume ; & on dit qu'il eft mort de
chagrin en voyant fes villes mal fortifiées ,
mal approvifionnées & fon peuple malheureux
; cette extrême fenfibilité eft refpectable
fans doute ; il eft fâcheux qu'il y ait fuccom
bé. Un Prince ferme gémit des défaftres
publics , ne meurt point & les répare . Comme
il eft mort loin de fa capitale , on craint que
fon fucceffeur qui eft un de fes plus jeunes
fils , n'arrive pas affez à tems à Pékin pour
empêcher fes frères d'exciter des troubles
dans l'Empire.
» Le 2 de ce mois , à 3 heures 20 minutes du
matin , écrit - on de la Rochelle , nous avons effuyé
ici une fecouffe affez forte de tremblement de
terre ; elle n'a duré qu'environ une demi-minute ,
mettant les maifons , leurs vitres & leurs meubles
dans une commotion fenfible . La fecouffe a été
précédée & accompagnée d'un bruit fouterrain af
fez femblable à celui d'un orage. Sa direction pa(
142 )
roiffoit être du midi au nord , ou plutôt du fud
oueft au nord- eft . Un vent de fud- oueft très - violent
avoit regné la veille toute la journée , & continué
dans la nuit ; mais il étoit calmé au moment
de la fecouffe , & il n'a pas repris le lendemain
".
Les Receveurs-Généraux des Finances qui
doivent faire le travail des 48 fupprimés
font choifis ; il leur a été donné 6 Adjoints ,
les premiers forment l'ancien Comité.
Ce font MM. Mouchard , ci - devant de la
Généralité de Châlons , de France , de celle
de Soiffons ; Boutin , de Tours ; Baujon , de la
Rochelle ; Harvoin , d'Alençon ; Watelet ,
d'Orléans ; Choart , de Bourges , Richard ,
de Tours ; Delorme , de Soiffons ; Fayard de
Bourdeil , de Grenoble ; Meulan , de Paris ;
& Derbet , de Poitiers . Adjoints MM . Fougeres
, de Befarçon ; Parat de Charlaudray
de Lorraine ; PAmoureux , de Moulins ;
Ourfin de Montchevreil , de Caen ; Charnoi
d'Auch ; & Marquet , de Bordeaux.
On a plaidé ces jours derniers au Châtelet une
Caufe qui intérefle l'état des Juifs. Il s'agit de
favoir fi le divorce eft admis parmi eux. Cette
conteftation eft intéreffante par la nature de la
queflion & par la manière dont les Défenfeurs des
Parties ( les Sieur & Dame Peixotto ) l'ont traitée.
Cette affaire eſt véritablement une cauſe célèbre :
auffi M. Des- Effarts l'a t- il inférée dans le volume
de fon Journal des Caufes célèbres , qui vient de
paroître. On y lit tous les détails de ce procès
fameux avec beaucoup d'intérêt , & il eft peu dé
recueils plus piquans & plus curieux que celui dé
M. Des Effarts (*).
(1) On foufcrit en tout tems pour ce Journal chez M.
( 143 )
De BRUXELLES , le 16 Mai.
La forme de la conftitution de la Hollande
, qui fert d'heureux prétexte à la République
pour traîner en longueur les délibérations
dans les matières politiques , fur lefquelles
fon intérêt eft de ne s'expliquer que
le plus tard poffible , ne paroît pas retarder
beaucoup fes réfolutions lorfqu'il lui importe
de les accélérer . Sa réponſe à la Ruſſie en
offre la preuve ; elle n'avoit reçu la déclaration
de cette Puiffance que le 3 Avril , & le
18 elle a pu lui remettre fa réponſe formelle ,
qui comme on s'y attendoit eft conforme à
l'invitation de l'Impératrice de Ruffie.
Bien des gens penfent que cette neutralité
armée ne fe mettra point réellement en armes
, & que lorfque fon affociation fera bien
confolidée , elle fe convertira en une médiation
qui cherchera à réconcilier les Puiffances
belligérantes , foit par la voie des négociations
amicales , foit par la menace de fe.
déclarer contre celle qui fe montrera trop
récalcitrante à des propofitions raisonnables
d'accommodement.
On mande d'Amſterdam qu'il y eſt arrivé
un vaiffeau de Boſton ; à ſon départ , en date
du er Mars , on n'avoit à Boſton aucune
nouvelle de l'expédition de Clinton ; pour
s'oppofer à celui- ci , le Général Gates avoit
quitté Rhode- Ifland , avec une partie de
l'armée Continentale , & étoit arrivé dans le
Des-Effarts , rue Dauphine à l'Hôtel de Mouy , & chez
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins.
( 44 )
Maryland , en allant à Charles Town. Tout
étoit tranquille à Boſton : le papier monnoie
y gagnoit tous les jours plus de crédit ;
les Armateurs avoient été fingulièrement
heureux , & la terre ayant donné d'excellentes
récoltes en toutes chofes , toutes les
productions & provifions étoient comme
autrefois en abondance & à bon prix.
» Une gazette de la Martinique , en date du 30
Mai , & qu'on vient de recevoir , écrit - on de
Paris , annonce l'arrivée de M. de Guichen avec fes
vaiffeaux de tranfport à la Martinique ; qu'auffi-tôt
le Marquis de Bouillé s'eft embarqué avec des troupes
, & que M. de Guichen va chercher les An.
glois .
>
On y lit encore que M. de la Motte Piquet a eu
connoiffance aux attérages de Saint - Domingue , de
l'efcadre Angloife , compofée du Rubis & du Lion ,
vaiffeaux de ligne , & de 3 vaiffeaux de so canons.
Après avoir fait entrer fon convoi dans lequel
étoient 4 vaiffeaux de Regiftre Espagnols , & un.
chargé de munitions de Porto - Rico pour la Havane
il a marché aux Anglois ; mais les ayant
atteints , il a été pris du calme , & a effuyé un
combat défavantageux de deux jours de durée ,
dans lequel il a été bleffé d'une mitraille morte.
Le Diadême a bien maltraité le vailleau Anglois
qui l'a combattu. M. de la Motte Piquet rentré à
St-Domingue lorfque l'ennemi a pris la fuite , a écrit
que dans quinze jours il feroit en état de fortir , &
qu'on favoit bien qu'il n'aimoit pas à refter en rade.
Dans fon combat , il n'a perdu que 15 hommes «<.
La flotte Espagnole , les vaiffeaux de regiſtre & les
tranfports font partis le 28 avec un très - bon vent qui
s'eft foutenu jufqu'au premier , date des lettres . On
en conclut que le 30 , elle étoit déja avancée au large ;
& fi M. de Ternay doit la joindre , la jonction peut
être faite actuellement ou fur le point de le faire."
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De
CONSTANTINOPLE , le 4 Avril.
LE canon du Serrail nous a annoncé ces
jours derniers l'heureuſe délivrance d'une
des femmes du Grand- Seigneur qui eft accouchée
d'une Princeffe. Ces circonftances
étoient autrefois fort intéreffantes pour ceux
qui faifoient le commerce des diamans. Ils
en fourniffoient ordinairement pour plus de
300,000 piaftres aux Grands qui étoient
obligés de faire des préfens à S. H. & à fa
Favorite & au nouveau- né. Ils n'ont plus cet
avantage , maintenant que la forme de ces
préfens qui ont toujours lieu a changé , &
qu'on les fait en argent.
Dans la nuit du 18 au 19 du mois dernier ,
le feu prit au palais d'Abdoul Rezac , cidevant
Reis- Effendi , ou Miniftre des affaires
étrangères , & à préfent Pacha d'Aidain. Les
flammes firent des progrès fi rapides , qu'en
peu de tems ce magnifique palais fut réduit
en cendres. Le fils d'Abdoul Rezac qui s'y
trouvoit y a malheureuſement perdu la vie
avec 16 perfonnes. Deux autres hôtels ont
27 Mai 1780. g
( 146 )
eu le même fort ; le premier étoit rempli de
meubles précieux & de bijoux dont on n'a
pu rien fauver, & on évalue la perte feule du
Pacha à plus de 200,000 écus au lion.
La pefte s'eft manifeftée de nouveau à
Arnautkeny , village peu éloigné de cette
capitale. C'eſt une famille Grecque qui en a
été attaquée . Une perfonne en eft déja morte,
deux autres font à l'extrémité ; on fe flatte
cependant par les précautions qu'on a priſes
que ce terrible fléau ne s'étendra pas plus
loin.
RUSSIE
De PETERSBOURG , le Is Avril.
Le départ de l'Impératrice eft fixé au 9
Mai , qu'elle fe mettra en route de Czarsko-
Zelo après fon dîner pour aller coucher à
Crafnoe-Zelo. Elle doit arriver le 27 à Mohilow
, où l'Empereur doit arriver le lendemain.
Le Feld- Maréchal Comte de Romanzow
a été nommé pour aller recevoir
S. M. I. fur les frontières.
La fuite de l'Impératrice fera beaucoup
augmentée. C'eft le Prince Potenkin qui eſt
chargé de faire la lifte des perfonnes qui
doivent la compofer. Le Comte Iwan Czernifcheff
, Préſident de l'Amirauté , eft déja
nommé pour accompagner S. M. I. L'Opéra
Italien la fuivra auffi. Il doit fe trouver 350
chevaux de relais à chaque ſtation,
( 147 )
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 25 Avril.
HADGI Abderhaman Aga , Ambaſſadeur
de Tripoli, qui eft ici depuis le mois d'Août , a
eu Samedi dernier fon audience de congé du
Comte Ulrich de Scheffer , & il ſe prépare
à partir dans peu de jours pour Copenhague.
Le Chargé des affaires de la Cour de Danemarck
a fait dernièrement part à notre
Ministère de l'acceffion du Roi fon maître à
l'invitation de l'Impératrice de Ruffie aux
Puiffances neutres , tendant à effectuer de
concert une neutralité armée ; il a invité
S. M. Suédoife à y accéder également. On
ignore encore la réponſe qui lui a été faite
mais on ne doute pas que l'on n'adopte ici le
même ſyſtême. La Cour paroît bien décidée
à foutenir le commerce de fes fujets & l'indépendance
de fon pavillon.
On apprend de Copenhague qu'on s'y
occupe actuellement de l'équipement de
plufieurs vaiffeaux de guerre , entr'autres de
la Princeffe Sophie-Frédérique de 74 canons
& du Danebrog de 60 .
POLOGNE...
De VARSOVIE , le 27 Avril.
LES limites entre la Roffie - Neuve &
l'Ukraine Polonoiſe qui n'avoient pas encore
été réglées vont l'être inceffamment par une
g 2
( 148 )
commiffion nommée par les deux Cours à
cet effet. Les Commiffaires de la part de la
Ruffie font , le Général Major Prince de
Potenkin , & M. de Bulgakow , Conſeiller
de légation.
Tout le prépare pour l'ouverture de la
Diète prochaine ; on fe flatte qu'elle fe tiendra
avec toute la sûreté & la tranquillité défirables
. C'eft fans fondement qu'on a répandu
qu'un nombre confidérable de troupes Pruffiennes
occupoit les environs de cette ville.
Ce qui a donné lieu à ce bruit , c'est peutêtre
le paffage d'un détachement de Huffards
Pruffiens qui ont traversé la Pologne pour ſe
rendre en Wolhynie où ils vont acheter des
chevaux de remonte.
ALLEMAGNE.
De VIENNE le ro Mai.
L'EMPEREUR , parti le 26 du mois dernier
à 8 heures du matin , avoit 3 voitures à fa
fuite : il y avoit ordre de tenir 40 chevaux
prêts à chaque ftation. Ce Prince n'en a fait
afage qu'à la 3. On dit qu'il fera à cheval la
vifite qu'il fe propofe de faire dans ſes nouveaux
Etats de Pologne : fa fuite eft peu nombreuſe.
Il a pris avec lui un grand nombre de
bijoux précieux , & entr'autres unetabatière
qu'on évalue à 60,000 florins , qu'il deſtine
à faire divers préfens fur fa route.
S. M. I. & R. a nommé fon Miniftre à la
Cour de Sardaigne le Comte de Breuner.
( 149 )
Le 30 du mois dernier on effuya pendant
la nuit , ici & dans les environs , un orage
violent , qui défola tous les endroits par
lefquels il avoit pris fa.direction . La grêle
qui tomba pendant cette nuit , & qui refta
quelques heures fur la terre , étoit d'un pied
de haut. Dans le même- tems on reffentit à
Lintz un tremblement de terre qui n'y a
pourtant caufé aucun dommage.
De RATISBONNE , le 8 Mai.
LE Directoire de Mayence ayant refufé
d'accepter le plein pouvoir de M. Fiſcher
en qualité d'Envoyé des Colléges des Comtés
en Weftphalie , celui- ci a préſenté ce pleinpouvoir
au Corps Evangélique , qui l'a fait
inférer dans fes états , & lui en a donné un
reçu en date du 2 Février dernier.
Le Prince de Gallitzin , neveu de l'Ambaffadeur
de Ruffie à Vienne , eft içi depuis
8 jours. Il fe propoſe d'aller paffer 2 ans à
Strasbourg , & de continuer enfuite fes
voyages dans les diverfes parties de l'Europe.
>
» Les funérailles de l'Electrice - Douairière de
Saxe , écrit-on de Drefde , ont été faites le 28 du
mois dernier ; le 2 la Cour s'eft rendue à Pilnitz ;
elle a pris le deuil , qu'elle portera pendant fix
mois. Le revenu de 150 mille écus dont jouiffoit la
Princeſſe défunte , retombe à la Chambre Electorale ,
qui vient de recevoir auffi un accroiffement de revenu
confidérable par l'extinction de la Maiſon des
Princes de Feudi , Comtes de Mansfield. Trois cinquièmes
de ce Comté le trouvent par- là réunis à la
8 3
( 150 )
Saxe , qui aura auffi le fuffrage de ce Comté à la
Diète fur le banc des Comtes de Wétéravie «.
On apprend de Berlin que le 2 de ce mois
às heures du matin , la Princeffe , épouse
du Prince de Pruffe , eft heureuſement accouchée
d'une Princeſſe.
Le trait fuivant paroîtra bien extraordinaire ; il
prouve à quels excès la fuperftition peut porter les
malheureux qu'elle domine , & que fi elle est tourà-
tour ridicule & funefte , elle eft quelquefois l'un
& l'autre en même- tems. Une femme du peuple ,
nourrie de tous ces préjugés abfurdes , que l'on ne
fonge pas affez à détruire , croyoit fincérement que
les Juifs , dans quelques- unes de leurs cérémonies ,
avoient befoin du fang d'un enfant chrétien ; elle
fonda fur cette idée l'efpérance d'une petite fomme ;
elle vola en conféquence un enfant de 9 ans , &
l'amena ici pour le vendre à un Juif. Celui à qui
elle s'adreffa , lui dit qu'il n'étoit pas affez riche
pour faire cette dépenſe , mais qu'il alloit la conduire
à quelqu'un qui lui donneroit la véritable valeur
de fa marchandife ; il la conduifit en effet au
Magiftrat , qui a fait mettre cette malheureuſe en
prifon.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 2 Mai.
On dit que la Cour de Tofcane , voulant
faire tourner à l'avantage de fes Sujets les
inconvéniens que le commerce des François
& des Anglois éprouve dans le Levant, par la
guerre, a formé le projet d'en établir un direct
entre ce Port & Conftantinople ; on fait ici
des voeux pour fon fuccès , mais il s'élève déja
quelques difficultés affez graves pour en faire
douter.
( 151 )
Selon nos lettres d'Otrante , les avis que l'on teçoit
de l'Albanie ne font rien moins que favorables
pour la Potte. Le Bacha de Scutari , qui refufe de
fe foumettre aux ordres du Grand- Seigneur , ainfi
qu'avoir fait feu fon pere Méhémet Balla , a levé.
à fes propres frais un corps de troupes Albanoifes ,
d'environ 20,000 hommes , & l'on craint qu'il ne
s'empare de toute l'Albanie-Supérieure. Ces lettres
ajoutent que Curt Baffa , plufieurs autres Beys , &
tous les Dulcignotes , s'étoient rangés de fon párti
, & qu'on croit que le Grand-Seigneur enverra le
Capitan Bacha pour effayer d'y rétablir la tranquillité.
Un grand nombre de Turcs Albanois font
entrés dans la Morée , où ils ont pillé la ville de
Patras , & traité les habitans Turcs & Grecs fans
diſtinction , de la manière la plus barbare.
ESPAGNE.
De CADIX , le 2 Mai.
L'ESCADRE , aux ordres de D. Solano , eſt
partie le 28 du mois dernier par un vent
favorable , qui s'eft foutenu juſqu'à préfent.
D. Tomafeo a mis à la voile avec lui ; on
ignore s'il le fuivra jufqu'à fa deftination ,
ou s'il ne fera que l'accompagner jufqu'à
une certaine diftance ; les approvifionne
mens qu'il a pris femblent annoncer un
voyage de plus long cours. Le convoi auquel
fe font joints 27 bâtimens , venans de
la Méditerranée , eft compofé de 144 voiles."
Le Roi , pour récompenfer les fervices, de ,
D. Manuel d'Azlor , Lieutenant - Général &
Gouverneur de la place de Girone l'a
nommé Vice- Roi & Capitaine Général de
Navarre.
8 4
( 152 )
On apprend de Madrid que M. Jay , ancien
Préſident du Congrès , y étoit arrivé dès
le 15 du mois dernier ; mais il n'avoit pas
encore déployé fon caractère public en qualité
de Miniftre des Etats-Unis de l'Amérique
Septentrionale.
Suite du règlement concernant la navigation des
vaiffeaux neutres.
22 1. Les vaiffeaux d'un pavillon neutre , faifant:
voile par le Détroit , foit du côté de l'Océan , ou
de celui de la Méditerranée , ne feront point moleftés
ni empêchés dans leur navigation , tant qu'ils
rangeront autant qu'il fera poffible , les côtes de
l'Afrique , en s'éloignant de celles de l'Europe
durant le cours de la traversée , depuis l'entrée juf
qu'à la fortie , pourvu toutes fois que leurs papiers
& cargaifons foient en règle , & qu'ils ne fourniffent
aucun motif légitime de faire naître des
foupçons , foit en voulant s'éloigner on faire réfiftance
, foit par un cours irrégulier ou d'autres
fignes de correfpondance avec la place bloquée ,
ou les navires ennemis. 2 ° . Lorsque les fufdits
bâtimens neutres feront deſtinés avec leurs cargaifons
pour quelques Ports , fitués fur la côte
Efpagnole dans le Détroit , tels que ceux d'Algeziras
ou Tarifa , ils mettront en travers ( a travefante
fobre las gabias ) & attendront l'arrivée
d'un vaiffeau Efpagnol , qui , faifant voile vers eux ,
leur donnera le fignal , en tirant un coup de canon ,
& après avoir reçu leur déclaration , les efcorrera ,
ou leur indiquera , fuivant les circonstances , la
voie qu'ils devront strictement livre pour parvenir
plus promptement , fans aucun danger , & fans
donner matière à aucun foupçon , au lieu de leur
deftination. 3 °. Dans le cas où les vaiffeaux Elpagnols
, croifant dans le Détroit , à l'entrée ou à
la fortie , felon l'exigence du cas & du licu , &
( 153 )
conformément aux ordres dont ils pourroient être
chargés , jugeroient néceffaire de convoyer les
bâtimens neutres qui doivent traverser le Détroit ,
même ceux qui doivent côtoyer l'Afrique , les
navires neutres ne s'oppoferont point à fe foumettre
au convoi , fans s'en éloigner ni fournir
des raifons de foupçon : cependant , comme ils
pourroient arriver en grand nombre à différentes
heures , de manière qu'il pourroit leur devenir
préjudiciable d'attendre le moment d'être convoyés,
& que d'ailleurs il feroit extrêmement embaraf
fant d'escorter chaque navite en particulier , ils
dirigeront leur cours vers la côte d'Afrique & la
fuivront jufqu'à ce que quelqu'un des vaiffeaux
Espagnols , placés ou croifant dans le Détroit , fe
préfente pour les eſcorter hors la vue de la Place
ennemie & de fes avenues ; & à cette fin , les
bâtimens auxquels on aura donné le fignal , s'ar
rêteront & fe conformeront aux difpofitions faites
à leur égard , en produifant fans difficulté ni réfiftance
, leurs papiers , & fe foumettant à tout ce
qui eft prefcrit par les traités & le droit commun
des gens , afin de conftater la propriété des navi.
res , la légitimité de leurs documens , leurs car
gaifons & deftination . 4° . Lorfque des bâtimens ,
fous l'apparence de neutres , fortiront des Ports
fitués fur la côte d'Afrique dans le Détroit , on
les vifitera & on en ufera avec eux fuivant la
nature de leur cargaifon , ou les foupçons qu'ils
auroient pu donner d'avoir voulu faire voile pour
porter des fecours à Gibraltar ; en fuppofant toutes
fis , que les navires fortis des ports fufdits dans
le deffein d'entrer à Gibraltar , aient en effet arboré
le pavillon neutre , & en aient abufé.
. Quand les bâtimens neutres ne fe conforme .
ront pas aux fufdites difpofitions , en totalité ou en
partie , en des cas particuliers , on s'en faifira , &
on les amenera dans les ports où ils feront déclarés
g S
( 154 )
de bonne prife , avec tous leurs effets & cargaifon
, uniquement pour être chargés de vivres , ou
de ces fortes d'effets spécifiés par l'Article XV du
Règlement pour les Armateurs , fans qu'il foit befoin
d'aucune autre preuve judiciaire ; & , au cas
que les Articles fufmentionnés ne le trouvaffent
point à bord de ces navires , on examinera juridiquement
les motifs de la contravention & de l'éloignement
, dont il fera rendu compte à S. M. par
le Secrétaire d'Etat & du Département de la Marine
qui enfuite fera connoître la réfolution
de S. M.
6°. Dans le cas où indépendamment de la contravention
, il feroit prouvé qu'un bâtiment fous pavillon
neutre feroit entré dans la place , ou qu'on
le découvriroit y allant ( ce qui manifeſteroit un
deffein vifible & formel d'y aborder ) fans avoir
mis en travers ni attendu le vaiffeau Espagnol qui
l'auroit fuivi & lui auroit donné le fignal , ou qu'il
fe feroit éloigné de la côte d'Afrique , ou enfin qu'il
fe feroit féparé du convoi , il fera , à tous égards ,
tant en entrant qu'en fortant , traité comme un navire
ennemi , déclaré felon la teneur des loix de la
guerre , de bonne prife , telle que für fa cargaison,
& tout l'équipage fait prifonnier de guerre ; attendu
que dans un cas femblable les pavillons & documens
doivent être fuppofés faux , le navire & la
cargaifon appartenir à l'ennemi , ou que l'un ou l'autre
eft destiné pour fon ſervice.
17°. Les bâtiniens neutres qui vifiteront les vailfeaux
du Roi , ou corfaires , fur d'autres mers ou
côtes de l'Océan & de la Méditerranée , qui n'ont
aucune communication avec le Détroit de Gibraltar
, ne feront point arrêtés ni amenés dans les
ports , finon dans les cas fpécifiés par le règlement
Royal fait le 10 Juillet 1779 , pour les Armateurs ;
aucune vexation ni violence ne ſera exercée contre
les Patrons de ces navires , & il ne leur ſera rien
( 155 )
enlevé , telle modique qu'en pût être la valeur ,fous
la peine ftatuée par le fufdit Règlement , portée
même par l'Article XIX , jufqu'à celle de mort
le tout felon l'exigence des cas «.
La fuite à l'ordinaire prochain.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 14 Mai.
ON attend toujours avec autant d'inquiétude
que d'impatience des nouvelles ulté .
rieures du Général Clinton . Le renfort qu'il
a demandé de New Yorck fait préfumer qu'il
a trouvé la place mieux fortifiée qu'il ne s'y
attendoit ; bien des perfonnes parient ici que
fi elles n'étoit pas priſe à la fin d'Avril , l'armée
aura été obligée de fe retirer , car les
chaleurs & les vapeurs peftiférées commencent
dans cette contrée vers le Avril au
plus tard .
כ כ
gageures que
» Il s'eft fait d'autres Charles-Town
n'étoit pas encore pris le 29 Mars ; & le P. S. de la
lettre du Général les a fait hauffer de 25 pour 100 .
On dit que nos Miniftres auroient tout auffi bien
fait de ne pas laiffer fubfifter ces deux lignes de P. S.
qui n'ont eu d'autre objet que d'annoncer que les
Rebelles venoient de recevoir un renfort de 2000
hommes. Cet aveu , obfervent nos mécontens , étoit
très- inutile ; il n'a pas fait retrouver au Général un
feul cheval des 340 qu'il a perdus dans fa traversée ,
fur le nombre total de 400 ; & il ne fait pas avancer
d'un feul jour l'arrivée des fecours qu'il a demandés
à New-Yorck. Les Miniftres , cependant , affectent
la plus grande fécurité ; ils le font cmpreffés de faire
publier , dans quelques papiers , des nouvelles qu'ils
n'avouent pas. La plus importante affurément , fi el'e
étoit fondée , c'eft que le Général Clinton avoit déjà
g 6
( 156 )
gagné un grand avantage en s'affutant de la prefqu'lfle
& des hauteurs que l'ennemi n'a pas eu l'a-'
dreffe de mettre en état de défenſe ; s'il fallait les en
croire , Charles-Town feroit déja pris ; d'autres avis,
qui ne font pas mieux fondés , ont annoncé la défaite
de nos troupes. Mais ni notre perte , ni notre
triomphe n'ont pris aucun crédit . Les premières nou
velles nous apprendront ce qu'il faut croire ; en attendant
la perplexité continue. Elle eft augmentée ,
par ce que l'on fait du parti qu'ont pris les Américains
de faire une , & même plufieurs Inles de Charles-
Town , par le moyen de plufieurs canaux. Nos
Miniftres prétendent que ce fera un défavantage
pour la garnifon , qui s'eft fermé par-là toutes les
voies de la retraite. Mais on trouve en général qu'on
a tout à craindre d'un ennemi qui brûle ſes vaiffeaux
fur lesquels il eft venu faire une invaſion , ou qui
s'enferme dans une place , en briſant tous les ponts
par lefquels il pourroit en fortir «.
Du côté des Ifles notre fituation n'eft pas
plus avantageuſe , les nouvelles qui font arrivées
dernièrement & que le Miniſtère s'eſt
bien gardé de publier , nous ont ôté toutes
les belles efpérances que nous fondions fur
l'arrivée de l'Amiral Rodney ; ceux qui s'y
livroient oublioient le nombre des vaiffeaux
avec lefquels il eft parti , & ceux que conduifoit
le Comte de Guichen , dont l'apparition
a déconcerté tous nos projets offenfifs
de ces côtés , & nous a réduits à la défenfive.
» Ceux qui fe perfuadent , obfervent quelques
Politiques très inftruits , que M. de la Mothe- Piquet
aura trouvé , dans la ſtation de la Jamaïque , deux
ou trois vaiffeaux de ligne , ignorent qu'il devoit
s'en être détaché deux de l'efcadre des Ifles du Vent
favoir le Sultan , l'Hector & le Phénix , de 40
canons , pour renforcer la ſtation de la Jamaïqué ,
( 157 )
& y convoyer environ 45 bâtimens de la flotte partie
d'Europe avec Rodney. Mais fi cette ſtation eſt un'
peu plus forte, la méfintelligence qui y règne entre
le Commandant des troupes & l'Amiral Peter Parker ,
nous laille toujours de grands fujets d'inquiétude qui
s'augmentent encore par la nouvelle d'une femblable
défunion aux Ifles du Vent , entre l'Amiral Hyde ,
l'Amiral Rowley & le Général Vaughan. On comptoit
que l'Amiral Rodney les réconcilieroit ; mais il
eft resté à la Barbade , tourmenté par la goutte , &
peut être encore plus par l'inquiétude & le chagrin.
On attribue à ce défaut d'harmonie , celui du fuccès
de l'expédition pour laquelle les troupes s'étoient
embarquées , lors de l'arrivée de M. de Guichen,
Les quatre vaiflcaux de Rodney , arrivés le 17 Mars ,
& l'Intrépide , lorsqu'ils auront rejoint les autres à
Sainte- Lucie , porteront à 21 le nombre des vaiffeaux
de ligne Anglois , qui devroit être de 23 , fi l'Hettor
& le Sultan n'avoient point été détachés pour la
Jamaïque. C'eft ce qui fait voir qu'il n'y a point eu
de vaiffeaux dépecés comme on l'avoit dit
quoiqu'il y en ait plufieurs de dépeçables . Le Triomphe
, de 74 , parti de Corke le 21 Mars , en portera
le nombre à 22 ; enfuite on attendra Walfingham «.
On a appris que l'Efcadre de M de Ternay
étoit partie de Breft le 2 de ce mois . L'Amiral
Rodney attendoit à la fin de Mars , aux
Ifles , l'Efcadre de Walfingham , qui devoit
renforcer la fienne ; il feroit bien étenré
d'apprendre qu'elle n'a pas quitté encore
l'Europe. Le 9 un furieux coup de vent a
tellement tourmenté cette Efcadre & celle
de Graves , dans la rade de Torbay & dans
le goulet de Plimouth , qu'il faut à préfent
faire de nouvelles réparations à leurs vaiffeaux
, & qu'on ne fait plus quand ils fe-
୨
( 158 )
ront en état de partir . Ce qu'il y a de sûr
c'eft qu'avant leur départ on peut apprendre
des Ifles des nouvelles qui impoſeront
la néceflité d'y en envoyer un plus grand
nombre.
On dit ici , mais on en doute généralement
, que la flotte d'obſervation le rendra
à la rade de Spithead le 17 de ce mois ; on
la porte à 35 vaiffeaux de ligne , dont 3 du
premier rang , 7 du ſecond , 16 de 74 & 9
de 64 , avec 11 frégates , 4 floops , s cutters ,
4 brûlots & 26 bombardes : elle formera 4
divifions.
Pendant qu'on ne fe laffe pas d'annoncer
que les Américains & les François fois las
de la guerre & difpofés à rompre leur alliance
, que l'Espagne n'eft pas preffée d'y accéder
, que l'on fe fatte de s'accommoder
avec les Colonies , les nouvelles du nouveau
Monde démentent ces bruits ; & on
lit dans le général Advertiſer l'article fuivant
qui peut faire voir le peu de fondement qu'ils
ont à l'égard de l'Europe.
» On a fait l'accueil le plus flatteur à M. Adams
& à fes compagnons de voyage lors de leur paffage
fur les terres d'Efpagne. En voici une relation
fur l'autenticité de laquelle on peut compter.
On y verra la preuve de l'attachement cordial &
fincère de la Cour & de la Nation Eſpagnoles
pour les Etats - Unis .
MM . Adams , Dana & Taxter , mirent à la
voile de Bofton fur la frégate Françoife la Senfible.
Ce bâtiment , feu de tems après fon départ ,
fir une voie d'eau qui mit dans la néceffité de
fervir deux pompes jour & nuit fans aucune in(
159 )
terruption , & les paffagers y travaillèrent chacun
à leur tour , malgré la force de l'équipage compofé
de 350 hommes.
M. de Chavagne , commandant la Senfible , qui
avoit paffé trois mois à Boſton , où il a été parfaitement
bien accueilli , dirigea fa route vers la
première terre. Ayant reconnu le cap Finiftere ,
il entra au Ferrol , où les Américains furent reçus
avec toutes les marques de la plus fincère
amitié par le Comte de Sade , commandant l'efcadre
Françoiſe , alors mouillée dans ce Port. Les
Officiers François & Efpagnols , le Conful & le
Vice-Conful de France , & notamment D. Jofeph
St-Vincent , alors Commandant en chef de la Marine
d'Espagne au Ferrol , leur témoignèrent la
plus grande cordialité . Ils paffèrent quelques jours
dans cette place , où ils virent les chantiers , les
Arfenaux & les fortifications , dont la force & la
magnificence excitèrent leur admiration. S'étant
rendus de cette Ville à la Corogne , ils y furent
traités avec tous les égards imaginables par M.
Laganere , Agent d'Amérique ; M. de Tournelle ,
Conful de France ; tous les Officiers en général ,
& fur-tout par ceux des Régimens Irlandois ; l'Adminiftrateur
des Finances , l'Avocat- Général , le
Régent ou Président de la Grande Audience , le
Gouverneur de la ville de la Corogne , & particul.
èrement par D. Pedro - Martin Cermonio , Vice-
Roi du Royaume de Galice ; ce Grand Officier
( qui en vertu de fa place réunit toute l'autorité
royale , civile , politique & militaire ) accompagné
de fon Lieutenant ou Gouverneur de la ville
de Corogne & de plufieurs autres Officiers , alia
en perfonne rendre vifite à M. Adams dans la
maiſon le lendemain du jour de fon arrivée , &
le prier de demander tout ce dont il pourroit
avoir befoin. Il lui offrit même des voitures avec
des guides au fait des routes & de la manière de
Voyager, & qui encore fauroient parler Anglois.
( 160 )
Il le pria d'accepter une garde de foldats pendant
toute la route fur les terres d'Espagne : M.
Adams s'excufa d'accepter ces offres obligeantes ,
l'Agent Américain ayant amplement pourvu à tous
les befoins de cette efpèce . M. Adams & fes Collègues
répondirent qu'ils étoient bien fürs qu'ils n'avoient
à craindre en Eſpagne aucun ennemi ni aucun
danger. Le Vice- Roi répliqua que dans tous les
cas il feroit aux ordres de M. Adams ; qu'à la vérité
ces offres étoient venues de lui ; mais qu'elles ne
s'accordoient pas moins avec les devoirs de fa
place , qu'avec les fentimens particuliers , & qu'il
avoit reçu du Roi des ordres pofitifs de traiter
tous les Américains qui arriveroient dans fon
Gouvernement comme les meilleurs amis de l'FCpagne.
M. Adams & fes Collègues ont dîné une
fois chez le Vice- Roi . Dans ces différentes visites ,
D. Pedro leur fit avec tous les ménagemens de la
politele , une infinité de queftions fur l'Amérique ,
fur l'union & la difpofition des peuples , fur leurs
fentimens envers l'Angleterre , la France & l'Epagne
, la nature de leurs revenus & la forme de
leurs confédérations & de leurs nouveaux Gouvernemens.
Il en parla lui- même en homme inftruit
& qui avoit beaucoup réfléchi fur cet objet ,
& il parut très - flatté de l'occafion qui fe préfentoit
de traiter à fond cette matiere avec des
particuliers qui la poffédoient aufli parfaitement ,
& qui fe firent un plaifir de lui donner tous les
éclairciffemens qu'il pouvoit defirer . Il montra entr'autres
la plus grande envie de connoître la famille
, l'âge , le caractère & toutes les circonf
tances relatives à M. Jay ( Miniftre Plénipotentiaire
des Etats Unis à la Cour de Madrid ).
M. Adams eft intimément lié avec ce Ministre depuis
l'année 1774 , en conféquence perfonne n'étoit
plus en état que lui de fatisfaire la curiofité
du Vice-Roi. Il entra à ce fujet dans les plus grands
détails en donnant , comme il le deroit , les plus
( 161 )
S
grands éloges aux vertus perfonnelles de M. Jay ,
a l'étendue de fes talens & à toutes les qualités
aqu'il avoit déployées dans les premières places de
l'Etat & du Congrès. Les Américains curent la
fatisfaction d'entendre dire par tout qu'aucun Ambaffadeur
des plus anciennes & des plus refpectables
Puiffances de l'Europe , fans en excepter la
France , n'a pu être traité avec plus de confidération
, d'égard & d'affabilité , & que l'objet d'un
accueil auffi diftingué , étoit de faire éclater aux
yeur de l'Amérique & de tout l'univers la bienveillance
& l'affection de l'Espagne pour les Etats-
Unis. Ils ont pris leur route par Bitanzos , Lugo
Aftorgo , Léon & Burgos. On leur a prodigué
par-tout les mêmes attentions & les mêmes égards ;
ils ont fur-tout infiniment à fe louer des différentes
branches de la maifon Guardegni à Bilbao ,
M. Adams a reçu des Banquiers & d'autres perfonnes
d'Alicante , d'Aftorgo , de Bilbao , de Madrid
, de Bordeaux & de Bayonne , des lettres par
lefquelles on lui offroit toutes les fommes d'argent
dont il pourroit avoir befoin. La tournure
de ces offres ajoutoit encore à leur prix. On lui
mandoit que dans la perfuafion qu'il avoit été
jetté à l'improvifte fur la côte d'Espagne , d'où
il avoit pris la route de terre pour le rendre à
Paris avec une nombreuſe fuite , il pouvoit fe
faire qu'il n'eût pas de fonds avec lui. Mais dans
ce cas même , non-feulement l'Agent d'Amérique
étoit en état de fournir à fes compatriotes tous
les fecours néceffaires , mais qu'il trouveroit encore
fort mauvais qu'ils euffent cette obligation à
d'autres qu'à lui . Les Américains n'en ont pas
moins fenfibles à l'extrême honnêteté de ces offres
qu'ils regardent comme une nouvelle preuve de
l'attention des Efpagnols pour l'honneur des Etats-
Unis , & de l'amitié de cette Nation dont ils confervent
la plus vive & la plus jufte reconnoiffance
".
été
( 162 )
On foupçonne que notre Gouvernement ,
qui fans doute n'a pas aflez d'affaires fur les
bras , eft menacé d'un foulèvement dans
l'Inde , par une refpectueufe pétition envoyée
des pays de Bengale , de Bahar & d'Orixa
, contre le Tribunal fuprême de Judicature
, dont les Provinces veulent faire reftraindre
le pouvoir exorbitant. On n'a point
entendu parler des expéditions qu'on afſuroit
que devoient faire les Amiraux Hugues
& Vernon ; on a appris feulement qu'ils croifoient
dans la mer des Indes avec 8 vaiffeaux
de ligne & 6 frégates ; mais on fait auffi en
revanche qu'une Efcadre Françoiſe s'eſt ſtationnée
à la hauteur du Cap de Bonne Efpérance
, où elle incommode beaucoup notre
navigation. Deux de nos navires , qui revenoient
des Indes , richement chargés , ont
failli à tomber entre fes mains , & ils ne lui
ont échappé qu'en fe réfugiant pendant la
nuit fous le Fort Hollandois , dans la baie
de la Table , devant laquelle l'Eſcadre Françoife
fe préfenta le lendemain.
» Dans une des dernières Séances de la Chambre
des Pairs , il s'éleva une altercation entre les
Lords Shelburne & Stormont , au fujet de préten
dues intelligences avec l'ennemi ; le premier , après
avoir défié le Miniftre de produire des preuves de
fa correfpondance avec les ennemis , au préjudice
de l'Etat , ajouta que , dans un Comté éloigné ,
quelqu'un avoit dit au Duc de Cholmondely, d'après
l'autorité du Gouvernement , que le Duc de Richemont
avoit entretenu une correfpondance dangereuse
avec l'ennemi . » J'ai appris , poursuivit- il ,
» que le Lord Stormont avoir appuyé les faux
( 163
I
» bruits qui avoient couru à Paris , que j'avois parlé
avec mépris de la nation Françoife , & que je
» m'étois même permis des perfonnalités contr'elle
» dans le Parlement Britannique ". Je n'ai pas eu le
» moindre reffentiment contre ce Lord. Je n'en au-
» rai pas davantage actuellement , s'il eft en état de
produire des preuves que j'aie eu des relations &
correfpondances avec les François . Mais je ne
» lui demanderai que ce que je ferois moi - même
» pour lui ou pour tout autre Pair. Dans le cas où
» quelque Pair ( & en parlant de la forte il regar
» doit en face le Lord Mansfield , qui paroiffoit ne
"
ဘ
pas prendre plaifir à fe voir ainfi fixé ) . Dans le
» cas , dis-je , où quelque Pair me demanderoit fi ,
» lorfque j'étois Secrétaire d'Etat , j'ai eu des preu-
» ves qu'il eût entretenu avec des Miniftres étrangers
des relations & une correfpondance préjudiciables
aux intérêts du Royaume , je proteſte à la
Chambre que je fuis prêt à répondre à toutes
les queftions qui me feront faites à ce fujet « .
Lord Mansfield ne témoigna aucune curiofité , &
le Comte de Stormont anéanti par le filence de
fon oncle , ne montra pas une contenance moins
humiliée «.
Le
La féance de la Chambre des Communcs
du 28 Avril a offert des débats intéreffans.
M. Burke avoit propofé de fupprimer les
Offices de Maître de la grande Garde- Robe ,
Maître de la Garde Robe, l'Office des Joyaux ,
&c.
» Le Général Conway lut à cette occafion des
extraits de différens Edits du Roi de France , on
refpirent le patriotisme le plus pur & une affection
paternelle pour fon peuple . Louis XVI a fuccédé à
fon ayeul , dont le règne a été un enchaînement
de diffipations que le petit - fils paroît déterminé à
éviter. Ce Monarque a continué la guerre , il a
pourvu à toutes les dépenses publiques , & cepen(
164 )
dant il n'a impofé aucune nouvelle taxe fur les peuples
, tandis que nous avons été obligés d'en établir
de nouvelles & d'immenfes , pour payer l'intérêt
de 40 millions d'emprunt. Le Lord North regardant
cet éloge comme une cenfure indirecte de
la conduite du Roi , & un outrage qu'on avoit
deffein de faire à S. M. , prit la parole avec cha
leur. Si la Chambre , dit-il , a réfolu de préfenter
une adreffe au Roi fur l'objet de la motion , ce qui
eft plus décent que de porter des décifions parlementaires
fur ce qui concerne uniquement la Couronne
, j'ole allurer , d'après la connoillance perfonnelle
que j'ai du patriotifme du Roi , fon affection
pour les peuples , qu'il n'y a point de facrifice
qui lui coûte. Il doit donner , & il donnera
toujours la plus férieufe attention à une adreffe de
cette Chambre ; lorfque les voeux de fes fujets lui
parviendront par cette voie , on peut être fur qu'il
les écoutera avec les difpofitions les plus favora
bles ; & toutes les fois qu'il s'agira de faire des lacrifices
à l'intérêt de fon peuple , le Monarque que
j'ai l'honneur de fervir , ne le cédera à aucun autre
Souverain de l'Univers .
Le Général Conway appella le Lord North à
l'ordre , il dit qu'il n'avoit point fait de comparaifons
entre les Rois de France & d'Angleterre , mais
entre les Miniftres des deux Royaumes. Les Mi
niftres François , » pourſuivit-il , n'ont en vie que
la gloire de leur Souverain & l'intérêt de fes fu-
» jets , & l'un & l'autre paroiffent être très- indifférens
aux Miniftres Britanniques «. Le Lord North
répliqua qu'il n'avoit point prétendu dire que le
Général Conway eût établi un parallèle entre les
deux Rois , qu'il n'avoit parlé que par effufion de
coeur , & pour rendre aux vertus de fon Souverain
l'hommage qu'il favoit lui être dû. M. Dunning
obferva que s'il n'avoit que cet objet , fes exprel
fions étoient déplacées , parce que perfonne dans la
Chambre n'avoit une antre opinion des vertus du
( 165 )
Souverain . Le Lord North maintint toujours fa
propofition . Paffant enfuite à l'examen des finances
de la France & de l'Angleterre , il fit à ce sujet les
obfervations fuivantes : les finances de la France ,
dit il , font à la vérité dirigées par un Miniftre
très-habile & très - honnête ; mais la conftitution
des deux Royaumes ne diffère pas moins fur l'objet
des finances que fur la légiflation . En Angleterre
, un Miniftre eft obligé d'affecter une taxe
Spécifique à chaque emprunt public ; en France ,
on n'eft pas dans cet ufage. La puiffance de la Conronne
qui , dans les Gouvernemens populaires , eft
partagée entre un certain . nombre de perfonnes
fournit aux Adminiftrateurs d'une Monarchie abſolue
, des expédiens dont il eft impoffible d'ufer dans
une Monarchie limitée . Peut- être même , entre le
peu de bonnes chofes qui le trouvent dans les gouvernemens
abfolus , la prérogative de la Couronne
à cet égard eft- elle ce qu'il y a de mieux . Mais
puifque l'on parle tant de la réforme faite dans la
Mailon du Roi de France , il eft bon de rappeller
que la lifte civile de ce Monarque eft trois fois plus
forte que celle du Roi d'Angleterre . Cependant
les appointemens des Ambaffadeurs auprès des Puiffances
étrangères , n'en font point partie . Les dépenfes
fecrètes font auffi prifes fur un autre fond ,
ainfi tous les frais des Cours de Juftice . De cette
que
manière le Roi de France peut très-bien fupprimer
un grand nombre de places inutiles , & conferver ,
pour l'entretien feulement de fa maiſon , le double
de la fomme que le Roi d'Angleterre dépenfe pour
fa Cour , les Ambaffadeurs , les Tribunaux , &c.
Après quelques débats , on alla aux voix & la
motion fut rejettée à la pluralité de 210 voix contre
162. Le Comité paffa enfuite à l'examen du
Bureau des Bâtimens , qui fut pareillement commué
à la pluralité de 203 voix contre 188 .
Un de nos papiers contient le farcalme
fuivant.
( 166 )
לכ
» Nous fommes toujours très -méchans dans le farcafme
, mais les étrangers nous trouvent rarement
fins & adroits . Il nous en échappe pourtant quelquefois
de plaifans. En voici un de cette eſpèce ; il eft
fondé fur l'opinion que les ennemis de Mylord
Germaine font parvenus à établir en Angleterre
de fa bravoure à la bataille de Minden , quoiqu'il
foit affez avéré que ce fut par morgue qu'il s'abſtine
de donner avec la cavalerie Angloife qu'il commandoit,
& parce qu'il étoit révolté que les foudoyans
fuffent aux ordres des foudoyés. C'eſt ainfi
que M. Fox parla dans la Chambre des Communes
où l'on fe débattoit fur l'établiſſement du Comité
pour l'inſpection des comptes publics . Il voulut faire
entendre que tout ordre civil étoit interverti au point
de nous ramener aux plus étranges métamorphofes.
» Un François , dit-il , en converfation avec un Anglois
de fa connoiffance lui demandoit cequ'on avoit
» fait de M. Fullarton depuis que Mylord Stormont,
auprès de qui il étoit Secrétaire d'Ambaſſade à Paris,
3 occupoit une place d'un des principaux Secrétaires
» d'Etat. Ce jeune homme , dit le François , avoit une
» tournure heureufe pour les affaires ; fans doute vos
» Miniftres l'ont chargé de quelque négociation im-
» portante en pays étranger. Point du tout , répondit
l'Anglois , il eft actuellement Colonel d'un Régi-
»ment 2 & on lui a confié le foin d'une expédition
» militaire. Et le Chevalier Guy Carleton , continua
» le François , qui a dirigé & commandé en perfonne
» pendant plufieurs années les expéditons les plus im-
» portantes & les plus hafardeufes dans le Canada
» vous l'avez apparemment envoyé quelque part dans
» l'Inde pour frapper un grand coup fur les établiffe-
» mens des Efpagnols .Oh ! non , reprit l'Anglois , on
» lui a donné une place de Commis chargé de revifer
» & de régler le compte des dépenfes publiques .Vous
» me furprenez bien , ajouta le François , eft ce
» qu'on auroit eu à lui reprocher quelque trait de lâ-
"
בכ
က
50
( 167 )
scheté ou de défobéiffance aux ordres de fon Géné-
» ral ? Eh ! non , M. , repliqua l'Anglois , avec vi-
» vacité ; il n'eft pas queftion de pareille chofe : fi
» cela étoit le Roi en auroit fait un Miniftre «,
Apperçu politique à la date actuelle.
» ˆIl s'éſt élevé un nuage dans la partie de l'Ouest.
Nos nouvelles des Ifles du vent , ne font rien moins
que fatisfaifantes. On affure que le démon de la
difcorde quia fi long - tems déchiré le coeur de la G. B.
a étendu fa rage jufqu'à ces régions éloignées où l'ef
prit de faction divife tous nos Officiers. Il eft vrai
que nous avons la fatisfaction de favoir que notre
brave Amiral Rodney cft arrivé dans ces parages,
Mais il n'y eft arrivé qu'avec 4 vaiffeaux , c'est àdire
un bien petit renfort pour une petite eſcadre
éparpillée , délabrée , & dont la plupart des vaiffeaux
font en mauvais état , mal approvifionnés , & inférieurs
à l'ennemi par le nombre & par la force,
L'Amiral lui-même eft retenu dans fon lit par la
maladie , & peut - être par le découragement & le
chagrin d'avoir trouvé nos affaires dans une fituation
aufli défefpérée . Nos forces navales , qui font encore
à Torbay auroient dû être avant lui aux Ifles de
l'Amérique , ou du moins l'y accompagner. Pourquoi
n'a- t- on pas fait partir avec lui de Gibraltar
use efcadre plus confidérable ? Autant auroit- il valu
ne lui point donner le commandement en chef. En
effet , que fert - il d'avoir une commiſſion , ſi on eft
privé des moyens de l'exécuter ?
>
-
Pour fermer la bouche à tous les frondeurs , le
Loid North vient de faire la campagne Parlemen .
taire la plus terrible dont on ait jamais entendu
parler. Transformé tout à coup en Commis de
l'accife , il est allé dans toutes les brafferies jauger
les tonnes , les grains , enfin tout , jufqu'à la petite
biere d'Ecoffe , c'eft - à - dire à - peu - près de l'eau
claire , & pour environ un farthing ( liard ) par
gallon fur cette miférable boiffon , il s'eft pris de
querelle avec les bons amis les Ecoffois , au point
( 168 )
que ceux - ci , pouffés à bout , l'ont menacé d'ur
rébellion , dont le fiége ne feroit pas dans l'Amériqu
Septentrionale , ni même en Irlande , mais dans
coeur même de la Grande- Bretagne. Mais ce Miniſtr
eft tellement accoutumé aux tumultes , aux féditions ,
aux foulèvemens & aux rébellions , qu'il eft devent
infenfible à tout. Peut - être auffi penfe - t - il qu'une
rébellion en éteindra une autre , & qu'ainfi le Gou
vernement n'aura autre choſe à faire qu'à fe tenir à
l'écart pour juger des coups ; & cela , d'après ce prin
cipe , qu'un Miniftre , qui n'a pas pu éteindre unt
rébellion en Amérique feulement , cft cependant en
état de conduire une grande guerre , & de batte
la France , l'Espagne & l'Amérique encore par-detlus
le marché avec toutes les autres Puiflances qui auront
l'audace de fe mêler de la querelle.
Mais la grande , l'importante victoire remportée
par le Miniftre dans le champ de bataille parlementaire
, & qui immortalifera fon nom dans les faftes
de la Grande - Bretagne , eft celle de l'acte feptenaf :
paffé par une pluralité de deux contre un. Le peu de
peine qu'un pareil fuccès a coûté , les auxiliaires ,
par le moyen defquels il fe l'eft procuré , & furtout
la nature du triomphe le plus complet qui ait
jamais été remporté fous les yeux & fur le ventre
de cette foule de péritionnaires , d'allociés , de comités
, de francs-tenanciers , de confeils communs
& d'habitans de l'Angleterre , qu'il a foulés aux
pieds avec mépris : voilà ce qui doit paroître réelfement
merveilleux & furnaturel à nos yeux , fuppofé
que nous ayons encore des yeux pour voir , des
oreilles pour entendre , ou quelque ombre de raison
pour connoître & diftinguer le jufte & l'injofte ,
la lumière & les ténèbres , ou enfin le moindre fentiment
de calamités dont ce coloffe ministériel a
accablé la Grande Bretagne. Cette grande queſtion
qui renfermoit toutes les autres , étant ainfi décidée
en faveur du Miniftre , & cela du confentement
très-formel de nos divins orateurs & incomparables
聚
( 169 )*
parables patriotes , nous n'avons plus à préfent aucun
fujet de débat , & il ne nous refte autre choſe
à faire qu'à nous foumettre humblement & fans
réfiſtance aux ordres fuprêmes de notre Dictareur.
L'Afrique paroît entièrement abandonnée par
l'Adminiſtration. Il ne nous en refte rien que le
nom d'une Compagnie de Commerce en Afrique ,
avec une dépense annuelle , fans bénéfice pour la
Nation . Nous n'avons reçu de l'Inde aucune nouvelle
authentique que celle d'une installation de
Chevalier du Bain en la perfonne du Chevalier
Munro ; avec une pompeufe relation de cette cérémopie
, qui en rempliffant la gazette de la Cour ,
nous en a fait encore plus remarquer le vuide. II
fant que l'exprès qui a rapporté cette magnifique
dépêche , n'eût rien de plus dans fa malle , ou que
le Gouvernement n'ait pas jugé à propos de publier
le refte .
Nos préparatifs intérieurs pour la Manche & pour
le Golfe de Gascogne , vont très - lentement & trèsfoiblement
, & tout nous annonce que cet été ſe
pallera comme les autres en fanfaronades .
On diroit que les Miniftres d'Angleterre & de
France fe font donné le mot pour amuſer chacun
leur Nation par une grande parade navale & un
fimulacre de combat de retraite fans porter de
part & d'autre aucun coup décifif. Ce fyftême fait
de la guerre un jeu au dernier écu , dont l'évènement
décidera lequel des deux fyftêmes eft fait
pour tenir le plus long - tems , celui de l'économie
& de la frugalité Françoifes , on celui de l'extravagance
& de la prodigalité Angloifes.
Malgré l'ardeur qui continue d'animer
une partie de la Nation Irlandoife , on prétend
que le Gouvernement Britannique eft
parvenu à détacher du parti patriotique une
27 Mai 1780.
h
( 170 )
portion affez confidérable pour rendre illufoire
le projet de ce parti de profiter de la
conjoncture préfente à l'effet de procurer à
l'Irlande l'indépendance politique , comme
l'indépendance commerciale. On connoît
le fort de la motion de M. Grattan , &
celui de la motion faite le 26 par M. Yelverton
pour la révocation de l'acte de Poyning
qui , après de grands efforts de part &
d'autre , a été rejettée par une pluralité de
130 voix contre 105. M. Conolly , M. le
Duc de Leinster & les autres adhérens nombreux
de ce Seigneur , votèrent en faveur du
Miniftère . M. Huffey Burgh , premier Avocat
du Roi , eft resté fidele au parti populaire.
M. Yelverton fe propofe , dit -on , de faire
au premier jour une nouvelle motion pour
altérer l'acte de Poyning par quelques modifications.
De
FRANCE
VERSAILLES le 23 Mai. ›
LL. MM. & la Famille Royale font à la
Muerte depuis le 16 de ce mois & doivent
en revenir demain.
Le 12 de ce mois S. M. a . nommé aux
charges de fous - Lieutenans , vacantes dans
le Corps de la Gendarmerie , le Marquis
de la Bourdonnaye , ci- devant Capitaine
réformé à la fuite du Régiment Royal,
cavalerie ; le Comte du Cofnac , ci-devant
( 171 )
Capitaine réformé à la fuite du Régiment
Dauphin , dragons , & le Marquis de Ste-
Aldegonde , ci-devant Capitaine réformé à
la fuite du Régiment de Meftre de Camp-
Général , dragons.
Le 14, jour de la Pentecôte , S. M.fe rendit
à fa Chapelle avec les Chevaliers - Commandeurs
& Officiers de l'Ordre du S. Efprit ,
avec la pompe & les cérémonies ordinaires ;
S. M. y reçut Prélat-Commandeur de l'Ordre
le Cardinal de la Rochefoucault . Elle
entendit la Grand'Melle , célébrée par l'Evêque
de Senlis , Prélat- Commandeur de
l'Ordre , chantée par fa Mufique , & pendant
laquelle la Comteffe de Charlus fit la
quête , & elle fe rendit enfuite dans fon appartement.
L
LL. MM . & la Famille Royale ; fignèrent
ce jour-là le contrat de mariage du Comte
de Caftellane , Officier au Régiment du Roi ,
avec Demoiſelle de Béthune. Le même jour
le Vicomte de Vibray , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi près le Duc de Wurtemberg ,
& fon Miniftre près le Cercle de Souabe ,
qui étoit de retour ici par congé , eut l'honneur
d'être préfenté à S. M. & d'en prendre
congé pour retourner à fa deſtination.
MM. de Caffini , de Montigny & Perronnet
, préfentèrent à S. M. & à la Famille
Royale , s nouvelles Feuilles de la Carte de
S
la France , qui comprennent les Villes de
Limoges , de St- Flour , de Mende , d'Aix &
de Marſeille .
h 2
( 172 )
Le 16 M. de la Foffe préfenta à LL. MM.
& à la Famille Royale la 13 livraiſon du
Voyage Pittorefque de l'Italie.
De PARIS , le 23 Mai.
Les nouvelles des Ifles , dont nous avons
déja donné le précis , méritent d'être connues
dans tous leurs détails : nous allons les donner
ici. La première Lettre eft du Cap François
, St- Domingue , le 31 Mars.
» L'Eſcadre du Roi , aux ordres de M. de la
Mothe - Piquet , compofée des vaiffeaux l'Annibal
& le Diadême , de 74 canons ; le Réfléchi , de 64 ,
& l'Amphion , de so , commandés , ces trois derniers
, par le Commandeur de Dampierre , & MM.
Cillart de Suville & de Saint - Cézaire , avoit appareillé
le 13 Mars de la rade du Fort- Royal de
la Martinique , efcortant un convoi confidérable
de navires du commerce , qui devoient le rendre
à Saint- Domingue. M. de la Mothe- Piquet , préfumant
qu'il pourroit y en avoir à Porto- Rico d'Efpagnols
deftinés pour les Illes de fous le vent ,
détacha la frégate l'Amphitrite , commandée par
le Chevalier de Langan-Boisfevrier , pour offrir
la protection de l'Escadre aux navires qui pourroient
le trouver dans les ports de cette Ifle , &
4 bâtimens richement chargés , s'y rangèrent fous
lefcorte de l'Amphitrite. Le 19 , à 11 heures du
foir , étant à environ fept lieues de diſtance de la
Grange ( Ile Saint-Domingue ) , M. de la Motte-
Piquet eut connoiffance , dans la partie du N. O. ,
de trois vailleaux qui faifoient des fignaux . Il fit
à fon efcadre celui de fe préparer au combat , &
au convoi celui de forcer de voiles , & de gagner
la terre : ce qui fut exécuté. Ces premiers fignaux
furent fuivis immédiatement de celui de donner
chaffe aux bâtimens découverts . Le 20 au point
( 173 )
IN
d
en
1
du jour, on diftingua clairement trois vaiffeaux
de lignes & deux corvettes ; mais le calme ne
permit pas de les joindre. Ce ne fut qu'à 5 heures
du foir , que le vaiffeau l'Annibal , monté par M.
de la Mothe - Piquet , qui avoit eu la fupériorité
de marche fur les autres vaiffeaux de l'eſcadre
du Roi , parvint à fe trouver à la portée du canon
des trois vaiffeaux chaſſés , qui furent recon ."
nus pour ennemis ; & il
le combat ,
engagea
faifant feu contre les trois jufqu'à 11 heures du
foir , que le Diadême & le Réfléchi ayant pu
s'approcher , tirèrent quelques volées fur les vaiffeaux
Anglois : l'Amphion étoit encore trop éloigné
. Aune heure après- minuit , les ennemis avoient
affez gagné de l'avant pour s'être mis hors de la'
portée du canon ; mais le 21 , à 4 heures du matin
, l'Annibal , le Diadême & le Réfléchi , fe
trouvèrent affez près des vaiffeaux Anglois pour
recommencer le combat qui eût été décifif , fi le
calme qui furvint , & les courans qui manioiont
les vaiffeaux , ne fe fuffent oppofés à toute évolution
ils engagèrent même l'Annibal dans la
pofition la plus défavantageuſe pour un vaiffeau
en préfentant fa poupe au travers d'un des vaiffeaux
ennemis , dont le feu l'incommoda beaucoup.
M. de la Mothe- Piquét fut atteint dans la poitrine
d'une balle de mitraille , qui heureuſement avoit
perdu une grande partie de fa force. Sa bleſſure ,
à laquelle il fit mettre fur le pont un premier
appareil , n'empêcha point qu'il ne continuât de
donner les ordres. Un peu de vent qui s'éleva
alors , permit à l'Annibal de fe rapprocher des
trois autres vaiffeaux du Roi qui faifoient tous
leurs efforts pour venir le couvrir contre les trois
vaiffeaux ennemis qui , par leurs pofitions de
circonftances , enveloppoient l'Annibal. Les quatre
vaiffeaux de M. de la Mothe Piquet recommencerent
bientôt à faire feu fur les Anglois , qui de
h3
( 174 )
nouveau prirent chaffe . Un calme plat qui furvine
ne permit pas de les pourfuivre. Le 22 , au point
du jour , l'efcadre du Roi n'en étoit qu'à une
portée & demie de canon , lorfque M. de la Mothe-
Piquet , qui avoit efpérance de les joindre dans
moins d'une heure , & de recommencer le combat ,
apperçut quatre bâtimens failant route à toutes
voiles fur les deux efcadres . Il continua la chaffe
pendant quelque tems ; mais à 6 heures , il reconnut
que trois de ces bâtimens étoient des vaiffeaux
de guerre ; il fit à fon efcadre le ſignal de
tenir le vent , & dirigea fa route pour faire entrer
fes vaiffeaux dans le port du Cap François ,
où ils mouillèrent dans la journée .
D'autres lettres ajoutent que M. de la Mothe-
Piquet devoit remettre à la voile au
commencement d'Avril. Les lettres de la
Martinique font du 2 Avril & contiennent
les détails fuivans.
L'Eſcadre du Roi , aux ordres du Comte de Guichen
, Lieutenant - Général des armées navales ,
mouilla dans la rade de ce port le 22 Mars , avec
le convoi confidérable qu'elle avoit amené de France
fous fon eſcorte. Les vaiffeaux commandés par le
Comte de Graffe , en avoient appareillé quelques
jours auparavant , & avoient été au- devant de l'efcadre,
à laquelle ils s'étoient joints fur la Dominique
. Le 21 , le Comte de Guichen avoit eu connoiffance
de 4 vaiffeaux qu'il fit chaffer depuis 9
heures du matin jufqu'à du ſoir ; mais le trouvant
par le travers de l'ile de la Defirade , fous
le vent , & la chaiſe le conduifant dans le canal
d'Antigue , cette route eût mis la flotte confidérablement
fous le vent de la Martinique , d'où elle
eût eu beaucoup de peine à remonter : cette confidération
le détermina à abandonner la chaffe
pour rejoindre la flotte & paller au vent de la
( 175 )
›
Dominique. Il ne prit que le tems néceffaire pour
débarquer les malades au Fort- royal , en appareilla
le 23 à quatre heures du matin , avec les vaiffeaux
réunis , au nombre de 13 , le Dauphin royal étant
en réparation , & il fit voile pour Sainte - Lucie
où il fut informé qu'à fon approche les vaiffeaux
ennemis s'étoient réfugiés au nombre de 17. Le
Marquis de Bouillé , Maréchal - de- camp , Gouverneur-
Général de la Martinique , s'étoit embarqué
fur l'efcadre pour commander les troupes de débarquement
, s'il y avoit lieu à une expédition . On
éprouva une réfiftance invincible de la part des
courans ; & les bordées que l'efcadre fit pour
s'élever , ne furent pas favorables au corps de bataille
; les feuls vaiffeaux de tête , le Robufte & le
Citoyen , avoient pu gagner le vent du gros Iflet .
On découvrit alors les 17 vaiffeaux ennemis mouiltés
& emboffés. Le Marquis de Bouillé fut inftruit
en même-tems par le rapport du Comte de Bouillé
fon neveu , que les ennemis avoient reçu un renfort
confidérable qui portoit le nombre des troupes
de Sainte-Lucie à plus de sooo hommes , qui s'étoient
fortifiés au morne Fortuné , de manière à ne
pouvoir y être attaqués avec avantage. On renonça
pour le moment à l'expédition , & l'efcadre revint
faire de l'eau & du bois au Fort Royal , d'où elle
a dû remettre en mer le 4 ou le 6 d'Avril.
L'arrivée de l'efcadre au ordres du Comte de
Guichen , dans la mer des Antilles , a déconcerté
tous les projets des ennemis qui fe difpofoient à
faire l'attaque de quelques - unes des Ifles Fraçoiles
ou conquifes ; ils avoient , dans cette vue , retiré de
quelques- unes des leurs une partie des garnisons
pour en former un corps d'armée ; mais à l'approche
de l'efcadre de S. M. , toutes ces troupes ont
été renvoyées à leurs ftations refpectives , où l'ennemi
paroît réduit actuellement à fe tenir fur la
défenfive,
h 4
( 176 )
Toutes les lettres de Londres annoncent
la fufpenfion du départ du Commodore
Walfingham & de l'Amiral Graves , que les
vents ont contrarié , & dont quelques vaiffeaux
ont été affez maltraités pour avoir befoin
de réparations , qui retiendront la flotte
encore quelque tems en Europe , & laiffe
ront à M. de Guichen celui de fuivre les opérations
avant que les Anglois puiffent recevoir
les renforts qu'ils attendent , & dont
ils ont befoin . Cette circonftance favorife
auffi l'expédition de M. de Ternay qui gagne
tous les jours de l'avance , & qui peut le réunir
dans fa route à l'Efcadre Eſpagnole partie
de Cadix.
On apprend de Breft que les armemens de
ce Port fe continuent avec beaucoup d'activité
. L'Hector & le Vaillant , armés à l'Orient
, étoient prêts dès le 8 de ce mois , &
font fans doute partis pour Breft , où ils doivent
fe joindre à l'armée d'obfervation. L'Efcadre
de Toulon , felon plufieurs lettres ,
devoit être prête à mettre à la voile le 15 , &
on préfumoit toujours que fa deſtination
étoit pour Cadix & delà à Breft .
L'Ordonnance du Roi , concernant le traitement
des troupes deftinées à une expédition
particulière , paroît avoir pour objet
l'armée de M. de Rochambeau ; nous en ferons
connoître les principaux articles.
» Les appointemens & fupplémens de folde des.
corps employés à cette expédition , font fixés par
cette Ordonnance ; il leur a été payé comptant ,
avant l'embarquement , un mois d'avance de la
( 177 )
une
maffe , & trois mois d'appointemens & de folde ,
pour les mettre en état de fe pourvoir de toutes les
chofes qui leur feront néceffaires . S. M. veut qu'il
foit fourni aux bas - officiers & foldats effectifs ,
ration compofée de 24 onces de pain , ou de 20
onces de farine , ou de 18 de bifcuit , de 8 onces
de boeuf frais ou falé , ou de 4 onces de lard , à
défaut de boeuf , & d'une once de riz ; il fera fourni
en outre une livre de fel par mois par homme ; &
dans le cas où ces comeftibles manqueroient , il y
fera fuppléé par des denrées du pays. La retenue à
exercer fur les troupes , eft fixée à raifon de 2 fols
par ration de pain , farine ou biſcuit ; 1 fol 6 den.
par ration de viande fraîche ou falée ; le fel diftribué
des magafins du Roi , fera payé 1 fol 6 den.
le riz fera donné par gratification . L'intention de
S. M. eft qu'il ne foit embarqué que des hommes
fains , en état de fupporter des voyages de long
cours , & qu'il foit détaché pour refter en France
trois Officiers par régiment , & le nombre de bas - `
officiers néceffaires , tant pour veiller à la conduite
des hommes qui resteront , que pour s'occuper
de l'achat & de la confection des corps refpectifs."
L'Officier Général commandant en chef, eft autorisé
à faire fournir aux bas - officiers & foldats , par
gratification , de l'eau - de-vie & du vinaigre , quand'
il le croira néceffaire ; & s'il arrivoit que le corps
de troupes pour lequel $ . M. a jugé à propos de
rendre la préfente Ordonnance , fut employé en'
tout ou en partie à tenir garnifon dans les colonies
de l'Amérique Septentrionale , fon intention
eft qu'il y foit traité conformément à ſon règlement
du 28 Août 1777 , concernant les troupes employées
dans les colonies de l'Amérique.
La promotion que le Roi a faite dans fat
Marine , le 4 du mois d'Avril dernier , vient
d'être rendue publique ; elle confifte en 34
Capitaines de Vaiffeaux , 28 Lieutenans & G
hs
( 178 )
Enfeignes . Nous ne donnerons que les noms
des nouveaux Capitaines.
Département de Breft . MM . Petit , Kermorvan
de Gouzillon , Chevalier de Nirere , Cibon , de
Baudran , Fougeroux de Sceval , de la Ville-Brun ,
de Tarade , Chevalier Burin de la Galiffonnière , Vicomte
de la Couldre- la - Bretoniere , de Charniere ,
de Bavre , Chevalier de Vaugiraud de Rofnay , de
la Percufe du Galaup , Chevalier de Trolong-
Durumain ; ces quatre derniers ne prendront rang
qu'à la premiere promotion.
·
Département de Toulon MM . de Norbel,Champ-
Martin , Befly de Contenfon , de Mazilles , de Seigucurel
, Marquis de Treffemanes , Brunon , Adhemar
, Chavalier de Village , Chevalier de Treffemanes-
Chateuil , Chauffegros , de Barbaſan , Chevalier
de Vintimille.
Département de Rochefort . MM . Dupin de Belugard
, Marcaty Marteig es , du Bois , Guignard ,
Macnemera , Comte de Vavincourt , de Fourunet.
La réponſe faite par la Cour de France à
la déclaration que l'Impératrice de Ruffie lui
avoit fait remettre , ainfi qu'à celles de Madrid
& de Londres , eft du 25 du mois dernier
& conçue ainfi :
" La guerre dans laquel'e le Roi fe trouve engagé
n'ayant d'autre objet que l'attachement de S. M. au
principe de la liberté des mers , Elle n'a pu voir
qu'avec une vraie fatisfaction l'Impératrice de Roffie
adopter ce même principe & fe montrer réfolue à le
foutenir. , Ce que S. M. I. reclame des Puiſſances belligérantes
n'eft autre chofe que les règles preferites
à la Matine Françoife , dont l'exécution eft maintenue
avec une exactitude casue & applaudie de toute
l'Europe «
» La liberté des bâtiment , reftreinte dans un petit
nombre de cas feulement , eft une conféquence directe
( 179 )
du droit naturel , la fauve-garde des nations , le foutlagement
même de celles que le fléau de la guerre
afflige . A fli le Roi a t 1l.defiré de procurer non feu
lement aux fujets de l'Impératrice de Ruffie , mais à
ceux de tous les Etats qui ont embraffé la neutralité ,
la liberté de naviguer aux mêmes conditions , qui
font énoncées dans la Déclaration , à laquelle S. M.
répond aujourd'hui . Elle croyoit avoir fait un grand
pas vers le bien général , & avoir préparé une époque
glorieufe pour fon règne , en fixant par fon exemple
Tes droits , que toute Puiffance belligérante peut &
doit reconnoître être acquis aux navires nentres : fon
efpérance n'a pas été déçue , puifque l'Impératrice ,
en fe vouant à la neutralité la plus exacte fe déclare
pour le fyftéme que le Roi foutient au prix du fang
de les peuples , & qu'Elle reclame les mêmes droits ,
dont S. M. voudroit faire la bafe du Code Maritime
.
S'il étoit befoin de nouveaux ordres , pour que
les vaiffeaux de S. M. I. n'euffent aucun lieu de craindre
d'être inquiétés dans leur navigation par les fujets
du Roi , S. M s'emprefferoit de les donner ; mais
l'Impératrice s'en repofera fans doute far les difpofitions
de S. M confignées dans les Règlemens
qu'Elle a publiés : elles ne tiennent point aux circonftances
: elles font fondées fur le droit des gens ;
& elles conviennent à un Prince affez heureux pour
trouver toujours dans la profpérité générale la mefure
de celle de fon Royaume. Le Roi fouhaite , que S.
M. I. ajoute aux moyens , qu'Elle prend pour fixer
la nature des marchandifes , dont le commerce eft
réputé de contrebande en tems de guerre , des règles
précifes fur la forme des papiers de mer , dont les
vaiffeaux Ruffes feront munis . Avec cette précaution,
S. M. eft affrée qu'il ne naîtra aucun incident qui
puiffe lui faite regretter d'avoir rendu , pour ce qui
la concerne la condition des navigateurs Ruffes
auffi avantageufe qu'il foit pollible en tems de guerre.
h 6
( 180 )
D'heureufes circonftances ont déja mis plus d'une
fois les deux Cours à portée d'éprouver combien
il importon qu'elles s'expliquaffent avec franchiſe fur
leurs intérêts refpectifs « .
>> S. M. fe félicite d'avoir à exprimer à S. M. I. fa
façon de penfer fur un point intéreffant pour la Ruffie
& pour toutes les Puiff, commerçantes de l'Europe :
elle applaudit d'autant plus fincèrement aux principes
& aux vues qui dirigent l'Impératrice , que S. M.
partage le fentiment qui a porté cette Princeſſe à
des mefures d'où doivent réfulter également l'avantages
de les fujets & celui de toutes les Nations «.
L'enregistrement des Edits du Roi , concernant
la perception de la Taille & la prorogation
du fecond Vingtième , s'eft fait dans
Toutes les Cours fouveraines avec des témoignages
de reconnoiffance pour les difpoli
tions bienfaifantes & paternelles que montre
notre jeune Monarque dans toutes les
loix d'adminiſtration qu'il a publiées . Celui
du Parlement de Nancy eft conçu ainfi .
·
» Lu , publié & regiftré , oui , ce requérent le
Procureur Général du Roi , pour être fuivi &
exécuté felon la forme & teneur ; & fera le Seigneur
Roi très-humblement fupplié de vouloir bien
regarder la promptitude de cet enregistrement , ainfi
que le généreux dévouement de fes fujets , comme
un hommage public de la confiance qu'infpire l'adminiſtration
actuelle des finances de l'Etat , dont
les vaftes reffources & les grandes vues économiques
auffi courageufement entreprifes que juftement
dirigées , foutiennent les effets de la Nation
en même-tems qu'elles allarment les ennemis ; &
e'eft dans l'espoir de ce meilleur ordre de chofes
annoncé par les Edits récens de S. M. , que fa Cour
de Parlement s'arrête dans ce moment -ci à en folliciter
l'entier accompliffement , en fe réfervant
( 181 )
de faire , dans un autre tems , de très-humbles fup+
plications pour obtenir la ceffation la plus prochaine
du fecond Vingtième , & la fixation d'un
terme au premier , ainfi que les autres foulagemens
qu'il eft néceffaire d'accorder aux befoins des peuples
de fon reffort , dès que les circonftances pour
ront permettre à S. M. de fe livrer à cet égard
aux mouvemens de fon coeur , fur la bonté duquel
fes fidèles fujets fe repolent entièrement «<,
La lettre fuivante contient l'expreffion
de tous les bons Citoyens fur ces loix intéreflantes
, dictées par la bienfaifance ; elle
offre en même tems un projet que la
reconnoiffance ne manquera pas d'adopter.
-
" Je ne fais fi tout le monde a été en état de
fentir tout le prix de la Déclaration du Roi du
13 Février 1780 , & de la diftinguer particulièrement
de toutes celles qui marquent fes foins paternels
; il faut favoir pour cela que la taille
beaucoup plus ancienne , mais rendue perpétuelle
en 1445 , a bien été établie légalement fur le
confentement des Etats , mais que la quotité n'en
ayant jamais été bien fixée , elle a été fucceffivement
portée de 1,800,000 à plus de 60,000,000
liv. , au moyen de beaucoup d'impofitions extraordinaires
qui y ont été jointes , & qui n'étoient
faites qu'en vertu de fimples Arrêts du Confeil,
La Chambre des Comptes principalement a toujours
réclamé contre cette illégalité , mais une poffeffion
& un ufage de plufieurs fiècles , paroiffent
affurer le droit du Roi.
Il en étoit de même de la capitation établie
légalement en 1695 & 1701 ; mais la quotité n'en
ayant jamais été fixée , cette impofition arbitraire
par la nature , l'eft devenue doublement par la
fixation générale, comme elle l'étoit par l'impofi
tion particulière. Un Miniftre eft venu , qui a eu
( 182 )
le courage , en attendant encore un mieux qu'il nous
promet , de propoſer au Roi de borner , ou pour
parler plus exactement , de foumettre fon autorité
à l'examen des Cours ; & nous avons un
Roi qui a affez de grandeur d'ame & de générofité
pour s'y foumettre , pour renoncer à des droits
defpotiques acquis depuis plufieurs fiècles , & fe
reftraindre à cette autorité paternelle qui écoute
les remontrances de les enfans . Non , Monfieur ,
on ne peut lire cette Déclaration , quand on faura
ces faits , fans être attendri & pénétré de fentimens
de reconnoillanco , de refpect & d'amour
pour notre Roi , & d'eftime & de vénération pour
fes Miniftres. Mais comment leur témoigner tous
ces fentimens ce n'eft pas au Roi à fire frapper
une médaille pour conferver le fouvenir d'un
acte d'héroï me & de bienfaifance ; fa modeftie s'y
oppofe c'est donc à fes fujets & à fes enfans à
le faire. En conféquence je propofe une foufcrip .
tion pour une Médaille & une Estampe qui repréfentent
cet évènement. J'invite.des perfonnes plus
capables que moi à imaginer l'une & l'autre ; la
foufcription fera depuis 12 jufqu'à 150 liv. Pout
12 liv. on aura l'Eftampe ; pour 75 liv . une Médaille
& une Etampe ; & pour 150 liv. deux
Estampes & deux Médailles.
:
:
Ceux qui , au jugement de l'Aca lémie des Infcriptions
, auront donné le plus beau deflin de l'une &
de la tre auront chacun autant que le Soufcripteur
de 150 liv . Au reste , trouvez bon , Monfieur
, que je ne me nomme pas ; mais la preave
de la vérité de ce que j'avance eft un dépôt de
150 liv. chez M. Dufrenoy , Notaire , rue Vivienne
, à qui j'ai remis en mime rems copie de la
préfente , & qui délivrera les reconnoiffances « .
de ce mois le College de Chirurgie a
fait la diftribution des Prix fodés par M. Ho let ,
& qui font adjugés tous les ans aux Elèves de
» Le
( 183
)
l'Ecole- Pratique , qui ont fatisfait le mieux à l'era
men public qu'il eft d'ufage de faire auparavant ."
Les quatre Médailles d'or de la valeur de 100
livres chacune , ont été adjugées à MM Douyau ,
d'Heres , Diocèle de Tarbes ; Miraut d'Angers
Gesbert d'Avranches , & Boutlelin de Vienne en
Dauphiné.
J
Les quatre Médailles d'argent , comme acceffit ,
ont été adjugées à M. Ducaftaing d'Heres , Diocèfe
de Tarbes , auquel le College auroit accordé
une Médaille d'or , s'il en avoit eu une cinquième
à diftribuer à M. Grégoire de la Landaffe , Diocèfe
de Sarlat ; a M. Baltazar de Narci , Diocèſe
de Châlons , & à M. Gartier d'Angers « .
On vient de former pour l'Ecole royale Vétéri
naire de cette ville , au château d'Alfort , près Charenton
, un établiffement d'une Ecole gratuite de
principes relatifs à la fidèle repréfentation des animaus
, tant en peinture qu'en fculpture Cette Ecole
ouvrira le premier Dimanche de Septembre prochain
, un Cours en faveur des Artistes qui étudient
les arts de la Peinture & de la Sculpture . Les
inftructions en feront gratuites , & les jours de le
çons feront les dimanches , fêtes , & jeudis de
toute l'année . On commencera par la démonftration
du cheval , & l'ordre les leçons fur cet animal fera
celui qui eft fuivi dans l'ouvrage connu de feu
M. Go ffon , & de M. Vincent fon adjoint . On démontrera
de plus fur la nature , l'oſtéologie , la
myologie , les proportions & toutes les autres parties
de l'art. Ceux qui defireront affifter à ces lecons
, fe feront inferire pendant le mois d'Acût
foit à l'hôtel de l'Ecole royale Vétérinaire , chez
M. Chabert , Infpedeur Général , & en fon ab
fence , chez M. Vincent , Profeffeur ; ou à Paris ,
dans le Bureau de M. Clerigny , chez M.
Bertin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , rue des
Capucines .
>
( 184 )
On plaide depuis un mois à la Tournelle fur la
demande de M. Cazeaux d'y évoquer tout ce qui
concerne l'accufation faite contre lui de s'être chargé
de perdre le jeune Comte de Solar , fourd & muer ,
pour en débarraffer fa mère. Il y avoit lieu de
croire que l'information faite en Languedoc, confor
mément à l'Arrêt du Parlement du 20 Avril 1779 ,
détruiroit ou confirmeroit fans réplique les foupçons
que l'Abbé de Lépée s'eft cru obligé de
dénoncer à la Juftice d'après ce que lui a fait entendre
par fon idiome , l'enfant trouvé fur le
grand chemin en Picardie le 11 Août 1773. Cette
inftruction difpendieufe femble plus embrouiller le
procès qu'auparavant . Car le petit Jofeph n'a pas
reconnu les perfonnes ni les lieux que le petit Comte'
de Solar avoit le plus fréquentés ; beaucoup de
perfonnes l'ont elles- mêmes méconnu ; d'autres qui
l'avoient le moins vu , ont affuré le reconnoître
quoique le trouvant en contradiction fur la reffemblance
des traits ainfi que ceux de Mademoiſelle
de Solar envoyée avec lui ; 33 dépofans conviennent
que M. Cazeaux n'eft parti de Toulouſe que
le 4 ou les premiers jours de Septembre 1773 avec
un Abbé fon coufin , un Domeftique , & le jeune
Solar qu'il conduifoit aux caux de Banières , d'où
il réfulte l'impoffibilité phyfique que le jeune Solar
foit l'enfant trouvé fur le chemin de Peronne
à Cavilly un mois auparavant , & conduit à Bicêtre
le 2 Septembre. Il eft de plus conitaté par
les dépofans que le même Comte de Solar a été
vu aux eaux , & au retour à Charlas , Diocèse de
Cominges , où il eft mort de la petite vérole &
a été enterré dans la fépulture des Cazeaux le 29
Janvier 1774. L'un des Défenfeurs de M. Cazeaux ,
M. Elie de Beaumont , obfervant qu'il eût été
poffible que le départ du jeune Solar pour les eaux
& fon retour à Charlas n'euffent été connus de
perfonne , demande ce que deviendroit alors le
( 185 )
fieur Cazeaux , s'il n'avoit pas ce point d'appui
que lui donnent 33 témoins far un fait décifif ,
s'il n'eût pas eu cette preuve d'impoffibilité phyfique
, & c.
› Il fe plaide , au Châtelet une caufe qui doit
attirer l'attention des pères & mères de famille.
Un jeune homme de qualité , âgé de vingt -fept
ans , voulant époufer une créole & n'ayant pu
obtenir de fa mère fon confentement à ce mariage ,
lui a fait faire des fommations refpectueuſes au nom
de fon père , parce qu'il n'eft pas dans l'âge requis
par la loi pour les faire en fon nom.
La mère , en perfiftant dans fes motifs d'oppofition
, foutient que fon mari eft non recevable à
demander , en fon nom , ce que fon fils n'ofe pas
demander au fien , dans la crainte d'être exhérédé.
» Un père , dit M. de la Croix qui plaide pour
» la mère , a- t-il le droit de mettre fon fils juridi-
» quement en oppofition avec la volonté de ſa mère ?
Lorfque ce fils craint , en frondant directement
» la volonté de celle qui lui a donné le jour , d'en-
33
courir la peine de l'exhérédation , & paroît ne
» pas vouloir faire le facrifice de fes efpérances légi-
» times , le père peut - il , par la feule autorité
expofer fon fils aux dangers de l'exhérédatione ?
Le même Défenfeur , après avoir juftifié les raifons
qui déterminent la mère à refufer le confentement
qu'on lui demande , découvre au fils le
rifque qu'il court , en bravant la défenfe de celle
qui s'oppofe à fon mariage , avant le tems où les
loix permettent à un fils de famille de fuivre le penchant
de fon coeur & de contracter , fans élever
contre lui le moyen d'exhérédation , un engagement
licite , quoique défaprouvé foit par fon père , foit
par fa mère. Il démontre à ce fils , & par le texte
des Ordonnances qu'il rapporte , & par plufieurs
Airêts qu'il cite , » que
lors qu'il s'agit de cet a&e
( 186 )
לכ
important , l'autorité de la mère eft égale à celle
5 du père , parce que le fils eft , aux yeux de la loi ,
la propriété de l'un , comme celle de l'autre.
» Le Marquis D. . . . répéte - t - on , a le confen-
» tement de fon père. Eh bien , il recueillira l'héritage
de fon père , dont il n'a point méprifé
» l'autorité ; mais celui de fa mère .... ô jeune
» homme , qui vous laillez emporter par un fol
amour , ne vous flattez pas d'une vaine efpérance !
» écoutez la loi qui crie : Soumiffion pour la volonté
» de votre mère , ou exhérédation. Ne dites point
» que placé entre deux autorités , vous ne faites que
» céder à la plus impérieuſe ; c'eſt vous , au contraire ,
qui entraînez l'une , & qui bravez l'autre « . M.
Target , qui eft l'Avocat du père , a fait valoir
l'autorité du chef de famille dans toute fa force.
Nous regrettons que fon plaidoyer ne foit point
imprimé , pour pouvoir en citer quelques morceaux
qui feroient plaifir à nos Lecteurs.
">
Nous nous ferons toujours un devoir
d'annoncer tout ce qui a rapport au zèle &
au patriotifme ; tous les ordres des citoyens
en ont donné des preuves ; le projet contenu
dans la lettre que nous joignons ici fait
honneur à ceux qui l'ont conçu , & mérite
une publicité qui eft la récompenfe des bons
citoyens , & un encouragement pour les
exciter.
Je me fuis chargé avec plaifir , Monfieur , de
vous faire part du projet d'une petite Société de
fix Curés du Vexin François , dont j'ai l'honneur
d'être membre , & que vous voudrez bien inférer
dans le prochain mercure . Animés d'un zèle patriotique
, n'ayant rien de plus à coeur que d'erre
utiles au Roi & à l'Etat , & defirant contribuer
pour quelque chofe à venger & foutenir l'honneur
du Pavillon François , nous propofons à tous MM.
( 187 )
les Curés de tout le Diocèle de Rouen , y compris
le grand - Vicariat de Pontoife , de faire conftruire
& armer en guerre une frégate de 30 à
36 canons à frais & dépens communs. Le Diocèle
eft compofé de près de 1400 Curés ; ce feroit
peu pour chacun , & chacun y contribueroit au
prorata de fon revenu , par exemple de 24 livres
par mille livres du produit de fon bénéfice , ou
plus s'il étoit néceffaire . Ce feroit une grande fatisfaction
pour nous , Monfieur , fi nous pouvions
exécuter ce projet par l'envie que nous avons
d'abattre l'orgueil & l'infolence d'une nation qui
ne doit ou qu'à la ſurpriſe , ou qu'à la fupériorité
momentanée de quelques forces navales le peu de
réuffite qu'elle paroît avoir eu fur les François qui
la furpafferont toujours en valeur & en bonne foi.
Nous espérons qu'aucun de MM . les Curés.
du Diocèle de Rouen ne refuſeront de nous feconder
dans un projet auffi patriotique.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite confidération
, Monfieur , Votre très -humble , & c.
DE GOUVILLE de Bretheville , Curé de N. D.
de Veteuil , par & à Mantes fur- Seine .
P.S. MM . les Curés font priés de m'adreffer leurs
lettres d'avis en réponse à celle - ci , qui devient
circulaire pour tous , en affranchiffant le port , &
à l'adreffe ci - deffus , à Veteuil.
Le tems n'eft point borné , mais je les prie
inftamment de me faire l'honneur de m'écrire le
plutôt poffible.
Claude-Jofeph Dorat , né en Bourgogne ,
ci- devant Moufquetaire de la garde du Roi
connu dans la Littérature où il a acquis la
réputation d'un Poète léger , facile & ingénieux
, eft mort ici le 29 du mois dernier..
Charles David , ouvrier en laine , eft mort
le premier de ce mois dans la paroiffe de
( 188 )
Saint -Hilaire de Chartres âgé de 104 ans ; cet
homine n'avoit jamais été faigné pendant ſa
vie.
Marie-Anne Beaupoil de Saint-Aulaire
âgée d'environ 26 ans , fille de Martin Beaupoil
, Marquis de Saint- Aulaire , eſt morte
en cette Ville le 6 de ce mois.
François-Maurice Pichault , Docteur en
Théologie de la Faculté de Paris , Conſeiller,
Aumônier & Prédicateur ordinaire du Roi ,
Général & grand Miniftre de l'Ordre des
Chanoines réguliers de la Sainte Trinité ,
pour la rédemption des Captifs , eft mort
en cette Ville le 9 de ce mois , dans la 65º
année de fon âge.
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie
Royale de France , du 17 de ce mois ,
font : 49 , 29 , 53 , 9 , 47.
De BRUXELLES , le 16 Mai.
On a été étonné en Hollande de voir dans
la lettre miniftérielle du Lord Stormond au
Comte de Welderen , l'affectation avec laquelle
il a prétendu apprécier les fentimens
de la Nation , & les préfenter en oppofition
avec la détermination du Gouvernement ;
il auroit été plus exact s'il avoit obfervé que
la Nation à long- tems follicité le Gouvernement
de prendre la réfolution qu'il a prife ;
enfin , & que s'il y a eu des murmures , ils
n'ont été caufés que par fa lenteur à fe
décider conformément au voeu général . Cette
réfolution a été entièrement conforme au
( 189 )
voeu de la Province de Hollande & de
Weftfrife , dont l'avis a été envoyé à Londres
pour fervir de réponſe , & porte en
fubftance :
ל כ
Que L. H. P. ne peuvent nullement ſe contenter
de la réponſe du Lord Stormont , donnée le 16 Mars ,
aux juftes répréfentations de L. H. P. fur la violence
faite à leur convoi ; d'autant que cette réponſe ne fert
qu'à rejetter fur elles par des argumens forcés , le
blâme de ce qui s'eft paffé , & à repréfenter , contre
toute vérité, leur Officier comme ayant été l'aggreffeur
que L. H. P. tant pour fe juftifier aux yeux
de toute l'Europe , que pour convaincre , s'il eft poffible
, la Grande - Bretagne , ont jugé devoir répréfenter
ultérieurement , que les munitions navales
n'étant point marchandiles de contrebande fuivant
la lettre expreffe des traités , leur viſitation & leur
détention , faites par ordre , fur- tout fous le pavillon
de L. H. P. , eft une attaque directe de ce pavillon
ainfi que de leur indépendance & de leur fouveraineté :
que quant à l'allégation du traité de 1674 , fait par
Mylord Stormont , concernant la vifite des marchandifes
fufpectes , le contraire de ce qu'il avance appert
de la manière la plus évidente par la fimple lecture
du traité que la nature d'un convoi rendant toute
vifite non néceffaire , les articles V & VI de ce traité
fe bornent manifeftement à des navires particuliers ,
defquels cependant l'on ne peut dans ce cas exiger
encore l'exhibition de leurs lettres de mer , & à
l'égard des bâtimens deftinés pour des ports ennemis
celle de leurs paffe- ports : qu'ainfi la conduite du
Commodore Fielding , approuvée par S. M. , importe
une violation ouverte de ce traité : que par conféquent
ni les ordres de L. H. P. ni le fait de l'Officier chargé
de leur exécution , n'ayant porté aucune atteinte aux
traités , ni aucunes hoftilités n'ayant été commifes
deleur part , mais le Commodore Fielding ayant emque
( 190 )
ployé pour l'exécution de fes ordres ,la force des armes
contre le convoi de la République , il n'existe pas le
moindre motif de plainte du côté de S. M. ; mais que
du côté de L. H. P. l'on a eu la plus jufte raifon de
fe plaindre , & qu'on doit encore infifter, ( comme L.
H. P. infiftent de la manière la plus ſérieuſe, ) ſur une
fatisfaction & une réparation convenable , ainfi que
fur la relaxation , fans forme ultérieure de procès , des
navires marchands & de lears cargaifons, naviguant
fous le convoi de la République , détenus par voie de
fait & par force contre la teneur des traités , & condamnés
par le Juge de la Cour d'Amirauté , avec la
même injuftice qu'ils ont été attaqués par le Com
modore Fielding , pris & conduits en Angleterre : que
conformément à ces principes , le Comtede Welderen
fera chargé de donner une réplique au Lord Stormont,
& de l'appuyer le plus efficace ment toutes les
fois qu'il le jugera ultérieurement utile , & c . «.
ON attendoit avec impatience des nouvelles
de la manière dont le Ministère Anglois
prendroit la réfolution des Hollandois .
Une lettre de Londres contient à ce ſujet les
détails fuivans.
» Le Comte de Welderen remit le 4 de ce mois
un Mémoire fort étendu au Lord Stormont , avec
lequel il eut une conférence. Le Miniftre lut ce
Mémoire , dans lequel il est démontré que le but
de la conduite qu'ont tenue les Anglois avant &
après la rencontre da Commodore Fielding & du
Comte de Byland , eft de ruiner le commerce des
habitans de la République , & que tous les
traités deviennent inutiles , lorfqu'une des parties
contractantes fe croit en droit de les interpréter
felon qu'il convient à fes intérêts & à fes
vues. Le Lord Stormont après cette lecture , dit
qu'il le mettroit fous les yeux du Roi , & lui demanderoit
les ordres à ce fujet ; qu'en attendant
( 191 )
il pouvoit affurer l'Ambaladeur que S. M. approu
voit non feulement la conduite du Commodore
Anglois , mais encore la manière dont il avoit exécuté
fa commiflion . Il ajouta que l'on étoit convaincu
à Londres que M. Fielding avoit agi conformément
aux traités , & que c'étoit le Comte de
Byland lui - même qui les avoit enfreint.
Cette déclaration donna lieu à une conteftation
très-vive entre le Miniftre & l'Ambaſſadeur ; celuici
prouva que l'agreffion étoit du côté des Anglois ,
& que jamais LL. HH. PP . n'avoient confenti à
ce qu'aucun navire le trouvant fous l'efcorie d'un
de leurs vaiffeaux de guerre , fût vilité ; que par
conféquent le Commodore Fielding , qui ne devoit
pas avoir ignoré les traités , y avoit porté une atteinte
manifefte en mettant en mer fa chaloupe
armée.
Comme le Mémoire étoit terminé , par la demande
expreffe de la République , exigeant que les bâtimens
& les cargaifons qui font fous le convoi de
l'Etat , & qu'on a arrêtés & faifis avec violence ,
foient relâchés fans autre forme de procédure , le
Lord Stormont ne crut pas devoir retarder fa ré
ponfe fur ce point ; elle eft , qu'il n'eft pas au pouvoir
du Roi de faire quelques changemens dans
la fentence hors des formalités ordinaires , mais
que la voie d'appel eft ouverte aux intéreffés. Le
réſultat de cette conférence fut que les deux Mi.
niftres fe féparèrent très mécontens l'un de
l'autre «.
·
Quoiqu'en dife le Lord Stormont , l'opinion
générale de la Nation n'eft pas abfolument
conforme à celle du Miniftère ; elle
convient qu'on en a agi d'une manière allez
lefte avec la Hollande , & on n'eft pas fans
inquiétude fur les fuites de cette conduite.
» On a eu tort , dit un papier Anglois , de ne
ود
( 192 )
pas ménager une puiffance dont la neutralité nous
auroit été auffi avantageufe qu'à nos ennemis , &
qui , fi elle fe déclare , ne peut plus fe déclarer que
contre nous. On n'a pas affez pelé les resources ;
ce qu'elle a fait donnera une idée de ce qu'elle peut
faire encore. Son revenu ordinaite approche de deux
millions iterlings. Dans la guerre avec l'Angleterre
en 1665 , elle leva le double de cette fomme ; &
dans la guerre générale , qui commença en 1702 ,
& qui finit en 1715 , fon revenu annuel fut porté à
cinq millions fterlings . En cas de guerre ou d'autres
befoins urgens , les Hollandois font face à leurs
dépenfes extraordinaires , en levant la huitième
partie des biens du peuple , en impofant une capi
tation , ou en employant d'autres moyens extraor
dinaires . En 1666 , ils avoient plus de 60,000 hom
mes de troupes de terre , & de cent vaiffeaux de
guerre en mer. Du tems de Cromwel , en 1652 ,
& fous Charles II , ils n'en eurent pas moins de
150 ; ce fut alors qu'on vit combattre les plus
grandes flottes qui euffent jamais paru fur l'Océan .
Outre la force des Hollandois au dedans , leur
Compagnie des Indes eft en état d'équiper dans les
établi fèmens , une flotte de 60 vaifleaux de guerre ,
& de faire fur terre une levée de 40,000 hommes.
Le commerce qu'ils font en effet eft fi confidérable ,
qu'on a vu 22 vailleaux attiver de cette partie du
monde en une année « .
Les lettres de Cadix portent qu'il y eft
arrivé un paquebot venant de la Havane ,
d'où il eft forti le 28 Février. Il raconte que
le 12 du même mois l'Amiral Bonnet avoit
appareillé de ce port avec s vaiffeaux de
ligne & des bâtimens de tranfport portant
4000 hommes. Accueilli par un ouragan , il
fut obligé de regagner le port d'où il ne put
reffortir que le 25. On préfume que cette
expédition ne peut regarder que Penſacola.
TABLE.
T
OURNAL POLITIQUE | Cadix
deux
Pétersbourg ,
Stockholm
$8
49 Londres
eterre
Varfovie
so Verfailles ,
85
SI Paris ,
702
Vienne ,
Hambourg ,
87
52 Bruxelles ,
94
$ 31
urs
re
es
elt
e,
ie
it
de
it
it
20
DOIT
Vaiffeaux pris fur les Anglois.
LE Wafa - Orden, de Pool , pour Livourne ; pris
& envoyé à Algéziras. Cinq Bâtimens , pris &
envoyés dans différens Ports de France . Le Owners-
Adventure , de Londres , pour Cork ; pris par le
Prince-Noir , & envoyé à l'Orient. La Maria,
de Tingmouth ; pris & rançonné pour 250 guinées.
Deux Bâtimens , pris par un Corfaire François.
Le Libertg , de Londres ; pris par un Corfaire de
Dunkerque, & rançonné pour 850 guinées.
Vaiffeaux pris par les Anglois.
Deux Bâtimens pris par l'Hector , Corfaire , & envoyés
à Mahon. La Dunkerquoife , Corfaire
François ; pris par l'Emerald , Vaiffeau de Guerre ,
& envoyéà Portsmouth. Le Het-Hoff-Vanderlyn ,
de Morlaix , pour Rouen ; pris par le Portland ,
Vaiffeau de Guerre , & envoyé à Portſmouth . — Le
George , de S. Euftache , pour Bofton ; pris par la
Galatea , Vaiffeau de Guerre , & envoyé à New-
Yorck. Le Amfterdam , pris par le Neptune , Corfaire
, & envoyé à Portsmouth. Trois Bâtimens ,
pris par la Galatea, & envoyés à New- Yorck.
AVERTISSEMENT au fujet de la Médecine
Domeftique.
ON répand dans les Provinces , & même dans la
Capitale , le Profpectus d'une nouvelle Édition de
la Médecine Domestique en 6 ou 7 Volumes in-12 ,
propofée par Soufcription , à Genève , chez Téron
l'aîné. Cet Ouvrage n'a encore que deux Editions ,
toutes deux imprimées à Paris par G. Defprez ,
rue S. Jacques. La première étoit en s Volumes
in- 12 ; & la feconde , qui vient de paroître , eft
in-8 °. auffi en cinq Volunes. M. Duplanil , Traducteur
de la Médecine Domeftique , qui n'avoue
que les Éditions forties des preffes du Sieur Defprez ,
déclare qu'il n'a aucune part à celle qu'on prépare
à Genève ; & il croit cette déclaration d'autant
plus importante , que fi les contrefaçons en général
font juftement rejetées par le Public éclairé & jaloux
de s'inftruire , parce qu'étant faites furtivement , à la
hâte , & loin des yeux de l'Auteur , elles fourmillent
de fautes , & fouvent d'erreurs ; celle d'un Livre de
Médecine doit infpirer encore bien plus de défiance .
puifque la faute d'impreffion la plus légère en apparence
, fur tout dans la prefcription des remèdes
, peut avoir des conféquences très-fâcheuſes ,
& quelquefois mortelles ; & ces confidérations acquièrent
un nouveau degré de force , quand on réfléchit
que la Médecine Domestique paroît deftinée à
être entre les mains de tout le monde , & fouvent
de perfonnes qui étant dépourvues de toutes connoiffances
en Médecine , font incapables de rectifier
une erreur d'impression.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères