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1779, 10 (2, 9, 16, 23, 30 octobre)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
·
CONTENANT
P
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts; les Spectacles;
les Caufes célèbres , les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
Samedi 2
OCTOBRE 1779-
TREQUE
BY
BHATKAL
PALAIS
PARI
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
REVIOUS
rue des Poitevins.
Avec Approbation & Brevet du Ro
TOP
LIBRAR
TABLE
Des Matières du mois de Septembre.
IECES FUGITIVES.
Vers pour être mis au bas
d'un Maufolée de M. de Vol
taire , 3
4 Mde la Duchefe de
la Vallière , .. 49
97 A une jeune Moralifte ,
Billet en réponse à celui de
Mile- C...
Impromptu ,
145
147
78
Eloge de Mgr le Dauphin
père de Louis XVI,
Aux Mânes de Voltaire , Di
thyrambe ,
Efais fur l'Art des Accouchemens,
144
158
Table analytique
& raisonnée
du Dictionnaire
des Sciences,
Arts & Métiers , & de fon
Supplément
, 164
imitation de l'Ode XL d'Ana- Mélanges tirés d'une grande
créon ,
Bibliothèque ,
IF3
170
L'Esprit de Porti , Conte , 50 Hiftoire Générale de Proven-
Coup d'oeil d'un Cbfervateur ,
/ce ,
8 SPECTACLES.
Crifpin Négociateur , Scène Concert Spirituel ,
Evifodique,
176
117
147 Académie Royale de Muſi. 81 ,
Romance en Mufique , 54 185.
Mes Souvenirs , Romance , 154
Enigmes & Logogryphes , 4 ,
P
57,98 , 1550
NOUVELLES LITTER.
Séance de l'Académie Francoife
, 6
Comédie Françoife , 82 , 186
Comédie Italienne , 83 , 187
VARIÉTÉS.
Extrait d'une Lettre & d'un
Mémoire fur les moyens d'améliorer
les Vins , 86
Aux Mánes de Voltaire , Di- Lettre d'un Italien fur le Sa
thyramle
Epitre à Voltaire ,
Eloge de Suger ,
Cones Orientaux ,
13
27
35
lon ,
120
Aux Rédacteurs du Mercure
, 141
$ 8 De M. d'Alembert aux --
Succès de l'établiſſement pour mêmes ,
les noyés, 70 Gravures ,
Dictionnaire Iconologique, 3 Mufique ,
189
47
95
Lettre d'un Voyageur à Paris Annonces Littéraires , 48, 95 ,
à fon Ami, 76 191.
De Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 2 OCTOBRE 1779.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A
VERS
RÉCITÉS fur le Théâtre d'une Société
Littéraire , la première fois que l'Auteur
y joua
J'A1
'A1 vu ce tourbillon qu'on appelle le monde :
Tandis que l'on y cherche avec empreffement
Le trifte & vain plaifir d'échapper un moment
Afon oifiveté profonde ,
L'école du Théâtre occupe nos loisirs ,
Et nous nous inftruifons même par nos plaifirs.
Ici la beauté fidelle
Au Dieu des Arts qu'elle chérit ,
Sait encor fe parer d'une grâce nouvelle.
En cultivant les talens de l'efprit.
A ij
4
MERCURE
La Lande , favori de la doc Uranie ,
Aux Diſciples d'Euterpe enfeigne fes leçons ;
Et la Mufe du Chant , l'aimable Polymnie ,
De la voix de Thémire ( 1 ) embellit fes Chansons.
Ici , le mafque en main , la riante Thalie
Encourage à l'envi fes jeunes nourriffons ,
Et fourit aux effais que nous applaudiffons. (2 )
Olympe ( 3 ) eft en ces lieux fon Actrice chérie :
Chaque fois que le rôle ou la fcène varie ,
Elle change à fon gré de grâces & de tons ;
Et du jeu de Zulmé ( 4) la piquante faillie
Prête à fon minois fin l'air fripon des Martons.
FORMÉ dans l'art des vers , que mon ame idolâtre ,
Je viens m'affocier aux jeux de ce Théâtre ;
Et mon coeur aux talens par l'eftime lié ,
Veut cultiver fes goûts au fein de l'amitié,
Oui , du galant Ovide imitateur fidèle ,
Il fuffit que mes vers , grâces à leur modèle ,
D'un fexe que j'adore intéreffent le coeur ;
Mais fi dans la carrière un autre me devance ,
Le laurier qu'il obtient flatte mon eſpérance :
A titre de rival j'applaudis au Vainqueur ;
(1 ) Mile G *** .
(2 ) Allufion aux Pièces manufcrites jouées fur ce
Théâtre , & compofées par des jeunes gens de Lettres de
la Société.
( 3 ) Mile G **.
(4) Mlle B **
DE FRANCE,
Et dans la lice de la gloire
Nifus ( 1 ) triomphant à demi ,
Saura fe confoler de perdre la victoire ,
Par la victoire d'un ami.
( Par M. de Saint- Ange. )
HYMN E AA VÉNUS ,
Traduite de Sapho.
VENUS ! dont fur tant d'autels
L'homme adore , en tremblant , le pouvoir invincible ,
Aux rigueurs d'un amant , à fes mépris cruels ,
Ne livre pas mon coeur fenfible.
QUE dis-je , hélas ? Quitte les cieux ;
Quitte un inftant les biens que ton Olympe enferre:
Souvent, quand j'implorai 'tes foins officieux ,
Tu vins , Déeffe , fur la terre !
TA main guidoit un char brillant ,
Que traînoient dans les airs tes colombes fidelles ; .
Je les voyois vers moi voler rapidement ;
J'entendois le bruit de leurs aîles.
Tu defcends , le char fuit ; foudain ,
Par un charmant ſouris m'annonçant ta clémence ,
( 1 ) Autre allufion à un paffage du V Livre de
rEnéide ,
Emicar Euryalus & munere victor amici
Prima tenet.
A iij
6 MERCURE
18
Quel eft ton mal , Sapho ! difois - tu ? Quel chagrin
Te fait defirer ma préfence ?
QUEL faccès attendent tes voeux ?
Comment de ton amour puis - je calmer l'orage ?
Qui veux-tu , dans tes rêts , embrâſer de mes feux ?
Quel eft l'inhumain qui t'outrage ?
Il fuit tes pas , il les fuivra ;
Tu recevras de lui tous les dons qu'il refuſe :
Il t'aimera bientôt , & bientôt il perdra
La vaine fierté qui l'abuſe.
→ VIENS donc , ô Déeffe ! il eft temps ;
Viens bannir de mon coeur l'ennui qui le dévore :
Soumets-moi le plus beau , le plus cher des amans ;
Tu dois fecourir qui t'adore.
(Par M. Millin de la Broffe , Capitaine d'Inf.)
LE ROI , LE PAYSAN ET L'HERMITE ,
Conte.
UN Roi tourmenté d'infomnie ,
( On m'a dit que ce mal étoit le mal des Rois. >
Vit à la chaffe un Villageois
Étendu dans une prairie ,
Qui repofoit fi doucement ,
Et dormoit fi profondément ,
Que du trifte Monarque il excita l'envie.
Au même endroit un Hermite paffoit ,
DE FRANCE. 7
Homme fage , & qu'alors par - tout on respectoit ,
Faifant peu de Sermons , ne prêchant que d'exemple :
De toutes les vertus fon coeur étoit le temple.
Le Roi l'arrête , & lui dit : Homme faint ,
De grâce , dites-moi pourquoi ce miférable ,
Que le malheur pourfuit , que la fortune accable ,
Malgré les maux qu'il fouffre , & malgré ceux qu'il
craint ,
Dort comme un bienheureux , & bien mieux qu'un
Monarque ?
lui.
Sire, répond l'Hermite , un pauvre Villageois
Ne condamne perfonne , & ne fait point de lois.
Jamais l'ambition ne trouble fa penſée.
Des fautes qu'il commet feul coupable & puni ,
Ses chagrins font l'impôt , la taille , la corvée .
Il travaille pour vous , & vous veillez pour
De plaifirs & de maux ce confolant partage,
D'un Dieu jufte & clément , eft l'immortel ouvrage.
Vous avez tous les biens , ils ont tous les travaux .
Vous avez les remords , ils ont le doux repos.
Rois , qui nous gouvernez , portez mieux vos couronnes
:
Que les honnêtes-gens foient vos feuls favoris ,
Et mieux dormir dans vos lits ,
pour
Dormez un peu moins fur vos Trônes.
Ainfiparla l'Hermite ; & le Roi , furieux ,
Le fit punir , & n'en dormit pas mieux.
Ce Conte , dont l'idée eft auffi intéref-
A iv
MERCURE
fante que le ton en eft fpirituel & facile , eft
F'ouvrage d'un jeune homme de qualité ,
qui aime & cultive les Lettres. On y appercevra
quelques négligences qui prouvent que
Auteur ne l'avoit pas deftiné à l'impreffion ;
mais le peu d'importance qu'il attache à ces
amiemens de fon loifir , nous fait croire
qu'il pardonnera la petite infidélité qu'on
Jui a faite.
LE MORT REVENANT ,
Nouvelle.
SI le mariage eft le tombeau de l'amour ,
Pabfence lui eft encore plus funefte . On
cite pour exemple de cette vérité un Marchand
fort riche, marié depuis fix mois , qui
aimoit beaucoup fa femme, & qui en étoit
fort aimé , lorfque le defir du gain l'entraîna
dans un pays fort éloigné. Il partit malgré
les larmes & les careffes de fa jeune époufe ,
lui promettant de revenir bientôt avec de
nouvelles richeffes . Un de fes amis s'affocia
avec lui , & ils pafsèrent aux Indes ; ils firent
de grandes affaires ; mais plufieurs années
s'écoulèrent dans leur entreprife. Enfin ils
revinrent en Europe fur un vaiffeau entièrement
chargé de leurs marchandiſes . Ils furent
jetés par la tempête fur une côte d'Irlande ,
où ils furent obligés de s'arrêter , en attendant
qu'ils puffent fe rembarquer sûrement.
DE FRANCE. 2
Le Marchand conçut le projet de faire courir
le bruit de fa mort , pour furprendre enfuite
plus agréablement fon époufe par ſa
préfence. Il écrivit lui-même un billet d'une
main tremblante , comme s'il étoit expirant :
il faifoit un éternel adieu à fa femme, &
marquoit que fes feuls regrets étoient de la
perdre. Son affocié adreffa ce billet à un
Religieux de fes amis , & le pria de voir la
jeune veuve , & de la préparer à fupporter
avec réfignation la perte qu'il lui annonçoit.
Les chofes fe firent comme le Marchand les
avoit concertées : il ne ceffoit d'admirer
fon bon tour, qui le rendoit furvivant à luimême
, & qui devoit lui préparer une belle
furpriſe de la part de fa tendre moitié. Toute
la ville fut bientôt la trifte fin de ce Marchand.
Il n'y avoit point lieu de douter de
fa mort , après les preuves qu'il en avoit fi
bien préparées. Sa veuve prit le deuil , & fit
paroître d'abord beaucoup de trifteffe , mais un
Gentilhomme qui avoit commencé à lui faire
fupporter les ennuis de l'abfence , s'offrit de
réparer les chagrins du veuvage. Ce fecond
mari fe préfentoit avec des avantages que
n'avoit pas le premier. De la jeuneffe , des
grâces , de la naiffance , furent des titres qui
firent recevoir promptement fa propofition.
Le Gentilhomme fit porter fon nom à la
veuve deux mois après la nouvelle de la
mort du Marchand , & dans le temps même
que ce dernier partoit d'Irlande pour jouer
le mort vivant. Il arriva de nuit , fe faifant
Av
10 MERCURE
d'avance un grand plaifir de la joie que fon
apparition alloit caufer . Une fervante qui
vint lui ouvrir la porte , fit à fon afpect un
eri épouventable , & s'enfuit ; fa femme qui
étoit dans une falle voifine , accourut , &
croyant voir l'ombre de fon mari qui venoit
fe plaindre , elle jeta de fi hauts cris , que tous
les gens de la maifon & les voifins s'affemblèrent
. Elle tomba évanouie fur un fiége.
Le premier mari étoit d'un autre côté interdit
& muet d'épouvante & de douleur.
On fe regardoit , on ne favoit que penfer de
cette aventure. Enfin le Marchand apprenant
l'effet de la nouvelle qu'il avoit répandue
de fa mort , il en demeura accablé , & en
fut fi frappé , que la fièvre ne tarda point à
réalifer ce qu'il avoit fi mal imaginé. Il monrut
au bout de fix jours , en criant fans ceffe
qu'il méritoit fon malheur. Le fecond mari ,
que des ordres à donner avoient fait aller à
une terre , revint le jour qu'on enterra fon
rival. Il ne pouvoit arriver plus à propos
pour confoler encore une fois fon époufe de
fon fecond veuvage.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mor de l'énigme eft Silence ; celui du
Logogryphe eft Sacrifice , où fe trouvent
frac , fiacre, crife , fucre , ris , cri , fi, fraife ,
arc , fac Circe, carie , feie , & cire à
acheter
2
DE FRANCE. II
JE n'habit
ÉNIGM E.
E n'habite ni l'eau , ni le feu , ni la terre :
On me cherche en vain dans les cieux ,
Et pourtant je fuis en tous lieux .
Sans moi , Lecteur , tu n'eus pas eu Voltaire ,
Crébillon , ni Boileau , Corneille , ni Molière ;
Mais l'on peut aifément réparer ce malheur.
Au Parnaffe , fans moi , grimpe plus d'un Auteur ;
A Pradon , à Cotin je fus peu néceffaire.
Qui veut me deviner doit aller au Calvaire.
Je vis dans les quatre élémens.
Sans être dans les bois je fers aux éléphans .
On me voit dans une lunette ;
J'ai l'art de me gliffer au coeur d'une fillette;
Et quoiqu'invifible dans l'air ,
Sans moi l'on ne verroit pas clair.
Sans trop favoir pourquoi , je fuis à la Baſtille.
On me voit à Chaillot , au Louvre , à la Courtille.
Je ne quitte jamais le bal ;
Je figure au Palais Royal ;
Compagne de Luther , fidèle au Calviniste ,
J'aide à marcher le Molinifte .
Je demeure avec Lucifer :
Par- tout je me retrouve à table ,
Et fuis toujours avec le Diable ,
Sans jamais être dans l'enfer.
(Par un Abonné. y
A vj
12 MERCURE
DE
LOGOGRYPHE.
E tous les maux fortis de la boîte où Pandore
Trouva le châtiment de fa témérité ,
Je ne fuis pas le pire encore ,
Mais je fuis le plus redouté.
Aux bons je dois ce jufte hommage ,
J'excite la pitié dans leurs coeurs généreux ;
En me plaignant , leur bonté me foulage.
Mais des méchans , qui font bien plus nombreux ,
J'ai le mépris & la haine en partage.
Vous favez tous , Lecteurs , combien chez les Hébreux
La lèpre étoit jadis affreufe , abominable :
Je ne reffemble en rien à ce fléau honteux ,
Et l'on me fait fubir un deftin tout femblable.
On évite en tous lieux mon aſpect importun.
Vous conviendrez pourtant que je ne fuis pas vice.
Las ! on me traiteroit avec moins d'injuſtice
Si j'avois l'honneur d'en être un.
Dans mes huit pieds on rencontre une pierre ;
L'Ouvrier dont fouvent elle laffe les bras;
Un animal qui vit au centre de la terre ;
Une autre eſpèce à qui les chats
Ont toujours fait une cruelle guerre ;
Un fortbon mets , fur-tout s'il eft natif d'Amiens ;
Cet être précieux qui nous donne la foie ;
Dans ma tête feule je tiens
Une ville de France où l'on frappe monnoie.
DE FRANCE.
13
Voilà bientôt , Lecteur , mon portrait achevé :
Dès qu'à mes yeux quelqu'un de vous ſe montre
Les mains jointes , foudain l'oeil au ciel élevé ,
J'affecte d'un dévot le maintien réservé ;
Je
Et par une heureufe rencontre ,
porte dans mon fein le Pater & l'Ave.
( Par M. G... de M... , de Nogent-le-Roi.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
&.
VOYAGEfait par ordre du Roi en 1771
1772 , en divers parties de l'Europe , de
l'Afrique & de l'Amérique , pur MM. de
Verdun de la Crenne , le Chevalier de ,
Borda , & Pingré. A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur-Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Cluny. 2 volumes. in-4°.
LE but de ce Voyage étoit non - feulement
de déterminer plufieurs points importans )
pour la perfection de la Geographie & la
sûreté des Navigateurs : mais encore de com .
parer les diverfes méthodes de trouver, la,
longitude en mer , ou plus généralement d'y
faire des obfervations précifes ; d'examiner'
les inftrumens les plus ufités , ceux auxquels
14 MERCURE
les Navigateurs ou les Aftronomes accordent
le plus de confiance ; de s'affurer enfin du
degré de précifion & de sûreté de toutes les
methodes nouvelles , de tous les inftrumens
nouveaux que les Auteurs voudroient foumettre
à cet examen .
On en avoit chargé un Officier de Marine
très- inftruit dans toutes les Sciences qu'embraffe
cet Art fi important & fi compliqué ,
& deux Académiciens , célèbres tous deux par
de grands voyages , dont l'un Géomètre habile
, avoit fait , par goût & par devoir , une
étude profonde de la navigation & de la
fcience des inftrumens , tandis que l'autre ,
livré à l'Aftronomie , joint à l'habitude
d'obferver , une fingulière facilité pour les
calculs.
Il y a peu d'ouvrages où les Navigateurs
puiffent trouver plus de remarques utiles fur
T'art de diriger leur route , la manière d'employer
utilement les inftrumens , & les méthodes
les plus faciles & les plus sûres dobferver
& de calculer les obfevations ; mais
on fent bien que , fur des objets de ce genre ,
où la théorie eft fi dépendante de la pratique ,
où la pratique elle-même eft foumife aux
inconvéniens inévitables que produifent les
changemens rapides de température & de
climat , les mouvemens du vaiffeau , l'incertitude
du temps où il fera poffible d'obferver
, &c. ce n'eft qu'en étudiant les détails
DE FRANCE.
que l'on peut juger de l'utilité dont les réfultats
peuvent être dans la pratique journa
lière. Nous ne pouvons donc que renvoyer à
l'ouvrage , & nous nous bornerons à rapporter
quelques faits qui peuvent intéreffer
un plus grand nombre de Lecteurs.
Les Savans Voyageurs ont relâché aux Canaries
; ils ont examiné fans préjugé ce qui
refte de l'ancien peuple qui habitoit ces Ifles
avant les Espagnols. On trouvoit chez ce
peuple la fuperftition & le defpotifme ,
mais tempérés l'un & l'autre par des moeurs
douces.
On fait qu'en général moins un peuple eft
nombreux , moins le defpotifme eft févère ,
moins la fuperftition eft cruelle. Au refte ,
cette remarque n'eft vraie qu'autant qu'elle
s'applique à un peuple digne de ce nom.
Nous trouvons en effet dans l'Hiftoire plus
d'un exemple de hordes de voleurs très - peu
nombreuſes , où cependant le defpotifme &
la fuperftition ont porté la barbarie aux derniers
excès .
Il y avoit auffi parmi le peuple des Canaries
une efpèce de régime féodal. Le nombre
des habitans naturels eft diminué confidérablement
depuis la conquête ; c'eſt un
Gentilhomme de Normandie nommé,Bettancour,
qui le premier foumit une de ces Illes ,
& prit le titre de Roi . On dit que fa famille
y fubfifte encore , & qu'elle a préféré l'état
paifible de particuliers riches , à des préten
16 MERCURE
tions qu'elle n'auroit pu foutenir long- tems.
Les anciens habitans avoient l'art de conferver
les cadavres , en les trempant dans des
diffolutions , & les enfermant enfuite dans
des peaux que l'on depofoit dans des cavernes.
Ces corps fe retrouvent encore entiers
, mais le fecret de ces préparations, eft
perdu .
Le pic de Ténériffe eft un volcan ; les Savans
Academiciens ont cherché à en determiner
la hauteur ; mais cette opération, qui
femble très fimple au premier coup - d'oeil ,
demande des attentions très délicates fi on
veut de la préciſion & de la certitude.
Auffi les Académiciens , quelques précautions
qu'ils euffent prifes , craignoient encore
quelques erreurs. Un d'eux , qui a fait un
deuxième voyage aux Canaries , a cru devoir
répéter encore les opérations ; & c'est d'après
ce dernier travail qu'il paroît que la hauteur
peut être fixée à 1904 toifes. La méthode de
M. de Luc , qu'on a jointe à la méthode
Géométrique , a donné un réſultat très-peu
different.
Il feroit bien à defirer que l'on s'occupât
des moyens de rendre les méthodes de mefurer
les hauteurs plus faciles , fans diminuer
de leur exactitude. Indépendamment de l'utilité
dont il peut être pour les Navigateurs ,
de connoître la hauteur réelle des montagnes
qu'ils voient de loin , & de pouvoir jager ,
par l'obfervation de leur hauteur apparente ,
DE FRANCE. 17
de la diftance où ils fe trouvent , cette connoiffance
de la hauteur des terreins eft néceffaire
à l'Hiftoire Naturelle ; & fans elle il
eft impoffible de former une théorie de la
terre fondée fur les faits , & qui puifle fatisfaire
les hommes éclairés : mais pour ce
dernier objet il faudroit multiplier les nivellemens
à un point que les difficultés des dif
férentes méthodes , connues jufqu'ici , rendent
prefque impraticable.
ÉLOGE de M. DE VOLTAIRE , par
M. Paliffot , in -8 °. A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Jean-François Baftien,
Libraire , rue du Petit - Lion.
Ce titre promet plus qu'il ne donne . L'Auteur
de cette Brochure eût beaucoup mieux
fait de l'intituler : Précisfur M. de Voltaire
& fur fes Ouvrages. Le ton de fimplicité
qu'il a pris dans fon ftyle , le peu d'anecdotes
qu'il a recueillies , le peu d'étendue des ré-
Alexions dans lefquelles il eft entré , font autant
de raifons qui juftifient pleinement ce
que nous venons de dire . On en va juger
d'abord par l'exorde.
39
La gloire de M. de Voltaire n'eft pas
» refferrée dans les feules limites de fa patrie.
C'eſt à l'Europe entière , attentive
» aux premiers jugemens qui vont être por-
» tés fur cet Écrivain célèbre ; c'eſt à notre
ور
fiécle & à la poſtérité toujours juſte , mais
18 MERCURE
و ر
ور
» toujours févère , que nous ferons refpon-
» fables de ce que nous allons écrire ; &
→ nous aimons à nous pénétrer de cette vé-
" rité , pour nous défendre ici de toute paffion
, de tout enthoufiafme. Ecartons également
, & les éloges donnés par l'adula-
» tion , & les fatyres plus prodiguées encore
» par la haine ; & tâchons de faifir avec impartialité
ce qui doit caractériſer à jamais
» cet homme rare , cet homme fingulier ,
" & , pour parler d'avance le langage de nos
» defcendans , cet homme unique. »
ود
L'Auteur paffe rapidement fur les premières
difpofitions de l'enfance de M. de
Voltaire , ou plutôt il n'en dit rien ; mais il
compte, avec raifon , parmi les avantages
qui ont contribué à en faire un homme extraordinaire
, cette heureufe organiſation ,
capable de fuffire à l'application la plus
» continue , & qui , fans être affujétie aux
variations du temps , ne fe délaffoit du
travail que par le travail même. »
وو
»
Malgré une conftitution très- délicate en
apparence , aucun homme n'a été à la fois
plus précoce que M. de Voltaire , & n'a joui
d'une vieilleffe plus faine & plus robufte.
Aucun n'a commencé fa carrière d'une manière
plus brillante , & ne l'a terminée avec
plus de gloire. Non - feulement il a fuffi à
des travaux Littéraires qui auroient donné
matière à trente réputations diftinguées
mais à des foins qui fembloïent incompa-
>.
DE FRANCE. $ 19
tibles avec cette paffion prédominante pour
l'étude. »"
Ici l'Auteur entre dans quelques détails
hiftoriques , & rappelle quelques faits connus
. Puis il continue .
"
ود
ور
" Le moral dans cet homme fingulier
n'offrit pas moins de phénomènes que le
phyfique. C'est à l'âge de 18 ans qu'il fit
fa première Tragédie. C'étoit un prodige
» qu'un pareil debut ; mais par un prodige
plus grand encore , il méditoit dès- lors le
feul ouvrage de génie qui n'eût pas été
» tenté dans le fiécle de Louis XIV , ou du
» moins qui l'avoit été fi malheureuſement ,
qu'il ne nous refte de tous ces effais aucun
veftige. Il conçut le projet de la Hen-
» riade , & la France fut étonnée de devoir
» fon premier Poëme épique à un Auteur
» de vingt-quatre ans . Le même a été l'Hif-
» torien de Pierre-le-Grand , de Charles XII ,
23
ود
ور
de Louis XIV , & celui de toutes les Na-
» tions depuis Charlemagne jufqu'à nos
jours. Le même a étendu la carrière de
» l'Hiftoire , trop refferrée avant lui dans
les détails de la politique & de l'ambition
des Princes , comme s'il étoit de la
» deſtinée des peuples de leur être facrifiés
» en tout , & jufques dans les annales du
» monde. Il a fait fentir le premier cette
efpèce d'outrage fait au genre- humain;
» & ce que les Hiftoriens avoient jufqu'alors
» le plus négligé , l'influence de l'opinion fur
» les malheurs de la terre , les lois , les ufa-
و د
20 MERCURE
» ges , les moeurs , les progrès des Sciences
» & des Arts, devinrent le principal objet de
» fes recherches. Cette révolution de l'Hiftoire,
perfectionnée par la Philofophie ,
» eft peut -être une des chofes qui lui a
donné le plus de droits à l'admiration de
» fes contemporains & à la reconnoiffance
» de la postérité .
و د
و و
Ces idées fur l'Hiftoire font également
profondes & judicieufes ; & , n'en déplaife à
M. Paliffor , nous obferverons que toutes
les fois qu'il penfe & s'énonce ainfi , il eſt
vraiment Philofophe. Il s'en faut de beaucoup
qu'il ait aufli bien apprécié les Romans
de M. de Voltaire , qu'il fe contente d'appeler
un nouveau genre de Romans. Cette
phr fe nous paroît un peu mefquine. On ne
pouvoit parler plus vaguement des productions
les plus originales peut-être de ce Génie
auffi fingulier qu'univerfel , qui a embrallé
avec un égal fuccès tous les genres de la Littérature
, depuis le Poëme épique jufqu'au
Madrigal , depuis les hautes Sciences jufqu'à
l'Hiftoire ; & qui , par un prodige plus furprenant
encore , a fu fe créer dans chacun
de ces genres une manière neuve , & qui
n'appartient qu'à lui feul. Un Écrivain qui
a autant d'agrément & de fineffe dans l'efprit
que M. Paliffot , devoit fe complaire à caractérifer
ce nouveau genre de Romans , où la
raifon la plus fage femble avoir pris plaifir
à s'habiller en mafque , & où la morale ,
pour être préfentée fous les traits de l'enjouDE
FRANCE. 21
ment , n'en eft que plus profonde & plus
inftructive.
Le paragraphe qui concerne les Tragédies
eft un morceau de difcuflion excellent , bien
motivé, bien écrit. Nous voudrions pouvoir
le tranfcrire ; mais les bornes que nous prefcrit
la nouvelle forme de ce Journal , ne
nous le permettent pas. Nous ne pouvons
néanmoins nous empêcher d'obſerver que
le Panégyrifte de M. de Voltaire ne le place
qu'au fecond rang , en donnant à Racine le
premier. Quoique nous n'ignorions pas que
cette opinion foit celle de quelques gens de
Lettres , & même de gens de Lettres diftingués
, nous nous hafardons à croire que la
fupériorité de Racine n'eft rien moins que
prouvée. Il nous femble qu'un parallèle raifonné
des Pièces de ces deux grands Poëtes ,
feroit le moyen le plus sûr de décider la
question. Or , nous demandons fi l'amour
maternel dans Mérope n'eft pas au moins
auffi touchant que dans Andromaque , &
s'il n'eft pas d'ailleurs bien autrement déve
loppé ? Nous demandons laquelle de la rivalité
de Nemours & de Vendôme , ou de
celle de Pharnace & de Xiphares eft la plus
intereffante ? Nous demandons enfin quelle
eft la Pièce de l'Euripide François qui peut
être mife en parallèle avec Zaïre ? Si Racine
eft le Poëte des ames tendres & fenfibles ,
M. de Voltaire eft à la fois le Poëte des
coeurs paffionnés & celui des Philofophes.
22 MERCURE
Nous favons gré à M. de Saint - Lambert
d'avoir ofé dire le premier :
Vainqueur des deux rivaux qui régnoient fur la Scène ,
D'un poignard plus tranchant il arma Melpomène.
Et il eft à remarquer que ceux qui ont blâmé
le premier vers , n'ont jamais conteſté la vérite
du fecond : on n'a pas fait attention que
la penfée de l'un ne pouvoit pas être vraie ,
fi le fens de l'autre étoit faux ; & que fi M.de
Voltaire étoit en effet plus tragique que Racine
& Corneille , il les avoit donc furpallés.
On fait que dans fes dernières productions
en vers , M. de Voltaite avoit adopté de préférence
une manière nouvelle que M. Paliffot
appelle expéditive. Cette expreflion
nous paroît heureufe. Elle eft trouvée ; mais
felon le fens de l'Auteur , elle eft fynonyme
de négligée ; & nous fommes loin , & bien
loin , d'être de fon avis . Nous croyons que ce
qu'il prend pour négligence , n'eft autre chofe
que cette familiarité piquante , cette aimable
urbanité , cet atticifme fi vanté qui font le
charme des Épîtres d'Horace ; & , pour nous
fervir d'un vers très - heureux de M. de la
Harpe ,
Cette facilité , la grâce du génie,
on du moins qu'une pareille négligence eft
plusaimable que l'art le plus achevé , & plus .
a fufir que les plus beaux ornemens.
DE FRANCE. 23
Prenons pour exemple quelques vers de
l'Épître à Horace.
J'ai vécu plus que toi , mes vers dureront moins ;
Mais au bord du tombeau je mettrai tous mes foins
A fuivre les leçons de ta Philofophie ,
A méprifer la mort en favourant la vie ,
A lire tes Écrits , pleins de grâce & de fens ,
Comme on boit d'un vin vieux qui rajeûnit les fensa
Avec toi l'on apprend à fouffrir l'indigence ,
A jouir fagement d'une honnête opulence ,
Afortir d'une vie ou trifte ou fortunée ,
En rendant grâces aux Dieux de nous l'avoir donnée.
Ainfi , lorfque mon pouls inégal & preſſé ,
Faifoit peur à Tronchin près de mon lit placé ,
Quand la vieille Atropos aux humains fi févère ,
Approchoit fes cifeaux de ma trame légère ,
Il a vu de quel air je prenois mon congé :
Il fait fi mon efprit , mon coeur étoit changé.
Hubert me faifoit rire avec les pafquinades ,
Et j'entrois dans la tombe au fon de fes aubades.
Qui ne fent pas les grâces faciles & originales
de ces vers ? Ils femblent couler fans
effort de la plume du Poëte ; mais il n'en eft
pas moins certain que cette facilité même
fuppofe à la fois le plus heureux don de la
Nature , & habitude de l'art la plus confommée
,
Ludentis fpeciem dabit & torquebitur.
Après avoir apprécié l'Hiſtorien , le Phi24
MERCURE
lofophe , le grand Poëte , M. Paliffot juge
l'Homme. Il entre même dans quelques détails
fur fon caractère , non moins fingulier
peut-être que fon génie. En parlant de cette
fenfibilité , quelquefois trop irritable , que
ceux qui l'ont le plus provoquée par leurs
fatyres , lui ont le plus reprochée , M. Paliſfot
a le double mérite de ne manquer ni au refpect
dû au génie ni à la vérité . Ce morceau ,
qui étoit le plus difficile , eft en même- tems
le plus neuf de l'ouvrage , & celui où l'Auteur
a lé mieux réuffi . Mais plus nous remarquons
de correction , d'élégance , d'efprit
, de convenance dans fon ftyle , plus
nous regrettons qu'il fe foit tant de fois déclaré
l'ennemi de ceux dont il ne devoit être
que le rival. Il eft fâcheux qu'un Ecrivain
diftingué, dont le moindre mérite eft d'avoir
toujours refpecté la langue , ( mérite devenu
très-rare aujourd'hui ) n'ait pas fait un ufage
plus louable de fes talens ; & que fa plume ,
qui pouvoit être utile au maintien du bon
goût , n'ait été le plus fouvent dans fes mains
qu'un inftrument de vengeance.
ÉTRENNES
DE FRANCE. 25
É TRENNES du Parnaffe , ou choix de
Poefies. Vol. in - 12. A Paris , chez
Fétil , Libraire , rue des Cordeliers , près
celle de Condé , au Parnaffe Italien.
•
Année
1779.
Cet Ouvrage , qu'on croyoit mort , & que
nous rappelons à la vie , afin d'engager l'Éditeur
à faire un plus heureux choix cette
année , renferme des Poéfies dans tous les
genres ; mais le bon , le médiocre même
n'en font pas à beaucoup près la partie dominante.
Le Conte fuivant pourra donner
une idée de la plupart des autres Pièces du
même genre.
CERTAIN Docteur de la grâce efficace ,
Item , un Bachelier , fur les bancs s'enrouoient :
Or , penfez bien que point ne s'entendoient ;
Partant, de difputer.... tous deux ils en fuoient,
Las enfin de brailler , fe tait meffer Pancrace.
Lors , pour répondre , en vain l'écolier fe tourmente :
« Le cas n'eft clair , dit-il , entendons-nous un peu ;
Ç'à , Monfieur , raifonnons...-L'impertinent ! ...
,, pour
Dieu ! »
Je ne raiſonne pas , moi , Monfieur , j'argumente .
Rien de plus bifarre que ce mélange
du ftyle marotique avec le ftyle ordinaire.
Sam. 2 Octob. 1779 .
B
26 MERCURE
3
EPIGRAM ME.
La foudre en main , un Curé défaftreux
Chaque Dimanche attéroit les ouailles ;
Vertu parfaite , ou brafier ſulfureux :
Le Dieu qu'il prêche eft un Dieu fans entrailles.
Pourquoi , dit Jean , toutes ces funérailles ?
Hé, gros butor , répart l'homme facond,
» Ne vois-tu pas qu'en prêchant ces canailles ,
» Je compte fur ce qu'ils en rabattront ? »
Cette charmante Épigramme de M. Pidou
eft remarquable , en ce qu'elle a toujours le
mot propre. Quelle nobleffe ! que de grâces
dans le troifième vers ! comme il eft bien lié
aux précédens ! l'homme facond , pour dire
un Curé! rien de plus léger que cette céfure ,
je compte fur ce qu'ils en rabattront ; il faut ,
pour la fentir , favoir qu'elle y doit être.
Ce qui plaît fur-tout dans ces Étrennes
du Parnaffe , c'eſt la tournure des Épigrammes
qui , heureuſement , font en très-grand
nombre. Le fel en eft fi doux , fi volatil ,
qu'on feroit tenté de les prendre pour des
Madrigaux.
HIER DORIS , du moindre badinage ,
M'ôta le droit ; libre d'engagement ,
Ami , crois - tu qu'elle en fera plus fage ?
Non elle : aime le changement.
Voilà comme un homme , quitté par une
femme, doit faire une Epigramme , on eft
DE FRANCE. 27
toujours sûr de refter bons amis : peut -être
ne voit-on pas affez à qui fe rapporte libre
d'engagement : eft ce à Doris? Eft-ce à l'amant
difgracié ?
Celle- ci fe diftingue par fa fineffe & par
fa coupe heureufe. On ne peut guères reprocher
à l'Auteur que d'y avoir répandu le
fel avec trop de profufion. Il faut en tout
une fage économie.
L'HÉRITIER , Épigramme.
LORSQUE la fièvre , ou quelque maladie
L'agite & le preffe un moment ,
Le riche Azor fans ceffe crie ;
» Dieux ! que ne fuis-je au monument !
» O mort ! viens terminer une trop longue vie, »
Son héritier en dit autant.
On regrette de voir une maladie qui
agite & preffe un moment ; car ces deux
verbes fe rapportent autant à maladie qu'à
fièvre. »
La rime n'impofe fon joug qu'aux verfificateurs
; mais le Poëte a le droit de s'en
affranchir ; on ne peut donc qu'admirer la
noble hardieffe des deux Pièces fuivantes.
A Madame la Comteffe de V....
Les plus douces vertus forment fon apanage ;
Qui voit les attraits eft féduit ,
Et qui l'entend balance ſon hommage
Entre la nature & l'eſprit,
Bij
28 MERCURE
ÉPIGRAMME.
OPÈRE-T'IL , ce cataplafme ?
Comment vont tes yeux , petit Roi?
Ah! beaucoup mieux , ma chère femme :
Mon Médecin dit que je voi.
A ROSE, qui me demandoit des vers.
Il faut donc pour vous plaire
Etre Poëte abfolument.
Que d'Auteurs vos yeux pourroient faire ,
donnoient le talent !
Si vos yeux
Si tous vos amans , belle Rofe ,
Parloient en vers ,
Bientôt dans l'univers
On ne connoîtroit plus la proſe.
Que de légèreté , de grâces & de fentimens
dans cette petite Pièce ! On ne finiroit
pas , s'il falloit citer tous les petits chefd'oeuvres
qu'on trouve dans ce charmant
Recueil.
La feconde Partie de cet Ouvrage contient
quelques traductions des Poëtes Italiens
. Ces morceaux ne font pas fans mérite ,
quoique fort au- deffous de l'original . Voici
le début de la Jérufalem délivrée.
STANZ. I.
CANTO l'arme pietofe , e'l capitano ,
Ch'elgran fepolcro Liberò di Crifto :
Molto egli oprò colfenno , e con la mano
DE FRANCE. 29
Molto foffri nel gloriofo acquifto:
E invan l'inferno à lui fi oppofe , e in vano
S'armò d'Afia , e di Libia il popol miſto ,
Che favorillo il Cielo ; e fotto a i fanii
Segni riduffe i fuoi compagni erranti.
» JE chante les combats de ce Guerrier fidèle ,
» Dont le prudent courage animé d'un faint zèle ,
» Dans les murs de Solymne abatrit le croiſſant ,
» Et conquit le tombeau du fils du Dieu vivant.
» C'eft en vain contre lui que l'enfer en furie
» Unit les Africains aux peuples de l'Afie ;
» Ce Prince aimé du ciel , fous les faints étendards ,
» Raffembla les Chrétiens & fixa les hafards.
Les combats n'expriment point le mot
Italien pietofe qui , joint à arme, annonce une
guerre entrepriſe pour l'intérêt de la religion.
L'épithète de fidèle n'eft point dans le texte ,
& ne convient pas ici . L'Auteur eût aufli
bien traduit il Paftor- Fido , par le Berger
courageux , que l'exorde du Taffe , par le
Guerrierfidèle. D'ailleurs ces trois épithètes
en deux vers ont je ne fais quoi de languiffant.
Saint zèle n'eft point auffi dans le texte.
Prudent courage eft foible , & ne rend point ,
molto egli opro colfenno e con la mano. Dans
les murs de Solyme abattit le croiffant , vers
qui n'eft pas plus du Traducteur que du
Taffe , & conquit le tombeau du fils du
Dieu vivant. Du , du , choquent l'oreille.
Dieu vivant, expreflion vague & obfcure ;
Biija
30 MERCURE
ne femble-t'il pas d'ailleurs qu'il y ait deux
Dieux , l'un mort , l'autre qui ne l'eft pas ?
Sous les faints étendards , ce faint zèle ,
épithètes placées trop près l'une de l'autre
pour être répétées ; & puis , les faints étendards
de qui ? Fixa les hafards , rempliffage
pour la rime.
*
STANZ. I I.
O Musa , tu , che di caduchi allori
Non circondi la fronte in helicona :
Ma sù nel cielo infrà i Beati cori
Hai di felle immortali aurea corona ;
Tufpira alpetto mio celefti ardori :
Tu rifchiara il mio canto , e tu perdona
S'inteffofregi al ver , s'adorno in parte
D'altri diletti , che de tuoi le carte.
» OTO1, qui ne vas point , trop fière & trop aimable ,
Cueillir fur l'Hélicon un laurier périffable ,
Mais dont le front brillant d'étoiles couronné
» De la fplendeur des cieux éelate environné ,
Mufe , viens me guider dans ma longue carrière ,
» Eclaire mon efprit des feux de ta lumière ,
» Et fouffre que ma main , pour embellir tes traits )
Ajoute quelques fleurs à tes fimples attraits.c
Les cinq premiers vers de l'invocation
nous paroiffent heureux ; le fixième est plus
que foible , & ne rend point l'original.
Les deux fuivans font faciles & agréables ,
quoique le mot fleurs foit fort éloigné de
DE FRANCE. 31
intelſo fregi al ver , qui , à la lettre , fignific
entremêler des ornemens avec la vérité.
SA1 , che là corre il mondo , ove più verſi
Difue dolcezze il lufinghier parnaffo ,
E che'l vero condito in molli verfi ,
I più fchivi allettando ha perfuafo .
Così allegro fanciul porgiamo afperfi
Difoavi liquor gli orli del vafo ,
Succhi amart, ingannato ei beve ,
E d'all'inganno fuo vita riceve.
>
» Tu fais que des beaux vers l'élégante molleffe ,
» D'un précepte févère adoucit la rudeffe ,
» Et le grave àjamais , avec des traits profonds ,
» Dans un coeur indocile & fourd à tes leçons.
» C'eft ainfi que l'on voit une prudente mère ,
» Avant de préfenter l'abſynte falutaire™
" A fon fils étendu dans les bras des douleurs ,
>> Da vafe redouté couvrir les bords trompeurs
De ce nectar fi doux que l'abeille compofe
» Du butin qu'elle fait fur le lys ou la roſe ;
» L'enfant par ce nectar eft attiré foudain ;
» Le filtre d'amertume a paſſé dans fon ſein ;
» Des maux qu'il éprouvoit la fougue eft ralentie ,
Et fon heureuſe erreur le rappelle à la vie. »
D'un précepte févère , n'eft point du Taffe ;.
il ne s'agit point ici d'un Poëme didactique :
l'idée d'ailleurs n'eft point rendue , &c. &c.
mais les quatre vers de la comparaifon , ces
Biv
32 MERCURE
vers charmans que tout le monde fait par
coeur , font auffi traînans & profaïques dans
la traduction que délicieux dans le texte. M.
de Gaffendi a paraphrafé une image dont il
falloit refpecter la précifion , crainte de lui
ôter de fes grâces. Que veut dire les bras
des douleurs , & les deux vers fuivans
pour exprimer du miel ? Qu'est- ce que la
fougue des maux & le filtre d'amertume ?
D'ailleurs , couvrir les bords trompeurs eft
trop éloigné de on voit qui doit le régir ; &
la tournure grammaticale n'eft point exacte.
MANUEL de l'Étranger qui voyage en Italie ,
contenant le détail de la pofition des lieux ,
de leurs diſtances , des routes de communication
, du nombre & du prix des poftes
, des curiofités qui fe trouvent dans
chaque ville , comme les tableaux les plus
célèbres , les plus beaux morceaux de
Sculpture , les antiquités , les cabinets ,
bibliothèques , &c. avec des cartes particulières
des principales routes. 1 vol .
in- 12 . A Paris , chez la veuve Ducheſne
Libraire , rue S. Jacques , 1778 .
,
Ce titre eft affez détaillé pour faire connoître
la matière , le but & l'utilité de cet
ouvrage. Voyager , c'eft pour le vulgaire ,
changer de place ; mais pour l'homme inf
truit , c'eft voir d'autres hommes , d'autres
moeurs , d'autres formes politiques & religieufes
, c'eft fe défaite des préjugés nation-
*
DE FRANCE,
33
naux , perfectionner fon goût , étendre la
fphère de fes connoiffances , agrandir fon
être en fe procurant la jouiffance de tout ce
qu'il y a de bon & de beau , d'utile & d'agréable
dans les Contrées nouvelles que l'on parcourt.
De tous les voyages , celui d'Italie eft ,
fans contredit , le plus agréable , le plus inftructif,
le plus néceffaire à un homme bien
né. Il n'eft aucune partie de l'Europe , on
pourroir dire du monde entier , qui offre au
voyageur un champ plus vafte & plus diverfifié
, une moiffon plus abondante de remarques
& d'obfervations intéreffantes dans tous
les genres. Amans de la Nature , Amateurs
des Beaux-Arts , Philofophes , Naturaliſtes ,
Hiftoriens, Antiquaires , Peintres , Sculpteurs ,
Architectes , Muficiens , tous rencontrent en
Italie de quoi piquer leur curiofité , fixer
leurs regards & ravir leur admiration. C'eſt
un tableau univerfel où fe trouvent réunis
les objets de toute eſpèce . Mais ( il faut en
convenir ) cette immenfe compofition n'offre
que confufion & chaos à quiconque ne fait
point y promener fes regards , à quiconque
n'y jette que des yeux étonnés & novices
dans l'art d'appercevoir. C'eft malheureufement
le cas des trois quarts & demi des
Voyageurs , fur- tout des jeunes gens. »
Il eft donc à propos de leur apprendre
à voyager. Bien voyager dépend de l'art de
bien voir ; & l'art de bien voir s'apprend par
l'étude , la réflexion & l'expérience . Ce Manuel
commence par une introduction qui
By
34 MERCURE
renferme quelques avis préliminaires utiles
aux jeunes gens qui defirent voyager avec
fruit , & qui n'ont acquis aucune expérience
en ce genre. On entre enfuite dans des détails
fur les diferentes parties de la Peinture &-
de la Sculpture , & l'on donne quelques légeres
notions des premiers principes de ces
Arts , pour mettre le commun des Voyageurs
à portée de jeter fur les tableaux & fur les
ftatues , un regard plus éclairé , & confe
quemment plus fatisfaifant . Nous citerons
quelques-unes des réflexions fur la Peinture :
il s'agit de la connoiffance de la manière des
Peintres & des Originaux.
"
Chaque Peintre , ainfi que chaque Ecrivain
, a fon ftyle , c'eft à-dire , fa manière de
compofer , fon caractère de deflin , fon coloris
particulier. En conféquence , l'habitude
de voir un grand nombre d'ouvrages des
mêmes Maîtres , doit apprendre à la longue à
reconnoître jufqu'à un certain point ce qu'on
appelle leur main. Beaucoup de gens font
un grand étalage de cette connoiffance , & ..
s'attachent plus à deviner , à la vue d'un tableau
, qui en eft l'Auteur , qu'à juger s'il eſt
bon ou mauvais , & à rendre raifon de leur
jugement. Rien n'eft plus plaifant que de
voir un de ces Docteurs s'approcher d'un
tableau , le frotter du bout du doigt , fe
mordre la lèvre , froncer le fourcil , & prononcer
d'un ton d'oracle : c'eft d'un tel
Maître ; mais ce qu'il y a de plus plaifant
encore , c'eft de voir les bévues dans lef35
DE FRANCE.
quelles ces Mellieurs tombent fouvent . Rien
en effet n'eſt fi fautif que cette connoiffance ;
car non - feulement il y a eu des Peintres qui
avoient le talent de copier les ouvrages d'autres
Maîtres avec une telle perfection , qua
les Auteurs même méconnoiffoient leurs originaux,
mais encore beaucoup d'Artistes fe
font plû quelquefois à changer leur manière ,
à imiter le faire d'un autre , au point qu'il
n'étoit plus poffible de les reconnoître . D'au
tres , en retouchant les ouvrages de leurs
Élèves , leur ont donné cette touche origi
nale , que les fins connoiffeurs croient fi bien
reconnoître. Vous verrez à Gènes , dans le
palais Durazzo , une copie du fameux tableau
de Paul Véronèze , repréfentant la Madeleine
aux pieds de Notre- Seigneur , qui eft fi femblable
à l'original , que le propriétaire de
l'un & de l'autre les a féparés , de peur de les
confondre , & refuſe de ſe défaire de la copie
, quelque prix qu'on lui en offre , dans
la crainte qu'on ne lui difpure un jour d'être
poffeffeur du véritable original. On connoît
deux Saint-Jean-Baptifte de Raphaël , & trois
Venus du Titien , tableaux tout femblables ,
de la même beauté , & entre lefquels on ne
peut décider quel est l'original ; chaque propriétaire
dit : c'eft le mien. Eh ! qu'importe,
dira-t'on , s'il eft vrai qu'une copie foit tellement
parfaite ; que , comparée à l'original,
elle puiffe en tout point être priſe pour lui ?
Pourquoi donner tant de préférence à l'un
fur l'autre? Le mérite de Foriginal n'eft plus
B vj
3.6 MERCURE
alors qu'imaginaire. C'eft affez vrai , & je
dirai plus s'il étoit poffible qu'une copie
fût fupérieure à fon original dans le moindre
des points , & égale dans tous les autres , je
donnerois fans héliter l'original pour avoir
la copie ; & je crois que quiconque aimera
l'art pour l'art , la chofe pour la chofe , penfera
de même que moi , mais lorfqu'un Âmateur
achette au poids de l'or l'ouvrage vrai
ou fuppofé d'un grand Maître , l'amourpropre
a fouvent plus de part que toute autre
chofe , au facrifice qu'il fait de fon argent.
Il veut avoir un morceau unique , que
perfonne ne poſsède que lui , & prife plus
la qualité d'original que le mérite réel du
morceau ; auffi tant que lui & les autres
font dans la ferme opinion que fon tableau
eft original , il l'admire , s'enthouſiaſme ,
l'eftime plus encore qu'il n'a coûté ; mais
que l'on vienne à découvrir le pareil , &
qu'après bien des difcuffions , des examens
& des recherches, il foit décidé & prouvé que
celui que possède notre Amateur eft la copie
, ce morceau , ci - devant admirable , ne
l'eft plus ; on ne daigne plus le regarder , &
il perd abfolument tout fon prix , quoique ,
comme tableau , il ait toujours le même degré
de perfection. Il eft vrai que rien n'eft
plus rare que de trouver une copie qui ne
foit pas fenfiblement inférieure à fon original
, & qui ne laiffe point appercevoir
cette différence entre la touche facile & libre
de l'Artifte inventeur & créateur , & celle
DE FRANCE. 37
de l'Artiſte imitateur & fimpe copiſte . Néanmoins
il faut un grand ufage , beaucoup de
connoiffance pour fenrir & appercevoir
cette différence. Un Voyageur qui a paffe
douze ou quinze mois en Italie , a néceffairement
acquis , à la fin de fon voyage , une
certaine connoiffance de la manière des différentes
Écoles , & même de quelques - uns
des principaux Maîtres. Il reconnoitra , par
exemple , affez facilement les ouvrages de
Raphaël & de fon École. Paul Véronèze eft
encore un de ceux dont il diftinguera la touche
& le coloris ; mais qu'il ne porte pas
trop loin fes prétentions , fur-tout s'il s'agit de
faire quelque acquifition importante. Il faut
fe méfier des Italiens ; les plus habiles ont
fouvent été leur dupe , & ont payé bien
cher , pour originaux , ce qui n'étoit que des
copies.
$
و د
VARIÉTÉS.
REMARQUES fur les Inventeurs du 7° Livre ,
Chap. 56 de Pline , & fur la nouvelle
Traduction du même Auteur , par M. P.
de S.
ON ne peut trop favoir de gré à Pline d'avoir
terminé fon Hiftoire de l'Homme par ce qui fait le
plus d'honneur à l'efprit humain , c'eft- à- dire , en
renfermant dans un tableau fuccinct la maffe des
découvertes qui ont été faites dans les Arts & les
Sciences , par ce petit nombre de génies rares qui
38
MERCURE
ont paru dans tous les fiècles , & que la nature femble
avoir deftiné . à étendre & à perfectionner nos
connoiffances. Mais que de traditions vraies ou
Guffes recueillies par ce grand homme ! En effet
jetons un coup-d'oeil fur cette énumération rapide
nous verrons que ce chapitre cft un de ceux dans
lefquels Pline fe contente de compiler ce qu'il avoit
ramaflé dans les lectures , fans ordre , fans goût , en
un mot nulle critique dans les faits : il fe contredit
plufieurs fois lui -même dans cette énumération des
Arts créés par l'homme , E: rapporte des chofes dont
il reconnoît la faufferé ailleurs. Ici Pline ne parle
point en fon nom , & ne fe rend garant de rien , &
c'eft un des chapitres de fon grand Ouvrage , où il
faut appliquer pour fa gloire la formule qu'il emploie
ailleurs : Equidem plura tranfcribo quàm credo. J'avoue
qu'en général il règne bien des contradictions.
fur l'époque & fur les auteurs des premières inventions
: cependant , malgré l'obſcurité & l'incertitude
qu'une tradition peu fidelle a répandues fur cette matière
, on peut , avec quelque attention & le ſecours
de la critique , parvenir à démêler la vérité d'un
grand nombre de faits . Citons un exemple : Pline
dit , liv. 7 , chap . 56 , en répandant cette obſcurité
qui lui eft fi familière , que Prométhée (1 )
inventa l'ufage de conferver le feu dans la férule.
Ignem ...... adfervare in ferula , ( invenit ) Prometheus.
Pline paroit avoir emprunté cela d'Héfiode ,
qui , en parlant du feu que Prométhée vola dans le
ciel , dit qu'il l'emporta dans une férule (2 ). C'eſt à
quoi fait allufion Martial , lorfqu'il fait dire aux
(1 ) Voy. pour le temps où il vivoit , Mém. de l'Acad.
. 31 , p. 165 .
·(2) Op. dies , v. 51.Voy, auffi Diod, l.
¿diz, de Rhodoman , 1604. & Hygin , fab, 144
.P. 335
1
DE FRANCE 39
férules : Nous éclairons par les bienfaits de Prométhée.
Clara , Promethei munere , ligna fumus ( 3 ) .
La découverte de la férule par M. Tournefort , va
nous mettre à portée d'entendre ces trois paffages.
La tige de cette plante , felon ce Savant , eft remplie
d'une espece de moële que le feu ne confume que trèslentement
, & les Matelots s'en fervent pour tranf
porter du feu d'une île dans une autre : cet ufage eft
de la plus haute antiquité ( 4) . J'obferverai maintenant
, que pour parvenir à entendre ce chapitre de
Pline , où il eft beaucoup parlé des découvertes que
nous devons à la Grèce , c'eft Homère qu'il faut
confulter , & j'ofe affurer que c'eft le feul guide que
l'on doive fuivre pour ce qui regarde les fiècles héroïques
, parce qu'il s'eft particulièrement auaché à
décrire les Arts. Enfin , ce grand Poëte eft exact à
ne prêter aux temps dont il parle , que des connoiffances
qu'il favoit leur appartenir. Par exemple , on
voit par fes Poëmes que la fcie n'étoit point connue
au temps de la guerre de Troye : fans parler des
endroits où il auroit cu occafion d'en parler , le vaifſeau
qu'il fait bâtir à Ulyffe dans l'île de Calypfo, lui
prêtoit un beau champ pour parler de tous les outils
dont il pouvoit avoir connoiffance ( 5 ) ; auffi le mot
apia , qui en Grec fignifie une feie , ne ſe trouve
point dans ce Poëte . Il n'eft jamais non plus queftion
dans l'Iliade de trompettes. Il en parle à la vérité ,
mais ce n'eft que comme comparaiſon (6) , & c'eſt
pour cela qu'il ne donne point de trompettes aux
"
(3) Mart, l. 14 , épig. 80.1
(4) Voyage du Levant , pår Tournefort , t . 1 , p. 344 .
245 , édit. in-4°.
(s ) Voy. OdyЛ. l. s V. 234 & 245 , &c. ·
(6) Iliad, 1, 18 V. 2.19. Voy. auffi Mém, de l'Acad.
8, 1 , p. 104, 105, &c.
40 MERCURE
Grecs ni aux Troyens. Cet inftrument ne s'introduifit
dans la armées Grecques qu'environ un fiècle après
la deftruction de Troye ( 7 ) . Au refte , cela ne doit
s'entendre que des peuples dont je viens de parler ,
puifqu'il eft parlé de la trompette dans Job & dans
Moile. Virgile n'a pas Texactitude d'Homère ;
car en parlant du pillage de Troye , il dit : Exoritur
clamorque virum , clangorque tubarum. Il en manque
encore lorfqu'il met des tableaux dans le temple de
Carthage ; & Énée , felon ce Poëte , s'y reconnoît
parmi les Héros qui étoient peints ...... Animum
pictura pafcit inani. Mais le contraire fe prouve en
difant qu'Homère ne met point de tableaux dans les
Palais qu'il s'eft plu à décrire , quoiqu'il y mette des
ftatues & d'autres ornemens . Pline , qui poffédoit
bien la connoiffance de l'antiquité , affure que l'art
de peindre n'étoit pas encore inventé au temps de la
guerre de Troye (8 ) . Puifque j'en fuis à parler des
Arts inconnus dans ces fiècles reculés , je remarquerai
auffi que l'art de ferrer les chevaux n'étoit point connu
du temps du fiége de Troye ; car aucun paffage d'Homère
ne le donne à entendre ; & Xénophon , dont il
nous refte un traité fur la manière de panfer & de
gouverner les chevaux , ne parle point de la ferrure .
Cependant quelques Savans (9) prétendent qu'Homère
en parle ; & fondant leur opinion fur les vers
152 & 153 du 11e liv. de l'Iliade , ce Poëte y dit ,
felon eux , que les chevaux frappent la terre avec
leur airain. Mais s'ils euffent fait attention aux vers
150 & 151 , ils auroient trouvé, que les Grecs met-
(7) Voy. Suid. t. 2¸ , P. 360 .
(8 ) L. 35 , Sect . 6 , p . 682 , édit, de 1723 .
(9) Voy. Iliad. trad. de Mde Dacier , 1. 2 , p . 178 .
n . 22 édit, de 1712. Monif. Antiq. Expl. tom. 4 .
P. 79 , 80,
.
DE FRANCE. 4L
tent enfaite les Troyens en les frappant , dit le Poëte ,
avec les armes d'airain qu'ils ont à la main ( 10 ) .
Nilant obferve que cet ufage ne paroît avoir été
introduit qu'environ l'empire de Sévère , & Fabretti
affure qu'il n'en a découvert aucun veftige fur la
colonne de Trajan ( 11 ) ; le favant Abbé Winckelmann
confirme tout cela. Toutes les obfervations
peuvent fervir à éclaircir le ch. 56 du 7e liv . de Pline .
Je vais me permettre quelques réflexions fur la verfion
& fur les notes du 7e liv. ch. 56 de la nouvelle
édition & traduction de Pline , par M. P. de S. J’obferverai
d'abord que ce Savant , dans fes notes fur
ce chapitre , prétend que la plupart des Inventeurs
dont parle Pline font tous des êtres factices & fymboliques
, & foutient cet étrange fyftême , en allant
chercher dans les langues la connexion que les noms
des Inventeurs ont avec l'art qu'on leur fait inventer .
Mais j'ai déjà prouvé que ce paradoxe n'eft nullement
admiffible , & qu'il étoit démenti par l'hiſtoire & les
monumens qui nous reftent de l'antiquité ( 1 2 ) . J'ajouterai
feulement qu'on peut mettre hardiment cette
opinion au nombre de ces fyftêmes faits à plaifir
qui n'ont d'autre fondement que l'imagination de
Auteur qui les a enfantés . Pour fa verfion , elle ne
m'a pas paru fort exacte , au moins dans le chapitre
dont il eft ici queſtion . Voici comme il traduit le
paffage fuivant : Frenos & ftrata equorum Pelethronium
( quidam inveniffe dicunt. ) « Péléthronius en
feigna à brider & à ferrer les chevaux. » On fait
35
сс
(10) Voy, la remarque du Scholiafte ſur le vers 15 3
du 1 liv. de l'Iliad. édit. in 4º. Cantabrigia , 1711 .
Gog. tom. 4 , p. 334 , n. ( 1 ),
"
mois de
(11 ) Mém. de Trév. Janv. 1713 , p . 171 .
( 12) Voy. Journal des Savans , ann . 1779 ,
Juillet , P. so 3 & fuiv. & Journ , de Litt . 1779. No. 8¿ .
42 MERCUREU
ou
auſſi bien que moi que le mot ftrata fignifie felle
, pour parler plus exactement , couverture
houffe , &c. qu'on met fur les chevaux , parce que
la felle proprement dite & les étriers ont été inconnus
aux Grecs. Comme Péléthronius eft peu connu , jé
dirois que Philargyre nous apprend que quelques
Auteurs difoient que ce Péléthronius avoit été un
Roi des Lapithes. Alii Pelethronium Regem Lapitharem
volunt ( 13 ) . Hygin , qui fait auſſi mention
de ce Prince , dit la même chofe que Pline ( 14 ) .Voici
comme il traduit encore le paffage fuivant : Catapul
tam Syro - Phænicas , ( quidam inveniffe dicunt )
balliftam & fundam. Æneam tubam , Pifaum Tyrrhenum.
« La catapulte fut inventée par les Syro-
» Phéniciens ; la bailifte & la fronde par Ænée ; la
trompette par Pifxus le Tyrrhénien. » Eneam
n'eft point un nom propre , & ce mot eft l'adjectif
de Tubam , & c'eft ainfi que tous les Savans l'ont
entendu , parce que la pratique la plus ordinaire dans
l'antiquité étoit de faire les trompettes de cuivre
métal qui rend un fon très -perçant. ( 15) . La ballifte
& la fronde font par conféquent de l'invention des
Syriens ou des Phéniciens , & l'line en cela a fuivi .
la tradition de prefque toute l'antiquité ( 16) . J'obferverai
au fujet de la fronde , que cette arme eft.
très-ancienne ; car il en eft parlé dans Job & dans
Homère ( 17 ) : il eft à remarquer qu'il n'en donne
4
·(13) Voy, la note de Philargyre fur le 115 v, dụ
liv. des Georg. de Virg. p. 477 , édit, Var, 163
in- 8 °..
( 4) Hygin , fab, 274 , lig, 6 & 7 .
(15 ) Voy. Virg. En, liv. 6 , v. 165 .
(16) Strab. 4. 3. p . ass , Di&t. des Antiq . Rom.
par Pitifcus , tom, :1 , p. 244, 245 ' , 8275 848,
(17) Iliad. liv. 13.
DE FRANCE. 43
1
jamais à fes Héros. Je pourrois ajouter beaucoup
d'autres obfervations fur la verfion & fur les notes
de ce chapitre de Pline , de la traduction de M. P.
de S. mais ce que j'ai dit eſt ſuffiſant
pour
que fon fyftême eft très -propre à rendre obſcur ce
qui ne l'est déjà que trop , & que le flambeau de la
sritique n'a pas toujours éclairé ce Savant.
J'ai l'honneur d'être , Meffieurs ,
montrer
Votre très-humble & très- obéiffant
ferviteur , LE PRINCE le jeune ,
attaché à la Bibliothèque du Roi.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Le Vendredi 24 du mois dernier , on a
donné pour la première fois , Echo &
Narciffe , Opéra en trois Actes , paroles
de M. le Baron de ... , mufique de M. le
Chevalier Gluck.
A l'inftant où nous écrivons cet article
M. Gluck s'occupe des changemens que la
première repréſentation de cet Ouvrage lui
a fait juger néceffaires. Nous attendrons.
donc , pour entrer dans quelques détails ,
que ces changemens aient eu lieu , & que
le Public en ait jugé.
Tout le monde connoît la fable d'Écho
& Narciffe ; M, le Baron de ... l'a arrangée
à fa manière. Nous rendrons inceffamment
compte de ce Poëme , dans les nouvelles littéraires.
1
44 MERCURE
:
COMÉDIE ITALIENNE.
DEPUIS
EPUIS que nous avons promis un examen
particulier des Bourgeois du Jour ,
M. le Chevalier de Rutlidge a refondu fon
Ouvrage en quatre Actes. Avant d'en rendre
compte , nous reverrons cette Comédie , &
nous entretiendrons enfuite nos Lecteurs des
changemens plus ou moins heureux qu'on y
a faits.
On nous affure à l'inſtant ( 26 Septembre )
que nous avons été inal informés , quand nous
avons dit dans notre dernière feuille que la
Comédie de M. de Rutlidge avoit été lue &
refufée par les Comédiens François . Nous
avons avancé ce fait fur la foi de quelques
Comédiens . Il eft poffible qu'on nous ait
trompés fur cet objet , mais nous ne l'avons
certainement pas été fur le ton aigre & injufte
qui règne dans la Préface , non plus que fur
la médiocrité de l'Ouvrage .
GRAVURES.
PLAN de la Ville & des Forts de Gibraltar & de
la Baye d'Algéfiras , avec projet d'attaque , dirigé
fur la Ville & autour de ladite Baye , avec deux
Vaiffeaux au centre pour marquer le danger de la
pofition , gravé avec beaucoup de foin & de netteté ,
dédié à M le Prince de Montbarey , Miniftre &
Secrétaire d'État au Département de la Guerre , par .
DE FRANCE. 45
>
M. Maugein , Ingénieur - Géographe. Se vend à
Paris , chez l'Auteur , rue des Francs- Bourgeois
porte S. Michel , maiſon de l'Arquebufier ; & chez
les Sieurs Perrier & Verriers , au grand magafin de
Géographie , à l'Hôtel de Soubife. Prix , 1 liv. 15 f.
Atlas moderne portatif, composé de vingt- huit
Cartes fur toutes les parties du Globe terreftre , nouvelle
édition , augmentée de trois nouvelles Cartes
aftronomiques , & d'une Introduction à la connoiffance
de la Géographie ; prix relié en carton s livres ,
idem enluminé 6 liv . 10 fols .
L'accueil favorable que le Public a fait à cet Atlasportatif,
dont la première édition eft entièrement épuisée,
a encouragé fes Éditeurs à le perfectionner . Comme il
eft principalement deftiné à la Jeuneffe , ils ont cru devoir
l'enrichir d'une Introduction à la connoiffance de
la Géographie , dans laquelle on trouvera l'explication
des principaux objets de cette Science . On s'étoit
borné , dans la première édition , à donner une
Sphère oblique , pour faciliter aux Élèves la connoiffance
des différentes pofitions des cercles , & du
rapport qu'ils ont avec les parties du Globe terreftre
; on y a ajouté la Sphère droite , la Sphère parallèle
, la pofition des cercles , felon le fyftême de
Ptolomée & celui de Copernic , ainfi que la repréfentation
du Globe célefte en deux plans hémisphères
coupés par l'écliptique. Pour accoutumer les jeunes -
gens à l'efprit d'analyfe , on leur préſente encore ,
dans une planche nouvelle , la divifion aftronomique
du Globe terreftre , en cercles , zônes , climats ,
degrés de longitude & de latitude . Les Cartes &
Planches ajoutées à cette nouvelle édition ſe vendent
féparément , en faveur de ceux qui ont acquis la
première. L'Ouvrage fe vend à Paris , chez Laporte ,
Libraire , rue des Noyers ; Fortin , Geographe , rue
de la Harpe ; & les principaux Libraires & Mar46
MERCURE
chands d'Eftampes de France & des Pays étrangers.
On vend chez les mêmes l'Atlas Celefte de Flamitéed,
en 30 Cartes in-4° . approuvé par l'Académie Royale
des Sciences , & publié fous fon Privilége ; prix 9
liv. relié en carton , & 10 liv. en, veau . On y trouve
auffi l'Atlas de M. Robert de Vaugondy ; prix 21
liv, relié en carton , & 24 liv . relié en veau.
MUSIQUE.
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de Harpe , par François Pétrini .
Euvre XVI . No. 9. Il paroîtra tous les mois un
cahier de huit planches , jufqu'à la concurrence de
douze cahiers , pour lefquels on foufcrit. Le Prix de
la Soufcription eft de 18 liv. , & pour la Province ,
24 liv. franc de port. Chaque Numéro fe vendra
féparément 2 liv. 8 fols . A Paris , chez l'Auteur , rue
Montmartre , vis-à-vis celle des Vieux Auguftins , &
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de Baffe. A Paris , chez Mlle Girard,
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autres , avec accompagnement de Guittare , par M.
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avertit qu'il ne fera vendu aucun Exemplaire de
cet Ouvrage qu'il ne l'ait figné.
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DE FRA N.GE. 47
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l'Hôtel de Lambèſe , & aux adreſſes ordinaires de
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Littéraire , rue Satory.
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pour terminer cette grande & précieuſe Collection, *
ceux qui n'ont pas eu foin de fe procurer les cahiers
à mesure qu'ils ont paru , courront rifque de ne pou
voir fe completter s'ils tardent à le faire.
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48
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du Salpêtre , publiés par l'Académie des
Sciences. Vol. in- 8 ° . A Peris , chez Baftien , Libraire ,
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Édition in- 12 . 7 vol . A Paris , chez le même Libraire.
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fur la Nature de l'Ame , par M. Tiphaine de la
Roche , 2 vol, in- 12 . A Paris , chez Saugrin &
Lamy , Libraires , Quai des Auguſtins.
Manuel des Religieufes , par le P. Colomme ,
Barnabite. A Paris , chez l'Auteur . Vol . in-12 . Prix ,
1. liv. 10 fols.
Ꮴ
TA
"
BL E.
ERS récités fur le Théâtre Etrennes du Parnaffe ,
d'une Société Littéraire ,
25
Manuel de l'Etranger qui
Hymne à Vénus , S voyage en Italie ,
mite , Conte. 6 Pline ,
32
Le Roi , le Paysan & l'Her- Remarques du 7e Livre de
37
Le mort revenant, Nouvelle, 8 Académie Royale de Mufiq.43
Enigme & Logogryphe 11 Comédie Italienne ,
Voyage en divers parties de Gravures ,
l'Europe , de l'Afrique & de Mufique ,
l'Amérique , 13 Annonces Littéraires ,
Eloge de M. de Voltaire , 17
J'AI
APPROBATION.
AI Iu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 2 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
ee 1 Octobre 1779. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 9 OCTOBRE 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
En l'honneur de M. ls Comte D'ESTAING.
PLEIN des vertus de fes ancêtres ,
Comptant fur la valeur , n'attendant rien du fort ,
A l'honneur , au devoir foumis comme à fes Maîtres,
Volant à la Victoire , & provoquant la mort ,
Il force les Anglois , dépouillés de leur gloire
Par les faits éclatans , fi dignes de fon nom ,
A configner un jour dans leur tragique Hiſtoire ,
Qu'à bon droit de la France il porte l'Écuſſon *.
( Par M. le M. de C. )
* Un des Ancêtres de M. le Comte d'Estaing , pour
avoir fauvé la vie à Philippe - Augufte , acquit le droit ,
pour lui & pour les fiens , de porter les armes & la livrée
des Rois .
Sam. 9 Octob. 1779.
C
so
MERCURE
LE VOYAGEUR ET L'HABITANT DE FERNEY ,
Dialoguefur le Tombeau de M. de Voltaire,
à Ferney.
LE VOYAGEUR.
MONTREZ - MOI l'afyle touchant
Où devoit repofer la cendre de Voltaire .
16. L'HABITANT.
10
Mon coeur s'émeut en approchant ;
26
Sa tombe eft fous vos yeux.
LE VOYAGEUR.
Quoi ? ce lieu folitaire !
Quoi ? cet informe amas de cailloux entaffés
Devoit donc contenir fa dépouille mortelle !
L'HABITANT.
Sur cette pierre , hélas ! tous les yeux empreffés ,
Quand fa mémoire eft éternelle ,
Auroient lû fon nom , c'eft affez.
LE VOYAGEUR.
Comment le poffeffeur de ſa naiffante ville ,
Lui rendant un honneur nouveau ,
N'a- t'il pas de lauriers entouré cet afyle ?
L'HABITANT. ^
Voltaire, des humains la gloire & le flambeau ,
DE FRANCE. st'
Méritoit les honneurs fuprêmes ;
Et s'il étoit dans ce tombeau ,
Les lauriers y croîtroient d'eux-mêmes.
( Par M, le Marquis de V. )
LA JAM BE DE BOI S.
LE jeune Marquis de F.... vint me voir
hier matin; & auffitôt que je lui eus dit que
je n'avois point d'engagement particulier
pour toute la journée , il voulut abfolument
que j'allaffe dîner avec lui à fa maifon de
campagne , d'où nous pourrions être de retour
à Paris pour l'heure du Spectacle.
Nous avions à peine fait une lieue , lorfque
fous l'ombrage d'un arbre , à quelque.
diſtance du chemin , je vis de loin un jeune
homme de bonne mine , & en vieux uniforme
, qui étoit affis fur l'herbe , & qui
s'amufoit à jouer du violon. A mesure que
nous approchâmes , nous nous apperçûmes
qu'il avoit une jambe de bois , dont une partie
étoit brifée en éclats à fon côté.
Que faites-vous- là , Soldat , lui dit le Marquis
? Mon Officier , répondit le Soldat , je
fuis en route pour mon village. Mais mon
pauvre ami , reprit le Marquis , vous allez
être bien long-temps en chemin fi vous
n'avez pas d'autre monture que celle- ci , en
montrant les morceaux de fa jambe de bois.
J'attends mon équipage & toute ma ſuite ,
Cij
52
MERCURE
répliqua le foldat ; & je fuis bien trompé fi
je ne les vois pas en ce moment defcendre de
ce coteau.
Nous vîmes en effet une espèce de chariot
traîné par un cheval , dans lequel étoient
une jeune femme & un payfan qui conduifoit
la voiture. Dans l'intervalle du temps
qu'ils mirent pour arriver jufqu'à nous , le
Soldat nous raconta qu'il avoit reçu en Corfe
un coup de feu , pour lequel on avoit été
obligé de lui couper la jambe; qu'avant de
partir pour cette malheureufe expédition
il avoir pris des engagemens avec une jeune
fille de fon voifinage ; que le mariage avoit
été remis jufqu'à fon rétour ; mais que lorfqu'il
s'étoit préfenté avec la jambe de bois ,
tous les parens de la fille s'étoient oppofés à
leur union. La mère de fa fiancée , qui étoit
la feule dont elle eut à dépendre , lorfqu'il
commença à lui faire la cour, avoit toujours
pris fes intérêts , mais elle étoit morte pendant
qu'il étoit abfent. Quoi qu'il en foit , fa
fidelle fiancée lui avoit conftamment gardé
toutes les affections ; elle l'avoit reçu avec
les plus vifs tranfports , & elle avoit confenti
á abandonner fa famille pour le fuivre
à Paris , d'où ils avoient réfolu de fe rendre ,
par la diligence , dans fon village , où fon
père vivoit encore. Ma jambe de bois
ajouta-t'il , vient de fe caffer en ce moment,
ce qui a obligé ma maîtreffe de me quitter
& d'aller chercher un chariot pour me tranfporter
au premier village , afin d'y faire reDE
FRANCE.
53
nouveler ma jambe . C'eſt un malheur , mon
Officier , qui fera bientôt réparé ; & voici
mon anie.
La jeune fille s'élança de loin hors du chariot
La la main que fon amant étendoit
vers elle , & lui dit , avec un fourire plein
d'affection , qu'elle avoit trouvé un excel
lent Ouvrier qui s'étoit engagé à lui faire
une jambe à toute épreuve , qu'elle feroit
prete dès le lendemain , & qu'ils pourroient
reprendre leur voyage quand il lui plaircit.
Le Soldat reçut en amant paffionné les ren
dres foins de fa maîtreffe.
C'étoit une jeune fille qui paroiffoit avoir
environ vingt ans , elle étoit jolie , grande
& bien faite; fes yeux & fon maintien annonçoient
le fentiment & la vivacité.
Vous devez être bien fatiguée , mon enfant
, lui dit le Marquis. On ne fe fatigue
pas , Monfieur , quand on travaille pour ce
qu'on aime , répondit -elle . Le Soldat baifa fa
main d'un air tendre & galant. Vous voyez ,
me dit le Marquis , que lorfqu'une femine a
donné la tendreffe à un homme , ce n'eft pas
une jambe de plus ou de moins qui peut
faire changer fes fentimens. Ce n'étoit pas
fa jambe , dit Fanchon , qui avoit fait impreffion
fur mon coeur. Si elle en avoit fait
un peu , dit le Marquis , vous n'auriez pas
été tout-à- fait unique dans votre façon de
penfer. Mais allons , continua-t'il en s'adreffant
à moi , cette jeune fille eft charmante
Lon amant a l'air d'un brave garçon
Cij
54 MERCURE
& nous
ils n'ont que trois jambes entre eux ,
en avons quatre ; fi vous n'êtes pas trop fatigué
, nous les mettrons dans notre voiture ,
& nous les fuivrons à pied jufqu'au premier
village , pour voir ce qu'on peut faire pour
d'auffi tendres amans. Je n'ai jamais accepté
de propofition avec plus de plaifir.
小
Le Soldat commença à faire des difficultés
pour entrer dans la voiture. Montez , montez
mon ami , dit le Marquis , je fuis Colonel
, & votre devoir eft d'obéir . Montez
fans plus de façon. Votre maîtreffe fera à
votre côté.
Entrons , mon bon ami , dit la jeune fille ,
puifque ces Meffieurs veulent abfolument
nous faire cet honneur.
Une fille comme vous feroit honneur au
plus bel équipage de France , reprit le Marquis
, & rien ne me flatteroit davantage que
d'avoir les moyens de vous rendre heureuſe.
Laiffez-moi faire , mon Colonel , dit le Soldat.
Je fuis heureuſe comme une Reine , dit
Fanchon. La chaife partit. Le Marquis &
moi , nous fuivîmes.
Lorſque nous arrivâmes à l'auberge où
nous avions dit au poftillon d'arrêter , nous
trouvâmes le Soldat & Fanchon qui pleuroient
enfemble d'attendriffement. Mon ami ,"
dis-je au Soldat , comment imaginez- vous
pouvoir vous foutenir , vous & votre femme
? Monfieur , me répondit-il , celui qui
a imaginé pendant cinq ans de vivre de la
paye d'un Soldat , ne peut guère être emDE
FRANCE. 55
barraffé le refte de fa vie. Je joue affez bien
du violon , ajouta-t'il , & peut-être n'y a- t'il
pas dans toute la France un village où il fe
faffe plus de noces que dans celui où nous
allons nous établir . Je fuis bien sûr de n'y
manquer jamais d'emploi.
Pour moi , dit Fanchon , je fais faire des
filets à cheveux & des bourfes de foie. De
plus , mon oncle a deux cent livres à moi
entre fes mains ; & quoiqu'il foit beaufrère
du Bailli & volontiers brutal , je lui
ferai tout payer jufqu'au dernier fol. Et moi ,
dit le Soldat , j'ai foixante francs dans ma
poche , fans compter deux louis que je viens
de prêter à un pauvre Fermier pour le mettre
en état de payer fes impofitions , & qu'il me
rendra quand il pourra.
Vous voyez , Monfieur , me dit Fanchon ,
que nous ne fommes pas dans un état à
exciter la pitié. Eh mon bon ami , continuat'elle
, en jetant fur fon amant un regard
plein de tendreffe , que faut- il de plus pour
être heureux ? Si nous ne le fommes pas ,
ma douce amie , répondit avec feu le Soldat
, je ferai bien à plaindre. Je n'ai jamais
éprouvé une plus douce fenfation . Les larmes
rouloient dans les yeux du Marquis.
Tenez , ma chère enfant , dit - il en fe tournant
vers Fanchon , jufqu'à ce que vous puiffiez
être payée de vos deux cent livres , &
qu'on ait rendu à votre ami fes deux louis ,
faites- moi le plaifir d'accepter cette bagatelle
, en mettant une bourfe de louis entre
Civ
5.6 MERCURE
fes mains. J'espère que vous continuerez
d'aimer votre mari & d'en être aimée. Faitesmoi
favoir de temps en temps comment
vont vos affaires , & de quelle manière je
pourrai vous fervir. Ceci , ajouta - til , en déchirant
le deffus d'une lettre , ceci vous informera
de ma demeure & de mon nom ;
mais fi jamais vous me faites le plaifir de me
venir voir à Paris , ne manquez jamais d'amener
votre mari avec vous ; car je ne voudrois
ni vous estimer moins , ni vous aimer plus
que je ne le fais en ce moment . Venez me
voir quelquefois , mais amenez toujours avec
vous votre mari . Je ne craindrai jamais de
vous l'envoyer toute feule , dit le Soldat , &
elle vous verra fans moi auffi fouvent que
cela lui fera plaifir .
Mon bon ami , dit Fanchon avec un fou-
Fire , votre Sergent m'a dit que c'étoit pour
vous être un peu trop hafardé que vous
aviez perdu votre jambe. M. le Marquis n'eft
que trop aimable. Je fuivrai fon avis à la
lettre ; & lorfque j'aurai l'honneur de le
voir, vous m'accompagnerez toujours.
Que le ciel vous béniffe tous deux , mes
bons amis, dit le Marquis ; que celui qui
tentera d'interrompre , votre bonheur , n'en
goûte plus un feul inſtant dans la vie. Je fais
mon affaire de vous trouver un emploi plus
lucratif que celui de votre violon . Vous pou
vez attendre ici qu'une voiture vienne vous
prendre pour vous amener à Paris. Mon
Valet-de- chambre aura foin de vous prépaDE
FRANCE.
rer un logement & de vous chercher le plus
habile Ouvrier qu'on puiffe trouver´en jàmbes
de bois. Lorfque vous ferez proprement
habillés , venez me voir. Adieu , inon brave
ami , aimez bien Fanchon . Adieu , Fanchon ,
je ferai ravi d'apprendre que vous aimez dans
deux ans Dubois comme vous l'aimez aujourd'hui.
A ces mots il prit Dubois par la
main , falua Fanchon , me fit monter brufquement
dans fa voiture , & nous partimes
comme un trait. ~ !
3 裟
Pendant toute la route, il éclatoit à chaque
inſtant en éloges enthoufiaftes de la
beauté de Fanchon . Ce qui me fit ſoupçonner
qu'il avoit des vues fur elle.
J'étois affez inftruit de fa manière libre de
vivre & de penfer. Je venois de le voir fue
le point de ſe marier à une femme , après
avoir , comme il le difoit , arrangé toutes
chofes avec une autre
Pour fatisfaire là- deffus ma curiofité , je
le queſtionnai en badinant fur fes projets.
Non , mon ami , dit-il , je ne mettrai ja
mais Fanchon à l'épreuve. Quoique je la
trouve très-jolie , & de cette espèce de beauté
qui flatte le plus mon goût , je fuis cepent
dant moins enchanté de fes grâces que je ne
le fuis de la conftance de fes fentimens pour
Phonnête Dubois . En perdant ce charme ,,
elle perdroit à mes yeux fa plus grande
Nous rapporterons cette aventure dans le Mer
oure prochain..
Cv
MERCURE
beauté. Si le fort l'eût condamnée à vivreavec
un homme chagrin & jaloux , & qu'elle eût
cherché quelque confolation à fes difgrâces ,
le cas auroit peut-être été tout différent; mais
fon coeur eft refté à fon premier amant , qui
me paroît être un honnête homme , & qui ,
jen fuis sûr , la rendra heureuſe. Si j'étois
difpofé à tenter fa fidélité , mes épreuves feroient
probablement inutiles. Sa conftance
qui a fu réſiſter à l'abſence & à une balle de
moufquet , ne feroit point vaincue par les
airs , le clinquant & le jargon d'un petit maître.
J'ai plaifir à croire qu'elle ne le feroit
pas , & je fuis déterminé à ne jamais en faire
l'épreuve.
Le Marquis ne m'a jamais paru fi aimable
que dans ce moment.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft la lettre Z ; celui
du Logogryphe eft Pauvreté , où se trouvent
pavé , Paveur , ver , rat , pâté, ver àfoie ,
Pau , Pater & Avé.
#
DE FRANCE.
59
{
TANT
ÉNIGME.
ANTOT fleur & fruit , je décore
Les jardins émaillés de Flore ;
Tantôt de ma bouche d'airain
Je vomis le feu , le
carnage ,
Pour le malheur du genre- humain ;
Mais aujourd'hui , grâce au courage ,
Aux exploits brillans d'un Héros ,
Qui vogue fur l'humide plage,
Et femble commander aux flots ,
De nouveau foumife à la France ,
Je fais l'entretien de Paris ,
L'objet de fa réjouiſſance ,
Le chagrin de nos ennemis.
( Par Madame la Baronne de Potelle. )
LOGOGRYPHE.
COMMEle OM ME le fexe , on me trouve volage ,
Et l'on m'en croit la véritable image.
Pour s'en venger , le beau fexe à ſon tour
Me compare à l'amant inconſtant en amour.
Que je fois en effet de tous deux le modèle ,
Tâche de deviner comment mon tout s'appelle .
D'abord par mes habits , je furpaffe en couleurs ,
Comme en beauté , les plus brillantes fleurs.
Compté d'abord comme reptile ,
C vj
60 MERCURE
Je deviens tout- à- coup d'efpèce volatile.
Sépare mes huit pieds , Lecteur , j'offre à tes yeux:
Une ville de France , un monftre furieux ,
Un inftrument utile , une note en mufique
Un timide animal , que l'on rend domestique,
L'aliment du Berger comme celui des Rois....
Adieu ; Zéphir m'appelle , & je cède à ſes lois.
( Par M. l'Abbé P. C. de St P. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INDICATION SOMMAIRE des Réglemens
& Lois de Son Alteffe Royale l'Archiduc
Léopold , Grand- Duc de Tofcane , avec
des notes. A Bruxelles , chez Boubers . Avec
Approbation & Permiffion , 1779. in- 12 . ,
LA Toſcane préfente à l'Europe , depuis
quelques années , un fpectacle nouveau pour
elle. Parmi les Princes que l'Hiftoire a placés .
au rang des bons Rois , on en trouvera peu
fans doute qui , fupérieurs à l'orgueil de leur
rang & à l'amour de l'autorité , n'ayent ap- ,
perçu dans leur place que les grands devoirs
qu'elle leur impofoit ; qui aient fuivi dans
le Gouvernement de leurs États , cette juf
tice fcrupuleufe , qu'un particulier vertueux
met dans fes engagemens ; qui enfin n'ayent:
pas cfu qu'il y eût une autre morale pour les.
Souverains que pour les autres hommes , à
DE FRANCE.
moins qu'on ne fupposât qu'elle dût être
encore plus févère.
L'ouvrage que nous annonçons eft le Recueil
des Lois du Grand-Duc , & prouve que
l'efquiffe que nous venons de tracer peut
avoir fon modèle.
On verra en le lifant , combien les anciens
Souverains , dont le nom eft depuis tant de
fiécles l'objet de l'admiration & du reſpect ,
font loin d'avoir laiffé de pareils monumens
de leurs vertus. Qu'on ne prenne point cette
obfervation pour une flatterie ce n'eft pas
ici Léopold que nous louons , c'eft fon fiècle.
Et pourrions-nous croire qu'un Prince qui
depuis 12 ans , goûte le bonheur de faire la
félicité de fon peuple , pût être flatté de
quelques éloges ? La gloire peut éblouir
l'homme de génie , parce que fentant fa foibleffe
plus fortement peut-être que les hom
mes ordinaires , l'aveu que les autres font de
fes forces le raffure & l'encourage ; mais
l'homme vertueux qui peut fe rendre témoi
gnage du bien qu'il a fait , n'a
d'être loué.
n'a
pas befoin
Un ouvrage comme celui ci eft peu fufceptible
d'extrait. Nous nous bornerons à
donner une idée des changemens qui , de
l'un des pays gouvernés par les plus mauvarfes
Lois d'adminiftration , en ont fait celui
où ces Lois font les meilleures..
Ce tableau des bienfaits du Grand- Duc.
intéreffera fans doute nos Lecteurs, & comme
hommes , & comme François. Le frère d'une
62 MERCURE
Reine que nous chériffons n'eft point étran
ger à la France.
Il exiftoit à Florence une foule d'impôts ,
défignés par des noms bifarres , dont la fignification
même étoit oubliée. Ces impôts
ont été remplacés par un impôt unique , dont ,
la fomme eft fixe, & que chaque Canton ,
formé en communauté , impoſe de la manière
qu'il lui plaît : on a feulement preſcrit
à ces communautés la condition que l'impôt
ne porteroit que fur les immeubles , &
qu'aucune capitation , aucune taxe ne tomberoit
fur les Artifans ou fur le Commerce,
Les corporations dans les Arts & Métiers
étoient établies en Tofcane ; le Commerce
étoit foumis à une foule de gênes; les Priviléges
exclufifs avoient été multipliés à l'excès , &
tous ces petits objets étoient adminiftrés par
une foule de petits Tribunaux qui s'arrogeoient
le droit de faire les réglemens les plus
favorables à leur autorité ou à leur intérêt.
Ces abus ne fubfiftent plus.
L'Induſtrie eft libre, le Commerce n'eft
plus affujéti qu'à quelques droits d'entrée ,
d'importation , d'exportation , levés fous la
forme la plus fimple , déjà réduits beaucoup,
que le Grand-Duc paroît ne laiffer fubfifter
que parce qu'il n'a pu les fupprimer totalement
, & qu'il a eu foin de régler de manière
à faire le moins de mal qu'il eft poffible
à l'Induftrie & au Commerce. En effet ,
quoique tous ces établiffemens foient vicieux
en eux-mêmes , ils peuvent l'être plus ou
DE FRANCE. 63
moins ; des douanes fur les frontières font
moins nuifibles que les douanes intérieures ;
des droits d'entrée aux portes , le font moins
que des droits fur les confommations , levés
dans les maifons mêmes des Citoyens. Les
droits d'importation nuifent plus à l'Induftrie
s'ils font impofés fur les matières premières
, & ceux d'exportation s'ils le font.
furdes matières manufacturées. Enfin comme
les droits fur l'exportation nuifent à la quantité
de la réproduction , ils font d'autant
moins de mal que les denrées qui y font foumiſes,
font moins néceffaires à la fubfiſtance
ou au bien-être des Citoyens. Tels font les
principes que le Grand- Duc a fuivis.
A l'adminiftration de tous ces Tribunaux ,
il a fubftitué une adminiſtration municipale ,
formée par les propriétaires de chaque Diftrict
: Nobles , Roturiers , Eccléfiaftiques ,
tous y entrent fans diftinction , tous y ont
le même intérêt , parce que l'impôt porte
également fur tous.
Les travaux publics étoient négligés ; ces
Communautés en ont été chargées , & depuis
ce temps on a exécuté des travaux qui auroient
paru demander un fiécle.
Le blé , la viande , & l'huile , qui , en Tofcane,
tient lieu de beurre, font les plus grands
objets de la confommation du pays. Des
Tribunaux chargés de ces trois objets multiplioient
les réglemens ; le Grand - Duc a
laiffé la liberté la plus entière , & a ordonné
de punir comme perturbateurs du repos
MERCURE
public ceux qui troubleroient cette liberté..
Les droits de bannalité gênoient la liberté
du commerce des denrées néceffaires , & en
hauffoient le prix ; ces droits ont été fupprimés
: le gibier de certains cantons refervés
pour le Souverain , ou pour des particuliers ,
nuifoit à la culture ; la challe a été rendue
abfolument libre. Le Grand-Duc a offert des
indemnités aux Seigneurs qui perdoient leur
chaffe , aux propriétaires des bannalités ; ils
auroient rougi d'en demander à un Souve
rain qui s'étoit impofé de plus grands facrifices
: aucun ne s'eft préfenté.
Une légiflation fort compliquée fur les
forêts , n'avoit d'autre effet que d'empêcher
de planter des bois ; le Grand - Duc a rendu
à chacun la difpofition la plus libre de cette
efpèce de propriété.
Quel a été le fruit de cette legiflation ? Les
productions de blé , de vin , de foie & d'huile
ont augmenté , les plantations ont été multipliées
( 1 ) , les impôts ont diminué; & cependant
les dettes de l'État ont été payées. Dans
la première famine du règne du Grand - Duc ,
il fuivit les anciens principes , n'ofant agir
encore d'après les propres idées ; il dépenfa
beaucoup enapprovifionnemens , & il perdit
(1 ) Le Grand-Duc a cru devoir , pendant quelques
années , demander des états de ces productions ;
mais il a fenti combien cette connoiffance lui étoit
inutile , & il a difpenfé depuis fes fujets de cette
gêne.
DE FRANCE.
65
près de cinq mille hommes par l'effet de la
difette. D'autres difettes font venues dans le
temps de la liberté ; elle n'étoit pas entière
encore ; il a pris ce moment pour l'étendre
davantage , & la difette ne lui a coûté ni
argent ni fujets. ( 1) .
Le nombre des crimes eft diminué d'une
manière fenfible ; au lieu de 21 hommes
condamnés aux galères , année moyenne , il
n'y en a plus que 14 ; au lieu de 17 hommes
exécutés à mort en 10 ans , il n'y en a eu que
2 en 13 ans ; mais le nombre des hommes
condamnés à de petites peines pour des délits
légers a augmenté : preuve évidente qu'il
y a moins de crimes & moins d'impunité.
On n'a négligé ni les réformes des lois
civiles , ni celle de la jurifprudence criminelle
; mais l'Auteur de l'ouvrage que nous
annonçons s'eft peu étendu fur cet objet.
Nous y voyons cependant des traces de cet
efprit de juftice & d'humanité qui a dicté
les autres Lois. On ne peut plus emprifonner
pour dettes que pour des fommes au - deffus
de trente livres ( 2 ) ; les débiteurs font en-
(1) C'eft par une Loi du 24 Août 1775 , que la
liberté entière du Commerce du blé , de la farine &
du pain a été établie ; les Communautés de Toſcane
en ont remercié le Grand-Duc par une médaille confacrée
Principi providentiffimo , & portant pour
légende : Libertas frumentaria reftituta : opes aucta.
(2 ) La Livre de France eft à celle de Tofcane
comme 7 à 6 ; ainfi 30 liv. valent 25 liv. 14 fols
3 den. , & 16 fols valent 13 fols & den.
66 MERCURE
fermés , non dans une priſon , mais dans une
maifon de fûreté. Les prifonniers ont chacun
28 onces de pain par jour , quel qu'en foit le
prix , & 16 fols pour leur dépenſe ; c'eſt la
feule des dépenfes de fon tréfor que le Grand-
Duc ait augmentée.
La peine de la marque a été fupprimée ;
les petits délits font punis légèrement ; mais
l'efpèce du délit , le nom du coupable & la
peine reftent affichés pendant un temps fixé
dans un lieu public. Ce genre de punition a
produit les plus heureux effets.
Il refte en Tofcane encore quelques impôts
, fous la forme de priviléges exclufifs ;
tels font les priviléges de vendre le fer , le
tabac & le fel ; ces priviléges étoient à ferme
, & le Souverain les a mis en régie , en
attendant qu'il puiffe fuivre entièrement ce
que lui dictent fes principes , fa juftice &
fon amour pour fes peuples ; mais du moins
pour les délits fimples de contre-bande , toute
loi pénale eft fupprimée , & cette fuppreffion
n'a point diminué la recette.
Tel eft l'ouvrage qu'a accompli jufqu'ici
un Prince de 32 ans. Si un peuple abfolument
libre avoit été chargé de fon bonheur ,
s'il eût été éclairé , s'il n'eût accordé fa confiance
qu'à des hommes vertueux , en auffi
peu de temps on n'eût pas fait mieux ; &
c'eft le plus grand éloge qu'on puiffe donner
aux Lois d'un Prince abfolu..
En parcourant cet ouvrage , on verra qu'il
refte beaucoup à faire ; & que fur plufieurs
DE FRANCE. 67
objets , la légiflation , relative à l'adminif
tration de la Toſcare , eft encore en contradiction
avec les principes du Législateur ;
mais elle s'en rapproche chaque année ',
chaque mois , chaque jour , pour ainfi dire.
Il refte trois grands objets , la jurifprudence
civile , la procédure criminelle , &
l'établiffement d'une éducation publique ; fur
ces objets , il ne paroît encore que des Lois
douces , juftes , où l'humanité eft refpectée ;
mais on ne voit point , comme dans les Lois
d'adminiſtration , un fyftême général qui embraffe
tout & qui règle tout d'après un petit
nombre de principes généraux . A la vérité ,
aucune Nation n'en a donné encore l'exemple
, mais l'Europe a droit de l'attendre du
Grand - Duc.
AUX MANES DE VOLTAIRE , par un
Citoyen de l'Univers. +
Nulliflebilior quàm mihi.
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue
S. Severin .
Nous nous permettrons une obfervation
fur le titre de cette Pièce. Dans le fens littéral
, tout homme eft Citoyen de l'Univers
& cette qualification , qui ne diftingue perfonne
, eft dès-lors très - inutile . Dans un fens
moins rigoureux , elle fe prend quelquefois
en mauvaiſe part ; on dit d'un aventurier errant
fur le globe , fans lien qui l'attache à
68 MERCURE
aucune patrie , qu'il eft Citoyen du monde.
Ce même titre devient un éloge quand il
énonce , ou le fentiment philofophique d'une
bienveillance univerfelle , ce voeu du bonheur
fans diftinétion de tous les hommes.
C'eft fans doute dans un de ces derniers fens
que l'Auteur a entendu fe l'attribuer ; mais
on ne voit pas fur quoi il fe fonde pour s'en
parer comme d'un caractère diftinctif , dans
un temps où cette expreffion de l'amour du
genre- humain , vrai ou affecté , eft dans la
bouche de tout le monde , & femble être
devenue une formule d'ufage. L'Auteur au
roit- il cru avoir befoin de fecouer les préjugés
de fa Patrie pour rendre un jufte hommage
à la mémoire d'un des plus grands
Hommes dont elle s'honore ? Cette idée.
feroit envers la Nation une très- grande injuftice
, contre laquelle nous oferions réclamer
en qualité de Citoyens de la France ,
Nous croyons plus fimplement que cette
qualificatron eft une fuite de cette manie ,
aujourd'hui trop repandue , de vouloir mettre
de l'emphafe par-tout , & jufques dans
les titres des ouvrages. Les grands Hommes
du fiécle de Louis XIV dédaignoient cette
charlatanerie puérile. Ils s'occupoient de
bien penfer & de bien écrire , & le conten
toient de donner à leurs ouvrages un titre
qui en expliquât clairement l'objet..
Nous ne voyons pas non plus pourquoi
M. Doigni du Ponceau femble s'attribuer ,
dans fon épigraphe , un droit particulier de
DE FRANCE. 69
pleurer M. de Voltaire. Auroit- il oublié
qu'il y a des convenances Littéraires auxquelles
il n'eft pas plus permis à un Auteur
de manquer , qu'à un homme du monde de
bleffer les bienféances fociales ? On n'auroit
pas été furpris de voir l'epigraphe qu'il a
choifie , à la tête de l'écrit d'un Philofophe ,
lié d'une amitié longue & intime avec M. de
Voltaire , ou d'un Élève qu'il auroit pris
foin d'inftruire . C'eft à M. d'Alembert ou à
M. de la Harpe qu'il eût pu être convenable
de dire : Nulli flebilior quàm mihi. Mais un
Écrivain qui n'eft point connu pour avoir eu
des relations perfonnelles avec M. de Voltaire
, & qui peut-être n'a jamais vu ce
grand Homme , n'a pu , fans manquer à une
forte de bienféance , s'appliquer ce mot,
qui ne lui convient pas plus qu'à la foule de
ceux qui lifent & qui admirent les ouvrages
ce Génie extraordinaire. ( 1 )
•
( 1 ) Veut-on voir un exemple de l'à - propos le plus
heureux en ce genre ? Le voici. Le Traducteur des
que M.
blement furnommé poltaire avoit déjà fi agréa
Virgilius le
trouvoit à Ferney , où il avoit fouvent témoigné à
M. de Voltaire fon attachement pour un homme *
dont on apprit alors la difgrâce, Le Philofophe appliqua
fur le champ au Poëte , ce même paffage de
l'Ode d'Horace à Virgile , fur la mort de Quintilius :
Multis ille bonis flebilis occidit
Nulli flebilior quam tibi , Virgili.
ر ا
* On fe rappelle l'Épître à un Homme,
79. MERCURE
!
Au refte , il eft temps de revenir à la Pièce
même ; & le morceau que nous allons citer
fera juger , qu'avec de meilleurs principes
de goût , rien n'empêchoit que l'Auteur ne
devint un verfificateur pur & naturel.
Surpaffe en imitant ; inftruis : voilà tes droits.
Je n'ai point oublié le bonheur que je dois
Au Peintre fi touchant de Phèdre & d'Athalie ,
Au Peintre plus nerveux qui créa Cornélie ;
Mais lorsque de ton Art le preftige nouveau
Déploie à mes regards un plus vafte tableau ,
Orofmane immolant Zaïre qui l'adore ,
Gufman affaffiné pardonnant à Zamore ,
Mérope au défefpoir prête à frapper fon fils ,
La mourante Idamé plus forte que Gengis ,
D'Électre dans les fers la vertueufe audace ,
Et l'ombre qu'elle implore & l'urne qu'elle embraffe ,
Ce Mahomet enfin , fublime & criminel ,
Qui trompe l'univers & fait mentir le ciel ;
Subjugué malgré moi , je ſens la Tragédie ,
Et plus attendriffante , & plus approfondie , &c.
Ces vers font faciles , & ne font pas dénués
d'une certaine grâce . Nous defirerions ,
pouvoir donner le même éloge à tout le
refte de la Pièce ; mais nous avouons que
l'Auteur ne nous paroît pas s'être affez défendu
de cette contagion trop générale , qui
femble avoir mis à la mode , le vague des
idées , l'incorrection du ftyle , l'incohérence
DE FRANCE. 71
des métaphores , le vuide des grands mots ,
en un mot , ce ton fauffement fententieux
qui annonce la prétention de penfer , mais
qui en décèle encore mieux la malheureuſe '
impuiffance. Un autre défaut non moins
effentiel à éviter , & qui eft encore celui de
prefque toutes les Pièces de Concours , c'eſt
le manque abfolu de plan & de marche.
Elles n'ont ni but , ni commencement , ni
milieu , ni fin. La règle de favoir bien ce que
l'on a à dire , règle qui fe trouve renfermée
dans un vers thecnique de l'Ontologie ,
Quis , quid, ubi , quibus auxiliis , cur , quomodè
quandò ,
femble n'avoir jamais été connue de nos
jeunes Auteurs. Il eft vrai que l'art de favoir
fe tracer un plan , & de fuivre une marche
sûre , eft d'autant plus difficile , qu'il fuppofe
beaucoup de véritable efprit , ce qui , comme
on fait , eſt toujours très- rare.
VARIÉTÉ S.
LETTRE au Rédacteur de lapartie Littéraire
du Mercure.
Q.Uz penfez-vous , Monfieur , de la manière
dont on s'y eft pris , dans la critique du Dithyrambe.
pour juftifier l'Homme de Lettres qui , dans l'opinion
publique , paffe pour en être l'Auteur ? Ne doit-il
pas être bien touché , bien reconnoiffant d'une
parèille apologie ? Si cet ouvrage étoit de lui , il
auroit, fans autre motifqu'une gloriole puérile, violé ,
72 MERCURE
dit-on , une règle fage & refpectable , compromis fon
Corps , attaqué le principe même d'une inftitution
utile aux Lettres ; & pour prouver qu'il n'a point
ce tort- là , on déchire l'ouvrage qui lui eſt attribué ,
on fe donne un faux air de croire qu'il eft de la
main d'un jeune homme.
Non , Monfieur , on ne le croit point , on ne veut ,
pas le faire croire ; on fait bien que l'opinion eft
fixée fur cet objet. On a voulu en même-temps inculper
la perfonne & déprimer l'ouvrage , & pour
défendre l'un & l'autre , je prendrai , fans aucun
détour , la critique dans fon vrai fens.
Le Dithyrambe , eft-il l'ouvrage d'un homme qui
parfa place , n'avoit pas le droit de difputer un prix
destiné à exciter l'émulation , & à encourager les talens
des jeunes Poëtes ? Je n'en fais rien ; mais je
fuppofe que cela foit , comme tout le monde le
penfe ; & dans cette fuppofition , je vais réduire à fa
jufte valeur ce tort réel ou prétendu , que l'on a pris
foin d'aggraver.
Je commence par convenir que s'il eft arrivé
quelquefois que des Académiciens célèbres fe foient
permis de difputer incognito, les prix de leur Académie
( 1 ) , ils ont donné un mauvais exemple. Mais
( 1 ) En 1695 , M. de Fontenelle , qui étoit de l'Académie
Françoife depuis quatre ans , fit propofer pour fujet du
Prix d'Eloquence : Combien il eft dangereux de fuivre certaines
voies qui paroiffent sûres. Il fit le Difcours qui reinporta
le Prix , & qu'il mit fous le nom de fon ami M.
Burnel. Ce Difcours et un des meilleurs ouvrages de M.
de Fontenelle & des plus curieux à lire. L'Abbé Trublet ,
ami de Fontenelle, cite cette Anecdote , & dit que Fontenelle
lui en avoit fait faveu. Il ajoute que l'Abbé Hou
teville , qui fit plufieurs années après la même faute , fur
féduit par l'exemple de Fontenelle . Il faut obferver que
dans l'une & dans l'autre circonftance , l'Auteur fuppofé
reçut le Prix ; au lieu qu'ici l'Auteur anonyme du Dichyrambe
l'a refufé Cela fait une différence , ( Mém . fur M. de
Fontenelle. Amft . 1759 , pag. 21 , 26 & 292. ) 45
DE FRANCE. 73
f , pour l'éloge de M. de Voltaire , cet exemple a
été fuivi , j'obſerverai du moins , que dans un cas fi
privilégié , la faute n'eft pas fans excufe.
10
לכ
99
En effet , Monfieur , fuppofons , ce qui eft affez
vraisemblable , que quelques admirateurs paffionnés
de M. de Voltaire ſe ſoient adreffés à un homme de
Lettres , connu par fon dévouement pour la gloire
de cet homme illuftre , & qu'ils lui ayent dit : Ileft
» intéreflant que M. de Voltaire foit dignement
» loué ; il court rifque de ne pas l'être ; un éloge
» en vers , qui embraffe toute l'étendue de fon
génie & de fes travaux , qui le montre dans tout
» fon jour , avec les traits qui le diftinguent , peut
» difficilement être l'ouvrage d'une main novice ; la
vôtre eft exercée dans l'art d'écrire , & d'écrire
en vers ; vous êtes plein de ce beau fujet ; vous
» avez déjà loué tant de fois M. de Voltaire , &
» tout récemment encore avec un fuccès fi brillant !
qui , mieux que vous , peut affurer à fa mémoire
» l'honneur d'être dignement célébrée , dans le
triomphe folennel que lui décerne l'Académie ?
La règle s'y oppofe ; mais M. de Voltaire eft
» au- deffus de la règle commune. Votre délicateffe
» ne vous preferit que le défintéreffement . Si quel-
» que autre fait mieux que vous , il aura le prix , &
» nous aurons de M. de Voltaire deux bons éloges
» au lieu d'un : fi vous êtes le feul qui l'ayez bien
» loué , vous ne ferez tort à perfonne ; & en n'ac-
לכ
30
ככ
ceptant pas le prix , vous montrerez évidemment
» la pureté de votre zèle : enfin , fi quelque autre
après vous mérite ce prix , vous , le lui céderez
& il lui reftera encore affez de gloire.
در
Je demande à préfent , Monficur , fi l'homme à
qui l'on auroit tenu ce langage , ne feroit pas bien
pardonnable de s'être laiffé perfuader.
Je fais bien qu'à ne confulter qu'une prudence
réfléchie , l'Homme de Lettres à qui l'on propofe
Sam. 9 Octob. 1779. ១
D
74
MERCURE
d'expofer infi fa conduite aux interprétations de la
maligrité, refufera de fe compromettre ; mais fi
Tencouragement l'excite , fi le zèle pour la mémoire
d'un grand homme dont il fut aimé , fi ce zèle , porté
jufqu'a l'enthoufiafme , le preffe & le pouffe au
del des règles ; s'il fe trompe même en ne voyant
qu'un courage noble à s'expofer ainfi , pour faire
entendre , s'il lui eft poflible , le digne éloge
d'un grand homme , je vois dans fa conduite tout
un autre motif qu'une gloriole puérile ; & la preuvė
qu'on a fenti combien les circonftances affoibliffoient
le tort qu'il pouvoit avoir , c'eft que dans la féance
publique ou le Dithyrambe a été proclamé comme
ayant mérité le prix , ( perfonne alors ne doutant
plus qu'il ne fut de l'Homme de Lettres fur qui tous
les yeux fe fixcient ) il n'a pas excité le plus léger
murmure , & qu'il a été au contraire généralement
applaudi .
On pourra dire que l'Auteur eût mieux fait de
compofer l'éloge & de le lire dans l'Affemblée .
fans l'avoir mis au concours. Mais peut-être avoit-il
d'affez bonnes raifons pour garder l'anonyme ; une
expérience récente avoit pu lui en faire fentir l'avantage
; & au cas qu'il fut reconnu , il lui importoit
de fe prémunir du fuffrage de l'Académie .
C'étoit un bouclier qu'il vouloit oppofer aux traits
de fes ennemis , qui ne font pas en petit nombre ;
& quand il n'auroit eu aucune précaution à prendre
pour lui-même , la gloire de M. de Voltaire étoit
intéreffée à ce qu'il donnât le plus d'autorité qu'il lai
* feroit poffible au témoignage qu'il lui rendoit. L'éloge
non couronné , n'étoit que l'hommage d'un
Homme de Lettres ; l'éloge folennellement adopté
par l'Académie , étoit l'hommage du Corps Littéraire
; & cette feule confidération eft affez forte
pour juftifier l'Auteur , quel qu'il foit , d'avoir mis
T'ouvrage au concours. Un feul homme peut-être a
DE FRANCE. 75
eu droit de s'en plaindre , c'eft M. de Murville ;
& il a eu la modeftie & l'honnêteté de ne s'en
plaindre pas.
Il me refte , Monfieur , à examiner fi cet Ouvrage
cft auffi peu digne d'un Écrivain diffingué ,
qu'on a voulu le faire entendre , & fi l'analyfe qu'on
en a faite , eft auffi jufte qu'elle eft févère. La critique
a fon utilité , mais la critique de la critique
peut bien auffi avoir la fienue : c'eft pour le goût
un contre-poifon plus néceffaire aujourd'hui que
jamais.
Les bons Ouvrages ne font pas ceux cù l'on
n'apperçoit ni incorrections ni négligences , mais
ceux où les beautés dominent, & cul'effet de l'enfemble
fait oublier les fautes de détail . Il ne laiffe pas
d'être utile de relever ces fautes échappées à l'attention
de l'Écrivain : le tort des Critiques eft feulement
d'y attacher trop d'importance. Dans les uns , c'est
pédanterie ; dans les autres , mauvaife foi , malignité ,
envie , fureur de déprimer des talens qu'ils n'ont
pas, ou des fuccès qui les affligent.
Le Cenfeur anonyme du Dithyrambe s'eft laiffé
aller à je ne fais quel de ces mouvemens ; mais ce
que je fais bien , c'eft qu'il règne dans la Critique
un ton de fupériorité qui convient à peu d'Hommes
de Lettres , & un ton de dédain & de dénigrement
qui ne convient à aucun. Il a ce tort même
quand fa critique eft jufte ; il l'a doublement quand
elle ne l'eft pas , ce qui lui arrive fouvent c'eft
même par là qu'il débute .
ta- L'Eloge de M. de Voltaire commence par lé
bleau de fon arrivée à Paris . Le concours , l'ivreffe,
les voeux , les acclamations de tout un peuple
les mouvemens que ce fpectacle excite dans l'ame
du Poëte , tout cela ne demande que des touches
rapides ; & pourvu que les images & les fentimens
sy fuccèdent comme dans la Nature , que chaque
Dij
76 MERCURE
trait foit à fa place , & qu'ils concourent tous
l'effet de l'enfemble , l'accord en fait la liaiſon .
Or , c'est dans ce morceau, où le ftyle coupé eft fi
naturel , & où les haifons grammaticales feroient
fi froides , c'eft-là que le Cenfeur obferve , comme
un défaut , que tous les vers font détachés & féparés
par un fens abfolu ( il a voulu dire par un
pos abfolu ) , ce qui n'eft pas ; mais quand cela
feroit , chaque partie d'un tableau poëtique ne peutelle
pas être exprimée en un vers , & former un fens
abfolu , fans que le tableau qui les réunit , manque
d'enfemble & d'harmonie ?
re-
L'Anonyme ajoute que ces vingt premiers vers
peuvent le déplacer , fans rien changer à l'effet total
; & moi , j'ofe affurer qu'il eft impoffible d'en
tranfpofer aucun fans tomber dans une faute grave ,
c'cft-à-dire , fans renverfer l'ordre naturel des idées ,
ou fans mettre le plus foible après le plus fort
ce qui eft contraire à tous les principes.
Quel eft done te Vieillard , ce Mortel adoré ?
On fent que ce Mortel, loin de rien ajouter à l'idée
, affoiblit & ralentit le vers .
On fent au contraire que l'image d'une vicilleffe
vénérable , & puis celle du culte rendu à un Mortel,
méritent chacune de fixer l'attention , & que
le vers ainfi réduit ,
Quel eft ce Vieillard adoré ?
n'auroit plus ni pompe ni force.
Sur lui tous les regards , tous les voeux ſe confondent.
Cette image eft froide & commune.
Cette image n'eft pas nouvelle ; mais elle eſt vive ,
& elle eft à la place.
Tous les voeux font encore la pour la mesure.
Les veuxde tout un peuple , réunis fur un homme,
DE FRANCE. 77
ne valoient donc pas la peine qu'on en parlât ?
Voilà une cheville d'une nouvelle eſpèce.
Jour , qui va couronner les deftins les plus beaux !
Jour, Fait pour payer feul un fiècle de travaux !
On voit que Auteur n'a fait ces deux vers que
pour trouver deux rimes.
Mais fi chacun de ces deux vers préfente une idée
grande & diftincte , il fe trouvera que le Poëte les a
faits pour exprimer deux grandes idées . Or , que le
jour du triomphe de Voltaire ait couronné une vie
illuftre ; que ce jour feul , ce feul triomphe , eût été
la digne récompenfe de foixante ans de travaux ;
voilà deux vérités , dont chacune , à ce qui me
femble , méritoit bien d'occuper une ligne dans fon
éloge.
Un feul vers eût exprimé plus heureufement toute
fon idée.
Jour , qui va couronner un fiècle de travaux.
Le Critique me permettra de lui dire que dans la
véritable acception des mots , ce jour payoit les
travaux de Voltaire , & ne les couronnoit pas . Couronner
des travaux , c'eft les terminer par un bel
ouvrage , ou par une action glorieufe : la guerre
d'Efpagne couronna les travaux de Céfar ; la tragédie
d'Edipe couronna les travaux de Sophocle. Dans
un autre fens , les travaux de Voltaire avoient déjà
été couronnés par les plus éclatans fuccès. Ce jour
couronnoit fesdeftins , il mettoit le comble à fa gloire;
& il étoit affez glorieux lui-même pour payer feul
foixante ans de travaux. Rien n'eſt plus clair , & riem
n'eft plus jufte.
Pour critiquer des vers avec tant d'affurance , &
pour enfeigner à les faire , il faudroit d'abord étudier
fa langue , & puis le préferver de l'efprit de
chicane , qui eft le plus grand ennemi du goût.
60D iij
78.
MER
CURE
que
Où le Critique a - t- il donc vu qu'enivré ne peug
être pris abfolument au moral , & que , dans quelcirconftance
qu'on l'empleie , un peuple enivré
fignifie un peuple ivre ? Qu'il fache qu'au moins
en poëtie , enivré eft , dans tous les cas , parfaitement
analogue à ivreſſe ; c'eſt au fens à décider fi
c'eft ivrejfe de vin , d'enthousiasme ou de joie ; &
il en eft de même d'enivré.
Formant un même cri , mille voix fe répondent.
Si les mille voix ſe répondent , elles ne fe font
pas entendre à la fois ; elles ne forment, donc pas
un même cri.
Un Cenfeur fi difficile devroit favoir qu'un même
eri n'eſt pas toujours un cri fimultanée : il fuffit qu'il
foit continu , & qu'il exprime une même chofe . Par
exemple , le Roi , depuis Paris jufqu'à Reims , n'a
entendu qu'un même cri , & l'on pouvoit dire alors
de cent mille voix , qui fe répondoient par écho
qu'elles formoient un mêine cri.
Tous , vous vous difputez le droit de l'en couvrir. ( de
lauriers )
Dans ce vers , le Critique reprend tous , vous vous
comme déplaifant à l'oreille. A la rigucur il a raffon ,
quoique tous fe détache , & que l's qui fe fait enten ,
dre à la fin de ce mot , en diftingue le fon de celui
de vous , dont l's ne s'entend pas . Le droit ne lui
femble le mot propre ; il a raiſon encore , mais
pas
ce fcrupule eft minutieux .
Renait , & c.
Savieilleffe attendrie
Ici fa remarque eft plus folide : renaît ne dit pas fe
ranime.
Du génie & du temps l'ouvrage fe confomme.
Qu'est-ce que l'Auteur a voulu dire ? Eft- ce que
DE FRANCE
. 79 le retour de Voltaire dans fa Patric , après trente ans
d'atfence , étoit l'ouvrage du génie & du temps? Le retour de Voltaire dans fa Patrie n'étoit point l'ouvrage du génie & du temps , & le Poëte n'en dit pas un mot. Mais il vient de peindre , dans les vers
précédens , les honneurs que la Patrie lui accorde ; & la juftice rendue à ce Grand Homme , eft l'ou- vrage du génie & du temps : du génie qui a forcé
l'admiration
, &du temps qui a laffé l'envie.
Tous les coeurs font heureux des honneurs d'un Grand
Homme.
On ne peutpas dire les honneurs d'un grand Homme, pour les honneurs que reçoit un Grand Homme.
Le Critique ne croit donc point qu'on puiffe
dire mes honneurs, pour les honneurs que je reçois ;
mais qu'il le demande à Racine : Je vois mes honneurs croître , & tomber mon crédit.
Or , fi Agrippine peut dire mes honneurs , on peut
dire aufli les honneurs d' Agrippine . Ce que le Critique
femble avoir eu le plus à coeur en attaquant ce vers ,
a
été de faire fentir qu'il étoit commun ; mais il n'y a
rien de moins commun , ni dans le fait ni dans les termes
, qu'un peuple heureux des honneurs d'un Grand
Homine . Ce vers exprime la circonftance la plus intéreffante
du triomphe de Voltaire dans fa patrie ; il préfente un tableau touchant ; & il faut bien
qu'on en ait fenti la vérité & la beauté , puifqu'à la
Séance publique il a été tant applaudi .
Après avoir cité ce morceau :
Il n'eft plus ! ... Prends ton vol , agile Renommée !
Aux bouts de la terre alarmée ,
Porte de tes cent voix le plus lugubre accent ;
Qu'on le répète en gémiſſant.
Annonce un jour de deuil à tout Être qui penſe 3
Et nous , quand Voltaire s'élance
Div
80 MERCURE
V
Vers l'Olympe des demi - Dieux ,
Saluons par nos chants fes Mânes radieux.
Que la Nature entière , à fa perte attentive ,
Les Beaux-Arts orphelins , l'Humanité plaintive ,
Lui confacrent de longs adieux.
Le Critique reprend ainfi : pendant qu'au bout de
la terre alarmée on gémira , on fera en deuil , parce
que Voltaire vient de mourir au milieu de nous ,
Auteur veut que nous chantions , parce qu'il s'élance
vers l'Olympe des demi-Dieux.
Ainfi ces mois , faluer par des chants , font traduits
par le mot chanter , qui préfente communément l'idée
de la joie ; & au moyen de ce traveftiflement , on
tourne en ridicule un beau vers : rien de plus ailé.
Mais qui ne fait pas qu'il y a des chants funèbres ,
des chants religieux ; & qu'en pleurant la perte d'un
grand homme , on peut le faluer par des chants ' de
louange ,?
Quel eft , demande le Critique , cet Olympe des
demi-Dieux ?
Lucain va le lui apprendres.
Qud niger aftriferis connectitur axibus aër ,
Semidei manes habitant , quos ignea virtus
Innocuos vita, patientes atheris imi
Fecit , & aternos animas collegit in orbes.
Cette idée eft , je crois , affez grande , aſſez poétique
, pour mériter d'être adoptée ; mais comme on la
Croyoit nouvelle , on l'a traitée avec mépris.
U
Si avant de critiquer les ouvrages de Poéfie , on
étudioit les Poëtes , on fe rempliroit de leurs idées ,
on s'accoutumeroit à leur langue , on ne trouveroit
pas triviale l'épithète de radieux appliquée à des
mânes , on verroit que par ce feul mot , le Poëte fait
Poffice du Peintre ; on ne trouveroit pas oifeux un
Démiſtiche , où le Poëte repréſente la Nature attentive
DE FRANCE. 81
3
t
à la mort d'un grand Homme ; on ne demanderoit
pas pourquoi de. longs adieux font adreffés à un
homme dont il eft fi naturel que les Beaux- Arts , les
Lettres , l'Humanité s'occupent long - temps encore
après la mort ; on fentiroit le prix d'un mot qui repréfente
les nations fuivant des yeux les mânes de
Voltaire , & lui faifant de longs adieux ; enfin l'on
n'oferoit pas dire que le Poëte qui a fait ces beaux
vers , & fur- tout celui-ci ,
(
Annonce un jour de deuilà la terre alarmée ,
femble n'avoir pas eu le fentiment de ce qu'il exprime.
Le Critique a eu foin de mutiler le tableau fuivant
, l'un des plus beaux de tout l'ouvrage. Commençons
par le rétablir.
Les morts fe font émus , & les ombres célèbres
Oat paru s'ébranler fous les marbres funèbres.
Sous fa pierre ignorée Homère a treffailli .
Aux champs de Port-Royal Racine enfeveli ,
A d'un nouveau murmure attrifté cette enceinte,
Aujourd'hui déſoléc , & qui jadis fut ſainte.
Du Capitole antique , où le Taſſe erre en vain ,
Les rochers ont gémi , frappés d'un cri foudain.
Lé laurier renaiffant , à Virgile fidelle ,
A courbé fes rameaux fur fa tige immortelle.
Dans les caveaux facrés , dernier féjour des Rois
Un écho lamentable a retenti trois fois
Trois fois , fous la noirceur des voûres fépulcrates ,
S'élevant du milieu de ces tombes Royales
Une voix a redit dans ce morné féjour :
Le Chantre de Henri vient de perdre le jour !
รา
Ce morceau , applaudi avec tant d'éclat à la Séance
publique, n'arrache pas un feul éloge au Cenfeur
anonyme : il ne remarque dans ces vers que des
Dy
82 MERCURE
images vagues & communes . C'eft , dit-il , ce défaut
continu de précifion dans les idées , qui rend tant
d'ouvrages en vers fi vagues , fi vuides , fi dépourvus
d'effet . Verfus inopes rerum.
Quelle juftice ! quelle bonne foi!
Il demande quelle est la différence des morts avec
les ombres célèbres ; comme fi après cette idée générale
, les morts fe font émus , il n'étoit pas dans l'ordre
naturel de particularifer les ombres célèbres.
Il demande pourquoi le Pocte, a mis ont paru
s'ébranler ; & cet adouciffement dans l'expreffion ,
Jui femble déplacé dans un Poëme qui , felon lui ,
n'eft que du genre tempéré.
Il demandé ce que c'eft que ce nouveau murmure
de Racine , comme s'il étoit bien difficile d'imaginer
poétiquement que l'ombre de Racine a pu former
déjà quelques murmures ; par exemple , lorfque Port-
Royal , fon dernier afyle , a été enseveli fous fes
ruines : événement rappelé par ces mots ,
Cette enceinte
Aujourd'hui défotée , & qui jadis fut fainte."
Il demande qu'est - ce qu'il y a d'étonnant à ce
qu'une demeure fainte foit défolée. S'il y avoit profanée
aulieu de défolée , cela feroit un fens , dit-il ;
comme fi en défolant un lieu faint , on ne le profanoit
pas !
Il demande pourquoi le Taffe erre en vain autour
du Capitole où il alloit être couronné quand il est
nort ; il ne s'apperçoit pas qu'il l'explique lui-même ,
& qu'il eft très- naturel de fe repréfenter l'ombre du
Taffe errant autour du Capitole , & redemandant la
couronne qui lui eft échappée. Enfin il ne daigne
pas obferver que quand toutes ces remarques fi minuticufes
auroient quelque fondement , l'idée générale
de ce tableau & fa compofition n'en feroient pas
moins neuves & grandes , & que les fix derniers vets
DE FRANCE.
( qu'il n'a point cités ) font des plus beaux que l'on
ait faits dans notre langue.
Le morceau fur le Poëme épique eft le plus foible
de l'ouvrage , & le plus négligé fans doute ; & tout
le monde l'a fenti ; mais je demande à celui qui n'y
trouve aucune idée heureufe , fi ce n'eſt pas heureufement
faifir un beau trait de louange four M. de
Voltaire , que de dire , avec vérité , que la Henriade
a rendu plus préfente encore & plus chère aux
François la mémoire de fon Héros ?
Le Critique ne veut pas que Voltaire , ayant renoncé
aux vains prestiges de la Fable , Calliope , qui
eft un perfonnage de la Fable , fe laiffe conduire par
luifur lespas de la Vérité. Il a oublié que Voltaire ,
dans fon invocation , demande lui - même à la Vérité
de permettre que la Fable fuive fes pas.
Sur tes pas aujourd'hui permets - lui de marcher ,
Pour embellir tes traits , & non pour les cacher.
Il demande encore ( car c'eſt- là ſa manière favorite
de critiquer ) pourquoi la Mufe du Poëme héroïque
est une Déelle fière & hautaine ?
Mais je lui demande à mon tour fi la Mufe qui
a créé les Dieux , & qui a chanté les plus hauts faits
des hommes , eft une Muſe humble & timide ?
Couvrir une urne de lauriers , lui femble une expreffion
vague & pauvre. Parer une urne d'un laurier,
feroit , dit- il , une image plusjufte.
Mais une image ne manque de jufteffe que par un
défaut d'analogie dans les termes ou dans les idées ;
& une urne chargée d'un faiſceau de lauriers n'a rien
que de très-naturel . Le mot couvrir eft le plus fort ,
le mot parer eft le plus foible ; voilà toute la différence.
Il obferve que le Poëte qui , jufques- là n'eft pas
"forti de fa place , ( plaifanterie vuide de fens ) fe
D vi
84 MERCURE
trouve tout-à-coup conduit à lafois & tranfporté dans
le temple de la Tragédie.
On voit bien qu'il auroit envie de tourner en ridicule
un très-beau mouvement de l'imagination de
l'Auteur , & un endroit de l'ouvrage très -poétique &
très-animé. Mais lorfque S. Louis ( dans la Henriade
) conduit Henri IV au palais du Deftin , il l'y
transporte; & c'eft ainfi qu'une Mufe conduit un
Poëte dans fon temple . Ce qui feroit ridicule & burlefque
, c'eft qu'ils y allaffent à pied.
{
Le Poëte vient de parler d'un temple , & il ajoute ,
Deux fpectres font affis fur ce lugubre feuil.
Il n'a pas encore parlé de feuil , obferve le Critique .
Il ne voit pas que l'idée de Temple amène cele
de feuil ; & que dans le ftyle animé , c'eſt le plus
petit intervale que puiffe franchir la penfée .
Ce qui frappe le plus & le plus fouvent dans cette
analyfe, c'eft la froideur de l'imagination ; & fans
une imagination vive , comment peut- on juger les
Poëtes ? Le Critique met à la place une métaphyfique
fubtile & bien fouvent frivole à force d'être rafinée : par
exemple, il prétend que lapitié n'éprouve point d'alar
mes. Il falloit , dit-il , réferver ce trait pour la terreur.
Il vouloit donc que le Poëte eût mis les alarmes
fur le front de la Terreur ? C'eſt -là , ne lui déplaife
, ce qui eût été auffi ridicule que fi on mettoit .
le dépit fur le front de la rage , ou le fcrupule fur le
front du remords ; & la raifon en eft fenfible. Chaque
trait de l'image doit ajouter à l'idée , & ce n'eft point
par le plus foible, qu'on renchérit fur le plus fort. Mais
les, alarmes conviennent-elles à la pitié ? je le demande
aux coeurs fenfibles . Et lorfqu'on voit un malheureux
qui attend un fecours éloigné , ou qui n'ayant qu'un
feul & foible appui , fe voit périr , fi cet appui lui
manque , peut-on le plaindre , & ne pas éprouver les
plus vives émotions de l'efpérance & de la crainte ?
DE FRANCE.
Ce font-là , Monfieur , les alarmes inféparables de
la pitié , & c'eſt un trait délicat & jufte que le Poëte
a dû ajouter au caractère de cette paffion.
Il n'eft pas moins vrai que la pitié , telle qu'on
Péprouve au théâtre ,
Semble aimer fa douleur & fe plaire à fes- larmes.
Le Critique prétend que fe plaire à fes larmes n'eft
pas françois ; & il fe trompe. On dit fe plaire à
verfer des larmes. Affurément , fe plaire dans fa
douleur , & non à fa douleur , tout cela eft vrai.
Mais un Critique fi délicat devroit favoir que fe
plaire dans & fe plaire à , s'employent tous deux
différemment ; l'un avec les noms qui expriment une
fituation , une manière d'être ; ainfi l'on dit fe plaire
dans le repos , dans la folitude , dans le filence ,
dans fa mélancolie , dans fes rêveries , dans fa douleur:
l'autre avec les noms qui expriment une action ,
une manière d'agir , fe plaire à la promenade , à la
Lecture , à la musique , à la danfe , à fa rêverie , τὰ
fes larmes. Je dis à fa rêverie , après avoir dit dans
Ses rêveries ; & cela même fait fentir mon idée :
car on fe plaît dans fes rêveries habituelles , & à
fa rêverie actuelle , qui eft l'occupation du moment.
Tous fes traits altérés annoncent là terreur.
Le Critique trouve que ces mots rapprochés , traits,
altérés , terreur , font durs à l'oreille ; & il a raifon ;
mais c'eft lui - même qui les rapproche. L'altération
des traits ne caractériſe pas plus , dit- il , la terreur
que la pitié ; & affurément il a tort .
Je vous demande pardon , Monfieur , fi je m'arrête
à des minuties ; mais cette analyſe en eft
pleine.
Le Poëte a défigné Corneille par ces vers :
Le voilà ce Grand Homme f
Qui porte fur fon front la majefté de Rome,
Des Héros dans fes'traits refpire la grandeur.
圈
86 MERCURE
Le Critique trouve que c'eft le peindre par des
traits biencommuns & d'un style bien négligé.
Le Poëte n'a pas voulu peindre Corneille , mais
le caractériſer par un trait ; & fi ce trait, frappant
de reffemblance , ne convient qu'à lui feul , qu'a -t-il
de fi commun? Grand Homme & grandeur de Héros
font trop près l'un de l'autre ; c'eſt une négligence .
Mais ces deux vers :
Il porte fur fon front la majesté de Rome ,
Des Héros dans fes traits refpire la grandeur ,
font beaux en dépit du Critique : refpire en poëfie
veut dire , fe montre vivante, & c'eft ici la première
fois qu'on a repris cette expreffion fi familière
à tous les Poëtes.
Tous ces efprits divins que Melpomène affemble ,
Mortels devenus Dieux , qui jouiffent' enfemble.
Je trouve , comme le Critique , une redondance de
flyle dans ces vers & dans les deux fuivans ; mais
cette façon de critiquer des efprits divins , qui font
des mortels , qui font devenus dieux , n'eft qu'une
froide plaifanterie ; & après ces efprits divins , ce
développement d'idée , mortels devenus dieux , eft
très- noble & très- naturel.
Le Critique ne veut pas que la Mufe Tragique
ait des fautiens , ni que ces foutiens foient affis auprès
d'elle : il ne veut pas qu'elle daigne entendre
Tes, grands Poëtes qu'elle infpire . Mais elle ne règne
que par eux ; ils font les foutiens de fa gloire ; &
forfqu'on aura dit d'un homme qu'il eft le foutien
d'un empire , je ne crois pas qu'il foit défendu de le
faire affeoir auprès du trône dont il eft l'appui. Appui,
foutien font de ces mots qui ont paffé au moral
comme des termes fimples , & qui n'exigent plus les
rapports de la métaphore
DE FRANCE. 87
ˋ
Je le répéterois cent fois : ce Critique n'a jamais
eu aucune idée de la Poëfic . Voyons du moins fi ,
lorfqu'il s'agit de Phyfique , il eft plus heureux :
Sur le char du Soleil Newton prend fon effor
Dans fes plus purs rayons obſerve la lumière ,
Cherche des élémens la fubftance première ,
Pèfe cet Univers dans l'eſpace emporté ;
Kival & confident de la Divinité ,
>
Le monde qu'elle a fait , c'eſt lui qui le meſure . t
Qand on invoque la vérité , & qu'on parle du vraï
Systême du monde, il ne faut pas faire voler Newton
fur le char du foleil , parce que le foleil , qui eft immobile
dans ce fyftême , n'a plus de char.
Le foleil , dans les principes de Newton n'eft
point immobile , & ne peut l'être je ne laiffe
pas d'avouer que cette image fur le char du foleil cft
trop étrangère au fujet.
Newton n'obfervoit pas la lumière dans les
rayons du foleil ; il décompofoit la lumière ; & c'étoient
les couleurs primitives qu'il obfervoit dans les
rayons du foleil, qui font tous également purs.
Newton a décompofé la lumière , comme le fait
quiconque a vu les expériences du prifme ; mais ne
pouvant pas dire en vers décomposer la lumière , on
a pris le mot le plus analogue & le plus voisin de
Pidée cat pour décompofer la lumière , il falloit
Pobferver, & dégager de leur mêlange les rayons
primitifs , dont chacun forme une couleur, & qui
ne font vraiment purs que lorsque le prifme les a
démêlés.
:
Il ( Newton ) n'avoit garde de perdre fon temp's
à chercher la fubftance primitive des corps.
J'ai pourtant oui - dire que Newton , à la fin
de fon Optique , s'eft occupé de la queftion des
élémens des corps , qu'il traite, àla vérité , en Phi,
88 " MERCURE
A
lofophe , c'est-à -dire en doutant ; & c'est peut-être
pour cela que le Poëte s'eft fervi du mot cherche.
Il ne fongeoit pas davantage à pefer l'Univers.
Newton a déterminé les maffes des planètes principales
; il a calculé les loix de la pefanteur; ce qui
s'appelle pefer l'Univers dans le langage des
Poëtes . 3
On n'eft pas le rival de la Divinité , pour
mefurer le monde qu'il a fait , pas plus qu'on ne fe-
Toit le rival de Perrault pour avoir meſuré la colonnade
du Louvre.
Je ne fuis pas furpris que le Critique ait trouvé trop
hardie cettehyperbole poëtique, rival de la Divinité,
quoique Halley , un Aftronome, ait dit , en parlant
de Newton :
Necfas eft propiùs mortali attingere divos.
Mais comment peut-on hafarder l'incroyable rapprochement
de l'ouvrage du plus grand Génie ,
de celui d'un Arpenteur ? Comment un homme
qui s'érige en Critique a - t-il pu comparer Newton,
mefurant la marche des corps céleftes , & découvrant
Je grand principe de la gravitation , à un Maçon
qui mefure la colonnade du Louvre ? C'eft peutêtre
l'idée la plus étrange qu'ait jamais produit
l'efprit de chicane & de dénigrement.
mot à
Après avoir ainfi épluché vers à vers
mot, les deux tiers de l'Ouvrage , & paffé fous filence
le tableau des Tragédies de Voltaire , étalé
» dans le temple où il eft introduit ( morceau de poëfie
affez remarquable ) , le Critique femble faire
grace au Poëte pour tout le refte.
Nous ne poufferons pas plus loin , dit -il , cette
Analyfe , parce qu'elle ne nous présenteroit que les
mêmes fautes à relever.
Or , remarquez , s'il vous plaît , Monfieur , que
DE FRANCE. 89
3
ce qui lui teftoit à examiner , ſe réduit à trois mor
ecaux , dont l'un , fur les Poëfies légères , ne préfente
guère à la critique que quelques vers où l'harmonie
a été facrifiée à la précifion ; & les deux autres
, favoir , le fuperbe morceau fur l'Hiftoire , & la
comparaifon de la chaîne des montagnes de l'Amérique
avec l'étendue & la diverfité du génie de
Voltaire , ont été fi univerfellement & fi fort applaudis
, que le Critique n'a pu ſe diſpenſer d'en faire
le plus grand éloge,
A quoi penfoit-il donc , en difant que l'Analyſe
du refte de l'Ouvrage ne lui préfentoit que les mêmes
fautes à relever ? Il ne vouloit , dans ce moment ,
que déprimer les endroits mêmes qu'il n'examinoit
pas , comme font prefque tous les Critiques ; & il
en prenoit la formule. La réflexion l'a rendu plus
jufte , & nous devons lui en favoir gré.
Il y avoit une critique judicieufe à faire de cet
Ouvrage , comme de tous les bons Ouvrages ; mais
il falloit , pour cela , une étude de la Poëlie , & furtout
une impartialité qui manque abfolument à l'Auteur
de cette Analyfe. Il a relevé avec jufteffe quelques
légères incorrections de ſtyle , quelques négligences
du côté de l'harmonie , quelques manques
de préciſion. Mais il n'a jeté aucune lumière fur les
maffes ni fur l'enfemble de l'Ouvrage . Il cherche
le mal , & jamais il ne fait entrevoir le mieux. Il
ne s'eft attaché qu'à de petits détails ; & dans ces
dérails même , il a vu trouble , & cru appercevoir
des taches qui n'y étoient pas. Enfin l'envie de
nuire l'a rendu mal-adroit ; & l'on peut dire à fa
louange qu'il ne fait pas être méchant,
+
༡༠
MERCURE .
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE
Es changemens faits à l'Opéra d'Écho &
Narciffe , confiftent en très- peu de choſe.
On a fupprimé quelques détails , une Scène
du fecond Acte , & tranfpofé quelques au- .
tres ; mais il n'en eft rien réfulté d'avantageux
pour l'ouvrage , en le regardant ſimplement
comme compofition muficale. S'il ne
peut rien ôter à la réputation de M. Gluck ,
il ne doit rien y ajouter. Le rôle d'Écho eft
foible , monotone & dénué de toute eſpèce
d'accent , même de celui qui tient à la douleur.
Prefque tous les airs que chante Cynire
ont de l'agrément ; mais ils font dénués de
la véritable expreflion dramatique , qui
jufqu'ici a été regardée comme la partie la
plus brillante du talent de M. Gluck. Nous en
exceptons celui de la fixième Scène du fecond
Acte , qui commence par ces mots : fa voix
plaintive & gémillante. Narciffe crie plus.
qu'il ne chante ; il a toujours le même accent,
& cet accent fatigue l'oreille fans rien dire
à l'ame. Nous avons pourtant diftingué dans
ce rôle le morceau , o combats ! ô défordre
extrême ! M. Gluck n'a peut -être rien fait
en fituation qui foit fupérieur à cet air , vraiDE
FRA N C'E.
ment digne d'un grand Maître. L'égarement ,
le trouble , le remords , le defefpoir y font
peints de la manière la plus vraie & la plus
énergique. La partie des accompagnemens
eft égale en beautés à la partie principale , &
le tout forme un enfemble fait pour émouvoir
, & qui mérite les plus grands éloges.
Plufieurs airs , & deux choeurs du fecond
Acte , ont rappelé à l'idée des Amateurs de
l'Opéra , d'autres morceaux déjà applaudis
dans les précedentes compofitions de M.
Gluck. Le choeur qui termine le troifième
Acte eft d'une facture facile , harmonicufe
& bien entendue , & le chant en eft
très -agréable. Tous les airs de ballet font
bien faits ; mais il y en a quelques- uns qui
n'appartiennent point à l'Auteur d'Écho.
Les perfommages font repréfentés par
Miles Beaumefnil , Girardin , Joinville &
Gavaudan , & par MM . le Gros & Lainez.
Nous ne dirons rien du rôle d'Écho , qui
n'a ni chant ni action. Nous donnerons des
éloges à M. le Gros , pour la pureté de fon
organe , fon adreffe & la délicateffe de fon
goût , & nous engagerons avec grand plaifir
M. Lainez à cultiver & à étendre de plus en
plus le talent , l'ame & l'intelligence qu'il a
déployés de la manière la plus avantageuſe
dans le rôle de Narciffe,
Les ballets ont été fort applaudis ; ils font
de la compofition de M. Noverre. L'exécu
tion en eft parfaite . MM. Gardel l'aîné & le
92
MERCURE
jeune , MM. Veftris père & fils , M. Dau
berval ; Mlles Heinel , Dorlé , Guimard
Peflin , Allard & Théodore y ont mérité les
fuffrages que le Public eft accoutumé d'accorder
à leurs talens.
53
Nous parlerons du Poëme dans le Mercure
prochain , à l'article des Nouvelles
Littéraires.
Le Jeudi 30 Septembre , on a donné pour
la première fois. Il Matrimonio per inganno,
ou le Mariage par fupercherie, Opéra- Comique
en deux Actes , del Signor Anfoffi.
Cet Ouvrage eft la dernière compofition
connue de ce Muficien. Il a eu un très- grand
fuccès , & ne peut qu'ajouter à l'idée que
les autres productions del Signor Anfoffi
nous ont donnée de fes talens. On y a remarqué
des traits , tant de chant que d'orcheftre
, qui rappellent des motifs tirés des
Opéras de MM. Piccini & Paefiello ; ce
n'eft pas la première fois qu'on lui fait ce
reproche , malheureuſement très fondé , &
auquel il devroit faire la plus férieuſe attention.
La Pièce eft digne de toutes celles que nous
connoiffons dans ce genre , & peut-être même
eft-elle plus indécente & plus blamable
que toutes celles qui l'ont précédée . Florindo
veut époufer Giannina , fille de
D. Fabrizio , qui ne veut point confentir
DE FRANCE.
93
la marier. Pour s'introduire auprès de fa
Maîtreffe , il fe déguiſe en Médecin , en
Marchand de bijoux ; puis au dénouement ,
il entre chez le père de fon Amante en
contrefaifant l'ivrogne : on veut le chaffer ,
il ne veut fortir qu'a condition que Giannina
l'appellera fon mari du conſentement de D.
Fabrizio. Pour s'en défaire , on engage le
père à fe prêter à cette extravagance , &
quand Giannina a dit oui , le mariage des
deux Amans fe trouve fait , & le vieil avare
finit par y donner fon confentement abfolu.
Tel eft le Mariage par fupercherie.
Quel que foit le mérite, de la Muſique
d'un pareil Ouvrage , comment peut- on
acheter le plaifir qu'elle donne , au prix du
bon fens , de la décence & de la raifon ?
Qu'une Comédie foit tout uniment plate &
dénuée d'intérêt , nous en voyons un fi grand
nombre , que nous ne devons pas être furpris
quand on nous en représente une de ce
genre ; mais que fur le théâtre. de l'Acadé
mie Royale de Mufique on entende une confultation
où un prétendu Médecin articule
que le mal de la femme pour laquelle on
confulte , eft nella media regione ; un autre ,
que fon quefti effetti iſterici , cela fans doute
paroîtra inconcevable à tous ceux qui confervent
encore un refte de délicateffe.
94 MERCURE
COMÉDIE FRANÇOISE.
LEE Samedi 2 de ce mois , on a donné la
première repréfentation de Roféide , Comédie
en vers & en cinq actes.
J
Nous y avons trouvé des vers heureux ',
des portraits bien faits , des détails charmans.
Nous en rendrons un compre plus
circonftancié dans le prochain Mercure.
Les Rôles font repréfentés par MM . Brizard ,
Molé , Monvel , Fleury , Dazincourt ; & par
Mlles. Doligny , Fanier & Luzy . M. Monvel
a réuni & mérité de réunir le plus grand
nombre de fuffrages.
SIXIEME
GRAVURE S.-
IXIEME & Septième Livraiſon du Voyage Pittorefque
d'Italie. Après avoir rendu compte des premiers
Cahiers de cette grande & magnifique Collection
, il nous fuffira de dire qu'on la continue
avec le même ſoin , que les livraiſons fe fuccèdent
avec la même exactitude , & que les fujets nouveaux
qu'elles préfentent , méritent d'intéreffer de plus en
plus la curiofité des Amateurs.
DE FRANCE.
95
<
ANNONCES LITTÉRAIRES.
DICTIONNAIRE Iconologique , par M. de Prezel.
Édition revue & confidérablement augmentée. 2 vol.
in- 12 . A Paris , chez Hardoin , Libraire , rue des
Prêtres S. Germain- l'Auxerrois , vis - à - vis l'Eglife.
Numéros XIV & XV de l'Hiftoire Univerfelle
des Hommes. A Paris , chez Cloufier , Imprimeur-
Libraire , rue S. Jacques ; & chez Couturier , Imprimeur-
Libraire , rue S. Thomas du Louvre.
L'Hiftoire de l'abolition de l'Ordre des Templiers.
in- 12 . A Paris , chez Belin , Libraire , rue Saint-
Jacques.
Bibliothèque du Nord , ouvrage deftiné à faire.
connoître tout ce que le Nord & l'Allemagne produifent
d'intéreſſant , d'agréable & d'utile dans tous
les genres de Sciences , de Littérature & d'Arts , par
la Société patriotique de Heffe-Hombourg. Tomes
X & XI , Octobre 1778. A Paris , chez Quillau ,
Imprimeur-Libraire , rue du Fouarre.
Voyage Pittorefque des environs de Paris , par
M. D. Quatrième Edition , corrigée & augmentée ,
in- 12 . Prix , 3 liv. 12 fols . A Paris , chez Debure
l'aîné , Libraire, Quai des Auguſtins .
Lettre à M. le Marquis de ** , fur le plan des
Études Mathématiques convenables à la jeuneffe ,
par M. Dupain-Triel père , Géographe de Monfieur,
troisième Édition in-89 . A Paris , chez l'Auteur ,
Cloître Notre-Dame , & chez Cellot & Jombert ,
rue Dauphine.
Conches , Poëme au Roi , A Paris , chez Valade .
Imprimeur Libraire , rue des Noyers .
96 . MERCURE
La Conquête de l'Angleterre par Guillaume le
Bâtard , Poëme couronné à l'Académie de Rouen
en 1758 , par M. Lemeſle. A Paris , chez Baſtien ,
Libraire , rue du Petit-Lion.
Lettres d'un Voyageur à Paris à fon Ami Sir
Charles Lovers , demeurant à Londres , fur les nouvelles
Eftampes de M. Greuze. A Paris , chez Hardouin
, Libraire , rue des Prêtres Saint- Germainl'Auxerrois.
La Rupture , Comédie en un Acte en vers , repréfentée
par les Comédiens François en 1776 , par
Madame D... Seconde Édition . Prix , 1 liv. 4 fols.
A Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques.
Éloges de Voltaire , Pièces qui ont concouru pour
le Prix de l'Académie Françoife. A Paris , chez
Demonville , Imprimeur-Libraire , rue S. Severin.
Ꮴ
TABL E.
ERS à M. le Comte d'Ef- \ Aux Mânes de Voltaire , 67
49 Lettre au Rédacteur de la partie
Littéraire du Mercure ,
taing ,
Le Voyageur & l'Habitant
de Ferney , Dialogue ,
La Jombe de Bois,
Enigme & Logogryphe ,
50
51 Académie Royale de Mufiq.90
59 Comédie Françoise ,
71
94
ib.
60 Annonces Littéraires , 95
Réglemens du Grand-Duc de Gravures ,
Tofcane ,
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 9 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
ce 8 Octobre 1779. DE SANCY,
6 .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 16 OCTOBRE 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS *
SUR le Mariage de M. le Marquis DAR...
& de Mde de MOND....
CHANTONS FHymen , chantons l'Amour ,
Mond....& Dar.... s'uniffent en ce jour:
Vainqueur d'une Ile où brilla fon génie ,
Le front ceint de mille lauriers ,
Comblé des dons de Mars & de ceux d'Uranic ,
L'époux reçoit le prix de fes travaux guerriers.
Ainfi , quand le grand coeur d'Alcide
Eut détruit monftres & brigands ,
Omphale fit tomber la anaffue homicide ;
Et des héros le modèle intrépide
Devint encor celui des plus tendres Amans.
(Par M. Millin de la Broffe Capitained'Inf.)
Sam. 16 Octob. 1779. E
98
MERCURE
A Mile DOLIGNI , en lui envoyant quelques
Billets de Parterre , la première fois qu'on
joua Roféide.
EGLI , voici quelques billets
Four armer des mains bénévoles ;
... Secours impuiffans & frivoles ,
Gages bien trompeurs du fuccès !
Cette Hydre , aux quatre ou cinq cent têtes
Que de bout on entend rugir
Dans la caverne des tempêtes ,
Rarement ſe laiſſe affervir ,
Et nous vend bien cher nos conquêtes,
Toujours malin & turbulent ,
Cet animal , aux mille oreilles ,
Pour peu qu'on lui prête le flanc ,
Siffle en faux-bourdon nos merveilles ,
Ou par fois écoute en baillant
Le pénible fruit de nos veilles ;
Car c'eft-là fon double talent.
Entre nous , moi , je m'en défic ,
Et ne l'agace qu'en tremblant ;
Mais , par toi l'on a vu fouvent
Sa rage inflexible adoucie :
Lorfqu'au charme du fentiment ,
On joint la voix d'une Syrène ,
Il s'y laiffe prendre aifément ;
DE FRANCE. 99
Il fait alors le chien couchant ,
Flatte , careffe & fouffle à peine.
Toi , de fes foins objet charmant ,
Que cette gloire t'appartienne :
Le vaincre par enchantement ,
C'eſt ton affaire , & non la mienne.
( Par M. Dorat. )
BILLET à M. le Comte de SCH.. L...
Auteur d'une Épître de Ninon ; & d'un
Eloge de M. de Voltaire.
To1 , qui loin du Nord engourdi ,
Viens chez nous , maître en l'art de plaire ,
Moiffonner les fleurs du Midi ,
Ou fur le Pinde , ou dans Cythère ;
Toi , qui dans ta jeune faifon ,
Touches d'une main fi légère
Le luth du vieil Anacréon ;
Tes Rofes , dignes de Cyprine ,
Dont elles ornent les boudoirs ,
Ne naiffent point, je l'imagine ,
Dans le pays des renards noirs
Et de la martre Zibeline.
Après avoir chanté Ninon ,
Qui cédant à la fantaiſie ,
Fut libertine par raifon
2C
E
100
MERCURE
Et trompoit par philofophie ,
Tu peins d'un plus mâle crayon
De Ferney cet ammable Sage
Qui , s'oubliant en fon bel age ,
Dans l'entretien un peu fripon
De l'enchantereffe volage ,
Y faifoitfon apprentiffage
·De goût , de grâce & de bon ton.
De fon temps qu'on cite & qu'on aime ,
Si le ciel t'eût fait exifter ,
Elle t'eût fait l'honneur fuprême
De te prendre & de te quitter ,
Le Ruffe , au tact plein de fineffe ,
Au ftyle élégant & poli ,
Qui , grâce à la délicateſſe ,
Compta Voltaire pour ami ,
Auroit eu Ninon pour maîtreffe.
(Par le même. )
&
RÉPONSE au Billet qui précède
Vovs teñez un pinceau charmant ,
Je n'ai qu'une broffe groffière ;
Et vous courez dans la carrière
Ou je ne marche qu'en bronchant ;
Je ne connois point les cabales ,
J'applaudis aux Mufes Rivales ,
J'applaudis à vos vers heureux ,
Toujours aimables , gracieux ;
DE FRA NICE. 1011
་
+
De leur beauté l'ame eft frappée,
La mienne a du moins des vertus ;
Et je vous retrace Atticus
Aimant & Célar & Pompée,
LETTRE de M. B. à Mde P.
LE trait que je vous ai raconté du Marquis
de F..., dans ma dernière Lettre , a, touché
votre coeur ; & l'intérêt que vous prenez à
lui, a excité votre curiofité fur cet endroit où
je difois que je venois de le voir fur le point
de fe marier à une femme , après avoir ,
felon fon expreffion , arrangé toutes chofes ,
avec une autre. Vous exigez là - deffus quel ,
ques détails. Je me fais un plaifir de vous
les envoyer avec le même empreffement que
vous me les demandez.
Dès les premiers jours de notre connoiffance
, le Marquis m'avoit appris qu'il faifoit
la cour à une jeune Demoiselle de qualité ,
pour répondre à l'impatience que fa mère
avoit de lui voir former un établiſſement. Il
ne pouvoit , me dit- il , refufer rien à fa mère ,
parce que c'étoit la meilleure enfant du monde.
D'ailleurs la jeune Demoiselle étoit trèsbelle
& três-aimable , & il l'aimoit commo
un fou. Toutes les difpofitions étoient déjà
faites , & il efpéroit fe voir bientôt l'homme,
le plus heureux de la terre.
E iij
102 MERCURE "
Il y a quelques jours qu'il paffa chez moi.
Il avoit un air fi gai , que j'imaginai qu'il
avoit quelques nouvelles agréables à m'apprendre.
Vous me voyez au déſeſpoir , mon
cher ami , me dit- il , avec un grand éclat de
rire. Vous êtes , lui répondis - je , l'homme le
plus joyeux que j'aie vu dans cette fituation .
Il m'apprit alors que le père de fa maitreffe ,
le vieux Marquis de P *** , étoit allé voir ſa
mère , & qu'après mille excufes & autant
de longues circonlocutions , il lui avoit fait
entendre qu'il étoit furvenu quelques incidens
qui l'empêchoient de devenir jamais le
beau-père de fon fils . Il la pria de lui exprimer
combien lui & fa famille étoient défefpérés
d'un contre-temps qui les privoient de
Thonneur qu'ils s'étoient promis de cette alliance.
Sa mère avoit cherché inutilement à
découvrir ce qui avoir pu produire une altération
fi foudaine. Le vieux Marquis s'étoit
contenté de l'affurer que les particularités en
feroient auffi défagréables que fuperflues , &
il avoit pris congé d'elle dans les termes les
plus honnêtes & les plus affectueux que la
politeffe Françoiſe pût lui fournir.
F...me rapporta tout cela d'un air fi libre &
fi fatisfait , que je ne favois quel parti prendre
dans cette circonftance. Mon cher Marquis ,
lui dis-je , je fuis bien heureux de m'être
mépris ; car je vous avouerai que je m'étois
mis dans la tête que vous étiez paffionnément
amoureux de cette Demoiſelle . Auffi aviezDE
FRA NICE.
103
vous raiſon , mon ami , me répondit-il , je
l'aimois infiniment. Comment , repris - je ,
infiniment ! & voilà tout le regret que vous
me témoignez de fa perte ? Mais vous autres
Celadons , répliqua- t'il , vous avez des idées,
fi bizarres ! aimer infiniment , cela veut dire
aimer comme on aime. Tout le monde s'aime
ainfi quand on ne fe hait pas. Mais je vous
conterai toute l'hiftoire .
Ma mère , ajouta - t'il , eft une bonne enfant
que j'aime de tout mon coeur. Elle me répétoit
fans ceffe que ce mariage la rendroit
heureuſe . Tous mes oncles , tantes & coufins :
me difoient continuellement la même chofe.
Il me revenoit de toutes parts que la Demoifelle
, fon père & toute fa famille defiroient
cette alliance avec l'empreffement le
plus flatteur. Ils me perfuaderont quelques ›
jours de me marier , penfois -je en moimême
, pourquoi pas aufli bien aujourd'hui .
qu'un autre jour ? Quelle raiſon aurois -je de
ne pas faire une chofe qui caufera du plaifir
à tant de gens , fans me caufer le moindre
déplaifir à moi- même ? Oh ! lui dis -je , ce
feroit être affurément d'un bien mauvais naturel.
Cependant il étoit heureux pour vous
que votre coeur fut abfolument libre , &
que vous ne préféraffiez à Mademoiſelle de
P*** aucune autre femme. Vous vous trompez
, mon ami , me répondit-il , je préférois
plufieurs autres femmes à Mademoiſelle de
, & particulièrement une perfonne
E iv
1041 MERCURE
3
dont je ne vous dirai pas le nom , mais que
j'aime , que j'aime... Comme on aime , lui
dis-je en l'interrompant. Non parbleu , ajoutat'il
avec chaleur , comme on n'aime pas. Bon
dieu , m'écriai - je alors , comment pouviezvous
donc penfer à en époufer une autre ?
Cela n'empêchoit pas , dit le Marquis froidement
; il ne m'étoit pas poffible d'épouſer
celle que j'aimois davantage. Elle avoit pris
les devants , & avoit déjà fubi la cérémonie ;
auffi n'oppofoit-elle aucune objection au
defir que j'avois d'obliger ma mère & toute
ma famille dans cette bagarelle ; car c'eft bien,
après ma mère , la meilleure púte de femme
que je connoiffe...
En effet , dis-je , il n'eft point d'humeur
plus conciliante. Oh pour cela oui , mon
cher , reprit- il , c'eſt la bonté même. Quoi
qu'il en foit , ce qui me ravit dans tout cela ,
cieft que
l'affaire fe foit rompue fans qu'il y
ait de ma faute; & quoiqu'il foit poffible
qu'elle fe renoue quelque jour , j'aurai toujours
tiré mon épingle du jeu , parce qu'un
mariage reculé eft toujours autant de gagné
fur le repentir. En difant ces mots , il me
quitta brufquement en chantant à haute voix
la chanfon du jour.
J'avois le plus vif defir de connoître l'ob
jet fingulier de fa tendreffe ; j'allai le voir le
lendemain pour l'engager à me préfenter
chez elle. J'y penfois depuis long - temps ,
me répondit- il ; & il s'en offre aujourd'hui
une occafion très - heureuſe. Le vieux CheDE
FRANCE.
valier de S. ** , que vous connoiffez , nous
donne une fête à la maison de campagne , je
Vous y invite en fon nom , & nous allons
prendre Madame de M... pour ly conduire.
Il fit auth-tôt mettre fes chevaux nous
partimes. Je fus préfenté à Madame de M...,
dont je reçus un accueil très - gracieux ; & je
la connus dans un moment comme fi j'avois
paffe ma vie entière avec elle. N'attendez
pas que j'entreprenne le portrait achevé de
L'être le plus bizarre qui fut jamais. En voici
feulement quelques traits en paffant.
Madame de M... a quelque efprit , tane
foit peu de beauté , & beaucoup plus de
vivacité que de l'un & de l'autre. Sil
avoit un quatrième degré de comparaifon
je placerois ici fa vanité. Elle rit à tout
propos , & elle a raifon ; car elle a la
bouche extrêmement jolie. Elle parle beau
coup, & d'un ton bruyant & décifif, ce qui
n'eft pas tout-à-fait fi judicieux ; car il s'en
fur que fes penfees foient auffi brillantes
quefes dents , & fa voix autfi mignarde que
fon fourire. Elle eft reçue par-tour avec des
attentions & des refpects , ce qu'elle doit à
fon rang ; elle eft aimée & court fee de tous
les hommes , ce qu'elle doit à fes charmes ;
elle n'eft point haie par les femmes , ce qu'elle
doit à fes foibleffes.
Comme elle paffe dans le monde pour la
maitreffe de F..., afin de prévenir tout
feandale , elle le congédia au bout de quel →
Ev
106 MERCURE
ques inftans , & me retint pour l'accompagner
chez le vieux Chevalier.
Nous l'avions trouvée à fa toilette en
confultation avec un Officier Général &
deux Abbés fur une nouvelle coëffure qu'elle
venoit d'imaginer. L'effet en étoit très- piquant
; & après des corrections légères , elle
reçut une approbation complette de tous
ces critiques . Ils déclarèrent que c'étoit une
découverte admirable , & lui prédirent qu'elle
alloit devenir la mode générale de tout Paris ,
& qu'elle feroit un honneur infini à fon
génie.
Elle fe pavanoit devant fon' miroir avec
un air d'enthoufiafme. Allons , mes enfans ,
allons à la gloire , s'écrioit - elle ; & elle fe
difpofoit à donner des ordres pour fa voiture
, lorfqu'un domeftique entra , & lui dit
que Madame la Comteffe avoit accepté fon
invitation , & qu'elle auroit certainement
l'honneur de venir dîner avec elle.
Je ne pense pas qu'on puiffe vous donner
une idée de l'altération fubite que ce meffage
produifit dans tous les traits de Madame de
M... Si l'on fût venu l'informer de la mort
de fon père ou de celle de fon fils unique ,
elle n'auroit pas reffenti une plus vive émotion.
Eft- il poffible , dit - elle avec un accent
de défefpoir , qu'on puiffe être fi bête ? Le
domeftique fut rappelé ; & on le queſtionna
minutieuſement fur le fens de la réponſe
qu'il avoit rapportée de Madame la ComDE
FRANCE. 107
teffe. Hélas ! cette réponſe ne pouvoit être
plus claire ni plus précife. Madame la Comteffe
devoit pofitivement venir diner ce
même jour. Nouvelles exclamations de la
part de Madame de M.... Mais l'avez-vous
envoyée inviter pour aujourd'hui , lui dis -je ?
Sans doute , me répondit- elle. Je ne pouvois
avec décence differer plus long -temps. Elle
eft depuis Dimanche dernier à Paris. C'eft
pourquoi je lui ai écrit le billet le plus poli
pour l'engager à me faire l'honneur de venir
aujourd'hui dîner avec moi. Et voyez , cette
horrible femme , avec une groffièreté & une
ignorance de favoir vivre fans exemple , elle
m'envoie dire qu'elle viendra.
Il est bien étrange , lui dis- je , qu'elle fe
foit fi prodigieufement méprife fur le fens de
votre civilité. N'eft- il pas vrai , me réponditelle
? .... Elle eft liée à la campagne avec
quelques- uns de mes parens. Au premier
inftant qu'elle arriva ici , je courus me faire
écrire chez fon portier. Elle vint le lendemain
me rendre fa vifite. J'avois bien pris
mes précautions , & mon Suiffe étoit prévenu
que je ferois toujours dehors pour elle . Cela
eft tout fimple , & felon les règles . Cette
femme eft plus âgée que moi de vingt ans ,
& nous devons nous être infupportables
l'une à l'autre. Elle auroit bien dû fentir que
mon invitation n'étoit qu'une fimple politeffe,
& la même politeffe devoit l'engager à m'envoyer
des excufes pour fon refus . De cette
manière nous aurions pu nous vifiter l'une
E vj
f08 MERCURE
& l'autre , diner & fouper enfemble , en un
mor vivre dans la plus douce union le refte
de notre vie ; mais ce trait de groffièreté
rompt déformais toute laifon entre nous.
Allons , je n'y vois pas de remède. Il faut que
je faffe mon enfer aujourd'hui. Adieu ,
Monficur, préfentez bien mes regrets & mes
complimens au vieux Chevalier , & racontez-
lui ma déſeſpérante aventure.
Après avoir fait à Madame de M... mon
compliment de condoléance fur un malheur
qu'elle avoit f peu mérité , je pris congé
d'elle , & j'atteignis fur la route F. , à qui je
fis part du trifté événement qui nous priveroit
pour aujourd'hui de Madame de M...
I ne me parat pas tout- à-fait auffi accablé
de ce revers que l'étoit fa maîtreffe ; mais il
me protefta que la Comteffe n'avoit accepté
Finvitation que par pure malice , parce qu'il
favoit qu'elle étoit inftruite de la partie qui
devoit fe faire chez le Chevalier , & qu'elle
avoit certainement faifi cette occafion de
faire endêver Madaine de M... qu'elle halloir
ă la mort. Sans cette douceur , ajouta il ,
foyez sûr que le diner auroit été aufli en--
nuyeux pour la Comteffe qu'il le fera pour
Madame de M ... Je ne fals trop ce que ces a
deux bonnes amies imaginèrent pour paller
agréablement enſemble leur journée , ce que
je fais , c'eft que nous pafsâmes délicienfement
la nôtre chez le Chevalier. Le Marquis
amufa toute la compagnie par le récit de
Fafortune de Madame de M... , & par fes
DE FRANCE. 109°
conjectures fur les plaifirs du tête- à tête de
ce couple d'amies. Il nous fit tout ce detail
avec tant de fel & d'agrément , il exprima
fes regrets douloureux avec une telle gaité,
qu'il le dédommagea en quelque forte , lui,
& toute la compagnie , de l'abfence d'un
convive auffi aimable que Madame de M...
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eſt Grenade , fleur
elpèce de bombe & Ile ; celui du Logogryphe
eft Papillon, où fe trouvent Lyon
( ville ) , lion ( bête féroce ) , pilon , la ( note ) ,
Sapin , pain.
ENIGM E.
FOIBLE , mince , & maigre femelle ,
Je n'ai qu'un long & très léger manteau ,
Qui n'eft ni de fil ni de peau.
J'affiftai le Berger qui , fur fon chalumeau ,
Célébra le prémier la tendre paftourelle.
Je porte de la barbe & n'ai point de mamelle.
A l'homme cependant je donne un fuc laiteux ,
Auquel fuccède un mets folide & favoureux,
Mais c'eft peu d'être fa nourrice ,
La nuit je lui procure un tranquille fommeil ,
Le jour fur moi fon corps trouve un fiége propice ,
fois je le cache aux ardeurs du foleil.
Etpar
MERCURE
A bien des animaux qui font à fon fervice ,
J'en rends un à peu - près pareil ;
Néanmoins pour ce bon office ,
Le croira - t'on , cet homme ingrat
Me dépouille & m'arrache , & m'écrâfe & me bat.
LOGOGRYPHE.
AUTREFOR UTREFOIS habitant au féjour du tonnerre ,
Souvent je deſcendois aux portes des enfers ;
Sans relâche aujourd'hui je parcours l'univers ,
Et je vis enfermé dans le fein de la terre .
Si tu veux me décompofer ,
Quoiqu'en deux fens cela ne me convienne guère ;
Ami Lecteur, tu peux le faire.
Les fept membres qui font ma corpulence entière ,
Offriront à tes yeux cent prodiges nouveaux ;
Dabord le vaſte amas des eaux ,
Et ce qui fait enfler une rivière ;
Puis l'éponge blanche & légère
Qui s'élève au-deffus des flots ;
Celle qui de ton corps a formé la matière ;
Ce qui par fois nous rend à la lumière ;
Le fruit d'un arbre précieux ,
Et le point où tout fruit vaut mieux ;
Une liqueur fpiritueufe ;
Une fauffe lueur , fouvent trop dangereufe;
Ce que fait quatre fois un infecte foyeux ;
Ce qui dans les temps fait époque ;
DE FRANCE. III
Ce qu'eft un mets avant que l'on le croque ;
Deux fois un des huit tons trouvés par l'Arétin ;
Cinq ou fix mots du langage latin ;
Des Ducs & des Marquis ce qui foutient les armes
Er pour tout homme a tant de charmes ;
Ce qui fait augmenter les troupes de nos Rois ;
Ce que les chiens font d'un cerfaux abois ;
Ce que fait un homme qui danfe ;
Le fonds qui t'appartient ; ce qui foutient nos toits
Et ferme nos Cités ; enfin tout-à- la fois
Une plante odorante , une ville de France ,
Un chemin dans la ville où trottent les Bourgeois ;
Ce que fait de fes pieds maint cheval que l'on panfe.
En voilà bien affez , je crois ,
Pour exercer ta patience .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
确
DE LA PASSION DU JEU , depuis les
temps anciens jufqu'à nos jours › par
M. Dufaulx , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles - Lettres , & c. in-8° .
A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins.
LORSQU'U
ORSQU'UN vice a rompu fes digues , &
qu'il exerce impunément les ravages dans
toutes les claffes de la fociété ; lorfque ceux
qui devroient s'armer contre lui , deviennent
19182 MERCURE
pour ainfi dire les apologiftes & fes complices
, c'eft alors que l'Homme de Lettres ,
raffemblant fes forces & fon courage , doit
combattre & flétrir un ennemi , d'autant
plus dangereux qu'il eft deja par-tout ac
cueilli & par-tour honoré ; il doit le pourfuivre
dans tous les repaires , recueille &
les malheurs qu'il a caufes & ceux dont il
nous menace ; les expofer à tous les yeux
dans des tableaux affez hideux pour inf
pirer à fes concitoyens un falutaire effroi ,
ranimer le zèle des Magiftrats & la fageffe du
Légiflatcur. Telle eft l'entreprife que vient de
tenter un Écrivain , auffi recommandable par
fes moeurs & fon patriotifime ,que par l'eners
gie mâle de fon ftyle ; & quel que foit l'afcendant
de la cupidité fur nos ames, on ne
lira point fon Livre fans être indigné contre
cette multitude de jeux de hafard , de jeux
de fiance , de jeux de commerce , de jeux de
toute efpèce qui nous affiegent de toutes
parts , qu'on renouvelle chaque jour fous
mille formes non moins feduifantes que
meurtrières , & qui fubftituent dans nos
ames la défiance , Fintérêt fordide , la noire
melancolie , à ce caractère de gaîté , de franchife
& de nobleffe qui diftingua de tous
temps la Nation Françoife.
M. Dufaulx remonte à l'origine du jeu ; il
Je fuit dans tous les lieux , dans tous les
fiécles , le découvre chez les Sauvages & les
peuples barbares , comme au fein des nations
civilifees & corrompues ; mais il ne lui
DE FRANCE. 1.13:
femble nulle part auffi actif, aufli funefte ,
aufi univerfellement étendu que parmi.
nous. Accueilli d'abord par la Nobleffe ,
des Courtifans avides & défoeuvrés l'introduifent
auprès du Trône; il féduit nos
Rois & leur Famille : fous François I , il
commence à régner à la Cour; s'y fortifie fous
Henri II ; l'exemple de Henri IV donne aux
joueurs une audace & une confidération qui
propagent leur épidémie juſqu'au centre de
nos Provinces. Mazarin , pendant la minorité
de Louis XIV , fut aggraver le mal ; le
jeu avec l'intrigue fe trouvèrent enfin naturalifés
à la Cour: bientôt on vit des Seigneurs
François parcourir l'Italie , l'Espagne & l'An
gleterre , non pour y fignaler , à l'exemple de
notre ancienne Chevalerie , leur bravoure
& leur loyauté , mais pour y exercer le vil
métier de joueurs & de Chevaliers d'induftrie.
Sous ce règne d'adulation , de magnificence
& de calamités , s'établirent les premières loteries
; le règne fuivant les fit pullaler à un
excès inoui jufqu'alors ; & la frénéfie du jeu ,
qui n'avoir jamais été qu'un vice de particuliers
, devint tout- à-coup un vice du Gouvernement.
Enforte que le mot de jeu n'a
plus rien confervé de la fignification pri
mitive ; c'eft aujourd'hui un objet de fpécu
lations profondes , une grande affaire d'État
Le jeu eft à nos yeux une forte d'idole qui a
fes temples , fes prêtres , fes adorateurs , fes
jours de folennités ; on annoncé les faveurs
au bruit des inftrumens militaires ; on cou
114 MERCURE :
ronne de guirlandes les tableaux où font dé
pofés fes oracles ; on affiche de nouvelles
efpérances dans nos rues & nos carrefours ;
fes infcriptions brillent de toutes parts ; partout
on entend retentir la voix de fes hérauts ;
par- tout on rencontre de nouveaux pièges
tendus à la crédulité publique.
' . M. Dufaulx cite un des premiers Arrêts
rendus par le Confeil d'État , en faveur des
loteries ; le préambule en eft curieux , on y
fait parler ainfi le Monarque : « Sa Majefté
ayant remarqué l'inclination naturelle der
la plupart de fes fujets à mettre de l'ar-
" gent aux loteries particulières.... Et defi
» rant leur procurer un moyen agréable &
» commode de fe faire un revenu sûr & con-
» fidérable pour le refte de leur vie , &
» même d'enrichir leur famille , en donnant
» au hafard ...., a jugé à propos d'établir à
» l'Hôtel- de-Ville de Paris une Loterie Royale
de dix millions , &c. » Voilà comme on
effayoit d'irriter la cupidité populaire dès le
commencement de ce fiécle..
Séduits par l'exemple , tous les ordres de
Citoyens veulent jouer & donner à jouer ;
on enfeigne les jeux à la jeuneffe avant de
l'introduire dans le monde ; & l'ignorance
de cette fcience infernale eft maintenant re→
gardée comme un défaut effentiel d'éducation.
Auffi n'admet -on dans la bonne compagnie
que des maîtres & des difciples pour
le moins difpofés à payer au centuple les
tableaux & les fiches qu'on leur préſente
DE FRANCE. 1151
&
les bougies qui les éclairent , les valets qui les
fervent , & les mets deftinés à prolonger ce
honteux agiotage. Les amis & les familles fe
raffemblent , moins pour fe voir & s'entretenir
, que pour s'entre-difputer l'or que chacun
pofsède. L'infenfé qui fe laffe ruiner
fans fe plaindre , obtient le titre honorable
de beaujoueur ; on l'accueille , on le recherche
, on célèbre la nobleffe de fon ame ,
jufqu'à ce que , réduit à l'indigence , il eft
forcé d'aller cacher fa honte & fon déſeſpoir
loin des barbares qui l'ont dépouillé.
L'Auteur obferve que la paffion du jeu eft
du petit nombre de celles que le temps n'affoiblit
point ; qu'au contraire elle fe fortifie
avec les années. Un vieux joueur ne préfente
en effet à l'imagination qu'un affemblage d'ac
tions bizarres & d'habitudes vicieufes : plein
de fa chimère , infenfible à tout ce qui devroit
l'intéreffer ; errant à travers le chaos
des chances & du hafard , où l'efprit cherche
en vain la lumière ; fans ceffe en garde contre
l'aftuce & l'avidité de fes adverſaires ,
cherchant à furprendre leur fecret , & à leur
dérober le coup dont il veut les accabler ;
fuperftitieux fectateur de la fatalité , de la
fortune & du deftin qu'il perfounifie , qu'il
invoque & maudit tour-à- tour ; portant la
déraifon jufqu'à fuppofer des vertus occultes
aux inftrumens du fort , & une influence
particulière à tous les objets qui l'environnent
, on le voit tantôt filerfes cartes d'une
116 MERCURE
main tremblante , tantôt les faire lever par
des mains étrangères , tantôt n'ofer mettre.
au jeu qu'un argent d'emprunt , tantôt ſuſpendre
fes mouvemens crainte d'ufer le bon
heur: l'un vous dira qu'il eft sûr de perdre
quand certaine perfonne eft à côté de lui ;
un autre, qu'il ne peut fans danger , ouvrir
fa tabatière pendant qu'on diftribue les car--
tes; un troiſième , fort fenfé d'ailleurs , croir
quefon bonheur tient à une pièce de monnoie
qu'il conferve précieufement au fond de fa.
bourfe.
Ces traits de folie & d'imbécillité n'exci
teroient que le rire ou la pitié , s'ils ne com
duifoient jamais leurs auteurs dans les gouf
fres de la misère ou du crime ; mais les Officiers
de Police & nos Greffes criminels atteftent
que les filouteries , les vols , les affaf
finars , les duels , les empoifonnemens , les,
fuicides , les banqueroutes frauduleufes tirent.
leur principale fource de la fureur du jeu..
M. Dufaulx a vu un de ces maniaques brifer
les tables de jeu , manger les cartes & avaler,
une bougie ardente. On fe rappelle qu'un au
tre , à Naples , mordit avec tant de rage, la
table oil venoit de perdre , que fes dents la
pénétrèrent , & qu'il refta moit fur la place.
Tour récemment encore , un joueur mourut
au milieu d'une partie , & fes adverfaires ,
d'une voix unanime , réfolurent de le fouiller
& de fe payer avant qu'on enlevât le cadavre.
Deux Anglois partis de Londres pour fe
battre en duel en pays étranger , continuèrent
DE FRANCE.
117
"
leur partie de jeu pendant la route : arrivés
fur le champ de bataille , ils gagèrent entre
eux que l'un tueroit l'autre , & trouvèrent
même des fpectateurs affez inhumains ,
pour s'intéreffer dans leur partie. Perfonne
n'ignore que durant la tenue de nos
États Provinciaux , les joueurs ont une falle
'qu'on nomme l'Enfer, & qui , à tous égards ,
eft digne de ce nom : un Gentilhomme voulut
y jouer jufqu'à fon épée . A Moskou , à
Pétersbourg , on joue non - feulement fon or ,
fes meubles , fes terres , mais encore ceux
qui les cultivent , enforte que des familles
entières paffent fucceffivement à ſept ou huit
maîtres en un feul jour. On affure qu'un
Vénitien joua fa femme ; un Chinois fa
femme & fes enfans & qu'ils les perdirent.
Les Nègres de Juida ont le même ufage. Dans
FInde on joue quelquefois jufqu'aux doigts
de la main; le perdant les coupe lui - même
pour s'acquitter. Les Germains , fuivant le
témoignage de Tacite , fe livroient à cette
pallion avec une telle frénéfie , qu'après avoir
tout perdu , ils fe jouoient eux- mêmes en
un feul coup ; alors le vaincu , quoique plus
jeune & plus fort, fe laiffoit garroter & vendre
aux étrangers . S. Ambroife va plus loin :
les Huns , dit - il , après avoir mis au jeu
leurs armes & tout ce qu'ils ont de plus.
cher , y expofent leur vie , & fe donnent la
mort pour s'acquitter envers de gagnant.
Cette fièvre eft fi ardente qu'elle tend
même à fe perpétuer au -delà du tombeau :
*
t
118
MERCURE
témoin ce joueur mourant , qui légua fa peau
pour en couvrir un dammier , & les os pour
en faire des dez.
M. de Voltaire fe plaifoit à raconter l'anecdote
d'une joueuſe infirme & pauvre qu'il
avoit connue ; elle s'étoit confacrée au fervice
des pauvres joueurs ; elle leur faifoit
du bouillon , pour l'unique plaifir de les voir
jouer.
وو
وو
Mais il faut fe rendre avec M. Dufaulx ,
dans ces maifons publiques , où les deux
fexes réunis peuvent affouvir en liberté leur
cupidité dévorante ; où le coucher du foleil &
celui du jour fuivant les retrouvent encore
dans la même attitude. Là , dit l'Auteur , on
entend nommer des Marquis , des Comteffes ,
des Abbés , des Militaires , des Préfidens ,
une foule de miférables dont on eft trop heureux
d'ignorer l'existence. « J'apperçus quelqu'un
que l'on auroit pris pour un honnête-
homme , tourner autour d'un double
» louis que l'on avoit par mégarde laiffé
tomber par terre. Qu'il eut de mal a faire
fon coup ! il y réuffit cependant. J'en vis
» un autre qui déroboit furtivement quel-
» ques écus au Banquier ; tandis que celui - ci
payoit on ramaffoit....Une femme étique
qui ne parloit point , ou rarement , qui
» reftoit toujours dans la même place , & ne
» fe levoit pas même lorfqu'on avoit fervi ;
» je demandai ce que c'étoit : ce fpectre fé-
" minin , me dit un homme d'un extérieur
» décent & d'une humeur enjouée , eft l'une
و د
· 33
ور
DE FRANCE. 1119
"
des plus fingulières victimes qui ait jamais
» exifté dans les faftes du jeu. Depuis trente
ans elle perd fa rente viagère a mefure
» qu'elle la touche , & ne fubfifte qu'avec
» un peu de pain trempé dans du lait ; car
» elle eft fort honnête , & tout le monde
» convient qu'elle a beaucoup d'efprit . Elle
» rougit d'être ici , mais elle mourroit ail-
» leurs. Comme elle eft fans crédit , la pau-
» vre fille ne jouera que dans trois mois ,
» c'est-à-dire , à la première échéance ....
» Monfieur , dis - je à cet homme , feriez-
» vous intéreffé dans la banque ? Fi donc ,
Monfieur , fi donc ! je fuis libre , & j'ai de
» l'honneur ; ma folie à moi , c'eſt d'aimer
» les jolies femmes , & de reconduire celles
» qui perdent. Là-deffus il me quitta pour
"
ور
en aller confoler une... Ce qui me fem-
» bloit de plus étrange , c'étoit de voir rôder
" autour des tables de vieux joueurs obérés
» que l'on recevoit par grâce , foit en faveur
de leurs noms & de leur ancienne ſplen-
» deur , foit à caufe de quelque marque de
» diftinction qui en impofoit encore , mal-
33.
gré le délabrement de ceux qui les por-
" toient. J'étois frappé fur-tout de les voir,
quoiqu'ils n'euffent rien à prétendre ,
s'agiter, fe tourmenter autant dans l'attente
de chaque décifion, que s'il s'étoit encore
agi de défendre ou d'accroître leur
patrimoine. L'un d'eux me tirant à l'écart ,
répondit à ma penfée : comme eux , je
» jouois autrefois , me dit-il ; maintenant
. و و
"3
(120 MERCURE
き
enj'en fuis réduit à regarder; car je fuis joueur
4 & le ferai toujours. Les autres hommes
» en comparaifon des joueurs , me femblent
» en léthargie. N'ayant rien à rifquer ici , je
» n'y faurois gagner ; mais j'y jouis à ma
» manière. »
Quelle horrible jouiffance ! fe complaire
au milieu des fripons & des dupes ! nourrir
fon ame du défefpoir des uns , & de la joie
barbare des autres ! paffer fa vie à contempler
.des malheureux fufpendus à la roue de la
-fortune , exposés à fes cruelles viciflitudes
. condamnés pour la plupart à finir leurs trop.
longs jours , ou dans l'opprobre , ou dans les
larmes & la misère !
L'Auteur ajoute qu'il a fouvent attendu
jufqu'au lever du foleil , le dénouement de ces
-drames terribles trop pleins de vérité , & que
l'art eft bien loin de pouvoir jamais imiter :
tout y eft affreux , & la figure , & les propos ,
& le filence , & les mouvemens des acteurs ,
& l'attention même des fpectateurs. Mais
tout cela n'eft rien en comparaifon des an-
-goiffesfecrètes ; c'est dans le coeur que gronde
·la tempête : " Deux joueurs manifeſtoient
leur rage l'un par un morne filence ,
,» lautre par des imprécations redoublées.
Celui- ci , choqué du fang - froid de fon
voifin , lui reproché d'endurer fans fe
plaindre des revers coup fur coup multipliés
: tiens , répond l'autre , regarde....
Il s'étoit déchiré la poitrine , & lui en
montroit les lambeaux fanglans . »
199 *
,
痿
Une
DE FRANCE. 121
"
39
» Une époufe infortunée vint , la mort
dans les yeux , y chercher fon époux , qui
jouoit depuis deux jours. Laillez - moi ,
s'écria-t'il , laiffez-moi encore un inftant ,
je vous reverrai peut-être... après-demain.
» Le malheureux ! il arriva plus tôt qu'il ne
» l'avoit promis . Sa femme étoit couchée ,
» tenant à la mamelle le dernier de fes fils :
levez-vous , Madame , levez-vous ; le lit
» où vous êtes ne nous appartient plus. »
»
""
و ر
")
"
"3
« Un autre père de famille , après avoir
perdu tranquillement , & même avec fé-
» rénité , la moitié de fa fortune , joua le
refte , & le perdit fans murmurer. On le
regarde , fa figure ne change point , on
apperçoit feulement qu'elle devient im-
» mobile. Cet homme vivoit à fon infçu.
» Deux ruiffeaux de larmes s'échappèrent
» de fes yeux , & toujours fans que les traits
en foient altérés , il ne parut d'abord que
ridicule. Je ne fais quelle idée cette ftatue
pleurante réveilla tout-à- coup dans l'ame
» des fpectateurs ; quoique joueurs , ils finirent
tous par être failis de terreur & de
pitié , &c.
و د
ور
99
ود
ور
Après avoir expofé les abus & les malheurs
du jeu , M. Dufaulx propofe différens
moyens d'y remédier , foit par l'éducation ,
foit par de nouveaux réglemens , foit par
l'exemple du Monarque & de fa Cour. Il
obferve que le Roi de Pruffe , le Roi de Sar-
Sam. 16 Octob. 1779.
F
122 MERCURE
+
daigne , les Républiques de Gènes & de
Venife ont déjà fait d'heureuſes tentatives.
pour extirper de leurs États les jeux de hafard
& la plupart des autres jeux publics ; & que
la ville de Hambourg eft parvenue à chaffer
les joueurs de fes murs. Avec du courage ,
de l'intelligence & des intentions droites , il
feroit poffible d'en purger infenfiblement la
capitale & nos autres grandes villes ; celles
d'un ordre inférieur les imiteroient à la longue
, en adoptant des amufemens plus honnêtes
& moins dangereux , & le Royaume
fe trouveroit enfin délivré du plus redoutable
fléau des moeurs.
Tel eft le but refpectable que s'eft propofé
M. Dufaulx ; il avertit fes Lecteurs qu'il
n'a rien cité que d'après de bons garans ; il
certifie l'exactitude de tout ce qu'il avance ,
en qualité d'acteur & defpectateur. « Si j'avois
" fait un Poëme , j'aurois tâché de l'embel-
22
lir par la fiction ; mais en écrivant fur les
» moeurs , je refpecte la vérité. Au refte ,
j'ai montré à la jeuneffe la route que j'ai
" fuivie trop tard ; mais enfin je l'ai fuivie ,
lorfque fatigué de mes erreurs , je compris
qu'il étoit plus sûr & plus honnête d'aller
32
* A la fin de fon Livre , M. Dufaulx rapporte une
Loi de l'Empereur actuel de la Chine , contre la fureur
du jeu : c'eft un des morceaux les plus intére
fans de l'Ouvrage ; nous regrettons de ne pouvoir
le tranferire ici , à caufe de fa longueur.
DE FRANCE. 123
» au fecours de mes compatriotes que de les
depouiller. »
ง
C'eft au Public raifonnable à juger de l'im
portance de ce Livre ; il doit fur- tout fe défier
de l'opinion qu'en donnent les joueurs :
furieux de ce que l'Auteur a ofe révéler leurs
mystères d'iniquités , & ne pouvant détruire
une multitude de faits & d'obfervations qui
doivent les flétrir à jamais , ils vont répétant
en tous lieux , que l'Ouvrage eft dénué d'intérêt
; qu'on n'y trouve ni plan , ni conduite ,
ni méthode , que les mêmes idees & les mêmes
objets y reparoiffent à chaque page , & toujours
en defordre ; qu'il n'y a nul accord entre
les parties ni entre les chapitres , nul difcernement
dans le choix des citations ; rien
de neuf , rien d'attachant dans la morale ;
l'éloquence de l'Auteur eft emphatique ,
fon ftyle diffus , lourd , incorrect , inégal
, fans nobleffe , fans couleur & fans vie ;
en un mot , ils réuniffent tous les lieux communs
en ufage , pour décrier les bons comme
les mauvais Livres . L'Auteur devoit s'y attendre
; mais il en fera dedommagé lorfqu'il
verra les pères de famille benir fa mémoire ,
& dépofer fon Livre entre les mains de leurs
enfans , comme un prefervatif contre le plus
redoutable écueil de la vie. M. Dufaulx
doit s'attendre encore à une autre espèce de
triomphe ; il verra fans doute le Gouvernement
commencer la réforme en cette partie.
Mais le defordre des finances , le rétabliffement
de la marine , les foins de la guerre
que
Fij
124
MERCURE
exigent maintenant toute la follicitude da
Reftaurateur des maurs : cependant on peut
déjà preffentir fes deffeins dans la liberté que
la cenfure a laiffée à M. Dufaulx; car fon Livre
cft par- tout femé des réflexions les plus hardies
contre les loteries , contre les jeux publics
, contre tous les établiffemens où l'on
voudroit fubftituer le hafard au travail & à
l'induftrie , comme un moyen d'enrichir le
peuple.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE deux de ce mois , on repréſenta pour
la première fois fur ce théâtre Rofeide
Comédie en cinq Actes , en vers. Quelques
longueurs répandues dans le cours de la Pièce ,
affoiblirent l'effet de cette repréfentation , &
le fuccès de l'ouvrage fut balancé ; mais il fe
décida complettement à la feconde & à la
troifième . La fable de cette Comédie parut
d'abord compliquée & difficile à faifir. Nous
allons la mettre fous les yeux de nos Lecteurs
, autant que notre mémoire pourra nous
la rappeler.
Les Nelmours & les Volfimons font divifés
depuis long-temps par une haine héréditaire
, irréconciliable , & fondée fur les plus
forts motifs. Le fils unique d'un Nelmour
DE FRANCE. 125
avoit été décapité fur l'accufation fauffe d'un
Volfimon qui avoit fuborné des témoins , &
donné à l'impofture la plus noire , toutes les
apparences de la vérité : de- là cette guerre
jurée entre les deux familles . Cependant la
fille du Nelmour qui joue un rôle dans la
Pièce , avoit époufé fecrètement , pour fe
fouftraire à la fureur de fon père , un Volfimon
, frère de celui que l'Auteur introduit
dans fon action. Ce Volfimon , l'aîné de fa
famille , eft mort au fervice , fans rien révéler.
La fille de Nelmour que le chagrin confume ,
fur le point d'expirer , avoue tout à Nelmour
fon père, & lui confie le gage de fon union
avec fon plus mortel ennemi : ce gage eft
Rofeïde, l'Héroïne de la Pièce . Nelmour fe
croyant feul dépofitaire du fecret de fa fille ,
prend foin de l'enfance de Rofeïde , s'attache
à elle de plus en plus ; mais dominé par la
haine , il ne veut fe déclarer que pour le bienfaiteur
de celle qu'au fond de l'ame il aime
comme le père le plus tendre : fituation
cruelle & neuve au théâtre . Dès que Roféide
a atteint un âge plus avancé , il la place chez
la Comteffe d'Ermance , femme eſtimable ,
à laquelle il confie en quelque forte l'éducation
de la jeune perfonne , qui ne pafle que
pour fa pupille. Cette Comteffe , qui croir
appercevoir dans les autres les vertus qu'elle
a , eft féduite par un certain Verville , efprit
fouple délié , exercé aux manéges de l'intrigue
, aquelle il doit fa fortune , fes entours
& cette confidération du moment , que l'ar-
Fiij
126 MERCURE
tifice arrache quelquefois lorfqu'on la difpure
à la probite mal - adroite. Ce Verville s'eft
empare de Nelmour au point que ce dernier
fonge à lui faire époufer Rofeide , qui aime
en fecret Dolfe , jeune homme plein de candeur
, de droiture & de fenfibilité. Dolfe a
pour ami Volimon , ce qui le rend odieux à
Nelmour , dont le choix fe décide en faveur
de Verville.
Tous les fils de cette action , quoique un
peu brouillés , comme nous en avons déjà
fait le reproche à l'Auteur , fe démêlent pourtant
avec netteté & vraisemblance dans le
cours de l'ouvrage . La mère de Rofeide , prévoyant
que fa fille ne feroit jamais reconnue ,
& que la haine de Nelmour le forceroit à la
défavouer ; la mère , dis-je , de Rofeïde , traça
de fa main mourante un billet , où le fort de
fa fille eft dévoilé , & le remit avant d'expirer
à un vieux & fidèle ferviteur de Nelmour.
Cet homme interrogé & preffe par
Verville , laifle échapper des aveux dont
Phabile fourbe profite. Volfimon , fur quelques
bruits confus de l'hymen de fon frère ,
remonte à la fource , interroge à fon tour le
vieillard , le preffe , & parvient à en obtenir
l'écrit qui conftate la naiffance de Rofeïde ,
& qui la déclare pour fa nièce. Armé de cet
indice , il ne fonge plus qu'à détromper
Nelmour , & à réunir les deux amans , qui ,
après tous les obftacles que leur oppofe l'inépuifable
induftrie de Verville , voicouDE
FRANCE. 127
ronnner leur tendreffe par celui même qui
avoit paru la traverfer .
Cette fiction , malgré quelques défauts ,
fait fûrement honneur à l'imagination du
Poëte il a fu s'y menager des développemens
& des contraftes qui ont de l'éclat au
théâtre. La duplicite , la fourberie & la noirceur
de Verville , on oppofition avec la fimplicité
des deux jeunes amans ; la générofité
indulgente & noble de Volimon , encore
relevée par l'animofte inflexible de Nelmour ,
font des fources de beautes vraiment dramatiques.
Le dénouement offre le tableau le plus
attendrillant , & l'on ne peut guère reprocher
à cet ouvrage que quelques lenteurs
dans le premier Acte ; défaut qui réfulte fans
doute de tout ce que l'Auteur a eu à motiver
pour fonder fon action. Le caractère de l'intrigant
eft bien deffiné. On avoit voulu y voir
quelques rapports avec le Méchant ; mais à
l'examen , ces prétendues reffemblances difparoiffent.
Le Méchant dit du mal ; Verville
en fait. Il étoit impoffible de montrer un
perfonnage auffi mobile fous toutes les formes
qu'il préfente. Le Poëte s'eft borné à
celles qui pouvoient bleffer le moins les
convenances théâtrales. L'Intrigant , fait comme
il devroit l'être , ne pourroit jamais être
joué il a trop de modèles pour qu'on en
laifsât paffer la copie . D'après ces différentes
obfervations , on peut juger du mérite de ce
nouvel ouvrage de M. Dorat ; mais ce qui
parcît avoir obtenu l'approbation générale ,
FIV
828 MERCURE
c'eft le ftyle , partout élégant , quelquefois
énergique , plein de fineffe , & de cette fraîcheur
de coloris qui diftingue la plume à qui
nous devons déjà le Célibataire & la Feinte
par Amour.
Il feroit injufte , dans le compte que nous
rendons de Rofeïde , d'oublier le zèle & l'enfemble
que les Acteurs y ont mis . M. Molé
a rendu le rôle de l'Intrigant avec toute la
légèreté , toute la foupleffe , toutes les nuances
qui conviennent à un pareil caractère .
Par les grâces , le charme & la magie de fon
jeu , il a fait en quelque forte difparoître
l'odieux du perfonnage. Cet Acteur eft vraiment
le Protée de la fcène : il eft impoffible
d'avoir un talent plus fécond , plus varié &
plus infatigable. Mlle Doligni eft charmante
dans le rôle de Roféïde. Décence , nobleffe ,
fenfibilité , vive ou délicate , inflexions déchirantes
, elle réunit tout ce qui peut plaire &
émouvoir. Le Sieur Monvel a rendu le rôle
de Volfimon avec cette éloquence de l'ame
qu'il pofsède au fuprême degré : il a été fublime
au cinquième Acte , où il a toujours
excité cette fenfation univerfelle qu'il n'appartient
qu'au grand talent de communiquer
aux Spectateurs . MM. Fleury & Dazincourt ,
tous deux auffi aimés qu'eftimés du Public ,
fe font diftingués chacun dans leur rôle.
Mile Fanier a rendu le fien avec cette fineffe ,
ce feu , ce piquant qui caractérisent le jeu fpirituel
de cette aimable Actrice ; & Mde Molé ,
dans la Comteffe , a montré la plus grande
DE FRANCE. 129
intelligence : elle y a été très-applaudie , &
elle méritoit de l'être. Enfin M. Brifard a été
ce qu'il est toujours , plein de nobleffe , d'ame
& de vérité. C'eft l'Acteur de la Nature.
On répète à préfent une Tragédie de M.
Dorat , intitulée Pierre-le-Grand ; c'eft un
fuperbe fujet , qui manquoir à notre théâtre .
( Cet Article a été envoyé au Rédacteur du
Journal. )
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 8 Octobre , on a remis à ce
Théâtre le Rival favorable , Comédie de
Boiffy , en trois actes & en vers.
Le modefte & fenfible Damon eft l'Amant
préféré de Clarice , jeune veuve , dont le
coeur indécis tantôt fe livre , tantôt le refufe
à l'amour. Léandre , un de ces fats orgueilleux
qui avec une jolie figure & du jargon , croyent
pouvoir fubjuguer toutes les femmes , Léandre
parie une fête avec fon ami Damon , que
dans l'efpace de trois heures , il déclarera fon
amour àClarice , qu'il lui infpirera du retour,
& qu'il la fera confentir à l'époufer. Le pari
eft accepté. En conféquence , il fait fa déclaration
. Elle eft mal reçue , parce qu'elle eft
faite dans un moment où la Veuve a pris le
parti d'éloigner Damon , de ne plus recevoir
d'Amans , & de ne pas même en entendre
prononcer le nom . L'adroit Léandre ne fe
Fv
130 MERCURE
rebute point , il promet de renoncer aux expreffions
qui déplaifent à Clarice , & propofe
de donner leur valeur aux mots les
plus ufités du langage familier. En faveur de
l'idée , la Veuve lui pardonne fon opiniâtreté.
Joyeux de ce premier avantage , le Fat dreffe
d'autres batteries. : dans un moment de paffion
, Clarice a écrit à Damon un billet fort
tendre qu'elle avoit chargé Marton de lui
porter ; Marton l'a perdu ; Léandre l'a trouvé;
il fe promet d'en faire ufage ; mais il lui
en faut un de Damon ; & voici le moyen
qu'il emploie pour fe le procurer.
Il feint qu'un Duc de la connoiffance l'a
prié de lui faire une lettre pour une Dame
dont il eft aimé , & à laquelle il a facrifié un
autre objet ; qu'il s'eft en vain tourmenté
pour compofer cette lettre ; enfin , il ſupplie
Damon de le tirer d'embarras , en la faifant
pour lui. Damon y confent . Muni de ces deux
titres , il en préfente un à fon ami , qui croyant
fon rival heureux , fort en fe propofant de
ne jamais revoir fon infidelle ; l'autre eft remis
à Clarice , comme une preuve de l'inconftance
de Damon. Clarice veut favoir comment
cette lettre eft tombée entre les mains
de Léandre ; il répond qu'il a bien voulu fe
charger de la remettre ; la Veuve demande
à qui ; embarraffé , furpris , obligé de répondre
, Léandre nomme Eliante . Elle arrive au
moment même. Grands reproches de la part
de Clarice ; étonnement , douleur , larmes
de la part d'Eliante : elle preffe Léandre d'éDE
FRANCE.
f } t
claircir un mystère qui la déshonore ; malgré
l'effronterie du Fat , tout va fe decouvrir ,
quand on annonce à Clarice qu'une Dame
l'attend avec impatience dans le fallon voifin
; on remet l'eclairciffement après le jcu ;
en attendant , on emmène Léandre. Damon
croit ne s'être point affez vengé en abandonnant
Clarice , il veut former une autre
chaine , choisit Eliante pour l'objet de fon
nouvel amour , & vient pour le faire eclater
aux yeux de fa perfide Amante. On peut
juger de la douleur, de la confufion d'Eliante ,
quand de la bouche même de l'homme dont
elle attendoit ſa juſtification , elle entend
l'aveu d'une tendreffe qui la rend coupable
aux yeux de fon amie. Après des efforts inutiles
pour diffuader Clarice , & engager
Damon à tenir un autre langage , elle
fe retire en laiffant éclater tout fon mépris
pour la calomnie qui la déchire , & eu atteftant
fon innocence. Enfin les deux Amans
s'expliquent ; ils fe remettent mutuellement
le billet qui a caufé leur erreur : la Veuve
promet à Damon fa main , s'il veut lui facrifier
Eliante ; il accepte la propofition avec
tranfport ; & Léandre , toujours poffédé dè
l'efprit de difcorde , en voulant tout rebrouiller
, achève l'éclairciffement , eft témoin du
bonheur de fon ami , & perd la gageure.
L'intrigue de cette Comédie eft très - heureufement
imaginée , mais elle ne pouvoit
remplir trois actes : auffi , pour donner aux
deux premiers l'étendue qu'ils devoientavoir,
F vj
132 MERCURE
l'Auteur a-t- il été forcé de recourir à des
détails , à des converfations prolongées avec
beaucoup d'efprit , & qui n'en font pas
moins languir l'action & l'intérêt. Les fituations
du troifième font neuves & piquantes
le comique en eft excellent. Le dialogue de
cet Ouvrage , comme celui de prefque toutes
les productions de Boiffy, manque de naturel
& de vérité. Le ftyle eft quelquefois agréa
ble , fouvent précieux & recherché , plus
fouvent encore lâche & incorrect.
Les rôles ont été joués par MM. Michu ,
Valleroy & Corally ; & par Meſdames
Dugazon , Pitret & Gonthier . La difette de
Sujets , & le defir d'être utile , ont fans doute
engagé cette dernière à repréfenter le rôle
d'Eliante. Il faut lui favoir gré de fes efforts
& de fon zèle . Nous obferverons pourtant
que ce perfonnage , qui a été rempli originairement
par Mlle Biancolelly , exige une
Actrice extrêmement jeune. La naïveté , la
fimplicité , l'inexpérience d'Eliante , donnent
quelque chofe de très-intéreffant à la chaleur
avec laquelle elle fe défend de l'intrigue
amoureufe dont on l'accufe ; & c'eft
ôter à ce rôle une grande partie de fon effet ,
que d'en charger une Actrice deftinée par
fes moyens , à un emploi plus marqué.
1
Un Acteur nouveau , qu'on nous a dit fe
nommer Dorgeville , a débuté , le même
jour , par le rôle de Damon. Nous croyons
DE FRANCE. 133
qu'il mérite d'être encouragé. Nous l'invitons
à donner à fa démarche & à fon maintien
un peu plus de dignité , & fur-tout à
donner plus d'effor à fon ame. Au refte ,
il parle avec bon-fens , & fuit la fcène avec
intelligence.
VARIÉTÉ S.
RÉPONSE de l'Auteur de l'Extrait du
Dithyrambe , à la Lettre inférée dans le
Mercure du 9 Octobre dernier.
COMBIEN il eft dangereux de ſe laiffer emporter
aux premiers mouvemens de l'amour- propre bleffé !
Quand j'ai lu la réponfe qu'on vient de faire à mon
extrait du fameux Dithyrambe , j'ai cru d'abord que
c'étoit une repréfaille de quelque ami de l'Auteur , qui
avoit voulu me perdre de réputation aux yeux de
l'Univers , & m'enlever la gloire qui pouvoit me
revenir de cet extrait , que j'avois travaillé avec tant
de foin.
En obfervant que cette réponſe commençoit par
une apoftrophe , une profopopée & quelques invectives
, j'ai cru y voit la colère d'un Maître ès-Arts ,
armé contre moi des plus puillantes figures de la
rhétorique.
Je me difois cependant : dès que le Dithyrambe
a été imprimé , tous les Journaliſtes l'ont traité avec le
plus grand mépris , & ils en ont relevé les défauts
avec un acharnement impitoyable , fans rendre
juftice à aucune des beautés qui s'y trouvent ; moi ,
j'en ai expofé , il eft vrai , les défauts avec ce courage
& ce zèle que nous autres Journaliſtes nous avons tous
134 MERCURE
pour défendre la vérité & le bon goût ; mais j'ai
motivé mes critiques ; je n'y ai mêlé aucune injure ;
' ai cité & loué fincèrement les plus beaux endroits de
l'Ouvrage ; & voilà un Champion du Dithyrambė
qui , laiffant en paix tant de Critiques fi patlionnés &
fi injuftes , vient appefantir fa redoutable férule fur
le feul qui ait dit du bien de l'Ouvrage qu'il veut défendre!
Il m'accufe d'injuftice , d'ignorance , de mauvaiſe-
foi , d'envie , de malignité , &c. il me dit crûment
que je n'aijamais eu aucune idée de poéfie ; que
je n'ai pas étudié ma langue ; que je vois trouble ,
que l'envie de nuire me rend mal - adroit ; que je ne
fais pas même être méchant , &c. Ce langage ne me
paroiffoit pas bien poli , & la préférence qu'il me
donnoit me fembloit trop dure. J'allois à mon tour
m'armer de catachrèfes , d'objurgations , & de la
figure appelée en grec eironeia , pour défendre vigoureufement
ma doctrine & mon Extrait; je commençois
même à me fâcher un peu , afin de me mettre au ton
de mon Correcteur , lorfqu'une illumination foudaine
eft venue me deffiller les yeux , & m'a préſervé du
ridicule dont j'allois me couvrir.
En relifant attentivement cette réponſe , j'ai apperçu
tout - à - coup que ce n'étoit qu'un perfifflage
infidieux de quelque ennemi de l'Auteur du Dithyrambe;
qu'on ne feignoit de le défendre que pour le
livrer de nouveau à la malignité du Public ; que les
petites injures qu'on m'adreffoit n'étoient qu'un piége
tendu à mon amour-propre , pour m'engager , par
l'aiguillon de la contradiction, à revenir avec plus de
févérité fur ce malheureux Dithyrambe , & à completter
la critique que je n'avois fait qu'ébaucher. Le
perfifflage pouvoit être plus gai , mais il ne pouvoit
guères être plus malin ni plus fubtil.
Pour mieux en impofer d'abord , mon prétendu
Adverfaire commence par m'attaquer férieufement
fur un point où je dois convenir qu'il a l'avantage.
DE FRANCE. 135
J'avois fuppofé que le Dithyrambe étoit d'un jeune
homme , & non, comme on affectoit de le croire ,
d'un homme de Lettres qui , par faplace , n'avoit pas
le droit de difputer le prix le faux Apologifte a
très-bien démêlé qu'il entroit un peu d'ironie dans
cette tournure , & il en avertit traîtreufement le
Public , qui auroit pu s'y méprendre.
:
Mais il ne me déma que ainfi que pour démafquer
en même - tems l'Auteur du Dithyrambe ; il femble
arracher le refte du voile qui couvroit encore ce
petit myftère ; il ne nomme pas l'Auteur , mais il le
montre du doigt ; il le ramène malicieuſement fur la
fcène , au lieu de le laiffer oublier ; fous prétexte de
repcuffer le motif de gloriole puérile , auquel j'avois
attribué la violation d'une régle fage , fondée également
fur la bienséance , la juftice & la raiſon , il fait
une hypothèſe gratuite , où le Poëte , preflé par les
amis de Voltaire de concourir à l'Éloge académique ,
comme plus propre qu'aucun autre à bien remplir
cette tâche , cède modeftement à leurs inftances , afin
qu'ily ait au moins un bon Éloge. On fent trop que le
perfiffleur a voulu fe moquer de l'Auteur dithyrambique
& de moi , en appelant cette déférence un courage
noble; il a bien vu qu'une pareille explication
expofoit cet Auteur à un ridicule aux yeux du Public ,
& tendoit à lui faire une querelle de plus avec plufieurs
hommes de mérite , qui , fans être de l'Académie
, ont donné affez de preuves de talent pour être
au moins jugés capables de faire une pièce de vers de
la force du Dithyrambe.
Le perfifflage devient encore plus fenfible lorsque
le faux Apologifte veut faire regarder comme une
preuve de la pureté de zèle de l'Académicien concurrent
, l'attention de ne pas recevoir l'argent du Prix ,
qu'il n'auroit eu aucun moyen poffible de ſe faire
donner , tandis qu'il auroit reçu l'honneur du Prix ,
auquel il n'avoit aucun droit , & dont il priveroit
celui qui l'auroit mérité,
136 MERCURE
que c'est encore par pure On fent bien malice qu'il
cite l'exemple de Fontenelle , qui fit , en 1695 , pour
fon ami Brunel , un Difcours qui remporta le Prix
de l'Académie ; car il convient en même-temps que
c'étoit un fort mauvais exemple . En effet , Fontenelle
s'eft toujours reproché cette faute; mais du imoins il la
fit pour fervir unami , & il n'eut garde de laiſſer tranfpirer
ce petit fcandale , qu'il ne révéla que long-trms
après . Le bon Abbé Trublet , qui étoit un peu févère
, dit , en rapportant cette anecdote , que c'étoit
unefaute contre l'exacte probité ; mais il ne nous apprend
pas fi Fontenelle avoit vanté & fait valoir luimême
le Difcours qu'il avoit fait ; s'il s'en étoit conftitué
le juge , & s'il avoit donné fa voix pour lui décerner
le Prix . L'anecdote du Dithyrambe fera vraifemblablement
beaucoup mieux éclaircie pour la
postérité.
Mon feint adverſaire s'attendoit fans doute à me
voir entrer en lice avec lui , pour juftifier mes obfervations
contre les critiques ; il auroit triomphé de
ma fimplicité , & m'auroit immolé enfuite à la rifée
publique. Heureufement j'ai échappé à ce ridicule.
Je me garderai donc bien de lui répondre , & je me
contenterai de faire remarquer par quelques traits à
mes Lecteurs, toute fa malice.
1. Il paffe fous filence comme de raiſon mes cenfures
les plus graves . 2 ° . Il convient de la plupart
de celles qu'il rapporte ; & s'il a l'air d'y joindre une
obfervation critique , c'eſt toujours de manière à n'en
pas émouffer le trait. 3 ° . Il chicane d'un air férieux
fur quelques critiques de mots , afin de mieux cacher
fon jeu.
Par exemple , j'avois trouvé de la redondance dans
ces deux vers :
Jour , qui va couronner les deftins les plus beaux !
Jour , fait pour payer ſeul un ſiècle de travaux !
DE FRANCE. 137
Le premier hémistiche du fecond ne me paroiffort
d'ailleurs ni élégant , ni poétique ni harmonieux . J'avois
ofé croire que l'idée de l'Auteur auroit été renfermée
toute entière dans ce vers ,
Jour , qui va couronner un fiècle de travaux !
Mon perfiffleur malin me dit que je ne fais pas ma
langue , parce qu'on ne dit pas qu'un jour couronne
des travaux . Cela ne peut pas être férieux ; il fait trèsbien
qu'un jour de triomphe peut couronner les travaux
d'un guerrier ; mais ce qu'il fait encore mieux ,
c'eft qu'il n'eft pas queftion ici d'un jour qui cou
ronne des travaux , mais d'un JOUR qui couronne
UN SIECLE.
J'ai trouvé que dans ce vers ,
Tous fes traits altérés annoncent la terreur
ces mots rapprochés , traits , altérés, terreur , n'étoient
pas harmonieux. Il répond que j'ai raiſon ; mais que
c'est moi qui les rapproche .
CC
J'ai remarqué comme un peu étrange à l'oreille ce
commencement de vers , Tous , vous vous ; il dit
encore que j'ai raifon , « quoique , ajoute - t'il , tous
» fe détache , & que l's , qui fe fait entendre à la
fin de ce mot , en diftingue le fon de celui de vous ,
dont l's ne s'entend pas ». Il faut convenir que
Mathanafius n'a rien de plus plaifant , & qu'un commentaire
entier de ce ton-là fur le nouveau chefd'oeuvre
de l'inconnu , feroit oublier l'ancien .
בכ
J'ai trouvé que la grandeur qui refpire dans les
traits d'un grand homme , n'étoit pas heureux ; il
efquive adroitement l'objection , & m'apprend que
refpire eft une expreffion familière aux Poëtes , qui
veut direfe montrer vivante.
Il fait femblant de croire que les alarmes , qui ne
font autre chofe que la crainte , caractérisent effentiellement
la pitié , parce que la pitié eft ſouvent ac138
MERCURE
compagnée de l'efpérance & de la crainte ; c'et évideminent
une adreffe maligne pour faire entendre que
le Poëte ne pouvoit pas plus mettre les alarmes que
l'espérance fur le front de lapitié.
Le Poëte Dithyrambique s'écrie :
Mufe , qui me conduis , où m'as-tu tranſporté ?
Je n'ai pas trouvé ce rapprochement de conduit
& de transporté fort poétique. Le perfiffleur répond
que c'est toujours en le tranfportant qu'une Muſe
conduit un Poëte dans fon temple. Ce qui feroit riaicule
& burlesque, ajoute-t'il, ce feroit qu'ils y allaffent
à pied. Voilà une petite faillie de gaité qu'on fent
bien qu'un homme de goût n'a jamais pu fe permettre
férieufement .
Il eft donc démontré qu'un homme d'autant
d'efprit que mon perfiffleur n'a voulu que s'amufer
aux dépens du Dithyrambe , en écrivant cette fingu
lière apologie. Mais ce qui démontre encore qu'il a
eu , comme je l'ai dit , l'efpérance de m'engager à
revenir fur les fautes du Dithyrambe , c'eft le reproche
qu'il me fait d'avoir paffé fous filence le tableau
des Tragédies de Voltaire , morceau de Poésie ,
ajoute -t'il d'un ton équivoque , affez remarquable ;
oui fans doute , par le défaut d'idée , de variété ,
de couleur & d'harmonie : il voudroit bien que je
m'attachaffe à critiquer ce morceau , qui a été abandonné
, même par le petit nombre des défenfeurs du
Dithyrambe ; mais le piége eft trop évident .
C'eft dans le même efprit qu'il dit que j'ai fait le
plus grand éloge de la comparaifon des Cordilières
avec le génie de Voltaire , quoique j'aye dit feulement
qu'à l'exception de deux ou trois vers la Poéfie
en eft harmonieufe & l'effet impofant. Il fait très - bien
que j'aurois pu y relever de l'emphafe & de l'obfcurité
; la Nature, par exemple , qui fait la pente tortucufe
des montagnes , & qui plus loin étale la beauté
DE FRANCE. 139
de la culture ; des profondeurs qui s'ABAISSENT en
vallons , ( image vraiment dithyrambique ) des
échos qui répetent les Chanfons des Bergers des Cordilières
, où l'on n'a jamais vu de Bergers.
Ce qui achève de dévoiler l'intention du perfiffleur ,
c'eft l'apologie qu'il fait du morceau du Dithyrambe
fur le fyftême de Newton. Il eſt évident que l'Auteur
n'a aucune idée de Phyfique : faire promener
Newton fur le char du foleil , eft une faute inexcufable
L'Apologifte ne laiffe pas d'avouer ( remarquez
cette tournure ) que cette image eft trop étrangère
au fujet ; mais , ajoute- t'il , le foleil , dans les principes
de Newton , n'eft point immobile ; cette remarque
eft évidemment d'un habile Géomètre , qui aime à
plaifanter ; il eft certain que le foleil a un petit mouvement
dans l'efpace ; mais ce mouvement , que
les Aftronomes eux -mêmes négligent dans leurs cal
culs , mon perfiffleur n'exige sûrement pas que les
Poëtes en tiennent compte dans leurs vers.
J'ai dit que Newton décompofoit la lumière & në
l'obfervoit pas dans les rayons du foleil ; il répond ,
toujours du même ton , qu'on ne pouvoit pas dire
en vers décompofer la lumière ; il fait mieux que moi
que Voltaire l'a dit en fort beaux vers,
per-
J'ai dit que Newton n'avoit garde de chercher la
fubftance première des élémens . Il répond qu'il a ouidire
que Newton , à la fin de fon Optique , s'eft occupé
de la question des élémens des corps . Ici le
fifflage n'eft pas affez fin : Newton , dans une feule
de fes queftions, a parlé des élémens des corps comme
tous les Phyficiens & les Chimiftes en parlent ;
mais , encore une fois , il ne perdoit pas fon temps
en chercher la fubftance première.
રે
Il dit que calculer les lois de la pefanteur , s'appelle
pefer l'Univers , dans le langage des Poëtes : cela me
paroît une épigramme trop amère contre la poésie &
les Poëtes.
140
MERCURE
Rival de la Divinité , dit le Poëte , le monde
qu'elle a fait , c'eft lui ( Newton ) qui le mefure. J'ai
obfervé bien fimplement qu'on n'eft pas le rival de
la Divinité pour mefurer le monde qu'elle a fait , pas
plus qu'on ne feroit le rival de Perrault pour avoir
mefuré la colonnade du Louvre ; ici le Plaifant ſe
récrie , avec une gravité affectée : Comment peut-on
hafarder l'incroyable rapprochement de l'ouvrage du
plus grand Génie , de celui d'un Arpenteur ? ... C'eft
peut- être l'idée la plus étrange qu'ait jamais produit
l'efprit de chicane & de dénigrement.
Pour le coup la raillerie paffe toute meſure. Dans
l'art du perfifflage , comme dans tous les arts , en
voulant frapper trop fort on manque fon coup ; il est
impoffible qu'on prenne ceci férieufement. Quand
on compare la création de l'Univers à la colonnade
du Louvre , on peut , fans infulter Newton , comparer
le fyftême de la gravitation au travail d'un
Arpenteur.
Mais c'eft trop s'arrêter fur une plaifanterie dont
les gens d'efprit ne pouvoient pas être la dupe , & fur
une pièce de vers fur laquelle l'Auteur fe feroit bien
paffé qu'on revint fi fouvent
*
DE FRANCE. 141
SCIENCES ETET ARTS.
SECOND MÉMOIRE , contenant lafuite des
Expériences faites par M. le Marquis de
Néelle , fur la multiplication des animaux
étrangers , par le moyen d'une chaleur
artificielle , lu à l'Académie Royale des
Sciences , le 19 Juin 1779 ; par M. le
Comte de Milly.
M.• LE MARQUIS DE NÉELLE ayant continué fes
Obfervations & fes Expériences fur les effets de la
chaleur artificielle fur les animaux des climats dont
la température diffère du nôtre , a eu le même
fuccès cette année que l'année dernière , dont je
rendis compte , de fa part , à l'Académie ; ainfi cette
dernière expérience confirme parfaitement la pre-,
mière , & ne laiffe plus de doute fur les amours &
la fécondité des animaux étrangers tranfportés en ce
pays , lorfqu'on les traite convenablement.
Les ouiftitis que le Marquis de Néelle a mis
l'année dernière fous les yeux de l'Académie , ont été
établis dans le même cabinet dont il a été fait mention
dans le premier Mémoire ; & par le moyen d'un
poële , on y a entretenu le degré de chaleur de leurs
pays natal. On s'apperçut dans les premiers jours de
Février de cette année 1779 , par les empreffemens
réciproques du mâle & de la femelle qu'ils étoient
prêts de tomber en amour . Pour pouvoir en déter
miner le moment , on mit un linge blanc dans la
boîte où ils couchent , qui bientôt après fut taché par
142
MERCURE
le flux menftruel , ce qui prouva que la femelle étoit
en chaleur.
Le 10 de Février , ces animaux s'accouplèrent ,
& on en prit note ; après trois mois de portée , la
femelle a mis bas un petit très - bien conformé , mais
qui bientôt eſt devenu la victime de la jaloufie de fes
frères aînés. Ceux - ci fâchés des foins de leur mère
pour le nouveau né, l'ont arraché de deffus fon dos , &
l'ont jeté ou laiffé toinber par terre , où il s'eft tué.
M. le Marquis de Néelie Fa fait mettre dans un
bocal rempli d'efprit-de- vin , tel qu'il eft actuellement
fous les yeux de l'Académie.
Dans le premier de Juin , le père & la mère fe
font accouplés de nouveau ; il y a lieu de croire
qu'à l'expiration des trois mois , temps de leur
portée , la femelle mettra bas pour la troisième
fois.
Le Marquis de Néelle a remarqué que ces animaux
font fujets à l'épilepfie *
Il fuit de ces expériences , 1 ° . que la chaleur artificielle
peut fuppléer dans les pays froids à celle des
climats chauds pour la génération des animaux , &
cela n'étonnera pas tout homme capable de réflexions
qui a été forcé de voyager par le grand froid ;
il s'eft certainement apperçu que les defirs amoureux
ne naiffent pas au milieu des glaçons.
2 °. Qu'on pourra à l'avenir appliquer utilement
* Les ouiftitis fur lefquels M. le Marquis de Néelle
a fait fes obfervations , ont toujours été enfermés dans
un lieu chaud où l'air n'a peut- être pas été renouvelé
affez exactement . Les émanations de ces animaux font fi
abondantes , qu'elles communiquent à l'atmoſphère du
cabinet qu'ils habitent , une odeur prefque infoutenable ;
il pourroit bien fe faire que cette odeur fût la cauſe de
la maladie à laquelle ils font fujets.
DE FRANCE. 143
ce principe à la multiplication des animaux étrangers
qu'on jugera être utiles dans nos climats .
3. Qu'on peut actuellement déterminer dans
l'Hiftoire des Quiftitis , l'époque de leurs amours ,
la durée de leur portée , les circonftances de leur
naiffance , & donner une idée de leurs moeurs .
Je pense que cela mérite l'attention des Naturaliftes
, & que les Savans & les Amateurs d'Hiſtoire
Naturelle doivent favoir gré à M. le Marquis de
Néelle des foins qu'il a pris , des dépenfes qu'il a
faites & qu'il fait chaque jour pour multiplier & varier
des expériences dans un genre auffi interreſſant
que nouveau.
GRAVURE.
CARTE de l'Ile de la Grenade , divifée par fes
Quartiers , avec les Ports & Montagnes, d'après celle
levée par ordre du Gouverneur Scott. A Paris , chez
Lattré , Graveur ordinaire du Roi , de Monseigneur
le Duc d'Orléans & de la Ville , rue S. Jacques , la
porte -cochère vis-à-vis celle de la Parcheminerie.
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chez Lefclapart & Elprit , Libraires , au Palais Royal .
Voltaire , Ode qui a concouru pour le même prix ,
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VERSfur le mariage de M. Comédie Italienne ,
97
le Marquis Dar... & de
Mde de Mond...
A Mile Doligni ,
Billet à M. le Comte de Sch.
8
L..., ୨୨
Lettre de M. B. à Mde P. roi
Enigme & Logogryphe , 109
Dela Paffion du Jeu ,
Comédie Françoiſe ,
J.
129
Réponse de l'Auteur de l'Extrait
du Dithyrambe , 133
Second Mémoire , contenant la
fuite des Expériences de M.
le Marquis de Néelle , fur
la multiplication des animaux
étrangers,
111 Gravure ,
124 Annonces Littéraires ,
APPROBATIO N.
141
143
ib.
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 16 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
ce 15 Octobre 1779. DE SANCY.
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 23
OCTOBRE
1779 .
PIÈCES
FUGITIVES
A
ENVERS ET EN
PROSE.
VERS
AMADEMOISELLE DE .
Vous êtes jeune , il faut aimer :
Mais , belle &
charmante Sylvie ,
Tout le bonheur de notre vie
Dépend du premier feu qui vient nous animer.
Votre efprit eft aimable; & jamais à votre âge
On n'a fait voir tant de beauté
31
Unie à tant de fens & de fagacité.
Sachezmettre à profit un firare
avantage . no
Fuyez comme un mortel poifon
L'encens de tous ces petits Maîtres ,
*** Dont
l'ignorance & le faux ton
Font les derniers de tous les êtres.
Ollob.• 1779.
Sam.
23
G
146 MERCURE
Ils ont tous le coeur corrompu ,
Méchant , infenfible , infidèle ,
Et ne vous trouveront fi belle ,
Qu'autant que vous voudrez oublier la vertu.
de l'expérience ; Il ne vous manque rien que
Mais vous montrez tant de raiſon
Qu'auprès de vous une leçon
Fera l'effet de vingt ans de ſcience.
Confultez toujours votre coeur ;
Qu'il foit à jamais votre oracle,
Et, dût-il à vos voeux oppofer quelque obſtacle ,
N'y laiffez point entrer l'erreur.
Fuyez , fur- tout fuyez ces femmes que l'on blâme.
Plufieurs ont de l'efprit , beaucoup ont des appas ;
Mais parmi les plaifirs , l'intrigue & le fracas ,
Toutes ont perverti leur ame.
Ne marchez donc point fur leurs pas.
Soyez ingénue & modefte ,
Ne cherchez point trop à briller,
On vous appercevra de reſte
Si-tôt que vous aurez l'air de vous oublier,
N'ambitionnez point de jouer un grand rôle.
S'il vous venoit , prenez-le fans orgueil..
Vous pourrez le remplir très-bien fur ma parole ;
Mais ne le cherchez pas , car c'eſt- là qu'est l'écueil .
Ferme dans votre caractère ,
Ne trahiffez jamais l'aimable Vérité,
On cefferoit de la trouver auftère ,
DE 147 FRANCE.
Si les femmes l'aimoient avec fincérité. ¸´
Sachez parler , fachez vous taire ;
Ayez toujours de la bonté,
De la douceur , de la fimplicité .
Pour être heureuſe un jour , voilà tout le myſtère.
A Mlle C *** , Fille d'un Interprète du
Roipour les Langues Orientales.
Il faut L que la Beauté pardonne
L'aveu qu'arrache fon pouvoir.
Auprès de vous , belle C✶✶
Quelle autre excufe puis -je avoir ?
Un Monarque fait choix d'un Savant Interprète ,
Je n'en ai d'autre que l'Amour ,
Foible & timide enfant , qui craint l'air de la Cour ,
Et fe niche en fecret dans le coeur d'un Poëte,
Cet enfant eft le Dieu des Bergers & des Rois ;
Sur toute la Nature il exerce fes droits ;
Au fond de l'Arabie on entend fon langage.
Des mille & une Nuits nous lui devons l'hommage ,
C'en eft peu pour ce Dieu jaloux ;
Mais il vous voit fi peu docile ,
Qu'il fera bien content de vous
mille. Si vous pouvez , un jour , n'en redevoir que
( Par M. de la Louptière. )
Gij
148
MERCURE
VERS inferits au bas de la Gravure de
Mlle FANIER.
SUR la Scène Comique , où règne l'impoſture ,
On applaudit fon jeu , fon minois féducteur ;
Mais chez elle , bientôt rendue à la Nature ,
La gaîté, la franchiſe , & l'aimable candeur
Changent en amis de fon coeur
Tous les Amans de fa figure .
LETTRE à l'Éditeur du Mercure.
Paris , 4 Octobre 1779 .
JE fuis Françoife , Monfieur , & bonne
Françoife ; c'eft vous dire affez que je m'occupe
beaucoup de la gloire de mon pays , &
de tout ce qui peut nous faire triompher en
tout genre d'une Nation rivale. Nous en
triomphons déjà depuis long- temps , au moins
par les bons airs & par le bon goût. Depuis
long- temps ces Infulaires hautains , tout en
affectant la fuprématie des mers , ont reconnu
notre fuprématie en fait de modes ;
& cet afcendant qu'ils ofoient appeler frivole
, fembloit annoncer l'afcendant plus férieux
que notre Marine prend aujourd'hui
fur la Marine Angloife. Avez - vous pris
garde , Monfieur , avec quelle légèreté leur
DE FRANCE. 149
Victory , leur Britannia , & tant d'autres
vaiffeaux portant des noms formidables ,
ont évité la flotte combinée de la Maifon-de
Bourbon comment leur Amiral Hardi a
fui conftamment à leur tête , & comment il
a été tout fier & trop heureux d'échapper à
notre brave Amiral? Ce pauvre Comte d'Orvilliers
, je pleure de toute la fenfibilité de
mon ame fur fes malheurs domeftiques ; je
le plains encore de n'avoir pas eu l'occafion
d'humilier nos ennemis d'une façon plus
marquée une victoire complette étoit la
feule confolation digne de lui , & il étoit
homme à fe la procurer. Pour moi , je me
contenterois à moins: il me faut cependant
un triomphe , mais un triomphe plus analogue
à mon fexe , à ma foibleife , fi l'on veut ,
& fur-tout à cette fupériorité de goût , qu'on
ne s'avifera pas , je penfe , de difputer aux
femmes de mon pays. Mon ambition feroit
de donner cours à une mode nouvelle qui , en
rectifiant la forme du meuble le plus effentiel
de la maifon , pût avoir quelque influence
fur l'efprit national , & augmenter dans tous
les coeurs François l'enthoufiafme du fervice
de mer; enthoufiafme qui , dans ce moment
, doit échauffer toutes les ames , préparer
tous les fuccès. Or , voici mon invention
: J'ai long - temps gémi fur la formet
mauffade & trifte de nos lits , tant anciens
que modernes. Qu'eft- ce en effet que des
lits à tombeau ? On fait bien que le fommeil
G iij
150
MERCURE
eft une image de la mort ; mais le réveil qui
fuccède , n'eft-il pas une image de la réfurrection
? D'ailleurs , quoi de plus doux que
le repofer, que le dormir , que le rêver , & c .
Et tout cela fe fait- il dans les tombeaux ?
Qu'est- ce que des lits à la ducheffe , avec
leur ciel très-lourd , fufpendu par un filmudeffus
de nos têtes ? Ne diroit- on pas que ce
font autant de piéges tendus par les Anglois ,
pour nous prendre en dormant ? Qu'eft- ce
que tant d'autres lits de forme baroque , &
d'origine étrangère , que nous n'avons pas
rougi d'emprunter à des Turcs , à des Polonois
, à des Italiens ? Dans tous ces lits
il n'y en a pas un feul qui foit digne de
coucher des François ; & c'eft ce qui n'autorife
à leur en propofer un d'un goût nou
veau; un lit , dont la forme relative à l'heu
reufe révolution arrivée depuis peu dans notre
Marine , fera comme un monument de cette
brillante époque; en un mot, un lit en gondole
, mais en gondole perfectionnée , embellie
par tous les beaux Arts. Elle ne portera
point fur quatre pieds groffièrement folides
; elle fera mollement fufpendue à des
appuis très - fermes & très - peu apparens ;
elle imitera par fes mouvemens , que Pon
pourra retarder ou preffer à volonté , les divers
balancemens d'un navire agité par les
flots . Quoi de plus efficace que cette eſpèce
de bercement pour faire dormir , que ce
roulis voluptueux pour procurer de joliš
DE FRANCE. 151
rêves , de ces rêves charmans , où l'on
croit voler , ou plutôt couler dans les airs
comme les Divinités d'Homère ? Qu'on fe
reprefente une de ces gondoles , dont les différens
mâts enlacés par des guirlandes de
fleurs , foutiennent des courtines ondoyantes ,
ou plutôt de véritables voiles enflées par un
vent favorable, & la Sageffe tenant le gouvernail.
Quelle eft la jeune Beauté qui , entrant
le foir dans une pareille gondole , ne fe
croira pas une autre Galathée , ne s'imaginera
pas qu'elle monte dans fon char de triomphe
? Et fi certe Galathée eft vraiment vertueufe
, c'eft-à dire , fi elle aime vraiment fa
Patrie & fon Roi , avec quel fuccès , du haut
de ce trône impofant , n'exercera- t'elle pas
le plus doux des empires ? Je la vois environnée
de jeunes Guerriers , du feu de fes
beaux yeux animant leur courage, reconnoiffant
avec eux tous les chemins qui mènent à
la gloire , & les entraînant par fes difcours ,
j'ai prefque dit par fon exemple , dans celui
où la Patrie a befoin d'eux . Je vois cette
jeuneffe ardente & fenfible , recevant avec
tranſport les leçons de la Sageffe par l'organe
de la Beauté , cherchant d'un oeil curieux
, dans la forme de fon trône mobile ,
une image de ces fortereffes flottantes , d'où
elle efpère bientôr foudroyer les ennemis de
l'État.
En voilà bien affez , ce me femble , pour
faire fentir qu'un lit en gondole atout ce qu'il
Giv
152 MERCURE
faut pour plaire aux yeux des François , &
tourner leur courage vers fon véritable
objet.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , & c.
La Marquife de ....
P. S. Je recommande aux Artiftes d'orner
ces gondoles avec un goût fage , & d'en fubordonner
la décoration au but politique de
l'inventeur.
LE BERGER ESPAGNOL ,
Romance.
DE - JA la Lu - ne é claire La
Violon. Piano fempre.
Guittare.
plai -ne & le CO teau : De
DE FRANCE. 153
la jeu ne Gli- cè
· · re , C'eft
ci le ha meau. Ma
fidèle Guit - ta re , Voi-
Gv
154
MERCURE
1 in- ftant , l'inftant
Qu'A-mour prépare, Qu'A-
2019 01 07
mour at tend.
DE FRANCE. Iss
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft la Paille ; celui
du Logogryphe eft Mercure , où fe trouvent
mer, crue , écume , mère , cure , mûre , mûr
( adjectif ) , rum , erreurs , müe , ère , crû ,
re , re, rem , re , ure , rere , curem , еси
recrue , curée , remue , cru , mur ( fubftantif),
rue .
ÉNIGM E.
Nous fommes deux aimables foeurs
Qui portons la même livrée ,
Et brillons des mêmes couleurs.
Sans le fecours de l'Art , l'une & l'autre eft parée ;
La fraîcheur eft dans nous ce qui charme le plus.
Sans marquer entre nous la moindre jaloufie ,
L'une de nous fans ceffe a le deffus ;
Très-fouvent cependant l'une à l'autre eft unie.
Nous nous donnons toujours dans ces heureux inftans
De doux baifers très-innocens ,
Jufqu'au moment qui nous fépare ;
+
Alors , & cela n'eft pas rare ,
Souvent pour un oui , pour un non
Nous détruifons notre union ,
Mais l'inftant qui fuit la répare.
( Par M. le Blanc , à Rennes. )
G vj
156 MERCURE
LOGOGRYP H E.
TANTÔT ANTÔT long , tantôt court , je te rends , cher
Lecteur ,
Plus de vingt fois par an , curieux & rêveur.
Dix pieds forment mon tout . Fais -tu mon analyſe ?
Je t'offre un des attraits de la charmante Lyfe ;
Ce que l'Art inventa pour mesurer le temps ;
Ce qui du jour paffé rappelle les inftans ;
Aux Francs-Mâçons , aux fous la retraite propice ;
Le prix de la victoire ; un frein à l'injuftice ;.
Un habitant des airs ; un citoyen des eaux ;
Une rivière ; un fruit ; le plus pur des métaux ;
Un mal qui depuis peu caufa tant de ravages ;
Les vuides de la peau ; l'amas fait par étages ;
Les deux extrémités de ce vafte univers ;
Une fête bruyante , objet de tant de vers ,
Où le vin & l'amour décernent la couronne ;
Le titre précieux qui place fur le trône ;-
Le fupplice effrayant du filou , du voleur ;
Un féjour transparent de la vive liqueur ;
Ce que maint animal déchire avec fa griffe:...
C'eft richement , Lecteur , rimet à Logogryphe.
( Par un Abonné de Clermont- Ferrand. )
DE FRANCE. 157
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE DE SUGER Abbé de Saint-
Denis , Miniftre d'Etat fous le règne de
Louis VI dit le Gros , & Régent du
Royaume pendant la Croifade de Louis
VII, dit le Jeune , par M. ***.
Juftiffimus unus.
·
L'ÉPIGRAPHE de ce difcours eft remarquable
, & donnera lieu à quelques réflexions ;
mais il faut commencer par faire connoître
l'Ouvrage même. L'Auteur nous apprend
dans une note , qu'il ne la point envoyé au
concours de l'Académie Françoife. Nous n'en
citerons qu'un feul morceau; c'eft probablement
un de ceux que l'Auteur a le plus foignés.
Il fuffira pour faire juger fes talens .
& fa manière ; c'eft le portrait du célèbre
Abbé de Clairvaux .
ود
"
» Cet homme étonnant , dont l'éloquence
& le génie ne connoiffoient point de
bornes ; ce réformateur auftère , qui por-
» toit l'art de la perfuafion au dernier degré
» où il pouvoit atteindre ; cet Orateur véhé-
» ment , à qui le Ciel avoit difpenſé le don
» de dominer les efprits , & qui eût été plus
" grand peut- être , fi fon zèle pour le foutien
» d'une religion de clémence & de paix ,
» ne l'avoit emporté quelquefois au - delà
158, MERCURE
ל כ
22
» des limites qu'il femble que cette religion
elle-même devoit lui prefcrire; cet illuftre
cénobite qui pourfuivit avec trop d'achar-
" nement le plus aimable & le plus mal-
» heureux des mortels , Abailard , dans lequel
un homme d'une vertu moins émi-
" nente , pourroit être foupçonné d'avoir
» craint un rival ; cet immortel Abbé de
Clairvaux enfin , qui , malgré quelques
foibleffes inféparables de la Nature hu-
» maine , n'en fut pas moins un des plus
étonnans génies qui ayent jamais exifte ,
» & dont l'Églife a reconnu le mérite , en le
و د
"
و د
و د
plaçant au nombre des faints perfonnages
» qu'elle honore d'un culte particulier ;
» Bernard fe chargea de prêcher cette croi-
» fade par toute l'Europe , & fur-tout en
» France, où fen zèle, animé par le feu divin
qui l'embrâfoit , ne pouvoit manquer de
» produire les effets les plus furprenans. Il
» ne m'appartient pas de juger ce grand
homme; mais il me femble. que l'ardeur
" avec laquelle il feconda cette fatale en-.
treprife , l'égara peut-être , puifqu'il alla
» jufqu'à promettre , au nom de l'Eternel ,
"
4
que la victoire attendoit les Croifés , que
» le Ciel combattoit pour eux , & que les
» Infidèles fuiroient devant leurs hannières ,
» comme la pouffière des champs fous l'haleine
impétueufe des vents du midi:mais ces
» prédictions , quoique foutenues , comme
elles le furent , par des miracles, pouvoientelles
arrêter le bras de la vengeance divine
DE FRANCE. 159
qu'irritèrent les défordres des Croifés ? "
On doit s'appercevoir ailement qu'il n'y
a aucune remarque , aucune critique à faire
fur ce ftyle. Le difcours . eft écrit d'un bout
à l'autre de la même manière .
Mais on ne peut être trop furpris de l'épigraphe
dont l'Auteur a fait choix : Juftiffimus
unus. On feroit tenté de croire qu'il n'a point
lu l'hiftoire de l'homme qu'il célèbre. Comment
, en effet , admirer la juftice du perfécuteur
d'Héloïfe & d'Abailard , de l'ufurpateur
du Prieuré d'Argenteuil ? Ces traits de
la vie de Suger font aujourd'hui connus de
tout le monde ; mais on croit encore qu'il
ne fut injufte qu'envers quelques maifons
religieufes , & qu'il fignala toujours la vertu
la plus pure dans le fervice de fon Roi :
c'eft une erreur. Il traita quelquefois un Roi
qui étoit fon bienfaiteur & fon ami , avec
auffi peu d'équité & de bonne- foi qu'Héloïfe
& fes infortunées compagnes. Je n'en citerai
qu'un exemple. Il avoit fait prendre les
armes à Louis- le- Gros contre le Baron du
Puifet , dont les brigandages défoloient fa
Prévôté de Toury. Louis avoit fait camper
fon armée dans cette Prévôté même , comme
dans le pofte le plus avantageux contre l'ennemi
qu'il avoit à combattre. Suger fe voyoit
ainfi obligé d'employer une partie des fruits
de fon domaine à la fubfiftance des troupes de
fon Roi. Mais il s'étoit flatté de les faire battre
pour lui , fans qu'il lui en coûtât rien , fans
rien faire pour eux. Il entreprend de perfua160
MERCURÈ
der à Louis-le-Gros que ce pofte n'eft pas
aufli avantageux qu'on le croit ; qu'il vaut
mieux faire camper l'armée à quelque diftance
de Toury; & l'adroit Prévôt , dit fon
naïf hiftorien , fait entendre tout ce qu'il
veut à fon Roi : l'armée s'éloigne de tous les
domaines de la Prévôté , & va camper en ;
des lieux où elle ne devoit rien coûter à
Suger. Eft ce-là l'homme le plus jufte , le
feul homme jufte de fon fiècle? On conçoit
qu'un Panegyrifte peut s'exagérer à lui- même
les vertus de l'homme qu'il célèbre ; mais
eſt- il excufable , quel que puiffe être fon
enthouſiaſme , de vouloir en faire le feul
homme jufte de fon fiècle , lorfque dans ce
fiècle même , il y a eu des hommes qui fe
font diftingués par la plus grande juſtice &
par les plus grandes vertus ? Quel reproche
peut faire l'hiftoire à cet Abbé de Cluni qui ,
même de fon temps , mérita le furnom de
Vénérable ; qui , dans un fiècle de fuperfti- .
tion & d'ignorance , fut que la religion ne
pouvoit être defcendue du ciel que pour
confoler & défendre l'humanité ; qui pardonnoit
aux foibleffes des paffions , en donnant
lui-même l'exemple des vertus les plus
auftères de la vie monaftique ; qui eur le
courage de devenir le protecteur & l'ami
d'Abhilard , au moment que S. Bernard pourfuivoit
l'amant d'Héloïfe comme coupable.
d'héréfie , qui enfin , par fes fcules vertus ,
conferva toujours le plus grand pouvoir fur
des efprits féroces & abrutis , & fut dans
DE FRANCE. 161
fon fiècle un perſonnage preſque auffi contidérable
que l'Abbé de Clairvaux & l'Abbé
de Saint-Denis , fans exercer l'empire de
l'éloquence , comme S. Bernard , & fans être ,
comme Suger, revêtu de toute l'autorité du
trône ? De quel crime , de quelle injuftice
pourroit-on accufer ce jeune Prince des Flamans,
ce Charles à qui fes fujets décernèrent
une fi touchante récompenfe de fes bienfaits
, en lui donnant le furnom de bon
(Charles-le- Bon ) ; qui , comme Louis IX ,
rempliffoit avec grandeur tous les devoirs de
la Souveraineté , en fuivant avec fcrupule
toutes les pratiques de la religion , & qui
mourut affaffiné aux pieds des autels ,, pour
avoir voulu défendre les foibles & les pauvres
de fes États contre les puiffans & les
riches ? Lorfque l'Hiftoire de ces temps barbares
nous a fait connoître des vertus fi touchantes
, on ne peut , fans commettre foimême
une injuftice , affirmer que Suger ait
été le feul homine jufte de fon fiècle .
L'Auteur de ce difcours penfe avec la
foule des Hiftoriens , que Suger condamna
les Croifades . L'Auteur du difcours couronné
avance au contraire que l'Abbé de
Saint-Denis n'eut point fur les Croisades une
autre opinion que fon fiècle, & qu'il penfa
feulement que le Roi ne devoit pas quitter
fon trône & fon royaume pour aller commander
lui-même fes troupes dans une autre
partie du monde. Il eft bien certain que
dans la lettre fecrette qu'il écrivit à ce sujet
162 MERCURE
1
au Pape , Suger ne blâme point du tout le
projet de la Croifade en lui -même , qu'il
ne defapprouve que le deffein du Roi
qui vouloit abandonner fes États dans un
temps où n'ayant pas encore d'enfant, il alloit
laiffer fon Royaume expofe aux plus cruelles
divifions. Ce motif n'a sûrement rien de
commun avec l'opinion qui condamne les
Croifades. Il eft encore certain que Suger
en voulut faire une à fes frais , vers la fin
de fes jours. S'il les eût condamnées comme
injuſtes , auroit- il voulu terminer fa carrière
par une injuftice ? N'eft - il pas démontré au
contraire qu'il regardoit la Croifade qu'il alloit
faire , comme une guerre facrée, propre
expier tout le mal qu'il avoit pu commettre
fur la terre ? On ofe le dire; il étoit à peuprès
impoffible qu'il y eût alors en Europe
un feul homme affez élevé au-deffus de fon
fiècle pour appercevoir l'injuſtice des Croifades.
à
L'Auteur de ce difcours dit que Suger
envoya des Commiffaires chez tous les grands
Vaffaux de la Couronne, avec pouvoir d'infor
mer de leur conduite , & de réprimer févè
rement leurs vexations.
On ne voit rien de femblable dans les
Hiftoires générales de France , & dans l'Hiftoire
particulière de Suger. Quand ce Miniftre
vouloit réprimer ou punir les vexations
des grands Vaffaux , il envoyoit chez eux
des troupes , & non pas des Commiffaires :
ces voies légales & judiciaires étoient alors
DE FRANCE. 163
inconnues , & même un fiècle après , à peine
ofoit on encore les mettre en ufage.
It fit abolir les combats en champ- clos ,
& perdre aux Eglifes le droit d'afyle.
C'est encore une erreur. Suger, il eft vrai,
défendit le duel au jeune Comte de Dreux ,
frère du Roi , & au fils du Comte de Champagne
; mais c'eft l'unique fait de ce genre
qu'on trouve dans fon hiftoire . Il s'en faut
bien que ce foit-là un acte de légiflation qui
aboliffe les combats en champ -clos : il y eut
des combats en champ- clos pendant tout le
Ministère & toute la Régence de Suger ,
fans que Suger fit aucun ufage de fon pouvoir
pour les empêcher ou pour les punir.
Ce n'eft également qu'une feule fois qu'on
le voit faire arrêter des coupables juſqu'au
pied des autels ; & c'eft trop abufer des
privilèges des Panégyriftes que de conclure
de ce fait unique , que Suger fit perdre aux
Eglifes le droit d'afyle. On voit les Eglifes de
France jouir de ce droit long-temps après
Suger.
Nous pourrions pouffer plus loin ces obfervations
; mais en voilà fans doute affez
pour faire voir que l'Auteur de ce difcours
n'a pas toujours confulté l'Hiftoire avec af
fez de foin & d'exactitude : les fentimens
honnêtes qu'il montre dans tout le cours de
POuvrage ne permettent pas de croire qu'il
ait altéré les faits à deffein , pour les rendre
plus glorieux à la mémoire de l'homme qu'il
célèbre. Ce feroit une fingulière manière
164 MERCURE
d'honorer la vertu , que de corrompre ,
pour la louer , la fidélité de l'Hiftoire.
ÉCHO ET NARCISSE,Opéra en trois Actes,
par M. le Baron de ***.•
Onjugera , dit l'Auteur dans fa Préface ,
de ce que nous avons inventé dans un fujet
qui nous a paru lyrique & pittorefque , mais
qu'il falloit étendre & animer. Nous fommes
éloignés de penfer comme M. le Baron de ... ;
nous croyons au contraire que de tous les
fujets que la Mythologie peut offrir à un
Auteur dramatique , la Fable de Narciffe eft
le plus ingrat & le moins fufceptible d'intérêt.
L'examen que nous allons faire de
l'Ouvrage de M. le Baron de ... , nous
fournira les preuves néceflaires à l'appui de
notre opinion.
Apollon , amoureux de la Nymphe Écho ,
s'eft vu préférer le beau Narciffe , & s'eft
vengé de cette préférence. Un finiftre préfage
avoit promis la mort au jeune chaffeur , s'il
ofoit un inftant approcher du rivage. Entraîné
par un pouvoirinvincible, il y a porté fes pas ,
& depuis ce moment il brûle pour fon
image. Le jour eft arrivé où Narciffe doit
époufer Écho . La Nymphe vient chercher fon
amant dans un bofquet confacré à l'Amour.
Surpriſe de ne point l'y trouver , fe rappelant
un doux regard qu'il a jeté fur Doris ,
elle le foupçonne d'infidélité. Églé , fon amie ,
l'engage en vain à renoncer à fes foupçons ;
DE FRANCE. 165
elle voit Narciffe , veut s'éclaircir par ellemême
, & fe retire au fond du bofquet.
Toujours plein de fa folle paffion , Narciffe
vole à la fontaine , qu'il prend pour la demeure
de la Divinité qu'il adore , & parle
à l'objet de fon chimérique amour duns
des termes qui déchirent le coeur de la
trop fenfible Echo. Celle- ci l'appelle , fe
préfente à fes yeux : troublé , confondu
Narciffe s'éloigne , ne pouvant , dit - il , con- .
foler la Nymphe , ni foutenir fes larmes.
Cynire , ami du jeune homme , apprend à.
Écho les funeftes fuites de la vengeance d'Apollon
; à cette nouvelle , l'infortunée fe livre
au défefpoir ; elle appelle la mort , qu'elle .
regarde comme fon unique recours . Cynire ,
fe retire avec elle , & lui promet de tout ,
tenter pour toucher le coeur de fon ami.
Au fecond Acte , Écho , pâle & dans le
plus grand défordre , vient dépofer fur l'autel
de l'Amour , une guirlande & les treffes
de fes cheveux ; bientôt après elle tombe ex-.
pirante entre les bras des Nymphes de fa
fuite , qui la conduifent au temple du Dieu.
Narciffe revient à la fontaine;Cynire l'exhorte
à réfifter au charme qui le trompe ; le jeune
homme en s'inclinant montre à fon ami ce
qu'il appelle ia jeune Deeffe idole de fes
fens ; Cynire en s'inclinant à fon tour , prefle
Narciffe de fa main , lui fait voir leurs deux
images qui fe peignent dans le cryftal de
l'onde , & lui prouve par ce moyen que luimême
eft l'objet defafunefte ardeur. Narcille
1
166
MERCURE
fremit , fa tête s'égare , fon ame fe déchire.
Un choeur lamentable annonce la mort d'Echo
; fon amant fe précipite vers le temple ,
& veut s'enfermer avec elle dans le même
tombeau.
Nous n'avons point encore parlé de l'Amour
; il joue pourtant un rôle dans cet Cuvrage.
C'eft lui qui ouvre le premier Acte.
Après s'être déclaré le protecteur des deux
amans ; après s'être promis de fe venger d'Apolon
& d'effayer de ramener Narciffe fous .
fes lois , il le retire. Il reparoît au fecond
Acte , conduifant avec lui les Plaifirs & les
Peines , & leur fait exécuter un ballet , pendant
qu'il examine à qui d'entre eux il doit
recourir, pour rendre un coeur àfes premières
chaînes. Il fe retire à la fin du ballet. C'eft
encore lui qui ouvre le troifième Acte. Il
ordonne aux Zéphirs d'aller recevoir l'ame
d'Écho , & aux Vallons d'imiter la voix plaintive
de cette amante infortunée : il fort lorfque
le choeur des Nymphes fe fait entendre ,
pour cacher , dit- il , jufqu'au bout fes projets.
Les Nymphes , après avoir verfé des larmes
fur le deftin de leur Souveraine , quittent le
bofquet pour aller en verfer fur fa cendre.
Narciffe furvient ; il veut unir fes douleurs
à leurs regrers ; mais tout-à- coup il les engage
à le fuir, à ne point fouiller leurs pleurs
en les confondant avec ceux du remords &
du crime. Il éloigne encore Cynire , & ne
veut pas même des confolations de l'amitié.
Reftéfeul , le remords l'agite , tout lui retrace
DE FRANCE. 167.
fon crime & fes fureurs. Il s'adreffe à Écho ,
il la fupplie de prendre pitié de Narciffe. La
voix de la Nymphe répond , Narciffe. Qu'aije
entendu ? dit-il , c'eft fa voix , ah ! c'eftelle.
La voix répond , c'eft elle. La furprife ,
l'émotion de l'infortuné redoublent. Aux
bords du Styx, reprend- il , peux-tu m'aimer
encore ? Er la voix dit : encore. A ce mot,
Narciffe fe détermine à fuivre fon amante
aux enfers ; il ramaſſe ſon javelot & veut s'en
percer , quand l'Amour l'arrête , & lui préfente
Echo , qu'il a rappelée à la vie. Ces
deux amans fe précipitent dans les bras l'un
de l'autre ; & le Dieu qui a fait leur bonheur
n'ayant plus rien àfairefur la terre , remonte
au ciel , où Jupiter le rappelle.
Cette analyfe fidelle prouveroit feule
combien l'action de ce Drame eft lente
& mal ordonnée , combien les fituations.
dans lesquelles le Poëte a placé fes perfonnages
, excitent peu d'intérêt & de curiofite.
Ajoutons que l'Auteur a rendu Narciffe
amoureux de fa propre figure , après que ce
jeune homme a déjà brûlé pour Écho de
l'amour le plus tendre. Voilà une grande
faute. Il eft fâcheux , & pourtant il eft poffible
que la nature fe trompe dans un jeune
coeur qui n'a encore rien fenti , & qu'elle le
livre en proie à une folle ardeur ; mais qu'un
coeur qui a déjà fenti une paffion naturelle ,
qui en a éprouvé toute la chaleur , éprouve
enfuite unamour fantafticue , un amour auffi
fingulier que celui de Narciffe , cela eft im168
MERCURE
poffible. S'il en exiftoit des exemples , ce ne
feroit pas au théâtre qu'il faudroit les préfenter.
On nous objectera fans doute que la
paffion effrénée de Narciffe eft l'effet de la
vengeance d'un Dieu . Lorfque dans une pièce
de théâtre on fait intervenir ane Divinité ,
quand on lui fait jouer un perfonnage quelconque
, il faut au moins la faire agir d'une
manière un peu raifonnable. Lorfque , pour
fe venger , elle peut choifir entre cent
moyens , il ne faut pas lui en
lui en prêter un ,
de préférence , qui foit deftructif de tout
intérêt. Il est certain qu'on peut beaucoup
étendre les vraisemblances dramatiques , furtout
à l'Opéra ; mais , fur ce théâtre même ,
les vraisemblances ont une borne hors de làquelle
l'art ceffe d'exifter, quoi qu'en puiffent
dire les Novateurs , & M. le Baron de ...
l'a outre- paffée. Ovide , dans les métamorphofes
qui lui donnoient plus de liberté
qu'un Drame , s'eft bien gardé de fuppofer
à Narciffe d'autre amour que celui de fa
propre perfonne. Il dit pofitivement :
Illum · Multa cupiere puella ,
Sed fuit in tenerâ tam dira fuperbia formâ ;
Illum . . . . . Nulla tetigere puella.
Et cependant chez lui , comme dans l'ouvrage
dont nous rendons compte , l'égarement
de Narciffe eft l'effet de la vengeance
d'une Divinité.
Nous fentons bien qu'on pourroit nous
faire encore une objection . Toute foible
qu'elle
DE FRANCE. 169
qu'elle feroit , il faut la prévenir & y répondre.
On peut nous dire que Narciffe ne fe
croit point amoureux de lui-même , mais
d'une Divinité des eaux. Dans la manière
dont M. le Baron de . . . a établi fa fable,
cette fuppofition étoit la plus heureuſe , la
feule même que , décemment, on dût admettre
au théâtre ; mais comme elle ne peut tromper
le Spectateur fur le véritable objet de
la paffion de l'amant d'Echo , elle n'affoiblit
aucune des réflexions que nous avons faites ,
elle fert feulement à prouver que , dans un
fujet radicalement vicieux , toutes les reffources
de l'efprit font inutiles.
per
L'Amour, ce Dieu fi fécond en miracles ,
ne fait point un perfonnage bien digne de
lui. Il chante quelques ariettes ; il amène des
ballets qui ne produifent rien ; il laiffe mou
rir Echo ; il abandonne Narciffe au plus affreux
défefpoir , & finit par reffufciter la
Nymphe dénouement auffi froid qu'il eft
mal préparé. En vain voudroit- on excufer
fa conduite par ce principe reçu dans la
Mythologie , qu'un Dieu ne peut détruire
ce qu'a fait un autre Dieu auffi puiffant que
lui. Quand de ce principe on ne peut faire
reffortir des fituations intéreffantes , il ne
faut pas oppofer une divinité à une autre.
La mort prefque fubite d'Echo mérite encore
des reproches. Elle croit fon amant infidèle
, Cynice l'inftruit de la vengeance
d'Apollon , & fa douleur augmente . Qu'ai
je , dit- elle , à prétendre fur un infen-
Sam. 23 Octob. 1779.
H
170 MERCURE
fible ? Mais Narciffe n'eft point infenfible :
fon ami affure au contraire qu'il eſt brûlant ,
ivre d'amour. Narciffe eft enchanté par un
Dieu pourquoi Echo ne fait- elle rien pour
fléchir ce Dieu ? pourquoi ne cherche-t- elle
pas un moyen de rompre le charme qui lui
arrache le coeur de fon amant ? Non ; elle
aime mieux pleurer & mourir . Une amante
de ce caractère , n'eft faite ni pour attacher
ni pour plaire.
On a reproché à Cynire d'employer trop
tard le moyen qui détrompe Narciffe. Ce
reproche ne nous paroît pas fans réplique .
Il eft poffible qu'Apollon , avant la mort
d'Echo , n'ait pas permis que le charme fût
rompu , & qu'il le permette enfuite . Narciffe
rendu à lui - même, peut éprouver le plus
affreux défefpoir ; ce défefpoir peut le
conduire à fe donner la mort , & dans ce
cas , la colère du Dieu feroit conféquente ,
& fa vengeance complette. Il eft vrai que
l'Auteur n'en a rien dit ; & fi au théâtre , furtout
à l'Opéra , il n'eft pas permis de tout
dire , au moins faut- il laiffer tout entrevoir.
Réfumons. C'eft à tort que M. le Baron
de ... a trouvé la fable de Narciffe lyrique
& pittorefque. Le defir de vaincre la difficulté
l'a égaré , & c'eft dommage ; car ,
malgré les critiques que nous venons de
faire , fon Ouvrage annonce de l'efprit ,
des connoiffances & de la fenfibilité. La
fcène qui termine le fecond acte , eft d'un
DE FRANCE. 171
grand effet ; elle en produiroit même davantage
, fi elle étoit mieux amenée . La lecture
dé cet Opéra prouve que l'Auteur a lu avec
attention les Maîtres de notre Littérature ,
quoiqu'il n'ait pas toujours employé heureufement
les expreffions qu'il leur a empruntées
. Par exemple , Racine fait dire à Néron ,
en parlant de l'enlèvement de Junie :
Le farouche aſpect de fes fiers raviffeurs
Relevoit de fes yeux les timides douceurs.
Voilà le langage d'un Poëte tragique. Mais
quand Narciffe dit à fon image:
Avec des traits fi pleins de timides douceurs ,
Quoi ! tu pourrois être inhumaine !
on n'entend pas ce qu'il veut dire . L'Auteur
s'eft quelquefois permis des vers de dix ,
fyllabes , qui n'ont point de céfure ; nous en
pourrions donner des preuves , mais , comme
cet article commence à s'étendre , nous nous
en abftiendrons . Nous fommes fâchés de ne
pouvoir citer quelques exemples de vers
heureux , de ftyle agréable , de penſées ingénieufes
qui font honneur à M. le Baron
de ...Nous l'invitons , fi l'amour qu'il porte
aux Lettres l'engage à fe préfenter encore
fur le théâtre de Polymnie , à choifir des fujets
plus heureux , & plus propres à faire paroître
fes talens fous un jour avantageux.
Depuis quelques années , on a beaucoup
écrit contre l'ufage fréquent que nos Poëtes
Lyriques font de la Mythologie. Nous fom
Hij
172 MERCURE
mes éloignés de croire qu'on ne puiffe pas
repréſenter, avec un fuccès mérité, des Ouvrages
d'un autre genre , fur le théâtre de
L'Opéra ; mais nous ofons avancer que la
Mythologie fera toujours une des plus riches
& des plus brillantes reffources de ce Théâtre.
Ce n'eft point l'ufage qu'il en faut condamner
, c'eft l'abus .
RECHERCHES fur la caufe des affections
Hypocondriaques , appelées communément
Vapeurs , ou Lettres d'un Médecin fur ces
affections. On y a joint un Journal de
l'état du corps , en raifon de la perfection
de la tranfpiration & de la température de
l'air , par M. Claude Révillon , Docteur
en Médecine , de l'Académie des Sciences
de Dijon , à Mâcon.
Si quanta & qualis oporteat fieret additio eorum
qua deficiunt & oblatio eorum qua excedunt , fanitas
amiffa recuperaretur & prafens femper confervaretur.
Sanctor. Aphorif. prim.
A Paris , chez la Veuve Hériſſant , rue
Notre - Dame , à la Croix - d'or. 1779.
Vol. in- 8°.
Il n'y a que ceux qui ont éprouvé les cruelles
maladies dont il s'agit dans cet ouvrage ,
qui puiffent avoir quelque idée de l'état
affreux où elles réduifent les infortunés qui
en font affectés , quand elles font portées à
leur comble. Sans avoir en apparence aucune.
DE 1FRANCE. 173
maladie décidée , il n'y en a prefque point
qu'ils n'éprouvent réellement ; car l'hypocondriacilme
eft un Protée qui prend mille
formes differentes , & contrefait tous les
maux , & avec cette circonftance cruelle que
dans les autres maladies , quelque fâcheufes
qu'elles foient , on a l'efperance , ou d'être
guéri ou au moins d'en être délivré par une
mort naturelle ; au lieu que le partage de
celle - ci eft un affreux défefpoir , dont la feule
reffource eft une fin tragique , & qui révolte
la Nature.
"3
**
cr
Ce qu'il y a de plus déplorable , c'est que
le moral influant dans cette maladie infiniment
plus que dans toute autre , fes victimes
font prefque toujours des hommes ftudieux ,
fpirituels , fenfibles & bons ; la Nature
entière , dit M. Révillon , eft aux yeux des
» vaporeux couverte d'un crêpe funèbre , &
» tous les objets s'y peignent en noir.
» Ces malheureux , fans ceffe occupés de la
» confervation de leur être , dont il leur
» arrive fouvent de fouhaiter la deftruction ,
» font tourmentés d'un défeſpoir cruel ; ils
perdent l'idée confolante d'une guérifon
parfaite , &c. Nous tirons le voile fur
l'affligeant tableau que l'Auteur continue dé
tracer de cet état funefte , pour nous occuper
avec lui d'objets moins triftes , c'est-àdire
, des caufes prochaines de cette maladie
& des moyens de la guérir.
,د
»
Ce que dit à ce fujet M. Révillon , eft
propre à infpirer la plus grande confiance ;
Hij
174 MERCURE
car c'eft un Médecin éclairé & de bonne- foi
qui avoue qu'il a éprouvé lui-même , pendant
quinze années de fuite , les fymptômes
les plus fâcheux de l'hypocondriacifme ; qui
déclare qu'il n'a retiré aucun foulagement ,
pendant ce long eſpace de temps, de tous les
remèdes qui lui ont été prefcrits par les meilleurs
Médecins , & auxquels il s'eft foumis
avec la plus fcrupuleuſe exactitude ; & qui
affure enfin qu'après avoir découvert , par
des expériences faites fur lui- même avec la
plus grande perfévérance , la cauſe immédiate
de fa maladie , il a obtenu , en combattant
cette cauſe avec conftance , une guérifon
inutilement cherchée par tout autre moyen .
Quoique M. Révillon ne difconvienne
point qu'il y a des individus dans les deux
fexes beaucoup plus expofés que les autres
aux affections hiftériques & hypocondriaques
, par la fenfibilité & l'irritabilité de
leurs nerfs , fuivant lui ils ne tombent véritablement
dans ces maladies bien décidées
que par l'effet d'une caufe puiffante , prochaine
& immédiate ; & cette caufe eft la
fuppreffion ou la diminution notable de la
tranfpiration infenfible , découverte par le
célèbre Sanctorius , confirmée par les expé--
riences de Keil , de Gotter , de Dodart , par
les fiennes propres , & qui doit furpaffer
chaque jour la fomme de toutes les autres
évacuations fenfibles.
M. Révillon s'eft affuré par nombre d'expériences
, dont les réfultats ont été confDE
FRANCE.
175
tans , que quand il empêchoit ou favorifoit
à deffein, par les moyens connus , fa tranſpiration
infenfible , fon état ne manquoit
jamais d'être plus ou moins fâcheux dans la
proportion que fa tranfpiration étoit empêchée
ou favorifée ; il n'a pas de peine à prouver
, par des raifonnemens fondés fur les
connoiffances de l'économie animale , que
la matière de l'infenfible tranfpiration , retenue
dans l'intérieur du corps , fe porte
tantôt fur une partie , tantôt fur l'autre ,
mais principalement fur les organes de la
digeftion , dont elle dérange abfolument les
fonctions ; cela eft confirmé par les vents ,
les gonflemens , les aigreurs , les maux de
tête & d'entrailles , les diarrhées ou les conftipations
, dont les vaporeux font en effet
continuellement tourmentés ; & réciproquement
les digeftions étant viciées , les fucs
nourriciers groffiers & acres qui en résultent,
refferrent & bouchent les pores par lefquels
doit fe faire l'infenfible tranfpiration.
M. Révillon conclud de- là que le défaut
de tranfpiration & le dérangement des digeftions
font réciproquement la cauſe & l'effet
l'un de l'autre , d'où il réfulte un cercle de
maux & de trouble dans toute l'économie
animale ; nais ces caufes & ces effets étant
bien déterminés , il n'eft point difficile de
trouver les moyens de faire ceffer tout ce
défordre. L'Auteur , fans vouloir donner ,
comme une méthode curative générale , celle
qui lui a réufli pour lui-même & pour les
Hiv
176 MERCURE
autres malades confiés à fes foins , expole
qu'il s'eft attaché d'abord à procurer de
bonnes digeftions , & il y eft parvenu par
l'ufage de bouillons amers , de pilules
compofées avec l'extrait de cafcarille , de
genepi , ou petite abfinthe des Alpes , de
poudre de caftor , de fuccin , & la réfine de
quinquina ; mais fur- tour par un régime ri¬
goureux fur le choix , & la quantité des alimens
: il preferit quatre petits repas chaque
jour. Pour le déjeûner , trois onces de pain
trempé dans environ une once de quelque
bon vin de liqueur , ou mangé avec quelques,
fruits cuits , fi l'eftomach ne s'accommodoit
pas du vin . Pour le diner , un potage fair
avec un bouillon peu fucculent , bien degraiffé
, altéré avec quelques plantes ; du
mouton , du veau rôti ou bouilli ; des viandes
blanches ; de la perdrix , des alouettes
des cailles peu graffes ; une boiffon , moitié
eau moitié vin ; mais il ne permet que
l'une de ces viandes au choix du malade. Le
poids de vingt- fept onces en alimens , tant
folides que liquides , eft fuffifant. La boiffon
eft de douze onces , le potage de huit onces ,
ce qui , avec quatre onces de pain & trois
onces de viande , compofe les vingt - fept
onces. Le goûter doit être de trois échaudes ,
pefant deux onces fix gros, avec un verre
moitié eau moitié vin , ou bien quelques
compotes ou fruits cuits , avec un peu de
pain. Le fouper doit être compofé des mêmes
alimens que le dîner, mais fans potage , &
DE FRANCE. 177
feulement du poids de vingt onces en total,
M. Révillon règle aufli le fommeil &
l'exercice de corps de fes malades ; il leur
confeille de fe coucher à dix heures du foir
& de fe lever à fix heures du matin ; leur lit
doit être dans une chambre affez grande ,
sèche & aérée , en ayant foin d'ailleurs de
fe tenir toujours dans une chaleur moyenne
& agréable; il veut qu'ils fe lèvent au premier
réveil , fauf à fe recoucher pendant
quelques heures dans la journée s'il étoit
trop matin. Quant à l'exercice de corps , il
recommande avec raifon qu'il foit habituel ,
mais modéré , & jamais au point d'exciter la
fueur , parce qu'elle n'eft point l'évacuation
de la même humeur que celle de la tranfpiration
infenfible , & que loin d'augmenter
cette dernière elle la diminue. Le meilleur
de tous les exercices eft la promenade en
bon air à pied , mais encore mieux à cheval ,
la danfe , le volant , le billard , & c. fuivant
les circonstances . On fent bien que cette manière
de vivre , quoiqu'à plusieurs égards
elle foit gênante & defagréable , doit être
foutenue avec patience pendant un allez
long temps pour faire difparoître tous les
fymptômes de la maladie ; mais la fanté , furtout
pour ces fortes de malades , eft un bien
fi précieux , qu'il n'y a rien qu'on ne doive
faire pour l'acquérir.
Ce régime , foutenu pendant un temps
convenable , & aidé feulement de quelques
anti-fpafmodiques connus , adminiftrés avec
Hv
178 MERCURE
prudence dans les paroxifmes , a guéri entièrement
M. Révillon & nombre d'autres
malades dont il a pris foin ; il n'a d'ailleurs
rien que de très - conforme à celui que la Médecine
confeille aux perfonnes foibles , délicates
& maladives ; mais l'Auteur eft un Médecin
trop éclairé pour ne pas convenir &
avertir même qu'on doit y faire les changemens
relatifs aux circonftances & aux tempéramens;
par exemple , en ce qui concerne
P'ufage du vin , qui eft décidément contraire
à certaines perfonnes , & à l'abſtinence
prefque totale des végétaux , qui étant
la nourriture naturelle de l'homme , ne doit
être foutenue qu'autant de temps que les
organes de la digeſtion font affez foibles
pour ne pouvoir digérer parfaitement que
les fucs & les chairs des animaux , parce que
ces derniers occafionnent en effet moins de
vents , d'aigreurs , & s'affimileut beaucoup
plus facilement que les végétaux .
M. Révillon a ajouté à la fin de fon ouvrage
un article dont l'objet eft trop impor
tant pour que nous le paffions ici fous filence ;
c'eft l'extrait d'un Journal qu'il a tenu de
l'état de fon corps à raifon de la perfection ,
de la tranſpiration & de la température de
Fair , pendant deux mois & demi. A l'imi
tation de Sanctorius & des autres Médecins
qui ont vérifié & confirmé les découvertes
de ce célèbre obfervateur , M. Révillon a eu la
patience de fe pefer quatre fois par jour ,
ainfi que tout ce qu'il mangeoit & buvoir
DE FRANCE. 179
à chaque repas , & tout le produit des évacuations
fenfibles , tant par les felles que
par les urines , afin de connoître avec précifion
la quantité de l'humeur évacuée par la
tranſpiration infenfible ; & il a obfervé que
les jours que cette dernière étoit abondante
& furpaffoit les autres , il fe portoit beaucoup
mieux ; tandis qu'il éprouvoit beaucoup
de fymptômes fâcheux quand c'étoit
le contraire.
Ce font ces faits bien pofitifs qui lui
ont démontré la grande influence de la
tranfpiration infenfible dans les maladies
du genre nerveux. Les connoiffances que
l'on peut acquérir par ces fortes d'expériences
font affurément des plus effentielles pour
les progrès de la Médecine ; mais on auroit
peine à imaginer combien elles exigent d'affujétiffement,
de temps & de foins fi l'on en
veut retirer tous les avantages qu'elles peuvent
procurer : il manque par exemple bien
des chofes à cet égard , au Journal de M.
Révillon ; il n'a tenu compte que de la hauteur
du baromètre ; cependant les variations
dans la température de l'air que le thermomètre
feul peut indiquer , & même celles
de fa féchereffe & de fon humidité que fait
connoître l'hygromètre , doivent influer encore
plus que fa différente pefanteur , fur
l'infenfible tranſpiration. La nature des alimens
, la conftitution particulière du fujet
fur lequel fe font les obfervations , font
encore des objets qu'il faut abfolument con
H vj
1.80 MERCURE
tats bien inftructifs
. M. Révillen eſt
trop
bon
noître pour être en état de tirer des réful-
Phyficien pour n'être pas bien convaincu de
toutes ces chofes ; auffi ne donne-t'il cet
extrait de fon Journal , & même l'ouvrage
dont nous venons de rendre compte , que
comme un effai & le commencement d'un
travail beaucoup plus étendu qu'il fe propofe
de fuivre & de publier par forme de
lettres comme celui- ci , fi le Public l'accueille
& paroit le defirer. Nous croyons pouvoir
prédire à cet eftimable Médecin qu'il aura,
tout lieu d'être fatisfait à cet égard ; & nous
ne pouvons que l'exhorter avec tous ceux
qui s'intéreffent à l'avancement de la Medecine
, à donner à un travail fi bien commencé
toute la fuite & la perfection dont il eft
fufceptible.
( Cet Article eft de M. Macquer. )
CONCHES , Poëme en trois Chants , au
Roi. A Paris , chez Valade , Imprimeur-
Libraire , rue des Noyers.
Rien de plus facile aujourd'hui que de
compofer quelques mauvais vers après en
avoir lu beaucoup de bons. Jamais cette
maladie de la rime , cette incurable démangeaifon
d'écrire , n'a été plus contagieufe.
Tenet infanabile multos
Scribendi cacoëthes.
Tel qui a paffé quelques mois dans l'étude
DE FRANCE. 181
d'un Notaire fans avoir pu apprendre à
dreffer un acte , fe croit propre à faire des
vers , apparemment parce qu'il n'eft propre
à rien . De -là cette multitude de Fièces de
Concours , dont le nombre augmente tous
les ans , quoique tous les ans l'Académie en
diftingue à peine une ou deux qui méritent
l'attention du Public ; de - là fur- tout cette
récolte annuelle & toujours fi abondante de
vers de toute efpèce précieufement recueillis
dans des Almanachs dits des Mules. Ce n'eft
pas que ces réflexions quelque vraies &
quelque applicables qu'elles foient aux cir
conftances , conviennent précilement au
Poëme dont il eſt queſtion . Tout en eft rare,
curieux , le titre , le choix du fujer , l'avertiffement
, les notes , & jufqu'à la manière de
rimer qui eft nouvelle . Hitons- nous de citer.
>
Je veux , puifque
mon Dieu me comble
de les grâces
,
Préfenter
à mon Roi , fous les diverſes
faces ,
Le fidèle tableau
de ma chère Patrie,
Sur la croupe d'un mont , vive , toujours fleurie ,
Conches femble , grand Roi , s'enlever dans les cieux.
Demeure fortunée ! objet délicieux !
J'apperçois dans la nue , ô donjon formidable ,
De ton antiquité le maintien vénérable.
Sur ce fommet fameux quels étoient mes tranfports
Lorfqu'après cent détours , cent faux pas , mille efforts,
Je mefurois le ciel dans ta fuperbe enceinte !
En ces brillans calculs de mont en mont fans crainte
J'euffe gravi , percé le féjour glorieux.
182 MERCURE
Promenant à l'envi mes regards curieux ,
Mes efprits élevés , j'aime ton noble afpect.
Je te touchois , mon coeur faifi d'un faint respect.
De-là vous contemplant , falutaires murailles ,
Qui renfermez ces lieux dans vos chaftes entrailles ,
Vous me repréfentez les beaux murs d'Agrigente.
Fais -en l'aveu, grand Roi, d'une joie obligeante , &c.
Le Poëme , qui d'ailleurs eft magnifiquement
imprimé , fe foutient d'un bout à
l'autre fur ce ton. Après avoir lu & relu , je
n'ai jamais pu y rien comprendre , finon que
l'Auteur eft né à Conches , & que de plus il
a été élevé par le Supérieur de l'Abbaye , qui
lui a enfeigné le Latin. Ces vers font un
modèle rare & achevé du ſtyle énigmatique.
On a pu juger de leur mérite à cet égard
par ceux que j'ai cités. Il faut que l'on
juge à préfent de fa profe , qui n'eſt pas
moins curieufe. Voici la note qui termine
l'Ouvrage , ou , pour mieux dire , qui le
couronne. « Grâces à Dieu , j'ai compofé
les trois premiers Chants de Conches.
Si mon Roi que j'ai , dans un fens
"
"
>
comme laiffé au milieu des forêts , vou-
" loit y chaffer environné des Princes de
» fa Cour , je m'imagine que l'on y verroit
" un majeftueux , un divin dénouement. »
DE FRANCE. 183
DICTIONNAIRE Géographique-Portatif,
ou Deſcription des Royaumes , Provinces ,
Villes , Évêchés , Duchés , Comtés , Marquifats
, Villes Impériales , Ports , Fortereffes
& autres lieux confidérables des
quatre parties du Monde ; dans lequel on
indique en quels Royaumes , Provinces
& Contrées ces lieux fe trouvent , les
Princes dont ils dépendent , les rivières
baies , mers , montagnes , &c. fur lefquelles
ils font fitués , leur diſtance en lieues Françoiſes
des Places remarquables des environs
, avec leur longitude & leur latitude ,
felon les meilleures Cartes ; les fiéges que
les Villes ont foutenus , les grands hommes
qu'elles ont produits , &c. les lieux où ſe
font données les principales batailles , &c.
&c. Traduit de l'Anglois fur la treizième
édition de Laurent Échard , avec des additions
& des corrections confidérables , par
M. Vofgien , Chanoine de Vaucouleurs.
Nouvelle édition revue , corrigée , & augmentée
de la Géographie ancienne , &
d'une explication des termes de marine
& de navigation. A Paris , chez les Libraires
Affociés , 1779 , avec approbation & privilége
du Roi. Prix , s liv. relié en veau.
Ce Dictionnaire Géographique, qui n'étoit,
dans fon principe , que la traduction de l'Interprète
des Nouvelliftes de Laurent Echard ,
s'eft tellement accru & perfectionné fous la
184 MERCURE
main du Traducteur , fur- tout dans cette
édition , que l'original a pour ainfi dire entièrement
difparu , & qu'il eft digne aujourd'hui
d'être traduit en Anglois . C'eft le méilleur
Dictionnaire- portatif que nous ayons
en ce genre , le plus exact & le plus coinmode.
Cette nouvelle édition eft fupérieure
aux précédentes par des corrections &
des additions d'une néceflité indifpenfable
pour la connoiffance de l'état actuel du
monde. Elle eft terminée par une explication
des termes de marine & de navigation
pour l'intelligence des Gazettes & des
voyages.
Leclerc , Libraire , quai des Auguftins
chez qui l'on trouve ce Dictionnaire , diftribue
un Catalogue de Livres d'environ
quarante articles , qu'il offre à un rabais
confidérable pendant fix mois.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
AVANT VANT d'imprimer nos obfervations fur
la Mufique d'Echo & Narciffe , nous les
avions foumifes à l'examen de quelques gens
de l'Art , dont les talens font reconnus . En
ajoutant à l'effet qu'ont produit fur nous les
différentes repréfentations de cet Ouvrage ,
que nous avons fuivies , leurs conſeils avoient
DE FRANCE. 185
foutenu la foibleffe de nos connoiffances ,
& nous avoient mis à portée de prononcer
fur le merite de cette production , d'une manière
auti honnête que vraie. Mais plus
notre
article
étoit dénué de tout ce qui annonce
l'efprit de parti , plus nous devions,
penfer qu'il déplairoit également à l'enthoufiafme
& à la haine. Ce que nous avions
prévu eft arrivé , & c'eſt à de tels jugemens
que doit s'attendre tout Journaliſte affez
courageux pour préférer la vérité aux petites
confidérations d'ufage , l'honneur à la fortune
, la perfecution au mépris : A bon entendeur
demi-mot ; certains anonymes que
nous avons reconnus , malgré leurs mafques
, fauront bien nous entendre. Les ennemis
de M. Gluck nous ont accufé d'une modération
excellive ; fes admirateurs , d'une
fevérité partiale. Nous appelons de ces deux
reproches au tribunal des gens de goût , des
Muficiens & du Public , & nous perfiftons
dans notre façon de penfer.
ر
Quoi qu'il en puiffe être , Mlle Laguerre
eft aujourd'hui chargée du rôle d'Écho. Son
organe flatteur & fenfible , fa voix moelleufe
& agréable ont prête une nouvelle vie à ce
perfonnage , qu'elle a , pour ainfi dire , ref-,
fufcite. Son jeu a de l'action , de la chaleur;
mais , fi nous ne nous trompons pas , elle
outre-paffe quelquefois la force , que , dans
les fituations données , on peut fuppofer
à Écho. Ce défaut , qu'elle peut facilement
186 MERCURE
faire difparoître , ne la rend pås moins digne
des applaudiffemens qu'on lui a juftement
prodigues , & que nous nous empreffons de
rendre publics .
Mlle Audinot a fuccédé à Mlle Girardin
dans le rôle de l'Amour. Nous ne doutons
pas qu'avec un peu de travail elle ne devienne
fort agréable dans les rôles de ce genre , qui
conviennent très -bien à fa figure , à fa voix
à la nature de fes moyens.
"
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 11 de ce mois , on a donné la
première repréfentation de l'Ecole de la
Jeuneffe , Comédie en trois Actes & en vers ,
remite au théâtre avec une Mufique nouvelle.
M. Anfeaume a pris le fond de cet Ouvrage
dans le Marchand de Londres , Tragédie
de Thompson , connue dans notre Littérature
par la traduction qu'en a publiée feu
M. Clément de Genève.
M. Oronte veut marier fon neveu Cléon ,
à une jeune perfonne aimable , honnête &
vertueule , nommée Sophie ; mais Cléon
féduit par la coquette Hortenfe , facrifie à
cette funefte paffion établiſſement , fortune ,
honneur. Abymé , perdu de dettes , il fe détermine
à fuir avec elle ; & pour fe procurer
les fonds qui lui manquent , il prend le
DE FRANCE. 187
}
parti de forcer le fecrétaire de fon oncle .
Quelle eft fa furprife , quand il y trouve un
teftament par lequel M. ' Oronte le nomme
fon Légataire univerfel ! Le bandeau tombe ;
Cléon voit toute l'horreur de fa conduite :
déchiré de remords , il fe jette aux genoux
de fon oncle , implore fa colère comme un
bienfait ; mais le fage & fenfible Oronte
pénétré de la fincérité du repentir de fon
neveu , lui accorde fa grâce , & lui donne
la main de Sophie.
Le but de cette Pièce eft très-moral , &
nous croyons que ce n'étoit pas dans un
Drame à Ariettes qu'il falloit traiter un fujet
de cette importance. Les facrifices que le
Poëte eft obligé de faire au Muficien , nuifent
à l'effet des fituations , rallentiffent la
marche de l'action , ôtent à l'intérêt une
grande partie de fa chaleur. L'École de la
Jeuneffe en eft une preuve. Les deux premiers
Actes font longs & froids ; le troisième
eft plus attachant. Il a été fort applaudi . Le
Public s'eft indigné quand il a vu Cléon
laiffer entendre à fon oncle que fi Hortenfe
lui avoit demandé fes jours , il fe feroit peutêtre
rendu coupable d'un parricide ; & il a
eu raifon. Dans la Tragédie de Thompſon ,
Barnevelt , après avoir affaffiné fon bienfaiteur
, dit à fon ami que fi l'infâme Milvoud
avoit exigé qu'il lui arrachât la vie , l'afcendant
qu'elle avoit fur fon ame étoit fi puiffant
, que fans doute il fe feroit encore fouillé
de ce crime. Cette réflexion , toute cruelle
ISS
MERCURE
•
qu'elle eft , n'est pourtant qu'une fuite néceffaire
du premier crime de Barnevelt elle
ajoute au tableau ; elle le finit. Dans l'École
de la Jeuneffe , au contraire , où les égaremens
du jeune homme font d'une eſpèce
bien moins grave , où la plus grande faute
de Cléon confifte dans l'effraction du
fecrétaire de fon oncle , un pareil aveu ne
peut être que révoltant , parce qu'il bleffe
les convenances théâtrales ; mais chez nos
Auteurs , l'étude de ces convenances eft aufli
rare que le génie.
peut
La mufique eft de M. Prati , jeune Artiſte
qui mérite d'être encouragé. Ce coup d'effai
donne des efpérances ; il les remplira fans
doute , fur-tout s'il travaille à donner à fon
ftyle une marche plus furvie , à ne pas le
couper fi fouvent par des traits d'Orcheſtre
qui fatiguent l'attention , à moins facrifier
au luxe de l'oreille , enfin s'il s'occupe davan
tage des effets dramatiques . Plufieurs mor
ceaux de fon ouvrage prouvent beaucoup de
talent. Le petit air , laiffons gronder lafageffe ,
eft très - agréable. Le cheur qui termine le
fecond Acte , eft d'effet & d'une belle facture.
Feu M. Duni , Auteur de la première muſique
de l'ouvrage dont nous rendons compte ,
avoit , en quelque façon , confacré le morceau
, taifez-vous ma tendreffe. L'air de M.
Prati ne nous a point fait oublier celui de
cet eftimable Compofiteur ; mais il nous a
paru beau : il annonce à- la- fois un Muficien
& un homme fenfible.
DE FRANCE. 189
Les principaux rôles font fort bien rendus
par Mdes Moulinghen , Billioni & Trial ;
MM . Nainville , Clairval & Trial. Il n'eft
guères poffible de chanter avec plus de goût
que M. d'Orfonville. Nous n'oublierons pas
M. Thomaffin , qui joue le rôle de Damis
avec beaucoup de décence , & dans le véritable
caractère qui convient à ce perfonnage.
GRAVURES.
LA Sainte Famille , gravée par J. Barbié
d'après le tableau orignal du Corrége , appartenant
l'Auteur. A Paris , chez l'Auteur , rue de Savoie , la
première porte cochère en ertrant par la rue Pavée ,
& chez Ifabey , Marchand d'Eftampes , rue de
Gêvres.
La Peinture chérie des Grâces , Eftampe de 18
pouces de haut fur 13 de large , d'après le tableau
de M. Lagrenée l'aîné , Peintre du Roi , par M.
Dennel. Prix , 4 liv. A Paris , chez l'Auteur , au coin
de la rue du Petit-Bourbon , près la Foire S. Germain.
Le titre de cette Eftampe en explique fuffisamment
le fujet. On voit en effet la Peinture environnée des
Grâces , dont l'une lui préfente un pinceau , l'autre
dés couleurs , & dont la troifième lui apporte le
cordon du mérite.
; M. Dennel , déjà connu avantageulement par
le Triomphe de la Peinture & Pigmalion amoureux
de fa ftatue , prouve , par l'Eftampe que nous annonçons
, qu'il fait des progrès dans fon Art. Son burin ,
gracieux & facile , acquiert de la force & de la hardieffe
, & M. Lagrenée, qu'on fe plaît à nommer
l'Albane de nos jours , ne peut qu'être flatté de voir
196 MERCURE
les productions aimables de fon pinceau rendues
avec une vérité auſſi frappante.
Six
MUSIQUE.
ix Sonates pour la Harpe , avec accompagnement
de violon , par M. Hinner , Maître de Harpe
de la Reine. A Paris , chez Nanderman , Facteur
de Harpes , rue d'Argenteuil , butte Saint- Roch ; & à
Verfailles , chez l'Auteur , rue Satory. Ces Pièces
méritent d'être diftinguées de la foule ; elles font
agréables , favantes & compofées dans le vrai genre
de l'inftrument.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'ECOLE
"
' ECOLE d'Uranie , ou l'Art de la Peinture , traduit
du Latin de Dufresnoy & de l'Abbé de Marfy
avec des remarques. Edition revue & corigée . Vol.
in- 12. A Paris , chez Saugrain , Lamy & Barrois ,
Libraires , Quai des Auguftins.
Lettre de Mde la Comteffe de ... à l'Auteur de la
Clef de la Langue Latine. A Paris , chez l'Éditeur ,
rue du Petit- Carreau , maiſon de Mlle le Poivre.
Obfervations fur treize des principales langues de
l'Europe. Première Partie du vol. premier. A Paris ,
chez Mérigot , Dorez & le Jay , Libraires , & chez
les Auteurs , rue & vis - à-vis le Cloître S. Honoré ,
ehez Bertelin , Marchand Chandelier. Vol. in - 12.
Exercices de Traductions de diverfes Langues.
Langue Angloife. Vol. in- 12 . A Paris , aux mêmes
Adreffes.
DE FRANCE. 191
Eloge du Dauphin , par M. l'Abbé le Couturier
d'imberville. A Paris , chez Méquignon le jeune &
L'Efclapart , Libraires.
La Liberté , protégée par les Armes & les Edits du
Roi , Poëme. A Nancy , chez'le Seure , Libraire.
Eloge de Suger , avec cette devife : Nihil appetere
jactatione . A Amfterdam .
Mémoirefur la découverte du Magnétisme animal,
par M. Melmer , Docteur en Médecine. A Paris ,
chez Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , Qual des
Auguftins,
Les effets de l'Amour du bien public dans l'homme
d'Etat , confidérés dans la vie de Suger. A Paris ,
chez Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins
, Hôtel de Cluny.
Traité de la fièvre miliaire dans les femmes
Quvrage qui a été couronné par la Faculté de Mé
decine de Paris , en 1778 , par M. Gaſtellier , in- 8 .
Prix , 2 liv, A Paris , chez Méquignon , Libraire
tue des Cordeliers .
Introduction & Plan d'un Traité général de navigation
intérieure , & particulièrement de celle de la
France , par M. Allemand. A Paris , chez Efprit
Libraire , au Palais Royal ; & Cellot & Jombert
Libraires , rue Dauphine .
1
Numéro 17 du Tome fecond de l'Hiftoire Moderne.
A Paris , chez Cloufier , Imprimeur- Libraire , rue
Saint-Jacques.
Recueil des Sceaux du moyen âge , dits Sceaux
gothiques , in-4 . Prix , 6 liv. A Paris , chez Boudet ,
Libraire , rue S. Jacques.
Obfervations fur l'opération Césarienne à la ligne
192 MERCURE
blanche , &fur l'ufage du forceps la tête arrêtée au
détroitfupérieur , par M. S. A. Deleurye , Profeffeur
& Démonftrateur des accouchemens aux Ecoles
Royales de Chirurgie . A Paris , chez M. Lambert ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Haipe ; & Didot le
jeune , Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins.
Élégies. A Yverdon , de l'imprimerie de la Société
Littéraire & Typographique , 1778. Brochure in 12-
de 90 pages. Se trouve à Paris , chez Belin , Libraire ,
rue S. Jacques . Prix ,'15 fols.
t
Quoique cette Brochure porte le titre d'Élégies
elle contient des poéfies de plufieurs autres genres ;
on y trouve des Odes , des Héroïdes , des Madrigaux ,
des Hymnes & des espèces de Cantates. L'Auteur
étoit déjà connu par les Amours Alfaciennes , dont
il a donné un fragment. Ces pièces fugitives , où l'on
trouve de la facilité , des vers agréables , des images
attachantes , ajouteront à fa réputation .
TA B LEV
VERS à Aflle de ...
- A Mile C✶✶✶ .
Vers inferits aubas de la
vure de Mlle Fanier .
Lettre à l'Editeur du
$180
146 Recherches fur les affections
147 Hypocondriaques , 172
Gra- Conches , Poëme,
148 Dictionnaire Géographique-
Mer- Portatif,
ibid. Académie Roy , de Mufiq. 184 .
Le Berger Espagnol , Ro Comédie Italienne ,
cure ,
mance
Enigme & Logogryphe , 155 Mufique ,
Eloge de Suger ,
Echo & Narciffe ,
183
186
152 Gravures ,
189
190
157 Annonces Littéraires , ib.
1641
APPROBATION.
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 2 3 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreflion. A Paris .
ée 4.2 Octobre 1779 : DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 30 OCTOBRE 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION du Pervigilium Veneris.
A1 M E demain qui n'a jamais aimé !
Qui fut amant , demain le redevienne !
TENDRES oiſeaux ! vos chants annoncent Mai ,
Mai , le Printemps & Vénus qu'il ramène.
Mai féconda le naiffant Univers ;
C'eft à fa voix que Zéphire s'éveille ,
Et que l'Hymen fur le peuple des airs
Reprend les droits qu'il négligeoit la veille.
Afyles chers à nos tranfports nouveaux ,
Les arbriffeaux uniffent leurs feuillages ;
Et Dionée, acceptant nos hommages ,
Treffe du myrte à l'entour des berceaux .
Des Dieux ailés , demain l'aimable Reine
Sam. 30 Octob. 1779.
I
194
MERCURE
Dicte fes lois au monde ranimé.
Aime demain qui n'a jamais aimé !
Qui fut amant , demain le redevienne !
CET heureux jour embrâſe au ſein des flots
Tous les fujets que raffemble Amphytrite ;
Et la Naiade en fuyant fous les eaux ,
Lance un regard au Triton qu'elle évite.
C'eſt l'heureux jour où les mers ont formé
De l'Univers la belle Souveraine ,
Aime demain , &c.
De la Nature animant les beautés ,
Elle a paru : tout s'eft hâté d'éclore,
Elle fourit aux tendres voluptés ,
Peint un ciel pur dans des flots argentés ,
Pour nuancer les corbeilles de Flore ,
Elle marie au Zéphir du matin
La jeune Rofe , humide & vierge encore ,
Sous les baifers exhalant de fon fein
Les doux parfums qu'elle doit à l'aurore.
Dans les bofquets , fur les tapis de fleurs ,
Vont folâtrer les Nymphes de Cythère.
Un jeune Enfant fe mêle aux jeunes Soeurs ;
Enfant perfide , on connoît fes fureurs ;
En fe jouant il blefferoit fa Mère .
On a voulu qu'il posât fon flambeau,
Et fon carquois & fon arc téméraire.
L'Amour cft nud.... Nymphes ! l'Amour est beau .
DE FRANCE. 195
ト
Ne dites pas : la défiance eft vaine ,
Plus il eft nud , & mieux il eft armé.
Aime demain , &c.
SUR d'Apollon ! Vénus , auprès de toi ,
Laiffe languir tes compagnes févères..
Au moins Vénus , en refpectant ta loi ,
Doit te trouver fenfible à nos prières.
En ce beau jour , Délie , ah ! par pitié
Sur les forêts n'étends pas le carnage :
Avec Cypris tu ferois de moitié ;
Mais ton orgueil eft de paroître fage.
Tu rougirois de voir la jeune Cour
Franchir par bonds ta retraite ébranlée
Durant trois nuits , & pourfuivre l'Amour
Et le plaifir , errans fous la feuillée.
Bacchus , Cérès , comme eux , auront leur tour.
Phébus préfide aux chants de la veillée ,
Et notre afyle à toi ſeule eft fermé.
Diane fuis ! des bois Vénus eft Reine.
Aime demain , &c.
DANS un vallon des campagnes d'Enna ,
Vénus demain , des Grâces entourée ,
Sur des gazons en pompe fiégera.
Belle Aréthufe , & vous , fertile Hybla ,
Jonchez de fleurs cette heureuſe Contrée .
Demain tout cède au befoin de jouir.
Le Dieu de l'air vient s'unir à Cybèle ;
Iij
196 MERCURE
Il l'embellit , & fa main paternelle
Verſe en tous lieux la vie & le plaifir.
Afon Epouſe il fourit ; il l'inonde
De fa rofée & des douces vapeurs
Qu'il échauffa pour rajeûnir le monde
Et pour nourrir , par des fucs créateurs
Les tendres fruits de leur amour féconde.
Par-tout Vénus fait pénétrer les feux ,
fes femences actives.
A l'Univers elle apprend l'art heureux
De déployer les forces productives
Qu'elle répand de l'Éther enflammé ,
Au fond des mers dont elle eft Souveraine.
Aime demain , &c.
Son fouffle pur,
A BOUZAID ,
CONTE ORIENTAL.
MORAD , fils d'Hanut , occupa long- tems
le premier rang parmi les Vifirs & les Émirs ,
enfans du courage & de la fageffe , qui environnent
le trône de Dehli , & forment les
Confeils ou dirigent les armées de la poſté
rité de Timur. Après s'être fignalé dans plufieurs
guerres , il avoit été récompenſé par
le Gouvernement d'une Province. La reconnoiffance
des peuples , qu'il rendoit heureux
par fa fageffe & fa juftice , porta fon nom
jufqu'à la porte du palais de Dehli ; l'EmpeDE
FRANCE.
197
reur l'appela au pied du Trône , & dépofa
dans fes mains la clef de fes tréfors & le
cimeterre de fa puiffance. Dès cet inſtant la
voix de Morad & fes ordres fuprêmes furent
entendus du fommet du Taurus jufqu'aux
bords de l'Océan . Toutes les bouches reftoient
muettes , & tous les yeux ſe baiffoient
devant lui.
Morad vécut plufieurs années dans la prof-.
périté ; chaque jour ajoutoit à ſes richeffes &
à fon pouvoir ; les fages répétoient fes maximes
, & des milliers de guerriers obéiffoient
à fa voix. L'ambition déconcertée gémiffoit
dans l'antre de l'envie , & le mécontentement
effrayé trembloit de murmurer..
Mais les grandeurs humaines ont peu de
durée ; elles fe diffipent comme l'odeur des .
parfums qu'on ne renouvelle pas dans le feu
qui les confume. Le foleil ſe laffa de briller
fur les palais de Morad ; les nuages de la difgrâce
s'affemblèrent fur fa tête , & la tempête
de la haine qui s'étoit formée lentement
, fe groffit & éclata tout- à- coup.
Morad vit fa ruine s'avancer à pas précipités.
Les premiers de fes flatteurs qui prirent
la fuite , furent fes Poëtes ; tous les Artiftes
qu'il avoit récompenfés d'avoir contribué
à fes plaiſirs , les imitèrent ; & il n'apperçut
auprès de lui que le petit nombre de
ceux dont un mérite réel avoit été le titre à
fa faveur. Il fentit le danger qui le menaçoit ,
& fe profterna au pied du Trône. Ses ennemis
parloient avec hauteur & avec con-
I iij
198
MERCURE
fiance ; fes amis muets obſervoient une froide
neutralité , & la voix timide de la vérité
étoit étouffée par des clameurs bruyantes . Il
fut dépouillé de fon pouvoir , privé des richeffes
qu'il avoit acquifes , & condamné à
paffer le refte de fa vie fur le bien de fes
pères , qu'on daigna lui laiſſer .
Morad avoit été fi long-temps accoutumé
au tumulte des affaires , à répondre à la foule
empreffée des fupplians & des flatteurs , que
fa folitude lui devint à charge. L'ennui fe
répandit fur fon loifir , dont les heures
s'écouloient avec une lenteur accablante.
Il voyoit avec regret le foleil en fe levant
, forcer fes yeux à s'ouvrir à un ǹouveau
jour , dont il ne favoit comment remplir
la durée. Il envioit le fort du fauvage ,
errant dans les forêts , à qui les befoins de la
Nature ne laiffent aucun moment vuide , &
dont la vie fe paffe à chercher fa proie , à la
dévorer & à dormir.
Le chagrin & l'ennui altérèrent fa conftitution
; il tomba malade , refufa tout remède ,
négligea l'exercice , & végéta triftement dans
une fituation fingulière & terrible , craignant
de mourir & ne defirant pas de vivre. Ses
gens pendant quelque temps redoublèrent
de zèle & d'affiduités ; mais voyant que leurs
fervices étoient dédaignés , que leurs foins
ne faifoient que l'aigrir , qu'il leur favoit
même peu de gré de leur attention & de leur
exactitude , ils devinrent négligens ; & celui
qui n'aguères commandoit à tant de nations,
DE FRANCE. 199
languiffoit fouvent abandonné dans fa cham-!
bre , fans avoir un feul eſclave auprès de lui .
Dans cet état fàcheux qui empiroit tous
les jours , il dépêcha des meffagers à Abouzaïd
, ſon fils aîné , qui étoit à l'armée.
Abouzaid effrayé de la maladie de fon père ,
fe hâta de fe mettre en route pour fe rendre
auprès de lui. Morad vivoit encore ; il fentit
fes forces fe ranimer en ferrant fon fils dans
fes bras. Après les premières careffes , il lui
ordonna de s'affcoir à côté de fon lit , & lui
parla en ces termes :
Abouzaïd , dit - il , ton père n'a bientôt
plus rien à espérer ni à craindre des habitans !
de la terre. La main de l'Ange de la mort eſt
étendue fur lui ; & le tombeau qui l'appelle
s'ouvre déjà pour engloutir fa proie . Écoute
les derniers avis d'une longue expérience ; &
que la voix de l'inftruction ne frappe pas
inutilement ton oreille.
Tu m'as vu heureux & malheureux ; tu as
été témoin de mon élévation & de ma chûte.
Mon pouvoir eft dans les mains de mes ennemis
, mes tréfors dans celles de mes accufateurs.
Mais la clémence de l'Empereur a
épargné l'héritage de mes pères , & fon courroux
n'a pu m'enlever ma fageffe. Tourne
les yeux autour de toi ; tout ce qu'ils apperçoivent
t'appartiendra dans peu de momens .
Écoute mes confeils ; ils peuvent t'apprendre .
à te contenter de tes poffeffions . Elles fuffifent
pour te rendre heureux . N'aſpire point .
aux honneurs publics ; ne mets jamais le ,
I iv
200 MERCURE
pied dans les palais des Rois. Ton bien te
mettra à l'abri des humiliations infeparables
de la misère , & ta modération te préſervera
de l'envie. Contente- toi de vivre en particulier
; fais jouir tes amis de tes richeffes ;
fois bienfaifant. La plus douce jouiffance du
coeur eft d'être aimé de tous ceux dont on eft
connu recherche- la. Dans le temps de ma
gloire & de ma profpérité , voyant tous les
mortels au-deffous de moi , & un feul audeffus
, je difois à la calomnie : qui t'écoutera
? Et à l'artifice : que peux-tu ? Mon
fils , ne mépriſe jamais la malice du foible.
Souviens-toi que le venin fupplée à la force ,
& que le lion peut périr de la piqûre d'un
reptile.
Morad expira peu de momens après avoir
tenu ce difcours. Le temps du deuil étant
écoulé , Abouzaïd réglant fa conduite fur les
confeils de fon père , ne s'occupa qu'à mériter
l'eftime & l'amitié générale par tout ce
qu'il jugea propre à fe les concilier. Il penfat
fagement qu'il devoit commencer par affurer
fon bonheur domeftique. Perfonne en effet
ne peut nous faire autant de bien & autant
de mal que ceux qui nous environnant fans
ceffe , font témoins de nos négligences , écou
tent les faillies d'une gaîté quelquefois inconfidérée
, & épient les mouvemens des paffions
que l'on ne contraint pas toujours devant
eux. Il augmenta en conféquence le
falaire de tous fes gens ; & il crut exciter leur
émulation & fortifier leur attachement par
DE FRANCE. 201
des gratifications extraordinaires dont il
payoit les fervices rendus par le zèle de ceux
qui ne fe contentoient pas de remplir leur
devoir.
Pendant qu'il fe félicitoit de la fidélité &
de l'affection de fes Domeftiques , des voleurs
fe glifsèrent un foir dans fa maifon. Ils.
furent découverts , pourfuivis & faifis . Ils
déclarèrent qu'un Valet les avoit introduits ;
& ce Valet interrogé avoua qu'il leur avoit
ouvert la porte par dépit de ce qu'on en
avoit confié la clef à un autre qu'il n'avoit
pas cru mériter plus de confiance que lui.
Abouzaïd lui pardonna ; mais il reconnut.
avec peine qu'il n'eft pas aile de faire un
ami de fon Valet ; & que parmi les hommes
qui étant dans notre dépendance , afpirent
au premier rang dans notre faveur , on ne
peut en préférer un fans fe faire des ennemis
de tous les autres. Il réfolut de rechercher
fes égaux , qui feuls pouvoient lui offrir des
amis , & il choifit des compagnons de fa folitude
& de fes plaiſirs , parmi les principaux
habitans de fa Province. Il eut d'abord lieu
d'être fatisfait de fa nouvelle fociété ; il vécut
heureux avec elle pendant quelque
temps ; mais ce temps ne dura que jufqu'à ce
que la familiarité eut chaffé la réferve , &
que chacun fe jugea libre de donner carrière
à fes volontés , à fes caprices & à fes opinions
. Alors ils le troublèrent mutuellement
par leurs goûts contraires & l'oppofition de
leurs fentimens . Abouzaïd fe vit dans la né-
Iy
202 MERCURE
ceffité d'en dégoûter plufieurs , en fe déclarant
pour quelques- uns , ou de les mécontenter
tous en ne prenant aucun parti.
Il crut devoir éviter toute liaiſon trop .
étroite avec des êtres d'une nature fi difcordante
, & fe répandre dans un plus grand
cercle. On le vit en conféquence prendre le
fourire d'une politeffe générale , inviter toutle
monde à fa table , mais fe difpenfer d'admettre
aucun de fes convives dans la retraite
de fon cabinet. Plufieurs perfonnes piquées
d'avoir été dédaignées lorfqu'il fit le premier
choix de fes amis , refusèrent de fe lier avec
lui. Ceux que l'abondance , la magnificence
& la délicateffe attiroient à fa table , afpirèrent
bientôt à fon intimité ; & chacun fe
voyant traité comme les autres , murmura de
ne l'être pas avec une diftinction qu'il croyoit
mériter. Par degrés , tous firent des avances ;
Abouzaïd , fidèle à fon plan , n'en reçut aucune
, & voulut conferver l'égalité. Tous le
quittèrent bientôt. Sa table fe couvrit vainement
des mets les plus exquis ; une mufique
délicieufe fe faifoit entendre dans fon
palais défert ; il fe vit abandonné , & libre
de former dans fa folitude de nouveaux plans
de bonheur & de plaifir.
Il réfolut d'effayer la force de la reconnoiffance
; & s'informant des Savans & des
Artiſtes , dont le mérite languiffoit dans la
pauvreté , il les appela auprès de lui , & s'empreffa
de réparer à leur égard l'injuſtice de
la fortune. Sa maiſon fut bientôt remplie de
DE FRANCE. 203
Poëtes , de Peintres & de Sculpteurs , attirés
par l'abondance , & empreffés d'employer
leurs talens à célébrer leur Protecteur. Mais
en peu de temps ils oublièrent la misère dont
il les avoit tirés . Ils commencèrent à ne regarder
leur Patron que comme un homme
d'une intelligence bornée , devenu grand &
riche par le hafard de la naiffance , & qui
étoit plus que payé de fes bienfaits par leur
condefcendance à les accepter. Abouzaïd les
entendit un jour , & n'eut rien de plus preffé
que de les renvoyer. Ses yeux dès ce moment
cefsèrent de voir le coloris brillant des
tableaux où on l'avoit peint , tendant une
main protectrice aux beaux Arts , & fon
oreille fe ferma pour jamais aux éloges.
Pendant que les enfans des Arts s'éloignoient
avec rage , & le menaçoient de le
couvrir d'une infamie éternelle , Abouzaïd ,
qui étoit fur fa porte , appela le Poëte
Hamet.
Hamet , lui dit - il , j'avois des efpérances
chères à mon coeur ; ton ingratitude les a détruites
& met fin à mes expériences . Je vois
à préfent la vanité des efforts de l'homme de
bien qui afpire à la bienveillance univerfelle.
Je me contenterai à l'avenir de faire le bien.
& d'éviter le mal , fans m'embarraſſer de
l'opinion des hommes ; & je ne vais plus
m'occuper qu'à mériter les bontés de cet
Être , à qui feul nous fommes sûrs de nous
rendre agréables en cherchant à lui plaire .
Ivj
204
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LEE mot de l'Énigme eft les Lèvres ; celui
du Logogryphe eft Logogryphe , où se trouvent
gorge, horloge , hier , loge , gloire
loi , pie ( oileau ) , loir ( petit poiffon ) , Loire
( rivière ) , poire , or , gripe , pore , pile ,
pôle , orgie , Roi , pilori , phiole , proie.
ÉNIGM E.
Dur mon orgueil te choquer un moment ,
Bon gré malgré, mon cher Lecteur , écoute ;
Car je prétends , coûte qui coûte ,
Me préconifer hautement.
Qui pourroit nier les fervices
Que je prodigue en mon printemps ?
Qui pourroit nombrer les caprices
Que j'éprouve fur mes vieux ans ? ...
Que l'homme eft ingrat & volage !...
Tel , tout- à- l'heure m'employoit,
Qui m'abandonne à fon valet.
Ce dernier auffi -tôt m'outrage ;
Il me jette fur le carreau.
Enfin , pour afſouvir fa rage ,
Sans remords , il me livre au plus cruel bourreau ;
Mon procès eft tout fait , & l'on me jette à l'eau.
DE FRANCE.
205
En fuis-je retirée , on me bat comme plâtre....
Le barbare ! ... il fe fait un jeu
Contre moi d'employer & le fer & le feu ! ...
Mais tandis qu'il s'opiniâtre
A me faire fécher dans ces tourmens affreux ,
Qui le croiroit ?...on m'en trouve encor mieux ;
Ma peau liffe , en blancheur le difpute à l'albâtre ;
Enfin , en cet état , j'ai fi bonne façon ,
farouche , Avec cela , je fuis fi peu
Que dans plus d'une occafion
J'ai baifé le Roi fur la bouche
Et la Reine fous le menton.
LOGOGRYPHE.
A CELUI qui par moi gouverne ,
Je donne un rang fort fubalterne.
Je fais pourtant bien des jaloux ;
Et vraiment il m'eft affez doux
Qu'on veuille , en me donnant , me donner au mérite.
Lecteur , fi tu me fends en deux ,
Oh ! quelle merveille fubite !
D'une part je deviens un endroit très - fameux
Par fes propos , fur - tout par fon peuple femelle ,
Et dans lequel règne mainte querelle ;
Ou , fi tu l'aimes mieux , une docte Cité.
Et de l'autre je fuis un Chantre refpecté ,
Qui des fiens par fes vers animoit le courage ;
206 MERCURE .
Ou d'un baudet , le brillant équipage.
Je n'ajoute qu'un mot pour plus grande clarté ,
J'ai dix pieds , & rien qu'un dans la réalité .
( Par M. d'A. D. C. Abonné. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRES concernant l'Hiftoire , les
Sciences , les Arts , les Moeurs , les Ufages,
&c. des Chinois , par les Miflionnaires de
Pékin. Tome IV. A Paris , chez Nyon
l'aîné , Libraire , rue du Jardinet , quartier
S. André - des-Arcs , 1779. Prix , 12 liv . rel .
CE
E quatrième Volume n'eſt ni moins curieux
ni moins inftructif que les précédens.
Cene font point ici de ces narrations puériles
qui défigurent les moeurs d'une nation ſage ,
de ces faits abfurdes , trop fouvent débités
par l'ignorance ou par l'amour du merveilleux
, & adoptés par un Public non moins
crédule qu'avide de nouveautés. On fait que
tout Miffionnaire en général eft obligé de
s'inftruire à fond de la langue , des moeurs
& des coutumes des différens peuples chez
lefquels il réfide. Ceux de Pékin , guidés , à
ce qu'ils difent , par un efprit de vérité & de
défintéreſſement , méritent d'autant plus de
DE FRANCE. 207
confiance , que tous leurs récits font puifés
dans le Code des Lois , dans les Livres de
Re ligion , & dans les Auteurs nationaux les
plus fenfés & les mieux accrédités .
Le Volume que nous annonçons renferme ,
1º . un expofé de la doctrine ancienne &
nouvelle des Chinois fur la Piété Filiale , qui
fait la baſe de leurs moeurs & de leur gouvernement
; 2 °. un Mémoire fur l'intérêt de
l'argent en Chine ; 3 ° . un précis des notions
qu'ont les Chinois fur la petite- vérole ; 4º-
une notice du Livre Chinois Si-yuen , fur la
manière dont s'y prend la juftice pour faire
fes recherches fur les meurtres , & juger de
leurs caufes par l'infpection des cadavres ;
5. une notice des pratiques des Bonzes Taofée
, pour opérer des guérifons ; 6º . quelques
obfervations de Phyfique & d'Hiftoire
Naturelle de l'Empereur Kang-hi ; 7 °. un
mélange de diverfes pratiques ufitées chez
les Chinois , des notices d'animaux , & c.
Nous nous arrêterons à l'article de la Piété
Filiale , comme à celui qui nous a paru le
plus intéreffant .
La Piété Filiale eft la vertu nationale des
Chinois : elle eft chez eux ce que fut à Lacédémone
l'amour de la Liberté ; à Rome ,
l'amour de la Patrie ; & chez les François ,
l'amour de leur Roi. C'eft la vertu de tous
les rangs & de tous les états , de tous les
fexes & de tous les âges ; c'eft elle qui maintient
la concorde parmi les fujets , & eft
208 MERCURE
comme le mot de l'énigme de la durée de ce
grand Empire.
و ر
و ر
ود
Les devoirs d'un enfant à l'égard de fes
père & mère font fans bornes. L'âge ni les
dignités ne fauroient le difpenfer de leur
rendre les fervices qu'ils font en droit d'attendre
de lui dans leur vieilleffe. « Honorer
» & aimer fes parens pendant leur vie , difoit
Confucius , les pleurer & les regretter.
après leur mort , eft le grand accomplis-
» fement des lois fondamentales de la fociété
humaine ». Dans tous fes écrits il repréfente
la Piété Filiale comme le germe de
toutes les vertus & la fource du bonheur.
On ne doit donc pas s'étonner qu'elle
foit auffi expreffément recommandée dans la
religion Chinoife , que la Charité l'eſt parmi
les Chrétiens. La Piété Filiale eft ce qu'on
enfeigne dans les écoles avec le plus de
foins ; & comme la Nature a gravé cette
doctrine dans tous les coeurs , les enfans l'y
lifent avant que leur raifon foit développée.
A mesure qu'ils avancent en âge , ils l'étudient
dans les lois de l'Empire , qui ont arti- .
culé dans le plus grand détail les obligations
réciproques des parens & des enfans , en
décernant des peines févères contre ceux qui
en méprifent l'obfervation , & des récompenfes
magnifiques pour ceux qui s'y diftinguent.
Les ufages publics , les moeurs géné
rales , les coutumes & les habitudes des Provinces
comme de la Capitale, font une répé
tition continuelle de tout ce que preſcrivent
DE FRANCE. 209
le refpect & l'amour filial ; tous les monumens
publics en annoncent aux yeux la néceffité
& les avantages ; en un mot , la façon
de penfer de ces peuples eft telle , que dire
d'un homme , il n'a pas de Piété Filiale ,
c'eft dire équivalemment qu'il eft paîtri de
vices. Ainfi un Européen ne devra plus être
furpris qu'on lui demande , lorfqu'il arrive
à Canton , des nouvelles de fon père & de
fa mère ; car il eft aifé de voir que cet ufage
tient aux idées générales de la nation fur la
Piété Filiale.
Certe vertu n'eft pas feulement celle des
fimples particuliers , elle eſt un devoir aufli
preffant pour l'Empereur que pour les autres
; & l'on peut dire qu'aucune mère au
monde ne reçoit tant de refpect & d'honneur
qu'une Impératrice - Mère en Chine.
Pour en bien juger , nous tranſcrirons ici la
manière dont l'empereur vient la faluer le
premier jour de l'an .
" Au moment que le foleil commence à¨
» paroître fur l'horifon , tous les Mandarins
» de tous les Tribunaux étant en grands ha-
و ر
bits de cérémonie , & rangés felon leur
» rang dans la cour extérieure qui eft entre
» la falle du trône & la porte intérieure du
palais , les Princes de tous les Ordres &
Comtes de la Famille Impériale étant auffi
» en grands habits de cérémonie , & rangés
» felon leur rang dans la cour de l'intérieur
» du palais , l'Empereur fort de fon appar-
» tement , porté dans fa chaife de céré
".
"
210 MERCURE
و ر
و د
לכ
ود
» monie , pour aller chez fa mère. Arrivés
» dans la première cour du palais de cette
» Princeffe , tous les Mandarins fe rangent
» fur deux lignes , & les Princes du Sang &
" Comtes de la Famille en font de même
» dans la cour qui eft vis- à-vis de la falle
» du trône de l'Impératrice- Mère. L'Empe-
» reur defcend de fa chaife dans le vefti-
» bule de cette cour , & la traverſe à pied .
Ce n'eft pas par l'efcalier du milieu , c'eſt
» par celui de l'Orient que l'Empereur
" monte fur la plate- forme qui eft devant
» la falle du trône de l'Impératrice. Dès
qu'il eft arrivé dans la galerie couverte qui
" en fait la façade , un Mandarin du Li-pou
» fe met à genoux , & préfente le placet de
l'Empereur , pour prier Sa Majefté l'Impé-
» ratrice de vouloir bien monter fur fon
» trône pour recevoir fes humbles profter-
» nations. L'Eunuque Mandarin , à qui on
» a remis le placet , le porte dans l'intérieur .
» L'Impératrice- Mère fort en habits de cé-
» rémonie de fon appartement , fuivie de
» toute la Cour , & monte fur fon trône.
» L'Eunuque Mandarin en avertit le Mandarin
du Li-pou , qui eft ordinairement le
Préfident, & celui - ci fe met à genoux de-
" vant l'Empereur , & le prie de faire fa cé-
» rémonie Filiale à fa très - augufte Mère.
L'Empereur s'avance fous la galerie vis- à-
» vis du trône de fa mère , & fe tient de
bout , les manches abattues & les bras
pendans. Les Princes & les Mandarins en
و د
و د
ود
ور
و د
و ر
$
DE FRANCE. 21X
» font autant. La mufique de l'Empereur &
» de l'Impératrice jouent enſemble l'air
و د
و ر
و د
ور
"
"
ود
ود
Ping , qui eft très- doux & très-tendre.
» Un Mandarin crie à haute voix , mettez-
» vous à genoux ; & dans l'inftant l'Empe-
" reur , les Princes & tous les Mandarins
tombent à genoux. Un moment après il
" crie , profternez - vous , & tout le monde
» fe profterne la face contre terre : il crie ,
redreffez-vous , & tout le monde fe redreffe
. Après trois profternations , il crie ,
relevez- vous. L'Empereur , les Princes &
» tous les Mandarins fe remettent debout
» dans la pofture où ils étoient d'abord ;
puis tombant à genoux , ils font trois prof-
» ternations nouvelles , fe relèvent encore ,
» retombent à genoux , & en font trois autres
, fe profternant & fe redreffant aux
» cris du Mandarin , Maître des Cérémo-
» nies. Les neuf profternations faites , le
» Mandarin du Li -pou fe met à genoux ,
préſente un fecond placet de l'Empereur ,
pour inviter l'Impératrice- Mère à retour-
» ner dans fon appartement . Le placet eft
porté dans l'intérieur de la falle , & la
mufique qui accompagne l'Impératrice
» annonce fon départ. La mufique de l'Em-
» pereur lui répond , & le Mandarin du
Li-pou vient le profterner devant l'Empe-
» reur , pour lui annoncer que la cérémonie
» eft finie , & l'inviter à s'en retourner dans
» fon appartement. La mufique de l'Empe-
» reur joue une fanfare. Sa Majefté redef
ود
و ر
ور
و ر
"
&
212 MERCURE
ور
cend par l'efcalier de l'Orient , retraverle
» la cour à pied , fe met dans fa chaife , dans
» le veſtibule , où elle en étoit deſcendue ,
» & retourne dans fon appartement dans le
» même ordre qu'elle étoit venue. Alors la
» cloche de la grande tour ceffe de fonner ....
L'Impératrice -époufe , fuivie de toutes les
» Reines , Princeffes , Comteffes de la Fa-
» mille Impériale & de toutes les Dames de
» la Cour , vient faire aufli fes profterna-
» tions à l'Impératrice-Mère , & avec le
même cérémonial . »
"
ود
C'est avec raifon que l'on regarde en Eu-.
rope le Code des Lois de la Chine comme
un des plus beaux monumens de l'efprit
humain. En accordant au Prince le titre fublime
& touchant de Père & de Mère de
l'Empire , cela lui rappelle fans ceffe la
manière dont il doit en ufer avec fon peuple.
Comme un père , il doit l'inftruire , le corriger
, le gouverner & pourvoir à fes befoins.
Comme une Mère , il doit foulager
fes maux , partager fa joie & fes peines , avoir
pitié de fon ignorance & encourager la bonne
volonté... Quant aux autres devoirs de l'Empereur
, la légiflation Chinoife les fait confifter
fpécialement , à rendre à l'Impératrice-
Mère tous lesfoins qui peuvent conferver fes
forces & fa fanté , & lui rendre la vie agréable;
à veiller avec foin fur l'éducation des
Princes , fes enfans ; à faire éclater fon
amitié & fa confidération pour fes frères ; à
chérir tous les Princes de fonfang; à honorer
DE FRANCE. 213
de
les Grands & les Gens en place ; àfaire grand
cas des Officiers fubalternes & des Chefs du
peuple; à aimer le peuple ; à protéger l'agriculture
& la rendre floriffante ; à diminuer les
impôts & les dépenfes ; à fecourir le peuple
dans les calamités ; à adoucir la rigueur des
fupplices ; à s'intéreffer de coeur aux gens
guerre; à honorer fes parens ; à craindre
Jervir & adorer le Chang- ti , comme père &
mère de tous les hommes ; à honorer & imiter
fes ancêtres ; à veiller avec foin fur l'enfeignement
; à conferver & augmenter le dépôt
de la doctrine; à s'affurer du mérite des Mandarins
; àfaire honneur aux Grands ; à maintenirfans
ceffe les trois Kang & les cinq Ki * ;
à honorer les gens de bien , & àflétrir les méchans
; à pourvoir à tout ce que demande
l'entretien de fa maifon & l'abondance publique
; à perfectionner les moeurs publiques ;
enfin àprofiter des repréſentations des Mandarins
& des Cenfeurs.
Il eft bon d'obferver , par rapport à cette
dernière obligation , que l'Empereur de la
Chine eft peut-être le feul Prince de l'Uni-
* Les trois Kang font les obligations réciproques
du père & du fils , du Prince & du fujet , du mari &
de la femme. Les cinq Ki font les devoirs mutuels
des pères & mères & des enfans à leur égard , des
frères & foeurs felon leurs rapports d'aîneffe , des proches
entre eux , felon leurs divers degrés de parenté
ou d'alliance , des maîtres & des écoliers , des fupérieurs
& des inférieurs , des amis enfin entre eux.
214
MERCURE
vers qui ait des Cenfeurs publics & d'office :
Le defpotifme , la tyrannie , l'abus le plus
effrayant du fouverain pouvoir par les Êmpereurs
, n'ont jamais pu ni fupprimer les
Cenfeurs , ni leur impofer filence. C'eſt prefque
l'unique chofe qui foit reftée aux Chinois
de leur ancien droit public ; mais ils
l'ont confervée en entier , & elle fupplée
prefque à tout ce qu'ils ont perdu . C'eſt aux
Cenfeurs qu'il appartient de corriger l'Empereur
de fes défauts , en lui faifant connoître
fes fautes ; d'empêcher qu'il ne fe laiffe ou
éblouir ou tromper par fes Miniftres & fes
Officiers , en lui révélant directement leur
incapacité , leur mauvaife- foi , leurs négli
gences à défendre la caufe du peuple & des
lois contre le crédit , les cabales & les intrigues.
Un tel emploi demande de grandes
connoiffances , beaucoup de fageffe , de pénétration
, de dextérité. Aufli n'eft- il confié
qu'à des Lettrés ou des Mandarins d'un mérite
reconnu. On en jugera par ce placet
adreffé à l'Empereur , au fujet des énormes
dépenfes d'une des Princeffes fes filles , &
où la force du raifonnement eft par-tout
jointe à la juſteffe & à la folidité des motifs .
ور
" La Kong-tchou , votre augufte fille
» Seigneur , eft digne de toute la tendreffe
» de votre coeur. Votre Majeſté ne fauroit
» trop étudier & méditer le choix d'un époux
digne de cette grande Princeffe ; mais ac-
» corder aux Officiers qu'elle charge de fes
» ordres de puifer à ſon gré dans votre tré-
ور
DE FRANCE. 215
, כ
و ر
ود
ود
ود
""
» for & dans tous vos magafins , confentir
qu'elle enchériffe de jour en jour fur les
» ornemens du palais qu'elle doit habiter ,
» lui permettre d'étendre les baflins de fes
jardins , & d'y accumuler de vains amufemens
, c'eft vous laiffer féduire , Sei-
" gneur , par votre tendreffe ; c'est trop
» écouter votre complaifance ; c'eft contre-
» dire ouvertement la doctrine de l'anti-
» quité , & démentir les fentimens du vérita-
» ble amour paternel. Craignez , Seigneur ,
craignez que cette affection immodérée
» ne devienne plus fatale à la Kong-tchou
" que ne le pourroit être une haine furieufe
» & emportée , & ne change en infortunes
& en larmes la vie heureufe qu'elle veut
lui procurer. Pourquoi l'expoſer aux
plaintes de ceux qu'elle charge de tant
» de travaux? Pourquoi l'expofer aux repro-
» ches de ceux dont elle confume les ri-
» cheffes ? Pourquoi l'expofer aux empor-
» temens de ceux dont elle trouble le repos ?
» Tous les fages de l'antiquité s'accordent à
le dire ces trois chofes énervent le cou-
" rage des gens de guerre , corrompent la
probité des Magiftrats , & diffipent le
peuple des villes & des campagnes. Com-
» ment votre tendreffe , Seigneur , pour une
feule perfonne , peut- elle aveugler Votre
Majefté au point de s'expofer aux malheurs
qui en feroient la fuite ? On n'a vu
jufqu'à préfent de palais , de terraffes &
» de plate-formes élevés que dans l'endroit
و د
و د
">
ود
و ر
و ر
ود
216 MERCURE
»
» où réfide la Cour. Si on les bâtit à Lo-
" yang , il y a tout à craindre que le luxe &
» la magnificence de la Cour n'y portent
leur ravage ; fous prétexte d'environner le
palais de jardins , & de creufer des baffins ,
» des réfervoirs & des canaux dans les jardins
, on empiétera fur les terres du peuple;
& les Colons dépouillés de leurs hé-
» ritages , feront réduits à la misère . »
و ر
و د
VOLTAIRE , Poëme lu à la Fête
Académique de la Loge des Neuf- Soeurs ,
par M. de Flins des Oliviers . A Ferney ,
& fe trouve à Paris , chez Efprit , au
Palais Royal , & chez les Marchands de
Nouveautés.
M. de Flins des Oliviers nous apprend ,
dans une note , que ce Poëme eſt ſon premier
effai , & qu'il n'a que dix -neufans .
On a fouvent dit qu'il faut juger avec la
plus grande circonfpection les Ouvrages dont
le temps a confacré la gloire : il feroit vrai
de dire , peut-être , qu'il faut juger avec plus
de réſerve encore les premières productions
qu'un jeune homme préfente au Public. Le
détracteur de Racine & de Voltaire décrie
fon goût , & voilà tout le mal qu'il fait ; des
critiques dictées par l'injuftice , & des éloges
donnés par la complaifance , peuvent faire
le malheur du jeune homme dont ils flattent
DE FRANCE. 217
tent ou perfécutent le talent ; ils peuvent
nuire même à la gloire des Lettres. Un Auteur
fans génie ne renoncera jamais à la réputation
qu'un Critique fans autorité lui
aura promife ; & dans l'impuiffance de fe
diftinguer parmi les Écrivains qui font l'honneur
de la Littérature , il ira fe confondre
parmi ceux qui en font le fcandale. Une
critique injufte ou trop dure , au contraire,
peut effrayer le plus beau talent dans ſa naiffance.
Cette même fenfibilité délicate de
l'imagination , qui fait l'Orateur ou le Poëte ,
fait trop fouvent un homme timide & fans
caractère. Un pédant peut donc enlever un
homme de génie aux Lettres. Si ce jeune.
homme a du caractère & du courage , ce qui
fe rencontre auffi quelquefois avec le talent ,
un plus grand malheur encore le menace.
On n'étouffera pas , fans doute , fon génie ;
mais on pourra dégrader fon ame. Alarmé
pour un inftant , il s'interrogera lui - même
avec plus de févérité encore qu'on ne le juge ;
& cet examen profond & rigoureux lui découvrira
, dans un moment , toute l'étendue
des talens qu'il doit avoir un jour. Il n'auroit
eu que de la confiance , il aura de l'orgueil.
L'amour de la gloire eût été pour lui
unfentiment doux & heureux qui eût échaufé
fon ame , pour l'ouvrir à toutes les affections
généreufes ; ce ne fera plus qu'une paffionterrible
& exclufive , qui le rendra indifférent
pour tout ce qui n'eft pas la gloire , & qui
Sam. 30 Octob. 1779.
K
218 MERCURE
lui faira haïr avec fureur tout ce qui paroîtra
s'opposer à la fienne. Ses confrères auroient
été les amis les plus chers à fon coeur : il ne
verra plus en eux que des rivaux qu'il doit
combattre & vaincre. Enfin il ira prendre fa
place dans la Littérature comme dans un
pays ennemi ; & les meilleures productions
de fon talent feront celles où il aura déposé
les fentimens de haine & de fureur qui auront
tourmenté & déshonoré la vie.
Quand les Critiques feroient de bonnefoi
, ce qui a toujours été fi rare , ils devroient
donc encore avoir le don de deviner le talent
dans fes effais , pour éviter les inconvé ·
niens de leurs fonctions . Mais c'eft dans fes
prodiges fur-tout que la Nature eft impénétrable
, & le génie eft le plus grand de fes
prodiges. Qui eût deviné l'Auteur du Tarruffé
& du Mifantrope , dans les canevas de
ces farces que Molière fit jufqu'à trente ans
pour des Théâtres de Province ? Les Frères
Ennemis annonçoient - ils Britannicus &
Athalie? Trois ou quatre ans avant de publier
le Difcours fur les Arts & les Sciences , qui
commença fa célébrité , Rouffeau de Genève
avoit envoyé à l'Académie de Corfe , un
Difcours où l'on n'apperçoit aucun germe
d'Éloquence & de Philofophie . Quel Critique
ne fe feroit pas cru obligé en confcience.
de lui prédire qu'il ne pourroit jamais être
ni un Philofophe ni un Orateur ? Avec quel
mépris il eût été traité par ces hommes au
DE FRANCE.
219
dacieux ou infenfés , qui ont infulté ce grand
Homme , depuis même qu'il a déployé tout
fon génie !
Juger l'ouvrage avec févérité & avec décence
, & n'avoir jamais la témérité d'affigner
des bornes au talent de l'Auteur; voilà l'unique
moyen d'éviter également , & le danger
de donner trop d'encouragement à un
talent médiocre , & le danger plus grand encore
d'effrayer & d'étouffer un vrai talent .
Si le Critique ofe jeter ſes regards fur l'avenir
, que ce foit pour y voir des fuccès plutôt
que des revers. Eh ! combien il faut avoir
de dureté pour ne montrer aucune indulgence
envers ceux qui , fe préfentant la première
fois dans la carrière , attendent & recueillent
en tremblant toutes les déciſions ,
& font heureux ou malheureux au moindre
mot d'éloge ou de cenfure ! Les premiers
effais du talent doivent s'embellir de l'efpérance
, comme les premières années de la
vie ; le jeune Orateur & le jeune Poëte doivent
paroître deſtinés à la gloire , comme le
jeune homme au bonheur.
C'eft dans ces difpofitions que nous allons
examiner le Poëme de M. de Flins des Oliviers
. Si nous fommes févères , ce ne
fera que par le defir de contribuer , autant
qu'il eft en nous , aux progrès d'un Auteur
dont l'âge infpire de l'intérêt , & dont l'ouvrage
peut donner des espérances.
M. de Flins n'a voulu faire aucun ufage
des fictions de la Mythologie pour célébrer
Kij
220 MERCURE
un Poëte Philofophe ; mais il eft difficile que
la Poéfie fe paffe de fiction. Il fuppofe donc
que la Vérité defcend du haut des cieux pour
venir le trouver dans la folitude où il médite
fur le Génie de Voltaire ; elle le conduit
dans fon temple , où font raffemblés les
grands Hommes de tous les fiécles , & lui
montre les Ouvrages de Voltaire dans une
fuite de tableaux.
Ce cadre n'eft pas heureux . D'abord il eft
très- ufé. On a peint mille fois le temple de
la Gloire , le temple de l'Amitié , le temple
de la Vérité , &c. &c. &c. &c. Quand on
veut feindre , il faut imiter. Il me femble
qu'on excuferoit bien plus aifement des idées
communes que des fictions ufées : on ne pardonne
pas à l'imagination de ne pas créer.
Pour motiver cette fiction , M. de Flins dit
de la Vérité ,
Elle cherche en fecret le Sage qui médite.
و
Et il ne s'eft pas apperçu , peut -être , qu'il ſe
donnoit ainfi lui-même , à dix-neuf ans
pour un Sage qui médite. Enfin , en prenant
le parti de ne rappeler des Ouvrages de Voltaire
que ceux qu'il eft poffible de voir dans
unefuite de tableaux , c'eſt ſe condamner à
ne faire aucune mention d'une foule des plus
beaux Ouvrages de ce grand Homme. Comment
retracer , par exemple , les Difcours
Philofophiques & la Philofophie de Newton
dans une fuite de tableaux ? Aufli M. de Flins
n'en parle- t'il pas du tout. Il eft donc clair
DE FRANCE. 221
que d'après fon plan , il lui étoit à peu- près
impoffible de traiter fon fujet.
M. de Flins paroît n'avoir pas encore
beaucoup étudié l'art d'écrire , que le talent
même ne fupplée pas. Ses vers n'expriment
pas toujours l'idée qu'il a voulu rendre.
Louis m'offre plus loin ſa vaſte deſtinée :
A fon char quarante ans la Fortune enchaînée ,
La terreur de fon nom & l'éclat de fa Cour,
Où la galanterie a détrôné l'Amour ,
Etalent vainemenr leur faftueufe image :
Ici , d'aucun éloge ils n'obtiennent l'hommage.
L'Auteur a voulu dire que Louis XIV étaloit
la faftueuſe image de la Fortune enchaînée à
fon char ; & dans la phrafe que nous venons
de citer , c'eft la Fortune enchaînée qui étale
La faftueule image . Il n'y a pas de quoi être
faftueux quand on eft enchaîné. Aufli n'eſt- ce
pas là ce que l'Auteur a voulu dire.
Cependant deux Héros , illuftres adverfaires ,
Me frappent tour -à - tour de qualités contraires ,
Charles-Douze & le Czar.....
Le Czar & Charles XII eurent des qualités
différentes , mais non pas contraires.
C'est même ce qui réſulte des portraits que
l'Auteur lui-même en trace enfuite.
Le cruel fanatifme , au moment qu'il fuccombe ,
Jette un cri d'allégreffe & fourit ſur ſa tombe ,
K iij
222 MERCURE
Médite en liberté de nouveaux attentats ;
Et court d'Olavidès ordonner le trépas .
L'Inquifitionn'a point ordonné le trépas de
M. Olavidès . Cette image , d'ailleurs , eft trèsbelle
; mais elle eft empruntée de l'éloge de
Defcartes, par M.Thomas, l'un des plus beaux
ouvrages que l'Eloquence ait produits depuis
qu'elle s'eft agrandie & élevée par la Philofophie.
M. Thomas peint l'Envie pourfuivant
Defcartes jufqu'à fon tombeau , & il
ajoute : là , elle s'arrête , & vole à Paris ,
où la Renommée lui dénonce Turenne & Corneille.
Son fiécle dérobant fon Éloge à l'Hiftoire ,
Devançant les arrêts de la postérité ,
Vivant , le fit jouir de l'Immortalité.
Cette dernière idée eft encore très -belle ;
mais elle eſt également empruntée. Il a affifté
àfon Immortalité , a dit M. Ducis dans fon
Difcours de réception à l'Académie Françoife
; & combien l'imitation paroît foible
auprès de cette fuperbe expreffion ! en Littérature
, il n'eft permis de voler que lorsqu'on
tue , a dit un homme de beaucoup d'efprit.
On a remarqué les vers fuivans dans le
Poëme de M. de Flins des Oliviers.
Elle dit je la fuis à fon divin féjour.
:
Les fublimes talens , citoyens de fa Cour ,
DE FRANCE. 223
Appréciés fans fiel , loués fans flatterie ,
Ici font honorés , même de leur patrie .
Sophocle , en cheveux blancs , charme la Grèce en
pleurs.
Là , Plaute , par le fel de fes bons mots railleurs,
Déride des Romains le grave caractèree ;
Le vieil Anacréon rit près du vieil Homère ;
Tacite furprenoit de fes yeux pénétrans
Tous les crimes cachés dans l'ame des tyrans ;
Lucrèce , s'égarant fur les pas d'Épicure ,
De l'empire des Dieux affranchit la Nature ;
Ovide confacroit en vers ingénieux
L'enfance de la terre & l'hiftoire des cieux ;
Poëte Philofophe , à leurs côtés , Horace
Marioit dans ſes vers la raiſon & la grâce ;
Près d'eux , le vieux Corneille , en habit de Romain,
Lève fon front augufte , & montrant d'une main
L'urne que de fes pleurs arrofe Cornélie ,
De l'autre le poignard de la fière Émilie ,
Règne , premier honneur de fon fiécle naiffant ,
Sur un trône inégal , loin de lui ſe plaçant ,
Crébillon trop vanté , qui s'élève & s'égare ,
'Terrible , offre les traits d'une beauté barbare.
Virgile , avec Racine , y préfide à jamais.
Égaux dans leurs beautés , reffemblans dans leurs
traits ,
Ils enfeignent tous deux à leur langue enhardie
Du ſtyle pur & vrai la ſageſſe hardie.
K iv
224
MERCURE
Chacun de ces vers exprime avec préci
fion l'idée que l'Auteur a voulu rendre ; les
derniers peignent d'une manière affez neuve
le caractère particulier du ftyle de Virgile &
de Racine . On voit que M. de Flins en parle
d'après un fentiment qui lui eft propre , &
c'eft un heureux préfage pour un jeune
Poëte..
Homme né pour la gloire , ( Charles XII ) auftère ,
généreux ,
Admiré des fujets qu'il rendit malheureux.
Ce dernier vers nous paroît très -beau , &
doit être fur- tout remarqué dans l'ouvrage
d'un jeune homme de dix-neuf ans.
J'apperçois dans le fond de l'enceinte facrée ,
Seule , & d'un demi-jour foiblement éclairée ,
Cette femme - héros qui fauva mon pays ;
De fes mâles attraits je vis Dunois épris ;
Agnès m'intéreffa par fes douces foibleffes ;
A fon timide amant j'enviai ſes careffes .
J'allois porter plus loin mes regards curieux ;
La pudeur mit fon voile au-devant de mes yeux.
Ces vers , fur un ouvrage dont il eft fi difficile
& de parler & de ne pas parler dans
l'Éloge de Voltaire , nous paroiffent à la
fois ingénieux , délicats & poétiques.
En général , nous croyons que le Poëme de
M. de Flius , malgré le grand nombre de
fautes qui le défigurent , donnera l'idée d'un
efprit qui a le befoin de penfer , & d'un
DE FRANCE. 225
homme qui a reçu de la Nature des organes
fenfibles aux belles formes de la Poéfie.
BIBLIOTHÈQUE du Nord , Tomes X & XI,
A Paris , chez Quillau , Imprimeur de
S. A. S. Mgr le Prince de Conti , rue du
Fouarre.
>
Il n'y a pas plus de vingt ans que la Littérature
Allemande étoit abſolument inconnue
en France , & qu'on n'en parloit même
qu'avec une forte de mépris ; car il eſt toujours
beaucoup plus aife de méprifer que de
s'inftruire. Ce fut le Journal Étranger , ouvrage
que nous avons dû pendant trop peu
de temps au travail réuni & aux connoiffances
variées de deux Académiciens * qui
contribua d'abord en grande partie à répandre
le goût de cette Littérature. On eft revenu
bientôt de l'injufte préjugé que les Allemands
n'étoient pas capables d'ouvrages
d'imagination . Nous avons lu avec délices
les traductions de Geffner , & nous avons
retrouve dans Klopftock le genie fublime de
Milton. Mais il faut être de bonne foi : les
Allemands ont peu de ce qu'on appelle ou
vrages de goût ; foit que la Nature ne les ait
pas fi généralement portés vers ces objets- là ,
foit que l'education leur ait refufé les fecours
néceffaires. Les longueurs & les fuperfluités
rendent faftidieufe la lecture de leurs Ro-
M. l'Abbé Arnaud & M. Suard.
Kv
226 MERCURE
mans ; leurs Poéfies péchent par un entaffement
d'images qui n'eft autre chofe qu'une
ftérile abondance ; & quant à la Littérature
férieuſe , elle eft encore un peu hériffée , &
quelquefois même favamment frivole à force
d'être recherchée. Au furplus , la Bibliothèque
du Nord , qui a donné lieu à ces réflexions
, a pour but de faire connoître en
France tout ce que le Nord & l'Allemagne
produifent d'intereffant , d'agréable & d'utile
dans tous les genres de Sciences , de Littérature
& d'Arts. On fent combien cette
Collection Périodique eft utile , & combien
elle doit être diftinguée de tant d'autres.
Recueils de cette efpèce. On foufcrit chez
Quillau , Imprimeur , rue du Fouarre , &
chez M. Roffel , Membre de la Société Patriotique
de Heffſe-Hombourg & de Suède ,
Rédacteur de cet Ouvrage , rue de la Perle ,
au Marais.
**
Voici les matières contenues dans les
Tomes X & XI. Gloffologie ; à Meffieurs
Les Journalistes du Nord. Poéfie : le Prix du
Temps ; à une jeune Veuve ; à Elisène ; à
Mde F.; Stances à Sophie ; à Mde D. L. P.;
à Mde ; les Reffources de la Vieilleffe ,
Stances ; les Peines de l'Abfence , Madrigal.
Morale : le Négociant Philofophe. Romans :
Hiftoire Matrimoniale de Philippe - Pierre
Marks. Académies : Correfpondance Acadé
mique. Éloquence : Difcours prononcé à
Académie de Saint- Pétersbourg , le 29 Désembre
1776.. Biographie : Mémoire Hiftori
DE FRANCE, 227
quefur Jean-Baptifte Bécoeur. Antiquités : du
courageux mépris de la mort propre aux Héros
du Nord. Hiftoire Naturelle : Effaifur l'Hif
toire de Pologne ; mes Idées fur l'Education
du Sexe. Tome XI .: Difcours fur l'Homme
confidéré en lui-même , & en particulier du
côté de l'Ame; Hiftoire Matrimoniale de P.
Ph. Marks ; Éloge de feu M. Winkelmann ;
Mémoires de l'Académie Electorale des
Sciences Utiles de Mayence , établie à Erford
, Tomes I & II , 1777 & 1778 in- 4º .;
Chanfons de deux Amans , publiées par
M.
Gachink , à Leipfic , 1777 ; Suite des Scènes
de la Vie d'Alcibiade ; la Liberté de penfer
& d'écrire , à Vienne , 2 vol . in -8 ° . Profpectus
: Bibliothèque Politique , Eccléfiaf
tique , Phyfique & Littéraire de France , ou
Concordance de nos Hiftoriens , depuis les
temps fabuleux jufqu'à préfent, ouvrage dédié
à la Nation , par une Société de Gens de
Lettres.
N. B. Plufieurs difficultés qu'on vient
d'applanir , ont caufé à la Bibliothèque du
Nord quelques retardemens , dont on a eu
lieu de fe plaindre. Les mefures qu'on a
prifes empêcheront que le Public n'éprouve
à l'avenir de femblables défagrémens . Tous
les Volumes fe fuccéderont déformais les
uns aux autres fans aucune interruption..
Evj
228 MERCURE
SUITE de l'Extrait du Livre de M. Dufaulx ,
fur la Paffion du Jeu .
Jufqu'ici nous n'avons examiné que le but
moral de cet ouvrage ; il nous refte à rendre
compte de la manière dont il eſt écrit. On
fe fouvient encore du difcours que M. Dufaulx
a mis à la tête de fa traduction de
Juvénal ; il paffe , à jufte titre , pour un
morceau de littérature diftingué par la
force & la correction du ftyle . On va juger
par ceux que nous allons tranfcrire , fi l'Auteur
a dégénéré , & s'il eft moins recommandable
fous ce point de vue que fous
le premier.
"
و ر
" On a débauché le malheur , & c'étoit ,
» difoit-on , pour le foulager : ce prétexte
» fut trop fouvent la caufe des extorfions.
» les plus criantes. Ruiner le peuple , pour
» lui donner quelque jour un lit à l'Hôpi-
» tal : honteufe & miférable reffource , in-
» connue aux anciens politiques , qui fe piquoient
moins d'humanité que les nôtres !
Lorfqu'on facrifie ainfi le bien public à
» des égards particuliers , lorfqu'on a l'im-
» prudence de jouer , à coup fûr , contre les
Citoyens déjà furchargés d'impôts , on doit
» s'attendre à tout. » Pag. 102 .
גכ
23
"
ور
" On a vu des Joueurs refter trois , qua-
" tre , & quelquefois cinq jours de fuite ,
» affis à la même table de jeu. Ils ne veil-
" loient pas ; ils ne dormoient pas non plus :
DE FRANCE. 229
» leur état reffembloit à l'infomnie d'un cri-
» minel rêvant à la torture. On les a vus
» dans ce long fupplice , dont quelques- uns
» ont expiré , prendre furtivement , de la
» main des Valets , de quoi fe fubftanter ,
» & vaquer en murmurant aux befoins na-
» turels. Il eft bien queftion de ces misères
difoit l'un d'eux , ne perdons point de
temps. N'eft - il pas permis de s'écrier :
» N'EST-CE- LA QUE DE LA FUREUR ? » P. 27.
"3
Que devient l'ame dans ces féances orageules
, où , battue de toutes parts , elle
n'obéit plus qu'à des impulfions fondai-
" nes ? Croyez-vous qu'un Joueur foit alors
" le maître de s'arrêter ? Dites donc à celui
qui , les yeux fermés , fe précipite dans
» un abyfme , dites- lui de s'arrêter au milieu
de fa chûte. » Pag. 88.
و ر
»
Nous ne voulons pas qu'on nous ruine
» à coup für ; mais nous capitulons volon-
» tiers avec l'infamie , pourvu qu'elle ait
» du credit & de l'argent , pourvu qu'elle
» procure ou vende des plaifirs , & fur- tout
qu'elle amufe. On s'ennuic tant , qu'on
s'amufe du crime. » Pag. 181 .
""
23
"
" Cafimir , Roi de Pologne , fut vivement
» outrage par un Officier qui venoit de per-
» dre tout fon bien contre lui . L'Officier
prend la fuite , on le ramène. Le Roi
l'attendoit en filence au milieu de fes
» Courtifans. Mes amis , leur dit- il , en le
» voyant reparoitre , cet homme eft moins
و د
"3
coupable que moi : j'ai compromis mon
230 MERCURE
" rang ; je fuis la caufe de fa violence , &
» le premier mouvement ne dépend pas de
» nous. Puis , s'adreffant au criminel : tu te
» repens , il fuffit ; reprends tes biens , & ne
» jouons plus. » Pag. 262.
" Que les honneurs de la Cour & de la
» Ville , que les emplois foient refuſés aux
» Joueurs incorrigibles , & je répons qu'on
» les rendra plus circonfpects. Sijejoue,fije
"
»
>
laiffejouer monfils, monfils & moi neferons
" rien. Le Roi l'a dit. Cette confidération
dans un pays tel que le nôtre , feroit plus
puiffante que des Lois , des Livres & des
» Sermons. " Pag. 273 .
"
و د
" Le père de famille qui m'aura bien
» compris , tremblera moins déformais fur
» le fort d'un fils unique affrontant la mort
» dans les combats , ou voguant à travers
» les flots d'une mer agitée ; il tremblera
❞ moins , vous dis-je , que s'il le favoit
» plongé dans le bourbier du jeu. » P. 100.
Mais le ſtyle de cet ouvrage n'eft nulle part
mieux foigné que dans une eſpèce de paraphrafe
de l'Édit du dernier Empereur de la
Chine . Là , M. Dufaulx paroît s'être ſurpaffé
lui-même. Nous n'en pouvons citer
que quelques articles ; mais ils fuffiront pour
infpirer le defir d'en connoître l'enſemble ..
Ne forcez pas votre Empereur , qu
n'eft en effet que votre père , à n'être plus
» qu'un Juge ... Moi qui vois tout , qui
entends tout du fond de mon palais , &
qui veille , le plus fouvent , quand le
»
و د
"
DE FRANCE. 231
י ל כ
99
>
crime ourdit fa trame dans les ténèbres
moi qui , vous le favez , détefte le menfonge
plus que je ne crains la mort , j'af-
» firme qu'il n'eſt point de manie plus fé-
» conde en calamités publiques & fecrètes
» que celle du jeu. Oui , j'affirme qu'il n'eft
point d'hommes plus âpres que les Joueurs,
plus enclins au mal : ils fe feroient horreur
» s'ils fe connoiffoient mieux. Je les con-
» nois ; écoutez donc ? Pourquoi le voleur
» & le Joueur , qui lui reffemble à tant
d'égards , continuent-ils prefque toujours ?
» Hélas ! c'eft qu'ils ont commencé .... Les
infenfés ! que veulent-ils ? qu'efpèrent- ils ?
» nous ruiner impurément ? La ruine , à ce
métier , eft le partage du plus grand nom-
» bre. Ceux qui profpèrent aujourd'hui ,
» demain feront dans la misère. Cependant
» ils triomphent ; ils ne doutent plus de rien ,
lorfqu'ils ont dépouillé quelqu'un : atten-
» dez , ils feront dépouillés à leur tour.
ود
"
"
ود
ود
» Je défends le jeu . Si quelqu'un brave
» mes ordres , il bravera la Providence qui
» n'admet rien de fortuit ; il contredira le
» voeu de la nature qui nous crie : eſpérez ,
» mais travaillez ; les plus actifs feront les
» mieux traités .
» Si j'étois mieux fecondé , le foleil ne
» verroit pas un pauvre dans l'étendue de
mon Empire . Mais que peut la volonté
» d'un feul contre les volontés ambitieufes.
» & difcordantes de tant de millions d'hom-
» mes qui ne foupirent qu'après le fuperflu ,
232 MERCURE
» dont la mefure ne fe comble jamais ? C'eft
» ce foupir éternel , ce font ces voeux infa-
» tiables qui font les Joueurs , qui les prof-
» ternent aux pieds de leurs idoles , comme
» fi le fort , le hafard, ou le deftin leur de-
» voient des préférences , ou plutôt comme
fi ces êtres fantaftiques avoient des yeux
» & des oreilles pour les voir & les en-
❞ tendre. p. 294 , 300. »
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Vendredi 22 de ce mois , on a donné
la première repréſentation de la repriſe
d'Alcefte , Tragedie- Opéra en trois Actes ,
paroles de M... , Mulique de M. le Chevalier
Gluck .
Le fuccès de cette repréſentation , la feule
dont nous puiffions rendre compte , a été
proportionné plutôt au mérite de l'ouvrage
qu'à celui de l'exécution. Les choeurs furtout
ont laiffé beaucoup à defirer. Il faut efpérer
que les repréfentations qui vont fuivre
leur donneront , ainfi qu'à quelques uns des
fujets chargés des perfonnages acceffoires ,
cet accord & cet enfemble fi néceffaires à
l'illufion théâtrale & aux plaifirs de l'oreille.
Mlle Levaffeur a très - bien rendu , à beaucoup
d'égards , le rôle très fort & très-
-
DE FRANCE. 233
difficile d'Alcefte. Nous avons remarqué
plufieurs fois qu'elle fe livroit de temps en
temps à des éclats qui nuifent à la jufteffe de
fa voix & à la dignité de fon maintien ; nous.
l'invitons à y prendre garde. Cette attention
ne peut qu'ajouter à l'effet de fes talens , qui
font d'ailleurs très-juſtement eftimés.
M. Larrivée a joué le rôle d'Hercule avec
la chaleur , l'énergie & l'intelligence qui lui
font naturelles.
M. le Gros a mérité des éloges dans plufieurs
endroits du rôle d'Admette ; mais les
cris effrénés qu'il pouffe à la fin de la troifième
Scène du fecond Acte , ne font- ils pas
condamnables ? Certainement , quand Admette
apprend , de la bouche même de fon
époufe , qu'elle s'eft livré eau trépas pour conferver
fes jours ; fon ame doit être agitée du
plus grand défefpoir , & les accens que l'Auteur
de la Mufique a prêtés au perfonnage
dans cette fituation , exigent de la force &
de la chaleur. Faut il pour cela détruire l'effet
de la Scène par des hurlemens qui déchirent
l'oreille fans aller à l'ame , & marquer la
douleur exagérée d'un Roi , par l'expreflion
qui pourroit convenir à la fureur d'un homme
fur la roue ? Non fans doute. Tout s'y oppofe ;
la dignité indifpenfablement attachée au perfonnage
, les règles de l'art , l'intérêt même
de M. le Gros . Encore quelque temps de ces
excès , & il auroit bientôt dénaturé le plus
bel organe , la voix la plus agréable qu'on ait
234
MERCURE
peut-être jamais entendus fur le théâtre de
Polymnie.
M. Durand a chanté le rôle du Grand-
Prêtre.
Les Ballets du fecond Acte ne font pas ce
qu'ils devroient être. Nous ignorons le nom
du Compofiteur ; mais nous fommes trèsétonnés
qu'il ait placé un fimple pas de deux
au moment où Alcefte chante à part ce morceau
fi touchant : O Dieux ! foutenez mon
courage. L'intention des Auteurs ne peut être
que les plaintes d'Alcefte foient entendues ,
au contraire; fi elle ne fe les permet pas pendant
une danfe un peu bruyante , les perfonnages
qui l'entourent doivent néceffairement
les entendre , & l'illufion n'exifte
plus.
M. Veftris père , Mlles Heinel , Allard &
Peflin ont été univerfellement applaudis &
ont mérité de l'être. Leurs talens font connus ,
les nommer , c'eft faire leur éloge. Mais
nous en devons un particulier à M. Veftris
fils , qui tous les jours ajoute à l'idée qu'il
avoit donnée de lui-même.
DE FRANCE. 235
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Dimanche 17 de ce mois , Mlle Sainval
cadette , que des circonftances avoient écartée
du théâtre une feconde fois a reparu par
le rôle d'Ariane dans la Tragédie de ce nom .
Elle a été reçue avec des tranfports qui
annoncent , d'une manière très-flatteufe pour
fon amour-propre , le prix que le Public attache
à fes talens. Nous pourrions lui faire
quelques obfervations , mais nous croyons
encore devoir garder le filence fur les défauts
que nous appercevons en elle de temps en
temps ; défauts qui cependant ne peuvent
nuire en aucune façon aux applaudiffemens
qu'on lui prodigue à jufte titre , & qu'elle
méritera toujours par une belle intelligence
& la fenfibilité la plus exquife. M. Préville
eft auffi rentré le Dimanches 24, par le rôle
de Griffet , dans Efope à la Cour.
SCIENCES ET ARTS.
UN Fondeur de la ville de l'Aigle , en Normandie
, avoit préfenté à l'Académie Royale des Sciences ,
des Cafferoles & Uftenfiles de cuifine , dans l'atliage
defquels entre le ginc ; mais l'Académie n'ayant
pas cru devoir rien prononcer de décifif fur les propriétés
médicinales de cette fubftance , cet Artiſte
vient de s'adrefer à la Faculté de Médecine , Juge
236 MERCURE
compétent à cet égard . Le rapport de MM . Darcet ,
Bertrand , Sallin , de Villiers , Alphonfe le Roi & de
la Planche , nommés Commiffaires , renferme des
expériences d'après lefquelles il réfulte que le zine
pris à des dofes capables de rendre les ragoûts même
très -défagréables , ne produit aucun effet dange
reux. On a donné pendant quarante jours de fortes
quantités de ce demi -métal dans l'état de chaux ,
dans l'état de diffolution & fous la forme faline , à
quatre animaux , qui ont pris de la force & de l'embonpoint.
M. de la Planche , un des Commiffaires ,
ne voulant point compromettre le jugement que la
Faculté devoit porter par l'organe de fes Commif
faires , a cru devoir prendre lui - même , pendant onze
jours , des dofes graduées de zinc ou de ſes préparations
; il en a excédé la doſe , & l'a portée beaucoup
au-delà de ce que les fauces les plus piquantes ,
préparées dans ces cafferoles peuvent en diffoudre ,
fans qu'il en foit réfulté le plus léger inconvénient.
On fait d'ailleurs que M. Tronchin emploie avec
fuccès dans fa pratique, la chaux & les fleurs de zinc .,
M. de la Folie avoit déjà raffuré par un long ufage
des cafferoles zinquées , contre les vertus nuifibles dont
on foupçonnoit cette fubftance. M. le Lieutenant
Général de Police , defirant qu'on pût fixer l'opinion
du Public à cet égard , a fait faire auffi des expériences
dont le réſultat eft abfolument le même , c'eſtà-
dire , que les hommes & les animaux nourris avec
des dofes graduées de zinc , n'en ont éprouvé aucun
accident.
GRAVURES.
TROTS Eftainpes gravées par Lempereur , d'après
trois des plus beaux Tableaux de Boucher , dont M.
le Duc de Penthièvre eft poffeffeur . Ces fujets font
tirés de l'Aminte du Taffe. Le premier repréſente
DE FRANCE. 247
>
Finftant où , témoin de la guérifon de Philis ,
Aminte forme le projet , pour fatisfaire fon amour ,
de feindre d'avoir auffi été piqué par une abeille.
Tandis que Sylvie eft occupée à fecourir fa compagne
, il défigne par un gefte le ftratagême
amoureux qu'il lui prépare.
Le fecond offre l'inftant où Aminte défefpéré
de la mort de Sylvie , vient de fe précipiter du haut
d'un rocher. Un Médecin lui adminiftre les fecours
de fon Art. Sylvie , jufqu'alors infenfible , s'attendrit
en fa faveur , elle le reçoit dans fes bras , il eft ranimé
par fes larmes , & l'Amour affure le bonheur
des deux amans. Ces deux Eftampes ont chacune environ
dix - huit pouces de hauteur & autant en
largeur.
La troifième , de 16 pouces de large fur 20 de
haut , repréfente Sylvie fuyantle loup qu'elle a bleffé
& laiffant fon voile daus les broffailles.
Pour faire l'éloge de ces nonveaux ouvrages , il
fuffit d'annoncer qu'elles fortent du burin de M.
Lempereur.
La Marchande de Pommes , d'après un deffin de
M. Amant , Peintre du Roi ; & la Marchande de
Marons , d'après un Tableau de M. Schall ; deux
Eftampes failant pendant , toutes deux gravées par
François Guérin. Prix , 1 liv. 4 fols chacune. A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Tournon , maiſon du Journal
de Littérature.
Carte Générale des Ifles de Jerfey , Grenefey
Aurigny, &c. pour fervir à connoître leurs pofitions
fur la côte de Normandie , avec une carte particulière
& très-détaillée de l'Ifle de Jerfey , de celles de
Grenefey & d'Aurigny , levée fur les lieux par les
Ingénieurs de Sa Majefté Britannique. Les forts
châteaux & batteries font exactement marqués , ainfi
23S MERCURE
que les courans , fondes , bancs , rochers , & c . L'Auteur
a joint une Defcription Hiftorique & Géographique
à chacune defdites Ifles. Cette Collection
forme cinq Feuilles , & fe vend douze livres . A
Paris , chez M. Beaurin , rue Gît-le - Coeur Saint-
André.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Livre de tous les Ages , ou le Pibrac Mo
derne , Quatrains moraux , par M. P. Sylvain Maréchal
, Avocat au Parlement. A Cosmopolis , & fe
trouve à Paris , chez Cailleau , Imprimeur- Libraire ,
rue S. Severin , 1779. petit in - 12 . de 206 pages.
Cette bagatelle morale annonce un ami de la
vertu , & mérite l'accueil des familles honnêtes . Ce
font des fentences renfermées en quatre vers. Les
enfans les apprendront facilement , les retiendront ,
& l'impreffion n'en peut être que favorable aux
moeurs . Ils font accompagnés d'un Commentaire
trop court pour charger la mémoire , & affez jufte
pour frapper un efprit que les paffions & les préjugés
n'ont point encore corrompu.
Suite des Entretiens fur l'État actuel de l'Opéra
de Paris , ou Lettres à M. S... Auteur de l'extrait
de cet Ouvrage dans le Mercure , fe vend au Palais
Royal , chez Esprit , Libraire. Brochure in - 89.
Eloge de Suger, par M. ** , in 8 ° . A Paris , chez
Demonville , Imprimeur-Libraire , rue S. Severin .
Recherches fur la caufe des affections Hypocondriaques
, appelées Vapeurs , par M. Claude Revillon
, in - 8 ° . A Paris , chez la Veuve Hériffant ,
rue Notre-Dame,
DE FRANCE. 239
Hiftoire Eccléfiaftique de Bretagne , par M. Deric ,
Tome III . in- 12 . A Paris , chez Valade , Imprimeur-
Libraire , rue des Noyers,
Ah! ah! encore une Critique du Sallon ! Prix ,
1 liv. A Paris , chez les Libraires qui vendent des
Nouveautés.
Éloge du Dauphin , par M. l'Abbé Proyart. in - 8 ° .
A Paris , chez Vente , Libraire , Montagne Ste Geneviève
, & Mérigot , Libraire , Quai des Auguſtins.
Differtation Académique fur la Fièvre Miliaire ,
par M. Duprés de Lifle . in - 8 ° . A Paris, chez Couturier
père & fils , Libraires.
La Médecine Militaire , Par M. Portius , in - 12. A
Paris , chez Barrois l'aîné , Quai des Auguſtins.
Defcription Hiftorique de Paris & de fes plus
beaux monumens , gravés en taille- douce par Martinet
fils , pour fervir d'introduction à l'Histoire de
Paris & de la France , par M. Béguillet. Vol. in- 8 ° .
A Paris , chez l'Auteur , rue S. Jacques , maifon de
la Veuve Duchefne , & au Bureau de la Bibliothèque
de France , rue S. Severin .
Obfervations fur la nature & le traitement de la
"rage , par M. Portal . in - 8 ° . A Paris , chez Didot le
jeune , & chez Méquignon , rue des Cordeliers.
Annales Poétiques , depuis l'origine de la Poéfie
Françoife , Tome XIII . A Paris , chez les Éditeurs ,
rue S. Nicaife , vis- à- vis le Magafin de l'Opéra , &
' chez Delalain l'aîné , Libraire , rue S. Jacques.
Éloge de Suger , par M. l'Abbé Jumille . A
Paris , chez Valade , Imprimeur - Libraire , rue des
Noyers.
240
MERCURE
Explication du Tableau des Mathématiques , pan
M. Delifle , Maître d'Hydrographie au Havre. A
Rouen , chez la veuve Befogne , Imprimeur- Libraire.
Le Mort vivant au Salon. A Baris , chez Quillau ,
Imprimeur- Libraire , rue du Fouarre.
La Comteffe de Suède , Ouvrage traduit de l'Allemand.
Deux Parties. in- 12 . A Paris , chez Valade ,
Imprimeur-Libraire , rue des Noyers.
La Religion des Bramines , fuivie d'une expédition
générale de l'état actuel de l'Indoftan , Ouvrage
traduit de l'Anglois, in - 12 . A Paris , chez Saugrain
Lamy & Barrois , Libraires , quai des Auguftins.
TA, BL E. 鎏
IMITATION du Pervigilium Bibliothèque du Nord ,,
Veneris ,
229
193 Suite de l'Extrait fur la Paf
Abouzaid , Comte Oriental fion duJeu , 2 228
196 Académie Roy. de Mufiq. 232
Enigme & Logogryphe , 204 Comédie Françoife ,
Mémoires concernant l'Hif Sciences & Arts ,
toire , les Sciences , &c . des Gravures ,
Chinois
Voltaire , Poëme ,
J'AI J.
206 Annonces Littéraires ,
2161
APPROBATION.
235
ibid.
236
238
Ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Afercure de France , pour le Samedi 30 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreßion. A Paris ,
se 29 Octobre 1779. DE SANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE,
DE SMYRNE , le 9 Août.
و
M. AMOREUX , Conful de France en cette
échelle , M. Amé qui paffe du Confulat de
Napoli de Romanie à celui d'Alep & M.
de Jonville , ci - devant Vice - Conful de Morée
, nommé Conful à Roffette , arrivèrent
ici le 17 du mois dernier , à bord d'une
caravelle Turque ; les deux derniers attendent
ici l'occafion de quelques bâtimens
neutres pour fe rendre à leurs deftinations .
Cara Ofman Oglou , Aga de Kirkagats ,
qui a rempli ici la charge de Muffelim
eft arrivé avant-hier avec toute fa famille :
il a frété auffi- tôt un bâtiment Vénitien fur
lequel il vient de s'embarquer pour Alexandrie
, d'où il fe rendra au Caire pour
fe joindre à la caravane qui va à la Mèque.
Sa dévotion a moins de part à ce
pélerinage que fon avarice alarmée à l'approche
du Capitan- Bacha . La crainte de fe
voir enlever les tréfors par ce Vice -Amiral ,
l'a décidé à ce voyage religieux ; il les emporte
avec lui.
» Il est arrivé cette anné à Suez , écrit-on du
Caire , en date du 30 Juin dernier , quatre vaif-
2 Octobre 1779. a
( 2 )
feaux Européens venant des Indes ; ſavoir , deux
Anglois , un Hollandois & un Danois . M. Van de
Velden , Hollandois ci - devant au fervice de la
Compagnie de fa Nation , qu'il avoit quitté fans
qu'on en fache les raifons , pour le réfugier à
Calcutta , où il s'étoit mis fous la protection
des Anglois , s'embarqua dans ce dernier Port
pour fe rendre à Suez , à bord d'un Navire
qui lui appartenoit & qu'il avoit chargé pour
fon compte de diverfes fortes de marchandifes des
Indes. Arrivé à Suez , il fe mit en route avec M.
Barrington , Capitaine de fon Navire , quelques autres
Anglois & François pour fe rendre par terre au
Caire ; a 25 milles de Suez , il fut attaqué par les
Arabes , qui lui ôterent la vie , dépouillèrent fes
Compagnons de voyage , & s'emparèrent de 400
Chameaux chargés de marchandifes pour la valeur
d'un million de piaftres. De neuf Européens , il n'y
en a eu que quatre de fauvés ; les autres ayant péri
miférablement de faim & de foif dans le défert , où
ils avoient été abandonnés tout nus à l'ardeur du
foleil . Le baſard en a conduit heureuſement trois à
Suez , & le quatrième , qui étoit un François , n'y eft
arrivé que le 18 de ce mois , trois jours après que
la caravane a été enlevée . Ce dernier doit la vie à
un honnête Arabe qui en a pris foin & l'a conduit
ici dans la vue d'être bien récompenfé . Ce François
raconte qu'il a reſté deux jours dans ce brûlant défert
fans boire ni manger, & que dévoré d'une foif ardente
, il n'avoit pu l'étancher , qu'en buvant fa propre
urine. Le Gouvernementa promis de grandes récompenfes
à quiconque pouroit ramener les autres
Européens qui font reftés dans le défert ; on en a retrouvé
deux , morts , dafféchés , défigurés , & à demi
dévorés par les bêtes féroces ; il y a dieu de croire
que les autres ont fubi le même fort. On attribue
la caufe de ce malheur au Bey de cette Ville qui a
voulu employer fes propres Chameaux au tranſport
( 3 )
des marchandifes de Suez au Caire , & ôter par-là
aux Arabes le moyen de gagner leur vie . Ceux - ci
pour s'en venger , réfolurent d'attaquer la Caravane
& de s'en rendre maîtres. On prétend qu'une partie
des marchandiſes fera rendue , mais on n'ofe encore
l'efpérer quoique le Gouvernement paroiſſe fort
porté à faire recouvrer leurs biens aux Européens .
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 24 Août.
LE Grand-Duc & la Grande-Ducheffe font
attendus aujourd'hui de Czarsko - Zélo ; ils
doivent affifter cet après-midi à l'Affemblée
annuelle de l'Académie Impériale des Sciences
, & enfuite aux exercices du Corps des
Gadets. Les Ambaffadeurs & les Miniftres
étrangers ont été invités à y affifter.
On affure que le voyage de la Cour pour
Mofcou n'aura pas lieu cette année ; on
prétend que l'année prochaine l'Impératrice
avec une fuite peu nombreuſe fera une
tournée dans les principales Provinces de
eet Empire , pour y examiner elle - même
l'effet des nouveaux arrangemens qui y ont
été introduits en vertu des Ordonnances de
1775. LL. AA. II. , ajoute- t- on , l'accompagneront
dans ce voyage qui fera de trois
mois.
La force de cet Empire augmente journellement
; la population devient plus nombreufe
; plufieurs contrées autrefois défertes
, fe couvrent infenfiblement d'habitans
qui les cultivent , & que la tolérance
a 2
( 4 )
attire de toutes les parties de l'Europe ; le
commerce fleurit & prend une nouvelle
activité. L'état militaire a acquis des accroiffemens
fucceflifs , qui l'ont mis fur le pied
le plus formidable. Les progrès de la marine
qui doit la création à Pierre le Grand ,
ont été fi rapides , qu'on compte actuellement
dans les différens ports de l'Empire
180 , tant vailleaux de guerre , que frégates ,
galiotes & autres bâtimens armés de moindre
grandeur. L'armée de terre monte à.
331,991 hommes. L'entretien de pareilles
forces doit coûter des fommes prodigieufes ;
cependant la maffe des impôts n'a point
augmenté ; les emplois rapportent plus
quils ne faifoient autrefois , & le tréfor Impérial
continue de fournir de grands fubfides
au Roi de Pologne , & deux millions
de roubles à l'entretien des fondations nombreufes
faites par S. M. I. On conftruit
journellement des Edifices publics ; & pour
l'avancement des Arts , on achette fans ceffe
& l'on accumule , pour ainfi dire , des tableaux
précieux , des raretés fans nombre.
Le Théâtre que l'on bâtit , lorsqu'il fera
achevé , fera un des plus beaux de l'Europe .
POLOGN Ë. VI E.
{
De VARSOVIE , le 4 Septembre,
LE Confeil- Permanent a repris fes féances
le 31 du mois dernier , La Commiffion
du Tréfor a fait vendre une quantité confidérable
de tabac qu'avoit fait venir clandeftinement
le Tréforier du Prince général
de la Podolie , & qui avoit été faifi . Il a
fallu de grandes protections à cet Officier
pour éviter une punition exemplaire ; il en
a été quitte pour la confifcation de fa marchandife
, qui a été vendue 20,000 florins
de Pologne.
Quelques Marchands arrivés de Choczim raprapportent
qu'un Aga qui s'étoit barraqué hors de
cette Ville avec les Spahis à fes ordres , conte
noit fi peu ces troupes dans la fubordination
qu'elles commettoient des excès & des briganda.
ges qui rendoient les routes dangereufes aux voyageurs.
Sur les plaintes qui furent portées au
Grand- Seigneur , le Bacha de Choczim reçut ordre
de punir l'aga. Pour l'exécuter , il l'invita à
venir dans la Ville ; après lui avoir d'abord préil
lui montra l'ordre
du Sultan. L'Aga confterné eut recours aux prieres
, & offrit mille bourses d'écus au lion pour
obtenir la vie & la liberté ; mais l'inexorable Bacha
fit conduire le coupable dans les écuries
où on lui coupa la tête . Cette tête fut falée fur
le , champ & envoyée à Conftantinople.
fenté des rafraîchiffemens c
,
,
Depuis que l'Impératrice de Ruffie a procuré
un état fixe aux Jéfuites qui font dans
les Provinces de fa domination , le Prélat
Sieftrencewitz feul Evêque catholique
dans toute la Ruffie blanche , ayant fupplié
S. M. I. d'ériger en Collége la maifon
qu'ils ont à Mohilow , & d'y affigner les
fonds néceffaires , cette Souveraine s'eft
montrée favorable à cette demande . Le Roi
de Pruffe a enjoint au P. Ortowski , Provina
3
( 6 )
cial des Maifons du même Ordre , qu'il a
jugé à propos de conferver dans fes Etats
en Pologne , de fuppléer aux vieillards ,
tant Peres que Freres , & d'en faire venir
d'autres , même des pays étrangers , à chacun
defquels il a promis d'affigner une penfion
de 120 écus.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 10 Septembre.
L'IMPERATRICE-REINE eft arrivée ici de
Schlolshof le 6 de ce mois. Le même jour
elle reçut la nouvelle de l'heureux accouchement
de la Grande-Ducheffe de Tofcane ,
à l'occafion duquel il y eut cour au Châ
teau .
L'Empereur , dans le voyage qu'il fait actuellement
, s'occupe à vifiter les principaux
endroits du théâtre de la guerre dernière ;
après avoir examiné les environs de Gabel
& de Hohen- Elbe , il arriva le 30 du mois
dernier à Rumbourg , où il obferva les paf
fages par lefquels le Prince Henri de Pruffe
avoit pénétré en Bohême , & il donna des'
ordres pour y faire élever de nouveaux ouvrages
, & rétablir les défenfes qui y exiftoient
déja. Delà il paffa fur Lobofitz pour
voir le Gyeersberg ; il fe rendit enfuite à
Sebaftianberg entre Commothau & Marienbourg
, d'où il arriva à Egra dont les fortifications
vont être confidérablement aug-'
mentées. On dit que la Cour fera auffi
( 7 )
conftruire une fortereffe fur les frontières de
la Moravie , à Snyatin , ou à Stanislaow.
Nous avons parlé de la plaine brûlante . dans
le voifinage de Lublyo au Palatinat de Zips dans
la Haute- Hongrie. Ce phénomène fingulier vient
de fe montrer auffi dans la Seigneurie de Kuttin
en Esclavonie. Il y a quatre mois que la terre brûle
dans un bois qui relève de cet endroit , fans qu'on
ait pu parvenir à éteindre le feu qui s'y nourrit ;
on ne le voit point à la fuperficie du fol ; il en
tranfpire feulement une femée noire & fétide. Le
foyer paroît être à plus de 6 pieds de profondeurs,
quand on y enfonce un morceau de bois , il s'allume
. Ce feu femble s'étendre en fuivant l'aliment
qu'il trouve on le voit en quatre endroits différens
. Dans l'un , le fol eft enfoncé avec les arbres
; dans l'autre , on découvre une ouverture
profonde qui offre une fournaife ardente , autour
de laquelle le terrein s'affaiffe . La chaleur en eft
fi grande qu'elle fe fait fentir à la fuperficie . Le
propriétaire de ce District voulut employer des
ouvriers près d'un endroit où il brûloit , pour
découvrir , s'il étoit poffible , la qualité du terrein
qui fervoit d'aliment à ce foyer ; mais il
leur fut impoffible de faire une foffe ; les inftrumens
dont ils fe fervoient prenoient feu , & les
forcèrent de renoncer à cette entrepriſe . Les Phyficiens
ont obfervé qu'une partie de cette terre
enflammée ceffe de brûler dès qu'elle eſt expoſée à
l'air. Ce phénomène attire de toutes parts une foule
de curieux .
De RATISBONNE , le 12 Septembre .
LA Chambre de Juftice vient de décider
le procès qui s'étoit élevé entre l'Electeur
de Mayence & le Prince de Nallau Ufingue ,
relativement à l'exercice de la religion Pro-
1
24
( 8 )
teftante dans le Fief de Falkenbourg , que
P'Electeur de Mayence avoit reclamé. Lat
Sentence rendue fur ce fujet , défend à l'Electeur
de Mayence de s'oppofer à l'introduction
de ce culte dans ce Fief; & en cas
de refus de fa part , l'Electeur Palatin & le
Landgrave de Heffe - Caffel font chargés de
la faire exécuter. On dit que le Prince de
Naffau Ufingue qui a une eftime particulière
pour l'Electeur de Mayence , n'a pas
été plutôt inftruit du jugement rendu en
fa faveur , qu'il lui a propofé d'accommoder
cette affaire à l'amiable.
2
Le Prince régnant , Louis de Naflau Saarbruck ,
fit le 25 Mars dernier une difpofition dont le
but eft de maintenir dans fes Etats , d'une ma
nière invariable , l'exercice de la religion luthe
rienne , tel qu'il y fablite aujourd'hui . Le 17
Mai & le Juin fuivant , les Princes régnans de
Naffan Weilbourg & de Naffau Ufingue , accédèrent
pour leurs Etats à cette difpofition . Le 17 Juin ,
ils adrefsèrent un Mémoire au Corps Evangélique ,
pour le requérir d'en maintenir & d'en garantir l'effet .
Le Corps Evangélique , après avoir tenu cette affaire
fecrète jufqu'à l'arrivée des inftructions de tous les
Etats Proteftans de l'Empire , s'allembla extraor
dinairement le go du mois dernier ; if arrêta qu'il
fe chargeroit de la garantie de cet acte pour le ,
maintien de la Religion Luthérienne dans les Etats
de Naffau Saarbruck , Weilbourg & Ufingue. Dans
le cas où un Prince ou une Princeffe de cette Mai-,
fon viendra à profeffer la Religion Catholique ,
il lui fera permis de faire dire la Meffe dans une
chambre pour lui & pour fa Cour , il ne pourra
rien changer au culte actuel des Luthériens , que
leurs Confiftoires font autorifés à maintenir pour,
toujours , nonobftant tous ordres quelconques des
11
( 9 ) ୨
}
Princes , à ce contraires , avec le droit de requérir ,
s'il en eft befoin , l'affiftance du Corps Evangé
lique , & c. Le 31 , on remit à chaque Envoyé
Proteftant deux copies de cet acte ; & le Directoire
de Saxe communiqua par la Dictature, la réfolution
de garantie du Corps Evangélique , qui s'eft
chargé d'en maintenir l'exécution.
Il circule ici une brochure ayant pour
titre : Addition aux traités de paix des tems
les plus éloignés. L'article fuivant donnera
une idée du bur de l'Auteur.
}
> Les droits de la Maifon de Brunſwick , dit- il
fur le Duché de Bavière , ne font pas expirés
mais feulement fufpendus , jufqu'à l'extinction entière
de la Maiſon Palatine . La Maiſon de Brunfwick
eft fondée en conféquence à s'oppofer à!
toutes les aliénations , démembremens , & géné
ralement à toutes les expectatives que les Empereurs
ont données fur les Fiefs de Bavière ou leurst
dépendances. Le Duché de , Bavière avoit été ada
jugé en 1156 , avec le confentement, de l'Empire , à !
Henri- le- Lion , qui fut invefti folemnellement des
ce Duché , fur lequel il avoit d'ailleurs un droiti
héréditaire . Son fils , l'Empereur Othon IV , y re
nonça en 1208 , mais feulement en faveur de la
Maifon de Wittesbach ".
>
Le 14 à quatre heures , après - midi , écrit
on d'Inftruck , le R. P. Everhard de Racker
bourg Genéral des Capucins , eft arrivé en
cette Ville . Le Comte de Taxis avoit envoyé à
deux lieues à la rencontre une voiture de gala
à fix chevaux , fon Maître d'Hôtel , deux Valets
de chambre , quatre Valets-de-pied en livrée )
de gala ; mais le R, P. ayant refufé cette diftinci,
tion , continua le voyage pied , fuivi de la void
ture. Plufieurs Seigneurs & une foule de peuples
allèrent hors de la Ville à fa rencontre. Le Couvel
vent où il defcendit étoit orné de guirlandesgo
as
( 10 )
d'emblèmes. On avoit placé des timballes & des
trompettes fur le balcon de l'Univerfité , & l'on
tira so boîtes. Ce Général reftera cinq femaines en
cette Ville , où le Chapitre général de fon Ordre
doit fe tenir ; il fe rendra enfuite à Vienne par
Munich. Natif de Stirie , & âgé de 60 ans , c'eft
le troisième Allemand qui ait obtenu cette dignité
«<.
ITALIE.
De RO ME ,le 3 Septembre.
LA fanté du Pape qui s'eft rétablie avec
peine , commence à fe fortifier. Le 22 du
mois dernier l'Académie des Arcades tint
une Affemblée confacrée entièrement à la
lecture des compofitions faites à l'occafion
defa convalefcence. Comme on favoit qu'elles
devoient en faire l'unique objet , le concours
fut très- grand ; il s'y trouva 7 Cardinaux
& un grand nombre de perfonnes
de diftinction . On dit qu'on n'y récita pas
moins de 200 Sonnets , compofés fur ce
fujet intéreffant , & qui furent à l'ordinaire
très-applaudis. Il y eut auffi une circonftance
affez plaifante . Le Prélat A ... en commença
un dont il s'annonçoit comme l'auteur
; mais l'ATemblée qui avoit de la mémoire
ayant reconnu dans les premiers vers
un Sonnet qui avoit été fait il y a 30 ans
pour la convalefcence du Roi de Sardaigne ,
lui épargna la peine de le continuer , er
achevant elle- même de le réciter.
On mande de Naples que le Roi a ordonné
qu'à l'avenir tous les Supérieurs Re(
11 )
ligieux , avant de faire la vifite des Maiſons
de leur Ordre répandues dans le Royaume ,
fe préfenteront devant les Evêques des lieux
où elles font fituées , pour apprendre de
ces Prélats la conduite que tiennent les Religieux
, & fe régler en conféquence dans
le cours de leurs vifites.
De LIVOURNE , le 7 Septembre.
LE Prince , dont la Grande - Ducheffe
accoucha le 31 du mois dernier , fut baptifé
le même jour par l'Archevêque de Florence ,
& reçut les noms d'Antoine - Victoire-Jean-
Jofeph-Raimond. Il eut pour Parrein le Roi
de Sardaigne , repréſenté par le Comte de
Thurn , Grand Majordome . Tous les Grands
Officiers de l'Etat , les Miniftres Etrangers &
la Nobleffe , affiftèrent à cette cérémonie. La
Cour a célébré cette naiffance par un gala
qui a duré trois jours ; & le premier de ce
mois , on en a rendu graces à Dieu dans la
Cathédrale de Florence.
S'il faut en croire quelques lettres de lá
Morée , la fituation de cette prefqu'île devient
de jour en jour plus critique. L'action du 4
Juillet dernier entre les Albanois & les Turcs
a , dit-on , coûté cher aux derniers , qui ont
eu environ 3000 hommes tués. Le Grand-
Seigneur a ordonné de renforcer l'armée
employée contre les Rebelles de 20,000 h.
de troupes Européennes & d'un pareil nombre
de troupes Afiatiques. La République de
a -6
( 12 )
Venife , inftruite de cette augmentation , fait
obferver tous les armemens des Ottomans ,
& travailler jour & nuit dans fes arſenaux ;
fon deffein eft d'avoir l'année prochaine dans
les eaux de la Dalmatie une efcadre de fix
vaiffeaux de ligne.
12
ESPAGNE.
De MADRID , le 2 Septembre.
LA Cour et toujours au château de
Saint Ildefonfe ; on y a célébré le 25 du mois
dernier la Fête du nom de la Princeffe des
Afturies ; le concours de la Nobleffe fut
très- conſidérable à la Cour , & l'Ambaſſadeur
de France donna un grand dîner à cette
occafion.
On a publié dernièrement une cédule
Royale , en date du 13 Août, par laquelle S.M.
renouvelle les articles . II . & VI. du Traité
d'amitié , de garantie & de commerce , conclu
le 11 Mars de l'année dernière entre S. M.C.
& le Roi de Portugal. Le Roi enjoint au
Confeil de faire obferver exactement ces
articles , & de donner les ordres les plus
précis pour qu'ils foient rigoureuſement
éxécutés dans les Domaines du Roi. r.
S'il faut en croire quelques lettres , la frégate
Suédoife , dont on a parlé précédemment ,
n'a pas été conduite à Malaga ; elle s'y eft
rendue volontairement pour y être admife .
à la pratique , ce qu'elle n'avoit pu obtenir
à Gibraltar , cependant on ajoute que le
( 13 )
Gouverneur exigea d'abord du Capitaine
fur fa parole d'honneur , qu'il ne partiroit
point qu'on n'eût reçu une réponſe de la
Cour. Cette réponſe étant arrivée , on dit
que la frégate a été conduite derrière le
Mole , où l'on a pris les déclarations de
fes Officiers. Les mêmes lettres portent que
le 19 du mois dernier on publia dans la même
ville un ordre du Roi enjoignant à tous les
habitans Irlandois qui y font domiciliés , de
la quitter pour fe retirer à 20 , milles, dans,
l'intérieur des terres.
On apprend d'Algefiras que le convoi de
18 bâtimens marchands , efcorté par deux
chébecs , & parti de Cadix le 20 Août , étoit
heureuſement arrivé. Il portoit des muni-"
tions , attirails & uftenfiles de guerre de '
toute eſpèce ; entr'autres 70 pièces de canon
de bronze & de 24 liv. de balle , pour le
camp de S. Roch , où tout le difpofe pour
former le fiége de Gibraltar dans les règles .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 18 Septembre.
LA Gazette ordinaire de la Cour , du 11
de ce mois , a confirmé la nouvelle de la
prife de la Grenade & de l'échec qu'ont
elfuvé nos forces navales devant cette Ile.
La lettre très-longue de l'Amiral Byron dans
laquelle il rend le compte le moins défavantageux
poffible de cet évènement , paroît
avoir fubi encore quelqu'altération dans les "
( 14 )
Bureaux de l'Amirauté pour être mise en état
d'être publiée.
» Il étoit parti de Saint - Chriftophe le 15 Juin ,
avec la flotte marchande deſtinée pour l'Europe ;
les vents d'eft & les courants l'empêchèrent d'arriver
à Sainte-Lucie avant le premier Juillet : ayant appris
que les François avoient profité de fon abfence
pour s'emparer de Saint- Vincent avec peu de
forcé & fans oppofition , il forma le deffein de la
reprendre avec les troupes du Major - Général Grant;
mais inftruit que le Comte d'Estaing étoit devant
la Grenade , il courut a fecours de cette Iſle ,
qu'il trouva prife à fon arrivée. Le détail du combat
eft très-étendu ; il ne donne pas moins de 34
vaiffeaux de guerre à l'ennemi , parmi lesquels il
y en a vu , dit-il , 26 ou 27 de ligne. On fent bien
que cette fupériorité n'arrêta pas l'Amiral ; le combat
fut livré , mais s'il eut peu de fuccès , il faut
l'attribuer aux vents , à l'attention des François à
éviter le combat bord à bord ; l'Amiral convient
qu'il fut fort étonné en fe retirant de ce que le
Comte d'Estaing n'avoit pas entamé fes bâtimens
de tranſport ; aveu qui prouve affez qu'il fuyoit
devant lui , & qu'il ne fe croyoit pas en état de
les défendre , & que l'on eft étonné que la Cour
n'ait pas fupprimé ; mais on ne peut pas prendre
garde à tout. La lettre de l'Amiral eft fuivie du
tableau de la ligne de bataille. La flotte formoit
3 divifions. La première fous les ordres du Vice-
Amiral Barington , étoit compofée du Suffolck de
74 canons , & de 617 hommes d'équipage ; Contre
Amiral Rowley , Capitaine Chriftian ; du
Boyne de 68 , équipage , 520 hommes , Capitaine
Sawyer ; du Royal Duke de 74 , équipage 600-
hommes , Capitaine Fitzerberg ; du Prince ofWales
de 74 , 617 hommes , Vice-Amiral Barrington ,
Capitaine Hill ; du Marificent , de 74 , 600 hommes
, Capitaine Ephinfton ; Trident de 64 , soo
·
( 15 )
hommes , Capitaine Molley ; & du Medway , de
60 , 420 hommes , Capitaine Affleck « .
» L'Amiral Byron commandoit la feconde divifion
formée par les vaiffeaux , Jame , de 74 , 600
hommes , Capitaine Butchard ; Non-Such de 64 ,
foo hommes , Capitaine Griffith ; Sultan de 74,
600 hommes , Capitaine Gardner , Princeff- Royal,
de 90 , Vice-Amiral Byron , Capitaine Blair ; Albion
de 74 , 600 hommes , Capitaine Bowyer ;
Stirlingcaffle , de 64 , 5oo hommes , Capitaine
Carkett ; Elifabeth de 74 , 600 hommes , Capitaine
Trufcott ".
» La troifième divifion aux ordres du Contre-
Amiral Parker , étoit compofée de l'Yarmouth ,
du Lyon , du Vigilant , de 6+ canons chacun , &
de soo hommes d'équipage , Capitaines Bateman ,
Cornwalis , & Sir Digby Denis ; Conquérant , de
74 , 617 hommes , Contre-Amiral Parcker , Capitaine
Hammond ; Cornwall de 74 , 600 hommes
, Capitaine Edwars ; Montmouth , de 64 , soo
hommes , Capitaine Fenshaw ; Grafton de 74 ,
600 hommes , Capitaine Collengwood «.
Selon les comptes de l'Amiral Byron , le
nombre des morts et de 183 , & celui des
bleffés de 346. Tous les vailleaux ont prodigieufement
fouffert ; cinq , fur- tout , ont
été très -maltraités ; le Conquérant , le Grafton
le Cornwall , le Monmouth & le Lion. Le 3
Août , il ignoroit encore ce qu'étoit devenu
le dernier. Sa lettre eft fuivie de l'extrait de
deux autres dans lesquelles il prétend que la
flotte Françoiſe a plus fouffert & plus perdu
de monde que l'Angloife , & d'une lettre
du Major - Général Grant , qui témoin du
combat auquel il n'a pris aucune part , fait
un éloge magnifique des combattans , &
( 16 )
terminé fa lettre par ce paffage conféquent ,
& qui fait honneur à fa logique. » L’Âmiral'
Byron prit donc très -prudemment le parti de
gagner St -Chriftophe pour réparer fes vaiffeaux
endommagés . Je fuis perfuadé qu'il ne
tardera pas à recouvrer la fupériorité, parce
que les François , quoique fupérieurs en
nombre , doivent enfin céder à l'intrépidité
Angloife ".
La lettre fuivante de Montferrat , en date
du 27 Juillet , peut faire juger de l'état de
la flotte Françoife , & fi elle étoit plus mal
traitée que la nôtre.
Le 21 nous fumes terriblement alarmés à la
vue de l'Eſcadre Françoife portant fur cette Ifle ;
24 grands vaiffeaux & des frégates étoient au
vent de l'Ifle ; deux vaiffeaux de 74 canons & ›
deux frégates s'approchèrent fous le vent ; nos
batteries firent fur eux un feu très- vif , qui força
les frégates à s'éloigner de la terre ; mais un
des vaifleaux canonna nos forts pendant près de
trois quarts d'heure . MM . Michel White , Gouverneur
de l'lite , Ellis Eyles , Orateur de l'affemblée
de Montferrat , étoient dans le fort de l'Ifle
Town , contre lequel le feu de l'ennemi étoit dirigé
; ils n'en furent heureufement point atteints.
On a les plus juftes raifons de croire que
fein de l'ennemi étoit de nous enlever par un coup
de main. Le feu de nos batteries l'ayant repou
fé fous le vent , il crut inutile de tenter un débar
quement , pour ce moment là ; nous craignons ques !
cela ne foit que retardé. Le Comte d'Estaing avec
fa flotte fe porta devant la rade de Balleterre
où il croifa pen lant huit heures à la vue de l'Amiral
Byron , qui ne jugea pas qu'il fût prudent
d'aller vers eux « .
( 17 )
1 Cette apparition des François le 21 Juillet
devant St- Chriftophe , prouve qu'ils étoient.
déja réparés , & qu'en conféquence ils n'a- d
voient pas fouffert autant que notre flotte ,
qui , après avoir cherché à les combattre
devant la Grenade , où l'Amiral dit qu'ils
ne l'ont pas voulu , a refufé à fon tour de
leur faire tête lorfqu'ils fe font préfentés ,
ou n'étoit pas en état d'accepter le combat.
Il en résulte encore que les François tenoient
la mer , que l'Amiral Byron étoit encore à
Saint - Chriftophe le 3 Août , & qu'il eft à
craindre que le Comte d'Estaing n'ait mis ;
le tems à profit.
On n'a rien publié de direct fur la prise de
la Grenade ; on dit à la Cour que l'on n'en a
pas encore reçu la capitulation ; tout le monde
fait qu'on n'en recevra point , parce qu'il
n'y en a eu aucune , & que l'île s'eft rendue
à difcrétion . On fait ici , felon l'uſage , le
procès à l'Amiral Byron , de ce qu'il n'a ni
fauvé l'île ni battu les François ; on dit qu'il
a demandé fa retraite , & que le Vice Amiral
Barrington , nommé pour le remplacer , va
s'embarquer inceffamment.
Pour nous confoler de nos défaftres en
Amérique , nos yeux fe tournent du côté de b
l'Inde , où la Compagnie foutient encore
l'éclat de nos armes. La prife de Mahé eft
confirmée , la place a été rendue le 20 Mars ,
conformément à la capitulation fuivante.
fignée la veille par M. Picot & le Colonel ...
Braithwaite.
( 18 )
10. La garnison Européenne fortira de la place
avec les honneurs de la guerre , armes & bagages
, pour le rendre au camp Anglois . Les Officiers
garderont leurs armes , & le tout fera transporté
en France aux dépens de S. M. B. La garniſon
Indienne , après avoir mis bas les armes , aura la
liberté de fe retirer où bon lui femblera , fans qu'il
foit permis à qui que ce foit de la molefter pour
avoir fervi les François. Ni les habitans de Mahé ,
tant Européens que Nationaux , ni toute autre perfonne
, ne feront exposés à aucune difficulté pour
avoir pris les armes pour la défenfe de la Colonie.
Les déferreurs des troupes Angloifes , Européens
& Nationaux , qui pourroient fe trouver
dans la place , ne feront ni pourfuivis ni punis
pour caufe de défertion . Les malades qui fe trouvent
dans les hopitaux feront panfés & foignés juf
qu'à leur entiere convalefcence , & les Chirurgiens
feront pourvus aux dépens de S. M. B.
Réponse. Les troupes Britanniques feront mifes
fur-le-champ en poffeffion de Correchy : la garnison
du fort St-George & celle de Chimbura le rendront
demain à 6 heures précifes du matin , à tels Officiers
& aux troupes qu'il plaira au Colonel d'envoyer
pour en prendre poffeffion . Les portes une
fois rendues aux Anglois , la garnifon en fortira
avec les honneurs de la guerre : enfuite le drapeau
François fera mis bas & celui d'Angleterre en prendra
la place . Les François , après avoir mis bas
les armes , fe rendront prifonniers à Tellichery.
Les Officiers fur leur parole conferveront leurs
épées & feront traités avec toutes fortes d'égards.
Les Forts Mahé , Condi & Dauphin , feront livrés
demain à 5 heures du foir , de la même manière que
ceux de St - George & de Chimbura . La Compagnie
Angloife des Indes pourvoira à la fubfiftance"
de la garnifon prifonniere de guerre , eu égard au
rang & à la condition de chaque particulier. Elle
( 19 )
fera conduite à Bombay & de- là tranfportée en An
gleterre ou en France , felon qu'il fera jugé néceffaire
, d'après les inftructions que l'on recevra d'Europe.
Le Gouverneur & le Comité choisi de Bombay
en feront les arbitres . Quoiqu'il arrive , elle
fera bien traitée & miſe à bord de vaiffeaux com- -
modes , aux dépens de la Compagnie Angloife . On
aura le même foin des malades qui resteront à
Mahé , que des troupes Angloifes ; ils y feront
foignés par leurs propres Chirurgiens , & ceux qui
auront le bonheur de recouvrer leur fanté feront
traités avec douceur & envoyés à Bombay , pour
y joindre leurs corps refpectifs . Les troupes nationales
au fervice de la France fortiront de la
place avec celles de France , & comme elles , mettront
bas les armes ; le refte eft accordé.
20. Tous les Officiers & Soldats , quels qu'ils puif
fent être , conferveront leurs biens , meubles &
immeubles. On accordera à M. Picot , Gouver
neur de la place pour le Roi , & à M. de Plaſey ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de St-Louis,
Lieutenant Colonel d'Infanterie & Gouverneur en
fecond , un convoi pour la France & toutes fortes
de commodités pour eux , leurs familles , leurs do.
meftiques & le tranfport de leurs effets. M. de.
Menvielle , Capitaine au régiment de Pondichery
& Commandant des troupes de la garnifon , aura
la permiffion de fe rendre à Pondichery , auprès de
fa famille, qui eft fous la protection du Gouvernement
Britannique. Les effets appartenans anx Officiers
& Soldats ne feront affujettis à aucun examen .
Réponse. Il dépendra du Gouverneur & du Con-.
feil de Bombay de décider fi les perfonnes ci-def
fus nommées feront renvoyées en France ou en
Angleterre ; dans le dernier cas , leur bagage fera
vifité , & on ne leur permettra pas d'emporter aucune
marchaudife ou denrée de contrebande qui
( 20 )
pourroit faire tort aux intérêts de la Compagnie
des Indes. Quant au refte , accordé .
3 °. L'on pourvoira à l'entretien des troupes de
la garnison d'une manière convenable , ainſi qu'à
leur paffage en Europe , le tout aux dépens de S.
M. B.; la même chofe fera accordée à toutes perfonnes
employées dans l'adminiſtration civile &
militaire , ainfi qu'à toutes celles qui font attachées
au fervice du Roi dans Mahé.
Réponse. Accordé aux dépens de la Compagnie
Angloife des Indes.
4. L'artillerie , les armes , les munitions & autres
effets appartenant au Roi , feront délivrés de
bonne foi. On en fera deux inventaires , un pour
chaque Commandant.
Réponse. Il faudra trois inventaires , un pour le
Colonel Braithwaite , un pour les Commiffaires
qui feront nommés par ledit Colonel pour rece
voir lefdites munitions , & un pour M. Picot ;
celui du Colonel fera contre- figné par M. Picot
celui du Commiffaire Anglois par le Commiffaire
François , & celui qui demeurera entre les mains
de M. Picot fera contre-figné par le Colonel Braith,
waite , dès l'inftant qu'il aura reçu les effets y
fpécifiés.
5. Les fortifications , les édifices civils & militaires
& tous autres bâtimens royaux & publics
feront confervés dans leur état actuel .
Réponse. Ils feront à la difcrétion de la Compagnie.
6. Les habitans , foit Européens , foit Natio-
-naux ou autres , conferveront la propriété entière
de leurs biens , actions , marchandiſes , vaiſſeaux
mobiliers , &c . enfin la poffellion de tout ce qui
n'eft point de nature à étre perdu. Les archives
publiques appartenant aux habitans , ainfi que celles
, da tribunal de Juftice , du . Greffe , du Nota(
21 )
riat & de Paroiffe , feront confervées & refpectées
. 1.52 $1.1
Réponse. Accordé excepté en ce qui regarde
les armes & munitions , qui doivent être remiſes
au Commandant Anglois , quand même elles appartiendroient
en propre à des particuliers ; ce qui
doit s'entendre auffi de tous les papiers du Gouvernement
& de correfpondance avec les Princes
du pays ou de toute autre Nation .
7°. L'exercice de la religion Catholique Apofto
lique & Romaine , fera permis fans moleftation .
L'on maintiendra les Eccléfiaftiques & les Miffionnaires
dans la jouiffance des priviléges attachés à
leur caractère ; il ne leur fera fait aucun tort dans
leurs poffeffions , leurs biens , leurs terres ou leurs
bâtimens.
Réponse. Accordé , pourvu qu'ils ne cherchent
point à faire des profélytes parmi les fujets de
S. M. Britannique ou parmi les Nationaux au fer- "
vice de la Compagnie , & qu'ils le conduifent avec
décence & foumiflion aux Ordonnances du Gouver
nement Britannique. 20-
8°. Du moment que l'on aura pris poffeffion de
la place , on accordera les fauve gardes par- tout
où elles feront requifes , & l'on prendra toutes les
précautions d'ufage pour veiller au bon ordre.
Réponse. Accordé.
9. N'ayant aucune connoiffance d'une déclara 4
tion de guerre entre les deux Nations , nous fai
fons ici les proteftations & réclamations d'ufage.
Signé , PICOT .
Réponse . Accordé,
10% Nonobftant tout ce qui eft contenu dans
les articles précédens , le Commandant Anglois à
Mahé aura la liberté de loger fes Officiers & Soldats
de la manière & dans tel lieu qu'il jugera ·
bien être. Il lui fera libre auffi d'emprisonner ou
punir quiconque contreviendra au bon ordre & à la
( 20 )
pourroit faire tort aux intérêts de la Compagnie
des Indes. Quant au refte , accordé. '
3. L'on pourvoira à l'entretien des troupes de
la garnifon d'une manière convenable , ainfi qu'à
leur paffage en Europe , le tout aux dépens de S.
M. B.; la même chofe fera accordée à toutes perfonnes
employées dans d'adminiftration civile &
militaire , ainfi qu'à toutes celles qui font attachées
au fervice du Roi dans Mahé.
Réponse . Accordé aux dépens de la Compagnie
Angloife des Indes..
4° . L'artillerie , les armes , les munitions & autres
effets appartenant au Roi , feront délivrés de
bonne foi. On en fera deux inventaires , un pour
chaque Commandant.
Réponse. Il faudra trois inventaires , un pour le
Colonel Braithwaite , un pour les Commiffaires
qui feront nommés par ledit Colonel pour rece
voir lefdites munitions , & un pour M. Picot
celui du Colonel fera contre figné par M. Picot
celui du Commiffaire Anglois par le Commiffaire
François & celui qui demeurera entre les mains
de M. Picot fera contre- figné par le Colonel Braith,
waite , dès l'inftant qu'il aura reçu les effets y
fpécifiés.
5°. Les fortifications , les édifices civils & militaires
& tous autres bâtimens royaux & publics .
feront confervés dans leur état actuel .
Réponse. Ils feront à la difcrétion de la Compagnie.
6. Les habitans , foit Européens , foit Nationaux
ou autres , conferveront la propriété entière
de leurs biens , actions , marchandiſes , vaiffeaux
mobiliers , &c. enfin la poffeflion de tout ce qui
n'eſt point de nature à être perdu . Les archives
publiques appartenant aux habitans , ainfi que celles
, da tribunal de Justice , du . Greffe , du Nota(
21 )
riat & de Paroiffe , feront confervées & refpectées.
•
91.1
Réponse. Accordé excepté en ce qui regarde
les armes & munitions , qui doivent être remiſes
au Commandant Anglois , quand même elles appartiendroient
en propre à des particuliers ; ce qui
doit s'entendre auffi destous les papiers du Gouvernement
& de correfpondance avec les Princes
du pays ou de toute autre Nation . “
༣ཝ་
7. L'exercice de la religion Catholique Apofto
lique & Romaine , fera permis fans moleftation .
L'on maintiendra les Eccléfiaftiques & les Miffionnaires
dans la jouiffance des priviléges attachés à
leur caractère ; il ne leur fera fait aucun tort dans
leurs poffeffions , leurs biens , leurs terres ou leurs
bâtimens.
Réponse. Accordé , pourvu qu'ils ne cherchent
point à faire des profelytes parmi les fujets de
S. M. Britannique ou parmi les Nationaux au fer- "
vice de la Compagnie , & qu'ils fe conduifent avec
décence & foumiflion aux Ordonnances du Gouver
nement Britannique. 2
8°. Du moment que l'on aura pris poffeffion de
la place , on accordera les fauvegardes par- tout
où elles feront requifes , & l'on prendra toutes les
précautions d'ufage pour veiller au bon ordre.
Réponse. Accordé.
9. N'ayant aucune connoiffance d'une déclara
tion de guerre entre les deux Nations , nous faifons
ici les proteftations & réclamations d'ufage.
Signé , PICOT.
Réponse. Accordé,
10. Nonobftant tout ce qui eft contenu dans
les articles précédens , le Commandant Anglois à
Mahé aura la liberté de loger les Officiers & Sol-n
dats de la manière & dans tel lieu qu'il jugera
bien être. Il lui fera libre auffi d'emprisonner ou
punir quiconque contreviendra au bon ordre & à la
( 20 )
pourroit faire tort aux intérêts de la Compagnie
des Indes. Quant au refte , accordé.
3. L'on pourvoira à l'entretien des troupes de
la garnifon d'une manière convenable , ainfi qu'à
leur paffage en Europe , le tout aux dépens de S.
M. B.; la même chofe fera accordée à toutes perfonnes
employées dans d'adminiftration civile &
militaire , ainfi qu'à toutes celles qui font attachées
au fervice du Roi dans Mahé.
Réponse . Accordé aux dépens de la Compagnie
Angloife des Indes.
4. L'artillerie , les armes , les munitions & autres
effets appartenant au Roi , feront délivrés de
bonne foi . On en fera deux inventaires , un pour
chaque Commandant.
,
Réponse. Il faudra trois inventaires , un pour le
Colonel Braithwaite , un pour les Commiffaires
qui feront nommés par ledit Colonel pour rece
voir lesdites munitions & un pour M. Picot ;
celui du Colonel fera contre figné par M. Picot ,
celui du Commifaire Anglois par le Commiffaire
François , & celui qui demeurera entre les mains
de M. Picot fera contre-figné par le Colonel Braith,
waite , dès l'inftant qu'il aura reçu les effets y
fpécifiés.
5. Les fortifications , les édifices civils & militaires
& tous autres bâtimens royaux & publics
feront confervés dans leur état actuel .
Réponse. Ils feront à la difcrétion de la Compagnie
.
6. Les habitans , foit Européens , foit Nationaux
ou autres , conferveront la propriété entière
de leurs biens , actions , marchandiſes , vaiſſeaux
mobiliers , &c. enfin la poffellion de tout ce qui
n'eft point de nature à être perdu . Les archives
publiques appartenant aux habitans , ainfi que celles
, da tribunal de Justice , du . Greffe , du Nota-2
21 )
riat & de Paroiffe , feront confervées & refpectées.
$1.0
Réponse . Accordé excepté en ce qui regarde
les armes & munitions , qui doivent être remiſes
au Commandant Anglois , quand même elles appartiendroient
en propre à des particuliers ; ce qui
doit s'entendre auffi de tous les papiers du Gouvernement
& de correfpondance avec les Princes
du pays ou de toute autre Nation .
7°. L'exercice de la religion Catholique Apoftolique
& Romaine , fera permis fans moleftation.
L'on maintiendra les Eccléfiaftiques & les Miffionnaires
dans la jouiffance des priviléges attachés à
leur caractère , il ne leur fera fait aucun tort dans
leurs poffeffions , leurs biens , leurs terres ou leurs
bâtimens.
Réponse. Accordé , pourvu qu'ils ne cherchent
point à faire des profelytes parmi les fujets de
S. M. Britannique ou parmi les Nationaux au fer- "
vice de la Compagnie , & qu'ils le conduifent avec
décence & foumiflion aux Ordonnances du Gouvernement
Britannique.
8°. Du moment que l'on aura pris poffeffion de
la place , on accordera les fauvegardes par - tout
où elles feront requifes , & l'on prendra toutes les
précautions d'ufage pour veiller au bon ordre.
Réponse. Accordé.
9. N'ayant aucune connoiffance d'une déclara
tion de guerre entre les deux Nations , nous fai
fons ici les proteftations & réclamations d'uſage .
Signé , PICOT.
Réponse. Accordé,
10 % Nonobftant tout ce qui eft contenu dans
les articles précédens , le Commandant Anglois à
Mahé aura la liberté de loger les Officiers & Soldats
de la manière & dans tel lieu qu'il jugera
bien être. Il lui fera libre auffi d'emprisonner out
punir quiconque contreviendra au bon ordre & à la
( 22 )
difcipline. Et à dater du jour de la reddition du
Fort Mahé , &c . il ne fera permis à aucun militaire
au fervice de France , de demeurer à Mahé fans la
Fermiffion du Commandant Anglois , qui l'accordera
volontiers à ceux qui fe comporteront comme ils
doivent le faire. Signé BRAITHWAITE .
Tous les établiflemens des François dépendans
de Mahé , fur la côte de Malabar
ont fuivi le fort de cette place . Cet évènement
ne confole qu'en partie la Compagnie de
l'expédition malheureufe qu'elle a faite
prefque dans le mêine tems , pour conduire
Ragaboy à Poonah , & forcer les Marattes à
le reconnoître en qualité de Nabab d'un des
diſtricts de leur pays. Un Officier qui étoit
de cette expédition en parle ainfi.
"Nous partîmes de Bombay le 25 Novembre dernier
, avec 10000 hommes ; nous chafsâmes devant
nous l'ennemi , qui dans fa retraite brûloit
tout ce qui fe trouvoit fur fon chemin ; & nous
arrivâmes à 15 milles de Poonah , fans avoir
effuyé de perte confidérable , quoique les marattes
fuffent forts de 50 mille hommes. Nous ne tardâmes
pas à reconnoître que Ragaboy nous avoit
trompé , en nous affurant qu'il avoit beaucoup
d'amis qui nous joindroient auffi- tôt que nous aurions
mis le pied dans le pays ; il n'en avoit aucun
; il y étoit généralement méprilé . Nous nous
déterminâmes à la retraite ; mais nous étions G
embarraffés de bagages & de charriots , qu'il nous
fur impoffible d'avancer beaucoup ; l'ennemi fe
trouva fur notre chemin
& nous força de faire
halte pendant un jour entier , expofés au feu de
fon artillerie ; nous nous trouvâmes dans une fituation
fi trifte qu'il fallut nous déterminer à
capituler , fans efpoir d'obtenir des conditions favorables.
La plus humiliante eft celle par laquelle
>
( 23 )
le Comité qui accompagnoit l'expédition pour
mettre tout en ordre dans les départemens civils
& militaires , s'eft obligé à reftituer aux marattes ,
dès qu'il feroit de retour à Bombay , tout ce que
nos Troupes ont enlevé en quelque tems que ce
puiffe être. Nous avons donné des ôtages pour
garant d'un engagement dont l'exécution eft peutêtre
impoffible. De 10,000 hommes que nous
avions en partant , nous en avons perdu 4000
dans une route de plus de 900 milles ; & on croit
qu'outre les hommes , notre voyage coûte 100,000
liv. fterl. à la Compagnie «.
, L'Amiral Hardy qu'on difoit devoir
remettre à la voile le 14 de ce mois , eft
encore dans la rade de Spithéad ; pendant
que nos papiers s'amufent à publier qu'il a
forcé fes ennemis fupérieurs à le fuir , fa
rentrée dans la Manche prouve qu'il n'a rien
négligé lui-même pour les éviter ; on ne peut
fe difpenfer de le renvoyer en mer pour
contenter la Nation ; & fans doute il profitera
de l'éloignement des François , qu'on croit
rentrés dans leurs ports ; mais on ne fait
point encore , fi les Eſpagnols ſe font retirés
dans les leurs ou dans ceux de leurs Alliés ;
ce feroit un coup de fortune pour nous s'ils
avoient pris le premier parti ; cela nous
empêcheroit de craindre avant l'année prochaine
les forces réunies de nos ennemis , &
nous aurions le tems d'augmenter les nôtres.
S'il faut en croire les états qu'on ne ceffe de pupublier
, l'Amiral Hardy a maintenant 42 vaiſſeaux
de ligne ; favoir , Victory , Britannia , Royal-
George , de 100 canons chacun ; Prince George
London , Queen , Formidable , Duke , de 98 ;
( 24 )
-Namur , Union , Blenheim , de 90 ; Princeſſe
Amélie , de 84 ; Foudroyant , de 80 ; Berwick
, Marlborough , Thunderer , Bedfort , Centaur
, Courageux , Culloden , Invincible , Monarch
, Ramillies , Réfolution , Shrewbury
Terrible , Valiant , Alexander , Alfred , Egremont
, Cumberland , Triomphe , Canada , Défenfe
, Arrogant , de 74 ; America , Intrepide ,
Bienfaifant , Prudent , S. Albans de 64 3 "
Buffalo , de 60. On ne compte pas les vailleaux
de so canons & au- deffous , qu'il a encore.
On prétend qu'il y en a encore 12 dans
différens ports où on les équipe en toute
diligence , & dont 3 font de 90 canons ,
un de 84 , huit de 74 ; on ne croit pas
que Sir Hardy forte à moins que la plûpart
ne l'aient rejoint ; en attendant on dit qu'on
va en détacher quelques - uns fous les Ordres
de Sir John - Lockhart- Roff , qu'on
croit chargé d'aller raffurer l'Irlande contre
les terreurs que lui infpire le fameux Paul-
Jones , auquel on prétend qu'on a fait paffer
de Breft un renfort de quelques vaiffeaux
de 74 canons pour le mettre en
état de tenter une defcente ou de s'emparer
de quelques- uns des 8 vaiffeaux de la
Compagnie des Indes , qui font dans la
Shannat.
>
En continuant les préparatifs pour défendre
nos côtes menacées , mais que l'approche
de l'équinoxe laiſſe reſpirer , on s'oc
cupe , dit- on , de projets de porter la guerre
chez nos ennemis , & de leur rendre , s'il eft
poffible, les allarmes qu'ils nous ont caufées.
» Songeons
( 25 )
» Songeons à nous défendre , dit à ce fujet un
de nos papiers ; il me femble que cet objet eſt
affez preffant pour mériter toute notre attention.
Au lieu de parler de partager nos forces pour occafionner
quelque diverfion , réuniffons - les ; gardons-
nous de nous laiffer aveugler par une fotte
préfomption. Si nous ouvrons l'hiftoire de la nation
, on n'y trouvera pas qu'un Anglois bat toujours
trois François , comme nous le difons quelquefois.
On remarque au contraire que lorfque nous les
avons battus , eux , ou les Efpagnols , nous avons
toujours été fupérieurs en nombre ; mais en fuppofant
qu'à égalité nous aurions l'avantage ,
cette fuppofition ne peut avoir lieu aujourd'hui , &
leur fupériorité eft fi décidée , que le défefpoir feul
peut nous forcer à rifquer un combat ; car enfin fi
nous fommes battus , tout eft dit , plus de naviga
tion , plus de commerce , & l'invaſion eft certaine !
La victoire feule , & la victoire la plus complette ,
peut nous fauver ; or, comment fe flatter d'obtenir
cette victoire ? Il n'y a qu'à jetter les yeux fur le tableau
des flottes tandis que les vaiffeaux de nos divifions
attaqueroient chacun un vaiffeau des leurs , ne
voit- on pas, qu'une autre divifion , à laquelle on n'a
rien à oppofer , maitreffe de fes manoeuvres , feroit
de deux chofes l'une , ou peut-être l'une & l'autre ,
en paffant au vent de l'ennemi , dans le cas où il
nous arriveroit quelque défaftre , elle empêcheroit
que
nos vaiffeaux maltraités & défemparés ne puffent
échapper ; ou bien , formant une réferve à l'arrière
de chacune des divifions qui formeroient la ligue
ennemie , elle pourroit y fubftituer des vaiffeaux
frais à ceux qui feroient défemparés de leur côté . Il
n'eft ni bravoure , ni habileté , ni expérience , ni
ardeur nationale qui puiffent compenfer une fupériorité
de 23 vaille aux qui peuvent fe porter partout
, & changer en défaite une victoire naiffante.
En 1690 le Lord Torrington fut défait devant
2 Octobre 1779 . b
( 26 )
Beachey, précisément par cette manoeuvre dont je
peins le danger ; la flotte Françoife aux ordres de
Tourville étoit à peu près de 60 vailleaux , la flotte
combinée d'Angleterre & de Hollande , de 46 : une
divifion de 11 vaiffeaux de la flotte de Tourville
gagna le vent : lorfque la flotte combinée commença
fa retraite la divifion Hollandoife qui avoit le plus
fouffert , trouva l'ennemi à fon vent ; la conféquence
fut la deftruction de 6 vaiffeaux de cette divifion qui
eurent bien de la peine à débarquer leurs équipages
fur la côte de Suſſex : les brûlots de l'ennemi en détruifirent
3 , les Hollandois eux- même mirent le feu
aux autres : c'eft ce qui arrivera toujours lorſque
la fupériorité fera dans la proportion de 3 à 2. Deux
ans après il arriva un accident à peu-près pareil à ce
même Tourville ; la flotte combinée d'Angleterre &
de Hollande aux ordres de Ruffel paſſoit 70 vaiſſeaux
de ligne ; Tourville n'en avoit que 52 , mais quoique
Carter ni Delaval n'euffent pas le bonheur de
gagner le vent de l'ennemi , la fupériorité accablante
de la flotte combinée , pouffant vivement la flotte
Françoife au fud-oueft , cette dernière ſe trouva affalée
fur la côte , où l'Amiral , & l'Officier qui commandoit
en fecond échouèrent : 14 autres vaiffeaux
furent obligés de fe faire touer fous le cap la Hogue
à l'effet de gagner Cherbourg , où le lendemain matin
Sir George Rooke les détruifit . Je pourrois citer
d'autres exemples du même genre; ils font nombreux
; Dieu veuille que nous n'en ajoutions pas un
plus terrible encore à leur long catalogue « .
Malgré les affurances des papiers minifftériaux
, & l'on peut ajouter le voru général
, on ne fe flatte pas que l'équinoxe mette
fin aux opérations navales de cette année .
on fe rappelle que dans la dernière guerre
nos flottes ont fait encore plus tard qu'à préfent
leurs expéditions fur les côtes de Fran(
27 )
ce. Ce fut en Novembre qu'eut lieu le Combat
entre le Lord Hawke & M. de Conflans.
Il n'y a pas long - tems que les François
& les Espagnols fe font réunis ; il n'y
a pas un mois qu'ils ont paru dans nos eaux ,
& il y a 12 jours qu'ils étoient encore à la
vue de Portland ; ils n'ont effuyé aucun
échec propre à rallentir leur chaleur , &
à changer leurs projets d'invafion , & on ne
peut fe déguifer leur fupériorité. Le feul
moyen de prévenir les dangers que nous
avons à craindre , eft de gagner du tems ;
tout eft perdu fi l'ardeur de combattre vient
à s'emparer de l'efprit de l'Amiral Hardy
au point de le faire fortir du fyftême prudent
de retraite qui nous a fi bien fervi
jufqu'à préfent , & auquel la Nation ne
rend pas affez de juftice . S'il conferve le
plan de Campagne qu'il a adopté juſqu'à
préfent , & qu'il puiffe la terminer comme
il l'a commencée , les projets de nos ennemis
feront remis à l'année prochaine ; nous
auronsl'hiver devant nous ; & fi nous avons
ce bonheur , on peut eftimer cet avantage
autant qu'une victoire .
Le Parlement qui devoit s'affembler hier ,
a été prorogé au 7 du mois prochain ; on ne
croit pas qu'il l'ait été pour la dernière fois ;
on s'attend , fi l'ennemi réparoît fur ces mers,
à voir retarder encore cette Affemblée , qui
en effet feroit embarraffante pour le miniftère
dans un moment où l'ennemi renou
velleroit les alarmes qu'il a déjà caufées.
b 2
( 28 )
"
FRANCE,
De VERSAILLES , le 8 Septembre.
T
LE Comte de Montézan
nommé par
le Roi fon Miniftre Plénipotentiaire près
P'Electeur Palatin , eut l'honneur d'être préfenté
à S. M. le 16 de ce mois par le Minif
tre des affaires étrangères & de lui faire fes
remercimens. Le Comte d'Adhémar , Miniftre
Plénipotentiaire du Roi à Bruxelles , eut
P'honneur de lui être préfenté , le 20 , par le
même Miniftre.
* MM. Martinet Ingénieur & Graveur du
Cabinet du Roi , & Bequillet , Avocat &
Membre de plufieurs Académies , eurent
l'honneur de préfenter , le rs , au Roi & à la
Famille Royale, le premier volume de l'Hiftoire
de Paris & de la France , précédée de
la defcription de Paris & de fes plus beaux
Monumens , gravés en taille-douce.
L'Abbé le Coufturier , Maître des Requêtes
de Monſeigneur le Comte d'Artois , eut
auffi l'honneur de préſenter à LL. MM. & à
la famille Royale l'Eloge defeu Monfeigneur
le Dauphin , Ouvrage propofé par une fo
ciété de gens de lettres .
De PARIS , le 28.Septembre.
Les lettres de Breft portent qu'on yfait tous
les préparatifs néceffaires pour que la flotte
combinée reprenne la mer le plutôt poffi(
29 )
ble ; les ordres du Roi font très - pofitifs ; on
embarque en conféquence les proviſions dont
on a befoin ; on donne aux vaiffeaux les réparations
que quelques - uns exigent , & qui
ne font pas de nature à demander beaucoup
de tems ; les malades qui étoient en grand
nombre , ce qui ne doit pas étonner après
une campagne auffi longue , ont été débarqués ,
& plufieurs , après être defcendus à terre ,
fe font trouvés foulagés ; c'étoit le principal
remède dont avoient principalement befoin
les troupes de terre , pour faciliter à tous
l'efpace & les fecours néceffaires , on en
a envoyé plufieurs à l'Orient fur les vaiffeaux
Intrépide & le Palmier.
,
» On ne renonce point , à ce qu'il paroît
écrit- on de Saint-Malo au projet de defcente :
on croit ici qu'il n'eft que retardé , & que la
nouvelle fortie de la flotte en amenera l'exécution
. On ne contre- mande du moins aucun des
préparatifs qui y ont rapport ; les vailleaux qui
auroient pu fouffrir en rade fe font avancés dans
le port ; on ne touche point aux provifions embarquées
; on change feulement celles qui feroient
fufceptibles de fe détériorer. On a étendu un peu
les quartiers des troupes qui s'étoient rapprochées
de notre port , & l'on n'a pas eu d'autre motif
que de prévenir les maladies dont elles auroient
pu être attaquées , fi elles avoient continué d'être
raffemblées en grand nombre dans les mêmes
lieux ; mais elles ne s'éloignent pas affez pour
faire croire qu'elles ne doivent pas retourner ici.
Il faudra peu de tems pour les avoir toutes à
portée de s'embarquer au premier ordre. Il y a
quelque tems qu'on avoit préparé un équipage de
fiége à Breft ; on le dit compofé de vingt pièces
b3
( 30 )
de 24 & de 16 livres , & de plufieurs mortiers ;
on dit aujourd'hui qu'on fe difpofe à l'embarquer.
On ne parle point de fa deftination : quelques perfonnes
croient qu'il fera attaché à l'armée navale
, qui s'en fervira pour attaquer quelque
port cc.
**
On a vu , dans les relations publiées de
la prife de la Grenade , la part qu'a eu , à
cette expédition , M. le Vicomte de Noailles ;
M. le Comte d'Estaing s'eft empreffé d'en
inftruire M. le Maréchal de Mouchy par la
lettre fuivante , en date du 12 Juillet , à bord
du Languedoc , en radé du Fort St-George.
"
Monfeigneur , la première fois que M. le
Comte de Noailles a tiré dans le Parc de Verfailles
, il vous a fûrement envoyé de fon gibier :
auffi le Lord Macartney , beau-fils du Lord Bute ,
va-t-il à Bordeaux porter fon épée aux pieds de
Madame la Maréchale . Votre nom , Monfeigneur ,
nous a fervi de ralliement le jour de l'aflaut. II
nous a porté autant de bonheur que l'exemple
de M. le Vicomte de Noailles a été utile. Sa
fcience dans la Tactique s'étoit déployée la veille
dans de grands mouvemens faits toutefois avec
un petit corps de troupes ; enfin il opère en Lieutenant-
Général , & je ne fuis que fon ancien. Je
tâcherai de l'occuper beaucoup & de l'arrêter fouvent.
Il me paroît affez content de moi , quoiqu'on
me dife qu'il fait une longue relation dont
il ne me parle pas trop ; il n'y a pas tant de mal
à cela qu'à te faire percer les habits par les balles
des Anglois , & qu'à fe trouver un peu en dépit
de moi , à un combat naval où il n'avoit que
faire. Je vous le conferverai , je vous l'enverrai
je l'eftime , je le chéris , & les bontés que vous
avez toujours eu pour moi lui donnent des droits
refpectables & facrés fur tout ce qui eft en moa
pouvoir. Je fuis , &c « . & c «.
( 31 )
A cette lettre en étoit jointe une autre pour
Madame la Maréchale ; nous nous empreffons
de la tranfcrire auffi ; nous ne doutons
point de l'empreffement de nos lecteurs pour
tout ce qui vient de ce Général.
:
-
» Madame , il fe porte auffi bien qu'il fe conduit.
Il s'eft déjà battu contre les Anglois fur
terre & fur mer. Il a eu deux balles dans fes
habits un affaut & un combat naval font un
petit délaffement dont il a joui en quatre jours
de tems. Les troupes de fa divifion le chériffent,
Oui , Madame la Maréchale , de fa divifion ; car
il en commandoit une. Elle n'eft pas à la vérité de
vingt mille hommes , mais elle eft brave , bien
conduite & victorieufe . Je démande pour mon
Confrère le Lieutenant Général , la Croix de
Saint-Louis , & le grade , de Brigadier pour le
moment où je lui ferai mettre pied à terre en Europe.
Je vous prie de folliciter pour moi ceite
grace ; je vous protefte qu'elle est déja méritée.
Je ne vous réponds pas de ne me point brouiller
avec M. votre fils , je fuis de ma nature un peu
pédagogue , & fon ardeur eft par fois exceffive ;
par exemple , il n'avoit que faire au combat naval.
Accoutumé depuis que je fuis né à vous devoir
de la reconnoiffance , croyez , je vous en conjure
, que je me regarde comme le gouverneur
caché du plus eftimable & du plus charmant des
fujets ; je ferai mon office incognito ; mais je n'en
ferai pas moins un furveillant exact & par fois impatientant.
Je fuis , &c. «.
Madame la Maréchale de Mouchy étoit en
Guyenne lorfqu'elle reçut ces nouvelles
agréables ; on vient d'apprendre que , voulant
paffer d'un bateau fur un autre , elle
b 4
( 32 )
a eu le malheur de tomber & de fe caffer un
bras. Elle fe fait tranfporter à Paris. Il femble
que la fortune jaloufe ait voulu mêler un
peu d'amertume à la joie qu'elle venoit d'é
prouver.
Le Te Deum a été chanté dans toutes les
Eglifes du Diocèſe de Paris à l'occaſion de la
conquête de la Grenade & du combat naval ;
il y a eu des illuminations au Château de
Verfailles & dans toute la Ville , comme
dans la Capitale. Le village de Paffy près de
Paris s'eft fur- tout diftingué. M. le Comte
d'Estaing y a une maifon qu'il habitoit prefque
toujours . Son principal Secrétaire y a
raffemblé les amis de ce brave Général , &
leur a donné une fête brillante , bien entendue
& fort gare.
Nous ne devons pas oublier ici l'enthoufiafme
avec lequel le public faifit le 20 & le
25 de ce mois , à la Comédie Françoife où
l'on repréſentoit Bayard , ces 4 vers du Chevalier
fans peur :
Ecoute , ô mon élève , eſpoir de ta Patrie ,
D'Estaing , coeur tout de flamme à qui le fang me lie ;
Toi , né pour être un jour , par tes hardis exploits ,
Ainfi que ton ayeul , bouclier de ton Roi.
Le Corfaire le Prince Noir , écrit- on de Breft ,
a été obligé de relâcher ici pour remplacer fon
mât de beaupré qui a été coupé en combattant,
Dans l'efpace de 3 mois & 11 jours , ce corfaire ,
armé de 16 canons & commandé par M. Marchand ,
a fait 27 prifes , dont 12 fe font rachetées à prix
d'argent.".
On débite , ajoutent les mêmes lettres , que le
Capitaine du corfaire de Guernefey qui a été pris
( 33 )
チーpar nos deux chaloupes , étoit un François expatrié
pour des raifons capitales. On a dit qu'il vouloit
fe faire fauter , & qu'un Garde - Marine Espagnol
lui avoit tiré un coup de piftolet pour l'en empêcher
; on dit aujourd'hui qu'il s'eft précipité dans
la mer , en voyant qu'il alloit être ramené dans
La patrie .
On mande de Bordeaux que les nouvelles
qu'on y a reçues des Colonies , annoncent
Pheureuſe arrivée de 20 navires de cette
feule Ville à la Martinique , & celle de plufieurs
autres à la Havanne . Ils ont fait baiffer
dans nos Ifles le prix de toutes les denrées.
» Le 7 de ce mois , écrit-on de Toulon ,
le vaiffeau le Hardi eft allé en rade , & l'on
compte que toute l'efcadre de M. de Sade
fera en état de mettre à la voile le 20 ou
22 de ce mois. On croit qu'elle fe joindra
à 6 vaiffeaux Eſpagnols & à 4 frégates de la
même Nation fous le commandement de
D. Juan de Langara ; & que ces deux efcadres
réunies feront quelque expédition
importante dans la Méditerranée ; il y a longtems
qu'aux termes des anciens traités Mahon
eft dû à l'Espagne ; & il fe pourroit bien
que le tems de la reftitution fût arrivé pour
l'Angleterre. Le commerce de la Méditerranée
eft continuellement troublé par les
corfaires de cette Ifle ; & cet inconvénient
qu'il ne fut jamais plus aifé de prévenir
qu'aujourd'hui , rend très - vraisemblable le
bruit qui court de la prochaine attaque de
cette place. Il a été déjà queſtion de prépabs
( 34 )
ratifs de fiége dans nos cantons ; aujourd'hui
une lettre datée de Collioure en Rouffillon ,
porte qu'on attend dans ce port un convoi
d'artillerie avec 13,000 boulets de 24 &
de 16. La même lettre ajoute que cette artillerie
n'eft pas deftinée pour Collioure ".
,
Le camp de St- Omer , commandé par le
Comte de Chabo fera compofé , dit- on , de
cavalerie & de dragons. Chaque eſcadron
de 125 hommes fera commandé par un Capitaine
en premier , un Capitaine en fecond ,
2 Lieutenants , 2 fous - Lieutenants & un
Capitaine furnuméraire en cas d'évènement ;
il y a un Etat - Major & point d'Etendart.
Le traitement par mois eft fixé , favoir au
Lieutenant- Colonel 500 liv. , au Major 400,
au Capitaine , Lieutenant & Sous - Lieutenant
300 , & un feul cheval par chaque Officier.
Les Officiers à la fuite & les Aides de
Camp n'ont aucun traitement. Les tentes
gamelles , piquets , &c. font fournis aux
régimens & retenus fur la maffe ; le règlement
de campagne eft fuivi à la lettre . Le bruit
général eft que ces troupes marcheront fur
les pas de celles qui auront d'abord débarqué.
On mande d'Amiens , que la Chambre du
Commerce de ville a reçu la lettre ſuivante
de M. Necker , en date du 20 Août dernier.
» Vous avez vu , Meffieurs , par l'Arrêt du Confeil
du 3 Juillet dernier , que S. M. avoit bien
voulu provifoirement & jufqu'à nouvel ordre , fufpendre
la perception du droit de 15 pour 100 fur
tous les bâtimens de la Province de Hollande. Cette
grace vient d'être reftreinte aux feules villes d'Amf(
35)
terdam , de Harlem , de Dort , de Rotterdam &
de Schiedam. En conféquence les Commiffaires &
Agens de la Marine , ont reçu ordre de ne délivrer
les certificats prefcrits par l'Arrêt dont il s'agit ,
qu'aux bâtimens des villes ci -deffus Vous voudrez
bien donner connoiffance de cette nouvelle
difpofition au Commerce , afin qu'il dirige fes opérations
en conformité «.
Une lettre de Limoges contient les détails
fuivans :
» Le tonnerre tomba , le 2 de ce mois , fur le
clocher de l'Eglife Collégiale de Saint Junien ; il en
a enlevé les tuiles , dont la chûte a endommagé les
maifons voisines ; il a fondu l'anneau auquel étoit
attaché le marteau du timbre de l'horloge ; un jeune
homme qui fonnoit , fuivant l'ancienne & dangereufe
coutume de la plupart des Villes & Villages de cette
Province , en a été frappé à mort ; la foudre traver.
fant le tambour de l'horloge , le choeur & la nef de
l'Eglife , & s'échappant par une fenêtre , dont elle
a fait tomber quelques vitres , eft allé frapper un
homme qui , après avoir long- temps fonné , le repofoit
devant la porte d'entrée ; le Sacriftain & fon valet
, alors fous le clocher , ont été renversés , & le
premier eft mort , après 33 heures des mêmes fecours
qui ont confervé la vie au fecond ; elle a toutà-
coup paru s'abîmer dans un trou d'environ un pied
de profondeur fur huit pouces de diamètre , qu'elle
a forméà côté de la fontaine publique , dont le cours
a été arrêté pendant 24 heures , & eft encore trèsdiminué
depuis ce moment.
Une Louve bleffa vers la fin de Juin un
homme & femmes à St-Sorlin en Saintonge
prèsTaillebourg. Elle fut tuée peu de tems
après. Les remèdes faits aux bleffés ont été
les mêmes ; mais on n'en a fauvé que 6. Une
des femmes & l'homme font morts un mois
b 6
บ
( 36 )
l'un après l'autre avec des fymptômes de
rage. Plufieurs évènemens pareils font défirer
qu'on trouve enfin quelque remède
efficace contre cette cruelle maladie. En attendant
nous nous emprefferons d'indiquer
ici une brochure imprimée en 1776 au
Mans , chez M. Monnoyer , Imprimeur du
Roi fous ce titre : Grands remèdes contre la
Rage , l'Epilepfie , les Vertiges , & c. L'Au.
teur, M. Zoyant , Curé de Notre- Dame de la
Quinte , Diocèfe du Mans , y annonce un
remède que depuis 50 ans il employoit avec
fuccès contre la rage , & avec lequel il a
guéri ou préſervé plus de 900 perfonnes de
cette maladie.
On connoît la nouvelle machine pour élever à
peu de frais l'eau des rivières fans gêner la navigation
, inventée par M. Cordelle ; le fuccès de
celle qu'il a fait exécuter fur la Seine à Epinay
au-deffous de St-Denis , & l'approbation qu'a donné
à cette invention l'Académie Royale Sciences.
L'Auteur a lu depuis à l'Académie un Mémoire
où il donne les moyens d'élever à telle hauteur ,
& en telle quantité qu'on voudra , l'eau puiſée au
courant des rivières qui paffent dans les Villes
ou à leur proximité ; Paris eft plus à portée.
qu'aucune autre de jouir à peu de frais de l'avantage
de cette invention , qu'il fe propoſe de rendre
publique après la rentrée de l'Académie. Ces
moyens ingénieux méritent la plus grande attention ,
puifqu'on peut augmenter facilement ces machi
nes & les placer de manière à avoir toujours l'eau
la plus pure & dans la plus grande quantité.
Le Quercy & le Rouergue , nous écrit-on de
Ville-Franche , qui étoient jufqu'ici deux Provinces
inconnues , vont fixer pendant quelque tems l'at
( 37 )
:
tention publique , & fortir de leur léthargic par
la faveur que le Roi leur a accordée en y établiffant
une Adminiſtration Provinciale. M. l'Evêque
de Rodez qui en eft le Préfident , eft arrivé ici
au milieu des acclamations publiques ; il a vu par
tout l'expreffion de la joie & de la reconnoiffance.
Notre Ville a délibéré par acclamation , de fournir
gratuitement aux Députés de l'Ailemblée , les
logemens néceffaires . Plufieurs Particuliers ont of
fert de fe retirer à la campagne , & de donner
Jeurs Maifons en entier. Ce facrifice n'a pas été
néceffaire les Députés fe trouvant bien logés fans
déplacer perfonne , & fe louent unanimement du
zèle & des foins de nos concitoyens . Ce qui a le
plus frappé M. l'Evêque de Rodez , & les autres
Prélats & Seigneurs qui font Membres de l'Adminiftration
, c'eft que l'entoufiafme qu'elle a excité ,
ne porte point fur des opinions populaires & chimériques.
On ne s'attend point à une diminution
d'impôts on compte feulement fur une égalité plus
fenfible dans la répartition , & fur un emploi plus
avantageux des fonds confacrés au bien de la Province.
Cette partie du Peuple que la mifère accou
tume à fe plaindre fans ceffe , paroit fentir comme
les Citoyens les plus éclairés , la fageffe fupérieure
du Gouvernement , qui étonne moins l'Europe par
la réunion & la grandeur de fes forces , que par
l'économie qui fournit à tant de dépenfes , fans le
fecours de nouveaux impôts. Il femble , M. , que
l'efprit de difcuffion defcende jufques au Peuple ,
il raifonne fa , reconnoiffance pour le Souverain ,
& l'exprime avec beaucoup de chaleur . L'efprit de
patriotisme que nous avons fi long-tems envié à
nos rivaux , commence ici dès ce moment , & nous
promet les fuites les plus heureufes «< .
>> Tout annonce dans les Députés le plus grand
zèle pour concourir aux vues du Gouvernement ,
& feconder l'amour du bien public , que M. l'E(
38 )
vêque de Rodez n'a ceffé d'infpirer depuis que nous
avons le bonheur de le pofféder . Il feroit difficile
que la réunion de tant de vertus & de lumières ,
ne rempliffent pas l'objet que le Roi s'eft propofé.
Je crois devoir vous obferver comme une circonftance
intéreffante , que parmi les Députés ecclé .
fiaftiques du Diocèle de Rodez , le Public a vû
avec le plus grand plaifir , un Curé à portion
congrue connu depuis long - tems par le bien
qu'il a fait dans fa Paroiffe. J'ai l'honneur d'être
& c «.
,
Françoife d'Orbeffan , épouse de feu
Jofeph - André , Marquis d'Efpagne , Gouverneur
& Sénéchal pour le Roi de la
Vicomté de Neboufan , eft morte le 21
Août dernier au Château de Ramefort.
Jean Scipion de Berard , Baron d'Alais , &
Marquis de Montalet , eft mort dans fon
Château de Pethelier , le 29 du mois dernier
dans la 87e. année de fon âge.
?
Il paroît 4 Edits du Roi , le premier donné à
Marli au mois de Mai , & enregistré au Parlement
le 17 Août fuivant , concerne les Communautés
d'Arts & Métiers du reffort du Parlement de Nanci.
Le ze donné à Verfailles au mois de Juin , enregiftré
le 13 Août à la Chambre des Comptes
fupprime les Offices de Contrôleurs des Finances.
Le ze donné à Verfailles au mois de Juillet , &
enregistré le 21 Août à la Cour des Monnoies ,
porte rétabliſſement de l'Office de Général Provincial
Subfidiaire des Monnoies pour la ville de Lyon.
Le 4e donné également à Verfailles au mois d'Août ,
& enregistré le 28 à la même Cour , ordonne une
fabrication dans la monnoie de Paris d'une certaine
quantité d'efpèces de billon , qui ne pourra
avoir cours que dans les ifles de France & de
Bourbon , où elles feront reçues en toutes fortes
de paiemens à raiſon de 3 fols la pièce.
( 39 )
-
Des Lettres Patentes en date du 22 Août , &
enregistrées à la Cour des Monnoies le premier de
ce mois , ordonnent la fabrication de vingtièmes
d'écus . D'autres du premier Juillet , enregistrées
le 4 Septembre à la Chambre des Comptes , prorogent
en faveur des Vaffatix du Roi dans la Province
d'Auvergne jufqu'au premier Juillet 1780 ,
les délais accordés aux Vallaux pour rendre les
foi & hommages dûs à caufe de fon heureux avènement
à la Couronne.
Un Arrêt du Confeil d'Etat du Roi & Lettres-
Patentes fur icelui en date du premier de ce mois
& enregistrées le 4 à la Cour des Monnoies , or
donnent aux Effayeurs & Jurés-Gardes- Orfévres ,
de fe pourvoir au dépôt établi par lesdites Lettres-
Patentes de tous les agens & fubftances néceffaires
l'opération des effais .
Il paroît auffi une Ordonnance en faveur des Maîtres
de Poftes aux chevaux , & de la Ferme des Meffageries
contre les entreprifes des loueurs de chevaux
.
לכ
Réglement du 6 Septembre , concernant les
Commiffionnaires au Mont de Piété . Par Arrêt du
10.Août dernier , il a été fait défenfes à toutes perfonnes
de faire la Commiffion ou le courtage au
Mont de Piété , & l'Adminiſtration du Mont de Piété
a été autorisée à faire tels réglemens qu'elle jugeit
convenables fur la police de ceux qui feroient
admis à faire le Courtage. Ce réglement a été préfenté
& homologué au Parlement le 6 du courant.
Il porte que nul ne fera la Commiffion qu'il n'y foit,
fpécialement autorifé par le Bureau d'Adminiſtration ,
& que les effets préſentés par ceux qui ne feroient pas
reçus feront retenus ; qu'il en fera dreffé procès-verbal
, fauf aux Propriétaires à fe pourvoir pour la
remife . Pour être admis , il faudra avoir 25 ans
favoir lire , écrire & avoir des certificats de Catholicité
, de probité & de bonnes vie & moeurs. Les
( 40 )
filles & femmes pourront être reçues en apportant
par ces dernières , une autorisation de leurs maris . Le
nombre des Commiffionnaires fera fixé à vingt pour
Paris , quatre pour Verfailles , trois pour St- Germainen-
Laye , & deux pour chacune des Villes de Fontainebleau
, Compiegne & St Denis ; fauf augmentation
ou établiſſement en d'autres Villes ; de Bureaux
particuliers , fous la dénomination de prêt auxiliaire
pour les emprunts de fommes depuis trois livres
jufqu'à cinquante . Les Commiffionnaires agréés s'annonceront
publiquement par l'infcription d'un tableau
mis au -deffus de la porte de leur domicile , portant
ces mots Commiſſionnaire au Mont de Piété. En
cas de fufpenfion ou d'interdiction d'un Commif
fionnaire, le Public en fera prévenu par des affiches
qui feront mifes dans tous les Bureaux du Mont de
Piété. L'enregistrement des objets apportés aux Commiffionnaires
, fera fait fur le champ , & ils délivreront
auffi fur le champ un récépiffé. Il est libre
àtoutes perfonnes connues & domiciliées , ou affiftées
d'un répondant connu & domicilié , de venir emprunter
au Mont de Piété & à tous porteurs de re- -
connoiffance , de venir dégager les effets mentionnés
en icelles ; mais dans le cas où les uns & les autres
voudroient fe fervir de l'entremise d'un Commiſſionnaire
le Commiffionnaire ne pourra exiger pour les
peines & falaires au- delà de 6 d . pour 1. pour les
engagemens au- deffus de 100 liv.; 3 d. pour livre
pour ceux depuis 100 livres jufqu'à 300 liv. , & un
denier pour livre depuis 300 & au-deflus ; & quant
aux dégagemens ou recouvremens de boni , les Commiffionnaires
ne pourront prétendre que la moitié des
falaires ci -deffus exprimés. Il fera exigé un cautionnement
en argent de la fomme de 12,000 livres
de chaque Commiffionnaire. L'intérêt de cette fomme
fera payé fur le pied de cinq pour cent.
1
( 41 )
De BRUXELLES , le 28 Septembre.
SELON les lettres de Paris & de Londres ,
on s'attend également en France & en Angleterre
à recevoir des détails des opérations
ultérieures de M. le Comte d'Estaing. Les
premieres annonçoient qu'il étoit parti le 15
Juillet de la Grenade ; les fecondes l'ont préfenté
, en effet , le 20, devant St Chriftophe ,
où l'Amiral Byron étoit encore retenu le 3
Août par les réparations dont fa Alotte avoit be
foin.On raconte à l'occafion du combat naval
du 6 Juillet , un trait fingulier & plaifant qui
caractériſe la bravoure & la gaité Françoiſe .
M. de Bougainville faifoit & voyoit autour
de lui un feu épouvantable . Dans le moment
le plus chaud de l'action , il appella les Officiers
de fon vaifleau , & élevant la voix au
milieu de ce fracas , de cette multitude de
boulets rendus & reçus : » Meffieurs , leur
dit-il , vous voudrez bien obferver que nous
ne fommes point en guerre «.
On dit depuis quelques jours que l'Amiral
Arbuthnot , dont on a peu entendu parler
depuis fon départ , s'eft joint à l'Amira
Hugues ; & dans le cas où leurs forces fe
feroient réunies , on n'eft pas fans inquié
tude fur les entreprifes qu'ils peuvent tenter
dans l'Inde ; les Illes de France & de Bourbon
qu'ils paroiffent menacer font , dit - on , en
état de faire une défenſe vigoureufe , mais
quelques perfonnes craignent qu'elle ne foit
infuffifante devant des forces auffi fupérieures.
( 42 )
Selon les lettres d'Oftende , les Anglois
continuent leurs hoftilités contre le pavillon
de la République. Le navire le Zéphyr
venant des Indes Occidentales , entré le
11 de ce mois à Helvoet- Sluys , a rapporté
que dans fa traverfée il fut attaqué par un
corfaire Anglois de 26 canons , qui le força
d'amener , mais qui craignant les fuites de
cet acte d'hoftilité , le relâcha . On eft perfuadé
que cette infulte faite au pavillon
Hollandois , excitera les plaintes les plus
férieufes.
» On vient d'être informé , écrit - on d'Amfterdam
, que le 16 de ce mois on avoit entendu d'un
village fitué à l'extrémité des côtes de Hollande ,
une vive canonnade , & qu'on avoit pu appercevoir
du haut d'une tour de ce même endroit , que c'étoit
un combat entre un vaiffeau de guerre Anglois ,
ayant 2 bâtimens fous fon convoi , & 2 corfaires
François ; l'Anglois fut forcé de fe retirer ; on ne
le vit fuivre que par un des navires qu'il eſcortoit ,
& on n'a pu découvrir ce que l'autre étoit devenu .
Cette nouvelle a fourni matière à diverfes conjectures.
Les uns prétendent que c'eft fans doute le
même vaiffeau Anglois qu'on a débité en dernier
lieu , être entré démâté à Helvoet- Sluys, les autres
que ce pouvoit être une frégate de guerré qui avoit
été envoyée pour fervir d'escorte au paquebot fur
laquelle le font embarqués le Lord Spenfer & la Ducheffe
de Devonshire , que l'on fait s'être en effet
arrétés plufieurs jours dans ce port , en y attendant
l'arrivée de cette frégate «. cc.
Selon lettres de la Haye , le Vicomte de
Herreria envoyé de la Cour de Madrid , eut
une conférence , il y a quelques jours , avec
( 43 )
les Membres du Gouvernement , & leur
remit le manifefte détaillé , contenant les
griefs du Roi fon Maître contre la Grande-
Bretagne .
Comme les motifs qui ont armé la France & l'Ef
pagne , font les mêmes , le manifefte imprimé en
deux colonnes préfente fur l'une l'expofé de S. M.
T. C. , & fur l'autre les motifs particuliers de S. M. C.
Dans cette relation détaillée des torts & des infultes
que l'Efpagne a foufferts de la part de la nation
Angloife ; de la négociation fuivie à Londres, d'abord
par le Chevalier d'Efcarano , Secrétaire d'Ambaſſade,
& enfuite par le Marquis d'Almodovar on trouve
les mémoires préfentés d'un côté , les réponses données
de l'autre , en un mot tout l'enſemble de la longue
négociation entre les deux Cours depuis fon origine
jufqu'à fa ruptute. Il y a dans le parti que le Cabinet
de Madrid a pris de manifefter ainfi fa conduite
devant le Tribunal du public, quelque chofe de généreux
& de grand , qui montre la bonne foi de fa conduite
avec l'Angleterre , fon defir fincère d'obtenir par
des voies de douceur & de conciliation , la juftice qu'il
a été réduit à chercher par la voie des armes.
L'expofé de la France & celui de l'Espagne
imprimés enfemble , & liés intimement ne
devroient pas être féparés , parce que l'un n'of
fre que des notes ajoutées à l'autre : comme
nous avons donné le 1er. dans les Journaux
du 17 & du 24 Juillet dernier , nous y renvoyons
nos lecteurs , & nous détacherons
ici le fecond .
1. Il feroit trop long de rapporter tous les fujets
de plainte donnés à l'Espagne depuis l'époque du
Traité de Paris de 1763. Nous nous bornerons aux
plus graves & aux plus récens , pour qu'on ne dife
point que nous rappellons des griefs anciens & ou
( 44 )
bliés . Par l'article 16 des Préliminaires de ce Traité
l'Angleterre a reconnu que la Baye de Honduras appartenoit
au territoire d'Espagne , & elle s'eft obligée
à faire rafer toutes les fortifications que les fujets
auroient pû avoir conftruites . dans cette partie du
monde , quatre mois après la ratification du Traité:
la Cour d'Angleterre n'ayant fait d'autre réſerve que
celle- ci ; favoir , qu'on n'empêcheroit point les Anglois
, fur la côte de Campeche , de couper le bois
de teinture : qu'on n'inquieteroit point pour cela
leurs travailleurs , & qu'ainfi ils pourroient y avoir
les maifons & les magafins dont ils auroient befoin.
Jufqu'à préfent les Anglois n'ont exécuté aucune
de ces conditions. Ils ont pénétré de plus en plus
dans les anciens établiſſemens , foulevant les Indiens ,
& leur donnant des armes & d'autres fecours
fous la protection du Gouvernement Britannique.
Ils fe font encore permis de s'établir dans un grand
nombre d'autres ports , rivières , anfes & côtes du
territoire Efpagnol de la Baye de Honduras , où
ils n'ont pas même le prétexte de bois à couper
avec la feule intention d'y empiéter fur la Souverai
neté Elpagnole & d'y faire la contrebande la plas
étendue. Tels font les lieux appellés le Piche , Rio
tinto , Rio matina & divers autres où ils ont formé
& armé des Milices . Le Roi Britannique a même
donné à un certain Jacob Lourri , la commiffion de
Capitaine général de ces nouveaux établiffemens ,
Jaquelle a été lue d'une manière folemnelle à toute
la Colonie le 21 Septembre 1776 , les Troupes étant
raffemblées ; on y a lu pareillement d'autres com
miffions d'Officiers on Chefs de moindre grade.
Voilà ce que faifoient les Angiots & ce que l'Efpagne
a découvert , après que le Ministère Britannique
eut nié que ces établiffemens fe fiffent de fon confentement
& par fon autorité.
Les Colons Anglois ont ufé d'artifices & de rufes
pour débaucher celui qui fe nommoit Roi des In
( 45 )
diens Molquites , & celui qu'on appelle Capitaine ou
Général des autres Indiens dont les Chefs ont envoyé
des Commiffaires au Viceroi du Gouvernement Ef
pagnol , fe reconnoiffant Sujets de S. M. Ils leur
ont fourni des armes & toutes fortes de fecours pour
les empêcher de fe metere fous la protection de l'EL
pagne , à la fouveraineté de laquelle reffortiffent exclufivement
tous ces territoires . Quoique ce foit l'ufage
des Anglois de recevoir dans leurs Etabliffemens tous
les Etrangers de quelqu'état ou religion qu'ils puiffent
être , on en a toujours non-feulement refufé
l'entrée aux feuls Efpagnols ; mais dès qu'ils y paroiffent
, ils y font arrêtés & emprifonnés , ou on
les contraint d'en fortir.
Ce qui prouvre le deffein conftant de l'Angleterre
de s'approprier ces vaftes territoires , d'y fonder des
Etabliffemens , & d'y étendre de plus en plus l'énorme
contrebande que fes Sujets font déja dans l'intérieur
des Provinces Efpagnoles , il eſt à propos de
citer auffi un évènement de l'année 1775.
Le Docteur Irwin , Médecin célèbre par fes
voyages autour du Monde , étoit parti de la Tamife
même , emportant avec lui toutes fortes d'inftrumens
propres au labourage & aux métiers , & une infinité
d'autres chofes fournies par le Gouvernement , pour
faire , dans la Province de Hacha , un établiſſement
permanent auquel il devoit employer des familles
qu'il emmenoit avec lui , & d'autres qui devoient
les fuivre. Dans cette vue , il avoit nourri & élevé
dans fa maifon un fils d'un Roi Indien & deux des
principaux Indiens de ce canton. Le bâtiment du
Docteur fut pris par les Gardes - côtes Espagnoles ;
& le Gouvernement Britannique , au lieu de donner
Latisfaction pour cette infraction des Traités , fe
plaignit amèrement , en menaçant l'Espagne de la
guerre.
Au mois de Novembre 1778 , quelques Espagnols
voulurent s'établir fur la rivière de Saint- Juan à la
( 46)
Côte des Mofquites , où ils conftruifirent des maiſons.
Au moment qu'ils y étoient le moins fur leurs gardes ,
ils fe virent attaqués par un parti d'Anglois , foutenu
d'un parti d'Indiens qui bleffèrent le Capitaine du
bâtiment , firent prifonniers beaucoup des gens , &
commirent grand nombre d'autres violences. Cet
évènement fe paffoit , pendant que la négociation fe
fuivoit avec la plus grande activité de la part du Roi
d'Efpagne , pour obtenir une paix favorable à l'Angleterre.
Rien ne fait mieux voir combien la Cour
de Londres , fon Ministère & fes Sujets répondoient
peu à de fi bonnes intentions
, & combien il y a de
diftance
entre de pareils procédés
& la conduite
magnanime
& généreuse
de S. M.
Les Anglois ont fait la même chofe dans tous les
lieux où on les a foufferts. Sur la côte de Saint - Blaife
dans la Province de Darien , ils excitent à la révolte
les Indiens établis fur les frontières Efpagnoles ,
leur donnent des fecours , les décorent même de
commiffions & de marques de commandement
fous la protection Britannique ; c'eft fur ce pied
qu'un Chef Indien , nommé Bernard , y eft pourvu
d'une commiffion en forme donnée par le Gouverneur
de la Jamaïque , & qu'il porte un bâton de commandement
avec une infcription angloife qui le qualifie
Capitaine Général de cette côte . Cette découverte
s'eft faite auffi dans le commencement de l'année
préfente ; & le 8 Mars , il a été ordonné d'en porter
plainte au Ministère Anglois , qui a répondu en affectant
de l'ignorer , comme il a toujours fait .
Dans ces dernières années , les Anglois ont fait
diverfes tentatives pour foulever les Nations des Indiens
ou alliés amis de l'Eſpagne , qui habitent fur
les frontières de la Louifiane , en leur fourniffant des
armes , en les débauchant par des préfens , en leur
donnant des commiffions & des médailles angloiſes ,
enfin en les excitant ouvertement à s'unir avec les
( 47 )
Anglois armés , pour commettre des hoftilités contre
les Sujets de S. M. C.
Il a été porté en plufieurs occafions à la Cour de
Londres des plaintes de divers évènemens de cette
nature ; & , quoiqu'elle ait répondu en termes géné
raux , qu'elle prendroit les informations , & qu'elle
expédieroit les ordres convenables , ces plaintes
n'ont point produit les effets que l'Espagne devoit
attendre , d'après toutes les règles de la juſtice & de
la raison .
Au contraire, fous le prétexte de leur guerre avec
les Américains , les Anglois , fermant les yeux fur
l'exacte impartialité que la Colonie Efpagnole a obfervée
, ainfi que fur le bon accueil qu'ils y ont toujours
reçu , ont commis , tant par mer que par terre ,
les infultes les plus révoltantes , au point qu'une de
leurs frégates de guerre a ofé menacer la Ville même
de la nouvelle Orléans , capitale de la Colonie.
Dans les mois de Juin & de Juillet de l'année dernière
1778 , les Anglois ont foulevé les Chatcas , les
Cheroquis & les Chicachas , payant à chaque Indien
la valeur d'une peau de cerf par jour , & les excitant
à frapper avec la cruauté ordinaire à ces Nations
barbares , fur les établiffemens Efpagnols , pour les
détruire ; au mépris de la paix qui régnoit entre
l'Espagne & l'Angleterre , de la modération & de
l'impartialité que le Roi montroit par la conduite
pendant les divifions de cette Puiffance avec fes Colonies
& la France .
Pour cette entreprife , les Indiens devoient s'unir
avec un corps d'Anglois armés dans le diſtrict appellé
Natches . Mais ce projet inhumain n'eut pas
fon effet . Doux de ces Nations , touchées fans doute
de l'injuftice qu'elles alloient commettre , au mépris
de la bonne foi & des bons traitemens qu'elles recevoient
des Eſpagols , fe retirèrent avant l'exécution .
Toutes les fois que les Anglois ont pris des Habitans
de la Colonic Efpagnole & en ont emmené
( 48 )
quelques uns dans l'intérieur des terres , ils les ont
forcés de prendre les armes contre les Américains..
On peut citer entr'autres exemples , celui d'un jeune
homme appellé Livois , fils d'un Capitaine de la Colonie
Espagnole.
Nous avons reçu , avec les dernières informations ,
les lettres originales du Commandant Anglois Hamilton
, dans lefquelles il a menacé de violer le ter
ritoire de l'Espagne , comme il a été dit dans la Gazette
de Madrid du 20 Juillet dernier , article de la 120
Havanne. On y voit en outre , que le Gouvernement
Britannique a donné ordre de conftruire diffé
rens Forts , dont un devoit être ftable & permanent ,
fur le bord du Miffiffipi du côté du lac d'Iberville.
Ce feul fait fuffiroit pour prouver les deffeins de la
Cour de Londres contre la Souveraineté de l'Eſpa
gne , puifque le Fort en queftion ne ferviroit de rien
contre les Américains , & qu'il ne peut que caufer le
plus grand préjudice à la Nation Efpagnole,
C'eft ici le lieu de citer le Mémoire remis au mois
de Mai 1775 , par Don Franciſco Eſcarano , charge
des affaires à Londres , contenant des plaintes de ce
que les Anglois détournoient de l'obéiffance du Roi
› les Indiens Paséagulas , habitans des frontières de la
Louifiane , en leur donnant des commiffions de Capitaines
au fervice de S. M. B. , & en les décorant de
marques d'honneur & de médailles . On ne finiroit
› jamais s'il falloit rapporter tout au long chacun de
ces excès , & une infinité d'autres infractions des
Traités , ainfi que les violences & les ufurpations
commifes depuis quelques années par le Gouvernement
Anglois contre la Souveraineté Elpagnole.
2. L'Espagne ac donné les mêmes ordres que la
France , relativement aux Prifes , & les a fait exécuter
avec tant d'exactitude & de vigueur , que plu- ~
fieurs corfaires Américains , & entr'autres le fa
meux Cuningham , ont cherché à s'en verger , en
maltraitant & en prenant des vaifleaux Efpagnois ,
lefquels jufqu'à préfent n'ont point été rendus , quoi
qu'ils avent été reclamés.ada de 10
La fuite pour l'ordinaire
été
prochain.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
LES incendies en fe renouvellant fans ceffe,
continuent de répandre l'effroi dans cette
Capitale. La nuit du 3 au 4 de ce mois , on
en a encore effuyé un qui a réduit plus de 100
maiſons en cendres ; & le 13 au foir le feu
a pris de nouveau à 10 heures & n'a été
éteint que le lendemain matin à 7 heures ,
après en avoir confumé 200. Comme cette
fois , il a paru tout-à- coup en quatre endroits
différens , on ne doute pas qu'il n'ait été allumé
par des fcélérats. Pour mettre fin à ces
défordres , on vient d'afficher une Ordonnance
févère qui preferit à tout le monde
de rentrer dans fa maiſon à 8 heures du foir ;
des patrouilles font répandues dans les rues
pour y faifir toutes les perfonnes qui s'y trouveront
après 9 heures. Celles qui auront été
furpriſes fans lumière , feront pendues le
lendemain on traitera de même les inconnus
qui feront faifis , même avec des lanternes
; & les perfonnes connues ne feront re-
9 Octobre 1779.
( 50 )
lâchées qu'après un examen & des informations
rigoureufes. On dit qu'on a enlevé &
noyé fecrettement plufieurs Janiſſaires , &
relégué fous divers prétextes dans les Ifles de
l'Archipel plufieurs Employés fubalternes.
Selon quelques perfonnes , ces malheurs font
l'effet d'un mécontentement général ; elles le
conjecturent des mèches allumées , placées
dans divers endroits du fauxbourg de Pera ,
& dont la vigilance des Miniftres étrangers
a prévenu les effets ; des matières combuſtibles
qu'on découvre encore dans plufieurs
quartiers , des écrits hardis que l'on trouve
dans les Mofquéees , où l'on menace le
Grand-Seigneur s'il n'éloigne de fa perfonne
quatre de fes principaux favoris , le Sélictar-
Aga & fes trois frères , & s'il ne change le
Ministère. Ces factieux font , dit -on , foutenus
en fecret par le Sultan Selim , fils du feu
Empereur Muftapha , & qui doit fuccéder
au Trône. On les dit encore fecondés par
cet ordre de Mufulmans , particulièrement
intéreffés à prolonger le règne de l'ignorance
& de la fuperftition , qu'il ont entretenus fi
long- tems , & que les nouvelles vues du
Gouvernement paroiffent être de diffiper , en
appellant les fciences jufqu'à - préfent exclues
de cet Empire.
Suivant les derniers avis de la Morée le
Capitan-Bacha a réuffi à ſe rendre maître de
Tripolizza & à faire prifonnier le refte du
corps des rebelles , fort de 3000 hommes , qu'il
avoit battu précédemment. En faifant part au
( 51 ),
Gouvernement de ces avantages , il l'affure
qu'on ne doit plus s'inquiéter du fuccès de
fon expédition ; il fe fait fort de chaffer tous
les rebelles de la Morée. Le Grand- Seigneur
l'a nommé Gouverneur de cette prèſqu'île
où il lui a ordonné de refter jufqu'à ce que
le bon ordre y ſoit rétabli ; & il lui conferve
en même tems le pofte de Capitan- Bacha.
L'Impératrice de Ruffie , parmi les préfens
qu'elle a envoyés au Grand Seigneur , en
a joint quelques - uns pour le Fils cadet de
S. H. qui a cru devoir en faire à fon tour , au
fecond Fils du Grand - Duc de Ruffie. Ils confiftent
en une caffette d'huile de rofe , de
baume oriental & d'autres parfums précieux,
unaflortiment de toute forte d'étoffes de Perfe
& de Turquie , & un petit miroir dont les
Turcs fe fervent ; le cadre eft d'or , garni de
diamans & de rubis. On dit que S. H. a fait
auffi préfent au Comte de Panin & au Comte
de Romanzow, d'une bague fuperbe de diamans
; il a envoyé à l'Ambaffadeur de France
& à l'Envoyé de Ruffie , de magnifiques boîtes
; des aigrettes de diamans à leurs époufes ,
& vingt bourfes au premier.
RUSSIE..
De PÉTERS BOURG , le 1 Septembre.
LE Grand - Duc & la Grande - Ducheffe
arrivés dans cette Capitale le 24 du mois
dernier pour affifter à la féance de l'Académie.
C 2
( 52 )
des Sciences , & à l'exercice des Cadets qui
eurent lieu le même jour , en repartirent le
25 pour retourner à Czarsko -Zelo.
Le Duc de Saint- Nicolas , Miniftre de la
Cour de Naples , arriva vendredi dernier &
temit le lendemain au Comte de Panin une
copie de fes lettres de créance. Il paroît qu'il
n'aura la première audience de l'Impératrice
qu'à ſon retour dans cette réſidence , qui ne
doit avoir lieu que pour la fête de S: Alexandre
Newski. Le Miniftre de Vienne prendra
congé de S. M. I. dans le même tems.
Le Comte de Solms , Miniftre de Pruffe ,
eft parti hier matin pour retourner à Berlin .
Les préfens qu'il a reçus à fon départ confiftent
en une boîte d'or garnie de diamans
avec le portrait de l'Impératrice , & une fomme
de 10,000 roubles.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 10 Septembre.
LE 7 de ce mois on a célébré ici , avec
beaucoup de magnificence , l'anniverfaire de
l'élection du Roi . S. M. a dîné ce jour là à
Marimont chez le Comte de Rzewuski ,
Maréchal de la Couronne , & affiſté enſuite
à la repréſentation d'une pièce nouvelle en
langue Polonoife.
On mande des frontières de la Turquie ,
que les habitans de la Moldavie commencent
à jouir des avantages que les Ruffes fe font
( 53 )
procurés par la dernière convention avec la
Porte ; ils le fontouvert un nouveau débouché
pour leurs marchandifes , en les vendant aux
Ruffes , qui en confomment une partie dans
leurs nouvelles Colonies , & débitent à leur
tour le refte aux Etrangers. Ces derniers
continuent de conftruire des bâtimens fur le
Nieper ; quelques- uns de nos Magnats font ,
à leur exemple , conftruire des bateaux qui ,
chargés de leurs bleds , defcendront le fleuve
& iront les porter aux Ruffes avec lefquels
ils efpèrent s'en défaire ayantageufement. Le
Prince de Moldavie a promis , de fon côté ,
de les feconder , en employant fes bons offices
auprès de la Porte pour en obtenir qu'elle
n'oppoſe aucun obftacle à ce commerce.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 15 Septembre.
༣༩༥ ;
TOUTES les nouvelles que l'on reçoit de
l'Empereur , depuis qu'il eft en voyage , ne
fauroient être plus fatisfaifantes. Ce Prince
s'eft approché des frontières de la Saxe pour
vifiter lui - même les endroits où il veut faire
élever de nouveaux ouvrages de fortifications.
Il arriva le 5 à Braunau ; le 6 il étoit à Trautenau
, & le 7 on le vit à Schatzlar , & à
Konigshaym. Huit Officiers de l'Etat Major
du Génie ont reçu ordre de fe rendre à Prague
& d'y attendre des ordres ultérieurs.
On prépare ici fur les remparts des cafec
3
( 54 )
mates pour loger le corps d'artillerie qui doit
refter à l'avenir en garnifon dans cette Capitale.
L'intention de l'Empereur eft de veiller
lui-même à ce que l'inftruction , fi néceffaire
dans ce corps , ne foit pas négligée.
Les Lettres de Hongrie portent que les Officiers .
efclavons qui font retournés par la Hongrie , fe
font empreflés de vifiter les mines de Cremnitz & de
Schemnitz , qui font , fans contredit , les plus confidérables
de toute l'Europe. Pour y parvenir , on
fait dans une caifle une defcente de 146 toifes ,
au moyen d'une corde & d'une poulie. La folle
de St. Ignace fe préfente d'abord ; c'eft une efpèce
de corridor de 312 toifes de long . On a eu
tant de foin d'épuifer l'eau qui coule des rochers ,
qu'on peut parcourir toute cette étendue à pied fec .
Au milieu de la foffe coute une eau qui pétrifie
ce qui l'environne ; & des deux côtés on voit avec
admiration plufieurs de ces pétrifications , qui ne
feroient ni plus variées , ni plus pittorefques ,
quand le cifeau du Sculpteur les auroit taillées.
L'air eft fain dans ce corridor & dans les autres
allées qui forment un effèce de labyrinthe ; & le
vent y fouffle de façon que les voyageurs craignent
qu'il n'éteigne leurs flambeaux. C'eft dans
ces fouterrains ténébreux que beaucoup d'ouvriers
font privés de la vue du ciel & des aftres , &
comme enterrés , pour en tirer ces métaux que
tant d'autres prodiguent fi légèrement.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
LES mécontentemens , vrais ou faux, qu'on
annonce à Conftantinople , ne détournent
point l'attention des fpéculatifs uniquement
fixée fur tout ce qui fe paffe à l'occident . Les
=
( 55 )
évènemens importans auxquels tout préparoit
ne font point encore arrivés ; & en
attendant des faits ils fe livrent à des conjectures
; elles rempliffent tous nos papiers
publics ; aucune n'a peut-être le plus léger
fondement ; mais la curiofité publique ,
éveillée une fois , a befoin d'un aliment
quelconque ; & voici celui qu'on lui fournit
- aujourd'hui.
On a dit , il y a quelque tems , que
l'Empereur , à fon retour de Bohême , iroit
vifiter les Etats héréditaires des Pays - Bas ,
qu'il n'a point encore vus , & qu'il affembleroit
de ce côté un camp d'obfervation ;
fans s'arrêter à difcater fi ce voyage aura lieu,
& fi le projet qui en eft la fuite a été réellement
formé , quelques - uns de nos papiers
ajoutent aujourd'hui que comme dans les cir
conftances actuelles qui intéreffent fi effentiellement
toutes les Puiffances de l'Europe ,
il eft queftion d'une médiation de la part de
la Cour de Vienne , ce prétendu camp a le motif
de rendre cette médiation plus refpectable .
On ne s'arrête pas là . Les projets de defcente
préparés avec tant de bruit & de dépenfes ,
& dont une force navale confidérable fembloit
affurer la prompte exécution , n'ont été fufpendus
que par l'oppofition de quelques
Puiffances médiatrices , qui verroient avec
peine enlever aux Anglois la clef de la Méditerranée
qui pourroit rendre la Maiſon
de Bourbon trop formidable. On veut que
ces Puiffances croient qu'il eft néceffaire de
C4
( 56 )
conferver fa force à l'Angleterre pour mainte
nir l'équilibre. Cette manière de voir paroîtra
au moins fingulière à ceux qui examinent &
pèfent les évènemens paffés ; il leur femble
que la modération de la France & l'orgueil de
l'Angleterre doivent raffurer fur la première ,
& intéreffer toutes les autres à l'abaiffement
de la dernière .
-
A ces rêves politiques , enfans de l'oifiveté
des fpéculatifs , on en joint qui ne font pas
moins extraordinaires. La Ruffie & la Pruffe ,
débitet on , doivent former une armée
auxiliaire à l'une des Puiffances belligérantes.
Mais il eft fi décidé que dans la guerre actuelle
il n'eft queftion que de la mer , que
l'on ne voit pas comment une guerre de
terre pourroit venir fe mêler dans les difcuffions
élevées entre la France & l'Angleterre .
Selon des fpéculatifs qui'ont fans doute un
coup - d'oeil plus raifonnable , mais qui ne
l'ont pas toujours plus fûr , l'inaction fi
long tems foutenue de trois flottes formidables
, femble être le préfage de la paix.
Quelqu'invraisemblable que cela puiſſe parcître
d'abord , cette invraisemblance femble cefler ,
en confidérant la fituation des chofes , & le caractère
des principaux perfonnages. Le projet de la Maifon
de Bourbon a été , il eft vrai , de fe rendre à
elle- même , & par une fuite néceflaire aux autres
Puiffances Maritimes , le fervice de réduire à de
juftes bornes l'exceffive prépondérance des Anglois
fur la mer. Mais qui doute qu'elle ne préfère de
parvenir à fon but par la voie des négociations .
& en épargnant le fang de fes fujets , que par
( 57 )
celle des armes , fi elle peut s'en difpenfer ? Ou en
fuppofant , comme cela eft en effet , que les prin- .
cipales Cours du Nord , font bien convaincues de la
juftice des prétentions des Cours de Verſailles &
de Madrid , & qu'elles voient comme elles la né- !!
ceffité d'affranchir les mers de l'esclavage de la
Grande Bretagne , n'eft- il pas plus probable qu'elles
interviendront pour opérer ce but falutaire & def- |
rable fans effufion de fang. De toutes les Cours du
Nord , une feule peut-être eft dans le cas de craindre
l'abaiffement de l'Angleterre , parce que celleci
eft la rivale de la France , & que celle - là n'a
prefqu'aucune concurrence dans le commerce maritime.
Mais fuppofé qu'elle intervienne dans
la médiation , fon avis ne peut prévaloir contre
celui de toutes les autres Puiffances intéreflées
à la liberté du commerce. Ainfi , de quelque
côté qu'on envifage les chofes , foit qu'on abandonne
les affaires au fort des armes , foit qu'on
les termine par des négociations , l'humiliation
de la fière Albion eft réfolue , & elle ne peut s'y
fouftraire. L'Amérique ,, GGiibbrraallttaarr ,, & peut- être
Minorque font perdus pour elle «<..
Nous n'ajouterons pas avec l'auteur de ces
réflexions : cet Oracle eft plus fûr que celui de
Chalcas ; mais nous dirons que fi ce réſultat
n'eft pas vrai , il n'eft pas du moins fans vraifemblance.
Des lettres de Copenhague annoncent que
le bruity couroit depuis quelques jours que
les Impériaux ont pris poffeffion des Ifles de
Nicobar dans les Indes Orientales, au Sud-
Oueft de Sumatra . Cette nouvelle qui eft trèsvague
& qui ne fe confirmera peut -être pas ,
faifoit beaucoup de fenfation , parce que ces
Ifles étoient réputées appartenir au Domaine
du Roi de Danemark .
CS
( 58 )
De RATISBONNE , le 25 Septembre.
LES Voeux des habitans de Manheim font
remplis ; l'Electeur Palatin y eft arrivé le 14
de ce mois ; le même jour l'Electrice qui
étoit à Oggersheim , s'y rendit. On ne croit
pas que ce Prince retourne cette année en
Bavière ; les Règlemens qu'il a faits avant
fon départ pour l'adminiftration de ce Duché
, font préfumer qu'il ne fe propoſe pas
d'y revenir de fi - tôt.
Le 15 de ce mois l'Electeur de Mayence eft
parti avec une fuite de 90 perfonnes pour
aller facrer le Baron d'Erthal , fon frere ,
nouvel Evêque de Wurtzbourg & de Bamberg.
S. A. É. avoit prié les Evêques d'Eich
tadt & de Fulde de l'accompagner dans ce
voyage pour l'affifter dans la cérémonie comme
fes Suffragans ; l'un s'eft excufé fur fon
âge avancé , & l'autre fur des affaires indifpenfables.
L'Electeur avant fon départ a fait ·
publier une Ordonnance , par laquelle il défend
aux Moines de prêcher , de confeffer
& en général de faire les fonctions eccléfiaftiques
de ce genre , réservées uniquement
aux Prêtres féculiers , dans toute l'étendue de
l'Ectorat. Ils ne doivent fe mêler déformais
que de l'obfervation religieufe des Règles &
des Statuts que leur ont prefcrits leurs Fondateurs.
» La Régence de Mayence , écrit - on de Cologne,
continue d'obliger les bâtimens étrangers qui y
paffent avec des voyageurs , de prendre des Pilotes
de Mayence , & de déclarer par écrit qu'ils n'ufent
11
( 59 )
librement du paffage de cette ville que par une fim .
ple convention de l'Electorat de Mayence. Les
Etats de l'Empire regardent cet arrangement comme
une nouveauté , & on dit que plufieurs ont déclaré
que fi l'on refufe d'y renoncer , ils porteront leurs
plaintes à la Chambre Impériale «<,
a
La Société des Antiquités de Heffe Caffel , dans
fon affemblée du 16 Août dernier , a propofé pour
le fujet du Prix qu'elle doit diftribuer l'année prochaine
, quel étoit le luxe des Athéniens du tems
de Pifftrate jufqu'à Philippe - Augufte , Roi de
Macédoine, & par quel degré le luxe a-t- il amené
la décadence de l'Etat ? Le Prix qu'elle devoit
donner cette année a été remis à l'année prochaine ;
& la queftion qui en fait le fujet , eft propres à
éclaircir la Mythologie Germanique : Quel rapport
y avoit-il entre la Religion des Peuples du
Nord & celle des Peuples Germaniques , depuis
Jules- Céfar jufqu'à Charlemagne ? Les Mémoires
écrits en François , en Allemand , en Italien ou en
latin , doivent être adreffés jufqu'au , premier Mai
prochain , à M. le Marquis de Lucket , Confeiller-
Privé de Légation , Secrétaire perpétuel de la
Société de Caffel.
ITALI E..
De LIVOURNE , le 10 Septembre.
ON vient d'afficher un Edit , en date du
23 du mois dernier , par lequel le Grand-
Duc voulant délivrer de plus en plus le
commerce de ſes entraves , & lui rendre une
liberté qui ne peut que tourner à l'avantage
de fes fujets , abroge les défenfes portées par
les Ordonnances de 1651 , 55 & 97 contre
le commerce particulier des feuilles de mûrier
& des cocons de vers à foie , & le per-
C6
( 60 )
met à l'avenir fans aucune reſtriction à tous
ceux qui voudront s'en occuper.
›
Les lettres de Milan portent que l'Archiducheffe
, époufe de l'Archiduc Ferdinand
avance heureufement dans fa groffeffe , &
que les petits accidens qui lui étoient furvenus
, font entièrement diffipés. On dit que
S. A. R. pourroit bien après fes couches faire
un voyage à Naples avec fon époux , qui y
reftera avec elle tout l'hiver , & qu'à leur
retour ces Princes palieront par Rome pour y
áffifter aux cérémonies de la femaine fainte.
» Les demandes , écrit - on de Naples , que la
Cour avoit faites il y a quelque tems aux Chartreux
, fe font ainfi terminées. Ces Religieux conferveront
l'adminiſtration de leurs biens dans tout
le Royaume , mais ils feront tenus de verfer chaque
année dans le tréfor Royal 60,000 ducats , &
ils n'en feront pas moins affujettis aux charges
qu'ils payoient avant ce Règlement. Les Chartreux
n'ont que quatre Maifons dans le Royaume pour
fournir à ces nouvelles impofitions. Les 60,000 ducats
qu'ils doivent payer , font feuls une fomme de
150,000 liv. tournois «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 10 Septembre.
LA guerre actuelle que la nation défiroit ,
bui fournit tous les jours de nouvelles
occations
de manifefter
fon amour & fon zèle pour
le fervice du Roi ; on a vu les habitans de plufieurs
villes offrir leurs biens & leurs effets ,
tant ceux qui appartiennent
à la Communauté
, que ceux qu'ils poflèdent
comme par(
61 )
ticuliers ; les villes de Murcie , d'Alicanté ,
de Cuença & de Xérès fe font empreílées
de fuivre cet exemple ; la dernière a offert
tous les chevaux de trait , & autres bêtes
de fomme , celles mêmes employées au labourage
, pour le fervice de l'artillerie , le
tranfport des munitions & des bagages au
camp de St-Roch , & dès ce moment elle les
employe à cet ufage. Différens particuliers
ont confacré au fervice de la patrie les revenus
de leurs emplois , de leurs bénéfices &
même de leurs capitaux.
Selon les lettres de Cadix , tout fe prépare
pour convertir en fiége le blocus de Gibraltar ;
& on ne croit pas que l'attaque en règle de
cette place , puiffe à préfent tarder beaucoup :
on a envoyé à D. Barcelo 35,000 bombes
pour les jetter dans cette place . S'il faut en
croire plufieurs avis , la déſertion s'eft mife
dans la garnifon ; il arrive journellement
des Hanovriens aux lignes de St- Philippe ;
fi l'on peut ajouter foi aux rapports toujours
fufpects de ces déferteurs , il y a eu dans la
place une confpiration de 1500 hommes ,
dont les chefs ont été pendus . On a en effet
apperçu de notre camp quelques cadavres
expofés de ce côté. Les vivres , ajoutent .
ces rapports , font très rares , malgré ceux
que l'Amiral Duff a interceptés , il y a quelque
tems , fur les navires Efpagnols , qu'il a
conduits à Gibraltar.
A ces détails nous joindrons ceux- ci qu'on
lit dans une lettre du camp de St - Roch en
date du 24 du mois dernier.
( 62 )
2 >
Il est entré hier à Algéfiras un convoi de 16
voiles , venant de Cadix , fous l'eſcorte d'un vailfeau
de ligne & de deux chébecs , portant une
grande quantité de canons mortiers , bombes
boulets , & d'autres munitions de guerre , &c . Le
foir du même jour , on commença à placer des
batteries près de nos lignes . Les Anglois , quoiqu'ils
euflent prefque pu nous en empêcher , ou
tout au moins beaucoup nous incommoder , ſe
font tenus tranquilles . De leur côté ils ne ceffent
de transporter de l'artillerie fur la montagne de
Gibraltar , d'y former des batteries , & de miner
auffi de toutes parts : ils témoignent beaucoup de
fécurité , & leur intention paroît être de ne vouloir
faire feu fur nous , que lorfque nous aurons
commencé. Quoiqu'il en foit , nous devons nous
eftimer fort heureux d'avoir pu entamer
quillement la conftruction de nos ouvrages depuis
la ligne , puifqu'autrement nous ferions demeurés
très-expofés . La diftance de nos retranchemens jufqu'à
Gibraltar n'eft que d'environ cinq cens toifes ;
mais du côté de la Porte de terre les Anglcis ont ,
indépendamment de plufieurs mortiers , quatrevingt
-quinze pièces de groffe artillerie , qui peuvent
nous faire beaucoup de mal.
tran-
» Un de nos bâtimens prit hier fur la côte d'Afrique
un bateau chargé de vivres , qui avoit neuf.
hommes d'équipage , dont deux Portugais , deux
Génois , trois Maures & deux Anglois ; il alloit
à Gibraltar , & avoit à bord un Officier de la
garnifon de ladite Place , qui fe trouvant à Cadix
, lorfque toute communication fut défendue ,
en fortit avec un pafle-port pour fe rendre par - tout
où il lui plairoit , excepté à Gibraltar . Ayant manqué
à cette condition , il eft gardé de très - près
dans le navire , commandé par M. Barceló , qui
venant de recevoir avis que les Anglois attendoient
un convoi confidérable bien efcorté , a don(
63 )
né ordre fur toute la côte de lui faire favoir par
des fignaux , le nombre & la force des vaiffeaux
de guerre qui fervent d'eſcorte à ce convoi. On
affure que ce Commandant a déjà fait vingt -quatre
prifes , entre lefquelles il s'en trouve une chargée
de bled , dont le Capitaine avoit deux paffe- ports ,
l'un pour Gibraltar , qu'il a jetté à la mer , &
l'autre pour un endroit permis , qu'il a fait voir :
cette fraude ayant été découverte par fon équipage
même , il a été conduit à Efteponas , & les gens
de fon bâtiment mis à terre.
L'on mande de Cadix , en date du 31 Août ,
que le navire marchand El Buen Confefo étoit en
relâche à une des Isles Tercères , où il attendoit
un convoi il vient de Lima , & fa cargaifon
confifte en deux millions , 800 mille piaftres fortes
, & 900 charges de cacao «.
ANGLETERRE.
*
De LONDRES , le 25 Septembre .
LES évenemens qui fe font paffés aux Antil
les , & les lettres de l'Amiral Byron , dont il a
bien fallu rendre compte , n'avoient fourni
que la matière d'une gazette ordinaire de la
Cour ; des circonftances plus heureufes fur
le Continent en ont fait publier hier une extraordinaire.
» Le Commodore Sir George Collier , inftruit
qu'on avoit fait à Bofton un armement confidérable
en troupes de terre & en vaiffeaux , pour af
fiéger le Fort de Pénobſcot , fortit le 3 Août de
Shandy- Hook , avec les vaiffeaux le.Raifonnable,
le Greyhound, la Blonde , la Virginie , la Camille
, la Galatée & le floop l'Otter , pour aller
au fecours de cette place ; il y arriva le 14 , après
avoir pris dans fa route deux Armateurs & perdu
( 64 )
l'Otter, qui s'étoit égaré , & dont il n'avoit pas
encore entendu parler , le 20. Il trouva la flotte
ennemie dans la rivière de Péuobfcot , qui lui parut
réfolue de difputer le paffage , & qui ne refta
pas long-tems dans cette difpofition . Tous les
vaiffeaux Américains cherchèrent leur falut dans
la fuite , & dans cette déroute ils furent entièrement
détruits . L'état de cette flotte eft le fuivant : le
Warren , de 32 canons de 18 livres , & 1 de 2 ;
le Montmouth , la Vengeance , de 24 , le Putnam
, la Sally , de 22 ; l'Hector , de 20 , le
Black- Prince , de 18 , & le Sky- Rocket de 16
ont fauté ; l'Hampden , de 20 , & le Hunter, de
18 , ont été pris. Les brics , la Défenfe , le Hafard
, de 16 canons ; la Diligence , le Tyrannicide
, le floop Providence , de 14 , ont fauté ;
la goëlette armée le Spring Bird , de 12 , a été
brûlée. On a pris la Nancy , de 16 , & le Rover
de ro canons , allant en croifière & brûlé 24
voiles , tant vaiffeaux que navires , fervant de
transport.
>
>
Le Colonel Mac-Léan rend compte à fon
tour dans une lettre de ce qui s'étoit paffé à
terre dans le même tems.
Arrivé à Pénobſcot vers la fin de Juin , il trouva
tant de difficulté à débarquer & à placer fûrement
fes provifions & fes munitions , & à nétoyer les
bois , qu'il ne put commencer le Fort qu'il étoit
chargé de conftruire , que le 2 Juillet ; le 21 ,
avant que l'ouvrage fût affez avancé pour qu'il
fût en état de défenfe , il fut informé du départ de
l'armement fait à Bofton pour l'attaquer ; il redoubla
auffi - tôt d'efforts dans lefquels il fut fecondé
par les équipages des vaiffeaux l'Albany , le
Nort & le Nautilus , qui l'avoient amené dans la
rivière. Le 25 , les ennemis parurent avec 37 voiles ,
& commencèrent à canonner dans l'après - midi ,
mais fans ſuccès ; ils tentèrent auffi de débarquer fans
( 65 )
pouvoir y réuffir ; ils y parvinrent le 26 , & la
garnifon forcée de fe renfermer dans le Fort , ne
s'occupa qu'à hâter les ouvrages qui pouvoient le
défendre. Le 30 , les Américains placèrent une
batterie à 750 verges ; peu de jours après , une
autre à 700 ; ils continuèrent leurs travaux , &
avancèrent infenfiblement depuis le 30 Juillet jufqu'au
12 Août. On apprit par un déferteur qu'ils
devoient attaquer le 14 les vaiffeaux dans la rivière
, & donner en même tems l'affaut au Fort ;
les Anglois fe préparèrent à les recevoir , & furent
étonnés de la tranquillité des ennemis ; ils
ignoroient l'arrivée du Commodore Collier , & ils
furent bientôt qu'à fon approche les ennemis s'étoient
retirés dans les bois à l'oueft , où il ne doute
pas qu'ils ne meurent de faim .
M. Mac - Léan ne cache point à la cour
que les Loyalistes de la nouvelle Ecoffe fe
joignirent aux Américains à leur arrivée fur
la rivière de Pénobfcot ; c'eft ce qui eft arrivé
toujours par- tout où les Anglois fe font
crus le plus affurés de la fidélité des peuples ,
& il eft bien fingulier qu'ils vantent comme
ils le font la docilité des contrées qui fe foumettent
, & la bonne foi avec laquelle ils
comptent fur une foumiffion qu'ils ne doivent
qu'à la crainte qu'ils infpirent , &
qu'on fecoue bientôt quand cette crainte
n'existe plus . Il est tout fimple que les Amé
ricains ne réſiſtent pas dans les endroits où
ils paroiffent en force ; ils connoiffent la
manière , dont les traitent nos troupes , & il
faut bien employer le feul moyen qui refte
d'interrompre le cours de leurs barbaries.
La cour a publié l'extrait de quelques lettres
du Cominodore Collier antérieures à celle
( 66 )
qui eft datée de Pénobfcot , qui donnent une
idée du genre de guerre que nous faifons fur
le Continent.
Le Commodore apprend au Ministère que les
rebelles fur la côte de Connecticut ayant été affez
heureux pour empêcher & pour anéantir prefque
totalement le commerce des fidèles fujets du Roi
en haute mer , il avoit réfolu de les punir en dévaftant
leurs côtes ; parce qu'il n'étoit pas en fon
pouvoir de couler bas , brûler & détruire les bâtimens
de mer des coupables ; il a réfolu de brûler
& détruire les maifons & les chaumières des gens
tranquilles & innocens. Entre autres dévaftations
il a détruit à Newhaven beaucoup de bateaux pour
la pêche de la, baleine , uftenfiles de l'induftrie
pauvre & paisible , unique fonction de quantité de
pêcheurs indigens qui ne pouvoient fe fervir d'aucun
inftrument hoftile. Débarqué à Fairfield , Te
Commodore ayant vu quelques rebelles tirer fur
lui des fenêtres & des toits des maifons , a ordonné
à fes Loyaliftes réfugiés de mettre le feu
à quelques-unes ; il n'a pas manqué d'en gagner
d'autres , & tout Fairfield a été réduit en cendres
ainfi qu'un grand nombre de bateaux de pêcheurs :
Destruction faite de gaieté de coeur & fans une
fuffifante provocation . La ville de Norwalk a
eu le même fort , parce qu'il en eft parti auffi quelques
coups de fufil , après avoir reçu des fauf- conduits
. Mais c'étoit - là le cas de faire chercher les
coupables & non de traiter la ville entière avec
une barbarie auffi attroce . Le Commodore le vante
d'avoir infligé le même châtiment au petit bourg
de Greenfield . Anéantir , eft fans doute une excellente
manière de châtier. C'eft la doctrine infernale
du feu Lord Suffolk & du Docteur Ferguson , fecrétaire
de la feue commiffion conciliatoire . Si c'eft
la torche à la main qu'on fe fait des amis & qu'on
ramène des enfans égarés , nous fommes sûrs avec
de tels Généraux , de rentrer bientôt dans nos an(
67 )
ciens droirs fur l'Amérique. Mais l'expérience de
tous les tems ne fauroit être démentie ; & les excès
de cruauté n'engendreront que trahiſon , déſeſpoir
& rage , & une impoffibilité abfolue d'établir entre
les deux Nations les rapports de commerce qui
feuls pourroient relever l'Angleterre de la perte de
fes Colonies «<.
Les autres nouvelles du Continent de l'Amérique,
portent que le Général Washington
après s'être emparé de Stony - Point , s'eft
contenté de détruire le Fort , & que le Géné-.
ral Clinton a pris de nouveau poffeffion de
ce pofte , qu'il fait encore fortifier. Il y a
lieu de croire , ficette nouvelle eft vraie ,
qu'il ne le confervera pas long- tems . Lorfque
le Général Wayne s'en faifit , un Officier
François , M. Fleury , fe couvrit de gloire
en enlevant notre pavillon. Cette action que
le Congrès a immortalifée par une médaille,
femble prouver que l'armée Américaine a
encore plus d'un prodige de valeur à nous
oppofer du côté de l'Hudſon .
"
Du côté de la Georgie nous n'avons point
de nouvelles ; la Cour n'en a point reçu ,
ou du moins elle n'en a publié aucune.
Des lettres particulières portent que
Sir Jame Wallace eft arrivé dans cette
province à bord de l'Expériment , avec M.
Weight , Gouverneur pour S. M. Ce dernier
y a été , dit- on , reçu avec tranſport ,
& les habitans vont lever deux régimens qui
doivent fe joindre au Général Prévost , &
le mettre en état de faire enfin la conquête
de Charles-Town.
( 68 )
Nous ignorons ce que fait l'Amiral Byron;
l'échec qu'il a effuyé aux Antilles , ne permet
plus d'envoyer au Général Prévost , à
Beaufort , les renforts dont il a befoin ; il ne
pourra en tirer que d'Halifax. On dit que cet
Amiral a été joint par M. Arbuthnot ; &
on ne manque pas de publier qu'en conféquence
, il a repris fa fupériorité ſur les
François. Mais un bâtiment parti de St-Euftache
le 15 Août , ne parle point de cette
jonction ; il dit au contraire que M. Byron
avoit quitté le 10 St Chriftophe pour le retirer
à Antigoa , & réparer dans cette Ifle ,
qui eft le chantier des Antilles Angloifes
fa flotte prodigieufement endommagée , &
dont deux vaiffeaux hors d'état de fervir.
doivent être envoyés en Europe . La firuation
de cette flotte prouve combien elle a
fouffert ; & le tems dont elle à befoin pour
fe remettre en état , laiffe nos ennemis abfolument
maîtres de la mer.
>
La gazette ordinaire de la Cour vient de
publier une lettre du Lord Macartney au
Lord Germaine en date de la Rochelle , le
4 Septembre dernier .
» Milord , je me flatte que long temps avant què
cette lettre parvienne à votre Seigneurie , vous att
rez reçu mes dépêches dus Juillet ( 1 ) de Grenade ,
vous donnant avis que les François font en poffeffion
de cette Ifle . J'en expédiai plufieurs copies par différentes
voies ; mais de peur qu'aucune d'elles ng
vous foit parvenue , j'informerai encore en peu de
mots votre Seigneurie , que le Comte d'Estaing
(1 ) La lettre dont il est fait mention ici n'a point été reçue
( 69 )
arriva le z Juillet à la Grenade , avec 25 vaiffeaux
de ligne & 12 frégates , ayant 6500 hommes de
troupes de terre à bord. Nous fîmes la meilleure
défenſe poffible avec la poignée de monde que nous
avions , laquelle confiftoit en 101 hommes du 48me
Régiment , 24 recrues d'Artillerie , & entre 3 à
400 Miliciens «.
» Nous eûmės le bonheur de repouffer l'ennemi
dans la premiere attaque ; mais dans la feconde ils
emportèrent nos lignes par la force du nombre fupérieur
, après un combat d'environ une heure &
demie , dans lequel ils eurent plus de 300 hommes
tués & bleffés , ce qui eft un nombre plus confidérable
, que toute la force que nous avions à op-
Fofer à leur attaque ; dans le tems que dans la nuit
précédente nous avions été abandonnés par la plupart
des hommes de couleur , & par la plus grande
partie des nouveaux fujets. Etant à la difcrétion de
l'ennemi , fans moyens de réfiftance ni eſpérance
de fecours , nous fumes obligés de propoſer une
Capitulation , qui fut inftamment & abfolument refufée
par le Comte d'Estaing in toto , & par contre
il m'envoya le projet le plus extraordinaire & fingulier
qui entra jamais dans la tête d'un Général
ou d'un Politique . Je le refufai à mon tour ; &
comme il n'étoit pas poffible d'en obtenir aucun autre ,
tous les principaux habitans à qui jele communiquai ,
préférèrent unanimement de fe rendre fans aucunes
conditions , plutôt que d'accepter celles qui leur
étoient offertes ; & c'eft fur ce pied que l'ennemi eft
actuellement en poffeffion de l'Iflé «.
Ma lettre du 15 Juillet eft fi ample & fi détaillée
que j'y référe votre Seigneurie , ainfi qu'aux papiers
qu'elle renferme , pour les particularités . Je me flatte
que votre Seigneure croira , qu'il n'y a eu rien de
négligé de ce qui étoit poflible de faire , pour la confervation
de la Grenade . Cette idée est l'unique confolation
que j'aie dans le malheur de fa perte «.
» Dans une précédente lettre je mandois qu'on
( 70 )
s'étoit propofé que les prifonniers reftant des
cinq Compagnies du 48me Régiment &c. , feroient
embarqués avec moi pour l'Europe à bord d'un vaif,
feau mis à part pour ce deffein ; mais j'ignore pourquoi
cette deftination a été changée ; ces troupes
ont été envoyées , comme j'ai été informé , à la Guadeloupe,
& j'ai été mis à bord d'une frégate Françoiſe
deftinée pour cette place , où nous arivâmes la nuit
dernière. J'ai écrit à M. de Sartine , par les mains
duquel paffe cette lettre , pour connoître les intentions
de fa Cour à l'égard de ma délivrance , & j'at .
tends fa réponſe dans peu de jours ce,
» M. d'Eftaing n'a point voulu à cette occafion
confentir à aucun échange de prifonniers dans les
Indes-Occidentale « .
» On a affuré les habitans de la Grenade , qu'ils
refteroient en paifible poffeffion de leur état , & que,
durant la Guerre , ils ne feroient point obligés de
prendre les armes contre S. M. Je pense que leš
arrangemens ultérieurs dépendront de la Cout de
Verfailles «.
Voilà à - peu- près à quoi fe réduit tout ce
que nous favons de la perte de la Grenade,nos
papiers ne manquent pas de fe permettre bien
des réflexions fur la conduite de ce Gouverneur
, qui a un grand grief aux yeux de
l'Oppofition , celui d'être gendre du Lord
Bute ; il dit dans fa lettre qu'il n'avoit que
300 hommes pour défendre l'Ifle ; & on ne
conçoit pas comment les François en ont pu
faire 7 à 800 prifonniers ; s'il n'en avoit pas
davantage , le Ministère ne feroit pas excufa
ble d'avoir fi mal pourvu à la défenfe de la
Grenade ; mais des lettres particulières prou
vent le contraire. On dit dans une qu'il avoit
placé 400 hommes dans le pofte du morne de
( 71)
l'Hopital , avec ordre de le défendre juſqu'à
la dernière extrémité , que ces 400 hommes
ont été taillés en pièces tandis que S. E. étoit
réfugiée dans le fort d'où elle n'avoit pas tiré
un feul coup de canon . Tous ces détails vagues
ne tarderont pas à s'éclaircir ; la féance
du Parlement approche ; il faudra lui rendre
compte , & les débats apporteront quelques
lumières fur les faits fur lefquels on s'occupe
à épaiffir la nuit .
La grande flotte de fir Charles Hardy eft
toujours à Spithéad ; on a dit qu'elle étoit
tous les jours à la veille de mettre à la voile ,
& quelques perfonnes prétendent qu'elle
pourroit bien ne pas fortir du port cette année.
Sir Jonh- Lockart Roff, qui avoit été chargé
d'une expédition particulière avec plufieurs
vaiffeaux de ligne , paroît n'avoir rien fait ;
on le difoit deftiné à chaffer Paul -Jones des
mers d'Irlande , où il fait beaucoup de prifes
& porte l'effroi fur les côtes ; ceux qui ne ju- .
geoient pas qu'il lui fallût des forces auffi con
fidérables pour une fi petite expédition lui
prêtoient de plus grands deffeins ; il devoit
difoient - ils , aller brûler à St- Malo & au-
Havre les bâtimens deftinés à transporter les
troupes Françoiſes qu'on s'attend à voir defcendre
fur nos côtes ; on ne manquoit pas de
fuppofer cette entrepriſe facile ; quelques avis
le préfentoient déja à la hauteur de la Hogue ;
tout-à-coup on l'a vu revenir à la rade de
Portland , où il eft arrivé le 21 de ce mois ;
les tranfports François font encore dans leurs
( 72 )
ports, & Paul-Jones continue d'infèfter les
mers d'Irlande .
» Il ne fe paffe point de jour , écrit- on de Corke ,
que nous ne recevions des nouvelles des déprédations
commifes par l'efcadre de Paul-Jones fur nos
côtes. Selon le bruit général , il eft actuellement
à l'ancre avec toute la flotille dans la baye de
Batry , & il a avec luis prifes «.
» Un floop qui a laiffé hier au foir Lairn , écritcon
d'Air , arrivé ici , a rapporté qu'un petit vailfeau
de Liverpool chargé de fel pour ce port
a été pris par Paul- Jones , & rançonné pour 200
guinées , Son équipage dit que Paul-Jones eft venu
dans le canal du Nord avec fes 3 frégates , &
que les 3 plus petits vaiffeaux de fon efcadre ont
remonté le canal Saint- George , & ont rencontré
les autres devant Torry. Ils ont été vus de la tour
de Lairn où la milice a pris la fuite ; mais ils n'ont
point cherché à faire une defcente , & bientôt après ,
ils font tous fortis du canal du Nord . La frégate
le Bofton de 32 canons eft actuellement à Loch-
Ryan , l'Ulyffe , vailleau neuf de 44 à Liverpool ,
& la Thetis de 32 à Briftol. Ces frégates , ainfi
que les vaiffeaux armés & les cutters qui font fur
ces côtes , ne peuvent pas le défendre contre l'efcadre
de Paul - Jones «.
On apprend dans ce moment que la frégate la Sa.
raphis de 44 canons , & le vaiffeau armé la Comteffe
de Scarboroug de 20 , ayant fous leur convoi la flotte
de la Baltique , ont été pris entre Flamboroug- Head
& Scarborough , par Paul-Jones , qui s'étoit emparé
auparavant de 19 bâtimens . On a dépêché le Capitaine
Elliot montant l'Edgard de 74 canons avec fix
autres vaiffeaux de guerre , pour le chaffer de ces parages
.
M. Robert Tomlinfon a annoncé à la Nation
une découverte qu'il a faite pour rendre
les vaiffeaux qu'on conftruira à l'avenir d'une
durée
( 73 )
durée trois fois plus grande que celle des
vaiſſeaux conftruits à préfent ; pour engager
la Nation à en faire ufage , il a adreffé la
lettre fuivante aux Membres de la légiſlation
Britannique.
» MM. on a avancé avec confiance en Parlement,
& on a répété dans plufieurs parties du
Royaume , qu'il n'y a jamais cû à la tête de notre
marine , de Miniftre plus intelligent & plus affidu ,
que le Comte Sandwich qui la dirige actuellement .
S'il faut s'en rapporter à certaine feuille du matin ,
il a la gloire de furpafler tous fes prédéceffeurs , & c.
Si nonobftant fes efforts extraordinaires pour augmenter
le nombre des vaiffeaux de ligne de la marine
Royale , malgré la facilité qu'il a eu de tirer
des chantiers du commerce , autant de vaiffeaux
quil a jugé à propos pour le fervice de S. M. , &
malgré l'octroi de grandes fommes d'argent , votées
en Parlement chaque année , pour l'accroiffement
de la marine Royale ; je viens à bout de
prouver que le nombre des vaiffeaux de ligne
étoit moindre le 26 Octobre dernier que le 31
Décembre 1770 ; j'ai lieu de me flatter qu'il fera
démontré , » que depuis l'heureux avènement de
» la famille actuellement régnante , il n'y a ja-
» mais eu d'époque où une invention fondée fur
des principes raisonnables , & confirmée par des
effais , mérite plus d'être adoptée que dans ces
>> circonftances «. Je demande donc la permiffion
de mettre au jour cette preuve , pour cet effet j'ai
rédigé un état qui montrera au premier coup d'oeil
le nombre des vaiffeaux de ligne propres au fervice,
qui ont exifté dans différents périodes , & j'ai produit
l'autorité fur laquelle fe fonde chaque citation
de forte qu'en les comparant & en les oppofant
l'une à l'autre , la queftion peut être décidée avec
facilité , avec préciſion , & d'une manière inconteftable
".
9 Octobre 1779.
d
( 74 )
Nombre des vaiffeaux de ligne.
Propres
Jaú fervice.
Mois. Ann.
En commiff.
Autorités fur Sous quelle
lefquelles fe Adminiftrafondent
ces tion.
nombres.
Total.
Laiffés.
Trouvés.
Rapport du Bureau
de la Ma-
17 56 54 7 rine à l'Ami-
31 Déc.
1759 120
rauté .
Difcours pro-
Le Lord Annoncé
par le fon , jufqu'en 61 120
Comte de Brif Juin 1762.
tol , en Parlement
le 23
Avril 1779. P.
-
12.
Calendrier de Le Lord Georla
Cour pour ge
Grenvil e
l'année 1763. jufqu'en Avril Rapport du Bu- 1763 . Le Cte.
1762 92
31 Déc.
1766 19 42
rauté .
1766
1767
19
19
31 Déc. 1768 19
1759
1770
21
59
reau de l'Ami- de
En Tiré de pa-
Sandwich
jufqu'en Août 92 61
1763 ,& le Cte.
d'Egmont jufqu'en
Novem
bre 1766.
Le Chevalier
c. piers auth. Edward, àpréentre
les fent L.Hawke ,
42 14 mains d'un depuis Novem-
So 15 des précébre 1766 juf- 61 811
5517 dens Lords qu'en Janvier
6216 de, l'Amir .
2215 Voyez auffi
le difcours
du Comte
1771.
de Bristol ,
P. 13.
authentiques.
Tiré de papiers Le Comte de
Difcours du puis le 12Janv.
Sandwich de-
81
31 Déc. 1770 $9 Comte de Brif- 1775.
71
22 tol , en Parlement
le 23
Avril 1779 ›
26 Oct. 1778
71
pages 14 & 15.
» J'ai particuliarifé chaque année de l'adminiftration
du Lord Hawke , pour prouver que fous fon
( 75 )
niniſtère , le Bureau de la marine a aug menté beaucoup
tous les ans les forces navales de S. M. , fi
l'on m'en demande la raifon , c'eft que le regiſtre
Parlementaire , nº. XI , pag. 51 , met dans la bouche
du Comte de Sandwich , » que la marine étoit
» dans le plus affreux état lorfqu'il eft entré dans
» le bureau de l'Amirauté «c . Mais comme les preu
ves que j'ai alléguées ci - deffus fe fondent fur une
autorité inconteftable , j'imagine qu'elles feront regardées
comme décifives , d'autant plus qu'elles font
confirmées par plufieurs faits publiés récemment
fur ce sujet ".. 4I
» Des commentaires fur les nombres indiqués à
chaque période , feroient trops longs ; j'obſerverai
fimplement que depuis le 31 Décembre 1759 ,
jufqu'au 31 Décembre 1766 , ( eſpace de 7 ans ) ,
le nombre des vaiffeaux de ligne propres au fervice
, a été réduit de 120 à 61 ; quelle peut être
la caufe d'une diminution ſi étonnante . Si l'on confidère
que pendant une grande partie de ce tems ,
nous avons eu plufieurs Officiers de marine , judicieux
, expérimentés , pleins de zèle & de talens ,
qu'on ne fauroit foupçonner de n'avoir pas mis en
ufage tous les moyens en leur pouvoir pour empêcher
cette diminution. Il faut donc l'attribuer au
bois verd dont on s'eft fervi pour la conſtruction
des vaiffeaux , & à la précipitation avec laquelle
ils ont été conftruirs. Je préfume avec raifon que
le grand nombre des vaiffeaux actuellement en
conftruction fe dégraderont auffi rapidement par
les mêmes caufes. Une courte réflexion nous fera
voir que c'est une mauvaiſe politique de rejetter
les moyens propofés , lorfque l'expérience & la phi-
Jofophie démontrent qu'il en résulteroit une longue
durée pour les vaiffeaux , qu'ils épargneroient
de grandes fommes d'argent au public , & préviendroient
la confommation infructueufe d'une
quantité énorme de bois de chêne «<. cc.
d2
(176:))
&
Il faut remarquer de plus , que depuis les 31
Décembre 1766 , juſqu'au 31 Décembre 1770,
les forces navales de S. M. ont été augmentées
de 61 jufqu'à & 1 vaiffeaux de ligne , quoique
le Bureau de la marine ait été privé nécellairement
pendant cet efpace de tems , de plufieurs
avantages , qu'il a toujours eu dépuis ; mais malgré
cet obftacle , le Lord Hawke a laiffé plus de
vaiffeaux en conftruction dans les chantiers qu'il
n'y en a trouvé. Enfin depuis le premier Janvier
1771 , jufqu'au 26 Octobre 1778 , on trouve que
la marine à éte diminuée de 10 vaiſſeaux de ligne,
& cela pendant l'adminiſtration de celui qu'on
vante comme le meilleur Miniftre de la marine
qu'ait jamais eu la Nation . Quelle peut être la
fource de cette réduction ? J'imagine que cela vient
de ce que les vaiffeaux dépériffent en moins de
tems qu'il en faut pour en conftruire d'autres .
Cette diminution doit paroître d'autant plus étonnante
, que S. M. pendant ces deux derniers périodes
, a tiré plufieurs vaiffeaux des chantiers du
commerce ainfi que des fiens. Nous étions par cette
raifon , fondés à nous promettre un accroiffement
confidérable , au lieu d'une diminution . Mais comme
cette diminution a été manifeftée au Parlement
, & qu'elle n'a pas été contredite , quoique
mife au jour depuis long-tems , j'imagine qu'elle
ne fera pas démentic actuellement. Et puifque j'ai
découvert les moyens par lefquels on pourroit .
économifer beaucoup d'argent & de bois , & éviter
les grands inconvéniens qui doivent réfulter
néceffairement du dépériffement rapide qu'éprouvera
la marine Royale ; je fuis difpofé à en faire
part à la Légiflation , au pouvoir de qui il eft de
faire fervir ma découverte à cet objet defirable cc .
bÉTATS-UNIS DE L'AMERIQUE SEPT.
De Philadelphie le 1 Août. Aux premières
( 77 )
71
>
relations qu'on avoit reçues ici de l'affaire de
Stony-Point , on doit ajouter les détails fuivans
qui rectifient quelques uns de ceux
qu'on a donnés précédemment. Nos troupes
furprirent ou tournèrent les feules gardes
avancées de nos ennemis ; & la garnifon ,
inftruite de notre approche par fes efpions ,
nous attendoit fous les armes , le corps du
Général Wayne avoit été renforcé par différens
détachemens de l'armée , & montoit
alors à environ 1200 hommes. C'eft véritablement
avec la bayonnette & fans tirer un
coup de fufil qu'il eft tombé fur les Anglois
qui furent forcés de fe tendre ; ils s'attendoient
à être tous maffacrés en repréfaille
du traitement qu'ils avoient fait dans une
occafion femblable à un petit corps commandé
par le même Général Wayne ; mais
on affure que le foldat n'a pas attendu les
exhortations de fes Officiers pour traiter les
vaincus avec humanité.
D'après toutes les nouvelles , les chofes
font toujours dans le même état fur la rivière
du nord , le Général Clinton l'a defcendué
avec la plus grande partie de fes forces , &
a continué fes ravages dans le Connecticut.
On fe flatre d'y mettre bientôt fin, la plupart
des Etats ont fait paffer leurs Contingens
pour completter l'armée , & ceux des autres
font en route pour la joindre ; on apprend
de New-Yorck qu'on y attend inceffamment
l'Amiral Arbuthnor & que le Lord
Cornwallis y eft arrivé depuis une quinzaine
de jours.
મધ
((78-)
On n'a point encore de nouvelles authentiques
du fud, les lettres particulières représ
fentent les Anglois s'éloignant de Charles-
Town & paffant d'ifle en ifle , fans qu'on
fache pofitivement fi leur intention eft de
reprendre le chemin de Savanah , ou de ſe
fixer à Beaufort ou à Port-Royal. La pofition
du Général Prévoft ne fauroit être plus critique
dans le premier de ces endroits ; l'ifle de
Beaufort ne communique à la Caroline que
par une feule chauffée ; & les frégates Américaines
, fous les ordres du Commodore
Hopkins , ftationnées dans la baye , le bloquent,
dit- on, fi étroitement, qu'il ne peut ſe
retirer par eau , ni recevoir des approviſionnemens.
Les Torys & les Sauvages , excités par
eux , viennent de faire une irruption fur les
derrières du Général Sullivan , dont l'armée
étoit alors à Wyoming ; ils ont profité de fon
abfence pour ravager une étendue de pays
affez confidérable fur le Sufquehanna oriental
; quelques milices fe font mifes en marche
pour les punir , & nous ne tarderons pas à
apprendre des nouvelles de cette expédition.
La nouvelle desfuccès de M. le Comte d'Eftaing
aux Antilles nous eft arrivée ily a 4 jours
& nous en avons reçu hier la confirmation
pofitive de St- Eustache , toute la ville donne
à ce fujet les plus vives démonſtrations de
Joie ; nous fentons toute l'importance de cet
évènement ; & nous nous flattons que nos ennemis
, fi vivement occupés ailleurs , ne nous
( 79 )
empêcheront pas de chaffer les troupes qu'ils
'ont dans ces Etats , où ils n'ont pas les moyens
de les renforcer ; il fe pourroit auffi que dans
peu de tems ' nous reçuffions des fecours affez
puiffans pour hâter leur expulfion de ce
Continent
.
i
FRANCE.
De VERSAILLES , le S Octobre.
LL. MM. & la Famille Royale ont figné le
Contrat de Mariage du Comte de Ligniville ,
Comte du St - Empire , ancien Capitaine de
vaiffeau , avec Mlle. Comte.
Le 21 du mois dernier S. M. a accordé les
entrées de fon Cabinet au Baron de Breteuil ,
fon Ambaffadeur extraordinaire près l'Empereur
& l'Impératrice Reine de Hongrie & de
Bohême.
Le 12 , M. Cornette , de l'Académie Royale
des Sciences & de la Société Royale de Médecine
, eut l'honneur de préfenter au Roi ,
à Monfieur , à Mgr le Comte d'Artois , un
Mémoirefur la formation du Salpêtre &fur
les moyens d'augmenter en France la production
de ce fel.
*
De PARIS , les Octobre.
SELON les lettres de Breft , en date du
20 & du 25 du mois dernier , on continuoit
avec beaucoup d'activité les préparatifs
néceffaires pour remettre en mer ;
on remplaçoit les malades des équipages ,
d 4
( 80 )
& on embarquoit de l'eau & des vivres
pour deux mois. Tous les Officiers de l'armée
Espagnole allèrent en corps , le 21 ,
faire une vifite à M. le Comte d'Orvilliers ,
& ceux de la marine Françoife lui en firent
'une le lendemain. M. le Comte du Chaffault
étoit arrivé le 19 au foir , très-bien rétabli
de fa bleffure.
Les mêmes lettres contiennent la relation
fuivante de la fuite des Anglois devant
l'armée combinée , depuis les Sorlingues ,
ou ifles de Scilly , jufqu'à l'ouverture de
la baye de Plymouth.
Le 31 Août 1779 , l'Armée commandée par M. le
Comte d'Orvilliers étant fur trois colonnes , dans
l'ordre naturel , le cap à l'Eft- quart-Sud- Eft , les
vents à l'O. S. O. variables à l'O. N. O. & N. Le
Général à la tête de ſa colonne ; M. le Comte de
Guichen au centre de fon efcadre , marchant à la
gauche de l'Efcadre blanche , Dom Miguel de Gafton
au centre de la bleue , placé à la droite de l'EC
cadre blanche ; Dom Louis de Cordova à la gauche
de la grande Armée ; l'Efcadre légère , commandée
pár M. de la Touche Tréville , à la droite de l'Efcadre
bleue ; les brûlots , bombardes & autres bâtimens
fur les ailes : les frégates avancées découvri
rent au point du jour l'Armée Angloife en avant de
l'Armée combinée , ayant les amures ftribord. As
heures un quart, le vailleau la Bretagne , qui marchoit
à la tête de fa divifion , eut bonne connoiffance par
lui-même de l'Armée ennemie , qui couroit déja les
amures à ftribord , cherchant à fe former ,
fon
arrière-garde reftant à l'Eft-quart-N. E. du compas,
& fon avant-garde à l'Eft- quart- S. E. , à 4 ou 5
lieues de diftance ; en même- tems on découvrit les
Sorlingues du haut des mâts , au N. N. E. du mon
de. Aufli - tôt le Général fit les difpofitions fuivantes :
( 81 )
PEfcadre blanche & bleue eut ordre de venir für
bas-bord par un mouvement fucceffif , & de forcer
de voiles ; l'Efcadre mit en panne ftribord , &
l'Efcadre blanche mit en panne bas -bord au vent ;
l'objet de cette évolution , eft évident par lui- mêmes
un feul coup d'oeil fur le-plan , dans lequel on
apperçoit la fituation des terres , fera remarquer
que M. le Comte de Guichen étoit deſtiné , avec
l'Efcadre qu'il commande , à couper chemin aux
ennemis , en ferrant les côtes d'Angleterre , pour
ôter à l'Armée Britannique la reffource de fes Ports ,
car quoique les Ennemis fuffent occupés dès- lors à
fe former en bataille , les amures à ftribord , M. le
Comte d'Orvilliers ne pouvoit être tranquille tane
que la communication entre les terres & l'Armée
Angloife ne feroit pas coupée ; cependant le Général
ne négligea pas de défendre ftribord , vu qué
l'Ennemi s'y formoit à toute hâte.
7
»Dans ce deffein , & pour conferver le vent fur
la tête de la ligne ennemie , il fit tenir le vent &
mit en panne les deux autres efcadres , mouvement
d'autant plus important qu'on ne pouvoit pas
douter dès- lors que les autres feroient le tour par
le N. & N. E. Le tems vif & clair qu'il faifoit
déjà l'annonçoit évidemment ). Le vaiffeau la Bretagne
, à la tête de l'efcadre blanche , mit en panne
bas-bord au vent , & donna différens ordres aux
frégates & au lougre le Chaffeur qu'on envoya fur
le champ reconnoître la pofition de l'armée ennemie
, & pour être inftruit à chaque inftant par les
fignaux de ces bâtimens , de tous les mouvemens
des Anglois. Par la pófition de l'efcadre blanche
deftinée à faire le corps de bataille de l'armée combinée
, cette efcadre reftoit libre de fuivre fans
aucune perte de tems celle des deux efcadres , qui
felon la circonftance feroit l'avant garde de l'armée
combinée , ftribord ou bas-bord , enforte que la.
ligne ne pouvoit pas manquer de fe déployer avec
ds
( 82 )
toute la viteffe dont l'armée combinée peut être
fufceptible . Mais ce qui étoit vraiment important ,
ce qui a fur- tout dû frapper tout homme du métier ,
vu la pofition des deux armées , relativement au
giffement des terres , c'eft fans doute la néceffité
de porter l'efcadre blanche & bleue dans la Manche
, pour ôter aux Anglois la retraite de leurs
Ports ; le fecond objet étoit de ne pas perdre l'avantage
du vent , dans le cas où les ennemis
continueroient à courir les amures à ftribord en
prenant le large . Dès que l'Amiral Anglois s'apperçut
que le Comte de Guichen fe gliffoit avec
fon efcadre vers les côtes d'Angleterre , il fit re
virer fon armée avec précipitation , & prit chaffe
à toutes voiles ; l'efcadre légère de l'armée combinée
eut ordre de chaffer ; on fit également fignal
à toute l'armée de pourfuivre les ennemis , & en
même -tems au vaiifeau de la tête de la ligne de
bataille de diriger fa route de manière à couper en
avant du chef de file de l'armée Angloife ; malheureufement
notre pourfuite a été vaine , quoiqu'on
ait chaffé les Anglois jufqu'à l'ouverture de la baye
de Plymouth , par la raison qu'une armée ne gagne
point quatre à cinq heures dans un feul jour fur une
autre armée qui fuit à toutes , voiles , ( a) & furtout
avec des vents foibles & variables à l'avan .
tage des fuyards , qui leur ouvrent un port für ,
en laiffant fous le vent l'armée qui pourfuit. Les
Anglois ont affez confervé d'enfemble dans leur
retraite , & les vents , en refufant à leur première
route , les ont placés néceffairement en échiquier ,
& dans le meilleur ordre de défenſe contre les
détachemens de l'armée combinée , en cas qu'ils
euffent pu atteindre leur arrière-garde «.
(2) On n'a jamais vu de deffus les gaillards du vent la
Bretagne que les huniers des vaiffeaux Anglois les plus
rapprochés , & cependant la Bretagne étoit à la tête de
la colonne du centre , & l'horifon très-étendu.
( 83 )
>
Le premier Septembre , au point du jour , on
apperçut l'armée ennemie à 7 à 8 lieues au vent
de l'armée combinée , & dès lors à portée d'entrer
dans la baye de Plymouth , toujours obfervée &
fuivie par les frégates la Concorde & la Gloire
& plufieurs autres , les vents alors à l'E. , & fe
refufant de plus en plus à notre pourfuite ; quelques
tems après , MM. de Cordova & de Gafton
MM. le Chevalier de Monteil , d'Amblimont , &
plufieurs autres vaiffeaux de l'arrière- garde fignalèrent
11 , 13 , & juſqu'à 15 voiles en arrière de
l'armée ; tous ces fignaux étoient accompagnés de
coups de canon & à différentes reprifes , ce qui
indique toujours un mouvement preflé ; le Général
reconnoiffant d'ailleurs l'impoffibilité de joindre
l'armée ennemie qui ne pouvoit dès - lors mettre fur
Ranes -Héat de Plymouth , & craignant de manquer
la flotte fignalée dont on ne connoiffoit
le nombre dans une brume épaiffe , ordonna par
fignal à tous les vaiffeaux de l'armée de virer de
bord vent arrière , & fucceffivement aux vaiffeaux
qui avoient découvert les voiles , de les chaffer ,
enfin à toute l'armée de fuivre les chaffeurs . Ce
convoi fut joint dès trois heures par l'avant-garde ,
& à quatre heures par le vaiffeau la Bretagne
mais il étoit Hollandois , venant de Surinam , ef
corté par trois frégates & un petit bâtiment de la
République «
pas
» M. le Comte d'Orvilliers voulut enfuite revenir
fur Plymouth ; mais en réfléchiffant que les
vaiffeaux de fon armée manquoient d'eau & de
plufieurs autres objets de première néceffité , ainfi
que des moyens de s'en procurer en rentrant dans
la Manche , d'où l'on ne fort pas quand on veut ;
il fe détermina à aller chercher fur le Lézard , &
enfuite fur Quellant , un convoi qui lui étoit envoyé
depuis long-tems par le département de Breft ;
l'armée étant rendue à la hauteur de cette Ifle ,
d 6
( 84 )
reçut ordre de relâcher pour faire de l'eau & rafraîchir
les équipages : en conféquence elle eft entrée
à Breft les 10 , 11 , 12 , 13 & 14 Septembre
, où depuis les nouveaux ordres qu'elle a rereçus
, elle fe prépare à reprendre la mer au premier
jour ".
Selon les lettres du Havre & de St-Malo ,
il n'y a rien de changé aux préparatifs faits
pour l'embarquement ; on croit toujours
qu'il aura lieu , & que la mauvaiſe faifon
n'arrêtera pas l'exécution de ce projet. Le
26 Septembre , on y a reçu , dit-on , ordre
de fournir à chaque foldat une paire de
gros fouliers piqués pour la campagne d'hiver;
le Roi , ajoute-t- on , payera l'augmentation
du prix. On prépare auffi pour les
troupes des capotes & des gilets de Hanelle ,
& on double leurs tentes.
On mande de quelques ports qu'une frégate
arrivée à la Rochelle , & venant d'Hifpaniola
, a rapporté que l'Amiral Parker
ayant avec lui deux vaifleaux de ligne ,
dont l'un eft le Ruby de 64 canons & deux
frégates , a été pris dans les parages de la
Jamaïque , par l'elcadre de la Havane , compofée
de cinq vaiffeaux commandés par D.
Louis Bonnet. Si cette nouvelle fe confirme ,
il eft vraisemblable que cette Ifle importante
ne tardera pas à rentrer fous la domination
des Eſpagnols à qui Cromwell l'avoit
enlevée .
A cette nouvelle que l'on ne peut garantir
encore , nous en joindrons une autre
qué nous fournit l'affiche de Bretagne , du
( 85)
f
24
" du mois dernier. On écrit de Breft , que
les quatre vaifeaux que D , Louis de Cordova
avoit détachés de fa flotte pour une
expédition particulière , fous le cominandement
de D. Ulloa , fe font emparés de
deux vaiffeaux de guerre Anglois , d'une
frégate & d'un bâtiment yenant de l'Inde
richement chargé ".
V
M. le Chevalier de Grimoard , Lieutenant de
vaiffeau , Commandant la frégate la Minerve , prife
fur les Anglois par M. de Tilly , écrit- on de Breft ,
eft arrivé le 19 dans cette rade venant de Saint-
Domingue ; il a mis à terre , le 20 , un Confeiller
du Confeil Souverain de la Martinique , lequel eft
parti le même foir pour Verfailles , chargé des
dépêches de M. le Comte d'Eftaing. Voici , diton
, les nouvelles qu'il apporte. M. d'Estaing en
partant de la Grenade , a été à la Martinique , a fait
raffembler tous les vaiffeaux marchands chargés
pour la France , les a mis à fa fuite & fous fon
escorte , & a fait voile enfuite vers St - Christophe
où il a reconnu l'Amiral Byron & fa flotte emboffée
& placée de façon à ne pouvoir être attaquée ,
& fortement occupé au radoub de plufieurs vaiffeaux .
Il a refté pendant 24 heures devant ce port pour
offrir une revanche à l'Amiral Byron , qui n'a pas
jugé à propos de la prendre. M. d'Estaing , bien
afluré que l'ennemi ne pouvoit rien entreprendre
contre les Antilles , a été à St-Domingue , où il a
raffemble encore tous les vaiffeaux marchands chargés
pour la France , & a efcorté jufqu'au débouque
ment , ce convoi qui eft de 60 à 80 voiles , & qui
doit arriver inceffamment ; il en a été donné avis à
Breft pour qu'on faffe fortir quelques vaiffeaux pour
protéger fon arrivée ; le Protecteur & trois autres
frégates l'escortent en France. M. d'Estaing avec
toute fa flotte difparut le 23 en cinglant vers le.
( 86 )
nord. Ces rapports de la Minerve n'étonnent pas
ceux qui connoiffent l'activité de ce Vice-Amiral.
On ignore quels font fes projets ; fon uſage n'eſt
pas de mettre perfonne dans fes fecrets. Les uns
veulent qu'il ait été à la Martinique ; les autres
croient qu'il a tourné du côté de New- Yorck. Tout
ce qu'on fait , c'eft qu'il a trouvé à St- Domingue
des vivres & des munitions en abondance , & 1800
volontaires qu'il a pris avec lui. Les mêmes nouvelles
difent encore qu'un gros vaiſſeau de l'armée
de Byron ayant été forcé après le combat de la
Grenade de fe retirer à la Jamaïque , y eft arrivé
en fi mauvais état , qu'il y a répandu la plus grande
terreur.
» On a lancé ces jours derniers dans ce port le
vaiffeau le Magnanime de 74 canons ; l'Invincible.
de 100 , le fera avant Noël ; & les trois autres de 74,
l'Argonaute , le Brave & l'Illuftre feront prêts au
premier Avril «e,
On s'eft permis dans la gazette de la Cour
de Londres , en donnant les relations de
la prife de la Grenade & du combat naval
qui eut lieu deux jours après , d'altérer les
faits ; on devoit s'y attendre ; on ne fera pas
fâché de retrouver ici la relation du Lieutenant
du vaiffeau le Fier Rodrigue , armé
par M. de Beaumarchais , qui prit part au
combat ; elle pourra fervir peut- être à éclaircir
ce qu'entend le Lord Macartney dans fa
lettre au Lord Germaine , en parlant des
propofitions extraordinaires que le Général
oppofa à fon plan de capitulation .
» Le 2 Juillet à midi , nous mouillames
devant deux des forts de la Grenade , à peine
fumes nous mouillés que M. le Comte d'Eftaing
ordonna le débarquement; on mit à
( 87 )
terre 1200 hommes , fans voir aucun Anglois.
Le Général s'empara d'une hauteur , fit fes difpofitions
, & la nuit du 4 aus , le Fort d'en haut
du morne de l'Hopital fut attaqué par deux endroits
, tandis que le Général monta à l'affaut par
derrière , & l'emporta l'épée à la main. L'action
dura depuis deux heures & demie jufqu'à quatre
heures du matin. Milord Macartney s'évada & s'enferma
dans le Fort d'en - bas , nommé le Fort
Saint - George , mais celui d'en-haut qui étoit déjà
en notre pouvoir , le commandoit ; & le lendemain
il fe rendit comme M. d'Eftaing le voulut ;
comme ce Gouverneur avoit tenu certains propos
avant d'être vaincu , il a été humilié fingulièrement.
Vous en jugerez par la loi qu'on lui a faite , on a
obligé les Anglois d'amener eux-mêmes leur pavillon
du fort St George , de le jetter dans les foffés où il
eft encore , d'arracher le bâton de pavillon , d'en
élever un autre & de hiffer eux - mêmes le pavillon
François. Lord Macartney vouloit traîner en longueur
, parce qu'il attendoit Byron avec fon efcadre ,
mais notre Général lui fit dire que s'il ne fe rendoit
dans un quart d'heure il alloit l'écrafer ; cette menace
partant d'un homme qui tient fes promeffes , le décida,
& il fe rendit. Tranquille fpectateur de la prife des
forts ou nous avons eu 30 hommes tués & autant de
bleffés , nous attendions le jour qui nous fit voir les
pavillons blancs flottans. Cette vue , agréable à tous
bons François , fut accompagnée de trois cris , de
.vive le Roi, de chaque vailleau . Nous voyons de nos
navires faire la guerre fans rifquer beaucoup , mais
notre tour devoit venir.
Dans la journée dus les frégates de M. d'Eftaing
vinrent lui apprendre que Byron étoit à la voile ; à
4 heures l'efcadre eut ordre d'appareiller , & le jour
ouvrant nous fit voir à deux lieues tout au plus Byron
avec fon efcadre , & un convoi de so voiles. Voyang
( 88
*
que nous n'avions pas eu le tems de nous mettre en
ligne de bataille , il laiffa fon convoi au vent de la
tête de l'ifle pour profiter de notre défordre ; il
elpéroit , fans doute , en tenant le vent , & conféquem .
ment en rangeant la terre , faire paller fon convoi
entre lni l'ifle , tandis qu'il fe battroit avec nous,
Sa manoeuvre étoit fuperbe & décidée , mais fi nous
euffions été en ligne il ne le feroit jamais tiré de ce
pas. Le vailleau le Fendant , qui fe trouvoit à notre
tête , engagea le combat , & dans moins d'un quart
d'heure il devint général. Le feu étoit vif de part &
d'autre , mais nous doublions le leur ; l'armée Angloife
couroit le bord du fud pour aller dans le port & nous
celui du nord; mais à peine le chef de leur ligne eut
il apperçu les pavillons blancs fur les forts , & qu'on
tiroit fur lui , que les Anglois virèrent tous de bord
dans la même pofition & fe trouvèrent conféquem
fur le même bord que nous. Ce fut alors que le feu
augmenta ; nous nous trouvâmes à la queue de nos
vaiffeaux avec l'Amphion & l'Annibal , & là nous
effuyâmes la volée de fix vaiffeaux , l'Annibal nous
garantit par deux fois & fit un feu diabolique ; le
nôtre n'étoit pas moins vif , mais l'Annibal
ayant fait de la voile pour arriver par-devant nous
nous fumes obligés , pour éviter d'être abordés , de
préfenter le devant à trois vaiffeaux , dont l'un
étoit le fecond Commandant Anglois , l'Amiral
Barrington ... Nous virâmes de bord pour aller
rejoindre la ligne qui étoit formée & prendre notre
pofte : M d'Estaing remarqua cette manoeuvre avec
plaifir ; il nous l'a témoigné lui - même ; mais tout
étoit dit ; les Anglois en défordre tenoient le vent
tant qu'ils pouvoient ayant s vaiffeaux démâtés de
leur mât de hune , dont un des plus gros étoit fi
avarié qu'il arriva vent arrière ; nous ignorons
il fe fera retiré , ainfi que l'Eſcadre très-maltraitée.
Pour nous nous louvoyâmes toute la nuit , & le 7
( Juillet ) à 8 heures du matin , nous amouillâmes.
Sour
( 89 )
dans la rade de la Grenade ; nous leur avons pris
trois bâtimens de leur convoi dont un fénaut char
gé de 150 hommes de troupes.....
Je peux vous certifier que de la façon dont nous
les avons arrangés ils n'auront pas envie d'y reve
nir de quelque tems. Le nombre des tués de notre
Efcadre eft évalué à 200 ', & celui des bleffés à
ou 5oo. On a pris des maifons à terre pour y foigner
ces braves gens , & M. d'Eftaing a promis de
faire donner des penfions aux veuves & aux meres ,
ou femmes des eftropiés pour la vie. M. le Comte
d'Estaing vint hier lui-même dans notre bord , accompagné
d'un feul Officier , il nous furprit en négligé
& occupés à nous réparer , il nous dit les chofes
du monde les plus flatteufes.... Quand il defcendit
du bord nous voulumes le faluer par trois
cris de vive le Roi , il nous pria de ne le pas faire.
& fur ce que nous infiftions il nous le défendit.
On dit que M. le Comte d'Estaing a trouvé
dans la Grenade 36,000 nègres . Leur travail
rendoit cette Ifle extrêmement floriffante ;
ainfi plus cette conquête eft importante ,
plus on loue ce Général de ne s'être pas
expofé à la perdre en pourſuivant l'Amiral
Byron.
le
23
La lettre fuivante en date de Strasbourg
du mois dernier , nous a été adreffée par
M. le Comte de Pac ; nous nous faiſons un
devoir de la publier ainfi qu'il le defire.
Je n'aurois peut-être pas eu fi-tôt , MM. le
plaifir de lire votre Ouvrage périodique , fans un
paffage y contenu , qu'un de mes Amis vint me faire
voir. Je fuis même fâché de ne devoir la connoiffance
d'une production fi utile & fi agréable qu'à
cette circonftance.
Le paffage dont il s'agit , eft placé dans votre
Cahier de l'année courante , du Samedi 21 Août ,
( 90 ).
dans la partie du Journal , Pologne , de Varsovie
le 23 Juillet , page 99.
Il eft indifpenfable pour moi , MM. , de vous en
entretenir un moment. Il m'importe que vous foyez
mieux informés , fur un fait gratuitement avancé ,
fur un fait trop délicat , pour ne pas irriter ma fenfibilité
; fur un fait enfin , diamétralement oppoſé à
ma façon de penfer. Il m'importe que vous en foyez
plus inftruits , parce que j'en aurai tout lieu de me
promettre, que fuivant l'impulfion de la fageffe &
de la prudence qui vous caractériſent , vous ne me
refuferez pas de détruire , par un de vos premiers
Journaux , l'impreffion du Public , fauffement informé
fur mon compte par ledit paffage , qui n'aura
pu fe gliffer dans votre Journal , qu'à titre de répétition
innocente de quelque Feuille étrangère.
Je crois devoir vous dire , MM . , que je fuis celui
dont il eft queftion dans le paffage de votre Journal
ci- deffus cité de date ; & que je fuis celui
qu'on a vu avoir l'honneur de préfider à la Nation
Polonoife Confédérée , en qualité de Maréchal-
Général de la Confédération du Grand-Duché de
Lithuanie. Voici le paffage mot à mot. » Le Comte
de Pac , ci-devant Maréchal de la Confédération
de Lithuanie , eft attendu inceffamment dans
cette Capitale , il vient fe foumettre & réclamer
le pardon du Roi & l'indulgence de la Répu-
» blique ".
•
Les expreffions , réclamer le pardon & l'indulgence
, ne conviennent qu'à un coupable , qu'à un
criminel ; elles ne peuvent être que très- préjudicia
bles à la réputation d'un homme d'honneur & d'un
Citoyen zélé pour fa patrie,
Il feroit fuperflu de vous détailler , MM. , les
motifs qui ont fait naître notre Confédération ; les
calamités de la République de Pologne , de ces temslà
, ne font ignorées de perfonne : d'ailleurs il me
convient de fuivre avec exactitude la règle que je
( 914 )
me fuis impofé, d'obferver le filence fur tous ces
évènemens antérieurs .
Dans cet inftant , où les Papiers publics parlent
fur mon compte ; mon unique foin eft ma défenſe
propre & perfonnelle : encore relativement à cer
article fi intéreffant pour moi , veux - je m'aflujettir à
la plus fimple explication , & purement telle , que
je préfumerois fuffifante pour convaincre le Public
de ma conduite irréprochable.
Je me borne donc à vous dire , MM. , que dans
mes entreprifes , en vue de me rendre utile par mes
fervices à la République , je n'ai obfervé que fon
danger , & n'ai fait que lui confacrer ma vie & mon
bien pour la fauver que mon zèle patriotique a
guidé mes premiers mouvemens , & que le devoir
de Citoyen a réglé mes démarches ultérieures.
Avec des intentions fi pures & fi innocentes , n'efton
pas bien éloigné de toute idée de crime envers la
patrie ? Peut-on être taxé de tranfgreffion des liens
facrés & refpectables , par lefquels on tient à la
conftitution d'une Nation libre ?
J'oferai même avancer que n'ayant rien à me
reprocher , & n'ayant rien fait que fuivant ma confcience
, & conféquemment aux droits que les Loix
de la Pologne me donnoient de m'oppofer à des
entreprifes , que je regardois comme injuftes & dan
gereufes , je ne pourrois jamais me croire obligé
de réclamer le pardon & l'indulgence , quand je
me déterminerois à retourner dans mon pays , que
je me préfenterois alors avec l'affurance d'un Citoyen
vertueux fous les yeux des Etats , qui connoiffent les
droits de fes Citoyens , & que la République , fi elle
pouvoit me juger librement , je fuis affuré qu'elle
feroit bien éloignée de regarder ma conduite , comme
ayant befoin de pardon , & d'être examinée avec
indulgence.
Je vous dirai enfin , MM. , que juſqu'à ce moment
, il n'eft encore nullement de mon intention
de me rendre dans mon pays.
( 92 )
3
Après cet expofé , je défite , MM. , & vens en
prie très-inftamment, que par votre ministère le Public
foit éclairé fur les vérités que j'ai l'honneur de
vous marquer. Vous m'obligerez même infiniment ,
fi vous trouviez place pour cette lettre en entier
dans votre Ouvrage périodique : ce feroit par ce
moyen plus aifé pour vous , MM. , & plus efficace
pour tranquillifer mes inquiétudes , me rendre un
fervice bien effentiel ; parce que de la publicité
complette que vous donneriez à ma façon de penfer
, que je viens de vous dévoiler au fujet du paffage
fufmentionné , il me reviendroit un bien d'un
prix ineftimable ; c'eft celui de la confervation de
T'eftime du Public , & fur-tout de celle de l'illuftre
Nation Françoife , au milieu de laquelle j'ai l'hon
neur de paffer mes jours , Nation aimable & refpectable
, qui pofsède les plus précieux fentimens
de mon coeur , & les plus purs hommages de mon
ame. J'ai l'honneur d'être , &c. figné , le Comte DI
PAC.
Madame la Marquife de Montmirail a
établi à Boinville une fête à l'inftar de celle
de la Rozière de Salency ; une perſonne
curieufe d'en apprendre les détails , s'adreffa
à un ami qui en avoit été témoin oculaire
la réponſe en eft courte ; on nous
prie de la publier , & nous le faifons avec
beaucoup d'empreffement ; la connoiffance
de ces établiſſemens utiles peut les multiplier;
& ce feroit une fatisfaction bien douce
pour nous d'y contribuer au moins en les
annonçant.
Non , je ne prends point pour une indifcrétion
la demande que vous me faites au fujer de la fête
de la Rozière , que Madame la Marquife de Montmirail
vient d'établir dans une de fes Paroiffes ; il
eft d'une ame honnête & vertueufe comme la vô
( 93 )
,
tre de s'intéreſſer au maintien des moeurs & au fort
de la vertu , quelque part qu'elle fe trouve ; & loin
de m'offenfer de votre curiofité , je me propoſe de
la fatisfaire de point en point , lorfque nous ferons
réunis à votre maiſon de campagne ; les détails de
cette intéreffante cérémonie , étant trop longs pour
me les permettre , ou même pour ofer les entreprendre
dans une lettre ; ainfi tout ce que je peux
vous en dire à ce moment , c'eſt que , n'en déplaife
aux Salenciens & aux Bonnes gens de Canon , jamais
Rofe n'a été mieux méritée ni Rozière mieux
fêtée , la pieufe & bienfaifante Dame de ces Hameaux
n'ayant rien négligé de ce qui pouvoit contribuer
à la pompe & a la magnificence de ce couronnement
: c'eft ainfi , Monfieur , que par une religieufe
& charitable induftrie , elle a cru devoir fe
fervir de l'attrait des récompenfes , pour infpirer
l'amour & la pratique de la vertu ,
å des ames trop
peu fenfibles aux charmes , ou plutôt à la force de
fes exemples , & je défirerois bien , à vous dire vrai ,
voir ces fortes d'établiflemens plus répandus dans
les campagues , afin d'y infpirer une noble émulation
à la jeuneffe malheureufement trop accoutumée
à fe décourager , ou à s'avilir encore par le défef
poir de fortir de l'obfcurité. Mais remettons à une
autre fois les réflexions que je pourrois faire pour
& contre ces établiffemens : comme voilà déja quelques
momens que j'abufe de la complaifance de la
refpectable compagnie qui m'attend , je vous quitte
pour la rejoindre , & vous prie de me croire , & c ...
On écrit de Montpellier que pendant un orage qui
s'éleva fur le bourg de Viol , en Laval , dans les
premiers jours de Septembre , le Métayer d'une terre
voifine , fa femme & leurs enfans , au nombre de 4 ;
cherchant à ſe raſſurer mutuellement contre la crainte
que leur infpiroit le bruit du tonnerre , fe réunirent
dans le même lit. A peine y furent-ils entrés que
foudre tomba , & tua le père & un de fes enfans . Elle
ne fit aucun mal aux autres . La mère fut brûlée à la
la
( 94 )
tête , refta long - tems fans connoiffance & eut
beaucoup de peine à recouvrer l'ufage de les fens.
Les Lettres viennent de perdre M. Laureault
de Foncemagne , fous-Gouverneur du
Duc de Chartres , membre de l'Académie
Françoife , de celle des Infcriptions & des
Belles-Lettres . Il eft mort le 26 du mois
dernier , dans la 86e. année de fon âge.
M. Farges de Poliffy , Confeiller d'Etat
ordinaire , Doyen des Doyens des Maîtres
des Requêtes , eft mort le 19 du même
mois , dans fa 80e. année.
Jean- Baptifte Pothenot , ancien Capitaine
de Cavalerie de St- Domingue , Ecuyer &
Gentilhomme de la Grande Vénerie , eſt
mort en fon château des Boullets , le 19 ,
dans la 82. année de fon âge.
Louis-Jofeph de Mazeliere , ancien Capitaine
de Cavalerie , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , eft mort à
Nérac en Guyenne , âgé de 55 ans.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 17
Août , enregistrée au Parlement le 6 Septembre
fuivant , portant , entr'autres chofes , que dans le
cas où un navire marchand , par fortune de mer ,
auroit été mis hors d'état de continuer fa navigation ,
& auroit été condamné en conféquence à ne plus
fervir , les Affurés pourront faire délaiſſement à leurs
Affureurs , du corps & quille , agrès & apparaux
dudit navire , en fe conformant aux difpofitions de
l'Ordonnance de , 1681 , fur les délaiffemens . Les
Affurés ne font admis à faire ce délaiffement qu'en
repréſentant les Procès - Verbaux de vifite du navire ,
ordonnés par les articles 1 & 3 de la préfente Décla
ration.
( 95 ).
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie Royale
de France , du rer . de ce mois , font : 73 , 21 , 86 ,
32 ,
66.
De BRUXELLES , le S5 Octobre.
LES lettres de Cadix portent qu'on y
prépare avec la plus grande célérité , des
pontons & autres bâtimens capables de
porter des canons de 36 livres & des mortiers
deftinés à foudroyer les batteries éle
vées à Gibraltar fur la pointe d'Europe . Il
paroît décidé que le fiége de cette place
commencera vers les premiers jours de ce
mois ; & on voit par les difpofitions qui
ont déjà lieu , qu'on fuivra les plans d'attaque
donnés par feu M. de Vallière.
Pendant que les hoftilités fe pourſuivent
avec fuccès en Amérique , qu'on s'apprête
à s'emparer de Gibraltar en Europe , &
que les flottes combinées de France & d'Efpagne
fe préparent à remettre en mer , on
parle de nouveau de paix , mais il femble
qu'on la defire plus qu'on ne l'efpère.
» Tous les bruits qui ont couru à ce sujet , écrit-on
de Paris , commencent à s'évanouir ; le voyage de
M. de Simolin ici a paru aux fpéculatifs n'avoir pour
but que la médiation qu'on a dit avoir été offerte par
la Ruffie ; le féiour de M. d'Almodovar leur a auffi
fait fuppofer que cet Ambaffadeur ne regardoit pas
fon retour à Londres comme fort éloigné ; mais le
départ de ces deux Miniftres a fingulièrement dérangé
leurs idées . M. de Simolin eft parti pour Londres
fans qu'on fe foit apperçu qu'il ait travaillé à un
accommodement ; & M. le Marquis d'Almodovar fe
( 96 )
difpofe à retourner à Madrid , où les équipages l'ont
déja précédé avec toute la famille. Quelque vocu que
l'on faffe pour la paix , il ne femble pas qu'elle puiffe
être fi prochaine. La guerre ne fait que commencer ;
les Puillances , ou du moins la France & l'Eſpagne ,
fontencore toutes fraîches ; ileft vraisemblable qu'elles
fe prêteroient à un accommodement ; mais il faudroit
que l'Angleterre le demandât. On ne peut pas imaginer
que cette Puiffance qui n'a jamais voulu confentir feulement
à reconnoître l'indépendance de l'Amérique ,
puiffe fe réfoudre fitôt à ce facrifice indifpenfable , & à
ceux que l'Espagne eft en droit d'exiger d'elle , après
des armemens & des dépenfes immenfes.
Les préparatifs immenfes qui paroiffent .
dirigés contre l'Angleterre , n'empêchent
point le Ministère François de s'occuper des
climats lointains , où fes ennemis ont cherché
à réparer par des conquêtes précoces
& conféquemment injuftes , les pertes qu'ils
avoient faites en Amérique. On affure qu'il
va être envoyé dans l'Inde quelques vaiffeaux
& quelques bataillons. On en a armé déjà
trois , dont un du régiment de la Sarre , un
d'Auftrafie & un de la Marine , qui doivent
partir dans le courant du mois prochain.
On écrit de la Haye que le Ministère
Anglois vient de faire préfenter un nouveau
Mémoire aux Etats - Généraux , où il
demande formellement les fecours ftipulés
entre l'Angleterre & la République , en
cas d'attaque ; mais on ajoute que ce Mé
moire n'a fait , comme les précédens , qu'affermir
les Etats - Généraux dans leur ſyſtême
de neutralité abfolue.
La Suite du Manifefte de l'Espagne à l'ordinaire
prochain.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
PARMI les principales perfonnes difgraciées
l'occafion des derniers défaftres qu'on a effuyés
dans cette Capitale, on compte le Koul
Kiaya , ou Lieutenant-Général des Janiffaires ,
& le Topigi Bachi , Grand-Maître de l'artillerie
; l'un & l'autre ont été dépofés & relégués
dans deux Ifles différentes del'Archipel.
Le motif qu'on donne de leur exil eft qu'ils
n'ont pas fait leur devoir lors des derniers
incendies. Plufieurs perfonnes prétendent
qu'il y en a un autre plus grave , celui d'être
les fauteurs des mécontens. Ceux qui excitent
la populace , fe gardent bien de fe montrer ;
ils veulent , dit- on , abſolument opérer une
révolution dans le Ministère , & forcer le
Grand - Seigneur à renvoyer fes favoris . Ils
n'y ont pas réuffi jufqu'à préfent . Ils ont cherché
, dit - on , de l'appui dans quelques - uns
des Officiers qui approchent le plus S. H. On
attribue même la difgrace du Kiflar Aga ou
Chef des Eunuques qui a été dépofé avant-
16 Octobre 1779.
( 98 )
4
hier , & envoyé en exil , à la foibleffequ'il a
eue de fe prêterà leurs infinuations & de parler
à fon Maître contre le Selictar- Aga. N'appercevant
pas le danger de la commiffion dont
on le chargeoit , il a confenti à l'exécuter &
en a été la victime .
SUÈDE.
De STOCK HOLM , le 10 Septembre.
Le Roi , par une Ordonnance en date
du 16 de ce mois , a réduit de vingt à cinq
pour cent , le droit de douane , que payerontà
l'avenir les toiles des Indes Orientales appellées
Nankins , qui refteront dans
Royaume.
ce
Selon plufieurs lettres , 4 vaiffeaux de ligne
& 3 frégates de l'efcadre du Roi , arrivérent
le 20 Août à Winge- Sand ; le refte étoit
à Wikelfiord , où il attendoit de nouveaux
ordres .
6
Ce Royaume a méconnu long-tems les
bons effets de la tolérance ; l'expérience des
Nations voisines nous a appris qu'elle étoit
une fource de population & de richeffe , &
la dernière Diète s'eft enfin empreffée de l'adopter
, en promulguant une loi à cet égard .
Nous commençons à en voir les fruits. La liberté
de confcience a déja attiré un grand
nombre de perfonnes de différens cultes. On
ne compte pas moins de so familles Juives
qui fe font établies depuis ce tems dans
cette Capitale , où elles ont fait venir de
Lubeck un de leurs principaux Rabins.
$
(99 )
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 12 Septembre.
IL paroît décidé actuellement que les
troupes Ruffes qui fe trouvent encore fur le
territoire de la République , ne le quitteront
point inceffamment comme on l'avoit cru ,
& qu'elles y pafferont l'hiver. La plupart de
celles qui étoient en Wolhynie ont évacué
cette Province au grand regret des habitans
qui ayant fait une récolte très - abondante ,
auroient été bien-aifes de trouver plus près
d'eux les débouchés néceffaires pour la confommation
de leurs denrées .
f
Il s'eft élevé quelques difficultés entre les
habitans de la Pologne & les Ruffes , au ſujet
des frontières en-deça du Nieper. On avoit
arrêté par les traités que l'on laifferoit inculte
un terrein confidérable arrofé par la
rivière de Tofmin qui fe jette dans le Nieper.
Quelques Polonois ont voulu s'approprier
la tonte de ces prairies ; & les Ruffes qui ont
regardé cette tentative comme une infraction
, s'y font oppofés..
Le bruit court que le Baron de Rewitzky ,
Miniftre de LL. MM II. & R. eft fur le point .
de revenir ici pour y reprendre les fonctions
de fon Miniftère auprès du Roi & de la République.
Le départ de M. Blanchot , Miniftre de
Pruffe en cette Cour , qui avoit eu déja fon
audience de congé , eft , dit-on , fufpendu ;
e 2
( 100 )
on prétend qu'il attendra ici la décision d'un
procès important qui a été porté devant la
Commiffion du Tréfor.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Septembre.
LE 14 de ce mois , à l'occafion de la fête
de l'exaltation de la Ste-Croix , l'Impératrice-
Reine fit une promotion de 47 Dames de
la Croix-Etoilée , au nombre defquelles eft la
Comtelle Onefti , née Comteffe Brafchi
foeur du Pape régnant.
Selon les nouvelles que l'on reçoit du
voyage de l'Empereur , il ne doit être à Prague
que le 25 ou le 26 de ce mois ; il a ordonné
la conftruction de nouvelles fortifications
dans tous les endroits que l'expérience
a appris qu'il étoit important de défendre ,
pour empêcher un ennemi de pénétrer dans
le pays. Depuis qu'il eft en route , il n'a paflé
la nuit dans la maifon d'aucun Seigneur de
Bohême , c'est toujours chez de fimples particuliers
, ou chez des Curés qu'il eft defcendu
. Tout fon train eft compofé de cinq
voitures , y compris celle qui eſt deſtinée
aux bagages & au tranfport de fa cuifine. Il
lui faut toujours 30 chevaux de relais , & fa
garde confifte en 3 huffards , commandés
par un bas-Officier.
On dit que la Principauté de Tranfylvanie
fera réunie à la Couronne de Hongrie , de
manière que cette Principauté fera gouvet(
101 )
née , autant que fa conftitution le permet ,
felon les Loix Hongroifes. Si cette réunion a
lieu , comme on le croit , il eft vraifemblable
qu'on en fera une pareille des Royaumes
de Lodomerie & de Gallicie.
L'Impératrice de Ruffie vient de gratifier
M. Jean- Jacques Boefner , Banquier à Brody ,
dans la Pologne Autrichienne , d'une tabatière
d'or entourée de brillans , en récompenfe
d'une découverte très-intéreflante pour
la Ruffie , qu'on dit qu'il vient de faire . Le
Feld-Maréchal Comte de Romanzow a cu
ordre en même tems de l'aflurer de la bienveillance
de fa Souveraine..
De
RATISBONNE , le 30 Septembre.
Le Comte de Sensheim , le Comte de
Konigsfeld , le Baron de Kreitmayer & M. de
Kuntzmann ont été chargés avant le départ
de l'Electeur Palatin , de l'adminiſtration des
affaires du Duché de Bavière. On dit qu'il
doit s'y faire divers changemens pour la mettre
autant qu'il fera poffible fur le pied de
celle du Palatinat.
L'Ouvrage de Fébronius , qui fit beaucoup
de bruit dans fa nouveauté , & qui fut oublié.
enfuite , femble avoir repris un nouveau
degré d'intérêt depuis la rétractation que
l'Auteur en a faite ; on l'a réimprimé dans
plufieurs endroits ; & on en voit paroître de
nouveaux , écrits dans les mêmes principes.
On ne fauroit prendre trop de précautions
quand on a du poifon chez foi . Le 1er. de ce mois ,
( 102 )
écrit-on de Drefde , un particulier s'étant mis en
colère fur le foir , & ne pouvant dormir la nuit ,
alla à une armoire pour prendre des poudres
tempérantes ; malheureufement , il y avoir à côté
de la boîte qui les renfermoit , une autre boîte
remplie de mort - aux - rats ; il fe trompa & prit de
cette poudre. Se trouvant fort agité , il pric de la
lumière , retourna à fon armoire , reconnut fa méprife
fon agitation augmenta ; il appella au fe
cours , mais les contre poifons furent inutiles , il
expira après douze heures de tourmens horribles
".
On lit dans une feuille publique , imprimée
à Berlin , les détails fuivans que nous
nous empreffons de tranfcrire. Les perfonnes
illuftres auxquelles ils ont rapport , peuvent
être regardés comme une famille de foldats.
Léopold , Prince d'Anhalt , un des plus fameux
Capitaines & Soldats de notre fiècle , qui
mourut en 1746 , perdit l'an 1717 fen fils aîné ,
le Prince Guillaume Guftave , qui étoit né en 1669.
Le Prince Guillaume Guftave fe maria en 1726 ,
avec Jeanne - Sophie Herre , une des plus fages ,
des plus vertueufes & des plus belles perfonnes
de fon fexe. De ce mariage naquirent fix fils &
trois filles , Guillaume , Léopold , Gaſtave , Frédéric
, Albert , Henri , Jeanne Sophie , Guillelmine
& Léopoldine. Dans la guerre de 1756 , trois de
fes frères périrent dans les armées & les trois
autres furent dangereufement bleffés . Guillaume fut
tué à la bataille de Torgau , à la tête de fon bataillon
, par un obus . Guftave finit fes jours devant
les rangs de fa compagnie de grenadiers , à la
bataille de Breslau , par un coup de canon . Henri
mourut dans la tente près de Dreſde , en 1758 ,
à la fuite d'une cruelle dyflenterie , n'ayant voulu
jamais quitter l'armée. Léopold eft boiteux , ayane
eu la jambe fracaffée d'un coup de moufquet à la
"
( 103 )
bataille de Prague Frédéric eft eftropié d'un coup
de feu qui lui a brifé le bras gauche , au combat
de Gorlitz ou de Moysberg. Albert eut une
contufion douloureufe d'un coup de moufquet à
la poitrine , à la bataille de Cunersdorff ou de
Francfort. Il paroît qu'il n'y a guère d'exemple
d'une famille où la guerre ait fait un plus grand
ravage. La mère de cette lignée vit encore dans
un âge fort avancé. Léopold eft Général - Major
Pruffien ; Frederic , Lieutenant- Général Saxon ; &
Albert fert en Pruffe avec le grade de Major.
Les trois filles font encore vivantes. Jeanne-Sophie
n'eft pas mariée'; Guillelmine eft veuve da
Colonel Hanovrien de Campe, & Léopoldi: e a pour
époux le Colonel de Pfuhld , de l'armée du Roi de
Pruile «.
ITALI E.
De NAPLES , le 15 Septembres
LA Cour continue fon féjour à Portici ,
d'où le Roi , n'écoutant que fa bienfaifance
& fa tendreffe pour fes peuples , ne ceffe de
faire paffer des fecours aux habitans infortunés
d'Ortajano & des environs rumés pår
la dernière éruption du Véfuve ; S. M. leur
a fait diftribuer 6000 ducats , & a ordonné
en même tems qu'on lui remît un tableau
exact des ravages pour la mettre en état de
pourvoir aux dédommagemens néceffaires ;
elle déclaré qu'elle donnera d' autres fecours
aux habitans de Caccia-Bella.
-
Il eft arrivé ici de Palerme 2 de nos galiotes
ayant fous leur eſcorte plufieurs barques
chargées de grains que la Cour a fait venir
de Sicile ; elle avoit envoyé à cet effer
e 4
( 104 )
120,000 ducats au Duc de Villaciofa , Vice-
Roi de ce Royaume. On a commencé à y
ouvrir la grande route Royale , qui conduira
de Palerme à Catane , & de Catane à
Melline.
Après de longues difcuffions & un mûr
examen , le Tribunal du Grand- Aumônier du
Royaume a reconnu & déclaré de patronage
Royal les Evêchés d'Averfa & della Cava
ainfi que la riche Abbaye de la Trinité , appartenant
aux Religieux du Mont- Caffin.
>
» Un Gentilhomme Anglois nommé Gifford ,
écrit on de Rome , ayant allifté au fupplice du
fieur Anguilla , & été témoin de l'intrépidité du
coupable , convaincu que la mort n'a rien d'effrayant
, & fortement attaqué du fpléen , fe coupa
la gorge il y a quelques jours. Son domesti
que , qu'il avoit éloigné en lui donnant quelques.
commiffions , le trouva à fon retour baigné dans
fon fang ; mais comme il refpiroit encore , il appella
du fecours , & l'Anglois , avant d'expirer
eut le tems & la force de déclarer qu'il étoit le
feul auteur de fa mort , qu'il donnoit à fon domeftique
25 guinées , fa montre , fes habits , fon
linge , & qu'il defiroit que fon corps fût tranfporté
à Londres. Le valet affligé but , pour fe
confoler , une bouteille d'excellente liqueur , dont
la vapeur lui monta bientôt à la tête. Il fe mit
dans le lit de fon Maître , & fe couvrit depuis
les pieds jufqu'à la tête. Ceux qui s'étoient chargés
de tranfporter le cadavre , arrivent pendant
fon fommeil , enlèvent le domestique qui étoit
ivre , l'enveloppent dans un drap & le portent
dans la rue ; les fecouffes furent fi violentes qu'il fe
réveilla enfin en pouffant un cri ; les porteurs effrayés
croyant l'homme reffufcité , prirent la fuise;
ce fut avec beaucoup de peine qu'on parvint
( 105 )
à les rappeller & à leur perfuader d'enterrer le
véritable mort «.
De LIVOURNE , le 20 Septembre.
LES lettres de Rome portent que le Pape
a fixé au 20 de ce mois un Confiftoire dans
lequel il propofera plufieurs Eglifes vacantes.
» Le mandement de l'Evêque de Mohilow dans
la Ruffie- Blanche , pour établir un noviciat de Jéfuites
dans fon Diocèfe , ajoutent les mêmes lettres
, a fait ici beaucoup de bruit . On affure que
S. S. a fait appeller tous les Minifties étrangers
pour leur déclarer que cet Evêque avoit en cela excédé
fa commiffion , qu'il s'autorifoit mal - à - propos
des pouvoirs de Vicaire Apoftolique qui lui
avoient été accordés , & que S. S. lui avoit fait
expédier par la voie de la Secrétairerie d'Etat , &
par celle de la Propagande , des ordres précis
de révoquer fon mandement comme illégitime &
nul de plein droit. Ce qui fait préfumer qu'elle a
réellement fait cette déclaration ; c'est l'avis fuivant
qui a été inféré par autorité dans le Diario ora
dinario de cette lle. On a lu dans quelques
papiers publics que l'Evêque de Mohilow a rendu
une Ordonnance pour ouvrir dans la Ruffie Blanche
des Maifons de Noviciat pour les Jéfuites , comme
s'il en avoit reçu la permiflion du S. Siége. Pour
détromper le Public , nous fommes autorisés à
aflurer que S. S. n'a donné & n'a eu aucune intention
de donner une pareille permiffion. Tout ce
qu'on lit dans les gazettes à ce fujet eft non-feu
lement controuvé , mais l'Evêque même eft pleinement
inftruit de la non-exiſtence de ces prétendus
pouvoirs & des intentions du S. Pere , qui
font totalement contraires à celles qu'on ole lui
fuppofer "
On écrit de Veniſe que le Sénat vient de
es
( 106 )
confirmer & de renouveller l'Edit du 5 Septembre
1768 , par lequel il eft ftatué pour
toujours , que les Couvens de femmes ne
pourront recevoir des Novices qu'à l'âge de
21 ans , & dans les Couvens d'hommes on
ne pourra être admis à la profeflion qu'à
25 ans.
Le Comte de Turpin , Maréchal de Camp ,
écrit on de Baſtia en Corſe , eſt arrivé ici à bord
de la frégate la Mignonne , & a pris le commandement
de cette place pendant l'absence du Comte
de Marboeuf , qui eft allé dans les terres de
Carghefe. Le 13 de ce mois le chébec le Cameleon
eft entré dans le golfe de S. Florent , avec un
brigantin de Mahon , chargé de cuirs , de vins &
de cordages ; ce bâtiment , de conftruction Angloife
, portoit pavillon de Jérufalem. Son équipage
n'eft compofé que de gens qui étoient dans
les prifons de Mahon , & qui en font fortis pour
être employés dans cet armement. Dans une bouée
& dans la calle on a trouvé des lettres & des
paquets deftinés pour l'Angleterre. Il y avoit à
bord trois Officiers fupérieurs , ainfi que le fieur
Abudheram , fameux Négociant Juif , établi à
Mahon , & dont la famille qui eft à Livoume ,
fert de correfpondant aux Anglois «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 15 Septembre.
LA Cour eſt toujours à St -Idelphonfe. La
Princeffe des Afturies , qui eft entrée dans
le quatrième mois de fa groffeffe , continue
de jouir de la meilleure fanté.
La Maîtrife de la Grenade , dont l'Infant
Dom Gabriel eft le chef, vient d'offrir par
છે .
( 107 )
>
Prince, au Roi, tout ce qui eft en fon pouvoir
pour le fervice de S. M. Plufieurs particuliers
fe font empreffés de montrer le même zèle.
D. Bruno de Haro - Salafar , un des Inquifiteurs
du Tribunal de Sarragofle , a prié le
Roi d'accepter pour tout le tems que durera
la guerre , les revenus d'un Canonicat qu'il
polsède dans l'Eglife de Ségovie , fe contenrant
des fimples appointemens d'Inquifiteur.
D.Fernando -Manuel de Rumonofo Velarde ,
habitant d'Arenas de St- Pédro , l'a fupplié
également d'agréer une fomme de 8000 réaux
qu'il avoit en argent comptant.
er
Toutes les nouvelles que nous avons du
camp de Saint-Roch fe réduisent à annoncer
qu'on continue d'y apporter des munitions
de guerre & de bouche , & que les troupes
y arrivent fucceffivement. D. Barcelo continue
de bloquer auffi étroitement qu'il lui eſt
poffible la baie de Gibraltar. Le 1. de ce mois
il effaya d'intercepter un convoi de 3 balandres
Angloifes , 5 navires Portugais , 2 Hollandois
& un Suédois qui étoient en route
pour approvifionner Gibraltar ; il fe faifit
de plufieurs ; mais il ne put empêcher les
2 Hollandois d'entrer dans la place. Depuis
cette époque nous avons appris que la Reine
de Portugal a défendu , fous de très- grièves
peines , à tous fes fujets de porter des vivres
à Gibraltar.
35
Une frégate de guerre batbarefque aux ordres
du Reis Hamet , montée de 20 canons & de
80 hommes d'équipage , écrit- on de Carthagène ,
€ 6
( 108 )
arriva ici les de ce mois de Larrache . Le Reis
raconte qu'il a rencontré dans le Détroit , le 31 du
mois dernier , plufieurs navires Espagnols , dont
l'un a détaché un Officier pour lui offrir ce qui
lui feroit néceffaire . Depuis ce tems-là manquant
d'eau & ayant fon gouvernail maltraité , il réfolut
de fe rendre ici , conformément aux ordres
du Roi de Maroc , qui lui permettoit de fe rendre
dans tous les ports d'Espagne pour y demander
les fecours dont il pourroit avoir beſoin , ce
qu'on lui a fi bien fourni , qu'il fe trouve déjà
en état de remettre en mer «.
Nous apprenons de Lisbonne que dans le
moment même où D. Antonio de St -Joſeph ,
nommé à l'Evêché de San Salvador , dans le :
Bréfil , montoit fur le vaiſſeau qui devoit le
conduire en Amérique , il a été frappé d'apoplexie
, & a expiré fur- le- champ .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 30 Septembre.
LA Cour a enfin reçu des nouvelles du
Général Prévoft ; elles ont été apportées par
le Lieutenant- Colonel Prévoft , arrivé le 23
de la Georgie ; elles confirment l'échec que
nos troupes ont effuyé dans leur entreprife
fur Charles-Town . Après avoir vu différentes
relations particulières de cette expédition
on ne fera pas fâché de voir ici ce qu'il a
plu au Miniftère d'en publier. La gazette
ordinaire de la Cour du 25 de ce mois contient
les détails fuivans .
» Je me ferois eftimé heureux , écrit le Général
Prévost , de l'Ile St Jean des10 Juin , de pouvoir
( 109 )
}
vous apprendre la reddition de Charles- Town, Je
vais vous expofer les raifons qui ont interrompu
nos progrès , qui ont déterminé à faire marcher
l'armée de S. M. dans cette Province. Informé
vers la fin d'Avril , que le Général Lincoln ( qui
jufqu'alors fur la rive Septentrionale de la Savannah
avoit occupé une pofition , au moyen de laquelle il
couvroit également toutes les parties d'une rivière
extrêmement difficile en tous temps , mais regardée
comme impaffable dans la faifon des eaux fauvages ,
& à la face d'une armée ) avoit porté la majeure,
partie de fon armée fur Augufta , pour pénétrer
de là en Georgie , & protéger une affemblée de
députés rebelles , dont le rendez-vous étoit fixé à
Augufta , je me déterminai à entrer dans la Caroline.
Le corps d'obfervation de l'armée rebelle ,
montant à environ 2 mille hommes , ( milice en
majeure partie ) aux ordres du Brigadier- Général
Moultrie , furpris de voir les troupes Britanniques
fortir des marais regardés comme impaffables , fut
frappé d'une terreur panique fi violente , qu'il ne
difputa que foiblement plufieurs défilés difficiles
par lefquels nous avions à paffer pour le pourfuivre ,
& s'enfuit vers Charles- Town avec toute la precipitation
imaginable. Les ennemis étoient tellement
perfuadés que nous allions nous borner à fourrager
dans le pays , que ce ne fut que quelques jours
après que nous eûmes pénétré dans la Caroline
Méridionale , que le Général Lincoln fe détermina à 1
la retraite & à marcher au fecours de Charles
Town ; il détacha vers cette place un corps d'infanterie
, qui monta à cheval pour faire plus de diligence;
& après avoir raffemblé toutes les milices éparfes
dans les parties fupérieures du pays , il fe mit en
marche vers Dorchefter. La facilité avec laquelle
l'armée Britannique s'étoit approchée de Charles-
Town , ( malgré le nombre de rivières , eriques ,
marais & autres obftacles naturels du pays jointe
( 110 )
aux fuggeftions réitérées des amis du Gouvernement
que nous avions rencontrés , qui nous affuroient
pofitivement que Charles - Town fe rendroit à notre
approche , me détermina , avec l'avis de tous les
Officiers de l'Etat Major de l'armée , à faire la
tentative : le Lieutenant -Colonel Prévost , qui commandoit
l'avant-garde, fomma la ville le 12 du mois
dernier : mais j'ai tout lieu de croire que d'une
part , n'ayant point de forces navales pour coopérer
avec nous , point d'artillerie pour battre là
place , de l'autre , le Rebelles attendant à tout
moment du renfort , & inftruits de l'approche de
l'armée du Général Lincoln , toutes ces confidérations
déterminèrent l'ennemi à propofer la neutralité
pour la Province , & à refufer les offres généreufes
qui lui étoient faites dans le cas où il confentiroit
à capituler. L'artillerie nombreuſe montée fur
les remparts , les vaiffeaux & galères qui couvroient
& flanquoient les lignes rebelles , le peu de monde
que nous avions , qui n'excédoit pas le nombre de 2
mille hommes propres à faire le fervice : la crainte
de hafarder à la fois cette petite , mais brave armée ,
& la province de Georgie , m'engagerent , ainfi que
tous les membres du confeil de guerre , qui fut
tenu à cetre occafion , à prendre le parti de rega
gner la rive Méridionale de la rivière Ashly , ou
on avoit laiffé une partie des troupes pour affurer
le paflage de cette rivière , & notre retraite , dans
le cas où elle feroit néceffaire. Depuis ce tems les
troupes ont féjourné principalement dans les Illes
St-James & St-John , dans l'efpoir & l'attente des
fecours , qu'une marche longue & inattendue , des
pluies exceffives , & la quantité de rivières que
nous avions eu à paffer , nous avoient rendus in
difpenfables. Le premier convoi chargé de ces fecours
, faute d'avoir des forces navales fuffifantes ,
fut pris & détruit en partie : quelques armateurs
rebelles forcèrent le refte à s'en retourner, Enfin
( III )
les vaiffeaux de S. M. le Perfeus & la Rofe font
arrivés devant la côte , avec les munitions & les
provifions dont nous avions befoin . Je changerai
dans peu de temps mes quartiers , & je les porterai
à Beaufort , où l'avantage de féjourner dans
la Caroline , de mettre les troupes en quartiers
pendant les grandes chaleurs & la faifon mal -faine ,
fe trouve réuni à celui d'occuper la meilleure des
pofitions pour couvrir efficacement la Georgie &
la mettre à l'abri de routes tentatives de la part de
l'ennemi.
Le Général Prévost n'a pas confervé longtems
cette pofition ; il eft retourné à Savanah ,
d'où il écrit le 4 Août au Gouvernement.
Tout ce que le Ministère a publié de cette
dépêche le réduit à ceci.
Depuis mes dernières dépêches , datées de l'Ile
St-John , & dont copie eft jointe aux préfentes , je
n'ai pas eu occafion de vous écrire directement ;
nos opérations fe font bornées à nous tranfporter
d'une ville à l'autre , & à établir les différents
poftes qu'on le propofoit d'occuper pendant les
grandes chaleurs & la faifon mal- faine ; cependant
le 30 Juin tous les préparatifs ayant été faits pour
abandonner le pofte de Stono- Ferry fur la côte , &
quitter l'Ifle St John , l'ennemi avec toutes les forces .
attaqua ce pofte avec 8 pièces de canon & 5000
hommes Fattaque étoit au commencement vigoureufe
; mais la brave réfiftance de nos troupes &
le feu du vaiffeau-plat armé , qui couvroit le flanc
gauche de notre pofte , forcèrent l'ennemi à la retraite
au moment même où les troupes paffoient
le bac pour le renforcer l'occafion favorable de
le pourfuivre , & de lui donner un'échec férieux ,
a été perdue faute de chevaux ; on les avoit renvoyés
deux ou trois jours auparavant , & avant
que les troupes fe fuffent rendues fur la place , les
( 112 )
Rebelles étoient à une trop grande diftance pour
que l'infanterie pût les atteindre.... Les ennemis
ont perdu un Colonel d'Artillerie très eftimé parmi
cux , & environ 8 Officiers de différents grades ,
entre 3 & 400 hommes tant tués que bleflés ; ils
étoient en état d'emporter les derniers , & plufieurs
des premiers , ayant une quantité de chariots vuides
qu'ils avoient amenés avec eux dans cette vue. Les
troupes , après avoir féjourné trois jours de plus"
en cet endroit , l'abandonnèrent enfin & commencèrent
à faire route pour l'Ile de Port-Royal,
où elles étoient complètement arrivées le 12 du mois
dernier. On y a laiffé un corps fuffifant pour y
faire en tout temps une défenfe refpectable &
haraffer dans l'occafion les quartiers de l'ennemi ,
ainfi que les parties de cette Province , qui font
acceffibles à nos galères & bateaux depuis la Baie
de Ste- Hélène ; il n'eft pas convenable d'étendre nos
poftes à l'oueft , par des raifons pour lesquelles
Vous voudrez bien confulter le Lieutenant-Colonel
Prévost , dont je regrette le départ , d'autant plus
que fes talents & fon zèle pour le fervice l'ont
rendu très-utile entoute occafion ; Sir James Wright ,
en arrivant le 13 courant à bord de l'Expériment ,
l'ayant dégagé des foins qu'il donnoit à l'admi
niftration civile..
I
Les états joints à cette lettre portent les morts à
1 Major, 1 Lieutenant , 1 Enfeigne , 4 Sergens &
18 Fufiliers , & un foldat d'Artillerie . Les blefes
à 1 Major , Capitaines , 3 Lieutenans , 1 Enfeigne
, 7 Sergens , 1 Tambour , 77 Fuſiliers .
On ne parle pas des pertes faites dans le
cours de l'expédition ; on juge que tous les
détails paffés fous filence n'étoient pas de
nature à être publiés , & que nos défavantages
de ce côté compenfent , & au - delà , l'avantage
que nous avons eu à Penobſcott. Ce
( 113 )
pays , où nous avons un fort , eft entre Bofton
& Hallifax , c'eft la contrée la plus feptentrionale
de la nouvelle Angleterre ; elle eſt
en grande partie déferte ; l'unique production
qu'elle offre confifte en des forêts immenfes
d'où l'on peut tirer d'excellens bois de conftruction
& fur tout des mats. Dans les circonf
tances préfentes ce font des matériaux trèsprécieux
; mais pourrons- nous conferver la
facilité de les couper , & fi notre fort ne
nous eft pas enlevé à la fuite d'une tentative
plus heureuſe , pourrons - nous tirer un grand
parti de ces bois ? C'eft en Europe qu'il
faudroit les conduire , & que d'embarras &
de lenteurs dans le tranſport !
D'après nos nouvelles particulières , la
perte faite par les Américains à Pénobſcott
eft réelle ; mais l'Amiral Collier ne dit pas,
dans les dépêches que la plupart des bâtimens
qu'ils ont perdus ont été détruits par euxmêmes.
Ils n'ont pas voulu qu'il nous reftât
grand- chofe de cette expédition plus glorieufe
qu'utile. On ne remarque pas fans peine l'attention
avec laquelle nos Généraux peignent
toujours les ennemis difpofés à prendre la
fuite devant eux. C'eft une maladreffe ,
dit un de nos papiers , car ils affoibliffent
par-là la gloire de leur triomphe. C'eft auffi
une injuftice , puifque les Américains font
Anglois ; & c'eft un principe reconnu parmi
nous qu'un Anglois , a une intrépidité naturelle
qui ne lui permet pas une conduite
auffi pufillanime ".
وو
( 114 )
גכ
D'autres papiers dont les Auteurs ont une opinion
moins faftueufe du caractère Anglois , prétendent
qu'au moins actuellement la Nation a dégénéré
, & que la fuite de la flotte Britannique devant
les François & les Espagnols , permet à nos
I ennemis de la traiter comme nous traitons les
Américains. Le feul John Lockhart Roff, ajoutent-
ils , a montré que le vrai fang Anglois cou
loir encore dans fes veines ; fe trouvant fur fon
gaillard d'arrière , en vefte , prêt au combat , fa
lunette à la main , il la jetta à la vue du figual de
retraite , appella fon domeftique , le chargea d'ordonner
auffi - tôt au Charpentier de clouer les volets
de fa chambre de manière que le jour ne
pût y entrer. M. Colpoys , fon Capitaine , fit apporter
auffi - tôt le livre de lock & le jetta à la
mer , en difant On ne produira pas en Juftice
contre moi un livre de lock fur une fuite. Plufieurs
matelots de quelques vaiffeaux éprouvèrent
le même fentiment de honte. On en vit un fur le
Royal George , fe déshabiller & couvrir de fa
vefte la figure de la proue qui repréfente le Roi
George II , en s'écriant que ce grand Roi ne devoit
pas voir une action auffi honteufe. Que dircit
Cromwel , demandoit- on ces jours derniers dans
un Café , s'il reffufcitoit , & fût témoin de ce
qui fe paffe ? Il ne diroit sien , répondit-on , mais
il agiroit..
:
On eft fort curieux d'apprendre fi le Chevalier
Hardy fortira de nouveau , il fe paffe
peu de jours qu'on ne publie qu'il a fait le
fignal d'appareiller , & il refte toujours dans
le port. Cette inaction prouve qu'en effet il
n'a pas reçu tous les renforts dont il a befoin ,
& que ce n'eft qu'avec peine que depuis fa
rentrée , on a pu lui donner encore quelques
vailleaux ; la néceffité où l'on a été d'en
,
à la détacher quelques uns pour les envoyer
pourfuite du Commodore Paul Jones , doit
le retenir encore jufqu'à leur retour. Cet
Américain avec fa flotte , répand la
terreur fur les côtes d'Irlande. On prétend
que dans le combat qu'il livra au
Séraphis , fon vaiffeau fut fi maltraité que
le Capitaine du Séraphis lui cria de ſe rendre
ou qu'il le couleroit bas ; fais-le fi tu peux ,
répondit Paul Jones ; je me rendrai plutôt au
diable qu'à un Anglois . Ce redoutable Américain
étoit en vefte , en longues culottes de
matelot , avec un fabre à la main & un
ceinturon garni d'une douzaine de piſtolets
chargés. Le Capitaine Pearfon , qui commandoit
le Séraphis , étoit nommé au commandement
de l'Endymion , de 44 , depuis
peu lancé à la mer à Lime Houfe. Le Séraphis
étoit un des plus beaux vaiffeaux de notre
marine , & avoit été conftruit à Deptford
fur un nouveau modèle , & eft doublé en
cuivre. L'Edgar , vaiffeau de 74 canons , le
Prudent de 64 , quelques autres vaiſſeaux &
des frégates ont été expédiés contre Paul
Jones , les uns par le nord , les autres par le
détroit de Calais ; on efpère qu'ils pourront,
en fe réunillant , le mettre entre deux feux.
Son efcadre confifte en deux vaiffeaux , l'un
de 40 , l'autre de 44 canons & deux frégates
de 32 , deux brigantins de 18 & 2 allèges ; il
a , dit- on , foo hommes fur le vaiffeau qu'il
monte , & on porté à 2000 le nombre de
tous ceux qui font répartis fur fon efcadre ;
on dit qu'il eft aufli pourvu de pilotes qui
( 116 )
connoiffent à fond toutes nos côtes depuis
Edimbourgjufqu'à Harwich.
Nos nouvelles des Indes Occidentales font
encore très-vagues. On prétend que l'efcadre
Françoife a été vue le 27 Juillet à la hauteur
d'Antigoa , forte de 24 vailleaux de ligne ,
de 8 frégates , avec des vailleaux de tranſport
affez nombreux pour avoir 6000 hommes à
bord. Ces derniers paroiffant venir de la
Guadeloupe , fe font joints à l'efcadre Françoiſe
à la vue d'Antigoa. Le même jour ,
ajoute- t-on , l'efcadre de Byron , forte de 21
vaiffeaux de ligne , dont un en toue , parur
auffi à la vue de l'Ifle , de manière que la
proximité des deux flottes faifoit préfumer,
qu'il y auroit bientôt un combat. Ceux qui
débitent ces nouvelles , oublient que dans
les lettres que la Cour a publiées il y a peu
de tems , il y en avoit une de l'Amiral Byron ,
en date de St -Criftophe le 3 Août ; il n'y
parloit d'aucune difpofition prochaine à for
tir , & il annonçoit qu'il s'y étoit retiré
depuis le combat de la Grenade ; il ne pouvoit
donc pas avoir été vu devant Antigoa
le 27 Juillet précédent. Une lettre de St-
Chriftophe en date du 25 , n'annonce pas
qu'il foit fi près de fortir."
» La fupériorité du pavillon Britannique n'exifte
plus fur ces mers. Après le malheureux combat
de la Grenade , l'Amiral Byron eft venu en cette
Hle pour réparer fes dommages. Le Comte d'Efraing
s'eft préfenté à l'entrée du port , & a offert
un nouveau combat , que l'Amiral n'a pu accep- .
ter. La fupériorité des François étoit trop décidée
tant à l'égard du nombre que de l'état des vaif(
117 )
feaux. Après avoir affuré fon défi , en reftant plufieurs
heures devant notre efcadre qui mouilloit
M. d'Estaing remit à la voile , très probable ment
dans le deffein de faire des conquêtes ultérieures .
Suivant toutes les apparences , la Barbade & Tobago
en feront les objets. Ce font les feules Ifles
du vent qui nous reftent. Heureux encore fi celles
fous le vent ne font pas attaquées à leur tour.
Comme le Général Grant , à la tête de 2500
hommes , eft arrivé avec l'efcadre à Baffe terre ,
nous croyons qu'une partie en restera ici pour la
défenfe de l'Ifle. L'affemblée a voté le 16 de ce
mois la fomme néceffaire pour l'entretien de 2000
hommes , à raifon de 6 fols par jour pour chaque
- foldat. Le Confeil auroit defiré qu'on en accordất
9 , mais la charge pour les colons fera affez
pelante. Cependant il vaut mieux payer qu'être
conquis. Les affaires dans cette partie du monde
ont depuis trois mois changé de face d'une façon
bien fingulière & bien mortifiante . Le brave Barrington
eft allé en Angleterre pour y faire le ta
bleau de notre fituation. Entr'autres plaintes , il
n'oubliera pas la mauvaiſe qualité de la poudre
dont la flotte étoit pourvue , c'eft un nouvel échan !
tillon de la manière dont le Gouvernement eft
fervi par ceux à qui il accorde fa confiance «.
Selon les lettres de la Grenade , les François
y ont pris plufieurs bâtimens chargés
des productions de cette Ifle , dont un avec
400 barils de rhum pour Québec. La plus
grande partie de la récolte de fucre de l'année
précédente , qui montoit à 50,000 tonneaux
, eft aufli tombée entre leurs mains.
L'effroi eft général à la Jamaïque ; on y a
publié la loi martiale , & fait prendre les
armes à tous les habitans en état de les porter
; on en évalue le nombre à plus de 10,000
( 118 )
hommes . On a appris dans cette Ile que les
François ont un grand nombre de troupes
au Cap François , & s vaiffeaux de ligne ,
tandis que nous n'en avons que trois , le
Briftol , le Rubis & le Lion à la Jamaïque.
Ce dernier fait partie de l'efcadre de l'Amiral
Byron , & avoit été fi maltraité qu'on
le croyoit perdu ; on affure qu'il a gagné
la Jamaïque pour s'y radouber .
Lorfque la nouvelle de la prife de l'île
St-Vincent arriva ici , le maître d'un café
´s'emprefla d'en diftribuer des relations . Le
Lord Sandwich en ayant été informé , le
fit venir , & lui dit qu'au lieu de répandre
cette nouvelle , il devroit chercher à l'étouffer.
Milord , répondit- il , l'enfant eft
trop gros pour qu'on l'étouffe.
Au milieu de nos malheurs , nos Négocians
fe confolent par l'arrivée de quelquesunes
des flottes marchandes qu'on attendoit.
On remarque ici comme une fingalarité
très heureufe que l'on ne nous en a
encore intercepté aucune depuis le commencement
de la guerre , & on en conçoit
l'efpérance que la fortune qui nous fert
fi bien continuera de nous favorifer. Ces
flottes marchandes fourniffent en mêmetems
au gouvernement des matelots dont
il a befoin pour remplacer les malades de
l'efcadre de l'Amiral Hardy , & pour équiper
les nouveaux vaiffeaux qu'on travaille
actuellement à réparer . Les Généraux Grant
& Méadows qui commandoient le corps
( 119 )
de troupes envoyées de New- Yorck aux
iles des Indes occidentales , font revenus
avec celle des îles Sous-le - vent. Le premier
a eu le 24 une longue conférence avec le
Roi fur l'état des affaires dans ces contrées.
On en ignore le réfultat ; mais on juge ,
d'après le retour de ces Officiers , que l'intention
de la Cour n'eft pas de faire cette
année aucune tentative pour recouvrer les
îles que nous avons perdues .
Le Prince Guillaume-Henri qui a fait la
campagne à bord du vaiffeau le Prince-
Georges , a été avancé fucceffivement aux
grades de Lieutenant & de Capitaine de
vaiffeau.
On ne peut s'empêcher de déplorer , dit à cette
occafion un de nos papiers , la fituation de ce jeune
Prince à bord d'ude flotte Britannique auffi complettement
déshonorée. Vraiſemblablement on ne l'avoit
mis là que pour lui apprendre à marcher dans le fentier
de la gloire. Mais hélas ! comme un Anglois doit
rougir de la leçon de gloire, que vient de prendre
cet illuftre rejetton de la Maifon de Brunſwick.
Lorfque le Lord Torrington , pere de l'infortuné
Amiral Bing , gagna une victoire complette fur les
ennemis de fon pays , en 1718 , il n'écrivit que
ces deux lignes pour rendre compte de la bataille
: J'ai coulé bas , brûlé , détruit tout ce que
vous trouverez en marge. La relation que l'Amiral
Hardy a pu envoyer à l'Amirauté , pouvoit être
conçue ainfi : J'ai perdu l'ennemi de vue depuis dix
à douze jours ; j'ai auffi perdu l'Ardent , & j'di
pris...... quelques provifions fraîches ".
La nation , dans fes farcafmes contre le
Chevalier Hardy , ne lui rend pas juſtice ;
1
( 120 )
il a certainement fait tout ce qu'il conve
noit de faire dans ces circonftances critiques
; il n'a point expofé les forces Britan
niques ; il a réuffi à éviter un combat que
l'inégalité nous auroit immanquablement
rendu funefte ; il a rendu vains les efforts
de nos ennemis ; il a enfin gagné du tems , &
fi la campagne finit comme elle a commencé
, nous aurons l'hiver devant nous ,
& cet avantage équivaut à une victoire .
Le Lord Mansfield fe retire de l'adminiftration.
Quelques plaifans fe font empreffés
de dire auffi tôt que c'eft ainſi que
les rats s'enfuient d'une maiſon prête à
tomber. On prétend qu'il a eu des dégoûts.
Dans un des derniers Confeils le premier
Lord de l'Amirauté accufa le Lord Stormont
, neveu du premier , de n'avoir point,
pendant fon ambaffade en France , affez
inftruit la Cour des forces maritimes de
cette nation , & attribua l'infériorité de
notre marine à l'erreur dans laquelle les
mémoires de Lord Stormont avoient dû
nous faire tomber. Le Lord étoit abfent ;
le Chef de la juftice en prit la défenſe , &
rejetta fur le Lord de l'Amirauté ſeul notre
infériorité. Dans les débats qui fuivirent
le Lord Mansfield croyant s'appercevoir que
le plus grand nombre des membres du
Confeil , à l'occafion des affaires de l'Amérique
, penchoient vers un parti de douceur
, quoiqu'au fond on fût fort éloigné
de reconnoître l'indépendance des colonies,
les
( 121 )
les traita de foibles & de pufillanimes , &
fe fépara d'eux avec des marques très-vives
de chagrin & de mécontentement. On ne
conçoit pas les efpérances que nos Miniftres
peuvent conferver , en fuivant leur ancien
plan avec l'Amérique.
" Ni le Roi de Pruffe , dit un de nos pariers
ni le Prince Ferdinand , ni aucun autre grand Général
, ne pourroient conquérir une feule Province
en Amérique ; il leur feroit impoffible de prendre
un pofte à 20 milles de la mer ; du moins ils
n'oferoient pas fe vanter de pouvoir le garder.
Leur communication avec la mer une fois coupée,
comment auroient- ils des provifions ? Il faut être
auffi fous que le font nos Miniftres , pour s'étre
conduits comme ils l'ont fait . Après avoir irrité
tous les habitans de l'Amétique Septentrionale ,
brûlé leurs villes , maflacré les femmes , les enfans
, commis les crimes les plus atroces ,
ils
s'étonnent de n'avoir point d'amis dans le pays ; &
ils vous difent naïvement que le Roi en avoit autrefois
beaucoup. Il y a cinq ans , en effet , qu'il
n'y avoit pas un homme fur ce Continent qui ne
fût ami du Roi ; mais les Miniftres actuels lui
ont fait perdre ce pays & ces amis. Le feul
moyen de recouvrer ces derniers , eft de s'allier
avec eux , ou de renvoyer les Miniftrés. Tant
que le Roi ne le fera point , l'Amérique fera
irrévocablement perdue pour nous . Il y a longtems
qu'on le répète , mais quel en eft l'effett
Vox clamantis in deferto «.
j
On a montré de l'inquiétude fur le
fort du Capitaine Cooke ; l'article fuivant ,
inféré dans la plupart de nos papiers , doit
raffurer fur le fort de ce navigateur célèbre.
En Novembre 1776 , avant de quitter le Cap
16 Octobre 1779. f .
( 122 )
de Bonne-Efpérance , il dit à M. Brandt , Gouver
neur de Faife Bay , établiſſement à l'Eft du Cap , que
fi dans les lieux qu'il fe propofoit de vifiter , il trouvoit
les rafraîchiffemens néceffaires , il y pafferoit 3
étés , afin d'obferver complètement & de conftater la
fituation de la côte Occidentale de l'Amérique , ainfi
que celle des Ifles que l'on fuppofe éparfes dans l'efpace
immenfe qui la fépare de la côte Orientale de
l'Afie. On ne doit pas être étonné de ce qu'il s'eft
écoulé tant de tems fans qu'on ait entendu parler de
Jui . Comme le terme de 3 étés 23 eft actuellement révolu
, on regarde comme poffible le retour de ce hardi
navigateur à la fin de cette année ou au commencement
de la prochaine ; on n'eft point furpris de n'a
voir point reçu de fes nouvelles , puiſqu'on n'en a
point eu au Cap «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 12 Octobre.
La Cour , qui étoit au Château de Choify
depuis le 5 de ce mois , en eft revenue hier ;
Mefdames Adélaïde , Victoire & Sophie de
France , qui avoient paffé ce tems à leur
Château de Bellevue , en font auffi de retour.
Le Baron de Cadignan , Colonel du Régiment
d'Agénois , Infanterie , Major - Général
des troupes de l'Ifle Saint - Domingue ,
y étant mort le 19 Juin dernier , Monfieur
a confervé à fon fils la charge de fon premier
Fauconnier dont il étoit pourvu.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Lyre , Ordre
de Saint- Benoît , diocèle d'Evreux , l'Evêque d'Evreux
; à celle de Molefme , Ordre de Saint-Benoît
, diocèfe de Langres , l'Evêque d'Auxerre ;
( 123 )
à celle de Beaupré , Ordre de Citeaux , diocèfe de
Beauvais , l'Evêque de Bayonne ; à l'Abbaye fécu
lière de Peffan , diocèſe d'Auch , l'Abbé de Langle ,
Aumônier de Madame Victoire , Vicaire- général
d'Evreux ; à celle des Roches , Ordre de Citeaux ,
diocèle d'Auxerre , l'Abbé de Chambertrand
Doyen de la Cathédrale & Vicaire-général de Sens
à celle de Saint- André -du -Jau , Ordre de Saint-
Benoît , diocèfe de Perpignan , l'Abbé d'Aguilhe
Vicaire-général & Official de Condom ; à celle
d'Acey , Ordre de Cîteaux , diocèfe de Befançon
l'Abbé de Lezay-Marnefia , Comte de Lyon & Vi
caire- général du même diocèfe ; à celle de Juftemont
, Ordre de Prémontré , diocèfe de Metz ,
l'Abbé de Majainville , Princier de la Cathédrale
& Vicaire- général du même diocèfe ; à celle de
Cadouen , Ordre de Cîteaux , diocèfe de Sarlat ,
l'Abbé de Solminiac , Vicaire- général de Cahors ;
à celle de Boſcadon , Ordre de Saint - Benoît , diocèfe
d'Embrun , l'Abbé de Pryffin , Vicaire- général
du même diocèfe ; à celle de Maurs Ordre de
Saint - Benoît , diocèfe de Saint Flour , l'Abbé de
Blanfac , Vicaire général de Noyon ; à celle d'Ebreuil
, Ordre de Saint - Benoît , diocèfe de Clermont
, l'Abbé de Lupcourt , Doyen de l'Eglife Primatiale
de Nanci & Vicaire général du même diocèfe
; à l'Abbaye de Saint- Sauveur de Lodève , Ordre
de Saint- Benoît , l'Abbé de Douzainville , Vi
caire-général d'Acqs ; à l'Abbaye de Lezat , Ordre
de Saint Benoît , diocèfe de Rieux , l'Abbé de Jouffroy
d'Abban , Chanoine de Saint- Claude ; à celle
de Bonnecombe , Ordre de Cîteaux , diocèle de
Rhodès , l'Abbé de Caftellas , Grand Vicaire de
Comminge , Doyen- Comte de Lyon ; à l'Abbaye
régulière de la Perigue , Ordre de Saint- Auguftin ,
diocèfe du Mans , la Dame de Montagnac , Religieufe
-Profelle de l'Abbaye de Saint Julien-du -Pré ,
?
f2
( 124 )
même diocèle , fur la nomination & préfentation
de Monfieur , en vertu de fon appanage,
M. de Claris , premier Préfident de la
Chambre des Comptes & Cour des Aides
de Montpellier , eut l'honneur d'être préfenté
à S. M. par M. le Garde des Sceaux , &
de la remercier de ce qu'elle a bien voulu
accorder la furvivance de la charge de premier
Préſident dont il eſt pourvu , à ſon fils ,
Préfident en la même Cour.
M. Portal , Médecin confultant de Monfieur
, de l'Académie des Sciences , a eu
l'honneur de préſenter au Roi , à Monfieur ,
fes Obfervations fur la nature & le traitement
de la rage. D'après le rapport de M. Necker ,
S. M. a jugé utilé que cet Ouvrage fût envoyé
aux Intendans pour en répandre la
connoiffance dans fes Provinces . M. le Noir ,
Lieutenant- Général de Police de Paris , en
a fait diftribuer plufieurs exemplaires dans
la Capitale.
M. Allemand, Confervateur des Forêts de
l'Ile de Corfe , a préſenté au Roi , à Monſieur
&à Monſeigneur le Comte d'Artois , l'Introduction
& le Plan d'un Traité général de la
Navigation intérieure , & particulièrement
de celle de la France , & Confidérations fur
les forêts , bois & autres objets fufceptibles
d'améliorations au moyen de nouveaux
débouchés , avec un Traité des Péages , dans
lequel , après avoir démontré les ayantages
qui réfulteroient de la fuppreffion de ce
droit , on donne un Plan de liquidation &
d'indemnité.
>.
( 123 )
M. de la Foffe , Graveur , a préfenté à LL.
MM. & à la Famille Royale , la 8e . Livraiſon
du Voyage Pittorefque de l'Italie .
De PARIS , le 12 Octobre..
TOUT fe prépare à Breft pour le prompt
départ des flottes combinées de France & d'Ef
pagne . La plupart des malades qu'elles avoient
débarqués fe rétabliffent ; leur grand nombre
avoit d'abord étonné ; mais plufieurs n'avoient
befoin que de nourritures fraîches &
de l'air de la terre ; il arrive journellement
dans ce Port des matelots qui reviennent de
divers endroits ; & le premier de ce mois
ils étoient déja au nombre 6000 ; on parloit
de défarmer à 6 vaiffeaux pour en employer
les équipages fur les autres ; on dit aujourd'hui
que cela ne fera peut- être pas néceffaire
; & dans tous les cas , on est sûr que
la flotte ne fera pas moins formidable qu'elle
l'étoit avant la rentrée. Les lettres du premier
de ce mois portent que les ordres étoient
de fe tenir prêt à fortir en corps d'armée le
plutôt poffible .
M. le Comte du Chaffault , arrivé le 19 du
mois dernier à Breft , prit le 20 le cominandement
de l'armée à bord du vaiffeau la
Bretagne. Ce Général , quoique feptuagénaire
, eft d'un tempérament fort & robufte
, & fur - tout très - actif. C'eſt pendant
la dernière guerre qu'il s'eft principalement
diftingué , en paffant avec vaiffeaux aux
Açores malgré une efcadre Angloife de 10 ,
f3
( 126 )
qui avoit été envoyée pour l'attaquer ; depuis
la paix , il a été chargé , en 1765 , du bombardement
de Larrache & de Salé. Son fils ,
qui fut auffi bleffé fur fon vaiffeau la Couronne
, au combat d'Oueffant >, eefſtt allé à
Malthe faire fes Caravannes. M. le Comte
d'Orvilliers , avant de quitter le commandement
, donna le 20 un dîner à tous les
Officiers de l'armée combinée. Il fut précédé
d'un Te Deum , en réjouiffance des
avantages remportés par M. le Comte d'Eftaing
, & de 33 décharges de toutes les batteries
tant du port que des vaiffeaux.
On éctit de S. Malo , que le Comte de
Vaux en eft parti le 30 pour fe rendre à
Breft , où il est allé , dit - on , conférer avec
les Généraux de l'armée navale , fur les nouvelles
difpofitions des troupes qu'occafionnera
la fortie de la flotte combinée.
On a débité que M. le Comte d'Eſtaing
étoit arrivé devant New-Yorck ; cette nouvelle
ne s'eft pas foutenue. On ignore encore
dans quels parages ce Vice - Amiral a conduit
fa flotte. Il faut qu'il ait bien caché fa marche,
puifqu'il a donné le change à l'Amiral
Byron lui-même , qui croyant qu'il avoit des
vues fur la Jamaïque , eft allé le chercher
dans cette Ifle , où il n'a pas été peu furpris
d'apprendre qu'il n'avoit point paru für ces
côtes.
Les différentes relations qui ont couru fur
la prife de la Grenade, contenoient, fur le Gouverneur
de cette Ifle , quelques détails que
( 127 )
nous avons copiés comme nous les avons
trouvés , & dont nous nous défiions d'autant
moins que nous les trouvions par-tout ; nous
nous empreffons de les rectifier; nous devons
des remercimens fincères au brave Officier
qui nous met en état de détromper le Public ,
& nous fommes flattés de lui offrir ici l'hommage
de notre reconnoillance.
» J'ai lu MM. dans le Journal du Samedi zo
Septembre différents articles concernant le Lord
Macartney , que vous avez annoncé favoir , par
des lettres de plufieurs Officiers de l'expédition de
la Grenade , & par les rapports des équipages
de la frégate que j'avois l'honneur de commander.
Je ne peux ni ne dois , MM , vous laiffer
ignorer que vous avez été mal informés ; il eſt
de votre juftice & de la mienne de diffuader le
Public d'une fauffeté auffi indécente , & de l'aflurer
que j'ai été très - fatisfait des honnêtetés du Lord
Macartney , & de fa conduite vis-à-vis de tous les
Officiers de la Diligente. Ce Seigneur paroiffoit
fort attaché à fon Prince & à fa Patrie , je ne
T'en eftime que davantage ; il avoit à cet égard
une façon de penfer fort de mon goût , & je peux
même affurer qu'il eſt de la fociété la plus douce &
la plus agréable . Je vous prie MM. de publier ma
lettre. A Paris le 6 Septembre 1779. Signé Du-
?
CHILLEAU « ,
On écrit de Bordeaux que les navires raffemblés
au bas de la rivière ont fait voile
pour l'Amérique avec le meilleur vent fous
l'escorte des frégates la Belle - Poule , la
Tourterelle & la Renommée . Suivant les dernières
lettres de nos Colonies , 20 navires
de cette même Ville font arrivés très-heureufement
à la Martinique. Le Maréchal
£ 4
( 128 )
'de Mouchy , la Vicomteffe de Noailles & le
S. Mathieu , partis le 23 Avril , ont mouillé
au Cap le 23 Mai. Le dernier s'eft rendu
enfuite à la Havane. L'arrivée d'un fi grand
nombre de bâtimens marchands dans nos
Ifles , y a fait tomber confidérablement le
prix de toutes les denrées .
On craignoit pour la petite flottille du Capitaine
Paul Jones , qui vient de fe diftinguer
d'une manière fi fignalée fur les côtes d'Ir--
lande , lorfqu'on a appris qu'il avoit relâché
au Texel , montant le Séraphis , le Bon homme
Richard qu'il montoit auparavant ayant
coulé bas. On ne fait pas s'il s'eft emparé de
quelques - uns des bâtimens de tranſport
que convoyoient le Séraphis , & l'autre frégate
qui a été prife avec lui.
» Le corfaire le Monfieur , de ce Port , écrit-on
de Granville , eft de retour de fa croiſière ; il a amené
avec lui un bâtiment Anglois , venant de la Ja
maïque , du port de 400 tonneaux , chargé de fucre
, d'indigo , de bois de teinture , &c. Les autres
prifes que ce corſaire a faites & qu'il a envoyées à
St-Malo & à l'Orient , font deux petits navires Anglois
, chargés l'un de morue & l'autre de vivres ,
& un bâtiment Eſpagnol qu'il a recous . La frégate la
Terpficore , commandée par M. ' le Chevalier, de
Lombard , délivra le 23 du mois dernier un navire
de Bordeaux , venant des Cayes St-Domingue ; le
corfaire qui s'en étoit emparé prit la fuite à l'ap
proche de la frégate. On dit que la frégate Eſpagnole
la Sainte- Monique , de 26 canons , qu'on
croit être de la divifion de D. Ulloa , a été priſe à
la hauteur des Açores par la Perle , frégate Angloiſe
de 36 , après un combat de plufieurs heures , pendant
lefquelles l'engagement a été des plus vifs &
de bord à bord : elle n'a cédé qu'à la fupériorité
( 129 )
de fon adverfaire , après avoir eu 72 hommes hors
de combat «.
Selon des lettres d'Espagne , les troupes
s'approchent de Gibraltar. Le 12 du mois
dernier , les ennemis commencèrent leur feu ;
ils tirèrent 600 coups de canon , qui ne tuèrent
qu'un feul foldat.
» On lit dans une lettre de Lille que le brave
Royer eft de retour d'une nouvelle croifière avec
un vaiffeau Anglois de 10 canons , chargé en marchandifes
, dont il s'eft emparé après un combat
affez vif. Suivant les loix de la guerre un vaiffeau ,
dès qu'il a baiffé pavillon devant fon vainqueur , ne
peut plus fe fervir de fes armes ; malgré cette loi
le Capitaine Anglois , après s'être rendu , voyant
venir la chaloupe de Royer avec 11 hommes pour
amariner fon vaiffeau , lâcha toute fa bordée chargée
à mitrailles fur la chaloupe , qu'il coula bas ,
& crut par cet artifice avoir affez affoibli Royer
pour tenter l'abordage ; mais indigné d'avoir vu
périr ainfi fes gens , le brave Royer ne fe poffédant
plus exhorte le refte de fon équipage à venger
la mort de leurs camarades , prévient l'Anglois ,
T'aborde & en paffe tout l'équipage au fil de l'épée
à l'exception du Capitaine & d'un matelot qu'il trouya
cachés : il les a ramenés à Dunkerque , où , fuivant
les loix de la guerre , ils devroient être pendus
à la grande vergue de fon vaiffeau « .
La frégate la Surveillante , de 26 canons de 12
& 6 de 6, commandée par M. du Couëdic , Lieutenant
de vailleau , croifant à la hauteur d'Oueffant
, avec le cutter l'Expédition , commandé par
le Chevalier de Roquefeuil , Lieutenant de vaiffeau
, découvrit le 7 de ce mois , à la pointe du
jour , une frégate & un cutter Anglois . M. du
Couedic fit fignal à l'Expédition de fe préparer
au combat , & força de voiles pour s'en approfs
( 130 )
cher. Parvenu à la demi-portée de canon , il are
bora le pavillon François , qu'il affura d'un coup
de canon à boulet. Les bâtimens ayant mis en panne
& ayant reçu dans cette pofition fa bordée , arrivèrent..
M. du Couëdic revira pour le mettre au
même bord & combattre la frégate , tandis que
le Chevalier de Roquefeuil combattroit le cutter.
Le combat s'engagea bord à bord à dix heures &
demie , & fut des plus vifs & des mieux foutenus
de párt & d'autre. A une heure après - midi , la
Surveillante fut démâtée de tous les mâts ; peu
de minutes après , la frégate Angloife éprouva le
même fort. Ces deux bâtimens , privés de tous
leurs mâts , dans l'impoffibilité de manoeuvrer
continuèrent à combattre avec la même chaleur.
M. du Couëdic , quoique bleffé très-grièvement ,
n'abandonna point le gaillard de fa frégate , & la
proximité des deux bâtimens permettant de tenter
l'abordage , ordonna à fon équipage de fauter à
bord. Déja fon beaupré étoit engagé dans les débris
des mâts de fon ennemi ; les François étoient
prêts à fe lancer , lorfqu'on vit tout le gaillard
de la Frégate Angloife en feu. Il fe communiqua
rapidement au beaupré de la Surveillante . M. du
Couëdic , par une manoeuvre habile & vive , s'éloigna
à l'aide de quelques avirons , éteignir le
feu de fon beaupré , & s'occupa à fauver quelques
Anglois qui s'étoient jettés à la mer ; 45 gagne
rent fon bord , & à 4 heures la frégate Angloife
fauta en l'air. Cette frégate étoit le Québec
fortie de Plymouth depuis cinq jours , comman-.
dée par le Capitaine Farmer , doublée en cuivre
& montée de 32 canons , dont 26 de 12 , & 6
de 6. La Surveillante a eu 30 hommes tués & 85
bleffés parmi les premiers , eft M. Pinquet , Of
ficier auxiliaire. M. du Couëdic a reçu trois bleffures
, dont deux font très - dangereufes , les balles
étant reftées dans les reins. M. de la Bentinaye ,
Enfeigne de Vaiffeau , a eu le bras droit emporté ;
>
( 131 )
le Chevalier de Loftange , Enfeigne de vaiffeau ,
a été bleffé à la tête , & M. Vautier , Officier au .
xiliaire , l'a été grièvement à la poitrine . Lorsque
le Québec eut fauté en l'air , le Chevalier de Roquefeuil
abandonna le cutter qu'il combattoit
ayant déjà perdu 30 hommes dans l'action , & vint
au fecours de la Surveillante , pour la prendre à
la remorque. M. Dufréneau , Officier auxiliaire
fut chargé de la conduite de la frégate , & pourvut
aux moyens de boucher plufieurs voies d'eau ,
produites far des coups de canon à flottaifon , &
qui expofoient le bâtiment à couler bas . Elle fut
ramenée à Brest le 8 , remorquée par l'Expédition,
mais fans mâts , avec la moitié feulement de fon
équipage , & tous fes Officiers , à l'exception d'un
feul , tués ou bleifés .
M. de Sartine ayant rendu compte au Roi de ce
combat , S. M. a accordé la Commiffion de Capitaine
de Vaiffeau à M. du Couëdic , & fe réferve
d'accorder des récompenfes aux Officiers &
à l'équipage , ainfi qu'aux familles des Gensde mer ,
auffi-tôt que l'état des morts & des bleffés lui aura
été préfenté.
Ön écrit de Baume , en Franche- Comté ,
en date du 21 Septembre dernier , le fait fuivant
qui paroîtra bien extraordinaire.
>
» M. le Marquis de Rouault Gamache , Grandd'Espagne
, Capitaine au Régiment de Royal-Piémont
, & fon époufe , née Choifeul , venoient de
Strasbourg , & s'en retournoient par la Bourgogne
lorfque le Samedi , 11 du mois dernier , ils curent
le malheur d'être précipités fous les hauts rochers
qui bordent prefque perpendiculairement la route ,
vis à- vis d'Enans . M. d'Enans , Avocat du Roi au
Préfidial de Befançon , témoin de cet effrayant fpectacle
, fe mettant à la tête des Habitans du lieu
vola au fecours des Voyageurs. Madame d'Enans
envoya en même tems avertir des Prêtres & des
f.6.
( 132 )
Chirurgiens, M. d'Enans avoit obfervé que la voi
ture , en tombant à plomb fur un premier banc de
rochers , s'étoit brifée en partie ; qu'enfuite , après
une nouvelle chûte au- deſſous du fecond banc
elle avoit volé en éclats , & que rien n'étoit tombé
plus bas , à l'exception d'une roue qui avoit rou
lé dans le Doux . La difficulté étoit d'arriver au lieu
de cette fcène , à caufe d'un autre banc de rochers
inférieur aux deux premiers. On furmonta ces obftacles
, & on parvint jufqu'à M. de Rouault ; qui
revenu un peu à lui dans l'intervalle , & n'ayant aucun
membre fracturé , malgré une chûte de 80 toifes
de hauteur , avoit remis un de fes fouliers à
moitié tiré de fon pied , s'étoit relevé , avoit fait
quelques pas pour chercher fon Epoufe , & étoit
tombé bien-tôt prefque fans connoiffance. Ce fut
dans cet état qu'il fut trouvé par M. d'Enans.
Madame de Rouault étoit à environ so pas , retenue
par fes habits à un buiffon , déjà affife &
cherchant à fe dégager. La Femme -de- chambre , au
premier faut de la voiture, avoit été jettée au pied du
banc fupérieur , où on la trouva n'ayant , ainfi que fes
Maîtres , que des égratignures & des contufions peu
dangereufes. Le Domeſtique qui étoit derrière la
chaile avoit fauté en arrière au moment de la chûte
& s'étoit retenu aux gazons de la route. Le Poftillon
affez heureux pour quitter à tems fes chevaux
avoit pris la fuite : on ignore ce qu'il eft devenu,
M. d'Enans donna à M. & Madame de Rouault
tous les fecours poffibles dans les circonftances . Le
bruit de ce malheur s'étant répandu , les habitans
de cette ville & du voifinage s'empreffèrent d'accoufir
fur les lieux ; la joie éclata fur tous les viſages
dès que les Médecins & les Chirurgiens eurent af
furé qu'il n'y avoit aucune espèce de danger. Le
feul des trois chevaux de la voiture qui n'avoit pas
été entièrement moulu , roula du haut en bas , &
manqua , dans fes diverfes cafcades , d'écrafer quantité
de perfonnes. Il paffa à quelques pieds de M.
( 133 )
de Rouault & de M. d'Enans : mais , par le ha
fard le plus heureux , il n'atteignit qu'une fille d'E
nans , encore très- légèrement. La voiture & les
malles ayant été brifées en mille pièces , tous les
effets , parmi lesquels il y en avoit de précieux ,
étoient difperfés çà & là ; mais tous furent ramaffés
& fidèlement rendus , jufqu'à un fac „ d'argent
, placé dans une des poches de la voiture ,
qu'un Payfan de Gros-Bois , qui le trouva dans
un buiffon , rapporta le lendemain . Aujourd'hui ,
M. & Madame de Rouault font parfaitement réta
blis. Ils ont été quelquefois , pendant leur convalelcenfe
, confidérer des fenêtres de M. d'Enans , les
précipices effrayans qu'ils ont parcourus ; & ils font
actuellement les premiers à plaifanter d'une chûte
fi terrible , aux dangers de laquelle ils ont échappé
comme par miracle ».
On lit dans une Affiche de Province l'anecdote
fuivante :
" Un Huiffier de Chinon s'étant mis dans le
cas d'être décrété de prife de corps , pour fait de
galanterie ; il ne fe trouva qu'un feul de fes confreres
qui voulût bien fe charger de la commiffion
de la capture. Le décrété , amené à 2 heures
après minuit à la porte de la Prifon à la faveur
d'une eſcorte , paffe le guichet ; on fe fait don
ner le regiftre , & on écrit l'acte d'écroue . Pendant
ce tems le Géolier dont on avoit interrompu
le fommeil , fe frottoit les yeux , & ne les ouvrit
que lorsqu'il entendit un débat de civilités entre
Les deux Particuliers , à qui ne refteroit pas. Le
décrété éleva alors la voix . M. , dit-il au Concierge
, avec cette fermeté qui infpire la confiance ,
ayez la bonté de ferrer cet homme- là . Vous favez
que vous venez de vous en charger : il fait , comme
vous voyez , le petit mutin , & par gentilleffe
d'efprit , il voudroit me jouer le tour de me
Jaiffer ici à fa place , en vous perſuadant que
î
1
1
( 134 )
c'est moi qui dois refter. Croyez - moi , profitez du
moment pour le mettre fous la clef ; car de l'humeur
dont je le connois , il vous donneroit du fil
à retordre. Ce difcours fut prononcé avec tant de
véhémence , de vivacité & de fermeté , que l'Huil
fier capturateur fut conduit avec force & mis fous
la clef , jufqu'à ce qu'un de fes Supérieurs , informé
de l'évènement vint le faire fortir , en piouvant
au Concierge qu'il avoit renfermé l'innocent
pour le coupable « .
François des Monſtiers de la Valette , Lieutenant
de Vaiffeau , eft mort à Breſt dans la
37e. année de fon âge.
Jeanne- Befnard , veuve de Philippe de Recocquillé
eft morte à Chartres dans la 100e.
année de fon âge , étant née en 1680. Elle laiffe
des enfans de fes arrières- petits - enfans , du
nombre defquels eft le fieur de Sailly , Capitaine
de Cavalerie.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , pour ordonner
le verſement au Tréfor royal , des Droits & Impofitions
de la Principauté de Dombes.
Le feu Roi ayant jugé à propos de deſtiner à
quelques dépenfes particulières le revenu de la
principauté de Dombes , avoit ordonné , par un
arrêt du Confeil , que l'Adjudicataire des fermes générales
eût à remettre annuellement au fieur Imbert ,
l'équivalent de Droits perçus dans le pays deDombes ;
il avoit de plus confié la recette des impofitions de
cette Principauté à des receveurs particuliers , qui
en verfoient le produit audit fieur Imbert , & il fe
faifoit rendre un compte privé de ces deniers , ainfi
que de ceux provenans de différens effets mobiliers
dépofés hors du Tréfor royal. S. M.
s'étant conformée , juſqu'à-préſent , à ces difpofitions
qu'Elle avoit trouvé établies , a réfléchi , en récenfant
toutes les parties de fes finances , qu'il étoit plus
( 135 )
convenable de réunir l'adminiſtration des impofitions
de la Principauté de Dombes , à celle de fes finances
générales , afin d'affujettir de plus en plus toutes
les perceptions à des principes uniformes , & en même
temps S. M. s'étant déterminée à n'avoir plus de caille
particulière , Elle a jugé à propos d'ordonner que
non-feulement tout le produit des revenus du pays de
Dombes feroit verfé dorénavant au Tréfor royal ,
mais elle veut encore qu'on y remette tous les effets
mobiliers dont on lui rendoit un compte diftinct &
féparé de l'adininiſtration générale de fes finances ;
S. M. ayant à coeur que jufque dans les plus petits détails
, fes intérêts foient déformais confondus avec
ceux de l'État , afin de n'avoir qu'un feul Tréfor
comme une feule & unique follicitude . A quoi voulant
pourvoir , & c.
De BRUXELLES , le 12 Octobre.
-DES lettres de Cadix , du 5 du mois
dernier , annoncent que les préparatifs pour
le fiége de Gibraltar étoient à la veille d'être
terminés ; en général on n'en pouvoit donner
des détails pofitifs , parce que tout fe
faifoit avec le plus de fecret poffible ; la
plupart des tranfports ne marchant que de
nuit , tant à caufe de la chaleur , que pour
en mieux cacher la nature. On avoit tranfporté
fur des voitures tirées par des mules ,
35,000 boulets , & 3 à 400 pièces de canon
& d'autre artillerie derrière la muraille des
lignes de St-Roch . Comme le nombre des
artilleurs n'étoit que de 1000 , on comptoit
que S. M. C. en demanderoit à la France ,
ainfi que des Ingénieurs . On affure que la
( 136 )
garnifon n'eft que de 3500 hommes ; &
dans ce cas elle ne peut fuffire , fi elle n'eft
pas renforcée , à garder tous les poftes , &
à fervir une artillerie qui , s'il faut en croire
le rapport des déferteurs , confifte en plus de
900 pièces de canon .
»Nous venons d'apprendre , écrit- on de Marſeille ,
qu'un petit bâtiment armé en courſe dans notre
Port , étant en croisière fur les côtes de Portugal ,
a rencontré un navire Napolitain , parti de Londres
pour Naples. A la vue de ce navire il a mis pavillon
Barbarefque ; alors le Napolitain qui avoit deux expéditions
, l'une de fa Nation & l'autre Angloife ,
a jetté à la mer celle de Naples & a mis pavillon
Anglois ; mais le François auffi fin que lui a arboré
ators fon véritable pavillon , & fur la foi du pavillon
Anglois qu'il voyoit , il s'eft emparé du navire
Napolitain & l'a conduit dans un Port de Portugal.
L'expédition Angloife qu'il avoit confervé avoit
juftifié fa prife , car s'il s'étoit encore défait de
celle-ci , il auroit été dans le cas d'être traité comme
un pirate ".
Il y a peu de Nations qui n'aient à fe plaindre
des infultes des Anglois fur les mers ; ils
ne ménagent pas davantage le Pavillon Portugais.
» Un corfaire Anglois , forti de notre Port , écriton
de Lisbonne , prit dernièrement un navire Portugais
, chargé de fucre , & le conduifit bonnement à
Porto : là il fut reconnu par l'Armateur de ce navire ;
en conféquence le capitaine fut arrêté & condamné
par le Confeil de Marine a être pendu comme forban
; cependant avant de mettre la Sentence à exécution
, il a été expédié un Courier à l'Amirauté de
Londres , pour l'informer de cette infraction écla
tante au droit des gens , & on attend la réponſe de
l'Amirauté Angloife. Cette déférence eſt déja bien
( (137 )
grande ; mais fi elle fauve la vie au pirate elle fera
bien extraordinaire «.
Selon quelques lettres , D. Louis de Cordova
, lorfqu'il appareilla de Cadix , adreffa
le difcours fuivant à fon équipage . » Mes
enfans , il eft démontré que nos fidèles alliés
ont toujours battu nos ennemis lorfque les
forces étoient égales des deux côtés ; l'année
dernière ils les ont battus avec des forces
inférieures. Si nous ne pouvons les furpaffer,
égalons les au moins. Ce n'eft pas la première
fois que je vais combattre pour ma
patrie & pour mon Roi , & vous voyez en
moi un exemple qu'on n'en meurt pas. « D.
Louis de Cordova a , dit- on , 72 ans.
» Le bruit a couru à Paris , lit-on dans quelques
lettres , que 2 ou 3 Capitaines de vaiffeau avoient
été cités à un Confeil de Guerre qui s'étoit tenu
le 22 Septembre ; plufieurs avis venoient à l'appui
de cette affertion & annonçoient que ces Capitaines
avoient été caffés ; mais les dernières lettres de ce
Port ne font aucune mention de ce prétendu Confeil
de Guerre , & il n'a pas été difficile de reconnoître
que cette calomnie puniffable a été inventée
par des ennemis obfcurs & cachés de quelques Offi
ciers de la Marine du Roi « .
Selon les lettres de Hollande , les Négocians
d'Amfterdam follicitent , avec plus de
vivacité que jamais , les Etats - Généraux , de
faire exécuter la réfolution qu'ils ont prise
de protéger efficacement le commerce de la
République , & d'affurer l'honneur de fon
pavillon & le commerce des particuliers. Ils
ont préfenté à ce fujet , le 9 du mois dernier
, à LL. HH. PP. un mémoire. On ne
( 138 )
dit point encore quel en eft l'effet. En at
tendant , on voit paroître pluſieurs écrits
fur les circonftances préfentes, qui tous prouvent
l'opinion générale fur les prétentions
de l'Angleterre. Parmi ces écrits , on en
doit diſtinguer un qui a été publié ſous le
titre d'Objervations d'un citoyen d'Amfterdam,
fur le mémoire préſenté aux Etats-
Généraux , par M. le Chevalier Yorck , le
22 Juillet dernier.
» Rien affurément n'eft plus fait pour être respecté
que le langage d'un Ambaifadeur , fur - tout lorfqu'il
parle au nom de fon Souverain , & le public eft
posté naturellement à ajouter foi à fes affertions ;
mais ce même public n'eft pas obligé d'y croire
aveuglément ; il a le droit d'examiner , d'approfondir
& même de cenfurer. Il nous importe d'au
tant plus , à nous autres Hollandois , d'ufer de ce
privilége , que M. le Chevalier Yorke nous dit miniftériellement
que la France & l'Espagne fon deux
Puiffances perfides , qui fe font un jeu de violer le
droit des gens , de troubler la tranquilité publique ,
qui ont formé l'effrayant projet de donner la loi
à toute l'Europe , après avoir envahi l'Empire
Britannique ; que par conféquent notre propre intérêt
, & même notre falut nous impofent le devoir
de voler au fecours de l'Angleterre , c'est- à- dire
de prendre part à une guerre qui ſembloit nous
être abfolument étrangère , contre deux Souverains
qui ne nous ont point offenfés , pour une caufe
que nous penfions n'avoir aucun intérêt à foutenir,
Il faut avouer que fi tout ce que M. le Chevalier
Yorke avance eft bien fondé , rien ne mérite plus
d'attention , que les efforts réunis de la France & de
l'Efpagne ; que la caufe de la Cour de Londres eft
celle de tous les Souverains , & que l'Europe entière
( 139 )
doit fe liguer pour échaper aux fers de la Maifon de
Bourbon , en fauvant la Grande- Bretagne . Mais fi en
revanche , S. E. a fuppofé aux Cours de Verſailles &
de Madrid des vues qu'elles n'ont point , fi elle a
allégué des faits , qui n'exiftent pas , en un mot , fi
fon Mémoire n'eft qu'une déclamation hazardée ,
calomnieufe & imaginée dans l'unique vue de nous
égarer , il faudra avouer que fa réclamation ne
mérite aucune attention , & que le feul parti qu'il
nous convienne de prendre , c'eft de la rejetter , &
de perfifter dans la neutralité que nous avons fi
fagement adoptée «.
Pour parvenir à un réſultat qui puiffe
guider , le Hollandois , ou celui qui prend
ce nom , analyfe le mémoire de l'Ambaffadeur
, & pulvérife tous les raifonnemens
& toutes les affertions . Quel que foit l'auteur
de cette brochure , il annonce un
homme verfé dans la politique des nations ,
dont il a approfondi les intérêts ; & fes
obfervations méritent d'être lues & méditées .
Nous aurons plus d'une fois l'occafion de
revenir fur ce fujet , & d'employer fréquemment
ces réflexions pour jetter du jour
fur les évènemens courans , fur les vues de
l'Angleterre , & les intérêts des nations dont
elle follicite aujourd'hui vainement les fecours
; en attendant , nous continuerons
l'expofé des motifs qui ont déterminé l'Ef
pagne à la guerre.
3. L'Angleterre ne pouvoit pas avoir des motifs de
jaloufie & de démêlés , relativement à l'Espagne ,
pour ceffer de la traiter d'une manière conforme
aux règles de l'équité & de la reconnoiffance , &
ainfi qu'aux bienséances , attendu que l'Eſpagne ne
feroit & ne pourroit faire que très peu ou point de
( 140 )
commerce avec les Colons Anglois : celui de fes
poffeffions en Amérique étant fuffifant , & même
plus que fuffifant pour elle. Cependant la Cour de
Londres , pour le ménager un prétexte de rupture ,
lorfque fes projets feroient parvenus à leur point de
maturité , affectoit de grandes inquiétudes fur la
correspondance de commerce que quelques Négocians
de Bilbao entretenoient avec d'autres Négocians de
fes Colonies , quoique cette correſpondance eût
commencé un grand nombre d'années avant qu'elles
rompiffent avec leur Métropole. Le Ministère Anglois
prétendit auffi devoir prendre ombrage de la
correfpondance mercantile qu'entretenoient quelques
Habitans François de la Louifiane avec les Colons ,
& il vouloit rendre le Gouvernement Efpagnol
refponfable de certe contravention à fes propres
loix dans ces Pays : dans le tems même que les Sujets
d'Angleterre , appellés Royaliftes , étoient pareil .
lement en contravention par la contrebande qu'ils
faifoient fur les côtes Efpagnoles du Mitfiffipi &
de la Louifiane ; ce qui fut caufe qu'il y en eut
plufieurs d'arrêtés & que les Anglois fe répandirent
en plaintes à cette occafion . L'orgueil des
Commandans Anglois dans ces parties , prétendoit
auffi que l'on ne devoit point donner d'afyle dans
la Louifianne aux Colons perfécutés , tandis que
les Royalistes qui s'y réfugioient étoient sûrs de
n'avoir rien à craindre , non-feulement pour leur
vie , mais pour leurs biens. C'est un fait conftaté
par les remerciemens de plufieurs des ces Royalistes
au Gouverneur Espagnol , qui ne fe font pas bornés
à témoigner leur reconnoiffance de vive voix
mais en ont configaé l'expreffion dans un écrit figné
d'un grand nombre d'entr'eux. Le Gouvernement -
Eſpagnol a porté l'humanité jufqu'à envoyer de
fon propre mouvement des farines à Penſacola ,
d'après la connoiffance qu'il avoit de la difette qui
régnoit dans cette Place : la reconnoiffance du Miniſtère
& de la Nation Britannique a éclaté par les
( 141 )
menaces , les violences & les manoeuvres qui viennent
d'être rapportées.
4. Sans nous arrêter aux évènemens antérieurs
à ces derniers tems , nous dirons que les infultes
faites par la marine Angloiſe à la navigation & au
commerce Espagnol depuis l'année 1776 , jufqu'au
commencement de Mars de l'année préfente 1779 ,
fe montoient déja à 86 , dans le nombre defquelles
on comprend des prifes injuftes , des pirateries
& des vols de différens effets à bord des bâtimens ,
des coups de canon tirés & d'autres violences incroyables
. Depuis ce mois de Mars , & nonobftant
le Mémoire remis le 14 du même mois par le'
Marquis d'Almodovar , où il fe plaignoit des griefs
les plus capitaux , & où il rappelloit les Mémoires
précédens , les Anglois fe font emparés , les 12
19 & 26 Avril , des 3 bâtimens Eſpagnols nommés
Nuestra Senora de la Concepcion , la Virgen de
Gracia , & las Animas . Ces excès joints aux autres
infultes dont la note avoit été envoyée au
Marquis d'Almodovar , pour qu'il en informât les
Miniftres Anglois , ont donné lieu à cet Ambaffadeur
de dire , dans la dernière déclaration qu'il a
remife au Ministère Anglois le 16 Juin , que les
griefs dont on le plaignoit depuis ces dernières
années s'approchoient du nombre de cent.
>
5. Les vaiffeaux ou bâtimens du Roi Catholi
que , ainfi que fes barques courières , balandres
& autres , incapables de faire une réfiſtance convenable
, qui ont été infultés par la marine Angloife
dans le cours des deux années dernières , jufqu'au
commencement de Mars de celle - ci , dans les mers
d'Europe & d'Amérique , font au nombre de douze .
On rougit de rapporter l'indécence & même l'igno
minie avec lesquelles les Officiers Anglois tant
dans ces circonftances que dans d'autres , ont traité
le pavillon de S. M. C. On citera feulement ce
qui s'eft paffé le 31 Octobre de l'année dernière,
Un Officier Anglois , détaché par deux frégates
,
( 142 )
"
de la même Nation , vifitant entre les ifles de la
Mona & de la Saona , le Guayro Espagnol nommé
Nuestra Senora de la Efclavitud , ayant fait abaiffer
le pavillon du Roi , s'eft fervi de l'endroit cù
étoient les armes de S. M. pour s'en frotter le
vilage & elluyer fa fueur , voulant par là montrer
le mépris qu'il en faifoit. Ce digne Officier & fes
compagnons ont pillé le bâtiment , & jufqu'aux
hardes des Matelots.
6. La Nation Angloiſe a violé onze fois le territoire
Espagnol dans ces dernières années. Parmi
toutes ces infultes , on remarquera celle que fe
permitent les chaloupes de trois frégates Angloifes
qui étoient dans la baye de Gibraltar le 30 Avril
1777. Elles firent feu fur le bateau des Fermes
du Roi , ainfi que fur le corps- de - garde qui étoir
au pont Mayorga , & enlevèrent l'équia & les
- effets d'une goëlette prife par le mêmeau ,
parce qu'elle étoit foupçonnée de porter en contrebande
du tabac & de l'argent monoyé. Auffitôt
que les Anglois s'en furent emparés , ils fe retirèrent
en faisant des faluts avec leurs chapeaux ,
comme par dérifion ,
7. Les plaintes de la Cour d'Espagne ont été auffi
fouvent répétées que les infultes de la part de l'Angleterre
, les Mémoires fe fuccédant continuellement
à Londres & à Madrid , de manière qu'on peut dire
qu'il en a été donné une infinité ; & malgré cela ,
on a ofé faire dire par S. M. B. , dans fon Parlement
, qu'un grand nombre de ces plaintes n'étoient
point venues à fa connoiffance , & qu'elle étoit
intérieurement convaincue qu'elle n'avoit point don
né fujet au procédé injufte de l'Eſpagne. Ces plaintes
, on le répète aujourd'hui , ont été fi continues ,
que D. Francifco Efcarano expofant par écrit quelques-
uns de ces griefs au Lord Weymouth , le s
Février 1778 , lui témoignoit déjà qu'il fe laffoit
de fe plaindre fi fouvent , & lui marquoit , » qu'il
Lembloit que tous les Commandans des vaiffeaux
( 143 )
de S. M. B. fuffent convenus entr'eux du traitement
qu'ils devoient faire à ceux du Roi ou de la Nation
Efpagnole ; puifque d'après les preuves multipliées
d'une conftante expérience , les vaiffeaux Anglois
commençoient par tirer plufieurs coups à bouler fur
les nôtres ; que les Officiers venoient les vifiter
qu'ils enchaînoient l'équipage , ou l'enfermoient à
fond de cale ; qu'ils emportoient fans le moindre
fcrupule, les effets qui leur convenoient , & pour adieu
leur tiroient un autre coup de canon à mitraille ; que
les vaiffeaux Efpagnols , & nommément les Couriers
paquebots qui portent l'artillerie , auroient pu faire
ufage de la force contre ces infultes , mais qu'ils
s'en étoient abftenus , parce que le Ministère Efpagnol
avoit très-expreflément ordonné de vivre
dans la meilleure harmonie avec la Nation Angloife ;
enfin il prioit le Lord Weymouth de vouloir bien
comparer ces excès de modération de l'Eſpagne avec
les infultes fréquentes que faifoit la Marine Britannique
, & de voir s'il étoit jufte de ne la point contenir
, & de ne donner aucune fatisfaction à l'Efpagne
«
C'eft ainfi que l'Espagne s'expliquoit au mois de
Février 1778. Voici comme elle s'eft expliquée le
14 Mars de cette année , dans un écrit de cette date
donné au même Vicomte de Weymouth.
L'Ambaffadeur Espagnol après avoir rapporté
deux points fur lefquels il avoit reçu une réponse
de ce Miniftre Anglois , il continue ainfi » Cependant
le Roi n'a pas pu s'empêcher de remarquer
que de toutes les plaintes portées par fon ordre,
depuis deux ans , au Miniftère Britannique , il n'y a
eu que ces deux affaires fur lesquelles on ait donné
une réponſe cathégorique . S. M. a examiné les motifs
contenus dans celle du 13 Février , pour excufer
le délai relatif à ce qui s'eft paffé en Amérique
, mais elle ne voit pas que le changement de
la deftination des vaiffeaux , la mort des Commandans
& le retour des Amiraux auxquels les
( 144 )
ordres s'adreffoient , ( c'étoient -là les motifs ou les
prétextes qu'on alléguoit , ) aient pu empêcher la
vérification demandée. Quand même les Comman
dans feroient morts , ou que les vaiffeaux feroient
allés ailleurs , & même en admettant que ces évè
nemens aient été univerfels , & qu'ils euflent eu
lieu précisément dans le tems qu'on le propofoit de
faire la vérification , cela n'empêchoit pas que le
Gouvernement des lieux dans lefquels ces faits font
arrivés & où l'on devoit en avoir pris connoiffance ,
ne fût permanent. Quoique les Chefs foient chan
gés , l'exercice de leurs emplois continue , & les
bureaux des départemens où l'on doit avoir pris
connoiffance ou rendu compte de chaque affaire de
cette eſpèce , fubfiftent . D'ailleurs , on a vu arriver
en Angleterre quelques -uns des Commandans fous
les ordres defquels avoient agi les vaiffeaux qui ont
pris & maltraité les vaiffeaux Efpagnols , & ces Commandans
Anglois auroient pu être interrogés fur.
beaucoup d'articles «.
Le Marquis d'Almodovar fait enfuite quelques
obfervations fur un cas particulier , & termine ainfi
fa dépêche : Enfin quand tout auroit confpiré à
empêcher ou à retarder les informations que le
Ministère Britannique defiroit avoir pour fatisfaire
ma Cour , le Roi mon maître croyoit que fes plain
tes & les ordres donnés par S. M. B. , auroient
au moins arrêté le cours de ces violences : cepéndant
, on reçoit continuellement à Madrid des avis.
de nouvelles violences , & l'on m'a envoyé le dé
tail de quelques - unes , avec ordre de les commu
niquer à V. E. Je joins donc ici la relation des
faits les plus remarquables , ne faifant point men
tion des autres , pour ne pas accumuler les plain
tes , quoiqu'elles foient toutes auffi fondées . V. E.
ne tardera pas à reconnoître l'importance de tour
ceci , & la néceffité d'accélérer autant qu'il eft poffible
, la fatisfaction que le Roi mon maître fe
flatte d'obtenir de la juftice & de la droiture de S.
M. B. ¿e.
car de la juſtice &
Lafuitepour l'ordinaire prochain.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE, le 1er. Septembre:
LES efforts des ennemis du Sélictar Aga ,
pour le perdre , n'ont abouti jufqu'à préfent
qu'à augmenter la faveur dont il jouit. Le 21
du mois dernier , au moment où l'on s'attendoit
à le voir éloigné de la Cour , on a appris
qu'il avoit été nommé Grand- Vifir à la place
de Méhémet- Bacha , qui a été relégué dans
l'ifle de Ténédos . La caufe de la difgrace de
ce dernier eft fon incapacité. Il eft dit formellement
dans l'ordre de S. H. que ce Miniftre
nefachant ni lire ni écrire , & hors d'état
de conduire les affaires du Gouvernement ,
étoit forcé de fe fervir de perfonnes à qui il ne
convenoitpas des'en mêler. Le Grand-Seigneur
ne s'eft pas borné à élever fon favori ; il a
nommé deux de fes frères , l'un Nidchangi-
Bacha , ou Garde des Sceaux , l'autre Tréforier
du Serrail . Les Miniftres Etrangers ne paroiffent
pas avoir vu d'un oeil mécontent cette
révolution , puifque deux jours après ils fe
font empreffés d'envoyer complimenter le
nouveau Grand - Vifir fur fon élévation. Le
23 Octobre 1779. g
( 146 )
peuple n'a pas vu avec le même plaifir réunies
fur les trois frères des places auffi importantes
qui mettent ceux qui les occupent
à portée d'entretenir tous les jours le Souverain
. Ils ne négligent rien pour regagner
l'affection générale ; le Grand - Vifir ſe ſignale
autant qu'ilpeut par des actes de bienfaiſance ,
& s'occupe des moyens de remédier à la
cherté des vivres. Mais jufqu'à préfent fes
foins n'ont rien changé aux anciennes difpofitions
des efprits ; on trouve tous les jours
des libelles contre lui dans les mofquées.
Malgré toute la vigilance de la Police , le feu
a de nouveau éclaté deux fois , le 24 & le 31
du mois dernier ; c'eft dans le quartier où
les Grands- Viſirs font leur réfidence , qu'il a
paru hier. Heureufement on eft parvenu à
l'éteindre avant qu'il ait pu faire des ravages.
Il eft arrivé ici trois Députés du Kan de
Crimée , ils ont eu déja audience du Grand-
Vifir , à qui ils ont remis , conformément à
la convention conclue entre la Ruffie & la
Porte , 1º. Une Déclaration qui attefte que
les troupes Ruffes ayant évacué cette prefqu'ifle
, toutes les Tribus Tartares fe font
affemblées & ont élu Sahim Guérai.
2º. Une lettre par laquelle le Kan notifie
fon Election au Grand - Seigneur comme au
Chef des Mufulmans. 3 ° . Un acte par lequel
il cède à la Porte tout le territoire d'Oczakow .
La Porte enverra inceffamment au Kan des
Tartares , un premier Ecuyer qui lui portera
la bénédiction du Chef de la Religion. Pour
-
( 147 ).
terminer entièrement cette grande affaire ,
qui a coûté tant de fang , de tréfors & de
négociations , il ne reftera plus que l'échange
de l'acte de reconnoiffance de l indépendance
de la Crimée ; il auroit eu déja lieu fi le
Miniftre Ruffe n'éxigeoit pas qu'il fe fit avec
beaucoup de folemnité . Le Ministère Turc
refufe de fe prêter à un appareil qui peut
augmenter le mécontentement du peuple.
SÚ È DE.
*
DE STOCKHOLM , le 20 Septembre.
LA Cour eft au château de Gripsholm
depuis le 17 de ce mois ; elle y reftera jufqu'à
la fin du mois prochain qu'elle reviendra
paffer l'hiver dans cette Capitale .
Le Baron d'Ehrenfwaerdt , Chambellan de
S. M. , a été nommé pour remplacer le Baron
de Geer , en qualité d'Envoyé extraordinaire
près les Etats- Généraux des Provinces-
Unies.
M. Jacques -Jonas Bijornfthahl Profeffeur
des langues Orientales à l'Univerfité de Lund ,
eft mort le 12 Juillet dernier à Salonique ,
d'une espèce de dyffenterie appellée communément
la fièvre de Salonique . La gazette
Littéraire de cette Capitale contient les détails .
fuivans fur ce favant Citoyen.
Il étoit parti de Conftantinople , au mois de Janvier
dernier , pendant la plus grande rigueur de
l'hiver qu'on a éprouvé , pour parcourir la Grèce.
Arrivé à Volo en Theffalie , il fe propofoit de
tourner vers le nord pour aller vifiter les fameux
( 148 )
<
Monaftères Grecs du mont Athos , dans l'efpe
rance d'y faire quelques découvertes rares & utiles
; mais arrivé à un petit village nommé Litocori
, fitué au pied du mont Olympe & à plufieurs
lieues de Salonique , il tomba malade . M. Lagerstrom
, Capitaine d'un navire Suédois , qui fe
trouvoit alors dans cette dernière ville , en ayant
eu avis , fe rendit auffi tôt à Litocori avec quelques
perfonnes de fon équipage , & fit tranſporter
le Savant à Salonique , où il mourut quelques
jours après . Il eft à remarquer que c'eft le troi.
fième favaut Suédois , mort depuis 30 ans dans
le Levant , où ils avoient été attirés par le defir de
faire des découvertes nouvelles dans les fciences ;
les deux autres font M. Haffelquift , & M. Forkall,
DANEMARCK,
De COPENHAGUE , le 20 Septembre;
Les lettres d'Elfeneur ne font inention que
des tempêtes qui fe font fentir depuis quinze
jours , & qui ont fait périr quelques navires
fur les côtes de Jutlande & de Suède . Plufieurs
bâtimens qui mouilloient dans le Kattegat
& dans le Sund ont perdu leurs ancres
& leurs cables. Dimanche dernier une galiote
à mâts coula à fond en pleine mer , à la
hauteur des côtes de Norwège , avec tout fon
monde, à la vue d'un autre navire qui ne
put lui donner aucun fecours.
13
L'hiver dernier fut fi doux en Iflande , que
la gelée y dura à peine quelques jours . Cette
température extraordinaire a nui à la récolte
des fourrages qui ont abfolument manqué
dans cette Ifle. Les habitans fe font trouvés
( 149 )
C
L
dans la dure néceffité de tuer le tiers de leur
bétail. La pêche n'ayant commencé qu'en
Avril , les vivres y ont auffi manqué. Quelques
perfonnes font mortes de misère ; d'au
tres ont été forcées de déranger leur fortune
en s'endettant pour fournir à leur fubfiftance.
Pour comble de malheur , depuis le commencement
du mois de Juin l'air a été trèschaud
, pluvieux , épais & mal-fain , ce qui
a caufé des maladies dangereufes , fur-tout
pour les enfans & les vieillards.
ALLEMAGNE.
De VIENNE, le 25 Septembre.
LA Cour eft toujours à Schonbrun , où
'Impératrice- Reine & la Famille Impériale
& Royale jouiflent de la meilleure fanté.
Celle de l'Archiduc Maximilien ſe rétablit ;
il commence à marcher , & l'on efpère que
l'humeur qui l'en empêchoit fera bientôt
totalement diffipée.
On doit conftruire dans la plaine de Wienerifche-
Neuftadt 4 magafins à poudre ,
à une certaine diftance l'un de l'autre , &
au milieu defquels il y aura un corps-de-garde.
Ces magafins éloignés des habitations feront
bâtis partie en brique & partie en bois ,
pour que l'explofion en foit moins forte en
cas d'accident. On y tranfportera route la
poudre de cette ville , qui par ce moyen fera
déformais à l'abri du malheur dont elle a été
dernièrement menacée.
$ 3.
( 150 )
M. de Quefdanowich , Colonel du régiment
des huffards d'Efclavonie , qui a fervi
avectant de bravoure dans la dernière guerre
& qui en récompenfe de fes fervices avoit
déja reçu l'Ordre de Marie-Thérèſe , vient
d'être mis au rang des Barons de Hongrie.
Sa famille eft originaire d'Albanie .
On affure qu'il vient d'être réglé que les
régimens Autrichiens qui n'avoient cu julqu'à
préfent que des canons de 3 livres de
balle , en auront à l'avenir de 6.
On continue de paver à neuf cette ville.
Les pierres dont on fe fert font taillées en héxagones
, de forte qu'elles peuvent fervir fucceffivement
de fix côtés . L'épargne qui en réfulte
pour etréfor eft , dit - on , de 16,000
florins par an.
Le 20 Août dernier , à 3 heures du matin ,
on a reffenti à Ujheli , fur le fleuve de Wag
en Hongrie , un tremblement de terre qui
heureuſement n'a caufé que de l'ébranlement
& point de dommage.
De HAMBOURG , le 30 Septembre.
LES papiers publics depuis quelque-tems
n'ont parlé que des mouvemens que les
troupes de plufieurs Puiffances étoient prêtes
à faire. Selon eux 50,000 Ruffes alloient fe
mettre en marche fans qu'ils puffent dire de
quel côté elles devoient diriger leurs pas ; les
mêmes mouvemens ne devoient pas être
moins confidérables dans les Etats de
l'Impératrice - Reine , & des corps confi(
151 )
dérables de Tures s'apprêtoient à défiler dans
la Bellarabie , à Bender , fur le Niefter & c.
A- leur grand étonnement , les armées font
tranquilles par- tout , & on a lieu d'efpérer
qu'elles le feront encore long- tems. La paix
dont jouit le nord paroît affez bien affurée
pour qu'on puiffe fe flatter de ne la pas voir
rompre de fi-tôt.
Les derniers avis reçus de Vienne annonçent
comme prochain le retour de l'Empereur
dans cette Capitale ; on croit cependant
qu'il entreprendra auparavant un voyage
dans la Bavière Autrichienne.
» C'eft toujours avec autant de plaifir que d'in- .
térêt , ajoutent ces lettres , que l'on fuit les traces
d'un Prince qui voyage pour perfectionner fes connoiffances
& pour faire le bien de fes Sujets . Dans
fon infatigable activité , il fait allier aux occupations
d'un guerrier celles d'un agriculteur. Etant
en Bohême du côté de Nachod , il alla vers
un payfan qui fauchoit de l'avoine , lui prit fa
faulx , & fe mit à en faire ufage pendant quelques
minutes ; fentant qu'il ne dirigeoit pas cet inftrument
auffi bien qu'il l'auroit defiré N'y a-t- il pas
demanda- t-il , quelqu'un qui en fache un peu plus
que moi ? Le Lieutenant - Colonel du Verger fe préfenta
, & faucha fi habilement , qu'it mérita l'approbation
du Souverain , qui lui cria bravo. Pendant
ce tems , le payfan fe repofoit ; & à la fin
du travail qui fe faifoit pour lui , il a reçu
une récompenfe pécuniaire. A ce trait d'affabilité
& de bienfaifance , le Chef de l'Empire fur
reconnu ; & la faulx qu'il a maniée fut mife en
dépôt pour conferver la mémoire de cet évènement
".
Le mandement de l'Evêque de Mohilow
g 4
( 152 )
au fujet des Jéfuites , n'a pas fait moins de
bruit ici qu'il n'en doit faire dans bien d'autres
pays ; ceux qui cherchent à juſtifier
l'exiſtence de la Société dans les Etats de l'Impératrice
de Ruffie , ont fait inférer les articles
fuivans dans nos papiers publics . Le ier
eft un placet du P. Staniflas Czerniewich à
l'Impératrice de Ruffie.
» Nous fommes redevables à V. M. I. de pouvoir
profeffer publiquement dans fes Etats fortunés
la Religion Catholique Romaine , & nous lui devons
également de pouvoir y dépendre auffi publiquement
, dans les chofes fpirituelles , de l'autorité
du Souverain Pontife , qui en eft le chef vifible.
Nous donc , Jéfuites du Rit Romain , &
très - fidèles fujets de V. M. , profternés humblement
aux pieds de votre trône impérial , conjurons
V. M. par tout ce qu'il y a de plus facré ,
de faire enforte que nous puiffions rendre une
prompte & publique obéiffance à la juriſdiction
fpirituelle qui réfide dans le fouverain Pontife , &
exécuter les ordres qu'il a envoyés pour la deftruction
de notre fociété. V. M. , en permettant
qu'on nous fignifie le bref deftructif, exercera
un acte de l'autorité Royale ; & nous , en obéiffant,
nous nous montrerons auffi fidèles à V. M. ,
qui en permettra l'exécution , qu'à l'autorité du
Souverain Pontife , qui nous proferit « .
On prétend que l'Impératrice fit la réponſe
fuivante à ce placet.
Vous devez , vous autres , obéir au Pape
dans les chofes qui regardent le dogme , & vous
devez dans le refte obéir aux Princes ; mais je
m'apperçois que vous êtes des fcrupuleux ; je donnerai
donc ordre qu'on écrive à mon Ambaſſadeur
à Warfovie , afin qu'il s'entende avec le Nonze
du Pape , & qu'il vous lève ce fcrupule « .
( 153 )
Toutes ces pièces font dénuées d'authenticité
; le placet ni la lettre ne portent point de
date ; & la dernière furtout ne paroît pas
pouvoir être attribuée à l'augufte Princelle
fous le nom de laquelle on ne craint point
de la mettre. Nous ne les rapportons que
parce que l'évènement auquel elles ont donné
lieu a fait du bruit ; que dans un Journal
` comme celui - ci il faut tout recueillir ; que
les nouvelles hafardées piquent quelquefois
la curiofité , que celles de ce genre ont fouvent
un but de la part de ceux qui les publient
, & qu'il fuffit d'y jetter les yeux pour
le pénétrer.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 20 Septembre:
LE Pape dans le Confiftoire tenu le 20 de
ce mois , n'a fait que propofer plufieurs Eglifes
vacantes , tant en Italie que dans les
pays étrangers. La démarche de l'Evêque de
Mohilow continue de faire beaucoup de bruit
à Rome; d'après quelques Lettres , la première
plainte à laquelle elle a donné lieu , a été
faite par l'Espagne ; le ChevalierAzara, chargé
des affaires en l'abſence du Duc de Grimaldi
, qui étoit à la campagne près d'Albano
, fe rendit à l'Audience du St. Père , pour
lui demander fi ce Prélat avoit été en effet autorifé
par le Saint- Siège le Cardinal de
%S
( 154 )
Bernis ne négligea pas de faire la même queftion
. S. S. répondit pofitivement que tout ce
qui avoit été fait , l'avoit été abſolument fans
fa participation ; que le Décret du 15 Août ,
dont l'Evêque de Mohilow avoit cru pouvoir
s'autorifer , ne regardoit aucunement
les Jéfuites , & qu'elle n'étoit point refponfable
d'une démarche faite à fon infu . Mais
qu'au rette le Département de la Secrétairerie
d'Etat , & celui de la Propagande alloient
expédier à ce Prélat l'ordre précis de révoquer
fon Mandement comme illégitime & nul ,
S. S. ayant caffé tout ce qu'il avoit fait à l'égard
des Jéfuites. On dit aujourd'hui que le
Duc Grimaldi , qui eft de retour à Rome
follicite le Saint - Père de rendre un Bref
confirmatoire de la fuppreffion de la Société.
Le Règlement que le Sénat de Venife vient
de renouveller fur les profeffions religieufes
, & dont on a parlé , eſt le réſultat d'une
Affemblée tenue le 4 de ce mois pour examiner
une Requête qu'on lui avoit préſentée
pour faire quelque adouciffement à la Loi
qu'il avoit publiée en 1768 .
On mande de Florence que le Tribunal
fuprême de Juftice a condamné le 20 de ce
mois aux travaux publics , pour leur vie , Jofeph
Affrifio , Jérôme Civillo , François
Malanti , Dominique Caochelli , Antoine
Ameli & Pierre- Antoine Capretta , convaincus
d'avoir falfifié des lettres de change.
( 155 )
ESPAGNE.
•
De CADIX , le 20 Septembre.
LES Lettres du Camp devant Gibraltar contiennent
les détails fuivans :
les
» Le 12 de ce mois , à 7 heures du matin ,
Anglois ont fait l'effai de trois batteries qu'ils
avoient conftruites dans la nuit fur la plus hauté
partie du rocher qui fait face à la porte d'Efpagne
; ils avoient tenté de donner à ces batteries
la plus grande élévation poffible pour les diriger
contre le fort St- Philippe , & contre nos Travailleurs
; mais leurs efforts ont été fuperius , leurs
boulets ne pouvoient atteindre le Fort , ou plu
tôt ils ne s'élevoient pas affez ; ils venoient
mourir au foflé qui l'entoure , de forte que
les 80 coups de canon qu'ils ont pris la peine de
tirer ce jour-là , ne nous ont coûté que deux
chevaux , & ont bleflé un feul Trompette à la.
cuiffe. Nous avons reçu ces premières décharges
de nos voisins avec toute la férénité poflible ; &
notre filence les inquiétera plus que nos pétards &
nos fufées. Quand tout fera prêt , ils feront in
veftis par un feu terrible qui les embrafera de
toutes parts ; en attendant on occupe pendant la
nuit jufqu'à 2000 travailleurs pour accélérer l'exhauffement
des batteries & des mortiers. Lẹ feu
des ennemis dura d'abord trois heures , il fe ralentit
enfuite confidérablement ; ils ne tirèrent
qu'un coup de canon d'une heure à l'autre , de manière
que leur façon de canonner & de bombarder
, avoit plutôt l'air d'un appareil funèbre que
celui d'une attaque réelle «.
Une lettre du 17 ajoute ces détails.
» Les Anglois continuent de tems en tems à
nous envoyer quelques boulets qui ne nous font
g 6
( 156 )
aucun mal. Depuis Dimanche dernier ils ont tire
1224 coups de canons & 37 bombes ; tout a été
perdu. On travaille à Aigéfiras à la conftruction
des batteries flottantes , & de 20 chaloupes canonnières
. Une partie du convoi que nous attendions
de Carthagène , eft arrivé hier à Algéfiras ,
au nombre de 7 bâtimens ; ils nous apportent
des mortiers , des canons , & des boulets. Nous
avons reçu la plus grande partie des tentes qu'on
préparoit à Séville . Les Gardes Espagnoles campent
déjà ; les Gardes Vallonnes n'attendent plus
que leurs tentes. Les travaux continuent ; les Anglois
ralentiffent leur feu ; celui de nos batteries
le fera celler totalement. On a conduit avant-hier
à Ceuta une prife Mahonnoife , qui étoit prête à
fe gliffer dans la place ; elle eft chargée de munitions
de guerre & de bouche «<
La nuit du dimanche 84 forçats que l'on
avoit fait venir de Ceuta pour les employer
à la tranchée défertèrent après avoir forcé le
quartier qui leur fervoit de prifon. On en
atrappa 20 le lendemain.
On écrit d'Algefiras qu'on va travailler au
port ou mole de cette Ville ; le plan qui a été
préfenté à la Cour , a été approuvé. Il y a à
Malaga un vaiffeau de guerre François &
une frégate dont on dit que le Commandant
eft porteur d'un paquet qu'il ne doit
ouvrir qu'à l'entrée du Détroit,
La tartane la Notre-Dame de Monte Negro ,
écrit-on de la Corogne , montée de neuf Mariniers
un Sergent & deux Soldats de marine , arriva ici
le 9. Ce navire qui avoit à bord des habits
pour le Régiment d'Irlande , avec du fucre , du
vin , & d'autres marchandiſes , avoit été pris par
un corfaire Anglois à la vue de Concubion &c
( 157 )
repris fur la route pour l'Angleterre , par le Comte
d'Orvillers , qui l'envoya à D. Louis de Cordova . Ce
dernier lui recommanda de refter de conferve avec
Fefcadre ; mais le 3 , un coup de vent l'en fépara , &
il prit la réfolution de venir ici , où il eft arrivé
en bon état «<.
La frégate du Roi l'Afréa eft entrée dans
ce port le 5. Elle étoit partie de Manille le 13
Janvier dernier avec la hourque la Sainte-
Inès qui s'eft féparée d'elle en route. Avant
d'arriver aux Açores , cette frégate a rencontré
deux Convois Anglois , efcortés par des
vaiffeaux de guerre ; & après avoir paffé ces
îles elle a vu plufieurs autres petits bâtimens
de la même Nation qu'elle n'a point abordés
, parce qu'elle ignoroit la rupture dont
elle n'a appris la première nouvelle qu'à fon
arrivée. Elle avoit à bord plufieurs animaux
deftinés pour le Roi , & que le changement
de climat & le froid ont fait périr ; on n'a
confervé qu'un perroquet incarnat , une ciyette
& un très - bel Eléphant d'une grandeur
& d'une douceur extraordinaires.
On dit que le Lieutenant - Général D. Antoine
de Ulloa , qui croife avec une eſcadre
aux îles Açores , s'en eft féparé avec 4
vaif
feaux de ligne. On prétend qu'il eft envoyé
à la Havanne , où il fera joint par les autres
vailleaux qui s'y trouvent , & que de - là il
ira tenter la repriſe de la Floride , où les Anglois
ont actuellement peu de troupes. Il
trouvera à la Havanne ou à la Vera Cruz ,
celles dont il pourra avoir befoin pour cette
expédition .
( 158 )
La mort de D. Antoine Bucarelli , Vice-
Roi , Gouverneur & Capitaine - Général de
la nouvelle Eſpagne , n'a point empêché
que fes infinuations n'aient eu leur effet.
Tous les ordres des habitans de cette partie
des domaines de la Couronne , fe font
empreffés de contribuer aux frais de la conftruction
des vaiffeaux de guerre , qui doivent
défendre les Etats de S. M.; on fait monter
la valeur de ces contributions volontaires
à 1,299,000 piaîtres fortes.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 10 Octobre.
LA flotte de fir Charles Hardy eft encore dans
les ports ; on affure qu'elle remettra en mer
le 15 de ce mois , époque à laquelle on croit
que celle de France & d'Efpagne fortiront
auffi ; on dit que la nôtre fera forte de 46
à 47 vaiffeaux de ligne . Selon un calcul qu'on
a fait de fa confommation journalière , on
compte 150 tonnes d'eau , 100 boeufs , fans
compter les autres provifions .
L'opinion générale ici eft que la France
eft abfolument déterminée à effectuer l'invafion
, que l'Espagne ne la défire pas moins ,
& que pour frapper ce coup de conféquence
elle est décidée à ne point retirer fa flotte ,
qui doit y contribuer , & qui paffera l'hiver
à Breft pour être prête à réunir fes efforts
à ceux de fon Allié lorfque le moment
l'exigera , & à ouvrir de bonne heure
( 159 )
la campagne l'année prochaine , fi nous
avons le bonheur de finir celle - ci comme
nous l'avons commencée. Nous ne nous
diffimulons pas la fupériorité de nos ennemis
; tous nos efforts juſqu'à préſent n'ont pu
la leur enlever ; la proportion du nombre de
leurs vaiffeaux avec les nôtres eft toujours de
3 contre 2 ; inquiets fur l'évènement d'un
combat qui feroit fuivi d'une defcente , nous
ne négligeons rien pour la défenfe intérieure.
On a multiplié les ouvrages & les fortifications
à Portfinouch , à Plimouth , & dans
tous les lieux menacés ; on a établi par - tout
batterie fur batterie ; la côte eft hériffée de
canons ; on ne celle d'en tranfporter ; les
chemins en font couverts . On les a auffi
multipliés fur la flotte qu'on regarde toujours
comme le principal boulevard de l'ifle ; les
vaiffeaux de 40 canons ont été portés à so ,
ceux de74 en ont 82 , & ceux de 90 en ont 98.
Il refte à favoir fi cette augmentation , qui eft
très - confidérable en totalité , a pu fe faire
fans des inconvéniens qui en détruiſent l'avantage.
Le befoin que l'on a de tous les vaiffeaux ,
l'importance de veiller à la défenſe de nos
foyers , forcent le Ministère à négliger nos
ifles de l'Amérique , malgré les plaintes & les
follicitations de nos Marchands. Nos affaires
de ce côté font dans la fituation la plus déplorable
; pour y recouvrer tout ce que nous
avons perdu , il faudroit y envoyer une flotte
fupérieure à celle des François & des Eſpa
( 160 )
"
gnols , & 12,000 hommes de troupes de
débarquement ; mais nous ne fommes pas
en état de le faire ; nous ne pourrions pas
nous dégarnir ici fans danger ; & les Commerçans
, qui confultent plus leur intérêt
particulier que celui de la Nation , ne manquent
pas de fe plaindre. Les Ordonnances
publiées à la Grenade par le Comte de Durat ,
Colonel d'Infanterie , Gouverneur de l'Ifle
pour le Roi de France , ajoutent à leurs inquiétudes.
Nos papiers publics en contiennent
plufieurs ; celle qui affecte le plus nos
Marchands eft conçue ainfi.
» Etant informés des oppreffions exercées par le
gouvernement Anglois contre les habitans François
de l'Ile de la Grenade , appellés nouveaux
fujets , au mépris de la capitulation de la Colonie
du 4 Mars 1762 , du Traité de Paix de Versailles
de 1763 , du Traité d'Utrecht de 1713 , & autres
confirmés & rappellés audit Traité de 1713 , au
mépris du droit naturel & du droit des nations >
même des loix de l'Angleterre ; que ces vexations
ont fait un mal qui s'eft étendu à tous les membres
de la Colonie , ce qui fera l'objet d'un Mémoire
particulier qui fera envoyé à notre Cour , nous
avons dès-à-préfent & à toujours , déchargé les ha
bitans de l'ifle de la Grenade , ou , fuivant l'exi.
gence des cas , feulement furfis pour un temps qui
fera limité , au paiement de toutes hypothèques &
engagemens de tous genres par eux contractés avec
la place de Londres , & toute autre place de Commerce
, fujettes à S. M. B. fans aucune exception ;
réfervant encore à la Cour de France de faire valoir
toutes les réclamations juftes & fondées , dépendantes
du préfent article. Comme le Repréfentant de
S. M. B. en l'Ifle de la Grenade , auroit pu préférer les
conditions honorables que fa valeur , fabelle défenfe ,
( 161 )
:
fa naiffance , fes titres , emplois & décorations fu
auroient fait accorder avec fatisfaction , & que fon
feul motif peut-être étoit d'empêcher que les habi
tans de la Grenade ne puffent jouir d'un avantage
accordé par les Anglois aux habitans de Ste. Lucie ,
tandis que les principaux habitans de la Grenade ,
abufés par un point d'honneur refpectable , fe font
facrifiés au point de faire enlever d'affaut , & de
perdre tout ce qu'ils auroient raffemblé , d'après
l'exemple du Lord Macartney , dans un lieu qu'il
croyoit inexpugnable pour les dédommager des
pertes réelles & confidérables qu'ils ont fouffertes ,
il est défendu fous peine de défobéiffance , exécution
militaire & confifcation de leurs biens , à tous & un
chacun des habitans de la Grenade , de ne rien payer
de ce qu'ils peuvent devoir au fujets de S. M. B. foit
directement ou indirectement , Comme les débiteurs
que les habitans de la Grenade ont en Angleterre ,
pourroient refufer le paiement exact & prochain
de ce qu'ils doivent , il y fera pourvu , en faisant ,
par ordonnance des Juges - Royaux , & après examen
des titres , vuider les mains aux gérans des habitations
dont les propriétaires Anglois fe trouvent
être actuellement fur les terres de la domination de
S. M. B. , des fommes pareilles à celle qui fera due
en Angleterre aux habitans de la Grenade , François
ou Anglois , & le furplus du produit des biens des
Anglois abfens fera verfé provifoirement dans le
tréfor de la Colonie , pour être rendu à la paix. Les
gérants qui auront prêté le ferment de fidélité , ne
Teront point changés tant qu'ils adminiftreront bien ;
mais il fera nommé par le Gouvernement des confervateurs
des biens des abfens , qui , après avoir
reçus à ferment en la Sénéchauffée , infpecteront ,
ferout compter , payer , & donneront décharge aux
gérants actuels ou les dépofféderont , mais feulement
par Ordonnance du Juge.
été
Une autre Ordonnance , en date du 10
Juillet , porte ce qui fuit :
( 162 )
Etant informés que plufieurs particuliers des Provinces
Unies ont fourni des fommes conſidérables
à divers habitans de la Grenade , fous l'hypothèque
de leurs habitations , efclaves & autres immeubles ,
avec la garantie des Négocians Anglois , & par l'autorisation
du Parlement de la Grande- Bretagne ; ces
fournilleurs d'argent ne pouvant être confidérés que
comme des prête noms des fujets de S. M. B. , toutes
ces créances rentrent dans la claffe de celles qui font
fpécifiées dans notre Ordonnance du 7 Décembre ,
nous en défendons le paiement , comme il eft réglé
dans notredite Ordonnance , d'autant que les fujets
des Provinces- Unies ne peuvent jamais être lézés ,
ayant leur recours fur leurs répondans , & que toutes
les pertes retombent fur ces derniers , ce qui diminue
d'autant la maffe des fortunes de nos ennemis .
On dit que plufieurs Négocians , qui ont
des fommes confidérables à recouvrer dans
cette Ifle , vont paffer en France pour récla
mer les bontés & la juftice de S. T. M. C.
Les fuites de la perte de cette ifle ramènent
l'attention für le Gouverneur chargé de la
défendre ; fes ennemis fe permettent les réflexions
les plus outrageantes ; fes amis ne
manquent pas de le juftifier ; cette controverfe
tient une place confidérable dans la
plupart de nos papiers publics.
Il faut voir le pour & le contre , lit- on dans
un; on ne peut juger ce procès qu'en l'examinant
fous tous fes points de vue. Les amis du Lord Macartney
atteftent que les conditions propofées par
M. d'Estaing étoient de nature à ne pouvoir être
acceptées par aucun homme d'honneur , ni par aucun
ami du Gouvernement Anglois , de fon commerce
& de fes plantations ; felon eux , il ne s'agiffoit
de rien moins que d'obtenir fon confentement à
( 163 )
l'abandon de la moitié des eſclaves & de tous les
biens mobiliers qui fe trouvent dans l'Isle & dans
le Port. Le Lord a cru qu'il étoit plus avantageux
aux fujets naturels de l'Ifle , & plus conforme
à l'honneur de la dignité d'un grand Empire
, de ne dépendre que du droit des gens & de
la générofité des Souverains . Il s'eft perfuadé que
s'il eût accepté les conditions qu'on lui propofoit ,
il fe feroit lié naturellement , & auroit lié par-là
fon Souverain & fes compatriotes . Si l'Ifle à la
conclufion de la paix , doit refter entre les mains
du Roi de France , le Lord connoiffoit trop bien
la juftice de la Cour de Verfailles , le fyftême de
douceur qu'elle a adopté , pour craindre qu'elle
opprime les fujets dans aucune partie du monde ,
fulent-ils nés au Cap Cormorin ou à Toboski ;
& fi l'Ifle doit être rendue à l'Angleterre , il étoit
raifonnable d'attendre de S. M. T. C. qu'elle
dédaigne d'ufer avec rigueur du droit de conquête ,
& d'impofer des conditions plus dures que celles
qui ont été accordées à fes fujets à la Marti
nique , à la Guadeloupe , à la Grenade , &c. lors
de la conclufion du dernier traité de paix .
» Les ennemis du Gouverneur infinuent de leur
côté , par des bruits fourds qui n'en font que plus
dangereux à fa réputation ., qu'il a eu la liberté de
dicter lui-même les conditions , pourvu qu'il fe
foumit fans coup férir , & qu'il auroit pu de la
forte conferver la propriété & les priviléges du
fujet Anglois. Il eft fâcheux en effet pour ce
Lord de n'avoir pas demandé l'explication de fes
ordres , de n'avoir pas cherché à éclaircir un feul
doute , de n'avoir pas fongé à demander à tems des
enforts , lorfqu'il y avoit 4000 hommes de troupes
dans fon voifinage . Après avoir manqué à cette
partie de fon devoir , il ne falloit plus fonger à
combattre ; fon courage l'a emporté ; il a mieux
aimé fe défendre que de s'occuper à fabriquer des
( 154 )
taifons pour le juftifier de ne l'avoir pas fait. $4
véritable excufe eft de n'avoir pas voulu s'abaiffer
à donner un exemple qui n'a encore été don
né qu'en Allemagne , à la bataille de Minden , où
le Lord Germaine refufa de charger avec la Cavalerie
; il n'a pu rejetter les propofitions qu'on dit
lui avoit été faites , parce qu'elles ne l'ont point été :
& qu'il n'eft pas vraisemblable qu'on en ait pu faire
de pareilles ".
Nous n'avons aucune nouvelle récente
des Antilles. On ignore pofitivement ce
que fait l'Amiral Byron ; on a dit qu'il
avoit été joint par l'Amiral Arbuthnot ;
mais ce bruit n'a pas fait fortune ; on fent
qu'avant d'arriver à Sainte - Lucie , il
faut qu'il ait touché du moins à New-
Yorck pour fe raffraîchir ; & il eft für
que la frégate la Grey-Hound partie de New
Yorck le 25 Août , n'avoit pas encore entendu
parler de l'approche de cet Amiral. La
retraite de M. Byron eft à préfent décidée .
C'eft l'Amiral Rodney qui eft nommé pour
le remplacer ; il a eu l'honneur le rer de ce
mois de baifer la main de S. M. en cette
qualité; on ne dit point encore quand il partira
; il feroit important qu'il conduisît avec
lui des vaiffeaux & des troupes. Sans un ren
fort , fa commiffion deviendra très - difficile
à remplir. En attendant , quelques- uns de
nos papiers annoncent que le Comte d'Ef
taing a quitté ces parages pour fe rendre à
New-Yorck. Si cette nouvelle eft vraie , elle
laiffera refpirer nos planteurs ; mais elle doit
inquiéter le Gouvernement qui dans ce cas
( 165 )
doit craindre de perdre l'armée qu'elle a fur
le Continent , & le petit nombre de vaiffeaux
qui fe trouvent fur les côtes. La guerre
y feroit abfolument finie , & il ne faudroit
pas eſpérer de pouvoir la recommencer
avec quelque avantage . Tous nos fuccès
dans cette partie du monde fe réduisent à
l'établiffement que nous avons fait à Penobfcott
, & qu'il eft à craindre que nous ne
confervions pas long- tems, La dévaftation
portée par nos troupes dans cette rivière
, n'a pas fait à Bofton la fenfation
qu'on attendoit ; les troupes qu'on difoit
devoir périr dans les bois où elles s'étoient
réfugiées , font revenues dans cette ville ,
où l'on méditoit de renouveller l'expédition
par terre , & on ne feroit pas étonné
qu'elle eût plus de fuccès. Du côté de
la rivière North , le Général Clinton a
repris le pofte de Stony- Point ; mais il eſt
à craindre qu'il ne le garde pas longtems .
Ses dépêches publiées dans la gazette de la
Cour , dus de ce mois , ne contiennent
que les détails de cette expédition , ceux
d'une tentative infructueufe des Américains
fur Verplanks , de fes efforts pour
engager le Général Washington à un combat
qu'il évite toujours , & qu'il préfentera
lui-même fi la flotte Françoife paroît en
effet , pour le feconder après avoir détruit
toutes nos forces navales. Les autres affaires
dont le Chevalier Clinton rend compte ,
fe réduifent à des dévaftations déjà connues
( 166 )
par les dépêches de l'Amiral Collier , & qui
font très - propres à refroidir le zèle des
Colons qu'il affecte de peindre toujours
dans les meilleures difpofitions pour la
Grande-Bretagne. On ne conçoit pas com
ment ce zèle n'a pas produit plus d'effet
depuis le tems qu'on en parle. S'il en exiftoit
réellement la moitié de ce que l'on dit ,
nous ferions à préfent les maîtres par tout.
On prétend que le Miniftre de Heffe
a préfenté au Roi , le premier de ce mois ,
une copie du traité de fubfide entre S. M.
& le Prince de Heffe , pour 12,000 hommes
de troupes que ce dernier doit fournir
à la Grande - Bretagne. Ces troupes font ,
dit-on , deftinées à ouvrir la campagne prochaine
en Amérique , & le Prince Erneſt
de Mecklembourg , beau-frère de S. M. ,
les
commandera . Ce nouveau traité , dit un
de nos papiers , prouve qu'on s'eft trompé
lorfqu'on a dit que le projet du gouvernement
étoit de fe borner à inquiéter le commerce
de l'Amérique , en abandonnant les
places que nous y occupons , & que nous
ne confervons qu'au moyen d'une continuelle
effufion de fang , en répandant partout
la défolation & l'incendie .
Le fameux Paul Jones a échappé à tous
les vaiffeaux envoyés pour le pourſuivre ;
il s'eft retiré au Texel , & il eft à craindre
qu'il ne revienne de nouveau porter l'effroi
fur nos côtes ; on n'évalue pas à moins de
15,000 liv. fterl. la part qui lui eft revenue
( 167 )
C
des prifes qu'il a faites avec fon efcadre.
On eft malheureufement informé d'affez bonne
part que le Gouvernement vient d'avoir l'imprudence
d'indifpofer contre lui les ifles de Jerſey &
Guernesey , en y envoyant un Prifeur & des OFficiers
de l'Amirauté , pour y lever un droit que
cette dernière réclame. Cette manoeuvre que les Guernéfiens
appellent une exaction , les a tellement irrités
qu'ils ont chaffé de chez eux les Commiffaires
. Ceux qui ont été envoyés à Jerſey , y font
reftés , quoique contre le gré du Général Conway,
Gouverneur de l'Ifle. On dit même que ce Général
a fait publier dans les Eglifes une proclamation
contre la légitimité de cette nouvelle entreprise
de finance . Les anciennes loix normandes
encore en vigueur dans cette Ifle , ainfi que les
loix Angloifes , font également & à volonté les
guides du premier Juge du pays . Il pourroit arriver
aux Commiffaires de l'Amirauté & à fon
Prifeur , d'être aliommés avant de faire aucune
vente ; on les a déjà menacés de les tranſporter
en Angleterre ou de les jetter à la mer. On doit
obferver que les filous de cette Ifle , ou ceux qui
y commettent des crimes qui ne font pas capitaux
, font fouvent condamnés à être tranſportés
en Angleterre «.
Le Parlement qui devoit s'affembler le
7 de ce mois , en conféquence de fa
dernière prorogation , a été encore prorogé
jufqu'au 25 Novembre , jour auquel , eft-il
dit dans la proclamation , les deux Chambres
s'affembleront pour expédier des affaires
de la plus grande importance.
Des lettres non authentiques de Hollande ,
ont répandu le bruit qu'Halifax , capitale de
la nouvelle Ecoffe , a été prife d'affaut le 15
Août , par un corps de 6000 Américains , fe(
168 )
condés par un grand nombre d'habitans du
pays même. Les citoyens qui ont de la facilité
à s'inquiéter , voient de la vraisemblance à
cette nouvelle , en ce qu'une partie de la garnifon
de cette place en avoit été détachée pour
aller renforcer le Général Prévoft dans la
Géorgie , & en ce que des dépêches multipliées
viennent d'arriver de New-Yorck , &
que dès le premier moment on a dit qu'elles
étoient fâcheufes pour nous : opinion qui ſe
fortifie par le fecret qu'on en fait ; mais on le
répète encore , ces lettres Hollandoiſes qui
nous allarment fur la perte du port le plus
vafte & le meilleur que nous ayons en Améri
que , ne font revêtues d'aucune forte d'authenticité.
On a fait l'état fuivant des différentes
branches du commerce maritime de la
Grande -Bretagne. Les exportations de l'année
1764 ont été évaluées aux fommes ciaprès.
Afrique :
France
Italie
464,878 liv . fterl
208,765
764,898
Espagne & Portugal 1,318,845
Détroit
Turquie
Amérique
· 120,574
70,008
2,617,987
5.565.955.
Ces différentes branches , fi elles n'ont
pas été toutes élaguées , ont été du moins
émondées de fi près , qu'elles ne font plus
en
( 169 )
en état de fournir au corps de l'arbre , cette
fève fans laquelle il ne fauroit exifter.
» Deux cutters François , écrit-on de Glafcow
l'un de 16 & l'autre de 18 canons ont paradé dans
le canal de St- George . Le 19 du mois dernier , l'un
a coupé à l'ancre dans la baye de l'Ile de Jura , &
enlevé une riche prife Espagnole venant de la nouvelle
Espagne , ainfi qu'une lettre de marque de Liverpool
, richement chargée & deftinée pour les
Indes Occidentales. Ces deux bâtimens font fans
exagération , évalués à 30,000 liv. fterl. au moins.
Un de ces cutters a pris en outre & rançonné un
brigantin de Salt- Coats , deux floops de Fréenhock ,
& un de Liverpool tous chargés de Kelp , fel produit
par la calcination de plantes de mer & autres .
L'autre cutter eft allé dans le Nord d'où nous appre
nons qu'il a déja pris & détruit plufieurs cutters ou
bâtimens employés à la pêche du hareng . On craint
fort que le Black- Prince n'ait fait autant de prifes
qu'il eft en état de prendre d'ôtages à bord
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
ADE Philadelphie le s Août. Toutes
les nouvelles confirment la retraite du Général
Prévoft qui s'eft retiré à Savanah . Les
lettres de Charles -Town'contiennent la relation
fuivante de l'attaque du pofte de Stono-
Ferry où il s'étoit fortifié.
»Le Général Lincoln ayant reçu , relativement aux
intentions , aux forces & à la pofition de l'ennemi .
des avis de nature à lui faire juger qu'il étoit convenable
de l'attaquer à Stono- Ferry , le fit avec beau
coup de vigueur le 20 courant , à 7 heures du matin
environ : l'ennemi étoit avantageufement posté , &
Convert par de fortes redoutes , foutenues par un
abattis bien difpofé & défendu par plufieurs pièces
23 Octobre 1779.
h
( 170 )
d'artillerie, Les piquets ayant été repouffés en dedans
des lignes , l'attaque commença fur la droite , &
devint bientôt générale : un corps confidérable de
Montagnards fit une fortie fur notre gauche , mais
fut promptement repouffé dans fes redoutes , avec
beaucoup d'effufion de fang.
» L'action fe foutint fans interruption pendant 56
minutes , au bout defquelles le Général ne pouvant
forcer l'ennemi à fortir de les lignes , lefquelles
étoient fi fortes , que nos pièces légères de campagne
ne pouvoient les endommager ; les forces de l'ennemi
étant d'ailleurs plus confiderables qu'on ne les avoit
repréfentées , & fe trouvant renforcées encore pendant
l'action par un gros détachement venant de
John's-Ifland ; on fit former la retraite à nos troupes
, & nous emportâmes nos bleffés & notre artillerie
: notre perte eft peu confidérable , plufieurs
de nos bleffés font déja en état de faire leur ſervice ,
& la majeure partie de ce qui refte n'étant bleffé que
légèrement , ne tardera pas de fe rétablir , à ce que
l'on croit on fuppofe celle de l'ennemi beaucoup
plus grande , parce qu'on a vu de fon côté beaucoup
de morts étendus fur terre , & l'on a ſouvent obfervé
que leurs pièces de campagne n'avoient pas un feul
homme pour les fervir.
" Atout prendre, quoique nous n'ayions pas eu tout
le fuccès défiré , nos gens font perfuadés que fi l'ennemi
eût quitté fes lignes , il eût été battu ; vu le
foin qu'il a pris lui-même de s'y renfermer ſtrictement
, il eft probable que fon opinion étoit la même :
nos troupes font pleines d'ardeur , & ne foupirent
qu'après le moment où elles pourront faire un effai
egal de leurs forces en pleine campagne."
.
» Le Colonel Roberts, de l'artillerie de la Caroline
Méridionale ; le Major Ancrum , Aide-de- Camp du
Général Huger , les Capitaines Dogget & Goodwin ,
de la brigade Continentale de la Caroline Méridionale
, & le Lieutenant Charleton de la brigade Con(
171 )
tinentale de la Caroline Septentrionale , font morts
des fuites de leurs bleffures .
Les ravages commis par nos ennemis dans
tous les lieux où ils pénètrent ; le parti fans
exemple pris par le Général Prévolt de détruire
ce qui appartenoit aux particuliers
dans fa retraite ignominieufe de Charles-
Town ; l'incendie de quatre Villes du Connecticut
, & entr'autres de Fairfield & de
Greenfield , tous ces actes féroces & exécutés
en pure perte avec la feule intention de
faire du mal , ont déterminé la plupart des
corps légiflatifs de cesEtats-unis à prendre des
réfolutions rigoureuſes à l'égard des fujets de
la Grande - Bretagne réfidant en Europe , &
poffédant des biens ici ; quelques- uns en ont
ordonné la
confifcation ; dans tous on s'eft
vu forcé de
recommander , tant aux foldats.
qu'aux milices de ne plus faire de quartier
aux troupes Angloiſes & à leurs adhérans
jufqu'à ce que les Anglois aient renoncé
les premiers à cette manière horrible de faire
la guerre.
Le 17 de ce mois le Secrétaire du Con
grès écrivit la lettre fuivante au Commodore
Collier.
» M. , le Congrès des Etats - Unis de l'Amérique
m'a chargé de vous informer qu'il a été dépofé
devant lui que Guftave Cunningham , Citoyen de
l'Amérique , commandant ci- devant un navire armé
au fervice defdits Etats , & pris à bord d'un cutter
Armateur , a été traité d'une manière contraire aux
principes de l'humanité , & à l'ufage des nations
civilifées & chrétiennes. J'ai ordre de demander
h. 2
( 172 )
au nom du Congrès , que l'on affigne à cette conduite
des raifons bonnes & fuffifantes , ou que ledit
Guftave Cunningham foit immédiatement élar
gi de l'emprisonnement rigoureux & ignominieux
qu'il fubit actuellement. Je fuis , & c.
M. Thomſon a reçu cette réponse en date
du 24 de ce mois , du Secrétaire du Commodore.
» M. , j'ai l'honneur de vous informer de la part
de Sir George Collier , qu'il a reçu la lettre que
vous lui avez écrite par ordre du Congrès , au
fujet de Guftave Cunningham. Le Commodore me
charge de vous dire que ne fe regardant pas com
me devant rendre compte de fa conduite à aucun
des fujets de S. M. dans ce pays , il eft encore
moins difpofé à répondre à des demandes faites
d'une manière auffi incivile que paroît l'être cèlle
contenue dans votre lettre du 17 ; il veut cependant
bien m'ordonner de vous informer qu'il n'eft par
venu à fa connoiffance qu'aucun prifonnier ait jamais
été traité par les Officiers du Roi d'une ma
nière contraire aux principes de l'humanité ; mais
que comme il eft d'ufage chez les peuples civilifés
de punir les criminels felon le cours ordinaire
de la justice , Gustave Cunningham , dont vous
demandez des nouvelles eft dans ce cas - là qu'en
conféquence il eft envoyé en Angleterre pour rece
voir de fon pays qu'il a offenfé , le châtiment que
fes crimes paroîtront mériter. Je fuis , &c «<,
Cette réponſe fingulière n'a pas caufé peu
de furprife; on s'y attendoit d'autant moins
que les Anglois favent qu'il y a dans ces Etats
plufieurs de leurs prifonniers , & qu'ils feroient
très imprudens s'ils forçoient à uſer
de repréfailles. Selon une lettre de Boſton
on dit que le Commiffaire des prifonniers ,
qui doit fe rendre inceffamment à New-
Yorck avec 300 Anglois deftinés à être
( 173 )
échangés , a mis aux fers , & confiné dins
un cachot , un jeune homme riche & de
bonne famille auquel on eft déterminé de
faire à tous les égards le même traitement qui
fera fait en Angleterre à Cunningham .
FRANCE.
་ ་
,
De VERSAILLES , le 19 Octobre.
LA Cour , de retour ici du château de
Choifi , en eft repartie le 15 pour Marly , où
elle paffera quelque tems ; Meſdames , tantes
du Roi , font parties le même jour pour aller
paffer fix femaines dans leur château de
Bellevue.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Couferans ,
l'Abbé de Laftic , Vicaire- Général du Diocèfe
de Rouen. Il a accordé un Brevet de Dame à
la Comteffe Charlotte des Epinets .
Le 10 de ce mois le Vicomte de Vibraye ,
Miniftre Plénipotentiaire du Roi près le Duc
de Wirtemberg & fon Miniftre près le cercle
de Souabe , de retour ici par congé , a eu
l'honneur d'être préſenté à S. M. par le Miniftre
des Affaires Etrangères. Le Comte
d'Uffon , Ambaffadeur près le Roi de Suède ,
de retour également par congé , a eu l'honneur
d'être auffi préſenté à S. M. le 12 de
ce mois par le même Miniftre.
De PARIS , le 19 Octobre.
ON s'attend à recevoir chaque jour la
nouvelle du départ des flottes combinées ;
felon quelques lettres de Breft elles étoientdéja
agar. h3
( 174 )
en rade , munies de tout ce qui eft néceffaire
pour continuer la campagne prochaine &
la prolonger autant de tems que la faifon
permettra de tenir la mer. Le 2 cinq vaiffeaux
, dont trois François , deux Eſpagnols ,
trois frégates & un lougre , appareillèrent
pour aller à la rencontre de la Hotte de St-
Domingue.
» On ne doute point , écrit-on du Havre , que les
anciens projets de defcente n'aient encore leur effet
cette année. Il s'eft tenu à Breſt un Confeil de guerre ,
auquel le Comte de Vaux a affifté. On préfume qu'il
a eu pour objet les opérations de la campagne ; ce
qui femble le confirmer , c'eft que tous les Officiers
& Soldats abfens par congé , permiffion , & c . ant
ordre de fe trouver ici le 18 du courant ; cet ordre a
paru d'autant plus remarquable , qu'il n'y a pas r
jours que le Miniftre avoit donné perfonnellement
des congés à plufieurs. Une perfonne arrivée de Breft
en ce moment , y a vu la flotte prête à partir & n'attendant
que l'ordre. La maladie a moins attaqué les
équipages que les troupes de terre qui avoient été cmbarquées
; & on en avoit beaucoup exagéré les ravages
. La flotte ne fera que de 50 vaiffeaux de ligne ,
parce que plufieurs font déja fortis du port pour diverfes
opérations «<,
" Le Capitaine de la frégate le Québec , mande-ton
de Breft , n'étoit forti que pour donner la chaffe
à la Surveillante ; il avoit choifi so volontaires
des plus déterminés , & s'étoit vanté que la frégate
Françoife ne lui échapperoit pas. Pour prouver
à fon équipage qu'il fe battroit à toute outrance
, il avoit cloué fon pavillon ; l'équipage applaudit
: on fair ce qui lui eft arrivé . Ce furent les
grenades que nos gens jettèrent à bord de la frégate
ennemie , lorfqu'ils alloient l'aborder , qui y
mirent le feu. On ne fait point fi l'on parviendra
à fauver le brave M. du Couëdic ; les balles fonc
( 175 )
}
=
reftées dans la chair près des reins , & on craint qu'il
ne fuccombe à l'opération néceffaire pour les retireres.
" Une lettre de Madrid , écrit - on de
Bayonne , en date du 5 de ce mois , arrivée
par ce Courier , nous apprend que l'efcadre
Efpagnole , commandée par D. Antonio de
Ulloa , & compofée de 4 vaiffeaux de ligne
& 2 frégates , a pris vers les ifles Tercères 2
vaiffeaux de ligne Anglois & une frégate ,
qu'elle a conduits à la Corogne. Nous venons
d'apprendre cette nouvelle , dit la lettre de
Madrid , par un Courrier extraordinaire dépêché
exprès "
» Mardi dernier , s du courant , ajoutent les mêmes
lettres , la frégate armée par M. Feyer , négociant
de cette Ville , eft arrivée dans ce Port
avec prifes Angloifes qu'eil a faites dans fa traverfée
en venant du Cap à Bordeaux . L'une n'a que
fon artillerie & 6e hommes d'équipage ; les 2 au
tres , venant de la Jamaïque , font chargées de
soo bariques de fucre fin , de café , de cacao ,
bois de campêche , bois jaune , & c. & font évaluées
à 800,000 liv. Leur équipage confifte en une
quarantaine , non d'hommes , mais d'enfans , qui
ont été conduits hier au château du Ha «<
Les prifes faites par la frégate le Monfieur ,
pendant fa dernière croifière font les fuivantes.
,
Le 18 Août elle prit le Werwagdin , navire Hol-
Jandois , chargé de sso pièces d'eau-de-vie , dont
Je corfaire Anglois l'Aigle s'étoit emparé. Le z
Septembre la Villanova , de 250 tonneaux venant
de Porto & allant à Londres , chargés de vin
& de liege ; le 7 le Succès , de 130 tonneaux , chargé
de vin de Madere ; le 22 le Jofeph , de 1505
Lortant d'Angleterre fur fon left ; le 23 le navire
h4
( 176 )
Efpagnol le St- Antoine , pris par les Anglois à ſon
retour de la Havanne , chargé de fucre , café , coton
, & c.; le 25 la Polly , de 300 tonneaux , venant
de la Jamaïque , allant à Briftol ; toutes ces
prifes font arrivées à Granville ou à St-Malo & a Rof
coff. C'eft la croifière de la guerre la plus heureufe .
On mande de Dunkerque que le Capitaine
Royer rentra le 6 de ce mois après une
croifière pendant laquelle il a rançonné 13
navires pour 145,000 liv. , & fait trois prifes
dont l'une eft un navire qui avoit été pris
par le corfaire Américain le Prince Noir , &
repris par une frégate Angloife ; il l'a renvoyé
à Morlaix ; la feconde eft un vaiffeau Efpagnol
, pris par un corfaire de Bristol . Il venoit
de Buenos - Ayres chargé de cuirs fecs &
autres marchandies deftinées pour Cadix.
Ce navire étoit armé de 8 canons de iz .
Il étoit mouillé dans une rade avec un navire
ayant une lettre de marque , allant de Liverpool
à New-Yorck , chargé de draps ,
habillemens & fouliers pour les troupes. Il
étoit armé de 14 canons de 9 liv. Il les a
pris tous deux à l'abordage , & les a envoyés
en Norwège.
La Maréchale de Mouchy , écrit- on de Bordeaux
, armée en guerre & en marchandiſes , eft
entrée le 2 ici avec la corvette ; elle avoit quitté
le convoi de St- Domingue au débouquement ; elle
a amené trois prifes ; favoir , la Princeffe - Royale ,
de Londres , chargée de 200 barriques de fucre ,
& d'autres marchandiſes ; la Virginie , chargée de
450 barriques de fucre ; & le Duc de Leinster ,
venant d'Antigoa fur fon left. Les deux premiers
vaiffeaux faifoient partie de la flotte de la Jamai
que ces trois prifes font eftimées 600,000 liv.
( 177 )
Selon les lettres de Toulon , l'efcadre de
M. de Sade eft fortie le 30 du mois dernier ,
elle eft compofée des vaiffeaux le Triomphant,
le Souverain , & le Jafon , on croit que le Héros
, qui avoit relâché à Malaga , ira fe joindre
à cette efcadre.
Les lettres de Londres nous apprennent
que l'Amiral Arbuthnot n'eft arrivé à New-
Yorck avec tout fon convoi que le 3 Septembre
; fa traversée a été de 96 jours. Le bruit
eft toujours que M. le Comte d'Estaing a
pris la même route après avoir laiffé des
forces fuffifantes pour obferver l'Amirál
Byron , qui eft hors d'état de rien tenter. S'il
faut en croire ce qu'on débite , ce Vice-
Amiral François a pu arriver à New - Yorck
vers le 10 ou 15 du même mois.
On fe rappelle que dès avant le commencement
des hoftilités on fit à Londres
une chanfon Françoife dont les couplets
commençoient par ces mots : eft- il un deftin
plus doux ? Aujourd'hui que la chance du
deftin a changé , on a renouvellé ici & on
chante par tout l'ancien Vaudeville : Quand
Byron voulut danfer, à d'Estaing ilfut s'adref
fer, &c. & le refrain , vous danferez, Byron.
L'Adminiſtration Provinciale de la Généralité de
Montauban eft à la veille de terminer les affémblées ,
le concert & le zèle qui n'ont ceffé de régner parmi
fes Membres donnent aux Habitans de cette Province
l'efpérance de voir améliorer leur fort . La
Nobleffe , qui ne contribuoit point aux dépenfes des
chemins , a offert pour cet objet le quinzième en-fus
de fon vingtième noble ; le Clergé a délibéré d'y
contribuer du quinzième en fus de les décimes . Tous
( 178 )
les Députés ont déclaré unanimement qu'ils ne rece
vroient point d'honoraires pour leurs travaux ; le rôle
de la Capitation de la Nobleſſe augmentera fucceffivement
à la décharge du Tiers- Etats de la taxe que
payoient ceux qui fortiront de cette dernière claſſe
par l'ennobliffement. La Ville de Ville- Franche , où
Le tient l'Affemblée , ne recevra point de loyer pour
les logemens qu'elle fournira aux Dépurés. Certe
révolution dans l'Adminiſtration a amené une révolution
dans les moeurs. On auroit de la peine à citer
un Particulier qui n'ait pas trouvé quelque moyen de
témoigner fon zèle & fa joie. Le nom du Roi n'a
jamais été fi répété & fi béni par le Peuple . La farisfaction
générale va augmenter par la délibération
que l'Adminiftration a prife de faire imprimer les
Procès- verbaux de fes Affemblées. Le Public , qui
fe croit toujours la victime des opérations myftérieuſes
, difcutera lui - même fes intérêts. La raifon
étouffera les murmures , & fes progrès amèneront
ceux du patriotiſme & de la profpérité commune..
De toutes les villes du royaume où il y
a des Efpagnols , on mande plufieurs faits
qui prouvent la bonne intelligence qui règne
entre les deux Nations.
» L'on a chanté à Lyon , dans l'Egliſe Primatiale
, le Dimanche 3 de ce mois , le Te Deum au
fujet de la prife de la Grenade & de la Victoire
remportée par l'armée navale aux ordres du Brave
M. dEftaing ; il y avoit un grand concours de
peuple ; deux Compagnies de la Bourgeoifie en uniforme
, formoient une double haye dans l'Eglife
où le rendirent fucceffivement , l'Archevêque
le Commandant , l'Intendant & tous les Corps
de Magiftrature ; l'un des Officiers de la Bourgeoihe
s'étant apperçu que dans un endroit écarté de
L'Eglife , il y avoit une vingtaine de Gardes Vallones
qui ne pouvoient approcher à caufe de la fonle ,
les alla inviter à prendre part à la cérémonie & les fit
placer , aux acclamations de tout le peuple , au mi(
179 )
lieu de la Bourgeoifie , d'où il les conduifit enfuite
dans le Choeur , MM . les Comtes de Lyon , Chanoines
de l'Eglife Primatiale , leur ayant fait faire
place dans les ftales . Ces Braves gens furent fenfibles
à cette marque publique d'attachement de la part des
François & dirent hautement qu'ils defiroient à leur
tour de fe fignaler contre l'ennemi commun.
Nous avons inféré dans le Journal du
25 du mois dernier , un projet de foufcription
pour l'embelliffement & la décoration
du Piedeftal de la Statue de Henri IV.
Parmi les Citoyens empreffés d'y contribuer,
s'il s'exécute , un Artifte diftingué nous a
adreffé la lettre ſuivante.
» Monfieur , jaloux de la gloire & du fuccès de
mon talent , animé du zèle patriotique , pénétré de
vénération , d'amour & de refpect pour la mémoire
d'un fi puiffant Monarque , Henri IV , rempli du
même zèle en y joignant toute ma reconnoiffance
pour fon vrai modèle & digne fucceffeur Louis le
Bienfaifant , j'applaudis avec effufion de coeur.
& je fais mes voeux pour le Projet de Soufription
que vous mettez au jour , à l'effet de concourir
à l'embelliſſement & à la décoration d'un monument
à jamais mémorable pour la nation Françoife.
Guidé par vos lumières, conduit par l'amour d'un Monarque
bienfaifant que je porte dans mon coeur , je fens
ranimer mes forces, & réchauffer mon cifeau pour une
entreprife auffi honorable que glorieufe . Pour cet
effet , je propofe pour ma part à la Société qui concourroit
à cette Soufcription , de m'unir à elle en
apportant gratuitement tous mes foins & mon travail
pour l'embelliffement du digne Monument qui doit
enrichir le Piedeftal de la Statue Equeftre de Henri
IV. C'eft dans ce vrai fentiment , & c. Signé Gois ,
Septeur du Roi , Adjoint , Profeffeur de fon
Académie de Peinture & Sculpture.
h 6
( 180 )
•
Lorfque nous rendimes compte de la féance
publique de la Société Royale de Médecine ,
du 3 du mois dernier , nous nous bornâmes
à annoncer la diftribution de fes Prix ,
& les fujets du Concours de l'année prochaine.
Les autres objets qui remplirent cette
féance furent fans doute très - intéreffans ;
tout le monde connoît le zèle des Médecins
qui compofent la Société ; on fait qu'ils s'occupent
de travaux utiles ; le public en jouira
lorfqu'ils publieront leurs mémoires ; dans
l'annonce d'une féance on ne peut qu'en
indiquer les titres , & lorfque nous ferons
preffés par le tems & par les matières , nous
ferons fouvent forcés de les fupprimer.
M. Vicq d'Azyr , Secrétaire Perpétuel , lut l'Eloge
de M. Arnaud de Nobleville , Affocié Regnicole de
la Société à Orléans , mort le 29 Janvier 1779. M.
de Laffone , un Mémoire fur quelques moyens auff
efficaces que prompts & faciles , de remédier à des
accidens graves qui furviennent affex fréquemment
dans les petites Véroles & Rougeoles de mauvais
caractère. M. Mauduyt , le Précis hiftorique d'une
Epidémie qui a régné pendant l'hyver dernier à
Bois-le- Roy , près Anet en Normandie , extrait ,
par M. Geoffroy , du Mémoire de M. Galleron
Correfpondant de la Société à Yvry - la - Bataille
qui a traité & décrit cette maladie . M. Daubenton
un Mémoire fur le Régime le plus néceffaire aux
troupeaux. M. Vicq d'Azyr , lut encore l'Eloge du
célèbre M. Macbride , Docteur en Médecine , &
Chirurgien à Dublin , Affocié Etranger de la Société
Royale de Médecine , mort le 28 Décembre 1778 .
M. l'Abbé Teffier , un Mémoire fur les inconvéniens
qui résultent de la conftruction vicieufe des Etables,
La Séance fut terminée par la lecture d'un Mémoire de
M. Cavière fur les propriétés de la plante appellée
( 181 )
Douce- Amère ou Solanum Scandens dans le trais
tement de plufieurs maladies , & principalement
dartreufes.
Si le tems l'eût permis , on auroit entendu la lec
ture d'un Mémoire fur l'acide des Tamarins & fur
plufieurs autres acides végétaux , par M. de Laffone ,
fils ; & d'un autre Mémoire fur la meilleure manière
de préparer les Savons acides , par M. Cornette .
L'Académie des Belles Lettres , Sciences & Arts
de Marſeille a référvé pour l'année 1780 fes deux
prix de Poéfie ; elle propofe les mêmes fujets , qui
font pour l'un le Patriotifme , pour l'autre Chrif
tophe Colomb dans les fers après la découverte du
nouveau Monde. Le prix d'Eloquence fera donné
à l'éloge de Louis de Vendôme , Gouverneur de
Provence , Généraliflime des Armées de France &
d'Espagne.
L'Académie des Sciences , Infcriptions & Belles-
Lettres de Touloufe , avoit proposé pour le prix
quadruple de 1779 , de déterminer 1 °. les révolu
tions qu'éprouvèrent les Tectofages , la forme que
prit leur Gouvernement , & l'état de leur Pays fous
la domination fucceffive des Romains & des Vifigots
; 2. leurs loix & leur caractère fous la puif
Jance des Romains . Ces queftions n'ayant point été
réfolues , l'Académie , après 12 ans d'attente , renonce
à ce fujet , & propofe pour le prix de l'année
1782 , qui fera de 100 piftoles ; les avantages
en général de l'établissement des Etats Provinciaux
& en particulier ceux dont le Languedoc eft redevable
aux Etats de cette Province , matière bien
intereffante , & fur- tout dans le moment actuel , ou
la France entière a l'efpérance de jouir de ces avan
tages.
L'éloge du brave Crillon étoit le fujet du prix
propofé par l'Académie d'Amiens ; M. l'Abbé Regley
, Prieur de l'Abbaye de Baigne , l'a remporté ;
M. Laurent , Maître de Penfion à Amiens , a obtenu
celui de Poéfie décerné à la traduction d'un
( 482 )
morceau du 4e Livre de l'Enéide ; & pour le prix
des Arts de 1780 , l'Académie propofe une médaille
d'or de 300 liv. au Citoyen Fabricant , Maître
ou Maitreffe de quelque Art ou Profeſſion utile ,
qui aura donné gratuitement fes foins pour former
ou faire dreffer au travail un plus grand nombre
d'enfans , de l'âge de 12 à 13 ans , pris dans la
claffe de ceux qui juſqu'à - préſent ont été élevés dans
la mendicité. Elle en propofe un autre pour le
deffèchement du Margueterre. Le prix des Arts de
1781 fera un bufte en marbre de Louis XVI.
On nous a fait paffer l'avis fuivant que
fon importance nous engage à tranfcrire fans
délai.
» Il règne dans les Villages de Changy , Outrepont
, Morlas , St- Quentin & autres Villages circonvoifins
, une maladie fur les bêtes à cornes , qui le
fait remarquer à la gueule & aux pattes , qui les empêche
de marcher. Le fieur Danetz , Maréchal à
Changy , a reconnu par les différentes expériences
qu'il a fait , relativement à cette maladie , que
le mal qui défole ce pays , ne provient que
de la lymphe relâchée dans fes voies ordinaires
qui s'eft tourné en cancer , & qui pourroit
fi on négligeoit d'y apporter les remèdes les plus
prompts , dégénérer en un grain de pefte pour l'année
prochaine. Ce qui eft bien intéreffant pour la
Province d'éviter. Le remède dont fe fert le fieur
Danetz & duquel il a fait l'expérience, lui a réuffi , &
a garanti toutes les bêtes qui lui ont été confiées ; il fe
fait un vrai plaifir d'annoncer au public ſes ſervices ,
& il avoue qu'il ne tient fes talens que d'après fes
expériences , & ce qu'il a acquis du premier Ecuyer
de la grande écurie du Roi,
Il demeure à Changy , & offre fes fervices gratis .
On vient d'établir dans la ville d'Eu , fous les
aufpices de S. A. S. Monfeigneur le Duc de Penthievre
, & de S. E. Monfeigneur le Cardin de la
( 183 )
Rochefoucault , dans le Collège de la ville d'Eu ,
un Penfiornat où il n'y aura rien à defirer pour les
Elèves , tant à l'égard de la fanté que de la fituation,
La penfion ne fera que de 100 écus pour l'année
claffique. Le défintéreffement des Maîtres qui
le dirigent , & les moyens que procurent les Adminiſtrateurs
, leur ont permis de fe borner à ce
prix. Le plan d'étude ne fe bornera point aux cours
ordinaires ; il s'étendra à l'Arithmétique , la Géométrie
, la Géographie , l'Hiftoire , &c . , fuivant les
difpofitions des Elèves & la volonté des parens ; ils
n'auront pas befoin de payer des Maîtres particuliers
, fi ce n'eft pour la danfe ou la mufique. Le
Profpectus de ce Penfionnat fe diftribue à Paris
chez M. l'Abbé Longuet , Prieur de S. Julien des
Ménétriers , rue St-Martin . M. l'Abbé Auber , Principal
du Collège de la ville d'Eu , donnera routes
les inftructions qu'on défirera , à ceux qui voudront
s'adreffer à lui.
Louife- Sufanne-Edmée Martel de Fontaine - Martel ,
Ducheffe de Charoft, épouse du Duc de Charoft, Pair
de France , eft morte le 6 de ce mois , dans fa 3.4 * .
année , en fon Château de Beaumefnil en Norman..
die , où les vertus & fa bienfaiſance lui ont mérité
des regrets univerfels..
que
Jofeph de Saint-André Marnais de Vareil , Évéde
Couferans , Abbé Commendataire de l'Abbaye
royale de Saint - Romain de Blay , Ordre de Saint-
Auguftin , diocèle de Bordeaux , eft décédé en fon
Palais Épifcopal , le 28 Septembre dernier , âgé de
66 ans paffés.
Le feur Barthélemi Onic , Prêtre , Docteur és
Droits , ancien Aumônier de feu le Duc d'Orléans ,
Pemier Prince du Sang , Commandeur des Ordres
royaux & militaires de Notre- Dame- de- Mont-Carmel
& de Saint- Lazare- de Jérufalem , Abbé Commendataire
de l'Abbaye royale de Ferrières , Ordre
de Saint-Benoît , Congrégation de Saint- Maur ,
( 184 )
و
diocèle de Sens , eft décédé en cette ville , le 9 080-
bre 1779 , âgé de 38 ans pallés.
Louis-Théodofe Andrault , Comte de Langeron ,
Lieutenant-général des Armées du Roi , Gouverneur
de Breft , eft mort en fon Château de Langeron ,
lę 27 Septembre, dans fa 85 °. année.
Déclaration du Roi , donnée à Versailles le 8 Août
1779 , registrée en la Chambre des Comptes le 4
Septembre audit an , portant que les Penfionnaires
ne pourront recevoir au tréfor Royal , l'année com
mencée à telle époque que ce foit de 1779 , des
penfions , gratifications annuelles , appointemens
confervés , retraites , fubfiftances & autres graces
dont ils jouiffent , qu'autant qu'ils fe feront confor
inés aux formalités prefcrites & aux, ufages reçus ,
pour le recouvrement des rentes viageres , dont le
payement fe fait en l'Hôtel- de-Ville de Paris .
Ces mêmes Lettres -Patentes renouvellent en conféquence
toutes les difpofitions de la Déclaration du
26 Juin 176 , & particulièrement celles par lef
quelles elle a réglé la forme des Certificats de vie &
la compétence des perfonnes qui pourroient les délivrer
, fixant à huit fols , le parchemin compris , le
droit des Notaires de Paris pour chacune des quit
tances , qui toutes feront paffées devant eux , foit
pour l'année entiere , foit pour chaque femeftre des
penfions contenues dans les brevets nouveaux , qui
feront les titres fur lefquels les arrérages de ladite
année 1779 , & des fuivantes feront reçus.o
Les femmes mariées , les Mineurs , les Religieux
& Religieufes , font confirmés par ces Lettres-
Patentes dans le privilége , de donner eux- mêmes
quittances , fans y être autorifés par leurs maris ,
Tuteurs , Supérieurs ou Supérieures.
1;
$ Il paroit quatre Edits du Roi , le premier
donné à Marly au mois de Mai , & enregistré
au Parlement le 17 Août fuivant , concernant les
Communautés d'Arts & Métiers du reffort du Par-
+
( 185 )
lement de Metz. Le fecond , donné à Verfailles au
mois de Juin , enregistré le 13 Août à la Chambre
des Comptes , fupprime les Offices de Contrôleur
des Finances. Le troifième , donné à Verfailles
au mois de Juillet , & enregistré le 21 Août
à la Cour des Monnoies , porte rétabliſſement de
l'Office de Général- Provincial Subfidiaire des Monnoies
, pour la Ville de Lyon. Le quatrième donné
également à Versailles , au mois d'Août , &
enregistré le 28 à la même Cour , ordonne une
fabrication dans la manière de payer d'une certaine
quantité d'efpèces de billon , qui ne pourront
avoir lieu que dans les Illes de France &
de Bourbon , où elles feront reçues en toutes fortes
de payements , à raifon de trois fols la pièce «.
» Des Lettres-Patentes en date du 22 Août ,
& enregistrées à la Cour des Monnoies le premier
de ce mois , ordonnent la fabrication de
vingtièmes d'écus. D'autres du premier Juillet ,
enregistrées le 4 Septembre à la Chambre des
Comptes prorogent en faveur des Vaffaux du
Roi , dans la province d'Auvergne , jufqu'au premier
Juillet 1780 , les délais accordés aux Valfaux
pour rendre les foi & hommage , dus à
caufe de l'heureux avènement à la Couronne « .
>
» Un Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres-
Patentes fur icelui , en date du premier de
ce mois , & enregistrées le 4 à la Cour des
Monnoies , ordonnent aux Effayeurs & Jurés Gardes
Orfèvres , de fe pourvoir au dépôt établi
par lefdires Lettres Parentes , de tous les aquis
& fubftances néceffaires à l'opération des Effais
c
» Il paroît auffi une Ordonnance en faveur des
Maîtres des Poftes aux Chevaux , & de la Ferme
des Meffageries , contre les entrepriſes des Loueurs
de Chevaux «c.
Les Numéros fortis au tirage de la Lotteric Royale
de France , font : 28 , 53 , 72 , 90 , 56.
( 186 )
Articles Extraits des papiers étrangers qui entrent
en France.
» Il n'y a guère de doute que l'Impératrice de
Ruffie ne defire vraiment de rétablir la paix entte
» les Puiſſances belligérantes , & qu'elle n'ait fait
faire à d'autres Puiffances neutres des ouvertures
» pour travailler avec elle à un ouvrage auffi falutaire.
Malheureufement il s'y préfentera plus de
» difficultés qu'à la pacification de Tefchen , vu la
perfévérance du Ministère Anglois à rifquer plu-
» tôt tout que de reconnoître l'indépendance de
» l'Amérique- Unie ; réfolution néanmoins qu'on
» croit n'avoir pas l'approbation de la Cour de
Pétersbourg. L'on fait d'affez bonne part que
lorfque la nouvelle y arriva de la déclaration de
» l'Espagne , un des principaux Miniftres de cette
» Cour témoigna que cette démarche ne le furprenoit
point ; mais que l'inflexibilité du Cabinet
» Britannique ne pouvoit qu'étonner toute l'Europea.
Gazette de Leyde , n° 78.
ככ
» On rapporte que le lendemain du combat naval
, le Comte d'Estaing ayant raffemblé fes
» troupes de terre & de mer , pour les remercier
» de ce qu'elles l'avoient fi bien fecondé , reçut de
»leur part des témoignages éclatans de la haute
ود
idée qu'il leur avoit donnée de fa valeur ; & que
» dans le moment ce Général fe rappellant la iegéreté
avec laquelle il avoit été traité en Europe ,
» leur avoit adreffé cette courte harangue , qui vaut
» mieux que toutes celles de Tite - Live : Mes amis
» vous ne vous y connoiffez pas ; confultez les
Européens , ils vous diront que je fuis..... Une
» armée doit tout entreprendre pour un Général
as qui lui inſpite auffi énergiquement le défir d'i
miter fon courage , & d'immortaliſer fa réputa.
» tion «. Courier d'Avignon , nº. 79.
33
( 187 )
De BRUXELLES , le 19 Octobre.
1
Selon les nouvelles du camp de Saint Roch
devant Gibraltar ; les troupes étoient toutes
arrivées vers la fin du mois dernier , & les
Espagnols avoient achevé 4 batteries de canon
bien retranchées. La première eſt de
so pieces , la feconde de 42 , la troifième
de 30 & la 4. de 18. Toutes ces pieces
font de 24 & de 36. On avoit auffi établi 3
batteries de mortiers , une de 18 , une de
14 & la dernière de 8. On n'attendoit alors
que 4 bombardes aux ordres de M. Barcelo ,
pour commencer à faire feu en même temps
par terre & par mer.
Selon les mêmes Lettres le Roi de Maroc
a , dit - on , offert à l'Efpagne un million
& demi de fanegues de bled , fur le pied
de is réaux de Vellon , & un nombre confidérable
de boeufs , à raifon de 4 piaftres
fortes. Elles ajoutent que ce fait étoit fi conftant
que les bâtimens Efpagnols avoient déja
commencé à aller chercher à Tétuan & à
Tanger ces munitions de bouche , ainfi
plufieurs autres comeftibles qu'ils étoient
affurés d'y trouver à des prix raisonnables.
que
S'il faut en croire des lettres de Lisbonne ,
il a été donné órdre aux Châteaux du Port
de ne point laiffer partir fans ordre ulté
rieur , le Chatham , vailleau de guerre Anglois
de so canons , commandé par le Capitaine
William Allen . On ignore la raifon
de cette défenfe ; mais on fait que les
"
( 188 )
navires Anglois continuent de troubler la
navigation dans ces parages , en s'emparant
de toutes fortes de navires neutres fans
aucun motif qui puiffe les juftifier.
» Les requêtes itératives des Négocians d'Amſterdam
, écrit - on de la Haye , pour engager les Etats-
Généraux à protéger leur commerce par des convois
efficaces , ont été fuivies de celles de plufieurs autres
villes ; il y en a maintenant huit à neuf des principales
de la Province de Hollande occupées à voter ,
pour que cette Province prenne le parti de donner des
convois illimités , quelque puiffe être le voeu des autres
Provinces , & quand même elles refuferoient
leur concours . Celle de Leyde, c'est-à-dire les Régens,
ont dû accéder à cette détermination , parce que fes
manufacturiers & trafiquans en laines ont menacé de
la quitter pour aller s'établir à Amfter lam. Il eft.
vraisemblable . que la prohibition faite en France de
l'entrée des fromages de la Nort- Hollande , engagera
celles de notre Province à y accéder. Quant aux
fecours que les Anglois demandent à la République ,
quoiqu'en difent les partifans de l'Angleterre , nous
fommes perfuadés ici qu'ils n'en obtiendront aucun.
La propofition d'augmenter les forces de terre, paffera
probablement auffi à la négative. Il est vrai que le
parti oppofé agira de fon côté pour faire accorder les
convois ; mais on prévoit que le commerce fe laffera
de payer le double droit d'entrée & de gabelles qu'il
s'étoit impofe volontairement pour avancer l'arme
ment de ces convois ; & l'année fuivante on ne
pourra peut-être pas équiper le même nombre de
vaiffeaux . Les vrais patriotes , les politiques les plus
fages,difent que c'eft tant mieux , parce qu'il arrivera
delà qu'elle ne fera point obligée de prendre part
à la querelle des deux nations rivales , comme l'Angleterre
& fes partifans le defireroient ; ce dont on
fera redevable , difent - ils , à la généreufe fermeté
de la ville d'Amfterdam. La paix fe fera enfuite quand
on fera las de fe battre , ou peut-être avant qu'on fo
( 189 )
batte; & ce fera infailliblement à cette feule condition
que chacun à l'avenir fera le maître chez foi ,
& que tous feront libres fur les mers , laiffant aux
Anglois le foin de fe confoler comme ils pourront
du chagrin de n'être plus maîtres que chez eux « .
›
A en croire quelques lettres de Londres
le Gouvernement commençoit à regarder
de nouveaules Américains comme des fujets
révoltés. Le fieur Marçland , Capitaine du
Corfaire Boftonien le Prince Noir , après
avoir fait 27 prifes dans l'efpace de 3 mois
& onze jours de croifière , avoit été pris luimême
par une frégate Angloiſe , on l'avoit
conduit à Londres jetté dans un cachot , &
on lui faifoit fon procès , qui devoit , dit- on ,
fe terminer par la punition infligée aux
forbans. D'après ces lettres on étoit
en droit de conclure que l'Angleterre fe
croyoit plus éloignée que jamais de la néceffité
de reconnoître l'indépendance de
P'Amérique. Ce ne font pas des fuccès dans le
nouveau monde , des négociations en Europe
, qui avoient pu amener dans la Grande
Bretagne cet efprit deftructeur & cruel.
Cette nouvelle ne s'eft pas confirmée. On
apprend que le Prince - Noir eft arrivé à
Dunkerque , le 6 de ce mois , en trèsbon
état , après avoir pris ou rançonné un
grand nombre d'ennemis."
Suite de l'Expofé des motifs de l'Espagne..
Ce Mémoire donné au mois de Mars , n'a pro
duir que de belles promeffes de la part du Miniſtère
Anglois , n'a pas empêché qu'on ne fe permît de
nouvelles prifes & de nouvelles infultes dans les
mois d'Avril & de Mai fuivans , ainfi qu'on l'a
expofé dans la note 4. On peut révoquer en doute
le Ministère Anglois a feulement pris la peine de
( 190 )
lire la note ou la lifte des griefs , & fi ce n'eft pas
pour cette raison que beaucoup de ces griefs ne font
point parvenus à la connoiffance de S. M. B. , ainfi
qu'elle l'a affirmé à fon Parlement .
8. L'Eſpagne a été plus heureuſe que la France visà-
vis du Ministère Anglois : car du moins on ne
lui a point nié les faits , & on lui a toujours promis
de belles chofes , quoiqu'elle n'ait jamais obtenu
une fatisfaction complette , ni réuffi à faire
ceffer les violences. Toutes les Puiffances de l'Europe
favent très -bien quelles font les maximes de
la Marine Angloife dans fes déprédations ; elles en
ont aflez éprouvé dans cette guerre , & dans la
guerre précédente entre l'Angleterre & la France ;
mais elles ne favoient pas , & elles n'auroient pas
pu s'imaginer que le Capitaine de la frégate ou
de la corvette Angloife le Zephir , appelle Thomas
Hafth , après avoir pris injuftement la Balandre
la Trinité , allant de Bilbao à Cadix fur la
fin de 1777 , chargée de cuirs , de clous & d'autres
marchandifes , la conduiroit à Tanger , &
dans cette Place tâcheroit de l'échanger contre un
brigantin Américain pris par les Maroquins , en
laiffant comme efclaves le Capitaine Espagnol
fon Pilote & fon Equipage. Heureufement , les
Maures n'acceptèrent point le marché ; & alors
quoique le vaiffeau fût conduit à la baie de Gibraltar
, comme tout prétexte manquoit pour le
déclarer de bonne prife , les Anglois le laiffèrent
en liberté , après avoir pillé une grande partie de
fa cargaifon ; mais ce vaiffeau avoit été fi maltraité
depuis fa prife , qu'au fortir de Gibraltar il ne
put réfifter à une tempête qui furvint , & qu'il
donna fur la côte. Un fait de cette nature ne feroit
pas croyable , s'il n'étoit auffi pofitif , & perfonne
ne pourra fe perfuadér qu'une Nation auffi
civilifée que l'Angleterre air des Officiers de Marine
, imbus de pareilles maximes
1
9. Les deux faits fuivans peuvent faire juger de
l'injuftice des Amirautés Angloifes , & de leur ex(
191 )
travagante conduite à l'égard des prifes Eſpagnoles.
La balandre Angloife le Lively , Capitaine Jofeph
Smith , prit le navire Efpagnol le S. Nicolas &
S. Telmo , appartenant à D. Manuel del Cerro Ru
bio , Habitant de la Corogne , & allant de ce port
aux Ifles Eſpagnoles. Smith conduifit ce navire à
I'Ifle de l'Anguilie , où déclaré mauvaiſe priſe , il fut
mis en liberté , & reçut du Gouverneur Anglois un
fauf-conduit pour continuer fa route ; mais cette
précaution lui fut inutile ; au fortir de ce port , il
fur pris par une autre corvette Angloiſe , & celle- ci
l'ayant mené au port de Baſſeterre de l'Ifle Saint-
Chriſtophe , il y fut déclaré de bonne priſe. La mê
me chofe arriva au paquebot Eſpagnol Saint- Pedro ,
Capitaine D. Francifco Xavier Garcia ; ayant été
pris le 8 Mai 1778 , par le Capitaine Anglois Jayme
Dunevant , & conduit à la même Ifle de l'Anguille ,
où on le déclara libre , il fut fuivi & pris de nouveau
par une balandre Angloife , aux ordres de Jofeph
Armet , mouillée dans ce port , & qui le conduifit
à St-Christophe où il fut déclaré de bonne prife.
10. L'Efpagne , plus qu'aucune autre Puiffance , a
fait la trifte épreuve des agreffions & des ufurpations
du Gouvernement Anglois , toutes au milieu
de la paix la plus profonde & fans être précédées
de Déclaration de guerre. L'Angleterre poffede à.
peine quelque territoire de l'ancienne dépendance Ef->
pagnole qui n'ait été acquis par ſurpriſe dans un
tems de paix , & toutes les mers ont vu les vaiffeaux
Efpagnols battus , quand il n'exiftoit aucun motif
de croire qu'ils fuffent attaqués. Le Cabinet Anglois
eft le feul qui ait donné l'exemple de conclure un
Traité avec l'Espagne & de commettre l'inftant d'après
contre elle les plus révoltantes hoftilités. A la
vue d'une pareille conduite , on laiſſe au monde
impartial à juger fi le Roia bien fait d'augmenter
fes armemens de mer & de prendre les devants pour
faire avorter les deffeins de fes ennemis & de fes
agreffeurs.
11.Aucun motifne pouvoit déterminer l'Angleterre
( 192 )
à ne pas faire fatisfaction à l'Espagne , à ne pas
empêcher qu'il lui fut fait de nouvelles infultes &
à ne pas la payer de reconnoiffance , car malgré les
projets & les menaces publiques de divers Membres
du Parlement Anglois dans les féances des
mois de Décembre 1777, & Janvier & Février 1778,
pour s'arranger avec les Américains & faire la guerre
à la Maifon de Bourbon , Jamais le Roi Catholique
ne voulut faire aucun Traité avec les Colonies , pour
ne point donner le plus léger prétexte de plainte à
la Cour de Londres. On n'entend point par là que
de fon côté le Ministère François n'ait pas eu des
motifs très -graves pour prendre auffi les devants ,
en fe précautionnant contre de nouveaux ennemis
& fe garantiffant des piéges & des deffeins perni
cieux du Cabinet Britannique.
12. La Cour de France s'eft conduite avec tant de
franchile & de bonne-foi dans cette démarche es
notifiant à l'Angleterre fes liaiſons avec les Colonies
, ( dont le Roi Catholique n'eut aucune connoiffance
, ) qu'elle ordonna à fon Ambaffadeur à
Londres de déclarer que l'Espagne n'avoit eu aucune
part à ce qui s'étoit fait. Néanmoins , par
un ordre envoyé le 24 Mars à Don Franciſco
d'Efcarano , chargé d'affaires en Angleterre , il fui
fut mandé entr'autres chofes qu'ca même tems
qu'il feroit favoir au Ministère Anglois que S. M
C. n'avoit aucune part à ce qui s'étoit paffé , &
quoi qu'elle fût très - décidée à maintenir la paix
il devoit obferver que ce feroit cependant autant
que S. M. pourroit y parvenir , faus manquer
à la dignité de fa Couronne , à la défenſe de fes
droits & à la protection due à fes fujets , attendu que
la conduite de l'Angleterre ferviroit de règle à celle
de l'Efpagne . C'eft ce que le Chevalier d'Efcarano
déclara & fit favoit au Vicomte de Weymouth
dans une audience particulière qu'il eut le 4 Avril
fuivant ; & il en rendit compte à fa Cour le
du même mois .
La Juice pour l'ordinaire prochaim
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 3 Septembre.
La fête du Ramazan qui commence avec
la Lune prochaine , a ramené dans cette Capitale
le Grand- Seigneur qui depuis quelquetems
étoit à Beſchiktafchi. La fermentation
qui règne dans tous les efprits , fait craindre
l'ouverture de cette fête ; c'eft une époque
remarquable dans les faftes de cet Empire ,
par les révolutions qui ont eu fréquemment
lieu dans ce tems. Le jour où l'on paye leur
folde aux Janniffaires & aux Spahis , ne s'eſt
pas toujours non plus paffé tranquillement ;
il arrive le 7 de ce mois ; on eſpère cependant
qu'il n'occafionnera rien de fâcheux ,
parce que le payement fera exact , & qu'on
pourra bien y joindre quelque gratification
extraordinaire.
Selon la plupart de nos avis de Morée ,
l'expédition du Capitan-Bacha a fini par un
maffacre affreux qu'il a fait des Turcs Al-
30 Octobre 1779. i
( 194 )
banois qui fans chef & fans conduite fe font
laiffé furprendre & envelopper à Tripolizza
par fon armée. Il en a tué plufieurs milliers
qui fe font , dit-on , défendus en défefpérés ;
& le refte eft pourſuivi tant par nos troupes
que par les Grecs qui , ayant pris les armes
par ordre du Capitan-Bacha , cherchent auſſi
à fe défaire de ces hôtes pillards qui , depuis
plufieurs années , ont faccagé & opprimé ce
malheureux pays. Il y a eu fucceffivement
deux actions fanglantes ; 8000 hommes font
reftés fur le champ de bataille dans la première
, & 6000 dans la feconde. On prétend
que le Capitan-Bacha veut tirer une pareille
vengeance des Mainottes.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 18 Septembre.
Le Comte de Kaunitz Rietberg , Miniſtre
Impérial & Royal , a eu Dimanche dernier
fon audience de congé de l'Impératrice &
du Grand-Duc & de la Grande-Ducheffe. Outre
le préfent ordinaire de 6000 roubles , il
en a reçu un extraordinaire , confiſtant en
une fuperbe bague de brillans. Il eſt parti ce
matin pour retourner à Vienne.
S. M. I. vient d'anuller par une nouvelle
Ordonnance , l'impôt établi en 1763 fur les
manufactures reffortiffant à la juriſdiction
du Collège des manufactures. Il conſiſtoiţ
195 )
-
en un rouble par chaque métier , ou en un
pour cent du capital employé à l'entretien
des fabriques qui ne fe fervoient pas de métiers
.
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 30 Septembre.
Le navire employé cette année à la pêche
des cachalots fur les côtes du Bréfil , vient
d'y être renvoyé par les intéreffés. Il a à bord
6 Américains qui connoiffent ces côtes , &
auxquels on a confié la direction de cette
pêche. La Compagnie de Groenland a fait
partir également un de fes navires pour la même
deſtination. On a auffi fait paffer d'ici aux
ifles de Ferro un Capitaine dont la fonction
fera d'y protéger le commerce qui s'eft confidérablement
accru depuis quelques années ,
fur-tout en vin , en brandevin & en thé que
les Anglois y viennent charger.
Suivant les dernières lettres de Carlſcron ,
les vaiffeaux la Sophie - Madelaine , le Ferdinand
, le Frédéric - Adolphe , & l'yacht
d'avis le Triton , faifant partie de l'efcadre
Suédoife qui a croifé pendant l'été dernier
dans la mer du nord , y font arrivés heureuſeiment
le 17 de ce mois.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 30 Septembre.
LES Jugemens Comitiaux ont terminé
i z
( 196 )
leurs féances le 15 de ce mois . La fameufe
affaire du Baron Julius y a été décidée ; on
fait qu'il étoit accufé d'avoir fuborné des
fujets de la République & de les avoir enrôlés
pour l'Etranger. Les Loix du pays font
formelles contre ce délit ; & le dernier Traité
fait à Varfovie le 18 Septembre 1773 , avec
l'Autriche, la Ruffie & la Pruffe , le condamne
également ; l'article 10 de l'acte féparé de
ce Traité , porte expreffément : » Il ne fera
pas permis de part & d'autre de faire des
recrues & des enrôlemens quelconques ,fous
aucun prétexte , dans les Etats refpectifs. Le
Baron Julius , convaincu d'avoir manqué aux
Loix du pays & aux Traités , a été condamné
à un exil perpétuel , avec confiſcation des
biens qu'il a dans ce royaume ; le tiers en
fera prélevé & remis au Délateur ; tous les
droits des créanciers qui ont pu lui prêter
de l'argent avant fon Arrêt font réfervés.
Huit jours après la publication du décret ,
il a été conduit avec fes complices par un
détachement militaire jufqu'aux frontières
de la République ; là , il lui a été fignifié de
n'y rentrer jamais fous peine d'infamie &
de mort.
Selon des lettres de Pétersbourg , on tranfporte
actuellement dans les Colonies , fondées
en divers lieux de l'Empire Ruffe , une
grande quantité de tous les inftrumens qui
peuvent être néceffaires tant à la conftruction
des vaiffeaux qu'aux travaux de la campagne.
( 197 )
Il paroît même décidé que dans le courant
de l'année prochaine l'Impératrice viſitera
elle- même ces Colonies.
ALLEMAGNE.-
De VIENNE , le 7 Octobre.
LES nouvelles qu'on a du voyage de
l'Empereur portent qu'il arriva le 2 de
ce mois à Egre ; qu'il employa le 3 & le 4
à vifiter , avec la plus grande attention , l'état
où fe trouvent , tant les fortifications de cette
place que les ouvrages conftruits juſqu'aux
frontières du Margraviat de Bareuth. Le 5 il
en a dû partir pour fe rendre à Prague en
paffant par Pilfen.
La récolte de la foie devient tous les ans
plus confidérable en Croatie , en Esclavonie ,
& dans plufieurs autrés diftricts voisins de
la Hongrie , on en a tiré cette année 75
quintaux ; l'année dernière la récolte n'avoit
été qu'à 38. On peut juger de l'avantage &
de l'importance de ce commerce pour ces
pays par le prix actuel de la foie ; le quintal
en été payé 800 florins.
De FRANC FORT , le 10 Octobre.
LES Capucins qui doivent s'établir à
Dierdof , fe font plaints au Confeil Aulique
de l'empire des violences qu'ils ont effuyées de
la part des Proteftans du pays , qui fe font op
i 3
( 198 )
pofés , par des voies de fait , à la conſtruction
de leur Couvent . Un refcript Impérial du 28
du mois dernier ordonne au Comte de Wied
Runckel de les protéger , de rechercher les
auteurs des excès dont ils fe plaignent , &
d'envoyer à S. M. I. le réſultat de fes recherches
.
L'intolérance d'un Pafteur à Hambourg a
auffi attiré l'attention du Confeil Aulique.
Ce Pafteur s'étoit permis en chaire des déclamations
très vives , très - indécentes
contre l'Eglife Romaine ; il en avoit même
fait imprimer quelques- unes extraites de fes
fermons. Le Miniftre Impérial en porta
plainte au Magiftrat , qui fit à cet Eccléfiaftique
une réprimande févère , & lui prefcrivit
une fatisfaction qu'il ne donna point.
Un refcript du Confeil Aulique lui ordonne
de fe foumettre au jugement du Magiftrat ,
& à celui ci de le faire exécuter & d'en
rendre compte dans deux mois à l'Empereur
qui fe réſerve , en cas de défobéiffance de la
part du Miniftre , de févir lui - même fuivant
l'exigence du cas , & d'après les Ordonnances.
>
Les lettres de Vienne parlent d'un autre affaire
d'un genre plus étrange encore ; mais qui s'eft terminée
plus favorablement pour celui qu'on pourfuivoit.
M. Seipt Profeffeur de Morale à Prague
, fut accufé d'athéisme. La Commiſſion chargée
par l'Impérattice-Reine de l'examiner , ne l'a point
trouvé coupable ; il paroît que la jaloufie & la
haine de quelques particuliers les avoient feules
( 199 )
portées à calomnier le Profeffeur qui s'eft juftifié
par fa Profeffion de foi , à laquelle il a joint un
Livre de prières très -orthodoxes & très- édifiantes
qui ont obtenu le fuffrage général & qui , dit- on ,
vont être publiées pour être adoptées par tous les
Sujets catholiques des Etats héréditaires.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 2 Octobre.
SELON des lettres de Palerme , le Vice-
Roi de Sicile a reçu ordre de S. M. S. d'abolir
le monopole du tabac dans ce Royaume ; la
culture & la vente de cette plante , fon importation
même des pays étrangers , feront
en conféquence permifes à tous les fujets Les
galiotes de Naples , chargées d'une fomme
fuffifante pour l'achat de 20,000 meſures
de bled de Sicile , avoient conduit à Palerme
deux malheureux , qui lors de la dernière
éruption du Véfuve , avoient tenté d'exciter
un foulèvement parmi le peuple . On
les a mis fous la garde de la garniſon du
Château d'Eau.
» Le 28 Septembre , à 7 heures du matin , écriton
de Civita -Vecchia , la foudre eft tombée ſur un
magafin à poudre , placé dans la Citadelle de cette
Ville. Les barils étoient en grand nombre , & tous
furent embrâfés , pour ainfi dire , en même-tems.
L'exploſion fut terrible ; en un moment , le toît du
Palais du Gouverneur fut emporté , les murs entr'ouverts
, le Mont- de- Piété renverfé & ruiné , une
porte de fer mife en pièces , deux bâtimens attachés
au mole du Château , enfevelis fous leurs déi
4
( 200 )
ombres , les Eglifes & les Maifons du voifinage
endommagées , & les fenêtres brifées à une grande
diftance. Jufqu'à préfent le nombre des morts qu'on
a trouvés n'eft que de cinq. Mais il eft vraifemblable
qu'on en trouvera davantage , vu la quantité
extraordinaire d'infortunés qu'on a retirés avec
peine de deffous les ruines
ESPAGNE.
De CADIX , le 1er. Octobre.
LES travaux au Camp de St-Roch devant
Gibraltar , continuent avec la même activité.
Le feu des Anglois s'eft rallenti confidérablement
; jufqu'au 25 Septembre , ils ont tiré
1670 coups de canon , & 64 bombes. Il
paroît que leur artillerie eft mal ordonnée ;
peu de leurs boulets font parvenus jufqu'au
Fort St. Philippe ; ils n'ont tué juſqu'à préfent
qu'un feul homme , & bleffé 3 ou 4.
On compte 800 toifes de la ligne à la porte
d'Efpagne ; les batteries que l'on conftruit
ne font pas hors de la ligne , mais en dedans ;
elle leur fert de parapet ; & on couvre la
banquette de terre pour l'élever & lui donner
la hauteur qu'elle doit avoir , afin d'y placer
les batteries. On a conftruit S batteries de
mortiers , chacune de 5 , & on travaille à
célles des canons .
La frégate la Madeleine conduifit , le 27
du mois dernier dans ce port , une balandre
Angloife , prife par M. de Langara ; elle
s'étoit féparée le 29 Août de l'efcadre de
D. Ulloa , qui croifoit fur les Tercères ; ce
( 201 )
4
Général lui avoit donné ordre d'aller reconnoître
un bâtiment qui étoit à l'ancre ; un
vent forcé qui furvint , l'empêcha de rejoindre
, & elle a fait voile pour ce Port.
En s'approchant de la côté , elle a rencontré
un corfaire Anglois de 8 canons &
de 40 hommes d'équipage dont elle s'eft
emparé. Nous avons appris par le Commandant
de cette frégate que là Sainte-
Monique s'étoit auffi féparée de M. de Ulloa
11 jours avant la Madeleine. On croit que
cette efcadre ne tardera pas à rentrer , parce
que le vaiffeau le Gaillard qui en fait partie
fait de l'eau .
Hier left arrivé ici un gros navire pris
fur les ennemis , & fur lequel M. de Langara
a mis l'équipage du Poderofo qu'il montoit
& qui a coulé bas . Ce vaiffeau de 70 canons
étoit vieux; & l'on n'ajamais pu étancher une
voie d'eau qui a caufé fa perte . M. de Langara
a croifé tout l'Eté vers le Détroit .
On frète pour le Roi tous les navires qui
cherchent de l'emploi ; on croit que l'on les
deftine à porter à Breft les provifions qu'on
a préparées pour l'armée de D. Cordova.
Le bruit court que l'Amiral Pallifer aura
une efcadre de 9 vaiffeaux , avec laquelle il
doit effayer de porter des fecours à Gibraltar.
Ce projet fera fans doute contrarié par nos
efcadres. Mais quand il parviendroit à s'approcher
du Détroit , nous avons de quoi
l'arrêter par la réunion des vaifleaux de MM.
Ulloa , Langara , d'Oz , Aranz & Barcelo ,
is
( 202 )
qui compofent une efcadre de 12 vaiffeaux
du premier rang tous très bien armés.
-
ANGLETERRE .
De LONDRES , le Is Octobre.
L'AMIRAL Byron eft arrivé le 10 de ce
mois à bord de la frégate la Maidſtone ; bien
des perfonnes prétendent qu'il apporte de
très-mauvaiſes nouvelles ; cela n'étonneroit
pas ; nous ne doutons point ici de la pofition
affligeante de nos affaires dans la partie du
monde qu'il vient de quitter ; la fupériorité
des François les met à portée d'y pouffer
feurs avantages. Les bruits publics toujours
vagues & peut-être exagérés ne nous
laiffent aucune efpérance aux Antilles ;
ils annoncent la perte de la Jamaïque ;
nous en doutons encore ; mais nous favons
qu'elle eft menacée , & nous ignorons
fi nous fommes en état de la défendre.
La lifte de nos malheurs s'étend
& fe groffit encore ; pendant que l'armée
combinée amufoit la Nation en paroiffant
dans la Manche & la forçoit de retenir fes
forces en Europe , une flotte confidérable
fortie des ports de France , conduifoit en
Amérique une armée deftinée à nous enlever
ce qui nous refte encore fur le Continent
& à terminer la querelle entre la Métropole
& fes Colonies en décidant fans retour
l'indépendance de celles - ci. Aucune de ces
( 203 ).
nouvelles n'eft authentique ; elles font affurément
vraisemblables , mais auffi peut-être
ne font- elles pas vraies. Si elles l'étoient ,
l'Amiral Byron ne feroit pas plus heureux
en meſſages qu'en expéditions. On connoît les
tempêtes qu'il a effuyées l'année dernière ,
& qui ont fait obferver que depuis l'âge de
9 ans , il n'avoit ceffé d'en éprouver de dangereuſes.
Avec tous les talens auxquels on
rend juſtice , on dit qu'il n'auroit jamais eu
de commandement en France fous le Cardinal
Mazarin . Ce Miniftre avant d'employer
quelqu'un , avoit toujours l'attention de demander
s'il étoit heureux.
33
Quoiqu'il en foit de ces nouvelles pertes que
nous avons faites ou que nous fommes menacés de
faire , aux Antilles , notre commerce fent déja vivement
celle de la Grenade , de la Dominique & de
St-Vincent. La première, feule, produifoit année commune
, 20,000 bariques de fucre qui , à 1 liv. fterl .
chacune , faifoient 320,000 1. fter.
12,000 poinçons de rhum à 10 l . fter. 120,000
café , coton , cacao , au plus basprix 600,000
Total. 1,040,000
La Dominique & St - Vincent produifoit beaucoup
moins ; la première parce qu'elle eft moins étendue, a
un fol plus âpre ; & la feconde , parce qu'elle eft
continuellement expofée aux incurfions & aux ravages
des caraïbes. Cependant l'évaluation du produit
de ces deux Ifles a été portée pendant plufieurs années
fur le pied le plus bas , à 9000 bariques de fucre
pour la Dominique , 7000 pour St - Vincent. Total. .
16,000 qui , à 16 liv . fter. font : 260,000 1. fter.
10,000 poinçons de rhum . 100,000
café & autres art. fur un pied modéré , 700,000
Total. • 1,056,000
( 204 )
De manière que le commerce perd tous les ans , avec
ces trois IAes , 2,096,000 liv . fterl , au moins.
La néceffité de recouvrer d'un côté ce que
nous avons perdu , de conferver de l'autre
ce qui nous refte encore , forcera la Nation
à faire les plus grands efforts ; il paroît que ce
n'eft que l'année prochaine qu'on ſe propoſe
d'en faire de férieux & d'efficaces. Les troupes
qu'on embarquera au printems compoferont
plus de 12,000 hommes. Un de nos
papiers a fait l'état fuivant des frais qu'elles
entraîneront.
montera
» La dépenſe des bâtimens de tranſports pour
ces troupes , à 2 tonneaux par homme , & à IL
fchellings par mois pour chaque tonneau ,
à 22,000 liv. fterl. par mois. Ces bâtimens doivent
être en état 3 mois avant l'embarquement , afin de
les équippèr & de les envoyer dans les ports où les
troupes doivent fe rendre. La traverfée d'une flotte
qui fe rend dans l'Amérique Septentrionale , ou aux
Ifles , eft d'environ 3 mois. Il s'en écoulera trois autres
avant que ces vaiffeaux foient en état de repartir
; ils en mettront autant pour leur retour en Angleterre
; c'est donc une année de fret de bâtimens
qui coûtera au Gouvernement 286,000 l . fterl. pour
le tranfport des troupes , fans compter leur fubfiftance
qui , à 1000 liv . fterl. par jour deviendra un
objet de 90,000 pour le tems qu'elles resteront à
bord. Cette fomme ajoutée à la paye des tranfports ,
en fera une de 377,000 liv . fteri. , & fi l'on y ajoute
l'équipement des vaiffeaux , pour la réception des
foldats , dépenfe très -conſidérable & beaucoup d'autres
frais qu'on ne peut prévoir , 400,000 liv . ſterl .
ne fuffiront pas pour faire face à tout «<,
L'Amiral Byron a laiffé le commandement
de la flotte à l'Amiral Rowley , qui doit être
( 205 )
relevé par l'Amiral Rodney , qui eft parti le
8 de ce mois pour Portfmouth. On dit ici
qu'il a été y prendre le commandement d'une
efcadre deftinée à renforcer celle qui eft aux
Antilles ; mais on doute qu'il parte de fi -tôt ;
on ne peut pas diminuer la flotte de Sir Charles
Hardy , qu'on a dit fans ceffe prêt à mettre
à la voile & qui refte toujours dans le port ;
on prétend aujourd'hui qu'il ne fortira que
quand les François & les Efpagnols feront
fortis . Ce qu'il y a de sûr , c'eft qu'il n'a que
46 vaiffeaux , & que dans ce moment il ne
lui en refte que 34 , parce que l'Amiral Darby
a eu ordre de fe rendre fur les côtes d'Irlande
avec 12. left en conféquence forcé d'attendre
fon retour ; & M. Rodney paroît devoir
refter en Angleterre juſqu'à la fin de la campagne
en Europe.
L'heureuſe arrivée de la flotte des ifles a
fourni 2000 matelots à la marine Royale ;
cependant elle en manque encore. Le 7 au
foir , il y a eu une preffe très-vive fur la Tamife
& aux environs des deux côtés de la rivière.
On a enlevé un grand nombre de jeunes
gens qu'on a envoyés auffi-tôt à Lenox.
Cette manière de lever des hommes en fournit
fans doute ; mais ce ne font pas des matelots.
L'Ordonnance rendue le 24 du mois
dernier pour défendre l'exportation du cuivre
hors du Royaume , en défendoit même
le tranfport d'un port à un autre ; cette dernière
difpofition ayant occafionné quelques
( 206 )
difficultés , a été changée ; le tranfport reftera
libre fous certaines conditions . L'emploi
que la marine Royale fait à préfent de ce
métal , a donné lieu à cette Ordonnance ; on
en double actuellement les vaiffeaux de ligne
, même ceux du premier rang.
» Jeudi dernier , lit on dans un de nos papiers ,
après une plus grande épreuve de canon faite à Woolwich
, on a fait l'effai d'une machine deſtinée à mettre
le feu à un vaiffeau à 600 pieds de diſtance. L'effet
a furpaffé l'attente de l'Auteur , & le feu a été porté
à 1500 pieds au -delà de l'objet qu'il s'agiffoit d'enflammer.
Lord Amherst & le Bureau d'artillerie ont
fait des remercimens publics à l'Inventeur. Il paroît
que la fin de ce fiècle fera remarquable par les progrès
que les peuples civilifés auront faits dans le
grand art de la deftruction .
On dit que le Parlement à fa rentrée s'occupera
d'abord du plan d'une union plus
étroite de l'Irlande avec nous. Il n'eft pas
encore décidé fi cette union fera générale ou
reftreinte à la partie méridionale du Royaume;
quoiqu'il en foit , on ne croit pas que ce projet
pacifique qui rencontre de la part de notre
commerce & de nos manufactures les mêmes
difficultés qui l'ont déja fait échouer , parvienne
à détourner le parti de l'Oppofition
toujours exiftant , du fyftême de défunion
qu'il voudroit fomenter entre le Souverain
& fes Miniftres actuels ; & l'on eft perfuadé
que la crainte de voir ce Parlement s'occuper
beaucoup plus de ce ſecond objet que du
premier , eft la raifon de tous les retards
qu'on a apportés à ſa rentrée.
( 207 )
L'invention nouvelle d'une machine qui
fimplifie prodigieufement la filature du coton
& de la laine , a fait perdre à beaucoup de
vieillards , d'infirmes , de femmes & d'enfans
des moyens de fubfiftance que leur fournilloit
ce travail. Plufieurs ouvriers fe font
ameutés contre les maîtres qui font ufage de
cette invention ; c'eft fur-tout dans le Comté
de Lancaftre que le foulèvement a eu lieu ;
toutes les milices cantonnées dans cette partie
fe font mifes en mouvement pour remédier
au défordre , & il y a eu beaucoup de
fang répandu.
Au milieu des préparatifs militaires qui fe
font de toutes parts , on parle toujours de
paix ; on revient à la médiation fi fouvent annoncée
des Cours de Pétersbourg & de Berlin.
Quelques perfonnes prétendent même déja
que pour bafe du traité d'accommodement
entre les Puiffances belligérantes , on exige
que l'Angleterre confente à l'indépendance
des Américains , à la ceffion de Gibraltar &
de Minorque à l'Eſpagne , & à celle des conquêtes
que la France a faites dans les Indesoccidentales.
Nous fentons bien que cette
paix doit nous coûter des facrifices ; mais on
ne voit pas que les chofes en foient encore
venues à une telle extrémité que nous devions
l'acheter à des conditions auffi dures.
Nos Miniftres ne ceffent d'affurer qu'ils n'en
accepteront aucune qui bleffe l'honneur de
la Couronne & les intérêts de la Nation ;
mais il faut être en état de choifir ; le ferons(
208 )
nous le tems nous l'apprendra. En attendant
on conferve le ton de hauteur qu'on a
toujours pris ; il fe manifeſte fur - tout dans
un Mémoire juftificatif du Roi de la
Grande - Bretagne pour fervir de réponſe
à l'expofé des griefs de la Cour de France.
On dit que le Gouvernement a employé la
plume élégante de l'Auteur de l'hiſtoire de la
décadence & de la chûte de l'Empire Romain,
M. Gibbon. On n'a pas manqué d'obſerver
qu'il étoit important de mettre une mauvaiſe
caufe entre les mains d'un homme éloquent.
La publication de ce Mémoire n'a
pas tout- à - fait répondu à l'atténte ; on y a
trouvé beaucoup de hauteur ; mais en reprochant
les déclamations à nos ennemis , on y
tombe à chaque inftant ; & au défaut des raifons
, on y a prodigué les injures. Cette pièce
doit trouver une place dans un Journal de
l'espèce de celui- ci. Le public ne peut qu'être
curieux de rapprocher les Manifeftes des
trois Puillances. L'Europe a déja jugé entre
elles ; on connoît le voeu général ; il eft indé--
pendant du fort des armes.
» L'ambition d'une Puiffance , toujours ennemie
du repos public , a obligé enfin le Roi de la Grande-
Bretagne à employer dans une guerre jufte & légitime
ces forces que Dien & fon Peuple lui ont confiées .
C'eft en vain que la France effaye de juftifier , ou
plutôt de déguifer fa politique aux yeux de l'Europe
par (on dernier Manifefte , que l'orgueil & l'artifice
femblent avoir dicté , mais qui ne peut fe concilier
avec la vérité des faits , & les droits des Nations."
L'équité , la modération , l'amour de la Paix , qui
( 209 )
ont toujours réglé les démarches du Roi , l'enga
gent maintenant à foumettre la conduite & celle
de les ennemis au jugement du Tribunal libre &
refpectable qui prononce fans crainte & fans flatterie
l'arrêt de l'Europe , du fiècle préfent , & de la poftérité
. Ce Tribunal , compofé des hommes éclairés
& défintéreffés de toutes les Nations , ne s'arrête
jamais aux profeffions , & c'eſt par les actions des
Princes qu'il doit juger des motifs de leurs procédés
& des fentimens de leurs coeurs. Lorsque le
Roi monta fur le trône , il jouiffoit du fuccès de
fes armes dans les quatre parties du monde. Sa
modération rétablit la tranquilité publique dans le
même inftant qu'il foutenoit avec fermeté la gloire
de fa Couronne , & qu'il procuroit à fes fujets
les avantages les plus folides. L'expérience lui avoit
fait connoître combien les fruits de la victoire
même font triftes & amers ; combien les guerres
heureufes ou malheureufes épuifent les peuples
fans aggrandir les Princes. Ses actions prouvoient
à l'Univers, qu'il fentoit tout le prix de la paix , &
il étoit au moins à préfumer que la raiſon qui l'avoit
éclairé fur les malheurs inévitables de la guerre ,
& fur la dangereufe vanité des conquêtes , lui inf
pireroit la réfolution fincère & inébranlable de
maintenir la tranquillité publique , dont il étoit luimême
l'auteur & le garant. Ces principes ont fervi
de bafe à la conduite invariable de S M. pendant
les quinze années qui ont fuivi la paix conclue à
Paris en 1763 , époque heureufe de repos & de
félicité , dont la mémoire fera long- tems confervée
par le fouvenir & peut-être par les regrets des
Nations de l'Europe . Les inftructions du Roi à tous
fes Miniftres portoient l'empreinte de fon caractère
& de fes maximes. Il leur recommandoit comme
le plus important de leurs devoirs d'écouter avec
une attention fcrupuleufe les plaintes & les repréfentations
des Puiffances , fes alliés , ou les voifins ;
( 210 )
de prévenir , dans leur origine , tous les fujets de
querelle qui pourroient aigrir ou aliéner les efprits ;
de détourner le fléau de la guerre par tous les
expédiens compatibles avec la dignité du Souverain
d'une Nation refpectable , & d'inspirer à tous les
peuples une jufte confiance dans le fyftême politique
d'une Cour qui déteftoit la guerre fans la
craindre ; qui n'employoit pour fes moyens que la
raifon & la bonne foi , & qui n'avoit pour objet
que la tranquillité générale. Au milieu de cette tranquillité
les premières étincelles de la difcorde s'allumèrent
en Amérique. Les intrigues d'un petit
nombre de Chefs audacieux & criminels , qui abuferent
de la fimplicité crédule de leurs compatriotes ,
engagèrent infenfiblement la plus grande partie des
Colonies Angloifes à lever l'étendart de la révolte
contre la mère Patrie , à qui elles étoient redevables
de leur exiſtence & de leur bonheur «<.
» La Cour de Verſailles oublia fans peine , la foi
des Traités , les devoirs des Alliés & les droits des
Souverains , pour effayer de profiter des circonftances
qui paroiffoient favorables à fes deffeins ambitieux
. Elle ne rougit point d'avilir fa dignité par
des liaiſons fecrettes qu'elle forma avec des fujets
rébelles , & après avoir épuifé toutes les reffources
honteufes de la perfidie & de la difſimulation ,
elle ofa avouer à la face de l'Europe , indignée de
fa conduite , le traité folemnel que les Miniftres
du Roi Très- Chrétien avoient figné avec les Agens
ténébreux des Colonies Angloifes , qui ne fondoient
leur indépendance prétendue , que fur la hardieffe
de leur révolte. La déclaration offenfante que le
Marquis de Noailles fut chargé de faire à la Cour
de Londres le 13 Mars de l'année dernière , autorifa
S. M. à repouffer par les armes l'infulte inouie
qu'on venoit de faire à l'honneur de fa Couronne ;
& le Roi n'oublia pas dans cette occafion importante
ce qu'il devoit à fes Sujets & à lui- même.
( 211 )
Le même efprit de fauffeté & d'ambition régnoit
toujours dans les Confeils de la France. L'Efpagne,
qui s'eft repentie plus d'une fois d'avoir négligé
les vrais intérêts pour fervir aveuglément les
projets deftructeurs de la Branche aînée de la Maifon
de Bourbon , fut engagée à changer le rôle de
médiateur pour celui d'ennemi de la Grande- Bretagne.
Les calamités de la guerre fe font multipliées
, mais la Cour de Verfailles ne doit pas jufqu'à
préfent fe vanter du fuccès de fes opérations
militaires ; & l'Europe fait apprécier ces victoires
navales , qui n'exiftent que dans les Gazettes &
dans les Manifeftes des vainqueurs prétendus . Puifque
la guerre & la paix impofent aux Nations des
devoirs entièrement différens , & même oppofés ,
il eft indifpenfable de diftinguer ces deux Etats dans
le raifonnement auffi bien que dans la conduite ;
mais dans le dernier Manifeſte que la France vient
de publier , ces deux Etats font perpétuellement
confondus. Elle prétend juftifier la conduite en
faiſant valoir tour à tour & prefqu'au même inftant
ces droits qu'il n'eft permis qu'à un ennemi
de réclamer , & ces maximes qui règlent les obligations
& les procédés de l'amitié nationale. L'adreffe
de la Cour de Versailles à confondre fans
ceffe deux fuppofitions qui n'ont rien de commun
eſt la conféquence naturelle d'une politique fauſſe
& infidieufe , incapable de foutenir la lumière du
grand jour. Les fentimens & les démarches du Roi ,
qui n'ont point à redouter l'examen le plus févère ,
l'invitent au contraire à diftinguer clairement ce
que fes ennemis ont confondu avec tant d'artifice .
Il n'appartient qu'à la juftice de parler fans crainte
le langage de la raifon & de la vérité «<.
» La pleine juftification de S. M. & la condamnation
indélébile de la France , fe réduifent donc
à la preuve de deux propofitions fimples & prefqu'évidentes
premièrement qu'une paix profonde , per(
212 )
manente , & de la part de l'Angleterre fincere & véritable
, fubfiftoit entre les deux nations , lorfque la
France forma des liaifons d'abord fecretres , & enfuite
publiques & avouées avec les Colonies révoltées
de l'Amériqne : fecondement , que fuivant les
maximes les plus reconnues du droit des gens , &
felon la teneur même des traités actuellement fubfif
tans entre les deux Couronnes , ces liaifons pouvoient
être regardées comme une infraction de la
paix , que l'aveu public de fes liaiſons équivaloit
à une déclaration de guerre de la part du Roi Très-
Chrétien. C'est peut -être la première fois qu'une
nation refpectable ait eu befoin de prouver deux
vérités auffi inconteftables , & la juftice de la cauſe
du Roi eſt déjà reconnue par tous les hommes qui
jugent fans intérêt & fans prévention ".
ג כ
Lorfque la Providence appella le Roi au Trône ,
» la France jouiffoit de la paix la plus profonde «.
Telles font les expreffions du dernier Manifefte de
la Cour de Verfailles , qui reconnoit fans peine les
affurances folemnelles d'une amitié fincère & des
difpofitions les plus pacifiques , qu'elle reçut dans
cette occafion de la part de S. M. B. , & qui furent
fouvent renouvelées par l'entremise des Am
baffadeurs aux deux Cours , pendant quatre ans ,
jufqu'au moment fatal & décifif de la déclaration
du Marquis de Noailles. Il s'agit donc de prouver
que dans ce tems heureux de la tranquillité générale
, l'Angleterre cachoit une guerre fecrette fous
les apparences de la paix , & que ces procédés
injuftes & arbitraires étoient portés au point de
légitimer du côté de la France les démarches les
plus fortes , & qui ne feroient permifes qu'à un
ennemi déclaré. Pour remplir cet objet , il faudroit
porter devant le tribunal de l'Europe des griefs
clairement articulés & folidement établis . Ce grand
tribunal exigeroit des preuves formelles & peutêtre
réitérées de l'injure & de la plainte , le refus
( 213 )
d'une fatisfaction convenable , & la proteftation de
la partie fouffrante qu'elle fe tenoit hautement offenfée
par ce refus , & qu'elle fe regarderoit déformais
comme affranchie des devoirs de l'amitié &
du lien des traités «<.
Les Nations qui refpectent la fainteté des fermens
& les avantages de la paix , font les moins
promptes à faifir les occafions qui femblent les difpenfer
d'une obligation facrée & folemnelle , & ce
n'eft qu'en tremblant qu'elles ofent renoncer à l'amitié
des Puiffances dont elles ont long-tems effuyé
l'injuftice & les infultes. Mais la Cour de
Verfailles a ignoré , ou a méprifé ces principes.
fages & falutaires ; & au lieu de pofer les fondemens
d'une guerre jufte & légitime , elle fe contente
de femer dans toutes les pages de fon manifefte
, des plaintes vagues & générales , rendues
dans un ftyle de métaphore & d'exagération. Elle
remonte à plus de foixante ans pour accufer le
peu de foin de l'Angleterre à ratifier quelques réglemens
de commerce , quelques articles du traité
d'Utrecht ; elle fe permet de reprocher aux Miniftres
du Roi d'employer le langage de la hauteur
& de l'ambition , fans s'abaiffer jufqu'au devoir
de prouver des imputations auffi peu vraifemblables
qu'elles font odieufes. Les fuppofitions
gratuites de la mauvaiſe foi & de l'ambition de
la Cour de Londres , font confufément entaffées
comme fi l'on craignoit de s'y arrêter l'on infinue
d'une manière très - obfcure les infultes prétendues
qu'ont effuyés le commerce , le pavillon ,
& même le territoire François , » & on laiffe échap.
» per enfin l'aveu des engagemens que le Roi Très-
» Chrétien avoit déjà formés avec l'Espagne pour
» venger leurs griefs refpectifs , & pour mettre
:
un terme à l'empire tyrannique que l'Angleterre
» a ufurpé & prétend conferver fur toutes les
» mers ". Il eft difficile de combattre des fantô
( 214 )
mes , ou de répondre d'une manière nette & précife
au langage de la déclamation. La jufte confiance
du Roi defireroit fans doute de fe livrer à
l'examen le plus approfondi de ces plaintes vagues
, de ces griefs prétendus fur lesquels la Cour
de Verfailles a fi prudemment évité de s'expliquer
avec la clarté & le détail qui pourroient feuls
appuyer les raifons & faire excufer les procédés.
Pendant une paix de quinze ans , les intérêts de
deux Nations puiffantes & peut - être jalouſes ,
qui fe touchent par tant d'endroits différens dans
l'ancien & dans le nouveau monde , fourniffent
inévitablement des fujets de plainte & de difcuffion
, que la modération réciproque fauroir toujours
affoupir , mais qui ne font que trop facilement
aigris & empoisonnés par la haine réelle , &
les foupçons affectés d'un ennemi fecret & ambitieux
; & les malheurs de l'Amérique étoient trop
propres à multiplier les efpérances , les prétextes &
les prétentions injuftes de la France . Cependant telle
a été la conduite toujours uniforme , & toujours
pacifique du Roi & de fes Miniftres , qu'elle a
fouvent réduit fes ennemis au filence , & s'il eſt
permis d'appercevoir le vrai fens de ces accufations
vagues & équivoques , dont l'obfcurité étudiée
décèle les traits de la honte & de l'artifice , s'il
eft permis de démêler les objets qui n'ont point
d'exiſtence , on peut affurer avec la hardieffe de
la vérité , qu'il eft plufieurs de ces griefs prétendus
qui font annoncés pour la première fois
dans une déclaration de guerre , fans avoir jamais
été propofés à la Cour de Londres , dans le
tems qu'elle auroit pu les écouter avec l'attention
férieufe & favorable de l'amitié . A l'égard des
plaintes que l'Ambaffadeur de S. M. Très - Chrétienne
communiquoit de tems en tems aux Miniftres
du Roi , il feroit aifé de donner , ou plutôt
de renouveller les réponſes fatisfaifantes qui prou(
215 )
vèrent aux yeux de la France elle - même la modération
du Roi , fon amour de la juftice , & la
fincérité de les difpofitions à conferver la tranquillité
générale de l'Europe. Cés repréfentations dont
la Cour de Verfailles pourroit fe difpenfer de
rappeller le fouvenir , étoient rarement marquées
au coin de la raiſon & de la vérité , & il ſe trouvoit
le plus fouvent que les perfonnes en Europe
, en Amérique , ou fur les mers , defquelles
elle tenoit fa correfpondance fufpecte & mal - fondée
, n'avoient pas craint d'abufer de fa confiance ,
pour mieux fervir fes intentions fecrettes. Si les
faits que la France faifoit valoir comme le fujet
de fes plaintes , étoient appuyés quelquefois fur
une bafe moins fragile , les Miniftres du Roi les
éclairciffoient fur le champ par la juftification la
plus nette & la plus entière des motifs & des
droits de leur Souverain , qui pouvoit , fans bleffer
le repos public , punir la contrebande qui ſe faifoit
fur les Côtes , & à qui les loix des Nations
accordoient le droit légitime d'arrêter tous les
vaiffeaux qui portoient des armes & des munitions
de guerre à fes ennemis ou à fes ſujets rebelles.
Les Tribunaux étoient toujours ouverts aux
Particuliers de toutes les Nations , & il faut bien
peu connoître la conftitution Britannique , pour
fuppofer que la puiffance Royale eût été capable
de les exclure des moyens d'appel. Sur le théâtre
vafte & éloigné des opérations d'une guerre navale,
la vigilance la plus active , l'autorité la plus
ferme , font incapables de découvrir , ou de réprimer
tous les défordres ; mais toutes les fois
que la Cour de Verfailles a pu établir des dommages
réels que fes Sujets avoient éprouvés fans
la connoiffance ou l'approbation du Roi , S. M.
a donné les ordres les plus prompts & les plus
efficaces pour arrêter les abus qui bleffoient fa
dignité , autant que les intérêts de les voisins
(216 )·
qui avoient été enveloppés dans les malheurs de la
guerre. L'objet & l'importance de cette guerre
fuffiroient pour démontrer à l'Europe les principes
qui ont dû régler les démarches politiques de
l'Angleterre. Dans le tems qu'elle employoit fes
forces pour ramener à leur devoir les colonies
révoltées de l'Amérique , eft - il vraisemblable
qu'elle eût choifi ce moment pour irriter par l'injuftice
, ou l'infolence de fes procédés , les Puiffances
les plus refpectables de l'Europe ? L'équité a
toujours dicté les fentimens & la conduite du Roi ;
mais dans cette occafion importante , fa prudence
même eft le garant de fa fincérité & de fa modération.
Mais pour établir clairement le ſyſtême
pacifique qui fubfiftoit entre les deux Nations , il
ne faudroit qu'en appeller au témoignage même de
la Cour de Verſailles. A l'époque où elle ne rougit
pas de placer toutes les infractions prétendues
de la tranquillité publique , qui auroient engagé
» un Prince moins avare du fang de fes Sujets
, à ufer fans héfiter de repréfailles , & à repouffer
l'infulte par la force de fes armes «< , les
Miniftres du Roi Très - Chrétien parloient le langage
de la confiance & de l'amitié. Au lieu d'annoncer
les deffeins de la vengeance avec ce ton
de hauteur qui épargne du moins à l'injuftice le
reproche de perfidie & de diffimulation , la Cour
de Verfailles cachoit la conduite la plus infidieufe
fous les profeffions les plus féduifantes ; mais ces
profeffions même fervent aujourd'hui à démentir
Les déclarations & à rappeller les fentimens
qui auroient dû faire la règle de fa conduite.
Si la Cour de Verfailles ne veut pas s'accufer
de la diffimulation la moins digne de fa grandeur
, elle fera forcée de convenir que jufqu'au
moment qu'elle dicta au Marquis de Noailles la
déclaration , qui a été reçue comme le fignal de la
guerre , elle ne connoiffoit pas des fujets de plain-
و ر
tes
( 217 )
tes affez réels ou affez importans , pour l'autorifer
à violer les obligations de la paix & la foi
des traités qu'elle avoit juré à la face de Dieu &
de l'Univers , & à fe difpenfer de l'amitié nationale
dont elle avoit réitéré jufqu'au dernier inf
tant les affurances les plus vives & les plus folemnelles.
Lorfque l'Adverfaire eft incapable de
juftifier fa violence dans l'opinion publique , ou
même à fes propres yeux , par les injures qu'il
prétend avoir effuyées , il a recours au danger
chimérique auquel fa patience auroit pu l'expofer ;
& à la place des faits folides dont il eft dépourvu
, il effaie de fubftituer un vain tableau qui
n'exifte que dans fon imagination , ou peut- être
dans fon coeur. Les Miniftres du Roi Très - Chrétien
, qui paroiffent avoir fenti la foiblefle des
moyens qu'ils ont été réduits à employer , font
encore des efforts impuiffans , pour ajouter à ces
moyens , l'appui des foupçons les plus odieux &
les plus étranges . » La Cour de Londres faifoit
» dans fes Ports des préparatifs & des armemens
qui ne pouvoient avoir l'Amérique pour objet ;
leur but étoit par conféquent trop déterminé
» pour que le Roi pût s'y méprendre , & dès - lors
» il devint d'un devoir rigoureux pour S. M. de
ود
faire les difpofitions capables de prévenir les
» mauvais deffeins de fon ennemi , &c. Dans cet
» état des chofes , le Roi fentit qu'il n'y avoit
» pas un moment à perdre «. Tel eft le langage
de la France ; nous allons faire entendre celui de
la vérité.
La fuite à l'ordinaire prochain .
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie , le 27 Juillet. Le Congrès
a fait publier dans le Penfylvania
Packet , la relation fuivante de la priſe de
30 Octobre 1779. k
( 218 )
Stony- Point , adreffée par le Général Wayne
au Général Washington.
» Le 1s courant , à midi, nous nous mîmes en
marche de Sandy Beach , à 14 milles de diftance de
cet endroit. Les routes étant mauvaiſes & étroites ,
ayant à franchir de hautes montagnes , à paffer des
marais profonds & des défilés difficiles , nous fumes
obligés , dans la majeure partie du chemin , de former
la ligne fur un feul homme de front. A 8 heures
du foir l'avant-garde arriva devant la maifon de M.
Springfteal , à un mille & demi de l'ennemi , & fe
forma en colonnes à mefure que l'on arrivoit ,
conformément à l'ordre de bataille ci - joint . Les
régiments des Colonels Febiger & Meigs , avec le
détachement du Major Hull , formoient la colonne
droite ; le régiment du Colonel Butler & les deux
compagnies du Major Murfrée , la gauche. Les
troupes reftèrent dans cette pofition jufqu'à ce que
je fuffe de retour avec plufieurs des principaux
Officiers qui m'avoient accompagné pour reconnoître
les ouvrages. A 11 heures & demie , l'armée fe porta
en avant l'avant- garde de la droite formée de 159
volontaires , bien commandés , la bayonnette au bout
du fafil non chargé , s'avança fous les ordres du
Lieutenant- Colonel Fleury, précédée par 20 hommes
choifis , commandés par un Officier vigilant &
brave , chargé d'ouvrir un paffage à travers l'abattis
& décarter les autres obftacles . L'avant- garde
de la gauche étoit formée de 100 volontaires , aux
ordres du Major Steward , la bayonnette au bout
du fufil , également déchargé , & précédée de même
d'un Officier brave & déterminé , qui marchoit à la
tête de 20 hommes deftinés au même fervice. A
minuit l'affaut devoit commencer par les flancs
droit & gauche des ouvrages de l'ennemi , tandis
que le Major Murfrée l'amufoit en front ; mais
un marais , qui les couvroit en entier , fe trouvant
alors rempli par la marée & d'autres obftacles
( 219 )
rendirent les approches plus difficiles ; il étoit environ
minuit 20 minutes lorfque l'affaut commença
avant que les troupes fe miffent en mouvement
, je m'étois placé à la tête du régiment de
Febiger , formé fur 8 colonnes , & j'avois donné
aux troupes les ordres les plus précis , de ne faire
feu dans aucun cas , & de ne compter abfolument
que fur leurs bayonnettes , ordre qui fut littéralement
& fidèlement obfervé : la profondeur du marais ,
les doubles rangs du formidable abattis , la force
des ouvrages qui couvroient le front & les flancs
de l'ennemi , rien ne put ralentir l'ardeur des troupes ,
qui , fous le feu terrible , foutenu & continuel de la
moufqueterie , ainfi que du canon chargé à mitraille ,
à travers tous les obftacles , fe font ouvert un chemin
avec la pointe de la bayonnette ; les deux colonnes
s'étant jointes dans le centre des ouvrages de
l'ennemi , à peu près en même temps.
- ·
On ne peut donner trop d'éloges au Lieutenant-
Colonel Fleury , qui , de fa propre main , enleva
l'étendart de l'ennemi , ainſi qu'au Major Stewart ,
qui commandoit les partis avancés , à raifon de la
bravoure & de la prudence de leur conduite. Les
Colonels Burler , Meigs & Febiger fe font conduits
avec ce fang froid , cette bravoure & cette perfévérance
qui affureront toujours le fuccès . Le Lieutenant-
Colonel Hoy a été bleffé à la cuiffe , combattant
bravement à la tête d'un bataillon.
Je déroberois trop de temps à V. E. fi je faifois
une mention particulière de quiconque l'a mérité
par les preuves de valeur données en cette occafion .
Je ne puis cependant pas omettre le Major Lée ,
à qui je fuis redevable d'avis fréquents & très -utiles
qui ont beaucoup contribué au fuccès de l'entrepriſe ;
& c'eft avec le plus fenfible plaifir que je vous avoue
que j'ai été foutenu dans l'attaque , de manière à
combler mes fouhaits , par tous les Officiers &
Soldats que j'avois à mes ordres. Les Officiers &
k 2
( 220 )
7
·
Soldats de l'artillerie ont fait éclater leur zèle en
tournant le canon contre Verplank Pont , &
forçant l'ennemi à couper les cables de fes vaiffeaux
, & à defcendre la rivière .
Le 26 de ce mois , le Congrès prit les
réfolutions fuivantes :
1°. Réfolu unanimement : Que les remerciements
du Congrès feront faits à S. E. le Général Washington
, à raifon de la vigilance , de la ſageſſe & de la
magnanimité avec lesquelles il a conduit les opérations
militaires de ces Etats , & qui font partie de
beaucoup d'autres preuves fignalées qu'il a manifeftées
dans fes ordres relatifs à la dernière entreprife
glorieufe , & à l'heureufe attaque de la fortereffe
de l'ennemi fur les bords de la rivière Hudſon,
2°. Que les remerciments du Congrès feront
faits au Brigadier- Général Wayne , à raifon de la
bravoure , de la prudence , de la conduite digne
d'un foldat , qu'il a tenue dans fon attaque courageufe
& bien dirigée contre Stony- Point.
°. Que le Congrès apprécie , comme il le doit ,
la bonne conduite que les Officiers & Soldats , aux
ordres du Brigadier Général Wayne ont tenue lors
de l'affaut livré aux ouvrages de l'ennemi à Stony-
Point , & approuve particulièrement le fang- froid ,
la difcipline & la ferme intrépidité développées en
cette occafion.
4°. Que le Lieutenant - Colonel Fleury & le Major
Stewart , qui , par leur pofition , en dirigeant les
deux attaques , ont eu l'occafion plus immédiate de fe
diftinguer , & qui par des faits perfonnels , ont donné
des exemples brillants à leurs camarades , méritent
d'une manière particulière , l'approbation & la
reconnoiffance des Etats - Unis .
5 °. Que le Congrès approuve avec chaleur &
applaudit au fang froid & à l'intrépidité avec lefquels
les Lieutenants Gibbons & Knox ont guidé les
enfants perdus de l'armée , bravant le danger & la
mort pour la caufe de leur pays .
( 221 )
6°. Qu'une médaille, emblême de cette affaire ,
fera frappée ; qu'il en fera préfentée une d'or au Brigadier
Général Wayne ; que le Lieutenant- Colonel
Fleury & le Major Stewart en recevront une d'argent .
7°. Que la valeur des approvifionnements militaires
, pris à Stony-Point , fera conftatée & diftribuée
parmi les braves troupes qui ont réduit ce fort , de la
manière & dans les proportions qui feront prefcrites
par le Commandant en Chef.
Une lettre particulière du 18 de ce mois
parle ainfi des raifons qui ont occafionné
l'abandon d'un pofte aufli important , peu
de jours après qu'il eut été conquis avec
tant de bravouve . » Quelques accidens malheureux
ont empêché l'attaque projettée
contre Verplanks' - Pont , jufqu'à ce qu'il a
été trop tard pour l'exécuter. Le Général
Clinton eft à portée ; & nous avons évacué
Stony- Point. N'étant pas maîtres des deux
bords de la rivière , nous avons été obligés
d'abandonner celui dont nous étions en
poffeffion. Il eft probable que les troupes
Britanniques reviendront l'occuper ; alors
nous reprendrons néceffairement notre ancienne
pofition. Demain , les intentions du
Général Clinton commmenceront fans doute
à fe manifefter ".
FRANCE.
De VERSAILLES , le 26 Octobre.
L'IMPERATRICE-REINE de Hongrie ayant
honoré de fon Ordre de la Croix Etoilée , la
Comteffe de Courtivron , née Comteffe de
k 3
( 222 )
-
Clermont-Tonnerre , le Roi lui a permis
d'en porter les marques.
Madame Elifabeth de France quittera , le
23 de ce mois , Marli , pour fe rendre au
Château de Choify , où elle doit être inoculée .
Les fieurs Née & Mafquelier , Graveurs ,
que LL. MM. & la Famille Royale ont honorés
de leurs foufcriptions , pour un Ouvrage
intitulé : Tableaux Pittorefques , Phyfiques
Hiftoriques , Moraux , Politiques & Littéraires
de la Suiffe , ont eu l'honneur de remettre
à LL. MM. & à la Famille Royale , la
trente-deuxième livraiſon de cet Ouvrage.
De PARIS , le 26 Octobre.
LES nouvelles de Breft annoncent que
l'on y prenoit tous les arrangemens néceffaires
pour que la flotte combinée fortît le
25 ou le 27 de ce mois au plus tard . Elle
fera compofée , dit - on , de 56 ou de 58
vaiffeaux. Les malades dont on a fort exagéré
le nombre, guériffent ; ceux qui ont été en état
de fupporter les fatigues d'un court voyage ,
& d'aller refpirer l'air natal , fe font bientôt
rétablis. M. le Comte d'Aranda , parti le
15 de ce mois pour Breft , doit , dit- on , y
refter jufqu'à ce que la flotte ait appareillé.
» On a reçu ordre , écrit-on de St - Malo , en date
du 17 , de remplacer au plus vite tous les matelots
qu'on avoit tirés d'ici pour le fervice de Breft ; il
en eft de même des provifions qui étoient embarquées
; on les renouvelle , on les augmente même ,
& on fe flatte de réparer les navires , ce qui fait
préfumer que les troupes pourroient bien s'embar(
223 )
quer auffi tôt que l'Armée navale aura appareillé.
Tous les Officiers qui avoient eu des congés doivent
être rendus le 25 à leurs corps refpectifs .
Ceux qui croient qu'on fe contentera d'attaquer
Jerfey & Guernefey , ne font pas attention que les
apprêts font trop formidables pour que l'expédition
projettée ne puiffe regarder que ces deux Inles «.
Si beaucoup de gens , ajoutent ces lettres ,
penfent que la faifon eft trop avancée pour que
Î'Armée navale recommence une campagne , d'autres
foutiennent que c'eft dans ce moment que la
Manche eft moins à craindré. Ils rappellent les
époques de toutes les defcentes qui fe font faites
en Angleterre dans les mois de Septembre , Octobre
& Novembre 1066 dans le Comté de Suffex ;
celle de Louis , fils de Philippe Augufte , d'Iſabelle ,
femme d'Edouard , du Prince d'Orange , qui , pour
détrôner fon beau-pere , ne put débarquer que le
15 Novembre à Torbay , &c «.
M. de Couëdic va un peu mieux , & on
commence à efpérer qu'il fe rétablira de fa
bleffure. Mefdames les Princeffes de Bouillon
, d'Henin & Madame la Ducheffe de
Lauzun qui étoient à Breft , peu après la
rentrée de la Surveillante , voulurent monter
à bord de cette frégate ; elles dirent mille
chofes flatteufes à tout l'équipage , & répandirent
beaucoup d'argent parmi les matelots.
Elles demandèrent à l'un d'eux qui avoit été
grièvement bleffé , pourquoi les François
n'avoient pas , comme les Anglois , pris la
précaution de clouer auffi leur pavillon ;
Madame , répondit - il , l'honneur clouoit le
nôtre.
L'équipage du Quebec , qui fauta en l'air
après le combat , confiftoit en 220 hommes
k 4
( 224 )
d'élite , & 80 volontaires. Le Capitaine avoit
parié en Angleterre qu'il y rameneroit une
frégate Françoife de fa force. Il fe nommoit
George Farmer , & étoit âgé de so ans. Dans
les 40 hommes que l'on a fauvés , fe trouvent
fon premier Lieutenant M. Roberti , âgé de
30 ans , & le Lieutenant des troupes M.
John Field , âgé de 21 ; le premier a eu le
bras caffé.
La petite efcadre qui avoit appareillé de
Breft pour aller au-devant du convoi parti
de Saint-Domingue , eft rentrée fans l'avoir
apperçu , quoiqu'elle ait été jufqu'à plus de
100 lieues en mer. Les trois frégates forties
pour le même objet n'ont pas été plus heureufes
; ce retard inquiète peu , parce que
L'on fait que nos ennemis n'ont point de
forces affez confidérables fur nos atterrages ;
on a appris par des nouvelles ultérieures que
ce convoi a été difperfé le 17 Septembre par
une tempête horrible près le banc de Terre-
Neuve. Septbâtimens ont été très- maltraités ,
deux ont péri ; l'un étoit Provençal , & l'autre
de la Rochelle ; on a retiré la cargaifon du
dernier qu'on a diftribuée fur différens vaiffeaux.
On n'a pu fauver que l'équipage de
l'autre. Cette nouvelle a été , dit - on , apportée
par la gabarre l'Ile de France , qui
étoit du convoi , & qui eft rentrée à Breft
avec un navire marchand. Au départ du
Courier , on fignaloit des voiles qu'on foupçonnoit
devoir faire partie de la flotte que la
gabarre avoit laillée fur nos atterrages. On
( 225 )
a fait fortir fur - le - champs frégates pour
aller au- devant d'elle.
-
On mande de quelques uns de nos ports
les détails fuivans qu'on lit dans une lettre
écrite de Saint- Domingue.
» Pendant deux jours entiers le Comte d'Estaing
avec fon efcadre , a demeuré devant St - Chriftophe ,
fans avoir pû engager l'Amiral Byron à fe meſurer
avec lui : il eft vrai que 7 ou 8 vaiffeaux de l'efcadre
Angloife ont été fi maltraités dans le combat de
la Grenade , qu'il fera très- difficile & très - long de
les mettre en état de tenir la mer , à moins qu'il
n'arrive à St- Chriftophe des agrêts & des mâtures
d'ailleurs .
"
» Après avoir abandonné St - Chriftophe , notre
efcadre eft venue ici où elle a embarqué 2600
hommes de troupes , & elle a fait voile peu de jours
après pour l'Amérique feptentrionale , en laisaut
feulement ici le vaiffeau l'Amphion qui avoit touché
& qui a befoin de réparations : le refte de l'efcadre
bien approvifionnée & en très bon état , a cinglé vers
Charles - Town , où elle va relever les espérances &
le courage des Américains.
" Il paroît au premier coup d'ait qu'en s'éloignant
des Ifles-du-vent , le Comte d'Estaing les expofe à
être infultées par l'Amiral Byron ; mais cette crainte
s'évanouit pour ceux qui connoiffent nos mers , quand
ils confidèrent 1 ° . que Byron fera obligé d'employer
beaucoup de tems à réparer les dommages immenfes
qu'il a reçus lors du dernier combat ; 2 °. qu'il
fera forcé par la faifon de s'enfermer dans un Port ,
feul afyle des vaiffeaux pendant 4 mois d'hivernage :
c'eft précisément ces 4 mois de retraite forcée entre
les Tropiques que le Comte d'Eftaing a choifis pour
aller faire un coup de main fur les côtes de la Nouvelle
-Angleterre. L'Amiral Arbuthnot s'y trouve ,
dit-on , avec 7 vaiffeaux de ligne ; & fi l'expédition
ks
( 226 )
que notre Général médite contre cette eſcadre eft
auffi courte qu'elle paroît fùre , il fera à même de
revenir enfuite aux Antilles dans la faifon convenable
, & d'y reprendre le cours de fes opérations.
Au refte , on affure qu'il a demandé des troupes
en France , & on ne croit pas que la crainte continuelle
d'une defcente en Angleterre , permette au
Gouvernement Britannique de dégarnir les côtes de
troupes pour les envoyer dans fes Ifles . Ainfi le
Comte d'Eftaing , s'il réuffit dans fon projet ,
(comme on doit l'efpérer de la confiance générale
que fon intrépidité a infpirée à toutes les troupes de
mer & de terre qu'il commande , ) réunira l'avantage
de joindre à une ardeur fingulière dans le combat,
le jugement le plus réfléchi dans le confeil .
Auffi nous ne doutons pas que ce Général bien
connu ne faffe naître en France le même enthoufiafme
que tout le monde reflent ici pour lui « .
On écrit de Madrid que le paquebot du
Roi , parti de la Havanne le 24 Août , &
arrivé à Cadix , rapporte qu'il a été attaqué
deux fois dans fa traverſée. La première fois ,
il a contraint fon ennemi, quoique d'une force
fupérieure à la fienne , à s'éloigner ; la feconde
, il a coulé bas une frégate ou corfaire
de 26 canons , après un engagement des plus
vifs ; comme la mer étoit groffe , il lui a été
impoffible de fauver un feul homme de l'équipage
ennemi.
Le navire François la Délivrance revenant
de la Chine , écrit - on de la Corogne , a
mouillé dans ce port ; il profitera de l'efcorte
du premier vaiffeau de force qui fortira
du Ferrol , pour fe rendre à l'Orient. On
ne dit point fi ce bâtiment apporte des nou(
227 )
velles de l'Inde. Mais on a appris dans le
même-tems que le vaiffeau de guerre l'Orient
, parti au mois de Décembre dernier ,
eft heureuſement arrivé à l'Ile de France
avec le petit convoi qu'il efcortoit.
- -
Le 10 de ce mois , écrit- on de Châteauroux , en
conféquence des ordres reçus , le Te Deum a été
chanté en l'Eglife Collégiale de St. Martin de ladite
Ville , auquel tous les Corps ont affifté ; il y a eu
enfuite un feu de joie pendant lequel on a tiré du
canon . MM . les Officiers Municipaux défirant don
ner à cette occafion une marque particulière d'eftime
à M. de Saint - Cyran , leur compatriote , Capitaine
au Corps Royal du Génie , qui a coopéré à
la prife de la Grenade , & aîné de trois freres également
dans le Génie , décidèrent que le flambeau
deftiné à allumer le feu de joie , feroit préfenté à
M. Crublier de Saint - Cyran pere , qui , après en
avoir fait ufage , fut reconduit en pompe dans fa
maifon par lefdits Officiers Municipaux & la Mi.
lice Bourgeoife , au bruit des trompettes , fiffres ,
tambours , & des cris réitérés de vive le Roi &
M. d'Eftaing.
Il eſt queſtion de transférer la fondation
du Collège de la Marche à Verſailles , ville
qui s'agrandit continuellement , & qui contient
déja plus de 80,000 habitans. On maintiendra
ce Collége dans fon droit de faire
partie de la Faculté des Arts de l'Univerfité.
» Le Mardi 28 du mois dernier , il y eut un Concours
public des Elèves de l'Ecole Royale Vétérinaire
; le Miniftre l'honora de fa préſence , ainfi que
MM . Deeffarts , Lepreux & Delon , Doyen &
Membres de la Faculté de Médecine , M. Delabreuille
, premier Médecin de Madame . M. Louis
Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Chik
6
( 228 )
rurgie , MM. Sue pere & fils , Didier fils & Deleury
, Maîtres en Chirurgie.
L'objet de ce Concours étoit la pratique de la
ferrure , & des opérations que toutes les maladies
exigent qu'on fafle fur le Cheval , & la théorie des
maladies externes.
A cette Séance furent préfens pluſieurs Maîtres
Maréchaux de Paris , & plufieurs Elèves établis en
ladite Ville , qui firent publiquement leur rapport
fur l'objet de la ferrure.
» L'on paffa enfuite à la pratique des opérations ( 1 )
qui furent faites indiftinctement par chaque Elève ,
felon le choix & l'indication du Miniftre & des Affif.
tans , & ces Elèves furent auffi entendus fur la théo-
1ie des maladies externes.
»MM. les Médecins & Chirurgiens qui affiſtèrent
à ce Concours en qualité de Juges , parurent defirez
qu'on accordât à chacun defdits Elèves une mar
que diftinctive des talens qu'ils avoient montrés
ce qui faifoit fix Prix ou Médailles , & fix Chaînes
d'or ou Acceffit.
>
» Nonobftant la coutume qui eft de n'accorder
qu'une Médaille entre cinq Elèves concourans , le
Miniftre confentit fur cette invitation & auff
pour honorer le premier Concours qui fe tenoir
depuis la mort de notre Maître & Inftituteur , dont
la Veuve apprit alors par les complimens & applau
diffemens de l'Ecole , le traitement que la générofité
du Roi lui réſervoit ainfi qu'à fon enfant.
Les fix Médailles ou Prix furent accordés , favoir
(1) Opérations faites & ordonnées au hafard , celles du
crapaud , de l'Empième , du javard , de la taille , du
paffage des fétons , de la caftration , de la pharingotomie
, de la fcyme , de la ponction de la veffie , bronchotomie
, de la ponction de l'eftomach , & de l'hyovertébrotomie,
( 229 )
pour la ferrure aux fieurs Lauthier, Cholet & Mougin
, & pour les opérations aux fieurs Languenard ,
Noyes & Maillard , & les fix Acceffit ou Chaînes
d'or aux fieurs Oitholi , Siman , Peroche , Sécrétain
, Ponti & Marteau «.
כ כ
Après cinquante ans d'expérience & de fuccès ,
M. Daran vient de publier la compofition du véritable
& unique remède pour guérir les difficultés d'uriner
, remède qui avoit fait fi long- tems l'objet des
recherches de tous les maîtres de l'art , & que perfonne
jufqu'à lui n'avoit pu découvrir. La réputation
que lui acquit bien-tôt , dans toute l'Europe ,
une invention fi précieufe à l'humanité , produifit
l'effet ordinaire des découvertes utiles ou glorieufes ,
il y eut des perfonnes affez peu délicates en France
, en Angleterre , en Italie & en Allemagne ,
pour chercher à perfuader au public crédule , que
M. Daran n'étoit pas le feul poffeffeur du remède
dont il faifoit ufage ; que d'autres le poffédoient
ainfi que lui ; & l'on alla jufqu'à publier les compofitions
imaginaires , qu'on donna pour le fpécifique
véritable nouvellement découvert. C'eft furtout
ce que n'a pas rougi de fe permettre un auteur
célèbre , dans un Traité des Tumeurs , Tom. II.
Pag. 387 , publié en 1759. Sa célébrité en médecine
en avoit tellement impofé , que d'après lui , M..
Vandermonde , Médecin , & auteur du Journal de
Médecine, l'annonça avec auffi peu de vérité dans fes
cahiers , pages 556 , 557 & 558 , qui furent depuis
copiés dans plufieurs ouvrages de Maladies
Vénériennes. Aujourd'hui que le véritable auteur de
la découverte donne lui- même , gratuitement , fa
compofition au Public , il eft aifé de fe convaincre
de la fauffeté de ces allégations ; il ne faut pour
cela , que comparer les recettes imaginaires , imprimées
dans tous ces ouvrages avec la vraie compofition
du remède , telle qu'elle fe trouve dans le
( 230 )
:
livre que vient de publier M. Daran , & qui a pour
titre Compofition du Remède de M. Daran , Ecuyer,
Confeiller, Chirurgien ordinaire du Roi , & Maî
tre en Chirurgie de Paris ; Remède qu'il a pratiqué
avec fuccès depuis cinquante ans , pour la guérifon
des difficultés d'uriner , & des caufes qui
les produifent , publié par lui- même ; précédé d'une
Préface , où l'on expofe les raifons qui ont fait différer
jufqu'à préfent cette publication , & les motifs
qui engagent aujourd'hui à la rendre publique ;
fuivi d'un Difcours fur la théorie des Maladies de
l'Urètre , des preuves qui conftatent l'efficacité du
remède qui les guérit , & des moyens de faire
connoître le mal , même aux perfonnes qui en font
attaquées ; prix , 40 fols broché , & so fols relié ;
à Paris , chez Didot , quai des Auguftins , chez
Caillau , rue Saint -Sevérin , & Méquignon , ruc
des Cordeliers ; avec Approbation & Privilége du
Roi. 1779 , in- 12 «.
La Chambre du Confeil & de Police de
la Ville & Commune de Dijon , a rendu
le 25 du mois dernier , une Ordonnance
pour prévenir la contagion de la petite
vérole ; l'expérience a fait connoître que
pour diminuer le nombre des victimes de
cette maladie , il faut la fequeftrer , & empêcher
les perfonnes qui en ont été attaquées
, foit naturellement , foit par inoculation
, de fortir & d'avoir communication
avec les autres avant qu'il fe foit écoulé
40 jours , à compter de celui de l'éruption.
Nous cirerons le préambule de cette Loi.
Sur ce qui a été remontré à la Chambre par le
Syndic , que plufieurs perfonnes de cette Ville furent
attaquées de la petite vérole pendant le cours
( 231 )
de l'année dernière ; mais que cette année un bien
plus grand nombre de tout âge , de tout fexe &
de toute condition , a éprouvé cette cruelle & contagieufe
maladie , & l'éprouve encore tous les
jours ; que ce qu'il y a eu de plus malheureux ,
c'eft qu'elle eft devenue de plus en plus mauvaiſe
dans le mois d'Août , puifque plufieurs perfonnes
ont fuccombé à la violence du mal , fans que tous
les fecours de la Médecine aient pu les garantir ,
ce qui commençoit à répandre la terreur & l'ef
froi , & à jetter les Habitans dans la confterna
tion. Il y a deux ans cette maladie fit les plus
grands ravages en Franche-Comté , par le défaut
de précautions prifes dans l'inoculation. Les Habitans
du Canton de Berne en Suiffe , qui en font
voifins , font parvenus à s'en garantir par les mefures
qu'ils ont prises pour intercepter toute communication.
A leur exemple , les Officiers de la
Sénéchauffée de Lyon , & les Officiers de Police
de Saint- Omer , ont fait des Règlemens qui indiquent
les mêmes mefures. Ces faits font atteftés
par le fieur Durande Médecin en cette Ville ,
dans un Avis par lui inféré dans la fixieme Feuille
hebdomadaire de Bourgogne , à la date du 10 Février
1778 , & dans un Mémoire manufcrit que
le Syndic a entre les mains ; dans lefquels Ouvrages
ce Médecin , auffi bon Patriote & ami de l'humanité
, qu'il eft diftingué par les talens & fes connoiffances
, en démontrant , d'après les plus grands
Maîtres qu'il cite , que la petite vérole ne vient que
par communication , fait efpérer qu'en obfervant
avec exactitude les précautions qu'il indique , on
parviendra à fe garantir pour toujours de cette
maladie , comme on s'eft préfervé de la peſte
qui a caufé autrefois de fi grands maux , finguliè
rement dans cette Ville . Si les meſures prifes dans
le Canton de Berne , pour empêcher la communication
de la petite vérole , ont réuffi à l'en préſer(
232 )
ver , pourquoi n'efpéreroit- on pas un égal fuccès
des mêmes mefures à Dijon , auffi bien qu'à Lyon
& à Saint- Omer ? Et fi le Règleinent qu'il convient
faire à cet égard , paroît dur dans le commencement
à quelques perfonnes , elles ne tarderont pas
à y applaudir , lorfqu'elles auront vu les heureux
effets que l'exécution du Règlement aura procurés.
Le Syndic croiroit manquer à fon devoir , fi , dans
une affaire d'une auffi grande importance , il ne
s'empreffoit d'exciter la Chambre à feconder des
vues auffi favorables à l'humanité , en formant un
Règlement dont l'exécution lui donnera la douce
fatisfaction d'avoir contribué , autant qu'il a été en
elle , à conferver la fanté & même la vie à un trèsgrand
nombre d'Habitans de cette Ville : pourquoi
le Syndic ayant invité & requis la Chambre de délibérer
préfentement.
La matière miſe en délibération ; vu ledit Requifitoire
, l'Avis & le Mémoire du fieur Durande ,
Médecin , les Règlemens faits à Lyon & à Saint-
Omer ; enfemble l'Avis du Collège de Médecine
de cette Ville , fur ce confulté par la Chambre, &c.
Le 21 Août dernier , vers les 10 heures
du matin , le feu prit à Vire en Normandie ,
& fit des progrès fi rapides par un vent
violent de S. O. , qu'en peu d'heures les
flammes fe communiquèrent à prefque tous
les quartiers , ce qui , en divifant trop les
fecours , les rendit moins efficaces . Deux
femmes périrent dans les flammes , & ce ne
fut pas fans peine qu'on parvint à fauver
plufieurs enfans attaqués de la petite vérole.
L'incendie répandu par - tout fut heureuſement
arrêté près d'un hopital rempli de
foldats malades . Plus de 200 maifons furent
réduites en cendres ; 300 familles compofant
( 233 )
plus de 1500 habitans , fe font trouvées fans
afyle & fans autres reffources que les bontés
de M. Efmangard , Intendant de la Province ,
de M. Parfourru , curé de la Ville , de M.
de Moftreux , Subdélégué , & de plufieurs
Eccléfiaftiques qui fe font donnés tous les
mouvemens & tous les foins pour procurer
des retraites à tant d'infortunés , & leur
préfenter des moyens de fubfifter , en leur
fourniffant des inftrumens pour travailler.
Le feu avoit tellement pénétré dans les fondemens
des maifons incendiées , que plus
d'un mois après , on a eu à redouter les effets
de fa fermentation qui fubfiftoit encore , &
menaçoit le quartier qui en avoit été garanti.
Les perfonnes pieufes , qui dans ces défaftres
ne reffentent point une pitié ftérile , font
priées d'adreffer leurs bienfaits à M. Parfourru
, Curé de Vire en Baffe -Normandie .
Thomas- Ferdinand - Adelphe Deftoquoy
de Schalemberg , Prêtre , ancien Aumônier
de Madame Commandeur des Ordres
royaux , militaires & hofpitaliers de Notre-
Dame-de-Mont- Carmel & de St-Lazare de
Jérufalem , Promoteur général de la Chambre
Souveraine des Décimes du Clergé de
France , Abbé Commendataire de l'Abbaye
royale de St -Jean de Falaiſe , Ordre des Prémontrés
, Diocèfe de Séez , eft décédé au
Château de Filles Camps , près Amiens en
Picardie , le 7 de ce mois , âgé de 62 ans.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 12 Septembre
1779. S. M. perfuadée que le bon choix des Dépu
( 234 )
tés du Commerce importoit infiniment à l'objet de
fon Inftitution , & s'étant fait rendre compte des
divers ufages obfervés dans leur élection , a voulu
qu'en adoptant à cet égard le parti qui feroit jugé
le plus convenable , il fut en même tems rendu général
; & comme la permiflion accordée aux Chambres
de Commerce d'avoir des Députés à la fuite du
Confeil , n'avoit pas eu pour but feulement de procurer
aux principales Villes commerçantes du Royaume
un appui de leurs droits & de leurs intérêts , mais
qu'on avoit défiré de trouver dans une réunion de
Négocians diftingués , des lumières & des avis utiles,
fur toutes les queftions générales du Commerce ;
S. M. a cru qu'en confervant aux Chambres de
Commerce la principale influence dans l'élection de
leurs Députés , il convenoit cependant d'y faire
concourir les Commiffaires & Députés du Commerce
, afin que de cette manière les Perfonnes propres
à ces places fuffent examinées fous différens
rapports ; & qu'en rendant les moyens de faveur
encore plus difficiles , le mérite & la bonne renommée
devinffent la principale recommandation ".
De BRUXELLES , le 26 Octobre.
LES lettres de Lisbonne , da 14 Septembre
dernier , éclairciffent l'affaire qui avoit fait
défendre la fortie du Chatham , vaiffeau Anglois
de so canons .
Un Matelot de ce vaiffeau , Boſtonien de naiſfance
, âgé de 15 ans , avoit deferté & embraſſé
la Religion Catholique ; le Capitaine Vilham Allen
envoya à terre 2 Officiers & 22 Matelots pour
l'enlever ; au moment où ceux-ci exécutoient leur
commiffion , un Adjudant Portuguais , fuivi de
quelques domeftiques du Duc de Cadaval , furvint
& remit le prifonnier en liberté. La Reine
( 235 )
informée de la violation faite à fon droit de
territoire , ordonna qu'on ne permît point la fortie
du port au Chatham . M. Robert Walpole , à qui
cet ordre fut fignifié , en lui témoignant la ſurpriſe
de la Cour de ce que le Commandant Anglois
n'avoit donné ni même offert aucune fatisfaction
à ce sujet , & à qui l'on faifit cette occafion
de repréfenter les infultes réitérées dont les Offi .
ciers Anglois s'étoient rendus coupables dans difféférens
ports du Royaume , & les extorfions que
plufieurs navires Portuguais avoient effuyées , ne
répondit que par des récriminations qui ne juftifient
rien ; enfin l'affaire s'eft arrangée ; le Capitaine
Allen a fait quelques fatisfactions dont on a
bien voulu fe contenter ; les défenfes faites à fon
égard ont été levées , & le Marin Boſtonien a
eu ordre de quitter Lisbonne en trois jours , & le
Royaume en 15.
Selon d'autres lettres , la Reine , de l'avis
du Tribunal de Defembargo de Paco , a
rendu , le 3 du mois dernier , un Décret
relatif à l'affaire de l'ancien Miniftre , Marquis
de Pombal , avec MM. Francifco- Jofé
de Caldaira , & Soares Galhardo de Mendanha.
Les Mémoires qui avoient paru de
part & d'autre étoient très -vifs .
La Reine s'étant fait rendre compte de ces écrits
a déclaré dans fon Décret , » que les accufations
des Demandeurs font d'autant plus répréhenfibles
qu'elles ne faifoient abfolument rien à l'affaire ;
que les moyens dont le Marquis de Pombal s'étoit
fervi en réponſe , avoient été également dictés par
la paffion & tendoient non- feulement à rendre fufpectes
plufieurs perfonnes de différent rang & condition
, mais auffi à bleffer la mémoire du feu Roi.
En conféquence S. M. ordonne que toutes les pièces
du procès foient apportées au Déſembargo ;
( 236 )
que le Tribunal rende aux Parties celles qui regar
dent l'objet en litige , fauf à elles d'inftruire le
procès de nouveau , conformément aux Loix & aux
Ordonnances ; que toutes les autres foient fupprimées
& portées à la Secrétairerie d'Etat , avec injonction
à ceux qui ont des copies de les remettre
au fufdit Tribunal ; que les Mémoires des deux
Parties , tant les originaux que les copies qui en
ont été faites , foient brûlées en préfence du Juge
& de deux Secrétaires qui en drefferont l'acte ; enfin
que l'Avocat des Demandeurs & du Défendeur ,
qui ont figné les Mémoires , tiennent prifon auffi
long-tems qu'il plaira à S. M. «.
Selon les lettres de Hollande , l'Ambaffadeur
Britannique à la Haye , préfenta , le 8
de ce mois , le Mémoire fuivant aux Etats-
Généraux.
H. & P. S. Le fouffigné Ambaffadeur Extraordinaire
& Plénipotentiaire du Roi de la Grande- Bretagne
a l'honneur de communiquer à V. H. P. , qu'il eft
entré ces jours paffés à la rade de Texel , deux vailfeaux
du Roi , nommés le Sérapis & la Comteffe de
Scarborough , qui ont été attaqués & pris par force
par un nommé Paul Jones , fujet du Roi , qui ,
felon les Traités & les Loix de la Guerre , tombe
dans la claffe des Rébelles & des Pirates. Le fouffigné
eft forcé par conféquent d'avoir recours à
V. H. P. pour demander leurs ordres immédiars ,
pour faire arrêter au Texel le Sérapis & la Comteffe
de Scarborough avec les Officiers & Matelots , qui
compofoient leurs Equipages ; & fur- tout il recommande
à l'humanité de V. H. P. de permettre que
les bleffés aient permiffion de venir à terre , pour
que le fouffigné en puifle faire prendre foin aux frais
du Roi fon Maître.
Le même jour , ajoutent nos lettres , le
Commodore Américain arriva à la Haye ,
( 237 )
accompagné d'un feul domeftique ; il n'y
refta que jufqu'au lendemain qu'il repartit
pour Amfterdam , d'où il alla rejoindre fon
efcadre au Texel . On ne parle point de l'effet
du mémoire de l'Ambaffadeur Anglois ; on
dit que 8 vaiffeaux de fa Nation , croisent à
୨ lieues de la côte de Hollande pour intercepter
Paul Jones à fa fortie .
» Les Anglois ne ceffent de fe plaindre , ajoutent
ces lettres du Commandant du Black- Prince ; ces
plaintes prouvent combien cet Armateur eft heureux
; ils font mettre dans plufieurs de nos gazettes
, fur lesquelles ils ont quelque influence ,
une longue lifte d'injures & de délits commis même
contre les navires de la République ; on peut
leur répondre que ces faits ne font pas démontrés
, & que malheureufement ceux qui prouvent
les injuftices de leurs corfaires contre tous les
pavillons neutres , ne font que trop prouvés. Le
Capitaine Jacob Weer , du navire l'Adriana , a
fait dernièrement une dépofition à laquelle on ne
changera pas un mot «<,
» Le 6 Septembre , dit- il , je fus joint par le
corfaire Anglois le Watti , armé de 24 canons .
Après avoir arboré pavillon François à mon approche
& l'avoir affuré d'un coup de canon , il envoya
à mon bord un canot monté de 14 hommes. A peine
l'Officier qui commandoit ce détachement fut à
bord de mon vaiffeau , qu'il coupa la duiffe de mon
pavillon ; & fe déclarant Anglois , il m'ordonna de
ine rendre avec mes connoiffemens à bord du Watti ,
& me contraignit de force à le fuivre. En arrivant
fur le vaiffeau Anglois , le Capitaine m'interrogea.
d'une manière outrageante je lui répondis conformément
à la vérité , en lui obfervant qu'aucun
traité ne m'interdifoit la liberté de prendre une
cargaifon dans un Port de France pour un autre
( 238 )
Port du même Royaume. Le Capitaine Anglois , à
qui mes bonnes raifons déplaifoient fans doute ,
parce qu'il n'y trouvoit pas même un prétexte pour
faire fa proie de mon vaiffeau , ſe livra alors à la
plus grande fureur , & après m'avoir maltraité avec
fon couteau de chaffe , il me fit mettre aux fers
pendant demi -heure : au bout de ce tems j'ai été reconduit
à mon bord , où pendant mon abfence il
avoit fait enlever 6 canons d'une livre de balle , 4
fufils , ma provifion entière de poudre , & toutes les
hardes & effets précieur qui s'y font trouvés « .
Une lettre de Gravelines , porte que 48
François , prifonniers à Glocefter , ont eu
l'adreffe & le bonheur de s'échapper ; ayant
trouvé une chaloupe toute gréée , ils s'y
font embarqués pour gagner les côtes de
France ; mais pourfuivis par une frégate &
un corfaire Anglois , ils ont doublé de voile ,
& ont fini par s'échouer dans une anſe près
de Gravelines , où ils font tous arrivés , fans
qu'aucun ait péri.
S'il faut en croire ce que l'on débite , les
négociations pour la paix fe continuent , foit
directement ou par les Miniftres des Puiffances
Médiatrices , foit indirectement par
des Commiffaires Anglois , qui vont fans
ceffe de Londres à Paris. On infifte toujours ,
ajoute- t-on , fur l'indépendance de l'Améri
que-unie , la reftitution des places enlevées
par les Anglois en Afie , la renonciation à
Gibraltar en faveur de l'Eſpagne , l'égalité ,
la liberté & la sûreté de tous les pavillons
fur les mers. Mais ceux qui fe croient au
fait du génie & du caractère de la nation
( 239 )
Angloife , ne craignent pas d'affurer que la
réconciliation n'aura jamais lieu , fi 40,000
Plénipotentiaires , la bayonnette au bout du
fufil , ne vont la propofer dans Londres
même , & la faire figner avant de prendre
congé. Le Miniſtère de Verſailles paroît convaincu
de cette vérité ; car tous les avis qu'on
reçoit de Paris & des Ports de France , affurent
qu'on fe prépare plus férieuſement que
jamais à une defcente.
Suite du Manifefte de l'Espagne.
13. Le grand projet de l'Angleterre étoit de réunir
les Colonies pour les armer contre la Maiſon de
Bourbon , ou de féduire cette Maiſon par des négociations
& des traités artificieux , afin de fe venger
des Colonies après les avoir brouillées avec la
France. Le commencement , la fuite & la fin des
négociations dont on va parler dans cet Expofé ,
découvrent évidemment la vérité de ce projet ; &
c'eft auffi ce qu'il fera aifé d'inférer des faits contenus
dans les notes qui fuivent « .
14. Le Roi d'Espagne ne pouvoit pas procéder
avec plus de circonfpection , pour ne pas s'engager
dans une médiation infructueufe & s'envelopper dans
fes fuites ; auffi s'eft- il expliqué dans les mêmes termes
avec la Cour d'Angleterre qu'avec celle de France
, ayant donné les ordres le 19 Avril au Chargé
d'affaires , Don Francifco Efcarano , pour qu'avant
tout il exigeât que le Ministère de Londres » déclarât
ouvertement & pofitivement , fi réellement il defiroit
d'établir une négociation avec la France par le moyen
de S. M. , & quels devoient être les points principaux
qui ferviroient de bale à cette négociation «<
Ces précautions , & beaucoup d'autres , étoient néceflaires
vis-à- vis d'un Ministère accoutumé à parler
avec myftère , ambiguité & réſerve , & à s'expliquer
avec les Ambaſſadeurs & Miniftres Eſpagnols tout
autrement qu'il n'avoit coutume de le faire dans fes
( 240 )
dépêches ministérielles adreffées à fon Ambaſſadeu :
à Madrid. Le Cabinet Efpagnol , qui n'ufe point de
cette politique , a eu la franchiſe d'en faire l'obfervation
au Miniſtère Anglois pendant la négociation ,
fans ceffer pour cela d'y procéder avec toute la bonne
foi & la fincérité poffìbles .
I 15. Le 23 , le 25 Mai , & le 1 Juin de l'année dernière
, il fut donné des ordres à Eſcarane , non feulement
pour qu'il ne parlât pas davantage fur l'affaire
de la médiation , mais encore pour qu'il répétât à
la Cour de Londres que S. M. C. perfévéroit & ſe
maintiendroit dans fes difpofitions pacifiques » tant
que la conduite de l'Angleterre ne le forceroit point
à agir autrement. » L'Angleterre ne peut pas fe plaindre
que l'Espagne ne lui ait pas notifié plufieurs fois
cette réſolution .
16. Par tout ce qui a déjà été exposé dans les no-´
tes précédentes , on voit que l'Angleterre ne ceffoit
de fe permettre des hoftilités égales ou encore plus
offenfantes contre le territoire & le pavillon Efpagaol
, à l'ombre des plus cordiales proteftations de
paix & d'amitié . ·
17. Il ne feroit pas étonnant que des ordres fecrets
pareils à ceux qui ont été donnés pour s'emparer
des établiſſemens François dans l'Inde , euffent été
expédiés par le Gouvernement Britannique au commencement
de l'année préfente pour envahir les Philipines
, & que les Commiffaires envoyés peu après
par la voie d'Alexandrie & de Suez , aient été por
teurs de ces ordres . Du moins telle a été & telle eft
l'opinion des perfonnes les plus fenfées & les mieux
inftruites à la Cour même de Londres . Le tems expli
quera ces énigmes , & l'univers connoîtra pleinement
par quels procédés le Cabinet Anglois , a répondu
aux généreux procédés du Roi d'Espagne dans le tems
même que S. M. travailloit à lui obtenir une paix
décente & à délivrer la nation Angloiſe de grandes
calamités & de grandes difgraces.
La fuitepour l'ordinaire prochain.
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
·
CONTENANT
P
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts; les Spectacles;
les Caufes célèbres , les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
Samedi 2
OCTOBRE 1779-
TREQUE
BY
BHATKAL
PALAIS
PARI
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
REVIOUS
rue des Poitevins.
Avec Approbation & Brevet du Ro
TOP
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TABLE
Des Matières du mois de Septembre.
IECES FUGITIVES.
Vers pour être mis au bas
d'un Maufolée de M. de Vol
taire , 3
4 Mde la Duchefe de
la Vallière , .. 49
97 A une jeune Moralifte ,
Billet en réponse à celui de
Mile- C...
Impromptu ,
145
147
78
Eloge de Mgr le Dauphin
père de Louis XVI,
Aux Mânes de Voltaire , Di
thyrambe ,
Efais fur l'Art des Accouchemens,
144
158
Table analytique
& raisonnée
du Dictionnaire
des Sciences,
Arts & Métiers , & de fon
Supplément
, 164
imitation de l'Ode XL d'Ana- Mélanges tirés d'une grande
créon ,
Bibliothèque ,
IF3
170
L'Esprit de Porti , Conte , 50 Hiftoire Générale de Proven-
Coup d'oeil d'un Cbfervateur ,
/ce ,
8 SPECTACLES.
Crifpin Négociateur , Scène Concert Spirituel ,
Evifodique,
176
117
147 Académie Royale de Muſi. 81 ,
Romance en Mufique , 54 185.
Mes Souvenirs , Romance , 154
Enigmes & Logogryphes , 4 ,
P
57,98 , 1550
NOUVELLES LITTER.
Séance de l'Académie Francoife
, 6
Comédie Françoife , 82 , 186
Comédie Italienne , 83 , 187
VARIÉTÉS.
Extrait d'une Lettre & d'un
Mémoire fur les moyens d'améliorer
les Vins , 86
Aux Mánes de Voltaire , Di- Lettre d'un Italien fur le Sa
thyramle
Epitre à Voltaire ,
Eloge de Suger ,
Cones Orientaux ,
13
27
35
lon ,
120
Aux Rédacteurs du Mercure
, 141
$ 8 De M. d'Alembert aux --
Succès de l'établiſſement pour mêmes ,
les noyés, 70 Gravures ,
Dictionnaire Iconologique, 3 Mufique ,
189
47
95
Lettre d'un Voyageur à Paris Annonces Littéraires , 48, 95 ,
à fon Ami, 76 191.
De Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 2 OCTOBRE 1779.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A
VERS
RÉCITÉS fur le Théâtre d'une Société
Littéraire , la première fois que l'Auteur
y joua
J'A1
'A1 vu ce tourbillon qu'on appelle le monde :
Tandis que l'on y cherche avec empreffement
Le trifte & vain plaifir d'échapper un moment
Afon oifiveté profonde ,
L'école du Théâtre occupe nos loisirs ,
Et nous nous inftruifons même par nos plaifirs.
Ici la beauté fidelle
Au Dieu des Arts qu'elle chérit ,
Sait encor fe parer d'une grâce nouvelle.
En cultivant les talens de l'efprit.
A ij
4
MERCURE
La Lande , favori de la doc Uranie ,
Aux Diſciples d'Euterpe enfeigne fes leçons ;
Et la Mufe du Chant , l'aimable Polymnie ,
De la voix de Thémire ( 1 ) embellit fes Chansons.
Ici , le mafque en main , la riante Thalie
Encourage à l'envi fes jeunes nourriffons ,
Et fourit aux effais que nous applaudiffons. (2 )
Olympe ( 3 ) eft en ces lieux fon Actrice chérie :
Chaque fois que le rôle ou la fcène varie ,
Elle change à fon gré de grâces & de tons ;
Et du jeu de Zulmé ( 4) la piquante faillie
Prête à fon minois fin l'air fripon des Martons.
FORMÉ dans l'art des vers , que mon ame idolâtre ,
Je viens m'affocier aux jeux de ce Théâtre ;
Et mon coeur aux talens par l'eftime lié ,
Veut cultiver fes goûts au fein de l'amitié,
Oui , du galant Ovide imitateur fidèle ,
Il fuffit que mes vers , grâces à leur modèle ,
D'un fexe que j'adore intéreffent le coeur ;
Mais fi dans la carrière un autre me devance ,
Le laurier qu'il obtient flatte mon eſpérance :
A titre de rival j'applaudis au Vainqueur ;
(1 ) Mile G *** .
(2 ) Allufion aux Pièces manufcrites jouées fur ce
Théâtre , & compofées par des jeunes gens de Lettres de
la Société.
( 3 ) Mile G **.
(4) Mlle B **
DE FRANCE,
Et dans la lice de la gloire
Nifus ( 1 ) triomphant à demi ,
Saura fe confoler de perdre la victoire ,
Par la victoire d'un ami.
( Par M. de Saint- Ange. )
HYMN E AA VÉNUS ,
Traduite de Sapho.
VENUS ! dont fur tant d'autels
L'homme adore , en tremblant , le pouvoir invincible ,
Aux rigueurs d'un amant , à fes mépris cruels ,
Ne livre pas mon coeur fenfible.
QUE dis-je , hélas ? Quitte les cieux ;
Quitte un inftant les biens que ton Olympe enferre:
Souvent, quand j'implorai 'tes foins officieux ,
Tu vins , Déeffe , fur la terre !
TA main guidoit un char brillant ,
Que traînoient dans les airs tes colombes fidelles ; .
Je les voyois vers moi voler rapidement ;
J'entendois le bruit de leurs aîles.
Tu defcends , le char fuit ; foudain ,
Par un charmant ſouris m'annonçant ta clémence ,
( 1 ) Autre allufion à un paffage du V Livre de
rEnéide ,
Emicar Euryalus & munere victor amici
Prima tenet.
A iij
6 MERCURE
18
Quel eft ton mal , Sapho ! difois - tu ? Quel chagrin
Te fait defirer ma préfence ?
QUEL faccès attendent tes voeux ?
Comment de ton amour puis - je calmer l'orage ?
Qui veux-tu , dans tes rêts , embrâſer de mes feux ?
Quel eft l'inhumain qui t'outrage ?
Il fuit tes pas , il les fuivra ;
Tu recevras de lui tous les dons qu'il refuſe :
Il t'aimera bientôt , & bientôt il perdra
La vaine fierté qui l'abuſe.
→ VIENS donc , ô Déeffe ! il eft temps ;
Viens bannir de mon coeur l'ennui qui le dévore :
Soumets-moi le plus beau , le plus cher des amans ;
Tu dois fecourir qui t'adore.
(Par M. Millin de la Broffe , Capitaine d'Inf.)
LE ROI , LE PAYSAN ET L'HERMITE ,
Conte.
UN Roi tourmenté d'infomnie ,
( On m'a dit que ce mal étoit le mal des Rois. >
Vit à la chaffe un Villageois
Étendu dans une prairie ,
Qui repofoit fi doucement ,
Et dormoit fi profondément ,
Que du trifte Monarque il excita l'envie.
Au même endroit un Hermite paffoit ,
DE FRANCE. 7
Homme fage , & qu'alors par - tout on respectoit ,
Faifant peu de Sermons , ne prêchant que d'exemple :
De toutes les vertus fon coeur étoit le temple.
Le Roi l'arrête , & lui dit : Homme faint ,
De grâce , dites-moi pourquoi ce miférable ,
Que le malheur pourfuit , que la fortune accable ,
Malgré les maux qu'il fouffre , & malgré ceux qu'il
craint ,
Dort comme un bienheureux , & bien mieux qu'un
Monarque ?
lui.
Sire, répond l'Hermite , un pauvre Villageois
Ne condamne perfonne , & ne fait point de lois.
Jamais l'ambition ne trouble fa penſée.
Des fautes qu'il commet feul coupable & puni ,
Ses chagrins font l'impôt , la taille , la corvée .
Il travaille pour vous , & vous veillez pour
De plaifirs & de maux ce confolant partage,
D'un Dieu jufte & clément , eft l'immortel ouvrage.
Vous avez tous les biens , ils ont tous les travaux .
Vous avez les remords , ils ont le doux repos.
Rois , qui nous gouvernez , portez mieux vos couronnes
:
Que les honnêtes-gens foient vos feuls favoris ,
Et mieux dormir dans vos lits ,
pour
Dormez un peu moins fur vos Trônes.
Ainfiparla l'Hermite ; & le Roi , furieux ,
Le fit punir , & n'en dormit pas mieux.
Ce Conte , dont l'idée eft auffi intéref-
A iv
MERCURE
fante que le ton en eft fpirituel & facile , eft
F'ouvrage d'un jeune homme de qualité ,
qui aime & cultive les Lettres. On y appercevra
quelques négligences qui prouvent que
Auteur ne l'avoit pas deftiné à l'impreffion ;
mais le peu d'importance qu'il attache à ces
amiemens de fon loifir , nous fait croire
qu'il pardonnera la petite infidélité qu'on
Jui a faite.
LE MORT REVENANT ,
Nouvelle.
SI le mariage eft le tombeau de l'amour ,
Pabfence lui eft encore plus funefte . On
cite pour exemple de cette vérité un Marchand
fort riche, marié depuis fix mois , qui
aimoit beaucoup fa femme, & qui en étoit
fort aimé , lorfque le defir du gain l'entraîna
dans un pays fort éloigné. Il partit malgré
les larmes & les careffes de fa jeune époufe ,
lui promettant de revenir bientôt avec de
nouvelles richeffes . Un de fes amis s'affocia
avec lui , & ils pafsèrent aux Indes ; ils firent
de grandes affaires ; mais plufieurs années
s'écoulèrent dans leur entreprife. Enfin ils
revinrent en Europe fur un vaiffeau entièrement
chargé de leurs marchandiſes . Ils furent
jetés par la tempête fur une côte d'Irlande ,
où ils furent obligés de s'arrêter , en attendant
qu'ils puffent fe rembarquer sûrement.
DE FRANCE. 2
Le Marchand conçut le projet de faire courir
le bruit de fa mort , pour furprendre enfuite
plus agréablement fon époufe par ſa
préfence. Il écrivit lui-même un billet d'une
main tremblante , comme s'il étoit expirant :
il faifoit un éternel adieu à fa femme, &
marquoit que fes feuls regrets étoient de la
perdre. Son affocié adreffa ce billet à un
Religieux de fes amis , & le pria de voir la
jeune veuve , & de la préparer à fupporter
avec réfignation la perte qu'il lui annonçoit.
Les chofes fe firent comme le Marchand les
avoit concertées : il ne ceffoit d'admirer
fon bon tour, qui le rendoit furvivant à luimême
, & qui devoit lui préparer une belle
furpriſe de la part de fa tendre moitié. Toute
la ville fut bientôt la trifte fin de ce Marchand.
Il n'y avoit point lieu de douter de
fa mort , après les preuves qu'il en avoit fi
bien préparées. Sa veuve prit le deuil , & fit
paroître d'abord beaucoup de trifteffe , mais un
Gentilhomme qui avoit commencé à lui faire
fupporter les ennuis de l'abfence , s'offrit de
réparer les chagrins du veuvage. Ce fecond
mari fe préfentoit avec des avantages que
n'avoit pas le premier. De la jeuneffe , des
grâces , de la naiffance , furent des titres qui
firent recevoir promptement fa propofition.
Le Gentilhomme fit porter fon nom à la
veuve deux mois après la nouvelle de la
mort du Marchand , & dans le temps même
que ce dernier partoit d'Irlande pour jouer
le mort vivant. Il arriva de nuit , fe faifant
Av
10 MERCURE
d'avance un grand plaifir de la joie que fon
apparition alloit caufer . Une fervante qui
vint lui ouvrir la porte , fit à fon afpect un
eri épouventable , & s'enfuit ; fa femme qui
étoit dans une falle voifine , accourut , &
croyant voir l'ombre de fon mari qui venoit
fe plaindre , elle jeta de fi hauts cris , que tous
les gens de la maifon & les voifins s'affemblèrent
. Elle tomba évanouie fur un fiége.
Le premier mari étoit d'un autre côté interdit
& muet d'épouvante & de douleur.
On fe regardoit , on ne favoit que penfer de
cette aventure. Enfin le Marchand apprenant
l'effet de la nouvelle qu'il avoit répandue
de fa mort , il en demeura accablé , & en
fut fi frappé , que la fièvre ne tarda point à
réalifer ce qu'il avoit fi mal imaginé. Il monrut
au bout de fix jours , en criant fans ceffe
qu'il méritoit fon malheur. Le fecond mari ,
que des ordres à donner avoient fait aller à
une terre , revint le jour qu'on enterra fon
rival. Il ne pouvoit arriver plus à propos
pour confoler encore une fois fon époufe de
fon fecond veuvage.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mor de l'énigme eft Silence ; celui du
Logogryphe eft Sacrifice , où fe trouvent
frac , fiacre, crife , fucre , ris , cri , fi, fraife ,
arc , fac Circe, carie , feie , & cire à
acheter
2
DE FRANCE. II
JE n'habit
ÉNIGM E.
E n'habite ni l'eau , ni le feu , ni la terre :
On me cherche en vain dans les cieux ,
Et pourtant je fuis en tous lieux .
Sans moi , Lecteur , tu n'eus pas eu Voltaire ,
Crébillon , ni Boileau , Corneille , ni Molière ;
Mais l'on peut aifément réparer ce malheur.
Au Parnaffe , fans moi , grimpe plus d'un Auteur ;
A Pradon , à Cotin je fus peu néceffaire.
Qui veut me deviner doit aller au Calvaire.
Je vis dans les quatre élémens.
Sans être dans les bois je fers aux éléphans .
On me voit dans une lunette ;
J'ai l'art de me gliffer au coeur d'une fillette;
Et quoiqu'invifible dans l'air ,
Sans moi l'on ne verroit pas clair.
Sans trop favoir pourquoi , je fuis à la Baſtille.
On me voit à Chaillot , au Louvre , à la Courtille.
Je ne quitte jamais le bal ;
Je figure au Palais Royal ;
Compagne de Luther , fidèle au Calviniste ,
J'aide à marcher le Molinifte .
Je demeure avec Lucifer :
Par- tout je me retrouve à table ,
Et fuis toujours avec le Diable ,
Sans jamais être dans l'enfer.
(Par un Abonné. y
A vj
12 MERCURE
DE
LOGOGRYPHE.
E tous les maux fortis de la boîte où Pandore
Trouva le châtiment de fa témérité ,
Je ne fuis pas le pire encore ,
Mais je fuis le plus redouté.
Aux bons je dois ce jufte hommage ,
J'excite la pitié dans leurs coeurs généreux ;
En me plaignant , leur bonté me foulage.
Mais des méchans , qui font bien plus nombreux ,
J'ai le mépris & la haine en partage.
Vous favez tous , Lecteurs , combien chez les Hébreux
La lèpre étoit jadis affreufe , abominable :
Je ne reffemble en rien à ce fléau honteux ,
Et l'on me fait fubir un deftin tout femblable.
On évite en tous lieux mon aſpect importun.
Vous conviendrez pourtant que je ne fuis pas vice.
Las ! on me traiteroit avec moins d'injuſtice
Si j'avois l'honneur d'en être un.
Dans mes huit pieds on rencontre une pierre ;
L'Ouvrier dont fouvent elle laffe les bras;
Un animal qui vit au centre de la terre ;
Une autre eſpèce à qui les chats
Ont toujours fait une cruelle guerre ;
Un fortbon mets , fur-tout s'il eft natif d'Amiens ;
Cet être précieux qui nous donne la foie ;
Dans ma tête feule je tiens
Une ville de France où l'on frappe monnoie.
DE FRANCE.
13
Voilà bientôt , Lecteur , mon portrait achevé :
Dès qu'à mes yeux quelqu'un de vous ſe montre
Les mains jointes , foudain l'oeil au ciel élevé ,
J'affecte d'un dévot le maintien réservé ;
Je
Et par une heureufe rencontre ,
porte dans mon fein le Pater & l'Ave.
( Par M. G... de M... , de Nogent-le-Roi.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
&.
VOYAGEfait par ordre du Roi en 1771
1772 , en divers parties de l'Europe , de
l'Afrique & de l'Amérique , pur MM. de
Verdun de la Crenne , le Chevalier de ,
Borda , & Pingré. A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur-Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Cluny. 2 volumes. in-4°.
LE but de ce Voyage étoit non - feulement
de déterminer plufieurs points importans )
pour la perfection de la Geographie & la
sûreté des Navigateurs : mais encore de com .
parer les diverfes méthodes de trouver, la,
longitude en mer , ou plus généralement d'y
faire des obfervations précifes ; d'examiner'
les inftrumens les plus ufités , ceux auxquels
14 MERCURE
les Navigateurs ou les Aftronomes accordent
le plus de confiance ; de s'affurer enfin du
degré de précifion & de sûreté de toutes les
methodes nouvelles , de tous les inftrumens
nouveaux que les Auteurs voudroient foumettre
à cet examen .
On en avoit chargé un Officier de Marine
très- inftruit dans toutes les Sciences qu'embraffe
cet Art fi important & fi compliqué ,
& deux Académiciens , célèbres tous deux par
de grands voyages , dont l'un Géomètre habile
, avoit fait , par goût & par devoir , une
étude profonde de la navigation & de la
fcience des inftrumens , tandis que l'autre ,
livré à l'Aftronomie , joint à l'habitude
d'obferver , une fingulière facilité pour les
calculs.
Il y a peu d'ouvrages où les Navigateurs
puiffent trouver plus de remarques utiles fur
T'art de diriger leur route , la manière d'employer
utilement les inftrumens , & les méthodes
les plus faciles & les plus sûres dobferver
& de calculer les obfevations ; mais
on fent bien que , fur des objets de ce genre ,
où la théorie eft fi dépendante de la pratique ,
où la pratique elle-même eft foumife aux
inconvéniens inévitables que produifent les
changemens rapides de température & de
climat , les mouvemens du vaiffeau , l'incertitude
du temps où il fera poffible d'obferver
, &c. ce n'eft qu'en étudiant les détails
DE FRANCE.
que l'on peut juger de l'utilité dont les réfultats
peuvent être dans la pratique journa
lière. Nous ne pouvons donc que renvoyer à
l'ouvrage , & nous nous bornerons à rapporter
quelques faits qui peuvent intéreffer
un plus grand nombre de Lecteurs.
Les Savans Voyageurs ont relâché aux Canaries
; ils ont examiné fans préjugé ce qui
refte de l'ancien peuple qui habitoit ces Ifles
avant les Espagnols. On trouvoit chez ce
peuple la fuperftition & le defpotifme ,
mais tempérés l'un & l'autre par des moeurs
douces.
On fait qu'en général moins un peuple eft
nombreux , moins le defpotifme eft févère ,
moins la fuperftition eft cruelle. Au refte ,
cette remarque n'eft vraie qu'autant qu'elle
s'applique à un peuple digne de ce nom.
Nous trouvons en effet dans l'Hiftoire plus
d'un exemple de hordes de voleurs très - peu
nombreuſes , où cependant le defpotifme &
la fuperftition ont porté la barbarie aux derniers
excès .
Il y avoit auffi parmi le peuple des Canaries
une efpèce de régime féodal. Le nombre
des habitans naturels eft diminué confidérablement
depuis la conquête ; c'eſt un
Gentilhomme de Normandie nommé,Bettancour,
qui le premier foumit une de ces Illes ,
& prit le titre de Roi . On dit que fa famille
y fubfifte encore , & qu'elle a préféré l'état
paifible de particuliers riches , à des préten
16 MERCURE
tions qu'elle n'auroit pu foutenir long- tems.
Les anciens habitans avoient l'art de conferver
les cadavres , en les trempant dans des
diffolutions , & les enfermant enfuite dans
des peaux que l'on depofoit dans des cavernes.
Ces corps fe retrouvent encore entiers
, mais le fecret de ces préparations, eft
perdu .
Le pic de Ténériffe eft un volcan ; les Savans
Academiciens ont cherché à en determiner
la hauteur ; mais cette opération, qui
femble très fimple au premier coup - d'oeil ,
demande des attentions très délicates fi on
veut de la préciſion & de la certitude.
Auffi les Académiciens , quelques précautions
qu'ils euffent prifes , craignoient encore
quelques erreurs. Un d'eux , qui a fait un
deuxième voyage aux Canaries , a cru devoir
répéter encore les opérations ; & c'est d'après
ce dernier travail qu'il paroît que la hauteur
peut être fixée à 1904 toifes. La méthode de
M. de Luc , qu'on a jointe à la méthode
Géométrique , a donné un réſultat très-peu
different.
Il feroit bien à defirer que l'on s'occupât
des moyens de rendre les méthodes de mefurer
les hauteurs plus faciles , fans diminuer
de leur exactitude. Indépendamment de l'utilité
dont il peut être pour les Navigateurs ,
de connoître la hauteur réelle des montagnes
qu'ils voient de loin , & de pouvoir jager ,
par l'obfervation de leur hauteur apparente ,
DE FRANCE. 17
de la diftance où ils fe trouvent , cette connoiffance
de la hauteur des terreins eft néceffaire
à l'Hiftoire Naturelle ; & fans elle il
eft impoffible de former une théorie de la
terre fondée fur les faits , & qui puifle fatisfaire
les hommes éclairés : mais pour ce
dernier objet il faudroit multiplier les nivellemens
à un point que les difficultés des dif
férentes méthodes , connues jufqu'ici , rendent
prefque impraticable.
ÉLOGE de M. DE VOLTAIRE , par
M. Paliffot , in -8 °. A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Jean-François Baftien,
Libraire , rue du Petit - Lion.
Ce titre promet plus qu'il ne donne . L'Auteur
de cette Brochure eût beaucoup mieux
fait de l'intituler : Précisfur M. de Voltaire
& fur fes Ouvrages. Le ton de fimplicité
qu'il a pris dans fon ftyle , le peu d'anecdotes
qu'il a recueillies , le peu d'étendue des ré-
Alexions dans lefquelles il eft entré , font autant
de raifons qui juftifient pleinement ce
que nous venons de dire . On en va juger
d'abord par l'exorde.
39
La gloire de M. de Voltaire n'eft pas
» refferrée dans les feules limites de fa patrie.
C'eſt à l'Europe entière , attentive
» aux premiers jugemens qui vont être por-
» tés fur cet Écrivain célèbre ; c'eſt à notre
ور
fiécle & à la poſtérité toujours juſte , mais
18 MERCURE
و ر
ور
» toujours févère , que nous ferons refpon-
» fables de ce que nous allons écrire ; &
→ nous aimons à nous pénétrer de cette vé-
" rité , pour nous défendre ici de toute paffion
, de tout enthoufiafme. Ecartons également
, & les éloges donnés par l'adula-
» tion , & les fatyres plus prodiguées encore
» par la haine ; & tâchons de faifir avec impartialité
ce qui doit caractériſer à jamais
» cet homme rare , cet homme fingulier ,
" & , pour parler d'avance le langage de nos
» defcendans , cet homme unique. »
ود
L'Auteur paffe rapidement fur les premières
difpofitions de l'enfance de M. de
Voltaire , ou plutôt il n'en dit rien ; mais il
compte, avec raifon , parmi les avantages
qui ont contribué à en faire un homme extraordinaire
, cette heureufe organiſation ,
capable de fuffire à l'application la plus
» continue , & qui , fans être affujétie aux
variations du temps , ne fe délaffoit du
travail que par le travail même. »
وو
»
Malgré une conftitution très- délicate en
apparence , aucun homme n'a été à la fois
plus précoce que M. de Voltaire , & n'a joui
d'une vieilleffe plus faine & plus robufte.
Aucun n'a commencé fa carrière d'une manière
plus brillante , & ne l'a terminée avec
plus de gloire. Non - feulement il a fuffi à
des travaux Littéraires qui auroient donné
matière à trente réputations diftinguées
mais à des foins qui fembloïent incompa-
>.
DE FRANCE. $ 19
tibles avec cette paffion prédominante pour
l'étude. »"
Ici l'Auteur entre dans quelques détails
hiftoriques , & rappelle quelques faits connus
. Puis il continue .
"
ود
ور
" Le moral dans cet homme fingulier
n'offrit pas moins de phénomènes que le
phyfique. C'est à l'âge de 18 ans qu'il fit
fa première Tragédie. C'étoit un prodige
» qu'un pareil debut ; mais par un prodige
plus grand encore , il méditoit dès- lors le
feul ouvrage de génie qui n'eût pas été
» tenté dans le fiécle de Louis XIV , ou du
» moins qui l'avoit été fi malheureuſement ,
qu'il ne nous refte de tous ces effais aucun
veftige. Il conçut le projet de la Hen-
» riade , & la France fut étonnée de devoir
» fon premier Poëme épique à un Auteur
» de vingt-quatre ans . Le même a été l'Hif-
» torien de Pierre-le-Grand , de Charles XII ,
23
ود
ور
de Louis XIV , & celui de toutes les Na-
» tions depuis Charlemagne jufqu'à nos
jours. Le même a étendu la carrière de
» l'Hiftoire , trop refferrée avant lui dans
les détails de la politique & de l'ambition
des Princes , comme s'il étoit de la
» deſtinée des peuples de leur être facrifiés
» en tout , & jufques dans les annales du
» monde. Il a fait fentir le premier cette
efpèce d'outrage fait au genre- humain;
» & ce que les Hiftoriens avoient jufqu'alors
» le plus négligé , l'influence de l'opinion fur
» les malheurs de la terre , les lois , les ufa-
و د
20 MERCURE
» ges , les moeurs , les progrès des Sciences
» & des Arts, devinrent le principal objet de
» fes recherches. Cette révolution de l'Hiftoire,
perfectionnée par la Philofophie ,
» eft peut -être une des chofes qui lui a
donné le plus de droits à l'admiration de
» fes contemporains & à la reconnoiffance
» de la postérité .
و د
و و
Ces idées fur l'Hiftoire font également
profondes & judicieufes ; & , n'en déplaife à
M. Paliffor , nous obferverons que toutes
les fois qu'il penfe & s'énonce ainfi , il eſt
vraiment Philofophe. Il s'en faut de beaucoup
qu'il ait aufli bien apprécié les Romans
de M. de Voltaire , qu'il fe contente d'appeler
un nouveau genre de Romans. Cette
phr fe nous paroît un peu mefquine. On ne
pouvoit parler plus vaguement des productions
les plus originales peut-être de ce Génie
auffi fingulier qu'univerfel , qui a embrallé
avec un égal fuccès tous les genres de la Littérature
, depuis le Poëme épique jufqu'au
Madrigal , depuis les hautes Sciences jufqu'à
l'Hiftoire ; & qui , par un prodige plus furprenant
encore , a fu fe créer dans chacun
de ces genres une manière neuve , & qui
n'appartient qu'à lui feul. Un Écrivain qui
a autant d'agrément & de fineffe dans l'efprit
que M. Paliffot , devoit fe complaire à caractérifer
ce nouveau genre de Romans , où la
raifon la plus fage femble avoir pris plaifir
à s'habiller en mafque , & où la morale ,
pour être préfentée fous les traits de l'enjouDE
FRANCE. 21
ment , n'en eft que plus profonde & plus
inftructive.
Le paragraphe qui concerne les Tragédies
eft un morceau de difcuflion excellent , bien
motivé, bien écrit. Nous voudrions pouvoir
le tranfcrire ; mais les bornes que nous prefcrit
la nouvelle forme de ce Journal , ne
nous le permettent pas. Nous ne pouvons
néanmoins nous empêcher d'obſerver que
le Panégyrifte de M. de Voltaire ne le place
qu'au fecond rang , en donnant à Racine le
premier. Quoique nous n'ignorions pas que
cette opinion foit celle de quelques gens de
Lettres , & même de gens de Lettres diftingués
, nous nous hafardons à croire que la
fupériorité de Racine n'eft rien moins que
prouvée. Il nous femble qu'un parallèle raifonné
des Pièces de ces deux grands Poëtes ,
feroit le moyen le plus sûr de décider la
question. Or , nous demandons fi l'amour
maternel dans Mérope n'eft pas au moins
auffi touchant que dans Andromaque , &
s'il n'eft pas d'ailleurs bien autrement déve
loppé ? Nous demandons laquelle de la rivalité
de Nemours & de Vendôme , ou de
celle de Pharnace & de Xiphares eft la plus
intereffante ? Nous demandons enfin quelle
eft la Pièce de l'Euripide François qui peut
être mife en parallèle avec Zaïre ? Si Racine
eft le Poëte des ames tendres & fenfibles ,
M. de Voltaire eft à la fois le Poëte des
coeurs paffionnés & celui des Philofophes.
22 MERCURE
Nous favons gré à M. de Saint - Lambert
d'avoir ofé dire le premier :
Vainqueur des deux rivaux qui régnoient fur la Scène ,
D'un poignard plus tranchant il arma Melpomène.
Et il eft à remarquer que ceux qui ont blâmé
le premier vers , n'ont jamais conteſté la vérite
du fecond : on n'a pas fait attention que
la penfée de l'un ne pouvoit pas être vraie ,
fi le fens de l'autre étoit faux ; & que fi M.de
Voltaire étoit en effet plus tragique que Racine
& Corneille , il les avoit donc furpallés.
On fait que dans fes dernières productions
en vers , M. de Voltaite avoit adopté de préférence
une manière nouvelle que M. Paliffot
appelle expéditive. Cette expreflion
nous paroît heureufe. Elle eft trouvée ; mais
felon le fens de l'Auteur , elle eft fynonyme
de négligée ; & nous fommes loin , & bien
loin , d'être de fon avis . Nous croyons que ce
qu'il prend pour négligence , n'eft autre chofe
que cette familiarité piquante , cette aimable
urbanité , cet atticifme fi vanté qui font le
charme des Épîtres d'Horace ; & , pour nous
fervir d'un vers très - heureux de M. de la
Harpe ,
Cette facilité , la grâce du génie,
on du moins qu'une pareille négligence eft
plusaimable que l'art le plus achevé , & plus .
a fufir que les plus beaux ornemens.
DE FRANCE. 23
Prenons pour exemple quelques vers de
l'Épître à Horace.
J'ai vécu plus que toi , mes vers dureront moins ;
Mais au bord du tombeau je mettrai tous mes foins
A fuivre les leçons de ta Philofophie ,
A méprifer la mort en favourant la vie ,
A lire tes Écrits , pleins de grâce & de fens ,
Comme on boit d'un vin vieux qui rajeûnit les fensa
Avec toi l'on apprend à fouffrir l'indigence ,
A jouir fagement d'une honnête opulence ,
Afortir d'une vie ou trifte ou fortunée ,
En rendant grâces aux Dieux de nous l'avoir donnée.
Ainfi , lorfque mon pouls inégal & preſſé ,
Faifoit peur à Tronchin près de mon lit placé ,
Quand la vieille Atropos aux humains fi févère ,
Approchoit fes cifeaux de ma trame légère ,
Il a vu de quel air je prenois mon congé :
Il fait fi mon efprit , mon coeur étoit changé.
Hubert me faifoit rire avec les pafquinades ,
Et j'entrois dans la tombe au fon de fes aubades.
Qui ne fent pas les grâces faciles & originales
de ces vers ? Ils femblent couler fans
effort de la plume du Poëte ; mais il n'en eft
pas moins certain que cette facilité même
fuppofe à la fois le plus heureux don de la
Nature , & habitude de l'art la plus confommée
,
Ludentis fpeciem dabit & torquebitur.
Après avoir apprécié l'Hiſtorien , le Phi24
MERCURE
lofophe , le grand Poëte , M. Paliffot juge
l'Homme. Il entre même dans quelques détails
fur fon caractère , non moins fingulier
peut-être que fon génie. En parlant de cette
fenfibilité , quelquefois trop irritable , que
ceux qui l'ont le plus provoquée par leurs
fatyres , lui ont le plus reprochée , M. Paliſfot
a le double mérite de ne manquer ni au refpect
dû au génie ni à la vérité . Ce morceau ,
qui étoit le plus difficile , eft en même- tems
le plus neuf de l'ouvrage , & celui où l'Auteur
a lé mieux réuffi . Mais plus nous remarquons
de correction , d'élégance , d'efprit
, de convenance dans fon ftyle , plus
nous regrettons qu'il fe foit tant de fois déclaré
l'ennemi de ceux dont il ne devoit être
que le rival. Il eft fâcheux qu'un Ecrivain
diftingué, dont le moindre mérite eft d'avoir
toujours refpecté la langue , ( mérite devenu
très-rare aujourd'hui ) n'ait pas fait un ufage
plus louable de fes talens ; & que fa plume ,
qui pouvoit être utile au maintien du bon
goût , n'ait été le plus fouvent dans fes mains
qu'un inftrument de vengeance.
ÉTRENNES
DE FRANCE. 25
É TRENNES du Parnaffe , ou choix de
Poefies. Vol. in - 12. A Paris , chez
Fétil , Libraire , rue des Cordeliers , près
celle de Condé , au Parnaffe Italien.
•
Année
1779.
Cet Ouvrage , qu'on croyoit mort , & que
nous rappelons à la vie , afin d'engager l'Éditeur
à faire un plus heureux choix cette
année , renferme des Poéfies dans tous les
genres ; mais le bon , le médiocre même
n'en font pas à beaucoup près la partie dominante.
Le Conte fuivant pourra donner
une idée de la plupart des autres Pièces du
même genre.
CERTAIN Docteur de la grâce efficace ,
Item , un Bachelier , fur les bancs s'enrouoient :
Or , penfez bien que point ne s'entendoient ;
Partant, de difputer.... tous deux ils en fuoient,
Las enfin de brailler , fe tait meffer Pancrace.
Lors , pour répondre , en vain l'écolier fe tourmente :
« Le cas n'eft clair , dit-il , entendons-nous un peu ;
Ç'à , Monfieur , raifonnons...-L'impertinent ! ...
,, pour
Dieu ! »
Je ne raiſonne pas , moi , Monfieur , j'argumente .
Rien de plus bifarre que ce mélange
du ftyle marotique avec le ftyle ordinaire.
Sam. 2 Octob. 1779 .
B
26 MERCURE
3
EPIGRAM ME.
La foudre en main , un Curé défaftreux
Chaque Dimanche attéroit les ouailles ;
Vertu parfaite , ou brafier ſulfureux :
Le Dieu qu'il prêche eft un Dieu fans entrailles.
Pourquoi , dit Jean , toutes ces funérailles ?
Hé, gros butor , répart l'homme facond,
» Ne vois-tu pas qu'en prêchant ces canailles ,
» Je compte fur ce qu'ils en rabattront ? »
Cette charmante Épigramme de M. Pidou
eft remarquable , en ce qu'elle a toujours le
mot propre. Quelle nobleffe ! que de grâces
dans le troifième vers ! comme il eft bien lié
aux précédens ! l'homme facond , pour dire
un Curé! rien de plus léger que cette céfure ,
je compte fur ce qu'ils en rabattront ; il faut ,
pour la fentir , favoir qu'elle y doit être.
Ce qui plaît fur-tout dans ces Étrennes
du Parnaffe , c'eſt la tournure des Épigrammes
qui , heureuſement , font en très-grand
nombre. Le fel en eft fi doux , fi volatil ,
qu'on feroit tenté de les prendre pour des
Madrigaux.
HIER DORIS , du moindre badinage ,
M'ôta le droit ; libre d'engagement ,
Ami , crois - tu qu'elle en fera plus fage ?
Non elle : aime le changement.
Voilà comme un homme , quitté par une
femme, doit faire une Epigramme , on eft
DE FRANCE. 27
toujours sûr de refter bons amis : peut -être
ne voit-on pas affez à qui fe rapporte libre
d'engagement : eft ce à Doris? Eft-ce à l'amant
difgracié ?
Celle- ci fe diftingue par fa fineffe & par
fa coupe heureufe. On ne peut guères reprocher
à l'Auteur que d'y avoir répandu le
fel avec trop de profufion. Il faut en tout
une fage économie.
L'HÉRITIER , Épigramme.
LORSQUE la fièvre , ou quelque maladie
L'agite & le preffe un moment ,
Le riche Azor fans ceffe crie ;
» Dieux ! que ne fuis-je au monument !
» O mort ! viens terminer une trop longue vie, »
Son héritier en dit autant.
On regrette de voir une maladie qui
agite & preffe un moment ; car ces deux
verbes fe rapportent autant à maladie qu'à
fièvre. »
La rime n'impofe fon joug qu'aux verfificateurs
; mais le Poëte a le droit de s'en
affranchir ; on ne peut donc qu'admirer la
noble hardieffe des deux Pièces fuivantes.
A Madame la Comteffe de V....
Les plus douces vertus forment fon apanage ;
Qui voit les attraits eft féduit ,
Et qui l'entend balance ſon hommage
Entre la nature & l'eſprit,
Bij
28 MERCURE
ÉPIGRAMME.
OPÈRE-T'IL , ce cataplafme ?
Comment vont tes yeux , petit Roi?
Ah! beaucoup mieux , ma chère femme :
Mon Médecin dit que je voi.
A ROSE, qui me demandoit des vers.
Il faut donc pour vous plaire
Etre Poëte abfolument.
Que d'Auteurs vos yeux pourroient faire ,
donnoient le talent !
Si vos yeux
Si tous vos amans , belle Rofe ,
Parloient en vers ,
Bientôt dans l'univers
On ne connoîtroit plus la proſe.
Que de légèreté , de grâces & de fentimens
dans cette petite Pièce ! On ne finiroit
pas , s'il falloit citer tous les petits chefd'oeuvres
qu'on trouve dans ce charmant
Recueil.
La feconde Partie de cet Ouvrage contient
quelques traductions des Poëtes Italiens
. Ces morceaux ne font pas fans mérite ,
quoique fort au- deffous de l'original . Voici
le début de la Jérufalem délivrée.
STANZ. I.
CANTO l'arme pietofe , e'l capitano ,
Ch'elgran fepolcro Liberò di Crifto :
Molto egli oprò colfenno , e con la mano
DE FRANCE. 29
Molto foffri nel gloriofo acquifto:
E invan l'inferno à lui fi oppofe , e in vano
S'armò d'Afia , e di Libia il popol miſto ,
Che favorillo il Cielo ; e fotto a i fanii
Segni riduffe i fuoi compagni erranti.
» JE chante les combats de ce Guerrier fidèle ,
» Dont le prudent courage animé d'un faint zèle ,
» Dans les murs de Solymne abatrit le croiſſant ,
» Et conquit le tombeau du fils du Dieu vivant.
» C'eft en vain contre lui que l'enfer en furie
» Unit les Africains aux peuples de l'Afie ;
» Ce Prince aimé du ciel , fous les faints étendards ,
» Raffembla les Chrétiens & fixa les hafards.
Les combats n'expriment point le mot
Italien pietofe qui , joint à arme, annonce une
guerre entrepriſe pour l'intérêt de la religion.
L'épithète de fidèle n'eft point dans le texte ,
& ne convient pas ici . L'Auteur eût aufli
bien traduit il Paftor- Fido , par le Berger
courageux , que l'exorde du Taffe , par le
Guerrierfidèle. D'ailleurs ces trois épithètes
en deux vers ont je ne fais quoi de languiffant.
Saint zèle n'eft point auffi dans le texte.
Prudent courage eft foible , & ne rend point ,
molto egli opro colfenno e con la mano. Dans
les murs de Solyme abattit le croiffant , vers
qui n'eft pas plus du Traducteur que du
Taffe , & conquit le tombeau du fils du
Dieu vivant. Du , du , choquent l'oreille.
Dieu vivant, expreflion vague & obfcure ;
Biija
30 MERCURE
ne femble-t'il pas d'ailleurs qu'il y ait deux
Dieux , l'un mort , l'autre qui ne l'eft pas ?
Sous les faints étendards , ce faint zèle ,
épithètes placées trop près l'une de l'autre
pour être répétées ; & puis , les faints étendards
de qui ? Fixa les hafards , rempliffage
pour la rime.
*
STANZ. I I.
O Musa , tu , che di caduchi allori
Non circondi la fronte in helicona :
Ma sù nel cielo infrà i Beati cori
Hai di felle immortali aurea corona ;
Tufpira alpetto mio celefti ardori :
Tu rifchiara il mio canto , e tu perdona
S'inteffofregi al ver , s'adorno in parte
D'altri diletti , che de tuoi le carte.
» OTO1, qui ne vas point , trop fière & trop aimable ,
Cueillir fur l'Hélicon un laurier périffable ,
Mais dont le front brillant d'étoiles couronné
» De la fplendeur des cieux éelate environné ,
Mufe , viens me guider dans ma longue carrière ,
» Eclaire mon efprit des feux de ta lumière ,
» Et fouffre que ma main , pour embellir tes traits )
Ajoute quelques fleurs à tes fimples attraits.c
Les cinq premiers vers de l'invocation
nous paroiffent heureux ; le fixième est plus
que foible , & ne rend point l'original.
Les deux fuivans font faciles & agréables ,
quoique le mot fleurs foit fort éloigné de
DE FRANCE. 31
intelſo fregi al ver , qui , à la lettre , fignific
entremêler des ornemens avec la vérité.
SA1 , che là corre il mondo , ove più verſi
Difue dolcezze il lufinghier parnaffo ,
E che'l vero condito in molli verfi ,
I più fchivi allettando ha perfuafo .
Così allegro fanciul porgiamo afperfi
Difoavi liquor gli orli del vafo ,
Succhi amart, ingannato ei beve ,
E d'all'inganno fuo vita riceve.
>
» Tu fais que des beaux vers l'élégante molleffe ,
» D'un précepte févère adoucit la rudeffe ,
» Et le grave àjamais , avec des traits profonds ,
» Dans un coeur indocile & fourd à tes leçons.
» C'eft ainfi que l'on voit une prudente mère ,
» Avant de préfenter l'abſynte falutaire™
" A fon fils étendu dans les bras des douleurs ,
>> Da vafe redouté couvrir les bords trompeurs
De ce nectar fi doux que l'abeille compofe
» Du butin qu'elle fait fur le lys ou la roſe ;
» L'enfant par ce nectar eft attiré foudain ;
» Le filtre d'amertume a paſſé dans fon ſein ;
» Des maux qu'il éprouvoit la fougue eft ralentie ,
Et fon heureuſe erreur le rappelle à la vie. »
D'un précepte févère , n'eft point du Taffe ;.
il ne s'agit point ici d'un Poëme didactique :
l'idée d'ailleurs n'eft point rendue , &c. &c.
mais les quatre vers de la comparaifon , ces
Biv
32 MERCURE
vers charmans que tout le monde fait par
coeur , font auffi traînans & profaïques dans
la traduction que délicieux dans le texte. M.
de Gaffendi a paraphrafé une image dont il
falloit refpecter la précifion , crainte de lui
ôter de fes grâces. Que veut dire les bras
des douleurs , & les deux vers fuivans
pour exprimer du miel ? Qu'est- ce que la
fougue des maux & le filtre d'amertume ?
D'ailleurs , couvrir les bords trompeurs eft
trop éloigné de on voit qui doit le régir ; &
la tournure grammaticale n'eft point exacte.
MANUEL de l'Étranger qui voyage en Italie ,
contenant le détail de la pofition des lieux ,
de leurs diſtances , des routes de communication
, du nombre & du prix des poftes
, des curiofités qui fe trouvent dans
chaque ville , comme les tableaux les plus
célèbres , les plus beaux morceaux de
Sculpture , les antiquités , les cabinets ,
bibliothèques , &c. avec des cartes particulières
des principales routes. 1 vol .
in- 12 . A Paris , chez la veuve Ducheſne
Libraire , rue S. Jacques , 1778 .
,
Ce titre eft affez détaillé pour faire connoître
la matière , le but & l'utilité de cet
ouvrage. Voyager , c'eft pour le vulgaire ,
changer de place ; mais pour l'homme inf
truit , c'eft voir d'autres hommes , d'autres
moeurs , d'autres formes politiques & religieufes
, c'eft fe défaite des préjugés nation-
*
DE FRANCE,
33
naux , perfectionner fon goût , étendre la
fphère de fes connoiffances , agrandir fon
être en fe procurant la jouiffance de tout ce
qu'il y a de bon & de beau , d'utile & d'agréable
dans les Contrées nouvelles que l'on parcourt.
De tous les voyages , celui d'Italie eft ,
fans contredit , le plus agréable , le plus inftructif,
le plus néceffaire à un homme bien
né. Il n'eft aucune partie de l'Europe , on
pourroir dire du monde entier , qui offre au
voyageur un champ plus vafte & plus diverfifié
, une moiffon plus abondante de remarques
& d'obfervations intéreffantes dans tous
les genres. Amans de la Nature , Amateurs
des Beaux-Arts , Philofophes , Naturaliſtes ,
Hiftoriens, Antiquaires , Peintres , Sculpteurs ,
Architectes , Muficiens , tous rencontrent en
Italie de quoi piquer leur curiofité , fixer
leurs regards & ravir leur admiration. C'eſt
un tableau univerfel où fe trouvent réunis
les objets de toute eſpèce . Mais ( il faut en
convenir ) cette immenfe compofition n'offre
que confufion & chaos à quiconque ne fait
point y promener fes regards , à quiconque
n'y jette que des yeux étonnés & novices
dans l'art d'appercevoir. C'eft malheureufement
le cas des trois quarts & demi des
Voyageurs , fur- tout des jeunes gens. »
Il eft donc à propos de leur apprendre
à voyager. Bien voyager dépend de l'art de
bien voir ; & l'art de bien voir s'apprend par
l'étude , la réflexion & l'expérience . Ce Manuel
commence par une introduction qui
By
34 MERCURE
renferme quelques avis préliminaires utiles
aux jeunes gens qui defirent voyager avec
fruit , & qui n'ont acquis aucune expérience
en ce genre. On entre enfuite dans des détails
fur les diferentes parties de la Peinture &-
de la Sculpture , & l'on donne quelques légeres
notions des premiers principes de ces
Arts , pour mettre le commun des Voyageurs
à portée de jeter fur les tableaux & fur les
ftatues , un regard plus éclairé , & confe
quemment plus fatisfaifant . Nous citerons
quelques-unes des réflexions fur la Peinture :
il s'agit de la connoiffance de la manière des
Peintres & des Originaux.
"
Chaque Peintre , ainfi que chaque Ecrivain
, a fon ftyle , c'eft à-dire , fa manière de
compofer , fon caractère de deflin , fon coloris
particulier. En conféquence , l'habitude
de voir un grand nombre d'ouvrages des
mêmes Maîtres , doit apprendre à la longue à
reconnoître jufqu'à un certain point ce qu'on
appelle leur main. Beaucoup de gens font
un grand étalage de cette connoiffance , & ..
s'attachent plus à deviner , à la vue d'un tableau
, qui en eft l'Auteur , qu'à juger s'il eſt
bon ou mauvais , & à rendre raifon de leur
jugement. Rien n'eft plus plaifant que de
voir un de ces Docteurs s'approcher d'un
tableau , le frotter du bout du doigt , fe
mordre la lèvre , froncer le fourcil , & prononcer
d'un ton d'oracle : c'eft d'un tel
Maître ; mais ce qu'il y a de plus plaifant
encore , c'eft de voir les bévues dans lef35
DE FRANCE.
quelles ces Mellieurs tombent fouvent . Rien
en effet n'eſt fi fautif que cette connoiffance ;
car non - feulement il y a eu des Peintres qui
avoient le talent de copier les ouvrages d'autres
Maîtres avec une telle perfection , qua
les Auteurs même méconnoiffoient leurs originaux,
mais encore beaucoup d'Artistes fe
font plû quelquefois à changer leur manière ,
à imiter le faire d'un autre , au point qu'il
n'étoit plus poffible de les reconnoître . D'au
tres , en retouchant les ouvrages de leurs
Élèves , leur ont donné cette touche origi
nale , que les fins connoiffeurs croient fi bien
reconnoître. Vous verrez à Gènes , dans le
palais Durazzo , une copie du fameux tableau
de Paul Véronèze , repréfentant la Madeleine
aux pieds de Notre- Seigneur , qui eft fi femblable
à l'original , que le propriétaire de
l'un & de l'autre les a féparés , de peur de les
confondre , & refuſe de ſe défaire de la copie
, quelque prix qu'on lui en offre , dans
la crainte qu'on ne lui difpure un jour d'être
poffeffeur du véritable original. On connoît
deux Saint-Jean-Baptifte de Raphaël , & trois
Venus du Titien , tableaux tout femblables ,
de la même beauté , & entre lefquels on ne
peut décider quel est l'original ; chaque propriétaire
dit : c'eft le mien. Eh ! qu'importe,
dira-t'on , s'il eft vrai qu'une copie foit tellement
parfaite ; que , comparée à l'original,
elle puiffe en tout point être priſe pour lui ?
Pourquoi donner tant de préférence à l'un
fur l'autre? Le mérite de Foriginal n'eft plus
B vj
3.6 MERCURE
alors qu'imaginaire. C'eft affez vrai , & je
dirai plus s'il étoit poffible qu'une copie
fût fupérieure à fon original dans le moindre
des points , & égale dans tous les autres , je
donnerois fans héliter l'original pour avoir
la copie ; & je crois que quiconque aimera
l'art pour l'art , la chofe pour la chofe , penfera
de même que moi , mais lorfqu'un Âmateur
achette au poids de l'or l'ouvrage vrai
ou fuppofé d'un grand Maître , l'amourpropre
a fouvent plus de part que toute autre
chofe , au facrifice qu'il fait de fon argent.
Il veut avoir un morceau unique , que
perfonne ne poſsède que lui , & prife plus
la qualité d'original que le mérite réel du
morceau ; auffi tant que lui & les autres
font dans la ferme opinion que fon tableau
eft original , il l'admire , s'enthouſiaſme ,
l'eftime plus encore qu'il n'a coûté ; mais
que l'on vienne à découvrir le pareil , &
qu'après bien des difcuffions , des examens
& des recherches, il foit décidé & prouvé que
celui que possède notre Amateur eft la copie
, ce morceau , ci - devant admirable , ne
l'eft plus ; on ne daigne plus le regarder , &
il perd abfolument tout fon prix , quoique ,
comme tableau , il ait toujours le même degré
de perfection. Il eft vrai que rien n'eft
plus rare que de trouver une copie qui ne
foit pas fenfiblement inférieure à fon original
, & qui ne laiffe point appercevoir
cette différence entre la touche facile & libre
de l'Artifte inventeur & créateur , & celle
DE FRANCE. 37
de l'Artiſte imitateur & fimpe copiſte . Néanmoins
il faut un grand ufage , beaucoup de
connoiffance pour fenrir & appercevoir
cette différence. Un Voyageur qui a paffe
douze ou quinze mois en Italie , a néceffairement
acquis , à la fin de fon voyage , une
certaine connoiffance de la manière des différentes
Écoles , & même de quelques - uns
des principaux Maîtres. Il reconnoitra , par
exemple , affez facilement les ouvrages de
Raphaël & de fon École. Paul Véronèze eft
encore un de ceux dont il diftinguera la touche
& le coloris ; mais qu'il ne porte pas
trop loin fes prétentions , fur-tout s'il s'agit de
faire quelque acquifition importante. Il faut
fe méfier des Italiens ; les plus habiles ont
fouvent été leur dupe , & ont payé bien
cher , pour originaux , ce qui n'étoit que des
copies.
$
و د
VARIÉTÉS.
REMARQUES fur les Inventeurs du 7° Livre ,
Chap. 56 de Pline , & fur la nouvelle
Traduction du même Auteur , par M. P.
de S.
ON ne peut trop favoir de gré à Pline d'avoir
terminé fon Hiftoire de l'Homme par ce qui fait le
plus d'honneur à l'efprit humain , c'eft- à- dire , en
renfermant dans un tableau fuccinct la maffe des
découvertes qui ont été faites dans les Arts & les
Sciences , par ce petit nombre de génies rares qui
38
MERCURE
ont paru dans tous les fiècles , & que la nature femble
avoir deftiné . à étendre & à perfectionner nos
connoiffances. Mais que de traditions vraies ou
Guffes recueillies par ce grand homme ! En effet
jetons un coup-d'oeil fur cette énumération rapide
nous verrons que ce chapitre cft un de ceux dans
lefquels Pline fe contente de compiler ce qu'il avoit
ramaflé dans les lectures , fans ordre , fans goût , en
un mot nulle critique dans les faits : il fe contredit
plufieurs fois lui -même dans cette énumération des
Arts créés par l'homme , E: rapporte des chofes dont
il reconnoît la faufferé ailleurs. Ici Pline ne parle
point en fon nom , & ne fe rend garant de rien , &
c'eft un des chapitres de fon grand Ouvrage , où il
faut appliquer pour fa gloire la formule qu'il emploie
ailleurs : Equidem plura tranfcribo quàm credo. J'avoue
qu'en général il règne bien des contradictions.
fur l'époque & fur les auteurs des premières inventions
: cependant , malgré l'obſcurité & l'incertitude
qu'une tradition peu fidelle a répandues fur cette matière
, on peut , avec quelque attention & le ſecours
de la critique , parvenir à démêler la vérité d'un
grand nombre de faits . Citons un exemple : Pline
dit , liv. 7 , chap . 56 , en répandant cette obſcurité
qui lui eft fi familière , que Prométhée (1 )
inventa l'ufage de conferver le feu dans la férule.
Ignem ...... adfervare in ferula , ( invenit ) Prometheus.
Pline paroit avoir emprunté cela d'Héfiode ,
qui , en parlant du feu que Prométhée vola dans le
ciel , dit qu'il l'emporta dans une férule (2 ). C'eſt à
quoi fait allufion Martial , lorfqu'il fait dire aux
(1 ) Voy. pour le temps où il vivoit , Mém. de l'Acad.
. 31 , p. 165 .
·(2) Op. dies , v. 51.Voy, auffi Diod, l.
¿diz, de Rhodoman , 1604. & Hygin , fab, 144
.P. 335
1
DE FRANCE 39
férules : Nous éclairons par les bienfaits de Prométhée.
Clara , Promethei munere , ligna fumus ( 3 ) .
La découverte de la férule par M. Tournefort , va
nous mettre à portée d'entendre ces trois paffages.
La tige de cette plante , felon ce Savant , eft remplie
d'une espece de moële que le feu ne confume que trèslentement
, & les Matelots s'en fervent pour tranf
porter du feu d'une île dans une autre : cet ufage eft
de la plus haute antiquité ( 4) . J'obferverai maintenant
, que pour parvenir à entendre ce chapitre de
Pline , où il eft beaucoup parlé des découvertes que
nous devons à la Grèce , c'eft Homère qu'il faut
confulter , & j'ofe affurer que c'eft le feul guide que
l'on doive fuivre pour ce qui regarde les fiècles héroïques
, parce qu'il s'eft particulièrement auaché à
décrire les Arts. Enfin , ce grand Poëte eft exact à
ne prêter aux temps dont il parle , que des connoiffances
qu'il favoit leur appartenir. Par exemple , on
voit par fes Poëmes que la fcie n'étoit point connue
au temps de la guerre de Troye : fans parler des
endroits où il auroit cu occafion d'en parler , le vaifſeau
qu'il fait bâtir à Ulyffe dans l'île de Calypfo, lui
prêtoit un beau champ pour parler de tous les outils
dont il pouvoit avoir connoiffance ( 5 ) ; auffi le mot
apia , qui en Grec fignifie une feie , ne ſe trouve
point dans ce Poëte . Il n'eft jamais non plus queftion
dans l'Iliade de trompettes. Il en parle à la vérité ,
mais ce n'eft que comme comparaiſon (6) , & c'eſt
pour cela qu'il ne donne point de trompettes aux
"
(3) Mart, l. 14 , épig. 80.1
(4) Voyage du Levant , pår Tournefort , t . 1 , p. 344 .
245 , édit. in-4°.
(s ) Voy. OdyЛ. l. s V. 234 & 245 , &c. ·
(6) Iliad, 1, 18 V. 2.19. Voy. auffi Mém, de l'Acad.
8, 1 , p. 104, 105, &c.
40 MERCURE
Grecs ni aux Troyens. Cet inftrument ne s'introduifit
dans la armées Grecques qu'environ un fiècle après
la deftruction de Troye ( 7 ) . Au refte , cela ne doit
s'entendre que des peuples dont je viens de parler ,
puifqu'il eft parlé de la trompette dans Job & dans
Moile. Virgile n'a pas Texactitude d'Homère ;
car en parlant du pillage de Troye , il dit : Exoritur
clamorque virum , clangorque tubarum. Il en manque
encore lorfqu'il met des tableaux dans le temple de
Carthage ; & Énée , felon ce Poëte , s'y reconnoît
parmi les Héros qui étoient peints ...... Animum
pictura pafcit inani. Mais le contraire fe prouve en
difant qu'Homère ne met point de tableaux dans les
Palais qu'il s'eft plu à décrire , quoiqu'il y mette des
ftatues & d'autres ornemens . Pline , qui poffédoit
bien la connoiffance de l'antiquité , affure que l'art
de peindre n'étoit pas encore inventé au temps de la
guerre de Troye (8 ) . Puifque j'en fuis à parler des
Arts inconnus dans ces fiècles reculés , je remarquerai
auffi que l'art de ferrer les chevaux n'étoit point connu
du temps du fiége de Troye ; car aucun paffage d'Homère
ne le donne à entendre ; & Xénophon , dont il
nous refte un traité fur la manière de panfer & de
gouverner les chevaux , ne parle point de la ferrure .
Cependant quelques Savans (9) prétendent qu'Homère
en parle ; & fondant leur opinion fur les vers
152 & 153 du 11e liv. de l'Iliade , ce Poëte y dit ,
felon eux , que les chevaux frappent la terre avec
leur airain. Mais s'ils euffent fait attention aux vers
150 & 151 , ils auroient trouvé, que les Grecs met-
(7) Voy. Suid. t. 2¸ , P. 360 .
(8 ) L. 35 , Sect . 6 , p . 682 , édit, de 1723 .
(9) Voy. Iliad. trad. de Mde Dacier , 1. 2 , p . 178 .
n . 22 édit, de 1712. Monif. Antiq. Expl. tom. 4 .
P. 79 , 80,
.
DE FRANCE. 4L
tent enfaite les Troyens en les frappant , dit le Poëte ,
avec les armes d'airain qu'ils ont à la main ( 10 ) .
Nilant obferve que cet ufage ne paroît avoir été
introduit qu'environ l'empire de Sévère , & Fabretti
affure qu'il n'en a découvert aucun veftige fur la
colonne de Trajan ( 11 ) ; le favant Abbé Winckelmann
confirme tout cela. Toutes les obfervations
peuvent fervir à éclaircir le ch. 56 du 7e liv . de Pline .
Je vais me permettre quelques réflexions fur la verfion
& fur les notes du 7e liv. ch. 56 de la nouvelle
édition & traduction de Pline , par M. P. de S. J’obferverai
d'abord que ce Savant , dans fes notes fur
ce chapitre , prétend que la plupart des Inventeurs
dont parle Pline font tous des êtres factices & fymboliques
, & foutient cet étrange fyftême , en allant
chercher dans les langues la connexion que les noms
des Inventeurs ont avec l'art qu'on leur fait inventer .
Mais j'ai déjà prouvé que ce paradoxe n'eft nullement
admiffible , & qu'il étoit démenti par l'hiſtoire & les
monumens qui nous reftent de l'antiquité ( 1 2 ) . J'ajouterai
feulement qu'on peut mettre hardiment cette
opinion au nombre de ces fyftêmes faits à plaifir
qui n'ont d'autre fondement que l'imagination de
Auteur qui les a enfantés . Pour fa verfion , elle ne
m'a pas paru fort exacte , au moins dans le chapitre
dont il eft ici queſtion . Voici comme il traduit le
paffage fuivant : Frenos & ftrata equorum Pelethronium
( quidam inveniffe dicunt. ) « Péléthronius en
feigna à brider & à ferrer les chevaux. » On fait
35
сс
(10) Voy, la remarque du Scholiafte ſur le vers 15 3
du 1 liv. de l'Iliad. édit. in 4º. Cantabrigia , 1711 .
Gog. tom. 4 , p. 334 , n. ( 1 ),
"
mois de
(11 ) Mém. de Trév. Janv. 1713 , p . 171 .
( 12) Voy. Journal des Savans , ann . 1779 ,
Juillet , P. so 3 & fuiv. & Journ , de Litt . 1779. No. 8¿ .
42 MERCUREU
ou
auſſi bien que moi que le mot ftrata fignifie felle
, pour parler plus exactement , couverture
houffe , &c. qu'on met fur les chevaux , parce que
la felle proprement dite & les étriers ont été inconnus
aux Grecs. Comme Péléthronius eft peu connu , jé
dirois que Philargyre nous apprend que quelques
Auteurs difoient que ce Péléthronius avoit été un
Roi des Lapithes. Alii Pelethronium Regem Lapitharem
volunt ( 13 ) . Hygin , qui fait auſſi mention
de ce Prince , dit la même chofe que Pline ( 14 ) .Voici
comme il traduit encore le paffage fuivant : Catapul
tam Syro - Phænicas , ( quidam inveniffe dicunt )
balliftam & fundam. Æneam tubam , Pifaum Tyrrhenum.
« La catapulte fut inventée par les Syro-
» Phéniciens ; la bailifte & la fronde par Ænée ; la
trompette par Pifxus le Tyrrhénien. » Eneam
n'eft point un nom propre , & ce mot eft l'adjectif
de Tubam , & c'eft ainfi que tous les Savans l'ont
entendu , parce que la pratique la plus ordinaire dans
l'antiquité étoit de faire les trompettes de cuivre
métal qui rend un fon très -perçant. ( 15) . La ballifte
& la fronde font par conféquent de l'invention des
Syriens ou des Phéniciens , & l'line en cela a fuivi .
la tradition de prefque toute l'antiquité ( 16) . J'obferverai
au fujet de la fronde , que cette arme eft.
très-ancienne ; car il en eft parlé dans Job & dans
Homère ( 17 ) : il eft à remarquer qu'il n'en donne
4
·(13) Voy, la note de Philargyre fur le 115 v, dụ
liv. des Georg. de Virg. p. 477 , édit, Var, 163
in- 8 °..
( 4) Hygin , fab, 274 , lig, 6 & 7 .
(15 ) Voy. Virg. En, liv. 6 , v. 165 .
(16) Strab. 4. 3. p . ass , Di&t. des Antiq . Rom.
par Pitifcus , tom, :1 , p. 244, 245 ' , 8275 848,
(17) Iliad. liv. 13.
DE FRANCE. 43
1
jamais à fes Héros. Je pourrois ajouter beaucoup
d'autres obfervations fur la verfion & fur les notes
de ce chapitre de Pline , de la traduction de M. P.
de S. mais ce que j'ai dit eſt ſuffiſant
pour
que fon fyftême eft très -propre à rendre obſcur ce
qui ne l'est déjà que trop , & que le flambeau de la
sritique n'a pas toujours éclairé ce Savant.
J'ai l'honneur d'être , Meffieurs ,
montrer
Votre très-humble & très- obéiffant
ferviteur , LE PRINCE le jeune ,
attaché à la Bibliothèque du Roi.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Le Vendredi 24 du mois dernier , on a
donné pour la première fois , Echo &
Narciffe , Opéra en trois Actes , paroles
de M. le Baron de ... , mufique de M. le
Chevalier Gluck.
A l'inftant où nous écrivons cet article
M. Gluck s'occupe des changemens que la
première repréſentation de cet Ouvrage lui
a fait juger néceffaires. Nous attendrons.
donc , pour entrer dans quelques détails ,
que ces changemens aient eu lieu , & que
le Public en ait jugé.
Tout le monde connoît la fable d'Écho
& Narciffe ; M, le Baron de ... l'a arrangée
à fa manière. Nous rendrons inceffamment
compte de ce Poëme , dans les nouvelles littéraires.
1
44 MERCURE
:
COMÉDIE ITALIENNE.
DEPUIS
EPUIS que nous avons promis un examen
particulier des Bourgeois du Jour ,
M. le Chevalier de Rutlidge a refondu fon
Ouvrage en quatre Actes. Avant d'en rendre
compte , nous reverrons cette Comédie , &
nous entretiendrons enfuite nos Lecteurs des
changemens plus ou moins heureux qu'on y
a faits.
On nous affure à l'inſtant ( 26 Septembre )
que nous avons été inal informés , quand nous
avons dit dans notre dernière feuille que la
Comédie de M. de Rutlidge avoit été lue &
refufée par les Comédiens François . Nous
avons avancé ce fait fur la foi de quelques
Comédiens . Il eft poffible qu'on nous ait
trompés fur cet objet , mais nous ne l'avons
certainement pas été fur le ton aigre & injufte
qui règne dans la Préface , non plus que fur
la médiocrité de l'Ouvrage .
GRAVURES.
PLAN de la Ville & des Forts de Gibraltar & de
la Baye d'Algéfiras , avec projet d'attaque , dirigé
fur la Ville & autour de ladite Baye , avec deux
Vaiffeaux au centre pour marquer le danger de la
pofition , gravé avec beaucoup de foin & de netteté ,
dédié à M le Prince de Montbarey , Miniftre &
Secrétaire d'État au Département de la Guerre , par .
DE FRANCE. 45
>
M. Maugein , Ingénieur - Géographe. Se vend à
Paris , chez l'Auteur , rue des Francs- Bourgeois
porte S. Michel , maiſon de l'Arquebufier ; & chez
les Sieurs Perrier & Verriers , au grand magafin de
Géographie , à l'Hôtel de Soubife. Prix , 1 liv. 15 f.
Atlas moderne portatif, composé de vingt- huit
Cartes fur toutes les parties du Globe terreftre , nouvelle
édition , augmentée de trois nouvelles Cartes
aftronomiques , & d'une Introduction à la connoiffance
de la Géographie ; prix relié en carton s livres ,
idem enluminé 6 liv . 10 fols .
L'accueil favorable que le Public a fait à cet Atlasportatif,
dont la première édition eft entièrement épuisée,
a encouragé fes Éditeurs à le perfectionner . Comme il
eft principalement deftiné à la Jeuneffe , ils ont cru devoir
l'enrichir d'une Introduction à la connoiffance de
la Géographie , dans laquelle on trouvera l'explication
des principaux objets de cette Science . On s'étoit
borné , dans la première édition , à donner une
Sphère oblique , pour faciliter aux Élèves la connoiffance
des différentes pofitions des cercles , & du
rapport qu'ils ont avec les parties du Globe terreftre
; on y a ajouté la Sphère droite , la Sphère parallèle
, la pofition des cercles , felon le fyftême de
Ptolomée & celui de Copernic , ainfi que la repréfentation
du Globe célefte en deux plans hémisphères
coupés par l'écliptique. Pour accoutumer les jeunes -
gens à l'efprit d'analyfe , on leur préſente encore ,
dans une planche nouvelle , la divifion aftronomique
du Globe terreftre , en cercles , zônes , climats ,
degrés de longitude & de latitude . Les Cartes &
Planches ajoutées à cette nouvelle édition ſe vendent
féparément , en faveur de ceux qui ont acquis la
première. L'Ouvrage fe vend à Paris , chez Laporte ,
Libraire , rue des Noyers ; Fortin , Geographe , rue
de la Harpe ; & les principaux Libraires & Mar46
MERCURE
chands d'Eftampes de France & des Pays étrangers.
On vend chez les mêmes l'Atlas Celefte de Flamitéed,
en 30 Cartes in-4° . approuvé par l'Académie Royale
des Sciences , & publié fous fon Privilége ; prix 9
liv. relié en carton , & 10 liv. en, veau . On y trouve
auffi l'Atlas de M. Robert de Vaugondy ; prix 21
liv, relié en carton , & 24 liv . relié en veau.
MUSIQUE.
RECUEIL
ECUEIL de Pièces & d'Airs choifis , avec accompagnement
de Harpe , par François Pétrini .
Euvre XVI . No. 9. Il paroîtra tous les mois un
cahier de huit planches , jufqu'à la concurrence de
douze cahiers , pour lefquels on foufcrit. Le Prix de
la Soufcription eft de 18 liv. , & pour la Province ,
24 liv. franc de port. Chaque Numéro fe vendra
féparément 2 liv. 8 fols . A Paris , chez l'Auteur , rue
Montmartre , vis-à-vis celle des Vieux Auguftins , &
aux Adreffes ordinaires de Mufique .
La Tourterelle , Air de M. Malbrancq , avec accompagnement
de Baffe. A Paris , chez Mlle Girard,
Marchande de Musique , rue du Roule , & aux
Adreffes ordinaires de Muſique.
Cinquième Recueil , compofé d'Ariettes de Midas ,
de l'Amant Jaloux , de Roland , d'Airs Italiens &
autres , avec accompagnement de Guittare , par M.
Corbelin , Élève de M. Patouart fils fervir de
› pour
fuite à fa méthode de Guittare. Prix , 4 liv. 16 fols.
A Paris , chez l'Auteur , place S. Michel , & aux
Adreffes ordinaires de Mufique ; à Verſailles , chez
Blaifot , au Cabinet Littéraire , rue Satori. L'Auteur
avertit qu'il ne fera vendu aucun Exemplaire de
cet Ouvrage qu'il ne l'ait figné.
Romance en Rondeau , avec les parties d'accom
DE FRA N.GE. 47
pagnement féparées , par M. Delaunay. Prix , 1 1: 10 f.
gravé par Mile Touton , & fe vend chez elle , Ab
baye S. Germain , la deuxième porte en entrant par
la rue du Colombier.
Troifième Recueil d' Airs connus arrangés & varies
pour la Harpe , par M. H Pétrini . Prix , 7 liv. 4 f.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Jour S. Euftache , à
l'Hôtel de Lambèſe , & aux adreſſes ordinaires de
mufique à Verſailles , chez Blaizot , au Cabinet
Littéraire , rue Satory.
;
ANNONCES LITTÉRAIRES.
O'N vient de mettre en vente à l'Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins ,
LeQuarante-unième Cahier des Oifeaux enluminés,
in-fol. G. P. Prix , 24 liv. Idem. en petit pap. 1s liv.
Comme il ne refte plus qu'un cahier à donner
pour terminer cette grande & précieuſe Collection, *
ceux qui n'ont pas eu foin de fe procurer les cahiers
à mesure qu'ils ont paru , courront rifque de ne pou
voir fe completter s'ils tardent à le faire.
·
Table Analytique & Raifonnée des Matières contenues
dans les trente - trois volumes de l'Encyclopédie
& du Supplément. Tome I. Prix , 27 liv.
bl. ou br. , 30 liv. relié. Le Tome II paroîtra en
Décembre prochain.
Les Tomes VII & VIII de l'Hiftoire Naturelle
des Oifeaux in- 12 . bl. ou br. 6 liv. , relié 7 liv. 4 f.
Lettrede M. R.... Ecuyer , au Lord Comte de D. ,
touchant le Traité de Commerce conclu entre la
France & les Etats Unis de l'Amérique. Prix ,
12 fols br.
48
MERCURE
...
Recueil de Mémoires & d'Obfervations fur la formation
du Salpêtre , publiés par l'Académie des
Sciences. Vol. in- 8 ° . A Peris , chez Baftien , Libraire ,
rue du Patit-Lyon .
Avis aux Gens de Guerre für leur Santé , par
M. M... , Docteur-Régent de la Faculté de Paris.
Vol. in- 8 ° . A Paris , chez le même Libraire .
Euvres Complettes de M. Paliffot , nouvelle
Édition in- 12 . 7 vol . A Paris , chez le même Libraire.
Les Vifions d'Ibraim , Philofophe Arabe , Effai
fur la Nature de l'Ame , par M. Tiphaine de la
Roche , 2 vol, in- 12 . A Paris , chez Saugrin &
Lamy , Libraires , Quai des Auguſtins.
Manuel des Religieufes , par le P. Colomme ,
Barnabite. A Paris , chez l'Auteur . Vol . in-12 . Prix ,
1. liv. 10 fols.
Ꮴ
TA
"
BL E.
ERS récités fur le Théâtre Etrennes du Parnaffe ,
d'une Société Littéraire ,
25
Manuel de l'Etranger qui
Hymne à Vénus , S voyage en Italie ,
mite , Conte. 6 Pline ,
32
Le Roi , le Paysan & l'Her- Remarques du 7e Livre de
37
Le mort revenant, Nouvelle, 8 Académie Royale de Mufiq.43
Enigme & Logogryphe 11 Comédie Italienne ,
Voyage en divers parties de Gravures ,
l'Europe , de l'Afrique & de Mufique ,
l'Amérique , 13 Annonces Littéraires ,
Eloge de M. de Voltaire , 17
J'AI
APPROBATION.
AI Iu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 2 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
ee 1 Octobre 1779. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 9 OCTOBRE 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
En l'honneur de M. ls Comte D'ESTAING.
PLEIN des vertus de fes ancêtres ,
Comptant fur la valeur , n'attendant rien du fort ,
A l'honneur , au devoir foumis comme à fes Maîtres,
Volant à la Victoire , & provoquant la mort ,
Il force les Anglois , dépouillés de leur gloire
Par les faits éclatans , fi dignes de fon nom ,
A configner un jour dans leur tragique Hiſtoire ,
Qu'à bon droit de la France il porte l'Écuſſon *.
( Par M. le M. de C. )
* Un des Ancêtres de M. le Comte d'Estaing , pour
avoir fauvé la vie à Philippe - Augufte , acquit le droit ,
pour lui & pour les fiens , de porter les armes & la livrée
des Rois .
Sam. 9 Octob. 1779.
C
so
MERCURE
LE VOYAGEUR ET L'HABITANT DE FERNEY ,
Dialoguefur le Tombeau de M. de Voltaire,
à Ferney.
LE VOYAGEUR.
MONTREZ - MOI l'afyle touchant
Où devoit repofer la cendre de Voltaire .
16. L'HABITANT.
10
Mon coeur s'émeut en approchant ;
26
Sa tombe eft fous vos yeux.
LE VOYAGEUR.
Quoi ? ce lieu folitaire !
Quoi ? cet informe amas de cailloux entaffés
Devoit donc contenir fa dépouille mortelle !
L'HABITANT.
Sur cette pierre , hélas ! tous les yeux empreffés ,
Quand fa mémoire eft éternelle ,
Auroient lû fon nom , c'eft affez.
LE VOYAGEUR.
Comment le poffeffeur de ſa naiffante ville ,
Lui rendant un honneur nouveau ,
N'a- t'il pas de lauriers entouré cet afyle ?
L'HABITANT. ^
Voltaire, des humains la gloire & le flambeau ,
DE FRANCE. st'
Méritoit les honneurs fuprêmes ;
Et s'il étoit dans ce tombeau ,
Les lauriers y croîtroient d'eux-mêmes.
( Par M, le Marquis de V. )
LA JAM BE DE BOI S.
LE jeune Marquis de F.... vint me voir
hier matin; & auffitôt que je lui eus dit que
je n'avois point d'engagement particulier
pour toute la journée , il voulut abfolument
que j'allaffe dîner avec lui à fa maifon de
campagne , d'où nous pourrions être de retour
à Paris pour l'heure du Spectacle.
Nous avions à peine fait une lieue , lorfque
fous l'ombrage d'un arbre , à quelque.
diſtance du chemin , je vis de loin un jeune
homme de bonne mine , & en vieux uniforme
, qui étoit affis fur l'herbe , & qui
s'amufoit à jouer du violon. A mesure que
nous approchâmes , nous nous apperçûmes
qu'il avoit une jambe de bois , dont une partie
étoit brifée en éclats à fon côté.
Que faites-vous- là , Soldat , lui dit le Marquis
? Mon Officier , répondit le Soldat , je
fuis en route pour mon village. Mais mon
pauvre ami , reprit le Marquis , vous allez
être bien long-temps en chemin fi vous
n'avez pas d'autre monture que celle- ci , en
montrant les morceaux de fa jambe de bois.
J'attends mon équipage & toute ma ſuite ,
Cij
52
MERCURE
répliqua le foldat ; & je fuis bien trompé fi
je ne les vois pas en ce moment defcendre de
ce coteau.
Nous vîmes en effet une espèce de chariot
traîné par un cheval , dans lequel étoient
une jeune femme & un payfan qui conduifoit
la voiture. Dans l'intervalle du temps
qu'ils mirent pour arriver jufqu'à nous , le
Soldat nous raconta qu'il avoit reçu en Corfe
un coup de feu , pour lequel on avoit été
obligé de lui couper la jambe; qu'avant de
partir pour cette malheureufe expédition
il avoir pris des engagemens avec une jeune
fille de fon voifinage ; que le mariage avoit
été remis jufqu'à fon rétour ; mais que lorfqu'il
s'étoit préfenté avec la jambe de bois ,
tous les parens de la fille s'étoient oppofés à
leur union. La mère de fa fiancée , qui étoit
la feule dont elle eut à dépendre , lorfqu'il
commença à lui faire la cour, avoit toujours
pris fes intérêts , mais elle étoit morte pendant
qu'il étoit abfent. Quoi qu'il en foit , fa
fidelle fiancée lui avoit conftamment gardé
toutes les affections ; elle l'avoit reçu avec
les plus vifs tranfports , & elle avoit confenti
á abandonner fa famille pour le fuivre
à Paris , d'où ils avoient réfolu de fe rendre ,
par la diligence , dans fon village , où fon
père vivoit encore. Ma jambe de bois
ajouta-t'il , vient de fe caffer en ce moment,
ce qui a obligé ma maîtreffe de me quitter
& d'aller chercher un chariot pour me tranfporter
au premier village , afin d'y faire reDE
FRANCE.
53
nouveler ma jambe . C'eſt un malheur , mon
Officier , qui fera bientôt réparé ; & voici
mon anie.
La jeune fille s'élança de loin hors du chariot
La la main que fon amant étendoit
vers elle , & lui dit , avec un fourire plein
d'affection , qu'elle avoit trouvé un excel
lent Ouvrier qui s'étoit engagé à lui faire
une jambe à toute épreuve , qu'elle feroit
prete dès le lendemain , & qu'ils pourroient
reprendre leur voyage quand il lui plaircit.
Le Soldat reçut en amant paffionné les ren
dres foins de fa maîtreffe.
C'étoit une jeune fille qui paroiffoit avoir
environ vingt ans , elle étoit jolie , grande
& bien faite; fes yeux & fon maintien annonçoient
le fentiment & la vivacité.
Vous devez être bien fatiguée , mon enfant
, lui dit le Marquis. On ne fe fatigue
pas , Monfieur , quand on travaille pour ce
qu'on aime , répondit -elle . Le Soldat baifa fa
main d'un air tendre & galant. Vous voyez ,
me dit le Marquis , que lorfqu'une femine a
donné la tendreffe à un homme , ce n'eft pas
une jambe de plus ou de moins qui peut
faire changer fes fentimens. Ce n'étoit pas
fa jambe , dit Fanchon , qui avoit fait impreffion
fur mon coeur. Si elle en avoit fait
un peu , dit le Marquis , vous n'auriez pas
été tout-à- fait unique dans votre façon de
penfer. Mais allons , continua-t'il en s'adreffant
à moi , cette jeune fille eft charmante
Lon amant a l'air d'un brave garçon
Cij
54 MERCURE
& nous
ils n'ont que trois jambes entre eux ,
en avons quatre ; fi vous n'êtes pas trop fatigué
, nous les mettrons dans notre voiture ,
& nous les fuivrons à pied jufqu'au premier
village , pour voir ce qu'on peut faire pour
d'auffi tendres amans. Je n'ai jamais accepté
de propofition avec plus de plaifir.
小
Le Soldat commença à faire des difficultés
pour entrer dans la voiture. Montez , montez
mon ami , dit le Marquis , je fuis Colonel
, & votre devoir eft d'obéir . Montez
fans plus de façon. Votre maîtreffe fera à
votre côté.
Entrons , mon bon ami , dit la jeune fille ,
puifque ces Meffieurs veulent abfolument
nous faire cet honneur.
Une fille comme vous feroit honneur au
plus bel équipage de France , reprit le Marquis
, & rien ne me flatteroit davantage que
d'avoir les moyens de vous rendre heureuſe.
Laiffez-moi faire , mon Colonel , dit le Soldat.
Je fuis heureuſe comme une Reine , dit
Fanchon. La chaife partit. Le Marquis &
moi , nous fuivîmes.
Lorſque nous arrivâmes à l'auberge où
nous avions dit au poftillon d'arrêter , nous
trouvâmes le Soldat & Fanchon qui pleuroient
enfemble d'attendriffement. Mon ami ,"
dis-je au Soldat , comment imaginez- vous
pouvoir vous foutenir , vous & votre femme
? Monfieur , me répondit-il , celui qui
a imaginé pendant cinq ans de vivre de la
paye d'un Soldat , ne peut guère être emDE
FRANCE. 55
barraffé le refte de fa vie. Je joue affez bien
du violon , ajouta-t'il , & peut-être n'y a- t'il
pas dans toute la France un village où il fe
faffe plus de noces que dans celui où nous
allons nous établir . Je fuis bien sûr de n'y
manquer jamais d'emploi.
Pour moi , dit Fanchon , je fais faire des
filets à cheveux & des bourfes de foie. De
plus , mon oncle a deux cent livres à moi
entre fes mains ; & quoiqu'il foit beaufrère
du Bailli & volontiers brutal , je lui
ferai tout payer jufqu'au dernier fol. Et moi ,
dit le Soldat , j'ai foixante francs dans ma
poche , fans compter deux louis que je viens
de prêter à un pauvre Fermier pour le mettre
en état de payer fes impofitions , & qu'il me
rendra quand il pourra.
Vous voyez , Monfieur , me dit Fanchon ,
que nous ne fommes pas dans un état à
exciter la pitié. Eh mon bon ami , continuat'elle
, en jetant fur fon amant un regard
plein de tendreffe , que faut- il de plus pour
être heureux ? Si nous ne le fommes pas ,
ma douce amie , répondit avec feu le Soldat
, je ferai bien à plaindre. Je n'ai jamais
éprouvé une plus douce fenfation . Les larmes
rouloient dans les yeux du Marquis.
Tenez , ma chère enfant , dit - il en fe tournant
vers Fanchon , jufqu'à ce que vous puiffiez
être payée de vos deux cent livres , &
qu'on ait rendu à votre ami fes deux louis ,
faites- moi le plaifir d'accepter cette bagatelle
, en mettant une bourfe de louis entre
Civ
5.6 MERCURE
fes mains. J'espère que vous continuerez
d'aimer votre mari & d'en être aimée. Faitesmoi
favoir de temps en temps comment
vont vos affaires , & de quelle manière je
pourrai vous fervir. Ceci , ajouta - til , en déchirant
le deffus d'une lettre , ceci vous informera
de ma demeure & de mon nom ;
mais fi jamais vous me faites le plaifir de me
venir voir à Paris , ne manquez jamais d'amener
votre mari avec vous ; car je ne voudrois
ni vous estimer moins , ni vous aimer plus
que je ne le fais en ce moment . Venez me
voir quelquefois , mais amenez toujours avec
vous votre mari . Je ne craindrai jamais de
vous l'envoyer toute feule , dit le Soldat , &
elle vous verra fans moi auffi fouvent que
cela lui fera plaifir .
Mon bon ami , dit Fanchon avec un fou-
Fire , votre Sergent m'a dit que c'étoit pour
vous être un peu trop hafardé que vous
aviez perdu votre jambe. M. le Marquis n'eft
que trop aimable. Je fuivrai fon avis à la
lettre ; & lorfque j'aurai l'honneur de le
voir, vous m'accompagnerez toujours.
Que le ciel vous béniffe tous deux , mes
bons amis, dit le Marquis ; que celui qui
tentera d'interrompre , votre bonheur , n'en
goûte plus un feul inſtant dans la vie. Je fais
mon affaire de vous trouver un emploi plus
lucratif que celui de votre violon . Vous pou
vez attendre ici qu'une voiture vienne vous
prendre pour vous amener à Paris. Mon
Valet-de- chambre aura foin de vous prépaDE
FRANCE.
rer un logement & de vous chercher le plus
habile Ouvrier qu'on puiffe trouver´en jàmbes
de bois. Lorfque vous ferez proprement
habillés , venez me voir. Adieu , inon brave
ami , aimez bien Fanchon . Adieu , Fanchon ,
je ferai ravi d'apprendre que vous aimez dans
deux ans Dubois comme vous l'aimez aujourd'hui.
A ces mots il prit Dubois par la
main , falua Fanchon , me fit monter brufquement
dans fa voiture , & nous partimes
comme un trait. ~ !
3 裟
Pendant toute la route, il éclatoit à chaque
inſtant en éloges enthoufiaftes de la
beauté de Fanchon . Ce qui me fit ſoupçonner
qu'il avoit des vues fur elle.
J'étois affez inftruit de fa manière libre de
vivre & de penfer. Je venois de le voir fue
le point de ſe marier à une femme , après
avoir , comme il le difoit , arrangé toutes
chofes avec une autre
Pour fatisfaire là- deffus ma curiofité , je
le queſtionnai en badinant fur fes projets.
Non , mon ami , dit-il , je ne mettrai ja
mais Fanchon à l'épreuve. Quoique je la
trouve très-jolie , & de cette espèce de beauté
qui flatte le plus mon goût , je fuis cepent
dant moins enchanté de fes grâces que je ne
le fuis de la conftance de fes fentimens pour
Phonnête Dubois . En perdant ce charme ,,
elle perdroit à mes yeux fa plus grande
Nous rapporterons cette aventure dans le Mer
oure prochain..
Cv
MERCURE
beauté. Si le fort l'eût condamnée à vivreavec
un homme chagrin & jaloux , & qu'elle eût
cherché quelque confolation à fes difgrâces ,
le cas auroit peut-être été tout différent; mais
fon coeur eft refté à fon premier amant , qui
me paroît être un honnête homme , & qui ,
jen fuis sûr , la rendra heureuſe. Si j'étois
difpofé à tenter fa fidélité , mes épreuves feroient
probablement inutiles. Sa conftance
qui a fu réſiſter à l'abſence & à une balle de
moufquet , ne feroit point vaincue par les
airs , le clinquant & le jargon d'un petit maître.
J'ai plaifir à croire qu'elle ne le feroit
pas , & je fuis déterminé à ne jamais en faire
l'épreuve.
Le Marquis ne m'a jamais paru fi aimable
que dans ce moment.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft la lettre Z ; celui
du Logogryphe eft Pauvreté , où se trouvent
pavé , Paveur , ver , rat , pâté, ver àfoie ,
Pau , Pater & Avé.
#
DE FRANCE.
59
{
TANT
ÉNIGME.
ANTOT fleur & fruit , je décore
Les jardins émaillés de Flore ;
Tantôt de ma bouche d'airain
Je vomis le feu , le
carnage ,
Pour le malheur du genre- humain ;
Mais aujourd'hui , grâce au courage ,
Aux exploits brillans d'un Héros ,
Qui vogue fur l'humide plage,
Et femble commander aux flots ,
De nouveau foumife à la France ,
Je fais l'entretien de Paris ,
L'objet de fa réjouiſſance ,
Le chagrin de nos ennemis.
( Par Madame la Baronne de Potelle. )
LOGOGRYPHE.
COMMEle OM ME le fexe , on me trouve volage ,
Et l'on m'en croit la véritable image.
Pour s'en venger , le beau fexe à ſon tour
Me compare à l'amant inconſtant en amour.
Que je fois en effet de tous deux le modèle ,
Tâche de deviner comment mon tout s'appelle .
D'abord par mes habits , je furpaffe en couleurs ,
Comme en beauté , les plus brillantes fleurs.
Compté d'abord comme reptile ,
C vj
60 MERCURE
Je deviens tout- à- coup d'efpèce volatile.
Sépare mes huit pieds , Lecteur , j'offre à tes yeux:
Une ville de France , un monftre furieux ,
Un inftrument utile , une note en mufique
Un timide animal , que l'on rend domestique,
L'aliment du Berger comme celui des Rois....
Adieu ; Zéphir m'appelle , & je cède à ſes lois.
( Par M. l'Abbé P. C. de St P. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INDICATION SOMMAIRE des Réglemens
& Lois de Son Alteffe Royale l'Archiduc
Léopold , Grand- Duc de Tofcane , avec
des notes. A Bruxelles , chez Boubers . Avec
Approbation & Permiffion , 1779. in- 12 . ,
LA Toſcane préfente à l'Europe , depuis
quelques années , un fpectacle nouveau pour
elle. Parmi les Princes que l'Hiftoire a placés .
au rang des bons Rois , on en trouvera peu
fans doute qui , fupérieurs à l'orgueil de leur
rang & à l'amour de l'autorité , n'ayent ap- ,
perçu dans leur place que les grands devoirs
qu'elle leur impofoit ; qui aient fuivi dans
le Gouvernement de leurs États , cette juf
tice fcrupuleufe , qu'un particulier vertueux
met dans fes engagemens ; qui enfin n'ayent:
pas cfu qu'il y eût une autre morale pour les.
Souverains que pour les autres hommes , à
DE FRANCE.
moins qu'on ne fupposât qu'elle dût être
encore plus févère.
L'ouvrage que nous annonçons eft le Recueil
des Lois du Grand-Duc , & prouve que
l'efquiffe que nous venons de tracer peut
avoir fon modèle.
On verra en le lifant , combien les anciens
Souverains , dont le nom eft depuis tant de
fiécles l'objet de l'admiration & du reſpect ,
font loin d'avoir laiffé de pareils monumens
de leurs vertus. Qu'on ne prenne point cette
obfervation pour une flatterie ce n'eft pas
ici Léopold que nous louons , c'eft fon fiècle.
Et pourrions-nous croire qu'un Prince qui
depuis 12 ans , goûte le bonheur de faire la
félicité de fon peuple , pût être flatté de
quelques éloges ? La gloire peut éblouir
l'homme de génie , parce que fentant fa foibleffe
plus fortement peut-être que les hom
mes ordinaires , l'aveu que les autres font de
fes forces le raffure & l'encourage ; mais
l'homme vertueux qui peut fe rendre témoi
gnage du bien qu'il a fait , n'a
d'être loué.
n'a
pas befoin
Un ouvrage comme celui ci eft peu fufceptible
d'extrait. Nous nous bornerons à
donner une idée des changemens qui , de
l'un des pays gouvernés par les plus mauvarfes
Lois d'adminiftration , en ont fait celui
où ces Lois font les meilleures..
Ce tableau des bienfaits du Grand- Duc.
intéreffera fans doute nos Lecteurs, & comme
hommes , & comme François. Le frère d'une
62 MERCURE
Reine que nous chériffons n'eft point étran
ger à la France.
Il exiftoit à Florence une foule d'impôts ,
défignés par des noms bifarres , dont la fignification
même étoit oubliée. Ces impôts
ont été remplacés par un impôt unique , dont ,
la fomme eft fixe, & que chaque Canton ,
formé en communauté , impoſe de la manière
qu'il lui plaît : on a feulement preſcrit
à ces communautés la condition que l'impôt
ne porteroit que fur les immeubles , &
qu'aucune capitation , aucune taxe ne tomberoit
fur les Artifans ou fur le Commerce,
Les corporations dans les Arts & Métiers
étoient établies en Tofcane ; le Commerce
étoit foumis à une foule de gênes; les Priviléges
exclufifs avoient été multipliés à l'excès , &
tous ces petits objets étoient adminiftrés par
une foule de petits Tribunaux qui s'arrogeoient
le droit de faire les réglemens les plus
favorables à leur autorité ou à leur intérêt.
Ces abus ne fubfiftent plus.
L'Induſtrie eft libre, le Commerce n'eft
plus affujéti qu'à quelques droits d'entrée ,
d'importation , d'exportation , levés fous la
forme la plus fimple , déjà réduits beaucoup,
que le Grand-Duc paroît ne laiffer fubfifter
que parce qu'il n'a pu les fupprimer totalement
, & qu'il a eu foin de régler de manière
à faire le moins de mal qu'il eft poffible
à l'Induftrie & au Commerce. En effet ,
quoique tous ces établiffemens foient vicieux
en eux-mêmes , ils peuvent l'être plus ou
DE FRANCE. 63
moins ; des douanes fur les frontières font
moins nuifibles que les douanes intérieures ;
des droits d'entrée aux portes , le font moins
que des droits fur les confommations , levés
dans les maifons mêmes des Citoyens. Les
droits d'importation nuifent plus à l'Induftrie
s'ils font impofés fur les matières premières
, & ceux d'exportation s'ils le font.
furdes matières manufacturées. Enfin comme
les droits fur l'exportation nuifent à la quantité
de la réproduction , ils font d'autant
moins de mal que les denrées qui y font foumiſes,
font moins néceffaires à la fubfiſtance
ou au bien-être des Citoyens. Tels font les
principes que le Grand- Duc a fuivis.
A l'adminiftration de tous ces Tribunaux ,
il a fubftitué une adminiſtration municipale ,
formée par les propriétaires de chaque Diftrict
: Nobles , Roturiers , Eccléfiaftiques ,
tous y entrent fans diftinction , tous y ont
le même intérêt , parce que l'impôt porte
également fur tous.
Les travaux publics étoient négligés ; ces
Communautés en ont été chargées , & depuis
ce temps on a exécuté des travaux qui auroient
paru demander un fiécle.
Le blé , la viande , & l'huile , qui , en Tofcane,
tient lieu de beurre, font les plus grands
objets de la confommation du pays. Des
Tribunaux chargés de ces trois objets multiplioient
les réglemens ; le Grand - Duc a
laiffé la liberté la plus entière , & a ordonné
de punir comme perturbateurs du repos
MERCURE
public ceux qui troubleroient cette liberté..
Les droits de bannalité gênoient la liberté
du commerce des denrées néceffaires , & en
hauffoient le prix ; ces droits ont été fupprimés
: le gibier de certains cantons refervés
pour le Souverain , ou pour des particuliers ,
nuifoit à la culture ; la challe a été rendue
abfolument libre. Le Grand-Duc a offert des
indemnités aux Seigneurs qui perdoient leur
chaffe , aux propriétaires des bannalités ; ils
auroient rougi d'en demander à un Souve
rain qui s'étoit impofé de plus grands facrifices
: aucun ne s'eft préfenté.
Une légiflation fort compliquée fur les
forêts , n'avoit d'autre effet que d'empêcher
de planter des bois ; le Grand - Duc a rendu
à chacun la difpofition la plus libre de cette
efpèce de propriété.
Quel a été le fruit de cette legiflation ? Les
productions de blé , de vin , de foie & d'huile
ont augmenté , les plantations ont été multipliées
( 1 ) , les impôts ont diminué; & cependant
les dettes de l'État ont été payées. Dans
la première famine du règne du Grand - Duc ,
il fuivit les anciens principes , n'ofant agir
encore d'après les propres idées ; il dépenfa
beaucoup enapprovifionnemens , & il perdit
(1 ) Le Grand-Duc a cru devoir , pendant quelques
années , demander des états de ces productions ;
mais il a fenti combien cette connoiffance lui étoit
inutile , & il a difpenfé depuis fes fujets de cette
gêne.
DE FRANCE.
65
près de cinq mille hommes par l'effet de la
difette. D'autres difettes font venues dans le
temps de la liberté ; elle n'étoit pas entière
encore ; il a pris ce moment pour l'étendre
davantage , & la difette ne lui a coûté ni
argent ni fujets. ( 1) .
Le nombre des crimes eft diminué d'une
manière fenfible ; au lieu de 21 hommes
condamnés aux galères , année moyenne , il
n'y en a plus que 14 ; au lieu de 17 hommes
exécutés à mort en 10 ans , il n'y en a eu que
2 en 13 ans ; mais le nombre des hommes
condamnés à de petites peines pour des délits
légers a augmenté : preuve évidente qu'il
y a moins de crimes & moins d'impunité.
On n'a négligé ni les réformes des lois
civiles , ni celle de la jurifprudence criminelle
; mais l'Auteur de l'ouvrage que nous
annonçons s'eft peu étendu fur cet objet.
Nous y voyons cependant des traces de cet
efprit de juftice & d'humanité qui a dicté
les autres Lois. On ne peut plus emprifonner
pour dettes que pour des fommes au - deffus
de trente livres ( 2 ) ; les débiteurs font en-
(1) C'eft par une Loi du 24 Août 1775 , que la
liberté entière du Commerce du blé , de la farine &
du pain a été établie ; les Communautés de Toſcane
en ont remercié le Grand-Duc par une médaille confacrée
Principi providentiffimo , & portant pour
légende : Libertas frumentaria reftituta : opes aucta.
(2 ) La Livre de France eft à celle de Tofcane
comme 7 à 6 ; ainfi 30 liv. valent 25 liv. 14 fols
3 den. , & 16 fols valent 13 fols & den.
66 MERCURE
fermés , non dans une priſon , mais dans une
maifon de fûreté. Les prifonniers ont chacun
28 onces de pain par jour , quel qu'en foit le
prix , & 16 fols pour leur dépenſe ; c'eſt la
feule des dépenfes de fon tréfor que le Grand-
Duc ait augmentée.
La peine de la marque a été fupprimée ;
les petits délits font punis légèrement ; mais
l'efpèce du délit , le nom du coupable & la
peine reftent affichés pendant un temps fixé
dans un lieu public. Ce genre de punition a
produit les plus heureux effets.
Il refte en Tofcane encore quelques impôts
, fous la forme de priviléges exclufifs ;
tels font les priviléges de vendre le fer , le
tabac & le fel ; ces priviléges étoient à ferme
, & le Souverain les a mis en régie , en
attendant qu'il puiffe fuivre entièrement ce
que lui dictent fes principes , fa juftice &
fon amour pour fes peuples ; mais du moins
pour les délits fimples de contre-bande , toute
loi pénale eft fupprimée , & cette fuppreffion
n'a point diminué la recette.
Tel eft l'ouvrage qu'a accompli jufqu'ici
un Prince de 32 ans. Si un peuple abfolument
libre avoit été chargé de fon bonheur ,
s'il eût été éclairé , s'il n'eût accordé fa confiance
qu'à des hommes vertueux , en auffi
peu de temps on n'eût pas fait mieux ; &
c'eft le plus grand éloge qu'on puiffe donner
aux Lois d'un Prince abfolu..
En parcourant cet ouvrage , on verra qu'il
refte beaucoup à faire ; & que fur plufieurs
DE FRANCE. 67
objets , la légiflation , relative à l'adminif
tration de la Toſcare , eft encore en contradiction
avec les principes du Législateur ;
mais elle s'en rapproche chaque année ',
chaque mois , chaque jour , pour ainfi dire.
Il refte trois grands objets , la jurifprudence
civile , la procédure criminelle , &
l'établiffement d'une éducation publique ; fur
ces objets , il ne paroît encore que des Lois
douces , juftes , où l'humanité eft refpectée ;
mais on ne voit point , comme dans les Lois
d'adminiſtration , un fyftême général qui embraffe
tout & qui règle tout d'après un petit
nombre de principes généraux . A la vérité ,
aucune Nation n'en a donné encore l'exemple
, mais l'Europe a droit de l'attendre du
Grand - Duc.
AUX MANES DE VOLTAIRE , par un
Citoyen de l'Univers. +
Nulliflebilior quàm mihi.
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue
S. Severin .
Nous nous permettrons une obfervation
fur le titre de cette Pièce. Dans le fens littéral
, tout homme eft Citoyen de l'Univers
& cette qualification , qui ne diftingue perfonne
, eft dès-lors très - inutile . Dans un fens
moins rigoureux , elle fe prend quelquefois
en mauvaiſe part ; on dit d'un aventurier errant
fur le globe , fans lien qui l'attache à
68 MERCURE
aucune patrie , qu'il eft Citoyen du monde.
Ce même titre devient un éloge quand il
énonce , ou le fentiment philofophique d'une
bienveillance univerfelle , ce voeu du bonheur
fans diftinétion de tous les hommes.
C'eft fans doute dans un de ces derniers fens
que l'Auteur a entendu fe l'attribuer ; mais
on ne voit pas fur quoi il fe fonde pour s'en
parer comme d'un caractère diftinctif , dans
un temps où cette expreffion de l'amour du
genre- humain , vrai ou affecté , eft dans la
bouche de tout le monde , & femble être
devenue une formule d'ufage. L'Auteur au
roit- il cru avoir befoin de fecouer les préjugés
de fa Patrie pour rendre un jufte hommage
à la mémoire d'un des plus grands
Hommes dont elle s'honore ? Cette idée.
feroit envers la Nation une très- grande injuftice
, contre laquelle nous oferions réclamer
en qualité de Citoyens de la France ,
Nous croyons plus fimplement que cette
qualificatron eft une fuite de cette manie ,
aujourd'hui trop repandue , de vouloir mettre
de l'emphafe par-tout , & jufques dans
les titres des ouvrages. Les grands Hommes
du fiécle de Louis XIV dédaignoient cette
charlatanerie puérile. Ils s'occupoient de
bien penfer & de bien écrire , & le conten
toient de donner à leurs ouvrages un titre
qui en expliquât clairement l'objet..
Nous ne voyons pas non plus pourquoi
M. Doigni du Ponceau femble s'attribuer ,
dans fon épigraphe , un droit particulier de
DE FRANCE. 69
pleurer M. de Voltaire. Auroit- il oublié
qu'il y a des convenances Littéraires auxquelles
il n'eft pas plus permis à un Auteur
de manquer , qu'à un homme du monde de
bleffer les bienféances fociales ? On n'auroit
pas été furpris de voir l'epigraphe qu'il a
choifie , à la tête de l'écrit d'un Philofophe ,
lié d'une amitié longue & intime avec M. de
Voltaire , ou d'un Élève qu'il auroit pris
foin d'inftruire . C'eft à M. d'Alembert ou à
M. de la Harpe qu'il eût pu être convenable
de dire : Nulli flebilior quàm mihi. Mais un
Écrivain qui n'eft point connu pour avoir eu
des relations perfonnelles avec M. de Voltaire
, & qui peut-être n'a jamais vu ce
grand Homme , n'a pu , fans manquer à une
forte de bienféance , s'appliquer ce mot,
qui ne lui convient pas plus qu'à la foule de
ceux qui lifent & qui admirent les ouvrages
ce Génie extraordinaire. ( 1 )
•
( 1 ) Veut-on voir un exemple de l'à - propos le plus
heureux en ce genre ? Le voici. Le Traducteur des
que M.
blement furnommé poltaire avoit déjà fi agréa
Virgilius le
trouvoit à Ferney , où il avoit fouvent témoigné à
M. de Voltaire fon attachement pour un homme *
dont on apprit alors la difgrâce, Le Philofophe appliqua
fur le champ au Poëte , ce même paffage de
l'Ode d'Horace à Virgile , fur la mort de Quintilius :
Multis ille bonis flebilis occidit
Nulli flebilior quam tibi , Virgili.
ر ا
* On fe rappelle l'Épître à un Homme,
79. MERCURE
!
Au refte , il eft temps de revenir à la Pièce
même ; & le morceau que nous allons citer
fera juger , qu'avec de meilleurs principes
de goût , rien n'empêchoit que l'Auteur ne
devint un verfificateur pur & naturel.
Surpaffe en imitant ; inftruis : voilà tes droits.
Je n'ai point oublié le bonheur que je dois
Au Peintre fi touchant de Phèdre & d'Athalie ,
Au Peintre plus nerveux qui créa Cornélie ;
Mais lorsque de ton Art le preftige nouveau
Déploie à mes regards un plus vafte tableau ,
Orofmane immolant Zaïre qui l'adore ,
Gufman affaffiné pardonnant à Zamore ,
Mérope au défefpoir prête à frapper fon fils ,
La mourante Idamé plus forte que Gengis ,
D'Électre dans les fers la vertueufe audace ,
Et l'ombre qu'elle implore & l'urne qu'elle embraffe ,
Ce Mahomet enfin , fublime & criminel ,
Qui trompe l'univers & fait mentir le ciel ;
Subjugué malgré moi , je ſens la Tragédie ,
Et plus attendriffante , & plus approfondie , &c.
Ces vers font faciles , & ne font pas dénués
d'une certaine grâce . Nous defirerions ,
pouvoir donner le même éloge à tout le
refte de la Pièce ; mais nous avouons que
l'Auteur ne nous paroît pas s'être affez défendu
de cette contagion trop générale , qui
femble avoir mis à la mode , le vague des
idées , l'incorrection du ftyle , l'incohérence
DE FRANCE. 71
des métaphores , le vuide des grands mots ,
en un mot , ce ton fauffement fententieux
qui annonce la prétention de penfer , mais
qui en décèle encore mieux la malheureuſe '
impuiffance. Un autre défaut non moins
effentiel à éviter , & qui eft encore celui de
prefque toutes les Pièces de Concours , c'eſt
le manque abfolu de plan & de marche.
Elles n'ont ni but , ni commencement , ni
milieu , ni fin. La règle de favoir bien ce que
l'on a à dire , règle qui fe trouve renfermée
dans un vers thecnique de l'Ontologie ,
Quis , quid, ubi , quibus auxiliis , cur , quomodè
quandò ,
femble n'avoir jamais été connue de nos
jeunes Auteurs. Il eft vrai que l'art de favoir
fe tracer un plan , & de fuivre une marche
sûre , eft d'autant plus difficile , qu'il fuppofe
beaucoup de véritable efprit , ce qui , comme
on fait , eſt toujours très- rare.
VARIÉTÉ S.
LETTRE au Rédacteur de lapartie Littéraire
du Mercure.
Q.Uz penfez-vous , Monfieur , de la manière
dont on s'y eft pris , dans la critique du Dithyrambe.
pour juftifier l'Homme de Lettres qui , dans l'opinion
publique , paffe pour en être l'Auteur ? Ne doit-il
pas être bien touché , bien reconnoiffant d'une
parèille apologie ? Si cet ouvrage étoit de lui , il
auroit, fans autre motifqu'une gloriole puérile, violé ,
72 MERCURE
dit-on , une règle fage & refpectable , compromis fon
Corps , attaqué le principe même d'une inftitution
utile aux Lettres ; & pour prouver qu'il n'a point
ce tort- là , on déchire l'ouvrage qui lui eſt attribué ,
on fe donne un faux air de croire qu'il eft de la
main d'un jeune homme.
Non , Monfieur , on ne le croit point , on ne veut ,
pas le faire croire ; on fait bien que l'opinion eft
fixée fur cet objet. On a voulu en même-temps inculper
la perfonne & déprimer l'ouvrage , & pour
défendre l'un & l'autre , je prendrai , fans aucun
détour , la critique dans fon vrai fens.
Le Dithyrambe , eft-il l'ouvrage d'un homme qui
parfa place , n'avoit pas le droit de difputer un prix
destiné à exciter l'émulation , & à encourager les talens
des jeunes Poëtes ? Je n'en fais rien ; mais je
fuppofe que cela foit , comme tout le monde le
penfe ; & dans cette fuppofition , je vais réduire à fa
jufte valeur ce tort réel ou prétendu , que l'on a pris
foin d'aggraver.
Je commence par convenir que s'il eft arrivé
quelquefois que des Académiciens célèbres fe foient
permis de difputer incognito, les prix de leur Académie
( 1 ) , ils ont donné un mauvais exemple. Mais
( 1 ) En 1695 , M. de Fontenelle , qui étoit de l'Académie
Françoife depuis quatre ans , fit propofer pour fujet du
Prix d'Eloquence : Combien il eft dangereux de fuivre certaines
voies qui paroiffent sûres. Il fit le Difcours qui reinporta
le Prix , & qu'il mit fous le nom de fon ami M.
Burnel. Ce Difcours et un des meilleurs ouvrages de M.
de Fontenelle & des plus curieux à lire. L'Abbé Trublet ,
ami de Fontenelle, cite cette Anecdote , & dit que Fontenelle
lui en avoit fait faveu. Il ajoute que l'Abbé Hou
teville , qui fit plufieurs années après la même faute , fur
féduit par l'exemple de Fontenelle . Il faut obferver que
dans l'une & dans l'autre circonftance , l'Auteur fuppofé
reçut le Prix ; au lieu qu'ici l'Auteur anonyme du Dichyrambe
l'a refufé Cela fait une différence , ( Mém . fur M. de
Fontenelle. Amft . 1759 , pag. 21 , 26 & 292. ) 45
DE FRANCE. 73
f , pour l'éloge de M. de Voltaire , cet exemple a
été fuivi , j'obſerverai du moins , que dans un cas fi
privilégié , la faute n'eft pas fans excufe.
10
לכ
99
En effet , Monfieur , fuppofons , ce qui eft affez
vraisemblable , que quelques admirateurs paffionnés
de M. de Voltaire ſe ſoient adreffés à un homme de
Lettres , connu par fon dévouement pour la gloire
de cet homme illuftre , & qu'ils lui ayent dit : Ileft
» intéreflant que M. de Voltaire foit dignement
» loué ; il court rifque de ne pas l'être ; un éloge
» en vers , qui embraffe toute l'étendue de fon
génie & de fes travaux , qui le montre dans tout
» fon jour , avec les traits qui le diftinguent , peut
» difficilement être l'ouvrage d'une main novice ; la
vôtre eft exercée dans l'art d'écrire , & d'écrire
en vers ; vous êtes plein de ce beau fujet ; vous
» avez déjà loué tant de fois M. de Voltaire , &
» tout récemment encore avec un fuccès fi brillant !
qui , mieux que vous , peut affurer à fa mémoire
» l'honneur d'être dignement célébrée , dans le
triomphe folennel que lui décerne l'Académie ?
La règle s'y oppofe ; mais M. de Voltaire eft
» au- deffus de la règle commune. Votre délicateffe
» ne vous preferit que le défintéreffement . Si quel-
» que autre fait mieux que vous , il aura le prix , &
» nous aurons de M. de Voltaire deux bons éloges
» au lieu d'un : fi vous êtes le feul qui l'ayez bien
» loué , vous ne ferez tort à perfonne ; & en n'ac-
לכ
30
ככ
ceptant pas le prix , vous montrerez évidemment
» la pureté de votre zèle : enfin , fi quelque autre
après vous mérite ce prix , vous , le lui céderez
& il lui reftera encore affez de gloire.
در
Je demande à préfent , Monficur , fi l'homme à
qui l'on auroit tenu ce langage , ne feroit pas bien
pardonnable de s'être laiffé perfuader.
Je fais bien qu'à ne confulter qu'une prudence
réfléchie , l'Homme de Lettres à qui l'on propofe
Sam. 9 Octob. 1779. ១
D
74
MERCURE
d'expofer infi fa conduite aux interprétations de la
maligrité, refufera de fe compromettre ; mais fi
Tencouragement l'excite , fi le zèle pour la mémoire
d'un grand homme dont il fut aimé , fi ce zèle , porté
jufqu'a l'enthoufiafme , le preffe & le pouffe au
del des règles ; s'il fe trompe même en ne voyant
qu'un courage noble à s'expofer ainfi , pour faire
entendre , s'il lui eft poflible , le digne éloge
d'un grand homme , je vois dans fa conduite tout
un autre motif qu'une gloriole puérile ; & la preuvė
qu'on a fenti combien les circonftances affoibliffoient
le tort qu'il pouvoit avoir , c'eft que dans la féance
publique ou le Dithyrambe a été proclamé comme
ayant mérité le prix , ( perfonne alors ne doutant
plus qu'il ne fut de l'Homme de Lettres fur qui tous
les yeux fe fixcient ) il n'a pas excité le plus léger
murmure , & qu'il a été au contraire généralement
applaudi .
On pourra dire que l'Auteur eût mieux fait de
compofer l'éloge & de le lire dans l'Affemblée .
fans l'avoir mis au concours. Mais peut-être avoit-il
d'affez bonnes raifons pour garder l'anonyme ; une
expérience récente avoit pu lui en faire fentir l'avantage
; & au cas qu'il fut reconnu , il lui importoit
de fe prémunir du fuffrage de l'Académie .
C'étoit un bouclier qu'il vouloit oppofer aux traits
de fes ennemis , qui ne font pas en petit nombre ;
& quand il n'auroit eu aucune précaution à prendre
pour lui-même , la gloire de M. de Voltaire étoit
intéreffée à ce qu'il donnât le plus d'autorité qu'il lai
* feroit poffible au témoignage qu'il lui rendoit. L'éloge
non couronné , n'étoit que l'hommage d'un
Homme de Lettres ; l'éloge folennellement adopté
par l'Académie , étoit l'hommage du Corps Littéraire
; & cette feule confidération eft affez forte
pour juftifier l'Auteur , quel qu'il foit , d'avoir mis
T'ouvrage au concours. Un feul homme peut-être a
DE FRANCE. 75
eu droit de s'en plaindre , c'eft M. de Murville ;
& il a eu la modeftie & l'honnêteté de ne s'en
plaindre pas.
Il me refte , Monfieur , à examiner fi cet Ouvrage
cft auffi peu digne d'un Écrivain diffingué ,
qu'on a voulu le faire entendre , & fi l'analyfe qu'on
en a faite , eft auffi jufte qu'elle eft févère. La critique
a fon utilité , mais la critique de la critique
peut bien auffi avoir la fienue : c'eft pour le goût
un contre-poifon plus néceffaire aujourd'hui que
jamais.
Les bons Ouvrages ne font pas ceux cù l'on
n'apperçoit ni incorrections ni négligences , mais
ceux où les beautés dominent, & cul'effet de l'enfemble
fait oublier les fautes de détail . Il ne laiffe pas
d'être utile de relever ces fautes échappées à l'attention
de l'Écrivain : le tort des Critiques eft feulement
d'y attacher trop d'importance. Dans les uns , c'est
pédanterie ; dans les autres , mauvaife foi , malignité ,
envie , fureur de déprimer des talens qu'ils n'ont
pas, ou des fuccès qui les affligent.
Le Cenfeur anonyme du Dithyrambe s'eft laiffé
aller à je ne fais quel de ces mouvemens ; mais ce
que je fais bien , c'eft qu'il règne dans la Critique
un ton de fupériorité qui convient à peu d'Hommes
de Lettres , & un ton de dédain & de dénigrement
qui ne convient à aucun. Il a ce tort même
quand fa critique eft jufte ; il l'a doublement quand
elle ne l'eft pas , ce qui lui arrive fouvent c'eft
même par là qu'il débute .
ta- L'Eloge de M. de Voltaire commence par lé
bleau de fon arrivée à Paris . Le concours , l'ivreffe,
les voeux , les acclamations de tout un peuple
les mouvemens que ce fpectacle excite dans l'ame
du Poëte , tout cela ne demande que des touches
rapides ; & pourvu que les images & les fentimens
sy fuccèdent comme dans la Nature , que chaque
Dij
76 MERCURE
trait foit à fa place , & qu'ils concourent tous
l'effet de l'enfemble , l'accord en fait la liaiſon .
Or , c'est dans ce morceau, où le ftyle coupé eft fi
naturel , & où les haifons grammaticales feroient
fi froides , c'eft-là que le Cenfeur obferve , comme
un défaut , que tous les vers font détachés & féparés
par un fens abfolu ( il a voulu dire par un
pos abfolu ) , ce qui n'eft pas ; mais quand cela
feroit , chaque partie d'un tableau poëtique ne peutelle
pas être exprimée en un vers , & former un fens
abfolu , fans que le tableau qui les réunit , manque
d'enfemble & d'harmonie ?
re-
L'Anonyme ajoute que ces vingt premiers vers
peuvent le déplacer , fans rien changer à l'effet total
; & moi , j'ofe affurer qu'il eft impoffible d'en
tranfpofer aucun fans tomber dans une faute grave ,
c'cft-à-dire , fans renverfer l'ordre naturel des idées ,
ou fans mettre le plus foible après le plus fort
ce qui eft contraire à tous les principes.
Quel eft done te Vieillard , ce Mortel adoré ?
On fent que ce Mortel, loin de rien ajouter à l'idée
, affoiblit & ralentit le vers .
On fent au contraire que l'image d'une vicilleffe
vénérable , & puis celle du culte rendu à un Mortel,
méritent chacune de fixer l'attention , & que
le vers ainfi réduit ,
Quel eft ce Vieillard adoré ?
n'auroit plus ni pompe ni force.
Sur lui tous les regards , tous les voeux ſe confondent.
Cette image eft froide & commune.
Cette image n'eft pas nouvelle ; mais elle eſt vive ,
& elle eft à la place.
Tous les voeux font encore la pour la mesure.
Les veuxde tout un peuple , réunis fur un homme,
DE FRANCE. 77
ne valoient donc pas la peine qu'on en parlât ?
Voilà une cheville d'une nouvelle eſpèce.
Jour , qui va couronner les deftins les plus beaux !
Jour, Fait pour payer feul un fiècle de travaux !
On voit que Auteur n'a fait ces deux vers que
pour trouver deux rimes.
Mais fi chacun de ces deux vers préfente une idée
grande & diftincte , il fe trouvera que le Poëte les a
faits pour exprimer deux grandes idées . Or , que le
jour du triomphe de Voltaire ait couronné une vie
illuftre ; que ce jour feul , ce feul triomphe , eût été
la digne récompenfe de foixante ans de travaux ;
voilà deux vérités , dont chacune , à ce qui me
femble , méritoit bien d'occuper une ligne dans fon
éloge.
Un feul vers eût exprimé plus heureufement toute
fon idée.
Jour , qui va couronner un fiècle de travaux.
Le Critique me permettra de lui dire que dans la
véritable acception des mots , ce jour payoit les
travaux de Voltaire , & ne les couronnoit pas . Couronner
des travaux , c'eft les terminer par un bel
ouvrage , ou par une action glorieufe : la guerre
d'Efpagne couronna les travaux de Céfar ; la tragédie
d'Edipe couronna les travaux de Sophocle. Dans
un autre fens , les travaux de Voltaire avoient déjà
été couronnés par les plus éclatans fuccès. Ce jour
couronnoit fesdeftins , il mettoit le comble à fa gloire;
& il étoit affez glorieux lui-même pour payer feul
foixante ans de travaux. Rien n'eſt plus clair , & riem
n'eft plus jufte.
Pour critiquer des vers avec tant d'affurance , &
pour enfeigner à les faire , il faudroit d'abord étudier
fa langue , & puis le préferver de l'efprit de
chicane , qui eft le plus grand ennemi du goût.
60D iij
78.
MER
CURE
que
Où le Critique a - t- il donc vu qu'enivré ne peug
être pris abfolument au moral , & que , dans quelcirconftance
qu'on l'empleie , un peuple enivré
fignifie un peuple ivre ? Qu'il fache qu'au moins
en poëtie , enivré eft , dans tous les cas , parfaitement
analogue à ivreſſe ; c'eſt au fens à décider fi
c'eft ivrejfe de vin , d'enthousiasme ou de joie ; &
il en eft de même d'enivré.
Formant un même cri , mille voix fe répondent.
Si les mille voix ſe répondent , elles ne fe font
pas entendre à la fois ; elles ne forment, donc pas
un même cri.
Un Cenfeur fi difficile devroit favoir qu'un même
eri n'eſt pas toujours un cri fimultanée : il fuffit qu'il
foit continu , & qu'il exprime une même chofe . Par
exemple , le Roi , depuis Paris jufqu'à Reims , n'a
entendu qu'un même cri , & l'on pouvoit dire alors
de cent mille voix , qui fe répondoient par écho
qu'elles formoient un mêine cri.
Tous , vous vous difputez le droit de l'en couvrir. ( de
lauriers )
Dans ce vers , le Critique reprend tous , vous vous
comme déplaifant à l'oreille. A la rigucur il a raffon ,
quoique tous fe détache , & que l's qui fe fait enten ,
dre à la fin de ce mot , en diftingue le fon de celui
de vous , dont l's ne s'entend pas . Le droit ne lui
femble le mot propre ; il a raiſon encore , mais
pas
ce fcrupule eft minutieux .
Renait , & c.
Savieilleffe attendrie
Ici fa remarque eft plus folide : renaît ne dit pas fe
ranime.
Du génie & du temps l'ouvrage fe confomme.
Qu'est-ce que l'Auteur a voulu dire ? Eft- ce que
DE FRANCE
. 79 le retour de Voltaire dans fa Patric , après trente ans
d'atfence , étoit l'ouvrage du génie & du temps? Le retour de Voltaire dans fa Patrie n'étoit point l'ouvrage du génie & du temps , & le Poëte n'en dit pas un mot. Mais il vient de peindre , dans les vers
précédens , les honneurs que la Patrie lui accorde ; & la juftice rendue à ce Grand Homme , eft l'ou- vrage du génie & du temps : du génie qui a forcé
l'admiration
, &du temps qui a laffé l'envie.
Tous les coeurs font heureux des honneurs d'un Grand
Homme.
On ne peutpas dire les honneurs d'un grand Homme, pour les honneurs que reçoit un Grand Homme.
Le Critique ne croit donc point qu'on puiffe
dire mes honneurs, pour les honneurs que je reçois ;
mais qu'il le demande à Racine : Je vois mes honneurs croître , & tomber mon crédit.
Or , fi Agrippine peut dire mes honneurs , on peut
dire aufli les honneurs d' Agrippine . Ce que le Critique
femble avoir eu le plus à coeur en attaquant ce vers ,
a
été de faire fentir qu'il étoit commun ; mais il n'y a
rien de moins commun , ni dans le fait ni dans les termes
, qu'un peuple heureux des honneurs d'un Grand
Homine . Ce vers exprime la circonftance la plus intéreffante
du triomphe de Voltaire dans fa patrie ; il préfente un tableau touchant ; & il faut bien
qu'on en ait fenti la vérité & la beauté , puifqu'à la
Séance publique il a été tant applaudi .
Après avoir cité ce morceau :
Il n'eft plus ! ... Prends ton vol , agile Renommée !
Aux bouts de la terre alarmée ,
Porte de tes cent voix le plus lugubre accent ;
Qu'on le répète en gémiſſant.
Annonce un jour de deuil à tout Être qui penſe 3
Et nous , quand Voltaire s'élance
Div
80 MERCURE
V
Vers l'Olympe des demi - Dieux ,
Saluons par nos chants fes Mânes radieux.
Que la Nature entière , à fa perte attentive ,
Les Beaux-Arts orphelins , l'Humanité plaintive ,
Lui confacrent de longs adieux.
Le Critique reprend ainfi : pendant qu'au bout de
la terre alarmée on gémira , on fera en deuil , parce
que Voltaire vient de mourir au milieu de nous ,
Auteur veut que nous chantions , parce qu'il s'élance
vers l'Olympe des demi-Dieux.
Ainfi ces mois , faluer par des chants , font traduits
par le mot chanter , qui préfente communément l'idée
de la joie ; & au moyen de ce traveftiflement , on
tourne en ridicule un beau vers : rien de plus ailé.
Mais qui ne fait pas qu'il y a des chants funèbres ,
des chants religieux ; & qu'en pleurant la perte d'un
grand homme , on peut le faluer par des chants ' de
louange ,?
Quel eft , demande le Critique , cet Olympe des
demi-Dieux ?
Lucain va le lui apprendres.
Qud niger aftriferis connectitur axibus aër ,
Semidei manes habitant , quos ignea virtus
Innocuos vita, patientes atheris imi
Fecit , & aternos animas collegit in orbes.
Cette idée eft , je crois , affez grande , aſſez poétique
, pour mériter d'être adoptée ; mais comme on la
Croyoit nouvelle , on l'a traitée avec mépris.
U
Si avant de critiquer les ouvrages de Poéfie , on
étudioit les Poëtes , on fe rempliroit de leurs idées ,
on s'accoutumeroit à leur langue , on ne trouveroit
pas triviale l'épithète de radieux appliquée à des
mânes , on verroit que par ce feul mot , le Poëte fait
Poffice du Peintre ; on ne trouveroit pas oifeux un
Démiſtiche , où le Poëte repréſente la Nature attentive
DE FRANCE. 81
3
t
à la mort d'un grand Homme ; on ne demanderoit
pas pourquoi de. longs adieux font adreffés à un
homme dont il eft fi naturel que les Beaux- Arts , les
Lettres , l'Humanité s'occupent long - temps encore
après la mort ; on fentiroit le prix d'un mot qui repréfente
les nations fuivant des yeux les mânes de
Voltaire , & lui faifant de longs adieux ; enfin l'on
n'oferoit pas dire que le Poëte qui a fait ces beaux
vers , & fur- tout celui-ci ,
(
Annonce un jour de deuilà la terre alarmée ,
femble n'avoir pas eu le fentiment de ce qu'il exprime.
Le Critique a eu foin de mutiler le tableau fuivant
, l'un des plus beaux de tout l'ouvrage. Commençons
par le rétablir.
Les morts fe font émus , & les ombres célèbres
Oat paru s'ébranler fous les marbres funèbres.
Sous fa pierre ignorée Homère a treffailli .
Aux champs de Port-Royal Racine enfeveli ,
A d'un nouveau murmure attrifté cette enceinte,
Aujourd'hui déſoléc , & qui jadis fut ſainte.
Du Capitole antique , où le Taſſe erre en vain ,
Les rochers ont gémi , frappés d'un cri foudain.
Lé laurier renaiffant , à Virgile fidelle ,
A courbé fes rameaux fur fa tige immortelle.
Dans les caveaux facrés , dernier féjour des Rois
Un écho lamentable a retenti trois fois
Trois fois , fous la noirceur des voûres fépulcrates ,
S'élevant du milieu de ces tombes Royales
Une voix a redit dans ce morné féjour :
Le Chantre de Henri vient de perdre le jour !
รา
Ce morceau , applaudi avec tant d'éclat à la Séance
publique, n'arrache pas un feul éloge au Cenfeur
anonyme : il ne remarque dans ces vers que des
Dy
82 MERCURE
images vagues & communes . C'eft , dit-il , ce défaut
continu de précifion dans les idées , qui rend tant
d'ouvrages en vers fi vagues , fi vuides , fi dépourvus
d'effet . Verfus inopes rerum.
Quelle juftice ! quelle bonne foi!
Il demande quelle est la différence des morts avec
les ombres célèbres ; comme fi après cette idée générale
, les morts fe font émus , il n'étoit pas dans l'ordre
naturel de particularifer les ombres célèbres.
Il demande pourquoi le Pocte, a mis ont paru
s'ébranler ; & cet adouciffement dans l'expreffion ,
Jui femble déplacé dans un Poëme qui , felon lui ,
n'eft que du genre tempéré.
Il demandé ce que c'eft que ce nouveau murmure
de Racine , comme s'il étoit bien difficile d'imaginer
poétiquement que l'ombre de Racine a pu former
déjà quelques murmures ; par exemple , lorfque Port-
Royal , fon dernier afyle , a été enseveli fous fes
ruines : événement rappelé par ces mots ,
Cette enceinte
Aujourd'hui défotée , & qui jadis fut fainte."
Il demande qu'est - ce qu'il y a d'étonnant à ce
qu'une demeure fainte foit défolée. S'il y avoit profanée
aulieu de défolée , cela feroit un fens , dit-il ;
comme fi en défolant un lieu faint , on ne le profanoit
pas !
Il demande pourquoi le Taffe erre en vain autour
du Capitole où il alloit être couronné quand il est
nort ; il ne s'apperçoit pas qu'il l'explique lui-même ,
& qu'il eft très- naturel de fe repréfenter l'ombre du
Taffe errant autour du Capitole , & redemandant la
couronne qui lui eft échappée. Enfin il ne daigne
pas obferver que quand toutes ces remarques fi minuticufes
auroient quelque fondement , l'idée générale
de ce tableau & fa compofition n'en feroient pas
moins neuves & grandes , & que les fix derniers vets
DE FRANCE.
( qu'il n'a point cités ) font des plus beaux que l'on
ait faits dans notre langue.
Le morceau fur le Poëme épique eft le plus foible
de l'ouvrage , & le plus négligé fans doute ; & tout
le monde l'a fenti ; mais je demande à celui qui n'y
trouve aucune idée heureufe , fi ce n'eſt pas heureufement
faifir un beau trait de louange four M. de
Voltaire , que de dire , avec vérité , que la Henriade
a rendu plus préfente encore & plus chère aux
François la mémoire de fon Héros ?
Le Critique ne veut pas que Voltaire , ayant renoncé
aux vains prestiges de la Fable , Calliope , qui
eft un perfonnage de la Fable , fe laiffe conduire par
luifur lespas de la Vérité. Il a oublié que Voltaire ,
dans fon invocation , demande lui - même à la Vérité
de permettre que la Fable fuive fes pas.
Sur tes pas aujourd'hui permets - lui de marcher ,
Pour embellir tes traits , & non pour les cacher.
Il demande encore ( car c'eſt- là ſa manière favorite
de critiquer ) pourquoi la Mufe du Poëme héroïque
est une Déelle fière & hautaine ?
Mais je lui demande à mon tour fi la Mufe qui
a créé les Dieux , & qui a chanté les plus hauts faits
des hommes , eft une Muſe humble & timide ?
Couvrir une urne de lauriers , lui femble une expreffion
vague & pauvre. Parer une urne d'un laurier,
feroit , dit- il , une image plusjufte.
Mais une image ne manque de jufteffe que par un
défaut d'analogie dans les termes ou dans les idées ;
& une urne chargée d'un faiſceau de lauriers n'a rien
que de très-naturel . Le mot couvrir eft le plus fort ,
le mot parer eft le plus foible ; voilà toute la différence.
Il obferve que le Poëte qui , jufques- là n'eft pas
"forti de fa place , ( plaifanterie vuide de fens ) fe
D vi
84 MERCURE
trouve tout-à-coup conduit à lafois & tranfporté dans
le temple de la Tragédie.
On voit bien qu'il auroit envie de tourner en ridicule
un très-beau mouvement de l'imagination de
l'Auteur , & un endroit de l'ouvrage très -poétique &
très-animé. Mais lorfque S. Louis ( dans la Henriade
) conduit Henri IV au palais du Deftin , il l'y
transporte; & c'eft ainfi qu'une Mufe conduit un
Poëte dans fon temple . Ce qui feroit ridicule & burlefque
, c'eft qu'ils y allaffent à pied.
{
Le Poëte vient de parler d'un temple , & il ajoute ,
Deux fpectres font affis fur ce lugubre feuil.
Il n'a pas encore parlé de feuil , obferve le Critique .
Il ne voit pas que l'idée de Temple amène cele
de feuil ; & que dans le ftyle animé , c'eſt le plus
petit intervale que puiffe franchir la penfée .
Ce qui frappe le plus & le plus fouvent dans cette
analyfe, c'eft la froideur de l'imagination ; & fans
une imagination vive , comment peut- on juger les
Poëtes ? Le Critique met à la place une métaphyfique
fubtile & bien fouvent frivole à force d'être rafinée : par
exemple, il prétend que lapitié n'éprouve point d'alar
mes. Il falloit , dit-il , réferver ce trait pour la terreur.
Il vouloit donc que le Poëte eût mis les alarmes
fur le front de la Terreur ? C'eſt -là , ne lui déplaife
, ce qui eût été auffi ridicule que fi on mettoit .
le dépit fur le front de la rage , ou le fcrupule fur le
front du remords ; & la raifon en eft fenfible. Chaque
trait de l'image doit ajouter à l'idée , & ce n'eft point
par le plus foible, qu'on renchérit fur le plus fort. Mais
les, alarmes conviennent-elles à la pitié ? je le demande
aux coeurs fenfibles . Et lorfqu'on voit un malheureux
qui attend un fecours éloigné , ou qui n'ayant qu'un
feul & foible appui , fe voit périr , fi cet appui lui
manque , peut-on le plaindre , & ne pas éprouver les
plus vives émotions de l'efpérance & de la crainte ?
DE FRANCE.
Ce font-là , Monfieur , les alarmes inféparables de
la pitié , & c'eſt un trait délicat & jufte que le Poëte
a dû ajouter au caractère de cette paffion.
Il n'eft pas moins vrai que la pitié , telle qu'on
Péprouve au théâtre ,
Semble aimer fa douleur & fe plaire à fes- larmes.
Le Critique prétend que fe plaire à fes larmes n'eft
pas françois ; & il fe trompe. On dit fe plaire à
verfer des larmes. Affurément , fe plaire dans fa
douleur , & non à fa douleur , tout cela eft vrai.
Mais un Critique fi délicat devroit favoir que fe
plaire dans & fe plaire à , s'employent tous deux
différemment ; l'un avec les noms qui expriment une
fituation , une manière d'être ; ainfi l'on dit fe plaire
dans le repos , dans la folitude , dans le filence ,
dans fa mélancolie , dans fes rêveries , dans fa douleur:
l'autre avec les noms qui expriment une action ,
une manière d'agir , fe plaire à la promenade , à la
Lecture , à la musique , à la danfe , à fa rêverie , τὰ
fes larmes. Je dis à fa rêverie , après avoir dit dans
Ses rêveries ; & cela même fait fentir mon idée :
car on fe plaît dans fes rêveries habituelles , & à
fa rêverie actuelle , qui eft l'occupation du moment.
Tous fes traits altérés annoncent là terreur.
Le Critique trouve que ces mots rapprochés , traits,
altérés , terreur , font durs à l'oreille ; & il a raifon ;
mais c'eft lui - même qui les rapproche. L'altération
des traits ne caractériſe pas plus , dit- il , la terreur
que la pitié ; & affurément il a tort .
Je vous demande pardon , Monfieur , fi je m'arrête
à des minuties ; mais cette analyſe en eft
pleine.
Le Poëte a défigné Corneille par ces vers :
Le voilà ce Grand Homme f
Qui porte fur fon front la majefté de Rome,
Des Héros dans fes'traits refpire la grandeur.
圈
86 MERCURE
Le Critique trouve que c'eft le peindre par des
traits biencommuns & d'un style bien négligé.
Le Poëte n'a pas voulu peindre Corneille , mais
le caractériſer par un trait ; & fi ce trait, frappant
de reffemblance , ne convient qu'à lui feul , qu'a -t-il
de fi commun? Grand Homme & grandeur de Héros
font trop près l'un de l'autre ; c'eſt une négligence .
Mais ces deux vers :
Il porte fur fon front la majesté de Rome ,
Des Héros dans fes traits refpire la grandeur ,
font beaux en dépit du Critique : refpire en poëfie
veut dire , fe montre vivante, & c'eft ici la première
fois qu'on a repris cette expreffion fi familière
à tous les Poëtes.
Tous ces efprits divins que Melpomène affemble ,
Mortels devenus Dieux , qui jouiffent' enfemble.
Je trouve , comme le Critique , une redondance de
flyle dans ces vers & dans les deux fuivans ; mais
cette façon de critiquer des efprits divins , qui font
des mortels , qui font devenus dieux , n'eft qu'une
froide plaifanterie ; & après ces efprits divins , ce
développement d'idée , mortels devenus dieux , eft
très- noble & très- naturel.
Le Critique ne veut pas que la Mufe Tragique
ait des fautiens , ni que ces foutiens foient affis auprès
d'elle : il ne veut pas qu'elle daigne entendre
Tes, grands Poëtes qu'elle infpire . Mais elle ne règne
que par eux ; ils font les foutiens de fa gloire ; &
forfqu'on aura dit d'un homme qu'il eft le foutien
d'un empire , je ne crois pas qu'il foit défendu de le
faire affeoir auprès du trône dont il eft l'appui. Appui,
foutien font de ces mots qui ont paffé au moral
comme des termes fimples , & qui n'exigent plus les
rapports de la métaphore
DE FRANCE. 87
ˋ
Je le répéterois cent fois : ce Critique n'a jamais
eu aucune idée de la Poëfic . Voyons du moins fi ,
lorfqu'il s'agit de Phyfique , il eft plus heureux :
Sur le char du Soleil Newton prend fon effor
Dans fes plus purs rayons obſerve la lumière ,
Cherche des élémens la fubftance première ,
Pèfe cet Univers dans l'eſpace emporté ;
Kival & confident de la Divinité ,
>
Le monde qu'elle a fait , c'eſt lui qui le meſure . t
Qand on invoque la vérité , & qu'on parle du vraï
Systême du monde, il ne faut pas faire voler Newton
fur le char du foleil , parce que le foleil , qui eft immobile
dans ce fyftême , n'a plus de char.
Le foleil , dans les principes de Newton n'eft
point immobile , & ne peut l'être je ne laiffe
pas d'avouer que cette image fur le char du foleil cft
trop étrangère au fujet.
Newton n'obfervoit pas la lumière dans les
rayons du foleil ; il décompofoit la lumière ; & c'étoient
les couleurs primitives qu'il obfervoit dans les
rayons du foleil, qui font tous également purs.
Newton a décompofé la lumière , comme le fait
quiconque a vu les expériences du prifme ; mais ne
pouvant pas dire en vers décomposer la lumière , on
a pris le mot le plus analogue & le plus voisin de
Pidée cat pour décompofer la lumière , il falloit
Pobferver, & dégager de leur mêlange les rayons
primitifs , dont chacun forme une couleur, & qui
ne font vraiment purs que lorsque le prifme les a
démêlés.
:
Il ( Newton ) n'avoit garde de perdre fon temp's
à chercher la fubftance primitive des corps.
J'ai pourtant oui - dire que Newton , à la fin
de fon Optique , s'eft occupé de la queftion des
élémens des corps , qu'il traite, àla vérité , en Phi,
88 " MERCURE
A
lofophe , c'est-à -dire en doutant ; & c'est peut-être
pour cela que le Poëte s'eft fervi du mot cherche.
Il ne fongeoit pas davantage à pefer l'Univers.
Newton a déterminé les maffes des planètes principales
; il a calculé les loix de la pefanteur; ce qui
s'appelle pefer l'Univers dans le langage des
Poëtes . 3
On n'eft pas le rival de la Divinité , pour
mefurer le monde qu'il a fait , pas plus qu'on ne fe-
Toit le rival de Perrault pour avoir meſuré la colonnade
du Louvre.
Je ne fuis pas furpris que le Critique ait trouvé trop
hardie cettehyperbole poëtique, rival de la Divinité,
quoique Halley , un Aftronome, ait dit , en parlant
de Newton :
Necfas eft propiùs mortali attingere divos.
Mais comment peut-on hafarder l'incroyable rapprochement
de l'ouvrage du plus grand Génie ,
de celui d'un Arpenteur ? Comment un homme
qui s'érige en Critique a - t-il pu comparer Newton,
mefurant la marche des corps céleftes , & découvrant
Je grand principe de la gravitation , à un Maçon
qui mefure la colonnade du Louvre ? C'eft peutêtre
l'idée la plus étrange qu'ait jamais produit
l'efprit de chicane & de dénigrement.
mot à
Après avoir ainfi épluché vers à vers
mot, les deux tiers de l'Ouvrage , & paffé fous filence
le tableau des Tragédies de Voltaire , étalé
» dans le temple où il eft introduit ( morceau de poëfie
affez remarquable ) , le Critique femble faire
grace au Poëte pour tout le refte.
Nous ne poufferons pas plus loin , dit -il , cette
Analyfe , parce qu'elle ne nous présenteroit que les
mêmes fautes à relever.
Or , remarquez , s'il vous plaît , Monfieur , que
DE FRANCE. 89
3
ce qui lui teftoit à examiner , ſe réduit à trois mor
ecaux , dont l'un , fur les Poëfies légères , ne préfente
guère à la critique que quelques vers où l'harmonie
a été facrifiée à la précifion ; & les deux autres
, favoir , le fuperbe morceau fur l'Hiftoire , & la
comparaifon de la chaîne des montagnes de l'Amérique
avec l'étendue & la diverfité du génie de
Voltaire , ont été fi univerfellement & fi fort applaudis
, que le Critique n'a pu ſe diſpenſer d'en faire
le plus grand éloge,
A quoi penfoit-il donc , en difant que l'Analyſe
du refte de l'Ouvrage ne lui préfentoit que les mêmes
fautes à relever ? Il ne vouloit , dans ce moment ,
que déprimer les endroits mêmes qu'il n'examinoit
pas , comme font prefque tous les Critiques ; & il
en prenoit la formule. La réflexion l'a rendu plus
jufte , & nous devons lui en favoir gré.
Il y avoit une critique judicieufe à faire de cet
Ouvrage , comme de tous les bons Ouvrages ; mais
il falloit , pour cela , une étude de la Poëlie , & furtout
une impartialité qui manque abfolument à l'Auteur
de cette Analyfe. Il a relevé avec jufteffe quelques
légères incorrections de ſtyle , quelques négligences
du côté de l'harmonie , quelques manques
de préciſion. Mais il n'a jeté aucune lumière fur les
maffes ni fur l'enfemble de l'Ouvrage . Il cherche
le mal , & jamais il ne fait entrevoir le mieux. Il
ne s'eft attaché qu'à de petits détails ; & dans ces
dérails même , il a vu trouble , & cru appercevoir
des taches qui n'y étoient pas. Enfin l'envie de
nuire l'a rendu mal-adroit ; & l'on peut dire à fa
louange qu'il ne fait pas être méchant,
+
༡༠
MERCURE .
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE
Es changemens faits à l'Opéra d'Écho &
Narciffe , confiftent en très- peu de choſe.
On a fupprimé quelques détails , une Scène
du fecond Acte , & tranfpofé quelques au- .
tres ; mais il n'en eft rien réfulté d'avantageux
pour l'ouvrage , en le regardant ſimplement
comme compofition muficale. S'il ne
peut rien ôter à la réputation de M. Gluck ,
il ne doit rien y ajouter. Le rôle d'Écho eft
foible , monotone & dénué de toute eſpèce
d'accent , même de celui qui tient à la douleur.
Prefque tous les airs que chante Cynire
ont de l'agrément ; mais ils font dénués de
la véritable expreflion dramatique , qui
jufqu'ici a été regardée comme la partie la
plus brillante du talent de M. Gluck. Nous en
exceptons celui de la fixième Scène du fecond
Acte , qui commence par ces mots : fa voix
plaintive & gémillante. Narciffe crie plus.
qu'il ne chante ; il a toujours le même accent,
& cet accent fatigue l'oreille fans rien dire
à l'ame. Nous avons pourtant diftingué dans
ce rôle le morceau , o combats ! ô défordre
extrême ! M. Gluck n'a peut -être rien fait
en fituation qui foit fupérieur à cet air , vraiDE
FRA N C'E.
ment digne d'un grand Maître. L'égarement ,
le trouble , le remords , le defefpoir y font
peints de la manière la plus vraie & la plus
énergique. La partie des accompagnemens
eft égale en beautés à la partie principale , &
le tout forme un enfemble fait pour émouvoir
, & qui mérite les plus grands éloges.
Plufieurs airs , & deux choeurs du fecond
Acte , ont rappelé à l'idée des Amateurs de
l'Opéra , d'autres morceaux déjà applaudis
dans les précedentes compofitions de M.
Gluck. Le choeur qui termine le troifième
Acte eft d'une facture facile , harmonicufe
& bien entendue , & le chant en eft
très -agréable. Tous les airs de ballet font
bien faits ; mais il y en a quelques- uns qui
n'appartiennent point à l'Auteur d'Écho.
Les perfommages font repréfentés par
Miles Beaumefnil , Girardin , Joinville &
Gavaudan , & par MM . le Gros & Lainez.
Nous ne dirons rien du rôle d'Écho , qui
n'a ni chant ni action. Nous donnerons des
éloges à M. le Gros , pour la pureté de fon
organe , fon adreffe & la délicateffe de fon
goût , & nous engagerons avec grand plaifir
M. Lainez à cultiver & à étendre de plus en
plus le talent , l'ame & l'intelligence qu'il a
déployés de la manière la plus avantageuſe
dans le rôle de Narciffe,
Les ballets ont été fort applaudis ; ils font
de la compofition de M. Noverre. L'exécu
tion en eft parfaite . MM. Gardel l'aîné & le
92
MERCURE
jeune , MM. Veftris père & fils , M. Dau
berval ; Mlles Heinel , Dorlé , Guimard
Peflin , Allard & Théodore y ont mérité les
fuffrages que le Public eft accoutumé d'accorder
à leurs talens.
53
Nous parlerons du Poëme dans le Mercure
prochain , à l'article des Nouvelles
Littéraires.
Le Jeudi 30 Septembre , on a donné pour
la première fois. Il Matrimonio per inganno,
ou le Mariage par fupercherie, Opéra- Comique
en deux Actes , del Signor Anfoffi.
Cet Ouvrage eft la dernière compofition
connue de ce Muficien. Il a eu un très- grand
fuccès , & ne peut qu'ajouter à l'idée que
les autres productions del Signor Anfoffi
nous ont donnée de fes talens. On y a remarqué
des traits , tant de chant que d'orcheftre
, qui rappellent des motifs tirés des
Opéras de MM. Piccini & Paefiello ; ce
n'eft pas la première fois qu'on lui fait ce
reproche , malheureuſement très fondé , &
auquel il devroit faire la plus férieuſe attention.
La Pièce eft digne de toutes celles que nous
connoiffons dans ce genre , & peut-être même
eft-elle plus indécente & plus blamable
que toutes celles qui l'ont précédée . Florindo
veut époufer Giannina , fille de
D. Fabrizio , qui ne veut point confentir
DE FRANCE.
93
la marier. Pour s'introduire auprès de fa
Maîtreffe , il fe déguiſe en Médecin , en
Marchand de bijoux ; puis au dénouement ,
il entre chez le père de fon Amante en
contrefaifant l'ivrogne : on veut le chaffer ,
il ne veut fortir qu'a condition que Giannina
l'appellera fon mari du conſentement de D.
Fabrizio. Pour s'en défaire , on engage le
père à fe prêter à cette extravagance , &
quand Giannina a dit oui , le mariage des
deux Amans fe trouve fait , & le vieil avare
finit par y donner fon confentement abfolu.
Tel eft le Mariage par fupercherie.
Quel que foit le mérite, de la Muſique
d'un pareil Ouvrage , comment peut- on
acheter le plaifir qu'elle donne , au prix du
bon fens , de la décence & de la raifon ?
Qu'une Comédie foit tout uniment plate &
dénuée d'intérêt , nous en voyons un fi grand
nombre , que nous ne devons pas être furpris
quand on nous en représente une de ce
genre ; mais que fur le théâtre. de l'Acadé
mie Royale de Mufique on entende une confultation
où un prétendu Médecin articule
que le mal de la femme pour laquelle on
confulte , eft nella media regione ; un autre ,
que fon quefti effetti iſterici , cela fans doute
paroîtra inconcevable à tous ceux qui confervent
encore un refte de délicateffe.
94 MERCURE
COMÉDIE FRANÇOISE.
LEE Samedi 2 de ce mois , on a donné la
première repréfentation de Roféide , Comédie
en vers & en cinq actes.
J
Nous y avons trouvé des vers heureux ',
des portraits bien faits , des détails charmans.
Nous en rendrons un compre plus
circonftancié dans le prochain Mercure.
Les Rôles font repréfentés par MM . Brizard ,
Molé , Monvel , Fleury , Dazincourt ; & par
Mlles. Doligny , Fanier & Luzy . M. Monvel
a réuni & mérité de réunir le plus grand
nombre de fuffrages.
SIXIEME
GRAVURE S.-
IXIEME & Septième Livraiſon du Voyage Pittorefque
d'Italie. Après avoir rendu compte des premiers
Cahiers de cette grande & magnifique Collection
, il nous fuffira de dire qu'on la continue
avec le même ſoin , que les livraiſons fe fuccèdent
avec la même exactitude , & que les fujets nouveaux
qu'elles préfentent , méritent d'intéreffer de plus en
plus la curiofité des Amateurs.
DE FRANCE.
95
<
ANNONCES LITTÉRAIRES.
DICTIONNAIRE Iconologique , par M. de Prezel.
Édition revue & confidérablement augmentée. 2 vol.
in- 12 . A Paris , chez Hardoin , Libraire , rue des
Prêtres S. Germain- l'Auxerrois , vis - à - vis l'Eglife.
Numéros XIV & XV de l'Hiftoire Univerfelle
des Hommes. A Paris , chez Cloufier , Imprimeur-
Libraire , rue S. Jacques ; & chez Couturier , Imprimeur-
Libraire , rue S. Thomas du Louvre.
L'Hiftoire de l'abolition de l'Ordre des Templiers.
in- 12 . A Paris , chez Belin , Libraire , rue Saint-
Jacques.
Bibliothèque du Nord , ouvrage deftiné à faire.
connoître tout ce que le Nord & l'Allemagne produifent
d'intéreſſant , d'agréable & d'utile dans tous
les genres de Sciences , de Littérature & d'Arts , par
la Société patriotique de Heffe-Hombourg. Tomes
X & XI , Octobre 1778. A Paris , chez Quillau ,
Imprimeur-Libraire , rue du Fouarre.
Voyage Pittorefque des environs de Paris , par
M. D. Quatrième Edition , corrigée & augmentée ,
in- 12 . Prix , 3 liv. 12 fols . A Paris , chez Debure
l'aîné , Libraire, Quai des Auguſtins .
Lettre à M. le Marquis de ** , fur le plan des
Études Mathématiques convenables à la jeuneffe ,
par M. Dupain-Triel père , Géographe de Monfieur,
troisième Édition in-89 . A Paris , chez l'Auteur ,
Cloître Notre-Dame , & chez Cellot & Jombert ,
rue Dauphine.
Conches , Poëme au Roi , A Paris , chez Valade .
Imprimeur Libraire , rue des Noyers .
96 . MERCURE
La Conquête de l'Angleterre par Guillaume le
Bâtard , Poëme couronné à l'Académie de Rouen
en 1758 , par M. Lemeſle. A Paris , chez Baſtien ,
Libraire , rue du Petit-Lion.
Lettres d'un Voyageur à Paris à fon Ami Sir
Charles Lovers , demeurant à Londres , fur les nouvelles
Eftampes de M. Greuze. A Paris , chez Hardouin
, Libraire , rue des Prêtres Saint- Germainl'Auxerrois.
La Rupture , Comédie en un Acte en vers , repréfentée
par les Comédiens François en 1776 , par
Madame D... Seconde Édition . Prix , 1 liv. 4 fols.
A Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques.
Éloges de Voltaire , Pièces qui ont concouru pour
le Prix de l'Académie Françoife. A Paris , chez
Demonville , Imprimeur-Libraire , rue S. Severin.
Ꮴ
TABL E.
ERS à M. le Comte d'Ef- \ Aux Mânes de Voltaire , 67
49 Lettre au Rédacteur de la partie
Littéraire du Mercure ,
taing ,
Le Voyageur & l'Habitant
de Ferney , Dialogue ,
La Jombe de Bois,
Enigme & Logogryphe ,
50
51 Académie Royale de Mufiq.90
59 Comédie Françoise ,
71
94
ib.
60 Annonces Littéraires , 95
Réglemens du Grand-Duc de Gravures ,
Tofcane ,
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 9 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
ce 8 Octobre 1779. DE SANCY,
6 .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 16 OCTOBRE 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS *
SUR le Mariage de M. le Marquis DAR...
& de Mde de MOND....
CHANTONS FHymen , chantons l'Amour ,
Mond....& Dar.... s'uniffent en ce jour:
Vainqueur d'une Ile où brilla fon génie ,
Le front ceint de mille lauriers ,
Comblé des dons de Mars & de ceux d'Uranic ,
L'époux reçoit le prix de fes travaux guerriers.
Ainfi , quand le grand coeur d'Alcide
Eut détruit monftres & brigands ,
Omphale fit tomber la anaffue homicide ;
Et des héros le modèle intrépide
Devint encor celui des plus tendres Amans.
(Par M. Millin de la Broffe Capitained'Inf.)
Sam. 16 Octob. 1779. E
98
MERCURE
A Mile DOLIGNI , en lui envoyant quelques
Billets de Parterre , la première fois qu'on
joua Roféide.
EGLI , voici quelques billets
Four armer des mains bénévoles ;
... Secours impuiffans & frivoles ,
Gages bien trompeurs du fuccès !
Cette Hydre , aux quatre ou cinq cent têtes
Que de bout on entend rugir
Dans la caverne des tempêtes ,
Rarement ſe laiſſe affervir ,
Et nous vend bien cher nos conquêtes,
Toujours malin & turbulent ,
Cet animal , aux mille oreilles ,
Pour peu qu'on lui prête le flanc ,
Siffle en faux-bourdon nos merveilles ,
Ou par fois écoute en baillant
Le pénible fruit de nos veilles ;
Car c'eft-là fon double talent.
Entre nous , moi , je m'en défic ,
Et ne l'agace qu'en tremblant ;
Mais , par toi l'on a vu fouvent
Sa rage inflexible adoucie :
Lorfqu'au charme du fentiment ,
On joint la voix d'une Syrène ,
Il s'y laiffe prendre aifément ;
DE FRANCE. 99
Il fait alors le chien couchant ,
Flatte , careffe & fouffle à peine.
Toi , de fes foins objet charmant ,
Que cette gloire t'appartienne :
Le vaincre par enchantement ,
C'eſt ton affaire , & non la mienne.
( Par M. Dorat. )
BILLET à M. le Comte de SCH.. L...
Auteur d'une Épître de Ninon ; & d'un
Eloge de M. de Voltaire.
To1 , qui loin du Nord engourdi ,
Viens chez nous , maître en l'art de plaire ,
Moiffonner les fleurs du Midi ,
Ou fur le Pinde , ou dans Cythère ;
Toi , qui dans ta jeune faifon ,
Touches d'une main fi légère
Le luth du vieil Anacréon ;
Tes Rofes , dignes de Cyprine ,
Dont elles ornent les boudoirs ,
Ne naiffent point, je l'imagine ,
Dans le pays des renards noirs
Et de la martre Zibeline.
Après avoir chanté Ninon ,
Qui cédant à la fantaiſie ,
Fut libertine par raifon
2C
E
100
MERCURE
Et trompoit par philofophie ,
Tu peins d'un plus mâle crayon
De Ferney cet ammable Sage
Qui , s'oubliant en fon bel age ,
Dans l'entretien un peu fripon
De l'enchantereffe volage ,
Y faifoitfon apprentiffage
·De goût , de grâce & de bon ton.
De fon temps qu'on cite & qu'on aime ,
Si le ciel t'eût fait exifter ,
Elle t'eût fait l'honneur fuprême
De te prendre & de te quitter ,
Le Ruffe , au tact plein de fineffe ,
Au ftyle élégant & poli ,
Qui , grâce à la délicateſſe ,
Compta Voltaire pour ami ,
Auroit eu Ninon pour maîtreffe.
(Par le même. )
&
RÉPONSE au Billet qui précède
Vovs teñez un pinceau charmant ,
Je n'ai qu'une broffe groffière ;
Et vous courez dans la carrière
Ou je ne marche qu'en bronchant ;
Je ne connois point les cabales ,
J'applaudis aux Mufes Rivales ,
J'applaudis à vos vers heureux ,
Toujours aimables , gracieux ;
DE FRA NICE. 1011
་
+
De leur beauté l'ame eft frappée,
La mienne a du moins des vertus ;
Et je vous retrace Atticus
Aimant & Célar & Pompée,
LETTRE de M. B. à Mde P.
LE trait que je vous ai raconté du Marquis
de F..., dans ma dernière Lettre , a, touché
votre coeur ; & l'intérêt que vous prenez à
lui, a excité votre curiofité fur cet endroit où
je difois que je venois de le voir fur le point
de fe marier à une femme , après avoir ,
felon fon expreffion , arrangé toutes chofes ,
avec une autre. Vous exigez là - deffus quel ,
ques détails. Je me fais un plaifir de vous
les envoyer avec le même empreffement que
vous me les demandez.
Dès les premiers jours de notre connoiffance
, le Marquis m'avoit appris qu'il faifoit
la cour à une jeune Demoiselle de qualité ,
pour répondre à l'impatience que fa mère
avoit de lui voir former un établiſſement. Il
ne pouvoit , me dit- il , refufer rien à fa mère ,
parce que c'étoit la meilleure enfant du monde.
D'ailleurs la jeune Demoiselle étoit trèsbelle
& três-aimable , & il l'aimoit commo
un fou. Toutes les difpofitions étoient déjà
faites , & il efpéroit fe voir bientôt l'homme,
le plus heureux de la terre.
E iij
102 MERCURE "
Il y a quelques jours qu'il paffa chez moi.
Il avoit un air fi gai , que j'imaginai qu'il
avoit quelques nouvelles agréables à m'apprendre.
Vous me voyez au déſeſpoir , mon
cher ami , me dit- il , avec un grand éclat de
rire. Vous êtes , lui répondis - je , l'homme le
plus joyeux que j'aie vu dans cette fituation .
Il m'apprit alors que le père de fa maitreffe ,
le vieux Marquis de P *** , étoit allé voir ſa
mère , & qu'après mille excufes & autant
de longues circonlocutions , il lui avoit fait
entendre qu'il étoit furvenu quelques incidens
qui l'empêchoient de devenir jamais le
beau-père de fon fils . Il la pria de lui exprimer
combien lui & fa famille étoient défefpérés
d'un contre-temps qui les privoient de
Thonneur qu'ils s'étoient promis de cette alliance.
Sa mère avoit cherché inutilement à
découvrir ce qui avoir pu produire une altération
fi foudaine. Le vieux Marquis s'étoit
contenté de l'affurer que les particularités en
feroient auffi défagréables que fuperflues , &
il avoit pris congé d'elle dans les termes les
plus honnêtes & les plus affectueux que la
politeffe Françoiſe pût lui fournir.
F...me rapporta tout cela d'un air fi libre &
fi fatisfait , que je ne favois quel parti prendre
dans cette circonftance. Mon cher Marquis ,
lui dis-je , je fuis bien heureux de m'être
mépris ; car je vous avouerai que je m'étois
mis dans la tête que vous étiez paffionnément
amoureux de cette Demoiſelle . Auffi aviezDE
FRA NICE.
103
vous raiſon , mon ami , me répondit-il , je
l'aimois infiniment. Comment , repris - je ,
infiniment ! & voilà tout le regret que vous
me témoignez de fa perte ? Mais vous autres
Celadons , répliqua- t'il , vous avez des idées,
fi bizarres ! aimer infiniment , cela veut dire
aimer comme on aime. Tout le monde s'aime
ainfi quand on ne fe hait pas. Mais je vous
conterai toute l'hiftoire .
Ma mère , ajouta - t'il , eft une bonne enfant
que j'aime de tout mon coeur. Elle me répétoit
fans ceffe que ce mariage la rendroit
heureuſe . Tous mes oncles , tantes & coufins :
me difoient continuellement la même chofe.
Il me revenoit de toutes parts que la Demoifelle
, fon père & toute fa famille defiroient
cette alliance avec l'empreffement le
plus flatteur. Ils me perfuaderont quelques ›
jours de me marier , penfois -je en moimême
, pourquoi pas aufli bien aujourd'hui .
qu'un autre jour ? Quelle raiſon aurois -je de
ne pas faire une chofe qui caufera du plaifir
à tant de gens , fans me caufer le moindre
déplaifir à moi- même ? Oh ! lui dis -je , ce
feroit être affurément d'un bien mauvais naturel.
Cependant il étoit heureux pour vous
que votre coeur fut abfolument libre , &
que vous ne préféraffiez à Mademoiſelle de
P*** aucune autre femme. Vous vous trompez
, mon ami , me répondit-il , je préférois
plufieurs autres femmes à Mademoiſelle de
, & particulièrement une perfonne
E iv
1041 MERCURE
3
dont je ne vous dirai pas le nom , mais que
j'aime , que j'aime... Comme on aime , lui
dis-je en l'interrompant. Non parbleu , ajoutat'il
avec chaleur , comme on n'aime pas. Bon
dieu , m'écriai - je alors , comment pouviezvous
donc penfer à en époufer une autre ?
Cela n'empêchoit pas , dit le Marquis froidement
; il ne m'étoit pas poffible d'épouſer
celle que j'aimois davantage. Elle avoit pris
les devants , & avoit déjà fubi la cérémonie ;
auffi n'oppofoit-elle aucune objection au
defir que j'avois d'obliger ma mère & toute
ma famille dans cette bagarelle ; car c'eft bien,
après ma mère , la meilleure púte de femme
que je connoiffe...
En effet , dis-je , il n'eft point d'humeur
plus conciliante. Oh pour cela oui , mon
cher , reprit- il , c'eſt la bonté même. Quoi
qu'il en foit , ce qui me ravit dans tout cela ,
cieft que
l'affaire fe foit rompue fans qu'il y
ait de ma faute; & quoiqu'il foit poffible
qu'elle fe renoue quelque jour , j'aurai toujours
tiré mon épingle du jeu , parce qu'un
mariage reculé eft toujours autant de gagné
fur le repentir. En difant ces mots , il me
quitta brufquement en chantant à haute voix
la chanfon du jour.
J'avois le plus vif defir de connoître l'ob
jet fingulier de fa tendreffe ; j'allai le voir le
lendemain pour l'engager à me préfenter
chez elle. J'y penfois depuis long - temps ,
me répondit- il ; & il s'en offre aujourd'hui
une occafion très - heureuſe. Le vieux CheDE
FRANCE.
valier de S. ** , que vous connoiffez , nous
donne une fête à la maison de campagne , je
Vous y invite en fon nom , & nous allons
prendre Madame de M... pour ly conduire.
Il fit auth-tôt mettre fes chevaux nous
partimes. Je fus préfenté à Madame de M...,
dont je reçus un accueil très - gracieux ; & je
la connus dans un moment comme fi j'avois
paffe ma vie entière avec elle. N'attendez
pas que j'entreprenne le portrait achevé de
L'être le plus bizarre qui fut jamais. En voici
feulement quelques traits en paffant.
Madame de M... a quelque efprit , tane
foit peu de beauté , & beaucoup plus de
vivacité que de l'un & de l'autre. Sil
avoit un quatrième degré de comparaifon
je placerois ici fa vanité. Elle rit à tout
propos , & elle a raifon ; car elle a la
bouche extrêmement jolie. Elle parle beau
coup, & d'un ton bruyant & décifif, ce qui
n'eft pas tout-à-fait fi judicieux ; car il s'en
fur que fes penfees foient auffi brillantes
quefes dents , & fa voix autfi mignarde que
fon fourire. Elle eft reçue par-tour avec des
attentions & des refpects , ce qu'elle doit à
fon rang ; elle eft aimée & court fee de tous
les hommes , ce qu'elle doit à fes charmes ;
elle n'eft point haie par les femmes , ce qu'elle
doit à fes foibleffes.
Comme elle paffe dans le monde pour la
maitreffe de F..., afin de prévenir tout
feandale , elle le congédia au bout de quel →
Ev
106 MERCURE
ques inftans , & me retint pour l'accompagner
chez le vieux Chevalier.
Nous l'avions trouvée à fa toilette en
confultation avec un Officier Général &
deux Abbés fur une nouvelle coëffure qu'elle
venoit d'imaginer. L'effet en étoit très- piquant
; & après des corrections légères , elle
reçut une approbation complette de tous
ces critiques . Ils déclarèrent que c'étoit une
découverte admirable , & lui prédirent qu'elle
alloit devenir la mode générale de tout Paris ,
& qu'elle feroit un honneur infini à fon
génie.
Elle fe pavanoit devant fon' miroir avec
un air d'enthoufiafme. Allons , mes enfans ,
allons à la gloire , s'écrioit - elle ; & elle fe
difpofoit à donner des ordres pour fa voiture
, lorfqu'un domeftique entra , & lui dit
que Madame la Comteffe avoit accepté fon
invitation , & qu'elle auroit certainement
l'honneur de venir dîner avec elle.
Je ne pense pas qu'on puiffe vous donner
une idée de l'altération fubite que ce meffage
produifit dans tous les traits de Madame de
M... Si l'on fût venu l'informer de la mort
de fon père ou de celle de fon fils unique ,
elle n'auroit pas reffenti une plus vive émotion.
Eft- il poffible , dit - elle avec un accent
de défefpoir , qu'on puiffe être fi bête ? Le
domeftique fut rappelé ; & on le queſtionna
minutieuſement fur le fens de la réponſe
qu'il avoit rapportée de Madame la ComDE
FRANCE. 107
teffe. Hélas ! cette réponſe ne pouvoit être
plus claire ni plus précife. Madame la Comteffe
devoit pofitivement venir diner ce
même jour. Nouvelles exclamations de la
part de Madame de M.... Mais l'avez-vous
envoyée inviter pour aujourd'hui , lui dis -je ?
Sans doute , me répondit- elle. Je ne pouvois
avec décence differer plus long -temps. Elle
eft depuis Dimanche dernier à Paris. C'eft
pourquoi je lui ai écrit le billet le plus poli
pour l'engager à me faire l'honneur de venir
aujourd'hui dîner avec moi. Et voyez , cette
horrible femme , avec une groffièreté & une
ignorance de favoir vivre fans exemple , elle
m'envoie dire qu'elle viendra.
Il est bien étrange , lui dis- je , qu'elle fe
foit fi prodigieufement méprife fur le fens de
votre civilité. N'eft- il pas vrai , me réponditelle
? .... Elle eft liée à la campagne avec
quelques- uns de mes parens. Au premier
inftant qu'elle arriva ici , je courus me faire
écrire chez fon portier. Elle vint le lendemain
me rendre fa vifite. J'avois bien pris
mes précautions , & mon Suiffe étoit prévenu
que je ferois toujours dehors pour elle . Cela
eft tout fimple , & felon les règles . Cette
femme eft plus âgée que moi de vingt ans ,
& nous devons nous être infupportables
l'une à l'autre. Elle auroit bien dû fentir que
mon invitation n'étoit qu'une fimple politeffe,
& la même politeffe devoit l'engager à m'envoyer
des excufes pour fon refus . De cette
manière nous aurions pu nous vifiter l'une
E vj
f08 MERCURE
& l'autre , diner & fouper enfemble , en un
mor vivre dans la plus douce union le refte
de notre vie ; mais ce trait de groffièreté
rompt déformais toute laifon entre nous.
Allons , je n'y vois pas de remède. Il faut que
je faffe mon enfer aujourd'hui. Adieu ,
Monficur, préfentez bien mes regrets & mes
complimens au vieux Chevalier , & racontez-
lui ma déſeſpérante aventure.
Après avoir fait à Madame de M... mon
compliment de condoléance fur un malheur
qu'elle avoit f peu mérité , je pris congé
d'elle , & j'atteignis fur la route F. , à qui je
fis part du trifté événement qui nous priveroit
pour aujourd'hui de Madame de M...
I ne me parat pas tout- à-fait auffi accablé
de ce revers que l'étoit fa maîtreffe ; mais il
me protefta que la Comteffe n'avoit accepté
Finvitation que par pure malice , parce qu'il
favoit qu'elle étoit inftruite de la partie qui
devoit fe faire chez le Chevalier , & qu'elle
avoit certainement faifi cette occafion de
faire endêver Madaine de M... qu'elle halloir
ă la mort. Sans cette douceur , ajouta il ,
foyez sûr que le diner auroit été aufli en--
nuyeux pour la Comteffe qu'il le fera pour
Madame de M ... Je ne fals trop ce que ces a
deux bonnes amies imaginèrent pour paller
agréablement enſemble leur journée , ce que
je fais , c'eft que nous pafsâmes délicienfement
la nôtre chez le Chevalier. Le Marquis
amufa toute la compagnie par le récit de
Fafortune de Madame de M... , & par fes
DE FRANCE. 109°
conjectures fur les plaifirs du tête- à tête de
ce couple d'amies. Il nous fit tout ce detail
avec tant de fel & d'agrément , il exprima
fes regrets douloureux avec une telle gaité,
qu'il le dédommagea en quelque forte , lui,
& toute la compagnie , de l'abfence d'un
convive auffi aimable que Madame de M...
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eſt Grenade , fleur
elpèce de bombe & Ile ; celui du Logogryphe
eft Papillon, où fe trouvent Lyon
( ville ) , lion ( bête féroce ) , pilon , la ( note ) ,
Sapin , pain.
ENIGM E.
FOIBLE , mince , & maigre femelle ,
Je n'ai qu'un long & très léger manteau ,
Qui n'eft ni de fil ni de peau.
J'affiftai le Berger qui , fur fon chalumeau ,
Célébra le prémier la tendre paftourelle.
Je porte de la barbe & n'ai point de mamelle.
A l'homme cependant je donne un fuc laiteux ,
Auquel fuccède un mets folide & favoureux,
Mais c'eft peu d'être fa nourrice ,
La nuit je lui procure un tranquille fommeil ,
Le jour fur moi fon corps trouve un fiége propice ,
fois je le cache aux ardeurs du foleil.
Etpar
MERCURE
A bien des animaux qui font à fon fervice ,
J'en rends un à peu - près pareil ;
Néanmoins pour ce bon office ,
Le croira - t'on , cet homme ingrat
Me dépouille & m'arrache , & m'écrâfe & me bat.
LOGOGRYPHE.
AUTREFOR UTREFOIS habitant au féjour du tonnerre ,
Souvent je deſcendois aux portes des enfers ;
Sans relâche aujourd'hui je parcours l'univers ,
Et je vis enfermé dans le fein de la terre .
Si tu veux me décompofer ,
Quoiqu'en deux fens cela ne me convienne guère ;
Ami Lecteur, tu peux le faire.
Les fept membres qui font ma corpulence entière ,
Offriront à tes yeux cent prodiges nouveaux ;
Dabord le vaſte amas des eaux ,
Et ce qui fait enfler une rivière ;
Puis l'éponge blanche & légère
Qui s'élève au-deffus des flots ;
Celle qui de ton corps a formé la matière ;
Ce qui par fois nous rend à la lumière ;
Le fruit d'un arbre précieux ,
Et le point où tout fruit vaut mieux ;
Une liqueur fpiritueufe ;
Une fauffe lueur , fouvent trop dangereufe;
Ce que fait quatre fois un infecte foyeux ;
Ce qui dans les temps fait époque ;
DE FRANCE. III
Ce qu'eft un mets avant que l'on le croque ;
Deux fois un des huit tons trouvés par l'Arétin ;
Cinq ou fix mots du langage latin ;
Des Ducs & des Marquis ce qui foutient les armes
Er pour tout homme a tant de charmes ;
Ce qui fait augmenter les troupes de nos Rois ;
Ce que les chiens font d'un cerfaux abois ;
Ce que fait un homme qui danfe ;
Le fonds qui t'appartient ; ce qui foutient nos toits
Et ferme nos Cités ; enfin tout-à- la fois
Une plante odorante , une ville de France ,
Un chemin dans la ville où trottent les Bourgeois ;
Ce que fait de fes pieds maint cheval que l'on panfe.
En voilà bien affez , je crois ,
Pour exercer ta patience .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
确
DE LA PASSION DU JEU , depuis les
temps anciens jufqu'à nos jours › par
M. Dufaulx , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles - Lettres , & c. in-8° .
A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins.
LORSQU'U
ORSQU'UN vice a rompu fes digues , &
qu'il exerce impunément les ravages dans
toutes les claffes de la fociété ; lorfque ceux
qui devroient s'armer contre lui , deviennent
19182 MERCURE
pour ainfi dire les apologiftes & fes complices
, c'eft alors que l'Homme de Lettres ,
raffemblant fes forces & fon courage , doit
combattre & flétrir un ennemi , d'autant
plus dangereux qu'il eft deja par-tout ac
cueilli & par-tour honoré ; il doit le pourfuivre
dans tous les repaires , recueille &
les malheurs qu'il a caufes & ceux dont il
nous menace ; les expofer à tous les yeux
dans des tableaux affez hideux pour inf
pirer à fes concitoyens un falutaire effroi ,
ranimer le zèle des Magiftrats & la fageffe du
Légiflatcur. Telle eft l'entreprife que vient de
tenter un Écrivain , auffi recommandable par
fes moeurs & fon patriotifime ,que par l'eners
gie mâle de fon ftyle ; & quel que foit l'afcendant
de la cupidité fur nos ames, on ne
lira point fon Livre fans être indigné contre
cette multitude de jeux de hafard , de jeux
de fiance , de jeux de commerce , de jeux de
toute efpèce qui nous affiegent de toutes
parts , qu'on renouvelle chaque jour fous
mille formes non moins feduifantes que
meurtrières , & qui fubftituent dans nos
ames la défiance , Fintérêt fordide , la noire
melancolie , à ce caractère de gaîté , de franchife
& de nobleffe qui diftingua de tous
temps la Nation Françoife.
M. Dufaulx remonte à l'origine du jeu ; il
Je fuit dans tous les lieux , dans tous les
fiécles , le découvre chez les Sauvages & les
peuples barbares , comme au fein des nations
civilifees & corrompues ; mais il ne lui
DE FRANCE. 1.13:
femble nulle part auffi actif, aufli funefte ,
aufi univerfellement étendu que parmi.
nous. Accueilli d'abord par la Nobleffe ,
des Courtifans avides & défoeuvrés l'introduifent
auprès du Trône; il féduit nos
Rois & leur Famille : fous François I , il
commence à régner à la Cour; s'y fortifie fous
Henri II ; l'exemple de Henri IV donne aux
joueurs une audace & une confidération qui
propagent leur épidémie juſqu'au centre de
nos Provinces. Mazarin , pendant la minorité
de Louis XIV , fut aggraver le mal ; le
jeu avec l'intrigue fe trouvèrent enfin naturalifés
à la Cour: bientôt on vit des Seigneurs
François parcourir l'Italie , l'Espagne & l'An
gleterre , non pour y fignaler , à l'exemple de
notre ancienne Chevalerie , leur bravoure
& leur loyauté , mais pour y exercer le vil
métier de joueurs & de Chevaliers d'induftrie.
Sous ce règne d'adulation , de magnificence
& de calamités , s'établirent les premières loteries
; le règne fuivant les fit pullaler à un
excès inoui jufqu'alors ; & la frénéfie du jeu ,
qui n'avoir jamais été qu'un vice de particuliers
, devint tout- à-coup un vice du Gouvernement.
Enforte que le mot de jeu n'a
plus rien confervé de la fignification pri
mitive ; c'eft aujourd'hui un objet de fpécu
lations profondes , une grande affaire d'État
Le jeu eft à nos yeux une forte d'idole qui a
fes temples , fes prêtres , fes adorateurs , fes
jours de folennités ; on annoncé les faveurs
au bruit des inftrumens militaires ; on cou
114 MERCURE :
ronne de guirlandes les tableaux où font dé
pofés fes oracles ; on affiche de nouvelles
efpérances dans nos rues & nos carrefours ;
fes infcriptions brillent de toutes parts ; partout
on entend retentir la voix de fes hérauts ;
par- tout on rencontre de nouveaux pièges
tendus à la crédulité publique.
' . M. Dufaulx cite un des premiers Arrêts
rendus par le Confeil d'État , en faveur des
loteries ; le préambule en eft curieux , on y
fait parler ainfi le Monarque : « Sa Majefté
ayant remarqué l'inclination naturelle der
la plupart de fes fujets à mettre de l'ar-
" gent aux loteries particulières.... Et defi
» rant leur procurer un moyen agréable &
» commode de fe faire un revenu sûr & con-
» fidérable pour le refte de leur vie , &
» même d'enrichir leur famille , en donnant
» au hafard ...., a jugé à propos d'établir à
» l'Hôtel- de-Ville de Paris une Loterie Royale
de dix millions , &c. » Voilà comme on
effayoit d'irriter la cupidité populaire dès le
commencement de ce fiécle..
Séduits par l'exemple , tous les ordres de
Citoyens veulent jouer & donner à jouer ;
on enfeigne les jeux à la jeuneffe avant de
l'introduire dans le monde ; & l'ignorance
de cette fcience infernale eft maintenant re→
gardée comme un défaut effentiel d'éducation.
Auffi n'admet -on dans la bonne compagnie
que des maîtres & des difciples pour
le moins difpofés à payer au centuple les
tableaux & les fiches qu'on leur préſente
DE FRANCE. 1151
&
les bougies qui les éclairent , les valets qui les
fervent , & les mets deftinés à prolonger ce
honteux agiotage. Les amis & les familles fe
raffemblent , moins pour fe voir & s'entretenir
, que pour s'entre-difputer l'or que chacun
pofsède. L'infenfé qui fe laffe ruiner
fans fe plaindre , obtient le titre honorable
de beaujoueur ; on l'accueille , on le recherche
, on célèbre la nobleffe de fon ame ,
jufqu'à ce que , réduit à l'indigence , il eft
forcé d'aller cacher fa honte & fon déſeſpoir
loin des barbares qui l'ont dépouillé.
L'Auteur obferve que la paffion du jeu eft
du petit nombre de celles que le temps n'affoiblit
point ; qu'au contraire elle fe fortifie
avec les années. Un vieux joueur ne préfente
en effet à l'imagination qu'un affemblage d'ac
tions bizarres & d'habitudes vicieufes : plein
de fa chimère , infenfible à tout ce qui devroit
l'intéreffer ; errant à travers le chaos
des chances & du hafard , où l'efprit cherche
en vain la lumière ; fans ceffe en garde contre
l'aftuce & l'avidité de fes adverſaires ,
cherchant à furprendre leur fecret , & à leur
dérober le coup dont il veut les accabler ;
fuperftitieux fectateur de la fatalité , de la
fortune & du deftin qu'il perfounifie , qu'il
invoque & maudit tour-à- tour ; portant la
déraifon jufqu'à fuppofer des vertus occultes
aux inftrumens du fort , & une influence
particulière à tous les objets qui l'environnent
, on le voit tantôt filerfes cartes d'une
116 MERCURE
main tremblante , tantôt les faire lever par
des mains étrangères , tantôt n'ofer mettre.
au jeu qu'un argent d'emprunt , tantôt ſuſpendre
fes mouvemens crainte d'ufer le bon
heur: l'un vous dira qu'il eft sûr de perdre
quand certaine perfonne eft à côté de lui ;
un autre, qu'il ne peut fans danger , ouvrir
fa tabatière pendant qu'on diftribue les car--
tes; un troiſième , fort fenfé d'ailleurs , croir
quefon bonheur tient à une pièce de monnoie
qu'il conferve précieufement au fond de fa.
bourfe.
Ces traits de folie & d'imbécillité n'exci
teroient que le rire ou la pitié , s'ils ne com
duifoient jamais leurs auteurs dans les gouf
fres de la misère ou du crime ; mais les Officiers
de Police & nos Greffes criminels atteftent
que les filouteries , les vols , les affaf
finars , les duels , les empoifonnemens , les,
fuicides , les banqueroutes frauduleufes tirent.
leur principale fource de la fureur du jeu..
M. Dufaulx a vu un de ces maniaques brifer
les tables de jeu , manger les cartes & avaler,
une bougie ardente. On fe rappelle qu'un au
tre , à Naples , mordit avec tant de rage, la
table oil venoit de perdre , que fes dents la
pénétrèrent , & qu'il refta moit fur la place.
Tour récemment encore , un joueur mourut
au milieu d'une partie , & fes adverfaires ,
d'une voix unanime , réfolurent de le fouiller
& de fe payer avant qu'on enlevât le cadavre.
Deux Anglois partis de Londres pour fe
battre en duel en pays étranger , continuèrent
DE FRANCE.
117
"
leur partie de jeu pendant la route : arrivés
fur le champ de bataille , ils gagèrent entre
eux que l'un tueroit l'autre , & trouvèrent
même des fpectateurs affez inhumains ,
pour s'intéreffer dans leur partie. Perfonne
n'ignore que durant la tenue de nos
États Provinciaux , les joueurs ont une falle
'qu'on nomme l'Enfer, & qui , à tous égards ,
eft digne de ce nom : un Gentilhomme voulut
y jouer jufqu'à fon épée . A Moskou , à
Pétersbourg , on joue non - feulement fon or ,
fes meubles , fes terres , mais encore ceux
qui les cultivent , enforte que des familles
entières paffent fucceffivement à ſept ou huit
maîtres en un feul jour. On affure qu'un
Vénitien joua fa femme ; un Chinois fa
femme & fes enfans & qu'ils les perdirent.
Les Nègres de Juida ont le même ufage. Dans
FInde on joue quelquefois jufqu'aux doigts
de la main; le perdant les coupe lui - même
pour s'acquitter. Les Germains , fuivant le
témoignage de Tacite , fe livroient à cette
pallion avec une telle frénéfie , qu'après avoir
tout perdu , ils fe jouoient eux- mêmes en
un feul coup ; alors le vaincu , quoique plus
jeune & plus fort, fe laiffoit garroter & vendre
aux étrangers . S. Ambroife va plus loin :
les Huns , dit - il , après avoir mis au jeu
leurs armes & tout ce qu'ils ont de plus.
cher , y expofent leur vie , & fe donnent la
mort pour s'acquitter envers de gagnant.
Cette fièvre eft fi ardente qu'elle tend
même à fe perpétuer au -delà du tombeau :
*
t
118
MERCURE
témoin ce joueur mourant , qui légua fa peau
pour en couvrir un dammier , & les os pour
en faire des dez.
M. de Voltaire fe plaifoit à raconter l'anecdote
d'une joueuſe infirme & pauvre qu'il
avoit connue ; elle s'étoit confacrée au fervice
des pauvres joueurs ; elle leur faifoit
du bouillon , pour l'unique plaifir de les voir
jouer.
وو
وو
Mais il faut fe rendre avec M. Dufaulx ,
dans ces maifons publiques , où les deux
fexes réunis peuvent affouvir en liberté leur
cupidité dévorante ; où le coucher du foleil &
celui du jour fuivant les retrouvent encore
dans la même attitude. Là , dit l'Auteur , on
entend nommer des Marquis , des Comteffes ,
des Abbés , des Militaires , des Préfidens ,
une foule de miférables dont on eft trop heureux
d'ignorer l'existence. « J'apperçus quelqu'un
que l'on auroit pris pour un honnête-
homme , tourner autour d'un double
» louis que l'on avoit par mégarde laiffé
tomber par terre. Qu'il eut de mal a faire
fon coup ! il y réuffit cependant. J'en vis
» un autre qui déroboit furtivement quel-
» ques écus au Banquier ; tandis que celui - ci
payoit on ramaffoit....Une femme étique
qui ne parloit point , ou rarement , qui
» reftoit toujours dans la même place , & ne
» fe levoit pas même lorfqu'on avoit fervi ;
» je demandai ce que c'étoit : ce fpectre fé-
" minin , me dit un homme d'un extérieur
» décent & d'une humeur enjouée , eft l'une
و د
· 33
ور
DE FRANCE. 1119
"
des plus fingulières victimes qui ait jamais
» exifté dans les faftes du jeu. Depuis trente
ans elle perd fa rente viagère a mefure
» qu'elle la touche , & ne fubfifte qu'avec
» un peu de pain trempé dans du lait ; car
» elle eft fort honnête , & tout le monde
» convient qu'elle a beaucoup d'efprit . Elle
» rougit d'être ici , mais elle mourroit ail-
» leurs. Comme elle eft fans crédit , la pau-
» vre fille ne jouera que dans trois mois ,
» c'est-à-dire , à la première échéance ....
» Monfieur , dis - je à cet homme , feriez-
» vous intéreffé dans la banque ? Fi donc ,
Monfieur , fi donc ! je fuis libre , & j'ai de
» l'honneur ; ma folie à moi , c'eſt d'aimer
» les jolies femmes , & de reconduire celles
» qui perdent. Là-deffus il me quitta pour
"
ور
en aller confoler une... Ce qui me fem-
» bloit de plus étrange , c'étoit de voir rôder
" autour des tables de vieux joueurs obérés
» que l'on recevoit par grâce , foit en faveur
de leurs noms & de leur ancienne ſplen-
» deur , foit à caufe de quelque marque de
» diftinction qui en impofoit encore , mal-
33.
gré le délabrement de ceux qui les por-
" toient. J'étois frappé fur-tout de les voir,
quoiqu'ils n'euffent rien à prétendre ,
s'agiter, fe tourmenter autant dans l'attente
de chaque décifion, que s'il s'étoit encore
agi de défendre ou d'accroître leur
patrimoine. L'un d'eux me tirant à l'écart ,
répondit à ma penfée : comme eux , je
» jouois autrefois , me dit-il ; maintenant
. و و
"3
(120 MERCURE
き
enj'en fuis réduit à regarder; car je fuis joueur
4 & le ferai toujours. Les autres hommes
» en comparaifon des joueurs , me femblent
» en léthargie. N'ayant rien à rifquer ici , je
» n'y faurois gagner ; mais j'y jouis à ma
» manière. »
Quelle horrible jouiffance ! fe complaire
au milieu des fripons & des dupes ! nourrir
fon ame du défefpoir des uns , & de la joie
barbare des autres ! paffer fa vie à contempler
.des malheureux fufpendus à la roue de la
-fortune , exposés à fes cruelles viciflitudes
. condamnés pour la plupart à finir leurs trop.
longs jours , ou dans l'opprobre , ou dans les
larmes & la misère !
L'Auteur ajoute qu'il a fouvent attendu
jufqu'au lever du foleil , le dénouement de ces
-drames terribles trop pleins de vérité , & que
l'art eft bien loin de pouvoir jamais imiter :
tout y eft affreux , & la figure , & les propos ,
& le filence , & les mouvemens des acteurs ,
& l'attention même des fpectateurs. Mais
tout cela n'eft rien en comparaifon des an-
-goiffesfecrètes ; c'est dans le coeur que gronde
·la tempête : " Deux joueurs manifeſtoient
leur rage l'un par un morne filence ,
,» lautre par des imprécations redoublées.
Celui- ci , choqué du fang - froid de fon
voifin , lui reproché d'endurer fans fe
plaindre des revers coup fur coup multipliés
: tiens , répond l'autre , regarde....
Il s'étoit déchiré la poitrine , & lui en
montroit les lambeaux fanglans . »
199 *
,
痿
Une
DE FRANCE. 121
"
39
» Une époufe infortunée vint , la mort
dans les yeux , y chercher fon époux , qui
jouoit depuis deux jours. Laillez - moi ,
s'écria-t'il , laiffez-moi encore un inftant ,
je vous reverrai peut-être... après-demain.
» Le malheureux ! il arriva plus tôt qu'il ne
» l'avoit promis . Sa femme étoit couchée ,
» tenant à la mamelle le dernier de fes fils :
levez-vous , Madame , levez-vous ; le lit
» où vous êtes ne nous appartient plus. »
»
""
و ر
")
"
"3
« Un autre père de famille , après avoir
perdu tranquillement , & même avec fé-
» rénité , la moitié de fa fortune , joua le
refte , & le perdit fans murmurer. On le
regarde , fa figure ne change point , on
apperçoit feulement qu'elle devient im-
» mobile. Cet homme vivoit à fon infçu.
» Deux ruiffeaux de larmes s'échappèrent
» de fes yeux , & toujours fans que les traits
en foient altérés , il ne parut d'abord que
ridicule. Je ne fais quelle idée cette ftatue
pleurante réveilla tout-à- coup dans l'ame
» des fpectateurs ; quoique joueurs , ils finirent
tous par être failis de terreur & de
pitié , &c.
و د
ور
99
ود
ور
Après avoir expofé les abus & les malheurs
du jeu , M. Dufaulx propofe différens
moyens d'y remédier , foit par l'éducation ,
foit par de nouveaux réglemens , foit par
l'exemple du Monarque & de fa Cour. Il
obferve que le Roi de Pruffe , le Roi de Sar-
Sam. 16 Octob. 1779.
F
122 MERCURE
+
daigne , les Républiques de Gènes & de
Venife ont déjà fait d'heureuſes tentatives.
pour extirper de leurs États les jeux de hafard
& la plupart des autres jeux publics ; & que
la ville de Hambourg eft parvenue à chaffer
les joueurs de fes murs. Avec du courage ,
de l'intelligence & des intentions droites , il
feroit poffible d'en purger infenfiblement la
capitale & nos autres grandes villes ; celles
d'un ordre inférieur les imiteroient à la longue
, en adoptant des amufemens plus honnêtes
& moins dangereux , & le Royaume
fe trouveroit enfin délivré du plus redoutable
fléau des moeurs.
Tel eft le but refpectable que s'eft propofé
M. Dufaulx ; il avertit fes Lecteurs qu'il
n'a rien cité que d'après de bons garans ; il
certifie l'exactitude de tout ce qu'il avance ,
en qualité d'acteur & defpectateur. « Si j'avois
" fait un Poëme , j'aurois tâché de l'embel-
22
lir par la fiction ; mais en écrivant fur les
» moeurs , je refpecte la vérité. Au refte ,
j'ai montré à la jeuneffe la route que j'ai
" fuivie trop tard ; mais enfin je l'ai fuivie ,
lorfque fatigué de mes erreurs , je compris
qu'il étoit plus sûr & plus honnête d'aller
32
* A la fin de fon Livre , M. Dufaulx rapporte une
Loi de l'Empereur actuel de la Chine , contre la fureur
du jeu : c'eft un des morceaux les plus intére
fans de l'Ouvrage ; nous regrettons de ne pouvoir
le tranferire ici , à caufe de fa longueur.
DE FRANCE. 123
» au fecours de mes compatriotes que de les
depouiller. »
ง
C'eft au Public raifonnable à juger de l'im
portance de ce Livre ; il doit fur- tout fe défier
de l'opinion qu'en donnent les joueurs :
furieux de ce que l'Auteur a ofe révéler leurs
mystères d'iniquités , & ne pouvant détruire
une multitude de faits & d'obfervations qui
doivent les flétrir à jamais , ils vont répétant
en tous lieux , que l'Ouvrage eft dénué d'intérêt
; qu'on n'y trouve ni plan , ni conduite ,
ni méthode , que les mêmes idees & les mêmes
objets y reparoiffent à chaque page , & toujours
en defordre ; qu'il n'y a nul accord entre
les parties ni entre les chapitres , nul difcernement
dans le choix des citations ; rien
de neuf , rien d'attachant dans la morale ;
l'éloquence de l'Auteur eft emphatique ,
fon ftyle diffus , lourd , incorrect , inégal
, fans nobleffe , fans couleur & fans vie ;
en un mot , ils réuniffent tous les lieux communs
en ufage , pour décrier les bons comme
les mauvais Livres . L'Auteur devoit s'y attendre
; mais il en fera dedommagé lorfqu'il
verra les pères de famille benir fa mémoire ,
& dépofer fon Livre entre les mains de leurs
enfans , comme un prefervatif contre le plus
redoutable écueil de la vie. M. Dufaulx
doit s'attendre encore à une autre espèce de
triomphe ; il verra fans doute le Gouvernement
commencer la réforme en cette partie.
Mais le defordre des finances , le rétabliffement
de la marine , les foins de la guerre
que
Fij
124
MERCURE
exigent maintenant toute la follicitude da
Reftaurateur des maurs : cependant on peut
déjà preffentir fes deffeins dans la liberté que
la cenfure a laiffée à M. Dufaulx; car fon Livre
cft par- tout femé des réflexions les plus hardies
contre les loteries , contre les jeux publics
, contre tous les établiffemens où l'on
voudroit fubftituer le hafard au travail & à
l'induftrie , comme un moyen d'enrichir le
peuple.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE deux de ce mois , on repréſenta pour
la première fois fur ce théâtre Rofeide
Comédie en cinq Actes , en vers. Quelques
longueurs répandues dans le cours de la Pièce ,
affoiblirent l'effet de cette repréfentation , &
le fuccès de l'ouvrage fut balancé ; mais il fe
décida complettement à la feconde & à la
troifième . La fable de cette Comédie parut
d'abord compliquée & difficile à faifir. Nous
allons la mettre fous les yeux de nos Lecteurs
, autant que notre mémoire pourra nous
la rappeler.
Les Nelmours & les Volfimons font divifés
depuis long-temps par une haine héréditaire
, irréconciliable , & fondée fur les plus
forts motifs. Le fils unique d'un Nelmour
DE FRANCE. 125
avoit été décapité fur l'accufation fauffe d'un
Volfimon qui avoit fuborné des témoins , &
donné à l'impofture la plus noire , toutes les
apparences de la vérité : de- là cette guerre
jurée entre les deux familles . Cependant la
fille du Nelmour qui joue un rôle dans la
Pièce , avoit époufé fecrètement , pour fe
fouftraire à la fureur de fon père , un Volfimon
, frère de celui que l'Auteur introduit
dans fon action. Ce Volfimon , l'aîné de fa
famille , eft mort au fervice , fans rien révéler.
La fille de Nelmour que le chagrin confume ,
fur le point d'expirer , avoue tout à Nelmour
fon père, & lui confie le gage de fon union
avec fon plus mortel ennemi : ce gage eft
Rofeïde, l'Héroïne de la Pièce . Nelmour fe
croyant feul dépofitaire du fecret de fa fille ,
prend foin de l'enfance de Rofeïde , s'attache
à elle de plus en plus ; mais dominé par la
haine , il ne veut fe déclarer que pour le bienfaiteur
de celle qu'au fond de l'ame il aime
comme le père le plus tendre : fituation
cruelle & neuve au théâtre . Dès que Roféide
a atteint un âge plus avancé , il la place chez
la Comteffe d'Ermance , femme eſtimable ,
à laquelle il confie en quelque forte l'éducation
de la jeune perfonne , qui ne pafle que
pour fa pupille. Cette Comteffe , qui croir
appercevoir dans les autres les vertus qu'elle
a , eft féduite par un certain Verville , efprit
fouple délié , exercé aux manéges de l'intrigue
, aquelle il doit fa fortune , fes entours
& cette confidération du moment , que l'ar-
Fiij
126 MERCURE
tifice arrache quelquefois lorfqu'on la difpure
à la probite mal - adroite. Ce Verville s'eft
empare de Nelmour au point que ce dernier
fonge à lui faire époufer Rofeide , qui aime
en fecret Dolfe , jeune homme plein de candeur
, de droiture & de fenfibilité. Dolfe a
pour ami Volimon , ce qui le rend odieux à
Nelmour , dont le choix fe décide en faveur
de Verville.
Tous les fils de cette action , quoique un
peu brouillés , comme nous en avons déjà
fait le reproche à l'Auteur , fe démêlent pourtant
avec netteté & vraisemblance dans le
cours de l'ouvrage . La mère de Rofeide , prévoyant
que fa fille ne feroit jamais reconnue ,
& que la haine de Nelmour le forceroit à la
défavouer ; la mère , dis-je , de Rofeïde , traça
de fa main mourante un billet , où le fort de
fa fille eft dévoilé , & le remit avant d'expirer
à un vieux & fidèle ferviteur de Nelmour.
Cet homme interrogé & preffe par
Verville , laifle échapper des aveux dont
Phabile fourbe profite. Volfimon , fur quelques
bruits confus de l'hymen de fon frère ,
remonte à la fource , interroge à fon tour le
vieillard , le preffe , & parvient à en obtenir
l'écrit qui conftate la naiffance de Rofeïde ,
& qui la déclare pour fa nièce. Armé de cet
indice , il ne fonge plus qu'à détromper
Nelmour , & à réunir les deux amans , qui ,
après tous les obftacles que leur oppofe l'inépuifable
induftrie de Verville , voicouDE
FRANCE. 127
ronnner leur tendreffe par celui même qui
avoit paru la traverfer .
Cette fiction , malgré quelques défauts ,
fait fûrement honneur à l'imagination du
Poëte il a fu s'y menager des développemens
& des contraftes qui ont de l'éclat au
théâtre. La duplicite , la fourberie & la noirceur
de Verville , on oppofition avec la fimplicité
des deux jeunes amans ; la générofité
indulgente & noble de Volimon , encore
relevée par l'animofte inflexible de Nelmour ,
font des fources de beautes vraiment dramatiques.
Le dénouement offre le tableau le plus
attendrillant , & l'on ne peut guère reprocher
à cet ouvrage que quelques lenteurs
dans le premier Acte ; défaut qui réfulte fans
doute de tout ce que l'Auteur a eu à motiver
pour fonder fon action. Le caractère de l'intrigant
eft bien deffiné. On avoit voulu y voir
quelques rapports avec le Méchant ; mais à
l'examen , ces prétendues reffemblances difparoiffent.
Le Méchant dit du mal ; Verville
en fait. Il étoit impoffible de montrer un
perfonnage auffi mobile fous toutes les formes
qu'il préfente. Le Poëte s'eft borné à
celles qui pouvoient bleffer le moins les
convenances théâtrales. L'Intrigant , fait comme
il devroit l'être , ne pourroit jamais être
joué il a trop de modèles pour qu'on en
laifsât paffer la copie . D'après ces différentes
obfervations , on peut juger du mérite de ce
nouvel ouvrage de M. Dorat ; mais ce qui
parcît avoir obtenu l'approbation générale ,
FIV
828 MERCURE
c'eft le ftyle , partout élégant , quelquefois
énergique , plein de fineffe , & de cette fraîcheur
de coloris qui diftingue la plume à qui
nous devons déjà le Célibataire & la Feinte
par Amour.
Il feroit injufte , dans le compte que nous
rendons de Rofeïde , d'oublier le zèle & l'enfemble
que les Acteurs y ont mis . M. Molé
a rendu le rôle de l'Intrigant avec toute la
légèreté , toute la foupleffe , toutes les nuances
qui conviennent à un pareil caractère .
Par les grâces , le charme & la magie de fon
jeu , il a fait en quelque forte difparoître
l'odieux du perfonnage. Cet Acteur eft vraiment
le Protée de la fcène : il eft impoffible
d'avoir un talent plus fécond , plus varié &
plus infatigable. Mlle Doligni eft charmante
dans le rôle de Roféïde. Décence , nobleffe ,
fenfibilité , vive ou délicate , inflexions déchirantes
, elle réunit tout ce qui peut plaire &
émouvoir. Le Sieur Monvel a rendu le rôle
de Volfimon avec cette éloquence de l'ame
qu'il pofsède au fuprême degré : il a été fublime
au cinquième Acte , où il a toujours
excité cette fenfation univerfelle qu'il n'appartient
qu'au grand talent de communiquer
aux Spectateurs . MM. Fleury & Dazincourt ,
tous deux auffi aimés qu'eftimés du Public ,
fe font diftingués chacun dans leur rôle.
Mile Fanier a rendu le fien avec cette fineffe ,
ce feu , ce piquant qui caractérisent le jeu fpirituel
de cette aimable Actrice ; & Mde Molé ,
dans la Comteffe , a montré la plus grande
DE FRANCE. 129
intelligence : elle y a été très-applaudie , &
elle méritoit de l'être. Enfin M. Brifard a été
ce qu'il est toujours , plein de nobleffe , d'ame
& de vérité. C'eft l'Acteur de la Nature.
On répète à préfent une Tragédie de M.
Dorat , intitulée Pierre-le-Grand ; c'eft un
fuperbe fujet , qui manquoir à notre théâtre .
( Cet Article a été envoyé au Rédacteur du
Journal. )
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 8 Octobre , on a remis à ce
Théâtre le Rival favorable , Comédie de
Boiffy , en trois actes & en vers.
Le modefte & fenfible Damon eft l'Amant
préféré de Clarice , jeune veuve , dont le
coeur indécis tantôt fe livre , tantôt le refufe
à l'amour. Léandre , un de ces fats orgueilleux
qui avec une jolie figure & du jargon , croyent
pouvoir fubjuguer toutes les femmes , Léandre
parie une fête avec fon ami Damon , que
dans l'efpace de trois heures , il déclarera fon
amour àClarice , qu'il lui infpirera du retour,
& qu'il la fera confentir à l'époufer. Le pari
eft accepté. En conféquence , il fait fa déclaration
. Elle eft mal reçue , parce qu'elle eft
faite dans un moment où la Veuve a pris le
parti d'éloigner Damon , de ne plus recevoir
d'Amans , & de ne pas même en entendre
prononcer le nom . L'adroit Léandre ne fe
Fv
130 MERCURE
rebute point , il promet de renoncer aux expreffions
qui déplaifent à Clarice , & propofe
de donner leur valeur aux mots les
plus ufités du langage familier. En faveur de
l'idée , la Veuve lui pardonne fon opiniâtreté.
Joyeux de ce premier avantage , le Fat dreffe
d'autres batteries. : dans un moment de paffion
, Clarice a écrit à Damon un billet fort
tendre qu'elle avoit chargé Marton de lui
porter ; Marton l'a perdu ; Léandre l'a trouvé;
il fe promet d'en faire ufage ; mais il lui
en faut un de Damon ; & voici le moyen
qu'il emploie pour fe le procurer.
Il feint qu'un Duc de la connoiffance l'a
prié de lui faire une lettre pour une Dame
dont il eft aimé , & à laquelle il a facrifié un
autre objet ; qu'il s'eft en vain tourmenté
pour compofer cette lettre ; enfin , il ſupplie
Damon de le tirer d'embarras , en la faifant
pour lui. Damon y confent . Muni de ces deux
titres , il en préfente un à fon ami , qui croyant
fon rival heureux , fort en fe propofant de
ne jamais revoir fon infidelle ; l'autre eft remis
à Clarice , comme une preuve de l'inconftance
de Damon. Clarice veut favoir comment
cette lettre eft tombée entre les mains
de Léandre ; il répond qu'il a bien voulu fe
charger de la remettre ; la Veuve demande
à qui ; embarraffé , furpris , obligé de répondre
, Léandre nomme Eliante . Elle arrive au
moment même. Grands reproches de la part
de Clarice ; étonnement , douleur , larmes
de la part d'Eliante : elle preffe Léandre d'éDE
FRANCE.
f } t
claircir un mystère qui la déshonore ; malgré
l'effronterie du Fat , tout va fe decouvrir ,
quand on annonce à Clarice qu'une Dame
l'attend avec impatience dans le fallon voifin
; on remet l'eclairciffement après le jcu ;
en attendant , on emmène Léandre. Damon
croit ne s'être point affez vengé en abandonnant
Clarice , il veut former une autre
chaine , choisit Eliante pour l'objet de fon
nouvel amour , & vient pour le faire eclater
aux yeux de fa perfide Amante. On peut
juger de la douleur, de la confufion d'Eliante ,
quand de la bouche même de l'homme dont
elle attendoit ſa juſtification , elle entend
l'aveu d'une tendreffe qui la rend coupable
aux yeux de fon amie. Après des efforts inutiles
pour diffuader Clarice , & engager
Damon à tenir un autre langage , elle
fe retire en laiffant éclater tout fon mépris
pour la calomnie qui la déchire , & eu atteftant
fon innocence. Enfin les deux Amans
s'expliquent ; ils fe remettent mutuellement
le billet qui a caufé leur erreur : la Veuve
promet à Damon fa main , s'il veut lui facrifier
Eliante ; il accepte la propofition avec
tranfport ; & Léandre , toujours poffédé dè
l'efprit de difcorde , en voulant tout rebrouiller
, achève l'éclairciffement , eft témoin du
bonheur de fon ami , & perd la gageure.
L'intrigue de cette Comédie eft très - heureufement
imaginée , mais elle ne pouvoit
remplir trois actes : auffi , pour donner aux
deux premiers l'étendue qu'ils devoientavoir,
F vj
132 MERCURE
l'Auteur a-t- il été forcé de recourir à des
détails , à des converfations prolongées avec
beaucoup d'efprit , & qui n'en font pas
moins languir l'action & l'intérêt. Les fituations
du troifième font neuves & piquantes
le comique en eft excellent. Le dialogue de
cet Ouvrage , comme celui de prefque toutes
les productions de Boiffy, manque de naturel
& de vérité. Le ftyle eft quelquefois agréa
ble , fouvent précieux & recherché , plus
fouvent encore lâche & incorrect.
Les rôles ont été joués par MM. Michu ,
Valleroy & Corally ; & par Meſdames
Dugazon , Pitret & Gonthier . La difette de
Sujets , & le defir d'être utile , ont fans doute
engagé cette dernière à repréfenter le rôle
d'Eliante. Il faut lui favoir gré de fes efforts
& de fon zèle . Nous obferverons pourtant
que ce perfonnage , qui a été rempli originairement
par Mlle Biancolelly , exige une
Actrice extrêmement jeune. La naïveté , la
fimplicité , l'inexpérience d'Eliante , donnent
quelque chofe de très-intéreffant à la chaleur
avec laquelle elle fe défend de l'intrigue
amoureufe dont on l'accufe ; & c'eft
ôter à ce rôle une grande partie de fon effet ,
que d'en charger une Actrice deftinée par
fes moyens , à un emploi plus marqué.
1
Un Acteur nouveau , qu'on nous a dit fe
nommer Dorgeville , a débuté , le même
jour , par le rôle de Damon. Nous croyons
DE FRANCE. 133
qu'il mérite d'être encouragé. Nous l'invitons
à donner à fa démarche & à fon maintien
un peu plus de dignité , & fur-tout à
donner plus d'effor à fon ame. Au refte ,
il parle avec bon-fens , & fuit la fcène avec
intelligence.
VARIÉTÉ S.
RÉPONSE de l'Auteur de l'Extrait du
Dithyrambe , à la Lettre inférée dans le
Mercure du 9 Octobre dernier.
COMBIEN il eft dangereux de ſe laiffer emporter
aux premiers mouvemens de l'amour- propre bleffé !
Quand j'ai lu la réponfe qu'on vient de faire à mon
extrait du fameux Dithyrambe , j'ai cru d'abord que
c'étoit une repréfaille de quelque ami de l'Auteur , qui
avoit voulu me perdre de réputation aux yeux de
l'Univers , & m'enlever la gloire qui pouvoit me
revenir de cet extrait , que j'avois travaillé avec tant
de foin.
En obfervant que cette réponſe commençoit par
une apoftrophe , une profopopée & quelques invectives
, j'ai cru y voit la colère d'un Maître ès-Arts ,
armé contre moi des plus puillantes figures de la
rhétorique.
Je me difois cependant : dès que le Dithyrambe
a été imprimé , tous les Journaliſtes l'ont traité avec le
plus grand mépris , & ils en ont relevé les défauts
avec un acharnement impitoyable , fans rendre
juftice à aucune des beautés qui s'y trouvent ; moi ,
j'en ai expofé , il eft vrai , les défauts avec ce courage
& ce zèle que nous autres Journaliſtes nous avons tous
134 MERCURE
pour défendre la vérité & le bon goût ; mais j'ai
motivé mes critiques ; je n'y ai mêlé aucune injure ;
' ai cité & loué fincèrement les plus beaux endroits de
l'Ouvrage ; & voilà un Champion du Dithyrambė
qui , laiffant en paix tant de Critiques fi patlionnés &
fi injuftes , vient appefantir fa redoutable férule fur
le feul qui ait dit du bien de l'Ouvrage qu'il veut défendre!
Il m'accufe d'injuftice , d'ignorance , de mauvaiſe-
foi , d'envie , de malignité , &c. il me dit crûment
que je n'aijamais eu aucune idée de poéfie ; que
je n'ai pas étudié ma langue ; que je vois trouble ,
que l'envie de nuire me rend mal - adroit ; que je ne
fais pas même être méchant , &c. Ce langage ne me
paroiffoit pas bien poli , & la préférence qu'il me
donnoit me fembloit trop dure. J'allois à mon tour
m'armer de catachrèfes , d'objurgations , & de la
figure appelée en grec eironeia , pour défendre vigoureufement
ma doctrine & mon Extrait; je commençois
même à me fâcher un peu , afin de me mettre au ton
de mon Correcteur , lorfqu'une illumination foudaine
eft venue me deffiller les yeux , & m'a préſervé du
ridicule dont j'allois me couvrir.
En relifant attentivement cette réponſe , j'ai apperçu
tout - à - coup que ce n'étoit qu'un perfifflage
infidieux de quelque ennemi de l'Auteur du Dithyrambe;
qu'on ne feignoit de le défendre que pour le
livrer de nouveau à la malignité du Public ; que les
petites injures qu'on m'adreffoit n'étoient qu'un piége
tendu à mon amour-propre , pour m'engager , par
l'aiguillon de la contradiction, à revenir avec plus de
févérité fur ce malheureux Dithyrambe , & à completter
la critique que je n'avois fait qu'ébaucher. Le
perfifflage pouvoit être plus gai , mais il ne pouvoit
guères être plus malin ni plus fubtil.
Pour mieux en impofer d'abord , mon prétendu
Adverfaire commence par m'attaquer férieufement
fur un point où je dois convenir qu'il a l'avantage.
DE FRANCE. 135
J'avois fuppofé que le Dithyrambe étoit d'un jeune
homme , & non, comme on affectoit de le croire ,
d'un homme de Lettres qui , par faplace , n'avoit pas
le droit de difputer le prix le faux Apologifte a
très-bien démêlé qu'il entroit un peu d'ironie dans
cette tournure , & il en avertit traîtreufement le
Public , qui auroit pu s'y méprendre.
:
Mais il ne me déma que ainfi que pour démafquer
en même - tems l'Auteur du Dithyrambe ; il femble
arracher le refte du voile qui couvroit encore ce
petit myftère ; il ne nomme pas l'Auteur , mais il le
montre du doigt ; il le ramène malicieuſement fur la
fcène , au lieu de le laiffer oublier ; fous prétexte de
repcuffer le motif de gloriole puérile , auquel j'avois
attribué la violation d'une régle fage , fondée également
fur la bienséance , la juftice & la raiſon , il fait
une hypothèſe gratuite , où le Poëte , preflé par les
amis de Voltaire de concourir à l'Éloge académique ,
comme plus propre qu'aucun autre à bien remplir
cette tâche , cède modeftement à leurs inftances , afin
qu'ily ait au moins un bon Éloge. On fent trop que le
perfiffleur a voulu fe moquer de l'Auteur dithyrambique
& de moi , en appelant cette déférence un courage
noble; il a bien vu qu'une pareille explication
expofoit cet Auteur à un ridicule aux yeux du Public ,
& tendoit à lui faire une querelle de plus avec plufieurs
hommes de mérite , qui , fans être de l'Académie
, ont donné affez de preuves de talent pour être
au moins jugés capables de faire une pièce de vers de
la force du Dithyrambe.
Le perfifflage devient encore plus fenfible lorsque
le faux Apologifte veut faire regarder comme une
preuve de la pureté de zèle de l'Académicien concurrent
, l'attention de ne pas recevoir l'argent du Prix ,
qu'il n'auroit eu aucun moyen poffible de ſe faire
donner , tandis qu'il auroit reçu l'honneur du Prix ,
auquel il n'avoit aucun droit , & dont il priveroit
celui qui l'auroit mérité,
136 MERCURE
que c'est encore par pure On fent bien malice qu'il
cite l'exemple de Fontenelle , qui fit , en 1695 , pour
fon ami Brunel , un Difcours qui remporta le Prix
de l'Académie ; car il convient en même-temps que
c'étoit un fort mauvais exemple . En effet , Fontenelle
s'eft toujours reproché cette faute; mais du imoins il la
fit pour fervir unami , & il n'eut garde de laiſſer tranfpirer
ce petit fcandale , qu'il ne révéla que long-trms
après . Le bon Abbé Trublet , qui étoit un peu févère
, dit , en rapportant cette anecdote , que c'étoit
unefaute contre l'exacte probité ; mais il ne nous apprend
pas fi Fontenelle avoit vanté & fait valoir luimême
le Difcours qu'il avoit fait ; s'il s'en étoit conftitué
le juge , & s'il avoit donné fa voix pour lui décerner
le Prix . L'anecdote du Dithyrambe fera vraifemblablement
beaucoup mieux éclaircie pour la
postérité.
Mon feint adverſaire s'attendoit fans doute à me
voir entrer en lice avec lui , pour juftifier mes obfervations
contre les critiques ; il auroit triomphé de
ma fimplicité , & m'auroit immolé enfuite à la rifée
publique. Heureufement j'ai échappé à ce ridicule.
Je me garderai donc bien de lui répondre , & je me
contenterai de faire remarquer par quelques traits à
mes Lecteurs, toute fa malice.
1. Il paffe fous filence comme de raiſon mes cenfures
les plus graves . 2 ° . Il convient de la plupart
de celles qu'il rapporte ; & s'il a l'air d'y joindre une
obfervation critique , c'eſt toujours de manière à n'en
pas émouffer le trait. 3 ° . Il chicane d'un air férieux
fur quelques critiques de mots , afin de mieux cacher
fon jeu.
Par exemple , j'avois trouvé de la redondance dans
ces deux vers :
Jour , qui va couronner les deftins les plus beaux !
Jour , fait pour payer ſeul un ſiècle de travaux !
DE FRANCE. 137
Le premier hémistiche du fecond ne me paroiffort
d'ailleurs ni élégant , ni poétique ni harmonieux . J'avois
ofé croire que l'idée de l'Auteur auroit été renfermée
toute entière dans ce vers ,
Jour , qui va couronner un fiècle de travaux !
Mon perfiffleur malin me dit que je ne fais pas ma
langue , parce qu'on ne dit pas qu'un jour couronne
des travaux . Cela ne peut pas être férieux ; il fait trèsbien
qu'un jour de triomphe peut couronner les travaux
d'un guerrier ; mais ce qu'il fait encore mieux ,
c'eft qu'il n'eft pas queftion ici d'un jour qui cou
ronne des travaux , mais d'un JOUR qui couronne
UN SIECLE.
J'ai trouvé que dans ce vers ,
Tous fes traits altérés annoncent la terreur
ces mots rapprochés , traits , altérés, terreur , n'étoient
pas harmonieux. Il répond que j'ai raiſon ; mais que
c'est moi qui les rapproche .
CC
J'ai remarqué comme un peu étrange à l'oreille ce
commencement de vers , Tous , vous vous ; il dit
encore que j'ai raifon , « quoique , ajoute - t'il , tous
» fe détache , & que l's , qui fe fait entendre à la
fin de ce mot , en diftingue le fon de celui de vous ,
dont l's ne s'entend pas ». Il faut convenir que
Mathanafius n'a rien de plus plaifant , & qu'un commentaire
entier de ce ton-là fur le nouveau chefd'oeuvre
de l'inconnu , feroit oublier l'ancien .
בכ
J'ai trouvé que la grandeur qui refpire dans les
traits d'un grand homme , n'étoit pas heureux ; il
efquive adroitement l'objection , & m'apprend que
refpire eft une expreffion familière aux Poëtes , qui
veut direfe montrer vivante.
Il fait femblant de croire que les alarmes , qui ne
font autre chofe que la crainte , caractérisent effentiellement
la pitié , parce que la pitié eft ſouvent ac138
MERCURE
compagnée de l'efpérance & de la crainte ; c'et évideminent
une adreffe maligne pour faire entendre que
le Poëte ne pouvoit pas plus mettre les alarmes que
l'espérance fur le front de lapitié.
Le Poëte Dithyrambique s'écrie :
Mufe , qui me conduis , où m'as-tu tranſporté ?
Je n'ai pas trouvé ce rapprochement de conduit
& de transporté fort poétique. Le perfiffleur répond
que c'est toujours en le tranfportant qu'une Muſe
conduit un Poëte dans fon temple. Ce qui feroit riaicule
& burlesque, ajoute-t'il, ce feroit qu'ils y allaffent
à pied. Voilà une petite faillie de gaité qu'on fent
bien qu'un homme de goût n'a jamais pu fe permettre
férieufement .
Il eft donc démontré qu'un homme d'autant
d'efprit que mon perfiffleur n'a voulu que s'amufer
aux dépens du Dithyrambe , en écrivant cette fingu
lière apologie. Mais ce qui démontre encore qu'il a
eu , comme je l'ai dit , l'efpérance de m'engager à
revenir fur les fautes du Dithyrambe , c'eft le reproche
qu'il me fait d'avoir paffé fous filence le tableau
des Tragédies de Voltaire , morceau de Poésie ,
ajoute -t'il d'un ton équivoque , affez remarquable ;
oui fans doute , par le défaut d'idée , de variété ,
de couleur & d'harmonie : il voudroit bien que je
m'attachaffe à critiquer ce morceau , qui a été abandonné
, même par le petit nombre des défenfeurs du
Dithyrambe ; mais le piége eft trop évident .
C'eft dans le même efprit qu'il dit que j'ai fait le
plus grand éloge de la comparaifon des Cordilières
avec le génie de Voltaire , quoique j'aye dit feulement
qu'à l'exception de deux ou trois vers la Poéfie
en eft harmonieufe & l'effet impofant. Il fait très - bien
que j'aurois pu y relever de l'emphafe & de l'obfcurité
; la Nature, par exemple , qui fait la pente tortucufe
des montagnes , & qui plus loin étale la beauté
DE FRANCE. 139
de la culture ; des profondeurs qui s'ABAISSENT en
vallons , ( image vraiment dithyrambique ) des
échos qui répetent les Chanfons des Bergers des Cordilières
, où l'on n'a jamais vu de Bergers.
Ce qui achève de dévoiler l'intention du perfiffleur ,
c'eft l'apologie qu'il fait du morceau du Dithyrambe
fur le fyftême de Newton. Il eſt évident que l'Auteur
n'a aucune idée de Phyfique : faire promener
Newton fur le char du foleil , eft une faute inexcufable
L'Apologifte ne laiffe pas d'avouer ( remarquez
cette tournure ) que cette image eft trop étrangère
au fujet ; mais , ajoute- t'il , le foleil , dans les principes
de Newton , n'eft point immobile ; cette remarque
eft évidemment d'un habile Géomètre , qui aime à
plaifanter ; il eft certain que le foleil a un petit mouvement
dans l'efpace ; mais ce mouvement , que
les Aftronomes eux -mêmes négligent dans leurs cal
culs , mon perfiffleur n'exige sûrement pas que les
Poëtes en tiennent compte dans leurs vers.
J'ai dit que Newton décompofoit la lumière & në
l'obfervoit pas dans les rayons du foleil ; il répond ,
toujours du même ton , qu'on ne pouvoit pas dire
en vers décompofer la lumière ; il fait mieux que moi
que Voltaire l'a dit en fort beaux vers,
per-
J'ai dit que Newton n'avoit garde de chercher la
fubftance première des élémens . Il répond qu'il a ouidire
que Newton , à la fin de fon Optique , s'eft occupé
de la question des élémens des corps . Ici le
fifflage n'eft pas affez fin : Newton , dans une feule
de fes queftions, a parlé des élémens des corps comme
tous les Phyficiens & les Chimiftes en parlent ;
mais , encore une fois , il ne perdoit pas fon temps
en chercher la fubftance première.
રે
Il dit que calculer les lois de la pefanteur , s'appelle
pefer l'Univers , dans le langage des Poëtes : cela me
paroît une épigramme trop amère contre la poésie &
les Poëtes.
140
MERCURE
Rival de la Divinité , dit le Poëte , le monde
qu'elle a fait , c'eft lui ( Newton ) qui le mefure. J'ai
obfervé bien fimplement qu'on n'eft pas le rival de
la Divinité pour mefurer le monde qu'elle a fait , pas
plus qu'on ne feroit le rival de Perrault pour avoir
mefuré la colonnade du Louvre ; ici le Plaifant ſe
récrie , avec une gravité affectée : Comment peut-on
hafarder l'incroyable rapprochement de l'ouvrage du
plus grand Génie , de celui d'un Arpenteur ? ... C'eft
peut- être l'idée la plus étrange qu'ait jamais produit
l'efprit de chicane & de dénigrement.
Pour le coup la raillerie paffe toute meſure. Dans
l'art du perfifflage , comme dans tous les arts , en
voulant frapper trop fort on manque fon coup ; il est
impoffible qu'on prenne ceci férieufement. Quand
on compare la création de l'Univers à la colonnade
du Louvre , on peut , fans infulter Newton , comparer
le fyftême de la gravitation au travail d'un
Arpenteur.
Mais c'eft trop s'arrêter fur une plaifanterie dont
les gens d'efprit ne pouvoient pas être la dupe , & fur
une pièce de vers fur laquelle l'Auteur fe feroit bien
paffé qu'on revint fi fouvent
*
DE FRANCE. 141
SCIENCES ETET ARTS.
SECOND MÉMOIRE , contenant lafuite des
Expériences faites par M. le Marquis de
Néelle , fur la multiplication des animaux
étrangers , par le moyen d'une chaleur
artificielle , lu à l'Académie Royale des
Sciences , le 19 Juin 1779 ; par M. le
Comte de Milly.
M.• LE MARQUIS DE NÉELLE ayant continué fes
Obfervations & fes Expériences fur les effets de la
chaleur artificielle fur les animaux des climats dont
la température diffère du nôtre , a eu le même
fuccès cette année que l'année dernière , dont je
rendis compte , de fa part , à l'Académie ; ainfi cette
dernière expérience confirme parfaitement la pre-,
mière , & ne laiffe plus de doute fur les amours &
la fécondité des animaux étrangers tranfportés en ce
pays , lorfqu'on les traite convenablement.
Les ouiftitis que le Marquis de Néelle a mis
l'année dernière fous les yeux de l'Académie , ont été
établis dans le même cabinet dont il a été fait mention
dans le premier Mémoire ; & par le moyen d'un
poële , on y a entretenu le degré de chaleur de leurs
pays natal. On s'apperçut dans les premiers jours de
Février de cette année 1779 , par les empreffemens
réciproques du mâle & de la femelle qu'ils étoient
prêts de tomber en amour . Pour pouvoir en déter
miner le moment , on mit un linge blanc dans la
boîte où ils couchent , qui bientôt après fut taché par
142
MERCURE
le flux menftruel , ce qui prouva que la femelle étoit
en chaleur.
Le 10 de Février , ces animaux s'accouplèrent ,
& on en prit note ; après trois mois de portée , la
femelle a mis bas un petit très - bien conformé , mais
qui bientôt eſt devenu la victime de la jaloufie de fes
frères aînés. Ceux - ci fâchés des foins de leur mère
pour le nouveau né, l'ont arraché de deffus fon dos , &
l'ont jeté ou laiffé toinber par terre , où il s'eft tué.
M. le Marquis de Néelie Fa fait mettre dans un
bocal rempli d'efprit-de- vin , tel qu'il eft actuellement
fous les yeux de l'Académie.
Dans le premier de Juin , le père & la mère fe
font accouplés de nouveau ; il y a lieu de croire
qu'à l'expiration des trois mois , temps de leur
portée , la femelle mettra bas pour la troisième
fois.
Le Marquis de Néelle a remarqué que ces animaux
font fujets à l'épilepfie *
Il fuit de ces expériences , 1 ° . que la chaleur artificielle
peut fuppléer dans les pays froids à celle des
climats chauds pour la génération des animaux , &
cela n'étonnera pas tout homme capable de réflexions
qui a été forcé de voyager par le grand froid ;
il s'eft certainement apperçu que les defirs amoureux
ne naiffent pas au milieu des glaçons.
2 °. Qu'on pourra à l'avenir appliquer utilement
* Les ouiftitis fur lefquels M. le Marquis de Néelle
a fait fes obfervations , ont toujours été enfermés dans
un lieu chaud où l'air n'a peut- être pas été renouvelé
affez exactement . Les émanations de ces animaux font fi
abondantes , qu'elles communiquent à l'atmoſphère du
cabinet qu'ils habitent , une odeur prefque infoutenable ;
il pourroit bien fe faire que cette odeur fût la cauſe de
la maladie à laquelle ils font fujets.
DE FRANCE. 143
ce principe à la multiplication des animaux étrangers
qu'on jugera être utiles dans nos climats .
3. Qu'on peut actuellement déterminer dans
l'Hiftoire des Quiftitis , l'époque de leurs amours ,
la durée de leur portée , les circonftances de leur
naiffance , & donner une idée de leurs moeurs .
Je pense que cela mérite l'attention des Naturaliftes
, & que les Savans & les Amateurs d'Hiſtoire
Naturelle doivent favoir gré à M. le Marquis de
Néelle des foins qu'il a pris , des dépenfes qu'il a
faites & qu'il fait chaque jour pour multiplier & varier
des expériences dans un genre auffi interreſſant
que nouveau.
GRAVURE.
CARTE de l'Ile de la Grenade , divifée par fes
Quartiers , avec les Ports & Montagnes, d'après celle
levée par ordre du Gouverneur Scott. A Paris , chez
Lattré , Graveur ordinaire du Roi , de Monseigneur
le Duc d'Orléans & de la Ville , rue S. Jacques , la
porte -cochère vis-à-vis celle de la Parcheminerie.
Prix , 1 liv. 4 fols.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
E
LOGE de Voltaire , Poëme qui a concouru pour
le prix de l'Académie Françoife par M. Naugaret.
A Paris , chez Gueffier , Imprimeur -Libraire , rue
de la Harpe.
Éloge de Voltaire , par M. Gazon fils . A Paris
chez Lefclapart & Elprit , Libraires , au Palais Royal .
Voltaire , Ode qui a concouru pour le même prix ,
144
MERCURE
par M. Geoffroy . A Paris , chez Valade , Imprimeur.
Libraire , rue des Noyers.
Détail de la prife de la Dominique , pour fervir
de fuite à la Carte de cette Ifle & des adjacentes ,
par les Haffenfratz . A Paris , chez Mérigot , Libraire ,
quai des Auguftins ; & Vigeon , Marchand de Cartes
géographiques , rue Dauphine.
Effai fur la valeur intrinféque des fonds , par
M. Maffabiau . AParis , chez Vente , Libraire , rue
de la Montagne Sainte- Geneviève. Vol. in- 12 . Prix ,
2 liv.
ERRATA. Fortin , Ingénieur , demeure chez le
Marchand Bourfier , rue & près le Cloître S. Honoré ,
vis-à-vis le Café Militaire .
TABLE.
VERSfur le mariage de M. Comédie Italienne ,
97
le Marquis Dar... & de
Mde de Mond...
A Mile Doligni ,
Billet à M. le Comte de Sch.
8
L..., ୨୨
Lettre de M. B. à Mde P. roi
Enigme & Logogryphe , 109
Dela Paffion du Jeu ,
Comédie Françoiſe ,
J.
129
Réponse de l'Auteur de l'Extrait
du Dithyrambe , 133
Second Mémoire , contenant la
fuite des Expériences de M.
le Marquis de Néelle , fur
la multiplication des animaux
étrangers,
111 Gravure ,
124 Annonces Littéraires ,
APPROBATIO N.
141
143
ib.
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 16 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
ce 15 Octobre 1779. DE SANCY.
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 23
OCTOBRE
1779 .
PIÈCES
FUGITIVES
A
ENVERS ET EN
PROSE.
VERS
AMADEMOISELLE DE .
Vous êtes jeune , il faut aimer :
Mais , belle &
charmante Sylvie ,
Tout le bonheur de notre vie
Dépend du premier feu qui vient nous animer.
Votre efprit eft aimable; & jamais à votre âge
On n'a fait voir tant de beauté
31
Unie à tant de fens & de fagacité.
Sachezmettre à profit un firare
avantage . no
Fuyez comme un mortel poifon
L'encens de tous ces petits Maîtres ,
*** Dont
l'ignorance & le faux ton
Font les derniers de tous les êtres.
Ollob.• 1779.
Sam.
23
G
146 MERCURE
Ils ont tous le coeur corrompu ,
Méchant , infenfible , infidèle ,
Et ne vous trouveront fi belle ,
Qu'autant que vous voudrez oublier la vertu.
de l'expérience ; Il ne vous manque rien que
Mais vous montrez tant de raiſon
Qu'auprès de vous une leçon
Fera l'effet de vingt ans de ſcience.
Confultez toujours votre coeur ;
Qu'il foit à jamais votre oracle,
Et, dût-il à vos voeux oppofer quelque obſtacle ,
N'y laiffez point entrer l'erreur.
Fuyez , fur- tout fuyez ces femmes que l'on blâme.
Plufieurs ont de l'efprit , beaucoup ont des appas ;
Mais parmi les plaifirs , l'intrigue & le fracas ,
Toutes ont perverti leur ame.
Ne marchez donc point fur leurs pas.
Soyez ingénue & modefte ,
Ne cherchez point trop à briller,
On vous appercevra de reſte
Si-tôt que vous aurez l'air de vous oublier,
N'ambitionnez point de jouer un grand rôle.
S'il vous venoit , prenez-le fans orgueil..
Vous pourrez le remplir très-bien fur ma parole ;
Mais ne le cherchez pas , car c'eſt- là qu'est l'écueil .
Ferme dans votre caractère ,
Ne trahiffez jamais l'aimable Vérité,
On cefferoit de la trouver auftère ,
DE 147 FRANCE.
Si les femmes l'aimoient avec fincérité. ¸´
Sachez parler , fachez vous taire ;
Ayez toujours de la bonté,
De la douceur , de la fimplicité .
Pour être heureuſe un jour , voilà tout le myſtère.
A Mlle C *** , Fille d'un Interprète du
Roipour les Langues Orientales.
Il faut L que la Beauté pardonne
L'aveu qu'arrache fon pouvoir.
Auprès de vous , belle C✶✶
Quelle autre excufe puis -je avoir ?
Un Monarque fait choix d'un Savant Interprète ,
Je n'en ai d'autre que l'Amour ,
Foible & timide enfant , qui craint l'air de la Cour ,
Et fe niche en fecret dans le coeur d'un Poëte,
Cet enfant eft le Dieu des Bergers & des Rois ;
Sur toute la Nature il exerce fes droits ;
Au fond de l'Arabie on entend fon langage.
Des mille & une Nuits nous lui devons l'hommage ,
C'en eft peu pour ce Dieu jaloux ;
Mais il vous voit fi peu docile ,
Qu'il fera bien content de vous
mille. Si vous pouvez , un jour , n'en redevoir que
( Par M. de la Louptière. )
Gij
148
MERCURE
VERS inferits au bas de la Gravure de
Mlle FANIER.
SUR la Scène Comique , où règne l'impoſture ,
On applaudit fon jeu , fon minois féducteur ;
Mais chez elle , bientôt rendue à la Nature ,
La gaîté, la franchiſe , & l'aimable candeur
Changent en amis de fon coeur
Tous les Amans de fa figure .
LETTRE à l'Éditeur du Mercure.
Paris , 4 Octobre 1779 .
JE fuis Françoife , Monfieur , & bonne
Françoife ; c'eft vous dire affez que je m'occupe
beaucoup de la gloire de mon pays , &
de tout ce qui peut nous faire triompher en
tout genre d'une Nation rivale. Nous en
triomphons déjà depuis long- temps , au moins
par les bons airs & par le bon goût. Depuis
long- temps ces Infulaires hautains , tout en
affectant la fuprématie des mers , ont reconnu
notre fuprématie en fait de modes ;
& cet afcendant qu'ils ofoient appeler frivole
, fembloit annoncer l'afcendant plus férieux
que notre Marine prend aujourd'hui
fur la Marine Angloife. Avez - vous pris
garde , Monfieur , avec quelle légèreté leur
DE FRANCE. 149
Victory , leur Britannia , & tant d'autres
vaiffeaux portant des noms formidables ,
ont évité la flotte combinée de la Maifon-de
Bourbon comment leur Amiral Hardi a
fui conftamment à leur tête , & comment il
a été tout fier & trop heureux d'échapper à
notre brave Amiral? Ce pauvre Comte d'Orvilliers
, je pleure de toute la fenfibilité de
mon ame fur fes malheurs domeftiques ; je
le plains encore de n'avoir pas eu l'occafion
d'humilier nos ennemis d'une façon plus
marquée une victoire complette étoit la
feule confolation digne de lui , & il étoit
homme à fe la procurer. Pour moi , je me
contenterois à moins: il me faut cependant
un triomphe , mais un triomphe plus analogue
à mon fexe , à ma foibleife , fi l'on veut ,
& fur-tout à cette fupériorité de goût , qu'on
ne s'avifera pas , je penfe , de difputer aux
femmes de mon pays. Mon ambition feroit
de donner cours à une mode nouvelle qui , en
rectifiant la forme du meuble le plus effentiel
de la maifon , pût avoir quelque influence
fur l'efprit national , & augmenter dans tous
les coeurs François l'enthoufiafme du fervice
de mer; enthoufiafme qui , dans ce moment
, doit échauffer toutes les ames , préparer
tous les fuccès. Or , voici mon invention
: J'ai long - temps gémi fur la formet
mauffade & trifte de nos lits , tant anciens
que modernes. Qu'eft- ce en effet que des
lits à tombeau ? On fait bien que le fommeil
G iij
150
MERCURE
eft une image de la mort ; mais le réveil qui
fuccède , n'eft-il pas une image de la réfurrection
? D'ailleurs , quoi de plus doux que
le repofer, que le dormir , que le rêver , & c .
Et tout cela fe fait- il dans les tombeaux ?
Qu'est- ce que des lits à la ducheffe , avec
leur ciel très-lourd , fufpendu par un filmudeffus
de nos têtes ? Ne diroit- on pas que ce
font autant de piéges tendus par les Anglois ,
pour nous prendre en dormant ? Qu'eft- ce
que tant d'autres lits de forme baroque , &
d'origine étrangère , que nous n'avons pas
rougi d'emprunter à des Turcs , à des Polonois
, à des Italiens ? Dans tous ces lits
il n'y en a pas un feul qui foit digne de
coucher des François ; & c'eft ce qui n'autorife
à leur en propofer un d'un goût nou
veau; un lit , dont la forme relative à l'heu
reufe révolution arrivée depuis peu dans notre
Marine , fera comme un monument de cette
brillante époque; en un mot, un lit en gondole
, mais en gondole perfectionnée , embellie
par tous les beaux Arts. Elle ne portera
point fur quatre pieds groffièrement folides
; elle fera mollement fufpendue à des
appuis très - fermes & très - peu apparens ;
elle imitera par fes mouvemens , que Pon
pourra retarder ou preffer à volonté , les divers
balancemens d'un navire agité par les
flots . Quoi de plus efficace que cette eſpèce
de bercement pour faire dormir , que ce
roulis voluptueux pour procurer de joliš
DE FRANCE. 151
rêves , de ces rêves charmans , où l'on
croit voler , ou plutôt couler dans les airs
comme les Divinités d'Homère ? Qu'on fe
reprefente une de ces gondoles , dont les différens
mâts enlacés par des guirlandes de
fleurs , foutiennent des courtines ondoyantes ,
ou plutôt de véritables voiles enflées par un
vent favorable, & la Sageffe tenant le gouvernail.
Quelle eft la jeune Beauté qui , entrant
le foir dans une pareille gondole , ne fe
croira pas une autre Galathée , ne s'imaginera
pas qu'elle monte dans fon char de triomphe
? Et fi certe Galathée eft vraiment vertueufe
, c'eft-à dire , fi elle aime vraiment fa
Patrie & fon Roi , avec quel fuccès , du haut
de ce trône impofant , n'exercera- t'elle pas
le plus doux des empires ? Je la vois environnée
de jeunes Guerriers , du feu de fes
beaux yeux animant leur courage, reconnoiffant
avec eux tous les chemins qui mènent à
la gloire , & les entraînant par fes difcours ,
j'ai prefque dit par fon exemple , dans celui
où la Patrie a befoin d'eux . Je vois cette
jeuneffe ardente & fenfible , recevant avec
tranſport les leçons de la Sageffe par l'organe
de la Beauté , cherchant d'un oeil curieux
, dans la forme de fon trône mobile ,
une image de ces fortereffes flottantes , d'où
elle efpère bientôr foudroyer les ennemis de
l'État.
En voilà bien affez , ce me femble , pour
faire fentir qu'un lit en gondole atout ce qu'il
Giv
152 MERCURE
faut pour plaire aux yeux des François , &
tourner leur courage vers fon véritable
objet.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , & c.
La Marquife de ....
P. S. Je recommande aux Artiftes d'orner
ces gondoles avec un goût fage , & d'en fubordonner
la décoration au but politique de
l'inventeur.
LE BERGER ESPAGNOL ,
Romance.
DE - JA la Lu - ne é claire La
Violon. Piano fempre.
Guittare.
plai -ne & le CO teau : De
DE FRANCE. 153
la jeu ne Gli- cè
· · re , C'eft
ci le ha meau. Ma
fidèle Guit - ta re , Voi-
Gv
154
MERCURE
1 in- ftant , l'inftant
Qu'A-mour prépare, Qu'A-
2019 01 07
mour at tend.
DE FRANCE. Iss
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft la Paille ; celui
du Logogryphe eft Mercure , où fe trouvent
mer, crue , écume , mère , cure , mûre , mûr
( adjectif ) , rum , erreurs , müe , ère , crû ,
re , re, rem , re , ure , rere , curem , еси
recrue , curée , remue , cru , mur ( fubftantif),
rue .
ÉNIGM E.
Nous fommes deux aimables foeurs
Qui portons la même livrée ,
Et brillons des mêmes couleurs.
Sans le fecours de l'Art , l'une & l'autre eft parée ;
La fraîcheur eft dans nous ce qui charme le plus.
Sans marquer entre nous la moindre jaloufie ,
L'une de nous fans ceffe a le deffus ;
Très-fouvent cependant l'une à l'autre eft unie.
Nous nous donnons toujours dans ces heureux inftans
De doux baifers très-innocens ,
Jufqu'au moment qui nous fépare ;
+
Alors , & cela n'eft pas rare ,
Souvent pour un oui , pour un non
Nous détruifons notre union ,
Mais l'inftant qui fuit la répare.
( Par M. le Blanc , à Rennes. )
G vj
156 MERCURE
LOGOGRYP H E.
TANTÔT ANTÔT long , tantôt court , je te rends , cher
Lecteur ,
Plus de vingt fois par an , curieux & rêveur.
Dix pieds forment mon tout . Fais -tu mon analyſe ?
Je t'offre un des attraits de la charmante Lyfe ;
Ce que l'Art inventa pour mesurer le temps ;
Ce qui du jour paffé rappelle les inftans ;
Aux Francs-Mâçons , aux fous la retraite propice ;
Le prix de la victoire ; un frein à l'injuftice ;.
Un habitant des airs ; un citoyen des eaux ;
Une rivière ; un fruit ; le plus pur des métaux ;
Un mal qui depuis peu caufa tant de ravages ;
Les vuides de la peau ; l'amas fait par étages ;
Les deux extrémités de ce vafte univers ;
Une fête bruyante , objet de tant de vers ,
Où le vin & l'amour décernent la couronne ;
Le titre précieux qui place fur le trône ;-
Le fupplice effrayant du filou , du voleur ;
Un féjour transparent de la vive liqueur ;
Ce que maint animal déchire avec fa griffe:...
C'eft richement , Lecteur , rimet à Logogryphe.
( Par un Abonné de Clermont- Ferrand. )
DE FRANCE. 157
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE DE SUGER Abbé de Saint-
Denis , Miniftre d'Etat fous le règne de
Louis VI dit le Gros , & Régent du
Royaume pendant la Croifade de Louis
VII, dit le Jeune , par M. ***.
Juftiffimus unus.
·
L'ÉPIGRAPHE de ce difcours eft remarquable
, & donnera lieu à quelques réflexions ;
mais il faut commencer par faire connoître
l'Ouvrage même. L'Auteur nous apprend
dans une note , qu'il ne la point envoyé au
concours de l'Académie Françoife. Nous n'en
citerons qu'un feul morceau; c'eft probablement
un de ceux que l'Auteur a le plus foignés.
Il fuffira pour faire juger fes talens .
& fa manière ; c'eft le portrait du célèbre
Abbé de Clairvaux .
ود
"
» Cet homme étonnant , dont l'éloquence
& le génie ne connoiffoient point de
bornes ; ce réformateur auftère , qui por-
» toit l'art de la perfuafion au dernier degré
» où il pouvoit atteindre ; cet Orateur véhé-
» ment , à qui le Ciel avoit difpenſé le don
» de dominer les efprits , & qui eût été plus
" grand peut- être , fi fon zèle pour le foutien
» d'une religion de clémence & de paix ,
» ne l'avoit emporté quelquefois au - delà
158, MERCURE
ל כ
22
» des limites qu'il femble que cette religion
elle-même devoit lui prefcrire; cet illuftre
cénobite qui pourfuivit avec trop d'achar-
" nement le plus aimable & le plus mal-
» heureux des mortels , Abailard , dans lequel
un homme d'une vertu moins émi-
" nente , pourroit être foupçonné d'avoir
» craint un rival ; cet immortel Abbé de
Clairvaux enfin , qui , malgré quelques
foibleffes inféparables de la Nature hu-
» maine , n'en fut pas moins un des plus
étonnans génies qui ayent jamais exifte ,
» & dont l'Églife a reconnu le mérite , en le
و د
"
و د
و د
plaçant au nombre des faints perfonnages
» qu'elle honore d'un culte particulier ;
» Bernard fe chargea de prêcher cette croi-
» fade par toute l'Europe , & fur-tout en
» France, où fen zèle, animé par le feu divin
qui l'embrâfoit , ne pouvoit manquer de
» produire les effets les plus furprenans. Il
» ne m'appartient pas de juger ce grand
homme; mais il me femble. que l'ardeur
" avec laquelle il feconda cette fatale en-.
treprife , l'égara peut-être , puifqu'il alla
» jufqu'à promettre , au nom de l'Eternel ,
"
4
que la victoire attendoit les Croifés , que
» le Ciel combattoit pour eux , & que les
» Infidèles fuiroient devant leurs hannières ,
» comme la pouffière des champs fous l'haleine
impétueufe des vents du midi:mais ces
» prédictions , quoique foutenues , comme
elles le furent , par des miracles, pouvoientelles
arrêter le bras de la vengeance divine
DE FRANCE. 159
qu'irritèrent les défordres des Croifés ? "
On doit s'appercevoir ailement qu'il n'y
a aucune remarque , aucune critique à faire
fur ce ftyle. Le difcours . eft écrit d'un bout
à l'autre de la même manière .
Mais on ne peut être trop furpris de l'épigraphe
dont l'Auteur a fait choix : Juftiffimus
unus. On feroit tenté de croire qu'il n'a point
lu l'hiftoire de l'homme qu'il célèbre. Comment
, en effet , admirer la juftice du perfécuteur
d'Héloïfe & d'Abailard , de l'ufurpateur
du Prieuré d'Argenteuil ? Ces traits de
la vie de Suger font aujourd'hui connus de
tout le monde ; mais on croit encore qu'il
ne fut injufte qu'envers quelques maifons
religieufes , & qu'il fignala toujours la vertu
la plus pure dans le fervice de fon Roi :
c'eft une erreur. Il traita quelquefois un Roi
qui étoit fon bienfaiteur & fon ami , avec
auffi peu d'équité & de bonne- foi qu'Héloïfe
& fes infortunées compagnes. Je n'en citerai
qu'un exemple. Il avoit fait prendre les
armes à Louis- le- Gros contre le Baron du
Puifet , dont les brigandages défoloient fa
Prévôté de Toury. Louis avoit fait camper
fon armée dans cette Prévôté même , comme
dans le pofte le plus avantageux contre l'ennemi
qu'il avoit à combattre. Suger fe voyoit
ainfi obligé d'employer une partie des fruits
de fon domaine à la fubfiftance des troupes de
fon Roi. Mais il s'étoit flatté de les faire battre
pour lui , fans qu'il lui en coûtât rien , fans
rien faire pour eux. Il entreprend de perfua160
MERCURÈ
der à Louis-le-Gros que ce pofte n'eft pas
aufli avantageux qu'on le croit ; qu'il vaut
mieux faire camper l'armée à quelque diftance
de Toury; & l'adroit Prévôt , dit fon
naïf hiftorien , fait entendre tout ce qu'il
veut à fon Roi : l'armée s'éloigne de tous les
domaines de la Prévôté , & va camper en ;
des lieux où elle ne devoit rien coûter à
Suger. Eft ce-là l'homme le plus jufte , le
feul homme jufte de fon fiècle? On conçoit
qu'un Panegyrifte peut s'exagérer à lui- même
les vertus de l'homme qu'il célèbre ; mais
eſt- il excufable , quel que puiffe être fon
enthouſiaſme , de vouloir en faire le feul
homme jufte de fon fiècle , lorfque dans ce
fiècle même , il y a eu des hommes qui fe
font diftingués par la plus grande juſtice &
par les plus grandes vertus ? Quel reproche
peut faire l'hiftoire à cet Abbé de Cluni qui ,
même de fon temps , mérita le furnom de
Vénérable ; qui , dans un fiècle de fuperfti- .
tion & d'ignorance , fut que la religion ne
pouvoit être defcendue du ciel que pour
confoler & défendre l'humanité ; qui pardonnoit
aux foibleffes des paffions , en donnant
lui-même l'exemple des vertus les plus
auftères de la vie monaftique ; qui eur le
courage de devenir le protecteur & l'ami
d'Abhilard , au moment que S. Bernard pourfuivoit
l'amant d'Héloïfe comme coupable.
d'héréfie , qui enfin , par fes fcules vertus ,
conferva toujours le plus grand pouvoir fur
des efprits féroces & abrutis , & fut dans
DE FRANCE. 161
fon fiècle un perſonnage preſque auffi contidérable
que l'Abbé de Clairvaux & l'Abbé
de Saint-Denis , fans exercer l'empire de
l'éloquence , comme S. Bernard , & fans être ,
comme Suger, revêtu de toute l'autorité du
trône ? De quel crime , de quelle injuftice
pourroit-on accufer ce jeune Prince des Flamans,
ce Charles à qui fes fujets décernèrent
une fi touchante récompenfe de fes bienfaits
, en lui donnant le furnom de bon
(Charles-le- Bon ) ; qui , comme Louis IX ,
rempliffoit avec grandeur tous les devoirs de
la Souveraineté , en fuivant avec fcrupule
toutes les pratiques de la religion , & qui
mourut affaffiné aux pieds des autels ,, pour
avoir voulu défendre les foibles & les pauvres
de fes États contre les puiffans & les
riches ? Lorfque l'Hiftoire de ces temps barbares
nous a fait connoître des vertus fi touchantes
, on ne peut , fans commettre foimême
une injuftice , affirmer que Suger ait
été le feul homine jufte de fon fiècle .
L'Auteur de ce difcours penfe avec la
foule des Hiftoriens , que Suger condamna
les Croifades . L'Auteur du difcours couronné
avance au contraire que l'Abbé de
Saint-Denis n'eut point fur les Croisades une
autre opinion que fon fiècle, & qu'il penfa
feulement que le Roi ne devoit pas quitter
fon trône & fon royaume pour aller commander
lui-même fes troupes dans une autre
partie du monde. Il eft bien certain que
dans la lettre fecrette qu'il écrivit à ce sujet
162 MERCURE
1
au Pape , Suger ne blâme point du tout le
projet de la Croifade en lui -même , qu'il
ne defapprouve que le deffein du Roi
qui vouloit abandonner fes États dans un
temps où n'ayant pas encore d'enfant, il alloit
laiffer fon Royaume expofe aux plus cruelles
divifions. Ce motif n'a sûrement rien de
commun avec l'opinion qui condamne les
Croifades. Il eft encore certain que Suger
en voulut faire une à fes frais , vers la fin
de fes jours. S'il les eût condamnées comme
injuſtes , auroit- il voulu terminer fa carrière
par une injuftice ? N'eft - il pas démontré au
contraire qu'il regardoit la Croifade qu'il alloit
faire , comme une guerre facrée, propre
expier tout le mal qu'il avoit pu commettre
fur la terre ? On ofe le dire; il étoit à peuprès
impoffible qu'il y eût alors en Europe
un feul homme affez élevé au-deffus de fon
fiècle pour appercevoir l'injuſtice des Croifades.
à
L'Auteur de ce difcours dit que Suger
envoya des Commiffaires chez tous les grands
Vaffaux de la Couronne, avec pouvoir d'infor
mer de leur conduite , & de réprimer févè
rement leurs vexations.
On ne voit rien de femblable dans les
Hiftoires générales de France , & dans l'Hiftoire
particulière de Suger. Quand ce Miniftre
vouloit réprimer ou punir les vexations
des grands Vaffaux , il envoyoit chez eux
des troupes , & non pas des Commiffaires :
ces voies légales & judiciaires étoient alors
DE FRANCE. 163
inconnues , & même un fiècle après , à peine
ofoit on encore les mettre en ufage.
It fit abolir les combats en champ- clos ,
& perdre aux Eglifes le droit d'afyle.
C'est encore une erreur. Suger, il eft vrai,
défendit le duel au jeune Comte de Dreux ,
frère du Roi , & au fils du Comte de Champagne
; mais c'eft l'unique fait de ce genre
qu'on trouve dans fon hiftoire . Il s'en faut
bien que ce foit-là un acte de légiflation qui
aboliffe les combats en champ -clos : il y eut
des combats en champ- clos pendant tout le
Ministère & toute la Régence de Suger ,
fans que Suger fit aucun ufage de fon pouvoir
pour les empêcher ou pour les punir.
Ce n'eft également qu'une feule fois qu'on
le voit faire arrêter des coupables juſqu'au
pied des autels ; & c'eft trop abufer des
privilèges des Panégyriftes que de conclure
de ce fait unique , que Suger fit perdre aux
Eglifes le droit d'afyle. On voit les Eglifes de
France jouir de ce droit long-temps après
Suger.
Nous pourrions pouffer plus loin ces obfervations
; mais en voilà fans doute affez
pour faire voir que l'Auteur de ce difcours
n'a pas toujours confulté l'Hiftoire avec af
fez de foin & d'exactitude : les fentimens
honnêtes qu'il montre dans tout le cours de
POuvrage ne permettent pas de croire qu'il
ait altéré les faits à deffein , pour les rendre
plus glorieux à la mémoire de l'homme qu'il
célèbre. Ce feroit une fingulière manière
164 MERCURE
d'honorer la vertu , que de corrompre ,
pour la louer , la fidélité de l'Hiftoire.
ÉCHO ET NARCISSE,Opéra en trois Actes,
par M. le Baron de ***.•
Onjugera , dit l'Auteur dans fa Préface ,
de ce que nous avons inventé dans un fujet
qui nous a paru lyrique & pittorefque , mais
qu'il falloit étendre & animer. Nous fommes
éloignés de penfer comme M. le Baron de ... ;
nous croyons au contraire que de tous les
fujets que la Mythologie peut offrir à un
Auteur dramatique , la Fable de Narciffe eft
le plus ingrat & le moins fufceptible d'intérêt.
L'examen que nous allons faire de
l'Ouvrage de M. le Baron de ... , nous
fournira les preuves néceflaires à l'appui de
notre opinion.
Apollon , amoureux de la Nymphe Écho ,
s'eft vu préférer le beau Narciffe , & s'eft
vengé de cette préférence. Un finiftre préfage
avoit promis la mort au jeune chaffeur , s'il
ofoit un inftant approcher du rivage. Entraîné
par un pouvoirinvincible, il y a porté fes pas ,
& depuis ce moment il brûle pour fon
image. Le jour eft arrivé où Narciffe doit
époufer Écho . La Nymphe vient chercher fon
amant dans un bofquet confacré à l'Amour.
Surpriſe de ne point l'y trouver , fe rappelant
un doux regard qu'il a jeté fur Doris ,
elle le foupçonne d'infidélité. Églé , fon amie ,
l'engage en vain à renoncer à fes foupçons ;
DE FRANCE. 165
elle voit Narciffe , veut s'éclaircir par ellemême
, & fe retire au fond du bofquet.
Toujours plein de fa folle paffion , Narciffe
vole à la fontaine , qu'il prend pour la demeure
de la Divinité qu'il adore , & parle
à l'objet de fon chimérique amour duns
des termes qui déchirent le coeur de la
trop fenfible Echo. Celle- ci l'appelle , fe
préfente à fes yeux : troublé , confondu
Narciffe s'éloigne , ne pouvant , dit - il , con- .
foler la Nymphe , ni foutenir fes larmes.
Cynire , ami du jeune homme , apprend à.
Écho les funeftes fuites de la vengeance d'Apollon
; à cette nouvelle , l'infortunée fe livre
au défefpoir ; elle appelle la mort , qu'elle .
regarde comme fon unique recours . Cynire ,
fe retire avec elle , & lui promet de tout ,
tenter pour toucher le coeur de fon ami.
Au fecond Acte , Écho , pâle & dans le
plus grand défordre , vient dépofer fur l'autel
de l'Amour , une guirlande & les treffes
de fes cheveux ; bientôt après elle tombe ex-.
pirante entre les bras des Nymphes de fa
fuite , qui la conduifent au temple du Dieu.
Narciffe revient à la fontaine;Cynire l'exhorte
à réfifter au charme qui le trompe ; le jeune
homme en s'inclinant montre à fon ami ce
qu'il appelle ia jeune Deeffe idole de fes
fens ; Cynire en s'inclinant à fon tour , prefle
Narciffe de fa main , lui fait voir leurs deux
images qui fe peignent dans le cryftal de
l'onde , & lui prouve par ce moyen que luimême
eft l'objet defafunefte ardeur. Narcille
1
166
MERCURE
fremit , fa tête s'égare , fon ame fe déchire.
Un choeur lamentable annonce la mort d'Echo
; fon amant fe précipite vers le temple ,
& veut s'enfermer avec elle dans le même
tombeau.
Nous n'avons point encore parlé de l'Amour
; il joue pourtant un rôle dans cet Cuvrage.
C'eft lui qui ouvre le premier Acte.
Après s'être déclaré le protecteur des deux
amans ; après s'être promis de fe venger d'Apolon
& d'effayer de ramener Narciffe fous .
fes lois , il le retire. Il reparoît au fecond
Acte , conduifant avec lui les Plaifirs & les
Peines , & leur fait exécuter un ballet , pendant
qu'il examine à qui d'entre eux il doit
recourir, pour rendre un coeur àfes premières
chaînes. Il fe retire à la fin du ballet. C'eft
encore lui qui ouvre le troifième Acte. Il
ordonne aux Zéphirs d'aller recevoir l'ame
d'Écho , & aux Vallons d'imiter la voix plaintive
de cette amante infortunée : il fort lorfque
le choeur des Nymphes fe fait entendre ,
pour cacher , dit- il , jufqu'au bout fes projets.
Les Nymphes , après avoir verfé des larmes
fur le deftin de leur Souveraine , quittent le
bofquet pour aller en verfer fur fa cendre.
Narciffe furvient ; il veut unir fes douleurs
à leurs regrers ; mais tout-à- coup il les engage
à le fuir, à ne point fouiller leurs pleurs
en les confondant avec ceux du remords &
du crime. Il éloigne encore Cynire , & ne
veut pas même des confolations de l'amitié.
Reftéfeul , le remords l'agite , tout lui retrace
DE FRANCE. 167.
fon crime & fes fureurs. Il s'adreffe à Écho ,
il la fupplie de prendre pitié de Narciffe. La
voix de la Nymphe répond , Narciffe. Qu'aije
entendu ? dit-il , c'eft fa voix , ah ! c'eftelle.
La voix répond , c'eft elle. La furprife ,
l'émotion de l'infortuné redoublent. Aux
bords du Styx, reprend- il , peux-tu m'aimer
encore ? Er la voix dit : encore. A ce mot,
Narciffe fe détermine à fuivre fon amante
aux enfers ; il ramaſſe ſon javelot & veut s'en
percer , quand l'Amour l'arrête , & lui préfente
Echo , qu'il a rappelée à la vie. Ces
deux amans fe précipitent dans les bras l'un
de l'autre ; & le Dieu qui a fait leur bonheur
n'ayant plus rien àfairefur la terre , remonte
au ciel , où Jupiter le rappelle.
Cette analyfe fidelle prouveroit feule
combien l'action de ce Drame eft lente
& mal ordonnée , combien les fituations.
dans lesquelles le Poëte a placé fes perfonnages
, excitent peu d'intérêt & de curiofite.
Ajoutons que l'Auteur a rendu Narciffe
amoureux de fa propre figure , après que ce
jeune homme a déjà brûlé pour Écho de
l'amour le plus tendre. Voilà une grande
faute. Il eft fâcheux , & pourtant il eft poffible
que la nature fe trompe dans un jeune
coeur qui n'a encore rien fenti , & qu'elle le
livre en proie à une folle ardeur ; mais qu'un
coeur qui a déjà fenti une paffion naturelle ,
qui en a éprouvé toute la chaleur , éprouve
enfuite unamour fantafticue , un amour auffi
fingulier que celui de Narciffe , cela eft im168
MERCURE
poffible. S'il en exiftoit des exemples , ce ne
feroit pas au théâtre qu'il faudroit les préfenter.
On nous objectera fans doute que la
paffion effrénée de Narciffe eft l'effet de la
vengeance d'un Dieu . Lorfque dans une pièce
de théâtre on fait intervenir ane Divinité ,
quand on lui fait jouer un perfonnage quelconque
, il faut au moins la faire agir d'une
manière un peu raifonnable. Lorfque , pour
fe venger , elle peut choifir entre cent
moyens , il ne faut pas lui en
lui en prêter un ,
de préférence , qui foit deftructif de tout
intérêt. Il est certain qu'on peut beaucoup
étendre les vraisemblances dramatiques , furtout
à l'Opéra ; mais , fur ce théâtre même ,
les vraisemblances ont une borne hors de làquelle
l'art ceffe d'exifter, quoi qu'en puiffent
dire les Novateurs , & M. le Baron de ...
l'a outre- paffée. Ovide , dans les métamorphofes
qui lui donnoient plus de liberté
qu'un Drame , s'eft bien gardé de fuppofer
à Narciffe d'autre amour que celui de fa
propre perfonne. Il dit pofitivement :
Illum · Multa cupiere puella ,
Sed fuit in tenerâ tam dira fuperbia formâ ;
Illum . . . . . Nulla tetigere puella.
Et cependant chez lui , comme dans l'ouvrage
dont nous rendons compte , l'égarement
de Narciffe eft l'effet de la vengeance
d'une Divinité.
Nous fentons bien qu'on pourroit nous
faire encore une objection . Toute foible
qu'elle
DE FRANCE. 169
qu'elle feroit , il faut la prévenir & y répondre.
On peut nous dire que Narciffe ne fe
croit point amoureux de lui-même , mais
d'une Divinité des eaux. Dans la manière
dont M. le Baron de . . . a établi fa fable,
cette fuppofition étoit la plus heureuſe , la
feule même que , décemment, on dût admettre
au théâtre ; mais comme elle ne peut tromper
le Spectateur fur le véritable objet de
la paffion de l'amant d'Echo , elle n'affoiblit
aucune des réflexions que nous avons faites ,
elle fert feulement à prouver que , dans un
fujet radicalement vicieux , toutes les reffources
de l'efprit font inutiles.
per
L'Amour, ce Dieu fi fécond en miracles ,
ne fait point un perfonnage bien digne de
lui. Il chante quelques ariettes ; il amène des
ballets qui ne produifent rien ; il laiffe mou
rir Echo ; il abandonne Narciffe au plus affreux
défefpoir , & finit par reffufciter la
Nymphe dénouement auffi froid qu'il eft
mal préparé. En vain voudroit- on excufer
fa conduite par ce principe reçu dans la
Mythologie , qu'un Dieu ne peut détruire
ce qu'a fait un autre Dieu auffi puiffant que
lui. Quand de ce principe on ne peut faire
reffortir des fituations intéreffantes , il ne
faut pas oppofer une divinité à une autre.
La mort prefque fubite d'Echo mérite encore
des reproches. Elle croit fon amant infidèle
, Cynice l'inftruit de la vengeance
d'Apollon , & fa douleur augmente . Qu'ai
je , dit- elle , à prétendre fur un infen-
Sam. 23 Octob. 1779.
H
170 MERCURE
fible ? Mais Narciffe n'eft point infenfible :
fon ami affure au contraire qu'il eſt brûlant ,
ivre d'amour. Narciffe eft enchanté par un
Dieu pourquoi Echo ne fait- elle rien pour
fléchir ce Dieu ? pourquoi ne cherche-t- elle
pas un moyen de rompre le charme qui lui
arrache le coeur de fon amant ? Non ; elle
aime mieux pleurer & mourir . Une amante
de ce caractère , n'eft faite ni pour attacher
ni pour plaire.
On a reproché à Cynire d'employer trop
tard le moyen qui détrompe Narciffe. Ce
reproche ne nous paroît pas fans réplique .
Il eft poffible qu'Apollon , avant la mort
d'Echo , n'ait pas permis que le charme fût
rompu , & qu'il le permette enfuite . Narciffe
rendu à lui - même, peut éprouver le plus
affreux défefpoir ; ce défefpoir peut le
conduire à fe donner la mort , & dans ce
cas , la colère du Dieu feroit conféquente ,
& fa vengeance complette. Il eft vrai que
l'Auteur n'en a rien dit ; & fi au théâtre , furtout
à l'Opéra , il n'eft pas permis de tout
dire , au moins faut- il laiffer tout entrevoir.
Réfumons. C'eft à tort que M. le Baron
de ... a trouvé la fable de Narciffe lyrique
& pittorefque. Le defir de vaincre la difficulté
l'a égaré , & c'eft dommage ; car ,
malgré les critiques que nous venons de
faire , fon Ouvrage annonce de l'efprit ,
des connoiffances & de la fenfibilité. La
fcène qui termine le fecond acte , eft d'un
DE FRANCE. 171
grand effet ; elle en produiroit même davantage
, fi elle étoit mieux amenée . La lecture
dé cet Opéra prouve que l'Auteur a lu avec
attention les Maîtres de notre Littérature ,
quoiqu'il n'ait pas toujours employé heureufement
les expreffions qu'il leur a empruntées
. Par exemple , Racine fait dire à Néron ,
en parlant de l'enlèvement de Junie :
Le farouche aſpect de fes fiers raviffeurs
Relevoit de fes yeux les timides douceurs.
Voilà le langage d'un Poëte tragique. Mais
quand Narciffe dit à fon image:
Avec des traits fi pleins de timides douceurs ,
Quoi ! tu pourrois être inhumaine !
on n'entend pas ce qu'il veut dire . L'Auteur
s'eft quelquefois permis des vers de dix ,
fyllabes , qui n'ont point de céfure ; nous en
pourrions donner des preuves , mais , comme
cet article commence à s'étendre , nous nous
en abftiendrons . Nous fommes fâchés de ne
pouvoir citer quelques exemples de vers
heureux , de ftyle agréable , de penſées ingénieufes
qui font honneur à M. le Baron
de ...Nous l'invitons , fi l'amour qu'il porte
aux Lettres l'engage à fe préfenter encore
fur le théâtre de Polymnie , à choifir des fujets
plus heureux , & plus propres à faire paroître
fes talens fous un jour avantageux.
Depuis quelques années , on a beaucoup
écrit contre l'ufage fréquent que nos Poëtes
Lyriques font de la Mythologie. Nous fom
Hij
172 MERCURE
mes éloignés de croire qu'on ne puiffe pas
repréſenter, avec un fuccès mérité, des Ouvrages
d'un autre genre , fur le théâtre de
L'Opéra ; mais nous ofons avancer que la
Mythologie fera toujours une des plus riches
& des plus brillantes reffources de ce Théâtre.
Ce n'eft point l'ufage qu'il en faut condamner
, c'eft l'abus .
RECHERCHES fur la caufe des affections
Hypocondriaques , appelées communément
Vapeurs , ou Lettres d'un Médecin fur ces
affections. On y a joint un Journal de
l'état du corps , en raifon de la perfection
de la tranfpiration & de la température de
l'air , par M. Claude Révillon , Docteur
en Médecine , de l'Académie des Sciences
de Dijon , à Mâcon.
Si quanta & qualis oporteat fieret additio eorum
qua deficiunt & oblatio eorum qua excedunt , fanitas
amiffa recuperaretur & prafens femper confervaretur.
Sanctor. Aphorif. prim.
A Paris , chez la Veuve Hériſſant , rue
Notre - Dame , à la Croix - d'or. 1779.
Vol. in- 8°.
Il n'y a que ceux qui ont éprouvé les cruelles
maladies dont il s'agit dans cet ouvrage ,
qui puiffent avoir quelque idée de l'état
affreux où elles réduifent les infortunés qui
en font affectés , quand elles font portées à
leur comble. Sans avoir en apparence aucune.
DE 1FRANCE. 173
maladie décidée , il n'y en a prefque point
qu'ils n'éprouvent réellement ; car l'hypocondriacilme
eft un Protée qui prend mille
formes differentes , & contrefait tous les
maux , & avec cette circonftance cruelle que
dans les autres maladies , quelque fâcheufes
qu'elles foient , on a l'efperance , ou d'être
guéri ou au moins d'en être délivré par une
mort naturelle ; au lieu que le partage de
celle - ci eft un affreux défefpoir , dont la feule
reffource eft une fin tragique , & qui révolte
la Nature.
"3
**
cr
Ce qu'il y a de plus déplorable , c'est que
le moral influant dans cette maladie infiniment
plus que dans toute autre , fes victimes
font prefque toujours des hommes ftudieux ,
fpirituels , fenfibles & bons ; la Nature
entière , dit M. Révillon , eft aux yeux des
» vaporeux couverte d'un crêpe funèbre , &
» tous les objets s'y peignent en noir.
» Ces malheureux , fans ceffe occupés de la
» confervation de leur être , dont il leur
» arrive fouvent de fouhaiter la deftruction ,
» font tourmentés d'un défeſpoir cruel ; ils
perdent l'idée confolante d'une guérifon
parfaite , &c. Nous tirons le voile fur
l'affligeant tableau que l'Auteur continue dé
tracer de cet état funefte , pour nous occuper
avec lui d'objets moins triftes , c'est-àdire
, des caufes prochaines de cette maladie
& des moyens de la guérir.
,د
»
Ce que dit à ce fujet M. Révillon , eft
propre à infpirer la plus grande confiance ;
Hij
174 MERCURE
car c'eft un Médecin éclairé & de bonne- foi
qui avoue qu'il a éprouvé lui-même , pendant
quinze années de fuite , les fymptômes
les plus fâcheux de l'hypocondriacifme ; qui
déclare qu'il n'a retiré aucun foulagement ,
pendant ce long eſpace de temps, de tous les
remèdes qui lui ont été prefcrits par les meilleurs
Médecins , & auxquels il s'eft foumis
avec la plus fcrupuleuſe exactitude ; & qui
affure enfin qu'après avoir découvert , par
des expériences faites fur lui- même avec la
plus grande perfévérance , la cauſe immédiate
de fa maladie , il a obtenu , en combattant
cette cauſe avec conftance , une guérifon
inutilement cherchée par tout autre moyen .
Quoique M. Révillon ne difconvienne
point qu'il y a des individus dans les deux
fexes beaucoup plus expofés que les autres
aux affections hiftériques & hypocondriaques
, par la fenfibilité & l'irritabilité de
leurs nerfs , fuivant lui ils ne tombent véritablement
dans ces maladies bien décidées
que par l'effet d'une caufe puiffante , prochaine
& immédiate ; & cette caufe eft la
fuppreffion ou la diminution notable de la
tranfpiration infenfible , découverte par le
célèbre Sanctorius , confirmée par les expé--
riences de Keil , de Gotter , de Dodart , par
les fiennes propres , & qui doit furpaffer
chaque jour la fomme de toutes les autres
évacuations fenfibles.
M. Révillon s'eft affuré par nombre d'expériences
, dont les réfultats ont été confDE
FRANCE.
175
tans , que quand il empêchoit ou favorifoit
à deffein, par les moyens connus , fa tranſpiration
infenfible , fon état ne manquoit
jamais d'être plus ou moins fâcheux dans la
proportion que fa tranfpiration étoit empêchée
ou favorifée ; il n'a pas de peine à prouver
, par des raifonnemens fondés fur les
connoiffances de l'économie animale , que
la matière de l'infenfible tranfpiration , retenue
dans l'intérieur du corps , fe porte
tantôt fur une partie , tantôt fur l'autre ,
mais principalement fur les organes de la
digeftion , dont elle dérange abfolument les
fonctions ; cela eft confirmé par les vents ,
les gonflemens , les aigreurs , les maux de
tête & d'entrailles , les diarrhées ou les conftipations
, dont les vaporeux font en effet
continuellement tourmentés ; & réciproquement
les digeftions étant viciées , les fucs
nourriciers groffiers & acres qui en résultent,
refferrent & bouchent les pores par lefquels
doit fe faire l'infenfible tranfpiration.
M. Révillon conclud de- là que le défaut
de tranfpiration & le dérangement des digeftions
font réciproquement la cauſe & l'effet
l'un de l'autre , d'où il réfulte un cercle de
maux & de trouble dans toute l'économie
animale ; nais ces caufes & ces effets étant
bien déterminés , il n'eft point difficile de
trouver les moyens de faire ceffer tout ce
défordre. L'Auteur , fans vouloir donner ,
comme une méthode curative générale , celle
qui lui a réufli pour lui-même & pour les
Hiv
176 MERCURE
autres malades confiés à fes foins , expole
qu'il s'eft attaché d'abord à procurer de
bonnes digeftions , & il y eft parvenu par
l'ufage de bouillons amers , de pilules
compofées avec l'extrait de cafcarille , de
genepi , ou petite abfinthe des Alpes , de
poudre de caftor , de fuccin , & la réfine de
quinquina ; mais fur- tour par un régime ri¬
goureux fur le choix , & la quantité des alimens
: il preferit quatre petits repas chaque
jour. Pour le déjeûner , trois onces de pain
trempé dans environ une once de quelque
bon vin de liqueur , ou mangé avec quelques,
fruits cuits , fi l'eftomach ne s'accommodoit
pas du vin . Pour le diner , un potage fair
avec un bouillon peu fucculent , bien degraiffé
, altéré avec quelques plantes ; du
mouton , du veau rôti ou bouilli ; des viandes
blanches ; de la perdrix , des alouettes
des cailles peu graffes ; une boiffon , moitié
eau moitié vin ; mais il ne permet que
l'une de ces viandes au choix du malade. Le
poids de vingt- fept onces en alimens , tant
folides que liquides , eft fuffifant. La boiffon
eft de douze onces , le potage de huit onces ,
ce qui , avec quatre onces de pain & trois
onces de viande , compofe les vingt - fept
onces. Le goûter doit être de trois échaudes ,
pefant deux onces fix gros, avec un verre
moitié eau moitié vin , ou bien quelques
compotes ou fruits cuits , avec un peu de
pain. Le fouper doit être compofé des mêmes
alimens que le dîner, mais fans potage , &
DE FRANCE. 177
feulement du poids de vingt onces en total,
M. Révillon règle aufli le fommeil &
l'exercice de corps de fes malades ; il leur
confeille de fe coucher à dix heures du foir
& de fe lever à fix heures du matin ; leur lit
doit être dans une chambre affez grande ,
sèche & aérée , en ayant foin d'ailleurs de
fe tenir toujours dans une chaleur moyenne
& agréable; il veut qu'ils fe lèvent au premier
réveil , fauf à fe recoucher pendant
quelques heures dans la journée s'il étoit
trop matin. Quant à l'exercice de corps , il
recommande avec raifon qu'il foit habituel ,
mais modéré , & jamais au point d'exciter la
fueur , parce qu'elle n'eft point l'évacuation
de la même humeur que celle de la tranfpiration
infenfible , & que loin d'augmenter
cette dernière elle la diminue. Le meilleur
de tous les exercices eft la promenade en
bon air à pied , mais encore mieux à cheval ,
la danfe , le volant , le billard , & c. fuivant
les circonstances . On fent bien que cette manière
de vivre , quoiqu'à plusieurs égards
elle foit gênante & defagréable , doit être
foutenue avec patience pendant un allez
long temps pour faire difparoître tous les
fymptômes de la maladie ; mais la fanté , furtout
pour ces fortes de malades , eft un bien
fi précieux , qu'il n'y a rien qu'on ne doive
faire pour l'acquérir.
Ce régime , foutenu pendant un temps
convenable , & aidé feulement de quelques
anti-fpafmodiques connus , adminiftrés avec
Hv
178 MERCURE
prudence dans les paroxifmes , a guéri entièrement
M. Révillon & nombre d'autres
malades dont il a pris foin ; il n'a d'ailleurs
rien que de très - conforme à celui que la Médecine
confeille aux perfonnes foibles , délicates
& maladives ; mais l'Auteur eft un Médecin
trop éclairé pour ne pas convenir &
avertir même qu'on doit y faire les changemens
relatifs aux circonftances & aux tempéramens;
par exemple , en ce qui concerne
P'ufage du vin , qui eft décidément contraire
à certaines perfonnes , & à l'abſtinence
prefque totale des végétaux , qui étant
la nourriture naturelle de l'homme , ne doit
être foutenue qu'autant de temps que les
organes de la digeſtion font affez foibles
pour ne pouvoir digérer parfaitement que
les fucs & les chairs des animaux , parce que
ces derniers occafionnent en effet moins de
vents , d'aigreurs , & s'affimileut beaucoup
plus facilement que les végétaux .
M. Révillon a ajouté à la fin de fon ouvrage
un article dont l'objet eft trop impor
tant pour que nous le paffions ici fous filence ;
c'eft l'extrait d'un Journal qu'il a tenu de
l'état de fon corps à raifon de la perfection ,
de la tranſpiration & de la température de
Fair , pendant deux mois & demi. A l'imi
tation de Sanctorius & des autres Médecins
qui ont vérifié & confirmé les découvertes
de ce célèbre obfervateur , M. Révillon a eu la
patience de fe pefer quatre fois par jour ,
ainfi que tout ce qu'il mangeoit & buvoir
DE FRANCE. 179
à chaque repas , & tout le produit des évacuations
fenfibles , tant par les felles que
par les urines , afin de connoître avec précifion
la quantité de l'humeur évacuée par la
tranſpiration infenfible ; & il a obfervé que
les jours que cette dernière étoit abondante
& furpaffoit les autres , il fe portoit beaucoup
mieux ; tandis qu'il éprouvoit beaucoup
de fymptômes fâcheux quand c'étoit
le contraire.
Ce font ces faits bien pofitifs qui lui
ont démontré la grande influence de la
tranfpiration infenfible dans les maladies
du genre nerveux. Les connoiffances que
l'on peut acquérir par ces fortes d'expériences
font affurément des plus effentielles pour
les progrès de la Médecine ; mais on auroit
peine à imaginer combien elles exigent d'affujétiffement,
de temps & de foins fi l'on en
veut retirer tous les avantages qu'elles peuvent
procurer : il manque par exemple bien
des chofes à cet égard , au Journal de M.
Révillon ; il n'a tenu compte que de la hauteur
du baromètre ; cependant les variations
dans la température de l'air que le thermomètre
feul peut indiquer , & même celles
de fa féchereffe & de fon humidité que fait
connoître l'hygromètre , doivent influer encore
plus que fa différente pefanteur , fur
l'infenfible tranſpiration. La nature des alimens
, la conftitution particulière du fujet
fur lequel fe font les obfervations , font
encore des objets qu'il faut abfolument con
H vj
1.80 MERCURE
tats bien inftructifs
. M. Révillen eſt
trop
bon
noître pour être en état de tirer des réful-
Phyficien pour n'être pas bien convaincu de
toutes ces chofes ; auffi ne donne-t'il cet
extrait de fon Journal , & même l'ouvrage
dont nous venons de rendre compte , que
comme un effai & le commencement d'un
travail beaucoup plus étendu qu'il fe propofe
de fuivre & de publier par forme de
lettres comme celui- ci , fi le Public l'accueille
& paroit le defirer. Nous croyons pouvoir
prédire à cet eftimable Médecin qu'il aura,
tout lieu d'être fatisfait à cet égard ; & nous
ne pouvons que l'exhorter avec tous ceux
qui s'intéreffent à l'avancement de la Medecine
, à donner à un travail fi bien commencé
toute la fuite & la perfection dont il eft
fufceptible.
( Cet Article eft de M. Macquer. )
CONCHES , Poëme en trois Chants , au
Roi. A Paris , chez Valade , Imprimeur-
Libraire , rue des Noyers.
Rien de plus facile aujourd'hui que de
compofer quelques mauvais vers après en
avoir lu beaucoup de bons. Jamais cette
maladie de la rime , cette incurable démangeaifon
d'écrire , n'a été plus contagieufe.
Tenet infanabile multos
Scribendi cacoëthes.
Tel qui a paffé quelques mois dans l'étude
DE FRANCE. 181
d'un Notaire fans avoir pu apprendre à
dreffer un acte , fe croit propre à faire des
vers , apparemment parce qu'il n'eft propre
à rien . De -là cette multitude de Fièces de
Concours , dont le nombre augmente tous
les ans , quoique tous les ans l'Académie en
diftingue à peine une ou deux qui méritent
l'attention du Public ; de - là fur- tout cette
récolte annuelle & toujours fi abondante de
vers de toute efpèce précieufement recueillis
dans des Almanachs dits des Mules. Ce n'eft
pas que ces réflexions quelque vraies &
quelque applicables qu'elles foient aux cir
conftances , conviennent précilement au
Poëme dont il eſt queſtion . Tout en eft rare,
curieux , le titre , le choix du fujer , l'avertiffement
, les notes , & jufqu'à la manière de
rimer qui eft nouvelle . Hitons- nous de citer.
>
Je veux , puifque
mon Dieu me comble
de les grâces
,
Préfenter
à mon Roi , fous les diverſes
faces ,
Le fidèle tableau
de ma chère Patrie,
Sur la croupe d'un mont , vive , toujours fleurie ,
Conches femble , grand Roi , s'enlever dans les cieux.
Demeure fortunée ! objet délicieux !
J'apperçois dans la nue , ô donjon formidable ,
De ton antiquité le maintien vénérable.
Sur ce fommet fameux quels étoient mes tranfports
Lorfqu'après cent détours , cent faux pas , mille efforts,
Je mefurois le ciel dans ta fuperbe enceinte !
En ces brillans calculs de mont en mont fans crainte
J'euffe gravi , percé le féjour glorieux.
182 MERCURE
Promenant à l'envi mes regards curieux ,
Mes efprits élevés , j'aime ton noble afpect.
Je te touchois , mon coeur faifi d'un faint respect.
De-là vous contemplant , falutaires murailles ,
Qui renfermez ces lieux dans vos chaftes entrailles ,
Vous me repréfentez les beaux murs d'Agrigente.
Fais -en l'aveu, grand Roi, d'une joie obligeante , &c.
Le Poëme , qui d'ailleurs eft magnifiquement
imprimé , fe foutient d'un bout à
l'autre fur ce ton. Après avoir lu & relu , je
n'ai jamais pu y rien comprendre , finon que
l'Auteur eft né à Conches , & que de plus il
a été élevé par le Supérieur de l'Abbaye , qui
lui a enfeigné le Latin. Ces vers font un
modèle rare & achevé du ſtyle énigmatique.
On a pu juger de leur mérite à cet égard
par ceux que j'ai cités. Il faut que l'on
juge à préfent de fa profe , qui n'eſt pas
moins curieufe. Voici la note qui termine
l'Ouvrage , ou , pour mieux dire , qui le
couronne. « Grâces à Dieu , j'ai compofé
les trois premiers Chants de Conches.
Si mon Roi que j'ai , dans un fens
"
"
>
comme laiffé au milieu des forêts , vou-
" loit y chaffer environné des Princes de
» fa Cour , je m'imagine que l'on y verroit
" un majeftueux , un divin dénouement. »
DE FRANCE. 183
DICTIONNAIRE Géographique-Portatif,
ou Deſcription des Royaumes , Provinces ,
Villes , Évêchés , Duchés , Comtés , Marquifats
, Villes Impériales , Ports , Fortereffes
& autres lieux confidérables des
quatre parties du Monde ; dans lequel on
indique en quels Royaumes , Provinces
& Contrées ces lieux fe trouvent , les
Princes dont ils dépendent , les rivières
baies , mers , montagnes , &c. fur lefquelles
ils font fitués , leur diſtance en lieues Françoiſes
des Places remarquables des environs
, avec leur longitude & leur latitude ,
felon les meilleures Cartes ; les fiéges que
les Villes ont foutenus , les grands hommes
qu'elles ont produits , &c. les lieux où ſe
font données les principales batailles , &c.
&c. Traduit de l'Anglois fur la treizième
édition de Laurent Échard , avec des additions
& des corrections confidérables , par
M. Vofgien , Chanoine de Vaucouleurs.
Nouvelle édition revue , corrigée , & augmentée
de la Géographie ancienne , &
d'une explication des termes de marine
& de navigation. A Paris , chez les Libraires
Affociés , 1779 , avec approbation & privilége
du Roi. Prix , s liv. relié en veau.
Ce Dictionnaire Géographique, qui n'étoit,
dans fon principe , que la traduction de l'Interprète
des Nouvelliftes de Laurent Echard ,
s'eft tellement accru & perfectionné fous la
184 MERCURE
main du Traducteur , fur- tout dans cette
édition , que l'original a pour ainfi dire entièrement
difparu , & qu'il eft digne aujourd'hui
d'être traduit en Anglois . C'eft le méilleur
Dictionnaire- portatif que nous ayons
en ce genre , le plus exact & le plus coinmode.
Cette nouvelle édition eft fupérieure
aux précédentes par des corrections &
des additions d'une néceflité indifpenfable
pour la connoiffance de l'état actuel du
monde. Elle eft terminée par une explication
des termes de marine & de navigation
pour l'intelligence des Gazettes & des
voyages.
Leclerc , Libraire , quai des Auguftins
chez qui l'on trouve ce Dictionnaire , diftribue
un Catalogue de Livres d'environ
quarante articles , qu'il offre à un rabais
confidérable pendant fix mois.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
AVANT VANT d'imprimer nos obfervations fur
la Mufique d'Echo & Narciffe , nous les
avions foumifes à l'examen de quelques gens
de l'Art , dont les talens font reconnus . En
ajoutant à l'effet qu'ont produit fur nous les
différentes repréfentations de cet Ouvrage ,
que nous avons fuivies , leurs conſeils avoient
DE FRANCE. 185
foutenu la foibleffe de nos connoiffances ,
& nous avoient mis à portée de prononcer
fur le merite de cette production , d'une manière
auti honnête que vraie. Mais plus
notre
article
étoit dénué de tout ce qui annonce
l'efprit de parti , plus nous devions,
penfer qu'il déplairoit également à l'enthoufiafme
& à la haine. Ce que nous avions
prévu eft arrivé , & c'eſt à de tels jugemens
que doit s'attendre tout Journaliſte affez
courageux pour préférer la vérité aux petites
confidérations d'ufage , l'honneur à la fortune
, la perfecution au mépris : A bon entendeur
demi-mot ; certains anonymes que
nous avons reconnus , malgré leurs mafques
, fauront bien nous entendre. Les ennemis
de M. Gluck nous ont accufé d'une modération
excellive ; fes admirateurs , d'une
fevérité partiale. Nous appelons de ces deux
reproches au tribunal des gens de goût , des
Muficiens & du Public , & nous perfiftons
dans notre façon de penfer.
ر
Quoi qu'il en puiffe être , Mlle Laguerre
eft aujourd'hui chargée du rôle d'Écho. Son
organe flatteur & fenfible , fa voix moelleufe
& agréable ont prête une nouvelle vie à ce
perfonnage , qu'elle a , pour ainfi dire , ref-,
fufcite. Son jeu a de l'action , de la chaleur;
mais , fi nous ne nous trompons pas , elle
outre-paffe quelquefois la force , que , dans
les fituations données , on peut fuppofer
à Écho. Ce défaut , qu'elle peut facilement
186 MERCURE
faire difparoître , ne la rend pås moins digne
des applaudiffemens qu'on lui a juftement
prodigues , & que nous nous empreffons de
rendre publics .
Mlle Audinot a fuccédé à Mlle Girardin
dans le rôle de l'Amour. Nous ne doutons
pas qu'avec un peu de travail elle ne devienne
fort agréable dans les rôles de ce genre , qui
conviennent très -bien à fa figure , à fa voix
à la nature de fes moyens.
"
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 11 de ce mois , on a donné la
première repréfentation de l'Ecole de la
Jeuneffe , Comédie en trois Actes & en vers ,
remite au théâtre avec une Mufique nouvelle.
M. Anfeaume a pris le fond de cet Ouvrage
dans le Marchand de Londres , Tragédie
de Thompson , connue dans notre Littérature
par la traduction qu'en a publiée feu
M. Clément de Genève.
M. Oronte veut marier fon neveu Cléon ,
à une jeune perfonne aimable , honnête &
vertueule , nommée Sophie ; mais Cléon
féduit par la coquette Hortenfe , facrifie à
cette funefte paffion établiſſement , fortune ,
honneur. Abymé , perdu de dettes , il fe détermine
à fuir avec elle ; & pour fe procurer
les fonds qui lui manquent , il prend le
DE FRANCE. 187
}
parti de forcer le fecrétaire de fon oncle .
Quelle eft fa furprife , quand il y trouve un
teftament par lequel M. ' Oronte le nomme
fon Légataire univerfel ! Le bandeau tombe ;
Cléon voit toute l'horreur de fa conduite :
déchiré de remords , il fe jette aux genoux
de fon oncle , implore fa colère comme un
bienfait ; mais le fage & fenfible Oronte
pénétré de la fincérité du repentir de fon
neveu , lui accorde fa grâce , & lui donne
la main de Sophie.
Le but de cette Pièce eft très-moral , &
nous croyons que ce n'étoit pas dans un
Drame à Ariettes qu'il falloit traiter un fujet
de cette importance. Les facrifices que le
Poëte eft obligé de faire au Muficien , nuifent
à l'effet des fituations , rallentiffent la
marche de l'action , ôtent à l'intérêt une
grande partie de fa chaleur. L'École de la
Jeuneffe en eft une preuve. Les deux premiers
Actes font longs & froids ; le troisième
eft plus attachant. Il a été fort applaudi . Le
Public s'eft indigné quand il a vu Cléon
laiffer entendre à fon oncle que fi Hortenfe
lui avoit demandé fes jours , il fe feroit peutêtre
rendu coupable d'un parricide ; & il a
eu raifon. Dans la Tragédie de Thompſon ,
Barnevelt , après avoir affaffiné fon bienfaiteur
, dit à fon ami que fi l'infâme Milvoud
avoit exigé qu'il lui arrachât la vie , l'afcendant
qu'elle avoit fur fon ame étoit fi puiffant
, que fans doute il fe feroit encore fouillé
de ce crime. Cette réflexion , toute cruelle
ISS
MERCURE
•
qu'elle eft , n'est pourtant qu'une fuite néceffaire
du premier crime de Barnevelt elle
ajoute au tableau ; elle le finit. Dans l'École
de la Jeuneffe , au contraire , où les égaremens
du jeune homme font d'une eſpèce
bien moins grave , où la plus grande faute
de Cléon confifte dans l'effraction du
fecrétaire de fon oncle , un pareil aveu ne
peut être que révoltant , parce qu'il bleffe
les convenances théâtrales ; mais chez nos
Auteurs , l'étude de ces convenances eft aufli
rare que le génie.
peut
La mufique eft de M. Prati , jeune Artiſte
qui mérite d'être encouragé. Ce coup d'effai
donne des efpérances ; il les remplira fans
doute , fur-tout s'il travaille à donner à fon
ftyle une marche plus furvie , à ne pas le
couper fi fouvent par des traits d'Orcheſtre
qui fatiguent l'attention , à moins facrifier
au luxe de l'oreille , enfin s'il s'occupe davan
tage des effets dramatiques . Plufieurs mor
ceaux de fon ouvrage prouvent beaucoup de
talent. Le petit air , laiffons gronder lafageffe ,
eft très - agréable. Le cheur qui termine le
fecond Acte , eft d'effet & d'une belle facture.
Feu M. Duni , Auteur de la première muſique
de l'ouvrage dont nous rendons compte ,
avoit , en quelque façon , confacré le morceau
, taifez-vous ma tendreffe. L'air de M.
Prati ne nous a point fait oublier celui de
cet eftimable Compofiteur ; mais il nous a
paru beau : il annonce à- la- fois un Muficien
& un homme fenfible.
DE FRANCE. 189
Les principaux rôles font fort bien rendus
par Mdes Moulinghen , Billioni & Trial ;
MM . Nainville , Clairval & Trial. Il n'eft
guères poffible de chanter avec plus de goût
que M. d'Orfonville. Nous n'oublierons pas
M. Thomaffin , qui joue le rôle de Damis
avec beaucoup de décence , & dans le véritable
caractère qui convient à ce perfonnage.
GRAVURES.
LA Sainte Famille , gravée par J. Barbié
d'après le tableau orignal du Corrége , appartenant
l'Auteur. A Paris , chez l'Auteur , rue de Savoie , la
première porte cochère en ertrant par la rue Pavée ,
& chez Ifabey , Marchand d'Eftampes , rue de
Gêvres.
La Peinture chérie des Grâces , Eftampe de 18
pouces de haut fur 13 de large , d'après le tableau
de M. Lagrenée l'aîné , Peintre du Roi , par M.
Dennel. Prix , 4 liv. A Paris , chez l'Auteur , au coin
de la rue du Petit-Bourbon , près la Foire S. Germain.
Le titre de cette Eftampe en explique fuffisamment
le fujet. On voit en effet la Peinture environnée des
Grâces , dont l'une lui préfente un pinceau , l'autre
dés couleurs , & dont la troifième lui apporte le
cordon du mérite.
; M. Dennel , déjà connu avantageulement par
le Triomphe de la Peinture & Pigmalion amoureux
de fa ftatue , prouve , par l'Eftampe que nous annonçons
, qu'il fait des progrès dans fon Art. Son burin ,
gracieux & facile , acquiert de la force & de la hardieffe
, & M. Lagrenée, qu'on fe plaît à nommer
l'Albane de nos jours , ne peut qu'être flatté de voir
196 MERCURE
les productions aimables de fon pinceau rendues
avec une vérité auſſi frappante.
Six
MUSIQUE.
ix Sonates pour la Harpe , avec accompagnement
de violon , par M. Hinner , Maître de Harpe
de la Reine. A Paris , chez Nanderman , Facteur
de Harpes , rue d'Argenteuil , butte Saint- Roch ; & à
Verfailles , chez l'Auteur , rue Satory. Ces Pièces
méritent d'être diftinguées de la foule ; elles font
agréables , favantes & compofées dans le vrai genre
de l'inftrument.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'ECOLE
"
' ECOLE d'Uranie , ou l'Art de la Peinture , traduit
du Latin de Dufresnoy & de l'Abbé de Marfy
avec des remarques. Edition revue & corigée . Vol.
in- 12. A Paris , chez Saugrain , Lamy & Barrois ,
Libraires , Quai des Auguftins.
Lettre de Mde la Comteffe de ... à l'Auteur de la
Clef de la Langue Latine. A Paris , chez l'Éditeur ,
rue du Petit- Carreau , maiſon de Mlle le Poivre.
Obfervations fur treize des principales langues de
l'Europe. Première Partie du vol. premier. A Paris ,
chez Mérigot , Dorez & le Jay , Libraires , & chez
les Auteurs , rue & vis - à-vis le Cloître S. Honoré ,
ehez Bertelin , Marchand Chandelier. Vol. in - 12.
Exercices de Traductions de diverfes Langues.
Langue Angloife. Vol. in- 12 . A Paris , aux mêmes
Adreffes.
DE FRANCE. 191
Eloge du Dauphin , par M. l'Abbé le Couturier
d'imberville. A Paris , chez Méquignon le jeune &
L'Efclapart , Libraires.
La Liberté , protégée par les Armes & les Edits du
Roi , Poëme. A Nancy , chez'le Seure , Libraire.
Eloge de Suger , avec cette devife : Nihil appetere
jactatione . A Amfterdam .
Mémoirefur la découverte du Magnétisme animal,
par M. Melmer , Docteur en Médecine. A Paris ,
chez Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , Qual des
Auguftins,
Les effets de l'Amour du bien public dans l'homme
d'Etat , confidérés dans la vie de Suger. A Paris ,
chez Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins
, Hôtel de Cluny.
Traité de la fièvre miliaire dans les femmes
Quvrage qui a été couronné par la Faculté de Mé
decine de Paris , en 1778 , par M. Gaſtellier , in- 8 .
Prix , 2 liv, A Paris , chez Méquignon , Libraire
tue des Cordeliers .
Introduction & Plan d'un Traité général de navigation
intérieure , & particulièrement de celle de la
France , par M. Allemand. A Paris , chez Efprit
Libraire , au Palais Royal ; & Cellot & Jombert
Libraires , rue Dauphine .
1
Numéro 17 du Tome fecond de l'Hiftoire Moderne.
A Paris , chez Cloufier , Imprimeur- Libraire , rue
Saint-Jacques.
Recueil des Sceaux du moyen âge , dits Sceaux
gothiques , in-4 . Prix , 6 liv. A Paris , chez Boudet ,
Libraire , rue S. Jacques.
Obfervations fur l'opération Césarienne à la ligne
192 MERCURE
blanche , &fur l'ufage du forceps la tête arrêtée au
détroitfupérieur , par M. S. A. Deleurye , Profeffeur
& Démonftrateur des accouchemens aux Ecoles
Royales de Chirurgie . A Paris , chez M. Lambert ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Haipe ; & Didot le
jeune , Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins.
Élégies. A Yverdon , de l'imprimerie de la Société
Littéraire & Typographique , 1778. Brochure in 12-
de 90 pages. Se trouve à Paris , chez Belin , Libraire ,
rue S. Jacques . Prix ,'15 fols.
t
Quoique cette Brochure porte le titre d'Élégies
elle contient des poéfies de plufieurs autres genres ;
on y trouve des Odes , des Héroïdes , des Madrigaux ,
des Hymnes & des espèces de Cantates. L'Auteur
étoit déjà connu par les Amours Alfaciennes , dont
il a donné un fragment. Ces pièces fugitives , où l'on
trouve de la facilité , des vers agréables , des images
attachantes , ajouteront à fa réputation .
TA B LEV
VERS à Aflle de ...
- A Mile C✶✶✶ .
Vers inferits aubas de la
vure de Mlle Fanier .
Lettre à l'Editeur du
$180
146 Recherches fur les affections
147 Hypocondriaques , 172
Gra- Conches , Poëme,
148 Dictionnaire Géographique-
Mer- Portatif,
ibid. Académie Roy , de Mufiq. 184 .
Le Berger Espagnol , Ro Comédie Italienne ,
cure ,
mance
Enigme & Logogryphe , 155 Mufique ,
Eloge de Suger ,
Echo & Narciffe ,
183
186
152 Gravures ,
189
190
157 Annonces Littéraires , ib.
1641
APPROBATION.
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 2 3 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreflion. A Paris .
ée 4.2 Octobre 1779 : DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 30 OCTOBRE 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION du Pervigilium Veneris.
A1 M E demain qui n'a jamais aimé !
Qui fut amant , demain le redevienne !
TENDRES oiſeaux ! vos chants annoncent Mai ,
Mai , le Printemps & Vénus qu'il ramène.
Mai féconda le naiffant Univers ;
C'eft à fa voix que Zéphire s'éveille ,
Et que l'Hymen fur le peuple des airs
Reprend les droits qu'il négligeoit la veille.
Afyles chers à nos tranfports nouveaux ,
Les arbriffeaux uniffent leurs feuillages ;
Et Dionée, acceptant nos hommages ,
Treffe du myrte à l'entour des berceaux .
Des Dieux ailés , demain l'aimable Reine
Sam. 30 Octob. 1779.
I
194
MERCURE
Dicte fes lois au monde ranimé.
Aime demain qui n'a jamais aimé !
Qui fut amant , demain le redevienne !
CET heureux jour embrâſe au ſein des flots
Tous les fujets que raffemble Amphytrite ;
Et la Naiade en fuyant fous les eaux ,
Lance un regard au Triton qu'elle évite.
C'eſt l'heureux jour où les mers ont formé
De l'Univers la belle Souveraine ,
Aime demain , &c.
De la Nature animant les beautés ,
Elle a paru : tout s'eft hâté d'éclore,
Elle fourit aux tendres voluptés ,
Peint un ciel pur dans des flots argentés ,
Pour nuancer les corbeilles de Flore ,
Elle marie au Zéphir du matin
La jeune Rofe , humide & vierge encore ,
Sous les baifers exhalant de fon fein
Les doux parfums qu'elle doit à l'aurore.
Dans les bofquets , fur les tapis de fleurs ,
Vont folâtrer les Nymphes de Cythère.
Un jeune Enfant fe mêle aux jeunes Soeurs ;
Enfant perfide , on connoît fes fureurs ;
En fe jouant il blefferoit fa Mère .
On a voulu qu'il posât fon flambeau,
Et fon carquois & fon arc téméraire.
L'Amour cft nud.... Nymphes ! l'Amour est beau .
DE FRANCE. 195
ト
Ne dites pas : la défiance eft vaine ,
Plus il eft nud , & mieux il eft armé.
Aime demain , &c.
SUR d'Apollon ! Vénus , auprès de toi ,
Laiffe languir tes compagnes févères..
Au moins Vénus , en refpectant ta loi ,
Doit te trouver fenfible à nos prières.
En ce beau jour , Délie , ah ! par pitié
Sur les forêts n'étends pas le carnage :
Avec Cypris tu ferois de moitié ;
Mais ton orgueil eft de paroître fage.
Tu rougirois de voir la jeune Cour
Franchir par bonds ta retraite ébranlée
Durant trois nuits , & pourfuivre l'Amour
Et le plaifir , errans fous la feuillée.
Bacchus , Cérès , comme eux , auront leur tour.
Phébus préfide aux chants de la veillée ,
Et notre afyle à toi ſeule eft fermé.
Diane fuis ! des bois Vénus eft Reine.
Aime demain , &c.
DANS un vallon des campagnes d'Enna ,
Vénus demain , des Grâces entourée ,
Sur des gazons en pompe fiégera.
Belle Aréthufe , & vous , fertile Hybla ,
Jonchez de fleurs cette heureuſe Contrée .
Demain tout cède au befoin de jouir.
Le Dieu de l'air vient s'unir à Cybèle ;
Iij
196 MERCURE
Il l'embellit , & fa main paternelle
Verſe en tous lieux la vie & le plaifir.
Afon Epouſe il fourit ; il l'inonde
De fa rofée & des douces vapeurs
Qu'il échauffa pour rajeûnir le monde
Et pour nourrir , par des fucs créateurs
Les tendres fruits de leur amour féconde.
Par-tout Vénus fait pénétrer les feux ,
fes femences actives.
A l'Univers elle apprend l'art heureux
De déployer les forces productives
Qu'elle répand de l'Éther enflammé ,
Au fond des mers dont elle eft Souveraine.
Aime demain , &c.
Son fouffle pur,
A BOUZAID ,
CONTE ORIENTAL.
MORAD , fils d'Hanut , occupa long- tems
le premier rang parmi les Vifirs & les Émirs ,
enfans du courage & de la fageffe , qui environnent
le trône de Dehli , & forment les
Confeils ou dirigent les armées de la poſté
rité de Timur. Après s'être fignalé dans plufieurs
guerres , il avoit été récompenſé par
le Gouvernement d'une Province. La reconnoiffance
des peuples , qu'il rendoit heureux
par fa fageffe & fa juftice , porta fon nom
jufqu'à la porte du palais de Dehli ; l'EmpeDE
FRANCE.
197
reur l'appela au pied du Trône , & dépofa
dans fes mains la clef de fes tréfors & le
cimeterre de fa puiffance. Dès cet inſtant la
voix de Morad & fes ordres fuprêmes furent
entendus du fommet du Taurus jufqu'aux
bords de l'Océan . Toutes les bouches reftoient
muettes , & tous les yeux ſe baiffoient
devant lui.
Morad vécut plufieurs années dans la prof-.
périté ; chaque jour ajoutoit à ſes richeffes &
à fon pouvoir ; les fages répétoient fes maximes
, & des milliers de guerriers obéiffoient
à fa voix. L'ambition déconcertée gémiffoit
dans l'antre de l'envie , & le mécontentement
effrayé trembloit de murmurer..
Mais les grandeurs humaines ont peu de
durée ; elles fe diffipent comme l'odeur des .
parfums qu'on ne renouvelle pas dans le feu
qui les confume. Le foleil ſe laffa de briller
fur les palais de Morad ; les nuages de la difgrâce
s'affemblèrent fur fa tête , & la tempête
de la haine qui s'étoit formée lentement
, fe groffit & éclata tout- à- coup.
Morad vit fa ruine s'avancer à pas précipités.
Les premiers de fes flatteurs qui prirent
la fuite , furent fes Poëtes ; tous les Artiftes
qu'il avoit récompenfés d'avoir contribué
à fes plaiſirs , les imitèrent ; & il n'apperçut
auprès de lui que le petit nombre de
ceux dont un mérite réel avoit été le titre à
fa faveur. Il fentit le danger qui le menaçoit ,
& fe profterna au pied du Trône. Ses ennemis
parloient avec hauteur & avec con-
I iij
198
MERCURE
fiance ; fes amis muets obſervoient une froide
neutralité , & la voix timide de la vérité
étoit étouffée par des clameurs bruyantes . Il
fut dépouillé de fon pouvoir , privé des richeffes
qu'il avoit acquifes , & condamné à
paffer le refte de fa vie fur le bien de fes
pères , qu'on daigna lui laiſſer .
Morad avoit été fi long-temps accoutumé
au tumulte des affaires , à répondre à la foule
empreffée des fupplians & des flatteurs , que
fa folitude lui devint à charge. L'ennui fe
répandit fur fon loifir , dont les heures
s'écouloient avec une lenteur accablante.
Il voyoit avec regret le foleil en fe levant
, forcer fes yeux à s'ouvrir à un ǹouveau
jour , dont il ne favoit comment remplir
la durée. Il envioit le fort du fauvage ,
errant dans les forêts , à qui les befoins de la
Nature ne laiffent aucun moment vuide , &
dont la vie fe paffe à chercher fa proie , à la
dévorer & à dormir.
Le chagrin & l'ennui altérèrent fa conftitution
; il tomba malade , refufa tout remède ,
négligea l'exercice , & végéta triftement dans
une fituation fingulière & terrible , craignant
de mourir & ne defirant pas de vivre. Ses
gens pendant quelque temps redoublèrent
de zèle & d'affiduités ; mais voyant que leurs
fervices étoient dédaignés , que leurs foins
ne faifoient que l'aigrir , qu'il leur favoit
même peu de gré de leur attention & de leur
exactitude , ils devinrent négligens ; & celui
qui n'aguères commandoit à tant de nations,
DE FRANCE. 199
languiffoit fouvent abandonné dans fa cham-!
bre , fans avoir un feul eſclave auprès de lui .
Dans cet état fàcheux qui empiroit tous
les jours , il dépêcha des meffagers à Abouzaïd
, ſon fils aîné , qui étoit à l'armée.
Abouzaid effrayé de la maladie de fon père ,
fe hâta de fe mettre en route pour fe rendre
auprès de lui. Morad vivoit encore ; il fentit
fes forces fe ranimer en ferrant fon fils dans
fes bras. Après les premières careffes , il lui
ordonna de s'affcoir à côté de fon lit , & lui
parla en ces termes :
Abouzaïd , dit - il , ton père n'a bientôt
plus rien à espérer ni à craindre des habitans !
de la terre. La main de l'Ange de la mort eſt
étendue fur lui ; & le tombeau qui l'appelle
s'ouvre déjà pour engloutir fa proie . Écoute
les derniers avis d'une longue expérience ; &
que la voix de l'inftruction ne frappe pas
inutilement ton oreille.
Tu m'as vu heureux & malheureux ; tu as
été témoin de mon élévation & de ma chûte.
Mon pouvoir eft dans les mains de mes ennemis
, mes tréfors dans celles de mes accufateurs.
Mais la clémence de l'Empereur a
épargné l'héritage de mes pères , & fon courroux
n'a pu m'enlever ma fageffe. Tourne
les yeux autour de toi ; tout ce qu'ils apperçoivent
t'appartiendra dans peu de momens .
Écoute mes confeils ; ils peuvent t'apprendre .
à te contenter de tes poffeffions . Elles fuffifent
pour te rendre heureux . N'aſpire point .
aux honneurs publics ; ne mets jamais le ,
I iv
200 MERCURE
pied dans les palais des Rois. Ton bien te
mettra à l'abri des humiliations infeparables
de la misère , & ta modération te préſervera
de l'envie. Contente- toi de vivre en particulier
; fais jouir tes amis de tes richeffes ;
fois bienfaifant. La plus douce jouiffance du
coeur eft d'être aimé de tous ceux dont on eft
connu recherche- la. Dans le temps de ma
gloire & de ma profpérité , voyant tous les
mortels au-deffous de moi , & un feul audeffus
, je difois à la calomnie : qui t'écoutera
? Et à l'artifice : que peux-tu ? Mon
fils , ne mépriſe jamais la malice du foible.
Souviens-toi que le venin fupplée à la force ,
& que le lion peut périr de la piqûre d'un
reptile.
Morad expira peu de momens après avoir
tenu ce difcours. Le temps du deuil étant
écoulé , Abouzaïd réglant fa conduite fur les
confeils de fon père , ne s'occupa qu'à mériter
l'eftime & l'amitié générale par tout ce
qu'il jugea propre à fe les concilier. Il penfat
fagement qu'il devoit commencer par affurer
fon bonheur domeftique. Perfonne en effet
ne peut nous faire autant de bien & autant
de mal que ceux qui nous environnant fans
ceffe , font témoins de nos négligences , écou
tent les faillies d'une gaîté quelquefois inconfidérée
, & épient les mouvemens des paffions
que l'on ne contraint pas toujours devant
eux. Il augmenta en conféquence le
falaire de tous fes gens ; & il crut exciter leur
émulation & fortifier leur attachement par
DE FRANCE. 201
des gratifications extraordinaires dont il
payoit les fervices rendus par le zèle de ceux
qui ne fe contentoient pas de remplir leur
devoir.
Pendant qu'il fe félicitoit de la fidélité &
de l'affection de fes Domeftiques , des voleurs
fe glifsèrent un foir dans fa maifon. Ils.
furent découverts , pourfuivis & faifis . Ils
déclarèrent qu'un Valet les avoit introduits ;
& ce Valet interrogé avoua qu'il leur avoit
ouvert la porte par dépit de ce qu'on en
avoit confié la clef à un autre qu'il n'avoit
pas cru mériter plus de confiance que lui.
Abouzaïd lui pardonna ; mais il reconnut.
avec peine qu'il n'eft pas aile de faire un
ami de fon Valet ; & que parmi les hommes
qui étant dans notre dépendance , afpirent
au premier rang dans notre faveur , on ne
peut en préférer un fans fe faire des ennemis
de tous les autres. Il réfolut de rechercher
fes égaux , qui feuls pouvoient lui offrir des
amis , & il choifit des compagnons de fa folitude
& de fes plaiſirs , parmi les principaux
habitans de fa Province. Il eut d'abord lieu
d'être fatisfait de fa nouvelle fociété ; il vécut
heureux avec elle pendant quelque
temps ; mais ce temps ne dura que jufqu'à ce
que la familiarité eut chaffé la réferve , &
que chacun fe jugea libre de donner carrière
à fes volontés , à fes caprices & à fes opinions
. Alors ils le troublèrent mutuellement
par leurs goûts contraires & l'oppofition de
leurs fentimens . Abouzaïd fe vit dans la né-
Iy
202 MERCURE
ceffité d'en dégoûter plufieurs , en fe déclarant
pour quelques- uns , ou de les mécontenter
tous en ne prenant aucun parti.
Il crut devoir éviter toute liaiſon trop .
étroite avec des êtres d'une nature fi difcordante
, & fe répandre dans un plus grand
cercle. On le vit en conféquence prendre le
fourire d'une politeffe générale , inviter toutle
monde à fa table , mais fe difpenfer d'admettre
aucun de fes convives dans la retraite
de fon cabinet. Plufieurs perfonnes piquées
d'avoir été dédaignées lorfqu'il fit le premier
choix de fes amis , refusèrent de fe lier avec
lui. Ceux que l'abondance , la magnificence
& la délicateffe attiroient à fa table , afpirèrent
bientôt à fon intimité ; & chacun fe
voyant traité comme les autres , murmura de
ne l'être pas avec une diftinction qu'il croyoit
mériter. Par degrés , tous firent des avances ;
Abouzaïd , fidèle à fon plan , n'en reçut aucune
, & voulut conferver l'égalité. Tous le
quittèrent bientôt. Sa table fe couvrit vainement
des mets les plus exquis ; une mufique
délicieufe fe faifoit entendre dans fon
palais défert ; il fe vit abandonné , & libre
de former dans fa folitude de nouveaux plans
de bonheur & de plaifir.
Il réfolut d'effayer la force de la reconnoiffance
; & s'informant des Savans & des
Artiſtes , dont le mérite languiffoit dans la
pauvreté , il les appela auprès de lui , & s'empreffa
de réparer à leur égard l'injuſtice de
la fortune. Sa maiſon fut bientôt remplie de
DE FRANCE. 203
Poëtes , de Peintres & de Sculpteurs , attirés
par l'abondance , & empreffés d'employer
leurs talens à célébrer leur Protecteur. Mais
en peu de temps ils oublièrent la misère dont
il les avoit tirés . Ils commencèrent à ne regarder
leur Patron que comme un homme
d'une intelligence bornée , devenu grand &
riche par le hafard de la naiffance , & qui
étoit plus que payé de fes bienfaits par leur
condefcendance à les accepter. Abouzaïd les
entendit un jour , & n'eut rien de plus preffé
que de les renvoyer. Ses yeux dès ce moment
cefsèrent de voir le coloris brillant des
tableaux où on l'avoit peint , tendant une
main protectrice aux beaux Arts , & fon
oreille fe ferma pour jamais aux éloges.
Pendant que les enfans des Arts s'éloignoient
avec rage , & le menaçoient de le
couvrir d'une infamie éternelle , Abouzaïd ,
qui étoit fur fa porte , appela le Poëte
Hamet.
Hamet , lui dit - il , j'avois des efpérances
chères à mon coeur ; ton ingratitude les a détruites
& met fin à mes expériences . Je vois
à préfent la vanité des efforts de l'homme de
bien qui afpire à la bienveillance univerfelle.
Je me contenterai à l'avenir de faire le bien.
& d'éviter le mal , fans m'embarraſſer de
l'opinion des hommes ; & je ne vais plus
m'occuper qu'à mériter les bontés de cet
Être , à qui feul nous fommes sûrs de nous
rendre agréables en cherchant à lui plaire .
Ivj
204
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LEE mot de l'Énigme eft les Lèvres ; celui
du Logogryphe eft Logogryphe , où se trouvent
gorge, horloge , hier , loge , gloire
loi , pie ( oileau ) , loir ( petit poiffon ) , Loire
( rivière ) , poire , or , gripe , pore , pile ,
pôle , orgie , Roi , pilori , phiole , proie.
ÉNIGM E.
Dur mon orgueil te choquer un moment ,
Bon gré malgré, mon cher Lecteur , écoute ;
Car je prétends , coûte qui coûte ,
Me préconifer hautement.
Qui pourroit nier les fervices
Que je prodigue en mon printemps ?
Qui pourroit nombrer les caprices
Que j'éprouve fur mes vieux ans ? ...
Que l'homme eft ingrat & volage !...
Tel , tout- à- l'heure m'employoit,
Qui m'abandonne à fon valet.
Ce dernier auffi -tôt m'outrage ;
Il me jette fur le carreau.
Enfin , pour afſouvir fa rage ,
Sans remords , il me livre au plus cruel bourreau ;
Mon procès eft tout fait , & l'on me jette à l'eau.
DE FRANCE.
205
En fuis-je retirée , on me bat comme plâtre....
Le barbare ! ... il fe fait un jeu
Contre moi d'employer & le fer & le feu ! ...
Mais tandis qu'il s'opiniâtre
A me faire fécher dans ces tourmens affreux ,
Qui le croiroit ?...on m'en trouve encor mieux ;
Ma peau liffe , en blancheur le difpute à l'albâtre ;
Enfin , en cet état , j'ai fi bonne façon ,
farouche , Avec cela , je fuis fi peu
Que dans plus d'une occafion
J'ai baifé le Roi fur la bouche
Et la Reine fous le menton.
LOGOGRYPHE.
A CELUI qui par moi gouverne ,
Je donne un rang fort fubalterne.
Je fais pourtant bien des jaloux ;
Et vraiment il m'eft affez doux
Qu'on veuille , en me donnant , me donner au mérite.
Lecteur , fi tu me fends en deux ,
Oh ! quelle merveille fubite !
D'une part je deviens un endroit très - fameux
Par fes propos , fur - tout par fon peuple femelle ,
Et dans lequel règne mainte querelle ;
Ou , fi tu l'aimes mieux , une docte Cité.
Et de l'autre je fuis un Chantre refpecté ,
Qui des fiens par fes vers animoit le courage ;
206 MERCURE .
Ou d'un baudet , le brillant équipage.
Je n'ajoute qu'un mot pour plus grande clarté ,
J'ai dix pieds , & rien qu'un dans la réalité .
( Par M. d'A. D. C. Abonné. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRES concernant l'Hiftoire , les
Sciences , les Arts , les Moeurs , les Ufages,
&c. des Chinois , par les Miflionnaires de
Pékin. Tome IV. A Paris , chez Nyon
l'aîné , Libraire , rue du Jardinet , quartier
S. André - des-Arcs , 1779. Prix , 12 liv . rel .
CE
E quatrième Volume n'eſt ni moins curieux
ni moins inftructif que les précédens.
Cene font point ici de ces narrations puériles
qui défigurent les moeurs d'une nation ſage ,
de ces faits abfurdes , trop fouvent débités
par l'ignorance ou par l'amour du merveilleux
, & adoptés par un Public non moins
crédule qu'avide de nouveautés. On fait que
tout Miffionnaire en général eft obligé de
s'inftruire à fond de la langue , des moeurs
& des coutumes des différens peuples chez
lefquels il réfide. Ceux de Pékin , guidés , à
ce qu'ils difent , par un efprit de vérité & de
défintéreſſement , méritent d'autant plus de
DE FRANCE. 207
confiance , que tous leurs récits font puifés
dans le Code des Lois , dans les Livres de
Re ligion , & dans les Auteurs nationaux les
plus fenfés & les mieux accrédités .
Le Volume que nous annonçons renferme ,
1º . un expofé de la doctrine ancienne &
nouvelle des Chinois fur la Piété Filiale , qui
fait la baſe de leurs moeurs & de leur gouvernement
; 2 °. un Mémoire fur l'intérêt de
l'argent en Chine ; 3 ° . un précis des notions
qu'ont les Chinois fur la petite- vérole ; 4º-
une notice du Livre Chinois Si-yuen , fur la
manière dont s'y prend la juftice pour faire
fes recherches fur les meurtres , & juger de
leurs caufes par l'infpection des cadavres ;
5. une notice des pratiques des Bonzes Taofée
, pour opérer des guérifons ; 6º . quelques
obfervations de Phyfique & d'Hiftoire
Naturelle de l'Empereur Kang-hi ; 7 °. un
mélange de diverfes pratiques ufitées chez
les Chinois , des notices d'animaux , & c.
Nous nous arrêterons à l'article de la Piété
Filiale , comme à celui qui nous a paru le
plus intéreffant .
La Piété Filiale eft la vertu nationale des
Chinois : elle eft chez eux ce que fut à Lacédémone
l'amour de la Liberté ; à Rome ,
l'amour de la Patrie ; & chez les François ,
l'amour de leur Roi. C'eft la vertu de tous
les rangs & de tous les états , de tous les
fexes & de tous les âges ; c'eft elle qui maintient
la concorde parmi les fujets , & eft
208 MERCURE
comme le mot de l'énigme de la durée de ce
grand Empire.
و ر
و ر
ود
Les devoirs d'un enfant à l'égard de fes
père & mère font fans bornes. L'âge ni les
dignités ne fauroient le difpenfer de leur
rendre les fervices qu'ils font en droit d'attendre
de lui dans leur vieilleffe. « Honorer
» & aimer fes parens pendant leur vie , difoit
Confucius , les pleurer & les regretter.
après leur mort , eft le grand accomplis-
» fement des lois fondamentales de la fociété
humaine ». Dans tous fes écrits il repréfente
la Piété Filiale comme le germe de
toutes les vertus & la fource du bonheur.
On ne doit donc pas s'étonner qu'elle
foit auffi expreffément recommandée dans la
religion Chinoife , que la Charité l'eſt parmi
les Chrétiens. La Piété Filiale eft ce qu'on
enfeigne dans les écoles avec le plus de
foins ; & comme la Nature a gravé cette
doctrine dans tous les coeurs , les enfans l'y
lifent avant que leur raifon foit développée.
A mesure qu'ils avancent en âge , ils l'étudient
dans les lois de l'Empire , qui ont arti- .
culé dans le plus grand détail les obligations
réciproques des parens & des enfans , en
décernant des peines févères contre ceux qui
en méprifent l'obfervation , & des récompenfes
magnifiques pour ceux qui s'y diftinguent.
Les ufages publics , les moeurs géné
rales , les coutumes & les habitudes des Provinces
comme de la Capitale, font une répé
tition continuelle de tout ce que preſcrivent
DE FRANCE. 209
le refpect & l'amour filial ; tous les monumens
publics en annoncent aux yeux la néceffité
& les avantages ; en un mot , la façon
de penfer de ces peuples eft telle , que dire
d'un homme , il n'a pas de Piété Filiale ,
c'eft dire équivalemment qu'il eft paîtri de
vices. Ainfi un Européen ne devra plus être
furpris qu'on lui demande , lorfqu'il arrive
à Canton , des nouvelles de fon père & de
fa mère ; car il eft aifé de voir que cet ufage
tient aux idées générales de la nation fur la
Piété Filiale.
Certe vertu n'eft pas feulement celle des
fimples particuliers , elle eſt un devoir aufli
preffant pour l'Empereur que pour les autres
; & l'on peut dire qu'aucune mère au
monde ne reçoit tant de refpect & d'honneur
qu'une Impératrice - Mère en Chine.
Pour en bien juger , nous tranſcrirons ici la
manière dont l'empereur vient la faluer le
premier jour de l'an .
" Au moment que le foleil commence à¨
» paroître fur l'horifon , tous les Mandarins
» de tous les Tribunaux étant en grands ha-
و ر
bits de cérémonie , & rangés felon leur
» rang dans la cour extérieure qui eft entre
» la falle du trône & la porte intérieure du
palais , les Princes de tous les Ordres &
Comtes de la Famille Impériale étant auffi
» en grands habits de cérémonie , & rangés
» felon leur rang dans la cour de l'intérieur
» du palais , l'Empereur fort de fon appar-
» tement , porté dans fa chaife de céré
".
"
210 MERCURE
و ر
و د
לכ
ود
» monie , pour aller chez fa mère. Arrivés
» dans la première cour du palais de cette
» Princeffe , tous les Mandarins fe rangent
» fur deux lignes , & les Princes du Sang &
" Comtes de la Famille en font de même
» dans la cour qui eft vis- à-vis de la falle
» du trône de l'Impératrice- Mère. L'Empe-
» reur defcend de fa chaife dans le vefti-
» bule de cette cour , & la traverſe à pied .
Ce n'eft pas par l'efcalier du milieu , c'eſt
» par celui de l'Orient que l'Empereur
" monte fur la plate- forme qui eft devant
» la falle du trône de l'Impératrice. Dès
qu'il eft arrivé dans la galerie couverte qui
" en fait la façade , un Mandarin du Li-pou
» fe met à genoux , & préfente le placet de
l'Empereur , pour prier Sa Majefté l'Impé-
» ratrice de vouloir bien monter fur fon
» trône pour recevoir fes humbles profter-
» nations. L'Eunuque Mandarin , à qui on
» a remis le placet , le porte dans l'intérieur .
» L'Impératrice- Mère fort en habits de cé-
» rémonie de fon appartement , fuivie de
» toute la Cour , & monte fur fon trône.
» L'Eunuque Mandarin en avertit le Mandarin
du Li-pou , qui eft ordinairement le
Préfident, & celui - ci fe met à genoux de-
" vant l'Empereur , & le prie de faire fa cé-
» rémonie Filiale à fa très - augufte Mère.
L'Empereur s'avance fous la galerie vis- à-
» vis du trône de fa mère , & fe tient de
bout , les manches abattues & les bras
pendans. Les Princes & les Mandarins en
و د
و د
ود
ور
و د
و ر
$
DE FRANCE. 21X
» font autant. La mufique de l'Empereur &
» de l'Impératrice jouent enſemble l'air
و د
و ر
و د
ور
"
"
ود
ود
Ping , qui eft très- doux & très-tendre.
» Un Mandarin crie à haute voix , mettez-
» vous à genoux ; & dans l'inftant l'Empe-
" reur , les Princes & tous les Mandarins
tombent à genoux. Un moment après il
" crie , profternez - vous , & tout le monde
» fe profterne la face contre terre : il crie ,
redreffez-vous , & tout le monde fe redreffe
. Après trois profternations , il crie ,
relevez- vous. L'Empereur , les Princes &
» tous les Mandarins fe remettent debout
» dans la pofture où ils étoient d'abord ;
puis tombant à genoux , ils font trois prof-
» ternations nouvelles , fe relèvent encore ,
» retombent à genoux , & en font trois autres
, fe profternant & fe redreffant aux
» cris du Mandarin , Maître des Cérémo-
» nies. Les neuf profternations faites , le
» Mandarin du Li -pou fe met à genoux ,
préſente un fecond placet de l'Empereur ,
pour inviter l'Impératrice- Mère à retour-
» ner dans fon appartement . Le placet eft
porté dans l'intérieur de la falle , & la
mufique qui accompagne l'Impératrice
» annonce fon départ. La mufique de l'Em-
» pereur lui répond , & le Mandarin du
Li-pou vient le profterner devant l'Empe-
» reur , pour lui annoncer que la cérémonie
» eft finie , & l'inviter à s'en retourner dans
» fon appartement. La mufique de l'Empe-
» reur joue une fanfare. Sa Majefté redef
ود
و ر
ور
و ر
"
&
212 MERCURE
ور
cend par l'efcalier de l'Orient , retraverle
» la cour à pied , fe met dans fa chaife , dans
» le veſtibule , où elle en étoit deſcendue ,
» & retourne dans fon appartement dans le
» même ordre qu'elle étoit venue. Alors la
» cloche de la grande tour ceffe de fonner ....
L'Impératrice -époufe , fuivie de toutes les
» Reines , Princeffes , Comteffes de la Fa-
» mille Impériale & de toutes les Dames de
» la Cour , vient faire aufli fes profterna-
» tions à l'Impératrice-Mère , & avec le
même cérémonial . »
"
ود
C'est avec raifon que l'on regarde en Eu-.
rope le Code des Lois de la Chine comme
un des plus beaux monumens de l'efprit
humain. En accordant au Prince le titre fublime
& touchant de Père & de Mère de
l'Empire , cela lui rappelle fans ceffe la
manière dont il doit en ufer avec fon peuple.
Comme un père , il doit l'inftruire , le corriger
, le gouverner & pourvoir à fes befoins.
Comme une Mère , il doit foulager
fes maux , partager fa joie & fes peines , avoir
pitié de fon ignorance & encourager la bonne
volonté... Quant aux autres devoirs de l'Empereur
, la légiflation Chinoife les fait confifter
fpécialement , à rendre à l'Impératrice-
Mère tous lesfoins qui peuvent conferver fes
forces & fa fanté , & lui rendre la vie agréable;
à veiller avec foin fur l'éducation des
Princes , fes enfans ; à faire éclater fon
amitié & fa confidération pour fes frères ; à
chérir tous les Princes de fonfang; à honorer
DE FRANCE. 213
de
les Grands & les Gens en place ; àfaire grand
cas des Officiers fubalternes & des Chefs du
peuple; à aimer le peuple ; à protéger l'agriculture
& la rendre floriffante ; à diminuer les
impôts & les dépenfes ; à fecourir le peuple
dans les calamités ; à adoucir la rigueur des
fupplices ; à s'intéreffer de coeur aux gens
guerre; à honorer fes parens ; à craindre
Jervir & adorer le Chang- ti , comme père &
mère de tous les hommes ; à honorer & imiter
fes ancêtres ; à veiller avec foin fur l'enfeignement
; à conferver & augmenter le dépôt
de la doctrine; à s'affurer du mérite des Mandarins
; àfaire honneur aux Grands ; à maintenirfans
ceffe les trois Kang & les cinq Ki * ;
à honorer les gens de bien , & àflétrir les méchans
; à pourvoir à tout ce que demande
l'entretien de fa maifon & l'abondance publique
; à perfectionner les moeurs publiques ;
enfin àprofiter des repréſentations des Mandarins
& des Cenfeurs.
Il eft bon d'obferver , par rapport à cette
dernière obligation , que l'Empereur de la
Chine eft peut-être le feul Prince de l'Uni-
* Les trois Kang font les obligations réciproques
du père & du fils , du Prince & du fujet , du mari &
de la femme. Les cinq Ki font les devoirs mutuels
des pères & mères & des enfans à leur égard , des
frères & foeurs felon leurs rapports d'aîneffe , des proches
entre eux , felon leurs divers degrés de parenté
ou d'alliance , des maîtres & des écoliers , des fupérieurs
& des inférieurs , des amis enfin entre eux.
214
MERCURE
vers qui ait des Cenfeurs publics & d'office :
Le defpotifme , la tyrannie , l'abus le plus
effrayant du fouverain pouvoir par les Êmpereurs
, n'ont jamais pu ni fupprimer les
Cenfeurs , ni leur impofer filence. C'eſt prefque
l'unique chofe qui foit reftée aux Chinois
de leur ancien droit public ; mais ils
l'ont confervée en entier , & elle fupplée
prefque à tout ce qu'ils ont perdu . C'eſt aux
Cenfeurs qu'il appartient de corriger l'Empereur
de fes défauts , en lui faifant connoître
fes fautes ; d'empêcher qu'il ne fe laiffe ou
éblouir ou tromper par fes Miniftres & fes
Officiers , en lui révélant directement leur
incapacité , leur mauvaife- foi , leurs négli
gences à défendre la caufe du peuple & des
lois contre le crédit , les cabales & les intrigues.
Un tel emploi demande de grandes
connoiffances , beaucoup de fageffe , de pénétration
, de dextérité. Aufli n'eft- il confié
qu'à des Lettrés ou des Mandarins d'un mérite
reconnu. On en jugera par ce placet
adreffé à l'Empereur , au fujet des énormes
dépenfes d'une des Princeffes fes filles , &
où la force du raifonnement eft par-tout
jointe à la juſteffe & à la folidité des motifs .
ور
" La Kong-tchou , votre augufte fille
» Seigneur , eft digne de toute la tendreffe
» de votre coeur. Votre Majeſté ne fauroit
» trop étudier & méditer le choix d'un époux
digne de cette grande Princeffe ; mais ac-
» corder aux Officiers qu'elle charge de fes
» ordres de puifer à ſon gré dans votre tré-
ور
DE FRANCE. 215
, כ
و ر
ود
ود
ود
""
» for & dans tous vos magafins , confentir
qu'elle enchériffe de jour en jour fur les
» ornemens du palais qu'elle doit habiter ,
» lui permettre d'étendre les baflins de fes
jardins , & d'y accumuler de vains amufemens
, c'eft vous laiffer féduire , Sei-
" gneur , par votre tendreffe ; c'est trop
» écouter votre complaifance ; c'eft contre-
» dire ouvertement la doctrine de l'anti-
» quité , & démentir les fentimens du vérita-
» ble amour paternel. Craignez , Seigneur ,
craignez que cette affection immodérée
» ne devienne plus fatale à la Kong-tchou
" que ne le pourroit être une haine furieufe
» & emportée , & ne change en infortunes
& en larmes la vie heureufe qu'elle veut
lui procurer. Pourquoi l'expoſer aux
plaintes de ceux qu'elle charge de tant
» de travaux? Pourquoi l'expofer aux repro-
» ches de ceux dont elle confume les ri-
» cheffes ? Pourquoi l'expofer aux empor-
» temens de ceux dont elle trouble le repos ?
» Tous les fages de l'antiquité s'accordent à
le dire ces trois chofes énervent le cou-
" rage des gens de guerre , corrompent la
probité des Magiftrats , & diffipent le
peuple des villes & des campagnes. Com-
» ment votre tendreffe , Seigneur , pour une
feule perfonne , peut- elle aveugler Votre
Majefté au point de s'expofer aux malheurs
qui en feroient la fuite ? On n'a vu
jufqu'à préfent de palais , de terraffes &
» de plate-formes élevés que dans l'endroit
و د
و د
">
ود
و ر
و ر
ود
216 MERCURE
»
» où réfide la Cour. Si on les bâtit à Lo-
" yang , il y a tout à craindre que le luxe &
» la magnificence de la Cour n'y portent
leur ravage ; fous prétexte d'environner le
palais de jardins , & de creufer des baffins ,
» des réfervoirs & des canaux dans les jardins
, on empiétera fur les terres du peuple;
& les Colons dépouillés de leurs hé-
» ritages , feront réduits à la misère . »
و ر
و د
VOLTAIRE , Poëme lu à la Fête
Académique de la Loge des Neuf- Soeurs ,
par M. de Flins des Oliviers . A Ferney ,
& fe trouve à Paris , chez Efprit , au
Palais Royal , & chez les Marchands de
Nouveautés.
M. de Flins des Oliviers nous apprend ,
dans une note , que ce Poëme eſt ſon premier
effai , & qu'il n'a que dix -neufans .
On a fouvent dit qu'il faut juger avec la
plus grande circonfpection les Ouvrages dont
le temps a confacré la gloire : il feroit vrai
de dire , peut-être , qu'il faut juger avec plus
de réſerve encore les premières productions
qu'un jeune homme préfente au Public. Le
détracteur de Racine & de Voltaire décrie
fon goût , & voilà tout le mal qu'il fait ; des
critiques dictées par l'injuftice , & des éloges
donnés par la complaifance , peuvent faire
le malheur du jeune homme dont ils flattent
DE FRANCE. 217
tent ou perfécutent le talent ; ils peuvent
nuire même à la gloire des Lettres. Un Auteur
fans génie ne renoncera jamais à la réputation
qu'un Critique fans autorité lui
aura promife ; & dans l'impuiffance de fe
diftinguer parmi les Écrivains qui font l'honneur
de la Littérature , il ira fe confondre
parmi ceux qui en font le fcandale. Une
critique injufte ou trop dure , au contraire,
peut effrayer le plus beau talent dans ſa naiffance.
Cette même fenfibilité délicate de
l'imagination , qui fait l'Orateur ou le Poëte ,
fait trop fouvent un homme timide & fans
caractère. Un pédant peut donc enlever un
homme de génie aux Lettres. Si ce jeune.
homme a du caractère & du courage , ce qui
fe rencontre auffi quelquefois avec le talent ,
un plus grand malheur encore le menace.
On n'étouffera pas , fans doute , fon génie ;
mais on pourra dégrader fon ame. Alarmé
pour un inftant , il s'interrogera lui - même
avec plus de févérité encore qu'on ne le juge ;
& cet examen profond & rigoureux lui découvrira
, dans un moment , toute l'étendue
des talens qu'il doit avoir un jour. Il n'auroit
eu que de la confiance , il aura de l'orgueil.
L'amour de la gloire eût été pour lui
unfentiment doux & heureux qui eût échaufé
fon ame , pour l'ouvrir à toutes les affections
généreufes ; ce ne fera plus qu'une paffionterrible
& exclufive , qui le rendra indifférent
pour tout ce qui n'eft pas la gloire , & qui
Sam. 30 Octob. 1779.
K
218 MERCURE
lui faira haïr avec fureur tout ce qui paroîtra
s'opposer à la fienne. Ses confrères auroient
été les amis les plus chers à fon coeur : il ne
verra plus en eux que des rivaux qu'il doit
combattre & vaincre. Enfin il ira prendre fa
place dans la Littérature comme dans un
pays ennemi ; & les meilleures productions
de fon talent feront celles où il aura déposé
les fentimens de haine & de fureur qui auront
tourmenté & déshonoré la vie.
Quand les Critiques feroient de bonnefoi
, ce qui a toujours été fi rare , ils devroient
donc encore avoir le don de deviner le talent
dans fes effais , pour éviter les inconvé ·
niens de leurs fonctions . Mais c'eft dans fes
prodiges fur-tout que la Nature eft impénétrable
, & le génie eft le plus grand de fes
prodiges. Qui eût deviné l'Auteur du Tarruffé
& du Mifantrope , dans les canevas de
ces farces que Molière fit jufqu'à trente ans
pour des Théâtres de Province ? Les Frères
Ennemis annonçoient - ils Britannicus &
Athalie? Trois ou quatre ans avant de publier
le Difcours fur les Arts & les Sciences , qui
commença fa célébrité , Rouffeau de Genève
avoit envoyé à l'Académie de Corfe , un
Difcours où l'on n'apperçoit aucun germe
d'Éloquence & de Philofophie . Quel Critique
ne fe feroit pas cru obligé en confcience.
de lui prédire qu'il ne pourroit jamais être
ni un Philofophe ni un Orateur ? Avec quel
mépris il eût été traité par ces hommes au
DE FRANCE.
219
dacieux ou infenfés , qui ont infulté ce grand
Homme , depuis même qu'il a déployé tout
fon génie !
Juger l'ouvrage avec févérité & avec décence
, & n'avoir jamais la témérité d'affigner
des bornes au talent de l'Auteur; voilà l'unique
moyen d'éviter également , & le danger
de donner trop d'encouragement à un
talent médiocre , & le danger plus grand encore
d'effrayer & d'étouffer un vrai talent .
Si le Critique ofe jeter ſes regards fur l'avenir
, que ce foit pour y voir des fuccès plutôt
que des revers. Eh ! combien il faut avoir
de dureté pour ne montrer aucune indulgence
envers ceux qui , fe préfentant la première
fois dans la carrière , attendent & recueillent
en tremblant toutes les déciſions ,
& font heureux ou malheureux au moindre
mot d'éloge ou de cenfure ! Les premiers
effais du talent doivent s'embellir de l'efpérance
, comme les premières années de la
vie ; le jeune Orateur & le jeune Poëte doivent
paroître deſtinés à la gloire , comme le
jeune homme au bonheur.
C'eft dans ces difpofitions que nous allons
examiner le Poëme de M. de Flins des Oliviers
. Si nous fommes févères , ce ne
fera que par le defir de contribuer , autant
qu'il eft en nous , aux progrès d'un Auteur
dont l'âge infpire de l'intérêt , & dont l'ouvrage
peut donner des espérances.
M. de Flins n'a voulu faire aucun ufage
des fictions de la Mythologie pour célébrer
Kij
220 MERCURE
un Poëte Philofophe ; mais il eft difficile que
la Poéfie fe paffe de fiction. Il fuppofe donc
que la Vérité defcend du haut des cieux pour
venir le trouver dans la folitude où il médite
fur le Génie de Voltaire ; elle le conduit
dans fon temple , où font raffemblés les
grands Hommes de tous les fiécles , & lui
montre les Ouvrages de Voltaire dans une
fuite de tableaux.
Ce cadre n'eft pas heureux . D'abord il eft
très- ufé. On a peint mille fois le temple de
la Gloire , le temple de l'Amitié , le temple
de la Vérité , &c. &c. &c. &c. Quand on
veut feindre , il faut imiter. Il me femble
qu'on excuferoit bien plus aifement des idées
communes que des fictions ufées : on ne pardonne
pas à l'imagination de ne pas créer.
Pour motiver cette fiction , M. de Flins dit
de la Vérité ,
Elle cherche en fecret le Sage qui médite.
و
Et il ne s'eft pas apperçu , peut -être , qu'il ſe
donnoit ainfi lui-même , à dix-neuf ans
pour un Sage qui médite. Enfin , en prenant
le parti de ne rappeler des Ouvrages de Voltaire
que ceux qu'il eft poffible de voir dans
unefuite de tableaux , c'eſt ſe condamner à
ne faire aucune mention d'une foule des plus
beaux Ouvrages de ce grand Homme. Comment
retracer , par exemple , les Difcours
Philofophiques & la Philofophie de Newton
dans une fuite de tableaux ? Aufli M. de Flins
n'en parle- t'il pas du tout. Il eft donc clair
DE FRANCE. 221
que d'après fon plan , il lui étoit à peu- près
impoffible de traiter fon fujet.
M. de Flins paroît n'avoir pas encore
beaucoup étudié l'art d'écrire , que le talent
même ne fupplée pas. Ses vers n'expriment
pas toujours l'idée qu'il a voulu rendre.
Louis m'offre plus loin ſa vaſte deſtinée :
A fon char quarante ans la Fortune enchaînée ,
La terreur de fon nom & l'éclat de fa Cour,
Où la galanterie a détrôné l'Amour ,
Etalent vainemenr leur faftueufe image :
Ici , d'aucun éloge ils n'obtiennent l'hommage.
L'Auteur a voulu dire que Louis XIV étaloit
la faftueuſe image de la Fortune enchaînée à
fon char ; & dans la phrafe que nous venons
de citer , c'eft la Fortune enchaînée qui étale
La faftueule image . Il n'y a pas de quoi être
faftueux quand on eft enchaîné. Aufli n'eſt- ce
pas là ce que l'Auteur a voulu dire.
Cependant deux Héros , illuftres adverfaires ,
Me frappent tour -à - tour de qualités contraires ,
Charles-Douze & le Czar.....
Le Czar & Charles XII eurent des qualités
différentes , mais non pas contraires.
C'est même ce qui réſulte des portraits que
l'Auteur lui-même en trace enfuite.
Le cruel fanatifme , au moment qu'il fuccombe ,
Jette un cri d'allégreffe & fourit ſur ſa tombe ,
K iij
222 MERCURE
Médite en liberté de nouveaux attentats ;
Et court d'Olavidès ordonner le trépas .
L'Inquifitionn'a point ordonné le trépas de
M. Olavidès . Cette image , d'ailleurs , eft trèsbelle
; mais elle eft empruntée de l'éloge de
Defcartes, par M.Thomas, l'un des plus beaux
ouvrages que l'Eloquence ait produits depuis
qu'elle s'eft agrandie & élevée par la Philofophie.
M. Thomas peint l'Envie pourfuivant
Defcartes jufqu'à fon tombeau , & il
ajoute : là , elle s'arrête , & vole à Paris ,
où la Renommée lui dénonce Turenne & Corneille.
Son fiécle dérobant fon Éloge à l'Hiftoire ,
Devançant les arrêts de la postérité ,
Vivant , le fit jouir de l'Immortalité.
Cette dernière idée eft encore très -belle ;
mais elle eſt également empruntée. Il a affifté
àfon Immortalité , a dit M. Ducis dans fon
Difcours de réception à l'Académie Françoife
; & combien l'imitation paroît foible
auprès de cette fuperbe expreffion ! en Littérature
, il n'eft permis de voler que lorsqu'on
tue , a dit un homme de beaucoup d'efprit.
On a remarqué les vers fuivans dans le
Poëme de M. de Flins des Oliviers.
Elle dit je la fuis à fon divin féjour.
:
Les fublimes talens , citoyens de fa Cour ,
DE FRANCE. 223
Appréciés fans fiel , loués fans flatterie ,
Ici font honorés , même de leur patrie .
Sophocle , en cheveux blancs , charme la Grèce en
pleurs.
Là , Plaute , par le fel de fes bons mots railleurs,
Déride des Romains le grave caractèree ;
Le vieil Anacréon rit près du vieil Homère ;
Tacite furprenoit de fes yeux pénétrans
Tous les crimes cachés dans l'ame des tyrans ;
Lucrèce , s'égarant fur les pas d'Épicure ,
De l'empire des Dieux affranchit la Nature ;
Ovide confacroit en vers ingénieux
L'enfance de la terre & l'hiftoire des cieux ;
Poëte Philofophe , à leurs côtés , Horace
Marioit dans ſes vers la raiſon & la grâce ;
Près d'eux , le vieux Corneille , en habit de Romain,
Lève fon front augufte , & montrant d'une main
L'urne que de fes pleurs arrofe Cornélie ,
De l'autre le poignard de la fière Émilie ,
Règne , premier honneur de fon fiécle naiffant ,
Sur un trône inégal , loin de lui ſe plaçant ,
Crébillon trop vanté , qui s'élève & s'égare ,
'Terrible , offre les traits d'une beauté barbare.
Virgile , avec Racine , y préfide à jamais.
Égaux dans leurs beautés , reffemblans dans leurs
traits ,
Ils enfeignent tous deux à leur langue enhardie
Du ſtyle pur & vrai la ſageſſe hardie.
K iv
224
MERCURE
Chacun de ces vers exprime avec préci
fion l'idée que l'Auteur a voulu rendre ; les
derniers peignent d'une manière affez neuve
le caractère particulier du ftyle de Virgile &
de Racine . On voit que M. de Flins en parle
d'après un fentiment qui lui eft propre , &
c'eft un heureux préfage pour un jeune
Poëte..
Homme né pour la gloire , ( Charles XII ) auftère ,
généreux ,
Admiré des fujets qu'il rendit malheureux.
Ce dernier vers nous paroît très -beau , &
doit être fur- tout remarqué dans l'ouvrage
d'un jeune homme de dix-neuf ans.
J'apperçois dans le fond de l'enceinte facrée ,
Seule , & d'un demi-jour foiblement éclairée ,
Cette femme - héros qui fauva mon pays ;
De fes mâles attraits je vis Dunois épris ;
Agnès m'intéreffa par fes douces foibleffes ;
A fon timide amant j'enviai ſes careffes .
J'allois porter plus loin mes regards curieux ;
La pudeur mit fon voile au-devant de mes yeux.
Ces vers , fur un ouvrage dont il eft fi difficile
& de parler & de ne pas parler dans
l'Éloge de Voltaire , nous paroiffent à la
fois ingénieux , délicats & poétiques.
En général , nous croyons que le Poëme de
M. de Flius , malgré le grand nombre de
fautes qui le défigurent , donnera l'idée d'un
efprit qui a le befoin de penfer , & d'un
DE FRANCE. 225
homme qui a reçu de la Nature des organes
fenfibles aux belles formes de la Poéfie.
BIBLIOTHÈQUE du Nord , Tomes X & XI,
A Paris , chez Quillau , Imprimeur de
S. A. S. Mgr le Prince de Conti , rue du
Fouarre.
>
Il n'y a pas plus de vingt ans que la Littérature
Allemande étoit abſolument inconnue
en France , & qu'on n'en parloit même
qu'avec une forte de mépris ; car il eſt toujours
beaucoup plus aife de méprifer que de
s'inftruire. Ce fut le Journal Étranger , ouvrage
que nous avons dû pendant trop peu
de temps au travail réuni & aux connoiffances
variées de deux Académiciens * qui
contribua d'abord en grande partie à répandre
le goût de cette Littérature. On eft revenu
bientôt de l'injufte préjugé que les Allemands
n'étoient pas capables d'ouvrages
d'imagination . Nous avons lu avec délices
les traductions de Geffner , & nous avons
retrouve dans Klopftock le genie fublime de
Milton. Mais il faut être de bonne foi : les
Allemands ont peu de ce qu'on appelle ou
vrages de goût ; foit que la Nature ne les ait
pas fi généralement portés vers ces objets- là ,
foit que l'education leur ait refufé les fecours
néceffaires. Les longueurs & les fuperfluités
rendent faftidieufe la lecture de leurs Ro-
M. l'Abbé Arnaud & M. Suard.
Kv
226 MERCURE
mans ; leurs Poéfies péchent par un entaffement
d'images qui n'eft autre chofe qu'une
ftérile abondance ; & quant à la Littérature
férieuſe , elle eft encore un peu hériffée , &
quelquefois même favamment frivole à force
d'être recherchée. Au furplus , la Bibliothèque
du Nord , qui a donné lieu à ces réflexions
, a pour but de faire connoître en
France tout ce que le Nord & l'Allemagne
produifent d'intereffant , d'agréable & d'utile
dans tous les genres de Sciences , de Littérature
& d'Arts. On fent combien cette
Collection Périodique eft utile , & combien
elle doit être diftinguée de tant d'autres.
Recueils de cette efpèce. On foufcrit chez
Quillau , Imprimeur , rue du Fouarre , &
chez M. Roffel , Membre de la Société Patriotique
de Heffſe-Hombourg & de Suède ,
Rédacteur de cet Ouvrage , rue de la Perle ,
au Marais.
**
Voici les matières contenues dans les
Tomes X & XI. Gloffologie ; à Meffieurs
Les Journalistes du Nord. Poéfie : le Prix du
Temps ; à une jeune Veuve ; à Elisène ; à
Mde F.; Stances à Sophie ; à Mde D. L. P.;
à Mde ; les Reffources de la Vieilleffe ,
Stances ; les Peines de l'Abfence , Madrigal.
Morale : le Négociant Philofophe. Romans :
Hiftoire Matrimoniale de Philippe - Pierre
Marks. Académies : Correfpondance Acadé
mique. Éloquence : Difcours prononcé à
Académie de Saint- Pétersbourg , le 29 Désembre
1776.. Biographie : Mémoire Hiftori
DE FRANCE, 227
quefur Jean-Baptifte Bécoeur. Antiquités : du
courageux mépris de la mort propre aux Héros
du Nord. Hiftoire Naturelle : Effaifur l'Hif
toire de Pologne ; mes Idées fur l'Education
du Sexe. Tome XI .: Difcours fur l'Homme
confidéré en lui-même , & en particulier du
côté de l'Ame; Hiftoire Matrimoniale de P.
Ph. Marks ; Éloge de feu M. Winkelmann ;
Mémoires de l'Académie Electorale des
Sciences Utiles de Mayence , établie à Erford
, Tomes I & II , 1777 & 1778 in- 4º .;
Chanfons de deux Amans , publiées par
M.
Gachink , à Leipfic , 1777 ; Suite des Scènes
de la Vie d'Alcibiade ; la Liberté de penfer
& d'écrire , à Vienne , 2 vol . in -8 ° . Profpectus
: Bibliothèque Politique , Eccléfiaf
tique , Phyfique & Littéraire de France , ou
Concordance de nos Hiftoriens , depuis les
temps fabuleux jufqu'à préfent, ouvrage dédié
à la Nation , par une Société de Gens de
Lettres.
N. B. Plufieurs difficultés qu'on vient
d'applanir , ont caufé à la Bibliothèque du
Nord quelques retardemens , dont on a eu
lieu de fe plaindre. Les mefures qu'on a
prifes empêcheront que le Public n'éprouve
à l'avenir de femblables défagrémens . Tous
les Volumes fe fuccéderont déformais les
uns aux autres fans aucune interruption..
Evj
228 MERCURE
SUITE de l'Extrait du Livre de M. Dufaulx ,
fur la Paffion du Jeu .
Jufqu'ici nous n'avons examiné que le but
moral de cet ouvrage ; il nous refte à rendre
compte de la manière dont il eſt écrit. On
fe fouvient encore du difcours que M. Dufaulx
a mis à la tête de fa traduction de
Juvénal ; il paffe , à jufte titre , pour un
morceau de littérature diftingué par la
force & la correction du ftyle . On va juger
par ceux que nous allons tranfcrire , fi l'Auteur
a dégénéré , & s'il eft moins recommandable
fous ce point de vue que fous
le premier.
"
و ر
" On a débauché le malheur , & c'étoit ,
» difoit-on , pour le foulager : ce prétexte
» fut trop fouvent la caufe des extorfions.
» les plus criantes. Ruiner le peuple , pour
» lui donner quelque jour un lit à l'Hôpi-
» tal : honteufe & miférable reffource , in-
» connue aux anciens politiques , qui fe piquoient
moins d'humanité que les nôtres !
Lorfqu'on facrifie ainfi le bien public à
» des égards particuliers , lorfqu'on a l'im-
» prudence de jouer , à coup fûr , contre les
Citoyens déjà furchargés d'impôts , on doit
» s'attendre à tout. » Pag. 102 .
גכ
23
"
ور
" On a vu des Joueurs refter trois , qua-
" tre , & quelquefois cinq jours de fuite ,
» affis à la même table de jeu. Ils ne veil-
" loient pas ; ils ne dormoient pas non plus :
DE FRANCE. 229
» leur état reffembloit à l'infomnie d'un cri-
» minel rêvant à la torture. On les a vus
» dans ce long fupplice , dont quelques- uns
» ont expiré , prendre furtivement , de la
» main des Valets , de quoi fe fubftanter ,
» & vaquer en murmurant aux befoins na-
» turels. Il eft bien queftion de ces misères
difoit l'un d'eux , ne perdons point de
temps. N'eft - il pas permis de s'écrier :
» N'EST-CE- LA QUE DE LA FUREUR ? » P. 27.
"3
Que devient l'ame dans ces féances orageules
, où , battue de toutes parts , elle
n'obéit plus qu'à des impulfions fondai-
" nes ? Croyez-vous qu'un Joueur foit alors
" le maître de s'arrêter ? Dites donc à celui
qui , les yeux fermés , fe précipite dans
» un abyfme , dites- lui de s'arrêter au milieu
de fa chûte. » Pag. 88.
و ر
»
Nous ne voulons pas qu'on nous ruine
» à coup für ; mais nous capitulons volon-
» tiers avec l'infamie , pourvu qu'elle ait
» du credit & de l'argent , pourvu qu'elle
» procure ou vende des plaifirs , & fur- tout
qu'elle amufe. On s'ennuic tant , qu'on
s'amufe du crime. » Pag. 181 .
""
23
"
" Cafimir , Roi de Pologne , fut vivement
» outrage par un Officier qui venoit de per-
» dre tout fon bien contre lui . L'Officier
prend la fuite , on le ramène. Le Roi
l'attendoit en filence au milieu de fes
» Courtifans. Mes amis , leur dit- il , en le
» voyant reparoitre , cet homme eft moins
و د
"3
coupable que moi : j'ai compromis mon
230 MERCURE
" rang ; je fuis la caufe de fa violence , &
» le premier mouvement ne dépend pas de
» nous. Puis , s'adreffant au criminel : tu te
» repens , il fuffit ; reprends tes biens , & ne
» jouons plus. » Pag. 262.
" Que les honneurs de la Cour & de la
» Ville , que les emplois foient refuſés aux
» Joueurs incorrigibles , & je répons qu'on
» les rendra plus circonfpects. Sijejoue,fije
"
»
>
laiffejouer monfils, monfils & moi neferons
" rien. Le Roi l'a dit. Cette confidération
dans un pays tel que le nôtre , feroit plus
puiffante que des Lois , des Livres & des
» Sermons. " Pag. 273 .
"
و د
" Le père de famille qui m'aura bien
» compris , tremblera moins déformais fur
» le fort d'un fils unique affrontant la mort
» dans les combats , ou voguant à travers
» les flots d'une mer agitée ; il tremblera
❞ moins , vous dis-je , que s'il le favoit
» plongé dans le bourbier du jeu. » P. 100.
Mais le ſtyle de cet ouvrage n'eft nulle part
mieux foigné que dans une eſpèce de paraphrafe
de l'Édit du dernier Empereur de la
Chine . Là , M. Dufaulx paroît s'être ſurpaffé
lui-même. Nous n'en pouvons citer
que quelques articles ; mais ils fuffiront pour
infpirer le defir d'en connoître l'enſemble ..
Ne forcez pas votre Empereur , qu
n'eft en effet que votre père , à n'être plus
» qu'un Juge ... Moi qui vois tout , qui
entends tout du fond de mon palais , &
qui veille , le plus fouvent , quand le
»
و د
"
DE FRANCE. 231
י ל כ
99
>
crime ourdit fa trame dans les ténèbres
moi qui , vous le favez , détefte le menfonge
plus que je ne crains la mort , j'af-
» firme qu'il n'eſt point de manie plus fé-
» conde en calamités publiques & fecrètes
» que celle du jeu. Oui , j'affirme qu'il n'eft
point d'hommes plus âpres que les Joueurs,
plus enclins au mal : ils fe feroient horreur
» s'ils fe connoiffoient mieux. Je les con-
» nois ; écoutez donc ? Pourquoi le voleur
» & le Joueur , qui lui reffemble à tant
d'égards , continuent-ils prefque toujours ?
» Hélas ! c'eft qu'ils ont commencé .... Les
infenfés ! que veulent-ils ? qu'efpèrent- ils ?
» nous ruiner impurément ? La ruine , à ce
métier , eft le partage du plus grand nom-
» bre. Ceux qui profpèrent aujourd'hui ,
» demain feront dans la misère. Cependant
» ils triomphent ; ils ne doutent plus de rien ,
lorfqu'ils ont dépouillé quelqu'un : atten-
» dez , ils feront dépouillés à leur tour.
ود
"
"
ود
ود
» Je défends le jeu . Si quelqu'un brave
» mes ordres , il bravera la Providence qui
» n'admet rien de fortuit ; il contredira le
» voeu de la nature qui nous crie : eſpérez ,
» mais travaillez ; les plus actifs feront les
» mieux traités .
» Si j'étois mieux fecondé , le foleil ne
» verroit pas un pauvre dans l'étendue de
mon Empire . Mais que peut la volonté
» d'un feul contre les volontés ambitieufes.
» & difcordantes de tant de millions d'hom-
» mes qui ne foupirent qu'après le fuperflu ,
232 MERCURE
» dont la mefure ne fe comble jamais ? C'eft
» ce foupir éternel , ce font ces voeux infa-
» tiables qui font les Joueurs , qui les prof-
» ternent aux pieds de leurs idoles , comme
» fi le fort , le hafard, ou le deftin leur de-
» voient des préférences , ou plutôt comme
fi ces êtres fantaftiques avoient des yeux
» & des oreilles pour les voir & les en-
❞ tendre. p. 294 , 300. »
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Vendredi 22 de ce mois , on a donné
la première repréſentation de la repriſe
d'Alcefte , Tragedie- Opéra en trois Actes ,
paroles de M... , Mulique de M. le Chevalier
Gluck .
Le fuccès de cette repréſentation , la feule
dont nous puiffions rendre compte , a été
proportionné plutôt au mérite de l'ouvrage
qu'à celui de l'exécution. Les choeurs furtout
ont laiffé beaucoup à defirer. Il faut efpérer
que les repréfentations qui vont fuivre
leur donneront , ainfi qu'à quelques uns des
fujets chargés des perfonnages acceffoires ,
cet accord & cet enfemble fi néceffaires à
l'illufion théâtrale & aux plaifirs de l'oreille.
Mlle Levaffeur a très - bien rendu , à beaucoup
d'égards , le rôle très fort & très-
-
DE FRANCE. 233
difficile d'Alcefte. Nous avons remarqué
plufieurs fois qu'elle fe livroit de temps en
temps à des éclats qui nuifent à la jufteffe de
fa voix & à la dignité de fon maintien ; nous.
l'invitons à y prendre garde. Cette attention
ne peut qu'ajouter à l'effet de fes talens , qui
font d'ailleurs très-juſtement eftimés.
M. Larrivée a joué le rôle d'Hercule avec
la chaleur , l'énergie & l'intelligence qui lui
font naturelles.
M. le Gros a mérité des éloges dans plufieurs
endroits du rôle d'Admette ; mais les
cris effrénés qu'il pouffe à la fin de la troifième
Scène du fecond Acte , ne font- ils pas
condamnables ? Certainement , quand Admette
apprend , de la bouche même de fon
époufe , qu'elle s'eft livré eau trépas pour conferver
fes jours ; fon ame doit être agitée du
plus grand défefpoir , & les accens que l'Auteur
de la Mufique a prêtés au perfonnage
dans cette fituation , exigent de la force &
de la chaleur. Faut il pour cela détruire l'effet
de la Scène par des hurlemens qui déchirent
l'oreille fans aller à l'ame , & marquer la
douleur exagérée d'un Roi , par l'expreflion
qui pourroit convenir à la fureur d'un homme
fur la roue ? Non fans doute. Tout s'y oppofe ;
la dignité indifpenfablement attachée au perfonnage
, les règles de l'art , l'intérêt même
de M. le Gros . Encore quelque temps de ces
excès , & il auroit bientôt dénaturé le plus
bel organe , la voix la plus agréable qu'on ait
234
MERCURE
peut-être jamais entendus fur le théâtre de
Polymnie.
M. Durand a chanté le rôle du Grand-
Prêtre.
Les Ballets du fecond Acte ne font pas ce
qu'ils devroient être. Nous ignorons le nom
du Compofiteur ; mais nous fommes trèsétonnés
qu'il ait placé un fimple pas de deux
au moment où Alcefte chante à part ce morceau
fi touchant : O Dieux ! foutenez mon
courage. L'intention des Auteurs ne peut être
que les plaintes d'Alcefte foient entendues ,
au contraire; fi elle ne fe les permet pas pendant
une danfe un peu bruyante , les perfonnages
qui l'entourent doivent néceffairement
les entendre , & l'illufion n'exifte
plus.
M. Veftris père , Mlles Heinel , Allard &
Peflin ont été univerfellement applaudis &
ont mérité de l'être. Leurs talens font connus ,
les nommer , c'eft faire leur éloge. Mais
nous en devons un particulier à M. Veftris
fils , qui tous les jours ajoute à l'idée qu'il
avoit donnée de lui-même.
DE FRANCE. 235
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Dimanche 17 de ce mois , Mlle Sainval
cadette , que des circonftances avoient écartée
du théâtre une feconde fois a reparu par
le rôle d'Ariane dans la Tragédie de ce nom .
Elle a été reçue avec des tranfports qui
annoncent , d'une manière très-flatteufe pour
fon amour-propre , le prix que le Public attache
à fes talens. Nous pourrions lui faire
quelques obfervations , mais nous croyons
encore devoir garder le filence fur les défauts
que nous appercevons en elle de temps en
temps ; défauts qui cependant ne peuvent
nuire en aucune façon aux applaudiffemens
qu'on lui prodigue à jufte titre , & qu'elle
méritera toujours par une belle intelligence
& la fenfibilité la plus exquife. M. Préville
eft auffi rentré le Dimanches 24, par le rôle
de Griffet , dans Efope à la Cour.
SCIENCES ET ARTS.
UN Fondeur de la ville de l'Aigle , en Normandie
, avoit préfenté à l'Académie Royale des Sciences ,
des Cafferoles & Uftenfiles de cuifine , dans l'atliage
defquels entre le ginc ; mais l'Académie n'ayant
pas cru devoir rien prononcer de décifif fur les propriétés
médicinales de cette fubftance , cet Artiſte
vient de s'adrefer à la Faculté de Médecine , Juge
236 MERCURE
compétent à cet égard . Le rapport de MM . Darcet ,
Bertrand , Sallin , de Villiers , Alphonfe le Roi & de
la Planche , nommés Commiffaires , renferme des
expériences d'après lefquelles il réfulte que le zine
pris à des dofes capables de rendre les ragoûts même
très -défagréables , ne produit aucun effet dange
reux. On a donné pendant quarante jours de fortes
quantités de ce demi -métal dans l'état de chaux ,
dans l'état de diffolution & fous la forme faline , à
quatre animaux , qui ont pris de la force & de l'embonpoint.
M. de la Planche , un des Commiffaires ,
ne voulant point compromettre le jugement que la
Faculté devoit porter par l'organe de fes Commif
faires , a cru devoir prendre lui - même , pendant onze
jours , des dofes graduées de zinc ou de ſes préparations
; il en a excédé la doſe , & l'a portée beaucoup
au-delà de ce que les fauces les plus piquantes ,
préparées dans ces cafferoles peuvent en diffoudre ,
fans qu'il en foit réfulté le plus léger inconvénient.
On fait d'ailleurs que M. Tronchin emploie avec
fuccès dans fa pratique, la chaux & les fleurs de zinc .,
M. de la Folie avoit déjà raffuré par un long ufage
des cafferoles zinquées , contre les vertus nuifibles dont
on foupçonnoit cette fubftance. M. le Lieutenant
Général de Police , defirant qu'on pût fixer l'opinion
du Public à cet égard , a fait faire auffi des expériences
dont le réſultat eft abfolument le même , c'eſtà-
dire , que les hommes & les animaux nourris avec
des dofes graduées de zinc , n'en ont éprouvé aucun
accident.
GRAVURES.
TROTS Eftainpes gravées par Lempereur , d'après
trois des plus beaux Tableaux de Boucher , dont M.
le Duc de Penthièvre eft poffeffeur . Ces fujets font
tirés de l'Aminte du Taffe. Le premier repréſente
DE FRANCE. 247
>
Finftant où , témoin de la guérifon de Philis ,
Aminte forme le projet , pour fatisfaire fon amour ,
de feindre d'avoir auffi été piqué par une abeille.
Tandis que Sylvie eft occupée à fecourir fa compagne
, il défigne par un gefte le ftratagême
amoureux qu'il lui prépare.
Le fecond offre l'inftant où Aminte défefpéré
de la mort de Sylvie , vient de fe précipiter du haut
d'un rocher. Un Médecin lui adminiftre les fecours
de fon Art. Sylvie , jufqu'alors infenfible , s'attendrit
en fa faveur , elle le reçoit dans fes bras , il eft ranimé
par fes larmes , & l'Amour affure le bonheur
des deux amans. Ces deux Eftampes ont chacune environ
dix - huit pouces de hauteur & autant en
largeur.
La troifième , de 16 pouces de large fur 20 de
haut , repréfente Sylvie fuyantle loup qu'elle a bleffé
& laiffant fon voile daus les broffailles.
Pour faire l'éloge de ces nonveaux ouvrages , il
fuffit d'annoncer qu'elles fortent du burin de M.
Lempereur.
La Marchande de Pommes , d'après un deffin de
M. Amant , Peintre du Roi ; & la Marchande de
Marons , d'après un Tableau de M. Schall ; deux
Eftampes failant pendant , toutes deux gravées par
François Guérin. Prix , 1 liv. 4 fols chacune. A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Tournon , maiſon du Journal
de Littérature.
Carte Générale des Ifles de Jerfey , Grenefey
Aurigny, &c. pour fervir à connoître leurs pofitions
fur la côte de Normandie , avec une carte particulière
& très-détaillée de l'Ifle de Jerfey , de celles de
Grenefey & d'Aurigny , levée fur les lieux par les
Ingénieurs de Sa Majefté Britannique. Les forts
châteaux & batteries font exactement marqués , ainfi
23S MERCURE
que les courans , fondes , bancs , rochers , & c . L'Auteur
a joint une Defcription Hiftorique & Géographique
à chacune defdites Ifles. Cette Collection
forme cinq Feuilles , & fe vend douze livres . A
Paris , chez M. Beaurin , rue Gît-le - Coeur Saint-
André.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Livre de tous les Ages , ou le Pibrac Mo
derne , Quatrains moraux , par M. P. Sylvain Maréchal
, Avocat au Parlement. A Cosmopolis , & fe
trouve à Paris , chez Cailleau , Imprimeur- Libraire ,
rue S. Severin , 1779. petit in - 12 . de 206 pages.
Cette bagatelle morale annonce un ami de la
vertu , & mérite l'accueil des familles honnêtes . Ce
font des fentences renfermées en quatre vers. Les
enfans les apprendront facilement , les retiendront ,
& l'impreffion n'en peut être que favorable aux
moeurs . Ils font accompagnés d'un Commentaire
trop court pour charger la mémoire , & affez jufte
pour frapper un efprit que les paffions & les préjugés
n'ont point encore corrompu.
Suite des Entretiens fur l'État actuel de l'Opéra
de Paris , ou Lettres à M. S... Auteur de l'extrait
de cet Ouvrage dans le Mercure , fe vend au Palais
Royal , chez Esprit , Libraire. Brochure in - 89.
Eloge de Suger, par M. ** , in 8 ° . A Paris , chez
Demonville , Imprimeur-Libraire , rue S. Severin .
Recherches fur la caufe des affections Hypocondriaques
, appelées Vapeurs , par M. Claude Revillon
, in - 8 ° . A Paris , chez la Veuve Hériffant ,
rue Notre-Dame,
DE FRANCE. 239
Hiftoire Eccléfiaftique de Bretagne , par M. Deric ,
Tome III . in- 12 . A Paris , chez Valade , Imprimeur-
Libraire , rue des Noyers,
Ah! ah! encore une Critique du Sallon ! Prix ,
1 liv. A Paris , chez les Libraires qui vendent des
Nouveautés.
Éloge du Dauphin , par M. l'Abbé Proyart. in - 8 ° .
A Paris , chez Vente , Libraire , Montagne Ste Geneviève
, & Mérigot , Libraire , Quai des Auguſtins.
Differtation Académique fur la Fièvre Miliaire ,
par M. Duprés de Lifle . in - 8 ° . A Paris, chez Couturier
père & fils , Libraires.
La Médecine Militaire , Par M. Portius , in - 12. A
Paris , chez Barrois l'aîné , Quai des Auguſtins.
Defcription Hiftorique de Paris & de fes plus
beaux monumens , gravés en taille- douce par Martinet
fils , pour fervir d'introduction à l'Histoire de
Paris & de la France , par M. Béguillet. Vol. in- 8 ° .
A Paris , chez l'Auteur , rue S. Jacques , maifon de
la Veuve Duchefne , & au Bureau de la Bibliothèque
de France , rue S. Severin .
Obfervations fur la nature & le traitement de la
"rage , par M. Portal . in - 8 ° . A Paris , chez Didot le
jeune , & chez Méquignon , rue des Cordeliers.
Annales Poétiques , depuis l'origine de la Poéfie
Françoife , Tome XIII . A Paris , chez les Éditeurs ,
rue S. Nicaife , vis- à- vis le Magafin de l'Opéra , &
' chez Delalain l'aîné , Libraire , rue S. Jacques.
Éloge de Suger , par M. l'Abbé Jumille . A
Paris , chez Valade , Imprimeur - Libraire , rue des
Noyers.
240
MERCURE
Explication du Tableau des Mathématiques , pan
M. Delifle , Maître d'Hydrographie au Havre. A
Rouen , chez la veuve Befogne , Imprimeur- Libraire.
Le Mort vivant au Salon. A Baris , chez Quillau ,
Imprimeur- Libraire , rue du Fouarre.
La Comteffe de Suède , Ouvrage traduit de l'Allemand.
Deux Parties. in- 12 . A Paris , chez Valade ,
Imprimeur-Libraire , rue des Noyers.
La Religion des Bramines , fuivie d'une expédition
générale de l'état actuel de l'Indoftan , Ouvrage
traduit de l'Anglois, in - 12 . A Paris , chez Saugrain
Lamy & Barrois , Libraires , quai des Auguftins.
TA, BL E. 鎏
IMITATION du Pervigilium Bibliothèque du Nord ,,
Veneris ,
229
193 Suite de l'Extrait fur la Paf
Abouzaid , Comte Oriental fion duJeu , 2 228
196 Académie Roy. de Mufiq. 232
Enigme & Logogryphe , 204 Comédie Françoife ,
Mémoires concernant l'Hif Sciences & Arts ,
toire , les Sciences , &c . des Gravures ,
Chinois
Voltaire , Poëme ,
J'AI J.
206 Annonces Littéraires ,
2161
APPROBATION.
235
ibid.
236
238
Ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Afercure de France , pour le Samedi 30 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreßion. A Paris ,
se 29 Octobre 1779. DE SANCY.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE,
DE SMYRNE , le 9 Août.
و
M. AMOREUX , Conful de France en cette
échelle , M. Amé qui paffe du Confulat de
Napoli de Romanie à celui d'Alep & M.
de Jonville , ci - devant Vice - Conful de Morée
, nommé Conful à Roffette , arrivèrent
ici le 17 du mois dernier , à bord d'une
caravelle Turque ; les deux derniers attendent
ici l'occafion de quelques bâtimens
neutres pour fe rendre à leurs deftinations .
Cara Ofman Oglou , Aga de Kirkagats ,
qui a rempli ici la charge de Muffelim
eft arrivé avant-hier avec toute fa famille :
il a frété auffi- tôt un bâtiment Vénitien fur
lequel il vient de s'embarquer pour Alexandrie
, d'où il fe rendra au Caire pour
fe joindre à la caravane qui va à la Mèque.
Sa dévotion a moins de part à ce
pélerinage que fon avarice alarmée à l'approche
du Capitan- Bacha . La crainte de fe
voir enlever les tréfors par ce Vice -Amiral ,
l'a décidé à ce voyage religieux ; il les emporte
avec lui.
» Il est arrivé cette anné à Suez , écrit-on du
Caire , en date du 30 Juin dernier , quatre vaif-
2 Octobre 1779. a
( 2 )
feaux Européens venant des Indes ; ſavoir , deux
Anglois , un Hollandois & un Danois . M. Van de
Velden , Hollandois ci - devant au fervice de la
Compagnie de fa Nation , qu'il avoit quitté fans
qu'on en fache les raifons , pour le réfugier à
Calcutta , où il s'étoit mis fous la protection
des Anglois , s'embarqua dans ce dernier Port
pour fe rendre à Suez , à bord d'un Navire
qui lui appartenoit & qu'il avoit chargé pour
fon compte de diverfes fortes de marchandifes des
Indes. Arrivé à Suez , il fe mit en route avec M.
Barrington , Capitaine de fon Navire , quelques autres
Anglois & François pour fe rendre par terre au
Caire ; a 25 milles de Suez , il fut attaqué par les
Arabes , qui lui ôterent la vie , dépouillèrent fes
Compagnons de voyage , & s'emparèrent de 400
Chameaux chargés de marchandifes pour la valeur
d'un million de piaftres. De neuf Européens , il n'y
en a eu que quatre de fauvés ; les autres ayant péri
miférablement de faim & de foif dans le défert , où
ils avoient été abandonnés tout nus à l'ardeur du
foleil . Le baſard en a conduit heureuſement trois à
Suez , & le quatrième , qui étoit un François , n'y eft
arrivé que le 18 de ce mois , trois jours après que
la caravane a été enlevée . Ce dernier doit la vie à
un honnête Arabe qui en a pris foin & l'a conduit
ici dans la vue d'être bien récompenfé . Ce François
raconte qu'il a reſté deux jours dans ce brûlant défert
fans boire ni manger, & que dévoré d'une foif ardente
, il n'avoit pu l'étancher , qu'en buvant fa propre
urine. Le Gouvernementa promis de grandes récompenfes
à quiconque pouroit ramener les autres
Européens qui font reftés dans le défert ; on en a retrouvé
deux , morts , dafféchés , défigurés , & à demi
dévorés par les bêtes féroces ; il y a dieu de croire
que les autres ont fubi le même fort. On attribue
la caufe de ce malheur au Bey de cette Ville qui a
voulu employer fes propres Chameaux au tranſport
( 3 )
des marchandifes de Suez au Caire , & ôter par-là
aux Arabes le moyen de gagner leur vie . Ceux - ci
pour s'en venger , réfolurent d'attaquer la Caravane
& de s'en rendre maîtres. On prétend qu'une partie
des marchandiſes fera rendue , mais on n'ofe encore
l'efpérer quoique le Gouvernement paroiſſe fort
porté à faire recouvrer leurs biens aux Européens .
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 24 Août.
LE Grand-Duc & la Grande-Ducheffe font
attendus aujourd'hui de Czarsko - Zélo ; ils
doivent affifter cet après-midi à l'Affemblée
annuelle de l'Académie Impériale des Sciences
, & enfuite aux exercices du Corps des
Gadets. Les Ambaffadeurs & les Miniftres
étrangers ont été invités à y affifter.
On affure que le voyage de la Cour pour
Mofcou n'aura pas lieu cette année ; on
prétend que l'année prochaine l'Impératrice
avec une fuite peu nombreuſe fera une
tournée dans les principales Provinces de
eet Empire , pour y examiner elle - même
l'effet des nouveaux arrangemens qui y ont
été introduits en vertu des Ordonnances de
1775. LL. AA. II. , ajoute- t- on , l'accompagneront
dans ce voyage qui fera de trois
mois.
La force de cet Empire augmente journellement
; la population devient plus nombreufe
; plufieurs contrées autrefois défertes
, fe couvrent infenfiblement d'habitans
qui les cultivent , & que la tolérance
a 2
( 4 )
attire de toutes les parties de l'Europe ; le
commerce fleurit & prend une nouvelle
activité. L'état militaire a acquis des accroiffemens
fucceflifs , qui l'ont mis fur le pied
le plus formidable. Les progrès de la marine
qui doit la création à Pierre le Grand ,
ont été fi rapides , qu'on compte actuellement
dans les différens ports de l'Empire
180 , tant vailleaux de guerre , que frégates ,
galiotes & autres bâtimens armés de moindre
grandeur. L'armée de terre monte à.
331,991 hommes. L'entretien de pareilles
forces doit coûter des fommes prodigieufes ;
cependant la maffe des impôts n'a point
augmenté ; les emplois rapportent plus
quils ne faifoient autrefois , & le tréfor Impérial
continue de fournir de grands fubfides
au Roi de Pologne , & deux millions
de roubles à l'entretien des fondations nombreufes
faites par S. M. I. On conftruit
journellement des Edifices publics ; & pour
l'avancement des Arts , on achette fans ceffe
& l'on accumule , pour ainfi dire , des tableaux
précieux , des raretés fans nombre.
Le Théâtre que l'on bâtit , lorsqu'il fera
achevé , fera un des plus beaux de l'Europe .
POLOGN Ë. VI E.
{
De VARSOVIE , le 4 Septembre,
LE Confeil- Permanent a repris fes féances
le 31 du mois dernier , La Commiffion
du Tréfor a fait vendre une quantité confidérable
de tabac qu'avoit fait venir clandeftinement
le Tréforier du Prince général
de la Podolie , & qui avoit été faifi . Il a
fallu de grandes protections à cet Officier
pour éviter une punition exemplaire ; il en
a été quitte pour la confifcation de fa marchandife
, qui a été vendue 20,000 florins
de Pologne.
Quelques Marchands arrivés de Choczim raprapportent
qu'un Aga qui s'étoit barraqué hors de
cette Ville avec les Spahis à fes ordres , conte
noit fi peu ces troupes dans la fubordination
qu'elles commettoient des excès & des briganda.
ges qui rendoient les routes dangereufes aux voyageurs.
Sur les plaintes qui furent portées au
Grand- Seigneur , le Bacha de Choczim reçut ordre
de punir l'aga. Pour l'exécuter , il l'invita à
venir dans la Ville ; après lui avoir d'abord préil
lui montra l'ordre
du Sultan. L'Aga confterné eut recours aux prieres
, & offrit mille bourses d'écus au lion pour
obtenir la vie & la liberté ; mais l'inexorable Bacha
fit conduire le coupable dans les écuries
où on lui coupa la tête . Cette tête fut falée fur
le , champ & envoyée à Conftantinople.
fenté des rafraîchiffemens c
,
,
Depuis que l'Impératrice de Ruffie a procuré
un état fixe aux Jéfuites qui font dans
les Provinces de fa domination , le Prélat
Sieftrencewitz feul Evêque catholique
dans toute la Ruffie blanche , ayant fupplié
S. M. I. d'ériger en Collége la maifon
qu'ils ont à Mohilow , & d'y affigner les
fonds néceffaires , cette Souveraine s'eft
montrée favorable à cette demande . Le Roi
de Pruffe a enjoint au P. Ortowski , Provina
3
( 6 )
cial des Maifons du même Ordre , qu'il a
jugé à propos de conferver dans fes Etats
en Pologne , de fuppléer aux vieillards ,
tant Peres que Freres , & d'en faire venir
d'autres , même des pays étrangers , à chacun
defquels il a promis d'affigner une penfion
de 120 écus.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 10 Septembre.
L'IMPERATRICE-REINE eft arrivée ici de
Schlolshof le 6 de ce mois. Le même jour
elle reçut la nouvelle de l'heureux accouchement
de la Grande-Ducheffe de Tofcane ,
à l'occafion duquel il y eut cour au Châ
teau .
L'Empereur , dans le voyage qu'il fait actuellement
, s'occupe à vifiter les principaux
endroits du théâtre de la guerre dernière ;
après avoir examiné les environs de Gabel
& de Hohen- Elbe , il arriva le 30 du mois
dernier à Rumbourg , où il obferva les paf
fages par lefquels le Prince Henri de Pruffe
avoit pénétré en Bohême , & il donna des'
ordres pour y faire élever de nouveaux ouvrages
, & rétablir les défenfes qui y exiftoient
déja. Delà il paffa fur Lobofitz pour
voir le Gyeersberg ; il fe rendit enfuite à
Sebaftianberg entre Commothau & Marienbourg
, d'où il arriva à Egra dont les fortifications
vont être confidérablement aug-'
mentées. On dit que la Cour fera auffi
( 7 )
conftruire une fortereffe fur les frontières de
la Moravie , à Snyatin , ou à Stanislaow.
Nous avons parlé de la plaine brûlante . dans
le voifinage de Lublyo au Palatinat de Zips dans
la Haute- Hongrie. Ce phénomène fingulier vient
de fe montrer auffi dans la Seigneurie de Kuttin
en Esclavonie. Il y a quatre mois que la terre brûle
dans un bois qui relève de cet endroit , fans qu'on
ait pu parvenir à éteindre le feu qui s'y nourrit ;
on ne le voit point à la fuperficie du fol ; il en
tranfpire feulement une femée noire & fétide. Le
foyer paroît être à plus de 6 pieds de profondeurs,
quand on y enfonce un morceau de bois , il s'allume
. Ce feu femble s'étendre en fuivant l'aliment
qu'il trouve on le voit en quatre endroits différens
. Dans l'un , le fol eft enfoncé avec les arbres
; dans l'autre , on découvre une ouverture
profonde qui offre une fournaife ardente , autour
de laquelle le terrein s'affaiffe . La chaleur en eft
fi grande qu'elle fe fait fentir à la fuperficie . Le
propriétaire de ce District voulut employer des
ouvriers près d'un endroit où il brûloit , pour
découvrir , s'il étoit poffible , la qualité du terrein
qui fervoit d'aliment à ce foyer ; mais il
leur fut impoffible de faire une foffe ; les inftrumens
dont ils fe fervoient prenoient feu , & les
forcèrent de renoncer à cette entrepriſe . Les Phyficiens
ont obfervé qu'une partie de cette terre
enflammée ceffe de brûler dès qu'elle eſt expoſée à
l'air. Ce phénomène attire de toutes parts une foule
de curieux .
De RATISBONNE , le 12 Septembre .
LA Chambre de Juftice vient de décider
le procès qui s'étoit élevé entre l'Electeur
de Mayence & le Prince de Nallau Ufingue ,
relativement à l'exercice de la religion Pro-
1
24
( 8 )
teftante dans le Fief de Falkenbourg , que
P'Electeur de Mayence avoit reclamé. Lat
Sentence rendue fur ce fujet , défend à l'Electeur
de Mayence de s'oppofer à l'introduction
de ce culte dans ce Fief; & en cas
de refus de fa part , l'Electeur Palatin & le
Landgrave de Heffe - Caffel font chargés de
la faire exécuter. On dit que le Prince de
Naffau Ufingue qui a une eftime particulière
pour l'Electeur de Mayence , n'a pas
été plutôt inftruit du jugement rendu en
fa faveur , qu'il lui a propofé d'accommoder
cette affaire à l'amiable.
2
Le Prince régnant , Louis de Naflau Saarbruck ,
fit le 25 Mars dernier une difpofition dont le
but eft de maintenir dans fes Etats , d'une ma
nière invariable , l'exercice de la religion luthe
rienne , tel qu'il y fablite aujourd'hui . Le 17
Mai & le Juin fuivant , les Princes régnans de
Naffan Weilbourg & de Naffau Ufingue , accédèrent
pour leurs Etats à cette difpofition . Le 17 Juin ,
ils adrefsèrent un Mémoire au Corps Evangélique ,
pour le requérir d'en maintenir & d'en garantir l'effet .
Le Corps Evangélique , après avoir tenu cette affaire
fecrète jufqu'à l'arrivée des inftructions de tous les
Etats Proteftans de l'Empire , s'allembla extraor
dinairement le go du mois dernier ; if arrêta qu'il
fe chargeroit de la garantie de cet acte pour le ,
maintien de la Religion Luthérienne dans les Etats
de Naffau Saarbruck , Weilbourg & Ufingue. Dans
le cas où un Prince ou une Princeffe de cette Mai-,
fon viendra à profeffer la Religion Catholique ,
il lui fera permis de faire dire la Meffe dans une
chambre pour lui & pour fa Cour , il ne pourra
rien changer au culte actuel des Luthériens , que
leurs Confiftoires font autorifés à maintenir pour,
toujours , nonobftant tous ordres quelconques des
11
( 9 ) ୨
}
Princes , à ce contraires , avec le droit de requérir ,
s'il en eft befoin , l'affiftance du Corps Evangé
lique , & c. Le 31 , on remit à chaque Envoyé
Proteftant deux copies de cet acte ; & le Directoire
de Saxe communiqua par la Dictature, la réfolution
de garantie du Corps Evangélique , qui s'eft
chargé d'en maintenir l'exécution.
Il circule ici une brochure ayant pour
titre : Addition aux traités de paix des tems
les plus éloignés. L'article fuivant donnera
une idée du bur de l'Auteur.
}
> Les droits de la Maifon de Brunſwick , dit- il
fur le Duché de Bavière , ne font pas expirés
mais feulement fufpendus , jufqu'à l'extinction entière
de la Maiſon Palatine . La Maiſon de Brunfwick
eft fondée en conféquence à s'oppofer à!
toutes les aliénations , démembremens , & géné
ralement à toutes les expectatives que les Empereurs
ont données fur les Fiefs de Bavière ou leurst
dépendances. Le Duché de , Bavière avoit été ada
jugé en 1156 , avec le confentement, de l'Empire , à !
Henri- le- Lion , qui fut invefti folemnellement des
ce Duché , fur lequel il avoit d'ailleurs un droiti
héréditaire . Son fils , l'Empereur Othon IV , y re
nonça en 1208 , mais feulement en faveur de la
Maifon de Wittesbach ".
>
Le 14 à quatre heures , après - midi , écrit
on d'Inftruck , le R. P. Everhard de Racker
bourg Genéral des Capucins , eft arrivé en
cette Ville . Le Comte de Taxis avoit envoyé à
deux lieues à la rencontre une voiture de gala
à fix chevaux , fon Maître d'Hôtel , deux Valets
de chambre , quatre Valets-de-pied en livrée )
de gala ; mais le R, P. ayant refufé cette diftinci,
tion , continua le voyage pied , fuivi de la void
ture. Plufieurs Seigneurs & une foule de peuples
allèrent hors de la Ville à fa rencontre. Le Couvel
vent où il defcendit étoit orné de guirlandesgo
as
( 10 )
d'emblèmes. On avoit placé des timballes & des
trompettes fur le balcon de l'Univerfité , & l'on
tira so boîtes. Ce Général reftera cinq femaines en
cette Ville , où le Chapitre général de fon Ordre
doit fe tenir ; il fe rendra enfuite à Vienne par
Munich. Natif de Stirie , & âgé de 60 ans , c'eft
le troisième Allemand qui ait obtenu cette dignité
«<.
ITALIE.
De RO ME ,le 3 Septembre.
LA fanté du Pape qui s'eft rétablie avec
peine , commence à fe fortifier. Le 22 du
mois dernier l'Académie des Arcades tint
une Affemblée confacrée entièrement à la
lecture des compofitions faites à l'occafion
defa convalefcence. Comme on favoit qu'elles
devoient en faire l'unique objet , le concours
fut très- grand ; il s'y trouva 7 Cardinaux
& un grand nombre de perfonnes
de diftinction . On dit qu'on n'y récita pas
moins de 200 Sonnets , compofés fur ce
fujet intéreffant , & qui furent à l'ordinaire
très-applaudis. Il y eut auffi une circonftance
affez plaifante . Le Prélat A ... en commença
un dont il s'annonçoit comme l'auteur
; mais l'ATemblée qui avoit de la mémoire
ayant reconnu dans les premiers vers
un Sonnet qui avoit été fait il y a 30 ans
pour la convalefcence du Roi de Sardaigne ,
lui épargna la peine de le continuer , er
achevant elle- même de le réciter.
On mande de Naples que le Roi a ordonné
qu'à l'avenir tous les Supérieurs Re(
11 )
ligieux , avant de faire la vifite des Maiſons
de leur Ordre répandues dans le Royaume ,
fe préfenteront devant les Evêques des lieux
où elles font fituées , pour apprendre de
ces Prélats la conduite que tiennent les Religieux
, & fe régler en conféquence dans
le cours de leurs vifites.
De LIVOURNE , le 7 Septembre.
LE Prince , dont la Grande - Ducheffe
accoucha le 31 du mois dernier , fut baptifé
le même jour par l'Archevêque de Florence ,
& reçut les noms d'Antoine - Victoire-Jean-
Jofeph-Raimond. Il eut pour Parrein le Roi
de Sardaigne , repréſenté par le Comte de
Thurn , Grand Majordome . Tous les Grands
Officiers de l'Etat , les Miniftres Etrangers &
la Nobleffe , affiftèrent à cette cérémonie. La
Cour a célébré cette naiffance par un gala
qui a duré trois jours ; & le premier de ce
mois , on en a rendu graces à Dieu dans la
Cathédrale de Florence.
S'il faut en croire quelques lettres de lá
Morée , la fituation de cette prefqu'île devient
de jour en jour plus critique. L'action du 4
Juillet dernier entre les Albanois & les Turcs
a , dit-on , coûté cher aux derniers , qui ont
eu environ 3000 hommes tués. Le Grand-
Seigneur a ordonné de renforcer l'armée
employée contre les Rebelles de 20,000 h.
de troupes Européennes & d'un pareil nombre
de troupes Afiatiques. La République de
a -6
( 12 )
Venife , inftruite de cette augmentation , fait
obferver tous les armemens des Ottomans ,
& travailler jour & nuit dans fes arſenaux ;
fon deffein eft d'avoir l'année prochaine dans
les eaux de la Dalmatie une efcadre de fix
vaiffeaux de ligne.
12
ESPAGNE.
De MADRID , le 2 Septembre.
LA Cour et toujours au château de
Saint Ildefonfe ; on y a célébré le 25 du mois
dernier la Fête du nom de la Princeffe des
Afturies ; le concours de la Nobleffe fut
très- conſidérable à la Cour , & l'Ambaſſadeur
de France donna un grand dîner à cette
occafion.
On a publié dernièrement une cédule
Royale , en date du 13 Août, par laquelle S.M.
renouvelle les articles . II . & VI. du Traité
d'amitié , de garantie & de commerce , conclu
le 11 Mars de l'année dernière entre S. M.C.
& le Roi de Portugal. Le Roi enjoint au
Confeil de faire obferver exactement ces
articles , & de donner les ordres les plus
précis pour qu'ils foient rigoureuſement
éxécutés dans les Domaines du Roi. r.
S'il faut en croire quelques lettres , la frégate
Suédoife , dont on a parlé précédemment ,
n'a pas été conduite à Malaga ; elle s'y eft
rendue volontairement pour y être admife .
à la pratique , ce qu'elle n'avoit pu obtenir
à Gibraltar , cependant on ajoute que le
( 13 )
Gouverneur exigea d'abord du Capitaine
fur fa parole d'honneur , qu'il ne partiroit
point qu'on n'eût reçu une réponſe de la
Cour. Cette réponſe étant arrivée , on dit
que la frégate a été conduite derrière le
Mole , où l'on a pris les déclarations de
fes Officiers. Les mêmes lettres portent que
le 19 du mois dernier on publia dans la même
ville un ordre du Roi enjoignant à tous les
habitans Irlandois qui y font domiciliés , de
la quitter pour fe retirer à 20 , milles, dans,
l'intérieur des terres.
On apprend d'Algefiras que le convoi de
18 bâtimens marchands , efcorté par deux
chébecs , & parti de Cadix le 20 Août , étoit
heureuſement arrivé. Il portoit des muni-"
tions , attirails & uftenfiles de guerre de '
toute eſpèce ; entr'autres 70 pièces de canon
de bronze & de 24 liv. de balle , pour le
camp de S. Roch , où tout le difpofe pour
former le fiége de Gibraltar dans les règles .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 18 Septembre.
LA Gazette ordinaire de la Cour , du 11
de ce mois , a confirmé la nouvelle de la
prife de la Grenade & de l'échec qu'ont
elfuvé nos forces navales devant cette Ile.
La lettre très-longue de l'Amiral Byron dans
laquelle il rend le compte le moins défavantageux
poffible de cet évènement , paroît
avoir fubi encore quelqu'altération dans les "
( 14 )
Bureaux de l'Amirauté pour être mise en état
d'être publiée.
» Il étoit parti de Saint - Chriftophe le 15 Juin ,
avec la flotte marchande deſtinée pour l'Europe ;
les vents d'eft & les courants l'empêchèrent d'arriver
à Sainte-Lucie avant le premier Juillet : ayant appris
que les François avoient profité de fon abfence
pour s'emparer de Saint- Vincent avec peu de
forcé & fans oppofition , il forma le deffein de la
reprendre avec les troupes du Major - Général Grant;
mais inftruit que le Comte d'Estaing étoit devant
la Grenade , il courut a fecours de cette Iſle ,
qu'il trouva prife à fon arrivée. Le détail du combat
eft très-étendu ; il ne donne pas moins de 34
vaiffeaux de guerre à l'ennemi , parmi lesquels il
y en a vu , dit-il , 26 ou 27 de ligne. On fent bien
que cette fupériorité n'arrêta pas l'Amiral ; le combat
fut livré , mais s'il eut peu de fuccès , il faut
l'attribuer aux vents , à l'attention des François à
éviter le combat bord à bord ; l'Amiral convient
qu'il fut fort étonné en fe retirant de ce que le
Comte d'Estaing n'avoit pas entamé fes bâtimens
de tranſport ; aveu qui prouve affez qu'il fuyoit
devant lui , & qu'il ne fe croyoit pas en état de
les défendre , & que l'on eft étonné que la Cour
n'ait pas fupprimé ; mais on ne peut pas prendre
garde à tout. La lettre de l'Amiral eft fuivie du
tableau de la ligne de bataille. La flotte formoit
3 divifions. La première fous les ordres du Vice-
Amiral Barington , étoit compofée du Suffolck de
74 canons , & de 617 hommes d'équipage ; Contre
Amiral Rowley , Capitaine Chriftian ; du
Boyne de 68 , équipage , 520 hommes , Capitaine
Sawyer ; du Royal Duke de 74 , équipage 600-
hommes , Capitaine Fitzerberg ; du Prince ofWales
de 74 , 617 hommes , Vice-Amiral Barrington ,
Capitaine Hill ; du Marificent , de 74 , 600 hommes
, Capitaine Ephinfton ; Trident de 64 , soo
·
( 15 )
hommes , Capitaine Molley ; & du Medway , de
60 , 420 hommes , Capitaine Affleck « .
» L'Amiral Byron commandoit la feconde divifion
formée par les vaiffeaux , Jame , de 74 , 600
hommes , Capitaine Butchard ; Non-Such de 64 ,
foo hommes , Capitaine Griffith ; Sultan de 74,
600 hommes , Capitaine Gardner , Princeff- Royal,
de 90 , Vice-Amiral Byron , Capitaine Blair ; Albion
de 74 , 600 hommes , Capitaine Bowyer ;
Stirlingcaffle , de 64 , 5oo hommes , Capitaine
Carkett ; Elifabeth de 74 , 600 hommes , Capitaine
Trufcott ".
» La troifième divifion aux ordres du Contre-
Amiral Parker , étoit compofée de l'Yarmouth ,
du Lyon , du Vigilant , de 6+ canons chacun , &
de soo hommes d'équipage , Capitaines Bateman ,
Cornwalis , & Sir Digby Denis ; Conquérant , de
74 , 617 hommes , Contre-Amiral Parcker , Capitaine
Hammond ; Cornwall de 74 , 600 hommes
, Capitaine Edwars ; Montmouth , de 64 , soo
hommes , Capitaine Fenshaw ; Grafton de 74 ,
600 hommes , Capitaine Collengwood «.
Selon les comptes de l'Amiral Byron , le
nombre des morts et de 183 , & celui des
bleffés de 346. Tous les vailleaux ont prodigieufement
fouffert ; cinq , fur- tout , ont
été très -maltraités ; le Conquérant , le Grafton
le Cornwall , le Monmouth & le Lion. Le 3
Août , il ignoroit encore ce qu'étoit devenu
le dernier. Sa lettre eft fuivie de l'extrait de
deux autres dans lesquelles il prétend que la
flotte Françoiſe a plus fouffert & plus perdu
de monde que l'Angloife , & d'une lettre
du Major - Général Grant , qui témoin du
combat auquel il n'a pris aucune part , fait
un éloge magnifique des combattans , &
( 16 )
terminé fa lettre par ce paffage conféquent ,
& qui fait honneur à fa logique. » L’Âmiral'
Byron prit donc très -prudemment le parti de
gagner St -Chriftophe pour réparer fes vaiffeaux
endommagés . Je fuis perfuadé qu'il ne
tardera pas à recouvrer la fupériorité, parce
que les François , quoique fupérieurs en
nombre , doivent enfin céder à l'intrépidité
Angloife ".
La lettre fuivante de Montferrat , en date
du 27 Juillet , peut faire juger de l'état de
la flotte Françoife , & fi elle étoit plus mal
traitée que la nôtre.
Le 21 nous fumes terriblement alarmés à la
vue de l'Eſcadre Françoife portant fur cette Ifle ;
24 grands vaiffeaux & des frégates étoient au
vent de l'Ifle ; deux vaiffeaux de 74 canons & ›
deux frégates s'approchèrent fous le vent ; nos
batteries firent fur eux un feu très- vif , qui força
les frégates à s'éloigner de la terre ; mais un
des vaifleaux canonna nos forts pendant près de
trois quarts d'heure . MM . Michel White , Gouverneur
de l'lite , Ellis Eyles , Orateur de l'affemblée
de Montferrat , étoient dans le fort de l'Ifle
Town , contre lequel le feu de l'ennemi étoit dirigé
; ils n'en furent heureufement point atteints.
On a les plus juftes raifons de croire que
fein de l'ennemi étoit de nous enlever par un coup
de main. Le feu de nos batteries l'ayant repou
fé fous le vent , il crut inutile de tenter un débar
quement , pour ce moment là ; nous craignons ques !
cela ne foit que retardé. Le Comte d'Estaing avec
fa flotte fe porta devant la rade de Balleterre
où il croifa pen lant huit heures à la vue de l'Amiral
Byron , qui ne jugea pas qu'il fût prudent
d'aller vers eux « .
( 17 )
1 Cette apparition des François le 21 Juillet
devant St- Chriftophe , prouve qu'ils étoient.
déja réparés , & qu'en conféquence ils n'a- d
voient pas fouffert autant que notre flotte ,
qui , après avoir cherché à les combattre
devant la Grenade , où l'Amiral dit qu'ils
ne l'ont pas voulu , a refufé à fon tour de
leur faire tête lorfqu'ils fe font préfentés ,
ou n'étoit pas en état d'accepter le combat.
Il en résulte encore que les François tenoient
la mer , que l'Amiral Byron étoit encore à
Saint - Chriftophe le 3 Août , & qu'il eft à
craindre que le Comte d'Estaing n'ait mis ;
le tems à profit.
On n'a rien publié de direct fur la prise de
la Grenade ; on dit à la Cour que l'on n'en a
pas encore reçu la capitulation ; tout le monde
fait qu'on n'en recevra point , parce qu'il
n'y en a eu aucune , & que l'île s'eft rendue
à difcrétion . On fait ici , felon l'uſage , le
procès à l'Amiral Byron , de ce qu'il n'a ni
fauvé l'île ni battu les François ; on dit qu'il
a demandé fa retraite , & que le Vice Amiral
Barrington , nommé pour le remplacer , va
s'embarquer inceffamment.
Pour nous confoler de nos défaftres en
Amérique , nos yeux fe tournent du côté de b
l'Inde , où la Compagnie foutient encore
l'éclat de nos armes. La prife de Mahé eft
confirmée , la place a été rendue le 20 Mars ,
conformément à la capitulation fuivante.
fignée la veille par M. Picot & le Colonel ...
Braithwaite.
( 18 )
10. La garnison Européenne fortira de la place
avec les honneurs de la guerre , armes & bagages
, pour le rendre au camp Anglois . Les Officiers
garderont leurs armes , & le tout fera transporté
en France aux dépens de S. M. B. La garniſon
Indienne , après avoir mis bas les armes , aura la
liberté de fe retirer où bon lui femblera , fans qu'il
foit permis à qui que ce foit de la molefter pour
avoir fervi les François. Ni les habitans de Mahé ,
tant Européens que Nationaux , ni toute autre perfonne
, ne feront exposés à aucune difficulté pour
avoir pris les armes pour la défenfe de la Colonie.
Les déferreurs des troupes Angloifes , Européens
& Nationaux , qui pourroient fe trouver
dans la place , ne feront ni pourfuivis ni punis
pour caufe de défertion . Les malades qui fe trouvent
dans les hopitaux feront panfés & foignés juf
qu'à leur entiere convalefcence , & les Chirurgiens
feront pourvus aux dépens de S. M. B.
Réponse. Les troupes Britanniques feront mifes
fur-le-champ en poffeffion de Correchy : la garnison
du fort St-George & celle de Chimbura le rendront
demain à 6 heures précifes du matin , à tels Officiers
& aux troupes qu'il plaira au Colonel d'envoyer
pour en prendre poffeffion . Les portes une
fois rendues aux Anglois , la garnifon en fortira
avec les honneurs de la guerre : enfuite le drapeau
François fera mis bas & celui d'Angleterre en prendra
la place . Les François , après avoir mis bas
les armes , fe rendront prifonniers à Tellichery.
Les Officiers fur leur parole conferveront leurs
épées & feront traités avec toutes fortes d'égards.
Les Forts Mahé , Condi & Dauphin , feront livrés
demain à 5 heures du foir , de la même manière que
ceux de St - George & de Chimbura . La Compagnie
Angloife des Indes pourvoira à la fubfiftance"
de la garnifon prifonniere de guerre , eu égard au
rang & à la condition de chaque particulier. Elle
( 19 )
fera conduite à Bombay & de- là tranfportée en An
gleterre ou en France , felon qu'il fera jugé néceffaire
, d'après les inftructions que l'on recevra d'Europe.
Le Gouverneur & le Comité choisi de Bombay
en feront les arbitres . Quoiqu'il arrive , elle
fera bien traitée & miſe à bord de vaiffeaux com- -
modes , aux dépens de la Compagnie Angloife . On
aura le même foin des malades qui resteront à
Mahé , que des troupes Angloifes ; ils y feront
foignés par leurs propres Chirurgiens , & ceux qui
auront le bonheur de recouvrer leur fanté feront
traités avec douceur & envoyés à Bombay , pour
y joindre leurs corps refpectifs . Les troupes nationales
au fervice de la France fortiront de la
place avec celles de France , & comme elles , mettront
bas les armes ; le refte eft accordé.
20. Tous les Officiers & Soldats , quels qu'ils puif
fent être , conferveront leurs biens , meubles &
immeubles. On accordera à M. Picot , Gouver
neur de la place pour le Roi , & à M. de Plaſey ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de St-Louis,
Lieutenant Colonel d'Infanterie & Gouverneur en
fecond , un convoi pour la France & toutes fortes
de commodités pour eux , leurs familles , leurs do.
meftiques & le tranfport de leurs effets. M. de.
Menvielle , Capitaine au régiment de Pondichery
& Commandant des troupes de la garnifon , aura
la permiffion de fe rendre à Pondichery , auprès de
fa famille, qui eft fous la protection du Gouvernement
Britannique. Les effets appartenans anx Officiers
& Soldats ne feront affujettis à aucun examen .
Réponse. Il dépendra du Gouverneur & du Con-.
feil de Bombay de décider fi les perfonnes ci-def
fus nommées feront renvoyées en France ou en
Angleterre ; dans le dernier cas , leur bagage fera
vifité , & on ne leur permettra pas d'emporter aucune
marchaudife ou denrée de contrebande qui
( 20 )
pourroit faire tort aux intérêts de la Compagnie
des Indes. Quant au refte , accordé .
3 °. L'on pourvoira à l'entretien des troupes de
la garnison d'une manière convenable , ainſi qu'à
leur paffage en Europe , le tout aux dépens de S.
M. B.; la même chofe fera accordée à toutes perfonnes
employées dans l'adminiſtration civile &
militaire , ainfi qu'à toutes celles qui font attachées
au fervice du Roi dans Mahé.
Réponse. Accordé aux dépens de la Compagnie
Angloife des Indes.
4. L'artillerie , les armes , les munitions & autres
effets appartenant au Roi , feront délivrés de
bonne foi. On en fera deux inventaires , un pour
chaque Commandant.
Réponse. Il faudra trois inventaires , un pour le
Colonel Braithwaite , un pour les Commiffaires
qui feront nommés par ledit Colonel pour rece
voir lefdites munitions , & un pour M. Picot ;
celui du Colonel fera contre- figné par M. Picot
celui du Commiffaire Anglois par le Commiffaire
François , & celui qui demeurera entre les mains
de M. Picot fera contre-figné par le Colonel Braith,
waite , dès l'inftant qu'il aura reçu les effets y
fpécifiés.
5. Les fortifications , les édifices civils & militaires
& tous autres bâtimens royaux & publics
feront confervés dans leur état actuel .
Réponse. Ils feront à la difcrétion de la Compagnie.
6. Les habitans , foit Européens , foit Natio-
-naux ou autres , conferveront la propriété entière
de leurs biens , actions , marchandiſes , vaiſſeaux
mobiliers , &c . enfin la poffellion de tout ce qui
n'eft point de nature à étre perdu. Les archives
publiques appartenant aux habitans , ainfi que celles
, da tribunal de Juftice , du . Greffe , du Nota(
21 )
riat & de Paroiffe , feront confervées & refpectées
. 1.52 $1.1
Réponse. Accordé excepté en ce qui regarde
les armes & munitions , qui doivent être remiſes
au Commandant Anglois , quand même elles appartiendroient
en propre à des particuliers ; ce qui
doit s'entendre auffi de tous les papiers du Gouvernement
& de correfpondance avec les Princes
du pays ou de toute autre Nation .
7°. L'exercice de la religion Catholique Apofto
lique & Romaine , fera permis fans moleftation .
L'on maintiendra les Eccléfiaftiques & les Miffionnaires
dans la jouiffance des priviléges attachés à
leur caractère ; il ne leur fera fait aucun tort dans
leurs poffeffions , leurs biens , leurs terres ou leurs
bâtimens.
Réponse. Accordé , pourvu qu'ils ne cherchent
point à faire des profélytes parmi les fujets de
S. M. Britannique ou parmi les Nationaux au fer- "
vice de la Compagnie , & qu'ils le conduifent avec
décence & foumiflion aux Ordonnances du Gouver
nement Britannique. 20-
8°. Du moment que l'on aura pris poffeffion de
la place , on accordera les fauve gardes par- tout
où elles feront requifes , & l'on prendra toutes les
précautions d'ufage pour veiller au bon ordre.
Réponse. Accordé.
9. N'ayant aucune connoiffance d'une déclara 4
tion de guerre entre les deux Nations , nous fai
fons ici les proteftations & réclamations d'ufage.
Signé , PICOT .
Réponse . Accordé,
10% Nonobftant tout ce qui eft contenu dans
les articles précédens , le Commandant Anglois à
Mahé aura la liberté de loger fes Officiers & Soldats
de la manière & dans tel lieu qu'il jugera ·
bien être. Il lui fera libre auffi d'emprisonner ou
punir quiconque contreviendra au bon ordre & à la
( 20 )
pourroit faire tort aux intérêts de la Compagnie
des Indes. Quant au refte , accordé. '
3. L'on pourvoira à l'entretien des troupes de
la garnifon d'une manière convenable , ainfi qu'à
leur paffage en Europe , le tout aux dépens de S.
M. B.; la même chofe fera accordée à toutes perfonnes
employées dans d'adminiftration civile &
militaire , ainfi qu'à toutes celles qui font attachées
au fervice du Roi dans Mahé.
Réponse . Accordé aux dépens de la Compagnie
Angloife des Indes..
4° . L'artillerie , les armes , les munitions & autres
effets appartenant au Roi , feront délivrés de
bonne foi. On en fera deux inventaires , un pour
chaque Commandant.
Réponse. Il faudra trois inventaires , un pour le
Colonel Braithwaite , un pour les Commiffaires
qui feront nommés par ledit Colonel pour rece
voir lefdites munitions , & un pour M. Picot
celui du Colonel fera contre figné par M. Picot
celui du Commiffaire Anglois par le Commiffaire
François & celui qui demeurera entre les mains
de M. Picot fera contre- figné par le Colonel Braith,
waite , dès l'inftant qu'il aura reçu les effets y
fpécifiés.
5°. Les fortifications , les édifices civils & militaires
& tous autres bâtimens royaux & publics .
feront confervés dans leur état actuel .
Réponse. Ils feront à la difcrétion de la Compagnie.
6. Les habitans , foit Européens , foit Nationaux
ou autres , conferveront la propriété entière
de leurs biens , actions , marchandiſes , vaiffeaux
mobiliers , &c. enfin la poffeflion de tout ce qui
n'eſt point de nature à être perdu . Les archives
publiques appartenant aux habitans , ainfi que celles
, da tribunal de Justice , du . Greffe , du Nota(
21 )
riat & de Paroiffe , feront confervées & refpectées.
•
91.1
Réponse. Accordé excepté en ce qui regarde
les armes & munitions , qui doivent être remiſes
au Commandant Anglois , quand même elles appartiendroient
en propre à des particuliers ; ce qui
doit s'entendre auffi destous les papiers du Gouvernement
& de correfpondance avec les Princes
du pays ou de toute autre Nation . “
༣ཝ་
7. L'exercice de la religion Catholique Apofto
lique & Romaine , fera permis fans moleftation .
L'on maintiendra les Eccléfiaftiques & les Miffionnaires
dans la jouiffance des priviléges attachés à
leur caractère ; il ne leur fera fait aucun tort dans
leurs poffeffions , leurs biens , leurs terres ou leurs
bâtimens.
Réponse. Accordé , pourvu qu'ils ne cherchent
point à faire des profelytes parmi les fujets de
S. M. Britannique ou parmi les Nationaux au fer- "
vice de la Compagnie , & qu'ils fe conduifent avec
décence & foumiflion aux Ordonnances du Gouver
nement Britannique. 2
8°. Du moment que l'on aura pris poffeffion de
la place , on accordera les fauvegardes par- tout
où elles feront requifes , & l'on prendra toutes les
précautions d'ufage pour veiller au bon ordre.
Réponse. Accordé.
9. N'ayant aucune connoiffance d'une déclara
tion de guerre entre les deux Nations , nous faifons
ici les proteftations & réclamations d'ufage.
Signé , PICOT.
Réponse. Accordé,
10. Nonobftant tout ce qui eft contenu dans
les articles précédens , le Commandant Anglois à
Mahé aura la liberté de loger les Officiers & Sol-n
dats de la manière & dans tel lieu qu'il jugera
bien être. Il lui fera libre auffi d'emprisonner ou
punir quiconque contreviendra au bon ordre & à la
( 20 )
pourroit faire tort aux intérêts de la Compagnie
des Indes. Quant au refte , accordé.
3. L'on pourvoira à l'entretien des troupes de
la garnifon d'une manière convenable , ainfi qu'à
leur paffage en Europe , le tout aux dépens de S.
M. B.; la même chofe fera accordée à toutes perfonnes
employées dans d'adminiftration civile &
militaire , ainfi qu'à toutes celles qui font attachées
au fervice du Roi dans Mahé.
Réponse . Accordé aux dépens de la Compagnie
Angloife des Indes.
4. L'artillerie , les armes , les munitions & autres
effets appartenant au Roi , feront délivrés de
bonne foi . On en fera deux inventaires , un pour
chaque Commandant.
,
Réponse. Il faudra trois inventaires , un pour le
Colonel Braithwaite , un pour les Commiffaires
qui feront nommés par ledit Colonel pour rece
voir lesdites munitions & un pour M. Picot ;
celui du Colonel fera contre figné par M. Picot ,
celui du Commifaire Anglois par le Commiffaire
François , & celui qui demeurera entre les mains
de M. Picot fera contre-figné par le Colonel Braith,
waite , dès l'inftant qu'il aura reçu les effets y
fpécifiés.
5. Les fortifications , les édifices civils & militaires
& tous autres bâtimens royaux & publics
feront confervés dans leur état actuel .
Réponse. Ils feront à la difcrétion de la Compagnie
.
6. Les habitans , foit Européens , foit Nationaux
ou autres , conferveront la propriété entière
de leurs biens , actions , marchandiſes , vaiſſeaux
mobiliers , &c. enfin la poffellion de tout ce qui
n'eft point de nature à être perdu . Les archives
publiques appartenant aux habitans , ainfi que celles
, da tribunal de Justice , du . Greffe , du Nota-2
21 )
riat & de Paroiffe , feront confervées & refpectées.
$1.0
Réponse . Accordé excepté en ce qui regarde
les armes & munitions , qui doivent être remiſes
au Commandant Anglois , quand même elles appartiendroient
en propre à des particuliers ; ce qui
doit s'entendre auffi de tous les papiers du Gouvernement
& de correfpondance avec les Princes
du pays ou de toute autre Nation .
7°. L'exercice de la religion Catholique Apoftolique
& Romaine , fera permis fans moleftation.
L'on maintiendra les Eccléfiaftiques & les Miffionnaires
dans la jouiffance des priviléges attachés à
leur caractère , il ne leur fera fait aucun tort dans
leurs poffeffions , leurs biens , leurs terres ou leurs
bâtimens.
Réponse. Accordé , pourvu qu'ils ne cherchent
point à faire des profelytes parmi les fujets de
S. M. Britannique ou parmi les Nationaux au fer- "
vice de la Compagnie , & qu'ils le conduifent avec
décence & foumiflion aux Ordonnances du Gouvernement
Britannique.
8°. Du moment que l'on aura pris poffeffion de
la place , on accordera les fauvegardes par - tout
où elles feront requifes , & l'on prendra toutes les
précautions d'ufage pour veiller au bon ordre.
Réponse. Accordé.
9. N'ayant aucune connoiffance d'une déclara
tion de guerre entre les deux Nations , nous fai
fons ici les proteftations & réclamations d'uſage .
Signé , PICOT.
Réponse. Accordé,
10 % Nonobftant tout ce qui eft contenu dans
les articles précédens , le Commandant Anglois à
Mahé aura la liberté de loger les Officiers & Soldats
de la manière & dans tel lieu qu'il jugera
bien être. Il lui fera libre auffi d'emprisonner out
punir quiconque contreviendra au bon ordre & à la
( 22 )
difcipline. Et à dater du jour de la reddition du
Fort Mahé , &c . il ne fera permis à aucun militaire
au fervice de France , de demeurer à Mahé fans la
Fermiffion du Commandant Anglois , qui l'accordera
volontiers à ceux qui fe comporteront comme ils
doivent le faire. Signé BRAITHWAITE .
Tous les établiflemens des François dépendans
de Mahé , fur la côte de Malabar
ont fuivi le fort de cette place . Cet évènement
ne confole qu'en partie la Compagnie de
l'expédition malheureufe qu'elle a faite
prefque dans le mêine tems , pour conduire
Ragaboy à Poonah , & forcer les Marattes à
le reconnoître en qualité de Nabab d'un des
diſtricts de leur pays. Un Officier qui étoit
de cette expédition en parle ainfi.
"Nous partîmes de Bombay le 25 Novembre dernier
, avec 10000 hommes ; nous chafsâmes devant
nous l'ennemi , qui dans fa retraite brûloit
tout ce qui fe trouvoit fur fon chemin ; & nous
arrivâmes à 15 milles de Poonah , fans avoir
effuyé de perte confidérable , quoique les marattes
fuffent forts de 50 mille hommes. Nous ne tardâmes
pas à reconnoître que Ragaboy nous avoit
trompé , en nous affurant qu'il avoit beaucoup
d'amis qui nous joindroient auffi- tôt que nous aurions
mis le pied dans le pays ; il n'en avoit aucun
; il y étoit généralement méprilé . Nous nous
déterminâmes à la retraite ; mais nous étions G
embarraffés de bagages & de charriots , qu'il nous
fur impoffible d'avancer beaucoup ; l'ennemi fe
trouva fur notre chemin
& nous força de faire
halte pendant un jour entier , expofés au feu de
fon artillerie ; nous nous trouvâmes dans une fituation
fi trifte qu'il fallut nous déterminer à
capituler , fans efpoir d'obtenir des conditions favorables.
La plus humiliante eft celle par laquelle
>
( 23 )
le Comité qui accompagnoit l'expédition pour
mettre tout en ordre dans les départemens civils
& militaires , s'eft obligé à reftituer aux marattes ,
dès qu'il feroit de retour à Bombay , tout ce que
nos Troupes ont enlevé en quelque tems que ce
puiffe être. Nous avons donné des ôtages pour
garant d'un engagement dont l'exécution eft peutêtre
impoffible. De 10,000 hommes que nous
avions en partant , nous en avons perdu 4000
dans une route de plus de 900 milles ; & on croit
qu'outre les hommes , notre voyage coûte 100,000
liv. fterl. à la Compagnie «.
, L'Amiral Hardy qu'on difoit devoir
remettre à la voile le 14 de ce mois , eft
encore dans la rade de Spithéad ; pendant
que nos papiers s'amufent à publier qu'il a
forcé fes ennemis fupérieurs à le fuir , fa
rentrée dans la Manche prouve qu'il n'a rien
négligé lui-même pour les éviter ; on ne peut
fe difpenfer de le renvoyer en mer pour
contenter la Nation ; & fans doute il profitera
de l'éloignement des François , qu'on croit
rentrés dans leurs ports ; mais on ne fait
point encore , fi les Eſpagnols ſe font retirés
dans les leurs ou dans ceux de leurs Alliés ;
ce feroit un coup de fortune pour nous s'ils
avoient pris le premier parti ; cela nous
empêcheroit de craindre avant l'année prochaine
les forces réunies de nos ennemis , &
nous aurions le tems d'augmenter les nôtres.
S'il faut en croire les états qu'on ne ceffe de pupublier
, l'Amiral Hardy a maintenant 42 vaiſſeaux
de ligne ; favoir , Victory , Britannia , Royal-
George , de 100 canons chacun ; Prince George
London , Queen , Formidable , Duke , de 98 ;
( 24 )
-Namur , Union , Blenheim , de 90 ; Princeſſe
Amélie , de 84 ; Foudroyant , de 80 ; Berwick
, Marlborough , Thunderer , Bedfort , Centaur
, Courageux , Culloden , Invincible , Monarch
, Ramillies , Réfolution , Shrewbury
Terrible , Valiant , Alexander , Alfred , Egremont
, Cumberland , Triomphe , Canada , Défenfe
, Arrogant , de 74 ; America , Intrepide ,
Bienfaifant , Prudent , S. Albans de 64 3 "
Buffalo , de 60. On ne compte pas les vailleaux
de so canons & au- deffous , qu'il a encore.
On prétend qu'il y en a encore 12 dans
différens ports où on les équipe en toute
diligence , & dont 3 font de 90 canons ,
un de 84 , huit de 74 ; on ne croit pas
que Sir Hardy forte à moins que la plûpart
ne l'aient rejoint ; en attendant on dit qu'on
va en détacher quelques - uns fous les Ordres
de Sir John - Lockhart- Roff , qu'on
croit chargé d'aller raffurer l'Irlande contre
les terreurs que lui infpire le fameux Paul-
Jones , auquel on prétend qu'on a fait paffer
de Breft un renfort de quelques vaiffeaux
de 74 canons pour le mettre en
état de tenter une defcente ou de s'emparer
de quelques- uns des 8 vaiffeaux de la
Compagnie des Indes , qui font dans la
Shannat.
>
En continuant les préparatifs pour défendre
nos côtes menacées , mais que l'approche
de l'équinoxe laiſſe reſpirer , on s'oc
cupe , dit- on , de projets de porter la guerre
chez nos ennemis , & de leur rendre , s'il eft
poffible, les allarmes qu'ils nous ont caufées.
» Songeons
( 25 )
» Songeons à nous défendre , dit à ce fujet un
de nos papiers ; il me femble que cet objet eſt
affez preffant pour mériter toute notre attention.
Au lieu de parler de partager nos forces pour occafionner
quelque diverfion , réuniffons - les ; gardons-
nous de nous laiffer aveugler par une fotte
préfomption. Si nous ouvrons l'hiftoire de la nation
, on n'y trouvera pas qu'un Anglois bat toujours
trois François , comme nous le difons quelquefois.
On remarque au contraire que lorfque nous les
avons battus , eux , ou les Efpagnols , nous avons
toujours été fupérieurs en nombre ; mais en fuppofant
qu'à égalité nous aurions l'avantage ,
cette fuppofition ne peut avoir lieu aujourd'hui , &
leur fupériorité eft fi décidée , que le défefpoir feul
peut nous forcer à rifquer un combat ; car enfin fi
nous fommes battus , tout eft dit , plus de naviga
tion , plus de commerce , & l'invaſion eft certaine !
La victoire feule , & la victoire la plus complette ,
peut nous fauver ; or, comment fe flatter d'obtenir
cette victoire ? Il n'y a qu'à jetter les yeux fur le tableau
des flottes tandis que les vaiffeaux de nos divifions
attaqueroient chacun un vaiffeau des leurs , ne
voit- on pas, qu'une autre divifion , à laquelle on n'a
rien à oppofer , maitreffe de fes manoeuvres , feroit
de deux chofes l'une , ou peut-être l'une & l'autre ,
en paffant au vent de l'ennemi , dans le cas où il
nous arriveroit quelque défaftre , elle empêcheroit
que
nos vaiffeaux maltraités & défemparés ne puffent
échapper ; ou bien , formant une réferve à l'arrière
de chacune des divifions qui formeroient la ligue
ennemie , elle pourroit y fubftituer des vaiffeaux
frais à ceux qui feroient défemparés de leur côté . Il
n'eft ni bravoure , ni habileté , ni expérience , ni
ardeur nationale qui puiffent compenfer une fupériorité
de 23 vaille aux qui peuvent fe porter partout
, & changer en défaite une victoire naiffante.
En 1690 le Lord Torrington fut défait devant
2 Octobre 1779 . b
( 26 )
Beachey, précisément par cette manoeuvre dont je
peins le danger ; la flotte Françoife aux ordres de
Tourville étoit à peu près de 60 vailleaux , la flotte
combinée d'Angleterre & de Hollande , de 46 : une
divifion de 11 vaiffeaux de la flotte de Tourville
gagna le vent : lorfque la flotte combinée commença
fa retraite la divifion Hollandoife qui avoit le plus
fouffert , trouva l'ennemi à fon vent ; la conféquence
fut la deftruction de 6 vaiffeaux de cette divifion qui
eurent bien de la peine à débarquer leurs équipages
fur la côte de Suſſex : les brûlots de l'ennemi en détruifirent
3 , les Hollandois eux- même mirent le feu
aux autres : c'eft ce qui arrivera toujours lorſque
la fupériorité fera dans la proportion de 3 à 2. Deux
ans après il arriva un accident à peu-près pareil à ce
même Tourville ; la flotte combinée d'Angleterre &
de Hollande aux ordres de Ruffel paſſoit 70 vaiſſeaux
de ligne ; Tourville n'en avoit que 52 , mais quoique
Carter ni Delaval n'euffent pas le bonheur de
gagner le vent de l'ennemi , la fupériorité accablante
de la flotte combinée , pouffant vivement la flotte
Françoife au fud-oueft , cette dernière ſe trouva affalée
fur la côte , où l'Amiral , & l'Officier qui commandoit
en fecond échouèrent : 14 autres vaiffeaux
furent obligés de fe faire touer fous le cap la Hogue
à l'effet de gagner Cherbourg , où le lendemain matin
Sir George Rooke les détruifit . Je pourrois citer
d'autres exemples du même genre; ils font nombreux
; Dieu veuille que nous n'en ajoutions pas un
plus terrible encore à leur long catalogue « .
Malgré les affurances des papiers minifftériaux
, & l'on peut ajouter le voru général
, on ne fe flatte pas que l'équinoxe mette
fin aux opérations navales de cette année .
on fe rappelle que dans la dernière guerre
nos flottes ont fait encore plus tard qu'à préfent
leurs expéditions fur les côtes de Fran(
27 )
ce. Ce fut en Novembre qu'eut lieu le Combat
entre le Lord Hawke & M. de Conflans.
Il n'y a pas long - tems que les François
& les Espagnols fe font réunis ; il n'y
a pas un mois qu'ils ont paru dans nos eaux ,
& il y a 12 jours qu'ils étoient encore à la
vue de Portland ; ils n'ont effuyé aucun
échec propre à rallentir leur chaleur , &
à changer leurs projets d'invafion , & on ne
peut fe déguifer leur fupériorité. Le feul
moyen de prévenir les dangers que nous
avons à craindre , eft de gagner du tems ;
tout eft perdu fi l'ardeur de combattre vient
à s'emparer de l'efprit de l'Amiral Hardy
au point de le faire fortir du fyftême prudent
de retraite qui nous a fi bien fervi
jufqu'à préfent , & auquel la Nation ne
rend pas affez de juftice . S'il conferve le
plan de Campagne qu'il a adopté juſqu'à
préfent , & qu'il puiffe la terminer comme
il l'a commencée , les projets de nos ennemis
feront remis à l'année prochaine ; nous
auronsl'hiver devant nous ; & fi nous avons
ce bonheur , on peut eftimer cet avantage
autant qu'une victoire .
Le Parlement qui devoit s'affembler hier ,
a été prorogé au 7 du mois prochain ; on ne
croit pas qu'il l'ait été pour la dernière fois ;
on s'attend , fi l'ennemi réparoît fur ces mers,
à voir retarder encore cette Affemblée , qui
en effet feroit embarraffante pour le miniftère
dans un moment où l'ennemi renou
velleroit les alarmes qu'il a déjà caufées.
b 2
( 28 )
"
FRANCE,
De VERSAILLES , le 8 Septembre.
T
LE Comte de Montézan
nommé par
le Roi fon Miniftre Plénipotentiaire près
P'Electeur Palatin , eut l'honneur d'être préfenté
à S. M. le 16 de ce mois par le Minif
tre des affaires étrangères & de lui faire fes
remercimens. Le Comte d'Adhémar , Miniftre
Plénipotentiaire du Roi à Bruxelles , eut
P'honneur de lui être préfenté , le 20 , par le
même Miniftre.
* MM. Martinet Ingénieur & Graveur du
Cabinet du Roi , & Bequillet , Avocat &
Membre de plufieurs Académies , eurent
l'honneur de préfenter , le rs , au Roi & à la
Famille Royale, le premier volume de l'Hiftoire
de Paris & de la France , précédée de
la defcription de Paris & de fes plus beaux
Monumens , gravés en taille-douce.
L'Abbé le Coufturier , Maître des Requêtes
de Monſeigneur le Comte d'Artois , eut
auffi l'honneur de préſenter à LL. MM. & à
la famille Royale l'Eloge defeu Monfeigneur
le Dauphin , Ouvrage propofé par une fo
ciété de gens de lettres .
De PARIS , le 28.Septembre.
Les lettres de Breft portent qu'on yfait tous
les préparatifs néceffaires pour que la flotte
combinée reprenne la mer le plutôt poffi(
29 )
ble ; les ordres du Roi font très - pofitifs ; on
embarque en conféquence les proviſions dont
on a befoin ; on donne aux vaiffeaux les réparations
que quelques - uns exigent , & qui
ne font pas de nature à demander beaucoup
de tems ; les malades qui étoient en grand
nombre , ce qui ne doit pas étonner après
une campagne auffi longue , ont été débarqués ,
& plufieurs , après être defcendus à terre ,
fe font trouvés foulagés ; c'étoit le principal
remède dont avoient principalement befoin
les troupes de terre , pour faciliter à tous
l'efpace & les fecours néceffaires , on en
a envoyé plufieurs à l'Orient fur les vaiffeaux
Intrépide & le Palmier.
,
» On ne renonce point , à ce qu'il paroît
écrit- on de Saint-Malo au projet de defcente :
on croit ici qu'il n'eft que retardé , & que la
nouvelle fortie de la flotte en amenera l'exécution
. On ne contre- mande du moins aucun des
préparatifs qui y ont rapport ; les vailleaux qui
auroient pu fouffrir en rade fe font avancés dans
le port ; on ne touche point aux provifions embarquées
; on change feulement celles qui feroient
fufceptibles de fe détériorer. On a étendu un peu
les quartiers des troupes qui s'étoient rapprochées
de notre port , & l'on n'a pas eu d'autre motif
que de prévenir les maladies dont elles auroient
pu être attaquées , fi elles avoient continué d'être
raffemblées en grand nombre dans les mêmes
lieux ; mais elles ne s'éloignent pas affez pour
faire croire qu'elles ne doivent pas retourner ici.
Il faudra peu de tems pour les avoir toutes à
portée de s'embarquer au premier ordre. Il y a
quelque tems qu'on avoit préparé un équipage de
fiége à Breft ; on le dit compofé de vingt pièces
b3
( 30 )
de 24 & de 16 livres , & de plufieurs mortiers ;
on dit aujourd'hui qu'on fe difpofe à l'embarquer.
On ne parle point de fa deftination : quelques perfonnes
croient qu'il fera attaché à l'armée navale
, qui s'en fervira pour attaquer quelque
port cc.
**
On a vu , dans les relations publiées de
la prife de la Grenade , la part qu'a eu , à
cette expédition , M. le Vicomte de Noailles ;
M. le Comte d'Estaing s'eft empreffé d'en
inftruire M. le Maréchal de Mouchy par la
lettre fuivante , en date du 12 Juillet , à bord
du Languedoc , en radé du Fort St-George.
"
Monfeigneur , la première fois que M. le
Comte de Noailles a tiré dans le Parc de Verfailles
, il vous a fûrement envoyé de fon gibier :
auffi le Lord Macartney , beau-fils du Lord Bute ,
va-t-il à Bordeaux porter fon épée aux pieds de
Madame la Maréchale . Votre nom , Monfeigneur ,
nous a fervi de ralliement le jour de l'aflaut. II
nous a porté autant de bonheur que l'exemple
de M. le Vicomte de Noailles a été utile. Sa
fcience dans la Tactique s'étoit déployée la veille
dans de grands mouvemens faits toutefois avec
un petit corps de troupes ; enfin il opère en Lieutenant-
Général , & je ne fuis que fon ancien. Je
tâcherai de l'occuper beaucoup & de l'arrêter fouvent.
Il me paroît affez content de moi , quoiqu'on
me dife qu'il fait une longue relation dont
il ne me parle pas trop ; il n'y a pas tant de mal
à cela qu'à te faire percer les habits par les balles
des Anglois , & qu'à fe trouver un peu en dépit
de moi , à un combat naval où il n'avoit que
faire. Je vous le conferverai , je vous l'enverrai
je l'eftime , je le chéris , & les bontés que vous
avez toujours eu pour moi lui donnent des droits
refpectables & facrés fur tout ce qui eft en moa
pouvoir. Je fuis , &c « . & c «.
( 31 )
A cette lettre en étoit jointe une autre pour
Madame la Maréchale ; nous nous empreffons
de la tranfcrire auffi ; nous ne doutons
point de l'empreffement de nos lecteurs pour
tout ce qui vient de ce Général.
:
-
» Madame , il fe porte auffi bien qu'il fe conduit.
Il s'eft déjà battu contre les Anglois fur
terre & fur mer. Il a eu deux balles dans fes
habits un affaut & un combat naval font un
petit délaffement dont il a joui en quatre jours
de tems. Les troupes de fa divifion le chériffent,
Oui , Madame la Maréchale , de fa divifion ; car
il en commandoit une. Elle n'eft pas à la vérité de
vingt mille hommes , mais elle eft brave , bien
conduite & victorieufe . Je démande pour mon
Confrère le Lieutenant Général , la Croix de
Saint-Louis , & le grade , de Brigadier pour le
moment où je lui ferai mettre pied à terre en Europe.
Je vous prie de folliciter pour moi ceite
grace ; je vous protefte qu'elle est déja méritée.
Je ne vous réponds pas de ne me point brouiller
avec M. votre fils , je fuis de ma nature un peu
pédagogue , & fon ardeur eft par fois exceffive ;
par exemple , il n'avoit que faire au combat naval.
Accoutumé depuis que je fuis né à vous devoir
de la reconnoiffance , croyez , je vous en conjure
, que je me regarde comme le gouverneur
caché du plus eftimable & du plus charmant des
fujets ; je ferai mon office incognito ; mais je n'en
ferai pas moins un furveillant exact & par fois impatientant.
Je fuis , &c. «.
Madame la Maréchale de Mouchy étoit en
Guyenne lorfqu'elle reçut ces nouvelles
agréables ; on vient d'apprendre que , voulant
paffer d'un bateau fur un autre , elle
b 4
( 32 )
a eu le malheur de tomber & de fe caffer un
bras. Elle fe fait tranfporter à Paris. Il femble
que la fortune jaloufe ait voulu mêler un
peu d'amertume à la joie qu'elle venoit d'é
prouver.
Le Te Deum a été chanté dans toutes les
Eglifes du Diocèſe de Paris à l'occaſion de la
conquête de la Grenade & du combat naval ;
il y a eu des illuminations au Château de
Verfailles & dans toute la Ville , comme
dans la Capitale. Le village de Paffy près de
Paris s'eft fur- tout diftingué. M. le Comte
d'Estaing y a une maifon qu'il habitoit prefque
toujours . Son principal Secrétaire y a
raffemblé les amis de ce brave Général , &
leur a donné une fête brillante , bien entendue
& fort gare.
Nous ne devons pas oublier ici l'enthoufiafme
avec lequel le public faifit le 20 & le
25 de ce mois , à la Comédie Françoife où
l'on repréſentoit Bayard , ces 4 vers du Chevalier
fans peur :
Ecoute , ô mon élève , eſpoir de ta Patrie ,
D'Estaing , coeur tout de flamme à qui le fang me lie ;
Toi , né pour être un jour , par tes hardis exploits ,
Ainfi que ton ayeul , bouclier de ton Roi.
Le Corfaire le Prince Noir , écrit- on de Breft ,
a été obligé de relâcher ici pour remplacer fon
mât de beaupré qui a été coupé en combattant,
Dans l'efpace de 3 mois & 11 jours , ce corfaire ,
armé de 16 canons & commandé par M. Marchand ,
a fait 27 prifes , dont 12 fe font rachetées à prix
d'argent.".
On débite , ajoutent les mêmes lettres , que le
Capitaine du corfaire de Guernefey qui a été pris
( 33 )
チーpar nos deux chaloupes , étoit un François expatrié
pour des raifons capitales. On a dit qu'il vouloit
fe faire fauter , & qu'un Garde - Marine Espagnol
lui avoit tiré un coup de piftolet pour l'en empêcher
; on dit aujourd'hui qu'il s'eft précipité dans
la mer , en voyant qu'il alloit être ramené dans
La patrie .
On mande de Bordeaux que les nouvelles
qu'on y a reçues des Colonies , annoncent
Pheureuſe arrivée de 20 navires de cette
feule Ville à la Martinique , & celle de plufieurs
autres à la Havanne . Ils ont fait baiffer
dans nos Ifles le prix de toutes les denrées.
» Le 7 de ce mois , écrit-on de Toulon ,
le vaiffeau le Hardi eft allé en rade , & l'on
compte que toute l'efcadre de M. de Sade
fera en état de mettre à la voile le 20 ou
22 de ce mois. On croit qu'elle fe joindra
à 6 vaiffeaux Eſpagnols & à 4 frégates de la
même Nation fous le commandement de
D. Juan de Langara ; & que ces deux efcadres
réunies feront quelque expédition
importante dans la Méditerranée ; il y a longtems
qu'aux termes des anciens traités Mahon
eft dû à l'Espagne ; & il fe pourroit bien
que le tems de la reftitution fût arrivé pour
l'Angleterre. Le commerce de la Méditerranée
eft continuellement troublé par les
corfaires de cette Ifle ; & cet inconvénient
qu'il ne fut jamais plus aifé de prévenir
qu'aujourd'hui , rend très - vraisemblable le
bruit qui court de la prochaine attaque de
cette place. Il a été déjà queſtion de prépabs
( 34 )
ratifs de fiége dans nos cantons ; aujourd'hui
une lettre datée de Collioure en Rouffillon ,
porte qu'on attend dans ce port un convoi
d'artillerie avec 13,000 boulets de 24 &
de 16. La même lettre ajoute que cette artillerie
n'eft pas deftinée pour Collioure ".
,
Le camp de St- Omer , commandé par le
Comte de Chabo fera compofé , dit- on , de
cavalerie & de dragons. Chaque eſcadron
de 125 hommes fera commandé par un Capitaine
en premier , un Capitaine en fecond ,
2 Lieutenants , 2 fous - Lieutenants & un
Capitaine furnuméraire en cas d'évènement ;
il y a un Etat - Major & point d'Etendart.
Le traitement par mois eft fixé , favoir au
Lieutenant- Colonel 500 liv. , au Major 400,
au Capitaine , Lieutenant & Sous - Lieutenant
300 , & un feul cheval par chaque Officier.
Les Officiers à la fuite & les Aides de
Camp n'ont aucun traitement. Les tentes
gamelles , piquets , &c. font fournis aux
régimens & retenus fur la maffe ; le règlement
de campagne eft fuivi à la lettre . Le bruit
général eft que ces troupes marcheront fur
les pas de celles qui auront d'abord débarqué.
On mande d'Amiens , que la Chambre du
Commerce de ville a reçu la lettre ſuivante
de M. Necker , en date du 20 Août dernier.
» Vous avez vu , Meffieurs , par l'Arrêt du Confeil
du 3 Juillet dernier , que S. M. avoit bien
voulu provifoirement & jufqu'à nouvel ordre , fufpendre
la perception du droit de 15 pour 100 fur
tous les bâtimens de la Province de Hollande. Cette
grace vient d'être reftreinte aux feules villes d'Amf(
35)
terdam , de Harlem , de Dort , de Rotterdam &
de Schiedam. En conféquence les Commiffaires &
Agens de la Marine , ont reçu ordre de ne délivrer
les certificats prefcrits par l'Arrêt dont il s'agit ,
qu'aux bâtimens des villes ci -deffus Vous voudrez
bien donner connoiffance de cette nouvelle
difpofition au Commerce , afin qu'il dirige fes opérations
en conformité «.
Une lettre de Limoges contient les détails
fuivans :
» Le tonnerre tomba , le 2 de ce mois , fur le
clocher de l'Eglife Collégiale de Saint Junien ; il en
a enlevé les tuiles , dont la chûte a endommagé les
maifons voisines ; il a fondu l'anneau auquel étoit
attaché le marteau du timbre de l'horloge ; un jeune
homme qui fonnoit , fuivant l'ancienne & dangereufe
coutume de la plupart des Villes & Villages de cette
Province , en a été frappé à mort ; la foudre traver.
fant le tambour de l'horloge , le choeur & la nef de
l'Eglife , & s'échappant par une fenêtre , dont elle
a fait tomber quelques vitres , eft allé frapper un
homme qui , après avoir long- temps fonné , le repofoit
devant la porte d'entrée ; le Sacriftain & fon valet
, alors fous le clocher , ont été renversés , & le
premier eft mort , après 33 heures des mêmes fecours
qui ont confervé la vie au fecond ; elle a toutà-
coup paru s'abîmer dans un trou d'environ un pied
de profondeur fur huit pouces de diamètre , qu'elle
a forméà côté de la fontaine publique , dont le cours
a été arrêté pendant 24 heures , & eft encore trèsdiminué
depuis ce moment.
Une Louve bleffa vers la fin de Juin un
homme & femmes à St-Sorlin en Saintonge
prèsTaillebourg. Elle fut tuée peu de tems
après. Les remèdes faits aux bleffés ont été
les mêmes ; mais on n'en a fauvé que 6. Une
des femmes & l'homme font morts un mois
b 6
บ
( 36 )
l'un après l'autre avec des fymptômes de
rage. Plufieurs évènemens pareils font défirer
qu'on trouve enfin quelque remède
efficace contre cette cruelle maladie. En attendant
nous nous emprefferons d'indiquer
ici une brochure imprimée en 1776 au
Mans , chez M. Monnoyer , Imprimeur du
Roi fous ce titre : Grands remèdes contre la
Rage , l'Epilepfie , les Vertiges , & c. L'Au.
teur, M. Zoyant , Curé de Notre- Dame de la
Quinte , Diocèfe du Mans , y annonce un
remède que depuis 50 ans il employoit avec
fuccès contre la rage , & avec lequel il a
guéri ou préſervé plus de 900 perfonnes de
cette maladie.
On connoît la nouvelle machine pour élever à
peu de frais l'eau des rivières fans gêner la navigation
, inventée par M. Cordelle ; le fuccès de
celle qu'il a fait exécuter fur la Seine à Epinay
au-deffous de St-Denis , & l'approbation qu'a donné
à cette invention l'Académie Royale Sciences.
L'Auteur a lu depuis à l'Académie un Mémoire
où il donne les moyens d'élever à telle hauteur ,
& en telle quantité qu'on voudra , l'eau puiſée au
courant des rivières qui paffent dans les Villes
ou à leur proximité ; Paris eft plus à portée.
qu'aucune autre de jouir à peu de frais de l'avantage
de cette invention , qu'il fe propoſe de rendre
publique après la rentrée de l'Académie. Ces
moyens ingénieux méritent la plus grande attention ,
puifqu'on peut augmenter facilement ces machi
nes & les placer de manière à avoir toujours l'eau
la plus pure & dans la plus grande quantité.
Le Quercy & le Rouergue , nous écrit-on de
Ville-Franche , qui étoient jufqu'ici deux Provinces
inconnues , vont fixer pendant quelque tems l'at
( 37 )
:
tention publique , & fortir de leur léthargic par
la faveur que le Roi leur a accordée en y établiffant
une Adminiſtration Provinciale. M. l'Evêque
de Rodez qui en eft le Préfident , eft arrivé ici
au milieu des acclamations publiques ; il a vu par
tout l'expreffion de la joie & de la reconnoiffance.
Notre Ville a délibéré par acclamation , de fournir
gratuitement aux Députés de l'Ailemblée , les
logemens néceffaires . Plufieurs Particuliers ont of
fert de fe retirer à la campagne , & de donner
Jeurs Maifons en entier. Ce facrifice n'a pas été
néceffaire les Députés fe trouvant bien logés fans
déplacer perfonne , & fe louent unanimement du
zèle & des foins de nos concitoyens . Ce qui a le
plus frappé M. l'Evêque de Rodez , & les autres
Prélats & Seigneurs qui font Membres de l'Adminiftration
, c'eft que l'entoufiafme qu'elle a excité ,
ne porte point fur des opinions populaires & chimériques.
On ne s'attend point à une diminution
d'impôts on compte feulement fur une égalité plus
fenfible dans la répartition , & fur un emploi plus
avantageux des fonds confacrés au bien de la Province.
Cette partie du Peuple que la mifère accou
tume à fe plaindre fans ceffe , paroit fentir comme
les Citoyens les plus éclairés , la fageffe fupérieure
du Gouvernement , qui étonne moins l'Europe par
la réunion & la grandeur de fes forces , que par
l'économie qui fournit à tant de dépenfes , fans le
fecours de nouveaux impôts. Il femble , M. , que
l'efprit de difcuffion defcende jufques au Peuple ,
il raifonne fa , reconnoiffance pour le Souverain ,
& l'exprime avec beaucoup de chaleur . L'efprit de
patriotisme que nous avons fi long-tems envié à
nos rivaux , commence ici dès ce moment , & nous
promet les fuites les plus heureufes «< .
>> Tout annonce dans les Députés le plus grand
zèle pour concourir aux vues du Gouvernement ,
& feconder l'amour du bien public , que M. l'E(
38 )
vêque de Rodez n'a ceffé d'infpirer depuis que nous
avons le bonheur de le pofféder . Il feroit difficile
que la réunion de tant de vertus & de lumières ,
ne rempliffent pas l'objet que le Roi s'eft propofé.
Je crois devoir vous obferver comme une circonftance
intéreffante , que parmi les Députés ecclé .
fiaftiques du Diocèle de Rodez , le Public a vû
avec le plus grand plaifir , un Curé à portion
congrue connu depuis long - tems par le bien
qu'il a fait dans fa Paroiffe. J'ai l'honneur d'être
& c «.
,
Françoife d'Orbeffan , épouse de feu
Jofeph - André , Marquis d'Efpagne , Gouverneur
& Sénéchal pour le Roi de la
Vicomté de Neboufan , eft morte le 21
Août dernier au Château de Ramefort.
Jean Scipion de Berard , Baron d'Alais , &
Marquis de Montalet , eft mort dans fon
Château de Pethelier , le 29 du mois dernier
dans la 87e. année de fon âge.
?
Il paroît 4 Edits du Roi , le premier donné à
Marli au mois de Mai , & enregistré au Parlement
le 17 Août fuivant , concerne les Communautés
d'Arts & Métiers du reffort du Parlement de Nanci.
Le ze donné à Verfailles au mois de Juin , enregiftré
le 13 Août à la Chambre des Comptes
fupprime les Offices de Contrôleurs des Finances.
Le ze donné à Verfailles au mois de Juillet , &
enregistré le 21 Août à la Cour des Monnoies ,
porte rétabliſſement de l'Office de Général Provincial
Subfidiaire des Monnoies pour la ville de Lyon.
Le 4e donné également à Verfailles au mois d'Août ,
& enregistré le 28 à la même Cour , ordonne une
fabrication dans la monnoie de Paris d'une certaine
quantité d'efpèces de billon , qui ne pourra
avoir cours que dans les ifles de France & de
Bourbon , où elles feront reçues en toutes fortes
de paiemens à raiſon de 3 fols la pièce.
( 39 )
-
Des Lettres Patentes en date du 22 Août , &
enregistrées à la Cour des Monnoies le premier de
ce mois , ordonnent la fabrication de vingtièmes
d'écus . D'autres du premier Juillet , enregistrées
le 4 Septembre à la Chambre des Comptes , prorogent
en faveur des Vaffatix du Roi dans la Province
d'Auvergne jufqu'au premier Juillet 1780 ,
les délais accordés aux Vallaux pour rendre les
foi & hommages dûs à caufe de fon heureux avènement
à la Couronne.
Un Arrêt du Confeil d'Etat du Roi & Lettres-
Patentes fur icelui en date du premier de ce mois
& enregistrées le 4 à la Cour des Monnoies , or
donnent aux Effayeurs & Jurés-Gardes- Orfévres ,
de fe pourvoir au dépôt établi par lesdites Lettres-
Patentes de tous les agens & fubftances néceffaires
l'opération des effais .
Il paroît auffi une Ordonnance en faveur des Maîtres
de Poftes aux chevaux , & de la Ferme des Meffageries
contre les entreprifes des loueurs de chevaux
.
לכ
Réglement du 6 Septembre , concernant les
Commiffionnaires au Mont de Piété . Par Arrêt du
10.Août dernier , il a été fait défenfes à toutes perfonnes
de faire la Commiffion ou le courtage au
Mont de Piété , & l'Adminiſtration du Mont de Piété
a été autorisée à faire tels réglemens qu'elle jugeit
convenables fur la police de ceux qui feroient
admis à faire le Courtage. Ce réglement a été préfenté
& homologué au Parlement le 6 du courant.
Il porte que nul ne fera la Commiffion qu'il n'y foit,
fpécialement autorifé par le Bureau d'Adminiſtration ,
& que les effets préſentés par ceux qui ne feroient pas
reçus feront retenus ; qu'il en fera dreffé procès-verbal
, fauf aux Propriétaires à fe pourvoir pour la
remife . Pour être admis , il faudra avoir 25 ans
favoir lire , écrire & avoir des certificats de Catholicité
, de probité & de bonnes vie & moeurs. Les
( 40 )
filles & femmes pourront être reçues en apportant
par ces dernières , une autorisation de leurs maris . Le
nombre des Commiffionnaires fera fixé à vingt pour
Paris , quatre pour Verfailles , trois pour St- Germainen-
Laye , & deux pour chacune des Villes de Fontainebleau
, Compiegne & St Denis ; fauf augmentation
ou établiſſement en d'autres Villes ; de Bureaux
particuliers , fous la dénomination de prêt auxiliaire
pour les emprunts de fommes depuis trois livres
jufqu'à cinquante . Les Commiffionnaires agréés s'annonceront
publiquement par l'infcription d'un tableau
mis au -deffus de la porte de leur domicile , portant
ces mots Commiſſionnaire au Mont de Piété. En
cas de fufpenfion ou d'interdiction d'un Commif
fionnaire, le Public en fera prévenu par des affiches
qui feront mifes dans tous les Bureaux du Mont de
Piété. L'enregistrement des objets apportés aux Commiffionnaires
, fera fait fur le champ , & ils délivreront
auffi fur le champ un récépiffé. Il est libre
àtoutes perfonnes connues & domiciliées , ou affiftées
d'un répondant connu & domicilié , de venir emprunter
au Mont de Piété & à tous porteurs de re- -
connoiffance , de venir dégager les effets mentionnés
en icelles ; mais dans le cas où les uns & les autres
voudroient fe fervir de l'entremise d'un Commiſſionnaire
le Commiffionnaire ne pourra exiger pour les
peines & falaires au- delà de 6 d . pour 1. pour les
engagemens au- deffus de 100 liv.; 3 d. pour livre
pour ceux depuis 100 livres jufqu'à 300 liv. , & un
denier pour livre depuis 300 & au-deflus ; & quant
aux dégagemens ou recouvremens de boni , les Commiffionnaires
ne pourront prétendre que la moitié des
falaires ci -deffus exprimés. Il fera exigé un cautionnement
en argent de la fomme de 12,000 livres
de chaque Commiffionnaire. L'intérêt de cette fomme
fera payé fur le pied de cinq pour cent.
1
( 41 )
De BRUXELLES , le 28 Septembre.
SELON les lettres de Paris & de Londres ,
on s'attend également en France & en Angleterre
à recevoir des détails des opérations
ultérieures de M. le Comte d'Estaing. Les
premieres annonçoient qu'il étoit parti le 15
Juillet de la Grenade ; les fecondes l'ont préfenté
, en effet , le 20, devant St Chriftophe ,
où l'Amiral Byron étoit encore retenu le 3
Août par les réparations dont fa Alotte avoit be
foin.On raconte à l'occafion du combat naval
du 6 Juillet , un trait fingulier & plaifant qui
caractériſe la bravoure & la gaité Françoiſe .
M. de Bougainville faifoit & voyoit autour
de lui un feu épouvantable . Dans le moment
le plus chaud de l'action , il appella les Officiers
de fon vaifleau , & élevant la voix au
milieu de ce fracas , de cette multitude de
boulets rendus & reçus : » Meffieurs , leur
dit-il , vous voudrez bien obferver que nous
ne fommes point en guerre «.
On dit depuis quelques jours que l'Amiral
Arbuthnot , dont on a peu entendu parler
depuis fon départ , s'eft joint à l'Amira
Hugues ; & dans le cas où leurs forces fe
feroient réunies , on n'eft pas fans inquié
tude fur les entreprifes qu'ils peuvent tenter
dans l'Inde ; les Illes de France & de Bourbon
qu'ils paroiffent menacer font , dit - on , en
état de faire une défenſe vigoureufe , mais
quelques perfonnes craignent qu'elle ne foit
infuffifante devant des forces auffi fupérieures.
( 42 )
Selon les lettres d'Oftende , les Anglois
continuent leurs hoftilités contre le pavillon
de la République. Le navire le Zéphyr
venant des Indes Occidentales , entré le
11 de ce mois à Helvoet- Sluys , a rapporté
que dans fa traverfée il fut attaqué par un
corfaire Anglois de 26 canons , qui le força
d'amener , mais qui craignant les fuites de
cet acte d'hoftilité , le relâcha . On eft perfuadé
que cette infulte faite au pavillon
Hollandois , excitera les plaintes les plus
férieufes.
» On vient d'être informé , écrit - on d'Amfterdam
, que le 16 de ce mois on avoit entendu d'un
village fitué à l'extrémité des côtes de Hollande ,
une vive canonnade , & qu'on avoit pu appercevoir
du haut d'une tour de ce même endroit , que c'étoit
un combat entre un vaiffeau de guerre Anglois ,
ayant 2 bâtimens fous fon convoi , & 2 corfaires
François ; l'Anglois fut forcé de fe retirer ; on ne
le vit fuivre que par un des navires qu'il eſcortoit ,
& on n'a pu découvrir ce que l'autre étoit devenu .
Cette nouvelle a fourni matière à diverfes conjectures.
Les uns prétendent que c'eft fans doute le
même vaiffeau Anglois qu'on a débité en dernier
lieu , être entré démâté à Helvoet- Sluys, les autres
que ce pouvoit être une frégate de guerré qui avoit
été envoyée pour fervir d'escorte au paquebot fur
laquelle le font embarqués le Lord Spenfer & la Ducheffe
de Devonshire , que l'on fait s'être en effet
arrétés plufieurs jours dans ce port , en y attendant
l'arrivée de cette frégate «. cc.
Selon lettres de la Haye , le Vicomte de
Herreria envoyé de la Cour de Madrid , eut
une conférence , il y a quelques jours , avec
( 43 )
les Membres du Gouvernement , & leur
remit le manifefte détaillé , contenant les
griefs du Roi fon Maître contre la Grande-
Bretagne .
Comme les motifs qui ont armé la France & l'Ef
pagne , font les mêmes , le manifefte imprimé en
deux colonnes préfente fur l'une l'expofé de S. M.
T. C. , & fur l'autre les motifs particuliers de S. M. C.
Dans cette relation détaillée des torts & des infultes
que l'Efpagne a foufferts de la part de la nation
Angloife ; de la négociation fuivie à Londres, d'abord
par le Chevalier d'Efcarano , Secrétaire d'Ambaſſade,
& enfuite par le Marquis d'Almodovar on trouve
les mémoires préfentés d'un côté , les réponses données
de l'autre , en un mot tout l'enſemble de la longue
négociation entre les deux Cours depuis fon origine
jufqu'à fa ruptute. Il y a dans le parti que le Cabinet
de Madrid a pris de manifefter ainfi fa conduite
devant le Tribunal du public, quelque chofe de généreux
& de grand , qui montre la bonne foi de fa conduite
avec l'Angleterre , fon defir fincère d'obtenir par
des voies de douceur & de conciliation , la juftice qu'il
a été réduit à chercher par la voie des armes.
L'expofé de la France & celui de l'Espagne
imprimés enfemble , & liés intimement ne
devroient pas être féparés , parce que l'un n'of
fre que des notes ajoutées à l'autre : comme
nous avons donné le 1er. dans les Journaux
du 17 & du 24 Juillet dernier , nous y renvoyons
nos lecteurs , & nous détacherons
ici le fecond .
1. Il feroit trop long de rapporter tous les fujets
de plainte donnés à l'Espagne depuis l'époque du
Traité de Paris de 1763. Nous nous bornerons aux
plus graves & aux plus récens , pour qu'on ne dife
point que nous rappellons des griefs anciens & ou
( 44 )
bliés . Par l'article 16 des Préliminaires de ce Traité
l'Angleterre a reconnu que la Baye de Honduras appartenoit
au territoire d'Espagne , & elle s'eft obligée
à faire rafer toutes les fortifications que les fujets
auroient pû avoir conftruites . dans cette partie du
monde , quatre mois après la ratification du Traité:
la Cour d'Angleterre n'ayant fait d'autre réſerve que
celle- ci ; favoir , qu'on n'empêcheroit point les Anglois
, fur la côte de Campeche , de couper le bois
de teinture : qu'on n'inquieteroit point pour cela
leurs travailleurs , & qu'ainfi ils pourroient y avoir
les maifons & les magafins dont ils auroient befoin.
Jufqu'à préfent les Anglois n'ont exécuté aucune
de ces conditions. Ils ont pénétré de plus en plus
dans les anciens établiſſemens , foulevant les Indiens ,
& leur donnant des armes & d'autres fecours
fous la protection du Gouvernement Britannique.
Ils fe font encore permis de s'établir dans un grand
nombre d'autres ports , rivières , anfes & côtes du
territoire Efpagnol de la Baye de Honduras , où
ils n'ont pas même le prétexte de bois à couper
avec la feule intention d'y empiéter fur la Souverai
neté Elpagnole & d'y faire la contrebande la plas
étendue. Tels font les lieux appellés le Piche , Rio
tinto , Rio matina & divers autres où ils ont formé
& armé des Milices . Le Roi Britannique a même
donné à un certain Jacob Lourri , la commiffion de
Capitaine général de ces nouveaux établiffemens ,
Jaquelle a été lue d'une manière folemnelle à toute
la Colonie le 21 Septembre 1776 , les Troupes étant
raffemblées ; on y a lu pareillement d'autres com
miffions d'Officiers on Chefs de moindre grade.
Voilà ce que faifoient les Angiots & ce que l'Efpagne
a découvert , après que le Ministère Britannique
eut nié que ces établiffemens fe fiffent de fon confentement
& par fon autorité.
Les Colons Anglois ont ufé d'artifices & de rufes
pour débaucher celui qui fe nommoit Roi des In
( 45 )
diens Molquites , & celui qu'on appelle Capitaine ou
Général des autres Indiens dont les Chefs ont envoyé
des Commiffaires au Viceroi du Gouvernement Ef
pagnol , fe reconnoiffant Sujets de S. M. Ils leur
ont fourni des armes & toutes fortes de fecours pour
les empêcher de fe metere fous la protection de l'EL
pagne , à la fouveraineté de laquelle reffortiffent exclufivement
tous ces territoires . Quoique ce foit l'ufage
des Anglois de recevoir dans leurs Etabliffemens tous
les Etrangers de quelqu'état ou religion qu'ils puiffent
être , on en a toujours non-feulement refufé
l'entrée aux feuls Efpagnols ; mais dès qu'ils y paroiffent
, ils y font arrêtés & emprifonnés , ou on
les contraint d'en fortir.
Ce qui prouvre le deffein conftant de l'Angleterre
de s'approprier ces vaftes territoires , d'y fonder des
Etabliffemens , & d'y étendre de plus en plus l'énorme
contrebande que fes Sujets font déja dans l'intérieur
des Provinces Efpagnoles , il eſt à propos de
citer auffi un évènement de l'année 1775.
Le Docteur Irwin , Médecin célèbre par fes
voyages autour du Monde , étoit parti de la Tamife
même , emportant avec lui toutes fortes d'inftrumens
propres au labourage & aux métiers , & une infinité
d'autres chofes fournies par le Gouvernement , pour
faire , dans la Province de Hacha , un établiſſement
permanent auquel il devoit employer des familles
qu'il emmenoit avec lui , & d'autres qui devoient
les fuivre. Dans cette vue , il avoit nourri & élevé
dans fa maifon un fils d'un Roi Indien & deux des
principaux Indiens de ce canton. Le bâtiment du
Docteur fut pris par les Gardes - côtes Espagnoles ;
& le Gouvernement Britannique , au lieu de donner
Latisfaction pour cette infraction des Traités , fe
plaignit amèrement , en menaçant l'Espagne de la
guerre.
Au mois de Novembre 1778 , quelques Espagnols
voulurent s'établir fur la rivière de Saint- Juan à la
( 46)
Côte des Mofquites , où ils conftruifirent des maiſons.
Au moment qu'ils y étoient le moins fur leurs gardes ,
ils fe virent attaqués par un parti d'Anglois , foutenu
d'un parti d'Indiens qui bleffèrent le Capitaine du
bâtiment , firent prifonniers beaucoup des gens , &
commirent grand nombre d'autres violences. Cet
évènement fe paffoit , pendant que la négociation fe
fuivoit avec la plus grande activité de la part du Roi
d'Efpagne , pour obtenir une paix favorable à l'Angleterre.
Rien ne fait mieux voir combien la Cour
de Londres , fon Ministère & fes Sujets répondoient
peu à de fi bonnes intentions
, & combien il y a de
diftance
entre de pareils procédés
& la conduite
magnanime
& généreuse
de S. M.
Les Anglois ont fait la même chofe dans tous les
lieux où on les a foufferts. Sur la côte de Saint - Blaife
dans la Province de Darien , ils excitent à la révolte
les Indiens établis fur les frontières Efpagnoles ,
leur donnent des fecours , les décorent même de
commiffions & de marques de commandement
fous la protection Britannique ; c'eft fur ce pied
qu'un Chef Indien , nommé Bernard , y eft pourvu
d'une commiffion en forme donnée par le Gouverneur
de la Jamaïque , & qu'il porte un bâton de commandement
avec une infcription angloife qui le qualifie
Capitaine Général de cette côte . Cette découverte
s'eft faite auffi dans le commencement de l'année
préfente ; & le 8 Mars , il a été ordonné d'en porter
plainte au Ministère Anglois , qui a répondu en affectant
de l'ignorer , comme il a toujours fait .
Dans ces dernières années , les Anglois ont fait
diverfes tentatives pour foulever les Nations des Indiens
ou alliés amis de l'Eſpagne , qui habitent fur
les frontières de la Louifiane , en leur fourniffant des
armes , en les débauchant par des préfens , en leur
donnant des commiffions & des médailles angloiſes ,
enfin en les excitant ouvertement à s'unir avec les
( 47 )
Anglois armés , pour commettre des hoftilités contre
les Sujets de S. M. C.
Il a été porté en plufieurs occafions à la Cour de
Londres des plaintes de divers évènemens de cette
nature ; & , quoiqu'elle ait répondu en termes géné
raux , qu'elle prendroit les informations , & qu'elle
expédieroit les ordres convenables , ces plaintes
n'ont point produit les effets que l'Espagne devoit
attendre , d'après toutes les règles de la juſtice & de
la raison .
Au contraire, fous le prétexte de leur guerre avec
les Américains , les Anglois , fermant les yeux fur
l'exacte impartialité que la Colonie Efpagnole a obfervée
, ainfi que fur le bon accueil qu'ils y ont toujours
reçu , ont commis , tant par mer que par terre ,
les infultes les plus révoltantes , au point qu'une de
leurs frégates de guerre a ofé menacer la Ville même
de la nouvelle Orléans , capitale de la Colonie.
Dans les mois de Juin & de Juillet de l'année dernière
1778 , les Anglois ont foulevé les Chatcas , les
Cheroquis & les Chicachas , payant à chaque Indien
la valeur d'une peau de cerf par jour , & les excitant
à frapper avec la cruauté ordinaire à ces Nations
barbares , fur les établiffemens Efpagnols , pour les
détruire ; au mépris de la paix qui régnoit entre
l'Espagne & l'Angleterre , de la modération & de
l'impartialité que le Roi montroit par la conduite
pendant les divifions de cette Puiffance avec fes Colonies
& la France .
Pour cette entreprife , les Indiens devoient s'unir
avec un corps d'Anglois armés dans le diſtrict appellé
Natches . Mais ce projet inhumain n'eut pas
fon effet . Doux de ces Nations , touchées fans doute
de l'injuftice qu'elles alloient commettre , au mépris
de la bonne foi & des bons traitemens qu'elles recevoient
des Eſpagols , fe retirèrent avant l'exécution .
Toutes les fois que les Anglois ont pris des Habitans
de la Colonic Efpagnole & en ont emmené
( 48 )
quelques uns dans l'intérieur des terres , ils les ont
forcés de prendre les armes contre les Américains..
On peut citer entr'autres exemples , celui d'un jeune
homme appellé Livois , fils d'un Capitaine de la Colonie
Espagnole.
Nous avons reçu , avec les dernières informations ,
les lettres originales du Commandant Anglois Hamilton
, dans lefquelles il a menacé de violer le ter
ritoire de l'Espagne , comme il a été dit dans la Gazette
de Madrid du 20 Juillet dernier , article de la 120
Havanne. On y voit en outre , que le Gouvernement
Britannique a donné ordre de conftruire diffé
rens Forts , dont un devoit être ftable & permanent ,
fur le bord du Miffiffipi du côté du lac d'Iberville.
Ce feul fait fuffiroit pour prouver les deffeins de la
Cour de Londres contre la Souveraineté de l'Eſpa
gne , puifque le Fort en queftion ne ferviroit de rien
contre les Américains , & qu'il ne peut que caufer le
plus grand préjudice à la Nation Efpagnole,
C'eft ici le lieu de citer le Mémoire remis au mois
de Mai 1775 , par Don Franciſco Eſcarano , charge
des affaires à Londres , contenant des plaintes de ce
que les Anglois détournoient de l'obéiffance du Roi
› les Indiens Paséagulas , habitans des frontières de la
Louifiane , en leur donnant des commiffions de Capitaines
au fervice de S. M. B. , & en les décorant de
marques d'honneur & de médailles . On ne finiroit
› jamais s'il falloit rapporter tout au long chacun de
ces excès , & une infinité d'autres infractions des
Traités , ainfi que les violences & les ufurpations
commifes depuis quelques années par le Gouvernement
Anglois contre la Souveraineté Elpagnole.
2. L'Espagne ac donné les mêmes ordres que la
France , relativement aux Prifes , & les a fait exécuter
avec tant d'exactitude & de vigueur , que plu- ~
fieurs corfaires Américains , & entr'autres le fa
meux Cuningham , ont cherché à s'en verger , en
maltraitant & en prenant des vaifleaux Efpagnois ,
lefquels jufqu'à préfent n'ont point été rendus , quoi
qu'ils avent été reclamés.ada de 10
La fuite pour l'ordinaire
été
prochain.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
LES incendies en fe renouvellant fans ceffe,
continuent de répandre l'effroi dans cette
Capitale. La nuit du 3 au 4 de ce mois , on
en a encore effuyé un qui a réduit plus de 100
maiſons en cendres ; & le 13 au foir le feu
a pris de nouveau à 10 heures & n'a été
éteint que le lendemain matin à 7 heures ,
après en avoir confumé 200. Comme cette
fois , il a paru tout-à- coup en quatre endroits
différens , on ne doute pas qu'il n'ait été allumé
par des fcélérats. Pour mettre fin à ces
défordres , on vient d'afficher une Ordonnance
févère qui preferit à tout le monde
de rentrer dans fa maiſon à 8 heures du foir ;
des patrouilles font répandues dans les rues
pour y faifir toutes les perfonnes qui s'y trouveront
après 9 heures. Celles qui auront été
furpriſes fans lumière , feront pendues le
lendemain on traitera de même les inconnus
qui feront faifis , même avec des lanternes
; & les perfonnes connues ne feront re-
9 Octobre 1779.
( 50 )
lâchées qu'après un examen & des informations
rigoureufes. On dit qu'on a enlevé &
noyé fecrettement plufieurs Janiſſaires , &
relégué fous divers prétextes dans les Ifles de
l'Archipel plufieurs Employés fubalternes.
Selon quelques perfonnes , ces malheurs font
l'effet d'un mécontentement général ; elles le
conjecturent des mèches allumées , placées
dans divers endroits du fauxbourg de Pera ,
& dont la vigilance des Miniftres étrangers
a prévenu les effets ; des matières combuſtibles
qu'on découvre encore dans plufieurs
quartiers , des écrits hardis que l'on trouve
dans les Mofquéees , où l'on menace le
Grand-Seigneur s'il n'éloigne de fa perfonne
quatre de fes principaux favoris , le Sélictar-
Aga & fes trois frères , & s'il ne change le
Ministère. Ces factieux font , dit -on , foutenus
en fecret par le Sultan Selim , fils du feu
Empereur Muftapha , & qui doit fuccéder
au Trône. On les dit encore fecondés par
cet ordre de Mufulmans , particulièrement
intéreffés à prolonger le règne de l'ignorance
& de la fuperftition , qu'il ont entretenus fi
long- tems , & que les nouvelles vues du
Gouvernement paroiffent être de diffiper , en
appellant les fciences jufqu'à - préfent exclues
de cet Empire.
Suivant les derniers avis de la Morée le
Capitan-Bacha a réuffi à ſe rendre maître de
Tripolizza & à faire prifonnier le refte du
corps des rebelles , fort de 3000 hommes , qu'il
avoit battu précédemment. En faifant part au
( 51 ),
Gouvernement de ces avantages , il l'affure
qu'on ne doit plus s'inquiéter du fuccès de
fon expédition ; il fe fait fort de chaffer tous
les rebelles de la Morée. Le Grand- Seigneur
l'a nommé Gouverneur de cette prèſqu'île
où il lui a ordonné de refter jufqu'à ce que
le bon ordre y ſoit rétabli ; & il lui conferve
en même tems le pofte de Capitan- Bacha.
L'Impératrice de Ruffie , parmi les préfens
qu'elle a envoyés au Grand Seigneur , en
a joint quelques - uns pour le Fils cadet de
S. H. qui a cru devoir en faire à fon tour , au
fecond Fils du Grand - Duc de Ruffie. Ils confiftent
en une caffette d'huile de rofe , de
baume oriental & d'autres parfums précieux,
unaflortiment de toute forte d'étoffes de Perfe
& de Turquie , & un petit miroir dont les
Turcs fe fervent ; le cadre eft d'or , garni de
diamans & de rubis. On dit que S. H. a fait
auffi préfent au Comte de Panin & au Comte
de Romanzow, d'une bague fuperbe de diamans
; il a envoyé à l'Ambaffadeur de France
& à l'Envoyé de Ruffie , de magnifiques boîtes
; des aigrettes de diamans à leurs époufes ,
& vingt bourfes au premier.
RUSSIE..
De PÉTERS BOURG , le 1 Septembre.
LE Grand - Duc & la Grande - Ducheffe
arrivés dans cette Capitale le 24 du mois
dernier pour affifter à la féance de l'Académie.
C 2
( 52 )
des Sciences , & à l'exercice des Cadets qui
eurent lieu le même jour , en repartirent le
25 pour retourner à Czarsko -Zelo.
Le Duc de Saint- Nicolas , Miniftre de la
Cour de Naples , arriva vendredi dernier &
temit le lendemain au Comte de Panin une
copie de fes lettres de créance. Il paroît qu'il
n'aura la première audience de l'Impératrice
qu'à ſon retour dans cette réſidence , qui ne
doit avoir lieu que pour la fête de S: Alexandre
Newski. Le Miniftre de Vienne prendra
congé de S. M. I. dans le même tems.
Le Comte de Solms , Miniftre de Pruffe ,
eft parti hier matin pour retourner à Berlin .
Les préfens qu'il a reçus à fon départ confiftent
en une boîte d'or garnie de diamans
avec le portrait de l'Impératrice , & une fomme
de 10,000 roubles.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 10 Septembre.
LE 7 de ce mois on a célébré ici , avec
beaucoup de magnificence , l'anniverfaire de
l'élection du Roi . S. M. a dîné ce jour là à
Marimont chez le Comte de Rzewuski ,
Maréchal de la Couronne , & affiſté enſuite
à la repréſentation d'une pièce nouvelle en
langue Polonoife.
On mande des frontières de la Turquie ,
que les habitans de la Moldavie commencent
à jouir des avantages que les Ruffes fe font
( 53 )
procurés par la dernière convention avec la
Porte ; ils le fontouvert un nouveau débouché
pour leurs marchandifes , en les vendant aux
Ruffes , qui en confomment une partie dans
leurs nouvelles Colonies , & débitent à leur
tour le refte aux Etrangers. Ces derniers
continuent de conftruire des bâtimens fur le
Nieper ; quelques- uns de nos Magnats font ,
à leur exemple , conftruire des bateaux qui ,
chargés de leurs bleds , defcendront le fleuve
& iront les porter aux Ruffes avec lefquels
ils efpèrent s'en défaire ayantageufement. Le
Prince de Moldavie a promis , de fon côté ,
de les feconder , en employant fes bons offices
auprès de la Porte pour en obtenir qu'elle
n'oppoſe aucun obftacle à ce commerce.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 15 Septembre.
༣༩༥ ;
TOUTES les nouvelles que l'on reçoit de
l'Empereur , depuis qu'il eft en voyage , ne
fauroient être plus fatisfaifantes. Ce Prince
s'eft approché des frontières de la Saxe pour
vifiter lui - même les endroits où il veut faire
élever de nouveaux ouvrages de fortifications.
Il arriva le 5 à Braunau ; le 6 il étoit à Trautenau
, & le 7 on le vit à Schatzlar , & à
Konigshaym. Huit Officiers de l'Etat Major
du Génie ont reçu ordre de fe rendre à Prague
& d'y attendre des ordres ultérieurs.
On prépare ici fur les remparts des cafec
3
( 54 )
mates pour loger le corps d'artillerie qui doit
refter à l'avenir en garnifon dans cette Capitale.
L'intention de l'Empereur eft de veiller
lui-même à ce que l'inftruction , fi néceffaire
dans ce corps , ne foit pas négligée.
Les Lettres de Hongrie portent que les Officiers .
efclavons qui font retournés par la Hongrie , fe
font empreflés de vifiter les mines de Cremnitz & de
Schemnitz , qui font , fans contredit , les plus confidérables
de toute l'Europe. Pour y parvenir , on
fait dans une caifle une defcente de 146 toifes ,
au moyen d'une corde & d'une poulie. La folle
de St. Ignace fe préfente d'abord ; c'eft une efpèce
de corridor de 312 toifes de long . On a eu
tant de foin d'épuifer l'eau qui coule des rochers ,
qu'on peut parcourir toute cette étendue à pied fec .
Au milieu de la foffe coute une eau qui pétrifie
ce qui l'environne ; & des deux côtés on voit avec
admiration plufieurs de ces pétrifications , qui ne
feroient ni plus variées , ni plus pittorefques ,
quand le cifeau du Sculpteur les auroit taillées.
L'air eft fain dans ce corridor & dans les autres
allées qui forment un effèce de labyrinthe ; & le
vent y fouffle de façon que les voyageurs craignent
qu'il n'éteigne leurs flambeaux. C'eft dans
ces fouterrains ténébreux que beaucoup d'ouvriers
font privés de la vue du ciel & des aftres , &
comme enterrés , pour en tirer ces métaux que
tant d'autres prodiguent fi légèrement.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
LES mécontentemens , vrais ou faux, qu'on
annonce à Conftantinople , ne détournent
point l'attention des fpéculatifs uniquement
fixée fur tout ce qui fe paffe à l'occident . Les
=
( 55 )
évènemens importans auxquels tout préparoit
ne font point encore arrivés ; & en
attendant des faits ils fe livrent à des conjectures
; elles rempliffent tous nos papiers
publics ; aucune n'a peut-être le plus léger
fondement ; mais la curiofité publique ,
éveillée une fois , a befoin d'un aliment
quelconque ; & voici celui qu'on lui fournit
- aujourd'hui.
On a dit , il y a quelque tems , que
l'Empereur , à fon retour de Bohême , iroit
vifiter les Etats héréditaires des Pays - Bas ,
qu'il n'a point encore vus , & qu'il affembleroit
de ce côté un camp d'obfervation ;
fans s'arrêter à difcater fi ce voyage aura lieu,
& fi le projet qui en eft la fuite a été réellement
formé , quelques - uns de nos papiers
ajoutent aujourd'hui que comme dans les cir
conftances actuelles qui intéreffent fi effentiellement
toutes les Puiffances de l'Europe ,
il eft queftion d'une médiation de la part de
la Cour de Vienne , ce prétendu camp a le motif
de rendre cette médiation plus refpectable .
On ne s'arrête pas là . Les projets de defcente
préparés avec tant de bruit & de dépenfes ,
& dont une force navale confidérable fembloit
affurer la prompte exécution , n'ont été fufpendus
que par l'oppofition de quelques
Puiffances médiatrices , qui verroient avec
peine enlever aux Anglois la clef de la Méditerranée
qui pourroit rendre la Maiſon
de Bourbon trop formidable. On veut que
ces Puiffances croient qu'il eft néceffaire de
C4
( 56 )
conferver fa force à l'Angleterre pour mainte
nir l'équilibre. Cette manière de voir paroîtra
au moins fingulière à ceux qui examinent &
pèfent les évènemens paffés ; il leur femble
que la modération de la France & l'orgueil de
l'Angleterre doivent raffurer fur la première ,
& intéreffer toutes les autres à l'abaiffement
de la dernière .
-
A ces rêves politiques , enfans de l'oifiveté
des fpéculatifs , on en joint qui ne font pas
moins extraordinaires. La Ruffie & la Pruffe ,
débitet on , doivent former une armée
auxiliaire à l'une des Puiffances belligérantes.
Mais il eft fi décidé que dans la guerre actuelle
il n'eft queftion que de la mer , que
l'on ne voit pas comment une guerre de
terre pourroit venir fe mêler dans les difcuffions
élevées entre la France & l'Angleterre .
Selon des fpéculatifs qui'ont fans doute un
coup - d'oeil plus raifonnable , mais qui ne
l'ont pas toujours plus fûr , l'inaction fi
long tems foutenue de trois flottes formidables
, femble être le préfage de la paix.
Quelqu'invraisemblable que cela puiſſe parcître
d'abord , cette invraisemblance femble cefler ,
en confidérant la fituation des chofes , & le caractère
des principaux perfonnages. Le projet de la Maifon
de Bourbon a été , il eft vrai , de fe rendre à
elle- même , & par une fuite néceflaire aux autres
Puiffances Maritimes , le fervice de réduire à de
juftes bornes l'exceffive prépondérance des Anglois
fur la mer. Mais qui doute qu'elle ne préfère de
parvenir à fon but par la voie des négociations .
& en épargnant le fang de fes fujets , que par
( 57 )
celle des armes , fi elle peut s'en difpenfer ? Ou en
fuppofant , comme cela eft en effet , que les prin- .
cipales Cours du Nord , font bien convaincues de la
juftice des prétentions des Cours de Verſailles &
de Madrid , & qu'elles voient comme elles la né- !!
ceffité d'affranchir les mers de l'esclavage de la
Grande Bretagne , n'eft- il pas plus probable qu'elles
interviendront pour opérer ce but falutaire & def- |
rable fans effufion de fang. De toutes les Cours du
Nord , une feule peut-être eft dans le cas de craindre
l'abaiffement de l'Angleterre , parce que celleci
eft la rivale de la France , & que celle - là n'a
prefqu'aucune concurrence dans le commerce maritime.
Mais fuppofé qu'elle intervienne dans
la médiation , fon avis ne peut prévaloir contre
celui de toutes les autres Puiffances intéreflées
à la liberté du commerce. Ainfi , de quelque
côté qu'on envifage les chofes , foit qu'on abandonne
les affaires au fort des armes , foit qu'on
les termine par des négociations , l'humiliation
de la fière Albion eft réfolue , & elle ne peut s'y
fouftraire. L'Amérique ,, GGiibbrraallttaarr ,, & peut- être
Minorque font perdus pour elle «<..
Nous n'ajouterons pas avec l'auteur de ces
réflexions : cet Oracle eft plus fûr que celui de
Chalcas ; mais nous dirons que fi ce réſultat
n'eft pas vrai , il n'eft pas du moins fans vraifemblance.
Des lettres de Copenhague annoncent que
le bruity couroit depuis quelques jours que
les Impériaux ont pris poffeffion des Ifles de
Nicobar dans les Indes Orientales, au Sud-
Oueft de Sumatra . Cette nouvelle qui eft trèsvague
& qui ne fe confirmera peut -être pas ,
faifoit beaucoup de fenfation , parce que ces
Ifles étoient réputées appartenir au Domaine
du Roi de Danemark .
CS
( 58 )
De RATISBONNE , le 25 Septembre.
LES Voeux des habitans de Manheim font
remplis ; l'Electeur Palatin y eft arrivé le 14
de ce mois ; le même jour l'Electrice qui
étoit à Oggersheim , s'y rendit. On ne croit
pas que ce Prince retourne cette année en
Bavière ; les Règlemens qu'il a faits avant
fon départ pour l'adminiftration de ce Duché
, font préfumer qu'il ne fe propoſe pas
d'y revenir de fi - tôt.
Le 15 de ce mois l'Electeur de Mayence eft
parti avec une fuite de 90 perfonnes pour
aller facrer le Baron d'Erthal , fon frere ,
nouvel Evêque de Wurtzbourg & de Bamberg.
S. A. É. avoit prié les Evêques d'Eich
tadt & de Fulde de l'accompagner dans ce
voyage pour l'affifter dans la cérémonie comme
fes Suffragans ; l'un s'eft excufé fur fon
âge avancé , & l'autre fur des affaires indifpenfables.
L'Electeur avant fon départ a fait ·
publier une Ordonnance , par laquelle il défend
aux Moines de prêcher , de confeffer
& en général de faire les fonctions eccléfiaftiques
de ce genre , réservées uniquement
aux Prêtres féculiers , dans toute l'étendue de
l'Ectorat. Ils ne doivent fe mêler déformais
que de l'obfervation religieufe des Règles &
des Statuts que leur ont prefcrits leurs Fondateurs.
» La Régence de Mayence , écrit - on de Cologne,
continue d'obliger les bâtimens étrangers qui y
paffent avec des voyageurs , de prendre des Pilotes
de Mayence , & de déclarer par écrit qu'ils n'ufent
11
( 59 )
librement du paffage de cette ville que par une fim .
ple convention de l'Electorat de Mayence. Les
Etats de l'Empire regardent cet arrangement comme
une nouveauté , & on dit que plufieurs ont déclaré
que fi l'on refufe d'y renoncer , ils porteront leurs
plaintes à la Chambre Impériale «<,
a
La Société des Antiquités de Heffe Caffel , dans
fon affemblée du 16 Août dernier , a propofé pour
le fujet du Prix qu'elle doit diftribuer l'année prochaine
, quel étoit le luxe des Athéniens du tems
de Pifftrate jufqu'à Philippe - Augufte , Roi de
Macédoine, & par quel degré le luxe a-t- il amené
la décadence de l'Etat ? Le Prix qu'elle devoit
donner cette année a été remis à l'année prochaine ;
& la queftion qui en fait le fujet , eft propres à
éclaircir la Mythologie Germanique : Quel rapport
y avoit-il entre la Religion des Peuples du
Nord & celle des Peuples Germaniques , depuis
Jules- Céfar jufqu'à Charlemagne ? Les Mémoires
écrits en François , en Allemand , en Italien ou en
latin , doivent être adreffés jufqu'au , premier Mai
prochain , à M. le Marquis de Lucket , Confeiller-
Privé de Légation , Secrétaire perpétuel de la
Société de Caffel.
ITALI E..
De LIVOURNE , le 10 Septembre.
ON vient d'afficher un Edit , en date du
23 du mois dernier , par lequel le Grand-
Duc voulant délivrer de plus en plus le
commerce de ſes entraves , & lui rendre une
liberté qui ne peut que tourner à l'avantage
de fes fujets , abroge les défenfes portées par
les Ordonnances de 1651 , 55 & 97 contre
le commerce particulier des feuilles de mûrier
& des cocons de vers à foie , & le per-
C6
( 60 )
met à l'avenir fans aucune reſtriction à tous
ceux qui voudront s'en occuper.
›
Les lettres de Milan portent que l'Archiducheffe
, époufe de l'Archiduc Ferdinand
avance heureufement dans fa groffeffe , &
que les petits accidens qui lui étoient furvenus
, font entièrement diffipés. On dit que
S. A. R. pourroit bien après fes couches faire
un voyage à Naples avec fon époux , qui y
reftera avec elle tout l'hiver , & qu'à leur
retour ces Princes palieront par Rome pour y
áffifter aux cérémonies de la femaine fainte.
» Les demandes , écrit - on de Naples , que la
Cour avoit faites il y a quelque tems aux Chartreux
, fe font ainfi terminées. Ces Religieux conferveront
l'adminiſtration de leurs biens dans tout
le Royaume , mais ils feront tenus de verfer chaque
année dans le tréfor Royal 60,000 ducats , &
ils n'en feront pas moins affujettis aux charges
qu'ils payoient avant ce Règlement. Les Chartreux
n'ont que quatre Maifons dans le Royaume pour
fournir à ces nouvelles impofitions. Les 60,000 ducats
qu'ils doivent payer , font feuls une fomme de
150,000 liv. tournois «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 10 Septembre.
LA guerre actuelle que la nation défiroit ,
bui fournit tous les jours de nouvelles
occations
de manifefter
fon amour & fon zèle pour
le fervice du Roi ; on a vu les habitans de plufieurs
villes offrir leurs biens & leurs effets ,
tant ceux qui appartiennent
à la Communauté
, que ceux qu'ils poflèdent
comme par(
61 )
ticuliers ; les villes de Murcie , d'Alicanté ,
de Cuença & de Xérès fe font empreílées
de fuivre cet exemple ; la dernière a offert
tous les chevaux de trait , & autres bêtes
de fomme , celles mêmes employées au labourage
, pour le fervice de l'artillerie , le
tranfport des munitions & des bagages au
camp de St-Roch , & dès ce moment elle les
employe à cet ufage. Différens particuliers
ont confacré au fervice de la patrie les revenus
de leurs emplois , de leurs bénéfices &
même de leurs capitaux.
Selon les lettres de Cadix , tout fe prépare
pour convertir en fiége le blocus de Gibraltar ;
& on ne croit pas que l'attaque en règle de
cette place , puiffe à préfent tarder beaucoup :
on a envoyé à D. Barcelo 35,000 bombes
pour les jetter dans cette place . S'il faut en
croire plufieurs avis , la déſertion s'eft mife
dans la garnifon ; il arrive journellement
des Hanovriens aux lignes de St- Philippe ;
fi l'on peut ajouter foi aux rapports toujours
fufpects de ces déferteurs , il y a eu dans la
place une confpiration de 1500 hommes ,
dont les chefs ont été pendus . On a en effet
apperçu de notre camp quelques cadavres
expofés de ce côté. Les vivres , ajoutent .
ces rapports , font très rares , malgré ceux
que l'Amiral Duff a interceptés , il y a quelque
tems , fur les navires Efpagnols , qu'il a
conduits à Gibraltar.
A ces détails nous joindrons ceux- ci qu'on
lit dans une lettre du camp de St - Roch en
date du 24 du mois dernier.
( 62 )
2 >
Il est entré hier à Algéfiras un convoi de 16
voiles , venant de Cadix , fous l'eſcorte d'un vailfeau
de ligne & de deux chébecs , portant une
grande quantité de canons mortiers , bombes
boulets , & d'autres munitions de guerre , &c . Le
foir du même jour , on commença à placer des
batteries près de nos lignes . Les Anglois , quoiqu'ils
euflent prefque pu nous en empêcher , ou
tout au moins beaucoup nous incommoder , ſe
font tenus tranquilles . De leur côté ils ne ceffent
de transporter de l'artillerie fur la montagne de
Gibraltar , d'y former des batteries , & de miner
auffi de toutes parts : ils témoignent beaucoup de
fécurité , & leur intention paroît être de ne vouloir
faire feu fur nous , que lorfque nous aurons
commencé. Quoiqu'il en foit , nous devons nous
eftimer fort heureux d'avoir pu entamer
quillement la conftruction de nos ouvrages depuis
la ligne , puifqu'autrement nous ferions demeurés
très-expofés . La diftance de nos retranchemens jufqu'à
Gibraltar n'eft que d'environ cinq cens toifes ;
mais du côté de la Porte de terre les Anglcis ont ,
indépendamment de plufieurs mortiers , quatrevingt
-quinze pièces de groffe artillerie , qui peuvent
nous faire beaucoup de mal.
tran-
» Un de nos bâtimens prit hier fur la côte d'Afrique
un bateau chargé de vivres , qui avoit neuf.
hommes d'équipage , dont deux Portugais , deux
Génois , trois Maures & deux Anglois ; il alloit
à Gibraltar , & avoit à bord un Officier de la
garnifon de ladite Place , qui fe trouvant à Cadix
, lorfque toute communication fut défendue ,
en fortit avec un pafle-port pour fe rendre par - tout
où il lui plairoit , excepté à Gibraltar . Ayant manqué
à cette condition , il eft gardé de très - près
dans le navire , commandé par M. Barceló , qui
venant de recevoir avis que les Anglois attendoient
un convoi confidérable bien efcorté , a don(
63 )
né ordre fur toute la côte de lui faire favoir par
des fignaux , le nombre & la force des vaiffeaux
de guerre qui fervent d'eſcorte à ce convoi. On
affure que ce Commandant a déjà fait vingt -quatre
prifes , entre lefquelles il s'en trouve une chargée
de bled , dont le Capitaine avoit deux paffe- ports ,
l'un pour Gibraltar , qu'il a jetté à la mer , &
l'autre pour un endroit permis , qu'il a fait voir :
cette fraude ayant été découverte par fon équipage
même , il a été conduit à Efteponas , & les gens
de fon bâtiment mis à terre.
L'on mande de Cadix , en date du 31 Août ,
que le navire marchand El Buen Confefo étoit en
relâche à une des Isles Tercères , où il attendoit
un convoi il vient de Lima , & fa cargaifon
confifte en deux millions , 800 mille piaftres fortes
, & 900 charges de cacao «.
ANGLETERRE.
*
De LONDRES , le 25 Septembre .
LES évenemens qui fe font paffés aux Antil
les , & les lettres de l'Amiral Byron , dont il a
bien fallu rendre compte , n'avoient fourni
que la matière d'une gazette ordinaire de la
Cour ; des circonftances plus heureufes fur
le Continent en ont fait publier hier une extraordinaire.
» Le Commodore Sir George Collier , inftruit
qu'on avoit fait à Bofton un armement confidérable
en troupes de terre & en vaiffeaux , pour af
fiéger le Fort de Pénobſcot , fortit le 3 Août de
Shandy- Hook , avec les vaiffeaux le.Raifonnable,
le Greyhound, la Blonde , la Virginie , la Camille
, la Galatée & le floop l'Otter , pour aller
au fecours de cette place ; il y arriva le 14 , après
avoir pris dans fa route deux Armateurs & perdu
( 64 )
l'Otter, qui s'étoit égaré , & dont il n'avoit pas
encore entendu parler , le 20. Il trouva la flotte
ennemie dans la rivière de Péuobfcot , qui lui parut
réfolue de difputer le paffage , & qui ne refta
pas long-tems dans cette difpofition . Tous les
vaiffeaux Américains cherchèrent leur falut dans
la fuite , & dans cette déroute ils furent entièrement
détruits . L'état de cette flotte eft le fuivant : le
Warren , de 32 canons de 18 livres , & 1 de 2 ;
le Montmouth , la Vengeance , de 24 , le Putnam
, la Sally , de 22 ; l'Hector , de 20 , le
Black- Prince , de 18 , & le Sky- Rocket de 16
ont fauté ; l'Hampden , de 20 , & le Hunter, de
18 , ont été pris. Les brics , la Défenfe , le Hafard
, de 16 canons ; la Diligence , le Tyrannicide
, le floop Providence , de 14 , ont fauté ;
la goëlette armée le Spring Bird , de 12 , a été
brûlée. On a pris la Nancy , de 16 , & le Rover
de ro canons , allant en croifière & brûlé 24
voiles , tant vaiffeaux que navires , fervant de
transport.
>
>
Le Colonel Mac-Léan rend compte à fon
tour dans une lettre de ce qui s'étoit paffé à
terre dans le même tems.
Arrivé à Pénobſcot vers la fin de Juin , il trouva
tant de difficulté à débarquer & à placer fûrement
fes provifions & fes munitions , & à nétoyer les
bois , qu'il ne put commencer le Fort qu'il étoit
chargé de conftruire , que le 2 Juillet ; le 21 ,
avant que l'ouvrage fût affez avancé pour qu'il
fût en état de défenfe , il fut informé du départ de
l'armement fait à Bofton pour l'attaquer ; il redoubla
auffi - tôt d'efforts dans lefquels il fut fecondé
par les équipages des vaiffeaux l'Albany , le
Nort & le Nautilus , qui l'avoient amené dans la
rivière. Le 25 , les ennemis parurent avec 37 voiles ,
& commencèrent à canonner dans l'après - midi ,
mais fans ſuccès ; ils tentèrent auffi de débarquer fans
( 65 )
pouvoir y réuffir ; ils y parvinrent le 26 , & la
garnifon forcée de fe renfermer dans le Fort , ne
s'occupa qu'à hâter les ouvrages qui pouvoient le
défendre. Le 30 , les Américains placèrent une
batterie à 750 verges ; peu de jours après , une
autre à 700 ; ils continuèrent leurs travaux , &
avancèrent infenfiblement depuis le 30 Juillet jufqu'au
12 Août. On apprit par un déferteur qu'ils
devoient attaquer le 14 les vaiffeaux dans la rivière
, & donner en même tems l'affaut au Fort ;
les Anglois fe préparèrent à les recevoir , & furent
étonnés de la tranquillité des ennemis ; ils
ignoroient l'arrivée du Commodore Collier , & ils
furent bientôt qu'à fon approche les ennemis s'étoient
retirés dans les bois à l'oueft , où il ne doute
pas qu'ils ne meurent de faim .
M. Mac - Léan ne cache point à la cour
que les Loyalistes de la nouvelle Ecoffe fe
joignirent aux Américains à leur arrivée fur
la rivière de Pénobfcot ; c'eft ce qui eft arrivé
toujours par- tout où les Anglois fe font
crus le plus affurés de la fidélité des peuples ,
& il eft bien fingulier qu'ils vantent comme
ils le font la docilité des contrées qui fe foumettent
, & la bonne foi avec laquelle ils
comptent fur une foumiffion qu'ils ne doivent
qu'à la crainte qu'ils infpirent , &
qu'on fecoue bientôt quand cette crainte
n'existe plus . Il est tout fimple que les Amé
ricains ne réſiſtent pas dans les endroits où
ils paroiffent en force ; ils connoiffent la
manière , dont les traitent nos troupes , & il
faut bien employer le feul moyen qui refte
d'interrompre le cours de leurs barbaries.
La cour a publié l'extrait de quelques lettres
du Cominodore Collier antérieures à celle
( 66 )
qui eft datée de Pénobfcot , qui donnent une
idée du genre de guerre que nous faifons fur
le Continent.
Le Commodore apprend au Ministère que les
rebelles fur la côte de Connecticut ayant été affez
heureux pour empêcher & pour anéantir prefque
totalement le commerce des fidèles fujets du Roi
en haute mer , il avoit réfolu de les punir en dévaftant
leurs côtes ; parce qu'il n'étoit pas en fon
pouvoir de couler bas , brûler & détruire les bâtimens
de mer des coupables ; il a réfolu de brûler
& détruire les maifons & les chaumières des gens
tranquilles & innocens. Entre autres dévaftations
il a détruit à Newhaven beaucoup de bateaux pour
la pêche de la, baleine , uftenfiles de l'induftrie
pauvre & paisible , unique fonction de quantité de
pêcheurs indigens qui ne pouvoient fe fervir d'aucun
inftrument hoftile. Débarqué à Fairfield , Te
Commodore ayant vu quelques rebelles tirer fur
lui des fenêtres & des toits des maifons , a ordonné
à fes Loyaliftes réfugiés de mettre le feu
à quelques-unes ; il n'a pas manqué d'en gagner
d'autres , & tout Fairfield a été réduit en cendres
ainfi qu'un grand nombre de bateaux de pêcheurs :
Destruction faite de gaieté de coeur & fans une
fuffifante provocation . La ville de Norwalk a
eu le même fort , parce qu'il en eft parti auffi quelques
coups de fufil , après avoir reçu des fauf- conduits
. Mais c'étoit - là le cas de faire chercher les
coupables & non de traiter la ville entière avec
une barbarie auffi attroce . Le Commodore le vante
d'avoir infligé le même châtiment au petit bourg
de Greenfield . Anéantir , eft fans doute une excellente
manière de châtier. C'eft la doctrine infernale
du feu Lord Suffolk & du Docteur Ferguson , fecrétaire
de la feue commiffion conciliatoire . Si c'eft
la torche à la main qu'on fe fait des amis & qu'on
ramène des enfans égarés , nous fommes sûrs avec
de tels Généraux , de rentrer bientôt dans nos an(
67 )
ciens droirs fur l'Amérique. Mais l'expérience de
tous les tems ne fauroit être démentie ; & les excès
de cruauté n'engendreront que trahiſon , déſeſpoir
& rage , & une impoffibilité abfolue d'établir entre
les deux Nations les rapports de commerce qui
feuls pourroient relever l'Angleterre de la perte de
fes Colonies «<.
Les autres nouvelles du Continent de l'Amérique,
portent que le Général Washington
après s'être emparé de Stony - Point , s'eft
contenté de détruire le Fort , & que le Géné-.
ral Clinton a pris de nouveau poffeffion de
ce pofte , qu'il fait encore fortifier. Il y a
lieu de croire , ficette nouvelle eft vraie ,
qu'il ne le confervera pas long- tems . Lorfque
le Général Wayne s'en faifit , un Officier
François , M. Fleury , fe couvrit de gloire
en enlevant notre pavillon. Cette action que
le Congrès a immortalifée par une médaille,
femble prouver que l'armée Américaine a
encore plus d'un prodige de valeur à nous
oppofer du côté de l'Hudſon .
"
Du côté de la Georgie nous n'avons point
de nouvelles ; la Cour n'en a point reçu ,
ou du moins elle n'en a publié aucune.
Des lettres particulières portent que
Sir Jame Wallace eft arrivé dans cette
province à bord de l'Expériment , avec M.
Weight , Gouverneur pour S. M. Ce dernier
y a été , dit- on , reçu avec tranſport ,
& les habitans vont lever deux régimens qui
doivent fe joindre au Général Prévost , &
le mettre en état de faire enfin la conquête
de Charles-Town.
( 68 )
Nous ignorons ce que fait l'Amiral Byron;
l'échec qu'il a effuyé aux Antilles , ne permet
plus d'envoyer au Général Prévost , à
Beaufort , les renforts dont il a befoin ; il ne
pourra en tirer que d'Halifax. On dit que cet
Amiral a été joint par M. Arbuthnot ; &
on ne manque pas de publier qu'en conféquence
, il a repris fa fupériorité ſur les
François. Mais un bâtiment parti de St-Euftache
le 15 Août , ne parle point de cette
jonction ; il dit au contraire que M. Byron
avoit quitté le 10 St Chriftophe pour le retirer
à Antigoa , & réparer dans cette Ifle ,
qui eft le chantier des Antilles Angloifes
fa flotte prodigieufement endommagée , &
dont deux vaiffeaux hors d'état de fervir.
doivent être envoyés en Europe . La firuation
de cette flotte prouve combien elle a
fouffert ; & le tems dont elle à befoin pour
fe remettre en état , laiffe nos ennemis abfolument
maîtres de la mer.
>
La gazette ordinaire de la Cour vient de
publier une lettre du Lord Macartney au
Lord Germaine en date de la Rochelle , le
4 Septembre dernier .
» Milord , je me flatte que long temps avant què
cette lettre parvienne à votre Seigneurie , vous att
rez reçu mes dépêches dus Juillet ( 1 ) de Grenade ,
vous donnant avis que les François font en poffeffion
de cette Ifle . J'en expédiai plufieurs copies par différentes
voies ; mais de peur qu'aucune d'elles ng
vous foit parvenue , j'informerai encore en peu de
mots votre Seigneurie , que le Comte d'Estaing
(1 ) La lettre dont il est fait mention ici n'a point été reçue
( 69 )
arriva le z Juillet à la Grenade , avec 25 vaiffeaux
de ligne & 12 frégates , ayant 6500 hommes de
troupes de terre à bord. Nous fîmes la meilleure
défenſe poffible avec la poignée de monde que nous
avions , laquelle confiftoit en 101 hommes du 48me
Régiment , 24 recrues d'Artillerie , & entre 3 à
400 Miliciens «.
» Nous eûmės le bonheur de repouffer l'ennemi
dans la premiere attaque ; mais dans la feconde ils
emportèrent nos lignes par la force du nombre fupérieur
, après un combat d'environ une heure &
demie , dans lequel ils eurent plus de 300 hommes
tués & bleffés , ce qui eft un nombre plus confidérable
, que toute la force que nous avions à op-
Fofer à leur attaque ; dans le tems que dans la nuit
précédente nous avions été abandonnés par la plupart
des hommes de couleur , & par la plus grande
partie des nouveaux fujets. Etant à la difcrétion de
l'ennemi , fans moyens de réfiftance ni eſpérance
de fecours , nous fumes obligés de propoſer une
Capitulation , qui fut inftamment & abfolument refufée
par le Comte d'Estaing in toto , & par contre
il m'envoya le projet le plus extraordinaire & fingulier
qui entra jamais dans la tête d'un Général
ou d'un Politique . Je le refufai à mon tour ; &
comme il n'étoit pas poffible d'en obtenir aucun autre ,
tous les principaux habitans à qui jele communiquai ,
préférèrent unanimement de fe rendre fans aucunes
conditions , plutôt que d'accepter celles qui leur
étoient offertes ; & c'eft fur ce pied que l'ennemi eft
actuellement en poffeffion de l'Iflé «.
Ma lettre du 15 Juillet eft fi ample & fi détaillée
que j'y référe votre Seigneurie , ainfi qu'aux papiers
qu'elle renferme , pour les particularités . Je me flatte
que votre Seigneure croira , qu'il n'y a eu rien de
négligé de ce qui étoit poflible de faire , pour la confervation
de la Grenade . Cette idée est l'unique confolation
que j'aie dans le malheur de fa perte «.
» Dans une précédente lettre je mandois qu'on
( 70 )
s'étoit propofé que les prifonniers reftant des
cinq Compagnies du 48me Régiment &c. , feroient
embarqués avec moi pour l'Europe à bord d'un vaif,
feau mis à part pour ce deffein ; mais j'ignore pourquoi
cette deftination a été changée ; ces troupes
ont été envoyées , comme j'ai été informé , à la Guadeloupe,
& j'ai été mis à bord d'une frégate Françoiſe
deftinée pour cette place , où nous arivâmes la nuit
dernière. J'ai écrit à M. de Sartine , par les mains
duquel paffe cette lettre , pour connoître les intentions
de fa Cour à l'égard de ma délivrance , & j'at .
tends fa réponſe dans peu de jours ce,
» M. d'Eftaing n'a point voulu à cette occafion
confentir à aucun échange de prifonniers dans les
Indes-Occidentale « .
» On a affuré les habitans de la Grenade , qu'ils
refteroient en paifible poffeffion de leur état , & que,
durant la Guerre , ils ne feroient point obligés de
prendre les armes contre S. M. Je pense que leš
arrangemens ultérieurs dépendront de la Cout de
Verfailles «.
Voilà à - peu- près à quoi fe réduit tout ce
que nous favons de la perte de la Grenade,nos
papiers ne manquent pas de fe permettre bien
des réflexions fur la conduite de ce Gouverneur
, qui a un grand grief aux yeux de
l'Oppofition , celui d'être gendre du Lord
Bute ; il dit dans fa lettre qu'il n'avoit que
300 hommes pour défendre l'Ifle ; & on ne
conçoit pas comment les François en ont pu
faire 7 à 800 prifonniers ; s'il n'en avoit pas
davantage , le Ministère ne feroit pas excufa
ble d'avoir fi mal pourvu à la défenfe de la
Grenade ; mais des lettres particulières prou
vent le contraire. On dit dans une qu'il avoit
placé 400 hommes dans le pofte du morne de
( 71)
l'Hopital , avec ordre de le défendre juſqu'à
la dernière extrémité , que ces 400 hommes
ont été taillés en pièces tandis que S. E. étoit
réfugiée dans le fort d'où elle n'avoit pas tiré
un feul coup de canon . Tous ces détails vagues
ne tarderont pas à s'éclaircir ; la féance
du Parlement approche ; il faudra lui rendre
compte , & les débats apporteront quelques
lumières fur les faits fur lefquels on s'occupe
à épaiffir la nuit .
La grande flotte de fir Charles Hardy eft
toujours à Spithéad ; on a dit qu'elle étoit
tous les jours à la veille de mettre à la voile ,
& quelques perfonnes prétendent qu'elle
pourroit bien ne pas fortir du port cette année.
Sir Jonh- Lockart Roff, qui avoit été chargé
d'une expédition particulière avec plufieurs
vaiffeaux de ligne , paroît n'avoir rien fait ;
on le difoit deftiné à chaffer Paul -Jones des
mers d'Irlande , où il fait beaucoup de prifes
& porte l'effroi fur les côtes ; ceux qui ne ju- .
geoient pas qu'il lui fallût des forces auffi con
fidérables pour une fi petite expédition lui
prêtoient de plus grands deffeins ; il devoit
difoient - ils , aller brûler à St- Malo & au-
Havre les bâtimens deftinés à transporter les
troupes Françoiſes qu'on s'attend à voir defcendre
fur nos côtes ; on ne manquoit pas de
fuppofer cette entrepriſe facile ; quelques avis
le préfentoient déja à la hauteur de la Hogue ;
tout-à-coup on l'a vu revenir à la rade de
Portland , où il eft arrivé le 21 de ce mois ;
les tranfports François font encore dans leurs
( 72 )
ports, & Paul-Jones continue d'infèfter les
mers d'Irlande .
» Il ne fe paffe point de jour , écrit- on de Corke ,
que nous ne recevions des nouvelles des déprédations
commifes par l'efcadre de Paul-Jones fur nos
côtes. Selon le bruit général , il eft actuellement
à l'ancre avec toute la flotille dans la baye de
Batry , & il a avec luis prifes «.
» Un floop qui a laiffé hier au foir Lairn , écritcon
d'Air , arrivé ici , a rapporté qu'un petit vailfeau
de Liverpool chargé de fel pour ce port
a été pris par Paul- Jones , & rançonné pour 200
guinées , Son équipage dit que Paul-Jones eft venu
dans le canal du Nord avec fes 3 frégates , &
que les 3 plus petits vaiffeaux de fon efcadre ont
remonté le canal Saint- George , & ont rencontré
les autres devant Torry. Ils ont été vus de la tour
de Lairn où la milice a pris la fuite ; mais ils n'ont
point cherché à faire une defcente , & bientôt après ,
ils font tous fortis du canal du Nord . La frégate
le Bofton de 32 canons eft actuellement à Loch-
Ryan , l'Ulyffe , vailleau neuf de 44 à Liverpool ,
& la Thetis de 32 à Briftol. Ces frégates , ainfi
que les vaiffeaux armés & les cutters qui font fur
ces côtes , ne peuvent pas le défendre contre l'efcadre
de Paul - Jones «.
On apprend dans ce moment que la frégate la Sa.
raphis de 44 canons , & le vaiffeau armé la Comteffe
de Scarboroug de 20 , ayant fous leur convoi la flotte
de la Baltique , ont été pris entre Flamboroug- Head
& Scarborough , par Paul-Jones , qui s'étoit emparé
auparavant de 19 bâtimens . On a dépêché le Capitaine
Elliot montant l'Edgard de 74 canons avec fix
autres vaiffeaux de guerre , pour le chaffer de ces parages
.
M. Robert Tomlinfon a annoncé à la Nation
une découverte qu'il a faite pour rendre
les vaiffeaux qu'on conftruira à l'avenir d'une
durée
( 73 )
durée trois fois plus grande que celle des
vaiſſeaux conftruits à préfent ; pour engager
la Nation à en faire ufage , il a adreffé la
lettre fuivante aux Membres de la légiſlation
Britannique.
» MM. on a avancé avec confiance en Parlement,
& on a répété dans plufieurs parties du
Royaume , qu'il n'y a jamais cû à la tête de notre
marine , de Miniftre plus intelligent & plus affidu ,
que le Comte Sandwich qui la dirige actuellement .
S'il faut s'en rapporter à certaine feuille du matin ,
il a la gloire de furpafler tous fes prédéceffeurs , & c.
Si nonobftant fes efforts extraordinaires pour augmenter
le nombre des vaiffeaux de ligne de la marine
Royale , malgré la facilité qu'il a eu de tirer
des chantiers du commerce , autant de vaiffeaux
quil a jugé à propos pour le fervice de S. M. , &
malgré l'octroi de grandes fommes d'argent , votées
en Parlement chaque année , pour l'accroiffement
de la marine Royale ; je viens à bout de
prouver que le nombre des vaiffeaux de ligne
étoit moindre le 26 Octobre dernier que le 31
Décembre 1770 ; j'ai lieu de me flatter qu'il fera
démontré , » que depuis l'heureux avènement de
» la famille actuellement régnante , il n'y a ja-
» mais eu d'époque où une invention fondée fur
des principes raisonnables , & confirmée par des
effais , mérite plus d'être adoptée que dans ces
>> circonftances «. Je demande donc la permiffion
de mettre au jour cette preuve , pour cet effet j'ai
rédigé un état qui montrera au premier coup d'oeil
le nombre des vaiffeaux de ligne propres au fervice,
qui ont exifté dans différents périodes , & j'ai produit
l'autorité fur laquelle fe fonde chaque citation
de forte qu'en les comparant & en les oppofant
l'une à l'autre , la queftion peut être décidée avec
facilité , avec préciſion , & d'une manière inconteftable
".
9 Octobre 1779.
d
( 74 )
Nombre des vaiffeaux de ligne.
Propres
Jaú fervice.
Mois. Ann.
En commiff.
Autorités fur Sous quelle
lefquelles fe Adminiftrafondent
ces tion.
nombres.
Total.
Laiffés.
Trouvés.
Rapport du Bureau
de la Ma-
17 56 54 7 rine à l'Ami-
31 Déc.
1759 120
rauté .
Difcours pro-
Le Lord Annoncé
par le fon , jufqu'en 61 120
Comte de Brif Juin 1762.
tol , en Parlement
le 23
Avril 1779. P.
-
12.
Calendrier de Le Lord Georla
Cour pour ge
Grenvil e
l'année 1763. jufqu'en Avril Rapport du Bu- 1763 . Le Cte.
1762 92
31 Déc.
1766 19 42
rauté .
1766
1767
19
19
31 Déc. 1768 19
1759
1770
21
59
reau de l'Ami- de
En Tiré de pa-
Sandwich
jufqu'en Août 92 61
1763 ,& le Cte.
d'Egmont jufqu'en
Novem
bre 1766.
Le Chevalier
c. piers auth. Edward, àpréentre
les fent L.Hawke ,
42 14 mains d'un depuis Novem-
So 15 des précébre 1766 juf- 61 811
5517 dens Lords qu'en Janvier
6216 de, l'Amir .
2215 Voyez auffi
le difcours
du Comte
1771.
de Bristol ,
P. 13.
authentiques.
Tiré de papiers Le Comte de
Difcours du puis le 12Janv.
Sandwich de-
81
31 Déc. 1770 $9 Comte de Brif- 1775.
71
22 tol , en Parlement
le 23
Avril 1779 ›
26 Oct. 1778
71
pages 14 & 15.
» J'ai particuliarifé chaque année de l'adminiftration
du Lord Hawke , pour prouver que fous fon
( 75 )
niniſtère , le Bureau de la marine a aug menté beaucoup
tous les ans les forces navales de S. M. , fi
l'on m'en demande la raifon , c'eft que le regiſtre
Parlementaire , nº. XI , pag. 51 , met dans la bouche
du Comte de Sandwich , » que la marine étoit
» dans le plus affreux état lorfqu'il eft entré dans
» le bureau de l'Amirauté «c . Mais comme les preu
ves que j'ai alléguées ci - deffus fe fondent fur une
autorité inconteftable , j'imagine qu'elles feront regardées
comme décifives , d'autant plus qu'elles font
confirmées par plufieurs faits publiés récemment
fur ce sujet ".. 4I
» Des commentaires fur les nombres indiqués à
chaque période , feroient trops longs ; j'obſerverai
fimplement que depuis le 31 Décembre 1759 ,
jufqu'au 31 Décembre 1766 , ( eſpace de 7 ans ) ,
le nombre des vaiffeaux de ligne propres au fervice
, a été réduit de 120 à 61 ; quelle peut être
la caufe d'une diminution ſi étonnante . Si l'on confidère
que pendant une grande partie de ce tems ,
nous avons eu plufieurs Officiers de marine , judicieux
, expérimentés , pleins de zèle & de talens ,
qu'on ne fauroit foupçonner de n'avoir pas mis en
ufage tous les moyens en leur pouvoir pour empêcher
cette diminution. Il faut donc l'attribuer au
bois verd dont on s'eft fervi pour la conſtruction
des vaiffeaux , & à la précipitation avec laquelle
ils ont été conftruirs. Je préfume avec raifon que
le grand nombre des vaiffeaux actuellement en
conftruction fe dégraderont auffi rapidement par
les mêmes caufes. Une courte réflexion nous fera
voir que c'est une mauvaiſe politique de rejetter
les moyens propofés , lorfque l'expérience & la phi-
Jofophie démontrent qu'il en résulteroit une longue
durée pour les vaiffeaux , qu'ils épargneroient
de grandes fommes d'argent au public , & préviendroient
la confommation infructueufe d'une
quantité énorme de bois de chêne «<. cc.
d2
(176:))
&
Il faut remarquer de plus , que depuis les 31
Décembre 1766 , juſqu'au 31 Décembre 1770,
les forces navales de S. M. ont été augmentées
de 61 jufqu'à & 1 vaiffeaux de ligne , quoique
le Bureau de la marine ait été privé nécellairement
pendant cet efpace de tems , de plufieurs
avantages , qu'il a toujours eu dépuis ; mais malgré
cet obftacle , le Lord Hawke a laiffé plus de
vaiffeaux en conftruction dans les chantiers qu'il
n'y en a trouvé. Enfin depuis le premier Janvier
1771 , jufqu'au 26 Octobre 1778 , on trouve que
la marine à éte diminuée de 10 vaiſſeaux de ligne,
& cela pendant l'adminiſtration de celui qu'on
vante comme le meilleur Miniftre de la marine
qu'ait jamais eu la Nation . Quelle peut être la
fource de cette réduction ? J'imagine que cela vient
de ce que les vaiffeaux dépériffent en moins de
tems qu'il en faut pour en conftruire d'autres .
Cette diminution doit paroître d'autant plus étonnante
, que S. M. pendant ces deux derniers périodes
, a tiré plufieurs vaiffeaux des chantiers du
commerce ainfi que des fiens. Nous étions par cette
raifon , fondés à nous promettre un accroiffement
confidérable , au lieu d'une diminution . Mais comme
cette diminution a été manifeftée au Parlement
, & qu'elle n'a pas été contredite , quoique
mife au jour depuis long-tems , j'imagine qu'elle
ne fera pas démentic actuellement. Et puifque j'ai
découvert les moyens par lefquels on pourroit .
économifer beaucoup d'argent & de bois , & éviter
les grands inconvéniens qui doivent réfulter
néceffairement du dépériffement rapide qu'éprouvera
la marine Royale ; je fuis difpofé à en faire
part à la Légiflation , au pouvoir de qui il eft de
faire fervir ma découverte à cet objet defirable cc .
bÉTATS-UNIS DE L'AMERIQUE SEPT.
De Philadelphie le 1 Août. Aux premières
( 77 )
71
>
relations qu'on avoit reçues ici de l'affaire de
Stony-Point , on doit ajouter les détails fuivans
qui rectifient quelques uns de ceux
qu'on a donnés précédemment. Nos troupes
furprirent ou tournèrent les feules gardes
avancées de nos ennemis ; & la garnifon ,
inftruite de notre approche par fes efpions ,
nous attendoit fous les armes , le corps du
Général Wayne avoit été renforcé par différens
détachemens de l'armée , & montoit
alors à environ 1200 hommes. C'eft véritablement
avec la bayonnette & fans tirer un
coup de fufil qu'il eft tombé fur les Anglois
qui furent forcés de fe tendre ; ils s'attendoient
à être tous maffacrés en repréfaille
du traitement qu'ils avoient fait dans une
occafion femblable à un petit corps commandé
par le même Général Wayne ; mais
on affure que le foldat n'a pas attendu les
exhortations de fes Officiers pour traiter les
vaincus avec humanité.
D'après toutes les nouvelles , les chofes
font toujours dans le même état fur la rivière
du nord , le Général Clinton l'a defcendué
avec la plus grande partie de fes forces , &
a continué fes ravages dans le Connecticut.
On fe flatre d'y mettre bientôt fin, la plupart
des Etats ont fait paffer leurs Contingens
pour completter l'armée , & ceux des autres
font en route pour la joindre ; on apprend
de New-Yorck qu'on y attend inceffamment
l'Amiral Arbuthnor & que le Lord
Cornwallis y eft arrivé depuis une quinzaine
de jours.
મધ
((78-)
On n'a point encore de nouvelles authentiques
du fud, les lettres particulières représ
fentent les Anglois s'éloignant de Charles-
Town & paffant d'ifle en ifle , fans qu'on
fache pofitivement fi leur intention eft de
reprendre le chemin de Savanah , ou de ſe
fixer à Beaufort ou à Port-Royal. La pofition
du Général Prévoft ne fauroit être plus critique
dans le premier de ces endroits ; l'ifle de
Beaufort ne communique à la Caroline que
par une feule chauffée ; & les frégates Américaines
, fous les ordres du Commodore
Hopkins , ftationnées dans la baye , le bloquent,
dit- on, fi étroitement, qu'il ne peut ſe
retirer par eau , ni recevoir des approviſionnemens.
Les Torys & les Sauvages , excités par
eux , viennent de faire une irruption fur les
derrières du Général Sullivan , dont l'armée
étoit alors à Wyoming ; ils ont profité de fon
abfence pour ravager une étendue de pays
affez confidérable fur le Sufquehanna oriental
; quelques milices fe font mifes en marche
pour les punir , & nous ne tarderons pas à
apprendre des nouvelles de cette expédition.
La nouvelle desfuccès de M. le Comte d'Eftaing
aux Antilles nous eft arrivée ily a 4 jours
& nous en avons reçu hier la confirmation
pofitive de St- Eustache , toute la ville donne
à ce fujet les plus vives démonſtrations de
Joie ; nous fentons toute l'importance de cet
évènement ; & nous nous flattons que nos ennemis
, fi vivement occupés ailleurs , ne nous
( 79 )
empêcheront pas de chaffer les troupes qu'ils
'ont dans ces Etats , où ils n'ont pas les moyens
de les renforcer ; il fe pourroit auffi que dans
peu de tems ' nous reçuffions des fecours affez
puiffans pour hâter leur expulfion de ce
Continent
.
i
FRANCE.
De VERSAILLES , le S Octobre.
LL. MM. & la Famille Royale ont figné le
Contrat de Mariage du Comte de Ligniville ,
Comte du St - Empire , ancien Capitaine de
vaiffeau , avec Mlle. Comte.
Le 21 du mois dernier S. M. a accordé les
entrées de fon Cabinet au Baron de Breteuil ,
fon Ambaffadeur extraordinaire près l'Empereur
& l'Impératrice Reine de Hongrie & de
Bohême.
Le 12 , M. Cornette , de l'Académie Royale
des Sciences & de la Société Royale de Médecine
, eut l'honneur de préfenter au Roi ,
à Monfieur , à Mgr le Comte d'Artois , un
Mémoirefur la formation du Salpêtre &fur
les moyens d'augmenter en France la production
de ce fel.
*
De PARIS , les Octobre.
SELON les lettres de Breft , en date du
20 & du 25 du mois dernier , on continuoit
avec beaucoup d'activité les préparatifs
néceffaires pour remettre en mer ;
on remplaçoit les malades des équipages ,
d 4
( 80 )
& on embarquoit de l'eau & des vivres
pour deux mois. Tous les Officiers de l'armée
Espagnole allèrent en corps , le 21 ,
faire une vifite à M. le Comte d'Orvilliers ,
& ceux de la marine Françoife lui en firent
'une le lendemain. M. le Comte du Chaffault
étoit arrivé le 19 au foir , très-bien rétabli
de fa bleffure.
Les mêmes lettres contiennent la relation
fuivante de la fuite des Anglois devant
l'armée combinée , depuis les Sorlingues ,
ou ifles de Scilly , jufqu'à l'ouverture de
la baye de Plymouth.
Le 31 Août 1779 , l'Armée commandée par M. le
Comte d'Orvilliers étant fur trois colonnes , dans
l'ordre naturel , le cap à l'Eft- quart-Sud- Eft , les
vents à l'O. S. O. variables à l'O. N. O. & N. Le
Général à la tête de ſa colonne ; M. le Comte de
Guichen au centre de fon efcadre , marchant à la
gauche de l'Efcadre blanche , Dom Miguel de Gafton
au centre de la bleue , placé à la droite de l'EC
cadre blanche ; Dom Louis de Cordova à la gauche
de la grande Armée ; l'Efcadre légère , commandée
pár M. de la Touche Tréville , à la droite de l'Efcadre
bleue ; les brûlots , bombardes & autres bâtimens
fur les ailes : les frégates avancées découvri
rent au point du jour l'Armée Angloife en avant de
l'Armée combinée , ayant les amures ftribord. As
heures un quart, le vailleau la Bretagne , qui marchoit
à la tête de fa divifion , eut bonne connoiffance par
lui-même de l'Armée ennemie , qui couroit déja les
amures à ftribord , cherchant à fe former ,
fon
arrière-garde reftant à l'Eft-quart-N. E. du compas,
& fon avant-garde à l'Eft- quart- S. E. , à 4 ou 5
lieues de diftance ; en même- tems on découvrit les
Sorlingues du haut des mâts , au N. N. E. du mon
de. Aufli - tôt le Général fit les difpofitions fuivantes :
( 81 )
PEfcadre blanche & bleue eut ordre de venir für
bas-bord par un mouvement fucceffif , & de forcer
de voiles ; l'Efcadre mit en panne ftribord , &
l'Efcadre blanche mit en panne bas -bord au vent ;
l'objet de cette évolution , eft évident par lui- mêmes
un feul coup d'oeil fur le-plan , dans lequel on
apperçoit la fituation des terres , fera remarquer
que M. le Comte de Guichen étoit deſtiné , avec
l'Efcadre qu'il commande , à couper chemin aux
ennemis , en ferrant les côtes d'Angleterre , pour
ôter à l'Armée Britannique la reffource de fes Ports ,
car quoique les Ennemis fuffent occupés dès- lors à
fe former en bataille , les amures à ftribord , M. le
Comte d'Orvilliers ne pouvoit être tranquille tane
que la communication entre les terres & l'Armée
Angloife ne feroit pas coupée ; cependant le Général
ne négligea pas de défendre ftribord , vu qué
l'Ennemi s'y formoit à toute hâte.
7
»Dans ce deffein , & pour conferver le vent fur
la tête de la ligne ennemie , il fit tenir le vent &
mit en panne les deux autres efcadres , mouvement
d'autant plus important qu'on ne pouvoit pas
douter dès- lors que les autres feroient le tour par
le N. & N. E. Le tems vif & clair qu'il faifoit
déjà l'annonçoit évidemment ). Le vaiffeau la Bretagne
, à la tête de l'efcadre blanche , mit en panne
bas-bord au vent , & donna différens ordres aux
frégates & au lougre le Chaffeur qu'on envoya fur
le champ reconnoître la pofition de l'armée ennemie
, & pour être inftruit à chaque inftant par les
fignaux de ces bâtimens , de tous les mouvemens
des Anglois. Par la pófition de l'efcadre blanche
deftinée à faire le corps de bataille de l'armée combinée
, cette efcadre reftoit libre de fuivre fans
aucune perte de tems celle des deux efcadres , qui
felon la circonftance feroit l'avant garde de l'armée
combinée , ftribord ou bas-bord , enforte que la.
ligne ne pouvoit pas manquer de fe déployer avec
ds
( 82 )
toute la viteffe dont l'armée combinée peut être
fufceptible . Mais ce qui étoit vraiment important ,
ce qui a fur- tout dû frapper tout homme du métier ,
vu la pofition des deux armées , relativement au
giffement des terres , c'eft fans doute la néceffité
de porter l'efcadre blanche & bleue dans la Manche
, pour ôter aux Anglois la retraite de leurs
Ports ; le fecond objet étoit de ne pas perdre l'avantage
du vent , dans le cas où les ennemis
continueroient à courir les amures à ftribord en
prenant le large . Dès que l'Amiral Anglois s'apperçut
que le Comte de Guichen fe gliffoit avec
fon efcadre vers les côtes d'Angleterre , il fit re
virer fon armée avec précipitation , & prit chaffe
à toutes voiles ; l'efcadre légère de l'armée combinée
eut ordre de chaffer ; on fit également fignal
à toute l'armée de pourfuivre les ennemis , & en
même -tems au vaiifeau de la tête de la ligne de
bataille de diriger fa route de manière à couper en
avant du chef de file de l'armée Angloife ; malheureufement
notre pourfuite a été vaine , quoiqu'on
ait chaffé les Anglois jufqu'à l'ouverture de la baye
de Plymouth , par la raison qu'une armée ne gagne
point quatre à cinq heures dans un feul jour fur une
autre armée qui fuit à toutes , voiles , ( a) & furtout
avec des vents foibles & variables à l'avan .
tage des fuyards , qui leur ouvrent un port für ,
en laiffant fous le vent l'armée qui pourfuit. Les
Anglois ont affez confervé d'enfemble dans leur
retraite , & les vents , en refufant à leur première
route , les ont placés néceffairement en échiquier ,
& dans le meilleur ordre de défenſe contre les
détachemens de l'armée combinée , en cas qu'ils
euffent pu atteindre leur arrière-garde «.
(2) On n'a jamais vu de deffus les gaillards du vent la
Bretagne que les huniers des vaiffeaux Anglois les plus
rapprochés , & cependant la Bretagne étoit à la tête de
la colonne du centre , & l'horifon très-étendu.
( 83 )
>
Le premier Septembre , au point du jour , on
apperçut l'armée ennemie à 7 à 8 lieues au vent
de l'armée combinée , & dès lors à portée d'entrer
dans la baye de Plymouth , toujours obfervée &
fuivie par les frégates la Concorde & la Gloire
& plufieurs autres , les vents alors à l'E. , & fe
refufant de plus en plus à notre pourfuite ; quelques
tems après , MM. de Cordova & de Gafton
MM. le Chevalier de Monteil , d'Amblimont , &
plufieurs autres vaiffeaux de l'arrière- garde fignalèrent
11 , 13 , & juſqu'à 15 voiles en arrière de
l'armée ; tous ces fignaux étoient accompagnés de
coups de canon & à différentes reprifes , ce qui
indique toujours un mouvement preflé ; le Général
reconnoiffant d'ailleurs l'impoffibilité de joindre
l'armée ennemie qui ne pouvoit dès - lors mettre fur
Ranes -Héat de Plymouth , & craignant de manquer
la flotte fignalée dont on ne connoiffoit
le nombre dans une brume épaiffe , ordonna par
fignal à tous les vaiffeaux de l'armée de virer de
bord vent arrière , & fucceffivement aux vaiffeaux
qui avoient découvert les voiles , de les chaffer ,
enfin à toute l'armée de fuivre les chaffeurs . Ce
convoi fut joint dès trois heures par l'avant-garde ,
& à quatre heures par le vaiffeau la Bretagne
mais il étoit Hollandois , venant de Surinam , ef
corté par trois frégates & un petit bâtiment de la
République «
pas
» M. le Comte d'Orvilliers voulut enfuite revenir
fur Plymouth ; mais en réfléchiffant que les
vaiffeaux de fon armée manquoient d'eau & de
plufieurs autres objets de première néceffité , ainfi
que des moyens de s'en procurer en rentrant dans
la Manche , d'où l'on ne fort pas quand on veut ;
il fe détermina à aller chercher fur le Lézard , &
enfuite fur Quellant , un convoi qui lui étoit envoyé
depuis long-tems par le département de Breft ;
l'armée étant rendue à la hauteur de cette Ifle ,
d 6
( 84 )
reçut ordre de relâcher pour faire de l'eau & rafraîchir
les équipages : en conféquence elle eft entrée
à Breft les 10 , 11 , 12 , 13 & 14 Septembre
, où depuis les nouveaux ordres qu'elle a rereçus
, elle fe prépare à reprendre la mer au premier
jour ".
Selon les lettres du Havre & de St-Malo ,
il n'y a rien de changé aux préparatifs faits
pour l'embarquement ; on croit toujours
qu'il aura lieu , & que la mauvaiſe faifon
n'arrêtera pas l'exécution de ce projet. Le
26 Septembre , on y a reçu , dit-on , ordre
de fournir à chaque foldat une paire de
gros fouliers piqués pour la campagne d'hiver;
le Roi , ajoute-t- on , payera l'augmentation
du prix. On prépare auffi pour les
troupes des capotes & des gilets de Hanelle ,
& on double leurs tentes.
On mande de quelques ports qu'une frégate
arrivée à la Rochelle , & venant d'Hifpaniola
, a rapporté que l'Amiral Parker
ayant avec lui deux vaifleaux de ligne ,
dont l'un eft le Ruby de 64 canons & deux
frégates , a été pris dans les parages de la
Jamaïque , par l'elcadre de la Havane , compofée
de cinq vaiffeaux commandés par D.
Louis Bonnet. Si cette nouvelle fe confirme ,
il eft vraisemblable que cette Ifle importante
ne tardera pas à rentrer fous la domination
des Eſpagnols à qui Cromwell l'avoit
enlevée .
A cette nouvelle que l'on ne peut garantir
encore , nous en joindrons une autre
qué nous fournit l'affiche de Bretagne , du
( 85)
f
24
" du mois dernier. On écrit de Breft , que
les quatre vaifeaux que D , Louis de Cordova
avoit détachés de fa flotte pour une
expédition particulière , fous le cominandement
de D. Ulloa , fe font emparés de
deux vaiffeaux de guerre Anglois , d'une
frégate & d'un bâtiment yenant de l'Inde
richement chargé ".
V
M. le Chevalier de Grimoard , Lieutenant de
vaiffeau , Commandant la frégate la Minerve , prife
fur les Anglois par M. de Tilly , écrit- on de Breft ,
eft arrivé le 19 dans cette rade venant de Saint-
Domingue ; il a mis à terre , le 20 , un Confeiller
du Confeil Souverain de la Martinique , lequel eft
parti le même foir pour Verfailles , chargé des
dépêches de M. le Comte d'Eftaing. Voici , diton
, les nouvelles qu'il apporte. M. d'Estaing en
partant de la Grenade , a été à la Martinique , a fait
raffembler tous les vaiffeaux marchands chargés
pour la France , les a mis à fa fuite & fous fon
escorte , & a fait voile enfuite vers St - Christophe
où il a reconnu l'Amiral Byron & fa flotte emboffée
& placée de façon à ne pouvoir être attaquée ,
& fortement occupé au radoub de plufieurs vaiffeaux .
Il a refté pendant 24 heures devant ce port pour
offrir une revanche à l'Amiral Byron , qui n'a pas
jugé à propos de la prendre. M. d'Estaing , bien
afluré que l'ennemi ne pouvoit rien entreprendre
contre les Antilles , a été à St-Domingue , où il a
raffemble encore tous les vaiffeaux marchands chargés
pour la France , & a efcorté jufqu'au débouque
ment , ce convoi qui eft de 60 à 80 voiles , & qui
doit arriver inceffamment ; il en a été donné avis à
Breft pour qu'on faffe fortir quelques vaiffeaux pour
protéger fon arrivée ; le Protecteur & trois autres
frégates l'escortent en France. M. d'Estaing avec
toute fa flotte difparut le 23 en cinglant vers le.
( 86 )
nord. Ces rapports de la Minerve n'étonnent pas
ceux qui connoiffent l'activité de ce Vice-Amiral.
On ignore quels font fes projets ; fon uſage n'eſt
pas de mettre perfonne dans fes fecrets. Les uns
veulent qu'il ait été à la Martinique ; les autres
croient qu'il a tourné du côté de New- Yorck. Tout
ce qu'on fait , c'eft qu'il a trouvé à St- Domingue
des vivres & des munitions en abondance , & 1800
volontaires qu'il a pris avec lui. Les mêmes nouvelles
difent encore qu'un gros vaiſſeau de l'armée
de Byron ayant été forcé après le combat de la
Grenade de fe retirer à la Jamaïque , y eft arrivé
en fi mauvais état , qu'il y a répandu la plus grande
terreur.
» On a lancé ces jours derniers dans ce port le
vaiffeau le Magnanime de 74 canons ; l'Invincible.
de 100 , le fera avant Noël ; & les trois autres de 74,
l'Argonaute , le Brave & l'Illuftre feront prêts au
premier Avril «e,
On s'eft permis dans la gazette de la Cour
de Londres , en donnant les relations de
la prife de la Grenade & du combat naval
qui eut lieu deux jours après , d'altérer les
faits ; on devoit s'y attendre ; on ne fera pas
fâché de retrouver ici la relation du Lieutenant
du vaiffeau le Fier Rodrigue , armé
par M. de Beaumarchais , qui prit part au
combat ; elle pourra fervir peut- être à éclaircir
ce qu'entend le Lord Macartney dans fa
lettre au Lord Germaine , en parlant des
propofitions extraordinaires que le Général
oppofa à fon plan de capitulation .
» Le 2 Juillet à midi , nous mouillames
devant deux des forts de la Grenade , à peine
fumes nous mouillés que M. le Comte d'Eftaing
ordonna le débarquement; on mit à
( 87 )
terre 1200 hommes , fans voir aucun Anglois.
Le Général s'empara d'une hauteur , fit fes difpofitions
, & la nuit du 4 aus , le Fort d'en haut
du morne de l'Hopital fut attaqué par deux endroits
, tandis que le Général monta à l'affaut par
derrière , & l'emporta l'épée à la main. L'action
dura depuis deux heures & demie jufqu'à quatre
heures du matin. Milord Macartney s'évada & s'enferma
dans le Fort d'en - bas , nommé le Fort
Saint - George , mais celui d'en-haut qui étoit déjà
en notre pouvoir , le commandoit ; & le lendemain
il fe rendit comme M. d'Eftaing le voulut ;
comme ce Gouverneur avoit tenu certains propos
avant d'être vaincu , il a été humilié fingulièrement.
Vous en jugerez par la loi qu'on lui a faite , on a
obligé les Anglois d'amener eux-mêmes leur pavillon
du fort St George , de le jetter dans les foffés où il
eft encore , d'arracher le bâton de pavillon , d'en
élever un autre & de hiffer eux - mêmes le pavillon
François. Lord Macartney vouloit traîner en longueur
, parce qu'il attendoit Byron avec fon efcadre ,
mais notre Général lui fit dire que s'il ne fe rendoit
dans un quart d'heure il alloit l'écrafer ; cette menace
partant d'un homme qui tient fes promeffes , le décida,
& il fe rendit. Tranquille fpectateur de la prife des
forts ou nous avons eu 30 hommes tués & autant de
bleffés , nous attendions le jour qui nous fit voir les
pavillons blancs flottans. Cette vue , agréable à tous
bons François , fut accompagnée de trois cris , de
.vive le Roi, de chaque vailleau . Nous voyons de nos
navires faire la guerre fans rifquer beaucoup , mais
notre tour devoit venir.
Dans la journée dus les frégates de M. d'Eftaing
vinrent lui apprendre que Byron étoit à la voile ; à
4 heures l'efcadre eut ordre d'appareiller , & le jour
ouvrant nous fit voir à deux lieues tout au plus Byron
avec fon efcadre , & un convoi de so voiles. Voyang
( 88
*
que nous n'avions pas eu le tems de nous mettre en
ligne de bataille , il laiffa fon convoi au vent de la
tête de l'ifle pour profiter de notre défordre ; il
elpéroit , fans doute , en tenant le vent , & conféquem .
ment en rangeant la terre , faire paller fon convoi
entre lni l'ifle , tandis qu'il fe battroit avec nous,
Sa manoeuvre étoit fuperbe & décidée , mais fi nous
euffions été en ligne il ne le feroit jamais tiré de ce
pas. Le vailleau le Fendant , qui fe trouvoit à notre
tête , engagea le combat , & dans moins d'un quart
d'heure il devint général. Le feu étoit vif de part &
d'autre , mais nous doublions le leur ; l'armée Angloife
couroit le bord du fud pour aller dans le port & nous
celui du nord; mais à peine le chef de leur ligne eut
il apperçu les pavillons blancs fur les forts , & qu'on
tiroit fur lui , que les Anglois virèrent tous de bord
dans la même pofition & fe trouvèrent conféquem
fur le même bord que nous. Ce fut alors que le feu
augmenta ; nous nous trouvâmes à la queue de nos
vaiffeaux avec l'Amphion & l'Annibal , & là nous
effuyâmes la volée de fix vaiffeaux , l'Annibal nous
garantit par deux fois & fit un feu diabolique ; le
nôtre n'étoit pas moins vif , mais l'Annibal
ayant fait de la voile pour arriver par-devant nous
nous fumes obligés , pour éviter d'être abordés , de
préfenter le devant à trois vaiffeaux , dont l'un
étoit le fecond Commandant Anglois , l'Amiral
Barrington ... Nous virâmes de bord pour aller
rejoindre la ligne qui étoit formée & prendre notre
pofte : M d'Estaing remarqua cette manoeuvre avec
plaifir ; il nous l'a témoigné lui - même ; mais tout
étoit dit ; les Anglois en défordre tenoient le vent
tant qu'ils pouvoient ayant s vaiffeaux démâtés de
leur mât de hune , dont un des plus gros étoit fi
avarié qu'il arriva vent arrière ; nous ignorons
il fe fera retiré , ainfi que l'Eſcadre très-maltraitée.
Pour nous nous louvoyâmes toute la nuit , & le 7
( Juillet ) à 8 heures du matin , nous amouillâmes.
Sour
( 89 )
dans la rade de la Grenade ; nous leur avons pris
trois bâtimens de leur convoi dont un fénaut char
gé de 150 hommes de troupes.....
Je peux vous certifier que de la façon dont nous
les avons arrangés ils n'auront pas envie d'y reve
nir de quelque tems. Le nombre des tués de notre
Efcadre eft évalué à 200 ', & celui des bleffés à
ou 5oo. On a pris des maifons à terre pour y foigner
ces braves gens , & M. d'Eftaing a promis de
faire donner des penfions aux veuves & aux meres ,
ou femmes des eftropiés pour la vie. M. le Comte
d'Estaing vint hier lui-même dans notre bord , accompagné
d'un feul Officier , il nous furprit en négligé
& occupés à nous réparer , il nous dit les chofes
du monde les plus flatteufes.... Quand il defcendit
du bord nous voulumes le faluer par trois
cris de vive le Roi , il nous pria de ne le pas faire.
& fur ce que nous infiftions il nous le défendit.
On dit que M. le Comte d'Estaing a trouvé
dans la Grenade 36,000 nègres . Leur travail
rendoit cette Ifle extrêmement floriffante ;
ainfi plus cette conquête eft importante ,
plus on loue ce Général de ne s'être pas
expofé à la perdre en pourſuivant l'Amiral
Byron.
le
23
La lettre fuivante en date de Strasbourg
du mois dernier , nous a été adreffée par
M. le Comte de Pac ; nous nous faiſons un
devoir de la publier ainfi qu'il le defire.
Je n'aurois peut-être pas eu fi-tôt , MM. le
plaifir de lire votre Ouvrage périodique , fans un
paffage y contenu , qu'un de mes Amis vint me faire
voir. Je fuis même fâché de ne devoir la connoiffance
d'une production fi utile & fi agréable qu'à
cette circonftance.
Le paffage dont il s'agit , eft placé dans votre
Cahier de l'année courante , du Samedi 21 Août ,
( 90 ).
dans la partie du Journal , Pologne , de Varsovie
le 23 Juillet , page 99.
Il eft indifpenfable pour moi , MM. , de vous en
entretenir un moment. Il m'importe que vous foyez
mieux informés , fur un fait gratuitement avancé ,
fur un fait trop délicat , pour ne pas irriter ma fenfibilité
; fur un fait enfin , diamétralement oppoſé à
ma façon de penfer. Il m'importe que vous en foyez
plus inftruits , parce que j'en aurai tout lieu de me
promettre, que fuivant l'impulfion de la fageffe &
de la prudence qui vous caractériſent , vous ne me
refuferez pas de détruire , par un de vos premiers
Journaux , l'impreffion du Public , fauffement informé
fur mon compte par ledit paffage , qui n'aura
pu fe gliffer dans votre Journal , qu'à titre de répétition
innocente de quelque Feuille étrangère.
Je crois devoir vous dire , MM . , que je fuis celui
dont il eft queftion dans le paffage de votre Journal
ci- deffus cité de date ; & que je fuis celui
qu'on a vu avoir l'honneur de préfider à la Nation
Polonoife Confédérée , en qualité de Maréchal-
Général de la Confédération du Grand-Duché de
Lithuanie. Voici le paffage mot à mot. » Le Comte
de Pac , ci-devant Maréchal de la Confédération
de Lithuanie , eft attendu inceffamment dans
cette Capitale , il vient fe foumettre & réclamer
le pardon du Roi & l'indulgence de la Répu-
» blique ".
•
Les expreffions , réclamer le pardon & l'indulgence
, ne conviennent qu'à un coupable , qu'à un
criminel ; elles ne peuvent être que très- préjudicia
bles à la réputation d'un homme d'honneur & d'un
Citoyen zélé pour fa patrie,
Il feroit fuperflu de vous détailler , MM. , les
motifs qui ont fait naître notre Confédération ; les
calamités de la République de Pologne , de ces temslà
, ne font ignorées de perfonne : d'ailleurs il me
convient de fuivre avec exactitude la règle que je
( 914 )
me fuis impofé, d'obferver le filence fur tous ces
évènemens antérieurs .
Dans cet inftant , où les Papiers publics parlent
fur mon compte ; mon unique foin eft ma défenſe
propre & perfonnelle : encore relativement à cer
article fi intéreffant pour moi , veux - je m'aflujettir à
la plus fimple explication , & purement telle , que
je préfumerois fuffifante pour convaincre le Public
de ma conduite irréprochable.
Je me borne donc à vous dire , MM. , que dans
mes entreprifes , en vue de me rendre utile par mes
fervices à la République , je n'ai obfervé que fon
danger , & n'ai fait que lui confacrer ma vie & mon
bien pour la fauver que mon zèle patriotique a
guidé mes premiers mouvemens , & que le devoir
de Citoyen a réglé mes démarches ultérieures.
Avec des intentions fi pures & fi innocentes , n'efton
pas bien éloigné de toute idée de crime envers la
patrie ? Peut-on être taxé de tranfgreffion des liens
facrés & refpectables , par lefquels on tient à la
conftitution d'une Nation libre ?
J'oferai même avancer que n'ayant rien à me
reprocher , & n'ayant rien fait que fuivant ma confcience
, & conféquemment aux droits que les Loix
de la Pologne me donnoient de m'oppofer à des
entreprifes , que je regardois comme injuftes & dan
gereufes , je ne pourrois jamais me croire obligé
de réclamer le pardon & l'indulgence , quand je
me déterminerois à retourner dans mon pays , que
je me préfenterois alors avec l'affurance d'un Citoyen
vertueux fous les yeux des Etats , qui connoiffent les
droits de fes Citoyens , & que la République , fi elle
pouvoit me juger librement , je fuis affuré qu'elle
feroit bien éloignée de regarder ma conduite , comme
ayant befoin de pardon , & d'être examinée avec
indulgence.
Je vous dirai enfin , MM. , que juſqu'à ce moment
, il n'eft encore nullement de mon intention
de me rendre dans mon pays.
( 92 )
3
Après cet expofé , je défite , MM. , & vens en
prie très-inftamment, que par votre ministère le Public
foit éclairé fur les vérités que j'ai l'honneur de
vous marquer. Vous m'obligerez même infiniment ,
fi vous trouviez place pour cette lettre en entier
dans votre Ouvrage périodique : ce feroit par ce
moyen plus aifé pour vous , MM. , & plus efficace
pour tranquillifer mes inquiétudes , me rendre un
fervice bien effentiel ; parce que de la publicité
complette que vous donneriez à ma façon de penfer
, que je viens de vous dévoiler au fujet du paffage
fufmentionné , il me reviendroit un bien d'un
prix ineftimable ; c'eft celui de la confervation de
T'eftime du Public , & fur-tout de celle de l'illuftre
Nation Françoife , au milieu de laquelle j'ai l'hon
neur de paffer mes jours , Nation aimable & refpectable
, qui pofsède les plus précieux fentimens
de mon coeur , & les plus purs hommages de mon
ame. J'ai l'honneur d'être , &c. figné , le Comte DI
PAC.
Madame la Marquife de Montmirail a
établi à Boinville une fête à l'inftar de celle
de la Rozière de Salency ; une perſonne
curieufe d'en apprendre les détails , s'adreffa
à un ami qui en avoit été témoin oculaire
la réponſe en eft courte ; on nous
prie de la publier , & nous le faifons avec
beaucoup d'empreffement ; la connoiffance
de ces établiſſemens utiles peut les multiplier;
& ce feroit une fatisfaction bien douce
pour nous d'y contribuer au moins en les
annonçant.
Non , je ne prends point pour une indifcrétion
la demande que vous me faites au fujer de la fête
de la Rozière , que Madame la Marquife de Montmirail
vient d'établir dans une de fes Paroiffes ; il
eft d'une ame honnête & vertueufe comme la vô
( 93 )
,
tre de s'intéreſſer au maintien des moeurs & au fort
de la vertu , quelque part qu'elle fe trouve ; & loin
de m'offenfer de votre curiofité , je me propoſe de
la fatisfaire de point en point , lorfque nous ferons
réunis à votre maiſon de campagne ; les détails de
cette intéreffante cérémonie , étant trop longs pour
me les permettre , ou même pour ofer les entreprendre
dans une lettre ; ainfi tout ce que je peux
vous en dire à ce moment , c'eſt que , n'en déplaife
aux Salenciens & aux Bonnes gens de Canon , jamais
Rofe n'a été mieux méritée ni Rozière mieux
fêtée , la pieufe & bienfaifante Dame de ces Hameaux
n'ayant rien négligé de ce qui pouvoit contribuer
à la pompe & a la magnificence de ce couronnement
: c'eft ainfi , Monfieur , que par une religieufe
& charitable induftrie , elle a cru devoir fe
fervir de l'attrait des récompenfes , pour infpirer
l'amour & la pratique de la vertu ,
å des ames trop
peu fenfibles aux charmes , ou plutôt à la force de
fes exemples , & je défirerois bien , à vous dire vrai ,
voir ces fortes d'établiflemens plus répandus dans
les campagues , afin d'y infpirer une noble émulation
à la jeuneffe malheureufement trop accoutumée
à fe décourager , ou à s'avilir encore par le défef
poir de fortir de l'obfcurité. Mais remettons à une
autre fois les réflexions que je pourrois faire pour
& contre ces établiffemens : comme voilà déja quelques
momens que j'abufe de la complaifance de la
refpectable compagnie qui m'attend , je vous quitte
pour la rejoindre , & vous prie de me croire , & c ...
On écrit de Montpellier que pendant un orage qui
s'éleva fur le bourg de Viol , en Laval , dans les
premiers jours de Septembre , le Métayer d'une terre
voifine , fa femme & leurs enfans , au nombre de 4 ;
cherchant à ſe raſſurer mutuellement contre la crainte
que leur infpiroit le bruit du tonnerre , fe réunirent
dans le même lit. A peine y furent-ils entrés que
foudre tomba , & tua le père & un de fes enfans . Elle
ne fit aucun mal aux autres . La mère fut brûlée à la
la
( 94 )
tête , refta long - tems fans connoiffance & eut
beaucoup de peine à recouvrer l'ufage de les fens.
Les Lettres viennent de perdre M. Laureault
de Foncemagne , fous-Gouverneur du
Duc de Chartres , membre de l'Académie
Françoife , de celle des Infcriptions & des
Belles-Lettres . Il eft mort le 26 du mois
dernier , dans la 86e. année de fon âge.
M. Farges de Poliffy , Confeiller d'Etat
ordinaire , Doyen des Doyens des Maîtres
des Requêtes , eft mort le 19 du même
mois , dans fa 80e. année.
Jean- Baptifte Pothenot , ancien Capitaine
de Cavalerie de St- Domingue , Ecuyer &
Gentilhomme de la Grande Vénerie , eſt
mort en fon château des Boullets , le 19 ,
dans la 82. année de fon âge.
Louis-Jofeph de Mazeliere , ancien Capitaine
de Cavalerie , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , eft mort à
Nérac en Guyenne , âgé de 55 ans.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 17
Août , enregistrée au Parlement le 6 Septembre
fuivant , portant , entr'autres chofes , que dans le
cas où un navire marchand , par fortune de mer ,
auroit été mis hors d'état de continuer fa navigation ,
& auroit été condamné en conféquence à ne plus
fervir , les Affurés pourront faire délaiſſement à leurs
Affureurs , du corps & quille , agrès & apparaux
dudit navire , en fe conformant aux difpofitions de
l'Ordonnance de , 1681 , fur les délaiffemens . Les
Affurés ne font admis à faire ce délaiffement qu'en
repréſentant les Procès - Verbaux de vifite du navire ,
ordonnés par les articles 1 & 3 de la préfente Décla
ration.
( 95 ).
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie Royale
de France , du rer . de ce mois , font : 73 , 21 , 86 ,
32 ,
66.
De BRUXELLES , le S5 Octobre.
LES lettres de Cadix portent qu'on y
prépare avec la plus grande célérité , des
pontons & autres bâtimens capables de
porter des canons de 36 livres & des mortiers
deftinés à foudroyer les batteries éle
vées à Gibraltar fur la pointe d'Europe . Il
paroît décidé que le fiége de cette place
commencera vers les premiers jours de ce
mois ; & on voit par les difpofitions qui
ont déjà lieu , qu'on fuivra les plans d'attaque
donnés par feu M. de Vallière.
Pendant que les hoftilités fe pourſuivent
avec fuccès en Amérique , qu'on s'apprête
à s'emparer de Gibraltar en Europe , &
que les flottes combinées de France & d'Efpagne
fe préparent à remettre en mer , on
parle de nouveau de paix , mais il femble
qu'on la defire plus qu'on ne l'efpère.
» Tous les bruits qui ont couru à ce sujet , écrit-on
de Paris , commencent à s'évanouir ; le voyage de
M. de Simolin ici a paru aux fpéculatifs n'avoir pour
but que la médiation qu'on a dit avoir été offerte par
la Ruffie ; le féiour de M. d'Almodovar leur a auffi
fait fuppofer que cet Ambaffadeur ne regardoit pas
fon retour à Londres comme fort éloigné ; mais le
départ de ces deux Miniftres a fingulièrement dérangé
leurs idées . M. de Simolin eft parti pour Londres
fans qu'on fe foit apperçu qu'il ait travaillé à un
accommodement ; & M. le Marquis d'Almodovar fe
( 96 )
difpofe à retourner à Madrid , où les équipages l'ont
déja précédé avec toute la famille. Quelque vocu que
l'on faffe pour la paix , il ne femble pas qu'elle puiffe
être fi prochaine. La guerre ne fait que commencer ;
les Puillances , ou du moins la France & l'Eſpagne ,
fontencore toutes fraîches ; ileft vraisemblable qu'elles
fe prêteroient à un accommodement ; mais il faudroit
que l'Angleterre le demandât. On ne peut pas imaginer
que cette Puiffance qui n'a jamais voulu confentir feulement
à reconnoître l'indépendance de l'Amérique ,
puiffe fe réfoudre fitôt à ce facrifice indifpenfable , & à
ceux que l'Espagne eft en droit d'exiger d'elle , après
des armemens & des dépenfes immenfes.
Les préparatifs immenfes qui paroiffent .
dirigés contre l'Angleterre , n'empêchent
point le Ministère François de s'occuper des
climats lointains , où fes ennemis ont cherché
à réparer par des conquêtes précoces
& conféquemment injuftes , les pertes qu'ils
avoient faites en Amérique. On affure qu'il
va être envoyé dans l'Inde quelques vaiffeaux
& quelques bataillons. On en a armé déjà
trois , dont un du régiment de la Sarre , un
d'Auftrafie & un de la Marine , qui doivent
partir dans le courant du mois prochain.
On écrit de la Haye que le Ministère
Anglois vient de faire préfenter un nouveau
Mémoire aux Etats - Généraux , où il
demande formellement les fecours ftipulés
entre l'Angleterre & la République , en
cas d'attaque ; mais on ajoute que ce Mé
moire n'a fait , comme les précédens , qu'affermir
les Etats - Généraux dans leur ſyſtême
de neutralité abfolue.
La Suite du Manifefte de l'Espagne à l'ordinaire
prochain.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
PARMI les principales perfonnes difgraciées
l'occafion des derniers défaftres qu'on a effuyés
dans cette Capitale, on compte le Koul
Kiaya , ou Lieutenant-Général des Janiffaires ,
& le Topigi Bachi , Grand-Maître de l'artillerie
; l'un & l'autre ont été dépofés & relégués
dans deux Ifles différentes del'Archipel.
Le motif qu'on donne de leur exil eft qu'ils
n'ont pas fait leur devoir lors des derniers
incendies. Plufieurs perfonnes prétendent
qu'il y en a un autre plus grave , celui d'être
les fauteurs des mécontens. Ceux qui excitent
la populace , fe gardent bien de fe montrer ;
ils veulent , dit- on , abſolument opérer une
révolution dans le Ministère , & forcer le
Grand - Seigneur à renvoyer fes favoris . Ils
n'y ont pas réuffi jufqu'à préfent . Ils ont cherché
, dit - on , de l'appui dans quelques - uns
des Officiers qui approchent le plus S. H. On
attribue même la difgrace du Kiflar Aga ou
Chef des Eunuques qui a été dépofé avant-
16 Octobre 1779.
( 98 )
4
hier , & envoyé en exil , à la foibleffequ'il a
eue de fe prêterà leurs infinuations & de parler
à fon Maître contre le Selictar- Aga. N'appercevant
pas le danger de la commiffion dont
on le chargeoit , il a confenti à l'exécuter &
en a été la victime .
SUÈDE.
De STOCK HOLM , le 10 Septembre.
Le Roi , par une Ordonnance en date
du 16 de ce mois , a réduit de vingt à cinq
pour cent , le droit de douane , que payerontà
l'avenir les toiles des Indes Orientales appellées
Nankins , qui refteront dans
Royaume.
ce
Selon plufieurs lettres , 4 vaiffeaux de ligne
& 3 frégates de l'efcadre du Roi , arrivérent
le 20 Août à Winge- Sand ; le refte étoit
à Wikelfiord , où il attendoit de nouveaux
ordres .
6
Ce Royaume a méconnu long-tems les
bons effets de la tolérance ; l'expérience des
Nations voisines nous a appris qu'elle étoit
une fource de population & de richeffe , &
la dernière Diète s'eft enfin empreffée de l'adopter
, en promulguant une loi à cet égard .
Nous commençons à en voir les fruits. La liberté
de confcience a déja attiré un grand
nombre de perfonnes de différens cultes. On
ne compte pas moins de so familles Juives
qui fe font établies depuis ce tems dans
cette Capitale , où elles ont fait venir de
Lubeck un de leurs principaux Rabins.
$
(99 )
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 12 Septembre.
IL paroît décidé actuellement que les
troupes Ruffes qui fe trouvent encore fur le
territoire de la République , ne le quitteront
point inceffamment comme on l'avoit cru ,
& qu'elles y pafferont l'hiver. La plupart de
celles qui étoient en Wolhynie ont évacué
cette Province au grand regret des habitans
qui ayant fait une récolte très - abondante ,
auroient été bien-aifes de trouver plus près
d'eux les débouchés néceffaires pour la confommation
de leurs denrées .
f
Il s'eft élevé quelques difficultés entre les
habitans de la Pologne & les Ruffes , au ſujet
des frontières en-deça du Nieper. On avoit
arrêté par les traités que l'on laifferoit inculte
un terrein confidérable arrofé par la
rivière de Tofmin qui fe jette dans le Nieper.
Quelques Polonois ont voulu s'approprier
la tonte de ces prairies ; & les Ruffes qui ont
regardé cette tentative comme une infraction
, s'y font oppofés..
Le bruit court que le Baron de Rewitzky ,
Miniftre de LL. MM II. & R. eft fur le point .
de revenir ici pour y reprendre les fonctions
de fon Miniftère auprès du Roi & de la République.
Le départ de M. Blanchot , Miniftre de
Pruffe en cette Cour , qui avoit eu déja fon
audience de congé , eft , dit-on , fufpendu ;
e 2
( 100 )
on prétend qu'il attendra ici la décision d'un
procès important qui a été porté devant la
Commiffion du Tréfor.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Septembre.
LE 14 de ce mois , à l'occafion de la fête
de l'exaltation de la Ste-Croix , l'Impératrice-
Reine fit une promotion de 47 Dames de
la Croix-Etoilée , au nombre defquelles eft la
Comtelle Onefti , née Comteffe Brafchi
foeur du Pape régnant.
Selon les nouvelles que l'on reçoit du
voyage de l'Empereur , il ne doit être à Prague
que le 25 ou le 26 de ce mois ; il a ordonné
la conftruction de nouvelles fortifications
dans tous les endroits que l'expérience
a appris qu'il étoit important de défendre ,
pour empêcher un ennemi de pénétrer dans
le pays. Depuis qu'il eft en route , il n'a paflé
la nuit dans la maifon d'aucun Seigneur de
Bohême , c'est toujours chez de fimples particuliers
, ou chez des Curés qu'il eft defcendu
. Tout fon train eft compofé de cinq
voitures , y compris celle qui eſt deſtinée
aux bagages & au tranfport de fa cuifine. Il
lui faut toujours 30 chevaux de relais , & fa
garde confifte en 3 huffards , commandés
par un bas-Officier.
On dit que la Principauté de Tranfylvanie
fera réunie à la Couronne de Hongrie , de
manière que cette Principauté fera gouvet(
101 )
née , autant que fa conftitution le permet ,
felon les Loix Hongroifes. Si cette réunion a
lieu , comme on le croit , il eft vraifemblable
qu'on en fera une pareille des Royaumes
de Lodomerie & de Gallicie.
L'Impératrice de Ruffie vient de gratifier
M. Jean- Jacques Boefner , Banquier à Brody ,
dans la Pologne Autrichienne , d'une tabatière
d'or entourée de brillans , en récompenfe
d'une découverte très-intéreflante pour
la Ruffie , qu'on dit qu'il vient de faire . Le
Feld-Maréchal Comte de Romanzow a cu
ordre en même tems de l'aflurer de la bienveillance
de fa Souveraine..
De
RATISBONNE , le 30 Septembre.
Le Comte de Sensheim , le Comte de
Konigsfeld , le Baron de Kreitmayer & M. de
Kuntzmann ont été chargés avant le départ
de l'Electeur Palatin , de l'adminiſtration des
affaires du Duché de Bavière. On dit qu'il
doit s'y faire divers changemens pour la mettre
autant qu'il fera poffible fur le pied de
celle du Palatinat.
L'Ouvrage de Fébronius , qui fit beaucoup
de bruit dans fa nouveauté , & qui fut oublié.
enfuite , femble avoir repris un nouveau
degré d'intérêt depuis la rétractation que
l'Auteur en a faite ; on l'a réimprimé dans
plufieurs endroits ; & on en voit paroître de
nouveaux , écrits dans les mêmes principes.
On ne fauroit prendre trop de précautions
quand on a du poifon chez foi . Le 1er. de ce mois ,
( 102 )
écrit-on de Drefde , un particulier s'étant mis en
colère fur le foir , & ne pouvant dormir la nuit ,
alla à une armoire pour prendre des poudres
tempérantes ; malheureufement , il y avoir à côté
de la boîte qui les renfermoit , une autre boîte
remplie de mort - aux - rats ; il fe trompa & prit de
cette poudre. Se trouvant fort agité , il pric de la
lumière , retourna à fon armoire , reconnut fa méprife
fon agitation augmenta ; il appella au fe
cours , mais les contre poifons furent inutiles , il
expira après douze heures de tourmens horribles
".
On lit dans une feuille publique , imprimée
à Berlin , les détails fuivans que nous
nous empreffons de tranfcrire. Les perfonnes
illuftres auxquelles ils ont rapport , peuvent
être regardés comme une famille de foldats.
Léopold , Prince d'Anhalt , un des plus fameux
Capitaines & Soldats de notre fiècle , qui
mourut en 1746 , perdit l'an 1717 fen fils aîné ,
le Prince Guillaume Guftave , qui étoit né en 1669.
Le Prince Guillaume Guftave fe maria en 1726 ,
avec Jeanne - Sophie Herre , une des plus fages ,
des plus vertueufes & des plus belles perfonnes
de fon fexe. De ce mariage naquirent fix fils &
trois filles , Guillaume , Léopold , Gaſtave , Frédéric
, Albert , Henri , Jeanne Sophie , Guillelmine
& Léopoldine. Dans la guerre de 1756 , trois de
fes frères périrent dans les armées & les trois
autres furent dangereufement bleffés . Guillaume fut
tué à la bataille de Torgau , à la tête de fon bataillon
, par un obus . Guftave finit fes jours devant
les rangs de fa compagnie de grenadiers , à la
bataille de Breslau , par un coup de canon . Henri
mourut dans la tente près de Dreſde , en 1758 ,
à la fuite d'une cruelle dyflenterie , n'ayant voulu
jamais quitter l'armée. Léopold eft boiteux , ayane
eu la jambe fracaffée d'un coup de moufquet à la
"
( 103 )
bataille de Prague Frédéric eft eftropié d'un coup
de feu qui lui a brifé le bras gauche , au combat
de Gorlitz ou de Moysberg. Albert eut une
contufion douloureufe d'un coup de moufquet à
la poitrine , à la bataille de Cunersdorff ou de
Francfort. Il paroît qu'il n'y a guère d'exemple
d'une famille où la guerre ait fait un plus grand
ravage. La mère de cette lignée vit encore dans
un âge fort avancé. Léopold eft Général - Major
Pruffien ; Frederic , Lieutenant- Général Saxon ; &
Albert fert en Pruffe avec le grade de Major.
Les trois filles font encore vivantes. Jeanne-Sophie
n'eft pas mariée'; Guillelmine eft veuve da
Colonel Hanovrien de Campe, & Léopoldi: e a pour
époux le Colonel de Pfuhld , de l'armée du Roi de
Pruile «.
ITALI E.
De NAPLES , le 15 Septembres
LA Cour continue fon féjour à Portici ,
d'où le Roi , n'écoutant que fa bienfaifance
& fa tendreffe pour fes peuples , ne ceffe de
faire paffer des fecours aux habitans infortunés
d'Ortajano & des environs rumés pår
la dernière éruption du Véfuve ; S. M. leur
a fait diftribuer 6000 ducats , & a ordonné
en même tems qu'on lui remît un tableau
exact des ravages pour la mettre en état de
pourvoir aux dédommagemens néceffaires ;
elle déclaré qu'elle donnera d' autres fecours
aux habitans de Caccia-Bella.
-
Il eft arrivé ici de Palerme 2 de nos galiotes
ayant fous leur eſcorte plufieurs barques
chargées de grains que la Cour a fait venir
de Sicile ; elle avoit envoyé à cet effer
e 4
( 104 )
120,000 ducats au Duc de Villaciofa , Vice-
Roi de ce Royaume. On a commencé à y
ouvrir la grande route Royale , qui conduira
de Palerme à Catane , & de Catane à
Melline.
Après de longues difcuffions & un mûr
examen , le Tribunal du Grand- Aumônier du
Royaume a reconnu & déclaré de patronage
Royal les Evêchés d'Averfa & della Cava
ainfi que la riche Abbaye de la Trinité , appartenant
aux Religieux du Mont- Caffin.
>
» Un Gentilhomme Anglois nommé Gifford ,
écrit on de Rome , ayant allifté au fupplice du
fieur Anguilla , & été témoin de l'intrépidité du
coupable , convaincu que la mort n'a rien d'effrayant
, & fortement attaqué du fpléen , fe coupa
la gorge il y a quelques jours. Son domesti
que , qu'il avoit éloigné en lui donnant quelques.
commiffions , le trouva à fon retour baigné dans
fon fang ; mais comme il refpiroit encore , il appella
du fecours , & l'Anglois , avant d'expirer
eut le tems & la force de déclarer qu'il étoit le
feul auteur de fa mort , qu'il donnoit à fon domeftique
25 guinées , fa montre , fes habits , fon
linge , & qu'il defiroit que fon corps fût tranfporté
à Londres. Le valet affligé but , pour fe
confoler , une bouteille d'excellente liqueur , dont
la vapeur lui monta bientôt à la tête. Il fe mit
dans le lit de fon Maître , & fe couvrit depuis
les pieds jufqu'à la tête. Ceux qui s'étoient chargés
de tranfporter le cadavre , arrivent pendant
fon fommeil , enlèvent le domestique qui étoit
ivre , l'enveloppent dans un drap & le portent
dans la rue ; les fecouffes furent fi violentes qu'il fe
réveilla enfin en pouffant un cri ; les porteurs effrayés
croyant l'homme reffufcité , prirent la fuise;
ce fut avec beaucoup de peine qu'on parvint
( 105 )
à les rappeller & à leur perfuader d'enterrer le
véritable mort «.
De LIVOURNE , le 20 Septembre.
LES lettres de Rome portent que le Pape
a fixé au 20 de ce mois un Confiftoire dans
lequel il propofera plufieurs Eglifes vacantes.
» Le mandement de l'Evêque de Mohilow dans
la Ruffie- Blanche , pour établir un noviciat de Jéfuites
dans fon Diocèfe , ajoutent les mêmes lettres
, a fait ici beaucoup de bruit . On affure que
S. S. a fait appeller tous les Minifties étrangers
pour leur déclarer que cet Evêque avoit en cela excédé
fa commiffion , qu'il s'autorifoit mal - à - propos
des pouvoirs de Vicaire Apoftolique qui lui
avoient été accordés , & que S. S. lui avoit fait
expédier par la voie de la Secrétairerie d'Etat , &
par celle de la Propagande , des ordres précis
de révoquer fon mandement comme illégitime &
nul de plein droit. Ce qui fait préfumer qu'elle a
réellement fait cette déclaration ; c'est l'avis fuivant
qui a été inféré par autorité dans le Diario ora
dinario de cette lle. On a lu dans quelques
papiers publics que l'Evêque de Mohilow a rendu
une Ordonnance pour ouvrir dans la Ruffie Blanche
des Maifons de Noviciat pour les Jéfuites , comme
s'il en avoit reçu la permiflion du S. Siége. Pour
détromper le Public , nous fommes autorisés à
aflurer que S. S. n'a donné & n'a eu aucune intention
de donner une pareille permiffion. Tout ce
qu'on lit dans les gazettes à ce fujet eft non-feu
lement controuvé , mais l'Evêque même eft pleinement
inftruit de la non-exiſtence de ces prétendus
pouvoirs & des intentions du S. Pere , qui
font totalement contraires à celles qu'on ole lui
fuppofer "
On écrit de Veniſe que le Sénat vient de
es
( 106 )
confirmer & de renouveller l'Edit du 5 Septembre
1768 , par lequel il eft ftatué pour
toujours , que les Couvens de femmes ne
pourront recevoir des Novices qu'à l'âge de
21 ans , & dans les Couvens d'hommes on
ne pourra être admis à la profeflion qu'à
25 ans.
Le Comte de Turpin , Maréchal de Camp ,
écrit on de Baſtia en Corſe , eſt arrivé ici à bord
de la frégate la Mignonne , & a pris le commandement
de cette place pendant l'absence du Comte
de Marboeuf , qui eft allé dans les terres de
Carghefe. Le 13 de ce mois le chébec le Cameleon
eft entré dans le golfe de S. Florent , avec un
brigantin de Mahon , chargé de cuirs , de vins &
de cordages ; ce bâtiment , de conftruction Angloife
, portoit pavillon de Jérufalem. Son équipage
n'eft compofé que de gens qui étoient dans
les prifons de Mahon , & qui en font fortis pour
être employés dans cet armement. Dans une bouée
& dans la calle on a trouvé des lettres & des
paquets deftinés pour l'Angleterre. Il y avoit à
bord trois Officiers fupérieurs , ainfi que le fieur
Abudheram , fameux Négociant Juif , établi à
Mahon , & dont la famille qui eft à Livoume ,
fert de correfpondant aux Anglois «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 15 Septembre.
LA Cour eſt toujours à St -Idelphonfe. La
Princeffe des Afturies , qui eft entrée dans
le quatrième mois de fa groffeffe , continue
de jouir de la meilleure fanté.
La Maîtrife de la Grenade , dont l'Infant
Dom Gabriel eft le chef, vient d'offrir par
છે .
( 107 )
>
Prince, au Roi, tout ce qui eft en fon pouvoir
pour le fervice de S. M. Plufieurs particuliers
fe font empreffés de montrer le même zèle.
D. Bruno de Haro - Salafar , un des Inquifiteurs
du Tribunal de Sarragofle , a prié le
Roi d'accepter pour tout le tems que durera
la guerre , les revenus d'un Canonicat qu'il
polsède dans l'Eglife de Ségovie , fe contenrant
des fimples appointemens d'Inquifiteur.
D.Fernando -Manuel de Rumonofo Velarde ,
habitant d'Arenas de St- Pédro , l'a fupplié
également d'agréer une fomme de 8000 réaux
qu'il avoit en argent comptant.
er
Toutes les nouvelles que nous avons du
camp de Saint-Roch fe réduisent à annoncer
qu'on continue d'y apporter des munitions
de guerre & de bouche , & que les troupes
y arrivent fucceffivement. D. Barcelo continue
de bloquer auffi étroitement qu'il lui eſt
poffible la baie de Gibraltar. Le 1. de ce mois
il effaya d'intercepter un convoi de 3 balandres
Angloifes , 5 navires Portugais , 2 Hollandois
& un Suédois qui étoient en route
pour approvifionner Gibraltar ; il fe faifit
de plufieurs ; mais il ne put empêcher les
2 Hollandois d'entrer dans la place. Depuis
cette époque nous avons appris que la Reine
de Portugal a défendu , fous de très- grièves
peines , à tous fes fujets de porter des vivres
à Gibraltar.
35
Une frégate de guerre batbarefque aux ordres
du Reis Hamet , montée de 20 canons & de
80 hommes d'équipage , écrit- on de Carthagène ,
€ 6
( 108 )
arriva ici les de ce mois de Larrache . Le Reis
raconte qu'il a rencontré dans le Détroit , le 31 du
mois dernier , plufieurs navires Espagnols , dont
l'un a détaché un Officier pour lui offrir ce qui
lui feroit néceffaire . Depuis ce tems-là manquant
d'eau & ayant fon gouvernail maltraité , il réfolut
de fe rendre ici , conformément aux ordres
du Roi de Maroc , qui lui permettoit de fe rendre
dans tous les ports d'Espagne pour y demander
les fecours dont il pourroit avoir beſoin , ce
qu'on lui a fi bien fourni , qu'il fe trouve déjà
en état de remettre en mer «.
Nous apprenons de Lisbonne que dans le
moment même où D. Antonio de St -Joſeph ,
nommé à l'Evêché de San Salvador , dans le :
Bréfil , montoit fur le vaiſſeau qui devoit le
conduire en Amérique , il a été frappé d'apoplexie
, & a expiré fur- le- champ .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 30 Septembre.
LA Cour a enfin reçu des nouvelles du
Général Prévoft ; elles ont été apportées par
le Lieutenant- Colonel Prévoft , arrivé le 23
de la Georgie ; elles confirment l'échec que
nos troupes ont effuyé dans leur entreprife
fur Charles-Town . Après avoir vu différentes
relations particulières de cette expédition
on ne fera pas fâché de voir ici ce qu'il a
plu au Miniftère d'en publier. La gazette
ordinaire de la Cour du 25 de ce mois contient
les détails fuivans .
» Je me ferois eftimé heureux , écrit le Général
Prévost , de l'Ile St Jean des10 Juin , de pouvoir
( 109 )
}
vous apprendre la reddition de Charles- Town, Je
vais vous expofer les raifons qui ont interrompu
nos progrès , qui ont déterminé à faire marcher
l'armée de S. M. dans cette Province. Informé
vers la fin d'Avril , que le Général Lincoln ( qui
jufqu'alors fur la rive Septentrionale de la Savannah
avoit occupé une pofition , au moyen de laquelle il
couvroit également toutes les parties d'une rivière
extrêmement difficile en tous temps , mais regardée
comme impaffable dans la faifon des eaux fauvages ,
& à la face d'une armée ) avoit porté la majeure,
partie de fon armée fur Augufta , pour pénétrer
de là en Georgie , & protéger une affemblée de
députés rebelles , dont le rendez-vous étoit fixé à
Augufta , je me déterminai à entrer dans la Caroline.
Le corps d'obfervation de l'armée rebelle ,
montant à environ 2 mille hommes , ( milice en
majeure partie ) aux ordres du Brigadier- Général
Moultrie , furpris de voir les troupes Britanniques
fortir des marais regardés comme impaffables , fut
frappé d'une terreur panique fi violente , qu'il ne
difputa que foiblement plufieurs défilés difficiles
par lefquels nous avions à paffer pour le pourfuivre ,
& s'enfuit vers Charles- Town avec toute la precipitation
imaginable. Les ennemis étoient tellement
perfuadés que nous allions nous borner à fourrager
dans le pays , que ce ne fut que quelques jours
après que nous eûmes pénétré dans la Caroline
Méridionale , que le Général Lincoln fe détermina à 1
la retraite & à marcher au fecours de Charles
Town ; il détacha vers cette place un corps d'infanterie
, qui monta à cheval pour faire plus de diligence;
& après avoir raffemblé toutes les milices éparfes
dans les parties fupérieures du pays , il fe mit en
marche vers Dorchefter. La facilité avec laquelle
l'armée Britannique s'étoit approchée de Charles-
Town , ( malgré le nombre de rivières , eriques ,
marais & autres obftacles naturels du pays jointe
( 110 )
aux fuggeftions réitérées des amis du Gouvernement
que nous avions rencontrés , qui nous affuroient
pofitivement que Charles - Town fe rendroit à notre
approche , me détermina , avec l'avis de tous les
Officiers de l'Etat Major de l'armée , à faire la
tentative : le Lieutenant -Colonel Prévost , qui commandoit
l'avant-garde, fomma la ville le 12 du mois
dernier : mais j'ai tout lieu de croire que d'une
part , n'ayant point de forces navales pour coopérer
avec nous , point d'artillerie pour battre là
place , de l'autre , le Rebelles attendant à tout
moment du renfort , & inftruits de l'approche de
l'armée du Général Lincoln , toutes ces confidérations
déterminèrent l'ennemi à propofer la neutralité
pour la Province , & à refufer les offres généreufes
qui lui étoient faites dans le cas où il confentiroit
à capituler. L'artillerie nombreuſe montée fur
les remparts , les vaiffeaux & galères qui couvroient
& flanquoient les lignes rebelles , le peu de monde
que nous avions , qui n'excédoit pas le nombre de 2
mille hommes propres à faire le fervice : la crainte
de hafarder à la fois cette petite , mais brave armée ,
& la province de Georgie , m'engagerent , ainfi que
tous les membres du confeil de guerre , qui fut
tenu à cetre occafion , à prendre le parti de rega
gner la rive Méridionale de la rivière Ashly , ou
on avoit laiffé une partie des troupes pour affurer
le paflage de cette rivière , & notre retraite , dans
le cas où elle feroit néceffaire. Depuis ce tems les
troupes ont féjourné principalement dans les Illes
St-James & St-John , dans l'efpoir & l'attente des
fecours , qu'une marche longue & inattendue , des
pluies exceffives , & la quantité de rivières que
nous avions eu à paffer , nous avoient rendus in
difpenfables. Le premier convoi chargé de ces fecours
, faute d'avoir des forces navales fuffifantes ,
fut pris & détruit en partie : quelques armateurs
rebelles forcèrent le refte à s'en retourner, Enfin
( III )
les vaiffeaux de S. M. le Perfeus & la Rofe font
arrivés devant la côte , avec les munitions & les
provifions dont nous avions befoin . Je changerai
dans peu de temps mes quartiers , & je les porterai
à Beaufort , où l'avantage de féjourner dans
la Caroline , de mettre les troupes en quartiers
pendant les grandes chaleurs & la faifon mal -faine ,
fe trouve réuni à celui d'occuper la meilleure des
pofitions pour couvrir efficacement la Georgie &
la mettre à l'abri de routes tentatives de la part de
l'ennemi.
Le Général Prévost n'a pas confervé longtems
cette pofition ; il eft retourné à Savanah ,
d'où il écrit le 4 Août au Gouvernement.
Tout ce que le Ministère a publié de cette
dépêche le réduit à ceci.
Depuis mes dernières dépêches , datées de l'Ile
St-John , & dont copie eft jointe aux préfentes , je
n'ai pas eu occafion de vous écrire directement ;
nos opérations fe font bornées à nous tranfporter
d'une ville à l'autre , & à établir les différents
poftes qu'on le propofoit d'occuper pendant les
grandes chaleurs & la faifon mal- faine ; cependant
le 30 Juin tous les préparatifs ayant été faits pour
abandonner le pofte de Stono- Ferry fur la côte , &
quitter l'Ifle St John , l'ennemi avec toutes les forces .
attaqua ce pofte avec 8 pièces de canon & 5000
hommes Fattaque étoit au commencement vigoureufe
; mais la brave réfiftance de nos troupes &
le feu du vaiffeau-plat armé , qui couvroit le flanc
gauche de notre pofte , forcèrent l'ennemi à la retraite
au moment même où les troupes paffoient
le bac pour le renforcer l'occafion favorable de
le pourfuivre , & de lui donner un'échec férieux ,
a été perdue faute de chevaux ; on les avoit renvoyés
deux ou trois jours auparavant , & avant
que les troupes fe fuffent rendues fur la place , les
( 112 )
Rebelles étoient à une trop grande diftance pour
que l'infanterie pût les atteindre.... Les ennemis
ont perdu un Colonel d'Artillerie très eftimé parmi
cux , & environ 8 Officiers de différents grades ,
entre 3 & 400 hommes tant tués que bleflés ; ils
étoient en état d'emporter les derniers , & plufieurs
des premiers , ayant une quantité de chariots vuides
qu'ils avoient amenés avec eux dans cette vue. Les
troupes , après avoir féjourné trois jours de plus"
en cet endroit , l'abandonnèrent enfin & commencèrent
à faire route pour l'Ile de Port-Royal,
où elles étoient complètement arrivées le 12 du mois
dernier. On y a laiffé un corps fuffifant pour y
faire en tout temps une défenfe refpectable &
haraffer dans l'occafion les quartiers de l'ennemi ,
ainfi que les parties de cette Province , qui font
acceffibles à nos galères & bateaux depuis la Baie
de Ste- Hélène ; il n'eft pas convenable d'étendre nos
poftes à l'oueft , par des raifons pour lesquelles
Vous voudrez bien confulter le Lieutenant-Colonel
Prévost , dont je regrette le départ , d'autant plus
que fes talents & fon zèle pour le fervice l'ont
rendu très-utile entoute occafion ; Sir James Wright ,
en arrivant le 13 courant à bord de l'Expériment ,
l'ayant dégagé des foins qu'il donnoit à l'admi
niftration civile..
I
Les états joints à cette lettre portent les morts à
1 Major, 1 Lieutenant , 1 Enfeigne , 4 Sergens &
18 Fufiliers , & un foldat d'Artillerie . Les blefes
à 1 Major , Capitaines , 3 Lieutenans , 1 Enfeigne
, 7 Sergens , 1 Tambour , 77 Fuſiliers .
On ne parle pas des pertes faites dans le
cours de l'expédition ; on juge que tous les
détails paffés fous filence n'étoient pas de
nature à être publiés , & que nos défavantages
de ce côté compenfent , & au - delà , l'avantage
que nous avons eu à Penobſcott. Ce
( 113 )
pays , où nous avons un fort , eft entre Bofton
& Hallifax , c'eft la contrée la plus feptentrionale
de la nouvelle Angleterre ; elle eſt
en grande partie déferte ; l'unique production
qu'elle offre confifte en des forêts immenfes
d'où l'on peut tirer d'excellens bois de conftruction
& fur tout des mats. Dans les circonf
tances préfentes ce font des matériaux trèsprécieux
; mais pourrons- nous conferver la
facilité de les couper , & fi notre fort ne
nous eft pas enlevé à la fuite d'une tentative
plus heureuſe , pourrons - nous tirer un grand
parti de ces bois ? C'eft en Europe qu'il
faudroit les conduire , & que d'embarras &
de lenteurs dans le tranſport !
D'après nos nouvelles particulières , la
perte faite par les Américains à Pénobſcott
eft réelle ; mais l'Amiral Collier ne dit pas,
dans les dépêches que la plupart des bâtimens
qu'ils ont perdus ont été détruits par euxmêmes.
Ils n'ont pas voulu qu'il nous reftât
grand- chofe de cette expédition plus glorieufe
qu'utile. On ne remarque pas fans peine l'attention
avec laquelle nos Généraux peignent
toujours les ennemis difpofés à prendre la
fuite devant eux. C'eft une maladreffe ,
dit un de nos papiers , car ils affoibliffent
par-là la gloire de leur triomphe. C'eft auffi
une injuftice , puifque les Américains font
Anglois ; & c'eft un principe reconnu parmi
nous qu'un Anglois , a une intrépidité naturelle
qui ne lui permet pas une conduite
auffi pufillanime ".
وو
( 114 )
גכ
D'autres papiers dont les Auteurs ont une opinion
moins faftueufe du caractère Anglois , prétendent
qu'au moins actuellement la Nation a dégénéré
, & que la fuite de la flotte Britannique devant
les François & les Espagnols , permet à nos
I ennemis de la traiter comme nous traitons les
Américains. Le feul John Lockhart Roff, ajoutent-
ils , a montré que le vrai fang Anglois cou
loir encore dans fes veines ; fe trouvant fur fon
gaillard d'arrière , en vefte , prêt au combat , fa
lunette à la main , il la jetta à la vue du figual de
retraite , appella fon domeftique , le chargea d'ordonner
auffi - tôt au Charpentier de clouer les volets
de fa chambre de manière que le jour ne
pût y entrer. M. Colpoys , fon Capitaine , fit apporter
auffi - tôt le livre de lock & le jetta à la
mer , en difant On ne produira pas en Juftice
contre moi un livre de lock fur une fuite. Plufieurs
matelots de quelques vaiffeaux éprouvèrent
le même fentiment de honte. On en vit un fur le
Royal George , fe déshabiller & couvrir de fa
vefte la figure de la proue qui repréfente le Roi
George II , en s'écriant que ce grand Roi ne devoit
pas voir une action auffi honteufe. Que dircit
Cromwel , demandoit- on ces jours derniers dans
un Café , s'il reffufcitoit , & fût témoin de ce
qui fe paffe ? Il ne diroit sien , répondit-on , mais
il agiroit..
:
On eft fort curieux d'apprendre fi le Chevalier
Hardy fortira de nouveau , il fe paffe
peu de jours qu'on ne publie qu'il a fait le
fignal d'appareiller , & il refte toujours dans
le port. Cette inaction prouve qu'en effet il
n'a pas reçu tous les renforts dont il a befoin ,
& que ce n'eft qu'avec peine que depuis fa
rentrée , on a pu lui donner encore quelques
vailleaux ; la néceffité où l'on a été d'en
,
à la détacher quelques uns pour les envoyer
pourfuite du Commodore Paul Jones , doit
le retenir encore jufqu'à leur retour. Cet
Américain avec fa flotte , répand la
terreur fur les côtes d'Irlande. On prétend
que dans le combat qu'il livra au
Séraphis , fon vaiffeau fut fi maltraité que
le Capitaine du Séraphis lui cria de ſe rendre
ou qu'il le couleroit bas ; fais-le fi tu peux ,
répondit Paul Jones ; je me rendrai plutôt au
diable qu'à un Anglois . Ce redoutable Américain
étoit en vefte , en longues culottes de
matelot , avec un fabre à la main & un
ceinturon garni d'une douzaine de piſtolets
chargés. Le Capitaine Pearfon , qui commandoit
le Séraphis , étoit nommé au commandement
de l'Endymion , de 44 , depuis
peu lancé à la mer à Lime Houfe. Le Séraphis
étoit un des plus beaux vaiffeaux de notre
marine , & avoit été conftruit à Deptford
fur un nouveau modèle , & eft doublé en
cuivre. L'Edgar , vaiffeau de 74 canons , le
Prudent de 64 , quelques autres vaiſſeaux &
des frégates ont été expédiés contre Paul
Jones , les uns par le nord , les autres par le
détroit de Calais ; on efpère qu'ils pourront,
en fe réunillant , le mettre entre deux feux.
Son efcadre confifte en deux vaiffeaux , l'un
de 40 , l'autre de 44 canons & deux frégates
de 32 , deux brigantins de 18 & 2 allèges ; il
a , dit- on , foo hommes fur le vaiffeau qu'il
monte , & on porté à 2000 le nombre de
tous ceux qui font répartis fur fon efcadre ;
on dit qu'il eft aufli pourvu de pilotes qui
( 116 )
connoiffent à fond toutes nos côtes depuis
Edimbourgjufqu'à Harwich.
Nos nouvelles des Indes Occidentales font
encore très-vagues. On prétend que l'efcadre
Françoife a été vue le 27 Juillet à la hauteur
d'Antigoa , forte de 24 vailleaux de ligne ,
de 8 frégates , avec des vailleaux de tranſport
affez nombreux pour avoir 6000 hommes à
bord. Ces derniers paroiffant venir de la
Guadeloupe , fe font joints à l'efcadre Françoiſe
à la vue d'Antigoa. Le même jour ,
ajoute- t-on , l'efcadre de Byron , forte de 21
vaiffeaux de ligne , dont un en toue , parur
auffi à la vue de l'Ifle , de manière que la
proximité des deux flottes faifoit préfumer,
qu'il y auroit bientôt un combat. Ceux qui
débitent ces nouvelles , oublient que dans
les lettres que la Cour a publiées il y a peu
de tems , il y en avoit une de l'Amiral Byron ,
en date de St -Criftophe le 3 Août ; il n'y
parloit d'aucune difpofition prochaine à for
tir , & il annonçoit qu'il s'y étoit retiré
depuis le combat de la Grenade ; il ne pouvoit
donc pas avoir été vu devant Antigoa
le 27 Juillet précédent. Une lettre de St-
Chriftophe en date du 25 , n'annonce pas
qu'il foit fi près de fortir."
» La fupériorité du pavillon Britannique n'exifte
plus fur ces mers. Après le malheureux combat
de la Grenade , l'Amiral Byron eft venu en cette
Hle pour réparer fes dommages. Le Comte d'Efraing
s'eft préfenté à l'entrée du port , & a offert
un nouveau combat , que l'Amiral n'a pu accep- .
ter. La fupériorité des François étoit trop décidée
tant à l'égard du nombre que de l'état des vaif(
117 )
feaux. Après avoir affuré fon défi , en reftant plufieurs
heures devant notre efcadre qui mouilloit
M. d'Estaing remit à la voile , très probable ment
dans le deffein de faire des conquêtes ultérieures .
Suivant toutes les apparences , la Barbade & Tobago
en feront les objets. Ce font les feules Ifles
du vent qui nous reftent. Heureux encore fi celles
fous le vent ne font pas attaquées à leur tour.
Comme le Général Grant , à la tête de 2500
hommes , eft arrivé avec l'efcadre à Baffe terre ,
nous croyons qu'une partie en restera ici pour la
défenfe de l'Ifle. L'affemblée a voté le 16 de ce
mois la fomme néceffaire pour l'entretien de 2000
hommes , à raifon de 6 fols par jour pour chaque
- foldat. Le Confeil auroit defiré qu'on en accordất
9 , mais la charge pour les colons fera affez
pelante. Cependant il vaut mieux payer qu'être
conquis. Les affaires dans cette partie du monde
ont depuis trois mois changé de face d'une façon
bien fingulière & bien mortifiante . Le brave Barrington
eft allé en Angleterre pour y faire le ta
bleau de notre fituation. Entr'autres plaintes , il
n'oubliera pas la mauvaiſe qualité de la poudre
dont la flotte étoit pourvue , c'eft un nouvel échan !
tillon de la manière dont le Gouvernement eft
fervi par ceux à qui il accorde fa confiance «.
Selon les lettres de la Grenade , les François
y ont pris plufieurs bâtimens chargés
des productions de cette Ifle , dont un avec
400 barils de rhum pour Québec. La plus
grande partie de la récolte de fucre de l'année
précédente , qui montoit à 50,000 tonneaux
, eft aufli tombée entre leurs mains.
L'effroi eft général à la Jamaïque ; on y a
publié la loi martiale , & fait prendre les
armes à tous les habitans en état de les porter
; on en évalue le nombre à plus de 10,000
( 118 )
hommes . On a appris dans cette Ile que les
François ont un grand nombre de troupes
au Cap François , & s vaiffeaux de ligne ,
tandis que nous n'en avons que trois , le
Briftol , le Rubis & le Lion à la Jamaïque.
Ce dernier fait partie de l'efcadre de l'Amiral
Byron , & avoit été fi maltraité qu'on
le croyoit perdu ; on affure qu'il a gagné
la Jamaïque pour s'y radouber .
Lorfque la nouvelle de la prife de l'île
St-Vincent arriva ici , le maître d'un café
´s'emprefla d'en diftribuer des relations . Le
Lord Sandwich en ayant été informé , le
fit venir , & lui dit qu'au lieu de répandre
cette nouvelle , il devroit chercher à l'étouffer.
Milord , répondit- il , l'enfant eft
trop gros pour qu'on l'étouffe.
Au milieu de nos malheurs , nos Négocians
fe confolent par l'arrivée de quelquesunes
des flottes marchandes qu'on attendoit.
On remarque ici comme une fingalarité
très heureufe que l'on ne nous en a
encore intercepté aucune depuis le commencement
de la guerre , & on en conçoit
l'efpérance que la fortune qui nous fert
fi bien continuera de nous favorifer. Ces
flottes marchandes fourniffent en mêmetems
au gouvernement des matelots dont
il a befoin pour remplacer les malades de
l'efcadre de l'Amiral Hardy , & pour équiper
les nouveaux vaiffeaux qu'on travaille
actuellement à réparer . Les Généraux Grant
& Méadows qui commandoient le corps
( 119 )
de troupes envoyées de New- Yorck aux
iles des Indes occidentales , font revenus
avec celle des îles Sous-le - vent. Le premier
a eu le 24 une longue conférence avec le
Roi fur l'état des affaires dans ces contrées.
On en ignore le réfultat ; mais on juge ,
d'après le retour de ces Officiers , que l'intention
de la Cour n'eft pas de faire cette
année aucune tentative pour recouvrer les
îles que nous avons perdues .
Le Prince Guillaume-Henri qui a fait la
campagne à bord du vaiffeau le Prince-
Georges , a été avancé fucceffivement aux
grades de Lieutenant & de Capitaine de
vaiffeau.
On ne peut s'empêcher de déplorer , dit à cette
occafion un de nos papiers , la fituation de ce jeune
Prince à bord d'ude flotte Britannique auffi complettement
déshonorée. Vraiſemblablement on ne l'avoit
mis là que pour lui apprendre à marcher dans le fentier
de la gloire. Mais hélas ! comme un Anglois doit
rougir de la leçon de gloire, que vient de prendre
cet illuftre rejetton de la Maifon de Brunſwick.
Lorfque le Lord Torrington , pere de l'infortuné
Amiral Bing , gagna une victoire complette fur les
ennemis de fon pays , en 1718 , il n'écrivit que
ces deux lignes pour rendre compte de la bataille
: J'ai coulé bas , brûlé , détruit tout ce que
vous trouverez en marge. La relation que l'Amiral
Hardy a pu envoyer à l'Amirauté , pouvoit être
conçue ainfi : J'ai perdu l'ennemi de vue depuis dix
à douze jours ; j'ai auffi perdu l'Ardent , & j'di
pris...... quelques provifions fraîches ".
La nation , dans fes farcafmes contre le
Chevalier Hardy , ne lui rend pas juſtice ;
1
( 120 )
il a certainement fait tout ce qu'il conve
noit de faire dans ces circonftances critiques
; il n'a point expofé les forces Britan
niques ; il a réuffi à éviter un combat que
l'inégalité nous auroit immanquablement
rendu funefte ; il a rendu vains les efforts
de nos ennemis ; il a enfin gagné du tems , &
fi la campagne finit comme elle a commencé
, nous aurons l'hiver devant nous ,
& cet avantage équivaut à une victoire .
Le Lord Mansfield fe retire de l'adminiftration.
Quelques plaifans fe font empreffés
de dire auffi tôt que c'eft ainſi que
les rats s'enfuient d'une maiſon prête à
tomber. On prétend qu'il a eu des dégoûts.
Dans un des derniers Confeils le premier
Lord de l'Amirauté accufa le Lord Stormont
, neveu du premier , de n'avoir point,
pendant fon ambaffade en France , affez
inftruit la Cour des forces maritimes de
cette nation , & attribua l'infériorité de
notre marine à l'erreur dans laquelle les
mémoires de Lord Stormont avoient dû
nous faire tomber. Le Lord étoit abfent ;
le Chef de la juftice en prit la défenſe , &
rejetta fur le Lord de l'Amirauté ſeul notre
infériorité. Dans les débats qui fuivirent
le Lord Mansfield croyant s'appercevoir que
le plus grand nombre des membres du
Confeil , à l'occafion des affaires de l'Amérique
, penchoient vers un parti de douceur
, quoiqu'au fond on fût fort éloigné
de reconnoître l'indépendance des colonies,
les
( 121 )
les traita de foibles & de pufillanimes , &
fe fépara d'eux avec des marques très-vives
de chagrin & de mécontentement. On ne
conçoit pas les efpérances que nos Miniftres
peuvent conferver , en fuivant leur ancien
plan avec l'Amérique.
" Ni le Roi de Pruffe , dit un de nos pariers
ni le Prince Ferdinand , ni aucun autre grand Général
, ne pourroient conquérir une feule Province
en Amérique ; il leur feroit impoffible de prendre
un pofte à 20 milles de la mer ; du moins ils
n'oferoient pas fe vanter de pouvoir le garder.
Leur communication avec la mer une fois coupée,
comment auroient- ils des provifions ? Il faut être
auffi fous que le font nos Miniftres , pour s'étre
conduits comme ils l'ont fait . Après avoir irrité
tous les habitans de l'Amétique Septentrionale ,
brûlé leurs villes , maflacré les femmes , les enfans
, commis les crimes les plus atroces ,
ils
s'étonnent de n'avoir point d'amis dans le pays ; &
ils vous difent naïvement que le Roi en avoit autrefois
beaucoup. Il y a cinq ans , en effet , qu'il
n'y avoit pas un homme fur ce Continent qui ne
fût ami du Roi ; mais les Miniftres actuels lui
ont fait perdre ce pays & ces amis. Le feul
moyen de recouvrer ces derniers , eft de s'allier
avec eux , ou de renvoyer les Miniftrés. Tant
que le Roi ne le fera point , l'Amérique fera
irrévocablement perdue pour nous . Il y a longtems
qu'on le répète , mais quel en eft l'effett
Vox clamantis in deferto «.
j
On a montré de l'inquiétude fur le
fort du Capitaine Cooke ; l'article fuivant ,
inféré dans la plupart de nos papiers , doit
raffurer fur le fort de ce navigateur célèbre.
En Novembre 1776 , avant de quitter le Cap
16 Octobre 1779. f .
( 122 )
de Bonne-Efpérance , il dit à M. Brandt , Gouver
neur de Faife Bay , établiſſement à l'Eft du Cap , que
fi dans les lieux qu'il fe propofoit de vifiter , il trouvoit
les rafraîchiffemens néceffaires , il y pafferoit 3
étés , afin d'obferver complètement & de conftater la
fituation de la côte Occidentale de l'Amérique , ainfi
que celle des Ifles que l'on fuppofe éparfes dans l'efpace
immenfe qui la fépare de la côte Orientale de
l'Afie. On ne doit pas être étonné de ce qu'il s'eft
écoulé tant de tems fans qu'on ait entendu parler de
Jui . Comme le terme de 3 étés 23 eft actuellement révolu
, on regarde comme poffible le retour de ce hardi
navigateur à la fin de cette année ou au commencement
de la prochaine ; on n'eft point furpris de n'a
voir point reçu de fes nouvelles , puiſqu'on n'en a
point eu au Cap «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 12 Octobre.
La Cour , qui étoit au Château de Choify
depuis le 5 de ce mois , en eft revenue hier ;
Mefdames Adélaïde , Victoire & Sophie de
France , qui avoient paffé ce tems à leur
Château de Bellevue , en font auffi de retour.
Le Baron de Cadignan , Colonel du Régiment
d'Agénois , Infanterie , Major - Général
des troupes de l'Ifle Saint - Domingue ,
y étant mort le 19 Juin dernier , Monfieur
a confervé à fon fils la charge de fon premier
Fauconnier dont il étoit pourvu.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Lyre , Ordre
de Saint- Benoît , diocèle d'Evreux , l'Evêque d'Evreux
; à celle de Molefme , Ordre de Saint-Benoît
, diocèfe de Langres , l'Evêque d'Auxerre ;
( 123 )
à celle de Beaupré , Ordre de Citeaux , diocèfe de
Beauvais , l'Evêque de Bayonne ; à l'Abbaye fécu
lière de Peffan , diocèſe d'Auch , l'Abbé de Langle ,
Aumônier de Madame Victoire , Vicaire- général
d'Evreux ; à celle des Roches , Ordre de Citeaux ,
diocèle d'Auxerre , l'Abbé de Chambertrand
Doyen de la Cathédrale & Vicaire-général de Sens
à celle de Saint- André -du -Jau , Ordre de Saint-
Benoît , diocèfe de Perpignan , l'Abbé d'Aguilhe
Vicaire-général & Official de Condom ; à celle
d'Acey , Ordre de Cîteaux , diocèfe de Befançon
l'Abbé de Lezay-Marnefia , Comte de Lyon & Vi
caire- général du même diocèfe ; à celle de Juftemont
, Ordre de Prémontré , diocèfe de Metz ,
l'Abbé de Majainville , Princier de la Cathédrale
& Vicaire- général du même diocèfe ; à celle de
Cadouen , Ordre de Cîteaux , diocèfe de Sarlat ,
l'Abbé de Solminiac , Vicaire- général de Cahors ;
à celle de Boſcadon , Ordre de Saint - Benoît , diocèfe
d'Embrun , l'Abbé de Pryffin , Vicaire- général
du même diocèfe ; à celle de Maurs Ordre de
Saint - Benoît , diocèfe de Saint Flour , l'Abbé de
Blanfac , Vicaire général de Noyon ; à celle d'Ebreuil
, Ordre de Saint - Benoît , diocèfe de Clermont
, l'Abbé de Lupcourt , Doyen de l'Eglife Primatiale
de Nanci & Vicaire général du même diocèfe
; à l'Abbaye de Saint- Sauveur de Lodève , Ordre
de Saint- Benoît , l'Abbé de Douzainville , Vi
caire-général d'Acqs ; à l'Abbaye de Lezat , Ordre
de Saint Benoît , diocèfe de Rieux , l'Abbé de Jouffroy
d'Abban , Chanoine de Saint- Claude ; à celle
de Bonnecombe , Ordre de Cîteaux , diocèle de
Rhodès , l'Abbé de Caftellas , Grand Vicaire de
Comminge , Doyen- Comte de Lyon ; à l'Abbaye
régulière de la Perigue , Ordre de Saint- Auguftin ,
diocèfe du Mans , la Dame de Montagnac , Religieufe
-Profelle de l'Abbaye de Saint Julien-du -Pré ,
?
f2
( 124 )
même diocèle , fur la nomination & préfentation
de Monfieur , en vertu de fon appanage,
M. de Claris , premier Préfident de la
Chambre des Comptes & Cour des Aides
de Montpellier , eut l'honneur d'être préfenté
à S. M. par M. le Garde des Sceaux , &
de la remercier de ce qu'elle a bien voulu
accorder la furvivance de la charge de premier
Préſident dont il eſt pourvu , à ſon fils ,
Préfident en la même Cour.
M. Portal , Médecin confultant de Monfieur
, de l'Académie des Sciences , a eu
l'honneur de préſenter au Roi , à Monfieur ,
fes Obfervations fur la nature & le traitement
de la rage. D'après le rapport de M. Necker ,
S. M. a jugé utilé que cet Ouvrage fût envoyé
aux Intendans pour en répandre la
connoiffance dans fes Provinces . M. le Noir ,
Lieutenant- Général de Police de Paris , en
a fait diftribuer plufieurs exemplaires dans
la Capitale.
M. Allemand, Confervateur des Forêts de
l'Ile de Corfe , a préſenté au Roi , à Monſieur
&à Monſeigneur le Comte d'Artois , l'Introduction
& le Plan d'un Traité général de la
Navigation intérieure , & particulièrement
de celle de la France , & Confidérations fur
les forêts , bois & autres objets fufceptibles
d'améliorations au moyen de nouveaux
débouchés , avec un Traité des Péages , dans
lequel , après avoir démontré les ayantages
qui réfulteroient de la fuppreffion de ce
droit , on donne un Plan de liquidation &
d'indemnité.
>.
( 123 )
M. de la Foffe , Graveur , a préfenté à LL.
MM. & à la Famille Royale , la 8e . Livraiſon
du Voyage Pittorefque de l'Italie .
De PARIS , le 12 Octobre..
TOUT fe prépare à Breft pour le prompt
départ des flottes combinées de France & d'Ef
pagne . La plupart des malades qu'elles avoient
débarqués fe rétabliffent ; leur grand nombre
avoit d'abord étonné ; mais plufieurs n'avoient
befoin que de nourritures fraîches &
de l'air de la terre ; il arrive journellement
dans ce Port des matelots qui reviennent de
divers endroits ; & le premier de ce mois
ils étoient déja au nombre 6000 ; on parloit
de défarmer à 6 vaiffeaux pour en employer
les équipages fur les autres ; on dit aujourd'hui
que cela ne fera peut- être pas néceffaire
; & dans tous les cas , on est sûr que
la flotte ne fera pas moins formidable qu'elle
l'étoit avant la rentrée. Les lettres du premier
de ce mois portent que les ordres étoient
de fe tenir prêt à fortir en corps d'armée le
plutôt poffible .
M. le Comte du Chaffault , arrivé le 19 du
mois dernier à Breft , prit le 20 le cominandement
de l'armée à bord du vaiffeau la
Bretagne. Ce Général , quoique feptuagénaire
, eft d'un tempérament fort & robufte
, & fur - tout très - actif. C'eſt pendant
la dernière guerre qu'il s'eft principalement
diftingué , en paffant avec vaiffeaux aux
Açores malgré une efcadre Angloife de 10 ,
f3
( 126 )
qui avoit été envoyée pour l'attaquer ; depuis
la paix , il a été chargé , en 1765 , du bombardement
de Larrache & de Salé. Son fils ,
qui fut auffi bleffé fur fon vaiffeau la Couronne
, au combat d'Oueffant >, eefſtt allé à
Malthe faire fes Caravannes. M. le Comte
d'Orvilliers , avant de quitter le commandement
, donna le 20 un dîner à tous les
Officiers de l'armée combinée. Il fut précédé
d'un Te Deum , en réjouiffance des
avantages remportés par M. le Comte d'Eftaing
, & de 33 décharges de toutes les batteries
tant du port que des vaiffeaux.
On éctit de S. Malo , que le Comte de
Vaux en eft parti le 30 pour fe rendre à
Breft , où il est allé , dit - on , conférer avec
les Généraux de l'armée navale , fur les nouvelles
difpofitions des troupes qu'occafionnera
la fortie de la flotte combinée.
On a débité que M. le Comte d'Eſtaing
étoit arrivé devant New-Yorck ; cette nouvelle
ne s'eft pas foutenue. On ignore encore
dans quels parages ce Vice - Amiral a conduit
fa flotte. Il faut qu'il ait bien caché fa marche,
puifqu'il a donné le change à l'Amiral
Byron lui-même , qui croyant qu'il avoit des
vues fur la Jamaïque , eft allé le chercher
dans cette Ifle , où il n'a pas été peu furpris
d'apprendre qu'il n'avoit point paru für ces
côtes.
Les différentes relations qui ont couru fur
la prife de la Grenade, contenoient, fur le Gouverneur
de cette Ifle , quelques détails que
( 127 )
nous avons copiés comme nous les avons
trouvés , & dont nous nous défiions d'autant
moins que nous les trouvions par-tout ; nous
nous empreffons de les rectifier; nous devons
des remercimens fincères au brave Officier
qui nous met en état de détromper le Public ,
& nous fommes flattés de lui offrir ici l'hommage
de notre reconnoillance.
» J'ai lu MM. dans le Journal du Samedi zo
Septembre différents articles concernant le Lord
Macartney , que vous avez annoncé favoir , par
des lettres de plufieurs Officiers de l'expédition de
la Grenade , & par les rapports des équipages
de la frégate que j'avois l'honneur de commander.
Je ne peux ni ne dois , MM , vous laiffer
ignorer que vous avez été mal informés ; il eſt
de votre juftice & de la mienne de diffuader le
Public d'une fauffeté auffi indécente , & de l'aflurer
que j'ai été très - fatisfait des honnêtetés du Lord
Macartney , & de fa conduite vis-à-vis de tous les
Officiers de la Diligente. Ce Seigneur paroiffoit
fort attaché à fon Prince & à fa Patrie , je ne
T'en eftime que davantage ; il avoit à cet égard
une façon de penfer fort de mon goût , & je peux
même affurer qu'il eſt de la fociété la plus douce &
la plus agréable . Je vous prie MM. de publier ma
lettre. A Paris le 6 Septembre 1779. Signé Du-
?
CHILLEAU « ,
On écrit de Bordeaux que les navires raffemblés
au bas de la rivière ont fait voile
pour l'Amérique avec le meilleur vent fous
l'escorte des frégates la Belle - Poule , la
Tourterelle & la Renommée . Suivant les dernières
lettres de nos Colonies , 20 navires
de cette même Ville font arrivés très-heureufement
à la Martinique. Le Maréchal
£ 4
( 128 )
'de Mouchy , la Vicomteffe de Noailles & le
S. Mathieu , partis le 23 Avril , ont mouillé
au Cap le 23 Mai. Le dernier s'eft rendu
enfuite à la Havane. L'arrivée d'un fi grand
nombre de bâtimens marchands dans nos
Ifles , y a fait tomber confidérablement le
prix de toutes les denrées .
On craignoit pour la petite flottille du Capitaine
Paul Jones , qui vient de fe diftinguer
d'une manière fi fignalée fur les côtes d'Ir--
lande , lorfqu'on a appris qu'il avoit relâché
au Texel , montant le Séraphis , le Bon homme
Richard qu'il montoit auparavant ayant
coulé bas. On ne fait pas s'il s'eft emparé de
quelques - uns des bâtimens de tranſport
que convoyoient le Séraphis , & l'autre frégate
qui a été prife avec lui.
» Le corfaire le Monfieur , de ce Port , écrit-on
de Granville , eft de retour de fa croiſière ; il a amené
avec lui un bâtiment Anglois , venant de la Ja
maïque , du port de 400 tonneaux , chargé de fucre
, d'indigo , de bois de teinture , &c. Les autres
prifes que ce corſaire a faites & qu'il a envoyées à
St-Malo & à l'Orient , font deux petits navires Anglois
, chargés l'un de morue & l'autre de vivres ,
& un bâtiment Eſpagnol qu'il a recous . La frégate la
Terpficore , commandée par M. ' le Chevalier, de
Lombard , délivra le 23 du mois dernier un navire
de Bordeaux , venant des Cayes St-Domingue ; le
corfaire qui s'en étoit emparé prit la fuite à l'ap
proche de la frégate. On dit que la frégate Eſpagnole
la Sainte- Monique , de 26 canons , qu'on
croit être de la divifion de D. Ulloa , a été priſe à
la hauteur des Açores par la Perle , frégate Angloiſe
de 36 , après un combat de plufieurs heures , pendant
lefquelles l'engagement a été des plus vifs &
de bord à bord : elle n'a cédé qu'à la fupériorité
( 129 )
de fon adverfaire , après avoir eu 72 hommes hors
de combat «.
Selon des lettres d'Espagne , les troupes
s'approchent de Gibraltar. Le 12 du mois
dernier , les ennemis commencèrent leur feu ;
ils tirèrent 600 coups de canon , qui ne tuèrent
qu'un feul foldat.
» On lit dans une lettre de Lille que le brave
Royer eft de retour d'une nouvelle croifière avec
un vaiffeau Anglois de 10 canons , chargé en marchandifes
, dont il s'eft emparé après un combat
affez vif. Suivant les loix de la guerre un vaiffeau ,
dès qu'il a baiffé pavillon devant fon vainqueur , ne
peut plus fe fervir de fes armes ; malgré cette loi
le Capitaine Anglois , après s'être rendu , voyant
venir la chaloupe de Royer avec 11 hommes pour
amariner fon vaiffeau , lâcha toute fa bordée chargée
à mitrailles fur la chaloupe , qu'il coula bas ,
& crut par cet artifice avoir affez affoibli Royer
pour tenter l'abordage ; mais indigné d'avoir vu
périr ainfi fes gens , le brave Royer ne fe poffédant
plus exhorte le refte de fon équipage à venger
la mort de leurs camarades , prévient l'Anglois ,
T'aborde & en paffe tout l'équipage au fil de l'épée
à l'exception du Capitaine & d'un matelot qu'il trouya
cachés : il les a ramenés à Dunkerque , où , fuivant
les loix de la guerre , ils devroient être pendus
à la grande vergue de fon vaiffeau « .
La frégate la Surveillante , de 26 canons de 12
& 6 de 6, commandée par M. du Couëdic , Lieutenant
de vailleau , croifant à la hauteur d'Oueffant
, avec le cutter l'Expédition , commandé par
le Chevalier de Roquefeuil , Lieutenant de vaiffeau
, découvrit le 7 de ce mois , à la pointe du
jour , une frégate & un cutter Anglois . M. du
Couedic fit fignal à l'Expédition de fe préparer
au combat , & força de voiles pour s'en approfs
( 130 )
cher. Parvenu à la demi-portée de canon , il are
bora le pavillon François , qu'il affura d'un coup
de canon à boulet. Les bâtimens ayant mis en panne
& ayant reçu dans cette pofition fa bordée , arrivèrent..
M. du Couëdic revira pour le mettre au
même bord & combattre la frégate , tandis que
le Chevalier de Roquefeuil combattroit le cutter.
Le combat s'engagea bord à bord à dix heures &
demie , & fut des plus vifs & des mieux foutenus
de párt & d'autre. A une heure après - midi , la
Surveillante fut démâtée de tous les mâts ; peu
de minutes après , la frégate Angloife éprouva le
même fort. Ces deux bâtimens , privés de tous
leurs mâts , dans l'impoffibilité de manoeuvrer
continuèrent à combattre avec la même chaleur.
M. du Couëdic , quoique bleffé très-grièvement ,
n'abandonna point le gaillard de fa frégate , & la
proximité des deux bâtimens permettant de tenter
l'abordage , ordonna à fon équipage de fauter à
bord. Déja fon beaupré étoit engagé dans les débris
des mâts de fon ennemi ; les François étoient
prêts à fe lancer , lorfqu'on vit tout le gaillard
de la Frégate Angloife en feu. Il fe communiqua
rapidement au beaupré de la Surveillante . M. du
Couëdic , par une manoeuvre habile & vive , s'éloigna
à l'aide de quelques avirons , éteignir le
feu de fon beaupré , & s'occupa à fauver quelques
Anglois qui s'étoient jettés à la mer ; 45 gagne
rent fon bord , & à 4 heures la frégate Angloife
fauta en l'air. Cette frégate étoit le Québec
fortie de Plymouth depuis cinq jours , comman-.
dée par le Capitaine Farmer , doublée en cuivre
& montée de 32 canons , dont 26 de 12 , & 6
de 6. La Surveillante a eu 30 hommes tués & 85
bleffés parmi les premiers , eft M. Pinquet , Of
ficier auxiliaire. M. du Couëdic a reçu trois bleffures
, dont deux font très - dangereufes , les balles
étant reftées dans les reins. M. de la Bentinaye ,
Enfeigne de Vaiffeau , a eu le bras droit emporté ;
>
( 131 )
le Chevalier de Loftange , Enfeigne de vaiffeau ,
a été bleffé à la tête , & M. Vautier , Officier au .
xiliaire , l'a été grièvement à la poitrine . Lorsque
le Québec eut fauté en l'air , le Chevalier de Roquefeuil
abandonna le cutter qu'il combattoit
ayant déjà perdu 30 hommes dans l'action , & vint
au fecours de la Surveillante , pour la prendre à
la remorque. M. Dufréneau , Officier auxiliaire
fut chargé de la conduite de la frégate , & pourvut
aux moyens de boucher plufieurs voies d'eau ,
produites far des coups de canon à flottaifon , &
qui expofoient le bâtiment à couler bas . Elle fut
ramenée à Brest le 8 , remorquée par l'Expédition,
mais fans mâts , avec la moitié feulement de fon
équipage , & tous fes Officiers , à l'exception d'un
feul , tués ou bleifés .
M. de Sartine ayant rendu compte au Roi de ce
combat , S. M. a accordé la Commiffion de Capitaine
de Vaiffeau à M. du Couëdic , & fe réferve
d'accorder des récompenfes aux Officiers &
à l'équipage , ainfi qu'aux familles des Gensde mer ,
auffi-tôt que l'état des morts & des bleffés lui aura
été préfenté.
Ön écrit de Baume , en Franche- Comté ,
en date du 21 Septembre dernier , le fait fuivant
qui paroîtra bien extraordinaire.
>
» M. le Marquis de Rouault Gamache , Grandd'Espagne
, Capitaine au Régiment de Royal-Piémont
, & fon époufe , née Choifeul , venoient de
Strasbourg , & s'en retournoient par la Bourgogne
lorfque le Samedi , 11 du mois dernier , ils curent
le malheur d'être précipités fous les hauts rochers
qui bordent prefque perpendiculairement la route ,
vis à- vis d'Enans . M. d'Enans , Avocat du Roi au
Préfidial de Befançon , témoin de cet effrayant fpectacle
, fe mettant à la tête des Habitans du lieu
vola au fecours des Voyageurs. Madame d'Enans
envoya en même tems avertir des Prêtres & des
f.6.
( 132 )
Chirurgiens, M. d'Enans avoit obfervé que la voi
ture , en tombant à plomb fur un premier banc de
rochers , s'étoit brifée en partie ; qu'enfuite , après
une nouvelle chûte au- deſſous du fecond banc
elle avoit volé en éclats , & que rien n'étoit tombé
plus bas , à l'exception d'une roue qui avoit rou
lé dans le Doux . La difficulté étoit d'arriver au lieu
de cette fcène , à caufe d'un autre banc de rochers
inférieur aux deux premiers. On furmonta ces obftacles
, & on parvint jufqu'à M. de Rouault ; qui
revenu un peu à lui dans l'intervalle , & n'ayant aucun
membre fracturé , malgré une chûte de 80 toifes
de hauteur , avoit remis un de fes fouliers à
moitié tiré de fon pied , s'étoit relevé , avoit fait
quelques pas pour chercher fon Epoufe , & étoit
tombé bien-tôt prefque fans connoiffance. Ce fut
dans cet état qu'il fut trouvé par M. d'Enans.
Madame de Rouault étoit à environ so pas , retenue
par fes habits à un buiffon , déjà affife &
cherchant à fe dégager. La Femme -de- chambre , au
premier faut de la voiture, avoit été jettée au pied du
banc fupérieur , où on la trouva n'ayant , ainfi que fes
Maîtres , que des égratignures & des contufions peu
dangereufes. Le Domeſtique qui étoit derrière la
chaile avoit fauté en arrière au moment de la chûte
& s'étoit retenu aux gazons de la route. Le Poftillon
affez heureux pour quitter à tems fes chevaux
avoit pris la fuite : on ignore ce qu'il eft devenu,
M. d'Enans donna à M. & Madame de Rouault
tous les fecours poffibles dans les circonftances . Le
bruit de ce malheur s'étant répandu , les habitans
de cette ville & du voifinage s'empreffèrent d'accoufir
fur les lieux ; la joie éclata fur tous les viſages
dès que les Médecins & les Chirurgiens eurent af
furé qu'il n'y avoit aucune espèce de danger. Le
feul des trois chevaux de la voiture qui n'avoit pas
été entièrement moulu , roula du haut en bas , &
manqua , dans fes diverfes cafcades , d'écrafer quantité
de perfonnes. Il paffa à quelques pieds de M.
( 133 )
de Rouault & de M. d'Enans : mais , par le ha
fard le plus heureux , il n'atteignit qu'une fille d'E
nans , encore très- légèrement. La voiture & les
malles ayant été brifées en mille pièces , tous les
effets , parmi lesquels il y en avoit de précieux ,
étoient difperfés çà & là ; mais tous furent ramaffés
& fidèlement rendus , jufqu'à un fac „ d'argent
, placé dans une des poches de la voiture ,
qu'un Payfan de Gros-Bois , qui le trouva dans
un buiffon , rapporta le lendemain . Aujourd'hui ,
M. & Madame de Rouault font parfaitement réta
blis. Ils ont été quelquefois , pendant leur convalelcenfe
, confidérer des fenêtres de M. d'Enans , les
précipices effrayans qu'ils ont parcourus ; & ils font
actuellement les premiers à plaifanter d'une chûte
fi terrible , aux dangers de laquelle ils ont échappé
comme par miracle ».
On lit dans une Affiche de Province l'anecdote
fuivante :
" Un Huiffier de Chinon s'étant mis dans le
cas d'être décrété de prife de corps , pour fait de
galanterie ; il ne fe trouva qu'un feul de fes confreres
qui voulût bien fe charger de la commiffion
de la capture. Le décrété , amené à 2 heures
après minuit à la porte de la Prifon à la faveur
d'une eſcorte , paffe le guichet ; on fe fait don
ner le regiftre , & on écrit l'acte d'écroue . Pendant
ce tems le Géolier dont on avoit interrompu
le fommeil , fe frottoit les yeux , & ne les ouvrit
que lorsqu'il entendit un débat de civilités entre
Les deux Particuliers , à qui ne refteroit pas. Le
décrété éleva alors la voix . M. , dit-il au Concierge
, avec cette fermeté qui infpire la confiance ,
ayez la bonté de ferrer cet homme- là . Vous favez
que vous venez de vous en charger : il fait , comme
vous voyez , le petit mutin , & par gentilleffe
d'efprit , il voudroit me jouer le tour de me
Jaiffer ici à fa place , en vous perſuadant que
î
1
1
( 134 )
c'est moi qui dois refter. Croyez - moi , profitez du
moment pour le mettre fous la clef ; car de l'humeur
dont je le connois , il vous donneroit du fil
à retordre. Ce difcours fut prononcé avec tant de
véhémence , de vivacité & de fermeté , que l'Huil
fier capturateur fut conduit avec force & mis fous
la clef , jufqu'à ce qu'un de fes Supérieurs , informé
de l'évènement vint le faire fortir , en piouvant
au Concierge qu'il avoit renfermé l'innocent
pour le coupable « .
François des Monſtiers de la Valette , Lieutenant
de Vaiffeau , eft mort à Breſt dans la
37e. année de fon âge.
Jeanne- Befnard , veuve de Philippe de Recocquillé
eft morte à Chartres dans la 100e.
année de fon âge , étant née en 1680. Elle laiffe
des enfans de fes arrières- petits - enfans , du
nombre defquels eft le fieur de Sailly , Capitaine
de Cavalerie.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , pour ordonner
le verſement au Tréfor royal , des Droits & Impofitions
de la Principauté de Dombes.
Le feu Roi ayant jugé à propos de deſtiner à
quelques dépenfes particulières le revenu de la
principauté de Dombes , avoit ordonné , par un
arrêt du Confeil , que l'Adjudicataire des fermes générales
eût à remettre annuellement au fieur Imbert ,
l'équivalent de Droits perçus dans le pays deDombes ;
il avoit de plus confié la recette des impofitions de
cette Principauté à des receveurs particuliers , qui
en verfoient le produit audit fieur Imbert , & il fe
faifoit rendre un compte privé de ces deniers , ainfi
que de ceux provenans de différens effets mobiliers
dépofés hors du Tréfor royal. S. M.
s'étant conformée , juſqu'à-préſent , à ces difpofitions
qu'Elle avoit trouvé établies , a réfléchi , en récenfant
toutes les parties de fes finances , qu'il étoit plus
( 135 )
convenable de réunir l'adminiſtration des impofitions
de la Principauté de Dombes , à celle de fes finances
générales , afin d'affujettir de plus en plus toutes
les perceptions à des principes uniformes , & en même
temps S. M. s'étant déterminée à n'avoir plus de caille
particulière , Elle a jugé à propos d'ordonner que
non-feulement tout le produit des revenus du pays de
Dombes feroit verfé dorénavant au Tréfor royal ,
mais elle veut encore qu'on y remette tous les effets
mobiliers dont on lui rendoit un compte diftinct &
féparé de l'adininiſtration générale de fes finances ;
S. M. ayant à coeur que jufque dans les plus petits détails
, fes intérêts foient déformais confondus avec
ceux de l'État , afin de n'avoir qu'un feul Tréfor
comme une feule & unique follicitude . A quoi voulant
pourvoir , & c.
De BRUXELLES , le 12 Octobre.
-DES lettres de Cadix , du 5 du mois
dernier , annoncent que les préparatifs pour
le fiége de Gibraltar étoient à la veille d'être
terminés ; en général on n'en pouvoit donner
des détails pofitifs , parce que tout fe
faifoit avec le plus de fecret poffible ; la
plupart des tranfports ne marchant que de
nuit , tant à caufe de la chaleur , que pour
en mieux cacher la nature. On avoit tranfporté
fur des voitures tirées par des mules ,
35,000 boulets , & 3 à 400 pièces de canon
& d'autre artillerie derrière la muraille des
lignes de St-Roch . Comme le nombre des
artilleurs n'étoit que de 1000 , on comptoit
que S. M. C. en demanderoit à la France ,
ainfi que des Ingénieurs . On affure que la
( 136 )
garnifon n'eft que de 3500 hommes ; &
dans ce cas elle ne peut fuffire , fi elle n'eft
pas renforcée , à garder tous les poftes , &
à fervir une artillerie qui , s'il faut en croire
le rapport des déferteurs , confifte en plus de
900 pièces de canon .
»Nous venons d'apprendre , écrit- on de Marſeille ,
qu'un petit bâtiment armé en courſe dans notre
Port , étant en croisière fur les côtes de Portugal ,
a rencontré un navire Napolitain , parti de Londres
pour Naples. A la vue de ce navire il a mis pavillon
Barbarefque ; alors le Napolitain qui avoit deux expéditions
, l'une de fa Nation & l'autre Angloife ,
a jetté à la mer celle de Naples & a mis pavillon
Anglois ; mais le François auffi fin que lui a arboré
ators fon véritable pavillon , & fur la foi du pavillon
Anglois qu'il voyoit , il s'eft emparé du navire
Napolitain & l'a conduit dans un Port de Portugal.
L'expédition Angloife qu'il avoit confervé avoit
juftifié fa prife , car s'il s'étoit encore défait de
celle-ci , il auroit été dans le cas d'être traité comme
un pirate ".
Il y a peu de Nations qui n'aient à fe plaindre
des infultes des Anglois fur les mers ; ils
ne ménagent pas davantage le Pavillon Portugais.
» Un corfaire Anglois , forti de notre Port , écriton
de Lisbonne , prit dernièrement un navire Portugais
, chargé de fucre , & le conduifit bonnement à
Porto : là il fut reconnu par l'Armateur de ce navire ;
en conféquence le capitaine fut arrêté & condamné
par le Confeil de Marine a être pendu comme forban
; cependant avant de mettre la Sentence à exécution
, il a été expédié un Courier à l'Amirauté de
Londres , pour l'informer de cette infraction écla
tante au droit des gens , & on attend la réponſe de
l'Amirauté Angloife. Cette déférence eſt déja bien
( (137 )
grande ; mais fi elle fauve la vie au pirate elle fera
bien extraordinaire «.
Selon quelques lettres , D. Louis de Cordova
, lorfqu'il appareilla de Cadix , adreffa
le difcours fuivant à fon équipage . » Mes
enfans , il eft démontré que nos fidèles alliés
ont toujours battu nos ennemis lorfque les
forces étoient égales des deux côtés ; l'année
dernière ils les ont battus avec des forces
inférieures. Si nous ne pouvons les furpaffer,
égalons les au moins. Ce n'eft pas la première
fois que je vais combattre pour ma
patrie & pour mon Roi , & vous voyez en
moi un exemple qu'on n'en meurt pas. « D.
Louis de Cordova a , dit- on , 72 ans.
» Le bruit a couru à Paris , lit-on dans quelques
lettres , que 2 ou 3 Capitaines de vaiffeau avoient
été cités à un Confeil de Guerre qui s'étoit tenu
le 22 Septembre ; plufieurs avis venoient à l'appui
de cette affertion & annonçoient que ces Capitaines
avoient été caffés ; mais les dernières lettres de ce
Port ne font aucune mention de ce prétendu Confeil
de Guerre , & il n'a pas été difficile de reconnoître
que cette calomnie puniffable a été inventée
par des ennemis obfcurs & cachés de quelques Offi
ciers de la Marine du Roi « .
Selon les lettres de Hollande , les Négocians
d'Amfterdam follicitent , avec plus de
vivacité que jamais , les Etats - Généraux , de
faire exécuter la réfolution qu'ils ont prise
de protéger efficacement le commerce de la
République , & d'affurer l'honneur de fon
pavillon & le commerce des particuliers. Ils
ont préfenté à ce fujet , le 9 du mois dernier
, à LL. HH. PP. un mémoire. On ne
( 138 )
dit point encore quel en eft l'effet. En at
tendant , on voit paroître pluſieurs écrits
fur les circonftances préfentes, qui tous prouvent
l'opinion générale fur les prétentions
de l'Angleterre. Parmi ces écrits , on en
doit diſtinguer un qui a été publié ſous le
titre d'Objervations d'un citoyen d'Amfterdam,
fur le mémoire préſenté aux Etats-
Généraux , par M. le Chevalier Yorck , le
22 Juillet dernier.
» Rien affurément n'eft plus fait pour être respecté
que le langage d'un Ambaifadeur , fur - tout lorfqu'il
parle au nom de fon Souverain , & le public eft
posté naturellement à ajouter foi à fes affertions ;
mais ce même public n'eft pas obligé d'y croire
aveuglément ; il a le droit d'examiner , d'approfondir
& même de cenfurer. Il nous importe d'au
tant plus , à nous autres Hollandois , d'ufer de ce
privilége , que M. le Chevalier Yorke nous dit miniftériellement
que la France & l'Espagne fon deux
Puiffances perfides , qui fe font un jeu de violer le
droit des gens , de troubler la tranquilité publique ,
qui ont formé l'effrayant projet de donner la loi
à toute l'Europe , après avoir envahi l'Empire
Britannique ; que par conféquent notre propre intérêt
, & même notre falut nous impofent le devoir
de voler au fecours de l'Angleterre , c'est- à- dire
de prendre part à une guerre qui ſembloit nous
être abfolument étrangère , contre deux Souverains
qui ne nous ont point offenfés , pour une caufe
que nous penfions n'avoir aucun intérêt à foutenir,
Il faut avouer que fi tout ce que M. le Chevalier
Yorke avance eft bien fondé , rien ne mérite plus
d'attention , que les efforts réunis de la France & de
l'Efpagne ; que la caufe de la Cour de Londres eft
celle de tous les Souverains , & que l'Europe entière
( 139 )
doit fe liguer pour échaper aux fers de la Maifon de
Bourbon , en fauvant la Grande- Bretagne . Mais fi en
revanche , S. E. a fuppofé aux Cours de Verſailles &
de Madrid des vues qu'elles n'ont point , fi elle a
allégué des faits , qui n'exiftent pas , en un mot , fi
fon Mémoire n'eft qu'une déclamation hazardée ,
calomnieufe & imaginée dans l'unique vue de nous
égarer , il faudra avouer que fa réclamation ne
mérite aucune attention , & que le feul parti qu'il
nous convienne de prendre , c'eft de la rejetter , &
de perfifter dans la neutralité que nous avons fi
fagement adoptée «.
Pour parvenir à un réſultat qui puiffe
guider , le Hollandois , ou celui qui prend
ce nom , analyfe le mémoire de l'Ambaffadeur
, & pulvérife tous les raifonnemens
& toutes les affertions . Quel que foit l'auteur
de cette brochure , il annonce un
homme verfé dans la politique des nations ,
dont il a approfondi les intérêts ; & fes
obfervations méritent d'être lues & méditées .
Nous aurons plus d'une fois l'occafion de
revenir fur ce fujet , & d'employer fréquemment
ces réflexions pour jetter du jour
fur les évènemens courans , fur les vues de
l'Angleterre , & les intérêts des nations dont
elle follicite aujourd'hui vainement les fecours
; en attendant , nous continuerons
l'expofé des motifs qui ont déterminé l'Ef
pagne à la guerre.
3. L'Angleterre ne pouvoit pas avoir des motifs de
jaloufie & de démêlés , relativement à l'Espagne ,
pour ceffer de la traiter d'une manière conforme
aux règles de l'équité & de la reconnoiffance , &
ainfi qu'aux bienséances , attendu que l'Eſpagne ne
feroit & ne pourroit faire que très peu ou point de
( 140 )
commerce avec les Colons Anglois : celui de fes
poffeffions en Amérique étant fuffifant , & même
plus que fuffifant pour elle. Cependant la Cour de
Londres , pour le ménager un prétexte de rupture ,
lorfque fes projets feroient parvenus à leur point de
maturité , affectoit de grandes inquiétudes fur la
correspondance de commerce que quelques Négocians
de Bilbao entretenoient avec d'autres Négocians de
fes Colonies , quoique cette correſpondance eût
commencé un grand nombre d'années avant qu'elles
rompiffent avec leur Métropole. Le Ministère Anglois
prétendit auffi devoir prendre ombrage de la
correfpondance mercantile qu'entretenoient quelques
Habitans François de la Louifiane avec les Colons ,
& il vouloit rendre le Gouvernement Efpagnol
refponfable de certe contravention à fes propres
loix dans ces Pays : dans le tems même que les Sujets
d'Angleterre , appellés Royaliftes , étoient pareil .
lement en contravention par la contrebande qu'ils
faifoient fur les côtes Efpagnoles du Mitfiffipi &
de la Louifiane ; ce qui fut caufe qu'il y en eut
plufieurs d'arrêtés & que les Anglois fe répandirent
en plaintes à cette occafion . L'orgueil des
Commandans Anglois dans ces parties , prétendoit
auffi que l'on ne devoit point donner d'afyle dans
la Louifianne aux Colons perfécutés , tandis que
les Royalistes qui s'y réfugioient étoient sûrs de
n'avoir rien à craindre , non-feulement pour leur
vie , mais pour leurs biens. C'est un fait conftaté
par les remerciemens de plufieurs des ces Royalistes
au Gouverneur Espagnol , qui ne fe font pas bornés
à témoigner leur reconnoiffance de vive voix
mais en ont configaé l'expreffion dans un écrit figné
d'un grand nombre d'entr'eux. Le Gouvernement -
Eſpagnol a porté l'humanité jufqu'à envoyer de
fon propre mouvement des farines à Penſacola ,
d'après la connoiffance qu'il avoit de la difette qui
régnoit dans cette Place : la reconnoiffance du Miniſtère
& de la Nation Britannique a éclaté par les
( 141 )
menaces , les violences & les manoeuvres qui viennent
d'être rapportées.
4. Sans nous arrêter aux évènemens antérieurs
à ces derniers tems , nous dirons que les infultes
faites par la marine Angloiſe à la navigation & au
commerce Espagnol depuis l'année 1776 , jufqu'au
commencement de Mars de l'année préfente 1779 ,
fe montoient déja à 86 , dans le nombre defquelles
on comprend des prifes injuftes , des pirateries
& des vols de différens effets à bord des bâtimens ,
des coups de canon tirés & d'autres violences incroyables
. Depuis ce mois de Mars , & nonobftant
le Mémoire remis le 14 du même mois par le'
Marquis d'Almodovar , où il fe plaignoit des griefs
les plus capitaux , & où il rappelloit les Mémoires
précédens , les Anglois fe font emparés , les 12
19 & 26 Avril , des 3 bâtimens Eſpagnols nommés
Nuestra Senora de la Concepcion , la Virgen de
Gracia , & las Animas . Ces excès joints aux autres
infultes dont la note avoit été envoyée au
Marquis d'Almodovar , pour qu'il en informât les
Miniftres Anglois , ont donné lieu à cet Ambaffadeur
de dire , dans la dernière déclaration qu'il a
remife au Ministère Anglois le 16 Juin , que les
griefs dont on le plaignoit depuis ces dernières
années s'approchoient du nombre de cent.
>
5. Les vaiffeaux ou bâtimens du Roi Catholi
que , ainfi que fes barques courières , balandres
& autres , incapables de faire une réfiſtance convenable
, qui ont été infultés par la marine Angloife
dans le cours des deux années dernières , jufqu'au
commencement de Mars de celle - ci , dans les mers
d'Europe & d'Amérique , font au nombre de douze .
On rougit de rapporter l'indécence & même l'igno
minie avec lesquelles les Officiers Anglois tant
dans ces circonftances que dans d'autres , ont traité
le pavillon de S. M. C. On citera feulement ce
qui s'eft paffé le 31 Octobre de l'année dernière,
Un Officier Anglois , détaché par deux frégates
,
( 142 )
"
de la même Nation , vifitant entre les ifles de la
Mona & de la Saona , le Guayro Espagnol nommé
Nuestra Senora de la Efclavitud , ayant fait abaiffer
le pavillon du Roi , s'eft fervi de l'endroit cù
étoient les armes de S. M. pour s'en frotter le
vilage & elluyer fa fueur , voulant par là montrer
le mépris qu'il en faifoit. Ce digne Officier & fes
compagnons ont pillé le bâtiment , & jufqu'aux
hardes des Matelots.
6. La Nation Angloiſe a violé onze fois le territoire
Espagnol dans ces dernières années. Parmi
toutes ces infultes , on remarquera celle que fe
permitent les chaloupes de trois frégates Angloifes
qui étoient dans la baye de Gibraltar le 30 Avril
1777. Elles firent feu fur le bateau des Fermes
du Roi , ainfi que fur le corps- de - garde qui étoir
au pont Mayorga , & enlevèrent l'équia & les
- effets d'une goëlette prife par le mêmeau ,
parce qu'elle étoit foupçonnée de porter en contrebande
du tabac & de l'argent monoyé. Auffitôt
que les Anglois s'en furent emparés , ils fe retirèrent
en faisant des faluts avec leurs chapeaux ,
comme par dérifion ,
7. Les plaintes de la Cour d'Espagne ont été auffi
fouvent répétées que les infultes de la part de l'Angleterre
, les Mémoires fe fuccédant continuellement
à Londres & à Madrid , de manière qu'on peut dire
qu'il en a été donné une infinité ; & malgré cela ,
on a ofé faire dire par S. M. B. , dans fon Parlement
, qu'un grand nombre de ces plaintes n'étoient
point venues à fa connoiffance , & qu'elle étoit
intérieurement convaincue qu'elle n'avoit point don
né fujet au procédé injufte de l'Eſpagne. Ces plaintes
, on le répète aujourd'hui , ont été fi continues ,
que D. Francifco Efcarano expofant par écrit quelques-
uns de ces griefs au Lord Weymouth , le s
Février 1778 , lui témoignoit déjà qu'il fe laffoit
de fe plaindre fi fouvent , & lui marquoit , » qu'il
Lembloit que tous les Commandans des vaiffeaux
( 143 )
de S. M. B. fuffent convenus entr'eux du traitement
qu'ils devoient faire à ceux du Roi ou de la Nation
Efpagnole ; puifque d'après les preuves multipliées
d'une conftante expérience , les vaiffeaux Anglois
commençoient par tirer plufieurs coups à bouler fur
les nôtres ; que les Officiers venoient les vifiter
qu'ils enchaînoient l'équipage , ou l'enfermoient à
fond de cale ; qu'ils emportoient fans le moindre
fcrupule, les effets qui leur convenoient , & pour adieu
leur tiroient un autre coup de canon à mitraille ; que
les vaiffeaux Efpagnols , & nommément les Couriers
paquebots qui portent l'artillerie , auroient pu faire
ufage de la force contre ces infultes , mais qu'ils
s'en étoient abftenus , parce que le Ministère Efpagnol
avoit très-expreflément ordonné de vivre
dans la meilleure harmonie avec la Nation Angloife ;
enfin il prioit le Lord Weymouth de vouloir bien
comparer ces excès de modération de l'Eſpagne avec
les infultes fréquentes que faifoit la Marine Britannique
, & de voir s'il étoit jufte de ne la point contenir
, & de ne donner aucune fatisfaction à l'Efpagne
«
C'eft ainfi que l'Espagne s'expliquoit au mois de
Février 1778. Voici comme elle s'eft expliquée le
14 Mars de cette année , dans un écrit de cette date
donné au même Vicomte de Weymouth.
L'Ambaffadeur Espagnol après avoir rapporté
deux points fur lefquels il avoit reçu une réponse
de ce Miniftre Anglois , il continue ainfi » Cependant
le Roi n'a pas pu s'empêcher de remarquer
que de toutes les plaintes portées par fon ordre,
depuis deux ans , au Miniftère Britannique , il n'y a
eu que ces deux affaires fur lesquelles on ait donné
une réponſe cathégorique . S. M. a examiné les motifs
contenus dans celle du 13 Février , pour excufer
le délai relatif à ce qui s'eft paffé en Amérique
, mais elle ne voit pas que le changement de
la deftination des vaiffeaux , la mort des Commandans
& le retour des Amiraux auxquels les
( 144 )
ordres s'adreffoient , ( c'étoient -là les motifs ou les
prétextes qu'on alléguoit , ) aient pu empêcher la
vérification demandée. Quand même les Comman
dans feroient morts , ou que les vaiffeaux feroient
allés ailleurs , & même en admettant que ces évè
nemens aient été univerfels , & qu'ils euflent eu
lieu précisément dans le tems qu'on le propofoit de
faire la vérification , cela n'empêchoit pas que le
Gouvernement des lieux dans lefquels ces faits font
arrivés & où l'on devoit en avoir pris connoiffance ,
ne fût permanent. Quoique les Chefs foient chan
gés , l'exercice de leurs emplois continue , & les
bureaux des départemens où l'on doit avoir pris
connoiffance ou rendu compte de chaque affaire de
cette eſpèce , fubfiftent . D'ailleurs , on a vu arriver
en Angleterre quelques -uns des Commandans fous
les ordres defquels avoient agi les vaiffeaux qui ont
pris & maltraité les vaiffeaux Efpagnols , & ces Commandans
Anglois auroient pu être interrogés fur.
beaucoup d'articles «.
Le Marquis d'Almodovar fait enfuite quelques
obfervations fur un cas particulier , & termine ainfi
fa dépêche : Enfin quand tout auroit confpiré à
empêcher ou à retarder les informations que le
Ministère Britannique defiroit avoir pour fatisfaire
ma Cour , le Roi mon maître croyoit que fes plain
tes & les ordres donnés par S. M. B. , auroient
au moins arrêté le cours de ces violences : cepéndant
, on reçoit continuellement à Madrid des avis.
de nouvelles violences , & l'on m'a envoyé le dé
tail de quelques - unes , avec ordre de les commu
niquer à V. E. Je joins donc ici la relation des
faits les plus remarquables , ne faifant point men
tion des autres , pour ne pas accumuler les plain
tes , quoiqu'elles foient toutes auffi fondées . V. E.
ne tardera pas à reconnoître l'importance de tour
ceci , & la néceffité d'accélérer autant qu'il eft poffible
, la fatisfaction que le Roi mon maître fe
flatte d'obtenir de la juftice & de la droiture de S.
M. B. ¿e.
car de la juſtice &
Lafuitepour l'ordinaire prochain.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE, le 1er. Septembre:
LES efforts des ennemis du Sélictar Aga ,
pour le perdre , n'ont abouti jufqu'à préfent
qu'à augmenter la faveur dont il jouit. Le 21
du mois dernier , au moment où l'on s'attendoit
à le voir éloigné de la Cour , on a appris
qu'il avoit été nommé Grand- Vifir à la place
de Méhémet- Bacha , qui a été relégué dans
l'ifle de Ténédos . La caufe de la difgrace de
ce dernier eft fon incapacité. Il eft dit formellement
dans l'ordre de S. H. que ce Miniftre
nefachant ni lire ni écrire , & hors d'état
de conduire les affaires du Gouvernement ,
étoit forcé de fe fervir de perfonnes à qui il ne
convenoitpas des'en mêler. Le Grand-Seigneur
ne s'eft pas borné à élever fon favori ; il a
nommé deux de fes frères , l'un Nidchangi-
Bacha , ou Garde des Sceaux , l'autre Tréforier
du Serrail . Les Miniftres Etrangers ne paroiffent
pas avoir vu d'un oeil mécontent cette
révolution , puifque deux jours après ils fe
font empreffés d'envoyer complimenter le
nouveau Grand - Vifir fur fon élévation. Le
23 Octobre 1779. g
( 146 )
peuple n'a pas vu avec le même plaifir réunies
fur les trois frères des places auffi importantes
qui mettent ceux qui les occupent
à portée d'entretenir tous les jours le Souverain
. Ils ne négligent rien pour regagner
l'affection générale ; le Grand - Vifir ſe ſignale
autant qu'ilpeut par des actes de bienfaiſance ,
& s'occupe des moyens de remédier à la
cherté des vivres. Mais jufqu'à préfent fes
foins n'ont rien changé aux anciennes difpofitions
des efprits ; on trouve tous les jours
des libelles contre lui dans les mofquées.
Malgré toute la vigilance de la Police , le feu
a de nouveau éclaté deux fois , le 24 & le 31
du mois dernier ; c'eft dans le quartier où
les Grands- Viſirs font leur réfidence , qu'il a
paru hier. Heureufement on eft parvenu à
l'éteindre avant qu'il ait pu faire des ravages.
Il eft arrivé ici trois Députés du Kan de
Crimée , ils ont eu déja audience du Grand-
Vifir , à qui ils ont remis , conformément à
la convention conclue entre la Ruffie & la
Porte , 1º. Une Déclaration qui attefte que
les troupes Ruffes ayant évacué cette prefqu'ifle
, toutes les Tribus Tartares fe font
affemblées & ont élu Sahim Guérai.
2º. Une lettre par laquelle le Kan notifie
fon Election au Grand - Seigneur comme au
Chef des Mufulmans. 3 ° . Un acte par lequel
il cède à la Porte tout le territoire d'Oczakow .
La Porte enverra inceffamment au Kan des
Tartares , un premier Ecuyer qui lui portera
la bénédiction du Chef de la Religion. Pour
-
( 147 ).
terminer entièrement cette grande affaire ,
qui a coûté tant de fang , de tréfors & de
négociations , il ne reftera plus que l'échange
de l'acte de reconnoiffance de l indépendance
de la Crimée ; il auroit eu déja lieu fi le
Miniftre Ruffe n'éxigeoit pas qu'il fe fit avec
beaucoup de folemnité . Le Ministère Turc
refufe de fe prêter à un appareil qui peut
augmenter le mécontentement du peuple.
SÚ È DE.
*
DE STOCKHOLM , le 20 Septembre.
LA Cour eft au château de Gripsholm
depuis le 17 de ce mois ; elle y reftera jufqu'à
la fin du mois prochain qu'elle reviendra
paffer l'hiver dans cette Capitale .
Le Baron d'Ehrenfwaerdt , Chambellan de
S. M. , a été nommé pour remplacer le Baron
de Geer , en qualité d'Envoyé extraordinaire
près les Etats- Généraux des Provinces-
Unies.
M. Jacques -Jonas Bijornfthahl Profeffeur
des langues Orientales à l'Univerfité de Lund ,
eft mort le 12 Juillet dernier à Salonique ,
d'une espèce de dyffenterie appellée communément
la fièvre de Salonique . La gazette
Littéraire de cette Capitale contient les détails .
fuivans fur ce favant Citoyen.
Il étoit parti de Conftantinople , au mois de Janvier
dernier , pendant la plus grande rigueur de
l'hiver qu'on a éprouvé , pour parcourir la Grèce.
Arrivé à Volo en Theffalie , il fe propofoit de
tourner vers le nord pour aller vifiter les fameux
( 148 )
<
Monaftères Grecs du mont Athos , dans l'efpe
rance d'y faire quelques découvertes rares & utiles
; mais arrivé à un petit village nommé Litocori
, fitué au pied du mont Olympe & à plufieurs
lieues de Salonique , il tomba malade . M. Lagerstrom
, Capitaine d'un navire Suédois , qui fe
trouvoit alors dans cette dernière ville , en ayant
eu avis , fe rendit auffi tôt à Litocori avec quelques
perfonnes de fon équipage , & fit tranſporter
le Savant à Salonique , où il mourut quelques
jours après . Il eft à remarquer que c'eft le troi.
fième favaut Suédois , mort depuis 30 ans dans
le Levant , où ils avoient été attirés par le defir de
faire des découvertes nouvelles dans les fciences ;
les deux autres font M. Haffelquift , & M. Forkall,
DANEMARCK,
De COPENHAGUE , le 20 Septembre;
Les lettres d'Elfeneur ne font inention que
des tempêtes qui fe font fentir depuis quinze
jours , & qui ont fait périr quelques navires
fur les côtes de Jutlande & de Suède . Plufieurs
bâtimens qui mouilloient dans le Kattegat
& dans le Sund ont perdu leurs ancres
& leurs cables. Dimanche dernier une galiote
à mâts coula à fond en pleine mer , à la
hauteur des côtes de Norwège , avec tout fon
monde, à la vue d'un autre navire qui ne
put lui donner aucun fecours.
13
L'hiver dernier fut fi doux en Iflande , que
la gelée y dura à peine quelques jours . Cette
température extraordinaire a nui à la récolte
des fourrages qui ont abfolument manqué
dans cette Ifle. Les habitans fe font trouvés
( 149 )
C
L
dans la dure néceffité de tuer le tiers de leur
bétail. La pêche n'ayant commencé qu'en
Avril , les vivres y ont auffi manqué. Quelques
perfonnes font mortes de misère ; d'au
tres ont été forcées de déranger leur fortune
en s'endettant pour fournir à leur fubfiftance.
Pour comble de malheur , depuis le commencement
du mois de Juin l'air a été trèschaud
, pluvieux , épais & mal-fain , ce qui
a caufé des maladies dangereufes , fur-tout
pour les enfans & les vieillards.
ALLEMAGNE.
De VIENNE, le 25 Septembre.
LA Cour eft toujours à Schonbrun , où
'Impératrice- Reine & la Famille Impériale
& Royale jouiflent de la meilleure fanté.
Celle de l'Archiduc Maximilien ſe rétablit ;
il commence à marcher , & l'on efpère que
l'humeur qui l'en empêchoit fera bientôt
totalement diffipée.
On doit conftruire dans la plaine de Wienerifche-
Neuftadt 4 magafins à poudre ,
à une certaine diftance l'un de l'autre , &
au milieu defquels il y aura un corps-de-garde.
Ces magafins éloignés des habitations feront
bâtis partie en brique & partie en bois ,
pour que l'explofion en foit moins forte en
cas d'accident. On y tranfportera route la
poudre de cette ville , qui par ce moyen fera
déformais à l'abri du malheur dont elle a été
dernièrement menacée.
$ 3.
( 150 )
M. de Quefdanowich , Colonel du régiment
des huffards d'Efclavonie , qui a fervi
avectant de bravoure dans la dernière guerre
& qui en récompenfe de fes fervices avoit
déja reçu l'Ordre de Marie-Thérèſe , vient
d'être mis au rang des Barons de Hongrie.
Sa famille eft originaire d'Albanie .
On affure qu'il vient d'être réglé que les
régimens Autrichiens qui n'avoient cu julqu'à
préfent que des canons de 3 livres de
balle , en auront à l'avenir de 6.
On continue de paver à neuf cette ville.
Les pierres dont on fe fert font taillées en héxagones
, de forte qu'elles peuvent fervir fucceffivement
de fix côtés . L'épargne qui en réfulte
pour etréfor eft , dit - on , de 16,000
florins par an.
Le 20 Août dernier , à 3 heures du matin ,
on a reffenti à Ujheli , fur le fleuve de Wag
en Hongrie , un tremblement de terre qui
heureuſement n'a caufé que de l'ébranlement
& point de dommage.
De HAMBOURG , le 30 Septembre.
LES papiers publics depuis quelque-tems
n'ont parlé que des mouvemens que les
troupes de plufieurs Puiffances étoient prêtes
à faire. Selon eux 50,000 Ruffes alloient fe
mettre en marche fans qu'ils puffent dire de
quel côté elles devoient diriger leurs pas ; les
mêmes mouvemens ne devoient pas être
moins confidérables dans les Etats de
l'Impératrice - Reine , & des corps confi(
151 )
dérables de Tures s'apprêtoient à défiler dans
la Bellarabie , à Bender , fur le Niefter & c.
A- leur grand étonnement , les armées font
tranquilles par- tout , & on a lieu d'efpérer
qu'elles le feront encore long- tems. La paix
dont jouit le nord paroît affez bien affurée
pour qu'on puiffe fe flatter de ne la pas voir
rompre de fi-tôt.
Les derniers avis reçus de Vienne annonçent
comme prochain le retour de l'Empereur
dans cette Capitale ; on croit cependant
qu'il entreprendra auparavant un voyage
dans la Bavière Autrichienne.
» C'eft toujours avec autant de plaifir que d'in- .
térêt , ajoutent ces lettres , que l'on fuit les traces
d'un Prince qui voyage pour perfectionner fes connoiffances
& pour faire le bien de fes Sujets . Dans
fon infatigable activité , il fait allier aux occupations
d'un guerrier celles d'un agriculteur. Etant
en Bohême du côté de Nachod , il alla vers
un payfan qui fauchoit de l'avoine , lui prit fa
faulx , & fe mit à en faire ufage pendant quelques
minutes ; fentant qu'il ne dirigeoit pas cet inftrument
auffi bien qu'il l'auroit defiré N'y a-t- il pas
demanda- t-il , quelqu'un qui en fache un peu plus
que moi ? Le Lieutenant - Colonel du Verger fe préfenta
, & faucha fi habilement , qu'it mérita l'approbation
du Souverain , qui lui cria bravo. Pendant
ce tems , le payfan fe repofoit ; & à la fin
du travail qui fe faifoit pour lui , il a reçu
une récompenfe pécuniaire. A ce trait d'affabilité
& de bienfaifance , le Chef de l'Empire fur
reconnu ; & la faulx qu'il a maniée fut mife en
dépôt pour conferver la mémoire de cet évènement
".
Le mandement de l'Evêque de Mohilow
g 4
( 152 )
au fujet des Jéfuites , n'a pas fait moins de
bruit ici qu'il n'en doit faire dans bien d'autres
pays ; ceux qui cherchent à juſtifier
l'exiſtence de la Société dans les Etats de l'Impératrice
de Ruffie , ont fait inférer les articles
fuivans dans nos papiers publics . Le ier
eft un placet du P. Staniflas Czerniewich à
l'Impératrice de Ruffie.
» Nous fommes redevables à V. M. I. de pouvoir
profeffer publiquement dans fes Etats fortunés
la Religion Catholique Romaine , & nous lui devons
également de pouvoir y dépendre auffi publiquement
, dans les chofes fpirituelles , de l'autorité
du Souverain Pontife , qui en eft le chef vifible.
Nous donc , Jéfuites du Rit Romain , &
très - fidèles fujets de V. M. , profternés humblement
aux pieds de votre trône impérial , conjurons
V. M. par tout ce qu'il y a de plus facré ,
de faire enforte que nous puiffions rendre une
prompte & publique obéiffance à la juriſdiction
fpirituelle qui réfide dans le fouverain Pontife , &
exécuter les ordres qu'il a envoyés pour la deftruction
de notre fociété. V. M. , en permettant
qu'on nous fignifie le bref deftructif, exercera
un acte de l'autorité Royale ; & nous , en obéiffant,
nous nous montrerons auffi fidèles à V. M. ,
qui en permettra l'exécution , qu'à l'autorité du
Souverain Pontife , qui nous proferit « .
On prétend que l'Impératrice fit la réponſe
fuivante à ce placet.
Vous devez , vous autres , obéir au Pape
dans les chofes qui regardent le dogme , & vous
devez dans le refte obéir aux Princes ; mais je
m'apperçois que vous êtes des fcrupuleux ; je donnerai
donc ordre qu'on écrive à mon Ambaſſadeur
à Warfovie , afin qu'il s'entende avec le Nonze
du Pape , & qu'il vous lève ce fcrupule « .
( 153 )
Toutes ces pièces font dénuées d'authenticité
; le placet ni la lettre ne portent point de
date ; & la dernière furtout ne paroît pas
pouvoir être attribuée à l'augufte Princelle
fous le nom de laquelle on ne craint point
de la mettre. Nous ne les rapportons que
parce que l'évènement auquel elles ont donné
lieu a fait du bruit ; que dans un Journal
` comme celui - ci il faut tout recueillir ; que
les nouvelles hafardées piquent quelquefois
la curiofité , que celles de ce genre ont fouvent
un but de la part de ceux qui les publient
, & qu'il fuffit d'y jetter les yeux pour
le pénétrer.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 20 Septembre:
LE Pape dans le Confiftoire tenu le 20 de
ce mois , n'a fait que propofer plufieurs Eglifes
vacantes , tant en Italie que dans les
pays étrangers. La démarche de l'Evêque de
Mohilow continue de faire beaucoup de bruit
à Rome; d'après quelques Lettres , la première
plainte à laquelle elle a donné lieu , a été
faite par l'Espagne ; le ChevalierAzara, chargé
des affaires en l'abſence du Duc de Grimaldi
, qui étoit à la campagne près d'Albano
, fe rendit à l'Audience du St. Père , pour
lui demander fi ce Prélat avoit été en effet autorifé
par le Saint- Siège le Cardinal de
%S
( 154 )
Bernis ne négligea pas de faire la même queftion
. S. S. répondit pofitivement que tout ce
qui avoit été fait , l'avoit été abſolument fans
fa participation ; que le Décret du 15 Août ,
dont l'Evêque de Mohilow avoit cru pouvoir
s'autorifer , ne regardoit aucunement
les Jéfuites , & qu'elle n'étoit point refponfable
d'une démarche faite à fon infu . Mais
qu'au rette le Département de la Secrétairerie
d'Etat , & celui de la Propagande alloient
expédier à ce Prélat l'ordre précis de révoquer
fon Mandement comme illégitime & nul ,
S. S. ayant caffé tout ce qu'il avoit fait à l'égard
des Jéfuites. On dit aujourd'hui que le
Duc Grimaldi , qui eft de retour à Rome
follicite le Saint - Père de rendre un Bref
confirmatoire de la fuppreffion de la Société.
Le Règlement que le Sénat de Venife vient
de renouveller fur les profeffions religieufes
, & dont on a parlé , eſt le réſultat d'une
Affemblée tenue le 4 de ce mois pour examiner
une Requête qu'on lui avoit préſentée
pour faire quelque adouciffement à la Loi
qu'il avoit publiée en 1768 .
On mande de Florence que le Tribunal
fuprême de Juftice a condamné le 20 de ce
mois aux travaux publics , pour leur vie , Jofeph
Affrifio , Jérôme Civillo , François
Malanti , Dominique Caochelli , Antoine
Ameli & Pierre- Antoine Capretta , convaincus
d'avoir falfifié des lettres de change.
( 155 )
ESPAGNE.
•
De CADIX , le 20 Septembre.
LES Lettres du Camp devant Gibraltar contiennent
les détails fuivans :
les
» Le 12 de ce mois , à 7 heures du matin ,
Anglois ont fait l'effai de trois batteries qu'ils
avoient conftruites dans la nuit fur la plus hauté
partie du rocher qui fait face à la porte d'Efpagne
; ils avoient tenté de donner à ces batteries
la plus grande élévation poffible pour les diriger
contre le fort St- Philippe , & contre nos Travailleurs
; mais leurs efforts ont été fuperius , leurs
boulets ne pouvoient atteindre le Fort , ou plu
tôt ils ne s'élevoient pas affez ; ils venoient
mourir au foflé qui l'entoure , de forte que
les 80 coups de canon qu'ils ont pris la peine de
tirer ce jour-là , ne nous ont coûté que deux
chevaux , & ont bleflé un feul Trompette à la.
cuiffe. Nous avons reçu ces premières décharges
de nos voisins avec toute la férénité poflible ; &
notre filence les inquiétera plus que nos pétards &
nos fufées. Quand tout fera prêt , ils feront in
veftis par un feu terrible qui les embrafera de
toutes parts ; en attendant on occupe pendant la
nuit jufqu'à 2000 travailleurs pour accélérer l'exhauffement
des batteries & des mortiers. Lẹ feu
des ennemis dura d'abord trois heures , il fe ralentit
enfuite confidérablement ; ils ne tirèrent
qu'un coup de canon d'une heure à l'autre , de manière
que leur façon de canonner & de bombarder
, avoit plutôt l'air d'un appareil funèbre que
celui d'une attaque réelle «.
Une lettre du 17 ajoute ces détails.
» Les Anglois continuent de tems en tems à
nous envoyer quelques boulets qui ne nous font
g 6
( 156 )
aucun mal. Depuis Dimanche dernier ils ont tire
1224 coups de canons & 37 bombes ; tout a été
perdu. On travaille à Aigéfiras à la conftruction
des batteries flottantes , & de 20 chaloupes canonnières
. Une partie du convoi que nous attendions
de Carthagène , eft arrivé hier à Algéfiras ,
au nombre de 7 bâtimens ; ils nous apportent
des mortiers , des canons , & des boulets. Nous
avons reçu la plus grande partie des tentes qu'on
préparoit à Séville . Les Gardes Espagnoles campent
déjà ; les Gardes Vallonnes n'attendent plus
que leurs tentes. Les travaux continuent ; les Anglois
ralentiffent leur feu ; celui de nos batteries
le fera celler totalement. On a conduit avant-hier
à Ceuta une prife Mahonnoife , qui étoit prête à
fe gliffer dans la place ; elle eft chargée de munitions
de guerre & de bouche «<
La nuit du dimanche 84 forçats que l'on
avoit fait venir de Ceuta pour les employer
à la tranchée défertèrent après avoir forcé le
quartier qui leur fervoit de prifon. On en
atrappa 20 le lendemain.
On écrit d'Algefiras qu'on va travailler au
port ou mole de cette Ville ; le plan qui a été
préfenté à la Cour , a été approuvé. Il y a à
Malaga un vaiffeau de guerre François &
une frégate dont on dit que le Commandant
eft porteur d'un paquet qu'il ne doit
ouvrir qu'à l'entrée du Détroit,
La tartane la Notre-Dame de Monte Negro ,
écrit-on de la Corogne , montée de neuf Mariniers
un Sergent & deux Soldats de marine , arriva ici
le 9. Ce navire qui avoit à bord des habits
pour le Régiment d'Irlande , avec du fucre , du
vin , & d'autres marchandiſes , avoit été pris par
un corfaire Anglois à la vue de Concubion &c
( 157 )
repris fur la route pour l'Angleterre , par le Comte
d'Orvillers , qui l'envoya à D. Louis de Cordova . Ce
dernier lui recommanda de refter de conferve avec
Fefcadre ; mais le 3 , un coup de vent l'en fépara , &
il prit la réfolution de venir ici , où il eft arrivé
en bon état «<.
La frégate du Roi l'Afréa eft entrée dans
ce port le 5. Elle étoit partie de Manille le 13
Janvier dernier avec la hourque la Sainte-
Inès qui s'eft féparée d'elle en route. Avant
d'arriver aux Açores , cette frégate a rencontré
deux Convois Anglois , efcortés par des
vaiffeaux de guerre ; & après avoir paffé ces
îles elle a vu plufieurs autres petits bâtimens
de la même Nation qu'elle n'a point abordés
, parce qu'elle ignoroit la rupture dont
elle n'a appris la première nouvelle qu'à fon
arrivée. Elle avoit à bord plufieurs animaux
deftinés pour le Roi , & que le changement
de climat & le froid ont fait périr ; on n'a
confervé qu'un perroquet incarnat , une ciyette
& un très - bel Eléphant d'une grandeur
& d'une douceur extraordinaires.
On dit que le Lieutenant - Général D. Antoine
de Ulloa , qui croife avec une eſcadre
aux îles Açores , s'en eft féparé avec 4
vaif
feaux de ligne. On prétend qu'il eft envoyé
à la Havanne , où il fera joint par les autres
vailleaux qui s'y trouvent , & que de - là il
ira tenter la repriſe de la Floride , où les Anglois
ont actuellement peu de troupes. Il
trouvera à la Havanne ou à la Vera Cruz ,
celles dont il pourra avoir befoin pour cette
expédition .
( 158 )
La mort de D. Antoine Bucarelli , Vice-
Roi , Gouverneur & Capitaine - Général de
la nouvelle Eſpagne , n'a point empêché
que fes infinuations n'aient eu leur effet.
Tous les ordres des habitans de cette partie
des domaines de la Couronne , fe font
empreffés de contribuer aux frais de la conftruction
des vaiffeaux de guerre , qui doivent
défendre les Etats de S. M.; on fait monter
la valeur de ces contributions volontaires
à 1,299,000 piaîtres fortes.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 10 Octobre.
LA flotte de fir Charles Hardy eft encore dans
les ports ; on affure qu'elle remettra en mer
le 15 de ce mois , époque à laquelle on croit
que celle de France & d'Efpagne fortiront
auffi ; on dit que la nôtre fera forte de 46
à 47 vaiffeaux de ligne . Selon un calcul qu'on
a fait de fa confommation journalière , on
compte 150 tonnes d'eau , 100 boeufs , fans
compter les autres provifions .
L'opinion générale ici eft que la France
eft abfolument déterminée à effectuer l'invafion
, que l'Espagne ne la défire pas moins ,
& que pour frapper ce coup de conféquence
elle est décidée à ne point retirer fa flotte ,
qui doit y contribuer , & qui paffera l'hiver
à Breft pour être prête à réunir fes efforts
à ceux de fon Allié lorfque le moment
l'exigera , & à ouvrir de bonne heure
( 159 )
la campagne l'année prochaine , fi nous
avons le bonheur de finir celle - ci comme
nous l'avons commencée. Nous ne nous
diffimulons pas la fupériorité de nos ennemis
; tous nos efforts juſqu'à préſent n'ont pu
la leur enlever ; la proportion du nombre de
leurs vaiffeaux avec les nôtres eft toujours de
3 contre 2 ; inquiets fur l'évènement d'un
combat qui feroit fuivi d'une defcente , nous
ne négligeons rien pour la défenfe intérieure.
On a multiplié les ouvrages & les fortifications
à Portfinouch , à Plimouth , & dans
tous les lieux menacés ; on a établi par - tout
batterie fur batterie ; la côte eft hériffée de
canons ; on ne celle d'en tranfporter ; les
chemins en font couverts . On les a auffi
multipliés fur la flotte qu'on regarde toujours
comme le principal boulevard de l'ifle ; les
vaiffeaux de 40 canons ont été portés à so ,
ceux de74 en ont 82 , & ceux de 90 en ont 98.
Il refte à favoir fi cette augmentation , qui eft
très - confidérable en totalité , a pu fe faire
fans des inconvéniens qui en détruiſent l'avantage.
Le befoin que l'on a de tous les vaiffeaux ,
l'importance de veiller à la défenſe de nos
foyers , forcent le Ministère à négliger nos
ifles de l'Amérique , malgré les plaintes & les
follicitations de nos Marchands. Nos affaires
de ce côté font dans la fituation la plus déplorable
; pour y recouvrer tout ce que nous
avons perdu , il faudroit y envoyer une flotte
fupérieure à celle des François & des Eſpa
( 160 )
"
gnols , & 12,000 hommes de troupes de
débarquement ; mais nous ne fommes pas
en état de le faire ; nous ne pourrions pas
nous dégarnir ici fans danger ; & les Commerçans
, qui confultent plus leur intérêt
particulier que celui de la Nation , ne manquent
pas de fe plaindre. Les Ordonnances
publiées à la Grenade par le Comte de Durat ,
Colonel d'Infanterie , Gouverneur de l'Ifle
pour le Roi de France , ajoutent à leurs inquiétudes.
Nos papiers publics en contiennent
plufieurs ; celle qui affecte le plus nos
Marchands eft conçue ainfi.
» Etant informés des oppreffions exercées par le
gouvernement Anglois contre les habitans François
de l'Ile de la Grenade , appellés nouveaux
fujets , au mépris de la capitulation de la Colonie
du 4 Mars 1762 , du Traité de Paix de Versailles
de 1763 , du Traité d'Utrecht de 1713 , & autres
confirmés & rappellés audit Traité de 1713 , au
mépris du droit naturel & du droit des nations >
même des loix de l'Angleterre ; que ces vexations
ont fait un mal qui s'eft étendu à tous les membres
de la Colonie , ce qui fera l'objet d'un Mémoire
particulier qui fera envoyé à notre Cour , nous
avons dès-à-préfent & à toujours , déchargé les ha
bitans de l'ifle de la Grenade , ou , fuivant l'exi.
gence des cas , feulement furfis pour un temps qui
fera limité , au paiement de toutes hypothèques &
engagemens de tous genres par eux contractés avec
la place de Londres , & toute autre place de Commerce
, fujettes à S. M. B. fans aucune exception ;
réfervant encore à la Cour de France de faire valoir
toutes les réclamations juftes & fondées , dépendantes
du préfent article. Comme le Repréfentant de
S. M. B. en l'Ifle de la Grenade , auroit pu préférer les
conditions honorables que fa valeur , fabelle défenfe ,
( 161 )
:
fa naiffance , fes titres , emplois & décorations fu
auroient fait accorder avec fatisfaction , & que fon
feul motif peut-être étoit d'empêcher que les habi
tans de la Grenade ne puffent jouir d'un avantage
accordé par les Anglois aux habitans de Ste. Lucie ,
tandis que les principaux habitans de la Grenade ,
abufés par un point d'honneur refpectable , fe font
facrifiés au point de faire enlever d'affaut , & de
perdre tout ce qu'ils auroient raffemblé , d'après
l'exemple du Lord Macartney , dans un lieu qu'il
croyoit inexpugnable pour les dédommager des
pertes réelles & confidérables qu'ils ont fouffertes ,
il est défendu fous peine de défobéiffance , exécution
militaire & confifcation de leurs biens , à tous & un
chacun des habitans de la Grenade , de ne rien payer
de ce qu'ils peuvent devoir au fujets de S. M. B. foit
directement ou indirectement , Comme les débiteurs
que les habitans de la Grenade ont en Angleterre ,
pourroient refufer le paiement exact & prochain
de ce qu'ils doivent , il y fera pourvu , en faisant ,
par ordonnance des Juges - Royaux , & après examen
des titres , vuider les mains aux gérans des habitations
dont les propriétaires Anglois fe trouvent
être actuellement fur les terres de la domination de
S. M. B. , des fommes pareilles à celle qui fera due
en Angleterre aux habitans de la Grenade , François
ou Anglois , & le furplus du produit des biens des
Anglois abfens fera verfé provifoirement dans le
tréfor de la Colonie , pour être rendu à la paix. Les
gérants qui auront prêté le ferment de fidélité , ne
Teront point changés tant qu'ils adminiftreront bien ;
mais il fera nommé par le Gouvernement des confervateurs
des biens des abfens , qui , après avoir
reçus à ferment en la Sénéchauffée , infpecteront ,
ferout compter , payer , & donneront décharge aux
gérants actuels ou les dépofféderont , mais feulement
par Ordonnance du Juge.
été
Une autre Ordonnance , en date du 10
Juillet , porte ce qui fuit :
( 162 )
Etant informés que plufieurs particuliers des Provinces
Unies ont fourni des fommes conſidérables
à divers habitans de la Grenade , fous l'hypothèque
de leurs habitations , efclaves & autres immeubles ,
avec la garantie des Négocians Anglois , & par l'autorisation
du Parlement de la Grande- Bretagne ; ces
fournilleurs d'argent ne pouvant être confidérés que
comme des prête noms des fujets de S. M. B. , toutes
ces créances rentrent dans la claffe de celles qui font
fpécifiées dans notre Ordonnance du 7 Décembre ,
nous en défendons le paiement , comme il eft réglé
dans notredite Ordonnance , d'autant que les fujets
des Provinces- Unies ne peuvent jamais être lézés ,
ayant leur recours fur leurs répondans , & que toutes
les pertes retombent fur ces derniers , ce qui diminue
d'autant la maffe des fortunes de nos ennemis .
On dit que plufieurs Négocians , qui ont
des fommes confidérables à recouvrer dans
cette Ifle , vont paffer en France pour récla
mer les bontés & la juftice de S. T. M. C.
Les fuites de la perte de cette ifle ramènent
l'attention für le Gouverneur chargé de la
défendre ; fes ennemis fe permettent les réflexions
les plus outrageantes ; fes amis ne
manquent pas de le juftifier ; cette controverfe
tient une place confidérable dans la
plupart de nos papiers publics.
Il faut voir le pour & le contre , lit- on dans
un; on ne peut juger ce procès qu'en l'examinant
fous tous fes points de vue. Les amis du Lord Macartney
atteftent que les conditions propofées par
M. d'Estaing étoient de nature à ne pouvoir être
acceptées par aucun homme d'honneur , ni par aucun
ami du Gouvernement Anglois , de fon commerce
& de fes plantations ; felon eux , il ne s'agiffoit
de rien moins que d'obtenir fon confentement à
( 163 )
l'abandon de la moitié des eſclaves & de tous les
biens mobiliers qui fe trouvent dans l'Isle & dans
le Port. Le Lord a cru qu'il étoit plus avantageux
aux fujets naturels de l'Ifle , & plus conforme
à l'honneur de la dignité d'un grand Empire
, de ne dépendre que du droit des gens & de
la générofité des Souverains . Il s'eft perfuadé que
s'il eût accepté les conditions qu'on lui propofoit ,
il fe feroit lié naturellement , & auroit lié par-là
fon Souverain & fes compatriotes . Si l'Ifle à la
conclufion de la paix , doit refter entre les mains
du Roi de France , le Lord connoiffoit trop bien
la juftice de la Cour de Verfailles , le fyftême de
douceur qu'elle a adopté , pour craindre qu'elle
opprime les fujets dans aucune partie du monde ,
fulent-ils nés au Cap Cormorin ou à Toboski ;
& fi l'Ifle doit être rendue à l'Angleterre , il étoit
raifonnable d'attendre de S. M. T. C. qu'elle
dédaigne d'ufer avec rigueur du droit de conquête ,
& d'impofer des conditions plus dures que celles
qui ont été accordées à fes fujets à la Marti
nique , à la Guadeloupe , à la Grenade , &c. lors
de la conclufion du dernier traité de paix .
» Les ennemis du Gouverneur infinuent de leur
côté , par des bruits fourds qui n'en font que plus
dangereux à fa réputation ., qu'il a eu la liberté de
dicter lui-même les conditions , pourvu qu'il fe
foumit fans coup férir , & qu'il auroit pu de la
forte conferver la propriété & les priviléges du
fujet Anglois. Il eft fâcheux en effet pour ce
Lord de n'avoir pas demandé l'explication de fes
ordres , de n'avoir pas cherché à éclaircir un feul
doute , de n'avoir pas fongé à demander à tems des
enforts , lorfqu'il y avoit 4000 hommes de troupes
dans fon voifinage . Après avoir manqué à cette
partie de fon devoir , il ne falloit plus fonger à
combattre ; fon courage l'a emporté ; il a mieux
aimé fe défendre que de s'occuper à fabriquer des
( 154 )
taifons pour le juftifier de ne l'avoir pas fait. $4
véritable excufe eft de n'avoir pas voulu s'abaiffer
à donner un exemple qui n'a encore été don
né qu'en Allemagne , à la bataille de Minden , où
le Lord Germaine refufa de charger avec la Cavalerie
; il n'a pu rejetter les propofitions qu'on dit
lui avoit été faites , parce qu'elles ne l'ont point été :
& qu'il n'eft pas vraisemblable qu'on en ait pu faire
de pareilles ".
Nous n'avons aucune nouvelle récente
des Antilles. On ignore pofitivement ce
que fait l'Amiral Byron ; on a dit qu'il
avoit été joint par l'Amiral Arbuthnot ;
mais ce bruit n'a pas fait fortune ; on fent
qu'avant d'arriver à Sainte - Lucie , il
faut qu'il ait touché du moins à New-
Yorck pour fe raffraîchir ; & il eft für
que la frégate la Grey-Hound partie de New
Yorck le 25 Août , n'avoit pas encore entendu
parler de l'approche de cet Amiral. La
retraite de M. Byron eft à préfent décidée .
C'eft l'Amiral Rodney qui eft nommé pour
le remplacer ; il a eu l'honneur le rer de ce
mois de baifer la main de S. M. en cette
qualité; on ne dit point encore quand il partira
; il feroit important qu'il conduisît avec
lui des vaiffeaux & des troupes. Sans un ren
fort , fa commiffion deviendra très - difficile
à remplir. En attendant , quelques- uns de
nos papiers annoncent que le Comte d'Ef
taing a quitté ces parages pour fe rendre à
New-Yorck. Si cette nouvelle eft vraie , elle
laiffera refpirer nos planteurs ; mais elle doit
inquiéter le Gouvernement qui dans ce cas
( 165 )
doit craindre de perdre l'armée qu'elle a fur
le Continent , & le petit nombre de vaiffeaux
qui fe trouvent fur les côtes. La guerre
y feroit abfolument finie , & il ne faudroit
pas eſpérer de pouvoir la recommencer
avec quelque avantage . Tous nos fuccès
dans cette partie du monde fe réduisent à
l'établiffement que nous avons fait à Penobfcott
, & qu'il eft à craindre que nous ne
confervions pas long- tems, La dévaftation
portée par nos troupes dans cette rivière
, n'a pas fait à Bofton la fenfation
qu'on attendoit ; les troupes qu'on difoit
devoir périr dans les bois où elles s'étoient
réfugiées , font revenues dans cette ville ,
où l'on méditoit de renouveller l'expédition
par terre , & on ne feroit pas étonné
qu'elle eût plus de fuccès. Du côté de
la rivière North , le Général Clinton a
repris le pofte de Stony- Point ; mais il eſt
à craindre qu'il ne le garde pas longtems .
Ses dépêches publiées dans la gazette de la
Cour , dus de ce mois , ne contiennent
que les détails de cette expédition , ceux
d'une tentative infructueufe des Américains
fur Verplanks , de fes efforts pour
engager le Général Washington à un combat
qu'il évite toujours , & qu'il préfentera
lui-même fi la flotte Françoife paroît en
effet , pour le feconder après avoir détruit
toutes nos forces navales. Les autres affaires
dont le Chevalier Clinton rend compte ,
fe réduifent à des dévaftations déjà connues
( 166 )
par les dépêches de l'Amiral Collier , & qui
font très - propres à refroidir le zèle des
Colons qu'il affecte de peindre toujours
dans les meilleures difpofitions pour la
Grande-Bretagne. On ne conçoit pas com
ment ce zèle n'a pas produit plus d'effet
depuis le tems qu'on en parle. S'il en exiftoit
réellement la moitié de ce que l'on dit ,
nous ferions à préfent les maîtres par tout.
On prétend que le Miniftre de Heffe
a préfenté au Roi , le premier de ce mois ,
une copie du traité de fubfide entre S. M.
& le Prince de Heffe , pour 12,000 hommes
de troupes que ce dernier doit fournir
à la Grande - Bretagne. Ces troupes font ,
dit-on , deftinées à ouvrir la campagne prochaine
en Amérique , & le Prince Erneſt
de Mecklembourg , beau-frère de S. M. ,
les
commandera . Ce nouveau traité , dit un
de nos papiers , prouve qu'on s'eft trompé
lorfqu'on a dit que le projet du gouvernement
étoit de fe borner à inquiéter le commerce
de l'Amérique , en abandonnant les
places que nous y occupons , & que nous
ne confervons qu'au moyen d'une continuelle
effufion de fang , en répandant partout
la défolation & l'incendie .
Le fameux Paul Jones a échappé à tous
les vaiffeaux envoyés pour le pourſuivre ;
il s'eft retiré au Texel , & il eft à craindre
qu'il ne revienne de nouveau porter l'effroi
fur nos côtes ; on n'évalue pas à moins de
15,000 liv. fterl. la part qui lui eft revenue
( 167 )
C
des prifes qu'il a faites avec fon efcadre.
On eft malheureufement informé d'affez bonne
part que le Gouvernement vient d'avoir l'imprudence
d'indifpofer contre lui les ifles de Jerſey &
Guernesey , en y envoyant un Prifeur & des OFficiers
de l'Amirauté , pour y lever un droit que
cette dernière réclame. Cette manoeuvre que les Guernéfiens
appellent une exaction , les a tellement irrités
qu'ils ont chaffé de chez eux les Commiffaires
. Ceux qui ont été envoyés à Jerſey , y font
reftés , quoique contre le gré du Général Conway,
Gouverneur de l'Ifle. On dit même que ce Général
a fait publier dans les Eglifes une proclamation
contre la légitimité de cette nouvelle entreprise
de finance . Les anciennes loix normandes
encore en vigueur dans cette Ifle , ainfi que les
loix Angloifes , font également & à volonté les
guides du premier Juge du pays . Il pourroit arriver
aux Commiffaires de l'Amirauté & à fon
Prifeur , d'être aliommés avant de faire aucune
vente ; on les a déjà menacés de les tranſporter
en Angleterre ou de les jetter à la mer. On doit
obferver que les filous de cette Ifle , ou ceux qui
y commettent des crimes qui ne font pas capitaux
, font fouvent condamnés à être tranſportés
en Angleterre «.
Le Parlement qui devoit s'affembler le
7 de ce mois , en conféquence de fa
dernière prorogation , a été encore prorogé
jufqu'au 25 Novembre , jour auquel , eft-il
dit dans la proclamation , les deux Chambres
s'affembleront pour expédier des affaires
de la plus grande importance.
Des lettres non authentiques de Hollande ,
ont répandu le bruit qu'Halifax , capitale de
la nouvelle Ecoffe , a été prife d'affaut le 15
Août , par un corps de 6000 Américains , fe(
168 )
condés par un grand nombre d'habitans du
pays même. Les citoyens qui ont de la facilité
à s'inquiéter , voient de la vraisemblance à
cette nouvelle , en ce qu'une partie de la garnifon
de cette place en avoit été détachée pour
aller renforcer le Général Prévoft dans la
Géorgie , & en ce que des dépêches multipliées
viennent d'arriver de New-Yorck , &
que dès le premier moment on a dit qu'elles
étoient fâcheufes pour nous : opinion qui ſe
fortifie par le fecret qu'on en fait ; mais on le
répète encore , ces lettres Hollandoiſes qui
nous allarment fur la perte du port le plus
vafte & le meilleur que nous ayons en Améri
que , ne font revêtues d'aucune forte d'authenticité.
On a fait l'état fuivant des différentes
branches du commerce maritime de la
Grande -Bretagne. Les exportations de l'année
1764 ont été évaluées aux fommes ciaprès.
Afrique :
France
Italie
464,878 liv . fterl
208,765
764,898
Espagne & Portugal 1,318,845
Détroit
Turquie
Amérique
· 120,574
70,008
2,617,987
5.565.955.
Ces différentes branches , fi elles n'ont
pas été toutes élaguées , ont été du moins
émondées de fi près , qu'elles ne font plus
en
( 169 )
en état de fournir au corps de l'arbre , cette
fève fans laquelle il ne fauroit exifter.
» Deux cutters François , écrit-on de Glafcow
l'un de 16 & l'autre de 18 canons ont paradé dans
le canal de St- George . Le 19 du mois dernier , l'un
a coupé à l'ancre dans la baye de l'Ile de Jura , &
enlevé une riche prife Espagnole venant de la nouvelle
Espagne , ainfi qu'une lettre de marque de Liverpool
, richement chargée & deftinée pour les
Indes Occidentales. Ces deux bâtimens font fans
exagération , évalués à 30,000 liv. fterl. au moins.
Un de ces cutters a pris en outre & rançonné un
brigantin de Salt- Coats , deux floops de Fréenhock ,
& un de Liverpool tous chargés de Kelp , fel produit
par la calcination de plantes de mer & autres .
L'autre cutter eft allé dans le Nord d'où nous appre
nons qu'il a déja pris & détruit plufieurs cutters ou
bâtimens employés à la pêche du hareng . On craint
fort que le Black- Prince n'ait fait autant de prifes
qu'il eft en état de prendre d'ôtages à bord
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
ADE Philadelphie le s Août. Toutes
les nouvelles confirment la retraite du Général
Prévoft qui s'eft retiré à Savanah . Les
lettres de Charles -Town'contiennent la relation
fuivante de l'attaque du pofte de Stono-
Ferry où il s'étoit fortifié.
»Le Général Lincoln ayant reçu , relativement aux
intentions , aux forces & à la pofition de l'ennemi .
des avis de nature à lui faire juger qu'il étoit convenable
de l'attaquer à Stono- Ferry , le fit avec beau
coup de vigueur le 20 courant , à 7 heures du matin
environ : l'ennemi étoit avantageufement posté , &
Convert par de fortes redoutes , foutenues par un
abattis bien difpofé & défendu par plufieurs pièces
23 Octobre 1779.
h
( 170 )
d'artillerie, Les piquets ayant été repouffés en dedans
des lignes , l'attaque commença fur la droite , &
devint bientôt générale : un corps confidérable de
Montagnards fit une fortie fur notre gauche , mais
fut promptement repouffé dans fes redoutes , avec
beaucoup d'effufion de fang.
» L'action fe foutint fans interruption pendant 56
minutes , au bout defquelles le Général ne pouvant
forcer l'ennemi à fortir de les lignes , lefquelles
étoient fi fortes , que nos pièces légères de campagne
ne pouvoient les endommager ; les forces de l'ennemi
étant d'ailleurs plus confiderables qu'on ne les avoit
repréfentées , & fe trouvant renforcées encore pendant
l'action par un gros détachement venant de
John's-Ifland ; on fit former la retraite à nos troupes
, & nous emportâmes nos bleffés & notre artillerie
: notre perte eft peu confidérable , plufieurs
de nos bleffés font déja en état de faire leur ſervice ,
& la majeure partie de ce qui refte n'étant bleffé que
légèrement , ne tardera pas de fe rétablir , à ce que
l'on croit on fuppofe celle de l'ennemi beaucoup
plus grande , parce qu'on a vu de fon côté beaucoup
de morts étendus fur terre , & l'on a ſouvent obfervé
que leurs pièces de campagne n'avoient pas un feul
homme pour les fervir.
" Atout prendre, quoique nous n'ayions pas eu tout
le fuccès défiré , nos gens font perfuadés que fi l'ennemi
eût quitté fes lignes , il eût été battu ; vu le
foin qu'il a pris lui-même de s'y renfermer ſtrictement
, il eft probable que fon opinion étoit la même :
nos troupes font pleines d'ardeur , & ne foupirent
qu'après le moment où elles pourront faire un effai
egal de leurs forces en pleine campagne."
.
» Le Colonel Roberts, de l'artillerie de la Caroline
Méridionale ; le Major Ancrum , Aide-de- Camp du
Général Huger , les Capitaines Dogget & Goodwin ,
de la brigade Continentale de la Caroline Méridionale
, & le Lieutenant Charleton de la brigade Con(
171 )
tinentale de la Caroline Septentrionale , font morts
des fuites de leurs bleffures .
Les ravages commis par nos ennemis dans
tous les lieux où ils pénètrent ; le parti fans
exemple pris par le Général Prévolt de détruire
ce qui appartenoit aux particuliers
dans fa retraite ignominieufe de Charles-
Town ; l'incendie de quatre Villes du Connecticut
, & entr'autres de Fairfield & de
Greenfield , tous ces actes féroces & exécutés
en pure perte avec la feule intention de
faire du mal , ont déterminé la plupart des
corps légiflatifs de cesEtats-unis à prendre des
réfolutions rigoureuſes à l'égard des fujets de
la Grande - Bretagne réfidant en Europe , &
poffédant des biens ici ; quelques- uns en ont
ordonné la
confifcation ; dans tous on s'eft
vu forcé de
recommander , tant aux foldats.
qu'aux milices de ne plus faire de quartier
aux troupes Angloiſes & à leurs adhérans
jufqu'à ce que les Anglois aient renoncé
les premiers à cette manière horrible de faire
la guerre.
Le 17 de ce mois le Secrétaire du Con
grès écrivit la lettre fuivante au Commodore
Collier.
» M. , le Congrès des Etats - Unis de l'Amérique
m'a chargé de vous informer qu'il a été dépofé
devant lui que Guftave Cunningham , Citoyen de
l'Amérique , commandant ci- devant un navire armé
au fervice defdits Etats , & pris à bord d'un cutter
Armateur , a été traité d'une manière contraire aux
principes de l'humanité , & à l'ufage des nations
civilifées & chrétiennes. J'ai ordre de demander
h. 2
( 172 )
au nom du Congrès , que l'on affigne à cette conduite
des raifons bonnes & fuffifantes , ou que ledit
Guftave Cunningham foit immédiatement élar
gi de l'emprisonnement rigoureux & ignominieux
qu'il fubit actuellement. Je fuis , & c.
M. Thomſon a reçu cette réponse en date
du 24 de ce mois , du Secrétaire du Commodore.
» M. , j'ai l'honneur de vous informer de la part
de Sir George Collier , qu'il a reçu la lettre que
vous lui avez écrite par ordre du Congrès , au
fujet de Guftave Cunningham. Le Commodore me
charge de vous dire que ne fe regardant pas com
me devant rendre compte de fa conduite à aucun
des fujets de S. M. dans ce pays , il eft encore
moins difpofé à répondre à des demandes faites
d'une manière auffi incivile que paroît l'être cèlle
contenue dans votre lettre du 17 ; il veut cependant
bien m'ordonner de vous informer qu'il n'eft par
venu à fa connoiffance qu'aucun prifonnier ait jamais
été traité par les Officiers du Roi d'une ma
nière contraire aux principes de l'humanité ; mais
que comme il eft d'ufage chez les peuples civilifés
de punir les criminels felon le cours ordinaire
de la justice , Gustave Cunningham , dont vous
demandez des nouvelles eft dans ce cas - là qu'en
conféquence il eft envoyé en Angleterre pour rece
voir de fon pays qu'il a offenfé , le châtiment que
fes crimes paroîtront mériter. Je fuis , &c «<,
Cette réponſe fingulière n'a pas caufé peu
de furprife; on s'y attendoit d'autant moins
que les Anglois favent qu'il y a dans ces Etats
plufieurs de leurs prifonniers , & qu'ils feroient
très imprudens s'ils forçoient à uſer
de repréfailles. Selon une lettre de Boſton
on dit que le Commiffaire des prifonniers ,
qui doit fe rendre inceffamment à New-
Yorck avec 300 Anglois deftinés à être
( 173 )
échangés , a mis aux fers , & confiné dins
un cachot , un jeune homme riche & de
bonne famille auquel on eft déterminé de
faire à tous les égards le même traitement qui
fera fait en Angleterre à Cunningham .
FRANCE.
་ ་
,
De VERSAILLES , le 19 Octobre.
LA Cour , de retour ici du château de
Choifi , en eft repartie le 15 pour Marly , où
elle paffera quelque tems ; Meſdames , tantes
du Roi , font parties le même jour pour aller
paffer fix femaines dans leur château de
Bellevue.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Couferans ,
l'Abbé de Laftic , Vicaire- Général du Diocèfe
de Rouen. Il a accordé un Brevet de Dame à
la Comteffe Charlotte des Epinets .
Le 10 de ce mois le Vicomte de Vibraye ,
Miniftre Plénipotentiaire du Roi près le Duc
de Wirtemberg & fon Miniftre près le cercle
de Souabe , de retour ici par congé , a eu
l'honneur d'être préſenté à S. M. par le Miniftre
des Affaires Etrangères. Le Comte
d'Uffon , Ambaffadeur près le Roi de Suède ,
de retour également par congé , a eu l'honneur
d'être auffi préſenté à S. M. le 12 de
ce mois par le même Miniftre.
De PARIS , le 19 Octobre.
ON s'attend à recevoir chaque jour la
nouvelle du départ des flottes combinées ;
felon quelques lettres de Breft elles étoientdéja
agar. h3
( 174 )
en rade , munies de tout ce qui eft néceffaire
pour continuer la campagne prochaine &
la prolonger autant de tems que la faifon
permettra de tenir la mer. Le 2 cinq vaiffeaux
, dont trois François , deux Eſpagnols ,
trois frégates & un lougre , appareillèrent
pour aller à la rencontre de la Hotte de St-
Domingue.
» On ne doute point , écrit-on du Havre , que les
anciens projets de defcente n'aient encore leur effet
cette année. Il s'eft tenu à Breſt un Confeil de guerre ,
auquel le Comte de Vaux a affifté. On préfume qu'il
a eu pour objet les opérations de la campagne ; ce
qui femble le confirmer , c'eft que tous les Officiers
& Soldats abfens par congé , permiffion , & c . ant
ordre de fe trouver ici le 18 du courant ; cet ordre a
paru d'autant plus remarquable , qu'il n'y a pas r
jours que le Miniftre avoit donné perfonnellement
des congés à plufieurs. Une perfonne arrivée de Breft
en ce moment , y a vu la flotte prête à partir & n'attendant
que l'ordre. La maladie a moins attaqué les
équipages que les troupes de terre qui avoient été cmbarquées
; & on en avoit beaucoup exagéré les ravages
. La flotte ne fera que de 50 vaiffeaux de ligne ,
parce que plufieurs font déja fortis du port pour diverfes
opérations «<,
" Le Capitaine de la frégate le Québec , mande-ton
de Breft , n'étoit forti que pour donner la chaffe
à la Surveillante ; il avoit choifi so volontaires
des plus déterminés , & s'étoit vanté que la frégate
Françoife ne lui échapperoit pas. Pour prouver
à fon équipage qu'il fe battroit à toute outrance
, il avoit cloué fon pavillon ; l'équipage applaudit
: on fair ce qui lui eft arrivé . Ce furent les
grenades que nos gens jettèrent à bord de la frégate
ennemie , lorfqu'ils alloient l'aborder , qui y
mirent le feu. On ne fait point fi l'on parviendra
à fauver le brave M. du Couëdic ; les balles fonc
( 175 )
}
=
reftées dans la chair près des reins , & on craint qu'il
ne fuccombe à l'opération néceffaire pour les retireres.
" Une lettre de Madrid , écrit - on de
Bayonne , en date du 5 de ce mois , arrivée
par ce Courier , nous apprend que l'efcadre
Efpagnole , commandée par D. Antonio de
Ulloa , & compofée de 4 vaiffeaux de ligne
& 2 frégates , a pris vers les ifles Tercères 2
vaiffeaux de ligne Anglois & une frégate ,
qu'elle a conduits à la Corogne. Nous venons
d'apprendre cette nouvelle , dit la lettre de
Madrid , par un Courrier extraordinaire dépêché
exprès "
» Mardi dernier , s du courant , ajoutent les mêmes
lettres , la frégate armée par M. Feyer , négociant
de cette Ville , eft arrivée dans ce Port
avec prifes Angloifes qu'eil a faites dans fa traverfée
en venant du Cap à Bordeaux . L'une n'a que
fon artillerie & 6e hommes d'équipage ; les 2 au
tres , venant de la Jamaïque , font chargées de
soo bariques de fucre fin , de café , de cacao ,
bois de campêche , bois jaune , & c. & font évaluées
à 800,000 liv. Leur équipage confifte en une
quarantaine , non d'hommes , mais d'enfans , qui
ont été conduits hier au château du Ha «<
Les prifes faites par la frégate le Monfieur ,
pendant fa dernière croifière font les fuivantes.
,
Le 18 Août elle prit le Werwagdin , navire Hol-
Jandois , chargé de sso pièces d'eau-de-vie , dont
Je corfaire Anglois l'Aigle s'étoit emparé. Le z
Septembre la Villanova , de 250 tonneaux venant
de Porto & allant à Londres , chargés de vin
& de liege ; le 7 le Succès , de 130 tonneaux , chargé
de vin de Madere ; le 22 le Jofeph , de 1505
Lortant d'Angleterre fur fon left ; le 23 le navire
h4
( 176 )
Efpagnol le St- Antoine , pris par les Anglois à ſon
retour de la Havanne , chargé de fucre , café , coton
, & c.; le 25 la Polly , de 300 tonneaux , venant
de la Jamaïque , allant à Briftol ; toutes ces
prifes font arrivées à Granville ou à St-Malo & a Rof
coff. C'eft la croifière de la guerre la plus heureufe .
On mande de Dunkerque que le Capitaine
Royer rentra le 6 de ce mois après une
croifière pendant laquelle il a rançonné 13
navires pour 145,000 liv. , & fait trois prifes
dont l'une eft un navire qui avoit été pris
par le corfaire Américain le Prince Noir , &
repris par une frégate Angloife ; il l'a renvoyé
à Morlaix ; la feconde eft un vaiffeau Efpagnol
, pris par un corfaire de Bristol . Il venoit
de Buenos - Ayres chargé de cuirs fecs &
autres marchandies deftinées pour Cadix.
Ce navire étoit armé de 8 canons de iz .
Il étoit mouillé dans une rade avec un navire
ayant une lettre de marque , allant de Liverpool
à New-Yorck , chargé de draps ,
habillemens & fouliers pour les troupes. Il
étoit armé de 14 canons de 9 liv. Il les a
pris tous deux à l'abordage , & les a envoyés
en Norwège.
La Maréchale de Mouchy , écrit- on de Bordeaux
, armée en guerre & en marchandiſes , eft
entrée le 2 ici avec la corvette ; elle avoit quitté
le convoi de St- Domingue au débouquement ; elle
a amené trois prifes ; favoir , la Princeffe - Royale ,
de Londres , chargée de 200 barriques de fucre ,
& d'autres marchandiſes ; la Virginie , chargée de
450 barriques de fucre ; & le Duc de Leinster ,
venant d'Antigoa fur fon left. Les deux premiers
vaiffeaux faifoient partie de la flotte de la Jamai
que ces trois prifes font eftimées 600,000 liv.
( 177 )
Selon les lettres de Toulon , l'efcadre de
M. de Sade eft fortie le 30 du mois dernier ,
elle eft compofée des vaiffeaux le Triomphant,
le Souverain , & le Jafon , on croit que le Héros
, qui avoit relâché à Malaga , ira fe joindre
à cette efcadre.
Les lettres de Londres nous apprennent
que l'Amiral Arbuthnot n'eft arrivé à New-
Yorck avec tout fon convoi que le 3 Septembre
; fa traversée a été de 96 jours. Le bruit
eft toujours que M. le Comte d'Estaing a
pris la même route après avoir laiffé des
forces fuffifantes pour obferver l'Amirál
Byron , qui eft hors d'état de rien tenter. S'il
faut en croire ce qu'on débite , ce Vice-
Amiral François a pu arriver à New - Yorck
vers le 10 ou 15 du même mois.
On fe rappelle que dès avant le commencement
des hoftilités on fit à Londres
une chanfon Françoife dont les couplets
commençoient par ces mots : eft- il un deftin
plus doux ? Aujourd'hui que la chance du
deftin a changé , on a renouvellé ici & on
chante par tout l'ancien Vaudeville : Quand
Byron voulut danfer, à d'Estaing ilfut s'adref
fer, &c. & le refrain , vous danferez, Byron.
L'Adminiſtration Provinciale de la Généralité de
Montauban eft à la veille de terminer les affémblées ,
le concert & le zèle qui n'ont ceffé de régner parmi
fes Membres donnent aux Habitans de cette Province
l'efpérance de voir améliorer leur fort . La
Nobleffe , qui ne contribuoit point aux dépenfes des
chemins , a offert pour cet objet le quinzième en-fus
de fon vingtième noble ; le Clergé a délibéré d'y
contribuer du quinzième en fus de les décimes . Tous
( 178 )
les Députés ont déclaré unanimement qu'ils ne rece
vroient point d'honoraires pour leurs travaux ; le rôle
de la Capitation de la Nobleſſe augmentera fucceffivement
à la décharge du Tiers- Etats de la taxe que
payoient ceux qui fortiront de cette dernière claſſe
par l'ennobliffement. La Ville de Ville- Franche , où
Le tient l'Affemblée , ne recevra point de loyer pour
les logemens qu'elle fournira aux Dépurés. Certe
révolution dans l'Adminiſtration a amené une révolution
dans les moeurs. On auroit de la peine à citer
un Particulier qui n'ait pas trouvé quelque moyen de
témoigner fon zèle & fa joie. Le nom du Roi n'a
jamais été fi répété & fi béni par le Peuple . La farisfaction
générale va augmenter par la délibération
que l'Adminiftration a prife de faire imprimer les
Procès- verbaux de fes Affemblées. Le Public , qui
fe croit toujours la victime des opérations myftérieuſes
, difcutera lui - même fes intérêts. La raifon
étouffera les murmures , & fes progrès amèneront
ceux du patriotiſme & de la profpérité commune..
De toutes les villes du royaume où il y
a des Efpagnols , on mande plufieurs faits
qui prouvent la bonne intelligence qui règne
entre les deux Nations.
» L'on a chanté à Lyon , dans l'Egliſe Primatiale
, le Dimanche 3 de ce mois , le Te Deum au
fujet de la prife de la Grenade & de la Victoire
remportée par l'armée navale aux ordres du Brave
M. dEftaing ; il y avoit un grand concours de
peuple ; deux Compagnies de la Bourgeoifie en uniforme
, formoient une double haye dans l'Eglife
où le rendirent fucceffivement , l'Archevêque
le Commandant , l'Intendant & tous les Corps
de Magiftrature ; l'un des Officiers de la Bourgeoihe
s'étant apperçu que dans un endroit écarté de
L'Eglife , il y avoit une vingtaine de Gardes Vallones
qui ne pouvoient approcher à caufe de la fonle ,
les alla inviter à prendre part à la cérémonie & les fit
placer , aux acclamations de tout le peuple , au mi(
179 )
lieu de la Bourgeoifie , d'où il les conduifit enfuite
dans le Choeur , MM . les Comtes de Lyon , Chanoines
de l'Eglife Primatiale , leur ayant fait faire
place dans les ftales . Ces Braves gens furent fenfibles
à cette marque publique d'attachement de la part des
François & dirent hautement qu'ils defiroient à leur
tour de fe fignaler contre l'ennemi commun.
Nous avons inféré dans le Journal du
25 du mois dernier , un projet de foufcription
pour l'embelliffement & la décoration
du Piedeftal de la Statue de Henri IV.
Parmi les Citoyens empreffés d'y contribuer,
s'il s'exécute , un Artifte diftingué nous a
adreffé la lettre ſuivante.
» Monfieur , jaloux de la gloire & du fuccès de
mon talent , animé du zèle patriotique , pénétré de
vénération , d'amour & de refpect pour la mémoire
d'un fi puiffant Monarque , Henri IV , rempli du
même zèle en y joignant toute ma reconnoiffance
pour fon vrai modèle & digne fucceffeur Louis le
Bienfaifant , j'applaudis avec effufion de coeur.
& je fais mes voeux pour le Projet de Soufription
que vous mettez au jour , à l'effet de concourir
à l'embelliſſement & à la décoration d'un monument
à jamais mémorable pour la nation Françoife.
Guidé par vos lumières, conduit par l'amour d'un Monarque
bienfaifant que je porte dans mon coeur , je fens
ranimer mes forces, & réchauffer mon cifeau pour une
entreprife auffi honorable que glorieufe . Pour cet
effet , je propofe pour ma part à la Société qui concourroit
à cette Soufcription , de m'unir à elle en
apportant gratuitement tous mes foins & mon travail
pour l'embelliffement du digne Monument qui doit
enrichir le Piedeftal de la Statue Equeftre de Henri
IV. C'eft dans ce vrai fentiment , & c. Signé Gois ,
Septeur du Roi , Adjoint , Profeffeur de fon
Académie de Peinture & Sculpture.
h 6
( 180 )
•
Lorfque nous rendimes compte de la féance
publique de la Société Royale de Médecine ,
du 3 du mois dernier , nous nous bornâmes
à annoncer la diftribution de fes Prix ,
& les fujets du Concours de l'année prochaine.
Les autres objets qui remplirent cette
féance furent fans doute très - intéreffans ;
tout le monde connoît le zèle des Médecins
qui compofent la Société ; on fait qu'ils s'occupent
de travaux utiles ; le public en jouira
lorfqu'ils publieront leurs mémoires ; dans
l'annonce d'une féance on ne peut qu'en
indiquer les titres , & lorfque nous ferons
preffés par le tems & par les matières , nous
ferons fouvent forcés de les fupprimer.
M. Vicq d'Azyr , Secrétaire Perpétuel , lut l'Eloge
de M. Arnaud de Nobleville , Affocié Regnicole de
la Société à Orléans , mort le 29 Janvier 1779. M.
de Laffone , un Mémoire fur quelques moyens auff
efficaces que prompts & faciles , de remédier à des
accidens graves qui furviennent affex fréquemment
dans les petites Véroles & Rougeoles de mauvais
caractère. M. Mauduyt , le Précis hiftorique d'une
Epidémie qui a régné pendant l'hyver dernier à
Bois-le- Roy , près Anet en Normandie , extrait ,
par M. Geoffroy , du Mémoire de M. Galleron
Correfpondant de la Société à Yvry - la - Bataille
qui a traité & décrit cette maladie . M. Daubenton
un Mémoire fur le Régime le plus néceffaire aux
troupeaux. M. Vicq d'Azyr , lut encore l'Eloge du
célèbre M. Macbride , Docteur en Médecine , &
Chirurgien à Dublin , Affocié Etranger de la Société
Royale de Médecine , mort le 28 Décembre 1778 .
M. l'Abbé Teffier , un Mémoire fur les inconvéniens
qui résultent de la conftruction vicieufe des Etables,
La Séance fut terminée par la lecture d'un Mémoire de
M. Cavière fur les propriétés de la plante appellée
( 181 )
Douce- Amère ou Solanum Scandens dans le trais
tement de plufieurs maladies , & principalement
dartreufes.
Si le tems l'eût permis , on auroit entendu la lec
ture d'un Mémoire fur l'acide des Tamarins & fur
plufieurs autres acides végétaux , par M. de Laffone ,
fils ; & d'un autre Mémoire fur la meilleure manière
de préparer les Savons acides , par M. Cornette .
L'Académie des Belles Lettres , Sciences & Arts
de Marſeille a référvé pour l'année 1780 fes deux
prix de Poéfie ; elle propofe les mêmes fujets , qui
font pour l'un le Patriotifme , pour l'autre Chrif
tophe Colomb dans les fers après la découverte du
nouveau Monde. Le prix d'Eloquence fera donné
à l'éloge de Louis de Vendôme , Gouverneur de
Provence , Généraliflime des Armées de France &
d'Espagne.
L'Académie des Sciences , Infcriptions & Belles-
Lettres de Touloufe , avoit proposé pour le prix
quadruple de 1779 , de déterminer 1 °. les révolu
tions qu'éprouvèrent les Tectofages , la forme que
prit leur Gouvernement , & l'état de leur Pays fous
la domination fucceffive des Romains & des Vifigots
; 2. leurs loix & leur caractère fous la puif
Jance des Romains . Ces queftions n'ayant point été
réfolues , l'Académie , après 12 ans d'attente , renonce
à ce fujet , & propofe pour le prix de l'année
1782 , qui fera de 100 piftoles ; les avantages
en général de l'établissement des Etats Provinciaux
& en particulier ceux dont le Languedoc eft redevable
aux Etats de cette Province , matière bien
intereffante , & fur- tout dans le moment actuel , ou
la France entière a l'efpérance de jouir de ces avan
tages.
L'éloge du brave Crillon étoit le fujet du prix
propofé par l'Académie d'Amiens ; M. l'Abbé Regley
, Prieur de l'Abbaye de Baigne , l'a remporté ;
M. Laurent , Maître de Penfion à Amiens , a obtenu
celui de Poéfie décerné à la traduction d'un
( 482 )
morceau du 4e Livre de l'Enéide ; & pour le prix
des Arts de 1780 , l'Académie propofe une médaille
d'or de 300 liv. au Citoyen Fabricant , Maître
ou Maitreffe de quelque Art ou Profeſſion utile ,
qui aura donné gratuitement fes foins pour former
ou faire dreffer au travail un plus grand nombre
d'enfans , de l'âge de 12 à 13 ans , pris dans la
claffe de ceux qui juſqu'à - préſent ont été élevés dans
la mendicité. Elle en propofe un autre pour le
deffèchement du Margueterre. Le prix des Arts de
1781 fera un bufte en marbre de Louis XVI.
On nous a fait paffer l'avis fuivant que
fon importance nous engage à tranfcrire fans
délai.
» Il règne dans les Villages de Changy , Outrepont
, Morlas , St- Quentin & autres Villages circonvoifins
, une maladie fur les bêtes à cornes , qui le
fait remarquer à la gueule & aux pattes , qui les empêche
de marcher. Le fieur Danetz , Maréchal à
Changy , a reconnu par les différentes expériences
qu'il a fait , relativement à cette maladie , que
le mal qui défole ce pays , ne provient que
de la lymphe relâchée dans fes voies ordinaires
qui s'eft tourné en cancer , & qui pourroit
fi on négligeoit d'y apporter les remèdes les plus
prompts , dégénérer en un grain de pefte pour l'année
prochaine. Ce qui eft bien intéreffant pour la
Province d'éviter. Le remède dont fe fert le fieur
Danetz & duquel il a fait l'expérience, lui a réuffi , &
a garanti toutes les bêtes qui lui ont été confiées ; il fe
fait un vrai plaifir d'annoncer au public ſes ſervices ,
& il avoue qu'il ne tient fes talens que d'après fes
expériences , & ce qu'il a acquis du premier Ecuyer
de la grande écurie du Roi,
Il demeure à Changy , & offre fes fervices gratis .
On vient d'établir dans la ville d'Eu , fous les
aufpices de S. A. S. Monfeigneur le Duc de Penthievre
, & de S. E. Monfeigneur le Cardin de la
( 183 )
Rochefoucault , dans le Collège de la ville d'Eu ,
un Penfiornat où il n'y aura rien à defirer pour les
Elèves , tant à l'égard de la fanté que de la fituation,
La penfion ne fera que de 100 écus pour l'année
claffique. Le défintéreffement des Maîtres qui
le dirigent , & les moyens que procurent les Adminiſtrateurs
, leur ont permis de fe borner à ce
prix. Le plan d'étude ne fe bornera point aux cours
ordinaires ; il s'étendra à l'Arithmétique , la Géométrie
, la Géographie , l'Hiftoire , &c . , fuivant les
difpofitions des Elèves & la volonté des parens ; ils
n'auront pas befoin de payer des Maîtres particuliers
, fi ce n'eft pour la danfe ou la mufique. Le
Profpectus de ce Penfionnat fe diftribue à Paris
chez M. l'Abbé Longuet , Prieur de S. Julien des
Ménétriers , rue St-Martin . M. l'Abbé Auber , Principal
du Collège de la ville d'Eu , donnera routes
les inftructions qu'on défirera , à ceux qui voudront
s'adreffer à lui.
Louife- Sufanne-Edmée Martel de Fontaine - Martel ,
Ducheffe de Charoft, épouse du Duc de Charoft, Pair
de France , eft morte le 6 de ce mois , dans fa 3.4 * .
année , en fon Château de Beaumefnil en Norman..
die , où les vertus & fa bienfaiſance lui ont mérité
des regrets univerfels..
que
Jofeph de Saint-André Marnais de Vareil , Évéde
Couferans , Abbé Commendataire de l'Abbaye
royale de Saint - Romain de Blay , Ordre de Saint-
Auguftin , diocèle de Bordeaux , eft décédé en fon
Palais Épifcopal , le 28 Septembre dernier , âgé de
66 ans paffés.
Le feur Barthélemi Onic , Prêtre , Docteur és
Droits , ancien Aumônier de feu le Duc d'Orléans ,
Pemier Prince du Sang , Commandeur des Ordres
royaux & militaires de Notre- Dame- de- Mont-Carmel
& de Saint- Lazare- de Jérufalem , Abbé Commendataire
de l'Abbaye royale de Ferrières , Ordre
de Saint-Benoît , Congrégation de Saint- Maur ,
( 184 )
و
diocèle de Sens , eft décédé en cette ville , le 9 080-
bre 1779 , âgé de 38 ans pallés.
Louis-Théodofe Andrault , Comte de Langeron ,
Lieutenant-général des Armées du Roi , Gouverneur
de Breft , eft mort en fon Château de Langeron ,
lę 27 Septembre, dans fa 85 °. année.
Déclaration du Roi , donnée à Versailles le 8 Août
1779 , registrée en la Chambre des Comptes le 4
Septembre audit an , portant que les Penfionnaires
ne pourront recevoir au tréfor Royal , l'année com
mencée à telle époque que ce foit de 1779 , des
penfions , gratifications annuelles , appointemens
confervés , retraites , fubfiftances & autres graces
dont ils jouiffent , qu'autant qu'ils fe feront confor
inés aux formalités prefcrites & aux, ufages reçus ,
pour le recouvrement des rentes viageres , dont le
payement fe fait en l'Hôtel- de-Ville de Paris .
Ces mêmes Lettres -Patentes renouvellent en conféquence
toutes les difpofitions de la Déclaration du
26 Juin 176 , & particulièrement celles par lef
quelles elle a réglé la forme des Certificats de vie &
la compétence des perfonnes qui pourroient les délivrer
, fixant à huit fols , le parchemin compris , le
droit des Notaires de Paris pour chacune des quit
tances , qui toutes feront paffées devant eux , foit
pour l'année entiere , foit pour chaque femeftre des
penfions contenues dans les brevets nouveaux , qui
feront les titres fur lefquels les arrérages de ladite
année 1779 , & des fuivantes feront reçus.o
Les femmes mariées , les Mineurs , les Religieux
& Religieufes , font confirmés par ces Lettres-
Patentes dans le privilége , de donner eux- mêmes
quittances , fans y être autorifés par leurs maris ,
Tuteurs , Supérieurs ou Supérieures.
1;
$ Il paroit quatre Edits du Roi , le premier
donné à Marly au mois de Mai , & enregistré
au Parlement le 17 Août fuivant , concernant les
Communautés d'Arts & Métiers du reffort du Par-
+
( 185 )
lement de Metz. Le fecond , donné à Verfailles au
mois de Juin , enregistré le 13 Août à la Chambre
des Comptes , fupprime les Offices de Contrôleur
des Finances. Le troifième , donné à Verfailles
au mois de Juillet , & enregistré le 21 Août
à la Cour des Monnoies , porte rétabliſſement de
l'Office de Général- Provincial Subfidiaire des Monnoies
, pour la Ville de Lyon. Le quatrième donné
également à Versailles , au mois d'Août , &
enregistré le 28 à la même Cour , ordonne une
fabrication dans la manière de payer d'une certaine
quantité d'efpèces de billon , qui ne pourront
avoir lieu que dans les Illes de France &
de Bourbon , où elles feront reçues en toutes fortes
de payements , à raifon de trois fols la pièce «.
» Des Lettres-Patentes en date du 22 Août ,
& enregistrées à la Cour des Monnoies le premier
de ce mois , ordonnent la fabrication de
vingtièmes d'écus. D'autres du premier Juillet ,
enregistrées le 4 Septembre à la Chambre des
Comptes prorogent en faveur des Vaffaux du
Roi , dans la province d'Auvergne , jufqu'au premier
Juillet 1780 , les délais accordés aux Valfaux
pour rendre les foi & hommage , dus à
caufe de l'heureux avènement à la Couronne « .
>
» Un Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres-
Patentes fur icelui , en date du premier de
ce mois , & enregistrées le 4 à la Cour des
Monnoies , ordonnent aux Effayeurs & Jurés Gardes
Orfèvres , de fe pourvoir au dépôt établi
par lefdires Lettres Parentes , de tous les aquis
& fubftances néceffaires à l'opération des Effais
c
» Il paroît auffi une Ordonnance en faveur des
Maîtres des Poftes aux Chevaux , & de la Ferme
des Meffageries , contre les entrepriſes des Loueurs
de Chevaux «c.
Les Numéros fortis au tirage de la Lotteric Royale
de France , font : 28 , 53 , 72 , 90 , 56.
( 186 )
Articles Extraits des papiers étrangers qui entrent
en France.
» Il n'y a guère de doute que l'Impératrice de
Ruffie ne defire vraiment de rétablir la paix entte
» les Puiſſances belligérantes , & qu'elle n'ait fait
faire à d'autres Puiffances neutres des ouvertures
» pour travailler avec elle à un ouvrage auffi falutaire.
Malheureufement il s'y préfentera plus de
» difficultés qu'à la pacification de Tefchen , vu la
perfévérance du Ministère Anglois à rifquer plu-
» tôt tout que de reconnoître l'indépendance de
» l'Amérique- Unie ; réfolution néanmoins qu'on
» croit n'avoir pas l'approbation de la Cour de
Pétersbourg. L'on fait d'affez bonne part que
lorfque la nouvelle y arriva de la déclaration de
» l'Espagne , un des principaux Miniftres de cette
» Cour témoigna que cette démarche ne le furprenoit
point ; mais que l'inflexibilité du Cabinet
» Britannique ne pouvoit qu'étonner toute l'Europea.
Gazette de Leyde , n° 78.
ככ
» On rapporte que le lendemain du combat naval
, le Comte d'Estaing ayant raffemblé fes
» troupes de terre & de mer , pour les remercier
» de ce qu'elles l'avoient fi bien fecondé , reçut de
»leur part des témoignages éclatans de la haute
ود
idée qu'il leur avoit donnée de fa valeur ; & que
» dans le moment ce Général fe rappellant la iegéreté
avec laquelle il avoit été traité en Europe ,
» leur avoit adreffé cette courte harangue , qui vaut
» mieux que toutes celles de Tite - Live : Mes amis
» vous ne vous y connoiffez pas ; confultez les
Européens , ils vous diront que je fuis..... Une
» armée doit tout entreprendre pour un Général
as qui lui inſpite auffi énergiquement le défir d'i
miter fon courage , & d'immortaliſer fa réputa.
» tion «. Courier d'Avignon , nº. 79.
33
( 187 )
De BRUXELLES , le 19 Octobre.
1
Selon les nouvelles du camp de Saint Roch
devant Gibraltar ; les troupes étoient toutes
arrivées vers la fin du mois dernier , & les
Espagnols avoient achevé 4 batteries de canon
bien retranchées. La première eſt de
so pieces , la feconde de 42 , la troifième
de 30 & la 4. de 18. Toutes ces pieces
font de 24 & de 36. On avoit auffi établi 3
batteries de mortiers , une de 18 , une de
14 & la dernière de 8. On n'attendoit alors
que 4 bombardes aux ordres de M. Barcelo ,
pour commencer à faire feu en même temps
par terre & par mer.
Selon les mêmes Lettres le Roi de Maroc
a , dit - on , offert à l'Efpagne un million
& demi de fanegues de bled , fur le pied
de is réaux de Vellon , & un nombre confidérable
de boeufs , à raifon de 4 piaftres
fortes. Elles ajoutent que ce fait étoit fi conftant
que les bâtimens Efpagnols avoient déja
commencé à aller chercher à Tétuan & à
Tanger ces munitions de bouche , ainfi
plufieurs autres comeftibles qu'ils étoient
affurés d'y trouver à des prix raisonnables.
que
S'il faut en croire des lettres de Lisbonne ,
il a été donné órdre aux Châteaux du Port
de ne point laiffer partir fans ordre ulté
rieur , le Chatham , vailleau de guerre Anglois
de so canons , commandé par le Capitaine
William Allen . On ignore la raifon
de cette défenfe ; mais on fait que les
"
( 188 )
navires Anglois continuent de troubler la
navigation dans ces parages , en s'emparant
de toutes fortes de navires neutres fans
aucun motif qui puiffe les juftifier.
» Les requêtes itératives des Négocians d'Amſterdam
, écrit - on de la Haye , pour engager les Etats-
Généraux à protéger leur commerce par des convois
efficaces , ont été fuivies de celles de plufieurs autres
villes ; il y en a maintenant huit à neuf des principales
de la Province de Hollande occupées à voter ,
pour que cette Province prenne le parti de donner des
convois illimités , quelque puiffe être le voeu des autres
Provinces , & quand même elles refuferoient
leur concours . Celle de Leyde, c'est-à-dire les Régens,
ont dû accéder à cette détermination , parce que fes
manufacturiers & trafiquans en laines ont menacé de
la quitter pour aller s'établir à Amfter lam. Il eft.
vraisemblable . que la prohibition faite en France de
l'entrée des fromages de la Nort- Hollande , engagera
celles de notre Province à y accéder. Quant aux
fecours que les Anglois demandent à la République ,
quoiqu'en difent les partifans de l'Angleterre , nous
fommes perfuadés ici qu'ils n'en obtiendront aucun.
La propofition d'augmenter les forces de terre, paffera
probablement auffi à la négative. Il est vrai que le
parti oppofé agira de fon côté pour faire accorder les
convois ; mais on prévoit que le commerce fe laffera
de payer le double droit d'entrée & de gabelles qu'il
s'étoit impofe volontairement pour avancer l'arme
ment de ces convois ; & l'année fuivante on ne
pourra peut-être pas équiper le même nombre de
vaiffeaux . Les vrais patriotes , les politiques les plus
fages,difent que c'eft tant mieux , parce qu'il arrivera
delà qu'elle ne fera point obligée de prendre part
à la querelle des deux nations rivales , comme l'Angleterre
& fes partifans le defireroient ; ce dont on
fera redevable , difent - ils , à la généreufe fermeté
de la ville d'Amfterdam. La paix fe fera enfuite quand
on fera las de fe battre , ou peut-être avant qu'on fo
( 189 )
batte; & ce fera infailliblement à cette feule condition
que chacun à l'avenir fera le maître chez foi ,
& que tous feront libres fur les mers , laiffant aux
Anglois le foin de fe confoler comme ils pourront
du chagrin de n'être plus maîtres que chez eux « .
›
A en croire quelques lettres de Londres
le Gouvernement commençoit à regarder
de nouveaules Américains comme des fujets
révoltés. Le fieur Marçland , Capitaine du
Corfaire Boftonien le Prince Noir , après
avoir fait 27 prifes dans l'efpace de 3 mois
& onze jours de croifière , avoit été pris luimême
par une frégate Angloiſe , on l'avoit
conduit à Londres jetté dans un cachot , &
on lui faifoit fon procès , qui devoit , dit- on ,
fe terminer par la punition infligée aux
forbans. D'après ces lettres on étoit
en droit de conclure que l'Angleterre fe
croyoit plus éloignée que jamais de la néceffité
de reconnoître l'indépendance de
P'Amérique. Ce ne font pas des fuccès dans le
nouveau monde , des négociations en Europe
, qui avoient pu amener dans la Grande
Bretagne cet efprit deftructeur & cruel.
Cette nouvelle ne s'eft pas confirmée. On
apprend que le Prince - Noir eft arrivé à
Dunkerque , le 6 de ce mois , en trèsbon
état , après avoir pris ou rançonné un
grand nombre d'ennemis."
Suite de l'Expofé des motifs de l'Espagne..
Ce Mémoire donné au mois de Mars , n'a pro
duir que de belles promeffes de la part du Miniſtère
Anglois , n'a pas empêché qu'on ne fe permît de
nouvelles prifes & de nouvelles infultes dans les
mois d'Avril & de Mai fuivans , ainfi qu'on l'a
expofé dans la note 4. On peut révoquer en doute
le Ministère Anglois a feulement pris la peine de
( 190 )
lire la note ou la lifte des griefs , & fi ce n'eft pas
pour cette raison que beaucoup de ces griefs ne font
point parvenus à la connoiffance de S. M. B. , ainfi
qu'elle l'a affirmé à fon Parlement .
8. L'Eſpagne a été plus heureuſe que la France visà-
vis du Ministère Anglois : car du moins on ne
lui a point nié les faits , & on lui a toujours promis
de belles chofes , quoiqu'elle n'ait jamais obtenu
une fatisfaction complette , ni réuffi à faire
ceffer les violences. Toutes les Puiffances de l'Europe
favent très -bien quelles font les maximes de
la Marine Angloife dans fes déprédations ; elles en
ont aflez éprouvé dans cette guerre , & dans la
guerre précédente entre l'Angleterre & la France ;
mais elles ne favoient pas , & elles n'auroient pas
pu s'imaginer que le Capitaine de la frégate ou
de la corvette Angloife le Zephir , appelle Thomas
Hafth , après avoir pris injuftement la Balandre
la Trinité , allant de Bilbao à Cadix fur la
fin de 1777 , chargée de cuirs , de clous & d'autres
marchandifes , la conduiroit à Tanger , &
dans cette Place tâcheroit de l'échanger contre un
brigantin Américain pris par les Maroquins , en
laiffant comme efclaves le Capitaine Espagnol
fon Pilote & fon Equipage. Heureufement , les
Maures n'acceptèrent point le marché ; & alors
quoique le vaiffeau fût conduit à la baie de Gibraltar
, comme tout prétexte manquoit pour le
déclarer de bonne prife , les Anglois le laiffèrent
en liberté , après avoir pillé une grande partie de
fa cargaifon ; mais ce vaiffeau avoit été fi maltraité
depuis fa prife , qu'au fortir de Gibraltar il ne
put réfifter à une tempête qui furvint , & qu'il
donna fur la côte. Un fait de cette nature ne feroit
pas croyable , s'il n'étoit auffi pofitif , & perfonne
ne pourra fe perfuadér qu'une Nation auffi
civilifée que l'Angleterre air des Officiers de Marine
, imbus de pareilles maximes
1
9. Les deux faits fuivans peuvent faire juger de
l'injuftice des Amirautés Angloifes , & de leur ex(
191 )
travagante conduite à l'égard des prifes Eſpagnoles.
La balandre Angloife le Lively , Capitaine Jofeph
Smith , prit le navire Efpagnol le S. Nicolas &
S. Telmo , appartenant à D. Manuel del Cerro Ru
bio , Habitant de la Corogne , & allant de ce port
aux Ifles Eſpagnoles. Smith conduifit ce navire à
I'Ifle de l'Anguilie , où déclaré mauvaiſe priſe , il fut
mis en liberté , & reçut du Gouverneur Anglois un
fauf-conduit pour continuer fa route ; mais cette
précaution lui fut inutile ; au fortir de ce port , il
fur pris par une autre corvette Angloiſe , & celle- ci
l'ayant mené au port de Baſſeterre de l'Ifle Saint-
Chriſtophe , il y fut déclaré de bonne priſe. La mê
me chofe arriva au paquebot Eſpagnol Saint- Pedro ,
Capitaine D. Francifco Xavier Garcia ; ayant été
pris le 8 Mai 1778 , par le Capitaine Anglois Jayme
Dunevant , & conduit à la même Ifle de l'Anguille ,
où on le déclara libre , il fut fuivi & pris de nouveau
par une balandre Angloife , aux ordres de Jofeph
Armet , mouillée dans ce port , & qui le conduifit
à St-Christophe où il fut déclaré de bonne prife.
10. L'Efpagne , plus qu'aucune autre Puiffance , a
fait la trifte épreuve des agreffions & des ufurpations
du Gouvernement Anglois , toutes au milieu
de la paix la plus profonde & fans être précédées
de Déclaration de guerre. L'Angleterre poffede à.
peine quelque territoire de l'ancienne dépendance Ef->
pagnole qui n'ait été acquis par ſurpriſe dans un
tems de paix , & toutes les mers ont vu les vaiffeaux
Efpagnols battus , quand il n'exiftoit aucun motif
de croire qu'ils fuffent attaqués. Le Cabinet Anglois
eft le feul qui ait donné l'exemple de conclure un
Traité avec l'Espagne & de commettre l'inftant d'après
contre elle les plus révoltantes hoftilités. A la
vue d'une pareille conduite , on laiſſe au monde
impartial à juger fi le Roia bien fait d'augmenter
fes armemens de mer & de prendre les devants pour
faire avorter les deffeins de fes ennemis & de fes
agreffeurs.
11.Aucun motifne pouvoit déterminer l'Angleterre
( 192 )
à ne pas faire fatisfaction à l'Espagne , à ne pas
empêcher qu'il lui fut fait de nouvelles infultes &
à ne pas la payer de reconnoiffance , car malgré les
projets & les menaces publiques de divers Membres
du Parlement Anglois dans les féances des
mois de Décembre 1777, & Janvier & Février 1778,
pour s'arranger avec les Américains & faire la guerre
à la Maifon de Bourbon , Jamais le Roi Catholique
ne voulut faire aucun Traité avec les Colonies , pour
ne point donner le plus léger prétexte de plainte à
la Cour de Londres. On n'entend point par là que
de fon côté le Ministère François n'ait pas eu des
motifs très -graves pour prendre auffi les devants ,
en fe précautionnant contre de nouveaux ennemis
& fe garantiffant des piéges & des deffeins perni
cieux du Cabinet Britannique.
12. La Cour de France s'eft conduite avec tant de
franchile & de bonne-foi dans cette démarche es
notifiant à l'Angleterre fes liaiſons avec les Colonies
, ( dont le Roi Catholique n'eut aucune connoiffance
, ) qu'elle ordonna à fon Ambaffadeur à
Londres de déclarer que l'Espagne n'avoit eu aucune
part à ce qui s'étoit fait. Néanmoins , par
un ordre envoyé le 24 Mars à Don Franciſco
d'Efcarano , chargé d'affaires en Angleterre , il fui
fut mandé entr'autres chofes qu'ca même tems
qu'il feroit favoir au Ministère Anglois que S. M
C. n'avoit aucune part à ce qui s'étoit paffé , &
quoi qu'elle fût très - décidée à maintenir la paix
il devoit obferver que ce feroit cependant autant
que S. M. pourroit y parvenir , faus manquer
à la dignité de fa Couronne , à la défenſe de fes
droits & à la protection due à fes fujets , attendu que
la conduite de l'Angleterre ferviroit de règle à celle
de l'Efpagne . C'eft ce que le Chevalier d'Efcarano
déclara & fit favoit au Vicomte de Weymouth
dans une audience particulière qu'il eut le 4 Avril
fuivant ; & il en rendit compte à fa Cour le
du même mois .
La Juice pour l'ordinaire prochaim
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 3 Septembre.
La fête du Ramazan qui commence avec
la Lune prochaine , a ramené dans cette Capitale
le Grand- Seigneur qui depuis quelquetems
étoit à Beſchiktafchi. La fermentation
qui règne dans tous les efprits , fait craindre
l'ouverture de cette fête ; c'eft une époque
remarquable dans les faftes de cet Empire ,
par les révolutions qui ont eu fréquemment
lieu dans ce tems. Le jour où l'on paye leur
folde aux Janniffaires & aux Spahis , ne s'eſt
pas toujours non plus paffé tranquillement ;
il arrive le 7 de ce mois ; on eſpère cependant
qu'il n'occafionnera rien de fâcheux ,
parce que le payement fera exact , & qu'on
pourra bien y joindre quelque gratification
extraordinaire.
Selon la plupart de nos avis de Morée ,
l'expédition du Capitan-Bacha a fini par un
maffacre affreux qu'il a fait des Turcs Al-
30 Octobre 1779. i
( 194 )
banois qui fans chef & fans conduite fe font
laiffé furprendre & envelopper à Tripolizza
par fon armée. Il en a tué plufieurs milliers
qui fe font , dit-on , défendus en défefpérés ;
& le refte eft pourſuivi tant par nos troupes
que par les Grecs qui , ayant pris les armes
par ordre du Capitan-Bacha , cherchent auſſi
à fe défaire de ces hôtes pillards qui , depuis
plufieurs années , ont faccagé & opprimé ce
malheureux pays. Il y a eu fucceffivement
deux actions fanglantes ; 8000 hommes font
reftés fur le champ de bataille dans la première
, & 6000 dans la feconde. On prétend
que le Capitan-Bacha veut tirer une pareille
vengeance des Mainottes.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 18 Septembre.
Le Comte de Kaunitz Rietberg , Miniſtre
Impérial & Royal , a eu Dimanche dernier
fon audience de congé de l'Impératrice &
du Grand-Duc & de la Grande-Ducheffe. Outre
le préfent ordinaire de 6000 roubles , il
en a reçu un extraordinaire , confiſtant en
une fuperbe bague de brillans. Il eſt parti ce
matin pour retourner à Vienne.
S. M. I. vient d'anuller par une nouvelle
Ordonnance , l'impôt établi en 1763 fur les
manufactures reffortiffant à la juriſdiction
du Collège des manufactures. Il conſiſtoiţ
195 )
-
en un rouble par chaque métier , ou en un
pour cent du capital employé à l'entretien
des fabriques qui ne fe fervoient pas de métiers
.
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 30 Septembre.
Le navire employé cette année à la pêche
des cachalots fur les côtes du Bréfil , vient
d'y être renvoyé par les intéreffés. Il a à bord
6 Américains qui connoiffent ces côtes , &
auxquels on a confié la direction de cette
pêche. La Compagnie de Groenland a fait
partir également un de fes navires pour la même
deſtination. On a auffi fait paffer d'ici aux
ifles de Ferro un Capitaine dont la fonction
fera d'y protéger le commerce qui s'eft confidérablement
accru depuis quelques années ,
fur-tout en vin , en brandevin & en thé que
les Anglois y viennent charger.
Suivant les dernières lettres de Carlſcron ,
les vaiffeaux la Sophie - Madelaine , le Ferdinand
, le Frédéric - Adolphe , & l'yacht
d'avis le Triton , faifant partie de l'efcadre
Suédoife qui a croifé pendant l'été dernier
dans la mer du nord , y font arrivés heureuſeiment
le 17 de ce mois.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 30 Septembre.
LES Jugemens Comitiaux ont terminé
i z
( 196 )
leurs féances le 15 de ce mois . La fameufe
affaire du Baron Julius y a été décidée ; on
fait qu'il étoit accufé d'avoir fuborné des
fujets de la République & de les avoir enrôlés
pour l'Etranger. Les Loix du pays font
formelles contre ce délit ; & le dernier Traité
fait à Varfovie le 18 Septembre 1773 , avec
l'Autriche, la Ruffie & la Pruffe , le condamne
également ; l'article 10 de l'acte féparé de
ce Traité , porte expreffément : » Il ne fera
pas permis de part & d'autre de faire des
recrues & des enrôlemens quelconques ,fous
aucun prétexte , dans les Etats refpectifs. Le
Baron Julius , convaincu d'avoir manqué aux
Loix du pays & aux Traités , a été condamné
à un exil perpétuel , avec confiſcation des
biens qu'il a dans ce royaume ; le tiers en
fera prélevé & remis au Délateur ; tous les
droits des créanciers qui ont pu lui prêter
de l'argent avant fon Arrêt font réfervés.
Huit jours après la publication du décret ,
il a été conduit avec fes complices par un
détachement militaire jufqu'aux frontières
de la République ; là , il lui a été fignifié de
n'y rentrer jamais fous peine d'infamie &
de mort.
Selon des lettres de Pétersbourg , on tranfporte
actuellement dans les Colonies , fondées
en divers lieux de l'Empire Ruffe , une
grande quantité de tous les inftrumens qui
peuvent être néceffaires tant à la conftruction
des vaiffeaux qu'aux travaux de la campagne.
( 197 )
Il paroît même décidé que dans le courant
de l'année prochaine l'Impératrice viſitera
elle- même ces Colonies.
ALLEMAGNE.-
De VIENNE , le 7 Octobre.
LES nouvelles qu'on a du voyage de
l'Empereur portent qu'il arriva le 2 de
ce mois à Egre ; qu'il employa le 3 & le 4
à vifiter , avec la plus grande attention , l'état
où fe trouvent , tant les fortifications de cette
place que les ouvrages conftruits juſqu'aux
frontières du Margraviat de Bareuth. Le 5 il
en a dû partir pour fe rendre à Prague en
paffant par Pilfen.
La récolte de la foie devient tous les ans
plus confidérable en Croatie , en Esclavonie ,
& dans plufieurs autrés diftricts voisins de
la Hongrie , on en a tiré cette année 75
quintaux ; l'année dernière la récolte n'avoit
été qu'à 38. On peut juger de l'avantage &
de l'importance de ce commerce pour ces
pays par le prix actuel de la foie ; le quintal
en été payé 800 florins.
De FRANC FORT , le 10 Octobre.
LES Capucins qui doivent s'établir à
Dierdof , fe font plaints au Confeil Aulique
de l'empire des violences qu'ils ont effuyées de
la part des Proteftans du pays , qui fe font op
i 3
( 198 )
pofés , par des voies de fait , à la conſtruction
de leur Couvent . Un refcript Impérial du 28
du mois dernier ordonne au Comte de Wied
Runckel de les protéger , de rechercher les
auteurs des excès dont ils fe plaignent , &
d'envoyer à S. M. I. le réſultat de fes recherches
.
L'intolérance d'un Pafteur à Hambourg a
auffi attiré l'attention du Confeil Aulique.
Ce Pafteur s'étoit permis en chaire des déclamations
très vives , très - indécentes
contre l'Eglife Romaine ; il en avoit même
fait imprimer quelques- unes extraites de fes
fermons. Le Miniftre Impérial en porta
plainte au Magiftrat , qui fit à cet Eccléfiaftique
une réprimande févère , & lui prefcrivit
une fatisfaction qu'il ne donna point.
Un refcript du Confeil Aulique lui ordonne
de fe foumettre au jugement du Magiftrat ,
& à celui ci de le faire exécuter & d'en
rendre compte dans deux mois à l'Empereur
qui fe réſerve , en cas de défobéiffance de la
part du Miniftre , de févir lui - même fuivant
l'exigence du cas , & d'après les Ordonnances.
>
Les lettres de Vienne parlent d'un autre affaire
d'un genre plus étrange encore ; mais qui s'eft terminée
plus favorablement pour celui qu'on pourfuivoit.
M. Seipt Profeffeur de Morale à Prague
, fut accufé d'athéisme. La Commiſſion chargée
par l'Impérattice-Reine de l'examiner , ne l'a point
trouvé coupable ; il paroît que la jaloufie & la
haine de quelques particuliers les avoient feules
( 199 )
portées à calomnier le Profeffeur qui s'eft juftifié
par fa Profeffion de foi , à laquelle il a joint un
Livre de prières très -orthodoxes & très- édifiantes
qui ont obtenu le fuffrage général & qui , dit- on ,
vont être publiées pour être adoptées par tous les
Sujets catholiques des Etats héréditaires.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 2 Octobre.
SELON des lettres de Palerme , le Vice-
Roi de Sicile a reçu ordre de S. M. S. d'abolir
le monopole du tabac dans ce Royaume ; la
culture & la vente de cette plante , fon importation
même des pays étrangers , feront
en conféquence permifes à tous les fujets Les
galiotes de Naples , chargées d'une fomme
fuffifante pour l'achat de 20,000 meſures
de bled de Sicile , avoient conduit à Palerme
deux malheureux , qui lors de la dernière
éruption du Véfuve , avoient tenté d'exciter
un foulèvement parmi le peuple . On
les a mis fous la garde de la garniſon du
Château d'Eau.
» Le 28 Septembre , à 7 heures du matin , écriton
de Civita -Vecchia , la foudre eft tombée ſur un
magafin à poudre , placé dans la Citadelle de cette
Ville. Les barils étoient en grand nombre , & tous
furent embrâfés , pour ainfi dire , en même-tems.
L'exploſion fut terrible ; en un moment , le toît du
Palais du Gouverneur fut emporté , les murs entr'ouverts
, le Mont- de- Piété renverfé & ruiné , une
porte de fer mife en pièces , deux bâtimens attachés
au mole du Château , enfevelis fous leurs déi
4
( 200 )
ombres , les Eglifes & les Maifons du voifinage
endommagées , & les fenêtres brifées à une grande
diftance. Jufqu'à préfent le nombre des morts qu'on
a trouvés n'eft que de cinq. Mais il eft vraifemblable
qu'on en trouvera davantage , vu la quantité
extraordinaire d'infortunés qu'on a retirés avec
peine de deffous les ruines
ESPAGNE.
De CADIX , le 1er. Octobre.
LES travaux au Camp de St-Roch devant
Gibraltar , continuent avec la même activité.
Le feu des Anglois s'eft rallenti confidérablement
; jufqu'au 25 Septembre , ils ont tiré
1670 coups de canon , & 64 bombes. Il
paroît que leur artillerie eft mal ordonnée ;
peu de leurs boulets font parvenus jufqu'au
Fort St. Philippe ; ils n'ont tué juſqu'à préfent
qu'un feul homme , & bleffé 3 ou 4.
On compte 800 toifes de la ligne à la porte
d'Efpagne ; les batteries que l'on conftruit
ne font pas hors de la ligne , mais en dedans ;
elle leur fert de parapet ; & on couvre la
banquette de terre pour l'élever & lui donner
la hauteur qu'elle doit avoir , afin d'y placer
les batteries. On a conftruit S batteries de
mortiers , chacune de 5 , & on travaille à
célles des canons .
La frégate la Madeleine conduifit , le 27
du mois dernier dans ce port , une balandre
Angloife , prife par M. de Langara ; elle
s'étoit féparée le 29 Août de l'efcadre de
D. Ulloa , qui croifoit fur les Tercères ; ce
( 201 )
4
Général lui avoit donné ordre d'aller reconnoître
un bâtiment qui étoit à l'ancre ; un
vent forcé qui furvint , l'empêcha de rejoindre
, & elle a fait voile pour ce Port.
En s'approchant de la côté , elle a rencontré
un corfaire Anglois de 8 canons &
de 40 hommes d'équipage dont elle s'eft
emparé. Nous avons appris par le Commandant
de cette frégate que là Sainte-
Monique s'étoit auffi féparée de M. de Ulloa
11 jours avant la Madeleine. On croit que
cette efcadre ne tardera pas à rentrer , parce
que le vaiffeau le Gaillard qui en fait partie
fait de l'eau .
Hier left arrivé ici un gros navire pris
fur les ennemis , & fur lequel M. de Langara
a mis l'équipage du Poderofo qu'il montoit
& qui a coulé bas . Ce vaiffeau de 70 canons
étoit vieux; & l'on n'ajamais pu étancher une
voie d'eau qui a caufé fa perte . M. de Langara
a croifé tout l'Eté vers le Détroit .
On frète pour le Roi tous les navires qui
cherchent de l'emploi ; on croit que l'on les
deftine à porter à Breft les provifions qu'on
a préparées pour l'armée de D. Cordova.
Le bruit court que l'Amiral Pallifer aura
une efcadre de 9 vaiffeaux , avec laquelle il
doit effayer de porter des fecours à Gibraltar.
Ce projet fera fans doute contrarié par nos
efcadres. Mais quand il parviendroit à s'approcher
du Détroit , nous avons de quoi
l'arrêter par la réunion des vaifleaux de MM.
Ulloa , Langara , d'Oz , Aranz & Barcelo ,
is
( 202 )
qui compofent une efcadre de 12 vaiffeaux
du premier rang tous très bien armés.
-
ANGLETERRE .
De LONDRES , le Is Octobre.
L'AMIRAL Byron eft arrivé le 10 de ce
mois à bord de la frégate la Maidſtone ; bien
des perfonnes prétendent qu'il apporte de
très-mauvaiſes nouvelles ; cela n'étonneroit
pas ; nous ne doutons point ici de la pofition
affligeante de nos affaires dans la partie du
monde qu'il vient de quitter ; la fupériorité
des François les met à portée d'y pouffer
feurs avantages. Les bruits publics toujours
vagues & peut-être exagérés ne nous
laiffent aucune efpérance aux Antilles ;
ils annoncent la perte de la Jamaïque ;
nous en doutons encore ; mais nous favons
qu'elle eft menacée , & nous ignorons
fi nous fommes en état de la défendre.
La lifte de nos malheurs s'étend
& fe groffit encore ; pendant que l'armée
combinée amufoit la Nation en paroiffant
dans la Manche & la forçoit de retenir fes
forces en Europe , une flotte confidérable
fortie des ports de France , conduifoit en
Amérique une armée deftinée à nous enlever
ce qui nous refte encore fur le Continent
& à terminer la querelle entre la Métropole
& fes Colonies en décidant fans retour
l'indépendance de celles - ci. Aucune de ces
( 203 ).
nouvelles n'eft authentique ; elles font affurément
vraisemblables , mais auffi peut-être
ne font- elles pas vraies. Si elles l'étoient ,
l'Amiral Byron ne feroit pas plus heureux
en meſſages qu'en expéditions. On connoît les
tempêtes qu'il a effuyées l'année dernière ,
& qui ont fait obferver que depuis l'âge de
9 ans , il n'avoit ceffé d'en éprouver de dangereuſes.
Avec tous les talens auxquels on
rend juſtice , on dit qu'il n'auroit jamais eu
de commandement en France fous le Cardinal
Mazarin . Ce Miniftre avant d'employer
quelqu'un , avoit toujours l'attention de demander
s'il étoit heureux.
33
Quoiqu'il en foit de ces nouvelles pertes que
nous avons faites ou que nous fommes menacés de
faire , aux Antilles , notre commerce fent déja vivement
celle de la Grenade , de la Dominique & de
St-Vincent. La première, feule, produifoit année commune
, 20,000 bariques de fucre qui , à 1 liv. fterl .
chacune , faifoient 320,000 1. fter.
12,000 poinçons de rhum à 10 l . fter. 120,000
café , coton , cacao , au plus basprix 600,000
Total. 1,040,000
La Dominique & St - Vincent produifoit beaucoup
moins ; la première parce qu'elle eft moins étendue, a
un fol plus âpre ; & la feconde , parce qu'elle eft
continuellement expofée aux incurfions & aux ravages
des caraïbes. Cependant l'évaluation du produit
de ces deux Ifles a été portée pendant plufieurs années
fur le pied le plus bas , à 9000 bariques de fucre
pour la Dominique , 7000 pour St - Vincent. Total. .
16,000 qui , à 16 liv . fter. font : 260,000 1. fter.
10,000 poinçons de rhum . 100,000
café & autres art. fur un pied modéré , 700,000
Total. • 1,056,000
( 204 )
De manière que le commerce perd tous les ans , avec
ces trois IAes , 2,096,000 liv . fterl , au moins.
La néceffité de recouvrer d'un côté ce que
nous avons perdu , de conferver de l'autre
ce qui nous refte encore , forcera la Nation
à faire les plus grands efforts ; il paroît que ce
n'eft que l'année prochaine qu'on ſe propoſe
d'en faire de férieux & d'efficaces. Les troupes
qu'on embarquera au printems compoferont
plus de 12,000 hommes. Un de nos
papiers a fait l'état fuivant des frais qu'elles
entraîneront.
montera
» La dépenſe des bâtimens de tranſports pour
ces troupes , à 2 tonneaux par homme , & à IL
fchellings par mois pour chaque tonneau ,
à 22,000 liv. fterl. par mois. Ces bâtimens doivent
être en état 3 mois avant l'embarquement , afin de
les équippèr & de les envoyer dans les ports où les
troupes doivent fe rendre. La traverfée d'une flotte
qui fe rend dans l'Amérique Septentrionale , ou aux
Ifles , eft d'environ 3 mois. Il s'en écoulera trois autres
avant que ces vaiffeaux foient en état de repartir
; ils en mettront autant pour leur retour en Angleterre
; c'est donc une année de fret de bâtimens
qui coûtera au Gouvernement 286,000 l . fterl. pour
le tranfport des troupes , fans compter leur fubfiftance
qui , à 1000 liv . fterl. par jour deviendra un
objet de 90,000 pour le tems qu'elles resteront à
bord. Cette fomme ajoutée à la paye des tranfports ,
en fera une de 377,000 liv . fteri. , & fi l'on y ajoute
l'équipement des vaiffeaux , pour la réception des
foldats , dépenfe très -conſidérable & beaucoup d'autres
frais qu'on ne peut prévoir , 400,000 liv . ſterl .
ne fuffiront pas pour faire face à tout «<,
L'Amiral Byron a laiffé le commandement
de la flotte à l'Amiral Rowley , qui doit être
( 205 )
relevé par l'Amiral Rodney , qui eft parti le
8 de ce mois pour Portfmouth. On dit ici
qu'il a été y prendre le commandement d'une
efcadre deftinée à renforcer celle qui eft aux
Antilles ; mais on doute qu'il parte de fi -tôt ;
on ne peut pas diminuer la flotte de Sir Charles
Hardy , qu'on a dit fans ceffe prêt à mettre
à la voile & qui refte toujours dans le port ;
on prétend aujourd'hui qu'il ne fortira que
quand les François & les Efpagnols feront
fortis . Ce qu'il y a de sûr , c'eft qu'il n'a que
46 vaiffeaux , & que dans ce moment il ne
lui en refte que 34 , parce que l'Amiral Darby
a eu ordre de fe rendre fur les côtes d'Irlande
avec 12. left en conféquence forcé d'attendre
fon retour ; & M. Rodney paroît devoir
refter en Angleterre juſqu'à la fin de la campagne
en Europe.
L'heureuſe arrivée de la flotte des ifles a
fourni 2000 matelots à la marine Royale ;
cependant elle en manque encore. Le 7 au
foir , il y a eu une preffe très-vive fur la Tamife
& aux environs des deux côtés de la rivière.
On a enlevé un grand nombre de jeunes
gens qu'on a envoyés auffi-tôt à Lenox.
Cette manière de lever des hommes en fournit
fans doute ; mais ce ne font pas des matelots.
L'Ordonnance rendue le 24 du mois
dernier pour défendre l'exportation du cuivre
hors du Royaume , en défendoit même
le tranfport d'un port à un autre ; cette dernière
difpofition ayant occafionné quelques
( 206 )
difficultés , a été changée ; le tranfport reftera
libre fous certaines conditions . L'emploi
que la marine Royale fait à préfent de ce
métal , a donné lieu à cette Ordonnance ; on
en double actuellement les vaiffeaux de ligne
, même ceux du premier rang.
» Jeudi dernier , lit on dans un de nos papiers ,
après une plus grande épreuve de canon faite à Woolwich
, on a fait l'effai d'une machine deſtinée à mettre
le feu à un vaiffeau à 600 pieds de diſtance. L'effet
a furpaffé l'attente de l'Auteur , & le feu a été porté
à 1500 pieds au -delà de l'objet qu'il s'agiffoit d'enflammer.
Lord Amherst & le Bureau d'artillerie ont
fait des remercimens publics à l'Inventeur. Il paroît
que la fin de ce fiècle fera remarquable par les progrès
que les peuples civilifés auront faits dans le
grand art de la deftruction .
On dit que le Parlement à fa rentrée s'occupera
d'abord du plan d'une union plus
étroite de l'Irlande avec nous. Il n'eft pas
encore décidé fi cette union fera générale ou
reftreinte à la partie méridionale du Royaume;
quoiqu'il en foit , on ne croit pas que ce projet
pacifique qui rencontre de la part de notre
commerce & de nos manufactures les mêmes
difficultés qui l'ont déja fait échouer , parvienne
à détourner le parti de l'Oppofition
toujours exiftant , du fyftême de défunion
qu'il voudroit fomenter entre le Souverain
& fes Miniftres actuels ; & l'on eft perfuadé
que la crainte de voir ce Parlement s'occuper
beaucoup plus de ce ſecond objet que du
premier , eft la raifon de tous les retards
qu'on a apportés à ſa rentrée.
( 207 )
L'invention nouvelle d'une machine qui
fimplifie prodigieufement la filature du coton
& de la laine , a fait perdre à beaucoup de
vieillards , d'infirmes , de femmes & d'enfans
des moyens de fubfiftance que leur fournilloit
ce travail. Plufieurs ouvriers fe font
ameutés contre les maîtres qui font ufage de
cette invention ; c'eft fur-tout dans le Comté
de Lancaftre que le foulèvement a eu lieu ;
toutes les milices cantonnées dans cette partie
fe font mifes en mouvement pour remédier
au défordre , & il y a eu beaucoup de
fang répandu.
Au milieu des préparatifs militaires qui fe
font de toutes parts , on parle toujours de
paix ; on revient à la médiation fi fouvent annoncée
des Cours de Pétersbourg & de Berlin.
Quelques perfonnes prétendent même déja
que pour bafe du traité d'accommodement
entre les Puiffances belligérantes , on exige
que l'Angleterre confente à l'indépendance
des Américains , à la ceffion de Gibraltar &
de Minorque à l'Eſpagne , & à celle des conquêtes
que la France a faites dans les Indesoccidentales.
Nous fentons bien que cette
paix doit nous coûter des facrifices ; mais on
ne voit pas que les chofes en foient encore
venues à une telle extrémité que nous devions
l'acheter à des conditions auffi dures.
Nos Miniftres ne ceffent d'affurer qu'ils n'en
accepteront aucune qui bleffe l'honneur de
la Couronne & les intérêts de la Nation ;
mais il faut être en état de choifir ; le ferons(
208 )
nous le tems nous l'apprendra. En attendant
on conferve le ton de hauteur qu'on a
toujours pris ; il fe manifeſte fur - tout dans
un Mémoire juftificatif du Roi de la
Grande - Bretagne pour fervir de réponſe
à l'expofé des griefs de la Cour de France.
On dit que le Gouvernement a employé la
plume élégante de l'Auteur de l'hiſtoire de la
décadence & de la chûte de l'Empire Romain,
M. Gibbon. On n'a pas manqué d'obſerver
qu'il étoit important de mettre une mauvaiſe
caufe entre les mains d'un homme éloquent.
La publication de ce Mémoire n'a
pas tout- à - fait répondu à l'atténte ; on y a
trouvé beaucoup de hauteur ; mais en reprochant
les déclamations à nos ennemis , on y
tombe à chaque inftant ; & au défaut des raifons
, on y a prodigué les injures. Cette pièce
doit trouver une place dans un Journal de
l'espèce de celui- ci. Le public ne peut qu'être
curieux de rapprocher les Manifeftes des
trois Puillances. L'Europe a déja jugé entre
elles ; on connoît le voeu général ; il eft indé--
pendant du fort des armes.
» L'ambition d'une Puiffance , toujours ennemie
du repos public , a obligé enfin le Roi de la Grande-
Bretagne à employer dans une guerre jufte & légitime
ces forces que Dien & fon Peuple lui ont confiées .
C'eft en vain que la France effaye de juftifier , ou
plutôt de déguifer fa politique aux yeux de l'Europe
par (on dernier Manifefte , que l'orgueil & l'artifice
femblent avoir dicté , mais qui ne peut fe concilier
avec la vérité des faits , & les droits des Nations."
L'équité , la modération , l'amour de la Paix , qui
( 209 )
ont toujours réglé les démarches du Roi , l'enga
gent maintenant à foumettre la conduite & celle
de les ennemis au jugement du Tribunal libre &
refpectable qui prononce fans crainte & fans flatterie
l'arrêt de l'Europe , du fiècle préfent , & de la poftérité
. Ce Tribunal , compofé des hommes éclairés
& défintéreffés de toutes les Nations , ne s'arrête
jamais aux profeffions , & c'eſt par les actions des
Princes qu'il doit juger des motifs de leurs procédés
& des fentimens de leurs coeurs. Lorsque le
Roi monta fur le trône , il jouiffoit du fuccès de
fes armes dans les quatre parties du monde. Sa
modération rétablit la tranquilité publique dans le
même inftant qu'il foutenoit avec fermeté la gloire
de fa Couronne , & qu'il procuroit à fes fujets
les avantages les plus folides. L'expérience lui avoit
fait connoître combien les fruits de la victoire
même font triftes & amers ; combien les guerres
heureufes ou malheureufes épuifent les peuples
fans aggrandir les Princes. Ses actions prouvoient
à l'Univers, qu'il fentoit tout le prix de la paix , &
il étoit au moins à préfumer que la raiſon qui l'avoit
éclairé fur les malheurs inévitables de la guerre ,
& fur la dangereufe vanité des conquêtes , lui inf
pireroit la réfolution fincère & inébranlable de
maintenir la tranquillité publique , dont il étoit luimême
l'auteur & le garant. Ces principes ont fervi
de bafe à la conduite invariable de S M. pendant
les quinze années qui ont fuivi la paix conclue à
Paris en 1763 , époque heureufe de repos & de
félicité , dont la mémoire fera long- tems confervée
par le fouvenir & peut-être par les regrets des
Nations de l'Europe . Les inftructions du Roi à tous
fes Miniftres portoient l'empreinte de fon caractère
& de fes maximes. Il leur recommandoit comme
le plus important de leurs devoirs d'écouter avec
une attention fcrupuleufe les plaintes & les repréfentations
des Puiffances , fes alliés , ou les voifins ;
( 210 )
de prévenir , dans leur origine , tous les fujets de
querelle qui pourroient aigrir ou aliéner les efprits ;
de détourner le fléau de la guerre par tous les
expédiens compatibles avec la dignité du Souverain
d'une Nation refpectable , & d'inspirer à tous les
peuples une jufte confiance dans le fyftême politique
d'une Cour qui déteftoit la guerre fans la
craindre ; qui n'employoit pour fes moyens que la
raifon & la bonne foi , & qui n'avoit pour objet
que la tranquillité générale. Au milieu de cette tranquillité
les premières étincelles de la difcorde s'allumèrent
en Amérique. Les intrigues d'un petit
nombre de Chefs audacieux & criminels , qui abuferent
de la fimplicité crédule de leurs compatriotes ,
engagèrent infenfiblement la plus grande partie des
Colonies Angloifes à lever l'étendart de la révolte
contre la mère Patrie , à qui elles étoient redevables
de leur exiſtence & de leur bonheur «<.
» La Cour de Verſailles oublia fans peine , la foi
des Traités , les devoirs des Alliés & les droits des
Souverains , pour effayer de profiter des circonftances
qui paroiffoient favorables à fes deffeins ambitieux
. Elle ne rougit point d'avilir fa dignité par
des liaiſons fecrettes qu'elle forma avec des fujets
rébelles , & après avoir épuifé toutes les reffources
honteufes de la perfidie & de la difſimulation ,
elle ofa avouer à la face de l'Europe , indignée de
fa conduite , le traité folemnel que les Miniftres
du Roi Très- Chrétien avoient figné avec les Agens
ténébreux des Colonies Angloifes , qui ne fondoient
leur indépendance prétendue , que fur la hardieffe
de leur révolte. La déclaration offenfante que le
Marquis de Noailles fut chargé de faire à la Cour
de Londres le 13 Mars de l'année dernière , autorifa
S. M. à repouffer par les armes l'infulte inouie
qu'on venoit de faire à l'honneur de fa Couronne ;
& le Roi n'oublia pas dans cette occafion importante
ce qu'il devoit à fes Sujets & à lui- même.
( 211 )
Le même efprit de fauffeté & d'ambition régnoit
toujours dans les Confeils de la France. L'Efpagne,
qui s'eft repentie plus d'une fois d'avoir négligé
les vrais intérêts pour fervir aveuglément les
projets deftructeurs de la Branche aînée de la Maifon
de Bourbon , fut engagée à changer le rôle de
médiateur pour celui d'ennemi de la Grande- Bretagne.
Les calamités de la guerre fe font multipliées
, mais la Cour de Verfailles ne doit pas jufqu'à
préfent fe vanter du fuccès de fes opérations
militaires ; & l'Europe fait apprécier ces victoires
navales , qui n'exiftent que dans les Gazettes &
dans les Manifeftes des vainqueurs prétendus . Puifque
la guerre & la paix impofent aux Nations des
devoirs entièrement différens , & même oppofés ,
il eft indifpenfable de diftinguer ces deux Etats dans
le raifonnement auffi bien que dans la conduite ;
mais dans le dernier Manifeſte que la France vient
de publier , ces deux Etats font perpétuellement
confondus. Elle prétend juftifier la conduite en
faiſant valoir tour à tour & prefqu'au même inftant
ces droits qu'il n'eft permis qu'à un ennemi
de réclamer , & ces maximes qui règlent les obligations
& les procédés de l'amitié nationale. L'adreffe
de la Cour de Versailles à confondre fans
ceffe deux fuppofitions qui n'ont rien de commun
eſt la conféquence naturelle d'une politique fauſſe
& infidieufe , incapable de foutenir la lumière du
grand jour. Les fentimens & les démarches du Roi ,
qui n'ont point à redouter l'examen le plus févère ,
l'invitent au contraire à diftinguer clairement ce
que fes ennemis ont confondu avec tant d'artifice .
Il n'appartient qu'à la juftice de parler fans crainte
le langage de la raifon & de la vérité «<.
» La pleine juftification de S. M. & la condamnation
indélébile de la France , fe réduifent donc
à la preuve de deux propofitions fimples & prefqu'évidentes
premièrement qu'une paix profonde , per(
212 )
manente , & de la part de l'Angleterre fincere & véritable
, fubfiftoit entre les deux nations , lorfque la
France forma des liaifons d'abord fecretres , & enfuite
publiques & avouées avec les Colonies révoltées
de l'Amériqne : fecondement , que fuivant les
maximes les plus reconnues du droit des gens , &
felon la teneur même des traités actuellement fubfif
tans entre les deux Couronnes , ces liaifons pouvoient
être regardées comme une infraction de la
paix , que l'aveu public de fes liaiſons équivaloit
à une déclaration de guerre de la part du Roi Très-
Chrétien. C'est peut -être la première fois qu'une
nation refpectable ait eu befoin de prouver deux
vérités auffi inconteftables , & la juftice de la cauſe
du Roi eſt déjà reconnue par tous les hommes qui
jugent fans intérêt & fans prévention ".
ג כ
Lorfque la Providence appella le Roi au Trône ,
» la France jouiffoit de la paix la plus profonde «.
Telles font les expreffions du dernier Manifefte de
la Cour de Verfailles , qui reconnoit fans peine les
affurances folemnelles d'une amitié fincère & des
difpofitions les plus pacifiques , qu'elle reçut dans
cette occafion de la part de S. M. B. , & qui furent
fouvent renouvelées par l'entremise des Am
baffadeurs aux deux Cours , pendant quatre ans ,
jufqu'au moment fatal & décifif de la déclaration
du Marquis de Noailles. Il s'agit donc de prouver
que dans ce tems heureux de la tranquillité générale
, l'Angleterre cachoit une guerre fecrette fous
les apparences de la paix , & que ces procédés
injuftes & arbitraires étoient portés au point de
légitimer du côté de la France les démarches les
plus fortes , & qui ne feroient permifes qu'à un
ennemi déclaré. Pour remplir cet objet , il faudroit
porter devant le tribunal de l'Europe des griefs
clairement articulés & folidement établis . Ce grand
tribunal exigeroit des preuves formelles & peutêtre
réitérées de l'injure & de la plainte , le refus
( 213 )
d'une fatisfaction convenable , & la proteftation de
la partie fouffrante qu'elle fe tenoit hautement offenfée
par ce refus , & qu'elle fe regarderoit déformais
comme affranchie des devoirs de l'amitié &
du lien des traités «<.
Les Nations qui refpectent la fainteté des fermens
& les avantages de la paix , font les moins
promptes à faifir les occafions qui femblent les difpenfer
d'une obligation facrée & folemnelle , & ce
n'eft qu'en tremblant qu'elles ofent renoncer à l'amitié
des Puiffances dont elles ont long-tems effuyé
l'injuftice & les infultes. Mais la Cour de
Verfailles a ignoré , ou a méprifé ces principes.
fages & falutaires ; & au lieu de pofer les fondemens
d'une guerre jufte & légitime , elle fe contente
de femer dans toutes les pages de fon manifefte
, des plaintes vagues & générales , rendues
dans un ftyle de métaphore & d'exagération. Elle
remonte à plus de foixante ans pour accufer le
peu de foin de l'Angleterre à ratifier quelques réglemens
de commerce , quelques articles du traité
d'Utrecht ; elle fe permet de reprocher aux Miniftres
du Roi d'employer le langage de la hauteur
& de l'ambition , fans s'abaiffer jufqu'au devoir
de prouver des imputations auffi peu vraifemblables
qu'elles font odieufes. Les fuppofitions
gratuites de la mauvaiſe foi & de l'ambition de
la Cour de Londres , font confufément entaffées
comme fi l'on craignoit de s'y arrêter l'on infinue
d'une manière très - obfcure les infultes prétendues
qu'ont effuyés le commerce , le pavillon ,
& même le territoire François , » & on laiffe échap.
» per enfin l'aveu des engagemens que le Roi Très-
» Chrétien avoit déjà formés avec l'Espagne pour
» venger leurs griefs refpectifs , & pour mettre
:
un terme à l'empire tyrannique que l'Angleterre
» a ufurpé & prétend conferver fur toutes les
» mers ". Il eft difficile de combattre des fantô
( 214 )
mes , ou de répondre d'une manière nette & précife
au langage de la déclamation. La jufte confiance
du Roi defireroit fans doute de fe livrer à
l'examen le plus approfondi de ces plaintes vagues
, de ces griefs prétendus fur lesquels la Cour
de Verfailles a fi prudemment évité de s'expliquer
avec la clarté & le détail qui pourroient feuls
appuyer les raifons & faire excufer les procédés.
Pendant une paix de quinze ans , les intérêts de
deux Nations puiffantes & peut - être jalouſes ,
qui fe touchent par tant d'endroits différens dans
l'ancien & dans le nouveau monde , fourniffent
inévitablement des fujets de plainte & de difcuffion
, que la modération réciproque fauroir toujours
affoupir , mais qui ne font que trop facilement
aigris & empoisonnés par la haine réelle , &
les foupçons affectés d'un ennemi fecret & ambitieux
; & les malheurs de l'Amérique étoient trop
propres à multiplier les efpérances , les prétextes &
les prétentions injuftes de la France . Cependant telle
a été la conduite toujours uniforme , & toujours
pacifique du Roi & de fes Miniftres , qu'elle a
fouvent réduit fes ennemis au filence , & s'il eſt
permis d'appercevoir le vrai fens de ces accufations
vagues & équivoques , dont l'obfcurité étudiée
décèle les traits de la honte & de l'artifice , s'il
eft permis de démêler les objets qui n'ont point
d'exiſtence , on peut affurer avec la hardieffe de
la vérité , qu'il eft plufieurs de ces griefs prétendus
qui font annoncés pour la première fois
dans une déclaration de guerre , fans avoir jamais
été propofés à la Cour de Londres , dans le
tems qu'elle auroit pu les écouter avec l'attention
férieufe & favorable de l'amitié . A l'égard des
plaintes que l'Ambaffadeur de S. M. Très - Chrétienne
communiquoit de tems en tems aux Miniftres
du Roi , il feroit aifé de donner , ou plutôt
de renouveller les réponſes fatisfaifantes qui prou(
215 )
vèrent aux yeux de la France elle - même la modération
du Roi , fon amour de la juftice , & la
fincérité de les difpofitions à conferver la tranquillité
générale de l'Europe. Cés repréfentations dont
la Cour de Verfailles pourroit fe difpenfer de
rappeller le fouvenir , étoient rarement marquées
au coin de la raiſon & de la vérité , & il ſe trouvoit
le plus fouvent que les perfonnes en Europe
, en Amérique , ou fur les mers , defquelles
elle tenoit fa correfpondance fufpecte & mal - fondée
, n'avoient pas craint d'abufer de fa confiance ,
pour mieux fervir fes intentions fecrettes. Si les
faits que la France faifoit valoir comme le fujet
de fes plaintes , étoient appuyés quelquefois fur
une bafe moins fragile , les Miniftres du Roi les
éclairciffoient fur le champ par la juftification la
plus nette & la plus entière des motifs & des
droits de leur Souverain , qui pouvoit , fans bleffer
le repos public , punir la contrebande qui ſe faifoit
fur les Côtes , & à qui les loix des Nations
accordoient le droit légitime d'arrêter tous les
vaiffeaux qui portoient des armes & des munitions
de guerre à fes ennemis ou à fes ſujets rebelles.
Les Tribunaux étoient toujours ouverts aux
Particuliers de toutes les Nations , & il faut bien
peu connoître la conftitution Britannique , pour
fuppofer que la puiffance Royale eût été capable
de les exclure des moyens d'appel. Sur le théâtre
vafte & éloigné des opérations d'une guerre navale,
la vigilance la plus active , l'autorité la plus
ferme , font incapables de découvrir , ou de réprimer
tous les défordres ; mais toutes les fois
que la Cour de Verfailles a pu établir des dommages
réels que fes Sujets avoient éprouvés fans
la connoiffance ou l'approbation du Roi , S. M.
a donné les ordres les plus prompts & les plus
efficaces pour arrêter les abus qui bleffoient fa
dignité , autant que les intérêts de les voisins
(216 )·
qui avoient été enveloppés dans les malheurs de la
guerre. L'objet & l'importance de cette guerre
fuffiroient pour démontrer à l'Europe les principes
qui ont dû régler les démarches politiques de
l'Angleterre. Dans le tems qu'elle employoit fes
forces pour ramener à leur devoir les colonies
révoltées de l'Amérique , eft - il vraisemblable
qu'elle eût choifi ce moment pour irriter par l'injuftice
, ou l'infolence de fes procédés , les Puiffances
les plus refpectables de l'Europe ? L'équité a
toujours dicté les fentimens & la conduite du Roi ;
mais dans cette occafion importante , fa prudence
même eft le garant de fa fincérité & de fa modération.
Mais pour établir clairement le ſyſtême
pacifique qui fubfiftoit entre les deux Nations , il
ne faudroit qu'en appeller au témoignage même de
la Cour de Verſailles. A l'époque où elle ne rougit
pas de placer toutes les infractions prétendues
de la tranquillité publique , qui auroient engagé
» un Prince moins avare du fang de fes Sujets
, à ufer fans héfiter de repréfailles , & à repouffer
l'infulte par la force de fes armes «< , les
Miniftres du Roi Très - Chrétien parloient le langage
de la confiance & de l'amitié. Au lieu d'annoncer
les deffeins de la vengeance avec ce ton
de hauteur qui épargne du moins à l'injuftice le
reproche de perfidie & de diffimulation , la Cour
de Verfailles cachoit la conduite la plus infidieufe
fous les profeffions les plus féduifantes ; mais ces
profeffions même fervent aujourd'hui à démentir
Les déclarations & à rappeller les fentimens
qui auroient dû faire la règle de fa conduite.
Si la Cour de Verfailles ne veut pas s'accufer
de la diffimulation la moins digne de fa grandeur
, elle fera forcée de convenir que jufqu'au
moment qu'elle dicta au Marquis de Noailles la
déclaration , qui a été reçue comme le fignal de la
guerre , elle ne connoiffoit pas des fujets de plain-
و ر
tes
( 217 )
tes affez réels ou affez importans , pour l'autorifer
à violer les obligations de la paix & la foi
des traités qu'elle avoit juré à la face de Dieu &
de l'Univers , & à fe difpenfer de l'amitié nationale
dont elle avoit réitéré jufqu'au dernier inf
tant les affurances les plus vives & les plus folemnelles.
Lorfque l'Adverfaire eft incapable de
juftifier fa violence dans l'opinion publique , ou
même à fes propres yeux , par les injures qu'il
prétend avoir effuyées , il a recours au danger
chimérique auquel fa patience auroit pu l'expofer ;
& à la place des faits folides dont il eft dépourvu
, il effaie de fubftituer un vain tableau qui
n'exifte que dans fon imagination , ou peut- être
dans fon coeur. Les Miniftres du Roi Très - Chrétien
, qui paroiffent avoir fenti la foiblefle des
moyens qu'ils ont été réduits à employer , font
encore des efforts impuiffans , pour ajouter à ces
moyens , l'appui des foupçons les plus odieux &
les plus étranges . » La Cour de Londres faifoit
» dans fes Ports des préparatifs & des armemens
qui ne pouvoient avoir l'Amérique pour objet ;
leur but étoit par conféquent trop déterminé
» pour que le Roi pût s'y méprendre , & dès - lors
» il devint d'un devoir rigoureux pour S. M. de
ود
faire les difpofitions capables de prévenir les
» mauvais deffeins de fon ennemi , &c. Dans cet
» état des chofes , le Roi fentit qu'il n'y avoit
» pas un moment à perdre «. Tel eft le langage
de la France ; nous allons faire entendre celui de
la vérité.
La fuite à l'ordinaire prochain .
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie , le 27 Juillet. Le Congrès
a fait publier dans le Penfylvania
Packet , la relation fuivante de la priſe de
30 Octobre 1779. k
( 218 )
Stony- Point , adreffée par le Général Wayne
au Général Washington.
» Le 1s courant , à midi, nous nous mîmes en
marche de Sandy Beach , à 14 milles de diftance de
cet endroit. Les routes étant mauvaiſes & étroites ,
ayant à franchir de hautes montagnes , à paffer des
marais profonds & des défilés difficiles , nous fumes
obligés , dans la majeure partie du chemin , de former
la ligne fur un feul homme de front. A 8 heures
du foir l'avant-garde arriva devant la maifon de M.
Springfteal , à un mille & demi de l'ennemi , & fe
forma en colonnes à mefure que l'on arrivoit ,
conformément à l'ordre de bataille ci - joint . Les
régiments des Colonels Febiger & Meigs , avec le
détachement du Major Hull , formoient la colonne
droite ; le régiment du Colonel Butler & les deux
compagnies du Major Murfrée , la gauche. Les
troupes reftèrent dans cette pofition jufqu'à ce que
je fuffe de retour avec plufieurs des principaux
Officiers qui m'avoient accompagné pour reconnoître
les ouvrages. A 11 heures & demie , l'armée fe porta
en avant l'avant- garde de la droite formée de 159
volontaires , bien commandés , la bayonnette au bout
du fafil non chargé , s'avança fous les ordres du
Lieutenant- Colonel Fleury, précédée par 20 hommes
choifis , commandés par un Officier vigilant &
brave , chargé d'ouvrir un paffage à travers l'abattis
& décarter les autres obftacles . L'avant- garde
de la gauche étoit formée de 100 volontaires , aux
ordres du Major Steward , la bayonnette au bout
du fufil , également déchargé , & précédée de même
d'un Officier brave & déterminé , qui marchoit à la
tête de 20 hommes deftinés au même fervice. A
minuit l'affaut devoit commencer par les flancs
droit & gauche des ouvrages de l'ennemi , tandis
que le Major Murfrée l'amufoit en front ; mais
un marais , qui les couvroit en entier , fe trouvant
alors rempli par la marée & d'autres obftacles
( 219 )
rendirent les approches plus difficiles ; il étoit environ
minuit 20 minutes lorfque l'affaut commença
avant que les troupes fe miffent en mouvement
, je m'étois placé à la tête du régiment de
Febiger , formé fur 8 colonnes , & j'avois donné
aux troupes les ordres les plus précis , de ne faire
feu dans aucun cas , & de ne compter abfolument
que fur leurs bayonnettes , ordre qui fut littéralement
& fidèlement obfervé : la profondeur du marais ,
les doubles rangs du formidable abattis , la force
des ouvrages qui couvroient le front & les flancs
de l'ennemi , rien ne put ralentir l'ardeur des troupes ,
qui , fous le feu terrible , foutenu & continuel de la
moufqueterie , ainfi que du canon chargé à mitraille ,
à travers tous les obftacles , fe font ouvert un chemin
avec la pointe de la bayonnette ; les deux colonnes
s'étant jointes dans le centre des ouvrages de
l'ennemi , à peu près en même temps.
- ·
On ne peut donner trop d'éloges au Lieutenant-
Colonel Fleury , qui , de fa propre main , enleva
l'étendart de l'ennemi , ainſi qu'au Major Stewart ,
qui commandoit les partis avancés , à raifon de la
bravoure & de la prudence de leur conduite. Les
Colonels Burler , Meigs & Febiger fe font conduits
avec ce fang froid , cette bravoure & cette perfévérance
qui affureront toujours le fuccès . Le Lieutenant-
Colonel Hoy a été bleffé à la cuiffe , combattant
bravement à la tête d'un bataillon.
Je déroberois trop de temps à V. E. fi je faifois
une mention particulière de quiconque l'a mérité
par les preuves de valeur données en cette occafion .
Je ne puis cependant pas omettre le Major Lée ,
à qui je fuis redevable d'avis fréquents & très -utiles
qui ont beaucoup contribué au fuccès de l'entrepriſe ;
& c'eft avec le plus fenfible plaifir que je vous avoue
que j'ai été foutenu dans l'attaque , de manière à
combler mes fouhaits , par tous les Officiers &
Soldats que j'avois à mes ordres. Les Officiers &
k 2
( 220 )
7
·
Soldats de l'artillerie ont fait éclater leur zèle en
tournant le canon contre Verplank Pont , &
forçant l'ennemi à couper les cables de fes vaiffeaux
, & à defcendre la rivière .
Le 26 de ce mois , le Congrès prit les
réfolutions fuivantes :
1°. Réfolu unanimement : Que les remerciements
du Congrès feront faits à S. E. le Général Washington
, à raifon de la vigilance , de la ſageſſe & de la
magnanimité avec lesquelles il a conduit les opérations
militaires de ces Etats , & qui font partie de
beaucoup d'autres preuves fignalées qu'il a manifeftées
dans fes ordres relatifs à la dernière entreprife
glorieufe , & à l'heureufe attaque de la fortereffe
de l'ennemi fur les bords de la rivière Hudſon,
2°. Que les remerciments du Congrès feront
faits au Brigadier- Général Wayne , à raifon de la
bravoure , de la prudence , de la conduite digne
d'un foldat , qu'il a tenue dans fon attaque courageufe
& bien dirigée contre Stony- Point.
°. Que le Congrès apprécie , comme il le doit ,
la bonne conduite que les Officiers & Soldats , aux
ordres du Brigadier Général Wayne ont tenue lors
de l'affaut livré aux ouvrages de l'ennemi à Stony-
Point , & approuve particulièrement le fang- froid ,
la difcipline & la ferme intrépidité développées en
cette occafion.
4°. Que le Lieutenant - Colonel Fleury & le Major
Stewart , qui , par leur pofition , en dirigeant les
deux attaques , ont eu l'occafion plus immédiate de fe
diftinguer , & qui par des faits perfonnels , ont donné
des exemples brillants à leurs camarades , méritent
d'une manière particulière , l'approbation & la
reconnoiffance des Etats - Unis .
5 °. Que le Congrès approuve avec chaleur &
applaudit au fang froid & à l'intrépidité avec lefquels
les Lieutenants Gibbons & Knox ont guidé les
enfants perdus de l'armée , bravant le danger & la
mort pour la caufe de leur pays .
( 221 )
6°. Qu'une médaille, emblême de cette affaire ,
fera frappée ; qu'il en fera préfentée une d'or au Brigadier
Général Wayne ; que le Lieutenant- Colonel
Fleury & le Major Stewart en recevront une d'argent .
7°. Que la valeur des approvifionnements militaires
, pris à Stony-Point , fera conftatée & diftribuée
parmi les braves troupes qui ont réduit ce fort , de la
manière & dans les proportions qui feront prefcrites
par le Commandant en Chef.
Une lettre particulière du 18 de ce mois
parle ainfi des raifons qui ont occafionné
l'abandon d'un pofte aufli important , peu
de jours après qu'il eut été conquis avec
tant de bravouve . » Quelques accidens malheureux
ont empêché l'attaque projettée
contre Verplanks' - Pont , jufqu'à ce qu'il a
été trop tard pour l'exécuter. Le Général
Clinton eft à portée ; & nous avons évacué
Stony- Point. N'étant pas maîtres des deux
bords de la rivière , nous avons été obligés
d'abandonner celui dont nous étions en
poffeffion. Il eft probable que les troupes
Britanniques reviendront l'occuper ; alors
nous reprendrons néceffairement notre ancienne
pofition. Demain , les intentions du
Général Clinton commmenceront fans doute
à fe manifefter ".
FRANCE.
De VERSAILLES , le 26 Octobre.
L'IMPERATRICE-REINE de Hongrie ayant
honoré de fon Ordre de la Croix Etoilée , la
Comteffe de Courtivron , née Comteffe de
k 3
( 222 )
-
Clermont-Tonnerre , le Roi lui a permis
d'en porter les marques.
Madame Elifabeth de France quittera , le
23 de ce mois , Marli , pour fe rendre au
Château de Choify , où elle doit être inoculée .
Les fieurs Née & Mafquelier , Graveurs ,
que LL. MM. & la Famille Royale ont honorés
de leurs foufcriptions , pour un Ouvrage
intitulé : Tableaux Pittorefques , Phyfiques
Hiftoriques , Moraux , Politiques & Littéraires
de la Suiffe , ont eu l'honneur de remettre
à LL. MM. & à la Famille Royale , la
trente-deuxième livraiſon de cet Ouvrage.
De PARIS , le 26 Octobre.
LES nouvelles de Breft annoncent que
l'on y prenoit tous les arrangemens néceffaires
pour que la flotte combinée fortît le
25 ou le 27 de ce mois au plus tard . Elle
fera compofée , dit - on , de 56 ou de 58
vaiffeaux. Les malades dont on a fort exagéré
le nombre, guériffent ; ceux qui ont été en état
de fupporter les fatigues d'un court voyage ,
& d'aller refpirer l'air natal , fe font bientôt
rétablis. M. le Comte d'Aranda , parti le
15 de ce mois pour Breft , doit , dit- on , y
refter jufqu'à ce que la flotte ait appareillé.
» On a reçu ordre , écrit-on de St - Malo , en date
du 17 , de remplacer au plus vite tous les matelots
qu'on avoit tirés d'ici pour le fervice de Breft ; il
en eft de même des provifions qui étoient embarquées
; on les renouvelle , on les augmente même ,
& on fe flatte de réparer les navires , ce qui fait
préfumer que les troupes pourroient bien s'embar(
223 )
quer auffi tôt que l'Armée navale aura appareillé.
Tous les Officiers qui avoient eu des congés doivent
être rendus le 25 à leurs corps refpectifs .
Ceux qui croient qu'on fe contentera d'attaquer
Jerfey & Guernefey , ne font pas attention que les
apprêts font trop formidables pour que l'expédition
projettée ne puiffe regarder que ces deux Inles «.
Si beaucoup de gens , ajoutent ces lettres ,
penfent que la faifon eft trop avancée pour que
Î'Armée navale recommence une campagne , d'autres
foutiennent que c'eft dans ce moment que la
Manche eft moins à craindré. Ils rappellent les
époques de toutes les defcentes qui fe font faites
en Angleterre dans les mois de Septembre , Octobre
& Novembre 1066 dans le Comté de Suffex ;
celle de Louis , fils de Philippe Augufte , d'Iſabelle ,
femme d'Edouard , du Prince d'Orange , qui , pour
détrôner fon beau-pere , ne put débarquer que le
15 Novembre à Torbay , &c «.
M. de Couëdic va un peu mieux , & on
commence à efpérer qu'il fe rétablira de fa
bleffure. Mefdames les Princeffes de Bouillon
, d'Henin & Madame la Ducheffe de
Lauzun qui étoient à Breft , peu après la
rentrée de la Surveillante , voulurent monter
à bord de cette frégate ; elles dirent mille
chofes flatteufes à tout l'équipage , & répandirent
beaucoup d'argent parmi les matelots.
Elles demandèrent à l'un d'eux qui avoit été
grièvement bleffé , pourquoi les François
n'avoient pas , comme les Anglois , pris la
précaution de clouer auffi leur pavillon ;
Madame , répondit - il , l'honneur clouoit le
nôtre.
L'équipage du Quebec , qui fauta en l'air
après le combat , confiftoit en 220 hommes
k 4
( 224 )
d'élite , & 80 volontaires. Le Capitaine avoit
parié en Angleterre qu'il y rameneroit une
frégate Françoife de fa force. Il fe nommoit
George Farmer , & étoit âgé de so ans. Dans
les 40 hommes que l'on a fauvés , fe trouvent
fon premier Lieutenant M. Roberti , âgé de
30 ans , & le Lieutenant des troupes M.
John Field , âgé de 21 ; le premier a eu le
bras caffé.
La petite efcadre qui avoit appareillé de
Breft pour aller au-devant du convoi parti
de Saint-Domingue , eft rentrée fans l'avoir
apperçu , quoiqu'elle ait été jufqu'à plus de
100 lieues en mer. Les trois frégates forties
pour le même objet n'ont pas été plus heureufes
; ce retard inquiète peu , parce que
L'on fait que nos ennemis n'ont point de
forces affez confidérables fur nos atterrages ;
on a appris par des nouvelles ultérieures que
ce convoi a été difperfé le 17 Septembre par
une tempête horrible près le banc de Terre-
Neuve. Septbâtimens ont été très- maltraités ,
deux ont péri ; l'un étoit Provençal , & l'autre
de la Rochelle ; on a retiré la cargaifon du
dernier qu'on a diftribuée fur différens vaiffeaux.
On n'a pu fauver que l'équipage de
l'autre. Cette nouvelle a été , dit - on , apportée
par la gabarre l'Ile de France , qui
étoit du convoi , & qui eft rentrée à Breft
avec un navire marchand. Au départ du
Courier , on fignaloit des voiles qu'on foupçonnoit
devoir faire partie de la flotte que la
gabarre avoit laillée fur nos atterrages. On
( 225 )
a fait fortir fur - le - champs frégates pour
aller au- devant d'elle.
-
On mande de quelques uns de nos ports
les détails fuivans qu'on lit dans une lettre
écrite de Saint- Domingue.
» Pendant deux jours entiers le Comte d'Estaing
avec fon efcadre , a demeuré devant St - Chriftophe ,
fans avoir pû engager l'Amiral Byron à fe meſurer
avec lui : il eft vrai que 7 ou 8 vaiffeaux de l'efcadre
Angloife ont été fi maltraités dans le combat de
la Grenade , qu'il fera très- difficile & très - long de
les mettre en état de tenir la mer , à moins qu'il
n'arrive à St- Chriftophe des agrêts & des mâtures
d'ailleurs .
"
» Après avoir abandonné St - Chriftophe , notre
efcadre eft venue ici où elle a embarqué 2600
hommes de troupes , & elle a fait voile peu de jours
après pour l'Amérique feptentrionale , en laisaut
feulement ici le vaiffeau l'Amphion qui avoit touché
& qui a befoin de réparations : le refte de l'efcadre
bien approvifionnée & en très bon état , a cinglé vers
Charles - Town , où elle va relever les espérances &
le courage des Américains.
" Il paroît au premier coup d'ait qu'en s'éloignant
des Ifles-du-vent , le Comte d'Estaing les expofe à
être infultées par l'Amiral Byron ; mais cette crainte
s'évanouit pour ceux qui connoiffent nos mers , quand
ils confidèrent 1 ° . que Byron fera obligé d'employer
beaucoup de tems à réparer les dommages immenfes
qu'il a reçus lors du dernier combat ; 2 °. qu'il
fera forcé par la faifon de s'enfermer dans un Port ,
feul afyle des vaiffeaux pendant 4 mois d'hivernage :
c'eft précisément ces 4 mois de retraite forcée entre
les Tropiques que le Comte d'Eftaing a choifis pour
aller faire un coup de main fur les côtes de la Nouvelle
-Angleterre. L'Amiral Arbuthnot s'y trouve ,
dit-on , avec 7 vaiffeaux de ligne ; & fi l'expédition
ks
( 226 )
que notre Général médite contre cette eſcadre eft
auffi courte qu'elle paroît fùre , il fera à même de
revenir enfuite aux Antilles dans la faifon convenable
, & d'y reprendre le cours de fes opérations.
Au refte , on affure qu'il a demandé des troupes
en France , & on ne croit pas que la crainte continuelle
d'une defcente en Angleterre , permette au
Gouvernement Britannique de dégarnir les côtes de
troupes pour les envoyer dans fes Ifles . Ainfi le
Comte d'Eftaing , s'il réuffit dans fon projet ,
(comme on doit l'efpérer de la confiance générale
que fon intrépidité a infpirée à toutes les troupes de
mer & de terre qu'il commande , ) réunira l'avantage
de joindre à une ardeur fingulière dans le combat,
le jugement le plus réfléchi dans le confeil .
Auffi nous ne doutons pas que ce Général bien
connu ne faffe naître en France le même enthoufiafme
que tout le monde reflent ici pour lui « .
On écrit de Madrid que le paquebot du
Roi , parti de la Havanne le 24 Août , &
arrivé à Cadix , rapporte qu'il a été attaqué
deux fois dans fa traverſée. La première fois ,
il a contraint fon ennemi, quoique d'une force
fupérieure à la fienne , à s'éloigner ; la feconde
, il a coulé bas une frégate ou corfaire
de 26 canons , après un engagement des plus
vifs ; comme la mer étoit groffe , il lui a été
impoffible de fauver un feul homme de l'équipage
ennemi.
Le navire François la Délivrance revenant
de la Chine , écrit - on de la Corogne , a
mouillé dans ce port ; il profitera de l'efcorte
du premier vaiffeau de force qui fortira
du Ferrol , pour fe rendre à l'Orient. On
ne dit point fi ce bâtiment apporte des nou(
227 )
velles de l'Inde. Mais on a appris dans le
même-tems que le vaiffeau de guerre l'Orient
, parti au mois de Décembre dernier ,
eft heureuſement arrivé à l'Ile de France
avec le petit convoi qu'il efcortoit.
- -
Le 10 de ce mois , écrit- on de Châteauroux , en
conféquence des ordres reçus , le Te Deum a été
chanté en l'Eglife Collégiale de St. Martin de ladite
Ville , auquel tous les Corps ont affifté ; il y a eu
enfuite un feu de joie pendant lequel on a tiré du
canon . MM . les Officiers Municipaux défirant don
ner à cette occafion une marque particulière d'eftime
à M. de Saint - Cyran , leur compatriote , Capitaine
au Corps Royal du Génie , qui a coopéré à
la prife de la Grenade , & aîné de trois freres également
dans le Génie , décidèrent que le flambeau
deftiné à allumer le feu de joie , feroit préfenté à
M. Crublier de Saint - Cyran pere , qui , après en
avoir fait ufage , fut reconduit en pompe dans fa
maifon par lefdits Officiers Municipaux & la Mi.
lice Bourgeoife , au bruit des trompettes , fiffres ,
tambours , & des cris réitérés de vive le Roi &
M. d'Eftaing.
Il eſt queſtion de transférer la fondation
du Collège de la Marche à Verſailles , ville
qui s'agrandit continuellement , & qui contient
déja plus de 80,000 habitans. On maintiendra
ce Collége dans fon droit de faire
partie de la Faculté des Arts de l'Univerfité.
» Le Mardi 28 du mois dernier , il y eut un Concours
public des Elèves de l'Ecole Royale Vétérinaire
; le Miniftre l'honora de fa préſence , ainfi que
MM . Deeffarts , Lepreux & Delon , Doyen &
Membres de la Faculté de Médecine , M. Delabreuille
, premier Médecin de Madame . M. Louis
Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Chik
6
( 228 )
rurgie , MM. Sue pere & fils , Didier fils & Deleury
, Maîtres en Chirurgie.
L'objet de ce Concours étoit la pratique de la
ferrure , & des opérations que toutes les maladies
exigent qu'on fafle fur le Cheval , & la théorie des
maladies externes.
A cette Séance furent préfens pluſieurs Maîtres
Maréchaux de Paris , & plufieurs Elèves établis en
ladite Ville , qui firent publiquement leur rapport
fur l'objet de la ferrure.
» L'on paffa enfuite à la pratique des opérations ( 1 )
qui furent faites indiftinctement par chaque Elève ,
felon le choix & l'indication du Miniftre & des Affif.
tans , & ces Elèves furent auffi entendus fur la théo-
1ie des maladies externes.
»MM. les Médecins & Chirurgiens qui affiſtèrent
à ce Concours en qualité de Juges , parurent defirez
qu'on accordât à chacun defdits Elèves une mar
que diftinctive des talens qu'ils avoient montrés
ce qui faifoit fix Prix ou Médailles , & fix Chaînes
d'or ou Acceffit.
>
» Nonobftant la coutume qui eft de n'accorder
qu'une Médaille entre cinq Elèves concourans , le
Miniftre confentit fur cette invitation & auff
pour honorer le premier Concours qui fe tenoir
depuis la mort de notre Maître & Inftituteur , dont
la Veuve apprit alors par les complimens & applau
diffemens de l'Ecole , le traitement que la générofité
du Roi lui réſervoit ainfi qu'à fon enfant.
Les fix Médailles ou Prix furent accordés , favoir
(1) Opérations faites & ordonnées au hafard , celles du
crapaud , de l'Empième , du javard , de la taille , du
paffage des fétons , de la caftration , de la pharingotomie
, de la fcyme , de la ponction de la veffie , bronchotomie
, de la ponction de l'eftomach , & de l'hyovertébrotomie,
( 229 )
pour la ferrure aux fieurs Lauthier, Cholet & Mougin
, & pour les opérations aux fieurs Languenard ,
Noyes & Maillard , & les fix Acceffit ou Chaînes
d'or aux fieurs Oitholi , Siman , Peroche , Sécrétain
, Ponti & Marteau «.
כ כ
Après cinquante ans d'expérience & de fuccès ,
M. Daran vient de publier la compofition du véritable
& unique remède pour guérir les difficultés d'uriner
, remède qui avoit fait fi long- tems l'objet des
recherches de tous les maîtres de l'art , & que perfonne
jufqu'à lui n'avoit pu découvrir. La réputation
que lui acquit bien-tôt , dans toute l'Europe ,
une invention fi précieufe à l'humanité , produifit
l'effet ordinaire des découvertes utiles ou glorieufes ,
il y eut des perfonnes affez peu délicates en France
, en Angleterre , en Italie & en Allemagne ,
pour chercher à perfuader au public crédule , que
M. Daran n'étoit pas le feul poffeffeur du remède
dont il faifoit ufage ; que d'autres le poffédoient
ainfi que lui ; & l'on alla jufqu'à publier les compofitions
imaginaires , qu'on donna pour le fpécifique
véritable nouvellement découvert. C'eft furtout
ce que n'a pas rougi de fe permettre un auteur
célèbre , dans un Traité des Tumeurs , Tom. II.
Pag. 387 , publié en 1759. Sa célébrité en médecine
en avoit tellement impofé , que d'après lui , M..
Vandermonde , Médecin , & auteur du Journal de
Médecine, l'annonça avec auffi peu de vérité dans fes
cahiers , pages 556 , 557 & 558 , qui furent depuis
copiés dans plufieurs ouvrages de Maladies
Vénériennes. Aujourd'hui que le véritable auteur de
la découverte donne lui- même , gratuitement , fa
compofition au Public , il eft aifé de fe convaincre
de la fauffeté de ces allégations ; il ne faut pour
cela , que comparer les recettes imaginaires , imprimées
dans tous ces ouvrages avec la vraie compofition
du remède , telle qu'elle fe trouve dans le
( 230 )
:
livre que vient de publier M. Daran , & qui a pour
titre Compofition du Remède de M. Daran , Ecuyer,
Confeiller, Chirurgien ordinaire du Roi , & Maî
tre en Chirurgie de Paris ; Remède qu'il a pratiqué
avec fuccès depuis cinquante ans , pour la guérifon
des difficultés d'uriner , & des caufes qui
les produifent , publié par lui- même ; précédé d'une
Préface , où l'on expofe les raifons qui ont fait différer
jufqu'à préfent cette publication , & les motifs
qui engagent aujourd'hui à la rendre publique ;
fuivi d'un Difcours fur la théorie des Maladies de
l'Urètre , des preuves qui conftatent l'efficacité du
remède qui les guérit , & des moyens de faire
connoître le mal , même aux perfonnes qui en font
attaquées ; prix , 40 fols broché , & so fols relié ;
à Paris , chez Didot , quai des Auguftins , chez
Caillau , rue Saint -Sevérin , & Méquignon , ruc
des Cordeliers ; avec Approbation & Privilége du
Roi. 1779 , in- 12 «.
La Chambre du Confeil & de Police de
la Ville & Commune de Dijon , a rendu
le 25 du mois dernier , une Ordonnance
pour prévenir la contagion de la petite
vérole ; l'expérience a fait connoître que
pour diminuer le nombre des victimes de
cette maladie , il faut la fequeftrer , & empêcher
les perfonnes qui en ont été attaquées
, foit naturellement , foit par inoculation
, de fortir & d'avoir communication
avec les autres avant qu'il fe foit écoulé
40 jours , à compter de celui de l'éruption.
Nous cirerons le préambule de cette Loi.
Sur ce qui a été remontré à la Chambre par le
Syndic , que plufieurs perfonnes de cette Ville furent
attaquées de la petite vérole pendant le cours
( 231 )
de l'année dernière ; mais que cette année un bien
plus grand nombre de tout âge , de tout fexe &
de toute condition , a éprouvé cette cruelle & contagieufe
maladie , & l'éprouve encore tous les
jours ; que ce qu'il y a eu de plus malheureux ,
c'eft qu'elle eft devenue de plus en plus mauvaiſe
dans le mois d'Août , puifque plufieurs perfonnes
ont fuccombé à la violence du mal , fans que tous
les fecours de la Médecine aient pu les garantir ,
ce qui commençoit à répandre la terreur & l'ef
froi , & à jetter les Habitans dans la confterna
tion. Il y a deux ans cette maladie fit les plus
grands ravages en Franche-Comté , par le défaut
de précautions prifes dans l'inoculation. Les Habitans
du Canton de Berne en Suiffe , qui en font
voifins , font parvenus à s'en garantir par les mefures
qu'ils ont prises pour intercepter toute communication.
A leur exemple , les Officiers de la
Sénéchauffée de Lyon , & les Officiers de Police
de Saint- Omer , ont fait des Règlemens qui indiquent
les mêmes mefures. Ces faits font atteftés
par le fieur Durande Médecin en cette Ville ,
dans un Avis par lui inféré dans la fixieme Feuille
hebdomadaire de Bourgogne , à la date du 10 Février
1778 , & dans un Mémoire manufcrit que
le Syndic a entre les mains ; dans lefquels Ouvrages
ce Médecin , auffi bon Patriote & ami de l'humanité
, qu'il eft diftingué par les talens & fes connoiffances
, en démontrant , d'après les plus grands
Maîtres qu'il cite , que la petite vérole ne vient que
par communication , fait efpérer qu'en obfervant
avec exactitude les précautions qu'il indique , on
parviendra à fe garantir pour toujours de cette
maladie , comme on s'eft préfervé de la peſte
qui a caufé autrefois de fi grands maux , finguliè
rement dans cette Ville . Si les meſures prifes dans
le Canton de Berne , pour empêcher la communication
de la petite vérole , ont réuffi à l'en préſer(
232 )
ver , pourquoi n'efpéreroit- on pas un égal fuccès
des mêmes mefures à Dijon , auffi bien qu'à Lyon
& à Saint- Omer ? Et fi le Règleinent qu'il convient
faire à cet égard , paroît dur dans le commencement
à quelques perfonnes , elles ne tarderont pas
à y applaudir , lorfqu'elles auront vu les heureux
effets que l'exécution du Règlement aura procurés.
Le Syndic croiroit manquer à fon devoir , fi , dans
une affaire d'une auffi grande importance , il ne
s'empreffoit d'exciter la Chambre à feconder des
vues auffi favorables à l'humanité , en formant un
Règlement dont l'exécution lui donnera la douce
fatisfaction d'avoir contribué , autant qu'il a été en
elle , à conferver la fanté & même la vie à un trèsgrand
nombre d'Habitans de cette Ville : pourquoi
le Syndic ayant invité & requis la Chambre de délibérer
préfentement.
La matière miſe en délibération ; vu ledit Requifitoire
, l'Avis & le Mémoire du fieur Durande ,
Médecin , les Règlemens faits à Lyon & à Saint-
Omer ; enfemble l'Avis du Collège de Médecine
de cette Ville , fur ce confulté par la Chambre, &c.
Le 21 Août dernier , vers les 10 heures
du matin , le feu prit à Vire en Normandie ,
& fit des progrès fi rapides par un vent
violent de S. O. , qu'en peu d'heures les
flammes fe communiquèrent à prefque tous
les quartiers , ce qui , en divifant trop les
fecours , les rendit moins efficaces . Deux
femmes périrent dans les flammes , & ce ne
fut pas fans peine qu'on parvint à fauver
plufieurs enfans attaqués de la petite vérole.
L'incendie répandu par - tout fut heureuſement
arrêté près d'un hopital rempli de
foldats malades . Plus de 200 maifons furent
réduites en cendres ; 300 familles compofant
( 233 )
plus de 1500 habitans , fe font trouvées fans
afyle & fans autres reffources que les bontés
de M. Efmangard , Intendant de la Province ,
de M. Parfourru , curé de la Ville , de M.
de Moftreux , Subdélégué , & de plufieurs
Eccléfiaftiques qui fe font donnés tous les
mouvemens & tous les foins pour procurer
des retraites à tant d'infortunés , & leur
préfenter des moyens de fubfifter , en leur
fourniffant des inftrumens pour travailler.
Le feu avoit tellement pénétré dans les fondemens
des maifons incendiées , que plus
d'un mois après , on a eu à redouter les effets
de fa fermentation qui fubfiftoit encore , &
menaçoit le quartier qui en avoit été garanti.
Les perfonnes pieufes , qui dans ces défaftres
ne reffentent point une pitié ftérile , font
priées d'adreffer leurs bienfaits à M. Parfourru
, Curé de Vire en Baffe -Normandie .
Thomas- Ferdinand - Adelphe Deftoquoy
de Schalemberg , Prêtre , ancien Aumônier
de Madame Commandeur des Ordres
royaux , militaires & hofpitaliers de Notre-
Dame-de-Mont- Carmel & de St-Lazare de
Jérufalem , Promoteur général de la Chambre
Souveraine des Décimes du Clergé de
France , Abbé Commendataire de l'Abbaye
royale de St -Jean de Falaiſe , Ordre des Prémontrés
, Diocèfe de Séez , eft décédé au
Château de Filles Camps , près Amiens en
Picardie , le 7 de ce mois , âgé de 62 ans.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 12 Septembre
1779. S. M. perfuadée que le bon choix des Dépu
( 234 )
tés du Commerce importoit infiniment à l'objet de
fon Inftitution , & s'étant fait rendre compte des
divers ufages obfervés dans leur élection , a voulu
qu'en adoptant à cet égard le parti qui feroit jugé
le plus convenable , il fut en même tems rendu général
; & comme la permiflion accordée aux Chambres
de Commerce d'avoir des Députés à la fuite du
Confeil , n'avoit pas eu pour but feulement de procurer
aux principales Villes commerçantes du Royaume
un appui de leurs droits & de leurs intérêts , mais
qu'on avoit défiré de trouver dans une réunion de
Négocians diftingués , des lumières & des avis utiles,
fur toutes les queftions générales du Commerce ;
S. M. a cru qu'en confervant aux Chambres de
Commerce la principale influence dans l'élection de
leurs Députés , il convenoit cependant d'y faire
concourir les Commiffaires & Députés du Commerce
, afin que de cette manière les Perfonnes propres
à ces places fuffent examinées fous différens
rapports ; & qu'en rendant les moyens de faveur
encore plus difficiles , le mérite & la bonne renommée
devinffent la principale recommandation ".
De BRUXELLES , le 26 Octobre.
LES lettres de Lisbonne , da 14 Septembre
dernier , éclairciffent l'affaire qui avoit fait
défendre la fortie du Chatham , vaiffeau Anglois
de so canons .
Un Matelot de ce vaiffeau , Boſtonien de naiſfance
, âgé de 15 ans , avoit deferté & embraſſé
la Religion Catholique ; le Capitaine Vilham Allen
envoya à terre 2 Officiers & 22 Matelots pour
l'enlever ; au moment où ceux-ci exécutoient leur
commiffion , un Adjudant Portuguais , fuivi de
quelques domeftiques du Duc de Cadaval , furvint
& remit le prifonnier en liberté. La Reine
( 235 )
informée de la violation faite à fon droit de
territoire , ordonna qu'on ne permît point la fortie
du port au Chatham . M. Robert Walpole , à qui
cet ordre fut fignifié , en lui témoignant la ſurpriſe
de la Cour de ce que le Commandant Anglois
n'avoit donné ni même offert aucune fatisfaction
à ce sujet , & à qui l'on faifit cette occafion
de repréfenter les infultes réitérées dont les Offi .
ciers Anglois s'étoient rendus coupables dans difféférens
ports du Royaume , & les extorfions que
plufieurs navires Portuguais avoient effuyées , ne
répondit que par des récriminations qui ne juftifient
rien ; enfin l'affaire s'eft arrangée ; le Capitaine
Allen a fait quelques fatisfactions dont on a
bien voulu fe contenter ; les défenfes faites à fon
égard ont été levées , & le Marin Boſtonien a
eu ordre de quitter Lisbonne en trois jours , & le
Royaume en 15.
Selon d'autres lettres , la Reine , de l'avis
du Tribunal de Defembargo de Paco , a
rendu , le 3 du mois dernier , un Décret
relatif à l'affaire de l'ancien Miniftre , Marquis
de Pombal , avec MM. Francifco- Jofé
de Caldaira , & Soares Galhardo de Mendanha.
Les Mémoires qui avoient paru de
part & d'autre étoient très -vifs .
La Reine s'étant fait rendre compte de ces écrits
a déclaré dans fon Décret , » que les accufations
des Demandeurs font d'autant plus répréhenfibles
qu'elles ne faifoient abfolument rien à l'affaire ;
que les moyens dont le Marquis de Pombal s'étoit
fervi en réponſe , avoient été également dictés par
la paffion & tendoient non- feulement à rendre fufpectes
plufieurs perfonnes de différent rang & condition
, mais auffi à bleffer la mémoire du feu Roi.
En conféquence S. M. ordonne que toutes les pièces
du procès foient apportées au Déſembargo ;
( 236 )
que le Tribunal rende aux Parties celles qui regar
dent l'objet en litige , fauf à elles d'inftruire le
procès de nouveau , conformément aux Loix & aux
Ordonnances ; que toutes les autres foient fupprimées
& portées à la Secrétairerie d'Etat , avec injonction
à ceux qui ont des copies de les remettre
au fufdit Tribunal ; que les Mémoires des deux
Parties , tant les originaux que les copies qui en
ont été faites , foient brûlées en préfence du Juge
& de deux Secrétaires qui en drefferont l'acte ; enfin
que l'Avocat des Demandeurs & du Défendeur ,
qui ont figné les Mémoires , tiennent prifon auffi
long-tems qu'il plaira à S. M. «.
Selon les lettres de Hollande , l'Ambaffadeur
Britannique à la Haye , préfenta , le 8
de ce mois , le Mémoire fuivant aux Etats-
Généraux.
H. & P. S. Le fouffigné Ambaffadeur Extraordinaire
& Plénipotentiaire du Roi de la Grande- Bretagne
a l'honneur de communiquer à V. H. P. , qu'il eft
entré ces jours paffés à la rade de Texel , deux vailfeaux
du Roi , nommés le Sérapis & la Comteffe de
Scarborough , qui ont été attaqués & pris par force
par un nommé Paul Jones , fujet du Roi , qui ,
felon les Traités & les Loix de la Guerre , tombe
dans la claffe des Rébelles & des Pirates. Le fouffigné
eft forcé par conféquent d'avoir recours à
V. H. P. pour demander leurs ordres immédiars ,
pour faire arrêter au Texel le Sérapis & la Comteffe
de Scarborough avec les Officiers & Matelots , qui
compofoient leurs Equipages ; & fur- tout il recommande
à l'humanité de V. H. P. de permettre que
les bleffés aient permiffion de venir à terre , pour
que le fouffigné en puifle faire prendre foin aux frais
du Roi fon Maître.
Le même jour , ajoutent nos lettres , le
Commodore Américain arriva à la Haye ,
( 237 )
accompagné d'un feul domeftique ; il n'y
refta que jufqu'au lendemain qu'il repartit
pour Amfterdam , d'où il alla rejoindre fon
efcadre au Texel . On ne parle point de l'effet
du mémoire de l'Ambaffadeur Anglois ; on
dit que 8 vaiffeaux de fa Nation , croisent à
୨ lieues de la côte de Hollande pour intercepter
Paul Jones à fa fortie .
» Les Anglois ne ceffent de fe plaindre , ajoutent
ces lettres du Commandant du Black- Prince ; ces
plaintes prouvent combien cet Armateur eft heureux
; ils font mettre dans plufieurs de nos gazettes
, fur lesquelles ils ont quelque influence ,
une longue lifte d'injures & de délits commis même
contre les navires de la République ; on peut
leur répondre que ces faits ne font pas démontrés
, & que malheureufement ceux qui prouvent
les injuftices de leurs corfaires contre tous les
pavillons neutres , ne font que trop prouvés. Le
Capitaine Jacob Weer , du navire l'Adriana , a
fait dernièrement une dépofition à laquelle on ne
changera pas un mot «<,
» Le 6 Septembre , dit- il , je fus joint par le
corfaire Anglois le Watti , armé de 24 canons .
Après avoir arboré pavillon François à mon approche
& l'avoir affuré d'un coup de canon , il envoya
à mon bord un canot monté de 14 hommes. A peine
l'Officier qui commandoit ce détachement fut à
bord de mon vaiffeau , qu'il coupa la duiffe de mon
pavillon ; & fe déclarant Anglois , il m'ordonna de
ine rendre avec mes connoiffemens à bord du Watti ,
& me contraignit de force à le fuivre. En arrivant
fur le vaiffeau Anglois , le Capitaine m'interrogea.
d'une manière outrageante je lui répondis conformément
à la vérité , en lui obfervant qu'aucun
traité ne m'interdifoit la liberté de prendre une
cargaifon dans un Port de France pour un autre
( 238 )
Port du même Royaume. Le Capitaine Anglois , à
qui mes bonnes raifons déplaifoient fans doute ,
parce qu'il n'y trouvoit pas même un prétexte pour
faire fa proie de mon vaiffeau , ſe livra alors à la
plus grande fureur , & après m'avoir maltraité avec
fon couteau de chaffe , il me fit mettre aux fers
pendant demi -heure : au bout de ce tems j'ai été reconduit
à mon bord , où pendant mon abfence il
avoit fait enlever 6 canons d'une livre de balle , 4
fufils , ma provifion entière de poudre , & toutes les
hardes & effets précieur qui s'y font trouvés « .
Une lettre de Gravelines , porte que 48
François , prifonniers à Glocefter , ont eu
l'adreffe & le bonheur de s'échapper ; ayant
trouvé une chaloupe toute gréée , ils s'y
font embarqués pour gagner les côtes de
France ; mais pourfuivis par une frégate &
un corfaire Anglois , ils ont doublé de voile ,
& ont fini par s'échouer dans une anſe près
de Gravelines , où ils font tous arrivés , fans
qu'aucun ait péri.
S'il faut en croire ce que l'on débite , les
négociations pour la paix fe continuent , foit
directement ou par les Miniftres des Puiffances
Médiatrices , foit indirectement par
des Commiffaires Anglois , qui vont fans
ceffe de Londres à Paris. On infifte toujours ,
ajoute- t-on , fur l'indépendance de l'Améri
que-unie , la reftitution des places enlevées
par les Anglois en Afie , la renonciation à
Gibraltar en faveur de l'Eſpagne , l'égalité ,
la liberté & la sûreté de tous les pavillons
fur les mers. Mais ceux qui fe croient au
fait du génie & du caractère de la nation
( 239 )
Angloife , ne craignent pas d'affurer que la
réconciliation n'aura jamais lieu , fi 40,000
Plénipotentiaires , la bayonnette au bout du
fufil , ne vont la propofer dans Londres
même , & la faire figner avant de prendre
congé. Le Miniſtère de Verſailles paroît convaincu
de cette vérité ; car tous les avis qu'on
reçoit de Paris & des Ports de France , affurent
qu'on fe prépare plus férieuſement que
jamais à une defcente.
Suite du Manifefte de l'Espagne.
13. Le grand projet de l'Angleterre étoit de réunir
les Colonies pour les armer contre la Maiſon de
Bourbon , ou de féduire cette Maiſon par des négociations
& des traités artificieux , afin de fe venger
des Colonies après les avoir brouillées avec la
France. Le commencement , la fuite & la fin des
négociations dont on va parler dans cet Expofé ,
découvrent évidemment la vérité de ce projet ; &
c'eft auffi ce qu'il fera aifé d'inférer des faits contenus
dans les notes qui fuivent « .
14. Le Roi d'Espagne ne pouvoit pas procéder
avec plus de circonfpection , pour ne pas s'engager
dans une médiation infructueufe & s'envelopper dans
fes fuites ; auffi s'eft- il expliqué dans les mêmes termes
avec la Cour d'Angleterre qu'avec celle de France
, ayant donné les ordres le 19 Avril au Chargé
d'affaires , Don Francifco Efcarano , pour qu'avant
tout il exigeât que le Ministère de Londres » déclarât
ouvertement & pofitivement , fi réellement il defiroit
d'établir une négociation avec la France par le moyen
de S. M. , & quels devoient être les points principaux
qui ferviroient de bale à cette négociation «<
Ces précautions , & beaucoup d'autres , étoient néceflaires
vis-à- vis d'un Ministère accoutumé à parler
avec myftère , ambiguité & réſerve , & à s'expliquer
avec les Ambaſſadeurs & Miniftres Eſpagnols tout
autrement qu'il n'avoit coutume de le faire dans fes
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dépêches ministérielles adreffées à fon Ambaſſadeu :
à Madrid. Le Cabinet Efpagnol , qui n'ufe point de
cette politique , a eu la franchiſe d'en faire l'obfervation
au Miniſtère Anglois pendant la négociation ,
fans ceffer pour cela d'y procéder avec toute la bonne
foi & la fincérité poffìbles .
I 15. Le 23 , le 25 Mai , & le 1 Juin de l'année dernière
, il fut donné des ordres à Eſcarane , non feulement
pour qu'il ne parlât pas davantage fur l'affaire
de la médiation , mais encore pour qu'il répétât à
la Cour de Londres que S. M. C. perfévéroit & ſe
maintiendroit dans fes difpofitions pacifiques » tant
que la conduite de l'Angleterre ne le forceroit point
à agir autrement. » L'Angleterre ne peut pas fe plaindre
que l'Espagne ne lui ait pas notifié plufieurs fois
cette réſolution .
16. Par tout ce qui a déjà été exposé dans les no-´
tes précédentes , on voit que l'Angleterre ne ceffoit
de fe permettre des hoftilités égales ou encore plus
offenfantes contre le territoire & le pavillon Efpagaol
, à l'ombre des plus cordiales proteftations de
paix & d'amitié . ·
17. Il ne feroit pas étonnant que des ordres fecrets
pareils à ceux qui ont été donnés pour s'emparer
des établiſſemens François dans l'Inde , euffent été
expédiés par le Gouvernement Britannique au commencement
de l'année préfente pour envahir les Philipines
, & que les Commiffaires envoyés peu après
par la voie d'Alexandrie & de Suez , aient été por
teurs de ces ordres . Du moins telle a été & telle eft
l'opinion des perfonnes les plus fenfées & les mieux
inftruites à la Cour même de Londres . Le tems expli
quera ces énigmes , & l'univers connoîtra pleinement
par quels procédés le Cabinet Anglois , a répondu
aux généreux procédés du Roi d'Espagne dans le tems
même que S. M. travailloit à lui obtenir une paix
décente & à délivrer la nation Angloiſe de grandes
calamités & de grandes difgraces.
La fuitepour l'ordinaire prochain.
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