Nom du fichier
1779, 01-02 (5, 15, 25 janvier, 5, 15, 25 février)
Taille
28.90 Mo
Format
Nombre de pages
731
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
=
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
८
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles ent
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Causes célebres; les Académies de Paris & des
Provinces ; là Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c . &c.
5 Janvier 1779 .
APARIS
Chez
PANCKOUCKE , Hôtel de Thou,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES.
42
Epitaphe de J. J. Rouf- Société Dramatique de
Seau . 3
Vers à M. le Comte de SPECTACLES .
Buffon ,
Fluides ,
Naples , 44
4 Concert Spirituel , 46
49 د
ibid. SCIENCES ET ARTS . 52
Sur la perte d'un Spectacles gratis
Chien ,
AMde la Comteſſe de ** 6 Variétés ,
Enigme& Logogryp. 9Gravures ,
رو
10 Tableau Politique de l'Euladies
Chirurgicales, 30 Pétersbourg ,
cure dans les Maladies Vienne
64
NOUVELLES Musique , 65
LITTÉRAIRES .
ANNONCES LITTÉR . 70
Le Paradis perdu ,
Extrait du Traité des Ma- rope ,
73
88
Obfervations fur le Mer- Varsovie ,
89
91
Vénériennes , 34 Hambourg ,
94
Mappemonde Géograp. 38 Londres , 96
ACADÉMIES. Etats-Unis de lAmériq.
Extrait de l'Académie des Septent.
104
Sciences , 40 Verfailles , 108
Extrait d'un Mémoire de Paris ,
109
M. Bucquet fur les Bruxelles , 116
APPROBATION.
lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux, le Mercure de France , pour les Janvier
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 4 Janvier 1779 .
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Come.
Complisets
niyleoff
110-24009
ப
ホ
MERCURE
DE FRANCE.
5 Janvier 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITAPHE de Jean-Jacques Rouſſeau.
tes pas ; HOMME , qui que tu ſois , arrête ici
Penche-toi ſur ce marbre , & que tes pleurs l'arroſent.
De Jean-Jacques Rouſſeau les mânes y repoſent .
Penſe à ſon ſiècle , au tien ; tu ne le plaindras pas.
( Par M. Vieilh. )
A ij
4
MERCURE
VERS à M. le Comte DE BUFFON , par
Madame Duboccage.
ON-demande comment Buffon ;
Connut ſi bien la terre & l'onde :
Par ces mots , que dicte Apollon ,
Une Muſe veut qu'on réponde :
L'eſprit qui devoit l'animer
Vit du chaos naître le monde,
Et les animaux ſe former.
3 Ce favori de la Nature ,
Pour en pénétrer la ſtructure ,
D'âge en âge changea de corps ,
Et par cette métamorphoſe
En découvrit tous les refforts ;
Ce don de la
métempſycoſe ,
( Sans fruit pour tant d'êtres divers )
De Buffon remplit la mémoire :
C'eſt ainſi que de l'Univers
Sa plume à nos yeux peint l'Hiſtoire.
VERS fur la perte du Chien de Mde Le ...
deux Filles
charmantes.
qui a
Quor ! je ne verrai plus le ſéduiſant Azor
Azor , objet heureux des plus douces careſſes ,
Qui ſur le ſein de trois Maîtreſſes ,
Long-temps coula des jours filés de ſoie & d'or ?
DE FRANCE.
FILLES ſenſibles , tendre épouſe ,
N'épargnez pas vos pleurs , je conçois vos tourmens.
Azor a fui : Dieux ! quelle main jalouſe
A pu le dérober à vos empreſſemens ?
Jeux étourdis , compagnons de fon âge ,
Vous , Graces , qui l'avez formé ,
Et vous , Fidélité , dont il étoit l'image ,
Dites- nous en quels lieux & dans quel eſclavage
Azor languit , de chagrins confumé.
1
Du noir Cocyte a t'il vu le rivage?
Mais , qu'ai -je dit ? Cet Azor tant aimé,
Peut-être , hélas ! promène un coeur volage.
Peut-être en ce moment , de tendreſſe animé ,
A quelque belle , oiſive & laſſe du veuvage,
Il offre fon hommage.
LOIN cehonteux ſoupçon : Azor avoit des moeurs ,
Quoique bercé par la molleſſe ;
Et pour n'aimer que ſa Maîtreſſe ,
On l'a vu de l'hymen abjurer les douceurs.
De combien de baiſers on payoit ſa conſtance !
Comme on reſpectoit ſon ſommeil !
Comme on le careſſoit à l'inſtant du réveil!
Ah ! ce n'eſt qu'à ce prix qu'eſt douce l'innocence.
Mais ſi le bel Azor la perd en voyageant !
Qui court le monde en devient ſouvent_pire.
Dieux ! quel chagrin mortel de ſavoir qu'il reſpire ,
Et que ſon coeur fidèle eſt devenu changeant !
Il vit , n'en doutez plus. Atropos adoucie ,
A iij
6 MERCURE
En voyant fon poil noir , les graces de ſon jett ,
Et ſon oeil vif, & ſes marques de feu ,
Aura craint de couper la trame de ſåvie.
O VAIN eſpoir ! ô lamentable fort !
C'eſt affez flatter la tendreſſe.
Azor eſt dans la tombe. Oui ſans doute il eſt mort ,
Puiſqu'il ne voit plus ſa Maîtreſſe.
:
1
Si du moins , comme Icare , il alloit dans les cieux,
Aftre nouveau , jeter une lueur naiſſante ,
Vous n'oferiez de pleurs obfcurcir vosbeaux yeux ,
Pour admirer bientôt ſa marche éblouiſſante.
( Par M. le Mercier ) ..
, la première A Madame la Comteffe de **
foisqu'ellem'afait l'honneur de venirdiner
chez moi.
V
% ous venez embellir mon petit hermitage ;
C'étoit depuis long temps le plus doux de mes voeux.
J'y ſuis venu chercher la retraite du ſage ;
Vous m'y faites trouver celle de l'homme heureux.
A la même , le premier jour que nous avons
pris
l'uniforme de S**.
De ces roſes que Cythérée.
A vingt ans prodigue pour nous ,
J'ai vu ma jeuneſſe parée ,
4
DEFRANCE.
Mais pour les regretter inon hiver eſt trop doux ;
Des jours du vrai bonheur je vous dois la durée ,
Vous embelliſſez leur ſoirée .
Le vieillard de Théos deviendroit bien jaloux
S'il me voyoir à vos genoux
Me parer de votre livrée.
M. Franklin étant venu chez Madame la
Comteſſe de * * planter de ſa main unAcacia
à fleurs dans les boſquets de S ** , tout
près du monument confacré à M. de Volfaire
, M. le Comte de T ** en a fait la Dédicace
par les vers ſuivans :
AME du héros & du ſage !
O liberté ! .. premier bienfait des Dieux !
Hélas , c'eſt de trop loin que nous t'offrons des voeux,
Ce n'est qu'en ſoupirant que nous rendons hommage
Au mortel qui forma des Citoyens heureux.
Il n'eut pas beſoin d'Égerie
Pour leur faire admettre ſes loix ;
La nature & l'honneur s'exprimoient par ſa voix
Quand il parloit à ſa Patrie.
GUIDÉ par la main d'Uranie ,
Il la tira de ſon berceau ;
Il l'éclaira par le flambeau ,
Qui s'allume au feu du génie ;
Et détruiſant la tyrannic ,
Il en fit un peuple nouveau.
Aiv
MERCURE
Que cet arbre , planté par ſa main bienfaiſante ,
Élevant ſa tige naiſſante
Au-deſſus du ſtérile ormeau ,
Par ſa fleur odoriférante :
Parfume l'air de ce hameau.
La foudre ne pourra l'atteindre ,
Elle reſpectera fon faîte & ſes rameaux ;
Franklin nous enſeigna par ſes heureux travaux
A ladiriger , à l'éteindre ,
Tandis qu'il détruiſoit des maux ,
Pour la terre encor plus à craindre.
N. B. Ces vers font de M. le Comte de Treff** ,
qui fait mêler les délaſſemens d'une Muſe aimable
aux travaux & à l'étude des Sciences. On fait combien
les morceaux qu'il a fournis à la Bibliothèque
des Romans ont contribué au ſuccès de cette Collection
. Il prépare actuellement un Abrégé d'Amadis
en deux volumes .
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent,
Le mot de l'énigme eſt Cordon ; celui du
I ogogryphe eſt Serin , où se trouvent
ré , si , Sire.
DE FRANCE.
و
QUELQUE
ÉNIGME.
UELQUE part où je fois, à la ville, au village ,
Je fais me rendre utile, & fuis fort en uſage;
Mais vous qui m'employez , ſoyez ſage & prudent ,
Et de votre pouvoir uſez modèrement ,
Sans quoi point de quartier: fans égard pour perfonne,
Jetraite également , Thémis , Flore , Bellonne ;
Et ne reſpectant point la raiſon ni les loix ,
Je porterois le feu juſqu'au palais des Rois.
J
LOGOGRYPHE .
E ſuis un Etre vagabond ,
Sans piés, fans mains , tantôtplat , tantôt rond,
Preſqu'en naiſſant on me baptiſe ,
J'entends dans le monde chrétien;
Car fi je ſuis Barbareſque , Indien ;
Mais j'en dis trop...Et crainte de ſurpriſe
Voici demon nom l'analyſe.
Je ſuis un Saint , le patron du barreau;
Unmeuble très-commun; lepremier de l'Égliſe;
Une pièce de bois , dont on fait un bateau ;
Une eſpèce de ſoliveau;
La face d'un dé; d'une carte ;
A
10 MERCURE
Ce qu'un Juge , ou Prélat met ſur une pancarte ;
Un temps borné qui s'écoule bientôt,
Un grand , moyen , ou petit pot;
Une machine d'Archimède ;
Un élément ; un jeune quadrupède ;
Un grand pays; une conjonction ;
Une note; un Conſeil ; une confeffior ;
Le premier mot de plus d'une Prière ..
Lecteur , j'ai fourni ma carrière ,
Commence ta diſſection .
(ParM. deBouffanelle,Brig. desArmées duRoi.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le Paradis perdu , Poëme de Milton , traduit
en vers François par M. Beaulaton , 2 vol.
in-octavo, à Montargis , de l'Imprimerie
de le Quatre , Imprimeur de la Ville & du
Collége. A Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés. Prix , 6 livres
broché.
Etquel objet enfin à préſenter aux yeux ,
Quel e diable toujours heurlant contre les cieux ?
Si Boileau étoit choqué de ce défaut dans
le Poëme de la Jérusalem, où l'enfer ne joue
DE FRANCE. II
qu'un rôle très-ſubordonné , & qui , d'ailleurs
, eſt plein de tant de beautés poétiques
de tous les genres , qu'auroit-il donc dit d'un
ouvrage dont Satan eſt le héros, dont le ſujet
eſt la guerre de l'enfer contre le ciel , & le
projet de féduire le premier homme pour
combattre le Créateur ? Sans doute il eût répété
ces deux autres vers de l'Art Poétique :..
こ
De la religion les myſtères terribles ,
D'ornemens égaïés ne font point ſuſceptibles:
En effet , ſi l'on veut y réfléchir , on verra
que cet eſprit fi judicieux avoit rencontré
juſte ſur ce point comme fur tout le reſte ,
& que le merveilleux de notre religion ne
peut pas ſe ſubſtituer heureuſement au merveilleux
de l'ancienne mythologie. Ce dernier.
donnoit priſe à l'imagination & aux
fens; l'autre échappe même à la penſée , &
ne peut que confondre la raifon. Les Dieux
des Grecs , les Dieux d'Homère & de Virgile,
étoient fans doute des êtres ſupérieurs
à l'homme , mais qui participoient beaucoup
de l'humanité. C'étoient des êtres mixtes, aufli
favorables à l'imagination d'un Poëte , que
contraires à la raiſon d'un Philofophe. Ils
étoient corporels , mais fans les infirmités du
corps , & pouvoient , quand ils le vouloient ,
changer & dépouiller leur forme extérieure.
Ils pouvoient être bleſſes , mais le dictame
étoit un remède divin & infaillible réſervé
pour leurs bleffures. Ils ſe combattoient les
44
Avj
12 MERCURE
uns les autres. Ils pouvoient être vainqueurs
& vaincus. Ils avoient les paſſions des home
mes , & cependant ils étoient toujours prêtsà
punir le crime , & à récompenfer la vertu,
Chacun d'eux avoit une certaine meſure de
pouvoir qu'un autre pouvoit combattre. Jupiter
en avoit plus qu'eux tous , mais luimême
étoit ſoumis au deſtin , c'eſt-à-dire , à
cette fatalité éternelle & invincible , dont
tous les anciens ſyſtêmes nous offrent l'idée ,
mais dont le principe obſcur & indéterminé
laiſſoit encore une libre carrière aux fantaifies
& aux inventions du Poëte. Il eſt clair
qu'en employant de pareils agens , on pouvoit
en tirer les mêmes intérêts , les mêmes
impreflions d'eſpérance & de crainte ,
d'amour & de haine , que des perſonnages
purement humains. Il y avoit alors une
communication néceſſaire & infiniment heureuſe
de l'homme à la divinité. Cette divinité
même n'étoit , pour ainſi dire , que le
complément & la perfection de la nature
humaine. Les hommes y pouvoient aſpirer à
force de vertus & de grandes actions. Les
demi-Dieux étoient les intermédiaires qui
rapprochoient la terre de l'olympe , & cet
olympe même , ſon ambroiſie , ſervie par
Hébé , ſes foudres portés par un aigle , tout
offroit au pinceau du Poëte des objets ſenſibles
& pittorefſques , & jamais on n'inventera
rien de plus favorable à ces formes dramatiques
qui doivent animer toute grande
poéfie.
DE FRANCE.
13
و
Les Fables même des Orientaux , quoique
prodigieuſement inférieures à celles des
Grecs , ces bons & ces mauvais génies , ces
Dives ces Péris pouvoient encore ouvrir
une ſource d'intérêt , parce qu'il y avoit
une gradation de pouvoir établie entre toutes
ces créatures immortelles ; que les eſprits
rebelles à Dieu étoient fubordonnés en tout
aux eſprits celeftes , qu'ils étoient entre eux
foumis à certaines loix , à certaines néceſſités
; & qu'enfin un Sage, poffeffeur du cachet
de Salomon , où étoit empreint le nom de
Dieu , pouvoit être le maître des uns & des
autres. Ces Fables n'avoient fans doute ni
la variété ni la richeſſe , ni le grand ſens des
fictions & des allégories Grecques ; mais l'efprit
des Romanciers , des Conteurs & des
Poëtes , pouvoit encore ſe jouer avec elles
& en tirer parti , & les Contes Arabes &
Perſans en font la preuve.
Il n'en eſt pas de même du Chriſtianiſme.
Ses merveilles ne font pas des fables , mais
des myſtères. Tout y eſt rigoureuſement métaphyfique.
Dieu est tout , & le reſte rien.
Si je demandois pourquoi Dieu , qui prévoit
la chûte de l'homme qu'il vient de créer ,
permet que le ſerpent vienne le ſéduire , on
me répondroit avec S. Paul , o altitudo ! &
l'être Suprême ne doit compte à perfonne
de ſes ſecrets. Il fuffit que la révélation nous
ordonne de croire. Mais ſi je n'ai pas le droit
d'interroger le Théologien , j'ai celui d'interroger
le Poëte , qui me doit compte de tous
14 MERCURE
les moyens dont il ſe ſert pour m'émouvoir
&m'intereffer , & qui n'y peut parvenir s'il
révoltę trop ma raiſon. J'ai ledroitde lui dire:
quoi! des Anges ont pu combattre contre
Dieu , qui , d'une fimple opération de la penſee,
pouvoit les anéantir ! Quoi ! le ſuccès du
combat a pu être douteux , & il a fallu que
le Fils de Dieu montat fur fon char pour décider
la victoire , & précipiter fatan ! Quoi !
des êtres purs & incorporels ſe ſont battus
avec des armes matérielles , ont déraciné des
montagnes , & ont fait tonner l'artillerie des
cieux ! Quoi ! ſatan eſt enchaîné dans les enfers
, & cependant il eſt libre d'en fortir , &
de venir dans le paradis terreftre ! Il trompe
l'Ange chargé de veiller à l'entrée d'Éden , &
il échappe à ſa vue ! Comment voulez-vous
que je me prête à toutes ces ſuppoſitions
contradictoires , & qu'est- ce que douze
Chants, fondés ſur tant d'inconſequences ?
Qu'est-ce qu'une attion dont la ſcène eſtdans
les eſpaces imaginaires, dont les perſonnages
font la plupart des êtres intellectuels, dont
les événemens font d'inexplicables myſtères,
& où mon eſprit ſe perd fans ceffe dans l'infini,
fans pouvoir ſe prendre à rien? Lapoéſie
ne doit me peindre que ce que je puis comprendre
, admettre ou fuppofer. Le Dieu des
Chrétiens eft trop grand pour être un perfonnage
poétique. J'aime à voir Jupiter pefer
dans ſes balancesd'or le fort des Grecs & des
Troyens , d'Achille & d'Hector ; mais quand
leFils de Dieu tire d'une armoire de l'EmDE
FRANCE.
15
pirée ce grand compas avec lequel il marque
la circonférence du monde , cette image , qui
veut être grande , ne me paroît que fauffe.
L'Éternel n'a pas beſoin de compas. Il mefure
avec ſa penſée , &le Poëte n'a pas compris
que quelque grand que fûr le compas ,
il paroîtroit petit dans les mains du Créa
teur.
I
S'il eſt permis , dans les choſes de goût ,
de dire librement ſon avis, fans prétendre le
donner pour loi , j'avoue que malgré Adiffon
& Pope, un peu ſuſpects en qualité d'An
glois , & malgré ceux de mes compatriotes
qui penſent comme eux , un peu ſuſpects
auſſi , en qualité d'Anglomanes , je fuis loin
de regarder Milton comme un homme à
mettre à côté d'un Homère , d'un Virgile ,
d'un Taffe; je le regarde comme un génie
brut & hardi , qui a ofé embraffer un plan
extraordinaire, &qui , dans un ſujet bizarre ,
a ſemé des traits d'une fombre énergie , des
idées fublimes , & quelques morceaux d'un
naturel heureux. Je laiffe aux critiques Anglois
à juger de fon ſtyle, dont ils blament la
dureté, l'incorrection &même la barbarie,
& qui , ſelon eux , eſt très-éloigné de la
pureré & de l'élégante où la langue Angloiſe
parvint quelque temps après ſous le règne
de la Reine Anne. Mais la deſcription du
conſeil des démons & des diverſes formes
qu'ils prennent , le pont de communication
de l'enfer à la terre , & la généalogie de la
mort & du péché, tout cela me paroît plus
1
16 MERCURE
fait pour les crayons de Callot que pour le
pinceau de Raphaël. Les longues harangues ,
les longues converſations , les longs récits ,
les froids épiſodes , tous ces défauts joints à
celui du ſujet , font pour moi du Paradis
Perdu un ouvrage très-peu intéreſſant , quoique
ſon auteur ne me paroiffe pas un homme
vulgaire.
Obſervons encore une choſe , c'eſt que le
peu de morceaux de ce Poëme conſacrés par
une juſte admiration , ſortent de cette ſphère
métaphyſique , & peignent des objets ſenſibles
& rapprochés de nous. Telle eſt la peinture
d'Adam & d'Eve au moment qui ſuit
leur création , lorſqu'ils éprouvent le premiet
ſentiment de l'existence , & qu'ils jettent
le premier regard ſur la nature qui les
environne. C'étoit un ſujet neuf, un tableau
original ; il a été parfaitement exécuté par
Milton , & cela ſeul ſuffiroit pour prouver
du génie. Mais un morceau n'eſt pas un
Poëme , & cet endroit même fait fentir ce
qui manque à tout le reſte.
Mettons-le cependant ſous les yeux du
Lecteur , & plaçant en regard la verſion de
M. Beaulaton & celle de Racine le fils , qui a
traduit ce même endroit , laiſſons aux connoiffeurs
en poéſie le plaifir de la comparaifon
. Voici d'abord celle du nouveau Traducteur.
Eve ( au quatrième Chant ) s'entretient
avec Adam des bienfaits du Créateur.
IL me ſouvient du jour où ma tendre paupière
Pour la première fois s'ouvrit à la lumière ,
DE FRANCE. 17
Le ſommeil me laiſſa ſous un berceau de fleurs ;
Mais l'eſprit agité d'inquiettes erreurs ,
D'où , comment , en quels lieux , quelle main me fit
naître ?
De ce trouble importun mon coeur n'étoit pas maître.
Non loin de mon berceau , du fond des antres creux ,
Un ruiſſeau jailliſſoit ſur un lit ſabloneux ,
Et rouloit dans la plaine une onde tranfparente ,
Telle que d'un beau ciel la voûte rayonnante ;
Undefir curieux me porta ſur ſes bords ;
De ſes gazons fleuris je preſſai les tréſors ;
Et dans l'azur flottant de l'humide étendue ,
Promenai ſans deſſein mon incertaine vue.
Je me penche ; à l'inſtant un objet plein d'appas ,
Du cryſtal entrouvert s'élance dans mes bras,
Je m'éloigne , il s'enfuit ; je reviens , il remonte ;
Amarcher ſur nos pas l'ombre n'eſt pas plus prompte.
Je vois un feu ſecret ſur ſes lèvres errer ,
Et l'amour dans ſes yeux me ſemble reſpirer.
L'oeil & le corps tendus vers l'objet que j'ignore ,
Je demeure immobile , & le ſerois encore ,
Si par un doux murmure une inviſible voix
N'eût détrompé mon coeur : « La beauté que tu vois',
>> Charmante Eve , c'eſt toi : tu pourſuis ton image ,
>> Une ombre menſongère , un fantôme volage :
>> Viens , ſuis-moi , que j'oppoſe à tes embraſſemens
>> Et des attraits réels , & de vrais ſentimens.
>>Viens trouver un époux dont laſincèreflamme )
18 MERCURE
>>Deplaiſirs mutuels enivrera ton ame.
>> Hâte-toi de remplir tes glorieux deſtins ,
Et deviens dans ſes bras la mère des humains .
Jeſuivis , & bientôt tu parus ſous un chiêne.
Tout annonçoit en toi lagrandeur ſouveraine ;
Mais je n'y trouvai pas la timide douceur
Et les attraits touchans & le charme vainqueur
Dont au premier objet je ſentis la bleſſure .
Je revenois encore au bord de l'onde pure;
Je fuyois loin de toi , quand j'entendis tes cris :
<<Retourne, ô ma chère Eve ! eh ! ſais-tu qui tu fuis ?
>> Tu fuis la ſource heureuſe où tu puiſas la vie ,
>>Un époux à qui Dieu par de ſaints noeuds te lie ;
>> Entends , chère Eve , entends la voix de la pitié :
>> Viens , ame de mon ame , ô ma chère moitié ! 2
Aver ta main alors ta foi me fut donnée;
Je la pris ,&c..
On s'appercevra aifément de la foibleffe
&des défauts de cette eſquiffe ; mais on les
ſentira encore davantage en voyant ce même
tableau achevé par une autre main. Racine le
fils, qui avoit peu d'imagination & de for
ce, qui s'élève rarement , mais qui , nourri
de la lecture des anciens & des leçons de fon
père , écrit avec elégance & avec goût , &
que plusieurs morceaux heureux ſemés dans
fes ouvrages , mertent au rang des bons verſificateurs
, quoiqu'il n'ait rien fait qui fût
d'un grand Poëte ; Racine le fils fut parmi
nos. Littérateurs François un des premiers
DE FRANCE.
19
qui ayent étudié la langue Angloiſe. Une
partie defes Réflexionsfurla Poésie, eſt em
ployée à l'examen du Paradis perdu , dont il
fait une critique très-judicieuſe. Il en a traduit
ou imité en vers François un aſſez grand
nombre des plus beaux morceaux , & a réuffi
dans ceux qui demandent de la douceur &
de la vérité , plus que dans ceux qui exigeoient
de l'élevation & de l'énergie. Celui
qu'on va lire eſt peut-être celui qu'il a le
mieux rendu.
Je me rappelle encor l'inſtant où la lumière ,
Pour la première fois , vint frapper ma paupière ,
Et fit ouvrir mes yeux éblouis de ſes traits .
Aubord d'un bois charmant , ſous un ombrage frais ,
Sur un tapis de leurs mollement étendue ,
Ce fut ſur moi d'abord que je jetai la vue.
Quel trouble me faiſit ! quels penſers font les miens!
J'ignore qui je fuis , où je ſuis , d'où je viens .
D'une grotte voiſine un bruit ſe fait entendre ,
J'apperçois dans la plaine une onde ſe répandre;
Sa tranquille ſurface eft fi belle à mes yeux ,
Que j'y crois retrouver la pureté des cieux 5
Je cours l'examiner , ſur elle.je m'incline ;
Une image fur moi ſe baiſſe & m'examine ,
Je treſſaille & recule.Al'inftantje la vois
Seffrayer , treſſailler, reculer comme moi.
Lorſqu'un charme inconnu me ramène vers elle ,
Vers moi le même charme auſſi-tôt la rappelle ;
Et d'une égale ardeur, dans les mêmes momens,
20 MERCURE
Nous ſentons toutes deux les mêmes mouvemens.
Une voix qui m'arrache à cet objet que j'aime ,
Mecrie en cet inſtant: cette image eſt toi-même ,
Une ombre fugitive amuſe ici tes yeux.
Accours où tu m'entends , viens trouver dans ces lieux
Unobjetdont toi ſeule es la parfaite image ,
L'aimer , en être aimée , eſt ton plus doux partage ;
Faits l'un pour l'autre , unis par un étroit lien ,
Il fera ton bonheur & tu feras le fien.
J'obéis , & cédant au charme qui m'entraîne ,
J'avance , & je te vois étendu ſous un chêne.
Tremblante à ton aſpect , je recule & je fuis.
Tu m'appelles. Chère Eve , attends-moi ,je te ſuis;
Que ma tendre moitié s'arrête &m'entretienne ;
Que craint-elle ?A ces mots ta main ſaiſit la mienne,
Ton air majestueux m'imprime le reſpect.
Je m'arrête , &c.
Il n'eſt pas néceſſaire de faire ſentir l'extrême
ſupériorité de cette copie ſur la précédente.
Tout eſt ici d'une main sûre & exercée
,& tous les traits fontjuſtes&prononcés.
Mais nous allons voirRacine le fils effacé àfon
tour dans un morceau manié par la main du
plus grand maître , dans l'apostrophe de fatan
au foleil, lorſqu'il l'apperçoit pour la première
fois , après être forti de l'abyſme du chaos .
Onnous permettra de ne pas citer ici les vers
deM. Beaularon, que nous ne pouvons pas
placer convenablement entre Racine le fils
& Voltaire. Ce dernier , frappé de la ſubli-
:
DE FRANCE. 21
mité de ce paſſage du Paradis perdu , la cru
dignede fon pinceau. Mais voyons-le d'abord
fous celui de Racine le fils .
Toi , dont le front brillant fait pâlir les étoiles ,
Toi qui contrains la nuità retirer ſes voiles ,
Triſte image à mes yeux de celui qui t'a fait ,
Que ta clarté m'afflige & que mon oeil te hait !
Ta ſplendeur , ô Soleil , rappelle à ma mémoire
Quel éclat fut le mien dans le temps de ma gloire.
Elevé dans le Ciel , près de mon Souverain ,
Je m'y voyais comblé des bienfaits que ſa main ,
Sans ſe laſſer jamais , verſoit en abondance.
Mais je me ſuis laſſé de la reconnoiſſance ;
Et cependant de moi qu'exigeoit-il de plus ?
Hélas ! je dois mes maux aux biens que j'ai perdus.
Ivre de ma grandeur juſqu'à me méconnoître ,
J'ai cru que je pouvois m'égaler à mon maître.
Écoutons maintenant le Poëte .
Toi , ſur qui mon tyran prodigua ſes bienfaits ,
Soleil , aftre de feu , jour heureux que je hais ,
Jourqui fais mon fupplice,&dontmesyeuxs'étonnen t,
Toi qui parois le Dieu des cieux qui t'environnent ,
Devant qui tout éclat diſparoît & s'enfuit ,
Qui fais pâlir le front des aftres de la nuit ;
Image du très -haut qui règla ta carrière ,
Hélas ! j'euſſe autrefois éclipſé ta lumière !
Sur la voûte des cieux élevé plus que toi ,
Le trône où tu t'aſſieds s'abaiſſoit devant moi .
Je ſuis tombé; l'orgueil m'a plongé dans l'abîme.
22 MERCURE
Une pareille imitation n'eſt autre choſe
qu'une eſpèce de lutte du génie contre le génie.
N'y a-t- il pas un art admirable à oppofer
à cette magnifique deſcription du ſoleil ,
qui tient ſept vers , ce ſeul vers qui termine
la phrafe!
Hélas ! j'euſſe autrefois éclipſé ta lumière .
Peut-on donner une plus haute idée de ce
qu'étoit fatan avant ſa chûte ? Et quelle pompe
d'expreffion dans ce vers !
Le trộne où tu t'aſſieds s'abaiſſoit devant moi.
Enfin, comme cet hémiſtiche : jefuis tombé
, eſt ſuſpendu d'une manière frappante !
c'eſt pourtant de celui qui a fait ces vers ,
c'eſt de Voltaire , qu'on a dit dans une de ces
brochures ſatyriques, exaltées dans vingt Jour
naux plus que ne l'ont jamais été Zaïre &
Mérope :
On auroit beau montrer tous ſes vers faits ſans art ,
D'une moitié de rime habillés au hafard ,
Seuls &jetés par ligne exactement pareille ,
De leur chûte uniforme importunant l'oreille , &c.
Voilà ce que l'Auteur de cette ſatyre appelle
Fouetter d'un vers sanglant ces grands hommes d'un
jour.
Un homme curieux d'obſerver les folies de
l'eſprit humain & les délires de chaque moment
, doit tâcher de dérober à l'oubli de
ſemblables pièces , & les produire de temps
DE FRANCE.
23
en temps , pour accoutumer ceux qui réfléchilfent
à ne s'étonner de rien , & confoler
ceux qui croyent avoir à ſe plaindre .
Un autre paſſage non moins célèbre du
Poëme de Milton, c'eſt le commencement
du troiſième Chant , où il a fi heureuſement
placé les plaintes les plus touchantes fur fon
aveuglement. Après avoir tracé la route de
fatan dans les enfers , dans le vuide & dans le
chaos , il l'amène enfin à la vue des cieux
éclairés par le ſoleil , & le Poëte ſe rappelle
alors que ce ſoleil ne brille plus pour lui.
Nous allons citer latraduction nouvelle , qui
n'eſt pas fans quelque mérite , malgré beaucoup
de fautes , & nous placerons après celle
'de Racine le fils , qui , le plus ſouvent , montre
à M. Beaulaton ce qu'il auroit dû faire ,
beaucoup mieux que les remarques critiques
que nous pourrions ajouter.
FLAMBEAU pur & facré , noble fille du Ciel ,
Ineffable rayon du Soleil éternel :
Accepte mon hommage , ô lumière divine !
Quel titre convient mieux à ta haute origine ?
Ton trône eſt le ſéjour de la Divinité ,
Et tu nous réfléchis ſa ſublime clarté.
Fleuvetoujours nouveau , qui peut montrer ta ſource?
Du Soleil & des cieux il précéda la courſe;
Tu nais avec le temps : quanddu chaos dompté
Une main créatrice ouvrant l'obſcurité ,
Délivra l'univers des priſons de l'espace ,
D'un vêtement d'azur tucouvrisſafurface. ن
A
24
MERCURE
ENFIN je te retrouve , après un ſi long temps :
Sur les pas d'une Muſe arbitre de mes chants ,
Je pénétrai l'enfer & ſes retraites ſombres ;
J'oſai , nouvel Orphée , au royaume des ombres ,
D'un ton plus fier encor , chanter l'antique nuit ;
Et revenu vainqueur de l'effroi qui la ſuit ,
Mon aîle triomphante en franchit la diſtance.
:
9
ENFIN je te retrouve : à ta douce influence
Jeſens un nouveau feu ; mais de voiles épais
Mes yeux toujours couverts , à tes aimables traits
Ouvrent dans mes ennuis leur paupière inutile :
Une ſeule douceur me ſuit dans cet aſyle ;
Je fréquente les lieux hantés par les neuf ſoeurs ,
Leurs ombrages ſecrets , leurs boſquets enchanteurs ;
Je promène la nuit mes tendres rêveries
Au pied du mont ſacré , ſur ces vertes prairies ;
J'aime à goûter en paix la fraicheur des ruiſſeaux ,
Etdors aubruit léger de leurs limpides eaux;
Je crois voir Thamiris , & ce divin Homère,
Qu'aveugla comme moi la fortune contraire;
Puiſſé-je par mes vers égaler leurs grands noms!
Mon ame alors s'échauffe , & s'exhale en doux fons,
Ainſi l'oiſeau plaintif, ſous un nocturne ombrage ,
De ſa douleur touchante attendrit le boccage.
Hélas ! chaque ſaiſon, tous les ans, à fon tour ,
Reviènt , mais fans jamais me ramener le jour.
Zéphir cache les fleurs de ſon haleine écloſes ,
L'automne eſt ſans raiſins , l'été pafſe ſans rofes. I
にL
Le
DE FRANCE. 25
Le filence du foir , la fraîcheur du matin ,
Le front noble de l'homme où brille un ſceau divin ,
La gaîté des troupeaux bondiſſans dans la plaine ,
Et le jeu des Zéphirs ſous une ombre incertaine ,
Hélas ! tout m'eſt ravi par un fort envieux !
Le voile de la nuit couvre mes triftes yeux.
Séparé des humains , pour moi rien ne reſpire ;
L'univers eſt un livre où je ne puis plus lire.
Rampante ſous lepoids d'un obstacle ennemi ,
Mon ame ſe conſume , & ne vit qu'à demi.
Réparemes malheurs , adorable lumière ,
Verſe ſur mon eſprit un rayon qui l'éclaire ,
Et diſpoſe ma voix aux ſecrets éternels ,
Que n'atteignit jamais l'oeil des foibles mortels.
Racine le fils a retranché les comparaiſons
de Tamiris , de Tiréſias & de Phinée , qu'il
trouve avec raiſon un peu déplacées dans
l'original. Il a retranché aulli l'apostrophe du
commencement , & débute ainſi avec plus
de rapidité.
DANS l'empire infernal trop long-temps arrêté,
J'en fors , grace au ſecours de la Divinité ,
Qui daigne foutenir mes pas & mon courage.
Je la fuis , c'eſt ſa main qui , m'ouvrant un paſſage,
M'a fait deſcendre au ſein des gouffres ténébreux ,
Etme fait remonter à cer empire heureux ,
O lumière du jour , qu'éclaire ta préſence .
Je t'approche , & déjà je ſens ton influence.
Mais inutile joie ! ô deſirs ſuperflus !
5 Janvier 1779 . B
26 MERCURE
Ames yeux affligés tu ne te montres plus.
Ils te cherchent en vain ,brillantflambeau dumonde,
Ils font plongés ces yeux dans une nuit profonde,
Cependant je parcours vos fentiers & vos bois ;
Soutenez donc mes pas, Muſes , comme autrefois
On vous vit par la main conduire votre Homère,
Illuſtre compagnon de ma longue misère.
Pleinde ſes entretiens puiffé-je , comme lui ,
Par de fublimes chants , m'illuſtrer aujourd'hui !
L'harmonieux oifeau , qui ne ſe plaît qu'à l'ombre ,
Élève ainſi ſa voix dans la nuit la plus fombre.
Tour meurt & tout renaît. L'automne tous les ans
Fait place au triſte hiver que ſuit le doux printems ;
Les Zéphirs en tous lieux ramènent la verdure :
Aux arbres dépouillés ils rendent leur parure ;
Et par l'ordre conſtant d'une agréable loi ,
Tout revient , mais le jour ne revient pas pour moi,
Fleurs , qui nous étalez vos peintures nouvelles ;
Roſes , que du matin la fraîcheur rend ſi belles ;
Vous , filles de l'aurore , éclatantes couleurs ,
Vous ne pourrez donc plus m'adoucir mes malheurs ?
Otroupeaux , que l'oeil fuit bondiſſans dans la plaine ,
Vos jeux ne pourront plus m'égayer dans ma peine!
Ou vais-je , dans ma perte étendre mes regrets,
Lorſque de l'homme , hélas ! je ne vois plus les traits ?
Je ne vois plus ce front , fiége auguſte où Dieu même
Fait briller un rayon de ſa beauté ſuprême,
DE FRANCE
.
27
Dansun affreuxnéant tout me ſemble abîmé,.
Et pour moi la Nature eſt un livre fermé.
Tandisque tout mortel à toute heure y peut lire,
Privé des doux tranſports que ce ſpectacle inſpire ,
Je n'ai plus devant moi que l'informe tableau ,
Et que le plan confus d'un ouvrage fi beau.
Étendus fur mes yeux , de funeſtes nuages
Yrefuſent l'entrée à toutes les images ;
Et du Soleil en vain j'implore le retour.
DAIGNE allumer en moi l'éclat d'un nouveau jour ,
Éternelle lumière , ô pure & fainte flamme !
Viens éclairer mon coeur , mets des yeux dans mon
ame:
Je veux , inſtruit par toi des ſecrets éternels ,
Chanter ce que jamais n'ont vu les yeux mortels.
" On trouve dans ce Poëme ( dit Racine
» le fils ) peu de comparaiſons exactes , &
>> preſque toutes font trop longues. Il faut
>> excepter celle- ci , qui eft courte & hardie ,
» par laquelle il veut peindre le trouble in-
» térieur de Satan , au moment qu'il entre
» dans le Paradis Terrestre pour perdre le
>> genre humain » .
Tour ſon forfait alors ſe préſente àſes yeux;
Il s'arrête à l'aſpect de ces aimables lieux.
Sa rage en va troubler la demeure paiſible;
Il s'émeut , & ſemblable à l'inſtrument terrible
Qui recule au moment qu'il vomit le trépas ,
Il chancèle , il héſite , & recule d'un pas .
1
Bij
28 MERCURE
Cette comparaiſon , qui nous paroît rendue
avec beaucoup d'art & de goût , ne l'eſt
pas à beaucoup près auſſi bien dans la nouvelle
traduction :
It ſent & ces combats & ces ſombres accès ,
Qu'inſpire aux criminels l'approche des forfaits.
Ainſi quand leSalpêtre enſes flancs heurtés brûle ,
Prêt à vomir la mort , le bronze ému recule.
Ces deux derniers vers ſont d'une étrange
dûreté , & malheureuſement il y en a un
très-grand nombre de ce genre dans l'ouvrage
de M. Beaulaton. Ce n'étoit pas affez
de ſe pénétrer de l'eſprit de ſon original ; il
eût fallu étudier davantage le génie de notre
langue & de notre verſification, C'eſt ſans
doute pour n'avoir point fait cette étude fi
néceſſaire , que le Traducteur qui , dans
quelques morceaux , a montré de la verve ,
tombe d'ailleurs à tout moment dans des
fautes inexcuſables , qui rebuteroient le Lecteur
, même dans un Poëme dont le fonds
feroit plus intéreſſant,
De nos eſprits l'indestructible trame
Brave l'aîle du temps & les traits de laflamme.
L'indestructibletrame eſt un hémiſtiche qui
offenſe trop l'oreille ; & comment ſe peindre
une trame qui brave une alle ? Et qu'est-ce
que les traits de laflamme?
Et les mâts que dans l'air élancent les vaiſſeaux ,
Près du ſceptre infernal ſont de foibles roſeaux.
DE FRANCE. 29
Peut-on dire que les vaiſſeaux élancent des
mâts ?
!
Il ſe tait à ces mots , & l'affreuſe grimace
Qu'un élan convulfiffurfon front ridé trace.
Tel Satan à travers vaux , monts , rocs, bois , lacs,
prés ,
Fait route de la tête , & des mains & des piés , &o
L'horreur neutre reſta dans une morne attente.
Sous un riche harnois prêts à lancer leurs atles,
Ils attendent lejour des pompes folennelles ;
L'eſprit divin les guide , un choc sûr du moment
Dans l'azur ébranlé les met en mouvement.
Il prend le compas d'or qu'un éternel deſtin
Réſervoit à tracer cet immenſe deſſein ,
L'un des pieds dort au centre , & l'autre ſe promene
Dans l'antrefombre & fourd de l'immobile plaine.
: Un ténébreux nuage
Del'abîme captif investit le repos , &c.
A
D'un air rampant &fouple 1
Je vis ſéparément s'avancer chaque couple.
Lorſque ce même Dieu tira de mon côté
Une côte, de fang encor chaude & fumante ,
>
1
Biij
30 MERCURE
Large étoit l'ouverture : une chair renaiſſante
De la plaie auffi-tôt rapprocha les parois ,
Fuis un danger trop sûr , & que mafauve -garde
Retranche ta vertu que l'abſence hafarde , &c.
Grande fut l'allégreſſe à leur chère entrevue , &c.
On croît même que Dieu de la terre excentrique
A l'aftre vertical inclina l'axe oblique.
Un bras laborieux tordit avec effort
Duglobe déplacélepéniblesupport , &c.
De-là redefcendant au fombre capricorne,
Amèneles ſaiſons fidèles à leur borne ,, &c.
i
T
Oncroiroit que l'Auteur a voulu reffuf-.
citer la langue de Chapelain, & la nature!
même de ces citations nous avertit de ne pas
les multiplier.
(CetArticle eft de M. dela Harpe ).
EXTRAIT du Traité des Maladies & des
Opérations réellement Chirurgicales de la
Bouche. A Paris , chez Valleyre l'aîné ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Vieille-
Bouclerie ; 2 vol. in-8°. avec fig. Prix,
12 liv. relié.
Les Chirurgiens - Dentistes qui ont écrir
DEFRANCE . 31
fur leur Art , n'en ont donné juſqu'à préſent
que ce qu'on peut en appeler la mechanique ,
& ils l'ont portée à un point de perfection
réelle. Mais quant à la vraie partie Chirurgicale
, il ne paroîtpas qu'ils s'en foient également
occupés. M. Jourdain ayant étudie
d'abord toutes les parties de la Chirurgie ,
ſous les plus habiles Maîtres , & dans l'Hôpital
le plus célèbre de cette capitale , s'eſt
enfin fixé ſpécialement à la Chirurgie de la
bouche & aux opérations réellement Chirurgicales
qui y font relatives . Depuis plus de
20 ans , ainſi qu'on peut s'en convaincre par
les Tomes 14, 21 , 27 , 32 & 37 du Journal
de Médecine , M. J. n'a ceffe de faire des
recherches & de s'occuper ſérieuſement des
vraies maladies & des opérations Chirurgicales
de la Bouche. Mais ces différens objets
traités ſéparément & néceſſairement élagués ,
comme l'exige le plus ſouvent la forme des
Mémoires , n'étoient que des connoiſſances
préliminaires; en un mot ,le fondement folide
d'un plus grand édifice que l'Auteur
projetoit d'élever : projet qu'il vient de remplir
dans toute fon étendue.
Le Traité des maladies & des opérations
réellement Chirurgicales de la bouche , peut
être regardé comme une. Bibliothèque choifie
& complette de tout ce qui peut avoir le
rapport le plus direct à cette branche de la
Chirurgie, noyée pour ainſi dire juſqu'à préfentdans
les connoiſſances générales de l'Art ,
& par cette raiſon même couverte d'un
ر و ا
1
Biv
32
MERCURE
voile qui ne pouvoit être levé que par quelqu'un
qui s'en occupât ſérieuſement. Ce travail,
comme on peut juger , exigeoit un
ordre clair & fuivi ; & l'entrepriſe en devenoit
d'autant plus difficile , que c'étoit une
nouvelle route à frayer. Aufſi M. Jourdain
a-t'il eu ſoin d'indiquer dans ſon Difcours
préliminaire comment on doit s'y prendre
pour étudier & connoître à fond cette branche
de la Chirurgie , qu'il regarde comme
fuffifante pour mériter à elle ſeule l'attention
de l'homme, & remplir le cours de la vie.
Il appuie fes principes des Mémoires & des
Obſervations de quelques modernes , & il
fait voir qu'il y a encore bien loin de ces
connoiffances préliminaires , ſouvent diffuſes,
mal digérées & preſque toutes marquées au
coin de l'inattention &de la précipitation ,
à ce qu'on doit eſpérer d'un travail ſuivi ,
confommé par l'expérience & la réflexion.
La théorie & la pratique devant marcher
d'un pas égaldans l'art de guérir , & fes obfervations
étant le tableau le plus vrai & le
plus frappant de l'altération ou de l'intégrité
de l'économie animale , M. J. s'en fert à
chaque point qu'il examine pour confirmer
les principes qu'il établit. En même-temps il
indique le cas que l'on doit faire de ces obſervations
, ſous quel point de vue on doit
les enviſager , & les précautions que dorvent
prendre ceux qui y ont recours pour
n'en être pas la dupe. Ce travail ne peut pas
être le fruit de la précipitation. C'eſt pour
)
DE FRANCE.
33
quoi on trouvera dans cet Ouvrage , fur les
maladies des finus maxillaires en général &
en particulier , des détails qu'on ne trouvera
point ailleurs. Les yeux , le nez , le palais ,
ſon voile , la luette , les amygdales , &c. &
autres parties correſpondantes directement
ou indirectement à la mâchoire ſupérieure ,
offrent également des détails & des obfervations
intéreſſantes , qui portent toutes les
noms des Auteurs qui ont guide M. J. dans
fon travail. Que l'on joigne à cela un nombre
d'obſervations détachées & curieuſes , mais
qui ne pouvoit pas faire corps avec l'ouvrage
même , on aura l'idée du premier volume.
Il n'appartient qu'aux maladies de la mâchoire
ſupérieure & des parties qui y correſpondent.
Le Tome II eft deſtiné aux maladies Chirurgicales
de la mâchoire inférieure & de
ſes parties relatives. Le cercle maxillaire en
général , les alvéoles , la langue , les vanules ,
les gencives , la gorge ou arrière - bouche ,
les lèvres , les joues ,&c. font autant d'objets
fur leſquels l'Auteur a eru devoir porter
une attention réfléchie. On trouve dans ce
volume , ainſi que dans le premier , des
notes , des obſervations , des differtations&
des conſultations intereſſantes. La gangrene
ſcorbutique des enfans , les lydutides des lè--
vres , les aphtes , les accidens qu'occaſionne
la fortie des dents de ſageſſe chez l'adulte ,
préfentent des détails intereſſans. Enfin l'Auteur
propoſe les moyens les plus fürs d'opé
By
34
MERCURE
rer ſuivant les circonstances. Il indique les
inftrumens les plus convenables , & il a eu
foin de les faire graver.
Cet Ouvrage eſt écrit avec ordre , avec
clarté , & même avec autant de préciſion:
que cette matière pouvoit le permettre. On
fent que l'Auteur auroit manqué ſon but s'il
cût trop abrégé certains détails , certains
exemples qui deviendroient inutiles s'ils n'étoient
fcrupuleuſement développés. Noust
croyonsque ce nouvel Ouvrage de M. J. doir
mettre le ſceau à la célébrité qu'il s'eſt déjà
acquiſe par ſes ſavantes opérations&par fes
autres écrits.
OBSERVATIONSfaites & publiéespar ordre
du Gouvernement , fur les différentes méthodes
d'administrer le Mercure dans les
maladies Vénériennes ; par M. Dehorne,
Docteur en Médecine , ancien Médecin
des Camps & Armées du Roi, & en chef
des Hôpitaux Militaires , Médecin ordinaire
deMad, la Comteſſe d'Artois, Confultant
de S. A. S. Monſeigneur le Duc
d'Orléans , Cenſeur-Royal. Chez Monory,
Libraire, rue de la Comédie Françoife.
1779.
:
LesObſervations quepréſente aujourd'hui
M. Dehorme , font les fuites & la preuve
d'un autre ouvrage qu'il a publié en 1775 *,
*CetOuvrage ſe trouve chez le même Libraire..
:
DE FRANCE.
1
35.
"
&qui a mérité l'approbation des gens de
l'Art. Le motif qui l'a déterminé à fe livrer
à ce genre de travail , a été de prouver
par l'expérience , comme il l'avoit deja fait
par le raifonnement , que ſi les differentes
méthodes d'adminiſtrer le Mercure peuvent
être toutes employées avec ſuccès , elles
doivent néanmoins être dirigées avec intelligence
, ſuivant le caractère , l'état de la
maladie & le tempérament du Malade
& qu'il ne peut y en avoir aucune qui foit
générale & excluſive. Il exiſte même des
maladies Vénériennes ſi graves , fi compliquées
, qu'une ſeule méthode , quelque bonne
qu'elle foit , ne peut ſouvent fuffire à
les guérir , & qu'il faut en combiner plufieurs
, pour en retirer quelque fruit. C'eſt
ce qui eſt amplement prouvé dans cet ouvrage
intéreſfant, dans lequel chaque méthode
eft miſe à ſa place , & combinée de
la manière la mieux raiſonnée & la plus
avantageuſe au traitement de chaque maladie.
Ces Obſervations méritent d'autant plus
d'être accueillies , qu'elles ont été faites avec
le plus grand foin & la plus grande pré .
caution , & qu'elles portent l'empreinte de
l'impartialité la plus entière ; l'Auteur n'étant
attaché à aucune méthode particulière ,
mais les adoptant toutes ſuivant les indications
priſes de la maladie & de la variéré
des ſymptômes qui la caractériſent : elles
font d'ailleurs appuyées ſur des Procès-Ver
Bvj
36 MERCURE
baux conſignés dans des regiſtres tenus avec
foin , & fur des viſites journalières , qui
justifient l'emploi des remèdes, leurs effers,
& la ceſſation ſucceſſive des ſymptômes.
La vérification poſtérieure de lafantedesMalades
qui en font le ſujet , prouve encore
misux la confiance dûe à ce travail difficile,
pour ne pas dire impoffible à entreprendre
dans toute autre circonstance que celles
⚫ où s'eſt trouvée M. Dehorne, lorsde l'établiſſement
des Maiſons de Sante, dont l'infpection
medicale lui avoit été confiée. Ce
font cependant les Obfervations de ce genre ,
qui feules peuvent affigner & fixer la juſte
valeur de chaque méthode ; celles que l'on
peut faire dans le particulier , étant de nature
, par le fecret qu'elles exigent , à ne pouvoir
jamais être rendues publiques; & les
Charlatans , qui de tous temps ont abufe de
la permiflion d'être peu délicats , en fabriquent
eux mêmes qu'ils font cadrer avec
leurs remèdes ; ce qui a jeté ſur les Obfervations
, manière de procéder en Médecine la
plus. effentielle mais la moins fufceptible
d'être dénaturée , un diſcrédit qu'il eft trèsintéreſſant
de faire tomber.. Le feul moyen
d'y réuffir , ajoute M. Dehorne, c'eſt de faire
des Obfervations , qui non feulement puiffent
être avouées , maismême être vérifiées;
&c'eſt fous ces deux points de vue , qui ne
peuvent exiffer que dans les Hôpitaux , qu'il
a entrepris de rédiger celles qu'il préſente
aujourd'hui au Public ; car il ne convient
DE FRANCE.. 37
1
1
pas , dit-il , de l'inſtruire avec réſerve , ni
d'exiger le ſacrifice de ſa confiance , ſans lui
en fournir les motifs.
En parlant des Maiſons de Santé , dont
il apprécie & détaille les avantages , qu'il
eſt peut-êtredifficile de trouver reunis d'une
manière auffi complette dans tout autre établiſſement
; le projet de celui- ci , ajoute-til,
honorera à jamais le Miniftre qui l'a
conçu , & l'on peut à peine imaginer le degré
de perfection où il étoit déjà parvenu
par les foins du reſpectable Magiftrat qui
veille à la fanté & à la confervation des Ciroyens
de la Capitale.
Cet ouvrage eſt diviſé en quatre parties :
la première contient les Obſervations fur
les Maladies Vénériennes qui ont été traitées
par une feule méthode; la ſeconde , celle
où la réunion de deux méthodes a été jugée
néceffaire ; dans la troiſième , on trouvera
les Obſervations fur les maladies où l'on a
été obligé d'employer d'abord ou fucceffivement
pluſieurs méthodes ; enfin , la quatrième
eft une expofition de quelques maladies
devenues incurables , malgré l'emploi des
remèdes mercuriels les mieux indiqués.
M. Dehorne y a joint les Obſervations de
tous les Malades qui font morts pendant le
traitement , ou à la ſuite , ou avant d'avoir
pris aucun remède dans les Maifons de
Santé ; ces dernières Obſervations font appuyées
de l'ouverture des corps , pour tirer
au moins de la mort de ces malheureufes
:
6
38 MERCURE
victimes du libertinage, des lumières propres
àen ſouſtraire d'autres àun pareil fort.
Nous regrettons de ne pouvoir entrer
dans un plus long détail; mais nous ne pouvons
qu'expoſer le plan d'un Ouvrage que
nous croyons de la plus grande utilité , &
qui ne paroît avoir été entrepris que pour
ſouſtraire , s'il eſt poſſible , les maladies
Vénériennes à l'avidité de l'Empyrifme &de
la Charlatanerie, & en établir letraitement
fur des principes auſſi développés & auffi
certains que celui des autres Maladies : c'eſt
le voeu que tout bon Citoyen doit former
avec l'Auteur de cet Ouvrage eſtimable
qui mérite la confiance
ce du Public.
&la reconnoiffan
Mappemonde Géographique & Historique ,
donnant les premières connoiffances de la
Géographie , de l'Hiftoire , des Voyages,
&c. Ouvrage rédigé pour l'éducation , par
M. Maclot , Afſocié de l'Académie Royale
des Sciences , Belles- Lettres & Arts de
Rouen , 2 vol. in- 12 . A Paris , chez l'Au
teur , rue Saint André-des-Arts , preſque
vis-à-vis la rue de l'Eperon, maiſon du Marchand
Drapier; & chez Gueffier &Ruault,
Libraires , rue de la Harpe , & Defnos ,
Libraire, rue Saint-Jacques. Prix 3 livres
12 fols broché.
Nous avons parcouru avec plaifir cet
Ouvrage élémentaire ; il nous a paru fore
V
)
DE FRANCE. 39
méthodique , & très-propre à rappeler d'une
manière claire & preciſe à tous les âges , ce
que I on a appris ou dû apprendre dans la
première jeuneſſe. M. Maclot , qui enſeigne
depuis long-temps avec ſuccès l'Hiſtoire &
la Géographie dans pluſieurs penfions de
Paris , l'a compofé dans le deſſein de mettre
entre les mains de fes Elèves un Livre qui
les aidât à retenir les leçons qu'il leur donne...
Il a uni d'une manière heureuſe & agréable
l'Hiſtoire & les Voyages à la Geographie.
En décrivant les quatre parties du Monde ,
les Continens & les Ifles , les Mers & les
Rivières , les Empires, les Provinces & les .
Villes , la ſituation , la température & les
productions de chaque contrée , il donne
une première idée de la fondation des différens
Etats , de leur Gouvernement , & des
moeurs de leurs Habitans. Il ſuit les Navigateurs
dans leurs voyages & leurs expéditions
, & ſemble faire avec eux des decouvertes
, fonder des Colonies , former des
établiſſemens. Les phénomènes que préſentent
la terre & l'eau dans les divers climats ,
n'échappent point à ſes obfervations. La
forme du globe terraquée , ſa peſanteur &
fes mouvemens , la peſanteur ſpécifique des
corps qu'il contient , l'aimant , la bouſſole,
les volcans , &c. Les mouvemens de la mer,
les marées , les courans , les glaces, les vents
&tous les autres météores de l'air , ſe trouvent
remarqués & expliqués comme en
voyageant. Ces notions de Phyſique , très
3
40 MERCURE
bien afforties à celles de la Sphère , complettent
cette nouvelle Géographie , dont le
fuccès doit répondre aux ſoins & aux connoiſſances
de l'Auteur.
ACADÉMIES.
EXTRAIT du Mémoire lu à la rentrée publique
de l'Académie des Sciences , par M.
Vicq d'Azyr, fur l'organe de l'ouie des
oiſeaux , comparé avec celui de l'homme ,
des quadrupèdes, des reptiles & des poif
fons.
APRÈS avoir expoſe d'une manière ſuccinte la
ſtructure de l'organe de l'ouie , conſidéré dans
l'homme , que l'on peut regarder comme le modèle
le plus parfait , M. Vicq d'Azyr a décrit le même
organe confidéré dans les oiſeaux ; il a démontré,
dans des figures deſſinées de grandeur naturelle , les
plumes qui environnent le conduit auditif, la membrane
du tympan, la cavité qui porte le même nom ,
cinq ouvertures qu'il y a apperçues , un petit offelet
à plaque , un tiffu réticulaire offeux , très - étendu
, un conduit qui tient lieu de trompe d'Eustache,
trois conduits demi- circulaires , un conduit droit ,
la naiſſance des nerfs auditifs , & deux ouvertures
très- étroites &rapprochées , qui leurdonnent paffage
dans l'Autruche. Ces différentes parties font peu
exprimées , eu égard au volume de l'animal ; dans
la Chauve-Souris, la ſtructure eſt là même que celle
des quadrupèdes. L'Auteur compare enfuite l'organe
de l'ouie des oiſeaux avec celui des autres aniDE
FRANCE. 41
maux qui en ſont pourvus , & de ce tableau de
comparaiſon il tire les réſultats ſuivans , que l'on
peut regarder comme des loix générales , relatives
à ce point de Phyſiologie.
10. L'exiſtence des oſſelets , fi elle n'eſt pas effentielle
, eſt au moins très-utile pour la perception
des fons , puiſqu'on les trouve, fans aucune exception,
dans tous les animaux ſuſceptibles d'entendre.
Mais il n'eſt pas néceſſaire qu'il y en ait pluſieurs
, puiſqu'un ſeul ſuffit aux oiſeaux & aux
reptiles.
20. Il eſt également démontré que les conduits
demi-circulaires font une partie effentielle à l'organe
de l'ouie , puiſqu'ils exiftent dans tous les animaux
où cet organe a éré apperçu & bien décrit.
3º. Enfin le limaçon, qui eſt particulier à l'homme&
aux quadrupèdes , n'eſt pas indiſpenſablement
néceſſaire aux fonctions de l'oreille interne , puiſque
les oiſeaux qui en ſont dépourvus entendent trèsbien.
Il y a apparence, dit M. Vicq d'Azyr , que le
limaçon forme avec les conduits demi - circulaires
dans chaque oreille , un double inſtrument compoſé
de deux parties très - diftinctes , dans leſquelles la
perception des fons ſe fait ſéparément, mais avec
des rapports déterminés , ce qui doit ajouter à la
ſenſibilité & pour ainſi dire à l'intelligence de l'organe.
Ne pourroit - on pas , continue-t-il , d'après ces
réflexions , confidérer le fens de l'ouie fous un double
point de vue ? Premièrement, par rapport aux
parties eſſentielles à ſa ſtructure , qui font une membrane
, au moins un ofſelet , des conduits demicirculaires
, & une pulpe nerveuſe ; ſecondensent, par
rapport à ſes parties acceffoires , qui font la conque ,
le conduit auditif interne , pluſieurs ofſelers , des
muſcles , la corde du tympan ,& fur-tout le lima-
১
42 MERCURE
çon. Ainfi les animaux dans lesquels on a démontré
cet organe , peuvent être diviſés en deux claſſes.
Lesuns réuniſſent en effet toutes les parties qui le
conſtituent , les autres ont ſeulement celles que nous
avons dir y être effentielles. L'homme & les quadrupèdes
doivent être rangés dans le premier ordre ;
outre que les oiſeaux ſont à la tête du ſecond , on
peut encore ajouter qu'ils ont les parties eſſentielles
à l'organe de l'ouie , les ſeules dont ils ſoient pour .
vus, beaucoup plus développées que l'homme & tous
les autres animattx ; de forte que le ſens de l'ouie
des oiſeaux eft auffi parfait qu'il eſt ſimple ; & jufqu'à
ce que l'on ait déterminé avec plus d'exactitude
Puſage de la lame ſpirale du limaçon qui leur manque,
on ne pourra rien de plus précis fur la place
qu'il convient de leur affigner.
EXTRAIT du Mémoire de M. Bucquet,fur
la marche& les progrès de la chaleur dans
differens fluides , lu à la rentrée de l'Academie
des Sciences , du 14 Novembre. )
3
i
N ſait que les différens fluides expoſés à un
même degré de chaleur , ne s'échauffent pas auſſi
promptement les uns que les autres . Le Chancelier,
Bacon , MM. Boerhaave &Muſchenbrock ont penſé
que les fluides s'échauffoient en raiſon de leur denfité.
M. de Buffon , qui s'étoit affuré par l'expérience
que les folides s'échauffoient en raiſon de leur
plus oumoinsgrande altérabilité par le feu, & non pas
en raiſonde leurdenfiré, avoitpenſé que les fluides ne .
ſuivoient pas davantage cette loi de la denſité
mais celle de leur fluidité ou de leur plus ou moins
ود
c
DEFRANCE.
43
grand éloignement à la ſolidité. Le Docteur Martine
avoit tenté quelques expériences qui paroiffoient
également prouver que les fluides ne ſuivoient pas
la loi de leur denſite ; mais il n'avoit déterminé aucune
autre loi .
M. Bucquet a fait , conjointement avec M. Lavoifier
, une ſuite d'expériences ſur différens fluides
chauffés avec la plus grande précaution , dans
les vaiſſeaux clos & dans les vaiſſeaux ouverts , &
il réſulte de ces expériences pluſieurs vérités . :
1º . Les fluides ne s'échauffent pas auffi promptement
les uns que les autres , & la chaleur ne les
pénètre pas également , mais elle est très - rapide,
dans les premiers inſtans , puis elle ſe rallientit de
plus en plus , & fouffre même ſur la fin d'aſſez' /
grands arrêts dans ſa marche , obſervés par M.
Muſchenbroek. Le mercure eſt le ſeul fluide que
la chaleur pénètre ſans éprouver d'arrêt dans ſa
marche , ce qui le rend plus proprequ'aucun utre
fluide à la conftruction des thermomètres
ainſi que l'avoit remarqué M. de Lue.
2°. Les fluides ne s'échauffent point en raiſon de
leur denfité , puiſque des fluides très - pefans s'échauffentplus
vite que des fluides très-légers , &que
des fluides très-légers ſont plutôt échauffes que des
fluides d'une denſitémoyenne.
3º. Les fluides ne s'échauffent point en raiſon de
leur fuſibilité , ou de leur éloignement à la ſolidité,
puiſque le mercure , qui ſe congèle plus facilement
que l'efprit-de-vin & l'éther , s'échauffe cependant
plus promptement que ces deux fluides.
4°. Les fluides ne s'échauffent ni en raiſon det
leur volatilité , ni en raiſon de leur combustibilité
Il paroît à M. Bucquet, que la chaleur qu'on applique
àun fluide, ſe combine avec lui , dela même
manière que le font toutes les combinaiſons chy
44
MERCURE
miques. L'union des deux ſubſtances qu'on combine
eſt d'abord très-rapide , & ſe rallentit à meſure que
la ſaturation s'acheve.
Enfin , MM. Bucquet & Lavoisier ont remarqué
que les fluides qu'on chauffoit en vaiſſeaux ouverts,
ne parvenoient qu'à quelques dégrés de la température
du milieudans lequel ils étoient plongés ,&que
la différence qui ſe trouvoit entre le fluide chauffé
& le milieu environnant , dépendoit de la plus ou
moins grande évaporabilité du fluide ; car les liqueurs
les plus fixes , comme le mercure & l'eau
mère de nitre , s'échauffent également en vaiffeaux
clos & en vaiſſeaux ouverts , tandis que le contraire
a lieu pour l'eſprit-de-vin , l'alkali volatil & l'éther.
On donnera dans un autre Mercure, la notice
des Eloges de MM. Haller & Malouin , par M.
leMarquisdeCondorcet , lus tous deux dans cette
même Séance.
LA
SociétéDramatique de Naples.
A reſtauration & la perfection du Théâtre Italien,
négligé depuis ſi long-temps pour l'Opéra , ont
dû exciter quelquefois l'attention des Princes de
cette belle & heureuſe Contrée , qui continue de
jouir de la paix au milieu des ſecoufles violentes
dont l'Europe eſt preſque perpétuellement agitée.
Lepremier établiſſement formé pour cet objet, eft
dû à S. A. R. l'Infant Duc de Parme, qui en 1770 1
fondaun Prix de 100 ſequins pour les meilleures Tragédies
ou les meilleures Comédies qu'on préfentcroit
àla Commiffion nommée par l'Académie de Parme
pour les examiner ; juſqu'à préſent on n'a couronné
quedes Tragédies & des Drames ;ce qui prouve que
DE FRANCE.
45
:
labonne Comédie n'eſt pas moins négligée en Italie
qu'en France.
Le nouvel établiſſement qu'on vient de faire dans
le même genre à Naples , a pour but la réforme
du Théâtre. Le plan n'en fauroit être plus vaſte ,
puiſqu'il embraſſe les Théâtres de toute l'Europe en
général, comme ceux de l'Italie en particulier. Il a
été conçu& rédigé par D. François de Sangro , des
Princes de San-Severo ; comme il intéreſſe toutes les
Nations , & en particulier la Françoiſe , on nous
ſauragré d'entrer dans quelques détails.
Cet établiſſement porte le nom de Société
Dramatique ; elle est compoſée de huit Députés
Nobles , d'un Secrétaire , des Gens de Lettres
les plus diſtingués , qui doivent avoir une connoifſance
particulière des Langues Étrangères , & d'un
grand nombre de Subalternes. Elle eſt préſidée par
de Prince de Francavilla , Directeur de l'Académie
Royale des Belles-Lettres.
L'objet unique de cette Société eſt la perfection ,
&fur-tout la correction du Théâtre en général. Elle
recevra toutes les Tragédies & les Comédies nouvelles
, écrites en Italien oudans les Langues Étrangères
, que l'on voudra lui faire paſſer de toute l'Europe.
Elle les examinera avec attention ; & celles
qui aurontété jugées les meilleures , obtiendront un
Prix de 200 ducats cours de Naples.
,
Les Pièces couronnées ſeront repréſentées par
des Compagnies choifies d'Amateurs fur un
théâtre particulier qu'on conſtruira pour cet effet
devant le Palais Royal. Trois fois la ſemaine
on jouera alternativement une des Comédies &
une des Tragédies couronnées. Les Pièces Françoifes
feront données dans leur langue originale ;
les autres Pièces Étrangères feront traduites en Ita..
lien.
Tel eſt le plan général de cette Société Drama46
MERCURE
tique; il annonce néceſſairement une multitude de
détails particuliers , relatifs au concours , aux vues
de la Société , aux conditions qu'elle impoſe , &c.
elle ſe propoſe de les publier inceſſamment , &nous
nous emprefferons de les traduire auſſitôt qu'ils nous
feront parvenus.
SPECTACLES.
:
CONCERT SPIRITUEL.
LES Concerts qu'on a donné la veille &
le jour de Noël au Château des Tuileries ,
ont attiré un grand nombre de perſonnés
de tous les états. Cn y a exécuté pour ouverture
, deux ſymphonies , l'une de Bach
&l'autre de Hayden , dans lesquelles l'Or-
-cheftre s'eſt diftingué par la préciſion , par
la vigueur , & fur-tout par l'art de phrafer,
qui commence enfin à s'introduire parmi nos
Muficiens.
Le Concerto decors-de-chaſſe , exécuté le
Jeudi par M. Léopoldo - Colle ; celui de
violon , par M. le Févre; celui de harpe',
parM. Krumpholtz, ſembloient moins faits
pour émouvoir , que pour étonner le petit
-nombre des connoiffeurs. Les trois Concertos
du lendemain , exécutés ſur la clarinette,
parM. Baer; fur le violon, par M. Capron';
&fur le violoncelle , parM. Duport , étoient
DE FRANCE.
47
dans le même genre ; il en faut néanmoins
excepter MM. Duport & Krumpholtz , dont
les compoſitions , quoique ſavantes & hériffées
de paſſages difficiles , conſervoient
encore une mélodie appréciable , & faite
pour plaire aux oreilles non-exercées , ainfi
qu'à celles des Savans.
Le Directeur de ce Concert , M. le Gros ,
qui cherche tous les moyens de le rendre
chaque jour plus intéreſſant , doit fans doute
gémir de ne pouvoir déterminer la plupart
des Virtuoſes à ſuivre ſon exemple , c'eſtà-
dire , à imiter la belle ſimplicité de fon
chant dans leur muſique inſtrumentale. La
fimplicité, le naturel, ne font-ils donc pas
lecomplément de la perfection , le caractère
diftinctif des chef-d'oeuvres en tous genres ?
N'y a t'il point de milieu entre les airs du
Pont-neuf& ces pièces de bravoure , dont le
Public ne ſaiſit ni les détails , ni l'enſemble ?
Depuis vingt ans il ſe plaint des Virtuoſes ,
qui , au lieu de chant , s'obſtinent à lui faire
entendre des batteries infignifiantes , des arpegiovariés
à l'infini, des roulades éternelles
&monotones ; lieux communs ſurannés ,
parures bifarres & fuperflues, qui remuent
l'organe de l'ouie , fans jamais pénétrer jufqu'au
fiége des paſſions , & qu'on eft toujours
tenté de comparer à ces vieux monumens
d'architecture gothique,furchargés d'ornemens
auffi ridicules , aufli déſagréables
pour les yeux que pour la raiſon. Sont-ce
les Muficiens qui doivent nousaſſervir à
MERCURE
:
১
48 leurs caprices ? Le Public fait la loi à l'Opéra,
à la Comédie Italienne , à la Comedie Françoiſe;
il la donne aux Peintres , aux Sculpteurs
, aux Architectes , & même aux Gens
de Lettres: pourquoi , dans les Concerts ,
n'auroit-il pas le même empire fur les Mufisiens
? Qu'un joueur de clarinette ſoutienne
une cadence pendant 160 ſecondes ; qu'un
joueur de violon raſſemble 80 triples croches
fous un ſeul coup d'archet ; que fa main
faſſe des fauts périlleux , comme un danſeur
de corde; ſi ces tours de force ne tendent
point au but de l'Art; ſi , loin de plaire , ils
fatiguent , & réveillent des ſentimens pénibles
, ne ſommes-nous pas en droit de les
profcrire ? Et les joueurs d'inſtrumens ne
doivent-ils pas enfin renoncer à un genre
qui n'a d'autre mérite que la difficulté
vaincue ?
Quelle différence entre les ſenſations fri- voles de tous ces concertos , & les mouvemens
impétueux & varies qu'a produits l'ora- zorio de M. Goſſec ? Un ſujet analogue à la fête du jour ; un ſtyle plein de grace & de majeſté ; d'étonnans effets d'harmonie ; les
plus heureuſes combinaiſons d'inſtrumens , leur mêlange avec des voix qui tour-à-tour imitoient le chant du roflignol & les rou- lemens du tonnerre ; le choeur des Bergers qui figuroient dans l'orchestre , & celui des
Anges qu'on ne voyoit point , mais qu'on entendoit dans un lointain immenfe : cette
eſpèce de dialogue entre les habitans de la
terre
DE
FRANCE.
49
terre d'une part , & les habitans des cieux
qu'oncroyoit raffemblés ſur un nuage-: l'air
d'unNoëlque leCompoſiteur avoit ſu placer
au milieu de ce grand & riche tableau , ont
porté l'illuſion & l'intérêt au degré le plus
léduiſant pour le public, & le plus flatteur
pour M. Goffec. Mademoiſelle Duchâteau,
MM. Moreau & le Gros , y ont exécuté les
principaux rôles.
La célèbre Madame Todi a parfaitement
chanté dans les deux concertos , differens airs
Italiens; celui du Signor Maio,qu'on avoit annoncé
comme un phénomène , aparu froid &
un peu vague. Cet effet vient peut-être de ce
qu'on l'avoit trop exalté dans l'affiche.
SPECTACLES GRATIS.
Les trois Spectacles de la capitale ſe font
empreſſes de témoigner la part qu'ils prenoient
à l'heureux événement qu'a célébré
toute la France ; & l'on fait que leur uſage
dans ces occafions , eſt de donner une repréſentation
gratuite , qui eſt une eſpèce de fête
populaire.
Les Comédiens François ont donné , le
Mardi 22 Décembre , Zaïre , Tragédie de
Voltaire , & le Florentin, Comédie en un
Acte & en vers , de la Fontaine. Les curieux
vont aſſez volontiers à ces fortes de
fêtes , obſerver quelle impreſſion produiſent
les chef-d'oeuvres des Arts & de l'imagina
5 Janvier 1779. C
so
MERCURE 1
tion ſur une multitude ignorante & groffière.
On remarque affez ordinairement que
fon jugement eſt raiſonnable ſur les effets
&fur l'enſemble ; & l'on a tort d'en être
étonné. Ces hommes fans inſtruction , ont
un coeur tout comme d'autres. Ils s'attendrifſent
ſans raiſonner , &jouiffent du plaifir
qu'on leur donne, fans chercher à s'en rendre
compte. D'ailleurs la plupart des hommes
ont naturellement le ſens droit, quand
il n'eſt pas corrompu par la paſſion ou le
préjugé.
Il ne faut pas s'étonner non plus du filence
qu'ils obſervent à un Spectacle très-nouveau
pour eux ; c'eſt l'intérêt de la curioſité. La
Tragédie de Zaïre a produit un très-grand
effet fur le peuple de Paris , comme elle le
produira fur tous les peuples policés. Les rôles
ont été remplis par MM. Brizard , la Rive ,
Monvel , Dorival , & Mlle Sainval cadette ;
& les talens des Acteurs n'ont pas été moins
fentis que le mérite de l'Ouvrage. La petite
Pièce a été jouée par MM. Courville & Florence
, & par Mlles Luzy , le Liévre & la
Chaſſaigne : elle a fait beaucoup de plaiſir.
Avant & après le Spectacle , les Figurans
des Ballets de la Comédie Françoiſe ſe font
mêlés avec les Charbonniers&les Poiffardes ,
&ont formé des danſes , animées par le plaifir&
la gaîté. Enſuite on a fervi du vin fur
le théître , les Comédiens ont verſé à
boire, & l'on a crié vive le Roi.
Le lendemain , Mercredi , 23 , l'Académie
Royale de Muſique donna Caſtor & Pollux ,
DE FRANCE.
51
I
Tragédie-Opéra en cinq Actes , de Bernard
&Rameau ,&laChercheuſe d'eſprit, Ballet-
Pantomime .
Onpeut imaginer quelle ſurpriſe & quelle
admiration a dû faire naître la pompe de ce
ſpectacle , le plus magnifique de l'Europe , la
richeſſe des habits , la magie des décorations.
Les premiers ſujets de l'Opéra ſe font furpaſſes
dans le jeu &dans le chant , & cependant
l'effet général de l'ouvrage a été mé-
•diocre. L'Acte des Enfers eſt celui qui a eu
le plus de ſuccès. Au cinquième Acte , le
moment où Télaïre s'évanouit dans les bras
de Caſtor aux éclats du tonnerre , fut vivement
fenti , & cauſa un intérêt général. Cet
Acte fut terminé par le choeur d'Iphigénie
en Aulide , chantons , célébrons notre Reine ,
&c. Le peuple , qui avoit d'abord regardé
ce choeur comme la conclufion de l'ouvrage
qu'il venoit de voir, eut à peine entendu le
premier vers , qu'il témoigna , par des cris
de joie & des applaudiſſemens ſans fin , qu'il
avoit ſaiſi l'application. Il l'entendit avec
enthouſiaſme , & le redemanda de même.
On l'exécuta uneſeconde fois , & il cauſa des
tranſports auffi vifs qu'à la première.
MM. le Gros , Larrivée , Gelin , Durand ,
Lainez , Moreau ; Meſdames Joinville , Châteauvieux
, le Vaſſeur , ont redoublé de foins ,
de zèle & de talens à cette repréſentation, la
mieux exécutée que nous ayons encore vue
depuis la repriſe de Caftor.
LaChercheuſed'Eſprit , qui n'avoit point
Cij
2 MERCURE
:
été affichée , & que les premiers ſujets de la
danſe ſe proposèrent de repréſenter impromptu
, ſous le bon plaiſir & à la grande
fatisfaction de M. le Directeurdel'Académie ,
a été fortgoûtée&fort applaudie,& l'on doit
obſerver quepasune des expreſſions de laPantomimen'a
étéperdue pour les Spectateurs.
Nous avons déjà parlé ailleurs de ce Ballet
charmant , exécuté par MM. d'Auberval &
Gardel,&Mlles Guimard , Peflin &Dorival.
Au moment où l'on imprime cet Article ,.
les Comédiens Italiensn'ont pas encore donné
leur gratis ; nous en parlerons dans le prochainMercure,
ainſi que de l'Amant Jaloux ,
Comédie en trois Actes & en Proſe , mêlée
d'Ariettes, par M.d'Hell,miſe enMuſique par
M. Grétry , donnée pour la première fois le
Mercredi 23 du même mois , avec beaucoup
de ſuccès, & dont les repréſentations font interrompues
par la maladie d'une des plus intéreſſantes
Actrices du Théâtre Italien , Mde
du Gazon.
SCIENCES ET ARTS.
OBSERVATIONS fur un événement qui
intéreſſe l'Histoire Naturelle ;parM. L. C.
de, :
P
LUSIEURS Phyſiciens & Naturaliſtes ont ſoupçonné
que le phénomène de la végétation des plantes
&celui de lamultiplication des animaux avoient le
werne principe ; c'est-à-dire , que la chaleur viviDE
FRANCE.
53
fiantedu Soleil influoit également ſur les deux règnes
de la nature les plus intéreſſans.
Des expériences multipliées ont appris qu'une chaleur
artificielle peut quelquefois ſuppléer à celle du
Soleil , pour faire végéter , dans les climats glacés du
globe, des plantes qui ne ſembloient deſtinées
par la nature qu'à exiſter ſous les zones brûlantes
duMidi.
L'arbre à café , le tamarin , le papayer , l'ananas ,
le bambou, le monbain, &c. &c. &c. ſe trouvent
dans nos ferres chaudes ; mais on n'avoit point encore
employé la chaleur artificielle pour faire prodaire,
dans nos contrées , des animaux qui vivent
fous la ligne; & perſonne ne s'étoit encore aviſé
d'avoir une ferre chaude pour des animaux étrangers
, comme on en a pour les plantes exotiques.
M. leMarquis de Néelle eſt le premier,que nous,
ſachions,qui ſe ſoit propoſé directement ce but ; &
ſa première expérience , dont nous allons rendre
compte, a été fi heureuſe qu'il projette de la répéter
plus en grand ſur différentes eſpèces d'animaux
étrangers , dans un emplacement qu'il a fait
arranger exprès.
Il vient donc d'ouvrir une nouvelle carrière , qui
nepeut pas manquer d'enrichir l'Hiſtoire Naturelle
&la Phyſique , de pluſieurs faits nouveaux ; & tous
les hommes qui s'intéreſſent au progrès des Sciences ,
ainſi que ceux qui les cultivent , verront fans doute,
avec plaisir qu'il exiſte un grand Seigneur , dont
les amuſemens vont devenir utiles.
Monfieur le Marquis de Néelle , après s'être
procuré à grands frais deux petits animaux dur
Bréfil , mâle & femelle , de l'eſpèce que M. de
Buffon a nommée Ouiſtiti * , Edward, Cagui-mi-
*M. de Buffon a donné le nom de Ouiſtiti àl'eſpèce
Ciij
54
MERCURE
nor * , & que Ludolph défigne ſous le nom de
Fonkes-Guereza ** , les a mis , au mois de Février
1778 , dans un cabinet expoſé au Midi & chauffé
parunpoële , dont la chaleur imitant celle du pays
natal de ces animaux , étoit indiquée par plufieurs
thermomètres placés en différens endroits
du cabiner.
Cette chaleur a été conſtamment depuis 30 juſqu'a
35 degrés du thermomètre de Réaumur; c'est-àdire
, que pour imiter la nature autant qu'il eft
poffible à l'Art , on entretenoit la chaleur à 30 degrés
pendant la nuit , & 35 pendant le jour. Ces petits
animaux avoient , outre cela pour retraite dans le
cabinet, un panier d'ofier doublé de peaux de mouton.
La chaleur ne tarda pas long-temps à agir fur
les petits Ouiſtitis , & malgré le froid de la ſaiſon
on s'apperçut qu'ils étoient en amour , & qu'ils
cherchoient à s'en donner des preuves. On les furprit
deux fois ſans que la préſence de l'Obſervateur
les înquiétât ni les dérangeât. Ils font reſtés dans le
cabinet, à la chaleur qu'on vient d'indiquer , jufqu'au
mois de Juin , que M. le Marquis de Néelle
fut obligéde partir pour Rouen , y rejoindre le régiment
qu'il commande ; mais ne voulant point
confier àd'autres l'expérience dont il commençoit
d'eſpérer un heureux ſuccès , la chaleur de l'été
étant d'ailleurs très -favorable , il prit la réſolution
d'emporter avec lui le petit ménage dont il s'étoit
fait le directeur. On les établit dans une cage à perd'animal
qu'Edwards nomme Cagui-minor , à cauſe du
ſonarticulé qu'il fait entendre toutes les fois qu'il donne
de la voix. Hiſtoire Naturelle , Édit, in- 12 . Tome 7 ,
page 332 .
* Edwards- Glanurs , page 1s , fig. ibid.
** Ludolph , Hiſtoire d'Éthiopie ou d'Abyſſinje
page 18 , traduct. Ang.
DE FRANCE.
55
roquet; & comme le temps étoit fort chaud , ils
n'ont point été incommodés du déplacement ni du
voyage.
Leur nourriture ordinaire , dès leur établiſſement
dans le cabinet , ainſi que pendant la route , a toujours
été des fruits , des biſcuits ſecs ou mouillés dans
de l'eau , quelquefois un oeuf dur , & ſouvent un oeuf
à l'eau ou au lait.
Enfin le 15 de Juillet ils revinrent à Paris avec
M. le Marquis de Néelle ; on les établit alors dans
un cabinet de glace , dont l'expoſition eſt au Nord,
& dans lequel il y a des ſtores que l'on tire plus
ou moins ſuivant le degré de lumière ou d'obſcurité
qu'on defire. Ces animaux grimpoient le longdes
rideaux , & ſe tenoient affez conſtamment fur le
haut des ſtores , d'où ils ne deſcendoient que pour
prendre leur nourriture & ſe promener de temps en
temps.
Vers le 20 d'Août , on apperçut ſur le dos des
deux petits Ouiftitis un être vivantencore plus petit ,
&dont la reffemblance la plus prochaine étoit celle
d'un léfard. Ce fut-là le premier indice qu'on eut de
la fécondité de ces animaux.
On remarqua que le père & la mère recherchoient
la chaleur du Soleil pour y expoſer les nouveaux
nés. Pour cet effet , ils ſe ſuſpendoient par
les pattes aux montans des glaces , & préſentoient
aux rayons du Soleil leur dos , où étoient cramponnés
leurs petits.
--Les nouveaux nés ſe tenoient toujours ſur le dos
de leur père ou de leur mère ; quelquefois ils ſe
mettoient tous les deux ſur le même ; d'autres fois
ils ſe ſéparoient , & chacun d'eux portoit le ſien. Ils
avoient beau ſauter à des diſtances afſez éloignées
grimper & deſcendre avec beaucoup de vivacité ,
les petits n'en étoient point dérangés , & reftoient
toujours attachés ſur eux.
,
Civ
56 MERCURE
Ces deux petits individus ſont venus au monde
fans aucun poil ; ils ſont reſtés affez long-temps dans
cet état; maisdès l'inſtant que le poila commencé
de croître , il eſt venu très-vîre : d'abord il étoit
brun, &enfuite il s'eſt éclairci. Ils n'ont têté que
pendant l'eſpace de deux mois , au bout deſquels le
père& la mère les ont ſevrés , & les ont accoutumés
petit à petit à ſe paſſer d'eux. La mère a été
la première à s'ennuyer des ſoins qu'elle leur rendoit;
elle les obligeoit de la quitter par les coups
de patte qu'elle leur donnoit lorſqu'ils étoient à
portée de ſon épaule; & lorſqu'ils ſetrouvoient au
milieu de fon dos , & qu'elle ne pouvoit les at
teindre , elle ſe rouloit pour les obliger de changer
de place , & de ſe mettre à portée de ſes pattes ;
alors elle les battoit à fon aiſe , & les arrachoit de
deffus elle.
Dans ces circonstances oragcuſes , le père prenoit
le parti des opprimés , battoit la mère à fon tour ,
&chargeoit ſes deux enfans ſur ſondos.
On pouvoit aifément juger , par les différens cris
du père , de la mère & des enfans , qu'il y avoit
de grandes tracafferies dans le ménage. Ces cris
étoient affez forts pour qu'on les entendit de trèsloin.
}
Lorſqu'ils ont été ſevrés , le père a ceffé d'être
leur protecteur , & la mère leur a marqué plus de
foins , parce que ſans doute ils lui étoient alors
moins incommodes.
En général , ces animaux paroiſſent mettre beaucoup
d'intelligencedans la manière dont ils ſoignent
leurs petits.
Ily aune circonstance de leur naiſſance qui eſt
affez fingulière , c'eſt que la femelle de l'Ouiſtiti ,
avant de mettre bas , n'a cherché aucun emplacement
, ni fait aucuns préparatifs , comme la plupart
des femelles des autres animaux , qui , dans defem-
V
DE FRANCE.
17
blables circonstances , préparent des nids , font des
amas de mouſſe , de laine , de duvet , de poil ,
même aux dépens de leur propre fourrure. Celle-ci
amis bas ſur le ſtore où elle avoir établi précédemment
ſon domicile ; & ce qu'il y a de plus fingulier
encore , d'eſt que les nouveaux nés ſe foient trouvés
, à l'inſtant même qu'ils ont vu le jour, ſur le
dos de leurs père & mère. Comment y ont-ils grimpé
? C'eſt ce qu'on ignore , perſonne n'ayant été à
même de l'obſerver. Ce qu'il y a de certain , c'eſt
que l'emplacement pour les couches étoit d'autant
moins commode , que le ſtore eſt cylindrique & d'un
très-petit diamètre.
Il étoit fi difficile de ſe tenir ſur ces ſtores , que
le père & la mère ayant voulu, au bout de trois ſemaines,
apprendre à leurs petits à marcher ſeuls dans
des endroits périlleux , les abandonnèrent un moment
ſur le haut du ſtore : les petits jetterent des
cris de peur très-lamentables : il y en eut un qui
tomba & reſta comme mort ; on accourut , & on
lui donna du ſecours : le père & la mère au défefpoir
jettèrent des cris aigus. Le premier defcendit
avec colère, & ſe jeta ſur la perſonne qui tenoic
ſon petit: comme celui-ci avoit repris ſes ſens par
les fecours qu'on lui avoit donnés , il le chargea
far ſon dos& l'emporta ſur ſon ſtore.
:Les jeunes Ouiſtitis ont actuellement trois mois
&demi ; ils mangent ſeuls , ſe portent à merveille
&ne grimpent plus ſur le dos de leurs père & mère
que pour ſe raſſurer contre les objets qui les effrayent.
Édwards , cité par M. de Buffon , prétend qu'il y
aun exemple qu'un Sanglin ( Ouiſtiti ) a produir
des petits en Portugal , d'où il conclut que cetre
eſpèce d'animal pourroit peut-être ſe multiplier dans
les contrées méridionales de l'Europe : mais il y a
fi loinde la température du Portugal à celle dePa
Cv
58 MERCURE
ris , fur-tout pendant l'hyver * , que cet exemple
n'affoiblit point le mérite de l'expérience de
M. le Marquis de Néelle , & ne diminue en rien la
fingularité du réſultat.
Il eſt vrai que depuis cette époque , on a répandu
dans le public qu'il y avoit eu à Paris ( on ne cite
pas l'année ) une femelle de Sanglin qui y avoit
mis bas , & dont les petits n'avoient pas vécu 5
mais on ne fait pas au juſte ſi cette femelle n'étoit
pas pleine en arrivant dans ce pays - ci , &
toutes les apparences ſont pour l'affirmative : on
fent combien cette circonstance rend intéreſſante ,
pour les Naturaliſtes, l'expérience de M. de Néelle ;
car il s'agiſſoit de ſavoir fi les animaux des Pays
chauds pouvoient s'accoupler & produire dans un
elimat tempéré , & fi , par la chaleur artificielle
ou pouvoit fuppléer, pour cette opération de la nazare
, à la température de leur pays natal.
5
Cette idée eſt ſans doute très heureuſe & trèsbelle,
& elle fait honneur à celui qui l'a conçue. Il
eſt certainement plus louable à un grand Seigneur
de s'occuper de choſes utiles à la ſociété & aux
progrès des Sciences naturelles , comme M. de
Néelle ſe propoſe de le faire , que de ſe livrer aux
frivolités , & d'entretenir à grands frais & par oftensation
des équipages de chafſe , ſouvent auſſi ennuyeux
pour ceux qui les ont , qu'onéreux aux
malheureux habitans de la campagne , dont les
chaffeurs & le gibier dévaſtent les guérets.
Ceux qui voudront prendre une idée de l'eſpèce
d'animal dont on vient de parler, doivent confulter:
* La plus grande chaleur de Lisbonne eſt à la plus
grande chaleur de Paris , à peu-près comme 30 eft à 4.3 .
La latitude de Lisbonne eſt de 38 ° 42′.
Celle de Paris eft de : • 48 50.
:
DE FRANCE.
9
les ouvrages de MM. de Buffon & Daubenton ,
Article Ouiftiti ; tout ce que ces deux grands Naturaliſtes
en diſent , eft conforme en tout point
aux individus actuellement vivans que nous avons
fous les yeux.
VARIÉTÉS.
LETTRE en réponse à celle que M. le
Chevalier de Prunay a écrite à M. de la
Harpe,& qui a été inférée dans le Mercure.
dus Décembre.
Vous êtes bien bon , Monfieur le Chevalier
, de vous occuper de la défenſe deM.
de la Harpe , qui fait fi bien ſe defendre luimême
& attaquer. Croyez que s'il avoit
jugé la critique inférée dans le Journal de
Paris mal fondée , il n'eût point laiſſe à d'autres
le plaifir de confondre ſon auteur.
Si vous aviez conſulté le Dictionnaire de
l'Académie Françoiſe , les Obfervations de
cette même Académie ſur Vaugelas , les Remarques
de l'Abbé d'Olivet fur Racine , les
Principes de la Langue Françoiſe de l'Abbé
Girard, & bien d'autres Grammairiens , vous
auriez vu que croître est toujours un verbe
neutre. Quelques vers d'un grand Homme
ne font pas autorité dans une difcuffion
Grammaticale ; & ceux que vous citez de
Racine prouvent ſeulement que le génie dédaigne
de s'aſſervir à certaines règles ; on le
lui pardonne aisément , quelquefois même
:
1
Cvj
60 MERCURE
avec plaifir ; mais il n'a pas moins commis
une faute.
L'autorité de M. de la Harpe , comme
Membre de l'Académie Françoiſe , & comme
Littérateur très - eſtimé , peut être de quelque
poids : ſon ſentiment peut influer fur
celui de bien des gens , même inſtruits ; fes
fautes ne ſont donc pas indifférentes , &
vous ne devez pas penſer qu'une critique
faiteà unMembrede l'Académiefoit déplacée.
Quand elle eſt juſte , on doit en ſavoir gré
à celui qui l'a faite , & l'en féliciter , non
parce qu'il trouve un homme de mérite en
faute, mais parce qu'il détruit une erreur qui
auroit pu s'accréditer.
Votre Lettre , Monfieur , inférée dans le
Mercure dus Décembre , eſt d'autant plus
capable d'induire en erreur , qu'elle est appuyée
d'une note qui ſemble lui imprimer
le ſceau de la vérité ; cependant , Monfieur ,
peſez mes autorités , & jugez vous-même.
Le Dictionnaire de l'Académie Françoiſe
ne dit pas que le verbe croître ſoit quelquefois
actif; & ne pas le dire , c'eſt certainement
affirmer le contraire ; ſi cela ne vous
paroît pas bien certain , lifez ſes Obſervations
fur Vaugelas , vous y verrez :
• Croître eſt un verbe neutre , & M. de
Vaugelas a eu raiſon d'appeler licence la li
» berté que M. de Malherbe s'eſt donnée
>> de le faire actif; ainſi on ne doit l'em-
>>ployer qu'au neutre dans la poefię même ».
Cette obſervation eſt claire; elle décide,
DE FRANCE. 61
je crois , entièrement la queſtion ; M. de la
Harpe ne récuſera point cette autorité.
Lifez encore la Remarque de l'Abbé d'Olivet
, ſur le même vers de Racine que vous
citez; c'eſt un Académicien , & de plus , un
excellent Grammairien. Il dit :
" Aujourd'hui croître n'eſt que verbe neu-
>> tre, foit en profe , foit en vers; mais il a
>> été long-temps permis aux Poëtes de le
>>faire actif».
Je crois inutile de vous citer les autres
Grammairiens. Vous voyez affez , Monfieur ,
qu'il n'y a plus moyen de faire actif le verbe
croître , & que c'eſt réellement une faute
contre la Langue , même en poésie.
Si l'amour du vrai vous anime plus que
l'eſprit de parti qui bouleverſe aujourd'hui
tous nos principes , & fi votre intention n'a
éré que de détromper le public , vous devez
convenir que M.de la Harpe a cru pouvoir ,
l'imitation de nos grands hommes du ſiècle
dernier , ſe permettre une faute; mais qu'il
ena commis une en faiſant actif le verbe
croître.
J'ai l'honneur d'être , &c .
RÉPONSE.
M. de la Harpe n'a jamais attaqué les
Journaliſtes de Paris , & n'a jamais defendu
fes Ouvrages contre eux en aucune manière :
permis à eux de penfer ou d'avoir l'air de
penſer que c'eſt par impuiffance de les con
62 MERCURE
fondre, ou par reſpect pour leurs profondes
connoiffances & pour leur impartialité. 11
eſt ſi éloigné de les attaquer, qu'il a retranché
de la Lettre de M. le Chevalier de
Prunay , tout ce qui étoit écrit contre eux &
en fa faveur.
Il a répondu quelquefois ſur des faits
particuliers , principalement fur des queftions
de Grammaire , parce que les faits
peuvent être réduits en démonftration , &
qu'une diſcuſſion de ce genre n'eſt point
une querelle d'amour-propre. S'il prévient
aujourd'hui la réponſe que pourroit faire M.
le Chevalier de Prunay , c'eſt pour ne pas re
venir une troiſième fois dans un autre Nº. à
une queſtion ſuffiſamment éclaircie.
Il étoit très-inutile de prouver fort au
long ce que tout le monde fait , & ce que
perſonne ne conteſte , que le verbe croître
eft neutre. La reſſource de ceux qui ont
tort , eſt de s'écarter du point de la queſtion.
Il s'agiſſoit de prouver que l'uſage établi en
poéſie par nos plus grands maîtres , de déroger
à la loi générale dans ce cas , comme
dans beaucoup d'autres , n'étoit pas une autorité
fuffifante. Or , non-feulement Corneille
, mais Racine , Auteur claſſique , ont
fait actif le verbe croître , & lui ont donné
un régime ; M. de Voltaire les a approuvés ,
& a dit dans ſon Commentaire ſur Corneille
: " Il me ſemble qu'il eſt permis en
„ vers de dire croître mes tourmens , mes
» ennuis , mes douleurs , mes peines, &c. » .
DEAFRANCE. 63
C'eſt au Public à juger ſi l'exemple de Corneille
, de Racine, de Voltaire ne fuffit pas
pour nous autorifer à ces fortes d'exceptions
à la règle, qui font un des privileges de la
poéſie.
M. le Chevalier de Prunay a eu raiſon de
dire que la critique des Journaliſtes de Paris
étoit déplacée; elle l'étoit par le fonds & par
la forme : 1. parce qu'on y traitoit de folléciſme
une phrafe autoriſée en poéfie par
les modèles les plus reſpectables. 2 °. Parce
qu'on y diſoit , du ton d'un maître qui régente
un écolier : un Membre de l'Académie
devroit favoirfa Langue ; il devroit favoir
que le verbe croître n'a point de régime. Or ,
il étoit d'autant plus déplacé de ſuppoſer
cette ignorance , que c'étoit le Critique luimême
qui ignoroit que nos plus grands Écrivains
avoient dérogé en poéſie à cette loi
que perſonne n'ignore ; car s'il l'avoit fu , ou
il n'auroit pas donné cette leçon très-gratuite
, ou il auroit foutenu que les exemples
contraires ne preſcrivent point contre la
règle. Il le ſoutient aujourd'hui, & il veut
qu'on lefélicite de ſa critique. Il n'y a qu'une
manière de l'en féliciter , c'eſt de lui dire :
Corneille, Racine & Voltaire ont penſé que
le verbe croître pouvoit avoir un régime en
poéſie ; vous prétendez qu'ils ont eu tort , &
que vous en lavez plus qu'eux fur la Langue
Françoife ; il ne nous manque que de vous
connoître , afin d'oppoſer votre nom au
nom de ces trois grands hommes, & d'éclai -
64 MERCURE
rer ceux que leur autorité pourroit induire
en erreur.
GRAVURES.
ULYSSE enlevant le fils d'Andromaque , Eſtampe
d'environ treize pouces de haut , ſur onze de large ,
gravée par M. Schmuzer , d'après le deſſin de S. A. R.
le Prince de Saxe-Teſchen.
Les ſujets puiſés dans la Mythologie fourniffent
fouvent des caractères vigoureuſement prononcés,
qui ſervent à développer les paſſions , & à les exprimerdans
toute leur énergie. Le ſujet de cette eſtampe
eneſt ſur-toutune preuve: Ulyſſe enlève Aftianax à
ſa mère ; d'une main il repouſſe Andromaque , &de
l'autre lui ravit ſon fils. La tendreſſe maternelle ſemble
donner à la veuve d'Hector de nouvelles forces
pourdéfendre ce fils , & l'arracher des bras du raviffeur.
Aftianax effrayé regarde ſa mère , & ſemble
implorer ſon ſecours. On trouve dans cette belle
compoſition beaucoup de vérité , de mouvement &
d'expreffion; mais ce qui contribue encore à rendre
cet ouvrage intéreſſant , e'eſt qu'il eſt exécuté, en
gravure, d'après le deſſin d'un Prince cher à fa
Patrie, dont il eft la gloire & l'appui ; cher aux Arts
qu'il protège avec goût& difcernement , & qu'il cultive
lui-même d'une manière diftinguée , comme un
noble délaſſement de ſes travaux militaires.
Onconnoît le burin libre , hardi , pur&brillant
de M. Schmuzer , Auteur de cette Eftampe. Cenou
veau fujer ne peut qu'ajouter encore à la réputation
de l'Artiste , qui a fait hommage de cette gravure à
S. A. R. l'Archi-Ducheffe de Saxe Teſchen. Le taDE
FRANCE. 65.
bleau original , peint par le Calabrois, eſt au château
de Presbourg. L'Eſtampe ſe trouve à Vienne , chez
Auteur , Graveur de la Cour ; & à Paris , chez M.
Aliamet, de l'Académie Royale de Peinture , rue des
Mathurins, vis-à-vis la rue des Maçons. Prix 6 liv.
Rivage près de Tivoli , gravé d'après M. Vernet ,
parM. Aliamet ,Graveur du Roi & de Leurs Majestés
Impériales &Royale. Prix 6 liv.
CetteEſtampe, qui a vingt pouces de long , préfente
non-feulement une marine , des vaiſſeaux à la
voile ſur pluſieurs plans , un vaiſſeau dans le port,
undébarquement ,une pêche, mais encore des antiquités
, des ruines , des rochers , une fontaine , un
grand nombre de figures qui ont beaucoup d'expref
fion. Le talent du Peintre & celui du Graveur font
déjà ſi connusdans le public , qu'il ſuffit pour l'éloge
de cette eſtampe de dire que c'eſt ici une de leurs
productions.
Carte Topographique de l'Isle de la Dominique,
levée en 1773 , traduite de Langlois. A Paris 1778 ,
chez le Rouge , Ingénicur-Géographe du Roi ,rue
desGrandsAuguſtins. Prix, 1 liv. 10 ſols.
:
CetteCartemanque dans les meilleurs Atlas..
MUSIQUE.
Observations fur l'Alto-viole , ou Deffus de
viole monté en haute-contre par M. Lendormy.
1
L'AUTEUR de ces Obfervations a compoſé &
arrangé pour ce nouvel inſtrument différentes pièces
, qu'il a publiés ſous le titre de Mélanges d'Airs
choisis , Ariettes , &c. pour être exécutés en folo ou
66 MERCURE
avec la Baffe , par un Alto-viole , ou par l'Alto,
précédés d'observations fur l'Alto-viole , & fur la
maniere dejouer cet Instrument.
Le Ier Recueil de ces airs , avec les Obſervations ,
ſe trouve aux Adreſſes ordinaires de Muſique. Prix ,
3 liv. 12 fols.
L'abondance des matières ne nous a pasppeerrmmis
d'inférer en entier , dans ce Journal , les Obſervations
ſur l'Alto-viole * , que l'Auteur nous a adrefſées
depuis long - temps ; nous allons en donner
un extrait.
Le corps de cet Inſtrument eſt le même que celui
du Deffus de Viole , & il a des Touches comme
celui-ci, mais il en diffère par le nombre de ſes cordes,
&par la manière dont il eſt accordé.
Le Deſſus de Viole a fix cordes , qui font, en
commençant par la plus baſſe , ré, fol , ut , mi ,
la , ré , accordées , comme on voit , par quartes ,
excepté la corde mi , qui eſt à la tierce d'ut ; au lieu
que l'Alto-viole , avec moins de cordes , a un ton de
plus d'étendue du côté du bas. Ses cordes font ut ,
Sol, ré , fol, ut , les premières s'accordent par
quintes , & les deux extrêmes par quartes.
Entre les divers avantages qui réſultent de cet
accord , & de la fuppreffion d'une corde , pour la
qualité du fon de l'Inſtrument , on a encore celui de
pouvoir , au moyen de l'ut d'en-bas , jouer la Partie
* 11 feroit à ſouhaiter qu'on déſignât ce nouvel Inftrument
par un autre nom. Celui d'Alto- viole a trop de refſemblance
avec le mot Italien Alto-viola , qui eſt le nom
proprede l'Inftrument , qu'on appelle fimplement aujourd'hui
Alto. Mais puiſqu'on a ainſi abrégé le mot Altoviola,
qui eft-ce qui affurera que dans moins de cinq
fix ans , on n'abrégera pas de même celui d'Alto-viole ?
On n'aura donc plus alors que le mot Alto pour défigner
un Inftrument à Touches , & fait comme une Viole , ou
un Inſtrument fans Touches , & fait comme unViolona
DE FRANCE. 67
1
de l'Alto , qu'on fait être devenue une partie ſouvent
très- intéreſfante depuis quelque temps , ce qu'on ne
peut faire avec le Deſlus de Viole, borné au par en bas.
Le Recueil d'Airs que vient de publier l'Auteur ,
prouve d'ailleurs qu'on joue des Pièces ſur cet Inftrument
& il affure que les Ariettes , ainſi que les
Chants tendres & affectueux , y font le plus grand
effet.
,
Cet Inſtrument paroît convenir particulièrement
aux femmes , ſoit par la douceur de ſes ſons , la
facilité que lui procure ſon accord , foit encore par
la manière de conduire l'Archet & de tenir l'InGtrument
, qui eſt la même que pour le Par-deſſus
de Viole. Ses principes ſont également les mêmes ;
ainſi les perfonnes qui jouent du Par-deſſus ſeront
bientôt en état dejouer de l'Alto-viole.
Pour ce qui regarde la manière de fixer le ton
ſur cet Inſtrument , comme il n'a point de corde
la , on le monte ſur le ſol , & l'on a pour cela deux
fol , l'un au grave , l'autre à l'aigu , ſelon la nature
des Inſtrumens dont on prend le ton. L'Auteur- remarque
dans ſes obſervations que l'Alto -viole ſe
morte auſſi haut que l'on veut , & que peu d'inftrumens
fariguent moins les cordes que celui-ci ,
avantage qu'on n'a point avec le Par-deſſus de Viole,
qu'il eſt biendiffffiicciillee d'aſſortir de Chanterelles qui
puiffent ſe monter au très-haut des Concerts d'aujourd'hui.
:
د
Méthode de Harpe , pour apprendre ſeul , &
en peu de temps , à jouer de cet inftrument , avec
un principe très-ſimple pour l'accorder ; par M. Corbelin
, Elève de M. Patouart fils , dédiée à MademoiſelleClaudine-
Louiſe d'Eſtampes deMauny. Prix,
12 liv. A Paris , chez l'Auteur , Place S. Michel,
maiſon du Chandelier ; au Cabinet Littéraire , Pont
Notre-Dame; chez Naderman , Luthier , rue d'Ar
68 MERCURE
genteuil , Butte S. Roch ; Mademoiselle Caſtagnery ,
rue des Prouvaires ; à Versailles , chez Blaiſot , Libraire
de la Reine , rue Satory , & aux Adreſſes ordinaires
de Muſique.
Le ſuccès de la méthode de Guittare , qu'a publiée
M. Corbelin il y a deux ans , avoit fait defirer qu'il
s'occupât à travailler pour d'autres inſtrumens ; la
Harpe, cet inſtrument ſi harmonieux , devenant tous
les jours plus à la mode , avoit fait naître un préjugé
qui effrayoit la plupart des Amateurs ; c'étoit
l'idée qu'il étoit très-difficile à apprendre. Manquant
de méthode qui contînt des principes faciles à faifir ,
cet inſtrument , cher par lui-même , avoit encore
contre lui la cherté des Maîtres , ſouvent moins oc
cupés du ſoin de bien enſeigner, que de celui de paroître
habiles à exécuter des difficultés. L'Auteurde
l'Ouvrage que nous annonçons voulant détruire un
préjugé fi nuiſible au progrès de l'art , & applanir les
difficultés qui paroiſſoient inſurmontables pour bien
des perſonnes , a diſpoſe ſon travail d'une manière
trèsfimple ; les principes clairement expoſés ne fatiguentpoint
l'attention ; l'explication étant toujours à
côtéde l'exemple, l'écolier mené, comme par la main ,
ſe trouve conduit à la connoiſſance de la choſe ſans
preſque s'appercevoir du travail. L'intelligence qu'on
exigepour travailler avec ſuccès ſur cette méthode, ſe
réduit , comme le dit l'Auteur dans l'Introduction ,
cc à ſavoir lire la Muſique ſur la clef defol& fur la
>> clef de fa , encore cette dernière s'apprend-elle
>> par l'Ouvrage même ; à pouvoir faifir le ſens des
>> mots que l'on lit; enfin à avoir l'envie d'apprendre
» & la patience de ſuivre pas à pas les principes con
>> tenus dans l'ouvrage 2. Cette méthode eſt diviſée
en deux parties , la première traite de la connoiffance
engénéralde l'inſtrument & des principes pour
jouer les accompagnemens , & contient pour leçons
de jolis airs avec accompagnement ; la feconde par
DE FRANCE. 69
tie contient les principes néceſſaires pour jouer ces
pièces deHarpe ,& pour leçons de jolis pièces de facile
exécution.
Journal d'Ariettes Italiennes , des plus célèbres
Compositeurs.
Ce Journal ſera compofé chaque année de 24
Ariettes. La baſſe ſera ſous le chant avec la traduction
Françoiſe des paroles Italiennes. Les parties
ſeront gravées ſéparément.
Il paroîtra deux Ariettes au commencement de
chaque mois , à compter du premier Janvier 1779 ;
elles ſeront livrées exactement à chaque époque. Le
prix de l'Abonnement ſera de 36 liv. pour Paris , &
42 liv. pour la Province , franc de port. Ceux qui
ne feront point abonnés payeront chaque Ariette
48 fols.
On ſouſcrit à Paris chez le ſieur Bailleux , Marchand
de Muſique ordinaire du Roi & de la Famille
Royale , rue S. Honoré , vis-à-vis celle des Bour
donnois , à la Règle d'or , & chez les principaux
Marchands de Muſique de l'Europe.
Journal de Muſique pour le Ciftre , ou Guittare
Allemande , par M. Pollet l'aîné.
Ce Journal eſt compoſé de quatre Recueils chaque
année , qui paroiſſent de trois mois en trois mois ;
chaque Recueil , de 24 planches in-folio , contient
les Ariettes les plus jolies , avec accompagnement
de Ciſtre , des airs variés pour le Ciftre ſeul , & une
Sonate , ou un Duo pour le même inſtrument.
Leprix de l'abonnement eſt de 16 liv. pour Paris ,
& de 18 liv. pour la Province , franc de port. On
ſouſcrit à Paris , chez l'Auteur , Cloître S. Merry ,
maiſon de M. Gerbet.
70 MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
VoOrFAGEfaitpar ordre du Roien 1768 & 1769, à
différentes parties du monde , pour éprouver en mer
les horloges marines , inventées par M. Ferdinand
Berthoud ; première Partie , contenant , 1 ° . le Journal
des horloges marines , ou la ſuite de 14 vérifications
, ſervant à apprécier la régularité de ces machines
ſous différens points de vue , relativement au
divers uſages auxquels on peut les employer. 2°. Le
Journal de la navigation , dans lequel ſont expofés
tous les ſecours que les horloges ont fournis pour
affurer la navigation , & perfectionner la Geographie:
d'où fuit un examen critique de pluſieurs
cartes publiées au dépôt des Plans & Journaux de la
Marine , avec une carte générale de l'Océan occidental
,&des cartes particulières des Iſles Canaries ,
du Cap- vert & des Açores , dreffées ſur de nouvelles
obfervations. Seconde Partie , contenant 1 ° .
le Recueil des obſervations aſtronomiques faites dans
le cours de l'épreuve , tant à la mer qu'à terre ; leurs
réſultats , & pluſieurs tables générales relatives à ce
travail ; 2 ° . Un appendice dans lequel font renfermées
diverſes inftructions ſur la manière d'employer
les horloges marines à la détermination des
longitudes , auxquelles on ajoint tous les modèles de
calculs , quelques méthodes pour trouver la latitude
en mer , avec un Recueil de tables uſuelles. Publié
par ordre du Roi , par M. d'Eveux de Fleurieu , de
l'Académie Royale de Marine & de celles des
Sciences , Belles-Lettres & Beaux-Arts de Lyon , 2
vol. in-4°. A Paris , de l'Imprimerie Royale ; & fe
,
DE FRANCE.
71
trouvent chez Mérigot le jeune , Libraire , au coin de
la rue Pavée. Prix , reliés en veau 32 liv.
Code Ecclésiastique , ou Collection des Capitulaires
, Ordonnances , Edits , Lettres-Patentes &
Déclarations de nos Rois , depuis le règne de Clovis
jusqu'à celui de Louis XVI ; touchant la Juridiction
de l'Eglise de France & les Affaires Ecclésiastiques ;
Par Meſſire Jacques des Lacs d'Arcambal , Abbé de
Candeil, Vicaire-Général du Diocèſe de Bazas. Propolé
par Souſcription .
La Souſcription eſt de 10liv. pour chaque volume
en feuilles.
On payera 15 liv, en recevant le premier , & on
ne payera que s liv. pour le dernier.
Le ſecond volume paroîtra au mois de Juin 1779 .
Il contiendra la ſuite des Ordonnances de nos Rois
juſqu'à François I. On aura ſoin de dire , autant que
cela ſera poſſible , les motifs & les circonstances
qui ont déterminé ces Ordonnances , l'époque de leur
enregistrement , & les modifications que les Cours
Souveraines y ont apportées ; en un mot, on ne négligera
rien pour rendre cette Collection utile &
( complette.
On foufcrira chez B. Morin , Imprimeur-Libraire ,
rue S. Jacques , à la Vérité.
Jezennemours , ou Histoire d'une jeune Luthérienne,
par M. Mercier. 2 vol. chez Mérigot le
jeune, Quai des Auguſtins.
OEuvres mêlées de Madame de Puifieux , avec
lePortrait de l'Auteur , pour ſervir de ſuire à ſes
autres Ouvrages , propoſées par Souſcription aux
mêmes conditions indiquées dans le Profpectus du
mois de Mars dernier. On ſouſcrit chez la Veuve
72 MERCURE
Ducheſne , Libraire , rue S. Jacques , Mérigot le
jeune , quai des Auguſtins , & chez Madame de
Puifieux .
Recherches fur les Volcans éteints du Vivarais &
du Velay, avec un Diſcours ſur les volcans brûlans ,
des Mémoires analytiques ſur les Schorls , la Geozite
, le Bafalte , la Pouzzolane , les Lavis , ornées
de planches. A Grenoble , chez Cachez , & àParis ,
chez Nyon aîné, Libraire , rue S. Jean-de-Beauvais,
in-folio.
Les Chef-d'oeuvres Dramatiques de M. de Voltaire
, 3 vol . in 12. 1779. A Paris , chez la Veuve
Duchêne , Libraire , rue S. Jacques.
Mémoires concernant l'Histoire , les Sciences, les
Arts , Les Moeurs , les Usages , &c. des Chinois ,
par les Miffionnaires de Pekin ; Tome IV. A Paris ,
chezNyon l'aîné , rue S. Jean-de -Beauvais .
Description de la Lorraine & du Barrois , par
M. Durival l'aîné. Tome Premier. A Nancy , chez
la Veuve Leclerc , Imprimeur de l'Intendance ; à
Paris, chez Gogué & Née de la Rochelle , Libraires ,
rue du Hurepoix , près le Pont S. Michel , 1778 .
in-4° . Prix à Nancy 5 liv. de Fr. broché; & à Paris
6 liv.
Cet Ouvrage, promis depuis long-temps , aura
trois volumes , dont celui-ci eſt le plus petit. Il eſt
précédé d'un Avertiſſement où on parle des Auteurs
qui ont écrit ſur la Géographie du pays , une Carte
géographique est placée à la fin du premier Tome.
Nousdonnerons un Extrait de cet Ouvrage intéreſſantdans
un des Mercures ſuivans .
Voyez lafuite des Annonces fur la Couverture.
JOURNAL
20
TABLEAU POLITIQUE
DE L'EUROPE , 1778 .
LE ſpectacle qu'offre aujourd'hui l'Europe ne
ſauroit être plus impoſant. Le feu de la guerre qui ,
au commencement de l'année , menaçoit de l'embraſer
ſur trois points à la fois , a éclaté dans quelquesuns.
On a vu des armées en campagne , d'autres
prêtes à y entrer , & les Princes ſpectateurs occupés
non moins férieuſement dans leurs cabinets .
La politique générale , toujours fubordonnée aux
intérêts particuliers des Puiſſances prépondérantes ,
achangé avec ces intérêts . De nouveaux évènemens
ont amené un nouvel ordre de choſes. L'influence
reſpective des uns fur les autres doit être ſaiſie au
moment de ſes effets. Le ſyſtême de cette année ,
qui n'étoit plus celui de la précédente , changera
peut-être encore dans le cours de cele où nous
entrons. Notre objet , à la fin de chacune , eſt de
marquer ces variétés à meſure qu'elles ſe ſuccèdent
, & d'eſſayer d'en indiquer les cauſes.
La révolution de l'Amérique , où la liberté réfugiée
, pourſuivie par un deſpotiſme mal-entendu ,
s'est réveillée au bruit des chaînes qu'il traînoit
après lui , a occupé l'Europe attentive à ſes efforts
dès l'inſtant qu'elle a pris les armes. C'eſt cet évènement
prévu depuis long-tems , mais regardé dans
un avenir encore éloigné qu'a rapproché l'injuftice ,
qui a donné une première impulfion aux mouvemens
politiques des cabinets de l'Europe.
Le premier intérêt des Nations étoit d'affoiblir
l'Angleterre , qui s'arrogeant l'empire des mers ,
tiranpiſoit le commerce de toutes , en attendant
l'occaſion de l'envahir. Le ſecond étoit d'occuper
la Ruſſie , qui des extrémités du Nord , tend ſans
$ Janvier 1779 . D
( 74 )
ceſſe à s'étendre ſur le reſte de l'Europe ; prête à
faire la guerre parce qu'elle y voit ſon avantage ;
n'ayant rien à perdre puiſqu'elle est toujours la
maitreſſe de ſe retirer dans ſes déſerts immenfes ,
où l'on n'ira point l'attaquer , & qui ne peuvent
tenter la cupidité ; ayant enfin tout à gagner , puifque
la moindre conquête lui procureroit ce qu'elle
cherche , des ſujets qui lui manquent , des contrées
qui , par leur ſituation , augmentent ſon influence
politique , & par leurs climats & leur fol , fes
productions , ſon commerce & ſes richeſſes .
Cet intérêt avoit ouvert à Conſtantinople ces
négociations fourdes & fecrettes , qui , en gagnant
pluſieurs membres du Gouvernement , inſpiroient
au Divan le deſſein de revenir ſur un traité humiliant
qui avoit terminé une guerre malheureuſe.
La conduite de la Porte , au milieu des diviſions
qu'on faifoit naître , montre affez qu'elle agiſſoit
par une impulfion étrangère : inſtrument tantôt rebelle
, tantôt ſoumis à la politique d'autrui , elle
n'oppoſoit que de la lenteur à l'activité des Rufſes
, qui remarquant ſon incertitude & ſon état
paſſif à travers la hauteur , faifoient paſſer des
troupes en Crimée , y fortifioient leur parti , tandis
qu'on diſputoit ſur ſon indépendance. La Ruſſie ſe
préparant à la guerre & négociant à la fois pour
la prévenir , sûre de n'être point inquiettée en
Europe , d'où elle n'ignoroit pas que partoient les
intrigues qui faiſfoient mouvoir les Turcs , s'étoit
ménagée des reſſources pour les accabler , en les
faiſant attaquer par les Perfans . La mort de Kerim-
Chan déconcertant ſes deſſeins en Afie , pouvoit
rendre ſes ennemis plus redoutables , lorſque
de nouveaux évènemens arrivés en Europe
favoriſé les négociations qu'elle n'y perdoit pas de
vue. Les Puiſſances mêmes qui remuoient les Ottomans
& les pouſſoient aux armes , ont eu beſoin
d'elle ; elles ont trouvé un nouvel intérêt à faire
ſa paix , & elles l'ont négociée au moment où
,
ont
( 75)
la guerre allumée par elles alloit éclater. Les démelés
de la France & de l'Angleterre avoient peut-être
influé ſur les réſolutions du Divan ; l'éclat de ces
mêmes démêlés , & fur-tout les diviſions de l'Allemagne
paroiffent avoir amené ce changement ; & la
mort de l'Electeur de Bavière a imprimé un nouveau
mouvement aux intrigues des cabinets.
L'alliance de la Maiſon d'Autriche & de la Pruſſe ,
formée par l'intérêt , n'a dû ſubſiſter qu'autant que
cet intérêt. Dès qu'il s'en eſt préſenté de nouveaux,
qui ne leur ont pas été communs , elles ſont devenues
ennemies. Liées enſemble pour ſeconder la Ruffie
dans le projet de donner des loix à la Pologne , &
d'en partager les dépouilles , elles ſe ſont diviſées au
ſujetde la ſucceſſion de Bavière.
Depuis long-tems on prévoyoit qu'à l'extinction
de la branche Guillelmine , la réunion de la Bavière
au Palatinat , arrêtée par les pactes de famille faits
dans les deux Maiſons qui deſcendent d'une tige
commune , affurée par le traité de Westphalie , garantie
par pluſieurs Puiſſances , troubleroit le repos
de l'Allemagne. Le feu Electeur Maximilien- Joſeph
n'ignoroit pas les prétentions que formeroit la Mai.
fon d'Autriche ; il connoiſſoit les forces formidables
dont elle pouvoit les appuyer. La liaiſon qui ſubſiftoit
entr'elle & la Pruſſe ne lui donnoit pas de confiance
en la protection de cette dernière , qui ayant
auſſi des droits ſur Berg & fur Juliers , les feroit
ſans doute valoir à ſon tour , lorſque cette ſucceſſion
ſeroit ouverte. Ces prétentions reſpectives pouvoient
ſervir à cimenter l'union des deux Cours ,
que de nouvelles vues d'acquiſition & de partage
auroient infailliblement conciliés. L'exemple de la
Pologne étoit récent. Ces allarmes étoient fondées
en vraiſemblance ; mais des meſures particulieres ,
priſes à ſon inſu dans ſa famille même , ont dérangé
ſes ſpéculations , & rompu les liens qui uniſſoient
les deux Puiſſances redoutées. Pendant qu'il cherchoit
à en prendre avec ſon Héritier & fes Agnats
D 2
( 76 )
les plus proches , pour aſſurer l'indiviſibilité de ſa
fucceffion , qu'il rejettoit conſtamment les propofitions
de la Maiſon d'Autriche ; de ſon vivant ,
fon Héritier même étoit entré en négociation avec
cette Maiſon , & la convention qu'il conclut avec
elle fut ſignée le 3 Janvier , quatre jours après que
l'Electeur de Bavière eut fermé les yeux. La partie
de fon héritage que l'Electeur Palatin cédoit pour
conſerver le reſte , fut auſſi-tôt occupée par des
troupes Autrichiennes.
Cette entrepriſe fixa l'attention de l'Europe. La
plupart des Puiſſances parurent la juger préjudiciable
aux intérêts généraux & à l'équilibre de l'Allemagne.
Celle- ci la regardoit comme contraire à la
Bulle d'or , au traité de Westphalie , aux droits de
la Maiſon de Wittelſpach , aux priviléges des Etats
de Bavière , que l'héritier n'avoit pu démembrer ,
puiſque tout Prince ufufruitier de ſes Etats , ne
peut céder ni aliéner ce qu'il doit conſerver à ſes
Succeffeurs .
Pendant que l'Empire diſcutoit ces grandes queftions
, les Princes particulièrement intéreſſés expofoient
leurs droits. L'Electeur de Saxe , en qualité
d'héritier allodial , par le droit que ſa mère lui a
cédé ; le Duc des Deux-Ponts , comme le plus proche
Agnat de l'Electeur Palatin ; le Duc de Mecklembourg
prétendant au Comté de Leuchtemberg ,
réclamèrent contre la convention du 3 Janvier. Le
Roi de Pruſſe voyant d'un oeil jaloux l'agrandiffement
de la Maiſon d'Autriche , déjà fi puiſſante ,
craignant pour l'équilibre de l'Allemagne , a paru
pour protéger l'opprimé , & ce fait n'eft pas le
moins intéreſſant que préſente cette révolution .
:
L'Electeur Palatin qui n'avoit pas prévu cet appui
, s'eſt trouvé dans une poſition délicate. Trop
foible pour réſiſter à la Maiſon d'Autriche , il a
cédé; & lorſque le Roi de Pruſſe s'eſt déclaré , ſoit
qu'il fût convaincu des droits de l'Empereur , ſoit
qu'il n'ait pas ofé revenir ſur ce qu'il avoit fait ,
( 77 )
il a demandé à être neutre dans la diſpute dont il
eſt l'objet , & a paru pencher dès le premier pas à
ſe joindre à celui qui ſemble le dépouiller , contre
celui qui le défend.
Il ne nous convient point d'examiner la convention
du 3 Janvier & ſa justice ; fi elle a été faite
également & de bonne-foi entre un Prince puiſſfant
&armé & un Prince qui ne l'étoit pas ; fi la force
d'un côté & la crainte de l'autre ne ſont entrées
pour riendans la négociation. Les manifeſtes reſpectifs
font entre les mains de tout le monde ; le procès
ſediſcute publiquement ; en attendant les armes vont
en décider.
Les forces de l'Empereur & du Roi de Pruſſe ,
entretenues conftamment ſur le pied le plus formidable
, ſembloient n'attendre pour agir que l'occafion
& un ennemi ; au premier ſignal on les a
vues raſſemblées enBoheme & fur lleess frontières
de ce Royaume , où les deux Souverains , ſuivis
de l'appareil le plus impoſant & le plus hoftile ,
ont donné deux fois à l'Europe le ſpectacle fingulier
& peut-être nouveau de négocier les armes
àla main. Les hoſtilités commencées en Juillet ,
ſuſpendues en Août , par de nouvelles négociations
qui n'eurent pas plus de ſuccès que les premières ,
furent bientôt repriſes. Le Roi de Pruſſe & le
Prince Henri pénétrèrent ſucceſſivement en Bohême,
l'un par la Siléſie & l'autre par la Luface. Ce
dernier déconcertant ſes ennemis en feignant de
tomber dans le piége qu'ils lui tendoient , & de
prendre par le Cercle de Saltz une route qu'on eût
peu diſputée , parce qu'elle l'auroit conduit dans
une partie de la Bohême où l'Elbe l'eût ſéparé du
Roi ſon frere , rétrograda tout-à-coup vers la Saxe ,
& par une marche hardie , à travers des chemins
qu'on jugeoit impraticables , & qu'aucune armée .
n'avoit franchis avant lui , parut & s'établit dans
le Cercle de Leutmeritz . Les deux armées Pruffiennes
, placées par ce moyen ſur la rive droite du
D 3
( 78 )
1
fleuve , devoient avoir plus de facilité pour agir
de concert , & pour ſe joindre ſi cela devenoit nécefſſaire.
Ce plan qui portoit le feu de la guerre au
milieu du pays ennemi , & dont l'exécution avoit
commencé avec tant d'éclat , n'a pas eu tous les
ſuccès qu'il ſembloit promettre. La défenfive la
plus ſçavante en a arrêté les effets , & la campagne
entière s'eſt paffée ſans combats déciſifs ; elle
s'eſt bornée à des marches & à des mouvemens
dans lesquels les chefs ont donné les preuves les
plus brillantes des plus rares talens. L'Empereur
& le Maréchal de Laudohn ont fu contenir juſqu'à
la fin deux armées formidables , commandées par
les deux premiers généraux de l'Europe , qui n'ont
pu les foorrcceerr à &qui ont fini par évacuer
la Bohême. L'Europe a retenti des éloges que
les gens de guerre ont donnés à leurs retraites ;
ils ne doivent pas moins d'admiration à la conduite
de ceux qui les y ont forcés.
,
:
Pendant que les armées Pruffienne & Saxone
font entrées dans leurs quartiers d'hiver en Saxe
&en Siléfie , le Roi de Pruſſe , dont l'activité infatigable
brave l'intempérie des Saiſons , au fortir
de la Bohême , a tranſporté le théâtre de la
guerre dans la Siléſie Autrichienne , d'où il menace
la Moravie. Etabli dans la première de ces Provinces
, il a tenté de pénétrer dans l'autre ; le froid
le plus rigoureux n'a pas toujours ſuſpendu ſes
opérations ; & les hoftilités fréquentes , entrepriſes
chaque fois qu'il a cru pouvoir le faire avec
avantage , équivalent peut- être à une campagne
d'hiver ; elles préparent du moins à l'activité de
celle qu'il ouvrira au Printems prochain avec de
nouvelles forces que lui a procurées la révolution
arrivée dans les affaires du Nord , fi la déclaration
& les ſecours de la Ruffie n'amènent pas la
paix à la ſuite de nouvelles négociations .
Ces grands démêlés , dans leſquels tous les
Princes de l'Empire ſemblent former le même
( 79 )
vau , ouvert ou tacite , en faveur du protecteur
de leurs droits qu'ils croient en danger chaque
fois que les circonstances amèneront des révolutions
, dont le plus fort eſpérera pouvoir profiter ,
ont partagé l'attention fixée ſur la Grande-Bretagne
& ſes Colonies.
Cette Puiſſance affoiblie par des campagnes qui
n'ont eu aucun ſuccès , ſe reſſentant encore de celle
de Saratoga qui , la privant d'une armée , a renforcé
le courage des Américains , & les a raffermis
dans leurs projets d'indépendance , n'ayant pu les
ſoumettre lorſqu'ils étoient ſeuls & qu'elle leur oppoſoit
toutes ſes forces , & les hommes que l'Allemagne
aujourd'hui trop occupée n'eſt plus en érat
de lui vendre , & auxquels ſes finances épuiſées ne
lui permettroient plus de mettre le prix , ne doit
pas s'attendre à les vaincre à préſent : ils ont trouvé
dans la France un allié dont elle ſeule leur a fait
un appui .
Depuis long-tems les deux Nations ſe menaçoient
; la dernière guerre n'étoit point ſortie de
leur mémoire. L'une ivre de ſes avantages , aſpirant
à les conferver , ne pouvoit douter que l'autre
ne cherchât tous les moyens de réparer ſes pertes
& la honte du dernier traité . Incapable de s'y oppoſer
efficacement dans le moment actuel , elle n'attendoit
qu'une circonstance heureuſe. La France le
prévoyoit ; une politique ſage lui preſcrivoit de
prévenir les deſſeins de ſa rivale , & de ſaiſir le
moment où elle étoit affoiblie par la guerre d'Amérique
, pour achever de la rendre incapable de lui
nuire.
La Grande-Bretagne avoit abuſé de ſa puiſſance
maritime auſſi- tôt qu'elle en avoit eu une ; elle en
avoit profité pour chaſſer les François de l'Inde ;
elle auroit fini , en confervant ſa ſupériorité , par
anéantir leur commerce. Bientôt aucun vaiſſeau ne
ſeroit entré dans leurs Ports , ſans lui payer un
tribut ; la pêche même ſur leurs côtes y auroit été
4
D 4
( 80 )
foumiſe. Maitrefle de la mer , & par-là du com
merce des deux mondes , enrichie de ſes profits ,
elle eût pu engager les François , chaque fois
qu'elle les auroit craint , dans des guerres perpéruelles
ſans en partager les dangers . Sa politique &
fon or auroient foulevé contr'eux l'Allemagne , en
éveillant l'ambition des Princes & en les foudoyant.
Cette Puiſſance fût devenue pour eux ce qu'avoit
été autrefois l'Eſpagne , dont le pouvoir immenſe ,
franchiſſant les Pyrénées , s'étendant ſur l'Italie &
fur l'Allemagne , fortifié par les tréſors du nouveau
monde , les plongea dans un abyme de maux , &
prépara leur appui à la Hollande , lorſqu'accablée
par ce pouvoir , elle en ſecoua le joug. L'Angleterre
, que l'exemple de l'Eſpagne eût dû inſtruire ,
s'eſt hâtée d'imiter ſon injustice & ſon imprudenee
, avant d'être arrivée à cette influence à laquelle
elle tend ; & la France n'a pas dû perdre , pour
l'affoiblir , l'occaſion de ſoutenir l'indépendance
Américaine , comme elle ſoutint l'indépendance
Hollandoiſe . Deux Républiques naiſſantes auront
vu cette Monarchie favoriser leur liberté ; heureuſes
ſi la reconnoiſſance & le bienfait les pouvoient
lier à jamais.
,
La France modérée dans ſa politique , & peſant
ſes intérêts à la balance de la juſtice , n'avoit fait
qu'un traité de commerce avec les Etats-Unis. Elle
n'y avoit ſtipulé aucun avantage excluſif , dans un
moment où l'Amérique flattée de traiter avec elle ,
n'eût ſans doute rien refuſé. L'orgueil de l'Angleterre
, qui ſe ſoutenoit malgré ſes humiliations
ne lui permit pas à cette nouvelle de conſulter
fa pofition & la foibleſſe. Le cri de la vengeance
fut général ; des ordres hoſtiles furent donnés dans
premier moment de fureur & exécutés dans
tous ſes Ports où l'on arrêta les navires François
qui s'y trouvèrent. La France étoit prête à tous les
évènemens ; l'effet des réſolutions de la Grande-
Bretagne fut de reſſerrer ſon alliance avec l'Américe
,
( 81 )
que ; elle avoit voulu ſe borner à commercer avec
cette dernière ; elle ſe décida à la défendre : une
eſcadre formidable partit de Toulon & prit la route
du nouveau Monde.
L'Angleterre allarmée , voyant l'empire des mers
prêt à lui échapper , & les Puiſſances de l'Europe
diſpoſées à ſuivre l'une après l'autre , l'exemple de
la France , s'empreſſa d'offrir la paix aux Américains.
Ses Commiſſaires munis des inſtructions de
leur Roi , & de pluſieurs actes du Parlement , n'arrivèrent
en Amérique que pour y voir rejetter des
propofitions à la tête deſquelles le Congrès ne trouva
point la reconnoiſſance de ſon indépendance : ils
y furent témoins de l'évacuation de Philadelphie ,
dont ils avoient , dit- on , apporté l'ordre , & dont
la préſence de Washington , à la tête d'une armée
confidérable , impoſoit la néceſſité. Les troupes
royales , dans leur retraite par terre , combattues
fans ceffe & affoiblies par leurs pertes , n'évitèrent
àBunkershill le fort de Burgoyne à Saratoga , que
par des marches rapides & forcées , reſſemblant à
une fuite..
D'après l'alliance de la France & des Etats-Unis ,
l'ordre naturel des évènemens ſembloit devoir terminer
cette année la guerre d'Amérique ; l'Europe
s'y attendoit : l'inconſtance des élémens & les haſards
indépendans de la prudence humaine , en ont
diſpoſé autrement. L'eſcadre de Toulon , partie à la
fin d'Avril , arrêtée long-tems par les vents contraires
au détroit de Gibraltar , retardée dans ſa marche
par la peſanteur des vaiſſeaux , & par les tempétes
qui diſperfèrent la flotte que l'Amiral Byron
conduiſoit ſur ſes traces , ne put arriver à tems pour
frapper les grands coups , & détruire les forces de
l'Amiral Howe au fortir de la Delaware . A l'arrivée
du Comte d'Estaing , elles étoient déja réfugiées
dans la Baye de Shandy- Hook , à l'abri des entrepriſes
des François , dont les vaiſiſeaux prenoient
trop d'eau pour franchir le canal, L'impoſſibilité
Ds
( 82 )
de les y attaquer , fit tourner les opérations con
tre Rhode-Iſland ; cette Iſle alloit tomber au pou
voir des Américains , lorſque les élémens armés
pour déconcerter ces nouvelles diſpoſitions , prévinrent
la deſtruction de la flotte Angloiſe , qui
s'étoit avancée , & la ſéparant de la Françoiſe ,
fortie pour l'attaquer , au moment où le combat
alloft commencer , forcèrent cette dernière d'aller
ſe réparer à Boſton.
Pendant que la marine Françoiſe , négligée ſi
long-tems , créée tout - à - coup par le génie qui
préſide à cette partie de l'adminiſtration , menaçoit
les Anglois en Amérique , elle leur diſputoit l'empire
des mers en Europe. On a vu une ſeconde
flotte fortir de Breſt , ſous les ordres du Comte
d'Orvilliers , aller au-devant de l'Amiral Keppel ,
lui livrer le combat , & le forcer à la retraite ,
malgré ſes forces ſupérieures , & l'opinion qu'avoit
l'Europe de la ſupériorité Angloiſe. Un Prince
cher à la Nation a partagé les honneurs de ce triomphe
, le premier que les François ont obtenu ſur les
mers depuis celui de la Galiſſonniere ſur la Médi
terranée.
Les Anglois qui , malgré leurs efforts pour s'abufer
& en impoſer à l'Europe , n'ont pu ſe déguifer
cet échec , ont cherché à détourner les ré
flexions défavorables à leur puiſſance maritime ,
en exagérant les avantages de leurs corſaires. Les
plaintes du commerce prouvent qu'en effet ils en
ont obtenus. Mais on n'a peut-être pas affez re
marqué qu'ils les doivent à la circonstance unique
dans laquelle ils ſe ſont trouvés. Les hoftilités ont
commencé tout-à-coup ; les François n'y étoient
point préparés ; les Anglois l'étoient depuis longtems.
Leur guerre avec l'Amérique avoit déja couvert
la mer de leurs Armateurs . Leurs vaiſſeaux
marchands menacés ſans ceſſe par les croiſeurs du
nouveau Monde , ne partoient plus ſans convoi ou
fans être en état de combattre ; leurs armemens
( 83 )
faits contre les Américains , ont fervi dans le mo
ment contre les François , qui n'étant pas prévenus
ſe ſont trouvés fans défenſe. Les priſes ont dû d'a
bord être fréquentes ; elles ont diminué ſenſiblement
tous les jours , & depuis quelque tems l'équilibre
eſt rétabli . L'Angleterre a lieu de craindre qu'il
ne ſe ſoutienne pas : ſes flottes endommagées ſe réparent
difficilement. Dans cette quantité énorme de
vaiſſeaux , dont les noms groſſiſſent les liftes faltueuſes
de ſa marine , tous ne ſont pas en état de
ſervir ; il y en a un grand nombre qui ne font que
pour la montre : ceux qui peuvent être réparés ont
beſoin de matelots ; la marine marchande a livré
tous les fiens à la marine royale , qui en manque
encore , après l'avoir dépouillée & réduite à l'inac
tion. Les corſaires , hors d'état de former leurs équi
pages , deviennent moins à craindre.
Sa poſition en Amérique ne ſauroit être plus pré
caire : ſi elle s'eſt emparée des rochers de S. Pierre
& de Miquelon , où elle a détruit des établiſſemens
de pêcheurs , elle a perdu la Dominique , qui eſt
bien d'une autre importance. Ses principales Iſſes
font menacées ; elle ne peut les protéger qu'en abandonnant
New-Yorck , où elle ne doit qu'aux tempêtes
qui ont contrarié l'eſcadre Françoiſe , l'avantage
de tenir encore , & l'eſpoir de pouvoir tenter
une cinquième campagne , devenue difficile par fa
poſition plus allarmante encore en Europe .
Diviſée , affoiblie au-dedans , perdant ſenſiblement
ſon influence au-dehors , luttant avec peine
contre la marine de France , elle est à la veille d'avoir
à foutenir encore les efforts de celle d'Eſpagne. Si la
lenteur de cette Puiſſance à ſe déclarer , lui a donné
quelque eſpérance , on a de la peine à la croire fondée.
De fi grands armemens n'ont point été faits
ſans objet , & le pacte de famille déſigne aſſez qu'ils
la menacent. Sa confiance , qui n'étoit qu'apparente ,
ne l'a pas empêché de tout tenter pour détourner
D6
( 84 )
l'orage ; les intrigues qu'elle a employées pour cet
effet , ont dû d'autant moins réuffir qu'elles ont
mieux fait ſentir ſa foibleſſe. Elle a eſſayé d'effrayer
la Cour de Madrid ſur le danger de l'exemple des
Colonies du Nord de l'Amérique pour celles qu'elle
a dans le Midi : mais ces Colonies du Nord étant
indépendantes comme elles le ſont de fait , ik
importe ſans doute plus à l'Eſpagne de les avoir
pour amies que pour ennemies.
La Nation mécontente , privée des reſſources
que lui offroit autrefois le commerce , gémit ſous
le poids d'une dette immenfe , accrue journellement
par des emprunts rendus néceſſaires , parce
que les impôts payés depuis fi long-tems & fans
fruit , font trop exhorbitans pour pouvoir être
augmentés. Hors d'état de faire face aux dépenſes
de l'année prochaine , ſans recourir à cette voie
onéreuſe , inftruite que depuis le mois d'Octobre
dernier , l'adminiſtration Françoiſe a trouvé tous
les fonds dont elle a beſoin , elle ſe plaint à la
fois de la Couronne qu'elle accuſe de ſa ruine ,
& du Parlement qui ne l'a pas prévenue. La chaleur
qui animoit cette affemblée dans ſes premières
ſéances s'eſt bientôt refroidie ; on prévoit que les
cris généraux qu'elle répétoit d'abord , ſe termineront
comme à l'ordinaire par des déciſions au gré
de la Cour. Il ſemble , s'écrie déja l'Oppofition ,
toujours hardie & toujours impuiſſante , que les
deux pouvoirs , le législatif & l'exécuteur , ſéparés
par la conſtitution pour le mieux ne font
qu'amener de vains débats qui finiſlent par les
réunir pour le pire. Pendant que les uns ne regardent
ces réflexions que comme des clameurs frivoles
, d'autres entrevoient dans leurs conféquences ,
une de ces criſes terribles , avant - coureurs des
révolutions. » Toutes les choſes humaines ont
une fin , a dit Monteſquieu ; cet Etat perdra ſa
liberté ; il périra : Rome , Lacédémone , Carthage
,
( 5 )
ont bien péri ; il périra quand la puiſſance légiflative
ſera plus corrompue que l'exécutrice (1 ) cc.
C'eſt à l'Angleterre à examiner le pas que cette
conſtitution a célèbre & fi vantée a déja fait vers ſa
deſtruction , & combien approche le moment prédit
par Monteſquieu.
Epuiſée par les pertes & toujours menacée , la
Grande-Bretagne cherche par tout des alliés & des
ſecours. Elle ne peut en attendre du Portugal ; il ne
ſauroit lui en donner de proportionnés à ſes beſoins,
quand il ne ſeroit pas retenu par ſon traité avec
l'Eſpagne , & par ſa nouvelle politique , qui l'arrache
au joug d'un protecteur éloigné pour le jetter dans
les bras de fon allié naturel. Les Hollandois trop
mécontens pour prendre ſon parti ne ſemblent
pouvoir rien faire de plus que de ne pas ſe déclarer
contre elle & de reſter neutres .
,
LeNord ne lui préſente pas une perſpective plus
conſolante : la Suède commençant à jouir des avantages
de ſa nouvelle conſtitution , eſt trop intéreſſée
à l'affermir pour être tentée de ſe mêler des querelles
étrangères ; & le traité que ſon Roi a fait l'année
précédente avec la Ruſſie , l'empêche de craindre d'y
être forcée. Le Danemarck a toujours beſoin de la
paix. La Ruffie , fur laquelle elle ſemble avoir fondé
ſes plus hautes eſpérances , ne tournera ſans doute
pas les armes , dont la paix qu'elle fait avec laTurquie
lui permet de diſpoſer , contre les Puiſſances
auxquelles elle doit cette paix. Indépendamment de
la reconnoiſſance qui n'eſt pas toujours un motif
reſpecté par la politique , elle en a d'autres plus prefſans
à ſes yeux , de ne pas foutenir une puiſſance
qui s'arroge l'empire des mers. Sa poſition , qui la
rapprochant du pôle , rend ſon climat inégal & fon
fol moins également fertile , lui préſente en mêmetems
une ſource inépuiſable de richeſſes . Placée ſur
l'Europe & fur l'Afie , elle peut faire le commerce
(1) Esprit des Loix. Liv. XI, Chap. 6.
( 86 )
1
dumonde. Par la mer Caſpienne , elle communique
avec la Perſe , & par la Perſe avec l'Inde ; par Azow
& la mer Noire , elle peut naviguer dans les mers
du Levant , & dans la Méditerranée. La mer de
Kamtſchatka lui ouvre d'un côté le chemin de l'Amérique
, & de l'autre celui du Japon & de la Chine
La mer Blanche & la mer Baltique la font communiquer
avec toute l'Europe : libre ſur tant de mers ,
maitreſſe de pluſieurs , elle ne peut vouloir de ſupérieurs
fur aucune .
Avant de quitter le Nord , nos yeux s'arrêtent un
inſtant ſur la Pologne , qui ne peut pour autrui ce
qu'elle ne peut pour elle-même. Sans poids dans
l'Europe , depuis la révolution , elle n'offre que le
ſpectacle de ſes malheurs , qu'on n'a point empêchés
& auxquels on fait peu d'attention. Spectatrice
des évènemens auxquels on l'a miſe hors d'état de
pouvoir prendre part , attentive à ceux qui pourroient
tourner à ſon avantage , elle ſemble avoir eu
un moment d'eſpérance dans les affaires qui occupent
les trois Puiſſances qui ont décidé ſon ſort.
Celle qu'elle regarde comme la première cauſe de
ſon abaiſſement , étoit à la veille d'entrer en guerre
avec les Turcs , tandis que les deux autres , ſéparées
d'intérêt , s'attaquoient avec fureur : déja la
Pologne ſe flattoit de quelque circonſtance heureuſe
qui l'eût fait rechercher. L'iltufion n'a pas été longue
; tout-à-coup elle a vû la Ruſſie libre de refferrer
ſon alliance avec la Pruſſe , & les deux Puifſances
liguées contre la troiſième , en état de conſerver
ce qu'elles ont acquis , & plus diſpoſées peutêtre
à ſe partager encore de nouvelles conquêtes
qu'à les reſtituer à la République. -
Les troubles de l'Allemagne ont eu une influence
marquée ſur les affaires générales ; ils n'ont pas
moins déconcerté les vues de l'Angleterre que les
eſpérances de la Pologne. Celle-là a cru y trouver
contre ſa rivale des reſſources que lui refuſoit le
Nord ; elle ſe flattoit de profiter des querelles de
( 87 )
l'Autriche & de la Pruſſe , pour l'engager dans une
guerre de terre , qui , en partageant ſes efforts , eût
nuià ceux qu'elle peut faire fur mer. Mais la France
ſe trouvant dans la poſition la plus favorable où
elle ait jamais été , pour abaiſſer le pouvoir de fon
ennemie , a ſenti la néceſſité de n'entrer point com
me actrice dans ces démêlés. Selon le traité de
Vienne , elle ne paroît devoir des ſecours à la Mai
fon d'Autriche qu'autant que les poſſeſſions de celleci
ſeront attaquées ; il n'y étoit pas queſtion d'une
poſſeſſion éventuelle & conteſtée : les prétentions
reſpectives ſemblent devoir être ſoumiſes à une difcuſſion
& à un jugement , & peut-être on ne peut
demander à la garante de la paix de Westphalie
que fa médiation. Intéreſſée à reſter neutre , elle
n'a fait aucune démarche qui juſqu'à préſent n'ait
tendu à conferver la paix , ou du moins à con
centrer la guerre dans le pays qui l'a vu naître.
Toutes les ſpéculations ,dans ces circonstances ,
ſe ſont tournées du côté de l'Allemagne , devenue
le centre de tous les mouvemens politiques qui y
aboutiffent. C'eſt-là que les négociations ſe ſont
croiſées de par- tout : c'eſt de-là que paroiſſent être
parties celles qui ont agité tous les cabinets au
nord , à l'orient & au midi de l'Europe , qui ont
inſpiré des ſentimens pacifiques aux Ottomans ,
armés par des intérêts étrangers à eux , & déſarmés
par de nouveaux , qui ont privé l'Angleterre
des ſecours de la Ruffie , & les ont aſſurés à la
Pruffe.
,
Au milieu de tant d'armemens formidables , qui
ſemblent préparer pour le printems prochain à des
ſcènes fi fangiantes ſur terre & fur mer dans
l'ancien & dans le nouveau Monde , les bruits de
paix ſe font cependant encore entendre. La décla
ration de la Ruffies, faite avec une hauteur qui
annonce qu'elle n'a plus d'autre ennemi que celui
de ſon allié , peut contribuer à rendre le calme à
l'Europe. L'Impératrice-Reine paroit le défirer , &
( 88 )
l'Empereur , dont on connoît la ſageſſe & la fermeté
peut céder aux voeux de ſa mère , ſecondés ,
dit-on , par les ſollicitations de ſon frère le Grand-
DucdeToſcane.
A l'égard de la France & de l'Angleterre , on
n'eſt pas non plus ſans eſpérances ; elles font fondées
ſur l'état d'épuiſement & de foibleſſe de cette
dernière , dont l'orgueil humilié ſemble devoir
céder à la néceſſité. La déclaration fi long-tems
attendue , & qui ne fauroit plus être éloignée de
la part de l'Eſpagne , peut opérer entre les deux
Puiſſances l'effet que l'on attend en Allemagne de
celle de la Ruffic.
La paix , à la fin de cette année , eſt le voeu
général de l'Europe. Nous avons dù nous borner
à expoſer le fondement de ſes eſpérances , que
celle qui commence va confirmer ou détruire,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 25 Novembre.
د
VENDREDI dernier le Comte de Solms ,
Miniftre Plénipotentaire de Prufſe , a reçu un
courier de ſa Cour &depuis ce temps il
diftribue deux Pièces imprimées , ayant pour
titre : l'une , Obfervations fur un Ecrit anonyme ;
l'autre , Exposé fidèle de l'ordre deſucceſſion établi
dansle Bourgraviat de Nuremberg. Le même
four le Ministre de S. M. B. reçut auſſi un
( 89 )
Courier de fa Cour ; mais il n'a rien tranſpiré
de ſes dépêches.
On dit ici que d'après les renſeignemens donnés
à la Cour far un navire revenu il y a quelque tems
de la Chine par l'Archipel du nord , on ſe propoſe
d'y en expédier quelques autres par la même route ,
&que lorſqu'ils auront rempli leur miffion , l'Impératrice
fera untraité de commerce avec les Empereurs
de la Chine & du Japon. Si ces vues ſe réaliſent,
on ſupprimera entout ou en partie les caravannesqui
ſe rendent par terre de Moſcou à laChine.
Lecommerce qu'elles y font est très - diſpendieux ,
très-long , peu fûr , & ſujet à une multitude d'inconvéniens.
Les Japonois qui firent nauffrage il y a
quelques années ſurnos côtes feptentrionales , &que
l'Impératrice a accueillis avec la bonté qui lui eſt
naturelle , ſavent actuellement très-bien notre langue
& la langue tartare; ils ont appris la leur à plu
feursjeunes Ruffes dont notre Cour ſe propoſe de
ſeſervir pour le commerce du Japon&de la Chine.
Ces projets médités depuis long-tems & préparés
dans le plus grand ſecret , annoncent que les découvertes
qu'on n'a fait qu'indiquer ſont beaucoup plus
avancées qu'on ne le croit , & que nous touchons
au momentde voir cet Empire fixer l'equilibre du
commerce & de la politique d'une grande partie de
'Europe.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le premier Décembre.
De toutes les commiſſions qui ont rendu
compte de leur geſtion à la dernière Diète ,
c'eſt cellequ'on a chargée de l'éducation nationale
qui a mérité le plus d'éloges ; elle a montré
ſelon ſes comptes , que malgré les dépenfes conſidérables
auxquelles elle a été obligée , il lui
reftoit en caiffe un fond de 129326 florins.
On apprend de Stonim en Lithuanie un fait trèsfingulier.
» Des bateleurs étoient entrés dans cette
1
( 90 )
ville , qui eſt de la dépendance du Comte Oginski ,
Grand-Général , & montroient des finges qu'ils trainoient
après eux. Le peuple les ſuivoit en foule;
les boutiques & les atteliers étoient abandonnés.
Le Comte Oginski qui avoit beſoin des bras des ouvriers
, au lieu d'employer ſon autorité pour les rappeller
à leur travail , préféra de renvoyer les bateleurs;
il les fit venir , & après avoir bien voulu calculer
avec eux les profits qu'ils attendoient de leur
ſéjour dans ſes Domaines , il leur en compta luimême
le produit total , & y joignit quelques ducats
degratification ; les bateleurs partirent très-contens.
Des brigands qui furent inftruitsdelagénéroſité du
Grand-Général , calculant à leur tour le gain qu'ils
pourroient faire en les dépouillant , marchèrent ſur
leurs traces , & fondirent ſur eux au milieu d'une
forêt ; ils maſſacrèrent ſans pitié les hommes & les
finges qu'ils enfouirent dans la terre. Un des finges
échappé par la fuite au carnage , s'étoit réfugié fur
un arbre , d'où il fut témoin de cette ſcène horrible.
Lorſque ces brigands furent éloignés , il vit paroître
un carroſſe; c'étoit celui d'un Gentilhomme Lithuanien
qui alloit faire une viſite au Grand-Général à
Stonim . L'animal jetta auſſi-tôt de grands cris ; le
voyageur fit arrêter , & étonné ainſi que ſes gens de
voir un ſinge dans une forêt du nord , plus ſurpris
encore des ſignes qu'il faiſoit , il deſcendit de ſa voiture,
comme pour l'inviter à deſcendre. Le finge ſe
précipite à terre ; & comme ſes premiers maîtres lui
avoient probablement appris à être reſpectueux devant
les perſonnes de conſidération , il prendune pofture
ſuppliante devant le Gentilhomme , lui baiſe les
pieds , l'invite par ſes geſtes à le ſuivre , comme s'il
eûr voulu lui faire entendre qu'il avoit quelque choſe
d'extraordinaire à lui montrer. Le Gentilhomme le
fuit avec ſes gens , le ſinge les conduit ſur le lieu où
le crime avoit été commis , écarte la terre & les
branches d'arbres dont on avoit recouvert la foſſe où
étoient déposés les cadavres de ſes maîtres , en pouf(
91 )
fant des cris douloureux. Les domeſtiques l'aident
dans ce travail ; à la vue de ces corps palpitans , le
Gentilhomme craignant pour lui-même regagne ſa
voiture , & marche à toute bride à Stonim ; le finge
qui s'étoit cramponné à la voiture , y arrive avec lui .
Le Gentilhomme fit ſon rapport au Grand-Général ,
qui envoya auffi-tôt ſur les traces des affaffins , qui
furent ſaiſis au moment où ils alloient traverſer une
rivière au-delà de laquelle ils euſſent été en ſûreté;
ils ſont maintenant dans les cachots de Stonim. Quant
au finge , il eſt dans le palais du Grand-Général , qui
aordonné d'en prendre le plus grand ſoin ".
ALLEMAGNE .
DE VIENNE , les Décembre.
LE 30 du mois dernier, on a célébré dans
la grande Chapelle de la Cour la fête de Saint-
André,patronprincipal de l'ordre de la Toiſon
d'Or ; l'Empereur en qualité de Grand-Maître,
le grand Duc de Toſcane& tous les Chevaliers
en habit de cérémonie , ont affifté à la Grand-
Meſſe , à laquelle le Cardinal Migazzi a officié,
L'Empereur dîna en public avec le grand Duc
de Toſcane , & les Chevaliers furent ſervis à
une table particulière.
*** Le 30 , l'Ambaſſadeur de France a envoyé à
faCour un courrier chargé d'y porter le conſentement
de l'Impératrice-Reine au mariage du
Prince d'Elbeuf, frere puîné du Prince de Lambesc
, avec Mademoiselle de Montmorency-
Logny , fille unique du feu Prince de Montmorency,
en Flandres. S. M. I. & R. a dérogé en
faveur d'un Prince de la maiſon de Lorraine , à
la loi faite pour empêcher les riches héritières
des grandes maiſons de ſes Etats, de ſe marier
en pays étranger. Les grands biens de Mademoiſelle
de Montmorency , qu'on évalue à 400
mille livres de rente , proviennent principale-
1
( 92 )
ment de ſa mere, Madame de Waffenaer, une
despremières maiſons de Hollande .
La plupart des Officiers -généraux qui ont
fervi cette année en Bohême, ſont dans cette
capitale ; on remarque que le Général Comte
de Wurmſer, qui s'eſt diftingué dans cette campagne
, reçoit par-tout l'accueil le plus flatteur.
Le bruit qui s'étoit répandu de la retraite du
Feld- Maréchal de Laudohn , eſt deſtitué de
fondement.
La Cour ayant demandé aux Changeurs ,
Banquiers & Marchands en gros, un don gratuit
pour l'année prochaine , chacun d'eux s'eft
empreffé d'envoyer un billet cacheté contenant
la ſomme qu'il pouvoit donner. On ignore encoreà
combien montera le total de ce don gratuit
, parce que la Commiſſion qui doit examiner
ces offres & déclarer enſuite ſi la Cour en
fera fatisfaite, ne doit s'aſſembler que dans quelquesjours.
23
De HAMBOURG', le 10 Décembre.
LES hoftilités continuent toujours dans la
Haute- Siléfie ; l'entrepriſe que les Autrichiens
firent le du mois dernierprèsde Jagerndorff,
contre le Bataillon Franc de Steinmetz nouvel
lement levé , & dans laquelle le brave Colonel
de ce nom fut tué & remplacé par le Major du
bataillon Comte de Lufi , Grec de nation , né
dans l'Ifle de Cephalonie , qui le vengea en repouffant
l'ennemi , fut ſuivie d'une nouvelle
entrepriſe contre le Corps de Stutterheim le 26
du même mois. Le Lieutenant - Général Baron
de Stein, chargé de cette expédition par le
Baron d'Elrichshausen , devoit reconnoître les
fortifications faites par les Pruſſiens autour de
Jagerndorff & eſſayer de les déloger du
Village deWeiskirchen. Il ſe mit en marche le
26à trois heures di matin avec quatre batail
( 93 )
lons; à la pointe du jour il arriva à Meſnick
avec l'artillerie. Il reconnut bientôt que les
Pruſiens avoient été prévenus de fa marche
qu'ils avoient donné des ſignaux & allumé tous
leurs feux d'alarmes ; tous leurs poſtes étoient
occupés & renforcés. Le Baron de Stein fut
obligé de changer ſon plan d'attaque & de chercher
à gagner les hauteurs de Weiskirchen. Il
fut reçu avec beaucoup de vigueur ; le combat
s'engagea fur pluſieurs points & dura depuis II
heuresdu matin, juſqu'à près desheures du foir.
Les relations Autrichienne & Pruffienne s'accordent
fur ces circonstances ; elles ne varient
ſelon l'uſage que fur les effets. Selon la première
, les Pruffſiens ont été délogés de Weiskirchen
, qui a été brûlé , & de tous les poſtes
voiſins. Les derniers n'ont pu continuer à occuper
un village réduit en cendres , par ce que
le feu des obuſiers ennemis en avoit embraſé
les maiſons ; mais ils prétendent que ceux-ci
ont été repouffés & chaffés des hauteurs. La
Relation du Baron de Stein porte en effet que
fon corps eft retourné enfuite àſes anciens poftes.
Il compte 30priſonniers faits ſur l'ennemi , & 90
déſerteurs qu'il a reçus ; il porte ſes morts à un
Capitaine-Lieutenant & 36 Soldats ; les bleffés
à unColonel , 2 Capitaines , un premier Lieutenant
, I Sous-Lieutenant & 101 Soldats. Les
Pruffiens comptentà leur tour 360 ennemis morts
fur le champ de bataille , & 70 priſonniers . Ils
ont perdu un bas- Officier & 143 Soldats tués
ou égarés; les bleſſés font au nombre de 199
hommes , y compris 2 Officiers .
A la première nouvelle de ces mouvemens
dans la Haute-Siléſie , le Roi de Pruſſe avoit
dit-on , formé le deſſein de s'y rendre lui-même;
ſes chevaux avoient déjà pris les devants ; on
affure aujourd'hui que S. M. reſtera à Breflau ;
on prétend que ce qui lui a fait changer d'avis ,
(94)
c'eſt qu'il a appris que les Autrichiens ſe retiroient
vers Olmutz ,& que le PrinceHéréditaire
de Brunswick les pourſuivoit pour tâcher de les
engager à une action. L'Armée de ce Prince a
été renforcée par les Régimens du Prince de
Pruffe , de Braun & de Bornſtadt en quartier
à Neiffe , & d'une Brigade qui étoit aux ordres
du Général Ramin , qui n'a point encore pris
ſes quartiers d'hiver avec le Corps qu'il com+
mande ; on affure que pour empêcher autant
qu'il eſt poſſible les incurſions des Autrichiens
fur les terres du Roi , il tiendra la campagne
juſqu'à ce que le froid& la neige ne permettent
plus de craindre leurs entrepriſes. Le Corps du
Général Luck , fort de fix bataillons , s'eſt mis
en marche le 28 Novembre de Lowenbourg
vers Landshut , parce que les Autrichiens
ſembloient menacer ce paſſage ; le Général-
Major Boffe eft refté à Lowembourg , & l'on
fortifie le Château deGuiffenberg queleColonel
Pollik occupe avec fon Bataillon Franc. On a
arrêté& conduit à Schweidnitz 7Eſpions ; celui
qui avoit conduit les Autrichiens lorſqu'ils furprirent
le Régiment de Thadden , a été roué à
Landshut.
On parle toujours des Négociations qui doivent
avoir lieu pour le rétabliſſement de la paix,
mais elles ne font pas encore ouvertes ; on an
nonce la tenueprochaine d'un Congrès; on affure
même que la Cour de
VV
ienne a accepté laMédiationde
celles deVersailles & de Pétersbourg ;
mais on ne voit pas que les préparatifs de guerre
diminuent dans les Etats du Roi de Pruffe &
dans ceux de la Maiſon d'Autriche .
>>Depuis fon retour ici , écrit - on de Bonn',
Je Miniſtre de France a déclaré qu'il n'étoit pas
muni d'inſtructions relatives aux circonstan
ces dans leſquelles ſe trouve actuellement
l'Empire ; mais que ſuivant ſon opinion parti
) ور (
culière , il ne doute pas que ſa Cour n'ait fort
àcoeur le repos de l'Allemagne & l'obſervation
exacte du Traité de Westphalie. Les Miniſtres
Impériaux infinuent de leur côté que s'il convient
de porter l'affaire de la Succeffion de
Bavière à la décision de la Diète deRatisbonne ,
il feroit convenable d'y mettre également celle
de la Succeſſiondes Margraviats de Franconie.
La Cour de Berlin a publié un nouveau Mémoire
ayant pour titre : Réplique à la réponsefaite par la
Cour Impériale à l'addition , à l'exposé des motifs
adreſſsés par S. M. le Roi de Pruſſe à ses co-
Etatsde l'Empire , le 3 Juillet 1778. Cette pièce ,
qui ne paroît encore qu'en langue Allemande , eft
deſtinéeà prouver par les faits, l'authenticitéde l'acte
de renonciation du Duc Albert d'Autriche. Le Baron
de Senkenberg , Conſeiller de régence du Landgrave
de Heſſe Darmſtad , fut envoyé à Vienne il y a en
viron 12 ans pour tirer copie de pluſieurs chartres ;
dans le nombre de celles qui lui paſſerent par les
mains , il trouva l'acte de 1424. Il l'a communiqué
le 21 Juin dernier à la Cour de l'Electeur Palatin;
d'où il en a paffé à celle de Berlin une copie authentique
par un canal für & reſpectable.
CettedernièreGour a publié encore un Exposéde
quelques circonstances nouvelles & intéreſſantes qui
éclairciſſent l'affaire de la ſucceſſion de Bavière,
& particulièrement l'origine de la convention du 3
Janvier , & la négociation de S. M. avec le Duc
des Deux Ponts. Nous reviendrons ſur ce Mémoire ;
parmi les pièces juſtificatives , on trouve une lettre
de l'Electeur Palatin au Duc des Deux- Ponts , en
date du 22 Janvier 1778 , où il eſt dit : >> J'aurois
volontiers différé la ratification de la convention du
3 Janvier , juſqu'à ce que j'euſſe pu trouver le
tems& l'occafion de m'entendre là- deſſus avec vous
& avec d'autres Cours bien intentionnées , & d'oba
tenir auffi dans ces entrefaites des conditions meil
leures & plus avantageuſes; mais j'ai été tellement
(96 )
preffé& mis à l'étroit par la Cour Impériale , qu'il
ne m'eſt plus reſté pour cela aucun tems ,&j'ai été
obligé de me réſoudre ſans plus long délai , ou pour
la ratification ou pour la rupture totale de la convention.
Dans cedernier cas, je n'avois autre choſe à attendre,
que de voir les troupes qui étoient déja entrées
dans mes pays , prendre poſſeſſion non- ſeulement de
la partie ſtipulée dans la convention , mais aufli
comme on l'a témoigné à mon Miniſtre à Vienne ,
de tous les pays de Bavière & même de cette réſidence
(de Munich ), & d'être ainſi obligé de me
retirer d'ici «.
On est fort curieux de voir comment ſe termineront
cesgrands différens; on eſpère toujours
que la déclaration de la Ruffie contribuera à
hâter l'accommodement. Mais il eſt difficile
qu'il ait lieu ſans que la Cour de Vienne ne
facrifie au moins une partie de ſes prétentions.
On prévoit déjà bien des difficultés qui pourront
s'élever encore à l'occaſion de ce facrifice,
des dédommagemens à donner aux intéreſſés ,
&de ceux qui paroiſſent naturellement dus à la
Puiſſance qui les protège , & dont il n'eſt pas
vraiſemblable qu'on les diſpenſe. Les Spéculatifs
exercent actuellement leur imagination fur
les moyens de concilier tous ces intérêts , & en
particulier fur la nature des dédommagemens
& ſur les pays qui peuvent les fournir. Pour
nous , nous nous bornons à rendre compte des
faits à meſure qu'ils arrivent ; nous ne nous
melons pas de les prévoir.
ANGLETERKE.
DE LONDRES , le 20 Décembre.
LE 17 de ce mois la Cour a reçu des dépêches
du Général Clinton ; elles lui ont été apportées
par M. Stuart ze fils du Comte de
Bute , qui revient de New-Yorck. On s'eſt
empreffé
,
A
( 97 )
,
la
empreflé d'annoncer la défaite de l'eſcadre
Françoiſe , & la foumiffion du Congrès , qui
avoit renoncé à fon alliance avec la France ;
mais ces bruits avantageux ne ſe ſont pas foutenus:
comme il n'a point été publié de gazette
extraordinaire on craint fort que l'Amiral
Byron , qui a effuyé une tempête dans les parages
de Botton, n'ait fini par être lui-même
vaincu par les François. Enaatttendant que
Cour publie ce qu'elle fait , on obſerve ici
qu'il n'y a qu'heur & malheur ; les vents qui
ont ſi bien ſervi l'Amiral Howe , à qui ils
ont donné le tems de quitter la Delaware
pour ſe réfugier à Shandy-Hook , & qui l'ont
empêché d'être battu auprès de Rhode-Iſland ,
n'ont pas fi bien ſervi l'Amiral Byron ; après
avoir retardé ſa marche , lorſqu'il ſe rendoit
en Amérique , ils lui ont fait perdre cinq vaifſeaux
devant Boſton.
,
Les débats au Parlement continuent avec la
plus grande vivacité ; mais malgré l'éloquence
de l'oppofition , le parti de la Cour a toujours
l'avantage. La proclamation des Commiffaires
Britanniques , avant leur départ de New-
Yorcka , comme nous l'avons dit , été dénoncée
dans les deux Chambres comme un acte
atroce auquel les Commiſſaires n'étoient
point autorisés , & que la Nation déſavoue ;
c'eſt le 4 de ce mois qu'il en fut fait lecture
dans la Chambre baffe , où après de longs débats
, la propoſition de faire une adreſſe au
Roi ſur ce ſujet , fut rejettée à la pluralité de
209 voix contre 122 ; la même propofition
n'eut pas plusde ſuccès dans la Chambre haute ,
le 7 , où la proclamation fut regardée comme
une pièce modérée , pleine de ſenſibilité , d'humanité&
de bienveillance. Cette déciſion des
Pairs ne paſſa pas fans oppofition , & pluſieurs
àla tête deſquels font les Ducs de Portland ,
5Janvier 1779. E
( 98 )
Mancheſter , Richmond , Bolton & Grafton
fignèrent une proteſtation dans laquelle ils expofèrent
leur opinion , & les raiſons ſur lefquelles
ils la fondoient.
Dans la Chambre des Communes , lorſque
cette proclamation fut diſcutée , pluſieurs voix
s'éleverent contre l'idée de faire une troupe de
bouchers & d'aſſaſſins de l'armée du Roi enAmérique
; on remarqua avec étonnement parmi ces
voix , celle du Général Howe , qui déclara que
les troupes qu'il avoit eu l'honneur de commander,
ne ſe prêteroient jamais à ces deſſeins ſanguinaires.
Il prit cette occaſion pour ſe plaindre , à
ſon tour, du Ministère avec amertume ,enajoutant
que jamais la guerre ne ſe feroit avec fuccès
, en Amérique , tant que le Lord Germaine
feroit à la tête de ce département. Ces plaintes
générales contre le Ministère de la part de sous
les Officiers qu'il a employés n'ont pas échappé
à la Nation. Elle a vu le Général Gage , envoyé
le premier en Amérique , éclater à fon retour
; le Général Howe a ſuivi cet exemple ;
on connoît les plaintes du Général Carleton
& du Général Burgoyne ; on a vu l'Amiral
Keppel & l'Amiral Palliſer , en s'attaquant réciproquement
, accufer auffi le Ministère ; on
ne doute pas que le Général Clinton ne faffe
de même à ſon retour , qu'on aſſure ne devoir
pas être éloigné , & qu'il follicite , dit- on ,
avec chaleur , fur- tout depuis que loin de lui
envoyer les renforts dont il avoit beſoin , &
qu'il avoit demandés , on lui a ordonné d'envoyer
sooo hommes de ſes troupes dans les
Ifles. On ne conçoit pas comment la ſoumifſion
de l'Amérique paroît encore poffible au
Gouverneur Johnstone qui continue de l'affurer
, & d'imputer au Miniſtère tous les obſtacles
qu'elle a éprouvés juſqu'à préſent. >> Vous
dites , lui dit M. Burke , que le choix des
) وو (
Membres du Congrès n'a pas été fait par
l'élection unanime du peuple Américain , qu'ils
ne doivent leur nomination qu'à la force , que
leur tyrannie eſt inſupportable , que lorſqu'il
a voté pour l'indépendance , la pluralité n'a été
que d'une ou de deux voix , que dans la Province
de Penſylvanie où vous avez réſidé
vous connoiffez 30,000 amis à la Grande-Bretagne.
Si cela est ainfi , comment est- il arrivé
qu'ayant à Philadelphie une belle armée de
18,000 hommes , prête à protéger les 30,000
amis qui nous vouloient du bien , ils n'ont pas
ſaiſi cette occaſion de nous prouver leur loyauté
& de méconnoître les 600 tyrans qui compoſent
le monſtre appellé Congrès . S'ils n'ont
pas ofé ſe ſouſtraire au pouvoir ufurpé du Congrès,
lorſqu'ils avoient cet appui à leur portée ,
Tongeront- ils à en faire la démarche , à préſent
que cet appui s'eſt éloigné d'eux . L'Amérique
eft perdue pour jamais ; le ſeul parti qui nous
reſte eſt de nous faire des alliés des peuples qui
Thabitent «.
Le parti de l'Oppoſition,dans les deux Chambres
, paroît invariablement fixé à cette opinion.
Il y elt confirmé par la poſition actuelle de la
Grande-Bretagne , à laquelle la guerre d'Amérique
coûte déja plus de 30 millions ſterl. II
ne ſe déguiſe pas que la France eſt dans une
fituation bien différente ; le Duc de Richemond,
dans la Chambre haute, n'a pas manqué d'expofer
ce qu'il penſoit , & il n'a pu s'empêcher
de faire l'éloge de l'Adminiſtration des finances
Françoiſes & celui de M. Necker. M. Burke a
fait de même dans la Chambre baſſe. Après
avoir lu l'Edit du Roi de France , portant création
de 4 millions de rentes viagères , » ne
démontre- t-il pas , ajouta-t il , que la France ,
pour mettre ſa Marine ſur un pied reſpectable ,
n'a eu beſoin que de 1,800,000 liv fterl. ( en-
E2
( 100 )
nous
viron40 millions tournois ) , qu'elle a pu lever
cette ſomme avec facilité , ſans être réduite à
la néceſſité de créer un nouvel impôt. Nonſeulement
elle a l'avantage fur nous à l'égard
des finances , mais ſes reſſources font ſupérieures
aux nôtres , ainſi que l'emploi de ſes
finances & l'ufſage de ſes reſſources . On parle
beaucoup de ſes torts à notre égard , de ſa
perfidie , &c . je ne fais ſi l'Histoire
trompe; mais il me ſemble que dans tous les
tems , & chez tous les peuples , on a conftamment
vu , & conftamment trouvé naturel que
des ſujets révoltés recherchaſſent l'alliance de
la Puiſſance qu'ils favoient être plus ennemie
de celle à l'autorité de laquelle ils s'étoient
ſouſtraits . L'Hiſtoire du moins en fournit plufieurs
exemples & fans fortir de chez nous ,
nous voyonsque la Grande-Bretagne a fait tout
ce qui étoit en ſon pouvoir pour empêcher que
les Pays-Bas ne paſſaſſent ſous la domination
de la France , & pour en affurer la ſouveraineté
à la Maiſon d'Autriche . Je ne vois donc
rien que de très - naturel dans l'union de la
France & de l'Amérique ; je ne conçois pas
comment une claſſe d'hommes a pu ſe permettre
la foibleſſe de déclamer hautement contre
ce qu'on oppelle petfidie d'une part & ingratitude
de l'autre. C'eſt ne pas vouloir confidérer
que l'Amérique n'a recherché cette alliance
, qu'après qu'elle s'eſt vue forcée à déclarer
ſon indépendance , & que la France ne
s'eſt prêtée à ſes avances , que lorſqu'elle a
vu que les efforts que faifoit la Grande-
Bretagne , pour recouvrer ſes Colonies , étoient
décidément vains. Ce qui m'eût beaucoup
étonné , moi , ç'eût été de voir la France refufer
les offres avantageuſes que lui faiſoit
l'Amérique . Mais en trouvant ſa conduite on
ne peut pas plus naturelle , je ne prétends pas
1
( το )
infinuer qu'elle n'eſt point hoftile , &c. «.
Le Duc de Grafton , dans la Chambre haute ,
avoit parlé de même ſur le traité de la France
avec l'Amérique ; dans fon diſcours fur ce fujet
, il ſomma le Vicomte de Stormont , qui
étoit préſent , de dire s'il avoit reçu & communiqué
enſuite au Miniſtère quelqu'avis de
la ſignature de ce traité. Le Lord Stormont ,
après s'être excuſé de répondre fur des
objets qui entroient dans le ſecret de fa
miſſion , ajouta : >> Quoique je pufſe refuſer de
de répondre à cette queſtion , je crois pouvoir
déclarer à la Chambre , fans bleffer mon
devoir , & pour ma propre juftification , que
j'ai eu avis de bonne heure des deſſeins de la
France , de manière à me convaincre de la
duplicité & des vues hoftiles de cette Cour « .
Il prétendit que le traité publié à Versailles
n'étoit pas le vrai traité ſigné , ou du moins
le ſeul ; il affura qu'il en exiſtoit un autre ,
dont l'objet eſt la deſtruction totale de la
Grande-Bretagne. Onpouvoit répondre à l'Ambaſſadeur
qu'il étoit mal inſtruit , ou qu'il étoit
dans ce moment , au Parlement , ce qu'il étoit
en France , l'Agent du Ministère , qui lui avoit
preſcrit ce qu'il avoit à dire ou à faire , & dont
il ſuivoit exactement les leçons. Mais la Nation
n'avoit garde de rejetter une idée qui
flatroit ſa haîne ; on ſe contenta de s'arrêter
à la partie de fon diſcours qu'on ne croit pas
qui lui eût été dictée , où il dit qu'il avoit
inſtruit le Ministère de ce qu'il avoit appris ,
& le Duc de Grafton obſerva que l'Ambaſſadeur
ayant montré qu'il n'avoit pas négligé
ſon devoir , avoit prouvé évidemment , ce dont
perſonne ne doutoit , que les Miniftres feuls
étoient à blâmer .
Tous les détails de ces féances , relatifs à la
poſition de l'Angleterre ne paroiffent pas exa
E3
( 102 )
gérés , à ceux qui font attention à la durée
de la guerre d'Amérique , aux efforts qu'elle a
faits , aux dépenfes qu'ils ont occafionnées , &
à la décadence de fon commerce. Cela n'empêche
pas cependant que le Ministère ne ſe
propoſe de faire les plus grands efforts l'année
prochaine. Le Miniſtre du département
de la guerre , Milord Barrington a quitté. Son
fucceffeur , M. Jenkinson , a préſenté , le 14
de ce mois , l'état général des forces de terre
& de mer de la Grande- Bretagne. Suivant
fon compte , l'état des troupes réglées , actuellement
fur pied , & diſperſées tant dans les
trois Royaumes que dans l'Amérique & l'Afrique
, eft de 82,744 nationaux , 24,000 auxiliaires
étrangers , 39,000 hommes de milice , &
40co artilleurs , total 149,744. Il vota 160,000
hommes pour l'année prochaine. D'après ce calcul
les forces de la Grande-Bretagne ſe trouveroient
monter à 300 mille hommes effectifs ;
il n'y a point de Puiſſances qui en aient eu
d'auffi confidérables , & on demande comment
il feroit poffible , à une population de 7 à 8
millions d'ames , de fournir & d'entretenir un
pareil nombre de combattans ; on calcule auſſi
que tant de troupes , au taux auquel font portées
toutes les denrées , doivent coûter en Angleterre
un tiers de plus qu'elles ne coûteroient
en France. » Il y a , dit à cette occafion M.
Charles Fox , une fatalite attachée à la guerre
d'Amérique, qui la rapproche beaucoupde celle
queXercès fitjadis à la Grece. Ce qui contribue
infinimentà rendre cette reſſemblance frappante
, c'eſt celle qui ſe trouve entre le Miniſtre qui
préſide parmi nous au tréſor , & celui du Roi
2de Perſe qui de ſon tems ſe trouva dans le cas
de tenir à peu près ce langage : j'ai promis de
conftruire un pont ſur l'Helleſpont , je l'ai
conſtruit; j'ai promis de faire paſſer vos vaifſeaux
fur le Mont Athos , j'ai fait paffer vos
(103 )
vaiſſeaux fur le Mont Athos ; j'ai promis dė
fournir à votre armée toutes les choſes néceffaires
, votre armée n'a manqué de rien. Cependant
cette armée d'environ 2 millions d'hommes
ſe conſuma. La Perſe ſe vit dépeuplée , les
reffources de cet Empire furent épuiſées , & la
Grece conſerva ſon indépendance «.
Toutes ces obſervations font perdues pour
ceux auxquels on les adreſſe ; l'Adminiftra.
tion a pris ſon parti de continuer la guerre en
Amérique , & fi elle ne peut venir à bout de
la réduire , elle veut la dévaſter , & rendre
illuſoire la ſouveraineté à laquelle elle tend ;
on répète que l'année prochaine il ne fera pas
néceſſaire d'y envoyer beaucoup de monde ; on
ne compte pas fur moins de 10,000 Américains
qui prendront les armes pour la Mere-
Patrie; les plaiſans ont obſervé que cela étoit
bien modefte , puiſque ce n'eſt que le tiers des
amis que le Gouverneur Johnstone compte au
Gouvernement dans la ſeule Province de Philadelphie.
Mais en attendant , on s'occupe des
fonds néceffaires pour l'année prochaine. Les
Communes ont déja voté des ſommes confidérables
, ſavoir : 833,911 liv. 18 f. 6 den. ſterl .
pour l'entretien des troupes , en garnison dans
la Grande-Bretagne ; 1,103,118 liv. 15 f. pour
celui des troupes , en garniſon dans l'Amérique
, à Gibraltar & à Minorque ; 37,206 liv .
8 f. 6 & demi , pour ſolde des Officiers Généraux
; 52,923 liv. 1 f. 6 d. pour les différences
de folde ; 56,974 liv. 19 f. pour bataillons
Hanovriens , àGibraltar ; 367,203 liv 9f. 10 d.
pour les troupes Heſſoiſes ; 35,441 pour 2 régimens
de Hanau ; 17,498 pour un de Waldeck;
93,947 pour les troupes de Brunswick ;
39,644 pour celles d'Anſpach ; 7958 pour les
non- valeurs ; 16,630 pour les troupes d'Anhaltzerbit
; 48,668 pour les vivres des troupes
E 4
( 104 )
étrangères en Amérique ; 27,683 pour l'artillerie
en Amérique ; 610,882 pour la milice
d'Angleterre & 3 régimens en Ecoffe ; 85,760
pour les uniformes de la milice ; 5421 pour
de nouvelles compagnies de milice ; 2656 pour
les uniformes ; 259,713 pour augmentations
dans les troupes réglées ; 395,438 pour l'artillerie
; 521,935 pour les extraordinaires. Ces
ſommes réunies , jointes à celles votées , le 2
Décembre pour la marine , & à 2,500,000
pour rembourſer des ſommes accordées dans
la féance dernière , montent à 10,723,720 liv.
ſterl. ( plus de 2.40 millions tournois ) .
On aſſure que le Chef-d'eſcadre Rowley a
reçu ordre de mettre inceſſamment à la voile ,
de Portsmouth , avec 19 vaiſſeaux de ligne ,
que l'on ſuppoſe deſtinés pour une expédition
fecrette avec d'autant plus de raiſon , qu'il
ne prend aucun bâtiment marchand ſous fon
convoi.
,
On dit que notre Compagnie des Indes
Orientales vient de recevoir des nouvelles trèsfavorables
de la côte de Coromandel. S'il faut
en croire ce qu'on raconte de ces nouvelles , un
Prince du pays a cédé à la Compagnie un
territoire plus grand que nos trois Royaumes ,
& le Gouverneur Munro , à la tête de 15,000
foldats Aſiatiques , & de 3000 Européens ,
s'eſt mis en marche pour aller faire le fiege de
Pondichery.
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie le 16 Octobre. Le Congrès a
rendu aujourd'hui une Ordonnance contre toutes
eſpèces de Spectacles , conque en ces termes.
>> Comme la fréquentation des Spectacles &
lieux publics d'amuſement tend malheureuſement
à détourner les peuples de l'attention qu'il
leur eft indiſpenſable de donner pour la défenſe
1
( 105 )
de leur pays & le maintien de leurs libertés ,
arrêté que toutes perſonnes exerçant un emploi
quelconque , dans les Etats-Unis , qui repréſenteront
ſur un Théâtre , y feront repréſenter , ou
encourageront par leur préſence ou autrement
ces fortes de Spectacles , feront jugées peu dignes
de tenir leurdit emploi , & en conféquence
deftituées « .
Le 12 , le Congrès avoit pris la réſolution de
recommander aux 13 Etats-Unis de porter une
Loi ſemblable. Ce même jour , il y avoit une
Comédie affichée dans cette Ville ; M. le Marquis
de la F ..... ignorant ce qui venoit de ſe
paffer au Congrès , ſe propoſoit d'y affiſter ;
comme il avoit dîné chez le Préſident , il lui
propoſa d'être de la partie;celui - ci lui ayant
appris la réſolution que le Congrès avoit priſe
de défendre les Spectacles à toutes les perſonnes
qui le ſervoient , il le remercia de l'avis ,
& déclara que puiſque c'étoit l'ordre du Congrès
, il n'y iroit point.
Trentown du 25 Octobre. Toutes les nouvelles
qu'on reçoit de New- Yorck , annoncent l'évacuation
prochaine de cette Place , où les Anglois
ne peuvent plus ſe flatter de tenir long - tems.
La protection qu'ils doivent à leurs Ifles menacées
, a décidé le Gouvernement à y envoyer
soooohommes , qui ont été tirés de l'Armée du
Général Clinton. Ce nombre d'hommes qui pouvoit
être très-utile à ce Général , obligé de faire
face à pluſieurs armées réunies , ne fera pas de la
même conféquence dans les Ifles , fi on les répartit
dans toutes celles qui ont beſoin de ſecours
, telles que la Jamaïque & la Grenade.
Le Général Washington a les yeux ouverts ſur
tous ces mouvemens ; il a quitté ſon camp de
Fish - Kill pour établir fon quartier-général à
Fredericksbourg ; on s'attend à le voir marcher
à New-Yorkc. Ses troupes ont, dit-on , ordre
Es
1
14
( 106 )
1
de ſe tenir prêtesà partir au premier fignal.
Le 17 de ce mois , anniverſaire du jour où le
Général Burgoyne s'eft rendu priſonnier deguerre
avec ſes troupes , à l'Armée commandée par
le Général Gates , a été célébré au Camp de
Frédéricksbourg avec toute la pompe Militaire
qu'on déploie dans ces occafions. Dans l'après
midi , 13 canons du Parc de l'Artillerie firent
pluſieurs falves , & le Général Washington ,
ainſi que les principaux Officiers de l'Armée
aſſiſtèrent à un grand repas. La Fête fut terminée
par un beau feu d'artifice ; ſpectacle dont
jouirent les habitans des environs quiy vinrent
en foule.
Barnstables du 4 Novembre. L'Etat de Maffachuffett's-
Bay a conſacré un jour à la célébration
d'actions de ggrraacceess publiques , pour remercier
Dieu des faveurs fingulières qu'il a daigné
accorder à cet Etat , & en particulier de celle
qu'il a faite à l'Amérique en diſpoſant S. M.
T. C. à contracter l'Alliance la plus manifeſte
& la plus généreuſe avec les Etats - Unis. Le
jour fixé eſt le 26 du mois prochain ( 1 )
Le 26 du mois dernier , le vaiſſeau le Sommerfet
de 64 canons a échoué à 4 milles à l'eſt
de la pointe Rale du cap Cod. Il faifoit partie
de l'Eſcadre de l'Amiral Byron , qui depuis
plufieurs jours étoit battue d'un très-gros vent
dans ces parages. Tout ſon équipage , compoſé
de 490hommes s'eſt jetté à terre & s'eft rendu
prifonnier. M. Ourry , Capitaine du Sommerfet
a montré beaucoup d'inquiétude pour quatre
autres vaiſſeaux de ligne qui étoient avec lui
le matin , & qui étoient tellement maltraités
qu'il craignoit pour eux le même fort. Nous
avons appris par ces priſonniers que cetteEſcadre
(1) On a remarqué que le 26 a été le jour fixé pour la
rentrée du Parlement d'Angleterre .
( 107 )
étoitdeſtinée pour Boston ,& compoſée de Is
voiles , y compris les vaiſſeaux de so canons.
La perte du Sommerfet les réduit à 14 , parmi
leſquels il y en a pluſieurs en très-mauvais état ;
peut-être eft - elle encore moins conſidérable ;
car il n'est pas douteux que le Commodore
Hotham n'en ait pris un ou deux pour les Iſles .
On mande de Boſton , que le 30 du mois
dernier il y eſt arrivé plus de soo prifonniers
François pris fur des Bâtimens Marchands , que
le Comte d'Estaing a échangés contre un pareil
nombre d'Anglois qu'il avait pris. Il paroit ,
d'après leurs récits , que les priſonniers tant
Américains que François , ont été traités avec
la plus grande dureté à New-Yorck.
Nous ſavons de bonne part que le matin du
jour où le Comte d'Estaing repaſſa ſous les batteries
Angloiſes à Rhode- Ifland , pour aller à
la rencontre du Lord Howe , ce dernier tint
un conſeil de guerre ; ayant appris que l'Eſcadre
Françoiſe avoit mis à la voile , il donna ordre
auſſi-tôt à ſes vaiſſeaux de couper ou de lâcher les
cables & d'appareiller. Un prifonnier à bord
d'un des vaiffeaux Anglois , a été témoin oculaire
de la ſurpriſe & de la confuſion avec laquelle
le Lord Howe ſe ſauva.
>> Nous nous flattions , écrit- on de Fredericksbourg
, de marcher ces jours derniers à New-
Yorck ; le Général Washington avoit déjà ordonné
à un certain nombre de troupes de marcher
à petites journées vers Hartford dans le
Connecticut , pour renforcer l'Armée qui ſe
trouve dans ces environs ſous les ordres du
Général Gates ; mais ſuivant les derniers avis ,
les troupes qui ſont ſorties de New - Yorck
pour ſe rendre aux Ifles , ne font pas fi nombreuſes
qu'on l'avoit imaginé , & la partie projettée
n'eſt que différée ".
E6
( 108 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 31 Décembre.
La Reine continue à ſe porter auſſi bien que ſa
ſituation le permet ; la Princeſſe nouvellement née ,
contre l'ancien ufage , quireculoit à quelques années
le baptême des Enfans de France , qu'on ſe contentoit
d'ondoyer , a été baptiſée le jour même de ſa
naiſſance , à 2 heures après midi , par le Prince Louis
de Rohan , Cardinal de Guemené , en préſence de
M. Broqueville , Curé de la paroiſſe de Notre- Dame.
Monfieur l'a tenue ſur les Fonts de Baptême au nom
du Roi d'Eſpagne , & Madame au nom de l'Impératrice-
Reine ; elle a été nommée Marie-Théreſe.
Charlotte , & titrée Madame , fille du Roi .
Le Roi vient d'accorder à Mademoiselle de Séran
la permiſſion de ſe qualifier du titre de Dame , ſous
le nomde la Baronne Julie de Séran , pour la diſtinguer
de la Baronne de Séran ſa belle foeur , dame de
la Ducheſſe de Bourbon. Elle a accordé auſſi à Mademoiselle
deMornay , fille du Comre de ce nom ,
Seigneur de Ponchon & autres lieux , celle de ſe
qualifier de Dame de Mornay , en conſidération des
ſervices rendusdepuis long-tems à la france par cette
maiſon .
Le 13 , le Marquis de Saint- Sauveur prêta ferment
pour la charge de premier Chambellan de Monfeigneur
le Cointe d'Artois , vacante par la mort du
Comte de Saint-Sauveur ſon frere .
Le 20 le Baron de Choiseuil , Ambaſſadeur du
Roi près le Roi de Sardaigne , de retour ici par
congé , eut l'honneur d'être préſenté au Roi.
Le 22 après la Meſſe , S. M. alla voir la Princeſſe
de Lamballe , à l'occaſion de la mort du Prince de
Carignan ſon pere . Le Duc d'Orléans , le Duc & la
Ducheſſe de Chartres , le Prince de Condé, le Duc
&la Ducheſſe de Bourbon , le Prince& la Princeſſe
de Conti , Mademoiselle de Condé & le Duc de
( 109 )
Penthièvre , ſe trouvèrent dans l'appartement de cetre
Princeſſe pour recevoir S. M. Monfieur , Madame ,
Monſeigneur & Madame la Coniteſſe d'Artois ; Madame
Adélaide , Madame Victoire & Madame Sophie
de France , y allèrent enſuite & furent reçus de
même par les Princes & Princeſſes du ſang. LaPrinceffe
de Lamballe alla le même jour faire ſes remercimens
au Roi & à la Famille Royale .
M. Faujas de Saint-Fond eut l'honneurde préſenter
le 6 de ce mois ſes Recherches ſur les Volcans éteints
du Vivarais & du Velay. Le 18 M. de la Foffe , Graveur
, préſenta à LL. MM. & à la Famille Royale ,
la troiſième livraiſon du Voyage Pittoresque de l'Italie.
LL. MM. , inſtruites que le produit du Journal
des Sciences & beaux Arts , eſt deſtiné pour de pauvres
orphelins nés d'anciens Militaires , ont bien
voulu marquer la protection qu'elles accordent à la
maiſon dans laquelle on élève ces jeunes Sujets , en
permettant que leur nom paroiffe à la tête des ſouſ
cripteurs de cet Ouvrage ; la Famille Royale a ſuivi
l'exemple de LL. MM.
De PARIS , le 31 Décembre.
LES lettresde nos différens Ports annoncent
dans tous la plus grande activité. On conſtruit
dans celui de Breſt un vaiſſeau de 110 canons ,
& 2 de 80 ; il y a auſſiſur les chantiers à Rochefort
un vaiſſeau de 110, 3 de 74 , & 2 frégates
& autres petits bâtimens de guerre .
>> Depuis deux mois , écrit-on de Breſt , en
date du 21 , nous avons ici des tems affreux ;
il ſont moins mauvais depuis quatre jours , &
nous eſpérons voir arriver à chaque inſtant les
flottes de Bordeaux , Nantes & l'Orient , pour
l'approvifionnement de nos vaiſſeaux. L'eſcadre
de 6 vaiſſeaux de ligne que M. de Graffe commande
, n'attend que leur arrivée pour partir ;
celle de M. le Chevalier de Ternay , ne partira
vraiſemblablement qu'à la fin de Janvier. Ce
( 110 )
Chef-d'eſcadre monte l'Annibalde 74 canons ,
il aura fous ſes ordres le Diadême de 74 , le
Réfléchi de 64 , l'Amphion de 90 , & les frégates
l'Amazonne & la Gentille , chacune de 32. Le
vaiſſeau le Ferme , qui doit partir de l'Iſſe de
Rhé , le joindra vraiſemblablement ; on croit
cette eſcadre deſtinée pour l'Inde , où nous avons
déja le Brillant de 64 canons , le Flamand de so ,
& la frégate la Confolante qui porte du canon
de 18 «.
Selon les méme lettres , les vents contraires
ont forcé l'Orient de rentrer en rade ; l'Artéſien
ayant été abordé près de la Baye de Dourmenès
par une priſe de 32 canons qu'il avoit faite , &
qu'il conduiſoit à l'Orient , a en toute ſaguibre
( éperon , taillemer ) emportée , & relâchéà
l'Orient. Cet accident eſt arrivé par une fauffe
manoeuvre de la Priſe , elle a coulé bas ; mais
tout le monde a été ſauvé , & on eſpère de la
relever.
a
Depuis quelque tems les navires marchands
arrivent tranquillement dans nos ports ; la marine
Royale a purgé la mer des Corſaires , &
les a écartés de nos côtes. On en compte au-delà
de 40 qui ont été pris. La frégate le Fox vient
encore d'en amener à Breſt un de 14 canons ; le
vaiſſeau du Roi l'Eveillé a repris dernièrement
aux Anglois , un vaiſſeau Suédois chargé d'approviſionnemens
de marine. Il y a quelque tems
qu'on a dit que la Belle Poule avoit pris un
navire de la Compagnie des Indes Angloiſes ,
richement chargé , & portant 30 canons de 18.
On répète aujourd'hui cette nouvelle ; mais on
nedit point dans quel port on a conduit cette
priſe. Le brave M. de la Clochetterie , qui a
rendu le nom de cette frégate fi célèbre , va
bientôt prendre un autre commandement. On
raconte ainſi la manière dont le Roi a daigné lui
apprendre lui-même ſon avancement. Ce brave
( M)
Officier étoit chez M. de Maurepas , où il faifoit
une partie ; Sa Majesté arriva , & ne
permit point qu'on quittat le jeu ; elle s'approcha
de M. de la Clochetterie , dont quelqu'un
obſervoit le beau jeu. Oui , dit le Roi ,
M. de la Clochetterie à beau jeu par tout ;
mais ajouta-t- il , on lui fait un reproche que je
ne penſois pas qu'il pût mériter ; on l'accuſe
d'inconſtance. Oui , continua - t - il en voyant
fon air d'embarras , vous êtes infidèle à la Belle-
Poule; vous la quittez pour prendre le commandement
d'un vaiſſeau de 64 canons «.
On écrit de Calais que 2 Corfaires armés à
Dunkerque , la Comteſſe d'Artois , & la Comteffe
de Provence , l'un de 22 & l'autre de 24 canons
fortis de ce port dans les premiers jours de
Novembre , font rentrés à Calais , après une
croiſière de 25 à 28 jours dans la Manche , pendant
laquelle ils ont fait 15 priſes qu'ils y ont
conduites.
L'émulation ſe ranime dans tous nos ports ,
il eſt vraiſemblable qu'avant qu'il foit peu , nos
Armateurs couvriront les mers . Les armemens
encourſe ſe préparent& ſe multiplient par-tout
avec cette activité qui dans tous les tems a diftingué
la Nation dans ce genre de guerre. II
paroît un Profpectus pour l'armement de trois
chébecs - frégates , deſtinés à la courſe contre
les ennemis de 1 Etat dans différentes mers. Cet
armement , autorisé par le Miniſtre par Lettre
du 29 Juillet dernier , eſt ſous la protection de
Monfieur, qui permetqu'un de ces chébecs porte
fon nom , & qui veut ſe mettre au nombre des
Actionnaires . La ſomme totale ſera de 900,coo 1.
diviſée en 300 actions ; on ne pourra avoir
moins d'une action & demie.
>> Un corſaire de 18 canons , écrit- on de Bordeaux
, vient d'être lancé à l'eau ; il y en a
fur les chantiers 2 autres de 24 , qui ne tarde
( 112 )
ront pas à être mis à la mer. Nous avons
beaucoup de navires dans le port , qui n'attendent
qu'un convoi pour nos Colonies. Le régiment
Royal des vaiſſeaux a reçu ordre dans
la nuitdu 20 au 21 de ſe rendre à Rochefort ,
il part le 23 “ .
Ces jours derniers le bruit s'eſt répandu ici.
qu'on avoit fignalé à Rochefort 14 navires de
guerre Anglois , & environ 100 voiles ; que
les troupes qui cantonnent en Poitou & en
Saintonge avoient ordre de marcher ſur les
côtes , & que M. du Verger & un autre Officier
Général avoient reçu celui de s'y rendre.
Ce bruit eft affez analogue à la lettre de Bordeaux
que nous venons de rapporter. Mais il
feroit bien extraordinaire que les Anglois vouluffent
entreprendre fur nos côtes dans cette
faifon.
Le navire le Fitz-James revenant de la Chine ,
eſt arrivé à l'Orient , il eſt de 60 canons , &
avoit 160 hommes d'equipage , ſa cargaiſon eft
eftimées millions.
On a des lettres de Breft , qui annoncent que
les vaiſſeau le Fendant de 74 canons , le Sphinx
de 64 , 2 frégates & deux corvettes aux ordres
de M. de Vaudreuil , ont mis à la voile le 15
de ce mois pour une expédition dont on ignore
l'objet. On dit que M. le Duc de Lauzun eft
embarqué fur cette petite eſcadre , avec une
partie de la légion qu'il a levée.
S'il faut en croire le bruit général , M. le
Comte d'Estaing doit avoir fait voile pour les
Antilles ; felon d'autres , il a été tenter une
autre expédition près de Boſton , l'attaque
d'Hallifax dans l'Acadie. On l'infère de ce
qu'il a pris à bord des grils pour rougir des
boulets lorſqu'il a quitté Boſton. Les rapports
de quelques bâtimens arrivés dans nos ports,
ſemblent confirmer ce dernier bruit. Selon eux
( 113 )
ce Vice-Amiral qui avoit pris d'abord le large ,
faiſant route en apparence pour nos Ifles , avoit
tout-à-coup porté fur Hallifax , dont on ajoute
qu'il a forcé la rade. En attendant que ces nouvelles
foient moins vagues , on aſſure que l'Ami-
-ral Byron a perdu 4 vaiſſeaux de ligne qui ont
péri corps& biens , outre le Sommerfet échoué
àlaCôte.
Nous avons eu l'occaſion de rapporter pluſieurs
preuves de l'attention de l'adminiſtration
, à épargner autant qu'il eſt poſſible aux
particuliers les calamités de la guerre. Nous
avons annoncé dans le tems les ordres donnés
en faveur du Capaine Cook par le Miniſtre
éclairé qui préſide à la marine. La lettre qu'il
écrivit à cet effet à M. le Comte d'Orvilliers
eſt trop intéreſſante pour que nous ne la tranfcrivions
pas ici ; elle eſt du 10 Avril dernier.
>>Le Capitaine Cook qui eſt parti de Plimouth
au mois de Juillet 1776 , ſur le vaiſſeau
la Réſolution , avec le projet d'aller reconnoître
les côtes , les Iſles & les mers ſituées au Nord du
Japon & de la Californie , ne doit pas tarder
à revenir en Europe. Il a ſous ſes ordres un autre
navire nommé la Découverte , qui , comme celui
qu'il monte , eſt d'environ soo tonneaux , &
l'un & l'autre ont peu plus de 100 hommes
d'équipage. Comme les découvertes qu'une pareille
expédition donne lieu de faire eſpérer ,
intéreſſent généralement toutes les Nations , je
vous préviens que le Roi veut , qu'en cas d'une
rupture abſolue entre la France & l'Angleterre ,
le Capitaine Cook ſoit traité de même que s'il
commandoit des bâtimens de Puiſſances neutres
& amies , & qu'il foit recommandé aux Officiers
qui pourront le rencontrer à la mer , de
faire connoître , à ce navigateur célèbre , les
ordres qui ont été donnés à fon égard , en lui
recommandant de s'abítenir de ſon côté de tout
( 114 )
acte d'hoſtilité. Vous remettrez une copie de ma
lettre aux Officiers qui commandent des vaiſ
ſeaux , frégates , corvettes & autres bâtimens
de guerre , ainſi qu'aux Commandans desGabares".
Le 17 Avril , M. de Sartine écrivit encore
la lettre ſuivante à M. le Comte d'Orvilliers :
>> Depuis que je vous ai fait connoître , M. , les
intentions du Roi au ſujet du Capitaine Cook ,
j'ai été informé que le Capitaine Clark , qui a
mis à la voile au même tems , eſt chargé d'une
expédition particulière autour du monde ;
comme elle n'intéreſſe pas moins que la première
toutes les Nations , S. M. m'a ordonné
de vous mander qu'elle trouvera bon qu'en cas
d'une rupture abſolue entre la France & l'Angleterre
, il en ſoit usé avec ce Commandant ,
commeavec leCapitaine Cook. Vous remettrez
une copie de ma lettre aux Officiers , &c .
>>Hier , à 3 heures du matin , écrit-on de
Calais, en date du 22, deux vaiſſeaux Anglois
échouèrent à marée baſſe ſur la côte Waldaon ,
àune lieue de cette Ville. Se croyant à la côte
d'Angleterre , ils mirent leurs chaloupes à la
mer pour aller chercher du ſecours ; un des matelots
en débarquant fut apperçu&pris par le
Garde-Côte Aignaire.Ses camarades reſtés dans
la chaloupe , cherchèrent à s'emparer de quelques
femmes de pêcheurs , pour les échanger
contre le priſonnier ; elles leur échapperent ;
ils retournèrent aux vaiſſeaux , qui furent remis
à flot à l'aide des chaloupes. On forma dans la
Ville le deſſein de les enlever ; en une heure de
tems on équipa un bateau de 2 canons & de 2
pierriers& un langard plus petit , ſans canon.
Les Chaffeurs du régiment Vexin demandèrent
à s'y embarquer ; on le leur refuſa. Ce fut avec
peine que MM. de Bouillé & de Châteauneufde
Saint-Prieſt , volontaires & cadets dans
( 115 )
:
ce régiment , obtinrent cette permiſſion ; le
premier ſe jetta dans le bateau , qui rentra le
lendemain, ſans avoir pu joindre les vaiſſeaux ;
le ſecond prit place dans le langard , qui , le
lendemain , à 5 heures du foir , rencontra un
des vaiſſeaux Anglois qui s'étoit ſéparé de l'autre
; il étoitmonté de 8 canons , de 2 pierriers
&de 14 hommes. Le Capitaine Lami , ſecondé
par M. de Saint Prieft , l'aborda le fabre&le
pistolet à la main , & s'en rendit maître. Les
vents contrairesn'ont pas permis aux vainqueurs
d'amener leur priſe ici ; ils l'ont conduite à
Dunkerque ; elle alloit de Leith à Grenade ,
chargée de barils de boeufs , d'orge & de charbon".
Le 26 de ce mois , on a chanté à Notre-
Dame, à l'occafion de l'heureux accouchement
de la Reine , un Te Deum auquel le Parlement ,
les Ordres de la Magistrature & le Corps de-
Ville ont aſſiſté. Le ſoir il y a eu une illumination
générale ; on a fait couler des fontaines.
de vindans tous les quartiers ; on y a diftribué
du pain & des cervelats au peuple , qui a paffé
une partie de la nuit à danſer au ſon des inſtrumens
, & à témoigner ſa joie & fon amour pour
ſes Souverains , par des cris répétés de vive
le Roi , vive la Reine , vive la Princeſſe .
La Cour de Lisbonne vient de foutenir avec
vigueur , le reſpect dû à ſa neutralité. Une
fregate Angloiſe ayant pris ſous le canon de
Lagos,près du cap de S. Vincent , un navire
François , le Ministère Portugais a fait de fi
vives repréſentations à M. Robert Walpole ,
Envoyé extraordinaire de S. M. B que ce bâtiment
, quoique déja vendu , a été ramené à
l'endroit où il avoit été pris , & remis entre
les mains du Capitaine & de ſon équipage.
On a répandu dans le public que les pertes
faites par le commerce depuis le commence(
116 )
ment des hoftilités avoient occaſionné pluſieurs
banqueroutes à Bordeaux , à Nantes , à Rouen ,
&c. En attendant que l'on puiſſe démontrer
complettement la fauſſeté de ces bruits , voici
la copie d'une Lettre de Rouen en date du 24
de ce mois. » Il eſt très- faux qu'une banqueroute
affez conſidérable arrivée en cette Ville , provienne
des malheurs de la guerre. Celle d'un
Banquier de Paris en a été l'unique cauſe. En
général cette place a très-peu perdu dans la
campagne dernière ; mais les eſprits inquiets
groffiffent toujours les objets & partent delà
pour ſe plaindre ou fronder. Les gens ſenſés ,
au contraire , les bons Citoyens voyent la
guerre actuelle avec plaifir , parce que ſeule
elledonne l'eſpérance de voir remettre à fa place
une Nation qui de tout tems a été ennemie de
la nôtre , & diſparoître le monument de honte
qui exiſtoit à Dunkerque , &c “ .
De BRUXELLES , le 31 Décembre.
LES Lettres d'Eſpagne portent que l'Eſcadre
qui devoit partir de la Corogne, a mis à la voile :
elle conſiſte en 12 vaiſſeaux de ligne & 6 frégates
avec un grand nombre de bâtimens detranſports.
Comme on ne dit point quelle eſt ſa deſtination ,
on ne manque pas de faire mille conjectures pour
la deviner ; ſelon les uns elle ſe rend en Amérique,
où elle ſe joindra à celle que la France
y a déja ; ſelond'autres , elle conduit des troupes
dans les Etabliſſemens Eſpagnols que l'on veut
mettre en état de défenſe & à l'abri de toute
attaque avant de ſe déclarer ouvertement. La
déclaration de cette Puiffance , ſelon toutes les
nouvelles , ne peut pas être encore long-tems
retardée. Les Anglois s'y attendent , & c'eſt
peut- être ce qui fait qu'ils ont déja annoncé dans
leurs papiers que le Marquis d'Almodovar avoit
dit au Comte de Weymouth » que le Roi fon
( 117 )
Maître ſe voyoit dans la néceſſité de fournir à
la France le ſecours promis par le pacte de Famille
; & que S. M C. eſpéroit que cette démarche
, conforme au traité , n'apporteroit aucune
altération à la bonne harmonie qui ſubſiſte
entre les deux Cours ". Cette annonce eſt ſans
doute prématurée ; mais les Anglois prévoient
une déclaration prochaine dont celle - ci eſt la
ſubſtance.
Depuis le 4 de Novembre que le Comte
d'Estaing eſt parti de Boſton , on ignore abfolument
ſa marche & fes projets. » Ce Vice-
Amiral, écrit - on de Paris , promit , dit - on , à
M. de Sartine , qu'il recevroit la Relation de
ſon expédition lorſqu'elle ſeroit terminée , ou
ſon Extrait mortuaire ; c'étoit annoncer qu'il
n'écriroit point , & il a tenu ſa parole. S'il a
un Secrétaire , c'eſt celui de ſes gens qui eft
lemoins occupé. Comme il ne donne pointde
ſes nouvelles , la curioſité impatiente du Public
ſaifit avec empreſſement toutes celles que peuvent
apporter les navires marchands qui reviennent
d'Amérique ; la plupart font bien vagues ;
voici les dernières que l'on a recueillies «.
» M. le Comte d'Estaing , avant ſon départ de
Boſton , a fait , dit - on , en fon nom , maisfans
prendre aucun titre , ce qui n'étoit pas néceſſaire
parce que perſonne n'ignore les forces qu'il a
avec lui , une Proclamation pour exhorter les
habitans de l'Acadie & du Canada à ſecouer le
joug de la Grande-Bretagne ; il a fait des vivres
pour 4 mois , & 3 à 4000 Américains ſe font
embarqués fur fa Flotte ; il a pris auſſi des tentes
&des gillets. Au lieu d'aller aux Antilles , comme
on dit qu'il en avoit l'ordre , on prétend
qu'il est allé à Hallifax . Mais comme il n'y a
que to lieues de navigation de Boſton àHallifax
, il auroit dû être à vue de ce Port à la mi-
Novembre ; & dans ce cas , on ne conçoit pas
(118 )
comment on n'en a encore aucune nouvelle en
Angleterre , la traverſée des côtes de l'Acadie
aux côtes de la Grande- Bretagne ne pouvant
guères être que de 25 à 30jours , vu la conſtance
des vents de fud & de ſud-oueft qui règnent
depuis près d'un mois & demi. Ce font peutêtre
ces obſervations qui ont donné lieu à un
autre bruit qui s'eſt répandu , & d'après lequel
M. le Comted'Estaing a changé ſa deſtination&
pris la route des Antilles. Il doit, ajoute t- on ,
prendre à l'Iſle Hollandoiſe de Saint - Euftache
quelques rechanges dont ila beſoin, & delà aller
à la Jamaïque. C'eſt à l'une ou à l'autre de ces
deftinations que l'opinion générale s'arrête ; on
ne doute point que ce brave Officier n'ait de
grands deffeins ; on fait qu'il a du génie & de
Ia hardieffe ; & on eſt persuadé qu'il fera Mà
réchal de France , ou qu'il ſe fera tuer. En attendant
qu'il nous donne lui-mêmede ſes nouvelles,
voici une obſervation plaiſante qu'on fait ici.
Ce Vice- Amiral a une Nièce qui vit ordinairement
dans ſes terres , & qui eſt venue paffer
quelque tems à Paris , où ſe trouve une Soeur
de l'Amiral Byron , avec laquelle elle eſt liée.
La Soeur & laNièce ne ſe quittent pas en Europe,
pendant que l'Oncle & le Frere cherchent
à ſe battre avec fureur ſur les mers du Nouveau-
Monde".
Un Officier François , prifonnier en Angleterre,
écrit les détails ſuivans. >>Trois frégates
Angloiſes , après avoir eſſuyé des tems affreux
viennent de ſe perdre corps & biens. Lorfqu'un
Général ne réuffit pas dans ce pays-ci, on demande
ſa tête , & l'on dit que celle de Keppel
court de grands riſques. Il eſt du moins certain
qu'il ne veut plus commander la flotte C'eſt
M. Howe qui le remplace. On est fort inquiet
enAngleterre des opérations de M. d'Estaing :
on n'y parle que des dommages qu'il a cauſés à
( 119 )
la Nation. Elle me paroît dans un triſte état :
on ne trouve plus de recrues ni pour la terre ni
pour la mer. Dernièrement à Plymouth , on
vouloit prendre des Américains pour ſervir fur
l'Eſcadre qu'on y équipe. Leurs feinmes & leurs
enfans les ont fuppliés à genoux de prendre
parti . Ils ont répondu qu'ils aimoient mieux
périr en priſon que de trahir leur Patrie ".
>> Le tribunal général de l'Inquiſition , écrit-on de
Madrid, tint le 20 Novembre dernier un Auto ſe
cret, dans lequel comparut comme accuſé le ſieur
Paul Oliyadés , aſſiſtant de Séville , & fur- Intendant
des nouvelles Colonies de Sierra-Morena. Le rapport
de ſon affaire dura depuis 8 heures du matin
juſqu'à midi & demi. Les griefs fondés ſur ſes excès
& fon libertinage , formoient 170 articles d'une
part,& 70 d'une autre , appuyés ſur le témoignage
de 78 témoins . Lorſque les deux ſecrétaires eurent
fait la lecture de la procédure , & prononcèrent ces
mots terribles , nous le déclarons atteint & convaincu
d'hérésie , il tomba en ſyncope , fans perdre
cependant connoiflance ; du vin & de l'eau qu'on lui
donna , le mirent en état d'entendre ſa Sentence ,
qu'il écouta en qualité d'hérétique , tenant en main
une torche de cire verte , qui devoit être furchargée
de la croix de Saint-André , dont le Grand
Inquifiteur lui fit grace. Il a éré condamné à la perte
detous ſes biens qui ſont confiſqués , à 8 années de
clôture dans un couvent ; pendant la première il jeû.
nera tous les vendredis , ſi ſa ſanté le lui permet, ce
qui ſera remis à la difcrétion d'un Directeur éclairé
qu'on lui nommera pour l'inſtruire de la religion &
le fortifier dans la pratique de ſes exercices. Il lui a
été enjoint de faire régulièrement ſes prières du matin
& du ſoir , de lire le Guide des Pécheurs du
R. P. Louis de Grenade , de réciter tous les jours à
genoux le Rofaire & le Credo . Il a été déchu de tous
ſes titres & charges , déclaré incapable d'en poſſéder
jamais aucune; il lui a été défendu de porter à l'avenir
des vêtemens de ſoie , velours , tiſſus d'or ou
( 120 )
1
d'argent , du galon , des pierreries; il ne s'habillera
que de drap jaune le plus commun; il ne montera
point à cheval , & ne portera aucune arme. Il eſt
banni à perpétuité de Séville , de toutes les maiſons
Royales , de Madrid , des nouvelles Colonies , & de
Lima , lieu de ſa naiſſance où il prit le grade de Docteur.
On lui fit faire enſuite en ſa qualité d'hérétique
une abjuration authentique , après laquelle il fut
abfous de l'excommunication & réconcilié ſuivant
toutes les formalités preſcrites par les Canons. Quatre
Prêtres en ſurplis vinrent pour cet effet , armés
chacun d'une poignée de verges , dont ils le frappèrent
ſur les épaules ſuivant l'uſage , pendant qu'on
récitoit le pſeaume Miserere. Il fit ſa profeffion ſolemnelle
de foi , & fut interrogé ſur plus de 30 ar
ticles de croyance ; on le dépouilla des marques de
l'ordre de Saint-Jacques dont il avoit été décoré. Le
Comité qui aſſiſta à ce Jugement , étoit compoſé du
Duc d'Icar d'Avranteo , des Comtes de Mora & de
la Corogne , de 3 Conſeillers de Caſtille , 2 des Finances
, 2 du Conſeil des Indes , 2 des ordres Royaux
&undudépartementde la guerre , de l'Abbé de Saint-
Martin & de 2 de ſes Moines , du Prieur de l'Efcurial
, de l'Abbé de Saint- Bafile , de 2 Trinitaires , 2
Religieux de la Merci , du Pere Cardenas , Capucin,
de pluſieurs Prêtres décorés , & de pluſieurs
Chevaliers de l'Ordre Royal de Charles III <«.
N. B. Nous nous empreſſons de rectifier ici
l'annonce que nous avons faite dans le Mercure
dus Décembre dernier , de la mort de Louis-
Marie-Joſeph Frottier (& non Frotter, ) Comte
de la Coſte Meſſeliere , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de St- Louis , ci-devant premier
Sous- Lieutenant de la Compagnie des
Chevaux- Légers de la Garde du Roi. Parmi
ſes Auteurs , on trouve Pierre Frottier , Grand-
Ecuyer de France en 1417 , fous Charles VII.
Voyez les Grands Officiers de la Couronne , du
Père Anfelme.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles;
les Causes célebres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
15 Janvier 1779 .
i APARIS,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES.
ECES
Étrennes au Roi ,
ACADÉMIES,
181 123 De Dijon ,
Couplets à Madame Ca- Société d'Agriculture de
fanova, Lyon, 124
Jers à MileA... D... 125 Anecdote ,
182
183
-AM. de Laujon, 126 Trait de Bienfaisance 186
Lettre fur l'Origine des Cause Célebre , 187
Romans , 127 SCIENCES ET ARTS .
Enigme & Logogryp . 148 Sculpture , : 188
NOUVELLES Gravures ibid.
LITTÉRAIRES . Musique , 190
Éloges lus dans les Séan- ANNONCES LITTÉR. 191 .
ces Publiques de l'Aca- JOURNAL POLITIQUE .
démie Françoise , par Constantinople , 193
M. d'Alembert , 150 Stockholm 194
Extrait du TraitédesAc- Varsovie , 197
baut ,
couchemensparM. Bar Vienne
Traité de la Prononcia- Ratisbonne
198
165 Hambourg , 200
203
tion de la Langue An- Livourne ,
gloife,
209
167 Londres , 211
SPECTACLES . Septent.
Antiq. de la France , 169 Etats-Unis de l'Amériq.
Académie Royale deMu- Verfailles ,
218
222
fique , 176 Paris , 224
Comédie Italienne , 178 Bruxelles , 236
APPROΒΑΤΙΟΝ.
FAI lu , par ordredeMonſeigneur le Garde des
Sceaux, le Mercure de France , pour le is Janvier
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impref
fion. A Paris , ce 14 Janvier 1779 .
DE SANCY,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
ruede la Harpe , près Saint-Côme.
+
MERCURE
DE FRANCE .
15- Janvier 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉTRENNES AU ROI,
JE reſpecte les Souverains
Qui de Thémis ont la balance ,
Etqui n'uſent de leur puiſſance
Quepour le bonheur des humains :
Eux ſeuls peuvent avoir l'hommage ,
L'encens & les voeux des mortels ;
Fij
14 MERCURE
1
Comme des Dieux ils font l'image,
On leur doit auſſi des autels.
Ales honorer tout m'engage;
Mais j'abhorre le conquérant
Qui va d'une ardeur ſans ſeconde
Piller & ravager le monde,
Et couvrir la terre de fang:
Il la détruit , vous la rendez féconde ;
Antonin vécut comme vous';
Son nom eſt chéri dans l'Hiſtoire ,
Vous aurez même place au Temple de Mémoire?
Les Rois devroient être jaloux
De mériter la même gloire .
Ils font toujours des malheureux
Lorſque leur éclat les enivre;
Vous êtes bien au-deffus d'eux :
Plus le Deſtin vous fera vivre ,
Plus vos Sujets feront heureux.
(ParM. de Chennevières. )
COUPLETS A MADAME CASANOVA ,
Sur un díner où un gros rhume m'empêcha de
J'ALLOIS
me trouver.
AIR de Lindor.
'ALLOIS me rendre au Temple qui recèle
Un couple heureux dont Hymen a fait choix ,
DE FRANCE. 125
Nature , Amour , y montrent àla fois
Peintre fublime * avec charmant modèle. T
J'ENTENDS d'Amour la voix qui me ranime;
Mais Hippocrate.eft venu me ſaiſir ;
L'un pour remède ordonne le plaiſir ,
L'autre preſcrit l'ennui pour tout régime.
PRÈS de Silvie , Amours en embuſcade ,
Dit Hippocrate , iront te recevoir ;
Et le malade enfin qui va la voir ,
Loin de guérir , revient deux fois malade.
AMOUR tout bas me dit : va voir Silvie ;
Mais ſon rival me défend de la voir ;
Et l'una ſu m'en ôter le pouvoir ,
Quand l'autre , hélas ! m'en a laiſſé l'envie.
L
( Par M. Imbert. )
D. M. L. P. D. L.
Pour Mademoiselle A ... D ... ſous le nom
de Laure.
REVENEZ
EVENEZ mes plaiſirs , je revois ce que j'aime.
Les voeux que je formois pour venir en ces lieux
Sont enfin exaucés : oui c'eſt l'Amour lui- même
Qui va par mon retour rendre mesjours heureux.
2
*M. Cafanove , fameux Peintre deBatailles.
Fiij
126 MERCURE
:
Je me ſens rajeûnir ; tout me ſemble renaître
En me voyant ici j'ignore la ſaiſon.
Afſis auprès de Laure , on fent un nouvel étre ;
Onjouit de la vie en perdant la raiſon.
VERS à M. LAUJON , pour le remercier
de ce qu'il m'avoit fait préfent du Recueil
defes Chansons , intitulé : les à propos de
Société.
JEfes'alusy ces àpropos charmans ,
Ces jolis riens, où ta Muſe légère
Nous peint de fidèles amans
Qui folâtrent fur la fougère .
Je les ai lus , ces couplets qu'Apollon
Dicta jadis au tendre Anacréon,
Soupirant aux pieds de Glycère.
C'eſt un préſent digne des Dieux ;
Je le dois à ton coeur , il m'eſt bien précieux.
LOIN de moi la Philofophie ,
Et tous les froids raiſonnemens
Des raiſonneurs de Grèce & d'Italie.
Eh ! qu'a t'on beſoin d'argumens
Dans les boſquets de l'Idalie ?
Quittons ces fades ornemens
Pour les grelots de la folie.
Sur le ſommet du double mont ,
DE FRANCE.
127 .
Si ma Muſe encore enfantine
Va cherchant par-tout qui badine ;
Si mon coeur ſe livre au démon
Qui me lutine & qui m'inſpire ,
Pour prixde monfoible délire
Je ne veux rien , aimable Anacreon ;
Sois pour jamais mon Apollon ,
Et paie-moi par un fourire.
( ParM. l'Abbé de Baſville. )
LETTRE fur l'Origine des Romans en
Europe.
V
ous n'aurez de moi que des Lettres fugitives
, mon ami , fruits de la pareffe , &
non d'un travail ſérieux. Le ſtyle épiſtolaire
eſt plus libre , plus gai , plus conforme à la
franchiſe du coeur & de l'eſprit , plus convenable
à l'homme ſolitaire qui ne converſe
guères qu'avec ſes amis , & qui renonçant à
fréquenter les hommes , s'eſt réſervé pourtant
une des plus grandes douceurs de leur
commerce ; car il vaut mieux écrire que de
parler , non-feulement aux grands , dont les
aſpérités s'émouſſent par les diſtances ; mais
à la plupart des Gens de Lettres , moins tranchans
de loin que de près ; mais au commun
des hommes , avec qui ſouvent l'on perd à
les voir , les ſentimens d'eſtime & d'affection
qu'on avoit pu leur accorder ou leur
Fiv
128 MERCURE
infpirer. Les femmes d'eſprit ſeules font
plus dangereuſes dans le commerce épiftolaire
que dans la converſation. Leur ame
plus agitée dans la Société , détruit ou difmpe
par ſa mobilité naturelle , les paſſions
que pouvoit exciter leur ftyle de flamme ou
de douce langueur. Elles favent dérober leurs
défauts dans leurs lettres , au lieu qu'ils ſe
montrent dans leur voix, leurs traits , leur
contenance , dans le fil de leurs petites
actions qui trahiſſent juſqu'à leur coquetterie.
Je ſens que le ſtyle épiſtolaire en Litterature
a les inconvéniens de l'égoïfme. Qu'importe
, fi cette eſpèce de pédantiſme n'eſt
pas plus ennuyeuſe qu'une autre ? J'ai vécu
quarante ans fans ofer dire moi; mais quand
j'ai vu que le moi des autres ne valoit guères
mieux que le mien , j'ai jeté le mien dans
la mêlée pour ſe défendre contre les moi de
la grandeur , de la ſuffiſance , du bel-air , du
bel-eſprit , de la beauté , de la bêtife , & de
toutes les miferables enfances de l'amour
propre , dont l'arbre généalogique a des racines
& des branches immortelles.
La retraite d'ailleurs nous rend égoïftes .
C'eſt pour foi qu'on la cherche , quand on fe
trouve inutile ou même incommode aux
autres par fon âge ou ſon caractère. J'ai des
défauts incompatibles
j'ai le plus inſupportable de tous , celui de avec ceux des autres ;
ſentir trop vivement ceux que je n'ai pas.
Aufli me fuis-je caché dans un ſable defert ,
entre un bois qui n'eſt habité que des bêtes
DE FRANCE . 129
fauves , & un bord de rivière peu fréquenté
des hommes. Mes voiſins ſont des payſans
auſſi farouches que moi , des liévres qui
font peur aux grenouilles , mais à qui je fais
peur auffi , fans pourtant leur faire de mal ;
des cerfs qui ne me redoutent que ſous ma
redingotte bleue , hors delà me regardant
avec un air menaçant des galères.
Je chaffe cependant fans crainte & fans
permiffion , non pas aux cerfs , non aux ojſeaux
, mais aux idées , plus volages encore.
Mes profondes méditations roulent ſur la
métaphyfique des mots qui m'explique celle
des choſes : car je m'ennuie des rêves politiques
, & jabjure après vingt ans le vain fonge
du bien public . Une maladie réelle m'a
guéri de cette folie. Pour n'en être plus attaqué
, j'ai perdu de vue mon fiécle & mon
pays. Je m'enfonce dans l'antiquitédes temps
&des hommes. Je lis Homère , & me propoſe
à cinquante ans d'apprendre le Grec à
meſure que j'oublierai le François. En attendant
, j'aime ce Poëte , même dans notre langue
, depuis que , grace à la nouvelle traduction
en profe , mes enfans me récitent la
mortd'Hector,& les prières & les larmes de
Priam aux pieds d'Achille. Je pleure avec
toute la famille d'Hector , avec la mienne .
On me lit du Télémaque , & j'y trouve toujours
un nouveau charme , parce que Fénélon
eft antique comme Homère & Sophocle. Je
lis nos Romans du fiécle dernier. Ces lectures
attendriſſent mon ame. Apropos de ces
Fv
130
MERCURE
Romans , je viens de lire une Differtation
Angloiſe ſur l'eſprit Romancier , & j'y ai
trouvé matière à m'entretenir quelque temps
avec vous.
C'eſt une choſe curieuſe , mon ami , que
de rechercher l'origine de nos Romans. D'abord
avec de l'érudition & de la philoſophie
, l'imagination peut forger un ſyſtême
ou un Roman fur cette origine même. Je
foupçonne qu'elle eft contemporaine de celle
de nos grandes Maiſons de l'Europe , fi elle
n'eſt pas antérieure. L'Auteur Anglois de la
Differtation que je lis , va plus loin & plus
haut; car il veut que l'invention des Romans
ait été communiquée aux Européenspar
un peuple qui avoit , dit- il , plus d'efprit &
d'imagination que nous. Et quel eft ce peuple?
Le croirez-vous ? Les Arabes. Une horde de
bandits & de voleurs , errans dans des fables
brûlans & des rochers déſerts , vivant du
butin qu'ils font fur les pelerins de la Mecque
, autant ou plus ignorans qu'eux ; ce
peuple auroit plus d'eſprit que vingt nations
policées, dont chacune a vingt Académies
favantes. Ce peuple auroit de l'imagination ,
lui dont la tête raſée est toujours brûlée par
le foleil. Il auroit inventé les contes , lui qui
n'a rien à faire qu'à dormir le jour & marcher
la nuit. Il aura ſans doute inventé les
Sciences , parce qu'il nous a donné ſes chiffres
d'arithmérique ; l'Aftronomie
comtemple & compte les étoiles fous un
parce qu'il
ciel toujours pur ; la Philofophie , parce
د
DEFRANCE. 131
1
qu'il a commenté celle d'Ariftote ; la Médecine
, parce que les meilleures plantes de
la Pharmacie & le baume de la Mecque
nous viennent encore de ſon pays. L'Auteur
Anglois croit peut-être que le café ,
qui quelquefois exalta l'imagination des gens
d'eſprit , doit en donner beaucoup aux Arabes
qui le cultivent à Moka ; comme ſi les
Efpagnols , les Italiens , les Bourguignons &
lesGaſcons qui boivent les meilleurs vins de
l'Europe , en étoient auſſi les peuples les plus
ingénieux , les plus Poëtes & les plus Romanefques.
Mais notre Differtateur cite des faits , &
vous dit hardiment : " c'eſt une opinion réçue
parmi les Savans , que les croifades
> enrichirent l'Occident des Fables des
» Arabes. Ces expéditions contribuèrent
» beaucoup à répandre les ouvrages de ce
» peuple dans toute l'Europe » . Cette idée ,
fût-elle vraie , ne lui eſt point particulière .
Un homme qui n'avoit pas lu notre Anglois ,
a dit dans la Préface inconnue d'un Livre
qu'on ne lit pas ; ( ce font les Contes Perfans
par Inatula de Delhi , traduction Françoiſe
dune traduction Angloife ) cet anonyme a
dit , au ſujet des Leçons desfix Commères ,
qui ſe trouvoient dans l'ouvrage Perfan: " On
» s'étonnera peut-être d'y lire un Conte de
» l'Amandier preſque entièrement fembla-
>> ble au Conte du Poirier qui eſt dans la
>> Gageure des trois Commères par La Fon-
>>taine. Mais notre Poëte l'avoit emprunté
Fvj
132
MERCURE
و د
de Bocace , & cet Italien avoit peut-être
» emprunté de l'Orient quelques-uns des
>> ſiens ». Il ajouta à cette conjecture qu'elle
eſt d'autant pas vraiſemblable , qu'on peut
remarquer dans la manière de narrer de Bocace
, beaucoup de cette emphaſe qui refſemble
à l'enfure du ſtyle aſiatique. Il étoit
trop près de fes modèles pour en avoir fecoué
les défauts , comme La Fontaine les a
fait difparoître dans ſes Contes , grace à la
diſtance qu'un intervalle de quatre cens ans ,
celui de deux langues Europeennes , un caractère
national moins bouillant que celui
des Arabes & des Italiens , un goût poli par
la brillante Cour de Louis XIV& par les exploits
de Turenne & de Condé ; grace enfin
à toutes les différences que le climat & le
temps devoient mettre entre un Conte Perfan
, les Nouvelles de Bocace & les Contes
de La Fontaine. " On fait ( poursuit le Traducteur
François desContes d'Inatula ) que
> vers le temps de la renaiſſance des Lettres, il
s'eſt trouvé de grands rap rapports entre la Littérature
Italienne & celledesOrientaux.Les
>> croifades avoient ſans doute fait paffer en
>>Europe beaucoup d'idées , & peut - être
>> d'ouvrages de l'Orient. Les Arabes en ont
>>pu répandre par l'Eſpagne. Après la priſe
» de Conftantinople, la Littérature Grecque
vint en Italie avec celle de l'Afie Moderne.
Les Italiens prirent ces deux goûts à la
fois. Le Taffe & l'Arioſte n'ont-ils pas em-
>> prunté de l'Orient le ſujet local , les tours
ود
23
و د
و ر
"
DE FRANCE.
133
>> figurés , quelques perſonnages , & les idees
» même romaneſques de leurs Poëmes ? Les
>>Contes Eſpagnols de Cervantes ſe ref-
» fentent un peu du ſtyle & des moeurs des
>>Maures. Les anciens Romans François &
>>tous ceux de la Chevalerie ont beaucoup
retenu des féeries des Orientaux » .
Voilà les conjectures qu'avoit haſardées un
François il y a huit ans , & voici comment
elles ſont confirmées par les afſertions d'un
Auteur Anglois. La connoiffance & l'introduction
des Contes Arabes en Europe a précédé
de quelques fiécles au moins le temps
des croiſades. Les Sarrafins , ou les Arabes ,
après avoir habité les côtes Septentrionales
de l'Afrique , entrèrent en Eſpagne vers le
commencement du huitième ſiècle , ils y
firent des conquêtes , & fixèrent le fiége de
leur domination à Cordoue. Ces vainqueurs
y portèrent leur religion , leurs coutumes &
leur langue , qui ſe trouve encore mêlée dans
l'Eſpagnol , où tous les mots , qui ne font pas
venus du latin, paroiffent viſiblement Arabes.
Cette dernière langue fit bientôt négliger
celle des Romains , déjà conſidérablement
altérée & defigurée par les Viſigots. Les Efpagnols
enchantés des Livres Orientaux ,
dont les Fables amuſoient leur pareffe , voulant
en imiter le ſtyle pompeux & figuré,
laiſsèrent enfler & bouffir leur imagination
(dit Ducange ) par l'expreſſion ſonore , pittorefque
& magnifique de l'élocution Arabe.
Ils y trouvoient , outre l'éclat& la variété
134
MERCURE
J
5
des images , " une fécondité d'invention ,
ود dont les esprits stériles &froids de notre
» Europe , n'avoient pas eu juſqu'alors la
>> moindre idée ». L'Eſpagne avoit déjà des
liaiſons de commerce avec la France &
l'Italie , par la Méditerranée. Ainfi les Contes
des Fées paſsèrent à Marseille avec des
marchandises , & fans doute des vins ſpiritueux
, propres à faire valoir les fictions romaneſques.
Mais par quelle tranfmigration peu naturelle
des opinions & des idées fait - on
voler l'efprit romancier de la Provence
: en Bretagne ? Ce ne ſera ni par la communication
des terres , ni par celle de la
Méditerranée avec l'Océan ; car alors les
terres & les mers n n'étoient pas labourées
-& traverſées comme aujourd'hui. Sera- ce
par l'Eſpagne & par la Bifcaye & l'Aquitaine
, que l'eſprit Arabe aura paffé fur les
côtes de l'Amérique ? Non. Mais , dit l'Auteur
Anglois , il y avoit un germe de cet
eſprit en Bretagne avant l'établiſſement des
Sarrafins en Eſpagne. Et qui l'y avoit ſemé ?
Les Anglois ; & voici matière à de nouvelles
guerres entre la France & l'Angleterre , mais
guerre de Savans. Puiffe-t-il n'en pas furvenir
de plus fanglantes ! Quels font les plus
anciens Bretons , les Infulaires ou ceux du
continent ? D'un côté la conquête de l'ifle
par les Romains, fait préfumer aifément que
les Gallois auront paſſe ſur la côte des Gaules
la plus voiſine de la leur , d'autant que le
:
DE FRANCE.
135
coursnatureldes tranfmigrations ſe portedes
iflesau continent , plutôt que du continent aux
ifles. La raiſon en eſt que la population de
celles- ci doit ſe déborder par la mer fur les
terres voiſines , au lieu que ſur les côtes du
continent elle peut refluer dans les Provinces
méditerranées. Les Gallois , dit-on , & les
Bretons François parlent la même langue ,
puiſqu'au dernier liége de Belleifle, les foldats
de la Province de Galles entendoient
ceux des environs de Quimper , mais furtout
les payſans de l'ifle atliegée ; & plût au
ciel qu'ils ſe fuffent entendus juſqu'à ne pas
ſe battre ! Mais allons plus loin ; qui nous
affurera que les Gallois ne viennent pas originairement
des Gaulois , & qu'avant le paffage
de Céfar dans la Grande-Bretagne , ou
même avant que l'océan eût ſépare l'ifle du
continent , comme il a pu le faire en formant
un golfe de Breſt au Havre , avant
d'ouvrir le pas de Calais , les deux peuples
également celtiques , également braves fur
mer & fur terre , ne fuffent pas compris
ſous le nom de Gaulois ? Les anciens ÉcrivainsAnglois
donnent ſouvent à l'Armorique
le nom de Galles occidentale , tant l'une &
l'autre Galles ſemblent avoir la Gaule pour
mère. Quoi qu'il en ſoit , parens ou non , les
Gallois & nos Bretons font vraisemblablement
les peuples les plus anciensde l'Europe
moderne , puiſqu'ils ont , comme les Baſques ,
qui ne leur cèdent ni en antiquité ni en bravoure,
une langue particulière que perfonne
136 MERCURE
ne leur difpute. Au reſte , il eſt indifferent
de ſavoir laquelle des deux Nations eftla première,
puiſqu'il ne s'agit point de conquête,
mais d'alliance & de commerce entre elles;
lesdeuxpeuples, naturellement indépendans',
s'étant revoltés de concert & ligués enſemble
contre la dominationdesRomains. D'ailleurs
, de l'aveu même de l'Auteur Anglois ,
ce ne ſont pas les Gallois qui portèrent les
contes de leurs antiques Bardes dans l'Armorique
; mais les Armoricains qui donnèrent
leurs Romans aux Infulaires ; car il y a dans
le Muſée Britannique une collection de vieux
contes en vers François qui ſemblent avoir
été écrits par les Bardes Armoricains. Ceuxci
même ont compoſé des Poëmes d'une an
tiquité très- reculée qui ſubſiſtent encore. Les
Celtes ou les Armoricains avoient donc une
poéſie &des fictions avant que l'efprit romaneſque
des Arabes vint frapper leur imagination
? " Sans doute ; & c'eſt pourquoi les
>>Romans François placent en Cornouaille
„ la ſcène de leurs aventures » .
Ily avoit des livres Bretons avant qu'il y
eût des livres François , témoin une Chronique
des Rois de Bretagne en langue Armoricaine
, qu'unArchidiacre d'Oxford rapporta
de France vers l'an 1100 , à un Bénédictin
Gallois qui la traduiſit en latin. Cette chronique,
chargée d'ornemens romaneſques qui
ne peuvent remonter au-deſſus du huitième
fiècle , n'eſt , dit-on , qu'une généalogie des
Princes de Galles , depuis le Troyen Brutus
DE FRANCE. 137
juſqu'au ſeptième ſiècle de l'ère chrétienne.
C'étoit alors la manie de defcendre des
Troyens. Une histoire latine de France' ,
écrite au fixième ſiècle , commençoit à la
guerre de Troye , & finiffoit à Clovis , c'eſtà-
dire , qu'elle finiffoit par le commencement.
Chaque Nation vouloit avoir un des
cinquante fils de Priam pour fondateur ; au
pointque fous Juftinien,les Grecs eux-mêmes
ſe prétendoient les fils de ces mêmes Troyens
que leurs pères avoient exterminés , tant
cette Troye a fait de bruit dans le monde
par la voix puiffante d'Homère. C'eſt Homère
qui créa Virgile , qui a éterniſe la ruine
de Troye dans la mémoire des hommes , ou
du moins chez les Nations barbares ou policées
de l'Europe. Quand l'Éneïde y reparut
entre le fixième & le ſeptième ſiècle , &
qu'on vit les Troyens fondateurs de cette
Rome , éternelle Capitale du monde , foit
Payen ou Chrétien , chaque peuple ſauvage
voulut , à l'exemple du fiége des Céſats &
des Pontifes , deſcendre auſſi de Troye.
Mais peut-être étoient-ce les Romains euxmêmes
qui avoient apporté dans les Gaules ,
& dans toutes les Provinces de leurs conquêtes
, l'hiſtoire fabuleuſe de leurs fondateurs
, & qu'il en reſtoit des traces que l'ignorance
des barbares du Nord n'avoit point
encore effacées , & que la lecture des Poëtes
latins rafraîchit & grava dans l'eſprit des
Gaulois , Cependant on convient que l'hiftoire
des exploits de Brutus , héros de la
138 MERCURE
:
t
Chronique Bretonne , eſt écrite poſtérieurement
au neuvième ſiècle ; car on y parle
d'Alfred & de Charlemagne , deux héros à
mon gre , calques l'un & l'autre par leurs
Hiftoriens. On y dit que les douze Pairs de
France afſiſtèrent au couronnement du Roi
Arthur ou Artus , qui ſe fit avec une magnificence
vraiment romaneſque dans la ville
de Caërleon ; cérémonie intaginaire , ainfi
que les brillans tournois dont on l'accom
pagne , & qui n'ont été célébrés avec une
certaine pompe que long-temps après Charlemagne
. On parle dans cette Chronique ,
qui eſt ſuppoſée écrite au ſeptième ſiècle ,
de la Forêt de Canut , & Canut eſt mort en
1037. Cette Chronique a viſiblement été
fabriquée après la légende de Sainte Urfule
&les actes de Sainte Lucie. Enfin, quel qu'en
foit l'Auteur , Barde ou Moine , Anglois ou
bas-Breton , c'eſt une compilation informe
& monstrueuſe , faite au temps des Croiſades.
Mais ce qu'il y a de remarquable , &
dans cet ouvrage , & dans l'induction qu'en
tire notre Differtateur , c'eſt que ces fables ,
qu'on prend pour un reſte de la Mythologie
des Bardes Gallois , font l'ouvrage de l'imagination
des Arabes , & que nous devons à ce
peuple l'invention de la Chevalerie comme
desRomans, dont elle eſt la ſource & la matière.
Il eſt certain ,, mon ami, que du temps
de nos anciens Chevaliers, les chevaux Arabes
, comme aujourd'hui même les chevaux
Eſpagnols , qui font peut-être d'une race
DE FRANCE.
139
Arabe ou Barbe , avoient plus d'eſprit que
beaucoup de ceux qui les montoient. Mais
ce n'eſt pas une raifon pour faire deſcendre
des Arabes la Chevalerie Françoife , quoiqu'elle
doive peut-être autant de ſa gloire
aux chevaux qu'aux Cavaliers. On a d'autres
preuves , & les voici :
" Les livres des Arabes & des Perfans font
>> remplis de traditions extravagantes fur les
>>geants Gog & Magog. Or , dans le Roman
> Bas-Breton , un géant formidable de douze
>> coudées de haut , qui déracinoit un chêne
>> aulli facilement qu'un noifetier , s'appeloit
» Gog-Magog. Ce héros coloſſal s'étant op-
» pofe au debarquement de Brutus dans la
>> Bretagne , fut précipité d'une montagne
>>eſcarpée ſur les rochers de Cornouaille ,&
» de-là brifé & mutilé juſqu'au fond de la
» mer. L'endroit de ſa chûte s'appelle encore
>> le faut deGoë-Magof. Unſemblable géant ,
>>> terraffe par le Roi Arthur fur lemont Saint-
>> Michel en Cornouaille , étoit venu d'Eſpa-
>> gne. Arthur déclare qu'il n'en avoit point
> connu d'auſſi redoutable depuis la défaite
>> dú géant Ritho , qui portoit une robe tiflue
des barbes des Rois qu'il avoit tués ....
> Une prophétie de Merlin dit : il viendra
-> de Conon un ſanglier fauvage qui détruira
>> les chênes des forêts de la France. Les
>> Arabes & les Africains le craindront , &
>> il pourſuivra ſa courſe rapide juſqu'aux
>> extrémités de l'Eſpagne. Ce fanglier , c'eſt
>> le Roi Arthur ». 4
1
140
MERCURE
On trouve dans ces Romans des pierres
mystiques tranſportees des côtes de lAfrique
en Angleterre , avec la vertu de guerir; des
oiſeaux doués d'un langage prophetique; des
opérations magiques faites avec des herbes
medicinales; des prédictions& des pronoſtics
tirésdu coursdesétoiles; enfin desdragons ailes
&mystérieux. " Un dragon terrible vole de
>> l'ouest ; ſa gueule exhale du feu; ſes yeux -
>> étincelans éclairent tout lepays » . Un geant
eſt monté ſur un dragon aile. Le dragon
dreſſant ſa queue écailleuſe , emporte le géant
dans les airs avec une inviſible rapidité. Ces
dragons ſeuls prouvent que toutes ces fables
font orientales. LesArabes cultivoient la Médecine&
l'Alchymie, d'où la Magie , l'Aſtronomie
, d'où l'Aſtrologie. Ils ſe.guident encore
dans leurs marches , la nuit par le cours des
étoiles ,& le jour par le vol des oiſeaux , d'où
l'art de la divination d'après les aftres & les
oiſeaux. C'eſt ſur la réputation des ſciences
particulières aux Arabes , que l'Auteur de la
Chronique Bretonne , traduite par le Béné
dictin Anglois , fonda à Caërlon dans le Gla
morgan, un College de deux cents Philofophes
pour étudier l'Aſtronomie. Si de rien
l'ignorance a bâti cette belle Académie , que
ne fera-t-elle pas , dans dix ſiècles , de la Société
Royale de Londres ? Newton , ce géant
enAftronomie, fera bien plus qu'un Prophête
; mais on debitera de lui ce qu'il ne
fut, ni ne fut , ni ne vit jamais ; & l'on ignorera,
l'on taira ce qu'il a dit& ce qu'il a fait.
DEFRANCE.
141
O inanité des hommes & des ſciences!
Que la Chronique de Geoffroi de Monmouth
, ce Moine Gallois , traducteur ou
compilateur de la légende bas - Bretonne ,
foit venue avant ou après le Roman qu'on
attribue à l'Archevêque Turpin ; qu'on
faffe remonter avec quelques Savans cette
vieille & fabuleufe Chronique au temps
de Charlemagne , ou qu'on prétende avec
M. de Voltaire , plus profond dans ſes
recherches qu'il ne le paroît à la rapidité
de ſon ſtyle toujours clair , ingénieux &
facile ; qu'on diſe d'après lui que ces
fables ont été écrites au onzième ſiècle par
un Moine qui les a débitées ſous le nom
de l'Archevêque Turpin ;elles n'en font pas
moins des fables , quoique le Pape Callixte
ſecond ait déclaré l'an 11.22 , que l'hiſtoire
répandue ſous le nom de l'Archevêque Turpin
étoit authentique , ces mêmes fables n'en
Lont pas moins Arabes d'origine.
M. Falconnet que j'ai connu vieux &
favant,comme ſes livres , plein de candeur
&de bontécomme un jeune-homme , a four
tenu dans des Diſſertations lues à l'Académie
des Infcriptions , que cette chronique &
tous les anciens Romans de la Table ronde ,
avoient été compoſés en latin...
Oienhart ſuppoſe avec beaucoup de vraiſemblance
que la Chronique de Turpin eft
l'ouvrage d'un Eſpagnol., Ce ne feroit pas
la première Hiſtoire que les Moines Efpagnols
auroient traveſtie en Roman ; car
1
142 MERCURE
je ſuis très-perfuadé , & le prouverois même
avec du loiſir & de la patience , que l'Hiftoire
des Incas , par Garcilafſo de la Vega ,
n'eſt qu'un Roman de quelque Jéſuite , qui,
pour compoſer une Hiſtoire des Péruviens,
amis à contribution les Annales de l'Orient
& les Bibliothèques de Chevalerie. Or , dire
que cette Chronique de l'Archevêque Turpin
a été compilée en Eſpagne , berceau des
Romans, où l'eſprit humain n'est pas encore
forti de l'enfance , n'est- ce pas indiquer que
ces fictions extravagantes tirent leur fource
de l'Arabie , puiſque c'eſt par l'Eſpagne que
les Fables Orientales ont paſſe dans l'Europe?
Mais en Arabie on les donne , on les prend
pour des Contes ; au lieu que les Eſpagnols,
ainſi que les François & les Anglois en ont
long-tems fait les fondemens de leur Hiftoire.
Le ſavant Anglois dont je vous cite ici
la Differtation , oppoſe au ſyſtême d'Odin
l'hypothèſe d'un critique de ſa Nation
, qui donne à nos Romans une autre
Patrie que l'Arabie. " On peut faire def-
>> cendre , dit celui-ci , nos vieux Romans
» de Chevalerie des anciennes Chanſons
>>hiſtoriques des Bardes & des Poëtes
» Goths » . On retrouve encore dans le Nord
pluſieurs de ces Chanſons qui préſentent
toutes les idées de notre Chevalerie primitive
& barbare. " Les Fables de nos Ro-
> mans étoient pour la plupart familières
> aux anciens Bardes du Nord, long-tems
DE FRANCE. 143
1
>>avant les Croiſades. Ils croyoient à l'exif-
>> tence des Géans & des Nains . Ils avoient
>>q>uelque idée de la Féerie ». Ils étoient entichés
des charmes de la magie, & paflionnés
pour les combats des dragons &des monftres.
M.Mallet, Auteur d'une Hiſtoire Françoiſe du
Danemarck , ſemble penſer auſſi que le fond
de notre goût Romancier eſt naturel aux
Peuples du Nord. Vous ſavez , mon ami ,
qu'on veut aujourd'hui faire venir toutes les
vérités de ce pays-là; mais il eſt plus facile
d'y trouver le berceau de l'ignorance que
celui des Sciences. Cependant on ne leur
accordera pas même l'invention des Romans.
Mon Anglois , champion ou Chevalier
littéraire des Orientaux , aime mieux
ouvrir deux portes en Europe à l'eſprit Romancier
, que de l'y laiſſer naître de luimême,
Mais il concilie très-bien fon opinion
avec celle dont il ſe fait une objection .
" Après la victoire de Pompée ſur Mi-
>>tridate , dit-il , une Nation de Goths Afia-
>>tiques qui habitoient la région , connue
» aujourd'hui ſous le nom de Georgie , &
» bornée au Sud par la Perfe , voyant les
>>progrès des conquêtes des Romains , fe
>> retira ſous la conduite de fon Chef Odin
» ou Wodin , dans les pays ſeptentrionaux
>> de l'Europe , & s'établit en Danemarck,
>>en Norvège , en Suède , & dans les au-
>> tres déferts de la Scandinavie » . Comme
Odin apportoit avec lui pluſieurs Arts utiles
, entr'autres les lettres de l'alphabet ,
144
MERCURE
dont le Nord l'a toujours appelé l'inventeur
les Scandinaves qui avoient adopté
la Langue , les Lois & la Religion de ce
Chef d'un Peuple émigrant , lui donnèrent
le titre de Dieu. Cette émigration eſt con- :
firmée par la reſſemblance frappante qui
fubfifte encore entre les moeurs des Georgiens
, décrites par Chardin , & celles de
certains cantons de la Norvège & de la
Suède. « Les anciens habitans de Dane-
» marck gravoient ſur les rochers en ca- ود
ود
د
ractères qu'on appeloit Runiques les
>> exploits de leurs Heros .... Or , cet art
» ou cet uſage d'écrire ſur les rochers eft
>>Aſiatique.; car on trouve encore des
» inſcriptions Runiques dans les déſerts de
» la Tartarie » . Les monceaux de témoignages
& de témoins élevés par Abraham &
Loth , atteſtent l'origine orientale de cette
forte d'écriture , dit notre Auteur. Mais
outre que la Bible ne parle point d'infcriptions
fur ces monumens, qui ſuppléoient au
contraire à l'écriture pour conclure les traités
, les contrats , les partages & les pactes
de famille; je dirois que cet uſage appartient
à l'enfance des Nations dans tous les
Pays de la terre ; & que les Hébreux ou
leurs pères n'avoient dans la Chaldee que
le langage allégorique des ſignes ou des
hiéroglyphes , employé de nos jours par les
Sauvages du Canada. Un arbre , un tas de
pierres , au défaut d'une montagne , doit
ſervirde témoin entre des Peuples ignorans
3
C
qui
DE FRANCE.
145
qui n'en font que plus fidèles à leurs fermens
; car on n'arrache pas une montagne
comme on altère ou l'on ſouſtrait une pièce
d'écriture , & ces archives valoient bien nos
regiſtres timbrés , paraphes & contrôlés.
Cette preuve d'analogie infirmée ou détruite
, il en reſte d'autres à l'Auteur moins
conteftables. " Lorſqu'un de ces Chefs du
>> Nord ( dit - il ) mouroit honorablement
» dans une bataille , on brûloit avec lui ſes
>>armes , ſon cheval & ſa femme ». Cette
coutume barbare de ſacrifier la femme fur
le bûcher du mari , n'eſt-elle pas originaire
de l'Orient , puifqu'elle y ſubſiſte après des
fiécles , quand tous les Peuples qui l'en
avoient apportée l'ont abolie ?
Mais il eſt douteux que cet uſage abominable
ait jamais exiſté dans le Nord , où
la femme fut long-tems un être plus myftique
encore que phyſique , plus ſouvent
Prêtreſſe que victime , & révérée pour les
charmes de la magie quand ceux de la
beauté lui manquoient. Cette ſuppoſition ,
introduite dans les Romans ou dans l'Hiftoire
des Scandinaves , prouve ſeulement
que ces livres du Nord viennent de l'Orient.
Tout favoriſe une induction fi naturelle . La
conformité des ſuperſtitions des Druides
avec celle des Perfans , & de leur Sacerdoce
avec celui des Mages ; de la Doctrine de
Zénon toute Perſane avec celle de l'Edda ;
de la Théologie Runique avec celle de
Alcoran; la reffenblance de l'Éliſée d'Od
1 Janvier 1779 . G
146 MERCURE
din avec le Paradis de Mahomet ; de l'Enfer
des Goths avec celui des Perfans , l'un
& l'autre remplis de ſcorpions & de ferpens
très-communs dans la Perſe & non
dans le Nord de l'Europe ; le Lock ou
Diable des Scandinaves , tout ſemblable à
l'Arimane des Perſes ; enfin , une foule de
coutumes Orientales retrouvées en Europe
dans les ſiècles de barbarie. Tout ramène
à l'idée la plus ancienne & la plus vraiſemblable
: la Terre & le Soleil , tout nous
dit que l'Europe doit avoir été peuplée par
l'Orient & le Midi , L'Aurore boréale vient
de la lumière zodiacale , mais au figuré bien
plus certainement qu'au phyſique. Le Nord
n'a que des rayons épars de la ſcience écloſe
fous la Zone Torride, avec les grands ſpectacles
& les magnifiques productions de la
Nature. Je fais que Saumaiſe veut que les
Grecs aient tiré leur origine & leur Langue
de la Scythie ou du Nord & non du
Midi. Je fais qu'Hérodote trouve de grandes
conformités entre le Nil & le Danube ,
entre, l'Égypte & la Colchide; mais il n'en
eſt pas moins perfuadé que les Grecs ont
tout puiſé chez les Égyptiens ; & que les
Peuples de Colchos avoient tout pris en
Égypte , juſqu'à la magie , la circoncifion ,
l'art de cultiver & d'ouvrer le lin. Cependant
les Sciences pratiques & les Arts méchaniques
, par des progrès proportionnés
aux beſoins de l'homme , ont dû faire des
découvertes dans le Nord , peut-être igno
DEFRANCE.
147
rées dans l'Orient. Quant aux Ouvrages qui
tiennent purement à l'imagination , comme
la Poéfie & les Romans , qui ne font après
tout que des fictions poétiques , l'Afie eſt
leur patrie , on n'en fauroit douter. Je
pourrois appeler à la défenſe de cette affertion
, nos plus célèbres Mythologiſtes ,
comme l'Abbé Bannier , & d'autres Savans
& raiſonneurs très - profonds. Mais cette
Lettre eft déjà longue. Si cependant , mon
ami , vous la trouvez inſtructive , intéreſfante,
je ne dis pas pour cette claſſe de Lecteurs
qui le font par oiſiveté non par loiſir ,
mais pour ceux qui cherchent dans la lecture
cet aliment de l'eſprit qui en fait le véritable
ornement , je vous réſerve de la pâture
folide & favoureuſe tout-à-la- fois , pleine
de fuc & de douceur. Le caractère de poéſie
& l'eſprit de Chevalerie qui règnent dans
les Romans , décèlent encore leur origine
Arabeſque ou du moins Aſiatique. Vous y
verrez briller les Poëtes & les Dames qui
nous enchantent les uns par les autres. Ce
morceau n'eſt pas le moins piquant de la
Differtation dont je ne vous ai donné qu'une
idée très- rapide.
Gij
148 MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Lemot de l'énigme eſt Poivre; celui du
Logogryphe eſt Vaiſſeau , où se trouvent
Ives , vase , ais , ais , as , visa , vie, vaiffeau
, vis, eau , veau , Afie,ſi,ſi, avis ,
aveu, avé.
ÉNIGM E.
Je ſuis doux , complaiſant , commode ,
Chacun me recherche à l'envi;
Pour foulager les vapeurs & l'ennui ,
Je ſuis fur-tout fort à la mode.
A ce début , mon cher Lecteur ,
Tu me croiras peut-être un grand Docteur :
Fourquoinon?Beaucoup mieux que certains empiriques
J'adminiſtre des narcotiques ,
Qui ſans efforts & fans danger ,
Procurent un ſommeil léger.
Que te dirai-je encor pour me faire connoître ?
Je ſuis affidu chez les Grands ,
Et je dédaigne de paroître
Sous la chaumière &dans les champs.
Thabite au ſein des Arts , des Lettres , du Génie;
J'ai ma place à l'Académie ;
J'y tiens mon rang comme les beaux eſprits ,
DEFRANCE.
149
Et pour plus d'un Savant, de fon mérite épris ,
Je deviens un ſujet d'envie :
Auſſi ma jouiſſance eſt-elle d'un grand prix ;
Enfin l'on croit heureux celui qui me poſsède.
Mais un fait que Buffon doit trouver ſurprenant ,
C'eſt que malgré deux bras ouverts à tout venant ,
Je ſuis pourtant un quadrupède.
:
1 (ParM. Dracolf, à Strasbourg.)
LOGOGRYPHE.
LECTEUR ,
demes neufpiés j'uſe avec avantage ;
En ſervant les humains je reçois leur hommage,
Ils doivent la plupart leur fortune à mes ſoins.
Auſſi pour prévenir leurs différens beſoins ,
Je fréquente la Cour ainſi que les Provinces ;
Onmevoitentous lieux , & fur-tout chez les Princes,
Lesfots qui vontfans moi perdent ſouvent leur tems ;
Avec les gens d'eſprit j'exerce mes talens ;
D'une choſe qui plaît j'emprunte la figure ,
Et c'eſt pour réuffir la route la plus fùre.
Enme décompoſant tu trouveras en moi
Un vaſe très-commun que chacun a chez foi ;
L'habit des animaux ; ce qu'on fait ſur la vue ;
Une arme très-antique , à préſent inconnue ;
Ce que tout Chirurgien applique à bien des maux ;
Unmeuble deſtiné pour prendre du repos.
Et quoique je paroiſſe un être aſſez biſarre ,
Je ſuis unbeau vernis dont l'homme adroit ſepare.
:
4
Giij
150 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Éloges lus dans les Séances publiques de
l'Académie Françoise, par M. d'Alembert ,
Secrétaire perpétuel de cette Académie.
A Paris , chez Panckouke , rue des Poitevins
, hôtel de Thou , & Moutard, rue des
Mathurins , hôtel de Cluny , in- 12 .
Après les applaudiſſemens PR qu'ont reçus aux
Séances de l'Académie les différens morceaux
raſſemblés dans ce volume , il ne falloit pas
moins que tout le mérite de leur Auteur
pour leur affurer un égal ſuccès à la lecture
du cabinet. Ses ennemis , ont prétendu ,
dit on , dans des brochures ſatyriques ,
que tout le plaifir que ces Éloges ont
fait dans nos Aſſemblées , tenoit uniquement
au preſtige d'un débit ſéduiſant ; mais
en lifant l'Ouvrage , on verra que le grand
art de l'Auteur n'eſt autre choſe que celui
de penfer & d'écrire. Detous ces Éloges , recueillis
aujourd'hui pour la première fois , il
n'y en a pas un ſeul qui ne contienne des
idées très-judicieuſes ſur le caractère du perfonnage
dont il eſt queſtion , ſur la trempe
de fon génie , ſur l'art dont il s'eſt occupé.
Perſonne n'a mieux rempli le voeu que for
DE FRANCE.
moit l'Abbé de S. Pierre , un des Académiciens
qu'a célébrés l'éloquent Secrétaire. U
vouloit , ſuivant l'expreffion de ce dernier ,
que les Élogesferviſſent de cadre & comme de
prétexteàdes leçons importantes, tracées oupar
lesfuccès ou mêmepar lesfautes de ces grands
hommes. L'Auteur a ſu joindre à l'intérêt
qui naît de la variété des objets , celui d'un
ſtyle toujours élégant & ingénieux , qui ſe
proportionne à tous les ſujets , & fe plie à
tous les tons ; & la deviſe de ce Livre auffi
agréable qu'inſtructif , doit être celle
qu'Horace affigne à la perfection : utile
dulci.
Nous allons mettre le Lecteur à portée
de juger lui-même de la manière dont M.
d'Alembert fait caractériſer les hommes célèbres
dont il honore la mémoire. Nous
ſommes renfermés dans des bornes trèsétroites
, & fi nous reſtreignons malgré nous
des citations que nous voudrions étendre ,
nous ſommes bien sûrs du moins qu'elles
fuffiront pour inſpirer à tous les Lecteurs
éclairés le defir d'y ſuppléer en liſant l'Ouvrage
entier.
Le premier de ces Éloges eſt celui de
Maffillon. Ceux qui s'occupent de l'éloquence
de la chaire , trouveront ſans doute
que celle de ce grand modèle eſt ici trèsbien
ſaiſie & très-bien peinte. " Il étoit per-
>>ſuadé que ſi le Miniſtre de la parole divi-
" ne ſe dégrade en annonçant d'une manière
>>triviale des vérités communes , il manque
:
1
Giv
2 MERCURE
>> auffi fon but en croyant ſubjuguer , par
» des raiſonnemens profonds , des Auditeurs
» qui , pour la plupart , ne font guères à
>> portée de le ſuivre ; que ſi tous ceux qui
l'écoutent n'ont pas le bonheur d'avoir
>> des lumières, tous ont un coeur où le Pré-
>> dicateur doit aller chercher ſes armes ;
» qu'il faut , dans la chaire , montrer l'hom-
» me à lui-même , moins pour le révolter
>>par l'horreur du portrait, que pour l'affli-
>> ger far la reffemblance ; & qu'enfin , s'il
>>et quelquefois utile de l'effrayer & de le
>> troubler , il l'eſt encore plus de faire cou-
>> ler ces larmes douces , bien plus efficaces
>> que celles du déſeſpoir.
>> Tel fut le plan que Maſſillon ſe pro-
» pola , & qu'il remplit en homme qui
» l'avoit conçu, c'est- à-dire , en homme ſu-
> périeur. Il excelle dans la partie de l'Ora-
>> teur, qui ſeule peut tenir lieu de toutes
>> les autres ; dans cette éloquence qui va
>> droit à l'ame , mais qui l'agite ſans la
>> renverſer , qui la conſterne ſans la flétrir,
» & qui la pénètre ſans la déchirer. Il va
>> chercher au fond du coeur ces replis ca-
➡ chés où les paſſions s'enveloppent , ces
>> fophifmes ſecrets dont elles ſavent ſi bien
>> s'aider pour nous aveugler & nous fédui-
» re. Pour combattre & détruire ces fophif-
» mes , il lui fuffit preſque de les dévelop-
>> per ; mais il les développe avec une onc-
» tion ſi affectueuſe & fi tendre , qu'il fub-
>> jugue moins qu'il n'entraîne ; & qu'en
DE FRANCE. TS
(
>>nous offrant la peinture de nos vices , il
> ſait encore nous attacher & nous plaire.
>>Sa diction , toujours facile , élégante & pu-
>> re , eſt par-tout de cette fimplicité noble ,
> ſans laquelle il n'y a ni bon goût ni véri-
>> table éloquence ; fimplicité, qui , étant
>> réunie dans Maffillon à l'harmonie la plus
>> féduiſante & la plus douce , en emprunte
> encore des grâces nouvelles ; & , ce qui
>> met le comble au charme que fait éprou-
>>>ver ce ſtyle enchanteur , on fent que tant
> de beautés ont coulé de ſource , & n'ont
>> rien coûté à celui qui les a produites. Il
>> lui échappe même quelquefois , ſoit dans
>> les expreſſions , foit dans les tours , ſoit
>>dans la mélodie ſi touchante de ſon ſtyle ,
>> des négligences qu'on peut appeler heu-
>> reuſes , parce qu'elles achèvent de faire
>> diſparoître , non-feulement l'empreinte ,
>>mais juſqu'au ſoupçon du travail. C'eſt
>> par cet abandon de lui-même que Maffil-
>> lon ſe faifoit autant d'amis que d'Audi-
>> teurs ; il ſavoit que plus un Orateur paroît
>>occupé d'enlever l'admiration, moins ceux
>>qui l'écoutent ſont diſpoſés à l'accorder ,
» & que cetre ambition eſt l'écueil de tant
>>de Prédicateurs , qui chargés , ſi on peut
>>s'exprimer ainſi , des intérêts de Dieu mê-
>> me , veulent y mêler les intérêts ſi minces
>> de leur vanité » .
M. d'Alembert s'eſt bien gardé d'établir
entre Maffillon & Bourdaloue un paralèle
qui n'auroit pas échappé à un Rhéteur vul-
Gy
154
MERCURE
gaire. Ces fortes de paralèles , dit-il , féconde
matière d'antithèses , prouvent feulement
qu'on a plus ou moins le talent d'en
faire. Et d'ailleurs , quel homme de goût imaginera
de rapprocher ces deux Prédicateurs ,
qui ſont ſi éloignés l'un de l'autre , comme
Écrivains & comme Orateurs , puiſque l'un
n'eut que le mérite , très-grand à la vérité
pour fon temps , d'amener le premier la
raiſon dans la chaire , & que l'autre y
amena l'éloquence , mérite très-grand pour
la poſtérité ? M. d'Alembert , ſans paroître
vouloir décider entre eux , tranche d'un ſeul
mot la queſtion , qui , après tout , n'en eſt
plus une pour tous les bons juges. En
comptant le nombre des Lecteurs , dit-il ,Maffillon
auroit tout l'avantage ; Bourdalouen'est
guères lu que des Prédicateurs ou des ames
pieuses; fon rival eſt dans les mains de tous
oeux qui lifent.
Nous pouvons ajouter ici , comme un
fait dont nous ſommes très-sûrs , que les
Sermons de Maffillon , prêchés dans des Égliſes
de village , y produifent beaucoup plus
d'effet que tous les autres. UnCuré qui , ſur
ce point , étoit d'une grande franchiſe , répondit
, il y a quelque temps , à des perſonnes
qui le félicitoient ſur la manière dont
il avoit été écouté dans ſon Prône : cela m'arrive
toujours quandje leur prêche Maſſillon.
C'eſt que l'éloquence du coeur eſt faite pour
le monde.
L'Auteur obſerve , pour mettre le comble
DE FRANCE.
ISS
à l'éloge de Maffillon , " que le plus célèbre
» Écrivain de notre nation & de notre ſiè-
>>cle , faifoit des Sermons de ce grand Ora-
>>teur, une de ſes lectures les plus aſſidues ;
>> que Maſſillon étoit pour lui le modèle des
» Proſateurs , comme Racine celui des
>> Poëtes , & qu'il avoit toujours ſur la mê-
» me table le Petit Carême & Athalie.
Ce n'eſt pas que M. de Voltaire ne ſentit
plus que perſonne la prodigieuſe diſtance
d'un beau Diſcours à une belle Tragédie ;
mais infiniment ſenſible au mérite du ſtyle ,
il penſoit que Maffillon & Fénelon avoient
donné à notre proſe le charme & la douceur
que Racine a mis le premier dans nos
vers ; & dans l'Encyclopédie , à l'article Éloquence
, c'eſt Maſſillon qu'il a cité.
M. d'Alembert rapporte le mot d'un
homme d'efprit : que Bourdaloue étant plus
raisonneur , & Maſſillon plus touchant , un
Sermon excellent à tous égards feroit celui
dont Bourdaloue auroit fait le premier point ,
&Maffillon lefecond. Nous ne pouvons pas
être de l'avis de cet homme d'eſprit ; il nous
ſemble qu'un Sermon de ce genre feroit une
étrange bigarrure. C'eſt un des voeux que
l'on forme aujourd'hui le plus ſouvent , &
que l'on peut mettre au nombre des voeux
bienmal entendus , que celui de voir réunir
ainſi dans un même ouvrage ou dans un
même homme , des talens diſparates ou
étrangers l'un à l'autre , qui ,le plus ſouvent ,
s'excluent & fe repouffent mutuellement,
Gvj
156 MERCURE
L'Éloge de Matfillon ne pouvoit pas être
plus heureuſement terminé. « L'Académie
>> qui l'a poffedé ſi peu, n'a pas laiffé de fen-
>> tir vivement ſa perte ; elle a du moins eu
ود la confolation de le voir dignement rem-
>> placé: M. le Duc de Nivernois a été ſon
» fucceffeur. »
Dans l'éloge de Deſpréaux , l'Auteur relève
avec beaucoup d'agrément & de fineffe
la manière mal-adroite dont les partiſans de
l'antiquité la défendoient contre Deſpréaux ,
dans la querelle trop fameuſe des anciens &
des modernes. " Perrault & ſes partifans ,
>> tout occupés à rendre bien ou mal à Def-
>> préaux les ridicules qu'ils en recevoient ,
ود auroient peut-être trouvé fort aifément,
>> avec un ſens plus raffis & plus de connoif
» fance des hommes, le moyen de ramener
» ou de calmer au moins leur adverſaire ;
>> car fuppofons pour un moment que dans
le fort de cette violente querelle, Perrault
eûtdit àDefpréaux: Euripide eſtſansdoute
» un grand Poëte tragique ; mais de bonne-
>> foi , votre ami Racine ne l'a-t-il pas fur-
>> paffé ? Horace , Juvenal & Perſe , étoient
ע
ود
des Satyriques du premier ordre ; mais
>> vous , M. Deſpréaux , n'êtes- vous pas fu-
>> périeur à chacun d'eux , puiſque vous les
réuniffez tous trois ? Homère eſt le Prince
des Poëtes ; mais donnez-nous une tra-
>> duction entière de l'Illiade , ſemblable à
>> quelques morceaux que vous nous avez
» déjà traduits , croyez- vous que l'Illiade
دو
ود
DEFRANCE.
157
>> Françoiſe dût alors rien envier à l'Illiade
>> Grecque ? Ces queſtions auroient vrai-
> ſemblablement refroidi le zèle religieux
>> de Deſpreaux pour les anciens qui ſe ſe-
>> roient trouvés aux priſes avec ſon amour-
>> propre ; & fi Perrault eût ajouté : croyez-
» vous que Louis-le-Grand ne ſoit pas fupé-
» rieur à Auguſte ? la dévotion du Satyrique
>> auroit pu ſe changer en apoftafie ».
Nous ne devons pas omettre dans ce même
Éloge de Deſpréaux , une remarque aflez
importante , & dont l'application n'a eu lieu
que trop ſouvent. Deſpréaux fut accuſé
d'une Satyre contre la Société des Jéfuites ,
alors très-puiſſante. " Ce n'eſt ni la première
>> ni la feule fois , dit l'Auteur , qu'on a vu
>> des hommes , plus redoutables par leur
>> pouvoir que par leurs lumières , employer
> ce moyen lâche & honteux pour nuire à
>> des Écrivains eſtimables , en leur attri-
>>buant des Satyres qui auroient été meil-
> leures s'ils avoient pu s'avilir à les écrire ,
» & s'ils euffent daigné employer contre la
>>méchanceté puiſſfante l'arme du ridicule ,
>> la ſeule qui ſoit aujourd'hui propre à l'ef-
>> frayer >>.
Nous devons encore moins paffer ſous
filence le ſouvenir des bonnes actions toujours
douces à entendre , même pour ceux
qui n'ont pas le courage de les imiter.
L'Abbé de S. Pierre nous offre un trait de
ce genre , par lequel M. d'Alembert a commencé
fonEloge. " Le Géomètre Varignon,
158 MERCURE
>>qui depuis ſe fit connoître par ſes Ouvra
>> ges Mathématiques , menoit alors une
>> vie obfcure & pauvre dans la ville de
>> Caen ſa patrie; il alloit ſouvent difputer
>> à des Theſes au Collège de cette ville , où
>> il avoit acquis la réputation , qu'il mépriſa
» bien dans la ſuite, d'un ſubtil & redou-
>> table Argumentateur. L'Abbé de S. Pierre
» qui étudioit dans ce même College , y
>> connut Varignon , difputa beaucoup avec
>> lui ſur les queſtions creuſes qui étoient
» l'unique & malheureuſe philoſophie de
>> ce temps-là , & goûta tellement ſa ſociété ,
>> qu'il réſolut de l'emmener à Paris , où ils
>> devoient trouver l'un & l'autre plus de
>> ſecours & de lumières. Il prit une petite
maiſon au Fauxbourg S. Jacques , &y lo
" gea avec lui le Géomètre fon compatriote.
Mais comme ce Savant , abſolument ſans
fortune , avoit beſoin d'une ſubſiſtance
aſſurée pour ſe conſacrer à ſon étude fa-
>> vorite , l'Abbé de S. Pierre , malgré l'ex-
» trême modicité de ſon revenu , qui n'étoit
>> que de 1800 livres , en détacha trois cens ,
» qu'il donna à Varignon ; il fit plus , il
» ajouta infiniment à ce don par la manière
גנ
ود
رد
ود
و د
dont il l'affura à ſon ami. » Je ne vous
donne pas , lui dit- il , une pension , mais un
contrat, afin que vous ne foyez pas dans ma
dépendance, & que vous puissiez me quitter
pour aller vivre ailleurs , quand vous commenserez
à vous ennuyer de moi.
Il y a tel homme de Lettres dont le talent
DE FRANCE. 159
a été retardé long-tems ou même étouffé ,
faute d'avoir trouvé un ami auſſi généreux.
L'Auteur remarque avec l'Abbé de Saint-
Pierre les inconvéniens de cette politique
timide , ſi commune parmi les Gens de Lettres
, qui les force preſque toujours d'avoir
dans leurs écrits un langage affez différent
de celui qu'ils ont dans la liberté de la
converfation. On diroit ſouvent qu'il y a
dans la littérature , comme dans la philofophie
des Orientaux , une doctrine ſecrette
dont il est défendu de développer les myftères.
" Les Sages , dit l'Abbé de S. Pierre ,
>> ſe traînant à regret & par foibleſſe dans
» les routes battues , répètent en la mé-
>>priſant , l'opinion de la multitude qui
>>s'y affermit enſuite elle-même en la ré-
>>pétant d'après eux , & qui devient à fon
>> tour leur écho , parce qu'ils ont été le
>> ſien. Notre Philofophe prétendoit que
>> cette frayeur pufillanime de heurter les
» idées vulgaires , s'étoit étendue fur les
» matières même où il eſt le plus évidem-
>> ment permis de penſer d'après ſoi; ſur les
>>objets de littérature & de goût ; il fou-
>> tenoit que la crainte de s'attirer des en-
» nemis , ou tout au moins des injures ,
>> avoit forcé des milliers d'Écrivains de
>> rendre humblement leurs hommages à
ود des préjugés qu'ils ſavoient nuiſibles au
» bien des Lettres ; d'adorer avec ſuperſti-
» tion ce qu'ils auroient dû honorer avec
>> difcernement; de louer à force de pru
160 MERCURE
dence des productions médiocres hono-
>> rées de la protection publique ; d'em-
> ployer enfin à ne pas dire leur penſée,
>> tout l'eſprit qu'ils auroient dû mettre à
ود
ود
la dire. En déplorant cette foibleſſe ,
l'Abbé de Saint-Pierre auroit pu y trou→
» ver un remède. Ce feroit que chaque
» homme de Lettres laiſsât un Testament
» de mort , où il s'expliquât librement fur
2 les Ouvrages , les opinions , les hommes
>> que ſa confcience lui reprocheroit d'avoir
>> encenfes , & demandat pardon à fon
ود
ود
fiécle de n'avoir avec lui qu'une ſincérité
>> pofthume. En uſant de cette innocente
refſource , les Sages qui dirigent l'opi-
>> nion par leurs écrits , n'auroient plus la
-douleur d'accréditer les erreurs qu'ils
>> voudroient détruire ; & leur réclama
» tion , quoique timide & tardive , ſeroit
>> comme une porte ſecrette qu'ils ouvriroient
à la vérité ». ود
C'eſt dans l'Éloge de Boſſuet que le Pa-
-négyriſte s'eſt élevé davantage , & qu'il femble
avoir pris les pinceaux de ce grand
Homme pour nous tracer les caractères &
-les effets de fon éloquence . " Toutes celles ,
>> dit-il, qu'il a prononcées ( en parlant de
20 ſes Oraiſons funèbres) portent l'empreinte
de l'âme forte & élevée qui les a pro-
>> duites ; toutes retentiffent de ces vérités
terribles que les Puiſſans de ce monde
3. ne fauroient trop entendre , & qu'ils font
- fi malheureux & fi coupables d'oublier
ود
DE FRANCE. 161
C'eſt - là , pour employer ſes propres
expreffions , qu'on voit tous les Dieux
de la Terre dégradés par les mains de la
mort, & abîmés dans l'éternité comme les
Fleuves demeurent fans nom & ſans gloire ,
mêlés dans l'Océan avec les Rivières les plus
inconnues. Si dans ces admirables Dif-
>>cours l'éloquence de l'Orateur n'eſt pas
>>toujours égale; s'il paroît même s'égarer
>> quelquefois , il ſe fait pardonner ſes écarts
>>par la hauteur immenſe à laquelle il
» s'élève : on ſent que fon génie a beſoin
>> de la plus grande liberté pour ſe déployer
>>dans toute ſa vigueur ; & que les entra-
>> ves d'un goût ſévère , les détails d'une
>> correction minutieuſe , & la féchereſſe
» d'une compoſition léchée , ne feroient
>> qu'énerver cette éloquence brûlante &
>>rapide. Son audacieuſe indépendance qui
• ſemble repouffer toutes les chaînes , lui
>>fait négliger quelquefois la nobleſſe même
>> des expreſſions : heureuſe négligence ,
>> puiſqu'elle anime & précipite cette mar-
› che vigoureuſe, où il s'abandonne à toute
» la véhémence & l'énergie de fon âme ;
>> on croiroit que la Langue dont il ſe ſert
» n'a été créée que pour lui ; qu'en parlant
» même celle des Sauvages , il eût forcé
» l'admiration , & qu'il n'avoit beſoin que
» d'un moyen , quel qu'il fût , pour faire
>> paffer dans l'âme de ſes Auditeurs toute la
>>grandeur de ſes idées. Les Cenfeurs fcru-
>> puleux & glacés , que tant de beautés
162 MERCURE
" laiſſeroient affez de ſang-froid pour ap-
» percevoir quelques taches qui ne peu-
> vent les déparer , méritent la réponſe que
>> Mylord Bolingbroke faifoit dans un autre
>> ſens aux détracteurs du Duc de Marlbo-
>> rough : C'étoit un fi grand homme que
» j'ai oublié ſes vices. Cet Orateur fi fu-
ود blime eſt encore pathétique , mais fans
>> en être moins grand ; car l'élévation peu
>> compatible avec la fineſſe , peut au con-
>> traire s'allier de la manière la plus tou-
> chante à la ſenſibilité , dont elle augmente
en la rendant plus noble.
Boffuet , dit un Écrivain célèbre , obtint
le plus grand & le plus rare des ſuccès ,
>> celui de faire verſer des larmes à la Cour ,
ود
ود
ود
ود
l'intérêt
د
dans l'Oraifon funèbre de la Ducheffe
>>d'Orléans, Henriette d'Angleterre : il ſe
troubla lui - même , & fut interrompu
par ſes ſanglots , lorſqu'il prononça ces
>>paroles ſi foudroyantes
20
ود
ود
à la fois, & fi
lamentables , que tout le monde fait par
» coeur , & qu'on ne craint jamais de trop
>> répéter » . O nuit désastreuſe, nuit effroyable,
où retentit tout-à-coup comme un éclat
de tonnerre , cette accablante nouvelle, Madame
se meurt , Madame est morte ! " On
>> trouve une ſenſibilité plus douce , mais
>> non moins fublime , dans les dernières
» paroles de l'Oraiſon funèbre du Grand-
>> Condé. Ce fut par ce beau diſcours que
Boffuet termina ſa carrière oratoire : il
finit par fon chef-d'oeuvre comme auroient
ود
"
DE FRANCE. 163
رد
ود
dû faire beaucoup de grands hommes ,
moins ſages ou moins heureux que lui » .
Prince , dit-il , en s'adreſſant au Héros que
la France venoit de perdre , vous mettrez
fin à tous ces Discours. Au lieu de déplorer
la mort des autres , je veux désormais apprendre
de vous à rendre la mienne fainte :
heureux fi , averti par ces cheveux blancs du
compte que je dois rendre de mon adminiftration,
je réſerve au troupeau que je dois nourrir
de la parole de vie , les restes d'une voix
qui tombe & d'une ardeur qui s'éteint ! " La
» réunion touchante que préſente ce tableau
>>d'un grand Homme qui n'eſt plus , & d'un
>>autre grand Homme qui va bientôt dif-
>>paroître , pénètre l'âme d'une mélancolie
>>douce & profonde , en lui faiſant envi-
>> ſager avec douleur l'éclat ſi vain & fi
>>fugitif des talens & de la renommée, le
>> malheur de la condition humaine , &
>> celui de s'attacher à une vie ſi triſte & fi
courte » .
La protection que Boſſuet accorda au
Cartéfianiſme , & qui n'a pu ſauver cette
Philofophie erronée du néant où elle eſt
aujourd'hui , fournit à l'Auteur des réflexions
faines & profondes , qui peut-être ne feront
pas toujours fans fruit. " La philofophie de
>> Deſcartes , qui n'avoit guères fait que ſubſ-
>>tituer à des erreurs anciennes & abfurdes ,
» des erreurs nouvelles & ſeduiſantes , a dif-
» paru , ainſi que celle d'Ariftote , mais fans
>>réſiſtance & ſans effort. Cette Philofophie
164 MERCURE
>>>fi inutilement tourmentée dans fon ber-
>>ceau par l'imbécillité puiſſante , réclame-
>> roit auffi inutilement aujourd'hui la pro-
> tection dont Boffuet l'a honorée ; elle a
>>péri , ſous nos yeux, de fa mort natu-
- relle , & la raiſon a fait toute feule co
>>que l'autorité n'avoit pu faire. Impor-
>> tante , mais preſque inutile leçon pour
>> ceux qui ont le pouvoir en main , de ne
>> pas uſer vainement leurs forces pour pref-
>>crire à la raiſon ce qu'elle doit penſer ,
» & de la laiſſer démêler d'elle - même ce
» qui lui convient de rejeter ou de faifir.
>>Plus l'autorité agitera le vaſe où les véri-
>> tés nagent pêle-mêle avec les erreurs ,
>>plus elle retardera la ſéparation des unes
» & des autres, plus elle verra s'éloigner
>> ce moment qui arrive pourtant tôt qu
>>tard , où les erreurs ſe précipitent enfin
>> d'elles-mêmes au fond du vaſe , & aban-
>> donnent la place aux vérités » .
Avec quel intérêt l'Auteur n'a-t- il pas
rappelé les derniers travaux & la fin de
Boffuet!
"Accablé de travaux & de triomphes ,
» l'Évêque de Meaux exécuta , après la mort
» du Grand-Condé , ce qu'il avoit annoncé
» en
terminant l'Oraiſon funèbre de ce
> Prince. Il ſe livra ſans réſerve au ſoin &
> à
l'inftruction du Diocèſe que la Provi-
>> dence avoit confié à ſes foins , & dans le
>>ſein duquel il avoit réſolu de finir ſesjours.
>>Dégoûté du monde & de la gloire , il
DE FRANCE. 16.5
» n'aſpiroit plus , diſoit- il , qu'à être enterré
» au pied de fes Saints prédéceſſeurs. Il ne
>>monta plus en Chaire que pour prêcher
>>à fon Peuple cette même Religion , qui ,
>>après avoir ſi long-temps effrayé par ſa
>>bouche les Souverains & les Grands de
» la Terre , venoit conſoler par cette même
>>bouche la foibleſſe & l'indigence. Il def-
>>cendoit même juſqu'à faire le Catéchifme
>> aux enfans , & fur-tout aux pauvres , &
>> ne ſe croyoit pas dégradé par cette fonc-
>>tion ſi digne d'un Évêque. C'étoit un ſpec-
>>tacle rare & touchant de voir le grand
>>Boffuet tranſporté de la Chapelle de Ver-
>>failles dans une Egliſe de Village , appre-
>>nant aux Payſans à fupporter leurs maux
>>avec patience , raſſemblant avec tendreſſe
>>leur jeune famille autour de lui , aimant
>>l'innocence des enfans & la ſimplicité des
>> pères , & trouvant dans leur naïveté, dans
>> leurs mouvemens , dans leurs affections ,
>>cette vérité précieuſe qu'il avoit cherchée
>> vainement à la Cour , & fi rarement ren-
>>contrée chez les hommes » . (Article de
M. delaHarpe).
Lafin de cet Extrait l'ordinaire prochain.
EXTRAIT du Traité des Accouchemens de
M. C. Barbaut , &c. A Paris , chez Valleyre
l'aîné , Imprimeur-Libraire, rue de
la Vieille Bouclerie , 2 vol. in- 12 . Avec
Approbation & Privilége du Roi.
Les ouvrages dogmatiques ont des utilités
166 MERCURE
réelles : un ſimple coup-d'oeil ſuffit pour en
faire connoître tout le prix , fur-tout dans
l'art de guérir. Ils ont ordinairement pour
baſe des principes concis , clairs , & de la
plus grande sûreté. Ils ont encore l'avantage
d'offrir dans le moment des reſſources que
les circonftances urgentes ne permettent prefque
jamais d'épuiſer dans des ouvrages plus
confiderables. Telle eſt l'idée que l'ondoit
avoir du Traité des Accouchemens de M.
Barbaut , Profeffeur & Démonſtrateur Royal
en l'Art & Science des Accouchemens aux
Écoles de Chirurgie. Ce Traité eſt un réſultat
des ſavantes leçons , tant publiques que particulières
, de ce célèbre Démonftrateur ;
leçons qui ont produit nombre d'Accoucheurs
de mérite , tant dans cette capitale
quedans la province. Cet ouvrage eſt écrit
d'un ſtyle à la portée de tous ceux qui defirent
de s'inſtruire avec fruit. La defcription
des os du baſſin &des parties qu'il contient
, de celles de la génération en général ,
de ce qui ſe paſſe au premier moment même
de la geſtation , & pendant tout le temps
de la groſſeſſe , ne laiſſent rien à defirer.
Le méchaniſme de l'accouchement , le manuel
& les devoirs généraux du Chirurgien-
Accoucheur , dans tous les cas poſſibles , y
font traités de main de Maître. On lit avec
une égale fatisfaction dans le Traité des
Accouchemens de M. Barbaut , les conſeils
qu'ily donne , tant pour le temps de la groffeſſe
, lorſqu'elle eſt accompagnée de quel
DE FRANCE.
167
ques accidens , que pour les éviter , & remédier
aux maladies qui peuvent arriver
après l'accouchement. Enfin M. Barbaut ,
aufli bon Théoricien que célèbre Praticien ,
ne ſcelle rien de toutes les connoiſſances que
ſes travaux & ſes réflexions particulières lui
ont acquiſes. Cet ouvrage , comme on peut
déjà l'entrevoir, eſt une eſpèce de veni mecum
indiſpenſable à tous ceux en général qui
exercent ou qui ſe deſtinent ſpécialement à
l'Art des Accouchemens .
Ilpeut même intéreſſfer d'autres genres de
Lecteurs , particulièrement les mères qui
ont le courage , autrefois ſi rare , de nourrir
elles-mêmes leurs enfans. Les articles de
l'allaitement & du ſevrage leur offrent des
conſeils dignes d'être médités & ſuivis.
Traité analytique , étymologique & raiſonné
de l'accent & de ta prononciation de la
Langue Angloiſe , ſuivi d'une Table des
verbes Anglois , réguliers & irréguliers ;
dédié à Monſeigneur le Duc de Chartres ,
par M. Carré. Un volume in-8 ° . avec
privilége du Roi , 1778. A Paris , chez
Piffot , Libraire , quai des Auguſtins .
Cet Ouvrage , que l'Auteur a eu l'honneur
de préſenter au Roi & à la Reine le 28 ou
le 29 du mois dernier , eſt diviſé en deux
parties : la première contient des règles générales
ſur la manière de faire fentir , foit en
parlant , ſoit en lifant , la ſyllabe ſur laquelle
168 MERCURE
doit tomber l'accent ou l'énergie qui donne
un caractère particulier à la langue Angloiſe.
La ſeconde partie de cet Ouvrage contient
les règles les plus détaillées ſur la prononciation
Angloiſe , appliquées à tous les élémens
de la langue. L'Auteur en a analyſe tous les
fons , & les a repréſentés auſſi fidèlement
qu'il a pu le faire par des caractères François.
Les obſervations ſur la prononciation Angloife
, contenues dans cette partie , ſont
diviſees en quatre colonnes. Dans la première
ſont les mots que l'Auteur a citéspour
exemples ; dans la ſeconde eſt leur, fignification
; dans la troiſième la manière de les
prononcer ; dans la quatrième l'étymologie
des mots cités pour exemple , tirée des langues
qui compoſent la langue Angloiſe , qui
font au nombre de vingt-deux , mortes ou
vivantes ; telles que les langues Anglo-
Saxone , Gothique , Gauloise , Danoife ,
Allemande , Hollandoife , Grecque , Italienne
, &c. &c. Cette étymologie eſt d'autant
plus importante , qu'elle donne la raifon
de toutes les variations que l'on rencontre
dans la prononciation de la langue Angloife ,
même de celles qui ont paru les plus bizarres; -
ce qui peut rendre cet ouvrage aufli utile
pour les Anglois que pour les étrangers qui
apprennent leur langue.
Cet ouvrage eſt terminé par une table des
verbes Anglois , plus complette qu'aucune
de celles qui ſe trouvent dans les Grammaires
Angloiſes. Tous les verbes de cette
langue
DEFRANCE. 169
langue y font claffes de manière qu'on peut
les diftinguer& les retenir avee facilité. Elle
eſt précédée de quelques obſervations claires
& concifes pour apprendre à conjuguer tous
les verbes Anglois avec la même facilité.
ANTIQUITÉS de la France , par M. Clériffeau
Architecte de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture de Paris ,
Membre de la Société Royale de Peinture,
Sculpture &Architecture de Londres .
Première Partie. A Paris , de l'Imprimerie
de Philippe-Denis Pierres , rue S. Jacques ;
& ſe vend chez l'Auteur , au Louvre ,
porte de la Colonnade ; le Sieur Poulleau ,
Graveur , à l'Eſtrapade; le Sieur Joullain ,
Marchand d'Eſtampes , quai de la Mégif-:
ſerie ; 1778. in -folio
Des Amateurs & des Artiſtes pleins de zèle &
de courage, ont entrepris des voyages longs , dangerreeuuxx
& pénibles , pour aller recueillir au fond
de l'Afie quelques débris des Arts de l'Antiquité
diſperſés dans les déſerts , au ſein de l'ignorance &
de la barbarie ; tandis qu'il exiſte au milieu du
Royaume des monumens précieux & célèbres , dont
nous n'avions point encore de deſſins élégans &
corrects. M. Clériffeau , Architecte qu'il ſuffit de
nommer , a entrepris de nous faire jouir de nos
propres richeſſes . Il ſe propoſe de nous donner fucceſſivement
les deſſins de tous les monumens antiques
que la France poſsède. Cette entrepriſe eſt digne du
zele qu'on lui connoît pour les progrès du bel Art
qu'il cultive ; & l'exécution de la première partie, que
15 Janvier 1779-
H
:
170 MERCURE
nous annonçons ici , répond parfaitement à cequ'on
adroit d'attendre de ſon goût , de ſes talens & de
ſon exactitude.
Cet ouvrage eſt dédié à M. le Comte d'Angiviller
, Directeur & Ordonnateur-Général des bâtumens
, qui , par ſon caractère , ſes lumières & fon
zèle, autant que par ſa place , eſt bien digne de
protéger les talens, d'encourager le progrès des Arts ,
&d'en ranimer le ſentiment & le goût , qui ſemble
s'égarer & fe corrompre tous les jours , malgré les
prétentionsde cette foule de petits connoiffeurs, dont
le froid enthouſiaſme , le ton capable , le jargon ridicule
& pédanteſque , en impoſent aux fots , fatiguent
les Artiſtes, & font pitiéauxvéritables gens de
goût.
M. Clériſſeau a mis à la tête de ſa première Partie
unavant propospleinde vues excellentes , écrites avec
élégance & nobleſſe. Nous nous y arrêterons un
moment.
Les principes de l'Architecture ſont à peu près les
mêmes que ceux de la Poésie , de la Muſique , de la
Deinture & de la Sculpture ; & quoiqu'elle paroiffe
tenir de plus près à ces deux dernières , qui lui font
fouvent affociées,ſa marche eſt cependant plus analogue
à celle des deux premières. En effet , l'effence
de la Peinture&de la Sculpture eſtderepréſenterfidèlementles
objets tels qu'ils exiſtent dans la nature; tandis
que d'une part les beautés de l'Architecture , ainſi
que celles de la Muſique , ſont principalement fondées
ſur les rapports , l'ordre , t'harmonie , & que de
l'autre ſon objet eſt de plaire &d'intéreſſer , non par:
les ſeules apparences& par des repréſentations vaines ,
mais en donnant à de vrais beſoins le caractère de
l'élégance , de la grandeur & de la beauté , comme
l'objet de la Poéſic eſt d'embellir la parole , le plus
noble de nos beſoins ; de forte que l'Architecture a
DE FRANCE. 171
fur laPeinture& la Sculpture l'avantage d'être moins
affervie dans ſes procédés , plus utile dans ſes productions
, &de ſuivre plus en grand la marche de la
nature.
C'eſt ſur cette marche , tout-à-la-fois ſimple&majestueuſe
de la nature , que l'Architecte doit furtout
régler la fienne. L'immenſité du tableau qu'elle
nous préſente, ſes grands effets, ſa ſymmétrie , ſes
oppofitions , ſavariété , ſon unité, voilà les carac
tères qu'il doit étudier & fafir pour les appliquer à
fonArt.
M. Clériſſeau s'élève avec raiſon contre le danger
des règles générales dont on abuſe ſi ſouvent dans
tous les Arts. Ces maximes prétendues invariables >
que contiennent les livres d'Architecture , ne peuvent
que préparer à l'étude d'un Art qui , ainſi que tous les
Ans libéraux, prend la nature pour modèle...
- Mais la nature , dit M. Clériffeau , quoique
>> belle dans ſes différens effets , ne nous affecte pas
>>-toujours vivement ou agréablement. Il eſt des
>>-pays plats&uniformes , dont la vue ne nous donne
>>>qu'un ſentiment d'ennui & de triſteſſe ; tandis que
>>>dans les montagnes des Alpes , & dans les riantes
>>campagnes de l'Italie , elle nous faiſit & nous
>>occupedélicieuſement. Il est donc des cauſes qui ,
>>en augmentant oudiminuantl'effet du tableau dela
>> nature , nous en rendent l'impreſſion plus ou moins
i vive. La réunion de pluſieurs objets , lorſqu'ils
>> ſont heureuſement oppoſés l'un à l'autre , produit
>>un tout plus intéreſſant, & embellit les parties qui
>>le compofent. Cette magie des oppoſitions eſt
d'autant plus effentielle à connoître , que tous les
>>Beaux-Arts lui doivent leurs plus grands charmes :
>>>elle fait auſſi valoir en Architecture les maſſes les
>>unes par les autres , & ſemble , pour ainſi dire ,
*les animer. Le preſtige du contraſte eſt même
Hij
1721 MERCURE
>> affez puiſfant pour faire paroître grand ce qui ,
>> ſans elle , nous paroîtroit petit. Mais en nous
>> livrant trop aveuglément àſes charmes , gardons-
>> nous d'imiter ces Artiſtes peu ſages , qui , abuſant
>> des moyens précieux qu'on ne doit employer
>> qu'avec une judicieuſe économie , oubliant que
> la fymmétrie & l'ordre font lauſſi néceſſaires aux :
>> beaux effets de la nature que les oppoſitions , ont :
>> cru faire preuve de génie en bouleverſant tout
dans leurs compoſitions défordonnées. Ils ont
>>>voulu nous ſéduire par la fécondité de leur ima-
>> gination , & ils n'ont réuffi le plus ſouvent qu'à
>> nous révolter par des productions biſarres &
monstrueuſes,
Comme l'Architecture eſt de tous les Beaux-
Arts gelui qui tient de plus près à nos premiers
beſoins, il eſt auſſi celui qui a été cultivé le premier.
L'impreffion de grandeur eſt un des principaux
effets do cet Art ; c'eſt celui qui a dû frapper :
d'abord les hommes. Ce qui ſuppoſe la puiſſance &
la force excite l'admiration des peuples encore igno- .
rans & groffiers . Ce qui tient au goût demande des
eſprits plus cultivés & des organes plus exercés. De-là
ces maſſes coloffales , élevées par les premiers peu
ples , & décorées par eux du titre de merveilles ..
du monde.
כ ১
C'eſt à la Grèce , dit M. Clériſſeau , qu'on a
>> toujours accordé la gloire d'avoir inventé , ou du
moins perfectionné les trois ordres d'Architecture.
> Enſuite Rome ajoutant à la pureté& à la grace
du ſtyle Grec , cette nobleffe majestueuſe qui caractériſoit
les maîtres du monde , éleva ces ſuperbes
monumens , dont les reftes , quoique mutilés ,
se nous rempliffent encore d'étonnement. Qu'on ſe
repréſente , en voyant ces ruines , quelle devoit
nêtre la magnificence des temples , des théâtres , des
C
DE FRANCE.
ל
১৯
thermes , des palais qui embelliſſoient la Capitale
de l'Empire Romain.
>>Telle étoit la force de l'impreſſion que faifoient
>> ces ſomptueux édifices , même ſur les peuples les
> plus barbares , que dans la décadence de l'Empire ,
>> Théodoric , Roi des Goths , n'en parloit qu'avec
>> enthouſiaſme. Un de ſes premiers foins , lorſqu'il
>> ſe vit maître de Rome , fut de veiller à leur con
*ſervation כ P
Onne peut nier que l'Architecture n'ait fait des
progrès rapides parmi nous : nous avons des Artiſtes
eclairés , des inſtitutions utiles , des ouvrages bien
faits; nous connoifſſons les proportions qui diftinguent
les différentes parties des trois ordres ; mais ce n'eſt
pas affez. Il eſt un genre de beauté , le premier de
tous, qui nous manque encore eſſentiellement ; c'eſt
cette nobleffe, cette grandeur , cette majesté , en un
mot cet air impoſant qui caractériſe les productions
de l'Architecture ancienne..
>> Quelle est donc , s'écrie M. Clériffeau , la cauſe
>> qui nous entraîne vers le meſquin , ſi nous voulons
>> être délicats , & vers le lourd, fi nous aſpirons au
>> grand ? Pourquoi tous nos bâtimens ſe reſſemblent-
>> ils ? Pourquoi conſtruire & décorer de la même
>>manièrelamaiſon d'un ſimple particulier & l'hôtel
>> d'ungrand Seigneur ? Les édifices publics , deftinés
> à l'utilité ou aux amuſemens , doivent-ils reſſem-
>> bler aux monumens conſacrés au culte de la Divi-
>> nité ? Ceux- ci ne doivent-ils pas s'annoncer par un
> ſtyle pur , noble , & pour ainſi dire religieux ; par
un ſtyle qui les diftingue abſolument de tous les
> autres , qui nous avertiſſe au premier coup-d'oeil ,
> & de la grandeur de l'Étre-Suprême , en élevant
>>notre penſéejuſqu'à lui , & de notre néant , en
>> nous faiſant en quelque forte ſentir ſa préſence?
>> Manquerions-nous de ce ſentiment vif & jufte ,
>>qui donne à tous les objets le caractère qui leur eft
Hiij
174
MERCURE
propre ? Non , je ne faurois me perfuader qu'une
>> Nation qui , dans ſes Tragédies , fait parler avec
* tant de dignité & de grandeur les Horaces, les
>> Brutus , les Auguſtes , ſoit incapable d'imprimer
>> cette même grandeur à ſes autres productions ».
Notre Artiſte s'élève enſuite contre l'étrange abus
qu'on fait des colonnes , ornement qui ne doit être
employé qu'avec réſerve, & qu'on a prodigué depuis
quelque temps juſqu'à en décorer les cabinets &les
falles àmanger. Il établit d'une manière qui nous
paroît fimple & lumineuſe, les principes ſur leſquels
il faut régler les eſpaces des entre-colonnemens. On
doir recevoir avec confiance les leçons d'un Artiſte
qui a conſacré trente ans de ſa vie à étudier l'Art
qu'il profeffe dans les monumens précieux de l'antiquité,&
dans les ouvrages des Modernes ; à vérifier
toutes les meſures des antiquités de Rome, de Veniſe,
dePola en Iſtrie, publiées par Deſgodets , ainſi que
des fragmens qui ſubſiſtent à Spalatro en Dalmatie ,
&dans le Royaume de Naples; àdeſſiner les Thermes
qui font à Rome & la ville Adrienne ; enfin
àvérifier l'ouvrage de Piro-Ligurio ,& celui de Palladio
fur les antiquités de la Capitale des Arts. Il ſe
propoſe de faire part au public du fruit de ſes recherches&
de ſes obſervations , & l'on ne ſauroit trop
l'encourager à exécuter un projet fi utile & fi intéreffant.
En entreprenant le recueil des antiquités de la
France, il a cru devoir commencer par les monumens
de Nimes , qui méritent incontestablement cette
distinction. Les Artiſtes & les gens de lettres conviennent
que Rome même n'a aucun monument plus
parfait que la Maiſon quarrée. On en a déjà publié
des deſſins , mais très-imparfaits. Palladio lui-même
acommis beaucoup de mépriſes dans les meſures
qu'il en a données. M. Clériſſeau a vérifié
toures les meſures & relevé les erreurs ,& fon ou
DIEFRANCE.
175
vrage nous offre un tableau de ces monumens, aufli
intéreſſant par la beauté de l'exécution , que précieux
par la fidélité& l'exactitude. En lui rendant ce témoignage
comme ami des Arts , nous ne faiſons que
nous conformer au témoignage plus impoſant& plus
Matteur qu'il a reçu de deux Académies , dont le
jugement eft fait pour diriger celui du public fur le
degré d'eſtime qu'on doit aux ouvrages de ce genre ,
dont il y a fi peu de bons Juges..
Extrait des Regiſtres de l'Académie Royale
d'Architecture .
A
)
L'Académie aa reçu avec plaifir l'ouvrage intitulé
Antiquités de la France , parM. Clérifſeau:c'eſt avec
juſtice qu'elle lui donne ſon approbation ; elle l'a
accepté avec reconnoiſſance , & verra avec fatisfaction
la continuation d'un OEuvre auſſi intéreſſant .
Extrait des Regiſtres de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture.
M. Clériſſeau a ſupplié l'Académie Royale de
Peinture & de Sculpture , de donner ſon approbation
à un ouvrage qu'il a fait , ayant pour titre : Antiquités
de la France. L'Académie voulant lui prouver combien
elle applaudit aux efforts louables , & aux ſoins
qu'une pareille entrepriſe a dû lui coûter , & l'eſtime
qu'elle fait d'unouvrage auffi intéreſſant pour laNation
en général que pour les Artiſtes en particulier,
lui a permis de jouir , comme l'un de ſes Membres ,
du privilége à elle accordé par ArrêtduConseil d'Erac
du 28 Juin 1714.
Hiv
176 MERCURE
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LEMardis de ce mois , on a donné la première
repréſentation d'Hellé , Tragedie-
Opéra en trois Actes, paroles d'un anonyme ,
muſique de M. Floquet.
Ino , Reine de Thebes , aime Arfame ,
Général de ſes armées. Celui- ci brûle de
l'amour le plus tendre pour Hellé, Princeffe
de Colchos , à laquelle il a ſu plaire. Les
exploits d'Arſame l'ont rendu cher aux
Thebains. Pour prix des ſervices qu'il a
rendus , il demande la main d'Hellé. Ino la lul
accorde , après lui avoir propoſé,, quoique
d'une manière détournée, fon coeur , famain,
fon trône. Mais la jalouſe fureur dont elle eft
poffedée ne lui permet pas de refter fans
vengeance. Elle a recours aux Enfers. Le
Magicien Elphenor lui promet d'employer
tout fon art à la ſervir. Effectivement , lorfqu'Hellé
vient le confulter fur le fort de fon
amour, il lui répond qu'Arfame la trahit ; &
pour l'en convaincre , il offre à fes yeux deux
tableaux magiques & impofteurs. Le premier
repréſente Arfame & Ino , que le
Grand-Prêtre unit des noeuds de l'Hymenée
en préſence du peuple Thébain. Dans le
DE FRANCE. 177
ſecond , les deux mêmes perſonnages , affis
fur un banc de gazon dans le fond d'un
bocage, ſedonnentdes marques réciproques
de leur tendreſſe , tandis que par des chants
&par des danſes on célèbre le bonheur de
leur union. Hellé ne doute plus de la trahiſon
d'Arfame : en vain il cherche à la faire
revenir de fon erreur. La Princefle , dont le
coeur eft encore plein d'un amour qu'elle ne
peut étouffer , mais dont l'ame eft fans ceffe
obfédée par le double ſpectacle dont Elphénor
la rendue témoin , prend le parti de renoncer
à l'hymen d'Arfame , & s'embarque
pour retourner à Colchos. Le Magicien conduit
Ino fur le bord de la mer , & lui apprend
qu'il a force Hellé à prendre la fuite.
La Reine n'eſt point fatisfaite : tant que la
Princeſſe vivra , elle ne peut eſpérer de captiver
le coeur d'Arfame. Elphenor , par la
force de ſes charmes , fait élever ſur le
champ une tempête horrible , au milieu de
laquelle on voit la barque qui conduit Hellé
s'abymer dans les flots. Le jeune Prince, qui
n'avoit quitté ſon Amante que pour éclaircir
ſes ſoupçons , revient fur la ſcene dans
ce moment. Le fort d'Hellé pénètre ſon ame
de la plus vive douleur. Ino , en infultant à
ſes larmes , lui apprend que la mort de la
Princeſſe eſt ſon ouvrage. Arſame lève le
maſque. C'eſt Neptune qui s'eſt cáché quelque
temps ſous les traits de ce jeunePrince.
A ces mots , Ino ſe poignarde & meurt dans
les bras de ſes Suivantes. Les Tritons ont
1
Hv
178 MERCURE
veillé fur les jours d'une Princeſſe chère à
leur Souverain; ils la conduiſent dans une
conque fur le rivage. Au même inſtant
elle eſt tranſportée dans le Palais du Dieu
des Mers , qui ſe fait connoître à elle , &
reçoit fon coeur & fa main.
Les paroles de cet Opéra ont paru généralement
mauvaiſes & la muſique mé
diocre. On a applaudi un air de bravoure
&deux choeurs de Magiciens. Quelques airs
des Ballets font agréables , mais pleins de
réminiſcences.
Les principaux rôles ont été chantés par
Mesdames Duplant & Laguerre , & par
MM. Durand & le Gros. Ce dernier s'eſt
furpaffé dans l'air de bravoure .
Les Ballets, qu'onatrouvés affez bien deffinés
, ont été ſupérieurement exécutés par
Miles Heinel , Guimard, Peſlin , Théodore ,
& par MM. Veftris , père & fils , Gardel
J'aîné & fon frère , & par M. Dauberval.
COMÉDIE ITALIENNE.
SPECTACLE GRATIS.
LEMardi 29 Décembre , les Comédiens
Italiens ont donné au peuple une repréſentation
d'Arlequin & Scapin Voleurs par
Amour , & de la Bataille d'Ivri , Drame Lyrique
de M. de Rozoy , Muſique de M. Martini
DEFRANCE.
179
: Dans la première Pièce M. Carlin a rempli
le rôle d'Arlequin avec cette fineſſe de
talent qui le caractériſe. Le genre de ſes plaifanteries
a toujours été relatif à celui des
Spectateurs , qu'il a invités d'une manière
agréable & fpirituelle à revenir dans un an.
La Bataille d'Ivri a été très-bien jouée ,
&a fait un plaiſir général. M. Clerval , dans
Henri IV; M. Nainville , dans Roger ; Mde
Billioni , dans le rôle de Madame de Lénoncourt
; Mde Trial , dans Eugénie ; MM.
Suin& Julien dans les Perſonnages de Lénoncourt
, père & fils , ont mérité beaucoup
d'éloges ,& ont été vivement applaudis. 1
Entre les deux Pièces on a exécuté un
Ballet-Pantomine de la compoſition de M.
Froffard , qui en a rempli les principales entrées
avec Mlle Lefebvre. Ce Ballet , qui a
éré fort goûté par le peuple , méritoit en
effet les fuffrages des connoiffeurs , tant pour
la compoſition que pour l'exécution.
Avant la repréſentation , la ſalle a retenti
de-chanfons &des cris de vivent le Roi & la
Reine. Le premier coup d'archet a fait faire
lemême filence qu'aux autres Spectacles ,&
ce filence a continué pendant les deux Pièces.
Après le Spectacle , les Charbonniers &
les Poiffardes ſont deſcendus fur la Scène..
Ils ont ſalué très- refpectueuſement lePublic
qui étoit reſté dans la falle , & ont formé des
danſes comme à la Comédie Françoife. Les
Poiffardes ont demandé à voir l'Acteur qui
avoit repréſenté leur bon Roi Henri ; elle
4
Hvj
180 MERCURE
l'ont remercié , baifé , complimenté, & l'ont
engagé à danfer avec elles. M. Clairval a
danſfe trois menuets au bruit des applaudiffemens;
& les autres Acteurs s'y font prêtés
avec la même grace , ainſi que les premiers
Danfeurs & les premières Danfenfes. Pendant
ce bal curieux & nouveau , les Comédiens
ont prodigué le vin, le pain&les cervelats.
Tout s'eft paflé avec la plus grande
gaîté& dans le meilleur ordre poffible.i
Nous avions promis de rendre compte
dans cette Feuille de Amant Jaloux,Comédie
de M. d'Hell ; nous efpérions que
l'indifpofition de Mde Dugazon lui permertroit
de remonter fur la Scène dans l'intervalle
de la publication du dernier Numérő,
à l'impreſſion de celui-ci. Au moment où
nous écrivons cet Article , la ſeconde repréſentation
de l'ouvrage de M. d'Hell n'a
point encore été donnée, & nous aimons
mieux remettre notre Article à l'Ordinaire
prochain , que d'entretenir nos Lecteurs
d'une production dont nous ne pouvons parler
exactement fans l'avoir entendue une
feconde fois .
1
L 2
L
DE FRANCE. 181
t
G
ACADÉMIES..
PRIXfondésparM. le Marquis du Terrail,
& par Madame de Cruffol d'Uzès , fon
épouse , à préfent Ducheffe de Caylus.
Proposés par l'Académie des Sciences ,
Arts&Belles- Lettres de Dijon .
L'A'ACCAADDÉÉMMIIEE propoſe pour le Prix de 1780 : de
donner la théorie des Vents.
Pluſieurs Phyſiciens très-célèbres ſe ſont déjà occupés
de ce problême , mais ſans le réfoudre d'une
manière à ne rien laiffer à defirer. Les connoiſſan .
ces que , de nos jours , l'on a acquiſes ſur la nature
de l'air & fur l'électricité de l'athmosphère , en
multipliant les données qui peuvent conduire à ſa ſolution
, font eſpérer à l'Académie que les efforts des
-Phyſiciens feront plus heureux.
Elle verroit avec plaiſir les Auteurs tirer de leurs
principes quelques conféquences relatives à l'influence
de cesmétéores ſur les corps ſublunaires , &
indiquer quelques nouveaux moyens d'en juger la
direction & d'en eſtimer la force; mais elle ne
l'exige point.
CetteCompagnie diſtribuera deux Prix en 1781 .
L'Eloge de Claude Saumaiſe , qu'elle avoit pro-
-polé pour 1778 , ſera le ſujet d'un de ces. Prix.
Celui de l'autre ſera : l'Eloge de Sébastien Leprêtrede
Vauban , Maréchalde France
i Indépendamment des Prix ordinaires , annoncés
pour 1780 & 1781 , elle en adjugera encore un extraordinaire
dans chacune de ces années ...
Elle demande pour le Prix extraordinaire de 1780
182 MERCURE
Que l'on détermine la nature du charbon malin ,
connu en Bourgogne ,& dans quelques Provinces voifines,
ſous le nom de pustule maligne ; qu'on en défigne
les causes ; & qu'on établiſſe ,ſur l'obſervation ,
laméthode laplussûreàſuivredans le traitement de
cette maladie.
Elle propoſe pour Sujet de celui qui ſera adjugé
en 1781 : de désigner les plantes venimeuſes & les
inutiles qui infectent fouvent les prairies en cetteProvince
, & diminuent leur fertilité; & d'indiquer les
moyens les plus avantageux d'en ſubſtituer defalubres
& d'utiles , de manière que le bétail y trouve une
$nourriturefaine& abondante.
Tous les Ouvrages deſtinés au Concours ſeront
envoyés , avec les formalités accoutumées , à M.
Maret , Secrétaire Perpétuel ; ceux qui devront concourir
pour les Prix ordinaires , avant le premier
Avril; & les autres , avant le premier Janvier des
années dans leſquelles ces Prix ſeront adjugés
PRIX proposépar la Société Royale d'Agriculture
de Lyon , pour l'année 17795
QUIUI ſera d'une Médaille d'or de 300 livres , donnée
l'Auteur du meilleur Mémoire ſur le ſujet ci-après :
Chaque Paroiſſe ne pourroit-elle pas , pour prévenir
lamendicité , occuper ſes pauvres ? Quel enferoit le
moyen ? Quel feroit celui de donner aux mendians
valides ou invalides , de l'un & de l'autre sexe , ren-
- fermés dans les Dépôts , des occupations qui puffent
les rendre utiles à la Société lorsqu'ils y rentrent ?
Aucuns Mémoires ne feront reçus paffé le premier
Août de l'anné:e 1779 ; ils feront adreſſes , francs de
port, àM. de Juis, Secrétaire perpétuel de la Société
* envoyés ſous l'enveloppe de M. de Fleſſelles,
DE FRANCE.
183
Intendantde Lyon. Les Aureurs ne travaillerentqu'en
notre Langue , & ils obſerveront que leurs Mémoires
foient lifiblement écrits.
ANECDOTE.
ON
N ſait qu'en Angleterre tout accufé a
pour juges 12 Jurés de ſa profeffion ; il faut
que l'Arrêt ſoit unanime pour être exécuté;
&de peur que la difcuffion ne traîne trop
en longueur , les 12 Jurés doivent demeurer
enfermés ſans boire ni manger juſqu'à
ce qu'ils foient d'accord. Cette manière de
procéder ſauva une fois la vie à un innocent.
Deux Gentilhommes qui demeurent à quelques
milles de Londres , eurent une querelle
fortvive en préſence de témoins : l'un d'eux
s'emporta juſqu'aux menaces&dit à fon ennemi
qu'il le feroit repentir de ſes mauvais
procédés avant qu'il fût 24 heures. Sur les
-, heures du foir on trouva le Gentilhomme
qui avoit été menacé , tué d'un coup de
fufil , & l'on ne douta pas un inſtant que
-cette mort ne fût l'effet des menaces qu'on
lui avoit faites le matin. On arrêta ſon ennemi
, qui , malgré les proteſtations qu'il
faifoit de fon innocence , fut conduit dans
les Prifons de Londres. Les témoins de la
querelle furent entendus , & le Gentilhomme
accuſé ne put rien alléguer pour la juftification.
On lui demanda où il avoit paffé
la ſoirée; il répondit qu'il étoit refté ſeulchez
184 MERCURE
lui, ayant eu des affaires qui l'avoient obligé
d'envoyer ſes domeſtiques à Londres. Cette
circonſtance acheva de le noircir dans l'efprit
du public. On n'eſt point en uſage de
paſſer la ſoirée chez foi fans compagnie ,
& il y avoit de l'affectation à éloigner tous
les Domeſtiques. On travailla donc au procès
de l'accufe. Comme on choiſit ordinairement
des gens de la condition du Coupable
, on prit pour Jurés 12 Gentilhommes
des environs dulieu oùl'action s'étoit paffée.
L'Avocat du coupable ne put alléguer , pour
lajuftification de celui qu'il défendoit , que
la bonne réputation dont il avoit joui jufqu'alors';
mais on ne ſe paya point de cette
-monnoye&perſonne ne douta que les Jurés
ne le condamnaffent. Onze furent effectivement
de cet avis ; mais le douzième protef-
-ta qu'il ne le condamneroit point , parce qu'il
le croyoit innocent. On le pria de motiver
fon avis , & il refuſa de le faire. Cette
conteftation dura juſqu'au foir , au grand regret
des onze Jurés qui ſe ſentoient un grand
appétit. A la fin , l'un d'eux s'adreffant aux
autres, leur demanda s'ils étoient détermi-
-nés à mourir de faim. Nul qui fe trouvât
de cet avis ; & tous enſemble , après avoir
chargé le Gentilhomme oppoſant de l'iniz
quité d'abſoudre un coupable , conclurent
qu'il étoit pourtant plus expédient de le
laiſſer vivre , que de faire périr onze innocens.
Ils prononcèrent donc la Sentence d'abfolution
, & publièrent en mênie - temps les
DEUFRANCE. 185
motifs de cette Sentence? Le peuple cria
beaucoup contre l'obſtination duGentilhomme
qui avoit occaſionné un pareil Arrêt ; les
honnêtes-gens qui le connoiffoient pour un
homme ſenſe , ſe fatiguèrent à chercher ſes
motifs ; & cette affaire fit tant de bruit
qu'elle parvint aux oreilles du Roi. Il fit
prier le Juré de le venir trouver , & lui
demanda en particulier pourquoi il s'é-
-toit obſtiné à croire innocent un homme
que tout le monde regardoit coupable. Le
Gentilhomme , avant de lui répondre , prit
les précautions qu'exigeoit le cas ; & après
avoir obtenu du Roi qu'il ſe chargeroit des
fuites de cette affaire , il luidit : Je ne pouvois
douter de l'innocence de cet homme au
:ſujet du meurtre en queſtion , puiſque je l'ai
-fait. Je révenois de la chaſſe , & Pobſcurité
ne me permettant pas de diftinguer que
c'étoit un homme qui faiſoit le bruit que
j'entendois derrière un buiſſon , je tirai fi
malheureuſement, que je tuaileGentilhomme
dont on veut venger la mort.
14. Comme je n'avois aucuns témoins & de
-ce meurtre , &de mon innocence , je réfolus
de garder le filence ; mais ayant appris
qu'on accuſoit un innocent , je fis en forte
d'être nommé parmi les Jurés , bien déterminé
à mourir de faim , s'il le falloit , plutôt
que de laiſſer périr l'accuſé.
Le Roi tint la parole qu'il avoit donnée
à ce Gentilhomme; il fut par fon ordre ſe
remettre en prifon , &il eut fa grace..
186 MERCURE
:
TRAIT DE BIENFAISANCE.
Le premier Mars 1774 , le feu ayant pris
à la grange d'un habitant d'une petite ville
du Diocèſe d'Agde en Languedoc, il en porta
plainte contre des quidams. Huit particuliers
de la même ville,dont pluſieurs d'un état
honnête , d'autres parens du plaignant , enrent
le malheur d'être compromis par cette
accuſation. L'affaire fut poursuivie juſqu'à
Arrêt définitif du Parlement de Toulouſe.
Cet Arrêt, du 6 Juillet 1775 , décharge tous
les accuſés avec dépens , dommages & intérêts
, & ordonne l'impreſſion & affiche du
Jugement . La rigueur des formes a fait caffer
cet Arrêt au Conſeil , & le procès a été renvoyé
aux Requêtes de l'Hôtel pour y être
jugé de nouveau. Les dépenses énormes que
cette affaire a occaſionnées , a mis les accuſés
hors d'état de ſe défendre. Quelques-uns
d'eux ont été obligés detraverſer leRoyaume
à pied pour ſe rendre à la ſuite du Tribunal
quidoit prononcer ſur leur fort. Leur ſituafion
a touché quelques ames honnêtes &
vertueuſes ; des Gens-d'affaire ſe ſont livrés
gratuitement à leur défenſe. M. le Marquis
de. ... , pour ne pas bleffer leur delicateſſe
, a écrit à leur infu à une perſonne
qui prend ſoin d'eux à Paris , & a offert en
don tout ce qui ſeroit néceſſaire pour fourenir
l'innocence opprimée. La modeſtie de
DE FRANCE. 187
cet ami de l'humanité ne nous permet pas
de rendre fon nom public ; mais nous n'avons
pas cru qu'un trait ſi capable d'intéreſſer
les ames ſenſibles , dût demeurer inconnu.
CAUSE CÉLÈBRE.
Au milieu des réclamations qui s'élèvent
chaque jour de la part des enfans que la
tyrannie intéreſſée de leurs parens a précipités
malgré eux dans l'ombre des Cloitres ,
il eſt doux de voir un père combattre la réſolution
d'une fille chérie qu'une vocation
décidée appeloit à la vie Religieuſe, Telle eft
la cauſe du Comte de Bourdeilles, appelant
comme d'abus de la priſe d'habit de Novice
de la Demoiselle de Bourdeilles ſa fille.
Les moyens de défenſe qui ont été oppoſes
à la réſiſtance du Comte de Bourdeilles font ,
que ſa fille étoit majeure ; que d'ailleurs une
fimple priſe d'habit ne peur former la matière
d'un appel comme d'abus ; que la profeſſion
ſeule des voeux peut y donner lieu ,
lorſqu'elle eft faite en contravention aux
Canons& aux Ordonnances du Royaume.
C'eſt d'après de tels moyens & fur les coneluſions
de M. l'Avocat-Général Séguier , que
le Parlement , par Arrêt du 10 Décembre
1778, a déclaré qu'il n'y avoit abus ; en conféquence
a ordonné qu'ilferoit paſſsé outre à
laprofeffion,nonobstant les oppofitions faites
188 MERCURE
ou à faire du Comte de Bourdeilles , dépens
compensés.
SCIENCES ÉT ARTS.
SCULPTURE.
M.ONSIEUR OLIVIER , PenſionnairedeSonAlt.
Royale Mgr le Duc de Lorraine&de Bar, &c. &c .
ayant eu occafion de paſſer par cette ville , a profité
du peu de ſéjour qu'il y a fait , pour modeler la tête
de M. de la Rive , de la Comédie Françoiſe. Ce
buſte, dont le moindre mérite eſt celui de la reſſemblance
la plus frappante , fait beaucoup d'honneur à
cet Artiſte , qui n'a pas moins réuſi dans celui de M.
de la Place , qu'il a fait à Bruxelles en 1775 , & qui
lui a valu , de la part de cet Auteur , les vers
ſuivans:
..
Tu veuxà la race future ,
Tranſmettre ma laide figure !
Mon cher Olivier, j'y ſouſcris.
Et j'admire ton Art fuprême ,
Quand fous tes doigts mon oeil ſurpris,
Dans ton plâtre voit , quoi ? .. Moi-même.
GRAVURES.
VUR U E & Perſpective d'un monument projeté à la
gloire de Louis XVI , en mémoire du rétabliſſement
del'ancienne Magiftrature , deſtiné à une Bibliothéque
publique de Jurisprudence , & à terminer l'en
DE FRANCE.
189
ceinte du Palais ſur une nouvelle place en face
d'Henri IV , orné de la ſtatue du Roi ,de Monfieur,
de Mgr le Comte d'Artois , des principaux Miniſtres
& des premiersMagiſtrats du Royaume , repréſentés
en buſte ou en médaillon.
Fontainedes Muſes, monument projeté en mémoire
de la protection accordée à la Littérature par S. M.
Marie-Antoinette d'Autriche , Reine de France & de
Navarre.La ſtatuede la Reineeſt repréſentée au contre
du monument, ſous l'emblême de Minerve,Protectrice
des Arts& des Sciences. Apollon , Dieu de la Muſi-:
que , rend hommage à Sa Majesté des progrès nouveaux
de la Muſique en France ; le Génie des Beaux-
Arts dépoſe à ſes pieds les attributs de la Peinture&
de la Sculpture ; Calliope , Muſe de la Poéfie Héroïque
& de l'éloquence , lui préſente le Poëme de la
Henriade , & les autres Chefs -d'oeuvres de la Littérature
Françoiſe. On voit au-deſſus des autresMuſes,
placées dans les entre colonnemens , des médaillons
deſtinés à recevoir les noms des Savans , des Gens
de Lettres & des Artiſtes qu'elles ont le plus favoriſé.
Ce monument eſt couronné par un Génie
vainqueur de l'ignorance & des autres ennemis des
Sciences, de la Littérature &desArts.
( M. de Chavigné , qui ne cultive les Arts que par
amuſement , s'eſt déterminé à rendre publics quelques-
uns de ſes projets , depuis que Sa Majesté a créé
à l'Académie d'Architecture des places d'Honoraires .
Afſſociés libres. Ces places , au nombre de fix , fuivant
les Lettres-Patentes de création , font destinées
pour des Citoyens , quiſans faire profeffion d'Architecture
,feroient diftingués par leurs connoiſſances
dans cet Art , ou ceux qui lui font relatifs . Le choix
diſtingué que Sa Majesté a fait des premiers Honoraires
, ne peut qu'encourager les Ainateurs d'Archirecture
à le faire connoître : pluſieurs ſe ſont déjà
190 MERCURE
rendus utiles par des ouvrages intéreſlans fur ce bel
Art. Se trouve chez M. Viel , Architecte , rue S. Jacques
, près S. Jacques du Haut-Pas.
MUSIQUE.
SIX Sonates pour le Clavecin ou leforté-piano,
avec accompagnement de violon , dédiées à Madame
la Comteſſe du Dognon , par M. Adam , OEuvre II .
Prix , 9 liv. Chez l'Auteur , maiſon de Madame le
Marchand , Marchande de Muſique, rue de Grenelle
Saint-Honoré.
:
Nouveaux principes pour apprendre àjouer de la
flûte traversière , par M. Muſſard , Maître de flûte.
Prix , 6 liv. Chez l'Auteur , rue Saint-Martin , vis-àvis
la rue & fontaine Maubuć.
Une Symphonie pour deux violons , haut-bois &
cors , composée par M. Vauhall. A Paris , chez
Mademoiſelle de Silly , rue du Temple , au coin de
celle de Montmorency. Prix , 2 liv. 8 fols.
;
Nouvelle Collection de Sonates pour le forté-pian
parM. le Comte de Teuducci. Prix , 4 liv. 16 ſols ,
la même adreffe.
Six Quatuors , trois pour deux violons , alto &
baſſe , & trois autres pour une flûte ,un violon, alto
& baſſe , par A. Lidl. Prix , 9 liv. , à la même
adreſſe.
7
7
Six Airs , avec accompagnement de harpe ,
guitarre & cor , par Mademoiſelle de Contamine ,
àla même adreſſe.
DEFRANCE. II
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LES
ES Iſles fortunées ou les Aventuresde Bathylle
&de Cléobule , par MM. D. C. A. S. de pluſieurs
Académies. A Canarie ;& ſe trouve à Paris , chez le
Boucher , Libraire , au coin du Pont-au-Change ,
maiſon du Méridien , 1778 .
C'eſt un Roman allégorique , où l'Auteur faiſant
la deſcription de quelques iſles imaginaires , a voulu ,
peindre les moeurs & l'état actuel de pluſieurs pays
modernes. La critique en eſt ſans amertume , & le
ftyle de l'ouvrage a de l'élégance & de la facilité.
Abrégé deMythologie , pour apprendre l'Hiſtoire
des fauſſes Divinités de l'Antiquité Payenne , leur"
origine & leurs portraits , leurs attributs & leurs
actions , leurs fêtes & leurs facrifices , leurs noms les
plus connus,&le ſens de l'hiſtoire de chaque Divinité
, pour ſervir de ſeconde partie aux Fragmens de
Morale , d'Histoire ſacrée , profane & fabuleuſe , à
l'uſage des Colléges & des Penſions , par M. Sirven ,
Maître de Penfion à Toulouſe. Un volume in-12.
A.Toulouſe , de l'Imprimerie de Raget , Imprimeur-
Libraire, placedu Palais ;&ſe trouve chez l'Auteur ,
rue Malbec , derrière le Collége Royal , 1778 , avec
approbation..
Les Chef- d'oeuvres Dramatiques de M. DE
VOLTAIRE , 3 vol. in 12. A Paris , chez la veuve
Ducheſne , Libraire , rue Saint-Jacques , au Temple
du goût , 1779 Prix , 9 liv. relié.
Les chef-d'oeuvres Dramatiques de Corneille , de
Racine & de Voltaire , aſſurent à jamais à la Scène
Françoiſe la ſupériorité dont elle eſt en poffeffion, fur
こ
192
MERCUREA
10
les Théâtres des autres Nations. Des trois volumes
que nous annonçons , le premier contient la Mort
de César , Zaïre , Alzire & Brutus ; le ſecond
Mérope, Mahomet , Semiramis & l'Orphelin de la
Chine ; le troiſième Tancrède , l'Enfant prodigue
Nanine & l'Ecoffaife.
Histoire générale de Provence , Tome II , in-4 .
AParis , chez Moutard , Imprimeur-Libraire de la
Reine, rue des Mathurins , hôtel de Cluny , 1778 ,
avec approbation & privilége du Roi.
Le Tome premier de cet Ouvrage parut l'année
dernière. Nous rendrons compte de l'un& de l'autre.
L'Auteur eſt M. Papon , Prêtre de la Congrégation
de l'Oratoire , & Membre de l'Académie de Marfeille.
L'Education phyſique & morale des femmes , avec
une notice alphabétique. A Bruxelles; & ſe trouve à
Paris, chez les frères Etienne , Libraire , rue Saint-
Jacques , à la Vertu.
Avis au sujet du Tribut des Muses , ou Nouveau
choix de Poésies, dédié aux Mânes de VOLTAIRE.
בכ
ככ
ec Comme i s'eſt gliſſé pluſieurs fautes, eſſentielles
>> -à corriger, dans l'impreſſion du Tribut des Muses,
>>,les Editeurs de ce nouveau recueil ont fait faire
>> pluſieurs cartons pour y remédier. En conféquence
>> les perſonnes qui auroient acheté des exemplaires
>> de cet Ouvrage , pourront , s'ils le defirent , les
>> renvoyer chez Monory , Libraire , rue de la Comédie
Françoise; il les leur rendra de fuite tout
cartonnés. Les changemens ſont très-importans .
Voyezlasuite des Annoncesfur les troispages
de la Couverture.
I
う
2
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le s Novembre.
Au milieu des voeux qu'on fait ici généralement
pour la paix , les préparatifs de guerre
continuent avec beaucoup de vivacité ; on répare
tous les vaiſſeaux qui ont été employés
dans l'expédition de la mer Noire ; on en conftruit
de nouveaux , & on prend toutes les
meſures néceſſaires pour avoir au printems
prochain une flotte nombreuſe; le Grand- Viſir ,
accompagné des Miniſtres Ottomans , qui ont
été employés aux négociations avec ceux de
Ruffie , a été lui-même vifiter l'arſenal & les
chantiers. Ces mouvemens ne font cependant
pas évanouir les eſpérances de paix ; la médiation
de la France , les conférences fréquentes
de l'Ambaſſadeur de cette puiſſance avec
les membres du Divan , les ſoutiennent encore ;
on a lieu de croire que le Gouvernement la défire
, & que le but de la conduite vigoureuſe
qu'il affecte , eſt de donner plus de poids aux
négociations qui doivent recommencer cet
hiver.
Le Koulkiaja , ou le Lieutenant de l'Aga des
Janniſſaires , vient d'être déposé & exilé pour
avoir négligé les devoirs de ſa charge ; Sain-
Songi Baſchi , a été nommé pour le remplacer.
15 Janvier 1779 .
1
1
( 194 )
Le Gouvernement inſtruit que quelques corfaires
Maltois & autres , croiſent dans l'Archipel
,& qu'on en avoit vu un à la hauteur de Tenedos
, où il avoit enlevé un bâtiment Turc ,
a fait partir 10 galiotes pour leur donner la
chaffe .
C'eſt aujourd'hui que doit être célébré le
mariage de la Sultane Emetoulla , avec Nidchangi
Bacha ; ſon trouſſeau a été expoſé hier
dans ſon Palais; il eſt composé de meubles de
la plusgrande élégance , & de bijoux précieux
qu'on eſtime ſeuls plus d'un million de piastres.
On dit que le Sultan vient de faire une découverte
précieuſe dans les jardins de ſon Palais ; c'eſt
ainſi qu'on raconte ce fait qui n'eſt peut- être qu'un
conte du Serrail. >> Le Bostangi Baſchi renvoyé dernièrement
, a demandé pour unique récompenfe
de ſes anciens ſervices , la faveur d'entretenir un
inſtant S. H. en particulier. Il l'a obtenue ; il lui a
dit que le feu Sultan Mustapha lui avoit fait enterrer
dans les jardins du Serrail un tréſor , avec défenſe
d'enjamais riendire à perſonne. Le Grand-Seigneur
à cette nouvelle , n'a rien eu de plus preſſé que de
ſe faire conduire ſur le lieu où étoit enterré ce tréfor
; le Bostangi Baſchi , a creuſé la terre , & a découvert
un coffre aſſez grand , qui étoit rempli de
pierreries & de pièces d'or ; S. H. s'eſt hâté de le
faire enlever , & a témoigné ſa reconnoiſſance au
chefdes Jardiniers , de la manière la plus éclatante.
On ajoute que les richeſſes enfermées dans le coffre ,
furpaſſent de beaucoup le vuide qu'ont occafionné
au tréſor du Sultan , les frais de l'expédition infructueuſedu
Capitan Bacha " .
SUÈDE.
De SтоскHOLM , le 10 Décembre.
La Reine eſt parfaitement rétablie de ſes
couches ; on compte qu'elle pourra faire fa
( 195 )
première ſortie le 27de ce mois; la ville célè
brera cet heureux moment par une fête qu'elle
donnera au peuple. Le Prince Royal dont la
fanté avoit d'abord donné des alarmes , ne
cauſe plus aucune inquiétude. Depuis ſa naiffance
il y avoit des jours fixés pour tenir cour
dans ſon appartement; c'étoit le dimanche &
le jeudi ; mais on a ſuſpendu cet uſage à cauſe
de la petite- vérole , qui règne dans cette capitale
.On a même prié les perſonnes qui auroient
dans leurs familles quelqu'un attaqué de cette
maladie , de s'abſtenir de paroître au château
pendant quelque tems.
Les de ce mois , S. M. honora de ſa préſence
l'Académie royale des Sciences. M. de Balk ,
Chevalier de l'Ordre de l'Etoile Polaire , &
Préfident du Collége des Médecins , ouvrit
cette ſéance par l'éloge du ſavant Linnæus.
LesEtats du Royaume viennent avec l'agrément
du Roi , d'accorder un don gratuit de 100
mille thalers de cuivre au Duc de Sudermanie .
Malgré toute la diligence avec laquelle les
différentes députations s'occupent de leurs travaux,
il ne paroît pas que la Diète puiſſe les
terminer avant la findel'année.
:
Le projet que le Comte de Ferſen préſenta le 17
du mois dernier , avoit pour objet les inſtructions à
donner aux Membres du Comité chargé de l'examen
de la banque , dont les opérations furent
toujours du reſſort du Comité ſecret ; par la nouvelle
forme de gouvernement établi en 1772 , le
Roi les abandonna ſans aucune restriction à la difpoſition
& à la direction libre des trois premiers
Ordres. Le Comte de Ferſen avoit propoſé d'impoſer
au Comité l'obligation , iº. de ne s'écarter en aucune
manière dans ſes diſpoſitions , des réſolutions
priſes par les ordres de l'Etat , ni des Règlemens
faits en 1688 lors de la fondation de la Banque ;
2º. de ne faire aucune diſpoſition de conféquence ,
I 2
( 196 )
àmoins toutes fois quepar ſa nature elle ne doive
etre tenue ſecrette , ſans avoir obtenu préalablement
l'approbation & l'agrément des Etats : 39. de continuer
de s'occuper à réaliſer les billets de banque en
rixdalers , avec la reſtriction cependant de communiquer
avant toutes choſes aux Etats les moyens
qu'on pourroit y employer. 4°. de ne point diſpoſer
àl'inſu des Ordres , des gains de la banque qui doivent
ſervir au ſoutien du bien public , &par conféquent
de ne négliger ni abandonner jamais aucune
des prétentions légitimes qu'elle eſt dans le cas de
former; 5º . de requérir le conſentement des Etats
avant d'accorder de nouveaux appointemens ou quelques
gratifications ; 6° . que tout Membre ſera délié
du ferment obligatoire de garder le ſecret, dans le
cas où le Comité chargé de l'examen de la banque
voudroit faire quelque choſe de centraire à ces
inſtructions. Ce projet fut d'abord approuvé le 17 ,
mais le 20 , l'Orateur de la Bourgeoiſie ſe préſenta
enqualitédedéputé de ſon Ordre devant celui de la
Nobleſſe , pour repréſenter en ſon nom que la délicateſſe
de cette propoſition exigeoit une délibération
ultérieure ; quelques Membres de la Nobleſſe parurentenjjuuggeerr
de même, il y en eut qui prétendirent
que les inſtructions projettées étoient contraires à la
forme de gouvernement actuellement établie , & faifoient
un tort manifeſte aux droits de S. M. Le Comte
de Ferſen prit alors la parole , il défendit fon projet
avec la plus grande éloquence , & prouva ſon refpect
& fon zèle pour le ſouverain ; il entraîna l'afſemblée
, qui pour la ſeconde fois agréa ſon projet
fans y faire aucun changement. Le 24 , le Chancelier
de la Cour alla au nom du Roi propoſer au
Clergé & à la Bourgeoisie une addition à l'article
qui diſpenſe les Membres du Comité de l'obſervation
du ſecret , elle fut aggréée d'une commune voix ;
cette addition n'eſt que l'application du paragraphe
47 de la nouvelle forme de gouvernement, où il eſt
dit que S. M. , dans le cas où ilfera question de
( 197 )
communiquer aux Ordres des affaires secrettes
elleseréserve d'en confier le contenu à ceux de leurs
Membres que les Ordres pourront nommer à cet
effet, fous la réſerve qu'ils obferveront le fecret
dans une telle circonstance .
Conformément à cette loi , S. M. a fait dé
clarer ces jours-ci aux Etats , qu'outre les propoſitions
qu'elle leur a faites , en ayant d'ultérieures
à leur communiquer , elle demandoit
qu'ils formaffent une députation pour en traiter
avec elle. Les Ordres s'occupent en conféquence
de la nomination de ceux d'entre eux
qui compoſeront ce Comité ſecret.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 10 Décembre.
COMME la province de Lithuanie s'eſt enga.
gée à porter un tiers de la dépenſe pour l'inftruction
du corps des Cadets , la Diète a décidé
que le tiers de ce corps ſera pris parmi la jeuneffe
noble de cette province. Cette même
Diète n'a rien ſtatué cette année relativement
à l'armée; la brièveté du tems ne le lui a pas
permis; mais il a été arrêté que ce qui en regarde
l'augmentation ſera le premier objet dont
elle s'occupera lorſqu'elle s'affemblera de nouveau.
On croit que ſi la paix ne ſe conclut pas
cet hiver entre les Cours de Vienne & de Berlin
, il s'en tiendra une extraordinaire au mois
de Mai prochain ; celle qui vient de ſe ſéparer
a donné au Roi le pouvoir de diſpoſer de 25
ſtaroſties & autres biens Royaux , tant en Pologne
qu'en Lithuanie; il s'eſt préſenté déja un
grand nombre d'afpirans , mais S. M. a déclaré
qu'elle n'en accorderoit qu'à ceux qui ont rendu
des ſervices réels à la Patrie.
Le Comte Zamoiski commencera , dit- on ,
à s'occuper dès le mois prochain , des change
13
( 198 )
mens qui doivent être faits dans le Code de
Loix qu'il a rédigé ; il ſe propoſe de le mettre
en état d'être préſenté à l'approbation de la
première Diète qui s'aſſemblera . On eſpère que
l'affaire de notre commerce avec la Pruſſe ſe
terminera à notre ſatisfaction par la protection
&la médiation de la Ruſſie; nous les avons réclamées
dans le moment le plus favorable, celui
où l'alliance des deux Puiſſances ſemble ſe refferrer
davantage par le beſoin qu'elles ont l'une
de l'autre .M. de Stackelberg a répondu à la note
qui lui fut préſentée le 7 du mois dernier , en
déclarant qu'il l'avoit envoyée à ſa Souveraine ,
& qu'il ne doutoit pas qu'elle ne donnât dans
cette occaſion comme dans toute autre , des
preuves de fon amitié& de ſes vrais ſentimens
pour le Roi & la République .
On eſpère que cet objet pourra entrer dans
les négociations dont le Prince de Repnin eft
charge; il est arrivé ici au commencement de
Ja ſemaine, & eſt deſcendu chez l'Ambaſſadeur
de Ruffie ; il a fait par des traîneaux le voyage ,
depuis Pétersbourg , juſqu'à Riga. Demain il
continuera ſa route pour Breſlau , où l'on dit
qu'il s'eſt rendu des Miniſtres de France &
d'Autriche. On croit qu'il paſſera l'hiver auprès
du Roi de Pruſſe , & que ſi la paix ne ſe conclut
pas , il commandera les troupes Ruſſes qui
doivent agir de concert avec les Pruffiens , &
qui font prêtes à tout évènement. On parle
même déja d'un plan d'opération ; mais il eſt
probable qu'il ne ſera formé qu'à Breſlau .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 15 Décembre.
L'EMPEREURſe diſpoſe àretourner enBohême;
ſes équipages ont déja pris la route dePrague,
où l'on affure qu'il ſe rendra lui-même vers le
( 199 )
milieu du mois prochain. Les préparatifs de
guerre continuent avec beaucoup d'activité , &
ilsn'annoncent pas une paix auſſi prochaine
qu'on l'eſpère .
Le cours des poſtes de la Siléſie dans les
Etats Autrichiens eſt interrompu ; le Poftillon
qui arriva le 6 de ce mois de Neiſſe à Zuchmantel
, eut ordre de retourner ſur ſes pas ;
& on lui déclara qu'on ne laiſſeroit plus paffer
àl'avenir ni poſtes , ni diligences venant des
Etats Pruffiens. Des voituriers venant d'Italie
avec des marchandiſes pour la Siléfie , ont été
arrêtés dans les Etats Autrichiens , & ont reçu
défenfe d'aller plus loin. Dans bien des endroits
où il y a déja peu de circulation & de communication
, on ſe plaint d'en être totalement
privé.
Le Roi de Pruſſe avoit publié le 8 Juillet
dernier , un ordre général qui rappelloit dans
ſesEtats tous ceux de ſes ſujets qui pouvoient
être établis dans les Etats héréditaires de la
Maiſon d'Autriche ; l'Impératrice Reine , par
un reſcrit en date du 13 Novembre , a donné
le même ordre à ceux des ſiens qui ſe trouvent
en Pruffe , ſous peine de ſa diſgrace & de
confifcation des biens qu'ils poffèdent dans ſes
Etats.
: Le Prince d'Aversberg qui poſſédoit des
terres conſidérables dans la Haute-Siléfie , ayant
fupplié le Roi de Pruſſe de permettre que les
remiſes des revenus de ſes terres lui ſoient faites
fans aucun obstacle , S. M. lui a écrit la lettre
ſuivante . » M. le Prince d'Aversberg , comme
votre âge ne vous permet pas de vous rendre
à vos terres en Siléſie , je me fais un plaifir
d'acquiefcer à votre demande & de remplir votre
attente , en répondant à la confiance que
vous paroiffez avoir en mon amour pour la
justice, par les ordres ſtricts que je vais don-
14
( 200 )
ner , pour que vous puifiez toucher fans aucun
empêchement les revenus de vos terres :
fur ce ,je prie Dieu qu'il vous ait en ſa ſainte
garde «.
Le Grand-Duc & la Grande-Ducheffe de
Toſcane doivent partir le 7du mois prochain
pour retourner dans leurs Etats.
On dit que le Général d'Elrichſauſen dont
une maladie a mis la vie en danger , eft actuellement
rétabli ; mais que le Comte d'Althan
eft mort.
ALLEMAGNE.
De HAMBOURG , le 20 Décembre.
La rigueur de la ſaiſon qui a ſuſpendu toutes
les hoftilités du côté de la Siléfie &de la Bohême
, n'a pas empêché que les Autrichiens n'aient
tenté quelque entrepriſe du côté de la Saxe ;
le 8 de ce mois , ils attaquèrent les poftes
avancés près d'Altenberg & de Schmiedeberg ;
mais comme les troupes qui formoient ces poftes
étoient fur leurs gardes , ils ſe retirèrent après
avoir tiré quelques coups de canon.
:
:
Dans la Haute-Siléſie les opérations militaires
ont été interrompues ; on croyoit que
les Autrichiens qui avoient reçu des renforts
conſidérables , & dont l'armée avoit été portée
à82,000 hommes , tenteroient de chaffer les Pruffiens
de cette Province , lorſque tout-à- coup
ils ſe ſont repliés vers Olmutz . On attribue
cette retraite précipitée à une maladie dangereuſe
dont le Général d'Elrichſauſen a été attaqué.
Le Prince héréditaire de Brunswick en
a profité pour étendre ſes quartiers & procurer
à fes troupes des cantonnemens plus commo-.,
des; il s'eſt avancé de nouveau vers les fronrières
de la Moravie , pour reconnoître les trou(
201 )
pes Autrichiennes ; on croit qu'il a deſſein d'entreprendre
quelque choſe qui puiffe rétablir la
communication interceptée entre Troppau &
Teſchen. En attendant , la petite guerre continue
entre les corps détachés. Le 6 de ce mois
ily eut une petite action. Le Général de Lofſow
fit mettre MM. Reh & Kohler , Lieutenants
dans le régiment de fon nom , en embuſcade
dans Thabor avec so chevaux , pour enlever
une patrouille ennemie qui alloit ordinairement
de Klein-Herlitz à Tabor ; pour affurer le fuccès
de ce coup de main , il fit avancer en mêmetems
un piquet de 40 chevaux. L'ennemi qui
avoit formé le même deſſein avoit fait occuper
Groff-Herlitz par 100 chevaux. Les deux
détachemens ſe rencontrèrent le 6 à la pointe
du jour. Malgré la ſupériorité des Autrichiens,
MM. Reh & Kohler , foutenus par le piquet ,
les repouffèrent juſqu'à un cimetière où des
croates étoient poſtés. Ceux- ci , en faitant feu
pour foutenir leur cavalerie, eurent le malheur
d'en tuer quelques hommes. Les Pruffiens firent
peu de prifonniers , & les Autrichiens laifferent
beaucoup de monde fur la place.
Les bruits de paix ſe renouvellent ; on compte
toujours qu'elle ſera le fruit de la médiation
de la France & de la Ruffie , & fur-tout de la
diſpoſition de cette dernière à joindre ſes forces
à celles du Roi de Prufſe ; les troupes qu'elle
a déja aſſemblées ſur les frontières de la Pologne
Autrichienne , conſiſtent en 8 régimens
d'infanterie, 6 de cavalerie ,& 5 mille coſaques,
faiſant en tout 20,000 hommes. On ne doute
pas que pour première opération , au printems
prochain , fi la campagne a lieu , elles n'entrent
dans ces Provinces qui ne peuvent leur offrir
aucune défenſe , parce que leur ſeule communication
avec la Bohême eſt fermée par les neiges
qui couvrent les monts Crapaks. Ce qui faie
Is
( 202 )
préſumer qu'elles pourront tenter cette conquête,
c'eſt que cette conquête même leur offriroit
, ainſi qu'à la Pruffe , de quoi ſe dédommager
des frais de la guerre , & ce ſeroit
autant de ſoulagement pour la Bavière , qui
peut- être fera obligée d'en ſupporter une partie .
L'Europe entière eſt dans l'attente des ſuites
de ce grand démêlé , ſi on ne parvient pas à
les prévenir pendant l'hiver. On affure que les
négociations qui doivent amener la paix vont
s'ouvrir inceſſamment ; on dit que le Marquis de
Pons , Ambaſſadeur de France , qui s'eſt rendu
de Berlin à Breſlau , ira faire un voyage à
Vienne ; en attendant que toutes ces nouvelles
ſe confirment , on remarque par- tout des préparatifs
de guerre qui ne ſe ralentiffent point.
Les recrues ſe font avec beaucoup de vivacité
dans les Etats héréditaires de la maiſon d'Autriche;
le nombre de celles que doivent fournir les
provinces , eft , dit- on , le ſuivant. La Bohême
19,676; la Moravie 9332; la Siléſie 2016, la Baffe-
Autriche 6424 ; la haute 2976 ; la Stirie 5400 ; la
Carinthie1932; la Carniole 2744; les Comtés de
Gorice & de Gradiſca 708. Total , 51,208. On
ne comprend pas dans ce calcul le nombredes
hommes que pourront fournir la Hongrie , la
Tranſilvanie , l'Illyrie Autrichienne , les Pays-
Bas & le Comté de Tyrol , ainſi que ſes Etats
en Souabe & en Italie. On dit que pour empêcher
toute diverſion , on tirera de la Principauté
de Tranſilvanie , les troupes des frontières
qui ſerviront en Bohême ; & on les remplacera
par 50,000 hommes d'autres troupes ,
chargées de s'oppoſer aux entrepriſes que les
Ruffes pourroient former de ce côté ; comme
ils font encore en conteftation avec les Turcs ,
qu'on ſe flatte toujours qu'ils ne s'accommoderont
pas , & que fans doute on négocie ſecrèsement
àConſtantinople pour cet effet , on se
1
(203 )
flatte que ce nombre ſuffira de cecôté ; laCour
de Vienne aura ainſi quatre armées puiſſantes ,
qui agiront en Siléfie contre le Roi de Pruſſe ,
en Saxe , contre l'armée Saxo - Prufſienne , &
enPologne& enTranſylvanie contre les Ruffes.
Ces armées formeront , dit- on , en tout 350
mille hommes ; nombre ſans doute prodigieux ,
qu'il ne ſuffit pas de lever , mais qu'il faut entretenir.
:
:
ALLEMAGNE.
De RATISBONNE , le 20 Décembre.
Le Baron d'Aſſebourg , Miniftre de l'Impératrice
de Ruſſie , eſt arrivé ici le 10 de се
mois ; il n'a point encore fait de déclaration ;
M. de Koch , Conſeiller de Légation , employé
auprès du Prince de Gallitzin , Ambaffadeur
de cette Puiſſance à Vienne , étoit arrivé
dans le même tems , & eft reparti quelques
jours après ; on préfume qu'il n'avoit eu pour
objet dans ce voyage que de s'aboucher avec
M. d'Affebourg .
On remarque peu d'activité dans les aſſemblées
de la Dière , & on ne s'attend à en voir
que lorſqu'on aura perdu l'eſpoir d'un accommodement
au fujet de la Bavière. Il y a beaucoup
de fermentation dans pluſieurs Etats de
l'Empire , qui ne croient pas pouvoir reſter
ſpectateurs indifférens de tous les mouvemens
qui ſe paſſent autour d'eux. >> UnTréfoncier ,
écrit-on de Mayence , revêtu en même-tems
d'une dignité dont les fonctions ſont relatives
aux affaires politiques , a remis à l'Electeur un
mémoire dans lequel il démontre d'une manière
très- forte , la néceſſité où les Etats de
l'Empire ſe trouvent de s'unir , & de mettre
fur pied une armée de so à 60,000 hommes
tant pour défendre leurs pays que pour con-
小
16
( 204 )
courir à l'ajuſtement des différens ſurvenus au
ſujet de la Bavière «.
Le nouvel écrit que la Cour de Berlin a publié
, & que nous avons annoncé , eſt conçu
ainfi :
>> S. M. a prouvé irréfragablement par ſa Déclaration
, préſentée avec un Supplément,au mois de Juillet
dernier aux Hauts- Etats de l'Empire , & le Duc des
Deux-Ponts par la déduction de ſes droits , que les
prétentions inattendues de la Cour de Vienne fur la
Baffe-Bavière ne repoſent que ſur deux chartres &
inveſtitures ſurannées & contradictoires données par
l'Empereur Sigismond à ſa fille & à fon gendre
Albert , Duc d'Autriche , ignorées depuis 350 ans.
Il a été démontré que les prétentions en queſtion ne
fauroient ſubſiſter avec le droit ancien & inconteftable
de toutes les lignes de la Maiſon Palatine à la
Succeflion de Bavière. On a fait voir qu'indépendamment
de cette conſiſtance , elles ont été totalement
annullées tant par une Sentence émanée
en 1429 de ce même Empereur Sigifmond , que par
une renonciation expreſſe du Duc Albert , qui a pour.
elle tous les degrés de vraiſemblance hiſtorique. On
ne tardera pas à expoſer au public la foibleſſe des
argumens illuſoires & l'artifice des faux - fuyans ,
par leſquels la Cour de Vienne a voulu ſauver ſes
prétendus droits dans le Manifeſte volumineux qu'elle
a publié pour cet effet , & auquel on ne tardera pas
de répondre en détail. Il ne s'agit donc plus que de
ſavoir , fi indépendamment de ces vieilles prétentions
, cette Puiſſance a acquis une juſte poffeffion
de la Baſſe -Bavière par la Convention faite avec
l'Electeur Palatin , le 3 Janvier de cette année. La
légitimité de cette poffeffion tombe à la vérité d'elle
même avec le principe ſur lequel elle repoſe , les
Parties Contractantes mêmes ayant expreſſément mis
pour baſe de la Convention , la ſuppoſition que les
anciennes prétentions de la Maiſon d'Autriche font
fondées. On ne fauroit d'ailleurs croire , que L. M. I.
( 205 )
&S. A. E. F. reconnoiſſant après un plus mûr examen
la nullité des prétentions , qu'elles avoient d'abord
cru bonnes , voudront s'en tenir à une Convention
bâtie ſur des prétentions non fondées & s'en prévaloir
pour démembrer une Succeffion autli impor
tante , & la ſouſtraire à la Maiſon Palatine des Deux-
Ponts & à la Maiſon de Saxe. La Convention du z
Janvier perdant toute ſa force , il faut néceſſairement
que les Pays occupés en vertu de ſa teneur foient
évacués & reſtitués aux héritiers légitimes , ſi l'on
peut de plus prouver que cette Convention n'a pas
été libre de la part de l'Electeur , mais qu'elle lui
a été arrachée par ſurpriſe , par menaces & par la
violence. La Cour de Pruſſe a déja mis cette preuve
enavantdans ſon Expoſé des motifs en faiſant ob
ferver , que la Convention du 3 Janvier , ainſi que
ſa ratification ont été ſignées & expédiées dans le
tems même que les troupes Autrichiennes ont marché
en Bavière; que même d'après la Note circulaire
du Prince Kauniiz du 30 Janvier , ce fut peu après
cettemarche que le ſoi - diſant accord amiable avec
M. l'Electeur Palatin a été conclu ; & qu'à moins de
ſuppoſer une contrainte , on ne ſauroit concevoir
que ſur le ſimple énoncé d'une prétention ſurannée
&deftituée de toute vraiſemblance S. A. E. P. cût
volontairement cédé la moitié du Duché de Bavière ,
c'est-à- dire autant & plus de pays qu'elle n'auroit
pu en perdre par la ſentence la plus défavorable.
S. M. a eu dès long-tems des preuves plus directes
de cette contrainte par un de ſes Miniftres dans
l'Empire. On s'eſt contenté de les indiquer dans
l'Expoſé des motifs , par ménagement pour la Cour
de Vienne , dans l'eſpérance qu'elle reviendroit à
elle , & fur les inftances de M. le Duc des Deux-
Ponts , qui par égard pour la Cour Impériale & pour
S. A. E. P. a toujours témoigné par ſon Miniſtre
defirer que cette publication n'eût pas lieu. Mais
puiſque la Cour Impériale perſiſte à nier la violence
dont elle a ufé dans cette affaire , puiſqu'elle pro
( 206 )
voque la Cour de Berlin d'en fournir la preuve ,
puiſqu'elle continue à alléguer ſon bon droit &une
convention volontaire , comme le fondement principal
de ſon occupation de la Bavière , puiſque pour
pallier cette occupation , elle imagine des motifs
illuſoires pour détourner l'attention du public de ſes
vues&deſes entrepriſes injuſtes ,& pour donner les
couleurs les plus odieuſes aux procédés défintéreſſés
du Roi , puiſqu'elle s'efforce d'attribuer à S. M. P.
des projets d'aggrandiſſement qui n'ont jamais exiſté
&de peindre en même-tems M. le Duc des Deux-
Ponts comme un Prince chancelant & manquant à
ſa parole ; l'honneur & la gloire du Roi & du Duc
ne permettent plus de retenir les preuves que l'on a
enmains de tout ce qui a été avancé. S. M. ſe voit
ainſi obligée de préſenter ici à ſes Co -Etats de l'Empire,
aux Hauts-Garants de la Paix de Westphalie ,
ainſi qu'à toutes les autres Puiſſances de l'Europe ,
la Copie authentique d'une Lettre du 22 Janvier ,
par laquelle M. l'Electeur Palatin communique à
M. le Duc des Deux - Ponts la Convention du 3
Janvier. S. A. E. P. y dit en termes exprès : J'ai été
tellement preffé & mis à l'étroit par la Cour Impériale
, qu'il ne m'eſt plus reſté pour cela aucun tems ;
& jai été obligé de me réfoudre ſans plus long
délai , ou pour la ratification , ou pour la rupture
totale de l'ouvrage de la Convention. Dans le dernier
cas , je n'avois autre choſe à attendre que de
voir les troupes , qui étoient déja entrées dans mes
Pays , prendre en poffeffion , non - ſeulement la
partie stipulée dans la Convention , mais auſſi
comme on l'a témoigné à mon Miniftre à Vienne ,
tous les Pays de Bavière & même cette Réſidence ,
& d'être ainſt obligé de me retirer d'ici. Il réſulte
évidemment de cet aveu de M. l'Electeur Palatin ,
principale Partie Contractante , que ſa S. A. E. P.
a été induite & forcée à figner la Convention du 3
Janvier par menaces & par violence manifeſte; &
après que , ſelon_les propres termes de la Note cir-
1
( 207 )
culaire du Prince Kaunitz du 20 Janvier , les troupes
étoient déja entrées dans ſes Etats. On ne pourra
donc plus douter que l'Electeur n'ait à juſte titre fait
témoigner au Comte de Gortz , que l'Electeur ayant
les troupes Autrichiennes dans son Pays , pour
le bien- être de ſes ſujets & l'amour de la paix ,
s'étoit vu dans la néceſſité de conclure une Convention
qui lui lioit les mains & l'empêchoit de
profiter des offres amicales du Roi. Voici maintenant
des circonstances dont la nature & le ſecret
extrême avec lequel on les a cachées , ne permettent
point de preuves par écrit , mais auxquelles d'après
ce qui vient de précéder , le public doit certainement
ajouter foi . Depuis pluſieurs ſiècles la Cour de Vienne
aeu pour objet conftant de ſa politique , d'arracher
entoute occaſion le plus qu'il ſeroit poſſible du Duché
de Bavière , dont la poſition eſt ſi propre à aggrandir
& arrondir ſes Etats héréditaires. Cette politique a
redoublé d'activité à meſure que l'extinction de la
branche maſculine de Bavière a paru plus prochaine .
Le Contrat de mariage de S. M. I. aujourd'hui régnante
, avec la Princeſſe Joſephe de Bavière , doit
déja contenir ſur la Succeffion éventuelle & fur l'acquiſition
de certaines parties du Duché , ſpécialement
du diſtrict de l'Inn , des articles ſéparés &des projets
ſecrets auxquels la ligne Palatine n'a point été appellée
à concourir. Le décès de cette Princeſſe ayant
rendu ces ftipulations inutiles , & MM. les Electeurs
Palatin & de Bavière ayant réglé l'ordre de leur
Succeſſion par les Conventions de 1766 & de 1771 ,
la Cour de Vienne a travaillé ſans relâche à ſe procurer
fur celles de Munich & de Manheim l'aſcendant
convenable à ſes vues . C'eſt ainſi qu'employant
à Munich principalement la menace , & gagnant à
Manheim certains Miniftres ſuffisamment connus , y
excluant des affaires tous les ſerviteurs fidèles & au
fait des conſtitutions de la Maiſon Palatine , même le
Succeſſeur éventuel , ſe permettant nombre d'infinuations
infidieuſes contre la Cour de Berlin , ainſi que
( 208 )
contre d'autres Etats bien intentionnés , & leur prê
tant des ſentimens & des deſſeins bien éloignés de
leur façon de penſer , la Cour de Vienne a ſu ſo
ménager une influence qui lui a fans doute facilité
les moyens d'entamer avec M. l'Electeur Palatin ,
dès le vivant de l'Electeur de Bavière , comme elle
l'aſſure , une négociation ſur la Succeffion à écheoir .
La mort de l'Electeur ſurvint dans ces entrefaites &
avant que les projets de la Cour de Vienne fuſſent
parvenus à leur maturité. Mais elle ne perdit point
de tems& fut porter le Miniſtre Palatin , le Sr. Ritter ,
à ſigner dès le 3 Janvier , ſavoir quatre jours après
le décès de l'Electeur de Bavière , la Convention
ſi préjudiciable à la Maiſon Palatine , fur laquelle
la Cour de Vienne ſe fonde aujourd'hui . Elle força
enfuite l'Electeur Palatin par ſes fortes menaces
par l'entrée effective des troupes Autrichiennes en
Bavière , comme ce Prince en convient lui - même
dans ſa Lettre , à ratifier le 14 Janvier ſuivant cette,
Convention conclue à la hâte entre les Miniſtres
Impériaux & le Sr. Ritter. Suivant des avis trèsdignes
de foi & dont on pourroit en cas de beſoin
fournir des preuves , comme on l'a fait à l'égard
de la contrainte même , la Cour Impériale a même
laiſfé à l'Electeur Palatin la liberté d'avouer & de
déclarer qu'il avoit été forcé . Quant à M. le Duc des
Deux-Ponts , elle lui a fait entendre , ainſi qu'à ſes
Miniftres , à différentes repriſes , que s'il n'accédoit
pas à la Convention , la ſeconde qu'on s'y réſervoit
ſe feroit à ſon excluſion avec l'Electeur Palatin ſeul ,
&que tous les avantages qui y ſeroient déterminés
pour la Succeſſion & les Fiefs de l'Empire & de Bohême
, ſeroient reſtreints à la ſeule ligne de Sulzbach
àl'excluſionde celle de Birckenfels , de manière que
le cas de la Succeſſion échéant , la Cour Impériale
feroit valoir contre le Duc ſes prétentions ſur toute
la Bavière. Tels font entre pluſieurs autres circonf
tances , que pour la brièveté onpaffe ici ſous filence,
les moyens illicites que la Cour de Vienne a em(
209 )
ployés pour fatisfaire fes vues ſur la Bavière. C'eſt
à regret qu'on les dévoile. Il n'est pas dans le fy
tême de la Cour de Berlin , & elle n'a pas coutume
de chercher à noircir ſes voiſins.
La fuite à l'ordinaire prochain .
ITALI E.
De LIVOURNE , le 16 Décembre.
1
?
It eſt arrivé ici ſur un bâtiment Vénitien , 24
perſonnes de Tunis , qui font actuellement en
quarantaine dansle Lazareth , & qui font l'entretien
de toute la ville. On prétend que c'eſt
le gëndre même du Bey de cette Régence , avec
ſa ſuite& cinqfemmes. Il s'eſt évadé , dit-on ,
pour fuir les persécutions de ſon beau- frère
qui l'a ſouvent menacé de le faire périr, & qui
auroit pu l'exécuter en ſuccédant au Bey qui
eſt fort âgé , & qui ne peut tarder à lui abandonner
leGouvernement ; il n'enpas arrivé les
mains vuides ; comme il a pris la fuite dans le
tems qu'il faiſoit la perception du tribut , on
aſſure qu'il n'a pas emporté moins de soomille
ſequins comptans , & une grande quantité de
pierreries.
On mande de Rome que le Barigel , qui y a
été arrêté il y a quelques jours , vient d'être
jugé& condamné à la deftitution de ſon emploi
, & au banniſſement perpétuel de l'état
Eccléſiaſtique; fon principalcrime eſt den'avoir
pas entretenu le nombre de sbirres néceſſaires
pour s'approprier la folde de ceux qu'il avoit
fupprimés , & d'avoir donné des paffe-ports à
pluſieurs perſonnes notées ou flétries.
Le 16 du mois dernier , on a éprouvé à Trieſte
une très- forte ſecouſſe de tremblement de terre ;
elle a été accompagnée d'un orage très- violent ,
pendant lequel la foudre eſt tombée , & a tué
le poftillon d'Allemagne avec ſon cheval.
1
1
( 210 )
55 Il vient de ſe paſſer ici , écrit-on , de Milan , un
fait très-fingulier , dont la malignité plaiſante , &
dont les gens ſenſés gémiſſent. Une Religieuſe de S.
Marcel , après quelques années d'une conduite exemplaire
, a été tentée tout-à-coup de connoître le
monde; pour y rentrer , elle a franchi pendant une
nuit le mur de ſa clôture ; elle s'eſt trouvée dans le
Palais de Reſta , qui étoit alors deſert , parce que
toute la famille qui l'occupoit étoit à la campagne ;
elle en ſortit en eſcaladant encore un mur d'où elle
entra dans le jardin d'une maiſon voiſine ; elle y
trouva une perſonne ſans doute honnête , qui lui
repréſenta l'inconféquence de ſa fuite , & la détermina
à retourner dans ſon couvent; elle ſe préſenta
à la porte du Monastère , où ſon évaſion étoit déja
connue , & vivement condamnée. Dès que la tourière
annonça la fugitive , toute la Communauté accourut
au parloir ; au lieu de plaindre ſon égarement
, & d'applaudir à ſon retour , on l'accabla des
plus cruels reproches , & on lui déclara qu'on ne
vouloit pas le déshonorer en recevant une coureuſe.
La charité auroit ſans doute preſcrit de tenir une
autre conduite ; la Religieuſe vraiment repentante ,
a cherché une protection ; elle l'a trouvée , & on
croit que la Religieuſe aura la permiſſion de paſſer
dans un autre couvent , auquel celui qui l'a repouffée
à ſon retour , ſera forcé de rendre ſa dot , ou
du moins de payer ſa penſion . «
>>Dans les fouilles qui ſe font près du pont de
Tolede , écrit-on , de Madrid , on a trouvé vers la
fin de Septembre dernier , à une verge & demie de
profondeur , dans un terrain dur , crayeux & vierge ,
quelques os qui ont été jugés avoir appartenu à un
éléphant; ce ſont la pointe des deux dents , deux
morceaux fort grands de l'une de ces dents ; différentes
parties des mâchelières , la rotule d'un genou
& quelques autres morceaux. Les parties des
dents paroiffent venir d'un éléphant trois fois aufſi
grandque celui qui après avoir été diſſéqué l'année
( 211 )
dernière, a été placé dans le cabinet royal d'hiſ
toire naturelle, Ces os ſont dans un véritable état
de pétrification ; au moyen d'une lentille qui ne
groffit les objets que médiocrement , on y remarque
des particules cryſtaliſées ; ſi les ouvriers avoient
travaillé avec quelque précaution , ce qui leur eſt
très - expreffément recommandé actuellement , on
auroit peut-être trouvé en entier le ſquelette pétrifié
d'un éléphant , qui probablement ſera mort en cet
endroit , lors qu'Annibal , au retour de ſon expédition
entre les Vaccéens , eut ſon arrière-garde détruite
par les Carpetiens & les Oleades , dans la partiequi
eſt en-deça du Tage ; on ſait qu'il avoit 40
éléphants dans cette arrière-garde. Les morceaux
découverts dont on vient de parler , ont été déposés
dans le cabinet royal d'hiſtoire naturelle, «
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 31 Décembre.
Lefilencede la Cour ſur les nouvelles qu'elle
areçues de l'Amérique , n'annonce point qu'elles
ſoient favorables ; elle s'eſt tue ſur les dépêches
apportées par M. Stuart : elle s'eſt tue
encore fur les rapports qu'ont dû lui faire les
Commiffaires pacificateurs , le Comte de Carlifle
& M. William Edens arrivés le 21 de
ce mois & partis de New-Yorck le 27 du précédent
avec le Comte de Cornwalis & le GénéralGrey.
Tout ce qui tranſpire de leurs récits,
c'eſt que l'expédition du Colonel Campbell
parti avec 3700 hommes pour aller ſeconder
lesmécontens de la Caroline , n'a point réuffi ;
les vents l'ont arrêté dans ſa marche , & forcé
de retourner à New- Yorck. L'Amiral Byron,
eſt entré le 20 Novembre à Rhode- Iſland où
il s'occupe à réparer , à meſure qu'ils arrivent ,
ſes vaiſſeaux diſperſés par la tempête du 1 &
2
( 212 )
du 2; outre le Sommerfet , vaiſſeau de 64 canons
, il a perdu encore le Cornwall de 74 ,
& le Bedford eſt entièrement démâté. On ajoute
à ces rapports, qu'on ne doute pas, que leComte
d'Estaing n'ait pris la route des Antilles , à la
fuite du Commodore Hotham & du Général
Grant , qui y conduiſent sooo hommes , & qui
n'ayant que deux jours d'avance fur le Vice-
Amiral François, & marchant très -mal, peuvent
êtredétruits avant d'arriverà leur deſtination , ou
l'y trouver en y arrivant. Il faiſoit une fi grande
diligence , qu'il a négligé de détacher aucun
de ſes vaiſſeaux après le Culloden qu'il a rencontré
, & qu'il auroit pris s'il avoit voulu
riſquer de perdre un jour.
Tous ces détails ne raffurent pas nos mar
chands intéreſſés au commerce des iſles ; leur
effet a été de faire baiſſer les fonds qui décroiffent
de jour en jour , fans que nous entrevoyons
même dans l'éloignement de les voir
ſe relever. Les iſles menacées ne fauroient être
fecourues à tems ; on aſſure bien que l'Amiral
Byron a écrit au Ministère qu'il mettroit à la
voile à la fin de Novembre; mais le Comte
d'Estaing , parti le 4 , doit y arriver avant lui.
Quant à la poſition de nos troupes à New.
Yorck , elle est fort incertaine. Le Général
Clinton ya , dit- on , encore 16,000 hommes ,
dontmoitié eft compoſéede Torys Américains ;
il demande la permifſion d'en lever encore
sooo pour former la garniſon de New-Yorck ,
& on ne doute pas qu'il ne l'obtienne ; ce
feroit toujours sooo hommes de moins à envoyer
en Amérique : mais peut- on beaucoup
compter ſur leurs ſervices ; leur zèle qu'on
vante avec tant d'affectation , n'eſt - il pas l'effet
de la préſence des troupes Royales , & leur
éloignement ne le fera-t-il pas évanouir ? Le
Miniſtère a beau exagérer le nombre des par
( 213 )
tiſans que la Métropole a en Amérique , & celui
des ennemis du Congrès ; la partie faine
de la nation eſt de l'avis de M. Fox. » Si
tout ce qu'on allégue est vrai , dit- il au Lord
North dans la Chambre des Communes , fi
la diviſion règne en Amérique , ſi dans quelques
Provinces la rebellion s'arme contre le
Congrès , fi la majeure partie des Etats-Unis
voit de mauvais oeil le traité fait avec la France,
fi elle eſt diſpoſée à renouer avec nous , plus
je ſerai convaincu de la vérité de ces aſſertions ,
plus je ſerai pénétré de la néceſſité de rappel-
Jernos troupes. La violence eft inutile contre
des gens diſpoſés à faire de plein gré ce que
nous défirons d'eux. En faiſant cette démarche ,
vous ôtez au Congrès le prétexte de tenir des
armées ſur pied ; s'il ſe départ difficilement de
cet appui , s'il diffère trop à licentier ſes troupes
, il fournira au peuple l'occaſion de lui
faire des remontrances ; on lui repréſentera qué
cette armée , déſormais inutile , achevera d'épuiſer
le tréſor public. Si d'après ces repréſentations
le Congrès inſiſte , c'eſt alors que des
eſprits que l'on dit déja prévenus s'échaufferont,
c'eſt alors que le peuple fera la loi ; le reſte
va de ſuite. Le Congrès une fois démaſqué ,
le peuple tourne naturellement ſes yeux vers
laGrande-Bretagne , & c'eſt ainſi que fans coup
férir nous effectuons à l'avantage commun des
deux peuples , une réconciliation que les mefures
hoftiles retarderont & rendront peut- être
impoſſible en raiſon de leur vigueur cc.
Ceparti feroit afſſurément le plus ſage ſi telle
étoit la ſituation des affaires en Amérique ;
mais le Ministère qui veut le perfuader , n'en
eſt pas convaincu lui-même. Il s'eſt flatté d'année
en année de mettre promptement fin à cette
guerre : il s'en flatte encore pour l'année prochaine
; la facilité avec laquelle le Parlement
( 214 )
voté les ſubſides , ſemble le confirmer dans
l'exécution des anciennes meſures qu'il a adoptées
; ces ſubſides ne ſauroient être plus conſidérables
, puiſqu'ils montent à 11,711,000 liv.
ſterling ( & non 10 millions comme nous l'avons
dit) ; mais il faut les trouver : le Ministère
eſt autorisé à faire cette dépenſe ; on attend
avec curioſité les moyens qu'il mettra en uſage
pour ſe procurer cette ſomme : il les mettra
ſous les yeux du Parlement à ſa rentrée ; il
vient d'entrer en vacances. Les Communes ſe
ſont ajournées au 14 Janvier , & les Pairs au 17.
Avant de ſe ſéparer , les deux Chambres ſe
font beaucoup occupées de l'affaire de l'Amiral
Keppel & du Vice-Amiral Pallifer. Cette affaire
fâcheuſe a eu une cauſe très legère ; le
Vice-Amiral en revenant à terre lut dans les
papiers publics un paragraphe anonyme , dans
lequel on l'accuſoit d'avoir empêché de renouveller
le combat d'Oueſſant en désobéiſſant aux
ſignaux ; pour ſe diſculper , il publia une lettre
fignée de fon nom, dans laquelle il mit ſur le
compte de l'Amiral le reproche qu'on lui faiſoit
; celui- ci s'en plaignit , & déclara hautement
dans la Chambre des Communes , que
le Vice-Amiral avoit déſobéi. Celui- ci piqué
à fon tour , & prévoyant fans doute qu'il ſeroit
dificile d'éviter une recherche publique ſur les
circonſtances de cette action , ſe hâta de prévenir
l'Amiral Keppel , en portant lui-même
au Bureau de l'Amirauté , dont il eſt un des
Commiſſaires , une accuſation en forme contenants
chefs , dont la ſubſtance eſt que l'Amiral
s'eſt rendu coupable lors du combat d'Ouefſant,
de mauvaiſe conduite & de négligence L'Amirauté
ſans examiner la justice ni les motifs de
l'accuſation , ſe prêta à la demande du Chevalier
Pallifer , & envoya à l'Amiral copie de
l'accufation, & avis de ſe préparer à ſubir incef
( 215 )
lamment , fur ces articles , un jugement formel ,
devant un conſeil de guerre qui s'aſſemblera à
Portsmouth .
Le 11 de ce mois le Parlement ignoroit encore
ce qui venoit de ſe paſſer, M. Temple Luttrell
éleva encore la voix pour demander qu'on
proposât à S. M. de faire des recherches ſur le
combat d'Oueffant , & fur la conduite de Sir
Hugues Palliſer accuſé d'avoir déſobéi , & que
l'on regardoit comme le ſeul homme répréhenſible
dans cette affaire . La Chambre fut fort
étonnée d'apprendre par la défenſe du Vice-
Amiral que l'Amiral étoit lui-même accuſé ;
tout le monde prit le parti du dernier , & demanda
que l'accuſation fût retirée. Alors M.
Keppel ſe leva : >> Sir Palliſer , dit- il , veut ſe
venger des infinuations qu'il prétend que j'ai
données contre lui ; je nie aujourd'hui , comme
je l'ai déja fait , d'en avoir donné aucune ; c'eſt
comme je l'ai déja dit , ſa propre lettre qui
les a répandues ; c'eſt au ſujet de cette lettre
que je l'ai blámé : c'eſt cette lettre & non mon
opinion de ſa conduite le jour du combat ,
qui m'a fait déclarer que jamais je ne retournerois
en mer avec lui. Après une pareille lettre
je nepouvois pas me riſquer ſur la flotte ou
il ſe ſeroit trouvé ; j'aurois craint qu'il ne s'élevât
une mutinerie ſur une flotte où il auroit
euun commandement. Quant à l'examen qu'on
m'annonce , je veux & je dois le ſubir ; je ne
crois point avoir été coupable dans une ſeule
occafion; ma confcience m'abſout , & je ne
doute point que ma patrie ne faſſe de même.
Je ne donnerai point ma voix ſur la propoſition
qui eſt l'objet des débats actuels j'ai dit
ce que j'avois à dire , & je vais me retirer " .
Cette affaire , malgré l'intérêt que le Parlement
prend à l'Amiral,& les témoignages d'eftime
qu'il lui a donnés aura des ſuites. Le con-
;
( 216 )
feil de guerre doit s'aſſembler ; l'uſage eſt de
le tenir ſur un vaiſſeau de guerre ; mais le
Parlement a porté un Bill pour y déroger en
faveur de l'Amiral Keppel dont laſanté eftchancelante;
ce ſera ſur terre qu'il ſe tiendra . On
attend avec impatience quelle en ſera la décifion.
Au tour que prennent les affaires , on croit
qu'il ſe tiendra encore d'autres conſeils de
guerre pour juger la conduite du Chevalier
Howe : les deux freres demandent avec inftance
qu'on faſſe des recherches pour conftater
ſi c'eſt à eux ou au Miniſtère qu'ondoit s'enprendre
du peu de progrès des armes Britanniques
en Amérique. S'il faut en croire la plupart de
nos papiers , ils doivent craindre cette recherche;
les Commiſſaires du Roi revenus nouvellement
d'Amérique , ſe propoſent de les accuſer
d'avoir , pour leur intérêt , traîné la guerre
en longueur ; mais cette accufation ne paroît
vraifemblable qu'à ceux qui adoptent les plans
du Ministère , qui ont ſeuls caufé les lenteurs
dont la nation ſe plaint , & dont il leur feroit
fans doute avantageux de rejetter la faute fur
d'autres. On eſt fort curieux d'apprendre comment
ſe termineront ces diſcuſſions ; elles peuvent
être funeſtes à quelques braves militaires :
mais elles peuvent le devenir enfuite contre
ceux qui les ont propoſées , &qui les ont foutenues.
Leur effet, en attendant , peut avoir
des conféquences facheuſes pour llee fervice , en
dégoûtant de bons Officiers qui ne pourront
jamais , en prenant un commandement& en le
rempliſſant avec zèle & intelligence , s'affurer
den'être pas outragés , caloommnniiééss,, accuſés par
leurs inférieurs. Comme le conſeil de guetre
ſera composéde 13 des plus anciens Officiers ,
& qu'il y en aura encore un grand nombre des
plus expérimentés employés comme témoins ,
oncraint que le ſervice n'en fouffre , & que
les
( 217 )
les flottes prêtes à partir ne foient retenues
dans nos ports. La Cour a bien promis que
cela n'en retarderoit aucune ; mais cette promeſſe
n'a pas tout- à-fait raſſuré.
Après un voyage inutile & coûteux , dans lequel
les Commiſſaires Britanniques n'ont fait que publier
une Proclamation qui fait horreur à la plus grande
partie de la Nation , ils devoient s'attendre à des
épigrammes; on ne les leur a pas épargnées. La plus
piquante eſt une Lettre ſignée le Fer & leFeu , adreſſée
- au Ministère Anglois ſous le titre de Conſeils pour
donner toute l'efficacité poſſible à cette Proclamation.
>> Comme il paroît que la déſolation de l'Amérique
eſt votre ſyſtême favori , que l'objet indiqué
dans votre Manifeſte ouceluide vos Commiſſaires eſt
dedétruire tout ce qui peut rendre ce Pays de quelqu'utilité
aux François nos ennnemis , les moyens
ſuivans nous ont paru propres à remplir un but ſi
defirable. Il fautd'abord ne compoſer que d'Ecoſſois ,
d'Allemands & de Ruſſes les troupes qu'on embarquera
au printems prochain. Quelque penchant naturel
qu'une pareillearmée puiſſe avoir pour la dévaftation,
,il convient de le provoquer encore par un
ſtimulant plus actif ; il conſiſte à lui donner les encouragemens
ſuivans. Pour l'incendie d'une Ville
qui auroit au moins 1000 maiſons , pourvu qu'il
n'en reſte aucune qui ne ſoit entièrement conſumée ,
on donnera à la diviſion qui aura la gloire de cette
expédition sooo livres , qui ſeront partagées entre
les Officiers & les ſoldats ; pour la deſtruction d'un
Village ou d'un Hameau de 200 maiſons au moins ,
pourvu que les Habitans de tout ſexe & de tout âge
périffent tous , finon par le feu, du moins par le
fer, 1000 livres ; pour chaque acre de grain détruit ,
3 liv.; pour chaque millier de pièce debétail 5 ; pour
chaque Ferme avec ſes appartenances 10; pour chaque
millier de pieds d'arbres coupés4 livre; pour chaque
Moulindémoli 2 1.; pour le crâne d'un homme 1 1.;
pour lecrâne d'une femme 2 1. 26; d'un enfantà la
K 5 Janvier 17790
4
( 218 )
i
mamelle 2 liv . 12 (. 6 deniers ; d'une femme enceinte
3 liv. 3 fols ; celui d'un Membre du Congrès 30 ;
du Général Gates soo ; du Général Washington
5000 ; pour chaque ballot de marchandiſe péſtiférée
qu'on fera paffer à Boſton ou à Philadelphie 300 ;
pour chaque centaine de chiens enragés lâchés dans
le Pays 20 ; pour chaque pre d'Inquifiteur qu'on
pourra y jetter 1000 ; pour chaque Fille du Palais-
Royal & de Drurylane qui y ſera tranſportée 300 ;
pour chaque Eccléſiaſtique non conformiſte , brûlé
au poteau foo ; pour chaque Quaker noyé immédiatement
après ſon baptême 10 , &c. Vous
n'éprouverez ſans doute aucun remords de confcience
en faiſant ainſi la guerre ; ſi cette manière
peut mériter la cenſure des ames timorées des Grotius,
des Burlamaqui , il vous ſuffit d'avoir été aſſurés
par le Lord Suffolk en plein Parlement , que ce ſont
des moyens tout ſimples que Dieu & la nature ont
mis entre vos mains pour l'extirpation des rebelles .
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie le 30 Octobre. Le io de ce
mois le Congrès a pris & fait publier la réſolution
ſuivante. >> Comme il y a tout lieu de
s'attendre que nos ennemis dénaturés défefpérant
de pouvoir jamais nous fubjuguer &
nous donner des fers , ou nous perfuader de
rompre le traité ſolemnel que nous avons conclu
avec notre grand & bon allié le Roi T. С. ,
&de rentrer dans la dépendance de la Grande-
Bretagne , ſe porteront par un dernier effort à
ravager , brûler & détruire les villes & bourgades
de ce continent auxquelles ils pourront
atteindre : arrêté qu'il ſera recommandé à tous
ceux des habitans de ces Etats qui habitent des
lieux expoſés aux ravages de l'ennemi , de conftruire
des dépôts à 30 milles au moins de leurs
domiciles actuels , pour y faire paffer leurs
femmes , leurs enfans , & autres perſonnes hors
( 219 )
d'état de porter les armes , & pour s'y retirer
cux-mêmes en cas de néceſſité avec leurs meubles,
effets & marchandises , & auffi d'éloigner
d'eux tout leur bétail ; précautions affligeantes
à la vérité , mais qui ne leur paroîtront
pas trop dures dans des tems de calamités publiques
, où un ſi grand nombre de leurs braves
compatriotes s'expoſent journellement aux dangers
& aux fatigues de la guerre , combattant
pour la défenſe de leurs droits & de leurs libertés.
Arrêté qu'auſſi- tôt que l'ennemi aura
commencé à détruire ou à brûler quelque ville
ou bourg , il foit recommandé au bon peuple
de ces Etats d'incendier , de ravager , de brûler
& détruire les maiſons & propriétés de
tous les Torys ennemis de la liberté & de
l'indépendance de l'Amérique , & de s'affurer
de leurs perſonnes , de manière à empêcher
qu'ils n'aſſiſtent l'ennemi , ſans ſe permettre cependant
de les traiter eux ou leurs familles avec
une cruauté que les circonstances n'exigeroient
point , d'autant que ſur ce point nous n'avons
pas le defir d'imiter nos ennemis ou les Allemands
, les Nègres & les Sauvages leurs alliéscc.
Les diſpoſitions qu'annonce la dernière proclamation
des Commiſſaires Britanniques , ont
donné lieu à cette réſolution ; l'Amérique doit
fortir de ſa modération devant des ennemis
qui n'en ont jamais montré , qui ſe ſont ſans
ceffe permis des excès , & qui ſe promettent
de pouffer encore plus loin l'horreur & l'atrocité
; il eſt tems de leur oppoſer les armes
dont ils ſe ſervent
Aujourd'hui le Congrès a répondu à cette
proclamation menaçante par un court manifefte
très- énergique , dans lequel il rappelle en peu
de mots , fa conduite & celle des Anglois depuis
l'origine des troubles juſqu'à préſent . C'eſt
4
( 220 )
ainſi qu'il eſt terminé : » Tant qu'il nous eſt
refté une ombre d'eſpérance de pouvoir ramener
nos ennemis par notre exemple , au refpect
des loix que tous les peuples civilisés regardent
comme ſacrées , à l'obſervance d'une
religion qu'ils font profeſſion de croire & de
révérer comme nous , nous les avons laiſſés à
l'influence de cette religion & de cet exemple.
Mais puiſque leurs diſpoſitions incorrigibles
font à l'épreuve de la bienfaiſance & de la
piété , nous devons par d'autres moyens venger
lesdroits de la nature humaine. Nous , le Congrès
des Etats-Unis de l'Amérique déclarons
en conféquence , & proteſtons folemnellement ,
que ſi nos ennemis oſent exécuter leurs menaces
& perſiſter dans leur plan de barbarie , nous
entirerons une vengeance ſi exemplaire , qu'elle
retiendra quiconque ſeroit jamais tenté de les
imiter. C'eſt au Dieu qui ſcrute les coeurs des
hommes que nous en appellons de la droiture
de nos intentions ; & c'eſt en ſa préſence facrée
que nous déclarons que cette réſolution ne
nous étant ſuggérée par aucun ſentiment précipité
de vengeance ou de colère , nous y perſévérerons
à travers toutes les révolutions par
Jeſquelles la fortune pourra nous éprouver « .
Trentown du 12 Novembre. Les nouvelles
qu'on reçoit de New-Yorck annoncent beaucoup
de mouvemens dans cette ville , & confirment
l'idée que nous avons toujours de fon
évacuation prochaine. Le Général Clinton ſent
qu'il n'y peut paſſer l'hiver ſans être expoſé
àbiendes embarras , fur-tout dans un moment
où ſon armée eſt affoiblie de sooo hommes
partis pour les Antilles. Le ſort de ces troupes ,
celuiduCommodore Hotham , qui eſcorté leur
tranſport , paroiſſent fort aventuré ; elles ſont
parties le 2 de ce mois de New-Yorck , & le
Comte d'Estaing qui eſt parti le 4 de Boſton
( 221 )
eſt vraiſemblablement à leur pourſuite. L'A--
miral Byron eſt hors d'état d'aller à leur ſecours.
La tempête qu'il a eſſuyée lui a fait perdre deux
vaiſſeaux ,& il en a pluſieurs qui font fort endommagés
; il n'a pu parvenir encore à les rafſembler
, les réparations dont ils ont beſoin
exigeront du tems , & le défaut de matériaux
&d'agrès néceffaires ne permettra pas de les
mettre en état de rendre de bons ſervices.
Le Général Washington qui est toujours à
Fridéricksbourg , ſe propoſe de s'avancer juſqu'à
Morris-Town où il établira ſon quartier général.
Il n'eſt pas douteux qu'il n'ait les yeux
fixés ſur les mouvemens du Général Clinton
à New- Yorck , & qu'il ne ſe prépare à profiter
des premiers qui lui offriront quelque avantage.
Ledépart desCommiſſaires Britanniques n'eſt
pas éloigné ; ils s'y préparent dans le plus grand
fecret; mais quelque foin qu'ils apportent pour
le cacher , nous en ferons inſtruits ; on eſpère
que la fin de ce mois en délivrera l'Amérique;
& ce jour ſera ſans doute ſignalé par des
réjouiſſances que feront ces peuples libres ; ceux
qui habitent les côtes ont déja préparé des feux
qu'ils allumeront au moment de leur départ,
& qu'il est vraiſemblable qu'ils appercevront;
ils leur donneront une juſte idée des ſentimens
de ces peuples ſur leur commiffion ; cela ne
les empêchera pas de les repréſenter comme
diſpoſés à rentrer ſous le joug de la Grande-
Bretagne ; mais ces contes qui peuvent plaire
à leur Roi en Europe , feront bien démentis
ici par les faits.
Un papier de Boſton rend compte d'une fête
que le Comte d'Estaing a donnée à bord du
Languedoc aux principaux habitans de cette
ville. Il avoit fait placer dans le fond de la
chambre un portrait duGénéral Washington ,
K 3
( 222 )
degrandeur naturelle , dont leGénéralHancock
lui a fait préſent. Ce portrait étoit entouré de
lauriers. Quelques jours avant cette fête , il fit
la revue des troupes Françoiſes , & invita le
Général Heath à s'y trouver ; ces Officiers &
tous les ſpectateurs furent également fatisfaits
de la beauté de ces troupes & de la préciſion
de leurs manoeuvres .
De Boston le 15 Novembre. L'Eſcadre Françoiſe
a mis à la voile le 4 de ce mois , elle
elt parfaitement bien réparée , bien équipée ,
&les équipages ſont pleins d'ardeur & de confiance.
Nous ne pouvons affez nous louer de la
conduite qu'ils ont tenue pendant leur féjour.
Nous ignorons de quel côté la flotte dirige
fon cours ; mais l'état où elle eſt , le courage
& le zèle qui animent les Officiers & les foldats
, & pluſieurs de nos concitoyens qui s'y
fontembarqués , tout nous annonce qu'elle trouvera
la gloire par-tout où elle ſe montrera .
Levainqueurde Burgoyne, le GénéralGates ,
eſt arrivé ici les de ce mois ; le Général Heath
lui a remis auſſi-tôt le commandement ; nous
n'eſpérons pas de le poſſéder long-tems ; fes
fervices peuvent devenir plus néceſſaires ail-
Jeurs.
Nous apprenons que le Colonel Clark , à la
tête d'un corps de milice Américaine , s'eft
emparédu fort de Chartres & de pluſieurs autres
poſtes ſitués entre l'Ohio 8 le Miſſiffipi.
On écrit de Williamsbourg en Virginie , que
le Commandant Anglois y est arrivé le 9 O
tobre , & qu'il y a la ville pour prifon.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 10 Janvier.
Le premier de ce mois , les Princes & Princeffes
du ſang , ainſi que les Seigneurs & Dames de la Cour
( 223 )
rendirent leurs réſpects au Roi à l'occafion de la
nouvelle année. Le corps de Ville de Paris ayant à
ſa tête le Duc de Coffé , gouverneur de cette ville ,
s'acquitta du même devoir envers le Roi & la famille
Royale , étant conduit par le Marquis de Dreux ,
Grand-Maître des Cérémonies , & M. de Watronville
, aide des Cérémonies .
Le même jour les Chevaliers Commandeurs &
Officiers de l'Ordre du S. Eſprit , s'étant aſſemblés
fur les 11 heures dans le cabinet du Roi , S. M.
fortit de ſon appartement pour ſe rendre à la Chapelle
, précédée de Monfieur , Mgr. le Comte d'Artois
, du Duc de Chartres , du Prince de Condé , du
Due de Bourbon , du Prince de Conti , du Duc de
Penthièvre , & des Chevaliers , Commandeurs &
Officiers de l'Ordre. L'Evêque de Chartres , Prélat
Commandeur de l'Ordre , grand-Aumônier de la
Reine , célébra la Grand-meſſe qui fut chantée par la
muſique du Roi , après laquelle S. M. fut reconduite
à ſon appartement , en obſervant le même ordre ,
que celui dans lequel elle en étoit ſortie.
Le 3 , M. d'Aligre , premier Préſident du Parlement
de Paris , ainſi que les Préſidens à Mortier
&les autres Préſidens du même Parlement eurent
T'honneur de rendre leurs reſpects au Roi & à la famille
Royale , à l'occaſion de la nouvelle année ;
laChambre des Comptes , la Cour des Aides & la
Cour des monnoyes eurent auſſi cet honneur le même
jour , ainſi que le Châtelet de Paris , à la tête duquel
étoit le Grand-Prévôt.
L'état de la Reine continuant à être de plus en plus
fatisfaiſant , S. M. a vu le 6 de ce mois toutes les
perſonnes qui ont les entrées de la chambre chez le
Roi & chez S. M.
M. Le Marquis de Montalembert , Maréchal des
camps & armées du Roi, a eu l'honneur de préſenter
au Roi , à Monfieur , & à M. le Comte d'Artois , le
27 Décembre , les III & IV volumes de ſon ouvrage
fur les fortifications ; ces deux volumes complètent .
F
:
K 4
( 224)
Jedéveloppement du nouveau ſyſtê me de M. leMarquis
deMontalembert. L'ouvrage ſe trouve à Paris
chesDeſpieres.
FRANCE.
De PARIS , le 10 Janvier.
L'ACTIVITÉ des travaux qui ſe font dans
tousnosports ne ſe rallentit point; onnecompte
pas avoir au printems prochain moins de 70
vaiſſeaux de ligne en état de tenir la mer. Le
public en attendant qu'il ſoit mieux inſtruit ,
les diviſe ainfi . L'eſcadre de M. d'Estaing dans
l'Amérique ſeptentrionale , ſera portée à 15 vaiſ
ſeaux de ligne ; M. de Ternay en conduira 6 aux
IndesOrientales ; une ſeconde eſcadre de 12 partagée
en deux diviſions , ſous les ordres du
ComtedeGraffe , veillera à la défenſe des Indes
Occidentales ; il y aura 12 vaiſſeaux de ligne
dans la Méditerranée, & le reſte formera une
eſcadre d'obſervationdans le port de Breſt , d'où
elle ſera prête à agir par-tout où elle ſera néceffaire.
Le vaiſſeau de 110 canons qu'on doit conftruire
à Breſt , eſt nommé le Royal-Louis; il eſt
tracé , & fera conſtruit dans le baffin , où l'on
achève la refonte du Citoyen. Un des deux vaifſeaux
de 74 , eſt nommé le Nortumberland ; l'autre
ne l'eſt pas encore . Outre ces vaiſſeaux , on
conſtruit 2 frégates , la Vénus & l'Aftrée , portant
chacune 24 canons de 12 livres de balle en
batterie.
Outre le vaiſſeau de 110 canons , les 3 de 74
&les 2 frégates auxquelles on travaille à Rochefort,
onyconſtruit auſſi deux galiotes à bombes
& quatre chaloupes canonnieres , à l'Orienton
conſtruit 2 fregates , à Saint-Malo une
frégate&des cotters ,& au Havre 2corvettes.
On continue à caréner , doubler & maillet
( 225 )
ter à Breſt l'Annibal , le Diademe , le Réfléchi &
l'Amphion , qui doivent former l'eſcadre de M. le
Chevalier de Ternay ; 2 vaiſſeaux que le Roi a
achetés , & que l'on arme à Rochefort & à
l'Orient , doivent les joindre. Le Severe qui
eſt unde ces vaiſſeaux , doit embarquer à l'Iſlede-
Ré le régiment de M. le Duc de Lauzun; il
appartient à la ſociété de M. Rothe , il eſt de
force , & porte 64 canons ; il ſera commandé
parM. Palliere , ancien Capitaine des vaiſſeaux
de la Compagnie des Indes , qui vient d'obtenir
lebrevet de Capitaine des vaiſſeaux du Roi .
Des lettres de Breſt portent que M. le Duc
de Lauzun s'eſt embarqué ſur le vaiſſeau le Fendant
, & que depuis qu'il eſt à bord , perſonne
de l'équipage n'a été à terre. Selon les mêmes
lettres , l'Orient doit être parti , & il y a apparence
qu'il eſt convenu d'un rendez- vous avec
l'Artéſien qui s'eſt réparé à l'Orient. L'Actionnaire
& l'Indien doivent auſſi avoir appareillé
pour une miſſion inconnue ; l'eſcadre de M.
Graſſe eſt prête à partir , & le Fier & la Renommée
ont mis à la voile pour aller prendre à
l'ifle d'Aix un convoi qu'ils eſcorteront juſqu'à
Saint-Domingue.
La Belle Poule eſt rentrée le 28 du mois dernier
dans le même port avec deux priſes , l'une
chargée de tabac ,& l'autre de vin de Malaga ,
& on les évalue à 4 à 500,000 liv. M. de la
Roche Kerrandraon , Enſeigne de vaiſſeau qui
s'eft diftingué dans le combat qui a rendu cette
frégate fi célèbre , a obtenu ſéance & voix délibérative
aux Etats de Bretagne , quoiqu'il n'ait
pas l'âge. Les mêmes Etats ont demandé au Miniftre
de la Marine, l'agrément d'armer en courſe
le vaiſſeau le Fitzjames. M. le Chevalier de
Boutteville & M. le Chevalier de Pontual le
commanderont en chef& en ſecond; beaucoup
de Gentilshommes Bretons doivent s'y embarquer
en qualité de volontaires. KS
( 226 )
>>>Le nombre des priſes , tant faites que celles
qui arrivent tous les jours , écrit- on de Breft ,
rempliffent le port & la rade , on y voit arriver
desbâtimens de tous pavillons, chargés de munitions
navales &de munitions de guerre & de bouche
; toutes ces priſes vont partir pour l'Orient
où elles doivent être vendues.M. le Chevalier de
Ternay ſera en état de mettre à la voile dans ce
mois ; on fait toutes les diſpoſitions néceſſaires
pour mettre 29 vaiffeaux de ligne en état de fortir
dans peu de tems , & on préſume qu'ils font
deſtinés à quelque entrepriſe importante ſous
les ordres de M. le Comte d'Orvilliers . D'après
les lettres de Rochefort , il paroît qu'on y a eu
quelques inquiétudes de la part des Anglois ,
maisdans cette ſaiſon-ci iln'y a rien à craindre.
Il feroit à ſouhaiter qu'une flotte ennemie you-
Jût tenter quelque choſe ſur ces côtes , elle ne
pourroit qu'y périr «.
Le bruit s'eſt répandu ces jours derniers ,
qu'un navire marchand arrivé de Saint-Domingue
dans la rivière de Nantes , a rapporté que
la frégate du Roi la Prudente , de 36 canons ,
commandée par M. d'Eſcars , avoit pris la frégate
Angloiſe la Flore , de la même force , après
un combat très vif, & que cet Officier qui avoit
été bleffé au commencement de l'action , n'avoit
point voulu quitter le pont pendant tout le tems
qu'elle avoit duré , mais qu'il étoit mort l'inftant
après que l'Anglois eut amené. Pluſieurs
lettres rendent compte du même fait , mais elles
varient fur le nom de la frégate du Roi , qui
dit-on eft le Triton , de 32 canons , commandée
par M. de Catelan .
>>>Je viens de parler à un Officier Allemand
qui arrive du ſervice des Etats-Unis , écrit on
de l'Iſle- de-Ré ; il eſt parti de Boſton le 12 Novembre
; M. le Comte d'Estaing en étoit parti
le 4 avec 12 vaiſſeaux de ligne , 3 frégates & 3
( 227 )
corſaires Américains qu'il a fait armer ; il s'étoit
fortifié de soo matelots François qu'il avoit
échangés , ſon eſcadre étoit dans le meilleur
état , très- vigoureuſe d'équipages , & bien munie
de vivres & de munitions . Au départ du navire
ſur lequel cet Officier eſt arrivé , on débitoit
à Boſton que les Anglois évacuoientNew-
Yorck. L'Amiral Byron a 18 ou 19 navires de
guerre. Un s'eft perdu à la côte près de Boſton ,
un autre a péri plus loin , pluſieurs font démátés.
Quant à l'indépendance , cet Officier affure que
lesAméricains en ſont dans la poſſeſſion la mieux
établie ; & que jamais les Anglois n'auront dans
ce pays la plus petite parcelle de domination.
Ildit que les Américains ont actuellement au
moins 200 armateurs à la mer , qui déſolent le
commerce de l'Angleterre dans toutes ces mers .
Suivant une lettre de Toulon , M. le Chevalier
de Fabry ne commandera plus l'eſcadre , on
en ignore la raiſon; tout ce que l'on fait , c'eſt
qu'il a été très-malade à la mer. La Victoire , le
Destin , le Hardi & le Lion , ont dû mettre à la
voile pour aller en croifière. Toutes les frégates
& chebecs font dehors. Le Triomphant , de 80
canons , le Héros, de 74 , & le Jafon , de 64,
qui font en conſtruction , feront lancés à l'eau
inceſſamment. Le premier ſera armé tout de
fuite. La Bourgogne & le Souverain , chacun de
74, font en radoub & feront prêts dans deux
mois >>Un corſaire Marſeillois qui vient de
rentrer , ajoute la même lettre , a déposé que
pourſuivi par une frégate Angloiſe , il avoit rencontré
la frégate du Roi l'Attalante , commandée
par M. le Chevalier de Durfort , qui avoit
obligé l'Anglois de ceſſer ſa poursuite , & engagé
le combat Le bruit de la ville eſt que la
frégare Angloiſe a amené , & en ce cas , elle
ne tardera pas à arriver «.
Le petit corfaire le Furet , du port de Tou
K6
( 228 )
lon , continue à faire parler de lui , en enlevant
beaucoup de navires ennemis. Il eſt commandé
par le ſieurRoubaud , ci-devant maître d'armes
l'Ecole Royale Militaire d'Effiat ; c'eſt un
homme connu par ſon intrépidité. Pendant la
guerre dernière , il ſauta dans un vaiſſeau ennemi
, courut au pavillon , l'arracha , ſe jetta avec
luià la mer & ſe ſauva , le vaiſſeau Anglois fut
pris. Il y a peu de tems que les Anglois avoient
armé àMahon un corfaire pour prendre le Furet.
Roubaud inſtruit , fort de l'anſe où il ſe tenoit
ordinairement , & trouve un Corfaire de
Marſeille beaucoup plus fort que le Mahonnois;
il lui raconte ce qui lui faiſoit quitter ſa retraite ,
c'étoit l'impoffibilité de ſe défendre contre un
ennemi auſſi ſupérieur , & lui conſeilla de s'aller
mettre à ſa place. Le Marſeillois ſe mit dans
la petite Baie , & y attendit fon ennemi qui ne
manqua pas d'être pris & conduit à Marseille.
Voici la lifte des priſes faites par l'eſcadre
de M. de Fabry , pendant fa miſſion. La grande
Duchesse de Toscane venant de Londres , chargée
de draps , clinquaillerie , &c. deſtinée pour
Livourne. Le Dorfetshire , chargé de même ,
allant à Naples. La Biscaye , chargée de draps ,
allant à Gênes & à Nice. Le Zephir , corvette
de guerre , allant à Mahon . La Vierge des Car.
mes , tartane allant auſſi à Mahon. L'Industrie
venantd'Ancône & allant à Malaga. La Marie
Sarah chargée de morue & allant à Livourne.
Il y a auſſi deux ſenauts , dont on a porté la cargaiſon
à Tunis, ſous l'eſcorte d'une frégate du
Roi , & l'autre achetée par unRagufois ,pourra
être déclaré n'être pas de bonne priſe .
Les priſes Angloiſes amenées à Marseille par
des bâtimens armés en courſe dans ce port , font
les fuivans. Le Nil , venant d'Angleterre pour
Livourne&Conftantinople,eſtimé200,000liv.,
pris par le César, de 14canons, so hommes
( 229 )
d'équipage, capitaine Miſſi . La Sophie, venant
de Terre-Neuve, chargée de morue , eſtimée
210 mille livres , le George , chargé de même ,
ettimé 70 mille livres , & l'Arc- en- Ciel , corfaireAnglois
de 10 canons , & de 60 hommes ,
ces trois dernières priſes ont été faites par la
Sardine , de 16 canons , 180 hommes d'équipage
, capitaine Gaffen. Le Triomphant , de 8
canons , & de 60 hommes , & le S. Jean-Baptiſte
de 2 canons de 12, & de 110 hommes armés
auffi dans ce port , ont aufi croisé avec ſuccès
mais ils ont conduit leurs priſes dans d'autres
endroits.
>>Un corſaire de Marseille , écrit-on de Calvi
enCorſe, en date du 25 du mois dernier , vient
d'amener à Baſtia un corſaire Mahonnois , un
pinque&une tartane que ce dernier avoit priſes.
Le Marſeillois avoit fait fermer les fabords ,
cacher fon monde & paroiſſoit fuir ; le Mahonnois
qui le prit pour un navire marchand
venant au vent , fut tout-à-coup abordé , &
vit40hommesde l'équipage François fur fon
bord : il étoit commandé par un Corſe condamné
à être rompu vif. Ce même corſaire de
Marſeille a pris également à l'abordage un autre
corſaire Anglois de 150 hommes d'équipage
, qu'il a conduit en Eſpagne. Les matelots
que la Corſe avoit fournis pour l'eſcadre
deM. de Fabry fontde retour en leur patrie. Ils
font très-contens de leur campagne & defirent
fort qu'on les rappelle bientôt ; ils ont rapporté
de l'argent& des effets , fans compter la part
qu'ils auront dans la vente des priſes qui ont
été faites. Pluſieurs d'entr'eux ont demandé des
paſſeports pour aller ſervir ſur les navires marchands&
fur les corſaires , en attendant qu'ils
puiſſent être employés ſur les vaiſſeaux du
Roice.
On mande de Beziers le fait ſuivant, » Une
( 230 )
&détartane
qui avoit chargé des vins de Roufillon
pour Cette , rencontra 2 bâtimens plats
couverts qu'elle prit pour des pêcheurs ; lorfqu'elle
fut à la portée du piſtolet , pluſieurs
hommes armés de carabines parurent & fom.
mèrent la tartane de ſe rendre ; elle n'avoit que
8 hommes & point d'armes , elle ſe foumit.
Les corſaires ſe diſposèrent à la conduire à
Mahon d'où ils étoient partis ; mais le vent
dufud ayant commencé à ſouffler avec violence,
& les corfaires ne connoiſſant pas la côte , ils
furent obligés de confier le gouvernail à l'un
des matelots de la tartane , en lui ordonnant
degouverner pour Mahon. Le vent s'y oppoſa ;
les matelots François s'appercevant de l'ignorance
de leurs vainqueurs , leur proposèrent de
faire voile vers Nice : ils y confentirent , &
le vent portant toujours à la côte , les François
firent échouer le bâtiment vers le port de
Vendre ; à peine furent-ils à terre qu'ils coururent
appeller du ſecours ; au premier ſignal
les habitans prirent les armes , & vinrent arrêter
les corſaires qui s'étoient refugiés dans une
cabane de pêcheur , & qui furent déſarmés &
conduits à Vendre".
>> Nous avons eſſuyé la nuit dernière , écrit - on
de Calais en date du premier de ce mois , une tempête
telle que de mémoire d'homme on n'en a vu
en ce Pays . Toits , couvertures de cheminées , vîtres
des maiſons de cette Ville, tout a éprouvé la violence
de ce vent horrible. Une guérite ſur le rempart a été
jetrée dans les foſſés de la Place avec la ſentinelle ;
nos rues font remplies des décombres des toîts &
des cheminées , & les fermes & les bâtimens des
campagnes ne peuvent qu'avoir été également maltraités.
>> La mer a étalé des horreurs dont on n'a pas d'idée.
Nos côtes ſont couvertes des débris de 40 vaiſſeaux
Anglois tant frégates que marchands qui étoient aux
( 231 )
:
:
Dunes; pas un n'a réſiſté. Nombre ont pérí à notre
vue : quatre ont eu le bonheur d'échouer contre nos
jetrées : leurs équipages réunis au nombre de plus
de 200 hommes ont gagné terre & ſe ſont rendus
prifonniers. De ces quatre vaiſſeaux , il y en a deux
de 20 & de 26 canons , Lettre de marque , moitié
guerre, moitié marchandise , ayant 70 à 80 hommes
d'équipage deftinés pour le Sénégal ; ils rapportent
que deux frégates de guerre qui étoient aux Dunes
ont chaffé fur leurs ancres & gagnoient nos côtes.
On n'apperçoit de tous côtés que vaiſſeaux dont
beaucoup font démâtés , voguant au gré de la tempête
& tâchant de ſe ſoutenir ; on ne peut leur
donner aucun ſecours , tant la mer eft furieuſe.
Comme cette tempête vient de l'oueft , & qu'à la
Rade de Spithéad ou Sainte - Hélène , il ſe trouve
plus de 300 vaiſſeaux marchands raſſemblés , & que
ce vent y est très-dangereux , il y a lieu de croite
que cette flotte aura partagé le fort des vaiſſeaux
des Dunes dont la rade eſt mieux abritée.
>> Deux autres vaiſſeaux échoués dont les équipages
ſe ſont ſauvés & font en prifon , rapportent
qu'ils faifoient partie de 15 navires partis hier au
foir de la Tamiſe pour la Nouvelle-Yorck , chargés
d'habits , tentes , draps , camisoles , &c.; que chacune
de ces cargaiſons coûte à Londres 20,000 liv.
ſterlings. Deux vaiſſeaux pareils font perdus corps
&biens ; un autre également perdu , mais l'équipage
ſauvé , étoit un vaiſſeau Nantois , priſe faite par un
Guerneſay , que l'on conduiſoit à Londres .
A cinq heures du foir , une frégate de 36
canons , felon ce que l'on me rapporte , vient d'échouer
à la côte de Waldou ; une autre frégate
ſe ſoutient avec bien de la peine à la même côte :
ondit qu'un vaiſſeau de ligne a péri du côté de Blannès .
Nos Corſaires pourront tirer parti de ce déſaſtre ;
ils commencent à faire parler d'eux «.
On arme à Nantes fix corſaires de 20 à 26
canons , à St. Malo quatre de 26 à 30. , & le Fitz
( 232 )
James de 42. Le corſaire le Mortemart a amené
dans ce dernier Port depuis quelques jours , cinq
priſes chargées de ſucre & de café estimées 800
mille livres.
On écrit de Brest , que de 39 voiles qui venoient
en ce Port ſous l'eſcorte de quatre frégates ou corvettes
, il en eſt arrivé 34 , qu'on craignoit que les
cinq autres ayant fait fauſſe route n'aient été enlevées
; qu'une des frégates de l'eſcorte qui étoit reftée
pour les chercher n'étoit pas encore rentrée , &que
les réparations de la Ville de Paris étoient fort
avancées.
On dit que les Etats du Languedoc vont faire
un emprunt de 12 millions pour le compte du
Roi : il eſt auſſi queſtion de donner l'entrepriſe
de toutes les voitures quelconques à une compagnie
qui , dit- on , donne auRoi 5,500,000 1 .
000005
Ilyaquelque tems que l'on parle d'un projet
pour affurer aux Proteftans leur état civil ; on a
cru lors de l'aſſemblée des Chambres du Parlementle
15 du mois dernier, que leur objet étoit
de délibérer fur cette affaire : mais iln'y a été
queſtion que de l'examen de pluſieurs mémoires
reçus ſur ce ſujetdes différentes jurisdictions inférieures
du reffort , dont on dit que le réſultat a
étéqu'iln'y avoit lieu à délibérer quantà préſent.
Le 21 du mois dernier , il y a eu dans la
Chapelle de M. l'Archevêque de Paris une cérémonie
édifiante & rare , M. l'Evêque de
Montauban adminiſtra le baptême à demoiſelle
Catherine Tornhill , née dans la cité de Londres
de parens diftingués , âgée de 28 ans : elle
eut pour parrain M. le Prince de Naffau , &
pour marraine Madame la Marquiſe de Peyſac.
Après le baptême , le Prélat bénit ſon mariage
avec Meffire Etienne , Baron de Biffy ,
nédans les Etats de Gênes , du Comte de Bifſy ,
Marquis de Scaliofa ,Comte de la Boidina , &c.
Il baptiſa enſuite quatre enfans deſdits époux ,
( 233 )
dont l'aîné eſt âgé d'environ to ans& le dernier
de 3 ; leurs parrains & marraines furent
M. le Prince de Salm & Madame Daulin ,
M. de Maupercher , Conſeiller au Parlement
& la Vicomteffe de Foſſe- Landry , le Marquis
de Peyfac & Madame de Maupercher , le
Marquis de Roc- Epine , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , & Madame de Lancelot.
Après cette cérémonie , on adminiſtra les Sacremens
de Confirmation & d'Euchariftie aux
deux époux .
La diſtribution des maîtriſes , grands prix &
prix de quartier de l'Ecole Royale gratuite de
Deſſins , s'eſt faite dans la gallerie de la Reine
aux Tuileries le 28 du mois dernier. M. Le
Noir Préſident de ladite Ecole , étant arrivé à
6heures , accompagné de MM. les Adminiſtrateurs
, M. Bachelier, Directeur , ouvrit la ſéance
par un diſcours ; enſuite on procéda à la diftributiondes
cinq maîtriſes de Maçon , accor
dées aux fieurs Boutellier , Morin , Cherbonnier
, Allard & Candieu , & de 211 prix que
le Magiſtrat délivra aux Elèves.
Nous avons annoncé il y a maintenant un
an, le bel ordre d'adminiſtration établi dans
la paroiſſe de Saint-Sulpice pour le foulagement
des pauvres ; on vient de rendre compte
des ſuccès qu'il a eu. Les perſonnes riches ſe
font empreffées de ſeconder le zèle de M. de
Terſac, & de contribuer à l'exécution de ſes
vues bienfaiſantes . Les aumônes ont été abondantes;
depuis le premier Octobre 1777 , jufqu'au
premier Octobre de l'année dernière , on
adiſtribué aux pauvres 140,000 liv. , tant pour
les layettes, les mois de nourrice , les écoles
gratuites , les apprentiſſages , les habillemens ,
que pour le bois , les lits , les dépenſes de malades.
La quantité de pain diftribué pendant
l'hiver, a été d'environ 126,000 livres peſant.
(234 )
,
On a fourni du travail aux pauvres qui en manquoient;
le magafin de filaffe établi rue de bour-
Bon- ville-neuve , par la ſageſſe du Magiſtrar
qui préſide à la Police , a valu aux pauvres de
la paroiffe qui ſe ſont occupés à filer du chanvre
& du lin , environ 20,000 liv. La broderie
, qui eſt le ſeul talent de beaucoup de filles
& de femmes , n'a produit que 4300 liv. , parce
que l'usage de la dentelle & du filet a prévalu.
La Communauté des Soeurs de l'Inſtruction , rue
Pot-de-Fer , s'eſt chargée de recevoir toutes les
couturières , munies d'un billet de la Paroiſſe
qui peuvent s'y rendre lorſqu'elles n'ont pas d'oc
cupation , & où on en voit so dans une falle
commune , occupées de leur travail & des exercices
de piété qui leur conviennent. Un Infpecteur
de la Police a employé à la propreté des
rues les hommes que la Paroiſſe lui a adreſſés ,
en leur payant 14 ſous parjour. Ily a 4 maiſons
deſtinées à élever les enfans que leurs parens
font hors d'état d'élever ; on leur apprend à
lire , à écrire , à calculer , & on leur enſeigne
des métiers. A tous ces établiſſemens, on a joint
unhofpice pour les malades dont nous avons déja
parlé. Nous revenons avec plaifir fur cet ordre
d'établiſſement qu'onon ne fauroit trop louer ,
& qu'il feroit à defirer qu'on imitât dans toutes
les autres paroiffes.
Le 29 Décembre dernier, Jean-Jacques Brons,
Comte de Cézerac , chefd'eſcadron au régiment
de cavalerie Royal Picardie , a épousé à Sarlat
en Périgord , Demoiselle Marie-Elifabeth de
Mirandol : les frères du Comte de Brons de
Cézerac font : 1º . le Vicomte de Brons de
Vérac, Lieutenant - Colonel d'Infanterie , Che
valier de l'Ordre de S. Louis , marié depuis
1775 , avec Demoiſelle Henriette-Charlotte de
Fronfac , 2 °. le Chevalier de Brons de Cézerac
, Capitaine au régiment de Lorraine , non
A
(235)
1
marié Cette famille dont les diverſes branches
exiftent en Périgord , en Quercy & en Bourdelois
, n'a ceffé depuis pluſieurs fiècles de ſervir
nos Rois , & a produit nombre de militaires
diftingués.
Le Marquis de Bonnac , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Gouverneur de Brouages
, &c. , Chevalier de l'Ordre de l'Impératrice
Reine , Commandant au pays de Foix ,
eſt mort dans ſon Château de Bonnac âgé de 62
ans. Une délibération de la ville de Saverdun
pour honorer fon convoi , eſt une preuve évidente
des regrets qu'a causé dans la Province ,
la mort de ce Commandant.
Suzanne du Châtelet , veuve de Jean-Nicolas
de Changy , Marquis de Rouffillon , eſt morte
au Château de Lizieux en Barrois , dans la
7se. année de fon âge.
Marie-Marguerite Bartholot , Comteſſe d'Anfreville
, eſt morte en fon.Château d'Auberville-
la-Mannelle en Normandie , âgée de 79
ans.
د
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Novembre 1778 , regiſtré en Parlement le 27
du même mois , portant création de quatre
millions de rentes viagères.Cet Edit contient dix
Articles. Par le premier il eſt dit que leſdites
rentes pourront être acquiſes , ſoit ſur une feule
tête, à raiſon de dix pour cent par an , ou fur
deuxtêtes à raiſon de 8 pour cent par an ;
le tout fans diftinction d'âge & au choix des
acquéreurs. Le ſecond porte que les arrérages
deſdites rentes feront ſujets à la retenue du
dixième d'amortiſſement , & exempts à toujours
des vingtièmes , quatre fols pour livre du ter
vingtième , & de toute autre impoſition généralement
quelconque qui pourroit avoir lieu par
la ſuite. Il eſt réglé par le troiſième que les
conftitutions particulières ne pourront être
(236)
moindres ſur une ſeule tête que de solivres ,&
fur deux têtes que de 42 livres 10 fols de jouif-
Cance annuelle.
la
Ordonnance du Roi , concernant les recrues
qui ſe font à Paris , du 15 Novembre. S. M.
informée qu'il ſe trouvoit beaucoup d'abus dans
le recrutement à Paris , a voulu ypourvoir
tantpour aſſurer la tranquillité & fûretéde
ſes ſujets , que pour le bien de ſon ſervice ; en
conféquence , elle a jugé néceſſaire de renouveller
l'Ordonnance du 27 Mars 1760. Elle
défend aux foldats des gardes Françoiſes &
Suiffes , & à tous Recruteurs d'entrer dans
P'Hôtel-Dieu de Paris , de faire le racolage ,
ni aucun engagement forcé , ſoit par ſurpriſe ,
menace ou autrement ; tous doivent être faits
de bonne volonté ; le tout à peine de nullité
deſdits engagemens , du carcan & des galères ,
tant contre ceux qui ſeront convaincus de pareilles
manoeuvres, que contre ceux qui les
auront favorisées. Pour éviter ce trafic honteux&
illicite des Recruteurs , qui après avoir
fait contracter un engagement font paffer à
d'autres , à prix d'argent l'homme engagé ; il
leur eft enjoint de déclarer à ceux qu'ils engagent
le nom du régiment auquel ils les defſtinent,
à peine de nullité de l'engagement &
de priſon. Veut S. M. que tous ceux qui auront
des commiſſions pour faire des recrues ,
ſoient tenus avant de faire aucun engagement ,
de préſenter leur pouvoir au Lieutenan-tGénéral
de Police , chargé de faire exécuter la
préſente Ordonnance.
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie
Royale de France le 2 de ce mois, font: 21 ,
67,80, 22 , 84.
De BRUXELLES , le 10 Janvier.
On parle plus que jamais de la paix d'Al(
237 )
lemagne; nous avons quelques lettres de cette
contrée qui annoncent que la Maiſon d'Autriche
eſt ſur le point de reſtituer à l'Electeur
Palatin la partie de la Bavière , dont elle s'eſt
mis en poffeffion au commencement de l'année
dernière. En attendant que cette nouvelle , encore
bien vague , ſe confirme , les ſpéculatifs
qui ne croient pas que l'Empereur renonce à
toutes ſes prétentions après avoir armé pour
les foutenir , cherchent la part de cette fucceffion
qui pourra lui reſter , & celle qu'on
penſetoujours qu'il conviendra de faire au Roi
de Pruffe; ils ont imaginé en conféquence ce
plan d'accommodement : la Régence de Straubing
& le cours du Danube juſqu'à Paffaw ,
feront rendus à l'Electeur Palatin ; l'Impératrice
Reine conſervera quelques diſtricts dans
la Bavière , & on cédera quelques contrées
en Siléfie au Roi de Pruſſe; la ſucceſſion de
l'Electeur Palatin ſera aſſurée au Duc des
Deux-l'onts par un acte authentique& folemnel .
Selon d'autres avis , la paix n'eſt pas encore
prochaine ; l'Electeur Palatin doit , dit - on ,
fournir à l'Impératrice Reine 12,000 hommes
qui feront payés & entretenus à ſes frais pendant
tout le cours de la guerre ce corps ſera ſous
les ordres du Général Baron d'Herold.
Il eſt certain que les préparatifs pour foutenir
la guerre avec vigueur ſe continuent de
toutes parts ; on écrit de Paris que leRoi de
Pruſſe a écrit à un homme célèbre que ſi la
paix ne ſe fait pas cet hiver , il ſe propoſe de
faire une campagne affez vive pour n'avoir pas
beſoind'en commencer une troiſième ; " à mon
âge , ajoute-t- il , on eſt preſſé de finir ſes affaires
, &je réponds que je ne traînerai pas celleci
en longueur " . Nous avons reçu ici des ordres
pour que s bataillons de campagne , 350
dragons , actuellement dans les Pays-Bas , &
( 238 )
:
1
le reſte du corps d'artillerie ſe tiennent prêts
àpartir au premier avis. Les compagnies de
ces bataillons feront portées à 200 hommes ,
à 190 au moins , & les dragons doivent faire
autant de recrues qu'il fera poſſible. Si le départde
ces troupes , qui formeront un corps
de 6000 hommes , a lieu , il ne reſtera dans ces
Provinces que s bataillons de garniſon de 4
compagnies chacun , & qui même ne font pas
entièrement complettées.
On affure que le Portugal a ſigné un traité
de commerce avec la France , & que ce traité
ne tardera pas à être publié. » L'examen des
procédures faites ſous le précédent règne
écrit- on de Lisbonne , ſe continue avec beaucoup
d'affiduité , & les malheureuſes victimes
de la prévention & de la haîne , trouvent dans
la justice de la Reine un terme à leurs fouffrances
, & un juſte dédommagement de leurs
maux paffés . On a publié déja le decret qui
déclare innocent D. Joſeph Scabra de Sylva ,
qui eſt rétabli dans tous ſes honneurs & dans
toutes ſes dignités ; il avoit d'abord été exilé
de la Cour , avec défenſe d'en approcher de
60 lieues . Ses amis s'intéreſsèrent pour lui quoiqu'il
eût déplu au Miniftre. Il fut puni de cette
fidélité extraordinaire dans des courtiſans , par
une priſon rigoureuſe dans le Château de Porto,
& fon nom fut effacé de tous les regiſtres du
Royaume ; enfin il fut transféré à Angola , &
renfermé avec des malfaiteurs. Lorſque ſes fers
ont été rompus , le peuple a été en foule audevant
de cet illuſtre infortuné ; on affure qu'il
eſtdans l'intention de paſſer le reſte de ſes jours
loin de la Cour ; cependant il l'a ſuivie à Alentejo
pour préſenter ſes hommages à la Reine-
Mère , qui l'honora toujours d'une eſtime particulière
" .
>>Je ne vous parlerai point des diſpoſitions de l'Ef(
239 )
pagne , lit-on dans une lettre de Madrid ; elle con
tinue de les cacher avec beaucoup de ſoin ; cela
n'empêche pas qu'on ne les pénètre , & le moment
où elle doit les déclarer , n'eſt pas éloigné. Le malheurde
M. Olivadès occupe en ce moment l'attention
générale , il affecte vivement , & on n'oſe pas
témoigner combien on eſt pénétré. Tout le monde
ſe rappelle que c'eſt à lui que l'Eſpagne doit l'état
actuel de Sierra-Morena ; on n'y voyoit que des
deſerts en friche , habités par des brigands & des
bêtes féroces ; il les a peuplés , il les a fait cultiver ,
il en a fait un canton très- riche. Il a employé pour
cela des Colons Allemands induſtrieux , & qu'il a
attirés ; malheureuſement ils ſont Proteftans ; il
avoit cru devoir les protéger contre le fanatiſme ; if
le réprima avec ſévérité toutes les fois qu'il tenta de
troubler le repos de ſa Colonie ; c'eſt de-là qu'on
eſt parti pour le peindre , comme un homme fans
religion &fans moeurs. Son jugement en le déclarant
incapable de toute charge civile & militaire ,
étend cette peine à ſes deſcendants , juſqu'à lacinquième
génération , il le condamnoit à être fouetté
publiquement ; on a bien voulu lui remettre ce ſuppliceà
cauſe de ſon âge &de la foibleſſede ſa ſanté
il eſt âgé de ss ans . Je ne ferai point de réflexions
ſur cet évènement ; ce n'eſt pas dans ce pays qu'on
peut ſe les permettre ; on en fera affez ailleurs ,
On voit par lediſcours du Roi d'Angleterre ,
à l'ouverture du Parlement , que le Ministère
n'eſt pas fans inquiétude ſur les armemens que
font quelques Puiffances neutres ; la conduite
de la marine Angloiſe les rendoit indiſpenfables.
La Cour de France de ſon côté paroît
fort attentive au parti que prendront ces mêmes
Nations , fur tout celles dont la libre navigation
eſt aſſurée par les Traités les plus poſitifs.
L'article premier du Règlement concernant la
Navigation des bâtimens neutres en tems de
guerre , porte que » le roi ſe réſervoit de réyoquer
la liberté accordée par cet article , fi
( 240 )
:
les Puiſſances ennemies n'accordoient pas le
réciproque dans le délai de fix mois ". Ce délai
eft fur le point d'expirer ; & S. M. T. C. voulant
s'éclaircir ſur les diſpoſitions ultérieures
qu'elle fera en conféquence , a chargé le Duc
de la Vauguyon , ſon Ambaſſadeur près LL.
HH. PP. , de leur demander une explication
poſitive ſur ce qu'elles ont projetté de faire
dans une circonſtance où elles ſe laiſſent vexer
par les Anglois , qui enlèvent leurs navires
chargés d'approvisionnemens de marine ; con
duite abſolument contraire aux traités fuivant
leſquels ces navires doivent être également
reſpectés par les Nations en guerre. Cet
Ambaſſadeur a dû demander une réponſe cathégorique
, d'après laquelle le Roi prendra les
meſures convenable à ladignité de la Couronne
&à l'honneur du pavillon François.
Le 13 du mois dernier , écrit-on de Marſeille
, les treize citoyens qui ont établi iciune
fête en l'honneur des Inſurgents, ſe ſont affemblés
pour en célébrer l'anniverſaire. Chacun
des treize députés portoit le nom d'une des
treize Provinces , & étoit diftingué par un
ruban de la couleur de ſa Province. Ungrand
nombre de bons patriotes ayant voulu prendre
part à cette fête , ils ont été admis comme
députés des différentes Provinces de France ,
après avoir été annoncés & introduits par le
deputé de Penſylvanie , choiſi pour maître des
cérémonies. On a porté au bruit de treize
boîtes la ſanté du Roi , celle des Inſurgents ,
celle du Comte d'Estaing , & les autres ont
été faluées d'une feule chacune. Une joie décente
a animé cette fête : & au nom du Roi ,
de laReine ,& de l'enfant qu'elle portoit , tout
lemonde s'eſt levé pour s'embraffer ; & chacun
enverfant des larmes de joie & de tendreſſe ,
faiſoit les voeux les plus ardens pour la confervation
de LL.MM.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles;
les Causes célebres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Edits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
29 Janvier 1779 .
APARIS ,
Chez
PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
Vers àM. Léonard , 243 SCIENCES ET ARTS .
PIÈCES FUGITIVES. Comédie Italienne , 300
L'Aigle & la Colombe , Gravures , 306
Dialogue , 248 Musique , 308
Ode Badine,
L'Amour Champêtre , 249 ANNONCES LITTÉR. 309
Rofette, Conte Moral, 251 Constantinople ,
Ariette ,
Enigme & Logogryp. 274 Copenhague ,
NOUVELLES Stockholm
LITTÉRAIRES . Varsovie ,
Fin de l'Extrait des Elo- Vienne ,
250 JOURNAL POLITIQUE.
313
272 Pétersbourg , 314
315
316
317
318
ges de M. d'Alembert, Hambourg ,
276 Ratisbonne ,
duMuy , 284 Londres ,
Sure ,
287 Septent.
320
325
328 و
330
Éloge de M. le Maréchal Livourne
Moyens d'extirper l'U- Etats-Unis de l'Amériq.
Élémens de Chimie , 293 Versailles ,
Histoire Univerſelle , 296 Paris ,
SRECTACLES . Bruxelles ,
APPROBATION.
343
349
359
359
F'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux, le Mercure de France , pour le 25 Janvier
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 24 Janvier 1779 .
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Come.
米
MERCURE
DE FRANCE .
25 Janvier 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. LÉONARD ,
Surfon Imitation du Temple de Gnide.
GRACE , RACE , grace , Léonard :
De Montesquieu j'étois ivre ;
Par-tout je voyois ton Livre ,
Sans l'honorer d'un regard. 4
Lij
244 MERCURE
Je l'ouvre hier... par hafard ,
Et je me retrouve à Gnide.
J'ai revu ces lieux charmans ,
Lieux ſi chers aux vrais amans ,
Où , par choix , Vénus réſide ;
:
A
Où triomphe un coeur timide ;
...Où les Bergers font des Rois ...
J'ai vu , j'ai revu ces bois
Où jadis mon oeil avide
S'étoit égaré cent fois .
Que je te faifois injure !
Je te laiſſois à l'écart !
J'ofois penſer que ton art
Avoit gâté la Nature.
J'ai retrouvé l'onde pure ,
L'émail des prés, la verdure ,
Où la beauté , ſans rougir ,
Calme les maux qu'elle endure
Et ceux qu'elle fait ſouffrir.
J'AI reconnu ces portiques ,
Ces dais demyrthes antiques ,
Ces bois aimés du printems ,
Cetintéreſſant Dédale ,
Où s'égarent les amans
Brûlés d'une ardeur égale.
Zéphire , ſeul Roi des airs ,
Va , careffant de ſon alle
Ces beaux jardins toujours verds.
DE
FRANCE.
245
Écho répond aux concerts
De la tendre Philomèle .
Là , ſoupirent les ramiers ;
Là , gazouillent les fauvettes.
Des Bergères , des Bergers
On entend les chanſonnettes.
Le chêne , dans ces retraites ,
Rend des fons
harmonieux
,
Des doux plaiſirs interprêtes.
Rien qui ne charme en ces lieux ,
Rien qui n'attache & n'enchante !
Une onde pure y ferpente ,
Réfléchit l'azur des cieux ,
Baigne les fleurs , ſuit ſa pente ,
Et, dans ſon cours , repréſente
Les careſſes, les tranſports
De l'amant & de l'amante
Qu'elle attire ſur ſes bords ,
Et les pénibles efforts
De la pudeur expirante.
Là , féconde & prévenante ,
Pomone offre ſes tréſors
Au premier qui fe préſente...
BUVEUR joyeux , vieux galant ,
Pris du jus de la
vendange ,
Sur ſon Baudet , à pas lent ,
Vient Silène
vacillant.
Du charmant vainqueur du Gange ,
1
१
1
Liij
246 MERCURE
Là le cortège bruyant
Arrive & marche , en chantant
Des hymnes à ſa louange.
Sur le char victorieux
Ariane , devant eux ,
Sourit au Dieu qui la venge.
L'ivreſſe eſt dans tous les yeux.
Le Nectar coule & foulage
L'ennui des coeurs ſoupçonneux.
De deux Bergers furieux
Ilalme , il ſuſpend la rage.
Bientôt la fureur renaît ;
Elle trouble encore leur âme,
Et deshonore la flame
Dont ils brûlent pour l'objet
Qu'à tort ils couvrent de blâme.
MAIS l'amant le plus jaloux ,
Sitôt qu'il revoit ſa bello,
Soumis , careffant & doux ,
Demande grace à genoux ,
Et l'obtient d'un coeur fidèle
Que l'amour ferme an courroux.
Letort qu'il eut , il l'efface .
Il tient la Nymphe , il l'embraſſe.....
Ade trop vives ardeurs
La jaloufie a fait place :
Il preffſe , il vent des faveurs.....
T
DE FRANCE. 247.
L'amante verſe des pleurs ,
Et l'amant perd ſon audace.
PEINS & jouis. Gloire à toi ,
Nouvel Albane , tu vois
Si tes acteurs & leurs ſcènes
Ont repaffé devant moi ,
Pareils à des ombres vaines.
De ton chantpêtre ſéjour
J'avois fait trois fois le tour ,
Trois fois te rendant hommage ;
Lorſque , vers la fin du jour ,
Enchanté de mon voyage ,
Et penfant àmon retour ,
Je trouvai ſur mon paſſage
Les trois Grâces & l'Amour.
:
A MA rencontre imprévue
Le Grouppe baiſſa la vue....
Belles , je vous reconnois ,
M'écriai-je , tranſporté;
On n'a point ſur vos attraits
>>Mis d'ornement emprunté :
On ne vous a rien ôté :
>> Ce-qui plaît vous eſt reſté ,
>> L'air modefte & vos bouquets.
> Je n'ai point vu vos boſquets
→ Changés en jardins d'Armide ,
Liv
248 MERCURE
>> Comme je l'imaginois.
• Tout eſt ſimple encore à Gnide !
A côté de l'Inventeur
>> Doit aller l'Imitateur ;
>> C'eſt ainſi que j'en décide.....
Le Grouppe céleste part ,
En me montrant Léonard
Qui marchoit devant fon Guide.
(Par M. Félix N*** , des Académies
d'Angers & de Marseille ).
L'AIGLE ET LA COLOMBE ,
DIALOGUE...
L'AIGLE.
u vas-tu , Colombe fidelle?
LA COLOMBE.
Où vas-tu , Roi puiſſant de l'air ?
L'AIGLE.
Miniſtre ailé de Jupiter ,
t
Je porte au Roi des Dieux une heureuſe nouvelte.
LA COLOMBE.
Meſſagère d'une Immortelle ,
Dans les bois de Paphos je vais trouver Cypris.
DE FRANCE .
249
A
L'AIGLE.
Quel est l'objet de ton voyage ?
LA COLOMBE.
Que vas-tu faire aux célestes lambris ?
L'AIGLE.
Annoncer que fur ce rivage
Une Déefſe a vu le jour,
LA COLOMB
a W
Dire à Vénus , en mon tendre langage ,...
Qu'il vient de naître une Soeur à l'Amour.
(ParM. Noel, Docteur Aggrégé au Collége
de Louis-le-Grand.
L'AMOUR CHAMPÊTRE .
J'AI cherché l'Amour chez les Grands
Dans les Palais , au ſein des villes;
Eſclaves des noms & des rangs ,
Je n'ai vu que des coeurs ſerviles.
Le caprice m'a transporte
Chez les Laïs , chez les Lucrèces ,
Et je n'ai vu que vanité,
Qu'étude , & que feintes pareſſes.
Ly
250
MERCURE
Ou donc ai-je trouvé l'Amour ?
Je l'ai trouvé dans le village ,
Formant fans bruit , loin de la Cour ,
La Nature à ſon badinage.
JE
ODE BADINE.
E rêvois cette nuit même,
Qu'en un ſéjour enchanté,
Près de la Nymphe que j'aime ,
Je buvois ce jus vanté.
PLEINE d'un heureux délire
Zélis, une coupe en main ,
Animoit d'un doux ſourire
L'allégreffe du feftin.
Les ris, les jeux autour d'elſe ,
Semoient des feſtons nouveaux
Et l'Amour , battant de l'aîle ,
Voltigeoit fur nos tonneaux.TIAL
e.t
QUANDl'un d'entre eux , plus volage,
Voulant goûterde mon vin ,.
Renverſe ..... Dieux , quel outrage!
Renverſe un flacon tout plein.so
DÉSESPÉRÉ,je m'écrie;
Et m'éveillant de courroux ,
DE FRANCE. 254
J'allois..... trop vaine furie !
Ils s'étoient envolés tous .
MAIS tandis que ſous la treille
Je les rappelois en vain ,
Je retrouvai ma bouteille ,
Et me confolai ſoudain.
(ParM. ** )
ROSETTE , Conte Moral.
ROSETTE n'avoit que cinq ans : elle étoit
née ſans doute pour être belle ; mais on ne
pouvoit pas dire encore qu'elle le fût : la
beauté ne commence qu'à l'âge où le coeur
eft capable d'aimer.
Roſette avoitgrand beſoin des bienfaits de
la nature , car la fortune n'avoit rien fait
pour elle. Elle vivoit chez un bonhomme , à
qui des parens inconnus l'avoient confiée ;
ſes parens n'avoient point reparu , & le
vieillard avoit toujours gardé Roſette. Il ne
pouvoit la rendre riche; car il étoit pauvre
lui -même. Il ne put la dédommager de l'injustice
de la fortune ; mais il réparoit autant
qu'il étoit en lui les torts ou le malheur de
ſes parens : il lui ſervoit de père.
Le hafard avoit donné pour voiſin à notre
orpheline , un jeune héritier qui jouiffoit
d'une grande réputation d'honnêteté. Sa for
Lvj
252
MERCURE
tune lui procuroit une aifance qui approchoit
de la richeffe. On l'appeloit Lormon. Rofette,
comme nous l'avons déjà dit , navoit que
cinq ans encore. Lormon la vit ; fon hiſtoire ,
qu'il apprit de la bouche du vieillard , parut
P'intéreffer ; il lui fit quelques viſites accompagnées
de petits prefens , & finit par offrir
au vieillard de ſe charger de fon fort. Ce
bonhomme ne crût pas devoir préférer fes
propres plaiſirs au bonheur de fa chère orpheline
, il pleura Roſette ; mais il la remit à
Lormon.
Rien ne fut négligé pour l'éducation de
Roferte. Lormon fit pour elle , & au-delà ,
tout ce qu'il auroit fait pour ſa fille. Il lui
procura fur-tout les talens agréables , la mufique,
la danſe. Parmi les inftrumens qui lui
furent propofés , elle préféra la harpe , fi fort
en vogue aujourd'hui , &fi favorable à la
beauté, fur-tout aux grâces . Par elle une jolie
femme nous féduit ſouvent par les yeux ,
quand elle paroît ne vouloir charmer que
nos oreilles.
Mais fi Rofette avoitbeſoin de leçons pour
apprendre à ſe préſenter avec grâce dans un
cercle, à figurer dans un bal , à fe faire honneur
dans un concert , elle n'avoit pas befoin
de maîtres pour s'inftruire à la vertu , à
P'honnêteté. Elle avoit un de ces caractères
heureux en qui la vertu n'eſt pas un grand
mérite , parce qu'ils ont trop peu de peine à
être vertueux. La nature & l'art la paroient
de jour en jour; les traits de ſa figure gaDE
FRANCE. 253
gnoient par les années , & ſa beauté aug
mentoit avec ſes talens .
Roſette arriva bientôt à cet âge où les
grâces & la beauté ne ſe bornent plus à exciter
une ſtérile admiration: elle en étoit déjà
à fon quatorzième printems. Elle plaifoit
trop pour qu'on ne cherchât pas à lui plaire.
Mais ſi l'onparloit de la beauté de Roſetre ,
on ne parloit pas moins des vertus de ſon
bienfaiteur. Avant fa quarantième année , on
l'avoit déjà vu adopter une pauvre orpheline
, & confacrer à fon éducation une partie
de ſon revenu ; & fes foins ne ſe bornoient
pas à lui donner des talens futiles. Quand
elle eut atteint l'âge où un ſeul inftant de
foibleffe peut faire le malheur de la vie entière,
Lormon ne ſurveilla pas avec plus de
foin ſes charmes que ſa conduite. Bien petfuadé
que les dangers d'une jeune perſonne
font toujours en proportion de ſa beauté ,
il fembloit ne rien épargner pour la prémunir
contre les piéges de la ſeduction ; il
montroit pour elle en un mot , toute l'inquiétude
que peut avoir un père pour l'honneur
de fa fille. Cette conduite étoit bien
faite pour lui concilier l'eſtime publique.
Aufli ne voyoit- on rien de comparable à la
vertu du tuteur , que la beauté de la pupile.
Mais il eſt temps d'arracher à Lormon
ce maſque de vertu. Ce qui reſſembloit en
lui à l'inquiétude d'un père tendre , n'étoit
que la jalouſie intéreſſée d'un amant ; en furveillant
fon orpheline , il fongeoitbien plutor
254 MERCURE
à
la réſerver pour ſes plaifirs , qu'à la conſerver
à la vertu ; enfin il ne cherchoit à la
défendre de la ſéduction que pour la ſéduire
lui-même.
Ce projet , grace à nos moeurs , étonnera
peu. Il pourra même trouver de nombreux
panégyriſtes. Lormon étoit jeune encore ,
Roſette étoit jolie , elle étoit aimable ; il devint
amoureux : tout cela paroîtra dans l'ordre.
Mais ce qui ſera difficile à croire pour
ceux qui aiment les hommes , & ce qui fera
très-vraiſemblable pour ceux qui les connoiffent
, c'eſt que Lormon n'avoit jamais eu
d'autre projet envers Roſette. En l'adoptant ,
il cherchoit à la ſéduire. Criminel de ſangfroid
, cédant pour ainſi dire à une pafſion
qu'il ne ſentoit pas encore , il ne cherchoit
à acquérir des droits fur elle que pour
en abufer ; il méditoit le crime en exerçant
P'humanité ; enfin il vouloit acheter par dix
ans de bienfaits le plaifir de corrompre un
jour l'innocence , & faire d'une vertueuſe
orpheline le vil inftrument de ſes plaiſirs.
En tous lieux& dans tous les tems l'amour
malheureux a été voiſin du crime ; par tout
on a cherché à ſeduire l'objet qu'on avoit
defſiré ; mais tramer la ſeduction avant d'avoir
connu le deſir , c'eſt un rafinement qui
ne peut être connu que dans nos grandes
villes.
Ameſure que Roſette approchoit du teims
où l'amour vient animer la beauté , Lormon
redoubloit de ſoins auprès d'elle. Mais il
DE FRANCE. 255
fallut ſe faire entendre ; & cela n'étoit pas
facile. Roſette , dont le coeur étoit fi heureu
ſement né , qui avoit autant de naïveté que
d'eſprit , & qui n'eût pas foupçonné le vice
le plus apparent , auroit-elle pu lire dans
l'ame de ſon bienfaiteur un crime fi bien
caché & fi peu vraiſemblable ? Lormon
eſſaya néanmoins de découvrir ſes véritables
ſentimens ; il s'expliqua d'abord comme un
homme intéreſſe à ſe faire entendre , & qui
rougit d'être entendu. Il lui fit , pour la préparer
, un exorde affez long & affez embarraffé;
& pluſieurs fois , comme il étoit fur
le point de prononcer le mot pour lequel il
venoit d'entaffer tant de phraſes preliminaires
, un regard innocent de Roſette le déconcertoit
, & il recommençoit encore ce
qu'il avoit déjà dit plus d'une fois. Il lui rappela
tous ſes bienfaits ; lui peignit l'ingratitude
comme le vice le plus honteux. Roſette,
lui dit- il , tout le monde a les yeux fur
vous; on jugera de votre coeur par votre
conduite envers moi ; il ajouta enfin qu'il
alloit lui demander le prix de tant de ſoins.
Roſette , en le regardant de l'air le plus ingénu,
lui dit qu'elle étoit prête à faire tout
ce qu'il voudroit , & Lormon n'oſa luidire
ce qu'il vouloit.
Cependant , craignant qu'un autre ne fût
écouté avant qu'il eût ſu lui-même ſe faire
entendre, il parvint enfin à s'expliquer affez
clairement. La réponſe de Roſette fut un
refus ; mais ce ne fut pas le courroux
256
MERCU RIET
concerté d'une prude , ni le refus at
tirant d'une coquette ; & malgré fa vertu,
Felle ſe ſentit bien plus affligée qu'humiliée
des propoſitions de Lormon. O vous , lui
dit-elle avec le ton le plus attendriſſant ,
vous que j'ai toujours appelé du nom de
père , & qui en avez toujours eu pour moi
les ſentimens ! vous m'aimez , dites-vous ?
Eh bien , quel titre déſormais voulez-vous
avoir auprès de moi ? En est-il un plus doux
que celui de père ? Ah! ſoyez toujours le
père de Roferte. Voudriez-vous la perdre
vous-même après l'avoir comblée de vos
bienfaits ? Mais peut-être cherchez -vous à
m'éprouver. Vous voulez voir fi mon coeur
eſt digne de vos tendres ſoins , fi mes fentimens
répondent à l'éducation que vous
m'avez fait donner. Oui , mon père , continua-
t-elle en ſe jetant à fes pieds , croyez
que je mets ma vertu au nombre des bienfaits
que j'ai reçus de vous ; c'eſt le plus pré
cieux de vos bienfaits , il m'eſt plus cher que
la vie ; & je jure à vos pieds que je réſiſte
rai à tout , que je facrifierai tout pour le
conferver.
Ce difcours étoit bien propre à détruire
les eſpérances de Lormon; & ce qui le cha
grinoit fur-tout , c'eſt qu'il n'avoit pas plus
le droit de s'en plaindre que le pouvoir de
le réfuter. Il fit encore d'autres efforts qui
ne furent pas plus heureux; & enfin, quoique
Roſette s'exprimat toujours avec douceur,
& même avee amitié , elle parut fi ferme
DE FRANCE.
257
dans ſes refus , que Lormon vit bien qu'il
ne devoit en attendre aucune foibleſſe . L'honnêteté
de Roſette l'irrita , ſans le corriger.
Ce qu'il déſeſpéra d'obtenir par ſes ſoins &
par ſes prières , il réſolut de l'emporter par
la rufe& par la force même s'il le falloit.
La pauvre Roſette ignoroit les dangers
dont elle étoit environnée. Se feroit-elle méfiée
de ſon bienfaiteur , elle qui ne ſe méfioit
de perfonne ? D'ailleurs Lormon à ſes
yeux étoit bien moins coupable que malheureux.
Le projet qu'il avoit conçu de
fang-froid paffoit auprès de Rofette pour
l'effet d'une paffion involontaire;& elle s'en
vouloit bien plus à elle-même de lui avoir
donné de l'amour , qu'à lui d'en avoir pris
pour elle.
Cependant Lormon employa plus d'un
moyen digne d'un amour peu delicat;&, plus
heureuſe qu'adroite, Roſette échappa pluſieurs
fois au piége , ſans l'avoir jamais apperçu.
Enfin il réſolut de faire jouer un reffort
qui dévoiloit ſon ame toute entière. Il
avoit lu le beau Roman de Clarice ; il avoit
vu ſon perfide amant , après avoir épuifé
auprès d'elle toutes les reffources de la féduction
, compoſer un breuvage pour endormir
ſes forces avec ſa vertu. Les objets
nous frappent d'ordinaire par le côté qui eſt
analogue à nos ſentimens : il avoit été charmé
de l'imagination de Lovelace , fans être
touché de la vertu de Clarice.
Tel eſt le digne modèle que Lormon vous
258 MERCURE
lut choiſir. Comment le breuvage fut préparé
, comment on le fit prendre à Roſette;
ce détail eſt trop peu intéreſſant pour qu'il
doive long-temps nous arrêter. Il fuffit de
dire que Lormon fut ſecondé par une vieille
domestique.
1
Un foir Roſette, ſans avoir fait plus d'exercice
dans la journée , ſe trouva beaucoup
plus fatiguée qu'à l'ordinaire. Avant l'heure
où elle avoit coutume de ſe coucher , elle
fentit la plus forte envie de dormir. Surpriſe
de cet affoupiffement , & s'agitant exprès
pour le diffiper , le hafard la fit entrer dans
une eſpèce de petit cabinet qui faiſoit partie
de fon appartement ; c'étoit une pièce inutile
, où Roſette n'entroit jamais. C'eſt-là
qu'à travers une ſimple cloifon, elle entendit
Loumon faire à ſa vieille gouvernante des
interrogations qui ſurprirent étrangement
Roſette. Il lui demandoit fi la doſe qu'elle
avoit donnée lui ſembloit ſuffiſante ; la gouvernante
répondoit que Roſette ne tarderoit
pas à s'endormir , & qu'il pouvoit compter
ſur le ſommeil le plus profond & le plus léthargique.
Songez , lui dit Lormon, fi par
haſard elle s'éveilloit quand je ferai dans ſa
chambre , fongez à ne pas répondre en cas
qu'elle appelle: c'eſt trop foupirer en vain
ajouta-t- il, puiſqu'elle ne peut confentir à
me rendre heureux , il faut bien fonger à
l'être malgré elle.
A cet étrange diſcours les cheveux de
Rofette ſe drefsèrent ſur ſa tête. Dans ſon
DE FRANCE. 259
premier mouvement l'indignation ſuccéda
à lamitié , à la reconnoiſſance. Ses yeux
s'ouvroient fur le compte de Lormon ; mais
fon ame étoit déchirée. Elle tomba malgré
elle dans la rêverie la plus noire & la plus
profonde.Enréfléchiſſant auxhorreurs qu'elle
Venoit d'entendre , elle oublia un moment
les dangers où elle étoit ; & quand elle y
reporta ſa penſée , & qu'elle fongea aux
moyens de l'éviter , elle s'apperçut que le
breuvage opéroit ſur ſes ſens avec plus de
force. Elle veut fuir ; ſes genoux tremblent
fous fon corps; elle recueille toutes fes forces ,
traîne ſes jambes vers la porte de fon appartement
;mais la force de l'aſſoupiſſement
augmente avec les efforts qu'elle fait pour le
vaincre. Quelle horrible ſituation ! Le fommeil
dont elle eſt menacée eſt plus affreux
pour elle que le fommeil de la mort. En le
combattant, elle tombe malgré elle dans un
fauteuil : là , elle ſent ſes paupières s'appeſantir
; foudain l'image de l'affront qui l'attend
la remplit d'horreur ; ſon ame ſoulevée
par l'indignation & l'effroi redonne un moment
d'énergie à ſon corps affaiſſe ; elle s'é
lance de fon fauteuil avec un mouvement
convulfif ; elle étend les bras autant pour
diviſer les forces du ſommeil , que pour implorer
le ſecours du ciel ; mais ce fommeil
irréſiſtible s'appeſantit de plus en plus ſur
elle ; c'eſt un poids énorme qui l'accable.
Elle paſſe un moment dans cette lutte auffi
pénible que douloureuſe ; ſa force s'épuiſes
260 MERCURE
elle retombe enfin ſans voix , fans mouvement
, & paroiffant moins frappée du fommeil
que de la mort.
Oh ! fi cette affreuſe léthargie a permis
aux fonges de l'approcher , quels rêves finif
tres & effrayans ont dû prolonger les tourmens
de ſon ame ! Sans doute elle a fouffert
durant ſon ſommeil tout ce qu'elle avoit
fouffert avant d'y fuccomber.
Voilà donc l'infortunée Roſette en proie
à la brutale paſſion de fon amant. C'en est
fait, ſi le ciel ne travaille lui-même à renverſer
ſes lâches projets , en réveillant la
pitié dans le coeur de la vieille domeſtique ,
ou le remords dans celui de Lormon. Ce
dernier miracle étoit le plus difficile ; c'eſt
par les remords de la gouvernante qu'elle
devoit être ſauvée. Louiſe (c'étoit fon nom)
honteuſe d'avoir prêté les mains un moment
au projet de fon maître , réſolut de le faire
échouer ; mais comme ſon fort dépendoit de
Lormon , elle n'ofa le contrarier ouvertement
; & pour concilier , s'il ſe pouvoit ,
fon intérêt & fon devoir , elle cacha la clef
de lachambre deRoſette , chez qui elle avoit
coutume d'entrer tous les matins.
Lormon , qui avoit épié l'inſtant favorable
à fon entrepriſe , courut à la vieille pour
lui demander la clef de Rofette. Qu'on fe
repréſente ſa rage quand Louiſe , après avoir
cherché long-temps en vain , finitpar lui dire
qu'elle l'avoit égarée. Les pieds , les mains
& la langue de Lormon etoient dans des
DEFRANCE. 261
mouvemens convulfifs ; &fi l'impoſſibilité
de retrouver la clef eût été décidée ſur le
champ , je crois qu'il eût tué ſubitement fon
Agent infidelle ; mais pluſieurs heures furent
employées à chercher la clef , & il n'ofa plus
faire ouvrir la porte par un Serrurier au milieu
de la nuit. Enfin il fut obligé de ſe retirer
dans ſon appartement , & fa fureur ne
s'appaiſa que par l'eſpoir d'être plus heureux
lanuit d'après.
On a vu Roſette s'endormir : qu'on ſe
figure fon réveil. Sa léthargie venoit de finir ;
un nouvel effroi vint s'emparer de fon ame.
Tu fais bien, vertueuſe Roſette , quelle tu
fus en t'endormant ; tu ne fais plus quelle tu
es à ton réveil : voilà la nouvelle crainte , le
fupplice nouveau que devoit te laiſſer le ſommeil
en te quittant. Ses yeux n'ofoient s'ouvrir
à la lumière : elle trembloit d'arrêter ſa
penſée fur elle-même ; &dans le doute affreux
qui l'accabloit , elle faiſoit preſque des voeux
pour ſe replonger dans ce terrible ſommeil ,
qui l'avoit fait trembler la veille plus que
l'approche de la mort.
Aupremier bruit , Louiſe qui épioitlemoment
où Rofette s'éveilleroit , feignit d'avoir
retrouvé la clef , & courut l'annoncer à fon
maître auſſi bien que le réveil de Roſette.
Lormon ſoupçonna peut-être quelque ſtratagême;
maisil n'en témoigna rien; & Louiſe ,
en le quittant , s'en alla vers l'appartement
de Roferte , qui au bruit que fit la clef en
entrantdans laferrure , ſentit un friffoninvo
262 MERCURE
lontaire courirdans tous ſes membres. Quand
Louiſe ſe fut approchée de ſon lit , Roſette ,
avec un viſage où ſe peignoient toutes les
paſſions à la fois , conſidérant celui de la
vieille Gouvernante comme pour y lire ce
qu'elle trembloit de ſavoir , lui dit d'une voix
foible & mal articulée : Louiſe , j'ai dormi
bien long-temps! Cette phrafe , quoique bien
courte , ne fut pas facile à prononcer ,
Roſette trembla encore de la réponſe qu'elle
pouvoit occaſionner. Louiſe alors lui dit
qu'elle feroit entrée bien plutôt chez elle ;
mais qu'elle venoit ſeulement alors de retrouver
la clef de ſa chambre , & qu'elle
avoit été grondée bien cruellement pour
l'avoir égarée.
&
Cedifcours ſembla rendre la vie àRoſette :
elle ſe leva&s'habilla avec une précipitation
qui étonna Louiſe ; mais elle étoit loin d'en
ſoupçonner le motif. Le parti de Roſette
étoit pris : elle ne vouloit plus être expoſée
àun danger qui avoit failli lui coûter l'honneur
& la vie. Sur le point de prendre la
fuite , Rofette , rendue plus fage ou plus
timide par le malheur , ſuſpecta le récit de
Louiſe ; mais l'humeur ſombre & colère de
Lormon lui en confirma la vérité. Elle ſaiſit
un moment oùelle n'étoit pas obſervée. Pour
être moins embarraſſee dans ſa fuite , elle
n'emporta de ſes hardes que ce qu'elle ne
put pas laiffer , & elle partit.
Roſette étoit déjà bien loin , qu'elle ſe
croyoit encore au pouvoir de Lormon. La
DE FRANCE. 263
coupe qui renfermoit le funeſte breuvage
la ſuivoit par-tout : du reſte , elle n'avoit
aucun projet. Son but n'étoit pas de trouver
un aſyle , mais de fuir une maiſon qui pouvoit
lui être fatale. Elle fuyoit fans inquietude
pour l'avenir : le danger auquel elle venoit
d'échapper , lui ſembloit plus affreux que
tous ceux qu'elle pouvoit courir.
Quand elle fut hors des portes de la ville,
elle commença à craindre pour fon fort. Elle
avoit échappé aux violences de Lormon ;
mais en ſe croyant à l'abri du péril qu'elle
avoit couru , elle commença à redouter ceux
dont elle étoit menacée. Où fuir ? Où trouver
un aſyle ? Tandis qu'elle couroit avec tous
les ſignes du trouble & du déſeſpoir , le haſard
amena devant ſes pas un jeune homme
dont la phyfionomie annonçoit l'honnêteté
& la candeur. Il eût paru moins honnête ,
qu'elle n'eût pas eu pour lui moins de confiance.
Elle s'élança au-devant de lui : Sauvezmoi
, s'écria- t-elle avec une voix qui pénétra
juſqu'au coeur de l'inconnu. Il fut touché de
ſa douleur , intéreſſé par ſon air ingénu , &
peut-être ſéduit par ſa beauté. Arrêtons-nous
un moment pour faire connoître ce jeune
homme, dont le nom étoit Minval.
Il étoit fils d'un Gentilhomme qui vivoit
en Province , & qui , aſſuré de la ſageſſe de
Minval , le laiſſoit à Paris ſur ſa bonne- foi.
Il y vivoit avec une tante, d'un fort honnête
revenu que fon père lui faifoit. Sa figure &
ſa taille étoient très-bien. Je ne ferai pas le
264 MERCURE
portrait de fon ame ; il va la peindre luimême
par ſes actions.
La ſeule vue de Rofette l'avoit prévenu.
Il avoit cru lire ſur ſon front les ſignes d'une
éducation & d'une conduite honnête. De
peur d'être_indifcret dans ſes queſtions , il
n'en fit preſque point à Roſette, qui , de fon
côté, s'etoit déjàpromis de lui cacher, comme
à tout le monde, le ſujet de fon déſeſpoir. Il
lui dit en deux mots qu'il vivoit avec une
tante , & il offrit de bonne-foi un aſyle , qui
fut accepté avec la même franchiſe.
Minval la mena chez lui. En arrivant auprèsde
ſa tante, il lui peignit avec tant d'ame
&de chaleur la ſituation touchante où il
avoit rencontré Roſette, que fon éloquence,
la confiance que ſa tante avoit en lui , &la
figure fi intéreſſante de Rofette , diffipèrent
les ſoupçons qu'une pareille aventure pouvoit
faire naître. Mais comine en fait d'indiſcrétion
la tante étoit moins fcrupuleuſe
que fon neveu , elle contraignit moins fa
curiofité : elle pria Roſette de lui dire fon
nom & fon hiſtoire. Rofette ne rougit pas
de lui déclarer la vérité : elle lui révéla ſes
fecrets ; mais elle crut devoir garder ceux de
Lormon. Sa conduite n'avoit pas effacé dans
le coeur de Roſette le ſouvenir de fes bienfaits
: elle avoit cru devoir à ſa vertu de
fuir fon bienfaiteur ; elle crut devoir à
la reconnoiffance de ne pas l'accuſer. Oui ,
Madame , répondit-elle , je dois tout à Lor--
mon. Le malheur qui me force à chercher
un
DE FRANCE. 265
un aſyle loin de lui , eſt un myſtère que je
ne révélerai jamais : permettez que ce ſoit
un ſecret entre lui & moi. Je ſuis innocente :
ſi vous n'avez pas le courage de me croire
telle fur mon propre témoignage , ayez celui
de me refufer l'aſyle que je vous demande.
Cette noble franchiſe ne déplut point à
la tante de Minval , quoiqu'elle trompât ſa
curioſité. C'étoit réellement une femme bienfaiſante
: elle embraſſa Roſette , & lui demanda
ſon amitié.
Cependant ſon évaſion avoit fait du bruit
dans le monde , & l'on ſut bientôt queMinval
- l'avoit retirée chez lui. On ne connoiffoit pas
la noirceur des procédés de Lormon : on
ignoroit le déſintéreſſement de Minval ;
& comme on aime affez à envenimer une
hiſtoire pour en rendre lerécit plus piquant ,
on ne vit bientôt plus dans la conduite de
Roſette que du dérangement & de l'ingratitude
: on appeloit libertinage la délicateffe
de Minval , & la brutalité de Lormon paffoit
pour de la bienfaiſance. C'est ainſi que juge
ordinairement le public , qui veut toujours
juger.
Il fallut peu de temps à Minval & à fa
tante pour connoître Roſette. Après l'avoir
vu agir & l'avoir entendu parler , on refpecta
ſon ſecret , & l'on crut à fon innocence.
Mais à force de la regarder & de
l'entretenir , Minval s'en fit une fi douce
habitude , qu'elle devint bientôt un beſoin.
Cependant le reſpect ſe mêla toujours aux
25 Janvier 1779 .
M
266 MERCURE
ſentimens que Roſette lui inſpira. Il l'aima
bien afflurément autant que Lormon avoit
pu l'aimer ; mais ces deux amours ſe reſſembloient
auſſi peu que la haine reſſemble à
l'amitié . Roſette , qui ſe plaiſoit à voir en lui
de l'eſtime & de l'attachement pour ſa perfonne
, ſembloit ne pas craindre d'y trouver
un fentiment plus tendre ; ce qui ſuppoſe
qu'elle étoit près de l'éprouver elle-même.
Tandis que les coeurs de Roſette & de
Minval ſe rapprochoient ainſi , celui de
Lormon , en proie au plus violent dépit ,
n'étoit rempli que de projets de vengeance.
Il apprit le fort de Roſette , & il réſolut de
faire retomber ſon indignation ſur celui
qu'il croyoit être ſon rival heureux. Il l'attendit
un jour dans une promenade où il
ſe rendoit fort ſouvent ; & l'ayant abordé
avec un front courroucé , il lui fignifia qu'il
falloit lui rendre Roſette , ou lui en faire
raiſon ſur le champ. Minval , qui connoiffoit
àcet égard les diſpoſitions de Roſette, ne lui
répondit qu'en portant la main à ſon épée.
Cependant , comme ils pouvoient être apperçus
, ils s'éloignèrent un peu pour ſe
battre ſans témoin. Le combat fut opiniatre
; l'amour d'un côté , la vengeance de
l'autre , rendirent l'action très-vive , & le
tendre Minval finit par recevoir une bleſſure
qui le mit hors de combat. Le Chirurgien
qui fut mandé craignit pour ſa vie. Cependant
Minval ayant demandé le plus grand
fecret , on dit en arrivant à la tante & à
DE FRANCE.
267
Roſette qu'il s'étoit trouvé malade , & qu'il
avoit beſoin de repos. On le coucha bien
vite , & Rofette eut au moins autant d'inquiétude
que la bonne tante , qui aimoit fort
tendrement ſon neveu .
On ne put cacher long - temps dans la
maiſon que Minval s'étoit battu ; mais on
cacha toujours que Roſette en avoit été
l'objet. On donna tous les foins poffibles au
malade , qui avoit reçu réellement une bleffure
des plus dangereuſes. Le Chirurgien
étoit habile & fort zélé , & Minval étoit
adoré par toute ſa maiſon. Mais les ſecours
qui lui étoient les plus agréables & les plus
falutaires , étoient ceux qu'il recevoit de la
main de Roſette ; & foit qu'on s'en fût déjà
apperçu , ſoit qu'on n'osât refuſer à Roſette
un emploi qu'elle ſollicitoit avec tant de
chaleur, tout ce que prenoit Minval lui
étoit préſenté par elle. Il ſembloit qu'elle
devinat que c'étoit pour elle qu'il fouffroit,
& , de ſon côté , Minval n'étoit conſolé que
par l'idée de fouffrir pour Roſette. Mais que
dis-je ? Rofette étoit guidée par un ſentiment
plus tendre que celui de la reconnoiffance .
Cependant les remèdes , les foins , & plus
encore l'amour , commencèrent à diffiper les
craintes qu'on avoit ſur l'état de Minval :
on le trouvoit mieux de jour en jour , & l'on
compta bientôt ſur une prompte & parfaite
guérifon . Sa ſanté rendit ſes converſations
avec Roſette plus fréquentes , & le ſentiment
qui les animoit tous deux y ajoutoit chaque
Mij
268 MERCURE
jour un nouveau degré d'intérêt. Ces converfations
rouloient affez ſouvent ſur l'amour.
Roſette un jour rendoit compte à Minval
d'une lecture qu'elle venoit de faire : il étoit
queſtion par haſard d'un amant éloigné de
ſa maîtreſſe , qui , étant malade & perfécuté
pour elle , n'avoit pas même le pouvoir de
l'en inſtruire. Ils s'attendrirent l'un & l'autre.
Après quelques réflexions mutuelles : il eſt à
plaindre , dit Roſette ; il le ſeroit moins s'il
étoit auprès de ce qu'il aime. Que ditesvous
, Rofette , interrompit Minval ? Il ne
le ſeroit point du tout ; & Roſette ajouta
fur l'heure : il doit y avoir au moins du
plaiſir à dire à ſa maîtreſſe qu'on ſouffre
pour elle. Ah , Roſette , répondit Minval !
il y en a même à le lui cacher. En parlant
ainfi , il avoit pris , comme ſans y penſer ,
la main de Roſette. Ses yeux avoient l'expreſſion
la plus tendre de l'amour heureux ,
& Roſette avoit ſenti les ſiens baignés de
larmes. Surpriſe elle-même de ſon attendriffement
, elle fortit pour le cacher à Minval.
Il ne lui étoit plus permis de douter de fon
amour pour lui ; mais en fortant , ſes réflexions
ſe portèrent ſur ſes dernières paroles ;
& pour la première fois , elle commença à
Loupçonner la cauſe de ſa maladie , qu'on
avoit cachée avec tant de ſoin. Elle fit plufieurs
démarches , & elle parvint à ſavoir
l'hiſtoire du combat. Les dangers de Minval ,
ſa délicateſſe & fa difcrétion n'étoient pas
faits pour la guérir de ſon amour; elle fentit
A
DE FRANCE. 269
dès-lors qu'il étoit devenu néceſſaire à fon
bonheur. Elle ne pouvoit douter de la tendreſſe
de Minval ; & cette ſeule idée la rendoit
heureuſe ; mais la réflexion vint empoifonner
ſes plaiſirs. Quel ſera le ſuccès de
leurs amours ? Roſette connoît ſon origine
&celle de Minval. Minval n'eſt pas le maître
de fon fort ; & quand il le ſeroit , voudroitilendiſpoſer
malgré ſes parens ? En ſuppofant
même qu'il le voulût , devroit-elle y
confentir ? Toutes ces réflexions étoient de
feſpérantes. Ils retombèrent l'un & l'autre
dans la plus vive inquiétude; & malheureufement
les tentatives que fit Minval pour la
faire ceffer , ne ſervirent qu'à l'augmenter
encore; car ayant voulu fonder adroitement
les diſpoſitions de ſa famille , il vit qu'elles
n'étoient nullement favorables à ſon amour.
Cetre fâcheuſe découverte le jeta dans la
plus noire mélancolie. Également incapable
d'affliger ſes parens, & de renoncer à ce qu'il
aimoit, ſes combats douloureux entre lanature
& l'amour , fans lui inſpirer aucune réſolution
, ne ſervoient qu'à déchirer fon
coeur. Sa ſanté , qui commençoit à peine à
ſe rétablir , en fut tout-à-coup altérée ; & il
y avoit d'autant plus à craindre pour lui , que
ſon coeur, auparavant conſolé par l'eſpérance
d'être aimé , étoit alors tourmenté par la
crainte de perdre ce qu'il aimoit. De fon
côté Roſette alarmée , &ne pouvant plus ſe
méprendre à la cauſe de ſa maladie , jugeoit
de ſes tourmens par ceux qu'elle enduroit
Miij
170 MERCURE
elle-même. Je ſerai donc toujours infor
tunée , ſe diſoit -elle ! ( & fongeant à l'hiſ
toire de Lormon ) quel est mon fort ! je dois
donc également être malheureuſe , & par,
l'amour que je ſens , & par celui que j'infpire!
:
La tendreſſe de. Roſette augmentoit par
les tourmens que Minval fouffroit pour elle.
Le ſouvenir de ſes bienfaits y ajoutoit encore
; & cet amour, qui devoit ne lui laiſſer
que des regrets , lui donnoit auſſi des remords.
Elle fe reprochoit le malheur de fon
amant. La reconnoiffance & la vue de Minval,
prêt à mourir pour elle , enflammèrent
fon coeur fait pour ſentir vivement l'amour.
Elle fortit pour ainfi, dire hors d'elle-même.
Elle ne vit plus au monde d'autre malheur
que celui de perdre ſon amant , ni d'autre
crime que celuide l'avoir laiſſe périr. Mon
ami, lui dit-elle un jour , avec l'expreffion
de l'amour & du courage ! vous m'aimez ,
je vous aime ; je vous dois tout , & je me
vois menacée de vous perdre. Votre profonde
triſteſſe me fait tout craindre pour
vous. Vos parens s'oppoſent à notre union ,
& votre amour délicat & refpectueux n'ofe
afpirer qu'à l'hymenée. Je viens moi-même
l'enhardir. On s'oppoſe à notre bonheur ;
faiſons-le dépendre de nous-mêmes. Minval ,
voilà ma main. Je vous appartiens dès ce
moment. Notre hymen ſera ſacré ; il ſera
juré par le ciel; il fera durable : 1 est fondé
fur nos fentimens.
DE FRANCE.
271
Cette réſolution ſurprendra ſans doute ;
mais ce qui étonnera bien autant , c'eſt que
Minval , le coeur pénétré de cette preuve
d'amour , brûlant d'envie d'être heureux ,
refuſa le bonheur qui lui étoit offert. Il ſe
jeta dans les bras de Roferte , & ce fut pour
la refufer; il la baigna de ſes larmes , & l'ame
déchirée par l'effort qu'il faiſoit fur lui-même,
il jura de mourir plutôt que de confentir au
facrifice que lui propoſoit ſa maîtreffe. :
Ne cherchons pas ici à juger ces deux
amans ; admirons ſeulement avec quel courage
ils ſacrifioient , l'un ſon honneur , &
l'autre fon amour.
Telle étoit la criſe où étoient Rofette &
Minval. Mais ſouvent , pour la confolation
de la vertu , il arrive un moment où la vérité
, trop long-temps étouffée par le hafard
ou la malice , éclate enfin , & fſe montre dans
tout fon jour. On fut bientôt inftruit de
l'amour délicat de Minval & de la paffion
courageuſe de Roſette ; Lormon lui - même ,
atteint d'une maladie mortelle , honteux de
la vengeance qu'il avoit priſe de Minval , &
du tort qu'il avoit fait à Roſette , en décriant
ſa vertu qu'il n'avoit pu corrompre ,
confefſa ſes fautes publiquement , & par
l'expoſe de ſa conduite , il justifia pleinement
celle de Roſette. Rofette obtint l'admiration
& l'eſtime de tout le monde par le
filence difcret dont elle avoit payé les bienfaits
de Lormon ; les parens même de Minval
, qui furent inſtruits par la voix publi-
Miv
272
MERCURE
P
que , en furent touchés auſſi bien que de fa
conduite envers Minval ; enfin la crainte de
perdre leur fils acheva de vaincre leur réfiftance.
On conſentit à les unir. Ils furent
heureux ,& tout le monde applaudit à leur
bonheur. ( Par M. Imbert).
ARIA.
AIMES-TU , dis moi,Co- let te , Puis-je encor
plai- re à tes yeux ? Pis-jeencor
plai-re à tes yeux ? Quand
-3 .
on eſt ſi gen- til- let te, Quand on
-3 .
eft fi gen - til - let te,
On n'est
pas fans A moureux , - On n'est
DE FRANCE.
273
pas fans Amoureux ; Si c'eſt fait , adieu
, Co-let
ai
-
te , Tu ne peux en
- mer deux , Tu ne peux en
ai-mer deux.
Je ne ſonge qu'à Colette ,
Elle charme mes loiſirs ;
bis.
Je donnerois ma houlette
Pour un ſeul de ſes ſoupirs. }bis.
Un baifer de ma Colette
Vaut lui ſeul tous les plaiſirs. } bis .
DES Bergers de ce village
Ma Colette a tous les voeux ; } bis.
Si ſon coeur eft le partage
Du coeur le plus amoureux ,
Des Bergers de ce village
Je ſerai le plus heureux .
bis.
bis .
M
274
MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent .
Le mot de l'énigme eſt Fauteuil ; celui
du Logogryphe eſt Politique, où se trouvent
pot, poil , optique , topique , lit , poli
ÉNIGME.
JEE ſuis dans le plaifir & dans l'affliction ,
Je vis dans l'avarice & la
magnificence ;
Dans la réalité je hais la fiction ;
Et ſans être opulent je ſuis dans
l'abondance...
Toujours avec Bacchus , je n'aime point le vin ;
Je préſide à l'amour & non à la tendreſſe ;
J'accompagne à la fois le plaiſir , le chagrin ,
Etje languis toujours au ſein de la pareffe.
Barême aux comptes faits m'a mis dans ſes calculs;
Les actes , les contrats ſans moi
deviendroient nuls.
Admirez , cher Lecteur , l'effet de ma puiſſance ,
Je ſuis en même-temps dans l'Eſpagne & la France.
Sans être dans le Ciel , je ſuis en Paradis.
J'habite avec le diable , ainſi qu'avec les Anges.
De l'enfant nouveau né je compoſe les langes.
Dans le palais des Rois je ſuis deux fois admis.
Compagnons des attraits, mais toujours loindes belles
Je fais bien des ingrats , maisjamais d'infidelles.
DE FRANCE. 275
Je forme tous les Grands , & non pas les Héros
Je ſuis toujours tranquille & jamais en repos ;
J'habite la montagne au milieu de la plaine ;
Je ne ſuis point eſclave & je ſuis à la chaîne ;
On me voit en automne &jamais au printems.
Qui voudra me trouver, doit me chercher aux champs.
LOGOGRYPHE
.
JEE ſuis un mot très-court , mais peut- être l'unique
Qui ſoit , au choix comme aubeſoin ,
Subſtantif , Adjectif , Maſculin , Féminin ,
Sans rien changer à ma fabrique.
Des différens objets que par un même ſon
J'offre à l'eſprit , voici l'énumération :
Dans le ſens le plus en uſage
Je ſuis oiſeau , c'eſt mon moindre avantage.
Ce qui vaut mieux , je vous rappelle un Saint
Martyriſé , dit- on , ſous Antonin.
Lorſque pour adjectifà quelque coeuvre on m'affigne ,
D'un bon Chrétien je la rends digne.
Ce n'eſt pas tout , mon cher Lecteur ,
Il faut me voir à préſent ſur le trône ,
Revêtu de la ſuprême grandeur ,
Et le front ceint d'une triple couronne.
*
Mvj
276 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Fin de l'Extrait des Éloges de M. d'Alembert.
Nous ne nous arrêterons point ſur l'eloge
de Lamotte & fur celui de Fénélon ,
qui ont été tous deux imprimés en entier dans
ce Journal. Nous ne pouvons pas non plus
tranſcrire ici tout ce qui mériteroit d'être
cité ; par exemple , les idées ſur la formation
des Langues dans l'Éloge de l'Abbé
de Dangeau ; les réflexions ſur les tragiques
François dans celui de Crébillon ;
toutes les anecdotes piquantes femées
dans celui de l'Abbé de Choiſy , du Préfident
Roſe ; mais quoique obligés de hâter
notre marche , nous ne priverons point nos
lecteurs d'un morceau plein de goût & de
juſteſſe où l'Auteur analyſe le talent de deux
Auteurs célèbres fi différens l'un de l'autre
dans un même genre , Deſtouches & Dufreſny
, parallèle qui ſe préſentoit naturellement
dans l'éloge du premier , &qui eſt auſſi
bien fait qu'il eſt convenablement placé.
" Les ſuccès ſi multipliés de M. Deſtouches
étoient d'autant plus flatteurs pour lui,
» qu'ils ne furent ni arrêtés ni affoiblis par
>> ceux d'un rival redoutable , du célèbre
• Dufreſny , qui brilloit à-peu-près dans le
DE FRANCE, 277
>>même tems ſur la ſcène. Tous deux s'y
>> diftinguoient par des qualités différentes
> & preſque oppoſées ; Deſtouches , natu-
>>rel & vrai , ſans jamais être ignoble ou
» négligé ; Dufreny original & neuf , fans
>>ceſſer d'être vrai & naturel ; l'un s'atta-
>>chant à des ridicules plus apparens , l'au-
" tre ſaiſiſſant des ridicules plus détournés ;
>>le pinceau de Deſtouches plus égal & plus
>>ſévère; la touche de Dufrefny plus ſpiri-
>>tuelle & plus libre ; le premier deſſinant
>>avec plus de régularité la figure entière ; le
>> ſecond donnant plus de traits & de jeu à
>>la phyfionomie ; Deſtouches plus réfléchi
>>dans ſes plans , plus intelligent dans l'en-
>> ſemble ; Dufreſny animant par des ſcènes
>>piquantes fa marche irrégulière & décou-
>>ſue ; l'Auteur du Glorieux ſachant plaire
>> également à la multitude & aux Connoif-
>> ſeurs ; fon rival ne faiſant rire la multi-
>>tude qu'après que les Connoiffeurs l'ont
> avertie ; tous deux enfin occupant au
>>Théâtre une place qui leur eft propre &
>>perſonnelle ; Dufreſny , par un mélange
>>heureux de verve & de fineffe , par un
>>genre de gaieté qui n'eſt qu'à lui , & qu'il
>>trouve néanmoins fans la chercher , par
>>un ſtyle qui réveille toujours , ſans qu'on
" oſe le prendre pour modèle , & qu'on ne
>>doit ni blâmer ni imiter ; Deſtouches par
>>une ſageſſe de compofition & de pinceau
» qui n'ôte rien à l'action & à la vie des
>>perſonnages ; par un fentiment d'honnê278
MERCURE
>>teté & de vertu qu'il fait répandre au mi-
>>lieu du comique même ; par le talent de
>>lier& d'oppoſer les ſcènes entr'elles ; enfin
>>par l'art plus grand encore d'exciter à la
>>fois le rire & les larmes , ſans qu'on fe
>> repente d'avoir ri , ni qu'on s'étonne d'a-
>> voir pleuré. »
Ces fortes de comparaiſons détaillées entre
deux Artiſtes diſtingués , qui tous deux
ont atteint le même but par des routes diverſes
ne font point des hors-d'oeuvres de
Rheteurs , mais d'excellens morceaux de
critique qui développent aux bons efprits ce
qu'ils ont penſe, & apprennent à penſer à la
multitude.
Le refus que fit Deſtouches d'aller occuper
à Pétersbourg la place de Miniſtre de
France, ( refus qui en rappelle un autre plus
remarquable dont nous avons été témoins )
donne occafion à M. d'Alembert de peindre
à grands traits & avec cette énergie rapide
qui n'appartient qu'aux grands Maîtres , l'influence
du Czar Pierre fur la Ruffie. " Def-
>>touches préféra le plaiſir de cultiver fon
>>jardin , à l'honneur d'aller jouer à huit
>> cens lieues un rôle important. Ce n'étoit
>> pas en effet ce qui auroit dû le tenter dans
>> ce vaſte empire ; c'étoit le ſpectacle vrai-
>> ment rare qu'il offroit alors à des yeux
>>éclairés ; la lumière , qui partout ailleurs
>>eſt montée des Sujets aux Monarques ,
>>defcendant en Ruſſie du Monarque aux
>> Sujets ; ces Sujets qu'une longue barbarie
DE FRANCE. 279
>> avoit avilis au point de s'en faire aimer ,
>>s'efforçant de retenir ſur leurs yeux le ban-
>>>deau que le Souverain leur arrachoit ; la
>> fuperftition & l'ignorance détruites chez
>>cette Nation par la même force qui les a
>>enracinées chez tant d'autres , par le def-
>>potiſme le plus abſolu & le plus ſévère ;
>> enfin la naiſſance politique d'un grand
>>peuple , ignoré durant pluſieurs fiècles ,
>&deſtiné à fe venger bientôt, par une exif-
>> tence redoutable, de l'oubli où le refte de
>> l'Europe l'avoit laiſſe juſqu'alors . M. Def-
>> touches pouvoit étudier ce peuple en Phi-
>>loſophe ; il fut plus Philoſophe encore , il
>> aima mieux ſa liberté & fa retraite. >>
L'Éloge de Fléchier eſt peut-être le plus
remarquable de ce Recueil, parce que c'eft
le ſeul où le Panegyriſte , fans exagérer le
mérite de fon Héros , l'ait aggrandi dans l'opinion
publique ; non qu'il l'élève au-deſſus
du ſecond rang des Orateurs,qui eſt la place
que la poſtérité éclairée, ſemble lui avoir
marquée , mais le tableau qu'il trace de ſes
vertus Epifcopales , tableau fondé fur les
faits, doit rendre la mémoire de Fléchier
bien chère à toutes les ames ſenſibles ; & fi ,
dans le portrait qu'en fait M. d'Alembert ,
il ne paroît que le ſecond des Orateurs , il
paroît peut-être le plus grand des Evêques.
On ne lira pas fans admiration & fans attendriſſement
les traits de bonté & de courage
qui marquent en lui le protecteur des Religionaires
de fon Diocèſe , & le bienfaiteur
280 MERCURE
des peuples ; ſa vigilance active , ſes libéralités
inépuiſables , ſes ſollicitudes paternelles
; & furtout qui ne verſera pas des larmes
en lifant le morceau ſuivant ?
" Une malheureuſe fille , que des parens
>> barbares avoient contrainte à fe faire Re-
>>ligieuſe , mais à qui la nature donnoit le
>> beſoin d'aimer , avoit eu le malheur de
>>ſe permettre ce ſentiment que lui interdi-
>> ſoit ſon état , le malheur plus grand d'y
>> fuccomber , & celui de ne pouvoir cacher
>>à ſa Supérieure les déplorables ſuites de ſa
>>foibleſſe. Fléchier apprit que cette Supé-
>> rieure l'en avoit punie de la manière la
>> plus cruelle , en la faiſant enfermer dans
>>un cachot , où couchée ſur un peu de pail-
>> le , réduite à un peu de pain qu'on lui
>> donnoit à peine , elle attendoit & invo-
>> quoit la mort comme le terme de ſes
» maux. L'Evêque de Nîmes ſe tranſporta
>> dans le Couvent , & après beaucoup de
>> réſiſtance ſe fit ouvrir la porte du réduit
>> affreux où cette infortunée ſe conſumoit
>> dans le déſeſpoir. Dès qu'elle apperçut ſon
>> Paſteur , elle lui tendit les bras , comme
>> à un libérateur que daignoit lui envoyer la
>> miféricorde Divine. Le Prélat jetant fur
>> la Supérieure un regard d'horreur & d'in-
>> dignation : Je devrois , lui dit-il , ſi je n'é-
>> coutois que la Juſtice humaine , vous faire
>> mettre à la place de cette malheureuſe vic-
>> time de votre barbarie ; mais le Dieu de.
* clémence dont je ſuis le Miniftre , m'orDE
FRANCE. 281
>> donne d'ufer , même envers vous , de l'in
>>dulgence que vous n'avez pas eue pour
>> elle. Allez , & pour votre unique péni-
>> tence , lifez tous les jours dans l'Evangile
>>le Chapitre de la femme adultère. Il fit
>>auffitôt tirer la Religieuſe de cette horri
» ble demeure , ordonna qu'on eut d'elle les
>> plus grands foins , & veilla ſévèrement à
>> ce que ſes ordres fuffent exécutés. Mais
>> ces ordres charitables qui l'avoient arra-
>> chée à ſes bourreaux ☑ , ne purent la rendre
»àlavie ; elle mourut après quelques mois
>> de langueur , en béniſſant le nom de fon
>>vertueux Evêque , & en eſpérant de la
>>bonté Suprême le pardon que lui avoit
>> refuſé la cruauté Monaftique. »
L'Auteur laiſſe aux réflexions & à la ſenſibilité
du Lecteur à achever ce morceau ,
&plaiſe au Ciel qu'il ne produiſe pas une
piété ſtérile !
Nous ne pouvons terminer plus dignement
ce Recueil ſi honorable pour les Lettres
& pour fon Auteur , qu'en rapportant
ce que lui écrivit un grand Roi après la mort
de M. de Voltaire. Cette Lettre eſt citée en
note à la fuite du Dialogue de Chriftine &
de Deſcartes . Comme M. d'Alembert y a
joint quelques réflexions , nous nous abſtiendrons
d'en faire aucune..
" La mort de M. de Voltaire a été hono-
>> rée des plus ſenſibles regrets par le même
>> Prince qui lui a marqué tant d'eſtime pen-
>> dant ſa vie. Quelle perte irréparable pour
282 MERCURE
>> les Lettres , a écrit ce Monarque , &que
» de ſiècles s'écouleront peut- être ſans pro-
>>duire un tel génie ! ... S'il fût retourné à
» Ferney , peut-être feroit- il encore... Il
>> vivra à jamais , il eſt vrai , par ſon génie
» & par ſes ouvrages ; mais j'aurois defiré
» qu'il eût pu être encore long-tems le té-
>>moin de ſa gloire ! .. Il a du moins joui
» de la conſolation de recevoir avant ſa
>> mort les hommages de ſes Compatriotes...
» L'Académie de Berlin & moi , nous nous
>>propofons de payer au grand homme qui
» vient de mourir , le juſte tribut qui eſt dû
» à ſes cendres... Les Germains mettront
>>tous leurs foins à rendre à ce beau génie la
>>juſtice que la France lui devoit à tant de
>> titres ; ils ne feront contens d'eux-mêmes
>> que lorſqu'ils auront peint avec énergie à
>> l'Europe entière & à la France en particu-
>> lier , la perte irréparable qu'elle vient de
>> faire."
"Ces regrets font accompagnés des traits
>>les plus honorables pour les Lettres. Il n'y
>> a plus comme autrefois dit ce Prince,
» d'amateurs des Beaux-Arts & des Sciences.
>> Si ces Arts ſe perdent , comme je le pré-
» vois , à quoi l'attribuer, qu'au peu de cas
» qu'on en fait ? Pour moi je les aimerai
>>juſqu'à mon dernier ſoupir je ne trouve
>> de conſolation pour ſupporter le fardeau
>> de la vie , qu'avec les Muſes ; & je vous
>> affure que ſi j'avois été le maître de mon
>>deſtin , ni l'orgueil du Trône , ni le com
DE FRANCE. 283
>> mandement des armées , ni le frivole goût
>> des diſlipations ne l'auroient emporté ſur
» elles. »
" O vous ! qui que vous ſoyez , Détrac-
> teurs ou Comtempteurs des Lettres , vous,
>>qui prenez tant de plaifirà les voir en butte
>> à la calomnie & aux outrages , lifez ces
>> mots tracés par un grand Roi , & rougiffez .
>> Et vous , Ecrivains honnêtes , qui êtes l'ob-
>> jet des outrages & de la calomnie , lifez
>> auffi ces mots & confolez - vous.
: >>N'oubliez pas de dire ( car cette circonſtance
eft trop honorable à un Prince
dont le génie ſuffit à tout ) " qu'il écrivoit
>>cet Eloge le 14 Septembre dernier , dans
>> un moment où occupé des plus grands
>>objets , il méditoit & préparoit cette mar-
>>che ſavante qu'il exécuta le jour même , &
>>que les connoiffeurs regardent comme le
>> chef-d'oeuvre de l'art militaire. L'Europe,
> dont ce Monarque a tant de fois attiré les
>> regards , & qui maintenant a les yeux fixés
>> fur lui avec plus d'intérêt que jamais ,
>>croyoit pas qu'après trente-huit ans d'un
>>fi beau règne , il pût encore ajouter à ſa
>> gloire , & l'Europe s'eft trompée *, »
ne
* Faute à corriger dans le dernier No. page 156 ,
ligne dixième , article des Eloges de M. d'Alembert :
Lá manière mal- adroite dont les Partiſans de l'antiquité
la défendoient contre Deſpreaux. Lifez : La
manière mal -adroite dont les détracteurs de l'antiquité
ſe défendoient contre Deſpreaux.
১
:
284 MERCURE
r
ELOGE de M. le Maréchal du Muy , qui a
remporté le prix au jugement de l'Académie
de Marſeille, le 25 Août 1778 ; par
M. le Tourneur.
Tout le monde connoît le pinceau mâle
&brillant du Traducteur des Nuits d'Yong :
on appercevra la même touche dans l'Eloge
duMaréchal du Muy. Si ce nouvel ouvrage
ne paroît pas écrit d'un ſtyle toujours pur ,
ſi l'on y trouve peu de mouvement , peu
d'images & d'idées neuves , on en ſera dé
dommagé par l'harmonie des phrafes , par la
progreffion méthodique des faits , & fur-tout
par la ſageſſe édifiante des réflexions qui les
accompagnent. Le héros de l'Eloge eſt un
de ces hommes qui ont eu beaucoup de ré
putation , parce qu'on eſpéroit beaucoup de
leurs lumières ,de leur patriotifme&de leurs
talens ; mais , comme l'obſerve le Panégyrifte
, " M. du Muy , pendant le rapide inf
>> tant de fon miniſtère , n'a eu que le temps
>> de nous faire entrevoir tout le bien que
>> nous promettoient ſa ſageſſe , ſa fermeté
>>incorruptible , & fes vertus exemplaires » .
Aujourd'hui que ce Miniſtre n'eſt plus ,
que les détracteurs & les enthouſiaſtes commencent
à diſparoître , on peut déjà l'appré
cier avec plus d'impartialité , & dire que fes
qualités les plus éminentes furent la juſtice &
le courage. M. le Tourneur a ſu peindre
avec force cette partie eſſentielle de la gloire
DE FRANCE. 285
de fon héros , & en tirer des inſtructions qui
pourroient être utiles aux hommes en place ,
fices perſonnages daignoient ou pouvoient
lire l'Eloge des morts . " Reſtéz à jamais dans
» l'obſcurité des conditions privées , ames
>>molles & faciles , qui , voulant le bien ,
>>n'avez pas le courage néceſſaire pour l'ac-
>> complir. Si vous aimez l'Etat , n'approchez
>> jamais du Conſeil des Rois , & ne vous
>> chargez point de l'autorité publique. Dès
» qu'il s'agit de gouverner les hommes , &
>>de les forcer à vouloir , pour leur bonheur ,
>> ce que veulent la juſtice & les loix , il faut
>>une ame forte , qui s'élève au-deſſus des
>> ménagemens & des vaines bienséances ,
>>ſache ſe dépouiller de la fauſſe pudeur
>>qui ſacrifie l'Etat au particulier , ſoumer
>> la confcience à la crainte des reffentimens ,
» & ſe fait un tarif de rigueur ou d'indul-
>> gence ſuivant les rangs & les fortunes :
>>une lâche bonté ruine & perd l'Etat , com-
> me une improbité hardie & décidée » .
Quelles que foient la force & l'évidence de
ces réflexions , il ne faut pas eſpérer qu'on
les verra jamais adoptées dans les Cours ,
parce que les Miniſtres qui n'ont pas affez
de courage pour ſacrifier au bien général ,
l'intérêt particulier& les vaines bienfeances ,
en ont encore moins pour ſe faire juſtice ,
& renoncer à la fortune , au crédit , à la
vanité , à tous les preſtiges de la grandeur.
On leur perfuade trop aiſément que leur
foibleſſe eſt de la bonté , que leurs manéges
286 MERCURE
&leur hypocriſie ſont des devoirs eſſentiels
de la politique. Il ſemble cependant qu'un
homme d'Etat , malgré les illufions qui l'environnent
, pourroit ſe juger lui - même
comme le public doit le juger un jour. En
effet, ſi ſon ame eſt tiède & pufillanime ,
s'il eſt incapable de méditations profondes ,
ſi la continuitédu travail affaiſſe ſes organes ,
ſi le nom des l'Hôpital , des Sully , des Colbert
ne le fait point treſſaillir , ſi les fantômes
de la gloire , ou de la patrie , ou de
l'humanité n'embraſent jamais fon ame , à
coup fûr il peut ſe dire : je ſuis au-deſſous
de ma place ; la nature m'a fait pour obéir ,
&non pour commander .
Le Maréchal du Muy réuniſſoit une partie
des qualités de l'homme d'Etat. Livre nuit
& jour au travail , parcourant toutes les
parties du Royaume , recueillant tout ce
qu'il croyoit utile , il eſt peu d'hommes qui
aient autant lu , autant écrit , autant compilé:
Ses manufcrits formeroient plus de ſoixante
volumes in-4°. Né vingt ans plus tard , il
auroit eu moins de prédilection pour les
uſages , les opinions & les Ecrivains des ſiècles
précédens. Les lumières du nôtre auroient
pu donner à ſon caractère & à fon eſprit une
étendue , une élévation , un éclat beaucoup
plus impofans. Au lieu de l'eſtime qu'il a
méritée , & que perſonne ne lui refuſe , il
eût ſubjugué l'admiration de la France , &
même celle des Nations qui l'environnent.
On le placeroit au rang des grands hommes ,
DEFRANCE. 287
comme nous le rangeons aujourd'hui dans la
claſſe des citoyens les plus recommandables
par leur dévouement à la Religion Catholique
& à l'autorité Royale. On fait qu'il
avoit choiſi pour deviſe : Dieu & le Roi.
M. le Tourneur , obligé de faire un éloge
& non une hiſtoire , a tiré tout le parti poffible
de ſon ſujet. Il n'a omis aucune anecdote
honorable à fon héros , excepté le mot
de la Marquiſe de P ..... , qui cependant
étoit digne de figurer à côté des autres. " Le
>> Chevalier du Muy eſt le ſeul homme de
ود laCourqui ne vienne pas me voir ,& le
>> ſeul qui, ne penſant pas bien de moi , n'en
» diſe aucun mal » .
(ParM. l'Abbé Remi , ainſi que leſuivant ) .
Moyens d'extirper l'Ufure , ou projet d'établiſſement
d'une caiſſe de Prêt Public fur
tous les biens de l'homme , avec les Lettres-
Patentes de créationdu Mont-de-Piétéétabli
à Paris en 1777 ; par M. Prévoſt de
Saint-Lucien , Avocat au Parlement. Vol.
in-12. Prix 3 liv. broché, & franc de port
par-tout le Royaume. A Paris , chez Lefclapart
, Quai de Gêvres , & chez l'Aureur
, rue Sainte Appoline.
Depuis pluſieurs fiécles on a vu les Gens
de Lettres publier des projets , & le Gouvernement
faire des tentatives pour extirper
l'uſure. Mais tous les projets & les tentatives
ont échoué juſqu'au moment où M.
Prévoſt de Saint- Lucien a entrepris de
288 MERCURE
traiter cette matière en Juriſconſulte Philoſophe.
A peine ſon ouvrage a- t'il été répandu
, que la lumière a diſſipé les terreurs
& les préjugés . Il a peint les ravages de l'ufure
avec des couleurs ſi vraies ; les remèdes
qu'il propoſe ſont d'une utilité ſi frappante ;
il combat les objections des ennemis du Prêt
avec tant de décence & de raiſon, que le
Miniſtère s'eſt enfin déterminé à élever un
Mont- de-Piété dans cette capitale. Les éloges
que la voix publique donne au zèle & à
la ſageſſe de ſes Adminiſtrateurs , les profits
que les Hôpitaux en retirent chaque jour ,
manifeſtent déjà les avantages d'un établiſſement
qu'on étendra ſans doute bientôt
dans les grandes villes commerçantes du
Royaume.
M. de St-Lucien s'applique fur-tout à rectifier
les idées vulgaires ſur la naturedu prêt en
général & en particulier. La vente , l'achat ,
le louage , fuivant lui , ne font que de véritables
prêts , de purs échanges ; car l'homme ,
maître de tout , n'eſt propriétaire de rien ; il
reçoit à titre de prêt tout ce qu'il poſsède ;
il le tranſmet au même titre ; les générations
font grevées les unes envers les autres ; &
cette ſubſtitution éternelle , à laquelle , ou
la volonté de l'homme ou ſa mort , donne à
chaque inſtant ouverture , eſt la cauſe de
cette immenſité d'échanges & de prêts qui ſe
renouvellent ſans diſcontinuité ſur la furface
de la terre. Or , ſi tout est échange ou
prêt , ou abandon d'une quantité pour en re-
:
tirer
DEE FRANCE. 289
tirer une autre , comment pourroit- on aftreindre
l'homme à ne recevoir que des quantités
égales ? Otez l'eſpoir des bénéfices ,
vous engourdiſſez à l'inſtant la main qui pétrit
l'argile , qui façonne les métaux , qui
travaille le bois & la pierre. Le vaiſſeau ne
bravera plus les tempêtes , ſi l'intérêt ne lui
donne le premier mouvement. Le laboureur
ne confiera plus ſes ſemences à la terre , s'il
n'y eſt déterminé par l'impulfion de l'intérêt.
" La bouillante chaleur du plaifir n'embraſe
>> pas ſeule un coeur amoureux ; l'intérêt
>> s'unit àce premier mobile , & de l'échange
» de nos ames , de ce prêt mutuel , nous
>> voyons éclorre un germe heureux qui ſera
» l'appui de nos vieux ans , &pourra ſervir
>> encore nos ſemblables ».
Pourquoi donc, continue l'Auteur , pourquoi
ne pourrois-je pas vendre mon écu
comme je vends mon chapeau ? Ce dernier
m'a coûté 6 liv. je le vends 7; ſi le beſoin de
l'acheteur lui a fait eſtimer 20 fols de plus
la valeur intrinsèque du chapeau , pourquoi
ne pourroit-il pas trouver aufli dans l'écu
une valeur relative , différente de ſa valeur
intrinsèque ? Mon écu peut lui procurer à
ſon tour d'autres valeurs fans jamais rien
perdre de la fienne; au lieu que mon chapeau
, loin de s'améliorer par l'uſage , ſe dégradera
chaque jour , & fera bientôt réduit
à zéro.
D'après ces obſervations , M. de St-Lucien
croitqu'on nepeut trop multiplier les moyens
25 Janvier 1779 . N
290
MERCURE
de rendre l'induſtrie plus active, & de faciliter
la circulation du commerce. Il voudroit que,
non-feulement on prétât fur des gages mobiliers
, mais encore fur toute eſpèce d'immeubles.
Les dettes actives , les loyers , les
fermages , les contrats les obligations ,
toutes les natures de biens , peuvent former
des nantiſſemens à ceux qui voudroient prêter.
Une caiffe de prêt public ainſi établie,
ſeroit d'une utilité bien plus générale & bien
plus importante ; il n'y auroit abſolument
aucune claffe de citoyens qui n'y trouvat
dans tous les momens defa vie, une fource
féconde & intariffable toujours ſupérieureàses
moyens comme àses besoins. Il faut voir dans
l'ouvrage même , page 85 , Section V , le
développement des idées de l'Auteur , les
moyens qu'il imagine , les précautions qu'il
emploie , les abus qu'il prévient , les difficultés
qu'il éclaircit & les obſtacles qu'il fait
diſparoître.
Il paroît que de tous ces obſtacles celui
qu'il a furmonté le plus difficilement , tient
ànos maximes religieuſes. La Théologie
qui , chez les anciens peuples , ſe bornoit à
inftruire l'homme de ſes devoirs envers
Dieu , & laiſſoit au Gouvernement le ſoin
de régler les intérêts civils , de modifier les
contrats felon les temps & les lieux, de combiner
des lois uniquement relatives au bien
temporel des corps politiques ; la Théologie
beaucoup plus utile & plus éclairée parmi
nous, examine nos uſages, décompoſe nos
1
DE FRANCE.
291
4
actes , pèſe dans la balance du ſanctuaire la :
plupart de nos rapports civils ; elle a un
droit d'inſpection ſur nos actions publiques
& particulières , comme fur nos penſées &
nos ſentimens. Dépositaire des lois divines ,
le Clergé doit en confcience en fuivre l'efprit
& en réclamer l'exécution quand on
veut les enfreindre. L'Évangile dit aux hommes
: mutuum date nihil indefperantes. M. de
St-Lucien prétend que le texte de S. Luc a été
mal traduit , & qu'il faudroit y fubftituer
cet mots: Fanerate nihil defperantes , qui
eſt le ſens grammatical du paſſage Grec.
Nous devons croire qu'à cet égard le nouveau
Traducteur ſe trompe, car les Saints
Pères *, les Souverains Pontifes & les Conciles
eux-mêmes l'ont toujours entendu ſe- i
lon le premier ſens , qui est contradictoire
- avec le ſecond. Jésus-Chriſt ayant défendu
en général le prêt à intérêt , & l'Egliſe ayant
fixé d'une manière très-préciſe celui qui peut
être légitime; tout autre eſt donc néceſſairement
ufuraire , & le Clergé doit le prof
crire éternellement.
Mais il y a dans la marche des Empires ,
certains momens de crife , où les Miniſtres
du Ciel , obligés de ſuſpendre leur zèle, font
* S. Ambroiſe parle en ces mots à ſcs Diocé
fains: Et esca , usura est ; & vestis , usura est ;
& quodcumque forti accedit , ufura est ; quodvis nomen
ei imponas, ufura eft
1
Nij
292
MERCURE
M
réduits à gémir & à tolérer les coupables
juſqu'à ce qu'il vienne un ordre d'hommes
affez défintéreſſes pour confier leur or fans
intérêt , & concourir à la fortune de leurs
ſemblables , fans autre eſpoir que le pur ſenriment
de la reconnoiffance. En attendant
ces heureux jours le Chef d'un Empire
, environné d'abus , placé entre le défordre
& le déſordre , n'a plus que le choix
du mal le moins pernicieux. Il voit d'un côté
les cruels beſoins du pauvre, & de l'autre
les fecours meurtriers du riche; pour arrêter
le brigandage de ceux qui prêtent à quarante
, à foixante , à cent , quelquefois même
àdeux cents pour cent, il eſt contraint de
donner la fanction aux caiſſes de prêt public
, où l'on n'exige qu'un intérêt modéré ,
toujours au même taux. Par cette opération ,
il eſt viſible que le Prince arrête , autant
qu'il eſt en fon pouvoir, les défordres de
l'uſure ; & que cette race de tigres , qui dévoroient
les entrailles du peuple, feront forcés
déſormais , ou à ſe dévorer eux-mêmes ,
ou à changer leur exécrable métier. Telles
font les vues & le but de M. Prévoſt de
Saint-Lucien. Son ouvrage pourroit être plus
méthodique , & d'un ſtyle plus foigné , mais
il eſt eſtimable par les chofes , par les calculs
, par les recherches , par les rréeflexions
qu'il renferme , &&mpar celles qu'il inſpire aux
Lecteurs. On doit fans doute des encouragemens
& de la reconnoiffance à un homme
qui joint à des projets utiles , le courage
DE FRANCE. 293
:
ſi rare de les répandre & de les faire
adopter.
ÉLÉMENS de Chimie théorique & pratique ,
rédigés dans un nouvel ordre d'après les
découvertes modernes,pourfervir aux cours
públics de l'Académie de Dijon. Tomes II
& III. A Dijon , chez L. N. Frantin ; &
ſe trouvent à Paris , chez Piſſot , quai des
Auguftins .
Ces deux volumes complettent le cours
qui ſe fait depuis trois ans dans le laboratoire
public de l'Académie de Dijon , & qui
eſt l'ouvrage de MM. de Morveau , Marer
&Durande. Le premier en a fourni le plan ,
& l'a rédigé en entier pour qu'il y eût plus
d'enſemble & de liaiſon dans toutes les
parties.
La théorie en eſt ſimple. Les Auteurs l'établiffent
fur cette belle penſée de l'illuftre
Buffon , que dans les attractions prochaines
la figure des parties devient élément de dif
tance. Au moyen de cette clef, tous les phénomènes
de diſſolution & de cryſtalliſation
s'expliquent aiſément par les ſeules loix phyfiques
&méchaniques. En ſuivant cette marche,
ils font parvenus à calculer & à déterminer
, par des rapports numériques , les
affinités de dix ſubſtances métalliques avec
le mercure. On lit dans l'avertiſſement du
TomeII ,que le célèbre Profeſſeur Bergmanı
Niij
294
MERCURE
vient auſſi d'établir tout le ſyſtême chimique
fur la même baſe , & nos Académiciens ſe
flattent en conféquence de voir bientôttoutes
les opinions ſe réunir ſur ces vérités fondamentales.
La méthode de ces élémens eft facile à
faifir,&néanmoins affez étendue pour qu'on q
puiffe d'avance aſſigner l'ordre des faits qui
reftent à découvrir. Dans la chimie naturelle,
comme dans celle du laboratoire , rien
ne ſe fait que par diffolution : toute diffolution
ſuppoſe fluidité. On confidère donccomme
diffolvant le corps le plus eſſentiellement
fluide: on appelle baſe celui qui , ſous le
point de vue , eſt plus paſſif dans l'acte de
Ia diffolution, On examine d'abord l'action
des diffolvans les plus ſimples , tels que le
feu , l'air & l'eau ſur toutes les baſes terreuſes
, alkalines , métalliques , ſur les bitumes
, les réfines , les huiles , &c. De-là on
paſſe aux diffolvans plus compoſés. Le Chapitre
de chaque diffolvant particulier compar
l'expofition de ſa nature , de fon
origine , de fes caractères , des procédés pour
l'extraire & le purifier : on trouve enſuite les
différens ordres de ſes compoſitions & furcompoſitions.
Un tableau ſynoptique de
vingt diffolvans , & de trente bafes les plus
ſimples, facilite l'intelligence de laméthode ,
& ſoulage la mémoire , en préſentant dans
leur ordre environ fix cents réſultats des
combinaiſons chimiques les plus directes&
les plus effentielles à retenir.
-mence
DE FRANCE.
195
F
L
On a fondu dans ces élémens toutes les
découvertes modernes ſur la chaux , la magnéſie
, la caufticité , la calcination des métaux
, l'air fixe , l'air inflammable , l'air déphlogiſtiqué
, l'acide phoſphorique des os ,
&c. & tous les phénomènes des gas paroifſent
ſe relier très- naturellement à la doctrine
de Sthaal , c'est- à-dire , du phlogiſtique& du
feu fixe , en admettant ſeulement que l'un
des fluides ne peut ſe dégager qu'autant que
Pautre ſe combine ; ce dont la chimie fournit
une infinité d'exemples dans les opérations
fur les corps plus ſenſibles .
Les Auteurs de ce cours y parlent preſque
toujours d'après les expériences qu'ils ont
cux-mêmes tentées ou répétées , ou ils indiquent
ce qui reſte à faire pour les rendre
décifives. C'eſt ainſi qu'ils propoſent d'examiner
fi l'acide des fourmis & celui du ſuccin
ne feroient pas l'air fixe dans un état de compoſition
comme dans le tartre. On y trouvera
enfin une quantité de produits chimiques
peu connus , réſultans des eſſais de combinaiſons
que la méthode adoptée rendoiť
indiſpenſables , & même des chapitres entiers
où l'action d'un nouveau diffolvant eſt éprouvée
ſur toutes les baſes . Tels font ceux des
acides , de l'arfenic , du borax , du phoſphore
( que M. Bergmann a auſſi placé dans ſa
rable d'affinités ) & l'appendice ſur le principe
aftringent . C'eſt ce qui a fait regretter
que cet ouvrage ne ſoit pas ſuivi d'une table
Niv
296
MERCURE
générale alphabétique ; mais nous favons que
les Auteurs ſe diſpoſent à la publier incefſamment
avec des tableaux ſynoptiques de
matière médicale, qu'ils ont cru devoir ſeparer
de la partie purement chimique , &
qui formeront un quatrième volume.
( Cet Article est de M. R. )
Histoire Universelle depuis le commencement
du monde , enrichie de Figures & de Cartes
néceffaires. Compoſée enAnglois . &traduite
en François par une Société de
Gens de Lettres. Propoſée par Souf
crition.
د
Ce feroit un magnifique ouvrage qu'une
HiſtoireUniverſelle, écrite par des Philoſophes
, fi le genre humain avoit fidellement
confervé ſesarchives. Onverroit l'eſpèce humaine
fortir de fon berceau , ſe diviſer bientôt
en nombreuſes familles , ſe répandre fucceflivement
fur toutes les parties du globe ,
& ſe mettre en poffeffion de toute fa demeure
. On aſſiſteroit à la formation de tous
les Empires , aux confeils de Légiflation de
tous les Peuples : on verroit tous les uſages ,
toutesles inftitutions à leur origine. En confidérant
l'eſpèce entière commeunindividu , on
ſe plairoit fur-tout à ſuivre l'hiſtoire defa raifon
: on verroit d'où ſont nées les lumières
qui ont éclairé pluſieurs fiècles de fa vie;
DE FRANCE. 297
d'où ſont partis enfuite les nuages qui l'ont
enveloppé de ténèbres , qu'une longue fuite
de ſiècles pent à peine diffiper. Chaque
peuple verroit quel rang il occupe dans la
famille du genre humain : il compteroit ſes
titres d'honneur & de gloire ; il ne pourroit
s'empêcher de voir les tems de crimes
ou de vices , dont il doit effacer la honte.
Enfin tous les peuples , diviſés par tant de
haines , par tant de rivalités , appercevroient
mieux tous les liens du ſang qui les unifſent
: ils ſe haïffent comme étrangers ; ils
verroient mieux dans l'hiſtoire commune
delafamille,qu'ilsdoivent s'aimer& ſe ſecourir
comme des parens & comme des frères.
Mais aucun peuple n'eſt en état d'écrire
l'hiſtoire de la famille univerſelle. Tous
enſemble ont oublié leur commune origine;
chaque peuple a oublié même ſon origine
particulière , & ne peut guères remonter au
moment où il a formé , pour ainſi dire , une
maiſon nouvelle. Le tableau de l'antiquité
ne nous préſente que des ruines qu'il faut
chercher parmi les ténèbres. L'homme ne
peut ſavoir même comment il a créé les empires.
Ses propres ouvrages ſont pour lui
des myſtères , comme les ouvrages du Créa
teurdu monde; & les prodiges qui devroient
faire l'orgueil de ſa raiſon , ne ſervent prefqueplus
qu'à le confondre.
Tous les Peuples ont cependant des traditions
vagues & obfcures : preſque tous ont
eu long-tems la prétention de pouvoir ra-
N
298 MERCURE
conter d'un bout à l'autre , & fans lacune ,
non-feulement leur propre hiſtoire , mais
l'hiſtoire même du monde entier . Il étoit
important de recueillir ces traditions qui
peuvent avoir conſervé quelques traits de la
vérité , comme certaines matières brutes
confervent l'or qu'elles enveloppent & qu'elles
cachent.
On a fouillé les tombeaux des anciens Empires.
On a lu quelques lignes ſur des tronçons
de colonnes , ſur le piedestal de quelques
ſtatues mutilées. Des Savans ont recueilli
ces lignes , pour les faire ſervir un
jour de matériaux à l'hiſtoire entière...
Enfin la critique , perfectionnée par la
Philofophie , eft parvenue à faire , dans les
Hiſtoriens anciens , la ſéparation des vérités
&des erreurs qu'ils nous ont tranſiniſespêlemêle.
Il s'en faut bien cependant encore qu'on
foit en état de former , même un ſyſteme ,
fur l'hiſtoire des premières origines ; mais on
a découvert de nombreux matériaux ; on a
fait des rapprochemens très- heureux ; on a
donnédes interprétations très-ingénieuſes. Il
étoit tems de raſſembler tout cela dans un
même corps d'ouvrage , &de difcuter enſemble
des objets qui n'avoient été diſcutés
que ſéparément.
Cette entrepriſe immenſe a été formée
& achevée il y a pluſieurs années , en
Angleterre. Des Savans profonds & laborieux
de cette Nation , ſi propre à tour
1
DE FRANCE. 299
tes les Sciences , paroiſſent y avoir travaillé
: on leur a reproché , peut - être avec
raiſon , une critique trop timide , un ſoin
trop ſcrupuleux à recueillir ou à diſcuter
des erreurs que tous les peuples ont abandonnées.
Mais on peut lesjuſtifier , au moins
en partie , en diſfant que leur ouvrage eſt ſurtout
deſtiné à tout réunir &à tout conferver
; que ces erreurs même qu'ils n'ont pas
voulu rejeter , pourront ſervir un jour de
foutien à d'importantes vérités.
Enfin , on doit convenir que de tout ce
qu'on a fait pour l'Hiftoire Ancienne &Moderne
en Europe , cet ouvrage eſt le plus
propre à donner des lumières de tous les
genres , &à ceux qui ne veulent que lire &
connoître , & à ceux qui voudront écrire
'Hiſtoire..
Ce grand ouvrage n'eſt cependant encore
connu en France que par une traduction
faite en Hollande , dans laquelle le texte eſt
defiguré à chaque inſtant par des erreurs
groffières : le ſtyle d'ailleurs , difent les
Auteurs du Profpectus , en eſt ſi plat & fi
incorrect , qu'il feroit difficile d'en lire même
une page..
Les nouveaux Traducteurs ſont des Ecrivains
connus déjà par d'excellentes traductions
d'Ouvrages Anglois. C'eſt vraiment un
ſervice de la plus grande importance qu'ils
rendent à la Littérature Françoiſe.
Ils annonçent même pour le fonds de
Ouvrage , & pour la diſtribution des ma
Nvi
300 MERCURE
tières , des changemens qui perfectionneront
beaucoup l'original.
Le premier volume de l'Hiſtoire Univerfelle
doit paroître à la fin du préſent mois ; le
deuxième à la fin de Février , & les autres
ſucceſſivement de mois en mois. On paiera
24 liv. en ſouſcrivant pour les fix premiers
volumes ; en recevant le ſixième , on paiera
24 autres livres pour les fix mois ſuivans ,
ainſi de ſuite de fix mois en fix mois. Ceux
qui n'auront pas ſouſcrit paieront chaque
volume fix livres. ---- Cet Ouvrage ſera imprimé
ſur beau papier & caractères neufs ,
& la gravure des planches eſt confiée au burin
des meilleurs Artiſtes. Quant au format ,
on a cru devoir le rendre portatif , & l'on
a choiſi l'in-8 ° . --- Chaque Volume ſera de
35à40 feuilles.
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mercredi 23 Décembre , on a repréſenté
pour la première fois l'Amant Jaloux ,
ou les Fauffes Apparences , Comédie en trois
Actes de M. d'Hell , Muſique de M. Grétry.
Interrompue , comme nous l'avons dit, par
l'indiſpoſition de Madame Dugazon, cette
Pièce a été repriſe le Samedi 9 de ce mois.
DE FRANCE.
301
La Scène est à Cadix.
Premier Acte. Léonore , jeune veuve , &
fille de Lopez de la Plata , aime & eſt aimée
de Dom Alonze. Ce Dom Alonze eſt ſorti
de Cadix depuis quelque temps pour aller
recevoir les derniers ſoupirs d'un vieil oncle
dont il attend une ſucceſſion immenfe ;
mais il eſt ſur le point de revenir. Le père
de la jeune veuve , Négociant avare , qui a
placé dans ſon commerce la fortune de fa
fille , ſe promet de mettre tout en oeuvre
pour rompre l'hymen que Dom Alonze ſe
propoſe de contracter. En conféquence il
déclare à Jacinthe , Femme-de- chambre de
Léonore , qu'il ne veut plus qu'on reçoive
chez lui le jeune-homme , ni même ſa ſoeur
Iſabelle , intime amie de Léonore. Jacinthe
reſtée ſeule , gémit de l'ordre qu'elle vient
de recevoir , quand elle voit entrer Iſabelle
foutenue par un Officier François. Cet Officier
, qu'on appelle le Chevalier de Florival ,
paffe par Cadix pour aller rejoindre l'armée
Eſpagnole , dans laquelle il va ſervir contre
les Portugais. Il a rencontré Iſabelle , que des
ſcélérats maltraitoient , l'a arrachée de leurs
mains , & l'a conduite dans la maiſon qu'elle
lui a indiquée. Voir Iſabelle , la défendre &
l'aimer du plus violent amour, tout cela fut
pour Florival l'affaire du même inſtant. Sa
vue a produit dans l'ame de ſa maîtreſſe une
impreſſion auffi prompte. Il lui demande
un rendez-vous; elle héſite à le lui accor302
MERCURE
t
der; enfin elle confent qu'il ſe rende àdix
heures ſous ſa fenêtre. Florival, qui ne fait
pas le nom de la perſonne qu'il adore , qui
croit l'avoir conduite chez elle , & qui prend
Jacinthe pour ſa Femme-de-Chambre , demande
à celle-ci le nom de fa maîtreſſe. Jacinthe
répond , Léonore , & le François s'évade.
Léonore vient , elle apprend de la bouche
de fon amie l'accident qui la amenée
chez elle. On entend du bruit ; comme on
craint que ce ne ſoit le vieillard qui rentre ,
on fait paffer Iſabelle dans un cabinet dont
on n'a pas le temps de fermer la porte :
c'eſt Don Alonze. L'air inquiet de Leonore
éveille ſa jaloufie ; il prétend avoir entendu
quelqu'un dans le cabinet , & vent s'en
éclaircir. Léonore s'y oppoſe ; mais fans
reſpecter ſa maîtreffe , il s'approche pour
fatisfaire fa curiofité, quand la porte ſe ferme
avec fracas. Le Jaloux ne doute plus que
le cabinet ne récèle un rival , il éclate en reproches.
Lopez qui entre , & qui ne connoît
Dom Alonze que de nom , lui demande
le motifde ſa venue & de ſa colère. Jacinthe
craignant les excès auxquels la jalofie
peut porter l'amant de Léonore , dit au vieillard
qu'une femme pourſuivie par le cavalier
qui vient de le rendre témoin de ſes
fureurs , eſt venue leur demander un aſyle ;
que touchées de pitié, elles l'ont enfermée
dans le cabinet. Iſabelle a tout entendu, elle
ſe couvre de fon voile , & paffe devant fon
frère , qui ne la reconnoît pas. A l'afpect
DE FRANCE.
303
d'une femme , Dom Alonze reſte confondu ;
il fort pénétré de douleur. Lopez trouve l'aventure
plaiſante. Il rentre avec Léonore &
Jacinthe , en riant beaucoup des helas du
Cavalier inconnu.
SecondActe.Dans les premiers accèsde fon
humeur , Léonore fe propofe de ne jamais
-pardonner à Dom Alonze. Ilabelle , en feignant
de fortir au premier Acte , s'eſt réfugiée
dans le jardin ; Jacinthe ne l'ignore pas ,
elle annonce à fa maîtreſſe qu'elle va la chercher.
Au moment de fortir , elle rencontre
Lopez. Le vieillard lui dit qu'il eſt trop tard
pour aller prendre l'air , que d'ailleurs il a
fermé la porte de la grille , & qu'il en a la
clef. L'embarras où cet incidentjette Léonore
paffe aux yeux du père pour la fuite des réflexions
que l'aventure du jaloux a fait naître.
Il enprend occafion d'engager fa fille à fuir
l'amour & l'hymen. Chaque mot de Lopez
redouble l'émotion de fa fille, qui , pour la
lui cacher, rentre dans fon appartement. Le
Chevalier de Florival vient toucher une
lettre-de-change de 200 piaſtres. Au moyen
de l'erreur de Jacinthe , il prend Lopez pour
le père de fa maîtreffe & ſe propofe de la lui
demander. La Femme- de-Chambre , qui aux
-diſcours du François s'apperçoit qu'il eſt en-
-core dans l'erreur , veut lui parler. Sur un
mor de Lopez elle est obligée de rentrer ,
de forte qu'elle n'a que le temps d'indiquer
àFlorival un autre rendez-vous dans le jardin;
mais le jeune François ne comprend
304
MERCURE
1
pas ce qu'elle veut dire. Dans la converſation
qu'il a avec Lopez , il lui déclare qu'il
eſt amoureux , il eſt même ſur le point de
lui apprendre le nom de celle qu'il aime ,
quand tout-à-coup il ſe ravife , & fort fans
le lui dire. Le vieillard va ſe coucher. Jácinthe
profite de la nuit pour introduire
Dom Alonze dans l'appartement de ſa maî
treffe. Ils en ſortent bientôt l'un & l'autre.
Alonze implore le pardon de ſa jaloufie ;
Léonore , après avoir réſiſté pendant quelque
temps, conſent à le lui accorder. L'une aſſure
que ſes ſentimens n'ont jamais changé , l'autre
qu'il ne fera plus jaloux. A l'inftant même
une voix accompagnée d'une guittarre ſe fait
entendre ſous la fenêtre. C'eſt Florival , qui
toujours trompé par le nom , vient chanter .
ſes amours dans des couplets dont le dernier
eſt terminé par ce vers : Charmante
Léonore. Ces deux mots rendent à Dom
Alonze toute ſa jalouſie. Il répète ironiquement
à ſa maîtreſſe les propres expreffions
dont elle s'eſt ſervie pour l'aſſurer de ſa fidélité.
Celle-ci lui répond auſſi en répétant
ſur le même ton ſes ſermens de n'être plus
jaloux. Ils ſe quittent plus animés que jamais
l'un contre l'autre .
Troisième Acte. Iſabelle , qui a été enfermée
dans le jardin , s'inquiète du rendezvous
qu'elle a donné à Florival. Ce jeune
homme , dont les concerts amoureux ont
été interrompus par la voix de Don Alonze ,
qu'il a pris pour Lopez , ſe ſouvient du
A
DE FRANCE.
305
ſecond rendez - vous indiqué par Jacinthe.
Il ſe munit d'une échelle , eſcalade les murs
du jardin , & preſſe Iſabelle de confentir
à lui donner ſa main. Alonze , en ſe retirant
, a apperçu une échelle. Toujours excité
par le même ſentiment de jalousie , il s'en
ſert pour ſe rendre dans le jardin. A fon
aſpect , Iſabelle s'enfuit dans unpetit pavillon .
Ces deux amans , après s'être mutuellement
queſtionnés fur l'objet qui les attire , après
avoir tous deux nommé Léonore , ſont prêts
à en venir aux mains , quand le vieillard ,
éveillé par le bruit , deſcend , & leur demande
à fon tour ce qu'ils font venus chercher
chez lui . Tous deux nomment encore :
Léonore , & indiquent le pavillon où elle
s'eſt retirée. Rien n'égale la ſurpriſe du père.
On invite Léonore à ſe montrer : elle entre
par lamême porte que vient d'ouvrir Lopez .
Nouvelle furpriſe pour tous les perſonnages ;
nouvelle confufion pour Alonze. Il ſe plaint
d'avoir détruit lui-même ſon bonheur , &
remet à Lopez un écrit , par lequel il lui
apprend qu'il vient d'hériter de ſon oncle ,
& qu'il confent à épouſer Léonorefans dot.
Cetteraiſon convaincante produit ici le même
effet que ſur l'Harpagon de Molière. Il ne
s'agit plus que de fléchir Léonore. Tout le
mondes'y emploie. Iſabelle quitte ſa retraite ,
&vient joindre ſes prières à celles des autres.
Alonze ne reconnoît ſa ſoeur qu'avec le plus
grand étonnement. Enfin tout s'explique.
Lopez a déjà conſenti à l'union de Don
305 MERCURE
Alonze avec Léonore , & Don Alonze corifent
à fon tour à celle de Florival avec Ifabelle.
Nous reviendrons à l'examen de cette
Pièce quand elle ſera imprimée. Son ſuccès
a été très-grand. La Muſique a paru charmante
dans pluſieurs morceaux & négligée
dans d'autres.
Les rôles ont été fort bien remplis par
MM. Clairval , Julien & Nainville , &
par Meſdames Trial , Colombe & Billioni .
A la première repréſentation , le rôle de
Jacinthe étoit joué par Mde Dugazon. Elle y
a reçu des applaudiſſemens, que ceux qu'on
adonnés depuis à Mde Billioni n'ont point
fait oublier.
SCIENCES ET ARTS.
GRAVURES.
V
UES principales du Canal de Languedoc , en
plan d'élévation , tirées du Cabinet du Sieur Girard,
Peintre & Opticien , de l'ancienne Académie de Saint
Luc , propoſées par ſouſcription.
Le but que l'on s'eſt propoſé eſt d'animer le Spectateur
, en lui repréſentant dans une ſuite de tableaux
le Canal de Languedoc pris dans ſes plus beaux
accidens , & en joignant à l'objet principal les charmes
d'unpayſage vrai & pittoreſque. Cette ſuiteintéreffantecontiendra
onze vues , ſavoir ;
DE FRANCE.
307
1. Vue du grand réſervoir de Saint- Ferriol dans
soute ſon étendue..
2 ° . Vue du même réſervoir , priſe en face de cette
muraille de cent pieds de hauteur.
3 °. Vue du Port de Cette , & de la Ville placée en
amphithéâtre ſur le penchant d'une montagne iſolée.
4° . Vue de la chauffée mobile de la rivière d'Orb ,
&d'une partie de la Ville de Béziers , ſituée ſur une
éminence.
5º. Vue des huit écluſes de Fonferanne , qui élèvent
les barques ſur la montagne , & les defcendent
au niveau de la plaine.
6°. Vue de lamontagne percée, appelée la voûte
deMalpas.
7°. Vue du grand pont-aqueduc de Cefle , à trois
arches, ſur lequel paiſſe le Canal , tandis que la rivière
de Ceffe paffe deſſous le Canal.
8 °. Vue du Canal qui traverſe la rivière d'Ognon
fur le ſommet d'une montagne , & d'une très-belle
caſcade que forme cette rivière en tombant de la
montagne.
9º . Vue du Canal de la Redorte.
10º. Vue du grand baffin du Canal devant la
Ville de Castelnaudary , ſituée en amphithéâtre fur
un coteau .
11º . Vue de la Ville de Toulouſe & du Port où ſe
termine le Canal dans la Garonne .
On ſouſcrit à Paris chez ledit ſieur Girard , rue
Saint Martin , vis-à-vis la rue Oignard , au-deſſus
du Miroitier , au ſecond étage ,& chez les principaux
Libraires , Graveurs , Marchands d'Eſtampes de Paris
&de l'Europe.
La ſouſcription ſera ouverte juſqu'à la fin dumois
de Février prochain , 1779.
308 MERCURE
On payera en ſouſcrivant .
En recevant le premier Cahier compoſe
...... 12 livres.
12 liv.
de fix Planches , dans le mois d'Août prochain
En recevant le dernier Cahier compoſé
de cinq Planches , avec l'explication , dans
le mois de Décembre ſuivant. ..... و liv.
;
33 livres.
Les premières épreuves ſeront délivrées aux premiers
Souſcripteurs , & l'on ſe réglera par les dates
des Souſcriptions.
Deux grands Planisphères célestes , projetés ſur le
plan de l'Équateur , avec un abrégé d'Aftronomie
pour leur uſage , dédiés & préſentés au Roi ; imprimés
avec l'Approbation & ſous le Privilége de
l'Académie des Sciences ; par le Père Chriſologne ,
Capucin. A Paris , chez Mérigot l'aîné , Quai des
Auguftins.
Les Petits Bouffons & le Petit Eſpiègle , deux
Eſtampes dans le genre groteſque , gravées par Cathelin
, Graveur du Roi , d'après les tableaux d'Eiſen
le père. A Paris , chez l'Auteur , rue du Doyenné
S. Louis du Louvre. Prix , 2 liv. 8. fols.
L'ACCUEIL
MUSIQUE.
'ACCUEIL favorable que le Public adaigné faire
au Mélange Muſical , ou Recueil d'Airs de M. Gilbert,
a déterminé l'Auteur à en extraire pluſieurs
morceaux qu'on a paru defirer , avec les parties
d'accompagnemens ſéparées , pour les exécuter plus
facilement dans les Concerts. Afin de ſatisfaire le
plus qu'il a pu aux différentes demandes qu'on lui a
DE FRANCE.
309
faites , il a formé un Recueil d'Airs , Romances &
Chanfons , avec accompagnement de Clavecin , ou
Piano -Forté , dont le prix eſt de 4 liv. 4 ſols. Pluſieurs
morceaux détachés , tels que l'Invocation aux
Amours & aux Grâces , l'Élégie ſur la mort de l'Oiſeau
de Lesbie , & la Scène des Frères Ennemis
Tragédie de Racine , deux autres Ariettes; le tout
aux Adreſſes ordinaires de Muſique.
1
Symphonic pour le clavecin , par M. Romain de
Braſſeur , OEuvres III & IV. Prix , 9 liv. chaque.
Deux Concerto pour le clavecin ou le forté-piano ,
par M. Charpentier , Organiſte de Saint-Paul. Prix!,
9 liv.
Recueil d'Airs , avec accompagnement de harpe ,
par M. Emich. Prix , 6 liv. Se trouve à Paris , chez
M. Michaud, rue des Mauvais-Garçons, proche celle
de Buffy , & aux adreſſes ordinaires de Matique.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
CONFÉRENCES Ecclésiastiques du Diocèse d'An
gers , nouvelle Édition des quatorze premiers volumes
, revue , corrigée & augmentée par l'Auteur
des cinq derniers de la continuation. 15 vol. in-12.
Prix , 3 liv. le volume. A Paris , chez Pierre-François
Gueffier , Libraire-Imprimeur , au bas de la rue de
laHarpe , 1778. 형
Cette nouvelle édition des Conférences d'Angers
ne diffère des précédentes , que par des Additions
qu'on y a faites pour donner plus d'étendue aux
idées de fon premier Auteur ,&jeter plus de lumières
ſur ſes ſentimens dans différentes queſtions qui en
étoient fufceptibles...
310 MERCURE
M. Babin , Auteur deſdites Conférences , les avoit
lui-même revues plus d'une fois dans les diverſes
éditions qui ont étédonnées pendant qu'il vivoit. Les
mêmes ſujets ont été préſentés juſqu'à trois fois dans
les Conférences du Diocèſe , & l'on a profité des obſervations
qu'ont occafionnées ces nouvelles difcuffions.
Du reſte, on a reſpecté par-tout le texte de M.
Babin, fans ſe permettre d'y faire le moindre changement
, pas même dans l'expreſſion qui a le mérite
de la clarté & de la préciſion. C'eût été gâter ſon
ouvrage , ſans lui donner une nouvelle perfection.
On a ſuivi par-tout le même ordre de queſtions. Les
changemens fur cet article euſſent rendues les citations
méconnoiſſables dans les divers ouvrages , où
l'on ne les trouve que d'après les premières éditions.
On ne s'eſt preſque jamais écarté des fentimens de
M. Babins feulement lorſqu'on s'eſt apperçu qu'ils
pouvoient ſouffrir quelques difficultés, on l'a indiqué
, ou l'on a fait quelques légères additions pour
développer davantage ſa penſée , & tirer quelques
conféquences de pratique , qui ne ſe préſentent pas
d'abord toujours à l'eſprit.
Pour mieux remplir ces vues , on a confulté les
Auteurs de morale les plus eſtimés, qui ont écrit depuis
M. Babin , dont on a tiré ce
venir à ſes Conférences , en ſe bornanr uniquement qui paruconà
ce qui pouvoit donner de nouveaux éclairciffemens.
a
On a publié dans les Affiches de Besançon , l'extrait
de l'éloge du P. de Bardonnauche , Prêtre de
l'Oratoire , Supérieur du Collège d'Angers , dans
lequel on lui fait honneur des derniers volumes des
Conférences d'Angers. On applaudit volontiers aux
éloges qu'on ydonne à cet illuftre Oratorien ; mais
pour rendre hommage à la vérité , on eft obligé
d'avertir que le P.
Bardonnauche n'a eu aucune part,
DE FRANCE.
317
s
ni de près ni de loin , aux Conférences da Diocèſe
d'Angers.
Fastes Militaires , ou Annales des Chevaliers
Taishou des Ordres Royaux & Militaires de France , au
Service ou retirés , & des Gouverneurs , Lieutenans
mell de Roi , & Majors des Provinces & des Places du
Royaume , contenant le temps de leurs ſervices , leur
grade actuel ou celui de leur retraite ; la date de leur
de réception dans l'Ordre ; le nombre des affaires de
guerre où ils ſe font trouvés ; le nombre & la nature
des bleſſures qu'ils y ont reçues , ainſi que les grâces
qu'elles leur ont méritées de la part du Roi ; des précis
généalogiques & hiſtoriques ; des notes , des anecdotes
relatives aux grandes actions guerrières , civiles
ou morales des Chevaliers , de leurs Ancêtres , ou
d'autres Militaires ; enfin tous les détails qui pourront
conſacrer légitimement leur gloire , ou y ajouter un
nouvel éclat. Préſentés au Roi & à la Famille Royale ,
par M. de la Fortelle , Lieutenant de Roi de Saint-
Pierre-le-Moutier. Deux volumes in- 12. Prix , 8 liv.
brochés. A Paris , chez Lambert , Imprimeur-Libraire,
rue de la Harpe ; Onfroy , Libraire , quai des Auguſtins
; Valade , Libraire , rue Saint-Jacques ; &
chez l'Auteur , rue du Four Saint Germain , maiſon
de Madame Prévôt , près la rue de l'égoût , 1779 .
AvecApprobation & Privilége du Roi.
8,
Les perſonnes qui ſe ſont fait infcrire font priées
de faire prendre leurs Exemplaires chez Lambert ,
Imprimeur-Libraire, rue de la Harpe.
La Vie Militaire , politique & privée de Demoifelle
Charles- Geneviève - Louiſe- Auguste-Andrée-
Thimothée Eon ou d'Eon de Beaumont , Écuyer ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , ancien Capitaine de Dragons & des Volontaires
de l'armée,Aide-de-Camp des Maréchal
312 MERCURE
1
Comte de Broglie , ci-devant Docteur en Droit Civil
&en Droit Canon , Avocat au Parlement de Paris ,
Cenfeur Royal pour l'Hiſtoire & les Belles-Lettres ;
envoyé en Ruffie d'abord ſecrètement , puis publiquement
avec le Chevalier Douglas , pour la réunion
de cette Cour avec celle de Versailles ; Secrétaire
d'Ambaſſade du Marquis de l'Hôpital , Ambaſſadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire de France près Sa
Majefté Impériale de toutes les Ruffies ; Secrétaire
d'Ambaſſade du Duc de Nivernois , Ambaſſadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire de France en Angleterre
pour la conclufion de la Paix ; Miniſtre réfident
près cette Cour après le départ du Duc de Nivernois
; erfin Miniſtre Plénipotentiaire de France à la
même Cour , & connuejuſqu'en 1777 , fous le nom
de Chevalier d'Eon. Par M. de la Fortelle , in- 8 °.
Prix, 3 liv. broché.AParis, chez les mêmes Libraires,
Almanach du Voyageur , à Paris&dans les lieux
les plus remarquables du Royaume , année 1779 .
Prix , 1 liv. 4 fols broché. A París , chez Hardouin ,
Libraire , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois.
On trouve chez le même Libraire les Etrennes
des Femmes illustres ; le Tribut des Muses, ou Choix
de pièces fugitives , tant en vers qu'en profe , dédié
auxMânes deM. de Voltaire. AParis , chez Grangé ,
rue de la Parcheminerie ; & Monory , Libraire , rue
de la Comédie Françoiſe.
Le Petit Rien , Almanach Chantant , ou Recueil
des Chanſons nouvelles fur des airs connus , pour
l'année 1779 & les ſuivantes. AParis, chez Monory ,
Libraire. Frix , 1 liv. 4 fols.
Voyez lafuite des Annoncesfur les troispages
de la Couverture.
:
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 2 Décembre.
Le Chevalier Emo & le Baron Van-Haaften ,
Ambaſſadeurs , l'un de la République de Veniſe
, & l'autre des Etats-généraux des Provinces-
Unies , après avoir eu tous deux leur audience
du grand-Vifir , ont été admis à celle duGrand-
Seigneur; le Chevalier Emo le 24 du mois dernier
, & le Baron Van- Haaften , le premier de
ce mois. Au fortir de leurs audiences , les Ambaſſadeurs
furent gratifiés chacun d'une péliffe
de prix , & quelques - unes des perſonnes de
leur fuite reçurent des préſents ; quatre du cortege
de l'Ambaſſadeur de Hollande , reçurent
des Kierekies qu'on eſtime beaucoup plus que
des Caftans , & que juſqu'à préſent on n'avoit
encore accordés qu'à la ſuite de l'Ambaſſadeur
de France.
Ce Miniſtre continue d'avoir de fréquentes
conférences avec les principaux membres du
Divan ; on aſſure que c'eſt à ſes bons offices &
à ſes inſtances réitérées , que les Capitaines des
navires Ruſſes arrêtés dans ce port depuis plus
d'un an , viennent enfin d'obtenir la permiffion
de fortir du canal pour ſe rendre dans la mer.
Noire ; on eſpère que ſa médiation aura l'effet
qu'on en défire , & qu'il parviendra à accommoder
les longs différends qui diviſent la Ruſſie
&laPorte.
25 Janvier 1779 、
(314 )
Sultan Méhémet, le plus jeune des fils du
Grand-Seigneur , eſt mort le 17 du mois dernier
, d'une fièvre maligne , après une maladie
de cinq jours. Le corps de ce Prince fut tranfporté
le lendemain avec les cérémonies en uſage
pour les obſéques des enfants de la famille Impériale,
dans la Moſquée du Sultan Méhémet ;
leMuphti préſida au convoi , auquel afſiſtèrent
le grand Vifir & les principaux Miniſtres de la
Porte.
Selon les lettres de Smyrne , les ſecouffes
de tremblement de terre s'y font encore fait
fentir les 24 & 30 Octobre , & les 1, 3 , 4, 5, 7
& 16 Novembre dernier ; celles du 5 & du 16
furent fur-tout ſi violentes , qu'elles causèrent
une confternation générale ; les inquiétudes&
les allarmes des habitans de cette ville , ſe renouvellent
fans ceffe.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 10 Décembre.
La fête de l'Impératrice a été célébrée le sde
ćemois ; il y a eu gala ce jour- là à la Cour , &
grand dîner chez le Comte d'Oftermann, Vice-
Chancelier de l'Empire , pour les Miniſtres
Etrangers. Le foir M. de Nariſchkin , grand
Ecuyer , donna dans ſon hôtel un grand fouper&
un bal auxquels l'Impératrice lui fit l'honneur
d'affifter .
Cette fête brillante a malheureuſement donné
lieu à quelques défordres. Les Intendants de la
ferme générale, voulant y faire participer le
peuple , lui donnerent une cocagne qui leur a
coûté plus de 20,000 roubles ; l'intempérance
a été funeſte à un grand nombre de citoyens qui
ſe ſont battus ; plufieurs font morts fur laplace,
d'autresbleffés & hors d'état de ſe traîner chez
( 315 )
eux, font reſtés dans les rues expoſés toute la
nuit à un froid rigoureux , & ont péri . Suivant
les rapports de la Police , elle en a déja fait
enterrerplusde 200.
Le 7 , on a célébré la fête de l'ordre militaire
de S. George ; l'Impératrice a dîné en public,
après avoir tenu unChapitre dans lequel
leGénéral -Major de Klitschka , nommé récemmentGouverneur
d'Irkurtsk en Sibérie , a
été avancé au rang desChevaliersde la ſeconde
claſſe. Il étoit auparavant Gouverneur deNovogorod
, où il a été remplacé par le Brigadier
de Protoflow . Le Gouvernement de Plefkow
a été donné au Lieutenant-Général de Manfurow
; & pendant l'abſence du Prince de Repnin,
le Lieutenant -Général de Scherbimin ,
fera les fonctions de Gouverneur-Général de
Smolensk.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 20 Décembre.
Le Roi vient de renouveller le placard de
1759, par lequel il eſt défendu aux Marins fujets
du Roi , de s'engager fur des navires armateurs
desPuiſſances belligérantes , & de fervir
ſur de pareils navires , ſous peine pour ceux
qui y contreviendront , & qui feront arrêtés ,
d'être rigoureuſement punis ; ceux qui ne pourront
l'être perſonnellement , perdront tout ce
qui leur appartiendra en propriété ou par héritage
dans leur patrie ; ceux qui étant déja engagés
à ce ſervice , ne le quitteront pas auffitôt
qu'ils feront inſtruits de l'ordre du Roi ,
qui ſera publié dans les endroits requis , feront
punis de la même manière que les précédents.
Par une ſeconde Ordonnance , S. M. a renouvellé
PEdit du premier Décembre 1771 ,
concernant l'exportation du ſeigle étrangerpour
Ο 2
(316 ) 1
4-
اد
l'uſage des Duchés de Sleſwick , Holſtein , la
Seigneurie de Pinneberg , Altona & le Comté
de Rantzau ,
La maison d'education de Chriſtianshaven ,
a fabriqué cette année 346,150 pieces de toile ,
tant fine quegroſſière.
Le nombre des naiſſances dans le Diocèſe
d'Aarhuus en Jutlande , a été de 3840 , dont
1968 garçons , & 1872 filles , parmi leſquels
on ne compte que 161 bâtards : il y a eu 1139
mariages & 3290 morts ; parmi ces derniers un
a eu l'avantage de pouffer ſa carrière au-delà
d'un fiécle , 7 ont vécu depuis 90 à 100 ans ,
& 59 ont atteint l'âge de 80 à 90.
SUÈDE.
De SтоскHOLM , le 20 Décembre.
LES Etats , outre le don qu'ils ont accordé
au Duc de Sudermanie , viennent d'offrir au
Prince Royal nouveau né , en qualité de parreins
de ce Prince , un préſent de 18 tonnes
d'or , qui font 300,000 rixdahlers . Ils ſe propoſent
de prier S. M. d'accepter auſſi un préfent
de 20 tonnes d'or.
A l'occaſion de la naiſſance de ce Prince , le
Roi a accordé un pardon général. Tous ceux
qui ont quitté ou déſerté le Royaume , en conſéquence
de quelques-uns des crimes ſpécifiés
dans l'amniſtie , font libres d'y revenir à leur
gré , ſans crainte d'être inquiétés à l'occaſion
de ces délits . Ils doivent ſeulement retourner
dans leur patrie dans l'eſpace d'un an , à compter
du jour de la publication de l'Edit , ou du
moins ſe préſenter dans cet intervalle à quelqu'un
des Miniſtres de S. M. réfidant en pays
étrangers.
Pluſieurs membres de la Diète font , dit-on ,
à la veille de leur départ , cependant les affaires
( 317 )
dont cette afſſemblée s'occupe , ne font pas encore
à leur fin; il y en a un grand nombre qui
ne peuvent être terminées de ſi tôt.Une de celles
dont les députés des villes s'occupent actuellement
, eſt l'examen d'un projet dont le but eſt
d'offrir le moyen le plus avantageux de prévenir
les incendies dans les villes , & de les arrêter
promptement lorſqu'ils ſe ſont manifeſtés
malgré les précautions priſes à cet effet .
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 25 Décembre.
i 1..
Le Roi n'épargne rien pour faire oublier à
cette ville les maux qu'elle a eu à fouffrir pendant
les derniers troubles qui ont agité ce
Royaume , & pour la rétablir dans un état floriffant
. On se flatte du ſuccès de ſes ſoins bienfaiſants
; mais ils ne peuvent agir qu'avec lenteur
; l'autorité qui lui feroit néceſſaire pour
leur donner l'efficacité , lui manque , & la Na
tion qui le voit ne peut y remédier ; elle n'a pas
le droit de rien changer à ſa conſtitution , qui
n'eſt point fon ouvrage ; & les étrangers qui
l'ont forcée à la recevoir , veillent à ce qu'elle
n'y faſſe aucune altération.
S'il faut en croire le bruit général , ce n'eſt
pas parce que le nouveauCode de loix a befoin
de correction , qu'on én a renvoyé l'approba->
bation à la Diète prochaine ; on a fimplement
cru que les circonstances n'étoient pas favora->
bles pour le préſenter à la dernière ; quelquesunes
des réformes qu'il contient , intéreſſent le
Clergé , qui ne les a pas vues de bon oeil , &
qui avoit préparé d'avance des oppofitions au
Code en général. On eſpère prendre des me.
fures qui préviendront les oppofitions une autre
fois. La Cour a négocié avec le Saint Siége
Ο 3
१
( 318 )
dont elle s'eft , dit-on , afſuré l'appui. L'Abbé
Ghiggiotti , Conſeiller privé du Roi , arrive de
Rome. On ne doute pas qu'il ne vienne rendre
compte de fa miſſion, dont il ne tranſpire rien ;
mais on remarque depuis fon retour , beaucoup
de mouvements parmi les Eccléſiaſtiques .
Il y a eu ici pendant la tenue de la Diète , une
quantité conſidérable de Juifs ; ilſe retirent infenſiblement
tous les jours depuis qu'elle s'eſt
ſéparée . Il en reſte cependant encore beaucoup ,
parce qu'ils ont obtenu la permiffion de trafiquer&
de vendre dans cette ville, pourvu qu'ils
faffent leur commerce en gros. Il y en a plufieurs
logés dans le Palais du Prince Primat.
Il ſe répand depuis quelques jours un bruit
fourd , qui excite beaucoup de curiofité ; mais
qui eft encore bien vague ; on dit qu'un Seigneur
diftingué avoit formé des projets dangereux,
mais qu'ils ont été découverts , & qu'il a été
arrêté & enfermé lui-même dans une fortereſſe
dont, felon ſon plan , il de voit s'emparer pour
la remettre à des troupes étrangères.
ALLEMAGNE.
DE V「IIEENNNNE , le 30 Décembre.
Un courier de Verſailles arrivé le 25 de ce
mois , às heures du ſoir , a apporté la nouvelle
de l'heureuſe délivrance de la Reine de France ,
& de la naiſſance d'une Princeſſe. M. le Baron
de Breteuil ſe rendit fur-le- champ à la Cour
pour annoncer cet évènement à LL. MM. II .
&R.
Le 20 l'Empereur fit la cérémonie de décorer
de la barrette les Cardinaux de Frankenberg
& de Bathiany. Leurs Eminences firentdes préſents
magnifiques à l'Abbé Ruſpoli , qui avoit
été chargé de la leur apporter à Vienne.
T
:
( 319 )
Jeudi dernier le feu prit à un petit village
éloigné d'une lieue de cette capitale , & près
du château de Schonbrunn. Le vent étoit trèsviolent
, & le feu confuma en très - peu d'heures
la maiſon de la communauté , le Présbitère
, & quatre autres édifices. Il auroit étendu
plus loin ſes ravages , ſi l'Empereur n'étoit
accouru ; ce Prince ſe trouva tout- à- coup au
milieu des travailleurs occupés à l'éteindre
dans un moment , où l'on ne penſoit pas qu'il
pût être inſtruit de cet accident. Il fit abattre
quelques maiſons pour empêcher la communication
, & fauva ainſi l'Egliſe du village & pluſieurs
habitations que le feu n'auroit fansdoute
pas épargnées.
Pendant qu'on parle de paix par- tout , &
qu'on l'annonce même dans pluſieurs papiers
publics , on continue avec beaucoup d'activité
les préparatifs pour la campagne prochaine. La
Hongrie & la Pologne ſe ſont engagées à fournirun
certain nombre de troupes ; on affure
que dans nos provinces Polonoiſes , on met
ſur pied , un corps de 800 dragons & de 800
hommesd'infanterie ; un fecond corps de 1100
hommes , un troiſième de croates & de huffards
, dont le nombre n'eſt pas déterminé , &
un quatrième de hullans , compoſés de 1100
gentilshommes.
Le zèle des Hongrois n'eſt pas moindre , indépendamment
des troupes que ce Royaume
en général doit fournir , quatre Négociants ſe
font chargés de lever à leurs dépens un bataillon
franc. Ces bons patriotes dont les noms
méritent d'être connus , font MM. Popowicz ,
Eziganskin , Nikolich& Kronovics.
Ο 4
( 320 )
4
De HAMBOURG , le 30 Décembre.
LES affaires de l'Allemagne fixent toujours
l'attention des ſpéculatifs , qui cherchent dans
Jes mouvemens qu'ils obſervent , des inductions
qui puiſſent ſervir à fonder- ou à détruire
les eſpérances de paix dont on parle depuis
quelque-tems. Les diſpoſitions des Cours de
Vienne & de Berlin, à convenir d'un échange
réciproque des prifonniers qu'elles ont faits &
des ôtages qu'elles ont enlevés , ſembleroient
fortifier ces eſpérances. Sebaſtiansberg , petite
Ville de Bohême , ſituée ſur les montagnes
qui bordent les frontières de la Saxe , a été
choifie pour le rendez-vous des Commiffaires
chargés de traiter de ces échanges. Le Baron
de Pofadowski , Général-Major Pruffien , s'y
eft rendu le 12 de ce mois
& y été reçu
par le Général Impérial , Comte de Montinartin.
Le Général de Ramin & les Généraux
Impériaux de Wurmfer & de Brown ,
étoient convenus quelque-tems auparavant que
Jeurs patrouilles ne pafferoient point les frontières
réciproques , & ne maltraiteroient en
aucune manière les ſujets reſpectifs , en leur
impofant des contributions , en exigeant des
livraiſons de fourrages , ou en commettant aucun
excès quelconque. Selon pluſieurs lettres
de la Luface , on a donné avis de cette convention
à tous les pottes avancés.
a
Si on la regarde dans cette partie du théâ
tre de la guerre comme une ſuſpenſion d'hoftilités
, elles continuent dans la haute Siléſie ,
où les Pruffiens confervent leur ancienne pofition
, & harcellent les Autrichiens autant
que la ſaiſon le permet. Les mouvemens ref
pectifs des deux armées , les renforts qu'elles
ont reçus , le départ du Maréchal de Lar
7
( 321 )
dohn, pour la Moravie , où l'on affure qu'il
ſe diſpoſe à ſe rendre inceſſamment , les préparatifs
immenfes qui ſe font dans les Etats
de la Maiſon d'Autriche & dans ceux du Roi
de Pruffe , ne donnent pas beaucoup de confiance
au fuccès des
négociations qu'on dit
commencées à Vienne par le Baron de Breteuil
& le Prince de Gallitzin , mais dont on
ignore également la marche & les progrès . Ce
qui contribue à entretenir l'incertitude & le
doute , ce font les difficultés bien connues
qu'il faut d'abord lever . Si d'un côté la Maifon
d'Autriche ne peut ſe déguifer que l'occupation
de la Bavière a donné de l'inquiétude
à l'Allemagne dont les Princes allarmés de
ſesvue
d'agrandiſſement , ont négocié les uns
avec les autres , & tendent à refferrer les liens
qui les uniffent pour la confervation de leur
liberté commune & le maintien de leurs droits ,
elle fait en même tems qu'elle s'est trop avancée
pour reculer tout- à- coup & renoncer à toutes
ſes prétentions . 11 s'agit de fixer celles qu'elle
conſervera , & la partie des Pays qu'elle occupe
que le traité lui affurera. Une guerre heureuſe
& des victoires applaniroient ces difficul.
tés que des négociations ne feront diſparoître
que lentement ; pour la continúer , elle auroit
beſoin de raffurer l'Empire pour l'empêcher
d'yprendrepart,&d'affoiblir l'effet de l'alliance
de la Ruffie & de la Pruffe , ou du moins les
ſecours que la première peut fournir à fon alliée
. C'eſt dans ce deſſein qu'elle s'occupe , diton
, à oppoſer des obſtacles à la paix que cette
dernière négocie avec les Turcs ; ſes Agens
croiſent à Conftantinople les meſures que pren.
nent pluſieurs Puiſſances pour effectuer l'accommodement
; on prétend qu'ils travaillent à
inſpirer des ſentimens guerriers au nouveau
Grand- Vifir , & qu'ils ont réuffi à foutenir
Ος
( 322 )
dans ſa place le Capitan Bacha , dont les partiſans
de la paix defiroient l'éloignement.
En attendant que les faits remplacent ces ſpéculations
& les confirment ou les détruiſent ,
on apprend que le Prince de Repnin ett arrivé
le 17 de ce mois à Breſlau , ſur le foir ,à la
clarté de plus de cent flambeaux ; il aura le
commandement en chef des troupes que fa Şouveraine
deſtine à agir en faveur du Roi de
Prufſe ; mais il reſtera auprès de S. M. & les
troupes feront conduites par le Lieutenant-
Général Kamenskoi : elles confiftent en 19 bataillons
d'infanterie , 2 régimens de cavalerie ,
2de dragons , 2 de huffards & sooo coſaques...
Les efforts de l'Angleterre , pour ſe procurer
de nouvelles troupes en Allemagne , n'ont
pas eu plus de ſuccès pour l'année prochaine
quepour celle-ci; tout ce qu'elle a pu obtenir des
Princes avec leſquels elle avoit d'abord traité,
ce font les recrues néceſſaires pour completter
les corps qu'ils ont déja fournis . On
raffemble actuellement les recrues de Heffe-
Caffel , d'Anſpach , de Hanau & de Waldeck;
elles doivent partir dans peu de tems pour ſe
rendre à leur deſtination.
Les eſpérances que cette Puiſſance avoit dans
les ſecours de la Ruſſie n'ont jamais eu aucun
fondement ; l'Ordonnance rendue il y a quelque
tems par l'Impératrice , pour que les Américains
ne troublaſſent point la tranquillité de la
navigation des mers du nord , ne devoit pas
foutenir ces eſpérances , puiſque les bâtimens
des Etats-Unis , qui vont faire le commerce
enRuffie , font bien reçus dans tous les ports
de l'Empire. La conduite de l'Angleterre eſt
plus propre à lui faire des ennemis que des
alliés. On dit que la Cour de Kuffie avoit
propoſé à celle de Danemarck d'équipper une
flotte combinée , pour la protection du com(
323 )
merce des Anglois ,dans leurs Etats reſpectifs
&dans la mer du nord ; le Roi de Danemarck
lui repréſenta qu'il étoit plus convenable de
former une confédération dans le nord , pour
y protéger le commerce de toutes les Puiffances
neutres contre les inſultes des Anglois ,
& il l'invita en conféquence à ſe joindre à lui
& au Roi de Suède pour cet effet. Son Miniftre
à Stockholm , ajoute-t-on , a eu ordre de
faire une pareille invitation à cette Cour , qui
a chargé le ſien à Pétersbourg , de ſe concer-'
ter fur ce ſujet avec le Ministère Ruſſe .
On mande de Stockholm une anecdote qui
nous en rappelle une plus ancienne , qui s'y
lie naturellement & qui ajoute à l'intérêt de
la dernière. Le voyage du Roi de Suède ,
dans l'intérieur du Royaume à la fin de 1772 ,
fur marqué par divers traits les uns finguliers
les autres touchans , que l'hiſtoire omettra
ſans doute , mais dont on ſera bien aiſe
à préſent d'être inſtruit. Ils peignent les fentimens
du peuple pour le Monarque ; ce témoignage
général , qui ſe manifeſte ſous tant
de formes différentes , ne fauroit être plus
flatteur. Lorſque le Roi reconnoiſſoit les environs
du Swine-Sund Norvégien , le batelier
Lars , le même qui avoit tranſporté fur la rive
Suédoiſe les habitans de Norwège, qui avoient
defiré voir le Souverain , ſe préſenta auſſi devant
lui & le harangua avec cette franchiſe
qu'on appellera peut-être familiarité dans les
pays où l'on n'approche pas des Rois , & où
on ne les regarde qu'avec le reſpect froid
qu'inſpire leur grandeur. » V. M. a paffé trop
près de mon habitation pour qu'elle trouve
mauvais que je lui ſouhaite la bienvenue . J'ai
amené avec moi ma femme , deux de mes fils
& ma belle-foeur , pour partager ma joie &
le bonheur de la voir : joſe eſpérer qu'elle le
06
( 324 )
leur permettra «. Le Monarque , dans ce dif
cours auquel un autre , ſans être Roi , auroit
trouvé peut-être au-deſſous de lui de répondre
, ne vit qu'un empreſſement qui le flatta;
il y répondit avec ſon affabilité & ſa ſenſibilité
ordinaires ; & le batelier , pendant qu'il
envoyoit chercher ſa famille , continua d'entretenir
le Prince. Il y a long-tems , lui dit-il ,
que votre famille occupe le trône ; il y a 300
ans que la mienne eſt en poffeſſion de l'emploi
de batelier du Sund. Le Roi lui demanda s'il
comptoit laiſſer cet emploi à ſon fils : fans
doute , lui répondit- il , l'aîné de ma maiſon
a toujours pris la rame auſſi-tôt que ſes forces
le lui ont permis , pour aider fon père :
j'ai rendu ce ſervice au mien ; mon fils me le
rend à fon tour. Le Roi fit approcher l'enfant
& le careffa ; les entrailles du père s'émûrent,
& dans un moment d'enthouſiaſme il s'écria :
je mourrois content fi je pouvois un jour rendre
à Guftave l'honneur & le plaifir qu'il me
fait. Que n'avez-vous un fils que je puiffe careffer
à mon tour ! Le batelier Lars eſt venu
à Stockholm depuis la couche de la Reine ;
le Roi l'a apperçu ſe promenant aux environs
du château ; il l'a reconnu , & ſe rappellant
l'anecdote que nous venons de rapporter , &
le voeu qu'il avoit formé en 1772 , il s'eft
empreſſé de le remplir à la fin de 1778 ; il l'a
fait venir , & l'a conduit auprès du Prince
Royal : voilà mon fils, lui a-t- il dit , tu defirois
lui rendre les carefſes que j'ai faites au
tien ; embraffe-le. Le batelier eft tombé à
genoux & a imploré les bénédictions du Ciel
fur le père & fur le fils.
*
( 325 )
De RATISBONNE , le 30 Décembre.
La Diète a tenu ſa dernière ſéance le 18 de
ce mois , & a fixé la durée des vacances de
Noel , juſqu'au I I Janvier prochain. Le Baron
d'Aflebourg , envoyé de Ruffie , ry a point
fait encore de déclaration formelle ; elle n'aura
fans doute lieu qu'après qu'il ſe ſera accrédité ;
en attendant il a fait remettre à pluſieurs Miniſtres
une copie de celle que ſa Souveraine a
faite à la Cour de Vienne , en y ajoutant que
l'Empire doit être certain , qu'en qualité de médiatrice
& d'alliée du Roi de Pruffe , l'Impératrice
ne tardera pas à donner les preuves les
plus manifeſtes de l'intention où elle eſt d'agir
efficacement , & d'employer tous les moyens
qui dépendront d'elle en faveur de S. M. Pruffienne
& de tous les amis qu'elle peut avoir en
Allemagne.
C'eſt à ſa rentrée que la Diète s'occupera
vraiſemblablement de l'affaire de la ſucceſſion
de Bavière ; ce n'eſt pas qu'on croie qu'elle y
ſoit portée , mais les Princes paroiſſent ſentir
la néceſſité de fonger aux moyens de leur défenſe
réciproque , & de former une armée pour .
cet effet. L'Empire n'en a point depuis longtems
, & il ſemble craindre par ce qui est arrivé,
qu'il ne ſe préſente des circonstances où elle
feroit néceffaire,& où cette négligence pourroit
avoir des ſuites : s'il en avoit eu une , la guerre
actuelle n'auroit vraiſemblablement pas éclaté.
( Suite du Mémoire du Roi de Pruſſe ) .
Mais la Cour de Vienne la force à cette manifef
tation , puiſquelle perſiſte à nier les faits les plus
notoires dont elle croit ne pouvoir pas être convaincue
, puiſque contre toute vérité , contre toute
vraiſemblance , & contre ſa propre perfuafion , elle
oſe attribuer , fans aucune preuve , à S. M. les vues
( 326 )
协
?
d'agrandiſſement , dont elle eſt elle-même convaincue,
puiſqu'enfin elle veut tourner la queſtion &
imputer à la Cour de Berlin d'avoir par menaces ,
par promeffes , & par d'autres moyens qui ne font
propres & naturels qu'à la Cour de Vienne , détourné
le Duc des Deux-Ponts , d'acquiefcer à la
convention du 3 Janvier. L'expoſé ſuccint de la négociation
du Comte de Gortz , prouvera évidemment
le contraire. On y trouvera , que le Roi ayant
vu la Cour de Vienne s'emparer d'une grande partie
de la ſucceſſion de Bavière , au préjudice irréparable
des héritiers , tant féodaux , qu'allodiaux , des maiſons
Palatine & de Saxe , ainſi qu'au renverſement
total du ſyſtême de l'Empire & des conſtitutions de
l'Allemagne , S. M. n'a fait qu'envoyer ouvertement
un Miniſtre à M. l'Electeur Palatin , & ce Prince
s'étant déja trouvé entraîné par la Cour de Vienne
à ſon ſucceſſeur immédiat M. le Duc des Deux-
Ponts ; que le Miniſtre du Roi n'a conſeillé rien au
Duc , que de ne point ſe précipiter , & de ne rien
faire à l'égard de la ſucceſſionde Bavière , fans l'avis
&la concurrence de ſes Co-Etats & de la France ,
puiſſance amie de la maiſon Palatine. S. M. a ſans
doute offert en même-tems à ce Prince ſes conſeils ,
ſon intervention amicale & fon appui contre toute
violence, mais fans aucune vue d'intérêt particulier
&uniquement pour le bien général. Le Roi croit
n'avoir rienfait en cela , qu'ilne puiſſe ouvertement
avouer comme conforme à la gloire & à fon devoir
de membre de l'Empire , & juftifier ainſi devant
tout le public honnête & impartial. La correſpondance
ci-deſſous annexée prouve la vérité de tout ce
qui vient d'être avancé , & l'on en appelle de plus
au témoignage de M. le Duc des Deux-Ponts , de
pluſieurs Miniſtres Palatins & même des Miniſtres
de France dans l'Empire , auxquels cette négocia
tion n'a point été inconnue. Le Roi ſe flatte d'avoir
à préſent manifeſté juſqu'à l'évidence , & par cet
expofé & par les déclarations faites juſqu'ici aux
( 327 )
hauts- Etats de l'Empire & à la Cour de Vienne ellemême
, la pureté , le déſintéreſſement & le but irréprochable
de toutes ſes démarches dans la ſucceſſion
de Bavière. Le public impartial ne fauroit y méconnoître
qu'elles n'ont eu & n'ont pu avoir pour
objet que le bien public de l'Allemagne & le maintiende
ſon ſyſtême. S. M. croit auſſi avoir en mêmetems
démontré & par des aveux de M. l'Electeur :
Palatin d'une autenticité incontestable & par tant
d'autres circonstances confonnantes , que le Miniftère
de Vienne n'a procuré à ſa Cour la convention
du 3 Janvier & l'occupation de la Bavirèe par aucune
voye juſte & permiſe , mais plutôt pardes menaces ,
par l'invaſion effective des troupes Autrichiennes &
par d'autres voies illicites . S. M. ne penſe donc
point bleffer L. M. I. , mais elle croit plutôt rendre
juſtice à l'élévation de leurs fentimens & à leur
amour pour la justice, en les requérant encore une
fois ici avec inſtance à la face de tout l'Empire &
de l'Europe , d'abandonner l'erreur de leur Miniftère
& de ſe défiffer entierement de ces prétentions
ſur la Bavière , dont elles doivent à préſent reconnoître
l'inſuffisance , on ſi elles ne peuvent pas encore
s'y déterminer , de renoncer du moins à l'occupation
illégale des parties de la Bavière & du Haut-
Palatinat dont elles ſe ſont miſes en poffeffion , & de
les reftituer à la maiſon Palatine. Si L. M. I. veulent
enſuire pourſuivre des prétentions fur quelques
parties de la Bavière , elles trouveront fans doute
conforme à la juſtice, que ce ſoit par les voies de
droit , comme elles y ont elles-mêmes ſi ſouvent
provoqué M. le Duc des Deux-Ponts , de manière
cependant , que dans un tel procès ce ne ſoit pas ce
Prince , mais la maiſon d'Autriche qui intervienne
comme demandeur. L. M. I. reconnoîtront fans
doute auli , qu'il s'agira de déterminer au préalable
par un accord amical de toutes les parties intérefſées
, ou par une déciſion de tout l'Empire , le Tribunal
, devant lequel une cauſe auſſi importante &
( 328 )
anſſi intéreſſante pour le bien & la tranquillitéde cet
Empire ſera portée & jugée. Les ſentimens d'équité
&de magnanimité de S. M. l'Empereur ne permettentpas
de ſuppoſer , qu'elle veuille , que les Tribunaux
ordinaires de l'Empire , où elle préſide & où
elle influe ſipuiflamment , prononcent dans unecaufe
dans laquelle elle eſt elle mêmepartie. Le Roi croit
pouvoir attendre , que non- feulement ſes hauts Co-
Erats, mais auffiles autres puiſſances qui prennent
part à l'affaire de la fucceffion de Bavière fi intereffante
pour toute l'Europe , prêteront quelque atten
tion aux circonstances fingulières qui ont été manifeſtées
dans ce Mémoire , & accorderont non- feule.
ment leur fuffrage aux concluſions que S. M. en tire ,
mais voudront auffi accéder enplein aux repréſentations
à réitérerà la Cour Impériale , ou aux mefures
à prendre à tout évènement.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 30 Décembre.
On annonce déja le retour prochain de LL.
AA. RR. le Grand-Duc & la Grande-Ducheffe
dans leurs Etats; on dit qu'ils doivent partir de
Vienne vers le to du mois prochain..
Un courier extraordinaire arrivé de Naples
le 20 de ce mois à l'Hôtel de l'Abbé Vernaccini,
Secrétaire de Légation du Roi des Deux-
Siciles , nous a appris la mort de l'Infant Don
Charles , Prince héréditaire des Deux-Siciles ,
arrivée le 17 de ce mois ; il étoit né le 4Janvier
1775 : ce courier eſt reparti fur le champ pour
Madrid , où il va porter cette fâcheuſe nouvelle.
On mande de Rome qu'on y a arrêté un grand
nombre de Chevaliers d'industrie & de gens
fans aveu , que l'ancien Barigel avoit laiffé ſe
multiplier dans cette grande ville. Parmi ces
malheureux , qui n'ont d'autre talent & d'autre
( 329 )
revenu que leur adreſſe& la fimplicité de leurs
dupes , quelques-uns avoient fait un coup affez
hardi & affez fingulier . Ils s'étoient rendus à
Rocca-Gorga , & s'annonçant comme les collecteurs
d'un nouveau rôle d'impoſition qui ,
diſoient- ils , étoit arrêté , ils avoient enlevé chez
les payſans une contribution conſidérable. Une
pareille friponnerie ne pouvoit pas être longtems
cachée ; lesprétendus collecteurs eurent
l'imprudence de reſter trop long- tems dans le
même lieu pour groffir les ſommes qu'ils recueilloient
on a envoyé des sbirres qui s'en
font faifis , & on travaille maintenant à leur
procès.
>> Deux Officiers de la Douane , écrit- on de
Cadix, ſe tranſportèrent il y a quelques jours
dans lamaison d'un marchand François , foupçonné
d'avoir chez lui des marchandiſes prohibées
. Le Prevêt du Conſulat , au moment où
ils commencèrent leur viſite , ſe mità crier au
voleur , afſurant que des brigands s'étoient introduits
dans la maiſon ; fon deſſein étoit de
détourner les Officiers de la Douane, ily réuffit ;
la foule ſe raſſembla devant la porte ; deux alcades
parurent & ſe faifirent d'abord des commis
, qu'ils relâchèrent enſuite lorſqu'ils furent
inſtruits de ce qu'ils étoient venu faire. Comme
cette affaire a fait beaucoup de bruit , on en a
informé la Cour , qui a ordonné au Prevôt , auteur
du trouble , de fortir de la ville dans 24
heures , & du royaume en 30 jours. Elle a fait
publier auſſi dans ce portun édit , portant qu'à
l'avenir toute maiſon commerçante , de quelque
nation qu'elle ſoit , pourra fur des ſoupçons fondés
, être viſitée ſans l'aſſiſtance du Conful ou
du vice-Conful. On ſe flatte cependant que cet
ordre ſera révoqué , parce qu'il pourroit occaſionner
de grands inconvéniens aux négocians
étrangers établis à Cadix . 1
( 330 )
On apprend de Lisbonne qu'il y eſt arrivé au
commencement de ce mois un navire Hollandois
, nommé le Prince de Beira , ayant à bord
223 perſonnes des deux ſexes , rachetées de l'efclavage
où elles étoient à Alger , par la bienfaifance
de S. M. Tous ces captifs à leur arrivée,
ſe ſont rendus proceſſionnellement à l'Egliſe
de la Trinité , pour remercier Dieu de
leur délivrance : leur rachat a coûté 203,383
piaſtres 506 reis.
La Gazette de Lisbonne du 8 de ce mois contient
l'article ſuivant . >> On vient d'apprendre
que deux vaiffeaux de guerre François & une
frégate de la même nation , ont mis à la voile
de la Corogne , dans le deſſein_apparemment
d'intercepter les bâtimens marchands Anglois..
qui font ici , prêts à retourner en Angleterre.
Les Commandans des 2 vaiſſeaux de ligne Anglois
& des 4 frégates de cette nation qui font
ici , ont pris la réſolution de mettre à la voile
avec les bâtimens marchands pour les eſcorter
& les protéger contre les entrepriſes que les
François pourroient tenter « .
ANGLETERKE.
DE LONDRES , le 10 Janvier.
La tempête qui s'eſt fait ſentir dans la nuit
du 31 du mois dernier au premier de celui- ci ,
acaufé beaucoup de dommages dans cette capitale
: lePalais de la Reine n'a pas été épargné;
Le Roi a été ſur pied toute la nuit , & peu s'en
eſt fallu que les jeunes Princes n'aient été écraſés
dans leur appartement par la chûte d'une
cheminée ; les Egliſes & les bâtimens publics
ont été également maltraités ; les navires fur
laTamiſe n'ont pas moins fouffert , & pluſieurs
ontpéri ou ontéchoué. C'eſt ſur-tout aux Dunes
que nos vaiſſeaux ont été le plus maltraités ;
( 331 )
tous ceux qui s'y trouvoient ont été arrachés
de la rade par la violence des vents , & on
ignore ce qu'ils font devenus.
Les 17 vaiſſeaux de ligne , 7 frégates & 3
flûtes deſtinés à convoyer 300 vaiffeaux marchands
pour les Indes Occidentales , ont été
forcés de relâcher à Torbay ; on ignore ſi ces
bâtimens qu'ils devoient eſcorter , ont réuffi à
ſe mettre à l'abri du gros tems. C'eſt le Lord
Shuldam qui commande cette eſcadre ; ſa miſſion
eft de conduire ſon convoi juſqu'à une certaine
hauteur,& de revenir avec 10 de ſes vaiſſeaux ;
les 7 autres prendront la route de l'Amérique
ſous les ordres du Commodore Rowley. Le
London & l' Yorck , vaiſſeaux de la Compagnie
des Indes ont péri ; le premier , richement
chargé , portoitdes provifions & des munitions
de guerre à Sainte-Helène , où l'on entretient
entems de guerre un magaſin pour l'ufage des
vaiſſeaux qui reviennent de l'Inde;delà il devoit
ſe rendre à Bencoolen & à la Chine ; ſa perte
a été occaſionnée par le choc du Ruffel qui a
dérivé fur lui ; le Ruffel a été rellement endommagé
lui- même , qu'on a été forcé de le
ramener , en le touant , à Spithead. La perte du
London eſt très-fâcheuſe dans ces circonstances ;
on fait qu'ily a beaucoup de vaiſſeaux à Sainte-
Helène , & qu'il n'y a point de provifions. Plus
onfent la néceſſité preſſante d'y en envoyer ,
plus on ſentvivement le retard que cet accident
va occafionner ; les murmures s'élèvent déja
detoutesparts contre leCommandant du Ruffel,
qu'on accuſe d'avoir fait une mauvaiſe manoeuvre
qui a cauſé ce malheur , & on ſemble defirer
qu'il en ſoit puni ; on parle même d'un
conſeil de guerre pour le juger , ainſi que les
Officiers qui font fous ſes ordres .
On attend avec impatience la rentrée du
Parlement ,& la féance dans laquelle le Lord
( 332 )
Northouvrira lebudget. Les ſommes accordées
par lesCommunes pour les dépenſes de la flotte
&de l'armée montent déja à 11,711,000 liv.
ſterl.; mais il y a encore quelques objets auxquels
il faut pourvoir , & qui porteront les
fubfides pour le ſervice de cette année , à
14 millionsft. , fans y comprendre les extraordinaires
de l'année précédente , qu'on n'évalue
pas à moins de 3 millions & demi qu'il
faut rembourſer. La taille & les droits fur la
drèche ne produiſent que 2 millions & demi ;
on compte une ſomme à peu-près égale dans
ce qui reſte dans le fond d'amortiſſement. If
s'agit encore de lever 12 à 13 millions , &de
pourvoir aux intérêts de la partie de cette
fomme qu'il eſt impoſſible de lever autrements
que par un emprunt. Le Ministère ſe propofe,
dit- on , de demander un don gratuit d'un million
, & d'en emprunter 2 à la Compagnie des
Indes; il ſe procurera les 9 à 10 autres par
un emprunt pour lequel chaque ſouſcripteur à
la fomme de 1000 liv. fterl. aura 60 pour cent
en annuités , 3 & demi pour cent pendant 29
ans , & 7 billets de loterie à 3 liv. fterl. de
profit chacun.
Nos Miniſtres comptoient il y a fix mois fur
les bourſes des Hollandois pour ſe procurer
les fonds extraordinaires; mais dans les cir
conftances actuelles , ils ne les trouveront pas
fi accommodans. Il n'y a point de rat , ditondans
un de nos papiers publics , qui connoiffe
mieux qu'un Hollandois le moment précis
où il faut abandonner un vaiſſeau qui va
couler à fond. Tels font les fruits amers de la
guerre d'Amérique , entrepriſe ſi légérement par
lapartie de la nation , qui la regardoit comne
un objet de peu de conféquence ; elle peut voir
encomptantles dépenſes déja arrêtées , qu'elle
lui coûte près de so millions ſterling , fans
(333 )
,
compter les pertes faites par les particuliers.
C'eſt à quoi ont abouti tous nos efforts , lorfque
nous avions toutes nos forces fraîches
& que les Américains étoient nos ſeuls ennemis.
C'eſt cependant après quatre ans de guerre
qui nous ont épuisé ſans nous avoir procuré
le plus foible avantage , lorſque la France s'eſt
liguée avec nos Colonies , que la majorité ne
ceffe de crier que loin de reconnoître leur indépendance
, il ne faut fonger qu'à les conquérir .
On ne conçoit pas l'opiniâtreté du Miniſtère
à vouloir continuer cette guerre malheureuſe ;
le manifeſte que le Congrès a oppoſé à celui
des Commiſſaires Britanniques , prouve que
loin de s'effrayer, il s'affermit dans ſa réſiſtance ,
& qu'il eſt déterminé à uſer de répréſailles ,
en vengeant les atrocités par des atrocités. On
ignore ce qu'ont pu rapporter les Commiſſaires,
s'ils ont pu ſe perfuader ou perfuader leurs
commettans que la foumiffion de l'Amérique
eſt poſſible. Le public n'a pas grande confiance
aux nombreux amis qu'ils prétendent que la
Grande-Bretagne a dans les Etats-Unis ; il n'a
pas faitgrand cas de l'adreſſe par laquelle les habitans
de New-Yorck ont fait leurs adieux au
Comte de Carlisle & à M. William - Eden ;
ilsne font pas étonnés qu'ils ſe ſoient exprimés
avec emphaſe dans cette pièce , lorſqu'ils fongent
que ceux qui l'ont ſignée ſont tenus en
reſpect par les troupes Royales qui les forcent
de renfermer avec beaucoup de foin leurs véritables
ſentimens dans leurs coeurs , & qui ne
manqueroient pas de punir ſévérement l'homme
affez imprudent pour les laiſſer éclater. On demande
comment il ſe fait que les Officiers qui
ont paffé quelques années en Amérique , qui
y ont fait toutes les campagnes , ont vu la fituation
des choſes d'une manière fi différente
que les Commiſſaires. >> Non-ſeulement , dit
( 334 )
leChevalier de Wroteſley , beau-frere duDuc
deGrafton , il me paroît impoffible de conquérir
l'Amérique , mais encore d'y faire une
.guerre offenſive. L'armée est actuellement fi foible
, qu'elle peut à peine ſuffire à la défenſive .
On affure qu'elle conſiſte en 28,000 hommes
effectifs; lorſque je ſuis parti , Sir Henri Clinton
n'en avoit que 16,000; depuis ce tems j'apprends
qu'on en a détaché sooo pour les envoyer aux
ifles , 2000 pour Hallifax & 2 régimens pour
renforcer lagarniſonde Rhode- Iſland. On peut
calculer ce qui reſte , & juger par ce qu'on a
fait de ce qu'on pourra faire encore avec une
augmentation de 14,000 hommes qu'on ſe propoſe
d'y envoyer. On m'accuſe , ajoute-t- il , de
m'être joint à l'Oppoſition,parce que dès le premier
jour de la ſéance j'ai voté contre la continuation
de la guerre ; pendant neuf ans j'ai
donnéma voixpour le Ministère , croyant qu'il
avoit raiſon ; aujourd'hui je la lui refuſe , parce
que je ſuis perfuadé qu'il a tort. J'ai reçu l'ordre
de partir pour l'Amérique ; je ſuis bien aiſe de
prévenir ceux qui l'ont fait donner , que fi leur
intention eſt de me fermer la bouche , ils emploient
un moyen bien mépriſable ".
Après avoir parlé avec beaucoup d'emphaſe
de l'état brillant de nos forces de terre , on
commence à fentir qu'avec ce grand nombre
d'hommes que le nouveau Miniſtre a comptés ,
il eſt difficile de faire paffer en Amérique tous
ceux dont on y a beſoin ; l'Irlande a été déja
dégarnie; le Roi avoit donné fa parole d'entretenir
toujours 12,000 hommes dans
Royaume pour ſa défenſe ; on n'y en compte
pas plus de 9 , & on ſe propoſe de les réduire
encore à 3 pour en envoyer 6000 au Général
Clinton qui , felon toutes les apparences , loin
d'avoir les renforts qu'il avoit demandés,n'aura
pas même la moitié de ceux qu'on lui avoit
promis.
cel
( 335 )
Depuis la relation de l'expédition d'Egg-
Harbour , le Gouvernement n'a point publié
de nouvelles d'Amérique ; tout ce que l'on en
fait , c'eſt que New-Yorck , dont l'évacuation
prochaine étoit annoncée , étoit encore occupé
par les troupes Royales à la fin de Novembre.
On est fort inquiet du fort de l'eſcadre de l'Amiral
Byron depuis la tempête qu'elle a afſuyée
aucommencement du même mois ; on dit qu'elle
a été tellement maltraitée, qu'elle a été obligée
d'aller ſe radouber à Hallifax , le ſeul chantier
que nous ayons conſervé en Amérique , & que
nous ſavons être dépourvu de tout ce qui eſt
néceſſaire à une flotte. Les papiers Miniſtériaux
ne manquent pas d'aſſurer que l'eſcadre du
Comte d'Estaing n'a pas moins ſouffert ; mais
nous ſavons que dans le tems de la tempête ,
elle étoit à l'abri dans la rade de Boſton , &
qu'elle n'en eſt partie qu'après la diſperſion de
celle de l'Amiral Byron , dont pluſieurs vaifſeaux
ont péri. On a cherché à détourner l'attention
en la portant ſur le continent , où nos
papiers font battre le général Washington ; peu
contens de ce triomphe , ils réparent l'Amiral
Byron , & lui font détruire encore l'eſcadre
Françoiſe ; mais ces nouvelles brillantes n'ont
pas affez de vraiſemblance pour nous raffurer ;
au moment où l'on diſoit que l'Amiral Barrington
attaquoit la Martinique, la frégate la Tamiſe
eſt arrivée de la Jamaïque le 3 de ce mois en
33 jours de traverſée ; elle a été dépêchée par
le Gouverneur Dalling & l'Amiral Parker ,
avec la déſagréable nouvelle qu'ils ont des avis
certains que les François alloient ſe porter fur
cette ifle , où on a mis un embargo général
fur so navires & 3 frégates , pour en employer
les équipages à la défenſe de l'ifle , où il n'y
aque soo hommes de troupes régléés& pas plus
de sooo livres peſant de farine.
( 336 )
Aces détails on en joint d'autres aſſurément
très-peu vraiſemblables , que tous nos papiers
du 7 de ce mois ſe ſont empreſſés de copier.
> J'ai à vous apprendre , dit-on dans une lettre
ſuppoſée écrite de Port-Royal dans la Jamaïque
, que deux Eſpagnols portant de longues
barbes & des habits craffeux , parurent il y a
environ 15 jours ( le 10 ou le 11 Septembre )
à Kingſton , fe rendirent au magaſin de M.
Roff , & lui dirent qu'ils étoient les enfans de
Dieu, envoyés pour prophétifer ; ils ſe vantèrent
du pouvoir de deſſécher la mer , de tranfporter
les montagnes ſur la Parade , & Port-
Royal ſur le ſommet des montagnes , de reffufciter
les morts ,& de détruire les vivans , ce
qui étoit plus facile. Ils refusèrent d'apprendre
d'où ils venoient & où ils alloient ; leur hardieffe&
leur ton inſpiré en impoſerent à quelques
habitansqui furent très - allarmés.On a fait
des recherches ; on a appris qu'ils avoient pris
terre ſecrettement à quelque port de campagne ,
qu'ils avoient traverſé les terres , excité les nègres
à la révolte , & réuffi au point que 1200
appartenans à Sir Charles Price , avoient mis
bas le hoyau , & étoient reſté quelque tems ſans
-vouloir entendre parler d'ouvrage. On a trouvé
auſſi 2 douzaines de fufils chargés à trois balles
dans la maiſon d'un nègre libre qui a été mis en
priſon. Cette découverte a été faite à Spanish-
Town ; on dit qu'il avoit été convenu que lorfque
les nègres auroient commencé le maſſacre
des Anglois , les François & les Américains
devoient arriver. Les prétendus prophêtes ont
été arrêtés & mis à bord du Greenwich , qui
partira pour l'Angleterre avec la première flotte
qui s'y rendra , & où nous croyons qu'ils ſeront
conduits «.
Le procès de l'Amiral Keppel fixe , dans ce
moment, l'attention générale ; on dit que l'Amirauté
P
( 337 )
rauté lui ayant fait demander s'il vouloit , au
moment préſent , intenter quelque accufation
contre l'Amiral Pallifer , il a répondu quoccupé
uniquement de juftifier ſa conduite aux
yeux de ſa patrie , il dédaignoit la reffource
lâche de la récrimination. On ajoute qu'on lui
avoit fait dire auſſi que s'il le defiroit , on remettroit
la tenue du conſeil de guerre à un autre
tems , fi le Capitaine Windfor , prifonnier en
France , ne pouvoit arriver pour le tems fixé :
mais il n'a point voulu accepter cette faveur ;
il a demandé que ſon procès fût commencé le
jour d'abord arrêté , & il s'est rendu pour cet
effet à Portsmouth. C'eſt le 7 de ce mois , à 9
heures du matin , que le ſignal pour la tenue
du conſeil de guerre qui devoit juger un Amiral
, a été arboré à bord de la Britannia ,
l'Amiral Pye fit tirer un coup de canon pour
avertir les Amiraux & les Capitaines de ſe
rendre à bord : ils obéirent ; le conſeil eft compoſé
de l'Amiral Sir Thomas Pye , Préſident ,
&des Vice - Amiraux Bukle & Montague , des
Contre- Amiraux Arbuthnot , Roddem , & des
Capitaines Milbank , Drake , Penny , Bennett ,
Boteler , Moutray , Duncan & Cranston. Les
Membres après avoir prêté ferment , s'ajournèrent
en vertu du Bill qui leur permet , pour
cette fois , de s'aſſembler à terre dans l'hôtel
du Gouverneur à Portsmouth où ils ſe rendirent.
L'accuſation inentée contre l'Amiral Keppel , contient
cinq chefs. 1º. Dans la matinée du 27 Juillet
1778, commandant une flotte de 30 vaiſſeaux de ligne,
&ſe trouvant en préſence d'une flotte Françoiſe égale
en forces, il n'a pas fait les préparatifs néceſlaires pour
lecombat; il n'a formé ſa flotte ni en lignede bataille,
ni dans aucun ordre propre à recevoir ou attaquer in
ennemi d'une force pareille ; quoique ſa flotte fût déja
diſperſée & en défordre , en faiſant le fignal pour
15 Janvier 1779 . P
( 338 )
que les divers vaiſſeaux du Vice-Amiral de l'eſcadre
bleue chaſſaſſent au vent , il a augmenté le déſordre
dans cette partie de ſa flotte , & les vaiſleaux fe
font trouvés plus diſperſés qu'auparavant ; c'eſt dans
ce déſordre qu'il s'eft avancé vers l'ennemi , & a
donné le fignal pour le combat. Cette conduite eſt
d'autant plus incompréhenſible , qu'alors la flotte
ennemie n'étoit ni en déſordre , ni battue, ni en fuite ,
mais formée en ligne régulière de bataille , ayant les
amures du côté dont la flotte Britannique , approchoir
, & tous ſes mouvements indiquant clairement
le deſſein de livrer combat. Dans cet état elle attaqua
nos vaiſſeaux , tandis qu'ils étoient en défordre ;
par cette conduite indigne d'un Officier , le combat
général ne put s'engagerschacun attaqua fans or
dre , il y eut une grande confufion ; quelques -uns de
ſes vaiſſeaux ne purent prendre part au combat ,
d'autres n'étoient pas aſſez près de l'ennemi ; quel
ques-uns par un effet de cette confufion, firent feu
fur les vaiſſeaux du Roi , & les endommagèrent ; le
Vice- Amiral de l'eſcadre bleue fut laiſſe ſeul , & dut
combattre fans appui. Dans toutes ces circonstances
l'Amiral Keppel a rempli avec négligence l'emploi
qui lui étoit impoſé.
>> 2°. Lorſque les diviſions de l'avant-garde & du
centre de la flotte Britannique eurent dépaſſél'avantgardede
l'ennemi , l'Amiral ne vira pas de bord pour
doubler l'ennemi avec ces deux diviſions & continuer
le combat ; il ne les raſſembla pas dans ce moment
pour les tenir à portée de l'ennemi de manière à
ſe trouver prêt à renouveller le combat , lorſqu'il
eût été convenable de le faire. Il s'éloigna au contraire
& ſe porta en avant à une grande diſtance
de l'ennemi , avant qu'il virât vent arrière pour s'approcher
une ſeconde fois , laiſſant le Vice Amiral de
l'eſcadre bleue engagé & expoſé à être coupé .
3 °. Le Vice-Amiral de l'eſcadre bleue ayant dépaſſé
ledernier des vaiſſeaux ennemis , viré vent ar
rière, & porté encore l'avant de fon vaiſſeau vers
(339 )
l'ennemi , ſe trouvant dans ſes eaux à peu de dif
tance , attendant que l'Amiral avançat avec tous ſes
vaiſſeaux pour renouveller le combat ; l'Amiral n'avança
point , diminua ſes voiles & baiſſa le ſignal du
combat; dans ce moment nien aucun autre tems lorfqu'il
a porté vers l'ennemi , il n'a point raſſemblé les
vaiſſeaux à l'effet de renouveller l'attaque , comme
il le pouvoit , d'autant mieux que le Vice-Amiral
de l'eſcadre rouge avec ſa diviſion qui avoit reçu le
moins de dommage , & qui retirée du combat de
puis plus de tems étoit prête à le renouveller , ſe
trouvoit alors au vent , pouvoit virer vent arrière
& attaquer , n'importe quelle partie de la flotte Françoiſe
, ſi le ſignal du combat n'eut pas été baiſſé
ou ſi l'Amiral avoit employé celui indiqué par l'article
31 des inſtructions relatives aux combats fur
mer , au moyen duquel il eût pu ordonner à ceux de
ſes vaiſſeaux de prendre l'avant. Ce ſignal étoit propre
à la circonſtance pour renouveller le combat
avec avantage ; la flotte Françoiſe avoit été battue ,
ſa ligne forcée & miſe en déſordre. Il n'a pas fait
tout ce qui étoit en ſon pouvoir , pour prendre , couler
bas , brûler ou détruire la flotte Françoiſe qui
avoit attaqué la Britannique.
» 4° . Au lieu d'avancer pour renouveller le combat
, comme il eût pu , & il eût dû le faire , l'Amiral
vira vent arrière , gouverna directement en s'éloignant
de l'ennemi , en en éloignant la flotte Britannique
entière , ce qui donna à la Françoiſe l'occaſion
de ſe rallier ſans être moleſtée , de ſe former de
nouveau en ligne de bataille , & de poursuivre la
flotte Britannique ( 1 ) . Manoeuvre déshonorante
pour le pavillon Britannique ; car elle avoit l'air
d'une fuite , & fournit à l'Amiral François un prétexte
pour réclamer la victoire & publier à l'uni-
(1) Malgré les ſoins des Officiers Anglois , pour cacher
la véritable iſſue du combat d- Oueſſant , la vérité ne
laiſſe pas de leur échapper ; cette flotte Françoife fi battue
, pourſuivit cependant ſes vainqueurs qui fuyoient.
P2
( 340 )
لا
vers que la flotte Britannique a pris la fuite, qu'il
l'a pourſuivie avec ſa flotte , & lui a offert le combat,
> 5º Le 28 au matin, lorſqu'on s'apperçut qu'il
ne reſtoit de la flotte Françoiſe , près de celle d'Angleterre
, que ; vaiſſeaux qui gardoient la poſition
que le tout avoit gardé la nuit précédente, que le reſte
étoit à une plus grande diſtance ſous le vent, non en
ligne de bataille , mais en monceau , l'Amiral ne fit
pas pourfuivre la flotte de l'ennemi , ne fit pas méme
donner la chaffle aux trois vaiſſeaux qui s'éloignèrent
en gouvernant vers le reſte de leur flotte ; mais fit
prendre à l'Angloiſe une route directement oppoſéeà
celle de l'ennemi. Ces traits de mauvaiſe conduite &
de négligence ont fair perdre l'occaſion glorieuſe qui
ſe préſentoit de rendre un ſervice eſſentiel à l'Etat ,
&ont flétri l'honneur de la marine Angloiſe ".
La lecture de ces chefs d'accufation occupa
toute cette féance. L'Amiral Keppel préſent,
demanda qu'on ordonnat aux maîtres des différents
vaiſſeaux de livrer à la Cour leurs livres
de lok , & que les Journaux reſtaſſent ſur la
table , afin que chaque membre du Conſeil pût
en prendre communication. Le Vice-Amiral
Palifer s'oppoſa d'abord à cette demande , parce
qu'il étoit impoſſible de démontrer l'authenticité
de ces livres , avant d'avoir fait préter ferment
aux maîtres ; mais il retira fon oppofition
fur l'obſervation que fit le Conſeil , qu'il étoit
important de produire fur- le- champ ces livres ,
de peur qu'on n'y fit quelques changemens.
Le Conſeil s'ajourna enſuite au 8, ce jour &
le lendemain ont été conſacrés à l'examen des
témoins.
On attend avec impatience le jugement qui
fera prononcé dans cette affaire fingulière. La
nation juſqu'ici ne voit pas ce procès de bon
oeil; elle estime l'Amiral Keppel ; les Marins
eux-mêmes en font l'éloge ; le Duc de Bolton
& onze autres Amiraux , ont préſenté au Roi
( 341 )
۱
une pétition pour ſe plaindre des ſuites qu'on
donne à une accufation que tout le monde ne
trouve pas également juſte , & qui ſi elle l'étoit ,
a été faite trop long- tems après l'évènement
même qui y donne lieu ; ils ſupplient en mêmetems
S. M. de ne pas permettre que cet exemple
faffe loi pour l'avenir .
,
En attendant l'effet de ce procès , on ſe rappelle
que l'Amiral Keppel fut un des juges de
l'Amiral Byng. » Il gratta contre cet Officier
dit-on , dans un de nos papiers ; mais défirant
faire connoître au public les motifs qui l'y
avoient déterminé , il fit à la chambre des Communes
la propofition de paffer un acte pour l'abfoudre
, lui & les Officiers ſes collégues , du
ferment qu'ils font de garder le ſecret ; mais
cette propoſition fut rejettée. La nation fent
l'injustice du jugement rendu contre l'Amiral
Byng , & elle n'a pas envie de réveiller un fait
qu'elle défireroit pouvoir oublier ". Pour l'intelligence
de ce paragraphe , nous remarquerons
que dans un conſeil de guerre de Marine ,
les membres qui condamnent , grattent fur un
papier préparé de manière à ne pas même laiffer
les traces des lettres initiales de leurs noms
ce qui fait que les parties reſtent toujours fecrettes.
Pendant que l'Amiral Keppel ſe trouve
forcé de ſe juſtifier , on dit que la Cour vient
de donner un ſujet de mécontentement au général
ſon frère ; il a vu donner au général Amherſt
, la place d'Adjudant- général des troupes
de terre Britanniques , vacante par la mort du
général Hervey ; on prétend qu'il aſpiroit à
cette place , & qu'il avoit d'autant plus lieu de
l'eſpérer , qu'il eſt l'ancien du général Amherft.
Il eſt arrivé dernièrement ici un accident fort
trifte ; une partie conſidérable du magnifique
hôtel des Invalides de Greenwich a été la
proie d'un incendie. L'aîle conftruite au Sud
P3
( 342 )
dans laquelle eſt la Chapelle , célèbre par la
beauté de fon dôme , a été réduite en cendres.
On ne manque pas de former bien des conjectures
ſur cet évènement ; on a conçu des foup
çons qui ne font pas encore éclaircis , & qui
rejettent ſur des mal-intentionnés , ce qu'il ne
faut peut- être attribuer qu'au hafard .
Le Roi par une proclamation en date du
de ce mois , a ordonné un jour de jeûne & de
prières dans la Grande- Bretagne ; il eſt fixé
au 10 dumois prochain ; il y a quelque tems que
l'on annonçoit cet acte de religion ; les mauvais
plaiſans après avoir lulemanifeſte desCommiſſaires
pacificateurs dans le Nouveau Monde,
n'avoient pas manqué d'obſerver qu'il feroit prudentde
ne point ordonner une pareille folemnité
, parce que, diſoient- ils , dans un tems où
nous faiſons à nos frères d'Amérique , la guerre
la plus cruelle & la plus barbare , elle nous
donneroit l'air de gens qui veulent ſe mocquer
de la Divinité ; peut- on , ofe-t on la fupplier,
de protéger des monftres inhumains & féroces,
& de leur livrer des victimes innocentes « ?
>> Les deux amis , lit on , dans un de nos papiers,
c'eſt le nom que l'on donne avec tant de
raiſon, aux Lords North & Germaine, ſont déterminés
à vivre & à mourir enſemble. Le Lord
Germaine déclare qu'il ne cherchera point à
ſe mettre à l'abri du Trône , & le Lord- North
jure qu'il perira avec fon ami. L'Enquête au
fujet de la guerre d'Amérique décidera leur
fort; les papiers qui y font relatifs devant être
mis ſur le bureau le jour de la première ſéance
du Parlement , après les vacances ; le gouverneur
Johnstone , doit prouver que l'expédition
de Philadelphie nous a fait perdre l'Amérique ,
& ces papiers doivent prouver que le plan de
cette expédition a été dreſſé par Lord Germaine
«.
1.343 )
Le Gouvernement vient de faire dans le pays de
Galles un arrangement qui paroît y cauſer le plus
grand mécontentement. On a trouvé que les forêts
& les mines royales de cette Principauté étoient d'un
très- foible produit pour la Couronne. En conféquence
, les deux Inſpecteurs , l'un & l'autre diftingués
par leur naiſſance & par leur fortune , ont
éte deſtitués de ces places qui ont été données à une
feule perſonne. Le nouvel Inſpecteur eſt , dit on , un
homme de baſſe naiſſance ; il n'a que 300 liv. ſterling
d'appointemens ; mais s'il fauten croire les mécontens
, il peut ſe faire ſur ſa place un revenu de plus
de 3000. Ce qui paroît déplaire le plus dans cette
affaire , c'eſt que la tréſorerie dont il tient ſa commiſſion
lui a donné le pouvoir de louer , affermer ,
répartir&enclore toutes ou partie des terres vagues
qui appartiennent à la Couronne dans le pays
de Galles : pouvoir qui paroît ne lui pas appartenir
, d'autant que S. M. elle-même , lors de la clôture
de la forêt d'Encheaſe , a été préalablement obligée
d'obtenir un acte du Parlement pour cet objet.
Cet évènement a donné lieu à deux avis , l'un du
Lord Bulkeley , & l'autre du Chevalier Watkin-Williams
Wynn pour propoſer une Aſſemblée des principaux
habitans de ce pays avant la rentrée du Parlement.
ÉTATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Brunswick , le 28 Octobre . Le procès du
Major général Lée , après l'affaire du 28 Juin
à Bunkershill , a fait beaucoup de bruit ; on n'en
a point encore publié les détails , que l'on fera
peut- être bien aiſe de trouver ici . Après l'affaire
du 28 Juin , il écrivit la lettre ſuivante au Général
Washington.
M. , d'après la connoiſſance que j'ai du caractère
de V. E. , je dois conclure , que les informations
mal-fondées de quelque perſonne fort ſtupide ou les
P4
( 344 )
Y
fauxrapports de quelque perſonne fort méchante, ont
pu ſeuls vous porter àvous ſervir d'expreffions auffi
fingulières , lorſque je me rendis à l'endroit , où vous
aviez pris poſte : ces expreſſions impliquoient , que
j'étois coupable ou de désobéiſſance aux ordres , ou
'inconduite , ou de manque de courage. V. E m'obligera
de m'apprendre ſur lequel de ces trois chefs
vous fondez votre accufation , afin que je puiffe pré .
parer ma juftification , qui ( j'oſe en être perfuadé)
ne me fera pas difficile à l'égard de l'armée, du Congrès
, de l'Amérique , & de tout le monde engénéral.
V. E. me permettra d'obſerver , que ni vous-même ,
ni ceux qui ont été autour de vous , n'avez pu , d'après
votre fituation , juger des mérites ou des fautes
de nos manoeuvres : & , pour parler avec toute la confiance
qui me convient en cette occafion , j'ofe affurer
, que c'eſt à ces manoeuvres que le ſuccès de la
journée eſt entièrement dû : je puis avancer hardiment
, que , ſi nous euffions continué d'occuper notre
premier terrein , ou fi nous nous fuſſions avancés,
ou finotre retraire eût été ménagée d'une manière différente
, on auroit couru riſque de ſacrifier toute
l'armée & la cauſe de l'Amérique. J'ai toujours eu
(& j'eſpère avoir toujours) le refpect & la vénération
les plus profonds pour le Général Washington :
je le crois doué de beaucoup de qualités auffi grandes
que belles; mais dans le cas préſent je dois juger,
qu'il s'est rendu coupable d'un acte d'injustice cruetle
envers un homme qui a certainement un titre à des
égards de la part de toute perſonne attachée aux in.
térêts de ce pays. Je penſe , M. , être en droit de demander
quelque réparation pour l'injure qui m'a été
faite ; & fi je ne l'obtiens pas ,je me devrai à moimême
la justice , auſſi-tôt que la campagne ſera finie ,
(campagne , qui terminera la guerre , à ce que je
crois , ) de me retirer d'un ſervice , à la tête duquel
'eſt placé un homme capable de faire des torrs auffi
graves : mais en même-tems , pour vous rendre juftice,
je dois répéter , que je me perfuade de tout mon
( 345 )
coeur, que ce mouvement n'avoit point pris naiſſance
dans votre ſein , mais qu'il avoit éré provoqué par
quelques bourdons qui ne manquent jamais de s'infinuer
près des perſonnes en place; car je ſuis réellement
convaincu , que toutes les fois que le Général
Washington agit de lui-même , perſonne dans fon
armée n'a lieu de ſe plaindre d'injustice ou d'un traitement
peu convenable. Je ſuis , &c.
Peud'inſtans après avoir écrit cette lettre , le
Général Lée écrivit la ſuivante :
>> M. , depuis que j'ai eu l'honneur d'écrire à V. E. ,
j'ai réfléchi tant fur votre ſituation que ſur la mienne :
permettez-moi d'obſerver que notre avantage mutuel
eſt qu'il ſoit donné immédiatement ordre pour
la tenue d'un conſeil d'inquifition ; mais je préférerois
que ce fût un conſeil de guerre; car , ſi l'affaire
traîne en longueur , il pourroit devenir difficile de
raſſembler les preuves néceſſaires ; & peut-être il en
réſulteroit une guerre de plume entre les adhérens
des deux partis ; ce qui pourroit donner lieu à des
querelles déſagréables ſur le continent ; car tous ne
ſont pas mes amis ni tous vos admirateurs. Je dois
donc vous prier , par votre amour pour la justice , de
porter inceſſamment votre accufation , afin qu'à la
première halte je puiffe comparoître devant des
Juges ce.
Les circonstances ne permirent-pas d'affembler
le Conſeil de Guerre avant le 4Juillet. II
fut compoſe du Général Major Lord Stirling ,
Préfident , des Brigadiers généraux Smallwood ,
Poor , Woodford& Huntingdon , des colonels
Irvine , Shepherd , Swift , Wiggelsworth , Angel
, Clarke , Williams , Febiger ; M. Jean-
Lawrence fit les fonctions d'Avocat-Général .
Les chefs d'accuſation étoient , 1 °. d'avoir défobéi
aux ordres en n'attaquant point l'ennemi
le 28 Juin , malgré les inſtructions qui lui
avoient été données itérativement ; 2°. de s'être
mal conduit en préſence de l'ennemi le même
Ps
en
1
1
( 346 )
८
jour, en faifant une retraite non néceſſaire, confufe
& honteuse ; 3º . d'avoir manqué au refpect
du au Commandant en chef dans deux lettres .
Le Conſeil , après être reſté aſſemblé depuis
Je 4Juillet juſqu'au 12 Aout , déclara le Major-
Général Lée coupable , & le condamna à
être ſuſpendu pendant 12 mois de tout commandement
dans les armées Ainéricaines .
De Charles -Town , le 15 Novembre. Il s'eft
élevé quelques nouvelles, difficultés entre les
Commiffaires , pour les prifonniers de la part
de ces Etats-Unis & de celle du Roi d'Angleterre.
Le Lieutenant Hele , Anglois , envoyé à
Philadelphie avec un petit bâtiment portant pavillon
de Trève , pour remettre , dit- on , au
Congrès le Manifeſte des Commiſſaires Britanniques
du 3 Octobre , fit naufrage à l'entrée
de la Delawarre , fut fait priſonnier avec
tous ceux de ſes gens qui eurent le bonheur
d'échapper. Le Commiſſaire Anglois James
Dick, écrivit le 27 Octobre à M. Beatty, Commiſſaire
Américain , pour réclamer l'élargiffement
immédiat des prisonniers , & fur-tout du
pilote du bâtiment , qui ayant déſerté du ſervice
de cesEtats, eſt dans le cas d'être puni ſévèrement.
M. Beatty , après avoir fait paffer cette
lettre au Congrès , reçut ordre d'envoyer au
Commiſſaire Britannique , la réſolution priſe
par le Congrès le 16 Octobre , & une ſeconde
endatedu 9de celui- ci , priſe à l'occaſion de
ſa lettre, & lui ſervant de réponſe. La première ,
relative à la circulation des papiers ſéditieux ,
eft conçue ainfi.
>> Le 22 Avril 1778 , le Congrès ayant arrêté
que tout homme ou corps d'hommes qui auroit
la hardieſſe de faire aucune convention ou aucun
agrément ſéparé & partiel avec les Commiffaires
dépendans de la Couronne de la
Grande-Bretagne , ou aucun d'eux , feroit con.
( 347 )
fidéré& traité comme ennemi ouvert& déclaré
de ces Etats- Unis. Ayant appris que les Commiſſaires
Britanniques s'occupent actuellement à
faire circuler ſous la ſanction d'un pavillon
Parlementaire , des papiers ſéditieux ſous le
nom de manifeſte , qui doivent être diftribués
dans ces Etats-Unis , dans la vue d'exciter des
difcuffions , des animofités & la rébellion parmi
le bon peuple de ces Etats .- Conſidérant que
ces manoeuvres ſont contraires aux loix des nations
, tendent à détruire entièrement la confiance
néceffaire aux moyens que les nations civiliſées
ont inventés , d'adoucir les horreurs de
la guerre , & que par conféquent ceux qui en
font uſage n'ont pas droit à la protection du pavillon
Parlementaire , lorſqu'ils s'occupent de
l'exécution de leurs projets pernicieux. Réſolu
qu'il ſera recommandé au pouvoir exécutif de
ces Etats-Unis , de faifir & conftituer en priſon
fûre toutes perſonnes qui ſe trouveront dans ce
cas; ordonné de plus que les papiers dont il eſt
parlé ci-deſſus , feront plus complettement imprimés
dans les Gazettes diverſes , afin que le
bonpeuple de ces Etats ſoit convaincu des defſeins
infidieux deſdits Commiſſaires « .
au
La ſeconde réſolution eſt en date du 9 de
ce mois. » Le Comité , auquel une lettre du
Commiffaire Beatty & les papiers y inclus ont
été référés , en a- fait ſon rapport ; en conféquence
duquel , ordonné que l'on fournira
Commiſſaire Beatty , copie des réſolutions du
Congrés à l'égard des papiers ſéditieux mis en
circulation à la faveur des pavillons Parlementaires
, qu'il ſera informé que le Congrès eſt d'avis
qu'il y avoit ſuffisamment lieu à l'emprifonnement
du Pilote , du Lieutenant & de l'équipage
du navire mentionné dans ſa lettre , que
s'il s'élève à ce ſujet quelque diſcuſſion de la
part de l'ennemi , elle devra être traitée , en ex
P6
( 348 )
poſant les motifs nationaux , & que par comſéquent
la requifition péremptoire de l'Amiral
Gambier ne peut être admiſe ".
Cet Amiral n'a pas manqué d'écrire à fon
tour une lettre très vive au Congrès ; il l'accuſe
d'avoir abuſé du naufrage du bâtiment , & de
s'être conduit comme des ſauvages ; il ſe garde
bien de faire attention à la date de la Réſolution
du Congrès ; fa défenſe étoit publique & connue;
tous ceux qui s'expoſoient à l'enfreindre
étoient dans le cas d'être punis; leur naufrage
les a empêché d'exécuter une commiffion prof.
crite , mais il n'a pu effacer ni affoiblir leur
faute.
Nous ſommes dans l'attente des nouvelles de
l'expédition du Vice- Amiral Comte d'Estaing ;
nous ne la connoîtrons que lorſquelle ſera exécutée,
nous préſumons ici qu'il s'eft rendu aux
Antilles , & nous ne doutons pas que le Commodore
Hotham qui n'a que deux jours d'avance
, ne tombe entre les mains des François
avec les sooo hommes de troupes qu'il conduit
dans les ifles Angloiſes . Ce Commodore a avec
lui le Saint Alban & le Nompareil , de 64canons,
le Preston le Centurion & l'Iſis , de so, & la frégate
là Vénus , de 36 , avec un nombre de bâtimens
de tranſport chargés de sooo hommes de
troupes. La plupart de ces vaiſſeaux font trèslourds
à la marche & en mauvais état , & ils ſeront
la proie de l'efcadre Françoiſe avant d'arriver
à leur destination ; & s'ils ont le bonheur de
ne pas la rencontrer , ils la trouveront vraiſemblablement
maitreſſe des ifles où ils ſe rendent.
Tous les rapports que nous avons de Rhode-
Iſland & de New- Yorck , nous confirment que
l'Amiral Byron eſt hors d'état d'ici à quelque
temps , de fuivre le Commodore Hotham pour
l'aller protéger ; outre le Sommerfet , de 64 canons
qu'il a perdu , le Cornwall , de 74 , a aus
( 349 )
coulé à fond; de 15 vaiffaux qu'il avoit , il n'en
avoit encore réuni que 10 , qui ont tous beſoin
de grandes réparations; les autres démâtés entièrement
, ſe ſont réfugiés dans les ports où ils
ont pu arriver , & où ils ne trouvent aucun des
matériaux néceffaires pour les mettre en état de
reprendre la mer.
Le Général Washington a établi actuellement
fon quartier général à Morristown ; fon
armée , forte de 25,000 hommes bien équipés ,
bien armés , & ne manquant d'aucune des proviſions
qui lui font néceſſaires , n'attend que
l'occafion d'agir ; elle eſt preſque entièrement
compoſée de vétérans.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Janvier.
LE 3dece mois , M. Taffard , maître des Requêtes
, nommé à la premiere Intendance qui
vaquera dans les Colonies de l'Amérique , eut
P'honneur d'être préſenté au Roi par M. de Sartine.
Le même jour , M. Pelletier de S. Fargeau
eut l'honneur d'étre préſenté au Roi & à la famille
Royale , & de faire fes remerciments à
S.M. de la charge de Préſident à Mortier , dans
laquelle il ſuccède à ſon père .
Le 10 , le Roi & la famille Royale ſignèrent
le contrat de mariage du Comte de Caſteja ,
Colonel-Commandant du régiment Royal Comtois
, avec Demoiselle Desfriches - Doria , &
celui du Marquis de Perfen , premier Maréchal
des Logis de Mgr le Comte d'Artois , Lientenantdu
régimneenntt du Roi, infanterie avec Demoifelle
le Fournier de Wargemont .
Le 10 , MM. Née & Maſquelier , préſentèrent
à LL. MM. & à la famille Royale , la 24 .
livraiſon des tableaux Pittoreſques , Phyſiques ,
( 350 )
Politiques , Moraux & Littéraires de la Suiſſe.
Les Auteurs de l'Histoire Univerſelle des Théâtres
, leur préſentèrent le même jour la première
Livraiſon de leur ouvrage avec des gravures .
De PARIS , le 30 Janvier.
ON affure que le départ de M. de Ternay
n'eſt pas éloigné ; tous les préparatifs en font
déja faits ; on croit toujours que fa deſtination
est pour l'Inde , où il trouvera le Brillant
, le Flamand & la Confolante , qui renforceront
ſon eſcadre . S'il faut en croire des
lettres de Londres , ſa préſence dans l'Inde
devient néceſſaire ; les Anglois inftruits que
les hoftilités ont commencé en Europe , ſe
diſpoſent à attaquer nos établiſſemens dans
cette partie du monde ; s'il faut en croire
leurs papiers publics , réunis à un Nabab , ils
bloquent actuellement Pondichery. Cependant
le Fitz-James , à fon retour de l'Inde nous
a appris que les fortifications de cette place
avoient été miſes en état de défenſe , & que
les foins qu'on avoit pris l'avoient miſe hors
d'état de craindre un ſiège.
د
M. de Graffe ne doit pas tarder non plus à
partir pour ſa deſtination , s'il ne l'eſt déja ;
des lettres de Breſt portent qu'il a reçu ſes inftructions
le 3 de ce mois. Ses vaiſſeaux font
le Robuste de 74 canons , qu'il monte , le
Magnifique , de même force , commandé par
M. Brach ; le Dauphin Royal , de 70 , par M.
de Mithon , & le Vengeur , de 64 , par M. de
Retz, avec la frégate la Sensible & la corvette
l'Alerte. On a embarqué fur ces vaifſeaux
des mineurs , des artilleurs , des mortiers
, du canon , des bombes , des boulets
des pèles , des pioches & toutes les munitions
néceſſaires à un fiége.
( 351 )
T
Il y a une autre eſcadre , compoſée de fix
vaiffeaux de guerre , qui font le Fendant &
l'Orient , de 74 canons , commandés par MM.
de Vaudreuil & d'Orves ; le Sphinx , l'Indien
& l'Actionnaire , de 64 , par MM. de Soulange ,
de la Grandiere & de Roify , & le Fier, de ſo,
par M. de Turpin. Cette eſcadre eſt ſous les
ordres de M. de Vaudreuil ; ces vaiſſeaux caré ..
nés& eſpalmés ſont ſortis de Breſt deux à deux,
avec des frégates & des corvettes ; ils devoient
ouvrir leurs ordres dans le Goulet. On ignore
leur deſtination : on fait que le Fendant & le
Sphinx ont mouillé à Quiberon ; on a dit que
Actionnaire & le Fier toucheroient à Rochefort
, où il y a 15,000 hommes raffemblés , ſous
prétexte d'une deſcente que le Gouvernement
ne craint guère , tant qu'il aura des troupes
à portée & 30 vaiſſeaux à Breſt. Si ces vaiſſeaux
ont pris ou prennent des troupes à bord , ou
fur des batimens marchands , c'eſt ce qu'on
ignore ; on ignore auſſi s'ils ne font pas deſtinés
à aller joindre le Comte d'Estaing , qui dans ce
cas auroit 22 navires de force , & 7 à 8000
hommes de troupes de terre.
Le Citoyen , le Minotaure , le Sceptre , le Diligent
, les Six Corps & le Northumberland , vont
être refondus ; on travaille déja aux deux premiers
; les autres feront pris inceſſamment : le
Gouvernement a vendu l'Union à un particulier
qui raſe ce vaiſſeau & en fait une frégate de
32 canons.
On arme actuellement à Rochefort l'Hercule,
le Scipion& le Pluton , tous de 74 canons ; ils
doivent être rendus à Brett en Février. On a
fait entrer dans les baſſins l'Actif & le Duc de
Bourgogne , pour être refondus , & on travaille
à force à la Ville de Paris , qui doit être réparée
à la fin de ce mois.
Il n'y a pas moins d'activité dans le port de
( 352 )
Toulon , où l'on va lanceràl'eau leHéros, de
74 canons , le Jafon , de 64, le Triomphant , de
80. Le radoub du Lion & de la Bourgogne est
fort avancé. » Le 25 du mois dernier , écriton
de ce Port , une eſcadre de 4 vaiſſeaux de
ligne & de f frégates , a mis à la voile , ſous
les ordres du Chevalierde St-Hipolyte : elle
a pour mois de vivres. Sa deftination eft encore
un myſtère ; les uns prétendent qu'elle va
joindre celle du Comte d'Estaing ; les autres
qu'elle va ſe réunir aux Eſpagnols , qui fe déclarent:
une troisième verſion plus vraiſemblable
, porte qu'elle a des ordres qui ne doivent
être décachetés qu'à une certaine hauteur ".
Outre les travaux & les armemens qui fe
font dans les départemens de la Marine , le
Gouvernement en fait faire pluſieurs dans les
autres Ports. Pendant le cours de l'année dernière
, on a mis en conftruction dans le ſeul
Port de St - Malo 9 frégates , toutes percées
pour 26 canons de 12 livres , en batterie fur
le pont , & 12 de 6 livres fur les gaillards ;
mais elles n'ont été armées que de 26 canons
de 12 & de 6 de 6 livres . Ces frégates font la
Résolue , la Prudente , l'Amazone , la Gentille , la
Gloire , la Bellone , la Médée , la Diane & la
Néreide. Les quatre premières , forties depuis
pluſieurs mois de St-Malo , ont été en croiſière
& ſe font rendues à Breft , d'où elles ont été
expédiées pour divers endroits : la Gloire , fortie
le 21 Décembre dernier , a conduit à l'ouvert
du Port de Breſt un convoi de navires
marchands , & fans entrer , elle a été fur-lechamp
en croifière. La Bellone eſt en rade ,
prête à partir , la Médée y est également ,
mais elle n'eſt pas entièrement armée ; la Diane
devoit être lancée à l'eau dans ce mois , & la
Néreide est encore fur les chantiers , où il y a
de plus deux grands cutters , qui doivent mon(
353 )
ter 18 canons de 6 liv. fur leur pont , ils n'ont
point de gaillard ; on travaille aux levées d'un
troiſième.
On a encore conſtruit aux frais du Roi ,
dans le même Port , 2 chaloupes canonnières
pour la garde , & 2 gabarres de cent pieds
de tête en tête ; celles- ci ſont en mer depuis
long-tems & fe nomment la Guyane & la Négreffe.
Le Roi a cédé cette dernière à la compagnie
d'Afrique , pour fon commerce. Il y
avoit acheté de M. de la Borde , & armé la
frégate la Pallas de 26 canons de 8 livres , que
l'Amiral Keppel enleva avec la Licorne avant
la guerre.
Les vents forcés , écrit- on du même l'ort
( de St Malo ) , amenèrent le 2 Janvier fur la
rade , un navire de 80 à 90 tonneaux , portant
pavillon Danois : on l'a fait entrer dans le
Port , & on a mis l'équipage en priſon. Le
Capitaine s'eſt déclaré Danois & ſe dit de
Dunkerque ; ſes gens , pour la plupart , parlent
François , avec l'accent marqué de Baffe-
Normandie . On fait que la paffe à l'entrée du
Port est très difficile , & on a remarqué que ce
navire évitoit très bien les écueils & manoeuvroit
à merveille. On a foupçonné que c'étoit
un Anglois de Jerſey ou de Guerneſey où la
plupart des habitans parlent un mauvais François
, avec l'accent Bas Normand . L'Amirauté
s'occupe à préſent à interroger l'équipage , qui
déclare , dit -on , être forti de Sainte-Croix
Ifle Danoiſe , avec un chargement de bois de
campèche , pour aller à Amſterdam ; mais il
eſt probable qu'il ſe rendoit à Jerſey ou à
Guernesey«.
On ne peut diſconvenir, écrit- on de Nantes ,
que depuis le commencement des hoftilités , le
commerce n'ait fait des pertes , mais il eſt plus
en état que jamais de ſe ſoutenir , après les
( 354 )
gains immenfes qu'il a faits avec les Américains.
Il n'eft point queſtion de banqueroute en
Bretagne , & fi notre commerce ſouffre , celui
de nos ennemis eſt anéanti. Si dans ce moment
nous avons moins de corſaires à la mer que dans
les guerres précédentes , cela vient bien moins
des armemens immenfes que le Roi a faits , que
du peu d'eſpoir qu'ont les armateurs de prendre
des navires aux Anglois , qui n'ont que très-peu
ou preſque pointde bâtimens de commerce dehors.
La preffe d'un côté, les Américains &
nos corſaires de l'autre , les empêchent d'armer
&de commercer. Si on enlevoit Jerſey& Guernefey
aux Anglois , on n'en trouveroit pas dans
nos mers c .
Les Armateurs commencent cependant à fe
multiplier dans nos Ports ; celui de Dunkerque
en a douze à la mer , & ayant deux mois
il en aura une trentaine. On travaille à la
conſtruction & à l'armement de ceux qui
manquent pour completter ce nombre. La
Comteffe d'Artois & la Comteffe de Provence ,
rentrèrent dans ce Port le 8de ce mois , après
avoir couru les plus grands riſques par la
tempête du premier ; ils y ont amené deux
priſes ; la Comteſſe d'Artois étoit au moment
de s'emparer d'un cutter Anglois de 16 canons ,
lorſqu'elle perdit ſes mâts de hune , ce qui la
força d'abandonner le combat.
Les corfaires armés à St- Malo font le Comte
d'Orvilliers , Capitaine Fouqueux , de 14 canons
; attaqué dans ſa croifiere par un cutter
Anglois , il le força de ſe réfugier très-maltraité
à Origni. Le Duc de Mortemart , de 16
canons , capitaine Le Dos. Ce capitaine eft
d'une bravoure peu commune ; dans ſapremière
fortie , il fut attaqué par deux cutters Anglois ,
chacun de fa force , qu'il obligea de l'abandonner.
En partiedégrayé, il rentra à St- Malo : on
(355 )
le félicitoit d'avoir échappé aux deux Anglois.
Que dites - vous,répondit-il bruſquement,échappé
! je comptois bien vous les amener. Dans fa
feconde fortie , il a fait cinq priſes , dont trois
font arrivées à Saint- Malo , la quatrième eſt à
Cherbourg ; on n'a point de nouvelles de la
cinquième . Le Sillon , de 14 canons , a envoyé
au commencement de ce mois , une priſe eſtimée
50,000 livres ; il chaffoit un autre vaiſſeau lorfqu'il
l'a fait partir. Cette ville a encore quelques
autres corſaires en mer , &elle en a plufieurs
autres qui ſeront prêts inceſſamment.
>>>>Défiez - vous , nous écrit-on de ce port , des
lettres faſtueuſes des priſes faites fur nous ,qu'on
voit dans une multitude de papiers étrangers
rarement elles ſont exactes. Ils ont annoncé
dernièrement la priſe du Comte d'Artois , corfaire
de Saint- Malo ; il n'y a point eu , & il n'y
a point de bâtiment de ce nom dans notre
portcc.
Les armateurs de Bayonne & de St-Jean-de-
Luz , qui ſe ſont diftingués dans toutes les
guerres précédentes , commencent dans cemoment
à faire parler d'eux. >> Cette ville , dit- on
dans une lettrede Bayonne , a cinq corſaires à
la mer , & le Marquis de la Fayette , de 32 canons
, ne tardera pas à mettre à la voile. L'Audacieuse
a amené dans ce port la Françoise Sara
de Dublin , chargée de vin de Malaga , figues ,
raiſins , &c , & eſtimée 30 à 40,000 livres.
>>Le navire le Constant , de 8 canons , capitaine
Mirambau , eſt rentré il y a peu de tems.
Un corfaire Anglois de 16 canons le rencontra;
il lui tirajlun coup de canon en hiſſant ſon pavillon,
& lui criant d'amener. Le premier coup
de canon tua trois François & en bleſſa quatre .
Mais l'équipage du Constant étant compofé
d'hommes exercés à la mouſqueterie , & n'étant
qu'à la portée du piſtolet, fit un feu fibien
( 356 )
dirigé & fi foutenu , qu'en un moment le pont
du navire ennemi fut balayé , & qu'il lui fut
impoſſible de faire ſervir ſes canons. Le conibat
dura de cette maniere deux heures & un
quart ; pendant ce tems le pauvre Anglois reſta
trois quarts d'heure fans tirer un feul coup de
fufil . Il employa ce tems à mettre ſes manoeuvres
en état; après quoi , profitant de la ſupériorité
de fa marche , il s'éloigna à toute voile,
ſans que le Constant eut pu l'aborder à cauſe de
la groffe mer. Les corſaires armés à St-Jeande-
Luz , font au nombre de ſept de différentes
forces ".
>> Les frégates Françoiſes , le Magnanime &
l'Atalante , commandées par le Chevalier de
Boades & le Baron de Durfort , écrit on d'Alméria
, ont conduit dans ce port un paquebot
Vénitien, dont le capitaine , Domingo Lanne ,
a déclaré être forti de Vénife avec une cargaiſon
de diverſes marchandiſes deſtinées pour
Londres Ayant étéhêlé, le premier Décembre,
par unede ces frégates , & fommé de remettre
ſes papiers , il n'a préſenté que les moins importans
; il avoit vraiſemblablement jetté les
autres à la mer , & il a dit pour s'excufer qu'il
les y avoit laiffé tomber en paffant fur la frégate
".
Les mêmes frégates ont pris encore le
& le 13 du même mois , un navire Anglois à
trois mats, & un autre, armé de 14 canons & de
deux pierriers , chargés l'un & l'autre de différentes
marchandifes .
Les lettres de Picardie annoncent beaucoup
de naufrages ſur les côtes de la Flandre Francoiſe
& Autrichienne : elles confirment celui
des cinq vaiſſeaux Anglois échoués à la côte
de Calais . Cette tempête a duré plus de vingtquatre
heures ; c'eſt fur- tout pendant la nuit
que les coups de vent ont été les plus forts. Les
( 357 )
maiſons de Boulogne ont été ébranlées au point
de faire croire qu'il y avoit un tremblement de
terre: les égliſes , les édifices publics ont beaucoup
fouffert.
Selon une lettre de Rennes , du 13 de ce
mois , il étoit arrivé , dans la ſemaine précédente
, un très - grand malheur à Nantes . Le
navire le Flamand , appartenant à M. de Monthieu
, & armé par un négociant de Nantes ,
pour les Etats- Unis , riche de 4 à 500,000 liv.
&monté de 22 canons & de 120 hommes d'équipage
, après avoir paffé le cap des Charpentiers
, a fauté & s'eſt perdu ſans que perſonne
ſe ſoit ſauvé. Il n'y avoit pas dix minutes
que le pilote côtier l'avoit quitté . Le capitaine
laiſſe huit enfans , qui réclament la bienfaifance
du Roi , qui , ſans doute , daignera les ſecourir.
On mande de Lodève , que pendant que l'Evêque
de cette ville officioit pontificalement la
nuit de Noël , des voleurs font entrés dans ſon
palais par un balcon , & qu'après avoir forcé
fix ferrures , ils ont enlevé une ſomme d'argent
très - conſidérable. Ce n'est qu'au retour de
l'Office que le Prélat a vu les déſordres commis
dans ſes appartemens : il a été plus affecté du
crime des voleurs que de ſa perte : le lendemain
il a vaqué avec la même tranquillité à ſes devoirs.
Il ne ſe plaint point du vol , il ne plaint
que les pauvres que ces brigands ont privé des
fecours qu'il leur deſtinoit .
L'heureuſe couche de la Reine a fait par-tout
la même ſenſation qu'à Versailles & à Paris ;
dans toutes les Villes du Royaume , on s'eſt
empreffé de rendre des actions de graces au
Ciel. Celle de Strasbourg , qui eſt la première
de la France dans laquelle S. M. eſt entrée
lorſqu'elle vint de Vienne , a donné les témoignages
les plus folemnels de ſa joie. A des
( 358 )
prières publiques faites avec pompe , à des illuminations
, à des feux , à tous les ſignes connus
de l'allégreſſe publique , elle a joint des dons
&des aumônes aux pauvres , pour donner à la
fête un caractère digne de la Souveraine qui en
étoit l'objet.
Parmi le grand nombre de traits de bienfaifance
faits à l'occaſion de cet évènement ſi intéreſſant
pour la Nation , nous nous empreſſons
de rapporter celui-ci. Les Elèves d'une Penſion
établie dans la Paroiſſe d'Ecully- les-Lyonf,irent
célébrer de leur propre mouvement une
Meſſe folemnelle à l'occaſion de l'heureux accouchement
de la Reine ; ils remirent enſuite
une ſomme d'argent au Curé , avec prières de
la diftribuer aux pauvres femmes enceintes &
aux nourrices ; ils demandèrent enſuite au Pafteur
de leur permettre d'être les parrains du
premier enfant mâle qui naîtra de parens pauvres
, en déclarant qu'ils ſe chargeroient de fon
éducation & de ſon entretien juſqu'à ce qu'il
pût former un établiſſement. Ce trait de religion
& de patriotiſme n'a beſoin que d'être cité
; il fait l'éloge le plus complet de la Penſion
où l'on inſpire aux Elèves des ſentimens ſi touchants
& fi nobles.
Articles extraits des Papiers étrangers qui entrent
en France.
>> On débite que l'Ambaſſadeur de la Cour de
>> Vienne , ayant repréſenté dans la dernière audience
>> qu'il a eue du Roi, que LL. MM.II. ſe voyant dans
>> la néceſſité de continuer la guerre , ſe trouvoient
>> forcées de requérir les 24 mille hommes de trou-
>>>pes auxiliaires , qu'elles ont droit d'attendre en
>conféquence du traité d'alliance & d'amitié du 1
» Mai 1756 , le Roi avoit répondu , que quoique
>> l'alliance de LL. MM. II . lui fût trop précieuſe pour
>> ne pas faire tout ce qui dépendoit de lui pour la
( 359 )
>>conferver , S. M. prioit cependant LL. MM. II. de
/> conſidérer que ſe trouvant engagée dans une guerre
>>>indiſpenſable & férieuſe avec les Anglois , qui l'a-
>>voient provoquée par les hoftilités commiſes envers
ſes ſujets , dont ils avoient troublé le com-
>>merce, elle ſe voyoit elle-même dans le cas de de-
>>mander à LL. MM. II. le même ſecours que lui
>> affuroit le traité d'alliance ſus-mentionné , ce qui
>>>n'opéreroit qu'un ſimple échange de troupes , qui
>> ne ſeroit d'aucune utilité aux parties reſpectives ;
>> ajoutant qu'independamment de ce motif , le même
>>traité rappellant & maintenant expreffément celui
>> de Westphalie , dont la France s'étoit rendue ga-
>> rante, toutes les puiſſances intéreſſées à la protec-
>>tion des conſtitutions de l'Empire Germanique ,
follicitoient S. M. de garder la neutralité , qu'elle
>> s'étoit engagée d'obſerver exactement.
(Supplément à la Gazette d' Amsterdam , nº. 4 ) .
>> S'il faut en croire des lettres de l'Orient , l'Em-
>> pereur fait armer dans ce port un bâtiment de
>> 1600 tonneaux , qui doit partir inceſſamment pour
>>> Boſton , ſous le commandement du ſieur Mau-
>> gendre. Il y a fur ce bâtiment un Hongrois & ua
> Allemand , qui doivent commander dans le cas ou
>> il ſeroit attaqué dans ſa traverſée par un navire
>> Anglois. ( Courier d'Avignon , nº.2 ) «.
De BRUXELLES , le 20 Janvier.
La paix de l'Allemagne,eſt encore incertaine
; on annonce depuis long-tems la tenue
d'un Congrès ; on indique pluſieurs villes où
il doit ſe tenir , & il n'y en a encore aucune
de choiſie, Les négociations commencées à
Vienne par les Miniſtres de France& de Ruffie,
ne paroiſſent pas fort avancées , puiſqu'il ne
ſe fait encore aucun mouvement pour le Congrès
, & il n'y en auroit pas fi , comme on le
mande de pluſieurs endroits , les Miniftres Au- -
( 360 )
trichiens avoient déclaré qu'ils ont ordre de ne
fe relâcher en rien de leurs demandes précé
dentés. D'après ces avis , aucune des puiſſances
intéreſſées ne paroît diſpoſée à faire de plus
grands facrifices que ceux qu'elles ont déja propofés
; elles continuent, en conféquence , leurs
préparatifs de guerre , & la mauvaiſe ſaiſon
n'a pas ſuſpendu les hoftilités dans la haute Siléſie
, où le Général Wurmfer a enlevé encore
à la fin du mois dernier , un tranſport de goo
chariots de bois deſtinés pour Jagerndorff &
Troppau , dont il a détruit une partie & emmené
le reſte , & où le Prince Frédéric de
Brunswick , quelques jours auparavant , avoit
eu un cheval tué ſous lui en faiſant une reconnoiffance.
Les lettres de l'Empire annoncent
beaucoup de fermentation & de diſpoſition de
la part des Princes à ſe liguer pour faire cauſe
commune avec le Roi de Pruſſe qu'ils regardent
comme leur protecteur.
Quant à la France & à l'Angleterre , on ne
s'attend pas qu'il ſoit queſtion de paix entre
elles avant la fin d'une nouvelle campagne. La
Grande-Bretagne compte fur la fortune qui l'a
ſervie dans la précédente , en contrariant les
projets de fa rivale & en en arrêtant l'exécution
; mais elle n'a fait vraiſemblablement que
les retarder. La déclaration toujours attendue
de la part de l'Eſpagne ne fauroit être éloignée ,
& cet évènement ne lui laiſſera plus d'eſpé
rance. Si les vents & les tempêtes ont empêché
le Comte d'Estaing de mettre fin à la guerre
d'Amérique l'année dernière. Ils ont mis l'Amiral
Byron hors d'état de faire aucun effort
& avant qu'il reçoive des ſecours , le Vice-
Amiral François , dont les forces font dans le
meilleur état , peut avoir eu des ſuccès qui les
rendent inutiles .
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
(
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles;
les Causes célebres; les Académies de Paris & des
Provinces ; laNotice des Ldits , Arrêts ; les Avis
particuliers , & c . &c.
5 Février 1779 .
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIECES FUGITIVES .
Vers àMlle Luzy ,
-AMlle M.
3
... pourla
nouvelle année ,
Recherches fur la Pouz
zolane ,
SPECTACLES .
54
4 Académie Royale de Mu-
L'Amour & le Moineau, S. fique , 62
Réponſeà la Lettre fur l'o- Comédie Italienne , 64
rigine des Romans , ib. SCIENCES ET ARTS.
Enigme &Logogryp. 11 Gravures ,
NOUVELLES
LITTÉRAIRES .
1
66
Musique , 79
ANNONCES LITTÉR. ibid.
Notice des Éloges lus à la JOURNAL POLITIQUE.
rentrée de l'Académie Constantinople ,
des Sciences , le 14 No- Pétersbourg ,
Observations faites pen- Stockholm ,
73
74
vembre , 13 Copenhague , 75
ibid.
dant le second voyage Varsovie , 76
deM. Cook,
24
24 Vienne , 78
Dictionnaire Univerfeldes Hambourg , 79
Sciences morale, écono- Ratisbonne , 84
mique , &c . 38 Livourne 86
Correspondance de Fer- Londres ,
88
nand- Cortès avec l'Em- Etats-Unis de l'Amériq.
pereur Charles- Quint , Septent . 97
49 Verfailles, 101
Lecture pour les Enfans , Paris , 104
SI Bruxelles , 115
APPROBATION.
S'A I lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour les Février
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſfion.
A Paris , ce 4 Février 1779.
DE SANCY,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint -Come.
MERCURE
DE FRANCE.
5. Février 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A MADEMOISELLE LUZY.
Au minois piquant de Lifette ,
Quel coeur n'eft contraint de céder !
Ah ! pourquoi faut-il qu'il promette
Plus qu'elle ne veut accorder ?
Dis-moi donc , gentille Soubrette ,
Aij
4
MERCURE
Où prends- tu cet air ſéduiſant ,
Cette oeillade fine & coquette ,
Ce jeu fi vif & fi plaiſant ?
En faveur de l'humble Pupille
Trompe un Tuteur vieux & jaloux;
Écarte l'Argus imbécille
Pendant l'heure d'un rendez-vous .
A l'ardeur dont tu nous pénètres ,
A la malice de tes yeux ,
On voit aſſez que de tes Maîtres
C'eſt l'Amour que tu ſers le mieux.
VERS A MADEMOISELLE
M ....
Pour la nouvelle Année.
DE
O mon Églé , puiſſe le cours
Ne te donner que d'heureux jours !
Je ne ſai point , amant fidèle ,
E cet an qui ſe renouvelle ,
S'il t'enlève de tes attraits ;
Mais à mes yeux , toujours plus belle ,
L'Amour offre ces mêmes traits
Qui m'ont enflammé pour jamais .
Chaque jour , Églè , chaque année
Abrégent notre deſtinée ;
Sachons profiter des inſtans :
A l'Amour on doit ſon printemps.
DE
S
FRANCE .
4
Etquand le plaifir nous appelle ,
Pourquoi perdre d'heureux momens ?、
A ſa voix ſe montrer rébelle ,
C'eſt ignorer ce que l'on perd ,
Et c'eſt devancer ſon hiver.
( ParM. Boutellier. )
L'AMOUR ET LE MOINEAU.
L'AMOUR
'AMOUR carrefloit un Moineau ,
Qui ſoudain s'échappe & s'envole ;
L'enfant privé de ſon oiſeau ,
Pleure , gémit & ſe déſole.
CONSOLE- TOI , lui dit Cypris ,
CeMoineau franc eſt ton image.
L'inſtant où tu parois épris ,
Eſt l'inſtant qui te rend volage.
}
)
RÉPONSE à la Lettre fur l'origine des
Romans, inférée dans le Mercure du 15
Janvier.
J
AI lu , Monfieur , avec toute l'attention
poſſible , la lettre ſur l'origine des Romans ,
inférée dans le Mercure du 15 Janvier.
Beaucoup d'eſprit , une érudition qui ne ſe
montre que comme la Nymphe qui fuit
A iij
6 MERCURE
entre les ſaules; des vues éparſes dans le
courant de cette lettre qui , vers la fin , ſe
raffemblent ſur le même objet : voilà ,
Monfieur , ce qui m'anime à difcuter pendant
quelques momens l'opinion favorite
que l'Auteur dévoile à la fin de cette lettre.
Je ſuis afligé que celui qui me paroît aimable
& plein d'efprit, ſe ſoit confine dans
un defert fterile & fauvage : fon ſtyle & fes
idées ne ſe reffentent point de l'aridité de
fa retraite. Celle que mon vieux moi s'eſt
choifie eft fertile & riante : des voiſins qui
m'éclairent ſouvent & qui me plaiſent toujours
l'embelliffent ; c'eſt par eux que je
m'entretiens dans la douce habitude de penfer
; & fi j'ofois former un tout d'une ſuite
d'idées & de faits relatifs , ce feroit pour
leur en faire hommage. Voilà , Monfieur ,
quelle eſt l'eſpèce de moi que je vous prie
de mettre en relation avec celui de l'Auteur
de la lettre que je viens de lire..
Je me fouviens que MM. de Fontenelle
& de Voltaire difoient autrefois à mon moi
de quatorze ans : mon enfant , quand vous
voudrez chercher la vérité , poſez un
principe , formez une chaîne de faits &
d'obſervations relatives à ce principe ; complettez
autant que vous le pourrez la fomme
des idées acceſſoires & propres à fe combiner
avec l'idée générale de votre principe ,&
des conféquences qu'on en doit tirer : c'eſt
ainſi que vous pourrez approcher de la vé
rité ; c'eſt ainſi du moins que vous pourrez
DE FRANCE.
acquérir quelque avantage dans la difpute
fur les Sextus Empiricus de votre ſiècle ...
Plus mon moi s'eſt agrandi , Monfieur , plus
la lumière de cette leçon l'a pénétré. Le ſeul
moyen d'exercer ſon eſprit aux ſciences , &
de l'élever aux grandes recherches , c'eſt de
l'aſſujétir à cette méthode , c'eſt de ſavoir
former cette chaîne , cet ordre vraiment
philoſophique de faits relatifs les uns aux
autres , qui lie un réſultat néceſſaire au
principe que cette opération rend lumineux.
On ſaiſiroit bien mal le véritable eſprit de
la géométrie , ſi l'on circonfcrivoit ſa ſphère
dans la ſolution des problêmes les plus com
pliqués. Le flambeau de cette ſcience preſque
divine doit éclairer ſans ceſſe le choix & la
progreffion des idées qui peuvent conftater
un tout , une idée complette , poſitive &
générale.
Il me ſemble que M. Bailly , dans ſes
recherches , ne s'eſt jamais écarté de cette
marche & de cet ordre philoſophique. Celui
dans lequel il claſſe & range ſes faits relatifs,
propres à prouver que les ſciences nous
font venues du Nord , me paroît ſi ſerré , fi
précis , que je trouve injuſte qu'on entreprenne
de le détruire fans oppofer un autre
ordre de faits qui ſoit contradictoire au fien.
Il est très-facile , & en même- temps trèspermis
de dire je doute , lorſqu'on ne fait
que differter dans une converſation ; mais
lorſqu'on écrit d'un ton impoſant ou léger ,
Aiv
MERCURE
dans unouvrage fait pour être lu, ceje doute,
on eſt obligé de motiver ſon avis , en expoſant
les raiſonsqui portent à douter. Le doute
abſolu deviendroit un dogme pour l'eſprit
humain , fi cet eſprit ſe ſentoit l'impuiſſance
abfolue d'atteindre à la vérité; mais dès qu'il
connoît , qu'il prefume ſeulement qu'il exifte
une baſe ſur laquelle il peut appuyer la
progreffion de ſes idées , il eſt bien digne
de ſes efforts de chercher cette bafe ; &
s'il croit l'avoir trouvée , il n'eſt plus téméraire
, il n'eſt que courageux , lorſqu'il
part de cette baſe pour former une ſuite de
faits relatifs , & pour former une chaîne qui
conduiſe au but qu'il s'eft propoſé.
L'agrément répandu dans la lettre fur
l'origine des Romans m'a beaucoup plû ,
mais fans me ſéduire ; foſe en appeler à
l'exiſtence d'un Auteur qui me fait fentir
qu'il peut employer de plus grands moyens
que ceux dont il s'eſt ſervi pour attaquer le
ſyſtême très-probable que M. Bailly établit
dans ſon hiſtoire ancienne de l'aſtronomie ,
&dans les lettres à M. de Voltaire.
Si le ſavant & fpirituel Auteur de la lettre
que je viens de lire , n'avoit eu d'autre objet
que celui d'éclaircir l'origine des Romans ,
il ſe ſeroit dit à lui-même , il auroit dit aux
autres bien mieux que moi , que l'origine
des Romans eft & doit être preſque de la
même antiquité que le genre- humain , puifqu'elle
eſt dûe au foible le plus marqué , le
plus indeſtructible , & le premier qui ſe ma
DE FRANCE و
nifeſte en nous avec la penſée , l'amour du
merveilleux.
Quelques Finlandois ou Tiroliens, tels que
ceux que le peuple admire à la foire , n'ontils
pas pu fuffire pour donner l'idée des géants ?
Les Lapons s'éloignent-ils beaucoup de la
taille des Nains ? Les météores n'ont-ils pas
pu faire naitre auſſi l'idée des Génies & des
efprits élémentaires , comme les mugiſſemens
des volcans & leurs gouffres embrafés ont
dû donner celle du ténare ? La fable , Monfieur
, eſt ancienne comme le monde ; elle
n'a fait que varier ſelon les temps , felon les
climats , felon les connoiſſances. La Fontaine
a grande raifon de dire :
L'homme eſt de glace aux vérités ;
Il eſt de feu pour les menſonges.
Il eſt vrai que la fable , dans tous les pays
& dans tous les temps , a toujours tenu de
très-près aux moeurs de ceux qui l'ont mife
en crédit ; mais ne voit- on pas que ces fables
ont varié fans ceſſe d'un peuple à l'autre&
de peuple à peuple ? La première communicationdes
idées adoptées n'eſt malheureuſement
preſque toujours qu'un mutuel échange
d'erreurs mêlées d'un très-petit nombre de
vérités , qui ne font même ſouvent que des
vérités de convention. C'eſt du fond de ces
fables que le génie obſervateur peut tirer
quelques lumières , & l'on ne peut pas reprocher
à M. Bailly de n'avoir pas fait ces rap-
:
Av
10 MERCURE
prochemens difficiles avec de la vraiſemblance
& bien de la ſagacité.
Il me feroit urile & agréable, Monfieur
de differter avec l'Auteur de cette lettre fur
les probabilités qui peuvent donner quelque
avantage, aux différentes Nations pour l'invention
& la texture des anciens Romans ;
mais je n'ai pu ſaiſir l'ombre pour le corps
dans cette lettre dontj'ai connu le véritable
objet, ni croire que la grande queſtion , objer
des recherches immenfes de M. Bailly, puiffe
être fuffisamment réſolue , parce que les
Aſiatiques ont mis plus d'invention
fleurs dans leurs fables , que les Romanciers
François & Anglois n'en ont mis avant les
règnes de Louis-le-Gros & de Henri Premier.
&de
Je crois bien que l'invaſion des Mores en
Eſpagne dans le huitième fiècle, apu contribuer
à polir les loix de la Chevalerie ; mais
l'eſprit de cette Chevalerie ſubſiſtoit bien
antérieurement chez des peuples libres, courageux
juſqu'à la férocité,&qui divinifoient
déjà la plus douce des paflions & le fexe enchanteur
qui l'infpire. Les poéfies Orcadiennes
, Ecoffaiſes, Irlandoiſes ſont tout au moins
de la même antiquité que l'Edda , & leNord
a toujours eu dans les moeurs de ſes habitans
le fond de ces ſentimens héroïques qui , de
proche en proche , ont fait la conquête de
I'Afie & de l'Europe.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur.
DEFRANCE. 11
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt la Lettre A; celui
du Logogryphe eſt Pie, oiſeau , où ſe trouvente
S. Pie Pie, ſynonyme de Pieuſe , &
Pie Pape régnant.
L
ENIGME.
'ESPRIT frappé d'une étrange façon,
Je m'imagine toujours être ,
Sans rime ni raiſon , t )
Ce que qui que ce ſoit ne me trouvé paroître,
Mais comme follement
J'agis en conféquence ,
L'on me voit devenir par fois réellement
Ceque je n'étois point avant mon imprudence.
Pocquelin a joué tous mes pareils & moi ;
Mais il ne nous a pas corrigés davantage.
Notre folie eſt notre unique loi ;
Et qui nous applaudit , eft à nos yeux ſeul ſages
Σ
Avj
12 MERCURE
LOGOGRYPHE.
NUIT & UIT & jour dans Paris à mon pofte attaché,
:
L'on ne m'y voit jamais ni debout ni couché.
Des mains des ſcélérats que ma vue importune ,
Je ſauve bien ſouvent& la blonde & la brune.
J'écarte du danger maints badauts étourdis ;
Je force à reculer même les plus hardis.
Si cela ne ſuffit pour me faire connoître ,
Combinons les neufpieds qui compoſent mon être.
Je laiſſe voir , Lecteur , &du premier coup-d'oeil ,
Ce qu'on faitquelquefois dans les bras du ſommeil ;
Une matière auſſi tranſparente &fragile;
Pour la maigre cuiſineune autre très-utile ; ..
Une triſte Cité dans le pays Normand;
Égales dans leur ton , trois notes dans le chant ;
Celui qui s'eſt fait chair pour le ſalutdu monde;
Le lieu de mon tourment; puis un inſecte immonde;
Ce qui ſubſtantif eft , & tantôt adjectif,
Et dans ce dernier cas , actif, neutre ou paſſif;
Une herbe d'odeur forte ; un fleuve de l'Eſpagne ;
Et du premier pecheur la coupable compagne.
(Par M. Labrouche de Dax , FeudisteaPar)
DE FRANCE.
13
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
NOTICE des Éloges lus à la rentrée de
l'Académie des Sciences , le 14 Novembre
dernier (a) .
Les ſavans Mémoires lus à cette Affemblée
ont déjà été donnés par Extrait dans ce
Journal. Il nous reſte à parler des Éloges
qu'on a lus dans la même Séance , & qui
n'ont pas été pour les Auditeurs l'objet le
moins intéreſſant. Mais avant d'entrer dans
quelque détail à ce ſujet , qu'on nous permette
un mot ſur l'état actuel de l'illuſtre
& reſpectable Compagnie qui donne lieu à
cetArticle.
L'Académie des Sciences , dont les travaux
ſemblent aujourd'hui attirer plus que
jamais l'attention publique, fut établie au
milieu du dernier fiécle par les ſoins d'un
Miniftre (6) & ſous les aufpices d'un Roi (c)
qui n'étoient ſavans ni l'un ni l'autre , mais
qui connoiffoient le prix des Sciences ; ce
qui peut- être a mieux valu pour elles , que fi
(a) Cet Article eſt de M. d'Alembert.
(6) Colbert.
(c) Louis XIV
:
14 MERCURE
le Roi & le Miniſtre avoient eu des préten
tions au ſavoir. L'illustre & malheureux Kepler
penſa mourir de faim à la Cour de
l'Empereur Rodolphe , qui l'avoit pourtant
appelé auprès de lui , & qui ſe piquoit d'être
Aftronome, & même Aftrologue. Il est bon
d'apprendre cette Anecdote aux Gens de
Lettres , qui ne la favent guère , & auxPrimces
, qui ne la favent pas. Les uns & les autres
pourront voir , s'ils en font curieux ,
dans les OEuvres de Kepler ſa lamentable
complainte à ce ſujet. « Je ſuis obligé , dit-
>> il , pour ne pas deshonorer par ma misère
» & par ma mortfa facrée Majesté Impé-
» riale , de faire & de vendre à la Cour des
» Almanachs à prédictions , les feuls ouvra-.
>> ges qu'on y achette & qu'on y life » . N'ou
blions pas d'ajouter, pour éviter toute équi
voque , qu'il parloit de la Cour Impériale
defon temps.
Revenons à l'Académie des Sciences. Elle
eut d'abord à peu-près la même forme que
P'Académie Françoiſe; forme que peut-être
elle auroit bien fait de conferver, fi elle avoit
pu. Ce ne fut pas l'avis d'un de ſes Membres,
qui étoit apparemment le premier des Académiciens
par ſon crédit , s'il ne l'étoit pas
par ſon merite. Il fit donner à cette Société
de Savans & de Philoſophes ( à qui l'égalité
convenoit fi bien) des Honoraires, des Penfionnaires
tant ordinaires que vétérans , des
Alſociés de trois ou quatre fortes , enfin jufqu'à
des Élèves , qui dans la fuite obtinrent
DE FRANCE.
le titre plus honnête d'Adjoints , par la
raiſon que trois ou quatre Académiciens
étoient morts à 70 & 80 ans avec le titre
d'Élèves , & que pluſieurs autres de cette
même claſſe s'étoient trouvés en ſavoir plus
que leurs Maîtres; deux motifs affez plaufibles
pour faire fupprimer cette dénomination
fubalterne . L'Académicien dont nous
parlons ſe fit auſſi , & même avant tout
accorder le titre de Président de la Compagnie;
car il aimoit à préſider. Fontenelle ne
penfoit pas de la ſorte, lorſqu'il répondit au
Régent , qui lui offroit aufli la Préſidence :
Monseigneur , ne m'ôtez pas le plaifir de
vivre avec mes égaux; fans doute ſa modeſtie
ne l'empêchoit pas de fentir , qu'à
toute rigueur iln'avoit pas beſoin , dans une
Société Littéraire , d'être Préſident pour être
quelque chofe. Quoi qu'il en ſoit , le Réformateur
de l'Académie des Sciences auroit
bien voulu réformer de même l'Académie
Françoiſe , & la préſider aufli ; mais on ne
réuffit pas toujours; & cette Compagnie ,
qui ſe trouva bien ſous la forme qu'elle
avoit , jugea à propos de la conferver (a). Un
Philoſophe de mauvaiſe humeur , mécon-
(a) Voyez là-deſſus un plus long détail dans
F'Éloge de M. l'Abbé de Dangeau , pag. 203 & ſuiv
de l'ouvrage qui vient de paroître ſous ce titre :
Éloges lusauxSéancespubliques de l'Académie Franfoife.
4
16 MERCURE
tent de toutes ces réformes Académiques ,
exécutées ou tentées , a trop durement appelé
l'Auteur un Académicien de pédante mémoire,
fi pourtant il en a laiſſe une ; nous
n'adopterons point cette injure ; & nous aimons
mieux ſuppoſer à ce Mécène des intentions
louables , quoique peu éclairées. Nous
devons même avouer à fon honneur , ou du
moins à ſa décharge , qu'il obtint pour l'Académie
une ſomme annuelle de 40000 liv.
qu'apparemment il jugea fuffiſante pour la
ſubſiſtance de plus de vingt Savans, entre lefquels
elle devoit être partagée. Mais il avoit
pour principe cet apophtegme du bienfaisant
Charles IX, qu'il faut nourrir les Gens de
Lettres, & nonpas les engraiffer (a ).
Le nouveau Préſident de l'Académie des
;
(a) Ce Roi , fi économe pour les Gens de Lertres
, ne dédaigna pourtant pas d'engraiffer fon Precepteur
, le célèbre Jacques Amyot , qu'il fit Évêque
d'Auxerre & Grand Aumônier de France , & qui
mourut riche de plus de deux cens mille écus. Un
jour il demandoit encore à Charles IX un bénéfice
conſidérable : eh quoi , mon père , lui répondit le
Roi , vous difiez que fi vous aviez mille écus de rente
vous feriez content ; je crois que vous les avez & par
delà. Sire , répondit- il , l'appétit vient en mangeant..
Et cependant il obtint ce qu'il demandoit. Il eût
mieux valu ne pas laiſſer dans l'indigence d'autres
hommes de mérite , pour ſatisfaire l'avidité d'un ſeul.
Mais c'eſt ainſi que les Princes ſans équité & fans
lumières diftribuent leurs bienfaits.
DEFRANCE. 17
Sciences la diviſa en différentes claſſes , relatives
aux différens objets dont elle devoit
s'occuper; on ne fait pourquoi ni comment
il oublia deux de ces claſſes , qui méritoient
pourtant bien d'être comptées , l'Histoire
Naturelle & la Physique expérimentale ; mais
ſi le Préſident les oublia , la Compagnie ne
les oublia pas : elle a cultivé ces deux Sciences
avec autant de zèle & de ſuccès que les
autres.
En rendant ce compte au Public de la
ſituation & des travaux de l'Académie , nous
nous faiſons un devoir de publier la reconnoiſſance
qu'elle doit à M. Necker , qui
animé du defir fi louable de favorifer le progrès
des Sciences , deſir qu'il manifeſte par
les effets , & ne borne pas aux apparences
( comme beaucoup d'autres ) vient d'obtenir
du Roi , pour cette Compagnie , une ſomme
annuelle de douze mille livres , uniquement
deftinée aux expériences qu'elle jugera les
plus importantes &les plus utiles.
L'Académie , dans ſon premier état , où
elle n'étoit encore ni réformée ni préſidée , ne
laiſſoit pas de compter au nombre de ſes
Membres les Huyghens , les Roëmer , les
Pecquet , les Claude Perrault , les Mariotte ,
les l'Hôpital , les Caffini , les Tournefort ,
les Homberg , les Duverney , & pluſieurs
autres , dont les noms illuftres ne paroiffent
pas avoir été effacés par ceux de leurs plus
dignes fucceffeurs ; ſoit dit fans vouloir fa
18 MERCURE
crifier à la gloire des morts la vanité des
vivans .
Néanmoins cette Compagnie ne jouiffoit
pas alors , il faut l'avouer , de toute la célébrité
qu'elle méritoit , &qu'elle n'a obtenue
que depuis. On peut en donner pluſieurs
raifons. D'abord les Sciences étoient alors
beaucoup moins cultivées , ou plutôt moins
à la mode ; elles étoient renfermées dans
une eſpèce de ſanctuaire , d'où les profanes
n'approchoient pas ; aujourd'hui , fi le vrai
fanctuaire n'eſt guères plus fréquenté , les
avenues du ſanctuaire le font beaucoup , &
plus d'un amateurmême fait ſemblant de les
connoître fans en avoir approché. En fecond
lieu , l'ancienne Académie ne donnoit pas
chaque année , comme la Moderne , ces volumes
de Mémoires, & fur-tout cette Hiftoire
intéreſſante , qui ont tant contribué à
ſa réputation ; & quoiqu'elle eût de trèsfavans
hommes pour Membres , elle n'avoir
pas un Fontenelle pour Secrétaire. Enfin elle
ne tenoit point encore ces Afſemblées publiques
, qu'elle tient régulièrement aujourd'hui
deux fois chaque année , & qui
rendent ſes travaux plus éclatans , en appre
nant à la multitude combien ils font utiles.
La multitude en effet (dans tous les fenspoffibles
de ce mot ) eft fort affidue à ces Affemblées
, &l'Académie l'y voit avec plaifir ,
quoiqu'elle ſache bien qu'il n'y a pas à beaucoup
près autant de juges dans la falle que
DEFRANCE.
d'auditeurs ; mais elle n'ignore pás que l'af
fluence des individus ( connoiffeurs ou non )
aux Séances d'une Société Littéraire , eſt la
mefure , & pour ainſi dire le thermomètre
de fon, exiſtence dans l'opinion publique ;
ear il importe avant tout à un corps de n'être
pas compté pour rien; les libelles mêmes
valent pour lui beaucoup mieux que l'oubli ,
qui peut être un bien pour le fage ifolé, mais
qui feroit pour une Compagnie quelconque,
même de fages , une condition affez facheuſe.
Ainfi ( pour le dire en paffant ) tant
que l'Académie Françoiſe, objet continuel
d'un déluge de fatyres , qui l'amufent ou
lui font pitié felon qu'elles le méritent ,
verra ſes Affemblées aufli nombreuſes &
auffi brillantes qu'elles le font depuis longtemps
, elle pourra dire aux faiſeurs de fatyres
(a) comme au Menteur, à qui pourtant
nous n'avons garde de comparer tant
d'Écrivains honnêtes :
Les gens que vous tuez ſe portent affez bien.
Un des objets qui attirent le plus d'auditeurs
aux Séances publiques de l'Académie
des Sciences , ce font les éloges que le Secrétaire
y fait des Membres que la Compagnie.
a perdus . L'Affemblée est bien aife de connoître
& de juger ces illuſtres ou non illuſtres
morts , dans leurs travaux & dans leurs per
(a) Voyez le Menteur de Pierre Corneille.
20 MERCURE
ſonnes ,&deprononcer d'après leursoeuvres,
ſi lechoix que la Compagnie avoit fait d'eux,
étoit l'ouvrage de la juſtice ou de la faveur.
Auſſi eſt-il arrivé plus d'une fois , que pour
eſquiver ce jugement , le Secrétaire a gardé
prudemment le filence fur certains défunts,
& que prudemment auſſi l'Académie l'a
laiffe faire. M. de Fontenelle s'eſt diſpenſé
de faire l'éloge de plus de quarante Académiciens
, entre autres du Cardinal du Bois ,
quoique mort Premier Miniſtre (a). MM. de
Mairan & de Fouchy, ſes fucceffeurs , ont
plusd'une fois pris la même liberté, fous le
bon plaiſir de l'Académie & du Public.
D'autres fois le Secrétaire a ſuppléé par fon
talent à l'aridité du ſujet; & les éloges de
Fontenelle les moins intéreſſans pour le
fond, ne fontpeut-être pas les moinspiquans
par la forme (b).
Ceux deMM.Malouin&Haller,que M. le
(a) Il faut pourtant convenir que M. de Fontehelle
a quelquefois trop uſé de la liberté que l'Académie
lui laiſſoit à cet égard, & que parmi les Académiciens
dont il n'a pas fait l'éloge , il s'en trouve
plufieurs , tels que Vaillant , Vieuſſens , le Maréchald'Eftrées,
&c. qui ne méritoient pas d'être paffés
fous filence.
(b) Voyez entre autres dans le Volume de 1715,
celui d'un Académicien aſſez obfcur , rommé Morin.
Voyez auffi ceux de Parent, des des Billettes , d'Ozanam
, &c.
DE FRANCE. 21
Marquis de Condorcet a faits dans la dernière
Séance publique , n'ont point été contredits
par l'auditoire ; & quoique d'un genre trèsdifférent,
ils ont réuni tous les fuffrages .
On a vu dans M. Malouin un Chimiſte
laborieux , inftruit , diftingué même pour
ſon temps , mais plus foible à la vérité pour
le nôtre, où la Chimie a pris une face nouvelle,
qui pourroit bien n'être pas la dernière
; on a vu ſur-tout un Médecin trèszélé
pour l'honneur de fa profeffion. Il
croyoit à la certitude de la Médecine , comme un Mathématicien à celle de la Géométrie.
Ayant ordonné beaucoup de remèdes
àun homme de Lettres célèbre , qui les prit
exactement , & qui ne laiſſa pas de guérir ,
M.Malouin luidit en l'embraſſant , vous êtes
digne d'être malade. Son eſtime pour nos
meilleurs Écrivains étoit meſurée ſur le
pect qu'ils témoignoient eux-mêmes pour la
Science qui lui étoit ſi chère; il n'entendoit
point raillerie là-deſſus. Un d'eux ayant plaiſanté
devant lui ſur les Médecins , & bientôt
après ayant eubeſoinde ſes ſecours : je viens ,
lui dit-il , je vous hais , je vous guérirai, &
jene vous verrai plus. Il repréſentoit à un
autre incrédule , que tous les Grands Hommes
refavoient
honoré la Médecine : C'estdommage
, lui répondit le mécréant , qu'il faille
rayer de cette liste de Grands Hommes un
certain Molière. Auſſi , répliqua ſur le
champ M. Malouin , voyez comme il est
22 MERCURE
mort (a) ! Ce grand Poëte comique auroît dit
de notre Académicien , comme d'un grave
Docteur qu'il a mis ſur le théâtre, que c'étoit
un homme tout Médecin de la tête auxpieds.
Mais la justice nous oblige d'ajouter , que la
vénération de M. Malquin pour fon Art
n'étoit pas , comme celle des Médecins de
Molière , le fruit & le cachet de l'ignorance
, encore moins le maſque de la charlatanerie.
On ne pourra pas lui reprocher,
comme à plus d'un affronteur en différent
genre , d'avoir prôné & débité les drogues
auxquelles il ne croyoit pas.
Ce qui rend fur-tout la mémoire intéreffante
, c'eſt qu'il fut un Médecin vraiment
citoyen & patriote. Par fon teftament il a
fait un legs à la Faculté de Médecine , fous
la condition de tenir tous les ans une Affemblée
publique , où elle rendra compte à la
nation de ſes travaux , juſqu'à préſent enfouis
dans ſes regiſtres , &perdus en quelque
forte pour l'humanité. M. Malouin étoit
perfuadé , dit M. de Condorcet , que pour
être eftimés , les Médecins n'avoient beſoin
que d'être mieux connus. L'événement fera
voir s'il s'eſt trompé & nous faiſons
des voeux ſincères pour que ſes intentions
foient remplies. Nous ajouterons encore àfon
د
(a) On fait que Molière mourut preſque ſubitement
, étouffé par le ſang qu'il vomiſſoir à grands
Lots.
DEFRANCE.
23
éloge, qu'il fut à la fois économe & défintéreſfé
; qu'après deux ans d'une pratique
très-lucrative, il quitta Paris pour Verſailles,
où il voyoit peu de malades , diſant qu'il
s'étoit retiré à la Cour; qu'il eut l'amitié ,
l'eſtime & la confiance de l'illuftre Fontenelle,
dont il aimoit à louer les moeurs douces
, les vertus aimables , & fur-tout cette
bienfaiſance qu'il pratiquoit ſans oftentation
& preſque ſans le ſavoir lui-même. A
cette occafion l'Hiſtorien de l'Académie s'eſt
cru dans l'obligation ( dont fans doute la
voix publique l'auroit diſpenſé ) , de venger
la mémoire de ce reſpectable & vrai Philoſophe
, révérée par tous les Écrivains qui atta
chent quelque prix à la vérité &à la décence ,
mais indignement outragée & calomniée
dans ces derniers temps par des hommes condamnés
à vivre des menfonges qu'ils impriment
, & voués au malheur de haïr également
les vivans & les morts. Obſervons
pourtant , en rendant à toutes les qualités
de Fontenelle la juſtice qui leur eſt dûe , que
celle qui plaifoit de préférence à M. Malouin
, étoit la ſoumiſſion du Philofophe à
ſes ordonnances. Car ce Médecin étoit ſi
convaincu de l'efficacité de fes remèdes ,
qu'on l'a vu quelquefois , au refus de ſes
malades , prendre lui - même les potions
qu'il leur avoit ordonnées , afin qu'elles ne
fuſſent pas perdues.
Comme il croyoit à la Médecine encore
plus pour lui que pour les autres , ſon ré
24
T MERCURE
gime , ſur-tout dans ſes dernières années ,
étoit auſtère , & réglé preſque heure par
heure. Il pratiquoit en cela, peut-être encore
trop ſévèrement , la Médecine préſervative ,
plus fûre au moins que la curative , & femblable
en ce point à la Morale , qui est bien
plus propre à prévenir les maux de l'ame
qu'à les guérir. Ce régime a du moins valu
àM. Malouin ce que tant de Philofophes
ont defiré , une vieilleſſe ſaine & une mort
douce; il n'a point connu les infirmités de
l'âge , & il eſt mort d'apoplexie le 3 Janvier
1778 , fans douleur , & fans avoir ni prévu
ni ſenti ſa fin.
L'Éloge de M. Haller au prochain Mercure.
Obfervations faites pendant lefecond voyage
de M. Cook, dans l'Hémisphère austral &
autour du monde,furlaGeographie,l'Hiftoire
Naturelle & la Philofophie morale ,
& en particulierfur la Terre &fes couches,
l'Eau & l'Océan , l'Athmosphère , les révolutions
du Globe , les Corps organisés ,
& l'espèce Humaine; par M. Forſter père ,
de la Société Royale de Londres , & de
pluſieurs Académies de l'Europe. Ouvrage
traduit de l'Anglois. Tome V. A Paris ,
chez Mérigot , Quai des Auguftins , 1778.
Aves Approbation & Privilege du Roi ,
in-4°. de 522 pages . こ
M. Forſter accompagnoit le Capitaine
Cook en qualité de Naturaliſte. C'eſt un habile
DE FRANCE.
25
bilePhyſicien qui a parcouru le globe avec
l'oeil attentif d'un Obſervateur éclairé . Rien
n'échappe à ſa pénétration ; & le Lecteur en
parcourant les feuilles de ſon Livre , voit ,
pour ainſi dire , la nature ſe développer devant
lui. Ses Obſervations ſe portent fur
tout ce qu'elle offre d'intéreſſant , ſur le ſol
& fur les terres , fur les inégalités de ces
terres , fur leurs couches & fur les matières
dont elles font compoſées , ſur les ſources
& les ruiſſeaux , ſur l'eau de la mer , fur la
couleur , la falure & la lumière phoſphorique
de cette eau , ſur l'Océan , ſa chaleur
ou ſa température & fa profondeur , fur
l'existence d'un continent auſtral , ſur l'athmoſphère,
ſes changemens , ſes météores ,
les vents , les tempêtes , &c .
On fait que l'eau de la mer eſt quelquefois
lumineuſe : elle jette une lumière phoſphorique
, dont les Phyficiens ont eſſayé de développer
la véritable cauſe. Les uns ont attribué
ce phénomène à un infecte lumineux ,
vivant ſous l'eau , qui a du rapport à l'efpèce
des chevrettes ; d'autres , à une autre
claſſe d'animaux mous , du genre des sèches
ou des ſcolopendres , qui couvrent quelquefois
une partie de l'Océan , & que l'on voit
répandre autour d'eux une lumière affez
vive. M. Forſter convient que ces chevrettes ,
ces ſcolopendres , sèches , méduſes , ainſi que
d'autres poiſſons & coquillages , peuvent
rendre la mer lumineuſe , & le fait eſt inconteſtable
à l'égard de pluſieurs dont on
5 Février 1779.
:
B
26 MERCURE
diftingue aisément le corps briller à la furfice
de l'eau ; mais il doute que ce ſoit-là la
Teule cauſe de la lumière phoſphorique de
l'eau de la mer. Il a quelquefois obſervé que
cette lumière ne s'étendoit pas à une grande
diſtance du vailleau ; la partie qui étoit près
du bâtiment , paroiſſoit ſeule lumineuſe , &
la lumière ne ſe communiquoit qu'au fommet
des vagues voifines qui s'en détachoient
obliquement : cela arrivoit pour l'ordinaire
dans un vent frais. D'autres fois dans un
long calme , ou immédiatement après le
calme, dans un temps chaud , la lumière phofphorique
s'étendoit plus au loin au-delà du
-vaiſſeau , & ſe mêloit avec la maſſe des flots.
Cette eau , miſe dans un tube, y perdoit fon
éclat lorſqu'elle n'étoit plus en mouvement;
elle le reprenoit dès qu'on l'agitoit violem-
-ment. La lumière même ſembloit s'attacher
-un moment ſeulement au doigt ou à la main
qui remuoit l'eau.
La nuit du 29 au 30 Octobre 1773 , un
phénomène plus fingulier & plus étonnant
frappa les regards de tout l'équipage du Capitaine
Cook. C'étoit à la hauteur du Cap
de Bonne-Efpérance , à quelques milles de
la côte , & par un vent frais. La nuit avoit à
peine étendu ſon voile fur la furface des
flots , que la mer parut toute en feu ; chaque
vague qui ſe briſoit avoit une cime lumineuſe
; par-tout où les côtés du vaiſſeau touchoient
les vagues , on appercevoit une ligne
de lumière phoſphorique, L'oeil découvroit ,
DE FRANCE.
2.7
de toutes parts cette lumière ſur l'Océan ;
le fond lui-même des lames les plus épaiſſes,
ſembloit imprégné de cette qualité brillante ;
on voyoit de grands corps éclaires ſe mouvoir
; quelques-uns marchoient le long du
vaiſſeau , d'autres s'en écartoient avec une
viteſſe preſque égale à celle d'un éclair. La
forme de ces corps annonçoit que c'étoient
des poiffons. M. Forſter tira un ſeau de cette
eau lumineuſe afin de l'examiner; il y trouva
un nombre infini de petits corps ronds lumineux
qui s'agitoient avec une vivacité ſurprenante
; après que cette eau ſe fut repoſée
un peu de temps , la quantité de petits objets
étincelans lui parut diminuer ; mais en
remuant l'eau de rechef, il obſerva qu'elle
redevenoit entièrement lumineuſe ; les petites
étincelles ſe remuèrent de nouveau avec
agilité , en différentes directions. Quoique
le ſeau qui contenoit l'eau fût ſuſpendu ,
afin qu'il fût moins affecté du roulis du
vaiſſeau , on y appercevoit toujours des corps
Trétincellans qui ſe remuoient , de forte que
M. Forſter crut d'abord que ces atômes lumineux
avoient un mouvement ſpontané indépendant
de l'agitation de l'eau ou du vaifſeau;
mais dès qu'il remuoit l'eau avec un
bâton , ou fimplement avec le doigt , la lumière
s'accroiſſoit ; ſouvent en troublant
l'eau , l'une de ces étincelles phoſphoriques
-s'attachoit à la main ou au doigt : elles étoient
-à peine de la groſſeur de la tête d'une petite
épingle . En regardant ces atômes avec le
Bij
28 MERCURE
moindre grofliffeur de fon microſcope ,
notre Phyficien les jugea globulaires , gelatineux
, tranſparens & un peu brunâtres . Il
en obferva un plus particulièrement , & il
vit d'abord une eſpèce de tube mince qui
entroit dans la ſubſtance de ceglobe par un
orifice qui ſe trouvoit à ſa ſurface; l'interieur
étoit rempli de quatre ou cinq facs inteftinaux
oblongs , joints au tube dont on
vient de parler. Le plus grand groffiffeur du
microſcope lui montra les mêmes chofes,
plus diſtinctement & fous une forme plus
grande. Il voulut examiner un des animalcules
dans l'eau , & enfuite le placer fous le
microſcope ; mais il ne put en prendre un
en vie ; ils mouroient avant qu'il les eût détachés
du doigt auquel ils ſe colloient. Le 22
Novembre , lorſque le Capitaine Cook
quitta le Cap , la mer étoit encore lumineufe
de la même manière, par un vent très- fort.
Voilà trois eſpèces de lumière phoſphorique.
La dernière est sûrement caufée par
eette prodigieuſe quantité d'animalcules vivans,
qui flottent dans la mer & qui font
doués de la faculté de briller dans les ténèbres.
La ſeconde eſpèce paroît être une
véritable lumière phoſphorique. Plufieurs
-corps animés ſe pourriffent, dit M. Forſter ,
& ſe diffolvent dans l'Océan , &preſque
chaque partie des corps animés, la plupart
des minéraux , & l'air lui-même , contiennent
l'acide de phoſphore comme partie intégrante
; tous ceux qui ont vu du poufon
DE FRANCE.
29
ſalé fécher , doivent ſavoir que ce poiffon
devient prefque toujours phoſphorique. C'eſt
auffi un fait bien établi que la mer , après un
long calme , devient puante & très-putride;.
ce qui , ſuivant toute apparence , eſt l'effet
de la putréfaction d'un grand nombre de
ſubſtances animales qui meurent dans l'Océan,
qui y flottent , & qui dans les jours
chauds des calmes s'y pourriſſent ſouvent
tout-à-coup. Il eſt reconnu également que
les poiffons , les sèches & les autres molluſca
renferment des particules huileuſes &
inflammables ; l'acide du phofphore , dégagé
par la putréfaction du melange primitif qui
le retient dans les corps animés , peut fe
combiner avec quelques- unes de ces matières
inflammables , & produire ainſi un phofphore
flottant qui opère cette lumière que
nous admirons.
Quant à la première eſpèce , M. Forſter
en croit la cauſe abſolument différente de
celle des deux autreess ,,& il l'attribue à l'électricité.
On fait , dit-il , que le mouvement
d'un vaiſſeau dans les flots par un vent frais ,
eſt très-vif , &qu'il y a beaucoup de frottement;
car la mer , qu'agite un coup de vent,
eſt beaucoup plus chaude que l'air. Les ſubſtances
bitumineuſes qui couvrent les côtés
du vaiſſeau , les clous attachés à la calle , &
l'eau qui fert de conducteur , expliquent
d'ailleurs ces effets électriques. C'eſt aux Savans
à apprécier cette explication.
Des Phyſiciens en France , comme en An-
B iij
30
MERCURE
L
gleterre , ont foupçonné , il y a long-temps,
l'exiftence d'un grand Continent auſtral. S'il
n'y avoit pas de terres conſidérables dans
l'hémisphère auſtral , diſoient-ils , le contrepoids
ne ſeroit pas fuffifant pour ' balancer
les terres du Nord. La navigation du Capitaine
Cook autour du globe , a prouvé d'une
manière incontestable qu'en-deçà du ſoixantième
degré il n'y a point de terres dans l'hémiſphere
auftral , ſi ce n'eſt les fragmens peu
étendus que ce Navigateur a trouvés dans la
mer atlantique du Sud; & en fuppofant l'efpace
qui eſt par-delà le ſoixantième parallèle
, entièrement rempli de terres , il n'y en
auroit pas affez pour ſervir de contre-poids
à celles de l'hémisphère du Nord. Notre Savant
Naturaliſte eſt porté à croire que la Nature
a pourvu à cet inconvénient , en plaçant
peut-être au fond de la mer du Sud des
corps qui , par leur peſanteur , compenfent
l'abfence des terres, fi toutefois ce contrepoids
eft néceſſaire ; car pluſieurs en ont regardé
la néceſſité prétendue comme une chimère.
Le Chapitre qui traite des révolutions de
notre globe , tant régulières qu'accidentelles,
de la diminution des eaux de la mer & de
la formation des iſles , eſt un des plus cu-
• rieux. Les changemens produits par le cours
ordinaire de la Nature ſont merveilleux fans
doute , mais ceux que l'art de l'homme opère
fur la furface de la terre , ne font pas moins
admirables. Dans les lieux où ce Roi de la
DE FRANCE. 31
1
création n'a point travaillé , la Nature languit
, ſa beauté abandonnee à elle- même devient
difforme ; des bois impénétrables y
couvrent la terre; les arbres ont quelquefois
de la grandeur & de la force , mais la plupart
tombent de vieilleffe , & on en voit une
quantité innombrable couchés dans un état
de pourriture : ici l'on en voit un ſans écorce ,
là, on en apperçoit un autre ſans panache ;
tout l'eſpace qui est au-deſſous eft rempli de
ronces , d'arbriffeaux & de liferons qui vous
empêchent de marcher ; tout ce qui végète
eſt ſuffoqué & enſeveli ſous des moufles &
des lichens ; l'eau qui croupit de tous côtés ,
produit des marais immenſes qui ne peuvent
ſervir ni aux habitans de la terre , ni aux habitans
de l'eau , & qui ſont couverts de plantes
giganteſques , mais groſſières , qui ne
contribuent preſqu'en rien à la nourriture
des animaux.
Dès que l'homme paroît dans ces contrées ,
il arrache les végétaux inutiles à ſa ſubſiftance
& à celle des autres animaux ; il s'ouvre
un paſſage , il conſerve les plantes ſalutaires
& les productions dont il peut tirer
des avantages ; il enlève avec ſoin tout ce
qui eſt brife , tout ce qui tombe de vieilleſſe
&de pourriture; il empêche la putréfaction
*& les émanations dangereuſes d'infecter
l'air ; il fait couler les eaux ſtagnantes & immobiles
, qui reprennent de la limpidité &
de la vie; le fol ſe sèche & ſe couvre de ver
Biv
32 MERCURE
dure; il ſe forme un brillant gazon émaillé
des fleurs les plus odorantes ; les animaux
vont paître dans ces nouvelles prairies; ſi la
violence du ſoleil commence à les brûler ,
l'homme y répand l'onde rafraîchiffante d'un
ruifleau , & il maintient ainſi la végétation ;
un arbre à pain déploie ſes branches touffues
qui offrent un fruit agréable ; le pommier ,
chargé de fon fruit doré , ſemble le difputer
à l'arbre à pain, par le nombre & l'excellente
faveur de ſes productions ... Combien
la Nature est belle ! combien elle eſt utile
entre les mains de l'homme ! & quels heureux
effets y produiſent ſes ſoins !
Telles font les réflexions que fait naître la
comparaiſon des déſerts de la Nouvelle-Zélande
avec la beauté de l'Iſfle de Taïti, la plus
fortunéedes Ifles de la mer du Sud.
M. Forfter ne jette qu'un coup-d'oeil rapide
ſur les végétaux & les animaux qu'il a
trouvés dans les ifles qu'il a parcourues ,
pour fixer plus long-temps fon attention fur
l'eſpèce humaine. Le nombre des habitans
desdifférentes ifles , &leur population ; leurs
variétés relativementàla couleur, à la taille ,
à la force , au tempérament , au génie ; les
caufes de la différence des races des infulaires
, leur origine & leurs migrations ; les
progrès que les nations de l'hémisphère auftral
ont faits dans la civiliſation , leurs
moeurs , leur religion , leurs arts & leurs
ſciences , font autant d'objets qu'examine
DE FRANCE.
33
particulièrement notre Voyageur Philofophe:
cette partie de fon Livre eſt la plus intéreſſante.
Le genre humain , très-multiplié en-dedans
ou près des Tropiques , eſt très-clair-femé
vers les extrémités du globe. La civiliſation
des infulaires de la mer du Sud eſt auſſi plus
avancée à meſure qu'ils ſe trouvent plus loin
des pôles : ils jouiſſent d'une ſubſiſtance plus
variée & plus abondante ; ils ont des habitations
plus ſpacieuſes , plus propres & plus
adaptées au climat ; leurs vêtemens ſont plus
lézers , plus commodes , leur population plus
nombreuſe , les ſociétés mieux réglées , la
fûreté publique mieux établie contre les invaſions
étrangères , leurs manières plus civiles
, les eſprits plus fufceptibles d'inftruction
, les coeurs plus capables d'affection ; ils
ont une eſpèce de morale , & même quelques
idées d'un Etre Suprême , d'une vie à
venir , de l'origine du monde; ils jouiffent
d'une certaine doſe de bonheur comme individus
& comme membres d'une nation .
Au contraire , les miférables mortels qui habitent
les environs de la zône glacée font les
plus dégradés de tous les êtres humains ; le
peu d'alimens qu'ils ſe procurent eſt degoûtant
; ils n'ont que de mauvaiſes cabanes &
des vêtemens groſſiers qui ne les mettent pas
à l'abri des rigueurs du climat; les peuplades
font peu nombreuſes , ſans liens , fans affections
réciproques ; expoſés à toutes les infultes
des ufurpateurs, ils ſe retirent dans
By
34
MERCURE
d'affreux rochers , & ils paroiffent infenfibles
à tout ce qui porte l'empreinte de la
grandeur & de l'induſtrie : une ſtupidité brutale
forme leur caractère ; & quand ils font
les plus forts , ils font perfides , ils agiffent
contre tous les principes de l'humanite.
Un climat agréable adoucit fingulièrement
les moeurs des hommes ; le climat au contraire
des extrémités du globe, rend les fibrės
& toute la texture des corps plus groflières ,
plus rigides & plus infenfibles ; ce qui agit
incontestablement fur l'efprit & le coeur , &
détruit les ſentimens de la ſociabilité , ou ,
ce qui eſt la même choſe , les empêche de
ſe développer. Le climat n'eſt cependant pas
Ja ſeule cauſe de l'abrutiſſement des hommes
aux extrémités de la terre : le manque
d'éducation contribue auffi à leur dégradation.
Qui croiroit que ces hommes dégénérés ,
dont l'état nous paroît affreux , & que nous
regardons comme le rebut de la race humaine
, jugent autrement de leur fituation ?
Loin de fe croire malheureux , M. Forſter
les a trouvés contens de leur fort; ils ſe glorifient
des avantages de leur poſition ; aucun
d'eux ne voudroit changer ſon climat froid
contre un autre plus tempéré , ni ſa hute
contre une de nos maiſons commodes ou
contre le palais le plus magnifique; il penſe
que ſa peau de phoque lui fied mieux que les
éroffes de foie & les brocards ; il préfère un
morceau puant de chair de veau marin à un
:
DE FRANCE.
35
mets bien aflaiſonné. Leur caractère nc
pourroit pas fouffrir le joug des loix; l'indépendance
, la licence & la vengeance , leurs
paſſions favorites , les rendent abſolument
incapables de vivre dans une ſociété bien
réglee; ils ont même un mépris général pour
nous , qui ſommes aſſujétis à l'ordre & à la
fubordination ; & M. Forſter nous affure que
chacun d'eus eft fi content de ſa condition,
qu'il ne defire pas le moindre changement.
S'ils avoient peſe les avantages & les défavantages
de notre état civil , s'ils avoient
quelque idée des misères preſque ſans nombre
, dont la cupidité de l'homme civilifé,
la corruption des Gouvernemens , le luxe &
toutes les paffions qu'il excite empoifonnent
les douceurs que la ſociété nous procure ,
on diroit qu'ils ne daignent pas acheter fi
cher les commodités d'une vie paſſagère ;
peut- être au moins qu'un inſtinct d'autant
plus fûr qu'il eſt moins raiſonné , leur fait
preſſentir les noirs foucis , les chagrins cuifans
, les deſirs infatiables , les remords déchirans
, & tout le cortège des maux phyſiques
, dont il n'y a pas un ſeul individu ,
chez les nations policées , qui puiffe être
exempt. Comme leur état nous paroît beaucoup
plus affreux qu'ils ne le ſentent euxmêmes,
le nôtre leur ſemble beaucoup moins
heureux qu'il ne l'eſt pour nous. Cependant ,
avec un peu de réflexion , on s'apperçoit aiſément
que la vie du ſauvage ou du barbare
n'eſt qu'un état de délire , que leur pré
Bvj
36
MERCURE
tendu contentement n'est qu'indolence &
ſtupidité , que leurs jouiſſances font fi foibles
, fi peu nombreuſes , fi baſſes , qu'un
homme de bon ſens doit ſe feliciter d'être
né dans une fociété civilifee , où des lois
fages affurent fon bonheur autant que
l'homme peut être heureux avec les imperfections
attachées à la nature humaine.
On a ſouvent demandé quels progrès dans
la civiliſation ont fait les infulaires de la
mer du Sud , depuis l'arrivée des Européens
parmi eux. Nous allons copier la réponſe de
M. Forfter , & c'eſt par-là que nous terminerons
l'extrait de ce Livre inſtructif &
amufant par lui-même , & dont le Traducteur
a fu encore accroître l'intérêt en donnant
à ſa traduction de la clarté , de la
précifion , & toute l'élégance dont elle étoit
fufceptible.
>>Un petit nombre d'années , par rapport
à une nation , font un petit nombre de
momens dans la vie d'un homme: un homme
apprend en quelques heures des chofes
très-utiles , & qui intereffent eſſentiellement
ſon bien-être ; mais il ſeroit preſque impoflibledemontrer
dans ſon caractère , dans
la manière de vivre , dans ſa converfation
&dans ſes actions , quelques heures après ,
les avantages qu'il a recueillis de ces connoiffances.
Cela n'eſt pas moins vrai par rapport
aux nations ; un petit nombre d'années
ne fuffifent pas pour y opérer une révolution
effentielle. Nous avons porté des co
DE FRANCE.
37
chons & des volailles à la Nouvelle-Zélande
, des chiens & des cochons à la Nouvelle-
Calédonie , des chiens à Tanna , Mallicolo
& aux Ifles des Amis , & des chèvres
àTaïti : ces animaux opéreront fans doute
un changement capital dans la manière de
vivre de ces peuples ; mais nous n'avons pu
y laiffer qu'une chèvre mâle & une chèvre
femelle, & un petit nombre de couples des
autres eſpèces d'animaux ; il faudra bien des
années avant qu'ils deviennent affez nombreux
pour que chaque habitant en ait plufieurs.
Les inftrumens que nous avons laiſſés
contribueront un jour aux progrès des Arts
mécaniques ; mais comme nous n'en avions
pas affez pour que chaque homme en pût
prendre un aflortiment à lui ſeul, les changemens
qu'ils ont opérés ne font pas encore
très- conſidérables , & ces Ifles n'ont rien qui
puifle tenter une Nation Européenne à entretenir
avec elles un commerce régulier &
conftant ; il eſt probable que dans peu d'annees
on les négligera. Si nous avions pu donner
des outils de fer à chaque famille , les
naturels auroient renoncé à leurs haches , à
leurs ciſeaux de pierre , & ils auroient enfin
oublié la manière de les fabriquer : la connoiffance
de nos outils leur a même nui, à
certains égards. Accoutumés à s'en fervir,
fans connoître l'art de les faire , non plus
que celui de fabriquer le fer ; s'ils négligent
ou s'ils perdent la méthode d'en faire de
pierre, au lieu d'avoir haté leur civiliſation ,
38 MERCURE
ر ا ن ا
WI
nous l'aurons reculée de pluſieurs fiécles.
Nous n'avons point perfectionné leurs facultes
intellectuelles & morales ; on ne pouvoit
pas l'efperer de l'equipage d'un vailleau
de guerre. Ceux qui auroient ete en état de
leur donner de nouvelles idees fur les Sciences
, les Arts & les Manufactures , les principes
de la morale & de la vertu , ou d'un
Gouvernement bien régle, &repandre dans
la nation l'eſprit de charite , d'affection ,
d'amour de la communauté qui doivent enflammer
tous les hommes , manquoient de
loiur ; d'ailleurs perſonne d'entre nous n'entendoit
affez bien la langue de ces différens
peuples , & chacun etoit occupé à remplir
l'objet particulier de fa miffion».
Dictionnaire Univerſel des Sciences Morale,
Economique , Politique & Diplomatique,
ou Bibliothèque de l'Homme d'Etat & du
Citoyen , mis en ordre &publié parM.
Robinet , Cenfeur Royal. Tome IV. A
Paris , chez l'Éditeur , rue S. Dominique ,
près la rue d'Enfer.
(SECOND EXTRAIT ).
L'Article Angleterre eſt le plus important
&le plus étendu de ce Volume. Il préſente
d'abord aux yeux du Lecteur une Deſcription
Géographique de l'Angleterre. On ne
s'eſt pas borné à décrire le local de chaque
Province, on y entre dans un détail ſuffiDE
FRANCE.
39.
fant de ſes productions , des qualités du
climat , en un mot de tous ſes avantages
phyſiques . L'Hiſtoire de cette Ifle nous a
paru avoir toute l'exactitude d'un Abrégé
Chronologique , fans en avoir la fechereſſe .
C'eſt un Tableau Politique , où l'homme
d'Etat voit le Gouvernement Anglois , jadis
arbitraire , monarchique dans la fuite , tempéré
par la rivalité du pouvoir aristocratique
, agité par le tumulte de la démocratie ,
s'efforcer de rejeter tous les abus de la
Royauté abfolue , & les inconvéniens de la
forme purement Républicaine , pour prendre
un juſte milieu , & y trouver la liberté politique.
On lit enſuite une analyſe des Lettres
publiées en Anglois ſous le nom d'Humfroy
Oldcaſtle , fur l'Hiſtoire d'Angleterre & fa
Conſtitution , qui renferment des réflexions
profondes & des détails intéreſſans. Le jugement
qu'on porte fur, Jacques I donnera
une idée de la manière dont ces Lettres font
penſées , & dont l'analyſe en eſt faite.
ود
" Jacques I ne manquoit ni d'eſprit , ni
de bon- fens , ni de talens naturels & ac-
» quis ; il étoit très-capable de former un
>>plan de Gouvernement ; mais fa répugnance
infurmontable pour la guerre , ſa
foibleffe pour ſes favoris , ſon entêtement
>>pour le pouvoir deſpotique , qu'il croyoit
» pouvoir légitimement exercer , en vertu
ود
ود
ود de fon droit héréditaire à la Couronne
>>d'Angleterre , corrompirent tout ce qu'il
>> avoit d'ailleurs de bonnes qualités. II
40
MERCURE
"
ود
ود
ود
avoit , outre cela , conçu une li haute opinion
de fon mérite &de fa capacité , que
ſes courtiſans ne furent pas long- temps à
decouvrir fon foible. C'étoit à qui exa-
>>gèreroit le plus ſon ſavoir , ſon habileté ,
» & à qui poufferoit le plus loin les droits
» de la Royauté , parce que c'étoient des
moyens sûrs de gagner ſes bonnes graces " .
La vanité puérile de Jacques , fon arrogance
infoutenable , fon amour aveugle pour le
deſpotiſme , causèrent les plus grands défordres
ſous fon règne. " Il confondoit la
"
" force avec la peſanteur du ſceptre , fans
>> conſidérer que plus il eſt peſant, plus il y
" a de danger qu'il n'échappe des mains
ود d'un Prince; & fans faire reflexion que la
>> prerogative eſt de la nature d'un reffort ,
» qui fe relâche ou qui caffe quand on le
2 bande trop fort » .
La Section III du même Article traite du
Gouvernement intérieur de l'Angleterre.
C'est une Hiftoire abrégée des changemens
les plus confidérables qui font arrivés dans
leGouvernement Anglois depuis Guillaume
le Conquérant juſqu'à nos jours; une notion
préciſe de la Conſtitution politique de
l'Angleterre par Th. Gordon ; l'extrait d'un
petit Traité de B. Mandeville , ſur la même
matière ; un morceau piquant ſur la liberté
civile des Anglois , le peu d'avantages qu'ils
en retirent , les moyens peu efficaces qu'ils
employent pour la conferver , && les moyers
plus efficaces qu'ils négligent ; des Obferva
DE FRANCE.
41
tions patriotiques ſur l'élection des repréſentans
, & les priviléges du Parlement: on
fait voir que la forme actuelle de Gouvernement
établie en Angleterre , eſt la ſeule
qui lui convienne.
Dans la Section IV , on traite des intérêts
& rapports politiques de l'Angleterre avec
les autres Puiſſances. Dans les ſuivantes , il
eſt queſtion des Lois , du Code Civil , Criminel
& Eccléſiaſtique ; de l'Agriculture ,
des Finances , revenus , impôts , dette nationale
, fonds publics , actions de compagnie
, &c . Tous ces objets font traités avec
clarté & préciſion , difcutés avec impartialité
, & approfondis de manière à éclairer
les Anglois , même les plus inftruits. On
trouve ici ce qu'une étude ſérieufe des Politiques
Anglois , & un long ſéjour dans la
Grande Bretagne , euffent pu à peine apprendre.
Enparlant des moeurs des Anglois , l'Auteur
fait cette remarque bien honorable
pour cette Nation. " Une choſe qu'on ne
ود ſauroit dire avec moins d'admirationque
>>de vérité , c'eſt qu'en Angleterre la confi-
>>dération perſonnelle ſe meſure en général
ور fur les ralens&fur les vertus de celui qui
» en eſt l'objet , bien plutôt que fur la naif-
>> ſance & fur les titres. L'on y dreſſe des
» mauſolées , l'on y érige des ſtatues , l'on
>>y applaudit au théâtre & dans les places
>>publiques , au Philoſophe , à l'Artiſte , au
» Poëte, au Comédien , au vaillant homme ,
42 MERCURE
>> au grand Citoyen, ſoit que le tableau des
»Pairs en revendique le perſonnage , foit
>>que la claſſe des Communes le prenne
>> pour un de ſes Membres. Delà fans doute
» cette multitude d'hommes illuftres en tout
,, genre , dont l'Angleterre s'honore, & dont
>> la Nation eſt d'autant plus en droit de ſe
ود faire une gloire , que les grandes réputa-
>>tions s'élèvent au milieu d'elle preſque
>> toujours par ſes fuffrages , & preſque ja-
>>mais par les faveurs du Gouvernement.
>> Delà furtout ce nombre de gens de qua-
ود lité , vertueux & ſavans, qui , témoinsà
>>la fois , & du peu de cas que l'on fait de
>>la naiffance en Angleterre, &du grand cas
>>que l'on y fait du mérite perſonnel , ſe li-
» vrent fi heureuſement à la culture des
» talens & du génie ,& font pour ainſi dire
>>oublier qu'ils font nobles ». C'eſt en effet .
cette ſage méthode de mettre les hommes à
leur place, & de laiſſer une libre carrière aux
talens ; c'eſt ce mépris unanime pour des
préjugés gothiques, qui malgré les progrès
de la Philofophie & de la raiſon , n'en règnentpas
moins puiffamment dans le reſte de
l'Europe, qui ont fait la gloire de la nation
Angloiſe , & ont été la ſource de ſes ſuccès ,
&l'unique fecret de ſa puiſſance.
Dans l'analyſe du Traité du pouvoir des
Rois d'Angleterre ouvrage célèbre , l'on
verra quelles font les idées des Anglois fur la
nature de la Royauté.
Dans les conſidérations ſur la liberté civile
:
DE FRANCE.
43
des Anglois , l'Auteur trace d'un pinceau
ferme& vigoureux , tous les déſordres qu'enj
traîne en Angleterre la vénalité des fuffrages
, & la corruption de ces fiers infulaires ,
qui prétendent être les Romains de notre
temps , & dont les moeurs en effet rappellent
parfaitement Rome dans ſa plus grande
corruption ; qui , comme les Romains encore
, femblent avoir gagné de grandes forces
pour ſe mieux déchirer , & être devenus
puiſſans pour ſe rendre malheureux ; qui
augmentent leurs maux par les efforts malcombinés
qu'ils font pour s'en délivrer , &
que la crainte d'être eſclaves conduit à l'efclavage
ſous l'étendardde la liberté ; qui trop
pleins de l'excellence de leur Conſtitution ,
rifquent de l'anéantir ſans fonger à la corriger
, & marchent à leur ruine en afpirant
à un excès de pouvoir &de richeſſes. "Vo-
>> tre Conſtitution, dit-il en s'adreſſant au
>>peuple Anglois , place la Souveraineté ,
>>c'est-à-dire , le pouvoir législatif, dans le
>>Roi & les deux Chambres du Parlement ,
>>dont la convocation lui eſt refervée : elle
>>donne le pouvoir exécutif au Roi , lui ac-
>> cordant de choiſir ſes Miniftres , ſes Con-
>>ſeillers , ſes Lieutenans ; enfin elle confère
>>l'autorité de décider les cauſes litigieuſes
" aux Pairs des Parties plaidantes . Voilà ce
>>qui doit faire le bonheur de la nation Bri-
>>tannique. C'eſt en quoi conſiſte l'excellence
>> de votre Conſtitution ſur toutes les autres.
>>Mais que dira-t- on en entendant vos plain
MERCURE
44" tes contre routes ces fources de votre feli-
و د
cité ? Le Roi mal conſeillé , abuſe de fa
>>prerogative; ſon choix de Miniſtres n'eft
» jamais bon; le Miniftre corrompu agit en
>>defpote. Le Parlement eft dévoué au Mi-
>>niftère; les Jurés font ſubornés par les in-
" téreſfés. La Chambre des Communes, qui
>> repréſente le Peuple, qui eft l'appui de la
و د
liberté publique & du bonheur de la na-
» tion, eſt devenue ſuſpecte ; ſon crédit n'eſt
>>plus : elle n'eſt regardée que comme l'inf-
" trument du Miniſtère. Telles font en géné-
> ral les plaintes qu'on voit fortir preſque
" ſans ceſſe de la plus excellente des Conf-
» titutions » . L'Auteur entre enfuite dans le
détail des defordres & des abus qui ſe font
gliffes dans la Conſtitution politique d'Angleterre
, que Monteſquieu regardoit comme
le chef-d'oeuvre de la raiſon humaine. Il propoſeplufieurs
moyens de réparer les maux
dont l'Angleterre eſt accablée. De tous les
remèdes , le plus efficace ſans doute , feroit
de faire revivre l'ancienne fimplicité des
moeurs , le patriotiſme & l'amour de la
vertu. " Ne croyez pas , dit-il , que vous
>> puiffiez être gouvernés en hommes vérita-
„ blement libres , tant que vous reſterez fous
„ la tyrannie de vos paſſions , de l'ambition ,
» de l'avarice , de l'intempérance. Si vous
» voulez être indépendans des principes de
,, la vertu &de l'honneur; fi vous voulez vous
» livrer fans contrainte à tous vos appétits
» déréglés , être vains & ambitieux , afpirer
C
DEFRANCE.
45
>>>aux honneurs ſans les mériter , vivre dans
>>>l'opulence& l'oiſiveté , ſervir vos paſſions
» effrénées au lieu de ſervir la patrie , vous
» déchaîner ſans ceſſe contre le Ministère ,
>> au lieu d'oppoſer à ſes intrigues une vertu
>> incorruptible; ſi vous prétendez tyrannifer
>> la Cour de peur que la Cour ne vous op-
>> prime ; fi chacun de vous fait tous fes
>> efforts pour mettre ſon indépendance par-
>> ticulière à la place de la liberté commune,
>> nevous plaignez plus des maux que vous
>>fouffrez , vous les méritez; ils ſeront ſans
>> remède tant que vous perſiſterez dans ces
>> malheureuſes diſpoſitions. Il n'y a & ne
>> peut y avoir ni liberté ni bonheur dans
-> une Cité corrompue .... Là où régnera
-> la vertu, là ſera la patrie de la liberté ».
>> Pour être un vrai Patriote , il faut une
>>ame grande , il faut des lumières , il faut
>> un coeur honnête , il faut de la vertu. Le
>>Patriotiſme eſt une paſſion noble , fière ,
>>généreuſe ; il eſt incompatible avec l'ava-
>> rice, paffion toujours fordide, baſſe , info-
>>> ciable. Un peuple enivré de l'amour de l'ar-
>>gent, ne trouve rien de plus eſtimable que
>> l'argent ; il craint la pauvreté ou la mé-
>> diocrité comme le comble de l'infortune ,
>> & facrifiera tout au deſir de s'enrichir, Un
>>> peuple commerçant ne voit rien de com-
>> parable à la richeſſe , chacun veut l'obte-
-> nir; fi cette paſſion épidémique gagne tous
>> les Ordres de l'État , le repréſentant du
>> peuple n'en ſera point exempt ; il traitera
46 MERCURE
>> de la liberté publique avecle Prince & fon
>>> Miniſtre , qui auront bientôt le tarif des
>> probités de leur pays.
» Une nation venale , vicieuſe , corrom-
» pue , peut- elle donc long-temps conferver
ود La liberté ? Elle ne fait cas de cette liberté ,
» qu'autant qu'elle lui procure les moyens
ود de s'enrichir. La liberté, pour être ſentie
» & confervée , demande des ames nobles ,
» courageuſes , vertueuſes ; fans cela elle dé-
>>génère en licence , & finit par devenir la
» proie du maître,qui aura de quoi cor-
» rompre. Un peuple ſans moeurs n'eſt pas
fait pour être libre ; un peuple injuſte pour
les autres; un peuple brûlé de la foif de
>> l'or; un peuple conquérant ; un peuple en-
„ nemi de la liberté d'autrui ; un peuple ja-
>> loux même de ſes concitoyens ou des ſu-
» jets d'un même État , a-t'il des idées vraies
"
"
ود de la liberté ? La liberté véritable doit être
>> accompagnée de l'amour de l'équité , de
>> l'humanité , d'un ſentiment profond des
>> droits du genre humain; ces ſentimens ne
>> peuvent être que le fruit d'une éducation
» vertueuſe & généreuſe , bien différente de
» cette éducation ſervile que l'on donne aux
>> hommes en tout pays....
>>Peuple d'Albion ! d'où viennent ces
>> alarmes continuelles , ces factions qui vous
>>déchirent , ces chagrins qui vous dévorent
& qui ſe peignent ſur votre front ? Com-
>> ment ces tréſors qui s'accumulent dans
>> vos mains , loin d'aſſurer votre bonheur ,
:
DE FRANCE.
47
>>>ne font - ils que le troubler ſans ceſle ?
>>Pourquoi dans le ſein même de l'abondan-
» ce & de la liberté vous voit- on rêveurs ,
>>inquiets , & plus mécontens de votre fort
>>que les eſclaves frivoles qui font les objets
>>de vos mépris ? Apprenez la vraie cauſe de
>>vos craintes & de vos peines. Jamais l'a-
>>mour de l'or ne fit de bons citoyens. La
>>liberté ne peut être fermement établie que
>> ſur l'équité, & courageuſement défendue
>> que par la vertu. Laiſſez à des deſpotes la
>>gloire folle & deſtructive de faire des con-
» quêtes , & de répandre à grands flots le
>>fang de leurs ſujets. N'enviez point à vos
>> concitoyens d'Amérique des droits , des
>>priviléges , une liberté dont ils doivent
» jouir comme vous & avec vous. Mettez
>> fin à une guerre auſſi ruineuſe , auſſi def-
>> tructive pour vous que pour eux. Montrez-
» vous auſſi amis de leur liberté que de la
" vôtre. Ne faites point dire à l'Europe in-
>> dignée que vous voulez les enchaîner pour
>> jouir excluſivement de leurs richeſſes . N'al-
>> lez pas anéantir les bienfaits que la nature
>>vous prodigue , par une obſtination infen-
>>ſée qui cauſeroit votre perte. Cultivez la
>>ſageſſe & la raiſon ; occupez-vous à per-
>> fectionner votre Gouvernement & vos
>> loix. Liez à jamais les mains cruelles du
>> pouvoir arbitraire. Ne vous endormez
>> point dans une ſécurité préſomptueuſe ,
>>dont l'ambition éveillée profiteroit pour
>> vous charger de fers. Veillez ſur vous
48 MERCURE
>>mêmes & fur vos repreſentans ; choififfez-
>>les tels qu'ils ne puiſſent ſe laiſſer cor-
>>rompre. Craignez un luxe fatal aux moeurs
» & à la liberté. Redoutez les effets du fana-
>>tiſme religieux & politique. Enchaînez
>> l'ambition des tyrans , protégez la juſtice
>> opprimée ; & pour lors votre Ifle fortunee
>> deviendra le modèle des nations , le foyer
>>de la liberté , au feu duquel tous les peu-
>>ples de la terre viendront s'éclairer &
>> s'échauffer » .
On ne peut trop donner d'éloges & d'encouragemens
aux Auteurs de ce grand Cuvrage
, également utile aux Gens de Lettres ,
aux Philofophes , aux Politiques , enfin à
tous ceux qui par goût ou par état , veulent
s'appliquer à l'etude des Sciences politiques ;
étude long - temps négligée en France par
ceux même que leur naiſſance deſtinoit au
Ministère & aux Ambaſſades. Le titre que
nous analyſons eſt propre à inſpirer le goût
des connoiſſances utiles , & en même-temps
qu'il facilite l'étude des Sciences politiques ,
il en démontre l'importance & la néceflité.
Quoique l'Article Angleterre ſoit trèsétendu
dans ce Volume qu'il termine , il n'y
eſt pas complet; on n'y parle ni du Commerce
, ni de la Marine , ni des Colonies des
Anglois. Mais le Tome V paroit depuis quelques
mois , & ces objets y font traités d'une
manière auſſi inſtructive & auffi fatisfaiſante
que les autres. Nous en rendrons compte
dans la ſuite.
Correspondance
DE FRANCE.
42
Correfpondance de Fernand- Cortès avec l'Empereur
Charles - Quint fur la conquête du
Mexique , traduite par M. le Vicomte de
Flavigny,Lieutenant-Colonel de Dragons ,
Chevalier de l'Ordre Koyal & Militaire
de Saint - Louis , in- 12 de 536 pages. Prix ,
3 liv. broché. Chez Cellot & Jombert ,
Imprimeurs-Libraires , ue Dauphine .
Nous avons eu preſque en même-temps
fur l'Amérique deux morceaux précieux de
littérature & d'hiſtoire chacun dans leur
genre : un eſt la traduction de l'ouvrage
de M. Robertfon , dont nous avons rendu
compte ; l'autre eſt celle de la Correfpondance
deFernand-Cortès avec Charles-Quint,
ou les trois lettres de ce grand Capitaine qui
ont fourni à l'hiſtoire les matériaux les plus
eſſentiels & les plus authentiques pour l'article
du Mexique .
Si la traduction de cet ouvrage n'offre
point tous les agrémens de la nouveauté,
les Lettres de Cortès ayant été compulfees
, analyſées , & pour ainſi dire copiées
mot à mot par tous les Auteurs Eſpagnols ,
Italiens , Anglois , François & même Latins * ,
elles n'en font pas moins les Mémoires originaux
d'un grand Capitaine , le premier des
Modernes qui ait écrit lui-même ſes exploits
* Il y a une traduction complette de ces Lettres
en latin, la ſeule que nous connoiffions avec celle-ci.
5 Février 1779 .
C
SO
MERCURE
avec la candeur & l'ingénuité inféparables de
la vérité & de la véritable grandeur.. Le Traducteur
a joint au mérite d'avoir conſervé
de l'original le ſtyle ſimple , concis , clair &
propre à ces fortes de narrations , celui de la
fidélité & de l'exactitude , inſéparables d'une
bonne traduction , quoique l'Eſpagnol que
parloit Cortès ait vieilli , & qu'il fût difficile
de peindre la ſuperſtition & le fanatiſme du
ſiècle de ce Conquérant ſans être infipide &
faftidieux.
Cortès , ſimple , modefte & naif, montra
toujours dans ſa conduite une ſageſſe & une
prévoyance incomparables , la rare habileté
d'imaginer & de choiſir les reſſources les
plus utiles , & l'art d'en faire uſage. Malgré
fes grands moyens & tous ſes avantages pour
fubjuguer l'Amérique , on reconnoît à chaque
pas le génie , le grand homme , le Général
inftruit , prudent , fertile en reſſources , le
Politique délié& prévoyant ,leGuerrier entreprenant
, audacieux , intrépide , que rien n'étonne
, qui ſouffre avec patience les privations
les plus amères & la douleur ; qui ſe tire des
pasles plus dangereux , tantôt par ſa fermeté,
tantôt par fa condeſcendance , & toujours
avec le fang-froid qui ne trompe jamais fur
le choix des moyens.
Secouer le joug de Velaſquès , jeter ſes
navires à la côte , tirer parti des complots &
des projets d'affaffinat formés contre lui au
lieu de s'en étonner , faire prifonnier Pamphile
de Narrai au milieu d'un détachement
DE FRANCE.
fl
Eſpagnol beaucoup plus conſidérable que le
fien , foutenir un fiège & faire à fon tour
celui d'une place , auſſi rare , auſſi long , auffi
fertile en événemens , en dangers , en combats
, en hafards & en incidens de toute
eſpèce que celui de Mexico , feroient de nos
jours même des actions étonnantes , preſque
au-deſſus de l'humanité , dignes au moins
d'admiration dans tous les ſiècles .
Les lettres de Cortès lui font encore honneur
comme écrivain par le ton modefte &
plein d'ingénuité qu'on y trouve d'un bout à
l'autre. Les détails ſéparés de l'action principale
inſpirent encore de l'intérêt : les obfervations
ſur les loix & coutumes des Mexicains;
la defcription de la Cour & du faſte de
Montezuma ; les diſcours & la fin tragique
de ce Prince ; le courage des Américains en
tant d'occaſions; les cruelles extrémités où ils
font réduits ; leur dévouement à la mort ;
celle de leur dernier Empereur ; tous ces détails
, inſpirent un intérêt ſoutenu , & font
lire l'ouvrage avec plaiſir juſqu'à la fin.
Lecture pour les enfans , ou Choix de petits
contes,également propres à les amufer &
à leur inspirer le goût de la vertu ; nouvelle
édition , augmentée, d'un volume.
A Paris , chez Nyon aîné , Libraire , rue
Saint-Jean-de-Beauvais.
Rien n'eſt ſi difficile , on l'a dit trèsſouvent
, que de faire des ouvrages où les
Cij
52
MERCURE
!
enfans puiffent s'amufer & s'inſtruire à la
fois. En avançant en âge , les hommes oublient
ce qu'ils étoient dans l'enfance: ils ne
ſe ſouviennent plus ni de ce qui étoit à la
portée de leur intelligence , ni des idées qu'ils
Te formoientdu bien &du mal. Auffi fait-on
d'un homme un plus grand éloge qu'on
ne penſe , lorſqu'on dit qu'il fait ſe mettre
à la portée des enfans. Ce mérite eſt bien
plus rare encore dans les livres. En vivant
avec eux , on peut voir ce qui les embarrafle
,&éclaircir toutde ſuite ladifficultéqui
les arrête. Si l'on ſe ſert d'un mot qui n'eſt
pas encore dans leur petit Dictionnaire , on
l'interprête par d'autres mots qu'ils ont fouvent
dans la bouche ; enfin on ſe ſert avec
fuccès de tous les objets qui les environnent
&qui frappent leurs ſens , pour leur rendre
les idées qu'on veut leurdonner plus claires
&plus ſenſibles. Mais dans les livres on ne
leur parle qu'une fois ; & s'ils font arrêtés ,
il leur faut un autre interprête que l'Auteur
de l'ouvrage. D'ailleurs on défigureroit le
ſtyle d'un livre , ſi on l'écrivoit avec la langue
des enfans : il faut donc trouver le moyen
deleur faire comprendre celle des hommes,
Ces difficultés ſont ſi grandes ,& les enfans
ſont ſi malheureux lorſqu'on ne les leur
épargne pas de quelque manière , que tout
homme qui fait unbon livre, ou même un
bon recueil pour eux , mérite la reconnoiffance
des hommes.
Le recueil que nous annonçons paroît
DE FRANCE.
53
avoir été fait abſolument dans ces vues.
D'abord il y règne la plus grande variété ,
foit dans la forme, ſoit dans les idées , foit
dans le ſtyle des morceaux , & rien n'eſt plus
propre à fatisfaire , ſans aucun inconvénient ,
ce beſoin invincible qu'ils ont de changer
fans ceffe d'objet. La plupart des inſtructions
qu'ils recevront ici font toujours déguiſées
ou par le récit d'un conte , ou par l'action
d'un petit Drame. On commence toujours
par parler à leur imagination. Ce qui eſt
très - propre fur-tout à les attirer au piége
innocent des leçons qu'on leur prépare ,
c'eſt que preſque tous les héros des petites
hiftoriettes , &preſque tous les perſonnages
des petits drames de ce recueil ſont des enfans
comme eux. Ils croiront cauſer avec
leurs camarades , & le moment même de
l'etude , ils auront peine à le diftinguer de
celui de la récréation .
Ce qui doit rendre ce recueil encore infiniment
précieux à tous les pères& à toutes
les mères de famille , c'eſt que tous les morceaux
dont il eſt compoſe reſpirent la morale
la plus pure & la plus douce ; c'eſt que
toutes les notions qu'on y prend des chofes
font de la plus grande juſteſſe. En un mot ,
nous l'avons parcouru avec ſoin , & il nous
ſemble qu'il n'y a pas un ſeul article qui , en
amufant les enfans , ne laiſſe ou une idée
très-juſte dans leur eſprit , ou un fentiment
très-honnête dans leur ame.
Ciij
54 MERCURE
Recherchesfur la Pouzzolane, fur la théorie
de la chaux , &fur la caufe de la dureté du
mortier , avec la compoſition de différens
cimens en pouzzolane , & la manière de
les employer, tant pour les baſſins , aquéducs,
réservoirs , citernes & autres ouvrages
dans l'eau , que pour les terraſſes , bétons
& autres constructions en plein air. Par M.
Faujas de Saint-Fond. AGrenoble , chez
J. Cuchet , Imprimeur-Libraire de Mgr le
Duc d'Orléans. AParis , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue Saint - Jean- de - Beauvais ,
1778 , brochure in- 8 ° . Prix , 36 fols.
Puteolanus pulvis , ſi aquam attigit , Saxum
fit. Sen. nat. queſt. lib. III.
On apprend par un avis du Libraire ,
placé à la tête de cet ouvrage , qu'il eſt
extrait d'un autre ouvrage beaucoup plus
conſidérable de M. Faujas de Saint-Fond fur
les volcans éteints du Vivarais & du Velay ,
&c. en un volume grand in-folio , orné de
planches , dont l'édition paroît actuellement
, & que ce n'a été que pour répondre
aux defirs du public que l'on s'eſt empreſſé
de publier ſéparément la brochure in-8 °.
que nous annonçons .
La pouzzolane eſt une marne ferrugineuſe,
calcinée ou cuite par le feu des volcans ;
c'eſt une eſpèce de ciment préparé pár la
Nature , lequel , mêlé dans une proportion
convenable avec de la pâte de chaux éteinte ,
DE FRANCE.
55
forme un mortier qui ſe durcit de plus en
plus , même ſous l'eau , qui devient impénétrable
à cet élément , & acquiert la folidité
des meilleures pierres.
Il eſt aiſé de fentir l'extrême utilité d'une
fubſtance qui poffède éminemment toutes
ces qualités , & qui , ſuivant les obſervations
& les expériences les plus anciennes , ſuivant
le témoignage de Pline & de Sénèque, a la
réputation de l'emporter infiniment , à cet
égard , ſur toutes les autres eſpèces de cimens
qu'on ſubſtitue à la pouzzolane dans
les pays où l'on manque de cette précieuſe
matière.
Juſqu'à ces derniers temps , on ne connoiffoit
guères d'autre pouzzolane que celle
d'Italie , & c'étoit de cette contrée qu'on
faifoit venir celle qu'on vouloit employer
dans les conftructions qui demandent la plus
grande folidité. Mais l'Italie n'eſt point le
ſeul pays où il y ait des volcans , ou du
moins où il y ait eu de ces feux ſouterrains,
& dans lequel par conféquent on puiffe
trouver des matières volcaniſées. Il eſt conftant
au contraire , par les obſervations de
nos Naturaliſtes modernes , que plus ils examinent
avec ſoin l'intérieur de la terre , &
plus ils trouvent de régions dans leſquelles
les traces & les effets des feux fouterrains
font des plus ſenſibles ; & que s'il n'exiſte
plus de volcans actuellement brûlans dans
ces endroits , il ena exiſté autrefois de
très- conſidérables , qui ſe ſont éteints par
Civ
56 MERCURE
l'épuiſement des matières combuftibles.
L'hiſtoire civile ne nous a pas confervé les
faits relatifs à la plupart de ces anciens volcans
, parce que probablement les pays dans
leſquels ils ont exiſté étoient ſauvages ou in
habités dans le temps de ces embrâſemens ,
& même long-temps après qu'ils ont été entièrement
éteints ; mais l'Hiſtoire naturelle
en retrouve maintenant , dans l'intérieur de
la terre , des monumens auſſi certains que
les médailles les mieux confervées. Il n'y a
pas le moindre doute que les terreins qui ne
ſont compoſes que de laves , de pierresponces,
de baſaltes , de pouzzolanes ,& autres
matières qui font produites par les volcans
actuellement brûlans , ne ſoient euxmêmes
des produits d'anciens volcans. Or ,
nous avons quantité de ces terreins dans
pluſieurs de nos provinces de France , telles
que l'Auvergne , le Vivarais , le Vélay , où
M. Guettard, ſavant Naturaliſte , de l'Académie
des Sciences , a découvert le premier
toutes ces marières volcaniſées ; & les obfervations
de det Académicien ont été bien
vérifiées , bien ſuivies depuis par M. Deſmarets
, auffi de l'Académie des Sciences ; par
M. Faujas de Saint-Fond , qui s'eſt confacré
entièrement à ces recherches intéreſſantes ,
& fans doute par d'autres Naturaliſtes , qui
publieront leurs obſervations dans la ſuite.
Quoiqu'il foit conſtant que toutes les
matières volcaniſées , & la pouzzolane en
particulier , aient été découvertes en France
DE FRANCE.
57
avant M. Faujas , cela ne doit rien diminuer
du mérite des recherches de ce dernier ; car
non- feulement elles ont confirmé & étendu
les découvertes des premiers Obſervateurs ,
mais ce zelé Naturaliſte a entrepris , comme
il le dit dans l'ouvrage dont nous rendons
compte , les voyages les plus pénibles & les
plus diſpendieux pour rendre ſes decouvertes
utiles à ſa patrie.
Sous ce point de vue , de tous les produits
de nos volcans éteints en France , c'étoit la
pouzzolane qui devoit intéreſſer le plus M.
Faujas, à cauſe de l'emploi avantageux qu'on
peut faire de cette matière dans les conftructions
expoſées à l'action de l'eau , à celle du
foleil , de l'air , &c .
- Mais pour qu'on pût jouir de tout l'avantage
que promettoit la pouzzolane decou
verte en France, il ne fuftifoit pas d'en trouver
de petites quantités , ou d'en rencontrer
mêmedegrandes mmaaſiſles dans des lieuxprefque
inacceſſibles ; il falloit en découvrir des
mines ou carrières abondantes , ſituées commodement
pour l'exploitation & pour le
tranſport , & le zèle de M. Faujas a été
récompenſé par la découverte d'une carrière
confiderable de pouzzolane qui avoit toutes
ces conditions , dans la montagne de Chenavari
, en Vivarais, à une demi-lieue du
Rhône.
Après s'être aſſuré par les épreuves convenables
, que cette matière étoit effentiellement
de même nature que la pouzzolane
Cy
!
58 MERCURE
d'Italie , M. Faujas ne devoit avoir rien de
plus à coeur que de conſtater les bons effets
de cette pouzzolane de France , employée
en mortier dans les conftructions les plus
expoſées à l'action des élémens & aux dégradations
qui en font la ſuite. On trouve dans
fon ouvrage tous les détails qu'on peut defirer
ſur les meilleures proportions de ce
ciment naturel , avec la chaux & les autres
matières qui entrent dans la compoſition du
mortier , fur les qualités de la chaux la plus
convenable pour cet objet, ſur la manière
d'appliquer & de traiter ce mortier , tant
pour les ouvrages ſous l'eau de la mer, que
pour les baffins , réſervoirs , citernes , terraſſes
à l'Italienne & autres , qui font expofés
à l'alternative très-deſtructive de la ſéche
reffe , de l'humidité , de la chaleur & de la
gelée.
pouz-
Ces épreuves de conſtructions , qui n'onété
faites que l'année dernière & cette année ,
ne font pas encore affez anciennes pour qu'on
puiffe être entièrement aſſuré que leur folidité
fera la même que celle des ouvrages où
l'on a employé , par comparaiſon , la
zolane d'Italie ; mais juſqu'à préſent elles
promettent un ſuccès égal, & l'on voit par
les procès-verbaux & rapports des Archirectes-
Conftructeurs , & autres Commiffaires
, qu'ils ont reconnu dans lespouzzolanes
du Vivarais , la même analogie & les mêmes
principes qui conflituent labonté de celle d'Ita
lie. On a donc tout lieu d'eſpérer que les
DEFRANCE.
59
recherches & les travaux de M. Faujas feront
ſuivis du plein ſuccès que ſon zèle a fi bien
mérité , & fa patrie lui devra probablement
la connoiffance & l'emploi d'une matière
précieuſe qu'elle poſſedoit , & qu'elle étoit
obligée de tirer de l'étranger.
Quelque grand que foit cet avantage , il
eft poflible cependant que les recherches
de M. Faujas en procurent un plus grand
encore , en ce qu'il s'étendroit à tous les
pays. Cet habile Naturaliſte n'a pu acquérir
les connoiffances qui lui étoient néceflaires
pour parvenir à compoſer les meilleurs mortiers
de pouzzolane , fans faire un examen
particulier de cette matière , & de l'eſpèce
de chaux qui lui convient le mieux. Il a
reconnu par pluſieurs expériences chimiques,
que la pouzzolane eſt une argile fableuſe
mêlée d'une terre ferrugineuſe ; c'eſt cette
dernière qui donne à ce ciment naturel les
différentes nuances de rouge , de brun , de
gris qu'on y remarque, ſuivant les degrés de
chaleur qu'elle a éprouvés,& les circonstances
particulières de ſa calcination. Or , il n'y a
aucun pays où l'on ne trouve abondamment
des matériaux de cette eſpèce , auxquels il
ne peut manquer par confequent que la juſte
proportion des parties conftituantes , & le
degré de calcination ou de cuiffon convenable
, pour être convertie en vraie pouzzolane.
Les briques ordinaires ens approchent
toutes plus ou moins; auſſi ſont-elles employées
comme ciment , avec plus ou moins
1
Cvi
60 MERCURE
!
د
de ſuccès , dans les mortiers. Qui fait fi , en
employant le ciment ordinaire de briques
pulvérifees avec la meilleure eſpèce de
chaux déterminée par M. Faujas , en recherchant
, comme il l'a fait aufli, les meilleures
proportions des ingrédiens du mortier , & en'
le traitant avec tous les ſoins & toutes les
attentions qu'il indique pour la réuflite du
mortier à la pouzzolane , iln'en réfulteroit pas
des ouvrages tout auſſi ſolides ? Cette comparaiſon
n'a pas été faite , & mérite aſſurément
bien de l'être. Mais quand même là terre à
brique ordinaire , ou les pierres ſchiteufes ,
argilleufes dont , au rapport de M. Faujas , on
fait en Suède , par la calcination , une pouz
zolane artificielle , ne contiendroient pas les
parties conftituantes de la pouzzolane naturelle
dans leur juſte proportion , & manqueroient
fur-tout de la quantité de rerre ferrugineuſe
qui , felon cet habile Naturaliſte ,
contribue beaucoup à la bonté de la pouzzolanc
, qui empêcheroit qu'en profitant des
connoiffances que M. Faujas a acquiſes ſur
les parties conſtituantes de la vraie pouzzolane
, on n'en composât d'artificielle dans
les pays où cette matière ne ſe trouve pas ?
Onn'y voit affurément aucun obſtacle ; car
les ochres & autres matières très- ferrugineuſes
, ne font guères plus rares que les argiles
& les fables: on en trouve preſque partout
; & puiſque l'art des Chimiſtes eft parvenu
à produire du ſoufre , du gypſe , du
ſpath , & même du cryſtal de roche entièreDE
FRANCE. 6L
*
ment ſemblables à ceux de la nature , il y
auroit encore affurément beaucoup moins
de difficulté à compofer un ciment auquel
il ne manqueroit aucune des qualités de la
meilleure pouzzolane.
Il réfulte de ces conſidérations , que les
recherches de M. Faujas peuvent devenir
d'une utilité beaucoup plus générale qu'on
he le croiroit d'abord , & qu'il ne l'a peutêtre
penſé lui-même. Ce Phyſicien zelé ne
s'eſt point borné à la pratique dans l'ouvrage
dont nous venons de donner une légère idée ;
il y a répandu de grandes explications fur la
théorie de la chaux , & fur la cauſe de la
dureté du mortier. Nous ne dirons rien ici
de ces matières fcientifiques , abſtraites , douteuſes
, & par cela même peu intéreſſantes
en comparaifon des faits. Nous obſerverons
feulement que M. Faujas de Saint-Fond a
ſuivi pas-à-pas , & avec une docilité ſurprenante,
un ſeul guide , dont la marche ,
pour être hardie & précipitée , n'en paroît
aux Chimiſtes que plus ſujette à des chûtes
graves &à des faux pas très-fréquens.
CetArticle est de M. Macquer.
62 MERCURE
A
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Dimanche 17 Janvier , on a remis
Armide , avec la Muſique de M. Gluck. La
foule qui s'eſt portée à cette première repréfentation
, ſembloit annoncer pour les fuivantes
un concours nombreux de Spectateurs;
cependant il ne s'eſt pas foutenu dans
lamême proportion ; & Caftor , dont les
repréſentations ont été entre- mêlées à celles
d'Armide , a attiré beaucoup plus demonde.
Ce n'eſt pas que cette remiſe ait été négligée,
ni que les Acteurs ayent rien diminué du
zèle qui a toujours paru les animer pour les
productions de M. Gluck.
Le rôle d'Armide a été joué par Mlle le
Vaffeur , qui paroît y avoir fait encore des
progrès.
Le Perſonnage de la Haine a été repréſenté
par Mlle Durancy , avec l'énergie de
caractère qui convient à cette Divinité infernale.
M. Larrivée a très-bien joué le rôle d'Ubalde.
Celui de Renaud a été chanté parM.
le Gros , avec tour l'art & le ſuccès poffibles
.
Mlle Aſſelin , qu'une maladie avoit éloignée
du théâtre depuis quelques mois , a
DE FRANCE. 63
reparu dans le ballet du ſecond Acte. Le
Public lui a témoigné , par des applaudif
Temens flatteurs , le plaiſir qu'il éprouvoit à
la revoir.
Le lendemain 18 , on a donné , pour la
première fois , il Geloſo in Cimento , ou le
Jaloux à l'épreuve , Opéra Bouffon en trois
Actes ,Muſique del Signor Anfoſſi.
Le Drame eſt un des plus mauvais de ce
genre. Le caractère principal eſt un Jaloux ,
ou pour mieux dire un frénétique à enfermer.
Dom Fabio ( c'eſt ſon nom) fe livre
pendant tout le cours de la Pièce à des extravagances
, dont la moindre annonce un
homme attaqué d'une folie incurable , &
cependant il époufe au dénouement celle
qu'il a rendue le témoin & preſque la victime
de fes fureurs. La Scène quatorzième
du premier Acte eſt à peu-près calquée ſur
la fameufe Scène du Dépit Amoureux , entre
Érafte & Lucile ; mais ce traveſtiſſement eſt
digne du reſte.
La Muſique a eu un très-brillant ſuccès ,
& elle la mérité. L'ariette Non farò mai
più gelofo , annonce un Muſicien qui fait
faire parler aux paffions le langage qu'elles
exigent , en proportion de ce qu'elles ont
plus ou moins de violence & d'exploſion .
Le ſextuor oh che tempo ! que nuvola ofcura !
eſt de la plus belle facture & du plus grand
effer. L'aria buffa , veloce al par d'un Barbaro
, est d'un ſtyle également agréable &
comique.
64
1
MERCURE
La décoration de la fin du ſecond Acte ,
qui reprefente la place de S. Marc à Venife ,
eft fort jolie, & fait illufion .
B
Le Signor Pinetti a rempli le rôle de Don
Fabio; le Signor Gherardi ajoué celui de
Don Perichetto , & y a mérité les applaudiſſemens
qu'on lui a donnés. La Signora
Chiavacci a rendu , avec autant de grâces
que de goût & de préciſion , le rôle de
Dona Flavia. On doit des éloges à la Signora
Rofina Baglioni dans le perſonnage de Vittorina
, & à la Signora Farneſi dans celui de
Modesta. MM. Tofoni & Fochetti ont rempli
les rôles de Rosbif & de Paterio .
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a remis à ce Théâtre , le Mardi 19 Janvier,
l'Embarras des Richeſſes , Comédie en
trois actes & en profe , par d'Allinval * .
Le fond de cette Pièce eft à peu-près celui
de la Fable qui a pour titre le Savetier &
le Financier , & qui a déjà été le ſujet deplufieurs
Drames .
Arlequin aime Chloé , & en eſt aimé. Il
n'a d'autre bien qu'un petit jardin qu'il cultive
avec grand foin; mais il chante & fe
réjouit ſans ceffe. Un Financier , nommé
* On a attribué cette Pièce à Marivaux dans le
Journal de Paris ; c'eſt une erreur , :
DE FRANCE.. 65
Midas , s'irrite de la gaieté d'Arlequin , &
veut lui prouver qu'il eſt malheureux parce
qu'il n'eſt pas riche. Plutus vient ſeconder
le Financier , &donne à Arlequin un tréſor.
Apeine celui-ci en est- il poffefſeur , que ſa
gaieté fait place aux foucis , aux inquiétudes,
à la crainte : il fuit tout ce qu'il aimoit ,
même ſa chère Chloé , qu'il traite avec mépris.
Enfin , prêt à fuccomber au chagrin
qui l'agite , il en découvre la cauſe , & rend
à Plutus l'or qu'il en avoit reçu. Il ſe reſſouvient
de Chloé, & retourne auprès d'elle ;
mais Chloé le rebute à fon tour , & lui
déclare qu'elle va ſe marier à un Officier ,
dont elle eſt aimée. Arlequin ſe déſeſpère;
enfin on lui apprend qu'on a voulu ſe venger
de lui , que ſon repentir & fes larmes
ont touché ſa Maîtreſſe , & qu'elle conſent
àl'époufer.
Nous n'avons point parlé d'un Pamphile
& d'une Florife , qui forment une ſeconde
intrigue amoureuſe , parce que cette intrigue
eſtà peu-près étrangère au fond du ſujet.
د
Cet Ouvrage eſt médiocre & plein de
défauts eſſentiels , & malgré cela il plait ,
parce qu'on y trouve une morale douce
gaie & vraie , & quelques fituations comiques.
On a paru deſirer un peu plus de ſoin
dans la remiſe de cetre Comédie , & dans le
jeu des Acteurs; mais on a généralement applaudi
à la fineſſe , à la vérité & à l'intelligence
que M. Carlin a déployées dans le rôle
d'Arlequin.
66 MERCURE
L'Auteur de cet Ouvrage eſt peu connu ; il
étoit né à Chartres, & s'appeloit Léonor-Jean-
Chriftine Soulas d'Allinval. Il étoit Abbé ,
pauvre & philofophe. Il débuta par la Pièce
dont nous venons de donner une idée. Elle
fut repréſentée avec ſuccès le 2 Juillet 1725 .
Le 27 Mai 1752 , elle fut remiſe au théâtre ,
& fut reçue auſſi favorablement. On a encore
de lui l'Ecole des Bourgeois, Comédie en
trois actes & en profe. Onpeut faire à cette
Pièce les mêmes reproches qu'à l'Embarras des
Richeſſes; elle n'eſt cependant point ſans
mérite , & ne peut être l'ouvrage que d'un
homme qui avoit étudié les bons modèles ,
& qui avoit une étincelle de génie comique.
Il mourut dans la plus grande misère , le 2
Mai 1753 .
SCIENCES ET ARTS.
GRAVURES.
AVIS concernant le Plan général & les Vues
particulières du Jardin de Mouceau.
SII
laperfection des Jardins , comme celle des autres
Arts , confifte à reproduire un grand nombre
d'idées & de ſenſations agréables , celui que Mgr le
Duc de Chartres vient de faire exécuter dans un
Fauxbourg de Paris , tiendra ſans doute un rang diftinguéparmi
les plus agréables Jardins du Royaume,
>
1
1
DEFRANCE. 67
Une nature morte s'eſt tout-à- coup embellie ; unc
plaine arride & monotone s'eſt couverte de fleurs ,
d'arbriſſeaux , de collines , d'une rivière , de toutes
les beautés qu'on trouve éparſes au milieu des campagnes.
Dans une promenade d'une heure , l'oeil
étonné découvre ſucceſſivement des moulins , des
ponts , des cafcades , des prés , des vignes & des
champs labourés ; non loin d'une chaumière on rencontre
les pavillons de l'opulence ; à côté des ruines
d'un temple ou d'un château gothique , on voit la
demeure des Faunes , les tentes des habitans de la
Turquie & de la Tartarie , des Iſles hériſſées de roches
, où toutes les eaux ſemblent prendre leur
fource.
L'Artiſte chargé de l'exécution de ce Jardin , ne
l'ayant renfermé que par de fimples foffés , ceux qui
s'y promènent confondent dans la même enceinte
tous les objets qui l'environnent ; ils jouiſſent à la
fois & du ſol qu'ils parcourent , & des payſages que
l'oeil embraſſe , & des illuſions que le mouvement
du ciel varie à l'infini. Cependant cette charmante
miniature n'a pu trouver grace devant les ennemis
de toute nouveauté , devant ces eſclaves de l'habitude&
de la routine , qui ſe perfuadent que la froide
ſymmétrie & l'image des objets qu'ils ont admirés
dans leur enfance , font l'immuable prototype du
beau. On a comparé un jardin de ville à ces grands
& riches payſages qu'on ne peut rencontrer qu'à une
longue diſtance de la capitale ; on s'eſt hâté de juger
un tableau qui étoit à peine eſquiſſé, comme onjugeroit
d'un chêne au moment où il fort du germe.
Dans l'état où ſe trouve aujourd'hui le jardin de
Verſailles , ne pourroit-on pas , avec les mêmes principes
, porter un jugement auſſi défavorable ſur un
chef-d'oeuvre de le Notre ? Les objets n'y ſemblentils
pas confondus , & les oppoſitions trop heurtées ?
Avant de prononcer contre les ouvrages exécutés
68 MERCURE
àMouceau, il falloit au moins attendre que les arbres
fuſſent affez élevés pour ſéparer & dérober à la vue
les différentes maſſes qui compoſent ce jardin; il
falloit attendre qu'une végétation puiſſante en eût
conſolidétoutes les parties , & fait en quelque forte
diſparoître les travaux de l'art ; il falloit enfin conſulter
l'expérience , ſe promener alternativement dans
ce jardin ainſi varié , & dans un autre à longues
allées parallèles & à compartimens bien réguliers ;
alors celui des deux où la monotonie , l'ennui , la
triſteſſe ſe ſeroient fait le plus tôt ſentir , auroit ſans
doute été le moins beau , le moins parfait , & n'eût
mérité que le ſecond rang. Ce moyen d'apprécier les
ouvrages de l'art , ſeroit peut-être préférable à tous
les principes de nos Théoriciens , qui au lieu d'analyſer
des ſentimens , calculent des rapports géométriques
, & enchaînent le génie dans le cercle étroit
de leurs idées .
Au reſte , fi le jardin de Mouceau n'obtient pas
encore le fuffrage de certains connoiffeurs , il faut
eſpérer que les Gravures qui en retracent les proportions
& les plus beaux détails , mériteront celui
du Public. M. de Lafoſſe , d'après les deffins deM.
de Carmontel , Auteur de ce Jardin a entrepris
d'en donner le plan général , accompagné de dixfept
vues particulières ; ce qui formera une collection
dedix-huit planches , avec une explication pour l'intelligence
de chacune d'elles. Le prix de cet ouvrage
fera de 27 livres pour les Souſcripteurs , & de 40
pour ceux qui n'auront pas ſouſcrit. Il y aura trois
livraiſons de fix Eſtampes ; on payera 9 liv. en les
recevant ; les épreuves ſuivront le rang des Soufcripteurs.
On ſouſcrit chez M. de Lafofſe , rue du
Carroufel , proche les Tuileries , & chez tous les
Marchands d'Estampes.
Portraitde M.Le Noir , Conseiller d'État ,
1
DE FRANCE. 69
Lieutenant Général de Police , gravé à la manière
du crayon rouge , par N. Courteille ; avec ces quatre
vers au bas.
Magiſtrat éclairé , bienfaiſant , équitable ,
Lecrime a fon aſpect demeure confondu ;
Mais ſi ſon oeil actif veille ſur le coupable,
Il veille auffi fur la vertu,
Ce Portrait ſe trouve à Paris chez Chéreau , rue
des Mathurins. Prix , 1 liv. 4 ſols.
Mars allant à la Guerre & Mars de retour de la
Guerre , deux Eſtampes gravées par M. Avril , d'après
deux beaux tableaux très-connus de Rubens. AParis ,
chez Avril , rue de la Huchette , la porte- cochère
vis-à-vis la rue Zacharie. Prix 6 liv. chaque Eftampe.
VueduPort de Dieppe , gravée d'après le tableau
original appartenant au Roi , & faiſant partie de la
collectiondes Ports de France , ordonnée par M. le
Marquis de Marigny , & peint par M. Verner.
CetteEſtampe , qui eſt la quinzième de cette belle
collection, eft gravée, comme les précédentes , par
MM. Cochin & Lebas. Les noms ſi célèbres du
Peintre & des Graveurs nous diſpenſent de faire
l'éloge de cette nouvelle production.
Carte particulière Semi-topographique de l'Election
de Paris, dans laquelle , indépendaminent des
Paroiſſes , on trouve , pour plus de détail , les Abbayes
, les Châteaux & leurs Parcs , les Forêts ,
toutes les Routes & Chemins , les bornes Milliaires
& les lieues des Poſtes; dreſſée d'après la Carte générale
de France de l'Académie ; & pour les limites ,
d'après la nouvelle Carte de la Généralité de Paris
qui vient d'être dédiée à M. l'Intendant. Par M.
,
70
MERCURE
Dupain-Triel fils , Ingénieur-Géographe du Roi ,
chez M. ſon père , Ingénieur- Géographe Breveté de
Monfieur , Cloître Notre-Dame , vis-à-vis la Maîtriſe
des Enfans de Choeur.
MUSIQUE.
RECUEIL ECUEIL de Pièces & d'Airs choisis , avec accompagnement
de Harpe , par M. Petrini , OEuvres
I & II . Il paroîtra tous les mois un cahier. La Soufcription
eſt de 18 liv, à Paris , & chaque cahier ſéparément
40 fols . Chez l'Auteur , rue Montmartre ,
& chez Madame Oger , rue S. Honoré.
Sonates en quatuor pour le Clavecin ou Fortepiano
, avec accompagnement de deux violons , une
baffe& deux cors, dédiées à Mademoiſelle de Lamoignon
, par M. Balbatre , Organiſte de Monfieur ;
chez l'Auteur , rue d'Argenteuil , & aux adreſſes ordinaires
. Prix , 12 liv .
Nota. Le Mélange Muſical , ou Recueil d'Airs ,
annoncédans le Mercure précédent, eſt de M. Gibert,
&ſe trouve aux Adreſſes ordinaires de Muſique.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
Correspondance Généraleſur les Sciences & les Arts ,
par M. de la Blancherie , Agent Général de la
Correspondancepour les Sciences & les Arts.
LAA
Corondance générale ſur les Sciences &
les Arts eſt formée de deux parties. La première eft
l'Aſſemblée ordinaire des Savans & des Artiſtes , &c.
DE FRANCE. 71
\
La ſeconde eſt l'Ouvrage périodique , ayant pour titre :
Nouvelles de la République des Lettres & des Arts.
Cette Affemblée aura lieu tous les huit jours au
Bureau de la Correſpondance , rue de Tournon , à
compter du Mercredi 20 Janvier 1779. Lorſque le
Mercredi ſera fête , le rendez-vous ſera remis au
lendemain.
Le but de l'Aſſemblée indique aſſez quelles ſont
les perſonnes qui doivent la fréquenter. Tous les
hommes connus par leur rang , leurs dignités , & par
la profeſſion publique des Sciences , des Lettres &
des Arts. Nul autre ne ſera reçu , s'il n'eſt préſenté
par des perſonnes ci-deſſus déſignées , ou annoncé
par une lettre de leur main dont il ſera porteur.
Les Étrangers & les Voyageurs ne feront admis
qu'autant qu'ils feront revêtus d'un caractère public ,
ou préſentés , ou annoncés de la manière qui vient
d'être mentionnée.
On annoncera dans le buletin des Aſſemblées les
Savans , les Gens de Lettres & les Artiſtes étrangers
feulement qui feront venus au rendez-vous , après
avoir pris fur cela leur conſentement.
Les Nouvelles de la République des Lettres , &c.
paroîtront ſur le format in-4°. deux ou trois jours
après chaque Aſſemblée , dont elles préſenteront le
buletin.
Deux parties formeront chaque ordinaire : l'une ,
fous le titre de Nouvelles', contiendra les nouvelles
relatives aux Sciences & aux Arts ; l'autre , ſous le
titre de Supplément , & ſous le nom des différentes
Villes du monde , offrira une notice des Ouvrages
en tous genres antérieurs à ſa publication , & qu'il
peut être utile de rappeler , &c.
Toutes les perſonnes qui , ayant des correſpondances
, fur-tout dans les pays étrangers , feront
paſſer habituellement à l'Auteur des détails utiles à fon
72 MERCURE
Ouvrage , recevront un exemplaire gratis ,&feront
nommées fi elles lepermettent.
Le prix de la ſouſcription eſt de 24 livres pour
Paris , & de 30 livres juſqu'aux frontières. On s'abonne
tous lesjours au Bureau de la Correfpondance ,
rue de Tournon , maiſon neuve. On ſe fera un devoir
de publier tous les trois mois la Liſte de MM. les
Souſcripteurs , qui ſeront en effet les vrais auteurs &
les bienfaiteurs de cet établiſſement.
Les paquets , lettres & envois doivent tous être
francs de port , & à l'adreſſe indiquée ci -deſſus.
Précis de l'Histoire de France , depuis l'établiſſe
ment de la Monarchiejuſqu'au règne de Louis XVI ,
àl'uſage des enfans & des perſonnes qui voudront
ſe contenter d'une idée ſommaire de notre Hiſtoire ;
par M. Moustalon. Brochure in- 12 de 120 pages. A
Avignon , & ſe vend à Paris , chez Hilaire , Libraire ,
rue du Mont & près S. Hilaire , 1779 .
Fables par M. Boisard, de l'Académie des Belles-
Lettres de Caen , Secrétaire du Conſeil& des Finances
deMonfieur , Frère du Roi. Nouvelle Édition , augmentée
avec figures. A Paris , chez Piffot , Libraire ,
Quai des Auguſtins. Prix , 6 liv. br. 7 liv. 10 f. relié.
Ce Recueil , très-bien exécuté , qui a paru en deuxi
parties ſucceſſives , &dont nous avons rendu compte
* avec tous les éloges qu'il mérite, eſt aujour
d'hui réuni en un ſeul volume. Les Fables de M.
Boiſard font les meilleures qu'on ait imprimées depuis
:
celles de Lamotte. :
*Voyez le Journal de Littérature.
JOURNAL
7
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , les Décembre.
L'ENVOYÉ de Suède , qui ſe prépare à faire
un voyage , a eu le 28 du mois dernier , fon
audience de congé du Grand-Vifir , auquel il a
préſenté M. de Heidenſtam , qui reſtera chargé
des affaires de ſa nation pendant fon abfence.
Ce Miniſtre avant fon départ , a terminé à ſa
ſatisfaction , l'affaire d'un NégociantArménien ,
attaché à ſon ſervice , & que la Porte avoit fait
arrêter à l'inſtigation du Patriarche Arménien ,
qui ne lui pardonnoit pas d'être Catholique , &
qui l'accuſoit pour l'en punir , d'avoir engagé
pluſieurs Marchands de fa nation à envoyer des
effets à Trieſte . M. de Celſing l'avoit réclamé
conformément à la capitulation qui ſubſiſte entre
laSuède & la Porte ; après bien des difficultés
on lui répondit que ce Marchand avoit mérité
la mort , mais qu'à la conſidération du Miniftre
on ſe contenteroit de le bannir de la Capitale ;
l'Envoyé ayant continué de faire valoir la Jurifdiction
qui lui appartient fur le Marchand , &
mis une nouvelle vivacité dans ſes inſtances , on
le lui a renvoyé ſans lui faire eſſuyer aucun tort
ni aucune avanie .
Avant-hier le Comte de S. Prieft a euue
audience du Grand- Vifir , pour le complimenter
5 Février 1779 . D
1
(74)
縣
幣
fur fon élevation , aujourd'hui l'Ambaſſadeur
d'Angleterre remplit la même cérémonie.
Il eſt arrivé ici ces jours derniers un accident
fìcheux. Un Matelot avoit eu l'imprudence de
cacher un baril de poudre dans une maiſon du
Fauxbourg de Galata : il y eſt tombé une étincelle
qui y a mis le feu , la maiſon s'eſt écroulée ,
ainſi que les deux qui y étoient contigües. Le
fracas a été fi violent , qu'on l'a cru l'effet d'un
tremblement de terre .Le feu s'eſt heureuſement
étouffé dans les décombres ; mais pluſieurs perfonnes
ont été grièvement bleſſées , & trois ont
été tuées..
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 20 Décembre.
La fête de S. André , patrone de l'Ordre
de ce nom , a été célébrée le 10 de ce mois avec
les cérémonies ordinaires. S. M. dina en public
avec les Chevaliers de l'Ordre , & le foir il y
eutbal paré au Palais , & illumination dans toute
la ville; cette folemnité n'a pas été accompagnée
des défordres qui eurent lieu à celle
dus de ce mois. S'il faut en croire le bruit public
, les malheurs ont été plus confidérables
qu'on ne l'a publié. Les morts que la Police
trouva& fit enterrer le fur-lendemain , font audelà
de 300 ; & le nombre des habitans actuellement
malades par l'excès des boiffons fortes ,
&fans eſpérance de rétabliſſement , eſt dit-on
du double. Si ce qu'on raconte eft exact , la débauche
de ce jour aura coûté la vie à un millier
deperſonnes.
On dit que le Comte Ivan de Glowkin , doit
ètre nommé inceſſamment pour aller réſider à
Copenhague en qualité de Miniftre de cette
Cour.
(75)
DANEMARCK.
De COPENHAGUE', le 25 Décembre.
La maladie contagieuſe qui a attaqué ſur
la fin de l'été les bêtes à cornes dans les Iſles de
Laland & de Falſter, n'étant point encore difſipée
, le Roi vient de renouveller l'Ordonnance
publiée déja ſur les précautions à prendre
, tant dans les villes que dans le plat pays ,
pour tâcher d'en arrêter les progrès. La commiffion
établie à ce ſujet , a ordonné de former un
cordonde 600 hommes pour empêcher la communication
entre le Jutland & le Holſtein.
On aſſure qu'il a été expédié en Norwege
l'ordre d'enregiſtrer tous les Marins qui s'y trouvent
, depuis l'âge de 15 ans juſqu'à 40. On
ajoute que les Officiers qui font chargés d'en
prendre les noms , ont défenſe de déclarer le
nombre dont la Cour a befoin. On enrôle auffi
beaucoup de Matelots ici . On préfume qu'on a
le deſſein d'équipper dix vaiſſeaux de ligne & 4
frégates , qui mettront en mer au printems prochain.
Cet armement, s'il a lieu , ne paroit avoir
d'autre but que celui de protéger notre commerce
, & celui des nations que l'envie de trafiquer
avec nous , amène dans les mers du Nord .
On connoît la gêne qu'il éprouve depuis la
guerre qui s'eſt élevée entre l'Angleterre & fes
Colonies . On a remarqué que pour le faire refpecter
par les puiſſances belligérantes , il falloit
ſe montrer en état de le défendre .
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 31 Décembre.
La Reine parfaitement rétablie de ſes couches
, eſt ſortie pour la première fois le 27 de
Da
( 76 )
:
ce mois pour ſe rendre à la Chapelle de la
Cour , où elle a aſſiſté au ſervice Divin. S. M.
a fait diftribuer aux membres de la Diète , qui
ont eu l'honneur d'être les parreins du Prince
Royal , des marques de fa munificence ; ceux
des trois premiers ordres , ont eu une médaille
repréſentant le buſte de S. M. entouré d'une
guirlande de feuilles de laurier , travaillées à
jour ; celles de l'ordre des Payſans font des
médailles de Vaſa, d'argent doré. Ces médailles
dont quelques-unes font enrichies de brillants
, ſuivant le rang des perſonnes auxquelles
on en a faitpréſent,ſont ſuſpendues à une chaine
d'or à double rang pour la nobleſſe , l'Archevê.
que& les Evêques; les chaines des autres font
d'argentdoré.
Les réjouiſſances qui ont commencé doivent
durer juſqu'au 9 du mois prochain ; le peuple y
a déja pris part ; hier la bourgeoifie de cette
Capitale a régalé la populace dans une grande
falle conftruite à cet effet, & repréſentant le
temple d'Iris ; le même ſoir , les hôtels des
Miniftres étrangers , ceux des Sénateurs & des
perſonnes de la premiere diftinction , ont été
illuminés. Le Roi a fait une promotion nombreuſe
dans l'ordre du Séraphin,celui dell''EEtoile
Polaire , & dans le militaire. Les deux plus anciens
Comtes Suédois , le Comte de Brahé &
le Comte de Lowenhaupt , ont été honorés du
titre héréditaire d'Excellence ; & les Barons de
Ribling , Wrangel & Frankenberg , Sénateurs
du Royaume, ont été élevés à la dignité de
Comtes.
POLOGNE .
De VARSOVIE , le 31 Décembre.
La plupart de nos Officiers s'empreſſent de
quitter le ſervice de la République , qui eſt en
(77)
paix, pour paſſer à celui de l'une ou de l'autre
des Puiſſances actuellement en guerre ; le plus
grand nombre paroit préférer celui du Roi de
Pruſſe ; ceux du moins qui n'ont aucune poſſeffion
dans les terres échues à la Maiſon d'Autriche
, & qui par conféquent font libres , ſe rendent
volontiers en Siléfie . Le Lieutenant-Colonel
de Schiel vient de ſe démettre de fon emploi
, pour aller fervir en Pruſſe. Le Colonel
de Schlichtenberg , qui prend le même parti ,
s'occupe à lever un bataillon franc , & l'on dit
qu'on va en former une vingtaine d'autres , qui
ſe rendront à la même armée .
On ne fait pas de quel oeil le Miniſtre Autrichien
verra ces levées. Il s'en eſt fait beaucoup
en ce pays depuis le commencement de la
guerre ; la République qui ne peut les empêcher
, les permet lorſqu'on demande fon aveu ;
elle ne ſévit que contre les enrôlemens furtifs ,
& elle ne le feroit peut-être pas , ſi les Miniſtres
-intéreſſés ne réclamoient & n'excitoient ſa ſévérité
. Dernièrement elle a fait arrêter un étranger
,nommé Julius , qui recrutoit en ſecret pour
les Autrichiens , & dont l'Envoyé de Pruſſe a
requis la punition . On croit qu'il en ſubira une ,
malgré la protection puiſſante qui s'emploiera
peut-être en ſa faveur. Le crime qui pourra la
rendre vaine , n'eſt pas celui pour lequel il a été
arrêté. Avant ſa détention , il jouoit , dit-on ,
avec tant de bonheur , ou peut-être avec tant
d'avantage , que les cartes lui avoient procuré
plusde 100,000 florins Polonois . On parle de le
transférer à Kaminiec , & de lui confifquer fon
gain ; fi cela arrive , M. Julius effuyera une perte
plus conſidérable que celle qu'eſſuya il y a quelque-
tems M. Tombach , enrôleur Pruffien , qui
fut auſſi arrêté à la requiſition du Miniftre de
Vienne. On lui prit tout ce qu'il avoit ; mais il
n'avoit que 2 florins.
D3
( 78 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Janvier.
Ce fut le 28 du mois dernier que LL. MM.
II. & R. reçurent les complimens de la Cour à
l'occaſion de la naiſſance de la Princeſſe dont la
Reine de France eſt heureuſement accouchée
le 19. Il y eut grand gala & grand appartement
dans la falle Impériale , magnifiquement illuminée
. LL. MM. II. firent à cette occafion une
promotion de 4 Conſeillers intimes actuels , de
3 Confeillers intimes titulaires , de 33 Chambellans
actuels , & de 12 Chambellans titulaires.
Le départ du Grand-Duc & de la Grande-
Ducheffe de Tofcane , qu'on diſoit fixé au 8 de
ce mois , paroit différe ; comme Madame la
Grande -Ducheſſe ſe trouve de nouveau enceinte
, on croit qu'elle reſtera encore deux
mois ici , & que le Grand-Duc partira ſeul le
20. Quant au départ de l'Empereur, on ne fait
rien de certain; quelques perſonnes prétendent
qu'il ſe rendra en Bohême ſe 9 , & que l'on n'annoncera
fon voyage qu'au moment où il fera en
route. A en juger par toutes les difpofitions , la
campagne s'ouvrira de bonne heure. Tous les
Commandans des corps particuliers qui ſe trouvent
ici, ont ordre de rejoindre fans délai , &
M. de Fabrice , Quartier-Maître-Général , eft
parti cette nuit pour la Bohême.
Dans toutes les Provinces Autrichiennes , on
voit les ſujets s'empreſſer avec le plus grand
zèle de contribuer aux frais de la guerre. Au
don gratuit qui leur a été demandé , au lieu de
dix pour cent , ils joignent 30 , 40 & 50 pour
cent de leurs revenus.
Les levées des recrues ſe font par-tout avec
beaucoup d'activité. On vient encore de purger
cette capitale & fes fauxbourgs d'un grand
1
(79)
nombre d'habitans inutiles, qu'on a enlevés pen.
dant la nuit. Ces préparatifs qui annonçent la
guerre la plus vigoureuſe , ne laiſſent pas beaucoup
d'eſpérance de paix. On voit bien tous les
jours nos Miniftres en conférence avec ceux de
France &de Ruffie ; nous voyons partir fréquemment
des couriers pour Pétersbourg , & qui ont
ordre de paffer à Breſlau & de s'y arrêter ; mais
nous ignorons la nature des négociations , le
point où elles en font ,& leur réſultat.
Le 25 du mois dernier , on a arrété à Bude un
Eſpion de diftinction , qui a été jetté dans un cachot,
à la porte duquel il y a une double garde ,
l'une le ſabre à la main , & l'autre avec des fuils
chargés à tout évènement.
Depuis le 19 juſqu'au 25 Décembre dernier , on
areffenti pluſieurs ſecouſſes violentes de tremblement
de terre , à Homenau , Wranow & Tawarna ,
dans la Haute Hongrie ,en tirant vers le Nord juſqu'à
Tokai ; on a compté 12 ſecouſſes très- fortes ,
celles du 23 ont été les plus terribles . Leur direction
étoit dans une étendue de 18 milles en longueur
, & de 6 en largeur. Six maiſons ſe ſont écroulées
à Wranow , & le beau Couvent des Paulins a
été fort endommagé , ainſi que les maiſons voiſines;
la tour & le château de Topolowka dans le voifinage
de Homenau , ont été renverſés de fond en
comble. Les murailles de l'hôtel du Comitat , nouvellement
bâti à Uihely , ſont toutes remplies de
crévaſſes & menacent ruine. Les Franciſcains ont
éré obligés d'abandonner leur Couvent,&de célébrer
ainſi que les Paulins , le ſervice Divin ſous des tentes,
De HAMBOURG , le 5 Janvier.
TOUT annonce l'accommodement prochain
des longs différends entre la Ruffie & la Porte .
Le changement du ſyſtême de cette dernière ,
opéré par des négociations ſecrettes qui ont
peut-être donné lieu à la dépoſition du Grand
D 4
( 80 )
Vifir Derendely Méhémet qui s'y ſeroit oppoſé,
ne paroît plus douteux. Trois des vaiſſeaux arrê
tés ſi long-tems dans le canal , ont eu la permiffion
de continuer leur route , & d'entrer dans
la mer Noire ; on aſſure que le quatrième ne
tardera pas à l'obtenir. Les bâtimens de tranf
port qui ont accompagné le Capitan-Bacha dans
fon expédition ſur la mer Noire, & qu'on avoit
retenus à leur retour , dans la vue de les employer
de nouveau au printems prochain , ont
été , dit-on , renvoyés ; ce qui fait préfumer
qu'on ne juge plus qu'on puiſſe en avoir beſoin.
S. H. ne ſemble pas éloignée de reconnoître
SahinGuéray, en qualité de Chan de Crimée.
Elle a mandé à Conftantinople les Députés
Tartares qui y étoient venus l'année dernière
pour cet effet , & qu'elle avoit envoyés en exil
dans l'Ile de Rhodes .
Cette révolution dans les diſpoſitions des
Ottomans , ne peut qu'avoir la plus grande influence
fur les affaires de l'Allemagne, qui ſeules
paroiſſent l'avoir occaſionnée. On eſpère toujours
que la déclaration de la Ruſſie, libre de toute
inquiétude de la part des Turcs , & en état
d'agir efficacement en faveur de fon allié , contribuera
au rétabliſſement de la paix; l'Impératrice-
Reine y a fait la réponſe ſuivante.
S. M. I. R. a vu développer d'une façon, qui lui
a étébien agréable, les ſentimens & le fonddes intentions
, qui ont déterminé S. M. I. de Ruſſie à la
repréſentation qu'elle lui a fait remettre en dernier
lieu , par la façon affectueuſe & la promptitude obligeante
, avec laquelle elle a bien voulu ſe charger
de la médiation qu'elle lui avoit offerte, conjointement
avec S. M. T. C.; S. M. I. R. a été très-ſenſible
à ce nouveau témoignage de l'amitié de S. l'Imp. de
Ruffie; & comme elle est bien aiſe de ne manquer
aucune des occaſions qui peuvent ſe préſenter pour
lui prouver la plus parfaite réciprocité de ſes ſenti(
81)
mens , elle ſaiſit celle que lui offre l'état actuel des
circonstances , pour les lui faire connoître dans toute
leur étendue par le plus grand témoignage qu'elle lui
puiſſe donner de ſon eſtime , de ſon amitié , de ſa
déférence.
S. M. I. R. n'a pu ſe diſpenſer de faire valoir les
droits de ſa maiſon ſur une partie de la ſucceſſion de
Bavière ; mais elle n'a pris pour cet effet que le parti
de s'entendre amiablement à cet égard avec M. l'Electeur
Palatin , lequel , quoique très-régulier , ne
lui a pas moins attiré la guerre. Depuis qu'elle a été
attaquée , elle a fait tout ce qu'elle a pu imaginer
de convenable avec ſa dignité , pour ramener la
paix; & elle a donné une preuve bien forte&bien
évidente de la fincéritéde ſes diſpoſitions à cet égard ,
en offrant pour cet effet aux dernières conférences
de Braudau , de reſtituer à la maiſon Palatine toute
la partie de la ſucceſſion de Bavière qui lui étoit devolue
, & de renoncer même à tous ſes droits à cet
égard : &, fi elle a ajouté pour condition le maintien
de l'ancien ordre de ſucceſſion , établi dans la
maiſon de Brandebourg au ſujet des Marcgraviats
de Franconie , ce n'a été que parce qu'elle a cru ſa
demande fondée , & parce qu'elle lui a paru être le
moyen le plus propre à ne point altérer l'état des
poſſeſſions actuelles en Allemagne. Mais il eſt arrivé
, comme on fait , que S. M. Pr. a jugé ne pas
devoir ſe prêter à la paix au prix de cette condefcendance
; que l'on a même cru pouvoir ſe permettre
de ſuppoſer une arrière-penſée &des intentions doureuſes
à la Propofition de S. M. Elle penſe pouvoir
ſe flatter , à la vérité , que toute l'Europe impartiale
n'a pu l'en ſoupçonner ; & elle compte ſur-tout , que
S. M. l'Impératrice de Ruſie , dont elle connoît &
honore l'équité , n'a jamais été en doute à cet égard.
Elle est bien aiſe cependant de pouvoir lui donner
une nouvelle preuve des ſentimens qu'elle mérite
de ſa part , & qu'elle a elle ; & c'eſt pour cet
effet ,que fans plus rienécouter que le plaifir qu'elle
Dis
( 82 )
prend à pouvoir déferer aux inſtances de S. M. I. ,
elle lui abandonne le choix des moyens de conciliation
, que conjointement avec S. M. T. C. , elle
juge être les plus équitables & les plus propres au
prompt rétabliſſement de la paix , perfuadée qu'elle
ne fauroit mettre en meilleures mains ſes intérêts &
ſadignité.
C'eſt à ce point que S. M. I. R. compte ſur les ſentimens
de S. M. & du Roi T. C. , fon fidèle Allié.
Elle defireroit cependant , que l'on préférâr à l'idée
d'un Congrès ou de toute autre voie de négociation ,
qui pourroit cauſer des retardemens , celle qui pourroit
le plus promptement ramener la paix ; elle s'en
rapporte d'ailleurs à S. M. I. du ſoin de faire convenir
dès à préſent & tout de ſuite d'une ſuſpenfion
d'armes , ſi elle la croit convenable.
S. M. I. R. ſe flatte que S. M. I. retrouvera dans
cette ouverture une nouvelle preuve de ſes ſentimens
pour ſa perſonne ; & elle defire ſur- tout vivement ,
qu'elle veuille bien lui rendre la justice d'être perſuadée
, qu'ils font des plus fincères <«.
On juge d'après cette réponſe , conçue en
termes très-modérés , que la maiſon d'Autriche
donneroit volontiers les mains à un accommodement
amiable , s'il lui étoit poſſible d'y parvenir
fans fe compromettre. Après s'être avancée ſi
loin , il eſt difficile qu'elle ſe détermine à reculer;
il faut trouver des tempéramens , &
c'eſt ſans doute ce dont s'occupent les Puiſſances
médiatrices ; la paix ne ſemble dépendre que
des ouvertures qu'elles feront faire à la Cour de
Vienne. En attendant, la guerre continue ; fi
tout eſt tranquille en Saxe , il n'en eſt pas de
même dans la Haute-Siléſie , où malgré la rigueur
de la faifon , les troupes Autrichiennes &
Pruffiennes font toujours en mouvement, &préparent
à quelques entrepriſes. Les premières paroiffent
n'avoir pas encore abandonné l'eſpoir &
le deſſein de déloger les dernieres de cette pro-
1
( 83 )
vince. Vingt bataillons Impériaux viennent
d'être détachés du côté d'Olmuz ; & le Roi de
Pruſſe a fait paffer quelques nouveaux régimens
à l'armée du Prince Héréditaire de Brunswick,
qui avec ce renfort , médite de fon côté quel
que expédition importante .
En attendant l'effet des négociations pour la
paix , on fait de part & d'autre les préparatifs
les plus formidables pour la campagne prochaine
, qui , fi elle a lieu,commencera de bonne
heure. Les Autrichiens ferment & barricadent
tous les paſſages qui peuvent conduire en
Bohême . D'un autre côté , on affure , que l'armée
Ruſſe qui doit feconder le Roi de Pruſſe ,
eſt en pleine marche par la Pologne , & qu'elle
entrera à la folde de ce Prince le 24de
mois ; on ne dit point encore de quel côté
elle agira. Mais tout annonce au printems prochain
les ſcènes les plus terribles & les plus fanglantes.
L'Empereur , dit-on , n'aura pas moins
de quatre armées en campagne, une en Bohême,
une en Siléfie , une en Pologne ,& la quatrième
enBavière.
ce
Onmande de Munich que l'Electeur Palatin
ſe propofe de former un cordonſur les frontières
de ſesEtats; pour cet effet , on fait de grandes
levées dans le Duché de Bavière , & pour les
faciliter , on publiera une amniſtie en faveur des
déſerteurs , qui non-feulement feront exempts
de tous châtimens , mais pourront afpirer comme
les autres aux différens grades de l'armée.
Les troupes aſſemblées à Hanovre , font
toujours fur pied ; mais juſqu'à préfent elles
n'ont fait aucun mouvement qui annonce l'emploi
qu'en veut faire le Roi d'Angleterre ; on
fait qu'il en a beſoin en Amérique , & fi elles
avoient cette deſtination , il feroit tems qu'elles
ſe préparaſſent à prendre cette route . Quelques
perfonnes croient qu'il eſpère toujours que les
D6
(84)
troubles d'Allemagne amèneront quelques circonftances
heureuſes qui lui faciliteront les
moyens d'occuper la France ; on revient aux anciensplans
d'alliance entre l'Angleterre,la Rufſfie
&la Pruſſe ; mais ils ne prennent pas , malgré
l'affectation avec laquelle on ne ceſſe de les publier.
Ces bruits n'ont jamais eu beaucoup de
crédit , & ils en ont encore moins aujourd'hui
qu'on dit hautement que la révolution arrivée
dans le ſyſtème du Miniſtère Ottoman , eft
l'ouvrage de la Cour de Versailles ; & dans ce
cas , il eſt hors de toute vraiſemblance que les
Anglois puiſſent , ainſi qu'ils s'en vantent , ſe
flatter des fecours de la Ruffie.
De RATISBONNE , le 6 Janvier.
ON attend la repriſe des ſéances de laDiète
avec autant d'impatience que de curiofité ; le
publiceft empreffé de ſavoir l'impreſſion qu'aura
faite fur le corps Dyplomatique , la réponſe de
la Cour de Vienne à la Cour de Ruffie ; on ne
croit pas cependant que cette afſemblée s'occupe
de l'état de l'affaire de Bavière , peut-être
ne s'en occupera-t-elle point du tout; les Puiffances
intéreſſées paroiſſent déterminées à ne
négocier qu'avec les Puiſſances médiatrices.
Des lettres particulières nous ont appris il y
a quelque tems , que le Baron de Senkenberg ,
Conſeiller de Régence du Landgrave deHefle-
Darmſtadt , le même qui adécouvert & fait remettre
à la Cour Palatine l'acte de renonciation
du Duc Albert d'Autriche , s'étant rendu depuis
peu à Vienne pour y folliciter la place du Baron
de Gartner , vacante au Conſeil Aulique de
l'Empire , y a été arrêté. Il avoit demandé avec
inſtance qu'on ne le nommât point lorſqu'on feroit
valoir l'acte dont il avoit fait la découverte.
Le ſecret n'a pu être gardé; les papiers publics
( 85 )
l'en ont inſtruit. Ne ſe croyant plus en sûreté à
Vienne , il s'étoit hâté d'en fortir ; mais il n'en
étoit pas éloigné encore de deux poftes , qu'il a
été arrêté par ordre du Miniftre Impérial , &
conduit dans une fortereſſe comme prifonnier
d'Etat. On aſſure aujourd'hui que ſa détention
n'a pas été longue , qu'il a été remis en liberté
fur ſa parole d'honneur de ne point quitter
Vienne ,& de ſe préſenter chaque fois qu'il en
ſera requis devant une commiffion nommée pour
examiner tout ce qui eft relatif à l'acte en queftion
, & à la découverte qu'il en a faite . Cette
commiſſion eft compofée du Baron de Leykam ,
Référendaire de l'Empire , & de M. de Schroter
, Confeiller Aulique. L'examen dont elle
eft chargée , a été commencé le 25 du mois dernier
, par un interrogatoire qu'a ſubi M. de Senkenberg.
>> Les deux derniers Mémoires , écrit-on de Munich
, que la Cour de Berlin a fait remettre à la Diète
, ont été réimprimés ici comme dans la plupart
des villes d'Allemagne. Le Libraire Strobt en a vendu
plus de 400 en un jour. Le Baron de Lehrbach en
ayant été inſtruit en porta ſes plaintes à S. A. S. , en
lui déclarant au nom de l'Impératrice Reine , que la
permiflion donnée à cet effet , ſous les yeux même
de la Cour , pouvoit faire inférer que l'attention
de S. A. S. étoit d'embraſſer le parti & les intérêts
de la Cour de Berlin. L'Electeur fit auffi tôt ſufpendre
la vente de ces Mémoires , & ordonna de faire
des recherches pour ſavoir de qui le Libraire avoit
obtenu la permiſſion d'imprimer & de vendre. Le
peuple qui , dans les affaires actuelles , paroît être
d'un autre parti que celui de ſon Souverain , & pencher
pour le Roi de Pruſſe qu'il regarde comme le
protecteur des droits du Duché , s'eſt attroupé devant
la boutique du Libraire , l'a forcée & en a enlevé
autant d'exemplaires qu'il a pu en ſaiſir. Le lendemain
le même tumulte a recommencé , pluſieurs
( 86 )
voix ſe ſont élevées & ont crié que ſi la défenſe
dela veille n'étoit pas levée dans les 24 heures , on
iroit affaillir l'Hôtel du Baron de Lehrbach & le
détruire de fond en comble. Le Libraire pour appaiſer
ce nouveau tumulte , fut obligé de diftribuer
400 nouveaux exemplaires du Mémoire , après quoi
le peuple ſe diſlipa & tout rentra dans la tranquil.
litéa.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 6 Janvier.
ON apprend de Veniſe que Louis Mocenigo,
Doge de la République , eſt mort le 31 du mois
dernier , âgé de 77 ans & quelques mois ; il
étoit né le 19 Mai 1710 ; avant fon élection qui
eut lieu le 19 Avril 1763 , il avoit rempli avec
diftinction pluſieurs charges honorables , &
rempli ſucceſſivement les Ambaſſades de Verfailles
, de Madrid , de Naples & de Rome.
Sa mort ne fera publiée que dans huit jours à
cauſe des préparatifs extraordinaires de fes obfèques
.
>> On s'occupe beaucoup ici , écrit-on de Rome ,
d'un évènement très-intéreſſant pour le S. Siége . La
veille de Noel , le Pape accompagné ſeulement d'un
Maître de cérémonie & d'un Clerc de Chapelle, fe
rendit dans la Bafilique de S. Pierre, & après avoir
fait ſes dévotions , il paſſa dans la Sacriftie , où il
manda les Maîtres des Cérémonies qu'il chargea de
la préparer pour un Conſiſtoire qu'il vouloit y tenir
le lendemain. Il fit enſuite avertir les Cardinaux en
leur recommandant de s'y rendre une heure plutôt
qu'il n'eſt d'uſage. Le jour de Noel S. S. célebra dans
la même Egliſe la Grand'meſſe Pontificale , à l'iffue
de laquelle elle entra dans la ſacriſtie, revêtue de ſes
habits de cérémonie , & ſuivie de tous les Cardinaux.
La porte fut fermée , & la garde chargée d'en
écarter le peuple fut double. La tenue d'un confil.
( 87 )
toire auſſi ſolemnel , & dont on ne ſe ſouvient pas
qu'il y ait eu des exemples depuis trois ſiècles , avoit
excité la plus vive curiofité , & attiré la foule qui
s'eſt épuiſée en conjectures , juſqu'à ce qu'on ait publié
que l'objet de cette aſſemblée étoit de lui faire
part de la rétractation folemnelle de l'ouvrage intitulé
, deftatu Ecclefia , publié ſous le nom de Juftin
Febronius , & dont le véritable Auteur eſt M. Nicolas
de Honteim , Evêque in partibus , & Suffragant
de l'Archevêché de Trèves. Cette rétractation à laquelle
l'Electeur de Trèves n'a pas peu contribué , a
été ſignée le 1 Novembre dernier ; la lecture a duré
trois quarts d'heure. Elle eſt écrite ſur trois colomnes
, dont la première préſente les erreurs , la ſeconde
leur réfutation , & la troiſième le véritable ſens
catholique dans lequel on doit s'exprimer. Febronius
reconnoît la Bulle Unigenitus , comme règle de foi ,
condamnant & réprouvant l'Egliſe d'Utrecht. Cette
lecture a été ſuivie de celle des lettres de l'Electeur
& de l'Evêque , après quoi le S. P. ex autoritate
apoftolica, reprit & condamna encore tout ce que
Febronius condamnoit " .
Les lettres de Boulogne portent qu'on y a
arrêté la nuit de Noel , un Napolitain qui a été
conduit fur-le-champ dans les priſons de la ville.
On l'a reconnu , dit-on pour l'auteur de plufieurs
fauſſes fignatures . Cet homme après avoir
fervi pendant quelques années dans les troupes
Autrichiennes , s'étoit fait Entrepreneur de
théâtres en Allemagne où il avoit fait banqueroute
; il avoit paſſe enſuite en Eſpagne , d'où
fans doute fon mauvais fort , & une deſtination
particulière de la Providence qui , tôt ou tard
punit le crime , l'avoit conduit à Boulogne . On
dit que c'eſt le même qui avoit contrefait les fignatures
de M.Davidde Montet , Négociant ici.
(88 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 20 Janvier.
Nos papiers publics ne font remplis depuis
quelque tems que des détails de la tempête du i
de ce mois. On eſt fort inquiet de la flotte deſti.
née pour les ifles & pour New-Yorck. Depuis
fon départ de Portſmouth on n'en a point reçu
de nouvelles : on a dit qu'elle s'eft réfugiée
à Torbay , & qu'elle en eſt partie le 2 de
ce mois fous l'eſcorte du Lord Shuldam ; mais
il ſemble que depuis ce tems on auroit pu en
avoir des nouvelles poſitives. Cequi faitpréfumer
que cette flotte ou du moins tous les vaifſeaux
qui la compofent , n'ont pas mis à la voile
ce jour , c'eſt que ceux qui font destinés pour
New-York devoient recevoir leurs inſtructions
par le Romulus qui ne les leur a pas portées ,
puiſqu'il eſt revenu à Portsmouth où il a ramené
l'équipage du Loudon , & où il eſt encore.
On n'a pas reçu ou du moins le Gouvernement
n'a publié aucune dépêche de l'Amérique
depuis long-tems ; le Contre Amiral Sir Parker
eft fort inquiet à la Jamaïque depuis qu'il ne
doute plus que cette iſle eſt menacée , & peutêtre
à préſent le coup eſt déja porté. On s'empreſſe
d'annoncer des eſpérances de l'arrivée des
ſecours qu'y conduit le Commodore Hotham.
On fait qu'il étoit pourſuivi par la flotte Francoife
, & on n'a pas manqué de dire qu'elle
l'avoit rencontré , que le combat s'étoit engagé,
& qu'une tempête venue à propos avoit féparé
les deux flottes. On demande comment le Commodore
Hotham a pu engager un combat contre
des forces auſſi ſupérieures , devant leſquelles
il n'avoit pas d'autre parti à prendre que
celui d'amener , ou d'effayer de leur échapper
par la fuite.
(89 )
Le Gouvernement continue de faire tous les
préparatifs néceſſaires pour envoyer des renforts
en Amérique ; aux recrues des troupes auxiliaires
fournies par les Princes Allemands , il
joint deux régimens de Hanovre qui feront répartis
à la Jamaïque , à Port-Royal & à Gréenwich;
les corps qui font deſtinés pour le continent
, partagés en deux divifions , s'embarqueront
à Portſmouth & à Plymouth , au commencement
du mois de Mars. On a choifi ce
tems , parce que s'ils partoient auparavant , ils
arriveroient trop tôt ſur la côte d'Amérique
où les vents ſont conftamment contraires pendant
les trois quarts de l'année. Ils ne commencent
àvarier que vers le commencement d'Avril ,
époque où l'on préſume que ces renforts pourront
arriver à leur deſtination .
Au milieu des inquiétudes générales de la
nation , le Gouvernement ne néglige aucun
moyende la raffurer , & fouvent il en employe
de bien petits ; tel eſt le bruit qu'il fait courir
depuis quelques jours de l'arrivée de deux Américains
chargés d'une négociation de la plus
grande importance , dont on ne dit pas l'objet
, mais qu'on fait entendre être relative à un
accommodement. On oppoſe à ce bruit une lettre
d'un Américain arrivé depuis peu en France ,
d'où il écrit auſſi àſon Correſpondant à Amfterdam.
J'ai le plaiſir de vous informer de mon heureuſe
arrivée en France , d'où j'eſpère aller vous voir dans
peu. J'ai été étonné de tout ce que j'ai lu dans les
papiers Anglois & dans d'autres qui les copient ,
touchant nos Colonies , qu'ils repréſentent déſunies
&dans un état très-miſérable. De pareilles nouvelles ,
& tant eſt qu'on les ait mandées d'Amérique , l'ont
été par quelques Torys fanatiques ; car les Torys
mêmes qui ſont de ſens- froid , penſent autrement :
ils ſavent que les Anglois ne peuvent rien contre
( 90 )
elles , même avec toutes les forces qu'ils ont en
Amérique. Jamais je n'ai vu les Colonies plus floriſſantes
, ni dans une plus grande union , que lorfque
je quittai Boſton ſur la fin de Novembre. Nous
nous attendions alors à voir bien-tôt nos familles
rétablies à New-York , & les Anglois évacuer cette
Place : il eſt même très-probable , que les premiers
Vailleaux nous en apporteront l'avis. Si les Anglois
continuent à nous vexer , en détruifant nos villes
maritimes autant qu'ils peuvent, il eſt à préfumer,
que quoique juſqu'à préſent ils aient conſervé le
droit de concourir avec toutes les autres nations à
notre commerce, nous aurons formé dans peu des
alliances de nature ànous pouvoir paſſer d'eux , &
que même nous renoncerons à tout commerce avec
laGrande-Bretagne , & l'interdirons expreſſement.
Les lettres qui viennent véritablement de l'Amérique
ne varient point fur les ſentimens des
habitans desEtats-Unis , & nous ne devons pas
nous flatter de les voir en changer , dans un moment
fur-tout , où ils font foutenus efficacement
par la France. La guerre dans laquelle nous
nous trouvons engagés avec cette Puiſſance ,
nous force à partager notre attention entre
tous nos établiſſemens menacés dans toutes les
parties du monde ; & les fecours que nous leur
devons ne nous permettront pas de grands efforts
contre les Américains. Le bruit ſe répand
dans ce moment de la priſe des forts de Sénégal
& de Gambie ſur la côte d'Afrique. Ce
qui nous fait craindre qu'il ne ſoit trop fondé ,
c'eſt que depuis le mois d'Avril 1777, la Cour
n'a reçu aucunes nouvelles des principaux Offi
ciers de cette Colonie. Les lettres qu'ils lui
avoient dépêchées en Juillet dernier par le
loop le Betsey , Capitaine Good, ne font point
arrivées à leur adreſſe , parce que ce loop
fut pris le 19 Septembre ſuivant près de Beachy-
Head; l'on préſume qu'elles contenoient
(91 )
quelques avis qui ont pu déterminer les François
à y faire une defcente. Les dépêches ultérieures
que le Gouvernement devoit recevoir
en date du mois d'Octobre , ne font pas
non plus arrivées ; la Nancy qui les portoit fut
priſe encore le 17 Décembre à trois lieues de
Beachy-Head , & le Capitaine Hamilton qui
la commandoit , les jetta à la mer. Comme
ce dernier vaiſſeau avoit été expédié exprès
les papiers Gouvernement Seulement , on
croit qu'ils donnoient avis des préparatifs faits
à Gorée par les François , pour agir de concert
avec une efcadre attendue de Breft , d'où
l'on croit qu'elle eſt partie en effet vers le rs
Novembre dernier.
avec du
Nos armateurs au milieu des pertes réel.
les de la nation , continuent à faire leurs af
faires. Ils fe font emparé depuis peu de trois
vaiſſeaux François revenant de la Chine & ri
chement chargés. De ces vaiſſeaux un ſeul eſt
arrivé à Cork fans accident ; l'Iris a péri dans
la tempête du 31 du mois dernier au premier de
celui-ci ; mais on en a ſauvé l'équipage & la
cargaifon : l'autre a fait naufrage à l'entrée du
port de Liverpool ; la plus grande partie de
fon équipage a été noyée ; la cargaiſon à la
quelle les armateurs paroiffent avoir fongé de
préférence , a été conſervée . S'il faut en croire
nos papiers publics , il y avoit à bord de ce der.
nier vaiſſeau deux coffres de fer remplis d'or
pour la fomme de 200,000 liv. fterl. Il s'eſt
défendu pendant plus de 6 heures contre le
Corſaire qui étoit de ſa force . On dit que les
vaiſſeaux que ces navires à leur départ ont laifſés
à l'ifle de France , étoient au nombre de 9 ,
ſavoir , l'Henriette , l'Auguſte , la Dugefitine, le
Vigilant , la Normandie , l'Aimable Annette& le
Sartine. Ce dernier étoit prêt à mettre à la
voile.
(92 )
Le Lord North ſe donne beaucoup de mouvemens
pour trouver les fonds néceſſaires pour
cette année. Il négocie actuellement avec plufieurs
maiſons riches pour l'emprunt qu'il a à
faire ; mais on prétend qu'aucune ne veut entendre
aux arrangemens qu'il propoſe à moins
qu'on n'aſſure 7 & demi pour cent d'intérêt.
S'il trouve de l'argent il le payera certainement
fort cher , & la nation ne voit pas fans
peine , qu'il faudra l'année prochaine recourir
à de nouvelles reſſources auſſi ruineuſes . On
attend avec impatience le réſultat de ces opérations
; on ne les connoîtra que lorſqu'il en
aura fait part au Parlement , & vraiſemblablement
cela ne tardera pas.
La Chambre des Communes s'eſt aſſemblée
le 14 de ce mois , conformément à fon ajournement;
mais elle n'a pas été nombreuſe. M. Buller
préſenta ce jour-là à l'Orateur un Meſſage ,
dans lequel il dit en ſubſtance que l'Amiral
Keppel , Membre de la Chambre , & occupé
du procès qu'on lui faifoit ſur l'accuſation du
Vice-Amiral Hugh Pallifer , ne pouvant remplir
ſes fonctions à cette Chambre d'ici à quelque
tems , l'Amirauté a cru qu'il étoit de fon
devoir de lui en faire part. La Chambre après
avoir ordonné que le Meſſage & les papiers qui
y étoientjoints fuſſent mis fur la table , s'ajourna
au 19.
Cette affaire occupe actuellement toute la
Nation. Elle commence à douter de la grande
victoire de l'Amiral Keppel à la hauteur d'Ouefſant
; il n'eſt pas ordinaire , dit-elle , de faire le
procès à un Général vainqueur ; il ſemble que
lorſqu'il amis en fuite ſes ennemis , on ne doit
paslui en demander davantage. Lorſqu'on foumit
l'Amiral Byng à un Conſeil de guerre , il
avoit été battu . On ſuppoſa qu'il s'étoit mal conduit;
& juſqu'à préſent on a prétendu que
( 93 )
l'Amiral Keppel s'étoit mieux conduit que
l'Amiral François. Cette affaire que l'on croyoit
pouvoir être terminée en dix jours , occupera
peut-être deux mois. Le nombre des témoins
que l'Amiral Palliſer a nommés , eſt , dit-on
de 35 , & on porte au double ceux que doit préfenter
l'accuſé .On affure que le Lord Sandwich
ſera cité au nombre des témoins , & obligé de
paroitre au Confeil de guerre. L'Amiral Keppel
a, dit-on , réſolu de demander que ce Miniftre
mette ſous les yeux du Conſeil , les lettres , tant
officielles que particulières , qu'il a reçues de Sir
Hugh Pallifer , depuis le premier départ de la
flotte , juſqu'à ſa ſeconde rentrée dans le port.
S'il faut en croire des perſonnes qui ſe difent
bien inſtruites , le Lord Sandwich eſt dans les
plus vives inquiétudes. Quelques jours avant
l'action du 27 Juillet , il avoit écrit à l'Amiral
Keppel une lettre , dont il craint la publicité.
>>Son contenu , dit-on dans un de nos papiers , eft
ſi oppoſé à qu'il a pluſieurs fois avancé en
plein Parlement fur l'état de notre marine , qu'il
fera convaincu du menſonge le plus attroce ; il
eſt ſi affecté de la crainte de cet évènement ,
qu'il en eſt malade , & qu'on ne feroit pas étonnéde
le voir mourir de peur «.
L'examen des témoins continue à Portf
mouth ; & il paroit qu'il ne fera pas fini de fi-tôt.
LeDuc de Cumberlands'étoit rendu dans ce port
pour atſiſter au Conſeil de guerre , mais il en a
été exclus , ainſi que les Officiers ſuivans qui
n'ont pas été non plus admis comme témoins , le
Duc de Richemont , le Duc de Bolton , le
Comted'Effingham, le Marquis de Rockingham,
M. Edmont Burke , le Général Keppel , MM.
Jean Dunning , Jean Lée & Jean Horne .
Selon les lettres de ce port , le to de ce mois
Sir Hugh Palliſer chargea un de ſes amis de
porterune lettre à l'Amiral Keppel. Celui-ci la
( 94)
renvoya ſans l'ouvrir , en déclarant que fon honneur
ne lui permettoit pas une correfpondance
particulière avec fon accufateur. On ignore ce
que contenoit cette lettre , quelques perſonnes
prétendent que le Vice-Amiral y marquoit le
defir qu'il avoit de ſe déiifter de fon accufation.
Sa démarche en effet a indifpofé tout le inonde
contre lui ; elle a rappellé une anècdote au
moins fingulière , que l'on raconte ainfi. Lors
du combat d'Oueſſant , l'Amiral Campbell , Capitaine
de pavillon de l'Amiral Keppel , obfervant
que le Chevalier Hugh Pallifer n'obéifſoit
point au fignal de l'Amiral Keppel , dit à l'Amiral
: Le Chevalier Hugh Pallifer eft tué. J'efpère
que non , répondit l'Amiral . - Il eſt donc
bleffé mortellement. Dieu nous en préſerve !
ce n'est sûrement qu'une mépriſe.-Je ne fuis
pas affez neuf pour croire une pareille choſe.
Onplaint l'Amiral , qui pourroit bien en être la
victime , & on n'eſt pas raſſuré fur fon fort ,
lorſqu'on fonge qu'il a été auparavant du parti
de l'Oppofition. Un particulier qui ſe donne
pour un des plus grand admirateurs de fa bravoure
&de fon patriotiſme , vient de publier
une longue lettre , dans laquelle il déclare que
bien loin d'être fâché de ſon procès , il eſt fort
aife de le voir mortifié par cette enquête , &
qu'il a bien mérité cette punition , en acceptant
un commandement fous une adminiſtration qu'il
favoit être autant ſon ennemie que celle de la
Grande-Bretagne.
Onprétend que le feu Comte de Chatam lui
avoit prédit ce qui lui arrive. Dans le tems où
l'on commençoit à travailler à la grande flotte
d'obſervation , & que l'adminiſtration défignoit
déja l'Amiral Keppel pour la commander en
Chef, celui- ci faiſoit de fréquents voyages à
Gages chez le Comte de Chatam qu'il étoit dans
l'ufage de confulter ſur toutes les affaires politi(
95 )
ques qui l'intéreſſoient. La première fois qu'il
l'alla voir après ſa nomination , le Comte lui
cria en le voyant entrer : >> Courage mon ami ;
foyez le ſauveur de votre pays , vengez fon
honneur , & lancez fon tonnerre fur nos ennemis
; mais fachez en même-tems , mon cher
Keppel , que quels que foient vos ſuccès , vous
ne devez attendre aucune récompenſe de votre
maître , & je fouhaite de tout mon coeur que ſa
confiance dans cette occafion ne porte aucune
atteinte à vos lauriers « .
Preſque tous nos papiers font remplis de réflexions
contre l'adminiſtration qui a confenti à
donner tant d'éclat à cette affaire . Selon eux
elle a commis une grande imprudence ; les Officiers
de la marine ont déja formé différens partis;
quelques-uns même des Membres du Confeil
de guerre , ont déclaré leur mépris pour les
loix de terre , & diſent qu'ils fiégent , non par
égard pour la loi , mais pour rendre justice ; &
c'eſt faire une diſtinction odieuſe entre la juſtice
&la loi . >> Pendant que ce procès , lit-on dans
quelques-uns , occupe excluſivement la curiofité
publique , un homme ſincèrement attaché aux
intérêts de fon pays , peut-il s'empêcher d'obfer.
ver la conduite de l'adminiſtration ? où eſt le
Comted'Estaing ? s'eſt-on un peu occupé de nos
Iſles de l'Amérique ? tous ces objets méritent
certainement la plus férieuſe attention ; mais le
peuple ſemble devenu inſenſible , & cette indifférence
a été pouſſée à un tel point , que la
ruine totale de l'Etat eſt peut-être le ſeul châ
timent qui puiſſe expier un crime auſſi capital «.
S'il faut en croire les bruits publics qui n'ont
peut être aucun fondement , on a découvert de.
puis peu une trahiſon de la part d'un premier
Commis de la tréſorerie ; on l'accuſe d'avoir
donné à la Cour de France la clef du chiffre em
ployé dans quelques dépêches relatives à une
( 96 )
négociation entre les Cours de Pétersbourg de
Londres & de Berlin ; au moyen de quoi le ſecret
de ces négociations a été éventé. Il y a
tant de variations ſur ce qui ſe débite à ce ſujet ,
qu'il eſt difficile de ſavoir à quoi s'en tenir ; &
cet évènement a tout l'air d'être une fiction .
On parle auſſi d'un porte-feuille trouvé dans la
rue , dans lequel étoit une lettre en chiffre ,
contenant une correſpondance criminelle avec
l'ennemi. Cettelettre & les papiers qui y étoient
joints, peuvent ſervir à en faire découvrir l'auteur.
Leur examena , dit-on , donné lieu à une
aſſemblée tenue ces jours derniers chez un Miniſtre
, & à laquelle le juge Fielding a été appellé
pour donner ſon avis.
L'arrangement que la Cour vient de faire
dans la principauté de Galles , fait toujours beaucoup
de bruit , & on ne doute pas que le Parlementne
s'enoccupe inceſſamment.Enattendant ,
quelques perſonnes cherchent à le faire regarder
comme la cauſe prochaine d'une nouvelle révo
lution. >> Les Gallois , dit-on , joignent au courage
le plus ferme , une ame peu endurante. De
tout l'Empire Britannique , c'eſt la province qui
ſe laiſſera le plus difficilement dépouiller de fes
propriétés par une adminiſtration tyrannique ;&
il ya tout lieu de croire que ſi le Gouvernement
perſiſte dans des meſures qui donnent les plus
vives alarmes aux propriétaires des terres , il
aura bientôt ſur les bras une nouvelle rebellion « .
On lit ici une lettre écrite de Paris par un de
nos compatriotes qui y fait ſon premier voyage.
>> Le pays où je ſuis , & dont on dit tant de mal
dans le mien , eſt bien mal connu & apprécié bien
injuſtement J'y ai trouvé cette liberté que nous
payons ſi cher, &dont nous n'avons que l'ombre.
Elle réſide ici avec la ſécurité , la gaité& l'honnêteté
qui y compoſent ſon cortege; les illuminations à
l'occafion de la délivrance de la Reine , m'ont fait
voir
(97)
voir 800,000 habitans , ſe promenant paiſiblement ,
comme ſi ce n'eût été qu'une ſeule famille , & la ville
entière qu'un jardin. Quelle différence avec ce qui
arrive chez nous , où notre populace ne peut ſe
réunir ſans s'ameuter , & où il n'y a point de fêtes
qui n'entraîne l'exécution du riot aft , ( acte contre
les émeutes ) , pour nous mettre à la chaîne comme
des chiens enragés. Nos Miniſtres & leurs ſuppôts
ſe tuent de répéter qu'il y a diſette d'hommes de
bonne volonté en France , &je m'attendois à voir les
enrôleurs profiter de la fête pour exciter des émeutes
& faire ce qu'on appelle leur main ; cela ſe ſeroit
paffé ainſi à Londres ; mais ici on n'enrôle perſonne
que de bonne volonté ; celui qui feroit un ſeul
homme par force , riſqueroit d'être puni par le
carcan & même les galères. Cette attention pour la
liberté perſonnelle, dans un pays où l'on prétend
chez nous que tout eſt eſclave , me rappelle un fait
ſingulier , arrivé l'année dernière dans la patrie de la
grande charte. Le Lord *** ſortant d'un bal mafqué
où il avoit pris le déguiſement d'un matelor ,
fut emmené , quelque choſe qu'il pût faire & dire ,
fur un vaiſſeau par des enrôleurs de marine , & ce ne
fut que le lendemain qu'il fut relâché ce,
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Trentown , le 8 Novembre. Nous ſavons
de bonne part que le Lord Howe , après s'être
montré une inſtant avec ſa flotte devant le
port de Boſton , peu de tems après que le
Comte d'Estaing y fut arrivé de Rhode- Iſland ,
penſa payer cher cette eſpèce de bravade ;
en retournant à New-Yorck , il courut le plus
grand riſque de faire échouer tous ſes vaiſſeaux
fur le Cap Codd , le même ou le Sommerfer
a échoué le rer. de ce mois . Le Saint-Albans
de 64 canons , toucha & reſta près de deux
jours fans pouvoir ſe relever , il fit le ſignal
aux autres vaiſſeaux du Lord Howe , de s'é-
5 Février 1779. , E :
(98 )
هللا
loigner pour éviter d'éprouver le même acci
dent,& eut enfuite le bonheur de revenir à flot.
Selon toutes nos nouvelles , l'Amiral Byron
eft toujours à Newport de Rhode- Iſland , ne
fachant qu'elle route tenir pour touver M.
d'Estaing. Le Général Washingtona , dit-on ,
laiflé fon armée dans ſes quartiers d'hiver , dans
les Jerſeys & eſt allé au Sud , avec quelques
Officiers de choix. On croit que ſon intention
eſt de viſiter les troupes qui avoient été
levées dans la Géorgie & dans les Carolines ,
pours'oppofer au Brigadier-Général Campbell.
L'expédition de cet Officier étoit connue dans
toute l'Amérique pluſieurs ſemaines avant fon
départ ; elle devoit néceſſairement manquer ,
& c'eſt ce qui eft arrivé.
>> On a arrêté dernièrement , à Dambury ,
écrit-on de Connecticut , un eſpion qui avoit
traverſé la flotte du Comte d'Estaing , vu tous
nos ouvrages dans les environs , viſité toutes!
les diviſions de l'armée du GénéralWashington ,
& qui étoit déja fur le point de s'en retourner
à New- Yorck . On l'a foupçonné& pourſuivi ;
fon cheval , de toute la vitelle duquel il fuyoit ,
ſe trouvant fatigué , eſt tombé mort & a facilité
le moyen de le joindre & de le faifir ;
on l'a mis en lieu de fûreté. En viſitant fa
felle, ony a trouvé 700 guinées qu'il y avoit
cachées.
De Charles-Town , le 18 Novembre. » Nous
avons eſſuyé ici , écrit-on de New-Yorck , de
violens coups de vent depuis le commencement
de ce mois ; la flotte de l'Amiral Byron a été
très-maltraitée & tellement diſperſée , qu'il
n'a pu encore réunir à Rhode-Iſland plus de
neuf de ſes vaiſſeaux ; nous venons de voir ar
riyer ici le Bedford, de 74 canons , tout démâté
; on ignore où ſe trouvent les autres , &
on craint beaucoup pour trois qu'il a quittés
il y a quelques jours , & qui font dans un
(99 )
état encore pire que le ſien. LeColonelCampbell
eft de retour de fon expédition , que
les vents ont contrariée ; on croyoit qu'il en
alloit tenter une nouvelle ; on parloit même
de 4000 hommes commandés pour cet effet ;
mais la nouvelle du départ du Comte d'Eftaing
de Boſton a retenu ici nos troupes. Nous
fommes fort inquiets pour le Commodore Hotham
.
On a beaucoup parlé de l'expédition d'Eggharbour.
Les Anglois n'ont pas manqué d'exagérer
felon leur uſage l'avantage qu'ils ont obtenu.
La lettre ſuivante du Comte Palawski au
Préſident du Congrès , & publiée par ordre du
Congrès réduit leurs relations à leurjuſte valeur.
>>M. , craignant que ma lettre , fur l'action où
j'ai été engagé , ne s'égare ou ne ſoit retardée , &
ayant d'ailleurs quelques autres particularités àrapporter
, j'ai cru néceſſaire de vous envoyer celle-ci.
Un certain Juliet , Officier , qui avoit déſerté de l'ennemi
, alla de nouveau le joindre il y a deux jours
avec trois hommes qu'il avoit débauchés , & deux
autres qu'il a emmenés de force. L'ennemi , excité
ſans doute par ce Juliet , nous attaqua le 15 à 3.
heures du matin avec 400 hommes : il parut d'abord
pouffer avec furie nos piquets & notre infanterie,
qui perdirent quelque peu de monde en ſe retirant :
enfuite il s'avança vers notre infanterie. Le Lieutenant-
Colonel Baron de Boſe , qui étoit à la tête de
ſes gens & ſe battit avec vigueur , fut tué de quelques
coups de bayonnette , ainſi que le Lieutenant
de la Borderie : un petit nombre de foldats fut bleſſé.
Cette boucherie n'auroit pas ceſſe ſi-tôt , ſi ſur la
première allarmeje ne me fufſe hâté avec ma cavalerie
de foutenir l'infanterie , qui s'étoit alors mife
onbonne poſture. L'ennemi ſe retira bientôt en grand
déſordre ,laiffant en arrière beaucoup d'armes , de
pièces d'équipement , de lames d'épée , &c. Nous
fimes quelques prifonniers ;& nous en aurions fait
E2
(100 )
un plus grand nombre , ſans un marais , à travers
lequel nos chevaux ne purent marcher qu'avec peine.
Cependant nous nous avançâmes toujours dans l'efpoir
de joindre les ennemis ; mais , crainte d'être
atteints , ils avoient ôté les planches d'un pont; ce
qui les ſauva. Mon infanterie légère , & particulièrement
la Compagnie de Chaſſeurs , paſſerent néanmoins
les reſtes du pont & tirèrent quelques volées
fur l'Arrière-Garde. Le feu recommença des deux
côtés : nous eûmes l'avantange ; & nous fimes de
nouveau lâcher le pied à l'ennemi , quoique ſupérieur
en nombre : mais je ne voulus pas permettre
àmes Chaſſeurs de pouffer plus loin la pourſuite,
parce que je ne pouvois pas les foutenir ; & ils revinrent
à notre ligne , ſans avoir fait alors aucune
perte. Celle que nous avons faite en morts , bleſſés
&égarés , eſt estimée à 25 ou 30 hommes &quelques
chevaux. Laperte de l'ennemi paroît être beaucoup
plus conſidérable. Nous avions coupé la retraite
à environ 25 hommes , qui ſe ſont retirés
dans le pays & les bois , fans que nous ayons pu
les trouver : l'on croit généralement , qu'ils ſe ſont
cachés chez les Torys , dans le voiſinage du camp «.
DeBoston , le 20 Novembre. La famille du
Général Gates l'a ſuivi dans cette Ville. Il
vient prendre le Commandement du département
de l'Eſt que le Major-Général Heath
lui a remis ; c'eſt ce dernier qui l'a préſenté
au Conſeil de cet Etat. On dit que la Providence
eſt compriſe dans le département du
Général Gates ; comme elle faiſoit partie de
celui du Général Sullivan , on croit que ce dernier
auraun autre commandement dans le Sud.
Pendant le ſéjour du Comte d'Estaing ici ,
un certain nombre de Chefs & de Délégués
des Indiens des tributs de Penobſcot & de la
nouvelle Ecoſſe , ont été le voir ; il les a reçus
à bord du Languedoc & les a traités avec
beaucoup d'amitié . On remarqué que les
Sauvages n'avoient pas perdu leur ancien attaa
( IOI )
:
chement & leur grande prédilection pour les
François . Ils ont demandé , avec empreſſement ,
des nouvelles de leur père , le Roi de France ;
car c'eſt le nom qu'ils n'ont jamais ceſſé de lui
donner , tandis que leurs Sachems ne donnoient
jamais que le nom de frère au Roi de la
Grande-Bretagne. Dans leur difcours à l'Amiral
François , ils dirent entr'autres chofes : qu'ils
avoient appris , avec beaucoup de plaifir , que
leur père , le Roi de France , avoit fait , depuis
peu , un traité d'amitié avec les Etats-
Unis , & leur avoit envoyé un certain nombre
de ſes gros vaiſſeaux & de ſes meilleurs
guerriers . Qu'il s'étoit trouvé des gens qui
leur avoient dit qu'il n'étoit venu que quelques
petits vaiſſeaux pour trafiquer , & que ne fachant
ce qu'ils devoient croire , ils étoient
venus s'aſſurer de la vérité par leurs yeux ,
pour en rendre compte à leurs frères à leur
retour. M. d'Estaing leur a montre ſes vaifſeaux
,dont la force & le nombre leur ont
caufé la plus grande admiration ; il leur a fait
des préfens & les a chargés d'aſſurer de fon
amitié leurs frères abſens .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 30 Janvier.
La ſanté de la Reine ne laiſſant plus rien à défirer
, tous les Seigneurs & Dames de la Cour furent
admis le 17 de ce mois à faire leur cour à S. M.
qui , le lendemain ſe rendit à la Chapelle du Châreau
où elle fur relevée par l'Evêque de Chartres ,
fon Grand-Aumônier. La ſanté de Madame , fille du
Roi , ſe fortifie de jour en jour.
Le 24 de ce mois , LL. MM. & la Famille Royale
ſignèrent le Conttat de Mariage du Vicomte de
Tonnerre , Capitaine dans le régiment Royal-Cham--
pagne, Cavalerie avec Demoiselle Fernard de
Boulainvilliers .
1
E 3
( 102 )
Le même jour M. Dormeſſonde Noyſeau, Préfident
à Mortier du Parlement de Paris , préſenté par
M. le Garde-des Sceaux , fit ſes remerciemens à S. M.
pour la ſurvivance de ſa charge qu'elle a bien voulu
accorder à ſon fils. LaVicomteſſe de Périgord , fut
préſentée le même jour au Roi & à la Famille Royale
par la Comteffe de Talleyrand.
Monfieur tint le même jour dans ſon Cabinet le
Chapitre des Ordres Royaux & Militaires de Notre-
Dame du Mont- Carmel & de S. Jean de Jérusalem ;
il déclara le choix qu'il avoit fait du Marquis de
Monteſquiou , fon premier Ecuyer , pour la dignité
de Chancelier Garde-des-Sceaux dudit Ordre , vacante
par la démiſſion du Marquis de Paulmy. Il ordonna
la promulgation de deux règlemens nonveaux
: le premier en date du 31 Décembre dernier,
ordonnequ'on ne pourra être admis à l'avenir dans
l'Ordre , qu'après avoir prouvés 8 degré de nobleſſe
paternelle militaire , non compris le récipiendaire ,
fans aucun annobliſſement connu , & qu'on eſt actuellement
au ſervice du Roi au moins dans le grade
de Capitaine en ſecond dans les troupes de terre ,
ou d'Enſeigne de Vaiſſeau dans la marine. Il n'y a
d'exception qu'en faveur de ceux qui fervent le Roi
en qualité de ſes Miniſtres dans les Cours étrangères
; les Commandeurs Eccléfiaftiques ſeront tenus
de prouver qu'ils font de race noble militaire , &
que leur pere a fervi vingt ans au moins ou eſt mort
au ſervice. Le ſecond règlement en date du 21 de
ce mois , preſcrit les règles d'admiflion des élèves
de l'Ecole Royale Militaire , & fixe au nombre de
trois par an les élèves de certe Ecole qui feront
reçus dans cet Ordre. Après cela Monfieur fit la
promotion ſuivante Le Duc de Laval , Lieutenant-
Général, premier Gentilhomme de fa Chambre ; le
Marquis de Lévis , Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant Général de ſes Armées , Capitaine des
Gardes de Monfieur ; le Marquis de Timbrune
Maréchal de Camp , Gouverneur de l'Ecole Royale
( 103 )
Militaire ; le Comte de Chabrillant , Maréchal de
Camp , Capitaine des Gardes de Monfieur ; le Comte
de Maillé , Maréchal de Camp , premier Gentilhomme
de la Chambre de Mgr. le Comte d'Artois ;
le Vicomte de Rochechouart , Chef d'Eſcadre; le
Marquis de Beranger , Chevalier des Ordres du Roi ,
Brigadier d'Infanterie , Chevalier d'honneur de Madame
; le Comte de Maulde , Colonel à la ſuite de
l'Infanterie ; le Vicomte de Virieu , Gentilhomme
d'honneur de Monfieur , Colonel de ſon Régiment
d'Infanterie ; le Chevalier de Monteil , Capitaine de
Vaiſſeau , commandant les Gardes de la Marine ; le
Marquis de Noailles , Meſtre de Camp de Cavalerie
, premierGentilhomme de la Chambre de Monſieur
; le Chevalier de Boiſgelin , Capitaine au Régiment
des Gardes Françoiſes ; le Chevalier de Monteſquiou
d'Artaignan , Capitaine au même Régiment ;
le Vicomte de Laval , Colonel du Régiment d'Auvergne
, premier Gentilhomme de Monfieur ; le
Chevalier d'Agoult , Meſtre de Camp de Cavalerie ,
Lieutenant , Aide - Major - Général des Gardes-du-
Corps , & le Baron de Durført & le Vicomte de
Beaumont , Capitaines de Vaiſſeau
M. de la Fortelle , Lieutenant du Roi de S. Pierrele-
Moutier , eut l'honneur de préſenter au Roi & à la
Famille Royale , les Cartes Militaires , ou les Annales
des Chevaliers des Ordres Royaux & Militaires
de France , des Gouverneurs , des Lieutenans
de Roi , Majors des Provinces contenant
letems de leur service , leur grade actuel , le lieu
de leur retraite , la date de leur réception dans
l'Ordre , le nombre des affaires de guerre où ils
-ſe ſont trouvés , leurs bleſſures , & c . Cet Ouvrage
en 2 vol. ſe trouve chez Lambert , Onfroi & Valade
, Libraires , & chez l'Auteur , rue du Four Saint-
Germain. La Vie politique , militaire & privée de
la Chevaliere Déon , ſe vend ſéparément avec ſon
portrait gravé , chez les mêmes.
E 4
( 104 )
1
De PARIS , le 30 Janvier.
L'ESCADRE aux ordres de M. de Graffe
a mis à la voile le 13 de ce mois , avec un
très-beau tems. Selon des lettres de Breft, elle
a dû avoir décapé le 18. Les travaux pour
l'armement de celle de M. de Ternay ſe continuoient
fans relâche , & on croyoit qu'elle
ſeroit prête à partir au commencement du mois
prochain.
>> Le 14 de ce mois , écrit-on de ce port ,
il nous eſt arrivé 10 à 12 bâtimens Hollandois
, chargés d'approviſionnemens maritimes ;
ils ont été eſcortés , juſqu'à l'Iſle d'Oueſſant ,
par un vaiſſeau & une frégate de leur Nation
, qui ont enſuite continué leur route pour
convoyer le reſte de leur flotte qui eſt plus
confidérable juſqu'à Bordeaux. Nous avons
appris par ces bâtimens que la République
des Provinces - Unies , eſt décidée à ne plus
laiffer infulter ſon pavillon ; la Ville d'Amſterdam
eft celle qui a montré plus de chaleur
dans les débats qu'a occaſionné cette réfolution
«.
L'efcadre qui a mis à la voile de Toulon ,
le 25 du mois dernier , ſous les ordres du
Chevalier de Saint- Hipolyte , eſt compofée de
la Victoire & du Destin de 74 canons , du
Hardi & du Caton de 74. La Bourgogne , vaifſeau
de 74 canons & le Lion de 64 , qui font
abſolument réparés , & fous les ordres de M.
de Marin & de M. de Boades ont ordre d'accélérer
leur armement. Le Héros de 74 canons
a été lancé à l'eau le 29 du mois dernier , &
le Triomphant de 80 & le Jaſon de 64 , ont dû
l'être dans celui-ci.
Selon les lettres de pluſieurs de nos côtes ,
les derniers coups de vent ont caufé beaucoup
( 105 )
:
de dommage aux Anglois. Les chances ne font
pas pour eux. Cette grande flotte fortie de
leurs ports pour la nouvelle Angleterre , &
les Indes Occidentales , en a fingulièrement
fouffert. Nombre de navires qui en faifoient
partie , ont échoué ſur la côte de Picardie , &
trois vaiſſeaux de guerre qui les convoyoient ,
font rentrés dans les ports d'Angleterre , en
très-mauvais état. On prétend que les prifonniers
qui nous ont été amenés par ce déſaſtre
font au nombre de 7 à 800 .
>>Le Courier , du 15 de ce mois , écrit-on
de Saint-Malo , nous a apporté nos lettres de
Londres ; elles nous annoncent la priſe faite
par des Corfaires Anglois , des navires l'Iris , les
Deux Amis & l'Epaminondas venant de l'Inde .
Nous en ignorons la valeur. En entrant à Liverpool
l'Iris & les Deux Amis ſe ſont perdus ;
on croit ſauver la cargaifon du dernier , partie
des équipages ont été noyés.
>>Le navire prétendu Danois dont on a
parlé , ajoutent les mêmes lettres , eft bien
Anglois &z de l'Iſle de Guernezey , en conſéquence
il eſt de bonne priſe. Sa cargaifon
confifte en 70 quintaux de bois de Campêche ,
40 veltes de tafia , 3000 livres de fucre , & 600
livres d'indigo «.
Les priſes que font ſur nous les Anglois
commencent à devenir moins fréquentes ; &
on a lieu d'eſpérer que bientôt elles le feront
moins ; les vaiſſeaux marchands ne partiront
plus fans convoi. On mande de Bordeaux que
le vaiſſeau du Roi le Fier de 50 canons , commandé
par M. de Turpin , étoit deſcendu au
commencement de ce mois au bas de la rivière
avec 4 frégates pour prendre ſous fon
convoi les navires marchands prêts à partir
pour nos Colonies ; il y a toute apparence que
cette flotte a profité des vents favorables qui
ont régné pendant quelque tems. Es
( 106 )
On continue d'amener fréquemment des
priſes dans nos ports ; elles ne font pas toutes
d'une richefle égale à celle de quelques - uns
des vaiſſeaux que nous avons perdus ; mais les
Anglois en ont peu qui reviennent des Indes.
M. de Bompart , Commandant de la frégate
l'Aurore , en a conduit 4 à Toulon ; on les
dit très-riches . D'autres frégates du Roi ont
conduit à Nantes 2 corſaires Anglois , le Fox
de 6 canons & le Saint- George de 14 , avec
un bâtiment de Marſeille qu'elles leur ont
repris.
Suivant l'état arrêté dans les différens ports
du Royaume , des priſes faites ſur les Anglois
dans les mers d'Europe , depuis le commencement
des hoftilités , elles ſe montent dans ce
moment à 165 , tant bâtimens de guerre que
marchands. On ne connoît point encore celles
qui ont été faites dans les mers d'Amérique.
Elles ne peuvent qu'avoir été très-confidera
bles , fi nos corſaires y ont montré la même
vigueur & la même audace que dans la guerre
dernière. On lit dans l'Histoire Philofophique
&Politique des Etabliſſemens & du commerce des
Européensdans les deux Indes , que pendant cette
guerre les ſeuls corſaires de la Martinique
enlevèrent 1400 bâtimens aux Anglois.
->> L'alarme qu'on a eue ici , écrit-on de
Rochefort , n'a jamais été bien grande. M. le
Marquis de Voyer n'aura pas beaucoup de
peine à nous raſſurer ſur cette invaſion prétendue
de la part des Anglois qui ont trop
d'embarras chez eux , pour êttrree ſoupçonnés
de l'envie de venir nous attaquer. On travaille
jour & nuit à de nouveaux armemens.
Le Pluton , l'Hercule & le Scipion ſont prêts .
Ce dernier a déja deſcendu la rivière , &
les deux autres ſuivront inceſſamment. Quant
aux conftructions , on s'occupe de celle de s
こ
(107 )
vaiſſeaux de ligne , dont un de 110 canons ,
un de 80 , & trois de 74. Il y a de plus 5 frégates
prêtes à fortir. Le corfaire le Baron de
Montmorency de ce port , Capitaine Michau ,
eſt à la mer. On n'a de ſes nouvelles que
par une priſe qu'il a envoyée à Breſt. Celui
qui eft armé par la place de Dunkerque ne
tardera pas à fortir; Μ. deKerguelin le commande
«.
>> Le Capitaine Fugairon d'Antibes , lit-on
dans une lettre de Baltia en Corſe , commandant
la tartane la Trompeuse , armée à Marſeille
, vers la fin de Novembre , a conduit
dans notre port le corfaire Anglois le Rambler
, Capitaine Jean Rock , monté de 18 canons
& de 50 hommes. Ce corfaire armé à
Livourne , & qui avoit déja fait pluſieurs prifes
Françoiſes , dont deux avoient été conduites
dans le port Gênes , a été pris à la hauteur
du Mont Argentaro ſur la côte d'Italie ; lorfque
la Trompeuse eut mis entr'elle & la terre ,
le Rambler qui cherchoit à s'échouer , deux
hommes du corfaire ſe jettèrent à la mer ,
quoiqu'elle fût fort groſſe , & qu'ils fuffent
encore très-éloignés du rivage . On croit que
ce font deux Corſes , l'un échappé des galères
de Marseille , & l'autre condamné à mort
pour crime d'aſſaſſinat . Cette priſe a caufé ici
la plus grande joie ; notre commerce commençoit
à être allarmé. Mais depuis que l'on fait
que deux vaiſſeaux & deux frégates font fortis
de Toulon pour croifer ſur nos mers , ily
a apparence que les corſaires Anglois qu'on
arme encore à Livourne n'oferont plus paroître,
:
>> M. Regnier de Tilliet , ajoute la même
lettre , Commiſſaire des ports & arſenaux de
Ifle , de retour de France , a apporté au
Confeil un Règlement en forme d'Edit , pour
cette
E6 .....
۱
( 108 )
Padminiſtration desBureaux de ſanté. LeComte
de Marboeuf , Commandant , & M. de Boucheporn,
Intendant, font nommés Commiſlaires
du Roi en cette partie , & M. du Tilliet
leur eſt Adjoint en qualité d'Inſpecteur.
Le Roi vient de récompenfer MM. de Saint-
Prieft & de Bouillé , Cadets gentilshommes
du régiment de Vexin , du courage qu'ils ont
montré à l'abordage & à la priſe du vaiſſeau
Anglois la Lady Sophie , en les faifant Sous-
Lieutenans dans ce régiment , &en leur accordant
diſpenſe de deux ans de fervice pour la
Croix de Saint-Louis. Le Capitaine Lamy a
été également récompensé par le don d'une
épée , accompagné de la lettre ſuivante du
Miniftre de la marine , en date du 9 de ce
mois. >> J'ai mis ſous les yeux du Roi , M. , les
témoignages avantageux qui m'ont été rendus
de votre conduite dans la priſe du vaiſſeau
Anglois la Lady Marie que vous avez abordée
avec un ſmuler que vous commandiez .
S. M. voulant vous montrer ſa ſatisfaction de
l'intelligence & de la bravoure que vous avez
montrées dans cette occafion , vous a fait don
d'une épée, qui vous fera remiſe par M. Porquet,
Commiſſaire des Claſſes à Calais «.
La Ville du Puy-en-Vélay a eſſuyé fucceffivement
, le 7 & le 8 de ce mois , deux incendies
qui lui ont fait un tort confidérable .
L'Evêque a donné , dans cette triſte occaſion ,
des preuves de fa bienfaiſance , & le régiment
de Cuſtine , qui y eſt en garniſon , a
ſecondé , avec tout le zèle poffible , les foins
& les ordres du Magiftrat , pour arrêter les
progrès du feu , dont un tems ſec & une biſe
piquante favoriſoient malheureuſement l'activité.
Nous avons parlé dans le tems de l'enfant
fourd & muet, trouvé égaré ſur une grande
route , & qu'on a dit enfuite être le Comte
( 109 )
de Solar ; cet évènement a donné lieu à un
Procès qui eſt actuellement au Châtelet ; c'eſt
une queſtion d'identité d'individu & de fuppreſſion
d'état qu'il préſente. M. Cazeaux , Etudiant
en Droit en l'Univerſité de Toulouſe ,
pris a partie dans cette affaire intéreſſante &
décrete , eſt encore en prifon. Il a trouvé un
défenſeur dans M. Elie de Beaumont , qui
vient de publier un Mémoire qui mérite d'être
lu & dont voici le début.
>>>L'amour du merveilleux eſt de tous les tems &
de tous les pays , de tous les états& de tous les âges.
Si à ce ſentiment ſi naturel à l'homme , ſe joint l'impulſion
de labienfaiſance pour un être inconnu plongé
dans l'humiliation & la misère , qu'on ſe flatte de
rétablir dans les premières claſſes de la Société , d'où
le crime l'avoit arraché , il eſt incroyable alors jufqu'à
quel degré peut s'exalter l'ame d'un homme de
bien ; la vertu même rend ſes erreurs , & plus actives
&plus redoutables.
>> C'eſt ainſi que le ſieur Cazeaux cherche à exeufer
à ſes propres yeux la prévention d'un homme
célèbre ( M. l'Abbé de l'Epée ) , qui a bien mérité de
l'humanité , en rendant deux ſens à ceux que la nature
en a privés ; & qu'un voyageur auguſte (l'Empereur),
nous eût appris à apprécier , fi nous euſſions
été affez aveugles pour ne pas lui rendre nous-mêmes
leplus juſte hommage .
>>Mais faut-ilquele fieur Cazeau ait à ſe plaindre
de ceque cet enthouſiaſme du bien , fi utile à tant
d'êtres infortunés , lui ſoit devenu ſi fatal & fi
cruel à lui-même.
>> Un jeune enfant fourd & muet eſt trouvé dans
ungrand chemin de Picardie , l'humanité le recueille ;
l'homme bienfaiſant qui ſupplée parmi nous les organes
de l'onie & de la parole,le prend au nombre
de ſes élèves ; il s'affectionne à ſon ouvrage; il recherche
ſa naiſſance; il le proclame Comte de Solar ,
les journaux , les papiers publics , retentiffent de cette
rare découverte ; des conjectures deviennent des
( 110 )
réalités ! & voilà qu'auſſi-tôt un citoyen vertueux ,
irréprochable , pour avoir rendu au vrai Comte de
Solar un ſervice intéreſſant &les plus tendres ſoins,
eſt arraché à deux cent lieues de Paris , du ſein de ſa
famille , des bras d'une mere déſolée , d'un pere octogénaire
,dont on avance la carrière, eſt chargé de
ferspendantdix-sept mois entiers ( outrage que la
loi n'ordonnoit pas , &qui ne pouvoit fervir à la
vérité ) , eft précipité comme un vil crimineldans les
cachots , & puis, comme par grace , dans les priſons
dugrand Châtelet , d'oùaprès trois mois de l'inftruction
laplus rigoureuſe , on va ſe trouver enfin obligé
de le rendre à la lumière , à la ſociété, à l'entier
exercice de ſes droits , lorſqu'il préſente la démonftration
la plus complette de ſon innocence ".
Gafpard-Boniface Conſtantin , Vicomte de
Caſtelane , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de Saint Louis , premier Ecuyer du
Duc de Penthièvre , eſt mort à l'hôtel de Tou
loufe , rue de la Vrillière.
Antoinette de la Trade , veuve d'Hélie ,
Comte de Royere & Seigneur de Montfibre ,
eſt morte au Château de Montfibre , Paroiſſe
de Cublac , bas Limofin , le 27 Décembre
dernier.
Henriette-Julie de Durfort de Duras ,Comteſſe
Douairière d'Egmont , Grande-d'Eſpagne
de la première Claſſe , Dame du Comté de
Braine , de la Baronie de Sélignon & autres
lieux , eft morte le 20 de ce mois , âgée de
82 ans.
Une Ordonnance du Roi , en date du 26 Novembre
dernier , fixe les quantités de fel &
de tabac de cantine , qui doivent être fournies
aux troupes. La quantité de ſel pour 42 hommes
fera d'un demi-minot par mois , &celle de tabac,
de demi-livre pour chaquehomme par mois.
Le Roi , par un Edit en date du mois de
Novembre & enregistré le 27 du même mois
au Parlement fait diſtraction des Duchés d'Au(
III )
K
vergne & de Mercoeur , de l'Appanage de
M. le Comte d'Artois , & donne à ce Prince
en remplacement & en fupplément d'Appanage
le Comté de Poitou. Par des Lextres-
Patentes , enregiſtrées le 15 Décembre , S. M.
accorde à ce Prince la nomination aux bénéfices
Confiftoriaux , fitués dansl'étendue du Diocèſe
de Poitiers , faiſant partie de fon Appanage.
D'autres Lettres- Patentes du 17 Septembre ,
enregiſtrées , le 4 Décembre , à la Cour des
Aides , règlent les précautions à prendre à
l'avenir pour la validité des Procès- verbaux
de ceux des Employés de la Ferme générale
qui ne favent lire ni écrire.
Un Arrêt du Conſeil , du 20 Octobre , déboute
les Bénédictins de Vendôme , de leur
demande en reſtitution du droit d'amortiſſement
par eux payé pour leur rentrée en poffeffion
dans un terrein ci- devant cédé à bail
emphythéotique , ſous la charge de reconſtruire
un moulin qui a été bâti , & pour raifon duquel
ils ont payé , à leurs emphythéotes une
fomme de 400o livres .
Un fecond , du 18 Novembre , permet le
tranfit par les ports de Bordeaux , la Rochelle ,
Nantes , Saint-Malo & le Havre , tant pour
la ſortie des ouvrages provenant des Manufactures
de la Flandre Françoiſe , pays conquis
& cédés , que pour l'entrée des matières
premières , ſervant à leur aliment.
Un troiſième , en date du 26 Novembre
ordonne que le droit fur les cartes & les 8
fols pour livres en-ſus , feront perçus & régis
pour le compte du Roi , par Dominique Compant
, Régiffeur général , à compter du premier
Janvier 1779.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du 16 de ce mois ,
font : 79 , 10 , 73 , 84 & 15 .
1
(112)
Article extrait des Papiers étrangers qui entrent
en France.
>> On a dit que la propoſition faite par M. de Bretiguiere
au Parlement ſur l'état civil des Proteftans ,
avoit été renvoyé au is Décembre. L'Aſſemblée
s'étant tenue aujour indiqué , ce Magiftrat adreſſant,
ſuivant l'uſage , la parole au premier Préſident, dit :
>> M. l'objet de ma réſerve eſt tout à la fois trèsimportant
& très-ſimple. Ilne s'agit ni de favorifer
l'exercice de la Religion réformée , ni d'admettre
aux charges ceux qui la profeſſent, mais d'obtenir
pour eux cequ'on accorde aux Juifs dans toute l'étendue
du Royaume ; ce que les Princes Proteftans ne
refusèrent jamais aux Catholiques, niles Empereurs
Payens eux mêmes aux Chrétiens qu'ils perfécuroient
; je veux dire un moyen légal d'affurer l'état
de leurs enfans. Il étoit natureld'y pourvoir lors de
la révocation de l'Editde Nantes ; mais les Miniſtres
de Louis XIV penſerent qu'en évitant de s'expliquer
fur cet objet , une incertitude ſi pénible pour les
Proteftans , jointe aux autres moyens de rigueur
qu'on employoit contr'eux , amèneroit bientôt leur
converfion. Cependant on ciut que l'humanité re
permettoit pas de leur interdire expreſſément lema
riage ; ni la religion , de les traîner malgré eux aux
piedsdes autels.D'ailleurs , comment avouer le projet
de les réduire à cette alternative; après leur avoir
promis , par la loi même qui révoque l'Edit deNantés
, une existence paiſible : on aima donc mieux
faire ſemblantde croire qu'il n'y avoit plus de Proteſtans
dans le Royaume , & par un aveuglement
inconcevable, la plus vaine des fictions fut regardée
comme un chef- d'oeuvre de Politique. L'expérience
fit voir qu'on s'étoit trompé. Mais ce ſyſtème , conſacrépar
le tems & par l'habitude , ſurvécut pendant
une longue ſuite d'années aux eſpérances qui
l'avoient fait naître. Enfin l'on ouvrit les yeux; les
diſpoſitions de la déclaration du 9 Avril 1736 , far
l'inhumationde ceux auxquels la ſépulture Eccléſiaf(
113 )
tique n'eſt pas accordée , parurent annoncer quelque
choſe de ſemblable pour les naiſſances & les mariages.
C'étoit en effet l'intention du Gouvernement. Un
grand Prince ( le Prince de Conti ) , dont la mémoire
vivra toujours dans le ſouvenir du Parlement & dans
celui de la Nation , des Miniſtres habiles , des Magiftrats
également éclairés & vertueux , s'en occupèrent
par ordre du feu Roi. Mais leurs vues furent
traverſées par un enchaînement de circonstances
malheureuſes , par ces obſtacles que des intérêts particuliers
oppoſent trop ſouvent aux projets utiles.
>>Cependant le mal va toujours en augmentant : on
compte depuis 1740 plus de quatre cent mille mariages
contractés au déſert , ſource féconde de procès
ſcandaleux. Des hommes avides conteſtent à leurs
proches leur état pour envahir leur fortune : des
époux parjures implorent le ſecours de la Juſtice
pour rompre des noeuds formés ſous les auſpices de
labonne-foi. Les tribunaux preſſés entre la loi naturelle
& la lettre des loix poſitives , ſont forcés de
s'écarter de l'une ou de l'autre. De quelque manière
qu'ils ſe déterminent , leurs Arrêts font attaqués , &
le fort des jugemens eſt auſſi incertain que les jugemens
mêmes. Les loix de Louis XIV , contre les
Proteftans , ne ſont donc pas tellement tombées en
déſuétude , qu'il ſoit inutile de les abroger. C'eſt une
épée ſuſpendduuee parun fil au-deſſus de leur tête : l'intérêt
& le fanatiſme cherchent continuellement à en
faire uſage ; & malgré les intentions connues du
Gouvernement , ils y réuffiſſent quelquefois . Que
feroit-ce ſi les adminiſtrateurs moins ſages & moins
humains adoptoient d'autres principes ? Non ce
n'eſt point des ſyſtêmes mobiles du Miniſtère, que
doit dépendre la sûreté d'un ſi grand nombre de citoyens.
Il n'y a que la loi qui puiſſe l'établir ſur une
baſe ſolide ; c'eſt en même-tems l'unique moyen de
rendre à la France une foule de réfugiés , que la
crainte de l'opprefſion tient éloignés de leur patrie ,
& de prévenir de nouvelles émigrations , devenues
plus faciles que jamais. En effet , les Proteftans ne
د
( 114 )
ſauroient ignorer que tous les peuples de l'Europe ,
jaloux d'augmenter leur population, les recevroient
à bras ouverts ; & que l'Amérique Septentrionale ,
une fois pacifiée , leur offrira des reſſources encore
plus sûres. D'un autre côté , la justice & la bonté du
Roi , le caractère de ſes Miniſtres , le voeu des Magiftrats
ont dû leur donner de grandes eſpérances Il
ſera dur pour eux de les voir trompées ; plus durencore
de voir mettre le ſceau à leur proſcription, dans
un fiècle ou la tolérance civile a reçu dans la plupart
des pays Catholiques ou Proteftans , la ſanction de
la loi ; & dans tous , celle de l'opinion publique.
N'en doutons pas , le réſultat de notre délibération
rendra la vie à deux millions de citoyens, ou les
plongera dans le déſeſpoir. Tous les yeux ſont fixés
fur le Parlement ; c'eſt de lui , c'eſt de ce Sénat augufte
, l'appui des malheureux & le pere de la patrie
, qu'on attend un remède efficace au plus criant
des abus. Les Myſtères font profanés , l'humanitéou.
tragée, les droits des citoyens foulés aux pieds ,
l'Etat menacé d'une perte irréparable : & nous gat
derions le filence ! &nous n'uferions pas du droit
incontestableque la raiſon & la loi donnent au Parlement,
de ce droit que le plus abſolu des Princes reconnoît
& confirme dans l'Ordonnance de 1667 ,
de repréſenter en tout tems au Roi ce qu'iljuge à
propos , fur les articles des Ordonnances , qui ,
par lasuite du tems , usage & expérience ,ſe trouvent
être contre l'utiltié ou commodité publique ,
ou être ſujet à interprétation , déclaration ou modération.
Je vous prie , M., de vouloir bien mettre
endélibération ce qu'il peuty avoir à faire à ce ſujet.
>>Après ce diſcours , on alla aux opinions qui furent
très-longues , & après leſquelles il fut arrêté qu'il
n'y avoit lieu à délibérer , s'en rapportant ladite
Cour à la prudence du Roi. Ces derniers mots font
bien voir ce que le Parlement penſe des loix de
Louis XIV , & le defir qu'il auroit qu'elles fuffent
modifiées. On ne peut donc pas interpréter fon arrêté
en ce ſens , que cet objet ne méritoit pas qu'on
ب
( 115 )
s'en occupât. Ce font uniquement des raiſons de
prudence qui l'ont déterminé : enſorte que , quoiqu'il
yait eu différens avis , on peut dire qu'au fond le
voeu des Magiſtrats étoit unanime. ( Gazette
d'Utrecht n°. 6. ) .
De BRUXELLES , le 30 Janvier.
>>>LA détention en Angleterre d'un de nos
vaiſſeaux qui avoit chargé à St-Brieuc des toiles
de Bretagne , écrit-on de Cadix , a facilité la
vente de celles qui ſe trouvoient ici. Il vient
d'être reftitué , & on l'attend journellement avec
toute fa cargaifon. Le Bon Confeil eſt arrivé à
Callao de Lima , en bon état ; nous en recevons
la nouvelle. Il paroît felon les lettres du Pérou ,
que les affaires commencent à y devenir meil
leures ; elles font toujours languiſſantes à la
Nouvelle-Eſpagne. Nous avons dans cette rade
une quarantaine de vaiſſeaux de guerre , dont la
plus grande partie peut faire voile d'un inſtant à
l'autre. L'eſcadre du Ferrol , fur laquelle on a
embarqué des troupes , doit être partie pour la
Havanne. Au printems prochain , nous aurons
ici plus de so vaiſſeaux de guerre. La deſtinationde
tantd'armemens eſt toujours un myſtère.
La maladie du Général de Cévallos & celle du
Duc de Medina Sidonia , deviennent tous les
jours plus graves. Les dernières nouvelles qu'on
en a reçues , ont fait évanouir l'efpérance qu'on
avoit conçue de leur prompt rétabliſſement «.
S'il faut en croire un bruit qui ſe répand
& qui , dit- on , a été apporté à Dunkerque
parun bâtiment Hollandois , M. d'Estaing qui
faifoit voile avec la plus grande hate , & qui
ne voulut pas ſuſpendre fa marche pour s'emparer
du Culloden qu'il avoit rencontré , &
qui eût été infailliblement ſa proie ne congeant
qu'à enlever le Commodore Hotham ,
a réuffi dans ſon projet & s'eſt emparé de ce
chef d'eſcadre , de ſes vaiſſeaux de tranſports ,
,
(116)
&des sooohommes qu'il conduiſoit àla Jamaique
; fi cette nouvelle eſt auſſi vraie que vraiſemblable
, la Jamaïque qui eſt ſans défenſe,
doit être entre les mains des François.
>> L'hiſtoire d'une nièce du Comte d'Estaing ,
fort liée avec une foeur de l'Amiral Byron ,
écrit- on de Paris , feroit fingulière & plaifante
fi elle pouvoit être vraie ; mais le Vice-Amiral
n'a point de nièce , & ce fait rentre dans
la fouledes contes qu'on fait trop ſouvent dans
cette capitale",
Si les Hollandois, écrit-on de la Haye,
fourniffent de l'argent aux Anglois , ce fera en
petite quantité. On calcule trop bien dans ce
pays- ci , & l'on y voit que l'Angleterre fera
peut-être forcée de faire banqueroute, au moment
qu'on y penſera le moins. Cette crainte
ſeule fuffit pour refferrer les bourses; mais les
Anglois ne manqueront pas d'argent chez euxmêmes
; il n'y a que les hommes qu'ils ne favent
plus où trouver. Il y a peu de jours qu'ils vouloient
faire accroire aux Hollandois qu'il étoit
de leur intérêt de modifier l'art. 11 du traité
de 1674, d'y renoncer même. Or par ce traité,
les Hollandois font en droitde tranſporter en
France tout ce qu'ils veulent , même en tems de
guerre , excepté de la poudre & des armes.
L'Ambaſladeur de France a préſenté en conféquence
un Mémoire à LL. HH. PP. , en leur
recommandant la neutralité la plus exacte & la
plus impartiale , qui cependant feroit illufoire,
s'ilsn'uſoient pas des droits que le Traité leur
donne. L'Ambaſſadeur avoit demandé une ré
ponſe cathégorique , & cette réponſe ne l'étant
pas, il a refuſéde l'accepter. Cet évènement ſans
exemple n'a pas lajffé d'embarraffer notre Régence,
& il eſt difficile de deviner comment
tout cela ſe terminera. Voilà ce que c'eſt que
d'avoir négligé la marine ; fi la république avoit
40 ou so bens vaiſſeaux , jamais les Anglois
(117)
1
1
n'euffent ofé toucher à un ſeulde nos bâtimens
marchands . Depuis quatre ans , la France a fait
des efforts incroyables pour reſſuſciter la ſienne;
elley eſt parvenue , &déja l'illuſion que leColoſſe
Anglois faisoit dans l'Europe , & qu'il ſe
faifoit à lui - même , commence à ſe diſſiper «.
On peut juger des efforts de la France par l'état
ſuivant de ſa Marine actuelle , dont on nous garantit
l'exactitude.
Vaiſſeaux du premier rang. La Bretagne , le
Royal-Louis , le Terrible & l'Invincible , de 100
canons chacun , & dont les trois derniers font en
conſtruction à Brest , Toulon & Rochefort. La Couronne
,le Duc de Bourgogne , le S. Esprit , le Languedoc
, le Tonnant , l'Auguste , le Triomphant &
leMagnanime de 80 canons chacun. Le dernier eſt
en conſtruction àRochefort , & les deux précédents
ont été conſtruits l'année dernière. Total , 13 vaif
ſeaux du i rang , dont 2 , le Languedoc & le Tonnant
font enAmérique..
Second rang. L'Orient à la mer ſous les ordres de
M. d'Orves , le Magnifique , le Robuste , ſous ceux
de M. de Graffe; le César, l'Hector ,le Guerrier ,
le Marseillois , le Zèlé , le Protecteur ſous ceux
de M. d'Estaing ; le Fendant ſous ceux de M. de
Vaudreuil ; La Victoire , le Deſtin ſous ceux de
M.Albert de S. Hipolyte ; l'Intrépide , le Palmier,
le Zodiaque, le Glorieux , le Conquérant , l'Actif,
le Bien - Aimé , le Neptune , le Minautaure , le
Citoyen , les Six Corps , le Diligent ,le Sceptre ,
àBreſt , avec le Dauphin & l'Annibal , faiſant partie
de la diviſion de M. de Ternay ; l'Hercule , le
Scipion , le Pluton , à Rochefort ; le Héros , la
Bourgogne , le Souverain à Toulon , tous de 74
canons , le Dauphin-Royal à la mer ſous les ordres
de M. de Graffe , & le Northumberland à Breft ,
de 70 canons. Total , avec 2 vaiſſeaux de 74 qu'on
conſtruit à Breft , 3 à Toulon , & 3 à Rochefort de
même force , 43 vaiſſeaux du ſecond rang.
Troiſième rang. Le Sphinx à la mer ſous les or-
1
(118)
dres de M. de Vaudreuil ; le Vengeur ſous ceux de
M. de Graffe ; l'Artéſien ſous ceux de M. d'Orves ;
l'Actionnaire l'Indien ſous ceux de M. de Proifi;
la Provence , le Vaillant , le Fantaſque ſous ceux
de M. d'Estaing; le Hardi , le Caton fous ceux de
M. Albert de S. Hipolyte ; le Brillant , dans l'Inde ,
le Protée , l'Eveillé , le Solitaire , le Roland ,
l'Alexandre , le Bizarre , le Triton ; de S. Michel'
à Brest; le Jaſon , le Lyon , à Toulon , & leRefléchi
, le Sevère , le Broglie & les Bons Amis,
faifant partie de l'eſcadre de M. de Ternay , le premier
àBreft , & les trois autres à l'Orient, tous de 64
canons. Total, 25 vaiſſeaux du troiſième rang.
Quatrième rang. Le Sagittaire ſous les ordres
de M. d'Estaing; le Flamand dans l'Inde , le Fier
àla mer ſous ceux de M. de Turpin ; l'Amphion à
Breſt ſous ceux de M. de Ternay, tous de so canons.
Total,4vaiſſeaux du quatrième rang.
Frégates, la Renommée & la Terpsicore de 40
canons , toutes deux àla mer. 9 de 36 canons , dont
la Belle Poule , la Fortunée à la mer , la Nymphe
ſous les ordres de M. de Vaudreuil, la Tourterelle,
la Minerve & laSybille en Amérique , l'Amphitrite,
laDédaigneuse & l'Andromaque à Brest , 12 de 34
canons , l'Iphiginie , la Charmante, la Concorde ,
laPrudente en Amérique ; la Résolue à la mer fous
les ordres de M. de Vaudreuil ; la Gloire à la mer ;
la Junon , la Surveillante à Breſt , avec l'Amazone&
la Gentille, faiſant partie de la diviſion de
M. de Ternay , & la Courageuse à Rochefort, 26
de 32 canons , dont 2 font en construction à Breft ,
3 àRochefort , 2 àl'Orienr , 2 à Nantes , & 2 à S.
Malo. La Boudeuse , le Triton , la Diligente font
en Amérique ; la Confolante & la Pourvoyeuse dans
l'Inde ; la Bellone à la mer ; l'Indiscrete , la Senfible
, l'Inconstante , la Blanche , le Zephir, l'Aigrette,
la Danaë , l'Oiseau font à Breft, & laMedée
à S. Malo. 17 de 26 canons , dont la Chimère ,
l'Alcmène , la Sultane , l'Aimable , l'Engageante
& l'Active font en Amérique; l'Aurore , la Flore ,
1
(119)
'Atalante , la Gracieuse , la Magicienne & le Fox
àla mer ; la Pleyade , la Mignone , la Précieuse à
Toulon , en conſtruction ; la Sérieuse & la Lutine.
Une de 24 canons ; la Lively à la mer. Total , 67
frégates.
Corvettes , le Roffignol à Rochefort , la Subtile
dans l'Inde , l'Etourdie en Amérique , toutes de 20
canons , 3 de 18 , la Perche à Breft , l'Eclair & la
Fléche à la mer. 2 de 16 , l'Hirondelle à Brest , le
Zephir à la mer; 2 de 14 , l'Ecureuil à Breft , &
la Sardine à Toulon ; 2 de 12 , le Serin & la Sylphide
à Breft : 2 de 10 , la Curieuse à Breft ,
Favorite à la mer avec M. de Graffe , & l'Alouette
de 4 canons , avec M. de Vaudreuil, Total , 15 cor-
Vettes .
la
Lougres , deux de 14 canons , l'Epervier à la mer
avec M. de Vaudreuil , & l'Helène , avec M. de
Graffe. Le Coureur , de 8 à Breft , & dans le même
port , l'Eſpiegle , le Moucheron & le Milan de 6.
Total , 6 lougres .
Cutters , 7 de 18 canons en conftruction ; 2 au
Havre , 3 à S. Malo , & 2 à Dunkerque. La Valeur
& la Guêpe de 16 , à la mer ; l'Alerte de 12 à Breft ;
2 en conftruction au Havre , & 2 à Dunkerque de
méme force. Total , 14 cutters.
Chebecs , 4 de 20 canons , le Singe ,leCaméléon,
leRenard , le Séduisant , tous à la mer.
Chaloupes canonnieres , 13 de 3 canons , dont 4 à
Rochefort , 2 à S. Malo , 2 à Dunkerque , & sà
Toulon.
Galiotes à Bombes de 2 mortiers , & de 8 canons
; la Tempête , l'Etna & la Salamandre , à Toulon
, & 2 en conſtruction à Rochefort. Total , s .
Galeres & demi-galeres , 4 de 3 canons , à Marfeille,
6 de 2 canons , dont 4 à Toulon & 2 à Marſeille
; 2 d'un canon , à Toulon. Total , 12 .
Prames , la Théreſe & la Christine de 38 canons ;
laMonique , la Cunegonde , la Charlotte , la Fortunée
, la Louise , la Batilde , la Sophie , la Fran
goiſe de 20. Total , 10 Prames.
(120 )
Flûtes. La Balance de 32 ; la Garonne , la Bricole
, la Normande , la Couliffe , l'Eléphant de 28 ,
le David , la Pourvoyeuse de 26 ; la Fortune , la
Seine & la Ménagere de 24 ; l'Etoile , la Tampone ;
laPorteufe, l'Ecluſe , la Bouſſole , le Compas , l'Efturgeon
, & la Guyanne , de 26 ; l'Eole & le Courtier
, de 16 ; la Nourrice , la Barbue , la Coryfante,
& le Salomon , de 14. Total , 25 flûtes.
Senaux. La Dorade , de 12 canons ; le Grand S.
Louis ,le S. Jean- Baptiste , la Ville de Bilbao , la
Manon , de 10 ; le Saumon , le Pluvier , de 8 ; l'Afrique
& la Diligente de 4. Total , 9 fénaux. Le
nombre des vaiſſeaux de la marine Royale eſt de 265,
dont 8s vaiſſeaux de ligne , de 110 à so canons , &
lenombre des canons monte à 9795 , & 10 mortiers.
« Les conférences entre l'Ambaſſadeur de France
& nos Etats , lit-on dans une lettre d'Amſterdam ,
n'ont juſqu'à préſent rien produit de poſitif. Voici
ce qui eft parvenu à notre connoiſſance: les Etats ont
répondu qu'ils ne pouvoient rien changer à l'acquiefcement
qu'ils avoient donné aux propoſitions de
l'Angleterre. Notre ville proteſte contre cet arran
gement; mais fi les autres Provinces s'y foumettent ,
nous ſommes inquiets du parti que prendra la France.
On affure qu'elle est décidée à en agir envers nos
vaiſſeaux,de la même manière que les Anglois en on
uſé depuis la rupture , & qu'elle impofera en outre
un droit à ceux portant notre pavillon , qui entreront
dans ſes ports , en exceptant toutes fois ceux qui
appartiendront à Amſterdam , pour récompenfer
cettevilledes mouvemens qu'elle s'eft donnée pour
foutenir les traités. Nous défirons bien cette exception
; mais nous n'ofons pas encore nous en flatter.
Notre Amirauté vientde doubler les primes d'entrée
&de fortie qui ſe payent ſur la valeur des marchandiſes.
La première ſera dorénavant de 2 pour cent ,
lafeconded'un pour cent ; cette augmentation à pour
objetde fubvenir aux frais occaſionnés par les con-
VOLS CE.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
A
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Causes célèbres; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c . &c.
1.5 Février 1779 ..
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES. VARIÉTÉS.
Epitre à M. Ducis, 123 Lettre d'un Citoyen de
Epitaphe de David Garrick
, 132
Dijon à l'Auteur du
Mercure , 165
Enigme & Logogryp. 134 Lettre aux Auteurs du
NOUVELLES Journal de Paris , 172
LITTÉRAIRES . Cours Public ,
Suite de la Noticedes Elo- Muſique ,
190
191
ges lus à la rentrée de ANNONCES LITTÉR. ibid.
l'Académie des Sciences JOURNAL POLITIQUE.
le 14 Nov. dernier, 135 Constantinople
Vers fur Voltaire. Son Copenhague ,
Apothéofe au Parnafe , Stockholm ,
193
194
195
196
19
198
144 Varsovie ,
Hiftoire Univerſelle des Vienne
Théâtres de toutes les Hambourg ,
Nations , 149 Ratisbonne , 2.03
Effai fur l'Histoire géné- Venise , 205
rale des Tribunaux, 153 Livourne , 206
Abrégé portatif de l'Hif- Londres , 207
toire Univerſelle,facrée Etats- Unis de l'Amériq
&profane, 156 Septent. 219
SPECTACLES. Versailles, 224
Concert Spirituel , 161 Paris , 226
Comédie Françoise , 162 Bruxelles , 237
APPROBATION.
'A 1 lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour le 15 Février
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſ
fion . A Paris , ce 14Février 1779 .
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe,près Saint-Come.
A
!
米
19
198
이
6
MERCURE
DE FRANCE.
15 Février 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A M. DUCIS ,
Sur la Tragédie d'Edipe chez Admète.
Q I qui peignis d'Hamlet la mère criminelle ,
Et du yieux Montaigu la fureur paternelle :
Des ruines d'Athène , aux accens de ta voix ,
Tu rappelles Edipe ; il ſe lève , & je vois
Cet auguſte vieillard ſans tombeau , ſans patrie ,
:
Fij
124 MERCURE
Errant , & poursuivi par la triple furie ,
Luttant contre le fort , au fort abandonné,
De forfaits , de douleurs , d'ombres environné ,
Par des fils criminels exilé de ſon trône ,
S'avancer , appuyé ſur le bras d'Antigone.
Opitié ! quand par elle en tremblant foutenu ,
Devant le Cythéron d'un pas lent parvenu ,
Cherchant quelque rocher pour repoſer ſa tête ,
Aux lieux de ſon berceau ton Edipe s'arrête ,
Et s'y vient emparer du tombeau qui le fuit.
Émule de Sophocle à ta voix re produit ,
Tu peins à mes regards , comme aux ſiécles antiques ,
L'attendriſſant tableau des vertus domeſtiques.
Qu'Antigone m'émeut ! qu'elle eſt chère à mon coeur
Elle pleure , je pleure , & je crois voir ma foeur.
Tu peins encor , tu peins d'un plus grand caractère
Ce fils que le remords traîne aux pieds de fon père ,
Dont il vient implorer ſa grâce avec terreur ;
Et ce père outragé , dont la ſainte fureur
Maudit un fils ingrat , ſe déſarme & s'empreffe
De rappeler en vain , par des voeux de tendreſſe ,
Sa malédiction , qui montant vers les cieux ,
Souleva ſans retour la vengeance des Dieux .
Quand mon coeur tranſporté s'émeut avec franchiſe
Un Spectateur jaloux , dont le coeur ſe déguiſe ,
Du beau qui le pourſuit craignant l'impreſſion ,
Accuſe ton ſujet d'une double action .
Je fens , &malgré moi ma critique eſt muette ,
DE FRANCE.
125
Je pleure avec Edipe ,& pleure avec Admète.
Ainfi , par un défaut qu'on n'oſe cenſurer ,
Racine , que le goût a raiſon d'adorer ,
Joignit contre la règle (& l'amour lui pardonne )
L'intérêt d'Andromaque à celui d'Hermione.
Par un ſeul intérêt je me ſens entraîné ,
Lorſqu'Edipe mourant , à l'autel proſterné ,
Sauve d'Admète en pleurs , la compagne fidelle.
D'un front calme au trépas s'avançant au lieu d'elle ,
Ce vieillard , ſoixante ans par ſes maux conſacré,
D'un rayon prophétique à genoux éclairé ,
Sublime , & tout-à-coup détaché de la terre ,
Emporté vers le ciel dans les feux du tonnerre,
Expire en prononçant avec tranquillité
L'hymne confolateur de l'immortalité ;
Et les Dieux aſſemblés préparant ſa couronne ,
Les Dieux qu'il va rejoindre , & dont l'oeil l'environne,
Célébrant dans le Ciel l'heure de ſon trépas ,
S'avancent en triomphe au-devant de ſes pas.
Cytheron, Cytheron ! que de fois ma penſée ,
Atravers tes rochers , triſtement élancée ,
Sous le tombeau d'Edipe ira s'enſevelir .
Quelles grandes leçons elle y peut recueillir !
Je le vois conſolé par ſa ſeule innocence ,
A la fureur des Dieux voué dès ſa naifſance,
Accepter le malheur comme un fardeau facré
Que leur pouvoir impoſe ou retire à ſon gré;
Et faiſant taire enfin ſa plainte légitime ,
Fij
126 MERCURE
Juftifier le Cieldontil eſt la victime.
Je vois comment la main de la Divinité,
Se dérobant dans l'ombre & dans l'éternité.,
Vers ſes deſtins divers pouffe la race humaine ,
Quiſuit les yeux fermés la force qui l'entraîne.
Elle frappe : j'adore , & n'oſant la juger
D'un oeilprofanateur , je crains d'interroger
La nuit mystérieuſe où ſes décrets repoſent ,
Etj'attends qu'en ſecret de mes jours ils diſpoſent.
Ainſi la Tragédie en vers religieux
Proclamoit autrefois les oracles des Dieux.
Les Dieux la remplifſoient de leurgloire éternelle.
Tu lui rends , cher Ducis , ſa pompe folennelle;
Et de ton ſujet même atteignant la grandeur ,
Du feu de ton génie animant ſa froideur ,
Notre langue en tes mains , plus libre& plus fertile ,
Approuve en s'élevant l'audace de tonſtyle.
L'art n'en dégrade point la première vigueur ,
Il est fort & fublime , & vrai comme ton coeur.
Ton coeur parle en tes vers , & lui feul les inſpire ;
De tes ſimples vertus le doux charme y reſpire:
Des Spectateurs touchés vois l'attendriſſement
Comme pour un ami s'épancher doucement ,
Chacunde fon laurier voudroit parer ta tête,
Et des ſenſibles coeurs ton triomphe eſt la fête..
Mais l'Envie appelant ſes miniſtres ſecrets ,
Contrainte d'admirer, te déſigne à leurs traits.
Qu'importe ? Ta réponſe eſt déjà préparée.
DE FRANCE. 127
Tu dis , & de Macbeth l'ombre dénaturée *
Aregret ſe réveille , & tremblante à ta voix
Vient ſubir le remords une ſeconde fois .
Pourfuis : conſole enfin de ſa gloire perdue
La Tragédie en deuil , cette épouſe éperdue
Qui pleure ſon Voltaire avec le genre humain ;
Qui jadis dans la Grèce , un poignard à la main ,
Au milieudes tombeaux par Eſchyle appelée ,
Sur la Scène au haſard couroit échevelée .
Oui , montre à nos regards cette Divinité
Dont Sophocle para l'agreſte nudité ;
Et qui de l'art auſſi fuyant la tyrannie ,
Inſpira cet Anglois , dont l'informe génie
Commande le filence au goût préſomptueux ;
Montre cette Déeſſe aux traits majestueux
Que vers nous conduiſit le père d'Émilie ;
Des ornemens du goût par Racine embellie ,
Et dont l'art élevé ſoixante ans fut tranſmis
→ Au peintre de Zopire & de Sémiramis .
Regarde , cher Ducis ; du tombeau de Voltaire
Elle tourne ſes pas vers le toit ſolitaire
Où plein des morts fameux tu veilles dans la nuit :
Elle t'y trouve ſeul , méditant loin du bruit
Entre Edipe & Macbeth ; & ton coeur digne d'elle
S'ouvre à l'enthouſiaſme ,& reçoit l'immortelle.
J'ai vu dans les vallons des heureux Andelys ** ,
* M. Ducis travaille à la Tragédie de Macbeth.
** Petite ville de Normandie où ont vécu les deux
Comeilles .
Fiv
128 MERCURE
Par les pas de Corneille autrefois annoblis ,
L'aſyle où ce grand Homme évoquoit ſur la Scène
De ſa Rome au tombeau l'ombre Républicaine.
Là , dans le fond d'un bois , ſous un toit retiré,
Au milieu de ſes fils , & d'un frère adoré ,
Imitant les vertus que fon pinceau retrace ,
Il repoſoit en paix comme le vieil Horace ;
Et des antiques moeurs la touchante beauté
De ſon génie encor paroit la majeſté.
Cependant fon rival, dont la ſage élégance
Aſpire à détrôner ſa romaine éloquence ,
Ce tendre confident des ſecrets de l'Amour ,
Racine environné des pompes d'une Cour ,
Que des plus beaux eſprits embelliſſoit l'élite ,
Peignoit pour la charmer le galant Hippolyte.
Ce n'eſt point à la Cour que ton coeur inſpire
Fût tracé des vertus le tableau révéré ,
Alceſte & ſon époux s'y trouveroient peut-être.
Mais borné fans orgueil au toit quit'a vu naître ,
Du peuple bel-efprit dédaignant les clameurs ,
Ton génie honoré , que protègent tes moeurs ,
Apris , ſans le ſavoir , ſon touchant caractère
Acôté de ta fille , à côté de ta mère.
Tu peignois Antigone, elle étoit ſous tes yeux.
Trop heureux l'Écrivain qui , comme ſes ayeux ,
Libre , & dans le ſecret d'une famille aimée ,
Qu'honore ſa vertu plus que ſa renommée ,
Peut cultiver les Arts en aimant ſes rivaux !
DE FRANCE. 129
1
Et lorſque le ſuccès couronna ſes travaux ,
Ala tendre famille , où l'amour le rappelle ,
Reporte ſes honneurs qu'il partage avec elle !
Poëte qui prétends à d'illuftres deſtins ,
Fuis des arts & du goût les docteurs incertains !
Va chercher tes parens , l'amitié , la retraite;
Paris ſeroit-il donc le ſéjour d'un Poëte ?
Paris , où tous les jours affligeant tes regards ,
1
Des ſcandales nouveaux déshonorent les arts ?
Contemple ces Germains , aujourd'hui nos modèles ,
De la ſimple nature interprètes fidèles ,
Qu'égale parmi nous le grand peintre des Mois * ;
Ilshabitent en paix la campagne & les bois ,
En extafe égaré ſur les alpes antiques ,
Haller y célébroit les vertus helvétiques ,
Ou de fa Marianne ** , en des momens de deuil,
D'un chant mélancolique honoroit le cercueil.
Ami, tu fuis comme eux le tumulte des villes.
Que de fois regagnant les champêtres aſyles ,
Et rabaiſſant ta lyre au doux chant du paſteur ,
Tu fuis, dans ſon tibur, ce ſublime orateur ,
Thomas qui te chérit , dont la mâle penſée ,
Ennoblit l'éloquence à flatter abaiffée ,
Qui jadis à des morts proſtituoit ſa voix ,
Etmentoit devant Dieu ſur la tombe des Rois ;
* M. Roucher , dont le Poëme va bientôt paroître.
** C'eſt le nom de la femme de Haller.
Fv
130 MERCURE
Ce peintre de Deſcarte & du grand Marc-Aurèle ;
Thomas , qui loin dubruit , ſans parti , ſans querèle ,
1
Simple , s'avance en paix vers la poſtérité ,
Des ombres qu'il célèbre avec gloire eſcorté.
Du génie & des moeurs vous offrez les modèles ,
L'amitié réunit vos vertus fraternelles :
Acceptez mon hommage , & daignez adopter
Un jeune ami des Arts qui ne fait point flatter ,
Mais qui ſentit toujours le beſoin reſpectable
D'aimer & de chanter le talent véritable.
Du talent qui s'éteint confervez le flambeau !
Nos pleurs ont de Voltaire arrofé le tombeau ,
Etmon hymne funèbre oſa s'y faire entendre *...
Rouſſeau ,dont la mémoire eſt ſichèreau coeur rendre,
Dort ſous les peupliers de ce nouvel éden ,
Où ſon ombre s'égare autour de Gérardin **.
D'autres noms , il est vrai , notre France s'honore.
D'Alembert & Buffon leur ſurvivent encore.
D'Alembert , notre appui , ce ſage reſpecté,
Qui d'un zèle prudent ſervit la vérité,
Succeſſeurde Bacon , vainqueur de Fontenelle,
Qui préſide à ce Temple , où ſa voix paternelle
Encourageant des Arts les jeunes nourriſſons ,
* L'Auteur a fait unÉloge en vers de Voltaire quelquesjours
après ſa mort.
** On fait que Rouſſeau eft enterré dans les jardins
'Emmenonville , fous le boſquet des peupliers,
DE FRANCE. 131
De l'honneur & du goût leur dicte les leçons ;
A ce Temple , où toujours malgré la calomnie,
Tranſmis de main en main , le flambeau du génie ,
Que Deſcarte aux François le premier apporta ,
Brûle comme le feu de l'antique Veſta .
Ce Temple , cher Ducis , t'ouvre ſon Sanctuaire ;
Ta gloire t'y précède , & l'ombre de Voltaire
Déterminant ſon choix fi long-temps ſuſpendu ,
Te regarde & t'appelle à ſon rang qui t'eſt dû.
Viens , ami , c'eſt à toi de célébrer ton Maître .
Apprends-nous à ſentir ; apprends-nous à connoître
Cethomme aux traits divers qui brille à tous les rangs.
Comme aux champs de Memphis les voyageurs errans
Par-delà les rochers qui menacent les nues ,
Vont découvrir du Nil les ſources inconnues ;
Approche de Voltaire , & comme eux vas chercher
La ſource où ſon génie en vain croit ſe cacher.
Etmontrant le berceau dont elle s'eſt formée ,
Parcours , en l'admirant , ſa vaſte renommée.
Le plus noble triomphe a comblé tes defirs.
Mais le génie encor veut de plus doux plaifirs.
Simple , avantqu'on l'admire, il ſouhaite qu'on l'aime.
Comme la bienfaiſance il jouit de lui -même ,
Pour nous ſervir comme elle il deſcendit des cieux.
Aimantàtempérer ſon éclat à nos yeux ,
Il remplit ſans orgueil ſa noble deſtinée ,
Et ſa gloire modeſte eſt même pardonnée.
Tels font les ſentimens qui t'animent toujours.
Fvj
132 MERCURE
Ah ! puiſſé-je de loin , guidé par ton ſecours ,
Te ſuivre , & mériter une gloire épurée
Que l'intrigue , jamais , n'aura déshonorée ,
Dont je puiſſe ſans honte à mes yeux me couvrir ,
Qui conſacre inonnom , & le faſſe chérir !
:
( Par M. de Fontanes. )
ÉPITAPHE DE DAVID GARRICK *,
célèbre Comédien Anglois.
Aus USSI louable Citoyen
Que célèbre Comédien ,
Ci gît Garrick , dont le talent fuprême
Jamais ne dût rien qu'à lui-même .
* Mort à Londres le 20 Janvier 1779 , âgé de
62 ans , & univerſellement regretté.
Il deſcendoit d'un bon Gentilhomme Normand ,
dont le nom étoit la Garigue , qui , à la révocation
de l'Édit de Nantes , ayant paffé en Angleterre à la
fuite du Maréchal de Schomberg , ſous lequel il fervit
& fe diftingua à la bataille de la Boyne , avoit cru ,
par des raiſons de politique , devoir Anglicifer fon
ncm.
L'Auteur de l'Épitaphe ci-deſſus,qui ſe fera toujours
honneur d'avoir été l'ami de cet homme unique dans
ſon eſpèce, eut le plaifir de le faire dîner , il y a quelques
années à Paris, & fans que d'abord il en fûtrien ,
avec M. le Chevalier de la Garigue , Maréchal de
Camp, ( celui qui s'étoit acquis tant d'honneur dans
DE FRANCE.
Qui peignant tour-à-tour la tendreffe & l'horreur ,
Le vieillard décrépit , le fiingant petit-maître ,
Sut plier la Nature à fon Art enchanteur ,
Etfut, à tous les yeux , tout ce qu'il voulût être !
(ParM. de la Place. )
la défenſe de Belle- Isleen 1761 ) , &qui fut enchanté
de retrouver dans Garrick un parent & un
François auſſi eſtimable par les qualités de l'eſpriť
&du coeur , que par la célébrité de ſes talens.
de
C'eſt au retour de Garrick à Londres , où cette )
Anecdote venoit d'être répandue , que Milord ***
qui étoit fort de ſes amis , lui propoſa , attendu que
la profeffion de Comédien ne déroge point en Angleterre
, de ſe mettre fur les rangs pour obtenir
l'entrée au Parlement , en qualité
Repréſentant
du Bourg ou, du Comté de ***. Et c'eſt à cette occaſionque
Garrick fit en profe cette réponſe auſſi
gaie que philofophique , miſe depuis en vers par
M. D. L. P. & qui fut inférée dans les Papiers
Anglois.
Qui moi ! prétendre au Parlement ? ...
Non c'eſt mon jardin * ſeulement ,
Qu'après ma femme , j'idolâtre :
Et Garrick , content de fon lot ,
Craindroit fur ce nouveau Théâtre
De jouer le rôle d'un fot.
* Il avoit une maiſon de campagne près de Londres , &
des jardins qui faifoient fes délices.
134 MERCURE
:
2
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt le Malade Imaginaire
; celui du Logogryphe eſt Réverbère
( qui ſert à éclairer pendant la nuit ) ; où ſe
trouvent rêve , verre , beurre , Eurere, re
Verbe ( ou J.C. ) , rue ( chemin ) , ver, verbe
( terme de Grammaire ) , rue ( herbe ), Ebre ,
Eve.
ÉNIGME.
JEE fuis forti des bois & ſuis fait pour lagloire;
Aumilieudes combats je montre ma valeur :
Animé par un ſouffle avec mon conducteur ,
Tout peſant que je ſuis je vole à la victoire .
(Par M. Bouvet , à Gifors. )
J
LOGOGRYPHE.
Efers au Parfumeur comme au Pharmacopole ,
Chez l'Épicier je joue auſſi ſemblable rôle.
Qui paſſe par chez moi certes eft bien perit
Et bien fin; néanmoins, fans faire un certain bruit ,
DE FRANCE.
135
On n'y peut parvenir . Pour me faire connoître ,
Diſons qu'en cinq on déſunit mon être.
Mais pour mes chers Lecteurs , ſi ce n'eſt point aſſez ,
On doit trouver en moi , ſupprimant mes côtés ,
Un de ceux qui , s'ils n'ont que l'intérêt pour guide ,
Sous un air de candeur cachent un coeur perfide.
Unis & renverſés , mes côtés ſont vraiment
Un terme indéclinable & filence impoſant.
Dans mon tout combiné, ſans être ſur le Pinde ,
On découvre aiſément un Royaume de l'Inde ,
Avec une Cité portant le même nom ;
Deux tons de la muſique ; une conjonction;
-Un terme au jeu d'échecs , ainſi que de marine ;
Un mois des plus rians. Adieu, Lecteur , devine .
( ParM. Labrouche , de Dax. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SUITE de la Notice des Éloges lus dans
la Séance publique de l'Académie des
Sciences , du 14 Novembre dernier *.
APRÈS l'éloge de M. Malouin, dont nous
avons rendu compte dans le dernier Mercure
, on entendit avec plus de plaiſir en-
* Cet Article eſt de M. d'Alembert.
1
1
136 MERCURE
core celui de l'illuſtre M. de Haller , plein
de faits intéreſſans , de réflexions judicieuſes ,
& de la plus ſaine Philofophie ; digne enfin ,
au jugement de tout l'auditoire , d'être mis
à côté des Éloges de M. Fontaine & de M.
de la Condamine , par le méme Auteur. M.
de Condorcet a montré tout à la fois en
M. de Haller un des Savans les plus célèbres
, des beaux eſprits les plus diftingués ,
& des citoyens les plus reſpectables de ce
fiécle , qui réuniſſoit les qualités & les talens
les plus contraires en apparence ; grand Médecin
& ſavant Théologien , grand Poëte &
profond Érudit , homme de Génie & Commentateur
, plein de reſpect pour ſa religion
& de tolérance pour celle des autres ,
également ennemi de l'impiété & du fanatifme
; enfin homme de Cabinet & homme
d'État , qui a rendu à la Médecine , à la Phyſique
, aux Lettres , à ſa Patrie , les ſervices
les plus fignalés. Dès l'âge de neuf ans il étoit
déjà un prodige de ſavoir ; & , ce qui eft
plus rare , continua toujours de l'être , après
l'avoir été de ſi bonne heure. Son génie &
fon amour pour l'étude ne purent être
étouffés par la dureté d'un pédant qu'on lui
donna pour Précepteur ; & le naturel heureux
de l'Élève eut encore plus de force que
la fottiſe du pédagogue. Il commença par
être Poëre , eut le courage de s'expofer au
feu pour ſauver ſes vers d'un incendie , &
l'année ſuivante eut le courage plus grand de
condamner au feu ces mêmes vers qu'il en
DEFRANCE.
137
avoit tirés. De bonne heure il montra du
talent pour la fatyre , & de bonne heure il
eut le mérite d'y renoncer. Entraîné dans ſa
jeuneſſe àune partie de debauche , il conçur
une telle horreur des excès dont il fut témoin
, que dès ce moment il devint ſevère
pour lui-même juſqu'au rigoriſme ; & le
mauvais exemple, qui en pervertit tant d'autres
, ne ſervit qu'à le rendre meilleur.
1
M. de Haller , obſervant la nature dans
les Alpes , où elle eft fi belle & fi pittorefque
, & croyant ne l'obſerver que comme
Phyſicien, la vit avec tant d'enthouſiaſme ,
qu'elle le rendit Poëte de nouveau , &
pour cette ſeconde fois très-grand Poëte.
En même- temps qu'il apprenoit aux verfificateurs
à la chanter & à la peindre , il apprenoit
aux obfervateurs à l'interroger & à
la bien voir. Sa Physiologie , devenue aujourd'hui
preſque un ouvrage claſſique ,
malgré les critiques qu'elle a eſſuyées , eft
pleine d'expériences curieuſes , d'obfervations
importantes , &de vues nouvelles fur
la génération de l'homme, ſur la formation
des os , & principalement ſur l'irritabilité ,
qu'il a le premier bien connue , & qui feule
fuffiroit pour rendre le nom de Haller immortel
. L'envie lui conteſta d'abord , ſuivantl'uſage
, la vérité, & enſuite la propriété
de ſes découvertes; mais fur l'un & l'autre
point il confondit l'envie. En inſtruifant les
Savans , ſes contemporains , il les jugeoit ,
morts & vivans , dans ſes Ouvrages , avec
138 ' MERCURE
autant de lumières que d'impartialité ; &
quoique par ces jugemens il les ait mecontentés
preſque tous ( car l'amour - propre
n'eft pas facile à fatisfaire , même ſur les
louanges ) il conſerva toute ſa réputation
au milieu de tant d'hommes intéreſſes à la
combattre , tant cette réputation étoit juſtement
acquiſe & folidement affermie. Un
Auteur très - médiocre, que bien des fots
croyoient homme d'eſprit parce qu'il étoit
fou , & Philofophe parce qu'il ſe vantoit
d'être incrédule , la Métrie , voulut l'affocier
avec de grands éloges à fes principes de
Matérialiſme : M. de Haller , Philofophe
très- religieux , repouſſa avec une juſte indignation
les louanges ridiculement ſerieuſes
de cet impie , qui lui paroiſſoit fort dangereux
, quoiqu'il ne fût , comme tant d'autres
, qu'un impie fans conféquence.
La ville de Gottingue , où cet illuftre Savant
fut appelé , & ſa Patrie où il revint enfuite
, lui dûrent les établiſſemens les plus
utiles pour la Médecine & l'Anatomie. Devenu
Magiftrat de Berne , il fit dans cette
ville des établiſſemens plus utiles encore ,
comme Adminiſtrateur & comme Citoyen.
Il refuſa le titre qu'on lui offroit de Baron
de l'Empire , qui n'auroit pu flatter que ſa
vanité ſans rien ajouter à ſa gloire : car il eſt
des hommes qui gâteroient leur nom en
l'allongeant ; nous, nommons Newton avec
reſpect , & le Chevalier Newton ne ſeroit
1
DE FRANCE.
139
pour nous qu'un Chevalier très - ordi -
naire.
L'activité de notre Philofophe pour le
travail , & fon ardeur pour écrire , étoient fi
grandes , qu'ayant eu le bras droit caffe , il
apprit en une nuit à écrire affez bien de la
main gauche pour pouvoir ſe paſſer de
fon autre bras , s'il falloit y renoncer. Il eut
trois femmes , les rendit toutes trois heureuſes
, & , ce qui n'eſt pas toujours réciproque
, fut heureux avec elles. Ayant pleuré
les deux premières en très-beaux vers , &
s'étant à chaque fois remarié peu de temps
après ,le public impitoyable lui reprocha de
ſe conſoler trop vite; tant nous ſommes difficiles
, dit M. de Condorcet , fur la ſenſibilité
d'autrui , ne fût-ce que pour donner
bonne opinion de la nôtre ; & tant le plaiſir
de trouver dans un homme célèbre quelque
priſe à la cenfure , nous empêche de fonger
à tout ce que les Sciences auroient perdu ,
fi M. de Haller ne ſe fût pas confolé. Enfin
il mourut en fage & en homme de bien
comme il avoit vécu , plein de confiance en
l'Etre Suprême , dont il avoit toujours pratiqué
les loix , obſervant avec tranquillité
les progrès de fa fin , ſe tâtant le pouls dans
ſes derniers inftans , & difant à ſon Médecin ,
au moment même où il expira : mon ami ,
l'artèrene batplus. " Qu'il nous ſoit permis ,
ود dit encore M. de Condorcet , de faire à
l'occaſion de cette mort , ume triſte réfle-
>> xion; en moins de huit mois l'Europe a
23
140 MERCURE
> vu diſparoître Juflieu , Haller , Linneus ,
» Voltaire & Roufleau ; & jamais peut
>> être aucune époque funeſte aux Sciences
» & aux Lettres , n'a raſſemblé en ſi peu
» de temps des pertes ſi grandes & fi mul;
» tipliées » . Nous pourrions ajouter à ces
pertes celle de l'illuftre Milord Chatham , à
qui ſa nation a dû tant de gloire &de fuccès.
Nous n'ofons placer ſur la même ligne un
Acteur François très-célèbre * , mort dans le
même intervalle , & très- difficile à remplacer;
nous craindrions que les Lecteurs
graves,fi le Mercure en a quelques - uns ,
ne nous reprochaſſent de mettre l'ombre
d'un Comédien à côté de cellede Jean-Jacques
Rouffeau , qui a dit tant de mal des
Comédies , pour ſe punir d'en avoir fait.
Nous craindrions fur-tout que cette ombre
elle-même ne s'indignât d'un tel voiſinage ;
les ombres paibbles des ſages Linneus &
Juffieu , & fur-tout les ombres poétiques des
Haller & des Voltaire , feroient peut-être
plus indulgentes.
Avant la lecture de ces Éloges , M. de
Condorcet rendit compte de quelques faits
qui concernent l'Académie. Il annonça que
la Pièce qui a remporté le Prix à Pâques
dernier fur les altérations de l'orbite des Comètes
, & dont l'Auteur ne s'étoit point fait
connoître , eſt de M. Fuff, de l'Académie
* Le Kain. Nous apprenons que le célèbreGarrick
vient auffi de mourir.
DE FRANCE.
141
de Pétersbourg , digne Élève de M. Euler.
Cet illuftre Savant , autrefois tant couronné
lui-même , & depuis couronné dans ſes enfans
, dignesÉlèves de leur Père , l'eſt aujourd'hui
dans un nouveau Diſciple , qui promet
de marcher ſur ſes traces ; & ce grand
Géomètre, devenu aveugle comme le fameux
Capitaine Jean Ziska , gagne encore comme
lui des batailles par ſes Lieutenans .
M. de Condorcet ajouta à cette annonce ,
que l'Auteur d'une Pièce anonyme , qui en
1765 a partagé le Prix avec trois autres * fur
l'arrimage des navires , eſt M. Gautier, Officier
François au ſervice d'Eſpagne. Il n'a
appris ſon ſuccès que depuis quelques mois
& par hafard ; & s'étant contenté de faire
un bon ouvrage , ſans peut-être ſe douter
qu'il le fût , il n'avoit pas même ſongé depuis
treize ans à s'informer du jugement
qu'en avoit porté l'Académie. Il eft rare
d'unir cette indifference pour la gloire avec
le talent néceſſaire pour la mériter , & de la
céder ſi facilement à ſes rivaux , lorſqu'on
eſt ſi digne de les combattre.
Nous n'ajouterons rien ici ſur les autres
morceaux lus dans lamême Aſſemblée, & que
le Public connot déjà par les Extraits qu'en
ont donné les Auteurs mêmes ** . Nous nous
* Les Auteurs de ces trois Pièces étoient MM.
l'Abbé Boffut , Groignard & Bourdé de Ville-Huet.
** Voyez les Mercures précédens,
142 MERCURE
bornerons à dire ce que la modeftie de MM.
Vicq d'Azyr & Bucquet les a empêché d'ayouer
, que leurs Mémoires ont été trèsbien
reçus. Celui que lut M. de Vandermonde
fur la Muſique , excita d'autant plus
de curioſité , que la Nation prétend aujourd'hui
ſe connoître en Muſique mieux que
jamais , c'est-à -dire , n'en a jamais parlé davantage.
L'objet de M. Vandermonde n'eſt
pas de décider nos grandes ou petites querelles
ſur cet objet ; mais de propoſer un
nouveau ſyſtême de Muſique qui fatisfait,
ſelon lui , mieux que tous les précédens , aux
loix obſervées dans l'harmonie par les plus
habiles Compoſiteurs, à celles même qu'on
pourroit ſuivre fans que l'oreille s'en offensât,
quoique les Artiſtes ne s'en foient pas
encore aviſés. Les Philoſophes & les Gens
de l'Art ne pourront bien juger du nouveau
ſyſtême , que lorſque cet Académicien l'aura
donné au Public avec le détail néceſſaire
pour le développer & l'appuyer dans toutes
ſes parties . M. de Vandermonde eſt d'ailleurs
trop éclairé , & fe connoît trop bien
en démonstration , pour croire qu'on puiffe
jamais parvenir à rien démontrer fur cette
matière ; aufli ne fait-il aucune difficulté
d'en convenir. Il penſe avec raiſon, que plus
on aura de lumières , plus on ſera ſceptique
, & , ce qui en eſt la ſuite , tolérant fur
les différens ſyſtemes de muſique ; ajoutons
que plus on aura de justice , nous dirions
preſque de charité, pour les plaiſirs d'autrui ,
DE FRANCE.
143
plus on fera portéàtolérer en muſique les différens
goûts. Mais c'eſt ce que nous n'oſons efpérer
au milieude laguerre civile & muſicale
qui nous déchire. Malheureuſement toute la
violence de nos altercations à ce ſujet n'a jufqu'ici
prouvé clairement qu'une vérité un peu
ſtérile; c'eſt que le Maître de Muſique du
Bourgeois- Gentilhomme a grand tort , loffqu'il
affure à M. Jourdain ſon digne Élève ,
que la muſique est un moyen für de mettre les
hommes d'accord entre eux. L'effet au moins
qui a réſulté de cette guerre , à la grande
ſatisfaction des tolérans , c'eſt que les différentes
muſiques qui briguoient chacune les
honneurs de la Scène , les ont toutes à peuprès
également obtenus ; la muſique Françoiſe
elle- même , qu'on croyoit tuée par ſes
rivales étrangères , vient , à tort ou à droit ,
de reſſuſciter avec plus d'éclat que jamais
dans Castor & Pollux , & fur-tout dans le
Devin du Village , dont la muſique , n'en
déplaiſe aux manes de fon Auteur , eſt la
plus Françoiſe qu'il eſt poſſible. Il ſemble ,
inous ofons employer ce langage , que la
crainte du Monopole ait produit à l'Opéra ,
comme dans le commerce , le zèle de la
concurrence & la liberté de l'importation .
Peut-être feroit- il affez curieux , d'après ces
faits , de juger & d'apprécier le goût muſical
d'une nation qui accueille avec une bienveillance
fi bannale toutes les eſpèces de muſique
, harmonieuſe ou bruyante , pathétique
144
MERCURE
ou criarde , piquante ou commune ; queſtion
delicate & preſque dangereuſe , ſur laquelle
nous nous garderons bien de prononcer.
Versfur Voltaire. Apothéoſe de Voltaire au
Parnaffe.
Ces deux Pièces , du même Auteur, font
réunies dans la même feuille, La première ,
faite au moment de la mort d'un Grand
Homme , n'est que la ſimple expreſſion
&comme le premier cri de la douleur.
Que de talens détruits ! un homme ſeul expire ,
s'écrie l'Auteur. Il s'adreſſe , pour défendre
la mémoire de Voltaire contre les
imputations de l'envie , à la perſonne qui a
dû le connoître le mieux , à celle qui a été
trente ans ſa compagne & fon amie.
Otoi , qu'unit le fang aux deſtins de Voltaire ,
Parle , & fois aujourd'hui ſon Ange tutélaire:
Parle, préviens l'erreur de ce fatal moment;
Ala poſtérité dicte ſon jugement.
Dévoile à ſes regards l'ame de ce Grand Homme ;
Des noms qui lui font dûs que ton amour le nomme.
Dis que ſe rendre utile à tous les malheureux ,
Fut le premier beſoin de ſon coeur généreux ;
Dis qu'il les accueilloît , qu'il partageoit leur peine ,
Qu'un ennemi ſouffrant eût déſarmé ſa haine.
Redis ce mot fi cher à fon coeur opprimé :
Trente ans je le connus , & trente ans je l'aimai.
L'Auteur
DE FRANCE.
145
:
L'Auteur appelle les célèbres infortunés
dont Voltaire fut le défenſeur.
Quelle foule éplorée ,
De Voltaire embraſſant la ſtatue adorée ,
Des regrets les plus vifs honore ſon trépas !
Ah! je vous reconnois , ô Sirven ! ô Calas !
Familles qu'il ſauva de l'opprobre du crime ;
Vous auſſi que ſa main retira de l'abyme ,
Vous , mortels opprimés & par lui ſecourus !
Des deux bouts de la France ils ſont tous accourus !
Ils entourent Voltaire , & leur foule l'affiége.
Son ombre s'applaudit d'un fi brillant cortége.
Que la haine ſur lui faſſe pleuvoir ſes traits ,
Ilmarche environné des heureux qu'ils a faits.
Il rappelle la colonie que Voltaire a fondée.
Il la recommande aux ſoins de ceux
qui ont été ſes protecteurs, & qui ſans doute
le feront encore .
Que ne puis-je revoir cette aimable retraite :
C'eſt-là que j'ai connu celui que je regrette ;
C'eſt-là que ſes conſeils ont daigné m'éclairer ;
C'eſt-là qu'en ce moment je voudrois le pleurer.
Le fond de la ſeconde Pièce eſt plus
poétique , & préſente une fiction agréable ,
quoique peut-être elle ne ſoit pas allez fondée.
L'Auteur ſuppoſe qu'Apollon , convoquant
tous ſes ſujets du Parnaſſe , revient
parmi eux après cent ans d'absence. Quand
il a vu le fameux ſrécle de Louis XIV écoulé ,
il a vu que le dernier dégré de la perfection
15 Février 1779. G
146
MERCURE
dans les Beaux-Arts touchoit au premier de
leur décadence , & il demande aux Muſes
s'il s'eſt trompé. Il eſt aſſez difficile de ſuppofer
poétiquement que Voltaire ait travaillé
foixante ans , à l'infçu d'Apollon. Où
étoit donc le Dieu des Arts , s'il n'étoit pas
auprès de l'Auteur de Zaïre & de la Henriade
? Quoi qu'il en ſoit , cette Fable amène
l'éloge de Voltaire , fait par chacune des
Muſes d'une manière très - piquante. Chacune
d'elles vante les plus beaux monumens
de l'art auquel elle préſide , & il ſe trouve à
la fin qu'ils ont tous été élevés par la même
main . Calliope cite la Henriade , & un autre
Poëme qui en eſt auſſi different que l'Orlando
l'eſt de la Jérufalem. Elle caractérife
ainſi le premier des deux Poëmes François :
Regarde cet écrit enfanté ſous mes yeux ;
Il peint d'un Roi guerrier les combats glorieux ;
Il peint d'un Roi clément la bonté , la juſtice :
Des fables du vieux temps le frivole artifice
N'a point deshonoré ces auguſtes récits ;
La raiſon n'admet point ces prodiges vieillis .
Au fiécle qui m'entend le vrai ſeul pouvoit plaire ,&c.
Uranie aufi-tôtse montrant :
Vante au Dieu qu'elle ſert les fruits de ſa ſageſſe.
Si jadis inſpirant l'ingénieux Lucrèce ,
Elle avoit embelli de poétiques fleurs
D'un rêve mal conçu les abſurdes erreurs ;
Si des Mondes encor la merveille éphémère ,
En ſtyle très-galant n'a peint qu'une chimère ,
DEFRANCE. 147
Ces eſſais du génie ont été ſurpaſſés.
Sur de ſages écrits , en rimes cadencés ,
La Vérité répand ſa féconde lumière;
Newton vient de parler le langage d'Homère.
Peut- être cette expreſſion de merveille
éphémère, en parlant des Mondes de Fontenelle
, paroîtra-t- elle peu juſte , ſi l'on fait
réflexion que cet ouvrage ſe lit encore avec
plaifir, qu'il eſt même en grande partie conforme
à la bonne Philofophie , puiſque
dans tout ce qui regarde le ſyſteme planétaire
, ce n'eſt qu'un développement de la
théorie de Copernic & de Galilée , qu'il
n'eſt erroné que dans l'hypothèſe cartéſienne
__des tourbillons ,& qu'il aura toujours le mérite
d'avoir montré le premier comment on
pouvoit embellir & égaïer les matières les
plus abſtraites , mérite qui ne peut pas être
éphémère.
Apollon jette les yeux fur une foule de
bagatelles charmantes en vers &en profe.
Ayant lu quelque temps , il vouloit toujours lire .
Clio l'interrompt pour de plus grands
objets.
Cet écrit, diftingué par de grands caractères ,
N'eſt point l'effort aifé des communs plagiaires.
Maigres Hiſtoriens , fans critique & fans goût,
Qui rediſant toujours ce qu'on a.dit par- tout ,
Uſent à ce métier leurs indigentes plumes ,
Et des erreurs d'autrui compoſent vingt volumes...
4 Gij
148 MERCURE
Ici la raiſon parle & ſe fait écouter ;
Elle pèſe les faits , elle inſtruit à douter ;
Elle peint de l'eſprit la ténébreuſe enfance ,
:
Et ces fiécles d'erreur , de crime , d'ignorance , &c..
Molière jette les yeux ſur l'Écoſſaiſe ,
Nanine , l'Enfant Prodigue.
Il pleure avec Lindane , & rit avec Friport.
Melpomène paroît enfin :
Sa figure impoſante
Conſerve l'air altier qu'autrefois lui donna
Le peintre audacieux d'Horace & de Cinna ;
Une douleur touchante adoucit & tempère
La mâle auſtérité de ce grand caractère .
Sa voix eſt telle encor qu'en ces jours ſi brillans ,
Où du tendre Racine elle animoit les chants.
Mais ſouvent elle a pris un effor plus rapide ;
D'un trouble impétueux leſentiment la guide ;
Et dans les coeurs ſoumis , par ſon art tout puiſſant,
Son poignard aiguiſé pénérra plus avant , &c.
Ce dernier vers rappelle, ce vers ſi connu
des Saiſons de M. de Saint- Lambert :
D'un poignard plus tranchant il arma Melpomène.
Enfin Apollon demande quels font les
Auteurs de tous ces immortels écrits . Clio
lui repond :
Tu les couronnes tous en couronnant Voltaire.
Viens , lui dit Apollon , jouis de ma préſence',
Mortel , dont le génie étonne ma puiſſance .
Dans le cours paſſager de tes rapides ans ,
DE FRANCE. 149
Comment as-tu ſuffi pour tant d'objets fi grands ?
Je n'eus qu'un ſentiment , lui répondit Voltaire.
Lui ſeul il rempliſſoit mon ame toute entière.
De l'inſtinct des beaux Arts je me ſentis preffer ;
Monbeſoin le plus grand fut celui de penſer.
Ce dernier vers eſt auſſi heureux que vrai.
Apollon veut qu'on célèbre l'Apotheoſe
de Voltaire , & l'Immortalité vient le couronner.
Ces deux Pièces ſont écrites en général
avec pureté. L'idée de la ſeconde eſt trèsagréable;
& toutes deux méritent d'être diftinguées
parmi celles qui ont été faites fur
le même ſujet.
( Cet Article est de M. de la Harpe ) .
Hiſtoire univerſelle des Théâtres de toutes les
nations , depuis Theſpisjusqu'à nosjours,
par une Société de Gens de Lettres , tome
premier , première partie , Ouvrage propoſe
par ſouſcription , & dont on délivrera
un demi-volume tous les mois ; prix
30 1. paranpour Paris ,& 361. pour la Province
, franc de port : Bureau général de
ſouſcription, chez les Auteurs, rueTicquetonne,
ladeuxiène porte- cochère à gauche
en entrant par la rue Montmartre à Paris .
Nous ne pouvons mieux annoncer l'utilité
de cet Ouvrage, dont la première livraifon
vient de paroître , qu'en donnant un exrait
de laPréface.
Giij
150 MERCURE
" Çette Collection doit renfermer tout
>> ce qui concerne les Théâtres du monde ,
ود &difpenfer le Lecteurde la néceflité dans
>> laquelle il feroit d'en puifer la connoiffance
dans une foule de volumes , dont
>>l'acquifition feroit auſſi diſpendieufe , que
la lecture en deviendroit fatigante.
ود
ود
ود
Notre Ouvrage fera donc une eſpèce
>> d'Encyclopédie dramatique , qui , fans
» avoir la fechereſſe du Dictionnaire , of-
>> frira ſur l'origine & les progrès des ſpecta-
> cles, ſur les Auteurs & leurs Pièces, fur les
ود Acteurs& les Actrices , des détails ſouvent
>> inſtructifs , & preſque toujours amuſans ».
>> Nous donnerons , à la lettre , l'origine
» & les progrès de la ſcène étrangère & na---
>> tionale; chaque objet fera à ſa place , &
chaque événement au temps qui nous fera
indiqué par la chronologie. D'après cela ,
>> on doit ſentir que nos premiers volumes
renfermeront ce qui regarde les Grecs ,
dont les jeux , les combats , les théâtres ,
>> les coſtumes , les Tragédies & les Comé-
ود
ود
ود
ود dies , nous fourniront les choſes les plus
>> curieuſes , ſoit du côté de l'hiſtorique, ſoit
du côté des gravures ». ود
De-là les Auteurs paffefont aux Romains ,
qui ont été les Imitateurs des Grecs , & qui ,
en adoptant leurs jeux & leurs fêtes , en ont
augmenté la pompe & la magnificence.
A cet hiſtorique fuccédera celui du théâtre
Latin , dont l'époque fera celle des tourmois
en France ; &leur deſcription, les noms
DE FRANCE.
151
des Chevaliers qui s'y diftinguèrent , la collection
des coftumes que l'on y employa ,
feront ſuivis des extraits des Poemes des
Troubadours ou Jongleurs , de ceux des Myftères
& des Cantiques Spirituels , des jeux
des Clercs de la Bazoche , & des Pièces des
Enfansfansfouci.
" En ſuivant cette marche progreffive ,
> ajoutent les Auteurs , nous feront obligés
>>de paſſer au théâtre Anglois , qui , comme
>>celui de France , a commencé par repré-
> ſenter des myſtères que nous ferons con-
>> noître , après quoi nous parlerons des Ita-
>> liens & des Eſpagnols, que nos meilleurs
>> Auteurs ont traduits ou imités.
>>Tel ſera à peu-près le fil de notre hif-
>>toire juſqu'à la naiſſancede Jodelle , La-
>>pérufe, Grevin , Garnier , qui , plus éclai-
>>rés que leurs prédéceſſeurs , commence-
>>rent à diffiper les ténèbres dans leſquelles
>>le théâtre François étoit enfeveli . Ceux
>> qui les ſuivirent furent bien loin d'ajounter
à des ſuccès aufli heureux ; mais on
>> touchoit au ſiècle de Louis XIV , ſiècle
» qui devoit enfanter les Rotrou , les Cor-
>> neille , les Racine , les Molière, qu'il ſuffit
>> de nommer pour faire leur éloge » .
Les Auteurs de cette Hiſtoire annoncent
autli une analyſe plus ou moins longue de
toutes les Pièces , ſoit imprimées , foit manuſcrites
; des recherches ſur la muſique ,
fur la danſe , ſur la pantomime ancienne &
moderne , un apperçu du culte des Anciens ,
Giv
112
MERCURE
les coftumes uſités dans leurs cérémonies
religieuſes , leurs combats , leurs trophées ,
leurs triomphes , leurs convois , la forme de
leurs tombeaux , le plan, la coupe & l'élévation
de tous les théâtres , tant érrangers
que nationaux, ainſi que les deſſins & l'hiſtorique
de toutes les fêtes qui ſe ſont donnees
dans lesdifférentes Cours de l'Europe , avec
une idée de celles que l'on célèbre chez lés .
peuples les plus éloignés.
Tous ces détails annoncés dans la Préface,
font faits pour exciter la curioſité du public ,
& nous avons cru devoir les préſenter au
Lecteur , qui verra d'un coup-d'oeil ce qu'on
lui promet , & ce qu'il a droit d'eſpérer .
Cet Ouvrage , qui ſeul aura le mérite de
Féunir l'enſemble & le corps entier de l'art
dramatique ; cet Ouvrage , dis-je , manquoit
abſolument à la Littérature , & on ne peut
qu'inviter les Auteurs à rédiger les volumes.
Luivans avec autant de foin qu'ils en ont mis
dans leur première livraiſon.
L'éducation des Athlètes chez les Grecs,
la célébration des jeux , la manière dont les
vainqueurs étoient couronnés ; les mariages ,
les funérailles de ces anciens peuples , leur
génie , leurs uſages , leurs moeurs,en un mot
tout ce qu'il eſt néceſſaire de ſavoir pour juger
de leurs productions theîtrales , y eſt
préſentédans un eſpace fort court. Les Auteurs
y ont joint une foule d'Anecdotes curieuſes
, que les bornes d'un extrait ne nous
permettent pas de citer , & nous renvoyons
à l'Ouvrage même , dans lequel on trouvera
DEFRANCE.
153
une quantité de faits hiſtoriques , qui tous
font conftatés d'après les meilleurs Écrivains
de l'antiquité.
Les premières gravures , dont le nombre
deviendra conſidérable , nous ont paru traitées
avec ſoin ; & d'après le peu de régularité
que l'on obſerve dans les coftumes , les
Auteurs promettent d'en donner les véritables
modèles , article qui rendra leur Hiſtoire
très-utile & même néceſſaire .
Les livraiſons ſuivantes doivent contenir
l'origine de la Tragédie chez les Grecs , ka
vie de Theſpis & des Auteurs qui l'ont pré
cédé ou ſuivi , la muſique , la danſe , l'extrait
des Poëtes tragiques & comiques , les
maſques , enfin tout ce qui a rapport à leur
theatre, & nous en rendrons compte dans le
temps. La ſeconde livraiſon vientde paroître.
L'indication du Bureau d'abonnement ſe
trouve à la p. 192 , aux Annonces Littéraires .
Effai fur l'Histoire générale des Tribunaux
des Peuples , tant anciens que modernes ,
ou Dictionnaire hiftorique & judiciaire ,
contenant les Anecdotes piquantes & les
Jugemens fameux des Tribunaux de tous
les temps & de toutes les Nations ; par
M. des Effaits , Avocat , Membre de plufieurs
Académies, vol. in-8º. T. II. A Paris,
chez l'Auteur , rue de Verneuil ; Durand
, Libraire , rue Galande , & Mérigor
le jeune , Quai des Auguſtins.
Dans ce nouveau volume , l'Auteur con
Gy
154 MERCURE
tinue de nous donner des Anecdotes toujours
curieuſes , & ſouvent inſtructives , fur
un des Jugemens tantôt célèbres par la fingularité
ou Patrocité des délits , tantôt par
l'ignorance ou la barbarie de ceux qui en
furent les Juges. On y trouve auſſi des détails
intéreſſans ſur les Tribunaux de la Chine
, du Danemarck & de l'Eſpagne. Il nous
apprend qu'il y a en Eſpagne pluſieurs Tribunaux
de l'Inquifition , mais qu'un ſeul a
le droit de juger ſouverainement. " Le Tri-
ود bunal ſouverain tient ſes ſéances à Ma-
>> drid , & s'appelle legrand Confeil d'Inqui-
" fition. Il est compoſé du grand Inquifi-
» teur , qui en eſt toujours le Préſident , de
ود huit Confeillers , d'un Fifcal , d'un Al-
>> guazil - Major , &c. Les Dominicains y
>> ont , de droit , une place de Conſeiller.
» Les Tribunaux inférieurs de l'Inquifition
> ſont établis dans les capitales des Provin
» ces ; la nomination aux places qui les
>> compoſent , appartient au grand Inquifi-
>>> teur ».
M. des Effarts n'a pas cru devoir traiter à
fond cet objet dans l'article Eſpagne ; il le
réſerve pour les articles Inquifition, Question
& Torture.
Il paroît que la légiflation en Danemarck
eſt plus avancée que chez nous. Les loix y
furent réunies en un ſeul code par Chriftiern
V ; elles font toutes écrites en langue
Danoiſe , & la jurisprudence eſt uniforme
dans toutes les Provinces. Les étrangers con
DE FRANCE. 155
viennent que ce peuple a l'avantage de poffeder
de bonnes loix; " ce qui doit prévenir
» en leur faveur , c'eſt le petit nombre de
>> procès qui s'y élèvent , la promptitude
>>avec laquelle ils font juges , & la manière
dont on y enviſage la jurifprudence. Ailleurs
on la regarde comme un art qui
>> exige de la part du Juge & de l'Avocat
>>une étude longue & difficile ; en Dane-
>>marck , il futfit d'être membre de l'état
» pour entendre les loix , pour défendre &
>>juger ſes concitoyens » .
ود
ود
Ce peuple a une loi ſemblable au fameux
habeas corpus , que les Anglois regardent , à
juſte titre , comme une des colonnes de leur
liberté. Cette loi eft conçue en ces termes :
Perſonne nefera mis en prison , à moins qu'il
n'ait étéfurpris dans le moment où il commottoit
un délitſujet à une peine capitale , ou
'qu'il n'ait avoué en Justice ledit délit , ou n'ait
été condamné comme coupable d'icelui.
Du reste tout homme accusé en Justice ,
pourra, en donnant caution , venir & s'en retourner
librement de la Cour , & jouir de
toute liberténéceſſfaire pourſe défendre.
Se peut- il qu'une loi qui eſt le fondement
de tout pacte ſocial , ne ſe trouve pas encore
établie chez les nations les plus éclairées
de l'Europe! Se peut- il qu'on y trouve encore
des hommes affez aveugles , affez indifférens
fur leur liberté , pour lui préférer des uſages
introduits par le deſpotiſme,&dont on abuſe
fous l'empire même des Rois les plus juſtes !
Gvj
156 MERCURE
T
Abrégé portatif de l'Histoire Univerſelle
Sacrée & Profane , pour l'inſtruction de la
Jeuneſſe, divisé en trois parties, l'Histoire
des Juifs, l'Histoire Ancienne, & l'Histoire
Moderne; par M. l'Abbé Pernin de Chavanette
, 3 vol. in- 12 ; à Paris , chez Saugrain
le jeune , Libraire , Quai des Augustins.
Dans le premier volume de cet Ouvrage ,
on ne trouve que l'Hiſtoire du Peuple Juif;
dans le fecond , toute l'Histoire Ancienne ,
excepté celle des Romains , qu'on doit traiter
à part ; & dans le troiſième , la fin de
'Hiſtoire Moderne , c'est-à-dire , depuis le
quinzième fiècle juſqu'au moment actuel.
L'Hiſtoire entière eſt en forme de difcours ,
à la manière de Boſſuet. Elle offre des tableaux,
des mouvemens , des portraits , des
réflexions , & un but moral afforti aux opinions
de l'Auteur. Le Diſcours ſur l'Empire
des Perſes paroît avoir été fait pour l'éducation
d'un grand Prince. L'Hiftorien débute
ainfi:
ور
८ Monfeigneur , après avoir jeté un coupd'oeil
rapide fur les ſurprenantes révolu
» tions qui ont fi fort changé la face de
>> l'Univers , Votre AlteffeRoyale n'aura pas
» manqué d'y revenir par des réflexions judicieufes
. Ces changemens , Monſeigneur ,
ne font point l'effet de ce que le vulgaire
>> ſtupide appelle improprement le jeu de
DE FRANCE. 1
157
» la fortune & du hafard: tout ce qui ar-
» rive ſur la terre eſt une ſuite réglée des
>> jugemens éternels de Dieu ſur toutes les
>> nations qu'il punit , ou qu'il éprouve ſe-
>> lon les loix immuables de fa juftice....
>>C'eſt ſous ce point de vue que le grand
>> Évêque de Meaux préſentoit à fon auguſte
ود Élève le tableau mouvant des Empires ;
» c'eſt auſſi de même , Monſeigneur , que
>> Votre Alteſſe Royale règle ſes études ,
» & nourrit ſon eſprit du fuc de l'hiſ-
>> toire ».
Toujours guidé par ce flambeau , l'Hiftorien
parcourt tous les fiècles , toutes les
régions de l'ancien monde , & découvre le
doigt de Dieu dans la chûte ou la profpérité
des Empires , comme dans celle des individus
qui les compoſent ou qui les gouvernent.
ر
La ville de Tyr réduite en cendres par un
Roi victorieux , fut rebâtie par Alexandre ,
& fubfifta long - temps avec ſplendeur..
" Mais ſes crimes allèrent en augmentant ;
» & pendant le ministère public de notreSau-
» veur, elle paſſoit pour une des plus cri-
>> minelles villes qui fût au monde » . Les
ravages exercés fur l'Égypte par le fameux
Ochus , font expoſés avec le même eſprit.
« Ce vindicatif Souverain fit placer un âne
>> fur l'autel du plus magnifique temple de
>>Memphis , & lui fit facrifier le taureau
> même que les Égyptiens adoroient , com-
> me on fait, ſous le nom d'Apis. Son cui
158 MERCURE
و د
finier eut ordre de lui ſervir ce Dieu on
>> mêts ; il en mangea avec toute la Cour ;
& par cet énormefacrilège , il confomina
l'infortune de cette nation ignorante &
>> ſuperſtitieuſe » .
ود
ود
M. l'Abbé de Chavanette prétend que les
Pontifes Romains , en pouffant à toute outrance
les expéditions Sacrées , appelées les
Croisades , avoient porté le coup mortel à la
discipline ecclésiastique , & qu'ils avoient en
même- temps ébranlé tous les trônes , &
énervé toute la puiſſance monarchique , en
apprenant aux peuples qu'ils ne devoient
craindre que le Saint-Siege. " De cette fou-
>> gucuſe manie naquirent des abus & des
>> defordres fans nombre. Les Prélats qui
>> avoient été les conducteurs de ces dévots
>> armés , ne rapportèrent de leurs courſes,
» bénites qu'une fureur barbare de faire la
>> guerre ou à leurs égaux , ou même à leurs
>> ſupérieurs ».
Les Prêtres du ſecond ordre imitèrent
bientôt les Évêques ; destinés à nourrir leurs
ouailles du lait de la piété, ils ne leur enfeignèrent
plus qu'à verfer le fang humain . On
ſe faifoit la guerre ; on s'excommunioit réciproquement
: les Évêques diſtribuoient d
pleines mains les indulgences à ceux qu'ils envoyoient
à la boucherie. " Quelle plus grande
>> oppoſition aux préceptes & à la conduite
>>de notre divin Sauveur! »
L'Auteur obſerye qu'alors les Moines , &
fur-tout les Bernardins & les Norbertins , faiDE
FRANCE.
159
ſoient confifter la ſainteté de leur profeffion
à n'être bons à rien. Le ſang des peuples fervoit
à engraiffer ces pieux fainéans ; & de
leurs Couvens , où regnoit la molleffe , on
vit fortir tous les vices.
:
Il eſt vrai , continue M. de Chavanette ,
que pour les remplacer dans un miniſtère
que la licence avoit rendu vacant , lafingularité
mit au monde les Dominicains & les
Francifcains , deux ordres qui ne fervirent
qu'à étendre les maux. Loin d'enſeigner aux
peuples la morale & la vertu , " ils les endoctrinèrent
de puériles fadaiſes , de miz
racles extravagans , de viſions groffières ,
>> & ils rendirent la Religion méconnoiffable
» à force de la charger d'ornemens ſuper-
>> flus. Tout cela ſe faiſoit ſous prétexte de
ود
ود
ود ſeprêterunpeuàla groſſièreté des eſprits ,
> comme ſi la divine Religion de Jéſus
>>Chriſt pouvoit entrer en compoſition avec
>> des grimaces , & fe prêter aux caprices de
>> ces faméliques Docteurs ! » .
...Le nouvel Hiſtorien ne traite pas mieux
les Proteftans que les Catholiques . Il apof
trophe les nations réformées , leur demande
quel eſt leur berceau ? quelle fut leur mère ?
& répond pour eux : la réformefut leur mère
& leur berceau. " Est- ce donc réformer les
>>peuples fuivant le ſaint Évangile , que de
>> leur mettre, contre l'Évangile , le fer à la
>> main, pour répandre le ſang , pour réſiſter
>> aux puiſſances ordonnées de Dieu , pour
>> troubler la tranquillité des États : Aucun
160 MERCURE
>> raiſonnement n'eſt plus fimple,& il n'en
>> faut pas davantage pour renverfer de fond
>> en comble tout l'édifice de la réforme ».
Les Proteftans font encore trop aveuglés
pour ſentir aufli vivement que nous autres
le poids de ces raiſons. Mais, ſi par quelque
heureux hafard le Livre de M. l'Abbé de
Chavanette parvient à la poſtérité, il opérera
fans doute ſur les enfans, ce qu'on ne
doit guères attendre de leurs pères. Que la
prétendue réforméefetournedequelcôtéqu'elle .
voudra , continue l'Auteur , il n'en ſera pas
moins vrai que les Souverains du Nord n'adoptèrent
la réforme que parce qu'ils trouvoient
leur compte à un changement qui les
enrichiffoit & les rendoit plus abſolus
fur leur Clergé. Ce ne fut qu'une affaire de
politique, " qu'on mit à peine en délibéra-
>>- tion ; & les peuples eux-mêmes trouvant
>> plus de liberté dans une religion anarchi-
>> que que dans l'hiérarchique , ſe déclarè-
>> rentfans façon pour celle qui avoit plus
>> de conformité avec leur éducation civile
» & leur gouvernement national ».
Ceux qui penſent que la fimplicité du
ſtyle hiftorique ne doit pas exclure la nobleffe
, trouveront peut-être que l'Auteur
écrit un peu tropfansfaçon.
Quand Boffuet fe permet des négligences,
il a foin d'en dédommager ſon Lecteur par
des traits fublimes : M. de Chavanette a mat
heureuſement oublié d'imiter en ce point w
auffi beau modèle.
DE FRANCE. 161
7
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert qu'on a donné au Château des
Tuilleries, le jour de la Purification, a mérité
de nouveaux éloges au zèle de M. le Gros ,
qui en eft le Directeur.
Le premier morceau de la nouvelle ſymphonie
àgrand orchestre de M. Hayden , a
été fort applaudi; les deux derniers l'ont été
moins , parce qu'ils renferment des choſes
déjà connues.
M. Vounderlich a exécuté ſur la flûte un
concerto d'un caractère analogue à l'inftrument.
Quoique cet Artiſte ait montré plus
de vivacité que de chaleur , on ne doute pas
qu'il ne parvienne au rang des premiers virtuoſes
, lorſque fon jeu aura tout l'à-plomb
dont il eſt ſuſceptible.
Un concerto de cors-de- chaffe , exécuté
par MM . Palfa & Tierchmicdt a fait tout le
plaiſir qu'on peut attendre d'un inftrument
très-borné dans ſes modulations , & dont
pluſieurs intervalles font faux par effence .
Le concerto de violon que fit entendre
M. Chartrain , lui mérita des applaudiffemens
unanimes. Sans avoir ni la ſimplicité
monotone de l'ancien genre , ni les fougueux
écarts du nouveau , ce Compoſiteur
paroît s'être attaché à réunir les avantagesde
162 MERCURE
l'un&de l'autre; il a fait pourle violon ce que
M. Couperain fait pourl'orguedepuis 20 ans.
Ceux qui aiment le ſtyle d'Egliſe ont applaudi
avec justice au Motet de la compofition
de M. Candeille , que M. Moreau a
fortbien chanté.
: Un Oratorio tiré du Samſon de M. de
Voltaire , & mis en muſique par M. Cambini
, a aufli obtenu les fuffrages des Amateurs
du beau Ryle Italien. On voit que l'Aus
teur s'eſt nourri de la ſubſtance de Pergolèze
& des grands Maîtres de la même école , &
qu'il connoît la plupart des reſſources de,
l'Orchestre. On lui reprochera peut être de
vouloir quelquefois faire briller les inftru ,
mens au préjudice des voix.
Madame Todi a chanté deux grands airs,
Italiens, l'un de M. Piccini,l'autre du Signor
Gagliolmi.
Nous renouvelons avee plaifir l'hommage
que nous lui rendîmes à ſon debut; c'eſt la
plus accomplie des Cantatrices étrangères,
qu'on ait admirées dans cette capitale. Quiconque
afpire à la perfection de l'Art , ne
peut étudier un plus beau modèle.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a donne le premier de ce mois , la
première repréſentation des Muſes Rivales,
en un acte & en vers libres .
Cette petite Pièce eſt l'Apothéoſe Poéti-
)
DEFRANCE. 163
que de M. de Voltaire. Apollon attend ce
grand Homme au Parnaſſe pour le couronner.
Il a envoyé Mercure le chercher dans
les Champs Élifées. Chacune des Muſes voudroit
avoir l'honneur de le préſenter au Dieu
des Arts; mais trois fur-tout ſe diſputent
cette gloire , Calliope , Clio & Melpomène.
Cette concurrence amène naturellement l'é
loge des chef-d'oeuvres qu'a produits Voltaire
dans l'épopée , dans l'Hiſtoire & dans
la Tragédie. Melpomène l'emporte ſur ſes
rivales. Momus & les Grâces viennent pour
être de la fête. Mercure paroît , & rapporte
la réponſe qu'il a reçue de Voltaire. L'Auteur
de la Henriade a retrouvé ſon Héros
dans l'Eliſée.
Si j'ai trop peu vécu ſous lejeune Louis ,
Je demeure à jamais auprès de ſon modèle.
Voilà ce qu'il a répondu à Mercure. Apollon
couronne au moins ſa ſtatue , qui paroît
au fond du théâtre , & il la couvre de ſes
propres lauriers. Il ordonne aux Muſes &
aux Arts de porter leurs attributs ſur la baſe
qui ſoutient ſon buſte. Cette cérémonie
s'exécute au bruit des fanfares,&le triomphe
eſt terminé par la marche de tous les Comédiens
, caractériſés par différens coſtumes.
CettePièce a été accueillie avec une extrême
faveur , d'autant plus que l'Auteur étant inconnu
, nulle prévention particulière n'a pu
troubler le plaiſir que l'on ſentoit à voir rendre
à un grand Homme cet hommage , quelque
(
164 MERCURE
imparfait qu'il fut, ſurle théâtre qui a été tant
de fois celui de ſes triomphes. L'Auteur, qui
dans la crainte que l'on ne troublât cette efpècede
fête conſacrée au génie, avoit cru devoir
cacher un nomtrop enbutte àlaméchan
ceté, ne s'eſt déclaré qu'après la troiſième re
ſentation,&lorſqu'ilacrul'ouvrage fuffifamment
affure de la protection publique. Il n'a
pas cru alors devoir s'obſtiner à démentir
les voeux des honnêtes gens qui auroient été
fâchés de s'être mépris. Il a été très -flatté
que leur ame eut deviné la fienne. Il fent
trop d'ailleurs combien il eſt refté au-deffous
d'un tel ſujet; mais il s'eft felicité que
le Public lui ait attribué , plus qu'à tout au
tre, la volonté de le remplir.
Ce petit ouvrage , dont l'objet & l'intention
ont fait le merite & le ſuccès, a été d'ailleurs
exécuté avec un ſoin qui fait honneur au
zèle des Comédiens pour la mémoire deVoltaire.
Les rôles ont été très-bien remplis: celui
d'Érato , par Mlle Sainval cadette, & enfuite
par Mlle Contat; celui d'Uranie , par Mlle
Luzy ; de Calliope , par Mde Preville ; de
Clio , par Mde Suin ; de Thalie , par Mde
Bellecour ; d'Euphrofine , par Mlle Doligni ;
de Momus, par M. Préville ; de Mercure ,
par M. Monvel ; d'Apollon , par M. Molé.
Les Muses Rivales ont été précédées de
Tancrède. Ce rôle étoit joué par un Acteur
nouveau , qui paroît mériter des encoura
gemens. Il a été applaudi dans pluſieurs morceaux
qu'on a trouvés bien ſentis. Il a de la
DE FRANCE. 165
figure & de la voix , & l'étude & l'expérience
lui apprendront ſans doute à tirer
parti de ſes moyens naturels.
Madame Veſtris , dans Aménaïde , a produit
le plus grand effet. On ne peut ni recevoir
des applaudiſſemens plus vifs & plus
flatteurs , ni les mériter mieux. Elle repréſentoit
Melpomène dans les Muſes Rivales ;
& la manière dont elle a joué dans la Tragédie
, a prouvé que ce rôle lui appartenoit.
( Cet Article est de M. de la Harpe. )
VARIÉTÉS.
LETTRE d'un Citoyen de Dijon à l'Auteur
du Mercure.
Dijon , ce 29 Janvier 1779 .
MONSIEUR,
UnHiſtorien fidèle , qui entreprend d'écrire les
Annales de ſon ſiècle , mérite les éloges de ſes Contemporains
, & la reconnoiffance de la poſtérité ;
mais celui qui abuſe de ſa qualité de Journaliſte ,
pour raſſembler des imputations atroces contre des
perſonnes irréprochables , pour attaquer , par des
menſonges audacieux , les Miniſtres , le Conſeil ,
les Tribunaux & tous les Corps qui entrent dans la
conſtitution de l'Etat , eſt un impoſteur. Si la crainte
qu'on n'ajoute pas une foi entière à ſon expoſé , le
porte à l'étayer par des actes fictifs , il eſt un fauffaire;
il doit être dénoncé comme tel à tout l'univers ,
&dévoué au mépris le plus général.
166 MERCURE
Tel eſt , Monfieur , le jugement que vous allez
porter fur M. Linguet , d'après l'hiſtoire prétendue
de l'Abbé Desbroſſes , inférée dans fon Journal qu'il
intitule : Annales politiques , civiles & littéraires ,
du XVIIIe fiècle , Nº. XXX.
Je n'entreprends , ni de le ſuivre dans tous fes
écarts , ni de pénétrer dans le ſecret de la procédure
criminelle inſtruite contre l'Abbé BrigaudDefbroffes
, Prieur de Perrecy , accuſé de crime depoifon,
& condamné , par Arrêt du 7 Août 1764 , pour
les charges réſultantes des procédures, aux galèresperpétuelles
, préalablement marquédes trois lettres GAL.
Je me bornerai à détruire , par la notoriété publique,
quelques affertions dont la fauſſeté reconnue&
atteſtée parle témoignage de tous mes Concitoyens ,
vous mettra , ainſi que vos Lecteurs , à portée d'apprécier
le Journaliſte & ſes Annales.
1º. Selon lui , le Prieuré de Perrecy produiſoit
annuellement à l'Abbé Brigaud un revenu de 30 à
40000 liv. Il eſt néanmoins conſtant qu'il nerendoit
que 18000 liv. Je ne relève cet expofé , en lui-même
très- indifférent , que parce qu'il a fervi à préparer
l'aſſertion fuivante , confignée à lapage 326. «Qua-
>», rante Paroiffes relevoient du Prieuré de Perrecy ;
>> ayant eu à ſe plaindre du Parlement de Dijon , il
>> avoit obtenu l'évocation au Grand-Conſeil de
toutes les affaires de ſes Vaſſaux ; le Parlement
>> avoit été bleſſfé de cette atteinte portée à ſa Juri-
>> diction »,
Malgréle tonimpoſant de l'Ecrivain , il eſt cependant
vrai , Monfieur , qu'on ne connoît ici aucune
terre qui ſoit dans la mouvance du Prieuré de Perrecy;
a plus forte raiſon ne citera-t-on pas quarante
Paroiffes qui en relèvent. Mais ce que vous pouvez
tenir pour certain , eſt qu'il n'y a jamais eu aucune
évocation au Grand-Conſeil relative aux affaires de
l'Abbé Brigaud , contre aucun de ſes Vaſſaux. Il n'y
DE FRANCE. 167
:
:
"a donc eu aucune atteinte portée à la Juridiction du
Parlement par le fait de l'Abbé Desbroffes ; conféquemment
cette Cour n'a pu en être bleſſée : d'où il
fuit que la première propoſition ſur laquelle M. Linguet
a établi ſon ſyſtême , eſt une fauſleté notoire .
Voici unnouvel effort de ſon imagination.
Il dit , pag. 331 , que le Parlement de Dijon , par
fon Arrêt de 1764 , a condamné l'Abbé Brigaud à
être marqué , & aux galères , en quoi il fait à cette
Cour deux reproches ; l'un , d'avoir par animoſité
contre ce coupable, cumulé deux condamnations indépendantes
l'une de l'autre; le ſecond, de ce que la marque
GAL. a été appliquée dans l'intérieurde la prifon.
Par cette erreur volontaire , dans laquelle M. Linguet
n'a pu tomber par ignorance , ſon but a été
d'en impofer à ceux de ſes Lecteurs qui ne font pas
inſtruits des Loix pénales *.
L'Arrêt qui a condamné l'Abbé Brigaud aux galères
perpétuelles , porte , conformément aux Ordonnances
, qu'il fera marqué des trois lettres GAL. Cette
marque eſt inſéparablement attachée à la condamnation
aux galères ,&s'imprime dans l'intérieur de la
* Dans cet Article , &dans ceux de la même eſpèce ,
on pourroit relever un grand nombre d'autres bévues
qui ſuppoſent la plus groffière ignorance des principes du
droit & des formes judiciaires; mais il faudroit des volumes
auſſi nombreux que les Annales Civiles , pour dé ,
maſquer un hypocrite inconféquent & forcené , qui ne
pouvant ſe faire un nom par l'emploi raifonnable de ſes
talens ,veut aller à la gloire comme Eroſtrate & Mevius ;
&s'eftime affez peu lui-même pour célébrer aujourd'hui
-lesperſonnages qu'il dénigroit la veille. Au reſte, quels que
foient ſes efforts , il ne parviendra jamais à ſéduire que
cette claſſe d'hommes nés pour être les inftrumens de
l'erreur ou les jonets du ſophifme.
168 MERCURE
e
priſon ſur tous les condamnés , environ quinze jours
avant le départ de la chaîne. Mais fi M. Linguet eût
voulu n'écrire que conformément à la vérité, il auroit
été réduit au filence , & fon hiſtoire de l'Abbé
Desbroffes n'eût jamais vu la lumière .
CC
Quant au Courier dont il parle à la page 332 , dépêchéddeeDijon
avec ordre de veilleràla décifion
>> du Conſeil , & fi elle étoit favorable au priſonnier ,
>> de prendre l'avance ſur celui qui en apporteroit la
.>> nouvelle ». Cette fable eſt encore plus ridicule
que les précédentes. Le ſurſis au départ de l'Abbé
Brigaud n'a pas été accordé par un Arrêt du Conſeil ,
mais par une ſimple lettre du Chancelier de France
au Procureur Général , ſelon l'uſage qui ſe pratique
en cas ſemblable ; & le Parlement n'eſt jamais informé
des tentatives du condamné ; auſſi eſt-il de toute
faufſſeté que le Parlement de Dijon aitjamais envoyé
aucun Courier chargé d'un ordre auſſi déplacé. Le
témoignage impartial de toute la Ville de Dijon , que
j'atteſte , prévaudra ſans doute ſur ledire d'un homme
qui , tourmenté par la manie d'écrire , avant même
d'avoir pu lire , a contracté la dangereuſe habitude
de mettre ſes idées à la place de la vérité. Il eſt donc
forcé de céder encore fur cette phraſe pittoreſque :
CC
ככ
tout s'arrangea comme on l'avoit prévu ; le furfis
fut accordé; le Courier dépêché par l'amitié , fut
>>> devancé par celui qu'aiguillonnoit la vengeance ;
- >> on s'aſſemble .... "
Un ſurſis fut accordé , il est vrai ; le Courier
ordinaire de Paris à Lyon , qui paſſe à Dijon trois
fois par ſemaine , apporta la lettre du Chancelier au
Procureur-Général , pluſieurs jours après que l'Abbé
Brigaud-Desbroſſes avoit été marqué des trois lettres
GAL. , comme vous le verrez , Monfieur , par la réponſe
de ce Magiftrat , dont je joins ici une copie.
Le Parlement de Dijon ne prit aucune part à l'exécution
de ſon Arrêt : il eſt faux qu'il ſe ſoitjamais
aſſemblé
1
DE FRANCE. 169
affemblé pour enjoindre au Procureur-Général de
faire marquer l'Abbé Desbroſſes : celui-ci avoit été
jugé le 7 Août ; le Parlement leva ſes Séances le 14
du même mois , pour ne les reprendre que le 12
Novembre ſuivant. Ainſi , toute cette tirade , on s'afſemble
..... des Magistrats en robe demandent le
Procureur- Général .. celui-ci cède en pleurant ,
&c. n'est qu'une tournure romaneſque adoptée par
l'Auteur , pour répandre de l'intérêt ſur le héros qui
fert de prétexte à la diatribe .
.....
Les faits qui y ſont hafardés , avoient beſoin d'un
garant qui pût tout à la fois ſéduire les perſonnes
crédules , & réveiller les ennemis des Magiſtrats.
C'eſt pour remplir cette double tâche , qu'on a fabriqué
, ſous le nom de M. Quarré de Quintin ,
un prétendu certificat , qu'il ſeroit auſſi humiliant
pour lui d'avoir délivré , que honteux pour le Par-.
lement d'y avoir donné lieu. M. Linguet ajoute avec
intrépidité , que ce certificat exiſte en minute dans.
les regiſtres du Parquet ; & des gens avides de choſes
fingulières pourroient n'être pas arrêtés par l'invraiſemblance
qui accompagne cette pièce , auſſi informe
que ridicule.
Je n'y oppoſerai , Monfieur , que le certificat qui
m'a été accordé par M. le Procureur-Général , & que
je vous envoie en original. Le Lecteur éclairé &
impartial ſe déterminera , à la vue de cet acte , fur
le degré de confiance qu'il doit accorder à M. Linguet
, quand il s'efforce de traveſtir en trois troupes.
d'aſſaſſins en robe le Parlement de Dijon , qui a
rendu l'Arrêt de 1764 , le Conſeil qui a déclaré devoir
n'en pas prononcer la caſſation ,& le Parlement
de Douay , qui a jugé qu'il n'y avoit erreur.
Lorſque l'Arrêt de 1764 , & ceux qui avoient été
rendus pour l'inſtruction de la procédure , eurent été
examinés au Conſeil avec les motifs qui les avoient.
dictés ; lorſque l'Abbé Brigaud eut été débouré de fa
15 Février 1779 .
H
170 MERCURE
1
1
۱۳
demande en caſſation , ſes protecteurs ſe réunirent
pour follicitet la réviſion de ſon procès , & ils l'obtinrent
en effet. C'eſt à cette occaſion que le même
eſprit créateur qui avoit déjà donné l'existence au
Courier dépêché par l'amitié en 1764 , a établi un
Député du Parlement de Dijon à Douay , pendant la
réviſion ; & rien ne paroît plus naturel , dit M. Linguet,
« pour qui connoît les Compagnies ». Il eſt
cependant faux qu'aucun Officier du Parlement de
Dijon foit allé à Douay à cette époque ; il n'y a aucune
relation d'une de ces deux Villes à l'autre , &
on a ſeulement appris par des Militaires qui avoient
réſidé à Douay , que ſi le Parlementde Flandre n'avoit
pas confidéré la réviſion du procès comme introduite
en faveur de l'accuſé , & qu'il eût cru avoir toute liberté
d'opinions , l'Abbé Desbroſſes eût été condamné
au dernier ſupplice.
Enfin, Monfieur , c'eſt encore par ſuppoſition que
M. Linguet a avancé , « qu'à l'époque de la révolution
>> de 1771 , un des Préſidens du Parlement , qui avoit
>>>leplus contribué à l'Arrêt , devenuConſeillerd'Etat,
avoitpris le parti de ſes anciens Collegues » .Comme
aucun des Conſeillers d'Etat en 1771 n'avoit éré Pré
fident au Parlement , c'eſt ſans doute de M. de Clugny
que l'Ecrivain a voulu parler ; mais M. de Clugny ,
qui n'ajamais rempli à Dijon d'Office de Préſident ,
étoit àSaint-Domingue en qualité d'Intendant, lorfque
le procès de l'Abbé Brigaud a été jugé ; & le
Journaliſte , toujours en oppofition avec la vérité ,
n'a pas obfervé que M. de Clugny , qui n'avoit eu
aucune part à l'Arrêt de 1764 , y en auroit pris d'autantmoins
en 1771 , quefes anciens Collegues étoient ,
pour le plusgrand nombre , exilés &diſperſés.
Je crois , Monfieur , en avoir dit affez pour vous
mettre, ainſi que vos Lecteurs, en état de connoître
lajuſte valeur des Annales du XVIII ſiècle. Je vous
prie,Monfieur , enfaveurde la vérité laplusimparDEFRANCE.
171
tiale qui a préſidé à la rédaction de ma lettre , de
Tinférer dans votre prochain Mercure.
Je ſuis très-parfaitement , &c.
Copie de la lettre de M. Quarré de Quintin ,
Procureur - Général à Monseigneur le
Vice-Chancelier.
Le 18 Septembre 1764.
MONSEIGNEUR ,
En conféquence de vos Ordres , j'ai fait excepter
de la chaîne partie cejourd'hui , le ſieur Brigaud-
Desbroffes , & le ***** ; imais le ſurſis du premier
eſt arrivé un peu tard pour lui , ayant été flétri des
le 7 de ce mois : s'étant pourvu en caſſation d'Arrêt
fubfidiairement en réviſion de ſon procès , j'ai pensé
qu'il étoit auffi indiſpenſable d'excepter de la chaîne
les nommés **** , témoins dans la même affaire ,
condamnés à trois ans de galères. Je vais faire travailler
àl'extraitde la procédure du *** , qui , détenu
depuis deux ans dans les prifons , eft continuellement
malade ; & fitôt que cet extrait ſera en état , j'aurai
l'honneur de vous le faire parvenir. J'ai celui de vous
envoyer l'extrait de l'enregiſtrementdes Lettres accordées
par Sa Majeſté, pour la Chambre des Vacations
de ce Parlement.
Je fuis , &c.
Je certifie la préfente conforme à l'original qui fe
trouve fur les registres de M. Quarré de Quintin
Procureur-Général. Certifie de plus qu'ilnese trouve
rien de plusfur les registres , & qu'il n'y a rien fur
ceux du parquet relatif à cette affaire. A Dijon , ce 17
Janvier 1779. Signé PÉRARD , Procureur-Général
au Parlement de Bourgogne..
Hij
172 MERCURE
+
LETTRE aux Auteurs du Journal de Paris ,
fur la Notice qu'ils ont donnée de la Vie de
Sénèque.
1
JE CRAINS , Meſſieurs ,, en commençant cette Lettre
, que vous n'imaginiez d'abord qu'elle eſt de
quelque ami du Philofophe que vous avez fi rudement
traité. Ses amis font , fans doute , auſſi tranquilles
que lui-même , & ils pourroient même qui
manquer en le défendant. Ce feroit au moins ſuppor
fer qu'il peut avoir beſoin d'être défendu. Pour moi,
Meſſieurs , je n'ai vu qu'une ſeule fois dans ma vie
l'Auteur de la vie de Sénèque , & il me prend fantaifie
de vous raconter comment je l'ai vu. Je n'imaginerai
rien dans ce récit , & je crois pourtant qu'il
fera affez fingulier, quoique de la vérité la plus exacte.
Vous pourrez dire que je commence par une digreffhon,
& que j'imite dans ſes écarts l'Hiftorien que je
veux juſtifier. Soit : ſi je l'imitois bien , en effet ,
j'aimerois autant mes écarts que certaine exactitude
que je connois,
وا
Il y a quelque tems qu'il m'a pris , comme à tant
d'autres , le beſoin de mettre du noir fur du blanc ,
ce qu'on appelle faire un livre. Je cherchai la folitude
pour mieux recueillir & méditer toutes mes rêveries.
Un ami me prêta un appartement dans une
maiſon charmante , & dans une campagne qui pouvoit
rendre Poëte ou Philofophe celui qui étoit fait
pour en fentir les beautés. A peine j'y ſuis que j'apprends
que M. D. couche à côté de moi dans un appartementde
la même maiſon. Je n'exagère rien ; lع
coeur me battit avec violence , & j'oubliai tous mes
projets de proſe & de vers pour ne fonger plus qu'à
DE FRANCE.
173
Voir le grandhomme dont j'avois tant de fois admiré
le génie. J'entre avec le jour dans ſon appartement ,
&il ne paroît pas plus ſurpris de me voir que de revoir
le jour. Il m'épargne la peine de lui balbutier
gauchement le motif de ma viſite . Il le devine apparemment
à un grand air d'admiration dont je devois
être tout ſaiſi . Il m'épargne également les longs détours
d'une converſation qu'il falloit abſolument
amener aux vers & à la profe. A peine il en est queſ
tion , il ſe lève : ſes yeeuuxx ſe fixent ſur moi , & il est
très- clair qu'il ne me voit plus du tout. Il commence
àparler , mais d'abord fi bas & fi vîte , que , quoique
je fois auprès de lui , quoique je le touche, j'ai peine
àl'entendre & à le ſuivre. Je vois dans l'inſtant que
tout mon rôle dans cette ſcène , doit ſe borner à l'admirer
en filence; & ce parti ne me coûte pas à prendre.
Peu-à-peu ſa voix s'élève & devient diftincte &
fonore. Il étoit d'abord preſque immobile , fes geftes
deviennent fréquens & animés. Il ne m'a jamais vu
que dans ce moment ; & lorſque nous ſommes debout,
il m'environne de ſes bras ; lorſque nous
ſommes affis , il frappe fur ma cuiſſe comme fi cllet
étoit à lui . Si les liaiſons rapides & légères de for
difcours , amènent le mot de Loix , il me fait uir
plan de Légiflation : fi elles amènent le mot
de Théâtre , il me donne à choifir entre cinq ou fix
plans de Drames & de Tragédies. A propos des tableaux
qu'il est néceſſaire de mettre ſur le Théâtre +
où l'on doit voir des ſcènes & non pas entendre des
Dialogues , il ſe rappelle que Tacite eſt le plus grand
Peintre de l'antiquité ; & il me récite ou me traduit
les Annales & les Hiſtoires. Mais combien il eft
affreux que les Barbares aient enſeveli ſous les ruines
des chef-d'oeuvres de l'Architecture , un ſi grand
nombre de chef- d'oeuvres de Tacite ! Là- deſſus il
s'attendrit ſur la perte de tant de beautés qu'il regrette
& qu'il pleure comme s'il les avoit connues.
Hiij
174
MERCURE
Du moins encore fi les manuscrits qu'on a déterrés
dans les fouilles d'Herculanum pouvoient dérouler
quelques livres des Hiftoires ou des Annales ! Et
cette eſpérance le tranſporte dejoie. Mais combien
de fois des mains ignorantes ont détruit , en les rendant
au jour , des chef-d'oeuvres qui fe confervoient
dans les tombeaux ! Et là-deffus il differte comme
un Ingénieur Italien, fur les moyens de faire des
fouilles d'une manière prudente &heureuſe. Promemant
alors fon imagination fur les ruines de l'antique
Italie, il ſe rappelle comment les Arts , le goût & la
politeffe d'Athènes avoient adouci les vertus terribles
des Conquérans du monde. Il ſe tranſporte auxjours
heureux des Lelius & des Scipion , ou même les Nasions
vaincues aſſiſtoient avec plaifir aux triomphes
des victoires qu'on avoit remportées ſur elles. Il me
joueune ſcène entière de Térence ; il chante preſque
pluſieurs chanſons d'Horace. Il finit enfin par me
chanter réellement une chanſon pleine de grâce &
d'eſprit qu'il a faite lui-même en impromptu dansun
foupé , & par me réciter une Comédie très-agréable
, dont il a fait imprimer un feul exemplaire
pour s'épargner la peine de la copier. Beaucoup de
monde entre alors dans ſon appartement. Le bruit
des chaiſes qu'on avance & qu'on recule , le fait forirde
ſon enthouſiaſme &de fon monologue. Il me
diftingue au milieu de la compagnie , & il vient à
moi comme à quelqu'un que l'on retrouve après
l'avoir vu autrefois avec plaiſir. Il ſe ſouvient encore
que nous avons dit enſemble des choſes très-intéreffantes
fur les Lois , fur les Drames & fur l'Hiftoire.
Il a connu qu'il y avoit beaucoup à gagner dans ma
converfation. Il m'engage à cultiver une liaiſon dont
il a fenti tout le prix. En nous ſéparant, il me donne
deux baifers ſur le front , & arrache ſa main de la
mienne avec une douleur véritable.
Vous ne vous attendiez pas àcette hiftoire ,Mef.
DE FRANCE.
175
fieurs ; & vous me demanderez à quoi elle peut être
bonne. Peut - être pourra- t- elle me fervir de quelque
choſe dans ce que j'ai à vous dire de la vie de
Sénèque.
Je commence par déclarer que je ne ſuis pas de
l'avis de l'Hiſtorien ſur ſon Héros , ſon Philoſophe
ou ſon Saint. Je ne crois pas aux calomnies de Dion ;
mais je ne crois pas davantage à l'Apologie du nouvel
Hiſtorien. Un ſage inftituteur peut fermer les
yeux ſur les déſordres d'un élève qui ſeroit conduit
aux crimes par les fureurs d'une paſſion qu'on éteint
quelquefois dans les foibleſſes. Mais y prêter les
mains lui-même , & devenir l'agent d'une intrigue
amoureuſe ! Cela n'eſt peut- être pas rare dans ces Miniſtres
qui le ſont plus encore des paſſions que des
états deleurs Souverains : mais cela est trop fort pour
un Philoſophe; fur-toutje ne vois pas-là de ſtoïcifine.
Si l'Apotheoſe de Claude étoit de lui , ce ſeroit une
infamie. Plaiſanter ſur la poudre de champignon qui
a donné l'immortalité à un Empereur empoiſonné
par ſon épouſe , eſt la plaiſanterie d'un ſcélérat bien
digne en effet d'être le Précepteur de Néron. Mais il
m'eſt impoffible de croire que l'Apolokintoſe ſoit de
la même main qui a tracé le portrait du ſage avec des
traits ſi ſublimes. Il n'eſt pas poſſible de douter de
même que l'apologie du meurtre d'Agrippine, ne ſoit
de lui. S'il l'a écrite le poignard ſur la gorge , ou lo
poiſon ſur les lèvres , on peut , non pas l'excufer ,
mais lui pardonner : car la vertu qui brave la mort
n'eſt peut - être pas un devoir de l'homme. Mais
d'ailleurs qu'on ne diſe point que cette Apologie fut
néceſſaire , qu'elle évitoit de plus grands maux , que
c'étoit en cemoment l'unique parti à prendre. Pourquoi
étoit-elle néceſſaire ? pour empêcher que le Peuple
Romain ne ſe ſoulevât & ne renversât du Trône
l'aſſaffin d'Agrippine? Ce malheur étoit- il donc fi fort
à craindre pour qu'on cherchât à le prévenir par l'A
Hiv
176 MERCURE
pologie d'un parricide ? Et à qui importoit-il que les
jours & le pouvoir de Néron fuffent confervés ? A
Néron lui-même ? Les mains reintes du ſang de ſa
mère , quel bonheur avoit-il à eſpérer dans la vie &
fur le Trône ? A l'Empire ? Quel bien l'Empire pouvoit-
il attendre du règne d'un parricide ? On craignoit
qu'une révolution qui vengeroit le crime, ne renversat
P'Empire. Mais n'étoit-il pas bien plus sûr encore que
Néron le renverſeroit ?Hélas ! quel avantage Sénèque
tira- t-il pour lui- même , de cette lâcheté qui charge
ſa mémoire d'une accuſation fi grave ? Il fut plus
long-tems le témoin des fureurs du règne de fon
Élève , & il deſcenditdans le tombeau avec un poids
plus peſant de douleurs. Il ne fit qu'aſſurer à cemonftre
le tems de l'aſſaffiner lui-même , ſans éviter un
foulèvement & une vengeance que de tels forfaits
devoient rendre inévitables. Comparons Sénèque à
Papinien pour apprendre à le bien juger. Papinien
avoit été chargé par l'Empereur Sévère , de l'éducation
de ſes deux fils. Le poſte & les devoirs de Papinien
étoient exactement les mêmes que ceux de
Sénèque. L'un de ſes Élèves , Caracalla , a poignardé
fon frère dans le ſein même de leur mère Julie . Ce
monſtre déjà revêtu de tout le pouvoir d'un Empereur
, preffe Papinien de perfuader au Peuple que
Géta, ſon frère, étoit coupable , & a mérité la mort.
Accufer une victime innocente , répond Papinien , eft
un fecond parricide. Indigné de cette réſiſtance ,
l'Empereur le fait environner de ſes Soldats , qui
tiennent les haches levées. Si tu ne veux accufer
mon frère , lui dit-il , en lui préſentant la mort ,
justifie-moi du moins. Trouve des excuses à ce que
j'aifait.-Iln'est pas auſſi facile d'excufer un parricide
que de le commettre , répond Papinien ; & il
tombe ſous les haches ſuſpendues ſur la tête. Voilà
le courage de la vertu ! Sénèque n'en a eu que
l'amour. Par fon âme & par ſon caractère , il a
DE FRANCE
177
reſſemblé au commun des hommes ; & toute la
grâce qu'on peut je crois lui faire , c'eſt de lui appliquer
ce vers de Deſpréaux :
Ami de la vertu plutôt que vertueux,
Venons , Mefſieurs , à l'hiſtoire de Sénèque , &
aux critiques que vous en avez faires. Vous reprochez
à cet Ouvrage de l'extafe , de l'obscurité ,
de grands mouvemens , une marche heurtée , des
apostrophes , &c. &c. &c. &c. &c. Pour l'obſcu
rité , il vous ſeroit difficile , je crois , de tirer de
tout l'Ouvrage une ſcule phrafe dont l'intelligence
ne ſoit très facile ; mais vous vous êtes ſouvenus ,
apparemment que l'interprétation de la nature
n'étoit pas très- claire , & par une manière de juger ,
qui n'eſt que trop commune , vous avez pris votre
parti de trouver le même défaut dans tous les Ouvrages
du même Auteur. On a ſouvent reproché
à M. de Voltaire d'avoir mis de l'eſprit dans ſes
Tragédies les plus ſublimes & les plus pathétiques
, uniquement parce qu'il en avoit beaucoup
mis dans Zadig & dans Candide. Vous avez été
furpris , je le vois , Meſſieurs , de voir les grands
mouvemens de l'éloquence dans un Ouvrage où
vous ne vous attendiez à trouver que les récits tranquilles
de l'Histoire ; mais pourquoi croiriez - vous
qu'il y ait des mouvemens trop vifs & trop variés
pour un Hiſtorien ? Si la ſenſibilité qu'il a reçue
de la nature le rend acteur dans toutes les ſcènes
qu'il décrit ; pourquoi ne voulez-vous pas qu'il mette
dans ſon ſtyle les impreffions & les mouvemens
qu'il reçoit auſſi des choſes & des hommes dont
il parle? Vous m'oppoſerez les règles reçues ;
je vous oppoſe celles qui naiſſent de la nature
des chofes , & qu'il faudroit auſſi recevoir. Défendrez
vous à un Hiftorien de frémir à l'afpect
d'un Tyran , de s'élancer , pour ainſi dire ,
Hv
178 MERCURE
afin de lui arracher les poignards dont il le voit
armé , ou pour parer les coups qu'il lui voit porter
fur l'innocence ? Si la préſence d'un Prince
vertacux , ou d'un bon Citoyen , ou d'un grand
Homme , fait naître dans ſon ame ce ſentiment
vifde reconnoiſſance qui mène à l'attendriſſement,
lui défendrez-vous de s'attendrir ? Pourquoi ne lui
feroit-il pas permis de tomber aux pieds des bienfaiteurs
du genre humain ? Tacite & Tite-Live
n'ont point fait cela; il est vrai. Ils n'ont point
mis ces mouvemens , ces tranſports de haine ou
d'amour dans leurs récits ; ils avoient dans leurs
hiſtoires des perſonnages auxquels , fans choquer
la vraiſemblance , ils peuvoient prêter leurs fentimens
& leurs penſées. Tacite n'a pas beſoin de
s'indigner lui-même contre cette tyrannie profonde
qui puniſſoit les panégyriſtes des verrus antiques;
il mettra fon indignation dans la bouche de
Cremutius Cordus , accuſé d'avoir bien écrit des
vengeurs de la liberté Romaine. Il n'a pas beſoin
d'exprimer lui-même les ſentimens qui doivent
diriger un grand Empereur dans le choix de
celui qui doit le remplacer ſur le trône de l'Empire.
Galba choiſit Piſon pour fon fucceffeur , &
Tacite mettra tous ſes ſentimens dans la bouche
du vertueux Galba. Ces diſcours , que les eſprits
froids ont tant reprochés aux Hiſtoriens de l'antiquité,
font la plus grande beauté & le plus grand
intérêt de leurs ouvrages. Nos Daniel & nos Velli
n'ont rien de ſemblable ; mais qui peut lire nos
Velli & nos Daniel ? Si on faisoit parler nos héros
modernes avec tant de fageſſle & d'éloquence , on
choqueroit trop ce que l'hiſtoire nous apprend de leur
ignorance , & de la barbarie de leurs eſprits. Nous
'n'avons point eu de ces hommes qui ontété à la fois
les ſeconds des Orateurs& les premiers des Géné
DE FRANCE. 17
raux , dans des pays où la double ambition de
la gloire des armes & de l'éloquence , faiſoit naître
tant de Généraux & d'Orateurs. Il faut donc que
nos Hiſtoriens aient de l'éloquence eux - mêmes
puiſqu'ils ne peuvent en prêter à leurs perſonnages ;
il faut qu'à force d'art & de talent , ils trouvent
le moyen de fondre naturellement dans le
cours de leurs récits , ces mouvemens , ces tableaux
de l'éloquence , qui , ſeuls , peuvent tenir l'âme &
l'imagination attachées aux longues Hiſtoires des
hommes & des peuples qui ne ſont plus. Il ſera
toujours impoſſible de lire un volume de Gazettes .
Nos Hiſtoriens feront donc toujours ſans lecteurs,
jamais ils ne nous feront apprendre la vie même
de nos pères , que lorſqu'ils mêleront dans leurs
récits une partie au moins de ces ſcènes dramatiques
que les anciens Hiſtoriens ont faitjouer
à leurs perſonnages. On dira qu'il eſt difficile de
réunir la fimplicité de la narration , avec les grandes
beautés de l'éloquence ; mais il étoit difficile
auſſi de réunir la préciſion des récits d'une apologue
avec tout le charme ou toute la magnificence de
la plus haute poëfie ; & cela n'a point été impoffible
à La Fontaine. C'eſt ce qu'a fait l'Auteur
de la vie de Sénèque , quoiqu'il pût ſe borner à
la méthode des Anciens, parce que ſon ſujer le
tranſportoit dans les moeurs antiques , & parmi des
hommes qui parloient comme il écrit.
Vous trouvez les mouvemens de ſon éloquence
heurtés. Ceci est autre choſe; mais ce reproche me
femble bien vague & bien difficile à vérifier. Je
vous épargnerai les embarras & les obſcurités d'une
définition:je ne vous demanderez point ce que vous
appelez des mouvemens heurtés. Je conçois , par
exemple , qu'on peut metre deux mouvemens, dont
l'expreffion est brufque & ſe choque , dans le mê
Hvj
180 MERCURE
me eſpace qui étoit néceffaire pour bien déployer
l'un de ces mouvemens. Alors vous les appellerez,
puiſque vous le voulez , des mouvemens heurtés ;
mais vous me permettrez de vous obſerver , Meffieurs
, que ce défaut eſt toujours relatif au degré
de ſenſibilité qu'un ouvrage trouve dans l'âme de
ſes Lecteurs. Mettez deux hommes devant le même
tableau de la nature , des arts ou de la ſociété.
Dans un inſtant déterminé , l'un de ces deux hommes
peut recevoir cinq ou fix impreſſions très- vives
& très- différentes , tandis que l'autre n'éprouvera
qu'une ſeule impreffion , & une impreſſion froide
&lente. Faites rendre compte à ces deux hommes
de leurs ſenſations. Le premier qui mettra
dans les mouvemens de ſes geſtes & de ſa parole
, la rapidité , la multitude de ſes imprefſions
, paroîtra néceſſairement , au ſecond , une
eſpèce de fou qui exagère ce qu'il a fenti , ou
qui a eu des ſenſations convulfives. Le ſecond mettra
dans ſon ſtyle le repos de fon âme , & pourra
paroître au premier une eſpèce d'automate fans
mouvement & fans vie. Chacun de ces deux hommes
paroîtra naturel & de bon goût aux hommes
qui leur reffemblent , & leurs ouvrages , s'ils en
ont fait , partageront les Lecteurs & les Au--
teurs, en deux claffes , dont chacune aura fa poëtique
, ſon bon goût & ſes modèles. Cette obſer--
vation n'eſt peut- être pas très-neuve; mais je ne
fais pourquoi on a toujours beſoin de l'oppoſer
apreſque toutes les Critiques. L'eſſentiel eſt d'avoir
des mouvemens vrais qu'ils paroiſſent trop vifs
&en trop grand nombre à une certaine claſſe de
Lecteurs , cela importe peu fans doute ; ils trouveront
toujours des âmes prêtes à les recevoir avec
plaifir, & à les ſuivre toujours par leurs propres
mouvemens. Ils vous eat fatigué. Je les ai trouvés;
1
DE FRANCE. 181
1.
un peu trop vifs auſſi, peut-être,mais ils m'ont agréablement
agité , & ils m'ont porté plus rapidement
d'un bout à l'autre de l'ouvrage.
J'aurois trouvé les mouvemens du ſiyle de la
vie de Sénèque vrais & naturels , je les aurois fuivis
tous avec confiance , quand même je n'aurois
jamais vu l'Auteur de cet Ouvrage ; mais en le
liſant , je me rappelois toujours cette converſation
dans laquelle nous avions tant parlé l'un & l'autre,
& je le ſuivois avec bien moins d'inquiétude encore
, je me livrois à lui avec bien plus d'abandon.
Vous avez voulu paroître , il est vrai , rendre
quelque juſtice à cet Ouvrage ; mais que cette juftice
eſt froide & bornée , auprès de vos critiques ,
qui ſont ſi vives & fi étendues ! Où avez-vous vu
des tableaux hiſtoriques plus beaux que le tableau
du règne de Claude ? Ce Prince montre d'abord
toutes les vertus& tous les talens. On n'entend qu'une
voix de bénédiction dans tout l'Empire. Au milieu
de cette félicité générale , l'Auteur vous fait
découvrir dans le Prince qui la produit , un ſeul défaut
de caractère né d'une éducation négligée. Ce
défaut ne paroît rien au premier coup-d'oeil ; lorfque
Claude eft monté ſur le trône , il s'étend ,
s'accroît , couvre bientôt toutes ſes vertus , les
étouffe toutes ; & Claude finit par laiffer commettre
à ſes Miniſtres tous les crimes qu'il n'a pas
la force de commettre lui -même. Quel tableau !
Il eſt digne de Tacite. N'avez-vous pas été touchés
,dans tout le cours de l'Ouvrage, de cettebonnefoi
, de cette candeur d'un Ecrivain qui tient pour
ainſi dire lamain ſur ſa confcience au moment qu'il
juge les foibleffes & les vertus des hommes? Combien
cette franchiſe, cetaveutacite des défordres de ſon imagination
& de ſon âme , eſt préférable à cette
attitude forcée d'une inébranlable vertu , qu'il eſt
182 MERCURE
1
fi facile de prendre dans les Ouvrages ! A votre
place , Meffieurs , je me ferois plû à m'étendre ſur
l'expreſſion de toutes ces beautés , de tout cet intérêt.
Vous traitez les écrits de Sénèque avec autant
de rigueur que fon Hiftorien : il s'agit bien de ſes
défauts , que tout le monde a relevés , que perfonne
n'a tenté de justifier. Le mot de Quintilien ,
abundans dulcibus vitiis , eſt dans la bouche de tous
les Écoliers. On a dit mille fois qu'il tourne trop
fouvent autour de la même idée. Il s'agit aujourd'hui
de faire connoître fes beautés , dont on éloigne
les jeunes gens en exagérant les défauts qui
les déparent. Vous , par exemple , Meffieurs , parce
que ce ſtoïcien a parlé quelquefois de la vertu avec
despoins , vous ſemblez conclure que le ſentiment
de la vertu n'étoit pas dans ſon âme. Ah ! Meffieurs
, combien il faut ſe défier de ces arrêts
tranchans & abfolus ! Corneille, en voulantpeindre
la grandeur d'âme des Romains , n'a été ſouvent
auſſi qu'un déclamateur. Racine , qui a fi bien
connu les tons & les accens de l'âme , a mêlé quelquefois
le faux bel - eſpritau langage des paflions:
Eh bien ! direz-vous que le génie de Corneille
n'étoit pas fait pour peindre de grandes âmes , &
que Racine ne connoiffoit pas bien les âmes tendres
&paffionnées ? Je ne lis pas ſouvent Sénèque
; je lui préfère des Auteurs où il y a peut- être
moins de beautés ; mais quand je le lis , je vois
& je ſens qu'il a bien plus ſouvent encore parlé
de la vertu en homme qui en connoiffoit la dignité
& la douceur.
Le jugement de Montaigne , Meſſieurs , ne vous 2
rien fait du tout, &vous paroiſſez faire entendre que
Montaigne n'a jamais paffé pour avoir du goût : em
revanche, vous vous appuyez avec une extreme con
fiance für l'autorité de M. l'Abbé d'Oliver, que vous
DE FRANCE. 183
fuppoſez ſans doute avoir été doué d'un goût exquis.
Avez-vous lu le chapitre des Livres, Meflieurs , dans
Montaigne ? On affure que la perfection du goût eft
toujours le fruit d'une longue culture des Lettres. A
peine, cependant on commençoit à les cultiver lorfque
Montaigne écrivoit dans ſon château de Muffidan.
Eh bien ! Meſſieurs , comparons les jugemens
que portoit alors ſon goût , avec ceux que prononcent
aujourd'hui les Ecrivains auxquels on refuſe le
moins ce tact heureux de l'ame . Ma Lettre s'allongé
encore ; mais ceci peut être curieux. Je ne rapporterai
point les traits par leſquels il diftingue les beautés
qui élèvent Virgile au- deſſus de Lucain&de Lucrèce.
On croiroit que c'eſt dans ce chapitre qu'on a pris.
tout ce qu'on a dit dans ces derniers temps , fur cette
queſtion littéraire. Mais en parlant des Auteurs Comiques
de ſon temps , qui prenoient pluſieurs Comédies
de Térence & de Plaute pour n'en faire qu'une
fcule , voyez comment il voit que ce ce qui les fait
>> ainfi charger de matière , c'eſt la défiance qu'ils
>> ont de ſe pouvoir foutenir de leurs propres grâces..
ود Il faut qu'ils trouvent un corps où s'appuyer , &
>> n'ayant pas du leur de quoi nous arrêter , ils veu-
3כ lent que le Conte nous amuſe ». A-t-on mieux
dit de nos jours , lorſqu'on a parlé du mérite de la
fimplicité d'action dans les Drames ? Depuis lorgtemps
on répète beaucoup , d'après M. de Voltaire ,
que c'eſt le foin & la perfection des détails qui fait
vivre les Ouvrages. Montaigne l'avoit dit près de
deux fiècles avant M. de Voltaire ; & cette vérité de
goût , il me paroît l'exprimer d'une manière charmante.
« Il en va de mon Auteur ( Térence ) tout
>> au contraire : les perfections & beautés de fa façon
ود de dire , nous font perdre l'appétit de ſon ſujer..
>> Sa gentilleffe & fa mignardiſe , nous retiennent
>> par-tout. Il eſt par-tout fi plaiſant , & nous rem
184 MERCURE
>> plit tant l'ame de ſes grâces , que nous oublions
celles de fa Fable ». ככ
Dans ſon ſiècle , beaucoup de Gens préféroient
le Roland Furieux à l'Enéide. Racine & Boileau
n'auroient pas mieux vu que Montaigne pourquoi
& combien l'Arioſte eſt au-deſſus de Virgile. « Ce-
>>>lui-ci , on le voit aller à tire- d'aîle , d'un vol
>> haut & ferme, ſuivant toujours ſa pointe; celui-
>> la voleter & fauteler de Conte en Conte , comme
>> de branche en branche , ne ſe fiant à ſes aîles
>> que pour une bien courte traverſe >> .
Il falloit bien qu'un goût sûr le dirigeât dans ſes
jugemens ; car aimant , non pas par goût , mais par
commodité, àfauteler & voleter dans ſa Philoſophie,
fon propre intérêt pouvoit féduire aifément
fon goût. Il a montré toujours le même défintéreſſement
dans toutes ſes opinions. Perſonne n'a eu plus
que lui de cette pénétration d'eſprit qui naît peutêtre
de la force , mais qui dégénére trop ſouvent en
fubtile fineffe. Il devoit préférer naturellement les
eſprits de la même trempe , à ces eſprits moins ingenieux
& moins forts , mais plus délicats & plus
naturels , qui ne font que prêter les embelliſſemens
d'un ſtyle heureux , aux idées & aux ſentimens de
preſque tous les hommes. Mais c'eſt à ces derniers
que le goût de Montaigne donne la préférence. Il
admire bien plus , fans comparaiſon , « l'égale po-
לכ liffure & cette perpétuelle douceur de beauté
>> fleuriſſante des Epigrammes de Catulle , que tous
>> les aiguillons de quoi Martial aiguiſe la pointe
<<< des fiens . יכ
Son goût pour les chofes fortement penſées , &
qui portent la première décharge au plus vif, ne
hui fait point aimer ces tours de force , ces fauts
périlleux , qu'on a pris fouvent pour de l'énergie.
e. Et les Dames ont meilleur marché de leur conDE
FRANC L185
>> tenance aux danſes où il y a diverſes découpures
>> & agitations de corps , qu'en certaines autres
>> danſes de parade , où elles n'ont ſimplement qu'à
>> marcher un pas naturel , & repréſerter un port
*>> naïf& plein de grâce ». Croyez-vous , Melfieurs,
que ces jugemens , & fur-tout le ſentiment qui fe
montre dans le ſtyle qui les exprime , ſoient d'un
homme qu'on ne puiſſe citer en matière de goût ?
Montaigne ſe garde bien même de comparer Sénèque
àCicéron comme Ecrivain. A cet égard , il a porté
l'admiration pour l'Orateur Romain, juſqu'à affurer
que jamais perſonne ne pourra l'égaler en éloquence.
Si vous cherchez le goût de Montaigne dans ſa
manière d'écrire , il vous fera , je crois , tout auſſi
difficile de prouver qu'il en manque. Il a écrit ſans
méthode; mais ce qu'on appelle proprement le goût ,
paroît bien plus dans les détails que dans l'enſemble
& la diftribution des parties d'un Ouvrage. On le
reconnoît ſouvent au choix d'une expreffion , bien
plus qu'à la combinaiſon d'un plan. Montaigne n'a
point de méthode, parce qu'il n'a pas voulu ſe donner
la peine d'en avoir ; car c'eſt-là précisément la ſeule
choſe qu'on ſe donne avec de fa peine. C'eſt dans
Pexpreffion des ſentimens fur-tout que nous pou
vonsbienjuger le goûtd'un Ecrivain. Nous ſommes
bienplus sûrs de nos fentimens que de nos idées , &
notre coeur juge tout de ſuite avec certitude ſi un
Auteur exagère ou affoiblit ce qu'il a ſenti. Montaigne
vous paroît- il avoir manqué de goût , lorfqu'il
a parlé de l'amitié ? Avec quelle délicateſſe à
la fois & quelle énergie il a peint ce ſentiment ! Plus
d'une fois on croit entendre La Fontaine .
Et cependant, Meſſieurs , au moment même que
vous rejetez , avec aſſez de mépris , l'autorité du
jugement de Montaigne , vous vous appuyez ſur
Fautorité de M. l'Abbé d'Olivet. Ah ! je fais bien que
186 MERCURE
::
cet Abbé , pour avoir beaucoup parlé de Cicéron ,
a trouvé le moyen de perfuader qu'il étoit de l'antique
fouche des foutiens du vrai & du beau ; je fais
bien qu'il a paflé pour un de ces défenſeurs inébranlables
des bons principes , que Dieu ſuſcite quelquefois
pour le maintien du goût, toujours expoſé
aux menaces de l'eſprit & du génie ; malheureuſement
il a traduit quelque choſe de Cicéron , & l'on
a bien vu combien ſon admiration devoit être
fincère & ſentie. Sa froide & sèche proſe Françoiſe
abien laiſſé voir combien il devoit être échauffé
& touché par les beautés ſublimes de fon modèle.
C'eſt pourrant cet homme , ce ſont les hommes de
cette eſpèce , qui , toujours bornés avec opiniâtreté
àcebon ſens monotone qui n'a jamais beſoin de
varier ſes impreſſions , & d'aggrandir ou d'approfondir
ſes idées, rejetteroient avec mépris un Roman
tel queMarianne, par exemple , comme la production
laplusdangereuſe de cet eſprit ennemi du bongoût,&
l'Emile ou le Roman fublime de l'Héloïſe , comme
les exemples les plus audacieux de ce ſtyle violent ,
où l'on porte les idées & les ſentimens à l'extrême.
Ils ſemblent prendre , à la lettre dans les matières de
goût, ce que Montaigne diſoit , peut-être en plaifantant,
pour la morale. Ilfaut nous abeftir pour nous
affagir. C'eſt cette eſpèce de goût qui a long-temps
fait rejeter Tacite du nombre des bons livres claffiques.
Il en a impoſé ſouvent à des hommes bien
au-deſſus de ſes règles étroites & pédanteſques. Dans
le fiècle dernier , le Père Rapin , qui a fi bien parlé
des grands Hommes de l'antiquité , a reproché à
Tacite une affectation deprofondeurdans ſes penſées,
& une affectation d'énergie dans ſon ſtyle. Il ne l'a
pas jugé digne d'entrer en comparaiſon avec Thucidide
&Tite -Live. C'eſt peut- être à Racine , c'eſt
à la Tragédie de Britannicus que Tacite doit en
DE FRANCE. 187
grande partie la justice qu'on lui rend aujourd'hui ,
&le rétabliſſement de ſa gloire.
Je voudrois , Meſſieurs , vous remercier de ce que
vous avez dit du Citoyen de Genève. On l'a attaqué
ſans donner aucune preuve des inculpations affreuſes
qu'on lui a faites : on a bien plus de droits de
le défendre , ſans être en état de fournir les preuves
de fon innocence &de ſa vertu. Tout mon coeur
me porte à croire qu'il avoit dans l'ame les ſentimens
qu'il a mis dans ſes écrits. Il me feroit affreux
de penſer qu'il ait été donné à l'homme de feindre
à ce point. Mais je le vois accufé par des hommes
qui ont vécu long-temps avec lui ; qui ont été ſes
amis, ſes ſoutiens , fes admirateurs. Je fufpends
mon jugement , & je crois que tout homme qui
veut être juſte , doit ſuſpendre le fien. Le talent
peut être envieux du talent ; & fi je voyois ici des
Ecrivains , des Philoſophes même attaquer la gloire
de fes écrits , je me livrerois aux ſoupçons qui s'éleveroient
dans mon eſprit. Mais tous ceux, ou prefque
tous ceux qui l'accuſent, admirent ſes Ouvrages ,
comme ceux qui le défendent. La vertu au contraire
n'eſt pas jalouſe de la vertu ; & c'eſt ici des
hommes de bien , des hommes jouiffant de la conſidération
publique , qui accuſent la mémoire de
Rouffeau de vices , qui devroient la fléttir, Le caractère
des Accuſateurs donne donc le plus grand
poids à l'accuſation; & il n'est pas permis ici de
juger fur des préſomptions : il faut des preuves. Il
me ſemble qu'il importe extrêmement que la mémoire
de Rouſſeau ſoit jugée au moment même
qu'elle paſſe à l'immortalité; le temps qui éclaircit
quelquefois les choſes , les enveloppe bien plus ſouvent
encore de ténèbres . Au bout d'un demi-fiècle ,
il ſeroit peut- être impoſſible de ſavoir jamais ce qui
en a été ; & l'on ſeroit toujours condamné à douter
fi le Peintre le plus éloquent de la vertu , a éré un
188 MERCURE
homme vertueux. Je l'ai vu pleurer preſque luf
même de la ſeule idée que ſes Ouvrages ne pour
roient jamais produire aucun bien, parce que ſes ennemis
étoient parvenus , diſoit-il , à faire croire que
Jeur Auteur a été un mal-honnête homme. Qu'ils
élèvent donc la voix , mais plus fortement encore;
qu'ils expoſent ſur-tout aux yeux du Public , toutes
les preuves de leurs accuſations *. C'eſt un procès
*Juſqu'à préſent onn'a mis ſous les yeux du Public
que le récit& les preuves juſtificatives de ſa querelle avec
M. Hume. Je crois que M Hume n'a voulu lui faire &
ne lui a fait que du bien ; & cependant Roufſeau l'a accuſé
d'être à la tête d'un complot affreux tramé contre
lui à Paris. Rouſſeau étoit-il donc un ingrat& un calomniateur
? Il me ſemble qu'il ſuffit de lire l'expoſé dễ
cette querelle , poury voir à chaque ligné des Lettres de
Rouffeau , une ame toujours au déſeſpoir de ne pouvoir
felivrer aux mouvemens de fa reconnoiffance . Unhomme
en proie à des ſoupçons qui naiffoient d'une imagination
dès long-temps effarouchée , & qui avoit le malheur
de ſe fervir enfuite de toute la force de ſon génie ;
pour combiner profondément les ſoupçons les plus ab
furdes. On l'accuſe d'avoir été un ingrat; & cela pour
avoir dit qu'il n'aimoit pas ceux qui vouloient lui faire
du bien , pour avoir rejeté bruſquement des bienfaits.
Uningrat ne dit point qu'il n'aime pas les bienfaiteurs :
il dit qu'il les aime , qu'il les adore, Il ſe, fait jour dans
les coeurs & dans les bourſes , par des promeſſes magnifiques
de reconnoiffance ; & lorſqu'il a reçu tout , il
oublie tout , cu bien il fait encore quelques fingeries de
ſenſibilité qui ne lui coûtent aucune peine. Certes , ces
hommes font rares , qui avertiſſent tout ce qui les approche
des vertus qui leur manquent , & des vices dont ils
peuvent être coupables. A Dieu ne plaiſe que je fois
tenté de croire qu'il n'y ait pas des hommes dont il foit
DE FRANCE. 189
qu'il faut inſtruire ſur la tombe de ce grand homme,
au moment quême qu'il vientd'y deſcendre. Je ne ſais,
mais il me ſemble que tous les hommes de Lettres
doivent apporter dans l'examen de cette cauſe un
reſpect bien religieux de la vérité , & des foins bien
attentifs pour la reconnoître : il me ſemble qu'il ne
devroit pas être bien difficile ici de faire taire toutes
les paffions , & de forcer également au filence le
reffentiment& l'enthouſiaſme. Peut- être que la Philoſophie
de ce ſiècle ſera beaucoup jugée elle-même ,
par la manière dont elle inſtruira ce procès , & par
l'arrêt qu'elle prononcera. Ce jugement me paroît
bien auſſi auguſte & auſſi important que celui des
Rois de l'ancienne Egypte.
Avant de finir cette Lettre, que je trouve sû
douxde recevoir des bienfaits ; mais j'en atteſte ici les
ames les plus reconnoiſſantes qui ont été forcées d'en
recevoir , combien de fois n'ont-elles pas futpris un
coup -d'oeil , un accent , un accueil , qui leur ont fait
fouffrir des tourmens cent fois pires que les beſoins qu'on
leur a épargnés ? Je ne conçois pas de ſituation plus
✔cruelle au monde que celle d'un homme ſenſible & délicat
, qui ſe trouve preſſé entre la reconnoiſſance qu'il
doit & l'indignation , le foulèvement qu'excitent dans
fon ame ces tyrannies preſqu'imperceptibles des bienfaiteurs
, qui ne donnent pas même le droit de s'en
plaindre. En un mot , celui qui oblige acquiert une
forte d'empire fur celui qui reçoit des bienfaits ; mais
cette eſpèce de pouvoir eſt comme tous les autres pouvoirs
: il remplit trop ſouvent d'orgueil & de hauteur celui
qui l'exerce ; & c'eſt ce qui fait que les hommes dignes
d'être des bienfaiteurs , font auſſi rares que les hommes
dignes de régner. On peut donc avoir encore quelques
vertus , & ſe refuſer à ſubir le joug des bienfaits ; je ne
diftingue guères ce ſentiment d'un amour extrême de la
Jiberté.
190 MERCURE
rement aufli longue que vous , Meſſieurs , je veur
vous rapporter le jugement que Rouſſeau lui-même
avoit coutume de porter ſur le Philoſophe , qui , le
premier , a élevé la voix contre ſa mémoire. Ses
formes, diſoit-il , ont étonné ce ſiècle, qui en a d'autres
, & c'eft ce qui lui a fait autant de détracteurs
que d'admirateurs. Mais chaque ſiècle change de
formes , & les hommes ne changent point de raifon.
Au boutde quelques ſiècles , les formes qui ſe ſont
détruites les unes par les autres , ſont comptées pour
très-peu de choſe , &l'on ne fait entrer dans les jugemens
que les idées dont les Aureurs ont enrichi l'eſprit
humain. Lorſqu'il ſera à cette diſtance , du moment
où il a vécu , cet homme paroîtra un homine prodigieux.
On regardera de loin cette tête universelle,
avec une admiration mêlée d'étonnement , comme
nous regardons aujourd'hui la tête des Platon & des
Ariftote.
1
J'ai l'honneur d'être , Meſſieurs , &c.
GARAT.
1
COURS PUBLIC.
M.MARCADE , Interprête de Langues , & Maître
d'Eloquence Françoiſe , commencera , le 25 de ce
mois , à 9 heures du matin , ſon Cours de Langue
Grecque , dans lequel il donnera des differtations &
des notions préliminaires ſur les Langues Samaritaine
,Hébraïque, Syriaque , Chaldaïque , Arabe, &c.
Il continuera ce Cours les Mardi , Jeudi & Samedi
à la même heure , & n'y admettra que des perſonnes
raiſonnables. Il les prie de vouloir bien s'inferire
d'avance. On trouvera chez lui du monde à toute
heure , rue Saint-André-des-Arcs , la porte-cochère
en face de la rue Gît-le-Coeur.
DEFRANCE.
191
P
MUSIQUE.
REMIER Recueil, contenant lesAriettes desTrois
Fermiers & autres , avec accompagnement de harpe,
par M. Corbelin , Elève de M. Patouart fils,, poar
ſervir de ſuite à ſa méthode de harpe , dédié à Madame
D***. Prix , 6 liv. A Paris, chez l'Auteur ,
place Saint-Michel , maiſon du Chandelier ; au Cabinet
Littéraire , pont Notre-Dame , & aux adreſſes
ordinaires de Muſique.
Nota. On trouve chez M. Corbelin , dont nous
avons annoncé la méthode de harpe ,dans le Mercure
de France dus Janvier , des Diapazons qu'il a fait
faire exprès pour accorder la harpe. Prix , 9 liv.
Six Sonates pour la Harpe , dédiées à Mad. la
Marquiſe de la Guiche , par Hochbrucker neveu ,
OEuvre Ier. Chez l'Auteur , rue Saint-Denis , vis-àvis
la rue de la Féronnerie ,& aux adreſſes ordinaires.
Prix , 7 liv. 4 fols.
Trois Sonates pour le Clavecin, par M. Edelmann
, OEuvre VIII. Chez l'Auteur , rue du Temple,
&aux adreſſes ordinaires. Prix , 7 liv. 4 ſols.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
PISS
ISSOT , Libraire , vient de mettre ſous preſſe un
Ouvrage intitulé de l'Origine ou des Progrès , & de
Pétat actueldes Gouvernemens du Nord , ou Hiſtoire
de laHollande , du Danemarck , de la Suéde ; de la
192 MERCURE
Ruffie & de la Pologne , juſqu'en 1777 , traduite de
l'Anglois de M. Williams .
Ontrouve aufſi chez lui , l'Histoire de l'Amérique ,
par M. Robertſon , traduite de l'Anglois , 4 vol.
in - 12 , 3 vol . in- 8 ° . & 2 vol . in-4 ° . avec cartes .
Catalogue des Livres Anglois quise trouvent chex
lemême Libraire , quai des Auguſtins.
Antonii de Haen , Confiliarii & Archiatri S. C.
R. A. Majeftatis necnon Medicina in Univerfitate
Viennenfi Profefforis Primarii , Ratio medendi in
Nofocomio Practico , Tomi octavi pars fecunda ,
partem XV complectens. Accedunt ejufdem auctoris
Epistola de cicuta , necnon Tractatus de Magia. I
vol. in- 12 . A Paris , chez P. Fr. Didot le jeune ,
Quai des Angustins , 1778. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Prix , 3 liv. relié.
Ejufdem Auctoris Ratio medendi Tomus decimus
fextus Tomumfecundum rationis medendi continuata
in Nofocomio Practico. Accedit ejusdem Tractatus de
Miraculis. 1 vol. in- 12. A Paris , chez P. Fr. Didot
le jeune , Quai des Auguſtins , 1778. Avec Approbation
& Privilége du Roi. Prix , 3 liv. relié.
On vend ſéparément les deux Traités de Magia &
deMiraculis , en un vol. in- 12 . 3 liv. relié.
Le Bureau général d'abonnement de l'Histoire
Univerſelle des Théâtres , eft chez les Auteurs , rue
Ticquetonne , la deuxième porte- cochère en entranr
par la rueMontmartre , y demander M. Testu, chargé
de leurs Correſpondances. C'eſt à lui que les Soufcripteurs
de Province adreſſferont leurs lettres & leur
argent , franc de port.
Le Prix de la Souſcription eſt de 30 liv. par an
pour Paris , & de 36 liv. pour la Province.
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 15 Décembre..
Tous les Miniftres étrangers ſe ſont rendus
fucceſſivement chez le Grand - Vifir pour le
complimenter fur fon élévation. On ſe flatte
toujours ici que les bons offices de la France
parviendront à rétablir la paix entre la Ruſſie &
la Porte. Celle-ci a déja fait un grandpas, en laiffant
aux vaiſſeaux Rufles détenus ſi long-tems ,
la liberté de continuer leur voyage , & en rappellant
les députés tartares exilés ; elle défire
que l'on engage maintenant l'Impératrice de
Ruſſie à retirer à fon tour ſes troupes de la Crimée.
En attendant l'effet de cette nouvelle
négociation , pour laquelle elle a envoyé dans
cette péninſule des perfonnes habiles & de confiance,
elle continue ſes préparatifs de guerre ;
fon intention paroit être de maintenir ſurunmeil.
leur pied que par le paſſe , ſa marine négligée
fi long-tems , & qu'elle n'a rétablie qu'avec
lenteur. On répare tous les vaiſſeaux & toutes
les frégates de guerre ; on approviſionne les
arfenaux , & le Capitan-Bacha , a traité avec
pluſieurs Négocians étrangers qui doivent livrer
inceſſamment une quantité de poudre à
canon.
15 Février 1779 . I
-
( 194 )
Le bruit ſe répand que les Arabes fe font
emparés de la ville de Baſſora , qui étoit ſous la
domination Perſanne depuis les différends furvenus
entre cet Empire & Kerim-Chan . Comme
cette nouvelle n'eſt pas arrivée directement
ici , où le Bacha d'Alep l'a fait paffer , on en
attend la confirmation qui ne ſauroit tarder.
Deux des Sultanes font de nouveau enceintes ;
on fait des voeux pour qu'elles nous donnent
des Princes. La famille Impériale ne confifte
plus que dans le Sultan régnant , fon fils , & un
fils du feu Sultan Mustapha. C'eſt ce dernier
qui eſt l'héritier préſomptif du trône.
La peſte dont on ne parloit plus depuis quelque
tems , n'eſt pas encore diffipée ; elle n'a fait
que fufpendre ſes ravages. Pluſieurs perſonnes
en font mortes dans différens quartiers de cette
capitale. On attend avec impatience le froid
& la neige , qui ſeuls peuvent purger l'air des
vapeurs contagieuſes qui l'infectent.
DANEMARCK,
De COPENHAGUE , le 10 Janvier.
En conféquence de la réſolution prife par
cette Cour , de concert avec la Ruifie & la
Suède , de protéger la liberté de la navigation
dans la Baltique , contre les Puiſſances qui vou
droient entreprendre de la gêner , on travaille
ici à l'armement d'une eſcadre de dix vaiſſeaux
de ligne , & de 6 frégates ; elle fera commandée
par le Vice-Amiral Fontenay. Les vaiſſeaux
de ligne , font la Princeffe Sophie-Frédérique ,
de74 canons, la Jutlande , le Prince Frédéric
&l'Eléphant de 70, la Wagrie ,l'Indford-Retten
de64 , leHolstein, leDanebrogde 60, l'Ebenezer
& la Groenlande de so , dont les capitaines font
MM. Kriegher, Kaas , Krog , Krog,Lons, U C. Kaas ,
Schionnebole , de Winterfeldt , Bording&
( 195 )
Gerner. Les frégates , la Bornholm & la Moen
de 36 canons , la Cronenbourg de 34 , l'Alfen
de 30 , & la Ferroë de 20 , ſont conmmandées
par MM. Budde , Vlengel , Akkeleyë , Schionning
, Ziervogel & Thaa .
Les vaiſſeaux qui ont paſſé le Sund pendant
le cours de l'année dernière , font au nombre
de 8452 , dont 2432 Hollandois , 2046 Anglois
, 1224 Danois , 1752 Suèdois , 480 Pruffiens
, 199 de Dantzick , 118 de Roſtock , 70
de Lubeck , 48 de Brême , 47 Ruſſes , 17 de
Hambourg , 12 Eſpagnols , 6 Portugais & I
François.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 10 Janvier.
LES fêtes publiques données à l'occaſion de
l'heureux accouchement de la Reine , ont donné
lieu à quelques accidens fâcheux , qui n'arrivent
que trop ſouvent dans ces circonstances ; la
bourgeoifie donna , comme nous l'avons dit ,
le 30 du mois dernier , un feftin au peuple
dans une grande ſalle conftruite ſur le grandmarché
du Nordermalm ; la foule s'y porta
comme on devoit s'y attendre ; tout le monde
ſe précipita pour entrer ; la confufion & la
preſſe furent fi grandes , que les Gardes ne
purent maintenir l'ordre , & 60 à 70 perſonnes
y furent étouffées ; il y en eut pluſieurs autres
bleſſées . Cet évènement fâcheux fit abréger
la durée de la fête , qui avoit été fixée à 24 heures
, & qui finit à minuit. Parmi ces triſtes victimes
de l'imprudence du peuple , on compte
beaucoup de femmes.
La Diète a fixé à 54 tonnes d'or , qui font900
mille rixdhalers argent de banque , la ſomme
totale des dons gratuits qu'elle a accordés , &
qui font répartis ainſi : 300 mille pour le préſent
12
( 196 )
:
de batême du Prince royal ; autant pour la caiſſe
particulière du Roi , 100,000 pour indemniferS.
M.des frais occafionnés par la tenue de laDiète,
le batême du jeune Prince , & le mariage du
Duc de Sudermanie. Autant pour la Reine dont
elle diſpoſera à fon gré , & une pareille fomme
pour ladot de Madame la Duchefſe de Sudermanie.
Les Etats ne s'en font pas tenus à cette libéralité
; ils ont confirmé & prolongé les dons
faits par les Diètes précédentes , ſans en limiter
le terme comme ils le faifoient auparavant.
Le Colonel Carlberg , Chevalier de l'Ordre
de l'Epée , mourut le 31 du mois dernier , à
Torp, près de Gothenbourg dans la 83e année
de fon âge. En 1718 , il fervoit en qualité de
Lieutenant-Ingénieur au fiége deFriderichshall.
Il étoit dans la tranchée lorſque Charles XII
reçut le coup qui termina ſacarrière ; & il fut
un de ceux qui aiderent à placer le corps de ce
Prince fur lebrancard.
POLOG.NE .
De VARSOVIE , le 10 Janvier.
Le Roi ſe diſpoſe à ſe rendre àKozienice, où
fon deffein eft de paſſer quelques jours ; une
partie de ſes équipages a déja pris le devant.
Le jour de fon départ n'eſt pas encore fixé; on
croit qu'il n'aura pas lieu avant le 14 de ce
mois , parce que le 12 il doit y avoir une affemblée
du Conſeil-Permanent , à laquelle il affiftera.
Ce Conſeil ſuſpendra ſes Séances pendant
l'abſence de S. M., parce que pluſieurs de
ſes membres doivent l'accompagner.
Les lettres de Lithuanie , portent que l'on a
effuyé dans ce Grand - Duché , des tempêtes
violentes, &que les campagnes ont été inondées
enpluſieurs endroits; ce dernier fléau qui
( 197 )
a fait beaucoup de dommages , a retardé la
marche des troupes Ruffes ; les gelées qui commencent
à ſe faire fentir , leur rendront vraifemblablement
bientôt les chemins praticables.
Un corps confidérable de ces troupes , venant
de Lithuanie , ſous les ordres du Général
Drewitz , doit paſſer à quelques milles de cette
Capitale.
Il eſt né ici l'année dernière 3351 garçons &
filles ; les mariages ont été au nombre de 882 ,
&il y a eu 3107 morts des deux ſexes .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le is Janvier.
Le départ de l'Empereur pour la Bohême ,
ſuſpendu juſqu'à préſent , ne fauroit plus être
éloigné; la plupart des Généraux qui doivent
l'accompagner ont déja pris les devants. Et
quoiqu'on s'occupe beaucoup de la paix , qu'on
P'annonce comme prochaine , les préparatifs
de guerre ſe continuent avec la même activité.
On lève un grand nombre de recrues ; on
fait venir des Pays-Bas un renfort conſidérable
qui conduira avec lui un gros train d'artillerie
; on tirera des hopitaux de cette Capitale
, 4000 invalides qu'on choiſira parmi ceux
qui font le plus en état de ſervir , & on les
employera dans les hopitaux militaires à la place
des jeunes gens qui en faifoient le ſervice , &
qui feront plus utiles dans les armées . Si la paix
ne fe conclut pas cet hiver , on affure que
nous aurons au printems prochain 300,000 hommes
prêts à agir en même-tems en Bohême ,
en Siléfie , en Pologne & en Bavière. On
prétend qu'outre ces quatre armées , on en
mettra une cinquieme d'obſervation à portée
de la Pologne pour s'oppofer à toutes les en-
/ 13
( 198)
trepriſes que la Ruffie pourroit former contre
la tranquillité de ce Royaume. On veut au
moins empêcher nos ennemis de tirer de ce
pays toutes les reſſources que juſqu'à préſent
il a été forcé de leur fournir. Les fonds néceſſaires
pour fubvenir aux dépenſes qu'entrainent
des armemens fi formidables font , dit-on ,
tout prêts , au moyen d'un capital confidérable
qu'on négocie en Hollande à 4 pour cent , &
d'un autre emprunt qu'on ſe propoſe de faire
ici .
Il a été adreſſé aux Fabricans & aux Manufacturiers
de cette ville , l'ordre de préparer
3000 pièces de gros draps , autant de croifet
mêlé , pareille quantité de pièces de toile ,
20,000 pièces de draps plus légers, 12,000
cuirs d'Eſpagne , & 3000 peaux de veaux , qui
doivent être livrées à l'armée pendant cette
année.
Le nombre des naiſſances dans le cours de
l'année dernière , a été de 7888 ; celui des
mariages , de 1635 , & celui des morts , de
10,955.
De HAMBOURG , le 20 Janvier.
TOUT continue de reſter tranquille ſur les
frontières de la Bohême & de la Saxe , où les
hoftilités ſont ſuſpendues de part & d'autre ,
Pan
depuis que la campagne eft finie. L'échange
des prifonniers Saxo- Pruffiens & Autrichiens ,
conclu à Sébaſtianſberg , ſera effectué du s
au 10 Février prochain ; & à l'avenir les prifonniers
refpectifs faits dans de nouvelles campagnes
, fi elles ont lieu , feront toujours échangés
les Janvier ſuivant. On eſt auſſi convenu
de remettre en liberté les ôtages enlevés ré
ciproquement dans divers endroits , à la charge
par eux de payer les ſommes & les contributions
exigées .
( 199 )
Les efforts des Impériaux pour chaffer les
Pruffiens de la Haute-Siléſie , &ceux que font
ces derniers pour s'y maintenir , prolongent les
opérations de guerre dans cette Province , où
il ſe paſſe fréquemment de nouvelles actions
qui tiennent continuellement les troupes en
mouvement , les privent du repos dont elles
auroient beſoin, & n'offrent rien de décifif. Le 9
de ce mois un détachement du corps du Lieutenant-
Général de Stutterheim , ſous les ordres
du Prince de Hohenlohe , envoyé pour chaſſer
les Autrichiens qui ſe montroient ſouvent entre
Jagerndorf & Holzenplotz , garniſſant de
leurs troupes les villages voiſins , les attaqua
à Pilgerſdorf derrière lequel ils s'étoient ré.
fugiés , & les força de ſe retirer. Le 11 ils
tentèrent de forcer les poftes des Impériaux ,
à Freyhernſdorf , à Mofnick , à Olberſtorf , à
Tropplowitz , à Taubnitz & Braunſdorf ; ces
différentes attaques faites le même jour , ont
caufé la mort de quelques hommes & l'incen
die de quelques maiſons ; les relations Autrichiennes
affurent qu'elles n'ont pas réuffi , &
que les Pruffiens ont perdu beaucoup de monde;
celles de ces derniers diminuent , felon l'ufage
, leurs pertes & exagèrent celles de l'ennemi.
Le 12 le Général Wunſch tenta de ſe
rendre maître du poſte de Zuckmantel , où il
y avoit quelques milliers des Croates ſous les
ordres du Général de Wurmſer qui , à l'approche
des Pruſſiens , gagna fans rendre de
combat une montagne voisine , où il fut impoſible
de l'attaquer.
Ces actions peu conſidérables en général ont
été ſuivies le 17 d'une autre expédition faite
par le Général de Wurmfer ; il s'approcha
d'Habelſchwerdt , ville du Comté de Glatz ,
où le régiment de Luck qui y étoit poſté , ſe
tenant peu ſur ſes gardes , a été totalement
14
( 200 )
détruit ; une partie en a été fabrée , l'autre a
été priſe & le reſte diſperſé. Le Prince dé
Heffe-Philipſthal eſt , dit-on , au nombre des
prifonniers. Les huflards de Schwad & de
Rofenbach , étant accourus pour fecourir le
régiment de Luck , ont fait des prodiges de
valeur , mais n'ont pu fauver ce régiment. M.
de Wurmfer avoit avec lui 3000 hommes , &
les payſans de la Bohême qu'il avoit pris pour
guides , l'avoient conduit par des chemins fi
détournés & fi peu praticables , qu'il furprit
les Pruffiens , & fe trouva maitre de la place
du marché avant qu'on pût fonner l'alarme.
Le foin avec lequel les Autrichiens ſe font
renforcés en Moravie , a déterminé le Roi de
Prufle à y faire paſſer 6 régimens de cuiraffiers ,
dragons &huffards qui étoient en Baſſe-Siléfie .
L'armée du Prince héréditaire de Brunfwick
eſt à préſent de plus de 40,000 hommes ; le
Roi a tout difpofé pour pouvoir s'y rendre luimême
en cas de befoin ; il y a des relais fur
toute la route; en attendant qu'il en faſſe ufage
, ils fervent à faciliter ſa correfpondance
avec le Prince de Brunswick dont il peut rea
cevoir des nouvelles pluſieurs fois dans un jour.
Au milieu de tous ces mouvemens hoftiles ,
on conferve toujours l'eſpérance d'une prompte
paix. Les Miniftres des Puiſſances médiatrices
font journellement en conférence avec le cabinet
Pruffien. Comme l'Impératrice Reine
dans ſa réponſe à la déclaration de la Rufie ;
laiſſe expreflément à cette Puiſſance & à la
France, le choix des moyens de conciliation, on
commence à ajouter foi au bruit qui ſe répand
que le Prince de Repnin , après être convenu
de quelques articles préliminaires , ſe rendra à
Vienne ; & la note ſuivante que ce Miniftre
a remis à S. M. Pruffienne ſemble venir à
l'appui de ce bruit.
( 201 )
>> L'Impératrice de Toutes les-Ruſſies a témoigné
prendredès leur origine , le plus vif intérêt aux troubles
actuels de l'Allemagne , ſoit comme une puiffance
à laquelle il importe que l'état légal & conftitutifde
cette partie de l'Europe ſoit maintenu dans
fon intégrité , ſoit comme déſirant de voir rendre
juſtice aux maiſons léſées par l'occupation d'une
partie conſidérable de la Bavière , qui ont réclamé
fes bons offices & fon aſſiſtance , ſoit enfin comme
amie intime & alliée de S. M. le Roi de Pruſſe engagé
dans une guerre onéreuſe pour le ſoutien des
droits de l'Empire Germanique. Il n'a pas tenu à ſes
ſoins & à ſesbons offices , qu'on ne ſoir parvenu à
prévenir une rupture ou à l'arrêter dans ſes ſuites.
Elle n'a négligé aucune occafion de porter la Cour
de Vienne à des termes d'accommodement juſtes &
fatisfaiſans pour toutes les parties , & tout récemment
la repréſentation amicale qu'elle a fait faire
à la même Cour , & dont il a été donné communication
dans ſon tems , aux Miniſtres du Roi , démontre
évidemment juſqu'à quel point S. M. I. aà
coeur de rétabliſſement de la paix & de la tranquillité
publique. Une démarche de la Cour de Vienne
vient de mettre l'Impératrice en état de déployer ſes
fentimens & ſes diſpoſitions dans toute leur étendue ,
même avant que cette Cour eût pu recevoir la repréfentation
ci-deſſus mentionnée de S. M. I.; elle a fait
inviter formellement par ſon Miniſtre près d'elle ,
le Comte de Kaunitz , d'employer ſa médiation &
ſes bons offices , conjointement avec la France , pour
procurer un accommodement entr'elle & S. M. P.
Cette propoſition ne pouvoit qu'être reçue avec empreſſement
par l'Impératrice de Toutes-les-Ruſſies ,
tant par ſon déſir perſonnel de voir la paix & la tranquillité
rétablies pour le bien de l'humanité , que par
la perfuafion où elle eſt que S. M. le Roi de Pruſſe
ne s'eſt point écarté de ſes vues pacifiques , pourvu
ſeulement que la fin de la guerre renfermât en elle
la fûreté de la conſtitution de l'Empire Germani(
202 )
que
que, ainſi que la fatisfaction due aux maiſons léſées ,
&plus toute autre conſidération encore par la
certitude où eſt S. M. I. , que ſon acceptation ſera
agréable à S. M. P. , fon Miniſtre s'étant déja expliqué
avec le chargé d'affaires de la Cour de Verſailles
fur l'intervention de ſa Cour à la paix , que le Roi
ſouhaitoit auſſi d'y joindre les bons offices de l'lmpératrice
de Ruffie. D'après ces confidérations ,l'Impératrice
de Toutes-les-Ruflies , pour concourir à
l'ouvrage défiré & falutaire de la pacification de l'Allemagne,
a ordonné au ſouſſigné de ſe rendre auprès
du Roi , pour recevoir de S. M. toutes & telles propoſitions
qu'il lui plaira , & s'employer enſuite efficacement
à faire valoir la médiation & les bous
offices de S. M. I. en tel tems & lieu & de la manière
la plus convenable , tant auprès des deux parties
principales intéreſſées , qu'auprès de la Cour de Verfailles
, à laquelle la Cour Impériale de Ruſſie a déja
donné part de ſon acceptation de la médiation à employer
conjointement avec elle , ainſi que de la
miſſiondu ſouffigné.
S'il faut en croire pluſieurs lettres , le projet
-de pacification eſt déja bien avancé; la France ,
dit-on , a fait remettre à la Cour de Vienne ,
un plan qui a paru être tellement au gré des
Puiſſances Belligérantes , que l'on n'attend plus ,
ajoute-t-on , qu'un Courier qui doit apporter la
nouvelle qu'il eſt accepté. En attendant que
ce bruit intéreſſant ſe confirme , on affure que
pluſieurs Electeurs , Princes & Etats de l'Empire
ſe réuniſſent pour ſeconder les vues des
Puiſſances médiatrices ; l'Angleterre elle-même
joint ſes voeux & fes efforts pour obtenir ce
but. Elle ne voit plus d'efpérance de profiter
des troubles de l'Allemagne pour occuper la
France & partager ſes forces ; elle fait que
cette Puiſſance reſtera neutre dans cette querelle
fi elle continue ; & que de fon côté , elle
ne recevra aucun ſecours de la part de la
( 203 )
Pruſſe occupée elle-même ,& de celle de la
Ruſſie occupée à ſeconder ſon allié . Elle n'ignore
plus à préſent les diſpoſitions de Catherine
, qui a témoigné combien elle étoit fatisfaite
& reconnoiffante des foins que S. M.
T. C. avoit bien voulu prendre pour accommoder
à l'amiable les différends ſurvenus entre
elle & laPorte . Cette Princeſſe a déclaré auſſi
que malgré l'alliance qu'elle a contractée avec
l'Angleterre , elle n'en étoit pas moins réfolue
de continner à vivre avec le Roi de France
dans la plus étroite amitié & la plus parfaite
intelligence .
De RATISBONNE , le 20 Janvier.
LES anciens ſujets de l'Electeur Palatin ;
viennent de perdre l'eſpérance , qu'ils confervoient
encore , de revoir leur Souverain occuper
à demeure fa réſidence de Manheim ; une
Ordonnance qu'il a rendue le 2 de ce mois ,
leur porte un coup qui n'eſt pas moins ſenſible.
S. A. S. voulant affimiler , autant qu'il eſt poffible
, l'adminiftration des pays qui ont toujours
fait l'appanage des branches Palatines de Neu
bourg & de Sulzbach , & celle de la Bavière
&du Haut - Palatinat , puiſque ces Provinces
différentes font aujourd'hui réunies fous un
même chef , a ordonné qu'à compter du
premier Juin prochain , le code de Bavière ,
tant pour le civil que pour le criminel , aura
force de loi dans les Duchés de Neubourg &
de Sulzbach , & que les appels de ce pays ne
fe porteront plus , comme ci-devant , àMMaanheim
, mais au Conſeil aulique ou Cour de revi.
fion à Munich.
S'il faut en croire un bruit qui ſe répand ,
on travaille dans l'Imprimerie Electorale à l'impreſſion
d'un écrit qui pique beaucoup la curio-
16
( 204)
fité par les foins que l'on prend pour empêcher
que fon objet ne foit connu. Toutes les avenues
de l'Imprimerie font gardées par des foldats ;
les ouvriers quiyfont employésne fortentpoint,
&on leur porte à manger.
Selon des lettres de différens endroits de
l'Empire , on verra paroître inceſſamment un
nouveau prétendant à la fucceſſion de Bavière ,
dans la perfonne du Prince de Lowenſtein-
Wertheim , qui prétend avoir à cette fucceffion
un droit plus exprès & plus prochain que le
Duc des Deux-Ponts. >> On fait qu'en effet ,
dit-on dans un de nos papiers , Frédéric le
Riche , Electeur Palatin, de qui defcend le
Prince de Lowenſtein étoit plus proche à cet
égard, que le Comte Palatin Louis le Noir ,
dont defcend le Duc des Deux - Ponts. Les
Comtes de Lowenstein , après avoir obtenu en
1712 la dignité dePrince, ont fait tous leurs
efforts pour s'affurer la ſucceſſion éventuelle
des Etats Palatins ; mais leur prétention paroit
être de peu de poids. L'Electeur Frédéric le
Riche s'étant engagé envers fon ſucceſſeur ,
à ne jamais fe marier , eut deux fils d'une
femme roturière , nommée Clara Tettin , qu'il
n'épouſa que peu de tems avant fa mort. Un
de ces deux fils eft la tige des Princes de
-Lowenstein, dont le droit fur la fucceffion aux
Etats Palatins n'a jamais été reconnu , malgré
les mouvemens qu'ils ſe ſont donnés. Les loix
& les uſages de l'Empire paroiſſent déciſifs ;
les enfans nés d'un mariage auſſi inégal ne font
jamais appellés à la ſucceſſion des fiefs. On dit
que le Prince de Lowenſtein a été engagé à
faire cette démarche par une Puiſſance intéreffée
& qui voudroit fufciter quelques inquiétudes
au Duc des Deux-Ponts pour ſe punir de l'oppofition
ion qu'il a apportée à ſes vues ; inais il eft
douteux que ces réclamations puiſſent lui en
( 205 )
caufer;&il eſt plus vraiſemblable que le Prince
de Lowenstein a cru pouvoir profiter de la cir
conſtance actuelle , ſans y être excité par perfonne<<.
ITALI Ε....
De VENISE , le 15 Janvier.
LA mort du Doge Aloiſe IV, Jean Mocenigo
, arrivée le 31 du mois dernier dans la
78e année de ſon âge , a été annoncée au public
le 6 de ce mois. Toute la Nobleſſe prit
auffi-tôt le deuil ; le corps placé dans un cercueil
fut confié àà la garde des Magiftrats.. Le
Grand-Confeil nomma les cinq Correcteurs qui
doivent examiner tout ce qui a été fait ſous
ſon règne . Le 10 , on a fait ſes obsèques avec
toutes les cérémonies d'uſage . Hier on a procédé
à l'élection de fon ſucceſſeur ; le noble
Paul Renier , Chevalier de l'Etoile d'Or , cidevant
Ambafſadeur à Rome , à Vienne & à
Conftantinople , & Savio Grande , a réuni tous
les fuffrages. Immédiatement après ſon élection
, on expédia un courier à André Renier
fon fils , Ambaſſadeur à Rome , d'où il reviendra
inceſſamment ; la loi ne permet pas à un fils ou à
un frère du Doge , de remplir aucune dignité
ou charge publique. Le nouveau Doge a été
conduit ce matin dans l'Egliſe de S. Marc
accompagné de ſes plus proches parens , &
montré au peuple , il a été enſuite couronné ;
les réjouiſſances & les fêtes données à cette occafion
ont commencé hier , & continueront aujourd'hui
& demain .
{
,
Le 28 du mois dernier , écrit-on de Badajox , le
fen prit au parc d'Artillerie ; les chefs de ce corps
s'y tranſporterent fur- le- champ , & prirent de fi bonnes
meſures , qu'il fut éteint en moins d'une demiheure
, fans autre perte que celle de quelques pa-
1
(206 )
va
niers de jonc déposés dans une ſalle-baffe. Ledanger
étoit d'autant plus preſſant , que cette falle eft
contigiie à un dépôt de bombes chargées. Quelque
pièces de charpenterie neuve pour le ſervice du parc
ont auſſi été brûlées; mais elles ſont de peu de
leur. Un autre accident de ce genre , continue la
même lettre , a été plus funeſte : près de S. Sébaf.
tien un petit magaſin de poudre gâtée , que deux
particuliers avoient dans la Jurisdiction de la ville
d'Urnieta , à une lieue & demie de S. Sébastien, ſauta
le 28 Décembre au matin. De quatre hommes occupés
à étendre & à ſécher cette poudre , 3 ont
péri , & le quatrième a été grièvement bleſfé. La
fecoaſſe caulée par l'explosion , s'eft fait ſentirjufqu'à
S. Sébastien «.
D'autres lettres de Madrid , annoncent la
mort du Général D. Pedro de Cevallos , qui
a conduit l'expédition contre les Portugais en
Amérique. Il étoit tombé malade pendant le
voyage qu'il faifoit pour ſe rendre à la Cour ,
& avoit été contraint de s'arrêter à Cordoue ,
où il s'étoit logé dans le couvent des Capucins.
De LivOURNE , le 20 Janvier.
Un courier arrivé de Naples , nous a appris
que la Reine eft accouchée le 17 de ce mois ,
as heures du matin , d'une Princeſſe , qui a été
baptifée une heure après par le Confefleur de
S. M. , parce que l'Archevêque de Naples n'a
pu être averti à tems ; on lui a donné les noms
de Marie-Chriſtine . La Reine & la Princeſſe
ſe portent auſſi-bien qu'on le puiſſe défirer.
LeRoi deNaples ſe propoſe de rétablir fa marine
,&de la mettre en étatde défendre les côtes
d'Italie contre les infultes des corfaires de Barbarie,&
les attaques des ennemis qui pourroient arriver
du Nord. Il anomméDirecteur-Général,&
Lieutenant-Général de ce département, le Che(
207 )
valier Acton , ci-devant Commandant la marine
ici ; c'eſt ſous ſa direction que ſe feront les
conftructions & réparations projettées . S. M. a
attaché à cet emploi 6428 écus d'appointemens .
Oncroitque le Chevalier Acton feraauffi nommé
Général des galères du Royaume.
Nous apprenons de Malte que le Bey de Tunis
a écrit au Miniftre de France , auprès du Grand-
Maître , pour lui demander des nouvelles de
fon gendre Ifmael-Caggia , qui a fui de fa Cour
après avoir enlevé les tributs de toutleRoyaume,
&emporté une quantité d'effets précieux , fans
compter pluſieurs femmes.
Les mêmes lettres portent que le Grand-
Maître a fait partir deux galères pour donner
la chaſſe à des corſaires Babareſques qui ſe ſont
montrés dans ces mers. Ils y ont enlevé dernièrement
un bâtiment Napolitain , dont on
évalue la cargaiſon à 30,000 écus . L'équipage
a eu le bonheur de ſe ſauver dans un petit
efquif.
>> Une compagnie d'amateurs , écrit-on de Rome ,
ayant fait faire une fouille dans le quartier bas qui
ſépare le Viminal du mont Eſquilin , on a découvert
pluſieurs appartemens ornés de peintures & de
tableaux à freſque , qui ſont du meilleur goût , &
qui fervent à faire connoître celui des anciens. Les
tableaux au nombre de 13 , ont été gravés & copiés
en miniature. Les gravures coûtent 6 paolis chacune
, chez Bouchard & Gravier , Libraires au Cours;
les miniatures faites par M. Camille-Butti , ſe vendent
s ſequins chacune «.
ANGLETERR E.
De LONDRES , le 1 Février.
On n'eſt pas moins empreſſé ici qu'en France
de recevoir des nouvelles de l'Amérique ; nous
avons raifon d'être inquiets ſur les fuites de
(208 )
l'expédition du Comte d'Estaing , dont nos en.
nemis attendent avec impatience des détails ;
nos derniers avis l'ont préſenté à la pourſuite
du Commodore Hotham , & depuis ce tems ,
nous ne favons fi ce dernier lui eſt échappé
les papiers Miniftériaux entreprennent bien de
tems en tems de nous raſſurer. Selon eux , nous
n'avons reçu aucune lettre , parce que le paque
bot le Weymouth , parti de la Jamaïque le 29
Novembre , a été pris par l'armateur Améri
cain le Général Sullivan , après un long combat,
dans lequel le Capitaine & 3 de ſes gens ont
été tués. Le contre - maître de ce paquebot ,
arrivé à Falmouth a, dit-on , raconté que 2 jours
après fon départ de la Jamaïqué , étant encore
à la vue de cette ifle , il avoit vu 7 bâtimens
chargés de troupes , faiſant partie du convoi du
Commodore Hotham , & qu'il ne doute point
qu'ils n'y foient arrivés , & que le reſte n'ait
ſuivi de près.
S'il faut en croire les papiers du jour , cette
nouvelle confolante a été confirmée par le Capitaine
Lloyd , Aide-de-Camp du Général Clinton
, arrivé au Bureau du Lord George Germaine
; à fon départ de New-Yorck , le 27 dú
mois dernier , on y favoit déja que les troupes
envoyées aux ifles y étoient arrivées fans accident
; s'il a fait ce rapport , il étoit affez intéreffant
pour mériter que la Cour s'empreflät de
le publier & de raffurer la nation ; elle ne l'a
point fait , & fon filence fait mal augurer de
cet avis & de quelques autres plus importans ,
& fur leſquels elle ne ſe tairoit point , fans
doute , s'ils étoient fondés ; on affure , toujours
fur la foi du Capitaine Lloyd , qui l'a dit au
Miniſtère qui n'en dit rien , que la Georgie eſt
foumiſe , qu'elle a reçu à bras ouverts les troupes
royales que l'on y a envoyées , & que l'on
étoit sûr qu'elles recevroient le même accueil
dans pluſieurs autres Colonies.
( 209 )
Tant que la gazette de la Cour ne parlera
pas de ces nouvelles , on continuera de s'en dé
fier,& on n'y croiroit encore que médiocrement,
quand elle fe donneroit la peine de les publier.
Malgré les foins qu'elle a pris pour perfuader
qu'elle a des partiſans en Amérique où ils
n'attendent que l'occaſion d'agir pour opérer
une réunion , on fait que le voeu unanime de
toutes le Colonies , eſt de former à jamais un
état ſéparé de la Grande - Bretagne , & que
par-tout on eft déterminé à faire les plus grands
efforts , les plus grands facrifices pour affurer
la liberté commune ; Pappui que leur prête au
jourd'hui la France , n'eſt pas propre à leur inf
pirerd'autres fentimens. Les opérations de cette
Puiflance nous obligent de partager nos efforts ,
&garantiſſent ſon indépendance . On peut juger
de ce que nous pouvons faire par ce que nous
avons fait ; la marine Françoiſe eſt devenue
formidable à la nôtre ; nous ne pouvons nous
déguiſer que nos armateurs feuls ont été heu
reux fur mer ; les forces nationales , la marine
royale , ont juſqu'à préſent eu le deſſous dans
tous les combats que nous avons foutenus ; nous
avons perdu pluſieurs vaiſſeaux du Roi , & nous
n'en avons pas pris un ſeul de conféquence à
nos ennemis. Le bruit qui s'étoit répandu que
l'eſcadre de l'Amiral Shuldam s'étoit emparé
de quelques-uns , ne s'eſt pas foutenu ; il n'avoit
fans doute été imaginé que pour confoler la
nation d'une humiliation qu'elle ne peut ſe dé
guifer. On a dit depuis que deux de nos fré
gates avoient pris un vaiſſeau de 60 canons à
la hauteur de Scilly ; mais on ne nomme point
ce vaiſſeau , & cette nouvelle paroit venir de
la même ſource que la précédente ; elle a été
bientôt oubliée pour faire place à une autre qui
ſemble malheureuſement plus vraie. Nous avons
perdu le Bristol de so canons , pris à la hauteur
(210 )
du Cap François par une frégate de 36 ; cette
perte feroit bien plus fâcheuſe encore s'il étoit
vrai , comme on le dit & comme on craint
que cela ne ſe confirme , que le Contre-Amiral
Pierre Parker qui commande l'eſcadre du Roi
à la Jamaïque , fût ſur ce vaiſſeau lorſqu'il a
été forcé d'amener.
Les embarras dans leſquels les affaires actuel.
les plongent le Ministère pour faire face aux
François & aux Américains , avoient fait imaginer
qu'il avoit réfolu de renoncer à continuer
la guerre avec les derniers , pour tourner toutes
les forces de la Grande-Bretagne contre les premiers
; mais ce parti dont les circonstances fembloient
impoferla néceſſité , n'eſt pas celui que
l'on prendra ; on prétend continuer la guerre
contre l'un & l'autre de ces ennemis avec la plus
grande vigueur ; & dans le mois prochain , on
expédiera des troupes pour l'Amérique Septentrionale
& les ifles. Le Gouvernement a déja
paflé un contrat avec des Marchands qui font
le commercede la Jamaïque pour y tranſporter
des foldats , à raiſon de 6 liv. fterl. par tête ,
à la charge par le Gouvernement de leur four.
nir les provifions & l'eau. Les recrues Allemandes
ne partiront qu'en Mars , & il eſt douteux
qu'on puifle fournir au Général Clinton toutes
les troupes dont il a beſoin. On affure qu'il continue
de demander ſa retraite , & felon quelques
perſonnes , il eft déja en route , ce qui n'eſt
pas vraiſemblable ; mais on fait qu'il eſt preflé
de revenir en Angleterre. Le retour de ce Gé
néral, que le Ministère avoit vanté comme le
grand faiseur , dit-on dans un de nos papiers ,
va confirmer ce que tous les gens ſenſés n'ont
ceffé de dire , & ce que le Gouvernement ne
veut pas entendre , qu'il eſt impoffible de con
quérir l'Amérique ,& que laGrande-Bretagne ,
après l'avoir perdue par une faute puniſſable
( 211 )
dans ſes auteurs , n'a fait , en voulant la foumettre
, qu'augmenter ſa dette immenfe , &
montrer ſa foibleſſe .
Ces reproches fréquens ,adreſſés au Miniſtère ,
ne produiſent aucun effet ; il perfiſte dans ſes
deffeins , & ne s'occupe que des moyens de les
exécuter. Les fonds dont on a beſoin pour cette
année ne font pas encore trouvés . Selon les premiers
calculs , on comptoit avoir un million de
don gratuit , deux de la Compagnie des Indes
& fept par un emprunt; le Lord North avoit
déja trouvé des ſouſcripteurs au moyen d'un
avantage qui leur auroit procuré plus de 6 pour
cent ; mais les beſoins de l'Etat fe font trouvés
monter à une plus forte ſomme , & il a fallu
porter l'emprunt à 10 millions. Les ſouſcripteurs
fur leſquels on comptoit , ont voulu vendre leurs
ſervices à un plus haut prix , & ils ont prétendu
ſept & demi pour cent à une époque fixe. Le
Lord North a refuſé de céder à des conditions
auffi dures , & il cherche à préſent de nouvelles
reſſources qu'il dit avoir dans la main ,
mais qu'on ne croit pas moins devoir retarder
l'ouverture du Budget. C'est lorſqu'il s'adreſſera
au Parlement que les féances deviendront intéreſſantes.
Juſqu'à ce moment , on s'eſt occupé des af
faires de l'Irlande , qui fait partie du Royaume
de la Grande-Bretagne, & qui eft plus maltraitée
qu'une Province étrangère ;mais l'intérêt
que quelques membres prennent à ſa proſpérité ,
éprouve la plus forte oppofition , & on ne s'attend
pas à voir prendre , d'ici à quelques tems ,
aucune réfolution déciſive . On a arrêté deux
Bills , l'un pour punir la défertion dans les troupes
de la marine , & l'autre , pour révoquer un
acte de la dernière féance concernant les moyens
de mieux recruter l'armée. Les moyens qu'on
propoſe aujourd'hui , font d'aſſurer à ceux qui
( 212 )
s'engageront volontairement au ſervice de terre,
leur congé au bout de 3 ans , & au bout de
5 ans à ceux qui auront été enrôlés par force.
On remarquera qu'il ne s'eſtélevé aucune voix
contre les enrôlemens de cette dernière eſpèce ,
dans un pays où l'on vante avec tantd'emphaſe
la liberté naturelle des citoyens .
Le Parlement d'Irlande qui avoit été prorogé
du 3 Novembre au 12 de ce mois , vient de
l'être encore au 23 Mars prochain. On apprend
de Dublin que le Major-Général Calcraft raf
femble les trois mille hommes des troupesde ce
Royaume qui doivent ſe rendre en Amérique ;
on dit que pour remplacer ces troupes & pourvoir
à la sûreté du pays , comme le Gouvernement
s'y eft engagé , on eſſaiera de mettre fur
pied une milice à l'exemple de celle d'Angleterre
; mais bien des gens s'élèvent contre ce
projet, qui ne peut être exécuté ſans l'aveu du
Parlement; ils prétendent qu'il feroit imprudent
d'armer un peuple que l'on craint , que l'on
ne ménage pas aſſez , & qui peut être tentéun
jour de ſe ſervir de fes forces s'il apprend à les
connoître , pour réprimer les vexations de fes
oppreffeurs , & les forcer à le traiter d'une mal
nière plus conforme à la raifon & à la justice.
Ce Royaume eſt d'ailleurs peu peuplé , on en
a tiré un grand nombre de recrues pour le fervice
de terre & celui de la marine royale , &
on ne peut mettre la milice fur pied , fans nuire
à l'agriculture & aux fabriques.
On continue d'aſſurer que les diſpoſitions de
l'Eſpagne font toujours pacifiques ; mais la majeure
partie de la nation eſt perfuadée qu'elles
font très-incertaines & prêtes à changer , fuivant
les circonstances . Cette Puiſſance ſemble
n'attendre que des nouvelles des opérations des
François en Amérique pour ſe déclarer. En
attendant , les Particuliers arment & commen
( 213 )
cent contre nous la guerre que leur Souverain
doit bientôt nous faire . >> Les Eſpagnols ont
préſentement en mer dans ces parages , écrit- on
de Gibraltar , preſque autant d'Armateurs que
les François. Quand ils rencontrent un de nos
bâtimens marchands , ils arborent pavillon François
& s'en emparent : ils redeviennent Eſpagnols
, lorſque ce font des vaiſſeaux de guerre
Anglois qu'ils trouvent fur leur route. Ils exécutent
d'autant plus aifément cette manoeuvre ,
que leurs équipages font mi-partis de François
&d'Eſpagnols <<.
On porte à une ſomme très-confidérable la
valeur des fix vaiſſeaux François venant des
Indes , dont ſe ſont emparés les Armateurs de
Liverpool ; on en a fait le calcul fuivant dans
nos Papiers publics où il eſt peut-être exagéré.
Les deux Amis , 500,000 livres ſterling ; l'Aris
180,00 , l'Aquilon , 200,000 , l'Epaminondas
400,000 ; le Carnatic , 400,000 , & le Gaston ,
200,000. Total 1,880,000 liv . fterl .
-. On n'eſt pas fans inquiétude fur le fort de
quelques-uns des vaiſſeaux que notre Compagnie
des Indes attend , & qui peuvent offrir aux Armateurs
François leur revanche & une riche
proie. Nous avons appris qu'il en étoit arrivé s
au Cap de Bonne-Efpérance , ſavoir , le Calcutta
, le Gatton ,le Morse , le Stafford & l'Amiral.
Royal ; ils étoient fous le convoi du vaifſeau
de guerre l'Afie de 64 canons , qui les y a
laiſſés ; le Gatton & le Calcutta font , dit - on ,
en route pour revenir ici .
La Compagnie a perdu au Cap un fixième
vaiſſeau , le Colebroke , qui a échoué . Cette
nouvelle a été apportée par le premier contre-
Maître de ce vaiſſeau , qui s'embarqua peu de
tems après cet évènement , ſur un bâtiment
François , qui fut pris par un corſaire de Guernefey
, à bord duquel il eſt reſté long-tems avant
( 214)
d'informer la Compagnie des Indes de la perte
qu'elle avoit faite. Elle vient de prendre à fon
ſervice deux navires pour remplacer le Colebroke&
le London ; on ſe rappelle que le dernier
a péri la nuit du 29 Décembre , par l'imprudence
du Commandant du Ruffel , qu'on dit
quelle ſe propoſe de poursuivre en Juſtice à
raiſon de cette perte, qui eft d'autant plus ſenſible
dans ce moment , qu'il étoit deſtiné à l'approvifionnement
de l'Iſle de Sainte-Hélène , où
l'on tient un magaſin pour les beſoins des vaiſ
ſeaux qui y touchent en revenant de l'Inde , &
qu'il étoit important de munir dans cette circonftance.
On raconte Panecdote ſuivante à l'occaſion de
la perte du London. Un Particulier avoit remis
à M. Webb qui le commandoit , une perle d'une
très-grande valeur. Le propriétaire en avoit
long-tems ignoré le prix ; ce furent quelques
Membres de la Société Royale qui l'en inſtrui
firent en 1777. Il l'envoya au Baron Fédérick
à Pétersbourg , pour la préſenter à l'Impératrice
, dans l'eſpérance qu'elle l'acheteroit ;
mais comme il en vouloit 160 mille roubles ,
cette Princeſſe nejugea pas à propos d'employer
à cet achat une fomme auſſi conſidérable . Le
propriétaire imagina d'envoyer la perle aux
Indes , où il fe flatta qu'il s'en déferoit avan.
tageuſement. Le Capitaine Webb , au moment
où fon vaiſſeau alloit couler à fond , ſe
fouvint du dépôt précieux qu'on lui avoit con.
fié ; il rentra dans ſa cabane au péril de ſa vie ,
& reprit la perle. Le propriétaire , informé du
fait , a voulu l'en récompenfer ; mais le Capitaine
a refuſé tout ce qu'il lui a offert. Ce défintéreſſement
de ſa part eſt d'autant plus ex.
traordinaire , qu'il a perdu lui-même 25000 liv.
ſterling , pour leſquelles il étoit intéreſſé dans
la cargaiſon de fon vaiſleau.
1
(215 )
Le procès de l'Amiral Keppel ſe continue à
Portsmouth ; juſqu'à préſent les dépoſitions des
témoins que l'accuſateur a fait entendre , font
toutes en faveur de l'accuſé . Le Chevalier Pal
lifer a perdu beaucoup dans l'opinion publique
depuis cette malheureuſe affaire ; les ratures&
les corrections faites au Journal du Capitaine
Hood , Commandant le Robuste , ont
été jugées faites dans les vues les plus odieuſes
pour perdre l'Amiral ; & le Capitaine Hood, qui
s'en eft rendu complice , a eſſayé de réparer fa
faute , en contrariant autant qu'il a pu dans ſes
dépoſitions, les vues du Vice-Amiral. Le Capitaine
Windfor , revenu de Paris avec la permiffion
de la Cour de France pour dépofer comme
témoin , a prouvé clairement que Sir Hugh
Palliſer avoit défobéi aux ordres que lui-même
lui avoit portés de la part de l'Amiral ; on ſe
reſſouvient que le 2 Décembre , dans la Cham
bre des Communes , l'Amiral Keppel , preffé
d'expliquer pourquoi le combat du 27 Juillet
avoit fi mal reuſſi , répondit que le Vice-Amiral ,
en n'obéiſſant pas aux fignaux pour renouveller
le combat , quoiqu'ils euſſent été dehors près
des heures , donna le tems à la flotte Fran
çoiſe de rentrer dans ſes Ports ; on ſe rappelle
queM. Pallifer convint formellement du fait ,
en afſurant la Chambre qu'il étoit en état de
juftifier ſa déſobéiſſance , & en demandant luimême
avec empreſſement une enquête ; & c'eſt
après cet aveu fait au Parlement , & par-là
même à la nation qu'il repréſente , qu'il s'eſt
enfuite porté accuſateur de l'Amiral Keppel .
On part de là pour renouveller tous les farcafmes
dont depuis long-tems on accable le
Miniſtère. Le tort de Keppel à ſes yeux eſt d'e
tre Whig , & c'en eſt un réel vis-à-vis d'un Mimiſtère
Tory ; il devoit être traité comme l'ont
été les deux frères Howe , les Généraux Clin
1 ... :
( 216 )
ton , Carleton , Burgoyne , Gage & l'Amiral
Graves . Mais l'effet de cette conduite ſera de
détourner tout Officier de diftinction de prendre
un Commandement de conféquence à l'avenir .
Le Capitaine Lockhart-Roff, qui doit être interrogé
comme témoin , eſt , dit-on , décidé à
donner ſa démiſſion auffi-tôt après qu'il aura été
entendu ; pluſieurs autres bons Officiers prendront
le même parti , & on prévoit toutes les
conféquences qui peuvent en réſulter pour la
nation& le ſervice en général.
L'Amiral Keppel , qui avoit toujours été incommodé
d'une maladie de nerfs , ne s'eft jamais
mieux porté de ſa vie , que depuis que
fon procès eſt commencé. La ſeule choſe qui
ait paru l'affecter juſqu'à-préſent , c'eſt d'avoir
lu dans un papier public , le reproche qu'on
lui fait d'avoir accepté un Commandement fous
des Miniftres qu'il ne pouvoit aimer , ni eftimer
, au lieu de montrer la noble fierté avec
laquelle le Lord Bristol avoit proteſté qu'il fe
refuſeroit à toutes les offres qui pourroient lui
être faites .
>> Parmi les queſtions fans nombre que le
Confeil de Guerre fait aux témoins qu'il interroge
, lit-on dans nos papiers , il eſt bien
fingulier què les deux ſuivantes aient été omifes
, foit par les Juges , foit par l'accufé , foit
par l'accufateur. 1º. Eft-ce l'Amiral Anglois ,
eſt-ce l'Amiral François , qui le premier a retiré
le ſignal du combat ? 2°. Combien de tems ,
celui qui l'a retiré le dernier , l'a-t- il gardé plus
que l'autre ? Ces queſtions intéreffantes pour la
nation vaudroient bien la peſanteur & la longueur
faftidieuſe de celles qu'on ne cefle de faire
& de répéter juſqu'au dégoût ; mais les Miniſtres
qui ont imaginé ce procès pour amufer
la nation , & l'empêcher de donner toute fon
ง
attention à des objets qu'il lui feroit plus effentiel
( 217 )
fentiel d'approfondir , ſe garderont bien de
permettre qu'on l'éclaire . Ils ont épuiſé la reffource
des refus directs & des fubterfuges ; ils
ont inventé ce nouveau genre d'artifice , & ils
l'ont ſaiſi avec autant d'adreſſe que d'avidité. Il
pourroit ſe faire qu'ils ne fuſſent plus dans le
cas d'en chercher de nouveaux. La nation ne
peut tarder à ouvrir les yeux &àſe faire juſtice ;
elle n'a qu'à le vouloir; le procès de l'Amiral
Keppel peut donner l'envie d'en faire quelque
autre plus important , plus fondé ; les accufations
& les preuves ne manquent pas " .
Toutes ces réflexions montrent que l'opinion
de la nation eſt pour l'Amiral ; le jugement ne
peut tarder ; l'interrogatoire des témoins produits
par Sir Hugh Palliſer , a été fini le 29 ;
ce Vice-Amiral defiroit que l'on lui permit d'en
faire la clôture par la lecture d'un diſcours
qu'il avoit préparé ; mais, comme c'étoit une
choſe contraire à l'uſage , il fut refuſé. L'Amiral
Keppel prêt à ſe défendre demandoit à
être entendu le lendemain , mais on l'a remis à
aujourd'hui , premier du mois , pour lui ménager
le tems de mettre ſes minutes en ordre.
Son triomphe ne peut qu'être complet. Juſqu'à
ce moment c'eſt ſon accuſateur même qui l'a
préparé ; on ignore comment il s'en tirera ,
comme le cri public le demande , on lui fait
ſon procès à fon tour. Il ſeroit fans doute injuſte
de le dérober aux pourſuites qu'il a cherchées
, & peut-être imprudent de le tenter. On
peut juger de l'opinion générale contre lui par
les queſtions ſuivantes adreſſées au Chevalier
Hugh Pallifer.
>>> N'avez- vous pas été envoyé par Milord Sandwich
, ainſi que votre Collègue , le Lord Mulgrave
fi conféquent dans ſa conduite , ( il étoit du parti de
l'Oppoſition lorſqu'il s'appelloit le Capitaine Phips )
pour ſervir d'eſpion à l'Amiral Keppel ? 2°. Les fer-
15 Février 1779. K
(218 )
vices connus , la bravoure de M. Keppel , joints an
cri de la Nation , ayant forcé le bureau de l'Amirauté
àle nommer Amiral de la flotte , & ce choix ayant
par conféquent trompé votre ambition ; n'étoit- ce
pas de ce moment le voeu de ce bureau , & fur-tout
le vôtre , qu'il s'offrît une occafion de le perdre ?
3°. Ne croyez-vous pas avoir trouvé cette occafion
& être en état de prouver l'accufation que vous
avez portée contre lui ? 4°. Avez-vous pelé mûrement
les conféquences qui en réſulteront ſi vous
échouez ? 5º . Ne ferez-vous pas couvert de honte
&d'infamie fi l'Amiral prouve qu'il s'eſt bien conduit
? 60. S'il a eu tort en quelque point votre réputation
établie ſur une baſe précaire ne vacillera-t-elle
plus ? 7°. Comment vous juftifierez -vous de n'avoir
pas obéi au ſignal ? 80. Direz -vous que vous n'avez
pas apperçu ce ſignal qui eft reſté dehors depuis 3
heures jusqu'à 8 ? 90. Parvenu à la dignité d'Amiral
ignorez-vous que quand votre vaiſſeau est déſemparé
, votre devoir eſt de hiſſer votre pavillon à
bord d'un autre vaiſſeau de votre diviſion , qui n'a
que peu ou point ſouffert , & d'agir comme li vous
étiez à bord du vaiſſeau que vous aviez monté en
premier lieu ? 100. Le plus jeune d'entre les bas-
Officiers ignore-t-il une règle ſi ſimple ? 110. En
alléguant que l'état de votre gréement vous mettoit
hors d'état de venir dans les eaux du Victory , vous
ne nierez pas que vous avez viré vent arrière ,
pour vous éloigner d'un vaiſſeau de guerre François
qui ſembloit venir à votre rencontre ? 120. Si
le Conſeil de guerre juge que M. Keppel s'eſt bien
conduit , croyez-vous qu'il ſera au pouvoir de votre
ami le Lord Sandwich de vous fouftraire à une
femblable enquête , & de braver ſous ſa protection
les loix de votre patrie ? cc
Le fameux David Gawick eſt mort le 20 de
ce mois , âgé de 62 ans , de la pierre ; il avoit
débuté ſur le théâtre en 1741 ; & il y a environ
deux ans & demi qu'il l'avoit quitté ; le
théâtre de Drurylane a été fermé le jour de ſa
(219)
mort; hier il a été expoſé ſur un lit de parade
, où plus de 30,000 perſonnes l'ont été voir ;
il a été transféré aujourd'hui dans l'Abbaye de
Westminster avec toute la folemnité ponible ,
& dépoſé ſous le monument érigé à la mémoire
de Shakespeare. Le Duc de Devonshire, le Lord
Camden , le Comte, d'Oſſory , le Comte de
Spencer , le Vicomte de Palmerston , Sir William-
William Wynne ; MM. Rigles , Stanley ,
Patterfon & Albanywalles portoient le drap
mortuaire . Quantité de perſonnes de diſtinction
ſuivoient le convoi à pied , & après elles marchoient
50 carroffes drapés, & un grand nombre
de voitures. Un détachement des gardes
accompagnoit le tout , & veilloit à l'obfervation
de l'ordre.
ÉTATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT .
De Fishkill le s Décembre. Le Conſeil de
Guerre aſſemblé pour juger le Major-Général
Schuyler , à qui l'ont faifoit un crime de s'être
trouvé abſent de Ticondérago , lors de l'expédition
du Général Burgoyne , étoit préſidé
par le Général Lincoln. Après avoir entendu
les témoins pour & contre , le Tribunal a décidé
que M. Schuyler n'étoit point à blâmer ,
& l'a déchargé honorablement de l'accufation
intentée contre lui. Le Congrès a confirmé ce
jugement , dont il a ordonné la publication ,
&qu'il en ſoit rendu compte au Commandant
en chef.
Nos avis de Williamſbourg en Virginie , confirment
la priſe du fort de Chartres , & des autres
poſtes occidentaux entre l'Ohio & le Miffiffipi
, par le Colonel Clarke , à la tête d'un
gros corps de milices. Il a fait priſonniers le
Commandant Anglois & les troupes Britanniques
qui s'y trouvoient.
K2
( 220 )
M. Silas Deane , a publié il y a peu de tems une
adreſſe aux libres & vertueux citoyens de l'Amérique
, dans laquelle il porte des plaintes très-vives
contre MM. Arthur & William Lée, chargés des
affaires de politique & de commerce du Congrès en
Europe; il remplit ſeul ſes fonctions juſqu'en Septembre
1776 , que le Congrès ſelon ſes expreſſions
l'honora d'un collègue & l'embarraſſa d'un autre ;
le premier fut le Docteur Franklin , & le ſecond
M. Arthur Lée ; ils arrivèrent en France en Décembre;
& en conféquence d'une convention faite entre
les Commiſſaires , le dernier partit pour l'Eſpagne
en Février 1777 , & par l'étalage vain & déplacé de
ſa million , inſpira de la défiance à la Cour de Madrid
, qui ne lui permit pas d'aller plus loin qu'à
Burgos , d'où il revint au commencement d'Avril;
enMai , il ſe rendit à Berlin , où il ne fit rien , &
où il eut le malheur de perdre ſes papiers , qui lui
furent enlevés par des inconnus, comme l'on fait ; ce
qui ébruita le ſecret de ſes Collègues , & mit le Miniſtère
Britanique en état de faire échouer leurs mefures
. En Février de la même année , M. William
Lée fut nommé Agent pour le commerce en Europe;
comme l'un &l'autre ont deux frères membres
du Congrès , M. Deane ſe promet de les ménager ;
cependant il accuſe le dernier d'avoir fait fa main en
faiſant les affaires du Congrès , d'avoir déplacé des
Agens qui ne prenoient que 2 pour 100 de commiffion,
& de leur en avoir ſubſtitué d'autres qui prennents
pour 100 , & lui font unepart.Quant à Μ.
Arthur Lée , il l'accuſe de s'être lié avec un certain
Docteur Berkenhout , Eſpion du Miniſtère Anglois ,
&que ſon imprudence mit M. Charles Fox , ami du
Lord Shelburne , en état d'annoncer à la chambre
des Communes le traité entre la France & les Etats-
Unis, peu de jours après qu'il eut été ſigné. Il impute
ſon rappel aux deux Lées ; il ſe plaint de n'avoir
pas été écouté à ſon retour lorſqu'il a voulu rendre
comptede ſa conduite & de pluſieurs détails qui intéreſſent
les Etats-Unis , de ce qu'on n'a pas fait
4
( 221 )
attention aux lumières qu'il a voulu donner ſur le
Docteur Berkenhout , lorſqu'il eſt venu en Amérique
, qu'on l'a ſouffert à Philadelphie , qu'on lui
apermis de retourner à New- Yorck après avoir rempli
ſa miffion d'Eſpionage , &c. Tel eſt le précis de
Î'adreſſedeM.Deane ; fon effet a engagé M.Richard-
Henri Lée , à y répondre par une autre , dans laquelle
il invite les citoyens à ſuſpendre leur jugement
ſur ſa famille , juſqu'à ce qu'il ait approfondi
les plaintes formées contre elle. On attendoit de
nouvelles publications de la part de M. Deane ; mais
il a déclaré que le Congrès étant actuellement difpoſé
à l'entendre , il n'avoit plus beſoin de recourir
à la médiation du peuple ; & il lui donnera , à lui
ſeul , l'explication des détails qui ont excité la curiofitégénérale.
De Charlestown le 10 Décembre . Selon les let
tres de Boſton , le Général Philips étoit encore
confiné dans ſa maiſon , près de Cambridge , à
la fin du mois dernier ; & fur le refus conftant
que le Commandant de cette Province faiſoit
de traiter avec lui d'aucune affaire relative aux
troupes priſonnières , il avoit été obligé de remettre
ce foin au Brigadier-Général Hamilton
pour les troupes Britanniques , & au Général
Major Riedeſel pour le troupes Allemandes.
Celles-ci continuent leur ſéjour dans des barraques
fur les hauteurs qui font entre Boſton &
Cambridge ; mais les troupes Angloiſes occupent
les quartiers qui leur ont été préparés
dans le District de Rutland. La dernière divifion
de ces troupes s'étoit miſe en marche pour
s'y rendre à la fin d'Octobre .
Nous recevons quelquefois des papiers de
New-Yorck , que nous ne liſons jamais fans furpriſe
& fans indignation ; on voit qu'ils font
deſtinés principalement pour l'Angleterre où nos
ennemis cherchent à donner des nouvelles abfurdes
& des impreſſions très-fauſſes de nous&
K3
( 222 )
de notre ſituation ; ce n'eſt qu'en Europe que
de pareils détails peuvent abufer quelques perfonnes
: ici l'on ne fauroit en être la dupe. Nous
lifons dans un de ces derniers papiers de New-
Yorck , » qu'un particulier arrivé récemment de
Philadelphie, annonce que le Congrès & fes partiſans
font dans les allarmes les plus vives , depuis
l'arrivée d'un bâtiment François qui a rapporté
qu'il n'y avoit rien de plus probable que
de voir ajufter promptement les différens entre
la France & la Grande Bretagne «. Nos ennemis
cherchent toujours à nous inſpirer de la
défiance fur cette puiſſance ; mais ils s'y pren
nent d'une manière bien mal- adroite . Le traité
qu'elle a conclu avec les Etats-Unis ,'prouve
fa modération & fa bonne foi ; nous n'avons
qu'à le relire pour détruire les infinuations des
Anglois . La manière dont ils parlent de notre
Auguſte allié , ne doit pas nous étonner lorfque
nous faiſons attention à celle dont ils parlent
de nous. S'il faut les en croire , il ſe forme
actuellement une Junte compofée des Généraux
Mifflin , Thompson , Arnold & Sinclair , dont
le but eſt d'ôter le commandement auGénéral
Washington , qu'ils ne regardent pas comme
un homme ayant la capacité néceſſaire pour
commander une armée en chef. Perſonne fur le
Continent ne peut avoir cette idée de cet Of
ficier ; il n'y a qu'à ſuivre ſa conduite pendant
toute la guerre , l'art avec lequel il a ſu ruiner
l'ennemi , & l'empêcher de faire aucune conquête
ou de la conſerver , ſans expoſer la cauſe
de l'Amérique par une bataille dont le gain auroit
été plus éclatant , ſans doute , mais la perte
d'une trop grande conféquence pour qu'il fût
prudent de la riſquer. L'effet de ſes opérations
eſt manifeſte ; nous ſommes libres & indépendans
, & nos ennemis font hors d'état de nous
ravir ces deux biens précieux.
Si l'Europe , à qui l'Angleterre cherche à
1
(223 )
en impoſer , veut avoir une juſte idée de nos
ſentimens , qu'elle life les réponſes que l'on a
faites au dernier manifeſte des Commiſſaires Britanniques
; la plupart font l'ouvrage de particuliers
qui n'ont fait qu'exprimer ce que penſent
les habitans de toutes ces Provinces .
>> Ce n'eſt point , dit l'Auteur du Sens commun ,
que l'on croit être M. Samuel Adams , à la bonté
Britannique , mais à l'interpoſition de la Providence
que nous ſommes redevables de l'impoſſibilité où
vous êtes d'étendre plus loin vos ravages : aujourd'hui
vous n'êtes pas maîtres d'un pied de terrein
fur le Continent. Quelques Iles circonfcrivent votre
pouvoir , & vous ne les poffédez qu'aux dépens
de vos Iſles à ſucre. Quand vous feriez en état
d'exécuter vos menaces , les repréſailles que nous
ferions en état de prendre vous rendroient mille
fois plus malheureux que nous. Vous devez ſavoir
que l'Angleterre & l'Ecoffe font bien plus expoſés à
une dévaſtation incendiaire que l'Amérique , où il
n'y a que peu de villes , où les richeſſes confiftent
en terres & en productions annuelles , qui ne peu,
vent fouffrir que fort peu dans un cercle de tems
très-borné . Dans la Grande-Bretagne c'eſt toute autre
choſe , elle tire ſon opulence de ſes grandes
villes , de ſes bourgs , qui ſervent d'entrepôt pour
les manufactures & les flottes marchandes. Il n'y a
pas une maiſon de campagne de Seigneur qui ne
puiſſe être réduite en cendre par un ſeul homme ;
point de nation de l'Europe plus propre que nous
àune pareille entrepriſe. Nous parlons votre langue
, nous ſommes vêtus comme vous , nous avons
vos manières ; nous pouvons traverſer toute l'Angleterre
fans étre ſoupçonnés . Rien ne ſeroit plus
aiſé que de mettre le feu ; rien ne ſeroit plus difficile
que de s'en garantir «.
On fait avec quelle attention les Commiſſaires
Britanniques ont cherché à éveiller des ſcrupules
dans l'eſprit du peuple , ſur le traité fait
K4
( 224 )
avec une Puiſſance dont la Religion n'eſt pas la
même , & qui , ſelon eux , ne tend qu'à détruire
toute liberté civile & religieuſe. » Ces
expreffions , répond un Américain , font indignes
de l'homme. C'eſt dans l'Amérique que la
religion a enfin gagné une toléranee libre & univerſelle.
L'Europe , la Grande-Bretagne même ,
avec ſa liberté ſi vantée , continue-t-il, eſt aſſervie
à des reftrictions humiliantes à l'égard du culte
de l'Etre Suprême ; l'Amérique vous offre un
exemple digne d'être imité. Elle méconnoît
toute autre diftinction que celle du mérite. Le
bon citoyen eſt ſon objet & non le ſectaire ;
ne craignez donc point pour notre liberté religieufe.
L'alliance avec la France intéreſſe le
bon citoyen & non la Théologie .
FRANCE,
De VERSAILLES , le 10 Févier.
Le 2 de ce mois , fête de la Purification de la
Vierge , les Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre du Saint-Esprit , s'aſſemblèrent dans le
cabinet du Roi vers les 11 heures du matin, S. M.
fortit de ſon appartement pour ſe rendre à la Chapelle
dans l'ordre & avec les cérémonies accoutumées.
L'Archevêque de Narbonne , Prélat , Commandeur
de l'Ordre , célébra la grand'Meſſe , qui
fut chantée par la muſique du Roi ; la Comteffe
Jules de Rochechouart fit la quête ; Madame &
Madame Elifabeth de France aſſiſtèrent à la Meſſe
dans la tribune. S. M. fut reconduite enſuite à fon
appartement dans le même ordre qu'elle étoit ve.
nue. L'après-midi le Roi & la Famille Royale enrendirent
le Sermon qui fut prononcé par l'Abbé
de la Fage , Chanoine de l'Egliſe de Paris , & affiftèrent
aux Vêpres , qui furent chantées par la muſique
du Roi , & auxquelles l'Abbé de Granderatz ,
Chapelain de la grande Chapelle , officia.
Le 7 , LL. MM. Monfieur , Madame , Monſei
gneur le Comte & Madame la Comteſſe d'Artois ,
( 225 )
allèrent coucher au Château de la Muette ; ils ſe
rendirent le lendemain à Paris & revinrent coucher
à la Muette , d'où ils ſont revenus hier à Verſailles .
Le 31 du mois dernier le Comte d'Adhemar ,
Miniſtre Plénipotentiaire du Roi à Bruxelles , eut
l'honneur d'être préſenté au Roi par le Miniſtre
des Affaires Etrangères , & de prendre congé de
S. M. pour ſe rendre à ſa deſtination .
Le même jour LL. MM. & la Famille Royale
ſignèrent le contrat de mariage du Marquis de
Belſunce , Gouverneur & grand Sénéchal des Provinces
d'Agénois & Condomois , Meſtre de Camp
du Régiment de Dragons de ſon nom , avec Demoiſelle
de Vergès ; celui du Prince de Broglie
avec Demoiſelle de Roſen de Klemroop ; celui du
Comte de Laſtic , Capitaine de Cavalerie , avec
Demoiſelle de Monteſquiou , & celui de M. Molé
de Champlatreux , Conſeiller au Parlement de Paris ,
avec Demoiſelle de Lamoignon .
Le 21 Janvier M. Caron de Lévainville a prêté
ſerment entre les mains de Monfieur , en qualité de
Secrétaire de ſes Commandemens , en ſurvivance de
M. Dumerjan , qui conſerve l'exercice de cette
charge.
Le 28 , l'Abbé Deſchamps , Chapelain de l'Egliſe
d'Orléans & M. Beauvais de Préau , Docteur en
Médecine de la même Ville , eurent l'honneur de
préſenter au Roi , à Monfieur & à Monseigneur le
Comte d'Artois , un Cours élémentaire d'éducation
des Sourds & Muets , par le premier , & une Differtation
fur la parole , traduite du latin , par le
dernier. Le lendemain M. Maffabiau de Figeat ,
Avocat en Parlement , eut l'honneur de leur préſenter
un Effai fur la valeur intrinfeque des fonds ,
ou le moyen de les apprécier , de faire connoître
leurs bornes , leurs limites , leurs fervitudes , de
pénétrer dans leurs charges , & d'en donner le
rapport exact & précis en Justice .
Ks
(226)
De PARIS , le 10 Févier.
LE 8de ce mois le Roi & la Reine ſont venus à
Paris accompagnés de Monfieur& de Madame ,
deMonſeigneur & de Madame la Comteſſe d'Artois,
de Madame Elifabeth,& de Meſdamns Adelaïde
, Victoire & Sophie de France ; ils ſe font
rendus d'abord à Notre-Dame pour remercier
Dieu de l'heureux rétabliſſement de la Reine ;
de-là ils ont été àSte-Geneviève , d'où ils ont pris
le cheminde la Muette où ils ontdiné ; une foule
immenſe s'eſt trouvée ſur leur paſſage , elle a
fait retentir l'air des cris de vive le Roi , vive la
Reine , & a témoigné par ſes acclamations &
par ſes tranſports fon amour pour ſes Souverains
, & la joie que lui inſpiroit leur préſence.
Le corps de Ville de Paris ſe propofoit de célébrer
ce jour par des réjouiſſances. La Reine
en ayant été inſtruite a defiré que les dépenſes
qu'elles occafionneroient fuſſent eemmployéesàdes
oeuvres particulières de charité ; elles ont fervi
en conféquence à marier cent pauvres filles ,
à chacune deſquelles on a donné une ſomme de
500 livres pour dot , & 200 pour les habits. Ces
mariages ont été célébrés à Notre-Dame , le 8
au matin avant l'arrivée de LL. MM.
Les lettres de Breſt nous annoncent la mort
de M. de Ligondes , Capitaine du vaiſſeau le
Triton , des fuites des bleſſures qu'il avoit reçues
dans le combat qu'il ſoutint à la hauteur
de la Corogne", contre le vaiſſeau Anglois le
Jupiter & la frégate la Médée. Il n'a pas pu
profiter des bienfaits du Roi , qui lui avoit accordé
une penſion de 1500 livres dont M. le
Comted'Orvilliers avoit été chargé de lui remettre
le brevet lorſqu'il eſt retourné à Breſt. Les
actions particulières que les vaiſſeaux du Roi ont
foutenu fur mer , & dans lesquelles ils ont toujours
eu l'avantage , ont fait perdre à la marine
quelques braves Officiers. M. de Caftellan,
( 227 )
commandant le Triton , frégate de 32 canons ,
actuellement en Amérique , eſt auſſi mort dans
le combat qu'il a foutenu , dit-on , contre le
Bristol , vaiſſeau Anglois de so canons , dont il
s'eſt rendu maître à la hauteur du Cap François
; c'eſt ainſi qu'on raconte cet évènement
glorieux & funeſte : couvert de bleſſures mortelles
, affoibli par la perte de ſon ſang , il n'a
ni quitté le pont , ni ceſſé de donner ſes ordres
il n'eſt expiré qu'au moment où il s'eſt vu vainqueur;
fon zèle & fon courage ont foutenu ſes
forces & confervé ſa vie juſqu'à l'inſtant où
le Capitaine Anglois a amené.
Le 25 du mois dernier , écrit-on de Brest , la
Fortunée , une des frégates qui ont accompagné
M. deGraffe au-delà des Caps , eſt rentrée ; étant en
croiſiere , après avoir quitté l'eſcadre , elle a trouvé
deux frégates Eſpagnoles , dont une avoit à bord
un député du Congrès de l'Amérique-Unie , qu'elle
conduiſoit à Madrid , & qui a été un inſtant à bord
de la Fortunée. Le même jour la Fortunée & le
Pluvier, flûtes du Roi , ſont arrivées de Rochefort
chargées de vin ; elles convoyoient fix barques <<.
>>Le 27, la frégate l'Oiseau , partit avec la Chate,
laMouche ; celle-ci va à Audierne , apparemment
pour ſauver ce que l'on pourra d'une priſe qui s'eſt
perdue dans cette baye. La premiere va croiſer dans
la Manche. Le même jour une flotte Marchande mit
àla voile ſous le convoi de la Bellone Il y eut afſemblée
des Capitaines & autres Commandans de
bâtimens pour lire des lettres du Miniſtre.
>> Le 28 , ajoute la même lettre , il eſt arrivé une
priſe faite par la frégate la Sensible de 32 canons.
C'eſt la Marquise de Gramby , corſaire de Liverpool
, monté de 18 canons , 14: pierriers. Il s'eſt
battu pendant 4 heures avec la plus grande valeur ;
aufli a- t- il perdu beaucoup de monde , fon équipage
eſt réduit à 80 hommes La Sensible croiſoit après
avoir quitté M. de Graffe ; le corfaire l'a priſe pour
( 228 )
une frégate venant des Iſſes , & l'a attendue. L'ayant
vue de plus près , il vouloit l'éviter ; mais l'équipage
s'y oppoſa , en diſant que la frégate devoit
être fatiguée , qu'on pouvoit la prendre , & que
cette priſe lui feroit honneur. Nous avons perdu 6
hommes , 30 font bleſſés , ainſi que 2 Officiers ,
Pun, M. de Bergengreen , Officier Suédois au ſervice
de France , eſt mort de ſes bleſſures M. Scott ,
Garde de la Marine , a eu lebras caffé . Ce corſaire
nous avoit enlevé déja pluſieurs bâtimens , il avoit
pris la veille , un navire du convoi deM. deGraſſe,
qui étoit reſté en arrière.
;
>>>Les conſtructions que je vous ai annoncées ,
ajoute ce correſpondant , auront lieu inceſſamment.
Le vaiſſeau de 110 canons , qu'on va conſtruire dans
ce port; eft nommé le Royal-Louis , il est tracé,
& il ſera conftruit dans le baſſin , où l'on achève la
refonte du citoyen ".
>> Les mêmes lettres ajoutent qu'on a reçu dans
ce port la nomination des vaiſſeaux qui n'avoient
point de Capitaines. La Ville de Paris , de 90 canons
, M. Duchaffault; la Couronne de 80 , M. de
Guichen. En ſuppoſant que le premier fût hors d'état
d'aller à la mer , M. de Guichen gardera fon vailfeau
, & M.de la Touche - Tréville , montera la
Couronne ; l'Auguste de 80 , M.de Rochechouart ;
leCytoyen de 74, M. de Nieuil ; l'Atifde74 ,M.
de Barandru ; le Triton de 64 , M. de la Clochetterie
; le Protée , le Solitaire & l'Eveillé de la
même force , MM. de Valmeniere , de Monteclair
&de Balleroi. La Belle-Poule de 32 , M. de Kergarion-
Locmaria. Cette frégate eſt rentrée avec une
repriſe ; le 16 Janvier elle avoit trouvé l'eſcadre de
M. deGraffe à 70 lieues de Brest , faiſant route avec
un vent favorable ; les mêmes lettres annonçoient
que M. d'Orvilliers étoit malade , qu'il avoit eu une
foibleſſe qui avoit donné de l'inquiétude , des lettres
poſtérieures raffurent ſur ſon état.
Selon des lettres de Rochefort , les conftructions
qui ſe font dans ce département font les
( 229 )
ſaivantes : L'Invincible , de 90 canons , l'Argonaute,
l'Illuftre , le Brave & le Magnanime, de74.
Les frégates la Cerès, la Fée , la Galatée , l'Hermionne
, de 32. Les galiotes à bombe , la Tenare
, le Vésuve , de 2 mortiers & de 8 canons.
Les chaloupes canonnières , l'Embuscade ,
l'Imprudente , la Mégère , la Panthère , de 3 canons
, de 18 livres de balle. Le Magnanime &
l'Hermionne feront lancés à l'eau en Mars . Les
navires partis de ce port pour aller joindre le
convoi à l'ifle d'Aix , ont été diſperſés par un
coup de vent de N. E. le 9 du mois dernier.
Comme il n'en eſt revenu qu'un feul , on préfume
que les autres aurent pourſuivi leur route
à tout hafard.
On écrit de S. Malo que le cutter la Guêpe
va reſſortir ; le Capitaine du Fougerais Garnier
réunit le courage de l'ame & la force du corps.
On dit qu'un jour, dans le fond de la Baſſe-
Bretagne,mécontent du cheval rětif qu'il montoit,
comme un autre Roland, il le tua d'un
coup de poing. Selon les mêmes lettres , le
corſaire l'Américaine , de Granville , Capitaine
la Cocardière a relâché à Cancale ; il a fait fix'
priſes dans ſa croifière. Une eſtimée 120,000 1.
non encore entree ; une chargée de 400 pipes
de vin de Porto , & de 200 caiſſes de fruits
fecs; un corfaire de 10 canons , un brick chargé
de ſalaiſons , & 2 marchands; il avoit en outre
cinq rançons à bord. L'Yorck rançonné pour
100,000 liv . , l'Indiamen , 15,400, le S. George ,
50,000 , l'Horobury , 40,000 , laPeggy , 14,950 ;
total , 220,350 liv.
Les corfaires de Rouen n'en ont pas fait de
moins riches ; le Duguay - Trouin , Capitaine
du Carfon du port du Havre , y a conduit deux
priſes , le Fatham venant de New-Yorck , évalué
500,000 liv. , & le Junius de Liverpool ,
eſtimé 150,000. Le nombre des corſaires que
( 230 )
la ville de Rouen a en mer ou en conftruction,
eft de 25 à 30.
Les
Dunkerquois en ont actuellement en
courſe 15 de 18, 14 , 12 , 10, 8, 6 & 4 canons.
Juſqu'à préfent ils ont fait au-delà de
millions de priſes , & n'ont perdu qu'un petit
navire de 4 canons. Ces premiers ſuccès ont
infpiré une telle émulation dans ce port , que
l'ony conftruit à préſent 3 corſaires nouveaux
de 20 & de 12 canons , & pour le compte du
Roi quatre cutters , le Serpent&
18 canons , le Martin & le Pilote , de 12. Ils laLevrette, de
feront montés par MM. de
Luc , de Roquefeuil & de Clonard, Officiers la Lanne, de Montde
la marine royale.
Le vaiſſeau laBourgogne eſt en armementà
Toulon; le Souverain eſt dans le baffin où on le
refond à neuf; il fera prêt en Mai ; le Lion eft
en carenage. » Nous avons , écrit-on de Marſeille
, onze corfaires à la mer ou prêts à partir ;
mais les priſes qu'on peut faire fur les Anglois
font en général de peu de valeur, & en petit
nombre dans la Méditerranée. Le Capitaine
d'un bâtiment Majorcain a dépoſé avoir relaché
à Mahon ; qu'il en
qu'on y armoit cinq chébecs , & qu'on devoit étoit forti 30 corfaires,
y lancer une frégate pour la courſe. Cette dé
pofition paroît exagérée ; car où prendre les
matelots pour des armemens auffi confidérables.
Ileſt cependant vrai que les corſaires deMahon
nous font du mal ; un d'eux a pris depuis peu de
jours 3 bâtimens à 3 milles du Château d'If. Le
Capitaine Majorcain a laiffé à Mahon trois bâ
timens François commandés par les Capitaines
Moret , Roux &
ils s'étoient féparés imprudemment de la frégate Villimerois venant du Levant ;
du Roi qui les
eſcortoit ".
nant
Dans l'attente des nouvelles de M. le Comte
d'Estaing , & dans l'incertitude où l'on eſt d'en
recevoir , on recueille avec empreſſement tou(
231 )
tes celles que peuvent apporter ceux qui viennent
du nouveau Monde ; nous tranfcrirons ici
une lettre du Capitaine Vidal de Martigues ,
en date du 10 du mois dernier. Elle n'offre
que des détails antérieurs au départ de l'eſcadre
Françoiſe de Boſton ; & quoiqu'un peu
anciens ilsfont intéreſſans, curieux&peu connus.
Je ſuis parti de Boſton le 6 Novembre 1778 , deux
jours après le Comte d'Estaing. Ce Vice-Amiral eſt
fingulièrement aimé des Américains : pendant que
l'eſcadre a été dans le port, elle a mangédela viande
fraîche , & juſques aux mouffes , tout le monde prenoit
le matin ſon café. Les marins étoient frais , gail.
lards & pleins d'ardeur pour combatre. Huit jours
plutôt que notre Vice-Amiral fût arrivé , la guerre
étoit finie dans le Continent ; mais les vents & les
Pilotes-côtiers ont fait manquer ſes grands projets .
M. Howe ayant voulu ſecourir Rhode-Iſland au mois
de Septembre , notre Vice-Amiral courut fur lui &
donna chaſſe; le gros tems empêcha la pourſuire.
L'ouragan du 28 ſurvint , & le Languedoc fut dé
mâté de tous ſes mâts. Le lendemain il fut attaqué
par un vaiſſeau de so canons , qui s'obſtinoit à le
prendre par le côté foible ; mais M. d'Estaing ayant
promis une fomme conſidérable pour chaque coup
de canon qui porteroit dans le corps de ſon adverfaire,
les canonniers firent ſi bien leur devoir , que
celui-ci jugea à propos de ſe retirer pour ne pas trop
enrichir nos canonniers. Le ſurlendemain on découvrit
6 vaiſſeaux de ligne , & le Comte d'Estaing ſe
diſpoſa à combattre. Il plaça 12 grenadiers autour
de ſon pavillon , en leur ordonnant de tirer ſur luimême
, s'il lui arrivoit d'ordonner d'amener. Il courut
enfuite à la Ste Barbe , où il mit auſſi 12 autres
grenadiers . Les Officiers lui ayant repréſenté qu'il
étoit impoſſible de ſe défendre dans l'état où étoit
le vaiſſeau , il leur ordonna , pour toute réponſe
, de ſe tenir à leurs poſtes . Remonté fur le tillac ,
il déjeûna de bon appetit ; après quoi il jetta ſon
habit, ſe mit en bonnet , & harangua l'équipage à(
232 )
peu-près en ces termes : » Mes enfans , vous n'irez
>> pas en Angletterre ; que chacun faſſe ſon devoir ;
>>>je vais vous apprendre comment un Cordon bleu
>> doit ſe battre. « Deux heures après , les 6 vailſeaux
furent reconnus pour être François , & nous
voguames vers Boſton , où nous nous ſommes bientôt
ravitaillés & remis en état. Le 4 Novembre
l'eſcadre , eſt partie : on ne fait pas fi elle est allée à
la pourſuite de celle de l'Amiral Byron , diſperſée
par la tempête , ou ſi elle va relâcher dans nos Iſles ,
ou enfin fi elle va tenter quelque entrepriſe importante.
Ce qu'il y a de ſûr , c'eſt que l'ardeur & le
courage règnent dans tous les rangs de l'armée navale.
Parmi 300 priſonniers fairs par notre eſcadre ,
il ſe trouvoit un neveu de l'Amiral Byron ;& comme
il fut queſtion d'échange , notre Vice-Amiral demanda
tous les priſonniers François , en quel nombre
qu'ils ſe trouvaſſent. Sur les difficultés élevées
par leGénéral Anglois , M. d'Estaing répondit qu'il
avoit ſon neveu en ſon pouvoir , &que comme il
n'entendoit pas le François , il l'alloit envoyer à Paris
pour l'apprendre : auſſi-tôt l'échange fut fait , de fix
François , contre trois Anglois. Cette manière hardie
&franche de traiter , a concilié au Comte d'Estaing
laconfiance de tous les Américains ;&quelle que foit
ſon entrepriſe , on compte ſur un plein ſuccès , &c.
,
M. Helyot , Prêtre , ancien Vicair-eGénéral
du Diocèſe de Toulouſe , Abbé Commendataire
de l'Abbaye Royale le Perray - Neuf ,
Ordre de Prémontré , Diocèſe d'Angers , eſt
mort à Toulouſe le 16 Janvier dernier , dans
la 79e année de fon âge.
Le Comte de Moncan , Lieutenant-Général ,
Commandant en Languedoc en l'abſence du
Comte de Périgord , eſt mort à Montpellier
le 21 Janvier vers la fin de ſa 85e année.
,
Il paroît deux Arrêts du Conſeil d'Etat en
date du 10 Janvier dernier , l'humanité & la bienfaiſance
les ont dictés. Le premier porte que » S. M.
en ordonnant les diverſes réformes que le réta
( 233 )
1
bliſſement de l'ordre dans ſes Finances rendoit indiſpenſable
, & en ſe propoſant d'accomplir ce
plan ſalutaire , à mesure que les circonstances le
permettront , ne détourne point ſes regards des
privations , auxquelles le bien public aſſujettit les
particuliers ; & défirant concilier autant qu'il eſt poſfible
les devoirs de ſa juftice générale avec les ſentimens
de bonté , dont Elle est bien loin de ſe
défendre , Elle s'eft d'abord propoſée d'accorder ,
par préférence , aux Tréſoriers & autres Propriétaitaires
de charges ſupprimées , les charges principales
qui viendront à vaquer , & comme il y a un
grand nombre d'emplois ſubalternes , S. M. ordonne
que tous les Commis & Employés , qui ont
été ſupprimés ou qui pourroient l'être par l'effet des
réformes , foient admis à ſe faire enregiſtrer dans
un bureau déſigné , afin qu'à meſure de vacance
d'emplois , la préférence foit donnée à ceux qui
ont perdu leur état , &c «.
Le ſecond concerne les Enfans-trouvés. » Dans
le compte que l'on a commencé à rendre au Roi ,
des Maiſons de Charité , S. M. a fixé ſes premiers
regards ſur l'état de ces enfans abandonnés
, qui n'ont d'autre appui que ſa protection ; &
Elle n'a pu apprendre ſans douleur , que dans un
des objets les plus intéreſſans de l'adminiſtration
publique , il s'étoit introduit un abus contraire à
tous les principes de l'humanité , & qu'Elle ne pou
voit trop promptement réprimer. S. M. eſt informée
qu'il vient tous les ans à la Maiſon des Enfanstrouvés
de Paris , plus de deux mille Enfans nés
dans des provinces très-éloignées de la Capitale :
ces Enfans , que les ſoins paternels pourroient à
peine défendre contre les dangers d'un âge fi tendre
, font remis fans précautions , & dans toutes
les ſaiſons , à des voituriers publics , diſtraits par
d'autres intérêts , & obligés d'être long-tems en
route ; de manière que ces malheureuſes victimes
de l'inſenſibilité de leurs parens , ſouffrent tellement
d'un pareil tranſport , que près des neuf
(234)
dixièmes périſſent avant l'âge de trois mois. S. M.
a regretté ſenſiblement de n'avoir pas été plutôt
inftruite de ces triſtes circonstances ; & preſſée d'y
remédier , Elle veut qu'à compter du ser Octobre
prochain , il ſoit défendu à tous voituriers ou à
toute autre perſonne , de tranſporter aucun Enfant
abandonné ailleurs qu'à l'hopital le plus prochain ,
ou à tel autre de la Généralité , défigné particulièrement
pour ce genre de ſecours ; & fi cette diſpoſition
, que les devoirs de l'humanité rendent indif.
penſable , obligeoit quelque Maiſon de Charité de
Province , à une augmentation de dépenſe qui furpaſsât
fes revenus , S. M. y pourvoira la première
année de ſon tréfor royal , & ſe fera rendre compte
dans l'intervalle des moyens qui pourroient y ſuppléer
d'une manière conſtante & certaine. S. M.
après avoir ainſi remédié à un mal ſi preſſant ,
n'a pu s'empêcher de jetter un coup d'oeil plus
général ſur cette partie eſſentielle de l'ordre public.
Elle a remarqué avec peine , que le nombre des
Enfans expoſés augmentoit tous les jours , & que
la plupart provenoient aujourd'hui de noeuds légi
times ,de manière que les aſyles inſtitués dans l'origine
, pour prévenir les crimes auxquels la crainte
de la honte pouvoit induire une mère égarée , devenoient
par dégrés des dépôts favorables à l'indifférence
des parens ; que par un tel abus cependant
la charge de l'Etat s'accroiffoit , & de telle
forte que dans les grandes Villes l'entretien de
cette multitude d'enfans , n'avoit plus de proportion
, ni avec les fonds deſtinés à ces établiſſe .
mens , ni avec la meſure de ſoins & d'attention
dont une adminiſtration publique eſt ſuſceptible ;
qu'enfin il réſultoit encore d'un pareil défordre ,
qu'en même tems que les enfans perdoient cette
protection paternelle , qui ne peut jamais être
remplacée , les mères de ces Enfans renonçant
pour la plupart aux moyens de nourrir , que laNature
leur a confiés , il devenoit de plus en plus difficile
d'y ſuppléer , & de pourvoir à la première
,
(235)
ſubſiſtance de cette qualité d'Enfans livrés aux ſoins
des hopitaux. Les dangereuſes conféquences,d'un
pareil abus n'ont pu échapper à l'attention de S. M.
Elle examinera dans ſa ſageſſe quelles ſeroient les
précautions néceſſaires pour mettre un frein à cette
dépravation : & voulant néanmoins éviter , s'il eſt
poſſible , d'avoir à déployer à cet égard la ſévérité
des loix , Elle a jugé à propos de commencer par
enjoindre aux Curés , à leurs Vicaires , & à tous ceux
qui ont droit d'exhortation ſur les peuples , de redoubler
de zèle pour oppoſer à ce pernicieux déréglement
, & les préceptes de la religion , & les ſecours
de la charité , afin de parvenir , autant qu'il eſt
en eux , à détourner de ces crimes cachés , auxquels
les loix ne peuvent atteindre que par des recherches
rigoureuſes , mais qui deviendroient cependant indif
penſables ſi les efforts des Miniſtres de la Religion ,
&tous les moyens de bonté que S. M. emploie ,
n'arrêtoient point les progrès d'un ſi grand déſordre
, &c.
L'Arrêt du Confeil d'Etat adreſſé aux Amirautés
, en date du 14 Janvier , & vifé le 19
par M. le Grand-Amiral , eſt conçu ainſi :
>>Le Roi ayant annoncé par ſon Règlement du 26
Juillet dernier , concernant la navigation des bâtimens
neutres , qu'il ſe réſervoit de révoquer la liberté
promiſe par l'article premier , dans le cas où
les Puiſſances ennemies n'accorderoient pas la réciprocité
dans le délai de fix mois ; & S. M. jugeant à
propos de faire connoître ſes intentions , relativement
aux bâtimens appartenans aux ſujets de la République
des Provinces-Unies des Pays-Bas. Ouï le
rapport , le Roi étant en ſon Conſeil , a ordonné &
ordonne ce qui ſuit : 10. La République des Provinces-
Unies n'ayant pas obtenu de la Cour de Londres
une liberté pour la navigation , égale à celle que le
Roi avoit conditionnellement promiſe à ſon pavil .
lon , & que ſes Traités avec l'Angleterre lui afſfuroient
; S. M. révoque , à l'égard des ſujets de ladite
République , les avantages annoncés par l'article
( 236 )
premier du Règlement concernant le commerce &
la navigation des bâtimens neutres : Veut en conſéquence
S. M. que les articles 1 , 2 , 3 , 4 & 5 du
Règlement du 21 Octobre 1744 , ſoient proviſoirement
exécutés à l'égard des bâtimens de ladite République.
20. S. M. déclare en outre , qu'à dater du
26 Janvier 1779 , les bâtimens appartenans aux ſujets
de ladite République , acquitteront ledroit de fret,
tel qu'il ſe trouve établi par les Ordonnances &
Règlemens , & particulièrement par la Déclaration
du 24 Novembre 1750 , & l'Arrêt du Conſeil du
16 Juillet 1757 ; ſe réſervant S. M. de faire publier
inceſſamment un nouveau tarif, relativement
aux denrées propres des Provinces - Unies & aux
productions de leurs manufactures. S. M. confidérant
cependant que la Ville d'Amſterdam a fait les
efforts les plus patriotiques , pour déterminer la
République àafe
ſe procurerde la part de laCourde
Londres , l'aſſurance de la liberté illimitée qui appartient
à ſon pavillon , par une ſuite de ſon independance
& de l'intégrité du commerce que lui aſſurent
le droitdes gens & les traités : Et S. M. voulantdonner
à ladite ville , un témoignage éclatant
de ſabienveillance , elle conſerve aux bâtimens frétés
par ſes habitans , & qui ſortiront de ſon port ,
la liberté promiſe par l'article premier du Règlement
du 26 Juilletdernier, concernant la navigariondes
neutres , ainſi que l'exemption du droit de fret ; à
l'exception des bâtimens employés au cabotage dans
les ports de France , pour lesquels l'Arrêt du Conſeil
du 16 Juillet 1757 , continuera d'être exécuté.
S. M. conferve en outre aux habitans de ladite ville ,
les avantages dont jouiſſent les denrées qui leur ſont
propres , & les productions de leurs manufactures ,
conformément à ce qui ſe pratique préſentement.
4°. Pour affurer excluſivement aux bâtimens Amſterdamois
, la jouiſſance des avantages énoncés dans
l'article précédent , S. M. déclare que les Capitaines
deſdits bâtimens devront être munis d'un certificat
duCommiſſaire de la Marine, établi à Amſterdam, &
( 237 )
J'une atteſtation des Magiſtrats de ladite ville,
pour conſtater que les bâtimens y ont été réellement
frétés par des habitans domiciliés , & qu'ils font fortis
directement de ſon port pour ſe rendre à leur
deſtination . 5º. Seront tenus leſdits Capitaines , de ſe
préſenter à leur retour , par devant ledit Commiſſaire
de la Marine , & de lui fournir la preuve qu'ils n'aurontdéchargé
leurs marchandiſes de leur cargaiſon ,
dans aucun port ou rade de la République , que dans
celui d'Amſterdam. Enjoint S. M. audit Commiſſaire,
de refuſer à l'avenir un nouveau certificat à ceux qui
n'auront pas fourni cette preuve de bonne foi , qui
pourront être convaincus d'avoir déchargé leurs
marchandiſes dans d'autres ports ou rades de la République.
69. S. M. charge ſpécialement ſon Ambaf-
Tadeur auprès de la République des Provinces-Unies
des Pays-Bas , de veiller à l'exacte obſervation du
préſent Arrêt.
Les numéros ſortis au tirage du rer de ce mois,de la
Lotterie Royale de France , ſont 64,33,57,82 , 45.
De BRUXELLES , le 10 Février.
LES troupes des Pays-Bas , deſtinées à joindre
les armées Impériales en Allemagne , ont
reçu ordre de ſe tenir prêtes à ſe mettre en
route vers le 15 de ce mois. On travaille à
completter tous les Régimens qui reſteront dans
ces Provinces , pour les mettre en état de ſe rendre
en Allemagne , s'il y deviennent néceſſaires
&fi la paix pour laquelle nous ne pouvons faire
que des voeux , ne ſe conclut pas d'ici au printems
.
Le Général Prince de Ligne , qui a ſervi
pendant la campagne dernière en Bohême , eſt
revenu ici & a pris poffeffion du Gouvernement
de Mons. Il vient de rendre à M. illien ,
Négociant de Liege , ſes Terres d'Amſtelrode
& de Gélern , près de Maſtrecht , pour une
ſomme de 567,000 florins , argent du pays.
Les démélés entre la France & l'Angleterre
fixent toujours l'attention ſur l'Eſpagne , dont
(238 )
on foupçonne depuis fi long-tems les diſpoſitions ,
& qui ne ſe déclare point encore. Ses forces
maritimes exagérées dans les papiers publics ,
confiftent en 37 vaiſſeaux de ligne & 7 frégates
prêts à partir de Cadix au premier fignal , fous
les ordres du Lieutenant-Général D. Louis de
Cordova ; en 14 vaiſſeaux de ligne & 3 frégates
également prêts à partir du Ferrol , fous
le Commandement du Chef- d'eſcadre D. Antoine
de Arcé , & en 9 vaiſſeaux de ligne &
pluſieurs frégates qui font en croifière tant dans
les Indes que dans la Méditerranée. Ses forces
de terre font portées à 111,045 hommes actuellement
ſur pied ; ſavoir , 6690 Grenadiers à
cheval & Gardes ; 37,200 hommes d'Infanterie
partagés en 31 Régimens de 2 bataillons chacun
; 3 Régimens Irlandois de 1200 hommes
chacun ; 6 Régimens Suiſſes de 1600 hommes
chacun ; 5 Régimens Gardes - côtes , faiſant
5220 hommes ; 33 bataillons de Milice , faiſant
19,800 hommes; 23 Régimens de Cavalerie ,
chacunde 3 efcadrons , enſemble9660 hommes;
18 de Dragons , 7560 ; 4 Régimens d'Invalides
de 200hommes chacun ; I corps de Fufiliers
Irlandois , de 600 hommes , quelques
pagnies indépendantes , faiſant 1715 hommes ,
&4000 Artillers .
Com-
>>>Notre fituation politique , écrit-on deMadrid
, eft toujours la même , ainſi que celle du
refte de l'Europe. La guerre n'eſt déclarée
nulle part ; mais par-tout on eft armé , &nous
le ſommes auffi. On remarque que le plus grand
nombre de nos troupes de terre ſe porte vers
le midi occidental du Royaume , & que nos
flottes font toujours prêtes à faire voile. On
ne doute pas qu'au premier changement qui
ſe fera dans la fituation extraordinaire de l'Europe
, nous ne foyons dans le cas de prendre
un parti décifif; mais il paraît que le Miniftère
, déterminé à n'attaquer perſonne , eft prêt
à tout évènement en cas d'une attaque de la
(239)
part de nos ennemis ou ceux de nos alliés. Les
lettres de Cadix portent que l'on tranſporte
une quantité immenſe de munitions de toute
eſpèce dans le camp de Saint-Roch , & que
l'on a à Algéſire , petit Port à 3 ou 4 lieues
de Gibraltar , 2 frégates en ſtation , avec ordre
de ne pas la quitter , quand même les Maures
paſſeroient à leur barbe , & le cas eft en effet
arrivé. Nos dépenſes maritimes paſſent toute
imagination ; ce qui n'embarraſſe pas peu les
Anglois. Ils nous demandent la paix ; ce qui nous
fait croire à la guerre . L'occaſion de reprendre
Gibraltar paroît favorable ; la nation le defire
, comme la France defire de rétablir Dunkerque
. D'ailleurs,cette Place nous conviendroit
fort pour contenir les corſaires de Barbarie « .
Pluſieurs Gazettes annoncent que 15 vaif
ſeaux de ligne doivent partir du Ferrol pour
ſe rendre à la Corogne , & de-là faire voile
pourBreft. >> On me mande la même nouvelle
du Ferrol , en date du 8 Janvier , écrit un de
nos correſpondans à Bayonne ; le jour du départ
de l'efcadre eſt fixé au 15 ; mais ce rapport
eft fi beau , que j'ai peine à le croire «.
Selon les lettres de la Haye , l'Arrêt du Con
ſeil d'Etat du Roi de France , par lequel il retire
les avantages accordés ci-devant au commerce
de la Hollande , & les conferve à la
Ville d'Amſterdam , a fait la ſenſation la plus
vive . Les vrais Patriotes ne ceſſent d'oppoſer
aux partiſans des Anglois , qu'il faut obferver
la neutralité la plus exacte , conformément au
traité de 1674 , parce que c'eſt l'avantage commun
de la Républiqne & de la France , & que
vainement & fauſſement on prête , à cette dernière
, des projets de conquête qu'elle ne peut
ni ne doit avoir en bonne politique. Depuis quatre
ans , fon miniſtère l'a bien prouvé.
>>>Nos Etats , écrit-on d'Amſterdam , viennent de
prendre la réſolution de faire convoyer nos vaifſeaux
chargés de proviſions navales comme les au(
240 )
1
tres , & de demander àl'Angleterre lareſtitutionde
tous nos navires qu'on nous retient , ſans quoi nous
ſerions obligés de repouſſer la force par la force , &
pour foutenir ce langage , on va de nouveau armer
des vaiſſeaux de guerre. On est fort impatient d'apprendre
comment l'Angleterre prendra cette déclaration.
Ce ne font que les Provinces de Hollande &
de Friſe, qui ont pris cette réſolution ; mais j'eſpère
que les autres prendront le même parti ; alors on
pourra ſe flatter qu'il ſe fera des changemens àl'Arrêt
du Conſeil d'Etat du Roi de France , dont les
diſpoſitions ne font que proviſoires ; c'eſt l'intérêt
réciproque des deux Nations , la nôtre doit le ſentir.
Ellen'ignore pas les procédés des Anglois àl'égard
de ſes vaiſſeaux; le4 du mois dernier un corfairede
Darmacth s'empara de deux de nos navires , commandés
par les Capitaines Luyſtes & Cauw , qu'il fit
paffer ſur ſon bord avec leurs équipages , & qu'il
conduiſit àGibraltar , après les avoir fort maltraités.
Les vaiſſeaux de guerre Hollandois , l'Argo & le
Walcheren , commandés par MM. Vankinsbergen
&Haringſman , étoient dans ce port. Le Capitaine
Luyſtes leurconta ſon malheur , & M. Haringſman
mit auſſi-tôt à la voile pour aller reprendre les 2
navires Hollandois qu'il ramena à Gibraltar , rendit
à leurs propriétaires , & convoya à leurdépart jufqu'à
une certaine hauteur ee.
>> C'eſt à tort que l'on a mis dans quelques
Gazettes , entr'autres , dans le Courier de l'Europe
, qu'il a étépermis à M. le Prince de Nafſfau
deprendre beaucoup dejeunes gens enfermés dans
les prisons de la Capitale , afin que fa légion foit
plutôt formée. L'empreſſement des François ,
lorſqu'il s'agit de combattre les ennemis de
l'Etat , eſt toujours trop ardent , pour que l'on
ait beſoin de recourir à de ſemblables moyens ,
& de plus , M. le Prince de Naſſau & les Officiers
qui doivent faire campagne avec lui , ne
les adopteroient jamais dans la noble carrière
qu'ils ſe diſpoſent à parcourir. Signé , un Officier
des Volontaires de Naffau .
Lans MERCURE
Louvent
праек
a cette
Hollat
nais
mensi
qu
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles;
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & dos
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
25 Février 1779 .
APARIS,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
AvecApprobation & Brevet du Roi.
TABLE
.
Couplet en Musique , 256
PIÈCES FUGITIVES. VARIÉTÉ s .
L'Académie des Animaux,Commentaire fur l'Esprit
243 Fable ,
des Lois deMontesquieu
LeVoyage de laVie, 246 parM. de Voltaire, 297
La Méprise, Madrigal ,
SCIENCES ET ARTS.
255 Mémoire fur la manière
d'aſſainir les murs, 308
Enigme& Logogryp. 160 Gravures ,
NOUVELLES
LITTÉRAIRES . JOURNAL POLITIQUE.
Éloges lus dans lesAffem- Constantinople ,
bléespubliquesde laSo- Stockholm ,
ciétéde Médecine, 261 Varsovie ,
310
ANNONCES LITTÉR. 311
313
314
317
Recherchesfur les volcans Vienne , 318
éteints du Vivarais & Hambourg , 319
duVelay,
267 Ratisbonne , 323
Théâtre de M. Laus de Berlin 2
324
Boiffy,
281 Rome , 325
Almanach Littéraire ou Londres , 327
Étrennes d' Apollon 283 États-Unis de l'Amériq.
Lettre d'
l'unjeune Homme à Septent.
fonAmi , 287 Versailles ,
SPECTACLES . Paris,
337
340
341
353 Comédie Françoise, 289 Bruxelles ,
Comédie Italienne , 292
APPROBATION
.
FAT lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , lo Mercure de France , pour le 25 Février
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſ
flon. A Paris ,ce 24 Février 1779.
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Come.
米
MERCURE
DE FRANCE.
25 Février 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'ACADÉMIE DES ANIMAUX ,
FABLE.
M
A foi , vive les gens d'eſprit ,
Diſoir un jour, non pas un docte Aréopage ,
Mais quelques animaux citoyens d'un bocage ,
Gens fort ſavans , dit- on , ſans avoir rien écrit.
Lij
244 MERCURE
L'orgueil un jour chez eux devint épidémie,
Et l'on cria tout d'une voix
4
Qu'il falloit au milieu des bois
Etablir une Académie.
Les fauteuils font au plus haut prix ;
Chacun les demande à grands cris .
Sire Lion , prince des plus habiles ,
Convoqua tous les beaux eſprits ,
Reptiles ,
Volatiles ,
Et le ſcrutin choiſit en plein conſeil d'état
Les membres du nouveau ſénat.
Chacun des récipiendaires
Lut ſon remercîment qui fit battre des mains,
Et chaque diſcours n'étoit guères
Qu'un compliment pour ſes confrères
Et pour nous tous , pauvres humains ,
Une ſatyre. La féance
Devoit s'employer ce jour -là
Adémontrer ſur nous leur preſſéance ;
Et Dieu fait ſi chacun doctement étala
Son académique éloquence.
L'ABEILLE , d'un air ſemillant ,
Par ces mots prononcés , j'ignore en quelle langue ,
D'un débit rapide & faillant
En petite maîtreſſe acheva ſa harangue :
>> Les hommes ſont ma foi plaiſans !
En vérité ce ſont d'habiles gens !
DE FRANCE .
245
Leuidivine raiſon , dont on bat nos oreilles ,
Les peut- elle égaler à nous , filles du Ciel ?
Jamais l'un d'eux , en ſes ſavantes veilles ,
A-t-il ſu , comme les abeilles ,
Compoſer un rayon de miel ?
L'un d'eux a- t'il jamais fait une once de cire ?
Les pauvres gens ! d'honneur ils me font rire
De croire que rien n'eſt pareil
Aleur eſprit , & que ſous le ſoleil
Il ſoumet tout à leur empire ».
L'ABEILLE ſe tut , & foudain
Le ver à ſoie auſſi vint parler de ſa gloire ,
Ayant prie le finge ſon voiſin
De vouloir bien le prendre & poſer ſur ſa main,
Pour être au moins vu par ſon auditoire.
Le ver académicien
Avoit l'air plus modeſte & parloit auſſi bien .
Je ne ſais pas, dit-il , ſi je m'en fais accroire ;
Mais je crois qu'épuiſant l'eſprit & la raiſon ,
Tous ces hommes ſavans , que l'homme déifie ,
Sur un mûrier en feuille iroient paſſer leur vie ,
Qu'ils n'y fileroient pas un ſeul petit cocon.
Le courſier à ces mots lève ſa tête altière ,
Sans écume & fans frein , ſecoue en frémiſſant,
Le long poil ondoyant de ſa libre crinière ,
Frappe du pied la terre , & trois fois henniſſant :
Qu'il vienne donc , dit-il , ce Monarque puiſſant ,
Liij
246 MERCURE
:
Oppoſer, s'il ſe peut , un rival à ina gloire ,
Qui ſache , retardant, précipitant ſes pas ,
Ou porter un héros au milieudes combats ,
Ou traîner un char de victoire !
Que ſi l'un d'eux, ſéduit par un eſpoir trompeur ,
Se fait de m'imiter une étude indiſcrète ,
Qu'arrive-t'il? On croit que c'eſt lui faire honneur
Que de lui confier une vile brouette ;
Encore eft-il d'un gauche à faire malau coeur !
IL dit, &l'araignée en un clin-d'oeil s'apprête
Pour haranguer d'en-haut ſon ſavant auditeur.
De ſes vingt bras tendus le fubtil orateur
Monte ſurun branchage élevé ſur leur tête ,
Comme un cable , d'en-haut lance un fil conducteur,
Tombe, & tout en volant le pourſuit& le file,
Adeux brins de gazon l'attache en bas , foudain
Remontant tout le long de ſa trame ſubtile ,
S'arrête au beau milieu pour commencer enfin :
Ondiroit d'un ſauteur agile,
Qui dans les airs d'un pied léger ,
Foulant une corde mobile ,
Se diſpoſe à courir , fauter & voltiger.
L'HOMME, à l'ouir , dit enfin l'araignée,
(Etje ne l'entends point ſans en être indignée )
Poſsède ſeul les arts. D'abord pour les juger
J'ai couru leurs manufactures ,
Pour la foie& pour les dorures ;
DE FRANCE. 247
Elles m'ont fait pitié. Que dire plus ? J'admets
Le juge qu'ils voudront ; qu'on le nomme & qu'il
vienne ;
Fût-ceunvrai quinze-vingt , il faudra qu'il convienne
Que leur toile n'a pu jamais
En fineſſe égaler la mienne.
Il faut donc conclure en un mot
Que je fuis fort habile , & que l'homme eſtun fot.
CETTE conclufion prit fort , quoique nouvelle;
Ainſi qu'un refrein de chanfon ,
Chaque orateur l'amène en ſa péroraiſon ,
Tant elle a paru naturelle.
Elle devint proverbe , & courut les forêts ,
De Boſton à Pékin , de Verſailles à Rome ;
Et pour dernière injure on diſoit déſormais :
En vérité, ce chien eft plus bête qu'un homme.
MAFable en pluſieurs fens pourroit s'interpréter;
Il eſt bon qu'ici je m'explique.
Quelque charitable critique
Croiroit , diroit au moins que je veux inſulter
Quelque Sénat Académique.
Non , voici mon but en deux mots :
Je veux prouver que l'amour- propre aux fots ,
Toujours pour ſe louer , offre quelque matière ,
Et qu'on voit un fat bien ſouvent ,
Parce que ſur un point il a plus de lumière ,
Se préférer en tout au plus ſavant;
Liv
248 MERCURE
Mais l'un garde toujours ſa gloire toute entière,
L'autre eft gros Jean comme devant.
(ParM. Imbert.)
“
LE VOYAGE DE LA VIE ,
Allégorie traduite de l'Anglois.
La vie , dit Sénèque, eſt un voyage
« dont la ſcène change fans ceffe. Nous
laiffons l'enfance derrière nous pour en
trer dans la jeuneſſe; la jeuneſſe nous
conduit à l'âge mûr , & celui- ci à la vieilleſſe
, qui eſt la ſaiſon de la vie la meilleure
& la plus agréable ».
ود
ود
رد
ود
ود
En lifant ce paſſage ,je me fentis entraîné
doucement dans une ſuite de réflexions fur
l'état de l'homme , l'inconſtance de ſes defirs ,
le changement continuel de ſes goûts & de
ſes difpofitions pour les objets extérieurs ,
& l'incertitude avec laquelle il flotte dans
l'Océan du temps. Le ſommeil me furprit
au milieu de cette méditation; & dans mon
fommeil mes oreilles furent frappées d'un
bruit confus excité par les cris tumultueux
de gens qui travailloient , par des éclats
d'allegreffe , les plaintes de la douleur , les
fifflemens du vent , & le bruit des eaux qui
venoient ſe brifer contre le rivage.
La furpriſe réprima d'abord ma curiofité:
tout occupé à regarder , j'oubliai pendant
DE FRANCE.
249
quelque temps de demander ce que ſignifioient
ces bruits & ce concours de monde.
Revenu enfuite de mon premier étonnement
, je me hafardai à demander aux gens
qui étoient le plus proche de moi , ce que
nous allions faire , & ce qui excitoit un ſi
grand tumulte. On me répondit que tout ce
monde alloit être lancé dans l'Océan de la
vie ; & que nous avions déjà paſſé le détroit
de l'enfance où pluſieurs avoient fait nau--
frage , quelques-uns à cauſe de la foibleſſe
de leurs vaiſſeaux , qui n'avoient pu réfifter
à la mer , & le plus grand nombre par l'imprudence,
laméchanceté de ceux qui s'étoient
chargés de les conduire , & qui les avoient
fait échouer contre divers écueils ; que nous
avions eu le bonheur d'échapper , & que
nous étions à préſent en haute mer , livrés à
la merci des vents & des flots , fans autre
fecours qu'un pilote que nous pouvions
prendre à notre choix parmi le grand nombre
de ceux qui nous offroient leurs ſervices
& leur direction .
Je regardois de côté & d'autre d'un air
inquiet. J'apperçus derrière moi un torrent
qui couloit au milieu de pluſieurs Ifles fleuries.
Tous ceux qui y entroient ſembloient
le contempler avec plaiſir ; mais dès qu'ils y
étoient entrés , le torrent , quoiqu'il ne fût ni
rapide ni violent , les entra noit par une
force irréſiſtible. Au-delà de ces Ifles charmantes
, il n'y avoit que ténèbres épaiſſes ;
Lv
250
MERCURE
&perſonne n'y pouvoit plus reconnoître la
côte où il s'étoit embarqué d'abord.
Une vaſte étendue d'eaux s'ouvroit devant
moi. Elles étoient violemment agitées , & de
plus , couvertes d'un brouillard fi épais , que
l'oeil le plus perçant pouvoit à peine y difringuer
les objets. Cependant cette mer étoit
ſemée de rochers &de gouffres ; & tandis
que les plus téméraires navigateurs voguoient
àpleines voiles ſur ce perfide Océan , infultant
ceux qu'ils avoient laiſſes derrière eux ,
un courant d'eau les abymoit , ou bien le
vent les poufſoit contre un banc de fable ,
où ils faifoient un triſte naufrage. En un
mot , les écueils étoient ſi nombreux , & les
ténèbres ſi profondes , que toute précaution
devenoit inutile. Outre cela il y avoit des
pilotes infidèles , qui , par une malice déteftable
, ſe faifoient échouer avec ceux qu'ils
conduiſoient. D'autres ſuivant ceux qui alloient
devant eux , trouvoient la mort dans
le même gouffre. D'autres encore heurtoient
violemment ceux qu'ils rencontroient dans
leur courſe, & les pouffoient contre les rochers
, où leur perte étoit inévitable.
Quoique le torrent fut fi rapide qu'il étoir
impoſſible de le remonter & de revenir ſur
fes pas , cependant il n'étoit pas ſi violent
qu'il ne laiſsât aucune reffource aux pilotes
habiles. Ils y trouvoient de quoi exercer leur
ſcience. Le danger étoit grand , mais on pou
yoit l'éviter par une direction oblique,
DE FRANCE. 251
Il y en avoit fort peu qui tiraffent avan
tage de leur prudence. Le grand nombre dé
daignoit toute précaution. Quoiqu'ils viffent
leurs ſemblables périr de tous côtés autour
d'eux, ils ſe croyoient toujours éloignés du
naufrage qui les ſurprenoit dans cette fatale
fécurité. A peine les flots avoient- ils recouvert
les rochers où ils venoient d'échouer ,
que leur malheur étoit oublié. Les autres
pourſuivoient leur voyage avec la même
gaîté & la même étourderie juſqu'à ce qu'ils
éprouvaſſent le même ſort , fans être une
leçon utile pour ceux qui en étoient témoins
&qui couroient le même danger ; car chacun
fe fioit fur la bonté de ſon vaiffeau , &
fe croyoit en état de réſiſter à la force du
courant d'eau où il avoit vu ſon ami englouti
; on ſe flattoit d'éviter les rochers
contre leſquels tant d'autres s'étoient briſes.
En un mot on s'aveugloit &jamais le
malheur d'autrui ne rendit un ſeul de ces
navigateurs plus ſage ni moins téméraire. Si
dans l'inſtant même du malheur on y faiſoit
quelque attention , au premier coup de vent
tout étoit oublié ; on ſe livroit témérairement
au caprice des flots ; & quelquefois ce
même coup de vent , qui faisoit perdre de
vue le danger , étoit celui qui y conduiſoir.
د
Du reſte , cette négligence ne procédoit
pas d'une inſenſibilité outrée , ou d'un dégoût
inſurmontable de ſa condition préſente;
car ceux qui couroient ainſi à leur perte , ne
manquoient pas de demander du ſecours
Lvj
252 MERCURE
lorſqu'il n'en étoit plus temps ; & ils paffoient
leurs derniers momens à ſe repentir
de lear folie , & à avertir ceux qui les ſuivoient
du danger qui les menaçoit. Mais par
malheur leur exemple avoit plus de force
que cet avis; & en avouant qu'ils avoient
raiſon , on ne laiſſoit pas de faire comme ils
avoient fait , malgré leurs conſeils .
Le vaiſſeau fur lequel nous étions embarqués
, étoit viſiblement trop foible pour
échapper aux écueils qui nous environnoient
de toutes parts ; la courſe étoit trop longue
pour qu'il ne pérît pas à la fin ; de forte que
les plus heureux & les plus habiles des
pilotes devoient échouer tôt ou tard , & voir
Leur vaiſſeau s'ouvrir & ſe diffoudre par
vétuſté dans l'Océan du temps.
La néceſlité de périr n'étoit ignorée de perfonne.
Elle devoit naturellement modérer
l'ardeur avec laquelle on s'embarquoit , réprimer
la témérité des paſſagers , au moins
remplir de crainte & de chagrin les ames
nées pufillanimes , & empoifonner tous les
amuſemens que l'on pouvoit ſe promettre
dans le voyage , & qui étoient comme une
distraction aux peines qu'il falloit effuyer.
Cependant perfonne ne fongeoit moins à
cette triſte fin , que ceux pour qui elle devoit
être plus terrible. Tout le monde avoit
l'art de ſe cacher à foi-même le danger; &
ceux qui connoiſſfoient leur foible , qui favoient
ne pouvoir fupporter la vue des malheurs
qui les menaçoient , prenoient le parti
DE FRANCE.
253
de fermer les yeux , s'y croyant moins expofés
s'ils ne les voyoient pas. Ils trouvoient
toujours quelque amusement propre à les
diſtraire. Ils avoient toujours avec eux une
Enchantereffe qui les divertiſſoit par ſes preftiges
; c'étoit l'eſpérance qui , par une double
illuſion, parvenoit aiſement à leur perfuader
que le mal étoit toujours loin d'eux , & la
proſpérité à leurs côtés.
Il eſt vrai que cette Magicienne n'avoit
pas le pouvoir de les aſſurer qu'ils ne périroient
point , au moins elle leur faifoit croire
qu'ils périroient les derniers ; de forte que
comptant toujours le nombre de ceux qu'ils
eſpéroient ne point précéder dans le naufrage
univerſel , ils ſe croyoient toujours en
sûreté. C'étoit affez pour les contenter ; &
quoiqu'ils ſe moquafient les uns les autres
de leur crédulité , ils la chérifſfoient trop
pour s'en défaire. Chacun ſe flattoit de périr
le dernier ; chacun ſe croyoit ſeul en
droit de ſe flatter d'un tel privilége. L'eſpérance
ſe jouoit des dupes qu'elle faifoit ; car
à meſure qu'elle voyoit le vaiſſeau dépérir ,
elle redoubloit d'induſtrie pour leur perfuader
qu'ils avoient moins à craindre que
jamais. Aufſi perſonne ne s'empreſſoit plus
de faire de grandes proviſions pour un long
voyage , que ceux qui étoient fur le point
de finir leur courſe. J'en vis pluſieurs qui
emportoient dans l'abyſme des eaux, l'eſpoir
d'en réchapper.
:
Au milieu du courant de la vie étoit le
254
MERCURE
golfe de l'intempérance , paffage terrible ,
ſemé décueils preſque inévitables. Les an-.
gles pointus des rochers ſe cachent ſous l'eau
pour tromper le navigateur. Le fommet en
eft couvert de gazon & de fleurs , pour former
un lit à la molleffe,& planté d'arbres ,
d'où la volupté , entourée des jeux , appelle
les voyageurs. Tous ceux qui voguent fur
l'océan de la vie , ſont obligés de paffer à la
vue de ces rochers dangereux. La raiſon ſe
tient toujours comme en ſentinelle à l'entrée
du golphe , pour les avertir du danger , &
leurmontrer une ſeule iſſue fort étroite , par
où ils peuvent échapper. Il y en a bien peu
qui ſe rendent à ſes avis. Ils aiment beaucoup
mieux courir quelques dangers que
d'approcher ſi près de ces lieux qui leur femblent
fi charmans , ſans y entrer. Dès qu'ils
font une fois engagés dans ce golfe , ils ne
peuvent plus reculer.
Souvent la raiſon trompée elle-même par
ces belles apparences , s'eſt haſardée de pénétrer
dans l'intérieur du golfe: le cours
de l'eau lui paroiſſoit fi peu rapide à l'entrée ,
qu'elle s'imaginoit pouvoir remonter le cou
rant au moindre danger. Mais elle ſe vit toujours
entraînée inſenſiblement au centre.
Alors reconnoiffant ſa témérité , elle s'efforçoit
de revenir fur ſes pas. Efforts inutiles!
les paſſagers qui s'étoient embarqués fur l'affurance
qu'elle leur avoit donnée de leur
faire paffer le golfe , ou de les ramener
fans infortune , après avoir erré & tourné
DE FRANCE, 255
quelque temps avec une rapidité toujours
plus grande , étoient enfin engloutis malgré
eux. Siquelques-uns en réchappoient , c'étoi
après avoir tant ſouffert, qu'ils n'étoient plus
en état de continuer leur courſe avec la
même force & la même facilité qu'auparavant.
Ils ne faifoient plus que flotter foiblement
, alarmés par le moindre péril, balottés
par le moindre vent , juſqu'à ce qu'enfm ils
périſſoient miférablement , après s'être repentis
en vain de leur folie , & avoir averti
les autres , ſouvent avec auſſi peu de fruit ,
d'éviter le golfe de l'intempérance.
LA MÉPRISE ,
MADRIGAL.
L'AMOUR
'AMOUR avoit perdu ſa mère;
Il la cherchoit par-tout ,& ne la trouvoit pas ;
Mais près de lui paſſa Glicère :
Il lavit, ſeméprit, & vola dansſes bras.
256 MERCURE
COUPLET dédié à Mademoiselle GUILPIN
parM. THUBÉ , Maitre de Clavecin.
+
AI - MABLE Phi- lo - ſo-phi e ,
3 4663 3
ce deà l'A- mour ce- de àl'Amour à
,
3 3 3
11
1000
366
l'A- mour tri- om- phant : tu fus.ja-
*
*
3667 43 3
dis de ma vi
e,
46
3
DE FRANCE.
257
tu fus ja - dis de ma vie
*
3
4
6 3
le maî tre le
6
plus puif - fant; mais qui
3
65
peut en
NO
vo- yant
Li fe, mais
6 6 3
258 MERCURE
qui peut en vo
+
yant Li - ſe
3
74 4
4 6 ៩
ne pas d'abord s'en-
3
6
4
7 3
lam- mer , ne
pas
d'a- bord
6
3 3 3 7 A
100Π0
s'en - flam- mer ? ſa ver- tu la
3 3 3 3 3
8
DEFRANCE .
259
di- vi
67
ſe , moi ne - ni
3 603
puis-je l'a- do rer , moi
6
4.
7 3 6
ne puis-je
3
+
l'a do rer ?
4
7
6.
33 3
00
8
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt le Vaiffeau ; celui
du Logogryphe eſt Tamis , où se trouvent
amist,fiam,fi, mi , mais , mat , mai.
260 MERCURE
PAR-TOUT
ÉNIGME.
AR-TOUT où l'on me voitj'offre undouble viſage,
Je ſers à garantir ou du froid ou du chaud ,
J'interdis aux méchans la retraite du ſage ;
Mais à ces qualités je joins plus d'un défaut.
Je garde les grands biens qu'entaſſe l'avarice ,
Je fuccombe aux efforts des courtiſans fâcheux ;
Et chez l'homme opulent , ſouvent plein d'injustice,
Je ſuis une barrière aux cris des malheureux.
(Par M. de R ***. )
LOGOGRYPHΕ.
Auxyeux d'un homme inſtruitje ſuis une chimère,
Ou , pour mieux dire , un phantôme éphémère.
Mais au foible ignorant je cauſe de l'effroi ,
Ce qui ſuffit pour me connoître.
Je ſuis bien autre choſe , &j'appartiens au Roi ,
Si des piés compoſant mon être ,
Deux ſe trouvent changés ,
Les ſept qui font le tout , autrement arrangés,
Offriront une ville aux États d'Italie ;
Une autre en Westphalie ;
Un outil très-commun ; le plus grand des fléaux ,
Qui dépeuple & bourgs & hameaux ;
DE 261 FRANCE.
Un gantelet , antique armure ;
Nom de la célèbre ceinture
Dont ſe ſervoit Vénus , & qu'emprunta Junon ;
La tige de la vigne , & la belle ſaiſon.
J'en dirois davantage ;
Mais ce vain radotage
Ne fourniroit toujours qu'un être de raiſon .
( Par le P. Gaume , P. des Aug. de Champlitte. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
**
Éloges lus dans les Aſſemblées publiques
de la Société de Médecine.
SII les Sociétés ſavantes font utiles aux
progrès des Sciences , & fur- tout des Sciences
d'obſervation , ne peut- on pas dire que
ces Sociétés font même néceſſaires à l'avancement
de celles des Sciences qui ont pour
objet des phénomènes fugitifs , que le haſard
ſeul préſente au Phyſicien occupé d'en
chercher les loix ; enſorte qu'il ne peut ni obſerver
ces phénomènesquand il le veut , ni les
examiner auſſi long-temps qu'il en a beſoin ,
ni vérifier à fon gré, par de nouvelles obſervations
, ce que les premières lui ont laiſſé
d'incertitude.
En effet , il faut avoir alors des obſerva162
MERCURE
teurs toujours attentifs pour ne laiffer échap
per aucun phénomène , toujours préparés à
bienvoir ceux qui ſe préſentent ; il faut de
plus que le concours ou la critique de pluſieurs
obfervateurs puiſſe aſsûrer qu'une ob
ſervation , qu'il eſt impoffible de vérifier , eft
certaine & complette. La Médecine eſt une
de ces Sciences : & c'eſt peut-être parce qu'il
n'yapoint eu, exceptédans ces derniers tems ,
de Sociétés ſavantes, occupées del'étude de la
Médecine , qu'elle eſt de toutes les partiesde
la Phyſique , celle qui , depuis la renaiſſance
des Lettres , a fait le moins de progrès réels.
Auffi l'établiſſement d'une Académie de
Médecine à Paris a mérité la reconnoiffance
des Citoyens éclairés. Ses premiers travaux
ont obtenu les applaudiſſemens du Public.
Les Savans les plus célèbres des nations
étrangères , les Haller , les Linné , les
Franklin , fi accoutumés à ne voir jamais
avec indifférence rien de ce qui pouvoit
être utile aux hommes, ſe ſont empreſſes de
s'aſſocier à cette Académie naiſſante , & de
lui donner des marques de leur zèle. Pluſieurs
Souverains ont imité cet établiſſement
dans leurs États, & ils ont voulu établir entre
ces différentes Sociétés une correſpondance
ſuivie.
Par ce moyen les obſervations embraffantuneplus
grande étendue de pays , pourront
conduire àdes connoiſſances plus sûres,
plus générales ; &, ce qui eſt plus important
encore, cette correſpondance éclairera enfin
DE FRANCE.
253
les Médecins ſur ces pratiques locales , fur
cesméthodes tranſmiſes &perpétuées dans les
écoles , qu'on fuit ſans ſavoir pourquoi , mais
dont cependant il n'eſt peut-être point permis
de s'écarter ſans motif. En Médecine ,
comme en beaucoup d'autres chofes , le
ſpectacle des préjugés oppoſés entre eux ,
adoptés dans des pays differens avec une
égale confiance , & crus avec la même opiniâtreté,
eſt un moyen plus sûr de les détruire
les uns par les autres , que la ſimple expofition
de la verité.
La Société de Médecine a adopté l'uſage
de faire dans ſes Affemblées l'éloge des Académiciens
qu'elle a perdus; uſage fi propre
à répandre le goût des Sciences , & à rendre
reſpectables ceux qui les cultivent. Le Recueil
que nous annonçons renferme les éloges
qui ont été lus juſqu'ici dans les Affemblées
de cette Société , ceux de M. de Bouillet,
de M. le Beau & de M. de Haller.
M. Bouillet avoit été plus de cinquante
ans Secrétaire de l'Académie de Beziers , &
il étoit leDoyendes Correſpondansde l'Académie
des Sciences.
M. Vicq d'Azir le peint avec autant de vérité
que de nobleſſe, comme un Médecin
ſavant , zélé pour les prérogatives de fon
Art , mais plus encore pour le bien de l'humanité
, juſtement reſpecté dans ſa patrie
pour les fervices qu'il lui avoit rendus , &
pour les lumières qu'ily répandoit.
Mais en même-temps l'Auteur de l'éloge
264 MERCURE
ne diffimule ni les erreurs ni les défauts du
Savant Médecin de Beziers. Ainfi il avoue
que Cartéſien outré , M. Bouillet avoit fait
dans la Phyſique & dans la Chimie un uſage
très-déplacé des principes de Deſcartes, quicependant
lui valut plusd'un prixdans des Académies
alors toutes Cartéſiennes. Il convient
également que M. Bouillet a porté juſqu'à
l'excès l'averſion pour les Chirurgiensqui pratiquent
laMédecine. Il est vrai qu'il défendoit
avec la même rigueur aux Médecins toute opći
ration de chirurgie ;&non-feulement il faifoit
un crime aux Miniſtres de l'Art de guérir
lorſqu'ils réuniſſoient les deux fonctions,
mais il avoit même prétendu prouver qu'un
malade ne pouvoit, ſans péché , ni prendre
une Médecine ordonnée par un Chirurgien
, ni fouffrir qu'un Médecin lui fit une
faignée.
Cependant M. Bouillet étoit au-deſſus de
bien des préjugés. En 1733 il écrivit contre
l'uſage d'un traitement échauffant dans la
petite vérole , uſage alors preſque général en
France. M. Bouillet eut le courage de le
combattre un des premiers , & cependant
il n'a point obtenu du Public la moindre part
dans la reconnoiſſance qu'il accorde à ceux
qui ont détruit ce préjugé.
M. Bouillet avoit cultivé les Sciences Mathématiques
, & les a même profeffees longtemps
à Beziers. Pluſieurs de ſes Mémoires
d'Aftronomie ont été imprimés dans les volumes
des Savans étrangers de l'Académie des
Sciences.
DE FRANCE. 265
Sciences. Et à l'âge de 84 ans , l'opiniâtreté
avec laquelle il voulut ſuivre , pendant un
temps froid , une obſervation importante
d'Aſtronomie , lui a coûté la vie .
'Si M. Bouillet fut la victime de ſon amour
pour les Sciences , M. le Beau l'a été de fon
zèle pour ſes devoirs : il fut attaqué d'une
maladie épidémique qu il traitoit ſur la flotte
de Breſt, &y fuccomba. C'eſt un fort beaucoup
plus commun qu'on ne le croit parmi les
Médecins. Les hommes , qui en général craignent
tant la mort , la bravent aifément lorfqu'ils
regardent le danger qui les y expoſe
comme une fonction de leur état. Un Philoſophe
illuſtre a remarqué que les malades ,
obligés par leur rang de mourir en public ,
meurent preſque tous avec courage ; ainſi
nous tenons plus à l'opinion qu'à la vie ; &
ſi au lieu de faire peur aux enfans de la
mort , on leur faiſoit peur des maux que
cette crainte répand ſur toute la vie , les
hommes même les plus foibles apprendroient
bientôt à mépriſer vraiment la mort, tandis
que le courage des plus intrépides ſe borne
preſque, ſans exception, à ne la mépriſer que
ſous trois ou quatre formes différentes .
Onaparlédans le Mercure précédent de l'éloge
de M. de Haller , lu à l'Académie des
Sciences *.Nous nous bornerons donc à dire
* La juſtice oblige d'obſerver ici que M. Vicq
d'Azir avoit bien voulu communiquer fon manufcrit
à l'Auteurde cet éloge ; & que ſi le Public a daigné
25 Février 1779 . M
266 MERCURE
que celui qui a éte lu dans l'Aſſemblée de la
Société Royale , y a reçu des applaudiſſemens
mérités ; & que parmi tant d'éloges décernés
à M. de Haller , l'Europe diftinguera celuici
, compofé par un Savant célèbre dans la
même Science que M. de Haller a cultivée ,
digne en un mot de le louer, puiſqu'il marche
fur fes traces , & qu'il réunit à des talens
du même genre & du même ordre , le même
zèle , la même activité & le même amour du
bien public.
M. Vicq d'Azir , que ſes talens pour l'Anatomie
ont appelé à l'Académie des Sciences
dans une très-grande jeuneſſe , a montré dans
ces éloges que les talens qu'exige la place qui
lui a été confiée dans la Société de Médecine ,
n'ont pas été en lui moins précoces , & qu'il
aura le mérite ſi rare de ſavoir parler des Sciences
avec ſimplicité, avec clarté , avec nobleſſe
, ſans ſéchereſſe , ſans fauſſe éloquence ,
fans autre ornement que des traits d'une
ſenſibilité vraie , & des réflexions dictées par
une Philofophie ſage &fans prétention .
(Par M. L. M. D. C. )
l'entendre avec quelque indulgence , l'Auteur l'a due
aux lumières qu'il a puiſées dans l'ouvrage du ſavant
Secrétaire de la Société de Médecine.
*
DE FRANCE. 267
f
RECHERCHES fur les Volcans éteints du
Vivarais & du Velay , avec un Discours
fur les Volcans brûlans , des Mémoires
analytiques fur les Schorls , la Zéolite ,
le Bafalte,la Pouzzolane , les Laves , &
les différentes fubſtances qui s'y trouvent
engagees; par M. Faujas de Saint-Fond.
Vol. grand in-folio. A Paris , chez Nyon ,
Libraire , rue S. Jean- de- Beauvais , &
chez Née & Maſquelier , Graveurs , rue
des Francs-Bourgeois.
Nous en ſommes fachés pour les détracteurs
de ce fiécle de lumières ; voici un ouvragequi
préſente encoredes faits incroyables,
des vérités nouvelles , des chofes inouies ,
que nos ancêtres , les Gaulois & les
Celtes , n'ont peut-être jamais ſoupçonnés.
Il exiſte en France une grande multitude de
volcans éteints ; pluſieurs de nos Provinces
font couvertes de laves & hériſſées de montagnes
parfaitement reſſemblantes à l'Etna
& au Veſuve. On y retrouve les mêmes productions
, les mêmes bouleverſemens , les
mêmes catastrophes que dans les Royaumes
de Naples & de Sicile. M. Faujas de Saint-
Fond eſt le premier qui ait découvert & démontré
l'exiſtence des volcans du Velay &
du Vivarais. Cette découverte paſſeroit ſans
doute pour le rêve d'un Philoſophe en délire
, ſi les mêmes phénomènes n'avoient pas
déjà été obſervés dans l'Auvergne , dans la
Mij
263 MERCURE
Bretagn. د
dans le Languedoc & dans la
Provence , par des Naturaliſtes * , dont les
* Comme cette découverte ſera bientôt ſuivie de
pluſieurs autres de même eſpèce , qu'elle doit ajouter
de grandes lumières à la théorie du globe , & enrichir
l'hiſtoire du règne minéral d'une claſſe trèsétendue
de productions intéreſſantes , on va citer
par ordre chronologique les Obſervateurs à qui nous
en ſommes redevables. La première notion ſur les
volcans de France eſt dûe à des voyageurs étrangers;
ce ſont MM. Bowls & Olzendorff, qui en
1750 , parcourant l'Auvergne avec M. Ozi, Chimiſte
deClermont-Ferrand , lui firent voirqu'une partiede
cette Province étoit volcaniſée.
En 1751 , M. Guettard , accompagnant un Magiftrat
auſſi diſtingué par ſes connoiffances en phy
ſique qu'en littérature & en légiflation , vérifia ce fait
dans la plupart des montagnes de l'Auvergne ; & les Mémoires de l'Académie des Sciences en firent
mention l'année ſuivante.
Huit ans après cette époque , le même ouvrage
offrit au Public des obſervations fur les Bafaltes
d'Auvergne , par MM. Guettard & Desmarets : ce
dernier a fait depuis ſur ces mêmes volcans des recherches
très-érendues & très-ſavantes, qu'il doit publier
inceſſamment.
Lamême année M. Montet publia de ſemblables
découvertés ſur les montagnes du Bas-Languedos
qu'il venoit d'étudier.
Enfin celles du Vivarais furent reconnues en 1769
par M. Faujas ; il commençadès- lors une collection
de laves &d'autres productions volcaniques qui exif.
tent encore dans ſon Cabinet d'Hiſtoire Naturelle;
& ilnedécouvrit que pluſieurs années après les vol
cansduVelay.
DE FRANCE.
269
lumières & la ſageſſe méritent quelque
croyance.
On trouve encore dans le Velay & le Vivarais
pluſieurs bouches ou cratères de volcans
, aufli bien caracteriſes que ceux des volcans
brûlans de nos jours; on y rencontre à
chaque pas des eaux thermales froides &
chaudes ; les torrens , les rivières , & la Loire
même entraîne encore avec elle , depuis des
frécles , des laves compactes , des aiguilles de
ſchorl &des ponces qui ſurnagent. Près de
cent lieues quarrées ſont couvertes de montagnes
, de monticules & de rochers que le
feu paroit avoir vomi du ſein de la terre;
d'immenfes colonnades d'un baſalte prefqu'aufli
dur & auſſi pefant que le fer , giffent
çà & là dans cette horrible contrée ; des
lacs aujourd'hui poiffonneux fervoient autrefois
de ſoupirail à ces grandes fournaifes ;
des terres & des pierres en fuſion, coulant
à grands flots fur les campagnes, ont comblé
des abyſmes , rétréci des vallées , formé des
plaines , & fait changer d'aſpect au fol entier
de ces Provinces. Dans le ſeul Vivarais M.
Faujas a découvert un eſpace de 4 lieues de
large ſur 26 de long , entièrement brûlé par
des feux fouterrains : il nous dit que les
volcans ont exercé leurs ravages ſur une furface
de 284 lieues quarrées , dans la ſeule
partie de la France qu'il a parcourue.
Mais pour ſe familiarifer avec des objets
fi extraordinaires , il faut en ſuivre les defcriptions
& les preuves dans l'ouvrage
1
Miij
270 MERCURE
:
même: la véritéſera plus facileà ſaiſir àl'aide
des gravures qui reprefentent l'état des chofes
d'une manière très-ſenſible : on y voit lepavé
des géans de Chenavari, celui des envirońs
de Vals , celui du Bridon , la chauffée Bàfaltique
du pont de la Baume , celle du pont
de Rigaudel , & du pont nommé Gueule
d'Enfer , les rampes de Montbrul, le rocher
de Mallias , le château de Rochemaure , le
Cratère du col d'Aisa , la chauffée d'Aulière,
le rocher des environs de Polignac. Chacun
de ces tableaux repreſente des phénomènes
particuliers ; & tous concourentà démontrer
l'exiſtence de ces volcans juſqu'alors inconnus.
La ſcule inſpection du rocher appelé Ro--
che rouge , qui s'eſt élancé à travers une carrière
de granit , prouve comment la Nature
a pu former & forme encore aujourd'hui
la plupart des ifles & des montagnes . " Ce
>> rocher , obſerve M. Faujas , eſt ſans
>> contredit le plus beau morceau volcani-
>> que qui puifle exiſter. Il doit être regardé
>>dans la fuite comme la boufſole qui diri-
>> gera l'obſervateur dans la théorie & la
>> formation de ces étonnantes butres , qui
>> faifoient le déſeſpoir des Naturaliſtes, par
>> la difficulté qu'ily avoit à concevoir com-
> ment elles avoient pu arriver dans les lieux
où on les trouve ; ne voyant ordinairement
aucune communication de ces pics
>>iſolés avec les foyers des volcans voiſins.
On ne trouve autour du rocher Roche
ود
בכ
DEFRANCE.
271
>> rouge ni ſcories , ni laves poreuſes , ni au-
>>cune déjection qui puiſſe annoncer un fou-
» pirail dans cette partie. On voit fimple-
>> ment une maſſe énorme de baſalte exhauf-
» ſée , nue , iſolée , qui s'eſt fait jour à tra-
» vers des bancs formidables de granit , qui
>>ſe dreſſant ſur eux-mêmes par l'effort de
ود la matière en fuſion, ſe ſont adaptés &
» même ſoudés autour de la baſe de ce cu-
>> rieux rocher » .
La fameuſe chauffée des Géans , qui eſt en
Irlande , & qu'on regardoit comme un prodige
unique dans la Nature , ſera miſe au
rang de ſes productions ordinaires , lorfqu'on
aura parcouru l'ouvrage de M. Faujas .
Il exiſte dans le Velay & dans le Vivarais un
grand nombre de ces prétendus ouvrages des
Géans. On y rencontre à chaque pas des colonnes
priſmatiques de toutes les grandeurs ,
qui ont juſqu'à deux pieds de diamètre , &
dont la configuration eſt tantôt à 3 pans ,
tantôt à 4 , tantôt às , à 6 , à 7 & à 8 faces
toujours régulières. Dans l'intérieur du ſeul
rocher de Mallias , on voit une prodigieuſe
multitude de colonnes bien filées , de 7 à 8
pouces de diamètre , d'un baſalte fort dur &
du plus beau noir. Pluſieurs de ces colonnes
ſont ſuſpendues à la voûte du rocher ; une
grande multitude d'autres s'élèvent verticalement
de la baſe juſqu'au toit qu'elles vont
foutenir ; quelques-unes forment des grouppes
fur le devant de la ſcène , laiſſant des efpaces
vuides , occaſionnés par la chûte des
Miv
272
MERCURE
i
prifmes ſuſpendus; d'autres d'inégale grandeur
forment differentes maſſes ſemblables
à des tuyaux d'orgue ; & tout autour on les
voit en faiſceaux épars , tantôt mutilées ,
tantôt entieres , tantôt inclinées ou couchées
horifontalement. On admire des tableaux
non moins pittoreſques ſur les bords de la
rivière d'Aulière , près du village du Colombier;
& fur ceux du Volant , où l'on
compte juſqu'a quatre rangs de colonnes qui
ont decore les deux bo ds de cette rivière
dans un intervalle de deux lieues .
La configuration régulière de ces colonnes
préſente aux Naruraliſtes un beau problême
à réfoudre. Eft-ce à la ſimple retraite
de la matière , eſt-ce à une véritable cryſtalliſation
que ces baſaltes doivent leur forme?
M. Faujas avoue modeſtement qu'il ne ſe
croit pas affez inſtruit pour en décider.Après
avoir tracé la peinture la plus intéreflante
des différentes chauffées des Géans , il conduit
ſes Lecteurs au pied du volcan de Chenavari
: là il leur fait obſerver les pas du
tems ; ſes différentes empreintes manifeftent
des époques aufli éloignées les unes des
autres qu'elles le font de nous. Ce font
d'abord de grandes maſſes de pierre calcaire
qui fervent de baſe à la montagne , ouvrage
lent & graduel d'une mer tranquille , dont
la durée du fejour & le moment de la retraite
ſont également inconnus.
Sur cette baſe s'élèvent des couches de
cailloux roulés , parmi leſquels on diftingue
DE FRANCE.
273
des filex , des jaſpes , des agathes, &c. agglutinées
, & formant des eſpèces de pondingues
d'un volume énorme. Ces cailloux , antérieurement
arrondis par les frottemens mul
tipliés des ruiſſeaux & des rivières , ſemblent
avoir été tranſportés fur ces hauteurs par
l'action deſaſtreuſe des eaux.
Après cette ſeconde révolution , des feux
fouterreins entrouvrant le ſommet de la
montagne , ont répandu à droite & à gauche
des torrens de lave , dont s'eſt formé le plateau
de Chenavari, & fes colonnades de bafaltes.
Enfin une cataſtrophe plus récente ayant
détaché pluſieurs portions de la montagne ,
les a fait entièrement diſparoître ; enforte
qu'aujourd'hui il ſubſiſte à peine un tiers du
cratère de ce volcan.
Il ne faut pas s'imaginer qu'après ces
grands incendies , la terre ſoit pour jamais
réduite à la fterilité; les couches de laves qui
pourun temps ſuſpendent toute végétation ,
ſe décompoſent par degrés infenfibles. Le
paſſage des laves à l'état argilleux , obſervé
d'abord en Italie par le Chevalier Hamilton ,
& enſuite dans le Vivarais par M. Faujas ,
s'accorde en ce point avec les expériences
d'un de nos Chimiſtes quia fait des recherches
particulières ſur la décompoſition des
laves ; mais ſes opinions , trop nouvelles
encore , n'ont pas reçu juſqu'ici la fanction
néceſſaire pourles faire adopter avec fécu
My
274 MERCURE
-
rite. En attendant , les Obfervateurs , guidés
par la ſeule inſpection de la Nature, ont cherché
combien faut- il d'années pour opérer le
changement des pierres volcaniques en terre
argilleuſe ? Un Hiſtoriographe du Mont-
Etna , l'Abbé Recupero , Chanoine de Catane
, a cherché la ſolution de ce probléme ;
on la trouve conſignée dans le voyage de
Sicile & de Malte *. Ce Naturaliſte part
d'un fait connu , de la grande éruption arrivée
pendant la ſeconde guerre punique.
Ayant examiné la couche immenſe de lave
que vomit alors l'Etna , il reconnut que ſa
décompofition formoit déjà une couche de
terre où croiffent certaines herbes & quelques
arbres dont les racines ont pénétré
dans les fiffures de la pierre ; il conclut de-là
qu'il faut environ 2000 ans à la Nature pour
décompoſer une lave de manière à lui rendre
la puiſſance végétale. Enfuite il fit percer à
travers une maſſe de ſept couches de laves
placées les unes fur les autres; il découvrit
entre chacune un terreau ſuſceptible du labour.
Mais les conféquences qu'il en tiroit
feront douter de la vérité de ſon principe:
il y a dans le laboratoire de la Nature ,
comme dans celui des Chimiſtes , pluſieurs
eſpèces de diffolvans qui décompoſent les
matières volcaniques avec plus ou moins de
* Voyez le T. 1 de la Traduction du Voyage de
Brydone.
L
DE FRANCE.
275
promptitude; l'inégale denſité des laves devoit
d'ailleurs entrer pour quelque chofe
dans le calcul de M. l'Abbé Recupero. Au
reſte , c'eſt aux Naturaliſtes , éclairés par la
Chimie , qu'il appartient de décider une
queſtion auffi intereffante.
Suivons encore M. Faujas à travers les
montagnes & les plaines incendiées du Velay ,
&arrêtons-nous avec lui près du Volcan de
Brives , qui ſeul peut être l'objet d'un beau
Cours d'Histoire Naturelle. On ne doit , dit-il,
s'y préſenter qu'avec des connoiſſances préliminaires
; il faut avoir fait une étudeſuivie des
altérations &des métamorphofes variées qu'éprouvent
les ſubſtances volcaniques ; quand
on en faitſaiſir toutes les nuances , on peut entrer
dans ce riche Cabinet , & y acquérir des
idées nouvelles ſur la formidable puiſſance des
agens de la Nature. A l'aſpect de ces lieux on
ſe dira : " Ces montagnes qui ne préſentent
>>que des maſſes arrides de pierre ou de terr
>> de différentes couleurs ; ces rocs eſcarpés
» qui glacent de triſteſſe & d'effroi le Voya-
>>geur , & lui font détourner la vue , font
» des monumens antiques & myſtérieux , où
>> le Naturaliſte a le droit de lire en récom-
>> penſe de ſes travaux. Il y voit une ſuite
>>de caractères hyérogliphiques , qu'il a ſeul
>>l'art de débrouiller & de connoître . Il y
>> apprend qu'ici des torrens de matière en
>> fufion perçant avec effort les entrailles de
>> la terre , l'ont ébranlée juſques dans ſes
1
M vj
276 MERCURE
>> fondemens ; que des montagnes entières
>> ont été ſubitement renverſées & réduites
>> en poudre , tandis que de nouvelles , non
>> moins conſidérables, ſe ſont élevées ſubi-
>> tement ſur les ruines des premières ; que
" , des gouffres ardens ont élancé avec
>> fracas dans les airs , des nuages de pierres ,
>> de cendres & de ſcories ; que l'atmosphère
>> enfin , développant tous les accidens & les
>>phénomènes de la foudre , la nature a paru
>> toucher à fon dernier anéantiſſement ; que,
>> dans ce moment de criſe , tous les terreins
>>incendies ſe trouvoient recouverts par de
>> vaſtes abyſmes d'eau , qui , loin d'aſſoupir
" & d'éteindre les fureurs du feu , ne fer-
>> voient qu'à l'irriter davantage ; que ces
> mêmes eaux tourmentées , foulevées par
> les ébranlemens & les exploſions fouter-
>>raines , & par les vents de l'atmoſphère &
>>par ceux qui fortoient des gouffres inté-
>> rieurs , luttant ſans ceſſe contre elles-
» mêmes , excitoient les plus furieuſes tem-
>> pêtes ; qu'alors ces courans obfcurs & fé-
>> rides d'une fumée peftilentielle circulant
>> dans les vagues orageuſes de cette mer ,
>> la rendoient livide & nébuleufe. Voilà le
>> premier tableau que le Naturalifte attentif
>>apperçoit dans la contemplation de ces
>> objets volcaniques.
>>Mais tout ſe calme; les feuxs'appaiſent ;
>> la mer reprend ſa tranquillité; de fimples
>>vapeurs plus ou moins acides , plus ou
4
DE FRANCE.
277
>> moins chargées de principes actifs , s'éle-
» vant du fond des eaux qu'elles font bouil- -
>> lonner ſans effort , ne font plus que les
>> reſtes fumans d'un grand incendie. La na-
>> ture toujours active , aimant à reproduire
> ſans ceſſe , va bientôt nous offrir de nou-
>> veaux phénomènes. La baſe de ces grandes
>> excroiſſances volcaniques qui s'élèvent en
>>> pic , quoique formée par les laves les plus
>>dures & les plus compactes , éprouve déjà
>> de nouvelles altérations. Ici l'acide nage
>> dans les eaux de la mer : avide de s'unir au.
>> fer & de ſe l'approprier , il enlève celui
» du Baſalte ; & les eaux ſaiſies des élémens
>> ferrugineux , les dépoſent tantôt en ſédi-
» mens , tantôt les façonnent en boules, que
les Naturaliſtes ont appelées géodes. ود
>> La lave alors dépouillée de ſon fer , de-
>> vient tendre , perd ſa couleur , & n'eſt
>>bientôt plus qu'une terre blanche & fria-
>>ble. Mais une nouvelle eau faturée par les
>>vapeurs des feux concentrés , ſe combine
> avec la ſubſtance terreuſe des laves., & la
>>modèle tantôt en cryſtaux lamelleux de la
>>nature du Feld-Spath , & tantôt lui com-
» munique fimplement le gluten & la con-
>> ſiſtance des argilles » .
Telle est la manière dont M. Faujas ſaft
obſerver & peindre les grandes révolutions
du monde que nous habitons. On ne fauroit
trop applaudir à ſes premiers efforts , furtout
lorſqu'on le voit enrichir de ſes découvertes
en hiſtoire naturelle , un des arts les
278 MERCURE
plus utiles à la ſociété. On fait que les Romains
compofoient avec la Pouzzolane le
fameux ciment qui a rendu leurs édifices immortels
comme leurs loix & leurs victoires .
M. Faujas , après avoir étudié ce qu'en diſent
Pline , Vitruve & quelques autres Écrivains
de l'antiquité , a reconnu que cette Pouzzolane
étoit une matière volcanique de la nature
de certaines laves ; matière qui abonde
dans pluſieurs de nos Provinces. Ses expériences
ont eu déjà le ſuccès le plus heureux.
Les Ingénieurs de la marine , chargés de les
vérifier par ordre du Miniſtère , ont reconun
que dans l'intervalle de quelques mois ,
fon ciment acquiert , même ſous l'eau , une
dureté dont le mortier ordinaire eft à peine
ſuſceptible après bien des années.
Nous regrettons de ne pouvoir rendre
compte des autres parties d'un Ouvrage qui
réunit le double mérite d'inſtruire les Savans
, & d'amufer le commun des Lecteurs.
On y a raffemblé avec beaucoup d'intelligeance
& de préciſion les idées & les
faits qui ſe trouvent épars dans l'hiſtoire &
dans les livres des Chimiſtes & des Naturaliſtes
, ſur les divers effets des volcans. Il ſeroit
à defirer que d'habiles Obfervateurs entrepriſſent
de traiter avec la même ſagacité ,
les cauſesde ces prodigieux phénomènes ; car
l'explication qu'on en a donnée juſqu'ici eft
trop éloignée des vraiſemblances pour fatiffaire
complettement les bons eſprits. Eft-il
poffible d'attribuer à la décompoſitionſponDE
FRANCE. 279
tánée des pyrithes, les effets que produit l'Eina
depuis 2500 ans qu'il s'eſt ralumé ? Comment
d'ailleurs expliquer l'exiſtence des volcans
placés au centre des pays calcaires , où l'onne
trouve aucune mine pyritheuſe ? De tels effets
tiennent vraiſemblablement à une cauſe phyfique
plus générale , & beaucoup plus puiffante.
Pour faciliter cette découverte , M. Faujas
nous promet une carte générale des volcans ,
& ſe diſpoſe d'entreprendre les voyages néceffaires
à l'exécution de ce deſſein. Après le
tableaudu monde aſtronomique , qui peutêtre
eſt déjà trop vaſte pour notre imagination,
il n'en est aucun d'auſſi impoſant que
cette multitude de brafiers fouterrains qui
ravagent , ont ravagé , & doivent ravager
encore les continens & les mers. Quel ſpectacle
que cette immenfité de gouffres , de
rochers , de plaines& de montagnes , formées
les unes par l'élément du feu , les autres par
unélément contraire , au milieu deſquels on
verra dominer l'Etna , le Cotopaxi , le Ve-
Suve , l'Abours , l'Hécla , le Tolbatchi , le
Pic de Ténérif, & mille autres fournaiſes
où la nature ſemble occupée à refondre la
matière , à détruire & les ouvrages de l'homme
& fes propres ouvrages , afin de les repréſenter
ſous denouvelles formes , qui fubiront
à leur tour uneſemblable deftinée !
On trouve à la ſuite de l'ouvrage de M.
Faujas pluſieurs lettres qui lui ont été écrites ,
& qui méritent d'être lues , fur-tout celles
280 MERCURE
d'un ex-Jéſuite , M. l'Abbé de Morteſagne,
qui , à l'âge de foixante-dix ans , s'eſt aviſe
d'apprendre à lire dans le livre de la Nature.
La contemplation de ces monumens
antiques paroit avoir embraſé la tête d'un
vieillard feptuagénaire. Rien de plus fièrement
deſſine que les objets qui tout-à-coup
font venus frapper ſes regards ; rien de plus
extraordinaire que les mouvemens de fon
ame & la hardieſſe de ſes conjectures : rien
de pius gai que ſes plaifanteries contre
l'impertinente ſécurité des Séminariſtes du
Diocèſe du Puy. " J'étois , dit-il, allé rendre
>> des hommages au rocher de Corneille :
>>j'avois choiſi pour le lieu de mes obſerva-
ود tions la magnifique terraſſe du Séminaire
>>qui , tracée en équerre fur le flanc oriental
>>de ce rocher , embraſſe la cinquième partie
>> de fon circuit. De l'angle de l'équerre part
» un ſentier qui vous conduit en ferpentant
» à travers un boſquet délicieux de charmilles
entremêlées de pins juſqu'au nud du
rocher. Là , cette ſuperbe maſſe ſe dégar
>> geant tout-à-coup de ſes propres débris ,
» & ne préſentant qu'une ſurface unie &
>> perpendiculaire dans une élévation très-
>> conſidérable , montre à découvert tous les
>> caractères de la véritable fufion..
99
ود
ود Defcendu dans l'allée, j'y rencontre des
>>Eccléſiaſtiques qui jouoient à la boule ; je
» leur dis , fans trop m'arrêter , & pour
>> cauſe , que le rocher ſur lequel ils mar-
> choient étoit forti en fuſion de deſſous
DE FRANCE. 281
terre. A cette étrange nouvelle , on com-
» mença à ſe regarder en filence les uns les
>>autres , puis on partit, comme de concert ,
>>d'un éclat de rire auquel je n'eus garde de
>> ripoſter que par une prompte fuite. Vous
>> noterez en paffant qu'un de la troupe ve-
>> noit d'affigner pompeuſement fes éco-
>> liers , dans la chairc de Phyſique , l'effence
>> certaine de la lumière , la cauſe indubita-
>> ble du flux de la mer , ainſi que celle de
ود
à
la chûte & de l'attraction des corps ».
Voyez la fin de la troiſième lettre , page
391 & ſuivantes.
(Cet article eft de M. l'Abbé Remy. )
THEATRE de M. LAUS DE BOISSY ,
Écuyer , Lieutenant-Particulier du Siége
de la Connétablie , Rapporteur du Pointd'honneur,
& c. Membre des Académies de
Rome & de Padoue , &c . & c. Un volume
in- 8°. avec le portrait de l'Auteur. Prix ,
3 liv. Au Palais Royal , chez les Marchands
de nouveautés.
L'Auteur , à la page 96 de ſon ouvrage ,
dit , en parlant du Mercure : Autrefoisje me
fervois de ce carroffe de voiture pour faire
aller mes vers à l'immortalité. Il paroit
qu'aujourd'hui ils y vont tous ſeuls , &
qu'ils en connoiſſent parfaitement la route .
Auili n'avons-nous plus l'honneur d'y voiturer
que ſa proſe; elle aura ſans doute bien
252 MERCURE
tôt la même puiſſance que ſa poéfie. On en
fera pleinement convaincu à l'ouverture du
theatre qui vient de nous arriver accompa
gné de la notice ſuivante. Nous nous empreffons
de la joindre au titre du Livre de
M. Laus de Boiffy , Écuyer , Académicien ,
Rapporteur du Point - d'honneur ; & nous
formons des voeux bien ſincères pour que
l'Auteur & fon théâtre & la notice parviennent
heureuſement à leur glorieuſe deſtination.
NOTICE.
« Quelques-unes des Pièces de ce Theatre
» ont déjà parues feparément , & ont joui
> dans le temps d'un ſuccès affez flatteur.
» La Comédie de la Course ou les Jockeis ,
» entre autres , a fait un fingulier plaifir,
>>par la critique pleine de grâce &de finelle
» qui y règne. Celle des Epoux réunis eft
d'un autre ton. Ce ton eſt un peu lefte ,
» mais fans indécence.
ود
رد
>> On lit ce quatrain au bas du portrait
de l'Auteur ».
Sur fes goûts réglant ſes loiſirs ,
Brûlant de l'amour de la gloire ,
Il veut , par la main des plaiſirs ,
S'ouvrir le Temple de Mémoire.
DEFRANCE. 283
Almanach Littéraire , ou Étrennes d'Apollon,
contenant pluſieurs Épîtres & autres Poéfies
de M. Lemière , qui paroiſſent pour
la première fois ; Fragmens de M. d'Alembert
; des Variétés récréatives ; Zobed ,
Conte Arabe , & une Épître par M. d'Arnaud,
qui n'ont pas encore été imprimés ;.
des Anecdotes diverſes , où ſe trouve ce
qu'il y a de plus curieux ſur Voltaire &
J. J. Rouffeau ; l'Artémiſe Françoife ,
Conte en vers , par M. Bret ; pluſieurs
Pièces de MM. Guichard , Maréchal , le
Suire , de Cailly , Feutry , &c. &c. une
Épître de M. de la Dixmerie ; & beaucoup
d'autres morceaux neufs ; la fameuſe
Lettre interceptée du Général Washington
à ſa femme; le Catéchiſme de Philadelphie;
une Notice des principaux Ouvrages
mis au jour en 1778 , & divers Articles
intéreſſans en grand nombre. A Athènes ,
&fe trouve à Paris chez la Veuve Ducheſne
, rue S. Jacques ; Valleyre l'aîné ,
rue de la Vieille Bouclerie ; Prault fils
aîné , quai des Auguſtins ; Durand neveu ,
rue Galande ; le Jay , rue S. Jacques ;
Baſtien , rue du Petit-Lyon , F. S. Germain ;
Ruault , rue de la Harpe; Eſprit , au Palais
Royal ; Defnos , rue S. Jacques . Prix ,
1 liv. 4 fols.
Onvoitque les titres de livres pourroient
leur ſervir aujourd'hui de table dès matières.
184
MERCURE
Il ſeroit pourrant à ſouhaiter que les Gens
de Lettres ne fiſſent as de la première page
de leur ouvrage, une affiche de charlatan.
Cet Almanach eſt agréable par ſa variété.
Comme ily a beaucoup de morceaux de toute
eſpèce, il feroit peut- être un peu dur d'exiger
qu'ils fuffent tous bienchoiſis. Parmi lesPoć
fies , la plus jolie Pièce que nous ayons rencontrée
, eſt celle-ci , qui eſtde M. Lemierre.
POURQUOI crier à l'inconftance ,
1
Quand ma flamme ſe refroidit ?
De moi vous vous plaignez , Hortenfe,
Moins par amour que par dépit.
Vous vous abuſez , ce me ſemble,
En murmurant de ce retour.
Croyez-moi , le temps & l'amour
Ne font pas longue route enſemble.
Eh! le moyen qu'un foible enfant ,
Tout ſemblable au peuple naiſſant ,
Que par la liſière on promène ,
Puiffe bientôt, ſans perdre haleine ,
Suivre les pas de ce géant
D'une vigueur inépuiſable,
Dont lejarret infatigable
Jamais ne s'arrête en marchant ?
L'amitié plus forte , au contraire,
Que le jeune eſſaim des Amours ,
Faite aux voyages de long cours ,
Ne demeure point en arrière.
1
2
DE FRANCE. 285
Elle ſuit l'agile vieillard;
Et bien avant dans la carrière,
Marche plus ferme qu'au départ.
De compagnie , & fans murmure ,
Allons tous trois avec le temps
Sans crainte de méſaventure :
Les chemins ſont moins attrayans.
Mais la route eft beaucoup plus sûre .
Le plus heureux des ſentimens
Eſt ſans doute celui qui dure
Juſqu'au dernier de nos momeus.
1
L'enfance eſt mal exprimée par le terme
de peuple naiſſant , qui a tout un autre
fens; & celui de jarret n'eſt pas aſſez
noble pour le ton de la pièce ; mais l'allégorie
de l'Amour , de l'Amitié & du Temps
eſt ingénieuſe.
L'Auteur de cet Almanach a recueilli une
foule d'Anecdotes concernant les Gens de
Lettres , dans leſquelles il n'y a pas toujours
affez de choix ni d'exactitude. Il attribue à
M. de Voltaire l'aventure d'un jeune-homme
qui alla réciter des vers à M. de Lamotte
&que celui- ci ſe fit un plaiſir d'embarraffer
quelque temps , en l'accufant de plagiat , &
en lui répétant la pièce qu'il venoit d'entendre.
Tout le monde ſait que ce n'eft
point avec M. de Voltaire que Lamotte fir
cet effort de mémoire qu'il a raconté ſouvent.
Ailleurs il fait dire à M. de Voltaire ,
286 MERCURE
jefuis comme Spartacus , je suis étonné de
ma gloire. Jamais M. de Voltaire n'a pu
tenir ce propos , qui n'auroit aucun ſens.
Spartacus n'a dit nulle part qu'il fût étonné de
fagloire. Dans la Tragédie de ce nom , M.
Saurin fait dire à Émilie , en racontant la
victoire de Spartacus ſur un Gladiateur qu'on
lui oppoſa dans l'Arène :
Cet homme alors s'avance , indigné de ſa gloire.
Ce vers fublime n'a rien de commun avec
le mot fans vraiſemblance qu'on prête
mal-à-propos à M. de Voltaire.
Dans un autre endroit il fait dire à M.
Cailhava : n'aurai-jejamais l'honneur d'être
déchiré comme Molière ? Cela voudroit - il
dire que c'eſt le ſeul trait de conformité qui
manque à M. Cailhava pour reſſembler en
tout à Molière ? En ce cas , ce mot eft curieux.
Le Rédacteur de cette eſpèce de Recueil a
copié pluſieurs morceaux dans des journaux
connus ; par exemple , l'Éloge de le Kain ,
le Triomphe de M. deVoltaire à la Comédie
Françoiſe , &c . Mais alors il ne devroit pas,
ſeperinettre d'altérer les morceaux qu'il emprunte
, & y mêler du ſien. Quand on ſe
fert de l'ouvraged'autrui, il faut le laiſſer tel,
qu'il eſt.
DE FRANCE. 287
LETTRE d'un jeune homme à fon Ami fur
les Francois & les Anglois , relativement
à la frivolité reprochée aux uns , & la philofophie
attribuée aux autres ; ou effai
d'un parallèle à faire entre ces deux matières.
A Amſterdam , & ſe trouve à Paris
chez le Jay , Libraire , rue S. Jacques , au
Grand Corneille. Brochure in-octavo de
56 pages.
L'Auteur , après avoir confidéré les deux
Nations ſous différens aſpects , en vient ,
dit-il , " au plus grand des reproches répété
» à la nation Françoiſe : c'eſt qu'elle penſe
>>moins que l'Angloiſe. Qu'on s'explique :
>> veut-on parler de méditations ſavantes ,
>> de Philoſophie , de Jurisprudence , de
>>>Théologie ? Deſcartes , Montagne , la
>>Bruyère , Helvétius , les Chanceliers l'Hô-
>>pital , d'Agueſſeau , l'Auteur de l'Eſprit
>>des Loix , le célèbre Évêque de Meaux,
>>Mallebranche , Maſſillon , Arnaud , Pascal ,
>> Bourdaloue , &c. ont autant penſé que le
» Grand Chevalier Newton, le Chancelier
>> Bacon , Swift , Looke , Pope , Clarke
>>Sherlok ,Tillotfon , &c. Quant aux Belles-
>>Lettres , les Nations étrangères mettent
>> Racine au-deſſus du tendre Orwai. Ceux
➤ qui préfèrent une imagination noble , éle-
>>vée , quoique toujours fage , aux écarts
>>d'un génie , grand quelquefois , mais qui
>ſouvent auſſi s'abandonne à une courſe
,
2-88 MERCURE
> fougueuſe , à des élans convulfifs , ref-
>> pectent plus le Grand Corneille que le
>>Grand Shakespeare. Les réputations réu-
>> nies de Dryden , Milton , Addiffon , fur-
>> paſſent-elles , hors des Ifles Britanniques,
>> la célebrité de Voltaire hors de fa Patrie ?
>> Steele eſt-il penſeur , peintre , philoſophe
>>plus que Molière ? Eſt- il joué , lu , admiré
>> comme ce dernier , depuis Lisbonne juf-
» qu'à Moſcou , depuis Naples juſqu'à Stockolm
? Les conſeils de Boileau font- ils
» moins ſages que ceux d'Addiffon? Les badi-
>> nages de Triftram Shandy renferment-ils
» plus de fel , plus de ſens que les plaifan-
» teries de Rabelais ? L'Angleterre a-t'elle
>> produit un Telémaque , un La Fontaine,
un Naturaliſte qui uniſſe à la même pro-
» fondeur les grâces & la clarté du Pline
„ François? Dans l'Art militaire,Marlborough
» fut-ilplus penſeur que Turenne ? En Poli-
29
tique, ( de cette politique qui ne ſe borne
» pas au talent fubalterne des vaines fub-
» tilités pour tromper un inſtant , inais qui
29 embraſſe tout ce qui peut contribuer au
» bonheur d'un État ) quels hommes mettra
- t'elle au deſſus de l'Abbé Suger, du Cardinal
d'Amboiſe , de Sully , de Colbert?
» Comme Miniſtre , Cromwel fut grand ;
Richelieu le fût-il moins? Je ſuis perfuadé
>>que ſi l'on entreprenoit le parallèle des
>> hommes illuftresdes deux nations, le nôtre
>> auroit l'avantage.Maisceſeroitleſujet d'un
ود
> ouvrage
DE FRANCE. 289
• ouvrage conféquent, & qui demanderoit
> les talens d'une plume exercée » .
Ily auroit bien quelques remarques à faire
fur tous ces objets de rapprochement ; mais
les laiſſant aux Lecteurs inſtruits , nous nous
contenterons d'obſerver que cette Brochure
fait honneur aux connoiſſances & au patriotiſme
dujeune-homme qui en eſt l'Auteur. A
l'égard du ſtyle , dans lequel on pourroit relever
quelques tournures étrangères , on lui
doit quelque indulgence , d'après un P. S.
qui avertit que l'Auteur a paffe une partie de
ſa vie dans les pays du Nord.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOIS E.
LE Dimanche 7 Février , on a remis à ce
Théâtre le Muet, Comédie en s Actes & en
proſe , par MM. Brueys & Palaprat.
Cet ouvrage eft , comme on fait , une imitation
de l'Eunuque de Térence, inférieure à
l'original pour l'élégance du ſtyle, mais fort
ſupérieure pour tout le reſte. Le Dialogue
du Muet eſt plus vif, plus preſſé , plus naturel
que celui de l'Eunuque; les incidens
font mieux preparés ,plus vraiſemblables ;
enfin , fur notre Scène, les moeurs de l'Eu-
25 Février 1779 . N
490
MERCURE
nuque révolteroient les Spectateurs les moins
délicats; celles du Muet au contraire font
pures& même ſevères , & cette ſévérité ne
nuit pas à la gaîté ni au comique,
On a revu avec plaifir cette Pièce , qui
n'avoit pas été jouée depuis pluſieurs années,
Elle a été remiſe avec ſoin, & fort bien ren
due par MM. Monvel, Fleury , Bellemont,
Vanhove, Deſeſſarts , Bouret , & par Mefdames
Préville & Contat, Le rôle très-difficile
de Frontin a été rempli par M. Préville,
qui tous les jours donne de nouvelles preuves
de l'étude approfondie qu'il a faite de
fon Art, Mde Bellecourt mérite auffi d'être
citée particulièrementdansle rôle de Marine,
Il n'eſt guères poflible de jouer une Soubrette
avec plus de gaîté, de naturel , d'intelligence
&de comique,
Le dénouement du Muet, tel qu'il exifte
aujourd'hui , n'eſt pas exactement celui de
Brueys. Il a été arrangé par feu Bellecourt ;
mais ce changement n'a point réuſſi, Le dénouement
actuel manque de netteté , d'en
ſemble & d'effet, & fait regretter l'ancien ,
qui pourtant eſt très-défectueux.
Nous allons dire quelque chofe des deux
Auteurs du Muet.
Jean Palaprat naquit à Toulouſe en 1650;
il fut de l'Académie des Jeux-Floraux , Capi
toul de Toulouſe , & Secrétaire des Commandemens
de M. de Vendôme. Palaprat
avoit beaucoup d'eſprit & de facilité. Les
DE FRANCE.
ouvrages qui lui appartiennent perfonnellement
, & auxquels il paroît que Brueys n'a
eu aucune part , font le Concert Ridicule
leBallet Extravagant, le Secret révelé, les
Sifflets , qui fervirent de Prologue au Grondeur,
&la Prude du temps , qui n'eut point
de ſuccès ,&qui n'en méritoit pas. Ilmou-
Fut à Paris en 1721 ... 1
:David-Auguſtin Brueys naquit à Aix en
Provence en 1640. Élevé dans la Religion
Prétendue Réformée, il commença par écrire
pour elle. Il ofa même répondre à l'Expofition
de la Foi , ouvrage du grand Boffuet.
L'Évêque de Meaux ne répondit point à
Brueys; il fit mieux , il le convertit. Convaincu
après quelques conférences , des
dogmes de la Religion Catholique , Brueys
abjura, entra dans l'État Ecclefiaftique , &
publia , pour la défenſe de cette même Religion
contre laquelle il avoit pris la plume ,
quelques ouvrages à peu-près oubliés , mais
qui prouvent la ſincérité de ſa converfion.
Ses travaux théologiques ne l'empêchèrent
pas de travailler pour le Theatre; mais n'ofant
ſe montrer à découvert dans cette carrière
, qui ſembloit s'accorder mal avec la
profeſſion , il s'affocia avec Palaprat , fon
ami , &donna au Public feul , ou en ſociété
le Grondeur Comédie très-agréable , mais
dont le dernier Acte ne répond pas au mérite
des deux premiers ; le Muet , dont nous
xenons de parler; l'Important , pièce dont
Nij
292 MERCURET
leprincipal caractère eſt manqué, l'Opiniâtre,
qui nemérite guères d'être connu ; la Force
du Sang , qui ne vaut pas mieux ; enfin
l'Avocat-Patelin, qu'il imita d'une ancienne
Pièce intitulée: les Tromperies , Fineſſes &
Subtilités de Me Pierre Patelin , & qu'il a
rajeunţ de manière qu'il ſe l'eſt appropriée,
fans changer preſque rien au fond de l'otiginal.
L'Avocat-Patelin eſt la meilleure de
toutes les farees que nous ayons au Théâtre,
comme elle est la plus ancienne. Il y a pluſieurs
Scènes d'un comique très-vrai&trèsgai
, & qui excitent toujours un rire univerfel.
Les autres Comédies de Brueys méritent
l'oubli dans lequel elles font tombées. On a
encore de lui trois Tragédies, Gabinie,Asba
&Lifimachus. Elles font au-deſſous dumédiocre.
Il ſurvécut de deux ans à fon ami
Palaprat , & mourut à Montpellier le 25
Novembre 1723
COMÉDIE ITALIENNE.
LEMercredi 3 de ce mois, Mlle Dufayel ,
foeur de l'Actrice de ce nom , a débuté dans
l'emploi des Jeunes Amoureuſes , par le rôle
d'Agathe de l'Ami de la Maiſon.
Il eſt rare d'annoncer à quatorze ans&
demi, âge de Mlle Dufayel, de plus heureuſes
difpofitions. Ses moyens font foibles,
DE FRANCE.
293
mais l'uſage qu'elle en fait annonce beaucoup
de goût & d'adreſſe. Son jeu n'eſt pas
fans intelligence ; on y découvre de temps en
temps le germe du talent. On ne peut que
l'inviter à continuer ſes études avec la même
ardeur , fans pourtant affoiblir ſes moyens
par un travail exceflif, ou par des tentatives
au-deſſus de ſes forces.
Le Mardi 9 , on a donné à ce Théâtre la
première repréſentation des Deux Billets ,
Comédie en un Acte & en profe.
à
Arlequin & Scapin aiment Argentine ,
mais le premier eſt l'amant préféré. Après
deux ans d'épreuve , ſa maîtreſſe lui a fait par
écrit l'aveu de ſon amour. Il lit fans ceſſe cette
lettre charmante depuis qu'il l'a reçue :
l'arrivée de Scapin il la met dans ſa poche.
Celui-ci veut , dit-il , reſter ſon ami malgré
leur rivalité. Arlequin refuſe ſon amitié ,&
veut fortir pour aller voir tirer la loterie, à
laquelle il a mis un terne ſec. Scapin lui apprend
que la loterie eſt tirée , & lui montre
la liſte. Les trois numéros d'Arlequin font
fortis : dans l'ivreſſe de ſa joie , il montre fon
billet à Scapin. Celui- ci projette de s'encmparer
, & vient à bout de lui prendre un
papier dans lamême poche où Arlequin vient
d'en cacher un devant lui. Ce billet eſt la
lettre d'Argentine. Il ſe promet d'en tirer
avantage , & la préſente à celle-ci , comme
Niij
294 MERCURE
l'ayant retirée des mains de gens à qui elle
avoit étéremife par une DemoiselleViolette,
maîtreffe d'Arlequin , qui veut, ajoute-til ,
Ini facrifier Argentine. L'amante d'Arlequin
audéſeſpoir, le reçoit fort mal quand il re
vient; elle lui déclare que l'homme qui a
fon billet fera fon mari. Arlequin sûr de
l'avoir reçu, le cherche& ne le trouve plus;
Scapinle montre. Le premierveut s'excufer ,
Argentine fort en l'accablant de reproches.
Lemalheureux pleure fur fon fort , & aime
roit mieux avoir tout perdu que le billet de
ſa maîtreffe. Scapin luipropoſede l'échanger
contrefonbilletdeloterie.Arlequin accepte,
&vole chez Argentine, Après quelques dif
ficultés, elle confent à deſeendre &àl'écou
ter. Leur converſation bannit les foupçons
de l'amante , & découvre la fourberie de
Scapin. Ce n'est pas tout, il faut tâcher de
reprendre le billet de loterie; Argentine s'en
charge. Elle dit à Scapin qu'elle lui tiendra
faparole, mais qu'elle veut favoir ce que
c'eſt qu'un billet qu'il tenoit à lamain lorfqu'il
eſt revenu, &dont elle prend de l'ombrage.
Scapin lui préſente le billetde loterie,
elle s'en faiſit , appelle Arlequin , qu'elle
avoir fait cacher chez elle, accable Scapin
de reproches , donne ſa main devant lui à
fon rival , & le laiffe accablé de honte &du
chagrin d'avoir manqué en un même jour
d'épouſer une femme riche,°agner une
fomme conſidérable.
DE FRANCE. 299
Cette bagatelle , qui eſt d'un jeune militaire
, eſt très- ingénieuſement intriguée. L'action
eſt bien ſuivie , le ſtyle eſt plein de gaîtë
& d'eſprit. Ce coup d'eſſai doit engager
l'Auteur à ſuivre une carrière où il a débuté
fi heureuſement.
Les rôles ont été fort bien rendus par Mde
Bianchi , par M. Camérani , & fur - tout par
M. Corali , qui a rempli le rôle d'Arlequin
de la manière la plus fatisfaiſante.
Le lendemain Mercredi on a donné la ſeconde
repréſentation de la remiſe des Caquets,
Comédie en trois Actes & en profe , de
Riccoboni le fils , qu'on avoit donnée pour
la première fois le Dimanche précédent.
Babet , crue fille d'Adrien , doit épouſer
Dubois. Une Revendeuſe à la Toilette , nommée
Marotte , jette quelques nuages fur la
naiſſance de Babet; ce qui produit dans le
cours de la Pièce des caquets qui ſuſpendent
le mariage ,& qui ſont même ſur le pointde
le rompre. Enfin au troiſième Acte un M. Renaud
, Négociant , qui revient des Indes
après un quiproquo occafionné ppaarr denouveaux
caquets , & par la préſence d'un Juif
avec lequel il a fait route , ſe déclare le père
de Babet , & conſent au mariage de ſa fille
avec Dubois.
On remarque dans le jeu des Acteurs qui
repréſentent les perſonnages de cette Pièce ,
le peu d'habitude qu'ils ont de jouer la Comédie
proprement dite ; mais leur zèle mé
Niv
296 MERCURE
rite des éloges & des encouragemens. Nous
devons fur-tout citer M. Rozières , qui a
fort bien joué le rôle de M. Belhomme , &
Mde Gonthier , dont le talent s'eſt montré
fous un jour très- avantageux dans le rôle de
Marotte.
Le Public a paru revoir avec ſatisfaction
cette petite Pièce , imitée de M. Gol
doni.
François Riccoboni , Auteur des Caquets ,
&d'un grandnombre d'autres ouvrages qu'il
compoſa ou ſeul ou en fociété avec Dominique
& Romagnéſi , naquit à Mantoue en
1707. Il étoit fils du fameux Riccoboni dit
Lélio , & de Mlle Hélène Virginie Baletti ,
plus connue ſous le nom de Flaminia. Il
débuta avec ſuccès au théâtre Italien en
1726 , ſe retira en Italie en 1729 , reparut
fur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne en
1731 , quitta & reparut encore à differentes
époques juſqu'en 1758 , qu'il remontapourla
dernière fois ſur la Scène,&mourut en 1772 .
Sans avoir un talent du premier ordre ,
Riccoboni a été un Comédien très-utile à
ſes camarades , & très-zélé pour le fervice
du public. Il jouoit tour-à-tour dans tous
les emplois avec une intelligence rare. Il
faififfoit avec la même aiſance tous les idiomes
de nos Provinces , tous les accens attachés
à la diction des étrangers de tous les
pays : il connoifſoit l'art des traveſtiſſemens ,
& l'a pouffé auffi loin qu'il fut poflib ,
DE FRANCE.
297
fans jamais s'écarter de la nature , &, ce qui
eſt remarquable , ſans ſe ſervir jamais de
moyens de charge. Il a donné un des premiers
Ballets-Pantomimes qu'on ait vus fur
nos théâtres . Ce Ballet avoit pour titre les
filets de Vulcain. Il fut très-goûté ,& méritoit
de l'être. Il a laiſſé un ouvrage ſur la décla
mation , dont les jeunes Comédiens peuvent
tirer d'excellentes leçons , mais qu'ils ne
doivent pas ſuivre dans tous les points ; car ,
dans cette production , eftimable à beaucoup
d'égards , Riccoboni a de temps en temps
érigé fa manière en précepte , quoiqu'elle
ne fût pas toujours un modèle.
VARIÉTÉS.
COMMENTAIRE fur l'Esprit des Lois de
Montesquieu , par M. de Voltaire.
On n'oubliera jamais l'impreſſion que fit l'Efprir
des Lois , en Europe , au momentde ſa publication..
La majesté du ſujet , le génie connu de l'Aureur , la
diſpoſition générale des eſprits qui , dans cet inſtant,
étoient fingulièrement portés vers les méditations
fortes de la Philofophie , tout concourut à réu
nir ſur cet ouvrage l'attention des lecteurs de:
tous les genres. Les Juriſconſultes ne doutèrent point
que Monteſquieu n'eût bornél'ambition de ſa gloire ,
à être l'humble Commentateur du Droit Romain &
des Ordonnances Royaux. Les femmes , que le fou
Nv :
298 MERCURE
:
venirdes Lettres Perfannes raffuroit contre la gravité
du titre de l'Ouvrage , ſe flattèrent de pénétrer tous
les grands deffeins de la Législation , dont on leura
toujours fait des myſtères , &de ſuivre M. de Montefquieu
dans le ſanctuaire des Lois comme dans le
Temple de Guide. Les Philofophes prévirent que la
ſcience des Lois ne feroit plus renfermée dans le
Temple de la Juſtice , &qu'elle deviendroit la ſciencedu
Citoyen, du moment qu'un homme de génie
lui rendroit ſon intérêt & fa beauté naturelle. Tout
lemonde enfin voulut le lire ; tout le monde en
commença la lecture. Bien peu de gens purent l'achever.
Preſque tous les Lecteurs furent trompes
dans leurs eſpérances. Les Jurifconfultes prononcerent
de leur ton dogmatique , que Montefquieu ne
parloit point des Lois , parce qu'i en parloit en Légiflateur
plutôt qu'en Jurifconfulte. Ils pensèrent
qu'il dégradoit la majefté de ſon ſujet , par le charme
qu'il répand quelquefois fur fon ſtyle , parce
qu'ils ne conçoivent la raiſon qu'avec la féchereffe
& l'ennui qu'ils lui communiquent , & qu'ils ne la
reconnoiſſent plus lorſqu'elle ſe montre parée de
quelques grâces. Les femmes , pour qui toutes les
idées générales font peut-être étrangères , parce
qu'elles les éloignent trop des objets ſenſibles qui
les dominent toujours avec le plus grand empire,crurent
que c'étoit la faute de Monteſquieu fi ellesn'avoient
pu entendre tout de ſuite le traité du change ,
& le chapitre de la conſtitution d'Angleterre. Ceux
même qui s'occupoient de la Jurisprudence politique
fur les traces des Grotius & des Puffendorf,
n'avoient guères que cette eſpèce d'érudition qui
multiplie les préjugés , &défend aux vérités l'entrée
des efprits qu'elle occuppe. Un homme eſtimé dans
ee fiècle par favaſte ſcience , & même par l'uſage
ingénieux qulil en a fait quelquefois , imprima dans
DE FRANCE.
299
le tems que l'eſprit des Lois n'étoit qu'un Recueil
d'Enigmes & de Logogryphes. Enfin , dit M. d'Alem
bert , l'un des plus beaux monumens littéraires qui
foient fortis de notre Nation , fut regardé d'abord
par elle avec affez d'indifférence.
Dans tous les cas ſemblables , qui , à la vé
rité , font on ne peut pas plus rates , nous devrions
, ce me ſemble , nous faire un devoir de fufpendre
au moins notre jugement. Car s'il eſt toujours
ridicule d'admirer ce qu'on ne comprend pas ,
il eſt auſſi quelquefois injufte de le mépriſer , pour
cette ſeule raiſon. Lorſque des ouvrages fixent l'attention
publique ſur des objets qui ne l'ont pas occupée
encore , il faut ſe réfoudre au travail d'une étude
, & on a tort de ſe promettre les plaiſirs d'une
lecture facile & rapide. Peut- être même que , dans
tous les genres , celui qui va chercher des vérités
nouvelles loin des idées communes des hommes ,
celui qui mérite le titre de Créateur , ne peut ſe marifefter
par lui -même aux Lecteurs ordinaires. Il les
a trop perdus de vue dans la hauteur de ſes contemplations
, & il n'a plus la meſure de la foibleſſe
& des bornes de notre intelligence. Il faut que des
efprits qui ne font que lumineux , lui ſervent d'interprêtes
, & viennent fe mettre entre lui & les hom.
mes pour révéler ſes penſées.
M. de Monteſquieu ne tarda point cependant à
jouir de la gloire que méritoit ſon plus bel ouvrage:
il jouit fur-tout de l'efpérance du bien qu'il feroit
un jour aux hommes. Une Nation , qui travaille
depuis huit ſiècles à ſe faire une conftitution
dans laquelle aucun homme n'aura plus de pouvoir
& de force que la Loi , vit dans cet Ouvrage des
moyens nouveaux de réfoudre ce grand problême de
Légiflation ; & un Anglois , interprête des ſentimens
de tous ſes concitoyens , fit frapper. une médaille
Nvj
300 MERCURE
en l'honneur d'un François qui avoit parlé de Legifſlation:
époque bien remarquable dans l'hiſtoire
de ces deux peuples. Dans ſa Patrie même , M. de
Montesquieu obtint bientôt le fuffrage de tous ceux
dont il pouvoit eſtimer l'opinion. Les premiers
Écrivains, de la. Nation ſe rendirent les interprêtes
de ſon admiration & de ſa reconnoiſſance. Ce
ne fut plus dès lors qu'un concert de louanges.
Dans cette claffe nombreuſe de perſonnes qui
paffent leur vie à lire , ce fut un honneur & une
diftinction d'avoir lu l'Eſprit des Lois.
Depuis dix à douze ans , les principes & la gloire
de M. de Montesquieu ont été attaqués dans une
foule d'écrits , quelquefois avec affez de force &
beaucoup d'honnêteté , mais plus ſouvent encore
avec une fureur aveugle. On l'a accuſé, même d'avoir
abandonné la cauſe des peuples , & de s'être
rendu le fauteur de la tyrannie ; & ce reproche lui a
été fait par un homme qui nous propoſe le Gouvernement
du Grand Turc pour le modèle du plus parfait
de tous les Gouvernemens ; par un Écrivainqui
croit faire beaucoup pour le peuple en réclamant en
ſa faveur le fort dont jouiffentles chevaux dans nos
écuries. Enfin, il me ſemble qu'aujourd'hui , dans ces
entretiens intimes où le bonheur des Gens de Lettres
eſt de s'entretenir des hommes de Lettres qui les ont.
précédés ,. au nom de Monteſquieu , on eſt bien
plus porté à ſe récrier contre quelques imperfections
de les Ouvrages , qu'à admirer les beautés& les vé
sités ſublimes dont ils font remplis. J'ai entendu dire
plus d'une fois qu'il faudroit refaire l'Eſprit des Lois :
il eft vrai que perſonnen'a dit encore qu'il alloit s'en
charger.
Parmi les nombreux ennemis de M. de Montef
quieu , on a dû dîtinguer aiſémert M. de Voltaire.
Quel a été le principe de leurs diviſions , & four
DE FRANCE.
301
quoi , & commentt ll''AAuutteeuurr de l'Eſſai ſur l'Histoire
Générale , n'a-t-il pas été le premier admirateur de
l'Eſprit des Lois ? Eſt- il vrai , ce qu'on a dit , que
Voltaire ne pouvoit ſouffrir dans l'Europe une gloire
qui égalât l'étendue & l'éclat de ſa gloire ?
Si cela étoit vrai , il faudroit ſur ſa tombe même
charger ſa mémoire de cette accuſation : il faudroit
la faire entendre au milieu même de tous
les chants qui s'élevent pour célébrer le prodige,
de ſon génie. Un amour extrême de la gloire auroit
fait ſon crime ; il faudroit l'en puuir en répandant,
cette ombre ſur l'éclat de ſa gloire. On est trop
porté peut-être à tout pardonner au génie. L'amour
& l'admiration qu'il nous inſpire ſéduiſent.
aifément nos arrêts. Mais cette indulgence ne peut
que lui être funeſte à lui- même , & le plus grand outrage
qu'on puiſſe lui faire , c'eſt de ne pas en exiger.
toutes les vertus.
Mais en cherchant avec ſcrupule l'origine de
la haine de l'Auteur de Mahomet pour l'Auteur de
l'Eſprit des Lois , il eſt difficile de ne pas voir qu'elle
a pris ſa ſource dans la vengeance plutôt que dans
l'envie. M. de Monteſquieu avoit déja , depuis trèslong-
temsen Europe , cette célébrité qui donne à
L'homme de génie , ſur l'opinion publique , une influence
qui régle pendant un certain tems , au moins ,
le fort des talens dont la place n'eſt pas encore fixée..
Voltaire avoit auſſi déjà publié pluſieurs des Ouvrages
qui compoſent aujourd'hui les plus beaux titres
"de ſa renommée. Mais la multitude qui répand la.
gloire ne fait pas la diſpenſer. Même après Brutus
Zaïre & la Henriade , on ne ſavoit pas bien encore
ſi l'on devoit claſſfer. Voltaire parmi les beaux
Eſprits , ou parmi les hommes de genie. C'est dans
ce moment que Monteſquieu , qui devoit pourtant
fe connoître en génie , prononça que Voltaire ne
202 MERCURE
ſeroit jamais qu'un bel-efprit ; & pendant plus de
quarante ans , les ennemis du Sophocle François
ont foutenu leurs injuftices & leur haine de cette
erreur du Platon de la France. Il eût été beau , fans
doute , à Voltaire , de refpecter toujours la gloire
d'ungrandhomme qui n'avoitpas fu prévoir que la
fienne feroit encore unjourplus brillante. Oncompteroit
aujourd'hui cetre juſtice , quoiqu'elle ne fût
qu'un devoir , parmi les vertus qui confacrent fa
renommée. Mais il ne faut pas craindre de le dire:
cette imagination & cette ame ſenſibles que la nature
donne aux hommes qu'elle forme Poëtes , doit
leur permettre bien rarement d'être généreux fur la
gloire. Ces foibleſſes de leur génie reffemblent un
peu à des foibleffes plus intéreſſantes & plus excufables
encore , à celles de la beauré. Labeauté ne
peut guères ſe voir elle-même ſans être touchée du
charme qu'elle répand autour d'elle. Tous les hommes
l'ont dit , & les femmes s'en défendent foiblement
: l'injure de la beauté méconnue ou mépriſée
ne s'efface jamais du fondde l'ame. Il en eft demême
du génie. Il ne peut guères fixer fes regards fur
les productions charmantes ou fublimes , dans lefquelles
il a répandu ſa grâce & ſa beauté, fans
éprouver pour lui même quelques-uns de ces ſenti
mens d'amour & d'admiration qu'il doit infpirer
aux hommes. Si on le méconnoît ou fi on le méprife,
ſa foiblefſe deviendra une fureur , & il voudra
venger avec excès l'outrage fait à l'objet de fon
amour.
Manet aliâ mente repoſtum
Judicium Paridisſpretaque injuriaforme.
Si c'eſt-là , en général , le caractère de tous les
hommes qui ont reçu de la nature le génie PoëtiDE
FRANCE.
303
1
que , il paroît que ce caractère a été plus particulièrement
encore celui de Voltaire. Il meſuroit les
offenſes à ſa ſenſibilité , & l'on conçoit que ſes vengeances
ne pouvoient avoir de bornes. Je fais bien
que ce n'eſt point-là le juftifier , & ce n'est pas non
plus mondeffein ; mais c'eſt du moins caractériſer
ſes torts , & fi on ne peut les excufer , on voit au
moins qu'ils n'avoient rien d'odieu'x , &que celui
qui eût ménagé ſes foibleſſes , eût éré für de trouver
en lui preſque toutes les vertus.
Pour être juftes , nous devons donc reprocher à
M. de Monteſquieu lui-même , une partie des injuftices
dont M. de Voltaire s'eſt rendu coupable envers
lui.
Le Commentaire que nous annonçons aujourd'hui,
& qui a donné lieu à ces réflexions , ne feroit peutêtre
lu de perſonne , s'il ne portoit le nom du grand
homme que nous venons de perdre. Mais il l'a laiffé
ſur ſa tombe , & l'on peut être tenté de le recueillir
comme un débris facré.
Il eſt fait fans aucun plan , fans aucune ſuite
fans aucun ordre dans les matières. M. de Montef
quieu demandoit en grâce qu'on ne le jugeât point
ſur quelques idées iſolées , mais ſur l'enſemble de
fonOuvrage. M. de Voltaire n'a point voulu faire
cette grâce à l'Auteur de l'Eſprit des Lois. Il n'a commenté
que quelques phraſes qu'il a priſes , tantôt dans
un Livre , tantotdans un autre , &toujours en les
ſéparant de tout ce qui les environne. Nous ne mertrons
pas plus d'ordre dans l'examen du Commentaire,&
nous n'examinerons même qu'un petit nombre
de Critiques . Nous choiſirons celles qui ſemblent
avoir quelqu'apparence de juſteſſe& de vérité.
Monteſquicu a dit que le pouvoir du Clergé eft
tine barrière au pouvoir deſpotique,qu'il faut conferver
, lorsqu'iln'y en a pas d'autre.
304
MERCURE
M. de Voltaire répond à cela qu'Iſabelle & Ferdinand
qui établiſfoient le deſpotiſme ont aufli éta
bli l'Inquifition en Eſpagne : & il ajoute enſuite ;
cette Inquisitionfi abhorrée en Europe devoit-elle être
chère à l'Auteur des Lettres Perſannes.
Le pouvoir du Clergé & l'Inquifition , eſt-ce la
même choſe ? L'Inquisition n'exiſtoit pas encore , &
Louis le Débonnaire avoit déjà dépoſe ſa Couronne
Impériale aux pieds des Evêques de France. Torquemeda
ne ſe vantoit pas encore d'avoir allumé
hui-même le feu de fix mille bûchers , & le fougueux
Hildebrand élevéſur leTrône Pontifical,parloit déjàde
marcher ſur la tête des Empereurs : Innocent III
avoit déjà donné la Couronne d'Angleterre à un
héritier de la Maiſon de France. Dans quel Ouvrage
a-t-on rendu l'Inquifition plus odieuſe que dans
P'Eſprit des Lois ? Qui pourra jamais oublier le plaidoyer
de cetre jeune Portugaiſe , prête à être confumée
par les flammes pour avoir cru à la Keligion
de ſes pères ? Quoi ! il s'eſt trouvé un homme
qui a voulu faire entendre que l'Inquifition a été
chere à M. de Montesquieu , & cet homme eft M.
de Voltaire ! Si j'avois lu ces mots dans la théorie
des Lois Civiles ,j'en ſerois encore étonné.
Montefquieu a dit que les Anglois, pour favorifer
la liberté, ont ôté toutes les puiſſances intermédiaires
quiformoient leur Monarchie.
Au contraire , dit le Commentateur , lesAnglois
ont établi le Parlement & la Chambre des Communes.
Le Parlement & la Chambre des Communes , ou
pour parler plus exactement , la Chambre des Communes
& celle des Pairs , ne font pas des Puiſſances
intermédiaires ; ce font , dans le pouvoir législatif
d'Angleterre , des Puiffances égales , ou même ſupérieures
à celle du Roi. Je crois que M. de Vol
DE FRANCE.
305
taire l'a dit lui-même quelque part en très-beaux vers;
mais auſſi pourquoi le faire Commentateur ? C'eſt
s'expoſer à perdre à la fois toutes ſes connoiſſances
&tout fon génie.
L'Auteur de l'Eſprit des Lois a fait un tableau des
vices des Courtiſans qui a fait frémir tout le monde
par ſa vérité. On l'en a remercié au nom de tous les
coeurs fincères . Le Commentateur veut lui enlever
impitoyablement cette gloire ſi douce de la vertu qui
fait adorer la gloire des talens. C'est une choſe aſſez
fingulière , dit-il , que ces anciens lieux communs contre
les Princes & les Courtisans , foient toujours reçus
d'eux avec complaisance.
Ainfi donc pour plaire aux Princes & aux Courtifans
, il ſuffira de leur dıre la vérité ? Pourquoi donc
la vérité a-t-elle preſque toujours déſerté les Cours
pour y laiſſer régner la flatterie ? Pourquoi l'amour
de la vérité & le courage de l'entendre , font- ils la
première vertu des bons Princes , s'ils font auſſi le
partage des Tyrans ? M. de Voltaire avoit lu plus
d'une foisdans Tacite le tableau de la Cour du ſuccef
ſeur d'Auguſte: lui avoit-il paru que le regret des
vertus&du bonheur de la République , les murmures
ſecrets qui s'élevoient dans les ames contre les
crimes qui partoient de cette Cour , étoient entendus
ou même ſoupçonnés avec plaifir par Séjan &
par Tibère ? Cette manière de s'avancer dans la faveur
, ſera toujours plus propre à perdre les flatteurs
qu'à perdre les Souverains , & ce n'eſt pas contre
cette flatterie que s'éleveront les malédictions des peuples
opprimés.
M. de Monteſquieu a dit que les hommes font
égaux dans les états deſpotiques , parce qu'on nepeut
s'y préférer à rien.
Il me ſemble , au contraire , dit le Commentateur
, que c'est dans les petits États démocratiques
que les hommes font égaux.
306
MERCURE
Mais il n'y a point là de contradiction. Ils font
égaux dans la démocratie parce qu'ils font tous
Souverains; ils fontégaux dans le deſpotiſme , parce
qu'ils font tous eſclaves : les premiers , ditM. de
Monteſquieu lui-même , parce qu'ils font tout , les
feconds , parce qu'ils ne font rien.
M. de Montefquieu a fait entendre que l'or du
nouveau monde a ruiné l'Eſpagne.
Je ne fai pas trop , dit M. de Voltaire , fi Phi
lippe IIfut fi àplaindre d'avoir de quoi acheter l'Eu
rope , grâce au voyage de Colomb.
Je ne fais pas trop non plus quand l'Europe s'eſt
vendue à Philippe ſecond. Le ſecours que donna fon
or à la Ligue fut impuiſſant pour repouffer Henri-
IV de fon Trône. La Flotte invincible ne fit
point la conquête de la Grande-Bretagne , & tout
Por du Potoſe ne put forger des fers à la liberté du
Batave. D'ailleurs , il ne s'agit point ici de Philippe ,
il s'agit de l'Eſpagne. Les mêmes choſes qui rem.
pliffent les tréfors des Souverains , ruinent trop fouvent
les peuples. Mais veut-on parler des Rois memes
? Philippe III , qui poſſedoit les mines du
Mexique & du Pérou , n'avoit pas de quoi payer
fes domeftiques.
Licurgue , dit Monteſquieu , mêla le larcin avec
l'eſpritde juftice.
J'oferai dire , répond le Commentateur , qu'il n'y
a point de larcin dans une Ville où l'on n'avoit
nulle propriété.
M. de Voltaire n'eſt pas le ſeul qui ait dit qu'on
ne pouvoit pas voler à Sparte , quoiqu'on ait beaucoup
parlé des vols des Spartiates. Mais avec un
peu de réflexion on voit que les vols y étoient trèspoffibles.
1º. On pouvoit voler à chaque Citoyen
ce que la Patrie lui donnoit pour ſa ſubſiſtance.
2º. On pouvoit voler à la Patrie elle -même les
DE FRANCE.
307
biens dont elle faifoit le partage entre ſes enfans.
J'ai pourtant lu vingt brochures , au moins pour
ma part , dans lesquelles on a affuré que le vol
étoit impraticable à Sparte.
A
L'Auteur de l'Eſprit des Lois a cité une Loi des
Épidammiens, dont on peut tirer un réſultatgénéral
tres- important pour la Légiflation de tous les Peuples.
Dans chaque genre , dit M. de Voltaire , ilfaut
s'en tenir àfon fujet. L'Esprit des Lois est dans
l'Empereur Justinien , & dans les Ordonnances de
Louis XIV.
Mais le chapitre de la Conſtitution d'Angleterre
n'eſt tiré ni des Novelles de Juſtinien , ni des Ordonnances
de Louis XIV : le chapitre de la Conftitution
d'Angleterre figure-t-il mal dans l'Eſprit des
Lois ? Monteſquieu est-ilallé le chercher hors de
ſon ſujet ? Je crois bien que dans ces momens d'humeur
, où M. de Voltaire vouloit un mal horrible à
l'Auteur de l'Eſprit des Lois , il eût deſiré que Monteſquieu
n'eût été qu'un Bonnier ou un Barthole.
C'eſt ainſi que Voltaire a partout commenté l'Efprit
des Lois. Mais rappelons ici ce qu'il en a dit
ailleurs lui-même. Le genre humain avoit perdu fes
titres ; Montesquieu les a trouvés , & les lui a rendus.
Le plus bel éloge qu'un homme puiffe recevoir
,Montesquieu l'a donc reçu de Voltaire.
:
:
308 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
MÉMOIREfur la manière d'affainir les murs
nouvellement faits ; par M. L. C. D. M.
petite Brochure in- octavo .
ON
N ne fait que trop combien il eſt dangereux
d'habiter les maiſons nouvellement bâties. La vapeur
des murs , des peintures & des vernis cauſe chaque
jour parmi nous des accidens innombrables ; & jul
qu'ici on n'adonné aucune théorie fatisfaiſante fur la
nature de ces émanations , ni ſur les moyens d'en
prévenir les influences meurtrières.
Dans la conſtruction des murs , on'emploie ou la
chaux ou le plâtre : c'eſt à ces deux ſubſtances que
les gens inftruits attribuent les maladies qu'éprouvent
ceux qui habitenttrop tôt une maiſon neuve.
fe
Le plâtre & la chaux , pendant leur calcination,
ſe chargent d'une grande quantité de phlogiſtique ,
qui tend fans ceffe àafſe diffiper. Ce phlogiſtique,
fuivant l'opinion de l'Auteur, ayant plus d'affinité
avec les acides qu'avec les deux matières terreuſes
auxquelles il eſt uni , les abandonne avec facilité,
pour s'unir à l'acide de l'air. De cette union , il réſulte
un ſoufre très- volatil , ſoufre qui s'unit à fon
tour à la terre alkaline de la chaux & du plâtre , &
forme une combinaiſon connue en Chimie ſous le
nom d'hepar fulphuris , ou foie de ſoufre. La préfence
de ce foie de ſoufre eſt ſenſible , lorſqu'on fait
éteindre la chaux dans un lieu fermé.
« 1º . On ſenz bientôt une odeur d'oeuf pourri ,
- qui eft celle du foie de ſoufre décompoſé. 2°. Si
DE FRANCE.
309
on expoſe une aſſiette d'argent à la vapeur qui
>> s'élève pendant la fuſion de la chaux , elle s'y phlo-
> giſtiquera & deviendra noire. 3 °. Le même phé-
>>nomene aura lieu fi on la ſuſpend , pendant quel-
> ques ſemaines, contre un mur nouvellement fait ».
Suivant l'obſervation de tous les Chimiſtes ,
le foie de ſoufre diſſout non-ſeulement la majeure
partie des métaux , mais encore les ſubſtances animales
& végétales : il corrode , il détruit ſur-tout
les matières animales ; & l'oi doit concevoir aifément
les défordres affreux qu'il peut cauſer , & qu'il
cauſe en effet dans nos viſcères quand nous le ref
pirons.
Il s'agit donc de trouver un moyen de décompoſer
cette ſubſtance , & fur- tout d'en accélérer la deſtruction.
L'Auteur dit que l'évaporation du vinaigre& la
chaleurd'un poële pourroient à la longue remplir cet
objet ; mais il croit la méthode ſuivante beaucoup
plus prompte & plus efficace.
« Lorſqu'on veut habiter une maiſon ouun appartement
dont les murs font nouvellement bâtis , il
>> faut commencer par fermer les fenêtres , les portes
> &la cheminée; enſuite on établira des poëles au
milieu des chambres , dont on conduira les tuyaur
dans la cheminée ou la fenêtre , pour faire fortir
la fumée. On chauffera ces poëles nuit& jour , le
>> plus fort poſſible : on aura en même-temps pluheurs
vaſes de grès ou de fayence , ou même de
terre verniffée , dont l'ouverture ſera large , telles:
- que les terrines où l'on met du lait pour en ſeparer
la crême : on placera les terrines lelongdes mars ,
> environ àdeux ou trois pieds de diſtance l'une de
l'autre : on mettra dans chacune environ cinq ou
*
১০
fix onces de ſalpêtre brut , de la première cuite ,
>& pareille quantité de fel marin , que l'on aura
>> bien fait ſécher auparavant. Après cette première
1
31७
MERCURE
difpofition , on fermera les fenêtres , & on ne laif
>> ſera que la porte ouverte.
On aura enfuite dans un flacon de l'huile de
•vitriol du commerce , dont on fera verſer par
>> pluſieurs perſonnes à la fois , cinq ou fix onces
>> dans chaque terrine ,&cela le pluspromptement
qu'il fera potlible , afin que ces perfonnes ne ref-
>> pirent point la vapeur qui ne tardera pas à s'élever.
> Cette opération faite, elles ſe retireront& ferme
>> ront la porte.
دد
1
>> Alors l'huile de vitriol , qui a plus d'affinité
avec la baſe du ſalpêtre &du ſel marin , que ces
>> deux ſels n'en ont avec leur propre bale , s'en
» empare auffi-tôt : les deux acides devenus libres ,
>> s'exhalentdans l'appartement. L'acide nitreux s'u
>> nit au phlogiſtique furabondant des matières cal
>> caires des murs neufs , & l'acide marin décompoſe
>> le foie de ſoufre volatil. Ces deux acides étant
>> volatils eux-mêmes , ſe diſſiperont dans l'airquand
>> on ouvrira les fenêtres , & emporteront avec eux
les ſubſtances volatiles qui ne ſont pas encore
➡ combinées.
>> Il faudra répérer la même opération trois out
quatre fois par jour , pendant un mois ou fir fes
>> maines,&entretenir la chaleur du poële à trente
cinq ou quarante degrés. Par ce moyen, les murs
>> ferontdépouillés de leurs émanations malfaiſantes ,
s& l'on pourra habiter une maiſon neuve au bout
de fix femaines ou deux mois ſans aucundanger ».
:
GRAVURES.
LoO
FFRANDE à l'Amour , Eftampe gravée par
M. Macret, d'après un tableau très-connu du célèbre
M. Greuze. A Patis , chez laveuve Avaulez,
DE FRANCE. 311
Marchande d'eſtampes , rue Saint - Jacques , à la
Ville de Rouen, Prix , 9 liv.
L'Heureuse Rencontre, gravée par M. Marchand ,
d'après un tableau de M. Pierre , Premier Peintre du
Roi. A Paris , chez l'Auteur , rue des Foffés-Saint-
Victor , en face de la Doctrine Chrétienne.
Portrait de feu M. Bourgelat , Directeur & Infpecteur-
Général des Écoles Vétérinaires , Commiffaire-
Général des Haras du Royaume ,&c. Se vend
àl'École Royale Vétérinaire ;&à Paris, chez Letellier,
rue de Grenelle Saint Honoré , à côté du Marchand
de muſique. Prix , 1 liv.
Le Fils puni , Tableau de M. Greuze , gravé de
mémoire. Chez Civil , rue du Petit-Bourbon , cn
face de la Colonnade du Louvre.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
DICTION ICTIONNAIRE Univerſel des Sciences morale;
économique , politique,& diplomatique , ou Bibliothèque
de l'homme d'Etat & du Citoyen , mis en or
dre & publié par M. Robinet , Cenſeur Royal. Tome
VI in-4°. A Paris , chez l'Éditeur , rue S. Dominique
, près la rue d'Enfer.
Les principaux articles de ce nouveau volume qui
termine la lettre A , font Architecte & Architecture ,
Aréopage, Argent , Arithmétique , Politique , Arts ,
Afie , Assassinat , Affſurance , Affyrie , Athènes ,
Avarie , Aubaine , Audience , Avis , Autorité,
Autriche. Nous en donnerons un Extrait dans un
des Mercures ſuivans,
Effai Phyſico - Géométrique , contenant , 1º. la
détermination du centre de gravité d'un ſecteur de
312 MERCURE
cercle quelconque ; 2°.la réſolution géométrique du
problême de la quadrature définie du cercle, déjà
approuvée par pluſieurs Géomètres de diverſes nations
, expoſé à la cenſure du Public , & nominativement
à celle des Phyſiciens - Géomètres , profeſſant
dans les Univerſités , Colléges & Académies , leſquels
font priés & invités de le réfuter , & d'en rendre la
réponſe par lesjournaux Littéraires ; avec une Lettre
d'invitation particulière à M. d'Alembert, pour le
réfuter aufſi , s'il y a lieu : adreſſé à Sa Sainteté&
aux Monarques. Par M. le Rohberg Herr de Vauſenville
, Aftronome , Correſpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris, Hiftoriographe de la
ville de Vire , &c. A Paris , chez d'Houry , Libraire,
rue de la Vieille Bouclerie ; Mérigot l'aîné , Libraire ,
Quai des Auguſtins , & Eſprit , Libraire , au Palais
Royal, 1778. Avec Approbation& Privilége du Roi.
I vol. in-8°. Prix2 liv. 8 fols.
Voilà un nouvel ouvrage ſur la quadrature du
cercle.C'eſtdommage pour l'Auteur , qui defire d'etre
réfuté , que ſon invitation ne puiſſe pas prévaloir fur
la réſolution que l'Académie Royale des Sciences de
Paris a priſe , de ne plus examiner aucun ouvrage
fur cette matière. Voyezfon Histoire de 1775. Il eft
à croire que fon Secrétaire & la plupart desGéomè
tres ſuivront fon exemple.
Obſervations nouvellesfurlespropriétés del'Alkali
fluorammoniacal, d'après quelques expériences faites
par M. B ***, du Collége Royal & de l'Académie de
Chirurgie de Paris , ſervant d'addition à celles qu'on
adéjà publiées ſur le même objet , dont on donne
ici le réſumé. AParis , de l'Imprimerie de Monfieur,
1778. Brochure in-8 °. de 49 pages , qui ſe trouve
chez Didot le jeune , Libraire , Quai desAuguſtins.
JOURNAL
E
reones
3,
DO
ies, t
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES
4
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 1 Janvier.
LEs eſpérances de paix ſe ſoutiennent toujours
; on parle depuis quelque tems d'envoyer
un Ambaſſadeur à Pétersbourg pour la traiter
directement avec l'Impératrice de Ruffie ; fi ce
bruit ſe confirme , il n'eſt pas douteux qu'elle
ne foit bientôt fignée ; les Miniſtres Ottomans
ne ſe rendent guere dans les Cours Etrangères
que pour la forme ; les affaires ſont réglées
avant leur départ , & leurs miſſions n'ont guere
d'autre objet que l'apparat.
Les cinq Boyards décapités en Moldavie ,
l'ont été par ordre du Capitan-Bacha ; on croyoit
que cette exécution pourroit n'être pas vue
de bon oeil ici ; mais il paroît qu'elle y eſt approuvée.
Le Grand-Amiral prétend que ces
Boyards entretenoient des correſpondances
illicites avec les Ruſſes , pendant que les hof
tilités avoient lieu . On affure aujourd'hui
que le Divan de cette Province eſt ſoupçonné
d'avoir eu part à ces intelligences criminelles ,
& qu'il va partir pour Jaſſy une commiffion
chargée d'examiner ſa conduite. En attendant
il vient d'arriver ici trois autres Boyards fufpects
, qui font chargés de fers.
Quatre vaiſſeaux de ligne ont mis à la voile
25 Février 1779 .
( 314 )
depuis quelques jours ; on dit qu'ils font partis
pour aller chercher du grain ; mais on remarque
que nousn'en manquons point , & qu'ils n'ont pas
pris la route de la mer Noire ; comme ils ont
paffé le détroit des Dardanelles , on préfume
qu'ils ſe rendent en Syrie , où les troubles ſe
renouvellent ; la ville de Seyde eft fur-tout
dans une telle confusion, que le Conful François
& les Marchands étrangers qui y étoient
établis , ont pris leparti de quitter cette ville
& de fe retirer en Chypre .
SUÈDE.
De SтоскHOLM , le 26 Janvier.
LE IS de ce mois le Duc d'Ostrogothie a
donné à la famille Royale une fête à l'occaſion
de l'heureuſe délivrance de la Reine. Audi-tôt
que LL. MM. ont été inſtruites des malheurs
arrivés à celle que la Bourgeoiſie de cette ville
adonnée au peuple , elles ſe font empreſſées
de venir au fecours des parens de tous ceux qui
ont péri ou qui ont été bleſſés. La bienfaifance
du Roi qui ne ſe dément & ne ſe rallentit
jamais , l'a déterminé aufi à n'accepter que 12
des 18 tonnes d'or , dont les Etats on fait pre
fent au Prince Royal; il a défiré que les 6qu'il
refuſoit , fuffent employées dans la répartition
des impôts au foulagement de ſes ſujets les
moins aifés.
La Dière s'eſt hâtée de terminer les affaires qui
l'avoient affemblée , en multipliant ſes ſéances ; le
Comité chargé de l'examen de tout ce qui regarde
la banque , a rendu compte de ſon travail; il en
réſulte que les réſolutions priſes par les quatre ordres
ont pourvu ſuffisamment à ſa fûreté & au maintien
de fes droits ; il a donné les plus juſtes éloges à
l'adminiſtration de cette partie importante. Mais
( 319 )
comme en conféquence demontious demes de
velle conſtitution , il y aura un plus long intervérc
entre une Diète & la ſuivante , & que la réviſion de
la banque peut mériter l'attention de la nation pendant
cetems , le Comité propoſa un projet par lequel
les ordres choiſiront des Réviſeurs au nombre de 12
pour l'ordre Equestre , de 6 pour celui du Clergé , &
d'autant pour celui des Bourgeois qui s'affembleront
le 1 Août 1782, pour la première fois,& enſuite tous
les trois ans , à la même époque. Leurs aſſemblées
dureront deux mois ; on affignera à chaque membre
un rixdahler par jour , & ils ſuivront ſtrictement les
inſtructions qui leur feront données. Ce plan qui
avoit été déja exécuté du tems de Charles XII ,
depuis 1699 , juſqu'en 1719 , a été adopté avec
cette clauſe , que chaque fois on élira de nouveaux
Réviſeurs , & que ceux qui ſe trouveront en charge ,
ne pourront pas tous être continués pour la réviſion
ſuivante..
Une des réſolutions les plus importantes ,
prites par la Diète actuelle , eſt celle d'accorder
le libre exercice de fa religion à chaque étranger
qui viendra s'établir dans le Royaume. Elle
fut priſe unanimement par la nobleſſe , la bourgeoifie
& les payſans ; le clergé ſeul proteſta
contre cette réſolution , comme contraire à ſes
droits , à ſes priviléges , & au paragraphe 1 de
la nouvelle forme de gouvernement. Mais la
pluralité de trois ordres annulle l'oppoſition
d'un ſeul . Le Roi a donné fon approbation
à cette délibération. C'eſt par - là que la
Diète a terminé ſes ſéances. Sa clôture a été
annoncée hier au fon des trompetes & des hautbois
, en la manière accoutumée. Le fermon
qui a lieu dans ces circonstances , a été prononcé
aujourd'hui ; les quatre ordres à l'iſſue du fervice
Divin , ſe ſont rendus dans la falle des
Etats , ou S. M. les a congédiés par un difcours
élégant.
Oz
( 314)
depuipayfahsavinursemandé qu'il fût per
P9 aux habitans de la campagne de diſtiller de
l'eau-de-vie pour leur uſage ; mais cette Requête
a été rejettée. Parmi les diſcours qui ont
été prononcés dans cette Diète , & dans lefquels
S. M. a vu toujours les témoignages d'a.
mour &de fidèlité de ſes peuples , on nous faura
gré de rapporter celui - ci d'André Matſon,
Orateur de l'ordre des payfans .
>> Sire , l'ordre des paytans , lorſqu'il ſe préſente
devant V. M , n'éprouve ni l'embarras ni la crainte
qu'inſpirent trop ſouvent ailleurs à cette claſſe la
borieuſe , l'éclat & la pompe auxquels elle n'eſt
point accoutumée. Ici il ſe livre librement aux ſentimens
, dont tous les membres font animés. Pleins
du zèle le plus pur , & de l'amour qui vous eſt
dû , le langage de l'art nous eſt auffi étranger qu'inu
tile. Notre confiance en vous , eft celle d'enfans
foumis qui s'approchent d'un bon père , pour épan
cher leurs fentimens dans ſon ſein. Craindre Dieu ,
aimer nos Rois , voilà les devoirs que nous ont
appris nos pères. Nous avons toujours trouvénotre
bonheur dans leur pratique , & nous affurons celui
de nos enfans , en les leur enſeignant à notre tour,
Dès le point du jour , avant de commencer nos travaux
, les voix de chaque famille ſe réuniſfent, &
forment des voeux pour V. M. , & le foir en finif
fant la journée , nos bras fatigués s'élevent encore
vers le ciel , pour implorer ſes faveurs fur notre
Roi ; fatisfaits alors nous allons goûter les douceurs
d'un repos que la ſageſſe de votre adminiſtration
nous conſerve. Les députés de l'ordre des payſans,
attendent avec confiance ce qui leur ſera communi
qué; danstoutes leurs déliberations , ils auront égard
al'amour qui les lie avec leurs ſupérieurs , à l'obéilſance
qu'ils doivent au Gouvernement , & à la tendre
amitié qui les attache à leurs compatriotes qu'ils
ont laiſſés chez eux. C'eſt le ſeul moyen qu'ils connoiſſent
de mériter les bontés du meilleurdesRois ,
&de s'en rendre dignes ",
( 319 )
De
la plus grande paredes troupes de
PO Stab NE . employée
eaucoup
ARSOVIE , le 26 Janvieriége de
?
L'ANNIVERSAIRE de la naiſſance du Roi
qui eſt entré dans la 47e année de ſon âge , a
été célébré le 1 de ce mois avec beaucoup de
pompe ; S. M. après le ſervice Divin , ſe rendit
à Marimont , où le Comte de Rzewuski
Maréchal de la Cour & de la Couronne , lui
donna une ſuperbe fête , ainſi qu'aux Seigneurs
qui l'avoient ſuivie ; S. M. eſt partie le 22 de
ce mois pour Kozienice , où elle reſtera quelquesjours.
On affure que le Prince de Repnin quittera
la Siléſie dans le courant du mois prochain pour
venir dans cette capitale ; on préſume qu'il y
paſſera quelques jours , après quoi il reprendra
la route de Pétersbourg . On ne dit pas fi fon
voyage influera ſur le ſéjour des troupes Ruſſes
qui ſe trouvent dans ce Royaume . On croit
cependant que ſi leur préſence eſt néceſſaire en
Allemagne , elles s'y rendront ; elles ont été
fort tranquilles pendant quelque tems ; mais on
remarque depuis quelques jours beaucoup de
mouvemens parmi elles , & pluſieurs annoncent
qu'elles font les diſpoſitions néceſſaires pour
continuer leur marche.
On imprime actuellement les conſtitutions
portées par la dernière Diète ; comme on y
joint le journal de fes délibérations , & les difcours
qui ont été prononcés en différentes occafions,
cet ouvrage fera fort volumineux.
Le Comte Potocky , Vaivode de Plocko ,
efſt mort ici dans un âge affez avancé.
*
03
( 314 )
depuipaykaioursemandé
qu'il
LLNE
. P9 aux ha
l'eau-de-De VIENNE , le 30 Janvier.
quête a
LE 19 de ce mois , l'Empereur ſéant fur fon
trône , a donné l'inveſtiture folemnelle des
fiefs , terres & droits attribués à l'Evêché de
Coïre , au Prince - Evêque de la famille des
Cointes de Roth , repréſenté par le Comte
François-Louis d'Altems , Chanoine du grand
Chapitre de cette Métropole.
Le 26, la Cour a reçu de Naples la nouvelle
de l'heureuſe couche de la Reine ; il
y a eu à cette occafion grand gala & appartement
le foir à la Cour. On afſure que la
Grande-Ducheſſe de Toſcane , que l'on dit enceinte
de 2 mois , reſtera ici juſqu'au 7e. de fa
groffeffe.
Les 200 huſſards que l'Archi-Duchefſe Marie-
Chriftine a fait lever à ſes frais pour le ſervice
de l'Empereur, font arrivés ici le 26 avant midi,
& ont défilé ſous les fenêtres du Palais Impérial.
Ils allèrent ſe mettre en parade devant
P'hôtel de la Guerre , d'où après avoir été
paffés en revue , ils ſe mirent en marche pour
ſe rendre en Bohême , où ils feront partie du
régiment de Wurmſer. Le lendemain on vit
arriver les 300 huflards qu'a fait lever la famille
de Bathiany. Comme l'Empereur a témoigné
pluſieurs fois combien il étoit fatisfait de la
conduite des huſſards Hongrois , la petite no.
bleffe de ce Royaume a offert de lever un corps
de4000 qui feront tous nobles , & qui ferviront
àleurs frais comme dans la guerre précédente ;
elle n'a demandé que la ſeule condition de ne
les incorporer dans aucun autre corps ; la Cour
adonné ſa parole , & a nommé des Officiers
des principales familles de Hongrie pour les
commander.
( 319 )
Comme la plus grande partie des troupes de
lagarnifon de cette capitale doit être employée
ailleurs , la bourgeoifie qui a obtenu beaucoup
de priviléges & de libertés depuis le fiége de
Vienne en 1683 , a reçu ordre de ſe tenir prête
à occuper dans le courant du mois prochain ,
les principaux poſtes de cette ville .
L'avantage que le Lieutenant - Général de
Wurmfer a remporté dernièrement à Halberſchwerdt
dans le Comté de Glatz , a fait
la plus grande ſenſation à la Cour. L'Impératrice
Reine a envoyé à ce brave Officier une
boîte d'or , garnie de brillans d'un très-grand
prix ; elle a auſſi fait préſent à M. Uz , fon
Aide-de-Camp , d'une montre d'or à répétition ,
& de 100 ducats.
De HAMBOURG , le 1 Février.
:
PENDANT que tous les papiers publics
de l'Allemagne annoncent une prochaine paix ,
qu'ils parlent d'un plan de pacification agréable
à tous les partis , les hoftilités continuent
dans la Haute-Siléſie où les troupes Belligérantes
ne fongent point encore à entrer en
quartier d'hiver , & n'ont ceſſé de s'obſerver ,
de s'inquiéter & de combattre , malgré la rigueur
de la ſaiſon. Le ſuccès de l'entrepriſe
du Lieutenant-Général de Wurmſer ſur Halberſchwerdt
, dans le Comté de Glatz , eft confirmé
; il a difperfé le régiment de Luck , &
le Prince de Heſſe-Philipttall eft au nombre de
ſes prifonniers . La Cour de Berlin n'a point encore
publié de relation de cet évènement malheureux
, mais qui n'offre rien de décifif ; elle fe
diſpoſe à prendre ſa revanche , & les mouremens
qui le font dans la Haute-Siléſie ſemblent
préparer à quelque choſe de plus important
que tout ce qui s'eſt paſſé juſqu'à préſent. S'il
04
( 320 )
faut en croire pluſieurs nouvelles , les Autrichiens
s'y font emparé de Joanneſberg; & la
poffeffion de ce poſte les met en état de couper
toute communication entre Neiffe , Jagerndorf
& Troppau. Cette nouvelle , fi elle fe
confirme , we permet pas de douter que les
Pruffiens ne tentent tout pour rétablir cette
communication , & d'un moment à l'autre nous
pouvons recevoir la nouvelle de quelque action
que ce deſſein doit inſenſiblement amener.
L'activité qu'on remarque toujours dans les
préparatifs de guerre font douter du ſuccès des
négociations pour la paix , puiſqu'elles ne les
fufpendent pas .
Le bataillon de Winakop , écrit-on d'Olmutz,
fort de 800 hommes , eſt parti le 4 Janvier pour
l'armée ; il a été ſuivi par 6 compagnies du régi.
ment de Laudohn , qui étoient ici le 31 Décembre;
dix bataillons de grenadiers venant de Bohême ,
font entrés le 7 Janvier à Nuglits , & une compagnie
de 170 hommes de ce bannat eſt entrée le 6
dans notre fauxbourg , d'où elle s'eſt miſe enmarche
le lendemain pour joindre fon corps; 25 canons
ont été tranſportés d'ici à Troppau , & les cantonnemens
de notre armée ſont ſi ſerrés, qu'elle peut
s'ébranler au premier ordre «.
S'il faut s'en rapporter à un état des forces Autrichiennes
qui circule dans une multitude depapiers
, elles n'ont jamais été fi formidables ; elles
ne confiftent pas en moins de 376,336 hommes ,
fans y comprendre la levée générale des recrues que
cette puiffance vient d'ordonner dans ſes Etats. La
compofition de chacun des régimens eſt la ſuivante.
Chaque régiment d'infanterie eſt de 4000 hommes
diviſés en 20 compagnies , dont 18 de fufiliers ,
& 2 de grenadiers , de 200 hommes chacune. Les
régimens de cuiraſſiers &de dragons ſont compolés
de 1809 Maîtres , indépendamment de l'Etat - Major
, & confiftent en eſcadrons de 201 hommes
( 321 )
chacun , dont 8 font le ſervice de campagne , & un
doit toujours demeurer en réſerve. Les régimens de
carabiniers , de chevaux- légers & de huſſards ,
font de 2211 hommes partagés en II eſcadrons ,
dont 10 de campagne , & I de réſerve.
Les recrues ordonnées doivent encore aug.
menter ces forces déja ſi conſidérables ; on
invite les étudians à embraſſer la défenſe de
la patrie ; on promet de recevoir ceux qui ſe
préſenteront en qualité de cadets , & de les
avancer ; un édit impérial publié dans pluſieurs
dicaſtères , offre à tous les Praticiens & Affeffeurs
qui voudront prendre parti , une augmentation
d'appointemens , la conſervation de leurs
emplois , & la préférence dans les promotions
àde plus importantes charges. Comme un état
militaire auſſi inoui , & qui augmente journellement
, exige un travail infini , le Conſeil Aulique
de Guerre a nommé une Commiſſion qui
ne s'occupera que de ces objets , & c'eſt à elle
que ces jeunes Praticiens s'adreſſeront.
Les préparatifs qu'on fait dans les états du
Roi de Prufſe ne ſont pas moins conſidérables ;
on voit la même activité en Saxe où l'on ſe
propoſe de porter les recrues à 36 à 40,000
hommes. S'il faut en croire les lettres de Mu
nich on en fait auſſi en Bavière ; & on les preſſe
avec une telle vivacité , que l'on donne juſqu'à
40 florins d'engagement aux hommes de bonne
volonté. Ces levées ſe font également dans le
Palatinat ; & elles dérangent les conjectures des
ſpéculateurs pacifiques , & ceux qui ont vu
juſqu'à préſent l'Electeur Palatin demander à
refter neutre dans la querelle dont il eſt l'objet ,
& n'oppofer pas toute la réſiſtance qu'il auroit
pu faire aux prétentions de la Cour de Vienne .
Quelques perſonnes prétendent que la Ruſſie ,
de concert avec la Pruſſe , a influé ſur ſes nouvelles
difpofitions ; on a vu du moins le Mi-
Ος
( 322 )
niftre Ruſſe à Ratiſbbonne faire un voyage à
Munich & avoir de longs entretiens avec l'Electeur.
On prétend aujourd'hui qu'il eſt appa.
rent qu'il s'ouvrira bientôt une nouvelle ſcène
en Bavière . Ceux qui penchent pour cette corrjecture
croient l'appuyer par ce paſſage de la
déduction de la Cour de Pruſſe , relativement
à l'acte de renonciation , où l'on demande » fi la
Cour de Vienne renonceroit à la poffeffion des
pays occupés en Bavière , dans le cas où l'Electeur
Palatin déclareroit & avoueroit publiquement
qu'il a été obligé par menace , par furprife
& par la voie des armes , à ratifier la convention
du 3 Janvier ". Quoiqu'il en foit , les
préparatifs qui ſe font dans ce Duché , ſemblent
appuyer l'opinion de ceux qui croyent que l'Electeur
prendra cette année une part active à la
guerre actuelle .
Au moment où nos nouvelles de Conſtantinople
annoncent la paix preſque décidée entre
la Ruffie & la Porte , il s'en répand d'autres ,
qui ſemblent la rendre douteuſe ; elles viennent
de Semlin , & leur date les rend un peu fufpectes
, parce qu'on fait que dans ce pays , on a lieu
de defirer que cette paix ne ſe conclue pas
fi -tôt. Quoiqu'il en ſoit , voici ce que l'on
mande.
>>Des Turcs arrivés ici , aſſurent que le Divan
qui étoit déterminé à un accommodement , vient
d'être rappellé tout à-coup aux projets de guerre
par le Capitan-Bacha , qui à ſon retour du Pont-
Uxin , où il avoit été faire un petit voyage , s'eſt
hâté de détruire les plans formés en ſon abfence.
Selon les rapports de ces Turcs , les troupes qui font
en Grimée& en Walachie , n'ont point obtenu de
ſemeftre ; celles qui étoient dans l'afage de s'abſenter
pour quelque tems , ont reçu ordre de reſter ſous
leurs drapeaux, fous peine de mort. On a envoyé
dans toutes les Provinces de l'Empire Ottoman ,
(323 )
des Officiers chargés de faire des recrues , & l'òn
rient prêtes dans la capitale de groſſes ſommes d'argent
pour les frais néceſſaires de guerre. Le Sangliakdar
, ou l'Officier qui a l'emploi de porter la
grande bannière de la religion , a reçu ordre de ſe
rendre à l'armée au mois de Février prochain «.
Ces grandes nouvelles paroiſſent n'avoir été
répandues que par ceux qui font intéreſſés à occuper
les Ruffes , & qui ne defirent fans doute
pas qu'ils s'accommodent avec les Turcs. On
les regarde , en général , comme celles que
l'on a publiées d'abord de l'objet de l'armement
maritime qu'on fait enDanemarck , & qu'on a
deſtiné pour le ſervice des Anglois , qui en ont
trop beſoin pour ne point avoir un peu contribué
à ce bruit ; mais on fait aujourd'hui , que for
véritable objet eft de protéger le commerce du
Nord.
Le Roi d'Angleterre a demandé à la régence
de Hanovre 2 tonnes d'or , pour fubvenir aux
dépenſes que ſes Etats d'Allemagne pourront
avoir à faire dans les troubles actcuueellss,, & elles
lui ont été accordées . Le Roi de Pruffe a auffi
permis le paſſage par ſes Etats aux recrues Allemandes
, deftinées aux corps de cette Nation
qui fervent actuellement le Roi de la Grande-
Bretagne dans l'Amérique-Septentrionale.
De RATISBONNE , le 1 Février..
LE Baron d'Affebourg , Miniftre de Ruffie ,
eſt de retour ici de Munich , où il s'étoit rendu
le 14 du mois dernier ; ſa première conférence
avec l'Electeur Palatin eut lieu le 15 , & dura
depuis 4 heures de l'après- midi ,juſqu'à 8 heures
du foir. Les Miniſtres de France & de Pruffe
aſſiſtèrent à cette conférence , dont on ignore
les réſultats , mais dont on prévoit un grand
changement dans les diſpoſitions de ce Prince.
06
( 324 )
On ſe flatte toujours de la tenue d'un Congrès
pour la paix ; & fi , comme on l'affure, on prépare
des logemens à Munich pour les Miniſtres
de pluſieurs Puiflances , on ne ſeroitpoint étonné
qu'il ſe tint dans cette ville. Le tems nous en
apprendra davantage , & cette époque ne fauroit
être éloignée.
Des lettres particulières de Vienne , que
nous ne garantiflons pas , portent que M. de
Senkenberg , le même qui à découvert le fameux
acte de renonciation , & qui a été arrêté
au moment où il quittoit l'Autriche , a refufé
de répondre aux interrogatoires qu'on lui a fait
fubir au fujet de cette découverte. Ila , dit-on ,
proteſté , qu'en qualité de ſujet du Prince de
Hefle-Darmſtadt , il ne peut être interrogé que
par fon Souverain, ou au nom de fon Souverain ,
fur un pareil fait.
PRUSSE .
DE BERLIN , le 1 Février.
LE 24 du mois dernier la Cour & la Ville
célébrèrent à l'envi l'anniverſaire de la naiſſance
du Roi , entré ce jour-là dans la 68e. année
de fon âge ; le 28 l'Académie Royale des
Sciences tint à cette occafion l'aſſemblée publique
d'uſage ; le Prince Frédéric-Guillaume
l'honora de ſa préſence , ainſi que pluſieurs
Miniftres étrangers , & d'autres perſonnes de
Secré- la première diftinction. M. Formey ,
taire perpétuel , l'ouvrit par un difcours analogue
à la circonſtance. Il déclara enſuite que
le prix qui devoit être donné cette année à
l'Auteur du Secret de convertir le ſable en pierre ,
ne le ſeroit que dans l'aſſemblée du mois de
Janvier 1781 .
On fait que le Roi a employé quelques - uns
( 325 )
des momens de loiſir qui lui reſtoient au milieu dus
tumulte des camps & des ſoins d'une campagne
difficile & pénible en pays ennemi , à compoſer
l'éloge de Voltaire. Un homme juſtement célèbre ,
àqui un Académicien en avoit envoyé un exemplaire
, lui a écrit la lettre ſuivante. » Vous m'avez
fait bien du plaiſir , M. , en m'envoyant l'éloge
de Voltaire par le Roi de Pruffe. Le nom de l'Auteur
ajoute encore un grand mérite à l'ouvrage ,
indépendamment de celui qu'il a par lui - même.
S'il étoit beau de voir comme le dit Voltaire ,
le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille
, il eſt encore plus beau de voir le grand
Frédéric louant le grand Voltaire ; & la circonftance
y ajoute encore , puiſque c'eſt au milieu du
tumulte des armes & dans la tente d'un Géneral
d'armée que cet éloge a été compofé. Depuis longtems
les gens de lettres louoient les Rois , il étoit
tems qu'un Roi louât un homme de lettres. Mais
il n'y en avoit qu'un qui pût acquitter cette dette
de la royauté ".
On travaille actuellement dans la Fabrique
Royale de Porcelaine , à un ſervice fuperbe. Les
tableaux repréſenteront les Aventures d'Enée
& les combats décrits dans l'Enéïde. Ce prépre
ſent précieux eſt deſtiné par le Roi au Grand
Duc de Ruffie.
ITALIE.
DE ROME , le 25 Janvier.
Le Pape a reçu du Roi de Sardaigne une lettre
de félicitation au ſujet de la rétractation de Febronius
. S. S. a adreſſé aux Catholiques des Provinces-
Unies,un Bref, en date du 18 de ce mois,
par lequel il condamne l'élection & la confécration
du nouvel Evêque de Harlem qu'il
déclare nulles & contraires aux Canons & aux
Loix de l'Eglife .
,
:
( 326 )
Le 18 , pendant qu'on fonnoit les cloches du
Vatican , pour la fête de la Chaire de S. Pierre,
la groſſe cloche du poids de 22 milliers , fondue
fous le pontificat de Benoît XIV , fe caffa , &
cauſa une ſi violente ſecouſſe , que la grande
lampe placée par ClémentXI devant la chaire,
tomba & fe brifa. Ces deux accidens , caufés
par l'incurie des ſubalternes , n'ont eu heureuſement
aucunes ſuites fâcheufes .
Un Religieux voulant s'évader d'un lieu affez
élevé où ſon Supérieur l'avoit fait enfermer , ſe
fabriqua une eſpèce de corde de la couverture
& des draps de fon lit. Malheureuſement cette
corde ne réſiſta pas au poids de fon corps ; elle
fe caffa , & il tomba dans la rue , où les Sbirres
le ramaſsèrent & le portèrent à l'hopital , où
il eſt très- malade.
ככ
Le Cheval Marin , Pinque Hollandois , écriton
de Rimini , a fait naufrage fur cette côte dans
la nuit du 8 au 9 de ce mois. Il venoit d'Amſterdam
, chargé de riches marchandiſes. Le Capitaine
& le Contre-Maître ſe noyèrent en voulant fauter
dans la lame avant que le vaiſſeau ne donnât contre
terre. 2 matelots qui s'étoient liés à une piece du
navire , périrent de même ; & 2 autres s'embarrafsèrent
tellement dans les débris , qu'ils eurent le
même ſort. Les 6 derniers ſe ſauverent en reftant
attachés au mât de hune , où ils reſtèrent 3 jours
& 3 nuits , n'ayant pris d'autre nourriture qu'un peu
de tabac qu'ils mâchoient. Le froid étoit ſi âpre ,
qu'ils auroient enfia ſuccombé , s'ils n'avoient pris
la précaution de ſe tenir fort près les uns des autres
pour ſe réchauffer. Le vent étoit fi violent &
la mer fi agitée , que le Marquis de Belmante & le
Comte Bataglini offrirent chacun envain ſo ſequins
à quiconque fauveroit ces infortunés. Perſonnen'oſa
le faire. Le 11 le vent s'étant un peu appaiſé ,
des matelots de ce port ont été les prendre , &
les ont amenés à terre. 2 ſe portoient bien ; les 4
( 327 )
autres étoient à demi-morts . On s'occupe à préſent
à ſauver les marchandiſes de ce bâtiment qui viennent
flotter ſur la côte « .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le IC Février.
La Cour n'a encore confirmé aucune des
nouvelles confolantes que l'on affuroit que
M. Lloyd , Aide-Camp du Général Clinton ,
avoit apportées à Lord George Germaine . On
revient en conféquence de la flatteuſe idée de
la foumiffion de la Géorgie & des deux Carolines
; on dit que le 23 Novembre dernier , le
Colonel Alexandre Campbell fit voile une ſeconde
fois avec 3000 hommes pour Saint-Auguſtin
dans la Floride orientale , pendant que
le Colonel Campbell de Strachar ſe rendoit
avec 2000 dans l'occidentale. Tout ce qu'on
pouvoit favoir à New Yorck , au départ de
M. Lloyd , c'eſt que les deux Colonels avoient
débarqué , l'un à Saint-Augustin , & l'autre à
Penfacola ; mais il étoit impoſſible d'être inf
truit de leurs progrès dans les Carolines &
dans laGéorgie;; on a déja de la peine à concevoir
pourquoi , fi leur eſpérance étoit d'être
ſi bien reçus dans ces trois Colonies , ils ne
s'y ſont pas rendus directement , au lieu de
prendre la peine de ſe porter dans les deux
Florides. Le zèle qui imagine des nouvelles
eſt rarement adroit.
La nation n'a pas été moins mortifiée lorſque
l'Amiral Shuldam eft rentré à Portsmouth ; il
n'y a point amené les deux vaiſeaux de ligne
& la frégate Françoiſe , dont on affuroit qu'il
s'étoit emparé pendant ſa courte campagne , en
profitant de l'imprudence qu'elles avoient eu de
ſe jetter au milieu de ſa flotte pendant un brouil
( 328 )
lard. Il n'a ramené que 10 des 18 vaiſſeaux
qu'il avoit en partant ; ceux qu'il a laiſſes ſe
rendenten Amérique , où ils eſcortent le
convoi deſtiné pour cette partie du monde ,
dont aucun vaiſſeau n'a fouffert , dit-on , de
la tempête du premier du mois dernier ; ils
vont renforcer nos forces navales dans ces mers,
où , quoiqu'on en dife , nous avons raiſon de
croire que nous ne ſommes pas les plus forts.
On affure ici qu'il n'y a plus rien à craindre
pour le Commodore Hotham & fon convoi.
On le dit arrivé fans accident à la Barbade ;
on ſe demande ce qu'il y va faire ; & pourquoi
lorſque tout porte à croire que le Comte d'Eftaing
menace la Jamaïque , où malgré l'intérêt
preffant que nous avons de la conſerver , nous
n'avons que soo homines de troupes réglées &
un ſeul vaiſſeau de ligne & deux frégates , il
n'a pas été plutôt conduire dans cette Ifle un
renfort fi néceſſaire ? Il femble qu'il importoit
plus au commodore Hotham& à l'Amiral Parker
de ſe réunir à la Jamaïque , que de ſe montrer
devant Saint - Domingue & la Martinique.
On prétend que l'Amiral Byron , après s'être
enfin réparé comme il a pu , a mis à la voile
le 13 Décembre , pour aller chercher le Comte
d'Estaing ; mais malgré ces eſpérances , bien
des perſonnes ſuppoſent qu'il eſt encore cloué
à Rhode - Iſland , foit par la lenteur avec laquelle
les vaiſſeaux ſe réparent , foit par celle
avec laquelle le Général Clinton peut lui faire
paſſer les renforts dont il a beſoin. On ne conçoit
pas comment ce Général pourra encore
s'expoſer à détacher quelques corps de fon
armée déja bien affoiblie , & qui , par les
détachemens qu'il a déja faits , ſe trouve réduite
à 9 à 10000 hommes. On ne fait pas grand
fonds fur le calcul des troupes Américaines ,
qui ſe font empreſſées de ſervir fous ſes dra(
329 )
1
peaux ; les moins exagérés de ces calculs les
portent à 6 ou 7000 hommes. Mais s'ils exif
tent , en effet , nous nous croyons sûrs qu'ils
ne fervent pas de bonne volonté. Les uns ont
été intimides , les autres gagnés , & la crainte
& la ſéduction ne font pas des foldats fidèles .
Il eſt très - certain que le Gouvernement ,
après un long eſſai de l'impuiſſance de ſes
armes , a cherché à employer la corruption .
Pluſieurs Officiers revenus d'Amérique , s'ac
cordent à dire que nos guinées circulent dans
toutes les provinces des Etats - Unis , où les
Emiſſaires du Miniſtère ſe ſont empreiſés de
les répandre. Ces moyens n'ont pas les grands
ſuccès qu'ils en attendoient ; ils n'ont rendu
que le ſervice de l'eſpionage , & délivré quel
quefois nos troupes d'une foule d'embarras
dans leſquels elles ſe ſont trouvées . On impute
aux guinées , la réuſſite du grand fourrage
que le Général Howe fit l'année dernière
pendant l'hyver pénible qu'il paſſa à Philadelphie
; les troupes qui en étoient chargées
avoient été tournées par les Américains ; ils
étoient embuſqués ſur le chemin qu'elles devoient
prendre , & elles devoient périr ou fe
rendre. Un piquet de chaſſeurs envoyé en
avant pour ſonder le terrein , n'avoit rien
apperça ; malheureuſement un des Officiers de
ce piquet préſenta une ſi belle occafion de
vengeance à un Américain qui avoit lieu de
s'en plaindre , que foit qu'il voulût la prendre ,
foit que nos guinées agiſſent dans ce moment , il
tira un coup de fuſil qui déconcerta l'entrepriſe
, & évita au Général Howe le fort du
Général Burgoyne . Mais notre or ne ſoumettra
pas l'Amérique décidée à l'indépendance . Les
Officiers revenus avec M. Lloyd , n'ont qu'une
opinion là-deſſus ; & le retour de nos Géné
raux , qui ſe dégoûtent du ſervice de l'Amé
( 330)
.
rique , prouve aſſez combien ils en jugent la
conquête impoſſible . Les derniers arrivés font
le Lieutenant-Général Comte de Cornwallis ,
les Majors Généraux , Grey & Wilfon , qui
ne ſe propoſent plus d'y retourner , & à la
place deſquels on enverra , dit-on , les Géné
raux Majors Calcraft & Hall , & le Colonel
Patterfon .
On eſt toujours fort inquiet des diſpoſitions
de l'Eſpagne ; le myſtère répandu ſur ſes armemens
ne peut cependant pas tarder à ſe
dévoiler. Il y a quelques jours que le Marquis
d'Almodovar eut une audience particulière du
Roi ; on ignore ce qui s'y paſſa ; mais le foir
même on tint un conſeil du Cabinet , auquel
tous les Miniſtres aſſiſtèrent , & à l'iſſue duquel
on expédia trois couriers , l'un à Mylord
Grantham , à Madrid , l'autre à Pétersbourg ,
& le dernier à la Haye.
On a ceſſé enfin de parler ici des ſecours
de laRuffie , annoncés &promis depuis fi longtems
par le Ministère à la Nation.
>> Plus la guerre de l'Amérique traîne en longueur ,
dit-on dans un de nos papiers , plus elle augmente
notre épuiſement ; & la foibleſſe des Etats produit
à l'égard de leurs alliés , ce que la ruine des particuliers
produit à l'égard de leurs amis. Le nombre
des uns & des autres diminue avec la ſplendeur & la
richeſſe , & paffé un certain période de décroiſſance ,
il ne reſte ni alliés , ni amis anciens , ni aucune
raiſoin d'en trouver de nouveaux : dans cet état ,
nous avons eu la mal-adreſſe d'indiſpoſer les Hollandois
; nous avons trop compté ſur leur docilité.
Il eſt vrai que nous avons parmi eux des partiſans
qui ont agi fortement en notre faveur ; mais la ville
d'Amſterdam plus éclairée ſur ſes véritables intérêts
, par ſon oppoſition conftante aux délibérations
des Etats-Généraux , eſt parvenue à faire fentirà la
République , qu'il étoit plus glorieux&plus avanta(
331 )
geuxd'employer ſes forces maritimes àfaire reſpecter
fa neutralité , qu'à nous ſervir de dernier étay.
C'eſt la déclaration qui nous a été faite par l'Ambaſladeur
de Hollande , qui a fignifié à notre Cour
qu'on ne permetroit plus que nos vaiſſeaux de guerre
&nos corfaires viſitaſſent les navires marchands de
la République , ou les attaquaſſent , & que cette
démarche ſeroit regardée comme une déclaration de
guerre. Nous avions imaginé que comme les rentiers,
qui jouiffent ſont en plus grand nombre enHollande
, que les armateurs qui peuvent acquérir , l'intérêt
conſtant des ſeconds , feroit facrifié au bonheur
paſſager , & incertain des premiers . Nous nous
ſommes trompés , & ce n'eſt pas la première bévue
politique de notre Ministère. Quand on jette un
coup- d'oeil ſur l'origine de la guerre de l'Amérique ,
ſa conduite & ſes ſuites , il eſt difficile de s'empêcher
de s'écrier , à quels maîtres grands Dieux , livrezvous
les hummains ?
• Le Parlement continue ſes ſéances , & le
Lord North n'a pas encore commencé à préſen
ter fes moyens pour les fonds néceſſaires cette
année. En attendant on y a entamé l'examen
de l'état des affaires de la campagne des Indes
, & de la conduite de fes Officiers relativement
à la détention & à la mort du Lord
Pigot. M. Charles Fox ſe plaignit de la lenteur
que les Directeurs oppofoient au voeu du
Parlement. Sir George Wombwell répondit
au nom de ceux - ci , qu'il donnoit ſa voix en
faveur de la motion , qui pafla , en effet , fans
oppofition , & affura que lorſque les papiers
ſeroient remis à la Chambre , on verroit que
la Compagnie n'avoit pas négligé cette affaire ,
&avoit fait beaucoup plus que M. Fox ne
paroiſſoit le croire.
que
Pendant les débats qui ont eu lieu à l'occafion
du Bill pour mieux recruter l'armée , il y a
eu pluſieurs difcours dans lesquels le Ministère
( 332 )
!
n'a pas été épargné. Sir Charles Bombury dé.
clara qu'il ne pouvoit approuver le principe
d'un Bill dont l'objet étoit de recruter une
armée deſtinée à continuer une guerre ruineuſe,
à laquelle il croyoit que la politique & l'hu
manité conſeilloient également de renoncer .
>> Si nous voulons , ajouta- t-il , nous tirer d'un
état déſeſpéré , & nous fouftraire à la ruine qui nous
menace, ce ne font pas nos armes, ce ſont nos conſeils
qu'il faut recruter ; enrôler de nouveaux Miniſtres ,
&prendre des meſures nouvelles. Je ne dis pas que
parmi nos Miniſtres actuels il ne s'en trouve quel
ques-uns qui aient un jugement fain , une intégrité
irréprochable & de vaſtes talens; mais lorsque je
confidere la fituation effrayante dans laquelle ſe
trouve notre pays , je ſens que ſans acception de
perſonne & de parti , il faudroit recueillir les avis
de tout ce qu'il y a de gens habiles. Il eft tems
que l'eſprit de parti ſe taiſe , que les animoſités &
les préventions ſoient étouffées , & que tout le
monde s'uniſſe; nous n'avons de falut à attendre
que de l'unanimité.c
Le Colonel Barré parla à ſon tour auſſi : >> J'ai
déja dit que mon intention étoit de notifier dans
un tems convenable une clauſe pour limiter gé
néralement la durée du ſervice des foldats , afiu
de faire participer cette claſſe de citoyens à la li
berté dont jouit tout autre ſujet de ce Royaume.
L'Angleterre , par l'eſprit de ſa conſtitution , eft
le pays le plus libre du monde entier ; & le ſoldat
qui partage cette liberté , ſe trouve dans ce même
pays, un eſclave plus paſſif que nous n'en connoil.
ſons ſous le gouvernement des Princes les plus arbitraires
& les plus deſpotes de l'Europe. C'eſt pour
effacer cette tache que nos ftatuts militaires impriment
ſur la nation , à la honte & au ſcandale
de toutes les loix , que je me fuis appliqué à confidérer
comment on pourroit apporter quelque adou
ciflement à la ſituation des foldats; &j'ai jetté ſur
( 133 )
le papier une clauſe pour limiter le ſervice de ceux
qui ſervent actuellement & depuis quelque tems.
Je l'ai conçue de maniere à ne contrarier nullement
les vues Crouvernement &à ne point
nuire aux intérêts Je l'ai communiquée à
pluſieurs Militaires diſtingués , à des perſonnes
éclairées. Tous l'ont approuvée , l'ont jugée juſte ,
néceſſaire & praticable ; mais , comme il eſt important
que le bill n'éprouve aucun retard , comme
je ſens que dans ce moment-ci la nation a beſoin
de tous les ſoldats qu'il doit procurer, je différerai
pour le moment de folliciter l'inſertion de ma
clauſe , & j'attendrai , pour le faire , un moment
plus favorable. Mon intention n'étant pas d'apporter
le plus léger obſtacle à la marche du Gouvernement
cc.
,
Le Miniftre de la guerre remercia le Colo
nel ,& promit de donner toute fon attention
à la clauſe qu'il avoit projettée lorſqu'il la propoſeroit.
En attendant , il s'eſt empreſſé de
publier l'état fuivant des forces de terre de la
nation. Nous nous contenterons de le tranf
crire.
2 compagnics
I de Cava- د
» Dans la Grande - Bretagne
deGardes-du -Corps , 2 de Grenadiers
lerie bleue , 3 de Gardes-Dragons , 3 régimens de
Gardes à pied , 11 régimens d'infanterie & 40,000
hommes de Milice. En Irlande , 4 régimens de
cavalerie , 6 de dragons , 11 d'infanterie. A Minorque
, 2 régimens d'infanterie , 2 de Hanovriens .
AGibraltar , s régimens d'infanterie & 3 de Hanovriens.
Aux Indes Orientales, 1 régiment actuellement
embarqué pour s'y rendre. A Jersey &
Guernesey , I régiment d'infanterie. A la nouvelle
Yorck , 2 régimens de dragons , 2 d'Américains ,
2 bataillons de gardes , Is régimens d'infanterie ,
6brigades d'Américains & 8000 auxiliaires. Dans
Le Canada , 4 régimens d'infanterie , partie d'un
cinquième , I bataillon d'émigrans & 2 de Brunf(
134)
wickois. A Rhode- Island , 3 régimens d'infante
rie , I corps d'Américains , 8 bataillons d'Allemands
. A la Floride , 1 réoiment d'infanterie , 1
bataillon & 1 corps de Chajpre Aux Indes Occidentales
, un renfort de 10 nens d'infanterie,
en route ; il y avoit auparavant 1 régiment & 1
bataillons. A Terre-Neuve , 3 compagnies d'infanterie.
A la côte d'Afrique , une brigade d'infanterie.
AHalifax , 2 régimens d'infanterie 8 compagnies
d'un troiſième régiment , 1 bataillon de
Montagnards Ecoſfois , & I corps d'Américains.
A la Géorgie , 1 régiment d'infanterie & 3 corps
d'Américains détachés de New Yorck ſous les ordres
du Colonel Campbell. Prifonniers à Boston , s
Jégimens d'infanterie ,& partie de deux autres ,
avec des auxiliaires <«.
L'artillerie Angloiſe conſiſte en 17 compagnies
dans la Grande-Bretagne , 15 en Amérique , sà
Gibraltar , 3 à Minorque , & 1 à Terre-Neuve.
Le procès de l'Amiral Keppel eſt enfin
termine ; il tourne abſolument à la honte
de fon accuſateur , qui n'a pu prouver aucun
des cinq chefs d'accuſation qu'il a portés contre
lui; l'examen des témoins , les livres de lok ont
fourni la preuve des intrigues les plus odieufės
que laméchanceté &lahaine ſe ſoient permiſes
pour nuire à un homme célèbre par ſes talens
&par ſes ſervices. Le peuple n'a pas manqué
de prendre parti pour l'accuſé ; on l'a vu s'empreffer
d'accompagner l'Amiral Keppel , de
ſe livrer aux acclamations les plus bruyantes ,
chaque fois que les témoins produits contre lui
ontdéposé à fon avantage , & verſer l'amertume
& le ridicule à grands flots ſur ſon adverſaire
dont les oreilles ont dû être bleſſées fréquemment
par les Vaudevilles qu'on chante contre
lui dans les rues , & les Epigrammes que la
malignité publie & accueille , & que ne dédaignent
pas les honnêtes gens que fon procédé
( 135 )
à indignés. Le 31 du mois dernier , l'Amiral
Keppel prononça un diſcours pour ſa juftification.
Qu'on ſe repréſente un Officiers illuftre ,
fignalé par 40 ans de ſervices , monté de grade
en grade aux plus hauts commandemens dans
la Marine , obligé de paroitre devant un Confeil
de Guerre pour ſe juſtifier , d'inconduite ,
de négligence & d'ignorance , tandis que fon
expérience , ſes talens & ſes ſuccès ont fait fon
élévation. Son accufateur avoit été précédemment
fon ami , & il ne l'a traîné devant un
Tribunal qu'au moment où il étoit lui - même
accuſé de défobéiflance. Le lendemain , les
témoins produits par l'Amiral furent entendus ,
ainſi que les jours ſuivans juſqu'au 11 de ce mois,
que le jugement fut prononcé , & l'Amiral fut ,
comme on s'y étoit attendu , pleinement &
honorablement déchargé. Le Préfident du
Confeil lui adreſſa ce diſcours , en lui préſentant
ſon épée. >> Amiral Keppel , ce n'eſt
pas un plaifir médiocre pour moi que de recevoir
de la Cour , que j'ai l'honneur de préſider
, l'ordre , en vous rendant votre épée ,
de vous féliciter de ce qu'elle vous eft rendue
avec tant d'honneur , eſpérant qu'avant peu ,
appellé par votre Souverain , vous en ferez
encore uſage pour la défenſe de votre pays «.
>>>Le peuple prit la part la plus vive a cette juftice
: les cris de joie retentirent dans toute la
Ville ; les vaiſſeaux qui mouilloient à Spithead tirerent
leur canon. La flotte deftinée pour les Indes
Orientales en fit autant . L'Amiral ſe rendit chez
lui précédé par des Muſiciens qui l'attendoient à
la porte , ſuivi du Duc de Cumberland , de tout le
Corps de la Marine , des Seigneurs les plus qualifiés.
Les Ducheſſes de Cumberland, de Richemond , la
Marquiſe de Rokingham & la Comteſſe d'Effingham
diſtribuèrent des cocardes bleu - céleste fur
Leſquelles le nom de Keppel étoit brodé en or. La
( 336 )
joie ne fut pas moins vive à Londres , où toutes
les maiſons furent illuminées , & où la populace
farfant , felon l'uſage , la police à coups de pierre ,
cafla les vîtres de toutes celles qui n'étoient pas
éclairées. L'Editeur d'un papier public ſe ſignala
dans cette occafion ; on remarqua ſur la façade de ſa
maiſon les inſcriptions ſuivantes : Une Administrationperverse
& arbitraire terraffée.Keppel, la liberté
& la vertu triomphantes. L'honneur du pavillon
Anglois reftauré. Selon un papier , le ri au foir ,
T'accuſateur de Keppel fut pendu en effigie à Tower-
Hill , tenant un livre de lok avec ces mots
écrits ſur la couverture : Falsifié par le Capitaine
Hood. On dit que la maiſon de M. Palliſer n'étant
pas illuminée , on en briſa les fenêtres ; on l'eût
peut- être démolie , ſans la garde qui la protégea
Il quitta Portsmouth le ſoir du jugement dans le
plus grand incognito. On ne doute pas que les
voix qui s'élèvent contre lui ne forcent le Gouvernement
à le ſoumettre lui-même à un conſeil
deguerre. Le Parlement l'exigera ſans doute; tout
ſembledu moins le faire préſumer. Le I de cemois ,
les Pairs ont arrêté que le Roi ſeroit ſupplié de
faire remettre à leur Chambre , en vertu d'un acte
de la derniere ſéance , copie d'une lettre écrite par
le Conſeil de guerre tenu , en 1757 , pour juger
'Amiral Byng , & des procédures faites à cette
occafion .
L'Amirauté a ſait publier l'avis ſuivant aux
Navigateurs qui vont aux Indes Orientales.
>> Le rocher appellé l'Anville , fur lequel a
touché le vaiſſeau de l'Inde , le Colebroke ,
Capitaine Moris , ſe trouve au S. E. de la
pointe du Cap de Bonne - Efpérance ,
PE. ou à l'E. par S. des Soufflets , dont il eft
éloigné de 4 à 5 milles , & à la même dif
tance de la terre la plus proche «.
& à
ÉTATS-UNIS
( 337 )
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
DePhiladelphie , le premier Janvier. L'honorable
John Say , Député de l'état de New-
Yorck , vient d'être élu Préſident du Congrès ,
à la place de l'honorable Henri Lawrence , qui
avoit joui de cette dignité pendant l'eſpace de
tems fixé par la loi de la confédération des
Etat-Unis.
Nos ennemis ne ceſſent de fabriquer de fauſſes
nouvelles qu'ils s'empreſſent d'envoyer en Europe
, pour tromper cette partie du monde fur
notre véritable ſituation. Ils ne ſe bornent pas
à annoncer de grands avantages qu'ils n'ont point
obtenus , à préſenter ces Etats dans la fermentation
, le trouble & la diviſion ; tandis que
l'union la plus parfaite règne dans tous , qui ne
forment que le même voeu ; ils fabriquent auſfi
de prétendus arrêtés du Congrès , & répandent
ainſi l'impoſture qui tombe bientôt d'elle-même ,
mais qui en impoſe pendant quelque tems.
Parmi ces pièces indécentes & fauſſes qu'ils ont
fabriquées & publiées , on doit ranger la prétendue
réſolution du Congrès du 20 Février
1778 , pour forcer ceux qui étoient au ſervice
des Etats-Unis à continuer de fervir pendant
tout le cours de la guerre , ſous peine d'être
punis comme coupables de déſertion. Le but de
cette pièce apocryphe , étoit de répandre la défiance&
le mécontentement parmi nos milices ;
mais elles n'en ont pas été la dupe. Dernièrement
ils en ont répandu une autre,en date du 10
Octobre dernier , par laquelle ils repréſentent
le Congrès effrayé des menaces des Commiſſaires
Britanniques , ordonnant aux habitans des
côtes de conſtruire des dépôts à l'abri des fureurs
de nos ennemis , pour y conſerver leurs
femmes , leurs enfans , leurs troupeaux & leurs
25 Février 1779 . P
( 338 )
biens . Cette pièce n'a jamais été faite qu'à New.
Yorck ; il ne pouvoit pas venir à l'idée du Congrès
de conftruire de pareils dépôts ; il a aſſez
de maifons pour fervir d'afyle aux habitans , fi
l'ennemi avoit autant de pouvoir que de volonté
pour faire tout le mal dont il menace l'Amérique.
De Boston , to Janvier. Le CommandantAnglois
du fort Chartres & des autres poftes occidentaux
entre l'Ohio & le Miffiffipi , dont le
Colonel Clarke s'eſt emparé , a été conduit prifonnier
à Williamſbourg en Virginie . Le Ca
pitaine Boone , fameux partiſan Sauvage , auffitôt
après cette conquête , a paſſé l'Ohio avec
un petit détachement ; il a repouffé un parti en
nemi près de Savannah , & a rapporté pluſieurs
péricranes , fans avoir perdu un ſeul homme. Le
Major Smith a marché avec trois compagnies de
lamilice du Comté de Washington au fecours
de la garniſon de Kentuky. On apprend que le
fameux Chefdes Cheroquis , Cheu Connafaca ,
vient de mourir , on préfume que cet évènement
réunira la Nation des Cheroquis avec l'Amé
rique,
On attend avec impatience des nouvelles de
l'expédition du Comte d'Estaing ; les Anglois
répandent autant qu'ils peuvent qu'il eſt re.
tourné en France ; ils en feroient fans doute
bien-aifes : mais nous ſommes très-perfuadés
qu'il ne leur a pas donné cette fatisfaction. Le
manifeſte daté & imprimé à bord du Langue
doc qu'il a répandu avant fon départ , n'an
nonce pas fon retour en Europe ; les lettres du
Canada nous apprennent qu'on y en a répandu
des copies ; il y exhorte , dit-on , les habitans
de cette Province à faire cauſe commune avec
les treize Etats- Unis ; en afſurant les anciens
ſujets du Roi de France qui ſe trouvant ac
tuellement dans l'Amérique Septentrionale, vou
( 339 )
dront ſe ſouſtraire au joug de la exemple
tagne , qu'ils peuvent compter fur une on ne fait
tion & des fecours efficaces .
On dit que le Commodore Hotham & fon
convoi qu'il eſcorte ont été vus à la hauteur
des Barbades. On ſeroit curieux de ſavoir ce
qu'il va faire de ce côté , & quel peut être
fon objet. Seroit-il de reprendre la Dominique
aux François qui ſe ſont fait aimer par leur
conduite dans cette iſle , où ils n'ont pas moins
de 2000 hommes .
Le Général François , écrit un des principaux
habitans , ſes Officiers & ſes ſoldats tiennent une
conduite qui leur fait le plus grand honneur ,
leur a concilié l'affection générale. Quoique pour
venger la mort de ceux de ſes gens que notre canon
avoit tués dans leur marche vers la ville , le Général
eût eu un prétexte pour l'abandonner au pillage , cet
abus de la victoire fut expreſſément défendu. Trois
foldats François convaincus d'avoir forcé la maifon
d'un habitant de la campagne , & d'y avoir volé
quelques effets de peu de valeur , condamnés à mort
le 14 Septembre , furent amenés devant la maiſon
du Gouverneur pour être exécutés en préſence de
plus de 700 de leurs camarades ſous les armes.
M. Stewart & beaucoup d'habitans , implorerent la
grace des trois coupables , & ne purent obtenir que
celle de deux , le ze. fut fuſillé. Les troupes Françoiſes
ſont au nombre de 2000 ; & il n'eſt pas encore
arrivé le plus petit déſordre. Les Officiers font
logés convenablement dans différentes maiſons particulières
, & les ſoldats dans des baraques qu'on
leur a conſtruites. Quoi qu'il ſoit dur pour des An
gloisde ſe trouver ſous le Gouvernement des François
, ceux-ci ont forcé tous les habitans à les confidérer&
à les aimer «.
:
t
Pz
biens. Cettepièce r ( )
228
( 340 )
Yorck; il ne FRANCE .
grès de co
de maiDe VERSAILLES , le as Février.
LE 31 du mois dernier , LL. MM. fignèrent le
contrat de mariage du Marquis de Grammont avec
Demoiſelle de Sinety.
La Comteſſe de Mirepoix a eul'honneur de leur
être préſentée par la Marquiſe de Lévis,
S. M. a accordé à la 3ª fille du Comte de Barbanſon
le titre de Dame de Barbanfon de Saville,
qu'elle portera déſormais. Elle a auſſi accordé au
Prince de Saint-Mauris , Capitaine - Colonel des
Suiſſes de la Garde de Monfieur , & Capitaine de
Dragons au Régiment de Lannan, les charges de
Sénéchal - Gouverneur du pays de Rouergue , &
de Sénéchal - Comtat du Comté de Rhodes , va
cantes par le décès du Comte de Moncan. Elle
nommé à l'Abbaye Theuley , Ordre de Citeaux ,
Diocèſe de Dijon , l'Evêque d'Agen , & à celle de
la Règle de ſaint Benoît , Diocèſe de Limoges , la
Dame d'Abſac de Mayac.
Le Comte de Montfaucon qui eut l'honneur de
préſenter , le 20 du mois dernier , au Roi & à la
Famille Royale , le Traité d'Equitation de feu
ſon frere , n'ayant pu alors le préſenter à la Reine ,
lui en a fait hommage le 2 de ce mois. Le 6
M. de Bequillet , Avocat au Parlement , Corref
pondant de l'Académie Royale des Sciences & de
celledes Inſcriptions & Belles- Lettres , & M. Martinet
, Graveur & Imprimeur du Roi , préſenterent
à LL. MM. & à la Famille Royale , le Profpectus
d'une nouvelle Hiſtoire de Paris &de la France ,
accompagné de Deſſins & de Gravures représ
ſentant quelques-uns des principaux monumens de
Paris. Le lendemain , MM. Née & Maſquelier leur
firent hommage de la 25º livraiſon des Tableaux
pittoresques , physiques , politiques , moraux
littéraires de la Suiſſe.
(341 )
de faire un exemple
De PARIS ,le 'ord ; mais on ne fait
Le Capitaine de ce
1
de Saint- PLUSIEURS vaiſſeaux rentres ndais ,
ports , ont rapporté qu'ils avoient ent que c'eſt le
cadre de M. de Graffe , forte de
de ligne & de 5 frégates , ayant fous fon convoi
un grand nombre de bâtimens marchands
deſtinés pour Saint-Domingue & la Martinique ,
& voguant avec le vent le plus favorable ;
d'autres avis portent auſſi que le Chevalier
Albert de Saint-Hipolyte , parti de Toulon avec
5 vaiſſeaux de ligne & 3 frégates , a paffé le
détroit de Gibraltar ; ſa deſtination eſt inconnue :
quelques perſonnes la ſuppoſent pour l'Amérique.
L'eſcadre de M. de Ternay ſera bientôt prête
à fortir. Selon des lettres du Cap de Bonne-
Eſpérance , on fait dans l'Inde des préparatifs
qui préparent à des ſcènes auffi vives ſur les
mers de l'Afie que fur celles de l'Europe &
de l'Amérique ; les Anglois , dit-on , y ont mis
fur pied une armée conſidérable , compoſée de
naturels du pays , & commandée par des Officiers
Européens ; les François , ajoutent ces
mêmes lettres , ont raſſemble beaucoup de troupes
& de munitions de guerre à l'iſle Maurice.
L'Eſpagne en faifant tant d'armemens , qui
ont fansdoute un but , laiſſe toujours dans l'incertitude
ſur leur deſtination , prévue depuis
tant de tems , ſi ſouvent annoncée , & qui n'eſt pas encore déclarée . S'il faut en croire des lettres
de Toulon , le moment où elle parlera
n'eſt pas éloigné. » Une lettre de Cadix , écriton
de cette ville , porte que les Eſpagnols ont
reconnu l'indépendance des Etats-Unis , qu'ils
ont envoyé un Miniſtre Plénipotentiaire au
Congrès , & que les Colonies Eſpagnoles ont
reçu ordre d'accorder aux armateurs Américains
P3
biens . Cette pièce ( 342)
Yorck ; il ne
grès de co
FR qu'on doit aux Puiſſances
Ine lettre du continent de
on y a vu le Miniftre d'Eſpagne ,
de mai De VERSAI l'appui de cette nouvelle ;
LE 31 du mêtre préſenté au Congrès «.
Les ſpéculatifs au milieu de ces incertitudes
ſe livrent à toutes fortes de conjectures ; ils
difent aujourd'hui que le Marquis d'Offun , cidevant
Ambaſſadeur du Roi à Madrid , doit y
retourner pour une commiſſion extraordinaire ,
& que le Duc de Medina - Cæli arrivera ici
inceſſamment.
Les bruits que les Anglois s'empreſſent de
répandre d'une déſunion entre les Membres du
Congrès & les Etats- Unis , font auffi faux que
peu vraiſemblables. Le Marquis de la Fayette ,
qui vient d'arriver , a été fort étonné d'entendre
ces bruits impoſteurs qu'il ignoroit ; il a emporté
avec lui les regrets & l'eſtime des Américains
qui ſe flattent de le revoir. C'eſt le 6 de ce
mois qu'il eſt arrivé à Breſt à bord d'un vaifſeau
Américain de 44 canons , venant deBoſton.
» Ce vaiſſeau , écrit- on de Breft , a débarqué
le Marquis de la Fayette & pluſieurs autres
Officiers. Ils ne ſavent où eſt allé M. d'Estaing
qu'ils croyoient en France . Selon leurs rapports,
les Anglois font mal à New- Yorck ; en général
les Américains ont l'avantage par-tout. Leur
vaiſſeau a fait deux priſes qui ne font pas encore
terries . Quelques jours avant fon arrivée
, il a penſé y avoir une révolte à bord;
il y avoit beaucoup de matelots Anglois qui
avoient formé le projet de ſe rendre maîtres
du navire & de le conduire à Dublin. La veille
de l'exécution , un matelot François a entendu
le complot pendant la nuit , & en a prévenu
le Capitaine & ces MM. , qui y ont mis ordre.
On dit que le Capitaine veut demander à nos
L
( 343 )
Commandans la permiffion de faire un exemple
de ces ſcélérats ſur ſon bord ; mais on ne fait
ſi elle lui fera accordée «. Le Capitaine de ce
*vaiſſeau Américain eſt M. Landais , de Saint--
Malo , tous les marins conviennent que c'eſt le
meilleur & le plus brave homme de mer qu'ils
connoiffent.
&
Si les Anglois au commencement des hoftilités
ont caufé des pertes ſenſibles à notre
commerce ,la certitude que la paix ne ſe rétablira
pas de fi-tôt , ayant inſpiré plus de confiance
, nos armateurs ſe ſont multipliés ,
nous prenons amplement notre revanche. On
fait combien la marine Royale a eu de fuccès
par-tout ; fur la Méditerranée la frégate l Aurore
a fait dernièrement , priſes , dont deux repriſes
faites par M. de Bompart ſous le canon des
forts de Tunis , après en avoir obtenu la permiffion
du Bey. La Sartine rentra à Toulon le
premier de ce mois avec une priſe , & le Caton ,
à cette époque , en avoit fait 2 nouvelles , dont un corfaire de 18 canons ; en croifant avec le
Destin , il en avoit fait précédemment 3 autres ,
dont 2 marchands , chargés de morue , & un
corfaire de 26 canons , qui ont été conduits à
Malaga.
Nos corſaires ne ſont pas moins heureux ;
le Furet , commandé par le fieur Roubaud , le
premier de ce mois , en étoit à ſa ze prife .
› Les ſuccès du corfaire l'Audacieuse de 20
canons , écrit-on de Bayonne , ont été annoncés
dans tous les papiers publics ; mais ils n'ont
pas dit que le 13 Décembre dernier , le Capitaine
Sépé qui le commande , attaqua une frégate
de guerre Angloiſe de 20 canons , qui
lui échappa par le défaut de fon petit hunier
qu'il avoit perdu en donnant chaffe . Sa campagne
a été plus glorieuſe que lucrative ; 4
petites chaloupes de Saint-Jean-de-Luz ont
P4
( 344)
1
mené dans le port de Vigo 2 priſes chargées
de charbon de terre. Un corfaire Américain
a conduit dans le même port 2 priſes chargées
de marchandises en balles & de froment. Le
corfaire la Thérèse de 16 canons , de ce port ,
ya conduit auffi un navire du port de 80 tonneaux
, & en a rançonné un autre pour 250
louis. La flotte de Bordeaux deſtinée pour nos
Colonies a appareillé à l'iſle-de-Ré le premier
de ce mois au nombre de 56 voiles , fous l'efcorte
de 3 vaiſſeaux de ligne , 2 frégates &
une corvette «.
Le corfaire le Mortemart , ſelon les lettres
deSaint-Malo , a envoyé 2 priſes à Cherbourg ,
& le corfaire l'Industrie y en a conduit une.
>> Nous apprenons par la voie de Hollande,
ajoutent les mêmes lettres , que la frégate du
Roi la Prudente a pris dans ſa traverſée , de
Breſt à la Martinique , que un navire venant de
Smyrne. Elle y a conduit cette priſe ; & quoiqu'elle
ait été vendue fort au-deſſous de fa valeur
, chaque matelot a eu 160 livres pour fa
part. Les Officiers ont acheté pour 57,000 liv.
le navire & 20 balles de foie , & l'ont revendu
120,000 livres à Saint-Euftache ; en s'y rendant
la frégate toucha fur un banc entre Montferrat
& Antigoa. On la releva heureuſement , &
elle arriva à Saint-Euftache , d'où elle étoit
prête à faire voile pour Saint-Domingue. Un
navire Eſpagnol venant de Guerneſey
a relâché à Saint-Brieuc , nous a appris la priſe
de la frégate l'Oiseau de 26 canons de 8 liv.
& de 6 fur les gaillards , par une frégateAngloiſe
de 28 de 12 & de to fur les gaillards.
Le combat a duré 3 heures de bord à bord.
Notre frégate convoyoit des barques qui font
entrées dansnotre port fous l'eſcorte de la corvette
l'Expédition " .
& qui
Cette perte eſt la première que fait laMa(
345 )
rine Royale depuis qu'elle combat. Les ar
memens & les travaux continuent dans tous
nos ports ; des 4 vaiſſeaux de Toulon qui font
à la mer , 2 croifent entre Malte & Tunis ,
& 2 fur le Cap S. Vincent. La Bourgogne &
le Lyon font allés en rade au commencement
de ce mois ; le radoub du Souverain avance &
il ſera prêt à être armé le mois prochain ainſi
que l'Hector ; le 7 le Jaſon a été lancé , & le
Triomphant a dû l'être le 17 ou le 18. Tous
ces vaiſſeaux doivent être armés fur-le-champ.
On travaille à Breſt à mettre en état pour
la campagne prochaine , la Ville de Paris , la
Bourgogne&fe S. Efprit. On a déja travaillé à
pluſieurs des pièces du Royal- Louis Le Citoyen
eft prêt à fortir du baſſin , où le Royal-Louis
doit être conſtruit. Le Minotaure ſera refondu
dans celui qu'occupe le Duc de Bourgogne , &
quand il en fortira on y conftruira un des deux
nouveaux vaiſſeaux de 74 canons ; l'autre fera
conftruit fur la cale des Capucins.
Les vaiſſeaux du Roi l'Actionnaire & l'Indien ,
partis de Breft il y a quelque tems , ont relâché
à Rochefort ; on ignore la miſſion dont
ils ont été chargés ; on croit qu'ils ont été à la
Corogne chercher le Pondicheri , navire revenu
de l'Inde , pour l'eſcorter juſqu'à l'Orient.
La dernière priſe qu'a faite le corfaire le
Comte d'Orvillier, fait le plus grand honneur
au Capitaine des Moulins qui le commande.
Le navire Anglois avoit au moins le double de
la grandeur du ſien ; il le rencontra vers les 11
heures du ſoir à deux lieues de terre de la
côte d'Angleterre , & fans s'effrayer de la
force fupérieure du navire , il prit le parti de
l'attaquer. Il le héla & le ſomma de ſe rendre ;
l'Anglois répondit que ce n'étoit pas choſe faite,&
lui tira trois coups de canon de 6 & de
8 liv. , & près de 100 coups de fufil. Le Ca-
Ps
( 346 )
pitaine des Moulins lui lâcha alors ſa bordée,
confiftant en 6 canons de 4 , & fa mouſqueterie.
Le navire manoeuvra auffi-tôt comme pour
donner en plein ſur le corfaire & le mettre en
pièces ; mais le Capitaine des Moulins , fut éviter
ce choc en virant de bord , & lui tira uneautre
volée , & enſuite pluſieurs autres. L'Anglois
amena & en fut déſeſpéré,lorſqu'en montant
à bord du corfaire il en reconnut la petiteffe
& la foibleſſe . Il avoit du canon de 6 &
de 8 , & 110 hommes au moins d'équipage.
Avec cette force il pouvoit embarraffer beaucoup
le Comte d'Orvilliers.
Le Roi , par un travail qui vient d'être
publié , a réduit à quatre eſcadrons au lieu
de cinq , les régimens de cavalerie & de dragons.
De ce cinquième eſcadron , on compofera
12 régimens. Les 6 de cavalerie fe formeront
de ces compagnies de chevaux-légers établis
par Ordonnance du 25 Mars 1776 , & les 6de
dragons, feront formés des compagnies de chafſeurs
ajoutées par une Ordonnance du même
jour , aux 24 régimens de dragons.
>>Les rochers affreux dont nous ſommes environnés
, écrit-on de Belcaire au pied des Pyrénées ,
ſervent d'aſyle à des ennemis dangereux qui viennent
porter la déſolation dans nos campagnes à
ennemis font certaines époques déterminées ; ces
des ours , qui ont non-ſeulement détruit cette année
tous nos menus grains , mais qui ont aulli
enlevé & dévoré nos troupeaux. Les habitans , allarmés de ces ravages , fe font adreffés àM. de
Negre Duclat , Capitaine des chaffes des Pyrénées
& pays de Foix , qui a montré dans cette occafion
le même zèle que ſes ancêtres , qui reçurent
de Henri IV , en récompenfe de leurs ſervices ,
le brevet dont il eſt pourvu. Il ſe rendit le 29
Novembre à la chaffe des ours avec ſes trois fils,
Sautres chaffeurs , 70 payfans armés de haches ,
( 347 )
& une meute de dogues. On inveſtit le local qu'on
devoit traquer , les tireurs ſe poſterent dans les paffages
où il eſt impoſſible d'arriver autrement qu'en
graviſſant , & d'où il eſt extrêmement dangereux
de ſe précipiter. Le ſignal ayant été donné , M. de
Negre vit paroître un ours monstrueux qui vint déboucher
au paſſage où il étoit poſté ; il lui tira un
coup de fufil à la tête ; auſſitôt l'ours ſe dreſſant fur
ſes jambes , fit mine de s'élancer ſur lui ; mais un ſecond
coup de fufil le coucha par terre , & l'ours roula
en bas du rocher en pouffant des cris effroyables .
Trois autres ours auffi monstrueux , troublés par
le bruit & par les chiens qui étoient fur leur voie ,
furent tués par les fils de M. Negre ; & la nuit étant
furvenue , la chaſſe fut remiſe au 2 de ce mois.
>>Ce jour- là les batteurs mirent en fuite unegroſſe
ourſe avec ſes deux ourfins ; ces derniers furent
atteints & tués avec aſſez de peine, leur mere échappa
pluſieurs fois en pouſſant des cris épouvantables.
Cependant comme les deux ourſins , qui peſoient
chacunprès de trois quintaux , avoient été tués l'un
auprès de l'autre , M. de Negre crut avec raiſon que
la mère reviendroit à eux ; il s'embuſqua, elle vint en
éffet , & fur tuée de 4 coups de fufil. Cette chaſſe
auſſi coûteuſe que difficile a détruit 7 ours , &M. de
Negre ayant appris qu'il y en avoit encore vingt dans
les bois du Roi , ſe diſpoſe à les attaquer , avant
qu'ils ſe retirent. Son zèle & la reconnoiffance de
tous les habitans de ces contrées le ſoutiennent dans
des travaux extrêmement pénibles où la vie eſt continuellement
expoſée , & par les précipices dont le
local de la chaſſe eſt ſemé , & par la férocité des
ours qui courent ſur leurs ennemis , dès qu'ils ſe ſentent
bleflés <<
Le 8 de ce mois on célébra dans l'Egliſe
de Sainte Croix , à Mortagne au Perche , la
cinquantième année du mariage d'Alexandre
Fouquet , Fabricant de toiles , & de Charlotte
Bernier fa femme , nes tous deux le 31 Mai
P6
1
1
( 348 )
1
1
1706. Leurs enfans & leurs petits-enfans y af
fiftèrent.
>> On perdit hier dans cette ville , écrit-on deBarcelonne,
en date du 27 Janvier, Honoré-Henri Ruffo,
des Comtes de la Rie , Marquisde Gaubert , Colonel
du régiment de Saint- Jacques , cavalerie ; quoique
marié , il avoit eu la permiſſion de porter la
croix de Malte. Il étoit le dernier des enfans d'AJexandre
, mort premier Préſident du parlement de
Navarre , & chef de la branche de la maiſon Ruffo
établie en Provence. Paul ſon frère aîné , eſt mort
premier Préſident du Parlement de Navarre , fans
Faiffer des fils . Jean-Baptiste & Jacques , Joſeph,
Benoît , font morts Chevaliers de Malte , le dernier ,
Commandeur de Fonſobie & de Reneville , ſon fils
aîné a épousé ſa cousine-germaine, fille du premier
Préſident. Il continue ſa demeure à Aix en Provence ,
où cette maiſon ſubſiſte depuis les donations que
lui a faites la Reine Jeanne , premiere du nom , &
dont elle jouit encore « .
L'Académie royale de Chirurgie ayant ſtatué
qu'elle donneroit tous les ans , fur les fonds
que lui a légués M. de la Peyronie , une médaille
d'or de 200 livres à celui des Chirurgiens,
étrangers ou regnicoles , non membres de l'Académie
, qui l'aura meritée par un ouvrage fur
quelque matière de Chirurgie , au choix de
l'Auteur ; elle adjugera ce prix d'émulation , le,
jour de fa féance publique , à celui qui aura envoyé
le meilleur ouvrage dans le courant de
1779. Le même jour elle diftribuera cinq médailles
d'or de 100 liv. chacune , à cinq Chirurgiens
regnicoles qui auront fourni , dans le cours
de la même année , un Mémoire ou trois Obſervations
intéreſſantes.
D'après les récapitulations générales des Enapres
fans- rouvés , baptêmes , mariages , profeffions
Religieuſes & regiſtres mortuaires de cette ville
&faubourgs, dreffées dans la forme accoutumée,
業
(349)
pour l'année 1778 , il réſulte qu'il y a eu 17
enfans-trouvés de moins qu'en 1777 ; 578 baptêmes
de moins ; 192 mariages de moins ; 23
profeffions Religieuſes de moins ; & sos morts
deplus.
>> La ſemaine dernière , des filoux ſe ſont ,
dit- on , avifés d'un tour d'adreſſe peu commun;
ils avoient porté au Mont de Piétéquel.
ques pains de cire jaune , ſur chacun deſquels
on leur avoit prêté 50 livres ; peu de tems
après ils en envoyerent une charretée , & ils
en reçurent la même ſomme ; enfin ils revinrent
pour la troifieme fois ; mais un Huimer-Priſeur
, ayant voulu caſſer in de ces pains , il
n'en put venir à bout , & il trouva que c'étoit
du bois revêtu de cire. La premiere charretée
étoit de la même matière : on a arrêté les fripons
, & on s'attend à les voir punir.
Unétabliſſement intéreſſant s'eſt formégrande
rue du faubourg Saint-Denys , ſous les aufpices
de l'Adminiſtration , & fous les noms & raifon
de veuve Pallouis & compagnie ; on y fabrique
un genre de foie nommé vraie Gallette , dont
la fabrication , concentrée depuis plus de cent
ans dans la Suiſſe , coûtoit à la France deux
millions annuels. La préparation de cette foie ,
devenue ſupérieure à celle des Suiffes , la rend
propre à entrer dans la fabrique de preſque toutes
les étoffes , & l'on eſt parvenu à en faire un
velours , auquel les inventeurs ont donné le nom
de Velours de Paris ; il tient le milieu entre le
velours foie & le velours - coton , foit pour
meubles , ſoit pour équipages , ſoit pour habits
. Ces découvertesont été annoncées à l'Académie
royale des Sciences , par M. Duperon ,
comme de nouveaux moyens de prévenir la
mendicité , en occupant utilement les pauvres
des deux ſexes , & en habituant leurs enfans
au travail .
1
1
(350 )
Jean-Louis de la Marthonnie de Caufade ,
Evêque de Meaux , premier Aumônter de Ma.
dame Adelaïde de France , Abbé Commendataire
desAbbayes royales de Lezat , ordre de
Saint Benoit , diocèſe de Rieux , d'Auberive ,
ordre de Citeaux , diocèſe de Langres , & de
Saint Pierre de Lagny , ordre de Saint Benoît ,
diocèſe de Paris , eſt mort en cette ville le 16
de ce mois , dans la 67e. année de fon âge .
George-Jean de Roquemaure , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , eft mort à Toulouſe
le 17Janvier dernier dans la 73e année de fon
âge.
Claude-François de Seſmaiſons , Lieutenant.
Général des Armées du Roi , ancien Lieutenant
des Garde-du-Corps de S. M. , Seigneur
de Sefmaifons-la-Saufinière , les Nérac & autres
lieux , Chevalier de l'Ordre Militaire de
S. Louis , eſt mort le 6 de ce mois dans fon
Château de Saint-Saire en Normandie , dans la
78e: année de fon âge.
Le 28 Décembre dernier , il eſt mort à S.
Felice-de-Torello en Catalogne , une femme
âgée de près de 104 ans. Elle ſe nommoitMaria-
Rofalba-Catalina Font , & ne vivoit depuis
pluſieurs années que d'herbages. Ses forces
n'ont commencé à diminuer que quelques jours
avant ſa mort .
Ordonnance du Roi, du 3 Janvier. » S. M. ayant
pour objet , en réduisant à 23,000 hommes lacom .
pofition desGarde côtes , par fon Ordonnancedu 13
Décembre de l'année dernière, de rendre les 23,000
hommes qui exiſtoient de plus, pendant la dernière
guerre aux beſoins de l'agriculture, du commerce
& de la marine: & S. M. ayant reconnu qu'il étoit
indiſpenſable , tant pour le bien de fon ſervice, que
pour l'avantage du commerce de ſes ſujets , d'augmenter
de 11 , 500 hommes , le nombre de ſes matelots
, elle a ordonné que la levée en feroit faitefur
(351 )
toutes les paroiſſes de ſes provinces maritimes qui
ont été juſqu'à préſent aſſujetties au ſervice de la
Garde-côte. 19. Dans toutes les Provinces maritimes
du Royaume , les habitans des paroiſſes ſituées ſur
lebord de la mer , ſujets au ſervice de la Gardecôte
, depuis l'âge de 16 ans , juſqu'à 36 , qui ne
feront pas claffés ou compris dans les compagnies
deCanonniers-Garde-côtes , fourniront des hommes
pour l'entretien & le ſervice des claſſes. 2 °. Le nombredes
matelots fourni par chaque paroiſſe Gardecôte
, reſtera fixé à la moitié de celui qui aura été
fourni pour les compagnies de Canonniers ; 3 " . le
tirage des Matelots ſe fera comme celui des Canonniers
, par la voie du fort , & de la manière prefcrite
par l'Ordonnance du 13 Décembre dernier.
4. S. M. ayant déja fait connoître ſes intentions
fur les priviléges & exemptions dont doivent jouir
les habitans des paroiſſes Garde- côtes , relativement
àla levée des Canonniers , ainſi que les ſubſtitutions
qui pourront être admifes ; elle entend que tout ce
qui a été déterminé ſur ces différens objets , par
fon Ordonnance du 13 Décembre de l'année derhière
, ſoit également obſervé pour la levée des
Matelots . 5. Les Commiſſaires des guerres chargés
du tirage , remettront aux Commiffaires des claſſes ,
un regiſtre qui contiendra le nom , l'âge , le lieu de
la naiſſance de chaque Matelot , & le nom de la
paroiffe pour laquelle il ſervira. 6 ° . Le ſervice des
Matelots fera de cinq années confécutives , après
leſquelles ils ſeront licenciés , & jouiront pendant
dix ansde l'exemption du tirage pour les compagnies
deCanonniers-Garde-côtes . 7°. Les. hommes qui ſe
préfenteront de bonne volonté pour ſervir cinq ans
dans les claffes , y feront admis , & le nombre de
ceux à faire tirer au fort dans la paroiſſe de laquelle
ils feront habitans , ſera diminué en proportion.
Entend S. M. , après, qu'ils auront été licenciés ,
qu'ils foient exempts pendant quinze ans de tirer au
fort pour le ſervice des compagnies de Canonniers
(352)
Garde-côtes. 8 °. On ſe conformera, pour ce qui
concerne les licenciemens & les remplacemens , à
tout ce qui eſt preſcrit par l'Ordonnance du 23 Dé.
cembre de l'année dernière. 9° . Veur S. M. que les
Matelots levés en vertu de la préſente Ordonnance ,
foient aſlujettis , pour le ſervice ſeulement , à la police
& diſcipline des Commiſſaires établis ſur les
côtes , & que leſdits Matelots jouiſſent , ſuivant les
cas , des mèmes avantages & traitemens que ceux
qui ſont attribués aux Matelots déja claſſés.
Une ſeconde Ordonnance en date du 21 Janvier ,
règle les congés à délivrer aux brigadiers , cavaliers
, ſergens , caporaux & foldats de la garde de
Paris. Des Lettres- Patentes du Roi données à Verfailles
le 24 Décembre , & enregiſtrées le 22 Janvier
dernier au Parlement , prorogent pour 6 années
, à commencerdu premier Janvier de cette année
le droit de 2 fols 6 den. qui ſe perçoit par jour , au
profit de l'Hopital - Général , ſur les carroſſes de
remiſe.
Deux Ordonnances de M. le Lieutenant-Général
de Police , en date des 20 & 23 Janvier , portent
interdiction , l'une de l'uſage de deux carrieres exploirées
par Nicolas Cochois ſur les territoires de
Menil-Montant & Montreuil ; l'autre de l'uſage de
la carriere à plâtre , exploitée en la Paroille de
Charonne , par Jacques Cochois , & le condamne
en soo livres d'amende.
amende
Les numéros ſortis au tirage du 16 de ce mois,
de la Loterie Royale de France , font 47 , 38 , 88 ,
71,590
Article extrait desPapiers étrangers qui entrent
en France.
>> IL y a depuis quelques jours degrands mouvemens
dans les bureaux de la guerre , &toute la
machine de la manutention des vivres eſt montée ,
comme s'il devoit y avoir une marche prochaine de
(353 )
troupes de terre. On ſe perd en conjectures ſur l'objetde
ces mouvemens ; l'opinion générale eſt qu'il
eſt queſtion de faire marcher les 24 mille hommes
promis à l'empereur par le traité de Verſailles ; mais
des ſpéculatifs plus profonds ſont perfuadés que ce
n'eſt autre chole qu'un Quos ego pour déterminer
les Hollandois à refter parfaitement neutres entre
nous & l'Angleterre ; ce à quoi ils répugnent beaucoup
, comme on l'a dit. Ce qui ſemble confirmer
cette dernière opinion , c'eſt la fréquence des couriers
entre la Haie & Verſailles ; ce qui annonce une
ſuite de négociations qui ne font point encore terminées
, & auxquelles une apparence de préparatifs
militaires ne peut rien gâter. ( Courier du Bas-
Rhin n ° . 10 ) .
De BRUXELLES , le 20 Février .
On vient de publier ici un Octroi de l'Impératrice-
Reine , en datedu 2 du moisdernier ,
pourun emprunt de 2,400,000 florins argent de
change , qui eſt ouvert chez la Veuve Nettine
& Fils. Les intérêts en ſont fixés à quatre
pour cent. Chaque obligation ne pourra être
de moindre ſomme que de 500 florins ; le rembourſement
commencera douze ans après , c'eſtà-
dire le s Janvier 1791 , & fe fera pendant
dix ans confécutifs , à raiſon de 240,000 florins
par an.
Les troupes de ces Provinces qui ont ordre
de rejoindre les armées Impériales , ſe ſont
miſes en marche le 10 & le 13 de ce mois.
On travaille avec beaucoup de vivacité aux
recrues , & il a été adreſſé des Lettres circulaires
à tous les Officiers de Juſtice & de Police
, pour les encourager à les multiplier le
plus qu'il eſt poſſible.
Les lettres d'Eſpagne intriguent toujours les
ſpéculatifs ; les préparatifs militaires de cette
(354)
Puiſſance font trop confidérables pour ne pas
faire douter qu'elle perſiſte dans ſon ſyſtême de
neutralité. Elle paroît principalement occupée
de ſa marine marine , qui s'augmente de jour en jour
par de nouvelles conftructions de vaiſſeaux de
tout rang ; on en conftruit à Carthagène , un entr'autres
, qui ſera à trois ponts , & le plus grand
vaiſſeau qui ſoit en Europe.
>> Le 11 Janvier , écrit - on de Madrid , il
eſt entré à Cadix un paquebot , d'où il eft
débarqué un Officier , qui s'est rendu ſur le
champ chez le Gouverneur de cette Place ,
& qui eft parti peu de tems après pour la
Cour. On ignore d'où vient ce paquebot, dont
l'équipage n'a encore communiqué avec per
fonne ; & le fecret obſervé par l'Officier , qui
s'eſt rendu au Pardo , donne lieu à beaucoup
de conjectures. Les uns prétendent qu'il ap.
porte la nouvelle de queique événement intéreſſant
en Amérique ; les autres , qu'il vient
des côtes de Guinée , & qu'il a été dépêché
par leGouverneur Eſpagnol ,chargéde prendre
poffeffion des deux Iiles & Ports cédés par le
Portugal à l'Eſpagne , dans le dernier Traité.
On ajoute que le Gouverneur Portugais s'eft
refufé à cette priſe de poſſeſſion ; ce dernier
trait ſemble peu croyable , & ne peut manquer
d'être bientôt éclairci
C.
L'Europe attend toujours des nouvelles de ce
qui ſe paſſe enAmérique ; il n'en arrive point; &
la curiofité eft forcée de ſe contenter de lettres
d'une date antérieure à celle à laquelle elle
defire depuis long- tems d'en recevoir. En voici
une d'un Officier François au ſervice desEtats-
Unis , écrite au commencement de Novembre.
>> Une expédition ſur Rhode-1ſland , dans laquelle
l'eſcadre de M. le Comte d'Estaing a coopéré avec
le corps aux ordres du Général Sullivan, a fermé
la campagne ; & quoiqu'elle n'ait pas entiérement
(355 )
réuſſi , elle s'eſt terminée à la gloire de l'Amiral
qui a vu fuir Lord Howe devant lui , & du Général
qui , dans ſa retraite , a repouffé Lord Pigot " .
>> La poſition du Général Clinton eſt ce qu'étoit
celle du Général Howe au commencement de la campagne
dernière ; & nous ne nous battons plus que
par manifeftes , proclamations , &c « .
>> Les Commiſſaires ſont au moment de partir ,
& ces miſſionnaires politiques , députés par les Miniſtres
pour la propagation de la foi Parlementaire
n'ont trouvé que des hérétiques opiniâtres qui n'ont
pas même voulu qu'on les préchât «.
>> L'hiver nous chaſſe dans nos quartiers. Il paroît
qu'on les prendra ſur l'Hudſon pour couvrir les
Jerſey & New-Yorck cc.
>>On aſſure que 12 régimens ont fait voile de New.
Yorck pour la Barbade & la Jamaïque. Le reſte des
troupes Angloiſes ſe monte à 9 à 10,000 hommes
à New-Yorck , 4000 à Rhode-Iſland , une garnifon
à Saint-Augustin , 4à5000 en Canada , &environ
2000 à Hallifax. Il paroît que dans ce mondeci
la guerre eft à ſon terme ; c'eſt dans le vôtre
que vont ſe faire les grandes exploſions .
Les Anglois ne ceſſent d'inquiéter le commerce
de toutes les nations. Les lettres de
Stockholm nous apprennent combien les Suédois
s'en plaignent , & avec quelle chaleur ils réclament
juftice & protection. La conduite des
François eft bien différente ; elle fait la cenfure
la plus amère de celle de leurs ennemis.
On en jugera ainſi par le certificat ſuivant ,
donné par leChevalier de Cardaillac , commandant
la frégate le Fox , au Capitaine du bâtiment
Danois les trois Frères , arrivé dernièrement
à Oftende .
:
>> Nous , &c. Le 23 Janvier étant par la latitude
48 , & par la longitude occidentale , méridien de
Paris , de 11 deg. 28 minutes , nous avons amarré
un Senault où il s'eſt trouvé 8 Anglois & 3 hom-
,
( 356 )
mes ſe diſant Danois; lesAnglois commandés pat
le nommé William Sturgeons , ayant une commiffion
Angloiſe donnée par Robert Hankins ,
Commandant la Chaloupe l'Actif, de Cork, armée
par les ſieurs Henri Sadler & Julien Bernard , du
même lieu. L'interrogatoire & la confrontation
faite des gens trouvés dans le bâtiment , le nommé
Hans Laurenzen a déclaré que le bâtiment s'appelloit
les trois Freres ; qu'il étoit Danois , du
port de Criſtiana , venant de Livourne , & allant
à Oftende ; qu'il avoit été arrêté contre le droit
des gens. Nous avons fur-le-champ viſité ſes papiers
que nous avons trouvés en bonne forme ,
toures ſes feuilles de chargement à l'adreſſe de divers
particuliers du port d'Oſtende, & conformes à
ſa déclaration. Il a enſuite déposé qu'il avoit été
arrêté le Jeudi 21 du préſent mois par la latitude
de 44 deg. so min. , & la longitude occidentale,
méridien de Londres , de 10 d. 21 min. ; que fes
gens au nombre des ont été conduits à bord de
la chaloupe ; qu'ils ne font reſtés dans leur bâtiment
que 3 , ſavoir , Hanz Laurenzen , Capitaine-
Chriſtian Laurenzen , ſecond , & un mouffe nommé
Jo , natif de Livourne ; qu ils ont été pillés dans
leur cargaison & leurs effets ; que tout le haut du
navire avoit été enfoncé & brilé , que pluſieurs balots
& caifles de la cale ont été ouverts & jettés
à bord de la Chaloupe D'après cette dépoſition ,
ayant le tout confidéré & examiné , nous avons
jugé le navire les trois Freres pris contre le droit
des gens , regardant les preneurs comme forbans
& gens fans aveu. L'intention de notre auguſte
Monarque étant non-feulement que nous courions
ſur ſes ennemis , mais encore que nous défendions
tous Vaiſſeaux contre les pirares . Et voulant faire
voir la protection qu'il accorde aux Puiſſances
nentres , nous avons déclaré & déclaroos Hans
Laurenzen maître de ſon bâtiment ; & pour lui
faciliter le moyen de ſe rendre à ſa deſtination ,
( 357 )
nous lui avons accordés hommes pour former
fon équipage. Nous prions tous amis & alliés de
laiſſer patler librement ledit bâtiment , & de le
protéger & aider dans le cours de ſa navigation.
Acet effet nous lui avons délivré le préſent , & y
avons fait appoſer le ſceau des armes du Roi. Fait
àbord de la Frégate du Roi le Fox , le 24 Janvier
1779 .
Signé , le Chev. DE CARDAILLAC .
On a lieu d'eſpérer que les repréſentations
de la plupart des Villes de Hollande détermineront
enfin les Etats-Généraux , à annuller la
réſolution qu'ils avoient priſe le 18 Novembre
précédent , & à prendre celle d'obſerver la
plus parfaite neutralité en protégeant leur
commerce & leur navigation ſans exception ,
dans toute l'étendue que leur garantiſſent la
Lettre & l'eſprit des Traités. On croit que
l'Arrệt du Conſeil d'Etat du Roi de France ,
influera beaucoup fur leurs diſpoſitions. Le
Duc de la Vauguyon leur en remit une copie
le 16 du mois dernier , en leur préſentant le
Mémoire ſuivant.
Hauts & Puiſſans Seigneurs :
>> Le règlement concernant le commerce & la
navigation des Puiſſances neutres que le Roi , man
maître , a fait publier au mois de Juillet dernier
& le ſoin que S. M. a pris d'en faire obſerver
ſcrupuleuſement les diſpoſitions , ont développé la
conſtante modération de ſon ſyſtême politique &
la juſtice eſſentielle de ſes vues ; les témoignages
particuliers de bienveillance & d'affection qu'Elle
n'a ceſſé de donner à V. H. P. ont dû les perfuader
qu'Elle defireroit vivement les voies juſtes d'une
neutralité reſpectée & reſpectable , qui peut ſeule ,
maintenir leur conſidération & leur proſpérité. Elle
ſe plaiſoit à croire que V. H. P. , pénétrées d'un
intérêt auſſi précieux , conſerveroient à leur pavillon
toute la liberté qui eſt une ſuite de leur indé(
358 )
pendance & à leur commerce , toute l'étendue que
Ini aſſurent les loix de l'équité publique & les ftipulations
des Traités. Les ordres donnés aux Capitaines
des vaiſſeaux de guerre de la République ,
de protéger , conformément au droit des gens &
aux conventions les plus expreſſes , tout batiment
marchand appartenant aux ſujets de V. H. P. , &
l'avantage dont ils ont joui d'un premier convoi ,
ne paroiffoit devoir laiſſer aucun doute ſur les ſtipulations
irrévocables de V. H. P. à cet égard;
mais S. M. a appris avec le plus grand étonnement
que , tandis que tous les Négocians de l'Europe ,
¬amment ceux de ſes Etats , excités par cette
Fremiere épreuve des diſpoſitions de la République
à une parfaite impartialité , s'empreffoient de confer
leurs ſpéculations au pavillon Hollandois , V.
H. P. ont modifié les ordres qui fondoient la ſécurité
du commerce : C'eſt alors qu'Elle m'a ordonné
de leur demander une explication claire &
précife des caractères eſſentiels de la neutralité
qu'elles ſe propoſent d'obſerver , & de leur faire
connoître qu'une réſolution dont l'effet mettroit au
libre exercice des droits réclamés par leurs ſujets ,
des reſtrictions qui ne peuvent devenir avantageuſes
qu'aux ennemis de S. M. , feroit regardée par Elle
comme un acte de partialité manifeſte , & la forceroit
d'annuller , non-feulement la liberté conditionnellement
promiſe aux ſujets de V. H. P. , par
le règlement concernant le commerce des nations
neutres, mais encore les faveurs eſſentielles & gratuites
dont ils jouiſſent dans ſes États , & qui ne
font fondées ſur aucune convention . V. H. P.
m'ont adreſſé une réponſe que je n'ai pu faire
parvenir au Roi , parce que S. M. m'avoit défendu de
la recevoir , fi elle n'exprimoit point , de la maniere
la plus nette , les caractères de la plus abfolue
neutralité , & qué loin de les développer
clairement & précisément , elle ne renfermoit que
des aſſurances générales , & annonçoit même le
( 359 )
,
defir de perſévérer dans les meſures qui reftreignent
en faveur des ennemis de la France , les
droits fi juſtement acquis aux ſujets de V. H. P.
Le Roi ſe perfuade encore que V. H. P. bien convaincues
de ſa ferme réſolution de regarder des reftrictions
qui ne font utiles qu'à ſes ennemis ,
comme un témoignage de partialité dérogatoire aux
principes d'une neutralité abſolue , s'empreſſeront
d'adhérer complettement à ſes vues fondées ſur la
juſtice eſſentielle; mais je dois leur déclarer que ſi
elles perſiſtentà refuſer aux Négocians toute la protection
qu'ils follicitent , & continuent à modifier
en faveur de ſes ennemis l'exercice de leurs droits ,
S. M. eſt décidée à faire publier inceſſamment un
règlement nouveau , relativement au commerce & à
la navigation des ſujets de la République , dont j'ai
l'honneur de remettre une copie à V. H. P. Elles
doivent être bien aſſurées que c'eſt avec le plus fincere
regret que S. M. a pris une telle détermination
& elles reconnoîtront encore dans les distinctions
réſervées aux habitans domiciliés d'Amſterdam , un
témoignage de l'affection &de la bienveillance qu'elle
auroit voulu pouvoir faire partager à tous les membres
de la République «.
Les Hollandois ſe ſont déterminés à de
mander aux Anglois l'exécution des Traités .
>> Le tambour bat dans toutes nos Villes , écriton
de Fleſſingue , pour recruter & former des
équipages ; & nous croyons à la guerre ſi le
Traité n'eſt pas fuivi par les Anglois , qui ont
mécontenté la nation , & que leurs vexations
inouies font déteſter des ſept huitièmes. Cette
opinion , fans doute a fait ordonner la fufpenſion
des armemens pour la pêche de la
Baleine cette année , afin de ne pas expoſer
des équipages qui font rares , au point que le
navire la jeune Cornélie , auquel il manque trois
matelots , n'a pu les trouver ni ici , ni à Middelbourg".
,
:
(360 )
On mande de Zurich un fait bien étrange
&bien funeste , >> Un Marchand des plus ri
ches de cette Ville , ayant été volé , penſa
que les voleurs ne ſe borneroient pas à ce
premier larcin , & qu'ils reviendroient encore.
En conféquence , il apoſta la nuit ſuivante des
gardes , en leur recommandant la plus grande
vigilance. Vers le milieu de la nuit , il voulut
s'aſſurer par lui - même ſi ſes ſentinelles faifoient
bonne garde ; ils crièrent qui va là ? &
comme il ne répondit pas fur le champ , ils
firent feu , & tuèrent celui à la confervation
duquel ils avoient ordre de veiller ".
>>>Les dernieres lettres de Breſlau, nous ap
prennent que la garniſon s'en étoit miſe en
marche le4de ce mois , & que le Général Autrichien
de Wumrſer ſe trouvoit renfermé avec
8000 hommes dans le comté de Glatz «.
>>>Celles de Dreſde annoncent que l'armée
aux ordres de S. A. R. le Prince Henri de
Pruſſe , ainſi que le corps d'armée commandé
par le Général de Mollendorf , étoient fortis
de leurs quartiers de cantonnement , & étoient
en pleine marche vers la Bohême. Elles ajoutent
que le Prince de Bernbourg marchoit du
côté de Zittau , & que le régiment des Vo-
Jontaires d'Anhalt s'étoit rendu maître de la
_ville de Toplitz «.
L'on mande des montagnes de Siléſie , que
les Autrichiens ont pillé Guerdorf d'où ils
ont emporté plus de 1000 pieces de toiles ,
après avoir fort maltraité les habitans de cette
Place
>>D'autres avis de Siléſie , portent que leGénéral
Wunſch a pris fon quartier général à
Glatz , & qu'un bataillon de Grenadiers eft
entré dans Silberberg ; que les Autrichiens ont
repris poffeſſion de Paſthau , Siegenhals &
Zuchmantel , & que le Prince de Heffe
Philipsthall a été conduit à Trautenau " .
=
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
८
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles ent
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Causes célebres; les Académies de Paris & des
Provinces ; là Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c . &c.
5 Janvier 1779 .
APARIS
Chez
PANCKOUCKE , Hôtel de Thou,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES.
42
Epitaphe de J. J. Rouf- Société Dramatique de
Seau . 3
Vers à M. le Comte de SPECTACLES .
Buffon ,
Fluides ,
Naples , 44
4 Concert Spirituel , 46
49 د
ibid. SCIENCES ET ARTS . 52
Sur la perte d'un Spectacles gratis
Chien ,
AMde la Comteſſe de ** 6 Variétés ,
Enigme& Logogryp. 9Gravures ,
رو
10 Tableau Politique de l'Euladies
Chirurgicales, 30 Pétersbourg ,
cure dans les Maladies Vienne
64
NOUVELLES Musique , 65
LITTÉRAIRES .
ANNONCES LITTÉR . 70
Le Paradis perdu ,
Extrait du Traité des Ma- rope ,
73
88
Obfervations fur le Mer- Varsovie ,
89
91
Vénériennes , 34 Hambourg ,
94
Mappemonde Géograp. 38 Londres , 96
ACADÉMIES. Etats-Unis de lAmériq.
Extrait de l'Académie des Septent.
104
Sciences , 40 Verfailles , 108
Extrait d'un Mémoire de Paris ,
109
M. Bucquet fur les Bruxelles , 116
APPROBATION.
lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux, le Mercure de France , pour les Janvier
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 4 Janvier 1779 .
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Come.
Complisets
niyleoff
110-24009
ப
ホ
MERCURE
DE FRANCE.
5 Janvier 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITAPHE de Jean-Jacques Rouſſeau.
tes pas ; HOMME , qui que tu ſois , arrête ici
Penche-toi ſur ce marbre , & que tes pleurs l'arroſent.
De Jean-Jacques Rouſſeau les mânes y repoſent .
Penſe à ſon ſiècle , au tien ; tu ne le plaindras pas.
( Par M. Vieilh. )
A ij
4
MERCURE
VERS à M. le Comte DE BUFFON , par
Madame Duboccage.
ON-demande comment Buffon ;
Connut ſi bien la terre & l'onde :
Par ces mots , que dicte Apollon ,
Une Muſe veut qu'on réponde :
L'eſprit qui devoit l'animer
Vit du chaos naître le monde,
Et les animaux ſe former.
3 Ce favori de la Nature ,
Pour en pénétrer la ſtructure ,
D'âge en âge changea de corps ,
Et par cette métamorphoſe
En découvrit tous les refforts ;
Ce don de la
métempſycoſe ,
( Sans fruit pour tant d'êtres divers )
De Buffon remplit la mémoire :
C'eſt ainſi que de l'Univers
Sa plume à nos yeux peint l'Hiſtoire.
VERS fur la perte du Chien de Mde Le ...
deux Filles
charmantes.
qui a
Quor ! je ne verrai plus le ſéduiſant Azor
Azor , objet heureux des plus douces careſſes ,
Qui ſur le ſein de trois Maîtreſſes ,
Long-temps coula des jours filés de ſoie & d'or ?
DE FRANCE.
FILLES ſenſibles , tendre épouſe ,
N'épargnez pas vos pleurs , je conçois vos tourmens.
Azor a fui : Dieux ! quelle main jalouſe
A pu le dérober à vos empreſſemens ?
Jeux étourdis , compagnons de fon âge ,
Vous , Graces , qui l'avez formé ,
Et vous , Fidélité , dont il étoit l'image ,
Dites- nous en quels lieux & dans quel eſclavage
Azor languit , de chagrins confumé.
1
Du noir Cocyte a t'il vu le rivage?
Mais , qu'ai -je dit ? Cet Azor tant aimé,
Peut-être , hélas ! promène un coeur volage.
Peut-être en ce moment , de tendreſſe animé ,
A quelque belle , oiſive & laſſe du veuvage,
Il offre fon hommage.
LOIN cehonteux ſoupçon : Azor avoit des moeurs ,
Quoique bercé par la molleſſe ;
Et pour n'aimer que ſa Maîtreſſe ,
On l'a vu de l'hymen abjurer les douceurs.
De combien de baiſers on payoit ſa conſtance !
Comme on reſpectoit ſon ſommeil !
Comme on le careſſoit à l'inſtant du réveil!
Ah ! ce n'eſt qu'à ce prix qu'eſt douce l'innocence.
Mais ſi le bel Azor la perd en voyageant !
Qui court le monde en devient ſouvent_pire.
Dieux ! quel chagrin mortel de ſavoir qu'il reſpire ,
Et que ſon coeur fidèle eſt devenu changeant !
Il vit , n'en doutez plus. Atropos adoucie ,
A iij
6 MERCURE
En voyant fon poil noir , les graces de ſon jett ,
Et ſon oeil vif, & ſes marques de feu ,
Aura craint de couper la trame de ſåvie.
O VAIN eſpoir ! ô lamentable fort !
C'eſt affez flatter la tendreſſe.
Azor eſt dans la tombe. Oui ſans doute il eſt mort ,
Puiſqu'il ne voit plus ſa Maîtreſſe.
:
1
Si du moins , comme Icare , il alloit dans les cieux,
Aftre nouveau , jeter une lueur naiſſante ,
Vous n'oferiez de pleurs obfcurcir vosbeaux yeux ,
Pour admirer bientôt ſa marche éblouiſſante.
( Par M. le Mercier ) ..
, la première A Madame la Comteffe de **
foisqu'ellem'afait l'honneur de venirdiner
chez moi.
V
% ous venez embellir mon petit hermitage ;
C'étoit depuis long temps le plus doux de mes voeux.
J'y ſuis venu chercher la retraite du ſage ;
Vous m'y faites trouver celle de l'homme heureux.
A la même , le premier jour que nous avons
pris
l'uniforme de S**.
De ces roſes que Cythérée.
A vingt ans prodigue pour nous ,
J'ai vu ma jeuneſſe parée ,
4
DEFRANCE.
Mais pour les regretter inon hiver eſt trop doux ;
Des jours du vrai bonheur je vous dois la durée ,
Vous embelliſſez leur ſoirée .
Le vieillard de Théos deviendroit bien jaloux
S'il me voyoir à vos genoux
Me parer de votre livrée.
M. Franklin étant venu chez Madame la
Comteſſe de * * planter de ſa main unAcacia
à fleurs dans les boſquets de S ** , tout
près du monument confacré à M. de Volfaire
, M. le Comte de T ** en a fait la Dédicace
par les vers ſuivans :
AME du héros & du ſage !
O liberté ! .. premier bienfait des Dieux !
Hélas , c'eſt de trop loin que nous t'offrons des voeux,
Ce n'est qu'en ſoupirant que nous rendons hommage
Au mortel qui forma des Citoyens heureux.
Il n'eut pas beſoin d'Égerie
Pour leur faire admettre ſes loix ;
La nature & l'honneur s'exprimoient par ſa voix
Quand il parloit à ſa Patrie.
GUIDÉ par la main d'Uranie ,
Il la tira de ſon berceau ;
Il l'éclaira par le flambeau ,
Qui s'allume au feu du génie ;
Et détruiſant la tyrannic ,
Il en fit un peuple nouveau.
Aiv
MERCURE
Que cet arbre , planté par ſa main bienfaiſante ,
Élevant ſa tige naiſſante
Au-deſſus du ſtérile ormeau ,
Par ſa fleur odoriférante :
Parfume l'air de ce hameau.
La foudre ne pourra l'atteindre ,
Elle reſpectera fon faîte & ſes rameaux ;
Franklin nous enſeigna par ſes heureux travaux
A ladiriger , à l'éteindre ,
Tandis qu'il détruiſoit des maux ,
Pour la terre encor plus à craindre.
N. B. Ces vers font de M. le Comte de Treff** ,
qui fait mêler les délaſſemens d'une Muſe aimable
aux travaux & à l'étude des Sciences. On fait combien
les morceaux qu'il a fournis à la Bibliothèque
des Romans ont contribué au ſuccès de cette Collection
. Il prépare actuellement un Abrégé d'Amadis
en deux volumes .
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent,
Le mot de l'énigme eſt Cordon ; celui du
I ogogryphe eſt Serin , où se trouvent
ré , si , Sire.
DE FRANCE.
و
QUELQUE
ÉNIGME.
UELQUE part où je fois, à la ville, au village ,
Je fais me rendre utile, & fuis fort en uſage;
Mais vous qui m'employez , ſoyez ſage & prudent ,
Et de votre pouvoir uſez modèrement ,
Sans quoi point de quartier: fans égard pour perfonne,
Jetraite également , Thémis , Flore , Bellonne ;
Et ne reſpectant point la raiſon ni les loix ,
Je porterois le feu juſqu'au palais des Rois.
J
LOGOGRYPHE .
E ſuis un Etre vagabond ,
Sans piés, fans mains , tantôtplat , tantôt rond,
Preſqu'en naiſſant on me baptiſe ,
J'entends dans le monde chrétien;
Car fi je ſuis Barbareſque , Indien ;
Mais j'en dis trop...Et crainte de ſurpriſe
Voici demon nom l'analyſe.
Je ſuis un Saint , le patron du barreau;
Unmeuble très-commun; lepremier de l'Égliſe;
Une pièce de bois , dont on fait un bateau ;
Une eſpèce de ſoliveau;
La face d'un dé; d'une carte ;
A
10 MERCURE
Ce qu'un Juge , ou Prélat met ſur une pancarte ;
Un temps borné qui s'écoule bientôt,
Un grand , moyen , ou petit pot;
Une machine d'Archimède ;
Un élément ; un jeune quadrupède ;
Un grand pays; une conjonction ;
Une note; un Conſeil ; une confeffior ;
Le premier mot de plus d'une Prière ..
Lecteur , j'ai fourni ma carrière ,
Commence ta diſſection .
(ParM. deBouffanelle,Brig. desArmées duRoi.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le Paradis perdu , Poëme de Milton , traduit
en vers François par M. Beaulaton , 2 vol.
in-octavo, à Montargis , de l'Imprimerie
de le Quatre , Imprimeur de la Ville & du
Collége. A Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés. Prix , 6 livres
broché.
Etquel objet enfin à préſenter aux yeux ,
Quel e diable toujours heurlant contre les cieux ?
Si Boileau étoit choqué de ce défaut dans
le Poëme de la Jérusalem, où l'enfer ne joue
DE FRANCE. II
qu'un rôle très-ſubordonné , & qui , d'ailleurs
, eſt plein de tant de beautés poétiques
de tous les genres , qu'auroit-il donc dit d'un
ouvrage dont Satan eſt le héros, dont le ſujet
eſt la guerre de l'enfer contre le ciel , & le
projet de féduire le premier homme pour
combattre le Créateur ? Sans doute il eût répété
ces deux autres vers de l'Art Poétique :..
こ
De la religion les myſtères terribles ,
D'ornemens égaïés ne font point ſuſceptibles:
En effet , ſi l'on veut y réfléchir , on verra
que cet eſprit fi judicieux avoit rencontré
juſte ſur ce point comme fur tout le reſte ,
& que le merveilleux de notre religion ne
peut pas ſe ſubſtituer heureuſement au merveilleux
de l'ancienne mythologie. Ce dernier.
donnoit priſe à l'imagination & aux
fens; l'autre échappe même à la penſée , &
ne peut que confondre la raifon. Les Dieux
des Grecs , les Dieux d'Homère & de Virgile,
étoient fans doute des êtres ſupérieurs
à l'homme , mais qui participoient beaucoup
de l'humanité. C'étoient des êtres mixtes, aufli
favorables à l'imagination d'un Poëte , que
contraires à la raiſon d'un Philofophe. Ils
étoient corporels , mais fans les infirmités du
corps , & pouvoient , quand ils le vouloient ,
changer & dépouiller leur forme extérieure.
Ils pouvoient être bleſſes , mais le dictame
étoit un remède divin & infaillible réſervé
pour leurs bleffures. Ils ſe combattoient les
44
Avj
12 MERCURE
uns les autres. Ils pouvoient être vainqueurs
& vaincus. Ils avoient les paſſions des home
mes , & cependant ils étoient toujours prêtsà
punir le crime , & à récompenfer la vertu,
Chacun d'eux avoit une certaine meſure de
pouvoir qu'un autre pouvoit combattre. Jupiter
en avoit plus qu'eux tous , mais luimême
étoit ſoumis au deſtin , c'eſt-à-dire , à
cette fatalité éternelle & invincible , dont
tous les anciens ſyſtêmes nous offrent l'idée ,
mais dont le principe obſcur & indéterminé
laiſſoit encore une libre carrière aux fantaifies
& aux inventions du Poëte. Il eſt clair
qu'en employant de pareils agens , on pouvoit
en tirer les mêmes intérêts , les mêmes
impreflions d'eſpérance & de crainte ,
d'amour & de haine , que des perſonnages
purement humains. Il y avoit alors une
communication néceſſaire & infiniment heureuſe
de l'homme à la divinité. Cette divinité
même n'étoit , pour ainſi dire , que le
complément & la perfection de la nature
humaine. Les hommes y pouvoient aſpirer à
force de vertus & de grandes actions. Les
demi-Dieux étoient les intermédiaires qui
rapprochoient la terre de l'olympe , & cet
olympe même , ſon ambroiſie , ſervie par
Hébé , ſes foudres portés par un aigle , tout
offroit au pinceau du Poëte des objets ſenſibles
& pittorefſques , & jamais on n'inventera
rien de plus favorable à ces formes dramatiques
qui doivent animer toute grande
poéfie.
DE FRANCE.
13
و
Les Fables même des Orientaux , quoique
prodigieuſement inférieures à celles des
Grecs , ces bons & ces mauvais génies , ces
Dives ces Péris pouvoient encore ouvrir
une ſource d'intérêt , parce qu'il y avoit
une gradation de pouvoir établie entre toutes
ces créatures immortelles ; que les eſprits
rebelles à Dieu étoient fubordonnés en tout
aux eſprits celeftes , qu'ils étoient entre eux
foumis à certaines loix , à certaines néceſſités
; & qu'enfin un Sage, poffeffeur du cachet
de Salomon , où étoit empreint le nom de
Dieu , pouvoit être le maître des uns & des
autres. Ces Fables n'avoient fans doute ni
la variété ni la richeſſe , ni le grand ſens des
fictions & des allégories Grecques ; mais l'efprit
des Romanciers , des Conteurs & des
Poëtes , pouvoit encore ſe jouer avec elles
& en tirer parti , & les Contes Arabes &
Perſans en font la preuve.
Il n'en eſt pas de même du Chriſtianiſme.
Ses merveilles ne font pas des fables , mais
des myſtères. Tout y eſt rigoureuſement métaphyfique.
Dieu est tout , & le reſte rien.
Si je demandois pourquoi Dieu , qui prévoit
la chûte de l'homme qu'il vient de créer ,
permet que le ſerpent vienne le ſéduire , on
me répondroit avec S. Paul , o altitudo ! &
l'être Suprême ne doit compte à perfonne
de ſes ſecrets. Il fuffit que la révélation nous
ordonne de croire. Mais ſi je n'ai pas le droit
d'interroger le Théologien , j'ai celui d'interroger
le Poëte , qui me doit compte de tous
14 MERCURE
les moyens dont il ſe ſert pour m'émouvoir
&m'intereffer , & qui n'y peut parvenir s'il
révoltę trop ma raiſon. J'ai ledroitde lui dire:
quoi! des Anges ont pu combattre contre
Dieu , qui , d'une fimple opération de la penſee,
pouvoit les anéantir ! Quoi ! le ſuccès du
combat a pu être douteux , & il a fallu que
le Fils de Dieu montat fur fon char pour décider
la victoire , & précipiter fatan ! Quoi !
des êtres purs & incorporels ſe ſont battus
avec des armes matérielles , ont déraciné des
montagnes , & ont fait tonner l'artillerie des
cieux ! Quoi ! ſatan eſt enchaîné dans les enfers
, & cependant il eſt libre d'en fortir , &
de venir dans le paradis terreftre ! Il trompe
l'Ange chargé de veiller à l'entrée d'Éden , &
il échappe à ſa vue ! Comment voulez-vous
que je me prête à toutes ces ſuppoſitions
contradictoires , & qu'est- ce que douze
Chants, fondés ſur tant d'inconſequences ?
Qu'est-ce qu'une attion dont la ſcène eſtdans
les eſpaces imaginaires, dont les perſonnages
font la plupart des êtres intellectuels, dont
les événemens font d'inexplicables myſtères,
& où mon eſprit ſe perd fans ceffe dans l'infini,
fans pouvoir ſe prendre à rien? Lapoéſie
ne doit me peindre que ce que je puis comprendre
, admettre ou fuppofer. Le Dieu des
Chrétiens eft trop grand pour être un perfonnage
poétique. J'aime à voir Jupiter pefer
dans ſes balancesd'or le fort des Grecs & des
Troyens , d'Achille & d'Hector ; mais quand
leFils de Dieu tire d'une armoire de l'EmDE
FRANCE.
15
pirée ce grand compas avec lequel il marque
la circonférence du monde , cette image , qui
veut être grande , ne me paroît que fauffe.
L'Éternel n'a pas beſoin de compas. Il mefure
avec ſa penſée , &le Poëte n'a pas compris
que quelque grand que fûr le compas ,
il paroîtroit petit dans les mains du Créa
teur.
I
S'il eſt permis , dans les choſes de goût ,
de dire librement ſon avis, fans prétendre le
donner pour loi , j'avoue que malgré Adiffon
& Pope, un peu ſuſpects en qualité d'An
glois , & malgré ceux de mes compatriotes
qui penſent comme eux , un peu ſuſpects
auſſi , en qualité d'Anglomanes , je fuis loin
de regarder Milton comme un homme à
mettre à côté d'un Homère , d'un Virgile ,
d'un Taffe; je le regarde comme un génie
brut & hardi , qui a ofé embraffer un plan
extraordinaire, &qui , dans un ſujet bizarre ,
a ſemé des traits d'une fombre énergie , des
idées fublimes , & quelques morceaux d'un
naturel heureux. Je laiffe aux critiques Anglois
à juger de fon ſtyle, dont ils blament la
dureté, l'incorrection &même la barbarie,
& qui , ſelon eux , eſt très-éloigné de la
pureré & de l'élégante où la langue Angloiſe
parvint quelque temps après ſous le règne
de la Reine Anne. Mais la deſcription du
conſeil des démons & des diverſes formes
qu'ils prennent , le pont de communication
de l'enfer à la terre , & la généalogie de la
mort & du péché, tout cela me paroît plus
1
16 MERCURE
fait pour les crayons de Callot que pour le
pinceau de Raphaël. Les longues harangues ,
les longues converſations , les longs récits ,
les froids épiſodes , tous ces défauts joints à
celui du ſujet , font pour moi du Paradis
Perdu un ouvrage très-peu intéreſſant , quoique
ſon auteur ne me paroiffe pas un homme
vulgaire.
Obſervons encore une choſe , c'eſt que le
peu de morceaux de ce Poëme conſacrés par
une juſte admiration , ſortent de cette ſphère
métaphyſique , & peignent des objets ſenſibles
& rapprochés de nous. Telle eſt la peinture
d'Adam & d'Eve au moment qui ſuit
leur création , lorſqu'ils éprouvent le premiet
ſentiment de l'existence , & qu'ils jettent
le premier regard ſur la nature qui les
environne. C'étoit un ſujet neuf, un tableau
original ; il a été parfaitement exécuté par
Milton , & cela ſeul ſuffiroit pour prouver
du génie. Mais un morceau n'eſt pas un
Poëme , & cet endroit même fait fentir ce
qui manque à tout le reſte.
Mettons-le cependant ſous les yeux du
Lecteur , & plaçant en regard la verſion de
M. Beaulaton & celle de Racine le fils , qui a
traduit ce même endroit , laiſſons aux connoiffeurs
en poéſie le plaifir de la comparaifon
. Voici d'abord celle du nouveau Traducteur.
Eve ( au quatrième Chant ) s'entretient
avec Adam des bienfaits du Créateur.
IL me ſouvient du jour où ma tendre paupière
Pour la première fois s'ouvrit à la lumière ,
DE FRANCE. 17
Le ſommeil me laiſſa ſous un berceau de fleurs ;
Mais l'eſprit agité d'inquiettes erreurs ,
D'où , comment , en quels lieux , quelle main me fit
naître ?
De ce trouble importun mon coeur n'étoit pas maître.
Non loin de mon berceau , du fond des antres creux ,
Un ruiſſeau jailliſſoit ſur un lit ſabloneux ,
Et rouloit dans la plaine une onde tranfparente ,
Telle que d'un beau ciel la voûte rayonnante ;
Undefir curieux me porta ſur ſes bords ;
De ſes gazons fleuris je preſſai les tréſors ;
Et dans l'azur flottant de l'humide étendue ,
Promenai ſans deſſein mon incertaine vue.
Je me penche ; à l'inſtant un objet plein d'appas ,
Du cryſtal entrouvert s'élance dans mes bras,
Je m'éloigne , il s'enfuit ; je reviens , il remonte ;
Amarcher ſur nos pas l'ombre n'eſt pas plus prompte.
Je vois un feu ſecret ſur ſes lèvres errer ,
Et l'amour dans ſes yeux me ſemble reſpirer.
L'oeil & le corps tendus vers l'objet que j'ignore ,
Je demeure immobile , & le ſerois encore ,
Si par un doux murmure une inviſible voix
N'eût détrompé mon coeur : « La beauté que tu vois',
>> Charmante Eve , c'eſt toi : tu pourſuis ton image ,
>> Une ombre menſongère , un fantôme volage :
>> Viens , ſuis-moi , que j'oppoſe à tes embraſſemens
>> Et des attraits réels , & de vrais ſentimens.
>>Viens trouver un époux dont laſincèreflamme )
18 MERCURE
>>Deplaiſirs mutuels enivrera ton ame.
>> Hâte-toi de remplir tes glorieux deſtins ,
Et deviens dans ſes bras la mère des humains .
Jeſuivis , & bientôt tu parus ſous un chiêne.
Tout annonçoit en toi lagrandeur ſouveraine ;
Mais je n'y trouvai pas la timide douceur
Et les attraits touchans & le charme vainqueur
Dont au premier objet je ſentis la bleſſure .
Je revenois encore au bord de l'onde pure;
Je fuyois loin de toi , quand j'entendis tes cris :
<<Retourne, ô ma chère Eve ! eh ! ſais-tu qui tu fuis ?
>> Tu fuis la ſource heureuſe où tu puiſas la vie ,
>>Un époux à qui Dieu par de ſaints noeuds te lie ;
>> Entends , chère Eve , entends la voix de la pitié :
>> Viens , ame de mon ame , ô ma chère moitié ! 2
Aver ta main alors ta foi me fut donnée;
Je la pris ,&c..
On s'appercevra aifément de la foibleffe
&des défauts de cette eſquiffe ; mais on les
ſentira encore davantage en voyant ce même
tableau achevé par une autre main. Racine le
fils, qui avoit peu d'imagination & de for
ce, qui s'élève rarement , mais qui , nourri
de la lecture des anciens & des leçons de fon
père , écrit avec elégance & avec goût , &
que plusieurs morceaux heureux ſemés dans
fes ouvrages , mertent au rang des bons verſificateurs
, quoiqu'il n'ait rien fait qui fût
d'un grand Poëte ; Racine le fils fut parmi
nos. Littérateurs François un des premiers
DE FRANCE.
19
qui ayent étudié la langue Angloiſe. Une
partie defes Réflexionsfurla Poésie, eſt em
ployée à l'examen du Paradis perdu , dont il
fait une critique très-judicieuſe. Il en a traduit
ou imité en vers François un aſſez grand
nombre des plus beaux morceaux , & a réuffi
dans ceux qui demandent de la douceur &
de la vérité , plus que dans ceux qui exigeoient
de l'élevation & de l'énergie. Celui
qu'on va lire eſt peut-être celui qu'il a le
mieux rendu.
Je me rappelle encor l'inſtant où la lumière ,
Pour la première fois , vint frapper ma paupière ,
Et fit ouvrir mes yeux éblouis de ſes traits .
Aubord d'un bois charmant , ſous un ombrage frais ,
Sur un tapis de leurs mollement étendue ,
Ce fut ſur moi d'abord que je jetai la vue.
Quel trouble me faiſit ! quels penſers font les miens!
J'ignore qui je fuis , où je ſuis , d'où je viens .
D'une grotte voiſine un bruit ſe fait entendre ,
J'apperçois dans la plaine une onde ſe répandre;
Sa tranquille ſurface eft fi belle à mes yeux ,
Que j'y crois retrouver la pureté des cieux 5
Je cours l'examiner , ſur elle.je m'incline ;
Une image fur moi ſe baiſſe & m'examine ,
Je treſſaille & recule.Al'inftantje la vois
Seffrayer , treſſailler, reculer comme moi.
Lorſqu'un charme inconnu me ramène vers elle ,
Vers moi le même charme auſſi-tôt la rappelle ;
Et d'une égale ardeur, dans les mêmes momens,
20 MERCURE
Nous ſentons toutes deux les mêmes mouvemens.
Une voix qui m'arrache à cet objet que j'aime ,
Mecrie en cet inſtant: cette image eſt toi-même ,
Une ombre fugitive amuſe ici tes yeux.
Accours où tu m'entends , viens trouver dans ces lieux
Unobjetdont toi ſeule es la parfaite image ,
L'aimer , en être aimée , eſt ton plus doux partage ;
Faits l'un pour l'autre , unis par un étroit lien ,
Il fera ton bonheur & tu feras le fien.
J'obéis , & cédant au charme qui m'entraîne ,
J'avance , & je te vois étendu ſous un chêne.
Tremblante à ton aſpect , je recule & je fuis.
Tu m'appelles. Chère Eve , attends-moi ,je te ſuis;
Que ma tendre moitié s'arrête &m'entretienne ;
Que craint-elle ?A ces mots ta main ſaiſit la mienne,
Ton air majestueux m'imprime le reſpect.
Je m'arrête , &c.
Il n'eſt pas néceſſaire de faire ſentir l'extrême
ſupériorité de cette copie ſur la précédente.
Tout eſt ici d'une main sûre & exercée
,& tous les traits fontjuſtes&prononcés.
Mais nous allons voirRacine le fils effacé àfon
tour dans un morceau manié par la main du
plus grand maître , dans l'apostrophe de fatan
au foleil, lorſqu'il l'apperçoit pour la première
fois , après être forti de l'abyſme du chaos .
Onnous permettra de ne pas citer ici les vers
deM. Beaularon, que nous ne pouvons pas
placer convenablement entre Racine le fils
& Voltaire. Ce dernier , frappé de la ſubli-
:
DE FRANCE. 21
mité de ce paſſage du Paradis perdu , la cru
dignede fon pinceau. Mais voyons-le d'abord
fous celui de Racine le fils .
Toi , dont le front brillant fait pâlir les étoiles ,
Toi qui contrains la nuità retirer ſes voiles ,
Triſte image à mes yeux de celui qui t'a fait ,
Que ta clarté m'afflige & que mon oeil te hait !
Ta ſplendeur , ô Soleil , rappelle à ma mémoire
Quel éclat fut le mien dans le temps de ma gloire.
Elevé dans le Ciel , près de mon Souverain ,
Je m'y voyais comblé des bienfaits que ſa main ,
Sans ſe laſſer jamais , verſoit en abondance.
Mais je me ſuis laſſé de la reconnoiſſance ;
Et cependant de moi qu'exigeoit-il de plus ?
Hélas ! je dois mes maux aux biens que j'ai perdus.
Ivre de ma grandeur juſqu'à me méconnoître ,
J'ai cru que je pouvois m'égaler à mon maître.
Écoutons maintenant le Poëte .
Toi , ſur qui mon tyran prodigua ſes bienfaits ,
Soleil , aftre de feu , jour heureux que je hais ,
Jourqui fais mon fupplice,&dontmesyeuxs'étonnen t,
Toi qui parois le Dieu des cieux qui t'environnent ,
Devant qui tout éclat diſparoît & s'enfuit ,
Qui fais pâlir le front des aftres de la nuit ;
Image du très -haut qui règla ta carrière ,
Hélas ! j'euſſe autrefois éclipſé ta lumière !
Sur la voûte des cieux élevé plus que toi ,
Le trône où tu t'aſſieds s'abaiſſoit devant moi .
Je ſuis tombé; l'orgueil m'a plongé dans l'abîme.
22 MERCURE
Une pareille imitation n'eſt autre choſe
qu'une eſpèce de lutte du génie contre le génie.
N'y a-t- il pas un art admirable à oppofer
à cette magnifique deſcription du ſoleil ,
qui tient ſept vers , ce ſeul vers qui termine
la phrafe!
Hélas ! j'euſſe autrefois éclipſé ta lumière .
Peut-on donner une plus haute idée de ce
qu'étoit fatan avant ſa chûte ? Et quelle pompe
d'expreffion dans ce vers !
Le trộne où tu t'aſſieds s'abaiſſoit devant moi.
Enfin, comme cet hémiſtiche : jefuis tombé
, eſt ſuſpendu d'une manière frappante !
c'eſt pourtant de celui qui a fait ces vers ,
c'eſt de Voltaire , qu'on a dit dans une de ces
brochures ſatyriques, exaltées dans vingt Jour
naux plus que ne l'ont jamais été Zaïre &
Mérope :
On auroit beau montrer tous ſes vers faits ſans art ,
D'une moitié de rime habillés au hafard ,
Seuls &jetés par ligne exactement pareille ,
De leur chûte uniforme importunant l'oreille , &c.
Voilà ce que l'Auteur de cette ſatyre appelle
Fouetter d'un vers sanglant ces grands hommes d'un
jour.
Un homme curieux d'obſerver les folies de
l'eſprit humain & les délires de chaque moment
, doit tâcher de dérober à l'oubli de
ſemblables pièces , & les produire de temps
DE FRANCE.
23
en temps , pour accoutumer ceux qui réfléchilfent
à ne s'étonner de rien , & confoler
ceux qui croyent avoir à ſe plaindre .
Un autre paſſage non moins célèbre du
Poëme de Milton, c'eſt le commencement
du troiſième Chant , où il a fi heureuſement
placé les plaintes les plus touchantes fur fon
aveuglement. Après avoir tracé la route de
fatan dans les enfers , dans le vuide & dans le
chaos , il l'amène enfin à la vue des cieux
éclairés par le ſoleil , & le Poëte ſe rappelle
alors que ce ſoleil ne brille plus pour lui.
Nous allons citer latraduction nouvelle , qui
n'eſt pas fans quelque mérite , malgré beaucoup
de fautes , & nous placerons après celle
'de Racine le fils , qui , le plus ſouvent , montre
à M. Beaulaton ce qu'il auroit dû faire ,
beaucoup mieux que les remarques critiques
que nous pourrions ajouter.
FLAMBEAU pur & facré , noble fille du Ciel ,
Ineffable rayon du Soleil éternel :
Accepte mon hommage , ô lumière divine !
Quel titre convient mieux à ta haute origine ?
Ton trône eſt le ſéjour de la Divinité ,
Et tu nous réfléchis ſa ſublime clarté.
Fleuvetoujours nouveau , qui peut montrer ta ſource?
Du Soleil & des cieux il précéda la courſe;
Tu nais avec le temps : quanddu chaos dompté
Une main créatrice ouvrant l'obſcurité ,
Délivra l'univers des priſons de l'espace ,
D'un vêtement d'azur tucouvrisſafurface. ن
A
24
MERCURE
ENFIN je te retrouve , après un ſi long temps :
Sur les pas d'une Muſe arbitre de mes chants ,
Je pénétrai l'enfer & ſes retraites ſombres ;
J'oſai , nouvel Orphée , au royaume des ombres ,
D'un ton plus fier encor , chanter l'antique nuit ;
Et revenu vainqueur de l'effroi qui la ſuit ,
Mon aîle triomphante en franchit la diſtance.
:
9
ENFIN je te retrouve : à ta douce influence
Jeſens un nouveau feu ; mais de voiles épais
Mes yeux toujours couverts , à tes aimables traits
Ouvrent dans mes ennuis leur paupière inutile :
Une ſeule douceur me ſuit dans cet aſyle ;
Je fréquente les lieux hantés par les neuf ſoeurs ,
Leurs ombrages ſecrets , leurs boſquets enchanteurs ;
Je promène la nuit mes tendres rêveries
Au pied du mont ſacré , ſur ces vertes prairies ;
J'aime à goûter en paix la fraicheur des ruiſſeaux ,
Etdors aubruit léger de leurs limpides eaux;
Je crois voir Thamiris , & ce divin Homère,
Qu'aveugla comme moi la fortune contraire;
Puiſſé-je par mes vers égaler leurs grands noms!
Mon ame alors s'échauffe , & s'exhale en doux fons,
Ainſi l'oiſeau plaintif, ſous un nocturne ombrage ,
De ſa douleur touchante attendrit le boccage.
Hélas ! chaque ſaiſon, tous les ans, à fon tour ,
Reviènt , mais fans jamais me ramener le jour.
Zéphir cache les fleurs de ſon haleine écloſes ,
L'automne eſt ſans raiſins , l'été pafſe ſans rofes. I
にL
Le
DE FRANCE. 25
Le filence du foir , la fraîcheur du matin ,
Le front noble de l'homme où brille un ſceau divin ,
La gaîté des troupeaux bondiſſans dans la plaine ,
Et le jeu des Zéphirs ſous une ombre incertaine ,
Hélas ! tout m'eſt ravi par un fort envieux !
Le voile de la nuit couvre mes triftes yeux.
Séparé des humains , pour moi rien ne reſpire ;
L'univers eſt un livre où je ne puis plus lire.
Rampante ſous lepoids d'un obstacle ennemi ,
Mon ame ſe conſume , & ne vit qu'à demi.
Réparemes malheurs , adorable lumière ,
Verſe ſur mon eſprit un rayon qui l'éclaire ,
Et diſpoſe ma voix aux ſecrets éternels ,
Que n'atteignit jamais l'oeil des foibles mortels.
Racine le fils a retranché les comparaiſons
de Tamiris , de Tiréſias & de Phinée , qu'il
trouve avec raiſon un peu déplacées dans
l'original. Il a retranché aulli l'apostrophe du
commencement , & débute ainſi avec plus
de rapidité.
DANS l'empire infernal trop long-temps arrêté,
J'en fors , grace au ſecours de la Divinité ,
Qui daigne foutenir mes pas & mon courage.
Je la fuis , c'eſt ſa main qui , m'ouvrant un paſſage,
M'a fait deſcendre au ſein des gouffres ténébreux ,
Etme fait remonter à cer empire heureux ,
O lumière du jour , qu'éclaire ta préſence .
Je t'approche , & déjà je ſens ton influence.
Mais inutile joie ! ô deſirs ſuperflus !
5 Janvier 1779 . B
26 MERCURE
Ames yeux affligés tu ne te montres plus.
Ils te cherchent en vain ,brillantflambeau dumonde,
Ils font plongés ces yeux dans une nuit profonde,
Cependant je parcours vos fentiers & vos bois ;
Soutenez donc mes pas, Muſes , comme autrefois
On vous vit par la main conduire votre Homère,
Illuſtre compagnon de ma longue misère.
Pleinde ſes entretiens puiffé-je , comme lui ,
Par de fublimes chants , m'illuſtrer aujourd'hui !
L'harmonieux oifeau , qui ne ſe plaît qu'à l'ombre ,
Élève ainſi ſa voix dans la nuit la plus fombre.
Tour meurt & tout renaît. L'automne tous les ans
Fait place au triſte hiver que ſuit le doux printems ;
Les Zéphirs en tous lieux ramènent la verdure :
Aux arbres dépouillés ils rendent leur parure ;
Et par l'ordre conſtant d'une agréable loi ,
Tout revient , mais le jour ne revient pas pour moi,
Fleurs , qui nous étalez vos peintures nouvelles ;
Roſes , que du matin la fraîcheur rend ſi belles ;
Vous , filles de l'aurore , éclatantes couleurs ,
Vous ne pourrez donc plus m'adoucir mes malheurs ?
Otroupeaux , que l'oeil fuit bondiſſans dans la plaine ,
Vos jeux ne pourront plus m'égayer dans ma peine!
Ou vais-je , dans ma perte étendre mes regrets,
Lorſque de l'homme , hélas ! je ne vois plus les traits ?
Je ne vois plus ce front , fiége auguſte où Dieu même
Fait briller un rayon de ſa beauté ſuprême,
DE FRANCE
.
27
Dansun affreuxnéant tout me ſemble abîmé,.
Et pour moi la Nature eſt un livre fermé.
Tandisque tout mortel à toute heure y peut lire,
Privé des doux tranſports que ce ſpectacle inſpire ,
Je n'ai plus devant moi que l'informe tableau ,
Et que le plan confus d'un ouvrage fi beau.
Étendus fur mes yeux , de funeſtes nuages
Yrefuſent l'entrée à toutes les images ;
Et du Soleil en vain j'implore le retour.
DAIGNE allumer en moi l'éclat d'un nouveau jour ,
Éternelle lumière , ô pure & fainte flamme !
Viens éclairer mon coeur , mets des yeux dans mon
ame:
Je veux , inſtruit par toi des ſecrets éternels ,
Chanter ce que jamais n'ont vu les yeux mortels.
" On trouve dans ce Poëme ( dit Racine
» le fils ) peu de comparaiſons exactes , &
>> preſque toutes font trop longues. Il faut
>> excepter celle- ci , qui eft courte & hardie ,
» par laquelle il veut peindre le trouble in-
» térieur de Satan , au moment qu'il entre
» dans le Paradis Terrestre pour perdre le
>> genre humain » .
Tour ſon forfait alors ſe préſente àſes yeux;
Il s'arrête à l'aſpect de ces aimables lieux.
Sa rage en va troubler la demeure paiſible;
Il s'émeut , & ſemblable à l'inſtrument terrible
Qui recule au moment qu'il vomit le trépas ,
Il chancèle , il héſite , & recule d'un pas .
1
Bij
28 MERCURE
Cette comparaiſon , qui nous paroît rendue
avec beaucoup d'art & de goût , ne l'eſt
pas à beaucoup près auſſi bien dans la nouvelle
traduction :
It ſent & ces combats & ces ſombres accès ,
Qu'inſpire aux criminels l'approche des forfaits.
Ainſi quand leSalpêtre enſes flancs heurtés brûle ,
Prêt à vomir la mort , le bronze ému recule.
Ces deux derniers vers ſont d'une étrange
dûreté , & malheureuſement il y en a un
très-grand nombre de ce genre dans l'ouvrage
de M. Beaulaton. Ce n'étoit pas affez
de ſe pénétrer de l'eſprit de ſon original ; il
eût fallu étudier davantage le génie de notre
langue & de notre verſification, C'eſt ſans
doute pour n'avoir point fait cette étude fi
néceſſaire , que le Traducteur qui , dans
quelques morceaux , a montré de la verve ,
tombe d'ailleurs à tout moment dans des
fautes inexcuſables , qui rebuteroient le Lecteur
, même dans un Poëme dont le fonds
feroit plus intéreſſant,
De nos eſprits l'indestructible trame
Brave l'aîle du temps & les traits de laflamme.
L'indestructibletrame eſt un hémiſtiche qui
offenſe trop l'oreille ; & comment ſe peindre
une trame qui brave une alle ? Et qu'est-ce
que les traits de laflamme?
Et les mâts que dans l'air élancent les vaiſſeaux ,
Près du ſceptre infernal ſont de foibles roſeaux.
DE FRANCE. 29
Peut-on dire que les vaiſſeaux élancent des
mâts ?
!
Il ſe tait à ces mots , & l'affreuſe grimace
Qu'un élan convulfiffurfon front ridé trace.
Tel Satan à travers vaux , monts , rocs, bois , lacs,
prés ,
Fait route de la tête , & des mains & des piés , &o
L'horreur neutre reſta dans une morne attente.
Sous un riche harnois prêts à lancer leurs atles,
Ils attendent lejour des pompes folennelles ;
L'eſprit divin les guide , un choc sûr du moment
Dans l'azur ébranlé les met en mouvement.
Il prend le compas d'or qu'un éternel deſtin
Réſervoit à tracer cet immenſe deſſein ,
L'un des pieds dort au centre , & l'autre ſe promene
Dans l'antrefombre & fourd de l'immobile plaine.
: Un ténébreux nuage
Del'abîme captif investit le repos , &c.
A
D'un air rampant &fouple 1
Je vis ſéparément s'avancer chaque couple.
Lorſque ce même Dieu tira de mon côté
Une côte, de fang encor chaude & fumante ,
>
1
Biij
30 MERCURE
Large étoit l'ouverture : une chair renaiſſante
De la plaie auffi-tôt rapprocha les parois ,
Fuis un danger trop sûr , & que mafauve -garde
Retranche ta vertu que l'abſence hafarde , &c.
Grande fut l'allégreſſe à leur chère entrevue , &c.
On croît même que Dieu de la terre excentrique
A l'aftre vertical inclina l'axe oblique.
Un bras laborieux tordit avec effort
Duglobe déplacélepéniblesupport , &c.
De-là redefcendant au fombre capricorne,
Amèneles ſaiſons fidèles à leur borne ,, &c.
i
T
Oncroiroit que l'Auteur a voulu reffuf-.
citer la langue de Chapelain, & la nature!
même de ces citations nous avertit de ne pas
les multiplier.
(CetArticle eft de M. dela Harpe ).
EXTRAIT du Traité des Maladies & des
Opérations réellement Chirurgicales de la
Bouche. A Paris , chez Valleyre l'aîné ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Vieille-
Bouclerie ; 2 vol. in-8°. avec fig. Prix,
12 liv. relié.
Les Chirurgiens - Dentistes qui ont écrir
DEFRANCE . 31
fur leur Art , n'en ont donné juſqu'à préſent
que ce qu'on peut en appeler la mechanique ,
& ils l'ont portée à un point de perfection
réelle. Mais quant à la vraie partie Chirurgicale
, il ne paroîtpas qu'ils s'en foient également
occupés. M. Jourdain ayant étudie
d'abord toutes les parties de la Chirurgie ,
ſous les plus habiles Maîtres , & dans l'Hôpital
le plus célèbre de cette capitale , s'eſt
enfin fixé ſpécialement à la Chirurgie de la
bouche & aux opérations réellement Chirurgicales
qui y font relatives . Depuis plus de
20 ans , ainſi qu'on peut s'en convaincre par
les Tomes 14, 21 , 27 , 32 & 37 du Journal
de Médecine , M. J. n'a ceffe de faire des
recherches & de s'occuper ſérieuſement des
vraies maladies & des opérations Chirurgicales
de la Bouche. Mais ces différens objets
traités ſéparément & néceſſairement élagués ,
comme l'exige le plus ſouvent la forme des
Mémoires , n'étoient que des connoiſſances
préliminaires; en un mot ,le fondement folide
d'un plus grand édifice que l'Auteur
projetoit d'élever : projet qu'il vient de remplir
dans toute fon étendue.
Le Traité des maladies & des opérations
réellement Chirurgicales de la bouche , peut
être regardé comme une. Bibliothèque choifie
& complette de tout ce qui peut avoir le
rapport le plus direct à cette branche de la
Chirurgie, noyée pour ainſi dire juſqu'à préfentdans
les connoiſſances générales de l'Art ,
& par cette raiſon même couverte d'un
ر و ا
1
Biv
32
MERCURE
voile qui ne pouvoit être levé que par quelqu'un
qui s'en occupât ſérieuſement. Ce travail,
comme on peut juger , exigeoit un
ordre clair & fuivi ; & l'entrepriſe en devenoit
d'autant plus difficile , que c'étoit une
nouvelle route à frayer. Aufſi M. Jourdain
a-t'il eu ſoin d'indiquer dans ſon Difcours
préliminaire comment on doit s'y prendre
pour étudier & connoître à fond cette branche
de la Chirurgie , qu'il regarde comme
fuffifante pour mériter à elle ſeule l'attention
de l'homme, & remplir le cours de la vie.
Il appuie fes principes des Mémoires & des
Obſervations de quelques modernes , & il
fait voir qu'il y a encore bien loin de ces
connoiffances préliminaires , ſouvent diffuſes,
mal digérées & preſque toutes marquées au
coin de l'inattention &de la précipitation ,
à ce qu'on doit eſpérer d'un travail ſuivi ,
confommé par l'expérience & la réflexion.
La théorie & la pratique devant marcher
d'un pas égaldans l'art de guérir , & fes obfervations
étant le tableau le plus vrai & le
plus frappant de l'altération ou de l'intégrité
de l'économie animale , M. J. s'en fert à
chaque point qu'il examine pour confirmer
les principes qu'il établit. En même-temps il
indique le cas que l'on doit faire de ces obſervations
, ſous quel point de vue on doit
les enviſager , & les précautions que dorvent
prendre ceux qui y ont recours pour
n'en être pas la dupe. Ce travail ne peut pas
être le fruit de la précipitation. C'eſt pour
)
DE FRANCE.
33
quoi on trouvera dans cet Ouvrage , fur les
maladies des finus maxillaires en général &
en particulier , des détails qu'on ne trouvera
point ailleurs. Les yeux , le nez , le palais ,
ſon voile , la luette , les amygdales , &c. &
autres parties correſpondantes directement
ou indirectement à la mâchoire ſupérieure ,
offrent également des détails & des obfervations
intéreſſantes , qui portent toutes les
noms des Auteurs qui ont guide M. J. dans
fon travail. Que l'on joigne à cela un nombre
d'obſervations détachées & curieuſes , mais
qui ne pouvoit pas faire corps avec l'ouvrage
même , on aura l'idée du premier volume.
Il n'appartient qu'aux maladies de la mâchoire
ſupérieure & des parties qui y correſpondent.
Le Tome II eft deſtiné aux maladies Chirurgicales
de la mâchoire inférieure & de
ſes parties relatives. Le cercle maxillaire en
général , les alvéoles , la langue , les vanules ,
les gencives , la gorge ou arrière - bouche ,
les lèvres , les joues ,&c. font autant d'objets
fur leſquels l'Auteur a eru devoir porter
une attention réfléchie. On trouve dans ce
volume , ainſi que dans le premier , des
notes , des obſervations , des differtations&
des conſultations intereſſantes. La gangrene
ſcorbutique des enfans , les lydutides des lè--
vres , les aphtes , les accidens qu'occaſionne
la fortie des dents de ſageſſe chez l'adulte ,
préfentent des détails intereſſans. Enfin l'Auteur
propoſe les moyens les plus fürs d'opé
By
34
MERCURE
rer ſuivant les circonstances. Il indique les
inftrumens les plus convenables , & il a eu
foin de les faire graver.
Cet Ouvrage eſt écrit avec ordre , avec
clarté , & même avec autant de préciſion:
que cette matière pouvoit le permettre. On
fent que l'Auteur auroit manqué ſon but s'il
cût trop abrégé certains détails , certains
exemples qui deviendroient inutiles s'ils n'étoient
fcrupuleuſement développés. Noust
croyonsque ce nouvel Ouvrage de M. J. doir
mettre le ſceau à la célébrité qu'il s'eſt déjà
acquiſe par ſes ſavantes opérations&par fes
autres écrits.
OBSERVATIONSfaites & publiéespar ordre
du Gouvernement , fur les différentes méthodes
d'administrer le Mercure dans les
maladies Vénériennes ; par M. Dehorne,
Docteur en Médecine , ancien Médecin
des Camps & Armées du Roi, & en chef
des Hôpitaux Militaires , Médecin ordinaire
deMad, la Comteſſe d'Artois, Confultant
de S. A. S. Monſeigneur le Duc
d'Orléans , Cenſeur-Royal. Chez Monory,
Libraire, rue de la Comédie Françoife.
1779.
:
LesObſervations quepréſente aujourd'hui
M. Dehorme , font les fuites & la preuve
d'un autre ouvrage qu'il a publié en 1775 *,
*CetOuvrage ſe trouve chez le même Libraire..
:
DE FRANCE.
1
35.
"
&qui a mérité l'approbation des gens de
l'Art. Le motif qui l'a déterminé à fe livrer
à ce genre de travail , a été de prouver
par l'expérience , comme il l'avoit deja fait
par le raifonnement , que ſi les differentes
méthodes d'adminiſtrer le Mercure peuvent
être toutes employées avec ſuccès , elles
doivent néanmoins être dirigées avec intelligence
, ſuivant le caractère , l'état de la
maladie & le tempérament du Malade
& qu'il ne peut y en avoir aucune qui foit
générale & excluſive. Il exiſte même des
maladies Vénériennes ſi graves , fi compliquées
, qu'une ſeule méthode , quelque bonne
qu'elle foit , ne peut ſouvent fuffire à
les guérir , & qu'il faut en combiner plufieurs
, pour en retirer quelque fruit. C'eſt
ce qui eſt amplement prouvé dans cet ouvrage
intéreſfant, dans lequel chaque méthode
eft miſe à ſa place , & combinée de
la manière la mieux raiſonnée & la plus
avantageuſe au traitement de chaque maladie.
Ces Obſervations méritent d'autant plus
d'être accueillies , qu'elles ont été faites avec
le plus grand foin & la plus grande pré .
caution , & qu'elles portent l'empreinte de
l'impartialité la plus entière ; l'Auteur n'étant
attaché à aucune méthode particulière ,
mais les adoptant toutes ſuivant les indications
priſes de la maladie & de la variéré
des ſymptômes qui la caractériſent : elles
font d'ailleurs appuyées ſur des Procès-Ver
Bvj
36 MERCURE
baux conſignés dans des regiſtres tenus avec
foin , & fur des viſites journalières , qui
justifient l'emploi des remèdes, leurs effers,
& la ceſſation ſucceſſive des ſymptômes.
La vérification poſtérieure de lafantedesMalades
qui en font le ſujet , prouve encore
misux la confiance dûe à ce travail difficile,
pour ne pas dire impoffible à entreprendre
dans toute autre circonstance que celles
⚫ où s'eſt trouvée M. Dehorne, lorsde l'établiſſement
des Maiſons de Sante, dont l'infpection
medicale lui avoit été confiée. Ce
font cependant les Obfervations de ce genre ,
qui feules peuvent affigner & fixer la juſte
valeur de chaque méthode ; celles que l'on
peut faire dans le particulier , étant de nature
, par le fecret qu'elles exigent , à ne pouvoir
jamais être rendues publiques; & les
Charlatans , qui de tous temps ont abufe de
la permiflion d'être peu délicats , en fabriquent
eux mêmes qu'ils font cadrer avec
leurs remèdes ; ce qui a jeté ſur les Obfervations
, manière de procéder en Médecine la
plus. effentielle mais la moins fufceptible
d'être dénaturée , un diſcrédit qu'il eft trèsintéreſſant
de faire tomber.. Le feul moyen
d'y réuffir , ajoute M. Dehorne, c'eſt de faire
des Obfervations , qui non feulement puiffent
être avouées , maismême être vérifiées;
&c'eſt fous ces deux points de vue , qui ne
peuvent exiffer que dans les Hôpitaux , qu'il
a entrepris de rédiger celles qu'il préſente
aujourd'hui au Public ; car il ne convient
DE FRANCE.. 37
1
1
pas , dit-il , de l'inſtruire avec réſerve , ni
d'exiger le ſacrifice de ſa confiance , ſans lui
en fournir les motifs.
En parlant des Maiſons de Santé , dont
il apprécie & détaille les avantages , qu'il
eſt peut-êtredifficile de trouver reunis d'une
manière auffi complette dans tout autre établiſſement
; le projet de celui- ci , ajoute-til,
honorera à jamais le Miniftre qui l'a
conçu , & l'on peut à peine imaginer le degré
de perfection où il étoit déjà parvenu
par les foins du reſpectable Magiftrat qui
veille à la fanté & à la confervation des Ciroyens
de la Capitale.
Cet ouvrage eſt diviſé en quatre parties :
la première contient les Obſervations fur
les Maladies Vénériennes qui ont été traitées
par une feule méthode; la ſeconde , celle
où la réunion de deux méthodes a été jugée
néceffaire ; dans la troiſième , on trouvera
les Obſervations fur les maladies où l'on a
été obligé d'employer d'abord ou fucceffivement
pluſieurs méthodes ; enfin , la quatrième
eft une expofition de quelques maladies
devenues incurables , malgré l'emploi des
remèdes mercuriels les mieux indiqués.
M. Dehorne y a joint les Obſervations de
tous les Malades qui font morts pendant le
traitement , ou à la ſuite , ou avant d'avoir
pris aucun remède dans les Maifons de
Santé ; ces dernières Obſervations font appuyées
de l'ouverture des corps , pour tirer
au moins de la mort de ces malheureufes
:
6
38 MERCURE
victimes du libertinage, des lumières propres
àen ſouſtraire d'autres àun pareil fort.
Nous regrettons de ne pouvoir entrer
dans un plus long détail; mais nous ne pouvons
qu'expoſer le plan d'un Ouvrage que
nous croyons de la plus grande utilité , &
qui ne paroît avoir été entrepris que pour
ſouſtraire , s'il eſt poſſible , les maladies
Vénériennes à l'avidité de l'Empyrifme &de
la Charlatanerie, & en établir letraitement
fur des principes auſſi développés & auffi
certains que celui des autres Maladies : c'eſt
le voeu que tout bon Citoyen doit former
avec l'Auteur de cet Ouvrage eſtimable
qui mérite la confiance
ce du Public.
&la reconnoiffan
Mappemonde Géographique & Historique ,
donnant les premières connoiffances de la
Géographie , de l'Hiftoire , des Voyages,
&c. Ouvrage rédigé pour l'éducation , par
M. Maclot , Afſocié de l'Académie Royale
des Sciences , Belles- Lettres & Arts de
Rouen , 2 vol. in- 12 . A Paris , chez l'Au
teur , rue Saint André-des-Arts , preſque
vis-à-vis la rue de l'Eperon, maiſon du Marchand
Drapier; & chez Gueffier &Ruault,
Libraires , rue de la Harpe , & Defnos ,
Libraire, rue Saint-Jacques. Prix 3 livres
12 fols broché.
Nous avons parcouru avec plaifir cet
Ouvrage élémentaire ; il nous a paru fore
V
)
DE FRANCE. 39
méthodique , & très-propre à rappeler d'une
manière claire & preciſe à tous les âges , ce
que I on a appris ou dû apprendre dans la
première jeuneſſe. M. Maclot , qui enſeigne
depuis long-temps avec ſuccès l'Hiſtoire &
la Géographie dans pluſieurs penfions de
Paris , l'a compofé dans le deſſein de mettre
entre les mains de fes Elèves un Livre qui
les aidât à retenir les leçons qu'il leur donne...
Il a uni d'une manière heureuſe & agréable
l'Hiſtoire & les Voyages à la Geographie.
En décrivant les quatre parties du Monde ,
les Continens & les Ifles , les Mers & les
Rivières , les Empires, les Provinces & les .
Villes , la ſituation , la température & les
productions de chaque contrée , il donne
une première idée de la fondation des différens
Etats , de leur Gouvernement , & des
moeurs de leurs Habitans. Il ſuit les Navigateurs
dans leurs voyages & leurs expéditions
, & ſemble faire avec eux des decouvertes
, fonder des Colonies , former des
établiſſemens. Les phénomènes que préſentent
la terre & l'eau dans les divers climats ,
n'échappent point à ſes obfervations. La
forme du globe terraquée , ſa peſanteur &
fes mouvemens , la peſanteur ſpécifique des
corps qu'il contient , l'aimant , la bouſſole,
les volcans , &c. Les mouvemens de la mer,
les marées , les courans , les glaces, les vents
&tous les autres météores de l'air , ſe trouvent
remarqués & expliqués comme en
voyageant. Ces notions de Phyſique , très
3
40 MERCURE
bien afforties à celles de la Sphère , complettent
cette nouvelle Géographie , dont le
fuccès doit répondre aux ſoins & aux connoiſſances
de l'Auteur.
ACADÉMIES.
EXTRAIT du Mémoire lu à la rentrée publique
de l'Académie des Sciences , par M.
Vicq d'Azyr, fur l'organe de l'ouie des
oiſeaux , comparé avec celui de l'homme ,
des quadrupèdes, des reptiles & des poif
fons.
APRÈS avoir expoſe d'une manière ſuccinte la
ſtructure de l'organe de l'ouie , conſidéré dans
l'homme , que l'on peut regarder comme le modèle
le plus parfait , M. Vicq d'Azyr a décrit le même
organe confidéré dans les oiſeaux ; il a démontré,
dans des figures deſſinées de grandeur naturelle , les
plumes qui environnent le conduit auditif, la membrane
du tympan, la cavité qui porte le même nom ,
cinq ouvertures qu'il y a apperçues , un petit offelet
à plaque , un tiffu réticulaire offeux , très - étendu
, un conduit qui tient lieu de trompe d'Eustache,
trois conduits demi- circulaires , un conduit droit ,
la naiſſance des nerfs auditifs , & deux ouvertures
très- étroites &rapprochées , qui leurdonnent paffage
dans l'Autruche. Ces différentes parties font peu
exprimées , eu égard au volume de l'animal ; dans
la Chauve-Souris, la ſtructure eſt là même que celle
des quadrupèdes. L'Auteur compare enfuite l'organe
de l'ouie des oiſeaux avec celui des autres aniDE
FRANCE. 41
maux qui en ſont pourvus , & de ce tableau de
comparaiſon il tire les réſultats ſuivans , que l'on
peut regarder comme des loix générales , relatives
à ce point de Phyſiologie.
10. L'exiſtence des oſſelets , fi elle n'eſt pas effentielle
, eſt au moins très-utile pour la perception
des fons , puiſqu'on les trouve, fans aucune exception,
dans tous les animaux ſuſceptibles d'entendre.
Mais il n'eſt pas néceſſaire qu'il y en ait pluſieurs
, puiſqu'un ſeul ſuffit aux oiſeaux & aux
reptiles.
20. Il eſt également démontré que les conduits
demi-circulaires font une partie effentielle à l'organe
de l'ouie , puiſqu'ils exiftent dans tous les animaux
où cet organe a éré apperçu & bien décrit.
3º. Enfin le limaçon, qui eſt particulier à l'homme&
aux quadrupèdes , n'eſt pas indiſpenſablement
néceſſaire aux fonctions de l'oreille interne , puiſque
les oiſeaux qui en ſont dépourvus entendent trèsbien.
Il y a apparence, dit M. Vicq d'Azyr , que le
limaçon forme avec les conduits demi - circulaires
dans chaque oreille , un double inſtrument compoſé
de deux parties très - diftinctes , dans leſquelles la
perception des fons ſe fait ſéparément, mais avec
des rapports déterminés , ce qui doit ajouter à la
ſenſibilité & pour ainſi dire à l'intelligence de l'organe.
Ne pourroit - on pas , continue-t-il , d'après ces
réflexions , confidérer le fens de l'ouie fous un double
point de vue ? Premièrement, par rapport aux
parties eſſentielles à ſa ſtructure , qui font une membrane
, au moins un ofſelet , des conduits demicirculaires
, & une pulpe nerveuſe ; ſecondensent, par
rapport à ſes parties acceffoires , qui font la conque ,
le conduit auditif interne , pluſieurs ofſelers , des
muſcles , la corde du tympan ,& fur-tout le lima-
১
42 MERCURE
çon. Ainfi les animaux dans lesquels on a démontré
cet organe , peuvent être diviſés en deux claſſes.
Lesuns réuniſſent en effet toutes les parties qui le
conſtituent , les autres ont ſeulement celles que nous
avons dir y être effentielles. L'homme & les quadrupèdes
doivent être rangés dans le premier ordre ;
outre que les oiſeaux ſont à la tête du ſecond , on
peut encore ajouter qu'ils ont les parties eſſentielles
à l'organe de l'ouie , les ſeules dont ils ſoient pour .
vus, beaucoup plus développées que l'homme & tous
les autres animattx ; de forte que le ſens de l'ouie
des oiſeaux eft auffi parfait qu'il eſt ſimple ; & jufqu'à
ce que l'on ait déterminé avec plus d'exactitude
Puſage de la lame ſpirale du limaçon qui leur manque,
on ne pourra rien de plus précis fur la place
qu'il convient de leur affigner.
EXTRAIT du Mémoire de M. Bucquet,fur
la marche& les progrès de la chaleur dans
differens fluides , lu à la rentrée de l'Academie
des Sciences , du 14 Novembre. )
3
i
N ſait que les différens fluides expoſés à un
même degré de chaleur , ne s'échauffent pas auſſi
promptement les uns que les autres . Le Chancelier,
Bacon , MM. Boerhaave &Muſchenbrock ont penſé
que les fluides s'échauffoient en raiſon de leur denfité.
M. de Buffon , qui s'étoit affuré par l'expérience
que les folides s'échauffoient en raiſon de leur
plus oumoinsgrande altérabilité par le feu, & non pas
en raiſonde leurdenfiré, avoitpenſé que les fluides ne .
ſuivoient pas davantage cette loi de la denſité
mais celle de leur fluidité ou de leur plus ou moins
ود
c
DEFRANCE.
43
grand éloignement à la ſolidité. Le Docteur Martine
avoit tenté quelques expériences qui paroiffoient
également prouver que les fluides ne ſuivoient pas
la loi de leur denſite ; mais il n'avoit déterminé aucune
autre loi .
M. Bucquet a fait , conjointement avec M. Lavoifier
, une ſuite d'expériences ſur différens fluides
chauffés avec la plus grande précaution , dans
les vaiſſeaux clos & dans les vaiſſeaux ouverts , &
il réſulte de ces expériences pluſieurs vérités . :
1º . Les fluides ne s'échauffent pas auffi promptement
les uns que les autres , & la chaleur ne les
pénètre pas également , mais elle est très - rapide,
dans les premiers inſtans , puis elle ſe rallientit de
plus en plus , & fouffre même ſur la fin d'aſſez' /
grands arrêts dans ſa marche , obſervés par M.
Muſchenbroek. Le mercure eſt le ſeul fluide que
la chaleur pénètre ſans éprouver d'arrêt dans ſa
marche , ce qui le rend plus proprequ'aucun utre
fluide à la conftruction des thermomètres
ainſi que l'avoit remarqué M. de Lue.
2°. Les fluides ne s'échauffent point en raiſon de
leur denfité , puiſque des fluides très - pefans s'échauffentplus
vite que des fluides très-légers , &que
des fluides très-légers ſont plutôt échauffes que des
fluides d'une denſitémoyenne.
3º. Les fluides ne s'échauffent point en raiſon de
leur fuſibilité , ou de leur éloignement à la ſolidité,
puiſque le mercure , qui ſe congèle plus facilement
que l'efprit-de-vin & l'éther , s'échauffe cependant
plus promptement que ces deux fluides.
4°. Les fluides ne s'échauffent ni en raiſon det
leur volatilité , ni en raiſon de leur combustibilité
Il paroît à M. Bucquet, que la chaleur qu'on applique
àun fluide, ſe combine avec lui , dela même
manière que le font toutes les combinaiſons chy
44
MERCURE
miques. L'union des deux ſubſtances qu'on combine
eſt d'abord très-rapide , & ſe rallentit à meſure que
la ſaturation s'acheve.
Enfin , MM. Bucquet & Lavoisier ont remarqué
que les fluides qu'on chauffoit en vaiſſeaux ouverts,
ne parvenoient qu'à quelques dégrés de la température
du milieudans lequel ils étoient plongés ,&que
la différence qui ſe trouvoit entre le fluide chauffé
& le milieu environnant , dépendoit de la plus ou
moins grande évaporabilité du fluide ; car les liqueurs
les plus fixes , comme le mercure & l'eau
mère de nitre , s'échauffent également en vaiffeaux
clos & en vaiſſeaux ouverts , tandis que le contraire
a lieu pour l'eſprit-de-vin , l'alkali volatil & l'éther.
On donnera dans un autre Mercure, la notice
des Eloges de MM. Haller & Malouin , par M.
leMarquisdeCondorcet , lus tous deux dans cette
même Séance.
LA
SociétéDramatique de Naples.
A reſtauration & la perfection du Théâtre Italien,
négligé depuis ſi long-temps pour l'Opéra , ont
dû exciter quelquefois l'attention des Princes de
cette belle & heureuſe Contrée , qui continue de
jouir de la paix au milieu des ſecoufles violentes
dont l'Europe eſt preſque perpétuellement agitée.
Lepremier établiſſement formé pour cet objet, eft
dû à S. A. R. l'Infant Duc de Parme, qui en 1770 1
fondaun Prix de 100 ſequins pour les meilleures Tragédies
ou les meilleures Comédies qu'on préfentcroit
àla Commiffion nommée par l'Académie de Parme
pour les examiner ; juſqu'à préſent on n'a couronné
quedes Tragédies & des Drames ;ce qui prouve que
DE FRANCE.
45
:
labonne Comédie n'eſt pas moins négligée en Italie
qu'en France.
Le nouvel établiſſement qu'on vient de faire dans
le même genre à Naples , a pour but la réforme
du Théâtre. Le plan n'en fauroit être plus vaſte ,
puiſqu'il embraſſe les Théâtres de toute l'Europe en
général, comme ceux de l'Italie en particulier. Il a
été conçu& rédigé par D. François de Sangro , des
Princes de San-Severo ; comme il intéreſſe toutes les
Nations , & en particulier la Françoiſe , on nous
ſauragré d'entrer dans quelques détails.
Cet établiſſement porte le nom de Société
Dramatique ; elle est compoſée de huit Députés
Nobles , d'un Secrétaire , des Gens de Lettres
les plus diſtingués , qui doivent avoir une connoifſance
particulière des Langues Étrangères , & d'un
grand nombre de Subalternes. Elle eſt préſidée par
de Prince de Francavilla , Directeur de l'Académie
Royale des Belles-Lettres.
L'objet unique de cette Société eſt la perfection ,
&fur-tout la correction du Théâtre en général. Elle
recevra toutes les Tragédies & les Comédies nouvelles
, écrites en Italien oudans les Langues Étrangères
, que l'on voudra lui faire paſſer de toute l'Europe.
Elle les examinera avec attention ; & celles
qui aurontété jugées les meilleures , obtiendront un
Prix de 200 ducats cours de Naples.
,
Les Pièces couronnées ſeront repréſentées par
des Compagnies choifies d'Amateurs fur un
théâtre particulier qu'on conſtruira pour cet effet
devant le Palais Royal. Trois fois la ſemaine
on jouera alternativement une des Comédies &
une des Tragédies couronnées. Les Pièces Françoifes
feront données dans leur langue originale ;
les autres Pièces Étrangères feront traduites en Ita..
lien.
Tel eſt le plan général de cette Société Drama46
MERCURE
tique; il annonce néceſſairement une multitude de
détails particuliers , relatifs au concours , aux vues
de la Société , aux conditions qu'elle impoſe , &c.
elle ſe propoſe de les publier inceſſamment , &nous
nous emprefferons de les traduire auſſitôt qu'ils nous
feront parvenus.
SPECTACLES.
:
CONCERT SPIRITUEL.
LES Concerts qu'on a donné la veille &
le jour de Noël au Château des Tuileries ,
ont attiré un grand nombre de perſonnés
de tous les états. Cn y a exécuté pour ouverture
, deux ſymphonies , l'une de Bach
&l'autre de Hayden , dans lesquelles l'Or-
-cheftre s'eſt diftingué par la préciſion , par
la vigueur , & fur-tout par l'art de phrafer,
qui commence enfin à s'introduire parmi nos
Muficiens.
Le Concerto decors-de-chaſſe , exécuté le
Jeudi par M. Léopoldo - Colle ; celui de
violon , par M. le Févre; celui de harpe',
parM. Krumpholtz, ſembloient moins faits
pour émouvoir , que pour étonner le petit
-nombre des connoiffeurs. Les trois Concertos
du lendemain , exécutés ſur la clarinette,
parM. Baer; fur le violon, par M. Capron';
&fur le violoncelle , parM. Duport , étoient
DE FRANCE.
47
dans le même genre ; il en faut néanmoins
excepter MM. Duport & Krumpholtz , dont
les compoſitions , quoique ſavantes & hériffées
de paſſages difficiles , conſervoient
encore une mélodie appréciable , & faite
pour plaire aux oreilles non-exercées , ainfi
qu'à celles des Savans.
Le Directeur de ce Concert , M. le Gros ,
qui cherche tous les moyens de le rendre
chaque jour plus intéreſſant , doit fans doute
gémir de ne pouvoir déterminer la plupart
des Virtuoſes à ſuivre ſon exemple , c'eſtà-
dire , à imiter la belle ſimplicité de fon
chant dans leur muſique inſtrumentale. La
fimplicité, le naturel, ne font-ils donc pas
lecomplément de la perfection , le caractère
diftinctif des chef-d'oeuvres en tous genres ?
N'y a t'il point de milieu entre les airs du
Pont-neuf& ces pièces de bravoure , dont le
Public ne ſaiſit ni les détails , ni l'enſemble ?
Depuis vingt ans il ſe plaint des Virtuoſes ,
qui , au lieu de chant , s'obſtinent à lui faire
entendre des batteries infignifiantes , des arpegiovariés
à l'infini, des roulades éternelles
&monotones ; lieux communs ſurannés ,
parures bifarres & fuperflues, qui remuent
l'organe de l'ouie , fans jamais pénétrer jufqu'au
fiége des paſſions , & qu'on eft toujours
tenté de comparer à ces vieux monumens
d'architecture gothique,furchargés d'ornemens
auffi ridicules , aufli déſagréables
pour les yeux que pour la raiſon. Sont-ce
les Muficiens qui doivent nousaſſervir à
MERCURE
:
১
48 leurs caprices ? Le Public fait la loi à l'Opéra,
à la Comédie Italienne , à la Comedie Françoiſe;
il la donne aux Peintres , aux Sculpteurs
, aux Architectes , & même aux Gens
de Lettres: pourquoi , dans les Concerts ,
n'auroit-il pas le même empire fur les Mufisiens
? Qu'un joueur de clarinette ſoutienne
une cadence pendant 160 ſecondes ; qu'un
joueur de violon raſſemble 80 triples croches
fous un ſeul coup d'archet ; que fa main
faſſe des fauts périlleux , comme un danſeur
de corde; ſi ces tours de force ne tendent
point au but de l'Art; ſi , loin de plaire , ils
fatiguent , & réveillent des ſentimens pénibles
, ne ſommes-nous pas en droit de les
profcrire ? Et les joueurs d'inſtrumens ne
doivent-ils pas enfin renoncer à un genre
qui n'a d'autre mérite que la difficulté
vaincue ?
Quelle différence entre les ſenſations fri- voles de tous ces concertos , & les mouvemens
impétueux & varies qu'a produits l'ora- zorio de M. Goſſec ? Un ſujet analogue à la fête du jour ; un ſtyle plein de grace & de majeſté ; d'étonnans effets d'harmonie ; les
plus heureuſes combinaiſons d'inſtrumens , leur mêlange avec des voix qui tour-à-tour imitoient le chant du roflignol & les rou- lemens du tonnerre ; le choeur des Bergers qui figuroient dans l'orchestre , & celui des
Anges qu'on ne voyoit point , mais qu'on entendoit dans un lointain immenfe : cette
eſpèce de dialogue entre les habitans de la
terre
DE
FRANCE.
49
terre d'une part , & les habitans des cieux
qu'oncroyoit raffemblés ſur un nuage-: l'air
d'unNoëlque leCompoſiteur avoit ſu placer
au milieu de ce grand & riche tableau , ont
porté l'illuſion & l'intérêt au degré le plus
léduiſant pour le public, & le plus flatteur
pour M. Goffec. Mademoiſelle Duchâteau,
MM. Moreau & le Gros , y ont exécuté les
principaux rôles.
La célèbre Madame Todi a parfaitement
chanté dans les deux concertos , differens airs
Italiens; celui du Signor Maio,qu'on avoit annoncé
comme un phénomène , aparu froid &
un peu vague. Cet effet vient peut-être de ce
qu'on l'avoit trop exalté dans l'affiche.
SPECTACLES GRATIS.
Les trois Spectacles de la capitale ſe font
empreſſes de témoigner la part qu'ils prenoient
à l'heureux événement qu'a célébré
toute la France ; & l'on fait que leur uſage
dans ces occafions , eſt de donner une repréſentation
gratuite , qui eſt une eſpèce de fête
populaire.
Les Comédiens François ont donné , le
Mardi 22 Décembre , Zaïre , Tragédie de
Voltaire , & le Florentin, Comédie en un
Acte & en vers , de la Fontaine. Les curieux
vont aſſez volontiers à ces fortes de
fêtes , obſerver quelle impreſſion produiſent
les chef-d'oeuvres des Arts & de l'imagina
5 Janvier 1779. C
so
MERCURE 1
tion ſur une multitude ignorante & groffière.
On remarque affez ordinairement que
fon jugement eſt raiſonnable ſur les effets
&fur l'enſemble ; & l'on a tort d'en être
étonné. Ces hommes fans inſtruction , ont
un coeur tout comme d'autres. Ils s'attendrifſent
ſans raiſonner , &jouiffent du plaifir
qu'on leur donne, fans chercher à s'en rendre
compte. D'ailleurs la plupart des hommes
ont naturellement le ſens droit, quand
il n'eſt pas corrompu par la paſſion ou le
préjugé.
Il ne faut pas s'étonner non plus du filence
qu'ils obſervent à un Spectacle très-nouveau
pour eux ; c'eſt l'intérêt de la curioſité. La
Tragédie de Zaïre a produit un très-grand
effet fur le peuple de Paris , comme elle le
produira fur tous les peuples policés. Les rôles
ont été remplis par MM. Brizard , la Rive ,
Monvel , Dorival , & Mlle Sainval cadette ;
& les talens des Acteurs n'ont pas été moins
fentis que le mérite de l'Ouvrage. La petite
Pièce a été jouée par MM. Courville & Florence
, & par Mlles Luzy , le Liévre & la
Chaſſaigne : elle a fait beaucoup de plaiſir.
Avant & après le Spectacle , les Figurans
des Ballets de la Comédie Françoiſe ſe font
mêlés avec les Charbonniers&les Poiffardes ,
&ont formé des danſes , animées par le plaifir&
la gaîté. Enſuite on a fervi du vin fur
le théître , les Comédiens ont verſé à
boire, & l'on a crié vive le Roi.
Le lendemain , Mercredi , 23 , l'Académie
Royale de Muſique donna Caſtor & Pollux ,
DE FRANCE.
51
I
Tragédie-Opéra en cinq Actes , de Bernard
&Rameau ,&laChercheuſe d'eſprit, Ballet-
Pantomime .
Onpeut imaginer quelle ſurpriſe & quelle
admiration a dû faire naître la pompe de ce
ſpectacle , le plus magnifique de l'Europe , la
richeſſe des habits , la magie des décorations.
Les premiers ſujets de l'Opéra ſe font furpaſſes
dans le jeu &dans le chant , & cependant
l'effet général de l'ouvrage a été mé-
•diocre. L'Acte des Enfers eſt celui qui a eu
le plus de ſuccès. Au cinquième Acte , le
moment où Télaïre s'évanouit dans les bras
de Caſtor aux éclats du tonnerre , fut vivement
fenti , & cauſa un intérêt général. Cet
Acte fut terminé par le choeur d'Iphigénie
en Aulide , chantons , célébrons notre Reine ,
&c. Le peuple , qui avoit d'abord regardé
ce choeur comme la conclufion de l'ouvrage
qu'il venoit de voir, eut à peine entendu le
premier vers , qu'il témoigna , par des cris
de joie & des applaudiſſemens ſans fin , qu'il
avoit ſaiſi l'application. Il l'entendit avec
enthouſiaſme , & le redemanda de même.
On l'exécuta uneſeconde fois , & il cauſa des
tranſports auffi vifs qu'à la première.
MM. le Gros , Larrivée , Gelin , Durand ,
Lainez , Moreau ; Meſdames Joinville , Châteauvieux
, le Vaſſeur , ont redoublé de foins ,
de zèle & de talens à cette repréſentation, la
mieux exécutée que nous ayons encore vue
depuis la repriſe de Caftor.
LaChercheuſed'Eſprit , qui n'avoit point
Cij
2 MERCURE
:
été affichée , & que les premiers ſujets de la
danſe ſe proposèrent de repréſenter impromptu
, ſous le bon plaiſir & à la grande
fatisfaction de M. le Directeurdel'Académie ,
a été fortgoûtée&fort applaudie,& l'on doit
obſerver quepasune des expreſſions de laPantomimen'a
étéperdue pour les Spectateurs.
Nous avons déjà parlé ailleurs de ce Ballet
charmant , exécuté par MM. d'Auberval &
Gardel,&Mlles Guimard , Peflin &Dorival.
Au moment où l'on imprime cet Article ,.
les Comédiens Italiensn'ont pas encore donné
leur gratis ; nous en parlerons dans le prochainMercure,
ainſi que de l'Amant Jaloux ,
Comédie en trois Actes & en Proſe , mêlée
d'Ariettes, par M.d'Hell,miſe enMuſique par
M. Grétry , donnée pour la première fois le
Mercredi 23 du même mois , avec beaucoup
de ſuccès, & dont les repréſentations font interrompues
par la maladie d'une des plus intéreſſantes
Actrices du Théâtre Italien , Mde
du Gazon.
SCIENCES ET ARTS.
OBSERVATIONS fur un événement qui
intéreſſe l'Histoire Naturelle ;parM. L. C.
de, :
P
LUSIEURS Phyſiciens & Naturaliſtes ont ſoupçonné
que le phénomène de la végétation des plantes
&celui de lamultiplication des animaux avoient le
werne principe ; c'est-à-dire , que la chaleur viviDE
FRANCE.
53
fiantedu Soleil influoit également ſur les deux règnes
de la nature les plus intéreſſans.
Des expériences multipliées ont appris qu'une chaleur
artificielle peut quelquefois ſuppléer à celle du
Soleil , pour faire végéter , dans les climats glacés du
globe, des plantes qui ne ſembloient deſtinées
par la nature qu'à exiſter ſous les zones brûlantes
duMidi.
L'arbre à café , le tamarin , le papayer , l'ananas ,
le bambou, le monbain, &c. &c. &c. ſe trouvent
dans nos ferres chaudes ; mais on n'avoit point encore
employé la chaleur artificielle pour faire prodaire,
dans nos contrées , des animaux qui vivent
fous la ligne; & perſonne ne s'étoit encore aviſé
d'avoir une ferre chaude pour des animaux étrangers
, comme on en a pour les plantes exotiques.
M. leMarquis de Néelle eſt le premier,que nous,
ſachions,qui ſe ſoit propoſé directement ce but ; &
ſa première expérience , dont nous allons rendre
compte, a été fi heureuſe qu'il projette de la répéter
plus en grand ſur différentes eſpèces d'animaux
étrangers , dans un emplacement qu'il a fait
arranger exprès.
Il vient donc d'ouvrir une nouvelle carrière , qui
nepeut pas manquer d'enrichir l'Hiſtoire Naturelle
&la Phyſique , de pluſieurs faits nouveaux ; & tous
les hommes qui s'intéreſſent au progrès des Sciences ,
ainſi que ceux qui les cultivent , verront fans doute,
avec plaisir qu'il exiſte un grand Seigneur , dont
les amuſemens vont devenir utiles.
Monfieur le Marquis de Néelle , après s'être
procuré à grands frais deux petits animaux dur
Bréfil , mâle & femelle , de l'eſpèce que M. de
Buffon a nommée Ouiſtiti * , Edward, Cagui-mi-
*M. de Buffon a donné le nom de Ouiſtiti àl'eſpèce
Ciij
54
MERCURE
nor * , & que Ludolph défigne ſous le nom de
Fonkes-Guereza ** , les a mis , au mois de Février
1778 , dans un cabinet expoſé au Midi & chauffé
parunpoële , dont la chaleur imitant celle du pays
natal de ces animaux , étoit indiquée par plufieurs
thermomètres placés en différens endroits
du cabiner.
Cette chaleur a été conſtamment depuis 30 juſqu'a
35 degrés du thermomètre de Réaumur; c'est-àdire
, que pour imiter la nature autant qu'il eft
poffible à l'Art , on entretenoit la chaleur à 30 degrés
pendant la nuit , & 35 pendant le jour. Ces petits
animaux avoient , outre cela pour retraite dans le
cabinet, un panier d'ofier doublé de peaux de mouton.
La chaleur ne tarda pas long-temps à agir fur
les petits Ouiſtitis , & malgré le froid de la ſaiſon
on s'apperçut qu'ils étoient en amour , & qu'ils
cherchoient à s'en donner des preuves. On les furprit
deux fois ſans que la préſence de l'Obſervateur
les înquiétât ni les dérangeât. Ils font reſtés dans le
cabinet, à la chaleur qu'on vient d'indiquer , jufqu'au
mois de Juin , que M. le Marquis de Néelle
fut obligéde partir pour Rouen , y rejoindre le régiment
qu'il commande ; mais ne voulant point
confier àd'autres l'expérience dont il commençoit
d'eſpérer un heureux ſuccès , la chaleur de l'été
étant d'ailleurs très -favorable , il prit la réſolution
d'emporter avec lui le petit ménage dont il s'étoit
fait le directeur. On les établit dans une cage à perd'animal
qu'Edwards nomme Cagui-minor , à cauſe du
ſonarticulé qu'il fait entendre toutes les fois qu'il donne
de la voix. Hiſtoire Naturelle , Édit, in- 12 . Tome 7 ,
page 332 .
* Edwards- Glanurs , page 1s , fig. ibid.
** Ludolph , Hiſtoire d'Éthiopie ou d'Abyſſinje
page 18 , traduct. Ang.
DE FRANCE.
55
roquet; & comme le temps étoit fort chaud , ils
n'ont point été incommodés du déplacement ni du
voyage.
Leur nourriture ordinaire , dès leur établiſſement
dans le cabinet , ainſi que pendant la route , a toujours
été des fruits , des biſcuits ſecs ou mouillés dans
de l'eau , quelquefois un oeuf dur , & ſouvent un oeuf
à l'eau ou au lait.
Enfin le 15 de Juillet ils revinrent à Paris avec
M. le Marquis de Néelle ; on les établit alors dans
un cabinet de glace , dont l'expoſition eſt au Nord,
& dans lequel il y a des ſtores que l'on tire plus
ou moins ſuivant le degré de lumière ou d'obſcurité
qu'on defire. Ces animaux grimpoient le longdes
rideaux , & ſe tenoient affez conſtamment fur le
haut des ſtores , d'où ils ne deſcendoient que pour
prendre leur nourriture & ſe promener de temps en
temps.
Vers le 20 d'Août , on apperçut ſur le dos des
deux petits Ouiftitis un être vivantencore plus petit ,
&dont la reffemblance la plus prochaine étoit celle
d'un léfard. Ce fut-là le premier indice qu'on eut de
la fécondité de ces animaux.
On remarqua que le père & la mère recherchoient
la chaleur du Soleil pour y expoſer les nouveaux
nés. Pour cet effet , ils ſe ſuſpendoient par
les pattes aux montans des glaces , & préſentoient
aux rayons du Soleil leur dos , où étoient cramponnés
leurs petits.
--Les nouveaux nés ſe tenoient toujours ſur le dos
de leur père ou de leur mère ; quelquefois ils ſe
mettoient tous les deux ſur le même ; d'autres fois
ils ſe ſéparoient , & chacun d'eux portoit le ſien. Ils
avoient beau ſauter à des diſtances afſez éloignées
grimper & deſcendre avec beaucoup de vivacité ,
les petits n'en étoient point dérangés , & reftoient
toujours attachés ſur eux.
,
Civ
56 MERCURE
Ces deux petits individus ſont venus au monde
fans aucun poil ; ils ſont reſtés affez long-temps dans
cet état; maisdès l'inſtant que le poila commencé
de croître , il eſt venu très-vîre : d'abord il étoit
brun, &enfuite il s'eſt éclairci. Ils n'ont têté que
pendant l'eſpace de deux mois , au bout deſquels le
père& la mère les ont ſevrés , & les ont accoutumés
petit à petit à ſe paſſer d'eux. La mère a été
la première à s'ennuyer des ſoins qu'elle leur rendoit;
elle les obligeoit de la quitter par les coups
de patte qu'elle leur donnoit lorſqu'ils étoient à
portée de ſon épaule; & lorſqu'ils ſetrouvoient au
milieu de fon dos , & qu'elle ne pouvoit les at
teindre , elle ſe rouloit pour les obliger de changer
de place , & de ſe mettre à portée de ſes pattes ;
alors elle les battoit à fon aiſe , & les arrachoit de
deffus elle.
Dans ces circonstances oragcuſes , le père prenoit
le parti des opprimés , battoit la mère à fon tour ,
&chargeoit ſes deux enfans ſur ſondos.
On pouvoit aifément juger , par les différens cris
du père , de la mère & des enfans , qu'il y avoit
de grandes tracafferies dans le ménage. Ces cris
étoient affez forts pour qu'on les entendit de trèsloin.
}
Lorſqu'ils ont été ſevrés , le père a ceffé d'être
leur protecteur , & la mère leur a marqué plus de
foins , parce que ſans doute ils lui étoient alors
moins incommodes.
En général , ces animaux paroiſſent mettre beaucoup
d'intelligencedans la manière dont ils ſoignent
leurs petits.
Ily aune circonstance de leur naiſſance qui eſt
affez fingulière , c'eſt que la femelle de l'Ouiſtiti ,
avant de mettre bas , n'a cherché aucun emplacement
, ni fait aucuns préparatifs , comme la plupart
des femelles des autres animaux , qui , dans defem-
V
DE FRANCE.
17
blables circonstances , préparent des nids , font des
amas de mouſſe , de laine , de duvet , de poil ,
même aux dépens de leur propre fourrure. Celle-ci
amis bas ſur le ſtore où elle avoir établi précédemment
ſon domicile ; & ce qu'il y a de plus fingulier
encore , d'eſt que les nouveaux nés ſe foient trouvés
, à l'inſtant même qu'ils ont vu le jour, ſur le
dos de leurs père & mère. Comment y ont-ils grimpé
? C'eſt ce qu'on ignore , perſonne n'ayant été à
même de l'obſerver. Ce qu'il y a de certain , c'eſt
que l'emplacement pour les couches étoit d'autant
moins commode , que le ſtore eſt cylindrique & d'un
très-petit diamètre.
Il étoit fi difficile de ſe tenir ſur ces ſtores , que
le père & la mère ayant voulu, au bout de trois ſemaines,
apprendre à leurs petits à marcher ſeuls dans
des endroits périlleux , les abandonnèrent un moment
ſur le haut du ſtore : les petits jetterent des
cris de peur très-lamentables : il y en eut un qui
tomba & reſta comme mort ; on accourut , & on
lui donna du ſecours : le père & la mère au défefpoir
jettèrent des cris aigus. Le premier defcendit
avec colère, & ſe jeta ſur la perſonne qui tenoic
ſon petit: comme celui-ci avoit repris ſes ſens par
les fecours qu'on lui avoit donnés , il le chargea
far ſon dos& l'emporta ſur ſon ſtore.
:Les jeunes Ouiſtitis ont actuellement trois mois
&demi ; ils mangent ſeuls , ſe portent à merveille
&ne grimpent plus ſur le dos de leurs père & mère
que pour ſe raſſurer contre les objets qui les effrayent.
Édwards , cité par M. de Buffon , prétend qu'il y
aun exemple qu'un Sanglin ( Ouiſtiti ) a produir
des petits en Portugal , d'où il conclut que cetre
eſpèce d'animal pourroit peut-être ſe multiplier dans
les contrées méridionales de l'Europe : mais il y a
fi loinde la température du Portugal à celle dePa
Cv
58 MERCURE
ris , fur-tout pendant l'hyver * , que cet exemple
n'affoiblit point le mérite de l'expérience de
M. le Marquis de Néelle , & ne diminue en rien la
fingularité du réſultat.
Il eſt vrai que depuis cette époque , on a répandu
dans le public qu'il y avoit eu à Paris ( on ne cite
pas l'année ) une femelle de Sanglin qui y avoit
mis bas , & dont les petits n'avoient pas vécu 5
mais on ne fait pas au juſte ſi cette femelle n'étoit
pas pleine en arrivant dans ce pays - ci , &
toutes les apparences ſont pour l'affirmative : on
fent combien cette circonstance rend intéreſſante ,
pour les Naturaliſtes, l'expérience de M. de Néelle ;
car il s'agiſſoit de ſavoir fi les animaux des Pays
chauds pouvoient s'accoupler & produire dans un
elimat tempéré , & fi , par la chaleur artificielle
ou pouvoit fuppléer, pour cette opération de la nazare
, à la température de leur pays natal.
5
Cette idée eſt ſans doute très heureuſe & trèsbelle,
& elle fait honneur à celui qui l'a conçue. Il
eſt certainement plus louable à un grand Seigneur
de s'occuper de choſes utiles à la ſociété & aux
progrès des Sciences naturelles , comme M. de
Néelle ſe propoſe de le faire , que de ſe livrer aux
frivolités , & d'entretenir à grands frais & par oftensation
des équipages de chafſe , ſouvent auſſi ennuyeux
pour ceux qui les ont , qu'onéreux aux
malheureux habitans de la campagne , dont les
chaffeurs & le gibier dévaſtent les guérets.
Ceux qui voudront prendre une idée de l'eſpèce
d'animal dont on vient de parler, doivent confulter:
* La plus grande chaleur de Lisbonne eſt à la plus
grande chaleur de Paris , à peu-près comme 30 eft à 4.3 .
La latitude de Lisbonne eſt de 38 ° 42′.
Celle de Paris eft de : • 48 50.
:
DE FRANCE.
9
les ouvrages de MM. de Buffon & Daubenton ,
Article Ouiftiti ; tout ce que ces deux grands Naturaliſtes
en diſent , eft conforme en tout point
aux individus actuellement vivans que nous avons
fous les yeux.
VARIÉTÉS.
LETTRE en réponse à celle que M. le
Chevalier de Prunay a écrite à M. de la
Harpe,& qui a été inférée dans le Mercure.
dus Décembre.
Vous êtes bien bon , Monfieur le Chevalier
, de vous occuper de la défenſe deM.
de la Harpe , qui fait fi bien ſe defendre luimême
& attaquer. Croyez que s'il avoit
jugé la critique inférée dans le Journal de
Paris mal fondée , il n'eût point laiſſe à d'autres
le plaifir de confondre ſon auteur.
Si vous aviez conſulté le Dictionnaire de
l'Académie Françoiſe , les Obfervations de
cette même Académie ſur Vaugelas , les Remarques
de l'Abbé d'Olivet fur Racine , les
Principes de la Langue Françoiſe de l'Abbé
Girard, & bien d'autres Grammairiens , vous
auriez vu que croître est toujours un verbe
neutre. Quelques vers d'un grand Homme
ne font pas autorité dans une difcuffion
Grammaticale ; & ceux que vous citez de
Racine prouvent ſeulement que le génie dédaigne
de s'aſſervir à certaines règles ; on le
lui pardonne aisément , quelquefois même
:
1
Cvj
60 MERCURE
avec plaifir ; mais il n'a pas moins commis
une faute.
L'autorité de M. de la Harpe , comme
Membre de l'Académie Françoiſe , & comme
Littérateur très - eſtimé , peut être de quelque
poids : ſon ſentiment peut influer fur
celui de bien des gens , même inſtruits ; fes
fautes ne ſont donc pas indifférentes , &
vous ne devez pas penſer qu'une critique
faiteà unMembrede l'Académiefoit déplacée.
Quand elle eſt juſte , on doit en ſavoir gré
à celui qui l'a faite , & l'en féliciter , non
parce qu'il trouve un homme de mérite en
faute, mais parce qu'il détruit une erreur qui
auroit pu s'accréditer.
Votre Lettre , Monfieur , inférée dans le
Mercure dus Décembre , eſt d'autant plus
capable d'induire en erreur , qu'elle est appuyée
d'une note qui ſemble lui imprimer
le ſceau de la vérité ; cependant , Monfieur ,
peſez mes autorités , & jugez vous-même.
Le Dictionnaire de l'Académie Françoiſe
ne dit pas que le verbe croître ſoit quelquefois
actif; & ne pas le dire , c'eſt certainement
affirmer le contraire ; ſi cela ne vous
paroît pas bien certain , lifez ſes Obſervations
fur Vaugelas , vous y verrez :
• Croître eſt un verbe neutre , & M. de
Vaugelas a eu raiſon d'appeler licence la li
» berté que M. de Malherbe s'eſt donnée
>> de le faire actif; ainſi on ne doit l'em-
>>ployer qu'au neutre dans la poefię même ».
Cette obſervation eſt claire; elle décide,
DE FRANCE. 61
je crois , entièrement la queſtion ; M. de la
Harpe ne récuſera point cette autorité.
Lifez encore la Remarque de l'Abbé d'Olivet
, ſur le même vers de Racine que vous
citez; c'eſt un Académicien , & de plus , un
excellent Grammairien. Il dit :
" Aujourd'hui croître n'eſt que verbe neu-
>> tre, foit en profe , foit en vers; mais il a
>> été long-temps permis aux Poëtes de le
>>faire actif».
Je crois inutile de vous citer les autres
Grammairiens. Vous voyez affez , Monfieur ,
qu'il n'y a plus moyen de faire actif le verbe
croître , & que c'eſt réellement une faute
contre la Langue , même en poésie.
Si l'amour du vrai vous anime plus que
l'eſprit de parti qui bouleverſe aujourd'hui
tous nos principes , & fi votre intention n'a
éré que de détromper le public , vous devez
convenir que M.de la Harpe a cru pouvoir ,
l'imitation de nos grands hommes du ſiècle
dernier , ſe permettre une faute; mais qu'il
ena commis une en faiſant actif le verbe
croître.
J'ai l'honneur d'être , &c .
RÉPONSE.
M. de la Harpe n'a jamais attaqué les
Journaliſtes de Paris , & n'a jamais defendu
fes Ouvrages contre eux en aucune manière :
permis à eux de penfer ou d'avoir l'air de
penſer que c'eſt par impuiffance de les con
62 MERCURE
fondre, ou par reſpect pour leurs profondes
connoiffances & pour leur impartialité. 11
eſt ſi éloigné de les attaquer, qu'il a retranché
de la Lettre de M. le Chevalier de
Prunay , tout ce qui étoit écrit contre eux &
en fa faveur.
Il a répondu quelquefois ſur des faits
particuliers , principalement fur des queftions
de Grammaire , parce que les faits
peuvent être réduits en démonftration , &
qu'une diſcuſſion de ce genre n'eſt point
une querelle d'amour-propre. S'il prévient
aujourd'hui la réponſe que pourroit faire M.
le Chevalier de Prunay , c'eſt pour ne pas re
venir une troiſième fois dans un autre Nº. à
une queſtion ſuffiſamment éclaircie.
Il étoit très-inutile de prouver fort au
long ce que tout le monde fait , & ce que
perſonne ne conteſte , que le verbe croître
eft neutre. La reſſource de ceux qui ont
tort , eſt de s'écarter du point de la queſtion.
Il s'agiſſoit de prouver que l'uſage établi en
poéſie par nos plus grands maîtres , de déroger
à la loi générale dans ce cas , comme
dans beaucoup d'autres , n'étoit pas une autorité
fuffifante. Or , non-feulement Corneille
, mais Racine , Auteur claſſique , ont
fait actif le verbe croître , & lui ont donné
un régime ; M. de Voltaire les a approuvés ,
& a dit dans ſon Commentaire ſur Corneille
: " Il me ſemble qu'il eſt permis en
„ vers de dire croître mes tourmens , mes
» ennuis , mes douleurs , mes peines, &c. » .
DEAFRANCE. 63
C'eſt au Public à juger ſi l'exemple de Corneille
, de Racine, de Voltaire ne fuffit pas
pour nous autorifer à ces fortes d'exceptions
à la règle, qui font un des privileges de la
poéſie.
M. le Chevalier de Prunay a eu raiſon de
dire que la critique des Journaliſtes de Paris
étoit déplacée; elle l'étoit par le fonds & par
la forme : 1. parce qu'on y traitoit de folléciſme
une phrafe autoriſée en poéfie par
les modèles les plus reſpectables. 2 °. Parce
qu'on y diſoit , du ton d'un maître qui régente
un écolier : un Membre de l'Académie
devroit favoirfa Langue ; il devroit favoir
que le verbe croître n'a point de régime. Or ,
il étoit d'autant plus déplacé de ſuppoſer
cette ignorance , que c'étoit le Critique luimême
qui ignoroit que nos plus grands Écrivains
avoient dérogé en poéſie à cette loi
que perſonne n'ignore ; car s'il l'avoit fu , ou
il n'auroit pas donné cette leçon très-gratuite
, ou il auroit foutenu que les exemples
contraires ne preſcrivent point contre la
règle. Il le ſoutient aujourd'hui, & il veut
qu'on lefélicite de ſa critique. Il n'y a qu'une
manière de l'en féliciter , c'eſt de lui dire :
Corneille, Racine & Voltaire ont penſé que
le verbe croître pouvoit avoir un régime en
poéſie ; vous prétendez qu'ils ont eu tort , &
que vous en lavez plus qu'eux fur la Langue
Françoife ; il ne nous manque que de vous
connoître , afin d'oppoſer votre nom au
nom de ces trois grands hommes, & d'éclai -
64 MERCURE
rer ceux que leur autorité pourroit induire
en erreur.
GRAVURES.
ULYSSE enlevant le fils d'Andromaque , Eſtampe
d'environ treize pouces de haut , ſur onze de large ,
gravée par M. Schmuzer , d'après le deſſin de S. A. R.
le Prince de Saxe-Teſchen.
Les ſujets puiſés dans la Mythologie fourniffent
fouvent des caractères vigoureuſement prononcés,
qui ſervent à développer les paſſions , & à les exprimerdans
toute leur énergie. Le ſujet de cette eſtampe
eneſt ſur-toutune preuve: Ulyſſe enlève Aftianax à
ſa mère ; d'une main il repouſſe Andromaque , &de
l'autre lui ravit ſon fils. La tendreſſe maternelle ſemble
donner à la veuve d'Hector de nouvelles forces
pourdéfendre ce fils , & l'arracher des bras du raviffeur.
Aftianax effrayé regarde ſa mère , & ſemble
implorer ſon ſecours. On trouve dans cette belle
compoſition beaucoup de vérité , de mouvement &
d'expreffion; mais ce qui contribue encore à rendre
cet ouvrage intéreſſant , e'eſt qu'il eſt exécuté, en
gravure, d'après le deſſin d'un Prince cher à fa
Patrie, dont il eft la gloire & l'appui ; cher aux Arts
qu'il protège avec goût& difcernement , & qu'il cultive
lui-même d'une manière diftinguée , comme un
noble délaſſement de ſes travaux militaires.
Onconnoît le burin libre , hardi , pur&brillant
de M. Schmuzer , Auteur de cette Eftampe. Cenou
veau fujer ne peut qu'ajouter encore à la réputation
de l'Artiste , qui a fait hommage de cette gravure à
S. A. R. l'Archi-Ducheffe de Saxe Teſchen. Le taDE
FRANCE. 65.
bleau original , peint par le Calabrois, eſt au château
de Presbourg. L'Eſtampe ſe trouve à Vienne , chez
Auteur , Graveur de la Cour ; & à Paris , chez M.
Aliamet, de l'Académie Royale de Peinture , rue des
Mathurins, vis-à-vis la rue des Maçons. Prix 6 liv.
Rivage près de Tivoli , gravé d'après M. Vernet ,
parM. Aliamet ,Graveur du Roi & de Leurs Majestés
Impériales &Royale. Prix 6 liv.
CetteEſtampe, qui a vingt pouces de long , préfente
non-feulement une marine , des vaiſſeaux à la
voile ſur pluſieurs plans , un vaiſſeau dans le port,
undébarquement ,une pêche, mais encore des antiquités
, des ruines , des rochers , une fontaine , un
grand nombre de figures qui ont beaucoup d'expref
fion. Le talent du Peintre & celui du Graveur font
déjà ſi connusdans le public , qu'il ſuffit pour l'éloge
de cette eſtampe de dire que c'eſt ici une de leurs
productions.
Carte Topographique de l'Isle de la Dominique,
levée en 1773 , traduite de Langlois. A Paris 1778 ,
chez le Rouge , Ingénicur-Géographe du Roi ,rue
desGrandsAuguſtins. Prix, 1 liv. 10 ſols.
:
CetteCartemanque dans les meilleurs Atlas..
MUSIQUE.
Observations fur l'Alto-viole , ou Deffus de
viole monté en haute-contre par M. Lendormy.
1
L'AUTEUR de ces Obfervations a compoſé &
arrangé pour ce nouvel inſtrument différentes pièces
, qu'il a publiés ſous le titre de Mélanges d'Airs
choisis , Ariettes , &c. pour être exécutés en folo ou
66 MERCURE
avec la Baffe , par un Alto-viole , ou par l'Alto,
précédés d'observations fur l'Alto-viole , & fur la
maniere dejouer cet Instrument.
Le Ier Recueil de ces airs , avec les Obſervations ,
ſe trouve aux Adreſſes ordinaires de Muſique. Prix ,
3 liv. 12 fols.
L'abondance des matières ne nous a pasppeerrmmis
d'inférer en entier , dans ce Journal , les Obſervations
ſur l'Alto-viole * , que l'Auteur nous a adrefſées
depuis long - temps ; nous allons en donner
un extrait.
Le corps de cet Inſtrument eſt le même que celui
du Deffus de Viole , & il a des Touches comme
celui-ci, mais il en diffère par le nombre de ſes cordes,
&par la manière dont il eſt accordé.
Le Deſſus de Viole a fix cordes , qui font, en
commençant par la plus baſſe , ré, fol , ut , mi ,
la , ré , accordées , comme on voit , par quartes ,
excepté la corde mi , qui eſt à la tierce d'ut ; au lieu
que l'Alto-viole , avec moins de cordes , a un ton de
plus d'étendue du côté du bas. Ses cordes font ut ,
Sol, ré , fol, ut , les premières s'accordent par
quintes , & les deux extrêmes par quartes.
Entre les divers avantages qui réſultent de cet
accord , & de la fuppreffion d'une corde , pour la
qualité du fon de l'Inſtrument , on a encore celui de
pouvoir , au moyen de l'ut d'en-bas , jouer la Partie
* 11 feroit à ſouhaiter qu'on déſignât ce nouvel Inftrument
par un autre nom. Celui d'Alto- viole a trop de refſemblance
avec le mot Italien Alto-viola , qui eſt le nom
proprede l'Inftrument , qu'on appelle fimplement aujourd'hui
Alto. Mais puiſqu'on a ainſi abrégé le mot Altoviola,
qui eft-ce qui affurera que dans moins de cinq
fix ans , on n'abrégera pas de même celui d'Alto-viole ?
On n'aura donc plus alors que le mot Alto pour défigner
un Inftrument à Touches , & fait comme une Viole , ou
un Inſtrument fans Touches , & fait comme unViolona
DE FRANCE. 67
1
de l'Alto , qu'on fait être devenue une partie ſouvent
très- intéreſfante depuis quelque temps , ce qu'on ne
peut faire avec le Deſlus de Viole, borné au par en bas.
Le Recueil d'Airs que vient de publier l'Auteur ,
prouve d'ailleurs qu'on joue des Pièces ſur cet Inftrument
& il affure que les Ariettes , ainſi que les
Chants tendres & affectueux , y font le plus grand
effet.
,
Cet Inſtrument paroît convenir particulièrement
aux femmes , ſoit par la douceur de ſes ſons , la
facilité que lui procure ſon accord , foit encore par
la manière de conduire l'Archet & de tenir l'InGtrument
, qui eſt la même que pour le Par-deſſus
de Viole. Ses principes ſont également les mêmes ;
ainſi les perfonnes qui jouent du Par-deſſus ſeront
bientôt en état dejouer de l'Alto-viole.
Pour ce qui regarde la manière de fixer le ton
ſur cet Inſtrument , comme il n'a point de corde
la , on le monte ſur le ſol , & l'on a pour cela deux
fol , l'un au grave , l'autre à l'aigu , ſelon la nature
des Inſtrumens dont on prend le ton. L'Auteur- remarque
dans ſes obſervations que l'Alto -viole ſe
morte auſſi haut que l'on veut , & que peu d'inftrumens
fariguent moins les cordes que celui-ci ,
avantage qu'on n'a point avec le Par-deſſus de Viole,
qu'il eſt biendiffffiicciillee d'aſſortir de Chanterelles qui
puiffent ſe monter au très-haut des Concerts d'aujourd'hui.
:
د
Méthode de Harpe , pour apprendre ſeul , &
en peu de temps , à jouer de cet inftrument , avec
un principe très-ſimple pour l'accorder ; par M. Corbelin
, Elève de M. Patouart fils , dédiée à MademoiſelleClaudine-
Louiſe d'Eſtampes deMauny. Prix,
12 liv. A Paris , chez l'Auteur , Place S. Michel,
maiſon du Chandelier ; au Cabinet Littéraire , Pont
Notre-Dame; chez Naderman , Luthier , rue d'Ar
68 MERCURE
genteuil , Butte S. Roch ; Mademoiselle Caſtagnery ,
rue des Prouvaires ; à Versailles , chez Blaiſot , Libraire
de la Reine , rue Satory , & aux Adreſſes ordinaires
de Muſique.
Le ſuccès de la méthode de Guittare , qu'a publiée
M. Corbelin il y a deux ans , avoit fait defirer qu'il
s'occupât à travailler pour d'autres inſtrumens ; la
Harpe, cet inſtrument ſi harmonieux , devenant tous
les jours plus à la mode , avoit fait naître un préjugé
qui effrayoit la plupart des Amateurs ; c'étoit
l'idée qu'il étoit très-difficile à apprendre. Manquant
de méthode qui contînt des principes faciles à faifir ,
cet inſtrument , cher par lui-même , avoit encore
contre lui la cherté des Maîtres , ſouvent moins oc
cupés du ſoin de bien enſeigner, que de celui de paroître
habiles à exécuter des difficultés. L'Auteurde
l'Ouvrage que nous annonçons voulant détruire un
préjugé fi nuiſible au progrès de l'art , & applanir les
difficultés qui paroiſſoient inſurmontables pour bien
des perſonnes , a diſpoſe ſon travail d'une manière
trèsfimple ; les principes clairement expoſés ne fatiguentpoint
l'attention ; l'explication étant toujours à
côtéde l'exemple, l'écolier mené, comme par la main ,
ſe trouve conduit à la connoiſſance de la choſe ſans
preſque s'appercevoir du travail. L'intelligence qu'on
exigepour travailler avec ſuccès ſur cette méthode, ſe
réduit , comme le dit l'Auteur dans l'Introduction ,
cc à ſavoir lire la Muſique ſur la clef defol& fur la
>> clef de fa , encore cette dernière s'apprend-elle
>> par l'Ouvrage même ; à pouvoir faifir le ſens des
>> mots que l'on lit; enfin à avoir l'envie d'apprendre
» & la patience de ſuivre pas à pas les principes con
>> tenus dans l'ouvrage 2. Cette méthode eſt diviſée
en deux parties , la première traite de la connoiffance
engénéralde l'inſtrument & des principes pour
jouer les accompagnemens , & contient pour leçons
de jolis airs avec accompagnement ; la feconde par
DE FRANCE. 69
tie contient les principes néceſſaires pour jouer ces
pièces deHarpe ,& pour leçons de jolis pièces de facile
exécution.
Journal d'Ariettes Italiennes , des plus célèbres
Compositeurs.
Ce Journal ſera compofé chaque année de 24
Ariettes. La baſſe ſera ſous le chant avec la traduction
Françoiſe des paroles Italiennes. Les parties
ſeront gravées ſéparément.
Il paroîtra deux Ariettes au commencement de
chaque mois , à compter du premier Janvier 1779 ;
elles ſeront livrées exactement à chaque époque. Le
prix de l'Abonnement ſera de 36 liv. pour Paris , &
42 liv. pour la Province , franc de port. Ceux qui
ne feront point abonnés payeront chaque Ariette
48 fols.
On ſouſcrit à Paris chez le ſieur Bailleux , Marchand
de Muſique ordinaire du Roi & de la Famille
Royale , rue S. Honoré , vis-à-vis celle des Bour
donnois , à la Règle d'or , & chez les principaux
Marchands de Muſique de l'Europe.
Journal de Muſique pour le Ciftre , ou Guittare
Allemande , par M. Pollet l'aîné.
Ce Journal eſt compoſé de quatre Recueils chaque
année , qui paroiſſent de trois mois en trois mois ;
chaque Recueil , de 24 planches in-folio , contient
les Ariettes les plus jolies , avec accompagnement
de Ciſtre , des airs variés pour le Ciftre ſeul , & une
Sonate , ou un Duo pour le même inſtrument.
Leprix de l'abonnement eſt de 16 liv. pour Paris ,
& de 18 liv. pour la Province , franc de port. On
ſouſcrit à Paris , chez l'Auteur , Cloître S. Merry ,
maiſon de M. Gerbet.
70 MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
VoOrFAGEfaitpar ordre du Roien 1768 & 1769, à
différentes parties du monde , pour éprouver en mer
les horloges marines , inventées par M. Ferdinand
Berthoud ; première Partie , contenant , 1 ° . le Journal
des horloges marines , ou la ſuite de 14 vérifications
, ſervant à apprécier la régularité de ces machines
ſous différens points de vue , relativement au
divers uſages auxquels on peut les employer. 2°. Le
Journal de la navigation , dans lequel ſont expofés
tous les ſecours que les horloges ont fournis pour
affurer la navigation , & perfectionner la Geographie:
d'où fuit un examen critique de pluſieurs
cartes publiées au dépôt des Plans & Journaux de la
Marine , avec une carte générale de l'Océan occidental
,&des cartes particulières des Iſles Canaries ,
du Cap- vert & des Açores , dreffées ſur de nouvelles
obfervations. Seconde Partie , contenant 1 ° .
le Recueil des obſervations aſtronomiques faites dans
le cours de l'épreuve , tant à la mer qu'à terre ; leurs
réſultats , & pluſieurs tables générales relatives à ce
travail ; 2 ° . Un appendice dans lequel font renfermées
diverſes inftructions ſur la manière d'employer
les horloges marines à la détermination des
longitudes , auxquelles on ajoint tous les modèles de
calculs , quelques méthodes pour trouver la latitude
en mer , avec un Recueil de tables uſuelles. Publié
par ordre du Roi , par M. d'Eveux de Fleurieu , de
l'Académie Royale de Marine & de celles des
Sciences , Belles-Lettres & Beaux-Arts de Lyon , 2
vol. in-4°. A Paris , de l'Imprimerie Royale ; & fe
,
DE FRANCE.
71
trouvent chez Mérigot le jeune , Libraire , au coin de
la rue Pavée. Prix , reliés en veau 32 liv.
Code Ecclésiastique , ou Collection des Capitulaires
, Ordonnances , Edits , Lettres-Patentes &
Déclarations de nos Rois , depuis le règne de Clovis
jusqu'à celui de Louis XVI ; touchant la Juridiction
de l'Eglise de France & les Affaires Ecclésiastiques ;
Par Meſſire Jacques des Lacs d'Arcambal , Abbé de
Candeil, Vicaire-Général du Diocèſe de Bazas. Propolé
par Souſcription .
La Souſcription eſt de 10liv. pour chaque volume
en feuilles.
On payera 15 liv, en recevant le premier , & on
ne payera que s liv. pour le dernier.
Le ſecond volume paroîtra au mois de Juin 1779 .
Il contiendra la ſuite des Ordonnances de nos Rois
juſqu'à François I. On aura ſoin de dire , autant que
cela ſera poſſible , les motifs & les circonstances
qui ont déterminé ces Ordonnances , l'époque de leur
enregistrement , & les modifications que les Cours
Souveraines y ont apportées ; en un mot, on ne négligera
rien pour rendre cette Collection utile &
( complette.
On foufcrira chez B. Morin , Imprimeur-Libraire ,
rue S. Jacques , à la Vérité.
Jezennemours , ou Histoire d'une jeune Luthérienne,
par M. Mercier. 2 vol. chez Mérigot le
jeune, Quai des Auguſtins.
OEuvres mêlées de Madame de Puifieux , avec
lePortrait de l'Auteur , pour ſervir de ſuire à ſes
autres Ouvrages , propoſées par Souſcription aux
mêmes conditions indiquées dans le Profpectus du
mois de Mars dernier. On ſouſcrit chez la Veuve
72 MERCURE
Ducheſne , Libraire , rue S. Jacques , Mérigot le
jeune , quai des Auguſtins , & chez Madame de
Puifieux .
Recherches fur les Volcans éteints du Vivarais &
du Velay, avec un Diſcours ſur les volcans brûlans ,
des Mémoires analytiques ſur les Schorls , la Geozite
, le Bafalte , la Pouzzolane , les Lavis , ornées
de planches. A Grenoble , chez Cachez , & àParis ,
chez Nyon aîné, Libraire , rue S. Jean-de-Beauvais,
in-folio.
Les Chef-d'oeuvres Dramatiques de M. de Voltaire
, 3 vol . in 12. 1779. A Paris , chez la Veuve
Duchêne , Libraire , rue S. Jacques.
Mémoires concernant l'Histoire , les Sciences, les
Arts , Les Moeurs , les Usages , &c. des Chinois ,
par les Miffionnaires de Pekin ; Tome IV. A Paris ,
chezNyon l'aîné , rue S. Jean-de -Beauvais .
Description de la Lorraine & du Barrois , par
M. Durival l'aîné. Tome Premier. A Nancy , chez
la Veuve Leclerc , Imprimeur de l'Intendance ; à
Paris, chez Gogué & Née de la Rochelle , Libraires ,
rue du Hurepoix , près le Pont S. Michel , 1778 .
in-4° . Prix à Nancy 5 liv. de Fr. broché; & à Paris
6 liv.
Cet Ouvrage, promis depuis long-temps , aura
trois volumes , dont celui-ci eſt le plus petit. Il eſt
précédé d'un Avertiſſement où on parle des Auteurs
qui ont écrit ſur la Géographie du pays , une Carte
géographique est placée à la fin du premier Tome.
Nousdonnerons un Extrait de cet Ouvrage intéreſſantdans
un des Mercures ſuivans .
Voyez lafuite des Annonces fur la Couverture.
JOURNAL
20
TABLEAU POLITIQUE
DE L'EUROPE , 1778 .
LE ſpectacle qu'offre aujourd'hui l'Europe ne
ſauroit être plus impoſant. Le feu de la guerre qui ,
au commencement de l'année , menaçoit de l'embraſer
ſur trois points à la fois , a éclaté dans quelquesuns.
On a vu des armées en campagne , d'autres
prêtes à y entrer , & les Princes ſpectateurs occupés
non moins férieuſement dans leurs cabinets .
La politique générale , toujours fubordonnée aux
intérêts particuliers des Puiſſances prépondérantes ,
achangé avec ces intérêts . De nouveaux évènemens
ont amené un nouvel ordre de choſes. L'influence
reſpective des uns fur les autres doit être ſaiſie au
moment de ſes effets. Le ſyſtême de cette année ,
qui n'étoit plus celui de la précédente , changera
peut-être encore dans le cours de cele où nous
entrons. Notre objet , à la fin de chacune , eſt de
marquer ces variétés à meſure qu'elles ſe ſuccèdent
, & d'eſſayer d'en indiquer les cauſes.
La révolution de l'Amérique , où la liberté réfugiée
, pourſuivie par un deſpotiſme mal-entendu ,
s'est réveillée au bruit des chaînes qu'il traînoit
après lui , a occupé l'Europe attentive à ſes efforts
dès l'inſtant qu'elle a pris les armes. C'eſt cet évènement
prévu depuis long-tems , mais regardé dans
un avenir encore éloigné qu'a rapproché l'injuftice ,
qui a donné une première impulfion aux mouvemens
politiques des cabinets de l'Europe.
Le premier intérêt des Nations étoit d'affoiblir
l'Angleterre , qui s'arrogeant l'empire des mers ,
tiranpiſoit le commerce de toutes , en attendant
l'occaſion de l'envahir. Le ſecond étoit d'occuper
la Ruſſie , qui des extrémités du Nord , tend ſans
$ Janvier 1779 . D
( 74 )
ceſſe à s'étendre ſur le reſte de l'Europe ; prête à
faire la guerre parce qu'elle y voit ſon avantage ;
n'ayant rien à perdre puiſqu'elle est toujours la
maitreſſe de ſe retirer dans ſes déſerts immenfes ,
où l'on n'ira point l'attaquer , & qui ne peuvent
tenter la cupidité ; ayant enfin tout à gagner , puifque
la moindre conquête lui procureroit ce qu'elle
cherche , des ſujets qui lui manquent , des contrées
qui , par leur ſituation , augmentent ſon influence
politique , & par leurs climats & leur fol , fes
productions , ſon commerce & ſes richeſſes .
Cet intérêt avoit ouvert à Conſtantinople ces
négociations fourdes & fecrettes , qui , en gagnant
pluſieurs membres du Gouvernement , inſpiroient
au Divan le deſſein de revenir ſur un traité humiliant
qui avoit terminé une guerre malheureuſe.
La conduite de la Porte , au milieu des diviſions
qu'on faifoit naître , montre affez qu'elle agiſſoit
par une impulfion étrangère : inſtrument tantôt rebelle
, tantôt ſoumis à la politique d'autrui , elle
n'oppoſoit que de la lenteur à l'activité des Rufſes
, qui remarquant ſon incertitude & ſon état
paſſif à travers la hauteur , faifoient paſſer des
troupes en Crimée , y fortifioient leur parti , tandis
qu'on diſputoit ſur ſon indépendance. La Ruſſie ſe
préparant à la guerre & négociant à la fois pour
la prévenir , sûre de n'être point inquiettée en
Europe , d'où elle n'ignoroit pas que partoient les
intrigues qui faiſfoient mouvoir les Turcs , s'étoit
ménagée des reſſources pour les accabler , en les
faiſant attaquer par les Perfans . La mort de Kerim-
Chan déconcertant ſes deſſeins en Afie , pouvoit
rendre ſes ennemis plus redoutables , lorſque
de nouveaux évènemens arrivés en Europe
favoriſé les négociations qu'elle n'y perdoit pas de
vue. Les Puiſſances mêmes qui remuoient les Ottomans
& les pouſſoient aux armes , ont eu beſoin
d'elle ; elles ont trouvé un nouvel intérêt à faire
ſa paix , & elles l'ont négociée au moment où
,
ont
( 75)
la guerre allumée par elles alloit éclater. Les démelés
de la France & de l'Angleterre avoient peut-être
influé ſur les réſolutions du Divan ; l'éclat de ces
mêmes démêlés , & fur-tout les diviſions de l'Allemagne
paroiffent avoir amené ce changement ; & la
mort de l'Electeur de Bavière a imprimé un nouveau
mouvement aux intrigues des cabinets.
L'alliance de la Maiſon d'Autriche & de la Pruſſe ,
formée par l'intérêt , n'a dû ſubſiſter qu'autant que
cet intérêt. Dès qu'il s'en eſt préſenté de nouveaux,
qui ne leur ont pas été communs , elles ſont devenues
ennemies. Liées enſemble pour ſeconder la Ruffie
dans le projet de donner des loix à la Pologne , &
d'en partager les dépouilles , elles ſe ſont diviſées au
ſujetde la ſucceſſion de Bavière.
Depuis long-tems on prévoyoit qu'à l'extinction
de la branche Guillelmine , la réunion de la Bavière
au Palatinat , arrêtée par les pactes de famille faits
dans les deux Maiſons qui deſcendent d'une tige
commune , affurée par le traité de Westphalie , garantie
par pluſieurs Puiſſances , troubleroit le repos
de l'Allemagne. Le feu Electeur Maximilien- Joſeph
n'ignoroit pas les prétentions que formeroit la Mai.
fon d'Autriche ; il connoiſſoit les forces formidables
dont elle pouvoit les appuyer. La liaiſon qui ſubſiftoit
entr'elle & la Pruſſe ne lui donnoit pas de confiance
en la protection de cette dernière , qui ayant
auſſi des droits ſur Berg & fur Juliers , les feroit
ſans doute valoir à ſon tour , lorſque cette ſucceſſion
ſeroit ouverte. Ces prétentions reſpectives pouvoient
ſervir à cimenter l'union des deux Cours ,
que de nouvelles vues d'acquiſition & de partage
auroient infailliblement conciliés. L'exemple de la
Pologne étoit récent. Ces allarmes étoient fondées
en vraiſemblance ; mais des meſures particulieres ,
priſes à ſon inſu dans ſa famille même , ont dérangé
ſes ſpéculations , & rompu les liens qui uniſſoient
les deux Puiſſances redoutées. Pendant qu'il cherchoit
à en prendre avec ſon Héritier & fes Agnats
D 2
( 76 )
les plus proches , pour aſſurer l'indiviſibilité de ſa
fucceffion , qu'il rejettoit conſtamment les propofitions
de la Maiſon d'Autriche ; de ſon vivant ,
fon Héritier même étoit entré en négociation avec
cette Maiſon , & la convention qu'il conclut avec
elle fut ſignée le 3 Janvier , quatre jours après que
l'Electeur de Bavière eut fermé les yeux. La partie
de fon héritage que l'Electeur Palatin cédoit pour
conſerver le reſte , fut auſſi-tôt occupée par des
troupes Autrichiennes.
Cette entrepriſe fixa l'attention de l'Europe. La
plupart des Puiſſances parurent la juger préjudiciable
aux intérêts généraux & à l'équilibre de l'Allemagne.
Celle- ci la regardoit comme contraire à la
Bulle d'or , au traité de Westphalie , aux droits de
la Maiſon de Wittelſpach , aux priviléges des Etats
de Bavière , que l'héritier n'avoit pu démembrer ,
puiſque tout Prince ufufruitier de ſes Etats , ne
peut céder ni aliéner ce qu'il doit conſerver à ſes
Succeffeurs .
Pendant que l'Empire diſcutoit ces grandes queftions
, les Princes particulièrement intéreſſés expofoient
leurs droits. L'Electeur de Saxe , en qualité
d'héritier allodial , par le droit que ſa mère lui a
cédé ; le Duc des Deux-Ponts , comme le plus proche
Agnat de l'Electeur Palatin ; le Duc de Mecklembourg
prétendant au Comté de Leuchtemberg ,
réclamèrent contre la convention du 3 Janvier. Le
Roi de Pruſſe voyant d'un oeil jaloux l'agrandiffement
de la Maiſon d'Autriche , déjà fi puiſſante ,
craignant pour l'équilibre de l'Allemagne , a paru
pour protéger l'opprimé , & ce fait n'eft pas le
moins intéreſſant que préſente cette révolution .
:
L'Electeur Palatin qui n'avoit pas prévu cet appui
, s'eſt trouvé dans une poſition délicate. Trop
foible pour réſiſter à la Maiſon d'Autriche , il a
cédé; & lorſque le Roi de Pruſſe s'eſt déclaré , ſoit
qu'il fût convaincu des droits de l'Empereur , ſoit
qu'il n'ait pas ofé revenir ſur ce qu'il avoit fait ,
( 77 )
il a demandé à être neutre dans la diſpute dont il
eſt l'objet , & a paru pencher dès le premier pas à
ſe joindre à celui qui ſemble le dépouiller , contre
celui qui le défend.
Il ne nous convient point d'examiner la convention
du 3 Janvier & ſa justice ; fi elle a été faite
également & de bonne-foi entre un Prince puiſſfant
&armé & un Prince qui ne l'étoit pas ; fi la force
d'un côté & la crainte de l'autre ne ſont entrées
pour riendans la négociation. Les manifeſtes reſpectifs
font entre les mains de tout le monde ; le procès
ſediſcute publiquement ; en attendant les armes vont
en décider.
Les forces de l'Empereur & du Roi de Pruſſe ,
entretenues conftamment ſur le pied le plus formidable
, ſembloient n'attendre pour agir que l'occafion
& un ennemi ; au premier ſignal on les a
vues raſſemblées enBoheme & fur lleess frontières
de ce Royaume , où les deux Souverains , ſuivis
de l'appareil le plus impoſant & le plus hoftile ,
ont donné deux fois à l'Europe le ſpectacle fingulier
& peut-être nouveau de négocier les armes
àla main. Les hoſtilités commencées en Juillet ,
ſuſpendues en Août , par de nouvelles négociations
qui n'eurent pas plus de ſuccès que les premières ,
furent bientôt repriſes. Le Roi de Pruſſe & le
Prince Henri pénétrèrent ſucceſſivement en Bohême,
l'un par la Siléſie & l'autre par la Luface. Ce
dernier déconcertant ſes ennemis en feignant de
tomber dans le piége qu'ils lui tendoient , & de
prendre par le Cercle de Saltz une route qu'on eût
peu diſputée , parce qu'elle l'auroit conduit dans
une partie de la Bohême où l'Elbe l'eût ſéparé du
Roi ſon frere , rétrograda tout-à-coup vers la Saxe ,
& par une marche hardie , à travers des chemins
qu'on jugeoit impraticables , & qu'aucune armée .
n'avoit franchis avant lui , parut & s'établit dans
le Cercle de Leutmeritz . Les deux armées Pruffiennes
, placées par ce moyen ſur la rive droite du
D 3
( 78 )
1
fleuve , devoient avoir plus de facilité pour agir
de concert , & pour ſe joindre ſi cela devenoit nécefſſaire.
Ce plan qui portoit le feu de la guerre au
milieu du pays ennemi , & dont l'exécution avoit
commencé avec tant d'éclat , n'a pas eu tous les
ſuccès qu'il ſembloit promettre. La défenfive la
plus ſçavante en a arrêté les effets , & la campagne
entière s'eſt paffée ſans combats déciſifs ; elle
s'eſt bornée à des marches & à des mouvemens
dans lesquels les chefs ont donné les preuves les
plus brillantes des plus rares talens. L'Empereur
& le Maréchal de Laudohn ont fu contenir juſqu'à
la fin deux armées formidables , commandées par
les deux premiers généraux de l'Europe , qui n'ont
pu les foorrcceerr à &qui ont fini par évacuer
la Bohême. L'Europe a retenti des éloges que
les gens de guerre ont donnés à leurs retraites ;
ils ne doivent pas moins d'admiration à la conduite
de ceux qui les y ont forcés.
,
:
Pendant que les armées Pruffienne & Saxone
font entrées dans leurs quartiers d'hiver en Saxe
&en Siléfie , le Roi de Pruſſe , dont l'activité infatigable
brave l'intempérie des Saiſons , au fortir
de la Bohême , a tranſporté le théâtre de la
guerre dans la Siléſie Autrichienne , d'où il menace
la Moravie. Etabli dans la première de ces Provinces
, il a tenté de pénétrer dans l'autre ; le froid
le plus rigoureux n'a pas toujours ſuſpendu ſes
opérations ; & les hoftilités fréquentes , entrepriſes
chaque fois qu'il a cru pouvoir le faire avec
avantage , équivalent peut- être à une campagne
d'hiver ; elles préparent du moins à l'activité de
celle qu'il ouvrira au Printems prochain avec de
nouvelles forces que lui a procurées la révolution
arrivée dans les affaires du Nord , fi la déclaration
& les ſecours de la Ruffie n'amènent pas la
paix à la ſuite de nouvelles négociations .
Ces grands démêlés , dans leſquels tous les
Princes de l'Empire ſemblent former le même
( 79 )
vau , ouvert ou tacite , en faveur du protecteur
de leurs droits qu'ils croient en danger chaque
fois que les circonstances amèneront des révolutions
, dont le plus fort eſpérera pouvoir profiter ,
ont partagé l'attention fixée ſur la Grande-Bretagne
& ſes Colonies.
Cette Puiſſance affoiblie par des campagnes qui
n'ont eu aucun ſuccès , ſe reſſentant encore de celle
de Saratoga qui , la privant d'une armée , a renforcé
le courage des Américains , & les a raffermis
dans leurs projets d'indépendance , n'ayant pu les
ſoumettre lorſqu'ils étoient ſeuls & qu'elle leur oppoſoit
toutes ſes forces , & les hommes que l'Allemagne
aujourd'hui trop occupée n'eſt plus en érat
de lui vendre , & auxquels ſes finances épuiſées ne
lui permettroient plus de mettre le prix , ne doit
pas s'attendre à les vaincre à préſent : ils ont trouvé
dans la France un allié dont elle ſeule leur a fait
un appui .
Depuis long-tems les deux Nations ſe menaçoient
; la dernière guerre n'étoit point ſortie de
leur mémoire. L'une ivre de ſes avantages , aſpirant
à les conferver , ne pouvoit douter que l'autre
ne cherchât tous les moyens de réparer ſes pertes
& la honte du dernier traité . Incapable de s'y oppoſer
efficacement dans le moment actuel , elle n'attendoit
qu'une circonstance heureuſe. La France le
prévoyoit ; une politique ſage lui preſcrivoit de
prévenir les deſſeins de ſa rivale , & de ſaiſir le
moment où elle étoit affoiblie par la guerre d'Amérique
, pour achever de la rendre incapable de lui
nuire.
La Grande-Bretagne avoit abuſé de ſa puiſſance
maritime auſſi- tôt qu'elle en avoit eu une ; elle en
avoit profité pour chaſſer les François de l'Inde ;
elle auroit fini , en confervant ſa ſupériorité , par
anéantir leur commerce. Bientôt aucun vaiſſeau ne
ſeroit entré dans leurs Ports , ſans lui payer un
tribut ; la pêche même ſur leurs côtes y auroit été
4
D 4
( 80 )
foumiſe. Maitrefle de la mer , & par-là du com
merce des deux mondes , enrichie de ſes profits ,
elle eût pu engager les François , chaque fois
qu'elle les auroit craint , dans des guerres perpéruelles
ſans en partager les dangers . Sa politique &
fon or auroient foulevé contr'eux l'Allemagne , en
éveillant l'ambition des Princes & en les foudoyant.
Cette Puiſſance fût devenue pour eux ce qu'avoit
été autrefois l'Eſpagne , dont le pouvoir immenſe ,
franchiſſant les Pyrénées , s'étendant ſur l'Italie &
fur l'Allemagne , fortifié par les tréſors du nouveau
monde , les plongea dans un abyme de maux , &
prépara leur appui à la Hollande , lorſqu'accablée
par ce pouvoir , elle en ſecoua le joug. L'Angleterre
, que l'exemple de l'Eſpagne eût dû inſtruire ,
s'eſt hâtée d'imiter ſon injustice & ſon imprudenee
, avant d'être arrivée à cette influence à laquelle
elle tend ; & la France n'a pas dû perdre , pour
l'affoiblir , l'occaſion de ſoutenir l'indépendance
Américaine , comme elle ſoutint l'indépendance
Hollandoiſe . Deux Républiques naiſſantes auront
vu cette Monarchie favoriser leur liberté ; heureuſes
ſi la reconnoiſſance & le bienfait les pouvoient
lier à jamais.
,
La France modérée dans ſa politique , & peſant
ſes intérêts à la balance de la juſtice , n'avoit fait
qu'un traité de commerce avec les Etats-Unis. Elle
n'y avoit ſtipulé aucun avantage excluſif , dans un
moment où l'Amérique flattée de traiter avec elle ,
n'eût ſans doute rien refuſé. L'orgueil de l'Angleterre
, qui ſe ſoutenoit malgré ſes humiliations
ne lui permit pas à cette nouvelle de conſulter
fa pofition & la foibleſſe. Le cri de la vengeance
fut général ; des ordres hoſtiles furent donnés dans
premier moment de fureur & exécutés dans
tous ſes Ports où l'on arrêta les navires François
qui s'y trouvèrent. La France étoit prête à tous les
évènemens ; l'effet des réſolutions de la Grande-
Bretagne fut de reſſerrer ſon alliance avec l'Américe
,
( 81 )
que ; elle avoit voulu ſe borner à commercer avec
cette dernière ; elle ſe décida à la défendre : une
eſcadre formidable partit de Toulon & prit la route
du nouveau Monde.
L'Angleterre allarmée , voyant l'empire des mers
prêt à lui échapper , & les Puiſſances de l'Europe
diſpoſées à ſuivre l'une après l'autre , l'exemple de
la France , s'empreſſa d'offrir la paix aux Américains.
Ses Commiſſaires munis des inſtructions de
leur Roi , & de pluſieurs actes du Parlement , n'arrivèrent
en Amérique que pour y voir rejetter des
propofitions à la tête deſquelles le Congrès ne trouva
point la reconnoiſſance de ſon indépendance : ils
y furent témoins de l'évacuation de Philadelphie ,
dont ils avoient , dit- on , apporté l'ordre , & dont
la préſence de Washington , à la tête d'une armée
confidérable , impoſoit la néceſſité. Les troupes
royales , dans leur retraite par terre , combattues
fans ceffe & affoiblies par leurs pertes , n'évitèrent
àBunkershill le fort de Burgoyne à Saratoga , que
par des marches rapides & forcées , reſſemblant à
une fuite..
D'après l'alliance de la France & des Etats-Unis ,
l'ordre naturel des évènemens ſembloit devoir terminer
cette année la guerre d'Amérique ; l'Europe
s'y attendoit : l'inconſtance des élémens & les haſards
indépendans de la prudence humaine , en ont
diſpoſé autrement. L'eſcadre de Toulon , partie à la
fin d'Avril , arrêtée long-tems par les vents contraires
au détroit de Gibraltar , retardée dans ſa marche
par la peſanteur des vaiſſeaux , & par les tempétes
qui diſperfèrent la flotte que l'Amiral Byron
conduiſoit ſur ſes traces , ne put arriver à tems pour
frapper les grands coups , & détruire les forces de
l'Amiral Howe au fortir de la Delaware . A l'arrivée
du Comte d'Estaing , elles étoient déja réfugiées
dans la Baye de Shandy- Hook , à l'abri des entrepriſes
des François , dont les vaiſiſeaux prenoient
trop d'eau pour franchir le canal, L'impoſſibilité
Ds
( 82 )
de les y attaquer , fit tourner les opérations con
tre Rhode-Iſland ; cette Iſle alloit tomber au pou
voir des Américains , lorſque les élémens armés
pour déconcerter ces nouvelles diſpoſitions , prévinrent
la deſtruction de la flotte Angloiſe , qui
s'étoit avancée , & la ſéparant de la Françoiſe ,
fortie pour l'attaquer , au moment où le combat
alloft commencer , forcèrent cette dernière d'aller
ſe réparer à Boſton.
Pendant que la marine Françoiſe , négligée ſi
long-tems , créée tout - à - coup par le génie qui
préſide à cette partie de l'adminiſtration , menaçoit
les Anglois en Amérique , elle leur diſputoit l'empire
des mers en Europe. On a vu une ſeconde
flotte fortir de Breſt , ſous les ordres du Comte
d'Orvilliers , aller au-devant de l'Amiral Keppel ,
lui livrer le combat , & le forcer à la retraite ,
malgré ſes forces ſupérieures , & l'opinion qu'avoit
l'Europe de la ſupériorité Angloiſe. Un Prince
cher à la Nation a partagé les honneurs de ce triomphe
, le premier que les François ont obtenu ſur les
mers depuis celui de la Galiſſonniere ſur la Médi
terranée.
Les Anglois qui , malgré leurs efforts pour s'abufer
& en impoſer à l'Europe , n'ont pu ſe déguifer
cet échec , ont cherché à détourner les ré
flexions défavorables à leur puiſſance maritime ,
en exagérant les avantages de leurs corſaires. Les
plaintes du commerce prouvent qu'en effet ils en
ont obtenus. Mais on n'a peut-être pas affez re
marqué qu'ils les doivent à la circonstance unique
dans laquelle ils ſe ſont trouvés. Les hoftilités ont
commencé tout-à-coup ; les François n'y étoient
point préparés ; les Anglois l'étoient depuis longtems.
Leur guerre avec l'Amérique avoit déja couvert
la mer de leurs Armateurs . Leurs vaiſſeaux
marchands menacés ſans ceſſe par les croiſeurs du
nouveau Monde , ne partoient plus ſans convoi ou
fans être en état de combattre ; leurs armemens
( 83 )
faits contre les Américains , ont fervi dans le mo
ment contre les François , qui n'étant pas prévenus
ſe ſont trouvés fans défenſe. Les priſes ont dû d'a
bord être fréquentes ; elles ont diminué ſenſiblement
tous les jours , & depuis quelque tems l'équilibre
eſt rétabli . L'Angleterre a lieu de craindre qu'il
ne ſe ſoutienne pas : ſes flottes endommagées ſe réparent
difficilement. Dans cette quantité énorme de
vaiſſeaux , dont les noms groſſiſſent les liftes faltueuſes
de ſa marine , tous ne ſont pas en état de
ſervir ; il y en a un grand nombre qui ne font que
pour la montre : ceux qui peuvent être réparés ont
beſoin de matelots ; la marine marchande a livré
tous les fiens à la marine royale , qui en manque
encore , après l'avoir dépouillée & réduite à l'inac
tion. Les corſaires , hors d'état de former leurs équi
pages , deviennent moins à craindre.
Sa poſition en Amérique ne ſauroit être plus pré
caire : ſi elle s'eſt emparée des rochers de S. Pierre
& de Miquelon , où elle a détruit des établiſſemens
de pêcheurs , elle a perdu la Dominique , qui eſt
bien d'une autre importance. Ses principales Iſſes
font menacées ; elle ne peut les protéger qu'en abandonnant
New-Yorck , où elle ne doit qu'aux tempêtes
qui ont contrarié l'eſcadre Françoiſe , l'avantage
de tenir encore , & l'eſpoir de pouvoir tenter
une cinquième campagne , devenue difficile par fa
poſition plus allarmante encore en Europe .
Diviſée , affoiblie au-dedans , perdant ſenſiblement
ſon influence au-dehors , luttant avec peine
contre la marine de France , elle est à la veille d'avoir
à foutenir encore les efforts de celle d'Eſpagne. Si la
lenteur de cette Puiſſance à ſe déclarer , lui a donné
quelque eſpérance , on a de la peine à la croire fondée.
De fi grands armemens n'ont point été faits
ſans objet , & le pacte de famille déſigne aſſez qu'ils
la menacent. Sa confiance , qui n'étoit qu'apparente ,
ne l'a pas empêché de tout tenter pour détourner
D6
( 84 )
l'orage ; les intrigues qu'elle a employées pour cet
effet , ont dû d'autant moins réuffir qu'elles ont
mieux fait ſentir ſa foibleſſe. Elle a eſſayé d'effrayer
la Cour de Madrid ſur le danger de l'exemple des
Colonies du Nord de l'Amérique pour celles qu'elle
a dans le Midi : mais ces Colonies du Nord étant
indépendantes comme elles le ſont de fait , ik
importe ſans doute plus à l'Eſpagne de les avoir
pour amies que pour ennemies.
La Nation mécontente , privée des reſſources
que lui offroit autrefois le commerce , gémit ſous
le poids d'une dette immenfe , accrue journellement
par des emprunts rendus néceſſaires , parce
que les impôts payés depuis fi long-tems & fans
fruit , font trop exhorbitans pour pouvoir être
augmentés. Hors d'état de faire face aux dépenſes
de l'année prochaine , ſans recourir à cette voie
onéreuſe , inftruite que depuis le mois d'Octobre
dernier , l'adminiſtration Françoiſe a trouvé tous
les fonds dont elle a beſoin , elle ſe plaint à la
fois de la Couronne qu'elle accuſe de ſa ruine ,
& du Parlement qui ne l'a pas prévenue. La chaleur
qui animoit cette affemblée dans ſes premières
ſéances s'eſt bientôt refroidie ; on prévoit que les
cris généraux qu'elle répétoit d'abord , ſe termineront
comme à l'ordinaire par des déciſions au gré
de la Cour. Il ſemble , s'écrie déja l'Oppofition ,
toujours hardie & toujours impuiſſante , que les
deux pouvoirs , le législatif & l'exécuteur , ſéparés
par la conſtitution pour le mieux ne font
qu'amener de vains débats qui finiſlent par les
réunir pour le pire. Pendant que les uns ne regardent
ces réflexions que comme des clameurs frivoles
, d'autres entrevoient dans leurs conféquences ,
une de ces criſes terribles , avant - coureurs des
révolutions. » Toutes les choſes humaines ont
une fin , a dit Monteſquieu ; cet Etat perdra ſa
liberté ; il périra : Rome , Lacédémone , Carthage
,
( 5 )
ont bien péri ; il périra quand la puiſſance légiflative
ſera plus corrompue que l'exécutrice (1 ) cc.
C'eſt à l'Angleterre à examiner le pas que cette
conſtitution a célèbre & fi vantée a déja fait vers ſa
deſtruction , & combien approche le moment prédit
par Monteſquieu.
Epuiſée par les pertes & toujours menacée , la
Grande-Bretagne cherche par tout des alliés & des
ſecours. Elle ne peut en attendre du Portugal ; il ne
ſauroit lui en donner de proportionnés à ſes beſoins,
quand il ne ſeroit pas retenu par ſon traité avec
l'Eſpagne , & par ſa nouvelle politique , qui l'arrache
au joug d'un protecteur éloigné pour le jetter dans
les bras de fon allié naturel. Les Hollandois trop
mécontens pour prendre ſon parti ne ſemblent
pouvoir rien faire de plus que de ne pas ſe déclarer
contre elle & de reſter neutres .
,
LeNord ne lui préſente pas une perſpective plus
conſolante : la Suède commençant à jouir des avantages
de ſa nouvelle conſtitution , eſt trop intéreſſée
à l'affermir pour être tentée de ſe mêler des querelles
étrangères ; & le traité que ſon Roi a fait l'année
précédente avec la Ruſſie , l'empêche de craindre d'y
être forcée. Le Danemarck a toujours beſoin de la
paix. La Ruffie , fur laquelle elle ſemble avoir fondé
ſes plus hautes eſpérances , ne tournera ſans doute
pas les armes , dont la paix qu'elle fait avec laTurquie
lui permet de diſpoſer , contre les Puiſſances
auxquelles elle doit cette paix. Indépendamment de
la reconnoiſſance qui n'eſt pas toujours un motif
reſpecté par la politique , elle en a d'autres plus prefſans
à ſes yeux , de ne pas foutenir une puiſſance
qui s'arroge l'empire des mers. Sa poſition , qui la
rapprochant du pôle , rend ſon climat inégal & fon
fol moins également fertile , lui préſente en mêmetems
une ſource inépuiſable de richeſſes . Placée ſur
l'Europe & fur l'Afie , elle peut faire le commerce
(1) Esprit des Loix. Liv. XI, Chap. 6.
( 86 )
1
dumonde. Par la mer Caſpienne , elle communique
avec la Perſe , & par la Perſe avec l'Inde ; par Azow
& la mer Noire , elle peut naviguer dans les mers
du Levant , & dans la Méditerranée. La mer de
Kamtſchatka lui ouvre d'un côté le chemin de l'Amérique
, & de l'autre celui du Japon & de la Chine
La mer Blanche & la mer Baltique la font communiquer
avec toute l'Europe : libre ſur tant de mers ,
maitreſſe de pluſieurs , elle ne peut vouloir de ſupérieurs
fur aucune .
Avant de quitter le Nord , nos yeux s'arrêtent un
inſtant ſur la Pologne , qui ne peut pour autrui ce
qu'elle ne peut pour elle-même. Sans poids dans
l'Europe , depuis la révolution , elle n'offre que le
ſpectacle de ſes malheurs , qu'on n'a point empêchés
& auxquels on fait peu d'attention. Spectatrice
des évènemens auxquels on l'a miſe hors d'état de
pouvoir prendre part , attentive à ceux qui pourroient
tourner à ſon avantage , elle ſemble avoir eu
un moment d'eſpérance dans les affaires qui occupent
les trois Puiſſances qui ont décidé ſon ſort.
Celle qu'elle regarde comme la première cauſe de
ſon abaiſſement , étoit à la veille d'entrer en guerre
avec les Turcs , tandis que les deux autres , ſéparées
d'intérêt , s'attaquoient avec fureur : déja la
Pologne ſe flattoit de quelque circonſtance heureuſe
qui l'eût fait rechercher. L'iltufion n'a pas été longue
; tout-à-coup elle a vû la Ruſſie libre de refferrer
ſon alliance avec la Pruſſe , & les deux Puifſances
liguées contre la troiſième , en état de conſerver
ce qu'elles ont acquis , & plus diſpoſées peutêtre
à ſe partager encore de nouvelles conquêtes
qu'à les reſtituer à la République. -
Les troubles de l'Allemagne ont eu une influence
marquée ſur les affaires générales ; ils n'ont pas
moins déconcerté les vues de l'Angleterre que les
eſpérances de la Pologne. Celle-là a cru y trouver
contre ſa rivale des reſſources que lui refuſoit le
Nord ; elle ſe flattoit de profiter des querelles de
( 87 )
l'Autriche & de la Pruſſe , pour l'engager dans une
guerre de terre , qui , en partageant ſes efforts , eût
nuià ceux qu'elle peut faire fur mer. Mais la France
ſe trouvant dans la poſition la plus favorable où
elle ait jamais été , pour abaiſſer le pouvoir de fon
ennemie , a ſenti la néceſſité de n'entrer point com
me actrice dans ces démêlés. Selon le traité de
Vienne , elle ne paroît devoir des ſecours à la Mai
fon d'Autriche qu'autant que les poſſeſſions de celleci
ſeront attaquées ; il n'y étoit pas queſtion d'une
poſſeſſion éventuelle & conteſtée : les prétentions
reſpectives ſemblent devoir être ſoumiſes à une difcuſſion
& à un jugement , & peut-être on ne peut
demander à la garante de la paix de Westphalie
que fa médiation. Intéreſſée à reſter neutre , elle
n'a fait aucune démarche qui juſqu'à préſent n'ait
tendu à conferver la paix , ou du moins à con
centrer la guerre dans le pays qui l'a vu naître.
Toutes les ſpéculations ,dans ces circonstances ,
ſe ſont tournées du côté de l'Allemagne , devenue
le centre de tous les mouvemens politiques qui y
aboutiffent. C'eſt-là que les négociations ſe ſont
croiſées de par- tout : c'eſt de-là que paroiſſent être
parties celles qui ont agité tous les cabinets au
nord , à l'orient & au midi de l'Europe , qui ont
inſpiré des ſentimens pacifiques aux Ottomans ,
armés par des intérêts étrangers à eux , & déſarmés
par de nouveaux , qui ont privé l'Angleterre
des ſecours de la Ruffie , & les ont aſſurés à la
Pruffe.
,
Au milieu de tant d'armemens formidables , qui
ſemblent préparer pour le printems prochain à des
ſcènes fi fangiantes ſur terre & fur mer dans
l'ancien & dans le nouveau Monde , les bruits de
paix ſe font cependant encore entendre. La décla
ration de la Ruffies, faite avec une hauteur qui
annonce qu'elle n'a plus d'autre ennemi que celui
de ſon allié , peut contribuer à rendre le calme à
l'Europe. L'Impératrice-Reine paroit le défirer , &
( 88 )
l'Empereur , dont on connoît la ſageſſe & la fermeté
peut céder aux voeux de ſa mère , ſecondés ,
dit-on , par les ſollicitations de ſon frère le Grand-
DucdeToſcane.
A l'égard de la France & de l'Angleterre , on
n'eſt pas non plus ſans eſpérances ; elles font fondées
ſur l'état d'épuiſement & de foibleſſe de cette
dernière , dont l'orgueil humilié ſemble devoir
céder à la néceſſité. La déclaration fi long-tems
attendue , & qui ne fauroit plus être éloignée de
la part de l'Eſpagne , peut opérer entre les deux
Puiſſances l'effet que l'on attend en Allemagne de
celle de la Ruffic.
La paix , à la fin de cette année , eſt le voeu
général de l'Europe. Nous avons dù nous borner
à expoſer le fondement de ſes eſpérances , que
celle qui commence va confirmer ou détruire,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 25 Novembre.
د
VENDREDI dernier le Comte de Solms ,
Miniftre Plénipotentaire de Prufſe , a reçu un
courier de ſa Cour &depuis ce temps il
diftribue deux Pièces imprimées , ayant pour
titre : l'une , Obfervations fur un Ecrit anonyme ;
l'autre , Exposé fidèle de l'ordre deſucceſſion établi
dansle Bourgraviat de Nuremberg. Le même
four le Ministre de S. M. B. reçut auſſi un
( 89 )
Courier de fa Cour ; mais il n'a rien tranſpiré
de ſes dépêches.
On dit ici que d'après les renſeignemens donnés
à la Cour far un navire revenu il y a quelque tems
de la Chine par l'Archipel du nord , on ſe propoſe
d'y en expédier quelques autres par la même route ,
&que lorſqu'ils auront rempli leur miffion , l'Impératrice
fera untraité de commerce avec les Empereurs
de la Chine & du Japon. Si ces vues ſe réaliſent,
on ſupprimera entout ou en partie les caravannesqui
ſe rendent par terre de Moſcou à laChine.
Lecommerce qu'elles y font est très - diſpendieux ,
très-long , peu fûr , & ſujet à une multitude d'inconvéniens.
Les Japonois qui firent nauffrage il y a
quelques années ſurnos côtes feptentrionales , &que
l'Impératrice a accueillis avec la bonté qui lui eſt
naturelle , ſavent actuellement très-bien notre langue
& la langue tartare; ils ont appris la leur à plu
feursjeunes Ruffes dont notre Cour ſe propoſe de
ſeſervir pour le commerce du Japon&de la Chine.
Ces projets médités depuis long-tems & préparés
dans le plus grand ſecret , annoncent que les découvertes
qu'on n'a fait qu'indiquer ſont beaucoup plus
avancées qu'on ne le croit , & que nous touchons
au momentde voir cet Empire fixer l'equilibre du
commerce & de la politique d'une grande partie de
'Europe.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le premier Décembre.
De toutes les commiſſions qui ont rendu
compte de leur geſtion à la dernière Diète ,
c'eſt cellequ'on a chargée de l'éducation nationale
qui a mérité le plus d'éloges ; elle a montré
ſelon ſes comptes , que malgré les dépenfes conſidérables
auxquelles elle a été obligée , il lui
reftoit en caiffe un fond de 129326 florins.
On apprend de Stonim en Lithuanie un fait trèsfingulier.
» Des bateleurs étoient entrés dans cette
1
( 90 )
ville , qui eſt de la dépendance du Comte Oginski ,
Grand-Général , & montroient des finges qu'ils trainoient
après eux. Le peuple les ſuivoit en foule;
les boutiques & les atteliers étoient abandonnés.
Le Comte Oginski qui avoit beſoin des bras des ouvriers
, au lieu d'employer ſon autorité pour les rappeller
à leur travail , préféra de renvoyer les bateleurs;
il les fit venir , & après avoir bien voulu calculer
avec eux les profits qu'ils attendoient de leur
ſéjour dans ſes Domaines , il leur en compta luimême
le produit total , & y joignit quelques ducats
degratification ; les bateleurs partirent très-contens.
Des brigands qui furent inftruitsdelagénéroſité du
Grand-Général , calculant à leur tour le gain qu'ils
pourroient faire en les dépouillant , marchèrent ſur
leurs traces , & fondirent ſur eux au milieu d'une
forêt ; ils maſſacrèrent ſans pitié les hommes & les
finges qu'ils enfouirent dans la terre. Un des finges
échappé par la fuite au carnage , s'étoit réfugié fur
un arbre , d'où il fut témoin de cette ſcène horrible.
Lorſque ces brigands furent éloignés , il vit paroître
un carroſſe; c'étoit celui d'un Gentilhomme Lithuanien
qui alloit faire une viſite au Grand-Général à
Stonim . L'animal jetta auſſi-tôt de grands cris ; le
voyageur fit arrêter , & étonné ainſi que ſes gens de
voir un ſinge dans une forêt du nord , plus ſurpris
encore des ſignes qu'il faiſoit , il deſcendit de ſa voiture,
comme pour l'inviter à deſcendre. Le finge ſe
précipite à terre ; & comme ſes premiers maîtres lui
avoient probablement appris à être reſpectueux devant
les perſonnes de conſidération , il prendune pofture
ſuppliante devant le Gentilhomme , lui baiſe les
pieds , l'invite par ſes geſtes à le ſuivre , comme s'il
eûr voulu lui faire entendre qu'il avoit quelque choſe
d'extraordinaire à lui montrer. Le Gentilhomme le
fuit avec ſes gens , le ſinge les conduit ſur le lieu où
le crime avoit été commis , écarte la terre & les
branches d'arbres dont on avoit recouvert la foſſe où
étoient déposés les cadavres de ſes maîtres , en pouf(
91 )
fant des cris douloureux. Les domeſtiques l'aident
dans ce travail ; à la vue de ces corps palpitans , le
Gentilhomme craignant pour lui-même regagne ſa
voiture , & marche à toute bride à Stonim ; le finge
qui s'étoit cramponné à la voiture , y arrive avec lui .
Le Gentilhomme fit ſon rapport au Grand-Général ,
qui envoya auffi-tôt ſur les traces des affaffins , qui
furent ſaiſis au moment où ils alloient traverſer une
rivière au-delà de laquelle ils euſſent été en ſûreté;
ils ſont maintenant dans les cachots de Stonim. Quant
au finge , il eſt dans le palais du Grand-Général , qui
aordonné d'en prendre le plus grand ſoin ".
ALLEMAGNE .
DE VIENNE , les Décembre.
LE 30 du mois dernier, on a célébré dans
la grande Chapelle de la Cour la fête de Saint-
André,patronprincipal de l'ordre de la Toiſon
d'Or ; l'Empereur en qualité de Grand-Maître,
le grand Duc de Toſcane& tous les Chevaliers
en habit de cérémonie , ont affifté à la Grand-
Meſſe , à laquelle le Cardinal Migazzi a officié,
L'Empereur dîna en public avec le grand Duc
de Toſcane , & les Chevaliers furent ſervis à
une table particulière.
*** Le 30 , l'Ambaſſadeur de France a envoyé à
faCour un courrier chargé d'y porter le conſentement
de l'Impératrice-Reine au mariage du
Prince d'Elbeuf, frere puîné du Prince de Lambesc
, avec Mademoiselle de Montmorency-
Logny , fille unique du feu Prince de Montmorency,
en Flandres. S. M. I. & R. a dérogé en
faveur d'un Prince de la maiſon de Lorraine , à
la loi faite pour empêcher les riches héritières
des grandes maiſons de ſes Etats, de ſe marier
en pays étranger. Les grands biens de Mademoiſelle
de Montmorency , qu'on évalue à 400
mille livres de rente , proviennent principale-
1
( 92 )
ment de ſa mere, Madame de Waffenaer, une
despremières maiſons de Hollande .
La plupart des Officiers -généraux qui ont
fervi cette année en Bohême, ſont dans cette
capitale ; on remarque que le Général Comte
de Wurmſer, qui s'eſt diftingué dans cette campagne
, reçoit par-tout l'accueil le plus flatteur.
Le bruit qui s'étoit répandu de la retraite du
Feld- Maréchal de Laudohn , eſt deſtitué de
fondement.
La Cour ayant demandé aux Changeurs ,
Banquiers & Marchands en gros, un don gratuit
pour l'année prochaine , chacun d'eux s'eft
empreffé d'envoyer un billet cacheté contenant
la ſomme qu'il pouvoit donner. On ignore encoreà
combien montera le total de ce don gratuit
, parce que la Commiſſion qui doit examiner
ces offres & déclarer enſuite ſi la Cour en
fera fatisfaite, ne doit s'aſſembler que dans quelquesjours.
23
De HAMBOURG', le 10 Décembre.
LES hoftilités continuent toujours dans la
Haute- Siléfie ; l'entrepriſe que les Autrichiens
firent le du mois dernierprèsde Jagerndorff,
contre le Bataillon Franc de Steinmetz nouvel
lement levé , & dans laquelle le brave Colonel
de ce nom fut tué & remplacé par le Major du
bataillon Comte de Lufi , Grec de nation , né
dans l'Ifle de Cephalonie , qui le vengea en repouffant
l'ennemi , fut ſuivie d'une nouvelle
entrepriſe contre le Corps de Stutterheim le 26
du même mois. Le Lieutenant - Général Baron
de Stein, chargé de cette expédition par le
Baron d'Elrichshausen , devoit reconnoître les
fortifications faites par les Pruſſiens autour de
Jagerndorff & eſſayer de les déloger du
Village deWeiskirchen. Il ſe mit en marche le
26à trois heures di matin avec quatre batail
( 93 )
lons; à la pointe du jour il arriva à Meſnick
avec l'artillerie. Il reconnut bientôt que les
Pruſiens avoient été prévenus de fa marche
qu'ils avoient donné des ſignaux & allumé tous
leurs feux d'alarmes ; tous leurs poſtes étoient
occupés & renforcés. Le Baron de Stein fut
obligé de changer ſon plan d'attaque & de chercher
à gagner les hauteurs de Weiskirchen. Il
fut reçu avec beaucoup de vigueur ; le combat
s'engagea fur pluſieurs points & dura depuis II
heuresdu matin, juſqu'à près desheures du foir.
Les relations Autrichienne & Pruffienne s'accordent
fur ces circonstances ; elles ne varient
ſelon l'uſage que fur les effets. Selon la première
, les Pruffſiens ont été délogés de Weiskirchen
, qui a été brûlé , & de tous les poſtes
voiſins. Les derniers n'ont pu continuer à occuper
un village réduit en cendres , par ce que
le feu des obuſiers ennemis en avoit embraſé
les maiſons ; mais ils prétendent que ceux-ci
ont été repouffés & chaffés des hauteurs. La
Relation du Baron de Stein porte en effet que
fon corps eft retourné enfuite àſes anciens poftes.
Il compte 30priſonniers faits ſur l'ennemi , & 90
déſerteurs qu'il a reçus ; il porte ſes morts à un
Capitaine-Lieutenant & 36 Soldats ; les bleffés
à unColonel , 2 Capitaines , un premier Lieutenant
, I Sous-Lieutenant & 101 Soldats. Les
Pruffiens comptentà leur tour 360 ennemis morts
fur le champ de bataille , & 70 priſonniers . Ils
ont perdu un bas- Officier & 143 Soldats tués
ou égarés; les bleſſés font au nombre de 199
hommes , y compris 2 Officiers .
A la première nouvelle de ces mouvemens
dans la Haute-Siléſie , le Roi de Pruſſe avoit
dit-on , formé le deſſein de s'y rendre lui-même;
ſes chevaux avoient déjà pris les devants ; on
affure aujourd'hui que S. M. reſtera à Breflau ;
on prétend que ce qui lui a fait changer d'avis ,
(94)
c'eſt qu'il a appris que les Autrichiens ſe retiroient
vers Olmutz ,& que le PrinceHéréditaire
de Brunswick les pourſuivoit pour tâcher de les
engager à une action. L'Armée de ce Prince a
été renforcée par les Régimens du Prince de
Pruffe , de Braun & de Bornſtadt en quartier
à Neiffe , & d'une Brigade qui étoit aux ordres
du Général Ramin , qui n'a point encore pris
ſes quartiers d'hiver avec le Corps qu'il com+
mande ; on affure que pour empêcher autant
qu'il eſt poſſible les incurſions des Autrichiens
fur les terres du Roi , il tiendra la campagne
juſqu'à ce que le froid& la neige ne permettent
plus de craindre leurs entrepriſes. Le Corps du
Général Luck , fort de fix bataillons , s'eſt mis
en marche le 28 Novembre de Lowenbourg
vers Landshut , parce que les Autrichiens
ſembloient menacer ce paſſage ; le Général-
Major Boffe eft refté à Lowembourg , & l'on
fortifie le Château deGuiffenberg queleColonel
Pollik occupe avec fon Bataillon Franc. On a
arrêté& conduit à Schweidnitz 7Eſpions ; celui
qui avoit conduit les Autrichiens lorſqu'ils furprirent
le Régiment de Thadden , a été roué à
Landshut.
On parle toujours des Négociations qui doivent
avoir lieu pour le rétabliſſement de la paix,
mais elles ne font pas encore ouvertes ; on an
nonce la tenueprochaine d'un Congrès; on affure
même que la Cour de
VV
ienne a accepté laMédiationde
celles deVersailles & de Pétersbourg ;
mais on ne voit pas que les préparatifs de guerre
diminuent dans les Etats du Roi de Pruffe &
dans ceux de la Maiſon d'Autriche .
>>Depuis fon retour ici , écrit - on de Bonn',
Je Miniſtre de France a déclaré qu'il n'étoit pas
muni d'inſtructions relatives aux circonstan
ces dans leſquelles ſe trouve actuellement
l'Empire ; mais que ſuivant ſon opinion parti
) ور (
culière , il ne doute pas que ſa Cour n'ait fort
àcoeur le repos de l'Allemagne & l'obſervation
exacte du Traité de Westphalie. Les Miniſtres
Impériaux infinuent de leur côté que s'il convient
de porter l'affaire de la Succeffion de
Bavière à la décision de la Diète deRatisbonne ,
il feroit convenable d'y mettre également celle
de la Succeſſiondes Margraviats de Franconie.
La Cour de Berlin a publié un nouveau Mémoire
ayant pour titre : Réplique à la réponsefaite par la
Cour Impériale à l'addition , à l'exposé des motifs
adreſſsés par S. M. le Roi de Pruſſe à ses co-
Etatsde l'Empire , le 3 Juillet 1778. Cette pièce ,
qui ne paroît encore qu'en langue Allemande , eft
deſtinéeà prouver par les faits, l'authenticitéde l'acte
de renonciation du Duc Albert d'Autriche. Le Baron
de Senkenberg , Conſeiller de régence du Landgrave
de Heſſe Darmſtad , fut envoyé à Vienne il y a en
viron 12 ans pour tirer copie de pluſieurs chartres ;
dans le nombre de celles qui lui paſſerent par les
mains , il trouva l'acte de 1424. Il l'a communiqué
le 21 Juin dernier à la Cour de l'Electeur Palatin;
d'où il en a paffé à celle de Berlin une copie authentique
par un canal für & reſpectable.
CettedernièreGour a publié encore un Exposéde
quelques circonstances nouvelles & intéreſſantes qui
éclairciſſent l'affaire de la ſucceſſion de Bavière,
& particulièrement l'origine de la convention du 3
Janvier , & la négociation de S. M. avec le Duc
des Deux Ponts. Nous reviendrons ſur ce Mémoire ;
parmi les pièces juſtificatives , on trouve une lettre
de l'Electeur Palatin au Duc des Deux- Ponts , en
date du 22 Janvier 1778 , où il eſt dit : >> J'aurois
volontiers différé la ratification de la convention du
3 Janvier , juſqu'à ce que j'euſſe pu trouver le
tems& l'occafion de m'entendre là- deſſus avec vous
& avec d'autres Cours bien intentionnées , & d'oba
tenir auffi dans ces entrefaites des conditions meil
leures & plus avantageuſes; mais j'ai été tellement
(96 )
preffé& mis à l'étroit par la Cour Impériale , qu'il
ne m'eſt plus reſté pour cela aucun tems ,&j'ai été
obligé de me réſoudre ſans plus long délai , ou pour
la ratification ou pour la rupture totale de la convention.
Dans cedernier cas, je n'avois autre choſe à attendre,
que de voir les troupes qui étoient déja entrées
dans mes pays , prendre poſſeſſion non- ſeulement de
la partie ſtipulée dans la convention , mais aufli
comme on l'a témoigné à mon Miniſtre à Vienne ,
de tous les pays de Bavière & même de cette réſidence
(de Munich ), & d'être ainſi obligé de me
retirer d'ici «.
On est fort curieux de voir comment ſe termineront
cesgrands différens; on eſpère toujours
que la déclaration de la Ruffie contribuera à
hâter l'accommodement. Mais il eſt difficile
qu'il ait lieu ſans que la Cour de Vienne ne
facrifie au moins une partie de ſes prétentions.
On prévoit déjà bien des difficultés qui pourront
s'élever encore à l'occaſion de ce facrifice,
des dédommagemens à donner aux intéreſſés ,
&de ceux qui paroiſſent naturellement dus à la
Puiſſance qui les protège , & dont il n'eſt pas
vraiſemblable qu'on les diſpenſe. Les Spéculatifs
exercent actuellement leur imagination fur
les moyens de concilier tous ces intérêts , & en
particulier fur la nature des dédommagemens
& ſur les pays qui peuvent les fournir. Pour
nous , nous nous bornons à rendre compte des
faits à meſure qu'ils arrivent ; nous ne nous
melons pas de les prévoir.
ANGLETERKE.
DE LONDRES , le 20 Décembre.
LE 17 de ce mois la Cour a reçu des dépêches
du Général Clinton ; elles lui ont été apportées
par M. Stuart ze fils du Comte de
Bute , qui revient de New-Yorck. On s'eſt
empreffé
,
A
( 97 )
,
la
empreflé d'annoncer la défaite de l'eſcadre
Françoiſe , & la foumiffion du Congrès , qui
avoit renoncé à fon alliance avec la France ;
mais ces bruits avantageux ne ſe ſont pas foutenus:
comme il n'a point été publié de gazette
extraordinaire on craint fort que l'Amiral
Byron , qui a effuyé une tempête dans les parages
de Botton, n'ait fini par être lui-même
vaincu par les François. Enaatttendant que
Cour publie ce qu'elle fait , on obſerve ici
qu'il n'y a qu'heur & malheur ; les vents qui
ont ſi bien ſervi l'Amiral Howe , à qui ils
ont donné le tems de quitter la Delaware
pour ſe réfugier à Shandy-Hook , & qui l'ont
empêché d'être battu auprès de Rhode-Iſland ,
n'ont pas fi bien ſervi l'Amiral Byron ; après
avoir retardé ſa marche , lorſqu'il ſe rendoit
en Amérique , ils lui ont fait perdre cinq vaifſeaux
devant Boſton.
,
Les débats au Parlement continuent avec la
plus grande vivacité ; mais malgré l'éloquence
de l'oppofition , le parti de la Cour a toujours
l'avantage. La proclamation des Commiffaires
Britanniques , avant leur départ de New-
Yorcka , comme nous l'avons dit , été dénoncée
dans les deux Chambres comme un acte
atroce auquel les Commiſſaires n'étoient
point autorisés , & que la Nation déſavoue ;
c'eſt le 4 de ce mois qu'il en fut fait lecture
dans la Chambre baffe , où après de longs débats
, la propoſition de faire une adreſſe au
Roi ſur ce ſujet , fut rejettée à la pluralité de
209 voix contre 122 ; la même propofition
n'eut pas plusde ſuccès dans la Chambre haute ,
le 7 , où la proclamation fut regardée comme
une pièce modérée , pleine de ſenſibilité , d'humanité&
de bienveillance. Cette déciſion des
Pairs ne paſſa pas fans oppofition , & pluſieurs
àla tête deſquels font les Ducs de Portland ,
5Janvier 1779. E
( 98 )
Mancheſter , Richmond , Bolton & Grafton
fignèrent une proteſtation dans laquelle ils expofèrent
leur opinion , & les raiſons ſur lefquelles
ils la fondoient.
Dans la Chambre des Communes , lorſque
cette proclamation fut diſcutée , pluſieurs voix
s'éleverent contre l'idée de faire une troupe de
bouchers & d'aſſaſſins de l'armée du Roi enAmérique
; on remarqua avec étonnement parmi ces
voix , celle du Général Howe , qui déclara que
les troupes qu'il avoit eu l'honneur de commander,
ne ſe prêteroient jamais à ces deſſeins ſanguinaires.
Il prit cette occaſion pour ſe plaindre , à
ſon tour, du Ministère avec amertume ,enajoutant
que jamais la guerre ne ſe feroit avec fuccès
, en Amérique , tant que le Lord Germaine
feroit à la tête de ce département. Ces plaintes
générales contre le Ministère de la part de sous
les Officiers qu'il a employés n'ont pas échappé
à la Nation. Elle a vu le Général Gage , envoyé
le premier en Amérique , éclater à fon retour
; le Général Howe a ſuivi cet exemple ;
on connoît les plaintes du Général Carleton
& du Général Burgoyne ; on a vu l'Amiral
Keppel & l'Amiral Palliſer , en s'attaquant réciproquement
, accufer auffi le Ministère ; on
ne doute pas que le Général Clinton ne faffe
de même à ſon retour , qu'on aſſure ne devoir
pas être éloigné , & qu'il follicite , dit- on ,
avec chaleur , fur- tout depuis que loin de lui
envoyer les renforts dont il avoit beſoin , &
qu'il avoit demandés , on lui a ordonné d'envoyer
sooo hommes de ſes troupes dans les
Ifles. On ne conçoit pas comment la ſoumifſion
de l'Amérique paroît encore poffible au
Gouverneur Johnstone qui continue de l'affurer
, & d'imputer au Miniſtère tous les obſtacles
qu'elle a éprouvés juſqu'à préſent. >> Vous
dites , lui dit M. Burke , que le choix des
) وو (
Membres du Congrès n'a pas été fait par
l'élection unanime du peuple Américain , qu'ils
ne doivent leur nomination qu'à la force , que
leur tyrannie eſt inſupportable , que lorſqu'il
a voté pour l'indépendance , la pluralité n'a été
que d'une ou de deux voix , que dans la Province
de Penſylvanie où vous avez réſidé
vous connoiffez 30,000 amis à la Grande-Bretagne.
Si cela est ainfi , comment est- il arrivé
qu'ayant à Philadelphie une belle armée de
18,000 hommes , prête à protéger les 30,000
amis qui nous vouloient du bien , ils n'ont pas
ſaiſi cette occaſion de nous prouver leur loyauté
& de méconnoître les 600 tyrans qui compoſent
le monſtre appellé Congrès . S'ils n'ont
pas ofé ſe ſouſtraire au pouvoir ufurpé du Congrès,
lorſqu'ils avoient cet appui à leur portée ,
Tongeront- ils à en faire la démarche , à préſent
que cet appui s'eſt éloigné d'eux . L'Amérique
eft perdue pour jamais ; le ſeul parti qui nous
reſte eſt de nous faire des alliés des peuples qui
Thabitent «.
Le parti de l'Oppoſition,dans les deux Chambres
, paroît invariablement fixé à cette opinion.
Il y elt confirmé par la poſition actuelle de la
Grande-Bretagne , à laquelle la guerre d'Amérique
coûte déja plus de 30 millions ſterl. II
ne ſe déguiſe pas que la France eſt dans une
fituation bien différente ; le Duc de Richemond,
dans la Chambre haute, n'a pas manqué d'expofer
ce qu'il penſoit , & il n'a pu s'empêcher
de faire l'éloge de l'Adminiſtration des finances
Françoiſes & celui de M. Necker. M. Burke a
fait de même dans la Chambre baſſe. Après
avoir lu l'Edit du Roi de France , portant création
de 4 millions de rentes viagères , » ne
démontre- t-il pas , ajouta-t il , que la France ,
pour mettre ſa Marine ſur un pied reſpectable ,
n'a eu beſoin que de 1,800,000 liv fterl. ( en-
E2
( 100 )
nous
viron40 millions tournois ) , qu'elle a pu lever
cette ſomme avec facilité , ſans être réduite à
la néceſſité de créer un nouvel impôt. Nonſeulement
elle a l'avantage fur nous à l'égard
des finances , mais ſes reſſources font ſupérieures
aux nôtres , ainſi que l'emploi de ſes
finances & l'ufſage de ſes reſſources . On parle
beaucoup de ſes torts à notre égard , de ſa
perfidie , &c . je ne fais ſi l'Histoire
trompe; mais il me ſemble que dans tous les
tems , & chez tous les peuples , on a conftamment
vu , & conftamment trouvé naturel que
des ſujets révoltés recherchaſſent l'alliance de
la Puiſſance qu'ils favoient être plus ennemie
de celle à l'autorité de laquelle ils s'étoient
ſouſtraits . L'Hiſtoire du moins en fournit plufieurs
exemples & fans fortir de chez nous ,
nous voyonsque la Grande-Bretagne a fait tout
ce qui étoit en ſon pouvoir pour empêcher que
les Pays-Bas ne paſſaſſent ſous la domination
de la France , & pour en affurer la ſouveraineté
à la Maiſon d'Autriche . Je ne vois donc
rien que de très - naturel dans l'union de la
France & de l'Amérique ; je ne conçois pas
comment une claſſe d'hommes a pu ſe permettre
la foibleſſe de déclamer hautement contre
ce qu'on oppelle petfidie d'une part & ingratitude
de l'autre. C'eſt ne pas vouloir confidérer
que l'Amérique n'a recherché cette alliance
, qu'après qu'elle s'eſt vue forcée à déclarer
ſon indépendance , & que la France ne
s'eſt prêtée à ſes avances , que lorſqu'elle a
vu que les efforts que faifoit la Grande-
Bretagne , pour recouvrer ſes Colonies , étoient
décidément vains. Ce qui m'eût beaucoup
étonné , moi , ç'eût été de voir la France refufer
les offres avantageuſes que lui faiſoit
l'Amérique . Mais en trouvant ſa conduite on
ne peut pas plus naturelle , je ne prétends pas
1
( το )
infinuer qu'elle n'eſt point hoftile , &c. «.
Le Duc de Grafton , dans la Chambre haute ,
avoit parlé de même ſur le traité de la France
avec l'Amérique ; dans fon diſcours fur ce fujet
, il ſomma le Vicomte de Stormont , qui
étoit préſent , de dire s'il avoit reçu & communiqué
enſuite au Miniſtère quelqu'avis de
la ſignature de ce traité. Le Lord Stormont ,
après s'être excuſé de répondre fur des
objets qui entroient dans le ſecret de fa
miſſion , ajouta : >> Quoique je pufſe refuſer de
de répondre à cette queſtion , je crois pouvoir
déclarer à la Chambre , fans bleffer mon
devoir , & pour ma propre juftification , que
j'ai eu avis de bonne heure des deſſeins de la
France , de manière à me convaincre de la
duplicité & des vues hoftiles de cette Cour « .
Il prétendit que le traité publié à Versailles
n'étoit pas le vrai traité ſigné , ou du moins
le ſeul ; il affura qu'il en exiſtoit un autre ,
dont l'objet eſt la deſtruction totale de la
Grande-Bretagne. Onpouvoit répondre à l'Ambaſſadeur
qu'il étoit mal inſtruit , ou qu'il étoit
dans ce moment , au Parlement , ce qu'il étoit
en France , l'Agent du Ministère , qui lui avoit
preſcrit ce qu'il avoit à dire ou à faire , & dont
il ſuivoit exactement les leçons. Mais la Nation
n'avoit garde de rejetter une idée qui
flatroit ſa haîne ; on ſe contenta de s'arrêter
à la partie de fon diſcours qu'on ne croit pas
qui lui eût été dictée , où il dit qu'il avoit
inſtruit le Ministère de ce qu'il avoit appris ,
& le Duc de Grafton obſerva que l'Ambaſſadeur
ayant montré qu'il n'avoit pas négligé
ſon devoir , avoit prouvé évidemment , ce dont
perſonne ne doutoit , que les Miniftres feuls
étoient à blâmer .
Tous les détails de ces féances , relatifs à la
poſition de l'Angleterre ne paroiffent pas exa
E3
( 102 )
gérés , à ceux qui font attention à la durée
de la guerre d'Amérique , aux efforts qu'elle a
faits , aux dépenfes qu'ils ont occafionnées , &
à la décadence de fon commerce. Cela n'empêche
pas cependant que le Ministère ne ſe
propoſe de faire les plus grands efforts l'année
prochaine. Le Miniſtre du département
de la guerre , Milord Barrington a quitté. Son
fucceffeur , M. Jenkinson , a préſenté , le 14
de ce mois , l'état général des forces de terre
& de mer de la Grande- Bretagne. Suivant
fon compte , l'état des troupes réglées , actuellement
fur pied , & diſperſées tant dans les
trois Royaumes que dans l'Amérique & l'Afrique
, eft de 82,744 nationaux , 24,000 auxiliaires
étrangers , 39,000 hommes de milice , &
40co artilleurs , total 149,744. Il vota 160,000
hommes pour l'année prochaine. D'après ce calcul
les forces de la Grande-Bretagne ſe trouveroient
monter à 300 mille hommes effectifs ;
il n'y a point de Puiſſances qui en aient eu
d'auffi confidérables , & on demande comment
il feroit poffible , à une population de 7 à 8
millions d'ames , de fournir & d'entretenir un
pareil nombre de combattans ; on calcule auſſi
que tant de troupes , au taux auquel font portées
toutes les denrées , doivent coûter en Angleterre
un tiers de plus qu'elles ne coûteroient
en France. » Il y a , dit à cette occafion M.
Charles Fox , une fatalite attachée à la guerre
d'Amérique, qui la rapproche beaucoupde celle
queXercès fitjadis à la Grece. Ce qui contribue
infinimentà rendre cette reſſemblance frappante
, c'eſt celle qui ſe trouve entre le Miniſtre qui
préſide parmi nous au tréſor , & celui du Roi
2de Perſe qui de ſon tems ſe trouva dans le cas
de tenir à peu près ce langage : j'ai promis de
conftruire un pont ſur l'Helleſpont , je l'ai
conſtruit; j'ai promis de faire paſſer vos vaifſeaux
fur le Mont Athos , j'ai fait paffer vos
(103 )
vaiſſeaux fur le Mont Athos ; j'ai promis dė
fournir à votre armée toutes les choſes néceffaires
, votre armée n'a manqué de rien. Cependant
cette armée d'environ 2 millions d'hommes
ſe conſuma. La Perſe ſe vit dépeuplée , les
reffources de cet Empire furent épuiſées , & la
Grece conſerva ſon indépendance «.
Toutes ces obſervations font perdues pour
ceux auxquels on les adreſſe ; l'Adminiftra.
tion a pris ſon parti de continuer la guerre en
Amérique , & fi elle ne peut venir à bout de
la réduire , elle veut la dévaſter , & rendre
illuſoire la ſouveraineté à laquelle elle tend ;
on répète que l'année prochaine il ne fera pas
néceſſaire d'y envoyer beaucoup de monde ; on
ne compte pas fur moins de 10,000 Américains
qui prendront les armes pour la Mere-
Patrie; les plaiſans ont obſervé que cela étoit
bien modefte , puiſque ce n'eſt que le tiers des
amis que le Gouverneur Johnstone compte au
Gouvernement dans la ſeule Province de Philadelphie.
Mais en attendant , on s'occupe des
fonds néceffaires pour l'année prochaine. Les
Communes ont déja voté des ſommes confidérables
, ſavoir : 833,911 liv. 18 f. 6 den. ſterl .
pour l'entretien des troupes , en garnison dans
la Grande-Bretagne ; 1,103,118 liv. 15 f. pour
celui des troupes , en garniſon dans l'Amérique
, à Gibraltar & à Minorque ; 37,206 liv .
8 f. 6 & demi , pour ſolde des Officiers Généraux
; 52,923 liv. 1 f. 6 d. pour les différences
de folde ; 56,974 liv. 19 f. pour bataillons
Hanovriens , àGibraltar ; 367,203 liv 9f. 10 d.
pour les troupes Heſſoiſes ; 35,441 pour 2 régimens
de Hanau ; 17,498 pour un de Waldeck;
93,947 pour les troupes de Brunswick ;
39,644 pour celles d'Anſpach ; 7958 pour les
non- valeurs ; 16,630 pour les troupes d'Anhaltzerbit
; 48,668 pour les vivres des troupes
E 4
( 104 )
étrangères en Amérique ; 27,683 pour l'artillerie
en Amérique ; 610,882 pour la milice
d'Angleterre & 3 régimens en Ecoffe ; 85,760
pour les uniformes de la milice ; 5421 pour
de nouvelles compagnies de milice ; 2656 pour
les uniformes ; 259,713 pour augmentations
dans les troupes réglées ; 395,438 pour l'artillerie
; 521,935 pour les extraordinaires. Ces
ſommes réunies , jointes à celles votées , le 2
Décembre pour la marine , & à 2,500,000
pour rembourſer des ſommes accordées dans
la féance dernière , montent à 10,723,720 liv.
ſterl. ( plus de 2.40 millions tournois ) .
On aſſure que le Chef-d'eſcadre Rowley a
reçu ordre de mettre inceſſamment à la voile ,
de Portsmouth , avec 19 vaiſſeaux de ligne ,
que l'on ſuppoſe deſtinés pour une expédition
fecrette avec d'autant plus de raiſon , qu'il
ne prend aucun bâtiment marchand ſous fon
convoi.
,
On dit que notre Compagnie des Indes
Orientales vient de recevoir des nouvelles trèsfavorables
de la côte de Coromandel. S'il faut
en croire ce qu'on raconte de ces nouvelles , un
Prince du pays a cédé à la Compagnie un
territoire plus grand que nos trois Royaumes ,
& le Gouverneur Munro , à la tête de 15,000
foldats Aſiatiques , & de 3000 Européens ,
s'eſt mis en marche pour aller faire le fiege de
Pondichery.
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie le 16 Octobre. Le Congrès a
rendu aujourd'hui une Ordonnance contre toutes
eſpèces de Spectacles , conque en ces termes.
>> Comme la fréquentation des Spectacles &
lieux publics d'amuſement tend malheureuſement
à détourner les peuples de l'attention qu'il
leur eft indiſpenſable de donner pour la défenſe
1
( 105 )
de leur pays & le maintien de leurs libertés ,
arrêté que toutes perſonnes exerçant un emploi
quelconque , dans les Etats-Unis , qui repréſenteront
ſur un Théâtre , y feront repréſenter , ou
encourageront par leur préſence ou autrement
ces fortes de Spectacles , feront jugées peu dignes
de tenir leurdit emploi , & en conféquence
deftituées « .
Le 12 , le Congrès avoit pris la réſolution de
recommander aux 13 Etats-Unis de porter une
Loi ſemblable. Ce même jour , il y avoit une
Comédie affichée dans cette Ville ; M. le Marquis
de la F ..... ignorant ce qui venoit de ſe
paffer au Congrès , ſe propoſoit d'y affiſter ;
comme il avoit dîné chez le Préſident , il lui
propoſa d'être de la partie;celui - ci lui ayant
appris la réſolution que le Congrès avoit priſe
de défendre les Spectacles à toutes les perſonnes
qui le ſervoient , il le remercia de l'avis ,
& déclara que puiſque c'étoit l'ordre du Congrès
, il n'y iroit point.
Trentown du 25 Octobre. Toutes les nouvelles
qu'on reçoit de New- Yorck , annoncent l'évacuation
prochaine de cette Place , où les Anglois
ne peuvent plus ſe flatter de tenir long - tems.
La protection qu'ils doivent à leurs Ifles menacées
, a décidé le Gouvernement à y envoyer
soooohommes , qui ont été tirés de l'Armée du
Général Clinton. Ce nombre d'hommes qui pouvoit
être très-utile à ce Général , obligé de faire
face à pluſieurs armées réunies , ne fera pas de la
même conféquence dans les Ifles , fi on les répartit
dans toutes celles qui ont beſoin de ſecours
, telles que la Jamaïque & la Grenade.
Le Général Washington a les yeux ouverts ſur
tous ces mouvemens ; il a quitté ſon camp de
Fish - Kill pour établir fon quartier-général à
Fredericksbourg ; on s'attend à le voir marcher
à New-Yorkc. Ses troupes ont, dit-on , ordre
Es
1
14
( 106 )
1
de ſe tenir prêtesà partir au premier fignal.
Le 17 de ce mois , anniverſaire du jour où le
Général Burgoyne s'eft rendu priſonnier deguerre
avec ſes troupes , à l'Armée commandée par
le Général Gates , a été célébré au Camp de
Frédéricksbourg avec toute la pompe Militaire
qu'on déploie dans ces occafions. Dans l'après
midi , 13 canons du Parc de l'Artillerie firent
pluſieurs falves , & le Général Washington ,
ainſi que les principaux Officiers de l'Armée
aſſiſtèrent à un grand repas. La Fête fut terminée
par un beau feu d'artifice ; ſpectacle dont
jouirent les habitans des environs quiy vinrent
en foule.
Barnstables du 4 Novembre. L'Etat de Maffachuffett's-
Bay a conſacré un jour à la célébration
d'actions de ggrraacceess publiques , pour remercier
Dieu des faveurs fingulières qu'il a daigné
accorder à cet Etat , & en particulier de celle
qu'il a faite à l'Amérique en diſpoſant S. M.
T. C. à contracter l'Alliance la plus manifeſte
& la plus généreuſe avec les Etats - Unis. Le
jour fixé eſt le 26 du mois prochain ( 1 )
Le 26 du mois dernier , le vaiſſeau le Sommerfet
de 64 canons a échoué à 4 milles à l'eſt
de la pointe Rale du cap Cod. Il faifoit partie
de l'Eſcadre de l'Amiral Byron , qui depuis
plufieurs jours étoit battue d'un très-gros vent
dans ces parages. Tout ſon équipage , compoſé
de 490hommes s'eſt jetté à terre & s'eft rendu
prifonnier. M. Ourry , Capitaine du Sommerfet
a montré beaucoup d'inquiétude pour quatre
autres vaiſſeaux de ligne qui étoient avec lui
le matin , & qui étoient tellement maltraités
qu'il craignoit pour eux le même fort. Nous
avons appris par ces priſonniers que cetteEſcadre
(1) On a remarqué que le 26 a été le jour fixé pour la
rentrée du Parlement d'Angleterre .
( 107 )
étoitdeſtinée pour Boston ,& compoſée de Is
voiles , y compris les vaiſſeaux de so canons.
La perte du Sommerfet les réduit à 14 , parmi
leſquels il y en a pluſieurs en très-mauvais état ;
peut-être eft - elle encore moins conſidérable ;
car il n'est pas douteux que le Commodore
Hotham n'en ait pris un ou deux pour les Iſles .
On mande de Boſton , que le 30 du mois
dernier il y eſt arrivé plus de soo prifonniers
François pris fur des Bâtimens Marchands , que
le Comte d'Estaing a échangés contre un pareil
nombre d'Anglois qu'il avait pris. Il paroit ,
d'après leurs récits , que les priſonniers tant
Américains que François , ont été traités avec
la plus grande dureté à New-Yorck.
Nous ſavons de bonne part que le matin du
jour où le Comte d'Estaing repaſſa ſous les batteries
Angloiſes à Rhode- Ifland , pour aller à
la rencontre du Lord Howe , ce dernier tint
un conſeil de guerre ; ayant appris que l'Eſcadre
Françoiſe avoit mis à la voile , il donna ordre
auſſi-tôt à ſes vaiſſeaux de couper ou de lâcher les
cables & d'appareiller. Un prifonnier à bord
d'un des vaiffeaux Anglois , a été témoin oculaire
de la ſurpriſe & de la confuſion avec laquelle
le Lord Howe ſe ſauva.
>> Nous nous flattions , écrit- on de Fredericksbourg
, de marcher ces jours derniers à New-
Yorck ; le Général Washington avoit déjà ordonné
à un certain nombre de troupes de marcher
à petites journées vers Hartford dans le
Connecticut , pour renforcer l'Armée qui ſe
trouve dans ces environs ſous les ordres du
Général Gates ; mais ſuivant les derniers avis ,
les troupes qui ſont ſorties de New - Yorck
pour ſe rendre aux Ifles , ne font pas fi nombreuſes
qu'on l'avoit imaginé , & la partie projettée
n'eſt que différée ".
E6
( 108 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 31 Décembre.
La Reine continue à ſe porter auſſi bien que ſa
ſituation le permet ; la Princeſſe nouvellement née ,
contre l'ancien ufage , quireculoit à quelques années
le baptême des Enfans de France , qu'on ſe contentoit
d'ondoyer , a été baptiſée le jour même de ſa
naiſſance , à 2 heures après midi , par le Prince Louis
de Rohan , Cardinal de Guemené , en préſence de
M. Broqueville , Curé de la paroiſſe de Notre- Dame.
Monfieur l'a tenue ſur les Fonts de Baptême au nom
du Roi d'Eſpagne , & Madame au nom de l'Impératrice-
Reine ; elle a été nommée Marie-Théreſe.
Charlotte , & titrée Madame , fille du Roi .
Le Roi vient d'accorder à Mademoiselle de Séran
la permiſſion de ſe qualifier du titre de Dame , ſous
le nomde la Baronne Julie de Séran , pour la diſtinguer
de la Baronne de Séran ſa belle foeur , dame de
la Ducheſſe de Bourbon. Elle a accordé auſſi à Mademoiselle
deMornay , fille du Comre de ce nom ,
Seigneur de Ponchon & autres lieux , celle de ſe
qualifier de Dame de Mornay , en conſidération des
ſervices rendusdepuis long-tems à la france par cette
maiſon .
Le 13 , le Marquis de Saint- Sauveur prêta ferment
pour la charge de premier Chambellan de Monfeigneur
le Cointe d'Artois , vacante par la mort du
Comte de Saint-Sauveur ſon frere .
Le 20 le Baron de Choiseuil , Ambaſſadeur du
Roi près le Roi de Sardaigne , de retour ici par
congé , eut l'honneur d'être préſenté au Roi.
Le 22 après la Meſſe , S. M. alla voir la Princeſſe
de Lamballe , à l'occaſion de la mort du Prince de
Carignan ſon pere . Le Duc d'Orléans , le Duc & la
Ducheſſe de Chartres , le Prince de Condé, le Duc
&la Ducheſſe de Bourbon , le Prince& la Princeſſe
de Conti , Mademoiselle de Condé & le Duc de
( 109 )
Penthièvre , ſe trouvèrent dans l'appartement de cetre
Princeſſe pour recevoir S. M. Monfieur , Madame ,
Monſeigneur & Madame la Coniteſſe d'Artois ; Madame
Adélaide , Madame Victoire & Madame Sophie
de France , y allèrent enſuite & furent reçus de
même par les Princes & Princeſſes du ſang. LaPrinceffe
de Lamballe alla le même jour faire ſes remercimens
au Roi & à la Famille Royale .
M. Faujas de Saint-Fond eut l'honneurde préſenter
le 6 de ce mois ſes Recherches ſur les Volcans éteints
du Vivarais & du Velay. Le 18 M. de la Foffe , Graveur
, préſenta à LL. MM. & à la Famille Royale ,
la troiſième livraiſon du Voyage Pittoresque de l'Italie.
LL. MM. , inſtruites que le produit du Journal
des Sciences & beaux Arts , eſt deſtiné pour de pauvres
orphelins nés d'anciens Militaires , ont bien
voulu marquer la protection qu'elles accordent à la
maiſon dans laquelle on élève ces jeunes Sujets , en
permettant que leur nom paroiffe à la tête des ſouſ
cripteurs de cet Ouvrage ; la Famille Royale a ſuivi
l'exemple de LL. MM.
De PARIS , le 31 Décembre.
LES lettresde nos différens Ports annoncent
dans tous la plus grande activité. On conſtruit
dans celui de Breſt un vaiſſeau de 110 canons ,
& 2 de 80 ; il y a auſſiſur les chantiers à Rochefort
un vaiſſeau de 110, 3 de 74 , & 2 frégates
& autres petits bâtimens de guerre .
>> Depuis deux mois , écrit-on de Breſt , en
date du 21 , nous avons ici des tems affreux ;
il ſont moins mauvais depuis quatre jours , &
nous eſpérons voir arriver à chaque inſtant les
flottes de Bordeaux , Nantes & l'Orient , pour
l'approvifionnement de nos vaiſſeaux. L'eſcadre
de 6 vaiſſeaux de ligne que M. de Graffe commande
, n'attend que leur arrivée pour partir ;
celle de M. le Chevalier de Ternay , ne partira
vraiſemblablement qu'à la fin de Janvier. Ce
( 110 )
Chef-d'eſcadre monte l'Annibalde 74 canons ,
il aura fous ſes ordres le Diadême de 74 , le
Réfléchi de 64 , l'Amphion de 90 , & les frégates
l'Amazonne & la Gentille , chacune de 32. Le
vaiſſeau le Ferme , qui doit partir de l'Iſſe de
Rhé , le joindra vraiſemblablement ; on croit
cette eſcadre deſtinée pour l'Inde , où nous avons
déja le Brillant de 64 canons , le Flamand de so ,
& la frégate la Confolante qui porte du canon
de 18 «.
Selon les méme lettres , les vents contraires
ont forcé l'Orient de rentrer en rade ; l'Artéſien
ayant été abordé près de la Baye de Dourmenès
par une priſe de 32 canons qu'il avoit faite , &
qu'il conduiſoit à l'Orient , a en toute ſaguibre
( éperon , taillemer ) emportée , & relâchéà
l'Orient. Cet accident eſt arrivé par une fauffe
manoeuvre de la Priſe , elle a coulé bas ; mais
tout le monde a été ſauvé , & on eſpère de la
relever.
a
Depuis quelque tems les navires marchands
arrivent tranquillement dans nos ports ; la marine
Royale a purgé la mer des Corſaires , &
les a écartés de nos côtes. On en compte au-delà
de 40 qui ont été pris. La frégate le Fox vient
encore d'en amener à Breſt un de 14 canons ; le
vaiſſeau du Roi l'Eveillé a repris dernièrement
aux Anglois , un vaiſſeau Suédois chargé d'approviſionnemens
de marine. Il y a quelque tems
qu'on a dit que la Belle Poule avoit pris un
navire de la Compagnie des Indes Angloiſes ,
richement chargé , & portant 30 canons de 18.
On répète aujourd'hui cette nouvelle ; mais on
nedit point dans quel port on a conduit cette
priſe. Le brave M. de la Clochetterie , qui a
rendu le nom de cette frégate fi célèbre , va
bientôt prendre un autre commandement. On
raconte ainſi la manière dont le Roi a daigné lui
apprendre lui-même ſon avancement. Ce brave
( M)
Officier étoit chez M. de Maurepas , où il faifoit
une partie ; Sa Majesté arriva , & ne
permit point qu'on quittat le jeu ; elle s'approcha
de M. de la Clochetterie , dont quelqu'un
obſervoit le beau jeu. Oui , dit le Roi ,
M. de la Clochetterie à beau jeu par tout ;
mais ajouta-t- il , on lui fait un reproche que je
ne penſois pas qu'il pût mériter ; on l'accuſe
d'inconſtance. Oui , continua - t - il en voyant
fon air d'embarras , vous êtes infidèle à la Belle-
Poule; vous la quittez pour prendre le commandement
d'un vaiſſeau de 64 canons «.
On écrit de Calais que 2 Corfaires armés à
Dunkerque , la Comteſſe d'Artois , & la Comteffe
de Provence , l'un de 22 & l'autre de 24 canons
fortis de ce port dans les premiers jours de
Novembre , font rentrés à Calais , après une
croiſière de 25 à 28 jours dans la Manche , pendant
laquelle ils ont fait 15 priſes qu'ils y ont
conduites.
L'émulation ſe ranime dans tous nos ports ,
il eſt vraiſemblable qu'avant qu'il foit peu , nos
Armateurs couvriront les mers . Les armemens
encourſe ſe préparent& ſe multiplient par-tout
avec cette activité qui dans tous les tems a diftingué
la Nation dans ce genre de guerre. II
paroît un Profpectus pour l'armement de trois
chébecs - frégates , deſtinés à la courſe contre
les ennemis de 1 Etat dans différentes mers. Cet
armement , autorisé par le Miniſtre par Lettre
du 29 Juillet dernier , eſt ſous la protection de
Monfieur, qui permetqu'un de ces chébecs porte
fon nom , & qui veut ſe mettre au nombre des
Actionnaires . La ſomme totale ſera de 900,coo 1.
diviſée en 300 actions ; on ne pourra avoir
moins d'une action & demie.
>> Un corſaire de 18 canons , écrit- on de Bordeaux
, vient d'être lancé à l'eau ; il y en a
fur les chantiers 2 autres de 24 , qui ne tarde
( 112 )
ront pas à être mis à la mer. Nous avons
beaucoup de navires dans le port , qui n'attendent
qu'un convoi pour nos Colonies. Le régiment
Royal des vaiſſeaux a reçu ordre dans
la nuitdu 20 au 21 de ſe rendre à Rochefort ,
il part le 23 “ .
Ces jours derniers le bruit s'eſt répandu ici.
qu'on avoit fignalé à Rochefort 14 navires de
guerre Anglois , & environ 100 voiles ; que
les troupes qui cantonnent en Poitou & en
Saintonge avoient ordre de marcher ſur les
côtes , & que M. du Verger & un autre Officier
Général avoient reçu celui de s'y rendre.
Ce bruit eft affez analogue à la lettre de Bordeaux
que nous venons de rapporter. Mais il
feroit bien extraordinaire que les Anglois vouluffent
entreprendre fur nos côtes dans cette
faifon.
Le navire le Fitz-James revenant de la Chine ,
eſt arrivé à l'Orient , il eſt de 60 canons , &
avoit 160 hommes d'equipage , ſa cargaiſon eft
eftimées millions.
On a des lettres de Breft , qui annoncent que
les vaiſſeau le Fendant de 74 canons , le Sphinx
de 64 , 2 frégates & deux corvettes aux ordres
de M. de Vaudreuil , ont mis à la voile le 15
de ce mois pour une expédition dont on ignore
l'objet. On dit que M. le Duc de Lauzun eft
embarqué fur cette petite eſcadre , avec une
partie de la légion qu'il a levée.
S'il faut en croire le bruit général , M. le
Comte d'Estaing doit avoir fait voile pour les
Antilles ; felon d'autres , il a été tenter une
autre expédition près de Boſton , l'attaque
d'Hallifax dans l'Acadie. On l'infère de ce
qu'il a pris à bord des grils pour rougir des
boulets lorſqu'il a quitté Boſton. Les rapports
de quelques bâtimens arrivés dans nos ports,
ſemblent confirmer ce dernier bruit. Selon eux
( 113 )
ce Vice-Amiral qui avoit pris d'abord le large ,
faiſant route en apparence pour nos Ifles , avoit
tout-à-coup porté fur Hallifax , dont on ajoute
qu'il a forcé la rade. En attendant que ces nouvelles
foient moins vagues , on aſſure que l'Ami-
-ral Byron a perdu 4 vaiſſeaux de ligne qui ont
péri corps& biens , outre le Sommerfet échoué
àlaCôte.
Nous avons eu l'occaſion de rapporter pluſieurs
preuves de l'attention de l'adminiſtration
, à épargner autant qu'il eſt poſſible aux
particuliers les calamités de la guerre. Nous
avons annoncé dans le tems les ordres donnés
en faveur du Capaine Cook par le Miniſtre
éclairé qui préſide à la marine. La lettre qu'il
écrivit à cet effet à M. le Comte d'Orvilliers
eſt trop intéreſſante pour que nous ne la tranfcrivions
pas ici ; elle eſt du 10 Avril dernier.
>>Le Capitaine Cook qui eſt parti de Plimouth
au mois de Juillet 1776 , ſur le vaiſſeau
la Réſolution , avec le projet d'aller reconnoître
les côtes , les Iſles & les mers ſituées au Nord du
Japon & de la Californie , ne doit pas tarder
à revenir en Europe. Il a ſous ſes ordres un autre
navire nommé la Découverte , qui , comme celui
qu'il monte , eſt d'environ soo tonneaux , &
l'un & l'autre ont peu plus de 100 hommes
d'équipage. Comme les découvertes qu'une pareille
expédition donne lieu de faire eſpérer ,
intéreſſent généralement toutes les Nations , je
vous préviens que le Roi veut , qu'en cas d'une
rupture abſolue entre la France & l'Angleterre ,
le Capitaine Cook ſoit traité de même que s'il
commandoit des bâtimens de Puiſſances neutres
& amies , & qu'il foit recommandé aux Officiers
qui pourront le rencontrer à la mer , de
faire connoître , à ce navigateur célèbre , les
ordres qui ont été donnés à fon égard , en lui
recommandant de s'abítenir de ſon côté de tout
( 114 )
acte d'hoſtilité. Vous remettrez une copie de ma
lettre aux Officiers qui commandent des vaiſ
ſeaux , frégates , corvettes & autres bâtimens
de guerre , ainſi qu'aux Commandans desGabares".
Le 17 Avril , M. de Sartine écrivit encore
la lettre ſuivante à M. le Comte d'Orvilliers :
>> Depuis que je vous ai fait connoître , M. , les
intentions du Roi au ſujet du Capitaine Cook ,
j'ai été informé que le Capitaine Clark , qui a
mis à la voile au même tems , eſt chargé d'une
expédition particulière autour du monde ;
comme elle n'intéreſſe pas moins que la première
toutes les Nations , S. M. m'a ordonné
de vous mander qu'elle trouvera bon qu'en cas
d'une rupture abſolue entre la France & l'Angleterre
, il en ſoit usé avec ce Commandant ,
commeavec leCapitaine Cook. Vous remettrez
une copie de ma lettre aux Officiers , &c .
>>Hier , à 3 heures du matin , écrit-on de
Calais, en date du 22, deux vaiſſeaux Anglois
échouèrent à marée baſſe ſur la côte Waldaon ,
àune lieue de cette Ville. Se croyant à la côte
d'Angleterre , ils mirent leurs chaloupes à la
mer pour aller chercher du ſecours ; un des matelots
en débarquant fut apperçu&pris par le
Garde-Côte Aignaire.Ses camarades reſtés dans
la chaloupe , cherchèrent à s'emparer de quelques
femmes de pêcheurs , pour les échanger
contre le priſonnier ; elles leur échapperent ;
ils retournèrent aux vaiſſeaux , qui furent remis
à flot à l'aide des chaloupes. On forma dans la
Ville le deſſein de les enlever ; en une heure de
tems on équipa un bateau de 2 canons & de 2
pierriers& un langard plus petit , ſans canon.
Les Chaffeurs du régiment Vexin demandèrent
à s'y embarquer ; on le leur refuſa. Ce fut avec
peine que MM. de Bouillé & de Châteauneufde
Saint-Prieſt , volontaires & cadets dans
( 115 )
:
ce régiment , obtinrent cette permiſſion ; le
premier ſe jetta dans le bateau , qui rentra le
lendemain, ſans avoir pu joindre les vaiſſeaux ;
le ſecond prit place dans le langard , qui , le
lendemain , à 5 heures du foir , rencontra un
des vaiſſeaux Anglois qui s'étoit ſéparé de l'autre
; il étoitmonté de 8 canons , de 2 pierriers
&de 14 hommes. Le Capitaine Lami , ſecondé
par M. de Saint Prieft , l'aborda le fabre&le
pistolet à la main , & s'en rendit maître. Les
vents contrairesn'ont pas permis aux vainqueurs
d'amener leur priſe ici ; ils l'ont conduite à
Dunkerque ; elle alloit de Leith à Grenade ,
chargée de barils de boeufs , d'orge & de charbon".
Le 26 de ce mois , on a chanté à Notre-
Dame, à l'occafion de l'heureux accouchement
de la Reine , un Te Deum auquel le Parlement ,
les Ordres de la Magistrature & le Corps de-
Ville ont aſſiſté. Le ſoir il y a eu une illumination
générale ; on a fait couler des fontaines.
de vindans tous les quartiers ; on y a diftribué
du pain & des cervelats au peuple , qui a paffé
une partie de la nuit à danſer au ſon des inſtrumens
, & à témoigner ſa joie & fon amour pour
ſes Souverains , par des cris répétés de vive
le Roi , vive la Reine , vive la Princeſſe .
La Cour de Lisbonne vient de foutenir avec
vigueur , le reſpect dû à ſa neutralité. Une
fregate Angloiſe ayant pris ſous le canon de
Lagos,près du cap de S. Vincent , un navire
François , le Ministère Portugais a fait de fi
vives repréſentations à M. Robert Walpole ,
Envoyé extraordinaire de S. M. B que ce bâtiment
, quoique déja vendu , a été ramené à
l'endroit où il avoit été pris , & remis entre
les mains du Capitaine & de ſon équipage.
On a répandu dans le public que les pertes
faites par le commerce depuis le commence(
116 )
ment des hoftilités avoient occaſionné pluſieurs
banqueroutes à Bordeaux , à Nantes , à Rouen ,
&c. En attendant que l'on puiſſe démontrer
complettement la fauſſeté de ces bruits , voici
la copie d'une Lettre de Rouen en date du 24
de ce mois. » Il eſt très- faux qu'une banqueroute
affez conſidérable arrivée en cette Ville , provienne
des malheurs de la guerre. Celle d'un
Banquier de Paris en a été l'unique cauſe. En
général cette place a très-peu perdu dans la
campagne dernière ; mais les eſprits inquiets
groffiffent toujours les objets & partent delà
pour ſe plaindre ou fronder. Les gens ſenſés ,
au contraire , les bons Citoyens voyent la
guerre actuelle avec plaifir , parce que ſeule
elledonne l'eſpérance de voir remettre à fa place
une Nation qui de tout tems a été ennemie de
la nôtre , & diſparoître le monument de honte
qui exiſtoit à Dunkerque , &c “ .
De BRUXELLES , le 31 Décembre.
LES Lettres d'Eſpagne portent que l'Eſcadre
qui devoit partir de la Corogne, a mis à la voile :
elle conſiſte en 12 vaiſſeaux de ligne & 6 frégates
avec un grand nombre de bâtimens detranſports.
Comme on ne dit point quelle eſt ſa deſtination ,
on ne manque pas de faire mille conjectures pour
la deviner ; ſelon les uns elle ſe rend en Amérique,
où elle ſe joindra à celle que la France
y a déja ; ſelond'autres , elle conduit des troupes
dans les Etabliſſemens Eſpagnols que l'on veut
mettre en état de défenſe & à l'abri de toute
attaque avant de ſe déclarer ouvertement. La
déclaration de cette Puiffance , ſelon toutes les
nouvelles , ne peut pas être encore long-tems
retardée. Les Anglois s'y attendent , & c'eſt
peut- être ce qui fait qu'ils ont déja annoncé dans
leurs papiers que le Marquis d'Almodovar avoit
dit au Comte de Weymouth » que le Roi fon
( 117 )
Maître ſe voyoit dans la néceſſité de fournir à
la France le ſecours promis par le pacte de Famille
; & que S. M C. eſpéroit que cette démarche
, conforme au traité , n'apporteroit aucune
altération à la bonne harmonie qui ſubſiſte
entre les deux Cours ". Cette annonce eſt ſans
doute prématurée ; mais les Anglois prévoient
une déclaration prochaine dont celle - ci eſt la
ſubſtance.
Depuis le 4 de Novembre que le Comte
d'Estaing eſt parti de Boſton , on ignore abfolument
ſa marche & fes projets. » Ce Vice-
Amiral, écrit - on de Paris , promit , dit - on , à
M. de Sartine , qu'il recevroit la Relation de
ſon expédition lorſqu'elle ſeroit terminée , ou
ſon Extrait mortuaire ; c'étoit annoncer qu'il
n'écriroit point , & il a tenu ſa parole. S'il a
un Secrétaire , c'eſt celui de ſes gens qui eft
lemoins occupé. Comme il ne donne pointde
ſes nouvelles , la curioſité impatiente du Public
ſaifit avec empreſſement toutes celles que peuvent
apporter les navires marchands qui reviennent
d'Amérique ; la plupart font bien vagues ;
voici les dernières que l'on a recueillies «.
» M. le Comte d'Estaing , avant ſon départ de
Boſton , a fait , dit - on , en fon nom , maisfans
prendre aucun titre , ce qui n'étoit pas néceſſaire
parce que perſonne n'ignore les forces qu'il a
avec lui , une Proclamation pour exhorter les
habitans de l'Acadie & du Canada à ſecouer le
joug de la Grande-Bretagne ; il a fait des vivres
pour 4 mois , & 3 à 4000 Américains ſe font
embarqués fur fa Flotte ; il a pris auſſi des tentes
&des gillets. Au lieu d'aller aux Antilles , comme
on dit qu'il en avoit l'ordre , on prétend
qu'il est allé à Hallifax . Mais comme il n'y a
que to lieues de navigation de Boſton àHallifax
, il auroit dû être à vue de ce Port à la mi-
Novembre ; & dans ce cas , on ne conçoit pas
(118 )
comment on n'en a encore aucune nouvelle en
Angleterre , la traverſée des côtes de l'Acadie
aux côtes de la Grande- Bretagne ne pouvant
guères être que de 25 à 30jours , vu la conſtance
des vents de fud & de ſud-oueft qui règnent
depuis près d'un mois & demi. Ce font peutêtre
ces obſervations qui ont donné lieu à un
autre bruit qui s'eſt répandu , & d'après lequel
M. le Comted'Estaing a changé ſa deſtination&
pris la route des Antilles. Il doit, ajoute t- on ,
prendre à l'Iſle Hollandoiſe de Saint - Euftache
quelques rechanges dont ila beſoin, & delà aller
à la Jamaïque. C'eſt à l'une ou à l'autre de ces
deftinations que l'opinion générale s'arrête ; on
ne doute point que ce brave Officier n'ait de
grands deffeins ; on fait qu'il a du génie & de
Ia hardieffe ; & on eſt persuadé qu'il fera Mà
réchal de France , ou qu'il ſe fera tuer. En attendant
qu'il nous donne lui-mêmede ſes nouvelles,
voici une obſervation plaiſante qu'on fait ici.
Ce Vice- Amiral a une Nièce qui vit ordinairement
dans ſes terres , & qui eſt venue paffer
quelque tems à Paris , où ſe trouve une Soeur
de l'Amiral Byron , avec laquelle elle eſt liée.
La Soeur & laNièce ne ſe quittent pas en Europe,
pendant que l'Oncle & le Frere cherchent
à ſe battre avec fureur ſur les mers du Nouveau-
Monde".
Un Officier François , prifonnier en Angleterre,
écrit les détails ſuivans. >>Trois frégates
Angloiſes , après avoir eſſuyé des tems affreux
viennent de ſe perdre corps & biens. Lorfqu'un
Général ne réuffit pas dans ce pays-ci, on demande
ſa tête , & l'on dit que celle de Keppel
court de grands riſques. Il eſt du moins certain
qu'il ne veut plus commander la flotte C'eſt
M. Howe qui le remplace. On est fort inquiet
enAngleterre des opérations de M. d'Estaing :
on n'y parle que des dommages qu'il a cauſés à
( 119 )
la Nation. Elle me paroît dans un triſte état :
on ne trouve plus de recrues ni pour la terre ni
pour la mer. Dernièrement à Plymouth , on
vouloit prendre des Américains pour ſervir fur
l'Eſcadre qu'on y équipe. Leurs feinmes & leurs
enfans les ont fuppliés à genoux de prendre
parti . Ils ont répondu qu'ils aimoient mieux
périr en priſon que de trahir leur Patrie ".
>> Le tribunal général de l'Inquiſition , écrit-on de
Madrid, tint le 20 Novembre dernier un Auto ſe
cret, dans lequel comparut comme accuſé le ſieur
Paul Oliyadés , aſſiſtant de Séville , & fur- Intendant
des nouvelles Colonies de Sierra-Morena. Le rapport
de ſon affaire dura depuis 8 heures du matin
juſqu'à midi & demi. Les griefs fondés ſur ſes excès
& fon libertinage , formoient 170 articles d'une
part,& 70 d'une autre , appuyés ſur le témoignage
de 78 témoins . Lorſque les deux ſecrétaires eurent
fait la lecture de la procédure , & prononcèrent ces
mots terribles , nous le déclarons atteint & convaincu
d'hérésie , il tomba en ſyncope , fans perdre
cependant connoiflance ; du vin & de l'eau qu'on lui
donna , le mirent en état d'entendre ſa Sentence ,
qu'il écouta en qualité d'hérétique , tenant en main
une torche de cire verte , qui devoit être furchargée
de la croix de Saint-André , dont le Grand
Inquifiteur lui fit grace. Il a éré condamné à la perte
detous ſes biens qui ſont confiſqués , à 8 années de
clôture dans un couvent ; pendant la première il jeû.
nera tous les vendredis , ſi ſa ſanté le lui permet, ce
qui ſera remis à la difcrétion d'un Directeur éclairé
qu'on lui nommera pour l'inſtruire de la religion &
le fortifier dans la pratique de ſes exercices. Il lui a
été enjoint de faire régulièrement ſes prières du matin
& du ſoir , de lire le Guide des Pécheurs du
R. P. Louis de Grenade , de réciter tous les jours à
genoux le Rofaire & le Credo . Il a été déchu de tous
ſes titres & charges , déclaré incapable d'en poſſéder
jamais aucune; il lui a été défendu de porter à l'avenir
des vêtemens de ſoie , velours , tiſſus d'or ou
( 120 )
1
d'argent , du galon , des pierreries; il ne s'habillera
que de drap jaune le plus commun; il ne montera
point à cheval , & ne portera aucune arme. Il eſt
banni à perpétuité de Séville , de toutes les maiſons
Royales , de Madrid , des nouvelles Colonies , & de
Lima , lieu de ſa naiſſance où il prit le grade de Docteur.
On lui fit faire enſuite en ſa qualité d'hérétique
une abjuration authentique , après laquelle il fut
abfous de l'excommunication & réconcilié ſuivant
toutes les formalités preſcrites par les Canons. Quatre
Prêtres en ſurplis vinrent pour cet effet , armés
chacun d'une poignée de verges , dont ils le frappèrent
ſur les épaules ſuivant l'uſage , pendant qu'on
récitoit le pſeaume Miserere. Il fit ſa profeffion ſolemnelle
de foi , & fut interrogé ſur plus de 30 ar
ticles de croyance ; on le dépouilla des marques de
l'ordre de Saint-Jacques dont il avoit été décoré. Le
Comité qui aſſiſta à ce Jugement , étoit compoſé du
Duc d'Icar d'Avranteo , des Comtes de Mora & de
la Corogne , de 3 Conſeillers de Caſtille , 2 des Finances
, 2 du Conſeil des Indes , 2 des ordres Royaux
&undudépartementde la guerre , de l'Abbé de Saint-
Martin & de 2 de ſes Moines , du Prieur de l'Efcurial
, de l'Abbé de Saint- Bafile , de 2 Trinitaires , 2
Religieux de la Merci , du Pere Cardenas , Capucin,
de pluſieurs Prêtres décorés , & de pluſieurs
Chevaliers de l'Ordre Royal de Charles III <«.
N. B. Nous nous empreſſons de rectifier ici
l'annonce que nous avons faite dans le Mercure
dus Décembre dernier , de la mort de Louis-
Marie-Joſeph Frottier (& non Frotter, ) Comte
de la Coſte Meſſeliere , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de St- Louis , ci-devant premier
Sous- Lieutenant de la Compagnie des
Chevaux- Légers de la Garde du Roi. Parmi
ſes Auteurs , on trouve Pierre Frottier , Grand-
Ecuyer de France en 1417 , fous Charles VII.
Voyez les Grands Officiers de la Couronne , du
Père Anfelme.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles;
les Causes célebres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
15 Janvier 1779 .
i APARIS,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES.
ECES
Étrennes au Roi ,
ACADÉMIES,
181 123 De Dijon ,
Couplets à Madame Ca- Société d'Agriculture de
fanova, Lyon, 124
Jers à MileA... D... 125 Anecdote ,
182
183
-AM. de Laujon, 126 Trait de Bienfaisance 186
Lettre fur l'Origine des Cause Célebre , 187
Romans , 127 SCIENCES ET ARTS .
Enigme & Logogryp . 148 Sculpture , : 188
NOUVELLES Gravures ibid.
LITTÉRAIRES . Musique , 190
Éloges lus dans les Séan- ANNONCES LITTÉR. 191 .
ces Publiques de l'Aca- JOURNAL POLITIQUE .
démie Françoise , par Constantinople , 193
M. d'Alembert , 150 Stockholm 194
Extrait du TraitédesAc- Varsovie , 197
baut ,
couchemensparM. Bar Vienne
Traité de la Prononcia- Ratisbonne
198
165 Hambourg , 200
203
tion de la Langue An- Livourne ,
gloife,
209
167 Londres , 211
SPECTACLES . Septent.
Antiq. de la France , 169 Etats-Unis de l'Amériq.
Académie Royale deMu- Verfailles ,
218
222
fique , 176 Paris , 224
Comédie Italienne , 178 Bruxelles , 236
APPROΒΑΤΙΟΝ.
FAI lu , par ordredeMonſeigneur le Garde des
Sceaux, le Mercure de France , pour le is Janvier
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impref
fion. A Paris , ce 14 Janvier 1779 .
DE SANCY,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
ruede la Harpe , près Saint-Côme.
+
MERCURE
DE FRANCE .
15- Janvier 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉTRENNES AU ROI,
JE reſpecte les Souverains
Qui de Thémis ont la balance ,
Etqui n'uſent de leur puiſſance
Quepour le bonheur des humains :
Eux ſeuls peuvent avoir l'hommage ,
L'encens & les voeux des mortels ;
Fij
14 MERCURE
1
Comme des Dieux ils font l'image,
On leur doit auſſi des autels.
Ales honorer tout m'engage;
Mais j'abhorre le conquérant
Qui va d'une ardeur ſans ſeconde
Piller & ravager le monde,
Et couvrir la terre de fang:
Il la détruit , vous la rendez féconde ;
Antonin vécut comme vous';
Son nom eſt chéri dans l'Hiſtoire ,
Vous aurez même place au Temple de Mémoire?
Les Rois devroient être jaloux
De mériter la même gloire .
Ils font toujours des malheureux
Lorſque leur éclat les enivre;
Vous êtes bien au-deffus d'eux :
Plus le Deſtin vous fera vivre ,
Plus vos Sujets feront heureux.
(ParM. de Chennevières. )
COUPLETS A MADAME CASANOVA ,
Sur un díner où un gros rhume m'empêcha de
J'ALLOIS
me trouver.
AIR de Lindor.
'ALLOIS me rendre au Temple qui recèle
Un couple heureux dont Hymen a fait choix ,
DE FRANCE. 125
Nature , Amour , y montrent àla fois
Peintre fublime * avec charmant modèle. T
J'ENTENDS d'Amour la voix qui me ranime;
Mais Hippocrate.eft venu me ſaiſir ;
L'un pour remède ordonne le plaiſir ,
L'autre preſcrit l'ennui pour tout régime.
PRÈS de Silvie , Amours en embuſcade ,
Dit Hippocrate , iront te recevoir ;
Et le malade enfin qui va la voir ,
Loin de guérir , revient deux fois malade.
AMOUR tout bas me dit : va voir Silvie ;
Mais ſon rival me défend de la voir ;
Et l'una ſu m'en ôter le pouvoir ,
Quand l'autre , hélas ! m'en a laiſſé l'envie.
L
( Par M. Imbert. )
D. M. L. P. D. L.
Pour Mademoiselle A ... D ... ſous le nom
de Laure.
REVENEZ
EVENEZ mes plaiſirs , je revois ce que j'aime.
Les voeux que je formois pour venir en ces lieux
Sont enfin exaucés : oui c'eſt l'Amour lui- même
Qui va par mon retour rendre mesjours heureux.
2
*M. Cafanove , fameux Peintre deBatailles.
Fiij
126 MERCURE
:
Je me ſens rajeûnir ; tout me ſemble renaître
En me voyant ici j'ignore la ſaiſon.
Afſis auprès de Laure , on fent un nouvel étre ;
Onjouit de la vie en perdant la raiſon.
VERS à M. LAUJON , pour le remercier
de ce qu'il m'avoit fait préfent du Recueil
defes Chansons , intitulé : les à propos de
Société.
JEfes'alusy ces àpropos charmans ,
Ces jolis riens, où ta Muſe légère
Nous peint de fidèles amans
Qui folâtrent fur la fougère .
Je les ai lus , ces couplets qu'Apollon
Dicta jadis au tendre Anacréon,
Soupirant aux pieds de Glycère.
C'eſt un préſent digne des Dieux ;
Je le dois à ton coeur , il m'eſt bien précieux.
LOIN de moi la Philofophie ,
Et tous les froids raiſonnemens
Des raiſonneurs de Grèce & d'Italie.
Eh ! qu'a t'on beſoin d'argumens
Dans les boſquets de l'Idalie ?
Quittons ces fades ornemens
Pour les grelots de la folie.
Sur le ſommet du double mont ,
DE FRANCE.
127 .
Si ma Muſe encore enfantine
Va cherchant par-tout qui badine ;
Si mon coeur ſe livre au démon
Qui me lutine & qui m'inſpire ,
Pour prixde monfoible délire
Je ne veux rien , aimable Anacreon ;
Sois pour jamais mon Apollon ,
Et paie-moi par un fourire.
( ParM. l'Abbé de Baſville. )
LETTRE fur l'Origine des Romans en
Europe.
V
ous n'aurez de moi que des Lettres fugitives
, mon ami , fruits de la pareffe , &
non d'un travail ſérieux. Le ſtyle épiſtolaire
eſt plus libre , plus gai , plus conforme à la
franchiſe du coeur & de l'eſprit , plus convenable
à l'homme ſolitaire qui ne converſe
guères qu'avec ſes amis , & qui renonçant à
fréquenter les hommes , s'eſt réſervé pourtant
une des plus grandes douceurs de leur
commerce ; car il vaut mieux écrire que de
parler , non-feulement aux grands , dont les
aſpérités s'émouſſent par les diſtances ; mais
à la plupart des Gens de Lettres , moins tranchans
de loin que de près ; mais au commun
des hommes , avec qui ſouvent l'on perd à
les voir , les ſentimens d'eſtime & d'affection
qu'on avoit pu leur accorder ou leur
Fiv
128 MERCURE
infpirer. Les femmes d'eſprit ſeules font
plus dangereuſes dans le commerce épiftolaire
que dans la converſation. Leur ame
plus agitée dans la Société , détruit ou difmpe
par ſa mobilité naturelle , les paſſions
que pouvoit exciter leur ftyle de flamme ou
de douce langueur. Elles favent dérober leurs
défauts dans leurs lettres , au lieu qu'ils ſe
montrent dans leur voix, leurs traits , leur
contenance , dans le fil de leurs petites
actions qui trahiſſent juſqu'à leur coquetterie.
Je ſens que le ſtyle épiſtolaire en Litterature
a les inconvéniens de l'égoïfme. Qu'importe
, fi cette eſpèce de pédantiſme n'eſt
pas plus ennuyeuſe qu'une autre ? J'ai vécu
quarante ans fans ofer dire moi; mais quand
j'ai vu que le moi des autres ne valoit guères
mieux que le mien , j'ai jeté le mien dans
la mêlée pour ſe défendre contre les moi de
la grandeur , de la ſuffiſance , du bel-air , du
bel-eſprit , de la beauté , de la bêtife , & de
toutes les miferables enfances de l'amour
propre , dont l'arbre généalogique a des racines
& des branches immortelles.
La retraite d'ailleurs nous rend égoïftes .
C'eſt pour foi qu'on la cherche , quand on fe
trouve inutile ou même incommode aux
autres par fon âge ou ſon caractère. J'ai des
défauts incompatibles
j'ai le plus inſupportable de tous , celui de avec ceux des autres ;
ſentir trop vivement ceux que je n'ai pas.
Aufli me fuis-je caché dans un ſable defert ,
entre un bois qui n'eſt habité que des bêtes
DE FRANCE . 129
fauves , & un bord de rivière peu fréquenté
des hommes. Mes voiſins ſont des payſans
auſſi farouches que moi , des liévres qui
font peur aux grenouilles , mais à qui je fais
peur auffi , fans pourtant leur faire de mal ;
des cerfs qui ne me redoutent que ſous ma
redingotte bleue , hors delà me regardant
avec un air menaçant des galères.
Je chaffe cependant fans crainte & fans
permiffion , non pas aux cerfs , non aux ojſeaux
, mais aux idées , plus volages encore.
Mes profondes méditations roulent ſur la
métaphyfique des mots qui m'explique celle
des choſes : car je m'ennuie des rêves politiques
, & jabjure après vingt ans le vain fonge
du bien public . Une maladie réelle m'a
guéri de cette folie. Pour n'en être plus attaqué
, j'ai perdu de vue mon fiécle & mon
pays. Je m'enfonce dans l'antiquitédes temps
&des hommes. Je lis Homère , & me propoſe
à cinquante ans d'apprendre le Grec à
meſure que j'oublierai le François. En attendant
, j'aime ce Poëte , même dans notre langue
, depuis que , grace à la nouvelle traduction
en profe , mes enfans me récitent la
mortd'Hector,& les prières & les larmes de
Priam aux pieds d'Achille. Je pleure avec
toute la famille d'Hector , avec la mienne .
On me lit du Télémaque , & j'y trouve toujours
un nouveau charme , parce que Fénélon
eft antique comme Homère & Sophocle. Je
lis nos Romans du fiécle dernier. Ces lectures
attendriſſent mon ame. Apropos de ces
Fv
130
MERCURE
Romans , je viens de lire une Differtation
Angloiſe ſur l'eſprit Romancier , & j'y ai
trouvé matière à m'entretenir quelque temps
avec vous.
C'eſt une choſe curieuſe , mon ami , que
de rechercher l'origine de nos Romans. D'abord
avec de l'érudition & de la philoſophie
, l'imagination peut forger un ſyſtême
ou un Roman fur cette origine même. Je
foupçonne qu'elle eft contemporaine de celle
de nos grandes Maiſons de l'Europe , fi elle
n'eſt pas antérieure. L'Auteur Anglois de la
Differtation que je lis , va plus loin & plus
haut; car il veut que l'invention des Romans
ait été communiquée aux Européenspar
un peuple qui avoit , dit- il , plus d'efprit &
d'imagination que nous. Et quel eft ce peuple?
Le croirez-vous ? Les Arabes. Une horde de
bandits & de voleurs , errans dans des fables
brûlans & des rochers déſerts , vivant du
butin qu'ils font fur les pelerins de la Mecque
, autant ou plus ignorans qu'eux ; ce
peuple auroit plus d'eſprit que vingt nations
policées, dont chacune a vingt Académies
favantes. Ce peuple auroit de l'imagination ,
lui dont la tête raſée est toujours brûlée par
le foleil. Il auroit inventé les contes , lui qui
n'a rien à faire qu'à dormir le jour & marcher
la nuit. Il aura ſans doute inventé les
Sciences , parce qu'il nous a donné ſes chiffres
d'arithmérique ; l'Aftronomie
comtemple & compte les étoiles fous un
parce qu'il
ciel toujours pur ; la Philofophie , parce
د
DEFRANCE. 131
1
qu'il a commenté celle d'Ariftote ; la Médecine
, parce que les meilleures plantes de
la Pharmacie & le baume de la Mecque
nous viennent encore de ſon pays. L'Auteur
Anglois croit peut-être que le café ,
qui quelquefois exalta l'imagination des gens
d'eſprit , doit en donner beaucoup aux Arabes
qui le cultivent à Moka ; comme ſi les
Efpagnols , les Italiens , les Bourguignons &
lesGaſcons qui boivent les meilleurs vins de
l'Europe , en étoient auſſi les peuples les plus
ingénieux , les plus Poëtes & les plus Romanefques.
Mais notre Differtateur cite des faits , &
vous dit hardiment : " c'eſt une opinion réçue
parmi les Savans , que les croifades
> enrichirent l'Occident des Fables des
» Arabes. Ces expéditions contribuèrent
» beaucoup à répandre les ouvrages de ce
» peuple dans toute l'Europe » . Cette idée ,
fût-elle vraie , ne lui eſt point particulière .
Un homme qui n'avoit pas lu notre Anglois ,
a dit dans la Préface inconnue d'un Livre
qu'on ne lit pas ; ( ce font les Contes Perfans
par Inatula de Delhi , traduction Françoiſe
dune traduction Angloife ) cet anonyme a
dit , au ſujet des Leçons desfix Commères ,
qui ſe trouvoient dans l'ouvrage Perfan: " On
» s'étonnera peut-être d'y lire un Conte de
» l'Amandier preſque entièrement fembla-
>> ble au Conte du Poirier qui eſt dans la
>> Gageure des trois Commères par La Fon-
>>taine. Mais notre Poëte l'avoit emprunté
Fvj
132
MERCURE
و د
de Bocace , & cet Italien avoit peut-être
» emprunté de l'Orient quelques-uns des
>> ſiens ». Il ajouta à cette conjecture qu'elle
eſt d'autant pas vraiſemblable , qu'on peut
remarquer dans la manière de narrer de Bocace
, beaucoup de cette emphaſe qui refſemble
à l'enfure du ſtyle aſiatique. Il étoit
trop près de fes modèles pour en avoir fecoué
les défauts , comme La Fontaine les a
fait difparoître dans ſes Contes , grace à la
diſtance qu'un intervalle de quatre cens ans ,
celui de deux langues Europeennes , un caractère
national moins bouillant que celui
des Arabes & des Italiens , un goût poli par
la brillante Cour de Louis XIV& par les exploits
de Turenne & de Condé ; grace enfin
à toutes les différences que le climat & le
temps devoient mettre entre un Conte Perfan
, les Nouvelles de Bocace & les Contes
de La Fontaine. " On fait ( poursuit le Traducteur
François desContes d'Inatula ) que
> vers le temps de la renaiſſance des Lettres, il
s'eſt trouvé de grands rap rapports entre la Littérature
Italienne & celledesOrientaux.Les
>> croifades avoient ſans doute fait paffer en
>>Europe beaucoup d'idées , & peut - être
>> d'ouvrages de l'Orient. Les Arabes en ont
>>pu répandre par l'Eſpagne. Après la priſe
» de Conftantinople, la Littérature Grecque
vint en Italie avec celle de l'Afie Moderne.
Les Italiens prirent ces deux goûts à la
fois. Le Taffe & l'Arioſte n'ont-ils pas em-
>> prunté de l'Orient le ſujet local , les tours
ود
23
و د
و ر
"
DE FRANCE.
133
>> figurés , quelques perſonnages , & les idees
» même romaneſques de leurs Poëmes ? Les
>>Contes Eſpagnols de Cervantes ſe ref-
» fentent un peu du ſtyle & des moeurs des
>>Maures. Les anciens Romans François &
>>tous ceux de la Chevalerie ont beaucoup
retenu des féeries des Orientaux » .
Voilà les conjectures qu'avoit haſardées un
François il y a huit ans , & voici comment
elles ſont confirmées par les afſertions d'un
Auteur Anglois. La connoiffance & l'introduction
des Contes Arabes en Europe a précédé
de quelques fiécles au moins le temps
des croiſades. Les Sarrafins , ou les Arabes ,
après avoir habité les côtes Septentrionales
de l'Afrique , entrèrent en Eſpagne vers le
commencement du huitième ſiècle , ils y
firent des conquêtes , & fixèrent le fiége de
leur domination à Cordoue. Ces vainqueurs
y portèrent leur religion , leurs coutumes &
leur langue , qui ſe trouve encore mêlée dans
l'Eſpagnol , où tous les mots , qui ne font pas
venus du latin, paroiffent viſiblement Arabes.
Cette dernière langue fit bientôt négliger
celle des Romains , déjà conſidérablement
altérée & defigurée par les Viſigots. Les Efpagnols
enchantés des Livres Orientaux ,
dont les Fables amuſoient leur pareffe , voulant
en imiter le ſtyle pompeux & figuré,
laiſsèrent enfler & bouffir leur imagination
(dit Ducange ) par l'expreſſion ſonore , pittorefque
& magnifique de l'élocution Arabe.
Ils y trouvoient , outre l'éclat& la variété
134
MERCURE
J
5
des images , " une fécondité d'invention ,
ود dont les esprits stériles &froids de notre
» Europe , n'avoient pas eu juſqu'alors la
>> moindre idée ». L'Eſpagne avoit déjà des
liaiſons de commerce avec la France &
l'Italie , par la Méditerranée. Ainfi les Contes
des Fées paſsèrent à Marseille avec des
marchandises , & fans doute des vins ſpiritueux
, propres à faire valoir les fictions romaneſques.
Mais par quelle tranfmigration peu naturelle
des opinions & des idées fait - on
voler l'efprit romancier de la Provence
: en Bretagne ? Ce ne ſera ni par la communication
des terres , ni par celle de la
Méditerranée avec l'Océan ; car alors les
terres & les mers n n'étoient pas labourées
-& traverſées comme aujourd'hui. Sera- ce
par l'Eſpagne & par la Bifcaye & l'Aquitaine
, que l'eſprit Arabe aura paffé fur les
côtes de l'Amérique ? Non. Mais , dit l'Auteur
Anglois , il y avoit un germe de cet
eſprit en Bretagne avant l'établiſſement des
Sarrafins en Eſpagne. Et qui l'y avoit ſemé ?
Les Anglois ; & voici matière à de nouvelles
guerres entre la France & l'Angleterre , mais
guerre de Savans. Puiffe-t-il n'en pas furvenir
de plus fanglantes ! Quels font les plus
anciens Bretons , les Infulaires ou ceux du
continent ? D'un côté la conquête de l'ifle
par les Romains, fait préfumer aifément que
les Gallois auront paſſe ſur la côte des Gaules
la plus voiſine de la leur , d'autant que le
:
DE FRANCE.
135
coursnatureldes tranfmigrations ſe portedes
iflesau continent , plutôt que du continent aux
ifles. La raiſon en eſt que la population de
celles- ci doit ſe déborder par la mer fur les
terres voiſines , au lieu que ſur les côtes du
continent elle peut refluer dans les Provinces
méditerranées. Les Gallois , dit-on , & les
Bretons François parlent la même langue ,
puiſqu'au dernier liége de Belleifle, les foldats
de la Province de Galles entendoient
ceux des environs de Quimper , mais furtout
les payſans de l'ifle atliegée ; & plût au
ciel qu'ils ſe fuffent entendus juſqu'à ne pas
ſe battre ! Mais allons plus loin ; qui nous
affurera que les Gallois ne viennent pas originairement
des Gaulois , & qu'avant le paffage
de Céfar dans la Grande-Bretagne , ou
même avant que l'océan eût ſépare l'ifle du
continent , comme il a pu le faire en formant
un golfe de Breſt au Havre , avant
d'ouvrir le pas de Calais , les deux peuples
également celtiques , également braves fur
mer & fur terre , ne fuffent pas compris
ſous le nom de Gaulois ? Les anciens ÉcrivainsAnglois
donnent ſouvent à l'Armorique
le nom de Galles occidentale , tant l'une &
l'autre Galles ſemblent avoir la Gaule pour
mère. Quoi qu'il en ſoit , parens ou non , les
Gallois & nos Bretons font vraisemblablement
les peuples les plus anciensde l'Europe
moderne , puiſqu'ils ont , comme les Baſques ,
qui ne leur cèdent ni en antiquité ni en bravoure,
une langue particulière que perfonne
136 MERCURE
ne leur difpute. Au reſte , il eſt indifferent
de ſavoir laquelle des deux Nations eftla première,
puiſqu'il ne s'agit point de conquête,
mais d'alliance & de commerce entre elles;
lesdeuxpeuples, naturellement indépendans',
s'étant revoltés de concert & ligués enſemble
contre la dominationdesRomains. D'ailleurs
, de l'aveu même de l'Auteur Anglois ,
ce ne ſont pas les Gallois qui portèrent les
contes de leurs antiques Bardes dans l'Armorique
; mais les Armoricains qui donnèrent
leurs Romans aux Infulaires ; car il y a dans
le Muſée Britannique une collection de vieux
contes en vers François qui ſemblent avoir
été écrits par les Bardes Armoricains. Ceuxci
même ont compoſé des Poëmes d'une an
tiquité très- reculée qui ſubſiſtent encore. Les
Celtes ou les Armoricains avoient donc une
poéſie &des fictions avant que l'efprit romaneſque
des Arabes vint frapper leur imagination
? " Sans doute ; & c'eſt pourquoi les
>>Romans François placent en Cornouaille
„ la ſcène de leurs aventures » .
Ily avoit des livres Bretons avant qu'il y
eût des livres François , témoin une Chronique
des Rois de Bretagne en langue Armoricaine
, qu'unArchidiacre d'Oxford rapporta
de France vers l'an 1100 , à un Bénédictin
Gallois qui la traduiſit en latin. Cette chronique,
chargée d'ornemens romaneſques qui
ne peuvent remonter au-deſſus du huitième
fiècle , n'eſt , dit-on , qu'une généalogie des
Princes de Galles , depuis le Troyen Brutus
DE FRANCE. 137
juſqu'au ſeptième ſiècle de l'ère chrétienne.
C'étoit alors la manie de defcendre des
Troyens. Une histoire latine de France' ,
écrite au fixième ſiècle , commençoit à la
guerre de Troye , & finiffoit à Clovis , c'eſtà-
dire , qu'elle finiffoit par le commencement.
Chaque Nation vouloit avoir un des
cinquante fils de Priam pour fondateur ; au
pointque fous Juftinien,les Grecs eux-mêmes
ſe prétendoient les fils de ces mêmes Troyens
que leurs pères avoient exterminés , tant
cette Troye a fait de bruit dans le monde
par la voix puiffante d'Homère. C'eſt Homère
qui créa Virgile , qui a éterniſe la ruine
de Troye dans la mémoire des hommes , ou
du moins chez les Nations barbares ou policées
de l'Europe. Quand l'Éneïde y reparut
entre le fixième & le ſeptième ſiècle , &
qu'on vit les Troyens fondateurs de cette
Rome , éternelle Capitale du monde , foit
Payen ou Chrétien , chaque peuple ſauvage
voulut , à l'exemple du fiége des Céſats &
des Pontifes , deſcendre auſſi de Troye.
Mais peut-être étoient-ce les Romains euxmêmes
qui avoient apporté dans les Gaules ,
& dans toutes les Provinces de leurs conquêtes
, l'hiſtoire fabuleuſe de leurs fondateurs
, & qu'il en reſtoit des traces que l'ignorance
des barbares du Nord n'avoit point
encore effacées , & que la lecture des Poëtes
latins rafraîchit & grava dans l'eſprit des
Gaulois , Cependant on convient que l'hiftoire
des exploits de Brutus , héros de la
138 MERCURE
:
t
Chronique Bretonne , eſt écrite poſtérieurement
au neuvième ſiècle ; car on y parle
d'Alfred & de Charlemagne , deux héros à
mon gre , calques l'un & l'autre par leurs
Hiftoriens. On y dit que les douze Pairs de
France afſiſtèrent au couronnement du Roi
Arthur ou Artus , qui ſe fit avec une magnificence
vraiment romaneſque dans la ville
de Caërleon ; cérémonie intaginaire , ainfi
que les brillans tournois dont on l'accom
pagne , & qui n'ont été célébrés avec une
certaine pompe que long-temps après Charlemagne
. On parle dans cette Chronique ,
qui eſt ſuppoſée écrite au ſeptième ſiècle ,
de la Forêt de Canut , & Canut eſt mort en
1037. Cette Chronique a viſiblement été
fabriquée après la légende de Sainte Urfule
&les actes de Sainte Lucie. Enfin, quel qu'en
foit l'Auteur , Barde ou Moine , Anglois ou
bas-Breton , c'eſt une compilation informe
& monstrueuſe , faite au temps des Croiſades.
Mais ce qu'il y a de remarquable , &
dans cet ouvrage , & dans l'induction qu'en
tire notre Differtateur , c'eſt que ces fables ,
qu'on prend pour un reſte de la Mythologie
des Bardes Gallois , font l'ouvrage de l'imagination
des Arabes , & que nous devons à ce
peuple l'invention de la Chevalerie comme
desRomans, dont elle eſt la ſource & la matière.
Il eſt certain ,, mon ami, que du temps
de nos anciens Chevaliers, les chevaux Arabes
, comme aujourd'hui même les chevaux
Eſpagnols , qui font peut-être d'une race
DE FRANCE.
139
Arabe ou Barbe , avoient plus d'eſprit que
beaucoup de ceux qui les montoient. Mais
ce n'eſt pas une raifon pour faire deſcendre
des Arabes la Chevalerie Françoife , quoiqu'elle
doive peut-être autant de ſa gloire
aux chevaux qu'aux Cavaliers. On a d'autres
preuves , & les voici :
" Les livres des Arabes & des Perfans font
>> remplis de traditions extravagantes fur les
>>geants Gog & Magog. Or , dans le Roman
> Bas-Breton , un géant formidable de douze
>> coudées de haut , qui déracinoit un chêne
>> aulli facilement qu'un noifetier , s'appeloit
» Gog-Magog. Ce héros coloſſal s'étant op-
» pofe au debarquement de Brutus dans la
>> Bretagne , fut précipité d'une montagne
>>eſcarpée ſur les rochers de Cornouaille ,&
» de-là brifé & mutilé juſqu'au fond de la
» mer. L'endroit de ſa chûte s'appelle encore
>> le faut deGoë-Magof. Unſemblable géant ,
>>> terraffe par le Roi Arthur fur lemont Saint-
>> Michel en Cornouaille , étoit venu d'Eſpa-
>> gne. Arthur déclare qu'il n'en avoit point
> connu d'auſſi redoutable depuis la défaite
>> dú géant Ritho , qui portoit une robe tiflue
des barbes des Rois qu'il avoit tués ....
> Une prophétie de Merlin dit : il viendra
-> de Conon un ſanglier fauvage qui détruira
>> les chênes des forêts de la France. Les
>> Arabes & les Africains le craindront , &
>> il pourſuivra ſa courſe rapide juſqu'aux
>> extrémités de l'Eſpagne. Ce fanglier , c'eſt
>> le Roi Arthur ». 4
1
140
MERCURE
On trouve dans ces Romans des pierres
mystiques tranſportees des côtes de lAfrique
en Angleterre , avec la vertu de guerir; des
oiſeaux doués d'un langage prophetique; des
opérations magiques faites avec des herbes
medicinales; des prédictions& des pronoſtics
tirésdu coursdesétoiles; enfin desdragons ailes
&mystérieux. " Un dragon terrible vole de
>> l'ouest ; ſa gueule exhale du feu; ſes yeux -
>> étincelans éclairent tout lepays » . Un geant
eſt monté ſur un dragon aile. Le dragon
dreſſant ſa queue écailleuſe , emporte le géant
dans les airs avec une inviſible rapidité. Ces
dragons ſeuls prouvent que toutes ces fables
font orientales. LesArabes cultivoient la Médecine&
l'Alchymie, d'où la Magie , l'Aſtronomie
, d'où l'Aſtrologie. Ils ſe.guident encore
dans leurs marches , la nuit par le cours des
étoiles ,& le jour par le vol des oiſeaux , d'où
l'art de la divination d'après les aftres & les
oiſeaux. C'eſt ſur la réputation des ſciences
particulières aux Arabes , que l'Auteur de la
Chronique Bretonne , traduite par le Béné
dictin Anglois , fonda à Caërlon dans le Gla
morgan, un College de deux cents Philofophes
pour étudier l'Aſtronomie. Si de rien
l'ignorance a bâti cette belle Académie , que
ne fera-t-elle pas , dans dix ſiècles , de la Société
Royale de Londres ? Newton , ce géant
enAftronomie, fera bien plus qu'un Prophête
; mais on debitera de lui ce qu'il ne
fut, ni ne fut , ni ne vit jamais ; & l'on ignorera,
l'on taira ce qu'il a dit& ce qu'il a fait.
DEFRANCE.
141
O inanité des hommes & des ſciences!
Que la Chronique de Geoffroi de Monmouth
, ce Moine Gallois , traducteur ou
compilateur de la légende bas - Bretonne ,
foit venue avant ou après le Roman qu'on
attribue à l'Archevêque Turpin ; qu'on
faffe remonter avec quelques Savans cette
vieille & fabuleufe Chronique au temps
de Charlemagne , ou qu'on prétende avec
M. de Voltaire , plus profond dans ſes
recherches qu'il ne le paroît à la rapidité
de ſon ſtyle toujours clair , ingénieux &
facile ; qu'on diſe d'après lui que ces
fables ont été écrites au onzième ſiècle par
un Moine qui les a débitées ſous le nom
de l'Archevêque Turpin ;elles n'en font pas
moins des fables , quoique le Pape Callixte
ſecond ait déclaré l'an 11.22 , que l'hiſtoire
répandue ſous le nom de l'Archevêque Turpin
étoit authentique , ces mêmes fables n'en
Lont pas moins Arabes d'origine.
M. Falconnet que j'ai connu vieux &
favant,comme ſes livres , plein de candeur
&de bontécomme un jeune-homme , a four
tenu dans des Diſſertations lues à l'Académie
des Infcriptions , que cette chronique &
tous les anciens Romans de la Table ronde ,
avoient été compoſés en latin...
Oienhart ſuppoſe avec beaucoup de vraiſemblance
que la Chronique de Turpin eft
l'ouvrage d'un Eſpagnol., Ce ne feroit pas
la première Hiſtoire que les Moines Efpagnols
auroient traveſtie en Roman ; car
1
142 MERCURE
je ſuis très-perfuadé , & le prouverois même
avec du loiſir & de la patience , que l'Hiftoire
des Incas , par Garcilafſo de la Vega ,
n'eſt qu'un Roman de quelque Jéſuite , qui,
pour compoſer une Hiſtoire des Péruviens,
amis à contribution les Annales de l'Orient
& les Bibliothèques de Chevalerie. Or , dire
que cette Chronique de l'Archevêque Turpin
a été compilée en Eſpagne , berceau des
Romans, où l'eſprit humain n'est pas encore
forti de l'enfance , n'est- ce pas indiquer que
ces fictions extravagantes tirent leur fource
de l'Arabie , puiſque c'eſt par l'Eſpagne que
les Fables Orientales ont paſſe dans l'Europe?
Mais en Arabie on les donne , on les prend
pour des Contes ; au lieu que les Eſpagnols,
ainſi que les François & les Anglois en ont
long-tems fait les fondemens de leur Hiftoire.
Le ſavant Anglois dont je vous cite ici
la Differtation , oppoſe au ſyſtême d'Odin
l'hypothèſe d'un critique de ſa Nation
, qui donne à nos Romans une autre
Patrie que l'Arabie. " On peut faire def-
>> cendre , dit celui-ci , nos vieux Romans
» de Chevalerie des anciennes Chanſons
>>hiſtoriques des Bardes & des Poëtes
» Goths » . On retrouve encore dans le Nord
pluſieurs de ces Chanſons qui préſentent
toutes les idées de notre Chevalerie primitive
& barbare. " Les Fables de nos Ro-
> mans étoient pour la plupart familières
> aux anciens Bardes du Nord, long-tems
DE FRANCE. 143
1
>>avant les Croiſades. Ils croyoient à l'exif-
>> tence des Géans & des Nains . Ils avoient
>>q>uelque idée de la Féerie ». Ils étoient entichés
des charmes de la magie, & paflionnés
pour les combats des dragons &des monftres.
M.Mallet, Auteur d'une Hiſtoire Françoiſe du
Danemarck , ſemble penſer auſſi que le fond
de notre goût Romancier eſt naturel aux
Peuples du Nord. Vous ſavez , mon ami ,
qu'on veut aujourd'hui faire venir toutes les
vérités de ce pays-là; mais il eſt plus facile
d'y trouver le berceau de l'ignorance que
celui des Sciences. Cependant on ne leur
accordera pas même l'invention des Romans.
Mon Anglois , champion ou Chevalier
littéraire des Orientaux , aime mieux
ouvrir deux portes en Europe à l'eſprit Romancier
, que de l'y laiſſer naître de luimême,
Mais il concilie très-bien fon opinion
avec celle dont il ſe fait une objection .
" Après la victoire de Pompée ſur Mi-
>>tridate , dit-il , une Nation de Goths Afia-
>>tiques qui habitoient la région , connue
» aujourd'hui ſous le nom de Georgie , &
» bornée au Sud par la Perfe , voyant les
>>progrès des conquêtes des Romains , fe
>> retira ſous la conduite de fon Chef Odin
» ou Wodin , dans les pays ſeptentrionaux
>> de l'Europe , & s'établit en Danemarck,
>>en Norvège , en Suède , & dans les au-
>> tres déferts de la Scandinavie » . Comme
Odin apportoit avec lui pluſieurs Arts utiles
, entr'autres les lettres de l'alphabet ,
144
MERCURE
dont le Nord l'a toujours appelé l'inventeur
les Scandinaves qui avoient adopté
la Langue , les Lois & la Religion de ce
Chef d'un Peuple émigrant , lui donnèrent
le titre de Dieu. Cette émigration eſt con- :
firmée par la reſſemblance frappante qui
fubfifte encore entre les moeurs des Georgiens
, décrites par Chardin , & celles de
certains cantons de la Norvège & de la
Suède. « Les anciens habitans de Dane-
» marck gravoient ſur les rochers en ca- ود
ود
د
ractères qu'on appeloit Runiques les
>> exploits de leurs Heros .... Or , cet art
» ou cet uſage d'écrire ſur les rochers eft
>>Aſiatique.; car on trouve encore des
» inſcriptions Runiques dans les déſerts de
» la Tartarie » . Les monceaux de témoignages
& de témoins élevés par Abraham &
Loth , atteſtent l'origine orientale de cette
forte d'écriture , dit notre Auteur. Mais
outre que la Bible ne parle point d'infcriptions
fur ces monumens, qui ſuppléoient au
contraire à l'écriture pour conclure les traités
, les contrats , les partages & les pactes
de famille; je dirois que cet uſage appartient
à l'enfance des Nations dans tous les
Pays de la terre ; & que les Hébreux ou
leurs pères n'avoient dans la Chaldee que
le langage allégorique des ſignes ou des
hiéroglyphes , employé de nos jours par les
Sauvages du Canada. Un arbre , un tas de
pierres , au défaut d'une montagne , doit
ſervirde témoin entre des Peuples ignorans
3
C
qui
DE FRANCE.
145
qui n'en font que plus fidèles à leurs fermens
; car on n'arrache pas une montagne
comme on altère ou l'on ſouſtrait une pièce
d'écriture , & ces archives valoient bien nos
regiſtres timbrés , paraphes & contrôlés.
Cette preuve d'analogie infirmée ou détruite
, il en reſte d'autres à l'Auteur moins
conteftables. " Lorſqu'un de ces Chefs du
>> Nord ( dit - il ) mouroit honorablement
» dans une bataille , on brûloit avec lui ſes
>>armes , ſon cheval & ſa femme ». Cette
coutume barbare de ſacrifier la femme fur
le bûcher du mari , n'eſt-elle pas originaire
de l'Orient , puifqu'elle y ſubſiſte après des
fiécles , quand tous les Peuples qui l'en
avoient apportée l'ont abolie ?
Mais il eſt douteux que cet uſage abominable
ait jamais exiſté dans le Nord , où
la femme fut long-tems un être plus myftique
encore que phyſique , plus ſouvent
Prêtreſſe que victime , & révérée pour les
charmes de la magie quand ceux de la
beauté lui manquoient. Cette ſuppoſition ,
introduite dans les Romans ou dans l'Hiftoire
des Scandinaves , prouve ſeulement
que ces livres du Nord viennent de l'Orient.
Tout favoriſe une induction fi naturelle . La
conformité des ſuperſtitions des Druides
avec celle des Perfans , & de leur Sacerdoce
avec celui des Mages ; de la Doctrine de
Zénon toute Perſane avec celle de l'Edda ;
de la Théologie Runique avec celle de
Alcoran; la reffenblance de l'Éliſée d'Od
1 Janvier 1779 . G
146 MERCURE
din avec le Paradis de Mahomet ; de l'Enfer
des Goths avec celui des Perfans , l'un
& l'autre remplis de ſcorpions & de ferpens
très-communs dans la Perſe & non
dans le Nord de l'Europe ; le Lock ou
Diable des Scandinaves , tout ſemblable à
l'Arimane des Perſes ; enfin , une foule de
coutumes Orientales retrouvées en Europe
dans les ſiècles de barbarie. Tout ramène
à l'idée la plus ancienne & la plus vraiſemblable
: la Terre & le Soleil , tout nous
dit que l'Europe doit avoir été peuplée par
l'Orient & le Midi , L'Aurore boréale vient
de la lumière zodiacale , mais au figuré bien
plus certainement qu'au phyſique. Le Nord
n'a que des rayons épars de la ſcience écloſe
fous la Zone Torride, avec les grands ſpectacles
& les magnifiques productions de la
Nature. Je fais que Saumaiſe veut que les
Grecs aient tiré leur origine & leur Langue
de la Scythie ou du Nord & non du
Midi. Je fais qu'Hérodote trouve de grandes
conformités entre le Nil & le Danube ,
entre, l'Égypte & la Colchide; mais il n'en
eſt pas moins perfuadé que les Grecs ont
tout puiſé chez les Égyptiens ; & que les
Peuples de Colchos avoient tout pris en
Égypte , juſqu'à la magie , la circoncifion ,
l'art de cultiver & d'ouvrer le lin. Cependant
les Sciences pratiques & les Arts méchaniques
, par des progrès proportionnés
aux beſoins de l'homme , ont dû faire des
découvertes dans le Nord , peut-être igno
DEFRANCE.
147
rées dans l'Orient. Quant aux Ouvrages qui
tiennent purement à l'imagination , comme
la Poéfie & les Romans , qui ne font après
tout que des fictions poétiques , l'Afie eſt
leur patrie , on n'en fauroit douter. Je
pourrois appeler à la défenſe de cette affertion
, nos plus célèbres Mythologiſtes ,
comme l'Abbé Bannier , & d'autres Savans
& raiſonneurs très - profonds. Mais cette
Lettre eft déjà longue. Si cependant , mon
ami , vous la trouvez inſtructive , intéreſfante,
je ne dis pas pour cette claſſe de Lecteurs
qui le font par oiſiveté non par loiſir ,
mais pour ceux qui cherchent dans la lecture
cet aliment de l'eſprit qui en fait le véritable
ornement , je vous réſerve de la pâture
folide & favoureuſe tout-à-la- fois , pleine
de fuc & de douceur. Le caractère de poéſie
& l'eſprit de Chevalerie qui règnent dans
les Romans , décèlent encore leur origine
Arabeſque ou du moins Aſiatique. Vous y
verrez briller les Poëtes & les Dames qui
nous enchantent les uns par les autres. Ce
morceau n'eſt pas le moins piquant de la
Differtation dont je ne vous ai donné qu'une
idée très- rapide.
Gij
148 MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Lemot de l'énigme eſt Poivre; celui du
Logogryphe eſt Vaiſſeau , où se trouvent
Ives , vase , ais , ais , as , visa , vie, vaiffeau
, vis, eau , veau , Afie,ſi,ſi, avis ,
aveu, avé.
ÉNIGM E.
Je ſuis doux , complaiſant , commode ,
Chacun me recherche à l'envi;
Pour foulager les vapeurs & l'ennui ,
Je ſuis fur-tout fort à la mode.
A ce début , mon cher Lecteur ,
Tu me croiras peut-être un grand Docteur :
Fourquoinon?Beaucoup mieux que certains empiriques
J'adminiſtre des narcotiques ,
Qui ſans efforts & fans danger ,
Procurent un ſommeil léger.
Que te dirai-je encor pour me faire connoître ?
Je ſuis affidu chez les Grands ,
Et je dédaigne de paroître
Sous la chaumière &dans les champs.
Thabite au ſein des Arts , des Lettres , du Génie;
J'ai ma place à l'Académie ;
J'y tiens mon rang comme les beaux eſprits ,
DEFRANCE.
149
Et pour plus d'un Savant, de fon mérite épris ,
Je deviens un ſujet d'envie :
Auſſi ma jouiſſance eſt-elle d'un grand prix ;
Enfin l'on croit heureux celui qui me poſsède.
Mais un fait que Buffon doit trouver ſurprenant ,
C'eſt que malgré deux bras ouverts à tout venant ,
Je ſuis pourtant un quadrupède.
:
1 (ParM. Dracolf, à Strasbourg.)
LOGOGRYPHE.
LECTEUR ,
demes neufpiés j'uſe avec avantage ;
En ſervant les humains je reçois leur hommage,
Ils doivent la plupart leur fortune à mes ſoins.
Auſſi pour prévenir leurs différens beſoins ,
Je fréquente la Cour ainſi que les Provinces ;
Onmevoitentous lieux , & fur-tout chez les Princes,
Lesfots qui vontfans moi perdent ſouvent leur tems ;
Avec les gens d'eſprit j'exerce mes talens ;
D'une choſe qui plaît j'emprunte la figure ,
Et c'eſt pour réuffir la route la plus fùre.
Enme décompoſant tu trouveras en moi
Un vaſe très-commun que chacun a chez foi ;
L'habit des animaux ; ce qu'on fait ſur la vue ;
Une arme très-antique , à préſent inconnue ;
Ce que tout Chirurgien applique à bien des maux ;
Unmeuble deſtiné pour prendre du repos.
Et quoique je paroiſſe un être aſſez biſarre ,
Je ſuis unbeau vernis dont l'homme adroit ſepare.
:
4
Giij
150 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Éloges lus dans les Séances publiques de
l'Académie Françoise, par M. d'Alembert ,
Secrétaire perpétuel de cette Académie.
A Paris , chez Panckouke , rue des Poitevins
, hôtel de Thou , & Moutard, rue des
Mathurins , hôtel de Cluny , in- 12 .
Après les applaudiſſemens PR qu'ont reçus aux
Séances de l'Académie les différens morceaux
raſſemblés dans ce volume , il ne falloit pas
moins que tout le mérite de leur Auteur
pour leur affurer un égal ſuccès à la lecture
du cabinet. Ses ennemis , ont prétendu ,
dit on , dans des brochures ſatyriques ,
que tout le plaifir que ces Éloges ont
fait dans nos Aſſemblées , tenoit uniquement
au preſtige d'un débit ſéduiſant ; mais
en lifant l'Ouvrage , on verra que le grand
art de l'Auteur n'eſt autre choſe que celui
de penfer & d'écrire. Detous ces Éloges , recueillis
aujourd'hui pour la première fois , il
n'y en a pas un ſeul qui ne contienne des
idées très-judicieuſes ſur le caractère du perfonnage
dont il eſt queſtion , ſur la trempe
de fon génie , ſur l'art dont il s'eſt occupé.
Perſonne n'a mieux rempli le voeu que for
DE FRANCE.
moit l'Abbé de S. Pierre , un des Académiciens
qu'a célébrés l'éloquent Secrétaire. U
vouloit , ſuivant l'expreffion de ce dernier ,
que les Élogesferviſſent de cadre & comme de
prétexteàdes leçons importantes, tracées oupar
lesfuccès ou mêmepar lesfautes de ces grands
hommes. L'Auteur a ſu joindre à l'intérêt
qui naît de la variété des objets , celui d'un
ſtyle toujours élégant & ingénieux , qui ſe
proportionne à tous les ſujets , & fe plie à
tous les tons ; & la deviſe de ce Livre auffi
agréable qu'inſtructif , doit être celle
qu'Horace affigne à la perfection : utile
dulci.
Nous allons mettre le Lecteur à portée
de juger lui-même de la manière dont M.
d'Alembert fait caractériſer les hommes célèbres
dont il honore la mémoire. Nous
ſommes renfermés dans des bornes trèsétroites
, & fi nous reſtreignons malgré nous
des citations que nous voudrions étendre ,
nous ſommes bien sûrs du moins qu'elles
fuffiront pour inſpirer à tous les Lecteurs
éclairés le defir d'y ſuppléer en liſant l'Ouvrage
entier.
Le premier de ces Éloges eſt celui de
Maffillon. Ceux qui s'occupent de l'éloquence
de la chaire , trouveront ſans doute
que celle de ce grand modèle eſt ici trèsbien
ſaiſie & très-bien peinte. " Il étoit per-
>>ſuadé que ſi le Miniſtre de la parole divi-
" ne ſe dégrade en annonçant d'une manière
>>triviale des vérités communes , il manque
:
1
Giv
2 MERCURE
>> auffi fon but en croyant ſubjuguer , par
» des raiſonnemens profonds , des Auditeurs
» qui , pour la plupart , ne font guères à
>> portée de le ſuivre ; que ſi tous ceux qui
l'écoutent n'ont pas le bonheur d'avoir
>> des lumières, tous ont un coeur où le Pré-
>> dicateur doit aller chercher ſes armes ;
» qu'il faut , dans la chaire , montrer l'hom-
» me à lui-même , moins pour le révolter
>>par l'horreur du portrait, que pour l'affli-
>> ger far la reffemblance ; & qu'enfin , s'il
>>et quelquefois utile de l'effrayer & de le
>> troubler , il l'eſt encore plus de faire cou-
>> ler ces larmes douces , bien plus efficaces
>> que celles du déſeſpoir.
>> Tel fut le plan que Maſſillon ſe pro-
» pola , & qu'il remplit en homme qui
» l'avoit conçu, c'est- à-dire , en homme ſu-
> périeur. Il excelle dans la partie de l'Ora-
>> teur, qui ſeule peut tenir lieu de toutes
>> les autres ; dans cette éloquence qui va
>> droit à l'ame , mais qui l'agite ſans la
>> renverſer , qui la conſterne ſans la flétrir,
» & qui la pénètre ſans la déchirer. Il va
>> chercher au fond du coeur ces replis ca-
➡ chés où les paſſions s'enveloppent , ces
>> fophifmes ſecrets dont elles ſavent ſi bien
>> s'aider pour nous aveugler & nous fédui-
» re. Pour combattre & détruire ces fophif-
» mes , il lui fuffit preſque de les dévelop-
>> per ; mais il les développe avec une onc-
» tion ſi affectueuſe & fi tendre , qu'il fub-
>> jugue moins qu'il n'entraîne ; & qu'en
DE FRANCE. TS
(
>>nous offrant la peinture de nos vices , il
> ſait encore nous attacher & nous plaire.
>>Sa diction , toujours facile , élégante & pu-
>> re , eſt par-tout de cette fimplicité noble ,
> ſans laquelle il n'y a ni bon goût ni véri-
>> table éloquence ; fimplicité, qui , étant
>> réunie dans Maffillon à l'harmonie la plus
>> féduiſante & la plus douce , en emprunte
> encore des grâces nouvelles ; & , ce qui
>> met le comble au charme que fait éprou-
>>>ver ce ſtyle enchanteur , on fent que tant
> de beautés ont coulé de ſource , & n'ont
>> rien coûté à celui qui les a produites. Il
>> lui échappe même quelquefois , ſoit dans
>> les expreſſions , foit dans les tours , ſoit
>>dans la mélodie ſi touchante de ſon ſtyle ,
>> des négligences qu'on peut appeler heu-
>> reuſes , parce qu'elles achèvent de faire
>> diſparoître , non-feulement l'empreinte ,
>>mais juſqu'au ſoupçon du travail. C'eſt
>> par cet abandon de lui-même que Maffil-
>> lon ſe faifoit autant d'amis que d'Audi-
>> teurs ; il ſavoit que plus un Orateur paroît
>>occupé d'enlever l'admiration, moins ceux
>>qui l'écoutent ſont diſpoſés à l'accorder ,
» & que cetre ambition eſt l'écueil de tant
>>de Prédicateurs , qui chargés , ſi on peut
>>s'exprimer ainſi , des intérêts de Dieu mê-
>> me , veulent y mêler les intérêts ſi minces
>> de leur vanité » .
M. d'Alembert s'eſt bien gardé d'établir
entre Maffillon & Bourdaloue un paralèle
qui n'auroit pas échappé à un Rhéteur vul-
Gy
154
MERCURE
gaire. Ces fortes de paralèles , dit-il , féconde
matière d'antithèses , prouvent feulement
qu'on a plus ou moins le talent d'en
faire. Et d'ailleurs , quel homme de goût imaginera
de rapprocher ces deux Prédicateurs ,
qui ſont ſi éloignés l'un de l'autre , comme
Écrivains & comme Orateurs , puiſque l'un
n'eut que le mérite , très-grand à la vérité
pour fon temps , d'amener le premier la
raiſon dans la chaire , & que l'autre y
amena l'éloquence , mérite très-grand pour
la poſtérité ? M. d'Alembert , ſans paroître
vouloir décider entre eux , tranche d'un ſeul
mot la queſtion , qui , après tout , n'en eſt
plus une pour tous les bons juges. En
comptant le nombre des Lecteurs , dit-il ,Maffillon
auroit tout l'avantage ; Bourdalouen'est
guères lu que des Prédicateurs ou des ames
pieuses; fon rival eſt dans les mains de tous
oeux qui lifent.
Nous pouvons ajouter ici , comme un
fait dont nous ſommes très-sûrs , que les
Sermons de Maffillon , prêchés dans des Égliſes
de village , y produifent beaucoup plus
d'effet que tous les autres. UnCuré qui , ſur
ce point , étoit d'une grande franchiſe , répondit
, il y a quelque temps , à des perſonnes
qui le félicitoient ſur la manière dont
il avoit été écouté dans ſon Prône : cela m'arrive
toujours quandje leur prêche Maſſillon.
C'eſt que l'éloquence du coeur eſt faite pour
le monde.
L'Auteur obſerve , pour mettre le comble
DE FRANCE.
ISS
à l'éloge de Maffillon , " que le plus célèbre
» Écrivain de notre nation & de notre ſiè-
>>cle , faifoit des Sermons de ce grand Ora-
>>teur, une de ſes lectures les plus aſſidues ;
>> que Maſſillon étoit pour lui le modèle des
» Proſateurs , comme Racine celui des
>> Poëtes , & qu'il avoit toujours ſur la mê-
» me table le Petit Carême & Athalie.
Ce n'eſt pas que M. de Voltaire ne ſentit
plus que perſonne la prodigieuſe diſtance
d'un beau Diſcours à une belle Tragédie ;
mais infiniment ſenſible au mérite du ſtyle ,
il penſoit que Maffillon & Fénelon avoient
donné à notre proſe le charme & la douceur
que Racine a mis le premier dans nos
vers ; & dans l'Encyclopédie , à l'article Éloquence
, c'eſt Maſſillon qu'il a cité.
M. d'Alembert rapporte le mot d'un
homme d'efprit : que Bourdaloue étant plus
raisonneur , & Maſſillon plus touchant , un
Sermon excellent à tous égards feroit celui
dont Bourdaloue auroit fait le premier point ,
&Maffillon lefecond. Nous ne pouvons pas
être de l'avis de cet homme d'eſprit ; il nous
ſemble qu'un Sermon de ce genre feroit une
étrange bigarrure. C'eſt un des voeux que
l'on forme aujourd'hui le plus ſouvent , &
que l'on peut mettre au nombre des voeux
bienmal entendus , que celui de voir réunir
ainſi dans un même ouvrage ou dans un
même homme , des talens diſparates ou
étrangers l'un à l'autre , qui ,le plus ſouvent ,
s'excluent & fe repouffent mutuellement,
Gvj
156 MERCURE
L'Éloge de Matfillon ne pouvoit pas être
plus heureuſement terminé. « L'Académie
>> qui l'a poffedé ſi peu, n'a pas laiffé de fen-
>> tir vivement ſa perte ; elle a du moins eu
ود la confolation de le voir dignement rem-
>> placé: M. le Duc de Nivernois a été ſon
» fucceffeur. »
Dans l'éloge de Deſpréaux , l'Auteur relève
avec beaucoup d'agrément & de fineffe
la manière mal-adroite dont les partiſans de
l'antiquité la défendoient contre Deſpréaux ,
dans la querelle trop fameuſe des anciens &
des modernes. " Perrault & ſes partifans ,
>> tout occupés à rendre bien ou mal à Def-
>> préaux les ridicules qu'ils en recevoient ,
ود auroient peut-être trouvé fort aifément,
>> avec un ſens plus raffis & plus de connoif
» fance des hommes, le moyen de ramener
» ou de calmer au moins leur adverſaire ;
>> car fuppofons pour un moment que dans
le fort de cette violente querelle, Perrault
eûtdit àDefpréaux: Euripide eſtſansdoute
» un grand Poëte tragique ; mais de bonne-
>> foi , votre ami Racine ne l'a-t-il pas fur-
>> paffé ? Horace , Juvenal & Perſe , étoient
ע
ود
des Satyriques du premier ordre ; mais
>> vous , M. Deſpréaux , n'êtes- vous pas fu-
>> périeur à chacun d'eux , puiſque vous les
réuniffez tous trois ? Homère eſt le Prince
des Poëtes ; mais donnez-nous une tra-
>> duction entière de l'Illiade , ſemblable à
>> quelques morceaux que vous nous avez
» déjà traduits , croyez- vous que l'Illiade
دو
ود
DEFRANCE.
157
>> Françoiſe dût alors rien envier à l'Illiade
>> Grecque ? Ces queſtions auroient vrai-
> ſemblablement refroidi le zèle religieux
>> de Deſpreaux pour les anciens qui ſe ſe-
>> roient trouvés aux priſes avec ſon amour-
>> propre ; & fi Perrault eût ajouté : croyez-
» vous que Louis-le-Grand ne ſoit pas fupé-
» rieur à Auguſte ? la dévotion du Satyrique
>> auroit pu ſe changer en apoftafie ».
Nous ne devons pas omettre dans ce même
Éloge de Deſpréaux , une remarque aflez
importante , & dont l'application n'a eu lieu
que trop ſouvent. Deſpréaux fut accuſé
d'une Satyre contre la Société des Jéfuites ,
alors très-puiſſante. " Ce n'eſt ni la première
>> ni la feule fois , dit l'Auteur , qu'on a vu
>> des hommes , plus redoutables par leur
>> pouvoir que par leurs lumières , employer
> ce moyen lâche & honteux pour nuire à
>> des Écrivains eſtimables , en leur attri-
>>buant des Satyres qui auroient été meil-
> leures s'ils avoient pu s'avilir à les écrire ,
» & s'ils euffent daigné employer contre la
>>méchanceté puiſſfante l'arme du ridicule ,
>> la ſeule qui ſoit aujourd'hui propre à l'ef-
>> frayer >>.
Nous devons encore moins paffer ſous
filence le ſouvenir des bonnes actions toujours
douces à entendre , même pour ceux
qui n'ont pas le courage de les imiter.
L'Abbé de S. Pierre nous offre un trait de
ce genre , par lequel M. d'Alembert a commencé
fonEloge. " Le Géomètre Varignon,
158 MERCURE
>>qui depuis ſe fit connoître par ſes Ouvra
>> ges Mathématiques , menoit alors une
>> vie obfcure & pauvre dans la ville de
>> Caen ſa patrie; il alloit ſouvent difputer
>> à des Theſes au Collège de cette ville , où
>> il avoit acquis la réputation , qu'il mépriſa
» bien dans la ſuite, d'un ſubtil & redou-
>> table Argumentateur. L'Abbé de S. Pierre
» qui étudioit dans ce même College , y
>> connut Varignon , difputa beaucoup avec
>> lui ſur les queſtions creuſes qui étoient
» l'unique & malheureuſe philoſophie de
>> ce temps-là , & goûta tellement ſa ſociété ,
>> qu'il réſolut de l'emmener à Paris , où ils
>> devoient trouver l'un & l'autre plus de
>> ſecours & de lumières. Il prit une petite
maiſon au Fauxbourg S. Jacques , &y lo
" gea avec lui le Géomètre fon compatriote.
Mais comme ce Savant , abſolument ſans
fortune , avoit beſoin d'une ſubſiſtance
aſſurée pour ſe conſacrer à ſon étude fa-
>> vorite , l'Abbé de S. Pierre , malgré l'ex-
» trême modicité de ſon revenu , qui n'étoit
>> que de 1800 livres , en détacha trois cens ,
» qu'il donna à Varignon ; il fit plus , il
» ajouta infiniment à ce don par la manière
גנ
ود
رد
ود
و د
dont il l'affura à ſon ami. » Je ne vous
donne pas , lui dit- il , une pension , mais un
contrat, afin que vous ne foyez pas dans ma
dépendance, & que vous puissiez me quitter
pour aller vivre ailleurs , quand vous commenserez
à vous ennuyer de moi.
Il y a tel homme de Lettres dont le talent
DE FRANCE. 159
a été retardé long-tems ou même étouffé ,
faute d'avoir trouvé un ami auſſi généreux.
L'Auteur remarque avec l'Abbé de Saint-
Pierre les inconvéniens de cette politique
timide , ſi commune parmi les Gens de Lettres
, qui les force preſque toujours d'avoir
dans leurs écrits un langage affez différent
de celui qu'ils ont dans la liberté de la
converfation. On diroit ſouvent qu'il y a
dans la littérature , comme dans la philofophie
des Orientaux , une doctrine ſecrette
dont il est défendu de développer les myftères.
" Les Sages , dit l'Abbé de S. Pierre ,
>> ſe traînant à regret & par foibleſſe dans
» les routes battues , répètent en la mé-
>>priſant , l'opinion de la multitude qui
>>s'y affermit enſuite elle-même en la ré-
>>pétant d'après eux , & qui devient à fon
>> tour leur écho , parce qu'ils ont été le
>> ſien. Notre Philofophe prétendoit que
>> cette frayeur pufillanime de heurter les
» idées vulgaires , s'étoit étendue fur les
» matières même où il eſt le plus évidem-
>> ment permis de penſer d'après ſoi; ſur les
>>objets de littérature & de goût ; il fou-
>> tenoit que la crainte de s'attirer des en-
» nemis , ou tout au moins des injures ,
>> avoit forcé des milliers d'Écrivains de
>> rendre humblement leurs hommages à
ود des préjugés qu'ils ſavoient nuiſibles au
» bien des Lettres ; d'adorer avec ſuperſti-
» tion ce qu'ils auroient dû honorer avec
>> difcernement; de louer à force de pru
160 MERCURE
dence des productions médiocres hono-
>> rées de la protection publique ; d'em-
> ployer enfin à ne pas dire leur penſée,
>> tout l'eſprit qu'ils auroient dû mettre à
ود
ود
la dire. En déplorant cette foibleſſe ,
l'Abbé de Saint-Pierre auroit pu y trou→
» ver un remède. Ce feroit que chaque
» homme de Lettres laiſsât un Testament
» de mort , où il s'expliquât librement fur
2 les Ouvrages , les opinions , les hommes
>> que ſa confcience lui reprocheroit d'avoir
>> encenfes , & demandat pardon à fon
ود
ود
fiécle de n'avoir avec lui qu'une ſincérité
>> pofthume. En uſant de cette innocente
refſource , les Sages qui dirigent l'opi-
>> nion par leurs écrits , n'auroient plus la
-douleur d'accréditer les erreurs qu'ils
>> voudroient détruire ; & leur réclama
» tion , quoique timide & tardive , ſeroit
>> comme une porte ſecrette qu'ils ouvriroient
à la vérité ». ود
C'eſt dans l'Éloge de Boſſuet que le Pa-
-négyriſte s'eſt élevé davantage , & qu'il femble
avoir pris les pinceaux de ce grand
Homme pour nous tracer les caractères &
-les effets de fon éloquence . " Toutes celles ,
>> dit-il, qu'il a prononcées ( en parlant de
20 ſes Oraiſons funèbres) portent l'empreinte
de l'âme forte & élevée qui les a pro-
>> duites ; toutes retentiffent de ces vérités
terribles que les Puiſſans de ce monde
3. ne fauroient trop entendre , & qu'ils font
- fi malheureux & fi coupables d'oublier
ود
DE FRANCE. 161
C'eſt - là , pour employer ſes propres
expreffions , qu'on voit tous les Dieux
de la Terre dégradés par les mains de la
mort, & abîmés dans l'éternité comme les
Fleuves demeurent fans nom & ſans gloire ,
mêlés dans l'Océan avec les Rivières les plus
inconnues. Si dans ces admirables Dif-
>>cours l'éloquence de l'Orateur n'eſt pas
>>toujours égale; s'il paroît même s'égarer
>> quelquefois , il ſe fait pardonner ſes écarts
>>par la hauteur immenſe à laquelle il
» s'élève : on ſent que fon génie a beſoin
>> de la plus grande liberté pour ſe déployer
>>dans toute ſa vigueur ; & que les entra-
>> ves d'un goût ſévère , les détails d'une
>> correction minutieuſe , & la féchereſſe
» d'une compoſition léchée , ne feroient
>> qu'énerver cette éloquence brûlante &
>>rapide. Son audacieuſe indépendance qui
• ſemble repouffer toutes les chaînes , lui
>>fait négliger quelquefois la nobleſſe même
>> des expreſſions : heureuſe négligence ,
>> puiſqu'elle anime & précipite cette mar-
› che vigoureuſe, où il s'abandonne à toute
» la véhémence & l'énergie de fon âme ;
>> on croiroit que la Langue dont il ſe ſert
» n'a été créée que pour lui ; qu'en parlant
» même celle des Sauvages , il eût forcé
» l'admiration , & qu'il n'avoit beſoin que
» d'un moyen , quel qu'il fût , pour faire
>> paffer dans l'âme de ſes Auditeurs toute la
>>grandeur de ſes idées. Les Cenfeurs fcru-
>> puleux & glacés , que tant de beautés
162 MERCURE
" laiſſeroient affez de ſang-froid pour ap-
» percevoir quelques taches qui ne peu-
> vent les déparer , méritent la réponſe que
>> Mylord Bolingbroke faifoit dans un autre
>> ſens aux détracteurs du Duc de Marlbo-
>> rough : C'étoit un fi grand homme que
» j'ai oublié ſes vices. Cet Orateur fi fu-
ود blime eſt encore pathétique , mais fans
>> en être moins grand ; car l'élévation peu
>> compatible avec la fineſſe , peut au con-
>> traire s'allier de la manière la plus tou-
> chante à la ſenſibilité , dont elle augmente
en la rendant plus noble.
Boffuet , dit un Écrivain célèbre , obtint
le plus grand & le plus rare des ſuccès ,
>> celui de faire verſer des larmes à la Cour ,
ود
ود
ود
ود
l'intérêt
د
dans l'Oraifon funèbre de la Ducheffe
>>d'Orléans, Henriette d'Angleterre : il ſe
troubla lui - même , & fut interrompu
par ſes ſanglots , lorſqu'il prononça ces
>>paroles ſi foudroyantes
20
ود
ود
à la fois, & fi
lamentables , que tout le monde fait par
» coeur , & qu'on ne craint jamais de trop
>> répéter » . O nuit désastreuſe, nuit effroyable,
où retentit tout-à-coup comme un éclat
de tonnerre , cette accablante nouvelle, Madame
se meurt , Madame est morte ! " On
>> trouve une ſenſibilité plus douce , mais
>> non moins fublime , dans les dernières
» paroles de l'Oraiſon funèbre du Grand-
>> Condé. Ce fut par ce beau diſcours que
Boffuet termina ſa carrière oratoire : il
finit par fon chef-d'oeuvre comme auroient
ود
"
DE FRANCE. 163
رد
ود
dû faire beaucoup de grands hommes ,
moins ſages ou moins heureux que lui » .
Prince , dit-il , en s'adreſſant au Héros que
la France venoit de perdre , vous mettrez
fin à tous ces Discours. Au lieu de déplorer
la mort des autres , je veux désormais apprendre
de vous à rendre la mienne fainte :
heureux fi , averti par ces cheveux blancs du
compte que je dois rendre de mon adminiftration,
je réſerve au troupeau que je dois nourrir
de la parole de vie , les restes d'une voix
qui tombe & d'une ardeur qui s'éteint ! " La
» réunion touchante que préſente ce tableau
>>d'un grand Homme qui n'eſt plus , & d'un
>>autre grand Homme qui va bientôt dif-
>>paroître , pénètre l'âme d'une mélancolie
>>douce & profonde , en lui faiſant envi-
>> ſager avec douleur l'éclat ſi vain & fi
>>fugitif des talens & de la renommée, le
>> malheur de la condition humaine , &
>> celui de s'attacher à une vie ſi triſte & fi
courte » .
La protection que Boſſuet accorda au
Cartéfianiſme , & qui n'a pu ſauver cette
Philofophie erronée du néant où elle eſt
aujourd'hui , fournit à l'Auteur des réflexions
faines & profondes , qui peut-être ne feront
pas toujours fans fruit. " La philofophie de
>> Deſcartes , qui n'avoit guères fait que ſubſ-
>>tituer à des erreurs anciennes & abfurdes ,
» des erreurs nouvelles & ſeduiſantes , a dif-
» paru , ainſi que celle d'Ariftote , mais fans
>>réſiſtance & ſans effort. Cette Philofophie
164 MERCURE
>>>fi inutilement tourmentée dans fon ber-
>>ceau par l'imbécillité puiſſante , réclame-
>> roit auffi inutilement aujourd'hui la pro-
> tection dont Boffuet l'a honorée ; elle a
>>péri , ſous nos yeux, de fa mort natu-
- relle , & la raiſon a fait toute feule co
>>que l'autorité n'avoit pu faire. Impor-
>> tante , mais preſque inutile leçon pour
>> ceux qui ont le pouvoir en main , de ne
>> pas uſer vainement leurs forces pour pref-
>>crire à la raiſon ce qu'elle doit penſer ,
» & de la laiſſer démêler d'elle - même ce
» qui lui convient de rejeter ou de faifir.
>>Plus l'autorité agitera le vaſe où les véri-
>> tés nagent pêle-mêle avec les erreurs ,
>>plus elle retardera la ſéparation des unes
» & des autres, plus elle verra s'éloigner
>> ce moment qui arrive pourtant tôt qu
>>tard , où les erreurs ſe précipitent enfin
>> d'elles-mêmes au fond du vaſe , & aban-
>> donnent la place aux vérités » .
Avec quel intérêt l'Auteur n'a-t- il pas
rappelé les derniers travaux & la fin de
Boffuet!
"Accablé de travaux & de triomphes ,
» l'Évêque de Meaux exécuta , après la mort
» du Grand-Condé , ce qu'il avoit annoncé
» en
terminant l'Oraiſon funèbre de ce
> Prince. Il ſe livra ſans réſerve au ſoin &
> à
l'inftruction du Diocèſe que la Provi-
>> dence avoit confié à ſes foins , & dans le
>>ſein duquel il avoit réſolu de finir ſesjours.
>>Dégoûté du monde & de la gloire , il
DE FRANCE. 16.5
» n'aſpiroit plus , diſoit- il , qu'à être enterré
» au pied de fes Saints prédéceſſeurs. Il ne
>>monta plus en Chaire que pour prêcher
>>à fon Peuple cette même Religion , qui ,
>>après avoir ſi long-temps effrayé par ſa
>>bouche les Souverains & les Grands de
» la Terre , venoit conſoler par cette même
>>bouche la foibleſſe & l'indigence. Il def-
>>cendoit même juſqu'à faire le Catéchifme
>> aux enfans , & fur-tout aux pauvres , &
>> ne ſe croyoit pas dégradé par cette fonc-
>>tion ſi digne d'un Évêque. C'étoit un ſpec-
>>tacle rare & touchant de voir le grand
>>Boffuet tranſporté de la Chapelle de Ver-
>>failles dans une Egliſe de Village , appre-
>>nant aux Payſans à fupporter leurs maux
>>avec patience , raſſemblant avec tendreſſe
>>leur jeune famille autour de lui , aimant
>>l'innocence des enfans & la ſimplicité des
>> pères , & trouvant dans leur naïveté, dans
>> leurs mouvemens , dans leurs affections ,
>>cette vérité précieuſe qu'il avoit cherchée
>> vainement à la Cour , & fi rarement ren-
>>contrée chez les hommes » . (Article de
M. delaHarpe).
Lafin de cet Extrait l'ordinaire prochain.
EXTRAIT du Traité des Accouchemens de
M. C. Barbaut , &c. A Paris , chez Valleyre
l'aîné , Imprimeur-Libraire, rue de
la Vieille Bouclerie , 2 vol. in- 12 . Avec
Approbation & Privilége du Roi.
Les ouvrages dogmatiques ont des utilités
166 MERCURE
réelles : un ſimple coup-d'oeil ſuffit pour en
faire connoître tout le prix , fur-tout dans
l'art de guérir. Ils ont ordinairement pour
baſe des principes concis , clairs , & de la
plus grande sûreté. Ils ont encore l'avantage
d'offrir dans le moment des reſſources que
les circonftances urgentes ne permettent prefque
jamais d'épuiſer dans des ouvrages plus
confiderables. Telle eſt l'idée que l'ondoit
avoir du Traité des Accouchemens de M.
Barbaut , Profeffeur & Démonſtrateur Royal
en l'Art & Science des Accouchemens aux
Écoles de Chirurgie. Ce Traité eſt un réſultat
des ſavantes leçons , tant publiques que particulières
, de ce célèbre Démonftrateur ;
leçons qui ont produit nombre d'Accoucheurs
de mérite , tant dans cette capitale
quedans la province. Cet ouvrage eſt écrit
d'un ſtyle à la portée de tous ceux qui defirent
de s'inſtruire avec fruit. La defcription
des os du baſſin &des parties qu'il contient
, de celles de la génération en général ,
de ce qui ſe paſſe au premier moment même
de la geſtation , & pendant tout le temps
de la groſſeſſe , ne laiſſent rien à defirer.
Le méchaniſme de l'accouchement , le manuel
& les devoirs généraux du Chirurgien-
Accoucheur , dans tous les cas poſſibles , y
font traités de main de Maître. On lit avec
une égale fatisfaction dans le Traité des
Accouchemens de M. Barbaut , les conſeils
qu'ily donne , tant pour le temps de la groffeſſe
, lorſqu'elle eſt accompagnée de quel
DE FRANCE.
167
ques accidens , que pour les éviter , & remédier
aux maladies qui peuvent arriver
après l'accouchement. Enfin M. Barbaut ,
aufli bon Théoricien que célèbre Praticien ,
ne ſcelle rien de toutes les connoiſſances que
ſes travaux & ſes réflexions particulières lui
ont acquiſes. Cet ouvrage , comme on peut
déjà l'entrevoir, eſt une eſpèce de veni mecum
indiſpenſable à tous ceux en général qui
exercent ou qui ſe deſtinent ſpécialement à
l'Art des Accouchemens .
Ilpeut même intéreſſfer d'autres genres de
Lecteurs , particulièrement les mères qui
ont le courage , autrefois ſi rare , de nourrir
elles-mêmes leurs enfans. Les articles de
l'allaitement & du ſevrage leur offrent des
conſeils dignes d'être médités & ſuivis.
Traité analytique , étymologique & raiſonné
de l'accent & de ta prononciation de la
Langue Angloiſe , ſuivi d'une Table des
verbes Anglois , réguliers & irréguliers ;
dédié à Monſeigneur le Duc de Chartres ,
par M. Carré. Un volume in-8 ° . avec
privilége du Roi , 1778. A Paris , chez
Piffot , Libraire , quai des Auguſtins .
Cet Ouvrage , que l'Auteur a eu l'honneur
de préſenter au Roi & à la Reine le 28 ou
le 29 du mois dernier , eſt diviſé en deux
parties : la première contient des règles générales
ſur la manière de faire fentir , foit en
parlant , ſoit en lifant , la ſyllabe ſur laquelle
168 MERCURE
doit tomber l'accent ou l'énergie qui donne
un caractère particulier à la langue Angloiſe.
La ſeconde partie de cet Ouvrage contient
les règles les plus détaillées ſur la prononciation
Angloiſe , appliquées à tous les élémens
de la langue. L'Auteur en a analyſe tous les
fons , & les a repréſentés auſſi fidèlement
qu'il a pu le faire par des caractères François.
Les obſervations ſur la prononciation Angloife
, contenues dans cette partie , ſont
diviſees en quatre colonnes. Dans la première
ſont les mots que l'Auteur a citéspour
exemples ; dans la ſeconde eſt leur, fignification
; dans la troiſième la manière de les
prononcer ; dans la quatrième l'étymologie
des mots cités pour exemple , tirée des langues
qui compoſent la langue Angloiſe , qui
font au nombre de vingt-deux , mortes ou
vivantes ; telles que les langues Anglo-
Saxone , Gothique , Gauloise , Danoife ,
Allemande , Hollandoife , Grecque , Italienne
, &c. &c. Cette étymologie eſt d'autant
plus importante , qu'elle donne la raifon
de toutes les variations que l'on rencontre
dans la prononciation de la langue Angloife ,
même de celles qui ont paru les plus bizarres; -
ce qui peut rendre cet ouvrage aufli utile
pour les Anglois que pour les étrangers qui
apprennent leur langue.
Cet ouvrage eſt terminé par une table des
verbes Anglois , plus complette qu'aucune
de celles qui ſe trouvent dans les Grammaires
Angloiſes. Tous les verbes de cette
langue
DEFRANCE. 169
langue y font claffes de manière qu'on peut
les diftinguer& les retenir avee facilité. Elle
eſt précédée de quelques obſervations claires
& concifes pour apprendre à conjuguer tous
les verbes Anglois avec la même facilité.
ANTIQUITÉS de la France , par M. Clériffeau
Architecte de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture de Paris ,
Membre de la Société Royale de Peinture,
Sculpture &Architecture de Londres .
Première Partie. A Paris , de l'Imprimerie
de Philippe-Denis Pierres , rue S. Jacques ;
& ſe vend chez l'Auteur , au Louvre ,
porte de la Colonnade ; le Sieur Poulleau ,
Graveur , à l'Eſtrapade; le Sieur Joullain ,
Marchand d'Eſtampes , quai de la Mégif-:
ſerie ; 1778. in -folio
Des Amateurs & des Artiſtes pleins de zèle &
de courage, ont entrepris des voyages longs , dangerreeuuxx
& pénibles , pour aller recueillir au fond
de l'Afie quelques débris des Arts de l'Antiquité
diſperſés dans les déſerts , au ſein de l'ignorance &
de la barbarie ; tandis qu'il exiſte au milieu du
Royaume des monumens précieux & célèbres , dont
nous n'avions point encore de deſſins élégans &
corrects. M. Clériffeau , Architecte qu'il ſuffit de
nommer , a entrepris de nous faire jouir de nos
propres richeſſes . Il ſe propoſe de nous donner fucceſſivement
les deſſins de tous les monumens antiques
que la France poſsède. Cette entrepriſe eſt digne du
zele qu'on lui connoît pour les progrès du bel Art
qu'il cultive ; & l'exécution de la première partie, que
15 Janvier 1779-
H
:
170 MERCURE
nous annonçons ici , répond parfaitement à cequ'on
adroit d'attendre de ſon goût , de ſes talens & de
ſon exactitude.
Cet ouvrage eſt dédié à M. le Comte d'Angiviller
, Directeur & Ordonnateur-Général des bâtumens
, qui , par ſon caractère , ſes lumières & fon
zèle, autant que par ſa place , eſt bien digne de
protéger les talens, d'encourager le progrès des Arts ,
&d'en ranimer le ſentiment & le goût , qui ſemble
s'égarer & fe corrompre tous les jours , malgré les
prétentionsde cette foule de petits connoiffeurs, dont
le froid enthouſiaſme , le ton capable , le jargon ridicule
& pédanteſque , en impoſent aux fots , fatiguent
les Artiſtes, & font pitiéauxvéritables gens de
goût.
M. Clériſſeau a mis à la tête de ſa première Partie
unavant propospleinde vues excellentes , écrites avec
élégance & nobleſſe. Nous nous y arrêterons un
moment.
Les principes de l'Architecture ſont à peu près les
mêmes que ceux de la Poésie , de la Muſique , de la
Deinture & de la Sculpture ; & quoiqu'elle paroiffe
tenir de plus près à ces deux dernières , qui lui font
fouvent affociées,ſa marche eſt cependant plus analogue
à celle des deux premières. En effet , l'effence
de la Peinture&de la Sculpture eſtderepréſenterfidèlementles
objets tels qu'ils exiſtent dans la nature; tandis
que d'une part les beautés de l'Architecture , ainſi
que celles de la Muſique , ſont principalement fondées
ſur les rapports , l'ordre , t'harmonie , & que de
l'autre ſon objet eſt de plaire &d'intéreſſer , non par:
les ſeules apparences& par des repréſentations vaines ,
mais en donnant à de vrais beſoins le caractère de
l'élégance , de la grandeur & de la beauté , comme
l'objet de la Poéſic eſt d'embellir la parole , le plus
noble de nos beſoins ; de forte que l'Architecture a
DE FRANCE. 171
fur laPeinture& la Sculpture l'avantage d'être moins
affervie dans ſes procédés , plus utile dans ſes productions
, &de ſuivre plus en grand la marche de la
nature.
C'eſt ſur cette marche , tout-à-la-fois ſimple&majestueuſe
de la nature , que l'Architecte doit furtout
régler la fienne. L'immenſité du tableau qu'elle
nous préſente, ſes grands effets, ſa ſymmétrie , ſes
oppofitions , ſavariété , ſon unité, voilà les carac
tères qu'il doit étudier & fafir pour les appliquer à
fonArt.
M. Clériſſeau s'élève avec raiſon contre le danger
des règles générales dont on abuſe ſi ſouvent dans
tous les Arts. Ces maximes prétendues invariables >
que contiennent les livres d'Architecture , ne peuvent
que préparer à l'étude d'un Art qui , ainſi que tous les
Ans libéraux, prend la nature pour modèle...
- Mais la nature , dit M. Clériffeau , quoique
>> belle dans ſes différens effets , ne nous affecte pas
>>-toujours vivement ou agréablement. Il eſt des
>>-pays plats&uniformes , dont la vue ne nous donne
>>>qu'un ſentiment d'ennui & de triſteſſe ; tandis que
>>>dans les montagnes des Alpes , & dans les riantes
>>campagnes de l'Italie , elle nous faiſit & nous
>>occupedélicieuſement. Il est donc des cauſes qui ,
>>en augmentant oudiminuantl'effet du tableau dela
>> nature , nous en rendent l'impreſſion plus ou moins
i vive. La réunion de pluſieurs objets , lorſqu'ils
>> ſont heureuſement oppoſés l'un à l'autre , produit
>>un tout plus intéreſſant, & embellit les parties qui
>>le compofent. Cette magie des oppoſitions eſt
d'autant plus effentielle à connoître , que tous les
>>Beaux-Arts lui doivent leurs plus grands charmes :
>>>elle fait auſſi valoir en Architecture les maſſes les
>>unes par les autres , & ſemble , pour ainſi dire ,
*les animer. Le preſtige du contraſte eſt même
Hij
1721 MERCURE
>> affez puiſfant pour faire paroître grand ce qui ,
>> ſans elle , nous paroîtroit petit. Mais en nous
>> livrant trop aveuglément àſes charmes , gardons-
>> nous d'imiter ces Artiſtes peu ſages , qui , abuſant
>> des moyens précieux qu'on ne doit employer
>> qu'avec une judicieuſe économie , oubliant que
> la fymmétrie & l'ordre font lauſſi néceſſaires aux :
>> beaux effets de la nature que les oppoſitions , ont :
>> cru faire preuve de génie en bouleverſant tout
dans leurs compoſitions défordonnées. Ils ont
>>>voulu nous ſéduire par la fécondité de leur ima-
>> gination , & ils n'ont réuffi le plus ſouvent qu'à
>> nous révolter par des productions biſarres &
monstrueuſes,
Comme l'Architecture eſt de tous les Beaux-
Arts gelui qui tient de plus près à nos premiers
beſoins, il eſt auſſi celui qui a été cultivé le premier.
L'impreffion de grandeur eſt un des principaux
effets do cet Art ; c'eſt celui qui a dû frapper :
d'abord les hommes. Ce qui ſuppoſe la puiſſance &
la force excite l'admiration des peuples encore igno- .
rans & groffiers . Ce qui tient au goût demande des
eſprits plus cultivés & des organes plus exercés. De-là
ces maſſes coloffales , élevées par les premiers peu
ples , & décorées par eux du titre de merveilles ..
du monde.
כ ১
C'eſt à la Grèce , dit M. Clériſſeau , qu'on a
>> toujours accordé la gloire d'avoir inventé , ou du
moins perfectionné les trois ordres d'Architecture.
> Enſuite Rome ajoutant à la pureté& à la grace
du ſtyle Grec , cette nobleffe majestueuſe qui caractériſoit
les maîtres du monde , éleva ces ſuperbes
monumens , dont les reftes , quoique mutilés ,
se nous rempliffent encore d'étonnement. Qu'on ſe
repréſente , en voyant ces ruines , quelle devoit
nêtre la magnificence des temples , des théâtres , des
C
DE FRANCE.
ל
১৯
thermes , des palais qui embelliſſoient la Capitale
de l'Empire Romain.
>>Telle étoit la force de l'impreſſion que faifoient
>> ces ſomptueux édifices , même ſur les peuples les
> plus barbares , que dans la décadence de l'Empire ,
>> Théodoric , Roi des Goths , n'en parloit qu'avec
>> enthouſiaſme. Un de ſes premiers foins , lorſqu'il
>> ſe vit maître de Rome , fut de veiller à leur con
*ſervation כ P
Onne peut nier que l'Architecture n'ait fait des
progrès rapides parmi nous : nous avons des Artiſtes
eclairés , des inſtitutions utiles , des ouvrages bien
faits; nous connoifſſons les proportions qui diftinguent
les différentes parties des trois ordres ; mais ce n'eſt
pas affez. Il eſt un genre de beauté , le premier de
tous, qui nous manque encore eſſentiellement ; c'eſt
cette nobleffe, cette grandeur , cette majesté , en un
mot cet air impoſant qui caractériſe les productions
de l'Architecture ancienne..
>> Quelle est donc , s'écrie M. Clériffeau , la cauſe
>> qui nous entraîne vers le meſquin , ſi nous voulons
>> être délicats , & vers le lourd, fi nous aſpirons au
>> grand ? Pourquoi tous nos bâtimens ſe reſſemblent-
>> ils ? Pourquoi conſtruire & décorer de la même
>>manièrelamaiſon d'un ſimple particulier & l'hôtel
>> d'ungrand Seigneur ? Les édifices publics , deftinés
> à l'utilité ou aux amuſemens , doivent-ils reſſem-
>> bler aux monumens conſacrés au culte de la Divi-
>> nité ? Ceux- ci ne doivent-ils pas s'annoncer par un
> ſtyle pur , noble , & pour ainſi dire religieux ; par
un ſtyle qui les diftingue abſolument de tous les
> autres , qui nous avertiſſe au premier coup-d'oeil ,
> & de la grandeur de l'Étre-Suprême , en élevant
>>notre penſéejuſqu'à lui , & de notre néant , en
>> nous faiſant en quelque forte ſentir ſa préſence?
>> Manquerions-nous de ce ſentiment vif & jufte ,
>>qui donne à tous les objets le caractère qui leur eft
Hiij
174
MERCURE
propre ? Non , je ne faurois me perfuader qu'une
>> Nation qui , dans ſes Tragédies , fait parler avec
* tant de dignité & de grandeur les Horaces, les
>> Brutus , les Auguſtes , ſoit incapable d'imprimer
>> cette même grandeur à ſes autres productions ».
Notre Artiſte s'élève enſuite contre l'étrange abus
qu'on fait des colonnes , ornement qui ne doit être
employé qu'avec réſerve, & qu'on a prodigué depuis
quelque temps juſqu'à en décorer les cabinets &les
falles àmanger. Il établit d'une manière qui nous
paroît fimple & lumineuſe, les principes ſur leſquels
il faut régler les eſpaces des entre-colonnemens. On
doir recevoir avec confiance les leçons d'un Artiſte
qui a conſacré trente ans de ſa vie à étudier l'Art
qu'il profeffe dans les monumens précieux de l'antiquité,&
dans les ouvrages des Modernes ; à vérifier
toutes les meſures des antiquités de Rome, de Veniſe,
dePola en Iſtrie, publiées par Deſgodets , ainſi que
des fragmens qui ſubſiſtent à Spalatro en Dalmatie ,
&dans le Royaume de Naples; àdeſſiner les Thermes
qui font à Rome & la ville Adrienne ; enfin
àvérifier l'ouvrage de Piro-Ligurio ,& celui de Palladio
fur les antiquités de la Capitale des Arts. Il ſe
propoſe de faire part au public du fruit de ſes recherches&
de ſes obſervations , & l'on ne ſauroit trop
l'encourager à exécuter un projet fi utile & fi intéreffant.
En entreprenant le recueil des antiquités de la
France, il a cru devoir commencer par les monumens
de Nimes , qui méritent incontestablement cette
distinction. Les Artiſtes & les gens de lettres conviennent
que Rome même n'a aucun monument plus
parfait que la Maiſon quarrée. On en a déjà publié
des deſſins , mais très-imparfaits. Palladio lui-même
acommis beaucoup de mépriſes dans les meſures
qu'il en a données. M. Clériſſeau a vérifié
toures les meſures & relevé les erreurs ,& fon ou
DIEFRANCE.
175
vrage nous offre un tableau de ces monumens, aufli
intéreſſant par la beauté de l'exécution , que précieux
par la fidélité& l'exactitude. En lui rendant ce témoignage
comme ami des Arts , nous ne faiſons que
nous conformer au témoignage plus impoſant& plus
Matteur qu'il a reçu de deux Académies , dont le
jugement eft fait pour diriger celui du public fur le
degré d'eſtime qu'on doit aux ouvrages de ce genre ,
dont il y a fi peu de bons Juges..
Extrait des Regiſtres de l'Académie Royale
d'Architecture .
A
)
L'Académie aa reçu avec plaifir l'ouvrage intitulé
Antiquités de la France , parM. Clérifſeau:c'eſt avec
juſtice qu'elle lui donne ſon approbation ; elle l'a
accepté avec reconnoiſſance , & verra avec fatisfaction
la continuation d'un OEuvre auſſi intéreſſant .
Extrait des Regiſtres de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture.
M. Clériſſeau a ſupplié l'Académie Royale de
Peinture & de Sculpture , de donner ſon approbation
à un ouvrage qu'il a fait , ayant pour titre : Antiquités
de la France. L'Académie voulant lui prouver combien
elle applaudit aux efforts louables , & aux ſoins
qu'une pareille entrepriſe a dû lui coûter , & l'eſtime
qu'elle fait d'unouvrage auffi intéreſſant pour laNation
en général que pour les Artiſtes en particulier,
lui a permis de jouir , comme l'un de ſes Membres ,
du privilége à elle accordé par ArrêtduConseil d'Erac
du 28 Juin 1714.
Hiv
176 MERCURE
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LEMardis de ce mois , on a donné la première
repréſentation d'Hellé , Tragedie-
Opéra en trois Actes, paroles d'un anonyme ,
muſique de M. Floquet.
Ino , Reine de Thebes , aime Arfame ,
Général de ſes armées. Celui- ci brûle de
l'amour le plus tendre pour Hellé, Princeffe
de Colchos , à laquelle il a ſu plaire. Les
exploits d'Arſame l'ont rendu cher aux
Thebains. Pour prix des ſervices qu'il a
rendus , il demande la main d'Hellé. Ino la lul
accorde , après lui avoir propoſé,, quoique
d'une manière détournée, fon coeur , famain,
fon trône. Mais la jalouſe fureur dont elle eft
poffedée ne lui permet pas de refter fans
vengeance. Elle a recours aux Enfers. Le
Magicien Elphenor lui promet d'employer
tout fon art à la ſervir. Effectivement , lorfqu'Hellé
vient le confulter fur le fort de fon
amour, il lui répond qu'Arfame la trahit ; &
pour l'en convaincre , il offre à fes yeux deux
tableaux magiques & impofteurs. Le premier
repréſente Arfame & Ino , que le
Grand-Prêtre unit des noeuds de l'Hymenée
en préſence du peuple Thébain. Dans le
DE FRANCE. 177
ſecond , les deux mêmes perſonnages , affis
fur un banc de gazon dans le fond d'un
bocage, ſedonnentdes marques réciproques
de leur tendreſſe , tandis que par des chants
&par des danſes on célèbre le bonheur de
leur union. Hellé ne doute plus de la trahiſon
d'Arfame : en vain il cherche à la faire
revenir de fon erreur. La Princefle , dont le
coeur eft encore plein d'un amour qu'elle ne
peut étouffer , mais dont l'ame eft fans ceffe
obfédée par le double ſpectacle dont Elphénor
la rendue témoin , prend le parti de renoncer
à l'hymen d'Arfame , & s'embarque
pour retourner à Colchos. Le Magicien conduit
Ino fur le bord de la mer , & lui apprend
qu'il a force Hellé à prendre la fuite.
La Reine n'eſt point fatisfaite : tant que la
Princeſſe vivra , elle ne peut eſpérer de captiver
le coeur d'Arfame. Elphenor , par la
force de ſes charmes , fait élever ſur le
champ une tempête horrible , au milieu de
laquelle on voit la barque qui conduit Hellé
s'abymer dans les flots. Le jeune Prince, qui
n'avoit quitté ſon Amante que pour éclaircir
ſes ſoupçons , revient fur la ſcene dans
ce moment. Le fort d'Hellé pénètre ſon ame
de la plus vive douleur. Ino , en infultant à
ſes larmes , lui apprend que la mort de la
Princeſſe eſt ſon ouvrage. Arſame lève le
maſque. C'eſt Neptune qui s'eſt cáché quelque
temps ſous les traits de ce jeunePrince.
A ces mots , Ino ſe poignarde & meurt dans
les bras de ſes Suivantes. Les Tritons ont
1
Hv
178 MERCURE
veillé fur les jours d'une Princeſſe chère à
leur Souverain; ils la conduiſent dans une
conque fur le rivage. Au même inſtant
elle eſt tranſportée dans le Palais du Dieu
des Mers , qui ſe fait connoître à elle , &
reçoit fon coeur & fa main.
Les paroles de cet Opéra ont paru généralement
mauvaiſes & la muſique mé
diocre. On a applaudi un air de bravoure
&deux choeurs de Magiciens. Quelques airs
des Ballets font agréables , mais pleins de
réminiſcences.
Les principaux rôles ont été chantés par
Mesdames Duplant & Laguerre , & par
MM. Durand & le Gros. Ce dernier s'eſt
furpaffé dans l'air de bravoure .
Les Ballets, qu'onatrouvés affez bien deffinés
, ont été ſupérieurement exécutés par
Miles Heinel , Guimard, Peſlin , Théodore ,
& par MM. Veftris , père & fils , Gardel
J'aîné & fon frère , & par M. Dauberval.
COMÉDIE ITALIENNE.
SPECTACLE GRATIS.
LEMardi 29 Décembre , les Comédiens
Italiens ont donné au peuple une repréſentation
d'Arlequin & Scapin Voleurs par
Amour , & de la Bataille d'Ivri , Drame Lyrique
de M. de Rozoy , Muſique de M. Martini
DEFRANCE.
179
: Dans la première Pièce M. Carlin a rempli
le rôle d'Arlequin avec cette fineſſe de
talent qui le caractériſe. Le genre de ſes plaifanteries
a toujours été relatif à celui des
Spectateurs , qu'il a invités d'une manière
agréable & fpirituelle à revenir dans un an.
La Bataille d'Ivri a été très-bien jouée ,
&a fait un plaiſir général. M. Clerval , dans
Henri IV; M. Nainville , dans Roger ; Mde
Billioni , dans le rôle de Madame de Lénoncourt
; Mde Trial , dans Eugénie ; MM.
Suin& Julien dans les Perſonnages de Lénoncourt
, père & fils , ont mérité beaucoup
d'éloges ,& ont été vivement applaudis. 1
Entre les deux Pièces on a exécuté un
Ballet-Pantomine de la compoſition de M.
Froffard , qui en a rempli les principales entrées
avec Mlle Lefebvre. Ce Ballet , qui a
éré fort goûté par le peuple , méritoit en
effet les fuffrages des connoiffeurs , tant pour
la compoſition que pour l'exécution.
Avant la repréſentation , la ſalle a retenti
de-chanfons &des cris de vivent le Roi & la
Reine. Le premier coup d'archet a fait faire
lemême filence qu'aux autres Spectacles ,&
ce filence a continué pendant les deux Pièces.
Après le Spectacle , les Charbonniers &
les Poiffardes ſont deſcendus fur la Scène..
Ils ont ſalué très- refpectueuſement lePublic
qui étoit reſté dans la falle , & ont formé des
danſes comme à la Comédie Françoife. Les
Poiffardes ont demandé à voir l'Acteur qui
avoit repréſenté leur bon Roi Henri ; elle
4
Hvj
180 MERCURE
l'ont remercié , baifé , complimenté, & l'ont
engagé à danfer avec elles. M. Clairval a
danſfe trois menuets au bruit des applaudiffemens;
& les autres Acteurs s'y font prêtés
avec la même grace , ainſi que les premiers
Danfeurs & les premières Danfenfes. Pendant
ce bal curieux & nouveau , les Comédiens
ont prodigué le vin, le pain&les cervelats.
Tout s'eft paflé avec la plus grande
gaîté& dans le meilleur ordre poffible.i
Nous avions promis de rendre compte
dans cette Feuille de Amant Jaloux,Comédie
de M. d'Hell ; nous efpérions que
l'indifpofition de Mde Dugazon lui permertroit
de remonter fur la Scène dans l'intervalle
de la publication du dernier Numérő,
à l'impreſſion de celui-ci. Au moment où
nous écrivons cet Article , la ſeconde repréſentation
de l'ouvrage de M. d'Hell n'a
point encore été donnée, & nous aimons
mieux remettre notre Article à l'Ordinaire
prochain , que d'entretenir nos Lecteurs
d'une production dont nous ne pouvons parler
exactement fans l'avoir entendue une
feconde fois .
1
L 2
L
DE FRANCE. 181
t
G
ACADÉMIES..
PRIXfondésparM. le Marquis du Terrail,
& par Madame de Cruffol d'Uzès , fon
épouse , à préfent Ducheffe de Caylus.
Proposés par l'Académie des Sciences ,
Arts&Belles- Lettres de Dijon .
L'A'ACCAADDÉÉMMIIEE propoſe pour le Prix de 1780 : de
donner la théorie des Vents.
Pluſieurs Phyſiciens très-célèbres ſe ſont déjà occupés
de ce problême , mais ſans le réfoudre d'une
manière à ne rien laiffer à defirer. Les connoiſſan .
ces que , de nos jours , l'on a acquiſes ſur la nature
de l'air & fur l'électricité de l'athmosphère , en
multipliant les données qui peuvent conduire à ſa ſolution
, font eſpérer à l'Académie que les efforts des
-Phyſiciens feront plus heureux.
Elle verroit avec plaiſir les Auteurs tirer de leurs
principes quelques conféquences relatives à l'influence
de cesmétéores ſur les corps ſublunaires , &
indiquer quelques nouveaux moyens d'en juger la
direction & d'en eſtimer la force; mais elle ne
l'exige point.
CetteCompagnie diſtribuera deux Prix en 1781 .
L'Eloge de Claude Saumaiſe , qu'elle avoit pro-
-polé pour 1778 , ſera le ſujet d'un de ces. Prix.
Celui de l'autre ſera : l'Eloge de Sébastien Leprêtrede
Vauban , Maréchalde France
i Indépendamment des Prix ordinaires , annoncés
pour 1780 & 1781 , elle en adjugera encore un extraordinaire
dans chacune de ces années ...
Elle demande pour le Prix extraordinaire de 1780
182 MERCURE
Que l'on détermine la nature du charbon malin ,
connu en Bourgogne ,& dans quelques Provinces voifines,
ſous le nom de pustule maligne ; qu'on en défigne
les causes ; & qu'on établiſſe ,ſur l'obſervation ,
laméthode laplussûreàſuivredans le traitement de
cette maladie.
Elle propoſe pour Sujet de celui qui ſera adjugé
en 1781 : de désigner les plantes venimeuſes & les
inutiles qui infectent fouvent les prairies en cetteProvince
, & diminuent leur fertilité; & d'indiquer les
moyens les plus avantageux d'en ſubſtituer defalubres
& d'utiles , de manière que le bétail y trouve une
$nourriturefaine& abondante.
Tous les Ouvrages deſtinés au Concours ſeront
envoyés , avec les formalités accoutumées , à M.
Maret , Secrétaire Perpétuel ; ceux qui devront concourir
pour les Prix ordinaires , avant le premier
Avril; & les autres , avant le premier Janvier des
années dans leſquelles ces Prix ſeront adjugés
PRIX proposépar la Société Royale d'Agriculture
de Lyon , pour l'année 17795
QUIUI ſera d'une Médaille d'or de 300 livres , donnée
l'Auteur du meilleur Mémoire ſur le ſujet ci-après :
Chaque Paroiſſe ne pourroit-elle pas , pour prévenir
lamendicité , occuper ſes pauvres ? Quel enferoit le
moyen ? Quel feroit celui de donner aux mendians
valides ou invalides , de l'un & de l'autre sexe , ren-
- fermés dans les Dépôts , des occupations qui puffent
les rendre utiles à la Société lorsqu'ils y rentrent ?
Aucuns Mémoires ne feront reçus paffé le premier
Août de l'anné:e 1779 ; ils feront adreſſes , francs de
port, àM. de Juis, Secrétaire perpétuel de la Société
* envoyés ſous l'enveloppe de M. de Fleſſelles,
DE FRANCE.
183
Intendantde Lyon. Les Aureurs ne travaillerentqu'en
notre Langue , & ils obſerveront que leurs Mémoires
foient lifiblement écrits.
ANECDOTE.
ON
N ſait qu'en Angleterre tout accufé a
pour juges 12 Jurés de ſa profeffion ; il faut
que l'Arrêt ſoit unanime pour être exécuté;
&de peur que la difcuffion ne traîne trop
en longueur , les 12 Jurés doivent demeurer
enfermés ſans boire ni manger juſqu'à
ce qu'ils foient d'accord. Cette manière de
procéder ſauva une fois la vie à un innocent.
Deux Gentilhommes qui demeurent à quelques
milles de Londres , eurent une querelle
fortvive en préſence de témoins : l'un d'eux
s'emporta juſqu'aux menaces&dit à fon ennemi
qu'il le feroit repentir de ſes mauvais
procédés avant qu'il fût 24 heures. Sur les
-, heures du foir on trouva le Gentilhomme
qui avoit été menacé , tué d'un coup de
fufil , & l'on ne douta pas un inſtant que
-cette mort ne fût l'effet des menaces qu'on
lui avoit faites le matin. On arrêta ſon ennemi
, qui , malgré les proteſtations qu'il
faifoit de fon innocence , fut conduit dans
les Prifons de Londres. Les témoins de la
querelle furent entendus , & le Gentilhomme
accuſé ne put rien alléguer pour la juftification.
On lui demanda où il avoit paffé
la ſoirée; il répondit qu'il étoit refté ſeulchez
184 MERCURE
lui, ayant eu des affaires qui l'avoient obligé
d'envoyer ſes domeſtiques à Londres. Cette
circonſtance acheva de le noircir dans l'efprit
du public. On n'eſt point en uſage de
paſſer la ſoirée chez foi fans compagnie ,
& il y avoit de l'affectation à éloigner tous
les Domeſtiques. On travailla donc au procès
de l'accufe. Comme on choiſit ordinairement
des gens de la condition du Coupable
, on prit pour Jurés 12 Gentilhommes
des environs dulieu oùl'action s'étoit paffée.
L'Avocat du coupable ne put alléguer , pour
lajuftification de celui qu'il défendoit , que
la bonne réputation dont il avoit joui jufqu'alors';
mais on ne ſe paya point de cette
-monnoye&perſonne ne douta que les Jurés
ne le condamnaffent. Onze furent effectivement
de cet avis ; mais le douzième protef-
-ta qu'il ne le condamneroit point , parce qu'il
le croyoit innocent. On le pria de motiver
fon avis , & il refuſa de le faire. Cette
conteftation dura juſqu'au foir , au grand regret
des onze Jurés qui ſe ſentoient un grand
appétit. A la fin , l'un d'eux s'adreffant aux
autres, leur demanda s'ils étoient détermi-
-nés à mourir de faim. Nul qui fe trouvât
de cet avis ; & tous enſemble , après avoir
chargé le Gentilhomme oppoſant de l'iniz
quité d'abſoudre un coupable , conclurent
qu'il étoit pourtant plus expédient de le
laiſſer vivre , que de faire périr onze innocens.
Ils prononcèrent donc la Sentence d'abfolution
, & publièrent en mênie - temps les
DEUFRANCE. 185
motifs de cette Sentence? Le peuple cria
beaucoup contre l'obſtination duGentilhomme
qui avoit occaſionné un pareil Arrêt ; les
honnêtes-gens qui le connoiffoient pour un
homme ſenſe , ſe fatiguèrent à chercher ſes
motifs ; & cette affaire fit tant de bruit
qu'elle parvint aux oreilles du Roi. Il fit
prier le Juré de le venir trouver , & lui
demanda en particulier pourquoi il s'é-
-toit obſtiné à croire innocent un homme
que tout le monde regardoit coupable. Le
Gentilhomme , avant de lui répondre , prit
les précautions qu'exigeoit le cas ; & après
avoir obtenu du Roi qu'il ſe chargeroit des
fuites de cette affaire , il luidit : Je ne pouvois
douter de l'innocence de cet homme au
:ſujet du meurtre en queſtion , puiſque je l'ai
-fait. Je révenois de la chaſſe , & Pobſcurité
ne me permettant pas de diftinguer que
c'étoit un homme qui faiſoit le bruit que
j'entendois derrière un buiſſon , je tirai fi
malheureuſement, que je tuaileGentilhomme
dont on veut venger la mort.
14. Comme je n'avois aucuns témoins & de
-ce meurtre , &de mon innocence , je réfolus
de garder le filence ; mais ayant appris
qu'on accuſoit un innocent , je fis en forte
d'être nommé parmi les Jurés , bien déterminé
à mourir de faim , s'il le falloit , plutôt
que de laiſſer périr l'accuſé.
Le Roi tint la parole qu'il avoit donnée
à ce Gentilhomme; il fut par fon ordre ſe
remettre en prifon , &il eut fa grace..
186 MERCURE
:
TRAIT DE BIENFAISANCE.
Le premier Mars 1774 , le feu ayant pris
à la grange d'un habitant d'une petite ville
du Diocèſe d'Agde en Languedoc, il en porta
plainte contre des quidams. Huit particuliers
de la même ville,dont pluſieurs d'un état
honnête , d'autres parens du plaignant , enrent
le malheur d'être compromis par cette
accuſation. L'affaire fut poursuivie juſqu'à
Arrêt définitif du Parlement de Toulouſe.
Cet Arrêt, du 6 Juillet 1775 , décharge tous
les accuſés avec dépens , dommages & intérêts
, & ordonne l'impreſſion & affiche du
Jugement . La rigueur des formes a fait caffer
cet Arrêt au Conſeil , & le procès a été renvoyé
aux Requêtes de l'Hôtel pour y être
jugé de nouveau. Les dépenses énormes que
cette affaire a occaſionnées , a mis les accuſés
hors d'état de ſe défendre. Quelques-uns
d'eux ont été obligés detraverſer leRoyaume
à pied pour ſe rendre à la ſuite du Tribunal
quidoit prononcer ſur leur fort. Leur ſituafion
a touché quelques ames honnêtes &
vertueuſes ; des Gens-d'affaire ſe ſont livrés
gratuitement à leur défenſe. M. le Marquis
de. ... , pour ne pas bleffer leur delicateſſe
, a écrit à leur infu à une perſonne
qui prend ſoin d'eux à Paris , & a offert en
don tout ce qui ſeroit néceſſaire pour fourenir
l'innocence opprimée. La modeſtie de
DE FRANCE. 187
cet ami de l'humanité ne nous permet pas
de rendre fon nom public ; mais nous n'avons
pas cru qu'un trait ſi capable d'intéreſſer
les ames ſenſibles , dût demeurer inconnu.
CAUSE CÉLÈBRE.
Au milieu des réclamations qui s'élèvent
chaque jour de la part des enfans que la
tyrannie intéreſſée de leurs parens a précipités
malgré eux dans l'ombre des Cloitres ,
il eſt doux de voir un père combattre la réſolution
d'une fille chérie qu'une vocation
décidée appeloit à la vie Religieuſe, Telle eft
la cauſe du Comte de Bourdeilles, appelant
comme d'abus de la priſe d'habit de Novice
de la Demoiselle de Bourdeilles ſa fille.
Les moyens de défenſe qui ont été oppoſes
à la réſiſtance du Comte de Bourdeilles font ,
que ſa fille étoit majeure ; que d'ailleurs une
fimple priſe d'habit ne peur former la matière
d'un appel comme d'abus ; que la profeſſion
ſeule des voeux peut y donner lieu ,
lorſqu'elle eft faite en contravention aux
Canons& aux Ordonnances du Royaume.
C'eſt d'après de tels moyens & fur les coneluſions
de M. l'Avocat-Général Séguier , que
le Parlement , par Arrêt du 10 Décembre
1778, a déclaré qu'il n'y avoit abus ; en conféquence
a ordonné qu'ilferoit paſſsé outre à
laprofeffion,nonobstant les oppofitions faites
188 MERCURE
ou à faire du Comte de Bourdeilles , dépens
compensés.
SCIENCES ÉT ARTS.
SCULPTURE.
M.ONSIEUR OLIVIER , PenſionnairedeSonAlt.
Royale Mgr le Duc de Lorraine&de Bar, &c. &c .
ayant eu occafion de paſſer par cette ville , a profité
du peu de ſéjour qu'il y a fait , pour modeler la tête
de M. de la Rive , de la Comédie Françoiſe. Ce
buſte, dont le moindre mérite eſt celui de la reſſemblance
la plus frappante , fait beaucoup d'honneur à
cet Artiſte , qui n'a pas moins réuſi dans celui de M.
de la Place , qu'il a fait à Bruxelles en 1775 , & qui
lui a valu , de la part de cet Auteur , les vers
ſuivans:
..
Tu veuxà la race future ,
Tranſmettre ma laide figure !
Mon cher Olivier, j'y ſouſcris.
Et j'admire ton Art fuprême ,
Quand fous tes doigts mon oeil ſurpris,
Dans ton plâtre voit , quoi ? .. Moi-même.
GRAVURES.
VUR U E & Perſpective d'un monument projeté à la
gloire de Louis XVI , en mémoire du rétabliſſement
del'ancienne Magiftrature , deſtiné à une Bibliothéque
publique de Jurisprudence , & à terminer l'en
DE FRANCE.
189
ceinte du Palais ſur une nouvelle place en face
d'Henri IV , orné de la ſtatue du Roi ,de Monfieur,
de Mgr le Comte d'Artois , des principaux Miniſtres
& des premiersMagiſtrats du Royaume , repréſentés
en buſte ou en médaillon.
Fontainedes Muſes, monument projeté en mémoire
de la protection accordée à la Littérature par S. M.
Marie-Antoinette d'Autriche , Reine de France & de
Navarre.La ſtatuede la Reineeſt repréſentée au contre
du monument, ſous l'emblême de Minerve,Protectrice
des Arts& des Sciences. Apollon , Dieu de la Muſi-:
que , rend hommage à Sa Majesté des progrès nouveaux
de la Muſique en France ; le Génie des Beaux-
Arts dépoſe à ſes pieds les attributs de la Peinture&
de la Sculpture ; Calliope , Muſe de la Poéfie Héroïque
& de l'éloquence , lui préſente le Poëme de la
Henriade , & les autres Chefs -d'oeuvres de la Littérature
Françoiſe. On voit au-deſſus des autresMuſes,
placées dans les entre colonnemens , des médaillons
deſtinés à recevoir les noms des Savans , des Gens
de Lettres & des Artiſtes qu'elles ont le plus favoriſé.
Ce monument eſt couronné par un Génie
vainqueur de l'ignorance & des autres ennemis des
Sciences, de la Littérature &desArts.
( M. de Chavigné , qui ne cultive les Arts que par
amuſement , s'eſt déterminé à rendre publics quelques-
uns de ſes projets , depuis que Sa Majesté a créé
à l'Académie d'Architecture des places d'Honoraires .
Afſſociés libres. Ces places , au nombre de fix , fuivant
les Lettres-Patentes de création , font destinées
pour des Citoyens , quiſans faire profeffion d'Architecture
,feroient diftingués par leurs connoiſſances
dans cet Art , ou ceux qui lui font relatifs . Le choix
diſtingué que Sa Majesté a fait des premiers Honoraires
, ne peut qu'encourager les Ainateurs d'Archirecture
à le faire connoître : pluſieurs ſe ſont déjà
190 MERCURE
rendus utiles par des ouvrages intéreſlans fur ce bel
Art. Se trouve chez M. Viel , Architecte , rue S. Jacques
, près S. Jacques du Haut-Pas.
MUSIQUE.
SIX Sonates pour le Clavecin ou leforté-piano,
avec accompagnement de violon , dédiées à Madame
la Comteſſe du Dognon , par M. Adam , OEuvre II .
Prix , 9 liv. Chez l'Auteur , maiſon de Madame le
Marchand , Marchande de Muſique, rue de Grenelle
Saint-Honoré.
:
Nouveaux principes pour apprendre àjouer de la
flûte traversière , par M. Muſſard , Maître de flûte.
Prix , 6 liv. Chez l'Auteur , rue Saint-Martin , vis-àvis
la rue & fontaine Maubuć.
Une Symphonie pour deux violons , haut-bois &
cors , composée par M. Vauhall. A Paris , chez
Mademoiſelle de Silly , rue du Temple , au coin de
celle de Montmorency. Prix , 2 liv. 8 fols.
;
Nouvelle Collection de Sonates pour le forté-pian
parM. le Comte de Teuducci. Prix , 4 liv. 16 ſols ,
la même adreffe.
Six Quatuors , trois pour deux violons , alto &
baſſe , & trois autres pour une flûte ,un violon, alto
& baſſe , par A. Lidl. Prix , 9 liv. , à la même
adreſſe.
7
7
Six Airs , avec accompagnement de harpe ,
guitarre & cor , par Mademoiſelle de Contamine ,
àla même adreſſe.
DEFRANCE. II
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LES
ES Iſles fortunées ou les Aventuresde Bathylle
&de Cléobule , par MM. D. C. A. S. de pluſieurs
Académies. A Canarie ;& ſe trouve à Paris , chez le
Boucher , Libraire , au coin du Pont-au-Change ,
maiſon du Méridien , 1778 .
C'eſt un Roman allégorique , où l'Auteur faiſant
la deſcription de quelques iſles imaginaires , a voulu ,
peindre les moeurs & l'état actuel de pluſieurs pays
modernes. La critique en eſt ſans amertume , & le
ftyle de l'ouvrage a de l'élégance & de la facilité.
Abrégé deMythologie , pour apprendre l'Hiſtoire
des fauſſes Divinités de l'Antiquité Payenne , leur"
origine & leurs portraits , leurs attributs & leurs
actions , leurs fêtes & leurs facrifices , leurs noms les
plus connus,&le ſens de l'hiſtoire de chaque Divinité
, pour ſervir de ſeconde partie aux Fragmens de
Morale , d'Histoire ſacrée , profane & fabuleuſe , à
l'uſage des Colléges & des Penſions , par M. Sirven ,
Maître de Penfion à Toulouſe. Un volume in-12.
A.Toulouſe , de l'Imprimerie de Raget , Imprimeur-
Libraire, placedu Palais ;&ſe trouve chez l'Auteur ,
rue Malbec , derrière le Collége Royal , 1778 , avec
approbation..
Les Chef- d'oeuvres Dramatiques de M. DE
VOLTAIRE , 3 vol. in 12. A Paris , chez la veuve
Ducheſne , Libraire , rue Saint-Jacques , au Temple
du goût , 1779 Prix , 9 liv. relié.
Les chef-d'oeuvres Dramatiques de Corneille , de
Racine & de Voltaire , aſſurent à jamais à la Scène
Françoiſe la ſupériorité dont elle eſt en poffeffion, fur
こ
192
MERCUREA
10
les Théâtres des autres Nations. Des trois volumes
que nous annonçons , le premier contient la Mort
de César , Zaïre , Alzire & Brutus ; le ſecond
Mérope, Mahomet , Semiramis & l'Orphelin de la
Chine ; le troiſième Tancrède , l'Enfant prodigue
Nanine & l'Ecoffaife.
Histoire générale de Provence , Tome II , in-4 .
AParis , chez Moutard , Imprimeur-Libraire de la
Reine, rue des Mathurins , hôtel de Cluny , 1778 ,
avec approbation & privilége du Roi.
Le Tome premier de cet Ouvrage parut l'année
dernière. Nous rendrons compte de l'un& de l'autre.
L'Auteur eſt M. Papon , Prêtre de la Congrégation
de l'Oratoire , & Membre de l'Académie de Marfeille.
L'Education phyſique & morale des femmes , avec
une notice alphabétique. A Bruxelles; & ſe trouve à
Paris, chez les frères Etienne , Libraire , rue Saint-
Jacques , à la Vertu.
Avis au sujet du Tribut des Muses , ou Nouveau
choix de Poésies, dédié aux Mânes de VOLTAIRE.
בכ
ככ
ec Comme i s'eſt gliſſé pluſieurs fautes, eſſentielles
>> -à corriger, dans l'impreſſion du Tribut des Muses,
>>,les Editeurs de ce nouveau recueil ont fait faire
>> pluſieurs cartons pour y remédier. En conféquence
>> les perſonnes qui auroient acheté des exemplaires
>> de cet Ouvrage , pourront , s'ils le defirent , les
>> renvoyer chez Monory , Libraire , rue de la Comédie
Françoise; il les leur rendra de fuite tout
cartonnés. Les changemens ſont très-importans .
Voyezlasuite des Annoncesfur les troispages
de la Couverture.
I
う
2
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le s Novembre.
Au milieu des voeux qu'on fait ici généralement
pour la paix , les préparatifs de guerre
continuent avec beaucoup de vivacité ; on répare
tous les vaiſſeaux qui ont été employés
dans l'expédition de la mer Noire ; on en conftruit
de nouveaux , & on prend toutes les
meſures néceſſaires pour avoir au printems
prochain une flotte nombreuſe; le Grand- Viſir ,
accompagné des Miniſtres Ottomans , qui ont
été employés aux négociations avec ceux de
Ruffie , a été lui-même vifiter l'arſenal & les
chantiers. Ces mouvemens ne font cependant
pas évanouir les eſpérances de paix ; la médiation
de la France , les conférences fréquentes
de l'Ambaſſadeur de cette puiſſance avec
les membres du Divan , les ſoutiennent encore ;
on a lieu de croire que le Gouvernement la défire
, & que le but de la conduite vigoureuſe
qu'il affecte , eſt de donner plus de poids aux
négociations qui doivent recommencer cet
hiver.
Le Koulkiaja , ou le Lieutenant de l'Aga des
Janniſſaires , vient d'être déposé & exilé pour
avoir négligé les devoirs de ſa charge ; Sain-
Songi Baſchi , a été nommé pour le remplacer.
15 Janvier 1779 .
1
1
( 194 )
Le Gouvernement inſtruit que quelques corfaires
Maltois & autres , croiſent dans l'Archipel
,& qu'on en avoit vu un à la hauteur de Tenedos
, où il avoit enlevé un bâtiment Turc ,
a fait partir 10 galiotes pour leur donner la
chaffe .
C'eſt aujourd'hui que doit être célébré le
mariage de la Sultane Emetoulla , avec Nidchangi
Bacha ; ſon trouſſeau a été expoſé hier
dans ſon Palais; il eſt composé de meubles de
la plusgrande élégance , & de bijoux précieux
qu'on eſtime ſeuls plus d'un million de piastres.
On dit que le Sultan vient de faire une découverte
précieuſe dans les jardins de ſon Palais ; c'eſt
ainſi qu'on raconte ce fait qui n'eſt peut- être qu'un
conte du Serrail. >> Le Bostangi Baſchi renvoyé dernièrement
, a demandé pour unique récompenfe
de ſes anciens ſervices , la faveur d'entretenir un
inſtant S. H. en particulier. Il l'a obtenue ; il lui a
dit que le feu Sultan Mustapha lui avoit fait enterrer
dans les jardins du Serrail un tréſor , avec défenſe
d'enjamais riendire à perſonne. Le Grand-Seigneur
à cette nouvelle , n'a rien eu de plus preſſé que de
ſe faire conduire ſur le lieu où étoit enterré ce tréfor
; le Bostangi Baſchi , a creuſé la terre , & a découvert
un coffre aſſez grand , qui étoit rempli de
pierreries & de pièces d'or ; S. H. s'eſt hâté de le
faire enlever , & a témoigné ſa reconnoiſſance au
chefdes Jardiniers , de la manière la plus éclatante.
On ajoute que les richeſſes enfermées dans le coffre ,
furpaſſent de beaucoup le vuide qu'ont occafionné
au tréſor du Sultan , les frais de l'expédition infructueuſedu
Capitan Bacha " .
SUÈDE.
De SтоскHOLM , le 10 Décembre.
La Reine eſt parfaitement rétablie de ſes
couches ; on compte qu'elle pourra faire fa
( 195 )
première ſortie le 27de ce mois; la ville célè
brera cet heureux moment par une fête qu'elle
donnera au peuple. Le Prince Royal dont la
fanté avoit d'abord donné des alarmes , ne
cauſe plus aucune inquiétude. Depuis ſa naiffance
il y avoit des jours fixés pour tenir cour
dans ſon appartement; c'étoit le dimanche &
le jeudi ; mais on a ſuſpendu cet uſage à cauſe
de la petite- vérole , qui règne dans cette capitale
.On a même prié les perſonnes qui auroient
dans leurs familles quelqu'un attaqué de cette
maladie , de s'abſtenir de paroître au château
pendant quelque tems.
Les de ce mois , S. M. honora de ſa préſence
l'Académie royale des Sciences. M. de Balk ,
Chevalier de l'Ordre de l'Etoile Polaire , &
Préfident du Collége des Médecins , ouvrit
cette ſéance par l'éloge du ſavant Linnæus.
LesEtats du Royaume viennent avec l'agrément
du Roi , d'accorder un don gratuit de 100
mille thalers de cuivre au Duc de Sudermanie .
Malgré toute la diligence avec laquelle les
différentes députations s'occupent de leurs travaux,
il ne paroît pas que la Diète puiſſe les
terminer avant la findel'année.
:
Le projet que le Comte de Ferſen préſenta le 17
du mois dernier , avoit pour objet les inſtructions à
donner aux Membres du Comité chargé de l'examen
de la banque , dont les opérations furent
toujours du reſſort du Comité ſecret ; par la nouvelle
forme de gouvernement établi en 1772 , le
Roi les abandonna ſans aucune restriction à la difpoſition
& à la direction libre des trois premiers
Ordres. Le Comte de Ferſen avoit propoſé d'impoſer
au Comité l'obligation , iº. de ne s'écarter en aucune
manière dans ſes diſpoſitions , des réſolutions
priſes par les ordres de l'Etat , ni des Règlemens
faits en 1688 lors de la fondation de la Banque ;
2º. de ne faire aucune diſpoſition de conféquence ,
I 2
( 196 )
àmoins toutes fois quepar ſa nature elle ne doive
etre tenue ſecrette , ſans avoir obtenu préalablement
l'approbation & l'agrément des Etats : 39. de continuer
de s'occuper à réaliſer les billets de banque en
rixdalers , avec la reſtriction cependant de communiquer
avant toutes choſes aux Etats les moyens
qu'on pourroit y employer. 4°. de ne point diſpoſer
àl'inſu des Ordres , des gains de la banque qui doivent
ſervir au ſoutien du bien public , &par conféquent
de ne négliger ni abandonner jamais aucune
des prétentions légitimes qu'elle eſt dans le cas de
former; 5º . de requérir le conſentement des Etats
avant d'accorder de nouveaux appointemens ou quelques
gratifications ; 6° . que tout Membre ſera délié
du ferment obligatoire de garder le ſecret, dans le
cas où le Comité chargé de l'examen de la banque
voudroit faire quelque choſe de centraire à ces
inſtructions. Ce projet fut d'abord approuvé le 17 ,
mais le 20 , l'Orateur de la Bourgeoiſie ſe préſenta
enqualitédedéputé de ſon Ordre devant celui de la
Nobleſſe , pour repréſenter en ſon nom que la délicateſſe
de cette propoſition exigeoit une délibération
ultérieure ; quelques Membres de la Nobleſſe parurentenjjuuggeerr
de même, il y en eut qui prétendirent
que les inſtructions projettées étoient contraires à la
forme de gouvernement actuellement établie , & faifoient
un tort manifeſte aux droits de S. M. Le Comte
de Ferſen prit alors la parole , il défendit fon projet
avec la plus grande éloquence , & prouva ſon refpect
& fon zèle pour le ſouverain ; il entraîna l'afſemblée
, qui pour la ſeconde fois agréa ſon projet
fans y faire aucun changement. Le 24 , le Chancelier
de la Cour alla au nom du Roi propoſer au
Clergé & à la Bourgeoisie une addition à l'article
qui diſpenſe les Membres du Comité de l'obſervation
du ſecret , elle fut aggréée d'une commune voix ;
cette addition n'eſt que l'application du paragraphe
47 de la nouvelle forme de gouvernement, où il eſt
dit que S. M. , dans le cas où ilfera question de
( 197 )
communiquer aux Ordres des affaires secrettes
elleseréserve d'en confier le contenu à ceux de leurs
Membres que les Ordres pourront nommer à cet
effet, fous la réſerve qu'ils obferveront le fecret
dans une telle circonstance .
Conformément à cette loi , S. M. a fait dé
clarer ces jours-ci aux Etats , qu'outre les propoſitions
qu'elle leur a faites , en ayant d'ultérieures
à leur communiquer , elle demandoit
qu'ils formaffent une députation pour en traiter
avec elle. Les Ordres s'occupent en conféquence
de la nomination de ceux d'entre eux
qui compoſeront ce Comité ſecret.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 10 Décembre.
COMME la province de Lithuanie s'eſt enga.
gée à porter un tiers de la dépenſe pour l'inftruction
du corps des Cadets , la Diète a décidé
que le tiers de ce corps ſera pris parmi la jeuneffe
noble de cette province. Cette même
Diète n'a rien ſtatué cette année relativement
à l'armée; la brièveté du tems ne le lui a pas
permis; mais il a été arrêté que ce qui en regarde
l'augmentation ſera le premier objet dont
elle s'occupera lorſqu'elle s'affemblera de nouveau.
On croit que ſi la paix ne ſe conclut pas
cet hiver entre les Cours de Vienne & de Berlin
, il s'en tiendra une extraordinaire au mois
de Mai prochain ; celle qui vient de ſe ſéparer
a donné au Roi le pouvoir de diſpoſer de 25
ſtaroſties & autres biens Royaux , tant en Pologne
qu'en Lithuanie; il s'eſt préſenté déja un
grand nombre d'afpirans , mais S. M. a déclaré
qu'elle n'en accorderoit qu'à ceux qui ont rendu
des ſervices réels à la Patrie.
Le Comte Zamoiski commencera , dit- on ,
à s'occuper dès le mois prochain , des change
13
( 198 )
mens qui doivent être faits dans le Code de
Loix qu'il a rédigé ; il ſe propoſe de le mettre
en état d'être préſenté à l'approbation de la
première Diète qui s'aſſemblera . On eſpère que
l'affaire de notre commerce avec la Pruſſe ſe
terminera à notre ſatisfaction par la protection
&la médiation de la Ruſſie; nous les avons réclamées
dans le moment le plus favorable, celui
où l'alliance des deux Puiſſances ſemble ſe refferrer
davantage par le beſoin qu'elles ont l'une
de l'autre .M. de Stackelberg a répondu à la note
qui lui fut préſentée le 7 du mois dernier , en
déclarant qu'il l'avoit envoyée à ſa Souveraine ,
& qu'il ne doutoit pas qu'elle ne donnât dans
cette occaſion comme dans toute autre , des
preuves de fon amitié& de ſes vrais ſentimens
pour le Roi & la République .
On eſpère que cet objet pourra entrer dans
les négociations dont le Prince de Repnin eft
charge; il est arrivé ici au commencement de
Ja ſemaine, & eſt deſcendu chez l'Ambaſſadeur
de Ruffie ; il a fait par des traîneaux le voyage ,
depuis Pétersbourg , juſqu'à Riga. Demain il
continuera ſa route pour Breſlau , où l'on dit
qu'il s'eſt rendu des Miniſtres de France &
d'Autriche. On croit qu'il paſſera l'hiver auprès
du Roi de Pruſſe , & que ſi la paix ne ſe conclut
pas , il commandera les troupes Ruſſes qui
doivent agir de concert avec les Pruffiens , &
qui font prêtes à tout évènement. On parle
même déja d'un plan d'opération ; mais il eſt
probable qu'il ne ſera formé qu'à Breſlau .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 15 Décembre.
L'EMPEREURſe diſpoſe àretourner enBohême;
ſes équipages ont déja pris la route dePrague,
où l'on affure qu'il ſe rendra lui-même vers le
( 199 )
milieu du mois prochain. Les préparatifs de
guerre continuent avec beaucoup d'activité , &
ilsn'annoncent pas une paix auſſi prochaine
qu'on l'eſpère .
Le cours des poſtes de la Siléſie dans les
Etats Autrichiens eſt interrompu ; le Poftillon
qui arriva le 6 de ce mois de Neiſſe à Zuchmantel
, eut ordre de retourner ſur ſes pas ;
& on lui déclara qu'on ne laiſſeroit plus paffer
àl'avenir ni poſtes , ni diligences venant des
Etats Pruffiens. Des voituriers venant d'Italie
avec des marchandiſes pour la Siléfie , ont été
arrêtés dans les Etats Autrichiens , & ont reçu
défenfe d'aller plus loin. Dans bien des endroits
où il y a déja peu de circulation & de communication
, on ſe plaint d'en être totalement
privé.
Le Roi de Pruſſe avoit publié le 8 Juillet
dernier , un ordre général qui rappelloit dans
ſesEtats tous ceux de ſes ſujets qui pouvoient
être établis dans les Etats héréditaires de la
Maiſon d'Autriche ; l'Impératrice Reine , par
un reſcrit en date du 13 Novembre , a donné
le même ordre à ceux des ſiens qui ſe trouvent
en Pruffe , ſous peine de ſa diſgrace & de
confifcation des biens qu'ils poffèdent dans ſes
Etats.
: Le Prince d'Aversberg qui poſſédoit des
terres conſidérables dans la Haute-Siléfie , ayant
fupplié le Roi de Pruſſe de permettre que les
remiſes des revenus de ſes terres lui ſoient faites
fans aucun obstacle , S. M. lui a écrit la lettre
ſuivante . » M. le Prince d'Aversberg , comme
votre âge ne vous permet pas de vous rendre
à vos terres en Siléſie , je me fais un plaifir
d'acquiefcer à votre demande & de remplir votre
attente , en répondant à la confiance que
vous paroiffez avoir en mon amour pour la
justice, par les ordres ſtricts que je vais don-
14
( 200 )
ner , pour que vous puifiez toucher fans aucun
empêchement les revenus de vos terres :
fur ce ,je prie Dieu qu'il vous ait en ſa ſainte
garde «.
Le Grand-Duc & la Grande-Ducheffe de
Toſcane doivent partir le 7du mois prochain
pour retourner dans leurs Etats.
On dit que le Général d'Elrichſauſen dont
une maladie a mis la vie en danger , eft actuellement
rétabli ; mais que le Comte d'Althan
eft mort.
ALLEMAGNE.
De HAMBOURG , le 20 Décembre.
La rigueur de la ſaiſon qui a ſuſpendu toutes
les hoftilités du côté de la Siléfie &de la Bohême
, n'a pas empêché que les Autrichiens n'aient
tenté quelque entrepriſe du côté de la Saxe ;
le 8 de ce mois , ils attaquèrent les poftes
avancés près d'Altenberg & de Schmiedeberg ;
mais comme les troupes qui formoient ces poftes
étoient fur leurs gardes , ils ſe retirèrent après
avoir tiré quelques coups de canon.
:
:
Dans la Haute-Siléſie les opérations militaires
ont été interrompues ; on croyoit que
les Autrichiens qui avoient reçu des renforts
conſidérables , & dont l'armée avoit été portée
à82,000 hommes , tenteroient de chaffer les Pruffiens
de cette Province , lorſque tout-à- coup
ils ſe ſont repliés vers Olmutz . On attribue
cette retraite précipitée à une maladie dangereuſe
dont le Général d'Elrichſauſen a été attaqué.
Le Prince héréditaire de Brunswick en
a profité pour étendre ſes quartiers & procurer
à fes troupes des cantonnemens plus commo-.,
des; il s'eſt avancé de nouveau vers les fronrières
de la Moravie , pour reconnoître les trou(
201 )
pes Autrichiennes ; on croit qu'il a deſſein d'entreprendre
quelque choſe qui puiffe rétablir la
communication interceptée entre Troppau &
Teſchen. En attendant , la petite guerre continue
entre les corps détachés. Le 6 de ce mois
ily eut une petite action. Le Général de Lofſow
fit mettre MM. Reh & Kohler , Lieutenants
dans le régiment de fon nom , en embuſcade
dans Thabor avec so chevaux , pour enlever
une patrouille ennemie qui alloit ordinairement
de Klein-Herlitz à Tabor ; pour affurer le fuccès
de ce coup de main , il fit avancer en mêmetems
un piquet de 40 chevaux. L'ennemi qui
avoit formé le même deſſein avoit fait occuper
Groff-Herlitz par 100 chevaux. Les deux
détachemens ſe rencontrèrent le 6 à la pointe
du jour. Malgré la ſupériorité des Autrichiens,
MM. Reh & Kohler , foutenus par le piquet ,
les repouffèrent juſqu'à un cimetière où des
croates étoient poſtés. Ceux- ci , en faitant feu
pour foutenir leur cavalerie, eurent le malheur
d'en tuer quelques hommes. Les Pruffiens firent
peu de prifonniers , & les Autrichiens laifferent
beaucoup de monde fur la place.
Les bruits de paix ſe renouvellent ; on compte
toujours qu'elle ſera le fruit de la médiation
de la France & de la Ruffie , & fur-tout de la
diſpoſition de cette dernière à joindre ſes forces
à celles du Roi de Prufſe ; les troupes qu'elle
a déja aſſemblées ſur les frontières de la Pologne
Autrichienne , conſiſtent en 8 régimens
d'infanterie, 6 de cavalerie ,& 5 mille coſaques,
faiſant en tout 20,000 hommes. On ne doute
pas que pour première opération , au printems
prochain , fi la campagne a lieu , elles n'entrent
dans ces Provinces qui ne peuvent leur offrir
aucune défenſe , parce que leur ſeule communication
avec la Bohême eſt fermée par les neiges
qui couvrent les monts Crapaks. Ce qui faie
Is
( 202 )
préſumer qu'elles pourront tenter cette conquête,
c'eſt que cette conquête même leur offriroit
, ainſi qu'à la Pruffe , de quoi ſe dédommager
des frais de la guerre , & ce ſeroit
autant de ſoulagement pour la Bavière , qui
peut- être fera obligée d'en ſupporter une partie .
L'Europe entière eſt dans l'attente des ſuites
de ce grand démêlé , ſi on ne parvient pas à
les prévenir pendant l'hiver. On affure que les
négociations qui doivent amener la paix vont
s'ouvrir inceſſamment ; on dit que le Marquis de
Pons , Ambaſſadeur de France , qui s'eſt rendu
de Berlin à Breſlau , ira faire un voyage à
Vienne ; en attendant que toutes ces nouvelles
ſe confirment , on remarque par- tout des préparatifs
de guerre qui ne ſe ralentiffent point.
Les recrues ſe font avec beaucoup de vivacité
dans les Etats héréditaires de la maiſon d'Autriche;
le nombre de celles que doivent fournir les
provinces , eft , dit- on , le ſuivant. La Bohême
19,676; la Moravie 9332; la Siléſie 2016, la Baffe-
Autriche 6424 ; la haute 2976 ; la Stirie 5400 ; la
Carinthie1932; la Carniole 2744; les Comtés de
Gorice & de Gradiſca 708. Total , 51,208. On
ne comprend pas dans ce calcul le nombredes
hommes que pourront fournir la Hongrie , la
Tranſilvanie , l'Illyrie Autrichienne , les Pays-
Bas & le Comté de Tyrol , ainſi que ſes Etats
en Souabe & en Italie. On dit que pour empêcher
toute diverſion , on tirera de la Principauté
de Tranſilvanie , les troupes des frontières
qui ſerviront en Bohême ; & on les remplacera
par 50,000 hommes d'autres troupes ,
chargées de s'oppoſer aux entrepriſes que les
Ruffes pourroient former de ce côté ; comme
ils font encore en conteftation avec les Turcs ,
qu'on ſe flatte toujours qu'ils ne s'accommoderont
pas , & que fans doute on négocie ſecrèsement
àConſtantinople pour cet effet , on se
1
(203 )
flatte que ce nombre ſuffira de cecôté ; laCour
de Vienne aura ainſi quatre armées puiſſantes ,
qui agiront en Siléfie contre le Roi de Pruſſe ,
en Saxe , contre l'armée Saxo - Prufſienne , &
enPologne& enTranſylvanie contre les Ruffes.
Ces armées formeront , dit- on , en tout 350
mille hommes ; nombre ſans doute prodigieux ,
qu'il ne ſuffit pas de lever , mais qu'il faut entretenir.
:
:
ALLEMAGNE.
De RATISBONNE , le 20 Décembre.
Le Baron d'Aſſebourg , Miniftre de l'Impératrice
de Ruſſie , eſt arrivé ici le 10 de се
mois ; il n'a point encore fait de déclaration ;
M. de Koch , Conſeiller de Légation , employé
auprès du Prince de Gallitzin , Ambaffadeur
de cette Puiſſance à Vienne , étoit arrivé
dans le même tems , & eft reparti quelques
jours après ; on préfume qu'il n'avoit eu pour
objet dans ce voyage que de s'aboucher avec
M. d'Affebourg .
On remarque peu d'activité dans les aſſemblées
de la Dière , & on ne s'attend à en voir
que lorſqu'on aura perdu l'eſpoir d'un accommodement
au fujet de la Bavière. Il y a beaucoup
de fermentation dans pluſieurs Etats de
l'Empire , qui ne croient pas pouvoir reſter
ſpectateurs indifférens de tous les mouvemens
qui ſe paſſent autour d'eux. >> UnTréfoncier ,
écrit-on de Mayence , revêtu en même-tems
d'une dignité dont les fonctions ſont relatives
aux affaires politiques , a remis à l'Electeur un
mémoire dans lequel il démontre d'une manière
très- forte , la néceſſité où les Etats de
l'Empire ſe trouvent de s'unir , & de mettre
fur pied une armée de so à 60,000 hommes
tant pour défendre leurs pays que pour con-
小
16
( 204 )
courir à l'ajuſtement des différens ſurvenus au
ſujet de la Bavière «.
Le nouvel écrit que la Cour de Berlin a publié
, & que nous avons annoncé , eſt conçu
ainfi :
>> S. M. a prouvé irréfragablement par ſa Déclaration
, préſentée avec un Supplément,au mois de Juillet
dernier aux Hauts- Etats de l'Empire , & le Duc des
Deux-Ponts par la déduction de ſes droits , que les
prétentions inattendues de la Cour de Vienne fur la
Baffe-Bavière ne repoſent que ſur deux chartres &
inveſtitures ſurannées & contradictoires données par
l'Empereur Sigismond à ſa fille & à fon gendre
Albert , Duc d'Autriche , ignorées depuis 350 ans.
Il a été démontré que les prétentions en queſtion ne
fauroient ſubſiſter avec le droit ancien & inconteftable
de toutes les lignes de la Maiſon Palatine à la
Succeflion de Bavière. On a fait voir qu'indépendamment
de cette conſiſtance , elles ont été totalement
annullées tant par une Sentence émanée
en 1429 de ce même Empereur Sigifmond , que par
une renonciation expreſſe du Duc Albert , qui a pour.
elle tous les degrés de vraiſemblance hiſtorique. On
ne tardera pas à expoſer au public la foibleſſe des
argumens illuſoires & l'artifice des faux - fuyans ,
par leſquels la Cour de Vienne a voulu ſauver ſes
prétendus droits dans le Manifeſte volumineux qu'elle
a publié pour cet effet , & auquel on ne tardera pas
de répondre en détail. Il ne s'agit donc plus que de
ſavoir , fi indépendamment de ces vieilles prétentions
, cette Puiſſance a acquis une juſte poffeffion
de la Baſſe -Bavière par la Convention faite avec
l'Electeur Palatin , le 3 Janvier de cette année. La
légitimité de cette poffeffion tombe à la vérité d'elle
même avec le principe ſur lequel elle repoſe , les
Parties Contractantes mêmes ayant expreſſément mis
pour baſe de la Convention , la ſuppoſition que les
anciennes prétentions de la Maiſon d'Autriche font
fondées. On ne fauroit d'ailleurs croire , que L. M. I.
( 205 )
&S. A. E. F. reconnoiſſant après un plus mûr examen
la nullité des prétentions , qu'elles avoient d'abord
cru bonnes , voudront s'en tenir à une Convention
bâtie ſur des prétentions non fondées & s'en prévaloir
pour démembrer une Succeffion autli impor
tante , & la ſouſtraire à la Maiſon Palatine des Deux-
Ponts & à la Maiſon de Saxe. La Convention du z
Janvier perdant toute ſa force , il faut néceſſairement
que les Pays occupés en vertu de ſa teneur foient
évacués & reſtitués aux héritiers légitimes , ſi l'on
peut de plus prouver que cette Convention n'a pas
été libre de la part de l'Electeur , mais qu'elle lui
a été arrachée par ſurpriſe , par menaces & par la
violence. La Cour de Pruſſe a déja mis cette preuve
enavantdans ſon Expoſé des motifs en faiſant ob
ferver , que la Convention du 3 Janvier , ainſi que
ſa ratification ont été ſignées & expédiées dans le
tems même que les troupes Autrichiennes ont marché
en Bavière; que même d'après la Note circulaire
du Prince Kauniiz du 30 Janvier , ce fut peu après
cettemarche que le ſoi - diſant accord amiable avec
M. l'Electeur Palatin a été conclu ; & qu'à moins de
ſuppoſer une contrainte , on ne ſauroit concevoir
que ſur le ſimple énoncé d'une prétention ſurannée
&deftituée de toute vraiſemblance S. A. E. P. cût
volontairement cédé la moitié du Duché de Bavière ,
c'est-à- dire autant & plus de pays qu'elle n'auroit
pu en perdre par la ſentence la plus défavorable.
S. M. a eu dès long-tems des preuves plus directes
de cette contrainte par un de ſes Miniftres dans
l'Empire. On s'eſt contenté de les indiquer dans
l'Expoſé des motifs , par ménagement pour la Cour
de Vienne , dans l'eſpérance qu'elle reviendroit à
elle , & fur les inftances de M. le Duc des Deux-
Ponts , qui par égard pour la Cour Impériale & pour
S. A. E. P. a toujours témoigné par ſon Miniſtre
defirer que cette publication n'eût pas lieu. Mais
puiſque la Cour Impériale perſiſte à nier la violence
dont elle a ufé dans cette affaire , puiſqu'elle pro
( 206 )
voque la Cour de Berlin d'en fournir la preuve ,
puiſqu'elle continue à alléguer ſon bon droit &une
convention volontaire , comme le fondement principal
de ſon occupation de la Bavière , puiſque pour
pallier cette occupation , elle imagine des motifs
illuſoires pour détourner l'attention du public de ſes
vues&deſes entrepriſes injuſtes ,& pour donner les
couleurs les plus odieuſes aux procédés défintéreſſés
du Roi , puiſqu'elle s'efforce d'attribuer à S. M. P.
des projets d'aggrandiſſement qui n'ont jamais exiſté
&de peindre en même-tems M. le Duc des Deux-
Ponts comme un Prince chancelant & manquant à
ſa parole ; l'honneur & la gloire du Roi & du Duc
ne permettent plus de retenir les preuves que l'on a
enmains de tout ce qui a été avancé. S. M. ſe voit
ainſi obligée de préſenter ici à ſes Co -Etats de l'Empire,
aux Hauts-Garants de la Paix de Westphalie ,
ainſi qu'à toutes les autres Puiſſances de l'Europe ,
la Copie authentique d'une Lettre du 22 Janvier ,
par laquelle M. l'Electeur Palatin communique à
M. le Duc des Deux - Ponts la Convention du 3
Janvier. S. A. E. P. y dit en termes exprès : J'ai été
tellement preffé & mis à l'étroit par la Cour Impériale
, qu'il ne m'eſt plus reſté pour cela aucun tems ;
& jai été obligé de me réfoudre ſans plus long
délai , ou pour la ratification , ou pour la rupture
totale de l'ouvrage de la Convention. Dans le dernier
cas , je n'avois autre choſe à attendre que de
voir les troupes , qui étoient déja entrées dans mes
Pays , prendre en poffeffion , non - ſeulement la
partie stipulée dans la Convention , mais auſſi
comme on l'a témoigné à mon Miniftre à Vienne ,
tous les Pays de Bavière & même cette Réſidence ,
& d'être ainſt obligé de me retirer d'ici. Il réſulte
évidemment de cet aveu de M. l'Electeur Palatin ,
principale Partie Contractante , que ſa S. A. E. P.
a été induite & forcée à figner la Convention du 3
Janvier par menaces & par violence manifeſte; &
après que , ſelon_les propres termes de la Note cir-
1
( 207 )
culaire du Prince Kaunitz du 20 Janvier , les troupes
étoient déja entrées dans ſes Etats. On ne pourra
donc plus douter que l'Electeur n'ait à juſte titre fait
témoigner au Comte de Gortz , que l'Electeur ayant
les troupes Autrichiennes dans son Pays , pour
le bien- être de ſes ſujets & l'amour de la paix ,
s'étoit vu dans la néceſſité de conclure une Convention
qui lui lioit les mains & l'empêchoit de
profiter des offres amicales du Roi. Voici maintenant
des circonstances dont la nature & le ſecret
extrême avec lequel on les a cachées , ne permettent
point de preuves par écrit , mais auxquelles d'après
ce qui vient de précéder , le public doit certainement
ajouter foi . Depuis pluſieurs ſiècles la Cour de Vienne
aeu pour objet conftant de ſa politique , d'arracher
entoute occaſion le plus qu'il ſeroit poſſible du Duché
de Bavière , dont la poſition eſt ſi propre à aggrandir
& arrondir ſes Etats héréditaires. Cette politique a
redoublé d'activité à meſure que l'extinction de la
branche maſculine de Bavière a paru plus prochaine .
Le Contrat de mariage de S. M. I. aujourd'hui régnante
, avec la Princeſſe Joſephe de Bavière , doit
déja contenir ſur la Succeffion éventuelle & fur l'acquiſition
de certaines parties du Duché , ſpécialement
du diſtrict de l'Inn , des articles ſéparés &des projets
ſecrets auxquels la ligne Palatine n'a point été appellée
à concourir. Le décès de cette Princeſſe ayant
rendu ces ftipulations inutiles , & MM. les Electeurs
Palatin & de Bavière ayant réglé l'ordre de leur
Succeſſion par les Conventions de 1766 & de 1771 ,
la Cour de Vienne a travaillé ſans relâche à ſe procurer
fur celles de Munich & de Manheim l'aſcendant
convenable à ſes vues . C'eſt ainſi qu'employant
à Munich principalement la menace , & gagnant à
Manheim certains Miniftres ſuffisamment connus , y
excluant des affaires tous les ſerviteurs fidèles & au
fait des conſtitutions de la Maiſon Palatine , même le
Succeſſeur éventuel , ſe permettant nombre d'infinuations
infidieuſes contre la Cour de Berlin , ainſi que
( 208 )
contre d'autres Etats bien intentionnés , & leur prê
tant des ſentimens & des deſſeins bien éloignés de
leur façon de penſer , la Cour de Vienne a ſu ſo
ménager une influence qui lui a fans doute facilité
les moyens d'entamer avec M. l'Electeur Palatin ,
dès le vivant de l'Electeur de Bavière , comme elle
l'aſſure , une négociation ſur la Succeffion à écheoir .
La mort de l'Electeur ſurvint dans ces entrefaites &
avant que les projets de la Cour de Vienne fuſſent
parvenus à leur maturité. Mais elle ne perdit point
de tems& fut porter le Miniſtre Palatin , le Sr. Ritter ,
à ſigner dès le 3 Janvier , ſavoir quatre jours après
le décès de l'Electeur de Bavière , la Convention
ſi préjudiciable à la Maiſon Palatine , fur laquelle
la Cour de Vienne ſe fonde aujourd'hui . Elle força
enfuite l'Electeur Palatin par ſes fortes menaces
par l'entrée effective des troupes Autrichiennes en
Bavière , comme ce Prince en convient lui - même
dans ſa Lettre , à ratifier le 14 Janvier ſuivant cette,
Convention conclue à la hâte entre les Miniſtres
Impériaux & le Sr. Ritter. Suivant des avis trèsdignes
de foi & dont on pourroit en cas de beſoin
fournir des preuves , comme on l'a fait à l'égard
de la contrainte même , la Cour Impériale a même
laiſfé à l'Electeur Palatin la liberté d'avouer & de
déclarer qu'il avoit été forcé . Quant à M. le Duc des
Deux-Ponts , elle lui a fait entendre , ainſi qu'à ſes
Miniftres , à différentes repriſes , que s'il n'accédoit
pas à la Convention , la ſeconde qu'on s'y réſervoit
ſe feroit à ſon excluſion avec l'Electeur Palatin ſeul ,
&que tous les avantages qui y ſeroient déterminés
pour la Succeſſion & les Fiefs de l'Empire & de Bohême
, ſeroient reſtreints à la ſeule ligne de Sulzbach
àl'excluſionde celle de Birckenfels , de manière que
le cas de la Succeſſion échéant , la Cour Impériale
feroit valoir contre le Duc ſes prétentions ſur toute
la Bavière. Tels font entre pluſieurs autres circonf
tances , que pour la brièveté onpaffe ici ſous filence,
les moyens illicites que la Cour de Vienne a em(
209 )
ployés pour fatisfaire fes vues ſur la Bavière. C'eſt
à regret qu'on les dévoile. Il n'est pas dans le fy
tême de la Cour de Berlin , & elle n'a pas coutume
de chercher à noircir ſes voiſins.
La fuite à l'ordinaire prochain .
ITALI E.
De LIVOURNE , le 16 Décembre.
1
?
It eſt arrivé ici ſur un bâtiment Vénitien , 24
perſonnes de Tunis , qui font actuellement en
quarantaine dansle Lazareth , & qui font l'entretien
de toute la ville. On prétend que c'eſt
le gëndre même du Bey de cette Régence , avec
ſa ſuite& cinqfemmes. Il s'eſt évadé , dit-on ,
pour fuir les persécutions de ſon beau- frère
qui l'a ſouvent menacé de le faire périr, & qui
auroit pu l'exécuter en ſuccédant au Bey qui
eſt fort âgé , & qui ne peut tarder à lui abandonner
leGouvernement ; il n'enpas arrivé les
mains vuides ; comme il a pris la fuite dans le
tems qu'il faiſoit la perception du tribut , on
aſſure qu'il n'a pas emporté moins de soomille
ſequins comptans , & une grande quantité de
pierreries.
On mande de Rome que le Barigel , qui y a
été arrêté il y a quelques jours , vient d'être
jugé& condamné à la deftitution de ſon emploi
, & au banniſſement perpétuel de l'état
Eccléſiaſtique; fon principalcrime eſt den'avoir
pas entretenu le nombre de sbirres néceſſaires
pour s'approprier la folde de ceux qu'il avoit
fupprimés , & d'avoir donné des paffe-ports à
pluſieurs perſonnes notées ou flétries.
Le 16 du mois dernier , on a éprouvé à Trieſte
une très- forte ſecouſſe de tremblement de terre ;
elle a été accompagnée d'un orage très- violent ,
pendant lequel la foudre eſt tombée , & a tué
le poftillon d'Allemagne avec ſon cheval.
1
1
( 210 )
55 Il vient de ſe paſſer ici , écrit-on , de Milan , un
fait très-fingulier , dont la malignité plaiſante , &
dont les gens ſenſés gémiſſent. Une Religieuſe de S.
Marcel , après quelques années d'une conduite exemplaire
, a été tentée tout-à-coup de connoître le
monde; pour y rentrer , elle a franchi pendant une
nuit le mur de ſa clôture ; elle s'eſt trouvée dans le
Palais de Reſta , qui étoit alors deſert , parce que
toute la famille qui l'occupoit étoit à la campagne ;
elle en ſortit en eſcaladant encore un mur d'où elle
entra dans le jardin d'une maiſon voiſine ; elle y
trouva une perſonne ſans doute honnête , qui lui
repréſenta l'inconféquence de ſa fuite , & la détermina
à retourner dans ſon couvent; elle ſe préſenta
à la porte du Monastère , où ſon évaſion étoit déja
connue , & vivement condamnée. Dès que la tourière
annonça la fugitive , toute la Communauté accourut
au parloir ; au lieu de plaindre ſon égarement
, & d'applaudir à ſon retour , on l'accabla des
plus cruels reproches , & on lui déclara qu'on ne
vouloit pas le déshonorer en recevant une coureuſe.
La charité auroit ſans doute preſcrit de tenir une
autre conduite ; la Religieuſe vraiment repentante ,
a cherché une protection ; elle l'a trouvée , & on
croit que la Religieuſe aura la permiſſion de paſſer
dans un autre couvent , auquel celui qui l'a repouffée
à ſon retour , ſera forcé de rendre ſa dot , ou
du moins de payer ſa penſion . «
>>Dans les fouilles qui ſe font près du pont de
Tolede , écrit-on , de Madrid , on a trouvé vers la
fin de Septembre dernier , à une verge & demie de
profondeur , dans un terrain dur , crayeux & vierge ,
quelques os qui ont été jugés avoir appartenu à un
éléphant; ce ſont la pointe des deux dents , deux
morceaux fort grands de l'une de ces dents ; différentes
parties des mâchelières , la rotule d'un genou
& quelques autres morceaux. Les parties des
dents paroiffent venir d'un éléphant trois fois aufſi
grandque celui qui après avoir été diſſéqué l'année
( 211 )
dernière, a été placé dans le cabinet royal d'hiſ
toire naturelle, Ces os ſont dans un véritable état
de pétrification ; au moyen d'une lentille qui ne
groffit les objets que médiocrement , on y remarque
des particules cryſtaliſées ; ſi les ouvriers avoient
travaillé avec quelque précaution , ce qui leur eſt
très - expreffément recommandé actuellement , on
auroit peut-être trouvé en entier le ſquelette pétrifié
d'un éléphant , qui probablement ſera mort en cet
endroit , lors qu'Annibal , au retour de ſon expédition
entre les Vaccéens , eut ſon arrière-garde détruite
par les Carpetiens & les Oleades , dans la partiequi
eſt en-deça du Tage ; on ſait qu'il avoit 40
éléphants dans cette arrière-garde. Les morceaux
découverts dont on vient de parler , ont été déposés
dans le cabinet royal d'hiſtoire naturelle, «
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 31 Décembre.
Lefilencede la Cour ſur les nouvelles qu'elle
areçues de l'Amérique , n'annonce point qu'elles
ſoient favorables ; elle s'eſt tue ſur les dépêches
apportées par M. Stuart : elle s'eſt tue
encore fur les rapports qu'ont dû lui faire les
Commiffaires pacificateurs , le Comte de Carlifle
& M. William Edens arrivés le 21 de
ce mois & partis de New-Yorck le 27 du précédent
avec le Comte de Cornwalis & le GénéralGrey.
Tout ce qui tranſpire de leurs récits,
c'eſt que l'expédition du Colonel Campbell
parti avec 3700 hommes pour aller ſeconder
lesmécontens de la Caroline , n'a point réuffi ;
les vents l'ont arrêté dans ſa marche , & forcé
de retourner à New- Yorck. L'Amiral Byron,
eſt entré le 20 Novembre à Rhode- Iſland où
il s'occupe à réparer , à meſure qu'ils arrivent ,
ſes vaiſſeaux diſperſés par la tempête du 1 &
2
( 212 )
du 2; outre le Sommerfet , vaiſſeau de 64 canons
, il a perdu encore le Cornwall de 74 ,
& le Bedford eſt entièrement démâté. On ajoute
à ces rapports, qu'on ne doute pas, que leComte
d'Estaing n'ait pris la route des Antilles , à la
fuite du Commodore Hotham & du Général
Grant , qui y conduiſent sooo hommes , & qui
n'ayant que deux jours d'avance fur le Vice-
Amiral François, & marchant très -mal, peuvent
êtredétruits avant d'arriverà leur deſtination , ou
l'y trouver en y arrivant. Il faiſoit une fi grande
diligence , qu'il a négligé de détacher aucun
de ſes vaiſſeaux après le Culloden qu'il a rencontré
, & qu'il auroit pris s'il avoit voulu
riſquer de perdre un jour.
Tous ces détails ne raffurent pas nos mar
chands intéreſſés au commerce des iſles ; leur
effet a été de faire baiſſer les fonds qui décroiffent
de jour en jour , fans que nous entrevoyons
même dans l'éloignement de les voir
ſe relever. Les iſles menacées ne fauroient être
fecourues à tems ; on aſſure bien que l'Amiral
Byron a écrit au Ministère qu'il mettroit à la
voile à la fin de Novembre; mais le Comte
d'Estaing , parti le 4 , doit y arriver avant lui.
Quant à la poſition de nos troupes à New.
Yorck , elle est fort incertaine. Le Général
Clinton ya , dit- on , encore 16,000 hommes ,
dontmoitié eft compoſéede Torys Américains ;
il demande la permifſion d'en lever encore
sooo pour former la garniſon de New-Yorck ,
& on ne doute pas qu'il ne l'obtienne ; ce
feroit toujours sooo hommes de moins à envoyer
en Amérique : mais peut- on beaucoup
compter ſur leurs ſervices ; leur zèle qu'on
vante avec tant d'affectation , n'eſt - il pas l'effet
de la préſence des troupes Royales , & leur
éloignement ne le fera-t-il pas évanouir ? Le
Miniſtère a beau exagérer le nombre des par
( 213 )
tiſans que la Métropole a en Amérique , & celui
des ennemis du Congrès ; la partie faine
de la nation eſt de l'avis de M. Fox. » Si
tout ce qu'on allégue est vrai , dit- il au Lord
North dans la Chambre des Communes , fi
la diviſion règne en Amérique , ſi dans quelques
Provinces la rebellion s'arme contre le
Congrès , fi la majeure partie des Etats-Unis
voit de mauvais oeil le traité fait avec la France,
fi elle eſt diſpoſée à renouer avec nous , plus
je ſerai convaincu de la vérité de ces aſſertions ,
plus je ſerai pénétré de la néceſſité de rappel-
Jernos troupes. La violence eft inutile contre
des gens diſpoſés à faire de plein gré ce que
nous défirons d'eux. En faiſant cette démarche ,
vous ôtez au Congrès le prétexte de tenir des
armées ſur pied ; s'il ſe départ difficilement de
cet appui , s'il diffère trop à licentier ſes troupes
, il fournira au peuple l'occaſion de lui
faire des remontrances ; on lui repréſentera qué
cette armée , déſormais inutile , achevera d'épuiſer
le tréſor public. Si d'après ces repréſentations
le Congrès inſiſte , c'eſt alors que des
eſprits que l'on dit déja prévenus s'échaufferont,
c'eſt alors que le peuple fera la loi ; le reſte
va de ſuite. Le Congrès une fois démaſqué ,
le peuple tourne naturellement ſes yeux vers
laGrande-Bretagne , & c'eſt ainſi que fans coup
férir nous effectuons à l'avantage commun des
deux peuples , une réconciliation que les mefures
hoftiles retarderont & rendront peut- être
impoſſible en raiſon de leur vigueur cc.
Ceparti feroit afſſurément le plus ſage ſi telle
étoit la ſituation des affaires en Amérique ;
mais le Ministère qui veut le perfuader , n'en
eſt pas convaincu lui-même. Il s'eſt flatté d'année
en année de mettre promptement fin à cette
guerre : il s'en flatte encore pour l'année prochaine
; la facilité avec laquelle le Parlement
( 214 )
voté les ſubſides , ſemble le confirmer dans
l'exécution des anciennes meſures qu'il a adoptées
; ces ſubſides ne ſauroient être plus conſidérables
, puiſqu'ils montent à 11,711,000 liv.
ſterling ( & non 10 millions comme nous l'avons
dit) ; mais il faut les trouver : le Ministère
eſt autorisé à faire cette dépenſe ; on attend
avec curioſité les moyens qu'il mettra en uſage
pour ſe procurer cette ſomme : il les mettra
ſous les yeux du Parlement à ſa rentrée ; il
vient d'entrer en vacances. Les Communes ſe
ſont ajournées au 14 Janvier , & les Pairs au 17.
Avant de ſe ſéparer , les deux Chambres ſe
font beaucoup occupées de l'affaire de l'Amiral
Keppel & du Vice-Amiral Pallifer. Cette affaire
fâcheuſe a eu une cauſe très legère ; le
Vice-Amiral en revenant à terre lut dans les
papiers publics un paragraphe anonyme , dans
lequel on l'accuſoit d'avoir empêché de renouveller
le combat d'Oueſſant en désobéiſſant aux
ſignaux ; pour ſe diſculper , il publia une lettre
fignée de fon nom, dans laquelle il mit ſur le
compte de l'Amiral le reproche qu'on lui faiſoit
; celui- ci s'en plaignit , & déclara hautement
dans la Chambre des Communes , que
le Vice-Amiral avoit déſobéi. Celui- ci piqué
à fon tour , & prévoyant fans doute qu'il ſeroit
dificile d'éviter une recherche publique ſur les
circonſtances de cette action , ſe hâta de prévenir
l'Amiral Keppel , en portant lui-même
au Bureau de l'Amirauté , dont il eſt un des
Commiſſaires , une accuſation en forme contenants
chefs , dont la ſubſtance eſt que l'Amiral
s'eſt rendu coupable lors du combat d'Ouefſant,
de mauvaiſe conduite & de négligence L'Amirauté
ſans examiner la justice ni les motifs de
l'accuſation , ſe prêta à la demande du Chevalier
Pallifer , & envoya à l'Amiral copie de
l'accufation, & avis de ſe préparer à ſubir incef
( 215 )
lamment , fur ces articles , un jugement formel ,
devant un conſeil de guerre qui s'aſſemblera à
Portsmouth .
Le 11 de ce mois le Parlement ignoroit encore
ce qui venoit de ſe paſſer, M. Temple Luttrell
éleva encore la voix pour demander qu'on
proposât à S. M. de faire des recherches ſur le
combat d'Oueffant , & fur la conduite de Sir
Hugues Palliſer accuſé d'avoir déſobéi , & que
l'on regardoit comme le ſeul homme répréhenſible
dans cette affaire . La Chambre fut fort
étonnée d'apprendre par la défenſe du Vice-
Amiral que l'Amiral étoit lui-même accuſé ;
tout le monde prit le parti du dernier , & demanda
que l'accuſation fût retirée. Alors M.
Keppel ſe leva : >> Sir Palliſer , dit- il , veut ſe
venger des infinuations qu'il prétend que j'ai
données contre lui ; je nie aujourd'hui , comme
je l'ai déja fait , d'en avoir donné aucune ; c'eſt
comme je l'ai déja dit , ſa propre lettre qui
les a répandues ; c'eſt au ſujet de cette lettre
que je l'ai blámé : c'eſt cette lettre & non mon
opinion de ſa conduite le jour du combat ,
qui m'a fait déclarer que jamais je ne retournerois
en mer avec lui. Après une pareille lettre
je nepouvois pas me riſquer ſur la flotte ou
il ſe ſeroit trouvé ; j'aurois craint qu'il ne s'élevât
une mutinerie ſur une flotte où il auroit
euun commandement. Quant à l'examen qu'on
m'annonce , je veux & je dois le ſubir ; je ne
crois point avoir été coupable dans une ſeule
occafion; ma confcience m'abſout , & je ne
doute point que ma patrie ne faſſe de même.
Je ne donnerai point ma voix ſur la propoſition
qui eſt l'objet des débats actuels j'ai dit
ce que j'avois à dire , & je vais me retirer " .
Cette affaire , malgré l'intérêt que le Parlement
prend à l'Amiral,& les témoignages d'eftime
qu'il lui a donnés aura des ſuites. Le con-
;
( 216 )
feil de guerre doit s'aſſembler ; l'uſage eſt de
le tenir ſur un vaiſſeau de guerre ; mais le
Parlement a porté un Bill pour y déroger en
faveur de l'Amiral Keppel dont laſanté eftchancelante;
ce ſera ſur terre qu'il ſe tiendra . On
attend avec impatience quelle en ſera la décifion.
Au tour que prennent les affaires , on croit
qu'il ſe tiendra encore d'autres conſeils de
guerre pour juger la conduite du Chevalier
Howe : les deux freres demandent avec inftance
qu'on faſſe des recherches pour conftater
ſi c'eſt à eux ou au Miniſtère qu'ondoit s'enprendre
du peu de progrès des armes Britanniques
en Amérique. S'il faut en croire la plupart de
nos papiers , ils doivent craindre cette recherche;
les Commiſſaires du Roi revenus nouvellement
d'Amérique , ſe propoſent de les accuſer
d'avoir , pour leur intérêt , traîné la guerre
en longueur ; mais cette accufation ne paroît
vraifemblable qu'à ceux qui adoptent les plans
du Ministère , qui ont ſeuls caufé les lenteurs
dont la nation ſe plaint , & dont il leur feroit
fans doute avantageux de rejetter la faute fur
d'autres. On eſt fort curieux d'apprendre comment
ſe termineront ces diſcuſſions ; elles peuvent
être funeſtes à quelques braves militaires :
mais elles peuvent le devenir enfuite contre
ceux qui les ont propoſées , &qui les ont foutenues.
Leur effet, en attendant , peut avoir
des conféquences facheuſes pour llee fervice , en
dégoûtant de bons Officiers qui ne pourront
jamais , en prenant un commandement& en le
rempliſſant avec zèle & intelligence , s'affurer
den'être pas outragés , caloommnniiééss,, accuſés par
leurs inférieurs. Comme le conſeil de guetre
ſera composéde 13 des plus anciens Officiers ,
& qu'il y en aura encore un grand nombre des
plus expérimentés employés comme témoins ,
oncraint que le ſervice n'en fouffre , & que
les
( 217 )
les flottes prêtes à partir ne foient retenues
dans nos ports. La Cour a bien promis que
cela n'en retarderoit aucune ; mais cette promeſſe
n'a pas tout- à-fait raſſuré.
Après un voyage inutile & coûteux , dans lequel
les Commiſſaires Britanniques n'ont fait que publier
une Proclamation qui fait horreur à la plus grande
partie de la Nation , ils devoient s'attendre à des
épigrammes; on ne les leur a pas épargnées. La plus
piquante eſt une Lettre ſignée le Fer & leFeu , adreſſée
- au Ministère Anglois ſous le titre de Conſeils pour
donner toute l'efficacité poſſible à cette Proclamation.
>> Comme il paroît que la déſolation de l'Amérique
eſt votre ſyſtême favori , que l'objet indiqué
dans votre Manifeſte ouceluide vos Commiſſaires eſt
dedétruire tout ce qui peut rendre ce Pays de quelqu'utilité
aux François nos ennnemis , les moyens
ſuivans nous ont paru propres à remplir un but ſi
defirable. Il fautd'abord ne compoſer que d'Ecoſſois ,
d'Allemands & de Ruſſes les troupes qu'on embarquera
au printems prochain. Quelque penchant naturel
qu'une pareillearmée puiſſe avoir pour la dévaftation,
,il convient de le provoquer encore par un
ſtimulant plus actif ; il conſiſte à lui donner les encouragemens
ſuivans. Pour l'incendie d'une Ville
qui auroit au moins 1000 maiſons , pourvu qu'il
n'en reſte aucune qui ne ſoit entièrement conſumée ,
on donnera à la diviſion qui aura la gloire de cette
expédition sooo livres , qui ſeront partagées entre
les Officiers & les ſoldats ; pour la deſtruction d'un
Village ou d'un Hameau de 200 maiſons au moins ,
pourvu que les Habitans de tout ſexe & de tout âge
périffent tous , finon par le feu, du moins par le
fer, 1000 livres ; pour chaque acre de grain détruit ,
3 liv.; pour chaque millier de pièce debétail 5 ; pour
chaque Ferme avec ſes appartenances 10; pour chaque
millier de pieds d'arbres coupés4 livre; pour chaque
Moulindémoli 2 1.; pour le crâne d'un homme 1 1.;
pour lecrâne d'une femme 2 1. 26; d'un enfantà la
K 5 Janvier 17790
4
( 218 )
i
mamelle 2 liv . 12 (. 6 deniers ; d'une femme enceinte
3 liv. 3 fols ; celui d'un Membre du Congrès 30 ;
du Général Gates soo ; du Général Washington
5000 ; pour chaque ballot de marchandiſe péſtiférée
qu'on fera paffer à Boſton ou à Philadelphie 300 ;
pour chaque centaine de chiens enragés lâchés dans
le Pays 20 ; pour chaque pre d'Inquifiteur qu'on
pourra y jetter 1000 ; pour chaque Fille du Palais-
Royal & de Drurylane qui y ſera tranſportée 300 ;
pour chaque Eccléſiaſtique non conformiſte , brûlé
au poteau foo ; pour chaque Quaker noyé immédiatement
après ſon baptême 10 , &c. Vous
n'éprouverez ſans doute aucun remords de confcience
en faiſant ainſi la guerre ; ſi cette manière
peut mériter la cenſure des ames timorées des Grotius,
des Burlamaqui , il vous ſuffit d'avoir été aſſurés
par le Lord Suffolk en plein Parlement , que ce ſont
des moyens tout ſimples que Dieu & la nature ont
mis entre vos mains pour l'extirpation des rebelles .
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Philadelphie le 30 Octobre. Le io de ce
mois le Congrès a pris & fait publier la réſolution
ſuivante. >> Comme il y a tout lieu de
s'attendre que nos ennemis dénaturés défefpérant
de pouvoir jamais nous fubjuguer &
nous donner des fers , ou nous perfuader de
rompre le traité ſolemnel que nous avons conclu
avec notre grand & bon allié le Roi T. С. ,
&de rentrer dans la dépendance de la Grande-
Bretagne , ſe porteront par un dernier effort à
ravager , brûler & détruire les villes & bourgades
de ce continent auxquelles ils pourront
atteindre : arrêté qu'il ſera recommandé à tous
ceux des habitans de ces Etats qui habitent des
lieux expoſés aux ravages de l'ennemi , de conftruire
des dépôts à 30 milles au moins de leurs
domiciles actuels , pour y faire paffer leurs
femmes , leurs enfans , & autres perſonnes hors
( 219 )
d'état de porter les armes , & pour s'y retirer
cux-mêmes en cas de néceſſité avec leurs meubles,
effets & marchandises , & auffi d'éloigner
d'eux tout leur bétail ; précautions affligeantes
à la vérité , mais qui ne leur paroîtront
pas trop dures dans des tems de calamités publiques
, où un ſi grand nombre de leurs braves
compatriotes s'expoſent journellement aux dangers
& aux fatigues de la guerre , combattant
pour la défenſe de leurs droits & de leurs libertés.
Arrêté qu'auſſi- tôt que l'ennemi aura
commencé à détruire ou à brûler quelque ville
ou bourg , il foit recommandé au bon peuple
de ces Etats d'incendier , de ravager , de brûler
& détruire les maiſons & propriétés de
tous les Torys ennemis de la liberté & de
l'indépendance de l'Amérique , & de s'affurer
de leurs perſonnes , de manière à empêcher
qu'ils n'aſſiſtent l'ennemi , ſans ſe permettre cependant
de les traiter eux ou leurs familles avec
une cruauté que les circonstances n'exigeroient
point , d'autant que ſur ce point nous n'avons
pas le defir d'imiter nos ennemis ou les Allemands
, les Nègres & les Sauvages leurs alliéscc.
Les diſpoſitions qu'annonce la dernière proclamation
des Commiſſaires Britanniques , ont
donné lieu à cette réſolution ; l'Amérique doit
fortir de ſa modération devant des ennemis
qui n'en ont jamais montré , qui ſe ſont ſans
ceffe permis des excès , & qui ſe promettent
de pouffer encore plus loin l'horreur & l'atrocité
; il eſt tems de leur oppoſer les armes
dont ils ſe ſervent
Aujourd'hui le Congrès a répondu à cette
proclamation menaçante par un court manifefte
très- énergique , dans lequel il rappelle en peu
de mots , fa conduite & celle des Anglois depuis
l'origine des troubles juſqu'à préſent . C'eſt
4
( 220 )
ainſi qu'il eſt terminé : » Tant qu'il nous eſt
refté une ombre d'eſpérance de pouvoir ramener
nos ennemis par notre exemple , au refpect
des loix que tous les peuples civilisés regardent
comme ſacrées , à l'obſervance d'une
religion qu'ils font profeſſion de croire & de
révérer comme nous , nous les avons laiſſés à
l'influence de cette religion & de cet exemple.
Mais puiſque leurs diſpoſitions incorrigibles
font à l'épreuve de la bienfaiſance & de la
piété , nous devons par d'autres moyens venger
lesdroits de la nature humaine. Nous , le Congrès
des Etats-Unis de l'Amérique déclarons
en conféquence , & proteſtons folemnellement ,
que ſi nos ennemis oſent exécuter leurs menaces
& perſiſter dans leur plan de barbarie , nous
entirerons une vengeance ſi exemplaire , qu'elle
retiendra quiconque ſeroit jamais tenté de les
imiter. C'eſt au Dieu qui ſcrute les coeurs des
hommes que nous en appellons de la droiture
de nos intentions ; & c'eſt en ſa préſence facrée
que nous déclarons que cette réſolution ne
nous étant ſuggérée par aucun ſentiment précipité
de vengeance ou de colère , nous y perſévérerons
à travers toutes les révolutions par
Jeſquelles la fortune pourra nous éprouver « .
Trentown du 12 Novembre. Les nouvelles
qu'on reçoit de New-Yorck annoncent beaucoup
de mouvemens dans cette ville , & confirment
l'idée que nous avons toujours de fon
évacuation prochaine. Le Général Clinton ſent
qu'il n'y peut paſſer l'hiver ſans être expoſé
àbiendes embarras , fur-tout dans un moment
où ſon armée eſt affoiblie de sooo hommes
partis pour les Antilles. Le ſort de ces troupes ,
celuiduCommodore Hotham , qui eſcorté leur
tranſport , paroiſſent fort aventuré ; elles ſont
parties le 2 de ce mois de New-Yorck , & le
Comte d'Estaing qui eſt parti le 4 de Boſton
( 221 )
eſt vraiſemblablement à leur pourſuite. L'A--
miral Byron eſt hors d'état d'aller à leur ſecours.
La tempête qu'il a eſſuyée lui a fait perdre deux
vaiſſeaux ,& il en a pluſieurs qui font fort endommagés
; il n'a pu parvenir encore à les rafſembler
, les réparations dont ils ont beſoin
exigeront du tems , & le défaut de matériaux
&d'agrès néceffaires ne permettra pas de les
mettre en état de rendre de bons ſervices.
Le Général Washington qui est toujours à
Fridéricksbourg , ſe propoſe de s'avancer juſqu'à
Morris-Town où il établira ſon quartier général.
Il n'eſt pas douteux qu'il n'ait les yeux
fixés ſur les mouvemens du Général Clinton
à New- Yorck , & qu'il ne ſe prépare à profiter
des premiers qui lui offriront quelque avantage.
Ledépart desCommiſſaires Britanniques n'eſt
pas éloigné ; ils s'y préparent dans le plus grand
fecret; mais quelque foin qu'ils apportent pour
le cacher , nous en ferons inſtruits ; on eſpère
que la fin de ce mois en délivrera l'Amérique;
& ce jour ſera ſans doute ſignalé par des
réjouiſſances que feront ces peuples libres ; ceux
qui habitent les côtes ont déja préparé des feux
qu'ils allumeront au moment de leur départ,
& qu'il est vraiſemblable qu'ils appercevront;
ils leur donneront une juſte idée des ſentimens
de ces peuples ſur leur commiffion ; cela ne
les empêchera pas de les repréſenter comme
diſpoſés à rentrer ſous le joug de la Grande-
Bretagne ; mais ces contes qui peuvent plaire
à leur Roi en Europe , feront bien démentis
ici par les faits.
Un papier de Boſton rend compte d'une fête
que le Comte d'Estaing a donnée à bord du
Languedoc aux principaux habitans de cette
ville. Il avoit fait placer dans le fond de la
chambre un portrait duGénéral Washington ,
K 3
( 222 )
degrandeur naturelle , dont leGénéralHancock
lui a fait préſent. Ce portrait étoit entouré de
lauriers. Quelques jours avant cette fête , il fit
la revue des troupes Françoiſes , & invita le
Général Heath à s'y trouver ; ces Officiers &
tous les ſpectateurs furent également fatisfaits
de la beauté de ces troupes & de la préciſion
de leurs manoeuvres .
De Boston le 15 Novembre. L'Eſcadre Françoiſe
a mis à la voile le 4 de ce mois , elle
elt parfaitement bien réparée , bien équipée ,
&les équipages ſont pleins d'ardeur & de confiance.
Nous ne pouvons affez nous louer de la
conduite qu'ils ont tenue pendant leur féjour.
Nous ignorons de quel côté la flotte dirige
fon cours ; mais l'état où elle eſt , le courage
& le zèle qui animent les Officiers & les foldats
, & pluſieurs de nos concitoyens qui s'y
fontembarqués , tout nous annonce qu'elle trouvera
la gloire par-tout où elle ſe montrera .
Levainqueurde Burgoyne, le GénéralGates ,
eſt arrivé ici les de ce mois ; le Général Heath
lui a remis auſſi-tôt le commandement ; nous
n'eſpérons pas de le poſſéder long-tems ; fes
fervices peuvent devenir plus néceſſaires ail-
Jeurs.
Nous apprenons que le Colonel Clark , à la
tête d'un corps de milice Américaine , s'eft
emparédu fort de Chartres & de pluſieurs autres
poſtes ſitués entre l'Ohio 8 le Miſſiffipi.
On écrit de Williamsbourg en Virginie , que
le Commandant Anglois y est arrivé le 9 O
tobre , & qu'il y a la ville pour prifon.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 10 Janvier.
Le premier de ce mois , les Princes & Princeffes
du ſang , ainſi que les Seigneurs & Dames de la Cour
( 223 )
rendirent leurs réſpects au Roi à l'occafion de la
nouvelle année. Le corps de Ville de Paris ayant à
ſa tête le Duc de Coffé , gouverneur de cette ville ,
s'acquitta du même devoir envers le Roi & la famille
Royale , étant conduit par le Marquis de Dreux ,
Grand-Maître des Cérémonies , & M. de Watronville
, aide des Cérémonies .
Le même jour les Chevaliers Commandeurs &
Officiers de l'Ordre du S. Eſprit , s'étant aſſemblés
fur les 11 heures dans le cabinet du Roi , S. M.
fortit de ſon appartement pour ſe rendre à la Chapelle
, précédée de Monfieur , Mgr. le Comte d'Artois
, du Duc de Chartres , du Prince de Condé , du
Due de Bourbon , du Prince de Conti , du Duc de
Penthièvre , & des Chevaliers , Commandeurs &
Officiers de l'Ordre. L'Evêque de Chartres , Prélat
Commandeur de l'Ordre , grand-Aumônier de la
Reine , célébra la Grand-meſſe qui fut chantée par la
muſique du Roi , après laquelle S. M. fut reconduite
à ſon appartement , en obſervant le même ordre ,
que celui dans lequel elle en étoit ſortie.
Le 3 , M. d'Aligre , premier Préſident du Parlement
de Paris , ainſi que les Préſidens à Mortier
&les autres Préſidens du même Parlement eurent
T'honneur de rendre leurs reſpects au Roi & à la famille
Royale , à l'occaſion de la nouvelle année ;
laChambre des Comptes , la Cour des Aides & la
Cour des monnoyes eurent auſſi cet honneur le même
jour , ainſi que le Châtelet de Paris , à la tête duquel
étoit le Grand-Prévôt.
L'état de la Reine continuant à être de plus en plus
fatisfaiſant , S. M. a vu le 6 de ce mois toutes les
perſonnes qui ont les entrées de la chambre chez le
Roi & chez S. M.
M. Le Marquis de Montalembert , Maréchal des
camps & armées du Roi, a eu l'honneur de préſenter
au Roi , à Monfieur , & à M. le Comte d'Artois , le
27 Décembre , les III & IV volumes de ſon ouvrage
fur les fortifications ; ces deux volumes complètent .
F
:
K 4
( 224)
Jedéveloppement du nouveau ſyſtê me de M. leMarquis
deMontalembert. L'ouvrage ſe trouve à Paris
chesDeſpieres.
FRANCE.
De PARIS , le 10 Janvier.
L'ACTIVITÉ des travaux qui ſe font dans
tousnosports ne ſe rallentit point; onnecompte
pas avoir au printems prochain moins de 70
vaiſſeaux de ligne en état de tenir la mer. Le
public en attendant qu'il ſoit mieux inſtruit ,
les diviſe ainfi . L'eſcadre de M. d'Estaing dans
l'Amérique ſeptentrionale , ſera portée à 15 vaiſ
ſeaux de ligne ; M. de Ternay en conduira 6 aux
IndesOrientales ; une ſeconde eſcadre de 12 partagée
en deux diviſions , ſous les ordres du
ComtedeGraffe , veillera à la défenſe des Indes
Occidentales ; il y aura 12 vaiſſeaux de ligne
dans la Méditerranée, & le reſte formera une
eſcadre d'obſervationdans le port de Breſt , d'où
elle ſera prête à agir par-tout où elle ſera néceffaire.
Le vaiſſeau de 110 canons qu'on doit conftruire
à Breſt , eſt nommé le Royal-Louis; il eſt
tracé , & fera conſtruit dans le baffin , où l'on
achève la refonte du Citoyen. Un des deux vaifſeaux
de 74 , eſt nommé le Nortumberland ; l'autre
ne l'eſt pas encore . Outre ces vaiſſeaux , on
conſtruit 2 frégates , la Vénus & l'Aftrée , portant
chacune 24 canons de 12 livres de balle en
batterie.
Outre le vaiſſeau de 110 canons , les 3 de 74
&les 2 frégates auxquelles on travaille à Rochefort,
onyconſtruit auſſi deux galiotes à bombes
& quatre chaloupes canonnieres , à l'Orienton
conſtruit 2 fregates , à Saint-Malo une
frégate&des cotters ,& au Havre 2corvettes.
On continue à caréner , doubler & maillet
( 225 )
ter à Breſt l'Annibal , le Diademe , le Réfléchi &
l'Amphion , qui doivent former l'eſcadre de M. le
Chevalier de Ternay ; 2 vaiſſeaux que le Roi a
achetés , & que l'on arme à Rochefort & à
l'Orient , doivent les joindre. Le Severe qui
eſt unde ces vaiſſeaux , doit embarquer à l'Iſlede-
Ré le régiment de M. le Duc de Lauzun; il
appartient à la ſociété de M. Rothe , il eſt de
force , & porte 64 canons ; il ſera commandé
parM. Palliere , ancien Capitaine des vaiſſeaux
de la Compagnie des Indes , qui vient d'obtenir
lebrevet de Capitaine des vaiſſeaux du Roi .
Des lettres de Breſt portent que M. le Duc
de Lauzun s'eſt embarqué ſur le vaiſſeau le Fendant
, & que depuis qu'il eſt à bord , perſonne
de l'équipage n'a été à terre. Selon les mêmes
lettres , l'Orient doit être parti , & il y a apparence
qu'il eſt convenu d'un rendez- vous avec
l'Artéſien qui s'eſt réparé à l'Orient. L'Actionnaire
& l'Indien doivent auſſi avoir appareillé
pour une miſſion inconnue ; l'eſcadre de M.
Graſſe eſt prête à partir , & le Fier & la Renommée
ont mis à la voile pour aller prendre à
l'ifle d'Aix un convoi qu'ils eſcorteront juſqu'à
Saint-Domingue.
La Belle Poule eſt rentrée le 28 du mois dernier
dans le même port avec deux priſes , l'une
chargée de tabac ,& l'autre de vin de Malaga ,
& on les évalue à 4 à 500,000 liv. M. de la
Roche Kerrandraon , Enſeigne de vaiſſeau qui
s'eft diftingué dans le combat qui a rendu cette
frégate fi célèbre , a obtenu ſéance & voix délibérative
aux Etats de Bretagne , quoiqu'il n'ait
pas l'âge. Les mêmes Etats ont demandé au Miniftre
de la Marine, l'agrément d'armer en courſe
le vaiſſeau le Fitzjames. M. le Chevalier de
Boutteville & M. le Chevalier de Pontual le
commanderont en chef& en ſecond; beaucoup
de Gentilshommes Bretons doivent s'y embarquer
en qualité de volontaires. KS
( 226 )
>>>Le nombre des priſes , tant faites que celles
qui arrivent tous les jours , écrit- on de Breft ,
rempliffent le port & la rade , on y voit arriver
desbâtimens de tous pavillons, chargés de munitions
navales &de munitions de guerre & de bouche
; toutes ces priſes vont partir pour l'Orient
où elles doivent être vendues.M. le Chevalier de
Ternay ſera en état de mettre à la voile dans ce
mois ; on fait toutes les diſpoſitions néceſſaires
pour mettre 29 vaiffeaux de ligne en état de fortir
dans peu de tems , & on préſume qu'ils font
deſtinés à quelque entrepriſe importante ſous
les ordres de M. le Comte d'Orvilliers . D'après
les lettres de Rochefort , il paroît qu'on y a eu
quelques inquiétudes de la part des Anglois ,
maisdans cette ſaiſon-ci iln'y a rien à craindre.
Il feroit à ſouhaiter qu'une flotte ennemie you-
Jût tenter quelque choſe ſur ces côtes , elle ne
pourroit qu'y périr «.
Le bruit s'eſt répandu ces jours derniers ,
qu'un navire marchand arrivé de Saint-Domingue
dans la rivière de Nantes , a rapporté que
la frégate du Roi la Prudente , de 36 canons ,
commandée par M. d'Eſcars , avoit pris la frégate
Angloiſe la Flore , de la même force , après
un combat très vif, & que cet Officier qui avoit
été bleffé au commencement de l'action , n'avoit
point voulu quitter le pont pendant tout le tems
qu'elle avoit duré , mais qu'il étoit mort l'inftant
après que l'Anglois eut amené. Pluſieurs
lettres rendent compte du même fait , mais elles
varient fur le nom de la frégate du Roi , qui
dit-on eft le Triton , de 32 canons , commandée
par M. de Catelan .
>>>Je viens de parler à un Officier Allemand
qui arrive du ſervice des Etats-Unis , écrit on
de l'Iſle- de-Ré ; il eſt parti de Boſton le 12 Novembre
; M. le Comte d'Estaing en étoit parti
le 4 avec 12 vaiſſeaux de ligne , 3 frégates & 3
( 227 )
corſaires Américains qu'il a fait armer ; il s'étoit
fortifié de soo matelots François qu'il avoit
échangés , ſon eſcadre étoit dans le meilleur
état , très- vigoureuſe d'équipages , & bien munie
de vivres & de munitions . Au départ du navire
ſur lequel cet Officier eſt arrivé , on débitoit
à Boſton que les Anglois évacuoientNew-
Yorck. L'Amiral Byron a 18 ou 19 navires de
guerre. Un s'eft perdu à la côte près de Boſton ,
un autre a péri plus loin , pluſieurs font démátés.
Quant à l'indépendance , cet Officier affure que
lesAméricains en ſont dans la poſſeſſion la mieux
établie ; & que jamais les Anglois n'auront dans
ce pays la plus petite parcelle de domination.
Ildit que les Américains ont actuellement au
moins 200 armateurs à la mer , qui déſolent le
commerce de l'Angleterre dans toutes ces mers .
Suivant une lettre de Toulon , M. le Chevalier
de Fabry ne commandera plus l'eſcadre , on
en ignore la raiſon; tout ce que l'on fait , c'eſt
qu'il a été très-malade à la mer. La Victoire , le
Destin , le Hardi & le Lion , ont dû mettre à la
voile pour aller en croifière. Toutes les frégates
& chebecs font dehors. Le Triomphant , de 80
canons , le Héros, de 74 , & le Jafon , de 64,
qui font en conſtruction , feront lancés à l'eau
inceſſamment. Le premier ſera armé tout de
fuite. La Bourgogne & le Souverain , chacun de
74, font en radoub & feront prêts dans deux
mois >>Un corſaire Marſeillois qui vient de
rentrer , ajoute la même lettre , a déposé que
pourſuivi par une frégate Angloiſe , il avoit rencontré
la frégate du Roi l'Attalante , commandée
par M. le Chevalier de Durfort , qui avoit
obligé l'Anglois de ceſſer ſa poursuite , & engagé
le combat Le bruit de la ville eſt que la
frégare Angloiſe a amené , & en ce cas , elle
ne tardera pas à arriver «.
Le petit corfaire le Furet , du port de Tou
K6
( 228 )
lon , continue à faire parler de lui , en enlevant
beaucoup de navires ennemis. Il eſt commandé
par le ſieurRoubaud , ci-devant maître d'armes
l'Ecole Royale Militaire d'Effiat ; c'eſt un
homme connu par ſon intrépidité. Pendant la
guerre dernière , il ſauta dans un vaiſſeau ennemi
, courut au pavillon , l'arracha , ſe jetta avec
luià la mer & ſe ſauva , le vaiſſeau Anglois fut
pris. Il y a peu de tems que les Anglois avoient
armé àMahon un corfaire pour prendre le Furet.
Roubaud inſtruit , fort de l'anſe où il ſe tenoit
ordinairement , & trouve un Corfaire de
Marſeille beaucoup plus fort que le Mahonnois;
il lui raconte ce qui lui faiſoit quitter ſa retraite ,
c'étoit l'impoffibilité de ſe défendre contre un
ennemi auſſi ſupérieur , & lui conſeilla de s'aller
mettre à ſa place. Le Marſeillois ſe mit dans
la petite Baie , & y attendit fon ennemi qui ne
manqua pas d'être pris & conduit à Marseille.
Voici la lifte des priſes faites par l'eſcadre
de M. de Fabry , pendant fa miſſion. La grande
Duchesse de Toscane venant de Londres , chargée
de draps , clinquaillerie , &c. deſtinée pour
Livourne. Le Dorfetshire , chargé de même ,
allant à Naples. La Biscaye , chargée de draps ,
allant à Gênes & à Nice. Le Zephir , corvette
de guerre , allant à Mahon . La Vierge des Car.
mes , tartane allant auſſi à Mahon. L'Industrie
venantd'Ancône & allant à Malaga. La Marie
Sarah chargée de morue & allant à Livourne.
Il y a auſſi deux ſenauts , dont on a porté la cargaiſon
à Tunis, ſous l'eſcorte d'une frégate du
Roi , & l'autre achetée par unRagufois ,pourra
être déclaré n'être pas de bonne priſe .
Les priſes Angloiſes amenées à Marseille par
des bâtimens armés en courſe dans ce port , font
les fuivans. Le Nil , venant d'Angleterre pour
Livourne&Conftantinople,eſtimé200,000liv.,
pris par le César, de 14canons, so hommes
( 229 )
d'équipage, capitaine Miſſi . La Sophie, venant
de Terre-Neuve, chargée de morue , eſtimée
210 mille livres , le George , chargé de même ,
ettimé 70 mille livres , & l'Arc- en- Ciel , corfaireAnglois
de 10 canons , & de 60 hommes ,
ces trois dernières priſes ont été faites par la
Sardine , de 16 canons , 180 hommes d'équipage
, capitaine Gaffen. Le Triomphant , de 8
canons , & de 60 hommes , & le S. Jean-Baptiſte
de 2 canons de 12, & de 110 hommes armés
auffi dans ce port , ont aufi croisé avec ſuccès
mais ils ont conduit leurs priſes dans d'autres
endroits.
>>Un corſaire de Marseille , écrit-on de Calvi
enCorſe, en date du 25 du mois dernier , vient
d'amener à Baſtia un corſaire Mahonnois , un
pinque&une tartane que ce dernier avoit priſes.
Le Marſeillois avoit fait fermer les fabords ,
cacher fon monde & paroiſſoit fuir ; le Mahonnois
qui le prit pour un navire marchand
venant au vent , fut tout-à-coup abordé , &
vit40hommesde l'équipage François fur fon
bord : il étoit commandé par un Corſe condamné
à être rompu vif. Ce même corſaire de
Marſeille a pris également à l'abordage un autre
corſaire Anglois de 150 hommes d'équipage
, qu'il a conduit en Eſpagne. Les matelots
que la Corſe avoit fournis pour l'eſcadre
deM. de Fabry fontde retour en leur patrie. Ils
font très-contens de leur campagne & defirent
fort qu'on les rappelle bientôt ; ils ont rapporté
de l'argent& des effets , fans compter la part
qu'ils auront dans la vente des priſes qui ont
été faites. Pluſieurs d'entr'eux ont demandé des
paſſeports pour aller ſervir ſur les navires marchands&
fur les corſaires , en attendant qu'ils
puiſſent être employés ſur les vaiſſeaux du
Roice.
On mande de Beziers le fait ſuivant, » Une
( 230 )
&détartane
qui avoit chargé des vins de Roufillon
pour Cette , rencontra 2 bâtimens plats
couverts qu'elle prit pour des pêcheurs ; lorfqu'elle
fut à la portée du piſtolet , pluſieurs
hommes armés de carabines parurent & fom.
mèrent la tartane de ſe rendre ; elle n'avoit que
8 hommes & point d'armes , elle ſe foumit.
Les corſaires ſe diſposèrent à la conduire à
Mahon d'où ils étoient partis ; mais le vent
dufud ayant commencé à ſouffler avec violence,
& les corfaires ne connoiſſant pas la côte , ils
furent obligés de confier le gouvernail à l'un
des matelots de la tartane , en lui ordonnant
degouverner pour Mahon. Le vent s'y oppoſa ;
les matelots François s'appercevant de l'ignorance
de leurs vainqueurs , leur proposèrent de
faire voile vers Nice : ils y confentirent , &
le vent portant toujours à la côte , les François
firent échouer le bâtiment vers le port de
Vendre ; à peine furent-ils à terre qu'ils coururent
appeller du ſecours ; au premier ſignal
les habitans prirent les armes , & vinrent arrêter
les corſaires qui s'étoient refugiés dans une
cabane de pêcheur , & qui furent déſarmés &
conduits à Vendre".
>> Nous avons eſſuyé la nuit dernière , écrit - on
de Calais en date du premier de ce mois , une tempête
telle que de mémoire d'homme on n'en a vu
en ce Pays . Toits , couvertures de cheminées , vîtres
des maiſons de cette Ville, tout a éprouvé la violence
de ce vent horrible. Une guérite ſur le rempart a été
jetrée dans les foſſés de la Place avec la ſentinelle ;
nos rues font remplies des décombres des toîts &
des cheminées , & les fermes & les bâtimens des
campagnes ne peuvent qu'avoir été également maltraités.
>> La mer a étalé des horreurs dont on n'a pas d'idée.
Nos côtes ſont couvertes des débris de 40 vaiſſeaux
Anglois tant frégates que marchands qui étoient aux
( 231 )
:
:
Dunes; pas un n'a réſiſté. Nombre ont pérí à notre
vue : quatre ont eu le bonheur d'échouer contre nos
jetrées : leurs équipages réunis au nombre de plus
de 200 hommes ont gagné terre & ſe ſont rendus
prifonniers. De ces quatre vaiſſeaux , il y en a deux
de 20 & de 26 canons , Lettre de marque , moitié
guerre, moitié marchandise , ayant 70 à 80 hommes
d'équipage deftinés pour le Sénégal ; ils rapportent
que deux frégates de guerre qui étoient aux Dunes
ont chaffé fur leurs ancres & gagnoient nos côtes.
On n'apperçoit de tous côtés que vaiſſeaux dont
beaucoup font démâtés , voguant au gré de la tempête
& tâchant de ſe ſoutenir ; on ne peut leur
donner aucun ſecours , tant la mer eft furieuſe.
Comme cette tempête vient de l'oueft , & qu'à la
Rade de Spithéad ou Sainte - Hélène , il ſe trouve
plus de 300 vaiſſeaux marchands raſſemblés , & que
ce vent y est très-dangereux , il y a lieu de croite
que cette flotte aura partagé le fort des vaiſſeaux
des Dunes dont la rade eſt mieux abritée.
>> Deux autres vaiſſeaux échoués dont les équipages
ſe ſont ſauvés & font en prifon , rapportent
qu'ils faifoient partie de 15 navires partis hier au
foir de la Tamiſe pour la Nouvelle-Yorck , chargés
d'habits , tentes , draps , camisoles , &c.; que chacune
de ces cargaiſons coûte à Londres 20,000 liv.
ſterlings. Deux vaiſſeaux pareils font perdus corps
&biens ; un autre également perdu , mais l'équipage
ſauvé , étoit un vaiſſeau Nantois , priſe faite par un
Guerneſay , que l'on conduiſoit à Londres .
A cinq heures du foir , une frégate de 36
canons , felon ce que l'on me rapporte , vient d'échouer
à la côte de Waldou ; une autre frégate
ſe ſoutient avec bien de la peine à la même côte :
ondit qu'un vaiſſeau de ligne a péri du côté de Blannès .
Nos Corſaires pourront tirer parti de ce déſaſtre ;
ils commencent à faire parler d'eux «.
On arme à Nantes fix corſaires de 20 à 26
canons , à St. Malo quatre de 26 à 30. , & le Fitz
( 232 )
James de 42. Le corſaire le Mortemart a amené
dans ce dernier Port depuis quelques jours , cinq
priſes chargées de ſucre & de café estimées 800
mille livres.
On écrit de Brest , que de 39 voiles qui venoient
en ce Port ſous l'eſcorte de quatre frégates ou corvettes
, il en eſt arrivé 34 , qu'on craignoit que les
cinq autres ayant fait fauſſe route n'aient été enlevées
; qu'une des frégates de l'eſcorte qui étoit reftée
pour les chercher n'étoit pas encore rentrée , &que
les réparations de la Ville de Paris étoient fort
avancées.
On dit que les Etats du Languedoc vont faire
un emprunt de 12 millions pour le compte du
Roi : il eſt auſſi queſtion de donner l'entrepriſe
de toutes les voitures quelconques à une compagnie
qui , dit- on , donne auRoi 5,500,000 1 .
000005
Ilyaquelque tems que l'on parle d'un projet
pour affurer aux Proteftans leur état civil ; on a
cru lors de l'aſſemblée des Chambres du Parlementle
15 du mois dernier, que leur objet étoit
de délibérer fur cette affaire : mais iln'y a été
queſtion que de l'examen de pluſieurs mémoires
reçus ſur ce ſujetdes différentes jurisdictions inférieures
du reffort , dont on dit que le réſultat a
étéqu'iln'y avoit lieu à délibérer quantà préſent.
Le 21 du mois dernier , il y a eu dans la
Chapelle de M. l'Archevêque de Paris une cérémonie
édifiante & rare , M. l'Evêque de
Montauban adminiſtra le baptême à demoiſelle
Catherine Tornhill , née dans la cité de Londres
de parens diftingués , âgée de 28 ans : elle
eut pour parrain M. le Prince de Naffau , &
pour marraine Madame la Marquiſe de Peyſac.
Après le baptême , le Prélat bénit ſon mariage
avec Meffire Etienne , Baron de Biffy ,
nédans les Etats de Gênes , du Comte de Bifſy ,
Marquis de Scaliofa ,Comte de la Boidina , &c.
Il baptiſa enſuite quatre enfans deſdits époux ,
( 233 )
dont l'aîné eſt âgé d'environ to ans& le dernier
de 3 ; leurs parrains & marraines furent
M. le Prince de Salm & Madame Daulin ,
M. de Maupercher , Conſeiller au Parlement
& la Vicomteffe de Foſſe- Landry , le Marquis
de Peyfac & Madame de Maupercher , le
Marquis de Roc- Epine , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , & Madame de Lancelot.
Après cette cérémonie , on adminiſtra les Sacremens
de Confirmation & d'Euchariftie aux
deux époux .
La diſtribution des maîtriſes , grands prix &
prix de quartier de l'Ecole Royale gratuite de
Deſſins , s'eſt faite dans la gallerie de la Reine
aux Tuileries le 28 du mois dernier. M. Le
Noir Préſident de ladite Ecole , étant arrivé à
6heures , accompagné de MM. les Adminiſtrateurs
, M. Bachelier, Directeur , ouvrit la ſéance
par un diſcours ; enſuite on procéda à la diftributiondes
cinq maîtriſes de Maçon , accor
dées aux fieurs Boutellier , Morin , Cherbonnier
, Allard & Candieu , & de 211 prix que
le Magiſtrat délivra aux Elèves.
Nous avons annoncé il y a maintenant un
an, le bel ordre d'adminiſtration établi dans
la paroiſſe de Saint-Sulpice pour le foulagement
des pauvres ; on vient de rendre compte
des ſuccès qu'il a eu. Les perſonnes riches ſe
font empreffées de ſeconder le zèle de M. de
Terſac, & de contribuer à l'exécution de ſes
vues bienfaiſantes . Les aumônes ont été abondantes;
depuis le premier Octobre 1777 , jufqu'au
premier Octobre de l'année dernière , on
adiſtribué aux pauvres 140,000 liv. , tant pour
les layettes, les mois de nourrice , les écoles
gratuites , les apprentiſſages , les habillemens ,
que pour le bois , les lits , les dépenſes de malades.
La quantité de pain diftribué pendant
l'hiver, a été d'environ 126,000 livres peſant.
(234 )
,
On a fourni du travail aux pauvres qui en manquoient;
le magafin de filaffe établi rue de bour-
Bon- ville-neuve , par la ſageſſe du Magiſtrar
qui préſide à la Police , a valu aux pauvres de
la paroiffe qui ſe ſont occupés à filer du chanvre
& du lin , environ 20,000 liv. La broderie
, qui eſt le ſeul talent de beaucoup de filles
& de femmes , n'a produit que 4300 liv. , parce
que l'usage de la dentelle & du filet a prévalu.
La Communauté des Soeurs de l'Inſtruction , rue
Pot-de-Fer , s'eſt chargée de recevoir toutes les
couturières , munies d'un billet de la Paroiſſe
qui peuvent s'y rendre lorſqu'elles n'ont pas d'oc
cupation , & où on en voit so dans une falle
commune , occupées de leur travail & des exercices
de piété qui leur conviennent. Un Infpecteur
de la Police a employé à la propreté des
rues les hommes que la Paroiſſe lui a adreſſés ,
en leur payant 14 ſous parjour. Ily a 4 maiſons
deſtinées à élever les enfans que leurs parens
font hors d'état d'élever ; on leur apprend à
lire , à écrire , à calculer , & on leur enſeigne
des métiers. A tous ces établiſſemens, on a joint
unhofpice pour les malades dont nous avons déja
parlé. Nous revenons avec plaifir fur cet ordre
d'établiſſement qu'onon ne fauroit trop louer ,
& qu'il feroit à defirer qu'on imitât dans toutes
les autres paroiffes.
Le 29 Décembre dernier, Jean-Jacques Brons,
Comte de Cézerac , chefd'eſcadron au régiment
de cavalerie Royal Picardie , a épousé à Sarlat
en Périgord , Demoiselle Marie-Elifabeth de
Mirandol : les frères du Comte de Brons de
Cézerac font : 1º . le Vicomte de Brons de
Vérac, Lieutenant - Colonel d'Infanterie , Che
valier de l'Ordre de S. Louis , marié depuis
1775 , avec Demoiſelle Henriette-Charlotte de
Fronfac , 2 °. le Chevalier de Brons de Cézerac
, Capitaine au régiment de Lorraine , non
A
(235)
1
marié Cette famille dont les diverſes branches
exiftent en Périgord , en Quercy & en Bourdelois
, n'a ceffé depuis pluſieurs fiècles de ſervir
nos Rois , & a produit nombre de militaires
diftingués.
Le Marquis de Bonnac , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Gouverneur de Brouages
, &c. , Chevalier de l'Ordre de l'Impératrice
Reine , Commandant au pays de Foix ,
eſt mort dans ſon Château de Bonnac âgé de 62
ans. Une délibération de la ville de Saverdun
pour honorer fon convoi , eſt une preuve évidente
des regrets qu'a causé dans la Province ,
la mort de ce Commandant.
Suzanne du Châtelet , veuve de Jean-Nicolas
de Changy , Marquis de Rouffillon , eſt morte
au Château de Lizieux en Barrois , dans la
7se. année de fon âge.
Marie-Marguerite Bartholot , Comteſſe d'Anfreville
, eſt morte en fon.Château d'Auberville-
la-Mannelle en Normandie , âgée de 79
ans.
د
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Novembre 1778 , regiſtré en Parlement le 27
du même mois , portant création de quatre
millions de rentes viagères.Cet Edit contient dix
Articles. Par le premier il eſt dit que leſdites
rentes pourront être acquiſes , ſoit ſur une feule
tête, à raiſon de dix pour cent par an , ou fur
deuxtêtes à raiſon de 8 pour cent par an ;
le tout fans diftinction d'âge & au choix des
acquéreurs. Le ſecond porte que les arrérages
deſdites rentes feront ſujets à la retenue du
dixième d'amortiſſement , & exempts à toujours
des vingtièmes , quatre fols pour livre du ter
vingtième , & de toute autre impoſition généralement
quelconque qui pourroit avoir lieu par
la ſuite. Il eſt réglé par le troiſième que les
conftitutions particulières ne pourront être
(236)
moindres ſur une ſeule tête que de solivres ,&
fur deux têtes que de 42 livres 10 fols de jouif-
Cance annuelle.
la
Ordonnance du Roi , concernant les recrues
qui ſe font à Paris , du 15 Novembre. S. M.
informée qu'il ſe trouvoit beaucoup d'abus dans
le recrutement à Paris , a voulu ypourvoir
tantpour aſſurer la tranquillité & fûretéde
ſes ſujets , que pour le bien de ſon ſervice ; en
conféquence , elle a jugé néceſſaire de renouveller
l'Ordonnance du 27 Mars 1760. Elle
défend aux foldats des gardes Françoiſes &
Suiffes , & à tous Recruteurs d'entrer dans
P'Hôtel-Dieu de Paris , de faire le racolage ,
ni aucun engagement forcé , ſoit par ſurpriſe ,
menace ou autrement ; tous doivent être faits
de bonne volonté ; le tout à peine de nullité
deſdits engagemens , du carcan & des galères ,
tant contre ceux qui ſeront convaincus de pareilles
manoeuvres, que contre ceux qui les
auront favorisées. Pour éviter ce trafic honteux&
illicite des Recruteurs , qui après avoir
fait contracter un engagement font paffer à
d'autres , à prix d'argent l'homme engagé ; il
leur eft enjoint de déclarer à ceux qu'ils engagent
le nom du régiment auquel ils les defſtinent,
à peine de nullité de l'engagement &
de priſon. Veut S. M. que tous ceux qui auront
des commiſſions pour faire des recrues ,
ſoient tenus avant de faire aucun engagement ,
de préſenter leur pouvoir au Lieutenan-tGénéral
de Police , chargé de faire exécuter la
préſente Ordonnance.
Les numéros fortis au tirage de la Lotterie
Royale de France le 2 de ce mois, font: 21 ,
67,80, 22 , 84.
De BRUXELLES , le 10 Janvier.
On parle plus que jamais de la paix d'Al(
237 )
lemagne; nous avons quelques lettres de cette
contrée qui annoncent que la Maiſon d'Autriche
eſt ſur le point de reſtituer à l'Electeur
Palatin la partie de la Bavière , dont elle s'eſt
mis en poffeffion au commencement de l'année
dernière. En attendant que cette nouvelle , encore
bien vague , ſe confirme , les ſpéculatifs
qui ne croient pas que l'Empereur renonce à
toutes ſes prétentions après avoir armé pour
les foutenir , cherchent la part de cette fucceffion
qui pourra lui reſter , & celle qu'on
penſetoujours qu'il conviendra de faire au Roi
de Pruffe; ils ont imaginé en conféquence ce
plan d'accommodement : la Régence de Straubing
& le cours du Danube juſqu'à Paffaw ,
feront rendus à l'Electeur Palatin ; l'Impératrice
Reine conſervera quelques diſtricts dans
la Bavière , & on cédera quelques contrées
en Siléfie au Roi de Pruſſe; la ſucceſſion de
l'Electeur Palatin ſera aſſurée au Duc des
Deux-l'onts par un acte authentique& folemnel .
Selon d'autres avis , la paix n'eſt pas encore
prochaine ; l'Electeur Palatin doit , dit - on ,
fournir à l'Impératrice Reine 12,000 hommes
qui feront payés & entretenus à ſes frais pendant
tout le cours de la guerre ce corps ſera ſous
les ordres du Général Baron d'Herold.
Il eſt certain que les préparatifs pour foutenir
la guerre avec vigueur ſe continuent de
toutes parts ; on écrit de Paris que leRoi de
Pruſſe a écrit à un homme célèbre que ſi la
paix ne ſe fait pas cet hiver , il ſe propoſe de
faire une campagne affez vive pour n'avoir pas
beſoind'en commencer une troiſième ; " à mon
âge , ajoute-t- il , on eſt preſſé de finir ſes affaires
, &je réponds que je ne traînerai pas celleci
en longueur " . Nous avons reçu ici des ordres
pour que s bataillons de campagne , 350
dragons , actuellement dans les Pays-Bas , &
( 238 )
:
1
le reſte du corps d'artillerie ſe tiennent prêts
àpartir au premier avis. Les compagnies de
ces bataillons feront portées à 200 hommes ,
à 190 au moins , & les dragons doivent faire
autant de recrues qu'il fera poſſible. Si le départde
ces troupes , qui formeront un corps
de 6000 hommes , a lieu , il ne reſtera dans ces
Provinces que s bataillons de garniſon de 4
compagnies chacun , & qui même ne font pas
entièrement complettées.
On affure que le Portugal a ſigné un traité
de commerce avec la France , & que ce traité
ne tardera pas à être publié. » L'examen des
procédures faites ſous le précédent règne
écrit- on de Lisbonne , ſe continue avec beaucoup
d'affiduité , & les malheureuſes victimes
de la prévention & de la haîne , trouvent dans
la justice de la Reine un terme à leurs fouffrances
, & un juſte dédommagement de leurs
maux paffés . On a publié déja le decret qui
déclare innocent D. Joſeph Scabra de Sylva ,
qui eſt rétabli dans tous ſes honneurs & dans
toutes ſes dignités ; il avoit d'abord été exilé
de la Cour , avec défenſe d'en approcher de
60 lieues . Ses amis s'intéreſsèrent pour lui quoiqu'il
eût déplu au Miniftre. Il fut puni de cette
fidélité extraordinaire dans des courtiſans , par
une priſon rigoureuſe dans le Château de Porto,
& fon nom fut effacé de tous les regiſtres du
Royaume ; enfin il fut transféré à Angola , &
renfermé avec des malfaiteurs. Lorſque ſes fers
ont été rompus , le peuple a été en foule audevant
de cet illuſtre infortuné ; on affure qu'il
eſtdans l'intention de paſſer le reſte de ſes jours
loin de la Cour ; cependant il l'a ſuivie à Alentejo
pour préſenter ſes hommages à la Reine-
Mère , qui l'honora toujours d'une eſtime particulière
" .
>>Je ne vous parlerai point des diſpoſitions de l'Ef(
239 )
pagne , lit-on dans une lettre de Madrid ; elle con
tinue de les cacher avec beaucoup de ſoin ; cela
n'empêche pas qu'on ne les pénètre , & le moment
où elle doit les déclarer , n'eſt pas éloigné. Le malheurde
M. Olivadès occupe en ce moment l'attention
générale , il affecte vivement , & on n'oſe pas
témoigner combien on eſt pénétré. Tout le monde
ſe rappelle que c'eſt à lui que l'Eſpagne doit l'état
actuel de Sierra-Morena ; on n'y voyoit que des
deſerts en friche , habités par des brigands & des
bêtes féroces ; il les a peuplés , il les a fait cultiver ,
il en a fait un canton très- riche. Il a employé pour
cela des Colons Allemands induſtrieux , & qu'il a
attirés ; malheureuſement ils ſont Proteftans ; il
avoit cru devoir les protéger contre le fanatiſme ; if
le réprima avec ſévérité toutes les fois qu'il tenta de
troubler le repos de ſa Colonie ; c'eſt de-là qu'on
eſt parti pour le peindre , comme un homme fans
religion &fans moeurs. Son jugement en le déclarant
incapable de toute charge civile & militaire ,
étend cette peine à ſes deſcendants , juſqu'à lacinquième
génération , il le condamnoit à être fouetté
publiquement ; on a bien voulu lui remettre ce ſuppliceà
cauſe de ſon âge &de la foibleſſede ſa ſanté
il eſt âgé de ss ans . Je ne ferai point de réflexions
ſur cet évènement ; ce n'eſt pas dans ce pays qu'on
peut ſe les permettre ; on en fera affez ailleurs ,
On voit par lediſcours du Roi d'Angleterre ,
à l'ouverture du Parlement , que le Ministère
n'eſt pas fans inquiétude ſur les armemens que
font quelques Puiffances neutres ; la conduite
de la marine Angloiſe les rendoit indiſpenfables.
La Cour de France de ſon côté paroît
fort attentive au parti que prendront ces mêmes
Nations , fur tout celles dont la libre navigation
eſt aſſurée par les Traités les plus poſitifs.
L'article premier du Règlement concernant la
Navigation des bâtimens neutres en tems de
guerre , porte que » le roi ſe réſervoit de réyoquer
la liberté accordée par cet article , fi
( 240 )
:
les Puiſſances ennemies n'accordoient pas le
réciproque dans le délai de fix mois ". Ce délai
eft fur le point d'expirer ; & S. M. T. C. voulant
s'éclaircir ſur les diſpoſitions ultérieures
qu'elle fera en conféquence , a chargé le Duc
de la Vauguyon , ſon Ambaſſadeur près LL.
HH. PP. , de leur demander une explication
poſitive ſur ce qu'elles ont projetté de faire
dans une circonſtance où elles ſe laiſſent vexer
par les Anglois , qui enlèvent leurs navires
chargés d'approvisionnemens de marine ; con
duite abſolument contraire aux traités fuivant
leſquels ces navires doivent être également
reſpectés par les Nations en guerre. Cet
Ambaſſadeur a dû demander une réponſe cathégorique
, d'après laquelle le Roi prendra les
meſures convenable à ladignité de la Couronne
&à l'honneur du pavillon François.
Le 13 du mois dernier , écrit-on de Marſeille
, les treize citoyens qui ont établi iciune
fête en l'honneur des Inſurgents, ſe ſont affemblés
pour en célébrer l'anniverſaire. Chacun
des treize députés portoit le nom d'une des
treize Provinces , & étoit diftingué par un
ruban de la couleur de ſa Province. Ungrand
nombre de bons patriotes ayant voulu prendre
part à cette fête , ils ont été admis comme
députés des différentes Provinces de France ,
après avoir été annoncés & introduits par le
deputé de Penſylvanie , choiſi pour maître des
cérémonies. On a porté au bruit de treize
boîtes la ſanté du Roi , celle des Inſurgents ,
celle du Comte d'Estaing , & les autres ont
été faluées d'une feule chacune. Une joie décente
a animé cette fête : & au nom du Roi ,
de laReine ,& de l'enfant qu'elle portoit , tout
lemonde s'eſt levé pour s'embraffer ; & chacun
enverfant des larmes de joie & de tendreſſe ,
faiſoit les voeux les plus ardens pour la confervation
de LL.MM.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles;
les Causes célebres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Edits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
29 Janvier 1779 .
APARIS ,
Chez
PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
Vers àM. Léonard , 243 SCIENCES ET ARTS .
PIÈCES FUGITIVES. Comédie Italienne , 300
L'Aigle & la Colombe , Gravures , 306
Dialogue , 248 Musique , 308
Ode Badine,
L'Amour Champêtre , 249 ANNONCES LITTÉR. 309
Rofette, Conte Moral, 251 Constantinople ,
Ariette ,
Enigme & Logogryp. 274 Copenhague ,
NOUVELLES Stockholm
LITTÉRAIRES . Varsovie ,
Fin de l'Extrait des Elo- Vienne ,
250 JOURNAL POLITIQUE.
313
272 Pétersbourg , 314
315
316
317
318
ges de M. d'Alembert, Hambourg ,
276 Ratisbonne ,
duMuy , 284 Londres ,
Sure ,
287 Septent.
320
325
328 و
330
Éloge de M. le Maréchal Livourne
Moyens d'extirper l'U- Etats-Unis de l'Amériq.
Élémens de Chimie , 293 Versailles ,
Histoire Univerſelle , 296 Paris ,
SRECTACLES . Bruxelles ,
APPROBATION.
343
349
359
359
F'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux, le Mercure de France , pour le 25 Janvier
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 24 Janvier 1779 .
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Come.
米
MERCURE
DE FRANCE .
25 Janvier 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. LÉONARD ,
Surfon Imitation du Temple de Gnide.
GRACE , RACE , grace , Léonard :
De Montesquieu j'étois ivre ;
Par-tout je voyois ton Livre ,
Sans l'honorer d'un regard. 4
Lij
244 MERCURE
Je l'ouvre hier... par hafard ,
Et je me retrouve à Gnide.
J'ai revu ces lieux charmans ,
Lieux ſi chers aux vrais amans ,
Où , par choix , Vénus réſide ;
:
A
Où triomphe un coeur timide ;
...Où les Bergers font des Rois ...
J'ai vu , j'ai revu ces bois
Où jadis mon oeil avide
S'étoit égaré cent fois .
Que je te faifois injure !
Je te laiſſois à l'écart !
J'ofois penſer que ton art
Avoit gâté la Nature.
J'ai retrouvé l'onde pure ,
L'émail des prés, la verdure ,
Où la beauté , ſans rougir ,
Calme les maux qu'elle endure
Et ceux qu'elle fait ſouffrir.
J'AI reconnu ces portiques ,
Ces dais demyrthes antiques ,
Ces bois aimés du printems ,
Cetintéreſſant Dédale ,
Où s'égarent les amans
Brûlés d'une ardeur égale.
Zéphire , ſeul Roi des airs ,
Va , careffant de ſon alle
Ces beaux jardins toujours verds.
DE
FRANCE.
245
Écho répond aux concerts
De la tendre Philomèle .
Là , ſoupirent les ramiers ;
Là , gazouillent les fauvettes.
Des Bergères , des Bergers
On entend les chanſonnettes.
Le chêne , dans ces retraites ,
Rend des fons
harmonieux
,
Des doux plaiſirs interprêtes.
Rien qui ne charme en ces lieux ,
Rien qui n'attache & n'enchante !
Une onde pure y ferpente ,
Réfléchit l'azur des cieux ,
Baigne les fleurs , ſuit ſa pente ,
Et, dans ſon cours , repréſente
Les careſſes, les tranſports
De l'amant & de l'amante
Qu'elle attire ſur ſes bords ,
Et les pénibles efforts
De la pudeur expirante.
Là , féconde & prévenante ,
Pomone offre ſes tréſors
Au premier qui fe préſente...
BUVEUR joyeux , vieux galant ,
Pris du jus de la
vendange ,
Sur ſon Baudet , à pas lent ,
Vient Silène
vacillant.
Du charmant vainqueur du Gange ,
1
१
1
Liij
246 MERCURE
Là le cortège bruyant
Arrive & marche , en chantant
Des hymnes à ſa louange.
Sur le char victorieux
Ariane , devant eux ,
Sourit au Dieu qui la venge.
L'ivreſſe eſt dans tous les yeux.
Le Nectar coule & foulage
L'ennui des coeurs ſoupçonneux.
De deux Bergers furieux
Ilalme , il ſuſpend la rage.
Bientôt la fureur renaît ;
Elle trouble encore leur âme,
Et deshonore la flame
Dont ils brûlent pour l'objet
Qu'à tort ils couvrent de blâme.
MAIS l'amant le plus jaloux ,
Sitôt qu'il revoit ſa bello,
Soumis , careffant & doux ,
Demande grace à genoux ,
Et l'obtient d'un coeur fidèle
Que l'amour ferme an courroux.
Letort qu'il eut , il l'efface .
Il tient la Nymphe , il l'embraſſe.....
Ade trop vives ardeurs
La jaloufie a fait place :
Il preffſe , il vent des faveurs.....
T
DE FRANCE. 247.
L'amante verſe des pleurs ,
Et l'amant perd ſon audace.
PEINS & jouis. Gloire à toi ,
Nouvel Albane , tu vois
Si tes acteurs & leurs ſcènes
Ont repaffé devant moi ,
Pareils à des ombres vaines.
De ton chantpêtre ſéjour
J'avois fait trois fois le tour ,
Trois fois te rendant hommage ;
Lorſque , vers la fin du jour ,
Enchanté de mon voyage ,
Et penfant àmon retour ,
Je trouvai ſur mon paſſage
Les trois Grâces & l'Amour.
:
A MA rencontre imprévue
Le Grouppe baiſſa la vue....
Belles , je vous reconnois ,
M'écriai-je , tranſporté;
On n'a point ſur vos attraits
>>Mis d'ornement emprunté :
On ne vous a rien ôté :
>> Ce-qui plaît vous eſt reſté ,
>> L'air modefte & vos bouquets.
> Je n'ai point vu vos boſquets
→ Changés en jardins d'Armide ,
Liv
248 MERCURE
>> Comme je l'imaginois.
• Tout eſt ſimple encore à Gnide !
A côté de l'Inventeur
>> Doit aller l'Imitateur ;
>> C'eſt ainſi que j'en décide.....
Le Grouppe céleste part ,
En me montrant Léonard
Qui marchoit devant fon Guide.
(Par M. Félix N*** , des Académies
d'Angers & de Marseille ).
L'AIGLE ET LA COLOMBE ,
DIALOGUE...
L'AIGLE.
u vas-tu , Colombe fidelle?
LA COLOMBE.
Où vas-tu , Roi puiſſant de l'air ?
L'AIGLE.
Miniſtre ailé de Jupiter ,
t
Je porte au Roi des Dieux une heureuſe nouvelte.
LA COLOMBE.
Meſſagère d'une Immortelle ,
Dans les bois de Paphos je vais trouver Cypris.
DE FRANCE .
249
A
L'AIGLE.
Quel est l'objet de ton voyage ?
LA COLOMBE.
Que vas-tu faire aux célestes lambris ?
L'AIGLE.
Annoncer que fur ce rivage
Une Déefſe a vu le jour,
LA COLOMB
a W
Dire à Vénus , en mon tendre langage ,...
Qu'il vient de naître une Soeur à l'Amour.
(ParM. Noel, Docteur Aggrégé au Collége
de Louis-le-Grand.
L'AMOUR CHAMPÊTRE .
J'AI cherché l'Amour chez les Grands
Dans les Palais , au ſein des villes;
Eſclaves des noms & des rangs ,
Je n'ai vu que des coeurs ſerviles.
Le caprice m'a transporte
Chez les Laïs , chez les Lucrèces ,
Et je n'ai vu que vanité,
Qu'étude , & que feintes pareſſes.
Ly
250
MERCURE
Ou donc ai-je trouvé l'Amour ?
Je l'ai trouvé dans le village ,
Formant fans bruit , loin de la Cour ,
La Nature à ſon badinage.
JE
ODE BADINE.
E rêvois cette nuit même,
Qu'en un ſéjour enchanté,
Près de la Nymphe que j'aime ,
Je buvois ce jus vanté.
PLEINE d'un heureux délire
Zélis, une coupe en main ,
Animoit d'un doux ſourire
L'allégreffe du feftin.
Les ris, les jeux autour d'elſe ,
Semoient des feſtons nouveaux
Et l'Amour , battant de l'aîle ,
Voltigeoit fur nos tonneaux.TIAL
e.t
QUANDl'un d'entre eux , plus volage,
Voulant goûterde mon vin ,.
Renverſe ..... Dieux , quel outrage!
Renverſe un flacon tout plein.so
DÉSESPÉRÉ,je m'écrie;
Et m'éveillant de courroux ,
DE FRANCE. 254
J'allois..... trop vaine furie !
Ils s'étoient envolés tous .
MAIS tandis que ſous la treille
Je les rappelois en vain ,
Je retrouvai ma bouteille ,
Et me confolai ſoudain.
(ParM. ** )
ROSETTE , Conte Moral.
ROSETTE n'avoit que cinq ans : elle étoit
née ſans doute pour être belle ; mais on ne
pouvoit pas dire encore qu'elle le fût : la
beauté ne commence qu'à l'âge où le coeur
eft capable d'aimer.
Roſette avoitgrand beſoin des bienfaits de
la nature , car la fortune n'avoit rien fait
pour elle. Elle vivoit chez un bonhomme , à
qui des parens inconnus l'avoient confiée ;
ſes parens n'avoient point reparu , & le
vieillard avoit toujours gardé Roſette. Il ne
pouvoit la rendre riche; car il étoit pauvre
lui -même. Il ne put la dédommager de l'injustice
de la fortune ; mais il réparoit autant
qu'il étoit en lui les torts ou le malheur de
ſes parens : il lui ſervoit de père.
Le hafard avoit donné pour voiſin à notre
orpheline , un jeune héritier qui jouiffoit
d'une grande réputation d'honnêteté. Sa for
Lvj
252
MERCURE
tune lui procuroit une aifance qui approchoit
de la richeffe. On l'appeloit Lormon. Rofette,
comme nous l'avons déjà dit , navoit que
cinq ans encore. Lormon la vit ; fon hiſtoire ,
qu'il apprit de la bouche du vieillard , parut
P'intéreffer ; il lui fit quelques viſites accompagnées
de petits prefens , & finit par offrir
au vieillard de ſe charger de fon fort. Ce
bonhomme ne crût pas devoir préférer fes
propres plaiſirs au bonheur de fa chère orpheline
, il pleura Roſette ; mais il la remit à
Lormon.
Rien ne fut négligé pour l'éducation de
Roferte. Lormon fit pour elle , & au-delà ,
tout ce qu'il auroit fait pour ſa fille. Il lui
procura fur-tout les talens agréables , la mufique,
la danſe. Parmi les inftrumens qui lui
furent propofés , elle préféra la harpe , fi fort
en vogue aujourd'hui , &fi favorable à la
beauté, fur-tout aux grâces . Par elle une jolie
femme nous féduit ſouvent par les yeux ,
quand elle paroît ne vouloir charmer que
nos oreilles.
Mais fi Rofette avoitbeſoin de leçons pour
apprendre à ſe préſenter avec grâce dans un
cercle, à figurer dans un bal , à fe faire honneur
dans un concert , elle n'avoit pas befoin
de maîtres pour s'inftruire à la vertu , à
P'honnêteté. Elle avoit un de ces caractères
heureux en qui la vertu n'eſt pas un grand
mérite , parce qu'ils ont trop peu de peine à
être vertueux. La nature & l'art la paroient
de jour en jour; les traits de ſa figure gaDE
FRANCE. 253
gnoient par les années , & ſa beauté aug
mentoit avec ſes talens .
Roſette arriva bientôt à cet âge où les
grâces & la beauté ne ſe bornent plus à exciter
une ſtérile admiration: elle en étoit déjà
à fon quatorzième printems. Elle plaifoit
trop pour qu'on ne cherchât pas à lui plaire.
Mais ſi l'onparloit de la beauté de Roſetre ,
on ne parloit pas moins des vertus de ſon
bienfaiteur. Avant fa quarantième année , on
l'avoit déjà vu adopter une pauvre orpheline
, & confacrer à fon éducation une partie
de ſon revenu ; & fes foins ne ſe bornoient
pas à lui donner des talens futiles. Quand
elle eut atteint l'âge où un ſeul inftant de
foibleffe peut faire le malheur de la vie entière,
Lormon ne ſurveilla pas avec plus de
foin ſes charmes que ſa conduite. Bien petfuadé
que les dangers d'une jeune perſonne
font toujours en proportion de ſa beauté ,
il fembloit ne rien épargner pour la prémunir
contre les piéges de la ſeduction ; il
montroit pour elle en un mot , toute l'inquiétude
que peut avoir un père pour l'honneur
de fa fille. Cette conduite étoit bien
faite pour lui concilier l'eſtime publique.
Aufli ne voyoit- on rien de comparable à la
vertu du tuteur , que la beauté de la pupile.
Mais il eſt temps d'arracher à Lormon
ce maſque de vertu. Ce qui reſſembloit en
lui à l'inquiétude d'un père tendre , n'étoit
que la jalouſie intéreſſée d'un amant ; en furveillant
fon orpheline , il fongeoitbien plutor
254 MERCURE
à
la réſerver pour ſes plaifirs , qu'à la conſerver
à la vertu ; enfin il ne cherchoit à la
défendre de la ſéduction que pour la ſéduire
lui-même.
Ce projet , grace à nos moeurs , étonnera
peu. Il pourra même trouver de nombreux
panégyriſtes. Lormon étoit jeune encore ,
Roſette étoit jolie , elle étoit aimable ; il devint
amoureux : tout cela paroîtra dans l'ordre.
Mais ce qui ſera difficile à croire pour
ceux qui aiment les hommes , & ce qui fera
très-vraiſemblable pour ceux qui les connoiffent
, c'eſt que Lormon n'avoit jamais eu
d'autre projet envers Roſette. En l'adoptant ,
il cherchoit à la ſéduire. Criminel de ſangfroid
, cédant pour ainſi dire à une pafſion
qu'il ne ſentoit pas encore , il ne cherchoit
à acquérir des droits fur elle que pour
en abufer ; il méditoit le crime en exerçant
P'humanité ; enfin il vouloit acheter par dix
ans de bienfaits le plaifir de corrompre un
jour l'innocence , & faire d'une vertueuſe
orpheline le vil inftrument de ſes plaiſirs.
En tous lieux& dans tous les tems l'amour
malheureux a été voiſin du crime ; par tout
on a cherché à ſeduire l'objet qu'on avoit
defſiré ; mais tramer la ſeduction avant d'avoir
connu le deſir , c'eſt un rafinement qui
ne peut être connu que dans nos grandes
villes.
Ameſure que Roſette approchoit du teims
où l'amour vient animer la beauté , Lormon
redoubloit de ſoins auprès d'elle. Mais il
DE FRANCE. 255
fallut ſe faire entendre ; & cela n'étoit pas
facile. Roſette , dont le coeur étoit fi heureu
ſement né , qui avoit autant de naïveté que
d'eſprit , & qui n'eût pas foupçonné le vice
le plus apparent , auroit-elle pu lire dans
l'ame de ſon bienfaiteur un crime fi bien
caché & fi peu vraiſemblable ? Lormon
eſſaya néanmoins de découvrir ſes véritables
ſentimens ; il s'expliqua d'abord comme un
homme intéreſſe à ſe faire entendre , & qui
rougit d'être entendu. Il lui fit , pour la préparer
, un exorde affez long & affez embarraffé;
& pluſieurs fois , comme il étoit fur
le point de prononcer le mot pour lequel il
venoit d'entaffer tant de phraſes preliminaires
, un regard innocent de Roſette le déconcertoit
, & il recommençoit encore ce
qu'il avoit déjà dit plus d'une fois. Il lui rappela
tous ſes bienfaits ; lui peignit l'ingratitude
comme le vice le plus honteux. Roſette,
lui dit- il , tout le monde a les yeux fur
vous; on jugera de votre coeur par votre
conduite envers moi ; il ajouta enfin qu'il
alloit lui demander le prix de tant de ſoins.
Roſette , en le regardant de l'air le plus ingénu,
lui dit qu'elle étoit prête à faire tout
ce qu'il voudroit , & Lormon n'oſa luidire
ce qu'il vouloit.
Cependant , craignant qu'un autre ne fût
écouté avant qu'il eût ſu lui-même ſe faire
entendre, il parvint enfin à s'expliquer affez
clairement. La réponſe de Roſette fut un
refus ; mais ce ne fut pas le courroux
256
MERCU RIET
concerté d'une prude , ni le refus at
tirant d'une coquette ; & malgré fa vertu,
Felle ſe ſentit bien plus affligée qu'humiliée
des propoſitions de Lormon. O vous , lui
dit-elle avec le ton le plus attendriſſant ,
vous que j'ai toujours appelé du nom de
père , & qui en avez toujours eu pour moi
les ſentimens ! vous m'aimez , dites-vous ?
Eh bien , quel titre déſormais voulez-vous
avoir auprès de moi ? En est-il un plus doux
que celui de père ? Ah! ſoyez toujours le
père de Roferte. Voudriez-vous la perdre
vous-même après l'avoir comblée de vos
bienfaits ? Mais peut-être cherchez -vous à
m'éprouver. Vous voulez voir fi mon coeur
eſt digne de vos tendres ſoins , fi mes fentimens
répondent à l'éducation que vous
m'avez fait donner. Oui , mon père , continua-
t-elle en ſe jetant à fes pieds , croyez
que je mets ma vertu au nombre des bienfaits
que j'ai reçus de vous ; c'eſt le plus pré
cieux de vos bienfaits , il m'eſt plus cher que
la vie ; & je jure à vos pieds que je réſiſte
rai à tout , que je facrifierai tout pour le
conferver.
Ce difcours étoit bien propre à détruire
les eſpérances de Lormon; & ce qui le cha
grinoit fur-tout , c'eſt qu'il n'avoit pas plus
le droit de s'en plaindre que le pouvoir de
le réfuter. Il fit encore d'autres efforts qui
ne furent pas plus heureux; & enfin, quoique
Roſette s'exprimat toujours avec douceur,
& même avee amitié , elle parut fi ferme
DE FRANCE.
257
dans ſes refus , que Lormon vit bien qu'il
ne devoit en attendre aucune foibleſſe . L'honnêteté
de Roſette l'irrita , ſans le corriger.
Ce qu'il déſeſpéra d'obtenir par ſes ſoins &
par ſes prières , il réſolut de l'emporter par
la rufe& par la force même s'il le falloit.
La pauvre Roſette ignoroit les dangers
dont elle étoit environnée. Se feroit-elle méfiée
de ſon bienfaiteur , elle qui ne ſe méfioit
de perfonne ? D'ailleurs Lormon à ſes
yeux étoit bien moins coupable que malheureux.
Le projet qu'il avoit conçu de
fang-froid paffoit auprès de Rofette pour
l'effet d'une paffion involontaire;& elle s'en
vouloit bien plus à elle-même de lui avoir
donné de l'amour , qu'à lui d'en avoir pris
pour elle.
Cependant Lormon employa plus d'un
moyen digne d'un amour peu delicat;&, plus
heureuſe qu'adroite, Roſette échappa pluſieurs
fois au piége , ſans l'avoir jamais apperçu.
Enfin il réſolut de faire jouer un reffort
qui dévoiloit ſon ame toute entière. Il
avoit lu le beau Roman de Clarice ; il avoit
vu ſon perfide amant , après avoir épuifé
auprès d'elle toutes les reffources de la féduction
, compoſer un breuvage pour endormir
ſes forces avec ſa vertu. Les objets
nous frappent d'ordinaire par le côté qui eſt
analogue à nos ſentimens : il avoit été charmé
de l'imagination de Lovelace , fans être
touché de la vertu de Clarice.
Tel eſt le digne modèle que Lormon vous
258 MERCURE
lut choiſir. Comment le breuvage fut préparé
, comment on le fit prendre à Roſette;
ce détail eſt trop peu intéreſſant pour qu'il
doive long-temps nous arrêter. Il fuffit de
dire que Lormon fut ſecondé par une vieille
domestique.
1
Un foir Roſette, ſans avoir fait plus d'exercice
dans la journée , ſe trouva beaucoup
plus fatiguée qu'à l'ordinaire. Avant l'heure
où elle avoit coutume de ſe coucher , elle
fentit la plus forte envie de dormir. Surpriſe
de cet affoupiffement , & s'agitant exprès
pour le diffiper , le hafard la fit entrer dans
une eſpèce de petit cabinet qui faiſoit partie
de fon appartement ; c'étoit une pièce inutile
, où Roſette n'entroit jamais. C'eſt-là
qu'à travers une ſimple cloifon, elle entendit
Loumon faire à ſa vieille gouvernante des
interrogations qui ſurprirent étrangement
Roſette. Il lui demandoit fi la doſe qu'elle
avoit donnée lui ſembloit ſuffiſante ; la gouvernante
répondoit que Roſette ne tarderoit
pas à s'endormir , & qu'il pouvoit compter
ſur le ſommeil le plus profond & le plus léthargique.
Songez , lui dit Lormon, fi par
haſard elle s'éveilloit quand je ferai dans ſa
chambre , fongez à ne pas répondre en cas
qu'elle appelle: c'eſt trop foupirer en vain
ajouta-t- il, puiſqu'elle ne peut confentir à
me rendre heureux , il faut bien fonger à
l'être malgré elle.
A cet étrange diſcours les cheveux de
Rofette ſe drefsèrent ſur ſa tête. Dans ſon
DE FRANCE. 259
premier mouvement l'indignation ſuccéda
à lamitié , à la reconnoiſſance. Ses yeux
s'ouvroient fur le compte de Lormon ; mais
fon ame étoit déchirée. Elle tomba malgré
elle dans la rêverie la plus noire & la plus
profonde.Enréfléchiſſant auxhorreurs qu'elle
Venoit d'entendre , elle oublia un moment
les dangers où elle étoit ; & quand elle y
reporta ſa penſée , & qu'elle fongea aux
moyens de l'éviter , elle s'apperçut que le
breuvage opéroit ſur ſes ſens avec plus de
force. Elle veut fuir ; ſes genoux tremblent
fous fon corps; elle recueille toutes fes forces ,
traîne ſes jambes vers la porte de fon appartement
;mais la force de l'aſſoupiſſement
augmente avec les efforts qu'elle fait pour le
vaincre. Quelle horrible ſituation ! Le fommeil
dont elle eſt menacée eſt plus affreux
pour elle que le fommeil de la mort. En le
combattant, elle tombe malgré elle dans un
fauteuil : là , elle ſent ſes paupières s'appeſantir
; foudain l'image de l'affront qui l'attend
la remplit d'horreur ; ſon ame ſoulevée
par l'indignation & l'effroi redonne un moment
d'énergie à ſon corps affaiſſe ; elle s'é
lance de fon fauteuil avec un mouvement
convulfif ; elle étend les bras autant pour
diviſer les forces du ſommeil , que pour implorer
le ſecours du ciel ; mais ce fommeil
irréſiſtible s'appeſantit de plus en plus ſur
elle ; c'eſt un poids énorme qui l'accable.
Elle paſſe un moment dans cette lutte auffi
pénible que douloureuſe ; ſa force s'épuiſes
260 MERCURE
elle retombe enfin ſans voix , fans mouvement
, & paroiffant moins frappée du fommeil
que de la mort.
Oh ! fi cette affreuſe léthargie a permis
aux fonges de l'approcher , quels rêves finif
tres & effrayans ont dû prolonger les tourmens
de ſon ame ! Sans doute elle a fouffert
durant ſon ſommeil tout ce qu'elle avoit
fouffert avant d'y fuccomber.
Voilà donc l'infortunée Roſette en proie
à la brutale paſſion de fon amant. C'en est
fait, ſi le ciel ne travaille lui-même à renverſer
ſes lâches projets , en réveillant la
pitié dans le coeur de la vieille domeſtique ,
ou le remords dans celui de Lormon. Ce
dernier miracle étoit le plus difficile ; c'eſt
par les remords de la gouvernante qu'elle
devoit être ſauvée. Louiſe (c'étoit fon nom)
honteuſe d'avoir prêté les mains un moment
au projet de fon maître , réſolut de le faire
échouer ; mais comme ſon fort dépendoit de
Lormon , elle n'ofa le contrarier ouvertement
; & pour concilier , s'il ſe pouvoit ,
fon intérêt & fon devoir , elle cacha la clef
de lachambre deRoſette , chez qui elle avoit
coutume d'entrer tous les matins.
Lormon , qui avoit épié l'inſtant favorable
à fon entrepriſe , courut à la vieille pour
lui demander la clef de Rofette. Qu'on fe
repréſente ſa rage quand Louiſe , après avoir
cherché long-temps en vain , finitpar lui dire
qu'elle l'avoit égarée. Les pieds , les mains
& la langue de Lormon etoient dans des
DEFRANCE. 261
mouvemens convulfifs ; &fi l'impoſſibilité
de retrouver la clef eût été décidée ſur le
champ , je crois qu'il eût tué ſubitement fon
Agent infidelle ; mais pluſieurs heures furent
employées à chercher la clef , & il n'ofa plus
faire ouvrir la porte par un Serrurier au milieu
de la nuit. Enfin il fut obligé de ſe retirer
dans ſon appartement , & fa fureur ne
s'appaiſa que par l'eſpoir d'être plus heureux
lanuit d'après.
On a vu Roſette s'endormir : qu'on ſe
figure fon réveil. Sa léthargie venoit de finir ;
un nouvel effroi vint s'emparer de fon ame.
Tu fais bien, vertueuſe Roſette , quelle tu
fus en t'endormant ; tu ne fais plus quelle tu
es à ton réveil : voilà la nouvelle crainte , le
fupplice nouveau que devoit te laiſſer le ſommeil
en te quittant. Ses yeux n'ofoient s'ouvrir
à la lumière : elle trembloit d'arrêter ſa
penſée fur elle-même ; &dans le doute affreux
qui l'accabloit , elle faiſoit preſque des voeux
pour ſe replonger dans ce terrible ſommeil ,
qui l'avoit fait trembler la veille plus que
l'approche de la mort.
Aupremier bruit , Louiſe qui épioitlemoment
où Rofette s'éveilleroit , feignit d'avoir
retrouvé la clef , & courut l'annoncer à fon
maître auſſi bien que le réveil de Roſette.
Lormon ſoupçonna peut-être quelque ſtratagême;
maisil n'en témoigna rien; & Louiſe ,
en le quittant , s'en alla vers l'appartement
de Roferte , qui au bruit que fit la clef en
entrantdans laferrure , ſentit un friffoninvo
262 MERCURE
lontaire courirdans tous ſes membres. Quand
Louiſe ſe fut approchée de ſon lit , Roſette ,
avec un viſage où ſe peignoient toutes les
paſſions à la fois , conſidérant celui de la
vieille Gouvernante comme pour y lire ce
qu'elle trembloit de ſavoir , lui dit d'une voix
foible & mal articulée : Louiſe , j'ai dormi
bien long-temps! Cette phrafe , quoique bien
courte , ne fut pas facile à prononcer ,
Roſette trembla encore de la réponſe qu'elle
pouvoit occaſionner. Louiſe alors lui dit
qu'elle feroit entrée bien plutôt chez elle ;
mais qu'elle venoit ſeulement alors de retrouver
la clef de ſa chambre , & qu'elle
avoit été grondée bien cruellement pour
l'avoir égarée.
&
Cedifcours ſembla rendre la vie àRoſette :
elle ſe leva&s'habilla avec une précipitation
qui étonna Louiſe ; mais elle étoit loin d'en
ſoupçonner le motif. Le parti de Roſette
étoit pris : elle ne vouloit plus être expoſée
àun danger qui avoit failli lui coûter l'honneur
& la vie. Sur le point de prendre la
fuite , Rofette , rendue plus fage ou plus
timide par le malheur , ſuſpecta le récit de
Louiſe ; mais l'humeur ſombre & colère de
Lormon lui en confirma la vérité. Elle ſaiſit
un moment oùelle n'étoit pas obſervée. Pour
être moins embarraſſee dans ſa fuite , elle
n'emporta de ſes hardes que ce qu'elle ne
put pas laiffer , & elle partit.
Roſette étoit déjà bien loin , qu'elle ſe
croyoit encore au pouvoir de Lormon. La
DE FRANCE. 263
coupe qui renfermoit le funeſte breuvage
la ſuivoit par-tout : du reſte , elle n'avoit
aucun projet. Son but n'étoit pas de trouver
un aſyle , mais de fuir une maiſon qui pouvoit
lui être fatale. Elle fuyoit fans inquietude
pour l'avenir : le danger auquel elle venoit
d'échapper , lui ſembloit plus affreux que
tous ceux qu'elle pouvoit courir.
Quand elle fut hors des portes de la ville,
elle commença à craindre pour fon fort. Elle
avoit échappé aux violences de Lormon ;
mais en ſe croyant à l'abri du péril qu'elle
avoit couru , elle commença à redouter ceux
dont elle étoit menacée. Où fuir ? Où trouver
un aſyle ? Tandis qu'elle couroit avec tous
les ſignes du trouble & du déſeſpoir , le haſard
amena devant ſes pas un jeune homme
dont la phyfionomie annonçoit l'honnêteté
& la candeur. Il eût paru moins honnête ,
qu'elle n'eût pas eu pour lui moins de confiance.
Elle s'élança au-devant de lui : Sauvezmoi
, s'écria- t-elle avec une voix qui pénétra
juſqu'au coeur de l'inconnu. Il fut touché de
ſa douleur , intéreſſé par ſon air ingénu , &
peut-être ſéduit par ſa beauté. Arrêtons-nous
un moment pour faire connoître ce jeune
homme, dont le nom étoit Minval.
Il étoit fils d'un Gentilhomme qui vivoit
en Province , & qui , aſſuré de la ſageſſe de
Minval , le laiſſoit à Paris ſur ſa bonne- foi.
Il y vivoit avec une tante, d'un fort honnête
revenu que fon père lui faifoit. Sa figure &
ſa taille étoient très-bien. Je ne ferai pas le
264 MERCURE
portrait de fon ame ; il va la peindre luimême
par ſes actions.
La ſeule vue de Rofette l'avoit prévenu.
Il avoit cru lire ſur ſon front les ſignes d'une
éducation & d'une conduite honnête. De
peur d'être_indifcret dans ſes queſtions , il
n'en fit preſque point à Roſette, qui , de fon
côté, s'etoit déjàpromis de lui cacher, comme
à tout le monde, le ſujet de fon déſeſpoir. Il
lui dit en deux mots qu'il vivoit avec une
tante , & il offrit de bonne-foi un aſyle , qui
fut accepté avec la même franchiſe.
Minval la mena chez lui. En arrivant auprèsde
ſa tante, il lui peignit avec tant d'ame
&de chaleur la ſituation touchante où il
avoit rencontré Roſette, que fon éloquence,
la confiance que ſa tante avoit en lui , &la
figure fi intéreſſante de Rofette , diffipèrent
les ſoupçons qu'une pareille aventure pouvoit
faire naître. Mais comine en fait d'indiſcrétion
la tante étoit moins fcrupuleuſe
que fon neveu , elle contraignit moins fa
curiofité : elle pria Roſette de lui dire fon
nom & fon hiſtoire. Rofette ne rougit pas
de lui déclarer la vérité : elle lui révéla ſes
fecrets ; mais elle crut devoir garder ceux de
Lormon. Sa conduite n'avoit pas effacé dans
le coeur de Roſette le ſouvenir de fes bienfaits
: elle avoit cru devoir à ſa vertu de
fuir fon bienfaiteur ; elle crut devoir à
la reconnoiffance de ne pas l'accuſer. Oui ,
Madame , répondit-elle , je dois tout à Lor--
mon. Le malheur qui me force à chercher
un
DE FRANCE. 265
un aſyle loin de lui , eſt un myſtère que je
ne révélerai jamais : permettez que ce ſoit
un ſecret entre lui & moi. Je ſuis innocente :
ſi vous n'avez pas le courage de me croire
telle fur mon propre témoignage , ayez celui
de me refufer l'aſyle que je vous demande.
Cette noble franchiſe ne déplut point à
la tante de Minval , quoiqu'elle trompât ſa
curioſité. C'étoit réellement une femme bienfaiſante
: elle embraſſa Roſette , & lui demanda
ſon amitié.
Cependant ſon évaſion avoit fait du bruit
dans le monde , & l'on ſut bientôt queMinval
- l'avoit retirée chez lui. On ne connoiffoit pas
la noirceur des procédés de Lormon : on
ignoroit le déſintéreſſement de Minval ;
& comme on aime affez à envenimer une
hiſtoire pour en rendre lerécit plus piquant ,
on ne vit bientôt plus dans la conduite de
Roſette que du dérangement & de l'ingratitude
: on appeloit libertinage la délicateffe
de Minval , & la brutalité de Lormon paffoit
pour de la bienfaiſance. C'est ainſi que juge
ordinairement le public , qui veut toujours
juger.
Il fallut peu de temps à Minval & à fa
tante pour connoître Roſette. Après l'avoir
vu agir & l'avoir entendu parler , on refpecta
ſon ſecret , & l'on crut à fon innocence.
Mais à force de la regarder & de
l'entretenir , Minval s'en fit une fi douce
habitude , qu'elle devint bientôt un beſoin.
Cependant le reſpect ſe mêla toujours aux
25 Janvier 1779 .
M
266 MERCURE
ſentimens que Roſette lui inſpira. Il l'aima
bien afflurément autant que Lormon avoit
pu l'aimer ; mais ces deux amours ſe reſſembloient
auſſi peu que la haine reſſemble à
l'amitié . Roſette , qui ſe plaiſoit à voir en lui
de l'eſtime & de l'attachement pour ſa perfonne
, ſembloit ne pas craindre d'y trouver
un fentiment plus tendre ; ce qui ſuppoſe
qu'elle étoit près de l'éprouver elle-même.
Tandis que les coeurs de Roſette & de
Minval ſe rapprochoient ainſi , celui de
Lormon , en proie au plus violent dépit ,
n'étoit rempli que de projets de vengeance.
Il apprit le fort de Roſette , & il réſolut de
faire retomber ſon indignation ſur celui
qu'il croyoit être ſon rival heureux. Il l'attendit
un jour dans une promenade où il
ſe rendoit fort ſouvent ; & l'ayant abordé
avec un front courroucé , il lui fignifia qu'il
falloit lui rendre Roſette , ou lui en faire
raiſon ſur le champ. Minval , qui connoiffoit
àcet égard les diſpoſitions de Roſette, ne lui
répondit qu'en portant la main à ſon épée.
Cependant , comme ils pouvoient être apperçus
, ils s'éloignèrent un peu pour ſe
battre ſans témoin. Le combat fut opiniatre
; l'amour d'un côté , la vengeance de
l'autre , rendirent l'action très-vive , & le
tendre Minval finit par recevoir une bleſſure
qui le mit hors de combat. Le Chirurgien
qui fut mandé craignit pour ſa vie. Cependant
Minval ayant demandé le plus grand
fecret , on dit en arrivant à la tante & à
DE FRANCE.
267
Roſette qu'il s'étoit trouvé malade , & qu'il
avoit beſoin de repos. On le coucha bien
vite , & Rofette eut au moins autant d'inquiétude
que la bonne tante , qui aimoit fort
tendrement ſon neveu .
On ne put cacher long - temps dans la
maiſon que Minval s'étoit battu ; mais on
cacha toujours que Roſette en avoit été
l'objet. On donna tous les foins poffibles au
malade , qui avoit reçu réellement une bleffure
des plus dangereuſes. Le Chirurgien
étoit habile & fort zélé , & Minval étoit
adoré par toute ſa maiſon. Mais les ſecours
qui lui étoient les plus agréables & les plus
falutaires , étoient ceux qu'il recevoit de la
main de Roſette ; & foit qu'on s'en fût déjà
apperçu , ſoit qu'on n'osât refuſer à Roſette
un emploi qu'elle ſollicitoit avec tant de
chaleur, tout ce que prenoit Minval lui
étoit préſenté par elle. Il ſembloit qu'elle
devinat que c'étoit pour elle qu'il fouffroit,
& , de ſon côté , Minval n'étoit conſolé que
par l'idée de fouffrir pour Roſette. Mais que
dis-je ? Rofette étoit guidée par un ſentiment
plus tendre que celui de la reconnoiffance .
Cependant les remèdes , les foins , & plus
encore l'amour , commencèrent à diffiper les
craintes qu'on avoit ſur l'état de Minval :
on le trouvoit mieux de jour en jour , & l'on
compta bientôt ſur une prompte & parfaite
guérifon . Sa ſanté rendit ſes converſations
avec Roſette plus fréquentes , & le ſentiment
qui les animoit tous deux y ajoutoit chaque
Mij
268 MERCURE
jour un nouveau degré d'intérêt. Ces converfations
rouloient affez ſouvent ſur l'amour.
Roſette un jour rendoit compte à Minval
d'une lecture qu'elle venoit de faire : il étoit
queſtion par haſard d'un amant éloigné de
ſa maîtreſſe , qui , étant malade & perfécuté
pour elle , n'avoit pas même le pouvoir de
l'en inſtruire. Ils s'attendrirent l'un & l'autre.
Après quelques réflexions mutuelles : il eſt à
plaindre , dit Roſette ; il le ſeroit moins s'il
étoit auprès de ce qu'il aime. Que ditesvous
, Rofette , interrompit Minval ? Il ne
le ſeroit point du tout ; & Roſette ajouta
fur l'heure : il doit y avoir au moins du
plaiſir à dire à ſa maîtreſſe qu'on ſouffre
pour elle. Ah , Roſette , répondit Minval !
il y en a même à le lui cacher. En parlant
ainfi , il avoit pris , comme ſans y penſer ,
la main de Roſette. Ses yeux avoient l'expreſſion
la plus tendre de l'amour heureux ,
& Roſette avoit ſenti les ſiens baignés de
larmes. Surpriſe elle-même de ſon attendriffement
, elle fortit pour le cacher à Minval.
Il ne lui étoit plus permis de douter de fon
amour pour lui ; mais en fortant , ſes réflexions
ſe portèrent ſur ſes dernières paroles ;
& pour la première fois , elle commença à
Loupçonner la cauſe de ſa maladie , qu'on
avoit cachée avec tant de ſoin. Elle fit plufieurs
démarches , & elle parvint à ſavoir
l'hiſtoire du combat. Les dangers de Minval ,
ſa délicateſſe & fa difcrétion n'étoient pas
faits pour la guérir de ſon amour; elle fentit
A
DE FRANCE. 269
dès-lors qu'il étoit devenu néceſſaire à fon
bonheur. Elle ne pouvoit douter de la tendreſſe
de Minval ; & cette ſeule idée la rendoit
heureuſe ; mais la réflexion vint empoifonner
ſes plaiſirs. Quel ſera le ſuccès de
leurs amours ? Roſette connoît ſon origine
&celle de Minval. Minval n'eſt pas le maître
de fon fort ; & quand il le ſeroit , voudroitilendiſpoſer
malgré ſes parens ? En ſuppofant
même qu'il le voulût , devroit-elle y
confentir ? Toutes ces réflexions étoient de
feſpérantes. Ils retombèrent l'un & l'autre
dans la plus vive inquiétude; & malheureufement
les tentatives que fit Minval pour la
faire ceffer , ne ſervirent qu'à l'augmenter
encore; car ayant voulu fonder adroitement
les diſpoſitions de ſa famille , il vit qu'elles
n'étoient nullement favorables à ſon amour.
Cetre fâcheuſe découverte le jeta dans la
plus noire mélancolie. Également incapable
d'affliger ſes parens, & de renoncer à ce qu'il
aimoit, ſes combats douloureux entre lanature
& l'amour , fans lui inſpirer aucune réſolution
, ne ſervoient qu'à déchirer fon
coeur. Sa ſanté , qui commençoit à peine à
ſe rétablir , en fut tout-à-coup altérée ; & il
y avoit d'autant plus à craindre pour lui , que
ſon coeur, auparavant conſolé par l'eſpérance
d'être aimé , étoit alors tourmenté par la
crainte de perdre ce qu'il aimoit. De fon
côté Roſette alarmée , &ne pouvant plus ſe
méprendre à la cauſe de ſa maladie , jugeoit
de ſes tourmens par ceux qu'elle enduroit
Miij
170 MERCURE
elle-même. Je ſerai donc toujours infor
tunée , ſe diſoit -elle ! ( & fongeant à l'hiſ
toire de Lormon ) quel est mon fort ! je dois
donc également être malheureuſe , & par,
l'amour que je ſens , & par celui que j'infpire!
:
La tendreſſe de. Roſette augmentoit par
les tourmens que Minval fouffroit pour elle.
Le ſouvenir de ſes bienfaits y ajoutoit encore
; & cet amour, qui devoit ne lui laiſſer
que des regrets , lui donnoit auſſi des remords.
Elle fe reprochoit le malheur de fon
amant. La reconnoiffance & la vue de Minval,
prêt à mourir pour elle , enflammèrent
fon coeur fait pour ſentir vivement l'amour.
Elle fortit pour ainfi, dire hors d'elle-même.
Elle ne vit plus au monde d'autre malheur
que celui de perdre ſon amant , ni d'autre
crime que celuide l'avoir laiſſe périr. Mon
ami, lui dit-elle un jour , avec l'expreffion
de l'amour & du courage ! vous m'aimez ,
je vous aime ; je vous dois tout , & je me
vois menacée de vous perdre. Votre profonde
triſteſſe me fait tout craindre pour
vous. Vos parens s'oppoſent à notre union ,
& votre amour délicat & refpectueux n'ofe
afpirer qu'à l'hymenée. Je viens moi-même
l'enhardir. On s'oppoſe à notre bonheur ;
faiſons-le dépendre de nous-mêmes. Minval ,
voilà ma main. Je vous appartiens dès ce
moment. Notre hymen ſera ſacré ; il ſera
juré par le ciel; il fera durable : 1 est fondé
fur nos fentimens.
DE FRANCE.
271
Cette réſolution ſurprendra ſans doute ;
mais ce qui étonnera bien autant , c'eſt que
Minval , le coeur pénétré de cette preuve
d'amour , brûlant d'envie d'être heureux ,
refuſa le bonheur qui lui étoit offert. Il ſe
jeta dans les bras de Roferte , & ce fut pour
la refufer; il la baigna de ſes larmes , & l'ame
déchirée par l'effort qu'il faiſoit fur lui-même,
il jura de mourir plutôt que de confentir au
facrifice que lui propoſoit ſa maîtreffe. :
Ne cherchons pas ici à juger ces deux
amans ; admirons ſeulement avec quel courage
ils ſacrifioient , l'un ſon honneur , &
l'autre fon amour.
Telle étoit la criſe où étoient Rofette &
Minval. Mais ſouvent , pour la confolation
de la vertu , il arrive un moment où la vérité
, trop long-temps étouffée par le hafard
ou la malice , éclate enfin , & fſe montre dans
tout fon jour. On fut bientôt inftruit de
l'amour délicat de Minval & de la paffion
courageuſe de Roſette ; Lormon lui - même ,
atteint d'une maladie mortelle , honteux de
la vengeance qu'il avoit priſe de Minval , &
du tort qu'il avoit fait à Roſette , en décriant
ſa vertu qu'il n'avoit pu corrompre ,
confefſa ſes fautes publiquement , & par
l'expoſe de ſa conduite , il justifia pleinement
celle de Roſette. Rofette obtint l'admiration
& l'eſtime de tout le monde par le
filence difcret dont elle avoit payé les bienfaits
de Lormon ; les parens même de Minval
, qui furent inſtruits par la voix publi-
Miv
272
MERCURE
P
que , en furent touchés auſſi bien que de fa
conduite envers Minval ; enfin la crainte de
perdre leur fils acheva de vaincre leur réfiftance.
On conſentit à les unir. Ils furent
heureux ,& tout le monde applaudit à leur
bonheur. ( Par M. Imbert).
ARIA.
AIMES-TU , dis moi,Co- let te , Puis-je encor
plai- re à tes yeux ? Pis-jeencor
plai-re à tes yeux ? Quand
-3 .
on eſt ſi gen- til- let te, Quand on
-3 .
eft fi gen - til - let te,
On n'est
pas fans A moureux , - On n'est
DE FRANCE.
273
pas fans Amoureux ; Si c'eſt fait , adieu
, Co-let
ai
-
te , Tu ne peux en
- mer deux , Tu ne peux en
ai-mer deux.
Je ne ſonge qu'à Colette ,
Elle charme mes loiſirs ;
bis.
Je donnerois ma houlette
Pour un ſeul de ſes ſoupirs. }bis.
Un baifer de ma Colette
Vaut lui ſeul tous les plaiſirs. } bis .
DES Bergers de ce village
Ma Colette a tous les voeux ; } bis.
Si ſon coeur eft le partage
Du coeur le plus amoureux ,
Des Bergers de ce village
Je ſerai le plus heureux .
bis.
bis .
M
274
MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent .
Le mot de l'énigme eſt Fauteuil ; celui
du Logogryphe eſt Politique, où se trouvent
pot, poil , optique , topique , lit , poli
ÉNIGME.
JEE ſuis dans le plaifir & dans l'affliction ,
Je vis dans l'avarice & la
magnificence ;
Dans la réalité je hais la fiction ;
Et ſans être opulent je ſuis dans
l'abondance...
Toujours avec Bacchus , je n'aime point le vin ;
Je préſide à l'amour & non à la tendreſſe ;
J'accompagne à la fois le plaiſir , le chagrin ,
Etje languis toujours au ſein de la pareffe.
Barême aux comptes faits m'a mis dans ſes calculs;
Les actes , les contrats ſans moi
deviendroient nuls.
Admirez , cher Lecteur , l'effet de ma puiſſance ,
Je ſuis en même-temps dans l'Eſpagne & la France.
Sans être dans le Ciel , je ſuis en Paradis.
J'habite avec le diable , ainſi qu'avec les Anges.
De l'enfant nouveau né je compoſe les langes.
Dans le palais des Rois je ſuis deux fois admis.
Compagnons des attraits, mais toujours loindes belles
Je fais bien des ingrats , maisjamais d'infidelles.
DE FRANCE. 275
Je forme tous les Grands , & non pas les Héros
Je ſuis toujours tranquille & jamais en repos ;
J'habite la montagne au milieu de la plaine ;
Je ne ſuis point eſclave & je ſuis à la chaîne ;
On me voit en automne &jamais au printems.
Qui voudra me trouver, doit me chercher aux champs.
LOGOGRYPHE
.
JEE ſuis un mot très-court , mais peut- être l'unique
Qui ſoit , au choix comme aubeſoin ,
Subſtantif , Adjectif , Maſculin , Féminin ,
Sans rien changer à ma fabrique.
Des différens objets que par un même ſon
J'offre à l'eſprit , voici l'énumération :
Dans le ſens le plus en uſage
Je ſuis oiſeau , c'eſt mon moindre avantage.
Ce qui vaut mieux , je vous rappelle un Saint
Martyriſé , dit- on , ſous Antonin.
Lorſque pour adjectifà quelque coeuvre on m'affigne ,
D'un bon Chrétien je la rends digne.
Ce n'eſt pas tout , mon cher Lecteur ,
Il faut me voir à préſent ſur le trône ,
Revêtu de la ſuprême grandeur ,
Et le front ceint d'une triple couronne.
*
Mvj
276 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Fin de l'Extrait des Éloges de M. d'Alembert.
Nous ne nous arrêterons point ſur l'eloge
de Lamotte & fur celui de Fénélon ,
qui ont été tous deux imprimés en entier dans
ce Journal. Nous ne pouvons pas non plus
tranſcrire ici tout ce qui mériteroit d'être
cité ; par exemple , les idées ſur la formation
des Langues dans l'Éloge de l'Abbé
de Dangeau ; les réflexions ſur les tragiques
François dans celui de Crébillon ;
toutes les anecdotes piquantes femées
dans celui de l'Abbé de Choiſy , du Préfident
Roſe ; mais quoique obligés de hâter
notre marche , nous ne priverons point nos
lecteurs d'un morceau plein de goût & de
juſteſſe où l'Auteur analyſe le talent de deux
Auteurs célèbres fi différens l'un de l'autre
dans un même genre , Deſtouches & Dufreſny
, parallèle qui ſe préſentoit naturellement
dans l'éloge du premier , &qui eſt auſſi
bien fait qu'il eſt convenablement placé.
" Les ſuccès ſi multipliés de M. Deſtouches
étoient d'autant plus flatteurs pour lui,
» qu'ils ne furent ni arrêtés ni affoiblis par
>> ceux d'un rival redoutable , du célèbre
• Dufreſny , qui brilloit à-peu-près dans le
DE FRANCE, 277
>>même tems ſur la ſcène. Tous deux s'y
>> diftinguoient par des qualités différentes
> & preſque oppoſées ; Deſtouches , natu-
>>rel & vrai , ſans jamais être ignoble ou
» négligé ; Dufreny original & neuf , fans
>>ceſſer d'être vrai & naturel ; l'un s'atta-
>>chant à des ridicules plus apparens , l'au-
" tre ſaiſiſſant des ridicules plus détournés ;
>>le pinceau de Deſtouches plus égal & plus
>>ſévère; la touche de Dufrefny plus ſpiri-
>>tuelle & plus libre ; le premier deſſinant
>>avec plus de régularité la figure entière ; le
>> ſecond donnant plus de traits & de jeu à
>>la phyfionomie ; Deſtouches plus réfléchi
>>dans ſes plans , plus intelligent dans l'en-
>> ſemble ; Dufreſny animant par des ſcènes
>>piquantes fa marche irrégulière & décou-
>>ſue ; l'Auteur du Glorieux ſachant plaire
>> également à la multitude & aux Connoif-
>> ſeurs ; fon rival ne faiſant rire la multi-
>>tude qu'après que les Connoiffeurs l'ont
> avertie ; tous deux enfin occupant au
>>Théâtre une place qui leur eft propre &
>>perſonnelle ; Dufreſny , par un mélange
>>heureux de verve & de fineffe , par un
>>genre de gaieté qui n'eſt qu'à lui , & qu'il
>>trouve néanmoins fans la chercher , par
>>un ſtyle qui réveille toujours , ſans qu'on
" oſe le prendre pour modèle , & qu'on ne
>>doit ni blâmer ni imiter ; Deſtouches par
>>une ſageſſe de compofition & de pinceau
» qui n'ôte rien à l'action & à la vie des
>>perſonnages ; par un fentiment d'honnê278
MERCURE
>>teté & de vertu qu'il fait répandre au mi-
>>lieu du comique même ; par le talent de
>>lier& d'oppoſer les ſcènes entr'elles ; enfin
>>par l'art plus grand encore d'exciter à la
>>fois le rire & les larmes , ſans qu'on fe
>> repente d'avoir ri , ni qu'on s'étonne d'a-
>> voir pleuré. »
Ces fortes de comparaiſons détaillées entre
deux Artiſtes diſtingués , qui tous deux
ont atteint le même but par des routes diverſes
ne font point des hors-d'oeuvres de
Rheteurs , mais d'excellens morceaux de
critique qui développent aux bons efprits ce
qu'ils ont penſe, & apprennent à penſer à la
multitude.
Le refus que fit Deſtouches d'aller occuper
à Pétersbourg la place de Miniſtre de
France, ( refus qui en rappelle un autre plus
remarquable dont nous avons été témoins )
donne occafion à M. d'Alembert de peindre
à grands traits & avec cette énergie rapide
qui n'appartient qu'aux grands Maîtres , l'influence
du Czar Pierre fur la Ruffie. " Def-
>>touches préféra le plaiſir de cultiver fon
>>jardin , à l'honneur d'aller jouer à huit
>> cens lieues un rôle important. Ce n'étoit
>> pas en effet ce qui auroit dû le tenter dans
>> ce vaſte empire ; c'étoit le ſpectacle vrai-
>> ment rare qu'il offroit alors à des yeux
>>éclairés ; la lumière , qui partout ailleurs
>>eſt montée des Sujets aux Monarques ,
>>defcendant en Ruſſie du Monarque aux
>> Sujets ; ces Sujets qu'une longue barbarie
DE FRANCE. 279
>> avoit avilis au point de s'en faire aimer ,
>>s'efforçant de retenir ſur leurs yeux le ban-
>>>deau que le Souverain leur arrachoit ; la
>> fuperftition & l'ignorance détruites chez
>>cette Nation par la même force qui les a
>>enracinées chez tant d'autres , par le def-
>>potiſme le plus abſolu & le plus ſévère ;
>> enfin la naiſſance politique d'un grand
>>peuple , ignoré durant pluſieurs fiècles ,
>&deſtiné à fe venger bientôt, par une exif-
>> tence redoutable, de l'oubli où le refte de
>> l'Europe l'avoit laiſſe juſqu'alors . M. Def-
>> touches pouvoit étudier ce peuple en Phi-
>>loſophe ; il fut plus Philoſophe encore , il
>> aima mieux ſa liberté & fa retraite. >>
L'Éloge de Fléchier eſt peut-être le plus
remarquable de ce Recueil, parce que c'eft
le ſeul où le Panegyriſte , fans exagérer le
mérite de fon Héros , l'ait aggrandi dans l'opinion
publique ; non qu'il l'élève au-deſſus
du ſecond rang des Orateurs,qui eſt la place
que la poſtérité éclairée, ſemble lui avoir
marquée , mais le tableau qu'il trace de ſes
vertus Epifcopales , tableau fondé fur les
faits, doit rendre la mémoire de Fléchier
bien chère à toutes les ames ſenſibles ; & fi ,
dans le portrait qu'en fait M. d'Alembert ,
il ne paroît que le ſecond des Orateurs , il
paroît peut-être le plus grand des Evêques.
On ne lira pas fans admiration & fans attendriſſement
les traits de bonté & de courage
qui marquent en lui le protecteur des Religionaires
de fon Diocèſe , & le bienfaiteur
280 MERCURE
des peuples ; ſa vigilance active , ſes libéralités
inépuiſables , ſes ſollicitudes paternelles
; & furtout qui ne verſera pas des larmes
en lifant le morceau ſuivant ?
" Une malheureuſe fille , que des parens
>> barbares avoient contrainte à fe faire Re-
>>ligieuſe , mais à qui la nature donnoit le
>> beſoin d'aimer , avoit eu le malheur de
>>ſe permettre ce ſentiment que lui interdi-
>> ſoit ſon état , le malheur plus grand d'y
>> fuccomber , & celui de ne pouvoir cacher
>>à ſa Supérieure les déplorables ſuites de ſa
>>foibleſſe. Fléchier apprit que cette Supé-
>> rieure l'en avoit punie de la manière la
>> plus cruelle , en la faiſant enfermer dans
>>un cachot , où couchée ſur un peu de pail-
>> le , réduite à un peu de pain qu'on lui
>> donnoit à peine , elle attendoit & invo-
>> quoit la mort comme le terme de ſes
» maux. L'Evêque de Nîmes ſe tranſporta
>> dans le Couvent , & après beaucoup de
>> réſiſtance ſe fit ouvrir la porte du réduit
>> affreux où cette infortunée ſe conſumoit
>> dans le déſeſpoir. Dès qu'elle apperçut ſon
>> Paſteur , elle lui tendit les bras , comme
>> à un libérateur que daignoit lui envoyer la
>> miféricorde Divine. Le Prélat jetant fur
>> la Supérieure un regard d'horreur & d'in-
>> dignation : Je devrois , lui dit-il , ſi je n'é-
>> coutois que la Juſtice humaine , vous faire
>> mettre à la place de cette malheureuſe vic-
>> time de votre barbarie ; mais le Dieu de.
* clémence dont je ſuis le Miniftre , m'orDE
FRANCE. 281
>> donne d'ufer , même envers vous , de l'in
>>dulgence que vous n'avez pas eue pour
>> elle. Allez , & pour votre unique péni-
>> tence , lifez tous les jours dans l'Evangile
>>le Chapitre de la femme adultère. Il fit
>>auffitôt tirer la Religieuſe de cette horri
» ble demeure , ordonna qu'on eut d'elle les
>> plus grands foins , & veilla ſévèrement à
>> ce que ſes ordres fuffent exécutés. Mais
>> ces ordres charitables qui l'avoient arra-
>> chée à ſes bourreaux ☑ , ne purent la rendre
»àlavie ; elle mourut après quelques mois
>> de langueur , en béniſſant le nom de fon
>>vertueux Evêque , & en eſpérant de la
>>bonté Suprême le pardon que lui avoit
>> refuſé la cruauté Monaftique. »
L'Auteur laiſſe aux réflexions & à la ſenſibilité
du Lecteur à achever ce morceau ,
&plaiſe au Ciel qu'il ne produiſe pas une
piété ſtérile !
Nous ne pouvons terminer plus dignement
ce Recueil ſi honorable pour les Lettres
& pour fon Auteur , qu'en rapportant
ce que lui écrivit un grand Roi après la mort
de M. de Voltaire. Cette Lettre eſt citée en
note à la fuite du Dialogue de Chriftine &
de Deſcartes . Comme M. d'Alembert y a
joint quelques réflexions , nous nous abſtiendrons
d'en faire aucune..
" La mort de M. de Voltaire a été hono-
>> rée des plus ſenſibles regrets par le même
>> Prince qui lui a marqué tant d'eſtime pen-
>> dant ſa vie. Quelle perte irréparable pour
282 MERCURE
>> les Lettres , a écrit ce Monarque , &que
» de ſiècles s'écouleront peut- être ſans pro-
>>duire un tel génie ! ... S'il fût retourné à
» Ferney , peut-être feroit- il encore... Il
>> vivra à jamais , il eſt vrai , par ſon génie
» & par ſes ouvrages ; mais j'aurois defiré
» qu'il eût pu être encore long-tems le té-
>>moin de ſa gloire ! .. Il a du moins joui
» de la conſolation de recevoir avant ſa
>> mort les hommages de ſes Compatriotes...
» L'Académie de Berlin & moi , nous nous
>>propofons de payer au grand homme qui
» vient de mourir , le juſte tribut qui eſt dû
» à ſes cendres... Les Germains mettront
>>tous leurs foins à rendre à ce beau génie la
>>juſtice que la France lui devoit à tant de
>> titres ; ils ne feront contens d'eux-mêmes
>> que lorſqu'ils auront peint avec énergie à
>> l'Europe entière & à la France en particu-
>> lier , la perte irréparable qu'elle vient de
>> faire."
"Ces regrets font accompagnés des traits
>>les plus honorables pour les Lettres. Il n'y
>> a plus comme autrefois dit ce Prince,
» d'amateurs des Beaux-Arts & des Sciences.
>> Si ces Arts ſe perdent , comme je le pré-
» vois , à quoi l'attribuer, qu'au peu de cas
» qu'on en fait ? Pour moi je les aimerai
>>juſqu'à mon dernier ſoupir je ne trouve
>> de conſolation pour ſupporter le fardeau
>> de la vie , qu'avec les Muſes ; & je vous
>> affure que ſi j'avois été le maître de mon
>>deſtin , ni l'orgueil du Trône , ni le com
DE FRANCE. 283
>> mandement des armées , ni le frivole goût
>> des diſlipations ne l'auroient emporté ſur
» elles. »
" O vous ! qui que vous ſoyez , Détrac-
> teurs ou Comtempteurs des Lettres , vous,
>>qui prenez tant de plaifirà les voir en butte
>> à la calomnie & aux outrages , lifez ces
>> mots tracés par un grand Roi , & rougiffez .
>> Et vous , Ecrivains honnêtes , qui êtes l'ob-
>> jet des outrages & de la calomnie , lifez
>> auffi ces mots & confolez - vous.
: >>N'oubliez pas de dire ( car cette circonſtance
eft trop honorable à un Prince
dont le génie ſuffit à tout ) " qu'il écrivoit
>>cet Eloge le 14 Septembre dernier , dans
>> un moment où occupé des plus grands
>>objets , il méditoit & préparoit cette mar-
>>che ſavante qu'il exécuta le jour même , &
>>que les connoiffeurs regardent comme le
>> chef-d'oeuvre de l'art militaire. L'Europe,
> dont ce Monarque a tant de fois attiré les
>> regards , & qui maintenant a les yeux fixés
>> fur lui avec plus d'intérêt que jamais ,
>>croyoit pas qu'après trente-huit ans d'un
>>fi beau règne , il pût encore ajouter à ſa
>> gloire , & l'Europe s'eft trompée *, »
ne
* Faute à corriger dans le dernier No. page 156 ,
ligne dixième , article des Eloges de M. d'Alembert :
Lá manière mal- adroite dont les Partiſans de l'antiquité
la défendoient contre Deſpreaux. Lifez : La
manière mal -adroite dont les détracteurs de l'antiquité
ſe défendoient contre Deſpreaux.
১
:
284 MERCURE
r
ELOGE de M. le Maréchal du Muy , qui a
remporté le prix au jugement de l'Académie
de Marſeille, le 25 Août 1778 ; par
M. le Tourneur.
Tout le monde connoît le pinceau mâle
&brillant du Traducteur des Nuits d'Yong :
on appercevra la même touche dans l'Eloge
duMaréchal du Muy. Si ce nouvel ouvrage
ne paroît pas écrit d'un ſtyle toujours pur ,
ſi l'on y trouve peu de mouvement , peu
d'images & d'idées neuves , on en ſera dé
dommagé par l'harmonie des phrafes , par la
progreffion méthodique des faits , & fur-tout
par la ſageſſe édifiante des réflexions qui les
accompagnent. Le héros de l'Eloge eſt un
de ces hommes qui ont eu beaucoup de ré
putation , parce qu'on eſpéroit beaucoup de
leurs lumières ,de leur patriotifme&de leurs
talens ; mais , comme l'obſerve le Panégyrifte
, " M. du Muy , pendant le rapide inf
>> tant de fon miniſtère , n'a eu que le temps
>> de nous faire entrevoir tout le bien que
>> nous promettoient ſa ſageſſe , ſa fermeté
>>incorruptible , & fes vertus exemplaires » .
Aujourd'hui que ce Miniſtre n'eſt plus ,
que les détracteurs & les enthouſiaſtes commencent
à diſparoître , on peut déjà l'appré
cier avec plus d'impartialité , & dire que fes
qualités les plus éminentes furent la juſtice &
le courage. M. le Tourneur a ſu peindre
avec force cette partie eſſentielle de la gloire
DE FRANCE. 285
de fon héros , & en tirer des inſtructions qui
pourroient être utiles aux hommes en place ,
fices perſonnages daignoient ou pouvoient
lire l'Eloge des morts . " Reſtéz à jamais dans
» l'obſcurité des conditions privées , ames
>>molles & faciles , qui , voulant le bien ,
>>n'avez pas le courage néceſſaire pour l'ac-
>> complir. Si vous aimez l'Etat , n'approchez
>> jamais du Conſeil des Rois , & ne vous
>> chargez point de l'autorité publique. Dès
» qu'il s'agit de gouverner les hommes , &
>>de les forcer à vouloir , pour leur bonheur ,
>> ce que veulent la juſtice & les loix , il faut
>>une ame forte , qui s'élève au-deſſus des
>> ménagemens & des vaines bienséances ,
>>ſache ſe dépouiller de la fauſſe pudeur
>>qui ſacrifie l'Etat au particulier , ſoumer
>> la confcience à la crainte des reffentimens ,
» & ſe fait un tarif de rigueur ou d'indul-
>> gence ſuivant les rangs & les fortunes :
>>une lâche bonté ruine & perd l'Etat , com-
> me une improbité hardie & décidée » .
Quelles que foient la force & l'évidence de
ces réflexions , il ne faut pas eſpérer qu'on
les verra jamais adoptées dans les Cours ,
parce que les Miniſtres qui n'ont pas affez
de courage pour ſacrifier au bien général ,
l'intérêt particulier& les vaines bienfeances ,
en ont encore moins pour ſe faire juſtice ,
& renoncer à la fortune , au crédit , à la
vanité , à tous les preſtiges de la grandeur.
On leur perfuade trop aiſément que leur
foibleſſe eſt de la bonté , que leurs manéges
286 MERCURE
&leur hypocriſie ſont des devoirs eſſentiels
de la politique. Il ſemble cependant qu'un
homme d'Etat , malgré les illufions qui l'environnent
, pourroit ſe juger lui - même
comme le public doit le juger un jour. En
effet, ſi ſon ame eſt tiède & pufillanime ,
s'il eſt incapable de méditations profondes ,
ſi la continuitédu travail affaiſſe ſes organes ,
ſi le nom des l'Hôpital , des Sully , des Colbert
ne le fait point treſſaillir , ſi les fantômes
de la gloire , ou de la patrie , ou de
l'humanité n'embraſent jamais fon ame , à
coup fûr il peut ſe dire : je ſuis au-deſſous
de ma place ; la nature m'a fait pour obéir ,
&non pour commander .
Le Maréchal du Muy réuniſſoit une partie
des qualités de l'homme d'Etat. Livre nuit
& jour au travail , parcourant toutes les
parties du Royaume , recueillant tout ce
qu'il croyoit utile , il eſt peu d'hommes qui
aient autant lu , autant écrit , autant compilé:
Ses manufcrits formeroient plus de ſoixante
volumes in-4°. Né vingt ans plus tard , il
auroit eu moins de prédilection pour les
uſages , les opinions & les Ecrivains des ſiècles
précédens. Les lumières du nôtre auroient
pu donner à ſon caractère & à fon eſprit une
étendue , une élévation , un éclat beaucoup
plus impofans. Au lieu de l'eſtime qu'il a
méritée , & que perſonne ne lui refuſe , il
eût ſubjugué l'admiration de la France , &
même celle des Nations qui l'environnent.
On le placeroit au rang des grands hommes ,
DEFRANCE. 287
comme nous le rangeons aujourd'hui dans la
claſſe des citoyens les plus recommandables
par leur dévouement à la Religion Catholique
& à l'autorité Royale. On fait qu'il
avoit choiſi pour deviſe : Dieu & le Roi.
M. le Tourneur , obligé de faire un éloge
& non une hiſtoire , a tiré tout le parti poffible
de ſon ſujet. Il n'a omis aucune anecdote
honorable à fon héros , excepté le mot
de la Marquiſe de P ..... , qui cependant
étoit digne de figurer à côté des autres. " Le
>> Chevalier du Muy eſt le ſeul homme de
ود laCourqui ne vienne pas me voir ,& le
>> ſeul qui, ne penſant pas bien de moi , n'en
» diſe aucun mal » .
(ParM. l'Abbé Remi , ainſi que leſuivant ) .
Moyens d'extirper l'Ufure , ou projet d'établiſſement
d'une caiſſe de Prêt Public fur
tous les biens de l'homme , avec les Lettres-
Patentes de créationdu Mont-de-Piétéétabli
à Paris en 1777 ; par M. Prévoſt de
Saint-Lucien , Avocat au Parlement. Vol.
in-12. Prix 3 liv. broché, & franc de port
par-tout le Royaume. A Paris , chez Lefclapart
, Quai de Gêvres , & chez l'Aureur
, rue Sainte Appoline.
Depuis pluſieurs fiécles on a vu les Gens
de Lettres publier des projets , & le Gouvernement
faire des tentatives pour extirper
l'uſure. Mais tous les projets & les tentatives
ont échoué juſqu'au moment où M.
Prévoſt de Saint- Lucien a entrepris de
288 MERCURE
traiter cette matière en Juriſconſulte Philoſophe.
A peine ſon ouvrage a- t'il été répandu
, que la lumière a diſſipé les terreurs
& les préjugés . Il a peint les ravages de l'ufure
avec des couleurs ſi vraies ; les remèdes
qu'il propoſe ſont d'une utilité ſi frappante ;
il combat les objections des ennemis du Prêt
avec tant de décence & de raiſon, que le
Miniſtère s'eſt enfin déterminé à élever un
Mont- de-Piété dans cette capitale. Les éloges
que la voix publique donne au zèle & à
la ſageſſe de ſes Adminiſtrateurs , les profits
que les Hôpitaux en retirent chaque jour ,
manifeſtent déjà les avantages d'un établiſſement
qu'on étendra ſans doute bientôt
dans les grandes villes commerçantes du
Royaume.
M. de St-Lucien s'applique fur-tout à rectifier
les idées vulgaires ſur la naturedu prêt en
général & en particulier. La vente , l'achat ,
le louage , fuivant lui , ne font que de véritables
prêts , de purs échanges ; car l'homme ,
maître de tout , n'eſt propriétaire de rien ; il
reçoit à titre de prêt tout ce qu'il poſsède ;
il le tranſmet au même titre ; les générations
font grevées les unes envers les autres ; &
cette ſubſtitution éternelle , à laquelle , ou
la volonté de l'homme ou ſa mort , donne à
chaque inſtant ouverture , eſt la cauſe de
cette immenſité d'échanges & de prêts qui ſe
renouvellent ſans diſcontinuité ſur la furface
de la terre. Or , ſi tout est échange ou
prêt , ou abandon d'une quantité pour en re-
:
tirer
DEE FRANCE. 289
tirer une autre , comment pourroit- on aftreindre
l'homme à ne recevoir que des quantités
égales ? Otez l'eſpoir des bénéfices ,
vous engourdiſſez à l'inſtant la main qui pétrit
l'argile , qui façonne les métaux , qui
travaille le bois & la pierre. Le vaiſſeau ne
bravera plus les tempêtes , ſi l'intérêt ne lui
donne le premier mouvement. Le laboureur
ne confiera plus ſes ſemences à la terre , s'il
n'y eſt déterminé par l'impulfion de l'intérêt.
" La bouillante chaleur du plaifir n'embraſe
>> pas ſeule un coeur amoureux ; l'intérêt
>> s'unit àce premier mobile , & de l'échange
» de nos ames , de ce prêt mutuel , nous
>> voyons éclorre un germe heureux qui ſera
» l'appui de nos vieux ans , &pourra ſervir
>> encore nos ſemblables ».
Pourquoi donc, continue l'Auteur , pourquoi
ne pourrois-je pas vendre mon écu
comme je vends mon chapeau ? Ce dernier
m'a coûté 6 liv. je le vends 7; ſi le beſoin de
l'acheteur lui a fait eſtimer 20 fols de plus
la valeur intrinsèque du chapeau , pourquoi
ne pourroit-il pas trouver aufli dans l'écu
une valeur relative , différente de ſa valeur
intrinsèque ? Mon écu peut lui procurer à
ſon tour d'autres valeurs fans jamais rien
perdre de la fienne; au lieu que mon chapeau
, loin de s'améliorer par l'uſage , ſe dégradera
chaque jour , & fera bientôt réduit
à zéro.
D'après ces obſervations , M. de St-Lucien
croitqu'on nepeut trop multiplier les moyens
25 Janvier 1779 . N
290
MERCURE
de rendre l'induſtrie plus active, & de faciliter
la circulation du commerce. Il voudroit que,
non-feulement on prétât fur des gages mobiliers
, mais encore fur toute eſpèce d'immeubles.
Les dettes actives , les loyers , les
fermages , les contrats les obligations ,
toutes les natures de biens , peuvent former
des nantiſſemens à ceux qui voudroient prêter.
Une caiffe de prêt public ainſi établie,
ſeroit d'une utilité bien plus générale & bien
plus importante ; il n'y auroit abſolument
aucune claffe de citoyens qui n'y trouvat
dans tous les momens defa vie, une fource
féconde & intariffable toujours ſupérieureàses
moyens comme àses besoins. Il faut voir dans
l'ouvrage même , page 85 , Section V , le
développement des idées de l'Auteur , les
moyens qu'il imagine , les précautions qu'il
emploie , les abus qu'il prévient , les difficultés
qu'il éclaircit & les obſtacles qu'il fait
diſparoître.
Il paroît que de tous ces obſtacles celui
qu'il a furmonté le plus difficilement , tient
ànos maximes religieuſes. La Théologie
qui , chez les anciens peuples , ſe bornoit à
inftruire l'homme de ſes devoirs envers
Dieu , & laiſſoit au Gouvernement le ſoin
de régler les intérêts civils , de modifier les
contrats felon les temps & les lieux, de combiner
des lois uniquement relatives au bien
temporel des corps politiques ; la Théologie
beaucoup plus utile & plus éclairée parmi
nous, examine nos uſages, décompoſe nos
1
DE FRANCE.
291
4
actes , pèſe dans la balance du ſanctuaire la :
plupart de nos rapports civils ; elle a un
droit d'inſpection ſur nos actions publiques
& particulières , comme fur nos penſées &
nos ſentimens. Dépositaire des lois divines ,
le Clergé doit en confcience en fuivre l'efprit
& en réclamer l'exécution quand on
veut les enfreindre. L'Évangile dit aux hommes
: mutuum date nihil indefperantes. M. de
St-Lucien prétend que le texte de S. Luc a été
mal traduit , & qu'il faudroit y fubftituer
cet mots: Fanerate nihil defperantes , qui
eſt le ſens grammatical du paſſage Grec.
Nous devons croire qu'à cet égard le nouveau
Traducteur ſe trompe, car les Saints
Pères *, les Souverains Pontifes & les Conciles
eux-mêmes l'ont toujours entendu ſe- i
lon le premier ſens , qui est contradictoire
- avec le ſecond. Jésus-Chriſt ayant défendu
en général le prêt à intérêt , & l'Egliſe ayant
fixé d'une manière très-préciſe celui qui peut
être légitime; tout autre eſt donc néceſſairement
ufuraire , & le Clergé doit le prof
crire éternellement.
Mais il y a dans la marche des Empires ,
certains momens de crife , où les Miniſtres
du Ciel , obligés de ſuſpendre leur zèle, font
* S. Ambroiſe parle en ces mots à ſcs Diocé
fains: Et esca , usura est ; & vestis , usura est ;
& quodcumque forti accedit , ufura est ; quodvis nomen
ei imponas, ufura eft
1
Nij
292
MERCURE
M
réduits à gémir & à tolérer les coupables
juſqu'à ce qu'il vienne un ordre d'hommes
affez défintéreſſes pour confier leur or fans
intérêt , & concourir à la fortune de leurs
ſemblables , fans autre eſpoir que le pur ſenriment
de la reconnoiffance. En attendant
ces heureux jours le Chef d'un Empire
, environné d'abus , placé entre le défordre
& le déſordre , n'a plus que le choix
du mal le moins pernicieux. Il voit d'un côté
les cruels beſoins du pauvre, & de l'autre
les fecours meurtriers du riche; pour arrêter
le brigandage de ceux qui prêtent à quarante
, à foixante , à cent , quelquefois même
àdeux cents pour cent, il eſt contraint de
donner la fanction aux caiſſes de prêt public
, où l'on n'exige qu'un intérêt modéré ,
toujours au même taux. Par cette opération ,
il eſt viſible que le Prince arrête , autant
qu'il eſt en fon pouvoir, les défordres de
l'uſure ; & que cette race de tigres , qui dévoroient
les entrailles du peuple, feront forcés
déſormais , ou à ſe dévorer eux-mêmes ,
ou à changer leur exécrable métier. Telles
font les vues & le but de M. Prévoſt de
Saint-Lucien. Son ouvrage pourroit être plus
méthodique , & d'un ſtyle plus foigné , mais
il eſt eſtimable par les chofes , par les calculs
, par les recherches , par les rréeflexions
qu'il renferme , &&mpar celles qu'il inſpire aux
Lecteurs. On doit fans doute des encouragemens
& de la reconnoiffance à un homme
qui joint à des projets utiles , le courage
DE FRANCE. 293
:
ſi rare de les répandre & de les faire
adopter.
ÉLÉMENS de Chimie théorique & pratique ,
rédigés dans un nouvel ordre d'après les
découvertes modernes,pourfervir aux cours
públics de l'Académie de Dijon. Tomes II
& III. A Dijon , chez L. N. Frantin ; &
ſe trouvent à Paris , chez Piſſot , quai des
Auguftins .
Ces deux volumes complettent le cours
qui ſe fait depuis trois ans dans le laboratoire
public de l'Académie de Dijon , & qui
eſt l'ouvrage de MM. de Morveau , Marer
&Durande. Le premier en a fourni le plan ,
& l'a rédigé en entier pour qu'il y eût plus
d'enſemble & de liaiſon dans toutes les
parties.
La théorie en eſt ſimple. Les Auteurs l'établiffent
fur cette belle penſée de l'illuftre
Buffon , que dans les attractions prochaines
la figure des parties devient élément de dif
tance. Au moyen de cette clef, tous les phénomènes
de diſſolution & de cryſtalliſation
s'expliquent aiſément par les ſeules loix phyfiques
&méchaniques. En ſuivant cette marche,
ils font parvenus à calculer & à déterminer
, par des rapports numériques , les
affinités de dix ſubſtances métalliques avec
le mercure. On lit dans l'avertiſſement du
TomeII ,que le célèbre Profeſſeur Bergmanı
Niij
294
MERCURE
vient auſſi d'établir tout le ſyſtême chimique
fur la même baſe , & nos Académiciens ſe
flattent en conféquence de voir bientôttoutes
les opinions ſe réunir ſur ces vérités fondamentales.
La méthode de ces élémens eft facile à
faifir,&néanmoins affez étendue pour qu'on q
puiffe d'avance aſſigner l'ordre des faits qui
reftent à découvrir. Dans la chimie naturelle,
comme dans celle du laboratoire , rien
ne ſe fait que par diffolution : toute diffolution
ſuppoſe fluidité. On confidère donccomme
diffolvant le corps le plus eſſentiellement
fluide: on appelle baſe celui qui , ſous le
point de vue , eſt plus paſſif dans l'acte de
Ia diffolution, On examine d'abord l'action
des diffolvans les plus ſimples , tels que le
feu , l'air & l'eau ſur toutes les baſes terreuſes
, alkalines , métalliques , ſur les bitumes
, les réfines , les huiles , &c. De-là on
paſſe aux diffolvans plus compoſés. Le Chapitre
de chaque diffolvant particulier compar
l'expofition de ſa nature , de fon
origine , de fes caractères , des procédés pour
l'extraire & le purifier : on trouve enſuite les
différens ordres de ſes compoſitions & furcompoſitions.
Un tableau ſynoptique de
vingt diffolvans , & de trente bafes les plus
ſimples, facilite l'intelligence de laméthode ,
& ſoulage la mémoire , en préſentant dans
leur ordre environ fix cents réſultats des
combinaiſons chimiques les plus directes&
les plus effentielles à retenir.
-mence
DE FRANCE.
195
F
L
On a fondu dans ces élémens toutes les
découvertes modernes ſur la chaux , la magnéſie
, la caufticité , la calcination des métaux
, l'air fixe , l'air inflammable , l'air déphlogiſtiqué
, l'acide phoſphorique des os ,
&c. & tous les phénomènes des gas paroifſent
ſe relier très- naturellement à la doctrine
de Sthaal , c'est- à-dire , du phlogiſtique& du
feu fixe , en admettant ſeulement que l'un
des fluides ne peut ſe dégager qu'autant que
Pautre ſe combine ; ce dont la chimie fournit
une infinité d'exemples dans les opérations
fur les corps plus ſenſibles .
Les Auteurs de ce cours y parlent preſque
toujours d'après les expériences qu'ils ont
cux-mêmes tentées ou répétées , ou ils indiquent
ce qui reſte à faire pour les rendre
décifives. C'eſt ainſi qu'ils propoſent d'examiner
fi l'acide des fourmis & celui du ſuccin
ne feroient pas l'air fixe dans un état de compoſition
comme dans le tartre. On y trouvera
enfin une quantité de produits chimiques
peu connus , réſultans des eſſais de combinaiſons
que la méthode adoptée rendoiť
indiſpenſables , & même des chapitres entiers
où l'action d'un nouveau diffolvant eſt éprouvée
ſur toutes les baſes . Tels font ceux des
acides , de l'arfenic , du borax , du phoſphore
( que M. Bergmann a auſſi placé dans ſa
rable d'affinités ) & l'appendice ſur le principe
aftringent . C'eſt ce qui a fait regretter
que cet ouvrage ne ſoit pas ſuivi d'une table
Niv
296
MERCURE
générale alphabétique ; mais nous favons que
les Auteurs ſe diſpoſent à la publier incefſamment
avec des tableaux ſynoptiques de
matière médicale, qu'ils ont cru devoir ſeparer
de la partie purement chimique , &
qui formeront un quatrième volume.
( Cet Article est de M. R. )
Histoire Universelle depuis le commencement
du monde , enrichie de Figures & de Cartes
néceffaires. Compoſée enAnglois . &traduite
en François par une Société de
Gens de Lettres. Propoſée par Souf
crition.
د
Ce feroit un magnifique ouvrage qu'une
HiſtoireUniverſelle, écrite par des Philoſophes
, fi le genre humain avoit fidellement
confervé ſesarchives. Onverroit l'eſpèce humaine
fortir de fon berceau , ſe diviſer bientôt
en nombreuſes familles , ſe répandre fucceflivement
fur toutes les parties du globe ,
& ſe mettre en poffeffion de toute fa demeure
. On aſſiſteroit à la formation de tous
les Empires , aux confeils de Légiflation de
tous les Peuples : on verroit tous les uſages ,
toutesles inftitutions à leur origine. En confidérant
l'eſpèce entière commeunindividu , on
ſe plairoit fur-tout à ſuivre l'hiſtoire defa raifon
: on verroit d'où ſont nées les lumières
qui ont éclairé pluſieurs fiècles de fa vie;
DE FRANCE. 297
d'où ſont partis enfuite les nuages qui l'ont
enveloppé de ténèbres , qu'une longue fuite
de ſiècles pent à peine diffiper. Chaque
peuple verroit quel rang il occupe dans la
famille du genre humain : il compteroit ſes
titres d'honneur & de gloire ; il ne pourroit
s'empêcher de voir les tems de crimes
ou de vices , dont il doit effacer la honte.
Enfin tous les peuples , diviſés par tant de
haines , par tant de rivalités , appercevroient
mieux tous les liens du ſang qui les unifſent
: ils ſe haïffent comme étrangers ; ils
verroient mieux dans l'hiſtoire commune
delafamille,qu'ilsdoivent s'aimer& ſe ſecourir
comme des parens & comme des frères.
Mais aucun peuple n'eſt en état d'écrire
l'hiſtoire de la famille univerſelle. Tous
enſemble ont oublié leur commune origine;
chaque peuple a oublié même ſon origine
particulière , & ne peut guères remonter au
moment où il a formé , pour ainſi dire , une
maiſon nouvelle. Le tableau de l'antiquité
ne nous préſente que des ruines qu'il faut
chercher parmi les ténèbres. L'homme ne
peut ſavoir même comment il a créé les empires.
Ses propres ouvrages ſont pour lui
des myſtères , comme les ouvrages du Créa
teurdu monde; & les prodiges qui devroient
faire l'orgueil de ſa raiſon , ne ſervent prefqueplus
qu'à le confondre.
Tous les Peuples ont cependant des traditions
vagues & obfcures : preſque tous ont
eu long-tems la prétention de pouvoir ra-
N
298 MERCURE
conter d'un bout à l'autre , & fans lacune ,
non-feulement leur propre hiſtoire , mais
l'hiſtoire même du monde entier . Il étoit
important de recueillir ces traditions qui
peuvent avoir conſervé quelques traits de la
vérité , comme certaines matières brutes
confervent l'or qu'elles enveloppent & qu'elles
cachent.
On a fouillé les tombeaux des anciens Empires.
On a lu quelques lignes ſur des tronçons
de colonnes , ſur le piedestal de quelques
ſtatues mutilées. Des Savans ont recueilli
ces lignes , pour les faire ſervir un
jour de matériaux à l'hiſtoire entière...
Enfin la critique , perfectionnée par la
Philofophie , eft parvenue à faire , dans les
Hiſtoriens anciens , la ſéparation des vérités
&des erreurs qu'ils nous ont tranſiniſespêlemêle.
Il s'en faut bien cependant encore qu'on
foit en état de former , même un ſyſteme ,
fur l'hiſtoire des premières origines ; mais on
a découvert de nombreux matériaux ; on a
fait des rapprochemens très- heureux ; on a
donnédes interprétations très-ingénieuſes. Il
étoit tems de raſſembler tout cela dans un
même corps d'ouvrage , &de difcuter enſemble
des objets qui n'avoient été diſcutés
que ſéparément.
Cette entrepriſe immenſe a été formée
& achevée il y a pluſieurs années , en
Angleterre. Des Savans profonds & laborieux
de cette Nation , ſi propre à tour
1
DE FRANCE. 299
tes les Sciences , paroiſſent y avoir travaillé
: on leur a reproché , peut - être avec
raiſon , une critique trop timide , un ſoin
trop ſcrupuleux à recueillir ou à diſcuter
des erreurs que tous les peuples ont abandonnées.
Mais on peut lesjuſtifier , au moins
en partie , en diſfant que leur ouvrage eſt ſurtout
deſtiné à tout réunir &à tout conferver
; que ces erreurs même qu'ils n'ont pas
voulu rejeter , pourront ſervir un jour de
foutien à d'importantes vérités.
Enfin , on doit convenir que de tout ce
qu'on a fait pour l'Hiftoire Ancienne &Moderne
en Europe , cet ouvrage eſt le plus
propre à donner des lumières de tous les
genres , &à ceux qui ne veulent que lire &
connoître , & à ceux qui voudront écrire
'Hiſtoire..
Ce grand ouvrage n'eſt cependant encore
connu en France que par une traduction
faite en Hollande , dans laquelle le texte eſt
defiguré à chaque inſtant par des erreurs
groffières : le ſtyle d'ailleurs , difent les
Auteurs du Profpectus , en eſt ſi plat & fi
incorrect , qu'il feroit difficile d'en lire même
une page..
Les nouveaux Traducteurs ſont des Ecrivains
connus déjà par d'excellentes traductions
d'Ouvrages Anglois. C'eſt vraiment un
ſervice de la plus grande importance qu'ils
rendent à la Littérature Françoiſe.
Ils annonçent même pour le fonds de
Ouvrage , & pour la diſtribution des ma
Nvi
300 MERCURE
tières , des changemens qui perfectionneront
beaucoup l'original.
Le premier volume de l'Hiſtoire Univerfelle
doit paroître à la fin du préſent mois ; le
deuxième à la fin de Février , & les autres
ſucceſſivement de mois en mois. On paiera
24 liv. en ſouſcrivant pour les fix premiers
volumes ; en recevant le ſixième , on paiera
24 autres livres pour les fix mois ſuivans ,
ainſi de ſuite de fix mois en fix mois. Ceux
qui n'auront pas ſouſcrit paieront chaque
volume fix livres. ---- Cet Ouvrage ſera imprimé
ſur beau papier & caractères neufs ,
& la gravure des planches eſt confiée au burin
des meilleurs Artiſtes. Quant au format ,
on a cru devoir le rendre portatif , & l'on
a choiſi l'in-8 ° . --- Chaque Volume ſera de
35à40 feuilles.
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mercredi 23 Décembre , on a repréſenté
pour la première fois l'Amant Jaloux ,
ou les Fauffes Apparences , Comédie en trois
Actes de M. d'Hell , Muſique de M. Grétry.
Interrompue , comme nous l'avons dit, par
l'indiſpoſition de Madame Dugazon, cette
Pièce a été repriſe le Samedi 9 de ce mois.
DE FRANCE.
301
La Scène est à Cadix.
Premier Acte. Léonore , jeune veuve , &
fille de Lopez de la Plata , aime & eſt aimée
de Dom Alonze. Ce Dom Alonze eſt ſorti
de Cadix depuis quelque temps pour aller
recevoir les derniers ſoupirs d'un vieil oncle
dont il attend une ſucceſſion immenfe ;
mais il eſt ſur le point de revenir. Le père
de la jeune veuve , Négociant avare , qui a
placé dans ſon commerce la fortune de fa
fille , ſe promet de mettre tout en oeuvre
pour rompre l'hymen que Dom Alonze ſe
propoſe de contracter. En conféquence il
déclare à Jacinthe , Femme-de- chambre de
Léonore , qu'il ne veut plus qu'on reçoive
chez lui le jeune-homme , ni même ſa ſoeur
Iſabelle , intime amie de Léonore. Jacinthe
reſtée ſeule , gémit de l'ordre qu'elle vient
de recevoir , quand elle voit entrer Iſabelle
foutenue par un Officier François. Cet Officier
, qu'on appelle le Chevalier de Florival ,
paffe par Cadix pour aller rejoindre l'armée
Eſpagnole , dans laquelle il va ſervir contre
les Portugais. Il a rencontré Iſabelle , que des
ſcélérats maltraitoient , l'a arrachée de leurs
mains , & l'a conduite dans la maiſon qu'elle
lui a indiquée. Voir Iſabelle , la défendre &
l'aimer du plus violent amour, tout cela fut
pour Florival l'affaire du même inſtant. Sa
vue a produit dans l'ame de ſa maîtreſſe une
impreſſion auffi prompte. Il lui demande
un rendez-vous; elle héſite à le lui accor302
MERCURE
t
der; enfin elle confent qu'il ſe rende àdix
heures ſous ſa fenêtre. Florival, qui ne fait
pas le nom de la perſonne qu'il adore , qui
croit l'avoir conduite chez elle , & qui prend
Jacinthe pour ſa Femme-de-Chambre , demande
à celle-ci le nom de fa maîtreſſe. Jacinthe
répond , Léonore , & le François s'évade.
Léonore vient , elle apprend de la bouche
de fon amie l'accident qui la amenée
chez elle. On entend du bruit ; comme on
craint que ce ne ſoit le vieillard qui rentre ,
on fait paffer Iſabelle dans un cabinet dont
on n'a pas le temps de fermer la porte :
c'eſt Don Alonze. L'air inquiet de Leonore
éveille ſa jaloufie ; il prétend avoir entendu
quelqu'un dans le cabinet , & vent s'en
éclaircir. Léonore s'y oppoſe ; mais fans
reſpecter ſa maîtreffe , il s'approche pour
fatisfaire fa curiofité, quand la porte ſe ferme
avec fracas. Le Jaloux ne doute plus que
le cabinet ne récèle un rival , il éclate en reproches.
Lopez qui entre , & qui ne connoît
Dom Alonze que de nom , lui demande
le motifde ſa venue & de ſa colère. Jacinthe
craignant les excès auxquels la jalofie
peut porter l'amant de Léonore , dit au vieillard
qu'une femme pourſuivie par le cavalier
qui vient de le rendre témoin de ſes
fureurs , eſt venue leur demander un aſyle ;
que touchées de pitié, elles l'ont enfermée
dans le cabinet. Iſabelle a tout entendu, elle
ſe couvre de fon voile , & paffe devant fon
frère , qui ne la reconnoît pas. A l'afpect
DE FRANCE.
303
d'une femme , Dom Alonze reſte confondu ;
il fort pénétré de douleur. Lopez trouve l'aventure
plaiſante. Il rentre avec Léonore &
Jacinthe , en riant beaucoup des helas du
Cavalier inconnu.
SecondActe.Dans les premiers accèsde fon
humeur , Léonore fe propofe de ne jamais
-pardonner à Dom Alonze. Ilabelle , en feignant
de fortir au premier Acte , s'eſt réfugiée
dans le jardin ; Jacinthe ne l'ignore pas ,
elle annonce à fa maîtreſſe qu'elle va la chercher.
Au moment de fortir , elle rencontre
Lopez. Le vieillard lui dit qu'il eſt trop tard
pour aller prendre l'air , que d'ailleurs il a
fermé la porte de la grille , & qu'il en a la
clef. L'embarras où cet incidentjette Léonore
paffe aux yeux du père pour la fuite des réflexions
que l'aventure du jaloux a fait naître.
Il enprend occafion d'engager fa fille à fuir
l'amour & l'hymen. Chaque mot de Lopez
redouble l'émotion de fa fille, qui , pour la
lui cacher, rentre dans fon appartement. Le
Chevalier de Florival vient toucher une
lettre-de-change de 200 piaſtres. Au moyen
de l'erreur de Jacinthe , il prend Lopez pour
le père de fa maîtreffe & ſe propofe de la lui
demander. La Femme- de-Chambre , qui aux
-diſcours du François s'apperçoit qu'il eſt en-
-core dans l'erreur , veut lui parler. Sur un
mor de Lopez elle est obligée de rentrer ,
de forte qu'elle n'a que le temps d'indiquer
àFlorival un autre rendez-vous dans le jardin;
mais le jeune François ne comprend
304
MERCURE
1
pas ce qu'elle veut dire. Dans la converſation
qu'il a avec Lopez , il lui déclare qu'il
eſt amoureux , il eſt même ſur le point de
lui apprendre le nom de celle qu'il aime ,
quand tout-à-coup il ſe ravife , & fort fans
le lui dire. Le vieillard va ſe coucher. Jácinthe
profite de la nuit pour introduire
Dom Alonze dans l'appartement de ſa maî
treffe. Ils en ſortent bientôt l'un & l'autre.
Alonze implore le pardon de ſa jaloufie ;
Léonore , après avoir réſiſté pendant quelque
temps, conſent à le lui accorder. L'une aſſure
que ſes ſentimens n'ont jamais changé , l'autre
qu'il ne fera plus jaloux. A l'inftant même
une voix accompagnée d'une guittarre ſe fait
entendre ſous la fenêtre. C'eſt Florival , qui
toujours trompé par le nom , vient chanter .
ſes amours dans des couplets dont le dernier
eſt terminé par ce vers : Charmante
Léonore. Ces deux mots rendent à Dom
Alonze toute ſa jalouſie. Il répète ironiquement
à ſa maîtreſſe les propres expreffions
dont elle s'eſt ſervie pour l'aſſurer de ſa fidélité.
Celle-ci lui répond auſſi en répétant
ſur le même ton ſes ſermens de n'être plus
jaloux. Ils ſe quittent plus animés que jamais
l'un contre l'autre .
Troisième Acte. Iſabelle , qui a été enfermée
dans le jardin , s'inquiète du rendezvous
qu'elle a donné à Florival. Ce jeune
homme , dont les concerts amoureux ont
été interrompus par la voix de Don Alonze ,
qu'il a pris pour Lopez , ſe ſouvient du
A
DE FRANCE.
305
ſecond rendez - vous indiqué par Jacinthe.
Il ſe munit d'une échelle , eſcalade les murs
du jardin , & preſſe Iſabelle de confentir
à lui donner ſa main. Alonze , en ſe retirant
, a apperçu une échelle. Toujours excité
par le même ſentiment de jalousie , il s'en
ſert pour ſe rendre dans le jardin. A fon
aſpect , Iſabelle s'enfuit dans unpetit pavillon .
Ces deux amans , après s'être mutuellement
queſtionnés fur l'objet qui les attire , après
avoir tous deux nommé Léonore , ſont prêts
à en venir aux mains , quand le vieillard ,
éveillé par le bruit , deſcend , & leur demande
à fon tour ce qu'ils font venus chercher
chez lui . Tous deux nomment encore :
Léonore , & indiquent le pavillon où elle
s'eſt retirée. Rien n'égale la ſurpriſe du père.
On invite Léonore à ſe montrer : elle entre
par lamême porte que vient d'ouvrir Lopez .
Nouvelle furpriſe pour tous les perſonnages ;
nouvelle confufion pour Alonze. Il ſe plaint
d'avoir détruit lui-même ſon bonheur , &
remet à Lopez un écrit , par lequel il lui
apprend qu'il vient d'hériter de ſon oncle ,
& qu'il confent à épouſer Léonorefans dot.
Cetteraiſon convaincante produit ici le même
effet que ſur l'Harpagon de Molière. Il ne
s'agit plus que de fléchir Léonore. Tout le
mondes'y emploie. Iſabelle quitte ſa retraite ,
&vient joindre ſes prières à celles des autres.
Alonze ne reconnoît ſa ſoeur qu'avec le plus
grand étonnement. Enfin tout s'explique.
Lopez a déjà conſenti à l'union de Don
305 MERCURE
Alonze avec Léonore , & Don Alonze corifent
à fon tour à celle de Florival avec Ifabelle.
Nous reviendrons à l'examen de cette
Pièce quand elle ſera imprimée. Son ſuccès
a été très-grand. La Muſique a paru charmante
dans pluſieurs morceaux & négligée
dans d'autres.
Les rôles ont été fort bien remplis par
MM. Clairval , Julien & Nainville , &
par Meſdames Trial , Colombe & Billioni .
A la première repréſentation , le rôle de
Jacinthe étoit joué par Mde Dugazon. Elle y
a reçu des applaudiſſemens, que ceux qu'on
adonnés depuis à Mde Billioni n'ont point
fait oublier.
SCIENCES ET ARTS.
GRAVURES.
V
UES principales du Canal de Languedoc , en
plan d'élévation , tirées du Cabinet du Sieur Girard,
Peintre & Opticien , de l'ancienne Académie de Saint
Luc , propoſées par ſouſcription.
Le but que l'on s'eſt propoſé eſt d'animer le Spectateur
, en lui repréſentant dans une ſuite de tableaux
le Canal de Languedoc pris dans ſes plus beaux
accidens , & en joignant à l'objet principal les charmes
d'unpayſage vrai & pittoreſque. Cette ſuiteintéreffantecontiendra
onze vues , ſavoir ;
DE FRANCE.
307
1. Vue du grand réſervoir de Saint- Ferriol dans
soute ſon étendue..
2 ° . Vue du même réſervoir , priſe en face de cette
muraille de cent pieds de hauteur.
3 °. Vue du Port de Cette , & de la Ville placée en
amphithéâtre ſur le penchant d'une montagne iſolée.
4° . Vue de la chauffée mobile de la rivière d'Orb ,
&d'une partie de la Ville de Béziers , ſituée ſur une
éminence.
5º. Vue des huit écluſes de Fonferanne , qui élèvent
les barques ſur la montagne , & les defcendent
au niveau de la plaine.
6°. Vue de lamontagne percée, appelée la voûte
deMalpas.
7°. Vue du grand pont-aqueduc de Cefle , à trois
arches, ſur lequel paiſſe le Canal , tandis que la rivière
de Ceffe paffe deſſous le Canal.
8 °. Vue du Canal qui traverſe la rivière d'Ognon
fur le ſommet d'une montagne , & d'une très-belle
caſcade que forme cette rivière en tombant de la
montagne.
9º . Vue du Canal de la Redorte.
10º. Vue du grand baffin du Canal devant la
Ville de Castelnaudary , ſituée en amphithéâtre fur
un coteau .
11º . Vue de la Ville de Toulouſe & du Port où ſe
termine le Canal dans la Garonne .
On ſouſcrit à Paris chez ledit ſieur Girard , rue
Saint Martin , vis-à-vis la rue Oignard , au-deſſus
du Miroitier , au ſecond étage ,& chez les principaux
Libraires , Graveurs , Marchands d'Eſtampes de Paris
&de l'Europe.
La ſouſcription ſera ouverte juſqu'à la fin dumois
de Février prochain , 1779.
308 MERCURE
On payera en ſouſcrivant .
En recevant le premier Cahier compoſe
...... 12 livres.
12 liv.
de fix Planches , dans le mois d'Août prochain
En recevant le dernier Cahier compoſé
de cinq Planches , avec l'explication , dans
le mois de Décembre ſuivant. ..... و liv.
;
33 livres.
Les premières épreuves ſeront délivrées aux premiers
Souſcripteurs , & l'on ſe réglera par les dates
des Souſcriptions.
Deux grands Planisphères célestes , projetés ſur le
plan de l'Équateur , avec un abrégé d'Aftronomie
pour leur uſage , dédiés & préſentés au Roi ; imprimés
avec l'Approbation & ſous le Privilége de
l'Académie des Sciences ; par le Père Chriſologne ,
Capucin. A Paris , chez Mérigot l'aîné , Quai des
Auguftins.
Les Petits Bouffons & le Petit Eſpiègle , deux
Eſtampes dans le genre groteſque , gravées par Cathelin
, Graveur du Roi , d'après les tableaux d'Eiſen
le père. A Paris , chez l'Auteur , rue du Doyenné
S. Louis du Louvre. Prix , 2 liv. 8. fols.
L'ACCUEIL
MUSIQUE.
'ACCUEIL favorable que le Public adaigné faire
au Mélange Muſical , ou Recueil d'Airs de M. Gilbert,
a déterminé l'Auteur à en extraire pluſieurs
morceaux qu'on a paru defirer , avec les parties
d'accompagnemens ſéparées , pour les exécuter plus
facilement dans les Concerts. Afin de ſatisfaire le
plus qu'il a pu aux différentes demandes qu'on lui a
DE FRANCE.
309
faites , il a formé un Recueil d'Airs , Romances &
Chanfons , avec accompagnement de Clavecin , ou
Piano -Forté , dont le prix eſt de 4 liv. 4 ſols. Pluſieurs
morceaux détachés , tels que l'Invocation aux
Amours & aux Grâces , l'Élégie ſur la mort de l'Oiſeau
de Lesbie , & la Scène des Frères Ennemis
Tragédie de Racine , deux autres Ariettes; le tout
aux Adreſſes ordinaires de Muſique.
1
Symphonic pour le clavecin , par M. Romain de
Braſſeur , OEuvres III & IV. Prix , 9 liv. chaque.
Deux Concerto pour le clavecin ou le forté-piano ,
par M. Charpentier , Organiſte de Saint-Paul. Prix!,
9 liv.
Recueil d'Airs , avec accompagnement de harpe ,
par M. Emich. Prix , 6 liv. Se trouve à Paris , chez
M. Michaud, rue des Mauvais-Garçons, proche celle
de Buffy , & aux adreſſes ordinaires de Matique.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
CONFÉRENCES Ecclésiastiques du Diocèse d'An
gers , nouvelle Édition des quatorze premiers volumes
, revue , corrigée & augmentée par l'Auteur
des cinq derniers de la continuation. 15 vol. in-12.
Prix , 3 liv. le volume. A Paris , chez Pierre-François
Gueffier , Libraire-Imprimeur , au bas de la rue de
laHarpe , 1778. 형
Cette nouvelle édition des Conférences d'Angers
ne diffère des précédentes , que par des Additions
qu'on y a faites pour donner plus d'étendue aux
idées de fon premier Auteur ,&jeter plus de lumières
ſur ſes ſentimens dans différentes queſtions qui en
étoient fufceptibles...
310 MERCURE
M. Babin , Auteur deſdites Conférences , les avoit
lui-même revues plus d'une fois dans les diverſes
éditions qui ont étédonnées pendant qu'il vivoit. Les
mêmes ſujets ont été préſentés juſqu'à trois fois dans
les Conférences du Diocèſe , & l'on a profité des obſervations
qu'ont occafionnées ces nouvelles difcuffions.
Du reſte, on a reſpecté par-tout le texte de M.
Babin, fans ſe permettre d'y faire le moindre changement
, pas même dans l'expreſſion qui a le mérite
de la clarté & de la préciſion. C'eût été gâter ſon
ouvrage , ſans lui donner une nouvelle perfection.
On a ſuivi par-tout le même ordre de queſtions. Les
changemens fur cet article euſſent rendues les citations
méconnoiſſables dans les divers ouvrages , où
l'on ne les trouve que d'après les premières éditions.
On ne s'eſt preſque jamais écarté des fentimens de
M. Babins feulement lorſqu'on s'eſt apperçu qu'ils
pouvoient ſouffrir quelques difficultés, on l'a indiqué
, ou l'on a fait quelques légères additions pour
développer davantage ſa penſée , & tirer quelques
conféquences de pratique , qui ne ſe préſentent pas
d'abord toujours à l'eſprit.
Pour mieux remplir ces vues , on a confulté les
Auteurs de morale les plus eſtimés, qui ont écrit depuis
M. Babin , dont on a tiré ce
venir à ſes Conférences , en ſe bornanr uniquement qui paruconà
ce qui pouvoit donner de nouveaux éclairciffemens.
a
On a publié dans les Affiches de Besançon , l'extrait
de l'éloge du P. de Bardonnauche , Prêtre de
l'Oratoire , Supérieur du Collège d'Angers , dans
lequel on lui fait honneur des derniers volumes des
Conférences d'Angers. On applaudit volontiers aux
éloges qu'on ydonne à cet illuftre Oratorien ; mais
pour rendre hommage à la vérité , on eft obligé
d'avertir que le P.
Bardonnauche n'a eu aucune part,
DE FRANCE.
317
s
ni de près ni de loin , aux Conférences da Diocèſe
d'Angers.
Fastes Militaires , ou Annales des Chevaliers
Taishou des Ordres Royaux & Militaires de France , au
Service ou retirés , & des Gouverneurs , Lieutenans
mell de Roi , & Majors des Provinces & des Places du
Royaume , contenant le temps de leurs ſervices , leur
grade actuel ou celui de leur retraite ; la date de leur
de réception dans l'Ordre ; le nombre des affaires de
guerre où ils ſe font trouvés ; le nombre & la nature
des bleſſures qu'ils y ont reçues , ainſi que les grâces
qu'elles leur ont méritées de la part du Roi ; des précis
généalogiques & hiſtoriques ; des notes , des anecdotes
relatives aux grandes actions guerrières , civiles
ou morales des Chevaliers , de leurs Ancêtres , ou
d'autres Militaires ; enfin tous les détails qui pourront
conſacrer légitimement leur gloire , ou y ajouter un
nouvel éclat. Préſentés au Roi & à la Famille Royale ,
par M. de la Fortelle , Lieutenant de Roi de Saint-
Pierre-le-Moutier. Deux volumes in- 12. Prix , 8 liv.
brochés. A Paris , chez Lambert , Imprimeur-Libraire,
rue de la Harpe ; Onfroy , Libraire , quai des Auguſtins
; Valade , Libraire , rue Saint-Jacques ; &
chez l'Auteur , rue du Four Saint Germain , maiſon
de Madame Prévôt , près la rue de l'égoût , 1779 .
AvecApprobation & Privilége du Roi.
8,
Les perſonnes qui ſe ſont fait infcrire font priées
de faire prendre leurs Exemplaires chez Lambert ,
Imprimeur-Libraire, rue de la Harpe.
La Vie Militaire , politique & privée de Demoifelle
Charles- Geneviève - Louiſe- Auguste-Andrée-
Thimothée Eon ou d'Eon de Beaumont , Écuyer ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , ancien Capitaine de Dragons & des Volontaires
de l'armée,Aide-de-Camp des Maréchal
312 MERCURE
1
Comte de Broglie , ci-devant Docteur en Droit Civil
&en Droit Canon , Avocat au Parlement de Paris ,
Cenfeur Royal pour l'Hiſtoire & les Belles-Lettres ;
envoyé en Ruffie d'abord ſecrètement , puis publiquement
avec le Chevalier Douglas , pour la réunion
de cette Cour avec celle de Versailles ; Secrétaire
d'Ambaſſade du Marquis de l'Hôpital , Ambaſſadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire de France près Sa
Majefté Impériale de toutes les Ruffies ; Secrétaire
d'Ambaſſade du Duc de Nivernois , Ambaſſadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire de France en Angleterre
pour la conclufion de la Paix ; Miniſtre réfident
près cette Cour après le départ du Duc de Nivernois
; erfin Miniſtre Plénipotentiaire de France à la
même Cour , & connuejuſqu'en 1777 , fous le nom
de Chevalier d'Eon. Par M. de la Fortelle , in- 8 °.
Prix, 3 liv. broché.AParis, chez les mêmes Libraires,
Almanach du Voyageur , à Paris&dans les lieux
les plus remarquables du Royaume , année 1779 .
Prix , 1 liv. 4 fols broché. A París , chez Hardouin ,
Libraire , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois.
On trouve chez le même Libraire les Etrennes
des Femmes illustres ; le Tribut des Muses, ou Choix
de pièces fugitives , tant en vers qu'en profe , dédié
auxMânes deM. de Voltaire. AParis , chez Grangé ,
rue de la Parcheminerie ; & Monory , Libraire , rue
de la Comédie Françoiſe.
Le Petit Rien , Almanach Chantant , ou Recueil
des Chanſons nouvelles fur des airs connus , pour
l'année 1779 & les ſuivantes. AParis, chez Monory ,
Libraire. Frix , 1 liv. 4 fols.
Voyez lafuite des Annoncesfur les troispages
de la Couverture.
:
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 2 Décembre.
Le Chevalier Emo & le Baron Van-Haaften ,
Ambaſſadeurs , l'un de la République de Veniſe
, & l'autre des Etats-généraux des Provinces-
Unies , après avoir eu tous deux leur audience
du grand-Vifir , ont été admis à celle duGrand-
Seigneur; le Chevalier Emo le 24 du mois dernier
, & le Baron Van- Haaften , le premier de
ce mois. Au fortir de leurs audiences , les Ambaſſadeurs
furent gratifiés chacun d'une péliffe
de prix , & quelques - unes des perſonnes de
leur fuite reçurent des préſents ; quatre du cortege
de l'Ambaſſadeur de Hollande , reçurent
des Kierekies qu'on eſtime beaucoup plus que
des Caftans , & que juſqu'à préſent on n'avoit
encore accordés qu'à la ſuite de l'Ambaſſadeur
de France.
Ce Miniſtre continue d'avoir de fréquentes
conférences avec les principaux membres du
Divan ; on aſſure que c'eſt à ſes bons offices &
à ſes inſtances réitérées , que les Capitaines des
navires Ruſſes arrêtés dans ce port depuis plus
d'un an , viennent enfin d'obtenir la permiffion
de fortir du canal pour ſe rendre dans la mer.
Noire ; on eſpère que ſa médiation aura l'effet
qu'on en défire , & qu'il parviendra à accommoder
les longs différends qui diviſent la Ruſſie
&laPorte.
25 Janvier 1779 、
(314 )
Sultan Méhémet, le plus jeune des fils du
Grand-Seigneur , eſt mort le 17 du mois dernier
, d'une fièvre maligne , après une maladie
de cinq jours. Le corps de ce Prince fut tranfporté
le lendemain avec les cérémonies en uſage
pour les obſéques des enfants de la famille Impériale,
dans la Moſquée du Sultan Méhémet ;
leMuphti préſida au convoi , auquel afſiſtèrent
le grand Vifir & les principaux Miniſtres de la
Porte.
Selon les lettres de Smyrne , les ſecouffes
de tremblement de terre s'y font encore fait
fentir les 24 & 30 Octobre , & les 1, 3 , 4, 5, 7
& 16 Novembre dernier ; celles du 5 & du 16
furent fur-tout ſi violentes , qu'elles causèrent
une confternation générale ; les inquiétudes&
les allarmes des habitans de cette ville , ſe renouvellent
fans ceffe.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 10 Décembre.
La fête de l'Impératrice a été célébrée le sde
ćemois ; il y a eu gala ce jour- là à la Cour , &
grand dîner chez le Comte d'Oftermann, Vice-
Chancelier de l'Empire , pour les Miniſtres
Etrangers. Le foir M. de Nariſchkin , grand
Ecuyer , donna dans ſon hôtel un grand fouper&
un bal auxquels l'Impératrice lui fit l'honneur
d'affifter .
Cette fête brillante a malheureuſement donné
lieu à quelques défordres. Les Intendants de la
ferme générale, voulant y faire participer le
peuple , lui donnerent une cocagne qui leur a
coûté plus de 20,000 roubles ; l'intempérance
a été funeſte à un grand nombre de citoyens qui
ſe ſont battus ; plufieurs font morts fur laplace,
d'autresbleffés & hors d'état de ſe traîner chez
( 315 )
eux, font reſtés dans les rues expoſés toute la
nuit à un froid rigoureux , & ont péri . Suivant
les rapports de la Police , elle en a déja fait
enterrerplusde 200.
Le 7 , on a célébré la fête de l'ordre militaire
de S. George ; l'Impératrice a dîné en public,
après avoir tenu unChapitre dans lequel
leGénéral -Major de Klitschka , nommé récemmentGouverneur
d'Irkurtsk en Sibérie , a
été avancé au rang desChevaliersde la ſeconde
claſſe. Il étoit auparavant Gouverneur deNovogorod
, où il a été remplacé par le Brigadier
de Protoflow . Le Gouvernement de Plefkow
a été donné au Lieutenant-Général de Manfurow
; & pendant l'abſence du Prince de Repnin,
le Lieutenant -Général de Scherbimin ,
fera les fonctions de Gouverneur-Général de
Smolensk.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 20 Décembre.
Le Roi vient de renouveller le placard de
1759, par lequel il eſt défendu aux Marins fujets
du Roi , de s'engager fur des navires armateurs
desPuiſſances belligérantes , & de fervir
ſur de pareils navires , ſous peine pour ceux
qui y contreviendront , & qui feront arrêtés ,
d'être rigoureuſement punis ; ceux qui ne pourront
l'être perſonnellement , perdront tout ce
qui leur appartiendra en propriété ou par héritage
dans leur patrie ; ceux qui étant déja engagés
à ce ſervice , ne le quitteront pas auffitôt
qu'ils feront inſtruits de l'ordre du Roi ,
qui ſera publié dans les endroits requis , feront
punis de la même manière que les précédents.
Par une ſeconde Ordonnance , S. M. a renouvellé
PEdit du premier Décembre 1771 ,
concernant l'exportation du ſeigle étrangerpour
Ο 2
(316 ) 1
4-
اد
l'uſage des Duchés de Sleſwick , Holſtein , la
Seigneurie de Pinneberg , Altona & le Comté
de Rantzau ,
La maison d'education de Chriſtianshaven ,
a fabriqué cette année 346,150 pieces de toile ,
tant fine quegroſſière.
Le nombre des naiſſances dans le Diocèſe
d'Aarhuus en Jutlande , a été de 3840 , dont
1968 garçons , & 1872 filles , parmi leſquels
on ne compte que 161 bâtards : il y a eu 1139
mariages & 3290 morts ; parmi ces derniers un
a eu l'avantage de pouffer ſa carrière au-delà
d'un fiécle , 7 ont vécu depuis 90 à 100 ans ,
& 59 ont atteint l'âge de 80 à 90.
SUÈDE.
De SтоскHOLM , le 20 Décembre.
LES Etats , outre le don qu'ils ont accordé
au Duc de Sudermanie , viennent d'offrir au
Prince Royal nouveau né , en qualité de parreins
de ce Prince , un préſent de 18 tonnes
d'or , qui font 300,000 rixdahlers . Ils ſe propoſent
de prier S. M. d'accepter auſſi un préfent
de 20 tonnes d'or.
A l'occaſion de la naiſſance de ce Prince , le
Roi a accordé un pardon général. Tous ceux
qui ont quitté ou déſerté le Royaume , en conſéquence
de quelques-uns des crimes ſpécifiés
dans l'amniſtie , font libres d'y revenir à leur
gré , ſans crainte d'être inquiétés à l'occaſion
de ces délits . Ils doivent ſeulement retourner
dans leur patrie dans l'eſpace d'un an , à compter
du jour de la publication de l'Edit , ou du
moins ſe préſenter dans cet intervalle à quelqu'un
des Miniſtres de S. M. réfidant en pays
étrangers.
Pluſieurs membres de la Diète font , dit-on ,
à la veille de leur départ , cependant les affaires
( 317 )
dont cette afſſemblée s'occupe , ne font pas encore
à leur fin; il y en a un grand nombre qui
ne peuvent être terminées de ſi tôt.Une de celles
dont les députés des villes s'occupent actuellement
, eſt l'examen d'un projet dont le but eſt
d'offrir le moyen le plus avantageux de prévenir
les incendies dans les villes , & de les arrêter
promptement lorſqu'ils ſe ſont manifeſtés
malgré les précautions priſes à cet effet .
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 25 Décembre.
i 1..
Le Roi n'épargne rien pour faire oublier à
cette ville les maux qu'elle a eu à fouffrir pendant
les derniers troubles qui ont agité ce
Royaume , & pour la rétablir dans un état floriffant
. On se flatte du ſuccès de ſes ſoins bienfaiſants
; mais ils ne peuvent agir qu'avec lenteur
; l'autorité qui lui feroit néceſſaire pour
leur donner l'efficacité , lui manque , & la Na
tion qui le voit ne peut y remédier ; elle n'a pas
le droit de rien changer à ſa conſtitution , qui
n'eſt point fon ouvrage ; & les étrangers qui
l'ont forcée à la recevoir , veillent à ce qu'elle
n'y faſſe aucune altération.
S'il faut en croire le bruit général , ce n'eſt
pas parce que le nouveauCode de loix a befoin
de correction , qu'on én a renvoyé l'approba->
bation à la Diète prochaine ; on a fimplement
cru que les circonstances n'étoient pas favora->
bles pour le préſenter à la dernière ; quelquesunes
des réformes qu'il contient , intéreſſent le
Clergé , qui ne les a pas vues de bon oeil , &
qui avoit préparé d'avance des oppofitions au
Code en général. On eſpère prendre des me.
fures qui préviendront les oppofitions une autre
fois. La Cour a négocié avec le Saint Siége
Ο 3
१
( 318 )
dont elle s'eft , dit-on , afſuré l'appui. L'Abbé
Ghiggiotti , Conſeiller privé du Roi , arrive de
Rome. On ne doute pas qu'il ne vienne rendre
compte de fa miſſion, dont il ne tranſpire rien ;
mais on remarque depuis fon retour , beaucoup
de mouvements parmi les Eccléſiaſtiques .
Il y a eu ici pendant la tenue de la Diète , une
quantité conſidérable de Juifs ; ilſe retirent infenſiblement
tous les jours depuis qu'elle s'eſt
ſéparée . Il en reſte cependant encore beaucoup ,
parce qu'ils ont obtenu la permiffion de trafiquer&
de vendre dans cette ville, pourvu qu'ils
faffent leur commerce en gros. Il y en a plufieurs
logés dans le Palais du Prince Primat.
Il ſe répand depuis quelques jours un bruit
fourd , qui excite beaucoup de curiofité ; mais
qui eft encore bien vague ; on dit qu'un Seigneur
diftingué avoit formé des projets dangereux,
mais qu'ils ont été découverts , & qu'il a été
arrêté & enfermé lui-même dans une fortereſſe
dont, felon ſon plan , il de voit s'emparer pour
la remettre à des troupes étrangères.
ALLEMAGNE.
DE V「IIEENNNNE , le 30 Décembre.
Un courier de Verſailles arrivé le 25 de ce
mois , às heures du ſoir , a apporté la nouvelle
de l'heureuſe délivrance de la Reine de France ,
& de la naiſſance d'une Princeſſe. M. le Baron
de Breteuil ſe rendit fur-le- champ à la Cour
pour annoncer cet évènement à LL. MM. II .
&R.
Le 20 l'Empereur fit la cérémonie de décorer
de la barrette les Cardinaux de Frankenberg
& de Bathiany. Leurs Eminences firentdes préſents
magnifiques à l'Abbé Ruſpoli , qui avoit
été chargé de la leur apporter à Vienne.
T
:
( 319 )
Jeudi dernier le feu prit à un petit village
éloigné d'une lieue de cette capitale , & près
du château de Schonbrunn. Le vent étoit trèsviolent
, & le feu confuma en très - peu d'heures
la maiſon de la communauté , le Présbitère
, & quatre autres édifices. Il auroit étendu
plus loin ſes ravages , ſi l'Empereur n'étoit
accouru ; ce Prince ſe trouva tout- à- coup au
milieu des travailleurs occupés à l'éteindre
dans un moment , où l'on ne penſoit pas qu'il
pût être inſtruit de cet accident. Il fit abattre
quelques maiſons pour empêcher la communication
, & fauva ainſi l'Egliſe du village & pluſieurs
habitations que le feu n'auroit fansdoute
pas épargnées.
Pendant qu'on parle de paix par- tout , &
qu'on l'annonce même dans pluſieurs papiers
publics , on continue avec beaucoup d'activité
les préparatifs pour la campagne prochaine. La
Hongrie & la Pologne ſe ſont engagées à fournirun
certain nombre de troupes ; on affure
que dans nos provinces Polonoiſes , on met
ſur pied , un corps de 800 dragons & de 800
hommesd'infanterie ; un fecond corps de 1100
hommes , un troiſième de croates & de huffards
, dont le nombre n'eſt pas déterminé , &
un quatrième de hullans , compoſés de 1100
gentilshommes.
Le zèle des Hongrois n'eſt pas moindre , indépendamment
des troupes que ce Royaume
en général doit fournir , quatre Négociants ſe
font chargés de lever à leurs dépens un bataillon
franc. Ces bons patriotes dont les noms
méritent d'être connus , font MM. Popowicz ,
Eziganskin , Nikolich& Kronovics.
Ο 4
( 320 )
4
De HAMBOURG , le 30 Décembre.
LES affaires de l'Allemagne fixent toujours
l'attention des ſpéculatifs , qui cherchent dans
Jes mouvemens qu'ils obſervent , des inductions
qui puiſſent ſervir à fonder- ou à détruire
les eſpérances de paix dont on parle depuis
quelque-tems. Les diſpoſitions des Cours de
Vienne & de Berlin, à convenir d'un échange
réciproque des prifonniers qu'elles ont faits &
des ôtages qu'elles ont enlevés , ſembleroient
fortifier ces eſpérances. Sebaſtiansberg , petite
Ville de Bohême , ſituée ſur les montagnes
qui bordent les frontières de la Saxe , a été
choifie pour le rendez-vous des Commiffaires
chargés de traiter de ces échanges. Le Baron
de Pofadowski , Général-Major Pruffien , s'y
eft rendu le 12 de ce mois
& y été reçu
par le Général Impérial , Comte de Montinartin.
Le Général de Ramin & les Généraux
Impériaux de Wurmfer & de Brown ,
étoient convenus quelque-tems auparavant que
Jeurs patrouilles ne pafferoient point les frontières
réciproques , & ne maltraiteroient en
aucune manière les ſujets reſpectifs , en leur
impofant des contributions , en exigeant des
livraiſons de fourrages , ou en commettant aucun
excès quelconque. Selon pluſieurs lettres
de la Luface , on a donné avis de cette convention
à tous les pottes avancés.
a
Si on la regarde dans cette partie du théâ
tre de la guerre comme une ſuſpenſion d'hoftilités
, elles continuent dans la haute Siléſie ,
où les Pruffiens confervent leur ancienne pofition
, & harcellent les Autrichiens autant
que la ſaiſon le permet. Les mouvemens ref
pectifs des deux armées , les renforts qu'elles
ont reçus , le départ du Maréchal de Lar
7
( 321 )
dohn, pour la Moravie , où l'on affure qu'il
ſe diſpoſe à ſe rendre inceſſamment , les préparatifs
immenfes qui ſe font dans les Etats
de la Maiſon d'Autriche & dans ceux du Roi
de Pruffe , ne donnent pas beaucoup de confiance
au fuccès des
négociations qu'on dit
commencées à Vienne par le Baron de Breteuil
& le Prince de Gallitzin , mais dont on
ignore également la marche & les progrès . Ce
qui contribue à entretenir l'incertitude & le
doute , ce font les difficultés bien connues
qu'il faut d'abord lever . Si d'un côté la Maifon
d'Autriche ne peut ſe déguifer que l'occupation
de la Bavière a donné de l'inquiétude
à l'Allemagne dont les Princes allarmés de
ſesvue
d'agrandiſſement , ont négocié les uns
avec les autres , & tendent à refferrer les liens
qui les uniffent pour la confervation de leur
liberté commune & le maintien de leurs droits ,
elle fait en même tems qu'elle s'est trop avancée
pour reculer tout- à- coup & renoncer à toutes
ſes prétentions . 11 s'agit de fixer celles qu'elle
conſervera , & la partie des Pays qu'elle occupe
que le traité lui affurera. Une guerre heureuſe
& des victoires applaniroient ces difficul.
tés que des négociations ne feront diſparoître
que lentement ; pour la continúer , elle auroit
beſoin de raffurer l'Empire pour l'empêcher
d'yprendrepart,&d'affoiblir l'effet de l'alliance
de la Ruffie & de la Pruffe , ou du moins les
ſecours que la première peut fournir à fon alliée
. C'eſt dans ce deſſein qu'elle s'occupe , diton
, à oppoſer des obſtacles à la paix que cette
dernière négocie avec les Turcs ; ſes Agens
croiſent à Conftantinople les meſures que pren.
nent pluſieurs Puiſſances pour effectuer l'accommodement
; on prétend qu'ils travaillent à
inſpirer des ſentimens guerriers au nouveau
Grand- Vifir , & qu'ils ont réuffi à foutenir
Ος
( 322 )
dans ſa place le Capitan Bacha , dont les partiſans
de la paix defiroient l'éloignement.
En attendant que les faits remplacent ces ſpéculations
& les confirment ou les détruiſent ,
on apprend que le Prince de Repnin ett arrivé
le 17 de ce mois à Breſlau , ſur le foir ,à la
clarté de plus de cent flambeaux ; il aura le
commandement en chef des troupes que fa Şouveraine
deſtine à agir en faveur du Roi de
Prufſe ; mais il reſtera auprès de S. M. & les
troupes feront conduites par le Lieutenant-
Général Kamenskoi : elles confiftent en 19 bataillons
d'infanterie , 2 régimens de cavalerie ,
2de dragons , 2 de huffards & sooo coſaques...
Les efforts de l'Angleterre , pour ſe procurer
de nouvelles troupes en Allemagne , n'ont
pas eu plus de ſuccès pour l'année prochaine
quepour celle-ci; tout ce qu'elle a pu obtenir des
Princes avec leſquels elle avoit d'abord traité,
ce font les recrues néceſſaires pour completter
les corps qu'ils ont déja fournis . On
raffemble actuellement les recrues de Heffe-
Caffel , d'Anſpach , de Hanau & de Waldeck;
elles doivent partir dans peu de tems pour ſe
rendre à leur deſtination.
Les eſpérances que cette Puiſſance avoit dans
les ſecours de la Ruſſie n'ont jamais eu aucun
fondement ; l'Ordonnance rendue il y a quelque
tems par l'Impératrice , pour que les Américains
ne troublaſſent point la tranquillité de la
navigation des mers du nord , ne devoit pas
foutenir ces eſpérances , puiſque les bâtimens
des Etats-Unis , qui vont faire le commerce
enRuffie , font bien reçus dans tous les ports
de l'Empire. La conduite de l'Angleterre eſt
plus propre à lui faire des ennemis que des
alliés. On dit que la Cour de Kuffie avoit
propoſé à celle de Danemarck d'équipper une
flotte combinée , pour la protection du com(
323 )
merce des Anglois ,dans leurs Etats reſpectifs
&dans la mer du nord ; le Roi de Danemarck
lui repréſenta qu'il étoit plus convenable de
former une confédération dans le nord , pour
y protéger le commerce de toutes les Puiffances
neutres contre les inſultes des Anglois ,
& il l'invita en conféquence à ſe joindre à lui
& au Roi de Suède pour cet effet. Son Miniftre
à Stockholm , ajoute-t-on , a eu ordre de
faire une pareille invitation à cette Cour , qui
a chargé le ſien à Pétersbourg , de ſe concer-'
ter fur ce ſujet avec le Ministère Ruſſe .
On mande de Stockholm une anecdote qui
nous en rappelle une plus ancienne , qui s'y
lie naturellement & qui ajoute à l'intérêt de
la dernière. Le voyage du Roi de Suède ,
dans l'intérieur du Royaume à la fin de 1772 ,
fur marqué par divers traits les uns finguliers
les autres touchans , que l'hiſtoire omettra
ſans doute , mais dont on ſera bien aiſe
à préſent d'être inſtruit. Ils peignent les fentimens
du peuple pour le Monarque ; ce témoignage
général , qui ſe manifeſte ſous tant
de formes différentes , ne fauroit être plus
flatteur. Lorſque le Roi reconnoiſſoit les environs
du Swine-Sund Norvégien , le batelier
Lars , le même qui avoit tranſporté fur la rive
Suédoiſe les habitans de Norwège, qui avoient
defiré voir le Souverain , ſe préſenta auſſi devant
lui & le harangua avec cette franchiſe
qu'on appellera peut-être familiarité dans les
pays où l'on n'approche pas des Rois , & où
on ne les regarde qu'avec le reſpect froid
qu'inſpire leur grandeur. » V. M. a paffé trop
près de mon habitation pour qu'elle trouve
mauvais que je lui ſouhaite la bienvenue . J'ai
amené avec moi ma femme , deux de mes fils
& ma belle-foeur , pour partager ma joie &
le bonheur de la voir : joſe eſpérer qu'elle le
06
( 324 )
leur permettra «. Le Monarque , dans ce dif
cours auquel un autre , ſans être Roi , auroit
trouvé peut-être au-deſſous de lui de répondre
, ne vit qu'un empreſſement qui le flatta;
il y répondit avec ſon affabilité & ſa ſenſibilité
ordinaires ; & le batelier , pendant qu'il
envoyoit chercher ſa famille , continua d'entretenir
le Prince. Il y a long-tems , lui dit-il ,
que votre famille occupe le trône ; il y a 300
ans que la mienne eſt en poffeſſion de l'emploi
de batelier du Sund. Le Roi lui demanda s'il
comptoit laiſſer cet emploi à ſon fils : fans
doute , lui répondit- il , l'aîné de ma maiſon
a toujours pris la rame auſſi-tôt que ſes forces
le lui ont permis , pour aider fon père :
j'ai rendu ce ſervice au mien ; mon fils me le
rend à fon tour. Le Roi fit approcher l'enfant
& le careffa ; les entrailles du père s'émûrent,
& dans un moment d'enthouſiaſme il s'écria :
je mourrois content fi je pouvois un jour rendre
à Guftave l'honneur & le plaifir qu'il me
fait. Que n'avez-vous un fils que je puiffe careffer
à mon tour ! Le batelier Lars eſt venu
à Stockholm depuis la couche de la Reine ;
le Roi l'a apperçu ſe promenant aux environs
du château ; il l'a reconnu , & ſe rappellant
l'anecdote que nous venons de rapporter , &
le voeu qu'il avoit formé en 1772 , il s'eft
empreſſé de le remplir à la fin de 1778 ; il l'a
fait venir , & l'a conduit auprès du Prince
Royal : voilà mon fils, lui a-t- il dit , tu defirois
lui rendre les carefſes que j'ai faites au
tien ; embraffe-le. Le batelier eft tombé à
genoux & a imploré les bénédictions du Ciel
fur le père & fur le fils.
*
( 325 )
De RATISBONNE , le 30 Décembre.
La Diète a tenu ſa dernière ſéance le 18 de
ce mois , & a fixé la durée des vacances de
Noel , juſqu'au I I Janvier prochain. Le Baron
d'Aflebourg , envoyé de Ruffie , ry a point
fait encore de déclaration formelle ; elle n'aura
fans doute lieu qu'après qu'il ſe ſera accrédité ;
en attendant il a fait remettre à pluſieurs Miniſtres
une copie de celle que ſa Souveraine a
faite à la Cour de Vienne , en y ajoutant que
l'Empire doit être certain , qu'en qualité de médiatrice
& d'alliée du Roi de Pruffe , l'Impératrice
ne tardera pas à donner les preuves les
plus manifeſtes de l'intention où elle eſt d'agir
efficacement , & d'employer tous les moyens
qui dépendront d'elle en faveur de S. M. Pruffienne
& de tous les amis qu'elle peut avoir en
Allemagne.
C'eſt à ſa rentrée que la Diète s'occupera
vraiſemblablement de l'affaire de la ſucceſſion
de Bavière ; ce n'eſt pas qu'on croie qu'elle y
ſoit portée , mais les Princes paroiſſent ſentir
la néceſſité de fonger aux moyens de leur défenſe
réciproque , & de former une armée pour .
cet effet. L'Empire n'en a point depuis longtems
, & il ſemble craindre par ce qui est arrivé,
qu'il ne ſe préſente des circonstances où elle
feroit néceffaire,& où cette négligence pourroit
avoir des ſuites : s'il en avoit eu une , la guerre
actuelle n'auroit vraiſemblablement pas éclaté.
( Suite du Mémoire du Roi de Pruſſe ) .
Mais la Cour de Vienne la force à cette manifef
tation , puiſquelle perſiſte à nier les faits les plus
notoires dont elle croit ne pouvoir pas être convaincue
, puiſque contre toute vérité , contre toute
vraiſemblance , & contre ſa propre perfuafion , elle
oſe attribuer , fans aucune preuve , à S. M. les vues
( 326 )
协
?
d'agrandiſſement , dont elle eſt elle-même convaincue,
puiſqu'enfin elle veut tourner la queſtion &
imputer à la Cour de Berlin d'avoir par menaces ,
par promeffes , & par d'autres moyens qui ne font
propres & naturels qu'à la Cour de Vienne , détourné
le Duc des Deux-Ponts , d'acquiefcer à la
convention du 3 Janvier. L'expoſé ſuccint de la négociation
du Comte de Gortz , prouvera évidemment
le contraire. On y trouvera , que le Roi ayant
vu la Cour de Vienne s'emparer d'une grande partie
de la ſucceſſion de Bavière , au préjudice irréparable
des héritiers , tant féodaux , qu'allodiaux , des maiſons
Palatine & de Saxe , ainſi qu'au renverſement
total du ſyſtême de l'Empire & des conſtitutions de
l'Allemagne , S. M. n'a fait qu'envoyer ouvertement
un Miniſtre à M. l'Electeur Palatin , & ce Prince
s'étant déja trouvé entraîné par la Cour de Vienne
à ſon ſucceſſeur immédiat M. le Duc des Deux-
Ponts ; que le Miniſtre du Roi n'a conſeillé rien au
Duc , que de ne point ſe précipiter , & de ne rien
faire à l'égard de la ſucceſſionde Bavière , fans l'avis
&la concurrence de ſes Co-Etats & de la France ,
puiſſance amie de la maiſon Palatine. S. M. a ſans
doute offert en même-tems à ce Prince ſes conſeils ,
ſon intervention amicale & fon appui contre toute
violence, mais fans aucune vue d'intérêt particulier
&uniquement pour le bien général. Le Roi croit
n'avoir rienfait en cela , qu'ilne puiſſe ouvertement
avouer comme conforme à la gloire & à fon devoir
de membre de l'Empire , & juftifier ainſi devant
tout le public honnête & impartial. La correſpondance
ci-deſſous annexée prouve la vérité de tout ce
qui vient d'être avancé , & l'on en appelle de plus
au témoignage de M. le Duc des Deux-Ponts , de
pluſieurs Miniſtres Palatins & même des Miniſtres
de France dans l'Empire , auxquels cette négocia
tion n'a point été inconnue. Le Roi ſe flatte d'avoir
à préſent manifeſté juſqu'à l'évidence , & par cet
expofé & par les déclarations faites juſqu'ici aux
( 327 )
hauts- Etats de l'Empire & à la Cour de Vienne ellemême
, la pureté , le déſintéreſſement & le but irréprochable
de toutes ſes démarches dans la ſucceſſion
de Bavière. Le public impartial ne fauroit y méconnoître
qu'elles n'ont eu & n'ont pu avoir pour
objet que le bien public de l'Allemagne & le maintiende
ſon ſyſtême. S. M. croit auſſi avoir en mêmetems
démontré & par des aveux de M. l'Electeur :
Palatin d'une autenticité incontestable & par tant
d'autres circonstances confonnantes , que le Miniftère
de Vienne n'a procuré à ſa Cour la convention
du 3 Janvier & l'occupation de la Bavirèe par aucune
voye juſte & permiſe , mais plutôt pardes menaces ,
par l'invaſion effective des troupes Autrichiennes &
par d'autres voies illicites . S. M. ne penſe donc
point bleffer L. M. I. , mais elle croit plutôt rendre
juſtice à l'élévation de leurs fentimens & à leur
amour pour la justice, en les requérant encore une
fois ici avec inſtance à la face de tout l'Empire &
de l'Europe , d'abandonner l'erreur de leur Miniftère
& de ſe défiffer entierement de ces prétentions
ſur la Bavière , dont elles doivent à préſent reconnoître
l'inſuffisance , on ſi elles ne peuvent pas encore
s'y déterminer , de renoncer du moins à l'occupation
illégale des parties de la Bavière & du Haut-
Palatinat dont elles ſe ſont miſes en poffeffion , & de
les reftituer à la maiſon Palatine. Si L. M. I. veulent
enſuire pourſuivre des prétentions fur quelques
parties de la Bavière , elles trouveront fans doute
conforme à la juſtice, que ce ſoit par les voies de
droit , comme elles y ont elles-mêmes ſi ſouvent
provoqué M. le Duc des Deux-Ponts , de manière
cependant , que dans un tel procès ce ne ſoit pas ce
Prince , mais la maiſon d'Autriche qui intervienne
comme demandeur. L. M. I. reconnoîtront fans
doute auli , qu'il s'agira de déterminer au préalable
par un accord amical de toutes les parties intérefſées
, ou par une déciſion de tout l'Empire , le Tribunal
, devant lequel une cauſe auſſi importante &
( 328 )
anſſi intéreſſante pour le bien & la tranquillitéde cet
Empire ſera portée & jugée. Les ſentimens d'équité
&de magnanimité de S. M. l'Empereur ne permettentpas
de ſuppoſer , qu'elle veuille , que les Tribunaux
ordinaires de l'Empire , où elle préſide & où
elle influe ſipuiflamment , prononcent dans unecaufe
dans laquelle elle eſt elle mêmepartie. Le Roi croit
pouvoir attendre , que non- feulement ſes hauts Co-
Erats, mais auffiles autres puiſſances qui prennent
part à l'affaire de la fucceffion de Bavière fi intereffante
pour toute l'Europe , prêteront quelque atten
tion aux circonstances fingulières qui ont été manifeſtées
dans ce Mémoire , & accorderont non- feule.
ment leur fuffrage aux concluſions que S. M. en tire ,
mais voudront auffi accéder enplein aux repréſentations
à réitérerà la Cour Impériale , ou aux mefures
à prendre à tout évènement.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 30 Décembre.
On annonce déja le retour prochain de LL.
AA. RR. le Grand-Duc & la Grande-Ducheffe
dans leurs Etats; on dit qu'ils doivent partir de
Vienne vers le to du mois prochain..
Un courier extraordinaire arrivé de Naples
le 20 de ce mois à l'Hôtel de l'Abbé Vernaccini,
Secrétaire de Légation du Roi des Deux-
Siciles , nous a appris la mort de l'Infant Don
Charles , Prince héréditaire des Deux-Siciles ,
arrivée le 17 de ce mois ; il étoit né le 4Janvier
1775 : ce courier eſt reparti fur le champ pour
Madrid , où il va porter cette fâcheuſe nouvelle.
On mande de Rome qu'on y a arrêté un grand
nombre de Chevaliers d'industrie & de gens
fans aveu , que l'ancien Barigel avoit laiffé ſe
multiplier dans cette grande ville. Parmi ces
malheureux , qui n'ont d'autre talent & d'autre
( 329 )
revenu que leur adreſſe& la fimplicité de leurs
dupes , quelques-uns avoient fait un coup affez
hardi & affez fingulier . Ils s'étoient rendus à
Rocca-Gorga , & s'annonçant comme les collecteurs
d'un nouveau rôle d'impoſition qui ,
diſoient- ils , étoit arrêté , ils avoient enlevé chez
les payſans une contribution conſidérable. Une
pareille friponnerie ne pouvoit pas être longtems
cachée ; lesprétendus collecteurs eurent
l'imprudence de reſter trop long- tems dans le
même lieu pour groffir les ſommes qu'ils recueilloient
on a envoyé des sbirres qui s'en
font faifis , & on travaille maintenant à leur
procès.
>> Deux Officiers de la Douane , écrit- on de
Cadix, ſe tranſportèrent il y a quelques jours
dans lamaison d'un marchand François , foupçonné
d'avoir chez lui des marchandiſes prohibées
. Le Prevêt du Conſulat , au moment où
ils commencèrent leur viſite , ſe mità crier au
voleur , afſurant que des brigands s'étoient introduits
dans la maiſon ; fon deſſein étoit de
détourner les Officiers de la Douane, ily réuffit ;
la foule ſe raſſembla devant la porte ; deux alcades
parurent & ſe faifirent d'abord des commis
, qu'ils relâchèrent enſuite lorſqu'ils furent
inſtruits de ce qu'ils étoient venu faire. Comme
cette affaire a fait beaucoup de bruit , on en a
informé la Cour , qui a ordonné au Prevôt , auteur
du trouble , de fortir de la ville dans 24
heures , & du royaume en 30 jours. Elle a fait
publier auſſi dans ce portun édit , portant qu'à
l'avenir toute maiſon commerçante , de quelque
nation qu'elle ſoit , pourra fur des ſoupçons fondés
, être viſitée ſans l'aſſiſtance du Conful ou
du vice-Conful. On ſe flatte cependant que cet
ordre ſera révoqué , parce qu'il pourroit occaſionner
de grands inconvéniens aux négocians
étrangers établis à Cadix . 1
( 330 )
On apprend de Lisbonne qu'il y eſt arrivé au
commencement de ce mois un navire Hollandois
, nommé le Prince de Beira , ayant à bord
223 perſonnes des deux ſexes , rachetées de l'efclavage
où elles étoient à Alger , par la bienfaifance
de S. M. Tous ces captifs à leur arrivée,
ſe ſont rendus proceſſionnellement à l'Egliſe
de la Trinité , pour remercier Dieu de
leur délivrance : leur rachat a coûté 203,383
piaſtres 506 reis.
La Gazette de Lisbonne du 8 de ce mois contient
l'article ſuivant . >> On vient d'apprendre
que deux vaiffeaux de guerre François & une
frégate de la même nation , ont mis à la voile
de la Corogne , dans le deſſein_apparemment
d'intercepter les bâtimens marchands Anglois..
qui font ici , prêts à retourner en Angleterre.
Les Commandans des 2 vaiſſeaux de ligne Anglois
& des 4 frégates de cette nation qui font
ici , ont pris la réſolution de mettre à la voile
avec les bâtimens marchands pour les eſcorter
& les protéger contre les entrepriſes que les
François pourroient tenter « .
ANGLETERKE.
DE LONDRES , le 10 Janvier.
La tempête qui s'eſt fait ſentir dans la nuit
du 31 du mois dernier au premier de celui- ci ,
acaufé beaucoup de dommages dans cette capitale
: lePalais de la Reine n'a pas été épargné;
Le Roi a été ſur pied toute la nuit , & peu s'en
eſt fallu que les jeunes Princes n'aient été écraſés
dans leur appartement par la chûte d'une
cheminée ; les Egliſes & les bâtimens publics
ont été également maltraités ; les navires fur
laTamiſe n'ont pas moins fouffert , & pluſieurs
ontpéri ou ontéchoué. C'eſt ſur-tout aux Dunes
que nos vaiſſeaux ont été le plus maltraités ;
( 331 )
tous ceux qui s'y trouvoient ont été arrachés
de la rade par la violence des vents , & on
ignore ce qu'ils font devenus.
Les 17 vaiſſeaux de ligne , 7 frégates & 3
flûtes deſtinés à convoyer 300 vaiffeaux marchands
pour les Indes Occidentales , ont été
forcés de relâcher à Torbay ; on ignore ſi ces
bâtimens qu'ils devoient eſcorter , ont réuffi à
ſe mettre à l'abri du gros tems. C'eſt le Lord
Shuldam qui commande cette eſcadre ; ſa miſſion
eft de conduire ſon convoi juſqu'à une certaine
hauteur,& de revenir avec 10 de ſes vaiſſeaux ;
les 7 autres prendront la route de l'Amérique
ſous les ordres du Commodore Rowley. Le
London & l' Yorck , vaiſſeaux de la Compagnie
des Indes ont péri ; le premier , richement
chargé , portoitdes provifions & des munitions
de guerre à Sainte-Helène , où l'on entretient
entems de guerre un magaſin pour l'ufage des
vaiſſeaux qui reviennent de l'Inde;delà il devoit
ſe rendre à Bencoolen & à la Chine ; ſa perte
a été occaſionnée par le choc du Ruffel qui a
dérivé fur lui ; le Ruffel a été rellement endommagé
lui- même , qu'on a été forcé de le
ramener , en le touant , à Spithead. La perte du
London eſt très-fâcheuſe dans ces circonstances ;
on fait qu'ily a beaucoup de vaiſſeaux à Sainte-
Helène , & qu'il n'y a point de provifions. Plus
onfent la néceſſité preſſante d'y en envoyer ,
plus on ſentvivement le retard que cet accident
va occafionner ; les murmures s'élèvent déja
detoutesparts contre leCommandant du Ruffel,
qu'on accuſe d'avoir fait une mauvaiſe manoeuvre
qui a cauſé ce malheur , & on ſemble defirer
qu'il en ſoit puni ; on parle même d'un
conſeil de guerre pour le juger , ainſi que les
Officiers qui font fous ſes ordres .
On attend avec impatience la rentrée du
Parlement ,& la féance dans laquelle le Lord
( 332 )
Northouvrira lebudget. Les ſommes accordées
par lesCommunes pour les dépenſes de la flotte
&de l'armée montent déja à 11,711,000 liv.
ſterl.; mais il y a encore quelques objets auxquels
il faut pourvoir , & qui porteront les
fubfides pour le ſervice de cette année , à
14 millionsft. , fans y comprendre les extraordinaires
de l'année précédente , qu'on n'évalue
pas à moins de 3 millions & demi qu'il
faut rembourſer. La taille & les droits fur la
drèche ne produiſent que 2 millions & demi ;
on compte une ſomme à peu-près égale dans
ce qui reſte dans le fond d'amortiſſement. If
s'agit encore de lever 12 à 13 millions , &de
pourvoir aux intérêts de la partie de cette
fomme qu'il eſt impoſſible de lever autrements
que par un emprunt. Le Ministère ſe propofe,
dit- on , de demander un don gratuit d'un million
, & d'en emprunter 2 à la Compagnie des
Indes; il ſe procurera les 9 à 10 autres par
un emprunt pour lequel chaque ſouſcripteur à
la fomme de 1000 liv. fterl. aura 60 pour cent
en annuités , 3 & demi pour cent pendant 29
ans , & 7 billets de loterie à 3 liv. fterl. de
profit chacun.
Nos Miniſtres comptoient il y a fix mois fur
les bourſes des Hollandois pour ſe procurer
les fonds extraordinaires; mais dans les cir
conftances actuelles , ils ne les trouveront pas
fi accommodans. Il n'y a point de rat , ditondans
un de nos papiers publics , qui connoiffe
mieux qu'un Hollandois le moment précis
où il faut abandonner un vaiſſeau qui va
couler à fond. Tels font les fruits amers de la
guerre d'Amérique , entrepriſe ſi légérement par
lapartie de la nation , qui la regardoit comne
un objet de peu de conféquence ; elle peut voir
encomptantles dépenſes déja arrêtées , qu'elle
lui coûte près de so millions ſterling , fans
(333 )
,
compter les pertes faites par les particuliers.
C'eſt à quoi ont abouti tous nos efforts , lorfque
nous avions toutes nos forces fraîches
& que les Américains étoient nos ſeuls ennemis.
C'eſt cependant après quatre ans de guerre
qui nous ont épuisé ſans nous avoir procuré
le plus foible avantage , lorſque la France s'eſt
liguée avec nos Colonies , que la majorité ne
ceffe de crier que loin de reconnoître leur indépendance
, il ne faut fonger qu'à les conquérir .
On ne conçoit pas l'opiniâtreté du Miniſtère
à vouloir continuer cette guerre malheureuſe ;
le manifeſte que le Congrès a oppoſé à celui
des Commiſſaires Britanniques , prouve que
loin de s'effrayer, il s'affermit dans ſa réſiſtance ,
& qu'il eſt déterminé à uſer de répréſailles ,
en vengeant les atrocités par des atrocités. On
ignore ce qu'ont pu rapporter les Commiſſaires,
s'ils ont pu ſe perfuader ou perfuader leurs
commettans que la foumiffion de l'Amérique
eſt poſſible. Le public n'a pas grande confiance
aux nombreux amis qu'ils prétendent que la
Grande-Bretagne a dans les Etats-Unis ; il n'a
pas faitgrand cas de l'adreſſe par laquelle les habitans
de New-Yorck ont fait leurs adieux au
Comte de Carlisle & à M. William - Eden ;
ilsne font pas étonnés qu'ils ſe ſoient exprimés
avec emphaſe dans cette pièce , lorſqu'ils fongent
que ceux qui l'ont ſignée ſont tenus en
reſpect par les troupes Royales qui les forcent
de renfermer avec beaucoup de foin leurs véritables
ſentimens dans leurs coeurs , & qui ne
manqueroient pas de punir ſévérement l'homme
affez imprudent pour les laiſſer éclater. On demande
comment il ſe fait que les Officiers qui
ont paffé quelques années en Amérique , qui
y ont fait toutes les campagnes , ont vu la fituation
des choſes d'une manière fi différente
que les Commiſſaires. >> Non-ſeulement , dit
( 334 )
leChevalier de Wroteſley , beau-frere duDuc
deGrafton , il me paroît impoffible de conquérir
l'Amérique , mais encore d'y faire une
.guerre offenſive. L'armée est actuellement fi foible
, qu'elle peut à peine ſuffire à la défenſive .
On affure qu'elle conſiſte en 28,000 hommes
effectifs; lorſque je ſuis parti , Sir Henri Clinton
n'en avoit que 16,000; depuis ce tems j'apprends
qu'on en a détaché sooo pour les envoyer aux
ifles , 2000 pour Hallifax & 2 régimens pour
renforcer lagarniſonde Rhode- Iſland. On peut
calculer ce qui reſte , & juger par ce qu'on a
fait de ce qu'on pourra faire encore avec une
augmentation de 14,000 hommes qu'on ſe propoſe
d'y envoyer. On m'accuſe , ajoute-t- il , de
m'être joint à l'Oppoſition,parce que dès le premier
jour de la ſéance j'ai voté contre la continuation
de la guerre ; pendant neuf ans j'ai
donnéma voixpour le Ministère , croyant qu'il
avoit raiſon ; aujourd'hui je la lui refuſe , parce
que je ſuis perfuadé qu'il a tort. J'ai reçu l'ordre
de partir pour l'Amérique ; je ſuis bien aiſe de
prévenir ceux qui l'ont fait donner , que fi leur
intention eſt de me fermer la bouche , ils emploient
un moyen bien mépriſable ".
Après avoir parlé avec beaucoup d'emphaſe
de l'état brillant de nos forces de terre , on
commence à fentir qu'avec ce grand nombre
d'hommes que le nouveau Miniſtre a comptés ,
il eſt difficile de faire paffer en Amérique tous
ceux dont on y a beſoin ; l'Irlande a été déja
dégarnie; le Roi avoit donné fa parole d'entretenir
toujours 12,000 hommes dans
Royaume pour ſa défenſe ; on n'y en compte
pas plus de 9 , & on ſe propoſe de les réduire
encore à 3 pour en envoyer 6000 au Général
Clinton qui , felon toutes les apparences , loin
d'avoir les renforts qu'il avoit demandés,n'aura
pas même la moitié de ceux qu'on lui avoit
promis.
cel
( 335 )
Depuis la relation de l'expédition d'Egg-
Harbour , le Gouvernement n'a point publié
de nouvelles d'Amérique ; tout ce que l'on en
fait , c'eſt que New-Yorck , dont l'évacuation
prochaine étoit annoncée , étoit encore occupé
par les troupes Royales à la fin de Novembre.
On est fort inquiet du fort de l'eſcadre de l'Amiral
Byron depuis la tempête qu'elle a afſuyée
aucommencement du même mois ; on dit qu'elle
a été tellement maltraitée, qu'elle a été obligée
d'aller ſe radouber à Hallifax , le ſeul chantier
que nous ayons conſervé en Amérique , & que
nous ſavons être dépourvu de tout ce qui eſt
néceſſaire à une flotte. Les papiers Miniſtériaux
ne manquent pas d'aſſurer que l'eſcadre du
Comte d'Estaing n'a pas moins ſouffert ; mais
nous ſavons que dans le tems de la tempête ,
elle étoit à l'abri dans la rade de Boſton , &
qu'elle n'en eſt partie qu'après la diſperſion de
celle de l'Amiral Byron , dont pluſieurs vaifſeaux
ont péri. On a cherché à détourner l'attention
en la portant ſur le continent , où nos
papiers font battre le général Washington ; peu
contens de ce triomphe , ils réparent l'Amiral
Byron , & lui font détruire encore l'eſcadre
Françoiſe ; mais ces nouvelles brillantes n'ont
pas affez de vraiſemblance pour nous raffurer ;
au moment où l'on diſoit que l'Amiral Barrington
attaquoit la Martinique, la frégate la Tamiſe
eſt arrivée de la Jamaïque le 3 de ce mois en
33 jours de traverſée ; elle a été dépêchée par
le Gouverneur Dalling & l'Amiral Parker ,
avec la déſagréable nouvelle qu'ils ont des avis
certains que les François alloient ſe porter fur
cette ifle , où on a mis un embargo général
fur so navires & 3 frégates , pour en employer
les équipages à la défenſe de l'ifle , où il n'y
aque soo hommes de troupes régléés& pas plus
de sooo livres peſant de farine.
( 336 )
Aces détails on en joint d'autres aſſurément
très-peu vraiſemblables , que tous nos papiers
du 7 de ce mois ſe ſont empreſſés de copier.
> J'ai à vous apprendre , dit-on dans une lettre
ſuppoſée écrite de Port-Royal dans la Jamaïque
, que deux Eſpagnols portant de longues
barbes & des habits craffeux , parurent il y a
environ 15 jours ( le 10 ou le 11 Septembre )
à Kingſton , fe rendirent au magaſin de M.
Roff , & lui dirent qu'ils étoient les enfans de
Dieu, envoyés pour prophétifer ; ils ſe vantèrent
du pouvoir de deſſécher la mer , de tranfporter
les montagnes ſur la Parade , & Port-
Royal ſur le ſommet des montagnes , de reffufciter
les morts ,& de détruire les vivans , ce
qui étoit plus facile. Ils refusèrent d'apprendre
d'où ils venoient & où ils alloient ; leur hardieffe&
leur ton inſpiré en impoſerent à quelques
habitansqui furent très - allarmés.On a fait
des recherches ; on a appris qu'ils avoient pris
terre ſecrettement à quelque port de campagne ,
qu'ils avoient traverſé les terres , excité les nègres
à la révolte , & réuffi au point que 1200
appartenans à Sir Charles Price , avoient mis
bas le hoyau , & étoient reſté quelque tems ſans
-vouloir entendre parler d'ouvrage. On a trouvé
auſſi 2 douzaines de fufils chargés à trois balles
dans la maiſon d'un nègre libre qui a été mis en
priſon. Cette découverte a été faite à Spanish-
Town ; on dit qu'il avoit été convenu que lorfque
les nègres auroient commencé le maſſacre
des Anglois , les François & les Américains
devoient arriver. Les prétendus prophêtes ont
été arrêtés & mis à bord du Greenwich , qui
partira pour l'Angleterre avec la première flotte
qui s'y rendra , & où nous croyons qu'ils ſeront
conduits «.
Le procès de l'Amiral Keppel fixe , dans ce
moment, l'attention générale ; on dit que l'Amirauté
P
( 337 )
rauté lui ayant fait demander s'il vouloit , au
moment préſent , intenter quelque accufation
contre l'Amiral Pallifer , il a répondu quoccupé
uniquement de juftifier ſa conduite aux
yeux de ſa patrie , il dédaignoit la reffource
lâche de la récrimination. On ajoute qu'on lui
avoit fait dire auſſi que s'il le defiroit , on remettroit
la tenue du conſeil de guerre à un autre
tems , fi le Capitaine Windfor , prifonnier en
France , ne pouvoit arriver pour le tems fixé :
mais il n'a point voulu accepter cette faveur ;
il a demandé que ſon procès fût commencé le
jour d'abord arrêté , & il s'est rendu pour cet
effet à Portsmouth. C'eſt le 7 de ce mois , à 9
heures du matin , que le ſignal pour la tenue
du conſeil de guerre qui devoit juger un Amiral
, a été arboré à bord de la Britannia ,
l'Amiral Pye fit tirer un coup de canon pour
avertir les Amiraux & les Capitaines de ſe
rendre à bord : ils obéirent ; le conſeil eft compoſé
de l'Amiral Sir Thomas Pye , Préſident ,
&des Vice - Amiraux Bukle & Montague , des
Contre- Amiraux Arbuthnot , Roddem , & des
Capitaines Milbank , Drake , Penny , Bennett ,
Boteler , Moutray , Duncan & Cranston. Les
Membres après avoir prêté ferment , s'ajournèrent
en vertu du Bill qui leur permet , pour
cette fois , de s'aſſembler à terre dans l'hôtel
du Gouverneur à Portsmouth où ils ſe rendirent.
L'accuſation inentée contre l'Amiral Keppel , contient
cinq chefs. 1º. Dans la matinée du 27 Juillet
1778, commandant une flotte de 30 vaiſſeaux de ligne,
&ſe trouvant en préſence d'une flotte Françoiſe égale
en forces, il n'a pas fait les préparatifs néceſlaires pour
lecombat; il n'a formé ſa flotte ni en lignede bataille,
ni dans aucun ordre propre à recevoir ou attaquer in
ennemi d'une force pareille ; quoique ſa flotte fût déja
diſperſée & en défordre , en faiſant le fignal pour
15 Janvier 1779 . P
( 338 )
que les divers vaiſſeaux du Vice-Amiral de l'eſcadre
bleue chaſſaſſent au vent , il a augmenté le déſordre
dans cette partie de ſa flotte , & les vaiſleaux fe
font trouvés plus diſperſés qu'auparavant ; c'eſt dans
ce déſordre qu'il s'eft avancé vers l'ennemi , & a
donné le fignal pour le combat. Cette conduite eſt
d'autant plus incompréhenſible , qu'alors la flotte
ennemie n'étoit ni en déſordre , ni battue, ni en fuite ,
mais formée en ligne régulière de bataille , ayant les
amures du côté dont la flotte Britannique , approchoir
, & tous ſes mouvements indiquant clairement
le deſſein de livrer combat. Dans cet état elle attaqua
nos vaiſſeaux , tandis qu'ils étoient en défordre ;
par cette conduite indigne d'un Officier , le combat
général ne put s'engagerschacun attaqua fans or
dre , il y eut une grande confufion ; quelques -uns de
ſes vaiſſeaux ne purent prendre part au combat ,
d'autres n'étoient pas aſſez près de l'ennemi ; quel
ques-uns par un effet de cette confufion, firent feu
fur les vaiſſeaux du Roi , & les endommagèrent ; le
Vice- Amiral de l'eſcadre bleue fut laiſſe ſeul , & dut
combattre fans appui. Dans toutes ces circonstances
l'Amiral Keppel a rempli avec négligence l'emploi
qui lui étoit impoſé.
>> 2°. Lorſque les diviſions de l'avant-garde & du
centre de la flotte Britannique eurent dépaſſél'avantgardede
l'ennemi , l'Amiral ne vira pas de bord pour
doubler l'ennemi avec ces deux diviſions & continuer
le combat ; il ne les raſſembla pas dans ce moment
pour les tenir à portée de l'ennemi de manière à
ſe trouver prêt à renouveller le combat , lorſqu'il
eût été convenable de le faire. Il s'éloigna au contraire
& ſe porta en avant à une grande diſtance
de l'ennemi , avant qu'il virât vent arrière pour s'approcher
une ſeconde fois , laiſſant le Vice Amiral de
l'eſcadre bleue engagé & expoſé à être coupé .
3 °. Le Vice-Amiral de l'eſcadre bleue ayant dépaſſé
ledernier des vaiſſeaux ennemis , viré vent ar
rière, & porté encore l'avant de fon vaiſſeau vers
(339 )
l'ennemi , ſe trouvant dans ſes eaux à peu de dif
tance , attendant que l'Amiral avançat avec tous ſes
vaiſſeaux pour renouveller le combat ; l'Amiral n'avança
point , diminua ſes voiles & baiſſa le ſignal du
combat; dans ce moment nien aucun autre tems lorfqu'il
a porté vers l'ennemi , il n'a point raſſemblé les
vaiſſeaux à l'effet de renouveller l'attaque , comme
il le pouvoit , d'autant mieux que le Vice-Amiral
de l'eſcadre rouge avec ſa diviſion qui avoit reçu le
moins de dommage , & qui retirée du combat de
puis plus de tems étoit prête à le renouveller , ſe
trouvoit alors au vent , pouvoit virer vent arrière
& attaquer , n'importe quelle partie de la flotte Françoiſe
, ſi le ſignal du combat n'eut pas été baiſſé
ou ſi l'Amiral avoit employé celui indiqué par l'article
31 des inſtructions relatives aux combats fur
mer , au moyen duquel il eût pu ordonner à ceux de
ſes vaiſſeaux de prendre l'avant. Ce ſignal étoit propre
à la circonſtance pour renouveller le combat
avec avantage ; la flotte Françoiſe avoit été battue ,
ſa ligne forcée & miſe en déſordre. Il n'a pas fait
tout ce qui étoit en ſon pouvoir , pour prendre , couler
bas , brûler ou détruire la flotte Françoiſe qui
avoit attaqué la Britannique.
» 4° . Au lieu d'avancer pour renouveller le combat
, comme il eût pu , & il eût dû le faire , l'Amiral
vira vent arrière , gouverna directement en s'éloignant
de l'ennemi , en en éloignant la flotte Britannique
entière , ce qui donna à la Françoiſe l'occaſion
de ſe rallier ſans être moleſtée , de ſe former de
nouveau en ligne de bataille , & de poursuivre la
flotte Britannique ( 1 ) . Manoeuvre déshonorante
pour le pavillon Britannique ; car elle avoit l'air
d'une fuite , & fournit à l'Amiral François un prétexte
pour réclamer la victoire & publier à l'uni-
(1) Malgré les ſoins des Officiers Anglois , pour cacher
la véritable iſſue du combat d- Oueſſant , la vérité ne
laiſſe pas de leur échapper ; cette flotte Françoife fi battue
, pourſuivit cependant ſes vainqueurs qui fuyoient.
P2
( 340 )
لا
vers que la flotte Britannique a pris la fuite, qu'il
l'a pourſuivie avec ſa flotte , & lui a offert le combat,
> 5º Le 28 au matin, lorſqu'on s'apperçut qu'il
ne reſtoit de la flotte Françoiſe , près de celle d'Angleterre
, que ; vaiſſeaux qui gardoient la poſition
que le tout avoit gardé la nuit précédente, que le reſte
étoit à une plus grande diſtance ſous le vent, non en
ligne de bataille , mais en monceau , l'Amiral ne fit
pas pourfuivre la flotte de l'ennemi , ne fit pas méme
donner la chaffle aux trois vaiſſeaux qui s'éloignèrent
en gouvernant vers le reſte de leur flotte ; mais fit
prendre à l'Angloiſe une route directement oppoſéeà
celle de l'ennemi. Ces traits de mauvaiſe conduite &
de négligence ont fair perdre l'occaſion glorieuſe qui
ſe préſentoit de rendre un ſervice eſſentiel à l'Etat ,
&ont flétri l'honneur de la marine Angloiſe ".
La lecture de ces chefs d'accufation occupa
toute cette féance. L'Amiral Keppel préſent,
demanda qu'on ordonnat aux maîtres des différents
vaiſſeaux de livrer à la Cour leurs livres
de lok , & que les Journaux reſtaſſent ſur la
table , afin que chaque membre du Conſeil pût
en prendre communication. Le Vice-Amiral
Palifer s'oppoſa d'abord à cette demande , parce
qu'il étoit impoſſible de démontrer l'authenticité
de ces livres , avant d'avoir fait préter ferment
aux maîtres ; mais il retira fon oppofition
fur l'obſervation que fit le Conſeil , qu'il étoit
important de produire fur- le- champ ces livres ,
de peur qu'on n'y fit quelques changemens.
Le Conſeil s'ajourna enſuite au 8, ce jour &
le lendemain ont été conſacrés à l'examen des
témoins.
On attend avec impatience le jugement qui
fera prononcé dans cette affaire fingulière. La
nation juſqu'ici ne voit pas ce procès de bon
oeil; elle estime l'Amiral Keppel ; les Marins
eux-mêmes en font l'éloge ; le Duc de Bolton
& onze autres Amiraux , ont préſenté au Roi
( 341 )
۱
une pétition pour ſe plaindre des ſuites qu'on
donne à une accufation que tout le monde ne
trouve pas également juſte , & qui ſi elle l'étoit ,
a été faite trop long- tems après l'évènement
même qui y donne lieu ; ils ſupplient en mêmetems
S. M. de ne pas permettre que cet exemple
faffe loi pour l'avenir .
,
En attendant l'effet de ce procès , on ſe rappelle
que l'Amiral Keppel fut un des juges de
l'Amiral Byng. » Il gratta contre cet Officier
dit-on , dans un de nos papiers ; mais défirant
faire connoître au public les motifs qui l'y
avoient déterminé , il fit à la chambre des Communes
la propofition de paffer un acte pour l'abfoudre
, lui & les Officiers ſes collégues , du
ferment qu'ils font de garder le ſecret ; mais
cette propoſition fut rejettée. La nation fent
l'injustice du jugement rendu contre l'Amiral
Byng , & elle n'a pas envie de réveiller un fait
qu'elle défireroit pouvoir oublier ". Pour l'intelligence
de ce paragraphe , nous remarquerons
que dans un conſeil de guerre de Marine ,
les membres qui condamnent , grattent fur un
papier préparé de manière à ne pas même laiffer
les traces des lettres initiales de leurs noms
ce qui fait que les parties reſtent toujours fecrettes.
Pendant que l'Amiral Keppel ſe trouve
forcé de ſe juſtifier , on dit que la Cour vient
de donner un ſujet de mécontentement au général
ſon frère ; il a vu donner au général Amherſt
, la place d'Adjudant- général des troupes
de terre Britanniques , vacante par la mort du
général Hervey ; on prétend qu'il aſpiroit à
cette place , & qu'il avoit d'autant plus lieu de
l'eſpérer , qu'il eſt l'ancien du général Amherft.
Il eſt arrivé dernièrement ici un accident fort
trifte ; une partie conſidérable du magnifique
hôtel des Invalides de Greenwich a été la
proie d'un incendie. L'aîle conftruite au Sud
P3
( 342 )
dans laquelle eſt la Chapelle , célèbre par la
beauté de fon dôme , a été réduite en cendres.
On ne manque pas de former bien des conjectures
ſur cet évènement ; on a conçu des foup
çons qui ne font pas encore éclaircis , & qui
rejettent ſur des mal-intentionnés , ce qu'il ne
faut peut- être attribuer qu'au hafard .
Le Roi par une proclamation en date du
de ce mois , a ordonné un jour de jeûne & de
prières dans la Grande- Bretagne ; il eſt fixé
au 10 dumois prochain ; il y a quelque tems que
l'on annonçoit cet acte de religion ; les mauvais
plaiſans après avoir lulemanifeſte desCommiſſaires
pacificateurs dans le Nouveau Monde,
n'avoient pas manqué d'obſerver qu'il feroit prudentde
ne point ordonner une pareille folemnité
, parce que, diſoient- ils , dans un tems où
nous faiſons à nos frères d'Amérique , la guerre
la plus cruelle & la plus barbare , elle nous
donneroit l'air de gens qui veulent ſe mocquer
de la Divinité ; peut- on , ofe-t on la fupplier,
de protéger des monftres inhumains & féroces,
& de leur livrer des victimes innocentes « ?
>> Les deux amis , lit on , dans un de nos papiers,
c'eſt le nom que l'on donne avec tant de
raiſon, aux Lords North & Germaine, ſont déterminés
à vivre & à mourir enſemble. Le Lord
Germaine déclare qu'il ne cherchera point à
ſe mettre à l'abri du Trône , & le Lord- North
jure qu'il perira avec fon ami. L'Enquête au
fujet de la guerre d'Amérique décidera leur
fort; les papiers qui y font relatifs devant être
mis ſur le bureau le jour de la première ſéance
du Parlement , après les vacances ; le gouverneur
Johnstone , doit prouver que l'expédition
de Philadelphie nous a fait perdre l'Amérique ,
& ces papiers doivent prouver que le plan de
cette expédition a été dreſſé par Lord Germaine
«.
1.343 )
Le Gouvernement vient de faire dans le pays de
Galles un arrangement qui paroît y cauſer le plus
grand mécontentement. On a trouvé que les forêts
& les mines royales de cette Principauté étoient d'un
très- foible produit pour la Couronne. En conféquence
, les deux Inſpecteurs , l'un & l'autre diftingués
par leur naiſſance & par leur fortune , ont
éte deſtitués de ces places qui ont été données à une
feule perſonne. Le nouvel Inſpecteur eſt , dit on , un
homme de baſſe naiſſance ; il n'a que 300 liv. ſterling
d'appointemens ; mais s'il fauten croire les mécontens
, il peut ſe faire ſur ſa place un revenu de plus
de 3000. Ce qui paroît déplaire le plus dans cette
affaire , c'eſt que la tréſorerie dont il tient ſa commiſſion
lui a donné le pouvoir de louer , affermer ,
répartir&enclore toutes ou partie des terres vagues
qui appartiennent à la Couronne dans le pays
de Galles : pouvoir qui paroît ne lui pas appartenir
, d'autant que S. M. elle-même , lors de la clôture
de la forêt d'Encheaſe , a été préalablement obligée
d'obtenir un acte du Parlement pour cet objet.
Cet évènement a donné lieu à deux avis , l'un du
Lord Bulkeley , & l'autre du Chevalier Watkin-Williams
Wynn pour propoſer une Aſſemblée des principaux
habitans de ce pays avant la rentrée du Parlement.
ÉTATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Brunswick , le 28 Octobre . Le procès du
Major général Lée , après l'affaire du 28 Juin
à Bunkershill , a fait beaucoup de bruit ; on n'en
a point encore publié les détails , que l'on fera
peut- être bien aiſe de trouver ici . Après l'affaire
du 28 Juin , il écrivit la lettre ſuivante au Général
Washington.
M. , d'après la connoiſſance que j'ai du caractère
de V. E. , je dois conclure , que les informations
mal-fondées de quelque perſonne fort ſtupide ou les
P4
( 344 )
Y
fauxrapports de quelque perſonne fort méchante, ont
pu ſeuls vous porter àvous ſervir d'expreffions auffi
fingulières , lorſque je me rendis à l'endroit , où vous
aviez pris poſte : ces expreſſions impliquoient , que
j'étois coupable ou de désobéiſſance aux ordres , ou
'inconduite , ou de manque de courage. V. E m'obligera
de m'apprendre ſur lequel de ces trois chefs
vous fondez votre accufation , afin que je puiffe pré .
parer ma juftification , qui ( j'oſe en être perfuadé)
ne me fera pas difficile à l'égard de l'armée, du Congrès
, de l'Amérique , & de tout le monde engénéral.
V. E. me permettra d'obſerver , que ni vous-même ,
ni ceux qui ont été autour de vous , n'avez pu , d'après
votre fituation , juger des mérites ou des fautes
de nos manoeuvres : & , pour parler avec toute la confiance
qui me convient en cette occafion , j'ofe affurer
, que c'eſt à ces manoeuvres que le ſuccès de la
journée eſt entièrement dû : je puis avancer hardiment
, que , ſi nous euffions continué d'occuper notre
premier terrein , ou fi nous nous fuſſions avancés,
ou finotre retraire eût été ménagée d'une manière différente
, on auroit couru riſque de ſacrifier toute
l'armée & la cauſe de l'Amérique. J'ai toujours eu
(& j'eſpère avoir toujours) le refpect & la vénération
les plus profonds pour le Général Washington :
je le crois doué de beaucoup de qualités auffi grandes
que belles; mais dans le cas préſent je dois juger,
qu'il s'est rendu coupable d'un acte d'injustice cruetle
envers un homme qui a certainement un titre à des
égards de la part de toute perſonne attachée aux in.
térêts de ce pays. Je penſe , M. , être en droit de demander
quelque réparation pour l'injure qui m'a été
faite ; & fi je ne l'obtiens pas ,je me devrai à moimême
la justice , auſſi-tôt que la campagne ſera finie ,
(campagne , qui terminera la guerre , à ce que je
crois , ) de me retirer d'un ſervice , à la tête duquel
'eſt placé un homme capable de faire des torrs auffi
graves : mais en même-tems , pour vous rendre juftice,
je dois répéter , que je me perfuade de tout mon
( 345 )
coeur, que ce mouvement n'avoit point pris naiſſance
dans votre ſein , mais qu'il avoit éré provoqué par
quelques bourdons qui ne manquent jamais de s'infinuer
près des perſonnes en place; car je ſuis réellement
convaincu , que toutes les fois que le Général
Washington agit de lui-même , perſonne dans fon
armée n'a lieu de ſe plaindre d'injustice ou d'un traitement
peu convenable. Je ſuis , &c.
Peud'inſtans après avoir écrit cette lettre , le
Général Lée écrivit la ſuivante :
>> M. , depuis que j'ai eu l'honneur d'écrire à V. E. ,
j'ai réfléchi tant fur votre ſituation que ſur la mienne :
permettez-moi d'obſerver que notre avantage mutuel
eſt qu'il ſoit donné immédiatement ordre pour
la tenue d'un conſeil d'inquifition ; mais je préférerois
que ce fût un conſeil de guerre; car , ſi l'affaire
traîne en longueur , il pourroit devenir difficile de
raſſembler les preuves néceſſaires ; & peut-être il en
réſulteroit une guerre de plume entre les adhérens
des deux partis ; ce qui pourroit donner lieu à des
querelles déſagréables ſur le continent ; car tous ne
ſont pas mes amis ni tous vos admirateurs. Je dois
donc vous prier , par votre amour pour la justice , de
porter inceſſamment votre accufation , afin qu'à la
première halte je puiffe comparoître devant des
Juges ce.
Les circonstances ne permirent-pas d'affembler
le Conſeil de Guerre avant le 4Juillet. II
fut compoſe du Général Major Lord Stirling ,
Préfident , des Brigadiers généraux Smallwood ,
Poor , Woodford& Huntingdon , des colonels
Irvine , Shepherd , Swift , Wiggelsworth , Angel
, Clarke , Williams , Febiger ; M. Jean-
Lawrence fit les fonctions d'Avocat-Général .
Les chefs d'accuſation étoient , 1 °. d'avoir défobéi
aux ordres en n'attaquant point l'ennemi
le 28 Juin , malgré les inſtructions qui lui
avoient été données itérativement ; 2°. de s'être
mal conduit en préſence de l'ennemi le même
Ps
en
1
1
( 346 )
८
jour, en faifant une retraite non néceſſaire, confufe
& honteuse ; 3º . d'avoir manqué au refpect
du au Commandant en chef dans deux lettres .
Le Conſeil , après être reſté aſſemblé depuis
Je 4Juillet juſqu'au 12 Aout , déclara le Major-
Général Lée coupable , & le condamna à
être ſuſpendu pendant 12 mois de tout commandement
dans les armées Ainéricaines .
De Charles -Town , le 15 Novembre. Il s'eft
élevé quelques nouvelles, difficultés entre les
Commiffaires , pour les prifonniers de la part
de ces Etats-Unis & de celle du Roi d'Angleterre.
Le Lieutenant Hele , Anglois , envoyé à
Philadelphie avec un petit bâtiment portant pavillon
de Trève , pour remettre , dit- on , au
Congrès le Manifeſte des Commiſſaires Britanniques
du 3 Octobre , fit naufrage à l'entrée
de la Delawarre , fut fait priſonnier avec
tous ceux de ſes gens qui eurent le bonheur
d'échapper. Le Commiſſaire Anglois James
Dick, écrivit le 27 Octobre à M. Beatty, Commiſſaire
Américain , pour réclamer l'élargiffement
immédiat des prisonniers , & fur-tout du
pilote du bâtiment , qui ayant déſerté du ſervice
de cesEtats, eſt dans le cas d'être puni ſévèrement.
M. Beatty , après avoir fait paffer cette
lettre au Congrès , reçut ordre d'envoyer au
Commiſſaire Britannique , la réſolution priſe
par le Congrès le 16 Octobre , & une ſeconde
endatedu 9de celui- ci , priſe à l'occaſion de
ſa lettre, & lui ſervant de réponſe. La première ,
relative à la circulation des papiers ſéditieux ,
eft conçue ainfi.
>> Le 22 Avril 1778 , le Congrès ayant arrêté
que tout homme ou corps d'hommes qui auroit
la hardieſſe de faire aucune convention ou aucun
agrément ſéparé & partiel avec les Commiffaires
dépendans de la Couronne de la
Grande-Bretagne , ou aucun d'eux , feroit con.
( 347 )
fidéré& traité comme ennemi ouvert& déclaré
de ces Etats- Unis. Ayant appris que les Commiſſaires
Britanniques s'occupent actuellement à
faire circuler ſous la ſanction d'un pavillon
Parlementaire , des papiers ſéditieux ſous le
nom de manifeſte , qui doivent être diftribués
dans ces Etats-Unis , dans la vue d'exciter des
difcuffions , des animofités & la rébellion parmi
le bon peuple de ces Etats .- Conſidérant que
ces manoeuvres ſont contraires aux loix des nations
, tendent à détruire entièrement la confiance
néceffaire aux moyens que les nations civiliſées
ont inventés , d'adoucir les horreurs de
la guerre , & que par conféquent ceux qui en
font uſage n'ont pas droit à la protection du pavillon
Parlementaire , lorſqu'ils s'occupent de
l'exécution de leurs projets pernicieux. Réſolu
qu'il ſera recommandé au pouvoir exécutif de
ces Etats-Unis , de faifir & conftituer en priſon
fûre toutes perſonnes qui ſe trouveront dans ce
cas; ordonné de plus que les papiers dont il eſt
parlé ci-deſſus , feront plus complettement imprimés
dans les Gazettes diverſes , afin que le
bonpeuple de ces Etats ſoit convaincu des defſeins
infidieux deſdits Commiſſaires « .
au
La ſeconde réſolution eſt en date du 9 de
ce mois. » Le Comité , auquel une lettre du
Commiffaire Beatty & les papiers y inclus ont
été référés , en a- fait ſon rapport ; en conféquence
duquel , ordonné que l'on fournira
Commiſſaire Beatty , copie des réſolutions du
Congrés à l'égard des papiers ſéditieux mis en
circulation à la faveur des pavillons Parlementaires
, qu'il ſera informé que le Congrès eſt d'avis
qu'il y avoit ſuffisamment lieu à l'emprifonnement
du Pilote , du Lieutenant & de l'équipage
du navire mentionné dans ſa lettre , que
s'il s'élève à ce ſujet quelque diſcuſſion de la
part de l'ennemi , elle devra être traitée , en ex
P6
( 348 )
poſant les motifs nationaux , & que par comſéquent
la requifition péremptoire de l'Amiral
Gambier ne peut être admiſe ".
Cet Amiral n'a pas manqué d'écrire à fon
tour une lettre très vive au Congrès ; il l'accuſe
d'avoir abuſé du naufrage du bâtiment , & de
s'être conduit comme des ſauvages ; il ſe garde
bien de faire attention à la date de la Réſolution
du Congrès ; fa défenſe étoit publique & connue;
tous ceux qui s'expoſoient à l'enfreindre
étoient dans le cas d'être punis; leur naufrage
les a empêché d'exécuter une commiffion prof.
crite , mais il n'a pu effacer ni affoiblir leur
faute.
Nous ſommes dans l'attente des nouvelles de
l'expédition du Vice- Amiral Comte d'Estaing ;
nous ne la connoîtrons que lorſquelle ſera exécutée,
nous préſumons ici qu'il s'eft rendu aux
Antilles , & nous ne doutons pas que le Commodore
Hotham qui n'a que deux jours d'avance
, ne tombe entre les mains des François
avec les sooo hommes de troupes qu'il conduit
dans les ifles Angloiſes . Ce Commodore a avec
lui le Saint Alban & le Nompareil , de 64canons,
le Preston le Centurion & l'Iſis , de so, & la frégate
là Vénus , de 36 , avec un nombre de bâtimens
de tranſport chargés de sooo hommes de
troupes. La plupart de ces vaiſſeaux font trèslourds
à la marche & en mauvais état , & ils ſeront
la proie de l'efcadre Françoiſe avant d'arriver
à leur destination ; & s'ils ont le bonheur de
ne pas la rencontrer , ils la trouveront vraiſemblablement
maitreſſe des ifles où ils ſe rendent.
Tous les rapports que nous avons de Rhode-
Iſland & de New- Yorck , nous confirment que
l'Amiral Byron eſt hors d'état d'ici à quelque
temps , de fuivre le Commodore Hotham pour
l'aller protéger ; outre le Sommerfet , de 64 canons
qu'il a perdu , le Cornwall , de 74 , a aus
( 349 )
coulé à fond; de 15 vaiffaux qu'il avoit , il n'en
avoit encore réuni que 10 , qui ont tous beſoin
de grandes réparations; les autres démâtés entièrement
, ſe ſont réfugiés dans les ports où ils
ont pu arriver , & où ils ne trouvent aucun des
matériaux néceffaires pour les mettre en état de
reprendre la mer.
Le Général Washington a établi actuellement
fon quartier général à Morristown ; fon
armée , forte de 25,000 hommes bien équipés ,
bien armés , & ne manquant d'aucune des proviſions
qui lui font néceſſaires , n'attend que
l'occafion d'agir ; elle eſt preſque entièrement
compoſée de vétérans.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Janvier.
LE 3dece mois , M. Taffard , maître des Requêtes
, nommé à la premiere Intendance qui
vaquera dans les Colonies de l'Amérique , eut
P'honneur d'être préſenté au Roi par M. de Sartine.
Le même jour , M. Pelletier de S. Fargeau
eut l'honneur d'étre préſenté au Roi & à la famille
Royale , & de faire fes remerciments à
S.M. de la charge de Préſident à Mortier , dans
laquelle il ſuccède à ſon père .
Le 10 , le Roi & la famille Royale ſignèrent
le contrat de mariage du Comte de Caſteja ,
Colonel-Commandant du régiment Royal Comtois
, avec Demoiselle Desfriches - Doria , &
celui du Marquis de Perfen , premier Maréchal
des Logis de Mgr le Comte d'Artois , Lientenantdu
régimneenntt du Roi, infanterie avec Demoifelle
le Fournier de Wargemont .
Le 10 , MM. Née & Maſquelier , préſentèrent
à LL. MM. & à la famille Royale , la 24 .
livraiſon des tableaux Pittoreſques , Phyſiques ,
( 350 )
Politiques , Moraux & Littéraires de la Suiſſe.
Les Auteurs de l'Histoire Univerſelle des Théâtres
, leur préſentèrent le même jour la première
Livraiſon de leur ouvrage avec des gravures .
De PARIS , le 30 Janvier.
ON affure que le départ de M. de Ternay
n'eſt pas éloigné ; tous les préparatifs en font
déja faits ; on croit toujours que fa deſtination
est pour l'Inde , où il trouvera le Brillant
, le Flamand & la Confolante , qui renforceront
ſon eſcadre . S'il faut en croire des
lettres de Londres , ſa préſence dans l'Inde
devient néceſſaire ; les Anglois inftruits que
les hoftilités ont commencé en Europe , ſe
diſpoſent à attaquer nos établiſſemens dans
cette partie du monde ; s'il faut en croire
leurs papiers publics , réunis à un Nabab , ils
bloquent actuellement Pondichery. Cependant
le Fitz-James , à fon retour de l'Inde nous
a appris que les fortifications de cette place
avoient été miſes en état de défenſe , & que
les foins qu'on avoit pris l'avoient miſe hors
d'état de craindre un ſiège.
د
M. de Graffe ne doit pas tarder non plus à
partir pour ſa deſtination , s'il ne l'eſt déja ;
des lettres de Breſt portent qu'il a reçu ſes inftructions
le 3 de ce mois. Ses vaiſſeaux font
le Robuste de 74 canons , qu'il monte , le
Magnifique , de même force , commandé par
M. Brach ; le Dauphin Royal , de 70 , par M.
de Mithon , & le Vengeur , de 64 , par M. de
Retz, avec la frégate la Sensible & la corvette
l'Alerte. On a embarqué fur ces vaifſeaux
des mineurs , des artilleurs , des mortiers
, du canon , des bombes , des boulets
des pèles , des pioches & toutes les munitions
néceſſaires à un fiége.
( 351 )
T
Il y a une autre eſcadre , compoſée de fix
vaiffeaux de guerre , qui font le Fendant &
l'Orient , de 74 canons , commandés par MM.
de Vaudreuil & d'Orves ; le Sphinx , l'Indien
& l'Actionnaire , de 64 , par MM. de Soulange ,
de la Grandiere & de Roify , & le Fier, de ſo,
par M. de Turpin. Cette eſcadre eſt ſous les
ordres de M. de Vaudreuil ; ces vaiſſeaux caré ..
nés& eſpalmés ſont ſortis de Breſt deux à deux,
avec des frégates & des corvettes ; ils devoient
ouvrir leurs ordres dans le Goulet. On ignore
leur deſtination : on fait que le Fendant & le
Sphinx ont mouillé à Quiberon ; on a dit que
Actionnaire & le Fier toucheroient à Rochefort
, où il y a 15,000 hommes raffemblés , ſous
prétexte d'une deſcente que le Gouvernement
ne craint guère , tant qu'il aura des troupes
à portée & 30 vaiſſeaux à Breſt. Si ces vaiſſeaux
ont pris ou prennent des troupes à bord , ou
fur des batimens marchands , c'eſt ce qu'on
ignore ; on ignore auſſi s'ils ne font pas deſtinés
à aller joindre le Comte d'Estaing , qui dans ce
cas auroit 22 navires de force , & 7 à 8000
hommes de troupes de terre.
Le Citoyen , le Minotaure , le Sceptre , le Diligent
, les Six Corps & le Northumberland , vont
être refondus ; on travaille déja aux deux premiers
; les autres feront pris inceſſamment : le
Gouvernement a vendu l'Union à un particulier
qui raſe ce vaiſſeau & en fait une frégate de
32 canons.
On arme actuellement à Rochefort l'Hercule,
le Scipion& le Pluton , tous de 74 canons ; ils
doivent être rendus à Brett en Février. On a
fait entrer dans les baſſins l'Actif & le Duc de
Bourgogne , pour être refondus , & on travaille
à force à la Ville de Paris , qui doit être réparée
à la fin de ce mois.
Il n'y a pas moins d'activité dans le port de
( 352 )
Toulon , où l'on va lanceràl'eau leHéros, de
74 canons , le Jafon , de 64, le Triomphant , de
80. Le radoub du Lion & de la Bourgogne est
fort avancé. » Le 25 du mois dernier , écriton
de ce Port , une eſcadre de 4 vaiſſeaux de
ligne & de f frégates , a mis à la voile , ſous
les ordres du Chevalierde St-Hipolyte : elle
a pour mois de vivres. Sa deftination eft encore
un myſtère ; les uns prétendent qu'elle va
joindre celle du Comte d'Estaing ; les autres
qu'elle va ſe réunir aux Eſpagnols , qui fe déclarent:
une troisième verſion plus vraiſemblable
, porte qu'elle a des ordres qui ne doivent
être décachetés qu'à une certaine hauteur ".
Outre les travaux & les armemens qui fe
font dans les départemens de la Marine , le
Gouvernement en fait faire pluſieurs dans les
autres Ports. Pendant le cours de l'année dernière
, on a mis en conftruction dans le ſeul
Port de St - Malo 9 frégates , toutes percées
pour 26 canons de 12 livres , en batterie fur
le pont , & 12 de 6 livres fur les gaillards ;
mais elles n'ont été armées que de 26 canons
de 12 & de 6 de 6 livres . Ces frégates font la
Résolue , la Prudente , l'Amazone , la Gentille , la
Gloire , la Bellone , la Médée , la Diane & la
Néreide. Les quatre premières , forties depuis
pluſieurs mois de St-Malo , ont été en croiſière
& ſe font rendues à Breft , d'où elles ont été
expédiées pour divers endroits : la Gloire , fortie
le 21 Décembre dernier , a conduit à l'ouvert
du Port de Breſt un convoi de navires
marchands , & fans entrer , elle a été fur-lechamp
en croifière. La Bellone eſt en rade ,
prête à partir , la Médée y est également ,
mais elle n'eſt pas entièrement armée ; la Diane
devoit être lancée à l'eau dans ce mois , & la
Néreide est encore fur les chantiers , où il y a
de plus deux grands cutters , qui doivent mon(
353 )
ter 18 canons de 6 liv. fur leur pont , ils n'ont
point de gaillard ; on travaille aux levées d'un
troiſième.
On a encore conſtruit aux frais du Roi ,
dans le même Port , 2 chaloupes canonnières
pour la garde , & 2 gabarres de cent pieds
de tête en tête ; celles- ci ſont en mer depuis
long-tems & fe nomment la Guyane & la Négreffe.
Le Roi a cédé cette dernière à la compagnie
d'Afrique , pour fon commerce. Il y
avoit acheté de M. de la Borde , & armé la
frégate la Pallas de 26 canons de 8 livres , que
l'Amiral Keppel enleva avec la Licorne avant
la guerre.
Les vents forcés , écrit- on du même l'ort
( de St Malo ) , amenèrent le 2 Janvier fur la
rade , un navire de 80 à 90 tonneaux , portant
pavillon Danois : on l'a fait entrer dans le
Port , & on a mis l'équipage en priſon. Le
Capitaine s'eſt déclaré Danois & ſe dit de
Dunkerque ; ſes gens , pour la plupart , parlent
François , avec l'accent marqué de Baffe-
Normandie . On fait que la paffe à l'entrée du
Port est très difficile , & on a remarqué que ce
navire évitoit très bien les écueils & manoeuvroit
à merveille. On a foupçonné que c'étoit
un Anglois de Jerſey ou de Guerneſey où la
plupart des habitans parlent un mauvais François
, avec l'accent Bas Normand . L'Amirauté
s'occupe à préſent à interroger l'équipage , qui
déclare , dit -on , être forti de Sainte-Croix
Ifle Danoiſe , avec un chargement de bois de
campèche , pour aller à Amſterdam ; mais il
eſt probable qu'il ſe rendoit à Jerſey ou à
Guernesey«.
On ne peut diſconvenir, écrit- on de Nantes ,
que depuis le commencement des hoftilités , le
commerce n'ait fait des pertes , mais il eſt plus
en état que jamais de ſe ſoutenir , après les
( 354 )
gains immenfes qu'il a faits avec les Américains.
Il n'eft point queſtion de banqueroute en
Bretagne , & fi notre commerce ſouffre , celui
de nos ennemis eſt anéanti. Si dans ce moment
nous avons moins de corſaires à la mer que dans
les guerres précédentes , cela vient bien moins
des armemens immenfes que le Roi a faits , que
du peu d'eſpoir qu'ont les armateurs de prendre
des navires aux Anglois , qui n'ont que très-peu
ou preſque pointde bâtimens de commerce dehors.
La preffe d'un côté, les Américains &
nos corſaires de l'autre , les empêchent d'armer
&de commercer. Si on enlevoit Jerſey& Guernefey
aux Anglois , on n'en trouveroit pas dans
nos mers c .
Les Armateurs commencent cependant à fe
multiplier dans nos Ports ; celui de Dunkerque
en a douze à la mer , & ayant deux mois
il en aura une trentaine. On travaille à la
conſtruction & à l'armement de ceux qui
manquent pour completter ce nombre. La
Comteffe d'Artois & la Comteffe de Provence ,
rentrèrent dans ce Port le 8de ce mois , après
avoir couru les plus grands riſques par la
tempête du premier ; ils y ont amené deux
priſes ; la Comteſſe d'Artois étoit au moment
de s'emparer d'un cutter Anglois de 16 canons ,
lorſqu'elle perdit ſes mâts de hune , ce qui la
força d'abandonner le combat.
Les corfaires armés à St- Malo font le Comte
d'Orvilliers , Capitaine Fouqueux , de 14 canons
; attaqué dans ſa croifiere par un cutter
Anglois , il le força de ſe réfugier très-maltraité
à Origni. Le Duc de Mortemart , de 16
canons , capitaine Le Dos. Ce capitaine eft
d'une bravoure peu commune ; dans ſapremière
fortie , il fut attaqué par deux cutters Anglois ,
chacun de fa force , qu'il obligea de l'abandonner.
En partiedégrayé, il rentra à St- Malo : on
(355 )
le félicitoit d'avoir échappé aux deux Anglois.
Que dites - vous,répondit-il bruſquement,échappé
! je comptois bien vous les amener. Dans fa
feconde fortie , il a fait cinq priſes , dont trois
font arrivées à Saint- Malo , la quatrième eſt à
Cherbourg ; on n'a point de nouvelles de la
cinquième . Le Sillon , de 14 canons , a envoyé
au commencement de ce mois , une priſe eſtimée
50,000 livres ; il chaffoit un autre vaiſſeau lorfqu'il
l'a fait partir. Cette ville a encore quelques
autres corſaires en mer , &elle en a plufieurs
autres qui ſeront prêts inceſſamment.
>>>>Défiez - vous , nous écrit-on de ce port , des
lettres faſtueuſes des priſes faites fur nous ,qu'on
voit dans une multitude de papiers étrangers
rarement elles ſont exactes. Ils ont annoncé
dernièrement la priſe du Comte d'Artois , corfaire
de Saint- Malo ; il n'y a point eu , & il n'y
a point de bâtiment de ce nom dans notre
portcc.
Les armateurs de Bayonne & de St-Jean-de-
Luz , qui ſe ſont diftingués dans toutes les
guerres précédentes , commencent dans cemoment
à faire parler d'eux. >> Cette ville , dit- on
dans une lettrede Bayonne , a cinq corſaires à
la mer , & le Marquis de la Fayette , de 32 canons
, ne tardera pas à mettre à la voile. L'Audacieuse
a amené dans ce port la Françoise Sara
de Dublin , chargée de vin de Malaga , figues ,
raiſins , &c , & eſtimée 30 à 40,000 livres.
>>Le navire le Constant , de 8 canons , capitaine
Mirambau , eſt rentré il y a peu de tems.
Un corfaire Anglois de 16 canons le rencontra;
il lui tirajlun coup de canon en hiſſant ſon pavillon,
& lui criant d'amener. Le premier coup
de canon tua trois François & en bleſſa quatre .
Mais l'équipage du Constant étant compofé
d'hommes exercés à la mouſqueterie , & n'étant
qu'à la portée du piſtolet, fit un feu fibien
( 356 )
dirigé & fi foutenu , qu'en un moment le pont
du navire ennemi fut balayé , & qu'il lui fut
impoſſible de faire ſervir ſes canons. Le conibat
dura de cette maniere deux heures & un
quart ; pendant ce tems le pauvre Anglois reſta
trois quarts d'heure fans tirer un feul coup de
fufil . Il employa ce tems à mettre ſes manoeuvres
en état; après quoi , profitant de la ſupériorité
de fa marche , il s'éloigna à toute voile,
ſans que le Constant eut pu l'aborder à cauſe de
la groffe mer. Les corſaires armés à St-Jeande-
Luz , font au nombre de ſept de différentes
forces ".
>> Les frégates Françoiſes , le Magnanime &
l'Atalante , commandées par le Chevalier de
Boades & le Baron de Durfort , écrit on d'Alméria
, ont conduit dans ce port un paquebot
Vénitien, dont le capitaine , Domingo Lanne ,
a déclaré être forti de Vénife avec une cargaiſon
de diverſes marchandiſes deſtinées pour
Londres Ayant étéhêlé, le premier Décembre,
par unede ces frégates , & fommé de remettre
ſes papiers , il n'a préſenté que les moins importans
; il avoit vraiſemblablement jetté les
autres à la mer , & il a dit pour s'excufer qu'il
les y avoit laiffé tomber en paffant fur la frégate
".
Les mêmes frégates ont pris encore le
& le 13 du même mois , un navire Anglois à
trois mats, & un autre, armé de 14 canons & de
deux pierriers , chargés l'un & l'autre de différentes
marchandifes .
Les lettres de Picardie annoncent beaucoup
de naufrages ſur les côtes de la Flandre Francoiſe
& Autrichienne : elles confirment celui
des cinq vaiſſeaux Anglois échoués à la côte
de Calais . Cette tempête a duré plus de vingtquatre
heures ; c'eſt fur- tout pendant la nuit
que les coups de vent ont été les plus forts. Les
( 357 )
maiſons de Boulogne ont été ébranlées au point
de faire croire qu'il y avoit un tremblement de
terre: les égliſes , les édifices publics ont beaucoup
fouffert.
Selon une lettre de Rennes , du 13 de ce
mois , il étoit arrivé , dans la ſemaine précédente
, un très - grand malheur à Nantes . Le
navire le Flamand , appartenant à M. de Monthieu
, & armé par un négociant de Nantes ,
pour les Etats- Unis , riche de 4 à 500,000 liv.
&monté de 22 canons & de 120 hommes d'équipage
, après avoir paffé le cap des Charpentiers
, a fauté & s'eſt perdu ſans que perſonne
ſe ſoit ſauvé. Il n'y avoit pas dix minutes
que le pilote côtier l'avoit quitté . Le capitaine
laiſſe huit enfans , qui réclament la bienfaifance
du Roi , qui , ſans doute , daignera les ſecourir.
On mande de Lodève , que pendant que l'Evêque
de cette ville officioit pontificalement la
nuit de Noël , des voleurs font entrés dans ſon
palais par un balcon , & qu'après avoir forcé
fix ferrures , ils ont enlevé une ſomme d'argent
très - conſidérable. Ce n'est qu'au retour de
l'Office que le Prélat a vu les déſordres commis
dans ſes appartemens : il a été plus affecté du
crime des voleurs que de ſa perte : le lendemain
il a vaqué avec la même tranquillité à ſes devoirs.
Il ne ſe plaint point du vol , il ne plaint
que les pauvres que ces brigands ont privé des
fecours qu'il leur deſtinoit .
L'heureuſe couche de la Reine a fait par-tout
la même ſenſation qu'à Versailles & à Paris ;
dans toutes les Villes du Royaume , on s'eſt
empreffé de rendre des actions de graces au
Ciel. Celle de Strasbourg , qui eſt la première
de la France dans laquelle S. M. eſt entrée
lorſqu'elle vint de Vienne , a donné les témoignages
les plus folemnels de ſa joie. A des
( 358 )
prières publiques faites avec pompe , à des illuminations
, à des feux , à tous les ſignes connus
de l'allégreſſe publique , elle a joint des dons
&des aumônes aux pauvres , pour donner à la
fête un caractère digne de la Souveraine qui en
étoit l'objet.
Parmi le grand nombre de traits de bienfaifance
faits à l'occaſion de cet évènement ſi intéreſſant
pour la Nation , nous nous empreſſons
de rapporter celui-ci. Les Elèves d'une Penſion
établie dans la Paroiſſe d'Ecully- les-Lyonf,irent
célébrer de leur propre mouvement une
Meſſe folemnelle à l'occaſion de l'heureux accouchement
de la Reine ; ils remirent enſuite
une ſomme d'argent au Curé , avec prières de
la diftribuer aux pauvres femmes enceintes &
aux nourrices ; ils demandèrent enſuite au Pafteur
de leur permettre d'être les parrains du
premier enfant mâle qui naîtra de parens pauvres
, en déclarant qu'ils ſe chargeroient de fon
éducation & de ſon entretien juſqu'à ce qu'il
pût former un établiſſement. Ce trait de religion
& de patriotiſme n'a beſoin que d'être cité
; il fait l'éloge le plus complet de la Penſion
où l'on inſpire aux Elèves des ſentimens ſi touchants
& fi nobles.
Articles extraits des Papiers étrangers qui entrent
en France.
>> On débite que l'Ambaſſadeur de la Cour de
>> Vienne , ayant repréſenté dans la dernière audience
>> qu'il a eue du Roi, que LL. MM.II. ſe voyant dans
>> la néceſſité de continuer la guerre , ſe trouvoient
>> forcées de requérir les 24 mille hommes de trou-
>>>pes auxiliaires , qu'elles ont droit d'attendre en
>conféquence du traité d'alliance & d'amitié du 1
» Mai 1756 , le Roi avoit répondu , que quoique
>> l'alliance de LL. MM. II . lui fût trop précieuſe pour
>> ne pas faire tout ce qui dépendoit de lui pour la
( 359 )
>>conferver , S. M. prioit cependant LL. MM. II. de
/> conſidérer que ſe trouvant engagée dans une guerre
>>>indiſpenſable & férieuſe avec les Anglois , qui l'a-
>>voient provoquée par les hoftilités commiſes envers
ſes ſujets , dont ils avoient troublé le com-
>>merce, elle ſe voyoit elle-même dans le cas de de-
>>mander à LL. MM. II. le même ſecours que lui
>> affuroit le traité d'alliance ſus-mentionné , ce qui
>>>n'opéreroit qu'un ſimple échange de troupes , qui
>> ne ſeroit d'aucune utilité aux parties reſpectives ;
>> ajoutant qu'independamment de ce motif , le même
>>traité rappellant & maintenant expreffément celui
>> de Westphalie , dont la France s'étoit rendue ga-
>> rante, toutes les puiſſances intéreſſées à la protec-
>>tion des conſtitutions de l'Empire Germanique ,
follicitoient S. M. de garder la neutralité , qu'elle
>> s'étoit engagée d'obſerver exactement.
(Supplément à la Gazette d' Amsterdam , nº. 4 ) .
>> S'il faut en croire des lettres de l'Orient , l'Em-
>> pereur fait armer dans ce port un bâtiment de
>> 1600 tonneaux , qui doit partir inceſſamment pour
>>> Boſton , ſous le commandement du ſieur Mau-
>> gendre. Il y a fur ce bâtiment un Hongrois & ua
> Allemand , qui doivent commander dans le cas ou
>> il ſeroit attaqué dans ſa traverſée par un navire
>> Anglois. ( Courier d'Avignon , nº.2 ) «.
De BRUXELLES , le 20 Janvier.
La paix de l'Allemagne,eſt encore incertaine
; on annonce depuis long-tems la tenue
d'un Congrès ; on indique pluſieurs villes où
il doit ſe tenir , & il n'y en a encore aucune
de choiſie, Les négociations commencées à
Vienne par les Miniſtres de France& de Ruffie,
ne paroiſſent pas fort avancées , puiſqu'il ne
ſe fait encore aucun mouvement pour le Congrès
, & il n'y en auroit pas fi , comme on le
mande de pluſieurs endroits , les Miniftres Au- -
( 360 )
trichiens avoient déclaré qu'ils ont ordre de ne
fe relâcher en rien de leurs demandes précé
dentés. D'après ces avis , aucune des puiſſances
intéreſſées ne paroît diſpoſée à faire de plus
grands facrifices que ceux qu'elles ont déja propofés
; elles continuent, en conféquence , leurs
préparatifs de guerre , & la mauvaiſe ſaiſon
n'a pas ſuſpendu les hoftilités dans la haute Siléſie
, où le Général Wurmfer a enlevé encore
à la fin du mois dernier , un tranſport de goo
chariots de bois deſtinés pour Jagerndorff &
Troppau , dont il a détruit une partie & emmené
le reſte , & où le Prince Frédéric de
Brunswick , quelques jours auparavant , avoit
eu un cheval tué ſous lui en faiſant une reconnoiffance.
Les lettres de l'Empire annoncent
beaucoup de fermentation & de diſpoſition de
la part des Princes à ſe liguer pour faire cauſe
commune avec le Roi de Pruſſe qu'ils regardent
comme leur protecteur.
Quant à la France & à l'Angleterre , on ne
s'attend pas qu'il ſoit queſtion de paix entre
elles avant la fin d'une nouvelle campagne. La
Grande-Bretagne compte fur la fortune qui l'a
ſervie dans la précédente , en contrariant les
projets de fa rivale & en en arrêtant l'exécution
; mais elle n'a fait vraiſemblablement que
les retarder. La déclaration toujours attendue
de la part de l'Eſpagne ne fauroit être éloignée ,
& cet évènement ne lui laiſſera plus d'eſpé
rance. Si les vents & les tempêtes ont empêché
le Comte d'Estaing de mettre fin à la guerre
d'Amérique l'année dernière. Ils ont mis l'Amiral
Byron hors d'état de faire aucun effort
& avant qu'il reçoive des ſecours , le Vice-
Amiral François , dont les forces font dans le
meilleur état , peut avoir eu des ſuccès qui les
rendent inutiles .
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
(
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles;
les Causes célebres; les Académies de Paris & des
Provinces ; laNotice des Ldits , Arrêts ; les Avis
particuliers , & c . &c.
5 Février 1779 .
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIECES FUGITIVES .
Vers àMlle Luzy ,
-AMlle M.
3
... pourla
nouvelle année ,
Recherches fur la Pouz
zolane ,
SPECTACLES .
54
4 Académie Royale de Mu-
L'Amour & le Moineau, S. fique , 62
Réponſeà la Lettre fur l'o- Comédie Italienne , 64
rigine des Romans , ib. SCIENCES ET ARTS.
Enigme &Logogryp. 11 Gravures ,
NOUVELLES
LITTÉRAIRES .
1
66
Musique , 79
ANNONCES LITTÉR. ibid.
Notice des Éloges lus à la JOURNAL POLITIQUE.
rentrée de l'Académie Constantinople ,
des Sciences , le 14 No- Pétersbourg ,
Observations faites pen- Stockholm ,
73
74
vembre , 13 Copenhague , 75
ibid.
dant le second voyage Varsovie , 76
deM. Cook,
24
24 Vienne , 78
Dictionnaire Univerfeldes Hambourg , 79
Sciences morale, écono- Ratisbonne , 84
mique , &c . 38 Livourne 86
Correspondance de Fer- Londres ,
88
nand- Cortès avec l'Em- Etats-Unis de l'Amériq.
pereur Charles- Quint , Septent . 97
49 Verfailles, 101
Lecture pour les Enfans , Paris , 104
SI Bruxelles , 115
APPROBATION.
S'A I lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour les Février
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſfion.
A Paris , ce 4 Février 1779.
DE SANCY,
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint -Come.
MERCURE
DE FRANCE.
5. Février 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A MADEMOISELLE LUZY.
Au minois piquant de Lifette ,
Quel coeur n'eft contraint de céder !
Ah ! pourquoi faut-il qu'il promette
Plus qu'elle ne veut accorder ?
Dis-moi donc , gentille Soubrette ,
Aij
4
MERCURE
Où prends- tu cet air ſéduiſant ,
Cette oeillade fine & coquette ,
Ce jeu fi vif & fi plaiſant ?
En faveur de l'humble Pupille
Trompe un Tuteur vieux & jaloux;
Écarte l'Argus imbécille
Pendant l'heure d'un rendez-vous .
A l'ardeur dont tu nous pénètres ,
A la malice de tes yeux ,
On voit aſſez que de tes Maîtres
C'eſt l'Amour que tu ſers le mieux.
VERS A MADEMOISELLE
M ....
Pour la nouvelle Année.
DE
O mon Églé , puiſſe le cours
Ne te donner que d'heureux jours !
Je ne ſai point , amant fidèle ,
E cet an qui ſe renouvelle ,
S'il t'enlève de tes attraits ;
Mais à mes yeux , toujours plus belle ,
L'Amour offre ces mêmes traits
Qui m'ont enflammé pour jamais .
Chaque jour , Églè , chaque année
Abrégent notre deſtinée ;
Sachons profiter des inſtans :
A l'Amour on doit ſon printemps.
DE
S
FRANCE .
4
Etquand le plaifir nous appelle ,
Pourquoi perdre d'heureux momens ?、
A ſa voix ſe montrer rébelle ,
C'eſt ignorer ce que l'on perd ,
Et c'eſt devancer ſon hiver.
( ParM. Boutellier. )
L'AMOUR ET LE MOINEAU.
L'AMOUR
'AMOUR carrefloit un Moineau ,
Qui ſoudain s'échappe & s'envole ;
L'enfant privé de ſon oiſeau ,
Pleure , gémit & ſe déſole.
CONSOLE- TOI , lui dit Cypris ,
CeMoineau franc eſt ton image.
L'inſtant où tu parois épris ,
Eſt l'inſtant qui te rend volage.
}
)
RÉPONSE à la Lettre fur l'origine des
Romans, inférée dans le Mercure du 15
Janvier.
J
AI lu , Monfieur , avec toute l'attention
poſſible , la lettre ſur l'origine des Romans ,
inférée dans le Mercure du 15 Janvier.
Beaucoup d'eſprit , une érudition qui ne ſe
montre que comme la Nymphe qui fuit
A iij
6 MERCURE
entre les ſaules; des vues éparſes dans le
courant de cette lettre qui , vers la fin , ſe
raffemblent ſur le même objet : voilà ,
Monfieur , ce qui m'anime à difcuter pendant
quelques momens l'opinion favorite
que l'Auteur dévoile à la fin de cette lettre.
Je ſuis afligé que celui qui me paroît aimable
& plein d'efprit, ſe ſoit confine dans
un defert fterile & fauvage : fon ſtyle & fes
idées ne ſe reffentent point de l'aridité de
fa retraite. Celle que mon vieux moi s'eſt
choifie eft fertile & riante : des voiſins qui
m'éclairent ſouvent & qui me plaiſent toujours
l'embelliffent ; c'eſt par eux que je
m'entretiens dans la douce habitude de penfer
; & fi j'ofois former un tout d'une ſuite
d'idées & de faits relatifs , ce feroit pour
leur en faire hommage. Voilà , Monfieur ,
quelle eſt l'eſpèce de moi que je vous prie
de mettre en relation avec celui de l'Auteur
de la lettre que je viens de lire..
Je me fouviens que MM. de Fontenelle
& de Voltaire difoient autrefois à mon moi
de quatorze ans : mon enfant , quand vous
voudrez chercher la vérité , poſez un
principe , formez une chaîne de faits &
d'obſervations relatives à ce principe ; complettez
autant que vous le pourrez la fomme
des idées acceſſoires & propres à fe combiner
avec l'idée générale de votre principe ,&
des conféquences qu'on en doit tirer : c'eſt
ainſi que vous pourrez approcher de la vé
rité ; c'eſt ainſi du moins que vous pourrez
DE FRANCE.
acquérir quelque avantage dans la difpute
fur les Sextus Empiricus de votre ſiècle ...
Plus mon moi s'eſt agrandi , Monfieur , plus
la lumière de cette leçon l'a pénétré. Le ſeul
moyen d'exercer ſon eſprit aux ſciences , &
de l'élever aux grandes recherches , c'eſt de
l'aſſujétir à cette méthode , c'eſt de ſavoir
former cette chaîne , cet ordre vraiment
philoſophique de faits relatifs les uns aux
autres , qui lie un réſultat néceſſaire au
principe que cette opération rend lumineux.
On ſaiſiroit bien mal le véritable eſprit de
la géométrie , ſi l'on circonfcrivoit ſa ſphère
dans la ſolution des problêmes les plus com
pliqués. Le flambeau de cette ſcience preſque
divine doit éclairer ſans ceſſe le choix & la
progreffion des idées qui peuvent conftater
un tout , une idée complette , poſitive &
générale.
Il me ſemble que M. Bailly , dans ſes
recherches , ne s'eſt jamais écarté de cette
marche & de cet ordre philoſophique. Celui
dans lequel il claſſe & range ſes faits relatifs,
propres à prouver que les ſciences nous
font venues du Nord , me paroît ſi ſerré , fi
précis , que je trouve injuſte qu'on entreprenne
de le détruire fans oppofer un autre
ordre de faits qui ſoit contradictoire au fien.
Il est très-facile , & en même- temps trèspermis
de dire je doute , lorſqu'on ne fait
que differter dans une converſation ; mais
lorſqu'on écrit d'un ton impoſant ou léger ,
Aiv
MERCURE
dans unouvrage fait pour être lu, ceje doute,
on eſt obligé de motiver ſon avis , en expoſant
les raiſonsqui portent à douter. Le doute
abſolu deviendroit un dogme pour l'eſprit
humain , fi cet eſprit ſe ſentoit l'impuiſſance
abfolue d'atteindre à la vérité; mais dès qu'il
connoît , qu'il prefume ſeulement qu'il exifte
une baſe ſur laquelle il peut appuyer la
progreffion de ſes idées , il eſt bien digne
de ſes efforts de chercher cette bafe ; &
s'il croit l'avoir trouvée , il n'eſt plus téméraire
, il n'eſt que courageux , lorſqu'il
part de cette baſe pour former une ſuite de
faits relatifs , & pour former une chaîne qui
conduiſe au but qu'il s'eft propoſé.
L'agrément répandu dans la lettre fur
l'origine des Romans m'a beaucoup plû ,
mais fans me ſéduire ; foſe en appeler à
l'exiſtence d'un Auteur qui me fait fentir
qu'il peut employer de plus grands moyens
que ceux dont il s'eſt ſervi pour attaquer le
ſyſtême très-probable que M. Bailly établit
dans ſon hiſtoire ancienne de l'aſtronomie ,
&dans les lettres à M. de Voltaire.
Si le ſavant & fpirituel Auteur de la lettre
que je viens de lire , n'avoit eu d'autre objet
que celui d'éclaircir l'origine des Romans ,
il ſe ſeroit dit à lui-même , il auroit dit aux
autres bien mieux que moi , que l'origine
des Romans eft & doit être preſque de la
même antiquité que le genre- humain , puifqu'elle
eſt dûe au foible le plus marqué , le
plus indeſtructible , & le premier qui ſe ma
DE FRANCE و
nifeſte en nous avec la penſée , l'amour du
merveilleux.
Quelques Finlandois ou Tiroliens, tels que
ceux que le peuple admire à la foire , n'ontils
pas pu fuffire pour donner l'idée des géants ?
Les Lapons s'éloignent-ils beaucoup de la
taille des Nains ? Les météores n'ont-ils pas
pu faire naitre auſſi l'idée des Génies & des
efprits élémentaires , comme les mugiſſemens
des volcans & leurs gouffres embrafés ont
dû donner celle du ténare ? La fable , Monfieur
, eſt ancienne comme le monde ; elle
n'a fait que varier ſelon les temps , felon les
climats , felon les connoiſſances. La Fontaine
a grande raifon de dire :
L'homme eſt de glace aux vérités ;
Il eſt de feu pour les menſonges.
Il eſt vrai que la fable , dans tous les pays
& dans tous les temps , a toujours tenu de
très-près aux moeurs de ceux qui l'ont mife
en crédit ; mais ne voit- on pas que ces fables
ont varié fans ceſſe d'un peuple à l'autre&
de peuple à peuple ? La première communicationdes
idées adoptées n'eſt malheureuſement
preſque toujours qu'un mutuel échange
d'erreurs mêlées d'un très-petit nombre de
vérités , qui ne font même ſouvent que des
vérités de convention. C'eſt du fond de ces
fables que le génie obſervateur peut tirer
quelques lumières , & l'on ne peut pas reprocher
à M. Bailly de n'avoir pas fait ces rap-
:
Av
10 MERCURE
prochemens difficiles avec de la vraiſemblance
& bien de la ſagacité.
Il me feroit urile & agréable, Monfieur
de differter avec l'Auteur de cette lettre fur
les probabilités qui peuvent donner quelque
avantage, aux différentes Nations pour l'invention
& la texture des anciens Romans ;
mais je n'ai pu ſaiſir l'ombre pour le corps
dans cette lettre dontj'ai connu le véritable
objet, ni croire que la grande queſtion , objer
des recherches immenfes de M. Bailly, puiffe
être fuffisamment réſolue , parce que les
Aſiatiques ont mis plus d'invention
fleurs dans leurs fables , que les Romanciers
François & Anglois n'en ont mis avant les
règnes de Louis-le-Gros & de Henri Premier.
&de
Je crois bien que l'invaſion des Mores en
Eſpagne dans le huitième fiècle, apu contribuer
à polir les loix de la Chevalerie ; mais
l'eſprit de cette Chevalerie ſubſiſtoit bien
antérieurement chez des peuples libres, courageux
juſqu'à la férocité,&qui divinifoient
déjà la plus douce des paflions & le fexe enchanteur
qui l'infpire. Les poéfies Orcadiennes
, Ecoffaiſes, Irlandoiſes ſont tout au moins
de la même antiquité que l'Edda , & leNord
a toujours eu dans les moeurs de ſes habitans
le fond de ces ſentimens héroïques qui , de
proche en proche , ont fait la conquête de
I'Afie & de l'Europe.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur.
DEFRANCE. 11
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt la Lettre A; celui
du Logogryphe eſt Pie, oiſeau , où ſe trouvente
S. Pie Pie, ſynonyme de Pieuſe , &
Pie Pape régnant.
L
ENIGME.
'ESPRIT frappé d'une étrange façon,
Je m'imagine toujours être ,
Sans rime ni raiſon , t )
Ce que qui que ce ſoit ne me trouvé paroître,
Mais comme follement
J'agis en conféquence ,
L'on me voit devenir par fois réellement
Ceque je n'étois point avant mon imprudence.
Pocquelin a joué tous mes pareils & moi ;
Mais il ne nous a pas corrigés davantage.
Notre folie eſt notre unique loi ;
Et qui nous applaudit , eft à nos yeux ſeul ſages
Σ
Avj
12 MERCURE
LOGOGRYPHE.
NUIT & UIT & jour dans Paris à mon pofte attaché,
:
L'on ne m'y voit jamais ni debout ni couché.
Des mains des ſcélérats que ma vue importune ,
Je ſauve bien ſouvent& la blonde & la brune.
J'écarte du danger maints badauts étourdis ;
Je force à reculer même les plus hardis.
Si cela ne ſuffit pour me faire connoître ,
Combinons les neufpieds qui compoſent mon être.
Je laiſſe voir , Lecteur , &du premier coup-d'oeil ,
Ce qu'on faitquelquefois dans les bras du ſommeil ;
Une matière auſſi tranſparente &fragile;
Pour la maigre cuiſineune autre très-utile ; ..
Une triſte Cité dans le pays Normand;
Égales dans leur ton , trois notes dans le chant ;
Celui qui s'eſt fait chair pour le ſalutdu monde;
Le lieu de mon tourment; puis un inſecte immonde;
Ce qui ſubſtantif eft , & tantôt adjectif,
Et dans ce dernier cas , actif, neutre ou paſſif;
Une herbe d'odeur forte ; un fleuve de l'Eſpagne ;
Et du premier pecheur la coupable compagne.
(Par M. Labrouche de Dax , FeudisteaPar)
DE FRANCE.
13
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
NOTICE des Éloges lus à la rentrée de
l'Académie des Sciences , le 14 Novembre
dernier (a) .
Les ſavans Mémoires lus à cette Affemblée
ont déjà été donnés par Extrait dans ce
Journal. Il nous reſte à parler des Éloges
qu'on a lus dans la même Séance , & qui
n'ont pas été pour les Auditeurs l'objet le
moins intéreſſant. Mais avant d'entrer dans
quelque détail à ce ſujet , qu'on nous permette
un mot ſur l'état actuel de l'illuſtre
& reſpectable Compagnie qui donne lieu à
cetArticle.
L'Académie des Sciences , dont les travaux
ſemblent aujourd'hui attirer plus que
jamais l'attention publique, fut établie au
milieu du dernier fiécle par les ſoins d'un
Miniftre (6) & ſous les aufpices d'un Roi (c)
qui n'étoient ſavans ni l'un ni l'autre , mais
qui connoiffoient le prix des Sciences ; ce
qui peut- être a mieux valu pour elles , que fi
(a) Cet Article eſt de M. d'Alembert.
(6) Colbert.
(c) Louis XIV
:
14 MERCURE
le Roi & le Miniſtre avoient eu des préten
tions au ſavoir. L'illustre & malheureux Kepler
penſa mourir de faim à la Cour de
l'Empereur Rodolphe , qui l'avoit pourtant
appelé auprès de lui , & qui ſe piquoit d'être
Aftronome, & même Aftrologue. Il est bon
d'apprendre cette Anecdote aux Gens de
Lettres , qui ne la favent guère , & auxPrimces
, qui ne la favent pas. Les uns & les autres
pourront voir , s'ils en font curieux ,
dans les OEuvres de Kepler ſa lamentable
complainte à ce ſujet. « Je ſuis obligé , dit-
>> il , pour ne pas deshonorer par ma misère
» & par ma mortfa facrée Majesté Impé-
» riale , de faire & de vendre à la Cour des
» Almanachs à prédictions , les feuls ouvra-.
>> ges qu'on y achette & qu'on y life » . N'ou
blions pas d'ajouter, pour éviter toute équi
voque , qu'il parloit de la Cour Impériale
defon temps.
Revenons à l'Académie des Sciences. Elle
eut d'abord à peu-près la même forme que
P'Académie Françoiſe; forme que peut-être
elle auroit bien fait de conferver, fi elle avoit
pu. Ce ne fut pas l'avis d'un de ſes Membres,
qui étoit apparemment le premier des Académiciens
par ſon crédit , s'il ne l'étoit pas
par ſon merite. Il fit donner à cette Société
de Savans & de Philoſophes ( à qui l'égalité
convenoit fi bien) des Honoraires, des Penfionnaires
tant ordinaires que vétérans , des
Alſociés de trois ou quatre fortes , enfin jufqu'à
des Élèves , qui dans la fuite obtinrent
DE FRANCE.
le titre plus honnête d'Adjoints , par la
raiſon que trois ou quatre Académiciens
étoient morts à 70 & 80 ans avec le titre
d'Élèves , & que pluſieurs autres de cette
même claſſe s'étoient trouvés en ſavoir plus
que leurs Maîtres; deux motifs affez plaufibles
pour faire fupprimer cette dénomination
fubalterne . L'Académicien dont nous
parlons ſe fit auſſi , & même avant tout
accorder le titre de Président de la Compagnie;
car il aimoit à préſider. Fontenelle ne
penfoit pas de la ſorte, lorſqu'il répondit au
Régent , qui lui offroit aufli la Préſidence :
Monseigneur , ne m'ôtez pas le plaifir de
vivre avec mes égaux; fans doute ſa modeſtie
ne l'empêchoit pas de fentir , qu'à
toute rigueur iln'avoit pas beſoin , dans une
Société Littéraire , d'être Préſident pour être
quelque chofe. Quoi qu'il en ſoit , le Réformateur
de l'Académie des Sciences auroit
bien voulu réformer de même l'Académie
Françoiſe , & la préſider aufli ; mais on ne
réuffit pas toujours; & cette Compagnie ,
qui ſe trouva bien ſous la forme qu'elle
avoit , jugea à propos de la conferver (a). Un
Philoſophe de mauvaiſe humeur , mécon-
(a) Voyez là-deſſus un plus long détail dans
F'Éloge de M. l'Abbé de Dangeau , pag. 203 & ſuiv
de l'ouvrage qui vient de paroître ſous ce titre :
Éloges lusauxSéancespubliques de l'Académie Franfoife.
4
16 MERCURE
tent de toutes ces réformes Académiques ,
exécutées ou tentées , a trop durement appelé
l'Auteur un Académicien de pédante mémoire,
fi pourtant il en a laiſſe une ; nous
n'adopterons point cette injure ; & nous aimons
mieux ſuppoſer à ce Mécène des intentions
louables , quoique peu éclairées. Nous
devons même avouer à fon honneur , ou du
moins à ſa décharge , qu'il obtint pour l'Académie
une ſomme annuelle de 40000 liv.
qu'apparemment il jugea fuffiſante pour la
ſubſiſtance de plus de vingt Savans, entre lefquels
elle devoit être partagée. Mais il avoit
pour principe cet apophtegme du bienfaisant
Charles IX, qu'il faut nourrir les Gens de
Lettres, & nonpas les engraiffer (a ).
Le nouveau Préſident de l'Académie des
;
(a) Ce Roi , fi économe pour les Gens de Lertres
, ne dédaigna pourtant pas d'engraiffer fon Precepteur
, le célèbre Jacques Amyot , qu'il fit Évêque
d'Auxerre & Grand Aumônier de France , & qui
mourut riche de plus de deux cens mille écus. Un
jour il demandoit encore à Charles IX un bénéfice
conſidérable : eh quoi , mon père , lui répondit le
Roi , vous difiez que fi vous aviez mille écus de rente
vous feriez content ; je crois que vous les avez & par
delà. Sire , répondit- il , l'appétit vient en mangeant..
Et cependant il obtint ce qu'il demandoit. Il eût
mieux valu ne pas laiſſer dans l'indigence d'autres
hommes de mérite , pour ſatisfaire l'avidité d'un ſeul.
Mais c'eſt ainſi que les Princes ſans équité & fans
lumières diftribuent leurs bienfaits.
DEFRANCE. 17
Sciences la diviſa en différentes claſſes , relatives
aux différens objets dont elle devoit
s'occuper; on ne fait pourquoi ni comment
il oublia deux de ces claſſes , qui méritoient
pourtant bien d'être comptées , l'Histoire
Naturelle & la Physique expérimentale ; mais
ſi le Préſident les oublia , la Compagnie ne
les oublia pas : elle a cultivé ces deux Sciences
avec autant de zèle & de ſuccès que les
autres.
En rendant ce compte au Public de la
ſituation & des travaux de l'Académie , nous
nous faiſons un devoir de publier la reconnoiſſance
qu'elle doit à M. Necker , qui
animé du defir fi louable de favorifer le progrès
des Sciences , deſir qu'il manifeſte par
les effets , & ne borne pas aux apparences
( comme beaucoup d'autres ) vient d'obtenir
du Roi , pour cette Compagnie , une ſomme
annuelle de douze mille livres , uniquement
deftinée aux expériences qu'elle jugera les
plus importantes &les plus utiles.
L'Académie , dans ſon premier état , où
elle n'étoit encore ni réformée ni préſidée , ne
laiſſoit pas de compter au nombre de ſes
Membres les Huyghens , les Roëmer , les
Pecquet , les Claude Perrault , les Mariotte ,
les l'Hôpital , les Caffini , les Tournefort ,
les Homberg , les Duverney , & pluſieurs
autres , dont les noms illuftres ne paroiffent
pas avoir été effacés par ceux de leurs plus
dignes fucceffeurs ; ſoit dit fans vouloir fa
18 MERCURE
crifier à la gloire des morts la vanité des
vivans .
Néanmoins cette Compagnie ne jouiffoit
pas alors , il faut l'avouer , de toute la célébrité
qu'elle méritoit , &qu'elle n'a obtenue
que depuis. On peut en donner pluſieurs
raifons. D'abord les Sciences étoient alors
beaucoup moins cultivées , ou plutôt moins
à la mode ; elles étoient renfermées dans
une eſpèce de ſanctuaire , d'où les profanes
n'approchoient pas ; aujourd'hui , fi le vrai
fanctuaire n'eſt guères plus fréquenté , les
avenues du ſanctuaire le font beaucoup , &
plus d'un amateurmême fait ſemblant de les
connoître fans en avoir approché. En fecond
lieu , l'ancienne Académie ne donnoit pas
chaque année , comme la Moderne , ces volumes
de Mémoires, & fur-tout cette Hiftoire
intéreſſante , qui ont tant contribué à
ſa réputation ; & quoiqu'elle eût de trèsfavans
hommes pour Membres , elle n'avoir
pas un Fontenelle pour Secrétaire. Enfin elle
ne tenoit point encore ces Afſemblées publiques
, qu'elle tient régulièrement aujourd'hui
deux fois chaque année , & qui
rendent ſes travaux plus éclatans , en appre
nant à la multitude combien ils font utiles.
La multitude en effet (dans tous les fenspoffibles
de ce mot ) eft fort affidue à ces Affemblées
, &l'Académie l'y voit avec plaifir ,
quoiqu'elle ſache bien qu'il n'y a pas à beaucoup
près autant de juges dans la falle que
DEFRANCE.
d'auditeurs ; mais elle n'ignore pás que l'af
fluence des individus ( connoiffeurs ou non )
aux Séances d'une Société Littéraire , eſt la
mefure , & pour ainſi dire le thermomètre
de fon, exiſtence dans l'opinion publique ;
ear il importe avant tout à un corps de n'être
pas compté pour rien; les libelles mêmes
valent pour lui beaucoup mieux que l'oubli ,
qui peut être un bien pour le fage ifolé, mais
qui feroit pour une Compagnie quelconque,
même de fages , une condition affez facheuſe.
Ainfi ( pour le dire en paffant ) tant
que l'Académie Françoiſe, objet continuel
d'un déluge de fatyres , qui l'amufent ou
lui font pitié felon qu'elles le méritent ,
verra ſes Affemblées aufli nombreuſes &
auffi brillantes qu'elles le font depuis longtemps
, elle pourra dire aux faiſeurs de fatyres
(a) comme au Menteur, à qui pourtant
nous n'avons garde de comparer tant
d'Écrivains honnêtes :
Les gens que vous tuez ſe portent affez bien.
Un des objets qui attirent le plus d'auditeurs
aux Séances publiques de l'Académie
des Sciences , ce font les éloges que le Secrétaire
y fait des Membres que la Compagnie.
a perdus . L'Affemblée est bien aife de connoître
& de juger ces illuſtres ou non illuſtres
morts , dans leurs travaux & dans leurs per
(a) Voyez le Menteur de Pierre Corneille.
20 MERCURE
ſonnes ,&deprononcer d'après leursoeuvres,
ſi lechoix que la Compagnie avoit fait d'eux,
étoit l'ouvrage de la juſtice ou de la faveur.
Auſſi eſt-il arrivé plus d'une fois , que pour
eſquiver ce jugement , le Secrétaire a gardé
prudemment le filence fur certains défunts,
& que prudemment auſſi l'Académie l'a
laiffe faire. M. de Fontenelle s'eſt diſpenſé
de faire l'éloge de plus de quarante Académiciens
, entre autres du Cardinal du Bois ,
quoique mort Premier Miniſtre (a). MM. de
Mairan & de Fouchy, ſes fucceffeurs , ont
plusd'une fois pris la même liberté, fous le
bon plaiſir de l'Académie & du Public.
D'autres fois le Secrétaire a ſuppléé par fon
talent à l'aridité du ſujet; & les éloges de
Fontenelle les moins intéreſſans pour le
fond, ne fontpeut-être pas les moinspiquans
par la forme (b).
Ceux deMM.Malouin&Haller,que M. le
(a) Il faut pourtant convenir que M. de Fontehelle
a quelquefois trop uſé de la liberté que l'Académie
lui laiſſoit à cet égard, & que parmi les Académiciens
dont il n'a pas fait l'éloge , il s'en trouve
plufieurs , tels que Vaillant , Vieuſſens , le Maréchald'Eftrées,
&c. qui ne méritoient pas d'être paffés
fous filence.
(b) Voyez entre autres dans le Volume de 1715,
celui d'un Académicien aſſez obfcur , rommé Morin.
Voyez auffi ceux de Parent, des des Billettes , d'Ozanam
, &c.
DE FRANCE. 21
Marquis de Condorcet a faits dans la dernière
Séance publique , n'ont point été contredits
par l'auditoire ; & quoique d'un genre trèsdifférent,
ils ont réuni tous les fuffrages .
On a vu dans M. Malouin un Chimiſte
laborieux , inftruit , diftingué même pour
ſon temps , mais plus foible à la vérité pour
le nôtre, où la Chimie a pris une face nouvelle,
qui pourroit bien n'être pas la dernière
; on a vu ſur-tout un Médecin trèszélé
pour l'honneur de fa profeffion. Il
croyoit à la certitude de la Médecine , comme un Mathématicien à celle de la Géométrie.
Ayant ordonné beaucoup de remèdes
àun homme de Lettres célèbre , qui les prit
exactement , & qui ne laiſſa pas de guérir ,
M.Malouin luidit en l'embraſſant , vous êtes
digne d'être malade. Son eſtime pour nos
meilleurs Écrivains étoit meſurée ſur le
pect qu'ils témoignoient eux-mêmes pour la
Science qui lui étoit ſi chère; il n'entendoit
point raillerie là-deſſus. Un d'eux ayant plaiſanté
devant lui ſur les Médecins , & bientôt
après ayant eubeſoinde ſes ſecours : je viens ,
lui dit-il , je vous hais , je vous guérirai, &
jene vous verrai plus. Il repréſentoit à un
autre incrédule , que tous les Grands Hommes
refavoient
honoré la Médecine : C'estdommage
, lui répondit le mécréant , qu'il faille
rayer de cette liste de Grands Hommes un
certain Molière. Auſſi , répliqua ſur le
champ M. Malouin , voyez comme il est
22 MERCURE
mort (a) ! Ce grand Poëte comique auroît dit
de notre Académicien , comme d'un grave
Docteur qu'il a mis ſur le théâtre, que c'étoit
un homme tout Médecin de la tête auxpieds.
Mais la justice nous oblige d'ajouter , que la
vénération de M. Malquin pour fon Art
n'étoit pas , comme celle des Médecins de
Molière , le fruit & le cachet de l'ignorance
, encore moins le maſque de la charlatanerie.
On ne pourra pas lui reprocher,
comme à plus d'un affronteur en différent
genre , d'avoir prôné & débité les drogues
auxquelles il ne croyoit pas.
Ce qui rend fur-tout la mémoire intéreffante
, c'eſt qu'il fut un Médecin vraiment
citoyen & patriote. Par fon teftament il a
fait un legs à la Faculté de Médecine , fous
la condition de tenir tous les ans une Affemblée
publique , où elle rendra compte à la
nation de ſes travaux , juſqu'à préſent enfouis
dans ſes regiſtres , &perdus en quelque
forte pour l'humanité. M. Malouin étoit
perfuadé , dit M. de Condorcet , que pour
être eftimés , les Médecins n'avoient beſoin
que d'être mieux connus. L'événement fera
voir s'il s'eſt trompé & nous faiſons
des voeux ſincères pour que ſes intentions
foient remplies. Nous ajouterons encore àfon
د
(a) On fait que Molière mourut preſque ſubitement
, étouffé par le ſang qu'il vomiſſoir à grands
Lots.
DEFRANCE.
23
éloge, qu'il fut à la fois économe & défintéreſfé
; qu'après deux ans d'une pratique
très-lucrative, il quitta Paris pour Verſailles,
où il voyoit peu de malades , diſant qu'il
s'étoit retiré à la Cour; qu'il eut l'amitié ,
l'eſtime & la confiance de l'illuftre Fontenelle,
dont il aimoit à louer les moeurs douces
, les vertus aimables , & fur-tout cette
bienfaiſance qu'il pratiquoit ſans oftentation
& preſque ſans le ſavoir lui-même. A
cette occafion l'Hiſtorien de l'Académie s'eſt
cru dans l'obligation ( dont fans doute la
voix publique l'auroit diſpenſé ) , de venger
la mémoire de ce reſpectable & vrai Philoſophe
, révérée par tous les Écrivains qui atta
chent quelque prix à la vérité &à la décence ,
mais indignement outragée & calomniée
dans ces derniers temps par des hommes condamnés
à vivre des menfonges qu'ils impriment
, & voués au malheur de haïr également
les vivans & les morts. Obſervons
pourtant , en rendant à toutes les qualités
de Fontenelle la juſtice qui leur eſt dûe , que
celle qui plaifoit de préférence à M. Malouin
, étoit la ſoumiſſion du Philofophe à
ſes ordonnances. Car ce Médecin étoit ſi
convaincu de l'efficacité de fes remèdes ,
qu'on l'a vu quelquefois , au refus de ſes
malades , prendre lui - même les potions
qu'il leur avoit ordonnées , afin qu'elles ne
fuſſent pas perdues.
Comme il croyoit à la Médecine encore
plus pour lui que pour les autres , ſon ré
24
T MERCURE
gime , ſur-tout dans ſes dernières années ,
étoit auſtère , & réglé preſque heure par
heure. Il pratiquoit en cela, peut-être encore
trop ſévèrement , la Médecine préſervative ,
plus fûre au moins que la curative , & femblable
en ce point à la Morale , qui est bien
plus propre à prévenir les maux de l'ame
qu'à les guérir. Ce régime a du moins valu
àM. Malouin ce que tant de Philofophes
ont defiré , une vieilleſſe ſaine & une mort
douce; il n'a point connu les infirmités de
l'âge , & il eſt mort d'apoplexie le 3 Janvier
1778 , fans douleur , & fans avoir ni prévu
ni ſenti ſa fin.
L'Éloge de M. Haller au prochain Mercure.
Obfervations faites pendant lefecond voyage
de M. Cook, dans l'Hémisphère austral &
autour du monde,furlaGeographie,l'Hiftoire
Naturelle & la Philofophie morale ,
& en particulierfur la Terre &fes couches,
l'Eau & l'Océan , l'Athmosphère , les révolutions
du Globe , les Corps organisés ,
& l'espèce Humaine; par M. Forſter père ,
de la Société Royale de Londres , & de
pluſieurs Académies de l'Europe. Ouvrage
traduit de l'Anglois. Tome V. A Paris ,
chez Mérigot , Quai des Auguftins , 1778.
Aves Approbation & Privilege du Roi ,
in-4°. de 522 pages . こ
M. Forſter accompagnoit le Capitaine
Cook en qualité de Naturaliſte. C'eſt un habile
DE FRANCE.
25
bilePhyſicien qui a parcouru le globe avec
l'oeil attentif d'un Obſervateur éclairé . Rien
n'échappe à ſa pénétration ; & le Lecteur en
parcourant les feuilles de ſon Livre , voit ,
pour ainſi dire , la nature ſe développer devant
lui. Ses Obſervations ſe portent fur
tout ce qu'elle offre d'intéreſſant , ſur le ſol
& fur les terres , fur les inégalités de ces
terres , fur leurs couches & fur les matières
dont elles font compoſées , ſur les ſources
& les ruiſſeaux , ſur l'eau de la mer , fur la
couleur , la falure & la lumière phoſphorique
de cette eau , ſur l'Océan , ſa chaleur
ou ſa température & fa profondeur , fur
l'existence d'un continent auſtral , ſur l'athmoſphère,
ſes changemens , ſes météores ,
les vents , les tempêtes , &c .
On fait que l'eau de la mer eſt quelquefois
lumineuſe : elle jette une lumière phoſphorique
, dont les Phyficiens ont eſſayé de développer
la véritable cauſe. Les uns ont attribué
ce phénomène à un infecte lumineux ,
vivant ſous l'eau , qui a du rapport à l'efpèce
des chevrettes ; d'autres , à une autre
claſſe d'animaux mous , du genre des sèches
ou des ſcolopendres , qui couvrent quelquefois
une partie de l'Océan , & que l'on voit
répandre autour d'eux une lumière affez
vive. M. Forſter convient que ces chevrettes ,
ces ſcolopendres , sèches , méduſes , ainſi que
d'autres poiſſons & coquillages , peuvent
rendre la mer lumineuſe , & le fait eſt inconteſtable
à l'égard de pluſieurs dont on
5 Février 1779.
:
B
26 MERCURE
diftingue aisément le corps briller à la furfice
de l'eau ; mais il doute que ce ſoit-là la
Teule cauſe de la lumière phoſphorique de
l'eau de la mer. Il a quelquefois obſervé que
cette lumière ne s'étendoit pas à une grande
diſtance du vailleau ; la partie qui étoit près
du bâtiment , paroiſſoit ſeule lumineuſe , &
la lumière ne ſe communiquoit qu'au fommet
des vagues voifines qui s'en détachoient
obliquement : cela arrivoit pour l'ordinaire
dans un vent frais. D'autres fois dans un
long calme , ou immédiatement après le
calme, dans un temps chaud , la lumière phofphorique
s'étendoit plus au loin au-delà du
-vaiſſeau , & ſe mêloit avec la maſſe des flots.
Cette eau , miſe dans un tube, y perdoit fon
éclat lorſqu'elle n'étoit plus en mouvement;
elle le reprenoit dès qu'on l'agitoit violem-
-ment. La lumière même ſembloit s'attacher
-un moment ſeulement au doigt ou à la main
qui remuoit l'eau.
La nuit du 29 au 30 Octobre 1773 , un
phénomène plus fingulier & plus étonnant
frappa les regards de tout l'équipage du Capitaine
Cook. C'étoit à la hauteur du Cap
de Bonne-Efpérance , à quelques milles de
la côte , & par un vent frais. La nuit avoit à
peine étendu ſon voile fur la furface des
flots , que la mer parut toute en feu ; chaque
vague qui ſe briſoit avoit une cime lumineuſe
; par-tout où les côtés du vaiſſeau touchoient
les vagues , on appercevoit une ligne
de lumière phoſphorique, L'oeil découvroit ,
DE FRANCE.
2.7
de toutes parts cette lumière ſur l'Océan ;
le fond lui-même des lames les plus épaiſſes,
ſembloit imprégné de cette qualité brillante ;
on voyoit de grands corps éclaires ſe mouvoir
; quelques-uns marchoient le long du
vaiſſeau , d'autres s'en écartoient avec une
viteſſe preſque égale à celle d'un éclair. La
forme de ces corps annonçoit que c'étoient
des poiffons. M. Forſter tira un ſeau de cette
eau lumineuſe afin de l'examiner; il y trouva
un nombre infini de petits corps ronds lumineux
qui s'agitoient avec une vivacité ſurprenante
; après que cette eau ſe fut repoſée
un peu de temps , la quantité de petits objets
étincelans lui parut diminuer ; mais en
remuant l'eau de rechef, il obſerva qu'elle
redevenoit entièrement lumineuſe ; les petites
étincelles ſe remuèrent de nouveau avec
agilité , en différentes directions. Quoique
le ſeau qui contenoit l'eau fût ſuſpendu ,
afin qu'il fût moins affecté du roulis du
vaiſſeau , on y appercevoit toujours des corps
Trétincellans qui ſe remuoient , de forte que
M. Forſter crut d'abord que ces atômes lumineux
avoient un mouvement ſpontané indépendant
de l'agitation de l'eau ou du vaifſeau;
mais dès qu'il remuoit l'eau avec un
bâton , ou fimplement avec le doigt , la lumière
s'accroiſſoit ; ſouvent en troublant
l'eau , l'une de ces étincelles phoſphoriques
-s'attachoit à la main ou au doigt : elles étoient
-à peine de la groſſeur de la tête d'une petite
épingle . En regardant ces atômes avec le
Bij
28 MERCURE
moindre grofliffeur de fon microſcope ,
notre Phyficien les jugea globulaires , gelatineux
, tranſparens & un peu brunâtres . Il
en obferva un plus particulièrement , & il
vit d'abord une eſpèce de tube mince qui
entroit dans la ſubſtance de ceglobe par un
orifice qui ſe trouvoit à ſa ſurface; l'interieur
étoit rempli de quatre ou cinq facs inteftinaux
oblongs , joints au tube dont on
vient de parler. Le plus grand groffiffeur du
microſcope lui montra les mêmes chofes,
plus diſtinctement & fous une forme plus
grande. Il voulut examiner un des animalcules
dans l'eau , & enfuite le placer fous le
microſcope ; mais il ne put en prendre un
en vie ; ils mouroient avant qu'il les eût détachés
du doigt auquel ils ſe colloient. Le 22
Novembre , lorſque le Capitaine Cook
quitta le Cap , la mer étoit encore lumineufe
de la même manière, par un vent très- fort.
Voilà trois eſpèces de lumière phoſphorique.
La dernière est sûrement caufée par
eette prodigieuſe quantité d'animalcules vivans,
qui flottent dans la mer & qui font
doués de la faculté de briller dans les ténèbres.
La ſeconde eſpèce paroît être une
véritable lumière phoſphorique. Plufieurs
-corps animés ſe pourriffent, dit M. Forſter ,
& ſe diffolvent dans l'Océan , &preſque
chaque partie des corps animés, la plupart
des minéraux , & l'air lui-même , contiennent
l'acide de phoſphore comme partie intégrante
; tous ceux qui ont vu du poufon
DE FRANCE.
29
ſalé fécher , doivent ſavoir que ce poiffon
devient prefque toujours phoſphorique. C'eſt
auffi un fait bien établi que la mer , après un
long calme , devient puante & très-putride;.
ce qui , ſuivant toute apparence , eſt l'effet
de la putréfaction d'un grand nombre de
ſubſtances animales qui meurent dans l'Océan,
qui y flottent , & qui dans les jours
chauds des calmes s'y pourriſſent ſouvent
tout-à-coup. Il eſt reconnu également que
les poiffons , les sèches & les autres molluſca
renferment des particules huileuſes &
inflammables ; l'acide du phofphore , dégagé
par la putréfaction du melange primitif qui
le retient dans les corps animés , peut fe
combiner avec quelques- unes de ces matières
inflammables , & produire ainſi un phofphore
flottant qui opère cette lumière que
nous admirons.
Quant à la première eſpèce , M. Forſter
en croit la cauſe abſolument différente de
celle des deux autreess ,,& il l'attribue à l'électricité.
On fait , dit-il , que le mouvement
d'un vaiſſeau dans les flots par un vent frais ,
eſt très-vif , &qu'il y a beaucoup de frottement;
car la mer , qu'agite un coup de vent,
eſt beaucoup plus chaude que l'air. Les ſubſtances
bitumineuſes qui couvrent les côtés
du vaiſſeau , les clous attachés à la calle , &
l'eau qui fert de conducteur , expliquent
d'ailleurs ces effets électriques. C'eſt aux Savans
à apprécier cette explication.
Des Phyſiciens en France , comme en An-
B iij
30
MERCURE
L
gleterre , ont foupçonné , il y a long-temps,
l'exiftence d'un grand Continent auſtral. S'il
n'y avoit pas de terres conſidérables dans
l'hémisphère auſtral , diſoient-ils , le contrepoids
ne ſeroit pas fuffifant pour ' balancer
les terres du Nord. La navigation du Capitaine
Cook autour du globe , a prouvé d'une
manière incontestable qu'en-deçà du ſoixantième
degré il n'y a point de terres dans l'hémiſphere
auftral , ſi ce n'eſt les fragmens peu
étendus que ce Navigateur a trouvés dans la
mer atlantique du Sud; & en fuppofant l'efpace
qui eſt par-delà le ſoixantième parallèle
, entièrement rempli de terres , il n'y en
auroit pas affez pour ſervir de contre-poids
à celles de l'hémisphère du Nord. Notre Savant
Naturaliſte eſt porté à croire que la Nature
a pourvu à cet inconvénient , en plaçant
peut-être au fond de la mer du Sud des
corps qui , par leur peſanteur , compenfent
l'abfence des terres, fi toutefois ce contrepoids
eft néceſſaire ; car pluſieurs en ont regardé
la néceſſité prétendue comme une chimère.
Le Chapitre qui traite des révolutions de
notre globe , tant régulières qu'accidentelles,
de la diminution des eaux de la mer & de
la formation des iſles , eſt un des plus cu-
• rieux. Les changemens produits par le cours
ordinaire de la Nature ſont merveilleux fans
doute , mais ceux que l'art de l'homme opère
fur la furface de la terre , ne font pas moins
admirables. Dans les lieux où ce Roi de la
DE FRANCE. 31
1
création n'a point travaillé , la Nature languit
, ſa beauté abandonnee à elle- même devient
difforme ; des bois impénétrables y
couvrent la terre; les arbres ont quelquefois
de la grandeur & de la force , mais la plupart
tombent de vieilleffe , & on en voit une
quantité innombrable couchés dans un état
de pourriture : ici l'on en voit un ſans écorce ,
là, on en apperçoit un autre ſans panache ;
tout l'eſpace qui est au-deſſous eft rempli de
ronces , d'arbriffeaux & de liferons qui vous
empêchent de marcher ; tout ce qui végète
eſt ſuffoqué & enſeveli ſous des moufles &
des lichens ; l'eau qui croupit de tous côtés ,
produit des marais immenſes qui ne peuvent
ſervir ni aux habitans de la terre , ni aux habitans
de l'eau , & qui ſont couverts de plantes
giganteſques , mais groſſières , qui ne
contribuent preſqu'en rien à la nourriture
des animaux.
Dès que l'homme paroît dans ces contrées ,
il arrache les végétaux inutiles à ſa ſubſiftance
& à celle des autres animaux ; il s'ouvre
un paſſage , il conſerve les plantes ſalutaires
& les productions dont il peut tirer
des avantages ; il enlève avec ſoin tout ce
qui eſt brife , tout ce qui tombe de vieilleſſe
&de pourriture; il empêche la putréfaction
*& les émanations dangereuſes d'infecter
l'air ; il fait couler les eaux ſtagnantes & immobiles
, qui reprennent de la limpidité &
de la vie; le fol ſe sèche & ſe couvre de ver
Biv
32 MERCURE
dure; il ſe forme un brillant gazon émaillé
des fleurs les plus odorantes ; les animaux
vont paître dans ces nouvelles prairies; ſi la
violence du ſoleil commence à les brûler ,
l'homme y répand l'onde rafraîchiffante d'un
ruifleau , & il maintient ainſi la végétation ;
un arbre à pain déploie ſes branches touffues
qui offrent un fruit agréable ; le pommier ,
chargé de fon fruit doré , ſemble le difputer
à l'arbre à pain, par le nombre & l'excellente
faveur de ſes productions ... Combien
la Nature est belle ! combien elle eſt utile
entre les mains de l'homme ! & quels heureux
effets y produiſent ſes ſoins !
Telles font les réflexions que fait naître la
comparaiſon des déſerts de la Nouvelle-Zélande
avec la beauté de l'Iſfle de Taïti, la plus
fortunéedes Ifles de la mer du Sud.
M. Forfter ne jette qu'un coup-d'oeil rapide
ſur les végétaux & les animaux qu'il a
trouvés dans les ifles qu'il a parcourues ,
pour fixer plus long-temps fon attention fur
l'eſpèce humaine. Le nombre des habitans
desdifférentes ifles , &leur population ; leurs
variétés relativementàla couleur, à la taille ,
à la force , au tempérament , au génie ; les
caufes de la différence des races des infulaires
, leur origine & leurs migrations ; les
progrès que les nations de l'hémisphère auftral
ont faits dans la civiliſation , leurs
moeurs , leur religion , leurs arts & leurs
ſciences , font autant d'objets qu'examine
DE FRANCE.
33
particulièrement notre Voyageur Philofophe:
cette partie de fon Livre eſt la plus intéreſſante.
Le genre humain , très-multiplié en-dedans
ou près des Tropiques , eſt très-clair-femé
vers les extrémités du globe. La civiliſation
des infulaires de la mer du Sud eſt auſſi plus
avancée à meſure qu'ils ſe trouvent plus loin
des pôles : ils jouiſſent d'une ſubſiſtance plus
variée & plus abondante ; ils ont des habitations
plus ſpacieuſes , plus propres & plus
adaptées au climat ; leurs vêtemens ſont plus
lézers , plus commodes , leur population plus
nombreuſe , les ſociétés mieux réglées , la
fûreté publique mieux établie contre les invaſions
étrangères , leurs manières plus civiles
, les eſprits plus fufceptibles d'inftruction
, les coeurs plus capables d'affection ; ils
ont une eſpèce de morale , & même quelques
idées d'un Etre Suprême , d'une vie à
venir , de l'origine du monde; ils jouiffent
d'une certaine doſe de bonheur comme individus
& comme membres d'une nation .
Au contraire , les miférables mortels qui habitent
les environs de la zône glacée font les
plus dégradés de tous les êtres humains ; le
peu d'alimens qu'ils ſe procurent eſt degoûtant
; ils n'ont que de mauvaiſes cabanes &
des vêtemens groſſiers qui ne les mettent pas
à l'abri des rigueurs du climat; les peuplades
font peu nombreuſes , ſans liens , fans affections
réciproques ; expoſés à toutes les infultes
des ufurpateurs, ils ſe retirent dans
By
34
MERCURE
d'affreux rochers , & ils paroiffent infenfibles
à tout ce qui porte l'empreinte de la
grandeur & de l'induſtrie : une ſtupidité brutale
forme leur caractère ; & quand ils font
les plus forts , ils font perfides , ils agiffent
contre tous les principes de l'humanite.
Un climat agréable adoucit fingulièrement
les moeurs des hommes ; le climat au contraire
des extrémités du globe, rend les fibrės
& toute la texture des corps plus groflières ,
plus rigides & plus infenfibles ; ce qui agit
incontestablement fur l'efprit & le coeur , &
détruit les ſentimens de la ſociabilité , ou ,
ce qui eſt la même choſe , les empêche de
ſe développer. Le climat n'eſt cependant pas
Ja ſeule cauſe de l'abrutiſſement des hommes
aux extrémités de la terre : le manque
d'éducation contribue auffi à leur dégradation.
Qui croiroit que ces hommes dégénérés ,
dont l'état nous paroît affreux , & que nous
regardons comme le rebut de la race humaine
, jugent autrement de leur fituation ?
Loin de fe croire malheureux , M. Forſter
les a trouvés contens de leur fort; ils ſe glorifient
des avantages de leur poſition ; aucun
d'eux ne voudroit changer ſon climat froid
contre un autre plus tempéré , ni ſa hute
contre une de nos maiſons commodes ou
contre le palais le plus magnifique; il penſe
que ſa peau de phoque lui fied mieux que les
éroffes de foie & les brocards ; il préfère un
morceau puant de chair de veau marin à un
:
DE FRANCE.
35
mets bien aflaiſonné. Leur caractère nc
pourroit pas fouffrir le joug des loix; l'indépendance
, la licence & la vengeance , leurs
paſſions favorites , les rendent abſolument
incapables de vivre dans une ſociété bien
réglee; ils ont même un mépris général pour
nous , qui ſommes aſſujétis à l'ordre & à la
fubordination ; & M. Forſter nous affure que
chacun d'eus eft fi content de ſa condition,
qu'il ne defire pas le moindre changement.
S'ils avoient peſe les avantages & les défavantages
de notre état civil , s'ils avoient
quelque idée des misères preſque ſans nombre
, dont la cupidité de l'homme civilifé,
la corruption des Gouvernemens , le luxe &
toutes les paffions qu'il excite empoifonnent
les douceurs que la ſociété nous procure ,
on diroit qu'ils ne daignent pas acheter fi
cher les commodités d'une vie paſſagère ;
peut- être au moins qu'un inſtinct d'autant
plus fûr qu'il eſt moins raiſonné , leur fait
preſſentir les noirs foucis , les chagrins cuifans
, les deſirs infatiables , les remords déchirans
, & tout le cortège des maux phyſiques
, dont il n'y a pas un ſeul individu ,
chez les nations policées , qui puiffe être
exempt. Comme leur état nous paroît beaucoup
plus affreux qu'ils ne le ſentent euxmêmes,
le nôtre leur ſemble beaucoup moins
heureux qu'il ne l'eſt pour nous. Cependant ,
avec un peu de réflexion , on s'apperçoit aiſément
que la vie du ſauvage ou du barbare
n'eſt qu'un état de délire , que leur pré
Bvj
36
MERCURE
tendu contentement n'est qu'indolence &
ſtupidité , que leurs jouiſſances font fi foibles
, fi peu nombreuſes , fi baſſes , qu'un
homme de bon ſens doit ſe feliciter d'être
né dans une fociété civilifee , où des lois
fages affurent fon bonheur autant que
l'homme peut être heureux avec les imperfections
attachées à la nature humaine.
On a ſouvent demandé quels progrès dans
la civiliſation ont fait les infulaires de la
mer du Sud , depuis l'arrivée des Européens
parmi eux. Nous allons copier la réponſe de
M. Forfter , & c'eſt par-là que nous terminerons
l'extrait de ce Livre inſtructif &
amufant par lui-même , & dont le Traducteur
a fu encore accroître l'intérêt en donnant
à ſa traduction de la clarté , de la
précifion , & toute l'élégance dont elle étoit
fufceptible.
>>Un petit nombre d'années , par rapport
à une nation , font un petit nombre de
momens dans la vie d'un homme: un homme
apprend en quelques heures des chofes
très-utiles , & qui intereffent eſſentiellement
ſon bien-être ; mais il ſeroit preſque impoflibledemontrer
dans ſon caractère , dans
la manière de vivre , dans ſa converfation
&dans ſes actions , quelques heures après ,
les avantages qu'il a recueillis de ces connoiffances.
Cela n'eſt pas moins vrai par rapport
aux nations ; un petit nombre d'années
ne fuffifent pas pour y opérer une révolution
effentielle. Nous avons porté des co
DE FRANCE.
37
chons & des volailles à la Nouvelle-Zélande
, des chiens & des cochons à la Nouvelle-
Calédonie , des chiens à Tanna , Mallicolo
& aux Ifles des Amis , & des chèvres
àTaïti : ces animaux opéreront fans doute
un changement capital dans la manière de
vivre de ces peuples ; mais nous n'avons pu
y laiffer qu'une chèvre mâle & une chèvre
femelle, & un petit nombre de couples des
autres eſpèces d'animaux ; il faudra bien des
années avant qu'ils deviennent affez nombreux
pour que chaque habitant en ait plufieurs.
Les inftrumens que nous avons laiſſés
contribueront un jour aux progrès des Arts
mécaniques ; mais comme nous n'en avions
pas affez pour que chaque homme en pût
prendre un aflortiment à lui ſeul, les changemens
qu'ils ont opérés ne font pas encore
très- conſidérables , & ces Ifles n'ont rien qui
puifle tenter une Nation Européenne à entretenir
avec elles un commerce régulier &
conftant ; il eſt probable que dans peu d'annees
on les négligera. Si nous avions pu donner
des outils de fer à chaque famille , les
naturels auroient renoncé à leurs haches , à
leurs ciſeaux de pierre , & ils auroient enfin
oublié la manière de les fabriquer : la connoiffance
de nos outils leur a même nui, à
certains égards. Accoutumés à s'en fervir,
fans connoître l'art de les faire , non plus
que celui de fabriquer le fer ; s'ils négligent
ou s'ils perdent la méthode d'en faire de
pierre, au lieu d'avoir haté leur civiliſation ,
38 MERCURE
ر ا ن ا
WI
nous l'aurons reculée de pluſieurs fiécles.
Nous n'avons point perfectionné leurs facultes
intellectuelles & morales ; on ne pouvoit
pas l'efperer de l'equipage d'un vailleau
de guerre. Ceux qui auroient ete en état de
leur donner de nouvelles idees fur les Sciences
, les Arts & les Manufactures , les principes
de la morale & de la vertu , ou d'un
Gouvernement bien régle, &repandre dans
la nation l'eſprit de charite , d'affection ,
d'amour de la communauté qui doivent enflammer
tous les hommes , manquoient de
loiur ; d'ailleurs perſonne d'entre nous n'entendoit
affez bien la langue de ces différens
peuples , & chacun etoit occupé à remplir
l'objet particulier de fa miffion».
Dictionnaire Univerſel des Sciences Morale,
Economique , Politique & Diplomatique,
ou Bibliothèque de l'Homme d'Etat & du
Citoyen , mis en ordre &publié parM.
Robinet , Cenfeur Royal. Tome IV. A
Paris , chez l'Éditeur , rue S. Dominique ,
près la rue d'Enfer.
(SECOND EXTRAIT ).
L'Article Angleterre eſt le plus important
&le plus étendu de ce Volume. Il préſente
d'abord aux yeux du Lecteur une Deſcription
Géographique de l'Angleterre. On ne
s'eſt pas borné à décrire le local de chaque
Province, on y entre dans un détail ſuffiDE
FRANCE.
39.
fant de ſes productions , des qualités du
climat , en un mot de tous ſes avantages
phyſiques . L'Hiſtoire de cette Ifle nous a
paru avoir toute l'exactitude d'un Abrégé
Chronologique , fans en avoir la fechereſſe .
C'eſt un Tableau Politique , où l'homme
d'Etat voit le Gouvernement Anglois , jadis
arbitraire , monarchique dans la fuite , tempéré
par la rivalité du pouvoir aristocratique
, agité par le tumulte de la démocratie ,
s'efforcer de rejeter tous les abus de la
Royauté abfolue , & les inconvéniens de la
forme purement Républicaine , pour prendre
un juſte milieu , & y trouver la liberté politique.
On lit enſuite une analyſe des Lettres
publiées en Anglois ſous le nom d'Humfroy
Oldcaſtle , fur l'Hiſtoire d'Angleterre & fa
Conſtitution , qui renferment des réflexions
profondes & des détails intéreſſans. Le jugement
qu'on porte fur, Jacques I donnera
une idée de la manière dont ces Lettres font
penſées , & dont l'analyſe en eſt faite.
ود
" Jacques I ne manquoit ni d'eſprit , ni
de bon- fens , ni de talens naturels & ac-
» quis ; il étoit très-capable de former un
>>plan de Gouvernement ; mais fa répugnance
infurmontable pour la guerre , ſa
foibleffe pour ſes favoris , ſon entêtement
>>pour le pouvoir deſpotique , qu'il croyoit
» pouvoir légitimement exercer , en vertu
ود
ود
ود de fon droit héréditaire à la Couronne
>>d'Angleterre , corrompirent tout ce qu'il
>> avoit d'ailleurs de bonnes qualités. II
40
MERCURE
"
ود
ود
ود
avoit , outre cela , conçu une li haute opinion
de fon mérite &de fa capacité , que
ſes courtiſans ne furent pas long- temps à
decouvrir fon foible. C'étoit à qui exa-
>>gèreroit le plus ſon ſavoir , ſon habileté ,
» & à qui poufferoit le plus loin les droits
» de la Royauté , parce que c'étoient des
moyens sûrs de gagner ſes bonnes graces " .
La vanité puérile de Jacques , fon arrogance
infoutenable , fon amour aveugle pour le
deſpotiſme , causèrent les plus grands défordres
ſous fon règne. " Il confondoit la
"
" force avec la peſanteur du ſceptre , fans
>> conſidérer que plus il eſt peſant, plus il y
" a de danger qu'il n'échappe des mains
ود d'un Prince; & fans faire reflexion que la
>> prerogative eſt de la nature d'un reffort ,
» qui fe relâche ou qui caffe quand on le
2 bande trop fort » .
La Section III du même Article traite du
Gouvernement intérieur de l'Angleterre.
C'est une Hiftoire abrégée des changemens
les plus confidérables qui font arrivés dans
leGouvernement Anglois depuis Guillaume
le Conquérant juſqu'à nos jours; une notion
préciſe de la Conſtitution politique de
l'Angleterre par Th. Gordon ; l'extrait d'un
petit Traité de B. Mandeville , ſur la même
matière ; un morceau piquant ſur la liberté
civile des Anglois , le peu d'avantages qu'ils
en retirent , les moyens peu efficaces qu'ils
employent pour la conferver , && les moyers
plus efficaces qu'ils négligent ; des Obferva
DE FRANCE.
41
tions patriotiques ſur l'élection des repréſentans
, & les priviléges du Parlement: on
fait voir que la forme actuelle de Gouvernement
établie en Angleterre , eſt la ſeule
qui lui convienne.
Dans la Section IV , on traite des intérêts
& rapports politiques de l'Angleterre avec
les autres Puiſſances. Dans les ſuivantes , il
eſt queſtion des Lois , du Code Civil , Criminel
& Eccléſiaſtique ; de l'Agriculture ,
des Finances , revenus , impôts , dette nationale
, fonds publics , actions de compagnie
, &c . Tous ces objets font traités avec
clarté & préciſion , difcutés avec impartialité
, & approfondis de manière à éclairer
les Anglois , même les plus inftruits. On
trouve ici ce qu'une étude ſérieufe des Politiques
Anglois , & un long ſéjour dans la
Grande Bretagne , euffent pu à peine apprendre.
Enparlant des moeurs des Anglois , l'Auteur
fait cette remarque bien honorable
pour cette Nation. " Une choſe qu'on ne
ود ſauroit dire avec moins d'admirationque
>>de vérité , c'eſt qu'en Angleterre la confi-
>>dération perſonnelle ſe meſure en général
ور fur les ralens&fur les vertus de celui qui
» en eſt l'objet , bien plutôt que fur la naif-
>> ſance & fur les titres. L'on y dreſſe des
» mauſolées , l'on y érige des ſtatues , l'on
>>y applaudit au théâtre & dans les places
>>publiques , au Philoſophe , à l'Artiſte , au
» Poëte, au Comédien , au vaillant homme ,
42 MERCURE
>> au grand Citoyen, ſoit que le tableau des
»Pairs en revendique le perſonnage , foit
>>que la claſſe des Communes le prenne
>> pour un de ſes Membres. Delà fans doute
» cette multitude d'hommes illuftres en tout
,, genre , dont l'Angleterre s'honore, & dont
>> la Nation eſt d'autant plus en droit de ſe
ود faire une gloire , que les grandes réputa-
>>tions s'élèvent au milieu d'elle preſque
>> toujours par ſes fuffrages , & preſque ja-
>>mais par les faveurs du Gouvernement.
>> Delà furtout ce nombre de gens de qua-
ود lité , vertueux & ſavans, qui , témoinsà
>>la fois , & du peu de cas que l'on fait de
>>la naiffance en Angleterre, &du grand cas
>>que l'on y fait du mérite perſonnel , ſe li-
» vrent fi heureuſement à la culture des
» talens & du génie ,& font pour ainſi dire
>>oublier qu'ils font nobles ». C'eſt en effet .
cette ſage méthode de mettre les hommes à
leur place, & de laiſſer une libre carrière aux
talens ; c'eſt ce mépris unanime pour des
préjugés gothiques, qui malgré les progrès
de la Philofophie & de la raiſon , n'en règnentpas
moins puiffamment dans le reſte de
l'Europe, qui ont fait la gloire de la nation
Angloiſe , & ont été la ſource de ſes ſuccès ,
&l'unique fecret de ſa puiſſance.
Dans l'analyſe du Traité du pouvoir des
Rois d'Angleterre ouvrage célèbre , l'on
verra quelles font les idées des Anglois fur la
nature de la Royauté.
Dans les conſidérations ſur la liberté civile
:
DE FRANCE.
43
des Anglois , l'Auteur trace d'un pinceau
ferme& vigoureux , tous les déſordres qu'enj
traîne en Angleterre la vénalité des fuffrages
, & la corruption de ces fiers infulaires ,
qui prétendent être les Romains de notre
temps , & dont les moeurs en effet rappellent
parfaitement Rome dans ſa plus grande
corruption ; qui , comme les Romains encore
, femblent avoir gagné de grandes forces
pour ſe mieux déchirer , & être devenus
puiſſans pour ſe rendre malheureux ; qui
augmentent leurs maux par les efforts malcombinés
qu'ils font pour s'en délivrer , &
que la crainte d'être eſclaves conduit à l'efclavage
ſous l'étendardde la liberté ; qui trop
pleins de l'excellence de leur Conſtitution ,
rifquent de l'anéantir ſans fonger à la corriger
, & marchent à leur ruine en afpirant
à un excès de pouvoir &de richeſſes. "Vo-
>> tre Conſtitution, dit-il en s'adreſſant au
>>peuple Anglois , place la Souveraineté ,
>>c'est-à-dire , le pouvoir législatif, dans le
>>Roi & les deux Chambres du Parlement ,
>>dont la convocation lui eſt refervée : elle
>>donne le pouvoir exécutif au Roi , lui ac-
>> cordant de choiſir ſes Miniftres , ſes Con-
>>ſeillers , ſes Lieutenans ; enfin elle confère
>>l'autorité de décider les cauſes litigieuſes
" aux Pairs des Parties plaidantes . Voilà ce
>>qui doit faire le bonheur de la nation Bri-
>>tannique. C'eſt en quoi conſiſte l'excellence
>> de votre Conſtitution ſur toutes les autres.
>>Mais que dira-t- on en entendant vos plain
MERCURE
44" tes contre routes ces fources de votre feli-
و د
cité ? Le Roi mal conſeillé , abuſe de fa
>>prerogative; ſon choix de Miniſtres n'eft
» jamais bon; le Miniftre corrompu agit en
>>defpote. Le Parlement eft dévoué au Mi-
>>niftère; les Jurés font ſubornés par les in-
" téreſfés. La Chambre des Communes, qui
>> repréſente le Peuple, qui eft l'appui de la
و د
liberté publique & du bonheur de la na-
» tion, eſt devenue ſuſpecte ; ſon crédit n'eſt
>>plus : elle n'eſt regardée que comme l'inf-
" trument du Miniſtère. Telles font en géné-
> ral les plaintes qu'on voit fortir preſque
" ſans ceſſe de la plus excellente des Conf-
» titutions » . L'Auteur entre enfuite dans le
détail des defordres & des abus qui ſe font
gliffes dans la Conſtitution politique d'Angleterre
, que Monteſquieu regardoit comme
le chef-d'oeuvre de la raiſon humaine. Il propoſeplufieurs
moyens de réparer les maux
dont l'Angleterre eſt accablée. De tous les
remèdes , le plus efficace ſans doute , feroit
de faire revivre l'ancienne fimplicité des
moeurs , le patriotiſme & l'amour de la
vertu. " Ne croyez pas , dit-il , que vous
>> puiffiez être gouvernés en hommes vérita-
„ blement libres , tant que vous reſterez fous
„ la tyrannie de vos paſſions , de l'ambition ,
» de l'avarice , de l'intempérance. Si vous
» voulez être indépendans des principes de
,, la vertu &de l'honneur; fi vous voulez vous
» livrer fans contrainte à tous vos appétits
» déréglés , être vains & ambitieux , afpirer
C
DEFRANCE.
45
>>>aux honneurs ſans les mériter , vivre dans
>>>l'opulence& l'oiſiveté , ſervir vos paſſions
» effrénées au lieu de ſervir la patrie , vous
» déchaîner ſans ceſſe contre le Ministère ,
>> au lieu d'oppoſer à ſes intrigues une vertu
>> incorruptible; ſi vous prétendez tyrannifer
>> la Cour de peur que la Cour ne vous op-
>> prime ; fi chacun de vous fait tous fes
>> efforts pour mettre ſon indépendance par-
>> ticulière à la place de la liberté commune,
>> nevous plaignez plus des maux que vous
>>fouffrez , vous les méritez; ils ſeront ſans
>> remède tant que vous perſiſterez dans ces
>> malheureuſes diſpoſitions. Il n'y a & ne
>> peut y avoir ni liberté ni bonheur dans
-> une Cité corrompue .... Là où régnera
-> la vertu, là ſera la patrie de la liberté ».
>> Pour être un vrai Patriote , il faut une
>>ame grande , il faut des lumières , il faut
>> un coeur honnête , il faut de la vertu. Le
>>Patriotiſme eſt une paſſion noble , fière ,
>>généreuſe ; il eſt incompatible avec l'ava-
>> rice, paffion toujours fordide, baſſe , info-
>>> ciable. Un peuple enivré de l'amour de l'ar-
>>gent, ne trouve rien de plus eſtimable que
>> l'argent ; il craint la pauvreté ou la mé-
>> diocrité comme le comble de l'infortune ,
>> & facrifiera tout au deſir de s'enrichir, Un
>>> peuple commerçant ne voit rien de com-
>> parable à la richeſſe , chacun veut l'obte-
-> nir; fi cette paſſion épidémique gagne tous
>> les Ordres de l'État , le repréſentant du
>> peuple n'en ſera point exempt ; il traitera
46 MERCURE
>> de la liberté publique avecle Prince & fon
>>> Miniſtre , qui auront bientôt le tarif des
>> probités de leur pays.
» Une nation venale , vicieuſe , corrom-
» pue , peut- elle donc long-temps conferver
ود La liberté ? Elle ne fait cas de cette liberté ,
» qu'autant qu'elle lui procure les moyens
ود de s'enrichir. La liberté, pour être ſentie
» & confervée , demande des ames nobles ,
» courageuſes , vertueuſes ; fans cela elle dé-
>>génère en licence , & finit par devenir la
» proie du maître,qui aura de quoi cor-
» rompre. Un peuple ſans moeurs n'eſt pas
fait pour être libre ; un peuple injuſte pour
les autres; un peuple brûlé de la foif de
>> l'or; un peuple conquérant ; un peuple en-
„ nemi de la liberté d'autrui ; un peuple ja-
>> loux même de ſes concitoyens ou des ſu-
» jets d'un même État , a-t'il des idées vraies
"
"
ود de la liberté ? La liberté véritable doit être
>> accompagnée de l'amour de l'équité , de
>> l'humanité , d'un ſentiment profond des
>> droits du genre humain; ces ſentimens ne
>> peuvent être que le fruit d'une éducation
» vertueuſe & généreuſe , bien différente de
» cette éducation ſervile que l'on donne aux
>> hommes en tout pays....
>>Peuple d'Albion ! d'où viennent ces
>> alarmes continuelles , ces factions qui vous
>>déchirent , ces chagrins qui vous dévorent
& qui ſe peignent ſur votre front ? Com-
>> ment ces tréſors qui s'accumulent dans
>> vos mains , loin d'aſſurer votre bonheur ,
:
DE FRANCE.
47
>>>ne font - ils que le troubler ſans ceſle ?
>>Pourquoi dans le ſein même de l'abondan-
» ce & de la liberté vous voit- on rêveurs ,
>>inquiets , & plus mécontens de votre fort
>>que les eſclaves frivoles qui font les objets
>>de vos mépris ? Apprenez la vraie cauſe de
>>vos craintes & de vos peines. Jamais l'a-
>>mour de l'or ne fit de bons citoyens. La
>>liberté ne peut être fermement établie que
>> ſur l'équité, & courageuſement défendue
>> que par la vertu. Laiſſez à des deſpotes la
>>gloire folle & deſtructive de faire des con-
» quêtes , & de répandre à grands flots le
>>fang de leurs ſujets. N'enviez point à vos
>> concitoyens d'Amérique des droits , des
>>priviléges , une liberté dont ils doivent
» jouir comme vous & avec vous. Mettez
>> fin à une guerre auſſi ruineuſe , auſſi def-
>> tructive pour vous que pour eux. Montrez-
» vous auſſi amis de leur liberté que de la
" vôtre. Ne faites point dire à l'Europe in-
>> dignée que vous voulez les enchaîner pour
>> jouir excluſivement de leurs richeſſes . N'al-
>> lez pas anéantir les bienfaits que la nature
>>vous prodigue , par une obſtination infen-
>>ſée qui cauſeroit votre perte. Cultivez la
>>ſageſſe & la raiſon ; occupez-vous à per-
>> fectionner votre Gouvernement & vos
>> loix. Liez à jamais les mains cruelles du
>> pouvoir arbitraire. Ne vous endormez
>> point dans une ſécurité préſomptueuſe ,
>>dont l'ambition éveillée profiteroit pour
>> vous charger de fers. Veillez ſur vous
48 MERCURE
>>mêmes & fur vos repreſentans ; choififfez-
>>les tels qu'ils ne puiſſent ſe laiſſer cor-
>>rompre. Craignez un luxe fatal aux moeurs
» & à la liberté. Redoutez les effets du fana-
>>tiſme religieux & politique. Enchaînez
>> l'ambition des tyrans , protégez la juſtice
>> opprimée ; & pour lors votre Ifle fortunee
>> deviendra le modèle des nations , le foyer
>>de la liberté , au feu duquel tous les peu-
>>ples de la terre viendront s'éclairer &
>> s'échauffer » .
On ne peut trop donner d'éloges & d'encouragemens
aux Auteurs de ce grand Cuvrage
, également utile aux Gens de Lettres ,
aux Philofophes , aux Politiques , enfin à
tous ceux qui par goût ou par état , veulent
s'appliquer à l'etude des Sciences politiques ;
étude long - temps négligée en France par
ceux même que leur naiſſance deſtinoit au
Ministère & aux Ambaſſades. Le titre que
nous analyſons eſt propre à inſpirer le goût
des connoiſſances utiles , & en même-temps
qu'il facilite l'étude des Sciences politiques ,
il en démontre l'importance & la néceflité.
Quoique l'Article Angleterre ſoit trèsétendu
dans ce Volume qu'il termine , il n'y
eſt pas complet; on n'y parle ni du Commerce
, ni de la Marine , ni des Colonies des
Anglois. Mais le Tome V paroit depuis quelques
mois , & ces objets y font traités d'une
manière auſſi inſtructive & auffi fatisfaiſante
que les autres. Nous en rendrons compte
dans la ſuite.
Correspondance
DE FRANCE.
42
Correfpondance de Fernand- Cortès avec l'Empereur
Charles - Quint fur la conquête du
Mexique , traduite par M. le Vicomte de
Flavigny,Lieutenant-Colonel de Dragons ,
Chevalier de l'Ordre Koyal & Militaire
de Saint - Louis , in- 12 de 536 pages. Prix ,
3 liv. broché. Chez Cellot & Jombert ,
Imprimeurs-Libraires , ue Dauphine .
Nous avons eu preſque en même-temps
fur l'Amérique deux morceaux précieux de
littérature & d'hiſtoire chacun dans leur
genre : un eſt la traduction de l'ouvrage
de M. Robertfon , dont nous avons rendu
compte ; l'autre eſt celle de la Correfpondance
deFernand-Cortès avec Charles-Quint,
ou les trois lettres de ce grand Capitaine qui
ont fourni à l'hiſtoire les matériaux les plus
eſſentiels & les plus authentiques pour l'article
du Mexique .
Si la traduction de cet ouvrage n'offre
point tous les agrémens de la nouveauté,
les Lettres de Cortès ayant été compulfees
, analyſées , & pour ainſi dire copiées
mot à mot par tous les Auteurs Eſpagnols ,
Italiens , Anglois , François & même Latins * ,
elles n'en font pas moins les Mémoires originaux
d'un grand Capitaine , le premier des
Modernes qui ait écrit lui-même ſes exploits
* Il y a une traduction complette de ces Lettres
en latin, la ſeule que nous connoiffions avec celle-ci.
5 Février 1779 .
C
SO
MERCURE
avec la candeur & l'ingénuité inféparables de
la vérité & de la véritable grandeur.. Le Traducteur
a joint au mérite d'avoir conſervé
de l'original le ſtyle ſimple , concis , clair &
propre à ces fortes de narrations , celui de la
fidélité & de l'exactitude , inſéparables d'une
bonne traduction , quoique l'Eſpagnol que
parloit Cortès ait vieilli , & qu'il fût difficile
de peindre la ſuperſtition & le fanatiſme du
ſiècle de ce Conquérant ſans être infipide &
faftidieux.
Cortès , ſimple , modefte & naif, montra
toujours dans ſa conduite une ſageſſe & une
prévoyance incomparables , la rare habileté
d'imaginer & de choiſir les reſſources les
plus utiles , & l'art d'en faire uſage. Malgré
fes grands moyens & tous ſes avantages pour
fubjuguer l'Amérique , on reconnoît à chaque
pas le génie , le grand homme , le Général
inftruit , prudent , fertile en reſſources , le
Politique délié& prévoyant ,leGuerrier entreprenant
, audacieux , intrépide , que rien n'étonne
, qui ſouffre avec patience les privations
les plus amères & la douleur ; qui ſe tire des
pasles plus dangereux , tantôt par ſa fermeté,
tantôt par fa condeſcendance , & toujours
avec le fang-froid qui ne trompe jamais fur
le choix des moyens.
Secouer le joug de Velaſquès , jeter ſes
navires à la côte , tirer parti des complots &
des projets d'affaffinat formés contre lui au
lieu de s'en étonner , faire prifonnier Pamphile
de Narrai au milieu d'un détachement
DE FRANCE.
fl
Eſpagnol beaucoup plus conſidérable que le
fien , foutenir un fiège & faire à fon tour
celui d'une place , auſſi rare , auſſi long , auffi
fertile en événemens , en dangers , en combats
, en hafards & en incidens de toute
eſpèce que celui de Mexico , feroient de nos
jours même des actions étonnantes , preſque
au-deſſus de l'humanité , dignes au moins
d'admiration dans tous les ſiècles .
Les lettres de Cortès lui font encore honneur
comme écrivain par le ton modefte &
plein d'ingénuité qu'on y trouve d'un bout à
l'autre. Les détails ſéparés de l'action principale
inſpirent encore de l'intérêt : les obfervations
ſur les loix & coutumes des Mexicains;
la defcription de la Cour & du faſte de
Montezuma ; les diſcours & la fin tragique
de ce Prince ; le courage des Américains en
tant d'occaſions; les cruelles extrémités où ils
font réduits ; leur dévouement à la mort ;
celle de leur dernier Empereur ; tous ces détails
, inſpirent un intérêt ſoutenu , & font
lire l'ouvrage avec plaiſir juſqu'à la fin.
Lecture pour les enfans , ou Choix de petits
contes,également propres à les amufer &
à leur inspirer le goût de la vertu ; nouvelle
édition , augmentée, d'un volume.
A Paris , chez Nyon aîné , Libraire , rue
Saint-Jean-de-Beauvais.
Rien n'eſt ſi difficile , on l'a dit trèsſouvent
, que de faire des ouvrages où les
Cij
52
MERCURE
!
enfans puiffent s'amufer & s'inſtruire à la
fois. En avançant en âge , les hommes oublient
ce qu'ils étoient dans l'enfance: ils ne
ſe ſouviennent plus ni de ce qui étoit à la
portée de leur intelligence , ni des idées qu'ils
Te formoientdu bien &du mal. Auffi fait-on
d'un homme un plus grand éloge qu'on
ne penſe , lorſqu'on dit qu'il fait ſe mettre
à la portée des enfans. Ce mérite eſt bien
plus rare encore dans les livres. En vivant
avec eux , on peut voir ce qui les embarrafle
,&éclaircir toutde ſuite ladifficultéqui
les arrête. Si l'on ſe ſert d'un mot qui n'eſt
pas encore dans leur petit Dictionnaire , on
l'interprête par d'autres mots qu'ils ont fouvent
dans la bouche ; enfin on ſe ſert avec
fuccès de tous les objets qui les environnent
&qui frappent leurs ſens , pour leur rendre
les idées qu'on veut leurdonner plus claires
&plus ſenſibles. Mais dans les livres on ne
leur parle qu'une fois ; & s'ils font arrêtés ,
il leur faut un autre interprête que l'Auteur
de l'ouvrage. D'ailleurs on défigureroit le
ſtyle d'un livre , ſi on l'écrivoit avec la langue
des enfans : il faut donc trouver le moyen
deleur faire comprendre celle des hommes,
Ces difficultés ſont ſi grandes ,& les enfans
ſont ſi malheureux lorſqu'on ne les leur
épargne pas de quelque manière , que tout
homme qui fait unbon livre, ou même un
bon recueil pour eux , mérite la reconnoiffance
des hommes.
Le recueil que nous annonçons paroît
DE FRANCE.
53
avoir été fait abſolument dans ces vues.
D'abord il y règne la plus grande variété ,
foit dans la forme, ſoit dans les idées , foit
dans le ſtyle des morceaux , & rien n'eſt plus
propre à fatisfaire , ſans aucun inconvénient ,
ce beſoin invincible qu'ils ont de changer
fans ceffe d'objet. La plupart des inſtructions
qu'ils recevront ici font toujours déguiſées
ou par le récit d'un conte , ou par l'action
d'un petit Drame. On commence toujours
par parler à leur imagination. Ce qui eſt
très - propre fur-tout à les attirer au piége
innocent des leçons qu'on leur prépare ,
c'eſt que preſque tous les héros des petites
hiftoriettes , &preſque tous les perſonnages
des petits drames de ce recueil ſont des enfans
comme eux. Ils croiront cauſer avec
leurs camarades , & le moment même de
l'etude , ils auront peine à le diftinguer de
celui de la récréation .
Ce qui doit rendre ce recueil encore infiniment
précieux à tous les pères& à toutes
les mères de famille , c'eſt que tous les morceaux
dont il eſt compoſe reſpirent la morale
la plus pure & la plus douce ; c'eſt que
toutes les notions qu'on y prend des chofes
font de la plus grande juſteſſe. En un mot ,
nous l'avons parcouru avec ſoin , & il nous
ſemble qu'il n'y a pas un ſeul article qui , en
amufant les enfans , ne laiſſe ou une idée
très-juſte dans leur eſprit , ou un fentiment
très-honnête dans leur ame.
Ciij
54 MERCURE
Recherchesfur la Pouzzolane, fur la théorie
de la chaux , &fur la caufe de la dureté du
mortier , avec la compoſition de différens
cimens en pouzzolane , & la manière de
les employer, tant pour les baſſins , aquéducs,
réservoirs , citernes & autres ouvrages
dans l'eau , que pour les terraſſes , bétons
& autres constructions en plein air. Par M.
Faujas de Saint-Fond. AGrenoble , chez
J. Cuchet , Imprimeur-Libraire de Mgr le
Duc d'Orléans. AParis , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue Saint - Jean- de - Beauvais ,
1778 , brochure in- 8 ° . Prix , 36 fols.
Puteolanus pulvis , ſi aquam attigit , Saxum
fit. Sen. nat. queſt. lib. III.
On apprend par un avis du Libraire ,
placé à la tête de cet ouvrage , qu'il eſt
extrait d'un autre ouvrage beaucoup plus
conſidérable de M. Faujas de Saint-Fond fur
les volcans éteints du Vivarais & du Velay ,
&c. en un volume grand in-folio , orné de
planches , dont l'édition paroît actuellement
, & que ce n'a été que pour répondre
aux defirs du public que l'on s'eſt empreſſé
de publier ſéparément la brochure in-8 °.
que nous annonçons .
La pouzzolane eſt une marne ferrugineuſe,
calcinée ou cuite par le feu des volcans ;
c'eſt une eſpèce de ciment préparé pár la
Nature , lequel , mêlé dans une proportion
convenable avec de la pâte de chaux éteinte ,
DE FRANCE.
55
forme un mortier qui ſe durcit de plus en
plus , même ſous l'eau , qui devient impénétrable
à cet élément , & acquiert la folidité
des meilleures pierres.
Il eſt aiſé de fentir l'extrême utilité d'une
fubſtance qui poffède éminemment toutes
ces qualités , & qui , ſuivant les obſervations
& les expériences les plus anciennes , ſuivant
le témoignage de Pline & de Sénèque, a la
réputation de l'emporter infiniment , à cet
égard , ſur toutes les autres eſpèces de cimens
qu'on ſubſtitue à la pouzzolane dans
les pays où l'on manque de cette précieuſe
matière.
Juſqu'à ces derniers temps , on ne connoiffoit
guères d'autre pouzzolane que celle
d'Italie , & c'étoit de cette contrée qu'on
faifoit venir celle qu'on vouloit employer
dans les conftructions qui demandent la plus
grande folidité. Mais l'Italie n'eſt point le
ſeul pays où il y ait des volcans , ou du
moins où il y ait eu de ces feux ſouterrains,
& dans lequel par conféquent on puiffe
trouver des matières volcaniſées. Il eſt conftant
au contraire , par les obſervations de
nos Naturaliſtes modernes , que plus ils examinent
avec ſoin l'intérieur de la terre , &
plus ils trouvent de régions dans leſquelles
les traces & les effets des feux fouterrains
font des plus ſenſibles ; & que s'il n'exiſte
plus de volcans actuellement brûlans dans
ces endroits , il ena exiſté autrefois de
très- conſidérables , qui ſe ſont éteints par
Civ
56 MERCURE
l'épuiſement des matières combuftibles.
L'hiſtoire civile ne nous a pas confervé les
faits relatifs à la plupart de ces anciens volcans
, parce que probablement les pays dans
leſquels ils ont exiſté étoient ſauvages ou in
habités dans le temps de ces embrâſemens ,
& même long-temps après qu'ils ont été entièrement
éteints ; mais l'Hiſtoire naturelle
en retrouve maintenant , dans l'intérieur de
la terre , des monumens auſſi certains que
les médailles les mieux confervées. Il n'y a
pas le moindre doute que les terreins qui ne
ſont compoſes que de laves , de pierresponces,
de baſaltes , de pouzzolanes ,& autres
matières qui font produites par les volcans
actuellement brûlans , ne ſoient euxmêmes
des produits d'anciens volcans. Or ,
nous avons quantité de ces terreins dans
pluſieurs de nos provinces de France , telles
que l'Auvergne , le Vivarais , le Vélay , où
M. Guettard, ſavant Naturaliſte , de l'Académie
des Sciences , a découvert le premier
toutes ces marières volcaniſées ; & les obfervations
de det Académicien ont été bien
vérifiées , bien ſuivies depuis par M. Deſmarets
, auffi de l'Académie des Sciences ; par
M. Faujas de Saint-Fond , qui s'eſt confacré
entièrement à ces recherches intéreſſantes ,
& fans doute par d'autres Naturaliſtes , qui
publieront leurs obſervations dans la ſuite.
Quoiqu'il foit conſtant que toutes les
matières volcaniſées , & la pouzzolane en
particulier , aient été découvertes en France
DE FRANCE.
57
avant M. Faujas , cela ne doit rien diminuer
du mérite des recherches de ce dernier ; car
non- feulement elles ont confirmé & étendu
les découvertes des premiers Obſervateurs ,
mais ce zelé Naturaliſte a entrepris , comme
il le dit dans l'ouvrage dont nous rendons
compte , les voyages les plus pénibles & les
plus diſpendieux pour rendre ſes decouvertes
utiles à ſa patrie.
Sous ce point de vue , de tous les produits
de nos volcans éteints en France , c'étoit la
pouzzolane qui devoit intéreſſer le plus M.
Faujas, à cauſe de l'emploi avantageux qu'on
peut faire de cette matière dans les conftructions
expoſées à l'action de l'eau , à celle du
foleil , de l'air , &c .
- Mais pour qu'on pût jouir de tout l'avantage
que promettoit la pouzzolane decou
verte en France, il ne fuftifoit pas d'en trouver
de petites quantités , ou d'en rencontrer
mêmedegrandes mmaaſiſles dans des lieuxprefque
inacceſſibles ; il falloit en découvrir des
mines ou carrières abondantes , ſituées commodement
pour l'exploitation & pour le
tranſport , & le zèle de M. Faujas a été
récompenſé par la découverte d'une carrière
confiderable de pouzzolane qui avoit toutes
ces conditions , dans la montagne de Chenavari
, en Vivarais, à une demi-lieue du
Rhône.
Après s'être aſſuré par les épreuves convenables
, que cette matière étoit effentiellement
de même nature que la pouzzolane
Cy
!
58 MERCURE
d'Italie , M. Faujas ne devoit avoir rien de
plus à coeur que de conſtater les bons effets
de cette pouzzolane de France , employée
en mortier dans les conftructions les plus
expoſées à l'action des élémens & aux dégradations
qui en font la ſuite. On trouve dans
fon ouvrage tous les détails qu'on peut defirer
ſur les meilleures proportions de ce
ciment naturel , avec la chaux & les autres
matières qui entrent dans la compoſition du
mortier , fur les qualités de la chaux la plus
convenable pour cet objet, ſur la manière
d'appliquer & de traiter ce mortier , tant
pour les ouvrages ſous l'eau de la mer, que
pour les baffins , réſervoirs , citernes , terraſſes
à l'Italienne & autres , qui font expofés
à l'alternative très-deſtructive de la ſéche
reffe , de l'humidité , de la chaleur & de la
gelée.
pouz-
Ces épreuves de conſtructions , qui n'onété
faites que l'année dernière & cette année ,
ne font pas encore affez anciennes pour qu'on
puiffe être entièrement aſſuré que leur folidité
fera la même que celle des ouvrages où
l'on a employé , par comparaiſon , la
zolane d'Italie ; mais juſqu'à préſent elles
promettent un ſuccès égal, & l'on voit par
les procès-verbaux & rapports des Archirectes-
Conftructeurs , & autres Commiffaires
, qu'ils ont reconnu dans lespouzzolanes
du Vivarais , la même analogie & les mêmes
principes qui conflituent labonté de celle d'Ita
lie. On a donc tout lieu d'eſpérer que les
DEFRANCE.
59
recherches & les travaux de M. Faujas feront
ſuivis du plein ſuccès que ſon zèle a fi bien
mérité , & fa patrie lui devra probablement
la connoiffance & l'emploi d'une matière
précieuſe qu'elle poſſedoit , & qu'elle étoit
obligée de tirer de l'étranger.
Quelque grand que foit cet avantage , il
eft poflible cependant que les recherches
de M. Faujas en procurent un plus grand
encore , en ce qu'il s'étendroit à tous les
pays. Cet habile Naturaliſte n'a pu acquérir
les connoiffances qui lui étoient néceflaires
pour parvenir à compoſer les meilleurs mortiers
de pouzzolane , fans faire un examen
particulier de cette matière , & de l'eſpèce
de chaux qui lui convient le mieux. Il a
reconnu par pluſieurs expériences chimiques,
que la pouzzolane eſt une argile fableuſe
mêlée d'une terre ferrugineuſe ; c'eſt cette
dernière qui donne à ce ciment naturel les
différentes nuances de rouge , de brun , de
gris qu'on y remarque, ſuivant les degrés de
chaleur qu'elle a éprouvés,& les circonstances
particulières de ſa calcination. Or , il n'y a
aucun pays où l'on ne trouve abondamment
des matériaux de cette eſpèce , auxquels il
ne peut manquer par confequent que la juſte
proportion des parties conftituantes , & le
degré de calcination ou de cuiffon convenable
, pour être convertie en vraie pouzzolane.
Les briques ordinaires ens approchent
toutes plus ou moins; auſſi ſont-elles employées
comme ciment , avec plus ou moins
1
Cvi
60 MERCURE
!
د
de ſuccès , dans les mortiers. Qui fait fi , en
employant le ciment ordinaire de briques
pulvérifees avec la meilleure eſpèce de
chaux déterminée par M. Faujas , en recherchant
, comme il l'a fait aufli, les meilleures
proportions des ingrédiens du mortier , & en'
le traitant avec tous les ſoins & toutes les
attentions qu'il indique pour la réuflite du
mortier à la pouzzolane , iln'en réfulteroit pas
des ouvrages tout auſſi ſolides ? Cette comparaiſon
n'a pas été faite , & mérite aſſurément
bien de l'être. Mais quand même là terre à
brique ordinaire , ou les pierres ſchiteufes ,
argilleufes dont , au rapport de M. Faujas , on
fait en Suède , par la calcination , une pouz
zolane artificielle , ne contiendroient pas les
parties conftituantes de la pouzzolane naturelle
dans leur juſte proportion , & manqueroient
fur-tout de la quantité de rerre ferrugineuſe
qui , felon cet habile Naturaliſte ,
contribue beaucoup à la bonté de la pouzzolanc
, qui empêcheroit qu'en profitant des
connoiffances que M. Faujas a acquiſes ſur
les parties conſtituantes de la vraie pouzzolane
, on n'en composât d'artificielle dans
les pays où cette matière ne ſe trouve pas ?
Onn'y voit affurément aucun obſtacle ; car
les ochres & autres matières très- ferrugineuſes
, ne font guères plus rares que les argiles
& les fables: on en trouve preſque partout
; & puiſque l'art des Chimiſtes eft parvenu
à produire du ſoufre , du gypſe , du
ſpath , & même du cryſtal de roche entièreDE
FRANCE. 6L
*
ment ſemblables à ceux de la nature , il y
auroit encore affurément beaucoup moins
de difficulté à compofer un ciment auquel
il ne manqueroit aucune des qualités de la
meilleure pouzzolane.
Il réfulte de ces conſidérations , que les
recherches de M. Faujas peuvent devenir
d'une utilité beaucoup plus générale qu'on
he le croiroit d'abord , & qu'il ne l'a peutêtre
penſé lui-même. Ce Phyſicien zelé ne
s'eſt point borné à la pratique dans l'ouvrage
dont nous venons de donner une légère idée ;
il y a répandu de grandes explications fur la
théorie de la chaux , & fur la cauſe de la
dureté du mortier. Nous ne dirons rien ici
de ces matières fcientifiques , abſtraites , douteuſes
, & par cela même peu intéreſſantes
en comparaifon des faits. Nous obſerverons
feulement que M. Faujas de Saint-Fond a
ſuivi pas-à-pas , & avec une docilité ſurprenante,
un ſeul guide , dont la marche ,
pour être hardie & précipitée , n'en paroît
aux Chimiſtes que plus ſujette à des chûtes
graves &à des faux pas très-fréquens.
CetArticle est de M. Macquer.
62 MERCURE
A
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Dimanche 17 Janvier , on a remis
Armide , avec la Muſique de M. Gluck. La
foule qui s'eſt portée à cette première repréfentation
, ſembloit annoncer pour les fuivantes
un concours nombreux de Spectateurs;
cependant il ne s'eſt pas foutenu dans
lamême proportion ; & Caftor , dont les
repréſentations ont été entre- mêlées à celles
d'Armide , a attiré beaucoup plus demonde.
Ce n'eſt pas que cette remiſe ait été négligée,
ni que les Acteurs ayent rien diminué du
zèle qui a toujours paru les animer pour les
productions de M. Gluck.
Le rôle d'Armide a été joué par Mlle le
Vaffeur , qui paroît y avoir fait encore des
progrès.
Le Perſonnage de la Haine a été repréſenté
par Mlle Durancy , avec l'énergie de
caractère qui convient à cette Divinité infernale.
M. Larrivée a très-bien joué le rôle d'Ubalde.
Celui de Renaud a été chanté parM.
le Gros , avec tour l'art & le ſuccès poffibles
.
Mlle Aſſelin , qu'une maladie avoit éloignée
du théâtre depuis quelques mois , a
DE FRANCE. 63
reparu dans le ballet du ſecond Acte. Le
Public lui a témoigné , par des applaudif
Temens flatteurs , le plaiſir qu'il éprouvoit à
la revoir.
Le lendemain 18 , on a donné , pour la
première fois , il Geloſo in Cimento , ou le
Jaloux à l'épreuve , Opéra Bouffon en trois
Actes ,Muſique del Signor Anfoſſi.
Le Drame eſt un des plus mauvais de ce
genre. Le caractère principal eſt un Jaloux ,
ou pour mieux dire un frénétique à enfermer.
Dom Fabio ( c'eſt ſon nom) fe livre
pendant tout le cours de la Pièce à des extravagances
, dont la moindre annonce un
homme attaqué d'une folie incurable , &
cependant il époufe au dénouement celle
qu'il a rendue le témoin & preſque la victime
de fes fureurs. La Scène quatorzième
du premier Acte eſt à peu-près calquée ſur
la fameufe Scène du Dépit Amoureux , entre
Érafte & Lucile ; mais ce traveſtiſſement eſt
digne du reſte.
La Muſique a eu un très-brillant ſuccès ,
& elle la mérité. L'ariette Non farò mai
più gelofo , annonce un Muſicien qui fait
faire parler aux paffions le langage qu'elles
exigent , en proportion de ce qu'elles ont
plus ou moins de violence & d'exploſion .
Le ſextuor oh che tempo ! que nuvola ofcura !
eſt de la plus belle facture & du plus grand
effer. L'aria buffa , veloce al par d'un Barbaro
, est d'un ſtyle également agréable &
comique.
64
1
MERCURE
La décoration de la fin du ſecond Acte ,
qui reprefente la place de S. Marc à Venife ,
eft fort jolie, & fait illufion .
B
Le Signor Pinetti a rempli le rôle de Don
Fabio; le Signor Gherardi ajoué celui de
Don Perichetto , & y a mérité les applaudiſſemens
qu'on lui a donnés. La Signora
Chiavacci a rendu , avec autant de grâces
que de goût & de préciſion , le rôle de
Dona Flavia. On doit des éloges à la Signora
Rofina Baglioni dans le perſonnage de Vittorina
, & à la Signora Farneſi dans celui de
Modesta. MM. Tofoni & Fochetti ont rempli
les rôles de Rosbif & de Paterio .
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a remis à ce Théâtre , le Mardi 19 Janvier,
l'Embarras des Richeſſes , Comédie en
trois actes & en profe , par d'Allinval * .
Le fond de cette Pièce eft à peu-près celui
de la Fable qui a pour titre le Savetier &
le Financier , & qui a déjà été le ſujet deplufieurs
Drames .
Arlequin aime Chloé , & en eſt aimé. Il
n'a d'autre bien qu'un petit jardin qu'il cultive
avec grand foin; mais il chante & fe
réjouit ſans ceffe. Un Financier , nommé
* On a attribué cette Pièce à Marivaux dans le
Journal de Paris ; c'eſt une erreur , :
DE FRANCE.. 65
Midas , s'irrite de la gaieté d'Arlequin , &
veut lui prouver qu'il eſt malheureux parce
qu'il n'eſt pas riche. Plutus vient ſeconder
le Financier , &donne à Arlequin un tréſor.
Apeine celui-ci en est- il poffefſeur , que ſa
gaieté fait place aux foucis , aux inquiétudes,
à la crainte : il fuit tout ce qu'il aimoit ,
même ſa chère Chloé , qu'il traite avec mépris.
Enfin , prêt à fuccomber au chagrin
qui l'agite , il en découvre la cauſe , & rend
à Plutus l'or qu'il en avoit reçu. Il ſe reſſouvient
de Chloé, & retourne auprès d'elle ;
mais Chloé le rebute à fon tour , & lui
déclare qu'elle va ſe marier à un Officier ,
dont elle eſt aimée. Arlequin ſe déſeſpère;
enfin on lui apprend qu'on a voulu ſe venger
de lui , que ſon repentir & fes larmes
ont touché ſa Maîtreſſe , & qu'elle conſent
àl'époufer.
Nous n'avons point parlé d'un Pamphile
& d'une Florife , qui forment une ſeconde
intrigue amoureuſe , parce que cette intrigue
eſtà peu-près étrangère au fond du ſujet.
د
Cet Ouvrage eſt médiocre & plein de
défauts eſſentiels , & malgré cela il plait ,
parce qu'on y trouve une morale douce
gaie & vraie , & quelques fituations comiques.
On a paru deſirer un peu plus de ſoin
dans la remiſe de cetre Comédie , & dans le
jeu des Acteurs; mais on a généralement applaudi
à la fineſſe , à la vérité & à l'intelligence
que M. Carlin a déployées dans le rôle
d'Arlequin.
66 MERCURE
L'Auteur de cet Ouvrage eſt peu connu ; il
étoit né à Chartres, & s'appeloit Léonor-Jean-
Chriftine Soulas d'Allinval. Il étoit Abbé ,
pauvre & philofophe. Il débuta par la Pièce
dont nous venons de donner une idée. Elle
fut repréſentée avec ſuccès le 2 Juillet 1725 .
Le 27 Mai 1752 , elle fut remiſe au théâtre ,
& fut reçue auſſi favorablement. On a encore
de lui l'Ecole des Bourgeois, Comédie en
trois actes & en profe. Onpeut faire à cette
Pièce les mêmes reproches qu'à l'Embarras des
Richeſſes; elle n'eſt cependant point ſans
mérite , & ne peut être l'ouvrage que d'un
homme qui avoit étudié les bons modèles ,
& qui avoit une étincelle de génie comique.
Il mourut dans la plus grande misère , le 2
Mai 1753 .
SCIENCES ET ARTS.
GRAVURES.
AVIS concernant le Plan général & les Vues
particulières du Jardin de Mouceau.
SII
laperfection des Jardins , comme celle des autres
Arts , confifte à reproduire un grand nombre
d'idées & de ſenſations agréables , celui que Mgr le
Duc de Chartres vient de faire exécuter dans un
Fauxbourg de Paris , tiendra ſans doute un rang diftinguéparmi
les plus agréables Jardins du Royaume,
>
1
1
DEFRANCE. 67
Une nature morte s'eſt tout-à- coup embellie ; unc
plaine arride & monotone s'eſt couverte de fleurs ,
d'arbriſſeaux , de collines , d'une rivière , de toutes
les beautés qu'on trouve éparſes au milieu des campagnes.
Dans une promenade d'une heure , l'oeil
étonné découvre ſucceſſivement des moulins , des
ponts , des cafcades , des prés , des vignes & des
champs labourés ; non loin d'une chaumière on rencontre
les pavillons de l'opulence ; à côté des ruines
d'un temple ou d'un château gothique , on voit la
demeure des Faunes , les tentes des habitans de la
Turquie & de la Tartarie , des Iſles hériſſées de roches
, où toutes les eaux ſemblent prendre leur
fource.
L'Artiſte chargé de l'exécution de ce Jardin , ne
l'ayant renfermé que par de fimples foffés , ceux qui
s'y promènent confondent dans la même enceinte
tous les objets qui l'environnent ; ils jouiſſent à la
fois & du ſol qu'ils parcourent , & des payſages que
l'oeil embraſſe , & des illuſions que le mouvement
du ciel varie à l'infini. Cependant cette charmante
miniature n'a pu trouver grace devant les ennemis
de toute nouveauté , devant ces eſclaves de l'habitude&
de la routine , qui ſe perfuadent que la froide
ſymmétrie & l'image des objets qu'ils ont admirés
dans leur enfance , font l'immuable prototype du
beau. On a comparé un jardin de ville à ces grands
& riches payſages qu'on ne peut rencontrer qu'à une
longue diſtance de la capitale ; on s'eſt hâté de juger
un tableau qui étoit à peine eſquiſſé, comme onjugeroit
d'un chêne au moment où il fort du germe.
Dans l'état où ſe trouve aujourd'hui le jardin de
Verſailles , ne pourroit-on pas , avec les mêmes principes
, porter un jugement auſſi défavorable ſur un
chef-d'oeuvre de le Notre ? Les objets n'y ſemblentils
pas confondus , & les oppoſitions trop heurtées ?
Avant de prononcer contre les ouvrages exécutés
68 MERCURE
àMouceau, il falloit au moins attendre que les arbres
fuſſent affez élevés pour ſéparer & dérober à la vue
les différentes maſſes qui compoſent ce jardin; il
falloit attendre qu'une végétation puiſſante en eût
conſolidétoutes les parties , & fait en quelque forte
diſparoître les travaux de l'art ; il falloit enfin conſulter
l'expérience , ſe promener alternativement dans
ce jardin ainſi varié , & dans un autre à longues
allées parallèles & à compartimens bien réguliers ;
alors celui des deux où la monotonie , l'ennui , la
triſteſſe ſe ſeroient fait le plus tôt ſentir , auroit ſans
doute été le moins beau , le moins parfait , & n'eût
mérité que le ſecond rang. Ce moyen d'apprécier les
ouvrages de l'art , ſeroit peut-être préférable à tous
les principes de nos Théoriciens , qui au lieu d'analyſer
des ſentimens , calculent des rapports géométriques
, & enchaînent le génie dans le cercle étroit
de leurs idées .
Au reſte , fi le jardin de Mouceau n'obtient pas
encore le fuffrage de certains connoiffeurs , il faut
eſpérer que les Gravures qui en retracent les proportions
& les plus beaux détails , mériteront celui
du Public. M. de Lafoſſe , d'après les deffins deM.
de Carmontel , Auteur de ce Jardin a entrepris
d'en donner le plan général , accompagné de dixfept
vues particulières ; ce qui formera une collection
dedix-huit planches , avec une explication pour l'intelligence
de chacune d'elles. Le prix de cet ouvrage
fera de 27 livres pour les Souſcripteurs , & de 40
pour ceux qui n'auront pas ſouſcrit. Il y aura trois
livraiſons de fix Eſtampes ; on payera 9 liv. en les
recevant ; les épreuves ſuivront le rang des Soufcripteurs.
On ſouſcrit chez M. de Lafofſe , rue du
Carroufel , proche les Tuileries , & chez tous les
Marchands d'Estampes.
Portraitde M.Le Noir , Conseiller d'État ,
1
DE FRANCE. 69
Lieutenant Général de Police , gravé à la manière
du crayon rouge , par N. Courteille ; avec ces quatre
vers au bas.
Magiſtrat éclairé , bienfaiſant , équitable ,
Lecrime a fon aſpect demeure confondu ;
Mais ſi ſon oeil actif veille ſur le coupable,
Il veille auffi fur la vertu,
Ce Portrait ſe trouve à Paris chez Chéreau , rue
des Mathurins. Prix , 1 liv. 4 ſols.
Mars allant à la Guerre & Mars de retour de la
Guerre , deux Eſtampes gravées par M. Avril , d'après
deux beaux tableaux très-connus de Rubens. AParis ,
chez Avril , rue de la Huchette , la porte- cochère
vis-à-vis la rue Zacharie. Prix 6 liv. chaque Eftampe.
VueduPort de Dieppe , gravée d'après le tableau
original appartenant au Roi , & faiſant partie de la
collectiondes Ports de France , ordonnée par M. le
Marquis de Marigny , & peint par M. Verner.
CetteEſtampe , qui eſt la quinzième de cette belle
collection, eft gravée, comme les précédentes , par
MM. Cochin & Lebas. Les noms ſi célèbres du
Peintre & des Graveurs nous diſpenſent de faire
l'éloge de cette nouvelle production.
Carte particulière Semi-topographique de l'Election
de Paris, dans laquelle , indépendaminent des
Paroiſſes , on trouve , pour plus de détail , les Abbayes
, les Châteaux & leurs Parcs , les Forêts ,
toutes les Routes & Chemins , les bornes Milliaires
& les lieues des Poſtes; dreſſée d'après la Carte générale
de France de l'Académie ; & pour les limites ,
d'après la nouvelle Carte de la Généralité de Paris
qui vient d'être dédiée à M. l'Intendant. Par M.
,
70
MERCURE
Dupain-Triel fils , Ingénieur-Géographe du Roi ,
chez M. ſon père , Ingénieur- Géographe Breveté de
Monfieur , Cloître Notre-Dame , vis-à-vis la Maîtriſe
des Enfans de Choeur.
MUSIQUE.
RECUEIL ECUEIL de Pièces & d'Airs choisis , avec accompagnement
de Harpe , par M. Petrini , OEuvres
I & II . Il paroîtra tous les mois un cahier. La Soufcription
eſt de 18 liv, à Paris , & chaque cahier ſéparément
40 fols . Chez l'Auteur , rue Montmartre ,
& chez Madame Oger , rue S. Honoré.
Sonates en quatuor pour le Clavecin ou Fortepiano
, avec accompagnement de deux violons , une
baffe& deux cors, dédiées à Mademoiſelle de Lamoignon
, par M. Balbatre , Organiſte de Monfieur ;
chez l'Auteur , rue d'Argenteuil , & aux adreſſes ordinaires
. Prix , 12 liv .
Nota. Le Mélange Muſical , ou Recueil d'Airs ,
annoncédans le Mercure précédent, eſt de M. Gibert,
&ſe trouve aux Adreſſes ordinaires de Muſique.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
Correspondance Généraleſur les Sciences & les Arts ,
par M. de la Blancherie , Agent Général de la
Correspondancepour les Sciences & les Arts.
LAA
Corondance générale ſur les Sciences &
les Arts eſt formée de deux parties. La première eft
l'Aſſemblée ordinaire des Savans & des Artiſtes , &c.
DE FRANCE. 71
\
La ſeconde eſt l'Ouvrage périodique , ayant pour titre :
Nouvelles de la République des Lettres & des Arts.
Cette Affemblée aura lieu tous les huit jours au
Bureau de la Correſpondance , rue de Tournon , à
compter du Mercredi 20 Janvier 1779. Lorſque le
Mercredi ſera fête , le rendez-vous ſera remis au
lendemain.
Le but de l'Aſſemblée indique aſſez quelles ſont
les perſonnes qui doivent la fréquenter. Tous les
hommes connus par leur rang , leurs dignités , & par
la profeſſion publique des Sciences , des Lettres &
des Arts. Nul autre ne ſera reçu , s'il n'eſt préſenté
par des perſonnes ci-deſſus déſignées , ou annoncé
par une lettre de leur main dont il ſera porteur.
Les Étrangers & les Voyageurs ne feront admis
qu'autant qu'ils feront revêtus d'un caractère public ,
ou préſentés , ou annoncés de la manière qui vient
d'être mentionnée.
On annoncera dans le buletin des Aſſemblées les
Savans , les Gens de Lettres & les Artiſtes étrangers
feulement qui feront venus au rendez-vous , après
avoir pris fur cela leur conſentement.
Les Nouvelles de la République des Lettres , &c.
paroîtront ſur le format in-4°. deux ou trois jours
après chaque Aſſemblée , dont elles préſenteront le
buletin.
Deux parties formeront chaque ordinaire : l'une ,
fous le titre de Nouvelles', contiendra les nouvelles
relatives aux Sciences & aux Arts ; l'autre , ſous le
titre de Supplément , & ſous le nom des différentes
Villes du monde , offrira une notice des Ouvrages
en tous genres antérieurs à ſa publication , & qu'il
peut être utile de rappeler , &c.
Toutes les perſonnes qui , ayant des correſpondances
, fur-tout dans les pays étrangers , feront
paſſer habituellement à l'Auteur des détails utiles à fon
72 MERCURE
Ouvrage , recevront un exemplaire gratis ,&feront
nommées fi elles lepermettent.
Le prix de la ſouſcription eſt de 24 livres pour
Paris , & de 30 livres juſqu'aux frontières. On s'abonne
tous lesjours au Bureau de la Correfpondance ,
rue de Tournon , maiſon neuve. On ſe fera un devoir
de publier tous les trois mois la Liſte de MM. les
Souſcripteurs , qui ſeront en effet les vrais auteurs &
les bienfaiteurs de cet établiſſement.
Les paquets , lettres & envois doivent tous être
francs de port , & à l'adreſſe indiquée ci -deſſus.
Précis de l'Histoire de France , depuis l'établiſſe
ment de la Monarchiejuſqu'au règne de Louis XVI ,
àl'uſage des enfans & des perſonnes qui voudront
ſe contenter d'une idée ſommaire de notre Hiſtoire ;
par M. Moustalon. Brochure in- 12 de 120 pages. A
Avignon , & ſe vend à Paris , chez Hilaire , Libraire ,
rue du Mont & près S. Hilaire , 1779 .
Fables par M. Boisard, de l'Académie des Belles-
Lettres de Caen , Secrétaire du Conſeil& des Finances
deMonfieur , Frère du Roi. Nouvelle Édition , augmentée
avec figures. A Paris , chez Piffot , Libraire ,
Quai des Auguſtins. Prix , 6 liv. br. 7 liv. 10 f. relié.
Ce Recueil , très-bien exécuté , qui a paru en deuxi
parties ſucceſſives , &dont nous avons rendu compte
* avec tous les éloges qu'il mérite, eſt aujour
d'hui réuni en un ſeul volume. Les Fables de M.
Boiſard font les meilleures qu'on ait imprimées depuis
:
celles de Lamotte. :
*Voyez le Journal de Littérature.
JOURNAL
7
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , les Décembre.
L'ENVOYÉ de Suède , qui ſe prépare à faire
un voyage , a eu le 28 du mois dernier , fon
audience de congé du Grand-Vifir , auquel il a
préſenté M. de Heidenſtam , qui reſtera chargé
des affaires de ſa nation pendant fon abfence.
Ce Miniſtre avant fon départ , a terminé à ſa
ſatisfaction , l'affaire d'un NégociantArménien ,
attaché à ſon ſervice , & que la Porte avoit fait
arrêter à l'inſtigation du Patriarche Arménien ,
qui ne lui pardonnoit pas d'être Catholique , &
qui l'accuſoit pour l'en punir , d'avoir engagé
pluſieurs Marchands de fa nation à envoyer des
effets à Trieſte . M. de Celſing l'avoit réclamé
conformément à la capitulation qui ſubſiſte entre
laSuède & la Porte ; après bien des difficultés
on lui répondit que ce Marchand avoit mérité
la mort , mais qu'à la conſidération du Miniftre
on ſe contenteroit de le bannir de la Capitale ;
l'Envoyé ayant continué de faire valoir la Jurifdiction
qui lui appartient fur le Marchand , &
mis une nouvelle vivacité dans ſes inſtances , on
le lui a renvoyé ſans lui faire eſſuyer aucun tort
ni aucune avanie .
Avant-hier le Comte de S. Prieft a euue
audience du Grand- Vifir , pour le complimenter
5 Février 1779 . D
1
(74)
縣
幣
fur fon élevation , aujourd'hui l'Ambaſſadeur
d'Angleterre remplit la même cérémonie.
Il eſt arrivé ici ces jours derniers un accident
fìcheux. Un Matelot avoit eu l'imprudence de
cacher un baril de poudre dans une maiſon du
Fauxbourg de Galata : il y eſt tombé une étincelle
qui y a mis le feu , la maiſon s'eſt écroulée ,
ainſi que les deux qui y étoient contigües. Le
fracas a été fi violent , qu'on l'a cru l'effet d'un
tremblement de terre .Le feu s'eſt heureuſement
étouffé dans les décombres ; mais pluſieurs perfonnes
ont été grièvement bleſſées , & trois ont
été tuées..
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 20 Décembre.
La fête de S. André , patrone de l'Ordre
de ce nom , a été célébrée le 10 de ce mois avec
les cérémonies ordinaires. S. M. dina en public
avec les Chevaliers de l'Ordre , & le foir il y
eutbal paré au Palais , & illumination dans toute
la ville; cette folemnité n'a pas été accompagnée
des défordres qui eurent lieu à celle
dus de ce mois. S'il faut en croire le bruit public
, les malheurs ont été plus confidérables
qu'on ne l'a publié. Les morts que la Police
trouva& fit enterrer le fur-lendemain , font audelà
de 300 ; & le nombre des habitans actuellement
malades par l'excès des boiffons fortes ,
&fans eſpérance de rétabliſſement , eſt dit-on
du double. Si ce qu'on raconte eft exact , la débauche
de ce jour aura coûté la vie à un millier
deperſonnes.
On dit que le Comte Ivan de Glowkin , doit
ètre nommé inceſſamment pour aller réſider à
Copenhague en qualité de Miniftre de cette
Cour.
(75)
DANEMARCK.
De COPENHAGUE', le 25 Décembre.
La maladie contagieuſe qui a attaqué ſur
la fin de l'été les bêtes à cornes dans les Iſles de
Laland & de Falſter, n'étant point encore difſipée
, le Roi vient de renouveller l'Ordonnance
publiée déja ſur les précautions à prendre
, tant dans les villes que dans le plat pays ,
pour tâcher d'en arrêter les progrès. La commiffion
établie à ce ſujet , a ordonné de former un
cordonde 600 hommes pour empêcher la communication
entre le Jutland & le Holſtein.
On aſſure qu'il a été expédié en Norwege
l'ordre d'enregiſtrer tous les Marins qui s'y trouvent
, depuis l'âge de 15 ans juſqu'à 40. On
ajoute que les Officiers qui font chargés d'en
prendre les noms , ont défenſe de déclarer le
nombre dont la Cour a befoin. On enrôle auffi
beaucoup de Matelots ici . On préfume qu'on a
le deſſein d'équipper dix vaiſſeaux de ligne & 4
frégates , qui mettront en mer au printems prochain.
Cet armement, s'il a lieu , ne paroit avoir
d'autre but que celui de protéger notre commerce
, & celui des nations que l'envie de trafiquer
avec nous , amène dans les mers du Nord .
On connoît la gêne qu'il éprouve depuis la
guerre qui s'eſt élevée entre l'Angleterre & fes
Colonies . On a remarqué que pour le faire refpecter
par les puiſſances belligérantes , il falloit
ſe montrer en état de le défendre .
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 31 Décembre.
La Reine parfaitement rétablie de ſes couches
, eſt ſortie pour la première fois le 27 de
Da
( 76 )
:
ce mois pour ſe rendre à la Chapelle de la
Cour , où elle a aſſiſté au ſervice Divin. S. M.
a fait diftribuer aux membres de la Diète , qui
ont eu l'honneur d'être les parreins du Prince
Royal , des marques de fa munificence ; ceux
des trois premiers ordres , ont eu une médaille
repréſentant le buſte de S. M. entouré d'une
guirlande de feuilles de laurier , travaillées à
jour ; celles de l'ordre des Payſans font des
médailles de Vaſa, d'argent doré. Ces médailles
dont quelques-unes font enrichies de brillants
, ſuivant le rang des perſonnes auxquelles
on en a faitpréſent,ſont ſuſpendues à une chaine
d'or à double rang pour la nobleſſe , l'Archevê.
que& les Evêques; les chaines des autres font
d'argentdoré.
Les réjouiſſances qui ont commencé doivent
durer juſqu'au 9 du mois prochain ; le peuple y
a déja pris part ; hier la bourgeoifie de cette
Capitale a régalé la populace dans une grande
falle conftruite à cet effet, & repréſentant le
temple d'Iris ; le même ſoir , les hôtels des
Miniftres étrangers , ceux des Sénateurs & des
perſonnes de la premiere diftinction , ont été
illuminés. Le Roi a fait une promotion nombreuſe
dans l'ordre du Séraphin,celui dell''EEtoile
Polaire , & dans le militaire. Les deux plus anciens
Comtes Suédois , le Comte de Brahé &
le Comte de Lowenhaupt , ont été honorés du
titre héréditaire d'Excellence ; & les Barons de
Ribling , Wrangel & Frankenberg , Sénateurs
du Royaume, ont été élevés à la dignité de
Comtes.
POLOGNE .
De VARSOVIE , le 31 Décembre.
La plupart de nos Officiers s'empreſſent de
quitter le ſervice de la République , qui eſt en
(77)
paix, pour paſſer à celui de l'une ou de l'autre
des Puiſſances actuellement en guerre ; le plus
grand nombre paroit préférer celui du Roi de
Pruſſe ; ceux du moins qui n'ont aucune poſſeffion
dans les terres échues à la Maiſon d'Autriche
, & qui par conféquent font libres , ſe rendent
volontiers en Siléfie . Le Lieutenant-Colonel
de Schiel vient de ſe démettre de fon emploi
, pour aller fervir en Pruſſe. Le Colonel
de Schlichtenberg , qui prend le même parti ,
s'occupe à lever un bataillon franc , & l'on dit
qu'on va en former une vingtaine d'autres , qui
ſe rendront à la même armée .
On ne fait pas de quel oeil le Miniſtre Autrichien
verra ces levées. Il s'en eſt fait beaucoup
en ce pays depuis le commencement de la
guerre ; la République qui ne peut les empêcher
, les permet lorſqu'on demande fon aveu ;
elle ne ſévit que contre les enrôlemens furtifs ,
& elle ne le feroit peut-être pas , ſi les Miniſtres
-intéreſſés ne réclamoient & n'excitoient ſa ſévérité
. Dernièrement elle a fait arrêter un étranger
,nommé Julius , qui recrutoit en ſecret pour
les Autrichiens , & dont l'Envoyé de Pruſſe a
requis la punition . On croit qu'il en ſubira une ,
malgré la protection puiſſante qui s'emploiera
peut-être en ſa faveur. Le crime qui pourra la
rendre vaine , n'eſt pas celui pour lequel il a été
arrêté. Avant ſa détention , il jouoit , dit-on ,
avec tant de bonheur , ou peut-être avec tant
d'avantage , que les cartes lui avoient procuré
plusde 100,000 florins Polonois . On parle de le
transférer à Kaminiec , & de lui confifquer fon
gain ; fi cela arrive , M. Julius effuyera une perte
plus conſidérable que celle qu'eſſuya il y a quelque-
tems M. Tombach , enrôleur Pruffien , qui
fut auſſi arrêté à la requiſition du Miniftre de
Vienne. On lui prit tout ce qu'il avoit ; mais il
n'avoit que 2 florins.
D3
( 78 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , les Janvier.
Ce fut le 28 du mois dernier que LL. MM.
II. & R. reçurent les complimens de la Cour à
l'occaſion de la naiſſance de la Princeſſe dont la
Reine de France eſt heureuſement accouchée
le 19. Il y eut grand gala & grand appartement
dans la falle Impériale , magnifiquement illuminée
. LL. MM. II. firent à cette occafion une
promotion de 4 Conſeillers intimes actuels , de
3 Confeillers intimes titulaires , de 33 Chambellans
actuels , & de 12 Chambellans titulaires.
Le départ du Grand-Duc & de la Grande-
Ducheffe de Tofcane , qu'on diſoit fixé au 8 de
ce mois , paroit différe ; comme Madame la
Grande -Ducheſſe ſe trouve de nouveau enceinte
, on croit qu'elle reſtera encore deux
mois ici , & que le Grand-Duc partira ſeul le
20. Quant au départ de l'Empereur, on ne fait
rien de certain; quelques perſonnes prétendent
qu'il ſe rendra en Bohême ſe 9 , & que l'on n'annoncera
fon voyage qu'au moment où il fera en
route. A en juger par toutes les difpofitions , la
campagne s'ouvrira de bonne heure. Tous les
Commandans des corps particuliers qui ſe trouvent
ici, ont ordre de rejoindre fans délai , &
M. de Fabrice , Quartier-Maître-Général , eft
parti cette nuit pour la Bohême.
Dans toutes les Provinces Autrichiennes , on
voit les ſujets s'empreſſer avec le plus grand
zèle de contribuer aux frais de la guerre. Au
don gratuit qui leur a été demandé , au lieu de
dix pour cent , ils joignent 30 , 40 & 50 pour
cent de leurs revenus.
Les levées des recrues ſe font par-tout avec
beaucoup d'activité. On vient encore de purger
cette capitale & fes fauxbourgs d'un grand
1
(79)
nombre d'habitans inutiles, qu'on a enlevés pen.
dant la nuit. Ces préparatifs qui annonçent la
guerre la plus vigoureuſe , ne laiſſent pas beaucoup
d'eſpérance de paix. On voit bien tous les
jours nos Miniftres en conférence avec ceux de
France &de Ruffie ; nous voyons partir fréquemment
des couriers pour Pétersbourg , & qui ont
ordre de paffer à Breſlau & de s'y arrêter ; mais
nous ignorons la nature des négociations , le
point où elles en font ,& leur réſultat.
Le 25 du mois dernier , on a arrété à Bude un
Eſpion de diftinction , qui a été jetté dans un cachot,
à la porte duquel il y a une double garde ,
l'une le ſabre à la main , & l'autre avec des fuils
chargés à tout évènement.
Depuis le 19 juſqu'au 25 Décembre dernier , on
areffenti pluſieurs ſecouſſes violentes de tremblement
de terre , à Homenau , Wranow & Tawarna ,
dans la Haute Hongrie ,en tirant vers le Nord juſqu'à
Tokai ; on a compté 12 ſecouſſes très- fortes ,
celles du 23 ont été les plus terribles . Leur direction
étoit dans une étendue de 18 milles en longueur
, & de 6 en largeur. Six maiſons ſe ſont écroulées
à Wranow , & le beau Couvent des Paulins a
été fort endommagé , ainſi que les maiſons voiſines;
la tour & le château de Topolowka dans le voifinage
de Homenau , ont été renverſés de fond en
comble. Les murailles de l'hôtel du Comitat , nouvellement
bâti à Uihely , ſont toutes remplies de
crévaſſes & menacent ruine. Les Franciſcains ont
éré obligés d'abandonner leur Couvent,&de célébrer
ainſi que les Paulins , le ſervice Divin ſous des tentes,
De HAMBOURG , le 5 Janvier.
TOUT annonce l'accommodement prochain
des longs différends entre la Ruffie & la Porte .
Le changement du ſyſtême de cette dernière ,
opéré par des négociations ſecrettes qui ont
peut-être donné lieu à la dépoſition du Grand
D 4
( 80 )
Vifir Derendely Méhémet qui s'y ſeroit oppoſé,
ne paroît plus douteux. Trois des vaiſſeaux arrê
tés ſi long-tems dans le canal , ont eu la permiffion
de continuer leur route , & d'entrer dans
la mer Noire ; on aſſure que le quatrième ne
tardera pas à l'obtenir. Les bâtimens de tranf
port qui ont accompagné le Capitan-Bacha dans
fon expédition ſur la mer Noire, & qu'on avoit
retenus à leur retour , dans la vue de les employer
de nouveau au printems prochain , ont
été , dit-on , renvoyés ; ce qui fait préfumer
qu'on ne juge plus qu'on puiſſe en avoir beſoin.
S. H. ne ſemble pas éloignée de reconnoître
SahinGuéray, en qualité de Chan de Crimée.
Elle a mandé à Conftantinople les Députés
Tartares qui y étoient venus l'année dernière
pour cet effet , & qu'elle avoit envoyés en exil
dans l'Ile de Rhodes .
Cette révolution dans les diſpoſitions des
Ottomans , ne peut qu'avoir la plus grande influence
fur les affaires de l'Allemagne, qui ſeules
paroiſſent l'avoir occaſionnée. On eſpère toujours
que la déclaration de la Ruſſie, libre de toute
inquiétude de la part des Turcs , & en état
d'agir efficacement en faveur de fon allié , contribuera
au rétabliſſement de la paix; l'Impératrice-
Reine y a fait la réponſe ſuivante.
S. M. I. R. a vu développer d'une façon, qui lui
a étébien agréable, les ſentimens & le fonddes intentions
, qui ont déterminé S. M. I. de Ruſſie à la
repréſentation qu'elle lui a fait remettre en dernier
lieu , par la façon affectueuſe & la promptitude obligeante
, avec laquelle elle a bien voulu ſe charger
de la médiation qu'elle lui avoit offerte, conjointement
avec S. M. T. C.; S. M. I. R. a été très-ſenſible
à ce nouveau témoignage de l'amitié de S. l'Imp. de
Ruffie; & comme elle est bien aiſe de ne manquer
aucune des occaſions qui peuvent ſe préſenter pour
lui prouver la plus parfaite réciprocité de ſes ſenti(
81)
mens , elle ſaiſit celle que lui offre l'état actuel des
circonstances , pour les lui faire connoître dans toute
leur étendue par le plus grand témoignage qu'elle lui
puiſſe donner de ſon eſtime , de ſon amitié , de ſa
déférence.
S. M. I. R. n'a pu ſe diſpenſer de faire valoir les
droits de ſa maiſon ſur une partie de la ſucceſſion de
Bavière ; mais elle n'a pris pour cet effet que le parti
de s'entendre amiablement à cet égard avec M. l'Electeur
Palatin , lequel , quoique très-régulier , ne
lui a pas moins attiré la guerre. Depuis qu'elle a été
attaquée , elle a fait tout ce qu'elle a pu imaginer
de convenable avec ſa dignité , pour ramener la
paix; & elle a donné une preuve bien forte&bien
évidente de la fincéritéde ſes diſpoſitions à cet égard ,
en offrant pour cet effet aux dernières conférences
de Braudau , de reſtituer à la maiſon Palatine toute
la partie de la ſucceſſion de Bavière qui lui étoit devolue
, & de renoncer même à tous ſes droits à cet
égard : &, fi elle a ajouté pour condition le maintien
de l'ancien ordre de ſucceſſion , établi dans la
maiſon de Brandebourg au ſujet des Marcgraviats
de Franconie , ce n'a été que parce qu'elle a cru ſa
demande fondée , & parce qu'elle lui a paru être le
moyen le plus propre à ne point altérer l'état des
poſſeſſions actuelles en Allemagne. Mais il eſt arrivé
, comme on fait , que S. M. Pr. a jugé ne pas
devoir ſe prêter à la paix au prix de cette condefcendance
; que l'on a même cru pouvoir ſe permettre
de ſuppoſer une arrière-penſée &des intentions doureuſes
à la Propofition de S. M. Elle penſe pouvoir
ſe flatter , à la vérité , que toute l'Europe impartiale
n'a pu l'en ſoupçonner ; & elle compte ſur-tout , que
S. M. l'Impératrice de Ruſie , dont elle connoît &
honore l'équité , n'a jamais été en doute à cet égard.
Elle est bien aiſe cependant de pouvoir lui donner
une nouvelle preuve des ſentimens qu'elle mérite
de ſa part , & qu'elle a elle ; & c'eſt pour cet
effet ,que fans plus rienécouter que le plaifir qu'elle
Dis
( 82 )
prend à pouvoir déferer aux inſtances de S. M. I. ,
elle lui abandonne le choix des moyens de conciliation
, que conjointement avec S. M. T. C. , elle
juge être les plus équitables & les plus propres au
prompt rétabliſſement de la paix , perfuadée qu'elle
ne fauroit mettre en meilleures mains ſes intérêts &
ſadignité.
C'eſt à ce point que S. M. I. R. compte ſur les ſentimens
de S. M. & du Roi T. C. , fon fidèle Allié.
Elle defireroit cependant , que l'on préférâr à l'idée
d'un Congrès ou de toute autre voie de négociation ,
qui pourroit cauſer des retardemens , celle qui pourroit
le plus promptement ramener la paix ; elle s'en
rapporte d'ailleurs à S. M. I. du ſoin de faire convenir
dès à préſent & tout de ſuite d'une ſuſpenfion
d'armes , ſi elle la croit convenable.
S. M. I. R. ſe flatte que S. M. I. retrouvera dans
cette ouverture une nouvelle preuve de ſes ſentimens
pour ſa perſonne ; & elle defire ſur- tout vivement ,
qu'elle veuille bien lui rendre la justice d'être perſuadée
, qu'ils font des plus fincères <«.
On juge d'après cette réponſe , conçue en
termes très-modérés , que la maiſon d'Autriche
donneroit volontiers les mains à un accommodement
amiable , s'il lui étoit poſſible d'y parvenir
fans fe compromettre. Après s'être avancée ſi
loin , il eſt difficile qu'elle ſe détermine à reculer;
il faut trouver des tempéramens , &
c'eſt ſans doute ce dont s'occupent les Puiſſances
médiatrices ; la paix ne ſemble dépendre que
des ouvertures qu'elles feront faire à la Cour de
Vienne. En attendant, la guerre continue ; fi
tout eſt tranquille en Saxe , il n'en eſt pas de
même dans la Haute-Siléſie , où malgré la rigueur
de la faifon , les troupes Autrichiennes &
Pruffiennes font toujours en mouvement, &préparent
à quelques entrepriſes. Les premières paroiffent
n'avoir pas encore abandonné l'eſpoir &
le deſſein de déloger les dernieres de cette pro-
1
( 83 )
vince. Vingt bataillons Impériaux viennent
d'être détachés du côté d'Olmuz ; & le Roi de
Pruſſe a fait paffer quelques nouveaux régimens
à l'armée du Prince Héréditaire de Brunswick,
qui avec ce renfort , médite de fon côté quel
que expédition importante .
En attendant l'effet des négociations pour la
paix , on fait de part & d'autre les préparatifs
les plus formidables pour la campagne prochaine
, qui , fi elle a lieu,commencera de bonne
heure. Les Autrichiens ferment & barricadent
tous les paſſages qui peuvent conduire en
Bohême . D'un autre côté , on affure , que l'armée
Ruſſe qui doit feconder le Roi de Pruſſe ,
eſt en pleine marche par la Pologne , & qu'elle
entrera à la folde de ce Prince le 24de
mois ; on ne dit point encore de quel côté
elle agira. Mais tout annonce au printems prochain
les ſcènes les plus terribles & les plus fanglantes.
L'Empereur , dit-on , n'aura pas moins
de quatre armées en campagne, une en Bohême,
une en Siléfie , une en Pologne ,& la quatrième
enBavière.
ce
Onmande de Munich que l'Electeur Palatin
ſe propofe de former un cordonſur les frontières
de ſesEtats; pour cet effet , on fait de grandes
levées dans le Duché de Bavière , & pour les
faciliter , on publiera une amniſtie en faveur des
déſerteurs , qui non-feulement feront exempts
de tous châtimens , mais pourront afpirer comme
les autres aux différens grades de l'armée.
Les troupes aſſemblées à Hanovre , font
toujours fur pied ; mais juſqu'à préfent elles
n'ont fait aucun mouvement qui annonce l'emploi
qu'en veut faire le Roi d'Angleterre ; on
fait qu'il en a beſoin en Amérique , & fi elles
avoient cette deſtination , il feroit tems qu'elles
ſe préparaſſent à prendre cette route . Quelques
perfonnes croient qu'il eſpère toujours que les
D6
(84)
troubles d'Allemagne amèneront quelques circonftances
heureuſes qui lui faciliteront les
moyens d'occuper la France ; on revient aux anciensplans
d'alliance entre l'Angleterre,la Rufſfie
&la Pruſſe ; mais ils ne prennent pas , malgré
l'affectation avec laquelle on ne ceſſe de les publier.
Ces bruits n'ont jamais eu beaucoup de
crédit , & ils en ont encore moins aujourd'hui
qu'on dit hautement que la révolution arrivée
dans le ſyſtème du Miniſtère Ottoman , eft
l'ouvrage de la Cour de Versailles ; & dans ce
cas , il eſt hors de toute vraiſemblance que les
Anglois puiſſent , ainſi qu'ils s'en vantent , ſe
flatter des fecours de la Ruffie.
De RATISBONNE , le 6 Janvier.
ON attend la repriſe des ſéances de laDiète
avec autant d'impatience que de curiofité ; le
publiceft empreffé de ſavoir l'impreſſion qu'aura
faite fur le corps Dyplomatique , la réponſe de
la Cour de Vienne à la Cour de Ruffie ; on ne
croit pas cependant que cette afſemblée s'occupe
de l'état de l'affaire de Bavière , peut-être
ne s'en occupera-t-elle point du tout; les Puiffances
intéreſſées paroiſſent déterminées à ne
négocier qu'avec les Puiſſances médiatrices.
Des lettres particulières nous ont appris il y
a quelque tems , que le Baron de Senkenberg ,
Conſeiller de Régence du Landgrave deHefle-
Darmſtadt , le même qui adécouvert & fait remettre
à la Cour Palatine l'acte de renonciation
du Duc Albert d'Autriche , s'étant rendu depuis
peu à Vienne pour y folliciter la place du Baron
de Gartner , vacante au Conſeil Aulique de
l'Empire , y a été arrêté. Il avoit demandé avec
inſtance qu'on ne le nommât point lorſqu'on feroit
valoir l'acte dont il avoit fait la découverte.
Le ſecret n'a pu être gardé; les papiers publics
( 85 )
l'en ont inſtruit. Ne ſe croyant plus en sûreté à
Vienne , il s'étoit hâté d'en fortir ; mais il n'en
étoit pas éloigné encore de deux poftes , qu'il a
été arrêté par ordre du Miniftre Impérial , &
conduit dans une fortereſſe comme prifonnier
d'Etat. On aſſure aujourd'hui que ſa détention
n'a pas été longue , qu'il a été remis en liberté
fur ſa parole d'honneur de ne point quitter
Vienne ,& de ſe préſenter chaque fois qu'il en
ſera requis devant une commiffion nommée pour
examiner tout ce qui eft relatif à l'acte en queftion
, & à la découverte qu'il en a faite . Cette
commiſſion eft compofée du Baron de Leykam ,
Référendaire de l'Empire , & de M. de Schroter
, Confeiller Aulique. L'examen dont elle
eft chargée , a été commencé le 25 du mois dernier
, par un interrogatoire qu'a ſubi M. de Senkenberg.
>> Les deux derniers Mémoires , écrit-on de Munich
, que la Cour de Berlin a fait remettre à la Diète
, ont été réimprimés ici comme dans la plupart
des villes d'Allemagne. Le Libraire Strobt en a vendu
plus de 400 en un jour. Le Baron de Lehrbach en
ayant été inſtruit en porta ſes plaintes à S. A. S. , en
lui déclarant au nom de l'Impératrice Reine , que la
permiflion donnée à cet effet , ſous les yeux même
de la Cour , pouvoit faire inférer que l'attention
de S. A. S. étoit d'embraſſer le parti & les intérêts
de la Cour de Berlin. L'Electeur fit auffi tôt ſufpendre
la vente de ces Mémoires , & ordonna de faire
des recherches pour ſavoir de qui le Libraire avoit
obtenu la permiſſion d'imprimer & de vendre. Le
peuple qui , dans les affaires actuelles , paroît être
d'un autre parti que celui de ſon Souverain , & pencher
pour le Roi de Pruſſe qu'il regarde comme le
protecteur des droits du Duché , s'eſt attroupé devant
la boutique du Libraire , l'a forcée & en a enlevé
autant d'exemplaires qu'il a pu en ſaiſir. Le lendemain
le même tumulte a recommencé , pluſieurs
( 86 )
voix ſe ſont élevées & ont crié que ſi la défenſe
dela veille n'étoit pas levée dans les 24 heures , on
iroit affaillir l'Hôtel du Baron de Lehrbach & le
détruire de fond en comble. Le Libraire pour appaiſer
ce nouveau tumulte , fut obligé de diftribuer
400 nouveaux exemplaires du Mémoire , après quoi
le peuple ſe diſlipa & tout rentra dans la tranquil.
litéa.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 6 Janvier.
ON apprend de Veniſe que Louis Mocenigo,
Doge de la République , eſt mort le 31 du mois
dernier , âgé de 77 ans & quelques mois ; il
étoit né le 19 Mai 1710 ; avant fon élection qui
eut lieu le 19 Avril 1763 , il avoit rempli avec
diftinction pluſieurs charges honorables , &
rempli ſucceſſivement les Ambaſſades de Verfailles
, de Madrid , de Naples & de Rome.
Sa mort ne fera publiée que dans huit jours à
cauſe des préparatifs extraordinaires de fes obfèques
.
>> On s'occupe beaucoup ici , écrit-on de Rome ,
d'un évènement très-intéreſſant pour le S. Siége . La
veille de Noel , le Pape accompagné ſeulement d'un
Maître de cérémonie & d'un Clerc de Chapelle, fe
rendit dans la Bafilique de S. Pierre, & après avoir
fait ſes dévotions , il paſſa dans la Sacriftie , où il
manda les Maîtres des Cérémonies qu'il chargea de
la préparer pour un Conſiſtoire qu'il vouloit y tenir
le lendemain. Il fit enſuite avertir les Cardinaux en
leur recommandant de s'y rendre une heure plutôt
qu'il n'eſt d'uſage. Le jour de Noel S. S. célebra dans
la même Egliſe la Grand'meſſe Pontificale , à l'iffue
de laquelle elle entra dans la ſacriſtie, revêtue de ſes
habits de cérémonie , & ſuivie de tous les Cardinaux.
La porte fut fermée , & la garde chargée d'en
écarter le peuple fut double. La tenue d'un confil.
( 87 )
toire auſſi ſolemnel , & dont on ne ſe ſouvient pas
qu'il y ait eu des exemples depuis trois ſiècles , avoit
excité la plus vive curiofité , & attiré la foule qui
s'eſt épuiſée en conjectures , juſqu'à ce qu'on ait publié
que l'objet de cette aſſemblée étoit de lui faire
part de la rétractation folemnelle de l'ouvrage intitulé
, deftatu Ecclefia , publié ſous le nom de Juftin
Febronius , & dont le véritable Auteur eſt M. Nicolas
de Honteim , Evêque in partibus , & Suffragant
de l'Archevêché de Trèves. Cette rétractation à laquelle
l'Electeur de Trèves n'a pas peu contribué , a
été ſignée le 1 Novembre dernier ; la lecture a duré
trois quarts d'heure. Elle eſt écrite ſur trois colomnes
, dont la première préſente les erreurs , la ſeconde
leur réfutation , & la troiſième le véritable ſens
catholique dans lequel on doit s'exprimer. Febronius
reconnoît la Bulle Unigenitus , comme règle de foi ,
condamnant & réprouvant l'Egliſe d'Utrecht. Cette
lecture a été ſuivie de celle des lettres de l'Electeur
& de l'Evêque , après quoi le S. P. ex autoritate
apoftolica, reprit & condamna encore tout ce que
Febronius condamnoit " .
Les lettres de Boulogne portent qu'on y a
arrêté la nuit de Noel , un Napolitain qui a été
conduit fur-le-champ dans les priſons de la ville.
On l'a reconnu , dit-on pour l'auteur de plufieurs
fauſſes fignatures . Cet homme après avoir
fervi pendant quelques années dans les troupes
Autrichiennes , s'étoit fait Entrepreneur de
théâtres en Allemagne où il avoit fait banqueroute
; il avoit paſſe enſuite en Eſpagne , d'où
fans doute fon mauvais fort , & une deſtination
particulière de la Providence qui , tôt ou tard
punit le crime , l'avoit conduit à Boulogne . On
dit que c'eſt le même qui avoit contrefait les fignatures
de M.Davidde Montet , Négociant ici.
(88 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 20 Janvier.
Nos papiers publics ne font remplis depuis
quelque tems que des détails de la tempête du i
de ce mois. On eſt fort inquiet de la flotte deſti.
née pour les ifles & pour New-Yorck. Depuis
fon départ de Portſmouth on n'en a point reçu
de nouvelles : on a dit qu'elle s'eft réfugiée
à Torbay , & qu'elle en eſt partie le 2 de
ce mois fous l'eſcorte du Lord Shuldam ; mais
il ſemble que depuis ce tems on auroit pu en
avoir des nouvelles poſitives. Cequi faitpréfumer
que cette flotte ou du moins tous les vaifſeaux
qui la compofent , n'ont pas mis à la voile
ce jour , c'eſt que ceux qui font destinés pour
New-York devoient recevoir leurs inſtructions
par le Romulus qui ne les leur a pas portées ,
puiſqu'il eſt revenu à Portsmouth où il a ramené
l'équipage du Loudon , & où il eſt encore.
On n'a pas reçu ou du moins le Gouvernement
n'a publié aucune dépêche de l'Amérique
depuis long-tems ; le Contre Amiral Sir Parker
eft fort inquiet à la Jamaïque depuis qu'il ne
doute plus que cette iſle eſt menacée , & peutêtre
à préſent le coup eſt déja porté. On s'empreſſe
d'annoncer des eſpérances de l'arrivée des
ſecours qu'y conduit le Commodore Hotham.
On fait qu'il étoit pourſuivi par la flotte Francoife
, & on n'a pas manqué de dire qu'elle
l'avoit rencontré , que le combat s'étoit engagé,
& qu'une tempête venue à propos avoit féparé
les deux flottes. On demande comment le Commodore
Hotham a pu engager un combat contre
des forces auſſi ſupérieures , devant leſquelles
il n'avoit pas d'autre parti à prendre que
celui d'amener , ou d'effayer de leur échapper
par la fuite.
(89 )
Le Gouvernement continue de faire tous les
préparatifs néceſſaires pour envoyer des renforts
en Amérique ; aux recrues des troupes auxiliaires
fournies par les Princes Allemands , il
joint deux régimens de Hanovre qui feront répartis
à la Jamaïque , à Port-Royal & à Gréenwich;
les corps qui font deſtinés pour le continent
, partagés en deux divifions , s'embarqueront
à Portſmouth & à Plymouth , au commencement
du mois de Mars. On a choifi ce
tems , parce que s'ils partoient auparavant , ils
arriveroient trop tôt ſur la côte d'Amérique
où les vents ſont conftamment contraires pendant
les trois quarts de l'année. Ils ne commencent
àvarier que vers le commencement d'Avril ,
époque où l'on préſume que ces renforts pourront
arriver à leur deſtination .
Au milieu des inquiétudes générales de la
nation , le Gouvernement ne néglige aucun
moyende la raffurer , & fouvent il en employe
de bien petits ; tel eſt le bruit qu'il fait courir
depuis quelques jours de l'arrivée de deux Américains
chargés d'une négociation de la plus
grande importance , dont on ne dit pas l'objet
, mais qu'on fait entendre être relative à un
accommodement. On oppoſe à ce bruit une lettre
d'un Américain arrivé depuis peu en France ,
d'où il écrit auſſi àſon Correſpondant à Amfterdam.
J'ai le plaiſir de vous informer de mon heureuſe
arrivée en France , d'où j'eſpère aller vous voir dans
peu. J'ai été étonné de tout ce que j'ai lu dans les
papiers Anglois & dans d'autres qui les copient ,
touchant nos Colonies , qu'ils repréſentent déſunies
&dans un état très-miſérable. De pareilles nouvelles ,
& tant eſt qu'on les ait mandées d'Amérique , l'ont
été par quelques Torys fanatiques ; car les Torys
mêmes qui ſont de ſens- froid , penſent autrement :
ils ſavent que les Anglois ne peuvent rien contre
( 90 )
elles , même avec toutes les forces qu'ils ont en
Amérique. Jamais je n'ai vu les Colonies plus floriſſantes
, ni dans une plus grande union , que lorfque
je quittai Boſton ſur la fin de Novembre. Nous
nous attendions alors à voir bien-tôt nos familles
rétablies à New-York , & les Anglois évacuer cette
Place : il eſt même très-probable , que les premiers
Vailleaux nous en apporteront l'avis. Si les Anglois
continuent à nous vexer , en détruifant nos villes
maritimes autant qu'ils peuvent, il eſt à préfumer,
que quoique juſqu'à préſent ils aient conſervé le
droit de concourir avec toutes les autres nations à
notre commerce, nous aurons formé dans peu des
alliances de nature ànous pouvoir paſſer d'eux , &
que même nous renoncerons à tout commerce avec
laGrande-Bretagne , & l'interdirons expreſſement.
Les lettres qui viennent véritablement de l'Amérique
ne varient point fur les ſentimens des
habitans desEtats-Unis , & nous ne devons pas
nous flatter de les voir en changer , dans un moment
fur-tout , où ils font foutenus efficacement
par la France. La guerre dans laquelle nous
nous trouvons engagés avec cette Puiſſance ,
nous force à partager notre attention entre
tous nos établiſſemens menacés dans toutes les
parties du monde ; & les fecours que nous leur
devons ne nous permettront pas de grands efforts
contre les Américains. Le bruit ſe répand
dans ce moment de la priſe des forts de Sénégal
& de Gambie ſur la côte d'Afrique. Ce
qui nous fait craindre qu'il ne ſoit trop fondé ,
c'eſt que depuis le mois d'Avril 1777, la Cour
n'a reçu aucunes nouvelles des principaux Offi
ciers de cette Colonie. Les lettres qu'ils lui
avoient dépêchées en Juillet dernier par le
loop le Betsey , Capitaine Good, ne font point
arrivées à leur adreſſe , parce que ce loop
fut pris le 19 Septembre ſuivant près de Beachy-
Head; l'on préſume qu'elles contenoient
(91 )
quelques avis qui ont pu déterminer les François
à y faire une defcente. Les dépêches ultérieures
que le Gouvernement devoit recevoir
en date du mois d'Octobre , ne font pas
non plus arrivées ; la Nancy qui les portoit fut
priſe encore le 17 Décembre à trois lieues de
Beachy-Head , & le Capitaine Hamilton qui
la commandoit , les jetta à la mer. Comme
ce dernier vaiſſeau avoit été expédié exprès
les papiers Gouvernement Seulement , on
croit qu'ils donnoient avis des préparatifs faits
à Gorée par les François , pour agir de concert
avec une efcadre attendue de Breft , d'où
l'on croit qu'elle eſt partie en effet vers le rs
Novembre dernier.
avec du
Nos armateurs au milieu des pertes réel.
les de la nation , continuent à faire leurs af
faires. Ils fe font emparé depuis peu de trois
vaiſſeaux François revenant de la Chine & ri
chement chargés. De ces vaiſſeaux un ſeul eſt
arrivé à Cork fans accident ; l'Iris a péri dans
la tempête du 31 du mois dernier au premier de
celui-ci ; mais on en a ſauvé l'équipage & la
cargaifon : l'autre a fait naufrage à l'entrée du
port de Liverpool ; la plus grande partie de
fon équipage a été noyée ; la cargaiſon à la
quelle les armateurs paroiffent avoir fongé de
préférence , a été conſervée . S'il faut en croire
nos papiers publics , il y avoit à bord de ce der.
nier vaiſſeau deux coffres de fer remplis d'or
pour la fomme de 200,000 liv. fterl. Il s'eſt
défendu pendant plus de 6 heures contre le
Corſaire qui étoit de ſa force . On dit que les
vaiſſeaux que ces navires à leur départ ont laifſés
à l'ifle de France , étoient au nombre de 9 ,
ſavoir , l'Henriette , l'Auguſte , la Dugefitine, le
Vigilant , la Normandie , l'Aimable Annette& le
Sartine. Ce dernier étoit prêt à mettre à la
voile.
(92 )
Le Lord North ſe donne beaucoup de mouvemens
pour trouver les fonds néceſſaires pour
cette année. Il négocie actuellement avec plufieurs
maiſons riches pour l'emprunt qu'il a à
faire ; mais on prétend qu'aucune ne veut entendre
aux arrangemens qu'il propoſe à moins
qu'on n'aſſure 7 & demi pour cent d'intérêt.
S'il trouve de l'argent il le payera certainement
fort cher , & la nation ne voit pas fans
peine , qu'il faudra l'année prochaine recourir
à de nouvelles reſſources auſſi ruineuſes . On
attend avec impatience le réſultat de ces opérations
; on ne les connoîtra que lorſqu'il en
aura fait part au Parlement , & vraiſemblablement
cela ne tardera pas.
La Chambre des Communes s'eſt aſſemblée
le 14 de ce mois , conformément à fon ajournement;
mais elle n'a pas été nombreuſe. M. Buller
préſenta ce jour-là à l'Orateur un Meſſage ,
dans lequel il dit en ſubſtance que l'Amiral
Keppel , Membre de la Chambre , & occupé
du procès qu'on lui faifoit ſur l'accuſation du
Vice-Amiral Hugh Pallifer , ne pouvant remplir
ſes fonctions à cette Chambre d'ici à quelque
tems , l'Amirauté a cru qu'il étoit de fon
devoir de lui en faire part. La Chambre après
avoir ordonné que le Meſſage & les papiers qui
y étoientjoints fuſſent mis fur la table , s'ajourna
au 19.
Cette affaire occupe actuellement toute la
Nation. Elle commence à douter de la grande
victoire de l'Amiral Keppel à la hauteur d'Ouefſant
; il n'eſt pas ordinaire , dit-elle , de faire le
procès à un Général vainqueur ; il ſemble que
lorſqu'il amis en fuite ſes ennemis , on ne doit
paslui en demander davantage. Lorſqu'on foumit
l'Amiral Byng à un Conſeil de guerre , il
avoit été battu . On ſuppoſa qu'il s'étoit mal conduit;
& juſqu'à préſent on a prétendu que
( 93 )
l'Amiral Keppel s'étoit mieux conduit que
l'Amiral François. Cette affaire que l'on croyoit
pouvoir être terminée en dix jours , occupera
peut-être deux mois. Le nombre des témoins
que l'Amiral Palliſer a nommés , eſt , dit-on
de 35 , & on porte au double ceux que doit préfenter
l'accuſé .On affure que le Lord Sandwich
ſera cité au nombre des témoins , & obligé de
paroitre au Confeil de guerre. L'Amiral Keppel
a, dit-on , réſolu de demander que ce Miniftre
mette ſous les yeux du Conſeil , les lettres , tant
officielles que particulières , qu'il a reçues de Sir
Hugh Pallifer , depuis le premier départ de la
flotte , juſqu'à ſa ſeconde rentrée dans le port.
S'il faut en croire des perſonnes qui ſe difent
bien inſtruites , le Lord Sandwich eſt dans les
plus vives inquiétudes. Quelques jours avant
l'action du 27 Juillet , il avoit écrit à l'Amiral
Keppel une lettre , dont il craint la publicité.
>>Son contenu , dit-on dans un de nos papiers , eft
ſi oppoſé à qu'il a pluſieurs fois avancé en
plein Parlement fur l'état de notre marine , qu'il
fera convaincu du menſonge le plus attroce ; il
eſt ſi affecté de la crainte de cet évènement ,
qu'il en eſt malade , & qu'on ne feroit pas étonnéde
le voir mourir de peur «.
L'examen des témoins continue à Portf
mouth ; & il paroit qu'il ne fera pas fini de fi-tôt.
LeDuc de Cumberlands'étoit rendu dans ce port
pour atſiſter au Conſeil de guerre , mais il en a
été exclus , ainſi que les Officiers ſuivans qui
n'ont pas été non plus admis comme témoins , le
Duc de Richemont , le Duc de Bolton , le
Comted'Effingham, le Marquis de Rockingham,
M. Edmont Burke , le Général Keppel , MM.
Jean Dunning , Jean Lée & Jean Horne .
Selon les lettres de ce port , le to de ce mois
Sir Hugh Palliſer chargea un de ſes amis de
porterune lettre à l'Amiral Keppel. Celui-ci la
( 94)
renvoya ſans l'ouvrir , en déclarant que fon honneur
ne lui permettoit pas une correfpondance
particulière avec fon accufateur. On ignore ce
que contenoit cette lettre , quelques perſonnes
prétendent que le Vice-Amiral y marquoit le
defir qu'il avoit de ſe déiifter de fon accufation.
Sa démarche en effet a indifpofé tout le inonde
contre lui ; elle a rappellé une anècdote au
moins fingulière , que l'on raconte ainfi. Lors
du combat d'Oueſſant , l'Amiral Campbell , Capitaine
de pavillon de l'Amiral Keppel , obfervant
que le Chevalier Hugh Pallifer n'obéifſoit
point au fignal de l'Amiral Keppel , dit à l'Amiral
: Le Chevalier Hugh Pallifer eft tué. J'efpère
que non , répondit l'Amiral . - Il eſt donc
bleffé mortellement. Dieu nous en préſerve !
ce n'est sûrement qu'une mépriſe.-Je ne fuis
pas affez neuf pour croire une pareille choſe.
Onplaint l'Amiral , qui pourroit bien en être la
victime , & on n'eſt pas raſſuré fur fon fort ,
lorſqu'on fonge qu'il a été auparavant du parti
de l'Oppofition. Un particulier qui ſe donne
pour un des plus grand admirateurs de fa bravoure
&de fon patriotiſme , vient de publier
une longue lettre , dans laquelle il déclare que
bien loin d'être fâché de ſon procès , il eſt fort
aife de le voir mortifié par cette enquête , &
qu'il a bien mérité cette punition , en acceptant
un commandement fous une adminiſtration qu'il
favoit être autant ſon ennemie que celle de la
Grande-Bretagne.
Onprétend que le feu Comte de Chatam lui
avoit prédit ce qui lui arrive. Dans le tems où
l'on commençoit à travailler à la grande flotte
d'obſervation , & que l'adminiſtration défignoit
déja l'Amiral Keppel pour la commander en
Chef, celui- ci faiſoit de fréquents voyages à
Gages chez le Comte de Chatam qu'il étoit dans
l'ufage de confulter ſur toutes les affaires politi(
95 )
ques qui l'intéreſſoient. La première fois qu'il
l'alla voir après ſa nomination , le Comte lui
cria en le voyant entrer : >> Courage mon ami ;
foyez le ſauveur de votre pays , vengez fon
honneur , & lancez fon tonnerre fur nos ennemis
; mais fachez en même-tems , mon cher
Keppel , que quels que foient vos ſuccès , vous
ne devez attendre aucune récompenſe de votre
maître , & je fouhaite de tout mon coeur que ſa
confiance dans cette occafion ne porte aucune
atteinte à vos lauriers « .
Preſque tous nos papiers font remplis de réflexions
contre l'adminiſtration qui a confenti à
donner tant d'éclat à cette affaire . Selon eux
elle a commis une grande imprudence ; les Officiers
de la marine ont déja formé différens partis;
quelques-uns même des Membres du Confeil
de guerre , ont déclaré leur mépris pour les
loix de terre , & diſent qu'ils fiégent , non par
égard pour la loi , mais pour rendre justice ; &
c'eſt faire une diſtinction odieuſe entre la juſtice
&la loi . >> Pendant que ce procès , lit-on dans
quelques-uns , occupe excluſivement la curiofité
publique , un homme ſincèrement attaché aux
intérêts de fon pays , peut-il s'empêcher d'obfer.
ver la conduite de l'adminiſtration ? où eſt le
Comted'Estaing ? s'eſt-on un peu occupé de nos
Iſles de l'Amérique ? tous ces objets méritent
certainement la plus férieuſe attention ; mais le
peuple ſemble devenu inſenſible , & cette indifférence
a été pouſſée à un tel point , que la
ruine totale de l'Etat eſt peut-être le ſeul châ
timent qui puiſſe expier un crime auſſi capital «.
S'il faut en croire les bruits publics qui n'ont
peut être aucun fondement , on a découvert de.
puis peu une trahiſon de la part d'un premier
Commis de la tréſorerie ; on l'accuſe d'avoir
donné à la Cour de France la clef du chiffre em
ployé dans quelques dépêches relatives à une
( 96 )
négociation entre les Cours de Pétersbourg de
Londres & de Berlin ; au moyen de quoi le ſecret
de ces négociations a été éventé. Il y a
tant de variations ſur ce qui ſe débite à ce ſujet ,
qu'il eſt difficile de ſavoir à quoi s'en tenir ; &
cet évènement a tout l'air d'être une fiction .
On parle auſſi d'un porte-feuille trouvé dans la
rue , dans lequel étoit une lettre en chiffre ,
contenant une correſpondance criminelle avec
l'ennemi. Cettelettre & les papiers qui y étoient
joints, peuvent ſervir à en faire découvrir l'auteur.
Leur examena , dit-on , donné lieu à une
aſſemblée tenue ces jours derniers chez un Miniſtre
, & à laquelle le juge Fielding a été appellé
pour donner ſon avis.
L'arrangement que la Cour vient de faire
dans la principauté de Galles , fait toujours beaucoup
de bruit , & on ne doute pas que le Parlementne
s'enoccupe inceſſamment.Enattendant ,
quelques perſonnes cherchent à le faire regarder
comme la cauſe prochaine d'une nouvelle révo
lution. >> Les Gallois , dit-on , joignent au courage
le plus ferme , une ame peu endurante. De
tout l'Empire Britannique , c'eſt la province qui
ſe laiſſera le plus difficilement dépouiller de fes
propriétés par une adminiſtration tyrannique ;&
il ya tout lieu de croire que ſi le Gouvernement
perſiſte dans des meſures qui donnent les plus
vives alarmes aux propriétaires des terres , il
aura bientôt ſur les bras une nouvelle rebellion « .
On lit ici une lettre écrite de Paris par un de
nos compatriotes qui y fait ſon premier voyage.
>> Le pays où je ſuis , & dont on dit tant de mal
dans le mien , eſt bien mal connu & apprécié bien
injuſtement J'y ai trouvé cette liberté que nous
payons ſi cher, &dont nous n'avons que l'ombre.
Elle réſide ici avec la ſécurité , la gaité& l'honnêteté
qui y compoſent ſon cortege; les illuminations à
l'occafion de la délivrance de la Reine , m'ont fait
voir
(97)
voir 800,000 habitans , ſe promenant paiſiblement ,
comme ſi ce n'eût été qu'une ſeule famille , & la ville
entière qu'un jardin. Quelle différence avec ce qui
arrive chez nous , où notre populace ne peut ſe
réunir ſans s'ameuter , & où il n'y a point de fêtes
qui n'entraîne l'exécution du riot aft , ( acte contre
les émeutes ) , pour nous mettre à la chaîne comme
des chiens enragés. Nos Miniſtres & leurs ſuppôts
ſe tuent de répéter qu'il y a diſette d'hommes de
bonne volonté en France , &je m'attendois à voir les
enrôleurs profiter de la fête pour exciter des émeutes
& faire ce qu'on appelle leur main ; cela ſe ſeroit
paffé ainſi à Londres ; mais ici on n'enrôle perſonne
que de bonne volonté ; celui qui feroit un ſeul
homme par force , riſqueroit d'être puni par le
carcan & même les galères. Cette attention pour la
liberté perſonnelle, dans un pays où l'on prétend
chez nous que tout eſt eſclave , me rappelle un fait
ſingulier , arrivé l'année dernière dans la patrie de la
grande charte. Le Lord *** ſortant d'un bal mafqué
où il avoit pris le déguiſement d'un matelor ,
fut emmené , quelque choſe qu'il pût faire & dire ,
fur un vaiſſeau par des enrôleurs de marine , & ce ne
fut que le lendemain qu'il fut relâché ce,
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
De Trentown , le 8 Novembre. Nous ſavons
de bonne part que le Lord Howe , après s'être
montré une inſtant avec ſa flotte devant le
port de Boſton , peu de tems après que le
Comte d'Estaing y fut arrivé de Rhode- Iſland ,
penſa payer cher cette eſpèce de bravade ;
en retournant à New-Yorck , il courut le plus
grand riſque de faire échouer tous ſes vaiſſeaux
fur le Cap Codd , le même ou le Sommerfer
a échoué le rer. de ce mois . Le Saint-Albans
de 64 canons , toucha & reſta près de deux
jours fans pouvoir ſe relever , il fit le ſignal
aux autres vaiſſeaux du Lord Howe , de s'é-
5 Février 1779. , E :
(98 )
هللا
loigner pour éviter d'éprouver le même acci
dent,& eut enfuite le bonheur de revenir à flot.
Selon toutes nos nouvelles , l'Amiral Byron
eft toujours à Newport de Rhode- Iſland , ne
fachant qu'elle route tenir pour touver M.
d'Estaing. Le Général Washingtona , dit-on ,
laiflé fon armée dans ſes quartiers d'hiver , dans
les Jerſeys & eſt allé au Sud , avec quelques
Officiers de choix. On croit que ſon intention
eſt de viſiter les troupes qui avoient été
levées dans la Géorgie & dans les Carolines ,
pours'oppofer au Brigadier-Général Campbell.
L'expédition de cet Officier étoit connue dans
toute l'Amérique pluſieurs ſemaines avant fon
départ ; elle devoit néceſſairement manquer ,
& c'eſt ce qui eft arrivé.
>> On a arrêté dernièrement , à Dambury ,
écrit-on de Connecticut , un eſpion qui avoit
traverſé la flotte du Comte d'Estaing , vu tous
nos ouvrages dans les environs , viſité toutes!
les diviſions de l'armée du GénéralWashington ,
& qui étoit déja fur le point de s'en retourner
à New- Yorck . On l'a foupçonné& pourſuivi ;
fon cheval , de toute la vitelle duquel il fuyoit ,
ſe trouvant fatigué , eſt tombé mort & a facilité
le moyen de le joindre & de le faifir ;
on l'a mis en lieu de fûreté. En viſitant fa
felle, ony a trouvé 700 guinées qu'il y avoit
cachées.
De Charles-Town , le 18 Novembre. » Nous
avons eſſuyé ici , écrit-on de New-Yorck , de
violens coups de vent depuis le commencement
de ce mois ; la flotte de l'Amiral Byron a été
très-maltraitée & tellement diſperſée , qu'il
n'a pu encore réunir à Rhode-Iſland plus de
neuf de ſes vaiſſeaux ; nous venons de voir ar
riyer ici le Bedford, de 74 canons , tout démâté
; on ignore où ſe trouvent les autres , &
on craint beaucoup pour trois qu'il a quittés
il y a quelques jours , & qui font dans un
(99 )
état encore pire que le ſien. LeColonelCampbell
eft de retour de fon expédition , que
les vents ont contrariée ; on croyoit qu'il en
alloit tenter une nouvelle ; on parloit même
de 4000 hommes commandés pour cet effet ;
mais la nouvelle du départ du Comte d'Eftaing
de Boſton a retenu ici nos troupes. Nous
fommes fort inquiets pour le Commodore Hotham
.
On a beaucoup parlé de l'expédition d'Eggharbour.
Les Anglois n'ont pas manqué d'exagérer
felon leur uſage l'avantage qu'ils ont obtenu.
La lettre ſuivante du Comte Palawski au
Préſident du Congrès , & publiée par ordre du
Congrès réduit leurs relations à leurjuſte valeur.
>>M. , craignant que ma lettre , fur l'action où
j'ai été engagé , ne s'égare ou ne ſoit retardée , &
ayant d'ailleurs quelques autres particularités àrapporter
, j'ai cru néceſſaire de vous envoyer celle-ci.
Un certain Juliet , Officier , qui avoit déſerté de l'ennemi
, alla de nouveau le joindre il y a deux jours
avec trois hommes qu'il avoit débauchés , & deux
autres qu'il a emmenés de force. L'ennemi , excité
ſans doute par ce Juliet , nous attaqua le 15 à 3.
heures du matin avec 400 hommes : il parut d'abord
pouffer avec furie nos piquets & notre infanterie,
qui perdirent quelque peu de monde en ſe retirant :
enfuite il s'avança vers notre infanterie. Le Lieutenant-
Colonel Baron de Boſe , qui étoit à la tête de
ſes gens & ſe battit avec vigueur , fut tué de quelques
coups de bayonnette , ainſi que le Lieutenant
de la Borderie : un petit nombre de foldats fut bleſſé.
Cette boucherie n'auroit pas ceſſe ſi-tôt , ſi ſur la
première allarmeje ne me fufſe hâté avec ma cavalerie
de foutenir l'infanterie , qui s'étoit alors mife
onbonne poſture. L'ennemi ſe retira bientôt en grand
déſordre ,laiffant en arrière beaucoup d'armes , de
pièces d'équipement , de lames d'épée , &c. Nous
fimes quelques prifonniers ;& nous en aurions fait
E2
(100 )
un plus grand nombre , ſans un marais , à travers
lequel nos chevaux ne purent marcher qu'avec peine.
Cependant nous nous avançâmes toujours dans l'efpoir
de joindre les ennemis ; mais , crainte d'être
atteints , ils avoient ôté les planches d'un pont; ce
qui les ſauva. Mon infanterie légère , & particulièrement
la Compagnie de Chaſſeurs , paſſerent néanmoins
les reſtes du pont & tirèrent quelques volées
fur l'Arrière-Garde. Le feu recommença des deux
côtés : nous eûmes l'avantange ; & nous fimes de
nouveau lâcher le pied à l'ennemi , quoique ſupérieur
en nombre : mais je ne voulus pas permettre
àmes Chaſſeurs de pouffer plus loin la pourſuite,
parce que je ne pouvois pas les foutenir ; & ils revinrent
à notre ligne , ſans avoir fait alors aucune
perte. Celle que nous avons faite en morts , bleſſés
&égarés , eſt estimée à 25 ou 30 hommes &quelques
chevaux. Laperte de l'ennemi paroît être beaucoup
plus conſidérable. Nous avions coupé la retraite
à environ 25 hommes , qui ſe ſont retirés
dans le pays & les bois , fans que nous ayons pu
les trouver : l'on croit généralement , qu'ils ſe ſont
cachés chez les Torys , dans le voiſinage du camp «.
DeBoston , le 20 Novembre. La famille du
Général Gates l'a ſuivi dans cette Ville. Il
vient prendre le Commandement du département
de l'Eſt que le Major-Général Heath
lui a remis ; c'eſt ce dernier qui l'a préſenté
au Conſeil de cet Etat. On dit que la Providence
eſt compriſe dans le département du
Général Gates ; comme elle faiſoit partie de
celui du Général Sullivan , on croit que ce dernier
auraun autre commandement dans le Sud.
Pendant le ſéjour du Comte d'Estaing ici ,
un certain nombre de Chefs & de Délégués
des Indiens des tributs de Penobſcot & de la
nouvelle Ecoſſe , ont été le voir ; il les a reçus
à bord du Languedoc & les a traités avec
beaucoup d'amitié . On remarqué que les
Sauvages n'avoient pas perdu leur ancien attaa
( IOI )
:
chement & leur grande prédilection pour les
François . Ils ont demandé , avec empreſſement ,
des nouvelles de leur père , le Roi de France ;
car c'eſt le nom qu'ils n'ont jamais ceſſé de lui
donner , tandis que leurs Sachems ne donnoient
jamais que le nom de frère au Roi de la
Grande-Bretagne. Dans leur difcours à l'Amiral
François , ils dirent entr'autres chofes : qu'ils
avoient appris , avec beaucoup de plaifir , que
leur père , le Roi de France , avoit fait , depuis
peu , un traité d'amitié avec les Etats-
Unis , & leur avoit envoyé un certain nombre
de ſes gros vaiſſeaux & de ſes meilleurs
guerriers . Qu'il s'étoit trouvé des gens qui
leur avoient dit qu'il n'étoit venu que quelques
petits vaiſſeaux pour trafiquer , & que ne fachant
ce qu'ils devoient croire , ils étoient
venus s'aſſurer de la vérité par leurs yeux ,
pour en rendre compte à leurs frères à leur
retour. M. d'Estaing leur a montre ſes vaifſeaux
,dont la force & le nombre leur ont
caufé la plus grande admiration ; il leur a fait
des préfens & les a chargés d'aſſurer de fon
amitié leurs frères abſens .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 30 Janvier.
La ſanté de la Reine ne laiſſant plus rien à défirer
, tous les Seigneurs & Dames de la Cour furent
admis le 17 de ce mois à faire leur cour à S. M.
qui , le lendemain ſe rendit à la Chapelle du Châreau
où elle fur relevée par l'Evêque de Chartres ,
fon Grand-Aumônier. La ſanté de Madame , fille du
Roi , ſe fortifie de jour en jour.
Le 24 de ce mois , LL. MM. & la Famille Royale
ſignèrent le Conttat de Mariage du Vicomte de
Tonnerre , Capitaine dans le régiment Royal-Cham--
pagne, Cavalerie avec Demoiselle Fernard de
Boulainvilliers .
1
E 3
( 102 )
Le même jour M. Dormeſſonde Noyſeau, Préfident
à Mortier du Parlement de Paris , préſenté par
M. le Garde-des Sceaux , fit ſes remerciemens à S. M.
pour la ſurvivance de ſa charge qu'elle a bien voulu
accorder à ſon fils. LaVicomteſſe de Périgord , fut
préſentée le même jour au Roi & à la Famille Royale
par la Comteffe de Talleyrand.
Monfieur tint le même jour dans ſon Cabinet le
Chapitre des Ordres Royaux & Militaires de Notre-
Dame du Mont- Carmel & de S. Jean de Jérusalem ;
il déclara le choix qu'il avoit fait du Marquis de
Monteſquiou , fon premier Ecuyer , pour la dignité
de Chancelier Garde-des-Sceaux dudit Ordre , vacante
par la démiſſion du Marquis de Paulmy. Il ordonna
la promulgation de deux règlemens nonveaux
: le premier en date du 31 Décembre dernier,
ordonnequ'on ne pourra être admis à l'avenir dans
l'Ordre , qu'après avoir prouvés 8 degré de nobleſſe
paternelle militaire , non compris le récipiendaire ,
fans aucun annobliſſement connu , & qu'on eſt actuellement
au ſervice du Roi au moins dans le grade
de Capitaine en ſecond dans les troupes de terre ,
ou d'Enſeigne de Vaiſſeau dans la marine. Il n'y a
d'exception qu'en faveur de ceux qui fervent le Roi
en qualité de ſes Miniſtres dans les Cours étrangères
; les Commandeurs Eccléfiaftiques ſeront tenus
de prouver qu'ils font de race noble militaire , &
que leur pere a fervi vingt ans au moins ou eſt mort
au ſervice. Le ſecond règlement en date du 21 de
ce mois , preſcrit les règles d'admiflion des élèves
de l'Ecole Royale Militaire , & fixe au nombre de
trois par an les élèves de certe Ecole qui feront
reçus dans cet Ordre. Après cela Monfieur fit la
promotion ſuivante Le Duc de Laval , Lieutenant-
Général, premier Gentilhomme de fa Chambre ; le
Marquis de Lévis , Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant Général de ſes Armées , Capitaine des
Gardes de Monfieur ; le Marquis de Timbrune
Maréchal de Camp , Gouverneur de l'Ecole Royale
( 103 )
Militaire ; le Comte de Chabrillant , Maréchal de
Camp , Capitaine des Gardes de Monfieur ; le Comte
de Maillé , Maréchal de Camp , premier Gentilhomme
de la Chambre de Mgr. le Comte d'Artois ;
le Vicomte de Rochechouart , Chef d'Eſcadre; le
Marquis de Beranger , Chevalier des Ordres du Roi ,
Brigadier d'Infanterie , Chevalier d'honneur de Madame
; le Comte de Maulde , Colonel à la ſuite de
l'Infanterie ; le Vicomte de Virieu , Gentilhomme
d'honneur de Monfieur , Colonel de ſon Régiment
d'Infanterie ; le Chevalier de Monteil , Capitaine de
Vaiſſeau , commandant les Gardes de la Marine ; le
Marquis de Noailles , Meſtre de Camp de Cavalerie
, premierGentilhomme de la Chambre de Monſieur
; le Chevalier de Boiſgelin , Capitaine au Régiment
des Gardes Françoiſes ; le Chevalier de Monteſquiou
d'Artaignan , Capitaine au même Régiment ;
le Vicomte de Laval , Colonel du Régiment d'Auvergne
, premier Gentilhomme de Monfieur ; le
Chevalier d'Agoult , Meſtre de Camp de Cavalerie ,
Lieutenant , Aide - Major - Général des Gardes-du-
Corps , & le Baron de Durført & le Vicomte de
Beaumont , Capitaines de Vaiſſeau
M. de la Fortelle , Lieutenant du Roi de S. Pierrele-
Moutier , eut l'honneur de préſenter au Roi & à la
Famille Royale , les Cartes Militaires , ou les Annales
des Chevaliers des Ordres Royaux & Militaires
de France , des Gouverneurs , des Lieutenans
de Roi , Majors des Provinces contenant
letems de leur service , leur grade actuel , le lieu
de leur retraite , la date de leur réception dans
l'Ordre , le nombre des affaires de guerre où ils
-ſe ſont trouvés , leurs bleſſures , & c . Cet Ouvrage
en 2 vol. ſe trouve chez Lambert , Onfroi & Valade
, Libraires , & chez l'Auteur , rue du Four Saint-
Germain. La Vie politique , militaire & privée de
la Chevaliere Déon , ſe vend ſéparément avec ſon
portrait gravé , chez les mêmes.
E 4
( 104 )
1
De PARIS , le 30 Janvier.
L'ESCADRE aux ordres de M. de Graffe
a mis à la voile le 13 de ce mois , avec un
très-beau tems. Selon des lettres de Breft, elle
a dû avoir décapé le 18. Les travaux pour
l'armement de celle de M. de Ternay ſe continuoient
fans relâche , & on croyoit qu'elle
ſeroit prête à partir au commencement du mois
prochain.
>> Le 14 de ce mois , écrit-on de ce port ,
il nous eſt arrivé 10 à 12 bâtimens Hollandois
, chargés d'approviſionnemens maritimes ;
ils ont été eſcortés , juſqu'à l'Iſle d'Oueſſant ,
par un vaiſſeau & une frégate de leur Nation
, qui ont enſuite continué leur route pour
convoyer le reſte de leur flotte qui eſt plus
confidérable juſqu'à Bordeaux. Nous avons
appris par ces bâtimens que la République
des Provinces - Unies , eſt décidée à ne plus
laiffer infulter ſon pavillon ; la Ville d'Amſterdam
eft celle qui a montré plus de chaleur
dans les débats qu'a occaſionné cette réfolution
«.
L'efcadre qui a mis à la voile de Toulon ,
le 25 du mois dernier , ſous les ordres du
Chevalier de Saint- Hipolyte , eſt compofée de
la Victoire & du Destin de 74 canons , du
Hardi & du Caton de 74. La Bourgogne , vaifſeau
de 74 canons & le Lion de 64 , qui font
abſolument réparés , & fous les ordres de M.
de Marin & de M. de Boades ont ordre d'accélérer
leur armement. Le Héros de 74 canons
a été lancé à l'eau le 29 du mois dernier , &
le Triomphant de 80 & le Jaſon de 64 , ont dû
l'être dans celui-ci.
Selon les lettres de pluſieurs de nos côtes ,
les derniers coups de vent ont caufé beaucoup
( 105 )
:
de dommage aux Anglois. Les chances ne font
pas pour eux. Cette grande flotte fortie de
leurs ports pour la nouvelle Angleterre , &
les Indes Occidentales , en a fingulièrement
fouffert. Nombre de navires qui en faifoient
partie , ont échoué ſur la côte de Picardie , &
trois vaiſſeaux de guerre qui les convoyoient ,
font rentrés dans les ports d'Angleterre , en
très-mauvais état. On prétend que les prifonniers
qui nous ont été amenés par ce déſaſtre
font au nombre de 7 à 800 .
>>Le Courier , du 15 de ce mois , écrit-on
de Saint-Malo , nous a apporté nos lettres de
Londres ; elles nous annoncent la priſe faite
par des Corfaires Anglois , des navires l'Iris , les
Deux Amis & l'Epaminondas venant de l'Inde .
Nous en ignorons la valeur. En entrant à Liverpool
l'Iris & les Deux Amis ſe ſont perdus ;
on croit ſauver la cargaifon du dernier , partie
des équipages ont été noyés.
>>Le navire prétendu Danois dont on a
parlé , ajoutent les mêmes lettres , eft bien
Anglois &z de l'Iſle de Guernezey , en conſéquence
il eſt de bonne priſe. Sa cargaifon
confifte en 70 quintaux de bois de Campêche ,
40 veltes de tafia , 3000 livres de fucre , & 600
livres d'indigo «.
Les priſes que font ſur nous les Anglois
commencent à devenir moins fréquentes ; &
on a lieu d'eſpérer que bientôt elles le feront
moins ; les vaiſſeaux marchands ne partiront
plus fans convoi. On mande de Bordeaux que
le vaiſſeau du Roi le Fier de 50 canons , commandé
par M. de Turpin , étoit deſcendu au
commencement de ce mois au bas de la rivière
avec 4 frégates pour prendre ſous fon
convoi les navires marchands prêts à partir
pour nos Colonies ; il y a toute apparence que
cette flotte a profité des vents favorables qui
ont régné pendant quelque tems. Es
( 106 )
On continue d'amener fréquemment des
priſes dans nos ports ; elles ne font pas toutes
d'une richefle égale à celle de quelques - uns
des vaiſſeaux que nous avons perdus ; mais les
Anglois en ont peu qui reviennent des Indes.
M. de Bompart , Commandant de la frégate
l'Aurore , en a conduit 4 à Toulon ; on les
dit très-riches . D'autres frégates du Roi ont
conduit à Nantes 2 corſaires Anglois , le Fox
de 6 canons & le Saint- George de 14 , avec
un bâtiment de Marſeille qu'elles leur ont
repris.
Suivant l'état arrêté dans les différens ports
du Royaume , des priſes faites ſur les Anglois
dans les mers d'Europe , depuis le commencement
des hoftilités , elles ſe montent dans ce
moment à 165 , tant bâtimens de guerre que
marchands. On ne connoît point encore celles
qui ont été faites dans les mers d'Amérique.
Elles ne peuvent qu'avoir été très-confidera
bles , fi nos corſaires y ont montré la même
vigueur & la même audace que dans la guerre
dernière. On lit dans l'Histoire Philofophique
&Politique des Etabliſſemens & du commerce des
Européensdans les deux Indes , que pendant cette
guerre les ſeuls corſaires de la Martinique
enlevèrent 1400 bâtimens aux Anglois.
->> L'alarme qu'on a eue ici , écrit-on de
Rochefort , n'a jamais été bien grande. M. le
Marquis de Voyer n'aura pas beaucoup de
peine à nous raſſurer ſur cette invaſion prétendue
de la part des Anglois qui ont trop
d'embarras chez eux , pour êttrree ſoupçonnés
de l'envie de venir nous attaquer. On travaille
jour & nuit à de nouveaux armemens.
Le Pluton , l'Hercule & le Scipion ſont prêts .
Ce dernier a déja deſcendu la rivière , &
les deux autres ſuivront inceſſamment. Quant
aux conftructions , on s'occupe de celle de s
こ
(107 )
vaiſſeaux de ligne , dont un de 110 canons ,
un de 80 , & trois de 74. Il y a de plus 5 frégates
prêtes à fortir. Le corfaire le Baron de
Montmorency de ce port , Capitaine Michau ,
eſt à la mer. On n'a de ſes nouvelles que
par une priſe qu'il a envoyée à Breſt. Celui
qui eft armé par la place de Dunkerque ne
tardera pas à fortir; Μ. deKerguelin le commande
«.
>> Le Capitaine Fugairon d'Antibes , lit-on
dans une lettre de Baltia en Corſe , commandant
la tartane la Trompeuse , armée à Marſeille
, vers la fin de Novembre , a conduit
dans notre port le corfaire Anglois le Rambler
, Capitaine Jean Rock , monté de 18 canons
& de 50 hommes. Ce corfaire armé à
Livourne , & qui avoit déja fait pluſieurs prifes
Françoiſes , dont deux avoient été conduites
dans le port Gênes , a été pris à la hauteur
du Mont Argentaro ſur la côte d'Italie ; lorfque
la Trompeuse eut mis entr'elle & la terre ,
le Rambler qui cherchoit à s'échouer , deux
hommes du corfaire ſe jettèrent à la mer ,
quoiqu'elle fût fort groſſe , & qu'ils fuffent
encore très-éloignés du rivage . On croit que
ce font deux Corſes , l'un échappé des galères
de Marseille , & l'autre condamné à mort
pour crime d'aſſaſſinat . Cette priſe a caufé ici
la plus grande joie ; notre commerce commençoit
à être allarmé. Mais depuis que l'on fait
que deux vaiſſeaux & deux frégates font fortis
de Toulon pour croifer ſur nos mers , ily
a apparence que les corſaires Anglois qu'on
arme encore à Livourne n'oferont plus paroître,
:
>> M. Regnier de Tilliet , ajoute la même
lettre , Commiſſaire des ports & arſenaux de
Ifle , de retour de France , a apporté au
Confeil un Règlement en forme d'Edit , pour
cette
E6 .....
۱
( 108 )
Padminiſtration desBureaux de ſanté. LeComte
de Marboeuf , Commandant , & M. de Boucheporn,
Intendant, font nommés Commiſlaires
du Roi en cette partie , & M. du Tilliet
leur eſt Adjoint en qualité d'Inſpecteur.
Le Roi vient de récompenfer MM. de Saint-
Prieft & de Bouillé , Cadets gentilshommes
du régiment de Vexin , du courage qu'ils ont
montré à l'abordage & à la priſe du vaiſſeau
Anglois la Lady Sophie , en les faifant Sous-
Lieutenans dans ce régiment , &en leur accordant
diſpenſe de deux ans de fervice pour la
Croix de Saint-Louis. Le Capitaine Lamy a
été également récompensé par le don d'une
épée , accompagné de la lettre ſuivante du
Miniftre de la marine , en date du 9 de ce
mois. >> J'ai mis ſous les yeux du Roi , M. , les
témoignages avantageux qui m'ont été rendus
de votre conduite dans la priſe du vaiſſeau
Anglois la Lady Marie que vous avez abordée
avec un ſmuler que vous commandiez .
S. M. voulant vous montrer ſa ſatisfaction de
l'intelligence & de la bravoure que vous avez
montrées dans cette occafion , vous a fait don
d'une épée, qui vous fera remiſe par M. Porquet,
Commiſſaire des Claſſes à Calais «.
La Ville du Puy-en-Vélay a eſſuyé fucceffivement
, le 7 & le 8 de ce mois , deux incendies
qui lui ont fait un tort confidérable .
L'Evêque a donné , dans cette triſte occaſion ,
des preuves de fa bienfaiſance , & le régiment
de Cuſtine , qui y eſt en garniſon , a
ſecondé , avec tout le zèle poffible , les foins
& les ordres du Magiftrat , pour arrêter les
progrès du feu , dont un tems ſec & une biſe
piquante favoriſoient malheureuſement l'activité.
Nous avons parlé dans le tems de l'enfant
fourd & muet, trouvé égaré ſur une grande
route , & qu'on a dit enfuite être le Comte
( 109 )
de Solar ; cet évènement a donné lieu à un
Procès qui eſt actuellement au Châtelet ; c'eſt
une queſtion d'identité d'individu & de fuppreſſion
d'état qu'il préſente. M. Cazeaux , Etudiant
en Droit en l'Univerſité de Toulouſe ,
pris a partie dans cette affaire intéreſſante &
décrete , eſt encore en prifon. Il a trouvé un
défenſeur dans M. Elie de Beaumont , qui
vient de publier un Mémoire qui mérite d'être
lu & dont voici le début.
>>>L'amour du merveilleux eſt de tous les tems &
de tous les pays , de tous les états& de tous les âges.
Si à ce ſentiment ſi naturel à l'homme , ſe joint l'impulſion
de labienfaiſance pour un être inconnu plongé
dans l'humiliation & la misère , qu'on ſe flatte de
rétablir dans les premières claſſes de la Société , d'où
le crime l'avoit arraché , il eſt incroyable alors jufqu'à
quel degré peut s'exalter l'ame d'un homme de
bien ; la vertu même rend ſes erreurs , & plus actives
&plus redoutables.
>> C'eſt ainſi que le ſieur Cazeaux cherche à exeufer
à ſes propres yeux la prévention d'un homme
célèbre ( M. l'Abbé de l'Epée ) , qui a bien mérité de
l'humanité , en rendant deux ſens à ceux que la nature
en a privés ; & qu'un voyageur auguſte (l'Empereur),
nous eût appris à apprécier , fi nous euſſions
été affez aveugles pour ne pas lui rendre nous-mêmes
leplus juſte hommage .
>>Mais faut-ilquele fieur Cazeau ait à ſe plaindre
de ceque cet enthouſiaſme du bien , fi utile à tant
d'êtres infortunés , lui ſoit devenu ſi fatal & fi
cruel à lui-même.
>> Un jeune enfant fourd & muet eſt trouvé dans
ungrand chemin de Picardie , l'humanité le recueille ;
l'homme bienfaiſant qui ſupplée parmi nous les organes
de l'onie & de la parole,le prend au nombre
de ſes élèves ; il s'affectionne à ſon ouvrage; il recherche
ſa naiſſance; il le proclame Comte de Solar ,
les journaux , les papiers publics , retentiffent de cette
rare découverte ; des conjectures deviennent des
( 110 )
réalités ! & voilà qu'auſſi-tôt un citoyen vertueux ,
irréprochable , pour avoir rendu au vrai Comte de
Solar un ſervice intéreſſant &les plus tendres ſoins,
eſt arraché à deux cent lieues de Paris , du ſein de ſa
famille , des bras d'une mere déſolée , d'un pere octogénaire
,dont on avance la carrière, eſt chargé de
ferspendantdix-sept mois entiers ( outrage que la
loi n'ordonnoit pas , &qui ne pouvoit fervir à la
vérité ) , eft précipité comme un vil crimineldans les
cachots , & puis, comme par grace , dans les priſons
dugrand Châtelet , d'oùaprès trois mois de l'inftruction
laplus rigoureuſe , on va ſe trouver enfin obligé
de le rendre à la lumière , à la ſociété, à l'entier
exercice de ſes droits , lorſqu'il préſente la démonftration
la plus complette de ſon innocence ".
Gafpard-Boniface Conſtantin , Vicomte de
Caſtelane , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de Saint Louis , premier Ecuyer du
Duc de Penthièvre , eſt mort à l'hôtel de Tou
loufe , rue de la Vrillière.
Antoinette de la Trade , veuve d'Hélie ,
Comte de Royere & Seigneur de Montfibre ,
eſt morte au Château de Montfibre , Paroiſſe
de Cublac , bas Limofin , le 27 Décembre
dernier.
Henriette-Julie de Durfort de Duras ,Comteſſe
Douairière d'Egmont , Grande-d'Eſpagne
de la première Claſſe , Dame du Comté de
Braine , de la Baronie de Sélignon & autres
lieux , eft morte le 20 de ce mois , âgée de
82 ans.
Une Ordonnance du Roi , en date du 26 Novembre
dernier , fixe les quantités de fel &
de tabac de cantine , qui doivent être fournies
aux troupes. La quantité de ſel pour 42 hommes
fera d'un demi-minot par mois , &celle de tabac,
de demi-livre pour chaquehomme par mois.
Le Roi , par un Edit en date du mois de
Novembre & enregistré le 27 du même mois
au Parlement fait diſtraction des Duchés d'Au(
III )
K
vergne & de Mercoeur , de l'Appanage de
M. le Comte d'Artois , & donne à ce Prince
en remplacement & en fupplément d'Appanage
le Comté de Poitou. Par des Lextres-
Patentes , enregiſtrées le 15 Décembre , S. M.
accorde à ce Prince la nomination aux bénéfices
Confiftoriaux , fitués dansl'étendue du Diocèſe
de Poitiers , faiſant partie de fon Appanage.
D'autres Lettres- Patentes du 17 Septembre ,
enregiſtrées , le 4 Décembre , à la Cour des
Aides , règlent les précautions à prendre à
l'avenir pour la validité des Procès- verbaux
de ceux des Employés de la Ferme générale
qui ne favent lire ni écrire.
Un Arrêt du Conſeil , du 20 Octobre , déboute
les Bénédictins de Vendôme , de leur
demande en reſtitution du droit d'amortiſſement
par eux payé pour leur rentrée en poffeffion
dans un terrein ci- devant cédé à bail
emphythéotique , ſous la charge de reconſtruire
un moulin qui a été bâti , & pour raifon duquel
ils ont payé , à leurs emphythéotes une
fomme de 400o livres .
Un fecond , du 18 Novembre , permet le
tranfit par les ports de Bordeaux , la Rochelle ,
Nantes , Saint-Malo & le Havre , tant pour
la ſortie des ouvrages provenant des Manufactures
de la Flandre Françoiſe , pays conquis
& cédés , que pour l'entrée des matières
premières , ſervant à leur aliment.
Un troiſième , en date du 26 Novembre
ordonne que le droit fur les cartes & les 8
fols pour livres en-ſus , feront perçus & régis
pour le compte du Roi , par Dominique Compant
, Régiffeur général , à compter du premier
Janvier 1779.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du 16 de ce mois ,
font : 79 , 10 , 73 , 84 & 15 .
1
(112)
Article extrait des Papiers étrangers qui entrent
en France.
>> On a dit que la propoſition faite par M. de Bretiguiere
au Parlement ſur l'état civil des Proteftans ,
avoit été renvoyé au is Décembre. L'Aſſemblée
s'étant tenue aujour indiqué , ce Magiftrat adreſſant,
ſuivant l'uſage , la parole au premier Préſident, dit :
>> M. l'objet de ma réſerve eſt tout à la fois trèsimportant
& très-ſimple. Ilne s'agit ni de favorifer
l'exercice de la Religion réformée , ni d'admettre
aux charges ceux qui la profeſſent, mais d'obtenir
pour eux cequ'on accorde aux Juifs dans toute l'étendue
du Royaume ; ce que les Princes Proteftans ne
refusèrent jamais aux Catholiques, niles Empereurs
Payens eux mêmes aux Chrétiens qu'ils perfécuroient
; je veux dire un moyen légal d'affurer l'état
de leurs enfans. Il étoit natureld'y pourvoir lors de
la révocation de l'Editde Nantes ; mais les Miniſtres
de Louis XIV penſerent qu'en évitant de s'expliquer
fur cet objet , une incertitude ſi pénible pour les
Proteftans , jointe aux autres moyens de rigueur
qu'on employoit contr'eux , amèneroit bientôt leur
converfion. Cependant on ciut que l'humanité re
permettoit pas de leur interdire expreſſément lema
riage ; ni la religion , de les traîner malgré eux aux
piedsdes autels.D'ailleurs , comment avouer le projet
de les réduire à cette alternative; après leur avoir
promis , par la loi même qui révoque l'Edit deNantés
, une existence paiſible : on aima donc mieux
faire ſemblantde croire qu'il n'y avoit plus de Proteſtans
dans le Royaume , & par un aveuglement
inconcevable, la plus vaine des fictions fut regardée
comme un chef- d'oeuvre de Politique. L'expérience
fit voir qu'on s'étoit trompé. Mais ce ſyſtème , conſacrépar
le tems & par l'habitude , ſurvécut pendant
une longue ſuite d'années aux eſpérances qui
l'avoient fait naître. Enfin l'on ouvrit les yeux; les
diſpoſitions de la déclaration du 9 Avril 1736 , far
l'inhumationde ceux auxquels la ſépulture Eccléſiaf(
113 )
tique n'eſt pas accordée , parurent annoncer quelque
choſe de ſemblable pour les naiſſances & les mariages.
C'étoit en effet l'intention du Gouvernement. Un
grand Prince ( le Prince de Conti ) , dont la mémoire
vivra toujours dans le ſouvenir du Parlement & dans
celui de la Nation , des Miniſtres habiles , des Magiftrats
également éclairés & vertueux , s'en occupèrent
par ordre du feu Roi. Mais leurs vues furent
traverſées par un enchaînement de circonstances
malheureuſes , par ces obſtacles que des intérêts particuliers
oppoſent trop ſouvent aux projets utiles.
>>Cependant le mal va toujours en augmentant : on
compte depuis 1740 plus de quatre cent mille mariages
contractés au déſert , ſource féconde de procès
ſcandaleux. Des hommes avides conteſtent à leurs
proches leur état pour envahir leur fortune : des
époux parjures implorent le ſecours de la Juſtice
pour rompre des noeuds formés ſous les auſpices de
labonne-foi. Les tribunaux preſſés entre la loi naturelle
& la lettre des loix poſitives , ſont forcés de
s'écarter de l'une ou de l'autre. De quelque manière
qu'ils ſe déterminent , leurs Arrêts font attaqués , &
le fort des jugemens eſt auſſi incertain que les jugemens
mêmes. Les loix de Louis XIV , contre les
Proteftans , ne ſont donc pas tellement tombées en
déſuétude , qu'il ſoit inutile de les abroger. C'eſt une
épée ſuſpendduuee parun fil au-deſſus de leur tête : l'intérêt
& le fanatiſme cherchent continuellement à en
faire uſage ; & malgré les intentions connues du
Gouvernement , ils y réuffiſſent quelquefois . Que
feroit-ce ſi les adminiſtrateurs moins ſages & moins
humains adoptoient d'autres principes ? Non ce
n'eſt point des ſyſtêmes mobiles du Miniſtère, que
doit dépendre la sûreté d'un ſi grand nombre de citoyens.
Il n'y a que la loi qui puiſſe l'établir ſur une
baſe ſolide ; c'eſt en même-tems l'unique moyen de
rendre à la France une foule de réfugiés , que la
crainte de l'opprefſion tient éloignés de leur patrie ,
& de prévenir de nouvelles émigrations , devenues
plus faciles que jamais. En effet , les Proteftans ne
د
( 114 )
ſauroient ignorer que tous les peuples de l'Europe ,
jaloux d'augmenter leur population, les recevroient
à bras ouverts ; & que l'Amérique Septentrionale ,
une fois pacifiée , leur offrira des reſſources encore
plus sûres. D'un autre côté , la justice & la bonté du
Roi , le caractère de ſes Miniſtres , le voeu des Magiftrats
ont dû leur donner de grandes eſpérances Il
ſera dur pour eux de les voir trompées ; plus durencore
de voir mettre le ſceau à leur proſcription, dans
un fiècle ou la tolérance civile a reçu dans la plupart
des pays Catholiques ou Proteftans , la ſanction de
la loi ; & dans tous , celle de l'opinion publique.
N'en doutons pas , le réſultat de notre délibération
rendra la vie à deux millions de citoyens, ou les
plongera dans le déſeſpoir. Tous les yeux ſont fixés
fur le Parlement ; c'eſt de lui , c'eſt de ce Sénat augufte
, l'appui des malheureux & le pere de la patrie
, qu'on attend un remède efficace au plus criant
des abus. Les Myſtères font profanés , l'humanitéou.
tragée, les droits des citoyens foulés aux pieds ,
l'Etat menacé d'une perte irréparable : & nous gat
derions le filence ! &nous n'uferions pas du droit
incontestableque la raiſon & la loi donnent au Parlement,
de ce droit que le plus abſolu des Princes reconnoît
& confirme dans l'Ordonnance de 1667 ,
de repréſenter en tout tems au Roi ce qu'iljuge à
propos , fur les articles des Ordonnances , qui ,
par lasuite du tems , usage & expérience ,ſe trouvent
être contre l'utiltié ou commodité publique ,
ou être ſujet à interprétation , déclaration ou modération.
Je vous prie , M., de vouloir bien mettre
endélibération ce qu'il peuty avoir à faire à ce ſujet.
>>Après ce diſcours , on alla aux opinions qui furent
très-longues , & après leſquelles il fut arrêté qu'il
n'y avoit lieu à délibérer , s'en rapportant ladite
Cour à la prudence du Roi. Ces derniers mots font
bien voir ce que le Parlement penſe des loix de
Louis XIV , & le defir qu'il auroit qu'elles fuffent
modifiées. On ne peut donc pas interpréter fon arrêté
en ce ſens , que cet objet ne méritoit pas qu'on
ب
( 115 )
s'en occupât. Ce font uniquement des raiſons de
prudence qui l'ont déterminé : enſorte que , quoiqu'il
yait eu différens avis , on peut dire qu'au fond le
voeu des Magiſtrats étoit unanime. ( Gazette
d'Utrecht n°. 6. ) .
De BRUXELLES , le 30 Janvier.
>>>LA détention en Angleterre d'un de nos
vaiſſeaux qui avoit chargé à St-Brieuc des toiles
de Bretagne , écrit-on de Cadix , a facilité la
vente de celles qui ſe trouvoient ici. Il vient
d'être reftitué , & on l'attend journellement avec
toute fa cargaifon. Le Bon Confeil eſt arrivé à
Callao de Lima , en bon état ; nous en recevons
la nouvelle. Il paroît felon les lettres du Pérou ,
que les affaires commencent à y devenir meil
leures ; elles font toujours languiſſantes à la
Nouvelle-Eſpagne. Nous avons dans cette rade
une quarantaine de vaiſſeaux de guerre , dont la
plus grande partie peut faire voile d'un inſtant à
l'autre. L'eſcadre du Ferrol , fur laquelle on a
embarqué des troupes , doit être partie pour la
Havanne. Au printems prochain , nous aurons
ici plus de so vaiſſeaux de guerre. La deſtinationde
tantd'armemens eſt toujours un myſtère.
La maladie du Général de Cévallos & celle du
Duc de Medina Sidonia , deviennent tous les
jours plus graves. Les dernières nouvelles qu'on
en a reçues , ont fait évanouir l'efpérance qu'on
avoit conçue de leur prompt rétabliſſement «.
S'il faut en croire un bruit qui ſe répand
& qui , dit- on , a été apporté à Dunkerque
parun bâtiment Hollandois , M. d'Estaing qui
faifoit voile avec la plus grande hate , & qui
ne voulut pas ſuſpendre fa marche pour s'emparer
du Culloden qu'il avoit rencontré , &
qui eût été infailliblement ſa proie ne congeant
qu'à enlever le Commodore Hotham ,
a réuffi dans ſon projet & s'eſt emparé de ce
chef d'eſcadre , de ſes vaiſſeaux de tranſports ,
,
(116)
&des sooohommes qu'il conduiſoit àla Jamaique
; fi cette nouvelle eſt auſſi vraie que vraiſemblable
, la Jamaïque qui eſt ſans défenſe,
doit être entre les mains des François.
>> L'hiſtoire d'une nièce du Comte d'Estaing ,
fort liée avec une foeur de l'Amiral Byron ,
écrit- on de Paris , feroit fingulière & plaifante
fi elle pouvoit être vraie ; mais le Vice-Amiral
n'a point de nièce , & ce fait rentre dans
la fouledes contes qu'on fait trop ſouvent dans
cette capitale",
Si les Hollandois, écrit-on de la Haye,
fourniffent de l'argent aux Anglois , ce fera en
petite quantité. On calcule trop bien dans ce
pays- ci , & l'on y voit que l'Angleterre fera
peut-être forcée de faire banqueroute, au moment
qu'on y penſera le moins. Cette crainte
ſeule fuffit pour refferrer les bourses; mais les
Anglois ne manqueront pas d'argent chez euxmêmes
; il n'y a que les hommes qu'ils ne favent
plus où trouver. Il y a peu de jours qu'ils vouloient
faire accroire aux Hollandois qu'il étoit
de leur intérêt de modifier l'art. 11 du traité
de 1674, d'y renoncer même. Or par ce traité,
les Hollandois font en droitde tranſporter en
France tout ce qu'ils veulent , même en tems de
guerre , excepté de la poudre & des armes.
L'Ambaſladeur de France a préſenté en conféquence
un Mémoire à LL. HH. PP. , en leur
recommandant la neutralité la plus exacte & la
plus impartiale , qui cependant feroit illufoire,
s'ilsn'uſoient pas des droits que le Traité leur
donne. L'Ambaſſadeur avoit demandé une ré
ponſe cathégorique , & cette réponſe ne l'étant
pas, il a refuſéde l'accepter. Cet évènement ſans
exemple n'a pas lajffé d'embarraffer notre Régence,
& il eſt difficile de deviner comment
tout cela ſe terminera. Voilà ce que c'eſt que
d'avoir négligé la marine ; fi la république avoit
40 ou so bens vaiſſeaux , jamais les Anglois
(117)
1
1
n'euffent ofé toucher à un ſeulde nos bâtimens
marchands . Depuis quatre ans , la France a fait
des efforts incroyables pour reſſuſciter la ſienne;
elley eſt parvenue , &déja l'illuſion que leColoſſe
Anglois faisoit dans l'Europe , & qu'il ſe
faifoit à lui - même , commence à ſe diſſiper «.
On peut juger des efforts de la France par l'état
ſuivant de ſa Marine actuelle , dont on nous garantit
l'exactitude.
Vaiſſeaux du premier rang. La Bretagne , le
Royal-Louis , le Terrible & l'Invincible , de 100
canons chacun , & dont les trois derniers font en
conſtruction à Brest , Toulon & Rochefort. La Couronne
,le Duc de Bourgogne , le S. Esprit , le Languedoc
, le Tonnant , l'Auguste , le Triomphant &
leMagnanime de 80 canons chacun. Le dernier eſt
en conſtruction àRochefort , & les deux précédents
ont été conſtruits l'année dernière. Total , 13 vaif
ſeaux du i rang , dont 2 , le Languedoc & le Tonnant
font enAmérique..
Second rang. L'Orient à la mer ſous les ordres de
M. d'Orves , le Magnifique , le Robuste , ſous ceux
de M. de Graffe; le César, l'Hector ,le Guerrier ,
le Marseillois , le Zèlé , le Protecteur ſous ceux
de M. d'Estaing ; le Fendant ſous ceux de M. de
Vaudreuil ; La Victoire , le Deſtin ſous ceux de
M.Albert de S. Hipolyte ; l'Intrépide , le Palmier,
le Zodiaque, le Glorieux , le Conquérant , l'Actif,
le Bien - Aimé , le Neptune , le Minautaure , le
Citoyen , les Six Corps , le Diligent ,le Sceptre ,
àBreſt , avec le Dauphin & l'Annibal , faiſant partie
de la diviſion de M. de Ternay ; l'Hercule , le
Scipion , le Pluton , à Rochefort ; le Héros , la
Bourgogne , le Souverain à Toulon , tous de 74
canons , le Dauphin-Royal à la mer ſous les ordres
de M. de Graffe , & le Northumberland à Breft ,
de 70 canons. Total , avec 2 vaiſſeaux de 74 qu'on
conſtruit à Breft , 3 à Toulon , & 3 à Rochefort de
même force , 43 vaiſſeaux du ſecond rang.
Troiſième rang. Le Sphinx à la mer ſous les or-
1
(118)
dres de M. de Vaudreuil ; le Vengeur ſous ceux de
M. de Graffe ; l'Artéſien ſous ceux de M. d'Orves ;
l'Actionnaire l'Indien ſous ceux de M. de Proifi;
la Provence , le Vaillant , le Fantaſque ſous ceux
de M. d'Estaing; le Hardi , le Caton fous ceux de
M. Albert de S. Hipolyte ; le Brillant , dans l'Inde ,
le Protée , l'Eveillé , le Solitaire , le Roland ,
l'Alexandre , le Bizarre , le Triton ; de S. Michel'
à Brest; le Jaſon , le Lyon , à Toulon , & leRefléchi
, le Sevère , le Broglie & les Bons Amis,
faifant partie de l'eſcadre de M. de Ternay , le premier
àBreft , & les trois autres à l'Orient, tous de 64
canons. Total, 25 vaiſſeaux du troiſième rang.
Quatrième rang. Le Sagittaire ſous les ordres
de M. d'Estaing; le Flamand dans l'Inde , le Fier
àla mer ſous ceux de M. de Turpin ; l'Amphion à
Breſt ſous ceux de M. de Ternay, tous de so canons.
Total,4vaiſſeaux du quatrième rang.
Frégates, la Renommée & la Terpsicore de 40
canons , toutes deux àla mer. 9 de 36 canons , dont
la Belle Poule , la Fortunée à la mer , la Nymphe
ſous les ordres de M. de Vaudreuil, la Tourterelle,
la Minerve & laSybille en Amérique , l'Amphitrite,
laDédaigneuse & l'Andromaque à Brest , 12 de 34
canons , l'Iphiginie , la Charmante, la Concorde ,
laPrudente en Amérique ; la Résolue à la mer fous
les ordres de M. de Vaudreuil ; la Gloire à la mer ;
la Junon , la Surveillante à Breſt , avec l'Amazone&
la Gentille, faiſant partie de la diviſion de
M. de Ternay , & la Courageuse à Rochefort, 26
de 32 canons , dont 2 font en construction à Breft ,
3 àRochefort , 2 àl'Orienr , 2 à Nantes , & 2 à S.
Malo. La Boudeuse , le Triton , la Diligente font
en Amérique ; la Confolante & la Pourvoyeuse dans
l'Inde ; la Bellone à la mer ; l'Indiscrete , la Senfible
, l'Inconstante , la Blanche , le Zephir, l'Aigrette,
la Danaë , l'Oiseau font à Breft, & laMedée
à S. Malo. 17 de 26 canons , dont la Chimère ,
l'Alcmène , la Sultane , l'Aimable , l'Engageante
& l'Active font en Amérique; l'Aurore , la Flore ,
1
(119)
'Atalante , la Gracieuse , la Magicienne & le Fox
àla mer ; la Pleyade , la Mignone , la Précieuse à
Toulon , en conſtruction ; la Sérieuse & la Lutine.
Une de 24 canons ; la Lively à la mer. Total , 67
frégates.
Corvettes , le Roffignol à Rochefort , la Subtile
dans l'Inde , l'Etourdie en Amérique , toutes de 20
canons , 3 de 18 , la Perche à Breft , l'Eclair & la
Fléche à la mer. 2 de 16 , l'Hirondelle à Brest , le
Zephir à la mer; 2 de 14 , l'Ecureuil à Breft , &
la Sardine à Toulon ; 2 de 12 , le Serin & la Sylphide
à Breft : 2 de 10 , la Curieuse à Breft ,
Favorite à la mer avec M. de Graffe , & l'Alouette
de 4 canons , avec M. de Vaudreuil, Total , 15 cor-
Vettes .
la
Lougres , deux de 14 canons , l'Epervier à la mer
avec M. de Vaudreuil , & l'Helène , avec M. de
Graffe. Le Coureur , de 8 à Breft , & dans le même
port , l'Eſpiegle , le Moucheron & le Milan de 6.
Total , 6 lougres .
Cutters , 7 de 18 canons en conftruction ; 2 au
Havre , 3 à S. Malo , & 2 à Dunkerque. La Valeur
& la Guêpe de 16 , à la mer ; l'Alerte de 12 à Breft ;
2 en conftruction au Havre , & 2 à Dunkerque de
méme force. Total , 14 cutters.
Chebecs , 4 de 20 canons , le Singe ,leCaméléon,
leRenard , le Séduisant , tous à la mer.
Chaloupes canonnieres , 13 de 3 canons , dont 4 à
Rochefort , 2 à S. Malo , 2 à Dunkerque , & sà
Toulon.
Galiotes à Bombes de 2 mortiers , & de 8 canons
; la Tempête , l'Etna & la Salamandre , à Toulon
, & 2 en conſtruction à Rochefort. Total , s .
Galeres & demi-galeres , 4 de 3 canons , à Marfeille,
6 de 2 canons , dont 4 à Toulon & 2 à Marſeille
; 2 d'un canon , à Toulon. Total , 12 .
Prames , la Théreſe & la Christine de 38 canons ;
laMonique , la Cunegonde , la Charlotte , la Fortunée
, la Louise , la Batilde , la Sophie , la Fran
goiſe de 20. Total , 10 Prames.
(120 )
Flûtes. La Balance de 32 ; la Garonne , la Bricole
, la Normande , la Couliffe , l'Eléphant de 28 ,
le David , la Pourvoyeuse de 26 ; la Fortune , la
Seine & la Ménagere de 24 ; l'Etoile , la Tampone ;
laPorteufe, l'Ecluſe , la Bouſſole , le Compas , l'Efturgeon
, & la Guyanne , de 26 ; l'Eole & le Courtier
, de 16 ; la Nourrice , la Barbue , la Coryfante,
& le Salomon , de 14. Total , 25 flûtes.
Senaux. La Dorade , de 12 canons ; le Grand S.
Louis ,le S. Jean- Baptiste , la Ville de Bilbao , la
Manon , de 10 ; le Saumon , le Pluvier , de 8 ; l'Afrique
& la Diligente de 4. Total , 9 fénaux. Le
nombre des vaiſſeaux de la marine Royale eſt de 265,
dont 8s vaiſſeaux de ligne , de 110 à so canons , &
lenombre des canons monte à 9795 , & 10 mortiers.
« Les conférences entre l'Ambaſſadeur de France
& nos Etats , lit-on dans une lettre d'Amſterdam ,
n'ont juſqu'à préſent rien produit de poſitif. Voici
ce qui eft parvenu à notre connoiſſance: les Etats ont
répondu qu'ils ne pouvoient rien changer à l'acquiefcement
qu'ils avoient donné aux propoſitions de
l'Angleterre. Notre ville proteſte contre cet arran
gement; mais fi les autres Provinces s'y foumettent ,
nous ſommes inquiets du parti que prendra la France.
On affure qu'elle est décidée à en agir envers nos
vaiſſeaux,de la même manière que les Anglois en on
uſé depuis la rupture , & qu'elle impofera en outre
un droit à ceux portant notre pavillon , qui entreront
dans ſes ports , en exceptant toutes fois ceux qui
appartiendront à Amſterdam , pour récompenfer
cettevilledes mouvemens qu'elle s'eft donnée pour
foutenir les traités. Nous défirons bien cette exception
; mais nous n'ofons pas encore nous en flatter.
Notre Amirauté vientde doubler les primes d'entrée
&de fortie qui ſe payent ſur la valeur des marchandiſes.
La première ſera dorénavant de 2 pour cent ,
lafeconded'un pour cent ; cette augmentation à pour
objetde fubvenir aux frais occaſionnés par les con-
VOLS CE.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
A
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ;
les Causes célèbres; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c . &c.
1.5 Février 1779 ..
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES. VARIÉTÉS.
Epitre à M. Ducis, 123 Lettre d'un Citoyen de
Epitaphe de David Garrick
, 132
Dijon à l'Auteur du
Mercure , 165
Enigme & Logogryp. 134 Lettre aux Auteurs du
NOUVELLES Journal de Paris , 172
LITTÉRAIRES . Cours Public ,
Suite de la Noticedes Elo- Muſique ,
190
191
ges lus à la rentrée de ANNONCES LITTÉR. ibid.
l'Académie des Sciences JOURNAL POLITIQUE.
le 14 Nov. dernier, 135 Constantinople
Vers fur Voltaire. Son Copenhague ,
Apothéofe au Parnafe , Stockholm ,
193
194
195
196
19
198
144 Varsovie ,
Hiftoire Univerſelle des Vienne
Théâtres de toutes les Hambourg ,
Nations , 149 Ratisbonne , 2.03
Effai fur l'Histoire géné- Venise , 205
rale des Tribunaux, 153 Livourne , 206
Abrégé portatif de l'Hif- Londres , 207
toire Univerſelle,facrée Etats- Unis de l'Amériq
&profane, 156 Septent. 219
SPECTACLES. Versailles, 224
Concert Spirituel , 161 Paris , 226
Comédie Françoise , 162 Bruxelles , 237
APPROBATION.
'A 1 lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , le Mercure de France , pour le 15 Février
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſ
fion . A Paris , ce 14Février 1779 .
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe,près Saint-Come.
A
!
米
19
198
이
6
MERCURE
DE FRANCE.
15 Février 1779 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A M. DUCIS ,
Sur la Tragédie d'Edipe chez Admète.
Q I qui peignis d'Hamlet la mère criminelle ,
Et du yieux Montaigu la fureur paternelle :
Des ruines d'Athène , aux accens de ta voix ,
Tu rappelles Edipe ; il ſe lève , & je vois
Cet auguſte vieillard ſans tombeau , ſans patrie ,
:
Fij
124 MERCURE
Errant , & poursuivi par la triple furie ,
Luttant contre le fort , au fort abandonné,
De forfaits , de douleurs , d'ombres environné ,
Par des fils criminels exilé de ſon trône ,
S'avancer , appuyé ſur le bras d'Antigone.
Opitié ! quand par elle en tremblant foutenu ,
Devant le Cythéron d'un pas lent parvenu ,
Cherchant quelque rocher pour repoſer ſa tête ,
Aux lieux de ſon berceau ton Edipe s'arrête ,
Et s'y vient emparer du tombeau qui le fuit.
Émule de Sophocle à ta voix re produit ,
Tu peins à mes regards , comme aux ſiécles antiques ,
L'attendriſſant tableau des vertus domeſtiques.
Qu'Antigone m'émeut ! qu'elle eſt chère à mon coeur
Elle pleure , je pleure , & je crois voir ma foeur.
Tu peins encor , tu peins d'un plus grand caractère
Ce fils que le remords traîne aux pieds de fon père ,
Dont il vient implorer ſa grâce avec terreur ;
Et ce père outragé , dont la ſainte fureur
Maudit un fils ingrat , ſe déſarme & s'empreffe
De rappeler en vain , par des voeux de tendreſſe ,
Sa malédiction , qui montant vers les cieux ,
Souleva ſans retour la vengeance des Dieux .
Quand mon coeur tranſporté s'émeut avec franchiſe
Un Spectateur jaloux , dont le coeur ſe déguiſe ,
Du beau qui le pourſuit craignant l'impreſſion ,
Accuſe ton ſujet d'une double action .
Je fens , &malgré moi ma critique eſt muette ,
DE FRANCE.
125
Je pleure avec Edipe ,& pleure avec Admète.
Ainfi , par un défaut qu'on n'oſe cenſurer ,
Racine , que le goût a raiſon d'adorer ,
Joignit contre la règle (& l'amour lui pardonne )
L'intérêt d'Andromaque à celui d'Hermione.
Par un ſeul intérêt je me ſens entraîné ,
Lorſqu'Edipe mourant , à l'autel proſterné ,
Sauve d'Admète en pleurs , la compagne fidelle.
D'un front calme au trépas s'avançant au lieu d'elle ,
Ce vieillard , ſoixante ans par ſes maux conſacré,
D'un rayon prophétique à genoux éclairé ,
Sublime , & tout-à-coup détaché de la terre ,
Emporté vers le ciel dans les feux du tonnerre,
Expire en prononçant avec tranquillité
L'hymne confolateur de l'immortalité ;
Et les Dieux aſſemblés préparant ſa couronne ,
Les Dieux qu'il va rejoindre , & dont l'oeil l'environne,
Célébrant dans le Ciel l'heure de ſon trépas ,
S'avancent en triomphe au-devant de ſes pas.
Cytheron, Cytheron ! que de fois ma penſée ,
Atravers tes rochers , triſtement élancée ,
Sous le tombeau d'Edipe ira s'enſevelir .
Quelles grandes leçons elle y peut recueillir !
Je le vois conſolé par ſa ſeule innocence ,
A la fureur des Dieux voué dès ſa naifſance,
Accepter le malheur comme un fardeau facré
Que leur pouvoir impoſe ou retire à ſon gré;
Et faiſant taire enfin ſa plainte légitime ,
Fij
126 MERCURE
Juftifier le Cieldontil eſt la victime.
Je vois comment la main de la Divinité,
Se dérobant dans l'ombre & dans l'éternité.,
Vers ſes deſtins divers pouffe la race humaine ,
Quiſuit les yeux fermés la force qui l'entraîne.
Elle frappe : j'adore , & n'oſant la juger
D'un oeilprofanateur , je crains d'interroger
La nuit mystérieuſe où ſes décrets repoſent ,
Etj'attends qu'en ſecret de mes jours ils diſpoſent.
Ainſi la Tragédie en vers religieux
Proclamoit autrefois les oracles des Dieux.
Les Dieux la remplifſoient de leurgloire éternelle.
Tu lui rends , cher Ducis , ſa pompe folennelle;
Et de ton ſujet même atteignant la grandeur ,
Du feu de ton génie animant ſa froideur ,
Notre langue en tes mains , plus libre& plus fertile ,
Approuve en s'élevant l'audace de tonſtyle.
L'art n'en dégrade point la première vigueur ,
Il est fort & fublime , & vrai comme ton coeur.
Ton coeur parle en tes vers , & lui feul les inſpire ;
De tes ſimples vertus le doux charme y reſpire:
Des Spectateurs touchés vois l'attendriſſement
Comme pour un ami s'épancher doucement ,
Chacunde fon laurier voudroit parer ta tête,
Et des ſenſibles coeurs ton triomphe eſt la fête..
Mais l'Envie appelant ſes miniſtres ſecrets ,
Contrainte d'admirer, te déſigne à leurs traits.
Qu'importe ? Ta réponſe eſt déjà préparée.
DE FRANCE. 127
Tu dis , & de Macbeth l'ombre dénaturée *
Aregret ſe réveille , & tremblante à ta voix
Vient ſubir le remords une ſeconde fois .
Pourfuis : conſole enfin de ſa gloire perdue
La Tragédie en deuil , cette épouſe éperdue
Qui pleure ſon Voltaire avec le genre humain ;
Qui jadis dans la Grèce , un poignard à la main ,
Au milieudes tombeaux par Eſchyle appelée ,
Sur la Scène au haſard couroit échevelée .
Oui , montre à nos regards cette Divinité
Dont Sophocle para l'agreſte nudité ;
Et qui de l'art auſſi fuyant la tyrannie ,
Inſpira cet Anglois , dont l'informe génie
Commande le filence au goût préſomptueux ;
Montre cette Déeſſe aux traits majestueux
Que vers nous conduiſit le père d'Émilie ;
Des ornemens du goût par Racine embellie ,
Et dont l'art élevé ſoixante ans fut tranſmis
→ Au peintre de Zopire & de Sémiramis .
Regarde , cher Ducis ; du tombeau de Voltaire
Elle tourne ſes pas vers le toit ſolitaire
Où plein des morts fameux tu veilles dans la nuit :
Elle t'y trouve ſeul , méditant loin du bruit
Entre Edipe & Macbeth ; & ton coeur digne d'elle
S'ouvre à l'enthouſiaſme ,& reçoit l'immortelle.
J'ai vu dans les vallons des heureux Andelys ** ,
* M. Ducis travaille à la Tragédie de Macbeth.
** Petite ville de Normandie où ont vécu les deux
Comeilles .
Fiv
128 MERCURE
Par les pas de Corneille autrefois annoblis ,
L'aſyle où ce grand Homme évoquoit ſur la Scène
De ſa Rome au tombeau l'ombre Républicaine.
Là , dans le fond d'un bois , ſous un toit retiré,
Au milieu de ſes fils , & d'un frère adoré ,
Imitant les vertus que fon pinceau retrace ,
Il repoſoit en paix comme le vieil Horace ;
Et des antiques moeurs la touchante beauté
De ſon génie encor paroit la majeſté.
Cependant fon rival, dont la ſage élégance
Aſpire à détrôner ſa romaine éloquence ,
Ce tendre confident des ſecrets de l'Amour ,
Racine environné des pompes d'une Cour ,
Que des plus beaux eſprits embelliſſoit l'élite ,
Peignoit pour la charmer le galant Hippolyte.
Ce n'eſt point à la Cour que ton coeur inſpire
Fût tracé des vertus le tableau révéré ,
Alceſte & ſon époux s'y trouveroient peut-être.
Mais borné fans orgueil au toit quit'a vu naître ,
Du peuple bel-efprit dédaignant les clameurs ,
Ton génie honoré , que protègent tes moeurs ,
Apris , ſans le ſavoir , ſon touchant caractère
Acôté de ta fille , à côté de ta mère.
Tu peignois Antigone, elle étoit ſous tes yeux.
Trop heureux l'Écrivain qui , comme ſes ayeux ,
Libre , & dans le ſecret d'une famille aimée ,
Qu'honore ſa vertu plus que ſa renommée ,
Peut cultiver les Arts en aimant ſes rivaux !
DE FRANCE. 129
1
Et lorſque le ſuccès couronna ſes travaux ,
Ala tendre famille , où l'amour le rappelle ,
Reporte ſes honneurs qu'il partage avec elle !
Poëte qui prétends à d'illuftres deſtins ,
Fuis des arts & du goût les docteurs incertains !
Va chercher tes parens , l'amitié , la retraite;
Paris ſeroit-il donc le ſéjour d'un Poëte ?
Paris , où tous les jours affligeant tes regards ,
1
Des ſcandales nouveaux déshonorent les arts ?
Contemple ces Germains , aujourd'hui nos modèles ,
De la ſimple nature interprètes fidèles ,
Qu'égale parmi nous le grand peintre des Mois * ;
Ilshabitent en paix la campagne & les bois ,
En extafe égaré ſur les alpes antiques ,
Haller y célébroit les vertus helvétiques ,
Ou de fa Marianne ** , en des momens de deuil,
D'un chant mélancolique honoroit le cercueil.
Ami, tu fuis comme eux le tumulte des villes.
Que de fois regagnant les champêtres aſyles ,
Et rabaiſſant ta lyre au doux chant du paſteur ,
Tu fuis, dans ſon tibur, ce ſublime orateur ,
Thomas qui te chérit , dont la mâle penſée ,
Ennoblit l'éloquence à flatter abaiffée ,
Qui jadis à des morts proſtituoit ſa voix ,
Etmentoit devant Dieu ſur la tombe des Rois ;
* M. Roucher , dont le Poëme va bientôt paroître.
** C'eſt le nom de la femme de Haller.
Fv
130 MERCURE
Ce peintre de Deſcarte & du grand Marc-Aurèle ;
Thomas , qui loin dubruit , ſans parti , ſans querèle ,
1
Simple , s'avance en paix vers la poſtérité ,
Des ombres qu'il célèbre avec gloire eſcorté.
Du génie & des moeurs vous offrez les modèles ,
L'amitié réunit vos vertus fraternelles :
Acceptez mon hommage , & daignez adopter
Un jeune ami des Arts qui ne fait point flatter ,
Mais qui ſentit toujours le beſoin reſpectable
D'aimer & de chanter le talent véritable.
Du talent qui s'éteint confervez le flambeau !
Nos pleurs ont de Voltaire arrofé le tombeau ,
Etmon hymne funèbre oſa s'y faire entendre *...
Rouſſeau ,dont la mémoire eſt ſichèreau coeur rendre,
Dort ſous les peupliers de ce nouvel éden ,
Où ſon ombre s'égare autour de Gérardin **.
D'autres noms , il est vrai , notre France s'honore.
D'Alembert & Buffon leur ſurvivent encore.
D'Alembert , notre appui , ce ſage reſpecté,
Qui d'un zèle prudent ſervit la vérité,
Succeſſeurde Bacon , vainqueur de Fontenelle,
Qui préſide à ce Temple , où ſa voix paternelle
Encourageant des Arts les jeunes nourriſſons ,
* L'Auteur a fait unÉloge en vers de Voltaire quelquesjours
après ſa mort.
** On fait que Rouſſeau eft enterré dans les jardins
'Emmenonville , fous le boſquet des peupliers,
DE FRANCE. 131
De l'honneur & du goût leur dicte les leçons ;
A ce Temple , où toujours malgré la calomnie,
Tranſmis de main en main , le flambeau du génie ,
Que Deſcarte aux François le premier apporta ,
Brûle comme le feu de l'antique Veſta .
Ce Temple , cher Ducis , t'ouvre ſon Sanctuaire ;
Ta gloire t'y précède , & l'ombre de Voltaire
Déterminant ſon choix fi long-temps ſuſpendu ,
Te regarde & t'appelle à ſon rang qui t'eſt dû.
Viens , ami , c'eſt à toi de célébrer ton Maître .
Apprends-nous à ſentir ; apprends-nous à connoître
Cethomme aux traits divers qui brille à tous les rangs.
Comme aux champs de Memphis les voyageurs errans
Par-delà les rochers qui menacent les nues ,
Vont découvrir du Nil les ſources inconnues ;
Approche de Voltaire , & comme eux vas chercher
La ſource où ſon génie en vain croit ſe cacher.
Etmontrant le berceau dont elle s'eſt formée ,
Parcours , en l'admirant , ſa vaſte renommée.
Le plus noble triomphe a comblé tes defirs.
Mais le génie encor veut de plus doux plaifirs.
Simple , avantqu'on l'admire, il ſouhaite qu'on l'aime.
Comme la bienfaiſance il jouit de lui -même ,
Pour nous ſervir comme elle il deſcendit des cieux.
Aimantàtempérer ſon éclat à nos yeux ,
Il remplit ſans orgueil ſa noble deſtinée ,
Et ſa gloire modeſte eſt même pardonnée.
Tels font les ſentimens qui t'animent toujours.
Fvj
132 MERCURE
Ah ! puiſſé-je de loin , guidé par ton ſecours ,
Te ſuivre , & mériter une gloire épurée
Que l'intrigue , jamais , n'aura déshonorée ,
Dont je puiſſe ſans honte à mes yeux me couvrir ,
Qui conſacre inonnom , & le faſſe chérir !
:
( Par M. de Fontanes. )
ÉPITAPHE DE DAVID GARRICK *,
célèbre Comédien Anglois.
Aus USSI louable Citoyen
Que célèbre Comédien ,
Ci gît Garrick , dont le talent fuprême
Jamais ne dût rien qu'à lui-même .
* Mort à Londres le 20 Janvier 1779 , âgé de
62 ans , & univerſellement regretté.
Il deſcendoit d'un bon Gentilhomme Normand ,
dont le nom étoit la Garigue , qui , à la révocation
de l'Édit de Nantes , ayant paffé en Angleterre à la
fuite du Maréchal de Schomberg , ſous lequel il fervit
& fe diftingua à la bataille de la Boyne , avoit cru ,
par des raiſons de politique , devoir Anglicifer fon
ncm.
L'Auteur de l'Épitaphe ci-deſſus,qui ſe fera toujours
honneur d'avoir été l'ami de cet homme unique dans
ſon eſpèce, eut le plaifir de le faire dîner , il y a quelques
années à Paris, & fans que d'abord il en fûtrien ,
avec M. le Chevalier de la Garigue , Maréchal de
Camp, ( celui qui s'étoit acquis tant d'honneur dans
DE FRANCE.
Qui peignant tour-à-tour la tendreffe & l'horreur ,
Le vieillard décrépit , le fiingant petit-maître ,
Sut plier la Nature à fon Art enchanteur ,
Etfut, à tous les yeux , tout ce qu'il voulût être !
(ParM. de la Place. )
la défenſe de Belle- Isleen 1761 ) , &qui fut enchanté
de retrouver dans Garrick un parent & un
François auſſi eſtimable par les qualités de l'eſpriť
&du coeur , que par la célébrité de ſes talens.
de
C'eſt au retour de Garrick à Londres , où cette )
Anecdote venoit d'être répandue , que Milord ***
qui étoit fort de ſes amis , lui propoſa , attendu que
la profeffion de Comédien ne déroge point en Angleterre
, de ſe mettre fur les rangs pour obtenir
l'entrée au Parlement , en qualité
Repréſentant
du Bourg ou, du Comté de ***. Et c'eſt à cette occaſionque
Garrick fit en profe cette réponſe auſſi
gaie que philofophique , miſe depuis en vers par
M. D. L. P. & qui fut inférée dans les Papiers
Anglois.
Qui moi ! prétendre au Parlement ? ...
Non c'eſt mon jardin * ſeulement ,
Qu'après ma femme , j'idolâtre :
Et Garrick , content de fon lot ,
Craindroit fur ce nouveau Théâtre
De jouer le rôle d'un fot.
* Il avoit une maiſon de campagne près de Londres , &
des jardins qui faifoient fes délices.
134 MERCURE
:
2
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt le Malade Imaginaire
; celui du Logogryphe eſt Réverbère
( qui ſert à éclairer pendant la nuit ) ; où ſe
trouvent rêve , verre , beurre , Eurere, re
Verbe ( ou J.C. ) , rue ( chemin ) , ver, verbe
( terme de Grammaire ) , rue ( herbe ), Ebre ,
Eve.
ÉNIGME.
JEE fuis forti des bois & ſuis fait pour lagloire;
Aumilieudes combats je montre ma valeur :
Animé par un ſouffle avec mon conducteur ,
Tout peſant que je ſuis je vole à la victoire .
(Par M. Bouvet , à Gifors. )
J
LOGOGRYPHE.
Efers au Parfumeur comme au Pharmacopole ,
Chez l'Épicier je joue auſſi ſemblable rôle.
Qui paſſe par chez moi certes eft bien perit
Et bien fin; néanmoins, fans faire un certain bruit ,
DE FRANCE.
135
On n'y peut parvenir . Pour me faire connoître ,
Diſons qu'en cinq on déſunit mon être.
Mais pour mes chers Lecteurs , ſi ce n'eſt point aſſez ,
On doit trouver en moi , ſupprimant mes côtés ,
Un de ceux qui , s'ils n'ont que l'intérêt pour guide ,
Sous un air de candeur cachent un coeur perfide.
Unis & renverſés , mes côtés ſont vraiment
Un terme indéclinable & filence impoſant.
Dans mon tout combiné, ſans être ſur le Pinde ,
On découvre aiſément un Royaume de l'Inde ,
Avec une Cité portant le même nom ;
Deux tons de la muſique ; une conjonction;
-Un terme au jeu d'échecs , ainſi que de marine ;
Un mois des plus rians. Adieu, Lecteur , devine .
( ParM. Labrouche , de Dax. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SUITE de la Notice des Éloges lus dans
la Séance publique de l'Académie des
Sciences , du 14 Novembre dernier *.
APRÈS l'éloge de M. Malouin, dont nous
avons rendu compte dans le dernier Mercure
, on entendit avec plus de plaiſir en-
* Cet Article eſt de M. d'Alembert.
1
1
136 MERCURE
core celui de l'illuſtre M. de Haller , plein
de faits intéreſſans , de réflexions judicieuſes ,
& de la plus ſaine Philofophie ; digne enfin ,
au jugement de tout l'auditoire , d'être mis
à côté des Éloges de M. Fontaine & de M.
de la Condamine , par le méme Auteur. M.
de Condorcet a montré tout à la fois en
M. de Haller un des Savans les plus célèbres
, des beaux eſprits les plus diftingués ,
& des citoyens les plus reſpectables de ce
fiécle , qui réuniſſoit les qualités & les talens
les plus contraires en apparence ; grand Médecin
& ſavant Théologien , grand Poëte &
profond Érudit , homme de Génie & Commentateur
, plein de reſpect pour ſa religion
& de tolérance pour celle des autres ,
également ennemi de l'impiété & du fanatifme
; enfin homme de Cabinet & homme
d'État , qui a rendu à la Médecine , à la Phyſique
, aux Lettres , à ſa Patrie , les ſervices
les plus fignalés. Dès l'âge de neuf ans il étoit
déjà un prodige de ſavoir ; & , ce qui eft
plus rare , continua toujours de l'être , après
l'avoir été de ſi bonne heure. Son génie &
fon amour pour l'étude ne purent être
étouffés par la dureté d'un pédant qu'on lui
donna pour Précepteur ; & le naturel heureux
de l'Élève eut encore plus de force que
la fottiſe du pédagogue. Il commença par
être Poëre , eut le courage de s'expofer au
feu pour ſauver ſes vers d'un incendie , &
l'année ſuivante eut le courage plus grand de
condamner au feu ces mêmes vers qu'il en
DEFRANCE.
137
avoit tirés. De bonne heure il montra du
talent pour la fatyre , & de bonne heure il
eut le mérite d'y renoncer. Entraîné dans ſa
jeuneſſe àune partie de debauche , il conçur
une telle horreur des excès dont il fut témoin
, que dès ce moment il devint ſevère
pour lui-même juſqu'au rigoriſme ; & le
mauvais exemple, qui en pervertit tant d'autres
, ne ſervit qu'à le rendre meilleur.
1
M. de Haller , obſervant la nature dans
les Alpes , où elle eft fi belle & fi pittorefque
, & croyant ne l'obſerver que comme
Phyſicien, la vit avec tant d'enthouſiaſme ,
qu'elle le rendit Poëte de nouveau , &
pour cette ſeconde fois très-grand Poëte.
En même- temps qu'il apprenoit aux verfificateurs
à la chanter & à la peindre , il apprenoit
aux obfervateurs à l'interroger & à
la bien voir. Sa Physiologie , devenue aujourd'hui
preſque un ouvrage claſſique ,
malgré les critiques qu'elle a eſſuyées , eft
pleine d'expériences curieuſes , d'obfervations
importantes , &de vues nouvelles fur
la génération de l'homme, ſur la formation
des os , & principalement ſur l'irritabilité ,
qu'il a le premier bien connue , & qui feule
fuffiroit pour rendre le nom de Haller immortel
. L'envie lui conteſta d'abord , ſuivantl'uſage
, la vérité, & enſuite la propriété
de ſes découvertes; mais fur l'un & l'autre
point il confondit l'envie. En inſtruifant les
Savans , ſes contemporains , il les jugeoit ,
morts & vivans , dans ſes Ouvrages , avec
138 ' MERCURE
autant de lumières que d'impartialité ; &
quoique par ces jugemens il les ait mecontentés
preſque tous ( car l'amour - propre
n'eft pas facile à fatisfaire , même ſur les
louanges ) il conſerva toute ſa réputation
au milieu de tant d'hommes intéreſſes à la
combattre , tant cette réputation étoit juſtement
acquiſe & folidement affermie. Un
Auteur très - médiocre, que bien des fots
croyoient homme d'eſprit parce qu'il étoit
fou , & Philofophe parce qu'il ſe vantoit
d'être incrédule , la Métrie , voulut l'affocier
avec de grands éloges à fes principes de
Matérialiſme : M. de Haller , Philofophe
très- religieux , repouſſa avec une juſte indignation
les louanges ridiculement ſerieuſes
de cet impie , qui lui paroiſſoit fort dangereux
, quoiqu'il ne fût , comme tant d'autres
, qu'un impie fans conféquence.
La ville de Gottingue , où cet illuftre Savant
fut appelé , & ſa Patrie où il revint enfuite
, lui dûrent les établiſſemens les plus
utiles pour la Médecine & l'Anatomie. Devenu
Magiftrat de Berne , il fit dans cette
ville des établiſſemens plus utiles encore ,
comme Adminiſtrateur & comme Citoyen.
Il refuſa le titre qu'on lui offroit de Baron
de l'Empire , qui n'auroit pu flatter que ſa
vanité ſans rien ajouter à ſa gloire : car il eſt
des hommes qui gâteroient leur nom en
l'allongeant ; nous, nommons Newton avec
reſpect , & le Chevalier Newton ne ſeroit
1
DE FRANCE.
139
pour nous qu'un Chevalier très - ordi -
naire.
L'activité de notre Philofophe pour le
travail , & fon ardeur pour écrire , étoient fi
grandes , qu'ayant eu le bras droit caffe , il
apprit en une nuit à écrire affez bien de la
main gauche pour pouvoir ſe paſſer de
fon autre bras , s'il falloit y renoncer. Il eut
trois femmes , les rendit toutes trois heureuſes
, & , ce qui n'eſt pas toujours réciproque
, fut heureux avec elles. Ayant pleuré
les deux premières en très-beaux vers , &
s'étant à chaque fois remarié peu de temps
après ,le public impitoyable lui reprocha de
ſe conſoler trop vite; tant nous ſommes difficiles
, dit M. de Condorcet , fur la ſenſibilité
d'autrui , ne fût-ce que pour donner
bonne opinion de la nôtre ; & tant le plaiſir
de trouver dans un homme célèbre quelque
priſe à la cenfure , nous empêche de fonger
à tout ce que les Sciences auroient perdu ,
fi M. de Haller ne ſe fût pas confolé. Enfin
il mourut en fage & en homme de bien
comme il avoit vécu , plein de confiance en
l'Etre Suprême , dont il avoit toujours pratiqué
les loix , obſervant avec tranquillité
les progrès de fa fin , ſe tâtant le pouls dans
ſes derniers inftans , & difant à ſon Médecin ,
au moment même où il expira : mon ami ,
l'artèrene batplus. " Qu'il nous ſoit permis ,
ود dit encore M. de Condorcet , de faire à
l'occaſion de cette mort , ume triſte réfle-
>> xion; en moins de huit mois l'Europe a
23
140 MERCURE
> vu diſparoître Juflieu , Haller , Linneus ,
» Voltaire & Roufleau ; & jamais peut
>> être aucune époque funeſte aux Sciences
» & aux Lettres , n'a raſſemblé en ſi peu
» de temps des pertes ſi grandes & fi mul;
» tipliées » . Nous pourrions ajouter à ces
pertes celle de l'illuftre Milord Chatham , à
qui ſa nation a dû tant de gloire &de fuccès.
Nous n'ofons placer ſur la même ligne un
Acteur François très-célèbre * , mort dans le
même intervalle , & très- difficile à remplacer;
nous craindrions que les Lecteurs
graves,fi le Mercure en a quelques - uns ,
ne nous reprochaſſent de mettre l'ombre
d'un Comédien à côté de cellede Jean-Jacques
Rouffeau , qui a dit tant de mal des
Comédies , pour ſe punir d'en avoir fait.
Nous craindrions fur-tout que cette ombre
elle-même ne s'indignât d'un tel voiſinage ;
les ombres paibbles des ſages Linneus &
Juffieu , & fur-tout les ombres poétiques des
Haller & des Voltaire , feroient peut-être
plus indulgentes.
Avant la lecture de ces Éloges , M. de
Condorcet rendit compte de quelques faits
qui concernent l'Académie. Il annonça que
la Pièce qui a remporté le Prix à Pâques
dernier fur les altérations de l'orbite des Comètes
, & dont l'Auteur ne s'étoit point fait
connoître , eſt de M. Fuff, de l'Académie
* Le Kain. Nous apprenons que le célèbreGarrick
vient auffi de mourir.
DE FRANCE.
141
de Pétersbourg , digne Élève de M. Euler.
Cet illuftre Savant , autrefois tant couronné
lui-même , & depuis couronné dans ſes enfans
, dignesÉlèves de leur Père , l'eſt aujourd'hui
dans un nouveau Diſciple , qui promet
de marcher ſur ſes traces ; & ce grand
Géomètre, devenu aveugle comme le fameux
Capitaine Jean Ziska , gagne encore comme
lui des batailles par ſes Lieutenans .
M. de Condorcet ajouta à cette annonce ,
que l'Auteur d'une Pièce anonyme , qui en
1765 a partagé le Prix avec trois autres * fur
l'arrimage des navires , eſt M. Gautier, Officier
François au ſervice d'Eſpagne. Il n'a
appris ſon ſuccès que depuis quelques mois
& par hafard ; & s'étant contenté de faire
un bon ouvrage , ſans peut-être ſe douter
qu'il le fût , il n'avoit pas même ſongé depuis
treize ans à s'informer du jugement
qu'en avoit porté l'Académie. Il eft rare
d'unir cette indifference pour la gloire avec
le talent néceſſaire pour la mériter , & de la
céder ſi facilement à ſes rivaux , lorſqu'on
eſt ſi digne de les combattre.
Nous n'ajouterons rien ici ſur les autres
morceaux lus dans lamême Aſſemblée, & que
le Public connot déjà par les Extraits qu'en
ont donné les Auteurs mêmes ** . Nous nous
* Les Auteurs de ces trois Pièces étoient MM.
l'Abbé Boffut , Groignard & Bourdé de Ville-Huet.
** Voyez les Mercures précédens,
142 MERCURE
bornerons à dire ce que la modeftie de MM.
Vicq d'Azyr & Bucquet les a empêché d'ayouer
, que leurs Mémoires ont été trèsbien
reçus. Celui que lut M. de Vandermonde
fur la Muſique , excita d'autant plus
de curioſité , que la Nation prétend aujourd'hui
ſe connoître en Muſique mieux que
jamais , c'est-à -dire , n'en a jamais parlé davantage.
L'objet de M. Vandermonde n'eſt
pas de décider nos grandes ou petites querelles
ſur cet objet ; mais de propoſer un
nouveau ſyſtême de Muſique qui fatisfait,
ſelon lui , mieux que tous les précédens , aux
loix obſervées dans l'harmonie par les plus
habiles Compoſiteurs, à celles même qu'on
pourroit ſuivre fans que l'oreille s'en offensât,
quoique les Artiſtes ne s'en foient pas
encore aviſés. Les Philoſophes & les Gens
de l'Art ne pourront bien juger du nouveau
ſyſtême , que lorſque cet Académicien l'aura
donné au Public avec le détail néceſſaire
pour le développer & l'appuyer dans toutes
ſes parties . M. de Vandermonde eſt d'ailleurs
trop éclairé , & fe connoît trop bien
en démonstration , pour croire qu'on puiffe
jamais parvenir à rien démontrer fur cette
matière ; aufli ne fait-il aucune difficulté
d'en convenir. Il penſe avec raiſon, que plus
on aura de lumières , plus on ſera ſceptique
, & , ce qui en eſt la ſuite , tolérant fur
les différens ſyſtemes de muſique ; ajoutons
que plus on aura de justice , nous dirions
preſque de charité, pour les plaiſirs d'autrui ,
DE FRANCE.
143
plus on fera portéàtolérer en muſique les différens
goûts. Mais c'eſt ce que nous n'oſons efpérer
au milieude laguerre civile & muſicale
qui nous déchire. Malheureuſement toute la
violence de nos altercations à ce ſujet n'a jufqu'ici
prouvé clairement qu'une vérité un peu
ſtérile; c'eſt que le Maître de Muſique du
Bourgeois- Gentilhomme a grand tort , loffqu'il
affure à M. Jourdain ſon digne Élève ,
que la muſique est un moyen für de mettre les
hommes d'accord entre eux. L'effet au moins
qui a réſulté de cette guerre , à la grande
ſatisfaction des tolérans , c'eſt que les différentes
muſiques qui briguoient chacune les
honneurs de la Scène , les ont toutes à peuprès
également obtenus ; la muſique Françoiſe
elle- même , qu'on croyoit tuée par ſes
rivales étrangères , vient , à tort ou à droit ,
de reſſuſciter avec plus d'éclat que jamais
dans Castor & Pollux , & fur-tout dans le
Devin du Village , dont la muſique , n'en
déplaiſe aux manes de fon Auteur , eſt la
plus Françoiſe qu'il eſt poſſible. Il ſemble ,
inous ofons employer ce langage , que la
crainte du Monopole ait produit à l'Opéra ,
comme dans le commerce , le zèle de la
concurrence & la liberté de l'importation .
Peut-être feroit- il affez curieux , d'après ces
faits , de juger & d'apprécier le goût muſical
d'une nation qui accueille avec une bienveillance
fi bannale toutes les eſpèces de muſique
, harmonieuſe ou bruyante , pathétique
144
MERCURE
ou criarde , piquante ou commune ; queſtion
delicate & preſque dangereuſe , ſur laquelle
nous nous garderons bien de prononcer.
Versfur Voltaire. Apothéoſe de Voltaire au
Parnaffe.
Ces deux Pièces , du même Auteur, font
réunies dans la même feuille, La première ,
faite au moment de la mort d'un Grand
Homme , n'est que la ſimple expreſſion
&comme le premier cri de la douleur.
Que de talens détruits ! un homme ſeul expire ,
s'écrie l'Auteur. Il s'adreſſe , pour défendre
la mémoire de Voltaire contre les
imputations de l'envie , à la perſonne qui a
dû le connoître le mieux , à celle qui a été
trente ans ſa compagne & fon amie.
Otoi , qu'unit le fang aux deſtins de Voltaire ,
Parle , & fois aujourd'hui ſon Ange tutélaire:
Parle, préviens l'erreur de ce fatal moment;
Ala poſtérité dicte ſon jugement.
Dévoile à ſes regards l'ame de ce Grand Homme ;
Des noms qui lui font dûs que ton amour le nomme.
Dis que ſe rendre utile à tous les malheureux ,
Fut le premier beſoin de ſon coeur généreux ;
Dis qu'il les accueilloît , qu'il partageoit leur peine ,
Qu'un ennemi ſouffrant eût déſarmé ſa haine.
Redis ce mot fi cher à fon coeur opprimé :
Trente ans je le connus , & trente ans je l'aimai.
L'Auteur
DE FRANCE.
145
:
L'Auteur appelle les célèbres infortunés
dont Voltaire fut le défenſeur.
Quelle foule éplorée ,
De Voltaire embraſſant la ſtatue adorée ,
Des regrets les plus vifs honore ſon trépas !
Ah! je vous reconnois , ô Sirven ! ô Calas !
Familles qu'il ſauva de l'opprobre du crime ;
Vous auſſi que ſa main retira de l'abyme ,
Vous , mortels opprimés & par lui ſecourus !
Des deux bouts de la France ils ſont tous accourus !
Ils entourent Voltaire , & leur foule l'affiége.
Son ombre s'applaudit d'un fi brillant cortége.
Que la haine ſur lui faſſe pleuvoir ſes traits ,
Ilmarche environné des heureux qu'ils a faits.
Il rappelle la colonie que Voltaire a fondée.
Il la recommande aux ſoins de ceux
qui ont été ſes protecteurs, & qui ſans doute
le feront encore .
Que ne puis-je revoir cette aimable retraite :
C'eſt-là que j'ai connu celui que je regrette ;
C'eſt-là que ſes conſeils ont daigné m'éclairer ;
C'eſt-là qu'en ce moment je voudrois le pleurer.
Le fond de la ſeconde Pièce eſt plus
poétique , & préſente une fiction agréable ,
quoique peut-être elle ne ſoit pas allez fondée.
L'Auteur ſuppoſe qu'Apollon , convoquant
tous ſes ſujets du Parnaſſe , revient
parmi eux après cent ans d'absence. Quand
il a vu le fameux ſrécle de Louis XIV écoulé ,
il a vu que le dernier dégré de la perfection
15 Février 1779. G
146
MERCURE
dans les Beaux-Arts touchoit au premier de
leur décadence , & il demande aux Muſes
s'il s'eſt trompé. Il eſt aſſez difficile de ſuppofer
poétiquement que Voltaire ait travaillé
foixante ans , à l'infçu d'Apollon. Où
étoit donc le Dieu des Arts , s'il n'étoit pas
auprès de l'Auteur de Zaïre & de la Henriade
? Quoi qu'il en ſoit , cette Fable amène
l'éloge de Voltaire , fait par chacune des
Muſes d'une manière très - piquante. Chacune
d'elles vante les plus beaux monumens
de l'art auquel elle préſide , & il ſe trouve à
la fin qu'ils ont tous été élevés par la même
main . Calliope cite la Henriade , & un autre
Poëme qui en eſt auſſi different que l'Orlando
l'eſt de la Jérufalem. Elle caractérife
ainſi le premier des deux Poëmes François :
Regarde cet écrit enfanté ſous mes yeux ;
Il peint d'un Roi guerrier les combats glorieux ;
Il peint d'un Roi clément la bonté , la juſtice :
Des fables du vieux temps le frivole artifice
N'a point deshonoré ces auguſtes récits ;
La raiſon n'admet point ces prodiges vieillis .
Au fiécle qui m'entend le vrai ſeul pouvoit plaire ,&c.
Uranie aufi-tôtse montrant :
Vante au Dieu qu'elle ſert les fruits de ſa ſageſſe.
Si jadis inſpirant l'ingénieux Lucrèce ,
Elle avoit embelli de poétiques fleurs
D'un rêve mal conçu les abſurdes erreurs ;
Si des Mondes encor la merveille éphémère ,
En ſtyle très-galant n'a peint qu'une chimère ,
DEFRANCE. 147
Ces eſſais du génie ont été ſurpaſſés.
Sur de ſages écrits , en rimes cadencés ,
La Vérité répand ſa féconde lumière;
Newton vient de parler le langage d'Homère.
Peut- être cette expreſſion de merveille
éphémère, en parlant des Mondes de Fontenelle
, paroîtra-t- elle peu juſte , ſi l'on fait
réflexion que cet ouvrage ſe lit encore avec
plaifir, qu'il eſt même en grande partie conforme
à la bonne Philofophie , puiſque
dans tout ce qui regarde le ſyſteme planétaire
, ce n'eſt qu'un développement de la
théorie de Copernic & de Galilée , qu'il
n'eſt erroné que dans l'hypothèſe cartéſienne
__des tourbillons ,& qu'il aura toujours le mérite
d'avoir montré le premier comment on
pouvoit embellir & égaïer les matières les
plus abſtraites , mérite qui ne peut pas être
éphémère.
Apollon jette les yeux fur une foule de
bagatelles charmantes en vers &en profe.
Ayant lu quelque temps , il vouloit toujours lire .
Clio l'interrompt pour de plus grands
objets.
Cet écrit, diftingué par de grands caractères ,
N'eſt point l'effort aifé des communs plagiaires.
Maigres Hiſtoriens , fans critique & fans goût,
Qui rediſant toujours ce qu'on a.dit par- tout ,
Uſent à ce métier leurs indigentes plumes ,
Et des erreurs d'autrui compoſent vingt volumes...
4 Gij
148 MERCURE
Ici la raiſon parle & ſe fait écouter ;
Elle pèſe les faits , elle inſtruit à douter ;
Elle peint de l'eſprit la ténébreuſe enfance ,
:
Et ces fiécles d'erreur , de crime , d'ignorance , &c..
Molière jette les yeux ſur l'Écoſſaiſe ,
Nanine , l'Enfant Prodigue.
Il pleure avec Lindane , & rit avec Friport.
Melpomène paroît enfin :
Sa figure impoſante
Conſerve l'air altier qu'autrefois lui donna
Le peintre audacieux d'Horace & de Cinna ;
Une douleur touchante adoucit & tempère
La mâle auſtérité de ce grand caractère .
Sa voix eſt telle encor qu'en ces jours ſi brillans ,
Où du tendre Racine elle animoit les chants.
Mais ſouvent elle a pris un effor plus rapide ;
D'un trouble impétueux leſentiment la guide ;
Et dans les coeurs ſoumis , par ſon art tout puiſſant,
Son poignard aiguiſé pénérra plus avant , &c.
Ce dernier vers rappelle, ce vers ſi connu
des Saiſons de M. de Saint- Lambert :
D'un poignard plus tranchant il arma Melpomène.
Enfin Apollon demande quels font les
Auteurs de tous ces immortels écrits . Clio
lui repond :
Tu les couronnes tous en couronnant Voltaire.
Viens , lui dit Apollon , jouis de ma préſence',
Mortel , dont le génie étonne ma puiſſance .
Dans le cours paſſager de tes rapides ans ,
DE FRANCE. 149
Comment as-tu ſuffi pour tant d'objets fi grands ?
Je n'eus qu'un ſentiment , lui répondit Voltaire.
Lui ſeul il rempliſſoit mon ame toute entière.
De l'inſtinct des beaux Arts je me ſentis preffer ;
Monbeſoin le plus grand fut celui de penſer.
Ce dernier vers eſt auſſi heureux que vrai.
Apollon veut qu'on célèbre l'Apotheoſe
de Voltaire , & l'Immortalité vient le couronner.
Ces deux Pièces ſont écrites en général
avec pureté. L'idée de la ſeconde eſt trèsagréable;
& toutes deux méritent d'être diftinguées
parmi celles qui ont été faites fur
le même ſujet.
( Cet Article est de M. de la Harpe ) .
Hiſtoire univerſelle des Théâtres de toutes les
nations , depuis Theſpisjusqu'à nosjours,
par une Société de Gens de Lettres , tome
premier , première partie , Ouvrage propoſe
par ſouſcription , & dont on délivrera
un demi-volume tous les mois ; prix
30 1. paranpour Paris ,& 361. pour la Province
, franc de port : Bureau général de
ſouſcription, chez les Auteurs, rueTicquetonne,
ladeuxiène porte- cochère à gauche
en entrant par la rue Montmartre à Paris .
Nous ne pouvons mieux annoncer l'utilité
de cet Ouvrage, dont la première livraifon
vient de paroître , qu'en donnant un exrait
de laPréface.
Giij
150 MERCURE
" Çette Collection doit renfermer tout
>> ce qui concerne les Théâtres du monde ,
ود &difpenfer le Lecteurde la néceflité dans
>> laquelle il feroit d'en puifer la connoiffance
dans une foule de volumes , dont
>>l'acquifition feroit auſſi diſpendieufe , que
la lecture en deviendroit fatigante.
ود
ود
ود
Notre Ouvrage fera donc une eſpèce
>> d'Encyclopédie dramatique , qui , fans
» avoir la fechereſſe du Dictionnaire , of-
>> frira ſur l'origine & les progrès des ſpecta-
> cles, ſur les Auteurs & leurs Pièces, fur les
ود Acteurs& les Actrices , des détails ſouvent
>> inſtructifs , & preſque toujours amuſans ».
>> Nous donnerons , à la lettre , l'origine
» & les progrès de la ſcène étrangère & na---
>> tionale; chaque objet fera à ſa place , &
chaque événement au temps qui nous fera
indiqué par la chronologie. D'après cela ,
>> on doit ſentir que nos premiers volumes
renfermeront ce qui regarde les Grecs ,
dont les jeux , les combats , les théâtres ,
>> les coſtumes , les Tragédies & les Comé-
ود
ود
ود
ود dies , nous fourniront les choſes les plus
>> curieuſes , ſoit du côté de l'hiſtorique, ſoit
du côté des gravures ». ود
De-là les Auteurs paffefont aux Romains ,
qui ont été les Imitateurs des Grecs , & qui ,
en adoptant leurs jeux & leurs fêtes , en ont
augmenté la pompe & la magnificence.
A cet hiſtorique fuccédera celui du théâtre
Latin , dont l'époque fera celle des tourmois
en France ; &leur deſcription, les noms
DE FRANCE.
151
des Chevaliers qui s'y diftinguèrent , la collection
des coftumes que l'on y employa ,
feront ſuivis des extraits des Poemes des
Troubadours ou Jongleurs , de ceux des Myftères
& des Cantiques Spirituels , des jeux
des Clercs de la Bazoche , & des Pièces des
Enfansfansfouci.
" En ſuivant cette marche progreffive ,
> ajoutent les Auteurs , nous feront obligés
>>de paſſer au théâtre Anglois , qui , comme
>>celui de France , a commencé par repré-
> ſenter des myſtères que nous ferons con-
>> noître , après quoi nous parlerons des Ita-
>> liens & des Eſpagnols, que nos meilleurs
>> Auteurs ont traduits ou imités.
>>Tel ſera à peu-près le fil de notre hif-
>>toire juſqu'à la naiſſancede Jodelle , La-
>>pérufe, Grevin , Garnier , qui , plus éclai-
>>rés que leurs prédéceſſeurs , commence-
>>rent à diffiper les ténèbres dans leſquelles
>>le théâtre François étoit enfeveli . Ceux
>> qui les ſuivirent furent bien loin d'ajounter
à des ſuccès aufli heureux ; mais on
>> touchoit au ſiècle de Louis XIV , ſiècle
» qui devoit enfanter les Rotrou , les Cor-
>> neille , les Racine , les Molière, qu'il ſuffit
>> de nommer pour faire leur éloge » .
Les Auteurs de cette Hiſtoire annoncent
autli une analyſe plus ou moins longue de
toutes les Pièces , ſoit imprimées , foit manuſcrites
; des recherches ſur la muſique ,
fur la danſe , ſur la pantomime ancienne &
moderne , un apperçu du culte des Anciens ,
Giv
112
MERCURE
les coftumes uſités dans leurs cérémonies
religieuſes , leurs combats , leurs trophées ,
leurs triomphes , leurs convois , la forme de
leurs tombeaux , le plan, la coupe & l'élévation
de tous les théâtres , tant érrangers
que nationaux, ainſi que les deſſins & l'hiſtorique
de toutes les fêtes qui ſe ſont donnees
dans lesdifférentes Cours de l'Europe , avec
une idée de celles que l'on célèbre chez lés .
peuples les plus éloignés.
Tous ces détails annoncés dans la Préface,
font faits pour exciter la curioſité du public ,
& nous avons cru devoir les préſenter au
Lecteur , qui verra d'un coup-d'oeil ce qu'on
lui promet , & ce qu'il a droit d'eſpérer .
Cet Ouvrage , qui ſeul aura le mérite de
Féunir l'enſemble & le corps entier de l'art
dramatique ; cet Ouvrage , dis-je , manquoit
abſolument à la Littérature , & on ne peut
qu'inviter les Auteurs à rédiger les volumes.
Luivans avec autant de foin qu'ils en ont mis
dans leur première livraiſon.
L'éducation des Athlètes chez les Grecs,
la célébration des jeux , la manière dont les
vainqueurs étoient couronnés ; les mariages ,
les funérailles de ces anciens peuples , leur
génie , leurs uſages , leurs moeurs,en un mot
tout ce qu'il eſt néceſſaire de ſavoir pour juger
de leurs productions theîtrales , y eſt
préſentédans un eſpace fort court. Les Auteurs
y ont joint une foule d'Anecdotes curieuſes
, que les bornes d'un extrait ne nous
permettent pas de citer , & nous renvoyons
à l'Ouvrage même , dans lequel on trouvera
DEFRANCE.
153
une quantité de faits hiſtoriques , qui tous
font conftatés d'après les meilleurs Écrivains
de l'antiquité.
Les premières gravures , dont le nombre
deviendra conſidérable , nous ont paru traitées
avec ſoin ; & d'après le peu de régularité
que l'on obſerve dans les coftumes , les
Auteurs promettent d'en donner les véritables
modèles , article qui rendra leur Hiſtoire
très-utile & même néceſſaire .
Les livraiſons ſuivantes doivent contenir
l'origine de la Tragédie chez les Grecs , ka
vie de Theſpis & des Auteurs qui l'ont pré
cédé ou ſuivi , la muſique , la danſe , l'extrait
des Poëtes tragiques & comiques , les
maſques , enfin tout ce qui a rapport à leur
theatre, & nous en rendrons compte dans le
temps. La ſeconde livraiſon vientde paroître.
L'indication du Bureau d'abonnement ſe
trouve à la p. 192 , aux Annonces Littéraires .
Effai fur l'Histoire générale des Tribunaux
des Peuples , tant anciens que modernes ,
ou Dictionnaire hiftorique & judiciaire ,
contenant les Anecdotes piquantes & les
Jugemens fameux des Tribunaux de tous
les temps & de toutes les Nations ; par
M. des Effaits , Avocat , Membre de plufieurs
Académies, vol. in-8º. T. II. A Paris,
chez l'Auteur , rue de Verneuil ; Durand
, Libraire , rue Galande , & Mérigor
le jeune , Quai des Auguſtins.
Dans ce nouveau volume , l'Auteur con
Gy
154 MERCURE
tinue de nous donner des Anecdotes toujours
curieuſes , & ſouvent inſtructives , fur
un des Jugemens tantôt célèbres par la fingularité
ou Patrocité des délits , tantôt par
l'ignorance ou la barbarie de ceux qui en
furent les Juges. On y trouve auſſi des détails
intéreſſans ſur les Tribunaux de la Chine
, du Danemarck & de l'Eſpagne. Il nous
apprend qu'il y a en Eſpagne pluſieurs Tribunaux
de l'Inquifition , mais qu'un ſeul a
le droit de juger ſouverainement. " Le Tri-
ود bunal ſouverain tient ſes ſéances à Ma-
>> drid , & s'appelle legrand Confeil d'Inqui-
" fition. Il est compoſé du grand Inquifi-
» teur , qui en eſt toujours le Préſident , de
ود huit Confeillers , d'un Fifcal , d'un Al-
>> guazil - Major , &c. Les Dominicains y
>> ont , de droit , une place de Conſeiller.
» Les Tribunaux inférieurs de l'Inquifition
> ſont établis dans les capitales des Provin
» ces ; la nomination aux places qui les
>> compoſent , appartient au grand Inquifi-
>>> teur ».
M. des Effarts n'a pas cru devoir traiter à
fond cet objet dans l'article Eſpagne ; il le
réſerve pour les articles Inquifition, Question
& Torture.
Il paroît que la légiflation en Danemarck
eſt plus avancée que chez nous. Les loix y
furent réunies en un ſeul code par Chriftiern
V ; elles font toutes écrites en langue
Danoiſe , & la jurisprudence eſt uniforme
dans toutes les Provinces. Les étrangers con
DE FRANCE. 155
viennent que ce peuple a l'avantage de poffeder
de bonnes loix; " ce qui doit prévenir
» en leur faveur , c'eſt le petit nombre de
>> procès qui s'y élèvent , la promptitude
>>avec laquelle ils font juges , & la manière
dont on y enviſage la jurifprudence. Ailleurs
on la regarde comme un art qui
>> exige de la part du Juge & de l'Avocat
>>une étude longue & difficile ; en Dane-
>>marck , il futfit d'être membre de l'état
» pour entendre les loix , pour défendre &
>>juger ſes concitoyens » .
ود
ود
Ce peuple a une loi ſemblable au fameux
habeas corpus , que les Anglois regardent , à
juſte titre , comme une des colonnes de leur
liberté. Cette loi eft conçue en ces termes :
Perſonne nefera mis en prison , à moins qu'il
n'ait étéfurpris dans le moment où il commottoit
un délitſujet à une peine capitale , ou
'qu'il n'ait avoué en Justice ledit délit , ou n'ait
été condamné comme coupable d'icelui.
Du reste tout homme accusé en Justice ,
pourra, en donnant caution , venir & s'en retourner
librement de la Cour , & jouir de
toute liberténéceſſfaire pourſe défendre.
Se peut- il qu'une loi qui eſt le fondement
de tout pacte ſocial , ne ſe trouve pas encore
établie chez les nations les plus éclairées
de l'Europe! Se peut- il qu'on y trouve encore
des hommes affez aveugles , affez indifférens
fur leur liberté , pour lui préférer des uſages
introduits par le deſpotiſme,&dont on abuſe
fous l'empire même des Rois les plus juſtes !
Gvj
156 MERCURE
T
Abrégé portatif de l'Histoire Univerſelle
Sacrée & Profane , pour l'inſtruction de la
Jeuneſſe, divisé en trois parties, l'Histoire
des Juifs, l'Histoire Ancienne, & l'Histoire
Moderne; par M. l'Abbé Pernin de Chavanette
, 3 vol. in- 12 ; à Paris , chez Saugrain
le jeune , Libraire , Quai des Augustins.
Dans le premier volume de cet Ouvrage ,
on ne trouve que l'Hiſtoire du Peuple Juif;
dans le fecond , toute l'Histoire Ancienne ,
excepté celle des Romains , qu'on doit traiter
à part ; & dans le troiſième , la fin de
'Hiſtoire Moderne , c'est-à-dire , depuis le
quinzième fiècle juſqu'au moment actuel.
L'Hiſtoire entière eſt en forme de difcours ,
à la manière de Boſſuet. Elle offre des tableaux,
des mouvemens , des portraits , des
réflexions , & un but moral afforti aux opinions
de l'Auteur. Le Diſcours ſur l'Empire
des Perſes paroît avoir été fait pour l'éducation
d'un grand Prince. L'Hiftorien débute
ainfi:
ور
८ Monfeigneur , après avoir jeté un coupd'oeil
rapide fur les ſurprenantes révolu
» tions qui ont fi fort changé la face de
>> l'Univers , Votre AlteffeRoyale n'aura pas
» manqué d'y revenir par des réflexions judicieufes
. Ces changemens , Monſeigneur ,
ne font point l'effet de ce que le vulgaire
>> ſtupide appelle improprement le jeu de
DE FRANCE. 1
157
» la fortune & du hafard: tout ce qui ar-
» rive ſur la terre eſt une ſuite réglée des
>> jugemens éternels de Dieu ſur toutes les
>> nations qu'il punit , ou qu'il éprouve ſe-
>> lon les loix immuables de fa juftice....
>>C'eſt ſous ce point de vue que le grand
>> Évêque de Meaux préſentoit à fon auguſte
ود Élève le tableau mouvant des Empires ;
» c'eſt auſſi de même , Monſeigneur , que
>> Votre Alteſſe Royale règle ſes études ,
» & nourrit ſon eſprit du fuc de l'hiſ-
>> toire ».
Toujours guidé par ce flambeau , l'Hiftorien
parcourt tous les fiècles , toutes les
régions de l'ancien monde , & découvre le
doigt de Dieu dans la chûte ou la profpérité
des Empires , comme dans celle des individus
qui les compoſent ou qui les gouvernent.
ر
La ville de Tyr réduite en cendres par un
Roi victorieux , fut rebâtie par Alexandre ,
& fubfifta long - temps avec ſplendeur..
" Mais ſes crimes allèrent en augmentant ;
» & pendant le ministère public de notreSau-
» veur, elle paſſoit pour une des plus cri-
>> minelles villes qui fût au monde » . Les
ravages exercés fur l'Égypte par le fameux
Ochus , font expoſés avec le même eſprit.
« Ce vindicatif Souverain fit placer un âne
>> fur l'autel du plus magnifique temple de
>>Memphis , & lui fit facrifier le taureau
> même que les Égyptiens adoroient , com-
> me on fait, ſous le nom d'Apis. Son cui
158 MERCURE
و د
finier eut ordre de lui ſervir ce Dieu on
>> mêts ; il en mangea avec toute la Cour ;
& par cet énormefacrilège , il confomina
l'infortune de cette nation ignorante &
>> ſuperſtitieuſe » .
ود
ود
M. l'Abbé de Chavanette prétend que les
Pontifes Romains , en pouffant à toute outrance
les expéditions Sacrées , appelées les
Croisades , avoient porté le coup mortel à la
discipline ecclésiastique , & qu'ils avoient en
même- temps ébranlé tous les trônes , &
énervé toute la puiſſance monarchique , en
apprenant aux peuples qu'ils ne devoient
craindre que le Saint-Siege. " De cette fou-
>> gucuſe manie naquirent des abus & des
>> defordres fans nombre. Les Prélats qui
>> avoient été les conducteurs de ces dévots
>> armés , ne rapportèrent de leurs courſes,
» bénites qu'une fureur barbare de faire la
>> guerre ou à leurs égaux , ou même à leurs
>> ſupérieurs ».
Les Prêtres du ſecond ordre imitèrent
bientôt les Évêques ; destinés à nourrir leurs
ouailles du lait de la piété, ils ne leur enfeignèrent
plus qu'à verfer le fang humain . On
ſe faifoit la guerre ; on s'excommunioit réciproquement
: les Évêques diſtribuoient d
pleines mains les indulgences à ceux qu'ils envoyoient
à la boucherie. " Quelle plus grande
>> oppoſition aux préceptes & à la conduite
>>de notre divin Sauveur! »
L'Auteur obſerye qu'alors les Moines , &
fur-tout les Bernardins & les Norbertins , faiDE
FRANCE.
159
ſoient confifter la ſainteté de leur profeffion
à n'être bons à rien. Le ſang des peuples fervoit
à engraiffer ces pieux fainéans ; & de
leurs Couvens , où regnoit la molleffe , on
vit fortir tous les vices.
:
Il eſt vrai , continue M. de Chavanette ,
que pour les remplacer dans un miniſtère
que la licence avoit rendu vacant , lafingularité
mit au monde les Dominicains & les
Francifcains , deux ordres qui ne fervirent
qu'à étendre les maux. Loin d'enſeigner aux
peuples la morale & la vertu , " ils les endoctrinèrent
de puériles fadaiſes , de miz
racles extravagans , de viſions groffières ,
>> & ils rendirent la Religion méconnoiffable
» à force de la charger d'ornemens ſuper-
>> flus. Tout cela ſe faiſoit ſous prétexte de
ود
ود
ود ſeprêterunpeuàla groſſièreté des eſprits ,
> comme ſi la divine Religion de Jéſus
>>Chriſt pouvoit entrer en compoſition avec
>> des grimaces , & fe prêter aux caprices de
>> ces faméliques Docteurs ! » .
...Le nouvel Hiſtorien ne traite pas mieux
les Proteftans que les Catholiques . Il apof
trophe les nations réformées , leur demande
quel eſt leur berceau ? quelle fut leur mère ?
& répond pour eux : la réformefut leur mère
& leur berceau. " Est- ce donc réformer les
>>peuples fuivant le ſaint Évangile , que de
>> leur mettre, contre l'Évangile , le fer à la
>> main, pour répandre le ſang , pour réſiſter
>> aux puiſſances ordonnées de Dieu , pour
>> troubler la tranquillité des États : Aucun
160 MERCURE
>> raiſonnement n'eſt plus fimple,& il n'en
>> faut pas davantage pour renverfer de fond
>> en comble tout l'édifice de la réforme ».
Les Proteftans font encore trop aveuglés
pour ſentir aufli vivement que nous autres
le poids de ces raiſons. Mais, ſi par quelque
heureux hafard le Livre de M. l'Abbé de
Chavanette parvient à la poſtérité, il opérera
fans doute ſur les enfans, ce qu'on ne
doit guères attendre de leurs pères. Que la
prétendue réforméefetournedequelcôtéqu'elle .
voudra , continue l'Auteur , il n'en ſera pas
moins vrai que les Souverains du Nord n'adoptèrent
la réforme que parce qu'ils trouvoient
leur compte à un changement qui les
enrichiffoit & les rendoit plus abſolus
fur leur Clergé. Ce ne fut qu'une affaire de
politique, " qu'on mit à peine en délibéra-
>>- tion ; & les peuples eux-mêmes trouvant
>> plus de liberté dans une religion anarchi-
>> que que dans l'hiérarchique , ſe déclarè-
>> rentfans façon pour celle qui avoit plus
>> de conformité avec leur éducation civile
» & leur gouvernement national ».
Ceux qui penſent que la fimplicité du
ſtyle hiftorique ne doit pas exclure la nobleffe
, trouveront peut-être que l'Auteur
écrit un peu tropfansfaçon.
Quand Boffuet fe permet des négligences,
il a foin d'en dédommager ſon Lecteur par
des traits fublimes : M. de Chavanette a mat
heureuſement oublié d'imiter en ce point w
auffi beau modèle.
DE FRANCE. 161
7
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert qu'on a donné au Château des
Tuilleries, le jour de la Purification, a mérité
de nouveaux éloges au zèle de M. le Gros ,
qui en eft le Directeur.
Le premier morceau de la nouvelle ſymphonie
àgrand orchestre de M. Hayden , a
été fort applaudi; les deux derniers l'ont été
moins , parce qu'ils renferment des choſes
déjà connues.
M. Vounderlich a exécuté ſur la flûte un
concerto d'un caractère analogue à l'inftrument.
Quoique cet Artiſte ait montré plus
de vivacité que de chaleur , on ne doute pas
qu'il ne parvienne au rang des premiers virtuoſes
, lorſque fon jeu aura tout l'à-plomb
dont il eſt ſuſceptible.
Un concerto de cors-de- chaffe , exécuté
par MM . Palfa & Tierchmicdt a fait tout le
plaiſir qu'on peut attendre d'un inftrument
très-borné dans ſes modulations , & dont
pluſieurs intervalles font faux par effence .
Le concerto de violon que fit entendre
M. Chartrain , lui mérita des applaudiffemens
unanimes. Sans avoir ni la ſimplicité
monotone de l'ancien genre , ni les fougueux
écarts du nouveau , ce Compoſiteur
paroît s'être attaché à réunir les avantagesde
162 MERCURE
l'un&de l'autre; il a fait pourle violon ce que
M. Couperain fait pourl'orguedepuis 20 ans.
Ceux qui aiment le ſtyle d'Egliſe ont applaudi
avec justice au Motet de la compofition
de M. Candeille , que M. Moreau a
fortbien chanté.
: Un Oratorio tiré du Samſon de M. de
Voltaire , & mis en muſique par M. Cambini
, a aufli obtenu les fuffrages des Amateurs
du beau Ryle Italien. On voit que l'Aus
teur s'eſt nourri de la ſubſtance de Pergolèze
& des grands Maîtres de la même école , &
qu'il connoît la plupart des reſſources de,
l'Orchestre. On lui reprochera peut être de
vouloir quelquefois faire briller les inftru ,
mens au préjudice des voix.
Madame Todi a chanté deux grands airs,
Italiens, l'un de M. Piccini,l'autre du Signor
Gagliolmi.
Nous renouvelons avee plaifir l'hommage
que nous lui rendîmes à ſon debut; c'eſt la
plus accomplie des Cantatrices étrangères,
qu'on ait admirées dans cette capitale. Quiconque
afpire à la perfection de l'Art , ne
peut étudier un plus beau modèle.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a donne le premier de ce mois , la
première repréſentation des Muſes Rivales,
en un acte & en vers libres .
Cette petite Pièce eſt l'Apothéoſe Poéti-
)
DEFRANCE. 163
que de M. de Voltaire. Apollon attend ce
grand Homme au Parnaſſe pour le couronner.
Il a envoyé Mercure le chercher dans
les Champs Élifées. Chacune des Muſes voudroit
avoir l'honneur de le préſenter au Dieu
des Arts; mais trois fur-tout ſe diſputent
cette gloire , Calliope , Clio & Melpomène.
Cette concurrence amène naturellement l'é
loge des chef-d'oeuvres qu'a produits Voltaire
dans l'épopée , dans l'Hiſtoire & dans
la Tragédie. Melpomène l'emporte ſur ſes
rivales. Momus & les Grâces viennent pour
être de la fête. Mercure paroît , & rapporte
la réponſe qu'il a reçue de Voltaire. L'Auteur
de la Henriade a retrouvé ſon Héros
dans l'Eliſée.
Si j'ai trop peu vécu ſous lejeune Louis ,
Je demeure à jamais auprès de ſon modèle.
Voilà ce qu'il a répondu à Mercure. Apollon
couronne au moins ſa ſtatue , qui paroît
au fond du théâtre , & il la couvre de ſes
propres lauriers. Il ordonne aux Muſes &
aux Arts de porter leurs attributs ſur la baſe
qui ſoutient ſon buſte. Cette cérémonie
s'exécute au bruit des fanfares,&le triomphe
eſt terminé par la marche de tous les Comédiens
, caractériſés par différens coſtumes.
CettePièce a été accueillie avec une extrême
faveur , d'autant plus que l'Auteur étant inconnu
, nulle prévention particulière n'a pu
troubler le plaiſir que l'on ſentoit à voir rendre
à un grand Homme cet hommage , quelque
(
164 MERCURE
imparfait qu'il fut, ſurle théâtre qui a été tant
de fois celui de ſes triomphes. L'Auteur, qui
dans la crainte que l'on ne troublât cette efpècede
fête conſacrée au génie, avoit cru devoir
cacher un nomtrop enbutte àlaméchan
ceté, ne s'eſt déclaré qu'après la troiſième re
ſentation,&lorſqu'ilacrul'ouvrage fuffifamment
affure de la protection publique. Il n'a
pas cru alors devoir s'obſtiner à démentir
les voeux des honnêtes gens qui auroient été
fâchés de s'être mépris. Il a été très -flatté
que leur ame eut deviné la fienne. Il fent
trop d'ailleurs combien il eſt refté au-deffous
d'un tel ſujet; mais il s'eft felicité que
le Public lui ait attribué , plus qu'à tout au
tre, la volonté de le remplir.
Ce petit ouvrage , dont l'objet & l'intention
ont fait le merite & le ſuccès, a été d'ailleurs
exécuté avec un ſoin qui fait honneur au
zèle des Comédiens pour la mémoire deVoltaire.
Les rôles ont été très-bien remplis: celui
d'Érato , par Mlle Sainval cadette, & enfuite
par Mlle Contat; celui d'Uranie , par Mlle
Luzy ; de Calliope , par Mde Preville ; de
Clio , par Mde Suin ; de Thalie , par Mde
Bellecour ; d'Euphrofine , par Mlle Doligni ;
de Momus, par M. Préville ; de Mercure ,
par M. Monvel ; d'Apollon , par M. Molé.
Les Muses Rivales ont été précédées de
Tancrède. Ce rôle étoit joué par un Acteur
nouveau , qui paroît mériter des encoura
gemens. Il a été applaudi dans pluſieurs morceaux
qu'on a trouvés bien ſentis. Il a de la
DE FRANCE. 165
figure & de la voix , & l'étude & l'expérience
lui apprendront ſans doute à tirer
parti de ſes moyens naturels.
Madame Veſtris , dans Aménaïde , a produit
le plus grand effet. On ne peut ni recevoir
des applaudiſſemens plus vifs & plus
flatteurs , ni les mériter mieux. Elle repréſentoit
Melpomène dans les Muſes Rivales ;
& la manière dont elle a joué dans la Tragédie
, a prouvé que ce rôle lui appartenoit.
( Cet Article est de M. de la Harpe. )
VARIÉTÉS.
LETTRE d'un Citoyen de Dijon à l'Auteur
du Mercure.
Dijon , ce 29 Janvier 1779 .
MONSIEUR,
UnHiſtorien fidèle , qui entreprend d'écrire les
Annales de ſon ſiècle , mérite les éloges de ſes Contemporains
, & la reconnoiffance de la poſtérité ;
mais celui qui abuſe de ſa qualité de Journaliſte ,
pour raſſembler des imputations atroces contre des
perſonnes irréprochables , pour attaquer , par des
menſonges audacieux , les Miniſtres , le Conſeil ,
les Tribunaux & tous les Corps qui entrent dans la
conſtitution de l'Etat , eſt un impoſteur. Si la crainte
qu'on n'ajoute pas une foi entière à ſon expoſé , le
porte à l'étayer par des actes fictifs , il eſt un fauffaire;
il doit être dénoncé comme tel à tout l'univers ,
&dévoué au mépris le plus général.
166 MERCURE
Tel eſt , Monfieur , le jugement que vous allez
porter fur M. Linguet , d'après l'hiſtoire prétendue
de l'Abbé Desbroſſes , inférée dans fon Journal qu'il
intitule : Annales politiques , civiles & littéraires ,
du XVIIIe fiècle , Nº. XXX.
Je n'entreprends , ni de le ſuivre dans tous fes
écarts , ni de pénétrer dans le ſecret de la procédure
criminelle inſtruite contre l'Abbé BrigaudDefbroffes
, Prieur de Perrecy , accuſé de crime depoifon,
& condamné , par Arrêt du 7 Août 1764 , pour
les charges réſultantes des procédures, aux galèresperpétuelles
, préalablement marquédes trois lettres GAL.
Je me bornerai à détruire , par la notoriété publique,
quelques affertions dont la fauſſeté reconnue&
atteſtée parle témoignage de tous mes Concitoyens ,
vous mettra , ainſi que vos Lecteurs , à portée d'apprécier
le Journaliſte & ſes Annales.
1º. Selon lui , le Prieuré de Perrecy produiſoit
annuellement à l'Abbé Brigaud un revenu de 30 à
40000 liv. Il eſt néanmoins conſtant qu'il nerendoit
que 18000 liv. Je ne relève cet expofé , en lui-même
très- indifférent , que parce qu'il a fervi à préparer
l'aſſertion fuivante , confignée à lapage 326. «Qua-
>», rante Paroiffes relevoient du Prieuré de Perrecy ;
>> ayant eu à ſe plaindre du Parlement de Dijon , il
>> avoit obtenu l'évocation au Grand-Conſeil de
toutes les affaires de ſes Vaſſaux ; le Parlement
>> avoit été bleſſfé de cette atteinte portée à ſa Juri-
>> diction »,
Malgréle tonimpoſant de l'Ecrivain , il eſt cependant
vrai , Monfieur , qu'on ne connoît ici aucune
terre qui ſoit dans la mouvance du Prieuré de Perrecy;
a plus forte raiſon ne citera-t-on pas quarante
Paroiffes qui en relèvent. Mais ce que vous pouvez
tenir pour certain , eſt qu'il n'y a jamais eu aucune
évocation au Grand-Conſeil relative aux affaires de
l'Abbé Brigaud , contre aucun de ſes Vaſſaux. Il n'y
DE FRANCE. 167
:
:
"a donc eu aucune atteinte portée à la Juridiction du
Parlement par le fait de l'Abbé Desbroffes ; conféquemment
cette Cour n'a pu en être bleſſée : d'où il
fuit que la première propoſition ſur laquelle M. Linguet
a établi ſon ſyſtême , eſt une fauſleté notoire .
Voici unnouvel effort de ſon imagination.
Il dit , pag. 331 , que le Parlement de Dijon , par
fon Arrêt de 1764 , a condamné l'Abbé Brigaud à
être marqué , & aux galères , en quoi il fait à cette
Cour deux reproches ; l'un , d'avoir par animoſité
contre ce coupable, cumulé deux condamnations indépendantes
l'une de l'autre; le ſecond, de ce que la marque
GAL. a été appliquée dans l'intérieurde la prifon.
Par cette erreur volontaire , dans laquelle M. Linguet
n'a pu tomber par ignorance , ſon but a été
d'en impofer à ceux de ſes Lecteurs qui ne font pas
inſtruits des Loix pénales *.
L'Arrêt qui a condamné l'Abbé Brigaud aux galères
perpétuelles , porte , conformément aux Ordonnances
, qu'il fera marqué des trois lettres GAL. Cette
marque eſt inſéparablement attachée à la condamnation
aux galères ,&s'imprime dans l'intérieur de la
* Dans cet Article , &dans ceux de la même eſpèce ,
on pourroit relever un grand nombre d'autres bévues
qui ſuppoſent la plus groffière ignorance des principes du
droit & des formes judiciaires; mais il faudroit des volumes
auſſi nombreux que les Annales Civiles , pour dé ,
maſquer un hypocrite inconféquent & forcené , qui ne
pouvant ſe faire un nom par l'emploi raifonnable de ſes
talens ,veut aller à la gloire comme Eroſtrate & Mevius ;
&s'eftime affez peu lui-même pour célébrer aujourd'hui
-lesperſonnages qu'il dénigroit la veille. Au reſte, quels que
foient ſes efforts , il ne parviendra jamais à ſéduire que
cette claſſe d'hommes nés pour être les inftrumens de
l'erreur ou les jonets du ſophifme.
168 MERCURE
e
priſon ſur tous les condamnés , environ quinze jours
avant le départ de la chaîne. Mais fi M. Linguet eût
voulu n'écrire que conformément à la vérité, il auroit
été réduit au filence , & fon hiſtoire de l'Abbé
Desbroffes n'eût jamais vu la lumière .
CC
Quant au Courier dont il parle à la page 332 , dépêchéddeeDijon
avec ordre de veilleràla décifion
>> du Conſeil , & fi elle étoit favorable au priſonnier ,
>> de prendre l'avance ſur celui qui en apporteroit la
.>> nouvelle ». Cette fable eſt encore plus ridicule
que les précédentes. Le ſurſis au départ de l'Abbé
Brigaud n'a pas été accordé par un Arrêt du Conſeil ,
mais par une ſimple lettre du Chancelier de France
au Procureur Général , ſelon l'uſage qui ſe pratique
en cas ſemblable ; & le Parlement n'eſt jamais informé
des tentatives du condamné ; auſſi eſt-il de toute
faufſſeté que le Parlement de Dijon aitjamais envoyé
aucun Courier chargé d'un ordre auſſi déplacé. Le
témoignage impartial de toute la Ville de Dijon , que
j'atteſte , prévaudra ſans doute ſur ledire d'un homme
qui , tourmenté par la manie d'écrire , avant même
d'avoir pu lire , a contracté la dangereuſe habitude
de mettre ſes idées à la place de la vérité. Il eſt donc
forcé de céder encore fur cette phraſe pittoreſque :
CC
ככ
tout s'arrangea comme on l'avoit prévu ; le furfis
fut accordé; le Courier dépêché par l'amitié , fut
>>> devancé par celui qu'aiguillonnoit la vengeance ;
- >> on s'aſſemble .... "
Un ſurſis fut accordé , il est vrai ; le Courier
ordinaire de Paris à Lyon , qui paſſe à Dijon trois
fois par ſemaine , apporta la lettre du Chancelier au
Procureur-Général , pluſieurs jours après que l'Abbé
Brigaud-Desbroſſes avoit été marqué des trois lettres
GAL. , comme vous le verrez , Monfieur , par la réponſe
de ce Magiftrat , dont je joins ici une copie.
Le Parlement de Dijon ne prit aucune part à l'exécution
de ſon Arrêt : il eſt faux qu'il ſe ſoitjamais
aſſemblé
1
DE FRANCE. 169
affemblé pour enjoindre au Procureur-Général de
faire marquer l'Abbé Desbroſſes : celui-ci avoit été
jugé le 7 Août ; le Parlement leva ſes Séances le 14
du même mois , pour ne les reprendre que le 12
Novembre ſuivant. Ainſi , toute cette tirade , on s'afſemble
..... des Magistrats en robe demandent le
Procureur- Général .. celui-ci cède en pleurant ,
&c. n'est qu'une tournure romaneſque adoptée par
l'Auteur , pour répandre de l'intérêt ſur le héros qui
fert de prétexte à la diatribe .
.....
Les faits qui y ſont hafardés , avoient beſoin d'un
garant qui pût tout à la fois ſéduire les perſonnes
crédules , & réveiller les ennemis des Magiſtrats.
C'eſt pour remplir cette double tâche , qu'on a fabriqué
, ſous le nom de M. Quarré de Quintin ,
un prétendu certificat , qu'il ſeroit auſſi humiliant
pour lui d'avoir délivré , que honteux pour le Par-.
lement d'y avoir donné lieu. M. Linguet ajoute avec
intrépidité , que ce certificat exiſte en minute dans.
les regiſtres du Parquet ; & des gens avides de choſes
fingulières pourroient n'être pas arrêtés par l'invraiſemblance
qui accompagne cette pièce , auſſi informe
que ridicule.
Je n'y oppoſerai , Monfieur , que le certificat qui
m'a été accordé par M. le Procureur-Général , & que
je vous envoie en original. Le Lecteur éclairé &
impartial ſe déterminera , à la vue de cet acte , fur
le degré de confiance qu'il doit accorder à M. Linguet
, quand il s'efforce de traveſtir en trois troupes.
d'aſſaſſins en robe le Parlement de Dijon , qui a
rendu l'Arrêt de 1764 , le Conſeil qui a déclaré devoir
n'en pas prononcer la caſſation ,& le Parlement
de Douay , qui a jugé qu'il n'y avoit erreur.
Lorſque l'Arrêt de 1764 , & ceux qui avoient été
rendus pour l'inſtruction de la procédure , eurent été
examinés au Conſeil avec les motifs qui les avoient.
dictés ; lorſque l'Abbé Brigaud eut été débouré de fa
15 Février 1779 .
H
170 MERCURE
1
1
۱۳
demande en caſſation , ſes protecteurs ſe réunirent
pour follicitet la réviſion de ſon procès , & ils l'obtinrent
en effet. C'eſt à cette occaſion que le même
eſprit créateur qui avoit déjà donné l'existence au
Courier dépêché par l'amitié en 1764 , a établi un
Député du Parlement de Dijon à Douay , pendant la
réviſion ; & rien ne paroît plus naturel , dit M. Linguet,
« pour qui connoît les Compagnies ». Il eſt
cependant faux qu'aucun Officier du Parlement de
Dijon foit allé à Douay à cette époque ; il n'y a aucune
relation d'une de ces deux Villes à l'autre , &
on a ſeulement appris par des Militaires qui avoient
réſidé à Douay , que ſi le Parlementde Flandre n'avoit
pas confidéré la réviſion du procès comme introduite
en faveur de l'accuſé , & qu'il eût cru avoir toute liberté
d'opinions , l'Abbé Desbroſſes eût été condamné
au dernier ſupplice.
Enfin, Monfieur , c'eſt encore par ſuppoſition que
M. Linguet a avancé , « qu'à l'époque de la révolution
>> de 1771 , un des Préſidens du Parlement , qui avoit
>>>leplus contribué à l'Arrêt , devenuConſeillerd'Etat,
avoitpris le parti de ſes anciens Collegues » .Comme
aucun des Conſeillers d'Etat en 1771 n'avoit éré Pré
fident au Parlement , c'eſt ſans doute de M. de Clugny
que l'Ecrivain a voulu parler ; mais M. de Clugny ,
qui n'ajamais rempli à Dijon d'Office de Préſident ,
étoit àSaint-Domingue en qualité d'Intendant, lorfque
le procès de l'Abbé Brigaud a été jugé ; & le
Journaliſte , toujours en oppofition avec la vérité ,
n'a pas obfervé que M. de Clugny , qui n'avoit eu
aucune part à l'Arrêt de 1764 , y en auroit pris d'autantmoins
en 1771 , quefes anciens Collegues étoient ,
pour le plusgrand nombre , exilés &diſperſés.
Je crois , Monfieur , en avoir dit affez pour vous
mettre, ainſi que vos Lecteurs, en état de connoître
lajuſte valeur des Annales du XVIII ſiècle. Je vous
prie,Monfieur , enfaveurde la vérité laplusimparDEFRANCE.
171
tiale qui a préſidé à la rédaction de ma lettre , de
Tinférer dans votre prochain Mercure.
Je ſuis très-parfaitement , &c.
Copie de la lettre de M. Quarré de Quintin ,
Procureur - Général à Monseigneur le
Vice-Chancelier.
Le 18 Septembre 1764.
MONSEIGNEUR ,
En conféquence de vos Ordres , j'ai fait excepter
de la chaîne partie cejourd'hui , le ſieur Brigaud-
Desbroffes , & le ***** ; imais le ſurſis du premier
eſt arrivé un peu tard pour lui , ayant été flétri des
le 7 de ce mois : s'étant pourvu en caſſation d'Arrêt
fubfidiairement en réviſion de ſon procès , j'ai pensé
qu'il étoit auffi indiſpenſable d'excepter de la chaîne
les nommés **** , témoins dans la même affaire ,
condamnés à trois ans de galères. Je vais faire travailler
àl'extraitde la procédure du *** , qui , détenu
depuis deux ans dans les prifons , eft continuellement
malade ; & fitôt que cet extrait ſera en état , j'aurai
l'honneur de vous le faire parvenir. J'ai celui de vous
envoyer l'extrait de l'enregiſtrementdes Lettres accordées
par Sa Majeſté, pour la Chambre des Vacations
de ce Parlement.
Je fuis , &c.
Je certifie la préfente conforme à l'original qui fe
trouve fur les registres de M. Quarré de Quintin
Procureur-Général. Certifie de plus qu'ilnese trouve
rien de plusfur les registres , & qu'il n'y a rien fur
ceux du parquet relatif à cette affaire. A Dijon , ce 17
Janvier 1779. Signé PÉRARD , Procureur-Général
au Parlement de Bourgogne..
Hij
172 MERCURE
+
LETTRE aux Auteurs du Journal de Paris ,
fur la Notice qu'ils ont donnée de la Vie de
Sénèque.
1
JE CRAINS , Meſſieurs ,, en commençant cette Lettre
, que vous n'imaginiez d'abord qu'elle eſt de
quelque ami du Philofophe que vous avez fi rudement
traité. Ses amis font , fans doute , auſſi tranquilles
que lui-même , & ils pourroient même qui
manquer en le défendant. Ce feroit au moins ſuppor
fer qu'il peut avoir beſoin d'être défendu. Pour moi,
Meſſieurs , je n'ai vu qu'une ſeule fois dans ma vie
l'Auteur de la vie de Sénèque , & il me prend fantaifie
de vous raconter comment je l'ai vu. Je n'imaginerai
rien dans ce récit , & je crois pourtant qu'il
fera affez fingulier, quoique de la vérité la plus exacte.
Vous pourrez dire que je commence par une digreffhon,
& que j'imite dans ſes écarts l'Hiftorien que je
veux juſtifier. Soit : ſi je l'imitois bien , en effet ,
j'aimerois autant mes écarts que certaine exactitude
que je connois,
وا
Il y a quelque tems qu'il m'a pris , comme à tant
d'autres , le beſoin de mettre du noir fur du blanc ,
ce qu'on appelle faire un livre. Je cherchai la folitude
pour mieux recueillir & méditer toutes mes rêveries.
Un ami me prêta un appartement dans une
maiſon charmante , & dans une campagne qui pouvoit
rendre Poëte ou Philofophe celui qui étoit fait
pour en fentir les beautés. A peine j'y ſuis que j'apprends
que M. D. couche à côté de moi dans un appartementde
la même maiſon. Je n'exagère rien ; lع
coeur me battit avec violence , & j'oubliai tous mes
projets de proſe & de vers pour ne fonger plus qu'à
DE FRANCE.
173
Voir le grandhomme dont j'avois tant de fois admiré
le génie. J'entre avec le jour dans ſon appartement ,
&il ne paroît pas plus ſurpris de me voir que de revoir
le jour. Il m'épargne la peine de lui balbutier
gauchement le motif de ma viſite . Il le devine apparemment
à un grand air d'admiration dont je devois
être tout ſaiſi . Il m'épargne également les longs détours
d'une converſation qu'il falloit abſolument
amener aux vers & à la profe. A peine il en est queſ
tion , il ſe lève : ſes yeeuuxx ſe fixent ſur moi , & il est
très- clair qu'il ne me voit plus du tout. Il commence
àparler , mais d'abord fi bas & fi vîte , que , quoique
je fois auprès de lui , quoique je le touche, j'ai peine
àl'entendre & à le ſuivre. Je vois dans l'inſtant que
tout mon rôle dans cette ſcène , doit ſe borner à l'admirer
en filence; & ce parti ne me coûte pas à prendre.
Peu-à-peu ſa voix s'élève & devient diftincte &
fonore. Il étoit d'abord preſque immobile , fes geftes
deviennent fréquens & animés. Il ne m'a jamais vu
que dans ce moment ; & lorſque nous ſommes debout,
il m'environne de ſes bras ; lorſque nous
ſommes affis , il frappe fur ma cuiſſe comme fi cllet
étoit à lui . Si les liaiſons rapides & légères de for
difcours , amènent le mot de Loix , il me fait uir
plan de Légiflation : fi elles amènent le mot
de Théâtre , il me donne à choifir entre cinq ou fix
plans de Drames & de Tragédies. A propos des tableaux
qu'il est néceſſaire de mettre ſur le Théâtre +
où l'on doit voir des ſcènes & non pas entendre des
Dialogues , il ſe rappelle que Tacite eſt le plus grand
Peintre de l'antiquité ; & il me récite ou me traduit
les Annales & les Hiſtoires. Mais combien il eft
affreux que les Barbares aient enſeveli ſous les ruines
des chef-d'oeuvres de l'Architecture , un ſi grand
nombre de chef- d'oeuvres de Tacite ! Là- deſſus il
s'attendrit ſur la perte de tant de beautés qu'il regrette
& qu'il pleure comme s'il les avoit connues.
Hiij
174
MERCURE
Du moins encore fi les manuscrits qu'on a déterrés
dans les fouilles d'Herculanum pouvoient dérouler
quelques livres des Hiftoires ou des Annales ! Et
cette eſpérance le tranſporte dejoie. Mais combien
de fois des mains ignorantes ont détruit , en les rendant
au jour , des chef-d'oeuvres qui fe confervoient
dans les tombeaux ! Et là-deffus il differte comme
un Ingénieur Italien, fur les moyens de faire des
fouilles d'une manière prudente &heureuſe. Promemant
alors fon imagination fur les ruines de l'antique
Italie, il ſe rappelle comment les Arts , le goût & la
politeffe d'Athènes avoient adouci les vertus terribles
des Conquérans du monde. Il ſe tranſporte auxjours
heureux des Lelius & des Scipion , ou même les Nasions
vaincues aſſiſtoient avec plaifir aux triomphes
des victoires qu'on avoit remportées ſur elles. Il me
joueune ſcène entière de Térence ; il chante preſque
pluſieurs chanſons d'Horace. Il finit enfin par me
chanter réellement une chanſon pleine de grâce &
d'eſprit qu'il a faite lui-même en impromptu dansun
foupé , & par me réciter une Comédie très-agréable
, dont il a fait imprimer un feul exemplaire
pour s'épargner la peine de la copier. Beaucoup de
monde entre alors dans ſon appartement. Le bruit
des chaiſes qu'on avance & qu'on recule , le fait forirde
ſon enthouſiaſme &de fon monologue. Il me
diftingue au milieu de la compagnie , & il vient à
moi comme à quelqu'un que l'on retrouve après
l'avoir vu autrefois avec plaiſir. Il ſe ſouvient encore
que nous avons dit enſemble des choſes très-intéreffantes
fur les Lois , fur les Drames & fur l'Hiftoire.
Il a connu qu'il y avoit beaucoup à gagner dans ma
converfation. Il m'engage à cultiver une liaiſon dont
il a fenti tout le prix. En nous ſéparant, il me donne
deux baifers ſur le front , & arrache ſa main de la
mienne avec une douleur véritable.
Vous ne vous attendiez pas àcette hiftoire ,Mef.
DE FRANCE.
175
fieurs ; & vous me demanderez à quoi elle peut être
bonne. Peut - être pourra- t- elle me fervir de quelque
choſe dans ce que j'ai à vous dire de la vie de
Sénèque.
Je commence par déclarer que je ne ſuis pas de
l'avis de l'Hiſtorien ſur ſon Héros , ſon Philoſophe
ou ſon Saint. Je ne crois pas aux calomnies de Dion ;
mais je ne crois pas davantage à l'Apologie du nouvel
Hiſtorien. Un ſage inftituteur peut fermer les
yeux ſur les déſordres d'un élève qui ſeroit conduit
aux crimes par les fureurs d'une paſſion qu'on éteint
quelquefois dans les foibleſſes. Mais y prêter les
mains lui-même , & devenir l'agent d'une intrigue
amoureuſe ! Cela n'eſt peut- être pas rare dans ces Miniſtres
qui le ſont plus encore des paſſions que des
états deleurs Souverains : mais cela est trop fort pour
un Philoſophe; fur-toutje ne vois pas-là de ſtoïcifine.
Si l'Apotheoſe de Claude étoit de lui , ce ſeroit une
infamie. Plaiſanter ſur la poudre de champignon qui
a donné l'immortalité à un Empereur empoiſonné
par ſon épouſe , eſt la plaiſanterie d'un ſcélérat bien
digne en effet d'être le Précepteur de Néron. Mais il
m'eſt impoffible de croire que l'Apolokintoſe ſoit de
la même main qui a tracé le portrait du ſage avec des
traits ſi ſublimes. Il n'eſt pas poſſible de douter de
même que l'apologie du meurtre d'Agrippine, ne ſoit
de lui. S'il l'a écrite le poignard ſur la gorge , ou lo
poiſon ſur les lèvres , on peut , non pas l'excufer ,
mais lui pardonner : car la vertu qui brave la mort
n'eſt peut - être pas un devoir de l'homme. Mais
d'ailleurs qu'on ne diſe point que cette Apologie fut
néceſſaire , qu'elle évitoit de plus grands maux , que
c'étoit en cemoment l'unique parti à prendre. Pourquoi
étoit-elle néceſſaire ? pour empêcher que le Peuple
Romain ne ſe ſoulevât & ne renversât du Trône
l'aſſaffin d'Agrippine? Ce malheur étoit- il donc fi fort
à craindre pour qu'on cherchât à le prévenir par l'A
Hiv
176 MERCURE
pologie d'un parricide ? Et à qui importoit-il que les
jours & le pouvoir de Néron fuffent confervés ? A
Néron lui-même ? Les mains reintes du ſang de ſa
mère , quel bonheur avoit-il à eſpérer dans la vie &
fur le Trône ? A l'Empire ? Quel bien l'Empire pouvoit-
il attendre du règne d'un parricide ? On craignoit
qu'une révolution qui vengeroit le crime, ne renversat
P'Empire. Mais n'étoit-il pas bien plus sûr encore que
Néron le renverſeroit ?Hélas ! quel avantage Sénèque
tira- t-il pour lui- même , de cette lâcheté qui charge
ſa mémoire d'une accuſation fi grave ? Il fut plus
long-tems le témoin des fureurs du règne de fon
Élève , & il deſcenditdans le tombeau avec un poids
plus peſant de douleurs. Il ne fit qu'aſſurer à cemonftre
le tems de l'aſſaffiner lui-même , ſans éviter un
foulèvement & une vengeance que de tels forfaits
devoient rendre inévitables. Comparons Sénèque à
Papinien pour apprendre à le bien juger. Papinien
avoit été chargé par l'Empereur Sévère , de l'éducation
de ſes deux fils. Le poſte & les devoirs de Papinien
étoient exactement les mêmes que ceux de
Sénèque. L'un de ſes Élèves , Caracalla , a poignardé
fon frère dans le ſein même de leur mère Julie . Ce
monſtre déjà revêtu de tout le pouvoir d'un Empereur
, preffe Papinien de perfuader au Peuple que
Géta, ſon frère, étoit coupable , & a mérité la mort.
Accufer une victime innocente , répond Papinien , eft
un fecond parricide. Indigné de cette réſiſtance ,
l'Empereur le fait environner de ſes Soldats , qui
tiennent les haches levées. Si tu ne veux accufer
mon frère , lui dit-il , en lui préſentant la mort ,
justifie-moi du moins. Trouve des excuses à ce que
j'aifait.-Iln'est pas auſſi facile d'excufer un parricide
que de le commettre , répond Papinien ; & il
tombe ſous les haches ſuſpendues ſur la tête. Voilà
le courage de la vertu ! Sénèque n'en a eu que
l'amour. Par fon âme & par ſon caractère , il a
DE FRANCE
177
reſſemblé au commun des hommes ; & toute la
grâce qu'on peut je crois lui faire , c'eſt de lui appliquer
ce vers de Deſpréaux :
Ami de la vertu plutôt que vertueux,
Venons , Mefſieurs , à l'hiſtoire de Sénèque , &
aux critiques que vous en avez faires. Vous reprochez
à cet Ouvrage de l'extafe , de l'obscurité ,
de grands mouvemens , une marche heurtée , des
apostrophes , &c. &c. &c. &c. &c. Pour l'obſcu
rité , il vous ſeroit difficile , je crois , de tirer de
tout l'Ouvrage une ſcule phrafe dont l'intelligence
ne ſoit très facile ; mais vous vous êtes ſouvenus ,
apparemment que l'interprétation de la nature
n'étoit pas très- claire , & par une manière de juger ,
qui n'eſt que trop commune , vous avez pris votre
parti de trouver le même défaut dans tous les Ouvrages
du même Auteur. On a ſouvent reproché
à M. de Voltaire d'avoir mis de l'eſprit dans ſes
Tragédies les plus ſublimes & les plus pathétiques
, uniquement parce qu'il en avoit beaucoup
mis dans Zadig & dans Candide. Vous avez été
furpris , je le vois , Meſſieurs , de voir les grands
mouvemens de l'éloquence dans un Ouvrage où
vous ne vous attendiez à trouver que les récits tranquilles
de l'Histoire ; mais pourquoi croiriez - vous
qu'il y ait des mouvemens trop vifs & trop variés
pour un Hiſtorien ? Si la ſenſibilité qu'il a reçue
de la nature le rend acteur dans toutes les ſcènes
qu'il décrit ; pourquoi ne voulez-vous pas qu'il mette
dans ſon ſtyle les impreffions & les mouvemens
qu'il reçoit auſſi des choſes & des hommes dont
il parle? Vous m'oppoſerez les règles reçues ;
je vous oppoſe celles qui naiſſent de la nature
des chofes , & qu'il faudroit auſſi recevoir. Défendrez
vous à un Hiftorien de frémir à l'afpect
d'un Tyran , de s'élancer , pour ainſi dire ,
Hv
178 MERCURE
afin de lui arracher les poignards dont il le voit
armé , ou pour parer les coups qu'il lui voit porter
fur l'innocence ? Si la préſence d'un Prince
vertacux , ou d'un bon Citoyen , ou d'un grand
Homme , fait naître dans ſon ame ce ſentiment
vifde reconnoiſſance qui mène à l'attendriſſement,
lui défendrez-vous de s'attendrir ? Pourquoi ne lui
feroit-il pas permis de tomber aux pieds des bienfaiteurs
du genre humain ? Tacite & Tite-Live
n'ont point fait cela; il est vrai. Ils n'ont point
mis ces mouvemens , ces tranſports de haine ou
d'amour dans leurs récits ; ils avoient dans leurs
hiſtoires des perſonnages auxquels , fans choquer
la vraiſemblance , ils peuvoient prêter leurs fentimens
& leurs penſées. Tacite n'a pas beſoin de
s'indigner lui-même contre cette tyrannie profonde
qui puniſſoit les panégyriſtes des verrus antiques;
il mettra fon indignation dans la bouche de
Cremutius Cordus , accuſé d'avoir bien écrit des
vengeurs de la liberté Romaine. Il n'a pas beſoin
d'exprimer lui-même les ſentimens qui doivent
diriger un grand Empereur dans le choix de
celui qui doit le remplacer ſur le trône de l'Empire.
Galba choiſit Piſon pour fon fucceffeur , &
Tacite mettra tous ſes ſentimens dans la bouche
du vertueux Galba. Ces diſcours , que les eſprits
froids ont tant reprochés aux Hiſtoriens de l'antiquité,
font la plus grande beauté & le plus grand
intérêt de leurs ouvrages. Nos Daniel & nos Velli
n'ont rien de ſemblable ; mais qui peut lire nos
Velli & nos Daniel ? Si on faisoit parler nos héros
modernes avec tant de fageſſle & d'éloquence , on
choqueroit trop ce que l'hiſtoire nous apprend de leur
ignorance , & de la barbarie de leurs eſprits. Nous
'n'avons point eu de ces hommes qui ontété à la fois
les ſeconds des Orateurs& les premiers des Géné
DE FRANCE. 17
raux , dans des pays où la double ambition de
la gloire des armes & de l'éloquence , faiſoit naître
tant de Généraux & d'Orateurs. Il faut donc que
nos Hiſtoriens aient de l'éloquence eux - mêmes
puiſqu'ils ne peuvent en prêter à leurs perſonnages ;
il faut qu'à force d'art & de talent , ils trouvent
le moyen de fondre naturellement dans le
cours de leurs récits , ces mouvemens , ces tableaux
de l'éloquence , qui , ſeuls , peuvent tenir l'âme &
l'imagination attachées aux longues Hiſtoires des
hommes & des peuples qui ne ſont plus. Il ſera
toujours impoſſible de lire un volume de Gazettes .
Nos Hiſtoriens feront donc toujours ſans lecteurs,
jamais ils ne nous feront apprendre la vie même
de nos pères , que lorſqu'ils mêleront dans leurs
récits une partie au moins de ces ſcènes dramatiques
que les anciens Hiſtoriens ont faitjouer
à leurs perſonnages. On dira qu'il eſt difficile de
réunir la fimplicité de la narration , avec les grandes
beautés de l'éloquence ; mais il étoit difficile
auſſi de réunir la préciſion des récits d'une apologue
avec tout le charme ou toute la magnificence de
la plus haute poëfie ; & cela n'a point été impoffible
à La Fontaine. C'eſt ce qu'a fait l'Auteur
de la vie de Sénèque , quoiqu'il pût ſe borner à
la méthode des Anciens, parce que ſon ſujer le
tranſportoit dans les moeurs antiques , & parmi des
hommes qui parloient comme il écrit.
Vous trouvez les mouvemens de ſon éloquence
heurtés. Ceci est autre choſe; mais ce reproche me
femble bien vague & bien difficile à vérifier. Je
vous épargnerai les embarras & les obſcurités d'une
définition:je ne vous demanderez point ce que vous
appelez des mouvemens heurtés. Je conçois , par
exemple , qu'on peut metre deux mouvemens, dont
l'expreffion est brufque & ſe choque , dans le mê
Hvj
180 MERCURE
me eſpace qui étoit néceffaire pour bien déployer
l'un de ces mouvemens. Alors vous les appellerez,
puiſque vous le voulez , des mouvemens heurtés ;
mais vous me permettrez de vous obſerver , Meffieurs
, que ce défaut eſt toujours relatif au degré
de ſenſibilité qu'un ouvrage trouve dans l'âme de
ſes Lecteurs. Mettez deux hommes devant le même
tableau de la nature , des arts ou de la ſociété.
Dans un inſtant déterminé , l'un de ces deux hommes
peut recevoir cinq ou fix impreſſions très- vives
& très- différentes , tandis que l'autre n'éprouvera
qu'une ſeule impreffion , & une impreſſion froide
&lente. Faites rendre compte à ces deux hommes
de leurs ſenſations. Le premier qui mettra
dans les mouvemens de ſes geſtes & de ſa parole
, la rapidité , la multitude de ſes imprefſions
, paroîtra néceſſairement , au ſecond , une
eſpèce de fou qui exagère ce qu'il a fenti , ou
qui a eu des ſenſations convulfives. Le ſecond mettra
dans ſon ſtyle le repos de fon âme , & pourra
paroître au premier une eſpèce d'automate fans
mouvement & fans vie. Chacun de ces deux hommes
paroîtra naturel & de bon goût aux hommes
qui leur reffemblent , & leurs ouvrages , s'ils en
ont fait , partageront les Lecteurs & les Au--
teurs, en deux claffes , dont chacune aura fa poëtique
, ſon bon goût & ſes modèles. Cette obſer--
vation n'eſt peut- être pas très-neuve; mais je ne
fais pourquoi on a toujours beſoin de l'oppoſer
apreſque toutes les Critiques. L'eſſentiel eſt d'avoir
des mouvemens vrais qu'ils paroiſſent trop vifs
&en trop grand nombre à une certaine claſſe de
Lecteurs , cela importe peu fans doute ; ils trouveront
toujours des âmes prêtes à les recevoir avec
plaifir, & à les ſuivre toujours par leurs propres
mouvemens. Ils vous eat fatigué. Je les ai trouvés;
1
DE FRANCE. 181
1.
un peu trop vifs auſſi, peut-être,mais ils m'ont agréablement
agité , & ils m'ont porté plus rapidement
d'un bout à l'autre de l'ouvrage.
J'aurois trouvé les mouvemens du ſiyle de la
vie de Sénèque vrais & naturels , je les aurois fuivis
tous avec confiance , quand même je n'aurois
jamais vu l'Auteur de cet Ouvrage ; mais en le
liſant , je me rappelois toujours cette converſation
dans laquelle nous avions tant parlé l'un & l'autre,
& je le ſuivois avec bien moins d'inquiétude encore
, je me livrois à lui avec bien plus d'abandon.
Vous avez voulu paroître , il est vrai , rendre
quelque juſtice à cet Ouvrage ; mais que cette juftice
eſt froide & bornée , auprès de vos critiques ,
qui ſont ſi vives & fi étendues ! Où avez-vous vu
des tableaux hiſtoriques plus beaux que le tableau
du règne de Claude ? Ce Prince montre d'abord
toutes les vertus& tous les talens. On n'entend qu'une
voix de bénédiction dans tout l'Empire. Au milieu
de cette félicité générale , l'Auteur vous fait
découvrir dans le Prince qui la produit , un ſeul défaut
de caractère né d'une éducation négligée. Ce
défaut ne paroît rien au premier coup-d'oeil ; lorfque
Claude eft monté ſur le trône , il s'étend ,
s'accroît , couvre bientôt toutes ſes vertus , les
étouffe toutes ; & Claude finit par laiffer commettre
à ſes Miniſtres tous les crimes qu'il n'a pas
la force de commettre lui -même. Quel tableau !
Il eſt digne de Tacite. N'avez-vous pas été touchés
,dans tout le cours de l'Ouvrage, de cettebonnefoi
, de cette candeur d'un Ecrivain qui tient pour
ainſi dire lamain ſur ſa confcience au moment qu'il
juge les foibleffes & les vertus des hommes? Combien
cette franchiſe, cetaveutacite des défordres de ſon imagination
& de ſon âme , eſt préférable à cette
attitude forcée d'une inébranlable vertu , qu'il eſt
182 MERCURE
1
fi facile de prendre dans les Ouvrages ! A votre
place , Meffieurs , je me ferois plû à m'étendre ſur
l'expreſſion de toutes ces beautés , de tout cet intérêt.
Vous traitez les écrits de Sénèque avec autant
de rigueur que fon Hiftorien : il s'agit bien de ſes
défauts , que tout le monde a relevés , que perfonne
n'a tenté de justifier. Le mot de Quintilien ,
abundans dulcibus vitiis , eſt dans la bouche de tous
les Écoliers. On a dit mille fois qu'il tourne trop
fouvent autour de la même idée. Il s'agit aujourd'hui
de faire connoître fes beautés , dont on éloigne
les jeunes gens en exagérant les défauts qui
les déparent. Vous , par exemple , Meffieurs , parce
que ce ſtoïcien a parlé quelquefois de la vertu avec
despoins , vous ſemblez conclure que le ſentiment
de la vertu n'étoit pas dans ſon âme. Ah ! Meffieurs
, combien il faut ſe défier de ces arrêts
tranchans & abfolus ! Corneille, en voulantpeindre
la grandeur d'âme des Romains , n'a été ſouvent
auſſi qu'un déclamateur. Racine , qui a fi bien
connu les tons & les accens de l'âme , a mêlé quelquefois
le faux bel - eſpritau langage des paflions:
Eh bien ! direz-vous que le génie de Corneille
n'étoit pas fait pour peindre de grandes âmes , &
que Racine ne connoiffoit pas bien les âmes tendres
&paffionnées ? Je ne lis pas ſouvent Sénèque
; je lui préfère des Auteurs où il y a peut- être
moins de beautés ; mais quand je le lis , je vois
& je ſens qu'il a bien plus ſouvent encore parlé
de la vertu en homme qui en connoiffoit la dignité
& la douceur.
Le jugement de Montaigne , Meſſieurs , ne vous 2
rien fait du tout, &vous paroiſſez faire entendre que
Montaigne n'a jamais paffé pour avoir du goût : em
revanche, vous vous appuyez avec une extreme con
fiance für l'autorité de M. l'Abbé d'Oliver, que vous
DE FRANCE. 183
fuppoſez ſans doute avoir été doué d'un goût exquis.
Avez-vous lu le chapitre des Livres, Meflieurs , dans
Montaigne ? On affure que la perfection du goût eft
toujours le fruit d'une longue culture des Lettres. A
peine, cependant on commençoit à les cultiver lorfque
Montaigne écrivoit dans ſon château de Muffidan.
Eh bien ! Meſſieurs , comparons les jugemens
que portoit alors ſon goût , avec ceux que prononcent
aujourd'hui les Ecrivains auxquels on refuſe le
moins ce tact heureux de l'ame . Ma Lettre s'allongé
encore ; mais ceci peut être curieux. Je ne rapporterai
point les traits par leſquels il diftingue les beautés
qui élèvent Virgile au- deſſus de Lucain&de Lucrèce.
On croiroit que c'eſt dans ce chapitre qu'on a pris.
tout ce qu'on a dit dans ces derniers temps , fur cette
queſtion littéraire. Mais en parlant des Auteurs Comiques
de ſon temps , qui prenoient pluſieurs Comédies
de Térence & de Plaute pour n'en faire qu'une
fcule , voyez comment il voit que ce ce qui les fait
>> ainfi charger de matière , c'eſt la défiance qu'ils
>> ont de ſe pouvoir foutenir de leurs propres grâces..
ود Il faut qu'ils trouvent un corps où s'appuyer , &
>> n'ayant pas du leur de quoi nous arrêter , ils veu-
3כ lent que le Conte nous amuſe ». A-t-on mieux
dit de nos jours , lorſqu'on a parlé du mérite de la
fimplicité d'action dans les Drames ? Depuis lorgtemps
on répète beaucoup , d'après M. de Voltaire ,
que c'eſt le foin & la perfection des détails qui fait
vivre les Ouvrages. Montaigne l'avoit dit près de
deux fiècles avant M. de Voltaire ; & cette vérité de
goût , il me paroît l'exprimer d'une manière charmante.
« Il en va de mon Auteur ( Térence ) tout
>> au contraire : les perfections & beautés de fa façon
ود de dire , nous font perdre l'appétit de ſon ſujer..
>> Sa gentilleffe & fa mignardiſe , nous retiennent
>> par-tout. Il eſt par-tout fi plaiſant , & nous rem
184 MERCURE
>> plit tant l'ame de ſes grâces , que nous oublions
celles de fa Fable ». ככ
Dans ſon ſiècle , beaucoup de Gens préféroient
le Roland Furieux à l'Enéide. Racine & Boileau
n'auroient pas mieux vu que Montaigne pourquoi
& combien l'Arioſte eſt au-deſſus de Virgile. « Ce-
>>>lui-ci , on le voit aller à tire- d'aîle , d'un vol
>> haut & ferme, ſuivant toujours ſa pointe; celui-
>> la voleter & fauteler de Conte en Conte , comme
>> de branche en branche , ne ſe fiant à ſes aîles
>> que pour une bien courte traverſe >> .
Il falloit bien qu'un goût sûr le dirigeât dans ſes
jugemens ; car aimant , non pas par goût , mais par
commodité, àfauteler & voleter dans ſa Philoſophie,
fon propre intérêt pouvoit féduire aifément
fon goût. Il a montré toujours le même défintéreſſement
dans toutes ſes opinions. Perſonne n'a eu plus
que lui de cette pénétration d'eſprit qui naît peutêtre
de la force , mais qui dégénére trop ſouvent en
fubtile fineffe. Il devoit préférer naturellement les
eſprits de la même trempe , à ces eſprits moins ingenieux
& moins forts , mais plus délicats & plus
naturels , qui ne font que prêter les embelliſſemens
d'un ſtyle heureux , aux idées & aux ſentimens de
preſque tous les hommes. Mais c'eſt à ces derniers
que le goût de Montaigne donne la préférence. Il
admire bien plus , fans comparaiſon , « l'égale po-
לכ liffure & cette perpétuelle douceur de beauté
>> fleuriſſante des Epigrammes de Catulle , que tous
>> les aiguillons de quoi Martial aiguiſe la pointe
<<< des fiens . יכ
Son goût pour les chofes fortement penſées , &
qui portent la première décharge au plus vif, ne
hui fait point aimer ces tours de force , ces fauts
périlleux , qu'on a pris fouvent pour de l'énergie.
e. Et les Dames ont meilleur marché de leur conDE
FRANC L185
>> tenance aux danſes où il y a diverſes découpures
>> & agitations de corps , qu'en certaines autres
>> danſes de parade , où elles n'ont ſimplement qu'à
>> marcher un pas naturel , & repréſerter un port
*>> naïf& plein de grâce ». Croyez-vous , Melfieurs,
que ces jugemens , & fur-tout le ſentiment qui fe
montre dans le ſtyle qui les exprime , ſoient d'un
homme qu'on ne puiſſe citer en matière de goût ?
Montaigne ſe garde bien même de comparer Sénèque
àCicéron comme Ecrivain. A cet égard , il a porté
l'admiration pour l'Orateur Romain, juſqu'à affurer
que jamais perſonne ne pourra l'égaler en éloquence.
Si vous cherchez le goût de Montaigne dans ſa
manière d'écrire , il vous fera , je crois , tout auſſi
difficile de prouver qu'il en manque. Il a écrit ſans
méthode; mais ce qu'on appelle proprement le goût ,
paroît bien plus dans les détails que dans l'enſemble
& la diftribution des parties d'un Ouvrage. On le
reconnoît ſouvent au choix d'une expreffion , bien
plus qu'à la combinaiſon d'un plan. Montaigne n'a
point de méthode, parce qu'il n'a pas voulu ſe donner
la peine d'en avoir ; car c'eſt-là précisément la ſeule
choſe qu'on ſe donne avec de fa peine. C'eſt dans
Pexpreffion des ſentimens fur-tout que nous pou
vonsbienjuger le goûtd'un Ecrivain. Nous ſommes
bienplus sûrs de nos fentimens que de nos idées , &
notre coeur juge tout de ſuite avec certitude ſi un
Auteur exagère ou affoiblit ce qu'il a ſenti. Montaigne
vous paroît- il avoir manqué de goût , lorfqu'il
a parlé de l'amitié ? Avec quelle délicateſſe à
la fois & quelle énergie il a peint ce ſentiment ! Plus
d'une fois on croit entendre La Fontaine .
Et cependant, Meſſieurs , au moment même que
vous rejetez , avec aſſez de mépris , l'autorité du
jugement de Montaigne , vous vous appuyez ſur
Fautorité de M. l'Abbé d'Olivet. Ah ! je fais bien que
186 MERCURE
::
cet Abbé , pour avoir beaucoup parlé de Cicéron ,
a trouvé le moyen de perfuader qu'il étoit de l'antique
fouche des foutiens du vrai & du beau ; je fais
bien qu'il a paflé pour un de ces défenſeurs inébranlables
des bons principes , que Dieu ſuſcite quelquefois
pour le maintien du goût, toujours expoſé
aux menaces de l'eſprit & du génie ; malheureuſement
il a traduit quelque choſe de Cicéron , & l'on
a bien vu combien ſon admiration devoit être
fincère & ſentie. Sa froide & sèche proſe Françoiſe
abien laiſſé voir combien il devoit être échauffé
& touché par les beautés ſublimes de fon modèle.
C'eſt pourrant cet homme , ce ſont les hommes de
cette eſpèce , qui , toujours bornés avec opiniâtreté
àcebon ſens monotone qui n'a jamais beſoin de
varier ſes impreſſions , & d'aggrandir ou d'approfondir
ſes idées, rejetteroient avec mépris un Roman
tel queMarianne, par exemple , comme la production
laplusdangereuſe de cet eſprit ennemi du bongoût,&
l'Emile ou le Roman fublime de l'Héloïſe , comme
les exemples les plus audacieux de ce ſtyle violent ,
où l'on porte les idées & les ſentimens à l'extrême.
Ils ſemblent prendre , à la lettre dans les matières de
goût, ce que Montaigne diſoit , peut-être en plaifantant,
pour la morale. Ilfaut nous abeftir pour nous
affagir. C'eſt cette eſpèce de goût qui a long-temps
fait rejeter Tacite du nombre des bons livres claffiques.
Il en a impoſé ſouvent à des hommes bien
au-deſſus de ſes règles étroites & pédanteſques. Dans
le fiècle dernier , le Père Rapin , qui a fi bien parlé
des grands Hommes de l'antiquité , a reproché à
Tacite une affectation deprofondeurdans ſes penſées,
& une affectation d'énergie dans ſon ſtyle. Il ne l'a
pas jugé digne d'entrer en comparaiſon avec Thucidide
&Tite -Live. C'eſt peut- être à Racine , c'eſt
à la Tragédie de Britannicus que Tacite doit en
DE FRANCE. 187
grande partie la justice qu'on lui rend aujourd'hui ,
&le rétabliſſement de ſa gloire.
Je voudrois , Meſſieurs , vous remercier de ce que
vous avez dit du Citoyen de Genève. On l'a attaqué
ſans donner aucune preuve des inculpations affreuſes
qu'on lui a faites : on a bien plus de droits de
le défendre , ſans être en état de fournir les preuves
de fon innocence &de ſa vertu. Tout mon coeur
me porte à croire qu'il avoit dans l'ame les ſentimens
qu'il a mis dans ſes écrits. Il me feroit affreux
de penſer qu'il ait été donné à l'homme de feindre
à ce point. Mais je le vois accufé par des hommes
qui ont vécu long-temps avec lui ; qui ont été ſes
amis, ſes ſoutiens , fes admirateurs. Je fufpends
mon jugement , & je crois que tout homme qui
veut être juſte , doit ſuſpendre le fien. Le talent
peut être envieux du talent ; & fi je voyois ici des
Ecrivains , des Philoſophes même attaquer la gloire
de fes écrits , je me livrerois aux ſoupçons qui s'éleveroient
dans mon eſprit. Mais tous ceux, ou prefque
tous ceux qui l'accuſent, admirent ſes Ouvrages ,
comme ceux qui le défendent. La vertu au contraire
n'eſt pas jalouſe de la vertu ; & c'eſt ici des
hommes de bien , des hommes jouiffant de la conſidération
publique , qui accuſent la mémoire de
Rouffeau de vices , qui devroient la fléttir, Le caractère
des Accuſateurs donne donc le plus grand
poids à l'accuſation; & il n'est pas permis ici de
juger fur des préſomptions : il faut des preuves. Il
me ſemble qu'il importe extrêmement que la mémoire
de Rouſſeau ſoit jugée au moment même
qu'elle paſſe à l'immortalité; le temps qui éclaircit
quelquefois les choſes , les enveloppe bien plus ſouvent
encore de ténèbres . Au bout d'un demi-fiècle ,
il ſeroit peut- être impoſſible de ſavoir jamais ce qui
en a été ; & l'on ſeroit toujours condamné à douter
fi le Peintre le plus éloquent de la vertu , a éré un
188 MERCURE
homme vertueux. Je l'ai vu pleurer preſque luf
même de la ſeule idée que ſes Ouvrages ne pour
roient jamais produire aucun bien, parce que ſes ennemis
étoient parvenus , diſoit-il , à faire croire que
Jeur Auteur a été un mal-honnête homme. Qu'ils
élèvent donc la voix , mais plus fortement encore;
qu'ils expoſent ſur-tout aux yeux du Public , toutes
les preuves de leurs accuſations *. C'eſt un procès
*Juſqu'à préſent onn'a mis ſous les yeux du Public
que le récit& les preuves juſtificatives de ſa querelle avec
M. Hume. Je crois que M Hume n'a voulu lui faire &
ne lui a fait que du bien ; & cependant Roufſeau l'a accuſé
d'être à la tête d'un complot affreux tramé contre
lui à Paris. Rouſſeau étoit-il donc un ingrat& un calomniateur
? Il me ſemble qu'il ſuffit de lire l'expoſé dễ
cette querelle , poury voir à chaque ligné des Lettres de
Rouffeau , une ame toujours au déſeſpoir de ne pouvoir
felivrer aux mouvemens de fa reconnoiffance . Unhomme
en proie à des ſoupçons qui naiffoient d'une imagination
dès long-temps effarouchée , & qui avoit le malheur
de ſe fervir enfuite de toute la force de ſon génie ;
pour combiner profondément les ſoupçons les plus ab
furdes. On l'accuſe d'avoir été un ingrat; & cela pour
avoir dit qu'il n'aimoit pas ceux qui vouloient lui faire
du bien , pour avoir rejeté bruſquement des bienfaits.
Uningrat ne dit point qu'il n'aime pas les bienfaiteurs :
il dit qu'il les aime , qu'il les adore, Il ſe, fait jour dans
les coeurs & dans les bourſes , par des promeſſes magnifiques
de reconnoiffance ; & lorſqu'il a reçu tout , il
oublie tout , cu bien il fait encore quelques fingeries de
ſenſibilité qui ne lui coûtent aucune peine. Certes , ces
hommes font rares , qui avertiſſent tout ce qui les approche
des vertus qui leur manquent , & des vices dont ils
peuvent être coupables. A Dieu ne plaiſe que je fois
tenté de croire qu'il n'y ait pas des hommes dont il foit
DE FRANCE. 189
qu'il faut inſtruire ſur la tombe de ce grand homme,
au moment quême qu'il vientd'y deſcendre. Je ne ſais,
mais il me ſemble que tous les hommes de Lettres
doivent apporter dans l'examen de cette cauſe un
reſpect bien religieux de la vérité , & des foins bien
attentifs pour la reconnoître : il me ſemble qu'il ne
devroit pas être bien difficile ici de faire taire toutes
les paffions , & de forcer également au filence le
reffentiment& l'enthouſiaſme. Peut- être que la Philoſophie
de ce ſiècle ſera beaucoup jugée elle-même ,
par la manière dont elle inſtruira ce procès , & par
l'arrêt qu'elle prononcera. Ce jugement me paroît
bien auſſi auguſte & auſſi important que celui des
Rois de l'ancienne Egypte.
Avant de finir cette Lettre, que je trouve sû
douxde recevoir des bienfaits ; mais j'en atteſte ici les
ames les plus reconnoiſſantes qui ont été forcées d'en
recevoir , combien de fois n'ont-elles pas futpris un
coup -d'oeil , un accent , un accueil , qui leur ont fait
fouffrir des tourmens cent fois pires que les beſoins qu'on
leur a épargnés ? Je ne conçois pas de ſituation plus
✔cruelle au monde que celle d'un homme ſenſible & délicat
, qui ſe trouve preſſé entre la reconnoiſſance qu'il
doit & l'indignation , le foulèvement qu'excitent dans
fon ame ces tyrannies preſqu'imperceptibles des bienfaiteurs
, qui ne donnent pas même le droit de s'en
plaindre. En un mot , celui qui oblige acquiert une
forte d'empire fur celui qui reçoit des bienfaits ; mais
cette eſpèce de pouvoir eſt comme tous les autres pouvoirs
: il remplit trop ſouvent d'orgueil & de hauteur celui
qui l'exerce ; & c'eſt ce qui fait que les hommes dignes
d'être des bienfaiteurs , font auſſi rares que les hommes
dignes de régner. On peut donc avoir encore quelques
vertus , & ſe refuſer à ſubir le joug des bienfaits ; je ne
diftingue guères ce ſentiment d'un amour extrême de la
Jiberté.
190 MERCURE
rement aufli longue que vous , Meſſieurs , je veur
vous rapporter le jugement que Rouſſeau lui-même
avoit coutume de porter ſur le Philoſophe , qui , le
premier , a élevé la voix contre ſa mémoire. Ses
formes, diſoit-il , ont étonné ce ſiècle, qui en a d'autres
, & c'eft ce qui lui a fait autant de détracteurs
que d'admirateurs. Mais chaque ſiècle change de
formes , & les hommes ne changent point de raifon.
Au boutde quelques ſiècles , les formes qui ſe ſont
détruites les unes par les autres , ſont comptées pour
très-peu de choſe , &l'on ne fait entrer dans les jugemens
que les idées dont les Aureurs ont enrichi l'eſprit
humain. Lorſqu'il ſera à cette diſtance , du moment
où il a vécu , cet homme paroîtra un homine prodigieux.
On regardera de loin cette tête universelle,
avec une admiration mêlée d'étonnement , comme
nous regardons aujourd'hui la tête des Platon & des
Ariftote.
1
J'ai l'honneur d'être , Meſſieurs , &c.
GARAT.
1
COURS PUBLIC.
M.MARCADE , Interprête de Langues , & Maître
d'Eloquence Françoiſe , commencera , le 25 de ce
mois , à 9 heures du matin , ſon Cours de Langue
Grecque , dans lequel il donnera des differtations &
des notions préliminaires ſur les Langues Samaritaine
,Hébraïque, Syriaque , Chaldaïque , Arabe, &c.
Il continuera ce Cours les Mardi , Jeudi & Samedi
à la même heure , & n'y admettra que des perſonnes
raiſonnables. Il les prie de vouloir bien s'inferire
d'avance. On trouvera chez lui du monde à toute
heure , rue Saint-André-des-Arcs , la porte-cochère
en face de la rue Gît-le-Coeur.
DEFRANCE.
191
P
MUSIQUE.
REMIER Recueil, contenant lesAriettes desTrois
Fermiers & autres , avec accompagnement de harpe,
par M. Corbelin , Elève de M. Patouart fils,, poar
ſervir de ſuite à ſa méthode de harpe , dédié à Madame
D***. Prix , 6 liv. A Paris, chez l'Auteur ,
place Saint-Michel , maiſon du Chandelier ; au Cabinet
Littéraire , pont Notre-Dame , & aux adreſſes
ordinaires de Muſique.
Nota. On trouve chez M. Corbelin , dont nous
avons annoncé la méthode de harpe ,dans le Mercure
de France dus Janvier , des Diapazons qu'il a fait
faire exprès pour accorder la harpe. Prix , 9 liv.
Six Sonates pour la Harpe , dédiées à Mad. la
Marquiſe de la Guiche , par Hochbrucker neveu ,
OEuvre Ier. Chez l'Auteur , rue Saint-Denis , vis-àvis
la rue de la Féronnerie ,& aux adreſſes ordinaires.
Prix , 7 liv. 4 fols.
Trois Sonates pour le Clavecin, par M. Edelmann
, OEuvre VIII. Chez l'Auteur , rue du Temple,
&aux adreſſes ordinaires. Prix , 7 liv. 4 ſols.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
PISS
ISSOT , Libraire , vient de mettre ſous preſſe un
Ouvrage intitulé de l'Origine ou des Progrès , & de
Pétat actueldes Gouvernemens du Nord , ou Hiſtoire
de laHollande , du Danemarck , de la Suéde ; de la
192 MERCURE
Ruffie & de la Pologne , juſqu'en 1777 , traduite de
l'Anglois de M. Williams .
Ontrouve aufſi chez lui , l'Histoire de l'Amérique ,
par M. Robertſon , traduite de l'Anglois , 4 vol.
in - 12 , 3 vol . in- 8 ° . & 2 vol . in-4 ° . avec cartes .
Catalogue des Livres Anglois quise trouvent chex
lemême Libraire , quai des Auguſtins.
Antonii de Haen , Confiliarii & Archiatri S. C.
R. A. Majeftatis necnon Medicina in Univerfitate
Viennenfi Profefforis Primarii , Ratio medendi in
Nofocomio Practico , Tomi octavi pars fecunda ,
partem XV complectens. Accedunt ejufdem auctoris
Epistola de cicuta , necnon Tractatus de Magia. I
vol. in- 12 . A Paris , chez P. Fr. Didot le jeune ,
Quai des Angustins , 1778. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Prix , 3 liv. relié.
Ejufdem Auctoris Ratio medendi Tomus decimus
fextus Tomumfecundum rationis medendi continuata
in Nofocomio Practico. Accedit ejusdem Tractatus de
Miraculis. 1 vol. in- 12. A Paris , chez P. Fr. Didot
le jeune , Quai des Auguſtins , 1778. Avec Approbation
& Privilége du Roi. Prix , 3 liv. relié.
On vend ſéparément les deux Traités de Magia &
deMiraculis , en un vol. in- 12 . 3 liv. relié.
Le Bureau général d'abonnement de l'Histoire
Univerſelle des Théâtres , eft chez les Auteurs , rue
Ticquetonne , la deuxième porte- cochère en entranr
par la rueMontmartre , y demander M. Testu, chargé
de leurs Correſpondances. C'eſt à lui que les Soufcripteurs
de Province adreſſferont leurs lettres & leur
argent , franc de port.
Le Prix de la Souſcription eſt de 30 liv. par an
pour Paris , & de 36 liv. pour la Province.
JOURNAL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 15 Décembre..
Tous les Miniftres étrangers ſe ſont rendus
fucceſſivement chez le Grand - Vifir pour le
complimenter fur fon élévation. On ſe flatte
toujours ici que les bons offices de la France
parviendront à rétablir la paix entre la Ruſſie &
la Porte. Celle-ci a déja fait un grandpas, en laiffant
aux vaiſſeaux Rufles détenus ſi long-tems ,
la liberté de continuer leur voyage , & en rappellant
les députés tartares exilés ; elle défire
que l'on engage maintenant l'Impératrice de
Ruſſie à retirer à fon tour ſes troupes de la Crimée.
En attendant l'effet de cette nouvelle
négociation , pour laquelle elle a envoyé dans
cette péninſule des perfonnes habiles & de confiance,
elle continue ſes préparatifs de guerre ;
fon intention paroit être de maintenir ſurunmeil.
leur pied que par le paſſe , ſa marine négligée
fi long-tems , & qu'elle n'a rétablie qu'avec
lenteur. On répare tous les vaiſſeaux & toutes
les frégates de guerre ; on approviſionne les
arfenaux , & le Capitan-Bacha , a traité avec
pluſieurs Négocians étrangers qui doivent livrer
inceſſamment une quantité de poudre à
canon.
15 Février 1779 . I
-
( 194 )
Le bruit ſe répand que les Arabes fe font
emparés de la ville de Baſſora , qui étoit ſous la
domination Perſanne depuis les différends furvenus
entre cet Empire & Kerim-Chan . Comme
cette nouvelle n'eſt pas arrivée directement
ici , où le Bacha d'Alep l'a fait paffer , on en
attend la confirmation qui ne ſauroit tarder.
Deux des Sultanes font de nouveau enceintes ;
on fait des voeux pour qu'elles nous donnent
des Princes. La famille Impériale ne confifte
plus que dans le Sultan régnant , fon fils , & un
fils du feu Sultan Mustapha. C'eſt ce dernier
qui eſt l'héritier préſomptif du trône.
La peſte dont on ne parloit plus depuis quelque
tems , n'eſt pas encore diffipée ; elle n'a fait
que fufpendre ſes ravages. Pluſieurs perſonnes
en font mortes dans différens quartiers de cette
capitale. On attend avec impatience le froid
& la neige , qui ſeuls peuvent purger l'air des
vapeurs contagieuſes qui l'infectent.
DANEMARCK,
De COPENHAGUE , le 10 Janvier.
En conféquence de la réſolution prife par
cette Cour , de concert avec la Ruifie & la
Suède , de protéger la liberté de la navigation
dans la Baltique , contre les Puiſſances qui vou
droient entreprendre de la gêner , on travaille
ici à l'armement d'une eſcadre de dix vaiſſeaux
de ligne , & de 6 frégates ; elle fera commandée
par le Vice-Amiral Fontenay. Les vaiſſeaux
de ligne , font la Princeffe Sophie-Frédérique ,
de74 canons, la Jutlande , le Prince Frédéric
&l'Eléphant de 70, la Wagrie ,l'Indford-Retten
de64 , leHolstein, leDanebrogde 60, l'Ebenezer
& la Groenlande de so , dont les capitaines font
MM. Kriegher, Kaas , Krog , Krog,Lons, U C. Kaas ,
Schionnebole , de Winterfeldt , Bording&
( 195 )
Gerner. Les frégates , la Bornholm & la Moen
de 36 canons , la Cronenbourg de 34 , l'Alfen
de 30 , & la Ferroë de 20 , ſont conmmandées
par MM. Budde , Vlengel , Akkeleyë , Schionning
, Ziervogel & Thaa .
Les vaiſſeaux qui ont paſſé le Sund pendant
le cours de l'année dernière , font au nombre
de 8452 , dont 2432 Hollandois , 2046 Anglois
, 1224 Danois , 1752 Suèdois , 480 Pruffiens
, 199 de Dantzick , 118 de Roſtock , 70
de Lubeck , 48 de Brême , 47 Ruſſes , 17 de
Hambourg , 12 Eſpagnols , 6 Portugais & I
François.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 10 Janvier.
LES fêtes publiques données à l'occaſion de
l'heureux accouchement de la Reine , ont donné
lieu à quelques accidens fâcheux , qui n'arrivent
que trop ſouvent dans ces circonstances ; la
bourgeoifie donna , comme nous l'avons dit ,
le 30 du mois dernier , un feftin au peuple
dans une grande ſalle conftruite ſur le grandmarché
du Nordermalm ; la foule s'y porta
comme on devoit s'y attendre ; tout le monde
ſe précipita pour entrer ; la confufion & la
preſſe furent fi grandes , que les Gardes ne
purent maintenir l'ordre , & 60 à 70 perſonnes
y furent étouffées ; il y en eut pluſieurs autres
bleſſées . Cet évènement fâcheux fit abréger
la durée de la fête , qui avoit été fixée à 24 heures
, & qui finit à minuit. Parmi ces triſtes victimes
de l'imprudence du peuple , on compte
beaucoup de femmes.
La Diète a fixé à 54 tonnes d'or , qui font900
mille rixdhalers argent de banque , la ſomme
totale des dons gratuits qu'elle a accordés , &
qui font répartis ainſi : 300 mille pour le préſent
12
( 196 )
:
de batême du Prince royal ; autant pour la caiſſe
particulière du Roi , 100,000 pour indemniferS.
M.des frais occafionnés par la tenue de laDiète,
le batême du jeune Prince , & le mariage du
Duc de Sudermanie. Autant pour la Reine dont
elle diſpoſera à fon gré , & une pareille fomme
pour ladot de Madame la Duchefſe de Sudermanie.
Les Etats ne s'en font pas tenus à cette libéralité
; ils ont confirmé & prolongé les dons
faits par les Diètes précédentes , ſans en limiter
le terme comme ils le faifoient auparavant.
Le Colonel Carlberg , Chevalier de l'Ordre
de l'Epée , mourut le 31 du mois dernier , à
Torp, près de Gothenbourg dans la 83e année
de fon âge. En 1718 , il fervoit en qualité de
Lieutenant-Ingénieur au fiége deFriderichshall.
Il étoit dans la tranchée lorſque Charles XII
reçut le coup qui termina ſacarrière ; & il fut
un de ceux qui aiderent à placer le corps de ce
Prince fur lebrancard.
POLOG.NE .
De VARSOVIE , le 10 Janvier.
Le Roi ſe diſpoſe à ſe rendre àKozienice, où
fon deffein eft de paſſer quelques jours ; une
partie de ſes équipages a déja pris le devant.
Le jour de fon départ n'eſt pas encore fixé; on
croit qu'il n'aura pas lieu avant le 14 de ce
mois , parce que le 12 il doit y avoir une affemblée
du Conſeil-Permanent , à laquelle il affiftera.
Ce Conſeil ſuſpendra ſes Séances pendant
l'abſence de S. M., parce que pluſieurs de
ſes membres doivent l'accompagner.
Les lettres de Lithuanie , portent que l'on a
effuyé dans ce Grand - Duché , des tempêtes
violentes, &que les campagnes ont été inondées
enpluſieurs endroits; ce dernier fléau qui
( 197 )
a fait beaucoup de dommages , a retardé la
marche des troupes Ruffes ; les gelées qui commencent
à ſe faire fentir , leur rendront vraifemblablement
bientôt les chemins praticables.
Un corps confidérable de ces troupes , venant
de Lithuanie , ſous les ordres du Général
Drewitz , doit paſſer à quelques milles de cette
Capitale.
Il eſt né ici l'année dernière 3351 garçons &
filles ; les mariages ont été au nombre de 882 ,
&il y a eu 3107 morts des deux ſexes .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le is Janvier.
Le départ de l'Empereur pour la Bohême ,
ſuſpendu juſqu'à préſent , ne fauroit plus être
éloigné; la plupart des Généraux qui doivent
l'accompagner ont déja pris les devants. Et
quoiqu'on s'occupe beaucoup de la paix , qu'on
P'annonce comme prochaine , les préparatifs
de guerre ſe continuent avec la même activité.
On lève un grand nombre de recrues ; on
fait venir des Pays-Bas un renfort conſidérable
qui conduira avec lui un gros train d'artillerie
; on tirera des hopitaux de cette Capitale
, 4000 invalides qu'on choiſira parmi ceux
qui font le plus en état de ſervir , & on les
employera dans les hopitaux militaires à la place
des jeunes gens qui en faifoient le ſervice , &
qui feront plus utiles dans les armées . Si la paix
ne fe conclut pas cet hiver , on affure que
nous aurons au printems prochain 300,000 hommes
prêts à agir en même-tems en Bohême ,
en Siléfie , en Pologne & en Bavière. On
prétend qu'outre ces quatre armées , on en
mettra une cinquieme d'obſervation à portée
de la Pologne pour s'oppofer à toutes les en-
/ 13
( 198)
trepriſes que la Ruffie pourroit former contre
la tranquillité de ce Royaume. On veut au
moins empêcher nos ennemis de tirer de ce
pays toutes les reſſources que juſqu'à préſent
il a été forcé de leur fournir. Les fonds néceſſaires
pour fubvenir aux dépenſes qu'entrainent
des armemens fi formidables font , dit-on ,
tout prêts , au moyen d'un capital confidérable
qu'on négocie en Hollande à 4 pour cent , &
d'un autre emprunt qu'on ſe propoſe de faire
ici .
Il a été adreſſé aux Fabricans & aux Manufacturiers
de cette ville , l'ordre de préparer
3000 pièces de gros draps , autant de croifet
mêlé , pareille quantité de pièces de toile ,
20,000 pièces de draps plus légers, 12,000
cuirs d'Eſpagne , & 3000 peaux de veaux , qui
doivent être livrées à l'armée pendant cette
année.
Le nombre des naiſſances dans le cours de
l'année dernière , a été de 7888 ; celui des
mariages , de 1635 , & celui des morts , de
10,955.
De HAMBOURG , le 20 Janvier.
TOUT continue de reſter tranquille ſur les
frontières de la Bohême & de la Saxe , où les
hoftilités ſont ſuſpendues de part & d'autre ,
Pan
depuis que la campagne eft finie. L'échange
des prifonniers Saxo- Pruffiens & Autrichiens ,
conclu à Sébaſtianſberg , ſera effectué du s
au 10 Février prochain ; & à l'avenir les prifonniers
refpectifs faits dans de nouvelles campagnes
, fi elles ont lieu , feront toujours échangés
les Janvier ſuivant. On eſt auſſi convenu
de remettre en liberté les ôtages enlevés ré
ciproquement dans divers endroits , à la charge
par eux de payer les ſommes & les contributions
exigées .
( 199 )
Les efforts des Impériaux pour chaffer les
Pruffiens de la Haute-Siléſie , &ceux que font
ces derniers pour s'y maintenir , prolongent les
opérations de guerre dans cette Province , où
il ſe paſſe fréquemment de nouvelles actions
qui tiennent continuellement les troupes en
mouvement , les privent du repos dont elles
auroient beſoin, & n'offrent rien de décifif. Le 9
de ce mois un détachement du corps du Lieutenant-
Général de Stutterheim , ſous les ordres
du Prince de Hohenlohe , envoyé pour chaſſer
les Autrichiens qui ſe montroient ſouvent entre
Jagerndorf & Holzenplotz , garniſſant de
leurs troupes les villages voiſins , les attaqua
à Pilgerſdorf derrière lequel ils s'étoient ré.
fugiés , & les força de ſe retirer. Le 11 ils
tentèrent de forcer les poftes des Impériaux ,
à Freyhernſdorf , à Mofnick , à Olberſtorf , à
Tropplowitz , à Taubnitz & Braunſdorf ; ces
différentes attaques faites le même jour , ont
caufé la mort de quelques hommes & l'incen
die de quelques maiſons ; les relations Autrichiennes
affurent qu'elles n'ont pas réuffi , &
que les Pruffiens ont perdu beaucoup de monde;
celles de ces derniers diminuent , felon l'ufage
, leurs pertes & exagèrent celles de l'ennemi.
Le 12 le Général Wunſch tenta de ſe
rendre maître du poſte de Zuckmantel , où il
y avoit quelques milliers des Croates ſous les
ordres du Général de Wurmſer qui , à l'approche
des Pruſſiens , gagna fans rendre de
combat une montagne voisine , où il fut impoſible
de l'attaquer.
Ces actions peu conſidérables en général ont
été ſuivies le 17 d'une autre expédition faite
par le Général de Wurmfer ; il s'approcha
d'Habelſchwerdt , ville du Comté de Glatz ,
où le régiment de Luck qui y étoit poſté , ſe
tenant peu ſur ſes gardes , a été totalement
14
( 200 )
détruit ; une partie en a été fabrée , l'autre a
été priſe & le reſte diſperſé. Le Prince dé
Heffe-Philipſthal eſt , dit-on , au nombre des
prifonniers. Les huflards de Schwad & de
Rofenbach , étant accourus pour fecourir le
régiment de Luck , ont fait des prodiges de
valeur , mais n'ont pu fauver ce régiment. M.
de Wurmfer avoit avec lui 3000 hommes , &
les payſans de la Bohême qu'il avoit pris pour
guides , l'avoient conduit par des chemins fi
détournés & fi peu praticables , qu'il furprit
les Pruffiens , & fe trouva maitre de la place
du marché avant qu'on pût fonner l'alarme.
Le foin avec lequel les Autrichiens ſe font
renforcés en Moravie , a déterminé le Roi de
Prufle à y faire paſſer 6 régimens de cuiraffiers ,
dragons &huffards qui étoient en Baſſe-Siléfie .
L'armée du Prince héréditaire de Brunfwick
eſt à préſent de plus de 40,000 hommes ; le
Roi a tout difpofé pour pouvoir s'y rendre luimême
en cas de befoin ; il y a des relais fur
toute la route; en attendant qu'il en faſſe ufage
, ils fervent à faciliter ſa correfpondance
avec le Prince de Brunswick dont il peut rea
cevoir des nouvelles pluſieurs fois dans un jour.
Au milieu de tous ces mouvemens hoftiles ,
on conferve toujours l'eſpérance d'une prompte
paix. Les Miniftres des Puiſſances médiatrices
font journellement en conférence avec le cabinet
Pruffien. Comme l'Impératrice Reine
dans ſa réponſe à la déclaration de la Rufie ;
laiſſe expreflément à cette Puiſſance & à la
France, le choix des moyens de conciliation, on
commence à ajouter foi au bruit qui ſe répand
que le Prince de Repnin , après être convenu
de quelques articles préliminaires , ſe rendra à
Vienne ; & la note ſuivante que ce Miniftre
a remis à S. M. Pruffienne ſemble venir à
l'appui de ce bruit.
( 201 )
>> L'Impératrice de Toutes les-Ruſſies a témoigné
prendredès leur origine , le plus vif intérêt aux troubles
actuels de l'Allemagne , ſoit comme une puiffance
à laquelle il importe que l'état légal & conftitutifde
cette partie de l'Europe ſoit maintenu dans
fon intégrité , ſoit comme déſirant de voir rendre
juſtice aux maiſons léſées par l'occupation d'une
partie conſidérable de la Bavière , qui ont réclamé
fes bons offices & fon aſſiſtance , ſoit enfin comme
amie intime & alliée de S. M. le Roi de Pruſſe engagé
dans une guerre onéreuſe pour le ſoutien des
droits de l'Empire Germanique. Il n'a pas tenu à ſes
ſoins & à ſesbons offices , qu'on ne ſoir parvenu à
prévenir une rupture ou à l'arrêter dans ſes ſuites.
Elle n'a négligé aucune occafion de porter la Cour
de Vienne à des termes d'accommodement juſtes &
fatisfaiſans pour toutes les parties , & tout récemment
la repréſentation amicale qu'elle a fait faire
à la même Cour , & dont il a été donné communication
dans ſon tems , aux Miniſtres du Roi , démontre
évidemment juſqu'à quel point S. M. I. aà
coeur de rétabliſſement de la paix & de la tranquillité
publique. Une démarche de la Cour de Vienne
vient de mettre l'Impératrice en état de déployer ſes
fentimens & ſes diſpoſitions dans toute leur étendue ,
même avant que cette Cour eût pu recevoir la repréfentation
ci-deſſus mentionnée de S. M. I.; elle a fait
inviter formellement par ſon Miniſtre près d'elle ,
le Comte de Kaunitz , d'employer ſa médiation &
ſes bons offices , conjointement avec la France , pour
procurer un accommodement entr'elle & S. M. P.
Cette propoſition ne pouvoit qu'être reçue avec empreſſement
par l'Impératrice de Toutes-les-Ruſſies ,
tant par ſon déſir perſonnel de voir la paix & la tranquillité
rétablies pour le bien de l'humanité , que par
la perfuafion où elle eſt que S. M. le Roi de Pruſſe
ne s'eſt point écarté de ſes vues pacifiques , pourvu
ſeulement que la fin de la guerre renfermât en elle
la fûreté de la conſtitution de l'Empire Germani(
202 )
que
que, ainſi que la fatisfaction due aux maiſons léſées ,
&plus toute autre conſidération encore par la
certitude où eſt S. M. I. , que ſon acceptation ſera
agréable à S. M. P. , fon Miniſtre s'étant déja expliqué
avec le chargé d'affaires de la Cour de Verſailles
fur l'intervention de ſa Cour à la paix , que le Roi
ſouhaitoit auſſi d'y joindre les bons offices de l'lmpératrice
de Ruffie. D'après ces confidérations ,l'Impératrice
de Toutes-les-Ruflies , pour concourir à
l'ouvrage défiré & falutaire de la pacification de l'Allemagne,
a ordonné au ſouſſigné de ſe rendre auprès
du Roi , pour recevoir de S. M. toutes & telles propoſitions
qu'il lui plaira , & s'employer enſuite efficacement
à faire valoir la médiation & les bous
offices de S. M. I. en tel tems & lieu & de la manière
la plus convenable , tant auprès des deux parties
principales intéreſſées , qu'auprès de la Cour de Verfailles
, à laquelle la Cour Impériale de Ruſſie a déja
donné part de ſon acceptation de la médiation à employer
conjointement avec elle , ainſi que de la
miſſiondu ſouffigné.
S'il faut en croire pluſieurs lettres , le projet
-de pacification eſt déja bien avancé; la France ,
dit-on , a fait remettre à la Cour de Vienne ,
un plan qui a paru être tellement au gré des
Puiſſances Belligérantes , que l'on n'attend plus ,
ajoute-t-on , qu'un Courier qui doit apporter la
nouvelle qu'il eſt accepté. En attendant que
ce bruit intéreſſant ſe confirme , on affure que
pluſieurs Electeurs , Princes & Etats de l'Empire
ſe réuniſſent pour ſeconder les vues des
Puiſſances médiatrices ; l'Angleterre elle-même
joint ſes voeux & fes efforts pour obtenir ce
but. Elle ne voit plus d'efpérance de profiter
des troubles de l'Allemagne pour occuper la
France & partager ſes forces ; elle fait que
cette Puiſſance reſtera neutre dans cette querelle
fi elle continue ; & que de fon côté , elle
ne recevra aucun ſecours de la part de la
( 203 )
Pruſſe occupée elle-même ,& de celle de la
Ruſſie occupée à ſeconder ſon allié . Elle n'ignore
plus à préſent les diſpoſitions de Catherine
, qui a témoigné combien elle étoit fatisfaite
& reconnoiffante des foins que S. M.
T. C. avoit bien voulu prendre pour accommoder
à l'amiable les différends ſurvenus entre
elle & laPorte . Cette Princeſſe a déclaré auſſi
que malgré l'alliance qu'elle a contractée avec
l'Angleterre , elle n'en étoit pas moins réfolue
de continner à vivre avec le Roi de France
dans la plus étroite amitié & la plus parfaite
intelligence .
De RATISBONNE , le 20 Janvier.
LES anciens ſujets de l'Electeur Palatin ;
viennent de perdre l'eſpérance , qu'ils confervoient
encore , de revoir leur Souverain occuper
à demeure fa réſidence de Manheim ; une
Ordonnance qu'il a rendue le 2 de ce mois ,
leur porte un coup qui n'eſt pas moins ſenſible.
S. A. S. voulant affimiler , autant qu'il eſt poffible
, l'adminiftration des pays qui ont toujours
fait l'appanage des branches Palatines de Neu
bourg & de Sulzbach , & celle de la Bavière
&du Haut - Palatinat , puiſque ces Provinces
différentes font aujourd'hui réunies fous un
même chef , a ordonné qu'à compter du
premier Juin prochain , le code de Bavière ,
tant pour le civil que pour le criminel , aura
force de loi dans les Duchés de Neubourg &
de Sulzbach , & que les appels de ce pays ne
fe porteront plus , comme ci-devant , àMMaanheim
, mais au Conſeil aulique ou Cour de revi.
fion à Munich.
S'il faut en croire un bruit qui ſe répand ,
on travaille dans l'Imprimerie Electorale à l'impreſſion
d'un écrit qui pique beaucoup la curio-
16
( 204)
fité par les foins que l'on prend pour empêcher
que fon objet ne foit connu. Toutes les avenues
de l'Imprimerie font gardées par des foldats ;
les ouvriers quiyfont employésne fortentpoint,
&on leur porte à manger.
Selon des lettres de différens endroits de
l'Empire , on verra paroître inceſſamment un
nouveau prétendant à la fucceſſion de Bavière ,
dans la perfonne du Prince de Lowenſtein-
Wertheim , qui prétend avoir à cette fucceffion
un droit plus exprès & plus prochain que le
Duc des Deux-Ponts. >> On fait qu'en effet ,
dit-on dans un de nos papiers , Frédéric le
Riche , Electeur Palatin, de qui defcend le
Prince de Lowenſtein étoit plus proche à cet
égard, que le Comte Palatin Louis le Noir ,
dont defcend le Duc des Deux - Ponts. Les
Comtes de Lowenstein , après avoir obtenu en
1712 la dignité dePrince, ont fait tous leurs
efforts pour s'affurer la ſucceſſion éventuelle
des Etats Palatins ; mais leur prétention paroit
être de peu de poids. L'Electeur Frédéric le
Riche s'étant engagé envers fon ſucceſſeur ,
à ne jamais fe marier , eut deux fils d'une
femme roturière , nommée Clara Tettin , qu'il
n'épouſa que peu de tems avant fa mort. Un
de ces deux fils eft la tige des Princes de
-Lowenstein, dont le droit fur la fucceffion aux
Etats Palatins n'a jamais été reconnu , malgré
les mouvemens qu'ils ſe ſont donnés. Les loix
& les uſages de l'Empire paroiſſent déciſifs ;
les enfans nés d'un mariage auſſi inégal ne font
jamais appellés à la ſucceſſion des fiefs. On dit
que le Prince de Lowenſtein a été engagé à
faire cette démarche par une Puiſſance intéreffée
& qui voudroit fufciter quelques inquiétudes
au Duc des Deux-Ponts pour ſe punir de l'oppofition
ion qu'il a apportée à ſes vues ; inais il eft
douteux que ces réclamations puiſſent lui en
( 205 )
caufer;&il eſt plus vraiſemblable que le Prince
de Lowenstein a cru pouvoir profiter de la cir
conſtance actuelle , ſans y être excité par perfonne<<.
ITALI Ε....
De VENISE , le 15 Janvier.
LA mort du Doge Aloiſe IV, Jean Mocenigo
, arrivée le 31 du mois dernier dans la
78e année de ſon âge , a été annoncée au public
le 6 de ce mois. Toute la Nobleſſe prit
auffi-tôt le deuil ; le corps placé dans un cercueil
fut confié àà la garde des Magiftrats.. Le
Grand-Confeil nomma les cinq Correcteurs qui
doivent examiner tout ce qui a été fait ſous
ſon règne . Le 10 , on a fait ſes obsèques avec
toutes les cérémonies d'uſage . Hier on a procédé
à l'élection de fon ſucceſſeur ; le noble
Paul Renier , Chevalier de l'Etoile d'Or , cidevant
Ambafſadeur à Rome , à Vienne & à
Conftantinople , & Savio Grande , a réuni tous
les fuffrages. Immédiatement après ſon élection
, on expédia un courier à André Renier
fon fils , Ambaſſadeur à Rome , d'où il reviendra
inceſſamment ; la loi ne permet pas à un fils ou à
un frère du Doge , de remplir aucune dignité
ou charge publique. Le nouveau Doge a été
conduit ce matin dans l'Egliſe de S. Marc
accompagné de ſes plus proches parens , &
montré au peuple , il a été enſuite couronné ;
les réjouiſſances & les fêtes données à cette occafion
ont commencé hier , & continueront aujourd'hui
& demain .
{
,
Le 28 du mois dernier , écrit-on de Badajox , le
fen prit au parc d'Artillerie ; les chefs de ce corps
s'y tranſporterent fur- le- champ , & prirent de fi bonnes
meſures , qu'il fut éteint en moins d'une demiheure
, fans autre perte que celle de quelques pa-
1
(206 )
va
niers de jonc déposés dans une ſalle-baffe. Ledanger
étoit d'autant plus preſſant , que cette falle eft
contigiie à un dépôt de bombes chargées. Quelque
pièces de charpenterie neuve pour le ſervice du parc
ont auſſi été brûlées; mais elles ſont de peu de
leur. Un autre accident de ce genre , continue la
même lettre , a été plus funeſte : près de S. Sébaf.
tien un petit magaſin de poudre gâtée , que deux
particuliers avoient dans la Jurisdiction de la ville
d'Urnieta , à une lieue & demie de S. Sébastien, ſauta
le 28 Décembre au matin. De quatre hommes occupés
à étendre & à ſécher cette poudre , 3 ont
péri , & le quatrième a été grièvement bleſfé. La
fecoaſſe caulée par l'explosion , s'eft fait ſentirjufqu'à
S. Sébastien «.
D'autres lettres de Madrid , annoncent la
mort du Général D. Pedro de Cevallos , qui
a conduit l'expédition contre les Portugais en
Amérique. Il étoit tombé malade pendant le
voyage qu'il faifoit pour ſe rendre à la Cour ,
& avoit été contraint de s'arrêter à Cordoue ,
où il s'étoit logé dans le couvent des Capucins.
De LivOURNE , le 20 Janvier.
Un courier arrivé de Naples , nous a appris
que la Reine eft accouchée le 17 de ce mois ,
as heures du matin , d'une Princeſſe , qui a été
baptifée une heure après par le Confefleur de
S. M. , parce que l'Archevêque de Naples n'a
pu être averti à tems ; on lui a donné les noms
de Marie-Chriſtine . La Reine & la Princeſſe
ſe portent auſſi-bien qu'on le puiſſe défirer.
LeRoi deNaples ſe propoſe de rétablir fa marine
,&de la mettre en étatde défendre les côtes
d'Italie contre les infultes des corfaires de Barbarie,&
les attaques des ennemis qui pourroient arriver
du Nord. Il anomméDirecteur-Général,&
Lieutenant-Général de ce département, le Che(
207 )
valier Acton , ci-devant Commandant la marine
ici ; c'eſt ſous ſa direction que ſe feront les
conftructions & réparations projettées . S. M. a
attaché à cet emploi 6428 écus d'appointemens .
Oncroitque le Chevalier Acton feraauffi nommé
Général des galères du Royaume.
Nous apprenons de Malte que le Bey de Tunis
a écrit au Miniftre de France , auprès du Grand-
Maître , pour lui demander des nouvelles de
fon gendre Ifmael-Caggia , qui a fui de fa Cour
après avoir enlevé les tributs de toutleRoyaume,
&emporté une quantité d'effets précieux , fans
compter pluſieurs femmes.
Les mêmes lettres portent que le Grand-
Maître a fait partir deux galères pour donner
la chaſſe à des corſaires Babareſques qui ſe ſont
montrés dans ces mers. Ils y ont enlevé dernièrement
un bâtiment Napolitain , dont on
évalue la cargaiſon à 30,000 écus . L'équipage
a eu le bonheur de ſe ſauver dans un petit
efquif.
>> Une compagnie d'amateurs , écrit-on de Rome ,
ayant fait faire une fouille dans le quartier bas qui
ſépare le Viminal du mont Eſquilin , on a découvert
pluſieurs appartemens ornés de peintures & de
tableaux à freſque , qui ſont du meilleur goût , &
qui fervent à faire connoître celui des anciens. Les
tableaux au nombre de 13 , ont été gravés & copiés
en miniature. Les gravures coûtent 6 paolis chacune
, chez Bouchard & Gravier , Libraires au Cours;
les miniatures faites par M. Camille-Butti , ſe vendent
s ſequins chacune «.
ANGLETERR E.
De LONDRES , le 1 Février.
On n'eſt pas moins empreſſé ici qu'en France
de recevoir des nouvelles de l'Amérique ; nous
avons raifon d'être inquiets ſur les fuites de
(208 )
l'expédition du Comte d'Estaing , dont nos en.
nemis attendent avec impatience des détails ;
nos derniers avis l'ont préſenté à la pourſuite
du Commodore Hotham , & depuis ce tems ,
nous ne favons fi ce dernier lui eſt échappé
les papiers Miniftériaux entreprennent bien de
tems en tems de nous raſſurer. Selon eux , nous
n'avons reçu aucune lettre , parce que le paque
bot le Weymouth , parti de la Jamaïque le 29
Novembre , a été pris par l'armateur Améri
cain le Général Sullivan , après un long combat,
dans lequel le Capitaine & 3 de ſes gens ont
été tués. Le contre - maître de ce paquebot ,
arrivé à Falmouth a, dit-on , raconté que 2 jours
après fon départ de la Jamaïqué , étant encore
à la vue de cette ifle , il avoit vu 7 bâtimens
chargés de troupes , faiſant partie du convoi du
Commodore Hotham , & qu'il ne doute point
qu'ils n'y foient arrivés , & que le reſte n'ait
ſuivi de près.
S'il faut en croire les papiers du jour , cette
nouvelle confolante a été confirmée par le Capitaine
Lloyd , Aide-de-Camp du Général Clinton
, arrivé au Bureau du Lord George Germaine
; à fon départ de New-Yorck , le 27 dú
mois dernier , on y favoit déja que les troupes
envoyées aux ifles y étoient arrivées fans accident
; s'il a fait ce rapport , il étoit affez intéreffant
pour mériter que la Cour s'empreflät de
le publier & de raffurer la nation ; elle ne l'a
point fait , & fon filence fait mal augurer de
cet avis & de quelques autres plus importans ,
& fur leſquels elle ne ſe tairoit point , fans
doute , s'ils étoient fondés ; on affure , toujours
fur la foi du Capitaine Lloyd , qui l'a dit au
Miniſtère qui n'en dit rien , que la Georgie eſt
foumiſe , qu'elle a reçu à bras ouverts les troupes
royales que l'on y a envoyées , & que l'on
étoit sûr qu'elles recevroient le même accueil
dans pluſieurs autres Colonies.
( 209 )
Tant que la gazette de la Cour ne parlera
pas de ces nouvelles , on continuera de s'en dé
fier,& on n'y croiroit encore que médiocrement,
quand elle fe donneroit la peine de les publier.
Malgré les foins qu'elle a pris pour perfuader
qu'elle a des partiſans en Amérique où ils
n'attendent que l'occaſion d'agir pour opérer
une réunion , on fait que le voeu unanime de
toutes le Colonies , eſt de former à jamais un
état ſéparé de la Grande - Bretagne , & que
par-tout on eft déterminé à faire les plus grands
efforts , les plus grands facrifices pour affurer
la liberté commune ; Pappui que leur prête au
jourd'hui la France , n'eſt pas propre à leur inf
pirerd'autres fentimens. Les opérations de cette
Puiflance nous obligent de partager nos efforts ,
&garantiſſent ſon indépendance . On peut juger
de ce que nous pouvons faire par ce que nous
avons fait ; la marine Françoiſe eſt devenue
formidable à la nôtre ; nous ne pouvons nous
déguiſer que nos armateurs feuls ont été heu
reux fur mer ; les forces nationales , la marine
royale , ont juſqu'à préſent eu le deſſous dans
tous les combats que nous avons foutenus ; nous
avons perdu pluſieurs vaiſſeaux du Roi , & nous
n'en avons pas pris un ſeul de conféquence à
nos ennemis. Le bruit qui s'étoit répandu que
l'eſcadre de l'Amiral Shuldam s'étoit emparé
de quelques-uns , ne s'eſt pas foutenu ; il n'avoit
fans doute été imaginé que pour confoler la
nation d'une humiliation qu'elle ne peut ſe dé
guifer. On a dit depuis que deux de nos fré
gates avoient pris un vaiſſeau de 60 canons à
la hauteur de Scilly ; mais on ne nomme point
ce vaiſſeau , & cette nouvelle paroit venir de
la même ſource que la précédente ; elle a été
bientôt oubliée pour faire place à une autre qui
ſemble malheureuſement plus vraie. Nous avons
perdu le Bristol de so canons , pris à la hauteur
(210 )
du Cap François par une frégate de 36 ; cette
perte feroit bien plus fâcheuſe encore s'il étoit
vrai , comme on le dit & comme on craint
que cela ne ſe confirme , que le Contre-Amiral
Pierre Parker qui commande l'eſcadre du Roi
à la Jamaïque , fût ſur ce vaiſſeau lorſqu'il a
été forcé d'amener.
Les embarras dans leſquels les affaires actuel.
les plongent le Ministère pour faire face aux
François & aux Américains , avoient fait imaginer
qu'il avoit réfolu de renoncer à continuer
la guerre avec les derniers , pour tourner toutes
les forces de la Grande-Bretagne contre les premiers
; mais ce parti dont les circonstances fembloient
impoferla néceſſité , n'eſt pas celui que
l'on prendra ; on prétend continuer la guerre
contre l'un & l'autre de ces ennemis avec la plus
grande vigueur ; & dans le mois prochain , on
expédiera des troupes pour l'Amérique Septentrionale
& les ifles. Le Gouvernement a déja
paflé un contrat avec des Marchands qui font
le commercede la Jamaïque pour y tranſporter
des foldats , à raiſon de 6 liv. fterl. par tête ,
à la charge par le Gouvernement de leur four.
nir les provifions & l'eau. Les recrues Allemandes
ne partiront qu'en Mars , & il eſt douteux
qu'on puifle fournir au Général Clinton toutes
les troupes dont il a beſoin. On affure qu'il continue
de demander ſa retraite , & felon quelques
perſonnes , il eft déja en route , ce qui n'eſt
pas vraiſemblable ; mais on fait qu'il eſt preflé
de revenir en Angleterre. Le retour de ce Gé
néral, que le Ministère avoit vanté comme le
grand faiseur , dit-on dans un de nos papiers ,
va confirmer ce que tous les gens ſenſés n'ont
ceffé de dire , & ce que le Gouvernement ne
veut pas entendre , qu'il eſt impoffible de con
quérir l'Amérique ,& que laGrande-Bretagne ,
après l'avoir perdue par une faute puniſſable
( 211 )
dans ſes auteurs , n'a fait , en voulant la foumettre
, qu'augmenter ſa dette immenfe , &
montrer ſa foibleſſe .
Ces reproches fréquens ,adreſſés au Miniſtère ,
ne produiſent aucun effet ; il perfiſte dans ſes
deffeins , & ne s'occupe que des moyens de les
exécuter. Les fonds dont on a beſoin pour cette
année ne font pas encore trouvés . Selon les premiers
calculs , on comptoit avoir un million de
don gratuit , deux de la Compagnie des Indes
& fept par un emprunt; le Lord North avoit
déja trouvé des ſouſcripteurs au moyen d'un
avantage qui leur auroit procuré plus de 6 pour
cent ; mais les beſoins de l'Etat fe font trouvés
monter à une plus forte ſomme , & il a fallu
porter l'emprunt à 10 millions. Les ſouſcripteurs
fur leſquels on comptoit , ont voulu vendre leurs
ſervices à un plus haut prix , & ils ont prétendu
ſept & demi pour cent à une époque fixe. Le
Lord North a refuſé de céder à des conditions
auffi dures , & il cherche à préſent de nouvelles
reſſources qu'il dit avoir dans la main ,
mais qu'on ne croit pas moins devoir retarder
l'ouverture du Budget. C'est lorſqu'il s'adreſſera
au Parlement que les féances deviendront intéreſſantes.
Juſqu'à ce moment , on s'eſt occupé des af
faires de l'Irlande , qui fait partie du Royaume
de la Grande-Bretagne, & qui eft plus maltraitée
qu'une Province étrangère ;mais l'intérêt
que quelques membres prennent à ſa proſpérité ,
éprouve la plus forte oppofition , & on ne s'attend
pas à voir prendre , d'ici à quelques tems ,
aucune réfolution déciſive . On a arrêté deux
Bills , l'un pour punir la défertion dans les troupes
de la marine , & l'autre , pour révoquer un
acte de la dernière féance concernant les moyens
de mieux recruter l'armée. Les moyens qu'on
propoſe aujourd'hui , font d'aſſurer à ceux qui
( 212 )
s'engageront volontairement au ſervice de terre,
leur congé au bout de 3 ans , & au bout de
5 ans à ceux qui auront été enrôlés par force.
On remarquera qu'il ne s'eſtélevé aucune voix
contre les enrôlemens de cette dernière eſpèce ,
dans un pays où l'on vante avec tantd'emphaſe
la liberté naturelle des citoyens .
Le Parlement d'Irlande qui avoit été prorogé
du 3 Novembre au 12 de ce mois , vient de
l'être encore au 23 Mars prochain. On apprend
de Dublin que le Major-Général Calcraft raf
femble les trois mille hommes des troupesde ce
Royaume qui doivent ſe rendre en Amérique ;
on dit que pour remplacer ces troupes & pourvoir
à la sûreté du pays , comme le Gouvernement
s'y eft engagé , on eſſaiera de mettre fur
pied une milice à l'exemple de celle d'Angleterre
; mais bien des gens s'élèvent contre ce
projet, qui ne peut être exécuté ſans l'aveu du
Parlement; ils prétendent qu'il feroit imprudent
d'armer un peuple que l'on craint , que l'on
ne ménage pas aſſez , & qui peut être tentéun
jour de ſe ſervir de fes forces s'il apprend à les
connoître , pour réprimer les vexations de fes
oppreffeurs , & les forcer à le traiter d'une mal
nière plus conforme à la raifon & à la justice.
Ce Royaume eſt d'ailleurs peu peuplé , on en
a tiré un grand nombre de recrues pour le fervice
de terre & celui de la marine royale , &
on ne peut mettre la milice fur pied , fans nuire
à l'agriculture & aux fabriques.
On continue d'aſſurer que les diſpoſitions de
l'Eſpagne font toujours pacifiques ; mais la majeure
partie de la nation eſt perfuadée qu'elles
font très-incertaines & prêtes à changer , fuivant
les circonstances . Cette Puiſſance ſemble
n'attendre que des nouvelles des opérations des
François en Amérique pour ſe déclarer. En
attendant , les Particuliers arment & commen
( 213 )
cent contre nous la guerre que leur Souverain
doit bientôt nous faire . >> Les Eſpagnols ont
préſentement en mer dans ces parages , écrit- on
de Gibraltar , preſque autant d'Armateurs que
les François. Quand ils rencontrent un de nos
bâtimens marchands , ils arborent pavillon François
& s'en emparent : ils redeviennent Eſpagnols
, lorſque ce font des vaiſſeaux de guerre
Anglois qu'ils trouvent fur leur route. Ils exécutent
d'autant plus aifément cette manoeuvre ,
que leurs équipages font mi-partis de François
&d'Eſpagnols <<.
On porte à une ſomme très-confidérable la
valeur des fix vaiſſeaux François venant des
Indes , dont ſe ſont emparés les Armateurs de
Liverpool ; on en a fait le calcul fuivant dans
nos Papiers publics où il eſt peut-être exagéré.
Les deux Amis , 500,000 livres ſterling ; l'Aris
180,00 , l'Aquilon , 200,000 , l'Epaminondas
400,000 ; le Carnatic , 400,000 , & le Gaston ,
200,000. Total 1,880,000 liv . fterl .
-. On n'eſt pas fans inquiétude fur le fort de
quelques-uns des vaiſſeaux que notre Compagnie
des Indes attend , & qui peuvent offrir aux Armateurs
François leur revanche & une riche
proie. Nous avons appris qu'il en étoit arrivé s
au Cap de Bonne-Efpérance , ſavoir , le Calcutta
, le Gatton ,le Morse , le Stafford & l'Amiral.
Royal ; ils étoient fous le convoi du vaifſeau
de guerre l'Afie de 64 canons , qui les y a
laiſſés ; le Gatton & le Calcutta font , dit - on ,
en route pour revenir ici .
La Compagnie a perdu au Cap un fixième
vaiſſeau , le Colebroke , qui a échoué . Cette
nouvelle a été apportée par le premier contre-
Maître de ce vaiſſeau , qui s'embarqua peu de
tems après cet évènement , ſur un bâtiment
François , qui fut pris par un corſaire de Guernefey
, à bord duquel il eſt reſté long-tems avant
( 214)
d'informer la Compagnie des Indes de la perte
qu'elle avoit faite. Elle vient de prendre à fon
ſervice deux navires pour remplacer le Colebroke&
le London ; on ſe rappelle que le dernier
a péri la nuit du 29 Décembre , par l'imprudence
du Commandant du Ruffel , qu'on dit
quelle ſe propoſe de poursuivre en Juſtice à
raiſon de cette perte, qui eft d'autant plus ſenſible
dans ce moment , qu'il étoit deſtiné à l'approvifionnement
de l'Iſle de Sainte-Hélène , où
l'on tient un magaſin pour les beſoins des vaiſ
ſeaux qui y touchent en revenant de l'Inde , &
qu'il étoit important de munir dans cette circonftance.
On raconte Panecdote ſuivante à l'occaſion de
la perte du London. Un Particulier avoit remis
à M. Webb qui le commandoit , une perle d'une
très-grande valeur. Le propriétaire en avoit
long-tems ignoré le prix ; ce furent quelques
Membres de la Société Royale qui l'en inſtrui
firent en 1777. Il l'envoya au Baron Fédérick
à Pétersbourg , pour la préſenter à l'Impératrice
, dans l'eſpérance qu'elle l'acheteroit ;
mais comme il en vouloit 160 mille roubles ,
cette Princeſſe nejugea pas à propos d'employer
à cet achat une fomme auſſi conſidérable . Le
propriétaire imagina d'envoyer la perle aux
Indes , où il fe flatta qu'il s'en déferoit avan.
tageuſement. Le Capitaine Webb , au moment
où fon vaiſſeau alloit couler à fond , ſe
fouvint du dépôt précieux qu'on lui avoit con.
fié ; il rentra dans ſa cabane au péril de ſa vie ,
& reprit la perle. Le propriétaire , informé du
fait , a voulu l'en récompenfer ; mais le Capitaine
a refuſé tout ce qu'il lui a offert. Ce défintéreſſement
de ſa part eſt d'autant plus ex.
traordinaire , qu'il a perdu lui-même 25000 liv.
ſterling , pour leſquelles il étoit intéreſſé dans
la cargaiſon de fon vaiſleau.
1
(215 )
Le procès de l'Amiral Keppel ſe continue à
Portsmouth ; juſqu'à préſent les dépoſitions des
témoins que l'accuſateur a fait entendre , font
toutes en faveur de l'accuſé . Le Chevalier Pal
lifer a perdu beaucoup dans l'opinion publique
depuis cette malheureuſe affaire ; les ratures&
les corrections faites au Journal du Capitaine
Hood , Commandant le Robuste , ont
été jugées faites dans les vues les plus odieuſes
pour perdre l'Amiral ; & le Capitaine Hood, qui
s'en eft rendu complice , a eſſayé de réparer fa
faute , en contrariant autant qu'il a pu dans ſes
dépoſitions, les vues du Vice-Amiral. Le Capitaine
Windfor , revenu de Paris avec la permiffion
de la Cour de France pour dépofer comme
témoin , a prouvé clairement que Sir Hugh
Palliſer avoit défobéi aux ordres que lui-même
lui avoit portés de la part de l'Amiral ; on ſe
reſſouvient que le 2 Décembre , dans la Cham
bre des Communes , l'Amiral Keppel , preffé
d'expliquer pourquoi le combat du 27 Juillet
avoit fi mal reuſſi , répondit que le Vice-Amiral ,
en n'obéiſſant pas aux fignaux pour renouveller
le combat , quoiqu'ils euſſent été dehors près
des heures , donna le tems à la flotte Fran
çoiſe de rentrer dans ſes Ports ; on ſe rappelle
queM. Pallifer convint formellement du fait ,
en afſurant la Chambre qu'il étoit en état de
juftifier ſa déſobéiſſance , & en demandant luimême
avec empreſſement une enquête ; & c'eſt
après cet aveu fait au Parlement , & par-là
même à la nation qu'il repréſente , qu'il s'eſt
enfuite porté accuſateur de l'Amiral Keppel .
On part de là pour renouveller tous les farcafmes
dont depuis long-tems on accable le
Miniſtère. Le tort de Keppel à ſes yeux eſt d'e
tre Whig , & c'en eſt un réel vis-à-vis d'un Mimiſtère
Tory ; il devoit être traité comme l'ont
été les deux frères Howe , les Généraux Clin
1 ... :
( 216 )
ton , Carleton , Burgoyne , Gage & l'Amiral
Graves . Mais l'effet de cette conduite ſera de
détourner tout Officier de diftinction de prendre
un Commandement de conféquence à l'avenir .
Le Capitaine Lockhart-Roff, qui doit être interrogé
comme témoin , eſt , dit-on , décidé à
donner ſa démiſſion auffi-tôt après qu'il aura été
entendu ; pluſieurs autres bons Officiers prendront
le même parti , & on prévoit toutes les
conféquences qui peuvent en réſulter pour la
nation& le ſervice en général.
L'Amiral Keppel , qui avoit toujours été incommodé
d'une maladie de nerfs , ne s'eft jamais
mieux porté de ſa vie , que depuis que
fon procès eſt commencé. La ſeule choſe qui
ait paru l'affecter juſqu'à-préſent , c'eſt d'avoir
lu dans un papier public , le reproche qu'on
lui fait d'avoir accepté un Commandement fous
des Miniftres qu'il ne pouvoit aimer , ni eftimer
, au lieu de montrer la noble fierté avec
laquelle le Lord Bristol avoit proteſté qu'il fe
refuſeroit à toutes les offres qui pourroient lui
être faites .
>> Parmi les queſtions fans nombre que le
Confeil de Guerre fait aux témoins qu'il interroge
, lit-on dans nos papiers , il eſt bien
fingulier què les deux ſuivantes aient été omifes
, foit par les Juges , foit par l'accufé , foit
par l'accufateur. 1º. Eft-ce l'Amiral Anglois ,
eſt-ce l'Amiral François , qui le premier a retiré
le ſignal du combat ? 2°. Combien de tems ,
celui qui l'a retiré le dernier , l'a-t- il gardé plus
que l'autre ? Ces queſtions intéreffantes pour la
nation vaudroient bien la peſanteur & la longueur
faftidieuſe de celles qu'on ne cefle de faire
& de répéter juſqu'au dégoût ; mais les Miniſtres
qui ont imaginé ce procès pour amufer
la nation , & l'empêcher de donner toute fon
ง
attention à des objets qu'il lui feroit plus effentiel
( 217 )
fentiel d'approfondir , ſe garderont bien de
permettre qu'on l'éclaire . Ils ont épuiſé la reffource
des refus directs & des fubterfuges ; ils
ont inventé ce nouveau genre d'artifice , & ils
l'ont ſaiſi avec autant d'adreſſe que d'avidité. Il
pourroit ſe faire qu'ils ne fuſſent plus dans le
cas d'en chercher de nouveaux. La nation ne
peut tarder à ouvrir les yeux &àſe faire juſtice ;
elle n'a qu'à le vouloir; le procès de l'Amiral
Keppel peut donner l'envie d'en faire quelque
autre plus important , plus fondé ; les accufations
& les preuves ne manquent pas " .
Toutes ces réflexions montrent que l'opinion
de la nation eſt pour l'Amiral ; le jugement ne
peut tarder ; l'interrogatoire des témoins produits
par Sir Hugh Palliſer , a été fini le 29 ;
ce Vice-Amiral defiroit que l'on lui permit d'en
faire la clôture par la lecture d'un diſcours
qu'il avoit préparé ; mais, comme c'étoit une
choſe contraire à l'uſage , il fut refuſé. L'Amiral
Keppel prêt à ſe défendre demandoit à
être entendu le lendemain , mais on l'a remis à
aujourd'hui , premier du mois , pour lui ménager
le tems de mettre ſes minutes en ordre.
Son triomphe ne peut qu'être complet. Juſqu'à
ce moment c'eſt ſon accuſateur même qui l'a
préparé ; on ignore comment il s'en tirera ,
comme le cri public le demande , on lui fait
ſon procès à fon tour. Il ſeroit fans doute injuſte
de le dérober aux pourſuites qu'il a cherchées
, & peut-être imprudent de le tenter. On
peut juger de l'opinion générale contre lui par
les queſtions ſuivantes adreſſées au Chevalier
Hugh Pallifer.
>>> N'avez- vous pas été envoyé par Milord Sandwich
, ainſi que votre Collègue , le Lord Mulgrave
fi conféquent dans ſa conduite , ( il étoit du parti de
l'Oppoſition lorſqu'il s'appelloit le Capitaine Phips )
pour ſervir d'eſpion à l'Amiral Keppel ? 2°. Les fer-
15 Février 1779. K
(218 )
vices connus , la bravoure de M. Keppel , joints an
cri de la Nation , ayant forcé le bureau de l'Amirauté
àle nommer Amiral de la flotte , & ce choix ayant
par conféquent trompé votre ambition ; n'étoit- ce
pas de ce moment le voeu de ce bureau , & fur-tout
le vôtre , qu'il s'offrît une occafion de le perdre ?
3°. Ne croyez-vous pas avoir trouvé cette occafion
& être en état de prouver l'accufation que vous
avez portée contre lui ? 4°. Avez-vous pelé mûrement
les conféquences qui en réſulteront ſi vous
échouez ? 5º . Ne ferez-vous pas couvert de honte
&d'infamie fi l'Amiral prouve qu'il s'eſt bien conduit
? 60. S'il a eu tort en quelque point votre réputation
établie ſur une baſe précaire ne vacillera-t-elle
plus ? 7°. Comment vous juftifierez -vous de n'avoir
pas obéi au ſignal ? 80. Direz -vous que vous n'avez
pas apperçu ce ſignal qui eft reſté dehors depuis 3
heures jusqu'à 8 ? 90. Parvenu à la dignité d'Amiral
ignorez-vous que quand votre vaiſſeau est déſemparé
, votre devoir eſt de hiſſer votre pavillon à
bord d'un autre vaiſſeau de votre diviſion , qui n'a
que peu ou point ſouffert , & d'agir comme li vous
étiez à bord du vaiſſeau que vous aviez monté en
premier lieu ? 100. Le plus jeune d'entre les bas-
Officiers ignore-t-il une règle ſi ſimple ? 110. En
alléguant que l'état de votre gréement vous mettoit
hors d'état de venir dans les eaux du Victory , vous
ne nierez pas que vous avez viré vent arrière ,
pour vous éloigner d'un vaiſſeau de guerre François
qui ſembloit venir à votre rencontre ? 120. Si
le Conſeil de guerre juge que M. Keppel s'eſt bien
conduit , croyez-vous qu'il ſera au pouvoir de votre
ami le Lord Sandwich de vous fouftraire à une
femblable enquête , & de braver ſous ſa protection
les loix de votre patrie ? cc
Le fameux David Gawick eſt mort le 20 de
ce mois , âgé de 62 ans , de la pierre ; il avoit
débuté ſur le théâtre en 1741 ; & il y a environ
deux ans & demi qu'il l'avoit quitté ; le
théâtre de Drurylane a été fermé le jour de ſa
(219)
mort; hier il a été expoſé ſur un lit de parade
, où plus de 30,000 perſonnes l'ont été voir ;
il a été transféré aujourd'hui dans l'Abbaye de
Westminster avec toute la folemnité ponible ,
& dépoſé ſous le monument érigé à la mémoire
de Shakespeare. Le Duc de Devonshire, le Lord
Camden , le Comte, d'Oſſory , le Comte de
Spencer , le Vicomte de Palmerston , Sir William-
William Wynne ; MM. Rigles , Stanley ,
Patterfon & Albanywalles portoient le drap
mortuaire . Quantité de perſonnes de diſtinction
ſuivoient le convoi à pied , & après elles marchoient
50 carroffes drapés, & un grand nombre
de voitures. Un détachement des gardes
accompagnoit le tout , & veilloit à l'obfervation
de l'ordre.
ÉTATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT .
De Fishkill le s Décembre. Le Conſeil de
Guerre aſſemblé pour juger le Major-Général
Schuyler , à qui l'ont faifoit un crime de s'être
trouvé abſent de Ticondérago , lors de l'expédition
du Général Burgoyne , étoit préſidé
par le Général Lincoln. Après avoir entendu
les témoins pour & contre , le Tribunal a décidé
que M. Schuyler n'étoit point à blâmer ,
& l'a déchargé honorablement de l'accufation
intentée contre lui. Le Congrès a confirmé ce
jugement , dont il a ordonné la publication ,
&qu'il en ſoit rendu compte au Commandant
en chef.
Nos avis de Williamſbourg en Virginie , confirment
la priſe du fort de Chartres , & des autres
poſtes occidentaux entre l'Ohio & le Miffiffipi
, par le Colonel Clarke , à la tête d'un
gros corps de milices. Il a fait priſonniers le
Commandant Anglois & les troupes Britanniques
qui s'y trouvoient.
K2
( 220 )
M. Silas Deane , a publié il y a peu de tems une
adreſſe aux libres & vertueux citoyens de l'Amérique
, dans laquelle il porte des plaintes très-vives
contre MM. Arthur & William Lée, chargés des
affaires de politique & de commerce du Congrès en
Europe; il remplit ſeul ſes fonctions juſqu'en Septembre
1776 , que le Congrès ſelon ſes expreſſions
l'honora d'un collègue & l'embarraſſa d'un autre ;
le premier fut le Docteur Franklin , & le ſecond
M. Arthur Lée ; ils arrivèrent en France en Décembre;
& en conféquence d'une convention faite entre
les Commiſſaires , le dernier partit pour l'Eſpagne
en Février 1777 , & par l'étalage vain & déplacé de
ſa million , inſpira de la défiance à la Cour de Madrid
, qui ne lui permit pas d'aller plus loin qu'à
Burgos , d'où il revint au commencement d'Avril;
enMai , il ſe rendit à Berlin , où il ne fit rien , &
où il eut le malheur de perdre ſes papiers , qui lui
furent enlevés par des inconnus, comme l'on fait ; ce
qui ébruita le ſecret de ſes Collègues , & mit le Miniſtère
Britanique en état de faire échouer leurs mefures
. En Février de la même année , M. William
Lée fut nommé Agent pour le commerce en Europe;
comme l'un &l'autre ont deux frères membres
du Congrès , M. Deane ſe promet de les ménager ;
cependant il accuſe le dernier d'avoir fait fa main en
faiſant les affaires du Congrès , d'avoir déplacé des
Agens qui ne prenoient que 2 pour 100 de commiffion,
& de leur en avoir ſubſtitué d'autres qui prennents
pour 100 , & lui font unepart.Quant à Μ.
Arthur Lée , il l'accuſe de s'être lié avec un certain
Docteur Berkenhout , Eſpion du Miniſtère Anglois ,
&que ſon imprudence mit M. Charles Fox , ami du
Lord Shelburne , en état d'annoncer à la chambre
des Communes le traité entre la France & les Etats-
Unis, peu de jours après qu'il eut été ſigné. Il impute
ſon rappel aux deux Lées ; il ſe plaint de n'avoir
pas été écouté à ſon retour lorſqu'il a voulu rendre
comptede ſa conduite & de pluſieurs détails qui intéreſſent
les Etats-Unis , de ce qu'on n'a pas fait
4
( 221 )
attention aux lumières qu'il a voulu donner ſur le
Docteur Berkenhout , lorſqu'il eſt venu en Amérique
, qu'on l'a ſouffert à Philadelphie , qu'on lui
apermis de retourner à New- Yorck après avoir rempli
ſa miffion d'Eſpionage , &c. Tel eſt le précis de
Î'adreſſedeM.Deane ; fon effet a engagé M.Richard-
Henri Lée , à y répondre par une autre , dans laquelle
il invite les citoyens à ſuſpendre leur jugement
ſur ſa famille , juſqu'à ce qu'il ait approfondi
les plaintes formées contre elle. On attendoit de
nouvelles publications de la part de M. Deane ; mais
il a déclaré que le Congrès étant actuellement difpoſé
à l'entendre , il n'avoit plus beſoin de recourir
à la médiation du peuple ; & il lui donnera , à lui
ſeul , l'explication des détails qui ont excité la curiofitégénérale.
De Charlestown le 10 Décembre . Selon les let
tres de Boſton , le Général Philips étoit encore
confiné dans ſa maiſon , près de Cambridge , à
la fin du mois dernier ; & fur le refus conftant
que le Commandant de cette Province faiſoit
de traiter avec lui d'aucune affaire relative aux
troupes priſonnières , il avoit été obligé de remettre
ce foin au Brigadier-Général Hamilton
pour les troupes Britanniques , & au Général
Major Riedeſel pour le troupes Allemandes.
Celles-ci continuent leur ſéjour dans des barraques
fur les hauteurs qui font entre Boſton &
Cambridge ; mais les troupes Angloiſes occupent
les quartiers qui leur ont été préparés
dans le District de Rutland. La dernière divifion
de ces troupes s'étoit miſe en marche pour
s'y rendre à la fin d'Octobre .
Nous recevons quelquefois des papiers de
New-Yorck , que nous ne liſons jamais fans furpriſe
& fans indignation ; on voit qu'ils font
deſtinés principalement pour l'Angleterre où nos
ennemis cherchent à donner des nouvelles abfurdes
& des impreſſions très-fauſſes de nous&
K3
( 222 )
de notre ſituation ; ce n'eſt qu'en Europe que
de pareils détails peuvent abufer quelques perfonnes
: ici l'on ne fauroit en être la dupe. Nous
lifons dans un de ces derniers papiers de New-
Yorck , » qu'un particulier arrivé récemment de
Philadelphie, annonce que le Congrès & fes partiſans
font dans les allarmes les plus vives , depuis
l'arrivée d'un bâtiment François qui a rapporté
qu'il n'y avoit rien de plus probable que
de voir ajufter promptement les différens entre
la France & la Grande Bretagne «. Nos ennemis
cherchent toujours à nous inſpirer de la
défiance fur cette puiſſance ; mais ils s'y pren
nent d'une manière bien mal- adroite . Le traité
qu'elle a conclu avec les Etats-Unis ,'prouve
fa modération & fa bonne foi ; nous n'avons
qu'à le relire pour détruire les infinuations des
Anglois . La manière dont ils parlent de notre
Auguſte allié , ne doit pas nous étonner lorfque
nous faiſons attention à celle dont ils parlent
de nous. S'il faut les en croire , il ſe forme
actuellement une Junte compofée des Généraux
Mifflin , Thompson , Arnold & Sinclair , dont
le but eſt d'ôter le commandement auGénéral
Washington , qu'ils ne regardent pas comme
un homme ayant la capacité néceſſaire pour
commander une armée en chef. Perſonne fur le
Continent ne peut avoir cette idée de cet Of
ficier ; il n'y a qu'à ſuivre ſa conduite pendant
toute la guerre , l'art avec lequel il a ſu ruiner
l'ennemi , & l'empêcher de faire aucune conquête
ou de la conſerver , ſans expoſer la cauſe
de l'Amérique par une bataille dont le gain auroit
été plus éclatant , ſans doute , mais la perte
d'une trop grande conféquence pour qu'il fût
prudent de la riſquer. L'effet de ſes opérations
eſt manifeſte ; nous ſommes libres & indépendans
, & nos ennemis font hors d'état de nous
ravir ces deux biens précieux.
Si l'Europe , à qui l'Angleterre cherche à
1
(223 )
en impoſer , veut avoir une juſte idée de nos
ſentimens , qu'elle life les réponſes que l'on a
faites au dernier manifeſte des Commiſſaires Britanniques
; la plupart font l'ouvrage de particuliers
qui n'ont fait qu'exprimer ce que penſent
les habitans de toutes ces Provinces .
>> Ce n'eſt point , dit l'Auteur du Sens commun ,
que l'on croit être M. Samuel Adams , à la bonté
Britannique , mais à l'interpoſition de la Providence
que nous ſommes redevables de l'impoſſibilité où
vous êtes d'étendre plus loin vos ravages : aujourd'hui
vous n'êtes pas maîtres d'un pied de terrein
fur le Continent. Quelques Iles circonfcrivent votre
pouvoir , & vous ne les poffédez qu'aux dépens
de vos Iſles à ſucre. Quand vous feriez en état
d'exécuter vos menaces , les repréſailles que nous
ferions en état de prendre vous rendroient mille
fois plus malheureux que nous. Vous devez ſavoir
que l'Angleterre & l'Ecoffe font bien plus expoſés à
une dévaſtation incendiaire que l'Amérique , où il
n'y a que peu de villes , où les richeſſes confiftent
en terres & en productions annuelles , qui ne peu,
vent fouffrir que fort peu dans un cercle de tems
très-borné . Dans la Grande-Bretagne c'eſt toute autre
choſe , elle tire ſon opulence de ſes grandes
villes , de ſes bourgs , qui ſervent d'entrepôt pour
les manufactures & les flottes marchandes. Il n'y a
pas une maiſon de campagne de Seigneur qui ne
puiſſe être réduite en cendre par un ſeul homme ;
point de nation de l'Europe plus propre que nous
àune pareille entrepriſe. Nous parlons votre langue
, nous ſommes vêtus comme vous , nous avons
vos manières ; nous pouvons traverſer toute l'Angleterre
fans étre ſoupçonnés . Rien ne ſeroit plus
aiſé que de mettre le feu ; rien ne ſeroit plus difficile
que de s'en garantir «.
On fait avec quelle attention les Commiſſaires
Britanniques ont cherché à éveiller des ſcrupules
dans l'eſprit du peuple , ſur le traité fait
K4
( 224 )
avec une Puiſſance dont la Religion n'eſt pas la
même , & qui , ſelon eux , ne tend qu'à détruire
toute liberté civile & religieuſe. » Ces
expreffions , répond un Américain , font indignes
de l'homme. C'eſt dans l'Amérique que la
religion a enfin gagné une toléranee libre & univerſelle.
L'Europe , la Grande-Bretagne même ,
avec ſa liberté ſi vantée , continue-t-il, eſt aſſervie
à des reftrictions humiliantes à l'égard du culte
de l'Etre Suprême ; l'Amérique vous offre un
exemple digne d'être imité. Elle méconnoît
toute autre diftinction que celle du mérite. Le
bon citoyen eſt ſon objet & non le ſectaire ;
ne craignez donc point pour notre liberté religieufe.
L'alliance avec la France intéreſſe le
bon citoyen & non la Théologie .
FRANCE,
De VERSAILLES , le 10 Févier.
Le 2 de ce mois , fête de la Purification de la
Vierge , les Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre du Saint-Esprit , s'aſſemblèrent dans le
cabinet du Roi vers les 11 heures du matin, S. M.
fortit de ſon appartement pour ſe rendre à la Chapelle
dans l'ordre & avec les cérémonies accoutumées.
L'Archevêque de Narbonne , Prélat , Commandeur
de l'Ordre , célébra la grand'Meſſe , qui
fut chantée par la muſique du Roi ; la Comteffe
Jules de Rochechouart fit la quête ; Madame &
Madame Elifabeth de France aſſiſtèrent à la Meſſe
dans la tribune. S. M. fut reconduite enſuite à fon
appartement dans le même ordre qu'elle étoit ve.
nue. L'après-midi le Roi & la Famille Royale enrendirent
le Sermon qui fut prononcé par l'Abbé
de la Fage , Chanoine de l'Egliſe de Paris , & affiftèrent
aux Vêpres , qui furent chantées par la muſique
du Roi , & auxquelles l'Abbé de Granderatz ,
Chapelain de la grande Chapelle , officia.
Le 7 , LL. MM. Monfieur , Madame , Monſei
gneur le Comte & Madame la Comteſſe d'Artois ,
( 225 )
allèrent coucher au Château de la Muette ; ils ſe
rendirent le lendemain à Paris & revinrent coucher
à la Muette , d'où ils ſont revenus hier à Verſailles .
Le 31 du mois dernier le Comte d'Adhemar ,
Miniſtre Plénipotentiaire du Roi à Bruxelles , eut
l'honneur d'être préſenté au Roi par le Miniſtre
des Affaires Etrangères , & de prendre congé de
S. M. pour ſe rendre à ſa deſtination .
Le même jour LL. MM. & la Famille Royale
ſignèrent le contrat de mariage du Marquis de
Belſunce , Gouverneur & grand Sénéchal des Provinces
d'Agénois & Condomois , Meſtre de Camp
du Régiment de Dragons de ſon nom , avec Demoiſelle
de Vergès ; celui du Prince de Broglie
avec Demoiſelle de Roſen de Klemroop ; celui du
Comte de Laſtic , Capitaine de Cavalerie , avec
Demoiſelle de Monteſquiou , & celui de M. Molé
de Champlatreux , Conſeiller au Parlement de Paris ,
avec Demoiſelle de Lamoignon .
Le 21 Janvier M. Caron de Lévainville a prêté
ſerment entre les mains de Monfieur , en qualité de
Secrétaire de ſes Commandemens , en ſurvivance de
M. Dumerjan , qui conſerve l'exercice de cette
charge.
Le 28 , l'Abbé Deſchamps , Chapelain de l'Egliſe
d'Orléans & M. Beauvais de Préau , Docteur en
Médecine de la même Ville , eurent l'honneur de
préſenter au Roi , à Monfieur & à Monseigneur le
Comte d'Artois , un Cours élémentaire d'éducation
des Sourds & Muets , par le premier , & une Differtation
fur la parole , traduite du latin , par le
dernier. Le lendemain M. Maffabiau de Figeat ,
Avocat en Parlement , eut l'honneur de leur préſenter
un Effai fur la valeur intrinfeque des fonds ,
ou le moyen de les apprécier , de faire connoître
leurs bornes , leurs limites , leurs fervitudes , de
pénétrer dans leurs charges , & d'en donner le
rapport exact & précis en Justice .
Ks
(226)
De PARIS , le 10 Févier.
LE 8de ce mois le Roi & la Reine ſont venus à
Paris accompagnés de Monfieur& de Madame ,
deMonſeigneur & de Madame la Comteſſe d'Artois,
de Madame Elifabeth,& de Meſdamns Adelaïde
, Victoire & Sophie de France ; ils ſe font
rendus d'abord à Notre-Dame pour remercier
Dieu de l'heureux rétabliſſement de la Reine ;
de-là ils ont été àSte-Geneviève , d'où ils ont pris
le cheminde la Muette où ils ontdiné ; une foule
immenſe s'eſt trouvée ſur leur paſſage , elle a
fait retentir l'air des cris de vive le Roi , vive la
Reine , & a témoigné par ſes acclamations &
par ſes tranſports fon amour pour ſes Souverains
, & la joie que lui inſpiroit leur préſence.
Le corps de Ville de Paris ſe propofoit de célébrer
ce jour par des réjouiſſances. La Reine
en ayant été inſtruite a defiré que les dépenſes
qu'elles occafionneroient fuſſent eemmployéesàdes
oeuvres particulières de charité ; elles ont fervi
en conféquence à marier cent pauvres filles ,
à chacune deſquelles on a donné une ſomme de
500 livres pour dot , & 200 pour les habits. Ces
mariages ont été célébrés à Notre-Dame , le 8
au matin avant l'arrivée de LL. MM.
Les lettres de Breſt nous annoncent la mort
de M. de Ligondes , Capitaine du vaiſſeau le
Triton , des fuites des bleſſures qu'il avoit reçues
dans le combat qu'il ſoutint à la hauteur
de la Corogne", contre le vaiſſeau Anglois le
Jupiter & la frégate la Médée. Il n'a pas pu
profiter des bienfaits du Roi , qui lui avoit accordé
une penſion de 1500 livres dont M. le
Comted'Orvilliers avoit été chargé de lui remettre
le brevet lorſqu'il eſt retourné à Breſt. Les
actions particulières que les vaiſſeaux du Roi ont
foutenu fur mer , & dans lesquelles ils ont toujours
eu l'avantage , ont fait perdre à la marine
quelques braves Officiers. M. de Caftellan,
( 227 )
commandant le Triton , frégate de 32 canons ,
actuellement en Amérique , eſt auſſi mort dans
le combat qu'il a foutenu , dit-on , contre le
Bristol , vaiſſeau Anglois de so canons , dont il
s'eſt rendu maître à la hauteur du Cap François
; c'eſt ainſi qu'on raconte cet évènement
glorieux & funeſte : couvert de bleſſures mortelles
, affoibli par la perte de ſon ſang , il n'a
ni quitté le pont , ni ceſſé de donner ſes ordres
il n'eſt expiré qu'au moment où il s'eſt vu vainqueur;
fon zèle & fon courage ont foutenu ſes
forces & confervé ſa vie juſqu'à l'inſtant où
le Capitaine Anglois a amené.
Le 25 du mois dernier , écrit-on de Brest , la
Fortunée , une des frégates qui ont accompagné
M. deGraffe au-delà des Caps , eſt rentrée ; étant en
croiſiere , après avoir quitté l'eſcadre , elle a trouvé
deux frégates Eſpagnoles , dont une avoit à bord
un député du Congrès de l'Amérique-Unie , qu'elle
conduiſoit à Madrid , & qui a été un inſtant à bord
de la Fortunée. Le même jour la Fortunée & le
Pluvier, flûtes du Roi , ſont arrivées de Rochefort
chargées de vin ; elles convoyoient fix barques <<.
>>Le 27, la frégate l'Oiseau , partit avec la Chate,
laMouche ; celle-ci va à Audierne , apparemment
pour ſauver ce que l'on pourra d'une priſe qui s'eſt
perdue dans cette baye. La premiere va croiſer dans
la Manche. Le même jour une flotte Marchande mit
àla voile ſous le convoi de la Bellone Il y eut afſemblée
des Capitaines & autres Commandans de
bâtimens pour lire des lettres du Miniſtre.
>> Le 28 , ajoute la même lettre , il eſt arrivé une
priſe faite par la frégate la Sensible de 32 canons.
C'eſt la Marquise de Gramby , corſaire de Liverpool
, monté de 18 canons , 14: pierriers. Il s'eſt
battu pendant 4 heures avec la plus grande valeur ;
aufli a- t- il perdu beaucoup de monde , fon équipage
eſt réduit à 80 hommes La Sensible croiſoit après
avoir quitté M. de Graffe ; le corfaire l'a priſe pour
( 228 )
une frégate venant des Iſſes , & l'a attendue. L'ayant
vue de plus près , il vouloit l'éviter ; mais l'équipage
s'y oppoſa , en diſant que la frégate devoit
être fatiguée , qu'on pouvoit la prendre , & que
cette priſe lui feroit honneur. Nous avons perdu 6
hommes , 30 font bleſſés , ainſi que 2 Officiers ,
Pun, M. de Bergengreen , Officier Suédois au ſervice
de France , eſt mort de ſes bleſſures M. Scott ,
Garde de la Marine , a eu lebras caffé . Ce corſaire
nous avoit enlevé déja pluſieurs bâtimens , il avoit
pris la veille , un navire du convoi deM. deGraſſe,
qui étoit reſté en arrière.
;
>>>Les conſtructions que je vous ai annoncées ,
ajoute ce correſpondant , auront lieu inceſſamment.
Le vaiſſeau de 110 canons , qu'on va conſtruire dans
ce port; eft nommé le Royal-Louis , il est tracé,
& il ſera conftruit dans le baſſin , où l'on achève la
refonte du citoyen ".
>> Les mêmes lettres ajoutent qu'on a reçu dans
ce port la nomination des vaiſſeaux qui n'avoient
point de Capitaines. La Ville de Paris , de 90 canons
, M. Duchaffault; la Couronne de 80 , M. de
Guichen. En ſuppoſant que le premier fût hors d'état
d'aller à la mer , M. de Guichen gardera fon vailfeau
, & M.de la Touche - Tréville , montera la
Couronne ; l'Auguste de 80 , M.de Rochechouart ;
leCytoyen de 74, M. de Nieuil ; l'Atifde74 ,M.
de Barandru ; le Triton de 64 , M. de la Clochetterie
; le Protée , le Solitaire & l'Eveillé de la
même force , MM. de Valmeniere , de Monteclair
&de Balleroi. La Belle-Poule de 32 , M. de Kergarion-
Locmaria. Cette frégate eſt rentrée avec une
repriſe ; le 16 Janvier elle avoit trouvé l'eſcadre de
M. deGraffe à 70 lieues de Brest , faiſant route avec
un vent favorable ; les mêmes lettres annonçoient
que M. d'Orvilliers étoit malade , qu'il avoit eu une
foibleſſe qui avoit donné de l'inquiétude , des lettres
poſtérieures raffurent ſur ſon état.
Selon des lettres de Rochefort , les conftructions
qui ſe font dans ce département font les
( 229 )
ſaivantes : L'Invincible , de 90 canons , l'Argonaute,
l'Illuftre , le Brave & le Magnanime, de74.
Les frégates la Cerès, la Fée , la Galatée , l'Hermionne
, de 32. Les galiotes à bombe , la Tenare
, le Vésuve , de 2 mortiers & de 8 canons.
Les chaloupes canonnières , l'Embuscade ,
l'Imprudente , la Mégère , la Panthère , de 3 canons
, de 18 livres de balle. Le Magnanime &
l'Hermionne feront lancés à l'eau en Mars . Les
navires partis de ce port pour aller joindre le
convoi à l'ifle d'Aix , ont été diſperſés par un
coup de vent de N. E. le 9 du mois dernier.
Comme il n'en eſt revenu qu'un feul , on préfume
que les autres aurent pourſuivi leur route
à tout hafard.
On écrit de S. Malo que le cutter la Guêpe
va reſſortir ; le Capitaine du Fougerais Garnier
réunit le courage de l'ame & la force du corps.
On dit qu'un jour, dans le fond de la Baſſe-
Bretagne,mécontent du cheval rětif qu'il montoit,
comme un autre Roland, il le tua d'un
coup de poing. Selon les mêmes lettres , le
corſaire l'Américaine , de Granville , Capitaine
la Cocardière a relâché à Cancale ; il a fait fix'
priſes dans ſa croifière. Une eſtimée 120,000 1.
non encore entree ; une chargée de 400 pipes
de vin de Porto , & de 200 caiſſes de fruits
fecs; un corfaire de 10 canons , un brick chargé
de ſalaiſons , & 2 marchands; il avoit en outre
cinq rançons à bord. L'Yorck rançonné pour
100,000 liv . , l'Indiamen , 15,400, le S. George ,
50,000 , l'Horobury , 40,000 , laPeggy , 14,950 ;
total , 220,350 liv.
Les corfaires de Rouen n'en ont pas fait de
moins riches ; le Duguay - Trouin , Capitaine
du Carfon du port du Havre , y a conduit deux
priſes , le Fatham venant de New-Yorck , évalué
500,000 liv. , & le Junius de Liverpool ,
eſtimé 150,000. Le nombre des corſaires que
( 230 )
la ville de Rouen a en mer ou en conftruction,
eft de 25 à 30.
Les
Dunkerquois en ont actuellement en
courſe 15 de 18, 14 , 12 , 10, 8, 6 & 4 canons.
Juſqu'à préfent ils ont fait au-delà de
millions de priſes , & n'ont perdu qu'un petit
navire de 4 canons. Ces premiers ſuccès ont
infpiré une telle émulation dans ce port , que
l'ony conftruit à préſent 3 corſaires nouveaux
de 20 & de 12 canons , & pour le compte du
Roi quatre cutters , le Serpent&
18 canons , le Martin & le Pilote , de 12. Ils laLevrette, de
feront montés par MM. de
Luc , de Roquefeuil & de Clonard, Officiers la Lanne, de Montde
la marine royale.
Le vaiſſeau laBourgogne eſt en armementà
Toulon; le Souverain eſt dans le baffin où on le
refond à neuf; il fera prêt en Mai ; le Lion eft
en carenage. » Nous avons , écrit-on de Marſeille
, onze corfaires à la mer ou prêts à partir ;
mais les priſes qu'on peut faire fur les Anglois
font en général de peu de valeur, & en petit
nombre dans la Méditerranée. Le Capitaine
d'un bâtiment Majorcain a dépoſé avoir relaché
à Mahon ; qu'il en
qu'on y armoit cinq chébecs , & qu'on devoit étoit forti 30 corfaires,
y lancer une frégate pour la courſe. Cette dé
pofition paroît exagérée ; car où prendre les
matelots pour des armemens auffi confidérables.
Ileſt cependant vrai que les corſaires deMahon
nous font du mal ; un d'eux a pris depuis peu de
jours 3 bâtimens à 3 milles du Château d'If. Le
Capitaine Majorcain a laiffé à Mahon trois bâ
timens François commandés par les Capitaines
Moret , Roux &
ils s'étoient féparés imprudemment de la frégate Villimerois venant du Levant ;
du Roi qui les
eſcortoit ".
nant
Dans l'attente des nouvelles de M. le Comte
d'Estaing , & dans l'incertitude où l'on eſt d'en
recevoir , on recueille avec empreſſement tou(
231 )
tes celles que peuvent apporter ceux qui viennent
du nouveau Monde ; nous tranfcrirons ici
une lettre du Capitaine Vidal de Martigues ,
en date du 10 du mois dernier. Elle n'offre
que des détails antérieurs au départ de l'eſcadre
Françoiſe de Boſton ; & quoiqu'un peu
anciens ilsfont intéreſſans, curieux&peu connus.
Je ſuis parti de Boſton le 6 Novembre 1778 , deux
jours après le Comte d'Estaing. Ce Vice-Amiral eſt
fingulièrement aimé des Américains : pendant que
l'eſcadre a été dans le port, elle a mangédela viande
fraîche , & juſques aux mouffes , tout le monde prenoit
le matin ſon café. Les marins étoient frais , gail.
lards & pleins d'ardeur pour combatre. Huit jours
plutôt que notre Vice-Amiral fût arrivé , la guerre
étoit finie dans le Continent ; mais les vents & les
Pilotes-côtiers ont fait manquer ſes grands projets .
M. Howe ayant voulu ſecourir Rhode-Iſland au mois
de Septembre , notre Vice-Amiral courut fur lui &
donna chaſſe; le gros tems empêcha la pourſuire.
L'ouragan du 28 ſurvint , & le Languedoc fut dé
mâté de tous ſes mâts. Le lendemain il fut attaqué
par un vaiſſeau de so canons , qui s'obſtinoit à le
prendre par le côté foible ; mais M. d'Estaing ayant
promis une fomme conſidérable pour chaque coup
de canon qui porteroit dans le corps de ſon adverfaire,
les canonniers firent ſi bien leur devoir , que
celui-ci jugea à propos de ſe retirer pour ne pas trop
enrichir nos canonniers. Le ſurlendemain on découvrit
6 vaiſſeaux de ligne , & le Comte d'Estaing ſe
diſpoſa à combattre. Il plaça 12 grenadiers autour
de ſon pavillon , en leur ordonnant de tirer ſur luimême
, s'il lui arrivoit d'ordonner d'amener. Il courut
enfuite à la Ste Barbe , où il mit auſſi 12 autres
grenadiers . Les Officiers lui ayant repréſenté qu'il
étoit impoſſible de ſe défendre dans l'état où étoit
le vaiſſeau , il leur ordonna , pour toute réponſe
, de ſe tenir à leurs poſtes . Remonté fur le tillac ,
il déjeûna de bon appetit ; après quoi il jetta ſon
habit, ſe mit en bonnet , & harangua l'équipage à(
232 )
peu-près en ces termes : » Mes enfans , vous n'irez
>> pas en Angletterre ; que chacun faſſe ſon devoir ;
>>>je vais vous apprendre comment un Cordon bleu
>> doit ſe battre. « Deux heures après , les 6 vailſeaux
furent reconnus pour être François , & nous
voguames vers Boſton , où nous nous ſommes bientôt
ravitaillés & remis en état. Le 4 Novembre
l'eſcadre , eſt partie : on ne fait pas fi elle est allée à
la pourſuite de celle de l'Amiral Byron , diſperſée
par la tempête , ou ſi elle va relâcher dans nos Iſles ,
ou enfin fi elle va tenter quelque entrepriſe importante.
Ce qu'il y a de ſûr , c'eſt que l'ardeur & le
courage règnent dans tous les rangs de l'armée navale.
Parmi 300 priſonniers fairs par notre eſcadre ,
il ſe trouvoit un neveu de l'Amiral Byron ;& comme
il fut queſtion d'échange , notre Vice-Amiral demanda
tous les priſonniers François , en quel nombre
qu'ils ſe trouvaſſent. Sur les difficultés élevées
par leGénéral Anglois , M. d'Estaing répondit qu'il
avoit ſon neveu en ſon pouvoir , &que comme il
n'entendoit pas le François , il l'alloit envoyer à Paris
pour l'apprendre : auſſi-tôt l'échange fut fait , de fix
François , contre trois Anglois. Cette manière hardie
&franche de traiter , a concilié au Comte d'Estaing
laconfiance de tous les Américains ;&quelle que foit
ſon entrepriſe , on compte ſur un plein ſuccès , &c.
,
M. Helyot , Prêtre , ancien Vicair-eGénéral
du Diocèſe de Toulouſe , Abbé Commendataire
de l'Abbaye Royale le Perray - Neuf ,
Ordre de Prémontré , Diocèſe d'Angers , eſt
mort à Toulouſe le 16 Janvier dernier , dans
la 79e année de fon âge.
Le Comte de Moncan , Lieutenant-Général ,
Commandant en Languedoc en l'abſence du
Comte de Périgord , eſt mort à Montpellier
le 21 Janvier vers la fin de ſa 85e année.
,
Il paroît deux Arrêts du Conſeil d'Etat en
date du 10 Janvier dernier , l'humanité & la bienfaiſance
les ont dictés. Le premier porte que » S. M.
en ordonnant les diverſes réformes que le réta
( 233 )
1
bliſſement de l'ordre dans ſes Finances rendoit indiſpenſable
, & en ſe propoſant d'accomplir ce
plan ſalutaire , à mesure que les circonstances le
permettront , ne détourne point ſes regards des
privations , auxquelles le bien public aſſujettit les
particuliers ; & défirant concilier autant qu'il eſt poſfible
les devoirs de ſa juftice générale avec les ſentimens
de bonté , dont Elle est bien loin de ſe
défendre , Elle s'eft d'abord propoſée d'accorder ,
par préférence , aux Tréſoriers & autres Propriétaitaires
de charges ſupprimées , les charges principales
qui viendront à vaquer , & comme il y a un
grand nombre d'emplois ſubalternes , S. M. ordonne
que tous les Commis & Employés , qui ont
été ſupprimés ou qui pourroient l'être par l'effet des
réformes , foient admis à ſe faire enregiſtrer dans
un bureau déſigné , afin qu'à meſure de vacance
d'emplois , la préférence foit donnée à ceux qui
ont perdu leur état , &c «.
Le ſecond concerne les Enfans-trouvés. » Dans
le compte que l'on a commencé à rendre au Roi ,
des Maiſons de Charité , S. M. a fixé ſes premiers
regards ſur l'état de ces enfans abandonnés
, qui n'ont d'autre appui que ſa protection ; &
Elle n'a pu apprendre ſans douleur , que dans un
des objets les plus intéreſſans de l'adminiſtration
publique , il s'étoit introduit un abus contraire à
tous les principes de l'humanité , & qu'Elle ne pou
voit trop promptement réprimer. S. M. eſt informée
qu'il vient tous les ans à la Maiſon des Enfanstrouvés
de Paris , plus de deux mille Enfans nés
dans des provinces très-éloignées de la Capitale :
ces Enfans , que les ſoins paternels pourroient à
peine défendre contre les dangers d'un âge fi tendre
, font remis fans précautions , & dans toutes
les ſaiſons , à des voituriers publics , diſtraits par
d'autres intérêts , & obligés d'être long-tems en
route ; de manière que ces malheureuſes victimes
de l'inſenſibilité de leurs parens , ſouffrent tellement
d'un pareil tranſport , que près des neuf
(234)
dixièmes périſſent avant l'âge de trois mois. S. M.
a regretté ſenſiblement de n'avoir pas été plutôt
inftruite de ces triſtes circonstances ; & preſſée d'y
remédier , Elle veut qu'à compter du ser Octobre
prochain , il ſoit défendu à tous voituriers ou à
toute autre perſonne , de tranſporter aucun Enfant
abandonné ailleurs qu'à l'hopital le plus prochain ,
ou à tel autre de la Généralité , défigné particulièrement
pour ce genre de ſecours ; & fi cette diſpoſition
, que les devoirs de l'humanité rendent indif.
penſable , obligeoit quelque Maiſon de Charité de
Province , à une augmentation de dépenſe qui furpaſsât
fes revenus , S. M. y pourvoira la première
année de ſon tréfor royal , & ſe fera rendre compte
dans l'intervalle des moyens qui pourroient y ſuppléer
d'une manière conſtante & certaine. S. M.
après avoir ainſi remédié à un mal ſi preſſant ,
n'a pu s'empêcher de jetter un coup d'oeil plus
général ſur cette partie eſſentielle de l'ordre public.
Elle a remarqué avec peine , que le nombre des
Enfans expoſés augmentoit tous les jours , & que
la plupart provenoient aujourd'hui de noeuds légi
times ,de manière que les aſyles inſtitués dans l'origine
, pour prévenir les crimes auxquels la crainte
de la honte pouvoit induire une mère égarée , devenoient
par dégrés des dépôts favorables à l'indifférence
des parens ; que par un tel abus cependant
la charge de l'Etat s'accroiffoit , & de telle
forte que dans les grandes Villes l'entretien de
cette multitude d'enfans , n'avoit plus de proportion
, ni avec les fonds deſtinés à ces établiſſe .
mens , ni avec la meſure de ſoins & d'attention
dont une adminiſtration publique eſt ſuſceptible ;
qu'enfin il réſultoit encore d'un pareil défordre ,
qu'en même tems que les enfans perdoient cette
protection paternelle , qui ne peut jamais être
remplacée , les mères de ces Enfans renonçant
pour la plupart aux moyens de nourrir , que laNature
leur a confiés , il devenoit de plus en plus difficile
d'y ſuppléer , & de pourvoir à la première
,
(235)
ſubſiſtance de cette qualité d'Enfans livrés aux ſoins
des hopitaux. Les dangereuſes conféquences,d'un
pareil abus n'ont pu échapper à l'attention de S. M.
Elle examinera dans ſa ſageſſe quelles ſeroient les
précautions néceſſaires pour mettre un frein à cette
dépravation : & voulant néanmoins éviter , s'il eſt
poſſible , d'avoir à déployer à cet égard la ſévérité
des loix , Elle a jugé à propos de commencer par
enjoindre aux Curés , à leurs Vicaires , & à tous ceux
qui ont droit d'exhortation ſur les peuples , de redoubler
de zèle pour oppoſer à ce pernicieux déréglement
, & les préceptes de la religion , & les ſecours
de la charité , afin de parvenir , autant qu'il eſt
en eux , à détourner de ces crimes cachés , auxquels
les loix ne peuvent atteindre que par des recherches
rigoureuſes , mais qui deviendroient cependant indif
penſables ſi les efforts des Miniſtres de la Religion ,
&tous les moyens de bonté que S. M. emploie ,
n'arrêtoient point les progrès d'un ſi grand déſordre
, &c.
L'Arrêt du Confeil d'Etat adreſſé aux Amirautés
, en date du 14 Janvier , & vifé le 19
par M. le Grand-Amiral , eſt conçu ainſi :
>>Le Roi ayant annoncé par ſon Règlement du 26
Juillet dernier , concernant la navigation des bâtimens
neutres , qu'il ſe réſervoit de révoquer la liberté
promiſe par l'article premier , dans le cas où
les Puiſſances ennemies n'accorderoient pas la réciprocité
dans le délai de fix mois ; & S. M. jugeant à
propos de faire connoître ſes intentions , relativement
aux bâtimens appartenans aux ſujets de la République
des Provinces-Unies des Pays-Bas. Ouï le
rapport , le Roi étant en ſon Conſeil , a ordonné &
ordonne ce qui ſuit : 10. La République des Provinces-
Unies n'ayant pas obtenu de la Cour de Londres
une liberté pour la navigation , égale à celle que le
Roi avoit conditionnellement promiſe à ſon pavil .
lon , & que ſes Traités avec l'Angleterre lui afſfuroient
; S. M. révoque , à l'égard des ſujets de ladite
République , les avantages annoncés par l'article
( 236 )
premier du Règlement concernant le commerce &
la navigation des bâtimens neutres : Veut en conſéquence
S. M. que les articles 1 , 2 , 3 , 4 & 5 du
Règlement du 21 Octobre 1744 , ſoient proviſoirement
exécutés à l'égard des bâtimens de ladite République.
20. S. M. déclare en outre , qu'à dater du
26 Janvier 1779 , les bâtimens appartenans aux ſujets
de ladite République , acquitteront ledroit de fret,
tel qu'il ſe trouve établi par les Ordonnances &
Règlemens , & particulièrement par la Déclaration
du 24 Novembre 1750 , & l'Arrêt du Conſeil du
16 Juillet 1757 ; ſe réſervant S. M. de faire publier
inceſſamment un nouveau tarif, relativement
aux denrées propres des Provinces - Unies & aux
productions de leurs manufactures. S. M. confidérant
cependant que la Ville d'Amſterdam a fait les
efforts les plus patriotiques , pour déterminer la
République àafe
ſe procurerde la part de laCourde
Londres , l'aſſurance de la liberté illimitée qui appartient
à ſon pavillon , par une ſuite de ſon independance
& de l'intégrité du commerce que lui aſſurent
le droitdes gens & les traités : Et S. M. voulantdonner
à ladite ville , un témoignage éclatant
de ſabienveillance , elle conſerve aux bâtimens frétés
par ſes habitans , & qui ſortiront de ſon port ,
la liberté promiſe par l'article premier du Règlement
du 26 Juilletdernier, concernant la navigariondes
neutres , ainſi que l'exemption du droit de fret ; à
l'exception des bâtimens employés au cabotage dans
les ports de France , pour lesquels l'Arrêt du Conſeil
du 16 Juillet 1757 , continuera d'être exécuté.
S. M. conferve en outre aux habitans de ladite ville ,
les avantages dont jouiſſent les denrées qui leur ſont
propres , & les productions de leurs manufactures ,
conformément à ce qui ſe pratique préſentement.
4°. Pour affurer excluſivement aux bâtimens Amſterdamois
, la jouiſſance des avantages énoncés dans
l'article précédent , S. M. déclare que les Capitaines
deſdits bâtimens devront être munis d'un certificat
duCommiſſaire de la Marine, établi à Amſterdam, &
( 237 )
J'une atteſtation des Magiſtrats de ladite ville,
pour conſtater que les bâtimens y ont été réellement
frétés par des habitans domiciliés , & qu'ils font fortis
directement de ſon port pour ſe rendre à leur
deſtination . 5º. Seront tenus leſdits Capitaines , de ſe
préſenter à leur retour , par devant ledit Commiſſaire
de la Marine , & de lui fournir la preuve qu'ils n'aurontdéchargé
leurs marchandiſes de leur cargaiſon ,
dans aucun port ou rade de la République , que dans
celui d'Amſterdam. Enjoint S. M. audit Commiſſaire,
de refuſer à l'avenir un nouveau certificat à ceux qui
n'auront pas fourni cette preuve de bonne foi , qui
pourront être convaincus d'avoir déchargé leurs
marchandiſes dans d'autres ports ou rades de la République.
69. S. M. charge ſpécialement ſon Ambaf-
Tadeur auprès de la République des Provinces-Unies
des Pays-Bas , de veiller à l'exacte obſervation du
préſent Arrêt.
Les numéros ſortis au tirage du rer de ce mois,de la
Lotterie Royale de France , ſont 64,33,57,82 , 45.
De BRUXELLES , le 10 Février.
LES troupes des Pays-Bas , deſtinées à joindre
les armées Impériales en Allemagne , ont
reçu ordre de ſe tenir prêtes à ſe mettre en
route vers le 15 de ce mois. On travaille à
completter tous les Régimens qui reſteront dans
ces Provinces , pour les mettre en état de ſe rendre
en Allemagne , s'il y deviennent néceſſaires
&fi la paix pour laquelle nous ne pouvons faire
que des voeux , ne ſe conclut pas d'ici au printems
.
Le Général Prince de Ligne , qui a ſervi
pendant la campagne dernière en Bohême , eſt
revenu ici & a pris poffeffion du Gouvernement
de Mons. Il vient de rendre à M. illien ,
Négociant de Liege , ſes Terres d'Amſtelrode
& de Gélern , près de Maſtrecht , pour une
ſomme de 567,000 florins , argent du pays.
Les démélés entre la France & l'Angleterre
fixent toujours l'attention ſur l'Eſpagne , dont
(238 )
on foupçonne depuis fi long-tems les diſpoſitions ,
& qui ne ſe déclare point encore. Ses forces
maritimes exagérées dans les papiers publics ,
confiftent en 37 vaiſſeaux de ligne & 7 frégates
prêts à partir de Cadix au premier fignal , fous
les ordres du Lieutenant-Général D. Louis de
Cordova ; en 14 vaiſſeaux de ligne & 3 frégates
également prêts à partir du Ferrol , fous
le Commandement du Chef- d'eſcadre D. Antoine
de Arcé , & en 9 vaiſſeaux de ligne &
pluſieurs frégates qui font en croifière tant dans
les Indes que dans la Méditerranée. Ses forces
de terre font portées à 111,045 hommes actuellement
ſur pied ; ſavoir , 6690 Grenadiers à
cheval & Gardes ; 37,200 hommes d'Infanterie
partagés en 31 Régimens de 2 bataillons chacun
; 3 Régimens Irlandois de 1200 hommes
chacun ; 6 Régimens Suiſſes de 1600 hommes
chacun ; 5 Régimens Gardes - côtes , faiſant
5220 hommes ; 33 bataillons de Milice , faiſant
19,800 hommes; 23 Régimens de Cavalerie ,
chacunde 3 efcadrons , enſemble9660 hommes;
18 de Dragons , 7560 ; 4 Régimens d'Invalides
de 200hommes chacun ; I corps de Fufiliers
Irlandois , de 600 hommes , quelques
pagnies indépendantes , faiſant 1715 hommes ,
&4000 Artillers .
Com-
>>>Notre fituation politique , écrit-on deMadrid
, eft toujours la même , ainſi que celle du
refte de l'Europe. La guerre n'eſt déclarée
nulle part ; mais par-tout on eft armé , &nous
le ſommes auffi. On remarque que le plus grand
nombre de nos troupes de terre ſe porte vers
le midi occidental du Royaume , & que nos
flottes font toujours prêtes à faire voile. On
ne doute pas qu'au premier changement qui
ſe fera dans la fituation extraordinaire de l'Europe
, nous ne foyons dans le cas de prendre
un parti décifif; mais il paraît que le Miniftère
, déterminé à n'attaquer perſonne , eft prêt
à tout évènement en cas d'une attaque de la
(239)
part de nos ennemis ou ceux de nos alliés. Les
lettres de Cadix portent que l'on tranſporte
une quantité immenſe de munitions de toute
eſpèce dans le camp de Saint-Roch , & que
l'on a à Algéſire , petit Port à 3 ou 4 lieues
de Gibraltar , 2 frégates en ſtation , avec ordre
de ne pas la quitter , quand même les Maures
paſſeroient à leur barbe , & le cas eft en effet
arrivé. Nos dépenſes maritimes paſſent toute
imagination ; ce qui n'embarraſſe pas peu les
Anglois. Ils nous demandent la paix ; ce qui nous
fait croire à la guerre . L'occaſion de reprendre
Gibraltar paroît favorable ; la nation le defire
, comme la France defire de rétablir Dunkerque
. D'ailleurs,cette Place nous conviendroit
fort pour contenir les corſaires de Barbarie « .
Pluſieurs Gazettes annoncent que 15 vaif
ſeaux de ligne doivent partir du Ferrol pour
ſe rendre à la Corogne , & de-là faire voile
pourBreft. >> On me mande la même nouvelle
du Ferrol , en date du 8 Janvier , écrit un de
nos correſpondans à Bayonne ; le jour du départ
de l'efcadre eſt fixé au 15 ; mais ce rapport
eft fi beau , que j'ai peine à le croire «.
Selon les lettres de la Haye , l'Arrêt du Con
ſeil d'Etat du Roi de France , par lequel il retire
les avantages accordés ci-devant au commerce
de la Hollande , & les conferve à la
Ville d'Amſterdam , a fait la ſenſation la plus
vive . Les vrais Patriotes ne ceſſent d'oppoſer
aux partiſans des Anglois , qu'il faut obferver
la neutralité la plus exacte , conformément au
traité de 1674 , parce que c'eſt l'avantage commun
de la Républiqne & de la France , & que
vainement & fauſſement on prête , à cette dernière
, des projets de conquête qu'elle ne peut
ni ne doit avoir en bonne politique. Depuis quatre
ans , fon miniſtère l'a bien prouvé.
>>>Nos Etats , écrit-on d'Amſterdam , viennent de
prendre la réſolution de faire convoyer nos vaifſeaux
chargés de proviſions navales comme les au(
240 )
1
tres , & de demander àl'Angleterre lareſtitutionde
tous nos navires qu'on nous retient , ſans quoi nous
ſerions obligés de repouſſer la force par la force , &
pour foutenir ce langage , on va de nouveau armer
des vaiſſeaux de guerre. On est fort impatient d'apprendre
comment l'Angleterre prendra cette déclaration.
Ce ne font que les Provinces de Hollande &
de Friſe, qui ont pris cette réſolution ; mais j'eſpère
que les autres prendront le même parti ; alors on
pourra ſe flatter qu'il ſe fera des changemens àl'Arrêt
du Conſeil d'Etat du Roi de France , dont les
diſpoſitions ne font que proviſoires ; c'eſt l'intérêt
réciproque des deux Nations , la nôtre doit le ſentir.
Ellen'ignore pas les procédés des Anglois àl'égard
de ſes vaiſſeaux; le4 du mois dernier un corfairede
Darmacth s'empara de deux de nos navires , commandés
par les Capitaines Luyſtes & Cauw , qu'il fit
paffer ſur ſon bord avec leurs équipages , & qu'il
conduiſit àGibraltar , après les avoir fort maltraités.
Les vaiſſeaux de guerre Hollandois , l'Argo & le
Walcheren , commandés par MM. Vankinsbergen
&Haringſman , étoient dans ce port. Le Capitaine
Luyſtes leurconta ſon malheur , & M. Haringſman
mit auſſi-tôt à la voile pour aller reprendre les 2
navires Hollandois qu'il ramena à Gibraltar , rendit
à leurs propriétaires , & convoya à leurdépart jufqu'à
une certaine hauteur ee.
>> C'eſt à tort que l'on a mis dans quelques
Gazettes , entr'autres , dans le Courier de l'Europe
, qu'il a étépermis à M. le Prince de Nafſfau
deprendre beaucoup dejeunes gens enfermés dans
les prisons de la Capitale , afin que fa légion foit
plutôt formée. L'empreſſement des François ,
lorſqu'il s'agit de combattre les ennemis de
l'Etat , eſt toujours trop ardent , pour que l'on
ait beſoin de recourir à de ſemblables moyens ,
& de plus , M. le Prince de Naſſau & les Officiers
qui doivent faire campagne avec lui , ne
les adopteroient jamais dans la noble carrière
qu'ils ſe diſpoſent à parcourir. Signé , un Officier
des Volontaires de Naffau .
Lans MERCURE
Louvent
праек
a cette
Hollat
nais
mensi
qu
DE FRANCE
DÉDIÉ AUROI
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles;
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & dos
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
25 Février 1779 .
APARIS,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
AvecApprobation & Brevet du Roi.
TABLE
.
Couplet en Musique , 256
PIÈCES FUGITIVES. VARIÉTÉ s .
L'Académie des Animaux,Commentaire fur l'Esprit
243 Fable ,
des Lois deMontesquieu
LeVoyage de laVie, 246 parM. de Voltaire, 297
La Méprise, Madrigal ,
SCIENCES ET ARTS.
255 Mémoire fur la manière
d'aſſainir les murs, 308
Enigme& Logogryp. 160 Gravures ,
NOUVELLES
LITTÉRAIRES . JOURNAL POLITIQUE.
Éloges lus dans lesAffem- Constantinople ,
bléespubliquesde laSo- Stockholm ,
ciétéde Médecine, 261 Varsovie ,
310
ANNONCES LITTÉR. 311
313
314
317
Recherchesfur les volcans Vienne , 318
éteints du Vivarais & Hambourg , 319
duVelay,
267 Ratisbonne , 323
Théâtre de M. Laus de Berlin 2
324
Boiffy,
281 Rome , 325
Almanach Littéraire ou Londres , 327
Étrennes d' Apollon 283 États-Unis de l'Amériq.
Lettre d'
l'unjeune Homme à Septent.
fonAmi , 287 Versailles ,
SPECTACLES . Paris,
337
340
341
353 Comédie Françoise, 289 Bruxelles ,
Comédie Italienne , 292
APPROBATION
.
FAT lu , par ordre de Monſeigneur le Garde des
Sceaux , lo Mercure de France , pour le 25 Février
Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſ
flon. A Paris ,ce 24 Février 1779.
DE SANCY.
De l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT,
rue de la Harpe , près Saint-Come.
米
MERCURE
DE FRANCE.
25 Février 1779.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'ACADÉMIE DES ANIMAUX ,
FABLE.
M
A foi , vive les gens d'eſprit ,
Diſoir un jour, non pas un docte Aréopage ,
Mais quelques animaux citoyens d'un bocage ,
Gens fort ſavans , dit- on , ſans avoir rien écrit.
Lij
244 MERCURE
L'orgueil un jour chez eux devint épidémie,
Et l'on cria tout d'une voix
4
Qu'il falloit au milieu des bois
Etablir une Académie.
Les fauteuils font au plus haut prix ;
Chacun les demande à grands cris .
Sire Lion , prince des plus habiles ,
Convoqua tous les beaux eſprits ,
Reptiles ,
Volatiles ,
Et le ſcrutin choiſit en plein conſeil d'état
Les membres du nouveau ſénat.
Chacun des récipiendaires
Lut ſon remercîment qui fit battre des mains,
Et chaque diſcours n'étoit guères
Qu'un compliment pour ſes confrères
Et pour nous tous , pauvres humains ,
Une ſatyre. La féance
Devoit s'employer ce jour -là
Adémontrer ſur nous leur preſſéance ;
Et Dieu fait ſi chacun doctement étala
Son académique éloquence.
L'ABEILLE , d'un air ſemillant ,
Par ces mots prononcés , j'ignore en quelle langue ,
D'un débit rapide & faillant
En petite maîtreſſe acheva ſa harangue :
>> Les hommes ſont ma foi plaiſans !
En vérité ce ſont d'habiles gens !
DE FRANCE .
245
Leuidivine raiſon , dont on bat nos oreilles ,
Les peut- elle égaler à nous , filles du Ciel ?
Jamais l'un d'eux , en ſes ſavantes veilles ,
A-t-il ſu , comme les abeilles ,
Compoſer un rayon de miel ?
L'un d'eux a- t'il jamais fait une once de cire ?
Les pauvres gens ! d'honneur ils me font rire
De croire que rien n'eſt pareil
Aleur eſprit , & que ſous le ſoleil
Il ſoumet tout à leur empire ».
L'ABEILLE ſe tut , & foudain
Le ver à ſoie auſſi vint parler de ſa gloire ,
Ayant prie le finge ſon voiſin
De vouloir bien le prendre & poſer ſur ſa main,
Pour être au moins vu par ſon auditoire.
Le ver académicien
Avoit l'air plus modeſte & parloit auſſi bien .
Je ne ſais pas, dit-il , ſi je m'en fais accroire ;
Mais je crois qu'épuiſant l'eſprit & la raiſon ,
Tous ces hommes ſavans , que l'homme déifie ,
Sur un mûrier en feuille iroient paſſer leur vie ,
Qu'ils n'y fileroient pas un ſeul petit cocon.
Le courſier à ces mots lève ſa tête altière ,
Sans écume & fans frein , ſecoue en frémiſſant,
Le long poil ondoyant de ſa libre crinière ,
Frappe du pied la terre , & trois fois henniſſant :
Qu'il vienne donc , dit-il , ce Monarque puiſſant ,
Liij
246 MERCURE
:
Oppoſer, s'il ſe peut , un rival à ina gloire ,
Qui ſache , retardant, précipitant ſes pas ,
Ou porter un héros au milieudes combats ,
Ou traîner un char de victoire !
Que ſi l'un d'eux, ſéduit par un eſpoir trompeur ,
Se fait de m'imiter une étude indiſcrète ,
Qu'arrive-t'il? On croit que c'eſt lui faire honneur
Que de lui confier une vile brouette ;
Encore eft-il d'un gauche à faire malau coeur !
IL dit, &l'araignée en un clin-d'oeil s'apprête
Pour haranguer d'en-haut ſon ſavant auditeur.
De ſes vingt bras tendus le fubtil orateur
Monte ſurun branchage élevé ſur leur tête ,
Comme un cable , d'en-haut lance un fil conducteur,
Tombe, & tout en volant le pourſuit& le file,
Adeux brins de gazon l'attache en bas , foudain
Remontant tout le long de ſa trame ſubtile ,
S'arrête au beau milieu pour commencer enfin :
Ondiroit d'un ſauteur agile,
Qui dans les airs d'un pied léger ,
Foulant une corde mobile ,
Se diſpoſe à courir , fauter & voltiger.
L'HOMME, à l'ouir , dit enfin l'araignée,
(Etje ne l'entends point ſans en être indignée )
Poſsède ſeul les arts. D'abord pour les juger
J'ai couru leurs manufactures ,
Pour la foie& pour les dorures ;
DE FRANCE. 247
Elles m'ont fait pitié. Que dire plus ? J'admets
Le juge qu'ils voudront ; qu'on le nomme & qu'il
vienne ;
Fût-ceunvrai quinze-vingt , il faudra qu'il convienne
Que leur toile n'a pu jamais
En fineſſe égaler la mienne.
Il faut donc conclure en un mot
Que je fuis fort habile , & que l'homme eſtun fot.
CETTE conclufion prit fort , quoique nouvelle;
Ainſi qu'un refrein de chanfon ,
Chaque orateur l'amène en ſa péroraiſon ,
Tant elle a paru naturelle.
Elle devint proverbe , & courut les forêts ,
De Boſton à Pékin , de Verſailles à Rome ;
Et pour dernière injure on diſoit déſormais :
En vérité, ce chien eft plus bête qu'un homme.
MAFable en pluſieurs fens pourroit s'interpréter;
Il eſt bon qu'ici je m'explique.
Quelque charitable critique
Croiroit , diroit au moins que je veux inſulter
Quelque Sénat Académique.
Non , voici mon but en deux mots :
Je veux prouver que l'amour- propre aux fots ,
Toujours pour ſe louer , offre quelque matière ,
Et qu'on voit un fat bien ſouvent ,
Parce que ſur un point il a plus de lumière ,
Se préférer en tout au plus ſavant;
Liv
248 MERCURE
Mais l'un garde toujours ſa gloire toute entière,
L'autre eft gros Jean comme devant.
(ParM. Imbert.)
“
LE VOYAGE DE LA VIE ,
Allégorie traduite de l'Anglois.
La vie , dit Sénèque, eſt un voyage
« dont la ſcène change fans ceffe. Nous
laiffons l'enfance derrière nous pour en
trer dans la jeuneſſe; la jeuneſſe nous
conduit à l'âge mûr , & celui- ci à la vieilleſſe
, qui eſt la ſaiſon de la vie la meilleure
& la plus agréable ».
ود
ود
رد
ود
ود
En lifant ce paſſage ,je me fentis entraîné
doucement dans une ſuite de réflexions fur
l'état de l'homme , l'inconſtance de ſes defirs ,
le changement continuel de ſes goûts & de
ſes difpofitions pour les objets extérieurs ,
& l'incertitude avec laquelle il flotte dans
l'Océan du temps. Le ſommeil me furprit
au milieu de cette méditation; & dans mon
fommeil mes oreilles furent frappées d'un
bruit confus excité par les cris tumultueux
de gens qui travailloient , par des éclats
d'allegreffe , les plaintes de la douleur , les
fifflemens du vent , & le bruit des eaux qui
venoient ſe brifer contre le rivage.
La furpriſe réprima d'abord ma curiofité:
tout occupé à regarder , j'oubliai pendant
DE FRANCE.
249
quelque temps de demander ce que ſignifioient
ces bruits & ce concours de monde.
Revenu enfuite de mon premier étonnement
, je me hafardai à demander aux gens
qui étoient le plus proche de moi , ce que
nous allions faire , & ce qui excitoit un ſi
grand tumulte. On me répondit que tout ce
monde alloit être lancé dans l'Océan de la
vie ; & que nous avions déjà paſſé le détroit
de l'enfance où pluſieurs avoient fait nau--
frage , quelques-uns à cauſe de la foibleſſe
de leurs vaiſſeaux , qui n'avoient pu réfifter
à la mer , & le plus grand nombre par l'imprudence,
laméchanceté de ceux qui s'étoient
chargés de les conduire , & qui les avoient
fait échouer contre divers écueils ; que nous
avions eu le bonheur d'échapper , & que
nous étions à préſent en haute mer , livrés à
la merci des vents & des flots , fans autre
fecours qu'un pilote que nous pouvions
prendre à notre choix parmi le grand nombre
de ceux qui nous offroient leurs ſervices
& leur direction .
Je regardois de côté & d'autre d'un air
inquiet. J'apperçus derrière moi un torrent
qui couloit au milieu de pluſieurs Ifles fleuries.
Tous ceux qui y entroient ſembloient
le contempler avec plaiſir ; mais dès qu'ils y
étoient entrés , le torrent , quoiqu'il ne fût ni
rapide ni violent , les entra noit par une
force irréſiſtible. Au-delà de ces Ifles charmantes
, il n'y avoit que ténèbres épaiſſes ;
Lv
250
MERCURE
&perſonne n'y pouvoit plus reconnoître la
côte où il s'étoit embarqué d'abord.
Une vaſte étendue d'eaux s'ouvroit devant
moi. Elles étoient violemment agitées , & de
plus , couvertes d'un brouillard fi épais , que
l'oeil le plus perçant pouvoit à peine y difringuer
les objets. Cependant cette mer étoit
ſemée de rochers &de gouffres ; & tandis
que les plus téméraires navigateurs voguoient
àpleines voiles ſur ce perfide Océan , infultant
ceux qu'ils avoient laiſſes derrière eux ,
un courant d'eau les abymoit , ou bien le
vent les poufſoit contre un banc de fable ,
où ils faifoient un triſte naufrage. En un
mot , les écueils étoient ſi nombreux , & les
ténèbres ſi profondes , que toute précaution
devenoit inutile. Outre cela il y avoit des
pilotes infidèles , qui , par une malice déteftable
, ſe faifoient échouer avec ceux qu'ils
conduiſoient. D'autres ſuivant ceux qui alloient
devant eux , trouvoient la mort dans
le même gouffre. D'autres encore heurtoient
violemment ceux qu'ils rencontroient dans
leur courſe, & les pouffoient contre les rochers
, où leur perte étoit inévitable.
Quoique le torrent fut fi rapide qu'il étoir
impoſſible de le remonter & de revenir ſur
fes pas , cependant il n'étoit pas ſi violent
qu'il ne laiſsât aucune reffource aux pilotes
habiles. Ils y trouvoient de quoi exercer leur
ſcience. Le danger étoit grand , mais on pou
yoit l'éviter par une direction oblique,
DE FRANCE. 251
Il y en avoit fort peu qui tiraffent avan
tage de leur prudence. Le grand nombre dé
daignoit toute précaution. Quoiqu'ils viffent
leurs ſemblables périr de tous côtés autour
d'eux, ils ſe croyoient toujours éloignés du
naufrage qui les ſurprenoit dans cette fatale
fécurité. A peine les flots avoient- ils recouvert
les rochers où ils venoient d'échouer ,
que leur malheur étoit oublié. Les autres
pourſuivoient leur voyage avec la même
gaîté & la même étourderie juſqu'à ce qu'ils
éprouvaſſent le même ſort , fans être une
leçon utile pour ceux qui en étoient témoins
&qui couroient le même danger ; car chacun
fe fioit fur la bonté de ſon vaiffeau , &
fe croyoit en état de réſiſter à la force du
courant d'eau où il avoit vu ſon ami englouti
; on ſe flattoit d'éviter les rochers
contre leſquels tant d'autres s'étoient briſes.
En un mot on s'aveugloit &jamais le
malheur d'autrui ne rendit un ſeul de ces
navigateurs plus ſage ni moins téméraire. Si
dans l'inſtant même du malheur on y faiſoit
quelque attention , au premier coup de vent
tout étoit oublié ; on ſe livroit témérairement
au caprice des flots ; & quelquefois ce
même coup de vent , qui faisoit perdre de
vue le danger , étoit celui qui y conduiſoir.
د
Du reſte , cette négligence ne procédoit
pas d'une inſenſibilité outrée , ou d'un dégoût
inſurmontable de ſa condition préſente;
car ceux qui couroient ainſi à leur perte , ne
manquoient pas de demander du ſecours
Lvj
252 MERCURE
lorſqu'il n'en étoit plus temps ; & ils paffoient
leurs derniers momens à ſe repentir
de lear folie , & à avertir ceux qui les ſuivoient
du danger qui les menaçoit. Mais par
malheur leur exemple avoit plus de force
que cet avis; & en avouant qu'ils avoient
raiſon , on ne laiſſoit pas de faire comme ils
avoient fait , malgré leurs conſeils .
Le vaiſſeau fur lequel nous étions embarqués
, étoit viſiblement trop foible pour
échapper aux écueils qui nous environnoient
de toutes parts ; la courſe étoit trop longue
pour qu'il ne pérît pas à la fin ; de forte que
les plus heureux & les plus habiles des
pilotes devoient échouer tôt ou tard , & voir
Leur vaiſſeau s'ouvrir & ſe diffoudre par
vétuſté dans l'Océan du temps.
La néceſlité de périr n'étoit ignorée de perfonne.
Elle devoit naturellement modérer
l'ardeur avec laquelle on s'embarquoit , réprimer
la témérité des paſſagers , au moins
remplir de crainte & de chagrin les ames
nées pufillanimes , & empoifonner tous les
amuſemens que l'on pouvoit ſe promettre
dans le voyage , & qui étoient comme une
distraction aux peines qu'il falloit effuyer.
Cependant perfonne ne fongeoit moins à
cette triſte fin , que ceux pour qui elle devoit
être plus terrible. Tout le monde avoit
l'art de ſe cacher à foi-même le danger; &
ceux qui connoiſſfoient leur foible , qui favoient
ne pouvoir fupporter la vue des malheurs
qui les menaçoient , prenoient le parti
DE FRANCE.
253
de fermer les yeux , s'y croyant moins expofés
s'ils ne les voyoient pas. Ils trouvoient
toujours quelque amusement propre à les
diſtraire. Ils avoient toujours avec eux une
Enchantereffe qui les divertiſſoit par ſes preftiges
; c'étoit l'eſpérance qui , par une double
illuſion, parvenoit aiſement à leur perfuader
que le mal étoit toujours loin d'eux , & la
proſpérité à leurs côtés.
Il eſt vrai que cette Magicienne n'avoit
pas le pouvoir de les aſſurer qu'ils ne périroient
point , au moins elle leur faifoit croire
qu'ils périroient les derniers ; de forte que
comptant toujours le nombre de ceux qu'ils
eſpéroient ne point précéder dans le naufrage
univerſel , ils ſe croyoient toujours en
sûreté. C'étoit affez pour les contenter ; &
quoiqu'ils ſe moquafient les uns les autres
de leur crédulité , ils la chérifſfoient trop
pour s'en défaire. Chacun ſe flattoit de périr
le dernier ; chacun ſe croyoit ſeul en
droit de ſe flatter d'un tel privilége. L'eſpérance
ſe jouoit des dupes qu'elle faifoit ; car
à meſure qu'elle voyoit le vaiſſeau dépérir ,
elle redoubloit d'induſtrie pour leur perfuader
qu'ils avoient moins à craindre que
jamais. Aufſi perſonne ne s'empreſſoit plus
de faire de grandes proviſions pour un long
voyage , que ceux qui étoient fur le point
de finir leur courſe. J'en vis pluſieurs qui
emportoient dans l'abyſme des eaux, l'eſpoir
d'en réchapper.
:
Au milieu du courant de la vie étoit le
254
MERCURE
golfe de l'intempérance , paffage terrible ,
ſemé décueils preſque inévitables. Les an-.
gles pointus des rochers ſe cachent ſous l'eau
pour tromper le navigateur. Le fommet en
eft couvert de gazon & de fleurs , pour former
un lit à la molleffe,& planté d'arbres ,
d'où la volupté , entourée des jeux , appelle
les voyageurs. Tous ceux qui voguent fur
l'océan de la vie , ſont obligés de paffer à la
vue de ces rochers dangereux. La raiſon ſe
tient toujours comme en ſentinelle à l'entrée
du golphe , pour les avertir du danger , &
leurmontrer une ſeule iſſue fort étroite , par
où ils peuvent échapper. Il y en a bien peu
qui ſe rendent à ſes avis. Ils aiment beaucoup
mieux courir quelques dangers que
d'approcher ſi près de ces lieux qui leur femblent
fi charmans , ſans y entrer. Dès qu'ils
font une fois engagés dans ce golfe , ils ne
peuvent plus reculer.
Souvent la raiſon trompée elle-même par
ces belles apparences , s'eſt haſardée de pénétrer
dans l'intérieur du golfe: le cours
de l'eau lui paroiſſoit fi peu rapide à l'entrée ,
qu'elle s'imaginoit pouvoir remonter le cou
rant au moindre danger. Mais elle ſe vit toujours
entraînée inſenſiblement au centre.
Alors reconnoiffant ſa témérité , elle s'efforçoit
de revenir fur ſes pas. Efforts inutiles!
les paſſagers qui s'étoient embarqués fur l'affurance
qu'elle leur avoit donnée de leur
faire paffer le golfe , ou de les ramener
fans infortune , après avoir erré & tourné
DE FRANCE, 255
quelque temps avec une rapidité toujours
plus grande , étoient enfin engloutis malgré
eux. Siquelques-uns en réchappoient , c'étoi
après avoir tant ſouffert, qu'ils n'étoient plus
en état de continuer leur courſe avec la
même force & la même facilité qu'auparavant.
Ils ne faifoient plus que flotter foiblement
, alarmés par le moindre péril, balottés
par le moindre vent , juſqu'à ce qu'enfm ils
périſſoient miférablement , après s'être repentis
en vain de leur folie , & avoir averti
les autres , ſouvent avec auſſi peu de fruit ,
d'éviter le golfe de l'intempérance.
LA MÉPRISE ,
MADRIGAL.
L'AMOUR
'AMOUR avoit perdu ſa mère;
Il la cherchoit par-tout ,& ne la trouvoit pas ;
Mais près de lui paſſa Glicère :
Il lavit, ſeméprit, & vola dansſes bras.
256 MERCURE
COUPLET dédié à Mademoiselle GUILPIN
parM. THUBÉ , Maitre de Clavecin.
+
AI - MABLE Phi- lo - ſo-phi e ,
3 4663 3
ce deà l'A- mour ce- de àl'Amour à
,
3 3 3
11
1000
366
l'A- mour tri- om- phant : tu fus.ja-
*
*
3667 43 3
dis de ma vi
e,
46
3
DE FRANCE.
257
tu fus ja - dis de ma vie
*
3
4
6 3
le maî tre le
6
plus puif - fant; mais qui
3
65
peut en
NO
vo- yant
Li fe, mais
6 6 3
258 MERCURE
qui peut en vo
+
yant Li - ſe
3
74 4
4 6 ៩
ne pas d'abord s'en-
3
6
4
7 3
lam- mer , ne
pas
d'a- bord
6
3 3 3 7 A
100Π0
s'en - flam- mer ? ſa ver- tu la
3 3 3 3 3
8
DEFRANCE .
259
di- vi
67
ſe , moi ne - ni
3 603
puis-je l'a- do rer , moi
6
4.
7 3 6
ne puis-je
3
+
l'a do rer ?
4
7
6.
33 3
00
8
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt le Vaiffeau ; celui
du Logogryphe eſt Tamis , où se trouvent
amist,fiam,fi, mi , mais , mat , mai.
260 MERCURE
PAR-TOUT
ÉNIGME.
AR-TOUT où l'on me voitj'offre undouble viſage,
Je ſers à garantir ou du froid ou du chaud ,
J'interdis aux méchans la retraite du ſage ;
Mais à ces qualités je joins plus d'un défaut.
Je garde les grands biens qu'entaſſe l'avarice ,
Je fuccombe aux efforts des courtiſans fâcheux ;
Et chez l'homme opulent , ſouvent plein d'injustice,
Je ſuis une barrière aux cris des malheureux.
(Par M. de R ***. )
LOGOGRYPHΕ.
Auxyeux d'un homme inſtruitje ſuis une chimère,
Ou , pour mieux dire , un phantôme éphémère.
Mais au foible ignorant je cauſe de l'effroi ,
Ce qui ſuffit pour me connoître.
Je ſuis bien autre choſe , &j'appartiens au Roi ,
Si des piés compoſant mon être ,
Deux ſe trouvent changés ,
Les ſept qui font le tout , autrement arrangés,
Offriront une ville aux États d'Italie ;
Une autre en Westphalie ;
Un outil très-commun ; le plus grand des fléaux ,
Qui dépeuple & bourgs & hameaux ;
DE 261 FRANCE.
Un gantelet , antique armure ;
Nom de la célèbre ceinture
Dont ſe ſervoit Vénus , & qu'emprunta Junon ;
La tige de la vigne , & la belle ſaiſon.
J'en dirois davantage ;
Mais ce vain radotage
Ne fourniroit toujours qu'un être de raiſon .
( Par le P. Gaume , P. des Aug. de Champlitte. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
**
Éloges lus dans les Aſſemblées publiques
de la Société de Médecine.
SII les Sociétés ſavantes font utiles aux
progrès des Sciences , & fur- tout des Sciences
d'obſervation , ne peut- on pas dire que
ces Sociétés font même néceſſaires à l'avancement
de celles des Sciences qui ont pour
objet des phénomènes fugitifs , que le haſard
ſeul préſente au Phyſicien occupé d'en
chercher les loix ; enſorte qu'il ne peut ni obſerver
ces phénomènesquand il le veut , ni les
examiner auſſi long-temps qu'il en a beſoin ,
ni vérifier à fon gré, par de nouvelles obſervations
, ce que les premières lui ont laiſſé
d'incertitude.
En effet , il faut avoir alors des obſerva162
MERCURE
teurs toujours attentifs pour ne laiffer échap
per aucun phénomène , toujours préparés à
bienvoir ceux qui ſe préſentent ; il faut de
plus que le concours ou la critique de pluſieurs
obfervateurs puiſſe aſsûrer qu'une ob
ſervation , qu'il eſt impoffible de vérifier , eft
certaine & complette. La Médecine eſt une
de ces Sciences : & c'eſt peut-être parce qu'il
n'yapoint eu, exceptédans ces derniers tems ,
de Sociétés ſavantes, occupées del'étude de la
Médecine , qu'elle eſt de toutes les partiesde
la Phyſique , celle qui , depuis la renaiſſance
des Lettres , a fait le moins de progrès réels.
Auffi l'établiſſement d'une Académie de
Médecine à Paris a mérité la reconnoiffance
des Citoyens éclairés. Ses premiers travaux
ont obtenu les applaudiſſemens du Public.
Les Savans les plus célèbres des nations
étrangères , les Haller , les Linné , les
Franklin , fi accoutumés à ne voir jamais
avec indifférence rien de ce qui pouvoit
être utile aux hommes, ſe ſont empreſſes de
s'aſſocier à cette Académie naiſſante , & de
lui donner des marques de leur zèle. Pluſieurs
Souverains ont imité cet établiſſement
dans leurs États, & ils ont voulu établir entre
ces différentes Sociétés une correſpondance
ſuivie.
Par ce moyen les obſervations embraffantuneplus
grande étendue de pays , pourront
conduire àdes connoiſſances plus sûres,
plus générales ; &, ce qui eſt plus important
encore, cette correſpondance éclairera enfin
DE FRANCE.
253
les Médecins ſur ces pratiques locales , fur
cesméthodes tranſmiſes &perpétuées dans les
écoles , qu'on fuit ſans ſavoir pourquoi , mais
dont cependant il n'eſt peut-être point permis
de s'écarter ſans motif. En Médecine ,
comme en beaucoup d'autres chofes , le
ſpectacle des préjugés oppoſés entre eux ,
adoptés dans des pays differens avec une
égale confiance , & crus avec la même opiniâtreté,
eſt un moyen plus sûr de les détruire
les uns par les autres , que la ſimple expofition
de la verité.
La Société de Médecine a adopté l'uſage
de faire dans ſes Affemblées l'éloge des Académiciens
qu'elle a perdus; uſage fi propre
à répandre le goût des Sciences , & à rendre
reſpectables ceux qui les cultivent. Le Recueil
que nous annonçons renferme les éloges
qui ont été lus juſqu'ici dans les Affemblées
de cette Société , ceux de M. de Bouillet,
de M. le Beau & de M. de Haller.
M. Bouillet avoit été plus de cinquante
ans Secrétaire de l'Académie de Beziers , &
il étoit leDoyendes Correſpondansde l'Académie
des Sciences.
M. Vicq d'Azir le peint avec autant de vérité
que de nobleſſe, comme un Médecin
ſavant , zélé pour les prérogatives de fon
Art , mais plus encore pour le bien de l'humanité
, juſtement reſpecté dans ſa patrie
pour les fervices qu'il lui avoit rendus , &
pour les lumières qu'ily répandoit.
Mais en même-temps l'Auteur de l'éloge
264 MERCURE
ne diffimule ni les erreurs ni les défauts du
Savant Médecin de Beziers. Ainfi il avoue
que Cartéſien outré , M. Bouillet avoit fait
dans la Phyſique & dans la Chimie un uſage
très-déplacé des principes de Deſcartes, quicependant
lui valut plusd'un prixdans des Académies
alors toutes Cartéſiennes. Il convient
également que M. Bouillet a porté juſqu'à
l'excès l'averſion pour les Chirurgiensqui pratiquent
laMédecine. Il est vrai qu'il défendoit
avec la même rigueur aux Médecins toute opći
ration de chirurgie ;&non-feulement il faifoit
un crime aux Miniſtres de l'Art de guérir
lorſqu'ils réuniſſoient les deux fonctions,
mais il avoit même prétendu prouver qu'un
malade ne pouvoit, ſans péché , ni prendre
une Médecine ordonnée par un Chirurgien
, ni fouffrir qu'un Médecin lui fit une
faignée.
Cependant M. Bouillet étoit au-deſſus de
bien des préjugés. En 1733 il écrivit contre
l'uſage d'un traitement échauffant dans la
petite vérole , uſage alors preſque général en
France. M. Bouillet eut le courage de le
combattre un des premiers , & cependant
il n'a point obtenu du Public la moindre part
dans la reconnoiſſance qu'il accorde à ceux
qui ont détruit ce préjugé.
M. Bouillet avoit cultivé les Sciences Mathématiques
, & les a même profeffees longtemps
à Beziers. Pluſieurs de ſes Mémoires
d'Aftronomie ont été imprimés dans les volumes
des Savans étrangers de l'Académie des
Sciences.
DE FRANCE. 265
Sciences. Et à l'âge de 84 ans , l'opiniâtreté
avec laquelle il voulut ſuivre , pendant un
temps froid , une obſervation importante
d'Aſtronomie , lui a coûté la vie .
'Si M. Bouillet fut la victime de ſon amour
pour les Sciences , M. le Beau l'a été de fon
zèle pour ſes devoirs : il fut attaqué d'une
maladie épidémique qu il traitoit ſur la flotte
de Breſt, &y fuccomba. C'eſt un fort beaucoup
plus commun qu'on ne le croit parmi les
Médecins. Les hommes , qui en général craignent
tant la mort , la bravent aifément lorfqu'ils
regardent le danger qui les y expoſe
comme une fonction de leur état. Un Philoſophe
illuſtre a remarqué que les malades ,
obligés par leur rang de mourir en public ,
meurent preſque tous avec courage ; ainſi
nous tenons plus à l'opinion qu'à la vie ; &
ſi au lieu de faire peur aux enfans de la
mort , on leur faiſoit peur des maux que
cette crainte répand ſur toute la vie , les
hommes même les plus foibles apprendroient
bientôt à mépriſer vraiment la mort, tandis
que le courage des plus intrépides ſe borne
preſque, ſans exception, à ne la mépriſer que
ſous trois ou quatre formes différentes .
Onaparlédans le Mercure précédent de l'éloge
de M. de Haller , lu à l'Académie des
Sciences *.Nous nous bornerons donc à dire
* La juſtice oblige d'obſerver ici que M. Vicq
d'Azir avoit bien voulu communiquer fon manufcrit
à l'Auteurde cet éloge ; & que ſi le Public a daigné
25 Février 1779 . M
266 MERCURE
que celui qui a éte lu dans l'Aſſemblée de la
Société Royale , y a reçu des applaudiſſemens
mérités ; & que parmi tant d'éloges décernés
à M. de Haller , l'Europe diftinguera celuici
, compofé par un Savant célèbre dans la
même Science que M. de Haller a cultivée ,
digne en un mot de le louer, puiſqu'il marche
fur fes traces , & qu'il réunit à des talens
du même genre & du même ordre , le même
zèle , la même activité & le même amour du
bien public.
M. Vicq d'Azir , que ſes talens pour l'Anatomie
ont appelé à l'Académie des Sciences
dans une très-grande jeuneſſe , a montré dans
ces éloges que les talens qu'exige la place qui
lui a été confiée dans la Société de Médecine ,
n'ont pas été en lui moins précoces , & qu'il
aura le mérite ſi rare de ſavoir parler des Sciences
avec ſimplicité, avec clarté , avec nobleſſe
, ſans ſéchereſſe , ſans fauſſe éloquence ,
fans autre ornement que des traits d'une
ſenſibilité vraie , & des réflexions dictées par
une Philofophie ſage &fans prétention .
(Par M. L. M. D. C. )
l'entendre avec quelque indulgence , l'Auteur l'a due
aux lumières qu'il a puiſées dans l'ouvrage du ſavant
Secrétaire de la Société de Médecine.
*
DE FRANCE. 267
f
RECHERCHES fur les Volcans éteints du
Vivarais & du Velay , avec un Discours
fur les Volcans brûlans , des Mémoires
analytiques fur les Schorls , la Zéolite ,
le Bafalte,la Pouzzolane , les Laves , &
les différentes fubſtances qui s'y trouvent
engagees; par M. Faujas de Saint-Fond.
Vol. grand in-folio. A Paris , chez Nyon ,
Libraire , rue S. Jean- de- Beauvais , &
chez Née & Maſquelier , Graveurs , rue
des Francs-Bourgeois.
Nous en ſommes fachés pour les détracteurs
de ce fiécle de lumières ; voici un ouvragequi
préſente encoredes faits incroyables,
des vérités nouvelles , des chofes inouies ,
que nos ancêtres , les Gaulois & les
Celtes , n'ont peut-être jamais ſoupçonnés.
Il exiſte en France une grande multitude de
volcans éteints ; pluſieurs de nos Provinces
font couvertes de laves & hériſſées de montagnes
parfaitement reſſemblantes à l'Etna
& au Veſuve. On y retrouve les mêmes productions
, les mêmes bouleverſemens , les
mêmes catastrophes que dans les Royaumes
de Naples & de Sicile. M. Faujas de Saint-
Fond eſt le premier qui ait découvert & démontré
l'exiſtence des volcans du Velay &
du Vivarais. Cette découverte paſſeroit ſans
doute pour le rêve d'un Philoſophe en délire
, ſi les mêmes phénomènes n'avoient pas
déjà été obſervés dans l'Auvergne , dans la
Mij
263 MERCURE
Bretagn. د
dans le Languedoc & dans la
Provence , par des Naturaliſtes * , dont les
* Comme cette découverte ſera bientôt ſuivie de
pluſieurs autres de même eſpèce , qu'elle doit ajouter
de grandes lumières à la théorie du globe , & enrichir
l'hiſtoire du règne minéral d'une claſſe trèsétendue
de productions intéreſſantes , on va citer
par ordre chronologique les Obſervateurs à qui nous
en ſommes redevables. La première notion ſur les
volcans de France eſt dûe à des voyageurs étrangers;
ce ſont MM. Bowls & Olzendorff, qui en
1750 , parcourant l'Auvergne avec M. Ozi, Chimiſte
deClermont-Ferrand , lui firent voirqu'une partiede
cette Province étoit volcaniſée.
En 1751 , M. Guettard , accompagnant un Magiftrat
auſſi diſtingué par ſes connoiffances en phy
ſique qu'en littérature & en légiflation , vérifia ce fait
dans la plupart des montagnes de l'Auvergne ; & les Mémoires de l'Académie des Sciences en firent
mention l'année ſuivante.
Huit ans après cette époque , le même ouvrage
offrit au Public des obſervations fur les Bafaltes
d'Auvergne , par MM. Guettard & Desmarets : ce
dernier a fait depuis ſur ces mêmes volcans des recherches
très-érendues & très-ſavantes, qu'il doit publier
inceſſamment.
Lamême année M. Montet publia de ſemblables
découvertés ſur les montagnes du Bas-Languedos
qu'il venoit d'étudier.
Enfin celles du Vivarais furent reconnues en 1769
par M. Faujas ; il commençadès- lors une collection
de laves &d'autres productions volcaniques qui exif.
tent encore dans ſon Cabinet d'Hiſtoire Naturelle;
& ilnedécouvrit que pluſieurs années après les vol
cansduVelay.
DE FRANCE.
269
lumières & la ſageſſe méritent quelque
croyance.
On trouve encore dans le Velay & le Vivarais
pluſieurs bouches ou cratères de volcans
, aufli bien caracteriſes que ceux des volcans
brûlans de nos jours; on y rencontre à
chaque pas des eaux thermales froides &
chaudes ; les torrens , les rivières , & la Loire
même entraîne encore avec elle , depuis des
frécles , des laves compactes , des aiguilles de
ſchorl &des ponces qui ſurnagent. Près de
cent lieues quarrées ſont couvertes de montagnes
, de monticules & de rochers que le
feu paroit avoir vomi du ſein de la terre;
d'immenfes colonnades d'un baſalte prefqu'aufli
dur & auſſi pefant que le fer , giffent
çà & là dans cette horrible contrée ; des
lacs aujourd'hui poiffonneux fervoient autrefois
de ſoupirail à ces grandes fournaifes ;
des terres & des pierres en fuſion, coulant
à grands flots fur les campagnes, ont comblé
des abyſmes , rétréci des vallées , formé des
plaines , & fait changer d'aſpect au fol entier
de ces Provinces. Dans le ſeul Vivarais M.
Faujas a découvert un eſpace de 4 lieues de
large ſur 26 de long , entièrement brûlé par
des feux fouterrains : il nous dit que les
volcans ont exercé leurs ravages ſur une furface
de 284 lieues quarrées , dans la ſeule
partie de la France qu'il a parcourue.
Mais pour ſe familiarifer avec des objets
fi extraordinaires , il faut en ſuivre les defcriptions
& les preuves dans l'ouvrage
1
Miij
270 MERCURE
:
même: la véritéſera plus facileà ſaiſir àl'aide
des gravures qui reprefentent l'état des chofes
d'une manière très-ſenſible : on y voit lepavé
des géans de Chenavari, celui des envirońs
de Vals , celui du Bridon , la chauffée Bàfaltique
du pont de la Baume , celle du pont
de Rigaudel , & du pont nommé Gueule
d'Enfer , les rampes de Montbrul, le rocher
de Mallias , le château de Rochemaure , le
Cratère du col d'Aisa , la chauffée d'Aulière,
le rocher des environs de Polignac. Chacun
de ces tableaux repreſente des phénomènes
particuliers ; & tous concourentà démontrer
l'exiſtence de ces volcans juſqu'alors inconnus.
La ſcule inſpection du rocher appelé Ro--
che rouge , qui s'eſt élancé à travers une carrière
de granit , prouve comment la Nature
a pu former & forme encore aujourd'hui
la plupart des ifles & des montagnes . " Ce
>> rocher , obſerve M. Faujas , eſt ſans
>> contredit le plus beau morceau volcani-
>> que qui puifle exiſter. Il doit être regardé
>>dans la fuite comme la boufſole qui diri-
>> gera l'obſervateur dans la théorie & la
>> formation de ces étonnantes butres , qui
>> faifoient le déſeſpoir des Naturaliſtes, par
>> la difficulté qu'ily avoit à concevoir com-
> ment elles avoient pu arriver dans les lieux
où on les trouve ; ne voyant ordinairement
aucune communication de ces pics
>>iſolés avec les foyers des volcans voiſins.
On ne trouve autour du rocher Roche
ود
בכ
DEFRANCE.
271
>> rouge ni ſcories , ni laves poreuſes , ni au-
>>cune déjection qui puiſſe annoncer un fou-
» pirail dans cette partie. On voit fimple-
>> ment une maſſe énorme de baſalte exhauf-
» ſée , nue , iſolée , qui s'eſt fait jour à tra-
» vers des bancs formidables de granit , qui
>>ſe dreſſant ſur eux-mêmes par l'effort de
ود la matière en fuſion, ſe ſont adaptés &
» même ſoudés autour de la baſe de ce cu-
>> rieux rocher » .
La fameuſe chauffée des Géans , qui eſt en
Irlande , & qu'on regardoit comme un prodige
unique dans la Nature , ſera miſe au
rang de ſes productions ordinaires , lorfqu'on
aura parcouru l'ouvrage de M. Faujas .
Il exiſte dans le Velay & dans le Vivarais un
grand nombre de ces prétendus ouvrages des
Géans. On y rencontre à chaque pas des colonnes
priſmatiques de toutes les grandeurs ,
qui ont juſqu'à deux pieds de diamètre , &
dont la configuration eſt tantôt à 3 pans ,
tantôt à 4 , tantôt às , à 6 , à 7 & à 8 faces
toujours régulières. Dans l'intérieur du ſeul
rocher de Mallias , on voit une prodigieuſe
multitude de colonnes bien filées , de 7 à 8
pouces de diamètre , d'un baſalte fort dur &
du plus beau noir. Pluſieurs de ces colonnes
ſont ſuſpendues à la voûte du rocher ; une
grande multitude d'autres s'élèvent verticalement
de la baſe juſqu'au toit qu'elles vont
foutenir ; quelques-unes forment des grouppes
fur le devant de la ſcène , laiſſant des efpaces
vuides , occaſionnés par la chûte des
Miv
272
MERCURE
i
prifmes ſuſpendus; d'autres d'inégale grandeur
forment differentes maſſes ſemblables
à des tuyaux d'orgue ; & tout autour on les
voit en faiſceaux épars , tantôt mutilées ,
tantôt entieres , tantôt inclinées ou couchées
horifontalement. On admire des tableaux
non moins pittoreſques ſur les bords de la
rivière d'Aulière , près du village du Colombier;
& fur ceux du Volant , où l'on
compte juſqu'a quatre rangs de colonnes qui
ont decore les deux bo ds de cette rivière
dans un intervalle de deux lieues .
La configuration régulière de ces colonnes
préſente aux Naruraliſtes un beau problême
à réfoudre. Eft-ce à la ſimple retraite
de la matière , eſt-ce à une véritable cryſtalliſation
que ces baſaltes doivent leur forme?
M. Faujas avoue modeſtement qu'il ne ſe
croit pas affez inſtruit pour en décider.Après
avoir tracé la peinture la plus intéreflante
des différentes chauffées des Géans , il conduit
ſes Lecteurs au pied du volcan de Chenavari
: là il leur fait obſerver les pas du
tems ; ſes différentes empreintes manifeftent
des époques aufli éloignées les unes des
autres qu'elles le font de nous. Ce font
d'abord de grandes maſſes de pierre calcaire
qui fervent de baſe à la montagne , ouvrage
lent & graduel d'une mer tranquille , dont
la durée du fejour & le moment de la retraite
ſont également inconnus.
Sur cette baſe s'élèvent des couches de
cailloux roulés , parmi leſquels on diftingue
DE FRANCE.
273
des filex , des jaſpes , des agathes, &c. agglutinées
, & formant des eſpèces de pondingues
d'un volume énorme. Ces cailloux , antérieurement
arrondis par les frottemens mul
tipliés des ruiſſeaux & des rivières , ſemblent
avoir été tranſportés fur ces hauteurs par
l'action deſaſtreuſe des eaux.
Après cette ſeconde révolution , des feux
fouterreins entrouvrant le ſommet de la
montagne , ont répandu à droite & à gauche
des torrens de lave , dont s'eſt formé le plateau
de Chenavari, & fes colonnades de bafaltes.
Enfin une cataſtrophe plus récente ayant
détaché pluſieurs portions de la montagne ,
les a fait entièrement diſparoître ; enforte
qu'aujourd'hui il ſubſiſte à peine un tiers du
cratère de ce volcan.
Il ne faut pas s'imaginer qu'après ces
grands incendies , la terre ſoit pour jamais
réduite à la fterilité; les couches de laves qui
pourun temps ſuſpendent toute végétation ,
ſe décompoſent par degrés infenfibles. Le
paſſage des laves à l'état argilleux , obſervé
d'abord en Italie par le Chevalier Hamilton ,
& enſuite dans le Vivarais par M. Faujas ,
s'accorde en ce point avec les expériences
d'un de nos Chimiſtes quia fait des recherches
particulières ſur la décompoſition des
laves ; mais ſes opinions , trop nouvelles
encore , n'ont pas reçu juſqu'ici la fanction
néceſſaire pourles faire adopter avec fécu
My
274 MERCURE
-
rite. En attendant , les Obfervateurs , guidés
par la ſeule inſpection de la Nature, ont cherché
combien faut- il d'années pour opérer le
changement des pierres volcaniques en terre
argilleuſe ? Un Hiſtoriographe du Mont-
Etna , l'Abbé Recupero , Chanoine de Catane
, a cherché la ſolution de ce probléme ;
on la trouve conſignée dans le voyage de
Sicile & de Malte *. Ce Naturaliſte part
d'un fait connu , de la grande éruption arrivée
pendant la ſeconde guerre punique.
Ayant examiné la couche immenſe de lave
que vomit alors l'Etna , il reconnut que ſa
décompofition formoit déjà une couche de
terre où croiffent certaines herbes & quelques
arbres dont les racines ont pénétré
dans les fiffures de la pierre ; il conclut de-là
qu'il faut environ 2000 ans à la Nature pour
décompoſer une lave de manière à lui rendre
la puiſſance végétale. Enfuite il fit percer à
travers une maſſe de ſept couches de laves
placées les unes fur les autres; il découvrit
entre chacune un terreau ſuſceptible du labour.
Mais les conféquences qu'il en tiroit
feront douter de la vérité de ſon principe:
il y a dans le laboratoire de la Nature ,
comme dans celui des Chimiſtes , pluſieurs
eſpèces de diffolvans qui décompoſent les
matières volcaniques avec plus ou moins de
* Voyez le T. 1 de la Traduction du Voyage de
Brydone.
L
DE FRANCE.
275
promptitude; l'inégale denſité des laves devoit
d'ailleurs entrer pour quelque chofe
dans le calcul de M. l'Abbé Recupero. Au
reſte , c'eſt aux Naturaliſtes , éclairés par la
Chimie , qu'il appartient de décider une
queſtion auffi intereffante.
Suivons encore M. Faujas à travers les
montagnes & les plaines incendiées du Velay ,
&arrêtons-nous avec lui près du Volcan de
Brives , qui ſeul peut être l'objet d'un beau
Cours d'Histoire Naturelle. On ne doit , dit-il,
s'y préſenter qu'avec des connoiſſances préliminaires
; il faut avoir fait une étudeſuivie des
altérations &des métamorphofes variées qu'éprouvent
les ſubſtances volcaniques ; quand
on en faitſaiſir toutes les nuances , on peut entrer
dans ce riche Cabinet , & y acquérir des
idées nouvelles ſur la formidable puiſſance des
agens de la Nature. A l'aſpect de ces lieux on
ſe dira : " Ces montagnes qui ne préſentent
>>que des maſſes arrides de pierre ou de terr
>> de différentes couleurs ; ces rocs eſcarpés
» qui glacent de triſteſſe & d'effroi le Voya-
>>geur , & lui font détourner la vue , font
» des monumens antiques & myſtérieux , où
>> le Naturaliſte a le droit de lire en récom-
>> penſe de ſes travaux. Il y voit une ſuite
>>de caractères hyérogliphiques , qu'il a ſeul
>>l'art de débrouiller & de connoître . Il y
>> apprend qu'ici des torrens de matière en
>> fufion perçant avec effort les entrailles de
>> la terre , l'ont ébranlée juſques dans ſes
1
M vj
276 MERCURE
>> fondemens ; que des montagnes entières
>> ont été ſubitement renverſées & réduites
>> en poudre , tandis que de nouvelles , non
>> moins conſidérables, ſe ſont élevées ſubi-
>> tement ſur les ruines des premières ; que
" , des gouffres ardens ont élancé avec
>> fracas dans les airs , des nuages de pierres ,
>> de cendres & de ſcories ; que l'atmosphère
>> enfin , développant tous les accidens & les
>>phénomènes de la foudre , la nature a paru
>> toucher à fon dernier anéantiſſement ; que,
>> dans ce moment de criſe , tous les terreins
>>incendies ſe trouvoient recouverts par de
>> vaſtes abyſmes d'eau , qui , loin d'aſſoupir
" & d'éteindre les fureurs du feu , ne fer-
>> voient qu'à l'irriter davantage ; que ces
> mêmes eaux tourmentées , foulevées par
> les ébranlemens & les exploſions fouter-
>>raines , & par les vents de l'atmoſphère &
>>par ceux qui fortoient des gouffres inté-
>> rieurs , luttant ſans ceſſe contre elles-
» mêmes , excitoient les plus furieuſes tem-
>> pêtes ; qu'alors ces courans obfcurs & fé-
>> rides d'une fumée peftilentielle circulant
>> dans les vagues orageuſes de cette mer ,
>> la rendoient livide & nébuleufe. Voilà le
>> premier tableau que le Naturalifte attentif
>>apperçoit dans la contemplation de ces
>> objets volcaniques.
>>Mais tout ſe calme; les feuxs'appaiſent ;
>> la mer reprend ſa tranquillité; de fimples
>>vapeurs plus ou moins acides , plus ou
4
DE FRANCE.
277
>> moins chargées de principes actifs , s'éle-
» vant du fond des eaux qu'elles font bouil- -
>> lonner ſans effort , ne font plus que les
>> reſtes fumans d'un grand incendie. La na-
>> ture toujours active , aimant à reproduire
> ſans ceſſe , va bientôt nous offrir de nou-
>> veaux phénomènes. La baſe de ces grandes
>> excroiſſances volcaniques qui s'élèvent en
>>> pic , quoique formée par les laves les plus
>>dures & les plus compactes , éprouve déjà
>> de nouvelles altérations. Ici l'acide nage
>> dans les eaux de la mer : avide de s'unir au.
>> fer & de ſe l'approprier , il enlève celui
» du Baſalte ; & les eaux ſaiſies des élémens
>> ferrugineux , les dépoſent tantôt en ſédi-
» mens , tantôt les façonnent en boules, que
les Naturaliſtes ont appelées géodes. ود
>> La lave alors dépouillée de ſon fer , de-
>> vient tendre , perd ſa couleur , & n'eſt
>>bientôt plus qu'une terre blanche & fria-
>>ble. Mais une nouvelle eau faturée par les
>>vapeurs des feux concentrés , ſe combine
> avec la ſubſtance terreuſe des laves., & la
>>modèle tantôt en cryſtaux lamelleux de la
>>nature du Feld-Spath , & tantôt lui com-
» munique fimplement le gluten & la con-
>> ſiſtance des argilles » .
Telle est la manière dont M. Faujas ſaft
obſerver & peindre les grandes révolutions
du monde que nous habitons. On ne fauroit
trop applaudir à ſes premiers efforts , furtout
lorſqu'on le voit enrichir de ſes découvertes
en hiſtoire naturelle , un des arts les
278 MERCURE
plus utiles à la ſociété. On fait que les Romains
compofoient avec la Pouzzolane le
fameux ciment qui a rendu leurs édifices immortels
comme leurs loix & leurs victoires .
M. Faujas , après avoir étudié ce qu'en diſent
Pline , Vitruve & quelques autres Écrivains
de l'antiquité , a reconnu que cette Pouzzolane
étoit une matière volcanique de la nature
de certaines laves ; matière qui abonde
dans pluſieurs de nos Provinces. Ses expériences
ont eu déjà le ſuccès le plus heureux.
Les Ingénieurs de la marine , chargés de les
vérifier par ordre du Miniſtère , ont reconun
que dans l'intervalle de quelques mois ,
fon ciment acquiert , même ſous l'eau , une
dureté dont le mortier ordinaire eft à peine
ſuſceptible après bien des années.
Nous regrettons de ne pouvoir rendre
compte des autres parties d'un Ouvrage qui
réunit le double mérite d'inſtruire les Savans
, & d'amufer le commun des Lecteurs.
On y a raffemblé avec beaucoup d'intelligeance
& de préciſion les idées & les
faits qui ſe trouvent épars dans l'hiſtoire &
dans les livres des Chimiſtes & des Naturaliſtes
, ſur les divers effets des volcans. Il ſeroit
à defirer que d'habiles Obfervateurs entrepriſſent
de traiter avec la même ſagacité ,
les cauſesde ces prodigieux phénomènes ; car
l'explication qu'on en a donnée juſqu'ici eft
trop éloignée des vraiſemblances pour fatiffaire
complettement les bons eſprits. Eft-il
poffible d'attribuer à la décompoſitionſponDE
FRANCE. 279
tánée des pyrithes, les effets que produit l'Eina
depuis 2500 ans qu'il s'eſt ralumé ? Comment
d'ailleurs expliquer l'exiſtence des volcans
placés au centre des pays calcaires , où l'onne
trouve aucune mine pyritheuſe ? De tels effets
tiennent vraiſemblablement à une cauſe phyfique
plus générale , & beaucoup plus puiffante.
Pour faciliter cette découverte , M. Faujas
nous promet une carte générale des volcans ,
& ſe diſpoſe d'entreprendre les voyages néceffaires
à l'exécution de ce deſſein. Après le
tableaudu monde aſtronomique , qui peutêtre
eſt déjà trop vaſte pour notre imagination,
il n'en est aucun d'auſſi impoſant que
cette multitude de brafiers fouterrains qui
ravagent , ont ravagé , & doivent ravager
encore les continens & les mers. Quel ſpectacle
que cette immenfité de gouffres , de
rochers , de plaines& de montagnes , formées
les unes par l'élément du feu , les autres par
unélément contraire , au milieu deſquels on
verra dominer l'Etna , le Cotopaxi , le Ve-
Suve , l'Abours , l'Hécla , le Tolbatchi , le
Pic de Ténérif, & mille autres fournaiſes
où la nature ſemble occupée à refondre la
matière , à détruire & les ouvrages de l'homme
& fes propres ouvrages , afin de les repréſenter
ſous denouvelles formes , qui fubiront
à leur tour uneſemblable deftinée !
On trouve à la ſuite de l'ouvrage de M.
Faujas pluſieurs lettres qui lui ont été écrites ,
& qui méritent d'être lues , fur-tout celles
280 MERCURE
d'un ex-Jéſuite , M. l'Abbé de Morteſagne,
qui , à l'âge de foixante-dix ans , s'eſt aviſe
d'apprendre à lire dans le livre de la Nature.
La contemplation de ces monumens
antiques paroit avoir embraſé la tête d'un
vieillard feptuagénaire. Rien de plus fièrement
deſſine que les objets qui tout-à-coup
font venus frapper ſes regards ; rien de plus
extraordinaire que les mouvemens de fon
ame & la hardieſſe de ſes conjectures : rien
de pius gai que ſes plaifanteries contre
l'impertinente ſécurité des Séminariſtes du
Diocèſe du Puy. " J'étois , dit-il, allé rendre
>> des hommages au rocher de Corneille :
>>j'avois choiſi pour le lieu de mes obſerva-
ود tions la magnifique terraſſe du Séminaire
>>qui , tracée en équerre fur le flanc oriental
>>de ce rocher , embraſſe la cinquième partie
>> de fon circuit. De l'angle de l'équerre part
» un ſentier qui vous conduit en ferpentant
» à travers un boſquet délicieux de charmilles
entremêlées de pins juſqu'au nud du
rocher. Là , cette ſuperbe maſſe ſe dégar
>> geant tout-à-coup de ſes propres débris ,
» & ne préſentant qu'une ſurface unie &
>> perpendiculaire dans une élévation très-
>> conſidérable , montre à découvert tous les
>> caractères de la véritable fufion..
99
ود
ود Defcendu dans l'allée, j'y rencontre des
>>Eccléſiaſtiques qui jouoient à la boule ; je
» leur dis , fans trop m'arrêter , & pour
>> cauſe , que le rocher ſur lequel ils mar-
> choient étoit forti en fuſion de deſſous
DE FRANCE. 281
terre. A cette étrange nouvelle , on com-
» mença à ſe regarder en filence les uns les
>>autres , puis on partit, comme de concert ,
>>d'un éclat de rire auquel je n'eus garde de
>> ripoſter que par une prompte fuite. Vous
>> noterez en paffant qu'un de la troupe ve-
>> noit d'affigner pompeuſement fes éco-
>> liers , dans la chairc de Phyſique , l'effence
>> certaine de la lumière , la cauſe indubita-
>> ble du flux de la mer , ainſi que celle de
ود
à
la chûte & de l'attraction des corps ».
Voyez la fin de la troiſième lettre , page
391 & ſuivantes.
(Cet article eft de M. l'Abbé Remy. )
THEATRE de M. LAUS DE BOISSY ,
Écuyer , Lieutenant-Particulier du Siége
de la Connétablie , Rapporteur du Pointd'honneur,
& c. Membre des Académies de
Rome & de Padoue , &c . & c. Un volume
in- 8°. avec le portrait de l'Auteur. Prix ,
3 liv. Au Palais Royal , chez les Marchands
de nouveautés.
L'Auteur , à la page 96 de ſon ouvrage ,
dit , en parlant du Mercure : Autrefoisje me
fervois de ce carroffe de voiture pour faire
aller mes vers à l'immortalité. Il paroit
qu'aujourd'hui ils y vont tous ſeuls , &
qu'ils en connoiſſent parfaitement la route .
Auili n'avons-nous plus l'honneur d'y voiturer
que ſa proſe; elle aura ſans doute bien
252 MERCURE
tôt la même puiſſance que ſa poéfie. On en
fera pleinement convaincu à l'ouverture du
theatre qui vient de nous arriver accompa
gné de la notice ſuivante. Nous nous empreffons
de la joindre au titre du Livre de
M. Laus de Boiffy , Écuyer , Académicien ,
Rapporteur du Point - d'honneur ; & nous
formons des voeux bien ſincères pour que
l'Auteur & fon théâtre & la notice parviennent
heureuſement à leur glorieuſe deſtination.
NOTICE.
« Quelques-unes des Pièces de ce Theatre
» ont déjà parues feparément , & ont joui
> dans le temps d'un ſuccès affez flatteur.
» La Comédie de la Course ou les Jockeis ,
» entre autres , a fait un fingulier plaifir,
>>par la critique pleine de grâce &de finelle
» qui y règne. Celle des Epoux réunis eft
d'un autre ton. Ce ton eſt un peu lefte ,
» mais fans indécence.
ود
رد
>> On lit ce quatrain au bas du portrait
de l'Auteur ».
Sur fes goûts réglant ſes loiſirs ,
Brûlant de l'amour de la gloire ,
Il veut , par la main des plaiſirs ,
S'ouvrir le Temple de Mémoire.
DEFRANCE. 283
Almanach Littéraire , ou Étrennes d'Apollon,
contenant pluſieurs Épîtres & autres Poéfies
de M. Lemière , qui paroiſſent pour
la première fois ; Fragmens de M. d'Alembert
; des Variétés récréatives ; Zobed ,
Conte Arabe , & une Épître par M. d'Arnaud,
qui n'ont pas encore été imprimés ;.
des Anecdotes diverſes , où ſe trouve ce
qu'il y a de plus curieux ſur Voltaire &
J. J. Rouffeau ; l'Artémiſe Françoife ,
Conte en vers , par M. Bret ; pluſieurs
Pièces de MM. Guichard , Maréchal , le
Suire , de Cailly , Feutry , &c. &c. une
Épître de M. de la Dixmerie ; & beaucoup
d'autres morceaux neufs ; la fameuſe
Lettre interceptée du Général Washington
à ſa femme; le Catéchiſme de Philadelphie;
une Notice des principaux Ouvrages
mis au jour en 1778 , & divers Articles
intéreſſans en grand nombre. A Athènes ,
&fe trouve à Paris chez la Veuve Ducheſne
, rue S. Jacques ; Valleyre l'aîné ,
rue de la Vieille Bouclerie ; Prault fils
aîné , quai des Auguſtins ; Durand neveu ,
rue Galande ; le Jay , rue S. Jacques ;
Baſtien , rue du Petit-Lyon , F. S. Germain ;
Ruault , rue de la Harpe; Eſprit , au Palais
Royal ; Defnos , rue S. Jacques . Prix ,
1 liv. 4 fols.
Onvoitque les titres de livres pourroient
leur ſervir aujourd'hui de table dès matières.
184
MERCURE
Il ſeroit pourrant à ſouhaiter que les Gens
de Lettres ne fiſſent as de la première page
de leur ouvrage, une affiche de charlatan.
Cet Almanach eſt agréable par ſa variété.
Comme ily a beaucoup de morceaux de toute
eſpèce, il feroit peut- être un peu dur d'exiger
qu'ils fuffent tous bienchoiſis. Parmi lesPoć
fies , la plus jolie Pièce que nous ayons rencontrée
, eſt celle-ci , qui eſtde M. Lemierre.
POURQUOI crier à l'inconftance ,
1
Quand ma flamme ſe refroidit ?
De moi vous vous plaignez , Hortenfe,
Moins par amour que par dépit.
Vous vous abuſez , ce me ſemble,
En murmurant de ce retour.
Croyez-moi , le temps & l'amour
Ne font pas longue route enſemble.
Eh! le moyen qu'un foible enfant ,
Tout ſemblable au peuple naiſſant ,
Que par la liſière on promène ,
Puiffe bientôt, ſans perdre haleine ,
Suivre les pas de ce géant
D'une vigueur inépuiſable,
Dont lejarret infatigable
Jamais ne s'arrête en marchant ?
L'amitié plus forte , au contraire,
Que le jeune eſſaim des Amours ,
Faite aux voyages de long cours ,
Ne demeure point en arrière.
1
2
DE FRANCE. 285
Elle ſuit l'agile vieillard;
Et bien avant dans la carrière,
Marche plus ferme qu'au départ.
De compagnie , & fans murmure ,
Allons tous trois avec le temps
Sans crainte de méſaventure :
Les chemins ſont moins attrayans.
Mais la route eft beaucoup plus sûre .
Le plus heureux des ſentimens
Eſt ſans doute celui qui dure
Juſqu'au dernier de nos momeus.
1
L'enfance eſt mal exprimée par le terme
de peuple naiſſant , qui a tout un autre
fens; & celui de jarret n'eſt pas aſſez
noble pour le ton de la pièce ; mais l'allégorie
de l'Amour , de l'Amitié & du Temps
eſt ingénieuſe.
L'Auteur de cet Almanach a recueilli une
foule d'Anecdotes concernant les Gens de
Lettres , dans leſquelles il n'y a pas toujours
affez de choix ni d'exactitude. Il attribue à
M. de Voltaire l'aventure d'un jeune-homme
qui alla réciter des vers à M. de Lamotte
&que celui- ci ſe fit un plaiſir d'embarraffer
quelque temps , en l'accufant de plagiat , &
en lui répétant la pièce qu'il venoit d'entendre.
Tout le monde ſait que ce n'eft
point avec M. de Voltaire que Lamotte fir
cet effort de mémoire qu'il a raconté ſouvent.
Ailleurs il fait dire à M. de Voltaire ,
286 MERCURE
jefuis comme Spartacus , je suis étonné de
ma gloire. Jamais M. de Voltaire n'a pu
tenir ce propos , qui n'auroit aucun ſens.
Spartacus n'a dit nulle part qu'il fût étonné de
fagloire. Dans la Tragédie de ce nom , M.
Saurin fait dire à Émilie , en racontant la
victoire de Spartacus ſur un Gladiateur qu'on
lui oppoſa dans l'Arène :
Cet homme alors s'avance , indigné de ſa gloire.
Ce vers fublime n'a rien de commun avec
le mot fans vraiſemblance qu'on prête
mal-à-propos à M. de Voltaire.
Dans un autre endroit il fait dire à M.
Cailhava : n'aurai-jejamais l'honneur d'être
déchiré comme Molière ? Cela voudroit - il
dire que c'eſt le ſeul trait de conformité qui
manque à M. Cailhava pour reſſembler en
tout à Molière ? En ce cas , ce mot eft curieux.
Le Rédacteur de cette eſpèce de Recueil a
copié pluſieurs morceaux dans des journaux
connus ; par exemple , l'Éloge de le Kain ,
le Triomphe de M. deVoltaire à la Comédie
Françoiſe , &c . Mais alors il ne devroit pas,
ſeperinettre d'altérer les morceaux qu'il emprunte
, & y mêler du ſien. Quand on ſe
fert de l'ouvraged'autrui, il faut le laiſſer tel,
qu'il eſt.
DE FRANCE. 287
LETTRE d'un jeune homme à fon Ami fur
les Francois & les Anglois , relativement
à la frivolité reprochée aux uns , & la philofophie
attribuée aux autres ; ou effai
d'un parallèle à faire entre ces deux matières.
A Amſterdam , & ſe trouve à Paris
chez le Jay , Libraire , rue S. Jacques , au
Grand Corneille. Brochure in-octavo de
56 pages.
L'Auteur , après avoir confidéré les deux
Nations ſous différens aſpects , en vient ,
dit-il , " au plus grand des reproches répété
» à la nation Françoiſe : c'eſt qu'elle penſe
>>moins que l'Angloiſe. Qu'on s'explique :
>> veut-on parler de méditations ſavantes ,
>> de Philoſophie , de Jurisprudence , de
>>>Théologie ? Deſcartes , Montagne , la
>>Bruyère , Helvétius , les Chanceliers l'Hô-
>>pital , d'Agueſſeau , l'Auteur de l'Eſprit
>>des Loix , le célèbre Évêque de Meaux,
>>Mallebranche , Maſſillon , Arnaud , Pascal ,
>> Bourdaloue , &c. ont autant penſé que le
» Grand Chevalier Newton, le Chancelier
>> Bacon , Swift , Looke , Pope , Clarke
>>Sherlok ,Tillotfon , &c. Quant aux Belles-
>>Lettres , les Nations étrangères mettent
>> Racine au-deſſus du tendre Orwai. Ceux
➤ qui préfèrent une imagination noble , éle-
>>vée , quoique toujours fage , aux écarts
>>d'un génie , grand quelquefois , mais qui
>ſouvent auſſi s'abandonne à une courſe
,
2-88 MERCURE
> fougueuſe , à des élans convulfifs , ref-
>> pectent plus le Grand Corneille que le
>>Grand Shakespeare. Les réputations réu-
>> nies de Dryden , Milton , Addiffon , fur-
>> paſſent-elles , hors des Ifles Britanniques,
>> la célebrité de Voltaire hors de fa Patrie ?
>> Steele eſt-il penſeur , peintre , philoſophe
>>plus que Molière ? Eſt- il joué , lu , admiré
>> comme ce dernier , depuis Lisbonne juf-
» qu'à Moſcou , depuis Naples juſqu'à Stockolm
? Les conſeils de Boileau font- ils
» moins ſages que ceux d'Addiffon? Les badi-
>> nages de Triftram Shandy renferment-ils
» plus de fel , plus de ſens que les plaifan-
» teries de Rabelais ? L'Angleterre a-t'elle
>> produit un Telémaque , un La Fontaine,
un Naturaliſte qui uniſſe à la même pro-
» fondeur les grâces & la clarté du Pline
„ François? Dans l'Art militaire,Marlborough
» fut-ilplus penſeur que Turenne ? En Poli-
29
tique, ( de cette politique qui ne ſe borne
» pas au talent fubalterne des vaines fub-
» tilités pour tromper un inſtant , inais qui
29 embraſſe tout ce qui peut contribuer au
» bonheur d'un État ) quels hommes mettra
- t'elle au deſſus de l'Abbé Suger, du Cardinal
d'Amboiſe , de Sully , de Colbert?
» Comme Miniſtre , Cromwel fut grand ;
Richelieu le fût-il moins? Je ſuis perfuadé
>>que ſi l'on entreprenoit le parallèle des
>> hommes illuftresdes deux nations, le nôtre
>> auroit l'avantage.Maisceſeroitleſujet d'un
ود
> ouvrage
DE FRANCE. 289
• ouvrage conféquent, & qui demanderoit
> les talens d'une plume exercée » .
Ily auroit bien quelques remarques à faire
fur tous ces objets de rapprochement ; mais
les laiſſant aux Lecteurs inſtruits , nous nous
contenterons d'obſerver que cette Brochure
fait honneur aux connoiſſances & au patriotiſme
dujeune-homme qui en eſt l'Auteur. A
l'égard du ſtyle , dans lequel on pourroit relever
quelques tournures étrangères , on lui
doit quelque indulgence , d'après un P. S.
qui avertit que l'Auteur a paffe une partie de
ſa vie dans les pays du Nord.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOIS E.
LE Dimanche 7 Février , on a remis à ce
Théâtre le Muet, Comédie en s Actes & en
proſe , par MM. Brueys & Palaprat.
Cet ouvrage eft , comme on fait , une imitation
de l'Eunuque de Térence, inférieure à
l'original pour l'élégance du ſtyle, mais fort
ſupérieure pour tout le reſte. Le Dialogue
du Muet eſt plus vif, plus preſſé , plus naturel
que celui de l'Eunuque; les incidens
font mieux preparés ,plus vraiſemblables ;
enfin , fur notre Scène, les moeurs de l'Eu-
25 Février 1779 . N
490
MERCURE
nuque révolteroient les Spectateurs les moins
délicats; celles du Muet au contraire font
pures& même ſevères , & cette ſévérité ne
nuit pas à la gaîté ni au comique,
On a revu avec plaifir cette Pièce , qui
n'avoit pas été jouée depuis pluſieurs années,
Elle a été remiſe avec ſoin, & fort bien ren
due par MM. Monvel, Fleury , Bellemont,
Vanhove, Deſeſſarts , Bouret , & par Mefdames
Préville & Contat, Le rôle très-difficile
de Frontin a été rempli par M. Préville,
qui tous les jours donne de nouvelles preuves
de l'étude approfondie qu'il a faite de
fon Art, Mde Bellecourt mérite auffi d'être
citée particulièrementdansle rôle de Marine,
Il n'eſt guères poflible de jouer une Soubrette
avec plus de gaîté, de naturel , d'intelligence
&de comique,
Le dénouement du Muet, tel qu'il exifte
aujourd'hui , n'eſt pas exactement celui de
Brueys. Il a été arrangé par feu Bellecourt ;
mais ce changement n'a point réuſſi, Le dénouement
actuel manque de netteté , d'en
ſemble & d'effet, & fait regretter l'ancien ,
qui pourtant eſt très-défectueux.
Nous allons dire quelque chofe des deux
Auteurs du Muet.
Jean Palaprat naquit à Toulouſe en 1650;
il fut de l'Académie des Jeux-Floraux , Capi
toul de Toulouſe , & Secrétaire des Commandemens
de M. de Vendôme. Palaprat
avoit beaucoup d'eſprit & de facilité. Les
DE FRANCE.
ouvrages qui lui appartiennent perfonnellement
, & auxquels il paroît que Brueys n'a
eu aucune part , font le Concert Ridicule
leBallet Extravagant, le Secret révelé, les
Sifflets , qui fervirent de Prologue au Grondeur,
&la Prude du temps , qui n'eut point
de ſuccès ,&qui n'en méritoit pas. Ilmou-
Fut à Paris en 1721 ... 1
:David-Auguſtin Brueys naquit à Aix en
Provence en 1640. Élevé dans la Religion
Prétendue Réformée, il commença par écrire
pour elle. Il ofa même répondre à l'Expofition
de la Foi , ouvrage du grand Boffuet.
L'Évêque de Meaux ne répondit point à
Brueys; il fit mieux , il le convertit. Convaincu
après quelques conférences , des
dogmes de la Religion Catholique , Brueys
abjura, entra dans l'État Ecclefiaftique , &
publia , pour la défenſe de cette même Religion
contre laquelle il avoit pris la plume ,
quelques ouvrages à peu-près oubliés , mais
qui prouvent la ſincérité de ſa converfion.
Ses travaux théologiques ne l'empêchèrent
pas de travailler pour le Theatre; mais n'ofant
ſe montrer à découvert dans cette carrière
, qui ſembloit s'accorder mal avec la
profeſſion , il s'affocia avec Palaprat , fon
ami , &donna au Public feul , ou en ſociété
le Grondeur Comédie très-agréable , mais
dont le dernier Acte ne répond pas au mérite
des deux premiers ; le Muet , dont nous
xenons de parler; l'Important , pièce dont
Nij
292 MERCURET
leprincipal caractère eſt manqué, l'Opiniâtre,
qui nemérite guères d'être connu ; la Force
du Sang , qui ne vaut pas mieux ; enfin
l'Avocat-Patelin, qu'il imita d'une ancienne
Pièce intitulée: les Tromperies , Fineſſes &
Subtilités de Me Pierre Patelin , & qu'il a
rajeunţ de manière qu'il ſe l'eſt appropriée,
fans changer preſque rien au fond de l'otiginal.
L'Avocat-Patelin eſt la meilleure de
toutes les farees que nous ayons au Théâtre,
comme elle est la plus ancienne. Il y a pluſieurs
Scènes d'un comique très-vrai&trèsgai
, & qui excitent toujours un rire univerfel.
Les autres Comédies de Brueys méritent
l'oubli dans lequel elles font tombées. On a
encore de lui trois Tragédies, Gabinie,Asba
&Lifimachus. Elles font au-deſſous dumédiocre.
Il ſurvécut de deux ans à fon ami
Palaprat , & mourut à Montpellier le 25
Novembre 1723
COMÉDIE ITALIENNE.
LEMercredi 3 de ce mois, Mlle Dufayel ,
foeur de l'Actrice de ce nom , a débuté dans
l'emploi des Jeunes Amoureuſes , par le rôle
d'Agathe de l'Ami de la Maiſon.
Il eſt rare d'annoncer à quatorze ans&
demi, âge de Mlle Dufayel, de plus heureuſes
difpofitions. Ses moyens font foibles,
DE FRANCE.
293
mais l'uſage qu'elle en fait annonce beaucoup
de goût & d'adreſſe. Son jeu n'eſt pas
fans intelligence ; on y découvre de temps en
temps le germe du talent. On ne peut que
l'inviter à continuer ſes études avec la même
ardeur , fans pourtant affoiblir ſes moyens
par un travail exceflif, ou par des tentatives
au-deſſus de ſes forces.
Le Mardi 9 , on a donné à ce Théâtre la
première repréſentation des Deux Billets ,
Comédie en un Acte & en profe.
à
Arlequin & Scapin aiment Argentine ,
mais le premier eſt l'amant préféré. Après
deux ans d'épreuve , ſa maîtreſſe lui a fait par
écrit l'aveu de ſon amour. Il lit fans ceſſe cette
lettre charmante depuis qu'il l'a reçue :
l'arrivée de Scapin il la met dans ſa poche.
Celui-ci veut , dit-il , reſter ſon ami malgré
leur rivalité. Arlequin refuſe ſon amitié ,&
veut fortir pour aller voir tirer la loterie, à
laquelle il a mis un terne ſec. Scapin lui apprend
que la loterie eſt tirée , & lui montre
la liſte. Les trois numéros d'Arlequin font
fortis : dans l'ivreſſe de ſa joie , il montre fon
billet à Scapin. Celui- ci projette de s'encmparer
, & vient à bout de lui prendre un
papier dans lamême poche où Arlequin vient
d'en cacher un devant lui. Ce billet eſt la
lettre d'Argentine. Il ſe promet d'en tirer
avantage , & la préſente à celle-ci , comme
Niij
294 MERCURE
l'ayant retirée des mains de gens à qui elle
avoit étéremife par une DemoiselleViolette,
maîtreffe d'Arlequin , qui veut, ajoute-til ,
Ini facrifier Argentine. L'amante d'Arlequin
audéſeſpoir, le reçoit fort mal quand il re
vient; elle lui déclare que l'homme qui a
fon billet fera fon mari. Arlequin sûr de
l'avoir reçu, le cherche& ne le trouve plus;
Scapinle montre. Le premierveut s'excufer ,
Argentine fort en l'accablant de reproches.
Lemalheureux pleure fur fon fort , & aime
roit mieux avoir tout perdu que le billet de
ſa maîtreffe. Scapin luipropoſede l'échanger
contrefonbilletdeloterie.Arlequin accepte,
&vole chez Argentine, Après quelques dif
ficultés, elle confent à deſeendre &àl'écou
ter. Leur converſation bannit les foupçons
de l'amante , & découvre la fourberie de
Scapin. Ce n'est pas tout, il faut tâcher de
reprendre le billet de loterie; Argentine s'en
charge. Elle dit à Scapin qu'elle lui tiendra
faparole, mais qu'elle veut favoir ce que
c'eſt qu'un billet qu'il tenoit à lamain lorfqu'il
eſt revenu, &dont elle prend de l'ombrage.
Scapin lui préſente le billetde loterie,
elle s'en faiſit , appelle Arlequin , qu'elle
avoir fait cacher chez elle, accable Scapin
de reproches , donne ſa main devant lui à
fon rival , & le laiffe accablé de honte &du
chagrin d'avoir manqué en un même jour
d'épouſer une femme riche,°agner une
fomme conſidérable.
DE FRANCE. 299
Cette bagatelle , qui eſt d'un jeune militaire
, eſt très- ingénieuſement intriguée. L'action
eſt bien ſuivie , le ſtyle eſt plein de gaîtë
& d'eſprit. Ce coup d'eſſai doit engager
l'Auteur à ſuivre une carrière où il a débuté
fi heureuſement.
Les rôles ont été fort bien rendus par Mde
Bianchi , par M. Camérani , & fur - tout par
M. Corali , qui a rempli le rôle d'Arlequin
de la manière la plus fatisfaiſante.
Le lendemain Mercredi on a donné la ſeconde
repréſentation de la remiſe des Caquets,
Comédie en trois Actes & en profe , de
Riccoboni le fils , qu'on avoit donnée pour
la première fois le Dimanche précédent.
Babet , crue fille d'Adrien , doit épouſer
Dubois. Une Revendeuſe à la Toilette , nommée
Marotte , jette quelques nuages fur la
naiſſance de Babet; ce qui produit dans le
cours de la Pièce des caquets qui ſuſpendent
le mariage ,& qui ſont même ſur le pointde
le rompre. Enfin au troiſième Acte un M. Renaud
, Négociant , qui revient des Indes
après un quiproquo occafionné ppaarr denouveaux
caquets , & par la préſence d'un Juif
avec lequel il a fait route , ſe déclare le père
de Babet , & conſent au mariage de ſa fille
avec Dubois.
On remarque dans le jeu des Acteurs qui
repréſentent les perſonnages de cette Pièce ,
le peu d'habitude qu'ils ont de jouer la Comédie
proprement dite ; mais leur zèle mé
Niv
296 MERCURE
rite des éloges & des encouragemens. Nous
devons fur-tout citer M. Rozières , qui a
fort bien joué le rôle de M. Belhomme , &
Mde Gonthier , dont le talent s'eſt montré
fous un jour très- avantageux dans le rôle de
Marotte.
Le Public a paru revoir avec ſatisfaction
cette petite Pièce , imitée de M. Gol
doni.
François Riccoboni , Auteur des Caquets ,
&d'un grandnombre d'autres ouvrages qu'il
compoſa ou ſeul ou en fociété avec Dominique
& Romagnéſi , naquit à Mantoue en
1707. Il étoit fils du fameux Riccoboni dit
Lélio , & de Mlle Hélène Virginie Baletti ,
plus connue ſous le nom de Flaminia. Il
débuta avec ſuccès au théâtre Italien en
1726 , ſe retira en Italie en 1729 , reparut
fur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne en
1731 , quitta & reparut encore à differentes
époques juſqu'en 1758 , qu'il remontapourla
dernière fois ſur la Scène,&mourut en 1772 .
Sans avoir un talent du premier ordre ,
Riccoboni a été un Comédien très-utile à
ſes camarades , & très-zélé pour le fervice
du public. Il jouoit tour-à-tour dans tous
les emplois avec une intelligence rare. Il
faififfoit avec la même aiſance tous les idiomes
de nos Provinces , tous les accens attachés
à la diction des étrangers de tous les
pays : il connoifſoit l'art des traveſtiſſemens ,
& l'a pouffé auffi loin qu'il fut poflib ,
DE FRANCE.
297
fans jamais s'écarter de la nature , &, ce qui
eſt remarquable , ſans ſe ſervir jamais de
moyens de charge. Il a donné un des premiers
Ballets-Pantomimes qu'on ait vus fur
nos théâtres . Ce Ballet avoit pour titre les
filets de Vulcain. Il fut très-goûté ,& méritoit
de l'être. Il a laiſſé un ouvrage ſur la décla
mation , dont les jeunes Comédiens peuvent
tirer d'excellentes leçons , mais qu'ils ne
doivent pas ſuivre dans tous les points ; car ,
dans cette production , eftimable à beaucoup
d'égards , Riccoboni a de temps en temps
érigé fa manière en précepte , quoiqu'elle
ne fût pas toujours un modèle.
VARIÉTÉS.
COMMENTAIRE fur l'Esprit des Lois de
Montesquieu , par M. de Voltaire.
On n'oubliera jamais l'impreſſion que fit l'Efprir
des Lois , en Europe , au momentde ſa publication..
La majesté du ſujet , le génie connu de l'Aureur , la
diſpoſition générale des eſprits qui , dans cet inſtant,
étoient fingulièrement portés vers les méditations
fortes de la Philofophie , tout concourut à réu
nir ſur cet ouvrage l'attention des lecteurs de:
tous les genres. Les Juriſconſultes ne doutèrent point
que Monteſquieu n'eût bornél'ambition de ſa gloire ,
à être l'humble Commentateur du Droit Romain &
des Ordonnances Royaux. Les femmes , que le fou
Nv :
298 MERCURE
:
venirdes Lettres Perfannes raffuroit contre la gravité
du titre de l'Ouvrage , ſe flattèrent de pénétrer tous
les grands deffeins de la Législation , dont on leura
toujours fait des myſtères , &de ſuivre M. de Montefquieu
dans le ſanctuaire des Lois comme dans le
Temple de Guide. Les Philofophes prévirent que la
ſcience des Lois ne feroit plus renfermée dans le
Temple de la Juſtice , &qu'elle deviendroit la ſciencedu
Citoyen, du moment qu'un homme de génie
lui rendroit ſon intérêt & fa beauté naturelle. Tout
lemonde enfin voulut le lire ; tout le monde en
commença la lecture. Bien peu de gens purent l'achever.
Preſque tous les Lecteurs furent trompes
dans leurs eſpérances. Les Jurifconfultes prononcerent
de leur ton dogmatique , que Montefquieu ne
parloit point des Lois , parce qu'i en parloit en Légiflateur
plutôt qu'en Jurifconfulte. Ils pensèrent
qu'il dégradoit la majefté de ſon ſujet , par le charme
qu'il répand quelquefois fur fon ſtyle , parce
qu'ils ne conçoivent la raiſon qu'avec la féchereffe
& l'ennui qu'ils lui communiquent , & qu'ils ne la
reconnoiſſent plus lorſqu'elle ſe montre parée de
quelques grâces. Les femmes , pour qui toutes les
idées générales font peut-être étrangères , parce
qu'elles les éloignent trop des objets ſenſibles qui
les dominent toujours avec le plus grand empire,crurent
que c'étoit la faute de Monteſquieu fi ellesn'avoient
pu entendre tout de ſuite le traité du change ,
& le chapitre de la conſtitution d'Angleterre. Ceux
même qui s'occupoient de la Jurisprudence politique
fur les traces des Grotius & des Puffendorf,
n'avoient guères que cette eſpèce d'érudition qui
multiplie les préjugés , &défend aux vérités l'entrée
des efprits qu'elle occuppe. Un homme eſtimé dans
ee fiècle par favaſte ſcience , & même par l'uſage
ingénieux qulil en a fait quelquefois , imprima dans
DE FRANCE.
299
le tems que l'eſprit des Lois n'étoit qu'un Recueil
d'Enigmes & de Logogryphes. Enfin , dit M. d'Alem
bert , l'un des plus beaux monumens littéraires qui
foient fortis de notre Nation , fut regardé d'abord
par elle avec affez d'indifférence.
Dans tous les cas ſemblables , qui , à la vé
rité , font on ne peut pas plus rates , nous devrions
, ce me ſemble , nous faire un devoir de fufpendre
au moins notre jugement. Car s'il eſt toujours
ridicule d'admirer ce qu'on ne comprend pas ,
il eſt auſſi quelquefois injufte de le mépriſer , pour
cette ſeule raiſon. Lorſque des ouvrages fixent l'attention
publique ſur des objets qui ne l'ont pas occupée
encore , il faut ſe réfoudre au travail d'une étude
, & on a tort de ſe promettre les plaiſirs d'une
lecture facile & rapide. Peut- être même que , dans
tous les genres , celui qui va chercher des vérités
nouvelles loin des idées communes des hommes ,
celui qui mérite le titre de Créateur , ne peut ſe marifefter
par lui -même aux Lecteurs ordinaires. Il les
a trop perdus de vue dans la hauteur de ſes contemplations
, & il n'a plus la meſure de la foibleſſe
& des bornes de notre intelligence. Il faut que des
efprits qui ne font que lumineux , lui ſervent d'interprêtes
, & viennent fe mettre entre lui & les hom.
mes pour révéler ſes penſées.
M. de Monteſquieu ne tarda point cependant à
jouir de la gloire que méritoit ſon plus bel ouvrage:
il jouit fur-tout de l'efpérance du bien qu'il feroit
un jour aux hommes. Une Nation , qui travaille
depuis huit ſiècles à ſe faire une conftitution
dans laquelle aucun homme n'aura plus de pouvoir
& de force que la Loi , vit dans cet Ouvrage des
moyens nouveaux de réfoudre ce grand problême de
Légiflation ; & un Anglois , interprête des ſentimens
de tous ſes concitoyens , fit frapper. une médaille
Nvj
300 MERCURE
en l'honneur d'un François qui avoit parlé de Legifſlation:
époque bien remarquable dans l'hiſtoire
de ces deux peuples. Dans ſa Patrie même , M. de
Montesquieu obtint bientôt le fuffrage de tous ceux
dont il pouvoit eſtimer l'opinion. Les premiers
Écrivains, de la. Nation ſe rendirent les interprêtes
de ſon admiration & de ſa reconnoiſſance. Ce
ne fut plus dès lors qu'un concert de louanges.
Dans cette claffe nombreuſe de perſonnes qui
paffent leur vie à lire , ce fut un honneur & une
diftinction d'avoir lu l'Eſprit des Lois.
Depuis dix à douze ans , les principes & la gloire
de M. de Montesquieu ont été attaqués dans une
foule d'écrits , quelquefois avec affez de force &
beaucoup d'honnêteté , mais plus ſouvent encore
avec une fureur aveugle. On l'a accuſé, même d'avoir
abandonné la cauſe des peuples , & de s'être
rendu le fauteur de la tyrannie ; & ce reproche lui a
été fait par un homme qui nous propoſe le Gouvernement
du Grand Turc pour le modèle du plus parfait
de tous les Gouvernemens ; par un Écrivainqui
croit faire beaucoup pour le peuple en réclamant en
ſa faveur le fort dont jouiffentles chevaux dans nos
écuries. Enfin, il me ſemble qu'aujourd'hui , dans ces
entretiens intimes où le bonheur des Gens de Lettres
eſt de s'entretenir des hommes de Lettres qui les ont.
précédés ,. au nom de Monteſquieu , on eſt bien
plus porté à ſe récrier contre quelques imperfections
de les Ouvrages , qu'à admirer les beautés& les vé
sités ſublimes dont ils font remplis. J'ai entendu dire
plus d'une fois qu'il faudroit refaire l'Eſprit des Lois :
il eft vrai que perſonnen'a dit encore qu'il alloit s'en
charger.
Parmi les nombreux ennemis de M. de Montef
quieu , on a dû dîtinguer aiſémert M. de Voltaire.
Quel a été le principe de leurs diviſions , & four
DE FRANCE.
301
quoi , & commentt ll''AAuutteeuurr de l'Eſſai ſur l'Histoire
Générale , n'a-t-il pas été le premier admirateur de
l'Eſprit des Lois ? Eſt- il vrai , ce qu'on a dit , que
Voltaire ne pouvoit ſouffrir dans l'Europe une gloire
qui égalât l'étendue & l'éclat de ſa gloire ?
Si cela étoit vrai , il faudroit ſur ſa tombe même
charger ſa mémoire de cette accuſation : il faudroit
la faire entendre au milieu même de tous
les chants qui s'élevent pour célébrer le prodige,
de ſon génie. Un amour extrême de la gloire auroit
fait ſon crime ; il faudroit l'en puuir en répandant,
cette ombre ſur l'éclat de ſa gloire. On est trop
porté peut-être à tout pardonner au génie. L'amour
& l'admiration qu'il nous inſpire ſéduiſent.
aifément nos arrêts. Mais cette indulgence ne peut
que lui être funeſte à lui- même , & le plus grand outrage
qu'on puiſſe lui faire , c'eſt de ne pas en exiger.
toutes les vertus.
Mais en cherchant avec ſcrupule l'origine de
la haine de l'Auteur de Mahomet pour l'Auteur de
l'Eſprit des Lois , il eſt difficile de ne pas voir qu'elle
a pris ſa ſource dans la vengeance plutôt que dans
l'envie. M. de Monteſquieu avoit déja , depuis trèslong-
temsen Europe , cette célébrité qui donne à
L'homme de génie , ſur l'opinion publique , une influence
qui régle pendant un certain tems , au moins ,
le fort des talens dont la place n'eſt pas encore fixée..
Voltaire avoit auſſi déjà publié pluſieurs des Ouvrages
qui compoſent aujourd'hui les plus beaux titres
"de ſa renommée. Mais la multitude qui répand la.
gloire ne fait pas la diſpenſer. Même après Brutus
Zaïre & la Henriade , on ne ſavoit pas bien encore
ſi l'on devoit claſſfer. Voltaire parmi les beaux
Eſprits , ou parmi les hommes de genie. C'est dans
ce moment que Monteſquieu , qui devoit pourtant
fe connoître en génie , prononça que Voltaire ne
202 MERCURE
ſeroit jamais qu'un bel-efprit ; & pendant plus de
quarante ans , les ennemis du Sophocle François
ont foutenu leurs injuftices & leur haine de cette
erreur du Platon de la France. Il eût été beau , fans
doute , à Voltaire , de refpecter toujours la gloire
d'ungrandhomme qui n'avoitpas fu prévoir que la
fienne feroit encore unjourplus brillante. Oncompteroit
aujourd'hui cetre juſtice , quoiqu'elle ne fût
qu'un devoir , parmi les vertus qui confacrent fa
renommée. Mais il ne faut pas craindre de le dire:
cette imagination & cette ame ſenſibles que la nature
donne aux hommes qu'elle forme Poëtes , doit
leur permettre bien rarement d'être généreux fur la
gloire. Ces foibleſſes de leur génie reffemblent un
peu à des foibleffes plus intéreſſantes & plus excufables
encore , à celles de la beauré. Labeauté ne
peut guères ſe voir elle-même ſans être touchée du
charme qu'elle répand autour d'elle. Tous les hommes
l'ont dit , & les femmes s'en défendent foiblement
: l'injure de la beauté méconnue ou mépriſée
ne s'efface jamais du fondde l'ame. Il en eft demême
du génie. Il ne peut guères fixer fes regards fur
les productions charmantes ou fublimes , dans lefquelles
il a répandu ſa grâce & ſa beauté, fans
éprouver pour lui même quelques-uns de ces ſenti
mens d'amour & d'admiration qu'il doit infpirer
aux hommes. Si on le méconnoît ou fi on le méprife,
ſa foiblefſe deviendra une fureur , & il voudra
venger avec excès l'outrage fait à l'objet de fon
amour.
Manet aliâ mente repoſtum
Judicium Paridisſpretaque injuriaforme.
Si c'eſt-là , en général , le caractère de tous les
hommes qui ont reçu de la nature le génie PoëtiDE
FRANCE.
303
1
que , il paroît que ce caractère a été plus particulièrement
encore celui de Voltaire. Il meſuroit les
offenſes à ſa ſenſibilité , & l'on conçoit que ſes vengeances
ne pouvoient avoir de bornes. Je fais bien
que ce n'eſt point-là le juftifier , & ce n'est pas non
plus mondeffein ; mais c'eſt du moins caractériſer
ſes torts , & fi on ne peut les excufer , on voit au
moins qu'ils n'avoient rien d'odieu'x , &que celui
qui eût ménagé ſes foibleſſes , eût éré für de trouver
en lui preſque toutes les vertus.
Pour être juftes , nous devons donc reprocher à
M. de Monteſquieu lui-même , une partie des injuftices
dont M. de Voltaire s'eſt rendu coupable envers
lui.
Le Commentaire que nous annonçons aujourd'hui,
& qui a donné lieu à ces réflexions , ne feroit peutêtre
lu de perſonne , s'il ne portoit le nom du grand
homme que nous venons de perdre. Mais il l'a laiffé
ſur ſa tombe , & l'on peut être tenté de le recueillir
comme un débris facré.
Il eſt fait fans aucun plan , fans aucune ſuite
fans aucun ordre dans les matières. M. de Montef
quieu demandoit en grâce qu'on ne le jugeât point
ſur quelques idées iſolées , mais ſur l'enſemble de
fonOuvrage. M. de Voltaire n'a point voulu faire
cette grâce à l'Auteur de l'Eſprit des Lois. Il n'a commenté
que quelques phraſes qu'il a priſes , tantôt dans
un Livre , tantotdans un autre , &toujours en les
ſéparant de tout ce qui les environne. Nous ne mertrons
pas plus d'ordre dans l'examen du Commentaire,&
nous n'examinerons même qu'un petit nombre
de Critiques . Nous choiſirons celles qui ſemblent
avoir quelqu'apparence de juſteſſe& de vérité.
Monteſquicu a dit que le pouvoir du Clergé eft
tine barrière au pouvoir deſpotique,qu'il faut conferver
, lorsqu'iln'y en a pas d'autre.
304
MERCURE
M. de Voltaire répond à cela qu'Iſabelle & Ferdinand
qui établiſfoient le deſpotiſme ont aufli éta
bli l'Inquifition en Eſpagne : & il ajoute enſuite ;
cette Inquisitionfi abhorrée en Europe devoit-elle être
chère à l'Auteur des Lettres Perſannes.
Le pouvoir du Clergé & l'Inquifition , eſt-ce la
même choſe ? L'Inquisition n'exiſtoit pas encore , &
Louis le Débonnaire avoit déjà dépoſe ſa Couronne
Impériale aux pieds des Evêques de France. Torquemeda
ne ſe vantoit pas encore d'avoir allumé
hui-même le feu de fix mille bûchers , & le fougueux
Hildebrand élevéſur leTrône Pontifical,parloit déjàde
marcher ſur la tête des Empereurs : Innocent III
avoit déjà donné la Couronne d'Angleterre à un
héritier de la Maiſon de France. Dans quel Ouvrage
a-t-on rendu l'Inquifition plus odieuſe que dans
P'Eſprit des Lois ? Qui pourra jamais oublier le plaidoyer
de cetre jeune Portugaiſe , prête à être confumée
par les flammes pour avoir cru à la Keligion
de ſes pères ? Quoi ! il s'eſt trouvé un homme
qui a voulu faire entendre que l'Inquifition a été
chere à M. de Montesquieu , & cet homme eft M.
de Voltaire ! Si j'avois lu ces mots dans la théorie
des Lois Civiles ,j'en ſerois encore étonné.
Montefquieu a dit que les Anglois, pour favorifer
la liberté, ont ôté toutes les puiſſances intermédiaires
quiformoient leur Monarchie.
Au contraire , dit le Commentateur , lesAnglois
ont établi le Parlement & la Chambre des Communes.
Le Parlement & la Chambre des Communes , ou
pour parler plus exactement , la Chambre des Communes
& celle des Pairs , ne font pas des Puiſſances
intermédiaires ; ce font , dans le pouvoir législatif
d'Angleterre , des Puiffances égales , ou même ſupérieures
à celle du Roi. Je crois que M. de Vol
DE FRANCE.
305
taire l'a dit lui-même quelque part en très-beaux vers;
mais auſſi pourquoi le faire Commentateur ? C'eſt
s'expoſer à perdre à la fois toutes ſes connoiſſances
&tout fon génie.
L'Auteur de l'Eſprit des Lois a fait un tableau des
vices des Courtiſans qui a fait frémir tout le monde
par ſa vérité. On l'en a remercié au nom de tous les
coeurs fincères . Le Commentateur veut lui enlever
impitoyablement cette gloire ſi douce de la vertu qui
fait adorer la gloire des talens. C'est une choſe aſſez
fingulière , dit-il , que ces anciens lieux communs contre
les Princes & les Courtisans , foient toujours reçus
d'eux avec complaisance.
Ainfi donc pour plaire aux Princes & aux Courtifans
, il ſuffira de leur dıre la vérité ? Pourquoi donc
la vérité a-t-elle preſque toujours déſerté les Cours
pour y laiſſer régner la flatterie ? Pourquoi l'amour
de la vérité & le courage de l'entendre , font- ils la
première vertu des bons Princes , s'ils font auſſi le
partage des Tyrans ? M. de Voltaire avoit lu plus
d'une foisdans Tacite le tableau de la Cour du ſuccef
ſeur d'Auguſte: lui avoit-il paru que le regret des
vertus&du bonheur de la République , les murmures
ſecrets qui s'élevoient dans les ames contre les
crimes qui partoient de cette Cour , étoient entendus
ou même ſoupçonnés avec plaifir par Séjan &
par Tibère ? Cette manière de s'avancer dans la faveur
, ſera toujours plus propre à perdre les flatteurs
qu'à perdre les Souverains , & ce n'eſt pas contre
cette flatterie que s'éleveront les malédictions des peuples
opprimés.
M. de Monteſquieu a dit que les hommes font
égaux dans les états deſpotiques , parce qu'on nepeut
s'y préférer à rien.
Il me ſemble , au contraire , dit le Commentateur
, que c'est dans les petits États démocratiques
que les hommes font égaux.
306
MERCURE
Mais il n'y a point là de contradiction. Ils font
égaux dans la démocratie parce qu'ils font tous
Souverains; ils fontégaux dans le deſpotiſme , parce
qu'ils font tous eſclaves : les premiers , ditM. de
Monteſquieu lui-même , parce qu'ils font tout , les
feconds , parce qu'ils ne font rien.
M. de Montefquieu a fait entendre que l'or du
nouveau monde a ruiné l'Eſpagne.
Je ne fai pas trop , dit M. de Voltaire , fi Phi
lippe IIfut fi àplaindre d'avoir de quoi acheter l'Eu
rope , grâce au voyage de Colomb.
Je ne fais pas trop non plus quand l'Europe s'eſt
vendue à Philippe ſecond. Le ſecours que donna fon
or à la Ligue fut impuiſſant pour repouffer Henri-
IV de fon Trône. La Flotte invincible ne fit
point la conquête de la Grande-Bretagne , & tout
Por du Potoſe ne put forger des fers à la liberté du
Batave. D'ailleurs , il ne s'agit point ici de Philippe ,
il s'agit de l'Eſpagne. Les mêmes choſes qui rem.
pliffent les tréfors des Souverains , ruinent trop fouvent
les peuples. Mais veut-on parler des Rois memes
? Philippe III , qui poſſedoit les mines du
Mexique & du Pérou , n'avoit pas de quoi payer
fes domeftiques.
Licurgue , dit Monteſquieu , mêla le larcin avec
l'eſpritde juftice.
J'oferai dire , répond le Commentateur , qu'il n'y
a point de larcin dans une Ville où l'on n'avoit
nulle propriété.
M. de Voltaire n'eſt pas le ſeul qui ait dit qu'on
ne pouvoit pas voler à Sparte , quoiqu'on ait beaucoup
parlé des vols des Spartiates. Mais avec un
peu de réflexion on voit que les vols y étoient trèspoffibles.
1º. On pouvoit voler à chaque Citoyen
ce que la Patrie lui donnoit pour ſa ſubſiſtance.
2º. On pouvoit voler à la Patrie elle -même les
DE FRANCE.
307
biens dont elle faifoit le partage entre ſes enfans.
J'ai pourtant lu vingt brochures , au moins pour
ma part , dans lesquelles on a affuré que le vol
étoit impraticable à Sparte.
A
L'Auteur de l'Eſprit des Lois a cité une Loi des
Épidammiens, dont on peut tirer un réſultatgénéral
tres- important pour la Légiflation de tous les Peuples.
Dans chaque genre , dit M. de Voltaire , ilfaut
s'en tenir àfon fujet. L'Esprit des Lois est dans
l'Empereur Justinien , & dans les Ordonnances de
Louis XIV.
Mais le chapitre de la Conſtitution d'Angleterre
n'eſt tiré ni des Novelles de Juſtinien , ni des Ordonnances
de Louis XIV : le chapitre de la Conftitution
d'Angleterre figure-t-il mal dans l'Eſprit des
Lois ? Monteſquieu est-ilallé le chercher hors de
ſon ſujet ? Je crois bien que dans ces momens d'humeur
, où M. de Voltaire vouloit un mal horrible à
l'Auteur de l'Eſprit des Lois , il eût deſiré que Monteſquieu
n'eût été qu'un Bonnier ou un Barthole.
C'eſt ainſi que Voltaire a partout commenté l'Efprit
des Lois. Mais rappelons ici ce qu'il en a dit
ailleurs lui-même. Le genre humain avoit perdu fes
titres ; Montesquieu les a trouvés , & les lui a rendus.
Le plus bel éloge qu'un homme puiffe recevoir
,Montesquieu l'a donc reçu de Voltaire.
:
:
308 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
MÉMOIREfur la manière d'affainir les murs
nouvellement faits ; par M. L. C. D. M.
petite Brochure in- octavo .
ON
N ne fait que trop combien il eſt dangereux
d'habiter les maiſons nouvellement bâties. La vapeur
des murs , des peintures & des vernis cauſe chaque
jour parmi nous des accidens innombrables ; & jul
qu'ici on n'adonné aucune théorie fatisfaiſante fur la
nature de ces émanations , ni ſur les moyens d'en
prévenir les influences meurtrières.
Dans la conſtruction des murs , on'emploie ou la
chaux ou le plâtre : c'eſt à ces deux ſubſtances que
les gens inftruits attribuent les maladies qu'éprouvent
ceux qui habitenttrop tôt une maiſon neuve.
fe
Le plâtre & la chaux , pendant leur calcination,
ſe chargent d'une grande quantité de phlogiſtique ,
qui tend fans ceffe àafſe diffiper. Ce phlogiſtique,
fuivant l'opinion de l'Auteur, ayant plus d'affinité
avec les acides qu'avec les deux matières terreuſes
auxquelles il eſt uni , les abandonne avec facilité,
pour s'unir à l'acide de l'air. De cette union , il réſulte
un ſoufre très- volatil , ſoufre qui s'unit à fon
tour à la terre alkaline de la chaux & du plâtre , &
forme une combinaiſon connue en Chimie ſous le
nom d'hepar fulphuris , ou foie de ſoufre. La préfence
de ce foie de ſoufre eſt ſenſible , lorſqu'on fait
éteindre la chaux dans un lieu fermé.
« 1º . On ſenz bientôt une odeur d'oeuf pourri ,
- qui eft celle du foie de ſoufre décompoſé. 2°. Si
DE FRANCE.
309
on expoſe une aſſiette d'argent à la vapeur qui
>> s'élève pendant la fuſion de la chaux , elle s'y phlo-
> giſtiquera & deviendra noire. 3 °. Le même phé-
>>nomene aura lieu fi on la ſuſpend , pendant quel-
> ques ſemaines, contre un mur nouvellement fait ».
Suivant l'obſervation de tous les Chimiſtes ,
le foie de ſoufre diſſout non-ſeulement la majeure
partie des métaux , mais encore les ſubſtances animales
& végétales : il corrode , il détruit ſur-tout
les matières animales ; & l'oi doit concevoir aifément
les défordres affreux qu'il peut cauſer , & qu'il
cauſe en effet dans nos viſcères quand nous le ref
pirons.
Il s'agit donc de trouver un moyen de décompoſer
cette ſubſtance , & fur- tout d'en accélérer la deſtruction.
L'Auteur dit que l'évaporation du vinaigre& la
chaleurd'un poële pourroient à la longue remplir cet
objet ; mais il croit la méthode ſuivante beaucoup
plus prompte & plus efficace.
« Lorſqu'on veut habiter une maiſon ouun appartement
dont les murs font nouvellement bâtis , il
>> faut commencer par fermer les fenêtres , les portes
> &la cheminée; enſuite on établira des poëles au
milieu des chambres , dont on conduira les tuyaur
dans la cheminée ou la fenêtre , pour faire fortir
la fumée. On chauffera ces poëles nuit& jour , le
>> plus fort poſſible : on aura en même-temps pluheurs
vaſes de grès ou de fayence , ou même de
terre verniffée , dont l'ouverture ſera large , telles:
- que les terrines où l'on met du lait pour en ſeparer
la crême : on placera les terrines lelongdes mars ,
> environ àdeux ou trois pieds de diſtance l'une de
l'autre : on mettra dans chacune environ cinq ou
*
১০
fix onces de ſalpêtre brut , de la première cuite ,
>& pareille quantité de fel marin , que l'on aura
>> bien fait ſécher auparavant. Après cette première
1
31७
MERCURE
difpofition , on fermera les fenêtres , & on ne laif
>> ſera que la porte ouverte.
On aura enfuite dans un flacon de l'huile de
•vitriol du commerce , dont on fera verſer par
>> pluſieurs perſonnes à la fois , cinq ou fix onces
>> dans chaque terrine ,&cela le pluspromptement
qu'il fera potlible , afin que ces perfonnes ne ref-
>> pirent point la vapeur qui ne tardera pas à s'élever.
> Cette opération faite, elles ſe retireront& ferme
>> ront la porte.
دد
1
>> Alors l'huile de vitriol , qui a plus d'affinité
avec la baſe du ſalpêtre &du ſel marin , que ces
>> deux ſels n'en ont avec leur propre bale , s'en
» empare auffi-tôt : les deux acides devenus libres ,
>> s'exhalentdans l'appartement. L'acide nitreux s'u
>> nit au phlogiſtique furabondant des matières cal
>> caires des murs neufs , & l'acide marin décompoſe
>> le foie de ſoufre volatil. Ces deux acides étant
>> volatils eux-mêmes , ſe diſſiperont dans l'airquand
>> on ouvrira les fenêtres , & emporteront avec eux
les ſubſtances volatiles qui ne ſont pas encore
➡ combinées.
>> Il faudra répérer la même opération trois out
quatre fois par jour , pendant un mois ou fir fes
>> maines,&entretenir la chaleur du poële à trente
cinq ou quarante degrés. Par ce moyen, les murs
>> ferontdépouillés de leurs émanations malfaiſantes ,
s& l'on pourra habiter une maiſon neuve au bout
de fix femaines ou deux mois ſans aucundanger ».
:
GRAVURES.
LoO
FFRANDE à l'Amour , Eftampe gravée par
M. Macret, d'après un tableau très-connu du célèbre
M. Greuze. A Patis , chez laveuve Avaulez,
DE FRANCE. 311
Marchande d'eſtampes , rue Saint - Jacques , à la
Ville de Rouen, Prix , 9 liv.
L'Heureuse Rencontre, gravée par M. Marchand ,
d'après un tableau de M. Pierre , Premier Peintre du
Roi. A Paris , chez l'Auteur , rue des Foffés-Saint-
Victor , en face de la Doctrine Chrétienne.
Portrait de feu M. Bourgelat , Directeur & Infpecteur-
Général des Écoles Vétérinaires , Commiffaire-
Général des Haras du Royaume ,&c. Se vend
àl'École Royale Vétérinaire ;&à Paris, chez Letellier,
rue de Grenelle Saint Honoré , à côté du Marchand
de muſique. Prix , 1 liv.
Le Fils puni , Tableau de M. Greuze , gravé de
mémoire. Chez Civil , rue du Petit-Bourbon , cn
face de la Colonnade du Louvre.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
DICTION ICTIONNAIRE Univerſel des Sciences morale;
économique , politique,& diplomatique , ou Bibliothèque
de l'homme d'Etat & du Citoyen , mis en or
dre & publié par M. Robinet , Cenſeur Royal. Tome
VI in-4°. A Paris , chez l'Éditeur , rue S. Dominique
, près la rue d'Enfer.
Les principaux articles de ce nouveau volume qui
termine la lettre A , font Architecte & Architecture ,
Aréopage, Argent , Arithmétique , Politique , Arts ,
Afie , Assassinat , Affſurance , Affyrie , Athènes ,
Avarie , Aubaine , Audience , Avis , Autorité,
Autriche. Nous en donnerons un Extrait dans un
des Mercures ſuivans,
Effai Phyſico - Géométrique , contenant , 1º. la
détermination du centre de gravité d'un ſecteur de
312 MERCURE
cercle quelconque ; 2°.la réſolution géométrique du
problême de la quadrature définie du cercle, déjà
approuvée par pluſieurs Géomètres de diverſes nations
, expoſé à la cenſure du Public , & nominativement
à celle des Phyſiciens - Géomètres , profeſſant
dans les Univerſités , Colléges & Académies , leſquels
font priés & invités de le réfuter , & d'en rendre la
réponſe par lesjournaux Littéraires ; avec une Lettre
d'invitation particulière à M. d'Alembert, pour le
réfuter aufſi , s'il y a lieu : adreſſé à Sa Sainteté&
aux Monarques. Par M. le Rohberg Herr de Vauſenville
, Aftronome , Correſpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris, Hiftoriographe de la
ville de Vire , &c. A Paris , chez d'Houry , Libraire,
rue de la Vieille Bouclerie ; Mérigot l'aîné , Libraire ,
Quai des Auguſtins , & Eſprit , Libraire , au Palais
Royal, 1778. Avec Approbation& Privilége du Roi.
I vol. in-8°. Prix2 liv. 8 fols.
Voilà un nouvel ouvrage ſur la quadrature du
cercle.C'eſtdommage pour l'Auteur , qui defire d'etre
réfuté , que ſon invitation ne puiſſe pas prévaloir fur
la réſolution que l'Académie Royale des Sciences de
Paris a priſe , de ne plus examiner aucun ouvrage
fur cette matière. Voyezfon Histoire de 1775. Il eft
à croire que fon Secrétaire & la plupart desGéomè
tres ſuivront fon exemple.
Obſervations nouvellesfurlespropriétés del'Alkali
fluorammoniacal, d'après quelques expériences faites
par M. B ***, du Collége Royal & de l'Académie de
Chirurgie de Paris , ſervant d'addition à celles qu'on
adéjà publiées ſur le même objet , dont on donne
ici le réſumé. AParis , de l'Imprimerie de Monfieur,
1778. Brochure in-8 °. de 49 pages , qui ſe trouve
chez Didot le jeune , Libraire , Quai desAuguſtins.
JOURNAL
E
reones
3,
DO
ies, t
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES
4
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 1 Janvier.
LEs eſpérances de paix ſe ſoutiennent toujours
; on parle depuis quelque tems d'envoyer
un Ambaſſadeur à Pétersbourg pour la traiter
directement avec l'Impératrice de Ruffie ; fi ce
bruit ſe confirme , il n'eſt pas douteux qu'elle
ne foit bientôt fignée ; les Miniſtres Ottomans
ne ſe rendent guere dans les Cours Etrangères
que pour la forme ; les affaires ſont réglées
avant leur départ , & leurs miſſions n'ont guere
d'autre objet que l'apparat.
Les cinq Boyards décapités en Moldavie ,
l'ont été par ordre du Capitan-Bacha ; on croyoit
que cette exécution pourroit n'être pas vue
de bon oeil ici ; mais il paroît qu'elle y eſt approuvée.
Le Grand-Amiral prétend que ces
Boyards entretenoient des correſpondances
illicites avec les Ruſſes , pendant que les hof
tilités avoient lieu . On affure aujourd'hui
que le Divan de cette Province eſt ſoupçonné
d'avoir eu part à ces intelligences criminelles ,
& qu'il va partir pour Jaſſy une commiffion
chargée d'examiner ſa conduite. En attendant
il vient d'arriver ici trois autres Boyards fufpects
, qui font chargés de fers.
Quatre vaiſſeaux de ligne ont mis à la voile
25 Février 1779 .
( 314 )
depuis quelques jours ; on dit qu'ils font partis
pour aller chercher du grain ; mais on remarque
que nousn'en manquons point , & qu'ils n'ont pas
pris la route de la mer Noire ; comme ils ont
paffé le détroit des Dardanelles , on préfume
qu'ils ſe rendent en Syrie , où les troubles ſe
renouvellent ; la ville de Seyde eft fur-tout
dans une telle confusion, que le Conful François
& les Marchands étrangers qui y étoient
établis , ont pris leparti de quitter cette ville
& de fe retirer en Chypre .
SUÈDE.
De SтоскHOLM , le 26 Janvier.
LE IS de ce mois le Duc d'Ostrogothie a
donné à la famille Royale une fête à l'occaſion
de l'heureuſe délivrance de la Reine. Audi-tôt
que LL. MM. ont été inſtruites des malheurs
arrivés à celle que la Bourgeoiſie de cette ville
adonnée au peuple , elles ſe font empreſſées
de venir au fecours des parens de tous ceux qui
ont péri ou qui ont été bleſſés. La bienfaifance
du Roi qui ne ſe dément & ne ſe rallentit
jamais , l'a déterminé aufi à n'accepter que 12
des 18 tonnes d'or , dont les Etats on fait pre
fent au Prince Royal; il a défiré que les 6qu'il
refuſoit , fuffent employées dans la répartition
des impôts au foulagement de ſes ſujets les
moins aifés.
La Dière s'eſt hâtée de terminer les affaires qui
l'avoient affemblée , en multipliant ſes ſéances ; le
Comité chargé de l'examen de tout ce qui regarde
la banque , a rendu compte de ſon travail; il en
réſulte que les réſolutions priſes par les quatre ordres
ont pourvu ſuffisamment à ſa fûreté & au maintien
de fes droits ; il a donné les plus juſtes éloges à
l'adminiſtration de cette partie importante. Mais
( 319 )
comme en conféquence demontious demes de
velle conſtitution , il y aura un plus long intervérc
entre une Diète & la ſuivante , & que la réviſion de
la banque peut mériter l'attention de la nation pendant
cetems , le Comité propoſa un projet par lequel
les ordres choiſiront des Réviſeurs au nombre de 12
pour l'ordre Equestre , de 6 pour celui du Clergé , &
d'autant pour celui des Bourgeois qui s'affembleront
le 1 Août 1782, pour la première fois,& enſuite tous
les trois ans , à la même époque. Leurs aſſemblées
dureront deux mois ; on affignera à chaque membre
un rixdahler par jour , & ils ſuivront ſtrictement les
inſtructions qui leur feront données. Ce plan qui
avoit été déja exécuté du tems de Charles XII ,
depuis 1699 , juſqu'en 1719 , a été adopté avec
cette clauſe , que chaque fois on élira de nouveaux
Réviſeurs , & que ceux qui ſe trouveront en charge ,
ne pourront pas tous être continués pour la réviſion
ſuivante..
Une des réſolutions les plus importantes ,
prites par la Diète actuelle , eſt celle d'accorder
le libre exercice de fa religion à chaque étranger
qui viendra s'établir dans le Royaume. Elle
fut priſe unanimement par la nobleſſe , la bourgeoifie
& les payſans ; le clergé ſeul proteſta
contre cette réſolution , comme contraire à ſes
droits , à ſes priviléges , & au paragraphe 1 de
la nouvelle forme de gouvernement. Mais la
pluralité de trois ordres annulle l'oppoſition
d'un ſeul . Le Roi a donné fon approbation
à cette délibération. C'eſt par - là que la
Diète a terminé ſes ſéances. Sa clôture a été
annoncée hier au fon des trompetes & des hautbois
, en la manière accoutumée. Le fermon
qui a lieu dans ces circonstances , a été prononcé
aujourd'hui ; les quatre ordres à l'iſſue du fervice
Divin , ſe ſont rendus dans la falle des
Etats , ou S. M. les a congédiés par un difcours
élégant.
Oz
( 314)
depuipayfahsavinursemandé qu'il fût per
P9 aux habitans de la campagne de diſtiller de
l'eau-de-vie pour leur uſage ; mais cette Requête
a été rejettée. Parmi les diſcours qui ont
été prononcés dans cette Diète , & dans lefquels
S. M. a vu toujours les témoignages d'a.
mour &de fidèlité de ſes peuples , on nous faura
gré de rapporter celui - ci d'André Matſon,
Orateur de l'ordre des payfans .
>> Sire , l'ordre des paytans , lorſqu'il ſe préſente
devant V. M , n'éprouve ni l'embarras ni la crainte
qu'inſpirent trop ſouvent ailleurs à cette claſſe la
borieuſe , l'éclat & la pompe auxquels elle n'eſt
point accoutumée. Ici il ſe livre librement aux ſentimens
, dont tous les membres font animés. Pleins
du zèle le plus pur , & de l'amour qui vous eſt
dû , le langage de l'art nous eſt auffi étranger qu'inu
tile. Notre confiance en vous , eft celle d'enfans
foumis qui s'approchent d'un bon père , pour épan
cher leurs fentimens dans ſon ſein. Craindre Dieu ,
aimer nos Rois , voilà les devoirs que nous ont
appris nos pères. Nous avons toujours trouvénotre
bonheur dans leur pratique , & nous affurons celui
de nos enfans , en les leur enſeignant à notre tour,
Dès le point du jour , avant de commencer nos travaux
, les voix de chaque famille ſe réuniſfent, &
forment des voeux pour V. M. , & le foir en finif
fant la journée , nos bras fatigués s'élevent encore
vers le ciel , pour implorer ſes faveurs fur notre
Roi ; fatisfaits alors nous allons goûter les douceurs
d'un repos que la ſageſſe de votre adminiſtration
nous conſerve. Les députés de l'ordre des payſans,
attendent avec confiance ce qui leur ſera communi
qué; danstoutes leurs déliberations , ils auront égard
al'amour qui les lie avec leurs ſupérieurs , à l'obéilſance
qu'ils doivent au Gouvernement , & à la tendre
amitié qui les attache à leurs compatriotes qu'ils
ont laiſſés chez eux. C'eſt le ſeul moyen qu'ils connoiſſent
de mériter les bontés du meilleurdesRois ,
&de s'en rendre dignes ",
( 319 )
De
la plus grande paredes troupes de
PO Stab NE . employée
eaucoup
ARSOVIE , le 26 Janvieriége de
?
L'ANNIVERSAIRE de la naiſſance du Roi
qui eſt entré dans la 47e année de ſon âge , a
été célébré le 1 de ce mois avec beaucoup de
pompe ; S. M. après le ſervice Divin , ſe rendit
à Marimont , où le Comte de Rzewuski
Maréchal de la Cour & de la Couronne , lui
donna une ſuperbe fête , ainſi qu'aux Seigneurs
qui l'avoient ſuivie ; S. M. eſt partie le 22 de
ce mois pour Kozienice , où elle reſtera quelquesjours.
On affure que le Prince de Repnin quittera
la Siléſie dans le courant du mois prochain pour
venir dans cette capitale ; on préſume qu'il y
paſſera quelques jours , après quoi il reprendra
la route de Pétersbourg . On ne dit pas fi fon
voyage influera ſur le ſéjour des troupes Ruſſes
qui ſe trouvent dans ce Royaume . On croit
cependant que ſi leur préſence eſt néceſſaire en
Allemagne , elles s'y rendront ; elles ont été
fort tranquilles pendant quelque tems ; mais on
remarque depuis quelques jours beaucoup de
mouvemens parmi elles , & pluſieurs annoncent
qu'elles font les diſpoſitions néceſſaires pour
continuer leur marche.
On imprime actuellement les conſtitutions
portées par la dernière Diète ; comme on y
joint le journal de fes délibérations , & les difcours
qui ont été prononcés en différentes occafions,
cet ouvrage fera fort volumineux.
Le Comte Potocky , Vaivode de Plocko ,
efſt mort ici dans un âge affez avancé.
*
03
( 314 )
depuipaykaioursemandé
qu'il
LLNE
. P9 aux ha
l'eau-de-De VIENNE , le 30 Janvier.
quête a
LE 19 de ce mois , l'Empereur ſéant fur fon
trône , a donné l'inveſtiture folemnelle des
fiefs , terres & droits attribués à l'Evêché de
Coïre , au Prince - Evêque de la famille des
Cointes de Roth , repréſenté par le Comte
François-Louis d'Altems , Chanoine du grand
Chapitre de cette Métropole.
Le 26, la Cour a reçu de Naples la nouvelle
de l'heureuſe couche de la Reine ; il
y a eu à cette occafion grand gala & appartement
le foir à la Cour. On afſure que la
Grande-Ducheſſe de Toſcane , que l'on dit enceinte
de 2 mois , reſtera ici juſqu'au 7e. de fa
groffeffe.
Les 200 huſſards que l'Archi-Duchefſe Marie-
Chriftine a fait lever à ſes frais pour le ſervice
de l'Empereur, font arrivés ici le 26 avant midi,
& ont défilé ſous les fenêtres du Palais Impérial.
Ils allèrent ſe mettre en parade devant
P'hôtel de la Guerre , d'où après avoir été
paffés en revue , ils ſe mirent en marche pour
ſe rendre en Bohême , où ils feront partie du
régiment de Wurmſer. Le lendemain on vit
arriver les 300 huflards qu'a fait lever la famille
de Bathiany. Comme l'Empereur a témoigné
pluſieurs fois combien il étoit fatisfait de la
conduite des huſſards Hongrois , la petite no.
bleffe de ce Royaume a offert de lever un corps
de4000 qui feront tous nobles , & qui ferviront
àleurs frais comme dans la guerre précédente ;
elle n'a demandé que la ſeule condition de ne
les incorporer dans aucun autre corps ; la Cour
adonné ſa parole , & a nommé des Officiers
des principales familles de Hongrie pour les
commander.
( 319 )
Comme la plus grande partie des troupes de
lagarnifon de cette capitale doit être employée
ailleurs , la bourgeoifie qui a obtenu beaucoup
de priviléges & de libertés depuis le fiége de
Vienne en 1683 , a reçu ordre de ſe tenir prête
à occuper dans le courant du mois prochain ,
les principaux poſtes de cette ville .
L'avantage que le Lieutenant - Général de
Wurmfer a remporté dernièrement à Halberſchwerdt
dans le Comté de Glatz , a fait
la plus grande ſenſation à la Cour. L'Impératrice
Reine a envoyé à ce brave Officier une
boîte d'or , garnie de brillans d'un très-grand
prix ; elle a auſſi fait préſent à M. Uz , fon
Aide-de-Camp , d'une montre d'or à répétition ,
& de 100 ducats.
De HAMBOURG , le 1 Février.
:
PENDANT que tous les papiers publics
de l'Allemagne annoncent une prochaine paix ,
qu'ils parlent d'un plan de pacification agréable
à tous les partis , les hoftilités continuent
dans la Haute-Siléſie où les troupes Belligérantes
ne fongent point encore à entrer en
quartier d'hiver , & n'ont ceſſé de s'obſerver ,
de s'inquiéter & de combattre , malgré la rigueur
de la ſaiſon. Le ſuccès de l'entrepriſe
du Lieutenant-Général de Wurmſer ſur Halberſchwerdt
, dans le Comté de Glatz , eft confirmé
; il a difperfé le régiment de Luck , &
le Prince de Heſſe-Philipttall eft au nombre de
ſes prifonniers . La Cour de Berlin n'a point encore
publié de relation de cet évènement malheureux
, mais qui n'offre rien de décifif ; elle fe
diſpoſe à prendre ſa revanche , & les mouremens
qui le font dans la Haute-Siléſie ſemblent
préparer à quelque choſe de plus important
que tout ce qui s'eſt paſſé juſqu'à préſent. S'il
04
( 320 )
faut en croire pluſieurs nouvelles , les Autrichiens
s'y font emparé de Joanneſberg; & la
poffeffion de ce poſte les met en état de couper
toute communication entre Neiffe , Jagerndorf
& Troppau. Cette nouvelle , fi elle fe
confirme , we permet pas de douter que les
Pruffiens ne tentent tout pour rétablir cette
communication , & d'un moment à l'autre nous
pouvons recevoir la nouvelle de quelque action
que ce deſſein doit inſenſiblement amener.
L'activité qu'on remarque toujours dans les
préparatifs de guerre font douter du ſuccès des
négociations pour la paix , puiſqu'elles ne les
fufpendent pas .
Le bataillon de Winakop , écrit-on d'Olmutz,
fort de 800 hommes , eſt parti le 4 Janvier pour
l'armée ; il a été ſuivi par 6 compagnies du régi.
ment de Laudohn , qui étoient ici le 31 Décembre;
dix bataillons de grenadiers venant de Bohême ,
font entrés le 7 Janvier à Nuglits , & une compagnie
de 170 hommes de ce bannat eſt entrée le 6
dans notre fauxbourg , d'où elle s'eſt miſe enmarche
le lendemain pour joindre fon corps; 25 canons
ont été tranſportés d'ici à Troppau , & les cantonnemens
de notre armée ſont ſi ſerrés, qu'elle peut
s'ébranler au premier ordre «.
S'il faut s'en rapporter à un état des forces Autrichiennes
qui circule dans une multitude depapiers
, elles n'ont jamais été fi formidables ; elles
ne confiftent pas en moins de 376,336 hommes ,
fans y comprendre la levée générale des recrues que
cette puiffance vient d'ordonner dans ſes Etats. La
compofition de chacun des régimens eſt la ſuivante.
Chaque régiment d'infanterie eſt de 4000 hommes
diviſés en 20 compagnies , dont 18 de fufiliers ,
& 2 de grenadiers , de 200 hommes chacune. Les
régimens de cuiraſſiers &de dragons ſont compolés
de 1809 Maîtres , indépendamment de l'Etat - Major
, & confiftent en eſcadrons de 201 hommes
( 321 )
chacun , dont 8 font le ſervice de campagne , & un
doit toujours demeurer en réſerve. Les régimens de
carabiniers , de chevaux- légers & de huſſards ,
font de 2211 hommes partagés en II eſcadrons ,
dont 10 de campagne , & I de réſerve.
Les recrues ordonnées doivent encore aug.
menter ces forces déja ſi conſidérables ; on
invite les étudians à embraſſer la défenſe de
la patrie ; on promet de recevoir ceux qui ſe
préſenteront en qualité de cadets , & de les
avancer ; un édit impérial publié dans pluſieurs
dicaſtères , offre à tous les Praticiens & Affeffeurs
qui voudront prendre parti , une augmentation
d'appointemens , la conſervation de leurs
emplois , & la préférence dans les promotions
àde plus importantes charges. Comme un état
militaire auſſi inoui , & qui augmente journellement
, exige un travail infini , le Conſeil Aulique
de Guerre a nommé une Commiſſion qui
ne s'occupera que de ces objets , & c'eſt à elle
que ces jeunes Praticiens s'adreſſeront.
Les préparatifs qu'on fait dans les états du
Roi de Prufſe ne ſont pas moins conſidérables ;
on voit la même activité en Saxe où l'on ſe
propoſe de porter les recrues à 36 à 40,000
hommes. S'il faut en croire les lettres de Mu
nich on en fait auſſi en Bavière ; & on les preſſe
avec une telle vivacité , que l'on donne juſqu'à
40 florins d'engagement aux hommes de bonne
volonté. Ces levées ſe font également dans le
Palatinat ; & elles dérangent les conjectures des
ſpéculateurs pacifiques , & ceux qui ont vu
juſqu'à préſent l'Electeur Palatin demander à
refter neutre dans la querelle dont il eſt l'objet ,
& n'oppofer pas toute la réſiſtance qu'il auroit
pu faire aux prétentions de la Cour de Vienne .
Quelques perſonnes prétendent que la Ruſſie ,
de concert avec la Pruſſe , a influé ſur ſes nouvelles
difpofitions ; on a vu du moins le Mi-
Ος
( 322 )
niftre Ruſſe à Ratiſbbonne faire un voyage à
Munich & avoir de longs entretiens avec l'Electeur.
On prétend aujourd'hui qu'il eſt appa.
rent qu'il s'ouvrira bientôt une nouvelle ſcène
en Bavière . Ceux qui penchent pour cette corrjecture
croient l'appuyer par ce paſſage de la
déduction de la Cour de Pruſſe , relativement
à l'acte de renonciation , où l'on demande » fi la
Cour de Vienne renonceroit à la poffeffion des
pays occupés en Bavière , dans le cas où l'Electeur
Palatin déclareroit & avoueroit publiquement
qu'il a été obligé par menace , par furprife
& par la voie des armes , à ratifier la convention
du 3 Janvier ". Quoiqu'il en foit , les
préparatifs qui ſe font dans ce Duché , ſemblent
appuyer l'opinion de ceux qui croyent que l'Electeur
prendra cette année une part active à la
guerre actuelle .
Au moment où nos nouvelles de Conſtantinople
annoncent la paix preſque décidée entre
la Ruffie & la Porte , il s'en répand d'autres ,
qui ſemblent la rendre douteuſe ; elles viennent
de Semlin , & leur date les rend un peu fufpectes
, parce qu'on fait que dans ce pays , on a lieu
de defirer que cette paix ne ſe conclue pas
fi -tôt. Quoiqu'il en ſoit , voici ce que l'on
mande.
>>Des Turcs arrivés ici , aſſurent que le Divan
qui étoit déterminé à un accommodement , vient
d'être rappellé tout à-coup aux projets de guerre
par le Capitan-Bacha , qui à ſon retour du Pont-
Uxin , où il avoit été faire un petit voyage , s'eſt
hâté de détruire les plans formés en ſon abfence.
Selon les rapports de ces Turcs , les troupes qui font
en Grimée& en Walachie , n'ont point obtenu de
ſemeftre ; celles qui étoient dans l'afage de s'abſenter
pour quelque tems , ont reçu ordre de reſter ſous
leurs drapeaux, fous peine de mort. On a envoyé
dans toutes les Provinces de l'Empire Ottoman ,
(323 )
des Officiers chargés de faire des recrues , & l'òn
rient prêtes dans la capitale de groſſes ſommes d'argent
pour les frais néceſſaires de guerre. Le Sangliakdar
, ou l'Officier qui a l'emploi de porter la
grande bannière de la religion , a reçu ordre de ſe
rendre à l'armée au mois de Février prochain «.
Ces grandes nouvelles paroiſſent n'avoir été
répandues que par ceux qui font intéreſſés à occuper
les Ruffes , & qui ne defirent fans doute
pas qu'ils s'accommodent avec les Turcs. On
les regarde , en général , comme celles que
l'on a publiées d'abord de l'objet de l'armement
maritime qu'on fait enDanemarck , & qu'on a
deſtiné pour le ſervice des Anglois , qui en ont
trop beſoin pour ne point avoir un peu contribué
à ce bruit ; mais on fait aujourd'hui , que for
véritable objet eft de protéger le commerce du
Nord.
Le Roi d'Angleterre a demandé à la régence
de Hanovre 2 tonnes d'or , pour fubvenir aux
dépenſes que ſes Etats d'Allemagne pourront
avoir à faire dans les troubles actcuueellss,, & elles
lui ont été accordées . Le Roi de Pruffe a auffi
permis le paſſage par ſes Etats aux recrues Allemandes
, deftinées aux corps de cette Nation
qui fervent actuellement le Roi de la Grande-
Bretagne dans l'Amérique-Septentrionale.
De RATISBONNE , le 1 Février..
LE Baron d'Affebourg , Miniftre de Ruffie ,
eſt de retour ici de Munich , où il s'étoit rendu
le 14 du mois dernier ; ſa première conférence
avec l'Electeur Palatin eut lieu le 15 , & dura
depuis 4 heures de l'après- midi ,juſqu'à 8 heures
du foir. Les Miniſtres de France & de Pruffe
aſſiſtèrent à cette conférence , dont on ignore
les réſultats , mais dont on prévoit un grand
changement dans les diſpoſitions de ce Prince.
06
( 324 )
On ſe flatte toujours de la tenue d'un Congrès
pour la paix ; & fi , comme on l'affure, on prépare
des logemens à Munich pour les Miniſtres
de pluſieurs Puiflances , on ne ſeroitpoint étonné
qu'il ſe tint dans cette ville. Le tems nous en
apprendra davantage , & cette époque ne fauroit
être éloignée.
Des lettres particulières de Vienne , que
nous ne garantiflons pas , portent que M. de
Senkenberg , le même qui à découvert le fameux
acte de renonciation , & qui a été arrêté
au moment où il quittoit l'Autriche , a refufé
de répondre aux interrogatoires qu'on lui a fait
fubir au fujet de cette découverte. Ila , dit-on ,
proteſté , qu'en qualité de ſujet du Prince de
Hefle-Darmſtadt , il ne peut être interrogé que
par fon Souverain, ou au nom de fon Souverain ,
fur un pareil fait.
PRUSSE .
DE BERLIN , le 1 Février.
LE 24 du mois dernier la Cour & la Ville
célébrèrent à l'envi l'anniverſaire de la naiſſance
du Roi , entré ce jour-là dans la 68e. année
de fon âge ; le 28 l'Académie Royale des
Sciences tint à cette occafion l'aſſemblée publique
d'uſage ; le Prince Frédéric-Guillaume
l'honora de ſa préſence , ainſi que pluſieurs
Miniftres étrangers , & d'autres perſonnes de
Secré- la première diftinction. M. Formey ,
taire perpétuel , l'ouvrit par un difcours analogue
à la circonſtance. Il déclara enſuite que
le prix qui devoit être donné cette année à
l'Auteur du Secret de convertir le ſable en pierre ,
ne le ſeroit que dans l'aſſemblée du mois de
Janvier 1781 .
On fait que le Roi a employé quelques - uns
( 325 )
des momens de loiſir qui lui reſtoient au milieu dus
tumulte des camps & des ſoins d'une campagne
difficile & pénible en pays ennemi , à compoſer
l'éloge de Voltaire. Un homme juſtement célèbre ,
àqui un Académicien en avoit envoyé un exemplaire
, lui a écrit la lettre ſuivante. » Vous m'avez
fait bien du plaiſir , M. , en m'envoyant l'éloge
de Voltaire par le Roi de Pruffe. Le nom de l'Auteur
ajoute encore un grand mérite à l'ouvrage ,
indépendamment de celui qu'il a par lui - même.
S'il étoit beau de voir comme le dit Voltaire ,
le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille
, il eſt encore plus beau de voir le grand
Frédéric louant le grand Voltaire ; & la circonftance
y ajoute encore , puiſque c'eſt au milieu du
tumulte des armes & dans la tente d'un Géneral
d'armée que cet éloge a été compofé. Depuis longtems
les gens de lettres louoient les Rois , il étoit
tems qu'un Roi louât un homme de lettres. Mais
il n'y en avoit qu'un qui pût acquitter cette dette
de la royauté ".
On travaille actuellement dans la Fabrique
Royale de Porcelaine , à un ſervice fuperbe. Les
tableaux repréſenteront les Aventures d'Enée
& les combats décrits dans l'Enéïde. Ce prépre
ſent précieux eſt deſtiné par le Roi au Grand
Duc de Ruffie.
ITALIE.
DE ROME , le 25 Janvier.
Le Pape a reçu du Roi de Sardaigne une lettre
de félicitation au ſujet de la rétractation de Febronius
. S. S. a adreſſé aux Catholiques des Provinces-
Unies,un Bref, en date du 18 de ce mois,
par lequel il condamne l'élection & la confécration
du nouvel Evêque de Harlem qu'il
déclare nulles & contraires aux Canons & aux
Loix de l'Eglife .
,
:
( 326 )
Le 18 , pendant qu'on fonnoit les cloches du
Vatican , pour la fête de la Chaire de S. Pierre,
la groſſe cloche du poids de 22 milliers , fondue
fous le pontificat de Benoît XIV , fe caffa , &
cauſa une ſi violente ſecouſſe , que la grande
lampe placée par ClémentXI devant la chaire,
tomba & fe brifa. Ces deux accidens , caufés
par l'incurie des ſubalternes , n'ont eu heureuſement
aucunes ſuites fâcheufes .
Un Religieux voulant s'évader d'un lieu affez
élevé où ſon Supérieur l'avoit fait enfermer , ſe
fabriqua une eſpèce de corde de la couverture
& des draps de fon lit. Malheureuſement cette
corde ne réſiſta pas au poids de fon corps ; elle
fe caffa , & il tomba dans la rue , où les Sbirres
le ramaſsèrent & le portèrent à l'hopital , où
il eſt très- malade.
ככ
Le Cheval Marin , Pinque Hollandois , écriton
de Rimini , a fait naufrage fur cette côte dans
la nuit du 8 au 9 de ce mois. Il venoit d'Amſterdam
, chargé de riches marchandiſes. Le Capitaine
& le Contre-Maître ſe noyèrent en voulant fauter
dans la lame avant que le vaiſſeau ne donnât contre
terre. 2 matelots qui s'étoient liés à une piece du
navire , périrent de même ; & 2 autres s'embarrafsèrent
tellement dans les débris , qu'ils eurent le
même ſort. Les 6 derniers ſe ſauverent en reftant
attachés au mât de hune , où ils reſtèrent 3 jours
& 3 nuits , n'ayant pris d'autre nourriture qu'un peu
de tabac qu'ils mâchoient. Le froid étoit ſi âpre ,
qu'ils auroient enfia ſuccombé , s'ils n'avoient pris
la précaution de ſe tenir fort près les uns des autres
pour ſe réchauffer. Le vent étoit fi violent &
la mer fi agitée , que le Marquis de Belmante & le
Comte Bataglini offrirent chacun envain ſo ſequins
à quiconque fauveroit ces infortunés. Perſonnen'oſa
le faire. Le 11 le vent s'étant un peu appaiſé ,
des matelots de ce port ont été les prendre , &
les ont amenés à terre. 2 ſe portoient bien ; les 4
( 327 )
autres étoient à demi-morts . On s'occupe à préſent
à ſauver les marchandiſes de ce bâtiment qui viennent
flotter ſur la côte « .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le IC Février.
La Cour n'a encore confirmé aucune des
nouvelles confolantes que l'on affuroit que
M. Lloyd , Aide-Camp du Général Clinton ,
avoit apportées à Lord George Germaine . On
revient en conféquence de la flatteuſe idée de
la foumiffion de la Géorgie & des deux Carolines
; on dit que le 23 Novembre dernier , le
Colonel Alexandre Campbell fit voile une ſeconde
fois avec 3000 hommes pour Saint-Auguſtin
dans la Floride orientale , pendant que
le Colonel Campbell de Strachar ſe rendoit
avec 2000 dans l'occidentale. Tout ce qu'on
pouvoit favoir à New Yorck , au départ de
M. Lloyd , c'eſt que les deux Colonels avoient
débarqué , l'un à Saint-Augustin , & l'autre à
Penfacola ; mais il étoit impoſſible d'être inf
truit de leurs progrès dans les Carolines &
dans laGéorgie;; on a déja de la peine à concevoir
pourquoi , fi leur eſpérance étoit d'être
ſi bien reçus dans ces trois Colonies , ils ne
s'y ſont pas rendus directement , au lieu de
prendre la peine de ſe porter dans les deux
Florides. Le zèle qui imagine des nouvelles
eſt rarement adroit.
La nation n'a pas été moins mortifiée lorſque
l'Amiral Shuldam eft rentré à Portsmouth ; il
n'y a point amené les deux vaiſeaux de ligne
& la frégate Françoiſe , dont on affuroit qu'il
s'étoit emparé pendant ſa courte campagne , en
profitant de l'imprudence qu'elles avoient eu de
ſe jetter au milieu de ſa flotte pendant un brouil
( 328 )
lard. Il n'a ramené que 10 des 18 vaiſſeaux
qu'il avoit en partant ; ceux qu'il a laiſſes ſe
rendenten Amérique , où ils eſcortent le
convoi deſtiné pour cette partie du monde ,
dont aucun vaiſſeau n'a fouffert , dit-on , de
la tempête du premier du mois dernier ; ils
vont renforcer nos forces navales dans ces mers,
où , quoiqu'on en dife , nous avons raiſon de
croire que nous ne ſommes pas les plus forts.
On affure ici qu'il n'y a plus rien à craindre
pour le Commodore Hotham & fon convoi.
On le dit arrivé fans accident à la Barbade ;
on ſe demande ce qu'il y va faire ; & pourquoi
lorſque tout porte à croire que le Comte d'Eftaing
menace la Jamaïque , où malgré l'intérêt
preffant que nous avons de la conſerver , nous
n'avons que soo homines de troupes réglées &
un ſeul vaiſſeau de ligne & deux frégates , il
n'a pas été plutôt conduire dans cette Ifle un
renfort fi néceſſaire ? Il femble qu'il importoit
plus au commodore Hotham& à l'Amiral Parker
de ſe réunir à la Jamaïque , que de ſe montrer
devant Saint - Domingue & la Martinique.
On prétend que l'Amiral Byron , après s'être
enfin réparé comme il a pu , a mis à la voile
le 13 Décembre , pour aller chercher le Comte
d'Estaing ; mais malgré ces eſpérances , bien
des perſonnes ſuppoſent qu'il eſt encore cloué
à Rhode - Iſland , foit par la lenteur avec laquelle
les vaiſſeaux ſe réparent , foit par celle
avec laquelle le Général Clinton peut lui faire
paſſer les renforts dont il a beſoin. On ne conçoit
pas comment ce Général pourra encore
s'expoſer à détacher quelques corps de fon
armée déja bien affoiblie , & qui , par les
détachemens qu'il a déja faits , ſe trouve réduite
à 9 à 10000 hommes. On ne fait pas grand
fonds fur le calcul des troupes Américaines ,
qui ſe font empreſſées de ſervir fous ſes dra(
329 )
1
peaux ; les moins exagérés de ces calculs les
portent à 6 ou 7000 hommes. Mais s'ils exif
tent , en effet , nous nous croyons sûrs qu'ils
ne fervent pas de bonne volonté. Les uns ont
été intimides , les autres gagnés , & la crainte
& la ſéduction ne font pas des foldats fidèles .
Il eſt très - certain que le Gouvernement ,
après un long eſſai de l'impuiſſance de ſes
armes , a cherché à employer la corruption .
Pluſieurs Officiers revenus d'Amérique , s'ac
cordent à dire que nos guinées circulent dans
toutes les provinces des Etats - Unis , où les
Emiſſaires du Miniſtère ſe ſont empreiſés de
les répandre. Ces moyens n'ont pas les grands
ſuccès qu'ils en attendoient ; ils n'ont rendu
que le ſervice de l'eſpionage , & délivré quel
quefois nos troupes d'une foule d'embarras
dans leſquels elles ſe ſont trouvées . On impute
aux guinées , la réuſſite du grand fourrage
que le Général Howe fit l'année dernière
pendant l'hyver pénible qu'il paſſa à Philadelphie
; les troupes qui en étoient chargées
avoient été tournées par les Américains ; ils
étoient embuſqués ſur le chemin qu'elles devoient
prendre , & elles devoient périr ou fe
rendre. Un piquet de chaſſeurs envoyé en
avant pour ſonder le terrein , n'avoit rien
apperça ; malheureuſement un des Officiers de
ce piquet préſenta une ſi belle occafion de
vengeance à un Américain qui avoit lieu de
s'en plaindre , que foit qu'il voulût la prendre ,
foit que nos guinées agiſſent dans ce moment , il
tira un coup de fuſil qui déconcerta l'entrepriſe
, & évita au Général Howe le fort du
Général Burgoyne . Mais notre or ne ſoumettra
pas l'Amérique décidée à l'indépendance . Les
Officiers revenus avec M. Lloyd , n'ont qu'une
opinion là-deſſus ; & le retour de nos Géné
raux , qui ſe dégoûtent du ſervice de l'Amé
( 330)
.
rique , prouve aſſez combien ils en jugent la
conquête impoſſible . Les derniers arrivés font
le Lieutenant-Général Comte de Cornwallis ,
les Majors Généraux , Grey & Wilfon , qui
ne ſe propoſent plus d'y retourner , & à la
place deſquels on enverra , dit-on , les Géné
raux Majors Calcraft & Hall , & le Colonel
Patterfon .
On eſt toujours fort inquiet des diſpoſitions
de l'Eſpagne ; le myſtère répandu ſur ſes armemens
ne peut cependant pas tarder à ſe
dévoiler. Il y a quelques jours que le Marquis
d'Almodovar eut une audience particulière du
Roi ; on ignore ce qui s'y paſſa ; mais le foir
même on tint un conſeil du Cabinet , auquel
tous les Miniſtres aſſiſtèrent , & à l'iſſue duquel
on expédia trois couriers , l'un à Mylord
Grantham , à Madrid , l'autre à Pétersbourg ,
& le dernier à la Haye.
On a ceſſé enfin de parler ici des ſecours
de laRuffie , annoncés &promis depuis fi longtems
par le Ministère à la Nation.
>> Plus la guerre de l'Amérique traîne en longueur ,
dit-on dans un de nos papiers , plus elle augmente
notre épuiſement ; & la foibleſſe des Etats produit
à l'égard de leurs alliés , ce que la ruine des particuliers
produit à l'égard de leurs amis. Le nombre
des uns & des autres diminue avec la ſplendeur & la
richeſſe , & paffé un certain période de décroiſſance ,
il ne reſte ni alliés , ni amis anciens , ni aucune
raiſoin d'en trouver de nouveaux : dans cet état ,
nous avons eu la mal-adreſſe d'indiſpoſer les Hollandois
; nous avons trop compté ſur leur docilité.
Il eſt vrai que nous avons parmi eux des partiſans
qui ont agi fortement en notre faveur ; mais la ville
d'Amſterdam plus éclairée ſur ſes véritables intérêts
, par ſon oppoſition conftante aux délibérations
des Etats-Généraux , eſt parvenue à faire fentirà la
République , qu'il étoit plus glorieux&plus avanta(
331 )
geuxd'employer ſes forces maritimes àfaire reſpecter
fa neutralité , qu'à nous ſervir de dernier étay.
C'eſt la déclaration qui nous a été faite par l'Ambaſladeur
de Hollande , qui a fignifié à notre Cour
qu'on ne permetroit plus que nos vaiſſeaux de guerre
&nos corfaires viſitaſſent les navires marchands de
la République , ou les attaquaſſent , & que cette
démarche ſeroit regardée comme une déclaration de
guerre. Nous avions imaginé que comme les rentiers,
qui jouiffent ſont en plus grand nombre enHollande
, que les armateurs qui peuvent acquérir , l'intérêt
conſtant des ſeconds , feroit facrifié au bonheur
paſſager , & incertain des premiers . Nous nous
ſommes trompés , & ce n'eſt pas la première bévue
politique de notre Ministère. Quand on jette un
coup- d'oeil ſur l'origine de la guerre de l'Amérique ,
ſa conduite & ſes ſuites , il eſt difficile de s'empêcher
de s'écrier , à quels maîtres grands Dieux , livrezvous
les hummains ?
• Le Parlement continue ſes ſéances , & le
Lord North n'a pas encore commencé à préſen
ter fes moyens pour les fonds néceſſaires cette
année. En attendant on y a entamé l'examen
de l'état des affaires de la campagne des Indes
, & de la conduite de fes Officiers relativement
à la détention & à la mort du Lord
Pigot. M. Charles Fox ſe plaignit de la lenteur
que les Directeurs oppofoient au voeu du
Parlement. Sir George Wombwell répondit
au nom de ceux - ci , qu'il donnoit ſa voix en
faveur de la motion , qui pafla , en effet , fans
oppofition , & affura que lorſque les papiers
ſeroient remis à la Chambre , on verroit que
la Compagnie n'avoit pas négligé cette affaire ,
&avoit fait beaucoup plus que M. Fox ne
paroiſſoit le croire.
que
Pendant les débats qui ont eu lieu à l'occafion
du Bill pour mieux recruter l'armée , il y a
eu pluſieurs difcours dans lesquels le Ministère
( 332 )
!
n'a pas été épargné. Sir Charles Bombury dé.
clara qu'il ne pouvoit approuver le principe
d'un Bill dont l'objet étoit de recruter une
armée deſtinée à continuer une guerre ruineuſe,
à laquelle il croyoit que la politique & l'hu
manité conſeilloient également de renoncer .
>> Si nous voulons , ajouta- t-il , nous tirer d'un
état déſeſpéré , & nous fouftraire à la ruine qui nous
menace, ce ne font pas nos armes, ce ſont nos conſeils
qu'il faut recruter ; enrôler de nouveaux Miniſtres ,
&prendre des meſures nouvelles. Je ne dis pas que
parmi nos Miniſtres actuels il ne s'en trouve quel
ques-uns qui aient un jugement fain , une intégrité
irréprochable & de vaſtes talens; mais lorsque je
confidere la fituation effrayante dans laquelle ſe
trouve notre pays , je ſens que ſans acception de
perſonne & de parti , il faudroit recueillir les avis
de tout ce qu'il y a de gens habiles. Il eft tems
que l'eſprit de parti ſe taiſe , que les animoſités &
les préventions ſoient étouffées , & que tout le
monde s'uniſſe; nous n'avons de falut à attendre
que de l'unanimité.c
Le Colonel Barré parla à ſon tour auſſi : >> J'ai
déja dit que mon intention étoit de notifier dans
un tems convenable une clauſe pour limiter gé
néralement la durée du ſervice des foldats , afiu
de faire participer cette claſſe de citoyens à la li
berté dont jouit tout autre ſujet de ce Royaume.
L'Angleterre , par l'eſprit de ſa conſtitution , eft
le pays le plus libre du monde entier ; & le ſoldat
qui partage cette liberté , ſe trouve dans ce même
pays, un eſclave plus paſſif que nous n'en connoil.
ſons ſous le gouvernement des Princes les plus arbitraires
& les plus deſpotes de l'Europe. C'eſt pour
effacer cette tache que nos ftatuts militaires impriment
ſur la nation , à la honte & au ſcandale
de toutes les loix , que je me fuis appliqué à confidérer
comment on pourroit apporter quelque adou
ciflement à la ſituation des foldats; &j'ai jetté ſur
( 133 )
le papier une clauſe pour limiter le ſervice de ceux
qui ſervent actuellement & depuis quelque tems.
Je l'ai conçue de maniere à ne contrarier nullement
les vues Crouvernement &à ne point
nuire aux intérêts Je l'ai communiquée à
pluſieurs Militaires diſtingués , à des perſonnes
éclairées. Tous l'ont approuvée , l'ont jugée juſte ,
néceſſaire & praticable ; mais , comme il eſt important
que le bill n'éprouve aucun retard , comme
je ſens que dans ce moment-ci la nation a beſoin
de tous les ſoldats qu'il doit procurer, je différerai
pour le moment de folliciter l'inſertion de ma
clauſe , & j'attendrai , pour le faire , un moment
plus favorable. Mon intention n'étant pas d'apporter
le plus léger obſtacle à la marche du Gouvernement
cc.
,
Le Miniftre de la guerre remercia le Colo
nel ,& promit de donner toute fon attention
à la clauſe qu'il avoit projettée lorſqu'il la propoſeroit.
En attendant , il s'eſt empreſſé de
publier l'état fuivant des forces de terre de la
nation. Nous nous contenterons de le tranf
crire.
2 compagnics
I de Cava- د
» Dans la Grande - Bretagne
deGardes-du -Corps , 2 de Grenadiers
lerie bleue , 3 de Gardes-Dragons , 3 régimens de
Gardes à pied , 11 régimens d'infanterie & 40,000
hommes de Milice. En Irlande , 4 régimens de
cavalerie , 6 de dragons , 11 d'infanterie. A Minorque
, 2 régimens d'infanterie , 2 de Hanovriens .
AGibraltar , s régimens d'infanterie & 3 de Hanovriens.
Aux Indes Orientales, 1 régiment actuellement
embarqué pour s'y rendre. A Jersey &
Guernesey , I régiment d'infanterie. A la nouvelle
Yorck , 2 régimens de dragons , 2 d'Américains ,
2 bataillons de gardes , Is régimens d'infanterie ,
6brigades d'Américains & 8000 auxiliaires. Dans
Le Canada , 4 régimens d'infanterie , partie d'un
cinquième , I bataillon d'émigrans & 2 de Brunf(
134)
wickois. A Rhode- Island , 3 régimens d'infante
rie , I corps d'Américains , 8 bataillons d'Allemands
. A la Floride , 1 réoiment d'infanterie , 1
bataillon & 1 corps de Chajpre Aux Indes Occidentales
, un renfort de 10 nens d'infanterie,
en route ; il y avoit auparavant 1 régiment & 1
bataillons. A Terre-Neuve , 3 compagnies d'infanterie.
A la côte d'Afrique , une brigade d'infanterie.
AHalifax , 2 régimens d'infanterie 8 compagnies
d'un troiſième régiment , 1 bataillon de
Montagnards Ecoſfois , & I corps d'Américains.
A la Géorgie , 1 régiment d'infanterie & 3 corps
d'Américains détachés de New Yorck ſous les ordres
du Colonel Campbell. Prifonniers à Boston , s
Jégimens d'infanterie ,& partie de deux autres ,
avec des auxiliaires <«.
L'artillerie Angloiſe conſiſte en 17 compagnies
dans la Grande-Bretagne , 15 en Amérique , sà
Gibraltar , 3 à Minorque , & 1 à Terre-Neuve.
Le procès de l'Amiral Keppel eſt enfin
termine ; il tourne abſolument à la honte
de fon accuſateur , qui n'a pu prouver aucun
des cinq chefs d'accuſation qu'il a portés contre
lui; l'examen des témoins , les livres de lok ont
fourni la preuve des intrigues les plus odieufės
que laméchanceté &lahaine ſe ſoient permiſes
pour nuire à un homme célèbre par ſes talens
&par ſes ſervices. Le peuple n'a pas manqué
de prendre parti pour l'accuſé ; on l'a vu s'empreffer
d'accompagner l'Amiral Keppel , de
ſe livrer aux acclamations les plus bruyantes ,
chaque fois que les témoins produits contre lui
ontdéposé à fon avantage , & verſer l'amertume
& le ridicule à grands flots ſur ſon adverſaire
dont les oreilles ont dû être bleſſées fréquemment
par les Vaudevilles qu'on chante contre
lui dans les rues , & les Epigrammes que la
malignité publie & accueille , & que ne dédaignent
pas les honnêtes gens que fon procédé
( 135 )
à indignés. Le 31 du mois dernier , l'Amiral
Keppel prononça un diſcours pour ſa juftification.
Qu'on ſe repréſente un Officiers illuftre ,
fignalé par 40 ans de ſervices , monté de grade
en grade aux plus hauts commandemens dans
la Marine , obligé de paroitre devant un Confeil
de Guerre pour ſe juſtifier , d'inconduite ,
de négligence & d'ignorance , tandis que fon
expérience , ſes talens & ſes ſuccès ont fait fon
élévation. Son accufateur avoit été précédemment
fon ami , & il ne l'a traîné devant un
Tribunal qu'au moment où il étoit lui - même
accuſé de défobéiflance. Le lendemain , les
témoins produits par l'Amiral furent entendus ,
ainſi que les jours ſuivans juſqu'au 11 de ce mois,
que le jugement fut prononcé , & l'Amiral fut ,
comme on s'y étoit attendu , pleinement &
honorablement déchargé. Le Préfident du
Confeil lui adreſſa ce diſcours , en lui préſentant
ſon épée. >> Amiral Keppel , ce n'eſt
pas un plaifir médiocre pour moi que de recevoir
de la Cour , que j'ai l'honneur de préſider
, l'ordre , en vous rendant votre épée ,
de vous féliciter de ce qu'elle vous eft rendue
avec tant d'honneur , eſpérant qu'avant peu ,
appellé par votre Souverain , vous en ferez
encore uſage pour la défenſe de votre pays «.
>>>Le peuple prit la part la plus vive a cette juftice
: les cris de joie retentirent dans toute la
Ville ; les vaiſſeaux qui mouilloient à Spithead tirerent
leur canon. La flotte deftinée pour les Indes
Orientales en fit autant . L'Amiral ſe rendit chez
lui précédé par des Muſiciens qui l'attendoient à
la porte , ſuivi du Duc de Cumberland , de tout le
Corps de la Marine , des Seigneurs les plus qualifiés.
Les Ducheſſes de Cumberland, de Richemond , la
Marquiſe de Rokingham & la Comteſſe d'Effingham
diſtribuèrent des cocardes bleu - céleste fur
Leſquelles le nom de Keppel étoit brodé en or. La
( 336 )
joie ne fut pas moins vive à Londres , où toutes
les maiſons furent illuminées , & où la populace
farfant , felon l'uſage , la police à coups de pierre ,
cafla les vîtres de toutes celles qui n'étoient pas
éclairées. L'Editeur d'un papier public ſe ſignala
dans cette occafion ; on remarqua ſur la façade de ſa
maiſon les inſcriptions ſuivantes : Une Administrationperverse
& arbitraire terraffée.Keppel, la liberté
& la vertu triomphantes. L'honneur du pavillon
Anglois reftauré. Selon un papier , le ri au foir ,
T'accuſateur de Keppel fut pendu en effigie à Tower-
Hill , tenant un livre de lok avec ces mots
écrits ſur la couverture : Falsifié par le Capitaine
Hood. On dit que la maiſon de M. Palliſer n'étant
pas illuminée , on en briſa les fenêtres ; on l'eût
peut- être démolie , ſans la garde qui la protégea
Il quitta Portsmouth le ſoir du jugement dans le
plus grand incognito. On ne doute pas que les
voix qui s'élèvent contre lui ne forcent le Gouvernement
à le ſoumettre lui-même à un conſeil
deguerre. Le Parlement l'exigera ſans doute; tout
ſembledu moins le faire préſumer. Le I de cemois ,
les Pairs ont arrêté que le Roi ſeroit ſupplié de
faire remettre à leur Chambre , en vertu d'un acte
de la derniere ſéance , copie d'une lettre écrite par
le Conſeil de guerre tenu , en 1757 , pour juger
'Amiral Byng , & des procédures faites à cette
occafion .
L'Amirauté a ſait publier l'avis ſuivant aux
Navigateurs qui vont aux Indes Orientales.
>> Le rocher appellé l'Anville , fur lequel a
touché le vaiſſeau de l'Inde , le Colebroke ,
Capitaine Moris , ſe trouve au S. E. de la
pointe du Cap de Bonne - Efpérance ,
PE. ou à l'E. par S. des Soufflets , dont il eft
éloigné de 4 à 5 milles , & à la même dif
tance de la terre la plus proche «.
& à
ÉTATS-UNIS
( 337 )
ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPT.
DePhiladelphie , le premier Janvier. L'honorable
John Say , Député de l'état de New-
Yorck , vient d'être élu Préſident du Congrès ,
à la place de l'honorable Henri Lawrence , qui
avoit joui de cette dignité pendant l'eſpace de
tems fixé par la loi de la confédération des
Etat-Unis.
Nos ennemis ne ceſſent de fabriquer de fauſſes
nouvelles qu'ils s'empreſſent d'envoyer en Europe
, pour tromper cette partie du monde fur
notre véritable ſituation. Ils ne ſe bornent pas
à annoncer de grands avantages qu'ils n'ont point
obtenus , à préſenter ces Etats dans la fermentation
, le trouble & la diviſion ; tandis que
l'union la plus parfaite règne dans tous , qui ne
forment que le même voeu ; ils fabriquent auſfi
de prétendus arrêtés du Congrès , & répandent
ainſi l'impoſture qui tombe bientôt d'elle-même ,
mais qui en impoſe pendant quelque tems.
Parmi ces pièces indécentes & fauſſes qu'ils ont
fabriquées & publiées , on doit ranger la prétendue
réſolution du Congrès du 20 Février
1778 , pour forcer ceux qui étoient au ſervice
des Etats-Unis à continuer de fervir pendant
tout le cours de la guerre , ſous peine d'être
punis comme coupables de déſertion. Le but de
cette pièce apocryphe , étoit de répandre la défiance&
le mécontentement parmi nos milices ;
mais elles n'en ont pas été la dupe. Dernièrement
ils en ont répandu une autre,en date du 10
Octobre dernier , par laquelle ils repréſentent
le Congrès effrayé des menaces des Commiſſaires
Britanniques , ordonnant aux habitans des
côtes de conſtruire des dépôts à l'abri des fureurs
de nos ennemis , pour y conſerver leurs
femmes , leurs enfans , leurs troupeaux & leurs
25 Février 1779 . P
( 338 )
biens . Cette pièce n'a jamais été faite qu'à New.
Yorck ; il ne pouvoit pas venir à l'idée du Congrès
de conftruire de pareils dépôts ; il a aſſez
de maifons pour fervir d'afyle aux habitans , fi
l'ennemi avoit autant de pouvoir que de volonté
pour faire tout le mal dont il menace l'Amérique.
De Boston , to Janvier. Le CommandantAnglois
du fort Chartres & des autres poftes occidentaux
entre l'Ohio & le Miffiffipi , dont le
Colonel Clarke s'eſt emparé , a été conduit prifonnier
à Williamſbourg en Virginie . Le Ca
pitaine Boone , fameux partiſan Sauvage , auffitôt
après cette conquête , a paſſé l'Ohio avec
un petit détachement ; il a repouffé un parti en
nemi près de Savannah , & a rapporté pluſieurs
péricranes , fans avoir perdu un ſeul homme. Le
Major Smith a marché avec trois compagnies de
lamilice du Comté de Washington au fecours
de la garniſon de Kentuky. On apprend que le
fameux Chefdes Cheroquis , Cheu Connafaca ,
vient de mourir , on préfume que cet évènement
réunira la Nation des Cheroquis avec l'Amé
rique,
On attend avec impatience des nouvelles de
l'expédition du Comte d'Estaing ; les Anglois
répandent autant qu'ils peuvent qu'il eſt re.
tourné en France ; ils en feroient fans doute
bien-aifes : mais nous ſommes très-perfuadés
qu'il ne leur a pas donné cette fatisfaction. Le
manifeſte daté & imprimé à bord du Langue
doc qu'il a répandu avant fon départ , n'an
nonce pas fon retour en Europe ; les lettres du
Canada nous apprennent qu'on y en a répandu
des copies ; il y exhorte , dit-on , les habitans
de cette Province à faire cauſe commune avec
les treize Etats- Unis ; en afſurant les anciens
ſujets du Roi de France qui ſe trouvant ac
tuellement dans l'Amérique Septentrionale, vou
( 339 )
dront ſe ſouſtraire au joug de la exemple
tagne , qu'ils peuvent compter fur une on ne fait
tion & des fecours efficaces .
On dit que le Commodore Hotham & fon
convoi qu'il eſcorte ont été vus à la hauteur
des Barbades. On ſeroit curieux de ſavoir ce
qu'il va faire de ce côté , & quel peut être
fon objet. Seroit-il de reprendre la Dominique
aux François qui ſe ſont fait aimer par leur
conduite dans cette iſle , où ils n'ont pas moins
de 2000 hommes .
Le Général François , écrit un des principaux
habitans , ſes Officiers & ſes ſoldats tiennent une
conduite qui leur fait le plus grand honneur ,
leur a concilié l'affection générale. Quoique pour
venger la mort de ceux de ſes gens que notre canon
avoit tués dans leur marche vers la ville , le Général
eût eu un prétexte pour l'abandonner au pillage , cet
abus de la victoire fut expreſſément défendu. Trois
foldats François convaincus d'avoir forcé la maifon
d'un habitant de la campagne , & d'y avoir volé
quelques effets de peu de valeur , condamnés à mort
le 14 Septembre , furent amenés devant la maiſon
du Gouverneur pour être exécutés en préſence de
plus de 700 de leurs camarades ſous les armes.
M. Stewart & beaucoup d'habitans , implorerent la
grace des trois coupables , & ne purent obtenir que
celle de deux , le ze. fut fuſillé. Les troupes Françoiſes
ſont au nombre de 2000 ; & il n'eſt pas encore
arrivé le plus petit déſordre. Les Officiers font
logés convenablement dans différentes maiſons particulières
, & les ſoldats dans des baraques qu'on
leur a conſtruites. Quoi qu'il ſoit dur pour des An
gloisde ſe trouver ſous le Gouvernement des François
, ceux-ci ont forcé tous les habitans à les confidérer&
à les aimer «.
:
t
Pz
biens. Cettepièce r ( )
228
( 340 )
Yorck; il ne FRANCE .
grès de co
de maiDe VERSAILLES , le as Février.
LE 31 du mois dernier , LL. MM. fignèrent le
contrat de mariage du Marquis de Grammont avec
Demoiſelle de Sinety.
La Comteſſe de Mirepoix a eul'honneur de leur
être préſentée par la Marquiſe de Lévis,
S. M. a accordé à la 3ª fille du Comte de Barbanſon
le titre de Dame de Barbanfon de Saville,
qu'elle portera déſormais. Elle a auſſi accordé au
Prince de Saint-Mauris , Capitaine - Colonel des
Suiſſes de la Garde de Monfieur , & Capitaine de
Dragons au Régiment de Lannan, les charges de
Sénéchal - Gouverneur du pays de Rouergue , &
de Sénéchal - Comtat du Comté de Rhodes , va
cantes par le décès du Comte de Moncan. Elle
nommé à l'Abbaye Theuley , Ordre de Citeaux ,
Diocèſe de Dijon , l'Evêque d'Agen , & à celle de
la Règle de ſaint Benoît , Diocèſe de Limoges , la
Dame d'Abſac de Mayac.
Le Comte de Montfaucon qui eut l'honneur de
préſenter , le 20 du mois dernier , au Roi & à la
Famille Royale , le Traité d'Equitation de feu
ſon frere , n'ayant pu alors le préſenter à la Reine ,
lui en a fait hommage le 2 de ce mois. Le 6
M. de Bequillet , Avocat au Parlement , Corref
pondant de l'Académie Royale des Sciences & de
celledes Inſcriptions & Belles- Lettres , & M. Martinet
, Graveur & Imprimeur du Roi , préſenterent
à LL. MM. & à la Famille Royale , le Profpectus
d'une nouvelle Hiſtoire de Paris &de la France ,
accompagné de Deſſins & de Gravures représ
ſentant quelques-uns des principaux monumens de
Paris. Le lendemain , MM. Née & Maſquelier leur
firent hommage de la 25º livraiſon des Tableaux
pittoresques , physiques , politiques , moraux
littéraires de la Suiſſe.
(341 )
de faire un exemple
De PARIS ,le 'ord ; mais on ne fait
Le Capitaine de ce
1
de Saint- PLUSIEURS vaiſſeaux rentres ndais ,
ports , ont rapporté qu'ils avoient ent que c'eſt le
cadre de M. de Graffe , forte de
de ligne & de 5 frégates , ayant fous fon convoi
un grand nombre de bâtimens marchands
deſtinés pour Saint-Domingue & la Martinique ,
& voguant avec le vent le plus favorable ;
d'autres avis portent auſſi que le Chevalier
Albert de Saint-Hipolyte , parti de Toulon avec
5 vaiſſeaux de ligne & 3 frégates , a paffé le
détroit de Gibraltar ; ſa deſtination eſt inconnue :
quelques perſonnes la ſuppoſent pour l'Amérique.
L'eſcadre de M. de Ternay ſera bientôt prête
à fortir. Selon des lettres du Cap de Bonne-
Eſpérance , on fait dans l'Inde des préparatifs
qui préparent à des ſcènes auffi vives ſur les
mers de l'Afie que fur celles de l'Europe &
de l'Amérique ; les Anglois , dit-on , y ont mis
fur pied une armée conſidérable , compoſée de
naturels du pays , & commandée par des Officiers
Européens ; les François , ajoutent ces
mêmes lettres , ont raſſemble beaucoup de troupes
& de munitions de guerre à l'iſle Maurice.
L'Eſpagne en faifant tant d'armemens , qui
ont fansdoute un but , laiſſe toujours dans l'incertitude
ſur leur deſtination , prévue depuis
tant de tems , ſi ſouvent annoncée , & qui n'eſt pas encore déclarée . S'il faut en croire des lettres
de Toulon , le moment où elle parlera
n'eſt pas éloigné. » Une lettre de Cadix , écriton
de cette ville , porte que les Eſpagnols ont
reconnu l'indépendance des Etats-Unis , qu'ils
ont envoyé un Miniſtre Plénipotentiaire au
Congrès , & que les Colonies Eſpagnoles ont
reçu ordre d'accorder aux armateurs Américains
P3
biens . Cette pièce ( 342)
Yorck ; il ne
grès de co
FR qu'on doit aux Puiſſances
Ine lettre du continent de
on y a vu le Miniftre d'Eſpagne ,
de mai De VERSAI l'appui de cette nouvelle ;
LE 31 du mêtre préſenté au Congrès «.
Les ſpéculatifs au milieu de ces incertitudes
ſe livrent à toutes fortes de conjectures ; ils
difent aujourd'hui que le Marquis d'Offun , cidevant
Ambaſſadeur du Roi à Madrid , doit y
retourner pour une commiſſion extraordinaire ,
& que le Duc de Medina - Cæli arrivera ici
inceſſamment.
Les bruits que les Anglois s'empreſſent de
répandre d'une déſunion entre les Membres du
Congrès & les Etats- Unis , font auffi faux que
peu vraiſemblables. Le Marquis de la Fayette ,
qui vient d'arriver , a été fort étonné d'entendre
ces bruits impoſteurs qu'il ignoroit ; il a emporté
avec lui les regrets & l'eſtime des Américains
qui ſe flattent de le revoir. C'eſt le 6 de ce
mois qu'il eſt arrivé à Breſt à bord d'un vaifſeau
Américain de 44 canons , venant deBoſton.
» Ce vaiſſeau , écrit- on de Breft , a débarqué
le Marquis de la Fayette & pluſieurs autres
Officiers. Ils ne ſavent où eſt allé M. d'Estaing
qu'ils croyoient en France . Selon leurs rapports,
les Anglois font mal à New- Yorck ; en général
les Américains ont l'avantage par-tout. Leur
vaiſſeau a fait deux priſes qui ne font pas encore
terries . Quelques jours avant fon arrivée
, il a penſé y avoir une révolte à bord;
il y avoit beaucoup de matelots Anglois qui
avoient formé le projet de ſe rendre maîtres
du navire & de le conduire à Dublin. La veille
de l'exécution , un matelot François a entendu
le complot pendant la nuit , & en a prévenu
le Capitaine & ces MM. , qui y ont mis ordre.
On dit que le Capitaine veut demander à nos
L
( 343 )
Commandans la permiffion de faire un exemple
de ces ſcélérats ſur ſon bord ; mais on ne fait
ſi elle lui fera accordée «. Le Capitaine de ce
*vaiſſeau Américain eſt M. Landais , de Saint--
Malo , tous les marins conviennent que c'eſt le
meilleur & le plus brave homme de mer qu'ils
connoiffent.
&
Si les Anglois au commencement des hoftilités
ont caufé des pertes ſenſibles à notre
commerce ,la certitude que la paix ne ſe rétablira
pas de fi-tôt , ayant inſpiré plus de confiance
, nos armateurs ſe ſont multipliés ,
nous prenons amplement notre revanche. On
fait combien la marine Royale a eu de fuccès
par-tout ; fur la Méditerranée la frégate l Aurore
a fait dernièrement , priſes , dont deux repriſes
faites par M. de Bompart ſous le canon des
forts de Tunis , après en avoir obtenu la permiffion
du Bey. La Sartine rentra à Toulon le
premier de ce mois avec une priſe , & le Caton ,
à cette époque , en avoit fait 2 nouvelles , dont un corfaire de 18 canons ; en croifant avec le
Destin , il en avoit fait précédemment 3 autres ,
dont 2 marchands , chargés de morue , & un
corfaire de 26 canons , qui ont été conduits à
Malaga.
Nos corſaires ne ſont pas moins heureux ;
le Furet , commandé par le fieur Roubaud , le
premier de ce mois , en étoit à ſa ze prife .
› Les ſuccès du corfaire l'Audacieuse de 20
canons , écrit-on de Bayonne , ont été annoncés
dans tous les papiers publics ; mais ils n'ont
pas dit que le 13 Décembre dernier , le Capitaine
Sépé qui le commande , attaqua une frégate
de guerre Angloiſe de 20 canons , qui
lui échappa par le défaut de fon petit hunier
qu'il avoit perdu en donnant chaffe . Sa campagne
a été plus glorieuſe que lucrative ; 4
petites chaloupes de Saint-Jean-de-Luz ont
P4
( 344)
1
mené dans le port de Vigo 2 priſes chargées
de charbon de terre. Un corfaire Américain
a conduit dans le même port 2 priſes chargées
de marchandises en balles & de froment. Le
corfaire la Thérèse de 16 canons , de ce port ,
ya conduit auffi un navire du port de 80 tonneaux
, & en a rançonné un autre pour 250
louis. La flotte de Bordeaux deſtinée pour nos
Colonies a appareillé à l'iſle-de-Ré le premier
de ce mois au nombre de 56 voiles , fous l'efcorte
de 3 vaiſſeaux de ligne , 2 frégates &
une corvette «.
Le corfaire le Mortemart , ſelon les lettres
deSaint-Malo , a envoyé 2 priſes à Cherbourg ,
& le corfaire l'Industrie y en a conduit une.
>> Nous apprenons par la voie de Hollande,
ajoutent les mêmes lettres , que la frégate du
Roi la Prudente a pris dans ſa traverſée , de
Breſt à la Martinique , que un navire venant de
Smyrne. Elle y a conduit cette priſe ; & quoiqu'elle
ait été vendue fort au-deſſous de fa valeur
, chaque matelot a eu 160 livres pour fa
part. Les Officiers ont acheté pour 57,000 liv.
le navire & 20 balles de foie , & l'ont revendu
120,000 livres à Saint-Euftache ; en s'y rendant
la frégate toucha fur un banc entre Montferrat
& Antigoa. On la releva heureuſement , &
elle arriva à Saint-Euftache , d'où elle étoit
prête à faire voile pour Saint-Domingue. Un
navire Eſpagnol venant de Guerneſey
a relâché à Saint-Brieuc , nous a appris la priſe
de la frégate l'Oiseau de 26 canons de 8 liv.
& de 6 fur les gaillards , par une frégateAngloiſe
de 28 de 12 & de to fur les gaillards.
Le combat a duré 3 heures de bord à bord.
Notre frégate convoyoit des barques qui font
entrées dansnotre port fous l'eſcorte de la corvette
l'Expédition " .
& qui
Cette perte eſt la première que fait laMa(
345 )
rine Royale depuis qu'elle combat. Les ar
memens & les travaux continuent dans tous
nos ports ; des 4 vaiſſeaux de Toulon qui font
à la mer , 2 croifent entre Malte & Tunis ,
& 2 fur le Cap S. Vincent. La Bourgogne &
le Lyon font allés en rade au commencement
de ce mois ; le radoub du Souverain avance &
il ſera prêt à être armé le mois prochain ainſi
que l'Hector ; le 7 le Jaſon a été lancé , & le
Triomphant a dû l'être le 17 ou le 18. Tous
ces vaiſſeaux doivent être armés fur-le-champ.
On travaille à Breſt à mettre en état pour
la campagne prochaine , la Ville de Paris , la
Bourgogne&fe S. Efprit. On a déja travaillé à
pluſieurs des pièces du Royal- Louis Le Citoyen
eft prêt à fortir du baſſin , où le Royal-Louis
doit être conſtruit. Le Minotaure ſera refondu
dans celui qu'occupe le Duc de Bourgogne , &
quand il en fortira on y conftruira un des deux
nouveaux vaiſſeaux de 74 canons ; l'autre fera
conftruit fur la cale des Capucins.
Les vaiſſeaux du Roi l'Actionnaire & l'Indien ,
partis de Breft il y a quelque tems , ont relâché
à Rochefort ; on ignore la miſſion dont
ils ont été chargés ; on croit qu'ils ont été à la
Corogne chercher le Pondicheri , navire revenu
de l'Inde , pour l'eſcorter juſqu'à l'Orient.
La dernière priſe qu'a faite le corfaire le
Comte d'Orvillier, fait le plus grand honneur
au Capitaine des Moulins qui le commande.
Le navire Anglois avoit au moins le double de
la grandeur du ſien ; il le rencontra vers les 11
heures du ſoir à deux lieues de terre de la
côte d'Angleterre , & fans s'effrayer de la
force fupérieure du navire , il prit le parti de
l'attaquer. Il le héla & le ſomma de ſe rendre ;
l'Anglois répondit que ce n'étoit pas choſe faite,&
lui tira trois coups de canon de 6 & de
8 liv. , & près de 100 coups de fufil. Le Ca-
Ps
( 346 )
pitaine des Moulins lui lâcha alors ſa bordée,
confiftant en 6 canons de 4 , & fa mouſqueterie.
Le navire manoeuvra auffi-tôt comme pour
donner en plein ſur le corfaire & le mettre en
pièces ; mais le Capitaine des Moulins , fut éviter
ce choc en virant de bord , & lui tira uneautre
volée , & enſuite pluſieurs autres. L'Anglois
amena & en fut déſeſpéré,lorſqu'en montant
à bord du corfaire il en reconnut la petiteffe
& la foibleſſe . Il avoit du canon de 6 &
de 8 , & 110 hommes au moins d'équipage.
Avec cette force il pouvoit embarraffer beaucoup
le Comte d'Orvilliers.
Le Roi , par un travail qui vient d'être
publié , a réduit à quatre eſcadrons au lieu
de cinq , les régimens de cavalerie & de dragons.
De ce cinquième eſcadron , on compofera
12 régimens. Les 6 de cavalerie fe formeront
de ces compagnies de chevaux-légers établis
par Ordonnance du 25 Mars 1776 , & les 6de
dragons, feront formés des compagnies de chafſeurs
ajoutées par une Ordonnance du même
jour , aux 24 régimens de dragons.
>>Les rochers affreux dont nous ſommes environnés
, écrit-on de Belcaire au pied des Pyrénées ,
ſervent d'aſyle à des ennemis dangereux qui viennent
porter la déſolation dans nos campagnes à
ennemis font certaines époques déterminées ; ces
des ours , qui ont non-ſeulement détruit cette année
tous nos menus grains , mais qui ont aulli
enlevé & dévoré nos troupeaux. Les habitans , allarmés de ces ravages , fe font adreffés àM. de
Negre Duclat , Capitaine des chaffes des Pyrénées
& pays de Foix , qui a montré dans cette occafion
le même zèle que ſes ancêtres , qui reçurent
de Henri IV , en récompenfe de leurs ſervices ,
le brevet dont il eſt pourvu. Il ſe rendit le 29
Novembre à la chaffe des ours avec ſes trois fils,
Sautres chaffeurs , 70 payfans armés de haches ,
( 347 )
& une meute de dogues. On inveſtit le local qu'on
devoit traquer , les tireurs ſe poſterent dans les paffages
où il eſt impoſſible d'arriver autrement qu'en
graviſſant , & d'où il eſt extrêmement dangereux
de ſe précipiter. Le ſignal ayant été donné , M. de
Negre vit paroître un ours monstrueux qui vint déboucher
au paſſage où il étoit poſté ; il lui tira un
coup de fufil à la tête ; auſſitôt l'ours ſe dreſſant fur
ſes jambes , fit mine de s'élancer ſur lui ; mais un ſecond
coup de fufil le coucha par terre , & l'ours roula
en bas du rocher en pouffant des cris effroyables .
Trois autres ours auffi monstrueux , troublés par
le bruit & par les chiens qui étoient fur leur voie ,
furent tués par les fils de M. Negre ; & la nuit étant
furvenue , la chaſſe fut remiſe au 2 de ce mois.
>>Ce jour- là les batteurs mirent en fuite unegroſſe
ourſe avec ſes deux ourfins ; ces derniers furent
atteints & tués avec aſſez de peine, leur mere échappa
pluſieurs fois en pouſſant des cris épouvantables.
Cependant comme les deux ourſins , qui peſoient
chacunprès de trois quintaux , avoient été tués l'un
auprès de l'autre , M. de Negre crut avec raiſon que
la mère reviendroit à eux ; il s'embuſqua, elle vint en
éffet , & fur tuée de 4 coups de fufil. Cette chaſſe
auſſi coûteuſe que difficile a détruit 7 ours , &M. de
Negre ayant appris qu'il y en avoit encore vingt dans
les bois du Roi , ſe diſpoſe à les attaquer , avant
qu'ils ſe retirent. Son zèle & la reconnoiffance de
tous les habitans de ces contrées le ſoutiennent dans
des travaux extrêmement pénibles où la vie eſt continuellement
expoſée , & par les précipices dont le
local de la chaſſe eſt ſemé , & par la férocité des
ours qui courent ſur leurs ennemis , dès qu'ils ſe ſentent
bleflés <<
Le 8 de ce mois on célébra dans l'Egliſe
de Sainte Croix , à Mortagne au Perche , la
cinquantième année du mariage d'Alexandre
Fouquet , Fabricant de toiles , & de Charlotte
Bernier fa femme , nes tous deux le 31 Mai
P6
1
1
( 348 )
1
1
1706. Leurs enfans & leurs petits-enfans y af
fiftèrent.
>> On perdit hier dans cette ville , écrit-on deBarcelonne,
en date du 27 Janvier, Honoré-Henri Ruffo,
des Comtes de la Rie , Marquisde Gaubert , Colonel
du régiment de Saint- Jacques , cavalerie ; quoique
marié , il avoit eu la permiſſion de porter la
croix de Malte. Il étoit le dernier des enfans d'AJexandre
, mort premier Préſident du parlement de
Navarre , & chef de la branche de la maiſon Ruffo
établie en Provence. Paul ſon frère aîné , eſt mort
premier Préſident du Parlement de Navarre , fans
Faiffer des fils . Jean-Baptiste & Jacques , Joſeph,
Benoît , font morts Chevaliers de Malte , le dernier ,
Commandeur de Fonſobie & de Reneville , ſon fils
aîné a épousé ſa cousine-germaine, fille du premier
Préſident. Il continue ſa demeure à Aix en Provence ,
où cette maiſon ſubſiſte depuis les donations que
lui a faites la Reine Jeanne , premiere du nom , &
dont elle jouit encore « .
L'Académie royale de Chirurgie ayant ſtatué
qu'elle donneroit tous les ans , fur les fonds
que lui a légués M. de la Peyronie , une médaille
d'or de 200 livres à celui des Chirurgiens,
étrangers ou regnicoles , non membres de l'Académie
, qui l'aura meritée par un ouvrage fur
quelque matière de Chirurgie , au choix de
l'Auteur ; elle adjugera ce prix d'émulation , le,
jour de fa féance publique , à celui qui aura envoyé
le meilleur ouvrage dans le courant de
1779. Le même jour elle diftribuera cinq médailles
d'or de 100 liv. chacune , à cinq Chirurgiens
regnicoles qui auront fourni , dans le cours
de la même année , un Mémoire ou trois Obſervations
intéreſſantes.
D'après les récapitulations générales des Enapres
fans- rouvés , baptêmes , mariages , profeffions
Religieuſes & regiſtres mortuaires de cette ville
&faubourgs, dreffées dans la forme accoutumée,
業
(349)
pour l'année 1778 , il réſulte qu'il y a eu 17
enfans-trouvés de moins qu'en 1777 ; 578 baptêmes
de moins ; 192 mariages de moins ; 23
profeffions Religieuſes de moins ; & sos morts
deplus.
>> La ſemaine dernière , des filoux ſe ſont ,
dit- on , avifés d'un tour d'adreſſe peu commun;
ils avoient porté au Mont de Piétéquel.
ques pains de cire jaune , ſur chacun deſquels
on leur avoit prêté 50 livres ; peu de tems
après ils en envoyerent une charretée , & ils
en reçurent la même ſomme ; enfin ils revinrent
pour la troifieme fois ; mais un Huimer-Priſeur
, ayant voulu caſſer in de ces pains , il
n'en put venir à bout , & il trouva que c'étoit
du bois revêtu de cire. La premiere charretée
étoit de la même matière : on a arrêté les fripons
, & on s'attend à les voir punir.
Unétabliſſement intéreſſant s'eſt formégrande
rue du faubourg Saint-Denys , ſous les aufpices
de l'Adminiſtration , & fous les noms & raifon
de veuve Pallouis & compagnie ; on y fabrique
un genre de foie nommé vraie Gallette , dont
la fabrication , concentrée depuis plus de cent
ans dans la Suiſſe , coûtoit à la France deux
millions annuels. La préparation de cette foie ,
devenue ſupérieure à celle des Suiffes , la rend
propre à entrer dans la fabrique de preſque toutes
les étoffes , & l'on eſt parvenu à en faire un
velours , auquel les inventeurs ont donné le nom
de Velours de Paris ; il tient le milieu entre le
velours foie & le velours - coton , foit pour
meubles , ſoit pour équipages , ſoit pour habits
. Ces découvertesont été annoncées à l'Académie
royale des Sciences , par M. Duperon ,
comme de nouveaux moyens de prévenir la
mendicité , en occupant utilement les pauvres
des deux ſexes , & en habituant leurs enfans
au travail .
1
1
(350 )
Jean-Louis de la Marthonnie de Caufade ,
Evêque de Meaux , premier Aumônter de Ma.
dame Adelaïde de France , Abbé Commendataire
desAbbayes royales de Lezat , ordre de
Saint Benoit , diocèſe de Rieux , d'Auberive ,
ordre de Citeaux , diocèſe de Langres , & de
Saint Pierre de Lagny , ordre de Saint Benoît ,
diocèſe de Paris , eſt mort en cette ville le 16
de ce mois , dans la 67e. année de fon âge .
George-Jean de Roquemaure , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , eft mort à Toulouſe
le 17Janvier dernier dans la 73e année de fon
âge.
Claude-François de Seſmaiſons , Lieutenant.
Général des Armées du Roi , ancien Lieutenant
des Garde-du-Corps de S. M. , Seigneur
de Sefmaifons-la-Saufinière , les Nérac & autres
lieux , Chevalier de l'Ordre Militaire de
S. Louis , eſt mort le 6 de ce mois dans fon
Château de Saint-Saire en Normandie , dans la
78e: année de fon âge.
Le 28 Décembre dernier , il eſt mort à S.
Felice-de-Torello en Catalogne , une femme
âgée de près de 104 ans. Elle ſe nommoitMaria-
Rofalba-Catalina Font , & ne vivoit depuis
pluſieurs années que d'herbages. Ses forces
n'ont commencé à diminuer que quelques jours
avant ſa mort .
Ordonnance du Roi, du 3 Janvier. » S. M. ayant
pour objet , en réduisant à 23,000 hommes lacom .
pofition desGarde côtes , par fon Ordonnancedu 13
Décembre de l'année dernière, de rendre les 23,000
hommes qui exiſtoient de plus, pendant la dernière
guerre aux beſoins de l'agriculture, du commerce
& de la marine: & S. M. ayant reconnu qu'il étoit
indiſpenſable , tant pour le bien de fon ſervice, que
pour l'avantage du commerce de ſes ſujets , d'augmenter
de 11 , 500 hommes , le nombre de ſes matelots
, elle a ordonné que la levée en feroit faitefur
(351 )
toutes les paroiſſes de ſes provinces maritimes qui
ont été juſqu'à préſent aſſujetties au ſervice de la
Garde-côte. 19. Dans toutes les Provinces maritimes
du Royaume , les habitans des paroiſſes ſituées ſur
lebord de la mer , ſujets au ſervice de la Gardecôte
, depuis l'âge de 16 ans , juſqu'à 36 , qui ne
feront pas claffés ou compris dans les compagnies
deCanonniers-Garde-côtes , fourniront des hommes
pour l'entretien & le ſervice des claſſes. 2 °. Le nombredes
matelots fourni par chaque paroiſſe Gardecôte
, reſtera fixé à la moitié de celui qui aura été
fourni pour les compagnies de Canonniers ; 3 " . le
tirage des Matelots ſe fera comme celui des Canonniers
, par la voie du fort , & de la manière prefcrite
par l'Ordonnance du 13 Décembre dernier.
4. S. M. ayant déja fait connoître ſes intentions
fur les priviléges & exemptions dont doivent jouir
les habitans des paroiſſes Garde- côtes , relativement
àla levée des Canonniers , ainſi que les ſubſtitutions
qui pourront être admifes ; elle entend que tout ce
qui a été déterminé ſur ces différens objets , par
fon Ordonnance du 13 Décembre de l'année derhière
, ſoit également obſervé pour la levée des
Matelots . 5. Les Commiſſaires des guerres chargés
du tirage , remettront aux Commiffaires des claſſes ,
un regiſtre qui contiendra le nom , l'âge , le lieu de
la naiſſance de chaque Matelot , & le nom de la
paroiffe pour laquelle il ſervira. 6 ° . Le ſervice des
Matelots fera de cinq années confécutives , après
leſquelles ils ſeront licenciés , & jouiront pendant
dix ansde l'exemption du tirage pour les compagnies
deCanonniers-Garde-côtes . 7°. Les. hommes qui ſe
préfenteront de bonne volonté pour ſervir cinq ans
dans les claffes , y feront admis , & le nombre de
ceux à faire tirer au fort dans la paroiſſe de laquelle
ils feront habitans , ſera diminué en proportion.
Entend S. M. , après, qu'ils auront été licenciés ,
qu'ils foient exempts pendant quinze ans de tirer au
fort pour le ſervice des compagnies de Canonniers
(352)
Garde-côtes. 8 °. On ſe conformera, pour ce qui
concerne les licenciemens & les remplacemens , à
tout ce qui eſt preſcrit par l'Ordonnance du 23 Dé.
cembre de l'année dernière. 9° . Veur S. M. que les
Matelots levés en vertu de la préſente Ordonnance ,
foient aſlujettis , pour le ſervice ſeulement , à la police
& diſcipline des Commiſſaires établis ſur les
côtes , & que leſdits Matelots jouiſſent , ſuivant les
cas , des mèmes avantages & traitemens que ceux
qui ſont attribués aux Matelots déja claſſés.
Une ſeconde Ordonnance en date du 21 Janvier ,
règle les congés à délivrer aux brigadiers , cavaliers
, ſergens , caporaux & foldats de la garde de
Paris. Des Lettres- Patentes du Roi données à Verfailles
le 24 Décembre , & enregiſtrées le 22 Janvier
dernier au Parlement , prorogent pour 6 années
, à commencerdu premier Janvier de cette année
le droit de 2 fols 6 den. qui ſe perçoit par jour , au
profit de l'Hopital - Général , ſur les carroſſes de
remiſe.
Deux Ordonnances de M. le Lieutenant-Général
de Police , en date des 20 & 23 Janvier , portent
interdiction , l'une de l'uſage de deux carrieres exploirées
par Nicolas Cochois ſur les territoires de
Menil-Montant & Montreuil ; l'autre de l'uſage de
la carriere à plâtre , exploitée en la Paroille de
Charonne , par Jacques Cochois , & le condamne
en soo livres d'amende.
amende
Les numéros ſortis au tirage du 16 de ce mois,
de la Loterie Royale de France , font 47 , 38 , 88 ,
71,590
Article extrait desPapiers étrangers qui entrent
en France.
>> IL y a depuis quelques jours degrands mouvemens
dans les bureaux de la guerre , &toute la
machine de la manutention des vivres eſt montée ,
comme s'il devoit y avoir une marche prochaine de
(353 )
troupes de terre. On ſe perd en conjectures ſur l'objetde
ces mouvemens ; l'opinion générale eſt qu'il
eſt queſtion de faire marcher les 24 mille hommes
promis à l'empereur par le traité de Verſailles ; mais
des ſpéculatifs plus profonds ſont perfuadés que ce
n'eſt autre chole qu'un Quos ego pour déterminer
les Hollandois à refter parfaitement neutres entre
nous & l'Angleterre ; ce à quoi ils répugnent beaucoup
, comme on l'a dit. Ce qui ſemble confirmer
cette dernière opinion , c'eſt la fréquence des couriers
entre la Haie & Verſailles ; ce qui annonce une
ſuite de négociations qui ne font point encore terminées
, & auxquelles une apparence de préparatifs
militaires ne peut rien gâter. ( Courier du Bas-
Rhin n ° . 10 ) .
De BRUXELLES , le 20 Février .
On vient de publier ici un Octroi de l'Impératrice-
Reine , en datedu 2 du moisdernier ,
pourun emprunt de 2,400,000 florins argent de
change , qui eſt ouvert chez la Veuve Nettine
& Fils. Les intérêts en ſont fixés à quatre
pour cent. Chaque obligation ne pourra être
de moindre ſomme que de 500 florins ; le rembourſement
commencera douze ans après , c'eſtà-
dire le s Janvier 1791 , & fe fera pendant
dix ans confécutifs , à raiſon de 240,000 florins
par an.
Les troupes de ces Provinces qui ont ordre
de rejoindre les armées Impériales , ſe ſont
miſes en marche le 10 & le 13 de ce mois.
On travaille avec beaucoup de vivacité aux
recrues , & il a été adreſſé des Lettres circulaires
à tous les Officiers de Juſtice & de Police
, pour les encourager à les multiplier le
plus qu'il eſt poſſible.
Les lettres d'Eſpagne intriguent toujours les
ſpéculatifs ; les préparatifs militaires de cette
(354)
Puiſſance font trop confidérables pour ne pas
faire douter qu'elle perſiſte dans ſon ſyſtême de
neutralité. Elle paroît principalement occupée
de ſa marine marine , qui s'augmente de jour en jour
par de nouvelles conftructions de vaiſſeaux de
tout rang ; on en conftruit à Carthagène , un entr'autres
, qui ſera à trois ponts , & le plus grand
vaiſſeau qui ſoit en Europe.
>> Le 11 Janvier , écrit - on de Madrid , il
eſt entré à Cadix un paquebot , d'où il eft
débarqué un Officier , qui s'est rendu ſur le
champ chez le Gouverneur de cette Place ,
& qui eft parti peu de tems après pour la
Cour. On ignore d'où vient ce paquebot, dont
l'équipage n'a encore communiqué avec per
fonne ; & le fecret obſervé par l'Officier , qui
s'eſt rendu au Pardo , donne lieu à beaucoup
de conjectures. Les uns prétendent qu'il ap.
porte la nouvelle de queique événement intéreſſant
en Amérique ; les autres , qu'il vient
des côtes de Guinée , & qu'il a été dépêché
par leGouverneur Eſpagnol ,chargéde prendre
poffeffion des deux Iiles & Ports cédés par le
Portugal à l'Eſpagne , dans le dernier Traité.
On ajoute que le Gouverneur Portugais s'eft
refufé à cette priſe de poſſeſſion ; ce dernier
trait ſemble peu croyable , & ne peut manquer
d'être bientôt éclairci
C.
L'Europe attend toujours des nouvelles de ce
qui ſe paſſe enAmérique ; il n'en arrive point; &
la curiofité eft forcée de ſe contenter de lettres
d'une date antérieure à celle à laquelle elle
defire depuis long- tems d'en recevoir. En voici
une d'un Officier François au ſervice desEtats-
Unis , écrite au commencement de Novembre.
>> Une expédition ſur Rhode-1ſland , dans laquelle
l'eſcadre de M. le Comte d'Estaing a coopéré avec
le corps aux ordres du Général Sullivan, a fermé
la campagne ; & quoiqu'elle n'ait pas entiérement
(355 )
réuſſi , elle s'eſt terminée à la gloire de l'Amiral
qui a vu fuir Lord Howe devant lui , & du Général
qui , dans ſa retraite , a repouffé Lord Pigot " .
>> La poſition du Général Clinton eſt ce qu'étoit
celle du Général Howe au commencement de la campagne
dernière ; & nous ne nous battons plus que
par manifeftes , proclamations , &c « .
>> Les Commiſſaires ſont au moment de partir ,
& ces miſſionnaires politiques , députés par les Miniſtres
pour la propagation de la foi Parlementaire
n'ont trouvé que des hérétiques opiniâtres qui n'ont
pas même voulu qu'on les préchât «.
>> L'hiver nous chaſſe dans nos quartiers. Il paroît
qu'on les prendra ſur l'Hudſon pour couvrir les
Jerſey & New-Yorck cc.
>>On aſſure que 12 régimens ont fait voile de New.
Yorck pour la Barbade & la Jamaïque. Le reſte des
troupes Angloiſes ſe monte à 9 à 10,000 hommes
à New-Yorck , 4000 à Rhode-Iſland , une garnifon
à Saint-Augustin , 4à5000 en Canada , &environ
2000 à Hallifax. Il paroît que dans ce mondeci
la guerre eft à ſon terme ; c'eſt dans le vôtre
que vont ſe faire les grandes exploſions .
Les Anglois ne ceſſent d'inquiéter le commerce
de toutes les nations. Les lettres de
Stockholm nous apprennent combien les Suédois
s'en plaignent , & avec quelle chaleur ils réclament
juftice & protection. La conduite des
François eft bien différente ; elle fait la cenfure
la plus amère de celle de leurs ennemis.
On en jugera ainſi par le certificat ſuivant ,
donné par leChevalier de Cardaillac , commandant
la frégate le Fox , au Capitaine du bâtiment
Danois les trois Frères , arrivé dernièrement
à Oftende .
:
>> Nous , &c. Le 23 Janvier étant par la latitude
48 , & par la longitude occidentale , méridien de
Paris , de 11 deg. 28 minutes , nous avons amarré
un Senault où il s'eſt trouvé 8 Anglois & 3 hom-
,
( 356 )
mes ſe diſant Danois; lesAnglois commandés pat
le nommé William Sturgeons , ayant une commiffion
Angloiſe donnée par Robert Hankins ,
Commandant la Chaloupe l'Actif, de Cork, armée
par les ſieurs Henri Sadler & Julien Bernard , du
même lieu. L'interrogatoire & la confrontation
faite des gens trouvés dans le bâtiment , le nommé
Hans Laurenzen a déclaré que le bâtiment s'appelloit
les trois Freres ; qu'il étoit Danois , du
port de Criſtiana , venant de Livourne , & allant
à Oftende ; qu'il avoit été arrêté contre le droit
des gens. Nous avons fur-le-champ viſité ſes papiers
que nous avons trouvés en bonne forme ,
toures ſes feuilles de chargement à l'adreſſe de divers
particuliers du port d'Oſtende, & conformes à
ſa déclaration. Il a enſuite déposé qu'il avoit été
arrêté le Jeudi 21 du préſent mois par la latitude
de 44 deg. so min. , & la longitude occidentale,
méridien de Londres , de 10 d. 21 min. ; que fes
gens au nombre des ont été conduits à bord de
la chaloupe ; qu'ils ne font reſtés dans leur bâtiment
que 3 , ſavoir , Hanz Laurenzen , Capitaine-
Chriſtian Laurenzen , ſecond , & un mouffe nommé
Jo , natif de Livourne ; qu ils ont été pillés dans
leur cargaison & leurs effets ; que tout le haut du
navire avoit été enfoncé & brilé , que pluſieurs balots
& caifles de la cale ont été ouverts & jettés
à bord de la Chaloupe D'après cette dépoſition ,
ayant le tout confidéré & examiné , nous avons
jugé le navire les trois Freres pris contre le droit
des gens , regardant les preneurs comme forbans
& gens fans aveu. L'intention de notre auguſte
Monarque étant non-feulement que nous courions
ſur ſes ennemis , mais encore que nous défendions
tous Vaiſſeaux contre les pirares . Et voulant faire
voir la protection qu'il accorde aux Puiſſances
nentres , nous avons déclaré & déclaroos Hans
Laurenzen maître de ſon bâtiment ; & pour lui
faciliter le moyen de ſe rendre à ſa deſtination ,
( 357 )
nous lui avons accordés hommes pour former
fon équipage. Nous prions tous amis & alliés de
laiſſer patler librement ledit bâtiment , & de le
protéger & aider dans le cours de ſa navigation.
Acet effet nous lui avons délivré le préſent , & y
avons fait appoſer le ſceau des armes du Roi. Fait
àbord de la Frégate du Roi le Fox , le 24 Janvier
1779 .
Signé , le Chev. DE CARDAILLAC .
On a lieu d'eſpérer que les repréſentations
de la plupart des Villes de Hollande détermineront
enfin les Etats-Généraux , à annuller la
réſolution qu'ils avoient priſe le 18 Novembre
précédent , & à prendre celle d'obſerver la
plus parfaite neutralité en protégeant leur
commerce & leur navigation ſans exception ,
dans toute l'étendue que leur garantiſſent la
Lettre & l'eſprit des Traités. On croit que
l'Arrệt du Conſeil d'Etat du Roi de France ,
influera beaucoup fur leurs diſpoſitions. Le
Duc de la Vauguyon leur en remit une copie
le 16 du mois dernier , en leur préſentant le
Mémoire ſuivant.
Hauts & Puiſſans Seigneurs :
>> Le règlement concernant le commerce & la
navigation des Puiſſances neutres que le Roi , man
maître , a fait publier au mois de Juillet dernier
& le ſoin que S. M. a pris d'en faire obſerver
ſcrupuleuſement les diſpoſitions , ont développé la
conſtante modération de ſon ſyſtême politique &
la juſtice eſſentielle de ſes vues ; les témoignages
particuliers de bienveillance & d'affection qu'Elle
n'a ceſſé de donner à V. H. P. ont dû les perfuader
qu'Elle defireroit vivement les voies juſtes d'une
neutralité reſpectée & reſpectable , qui peut ſeule ,
maintenir leur conſidération & leur proſpérité. Elle
ſe plaiſoit à croire que V. H. P. , pénétrées d'un
intérêt auſſi précieux , conſerveroient à leur pavillon
toute la liberté qui eſt une ſuite de leur indé(
358 )
pendance & à leur commerce , toute l'étendue que
Ini aſſurent les loix de l'équité publique & les ftipulations
des Traités. Les ordres donnés aux Capitaines
des vaiſſeaux de guerre de la République ,
de protéger , conformément au droit des gens &
aux conventions les plus expreſſes , tout batiment
marchand appartenant aux ſujets de V. H. P. , &
l'avantage dont ils ont joui d'un premier convoi ,
ne paroiffoit devoir laiſſer aucun doute ſur les ſtipulations
irrévocables de V. H. P. à cet égard;
mais S. M. a appris avec le plus grand étonnement
que , tandis que tous les Négocians de l'Europe ,
¬amment ceux de ſes Etats , excités par cette
Fremiere épreuve des diſpoſitions de la République
à une parfaite impartialité , s'empreffoient de confer
leurs ſpéculations au pavillon Hollandois , V.
H. P. ont modifié les ordres qui fondoient la ſécurité
du commerce : C'eſt alors qu'Elle m'a ordonné
de leur demander une explication claire &
précife des caractères eſſentiels de la neutralité
qu'elles ſe propoſent d'obſerver , & de leur faire
connoître qu'une réſolution dont l'effet mettroit au
libre exercice des droits réclamés par leurs ſujets ,
des reſtrictions qui ne peuvent devenir avantageuſes
qu'aux ennemis de S. M. , feroit regardée par Elle
comme un acte de partialité manifeſte , & la forceroit
d'annuller , non-feulement la liberté conditionnellement
promiſe aux ſujets de V. H. P. , par
le règlement concernant le commerce des nations
neutres, mais encore les faveurs eſſentielles & gratuites
dont ils jouiſſent dans ſes États , & qui ne
font fondées ſur aucune convention . V. H. P.
m'ont adreſſé une réponſe que je n'ai pu faire
parvenir au Roi , parce que S. M. m'avoit défendu de
la recevoir , fi elle n'exprimoit point , de la maniere
la plus nette , les caractères de la plus abfolue
neutralité , & qué loin de les développer
clairement & précisément , elle ne renfermoit que
des aſſurances générales , & annonçoit même le
( 359 )
,
defir de perſévérer dans les meſures qui reftreignent
en faveur des ennemis de la France , les
droits fi juſtement acquis aux ſujets de V. H. P.
Le Roi ſe perfuade encore que V. H. P. bien convaincues
de ſa ferme réſolution de regarder des reftrictions
qui ne font utiles qu'à ſes ennemis ,
comme un témoignage de partialité dérogatoire aux
principes d'une neutralité abſolue , s'empreſſeront
d'adhérer complettement à ſes vues fondées ſur la
juſtice eſſentielle; mais je dois leur déclarer que ſi
elles perſiſtentà refuſer aux Négocians toute la protection
qu'ils follicitent , & continuent à modifier
en faveur de ſes ennemis l'exercice de leurs droits ,
S. M. eſt décidée à faire publier inceſſamment un
règlement nouveau , relativement au commerce & à
la navigation des ſujets de la République , dont j'ai
l'honneur de remettre une copie à V. H. P. Elles
doivent être bien aſſurées que c'eſt avec le plus fincere
regret que S. M. a pris une telle détermination
& elles reconnoîtront encore dans les distinctions
réſervées aux habitans domiciliés d'Amſterdam , un
témoignage de l'affection &de la bienveillance qu'elle
auroit voulu pouvoir faire partager à tous les membres
de la République «.
Les Hollandois ſe ſont déterminés à de
mander aux Anglois l'exécution des Traités .
>> Le tambour bat dans toutes nos Villes , écriton
de Fleſſingue , pour recruter & former des
équipages ; & nous croyons à la guerre ſi le
Traité n'eſt pas fuivi par les Anglois , qui ont
mécontenté la nation , & que leurs vexations
inouies font déteſter des ſept huitièmes. Cette
opinion , fans doute a fait ordonner la fufpenſion
des armemens pour la pêche de la
Baleine cette année , afin de ne pas expoſer
des équipages qui font rares , au point que le
navire la jeune Cornélie , auquel il manque trois
matelots , n'a pu les trouver ni ici , ni à Middelbourg".
,
:
(360 )
On mande de Zurich un fait bien étrange
&bien funeste , >> Un Marchand des plus ri
ches de cette Ville , ayant été volé , penſa
que les voleurs ne ſe borneroient pas à ce
premier larcin , & qu'ils reviendroient encore.
En conféquence , il apoſta la nuit ſuivante des
gardes , en leur recommandant la plus grande
vigilance. Vers le milieu de la nuit , il voulut
s'aſſurer par lui - même ſi ſes ſentinelles faifoient
bonne garde ; ils crièrent qui va là ? &
comme il ne répondit pas fur le champ , ils
firent feu , & tuèrent celui à la confervation
duquel ils avoient ordre de veiller ".
>>>Les dernieres lettres de Breſlau, nous ap
prennent que la garniſon s'en étoit miſe en
marche le4de ce mois , & que le Général Autrichien
de Wumrſer ſe trouvoit renfermé avec
8000 hommes dans le comté de Glatz «.
>>>Celles de Dreſde annoncent que l'armée
aux ordres de S. A. R. le Prince Henri de
Pruſſe , ainſi que le corps d'armée commandé
par le Général de Mollendorf , étoient fortis
de leurs quartiers de cantonnement , & étoient
en pleine marche vers la Bohême. Elles ajoutent
que le Prince de Bernbourg marchoit du
côté de Zittau , & que le régiment des Vo-
Jontaires d'Anhalt s'étoit rendu maître de la
_ville de Toplitz «.
L'on mande des montagnes de Siléſie , que
les Autrichiens ont pillé Guerdorf d'où ils
ont emporté plus de 1000 pieces de toiles ,
après avoir fort maltraité les habitans de cette
Place
>>D'autres avis de Siléſie , portent que leGénéral
Wunſch a pris fon quartier général à
Glatz , & qu'un bataillon de Grenadiers eft
entré dans Silberberg ; que les Autrichiens ont
repris poffeſſion de Paſthau , Siegenhals &
Zuchmantel , & que le Prince de Heffe
Philipsthall a été conduit à Trautenau " .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères