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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JANVIER , 1777.
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRG
DU
BIBLIOT
107
CHATEAL
VEU
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APARIS,
ROYAL
Chez LACOMBE , Libraire , rue de Touron
près le
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STOR
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, les annonces , avis , obſervations , anecdores
événemens finguliers , remarques fur les
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tout ce qu'on veut faire connoître au
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Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
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des amateurs des lettres & de ceux qui les
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JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in - 12 par an ,
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181
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181.
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.
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Dict . Héraldique , fig. in- 8 ° .br.
Révolutions de Ruffie , in- 8 ° . rel.
Spectacle des Beaux - Arts , rel .
IT A.
Diction. Iconologique , in- 8 ° . rel.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in- 89 . rel.
Dict . des Beaux-Arts , in-8 ". rel.
21,
12 I.
3 1. 15 f.
21. 10 f,
21. 10 f.
3 l.
9 1.
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de l'Hift. Eccléfiaſtique , 3 vol. in- 8 ° . rel. 18 1.
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Sugel. A
de l'Hift. Romaine , in- 8 ° rel.
12 1.
61. Théâtre de M. de Saint Foix , nouvelle édition , 3 vol .
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in -8 °. br.
Bibliothèque Grammat. in-8 ° . br. 146
Lettres nouvelles de Mde de Sevigué , in 12 br.
Les mêmes , pet . format ,
Poëme furl'Inoculation , vol, in-8 ° . br.
61.
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21. 10 f.
2 1. 10 f.
1 l. 16 f.
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Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in-8 bravec figs .
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br. i5 la
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , & c .
in- fol . avec planches br. en carton , 241 .
12 1.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architec
tyre , in-4 . avec fig. br . en carton ,
L'Agriculture réduite à fes vrais principes, vol . in-12 .
broché 21.
Annales de l'Imperatrice -Reine , in -8 ° , br. avec fig. 4
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 4777
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'AUTOMNE , Chant IIIe du Poëme des
Saifons ; imitation libre de Tompfon
IN VOCATION.
L'AUTOMNE 'AUTOMNE , orné de pampres rougians,
Sur la nature exerce un doux empire : I
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Defcends des cieux , Mufe , reprends ta lyre,
Et fais au loin retentir tes accens .
DEDICACE.
O toi , qui tiens le fceptre du génie ,
Chantre immortel , qu'ont refpecté les ans,
Toi , contre qui l'infatigable envie
Irrite envain fes farouches ferpens ;
Soutiens mon vol : daigne , illuftre V***,
Encourager mes timides pinceaux ;
Daigneremplir un espoir téméraire ,
Et d'un fourire accueille mes tableaux !
PREMIERS EFFETS DE L'AUTOMNE.
*
L'été s'éloigne , & l'éclatante Aftrée ,
Cédant fon trône & l'empire des airs ,
Ne brille plus fous la voûte azurée :
Thémis paroît , & pèfe l'Univers .
Entrecoupé d'une flamme dorée ,
Du firmament l'azur eft plus ferein ;
Un rideau blanc fend la plaine éthérée ,
Et trace en l'air un lumineux chemin.
L'aftrebrillant verfe un calme agréable ;
L'autan fougueux n'attrifte point les champs :
Bacchus s'avance , & fa compagne aimable ,
Pomone vient étaler fes préfens
JANVIER . 1777 . 7
C'eſt maintenant le triomphe des treilles :
La pourpre & l'or brillent fur les côteaux,
Et fous le poids de les grappes vermeilles ,
Labranche plie & fe courbe en berceaux.
ÉLOGE DE L'INDUSTRIE .
O du chaos , toi qui tiras le monde ,
Toi qui des arts es la fource féconde ,
Toi qu'on n'obtient qu'à force de labeur,
Fille du temps ! ô puiffante induftrie !
Tu nous montras la route du bonheur !
De la pareffe implacable ennemie ,
Tout eft empreint de ton fceau précieux ;
Et nous devons à tes foins généreux ,
Les agrémens qui charment notre vie.
L'homme , ifolé dans de vaftes déferts ,
Ne parcouroit que des landes arides :
Tu l'animas ; à fes regards avides ,
Tufis éclore un nouvel Univers.
Envain des arts il portoit la femence ,
Et des befoins il ſentoit l'aiguillon ;
S'abandonnant à la molle indolence ,
Il repouffoit le joug de la raiſon :
Sur fes defirs réglant fa marche errante,
Il diffipoit le tribut de fes champs ,
Sans mériter , par des travaux conftans ,
A iv
MERCURE DE FRANCE .
Une récolte encor plus abondante.
État cruel! des bienfaits de Cérès ,.
Loin de tirer une ſubſtance pure ,
Pour leur ravir une inculte pâture ,
Il pourſuivoit les monftres des forêts ::
Et quand l'hiver flétriffoit leur parure ,.
Et ramenoit la neige & les frimats ,
Sous un rocher creusé par la nature ,
Il échappoit à l'horreur du trépas .
Morne , ftupide , abhorrant fon femblable ,
Fuyant les ris , les jeux & les amours ,
Plus malheureux encore que coupable ,
Dans la douleur s'écouloient fes beaux jours..
Age de fer, fiècle de barbarie ,
Tu ne ceffas que lorfque l'induftrie
Offrit à l'homme un généreux fecours !
Elle parut , & fema l'abondance ;
Le Boeufau joug marcha fans réſiſtance ,
Et les moiffons couvrirent les guérêts :
L'homme à fa voix oublia ſa misère ;
A la coignée il ouvrit les forêts ,
Tailla le bois & façonna la pierre..
Il fe foumit les plus fiers animaux ;
Et rejetant leurs dépouilles fanglantes ,
Dont le couvroient fes mains encor fumantes ,
Il fe tráma des vêtemens nouveaux..
I cultiva de falutaires plantes ,
Dont il tira de meilleurs alimens ,
JANVIER 1777 .
Ets'abreuva des liqueurs bienfaifantes ,
Dont la chaleur femble créer des fens.
L'aménité defcendit fur la terre ,
Forma l'efprit & fit régner les moeurs ;
L'amour du bien germa dans tous les coeursa
L'homme , abjurant fon farouche repaire !
De tous côtés éleva des remparts ;
Et le commerce , affrontant les hafards ;
Pour réunir l'un & l'autre hémisphère ,
Dans les cités ratſembla tous les arts.
Bravant des mers le courroux inutile ,
Le Nautonnier , fur un vaiffeau fragile ,
Ofa franchir les flots impétueux ,
Et dans les ports trouvant un fur afyle ,
Malgré l'orage & les vents furieux ,
J
D'un pôle à l'autre , avec un front tranquille ,
Il fit voler les mâts audacieux.
O France , ainfi les tréfors des deux mondes
Viennent en foule entichir tes climats !
C'est danstes mers qu'on voit , au gré des ondes,
Flotter fans ceffe une forêt de mâts.
Le vent s'élève , & par toure la terre
Ils vont porter l'éclat de ton tonnerre
Le luxe dût à tant d'heureux efforts ,
Av
10
MERCURE DE FRANCE.
.
Tous les progrès : la colonnade fière ,
Jufques aux cieux leva ſa tête altière „
Et le Pactole épancha ſes tréſors.
L'homme donna l'ellor à fon génie
Sous fon cifeau le marbre refpira;
Sous fes pinceaux la toile s'anima 5
De la cadence it fixa l'harmonie ,
Et fous fes doigts la flûte foupira,
C'eft à toi feule , ô divine induftrie !
Que nous devons les plaifirs différens,
Qui , dans l'hiver embelliſſant la vie ,
Font oublier les fureurs des autans..
Privé de toi , l'agréable printems
Seroitfans fleurs , fans éclat & fans vie :
C'est par tes foins que le riant été ,
Du moiffonneur confirmant l'efpérance ,
Répand la sève & la fécondité :
L'Automne enfin te doit l'heureuſe aiſance ,
Ses doux préfens & ſes tréfors ambrés ,
Dont mes pipeaux , trop long- temps égarés,
Yont , dans ces chants , célébrer l'abondance ,
Par M. Willemain d'Abancourt.
JANVIER . 1777. II
VERS à M. DE C *** , en lui envoyant
un fouvenir.
PAR lui-m AR lui- même ce don n'a rien qui puiffe plaire ;
Mais c'eſt un don de l'amitié ;
Et quand elle a quelques cadeaux à faire ,
Le coeur eft toujours de moitié.
Par le même.
LE JUGE ENDORM I.
Conte.
UN Confeiller d'une Cour fouveraine
S'endormit fur les fleurs de lys :
Le cas n'eft pas nouveau; j'en fais qui par femaine...
Paix , bavard !.. Quand on vint recueillir les avis ,
Du trouble de fes fens fe remettant à peine :
Qu'on lepende , dit-il. Qu'on le pende ! reprit
Le Préfident. Pour le coup votre efprit
Sur le courfier d'Aftolphe en ce moment chevauche.
Jefuis defang-froid. Boy ! c'eft d'un pré qu'il s'agit.
Unpré, dites- vous ? Qu'on lefauche !
Par le même.
A vi
12 MERCURE DE FRANCE ..
PAROLES de paix portées aux Auteurs:
Infurgens ; paroles inutiles , mifes en
vers dans le goût & dans la manière de
Chapelle , par un vieux Hermite du
Parnaffe , qui les a adreffées à Milords
& Meffieurs des Communes de la Lit
térature.
FRÈRES , RÈRES , très- chers en Apollon ,
De grâce , terminez vos guerres !
Ceffez de vous brûler vos terres………
Vos terres du facré vallon .
Eteignez vos petits tonneires,
Ou lancez vos petits carreaux ,
Vos petits foudres fut lesfots 3
Ce font là les vrais adverfaires ,
Les ennemis , les francs Corfaires ,
Qu'il faut brûler par vos bons mots,
Mais que la paix & le repos
Règnent parmi les Gens de- lettres ;;
Ne vous difputez plus vos champs 3
Cultivez- les en bonnes-gens.
Que les Poëtes, dans leurs chants ,
JANVIER . 1777. 13
"
Difent du bien des Géomètres ;
Et laiffant- là les tons tranchans
N'ôtez ni ne donnez les rangs :
Les moins brillans & les plus piètres:
Ne font pas des poftes méchians ,
Lorfque l'on fert le Dieu des Lettres
Du Pinde , gaillard citoyen,
Fen fuis l'habitant le plus mince ;
Au Parnaffe je ne fuis rien ;
Mais je vais m'en croire le Prince,
Si je puis trouver le moyen
De fixer dans cette Province ,
Que défolent des Beaux- efprits ,
Infurgens allez aguerris ,
La paix à qui tout eft poffible ,
Par qui les aris font refleuris ;
La paix qui rappelie les ris ,
Qu'éloigne la guerre terrible
Que fe font nos frères chéris.
Ai-je une adreffe affez flexible
Pour concilier des efprits
Si différens , fi fort aigris ,
Et pour fléchir l'orgueil horrible ,
Dont nos Auteurs font tous paitris ?
Eſſayons ; rien n'eſt impoſſible…..
Mes enfans, une ame ſenſible...
14 MERCURE DE FRANCE.
Mais , quels cris j'entends ? ..«Non ; jamais ,
»Jamais au Parnaſſe de paix.
C'eft le cri de chaque cabale ,
Des amours- propres oppofés ,
Bien violens , bien divifés .
«Quoi ! dit leur troupe martiale ,
» A nous la paix ! Quoi vous ofez
Laprêcher ? Vous nous propofez
Cette jouiffance idéale !
» Bonhomme , vous vous amufez
» A la pierre philoſophale ».
IMITATION d'une Epigramme de
Claudien , fur un Vieillard Italien qui
n'étoit jamais forti defa campagne.
HEUREUX quiprès du terme où doit finit la vie ,
D'abandonner les champs n'a jamais eu l'envie !
L'humble toît qui vit naître & mourir les ayeux ,
L'a vu ramper enfant , le voit fe traîner vieux .
Fortune , il n'alla point , fuivant ton inconftance ,
Promener à ton gré fa mobile exiſtence ;
Marchand , braver les flots , & foldat les hafards ,
Ni plaideur de fon juge implorer les égards.
JANVIE R. 1777.
15
Il ne chercha jamais des fources étrangères ,
L'onde où s'éteint fa foif, défaltéroit les pères ;
Tranquille , il fixe en paix lui-même ſes deftins ,
Et coule des jours purs , ignoré des humains,
Il veille avec l'aurore , avec elle il repoſe ,
Il connoît le printemps annoncé par la rofe ,
L'automne, quand Pomone a courbéfes pommiers,
Ou quand Bacchus prodigue enrichit fes celliers.
Sa cabane , fes champs , pour lui voilà le monde.
Il jouit librement du ciel qui les féconde.
Ce chêne qu'il admire , & fes bois toujoursverds ,
Ont autant défié qu'il a vêcu d'hivers ;
Enfant il les planta ; leur feuillage , leur gloire ,
Des jeux de fon jeune âge enchantent la mémoire .
Cependant il blanchit , même au fein du bonheur
Mais loin de fa jeuneſſe , il en a la vigueur.
Qu'un autre de la terre.embraſſe l'étendue :
Il rétrécit fa vie en étendant la vue.
Par M. le Méteyer.
16 MERCURE DE FRANCE.
VERS du Magifter de la Paroiffe de
Condé, à deux Époux mariés par la
munificence de Monfeigneur l'Evêque
Evreux , envoyés la veille de leurs
nóces , le 27 Novembre 1776.
AMANS dont la fortune , au gré de fon caprice ,
Trop long- temps traverſa les voeux ,
Ne vous affligez plus : une main protectrice ,
Au pied de nos autels va couronner vos feux .
Mais favez - vous à quoi déformais vous engage
Le prix de fes bienfaits en tous lieux répandus ?
De la reconnoiffance elle ne veux qu'un gage :
Tous les autres fans lui deviendroient fuperflus..
Au mérite indigent prodiguant fes largeffes ,
Ce Paſteur adoré, ce Prélat généreux ,
Quoique compâtiffant aux humaines foibleffes ,
N'aime à récompenfer que les coeurs vertueux.
D'honnêtes Citoyens , pour peupler nos contrées ,
Quand ce penchant commun aux Bergers comme
aux Rois ,
A deux coeurs purs impofera fes loix ,
JANVIE R. 1777 . 17
Il veut qu'à les unir par des chaînes facrées ,
Ses richeffes par an deux fois foient confacrées.
Quelle gloire pour vous d'être fon premier choix !
A le juftifier que votre ardeur s'empreffe ;
Volez , & dans fes mains prononçant vos fermens,
Si vous voulez pour vous toujours qu'il s'intéreffe ,
Sur fes nobles deffeins réglez vos fentimens.
Afes yeux , de fa bienfaisance
Alors les dons ne feront point perdus.
Sous vos ruftiques toîts appelant l'abondance,
Le travail banira le fléau des vertus.
A leurs faintes leçons vos ames attentives ,
Uniront dans la joie & l'époufe & l'époux ,
Et de l'Iton vous peuplerez les rives
De Citoyens utiles comme vous.
Par M. l'Abbé de Rouvere , Vicaire-
Général d'Evreux.
18 MERCURE DE FRANCE.
VERS à M. WILLE , Fils , de l'Acadé
mie Royale de Peinture , Sculpture &
Gravure , furfon tableau de la Fête des
Bonnes-Gens , inftituée à Canon , en
Normandie, à l'imitation de celle de
Salency.
DANS vos murs renommés , Canon , la vertu
brille ,
Témoin ce bon vieillard & cette fage fille
Dont vous récompenfez les innocentes moeurs.
Qui ne feroit ému de voir cette famille !
On vous rend donc juftice , honnêtes laboureurs !
Trop long temps dédaignés , votre état intéreffe ;
Pour quelque chofe enfin on compte vos fueurs ;
Échangeant en plaiſirs de frivoles grandeurs ,
Avec des Payfans fe confond la nobleffe :
Ce que le fort fépare , uni par la tendreſſe !
Ah ! j'en fuis touché jufqu'aux pleurs !
Sur chaque front éclate une fainte allégreſſe.
Ces fifres , ces tambours , ces rubans & ces fleurs ,
Ce cortége divers qui tourne , qui s'empreffe ,
Ces joyeux fufiliers , ces voltigeans drapeaux ,
Pacifique fignal d'une douce victoire ,
JANVIER . 1777 . 19
Despères , les enfans , impatiens rivaux ,
La femme du vieillard , qui partage fa gloire ,
Mais qui ne la voit point , & d'un pas chancelant ,
Letenant par l'habit, l'accompagne en tremblant...
Quel fpectacle ! ô fête fublime !
Affurément Wille étoit-là ,
Et mieux qu'en vers je ne l'exprime ,
Ses pinceaux fur la toile ont rendu tout cela.
Par M. Guichard.
N. B. Les Amateurs peuvent fe procurer la
fatisfaction de voir ce tableau , rue des Foffés St
Germain , Cour du Commerce , où demeure l'Artifte.
LE COLPORTEUR GÉNÉREUX.
Anecdote véritable.
LA bienfaifance eft de tous les états ;
mais elle fe manifefte plus communément
dans une condition mitoyenne ;
plus fouvent encore ceux qui flottent
entre l'indigence & le fimple néceffaire ,
ont l'ame bienfaifante. La plupart des
Grands , livrés à la molleffe , environnés
20 MERCURE DE FRANCE .
de vils flatteurs , & uniquement occupés
de leurs plaifirs , ne connoiffent pas les
charmes de cette douce bienfaifance . Un
Traitant étonne la Capitale par fon fafte
& fes dépenfes exceffives : il transforme
un antre fauvage en un palais enchanté :
il fait difparoître une montagne dont la
cîme fourcilleufe l'importune : ivre de
fon opulence , il ne vit que pour lui : il
ignore s'il exifte des malheureux. Quiconque
a éprouvé l'infortune , ne ferme
pas ainfi l'oreille aux cris de l'humanité
fouffrante.
Un Habitant d'un Bourg du Cercle
d'Ertzgeburg , étoit réduit à la dernière
mendicité. Il avoit , pour faire fubfifter
fa famille , épuifé toutes les reffources .
Une légère provifion d'avoine , qui fervoit
depuis quelques jours de nourriture
à cette famille infortunée , étant finie
elle s'eft vu plongée dans la plus affreufe
détreffe . Un Boulanger , auquel le père
devoit neuf écus , refufe impitoyablement
de lui fournir du pain , jufqu'à ce
qu'il lui ait payé cette fomme. Les cris de
fes miférables enfans , prêts à tomber en
défaillance par le befoin , les larmes d'une
tendre épouſe lui percent l'ame. Cher
époux , lui difoit cette mère défolée ,
JANVIER. 1777. 21
laifferons nous périr nos malheureux
enfans ? Ne leur aurons - nous donné
» l'existence que pour les voir enlever par
» les horreurs de la faim? regarde ces triites
» victimes , fruits de notre amour :
"
33
33
บ
"
12
déjà la
pâleur de la mort couvre leurs joues.
» Moi-même j'expire de douleur & de
" misère... Hélas ! fi encore , aux dépens
» de ma vie , je pouvois conferver celle » de mes enfans... Cours ... vole dans la
» Ville voiſine ... expofe nos befoins ...
qu'une mauvaiſe honte ne te retienne
point... Songes que tous les inftans
» que tu perds , font autant de coups de
poignard que tu porte dans le fein de
» ta pauvre famille. Peut-être le ciel
fera- il touché de nos peines : peut-être
trouveras- tu quelque ame bienfaifante
qui nous foulagera dans nos maux ».
Ce malheureux
père , reffemblant
plutôt
à un ſpectre qu'à un homme , couvert
de haillons
, tourne fes pas vers
la Ville :
il prie , il follicite , il peint fa déplorable
fituation
avec toute l'énergie
du fenti
ment & l'amertume
de la plus vive douleur
perfonne
ne l'écoute , perfonne
ne
l'affifte. Indigné d'une pareille cruauté , il entre dans un bois avec la réfolution
d'attaquer
le premier paffant ; la nécef-
:
22 MERCURE
DE FRANCE
.
fité lui paroît une loi ; l'occafion le favo
rife bientôt , il arrête un Colporteur ;
celui- ci , fans oppofer la moindre réſiſtance
, lui remet une bourfe de vingt- un
écus. Mais à peine s'en eft-il faifi , qu'il
eft déchiré de remords ; il fe jette aux
genoux du Colporteur ; il les arrofe de
fes larmes. Tenez , lui dit- il , voilà le
» refte de votre argent ; je ne prends que
» ce que mes preffans befoins exigent.
Croyez qu'il m'en a coûté beaucoup
» pour me réfoudre à commettre cette
» action. Mon coeur n'eft pas fait pour
» le crime. Daignez , je vous en conjure ,
» venir jufqu'à mon habitation , vous
» reconnoîtrez la caufe qui m'y porte.
» En voyant le trifte état où eft ma famille
, vous me pardonnerez : vous de-
» viendrez mon bienfaiteur , mon fau→
"
"
» veur ».
Le pauvre & honnête Colporteur rele .
va cet infortuné en l'embraffant, Vaincu
par fes follicitations , & entraîné par fa
propre fenfibilité , il n'hésite pas un feul
moment à le fuivre . Mais combien fon
trouble augmenta en entrant dans la
mafure du Payfan ! Tout ce qu'il voit
excite fa compaffion : il trouve des enfans
prefques nuds , couchés fur de la
JANVIER. 1777 . 23
paille & à la veille d'expirer , une mère
dans l'état le plus affreux .
30
"
"
Le Payfan raconte fon aventure à fa
femme . « Tu fais , lui dit- il , avec quel
empreffement j'ai été à la Ville dans
l'efpoir d'y trouver des fecours . Mais ,
chère amie , je n'ai rencontré que des
» coeur durs , que des gens occupés , les
» uns à amaffer des richeffes , les autres
» à diffiper celles qu'ils ont par leur luxe
» & leurs folles dépenfes ; tous m'ont
» rebuté . Défefpéré.. furieux... je me
» fuis jeté dans le bois voifin ... Le croi-
» rois-tu ? ... J'ai ofé porter une main
» facrilége fur l'honnête homme que tu
» vois... J'ai ofé le... Ah ! je ne peux
» achever ».
30
Ayez pitié de mes enfans , s'écrie
auffi - tôt la mère déſolée , en regar-
» dant le Colporteur ; confidérez l'hor-
» reur de la misère à laquelle nous fom-
» mes livrés . Hélas ! la pauvreté n'a point
changé nos fentimens . Nous avons
toujours , au milieu de la plus affreufe
» indigence , confervé l'honneur . Je ré-
» clame votre miféricorde en faveur de
» mon mari : j'implore vos bontés pour
mes enfans ».
"
L'honnête Colporteur , attendri par
24 MERCURE DE FRANCE.
ןכ
-
ce qu'il entend , & par tous les triftes
objets qui frappent fes yeux , mêle fes
lat mes à celles de ces pauvres gens . « Je
» fuis votre ami , leur dit il ; prenez , je
» le veux , ces vingt- un écus. Que n'ai -je
» une fortune aufli étendue que l'eft ma
» bonne volonté pour vous ! mon regret
» eft de ne pouvoir vous affurer un fort
» heureux pour l'avenir. Quoi ! répond
le Payfan , loin de me traiter
comme votre ennemi , vous daignez
» être mon protecteur?... Vous voulez
» être notre libérateur ? Ah ! mon crime
» me rend indigne de vos bontés . Oui ,
» duffions-nous mourir de faim , je ne
prendrai point votre argent » . Le Colporteur
infifte , & le force de l'accepter.
Toute la famille baife la main fecourable
qui vient de la préferver de la mort . Des
larmes de reconnoiffance innondent les
vifages , & le Colporteur fe retire avec
la fatisfaction & les délices qu'éprouvent
les ames bienfaifantes.
93
O vous ! riches orgueilleux & avares ,
en voyant l'exemple de générofité que
vous donne cet honnête Colporteur , vos
coeurs feront-ils toujours inacceffibles à
la pitié ? Verrez-vous d'un oeil ſec fouffrir
vos femblables ? Ne fentirez-vous
jamais
JANVIER . 1777. 25
jamais combien il eft doux de faire des
heureux ? Ah ! ne vous endormez pas
dans le fein de l'opulence ! La fortune
eft inconftante ; jouiffez de fes faveurs
préfentes , mais au moins n'oubliez pas
cette importante vérité , que votre fuper-
Aus doit être le patrimoine des pauvres.
Par M. Jaymebon , Préfident au Grenier
à Sel d'Argentan , en Berry.
LES TROIS VOYAGEURS.
MAINT curieux fouvent s'eſt repenti
De s'être envain laſſé dans un trifte voyage ::
Ni plus heureux , ni meilleur , ni plus fage ,
Excepté cheveux blancs, teint blême & rembruni ,
Sillons au front , chez lui devançant l'âge .
Il est au même point dont il étoit parti.
Trois Voyageurs , Simon , Paul & Maurice ,
Le troisième Alchimifte , obéré par état ,
Le Cecond Déferteur , l'autre enfant de Moife ,
Croyant faire fortune en changeant de climat,
Cinglèrent vers Tunis , en partant de Venife .
Le Maître du vaiffeau , Commerçant Ragulain,
Alloit dans la Lybie acheter des Efclaves.
I. Vol B
3.26
MERCURE
DE
FRANCE
.
Déjà s'offroit un port : un Corfaire Africain
Fondfur la nef, & malgré les trois Braves,
Il vient à l'abordage , & les réduit enfin .
Hazan , vainqueur , les accable de chaînes ,
Er dans Alger , à leurs antiques peines ,
Subſtitue un chagrin plus jufte & plus cuifant.
L'Alchimifte fougueux s'exhaloit en injures ,
Et contre Alger & contre Hazan ;
Paul regrettoit alors fon Régiment ;
Simon le Juif, étouffoit fes murmures ,
Patientoit en enrageant.
Enfin , pour alléger les maux de l'esclavage ,
Les trois Amis , habiles Muficiens ,
Beaux , bien tournés, au printemps de leur âge ,
Parleurs luths & leurs voix charmoient les Algégériens.
Hazan lui -même , épris de l'harmonie ,
En fonférail introduit les captifs :
Plus éprifes des gens que de la mélodie ,
Vingt Beautés, par l'amour & les feux les plus vifs,
Les vengent en fecret des fers de la Lybie.
L'amour a pour les maux la vertu du Léthé ;
Mais ce charme puiffant ne dura qu'un été ;
L'ennui reprit nos gens : les belles Africaines
Des rofes de Paphos envain paroient leurs chaînes
Uu départ clandeftin bientôt fu: arrêté,
JANVIE R. 1777. 27
གླ ༈ ་
n
Hazan fur un chebec un jour alloit en course ;
Le volage trio fait d'Alger fans regrets' ,
Des préfens du férail ayant rempli la bourſe :
Dans la Turquie il crut, à peu de frais ,
Trouver, pour s'enrichir , infaillible feffource .
Vid
En paffant à Balbeck , nos Chevaliers errans
En admiroient les colonnes fameufés ,"
Du goût exquis des Grecs fuperbes inonumens .
Et du faſte Romain ruines orgueilleufes ;
Ils font foudain volés par des brigands.
Un Sangiac , pour comble d'infortune ,
Les dénonce au Muphti comme des mécréans ;
Infcrits de force au rang des Mufulmans ,
Rien ne peut les fauver de la règle commune :
Tout, fous peine du pal , eft foudain circoncis.
Dans l'eau , trois fois par jour , effacer ſa fouillure ,
Fuir Bacchus , voir la Mecque , encenfer les Dervis,
Jeûner le Ramazan , parut aux trois Amis
Pur fanatifme & rifible impoſture.
Un beau jour il s'en vont de Byfance à Tauris.
La route fut d'un an. Nos gens pris & repris ,
Virent enfin cette Ville importante ,
Ou Perfans , Turcs , Chinois échangent pour de
l'or ,
Les tapis , les bijoux de l'Afie opulente.
Ce trafic éternel les ennuyoit encor':
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28 MERCURE DE FRANCE.
Leur tête folle , inhabile au commerce ,
Leur fit pour l'Inde abandonner la Perſe.
Un jour l'Aurore à peine étaloit ſes rubis ,
Nos Braves entichés d'un eſpoir chimérique ,
Après de longs détours , des périls infinis ,
Atteignirent les bords de la mer Arabique.
Ils alloient au Mogol . A cent pas de Goa ,
Après fix mois d'un finiftre voyage ,
Jouet des flots , leur navire échoua :
L'Amirauté confifqua l'équipage ;
Des gens le Saint Office , à fon tour , s'empana.
Comme relaps & d'engence profcrite ,
Sur des fagots ardens on alloit les nicher ;
Clara , du Préfident la beauté favorite ,
Sollicite pour eux , les arrache au bûcher.
Nouvel aiman ; la côte de Bengale
Sur le fein de Thétis ramena nos Héros ;
Faute d'argent jetés à fond de cale ,
Ils envioient le fort des plus vils matelots.
Prefque nuds , affamés , accablés de tous maux ,
On les laiffa fur le premier rivage.
Fixons-nous , difoit Paul , en ce climat fauvage ,
Loin des humains nous ferons fans bourreaux.
J'apperçois des palmiers ; cette terre fertile
Nous peut nourrir & fournir un afyle...
JANVIE R. 1777 . 29
Le foldat péroroit ; lorfqu'un gros de pêcheurs
Caufe aux confédérés de nouvelles terreurs .
Une barque vomit vingt hommes fur l'arène.
Nos champions , défolés , éperdus ,
Sous les palmiers touffus
S'enfuyoient à perte d'haleine :
Les pêcheurs émus de pitié ,
Leur montrent divers mets en figne d'amitié ;
Et la faim defpotique auffi- tôt les ramène .
Les Sauvages armés d'un fer étincelant ,
En frappent des cailloux ; le feu brille à l'inftant :
On jette les filets ; & la pêche abondante ,
Que fuivent fruits exquis & breuvage excellent,
Du trio régalé calme enfin l'épouvante.
Les pêcheurs , quoique nuds , n'avoient rien d'inhumain
,
Sinon que croaffer fo: moit tout leur langage :
Nos gens au ciel confiant leur deftin ,
Ofent les fuivre en un prochain village.
Des filles qu'enveloppe une peau de chamois ,
Autour des étrangers s'agitent en cadence ,
Au fon bruyant des tambouis , des hautbois :
Pour bannir de chez eux l'effroi , la défiance ,
On leur affigne , en un lieu féparé ,
Bled, ruftique attirail, femmes en affluence ,
Si cet article eft à leur gré :
Paul lui-même , en cepoint , parut fort modéré ,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
7
La laideur des fujets brida l'incontinence.
Faut-il , difoit Simon , que l'hofpitalité
Soit l'attribut d'une horde fauvage ?
Mutilés ou captifs , l'humaine iniquité ,
Par la flamme & le fer , la rapine & l'outrage ,
Jufqu'ici contre nous exhala donc fa rage ;
Et tout refpire ici les moeurs , l'aménité !
L'homme ailleurs fanguinaire , altier , fourbe ,
fantafque,
N'offie , hélas ! que le mafque
Des vertus dont ce Peuple a la réalité !
Hatlons & croaffons , fi tel eft fon ufage.
Sachez , pour vous confondre , hommes civilifés ,
Que la fimple nature , en cette Ifle fauvage ,
Vaut mieux qu'efprit & loix , defquels vous
abufez.
Le plus humain fut toujours le plus fage.
N'accufons , s'écria l'Alchimifte furpris ,
Que nous des maux foufferts fur la terrè & fur
l'onde.
Pourquoi quitter l'Europe & courir à Tunis ?
Biens , maux , peines , plaifirs fe croifent dans le
monde.
Efclaves dans Alger , mais fêtés & ché : is ,
L'or & l'amour embelliffoient nos chaînes :
Nous fuîmes; on nous prit lesdons des Africaines.
JANVIER 1777 . 31.
Nous étions des brigans volés par des ban dits.
Heureux fi c'eût été le terme de nos peines !
Loia du Muphti qui nous fit mutiler ,
Nous pouvions à Tauris , dans un trafic honnê te'
Trouver l'or, cette idole à qui chacun fait fère :
Nous courons à Goa nous y faire brûler.
Nul climat envers nous au fond n'étoit perfide ;
Qui nous les rendit tels ? L'ennui , l'oifiveté .
Mais l'éloge de l'Ifle eft- il bien mérité ?
J'ai vu par- tout l'homme le plus ftapide
Pencher le plus à l'inhumanité.
Ce Peuple fans police , ignorant , hébéré ,
Qui te ſemble fi doux , eft peut- être homicile .
Hurlons , pour le flater , croaffons ; j'y confene.
Et tous trois de heurler. Accoutent les Sauvagés ,
En grande pompe , au fon des inftrumens ,
Conduifant trois enfans coutonnés de feuillages: -
Il fe fait un chorus de longs croaffemens.
Puis Sauvages de fuir auprès d'un précipice .
On les fuit; & bientôt , aux pieds d'un bouc
hideux ,
Les innocens , offerts en facrifice ,
Font mugir les échos de leurs cris douloureux .
Paul bravant les dangers d'un affant téméraire ,
Alloit , la dague en main , percer l'exécuteur :
Arrêté par Maurice , il tourne fa fureur
Sur l'Hébreu qui vanta la horde fanguinaire.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE..
1
Sont- ce-là , lui dit-il , les traits de loyauté
Qui relèvent l'inſtinct de la fimple nature ?
Corbleu ! fui- nous , oifeau de trifte augure ,
Ou je te croife la figure ;
Chez ces hommes de fens croupis en liberté.
Simon , confus , avoua fa bévue ;
Et quittant le premier ce théâtre d'horreur ,.
Suivi des fiens , harcelé par la peur ,
Il s'enfuit vers les bords de cette Ifle inconnue
Le mêmejour un navire Hollandois ,
Battu des vents en venant de Surate ,
Vint radouber fes mâts & les agrêts.
Sur les bords odieux de l'Ifle fcélérate .
Nos Voyageurs admis fur le vaiffeau ,
Et comme extafiés d'un hafard fi propice ,
Reflembloient à des gens qu'au moment du fupplice
,
On arrache par grâce aux horreurs du tombeau .
On lève l'ancre , & la cruelle terre
Fuit comme une ombre aux yeux des matelots.
La proue à peine un mois avoir fendu les flots ,
Que l'oeil admire au loin les beaux champs de
Madère.
slo por d'Amfterdam l'équipage eft rentré
Na en étranger , défoeuvré.
Pour s'arracher à la misère ,
JANVIER 1777. 3.3.
Paul y reprit le harnois militaire.
L'Alchimifte Maurice y trouva des badauts ,
Comme lui fugitifs, qui cherchant le grand- oeuvre,
Comptant , nouveaux Flamels , tranfmuer les
métaux ,
Payèrent de leurs biens fa trompeufe manoeuvre ;
Mais dans peu l'indigence éteignit les fourneaux.
L'Hébreu Simon y rencontra des frères ,
Dont l'affiftance allégea fes misères ;
Il s'y convainquit pour toujours
Qu'un Peuple induſtrieux , dont les prudens
ufages ,
La franchiſe éclairée , affurent les beaux jours
Vaut mieux que des hommes fauvagės , `
Sans loix , cruels , ftupides à l'excès ;
Qugle fort des humains étant d'être imparfaits ,
Les États policés préſentent les plus fages.
Par M. Flandy
В v
34. MERCURE DE FRANCE.
Première Scène de la Lecture interrompue
, Comédie de M. le Chevalier de
Cubières , jouée à Fontainebleau le 29
Octobre 1776.
.X
DORIMENE , PROUSAS.
DORIMENE.
O1, ce fyftéine eft faux autant que monstrueux.
On vous traite par-tout , Monfieur , de rêve-creux ,
Qui veut , renouvelant une ancienne héréſié ,
De la fcène bannir l'aimable poëfic ;
En chaffer les Héros , les Princes & les Rois ,
Pour leur fubftituer d'infipides Bourgeois :
Qui ne veut plus fur tout rire à la comédie.
PROUS AS .
Savez-vous que le rire eft une maladie ,
Qu'à nos mufcles il caufe une contraction ,
Qui peut troubler du fang la circulation ?
DORIMEN E.
Il vaut donc mieux pleurer...
PROUSA S.
I
Je pleure avec délices.
JANVIER. 1777. 35
Quand je fuis attendri , les risfont mes fupplices.
DORIMEN E.
Et moi , je ris beaucoup ; & je me porte bien .
PROUS AS .
Je prétends vous guérir...
DORIMINE.
Fil d'un tel Gallien.
C'eſt bien avec raiſon qu'alors on pourroit dite
Que le rire eft un mal , dont le remède eft pire.
PRO USA S.
Je faisque lentement perce la vérité.
Mais tremblez : quelque jour , juftement irrité
De ne pas m'attirer plus d'un Panégyr :fte ,
Je veux lâcher un drame & fi fombre & fi triſte ,
Que je me fatte , grâce à mes pinceaux ſavans ,
Long-temps après ina mort , d'effrayer les vivans,
DORIMEN E.
Avec tous vos écrits & leur lagubre charme,
Vous ne pourrez jamais m'arracher une larme,
Il n'eft que la gaîté qui donne de beaux jours ,
C'est moi qui vous le dis ; mais changeons de
difcours .
Vous Lavez que Sainfort , épris de votre fille ,
B
vi
36 MERCURE DE FRANCE.
N'alpire qu'au bonheur d'entrer dans la famille.
Sainfort a dans le monde une exiſtence , un nom
Voulez - vous le choifir pour votre gendre ?
PROUS A S.
Nem'en parlez jamais .
Now
DORIMEN E.
Il a de la figure ,
De l'efprit ; tout cela m'eſt d'un heureux augure.
Qui pourroit contre lui vous donner de l'humeur ?
PROUS AS.
C'eft qu'il me contredit toujours avec aigreur.
Que fes opinions antiques , furannées ,
En matière de goût font fauffes , erronées :
Qu'il veut dans la difpute avoir toujours raiſon ,
Et qu'il mettroit enfin le trouble en ma maiſon =
Qu'il litfouvent des vers , que même il en compole
,
Loin d'étendre avec moi l'empire de la profe :
Que c'eft un homme enfin que Racine a gâté.
DORIMENE.
On a donc l'efprit faux & le goût frelate,
Trouvant Racine tendre & Corneille admirable
Une pareille erreur eft pourtant excufable.
C'eft celle du Public,
JANVIER. 1777. 37
PROUSA S.
Et le Public a tort.
Mais ce qui juftement me fait hair Sainfort ,
C'est que je l'ai vu rire aux endroits pathétiques
D'un drame , le plus noir de mes drames tragiques.
Tandis qu'il eft d'un beau vraiment fi fépulchral ,,
Que même des Anglois par fois s'y trouvent mal .
DORIMÈN E.
Eh bien de tout cela pourquoi lui faire un crime ?
Il peut avoir pour vous la plus fincère eftime ;
Et fidèle aux devoirs par l'amitié preferits ,
Se moquer quelquefois de vos graves écrits .
Il fait vous diftinguer,Monfieur, de vos ouvrages.
PRO USA S..
Comme ils font mes enfans , je reflens leurs ou
trages.
La critique fur moi fait rejaillir fes coups .
Pour ma fille en un motje fais choix d'un époux
Que je dois préférer à Sainfort votre idole ..
Je veux un gendre , moi , qui fiflant l'art frivole ,
De qui tout le mérite eft d'arranger des mots
Qui ne peuvent flatter que l'oreille des fots,
Mette entous les difcours un défordre fublime ,
Qui foit , ainfi que moi , ligué contre la rime,
Sente ce que je vaux , & répande par -tout
381 MERCURE
DE FRANCE
,
Que je fuis un grand homme , & que j'ai ſeul du
goût :
Et ce gendre eft tout prêt.
DORIMEN E.
Peut-on , fans vous déplaire ,
Vous demander , Monfieur , d'éclairer ce myſtère ?
PROUSA S.
Vous favez que des noeuds d'une tendre amitié ,
Depuis long temps Sombreufe eft avec moi lié ,
Et que même le fang entre -nous les refferre ,
Puifqu'un de mes aïeux épouſa ſa grand mère.
DORIMÈNE , avec vivacité.
C'eſt à cet homme- là , qu'efco : tent les foucis ,
Qui vint nous voir , je crois , en l'an foixante- fix ,
Au temps du carnaval , mais dont la face blème
Anticicipoit déjà beaucoup fur le carême ;
Que rien ne dérida , ne fit rire jamais ,
Qui fuyoit Arlequin & n'alloit aux Prançais ,
Que quand de la Chauffée on jouoit une pièce ;
C'eft a cet hoinme-là que vous donnez ma nièce ?
PRO USA S.
Pouvez-vous le penfer? Cet homme a foixantë
ans
Voulez- vous qu'àliver funile de primempes
JANVIER. 1777. 39
C'eft pour fon fils , ma four , qu'il demande ma
fille .
Dorimène demande à fon frère quels fervices
Sombreufe luz a rendus.
PROUS AS .
Quels fervices ! morbleu ? quoi ! ne ſavez -vous
pas
Qu'à Lyon tous les ans il fait jouer mes drames.
Qu'il y fait fondre en pleurs les hommes & les
femmes ,
En donnant le premier l'exemple d'y pleurer.
Que peut-être à préfent il y fait admirer
Mon ſavoir, més talens, & qu'ainfi mon nom volė,
Par lui , par fon fecours , de l'un à l'autre Pole.
DORIMENE.
Jamais je n'en ſus rien . Son ſtratagême eſt tel ,
Qu'à l'infçu du Public il vous rend immortel.
រ
Cette fcène a été applaudie , ainfi que
les deux fuivantes.
Les autres fcènes n'ont pas été entenaues
, à caufe des toux multipliées &
des éternuemens du Parterre , qui , ce
jour- là, étoit fort enthumé. Cependant
40 MERCURE DE FRANCE .
les Auditeurs attentifs ont remarqué que
l'intrigue étoit foible & commune ; mais
peut- être l'Auteur a- t- il eu raifon de
rendre fes perfonnages moins intéreſſans
que ridicules . Telle eft en général la
marche des pièces à caractère. La peinture
des travers du principal perfonnage ,
ne permet guères d'y développer les paffions
des perfonnages fubalternes . L'homme
qu'on veut jouer , y eft toujours mis
dans le plus grand jour . Les Ainans
n'occupent que les coins , ou l'enfoncement
du tableau .
On a critiqué le dénouement avec
plus de juftice . On l'a trouvé froid &
trifte ; & la fortie de Sombreufe top
femblable à celle de Triffoiin dans les
Femmes Savantes . L'Auteur en eft convenu
de bonne -foi. Il a travaillé à ôter
ces défauts ; ce qui fait préfumer que la
Pièce , telle qu'il l'a corrigée , fera reçue
à Paris plus favorablement qu'à Fontainebleau
.
Une autre raifon de fon peu de fuccès,
c'eft que le Public n'a peut - être pas affez
fenti que M. le Chevalier de Cubières
cherchoit bien moins à critiquer les
Comédies attendriffantes , que l'abus de
ce genre vraiment eftimable , dans lequel
JANVIER. 1777. 41
plufieurs grands hommes ont cueilli des
palmes méritées , & c.
Par M. D*** , Commis de la Guerre.
LES REMORDS D'UN ARTISTE
FUTILE.
Au centre du repos , au fein de la fortune ,
Quelnoir préfentiment m'affiége & m'importune !
Quelle plaintive voix s'élève dans mon coeur ,
Et le remplit foudain de trouble & de douleur!
Remord ! cruel remord ! tourment inévitable ,
Tu frappes , tu punis tôt ou tard le coupable !
Envain fur ton reproche il voudroit s'étourdir ,
Le bruit des paffions , l'extafe du plaifir ,
La rudeffe du coeur , fa molle indifférence ,
Rien ne peut le fouftraire à ta jufte vengeance :
Un inutile efpoir le flatte & le féduit ;
Il porte dansfon fein le fupplice qu'il fuir ,
Et toujours attentif à fuivre ta victime ,
Tu pénètres par- tout où pénètre le crime.
Il est venu pour moi ce moment de terreur ,
Où l'homme fe réveille & compre avec fon coeur:
Lé nuage ſe fend ; une main protectrice ,
Venant me retirer du fond du précipice ,
42 MERCURE DE FRANCE .
Détruit l'enchantement pire que le trépas ,
Qui m'entraînoit au crime & ne l'excufoit pas.
Mes regards étonnés fe portent fur moi- même.
Cet or , qui fut l'objet de mon ivreffe extrême ,
S'avilit à mes yeux , & recouvrant fon prix ,
Il ne me paroît plus qu'un objet de mépris.
O fortune ! ô chimère ! ô féduifante idole !
Que de tés cruautés le pauvre fe confole !
Tu fais payer trop cher aux malheureux mortels.
L'honneur , l'affreux honneur d'encenfertes aurels.
Ridicule tableau du chaos qui s'anime ,
Toi qu'on aime & qu'on hait , qu'on blâme &
qu'on eftime ,
Paris , c'eft contre toi que j'élève ma voix ,
Et pour te condamner, voici quels font mes droits.
Dans tes murs enchantés , hélas ! je pris naiffance ;
Orphelin à quinze ans , laiffé dans l indigence ,
Maudiffant en fecret la rigueur de mon fort ,
J'ai voulu l'éviter & prendre mon effor :
Entre mille talens , dont ton fein eſt l'aſyle ,
Je choifis le plus fûr & le plus inutile.
Dans ces temples fameux où de jeunes Beautés ,
Prêtreffes de Vénus & des frivolités ,
Font , fous l'oeil dangereux d'une fauffe Maîtreffe ,
Commerce de pompons , de gaze & de tendreffe ,
JANVIER . 1777. 43
Guidé par le plaifir fi fatale aux humains ,
J'adoptai des travaux indignes de mes mains:
L'amour, l'oifiveté, ces Dieux de la parure ,
Reçurent mes fermens avec un doux murmure ;
Et naturalifé dans ce func fte état ,
Mon nom de rang en rangvoloit avec éclat;
Quand foudain , lavarice agaçant mon génie ,
J'irritai les erreurs de la coquetterie :
Une gaze pliée avec art fous mes doigts ,
Devenoit une rofe , un oeillet à mon choix :
Reconnu pour un chef dans la brillante école ,
Mon enfeigne du Goût en étoit le fymbole.
Le fexe énorgueilli de mes futilités ,
M'érigeoit des autels comme aux Divinités ;
Et l'inftrument honteux de toutes les foiblefes ,
L'or , ruiffeloit chez moi pour prix de mes foupleſſes.
Mais nous eft-il permis , par ces pompeux riens ,
D'artérer le bonheur de nos Concitoyens ? -
Mon coeur n'étoit-il pas devenu facrilége ,
En abufant ainfi du trifte privilége
Que fembloit m'accorder la fottife & l'erreur
D'un Peuple qu'éblouit cette fauffe fplendeut ?
Hélas ! c'eft par mes fois que le luxe varie :
La mode de la veille eft aujourd'hui vieillie ;
Et par un changement auffi précipité ,
44
MERCURE DE FRANCE.
Je flatte & j'appauvris la fotte vanité.
Ah ! fije me reproche une telle injuſtice ,
Dont la néceffité m'a rendu le complice ,
Auteur de tous ces maux , Paris , ne dois- tu pas
Rougir avec terreur de tous ces attentats ?
Jufques à quand , grands Dieux ! barbare envers
toi- même,
Prenant le faux éclat pour lagloire fuprême ,
Seras-tu de concert avec tes ennemis ,
Dont le trône eft paré de tes propres débris ?
Vois le luxe impudent lever fa tête altière ,
Te déchirer le fein d'une main meurtrière ,
S'abreuver de ton fang , & crains que quelque
jour,
Crains qu'il te vende cher ton criminel amour ;
Qu'il épuife à plaifir la fource de ta vie,
Et devenu bientôt une maffe affoiblie ,
Qu'il tombe , & que ce monftre , ingrat jufques
au bout ,
T'entraînant avec lui , t'écrâfe fous le coup.
Pour moi je vais faifir ce moment favorable ,
Où je fuis à mes yeux ridicule & coupable ,
Pour détruire en mon coeur cet invincible attrait ,
Par qui le Dieu de l'or à fes loix nous foumet ;
De mes trésors enfin j'épurerai la fource ,
Et contre mes remords trouvant une reffource ,
JANVIER . 1777. 45.
Enverfant ma fortune au fein des malheureux ,
Béni de l'indigent , je le ferai des Dieux.
T
Par M. Defalles.
A COME & OLIVE.
Hiftoire Africaine.
L'AMOUR , cette paffion
qui maîtriſe
nos fens & fouvent nous fafcine les yeux ,
eft de tous les états & de toutes les conditions
. Pour s'exprimer avec plus de
délicateffe en Europe , elle n'en brûle
pas moins vivement dans le coeur du
fauvage Africain. Ce trait véritable ne
contribuera pas peu à le prouver.
Acome , jeune noir , dans l'âge de
fentir les impreffions de ce beau feu ,
cherchoit une compagne. Olive , jeune
Africaine du même canton , fut celle
dont il fit choix . Sa douceur lui plut
davantage que les traits de la beauté ,
dont elle n'étoit cependant pas dépourvue
.Une convention mutuelle de s'aimer
jufqu'au tombeau , étoit le feul lien qui
les attachoit l'un à l'autre. Contens de
46 MERCURE DE FRANCE.
leur fort , ils couloient les jours les plus
heureux; mais trop voifins d'un comptoir
Européen , ils ne devoient jouir que peu
de temps de cette douce tranquillité . La
pêche & la chaffe étoient les feules occupations
d'Acome ; fa moitié les partageoit
; c'en étoit affez pour lui faire
oublier fes fatigues , pour ne fonger qu'au
plaifir d'être auprès d'elle.
Deux ans s'étoient écoulés dans un
genre de vie fi heureux , fans avoir
aucun fruit de leur union. Le fort leur
préparoit bien des foupirs & des larmes ,
& fi de leurs amours fût né un tendre
rejeton , outre leurs malheurs , ils euffent
eu auffi à pleurer celui de ce petit infortuné.
Un jour qu'Acome , fur le rivage près
de fa pirogue , arrangeoit fes filets ( Olive
n'étoit point pour lors avec lui ) quatre
Matelots d'un Navire François , venus
pour la traite des Noirs , admirent de
loin l'air vigoureux de notre Africain . Sa
jeuneffe leur fait efpérer de le vendre
un bon prix. D'ailleurs la facilité de s'en
faifir , & la fécurité dans laquelle il eſt ,
tout contribue à les encourager. Alors fe
jetant tous à la fois fur lui , ils rendent
inutiles tous les efforts qu'il fait pour fe
JANVIER. 1777. 47
délivrer de leurs mains Envain il appelle
Olive ; il voudroit au moins lui dire un
dernier & éternel adieu ; mais cette compagne
fidelle ne l'entendoit point . Ses
raviffeurs l'embarquent dans fa propre
pirogue , & gagnent leur vaiffeau Cet
infortuné eft enfermé avec la foule de
ceux qu'un pareil fort réduifoit à l'eſclavage.
::
La jeune Olive , qu'une épine avoit
bleffé au pied la veille , étant dans le
bois à la chaffe avec fon époux , n'avoit
pu cette fois le fuivre à la pêche ; mais
toujours occupée de lui , elle treffoit
une natte de joncs , fraîchement cenillis ,
pour qu'il s'y reposât à fon retour.
Déjà le foleil avoit difparu dans l'onde ,
& Acome ne paroiffoit point. Inquiète ,
elle parcourt le rivage , jette au loin fa
vue , & ne découvre rien. Le vent avoit
foufflé dans la journée , c'en eft affez
pour lui perfuader qu'Acome n'exife
plus ; elle l'appelle envain ; le trifte écho
des montagnes voisines répète ce nom
fi cher. Accablé de douleur , elle re-
* Je me fuis permis le nom d'époux , attendu
que ces deux Efclaves s'étoient ubis fuivant la
coutume de leur Pays.
48 MERCURE DE FRANCE .
tourne à fa cabane. Quelle nuit cruelle
elle paffa ! Le fommeil avoit fui avec
fon époux. Cette natte fi fraîche lui rappeloit
à chaque inftant le fouvenir de
celui pour qui elle la deftinoit ,
Acome , dans fon défeſpoir , ne defiroit
que la mort; mais chargé de chaînes ,
il ne pouvoit nullement attenter à fa vie.
Le moment du départ arrive ; le Navire
fait voile pour la Martinique , lieu deftiné
pour la vente des Efclaves qu'il renferme.
Notre époux , trifte & languiffant, ne
fut pas des derniers à trouver un Maître.
Quoique defféché par le chagrin ,
fon âge fait tout efpérer de lui . On offre
un prix , & il eft auffi-tôt livré à un
habitant de cette Ifle , nommé Auref.
Loin de reffembler à quelques- uns de
fes compatriotes qui , guidés par un
fordide intérêt , croyent trouver la fortune
dans le fang de ces infortunés , dont
ils font cruellement prodigues , il avoit
reçu de la nature un coeur compâtiffant
& fenfible. Touché de l'air chagrin de
fon Efclave , il employa tout pour lui
donner certe gaîté , qui répond ordinairement
du fuccès de ces malheureux. Il
commençoit enfin à défefpérer de fes
foins ; careffes, menaces , tout fut inutile.
Acome
JANVIE R. 1777.
49
Acome avoit réfolu de mourir ; il menoit
une vie trifte & mélancolique ; & ce qui
mettoit le comble à fes maux , étoit de
ne pouvoir les épancher dans le fein d'un
Noir de fon Pays. De tous les Nègres
de l'habitation , pas un n'entendoit fon
idiôme . Il lui fallut donc dévorer fa
douleur ; fans doute qu'il y eût fuccombé
, fans une circonftance des plus heureufes
pour lui.
Son Maître , toujours attentif à fes
maux , content d'ailleurs de fes fervices ,
qu'il rendoit de fon mieux , cherche à
lui donner un compagnon. En conféquence
un Nègre de la même terre eft
acheté ; on lui fait partager la cabane
d'Acome. Que d'informations de la part
de ce dernier , touchant le feul objet
pour lequel il veut vivre ! Celui - ci met
le comble à fa joie eenn lui lui apprenant
qu'Olive partage le même fort que lui
& qu'elle habite la même Ifle. A cette
nouvelle il devint tout un autre homme.
Son raviffement s'exprime par mille
fauts , mille attitudes grotefques . Auref
prefque auffi charmé que lui , cherche à
deviner la caufe d'un changement fifubit;
· il l'interroge par fignes , & parvient enfin
(par l'habitude qu'ont les habitans de
I.Vol. C
MERCURE DÉ FRANCE.
deviner ainfi les befoins de ces malheu-
Feux ) à découvrir le fujet de fon tranfport.
Plutôt le père que le maître de fes
Efclaves , il n'employoit les châtimens
qu'à la dernière extrémité ; & l'on peut
dire que jamais la cupidité n'arma fon
bras. Faire le bien étoit fon unique oc
cupation. Il mène Acome à la Ville où
venoit d'arriver cette nouvelle cargaiſon
de Noirs.
>
Ces malheureufes victimes d'un barbare
intérêt , étoient expofées , toutes
nues , en vente , fur la place publique .
Notre Africain n'eut point de peine à
reconnoître fa tendre Olive , Cette infortunée
l'avoit apperçu au même inſtant.
Ils s'élancent dans les bras l'un de l'autre ,
& préfentent le fpectacle le plus attendriffant.
Auref , touché de cette fcène
n'avoit garde de l'interrompre : ce langage
muet étoit celui de fon coeur , auffi en
entendoit-il toutes les expreffions . Acome
, après avoir fait éclater fes premiers
tranfports , faifit Olive , la place aux
pieds de fon Maître , & s'y jette luimême
à fon tour. La nouvelle Efclave
eft achetée & conduite par fon époux ,
comme en triomphe , à l'habitation .
Elle lui raconte , les yeux baignés de
JANVIER . 1777. sr
pleurs , tout ce qu'elle a fouffert depuis
l'inftant fatal où elle le crut perdu pour
toujours. Occupée jour & nuit à te pleurer
, lui difoit- elle , je te redemandois à
tout ce qui pouvoit me rappeler ton
fouvenir. Sitôt que le foleil venoit d'éclairer
ma chaumière , je la quittois pour aller
baigner de pleurs le rivage où tu difparus ;
j'y reftois jufqu'à ce que le même aftre
fe plongeât dans les abyfmes où je te
croyois englouti . Combien de fois ne
lui ai - je point adreffé mes plaintes ?
Combien de fois ne lui ai-je point redemandé
mon cher Acome ? Le peu de
nourriture que je ne prenois qu'à
gret , fuffifoit à peine pour me foutenir.
Enfin un Roi voifin , ou plutôt un brigand
à la tête d'une troupe de gens armés
, fond dans notre hameau , malfacre
ceux qui oppofent une foible réfiftance ,
& emmène prifonniers les femmes , les
enfans & les fuyards . Je fus du nombre
de ces derniers , & vendue à un Blanc
qui m'a conduit ici. Loin de maudir ma
deftinée , je la trouve des plus heureuſes ,
puifqu'elle me réunit à toi.
re-
Acome l'avoit écouté dans le plus
profond filence ; il ne l'interrompit que
pour la couvrir de baifers. L'on croira
C ij
52 MERCURE
DE FRANCE
peut
être que leurs infortunes touchoient
à leur fin. Non ; ils ne devoient jouir
que de l'ombre du bonheur , fans en
jamais pofféder la réalité. Ces triftes
jouets du fort le plus barbare , devoient
en éprouver toute la rigueur. Le coeur
fenfible d'Acome devoit faigner encore
une fois.
Auref avoit plufieurs enfans ; l'un
d'eux , prêt à s'établir , devoit avoir en
partage un certain nombre d'Efclaves ;
le fort devoit en décider. L'habitation
étoit une fucrerie , & cet Efclave , doué
d'intelligence , avoit en peu de temps fi
bien faili l'art de conduire cette manufacture
, qu'il y étoit devenu très- effentiel
; ainfi de droit il y devoit refter attaché.
Mais Olive n'avoit rien qui pût la
fouftraire au caprice du hafard . Il fallut
donc le fubir. Le partage devoit être
fait entre ceux qui , libres , n'avoient
aucunes raifons pour ne pas fe prêter à
la circonftance , & ceux qui vivoient
dans un commerce illégitime. Pour les
Efclaves dont la Religion avoit cimenté
les noeuds , ils ne pouvoient être féparés .
La loi le défendoit , & leur Maître
Aurefétoit Membre du Confeil de cette Ifie ,
JANVIER . 1777. 53
prépofé lui même par état pour la faire
obferver , n'avoit garde de l'enfreindre.
Le nombre des femmes étoit petit ;
il ne fera donc point étonnant qu'Olive
fût du nombre de celles fur qui tomba
le fort . Elle eft conduite , non fans peine ,
à la nouvelle demeure de fon nouveau
Maître. Acome ne vit point cette féparation
fans en être accablé. Pour comble
de malheur , un enfant qu'il avoit eu
d'Olive , fuivit fa mère . Čet infortuné
fe revit donc de nouveau plongé dans
la plus profonde douleur ; elle n'étoit
fufpendue que par les vifites rares que
lui rendoit fa fidelle compagne
, & que
l'éloignement & le travail , auquel elle
étoit affujétie , contribuoient à rendre
moins fréquentes . Notre Efclave , trop
fenfible pour endurer de pareils revers ,
dépériffoit chaque jour ; une langueur
mortelle s'empara de lui . Son Maître ,
que l'on vit toujours attentif à le foulager
, ne fe démentit point dans cette
occafion. L'état d'Acome lui coûta quel
ques larmes ; il n'avoit point fait fon
malheur; il voulut au moins réparer les
maux qu'un cruel hafard avoit occafionné.
Son fils , dédommagé d'une autre
Efclave , rend Olive , qui eft remiſe à
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
celui qui l'aimoit avec tant d'ardeur :
mais la plaie de ce dernier avoit été rouverte
tant de fois , qu'elle étoit devenue
incurable. Il ne jouit pas long-temps de
ce bonheur ; la mort lui ferma les yeux
fur le fein de celle qui feule avoit eue
des droits fi puiffans fur fon coeur. Olive ,
la tendre Olive , fut accablée de ce coup.
Pendant long- temps l'on crut qu'elle y
fuccomberoit; mais elle avoit un gage
précieux de la tendreffe de fon cher &
malheureux Acome ; il falloit vivre pour
lui , & c'eft- là le feul motif qui l'attache
encore à la vie.
Trop malheureux Efclave ! ta bienaimée
ne fut pas la feule qui verfa des
larmes fur ta tombe ! Son funefte fort ,
dont je fus témoin , fait de tems en temps
couler les miennes . Ton Olive , ta cabane ,
tes flèches & tes filets , étoient les inftrumens
de ta fortune & de ton bonheur
en Afrique ; au lieu que dans nos climats:
tu es venu chercher des chaînes & la
inort.
Par M. F. D. F. Off. d'Art
JANVIE R. 1777 51
VERS préfentés à Monfeigneur LE GARDE
DES SCEAUX , par les Libraires &
Imprimeurs de Paris , en remerciement
de fon Bufie qu'ils ont fait placer dans
leur Salle d'Affemblée.
Exegit monumentum ære perennius .
Le Bufte précieux qui nous offre tes traits ,
E
Peut éprouver des temps la fatale puiffance ;
Mais tu fais dans nos coeurs fonder partes bienfaits
Un monument conftant : c'eſt la reconnoiffance.
Par un Libraire.
ÉTRENNES A UNE DEMOISELLE.
DAIGNEZ d'un ferviteur conftant
Recevoir le fidèle hommage ,
Et fouffrez qu'il ait l'avantage
De vous tourner un compliment.
Il vous aime bien tendrement ;
Mais , quoique fon coeur en murmure ,
Il ne le dit qu'une fois l'an :
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
Et ce n'eft pas trop , je vous jure ,
Quand on le penfe à tout moment.
Par M. de R*** , de Péronne.
A Madame FAVART , nouvellement
mariée avec M. Favart le fils , en lui
envoyant deux cachets de feue Madame
Favart.
Ex uniffant vos coeurs , l'amour & l'hyménée
Do bel âge ont uni tous les dons excellens ,
Et Minerve , qui veille à votre deſtinée ,
Se plut à l'embellir du charme des talens .
De l'amitié fincère , en recevant l'hommage ,
Et le plus fimple des tributs ,
Des cachets de Favart agréez le partage ;
A fa charmante Bru ne font-ils pas bien dûs?
De la tendre amitié qu'ils foient pour vous le gage ,
A ce titre je les reçus :
Qu'ilsvous foient précieux , Favart en fit ufage ,
Et fa rofe doit être un de vos attributs .
Le chiffre de Favart comble feul mon envie.
JANVIE R. 1777 . 57
Eh ! quel don de fa main pouvoit m'être plus doux ?
Pour ne l'oublier de ina vie ,
Ai-je befoin d'un nombre de bijoux ?
Ah ! que n'eft-elle encor pour voir dans fa famille
Tant d'heureux talens réunis !
Elle auroit votre coeur , vous nommeroit fa fille ,
Et jouiroit du bonheur de fon fils .
Son immortel époux , dont la Mufe légère
Offre tant d'agrément & de variété ,
D'une Grâce nouvelle en devenant le père ,
Reçoit de votre coeur l'hommage mérité.
Toujours heureufe de lui plaire ,
Adorez-le , jeune Beauté ;
Les tendres foins d'une fille fi chère ,
Lui rendront fa félicité.
Par M. Guérin de Frémicourt.
LE MIROIR DE LA VÉRITÉ.
Fable.
UN Artiffe plein de génie ,
Inventa jadis un miroir
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Si merveilleux, fibeau , qu'en Europe , en Afie
Que par-tout on brûloit du defir de s'y voir;
Tout le monde y couroit comme à la Comédie ..
Davides fpectateurs , étonnés , confondus
La tête encor toute remplie
Des phénomènes qu'ils ont vus ,
Interdits , muets & confus ,
S'en reviennent de compagnie ,
20
Et fe promettent bien de n'y retourner plus.
Quelmiroir !... Il peignoit non le maſque , maits
l'homme.
La honte & l'effroi des pervers ,
Il fit rougir Paris , Pékin , Londres & Rome ;
Il eût fait honte à l'Univers.
Sous l'utile manteau de l'humaine fageffe
Là , le Sage apperçoit mille défauts divers ;
Mais le miroir févère épargnoit la foibleffe ,
Et rectifioit les travers.
Parmi des fous de toute espèce ,
Là rougit une Agnès qui fe moque d'un fot ;
Là meurt de honte une Lucrèce ,
Qui fe voit confondue & ne peut dire un mot,
De fes charmes vainqueurs Laïs préoccupée ,
S'avance vers la glace & regarde à fon tour.
La coquette fut bien trompée ,
Et fon miroir ici lui joue un cruel tour
JANVIER. 1777. 5.9
Il offre à fes regards ... une froide poupée ,
Trifte jouet de mille enfans ,
Qui , devenus enfin fages à leurs dépens ,
Dégoûtés d'un plaifir que le coeur défavoue ,
Et qui ne dit plus rien aux fens ,
Jettent avec mépris leur jouet dans la bouc.
Turcaret , dans la glace ayant jeté les yeux ,
Voit paroître un cheval lourd , pouſſif, ombrageux
,
Fier d'une houffe à triple frange ,
Fier d'un brillant harnois qui le rend plus affreux :
Un vil porc engraiffé du fang des malheureux ,
Un vafe d'or rempli de fange.
Un Grand bien fier , bien dédaigneux ,'
Et dont l'ame étoit des plus balles ,
Voit fur un théâtre pompeux,
Un Nain guindé fur des échâffes.
A l'oeil fuperbe & dur du plus fier des Sultans
Au milieu de fa cour tremblante ,
On expofe , on offre , on préfente
Le miroir , l'effroi des Tyrans.
D'un trône que le crime & la mort environnent ,
S'élève un parricide , au finiftre regard ,
Un defpote cruel que des cyprès couronnent ,
Et dont le fceptre horrible eft un fanglant poignard
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
Tout change : & ce trône fublime
N'eft plus qu'un funeſte échafaud ;
Le fier Monarque eft la victime ,
Son propre fils eft le bourreau.
Le monftre expire & tout s'efface.
Le fpectateur pâlit & détourne les yeux.
Au courroux la terreur fait place ,
Et le miroir audacieux
Eft renverfé, brifé , pour prix de fon audace
Bientôt le Héros en fureur ,
Sur les débris épars de la fidelle glace ,
Perce...fait expirer l'intrépide inventeur.
ParM. Drobecq.
ODE A VÉNUS. Horace , XXVI,
DANS
Livre III.
Vixi puellis , &c,
amours les doux combats des
J'ai gagné plus d'une victoire.
Vénus illuftra mes beaux jours ;
Que les monumens de ma gloire
Lui foient confacrés pour toujours .
Dans le Temple de l'Immortelle
Portez ces leviers , ces flambeaux,
J A N V IE R. 1777. ` 61
Ce ferfunefte à mes rivaux ,
Et ce luth , organe fidèle
De mes plaifirs & de mes maux,
C'en eft fait , je renonce à plaire.
Reçois mes adieux , ô Cypris !
Mais du moins , pour grâce dernière ,
Frappe Chloé dans fa colère ,
Et venge-moi de tes mépris.
Par M. L. R.
Explication des Enigmes & Logogryphes
du Mercure de Novembre.
Le mot de la première Énigme du
Mercure de Décembre eft Billard ; celui
de la feconde eft le Chat ; celui de la
troiſième eft le Gage-Touché. Le mot du
premier Logogryphe eſt Bronze , où ſe
trouvent bon , or , onze, robe , bouze,
borne , zône , roze, nez ; celui du ſecond
eft Livre , où l'on trouve ivre , lire (inf
trument) .
.62
MERCURE
DE
FRANCE
.
L
J
ÉNIGM E.
E fuis l'aîné d'une famille ,
Qui , comme tu verras , Lecteur ,
En maints enfans mâles fourmille ;
Mais fi je n'eus jamais de foeur ,
Je n'y perds rien , ma foi , car j'ai bien plus d'un
frère.
Ce n'eft pas tout ; tu croyois qu'un enfant
Étoit toujours plus jeune que fa mère,
Je fuis pourtant la preuve du contraire :
Car tufauras que dans le même inftant,
La mienne & moi recevons l'existence .
Apprends encor que j'ai de la puiffance ;
A peineje parois qu'on eft en mouvement
Aux champs , à la cour , à la ville,
L'on va , l'on vient & l'on babille ,
Dieu fait & combien & comment.
Un tel pouvoir pourtant m'étonne,
m'aimer il faut être un enfant;
Car
pour
Et quiconque raifonne ,
Me doit hair affurément.
Par M. V.
JANVIE R. 1777. 63
AUTRE.
UN Laboureur peut toujours eſpérer
Du grain qu'il a femé , la récolte abondantes
Maisje cultive un champ que j'ai beau labourer,
Il ne rapporte rien de tout ce que j'y plante.
Je travaille pour des ingrats ,
Qui n'ont de mon labeur nulle reconnoiſſance ;
Mais fi de ce travail ils ne me payent pas ,
J'en fais fort bien tirer d'ailleurs la récompenfe.
Dans mon emploi fouvent , & de deffein ,
Je fais coucher le fils avec la mère ,
Le frère avec ſa four , la fille avec fon père,
Et la coufine avecque fon coufin .
Rimer n'eft pas mon exercice ,
Je m'y prendrois tout de travers ;
Mais ceux à qui je rends fervice
Font naturellement bientôt après des vers
Aux parens , aux amis , & même en leur préſence,
On me voit enlever ce qu'ils ont de plus cher
Sans qu'ils fe mettent en défenſe
Et tentent de me l'arracher.
Mon ouvrage , quoique pénible ,
Ne me chagrine pas pourtant ,
Toujours il s'achève en chantant ;
>
Bien loin qu'à la fatigue l'on me trouve ſenſible.
64 MERCURE DE FRANCE.
De ma profeffion fi l'on fait peu de cas ,
Abus ; car fur ce point à bon droit je m'obſtine
Qu'on devoit lui donner le pas ,
Immédiatement après la Médecine.
Par M. Darblay.
AUTR E.
De Bacchus un adorateur
Ne peut m'entendre fans frayeur ;
Souvent du Vigneron je détruis l'eſpérance ;
Et fuis d'un élément qu'il voit avec horreur ;
Cependant je tiens ma naiflance
De l'aftre bienfaifant , dont la douce chaleur
Fait naître , mûrit & colore
Du vainqueur de l'Indus les tréfors précieux.
Les peuples fuperftitieux ,
Chez qui l'oignon eft un Dieu qu'on adore,'
Envain me demandent aux cieux :
pour
Et hâter le moment où je ceffe ,
De la fource du Nil tous les noirs habitans ,
Que ma conftance accable de détrefle ,
Fatiguent Jupiter de leurs voeux impuiſſans.
Par M. Louis Guilbaut.
JANVIE R. 1777 . 65
LOGO GRYPH E.
Ma mère à douze fils donnant leur héritage , A
Par l'effet du hafard , j'obtins l'onzième lot ;
Aujourd'hui , le premier vient m'échoir en par
tage ;
Mes freres , néanmoins , n'en ont pas dit le mot.
Quand je parois , le fou , le ſage ,
Ne font que courir & troter.
Que faire? c'est un vieil uſage
Qu'envain on voudroit réformer.
Sept pieds forment mon existence ,
En les pofant diverſement ,
•
Ami Lecteur , avec aifance ,
Vous trouverez facilement
Ce qu'on a de plus cher au monde ;
L'efpérance des Commerçans ;
L'intime compagne de l'onde ;
Une ville chez les Normands ;
Ce qui décore une boiſure ;
Un lieu difficile à franchir ;
Une très -commode monture ;
Ce qu'on ne fauroit définir ;
Une liqueur fouvent traîtreffe ;
Le vrai fentier de l'Hôpital ;
Ce qui s'écoule avec vîteffe ;
Enfin un péché capital.
66 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
Au genre humain utile hermaphrodite ,
On pourroit me trouver juſqu'au ſein d'Amphitrite
;
Suis-je du genre maſculin ,
De moi, Lecteur , tu fais uſage ,
Très-fouvent je fuis dans ta main.
M'aime-tu mieux du genre féminin ?
Je n'aurai pas moins d'avantage ,
Je fuis fur toi foir & matin .
Mais , pour me deviner , réfléchis & combine ;
Quatre de mes fix pieds fervent en médecine ;
Et cinq font un Royaume , en un pays lointain .
De toi-même veux-tu la plus noble ſubſtance ?
Trois de mes pieds , avec aifance ,
La préfenteront à tes yeux ;
Faut- il encor s'expliquer meux ?
Pour te donner de l'exercice ,
Je puis t'offrir un animal
Que par- tout on traite fort mal ,
Quoi qu'on en tire bon fervice;
Je peux encor dans un jardin
T'offrir & légume & falade ;
On ne fait point fans moi le fervice divin ;
ROMANCE , Par M.D. L.
Andantino allegretto.
Je l'ai plan-téje l'ai vu
nai -tre Ce beau rozier où
les oiseaux Venoient chan
+
-ter sous ma fenêtre Per-
-ches ,
perches sur ses jeunes ra
meaux sur sesjeunes rameaux,
Petits oiseaux troupe
a : mou-reuse Ah!par pi
-tie ne
chan : ter pas
Lamant qui me rendait heur
rew-se Est
parti pour
d'autres cli-mats pour
Da Cap
d'autres climats. Fin
3.Couplet.
Pour les trésors d'un nouveau monde
Ilfuit l'amour, brave la mort.
Helas pourquoi chercher sur l'onde.
Le bonheur qu'il trouvoit au port.
e
4. Coup.
Vous ,passageres hirondelles
Qui revenez chaque Printems,
Oiseaux sensibles etfidelles
Ramenez -le moi tous les ans.
FIN.
JANVIE R. 1777 . 67
Aime-tu le concert , le bal , la férénade ?
Eh bien ! regarde un violon ,
Confidère une baffe , un fiftre , une guitarre,
Tu me verras ; mais je m'égare :
Plus léger que le papillon ,
Pour mieux débrouiller ce grimoire ,
J'allois , je crois , de l'écumoire
Te mener jufqu'au goupillon ;
Revenons plutôt au ménage.
Mais à quoi bon m'étendre davantage ?
Tu peux mechercher fimplement ,
Sans recourir à l'analyſe :
A toute heure fur toi , fi tu n'es fans chemife ,
Tu me trouveras fûrement.
Par M. Dafnières , Officier de la
Marine , à Breft.
68 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le Voyageur François , ou la connoiffance
de l'ancien & du nouveau
Monde , mis au jour par M. l'Abbé
de la Porte . Tomes XXI & XXII
in- 12 . Prix 3 liv . chaque volume rel.
A Paris , chez L. Cellot , Imprimeur-
Libraire , rue Dauphine , 1776 .
JES Ces deux nouveaux volumes ne font
pas les moins curieux de cette intéreffante
collection. L'Auteur y fait parcourir à
fon Voyageur le Danemarck , la Suède ,
la Courlande & la Pologne. Il fe montre
toujours attentif à joindre à la defcription
de chaque Pays , les détails les plus
fatisfaifans fur le gouvernement , les
moeurs , le commerce , l'induſtrie , les
fciences , & généralement fur tout ce
qui peut piquer la curiofité , relativement
à un Pays policé. C'eft avec le
même foin qu'il rapporte ce que l'hiftoire
& les antiquités des Nations , chez
lefquelles il fait voyager fon Lecteur ,
renferment de plus remarquable. On lira
JANVIER. 1777. 69.
fur- tout avec intérêt , à l'article de Danemarck
, quelques détails fur la mythologie
des anciens Scandinaves. M. l'Abbé
de la Porte indique la fource dans laquelle
il les a puifés ; c'eft l'Edda , Ouvrage
d'une antiquité très - reculée , &
fort propre
à répandre du jour fur
l'hiftoire des opinions & des moeurs des
Peuples qui habitoient autrefois ces régions
feptentrionales . Comme ce monument
précieux eft très peu connu hors
des bornes de la Scandinavie , nous allons
rapporter quelques - uns des traits qu'en
cite le Voyageur François : ils ne pourront
manquer de faire plaifir à nos Lecteurs ,
pour qui , en général , ils doivent avoir
le mérite de la nouveauté,
Les principales Divinités dont l'Edda
fait mention , font Thor , Loke , Balder,
Tyr , Hoder & Hermode . « Le premier
» eft le plus fort des Dieux & des hom-
» mes . Il poſsède un Palais , dans lequel
» il y a cinq cents quarante falles. Son
char est tiré par deux boucs ; & c'eſt
» fur cette voiture qu'il voyage dans le
Pays des Géans. Il pofsède trois chofes
précieufes une maffue à laquelle rien
» ne réfiftes un baudrier qui , lorfqu'il
» le ceint , le rend plus fort de moitié ;
33
>>
70 MERCURE DE FRANCE .
» des
gants
de fer , fans
lefquels
il no
pourroit
faire
ufage
de fa maffue
.
"
"
93
» Un jour qu'il voyageoit avec Loke
dans fon char , il alla loger chez un
Payfan. L'heure du fouper étant venue ,
il tua fes deux boucs & les fit cuire. 11
» invita le payfan , fa femme & leurs
» enfans , à manger avec lui . Le fils de
» fon hôte fe nommoit Tiulfe , & fa fille
» Raska. Thor leur recommanda de jeter
» tous les os dans les peaux de ces boucs ,
qu'il tenoit étendues près de la table ;
» mais le jeune Tiulfe , pour avoir de la
» moëlle , rompit avec fon couteau l'os
» d'une jambe.
ور
93
Après avoir paffé la nuit dans ce
» lieu , Thor fe leva de grand matin ,
» & s'étant habillé , il ne fit que toucher
» le manche de fa maffue , & dans l'inf-
» tant , les deux boucs reprirent leur
وو
forme & la vie. Le Dieu voyant que
» l'un deux boîtoit , en devine la cauſe ,
» & entre dans une colère épouvantable .
» Il prend fa matfue & la ferte avec tant
» de force , qu'on voit blanchir les join-
» tures de fes doigts . Le Payfan tremblant
, craint d'être terraffé d'un feul
» de fes regards. Ses enfans fe joignent à
lui , pour fupplier le Dieu de leur par-
39
JANVIER. 1777. 71
» donner, Touché de leur crainte , Thor
s'appaife , & fe contente d'emmener
" avec lui Tiulfe & Raska. Il laiffe fes
» boucs dans ce lieu , & fe remet en
» route pour fe rendre dans le Pays des
» Géans.
33
» A l'entrée de la nuit , cherchant
» un endroit pour fe coucher , ils entrent
» dans une maifon , paffent dans une
» chambre & s'y repofent. Le lendemain ,
» Thor voit , auprès de cette habitation ,
» un homme prodigieufement grand ,
» qui lui dit : Je m'appelle le Géant
Skrymner ; pour toi , je fais que tu es
» le Dieu Thor ; & je n'ai pas befoin de
» te demander fi tu n'a pas pris mon
gant ? En même temps il étend la main
» pour le reprendre ; & Thor s'apperçoit
que cette maifon où ils ont paffé la
»> nuit, eft ce même gant , & la chambre
un de fes doigts. La nuit fuivante ,
» comme le Géant dormoit profondément,
Thor prend fa maffue & la lui
» lance dans la joue avec tant de vio-
» lence , qu'elle s'y enfonce jufqu'au
99
manche. Le Géant fe réveille & porte
» la main à fa joue , en difant : Y a-t-il
» des oifeaux perchés fur cette arbre ?
» Il me femble qu'il m'eft tombé une
» plume fur le vifage.
$2
MERCURE DE FRANCE .
H
"
ןכ
Nos Voyageurs fe lèvent de grand
» matin , & continuant leur route , ils
apperçoivent une Ville fituée au milieu
» d'une vafte campagne. Ils y entrent ,
» & arrivent au Palais du Roi . Si je ne
» me trompe , dit le Monarque , ce petit
» homme que je vois-là , doit être Thor ;
» voyons un peu , ajoute-t- il , en lui
» adreffant la parole , quels font les arts
» où tu te diſtingues , toi & tes compagnons
? Car perfonne ne peut refter ici ,
» à moins qu'il ne fache quelque métier ,
» & n'y excèlle .
» Loke parla le premier , & dit que
» fon art étoit de manger plus que per-
" fonne. Le Roi fit venir un de fes cour-
» tifans qui fe nommoit Loge , & l'on
» apporta un tonneau plein de viande
» que nos deux champions fe mirent à
dévorer. Le tonneau fut vuidé dans
l'inftant , mais Loke n'avoit mangé de
» fa portion que la chair , au lieu que
» l'autre avoit avalé la viande & les
» os . Tout le monde jugea que Loke
» étoit vaincu. Le Prince demanda à
Tiulfe ce qu'il favoit faire . Le jeune
» homme répondit qu'il difputeroit avec
le plus agile des courtifans , à qui courroit
le plus vite en patins. On lui
» donna
93
و د
ย
JANVIE R. 1777. 73
»
donna pour adverfaire , un coureur
nommé Hugo . Celui - ci avoit déjà
* touché le but , que Tiulfe n'étoit encore
qu'à moitié chemin. Le prix de la
» courfe fut adjugé au vainqueur. Thor
» dit au Prince qu'il difputeroit avec toute
» fa Cour à qui boiroit le plus . Le Roi fit
" apporter une grande corne ; l'Echan-
» fon la remplit , & le buveur engloutit
» une quantité prodigieufe de ce qu'elle
» contenoit fans reprendre haleine .
Quand il eut éloigné la coupe de fa
» bouche pour regarder dedans , à peine
s'apperçut-il que la liqueur fût diminuée.
Il y revint jufqu'à trois fois ;
» mais il s'en fallut bien qu'il pût vuider
» toute la corne. Il la rendit au Prince ,
fans vouloir continuer plus long- temps
» ce genre d'efcrime , aimant mieux
♦ s'avouer vaincu .
"
»
»
"
» Thor paffa la nuit dans ce lieu avec
fes compagnons , & le lendemain il
» ſe prépara à partir. Le Roi l'accompagna
hors de la Ville ; & comme ils
» étoient prêts à fe dire adieu : Il faut.
» dit le Prince , que je vous découvre à
» préfent la vérité. Je vous affure que
fi j'avois prévu que vous euffiez tant
» de force , je ne vous aurois pas laiffé
4.Vol. D
"
74
MERCURE
DE FRANCE
.
"
entrer dans ma Ville ; mais je vous ai
» enchanté par mes preftiges. D'abord ,
dans la forêt où je vins au devant de
» vous , vous voulûtes me frapper de
» votre maffue . Je me cachai derrière:
» un rocher , contre lequel le coup porta ,"
" & manqua de l'abattre. J'ai ufé des
» mêmes preftiges dans les combats que
» vous avez foutenu contre les gens de
» ma cour. Dans le premier , Loke a
dévoré , comme un affamé , toute fa
portion ; mais fon adverfaire étoit un
feu errant , qui a confumé les viandes ,
» les os & le vafe qui les contenoit .
» Celui qui a difputé le prix de la courſe ,
étoit mon efprit , que Tiulfe ne pou-
» voit égaler en rapidité. Quand vous
» avez voulu vuider la corne , vous avez "
fait une merveille , que je ne pourrois
pas croire fi je ne l'avois vues car un ·
des bouts s'étendoit jufqu'à la mer ,
» ce que vous n'avez pas apperçu ; &
» quand vous irez au bord de l'Océan ,
» vous verrez combien il eft diminué,
» A préfent que nous allons nous quitter,
je vous déclare qu'il eft avantageux
» pour l'un & pour l'autre , que vous ne
» veniez jamais me revoir.
»
"
و د
·
*
» Comme il achevoit ces mots , Thor :
JANVIER. 1777
indigné prend fa maffue , & veut frap-
» per le Monarque ; mais celui-ci difpa-
>> roît ; & le Dieu retournant vers la
» Ville pour la détruire , ne trouve plus
» qu'une campagne couverte de verdure.
Il continue fon chemin , & revient ,
fans fe repofer , jufques dans fon Pa-
» lais ».
La Suède , la Gourlande & la Pologne
donnent également lieu à une foule de
digreffions non moins intéreffantes . Comme
le Voyageur eft cenfé avoir parcoura
ces États en 1756 , M. l'Abbé de la Porte
a ajouté un fupplément à l'article de la
Pologne , contenant un détail fuccinct
des révolutions de ce Royaume , poſtérieures
à cette époque.
7
En général , cet Ouvrage , qu'il faur
diftinguer de la foule des compilations ,
continue à mériter un accueil favorable
par la variété des matériaux dont il eft
compofé , & par la clarté & l'agrément
du ftyle.
; par Les Confeffions du Comte de ***
44 M. Duclos , de l'Académie Françoiſe;
édition ornée de belles gravures par
les meilleurs Maîtres. L
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
Si quis rapiet ad fe quod erit commune ,
Stuliè nudabit animi confcientiam.
PHADR.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Coftard , rue Saint-Jean-de Beauvais ,
la première porte cochère au-deffus
du College ; in- 8 °. 2 parties.
On fait que ce fut Madame de T.
dans la fociété de laquelle M. Duclos
entra de bonne heure , qui l'engagea à
écrire quelques Romans. L'Ecrivain philofophe
qui avoit obfervé les hommes ,
ne devoit pas le refufer au plaifir d'ef
Layer de mettre en action les obfervations
qu'il avoit faites ; il céda volontiers
à cette invitation : le goût de fa fociété ;
le fien en particulier étoit celui des portraits.
Il en remplit les Confeffions du
Comte de ***. Unhomme livréau plaifir,
le cherchant de tous côtés , rencontre
fans ceffe des perfonnages nouveaux ,
qui fe préfentent fucceffivement fur la
fcène , ils font peints d'une manière
agréable & variée qui attache ; mais ce
n'eft qu'une fuite de portraits qu'on n'eût
Bu multiplier davantage , Lans fatiguer ;
JANVIER . 1777. 77.
les
le cadre n'a été imaginé que pour
raffembler. Les perfonnages font bien
peints ; mais ils n'agiffent pas affez .
L'Auteur femble n'avoir étudié que les
grands traits caractériſtiques de l'homme .
Il n'a peut-être pas porté la même profondeur
d'obfervation dans les paffions
qui fe diverfifient à l'infini , & qui offrent
tant de nuances intéreffantes à faifir ; &
on fait que le développement des paffions
eft l'ame des Romans. Le feul homme
qui en a fu tirer le plus grand parti , eſt
M. de Crébillon , dont les productions ,
quelquefois délicates , mais que nous ne
confidérons ici que comme des produc
tions d'efprit & d'imagination , peuvent
fervir de modèle. Cet Ecrivain , né avec
une imagination vive , brillante & féconde
, un coeur fenfible , une connoiffance
particulière des paflions & du
monde , a offert des exemples de la
manière de les peindre felon les temps ,
les lieux , les perfonnes , les caractères
& les âges ; des fictions ingénieufes , &
qui attachent par leur originalité & par
leur fingularité même , lui fourniffent
tous fes cadres , & fans ceffe on retrouve
dans les détails l'expreffion fidèle des
moeurs & de la fociété ; on les reconnoît ,
Diij
18 MERCURE DE FRANCE.
& avec plus de plaifir encore , dans les
Pays inconnus où il tranfporte les Lecreurs
; il n'eft ni moins vrai , ni moins
intéreffant lorfqu'il ne fort pas de la
France on peut en attefter tous ceux
qui ont lu les Égaremens du coeur & de
Pefprit , Roman charmant , qui ne laiffe
qu'un regret lorfqu'on le quitte , celui
de ne pas le trouver fini . Si M. Duclos
offre une galerie de portraits , comme
on l'a dit , M. de Crébillon en offre une
de tableaux également intéreffans & bien
faits.
Mais ne nous arrêtons pas à l'analyſe
des Confeffions du Comte de *** . Ce
Roman eft connu de tous nos Lecteurs ;
& quoiqu'il eût été réimprimé plufieurs
fois depuis vinge à vingt- cinq ans , les
exemplaires en étoient devenus rares.
La nouvelle édition qu'on en préfente ,
ne peut qu'être bien accueillie ; elle eft
fans contredit plus foignée qu'aucune de
celles qu'on a publiées . On y a joint des
ornemens , dont les précédentes s'étoient
paffés le Roman n'a pas eu befoin de
ce paffe- port, & n'en a pas befoin davantage
aujourd'hui . Tout ce qui peut
déparer cette édition , c'eft peut- être la
vie de l'Auteur qu'on a mife à la têté i
JANVIER . 1777 .
דכ
c'eft une fatire violente contre les Philo
fophes , à l'occafion d'un Philofophe
qu'on ne fait pas connoître.
Effai fur le caractère & les moeurs des
François, comparés à ceux des Anglois.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Valade , Libraire du Roi de Suède ,
rue Saint Jacques. Prix 1 liv . 16 f.
in- 12.
Cet Ouvrage eft traduit de l'Anglois ;
l'original eft fimplement intitulé : An
account of the charecter and manners of
the French ; il fur publié en 1770 ; nous
avons eu l'original entre les mains , &
le Traducteur ne s'eft pas borné à faire
des retranchemens ; il a quelquefois corrigé
, ou du moins changé les détails de
fon Auteur : on n'en fera pas furpris . Les
moeurs des François font l'objet principal
, & la comparaifon qu'on en fait
avec celles des Anglois , n'eft qu'acceffoire
, elle ne vient que pour prouver la
fupériorité de ceux- ci fur tous les points
importans ; & on ne reconnoît guère celle
des François que dans les bagatelles &
les frivolités . La balance entre deux Peuples
voisins & rivaux , pour être tenus
Div
bo MERCURE DE FRANCE..
exactement , ne devroit peut - être pas
être entre les mains d'un Anglois ni d'un
François ; il faudroit un Philofophe
étranger à l'un & à l'autre , & le travail
de ce Philofophe feroit affurément précieux
& intéreſſant . Il ne s'étendroit pas ,
comme l'on fait ici , fur une multitude
de minuties affurément indifférentes
Qu'importe au caractère & aux moeurs
d'une Nation , non pas la manière dont
elle fe nourrit , mais le dénombrement
des plats qu'on fert fur les tables des
gens riches , & l'ordre dans lequel on
les fert ? La gaieté qui préfide aux repas
des François , contrafte avec le filence.
par lequel commencent tous ceux des
Anglois , & le bruit qui y fuccède , lorfqu'on
entame quelques difcuffions poli-
, tiques , qui finiffent quelquefois par de
gros mots de la part des difputans de
partis oppofés. On n'auroit pas dû gliffer
fur la fobriété qui règne au milieu du
luxe des tables Françoifes ; on auroit ри
comparer aux excès fi fréquens chez
leurs voifins .
la
Nous doutons que l'Auteur ait bien
vu la France , lorfqu'il dit que les belles
femmes y font très rares. La beauté
eft une plante qui ne croît pas come
*
JANVIER. 1777. 81L
99
"
» munément fur le fol François. Il faut
l'y chercher avec autant de difficulté
qu'elle fe encontre aifément en Angleterre
, où toutes les rues offrent des
objets charmans , avec une profufion
qui a mérité de la part d'un illuftre
Etranger , qui vifitoit la Cour de Charles
I , un compliment , dont voici le
» dernier vers :
ce
99
"
"
» Huc venerem credas tranfpofuiffe Paphon.
>> On croiroit que Vénus tranſporte ici Paphos ».
On pourroit trouver qu'une galanterie
ne fait pas une autorité.
On accufe ici les François de fe faire
un plaifir malin de critiquer les Anglois ,
qui n'ont peut-être jamais trouvé chez
eux de meilleurs Panégyriftes. Quelle
Nation les a mieux loués & leur a rendu
plus de juftice ? Les François , dit- on'
s'arrogent le premier rang dans la carrière
da génie & de la gloire ; ils donnent le
fecond aux Anglois . On ne manque pas
dans cette occafion de citer l'exemple de
Thémiftocle , qui s'attribua la primauté
fur tous les Capitaines Grecs , parce que
chacun d'eux le plaçoit immédiatement
après lui. L'Europe eft le feul Juge fun
४
Dv
MERCURE DE FRANCE.
la préféance littéraire ; elle paroît avoir
prononcé. Quelle eft la langue la plus
univerfellement répandue , celle qu'on
pourroit dire qu'on parle généralement ?
Quelle eft la Nation qui a un Théâtre
dans toutes les Cours étrangères ? L'Auteur
fe fait cette demande; mais la réponfe
étoit embarraffante par fes conféquences
, & il n'en fait aucune ; il oublie
qu'il l'avoit donnée dans un autre endroit,
en parlant de la mufique Françoife. « Tan-
» dis qu'on joue dans toute l'Europe des
compofitions Allemandes , Italiennes ,
Angloifes , Portugaifes même , la mufique
Françoife n'eft reçue nulle part
qu'en France ».
"
"
L'impartialité dans un Ouvrage de
la nature de celui - ci , eft un mérite rare ,
qu'il ne faut pas s'attendre à trouver ici ;
elle auroit pu rendre cet Ouvrage trèsintéreflant
; & l'Auteur , à en juger par
quelques obfervations où il n'eft pas
queftion de comparer les deux Peuples ,
paroît avoir faifi , dans bien des endroits
le véritable caractère des François . Son
livre fe fait lire avec plaifir ; dans fes
parties mêmes où il donne le plus à fes
préjugés , il peut piquer notre curiofité ;
& s'il bleffe quelquefois notre amour-
1
JANVIER. 1777. 83
propre, il nous rendra circonfpects nousmêmes
, lorfque nous entreprendrons de
juger & d'apprécier les autres Nations.
Les Commandemens de l'honnête Homme,
ou maximes de morale faciles à retenir
, & principalement deſtinées à
l'ufage des petites Ecoles ; par M. F.
in-8 °. Prix 4 fols. A Paris , chez
d'Houry , Imprimeur Libraire de Mgr
le Duc d'Orléans , rue de la Vieille-
Bouclerie 17764
§ I
Les Commandemens de l'honnête-
Homme font préfentés dans ce livre en
diftiques , fuivant le modèle des Conmandemens
de Dieu & de PEglife , inférés
dans les Catéchifmes pour les petires
Ecoles. Ces principes font utiles
pour la conduite de la vie , & propres
à infpirer le goût des vérités civiles &
mordles à cette claffe précieufe d'hommes
, fans lefquels nous manquerions de
tour. C'eft pourquoi l'Auteur invite
toutes les perfonnes élevées en dignité
de les répandte , & de les faire connoître
te plus qu'il eft poffible . Ils ont été auffi
inprimés en forme de placards ou d'af
thes , pour être appliqués contre les
Dvi
84
MERCURE DE FRANCE.
murs des veftibules des Châteaux , ainfi
dans les Écoles , & fous les porches
des Paroiffes de Village .
que
Voici quelques - unes de ces maximes :
Ton Souverain tu ferviras
Avec zèle & fidèlement.
Tous les humains regarderas
En frères véritablement.
Chafte & fobre toujours feras
Pour être en fanté longuement.
Pareffe , envie , orgueil fuiras,
Et colère ſemblablement.
Avarice mépriferas ,
Pourn'exifter honteufement , &c.
Le Souper des Enthoufiaftes ; in-8 ° . de
41 pages. A Amfterdam ; & à Paris ,
chez Cellor , Imprim. - Lib. rue Dauphine
; 1776 .
Les Enthoufiaftes de ce fouper font
une apologie très - exaltée du bel Opéra
d'Alceste. Rien , fuivant eux , n'eft comparable
à la mufique de M. le Chevalier
Gluck. Ce Compofiteur eft fans doute
JANVIER. 1777 85
un grand Maître ; il fait exprimer furtour
la douleur & les fentimens pathétiques
; cependant on a cru s'appercevoir
qu'il tiroit prefque tous les effets de
l'harmonie , que fon coloris, en général
, étoit fombre ; qu'il avoit une
manière un peu monotone ; que fes
Opéra fe reffemblent beaucoup , & qu'ils
font peu variés ; qu'il négligeoit trop le
chant, qui eft la partie de l'invention & le
vrai figne du génie. Il difoit un jour qu'il
voudroit fe paffer de mufique : c'eft ainfi
qu'en voulant perdre de vue l'art , pour
fe rapprocher de plus près de la nature ,
il oblige fes Acteurs d'abandonner le
chant , & de fe livrer aux cris de la paffion.
Nous croyons au contraire qu'une
copie fi exacte détruit le plaifir qui naît
de la difficulté vaincue. Pourquoi admirons-
nous l'art du Peintre , qui fait
donner du relief & du mouvement à fes
figures fur la toile , ou le Sculpteur qui
donne de la foupleffe & de la grace au
marbre ? C'est que ces habiles Artiftes
ne nous trompent point , quoiqu'ils nous
enchantent par la magie de leurs talens
Mais qu'un Sculpteur emploie les couleurs,&
les habillemens des perfonnages
vivans , fur les figures qu'il modèle , il
plaît alors d'autant moins , qu'il s'appro
$6 MERCURE DE FRANCE.
che davantage du naturel , qu'il s'éloigné
de fon art , & qu'il franchit les difficultés
d'où naît le charme de fon ouvrage. Il en
eft de même de la mufique , qui perd
fon principal caractère , fi on lui ôre le
chant pour y ſubſtituer des cris , ou
des expreffions forcées. L'analyfe que
les Enthoufiaftes du fouper nous font de
la mufique de l'Opéra d'Alcefte , eſt
route dans le ton admiratif. Un Abbé
s'écrie , au milieu de ceux dont il a
allumé Fimagination : mes Amis , mé
voici comme le Grand Prêtre au moment
+
de l'infpiration ; vous êtes de véritables
admirateurs ; votre efprit n'a point jugé
mais votre ame a fenti ; & M. l'Abbé
n'oublie point alors la plus petite ritournelle
, fans en relever l'extrême beauté.
H eft fingulier de voir comme il trouve
des prodiges de génie , jufques dans les
morceaux les plus fimples : Auroit- on
pu croire , dit-il , avant cet Opéra , qu'un
même chant pût exprimer à la fois deux
fentimens, & fur- tout deux fentimens oppofés?
O Rubens ! Peintre immortel! ton
art n'aura pas feul dérobé ce fecret à ta
nature ! Cet enthoufiafme foutenu a trop
l'air du perfiftlage , & doir offenfer M.
le Chevalier Gluck. Ce Compofreur
peut être compté parmi les plus habilesi
JANVIER. 1777 87
Maîtres ; mais il ne fouffriroit pas qu'on
voulûr lai élever une ftatue coloffale audeffus
des hommes de génie qui l'ont
égalé , & quelquefois furpaffé , dans la
même carrière.
,
Nouvelle Hiftoire de la Ruffie , depuis
l'origine de la Nation Rulle jufqu'à la
mort du Grand-Duc Jaroflaws I. Par
Michel Lomonoffow Confeillerd'État
, & Membre des Académies
Impériales & Royales de Saint Péterf
bourg, de Stockolm, &c. &c. Traduite
de l'Allemand par M. E*** augmen
tée de deux cartes géographiques ;
vol. in-8°, prix 4 liv . rel. A Paris ,
chez Nyon aîné , Libraire , rue Saint
Jean de Beauvais ; 1776.
:
On regrettera en lifant cette Hiftoire ,
dont la traduction avoit déjà para il y a
quelques années , que l'Auteur , mort
en 1765 , l'air laiflée imparfaite. C'éroit
un Écrivain auffi judicieux qu'éclairé ,
très-verfé dans l'Hiftoire ancienne de fon
Pays , & qui avoit puifé dans les bonnes
fources. Son Ouvrage finit à l'an 1054,
& comprend par conféquent la partie la
plus obfcure & la plus difficile à déve
88 MERCURE DE FRANCE.
>
lopper de l'Hiftoire de Ruffie. Autfi les
faits qu'il renferme étoient-ils à peu près
inconnus aux autres Nations . Rurik
Igor , Wladimir , Jaroflaws , Souverains
célèbres fans doute en Ruffie , n'étoient
preique même pas connus de nom dans
les parties méridionales de l'Europe .
L'Ouvrage eft divifé en deux parties.
La première expofe l'état de la Rullie
avant Rurik. L'Auteur y développe l'origine
de la Nation Ruffe , & fait connoître
les anciens habitans de la Ruffie fous
leurs diverſes dénominations . Il diftingue
fur-tout parmi ces Peuples , les Eſclavons
, les Ezudes & les Warangiens. La
feconde partie commence à Rurik , Prince
Warangien , fondateur de la Monarchie
Ruffe , en 862 , & contient l'hiftoire de
fon règne & de ceux de fes huit premiers
Succeffeurs , jufqu'à Jaroflaws , mort en
1C14. Ce dernier affermit beaucoup la
puiffance de la Ruffie par les alliances
qu'il contracta , & par plufieurs victoires
remportées fur fes ennemis. Il régna
trente-huit ans , & fut auffi grand dans
la paix que dans la
dans la guerre.
A l'élégance & la précifion du ftyle,
le Traducteur paroît réunir le mérite de
l'exactitude. Ila foin d'avertir qu'il a
JANVIE R. 1777 . 89
préféré de tranfcrire les noms propres
des Villes & des Peuples , tels qu'ils font
dans l'original , que de les défigurer en
leur donnant une terminaifon françoiſe.
Dictionnaire des Origines , ou Epoques
des inventions utiles , des découvertes
importantes , & de l'établiſſement des
Peuples , des Religions , des Sectes ,
des Héréfies , des Loix , des Coutumes ,
des Modes , des Dignités , des Monnoies
, &c. 2 vol . in 8 °. A Paris , chez
Jean François Baftien , Libraire , rue
du Petit - Lion , Fauxb . St Germain
1776.
;
Le titre de cet Ouvrage annonce fon
utilité & l'étendue des matières qu'il
embraffe. Quelques articles que nous
allons extraire d'entre ceux qui nous ont
paru les plus piquans , le feront encore
mieux connoître .
ABBÉ. Le nom d'Abbé vient d'un
mot hébreu qui fignifie père. Les Con
ciles s'efforcèrent inutilement de rappeler
les Abbés à l'énergique fimplicité
» de ce nom , aux devoirs qu'il prefcrit ,
» & à la modeftie qu'il exige ; ils s'arrogèrent,
fur-tout en Occident , le titre
༡༠
MERCURE DE FRANCE
»
» de Seigneurs , & prirent les marques
diſtinctives de l'Epifcopat : ce qui donna
l'origine aux Abbés mitrés , croffés &
» non croffés , aux Abbés Ecuméniques,
» aux Abbés Cardinaux , & c . »
30
» ACROSTICHES . Les premiers Poëtes
François faifoient beaucoup d'acroftiches
, c'eft-à-dire , de petits Ouvrages
qui renfermoient autant de vers que le
» mot , la devife ou le nom dont ils
» vouloient faire un acroftiche , contenoit
de lettres , & où ces lettres , prifes
» de fuite , commençoient tous les vers .
» Maintenant , un ne tireroit pas vanité
» d'avoir fait le meilleur acroftiche. A
» meſure que le goût s'eft perfectionné ,
on a reconnu que ce n'eft qu'en méchanique
qu'on doit faire quelque cas
des ouvrages qui n'ont que le mérite
» de la difficulté vaincue .
» A GUI- L'AN-NEUF . Ces mots rappel-
» lent un ufage des Druidés , Prêtres des
Gaulois , qui , le premier jour de l'an ,
alloient dans les forêts cueillir le gui
de- chêne , & fe répandoient enfuite
» dans les campagnes voisines en criant
» de toutes leurs forces : au gui- l'an- neuf.
» C'eſt encore par ce chant que les enc
fans fouhaitent la bonne année dans
JANVIER. 1777 . 97
quelques parties de la Bourgogne , de la
» Picardie & de la Bretagne. L'a-gui-
» l'an-neuf défignoit auffi une quête que
les jeunes gens de l'an & de l'autre
fexe faifoient dans quelques endroits ,
» le premier jour de l'an , pour les cierges
de l'Eglife. Elle fut défendue dans le
Diocèfe d'Angers , en 1595 , à caufé
» des extravagances qui s'y commet
» toient ; & profcrite par-tout , pour la
»
» même cauſe , en 1688 .
:
» AIDES . Il faut remonter à Chilpe-
» ric , pour trouver l'origine des impôts
qui fe lèvent en France fur les marchandifes
& les denrées. Ce Prince er
» mit un fur le vin . Mais ces fortes de
» droits n'eurent guères de confiftance
* qu'en 1356 , lorfque le Roi Jean fut
» fait prifonnier par les Anglois , à la
lĩ
journée de Poitiers. Alors les États
» Généraux affemblés accordèrent unë
aide au Dauphin , depuis Charles V
& obtinrent la permiffion de nommer
» des Officiers pour en faire la perception
. C'eſt à ces Officiers , dit M. le
» Préfident Hénault , qui ne devoient
fubfifter qu'autant que l'aide devoit
» avoir cours , que l'on peut rapporter
l'origine des Cour des Aides.
92 MERCURE DE FRANCE.
"
" AÎNESSE ( droit d' ) . Les Romains
croyoient que les enfans devoient avoir
également part à la fucceffion de leurs
» pères ; il n'y avoit point chez eux de
droit d'aineffe. L'orgueil & la vanité
» l'ont fait introduire en France , pour
» foutenir le nom des grandes Maifons
" & en conferver l'éclat . On ne confidère
» pas les avantages de ce droit dans les
Coutumes qui l'ont adopté , fans de-
" firer que du moins les douceurs de
» l'amitié , y dédommagent de l'inégalité
» des fortunes.
30
» AMADIS . Ce font des bouts de manches
qui defcendent & le boutonnent
fur le poignet. On affure que leur nom
» vient de l'Opéra d'Amadis , où les
principaux Acteurs avoient ces longues
>> manches.
و د
» AMAUTAS. Ces Philofophes du Pé-
» rou enfeignoient les fciences à Cufco ,
» fous le règne des Incas . Mais les Prin-
"
ces & la Nobleffe étoient feuls admis
» dans les Écoles fondées par l'Inca Roca.
» Les Artifans ne paroiffoient pas mériter
» d'être inftruits. On penfe bien diffé-
» remment parmi nous. Le Souverain
récompenfe les Savans qui éclairent le
Peuple , & il annonce , par ſa bienfai
"
JANVIER. 1777 . 25
fance , qu'il le juge digne d'être heu
» reux .
و د
"
» Anguille dE MELUN . Un nomme
Anguille , originaire de la Ville de
Melun , jouant dans une Comédie le
» rôle de Saint Barthélémy , jeta des cris
» fi horribles à l'afpect du Bourreau qui ,
» le couteau à la main , menaçoit de
l'écorcher , que de - là eft venue l'habi-
» tude de dire de quelqu'un qui s'effraie
mal-à-propos , que c'eft une Anguille
» de Melun , qui crie avant qu'on l'écor
che ».
»
ود
Quaftio generalis, &c. Queſtion générale ,
où l'on examine : Si Fo - Hi , fondateur
de l'Empire des Chinois , eft le même
que Noé; par un Auteur Séquanois . A
Einfelden ; & fe trouve à Paris , chez
d'Houry , rue de la Vieille-Bouclerie ;
1776 .
Cette fingulière Thèſe eft divifée en
quatre articles , d'après lefquels l'Auteur
conclud,felonfes propres termes, que nous
allons rapporter : « 1°. Que Noé & Fc-Hi
» étoient contemporains . 2 ° . Rien n'en →
pêche de mettre la mort de l'un & de
P l'autre dans la même année. 3 ° . Qn ef
و د
24 MERCURE DE FRANCE.
bien fondé à croire que la Chine a dur
» être le partage des fils de Sem , après
» la difperfion , vu que les fils de Cham &
Japhet s'établirent & s'avancèrent dans
les régions oppofées . 4° . S'il n'eft pas
» certain , il eft du moins très probable
»
qu'une partie des Defcendans de Noé
» s'attacha à lui ; que ce faint homme
» eut foin de les inftruire d'une manière
» particulière , & qu'il forma un Peuple
tout différentdes autres pour les moeurs
» & le gouvernement ; & cela convient
» aux Chinois... C'eſt donc Noé qui a été
» l'inſtituteur & le père des Peuples de
» la Chine fous deux noms , l'un hébreu
& l'autre chinois ; ou , fi ce n'eſt pas
» lui , c'eſt du moins un de fes enfans ,
» &c. »
Si ce n'eft toi , c'est donc ton frère.
Je n'en ai point. C'eſt donc quelqu'un des tiens .
Une autre réflexion qui paroît affez
naturelle à l'Auteur , & dont il ne s'eft
pourtant avifé que dans une efpèce de
Poft- Scriptum , quoiqu'elle lui fourniffe
une raifon aufli puiffante que décifive ,
c'eft que plufieurs exemplaires chinois ,
au lieu de Fo- Hi, écrivent Fo-Hé. De
JANVIER. 1777. 25-
Fo Hé à Noé , comme on voit , il n'y a
de grande différence que la lettre initiale.
La Trigonométrie rectiligne & fes ufages ;
par 1. J. R. Brochure in - 8 °.
Embrun , chez P. F. Moyfe , Imprim.-
Libr.; & fe trouve à Paris , chez Baftien
, Libr. , rue du Perit-Lion , Fauxbourg
St Germain. t
La trigonométrie , cette partie des
mathématiques qui nous apprend les
fecrets les plus intéreffans , comme de
connoître les diftances de différens points
de vue , fe borne ordinairement aux
Fiftances terreftres.
M. l'Abbé Roflignol , autrefois Profeffeur
à l'Univerfité de Milan , vient
de nous donner une trigonométrie ( en 64
pages ) . H nous apprend dans ce petit
Opufcule , divifé en cinq parties , à mefarer
toutes les diftances terreftres , cé- '
leftes & marines ; il donne d'abord les
définitions préliminaires.
La première partie traite de la conf- .
truction des tables. La deuxième partie
traite de la réfolution des triangles en
dix propofitions.
Le refte de l'Opufcule contient les
fages pratiques & problèmes.
96
MERCURE DE FRANCE.
La troisième partie , la mefure des
diſtances célestes , en treize propofitions ,
fuivies d'obfervations.
La quatrième partie , la meſure des
diftances célestes , en quatorze propofitions.
La cinquième partie commence par
des définitions , & contient la meſure
des diſtances marines en dix propofitions,
fuivies d'obfervations.
Les trois dernières parties renferment
prefque autant de problêmes que de pro
pofitions.
I'Ouvrage eft terminé par une plan
che bien gravée.
5
: )
L'Auteur a ajouté à la fuite de ce
Traité , les problêmes d'équation les
plus curieux ; d'abord 80 du premier degré
, 20 du fecond degré , d'un degré
fupérieur ; vient enfuite la clef des nombres
cherchés On peut affurer que rien
ne peut intéreffer davantage ceux qui fe
mêlent d'enfeigner cette partie de mathématique
, que le choix des problêmes
qui fe trouvent ici ; la plupart d'ail
leurs font hiftoriques.
Le même Auteur a donné des élé
mèns de géométrie en 8
en avoir fait l'éloge , que de
pages. C'eſt
dire que cet
Ouvrage .
JANVIE R. 1777. 97
Ouvrage eft le fruit de 20 ans de tentatives
, d'effais , de réflexions , de corrections
, &c. Il y employoit fes momens
de loifir , lors même qu'il étoit Profeffeur
de mathématiques dans une des
premières Univerfités de l'Europe .
M. l'Abbé Roffignol vient auffi de
donner des Vues fur l'Euchariftie ( en 16
pages ) , & on trouve dans cet Opufcule ,
qui n'a prefque qu'une feuille d'impreffion
, des obfervations phyfiques les
plus curieufes , fur la petiteffe des corps ,
fur- tout en fuppofant la diminution des
pores dont ils font remplis. On cite en
particulier celle- ci de Newton : Si on
rapprochoit toute la matière de l'Univers ,
de façon à en exclure tous les pores , on
n'eft pas affuré qu'elle occupât un pouce
d'étendue ; delà & d'une infinité d'autres
obfervations , toutes plus intéreſſantes
les unes que les autres , l'Auteur en conclud
que le corps de Jéfus Chrift peut
( fans co-pénétration ) par la feule diminution
des pores , être contenu dans la
plus petite hoftie , & dans la plus petite
partie de l'hoftie.
Valmore, Anecdote Françoife ; par M.
Loaifel de Treogate , Gendarme da
I. Vol.
98 MERCURE DE FRANCE.
Roi, Brochure in- 8° . A Paris , chez
Moutard , Libraire , rue du Hurepoix.
Un Officier nommé Valmore , qui n'a
que dix-huit ans , conçoit l'amour le plus
violent pour une fille de qualité qui n'en
a que feize . Cet âge eft celui de la confiance.
Ces deux Amans concluent de ce
qu'ils s'aiment , qu'ils font deftinés l'un
pour l'autre. Ils font bien éloignés de
s'imaginer qu'un père puifle avoir de
bonnes raifons pour s'oppofer à leur
union . Ses repréſentations les plus judicieufes,
ne font à leurs yeux que des actes
de defpotifme , & la réfiftance à fes ordres
, une action héroïque. Un Eſclave ,
dit Valmore à fa Maîtreffe , fe déshonnore-
t il en brifant fes fers ? Ne doit on
pas au contraire accorder toute fon eftime
à l'homme affez courageux pour fouler
aux pieds de coupables loix , qui veulent
ufurper l'empire de la nature &
affujettit les cours ? C'eft ainfi , fuivant
la réflexion de l'Ecrivain , que les affections
défordonnées corrompent le jugement
& la volonté . On s'arrange une
morale fuivant fes paffions ; on pare du
voile de la vertu tout ce qui plaît au
JANVIER. 1777. 99
&
coeur ; on adopte avec empreffement
tous les raifonnemens qui peuvent étouffer
les remords. La confcience timide
alors fe tait , & la paffion n'ayant plus de
frein , nous précipite dans les écarts les
plus condamnables. Valmore & fa foible
Maîtreffe en font la trifle expérience . On
fera peut-être furpris de voir une fille de
condition , élevée dans les bienséances
de fon rang , s'affocier à une troupe
d'hiftrions , mettre un prix à fes appas ,
tomber ainsi , d'elle - même , dans le dernier
degré de l'opprobre & de l'avilifement.
Cependant l'Auteur n'a peint que
ce que l'expérience n'apprend que trop
fouvent. Une fille qui s'eft une fois
fouftraite à l'autorité paternelle , connoît
rarement d'autre frein . Comme l'indigence
eft alors pour elle le plus terrible
des fléaux , qand il s'agit de le prévenir ,
il n'eft plus de facrifice qui lui coûte .
Hiftoire de Zulnie Warthei ; par Mademoifelle
M ***. Volume in - 12. A
Paris , chez la veuve Duchefue , Libr
rue Saint Jacques.
Mifs Hindfei , fille unique d'un père .
ambitieux , immola tout à l'amour , &
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ne connut d'autre félicité que celle d'aimer
& d'être aimée . Elle étoit adorée
d'un jeune Lord , qui devoit le renverſement
de fa fortune à fon amour conftant
:
pour l'augufte fang des Stuarts , qu'avoit
abandonné depuis long-temps Milord
Hindfei : qu'on juge donc fi la paffion
du jeune Warthei fut favorifée par lui !
Sans être ému des pleurs de fa fille , qu'il
voyoit fans ceffe à fes genoux , il reſta
inflexible . Les obftacles font l'aliment de
l'amour celui de Mifs Hindfei s'accrut
encore. L'état où eft la fortune de fon
Amant , la différence des religions , tout
cela n'eft rien pour elle . Pour l'amour
elle abjure le Calvinifme , abandonne les
richeffes , fe fauve de la maifon paternelle
, & court fe jeter dans les bras de
Warthei . Auffi-tôt ils s'embarquent fur
un vaiffeau qui fait voile vers la France.
L'Aumônier de l'équipage les unit , &
fatisfait enfin le defir qu'ils ont d'être
l'un à l'autre . Cependant Warthei foupire
; il ne peut regarder fon épouſe ,
fans fe fentir oppreffé ; il regrette pour
elle ce qu'elle vient de facrifier pour lui :
elle lit dans fes yeux la trifteffe qui l'ac
cable ; elle lui en demande la caufe :
vaincu par fes careffes , il lui ouvre fon
JANVIER. 1777. 101
30
"
ame.«Quoi ! lui dit- elle , c'eft cela qui
t'afflige ? Tu m'aimes , & tu peux me
» trouver à plaindre ? Tu es à mes pieds ,
» & tu pleures fur moi ? Et dis , quelle
» aifance , quelles grandeurs pourroient
» balancer le bonheur de t'être chère ?
» Mon ami ! nous nous voyons , & nous
> nous trouverions pauvres ?.... Ah !
» j'augure mieux de ton coeur ! - Femme
» incomparable ! s'écrie Warthei en l'em-
» braſſant; arrête , ta générosité fait mon
» tourment : mais , que veux-tu dire ?
» Penfes-tu que pour moi j'envifage des
biens que je foulerais aux pieds pour
» un feul de tes regards ? Connois mieux
»Warthei : l'indigence à fes yeux n'eſt
» un mal que pour toi ... - Va , ceffe de
pleurer fur mon bonheur : ce bonheur!
» je le tiens de toi ; je ne peux le perdre
» que par toi aime- moi toujours ; je
» ferai toujours heureuſe . Que je
» t'aime toujours ! peux- tu me le recom-
» mander ? Adorable épouſe ! la mort
» feule.....» En cet endroit Warthei
eft interrompu on lui annonce qu'on
eft menacé d'une violente tempête : il
jette un coup - d'oeil fur fon épouse &
frémit. Cet homme fi courageux connoît
la crainte pour la première fois : il pâlir ,
30
E iij
102 MERCURE
DE FRANCE.
Friffonne , tremble à l'idée du péril . Mais
fes alarmes n'étoient que l'effet de fa
fenfibilité. Ce n'étoit pas lui qu'il envifageoit
; c'étoit fon époufe feule . Dan's
de pareils momens , l'homme peut pleurer
fans foibleffe ; & fi c'en eft une , elle
honore l'humanité. Cependant l'orage fe
diffipe . Bientôt ils abordèrent à Calais ,
d'où ils fe hâtèrent de venir à Paris.
Quand on envifage leur condition , on
ne peut s'empêcher de déplorer la médiocrité
où ils étoient réduits . Deux laquais
& une femme- de- chambre , qu'ils
avoient emmenés d'Angleterre , compofoient
tout leur domestique ; mais ils
s'aimoient, & ils fe trouvoient riches.
Peu de temps après leur arrivée , Miledy
fe trouva enceinte : des infortunés ne
doivent guères fouhaiter de voir étendre
leur exiftence : néanmoins Warthei ne
put , fans une joie extrême , apprendre
qu'il alloit être père. On ne demandera
Tans doute pas fi fa compagne partagea
fes fentimens. Au terme marqué , Milady
donne le jour à une fille , qui fut reçue
avec tranfport dans les bras de fon père ,
qui enfuite la remit dans ceux de fa
mère ; & cette mère , fidelle aux loix de
la nature trop fouvent étouffées , ne reJANVIE
R. 1777 103
fufa pas àfon enfant la fubftance que fon
fein lui devoit. La petite Zulmie , c'est
ainfi qu'elle fut nommée , croifloit ſous
les yeux des auteurs de fes jours , & donna
à fa mère , pour récompenfe de fes
foins , fon premier fourire. Lady Warthei
, trop rendre époufe pour n'être pas
tendre mère , fuirvoit les progrès de fon
aimable enfant. Le jour que la teuant
dans fes bras , elle vit , pour la première
fois , fa bouche innocente lui offrir l'expreffion
du plaifir: Warthei ! crie - t- elle
à fon époux ; Warthei ! mon ami , regarde...
elle me forrit » . Et aufi -tôt
elle embraffe mille fois Zülnie avec attendriffement.
Le père , tout ému , vient
épancher fa tendreffe fur ces chers objets ,
& recevoir le fecond fourite d'un être ,
en qui il retrouve & lui-même & la
femme qu'il adore. Grand Dieu ! dit
alors Milady; fi mon père étoit témoin
» de cette foène , pourtoit- il n'eh être
» pas touché ? S'il voyoit cet enfant .... f
feulement il étoit inftruit qu'elle exif-
» te , crois tu que l'idée de fe favoir
multiplié ne tendroit pas à la nature
» fes droits ? Si je lai écrivois , pour lai
apprendre un bonheur qu'il ignore ? ...
Faites , Madame , faites,, fi vous
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
39
» voulez vous voir arracher de mes bras :
» vous connoiffez votre père , fon cour
» roux nous pourfuivra par - tout où il
faura que nous refpirons. Il ne verra
» dans cet enfant que celui d'un homme
qu'il abhorre , & qu'il abhorrera tou-
»jours. Vous favez les motifs qui nous
divifent ils ne peuvent s'anéantir.
»D'abord ne croyez pas que le coeur de
» votre père puiffe être fenfible : religion ,
devoir , honneur , fidélité , il facrifia
» tout à l'ambition ; ce fut-là fa feule
» divinité : & c'eft la feule qu'il recon-
» noiffe encore. N'enviez point fes biens
» pour ma fille ; ils feroient fon oppro-
» bre : ils ont été donnés par l'ufurpateur
» de la couronne de mon Maître : ilfuffit
» pour que mon fang n'ait rien à y pré-
» tendre. Pardonne , s'écrie fa femme
» toute tremblante , pardonne fi j'ai pu
offenfer ta grande ame ; mais enfin
» Milord Hindfei eft mon père , je fuis
» fa fille.
Vous êtes Citoyenne ; c'eft
» là votre premier devoir imitez les
généreufes Spartiates , qui méconnoif
» foient leurs parens quand ils mécon
» noiffoient la patrie. Barbare ! fi mon
» père eft coupable , je dois le plaindre
❤ & non pas le haïr : je l'ai offenſé ; je
"
و د
"
M
-
JANVIER . 1777. 105
"
» dois lui demander grâce : ah ! je devrois
» voler vers lui , embraffer fes genoux ,
» lui préfenter cette jeune innocente ,
implorer pour elle fes bontés ! -Partez,
» Madame , courez dans les bras d'un
père qui détefte votre époux. Mais
» toujours , ma fille ne vous fuivra pas ;
» elle reftera dans mon fein ; elle n'ira
» pas fourire à un homme traître à fon
» Roi. Allez , allez vous fouiller des
richeffes de votre père , tandis qu'elle
» & moi nous nous honorerons d'une
noble indigence. Cruel ! quel reproche
! Eft - ce à moi qu'il devroit
s'adreffer ? moi , qui t'adore , qui ne
» vit qu'en toi , qui ai foumis tous mes
» fentimens aux tiens : voilà donc le
» trait dont tu me perces le coeur ? C'eſt
donc là cet amour que tu me juras
>
-
-
tant de fois ? Tu es fans égard pour ta
» malheureufe femme ma foibleffe ,
» que tu devrois foutenir , tu l'abas ; mes
» remords , que tu devrois effacer , tu
» les redoubles ; ma fenfibilité , à qui tu
» devrois compatir , tu la bleffes ; mes
larmes , que tu devrois effuyer , inhu-
» main ! tu les fais couler » . En difant
ces mots , elle preffe contre fon fein
Zulmie , qui fe met à la careffer de fes
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
ང་
petites mains : cette action la fait fondre
en larmes. Chère enfant ! dit - elle >
» confole ton infortunée mère ; fais -lui
» oublier les rigueurs d'une union qui
» doit empoifonner fa vie , & pour qui
elle facrifia tout ! A ces dernières pa ·
roles : « Voilà ce que j'avois préva , reprit
Wartheis je m'attendois à ces regrets .
Telles font les femmes : incapables d'un
folide attachement , elles ne favent ce
» que c'est que d'aimer ; & baffes dans
leurs plaintes , elles fe fervent de leur
foibleffe pour nous outrager impunement
». Ce reproche eft un trait de
lumière pour Lady Warthei ; elle fent la
bleffure qu'elle venoit de faire à fon
époux ; il fe fait une révolution dans
tout fon être , qui lui ravit l'uſage de
fes fens fes yeux fe ferment ; fes bras
défaillans ceffent de retenir Zulmie . Warthei
, dans cet inftant , n'eft que père . Il11
prend l'enfant , qui étoit fur le point de
tomber , & le remer dans fon berceau .
Enfuite il fonne ; la femme de chambre
de Milady vient , & il fe retire. Les regards
de Lady Warthei , en revoyant
la
Tumière , cherchent envain fon époux ;
ils ne l'apperçoivent pas cette indiffé
rence déchire fon ame . Elle ordonne à
JANVIER. 1777 .
707
fa femme de-chambre de la lailler feute.
Toure entière à elle-même , quelles ré-
Hexions accablantes viennent fe préfenter
à fon efprit troublé! « Warthei ne m'ai-
» me plus , dit-elle ; il a pu voir l'image
s de ma deftruction & être tranquille !
» il n'a pas cherché lui- même à me rap-
» peler à la vie ! ... Eh ! fi cette vie ne
Tintéreffe plas , pourquoi chercher à
» la conferver ? ... Zulmie ! ma chère
Zulmie ! fi je ne me devois pas à tor,
» mon fort feroit déjà décidé . Mais , je
» fuis mère ; il faut en remplir les devoirs
: je t'immole plus que la vie y en
me la confervant ». Un fanglot vient
fe joindre à ces triftes paroles. Warther,
qui étoit dans un autre appartement ,
inquiet , pour ainfi dire , malgré luimême
, reparoît dans cet inftant aux yeux
'de fon époufe , qui , noyée dans fes
larmes , vole fe jeter à fes pieds. Ses
pleurs qui relevoient encore l'éclat de fa
beauté , & qui ajoutoient à fes grâces ,
fa pofture fuppliante , tout parle au contr
de Warthei : il eft prêt à tomber à fés
genoux , à lui demander grâce ; l'amour
eft fur le point de triompher : mais la
délicateffe vient fappeler l'outrage qu'elle
a reçue. A cette idée , l'émotion qui fe
Evi
..
108 MERCURE DE FRANCE.
-33-
-
laiffoit déjà remarquer fur la figure de
Warthei , eft auffi- tôt couverte d'un voile
fombre. Il s'éloigne de fa trifte femme.
« Perce moi donc le fein , lui dit- elle ,
» en reftant profternée ; Warthei ! paf-
» ferons-nous ainfi le refte de nos jours?
» Ce malheureux enfant fera t-il élevé
fous de pareils aufpices ? Vas- tu hair
» fa mère ? — De quoi vous ferviroit
» mon amour ? Vous dédommageroit-il
» des facrifices que vous avez faits pour
» moi ?
Ah! ne parlons plus de cela .
Vous en avez pourtant parlé , reprit-
» il avec amertume .-Je le fais ; c'eft mon
crime : oublie- le. L'oublierez-vous
» vous- même ? O Warthei ! tu m'ac-
» cables ! veux-tu me voir fuccomber !
» veux-tu que je meure ? » Elle eſt encore
prête à s'évanouir , les bras tendus
vers fon époux , à peine fe foutient - elle :
c'en étoit trop pour un homme auffi
fenfible , & peut-être pas affez pour un
homme auffi délicat que Warthei . Il fe
rapproche de fa femme , la relève , l'embraffe
; mais ce baiſer n'avoit point cette
expreffion , cette vie que l'amour lui
donne : Milady le fentit. « Eft ce - là un
baifer , lui dit- elle , en lui en donnant
» mille paffionnés ? Quoi ! tout , jufqu'à
33
--
JANVIER. 1777. 109
» tes careffes , ne feroit-il plus qu'une
marque d'indifférence ? » Warthei ému
jufqu'au fond de l'ame , montre enfin
une paupière mouillée , & preffe avec
toute l'énergie du fentiment , fa femme
contre fon coeur. « Oh! je renais , s'écria-
» t-elle alors ; tu m'aimes encore ; je le
» fens à cette étreinte ! » En prononçant
ces mots, il parut un plaifir fi vif dans
les yeux de Lady Warthei , que fon mari
tranfporté , oublia tout en ce moment ,
fléchit un genou devant elle , & implora
fa grâce. Ce qu'éprouva dans cet inſtant
Lady Warthei eft fait , non pour être
dit , mais pour être fenti . L'orage difparut
donc ; & s'il refta quelques traces de
fes ravages , ce fut dans le coeur feul de
Lady Warthei , qui n'éprouva que trop
combien il eft dur de fe mettre dans le
cas d'avoir befoin d'un pardon . Depuis
ce jour , elle n'ofa plus prononcer le nom
de fon père , & vécut uniquement concentrée
en fon époux & fa fille , dont
la rare beauté acquéroit tous les jours
de la grâce & de l'expreffion , Le charme
ingénu de fon efprit enchantoit & attachoit.
Sa modeftie , fa timidité , vertus
de la folitude , infpiroient le refpect &
la rendoient encore plus aimable. Elle
110 MERCURE DE FRANCE.
étoit l'idole de Milord & de Milady
Warthei , qui n'avoient d'autre regret
que celui de ne pouvoir affarer à leur
chere Zulmie le fort le plus brillant :
car Milords malgré tout le ftoicifme
qu'il affectoit, ceffoit fouvent d'être Philofophe
, en penfant qu'il étoit père. Il
fe trouvoit avec une fortune très - bornée ,
fans efpoir de la voir augmenter ; a
moins de fléchir fous le joug d'un Maître
que fon coeur défavouoit . Pour furcroît
de peines , le peu de bien qu'il avoit
recueilli ne pouvoit plus fournir à fes
dépenfes , le domeftique diminuoit , les
créanciers fe multiplioient Warthei
voyoit tout cela , né difoit rien & fouffroit.
Sa fille étoit fon fupplice . En envifageant
l'avenir , il détournoit la vue
avec faififfement . Dans la trifteffe de fa
femnie , qui perçoit quelquefois malgré
elle , il croyoit entrevoir un reproches
dans fes careffes , il trouvoit un poifon
pire que le poifon même . Dans la joie
naïve de Zulmie , il prenoit l'aliment du
défefpoir ; défefpoir que faifoit difparoître
de fes yeux cette fille charmante ,
pour le concentrer dans fon coeur . Tels
étoient les efforts généreux de la nature :
on déroboit à Zalmie l'image de la douJANVIER.
1777. I
leur ; on ne la regardoit que pour lai
fourire; & élevée au fein des larmes , elle
ne connoiffoit que la gaîté. Tranquille
fur fon fort , jufqu'à quinze ans , elle
ne penfa pas qu'il pût exifter un bonheur
autre que celui dont elle jouiffoit. Jufqu'alors
elle s'étoit trouvée heureuſe auprès
de fa mère , avoit vécu fans defirs .
Mais à cet âge , elle commença à fentir
qu'il manquoit quelque chofe à fa fatiffaction.
L'inquiétude fe gliffa dans fon
coeur , fon fommeil devint plus léger ;
fouvent on la voyoit dans la journée
quitter fon ouvrage , fans s'en appercevoir
, & devenir rêveufe fans favoir à
quoi elle rêvoit. Lady Warthei , affligée
de la voir dans cet état , l'appelle , l'embraffe
, & lui demande la raifon du chan .
gement de fon humeur. « Hélas ! je ne
fais , répondit Zulmie , avec un fon-
» pir ; autrefois j'étois contente ; mon
» fort n'a point changé ; il eft toujours
» le même & pourtant je fuis bien dif
férente de ce que j'étois : tout m'inf-
» pire de la fatiété ; je ne trouve que du
» vuide antour de moi ; mon ame fem-
» ble aſpirer à la poffeffion d'un bien
qu'elle ne connoît pas , mais qui eft
» fait pour ellen. Cette réponse ingé-
"
112 MERCURE DE FRANCE.
nue , en éclairant Lady Warthei , lui
perça le fein. Si fa fille eût été dans une
élévation convenable à fon rang , elle
n'y auroit vu qu'une fomme de plus
d'ajoutée à fon bonheur ; mais étant
comme ils étoient , comment fatisfaire
au befoin de ce coeur avide de tendreffe ?
Milady ne dit prefque rien à fa fille , &
fit part à fon époux de l'aveu qu'elle en
avoit reçu . Warthei pâlit , ne répondit
que par un morne filence , & un regard
fixe où fe peignoit l'horreur. Envain l'infortunée
Lady faifit ce moment pour
folliciter de nouveau de fon époux la
permiffion d'écrire en Angletetre. Sa
fermeté ftoique rejeta toujours aves
horreur l'idée de mandier des fecours à
l'ennemi de fon Prince. « D'après une
pareille réfolution , lui dit fon époufe ,
» il feroit bien à fouhaiter que Zulmie
» eût de l'inclination pour la vie religieufe
c'eft un état honorable ; il
» convient à l'infortune. Que dites-
" vous? Ma fille confulteroit l'intérêt
pour fe confacrer à la Religion ? Ce
» feroit le calcul de fa fortune qui déter-
» mineroit fon choix ? ... Au lieu d'im-
» moler l'orgueil à Dieu , elle immoleroit
» Dieu à l'orgueil ? Non. Elle eſt ma
99
"9
JANVIE R. 1777. II3
33
"
» fille ; cela ne doit pas être : je ne le
» fouhaite pas. Je ferois tout pour l'empêcher
qu'elle vive infortunée ; mais
» qu'elle vive vertueufe. Quelle ne fe
rende pas parjure.- Si nous perdons la
» vie , je le répète encore , jette donc un
» coup d'oeil fur ta fille : privée de, nous ,
» fans appui , au milieu d'un monde
» corrompu , qu'elle ne connoît pas ;
»
-
fans
expérience , fi jeune , fi belle , fi fen-
» fible , que de piéges pour l'innocence !
Voilà ce que j'entrevois , voilà ce que
» je redoute. Ne crains rien de Zulmie
: elle est formée de mon fang ; ce
mot me dit tout : fa fenfibilité peut
faire fon malheur , mais jamais lui
ravir fa vertu » . Lady Warthei cherchoit
à modérer cette fenfibilité dans fa
fille , en lui peignant l'amour fous les
couleurs les plus fombres. « Ne t'en fais
pas une idée fi belle , lui dit-elle un
» jour ; c'eſt un féducteur qui paroît
charmant , fur- tout quand on commence
à le connoître : mais fes douceurs
font paffagères ; le nectar qu'il
répand eft bientôt épuifé , & fait place
» au poifon. Crois- en ta mère ; étouffe
" le germe que ce tyran a dépofé dans
» ton coeur; & quand nous ne ferons
114 MERCURE DE FRANCE.
»
"
"
plus , fuis les confeils que t'a donné
» ton père , de vivre penfionnaire dans
» un Couvent à quelques lieues de Pa-
» ris.
Ah! Maman , quel feroit mon
» deftin , fi privée de tous deux , je vi-
» vois ainfi concentrée en moi- même ?
» Chère Maman ! eft- ce- là vivre ? N'aimer
perfonne , n'être aimée de perfonne ;
quelle vie ! ou plutot quelle mort ! car
» exiftons-nous par nous-mêmes ? Non ,
» ce n'eft que dans les autres que gît
» notre exiſtence. Un être à qui perfonne
» n'eft attaché , à qui perfonne ne penfe ,
qui enfin eft oublié de tout l'Univers ,
» ne vit pas ; il achève de mourir .
Cette fille parloit à une mère , qui
n'avoit peut-être été que trop, fenfble
à l'amour , & connoiffoit le befoin ,
pour une ame tendre , d'aimer ; auffi
chercha- t-elle à favorifer l'amour que
le Chevalier d'Ulmi , jeune homine
plein de grâces , de moeurs douces , &
dont la fortune étoit confidérable , avoit
conçu pour Zulmie . Les fcènes que cet
amour produir, mettent dans un nouveau
jour la fenfibilité de cette jeune perfonne ,
& le caractère de Warthei , dont la fierté
ne peut fouffrir la moindre bleffare ; ce
père ne fe rappelle même qu'impatiemment
les offres du Chevalier , de faire
·
JANVIER. 1777. Tirs
jouir , par fon alliance , l'aimable Zulmie
du tang que fa naiffance lui promettoit ;
il fe trouve infulté , en penfant qu'on a
pa le croire capable d'écouter les propo
fitions que lui a faites cet Amant : il jette
les yeux fur Zulmie , fe promet à luimême
de ne jamais l'unir à qui que de
foit , plutôt que de fe voir l'obligé d'un
gendre , & d'être dans le cas de lui devoir
de la reconnoiffance du bonheur de
fa fille : il ne vouloit pas qu'elle dût rien
à perfonne ; il aimoit mieux la favoir
malheureufe & fans fortune , que de la
voir au ſein de l'abondance , s'il eût
fallu , pour en jouir , qu'elle en fût redevable
à un époux : fa fille ne lui paroiffoit
pas faite pour recevoir des dons ,
mais pour en faire ; & , dans cetté occa
fion , il auroit au moins voulu l'égalité.
Ce père , continuellement en proie
aux foucis dévorans , fe vit bientôt près
de fa fin . Il étoit à peine âgé de 38 ans.
Dans fes derniers momens , qui préſentent
ici le tableau le plus pathétique , il
fit jurer à fon époufe , que fidelle aux
promeffes qu'elle lui avoit déjà faites ,
elle ne profiteroit pas de fa mort pour
aller implorer les fecours de l'ennemi de
fon Roi. Mais cette tendre épouſe , ſen116
MERCURE DE FRANCE .
"
fible à la perte qu'elle venoit de faire ,
ne furvécut pas long-temps à celui qui
lui avoit caufé tant d'amour & de cha- .
grins. La tendre Zulmie parut fuccomber
à cette nouvelle perte , qui lui rendoit
la première encore plus fenfible. Envain
le Chevalier , qui depuis la mort de
Warthei avoit obtenu la permiffion de
voir fa Maîtreffe , cherchoit il à calmer
fa douleur , l'amour étoit impuiffant. Le
Chevalier attendit tout du temps & de
fon amour. Je révère votre douleur, lui
» dit-il , je la partage ; je ne prétends
» rien ; je ne fuis pas fait pour rien pré-
» tendre : ce fera vous qui fixerez mon
» bonheur , fi jamais vous daignez m'en
» faire jouir. Je vous adore ; voilà mon
» feul titre ». Zulmie accepta les hommages
de cet Amant; & après avoir
avec le peu de bien qui lui reftoit , & à
l'infçu même du Chevalier , acquitté les
dettes de fon père , elle fe retira dans
un Couvent, où le Chevalier payoit fa
penfion . Zulmie l'eftimoit , l'aimoit , s'en
favoit aimée , connoiffoit fes vues , &
par conféquent croyoit pouvoir fouffrir
ce qu'il faifoit pour elle. Née fière fansle
favoir , parce qu'elle n'avoit jamais
eu aucune occafion de s'en appercevoir
JANVIER. 1777. 117
elle-même , elle recevoit fans rougir les
bienfaits du Chevalier bienfaits qui
n'avoient de prix à fes yeux que par la
main qui en étoit la fource ; ou , pour
mieux dire , bienfaits auxquels elle ne
penfoit pas indifférence qui prouve plus
qu'on ne fauroit le croire , l'excès de fon
amour pour lui , & l'opinion qu'elle avoit
de fa délicateffe . Il n'y a peut-être pas ,
ajoute l'Auteur , de reconnoiffance plus
flatteufe pour le bienfaiteur que cette
indifférence; fur- tout fi ce bienfaiteur
généreux fait que celui qu'il oblige eft
affez délicat pour ne pas accepter d'un
autre ce qu'il accepte fi volontiers d'un
ami .Telle étoit la jouiffance que Zulmie
donnoit au Chevalier , qui tous les jours
venoit à fes pieds attendre l'inftant où
elle confentiroit à fa félicité . Un jeune
Marquis de vingt- trois ans , vif, étourdi,
inconféquent , que l'imprudent Chevalier
avoit pris pour confident , ne pouvoit
concevoir comment on pouvoit trouver
tant de plaifir à paffer des heures entières
à un parloir , pour y converfer feulement
avec une femme. Il en fit des plaifanteries
au Chevalier , qui fut affez foible
pour y applaudir. Il ofa même profaner
l'amour par des intrigues indignes de lui ,
118 MERCURE DE FRANCE.
& commença dès-lors à faire des vifites
moins fréquentes à Zulmie. Il ne lui
parla plus que du ton de l'indifférence .
Zulmie s'en apperçut , en gémit , & ,
pour la première fois , penfa aux bienfaits
du Chevalier : elle les trouva honteux ;
& , pour s'acquitter envers le Chevalier ,
vend quelques bijoux , met l'argent
qu'elle en reçoit dans un coffre , & le
lui renvoye avec une lettre , que l'on
pouvoit regarder comme un nouveau
témoignage de la nobleffe de fes fentimens
& de la franchiſe de fon ame.
›
Cetre lettre fut un coup de foudre
pour
le Chevalier , qui fentit , en la lifant ,
l'inconféquence
de fa conduite , & la
grandeur de la perte qu'il venoit de
faire . Dans fa douleur , il fe réfout d'aller
fe jeter aux pieds de fa Maîtrelle
pour obtenir fon pardon à quelque prix
que ce foir. Mais Zulmie ne pouvant
fournir à la dépenfe de fa penfion ; voulant
d'ailleurs éloigner d'elle pour toujours
un Amant infidèle , avoit quitté
fon Couvent , & s'étoit retirée dans un
quartier éloigné , où elle avoit changé
de nom. Sa femme- de- chambre , qu'elle
n'étoit plus en état de garder , trouva
dans ce même temps à entrer chez une -
JANVIER. 1777. 119
Comteffe. Voilà donc la petite- fille de
Milord Hindfei feule , livrée à elle- mê - ´
me , & reléguée dans un afyle , dont
auroit rougi la fille d'un Bourgeois . "
Quant à elle , elle ne favoit pas encore
rougir par orgueil ; fon ame , fortie en
quelque forte des mains de la nature
ne connoiffoir point cette hauteur , cette
vanité , qui ne viennent que du préjugé.
Toutes fes penfées , loin de fe
tourner fur fon indigence & fur le mépris
auquel l'expofoit cette indigence , ne fe
raflemblèrent que fur un père , une mère
qui n'exiftoient plus , & un Amant toujours
cher, malgré fon infidélité . Hélas !
6
"
difoit- elle , en fongeant à lui , fi au
» moins il pouvoit fe voir aimé comme
je l'aime , je ne regretterois pas la perte
» de fon coeur ; le mien , heureux de fa
félicité , ne trouveroit plus rien à de-
» firer . Tel étoit l'amour de Zulmie ;
parfaitement dégagé d'égoïfme , elle aimoit
le Chevalier pour lui & non pour
elle. Néanmoins elle avoit des momens
d'amertume . qui affligeoient fes fens ,
& faifoient couler fes larmes . Une nuit
fur- tout qu'elle ne dormoit pas , jetant
les yeux autour d'elle , à la faveur d'une
lampe : " On peut donc , dit- elle , être
120 MERCURE DE FRANCE.
"2
» mort au milieu des vivans ! car qu'eftce
que ma vie ? Elle eft nulle pour
» tout le monde : puis-je donc la compter
pour une vie , puifque perfonne ne
s'intéreffe à elle ? Pour tous les mortels.
je fuis... je fuis rien... Je n'occupe
» aucun être dans l'Univers ; mon exif-
» tence eſt un néant : elle ne fera plus le
» bonheur , ni même le plaifir de qui que
» ce foit. En quittant le jour , je ne trou-
» verai pas une larme , pas un foupir ....
» Eft-ce-là vivre ? Non ; j'ai vécu » .
Cette ame aimante foulageoit fes chagrins
par les bienfaits qu'elle répandoit
fur des infortunés qui logeoient auprès
d'elle . Cependant le Chevalier d'Ulmy
ne ceffoit de faire les perquifitions les
plus exactes pour découvrir la retraite
de celle qui étoit devenue néceffaire à
fon bonheur. Il parvint cependant à en être
inftruit , par le moyen de la femme-dechambre
qui avoit fervi Zulmie. Le
trouble , l'agitation , les remords de cet
Amant , les pleurs de la tendre Zulmie
fes fentimens , le pardon qu'elle accorde
à celui qui l'a offenfée , la franchiſe
même qu'elle met dans ce pardon , forment
autant de fcènes variées , qui ne
laiffent pas le Lecteur indifférent. Ce ..
Lecteur
JANVIER, 1777. 121
Lecteur admirera fur- tout la délicateffe
des fentimens qui portent Zulmie à refufer
le don que le Chevalier veut lui
faire de fa main & de fa fortune , par la
raifon feule que fe trouvant actuellement
fans biens , on pourroit croire que c'eft
la détreffe où elle fe trouve , qui la fait
confentir à cette union . Le Chevalier
s'efforce inutilement de vaincre cette réfolution
. Sa Maîtreffe l'oblige de fe retirer.
Il s'éloigne, & fuit en défefpéré . Il
étoit feul à pied , & vêtu négligemment.
Dans fon chemin , comme il maudifſoit
fes richeffes , il apperçoit un homme
qui fortoit d'une maifon , avec toutes
les marques de la rage : il le prend pour
un Amant malheureux ; dans fon premier
mouvement , il l'aborde : « Infortuné
» lui dit- il , l'êtes-vous par l'amour ? »
Cet homme étonné , fe recule , & s'écrie :
« Plût aux Dieux que je n'euffe pas
» d'autres fujets de m'affliger !
- En
» peut-il être de plus grands ? reprit le
" Chevalier. Ah ! Monfieur , vous ne
» connoiffez pas le démon du jeu ....
-
Perdre cinq cents louis ! .. Malheureux !
» fi encore il me reftoit de quoi tenter le
» fort ! Le Chevalier touché de la
Gituation de cet homme, & ayant plus
I.Vol.
هو
122 MERCURE DE FRANCE .
>
que de l'indifférence pour l'argent
le prie d'accepter une bourfe de louis
qu'il lui remet Il réfléchit alors fur les
fortunes conſidérables abforbées par le
jeu ; & perfuadé que dénué de tout , il
vaincra plus facilement la réfiftance de
Zulmie , il forme la réfolution d'abyfmer
fes richeffes dans ce gouffre qui les engloutit
toutes. D'après cette réfolution
conçue précipitamment
, il vole chez
lui , prend tout fon or , & revole l'expofer
fur cette mer orageufe ; mais la fortune
, loin de lui être contraire , doubloit
à chaque inftant les fommes qu'il rifquoit
. Les fignes les plus fenfibles du
chagrin & du défefpoir , annonçoient fes
fuccès ; & ce fut peut- être pour la première
fois que l'on vit un Joueur, que la
fortune favorifoit , affecté de tous les
fentimens de ceux qui perdent. Chacun
a la vue fixée fur lui . Un Anglois fur
tout, étonné de cette fingularité , l'exa--
mine très attentivement
. C'étoit un
homme d'environ cinquante ans. Il parle
au. jeune François , l'interroge fur les
motifs de fa conduite. Cet entretien
anrène une explication & le dénouement
du Roman. Cet Anglois fe trouve être
Foucle de Zulmie ; il la reconnoît pour
-
JANVIER 1777. 123
que
fa nièce , & lui affure les grands biens
fon aïeul avoit laiffes . Cette fortune ,
en levant les obftacles que la délicatelle
'de Zulmie oppofoit toujours aux empreffemens
du Chevalier , fit la félicité
de ces deux Amans.
Comme il y a peu d'action dans ce
Roman , & qu'il intéreffe principalement
par la nobleffe des caractères , & par des
vérités de nature & de fentimens , elles
annoncent dans l'Auteur beaucoup de
fenfibilité . Si on lui objectoit qu'il a
donné à fes perfonnages des caractères
plus beaux que nature , il répondroit que
dans une hiftoire où l'on eft obligé de
peindre les hommes tels qu'ils font , on
n'eft que trop fouvent forcé d'affliger les
Lecteurs par la peinture du vice ; mais
que dans un Roman , qui eft un Ouvrage
d'imagination , & où l'on peut par conféquent
créer fes perfonnages , il eft bien
permis de repréfenter les hommes tels
qu'ils doivent être , & élever , par ce
l'ame du Lecteur. On eft feulemoyen
,
l'ame
dizalier
d'Ulmy
,
ment fâché que
avec la réfolution où il eft de fe féparer
de fon bien , préfère la loi du jeu à celle
de la dépenfe en actes de bienfaifance ,
qui le rendroient plus digne de Zulmie.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
D'ailleurs un Amant peut-il defirer la
poffeffion d'une Maîtreffe qu'il adore ,
pour l'affocier à fon indigence ? Mais les
paffions raifonnent- elles , & cette action
du Chevalier n'eft- elle pas une nouvelle
preuve que leur excès a toujours quelque
chofe de ridicule & de puéril ?
Les malheurs de la jeune Emilie , pour
fervir d'inftruction aux ames vertueufes
& fenfibles ; par Madame la Préfidente
d'Ormoy : 2 vol. in- 12 divifés
en deux parties . A Paris , chez Dufour ,
quai de Gevres , au Grand Voltaire ;
la veuve Duchefne , rue St Jacques ,
au Temple du Goût ; Nyon , rue St
Jean-de-Beauvais ; Ruault , rue de la
Harpe ; 1777,
1
La jeune Emilie naquit du Baron de
Lorme & de Demoiſelle *** , fon épouse,
Elle perdit fon père à l'âge de quatre
ans. Après avoir rendu les derniers devoirs
à fon mari , la Baronne de Lorme
voulut fervir elle-même de
gouvernante
à fa fille tout fon plaifir étoit de la
former à la vertu , en lui en faifant fentir
le prix , plus par fon exemple que par fes
préceptes, Ses leçons eurent tant de fucJANVIER
1777. 125
cès , que la jeune Emilie ne s'eftimoir
heureufe que lorfqu'elle foulageoit les
malheureux par fes largeffes , ou qu'elle
avoit occafion de faire quelque action
méritoire . Cependant , quoique prévenue
fur le danger de prêter l'oreille aux difcours
féduifans de ceux qui cherchoient
à lui plaire , elle ne put refufer fon coeur
au Comte d'Olban , qui n'avoit pu la
voir fans l'adorer. Comme le Comte étoic
un parti fortable pour fa fille , la Baronne
approuva leurs feux. Elle fongeoit à ferrer
cette union par les liens les plus
folennels , lorfqu'une maladie cruelle vint
la priver de cette fatisfaction , & la mit
dans peu de jours au tombeau .
Avant que d'expirer , cette tendre
mère recommanda fa chère fille à Madame
de Saint-Onge , fon intime amie ;
& après avoir béni Emilie & fon futur
époux , elle leur dit un éternel adieu . Le
Comte d'Olban n'oublia rien pour fécher
les pleurs de fa Maîtreffe ; il étoit affidu
à lui faire fa cour , mais Madame de
Saint- Onge rappela à Emilie la promeffe
qu'elle avoit faite à fa mère de fe retirer
dans un Couvent. Ce ne fut point fans
peine que cette fille vertueufe facrifia à
fon devoir le plaifir de voir fouvent le
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Comte d'Olban , qu'elle regardoit comme
fon époux.
Elle y reçut la vifite de fon Amant ;
& pendant
qu'ils s'entretenoient
enfemble
des douceurs
de leur prochaine
union , ils furent
interrompus
par le
Chevalier
de Saint- Onge , qui ayant
conçu une violente
paffion
pour la jeune
Emilie , ne put voir ce tête-à- tête fans
une émotion
violente. Il attaqua
brufquement
le Comte
d'Olban
Le combat
fut vif & fanglant
. On en fit part
l'Abbeffe
du Couvent
, qui fcandaliſée
de ce qu'une de fes Penfionnaires
donnât
lieu à un éclat fi fâcheux
, ordonna
qu'on
enfermât
Emilie dans la priſon de l'Abbaye.
à
Cette jeune perfonne fut très-fenfible
à ce traitement. Heureufement pour elle ,
une Religieufe , nommée la Soeur Saint-
Ange , prit part à fon affliction . Elle favoit,
par expérience , ce que peut l'amour
fur une ame fenfible . Elle venoit quelquefois
caufer avec elle , & pour la confoler
, elle lui raconta l'hiſtoire de fa vie .
C'eft un épifode qui embellit ce Roman ,
& qu'on lira avec autant d'attendriffement
que d'intérêt.
Cependant le Comte d'Olban n'ou
JANVIE R. 1777. 127
blioit point fa chère Maîtreffe. Ayant eu
occafion de connoître le Jardinier de
l'Abbaye , il le chargea d'une lettre pour
elle. Il lui propofoit de rompre fes chaî
nes , fi elle vouloit lui en confier le foin.
Emilie accepta cette propofition , & lui
répondit qu'il pouvoit la venir prendre
avec une femme que le Comte difoit
être une de fes parentes. Elle defcendit
avec eux dans une magnifique maifon.
& richement meublée .
Emilie étoit au comble de fa joie ; la
parente du Comte lui paroiffoit extrême,
ment aimable , & elle ne doutoit point.
que cette aventure ne fe terminât heureu
fement : fauffe illufion ! Madame Davies ,
c'est le nom de cette femme , non -feulement
n'étoit point parente du Comte,
mais c'étoit une de ces intriguantes qui
font métier de féduire les filles pour les
plaifirs de leurs Amans. Elle avoitpromis
au Comte d'amener Emilie au point où
fes defirs afpiroient. En écoutant un jons
leur entretien , cette fille infortunice en
tendit le complot : elle vit tout ce qu'elle
avoit à craindres fur le champ elle fe
détermina à fortir d'une maifon fi fut
nefte pour elle. Elle gagna le Portier par
fes larmes & fes prières , & étant mon
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
tée dans un carroffe de place , elle alla
loger en chambre garnie.
En fortant de chez le Comte d'Olban ,
Emilie avoit emporté tous fes bijoux ,
fes pierreries & quelque argent qu'elle
avoit. Elle employa fes effets à l'achat de
quelques hardes ; & pour prévenir l'indigence
, elle s'occupa à broder , & envoya
vendre fes ouvrages. Ce fut une
foible reffource ; auffi une année étoit à
peine écoulée , qu'elle fe trouva fans argent.
Les peines d'efprit qu'elle éprouvoit
continuellement , jointes à une mauvaiſe
nourriture , la mirent à deux doigts de
fa perte. Sans fecours , prefque mourante
, & victime déplorable de fa vertu ,
elle demanda à parler à fon Hôteffe pour
fe faire connoître & l'inftruire de fes
malheurs. Elle la conjura fur- tout de
n'avertir le Comte que quand elle ne
feroit plus.
L'Hôteffe ne crut pas devoir attendre
ce dernier moment. Malgré la défenſe
d'Emilie , elle courut chez le Comte ,
qui vint fur le champ apporter des fecours
& de la confolation à cette vertueufe fille .
Lorfqu'il arriva , Emilie étoit fi mal ,
qu'on la crut à l'agonie : elle ne parloit
plus. Cependant les cris perçans du
JANVIER . 1777. 429
Comte femblèrent réveiller la mourante.
Le nom d'époufe , qu'il répétoit continuellement
, avoit pénétré jufqu'à fon
coeur. Sa fanté fe rétablit ; mais d'Olban
n'attendit pas fon entier rétabliſſement
pour s'unir à elle. Il l'époufa après avoir
récompenfé largement fon Hôteffe , &
jouit avec elle d'une félicité que rien ne
fut capable d'altérer.
Tel eft le précis de l'hiftoire des
Malheurs de la jeune Emilie. La lecture
en eft intéreſſante , & ne peut manquer
de produire ce doux attendriffement qui
fait les délices des ames fenfibles. Ún
autre mérite de cette production , c'eſt
que tout y porte à la vertu ,
:
La vie & les opinions de Triftram Shandy,
traduites de l'Anglois de Stern , par
M. Frenais ; 2 parties in- 12 , prix 3 1.
brochées. A Yorck ; & fe trouve à
Paris , chez Ruault , Libraire , rue
de la Harpe , près la rue Serpente ;
: 1776 .
Ce très -fingulier Roman a fait une
fortune prodigieufe en Angleterre.
Suivant l'Auteur des Questions fur
l'Encyclopédie , qui en a traduit lui-
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
·
même quelques paffages , « il renferme
des peintures fupérieures à celles dé
" Rembrant & aux crayons de Calot »
Il ajoute que M. Stern eft le ſecond Rablais
de l'Angleterre On voit effectivement ,
par la tournure de fes idées & de fon ftyle,
combien il étoit nourri de la lecture des
écrits du Curé de Meudon , dont il
faifoit fes délices. Quoi qu'il en foit , la
marche de l'Hiftoire de Gargantua & de
Pantagruel , n'a d'ailleurs guères de ref
femblance avec celle des deux premiers
volumes de Triftram Shandy. Il feroit
difficile de donner , non-feulement une
analyfe , mais même une définition bien
nette de ce dernier Ouvrage. C'est une
efpèce de pot-pourri rempli d'une foule
de digreffions , dont la moindre minutie
fournit fouvent le fujet , & qui viennent
même quelquefois , comme on dit , à
propos de botte. Par ce moyen , l'histoire
de quelques minutes occupe fréquemment
un grand nombre de pages , & le
Héros du Roman ne fait que de naître
à la fin du fecond volume. Il en refte
encore quatre à traduire : nous ignorons
fi la marche en eft un peu plus rapide ,
& s'ils renferment réellement la Vie de
Triflram Shandy. Au refte , rien de plus
JANVIER . 1777. 131
agréable que la plupart des détails, du
bifarre tiffu qui compofe ces deux premiers
volumes . Il eft impoffible de répane
dre plus de gaieté & de grâces dans un
bavardage pouffé jufqu'à la caricature.
On y trouve des defcriptions pittoref
ques , des réflexions fines & ingénieuſes ,
& fur- tour des caractères finguliers &
frappans , tels que ceux du Capitaine
Tobie Shandy , oncle du Héros emmaillotté
, & du bon Caporal Trim , fon
domestique.
Pour donner une idée de la manière
de l'Ouvrage , nous allons en rapporter
un des endroits les plus plaifans , & un
de ceux en même temps où l'Auteur
s'écarte le moins de fon récit. Le père
de Triftram Shandy , retiré à la campa
gue au moment où fon fils eft près de
naître , fait monter fon domestique . Oba
diah à cheval , pour aller en toute diligence
chercher le Docteur Slap , le plus
célèbre Accoucheur du Canton. A cinquante
toifes de la Maifon , re domeſtique
rencontre le Docteur qui venoir
aufli à cheval. Nous allons faire parler
M. Sterne lui-même , par la bouche.de
fon Traducteur. « Il n'eft pas aifé de fe
» faire une idée du Docteur Slop. Le
Fuj
132 MERCURE DE FRANCE .
"3
ود
» père Labutte , qu'on a tant chanté , qui
boit pendant que perfonne ne le voit ,
» & qui a bu fans que perfonne l'ait vu ,
» le père Labutte eft bien connu , même
» de qui ne l'a pas vu , & je me repréfente
aifément fa figure... Mon imagination
fupplée à fa préfence. Mais
» le Docteur Slop ! le Docteur Slop eft
» bien un autre homme , & qui ne l'a
» pas vu y perd beaucoup. Figurez - vous
» cependant une figure haute de quatre
pieds & demi, perpendiculaire , groffe ,
trapue , rabougrie , avec un dos de
deux pieds & demi de large , & qui
porte un ventre au moins fefquilatéral,
qui feroit honneur à Silène.... Telles
font à-peu- près les lignes , qui forment
le contours de l'individu du Docteur
Slop... Mille coups de pinceau de plus
» feroient en pure perte ; je ne le ferois
pas mieux connoître... Ceux- ci , à l'aide
» de l'analyfe de la beauté de M. Hogarth
, fuffifent pour donner une affez
jufte idée de celle du perfonnage.
>>
"
:
??
» Cet homme , ainfi fait , alloit dou-
» cement , pas à pas , & en tortillant à
» travers la boue fur les vertèbres d'un
» affez joli petit bidet , mais qui à peine
avoit la force de mettre les jambes l'une
JANVIER. 1777. 133
">
» devant l'autre , fous un tel fardeau...
» Encore fi le chemin avoit été pratica-
» ble pour aller à l'amble ! mais il ne
l'étoit pas. Cependant Obadiah , juché
fur le gros cheval de carroffe , & pi-
» quant de l'épron , bravoit les fondriè-
» res , & couroit à toute bride au grand
galop... Le Docteur Slop , l'apperce-
» vant de très -loin qui couroit de toute
» fa force dans le même fentier , en fai-
» fant jaillir de tous côtés la boue en
»forme de tourbillon , n'auroit peut-
» être pas eu plus de peur de la plus
» maligne comète de M. Whifton , que
» de le rencontrer... Pour ne rien dire
» du choc du cheval & du Cavalier , les
» feules flaques de bones liquides au-
» roient pu emporter , finon le Docteur
» lui- même , au moins le bidet du Doc-
» teur... C'eft ainfi qu'il auroit jugé du
» phénomène qui lui auroit frappé la
» vue... Mais quelle ne dût point être
» la terreur & l'hydrophobie du Docteur
98
Slop , quand , tout-à coup , lorfque
» n'étant pas à cinquante toife de Shandy
, & prefqu'à l'encoignure d'un
angle , qui étoit formé par le mur du
jardin , Obadiah & fon gros cheval de
» carroffe , tournèrent le coin fubite-
»
"
134 MERCURE DE FRANCE.
»
» ment , & courant avec toute la vîteſſe
imaginable , furvinrent inopinément
fur le pauvre Docteur & fur fon bidet ?
Il n'étoit pas poffible de trouver une
rencontre plus funefte . Le bidet du
" Docteur , & le Docteur lui- même ,
» n'y étoient pas plus préparés l'un que
» l'autre , il étoit difficile de foutenir un
choc auffi rude ... Hélas ! que pouvoit
» faire le Docteur Slop ? Il étoit Prêtre ,
» & fe figna . Le nigaud ! il auroit mieux
» fait de faifir le pommeau de la felle...
En fe fignant , il laiffe échapper fon
fouet .. Il veut le rattraper entre fon
genou & le bord de la felle , & il perd
l'étrier. Il perd auffi fon équilibre , &
» dans la multitude de ces pertes , le
» Docteur infortuné perd la préſence
d'efprit , & fans attendre le choc d'Obadiah
, il abandonne fon bidet à fon
» deftin , roule diagonalement du faîte
"
35
de fon cheval , & tombe comme un
» fac de laine fans fe bleffer , & s'enfonce
» d'un pied dans la boue.
» Obadiah ôta deux fois fon bonnet
» pour faluer le Docteur Sløp , une fois
comme il tomboit , l'autre quand il le
» vit enfeveli dans la boue ..... L'impertinent
! c'étoit bien là le moJANVIER.
1777 139
n
» ment de faire des politeffes ! un
» diôle comme cela mériteroit qu'on le
chátiât , pour n'avoir pas arrêté fon
» cheval , n'en être pas auli- tôt defcendu
» & n'avoir pas aidé au Docteur... Monfieur
, point d'humeur.. Obadiah fit
tout ce qu'il put dans cette occafion .
» Mais le mouvement du gros cheval de
» carroffe étoit fi violent , qu'il ne pouvoit
pas tout faire à la fois... Il tourna
n
»
» d'abord trois fois autour du Docteur
n
Slop , & ce ne fut qu'au point où fon
cheval , toujours piétinant , alloit re-
» commencer un quatrième cercle , qu'il
parvint à l'arrêter , & ce fut avec une
» telle explosion de boue , qu'il auroit
» infiniment mieux valu qu'Obadiah
» n'eût point fongé à foulager le pauvre
» Docteur. Il en fut fi horriblement
» couvert , que jamais Docteur n'a été
» fi crotté de la tête aux pieds , depuis
qu'il y a de la boue & des Docteurs
» au monde
»
12 .
2
Le Traducteur a fait précéder ces deux
volumes d'un précis de la vie de Stern
qui fait aimer cet Ecrivain , dont il paroît
que l'ame étoit auffi honnête & auffi
fenfible que fon caractère étoit gai , &
fon efprit ingénieux & plaifant.
136 MERCURE DE FRANCE .
Il eft à defirer que l'on complette cet
Ouvrage dans notre langue ; il deviendra
un des livres les plus recherchés par
ceux qui veulent s'amufer & obferver
l'eſpèce humaine dans une multitude de
tableaux variés.
Lettre Paftorale de Monſeigneur l'Évêque
de Lefcar , à l'occafion des ravages
caufés dans fon Diocèfe , par la mortalité
des beftiaux . A Paris , chez P.
G. Simon , Imprimeur du Parlement ,
rue Mignon Saint André- des -Arcs ,
1776.
M. l'Évêque de Lefcar , après avoir
porté au pied du trône , à la tête de la
Députation des États de Béarn , le tableau
fidèle des malheurs qui ont affligé cette
Province , invite aujourd'hui fes Diocéfains
à prévenir , par des fecours abondans
, les triftes fuites d'une première
calamité. Il propofe l'établiffement de
deux caiffes , l'une de don , l'autre de
prêt ; & joignant à l'exhortation , l'exemple
toujours plus efficace , il verfe trente
mille livres dans la première , & quinze
mille dans la feconde. M. l'Archevêque
de Toulouſe avoit déjà frayé cette route
JANVIE R. 1777 . 137
:
glorieufe , & le public fe rappelle avec
plaifir , la lettre que ce Prélat publia.
Pour donner une jufte idée de celle de
M. de Lefcar , il faudroit la tranfcrire.
en entier : nous nous contenterons d'en
citer quelques morceaux qui nous paroiffent
les plus intéreifans ; le début en
eft noble & Eloigné de vous , mes très-
» chers Frères , vos maux font toujours
préfens à mes yeux ; je crois voir vos
» campagnes languir fans fruits & fans
culture ; le laboureur , regrettant les
» animaux qui partageoient fon travail ,
perdre tout efpoir de nouvelle moiffon ;
» la difette , la faim , l'émigration , fuivre
» un premier fléau , & toutes les calamités
naître d'une feule ».
و د
ر د
"
«
Après avoir peint la Providence , répendant
les maux fur la terre pour punir
les coupables , & ramener les divers Peuples
, par la contrainte & la terreur , ce
Prélat paffe du principe général , à l'appli
cation particulière .
C'est donc pour
» notre amandement & notre plus grand
bien , mes très- chers Frères , que Dieu
» nous viſite aujourd'hui par la calamité ;
» il nous a vus dans l'abondance oublier
l'Auteur de notre être , & tourner con-
» tre nous-mêmes l'ufage de fes dons ;
"
1-38 MERCURE DE FRANCE.
» ilavu un luxe étranger à ces contrées',
» gagnant de Province en Province pour
» arriver jufqu'à nous , fe répandre de
» nos villes dans nos campagnes , forcer
» la retraite du pâtre & du cultivateur ,
» infulter à la fimplicité de nos climats ,
» & combatre de vanité , avec un fiècls
qui l'emporte fur tous ceux qui l'ont
précédé.
ן כ
"
La décadence des Empires a toujours
été la fuite de la dépravation des moeurs
& des progrès du luxe. Auffi , continue
le Prélat il étoit temps qu'une Provi
» dence attentive vint nous ôter des mains
un funefte poifon ....... Elle frappe
le riche dans fes richeffes , fource de
» fes vices & de fes erreurs ...... Eile
" veut que , rapprochés par le malheur ,
" nul homme ne foit étranger à un autre
homme ; que le pauvre s'attache au
riche par fes befoins , que le riche s'at
tache au pauvre par fes bienfairs .....
» C'eft donc entrer dans les deffeins de
» la Providence , & remplir les plus doux
» de nos devoirs , que de chercher les
moyens de vous fecourir ...... Occupés
de ce foin , nous avons porté au
pied du Trône , le tableau fidèle de
vos malheurs. Nous avons vu un jeune
ود
99
»
29
JANVIER. 1777. 139
» Prince , digne fils du Grand Henri ,
» s'attendrir au récit de vos pertes , &
» vouloir mettre fin à vos maux. Mais fi
32
""
la compaffion eft le premier fentiment
» d'un heureux naturel , la Juftice eft la
première vertu des Rois. Père commun
» des peuples foumis à fon Empire , il a
pefé , dans la même balance , & vos
» malheurs , & les befoins de fes autres
Sujets. A fes premiers & feconds bien-
» faits , fa bonté n'a pu ajouter que des
» larmes ; fa puiffance & fa fageffe , ne
» peuvent que vous protéger. Vous de-
» vez donc , à l'ombre de fon bras , tra-
» vailler à réparer vos pertes , chercher
»
en vous mêmes les reffources qu'y laiſſe
» une Providence indulgente dans fa fé-
» vérité , & vous tranfmettre , les uns
» aux autres , ces premières avances que
» le riche doit à la terre qui le nourrit de
» fes larmes , ne pouvant plus la cultiver.
M. l'Evêque de Lefcar preffe , par les
motifs les plus puiffans , le riche à fecou
rir le pauvre ; il invoque l'intérêt propre ,
la voix de la religion & de la nature , les
Loix civiles & eccléfiaftiques , & propoſe
des exemples qu'il a le bonheur de trouver
dans fon pays , & parmi fes Diocéfains
; il les invite à concourir à la bonne
140 MERCURE DE FRANCE .
oeuvre , & enhardit leur charité , qui ,
pour être utile dans ces circonftances
doit être publique comme le malheur.
Il parle à chaque portion du troupeau ,
de la manière la plus pathétique &la plus
analogue à fa fituation ; il s'adreffe aux
Béarnois établis en Efpagne ; & oppofant
leur féparation involontaire à celle des
Proteftans qui font dans fon Diocèfe ,
dit à ceux- ci :
"
il
» Mais vous , qui n'étiez qu'un coeur
» & qu'une ame avec nous , vivant fous
» les mêmes Pafteurs , unis par les liens
» d'une même foi , & qui maintenant ,
» féparés de croyance & de communion,
» formez un Peuple étranger au ſein
» d'une même patrie , vainement vous
» obſtinez-vous à nous fuir ; nous cou-
» rons après vous : vainement avez-vous
» fecoué le joug d'une obéiffance filiale ;
» nous aurons toujours des entrailles de
» père , & nous déplorerons vos erreurs
» & vos malheurs . Vous avez perdu par
la calamité , vous aurez part
à
» diftributions à l'égal de nos frères ;
» nous ferons plus , nous recevrons vos
bienfaits ; & nous nous aiderons de
» votre zèle & de vos confeils . Peutêtre
que touchés des marques de la
39
nos
JANVIER. 1777. 141
39
plus tendre affection , rapprochés par
» un même intérêt & par les mêmes
» foins , vos répugnances venant à dimi-
» nuer , vos préjugés venant à s'affoiblir,
» vos yeux feront plus difpofés à s'ouvrir
» à la lumière , & vos coeurs à revenir à
» l'unité .
Quant aux Paſteurs chargés du foin
» immédiat des Paroiffes , ils leur doi-
» vent leurs fecours tout entier . Plufieurs
» d'entre- eux , nous le difons avec dou-
» leur , font pauvres eux-mêmes , & au-
» roient befoin d'être fecourus . Qu'ils
s'attendriffent fur les maux qu'ils ne
peuvent foulager ; qu'ils infpirent par
» leurs exhortations , la bienfaiſance aux
» riches , la patience aux pauvres ; qu'ils
nous aident à difcerner les vrais befoins
» qui fe cachent , des faux befoins qui
» chercheroient à nous tromper. Si par
» leur canal & leurs avis , vos largeſſes
» arrivent à leur véritable deſtination
» ils ont rempli leur miniſtère , & leur
» mérite fera grand devant les hommes
» & devant Dieu »,
On voit bien , au ton de charité qui
règne dans ces deux articles , que le Prélat
eft ennemi de la perfécution , & qu'il
favoriferoit une augmentation de fubfif142
MERCURE DE FRANCE .
tance pour les Pafteurs du fecond ordre ,
qui fupportent le poids du jour. Il termine
fon Inftruction Paftorale par l'établiffement
du Bureau de Secours , &
propofe les vues les plus fages pour une
bonne adminiftration.
Le style de cette Lettre éloquente eft
fimple , noble & touchant , éloigné de
l'affectation du fiècle , précis fans féchereffe
, harmonieux fans emphafe , vrai
ment original fans fingularité : il ne copie
ni les Boffuet , ni les Fénélon ; mais il
participe affez fouvent à l'élévation de
f'un , & aux grâces touchantes de l'autre.
Almanach Littéraire , ou Etrennes d'Apotlon
; contenant l'Eloge hiftorique du
Grand Corneille , par M. de Voltaire ;
le Fontenelliana , où l'on trouve un
grand nombre de réparties de Fontenelle,
qui n'ont jamais été imprimées ;
plufieurs bons mots de MM. Piron ,
de Crébillon , l'Abbé de Voifenon &
de Voltaire ; des anecdotes intéreffantes
; une notice des principaux Ouvrages
mis au jour en 1776 , & autres
morceaux curieux. A Paris , chez lá
veuve Duchefne , Prault fils , Merlin
Ruault & Efprit , Libraires.
JANVIER . 1777- 143
Un Eloge hiftorique de Pierre Corneille
, extrait des Commentaires publiés
par foufcription au profit de la famille
de ce grand homme , étoit fans doute la
meilleure réponſe que l'on pouvoit faire
à ceux qui ont ofé avancer que l'illuftre
Commentateur , en écrivant les obfervations
, avoit eu pour but d'humilier &
de rabaiffer le Père de notre Théâtre :
Où pourroit on même prendre une idée
plus haute & plus vraie du génie fublime
du Créateur de la Scène Françoife , que
dans cet Eloge ? Felices effent artes , dit
Quintilien, fi de illis foli artifices predi
carent. On lira donc cet Eloge avec intérêt
& avec fruit , quoiqu'il ne foit
compofé, comme on le penfe bien , que
de pièces de rapport. Il eft précédé d'une
jolie eftampe gravée d'après le detlin
de Ch . Eifen , & qui repréfente l'apothéofe
du Grand Corneille , avec ce vers
au bas:
Je ne dois qu'à moi feul toute ma renommée.
Ce même Almanach littéraire préſente
des pièces de poëfies , tirées de différens
porte -feuilles . On lira fur tout avec plaifir
une jolie Epître de Pfyché à l'Amour ,
de feu le Préfident Hénault. Plufieurs
144 MERCURE DE FRANCE .
anecdotes & différentes réparties connues
d'Ecrivains célèbres , enrichiffent ces
Etrennes & y jettent de la variété . Le
Fontenelliana eft le morceau le plus confidérable
de ce répertoire. On lit au bas
cette note : « L'Abbé Trublet a écrit un
n
épais volume fur le célèbre Fontenelle .
» Ce Compilateur eft ftérile dans fon
» abondance. Outre une foule de mots
» excellens qu'il aa oommiiss ,, && que l'on
» trouvera ici , il faut chercher ceux dont
» il a fait part au Public , dans un amas
» énorme de détails minutieux & rebu-
» tans . Cet Abbé parle trop , & fair
" parler M. de Fontenelle trop peu » . II
auroit été fans doute plus honnête de
marquer de la reconnoiffance à un Ecrivain
dont on a mis les Mémoires à contribution
. Si on dépouille les gens , il
ne faut pas du moins les infulter. L'Abbé
Trublet , qui avoit étudié fon Fontenelle
toute fa vie , peut néanmoins avoir omis
quelque mots excellens de cet homme
célèbre. Mais l'Editeur de cet Ana a-t- il
lui-même recueilli tous ceux rapportés
par cet Abbé ? En voici du moins deux
que l'on eft un peu furpris de ne pas
trouver ici. Les gens du monde , fri-
» voles lors même qu'ils font curieux ,
» parce
JANVIER. 1777. 145
parce qu'ils ne le font que par vanité ,
» voudroient qu'on leur expliquât cout
≫ en peu de mots en peu de temps.
En peu de mots , répondit un jour M.
» de Fontenelle , j'y confens : mais en
peu de temps , cela m'eft impofible. Au
» reflé , que vous importe de favoir ce que
vous me demandez ?
»
» Un Difcoureur , qui ne difoit que
» des chofes triviales , & qui néanmoins
» les difoit d'un ton & de l'air , dont à
50
peine auroit- on droit de dire les chofes
» les plus rares & les plus exquifes , d'un
ton & d'un air qui commandoient l'at-
» tention , adreffoit un jour la parole à
» M. de Fontenelle. Malgré toute fa
» douceur & toute fa politeffe , il interrompit
le Difcoureur. Tout cela
eft très-vrai , Monfieur , lui dit- il , trèsvrai
, je l'avois même entendu dire à
» d'autres » .
K
>
Il y a cette autre anecdote , qui n'eſt
point rapportée par l'Abbé Trublet
mais qui auroit encore da trouver fa
place dans ce Fontenelliana. Une fervants
de M. de Fontenelle éclairoit un Académicien
de Marfeille , qui fortoit de
chez fon Maître. Comme elle le faifoit -
mal , le Provençal lui dit : Faites-moi
L. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
lumière , je ne m'y vois pas dans les efcaliers.
Cette fervante , ne comprenant rien
à ce jargon , n'éclairoit pas mieux , & le
Provençal de réitérer fa prière & fa
mauvaife élocution . M. de Fontenelle
qui fuivoit , dit : « Excufez , Monfieur ,
» cette pauvre fille ; elle n'entend que le
» françois
"
Un des points de morale de Fontenelle
, étoit qu'il falloit fe refufer le
fuperflu , pour procurer aux autres le
néceffaire. Il a fouvent répondu à ceux
qui le louoient d'une bonne action : Cela
Je doit.
»
Ce mot fait honneur à fa vertu ; mais
dans celui- ci , rapporté par l'Editeur , il
ne fe montre que fage : Si je tenois ,
difoit - il , toutes les vérités dans la
main , je me garderois bien de l'ouvrir
» pour
les montrer aux hommes .. Il fe
rappeloit peut être alors que la découverte
d'une feule , fit traîner Galilée dans
les prifons de l'Inquifition .
M. de Fontenelle avoit le coeur fain ,
ainfi que l'efprit. Dans un âge , difoit
ce Philofophe , où j'étois le plus amoureux
, ma Maîtreffe me quitte & prend
un autre Amant. Je l'apprends , je fuis
furieux : je vais chez elle , je l'accable de
JANVIE R. 1777 147
"
reproches ; elle m'écoute , & me dit en
riant : « Fontenelle , lorfque je vous pris ,
c'étoit fans contredit le plaifir que je
» cherchois ; j'en trouve plus avec un
» autre . Eft ce au moindre plaifir que je
» dois donner la préférence ? Soyez juſte ,
» & répondez -moi » . Ma foi, dit Fontenelle
, vous avez raifon , & fi je ne fuis
plus votre Amant , je veux du moins refter
votre Ami . Une pareille réponſe , dit M.
H..., qui rapporte cette même anecdote
dans un de fes Ouvrages , fuppofoit peu
d'amour dans M. de Fontenelle . Les
paffions ne raifonnent pas fi jufte.
-
M. de la Motte croyoit avoir pour amis
tous les Gens-de- Lettres , & alla un jour
jufqu'à le dire à M. de Fontenelle . « Si
» cela étoit vrai , lui répondit- il , ce feroit
..un terrible préjugé contre vous ; mais
» vous leur faites trop d'honneur , &
-vous ne vous en faites pas aflez » .
Fontenelle étoit un Philofophe indulgenr,
ou, fi l'on veut , un Philofophe
qui aimoit beaucoup fon repos , comme
on peut s'en convaincre par les traits
fuivans. On lui demandoit un jour par
quel moven il s'étoit fait tant d'amis &
pas un ennemi. « Par ces deux axiomes
- dit-il , tout eft poſſible & tout le monde
a raifon
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
"Les hommes font fots ou méchans ;
» difoit-il quelquefois ; j'ai à vivre avec
» eux , & je me le fuis dit de bonne
» heure » ,
Quand M. de Fontenelle avoit dit
fon fentiment & fes raifons fur quel
que chofe , on avoit beau le contredire ,
il refufoit de fe défendre , & alléguoit
pour couvrir fon refus , qu'il avoit une
mauvaiſe poitrine . Belle raifon ! s'écrioit
un jour un Difputeur éternel , pour étrangler
une difpute qui intéreffe toute une
compagnie.
On difoit un jour à M. de Montef
quieu : M. de Fontenelle n'aime perfonne
». Il répondit : « Eh bien ! il
» en eft plus aimable dans la fociété ».
Ily portoit tout , a dit une femme de fes
amies , excepté ce degré d'intérêt qui rend
malheureux.
M. de Fontenelle , excédé des éternelles
fymphonies des concerts , s'écria
un jour , dans un tranfport d'impatience :
Sonate , que me veux-tu ? Les Partifans
de la mufique vocale , citent fouvent ce
mot de Fontenelle ; mais les Amateurs
de la mufique inftrumentale peuvent
leur répondre qu'une fymphonie ou une
fonate bien faite , eft une efpèce de mufique
pantomime , dont les expreffions
JANVIER. 1777. 149
étant moins circonfcrites & moins limitées
que celles de la mufique vocale ,
font naître , pour cette raiton même ,
plus de fenfations & d'idées dans une
imagination vive & paffionnée. L'histoire
ne nous apprend- elle pas que les Romains
préféroient les pantomimes aux
fpectacles vocaux ; & doit-on être plus
furpris de voir que la mufique inftrumentale
a , pour quelques Amateurs ,
plus de charmes que la vocale ?
Il y a dans ces mêmes Etrennes que
nous annonçons , un recueil de réparties
de différens Auteurs célèbres . Plufieurs
de ces traits d'efprit cependant ne doivent
être regardés que comme des traits
de gaieté ou de caractère , tels que ceuxci
, attribués à feu Piron.
En Bourgogne , eft- il dit ici , on nomme
les Habitans de Beaune , les ânes de
Beaune. Piron , qui leur en vouloit , fut
un jour dans les environs de la Ville ,
coupant , abattant , arrachant tous les
chardons. Les Paffans lui en demandérent
la raifon : « Je fuis , leur répondit-
» il en guerre avec les Beaunois ; je leur
» coupe les vivres » .
Piron fe trouvant dans cette même
Ville de Beaune , affiftoit à la repréfentation
d'une Comédie. Quelqu'un apof-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tropha tout -à- coup le Parterre , qui étoit
fort tranquille , d'un Paix- là , Meffieurs,
on n'entend pas.
་ Ce n'eft pas faute
» d'oreilles , s'écria Piron » .
Un Partifan demandoit à ce Poëte
une infcription pour mettre fur la face
d'un Château qu'il venoit de faire bâtir.
Piron lui dit : « Je ne peux pas vous
» faire cela fur l'heure ; quand j'irai voir
» votre Terre , il me viendra peut-être
» quelque idée là - deffus . Puis un moment
après Monfieur , dit-il , j'ai
» trouvé ce qu'il vous faut : vous met
trez Halcedama ( ce qui fignifie le
Champ du fang) . Je n'entends point
cela , dit le Richard . - Vous vous le
ferez expliquer , reptit Piron , en quit
tant brufquement fon homme ».
•
-
L'Abbé *** étoit logé tout proche
d'un Maréchal . Quelqu'un qui ignoroit
fa demeure , la demanda à Piron : « C'eft ,
répondit celui- ci , dans telle rue , à
» côté de fon Cordonnier ».
55
L'Acteur qui devoit jouer le rôle de
l'Empirée dans la Métromanie , homme
de la plus belle figure , embarraffé de la
manière dont il s'habilleroit , confulta Piron
: Ne vous inquiétez point , dit le Poëte,
à la première répétition , vous prendrez
modèle fur moi.
JANVIER . 1777 . 150
•
On rapporte dans ce recueil beaucoup
d'autres faillies de Piron . On pourroit
cependant faire une collection encore
plus ample de réparties qui lui font
attribuées , & que l'on ne trouve point
ici . Mais l'Editeur n'a pas omis ce mot
de Crébillon , qui devroit faire rougir
les jeunes gens du vil métier de la fatire.
Un jeune Poëte , auquel M. de Crébillon
prenoit intérêt , avoit compofé un Ouvrage
fur quelques Ecrivains célèbres de
fon temps : il prioit M. de Crébillon de
lui en dire fon jugement. Cet illuſtre
Poëte , après avoir eu la patience de
lire cet écrit , tança vivement le jeune
Auteur fur le mauvais ufage qu'il faifoit
de l'efprit qu'il fe croyoit , & termina fa
remontrance par ces mots : « Jugez à
quel point la fatire eft méprifable
"
39
puifque vous y réuffiffez en quelque
forte , même à votre âge » . On peut
croire que d'après ces principes , il n'a
jamais écrit contre perfonne ; & on le
favoit fi bien , que lorfque dans fon difcours
à l'Académie il récita ce vers :
Aucun fiel n'a jamais empoiſonné ma plume ,
le Public , par des applaudiffemens réi-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
7
rérés , confirma la juftice que fe rendoit
M. de Crébillon.
Nous termincions cet extrait par ce
mot attribué à l'Abbé de Voifenon. Un
homme qui fe trouvoit au parterre de
la Comédie à côté de l'orchestre , où
l'Abbé de Voifenon caufoit affez haut ,
cria de toute fa force : " Taifez - vous
» donc , bête à foin , vous m'empêchez
» d'entendre . Monfieur , lui dit fioi- " -
» dement l'Abbé , ne vous ôtez pas les
» morceaux de la bouche ». Ce même
mot eft rapporté plus exactement , &
mieux , dans les Etrennes de Clio , publiées
en 1774. « Dans le temps de la
vogue des Bouffons Italiens fur le
» Théâtre de l'Opéra de Paris , il arriva
que M. ***
ennuyé , dans le parterre ,
» d'un intermède italien , prit le parti de
» fortir ; & que quelqu'un , obligé de
s'écarter pour le laiffer paffer , s'avifa de
į dire à d'autres Bouffoniftes comme lui :
» On voit bien qu'il ne faut que du foin à
» M. ***.- Je ne veux point, Monfieur,
» vous l'ôter de la bouche, répondit celui-
»
ci » .
Une notice des principaux Ouvrages
mis au jour en 1776 , & imprimée à la
fin de ces Etrennes , les rendront d'une
JANVIER. 1777. 153
7
utilité plus générale. L'Editeur a cherché
à rendre cette notice intéreffante , par des
obfervations critiques ou quelques anecdotes.
On aime fur-tout cette réponſe naïve
d'un Poëte , auquel un Académicien reprochoit
un ridicule penchant à fe louer
lui-même. « Vous autres Meffieurs , vous
» avez vos cercles , vos bureaux d'efprit ,
qui vous louent & vous couronnent
» fans ceffe. Privé de cet avantage , je
» fais ma befogne moi-même » .
>>
Dictionnaire Géographique , Hiftorique &
Mithologique portatif, par M. Furgault,
Profeffeur Emérite de l'Univerfité de
Paris. A Paris chez Moutard , Libraire
de la Reine , rue du Hurepoix.
Ce genre d'Ouvrage , fort à la mode
aujourd'hui , réunit plufieurs avantages,
n'en deplaiſe aux détracteurs , qui ne le
confidèrent que du mauvais côté . Tous
les hommes ne font pas doués de cette
mémoire tenace , à qui rien n'échappe .
Les années d'ailleurs affoibliffent cette
faculté lors même qu'elle eft bien organifée.
D'un autre côté , on ne peut pas
toujours raffembler tous les livres qui
contiennent , dans un détail approfondi, les
Gv
154 MERCURE DE FRANCE..
vérités qui font éparfes dans les diction
naires portatifs . Par l'ordre alphabétique,
ufité dans ces fortes d'Ouvrages, on trou
ve recueilli dans un petit nombre de
volumes , ce qu'il faudroit tirer fouvent
avec des recherches ennuyeufes , d'une
infinité de volumes qu'on n'a pas tou--
jours , ni les moyens de fe procurer , ni
le temps de fouiller dans un dictionnaire ::
on trouve en un inftant , ce que l'on a oublié,
ou ce que l'on n'a jamais eu le temps:
d'apprendre. On ne doit donc point être
étonné de l'empreffement que l'on a dans:
notre fiècle , pour ces bibliothèques.
abrégées.
L'ouvrage que nous annonçons , réu.
nit la clarté & la précifion , & raffemble
les connoiffances les plus néceffaires
, celles qui font l'ame des converfations
. On y trouve la defcription des
Empires , des Royaumes & des pays du
monde connu des anciens , avec les révolutions
arrivées dans leurs limites &
leurs dominations. La pofition des villes ,
leurs différents noms anciens & modernes
, celle des Mers , des Golfes , des
Iffes , des Ports , des Fleuves , des Monagnes
, &c. On y a joint un précis de
la vie des grands hommes de l'antis
JANVIER . 1777. ISS
quité , qui fe font rendus célèbres dans la
guerre ou dans la paix , ou qui fe font
illuftrés par leurs connoiffances fupérieures
, & diftingués par leurs talens ;
enfin , ce qu'il eft effentiel de favoir des
Fables que le Paganifme a débitées de
fes Dieux & de fes Héros . On doit favoir
gré à cet Auteur , qui nous a
donné autrefois un bon dictionnaire d'antiquités
, d'y avoit joint celui que nous
annonçons , où ii facilite à la jeuneſſe
l'intelligence des anciens, & lui épargne
la peine de recourir à plufieurs volumes
qu'elle n'a pas toujours fous la main ,
& dans lefquels la difficulté des recherches
, fouvent infructueufes , n'eft propre
qu'à lui caufer de l'ennui , & à lui
inſpirer du dégoût pour la belle antiquité.
Dictionnaire portatif du Commerce. A
Paris , chez Batien , Libraire , rue
du petit Lion , Fauxbourg Saint-
Germain.
Si les Hommes s'en tenoient aux befoins
réels , on n'auroit pas tant befoin
de multiplier les échanges & les autres
branches du Commerce. Mais on veut
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
1
›
jouir de tant de fenfations agréables ,
qu'il a fallu multiplier les matières premières
les perfectionner , & fouvent
même les altérer , pour fatisfaire des
defirs déréglés. Ainfi le befoin d'emprun .
ter des Nations , tant de chofes qui nous
manquent, a augmenté en proportion du
luxe qui a fait tant de ravages au milieu
de nous.Mais les hommes une fois accoutumés
aux commodités de la vie , ne
peuvent plus s'en paffer ; & le Commerce
fera toujours un lien néceffaire parmi
les hommes. D'ailleurs , la Providence
femble avoir mis tous les peuples dans
une dépendance réciproque , en variant
les productions de chaque climat ; en
forte que le fuperflu de l'un même ,
devient le néceflaire de l'autre ; &
l'on peut dire qu'en retranchant le fafte
exceffifque le luxe a introduit , le Commerce
feroit toujours néceffaire pour favorifer
l'agriculture & exciter l'induftrie.
Sans l'agriculture , les fources du Commerce
font bientôt taries : fans l'induſtrie ,
les fruits de la terre font fans valeur. On
doit donc protéger le Commerce , fans
toutefois devenir le Panégyrifte de ce
luxe outré qui confond tous les etats qui
partagent la fociété civile. Tous les OuJANVIER
. 1777. 157
vrages qui traitent de cet objet , font
toujours bien accueillis . On trouve dans
ce Dictionnaire , l'ufage des différentes.
places de change en commerce , tant pour
les lettres-de-change, monnoies , poids,
mefures, qu'aunages. 2 ° . L'origine hiftorique
de toutes les Communautés d'arts
& métiers , telles qu'elles avoient été
créées , & fubfiftoient jufqu'au moment
de leur fuppreffion , en Mars 1776. 3 °.
L'Edit du 2 Août 1776 , qui les rétablit
fous une nouvelle forme , avec tous
les réglemens pour les maintenir ; les
tableaux de comparaifon & de réunion,
4°. Les différentes Jurifdictions où elles
peuvent être traduites & traduire les
1
autres.
Théorie des Traités de Commerce entre les
Nations ; par M. Bouchaud , de l'Académie
royale des Infcriptions & Belles-
Lettres , & c. A Paris , chez la veuve
Duchetne , rue Saint Jacques.
Rien n'eft plus néceffaire au bonheur
des Etats , que la connoiffance approfondie
de tout ce qui conflitue leurs véritables
droits , & les moyens légitimes de les
conferver , en les mettant à l'abri de
toute ufurpation. Cicéron , dont la phi158
MERCURE DE FRANCE .
lofophie morale étoit fi faine , ne s'eſt
pas contenté de rejeter cette maxime fi
dangereufe : Que l'on ne peut gouverner
heureusement la Républiquefans commettre
des injuftices; mais il a encore établi comme
une vérité conftante : Que l'on ne peut
adminiftrer falutairement les affaires publiques,
fi l'on ne s'attache à la plus exacte
juftice. La Providence nous a donné un
Souverain & des Miniftres pénétrés de
cette vérité fi précieufe ; & les Auteurs
qui confacreront à la défenſe de cette
vérité leur érudition & leurs talens , ne
peuvent manquer d'être honorés d'une
diftinction particulière , fous le règne
de la vertu & de la juftice . L'Auteur de
cette théorie , chargé de l'enfeignement
honorable du Droit de la nature & des
Gens , ne pouvoit pas choifir un fujet
plus convenable à fa profeffion , & plus
afforti aux circonftances. Tout ce qui
tient à la navigation & au commerce ,
mérite d'être approfondi , dans un Royaume
où ces deux objets doivent être encouragés.
Aucun Auteur François n'avoit
traité , ex profeffo , la queftion importante
qui fait l'objet de l'Ouvrage que nous
annonçons. On ne connoît fur cette ma
tière que la Differtation latine de FadeJANVIER.
1777. 159
ribus Commerciorum , compofée par un
Savant d'Allemagne ( M. Mafcou ) & les
différens morceaux qui font épars dans
Heinucius , Loccenius , Marquardus ,
Zieglerus , & quelques autres Jurifconfultes
Allemands , dont M. Bouchaud a
cru devoir faire ufage. Le Droit Public
de l'Europe , compofé par M. l'Abbé
Mably , juftement appelé le Manuel des
Politiques , a fourni à notre favant Publicifte
quelques matériaux qu'il a employés
avec confiance . On nous reprochoit
autrefois de négliger cette fcience , dont
les difficultés ont été applanies par les
Grotius , les Puffendorff & les Vatel ; les
leçons & les Ouvrages de l'Auteur de la
Théorie des Traités de Commerce , nous
mettront déformais à l'abri de ce reproche..
Almanach hiftorique & raifonné des Architectes
, Peintres , Sculpteurs , Graveurs
& Cizeleurs : contenant des notions fur
les Cabinets des Curieux du Royaume ,
fur les Marchands de tableaux , fur
les Maîtres à deffiner de Paris , &
autres renfeignemens utiles , relativement
au deffin ; dédié aux Ama
teurs des arts..
160 MERCURE DE FRANCE .
Famá celebrantur , propagantur.
CIC. de Nat. de Or.
Année 1777 ; vol. in - 12 . petit format.
A Paris , chez la veuve Ducheſne ,
Libr. rue Saint Jacques .
L'Auteur , M. l'Abbé le Brun , a publié
l'année dernière un pareil Almanach.
Celui qu'il nous donne cette année eſt
plus foigné , & la nomenclature des
Architectes , Peintres , Sculpteurs , Def
finateurs , Gravears , eft plus exacte. Ce
n'eft pas que l'on ne puifle encore y rencontrer
quelques omiflions ; mais elles
font peu confidérables . On ne trouve
point , par exemple , l'article de M. de
Seve , Deffinateur , chargé fpécialement
de tous les deffins pour les gravures qui
entrent dans l'Hiftoire Naturelle de M.
de Buffon. Dans cette nomenclature ,
l'Auteur donne à Madame Vien la qualité
de Peintreffe en miniature , & à Madame
Therbouche , celle de Peintreffe
de portraits ; expreffion nouvellement
forgée , & qui n'a pas été adoptée par les
Amateurs . M. l'Abbé le Brun lui - même ,
fe fert du terme ordinaire de Peintre ,
>
JANVIER . 1777. 161
pour défigner le talent de Mademoiſelle
Vallayer, qu'il qualifie de Peintre de
nature morte , quoiqu'on ait vu de cette
Artifte des portraits très - animés , &
peints d'après nature avec fentiment . Ce
même Almanach contient une notice fur
les différentes Académies de Peinture ,
Sculpture & Architecture du Royaume.
Il indique les collections de tableaux ,
deffins , eftampes , &c . formées à Paris
par divers Amateurs ; les noms & adreffes
des Marchands de ces fortes de curiofités
; la fuite des gravures publiées pendant
l'année , & c. On trouvera de plus
dans cet Almanach , la defcription de
quelques productions d'Artiftes connus ,
celle , entre -autres , d'un beau fallon nouvellement
décoré par M. Cleriffeau . Cet
Artifte , nourri des maximes des Anciens ,
nous prouve , par cette nouvelle production
de fon génie , que l'on peut puifer
dans ces maximes un genre de décoration
qui , quoique très- différent de celui
qui eft le plus en ufage , peut cependant
s'adapter avec fuccès à notre manière de
conftruire & de diftribuer.
Les éloges des Artiftes & des Amateurs
, morts en 1776 > Occupent une
partie confidérable de cet Almanach.
162 MERCURE DE FRANCE.
"
»
Tout ceci eft précédé d'un difcours fur
l'invention , où l'on rencontre trop peu
d'idées pour en foutenir la lecture. « La
» vraie éloquence de la peinture , nous
» dit l'Auteur , ne confifte ni dans le
» choix d'une couleur brillante , ni dans
» des fituations fingulières ». Qui en doute
! L'Aureur ajoute : elle ne fait fur
» les fens & fur l'ame , des impreffions
» vives , que lorfqu'elle imite parfaite-
» ment tous les jeux de la nature » . II
feroit plus exacte de dire : « Lorfqu'elle
» nous préfente l'image de la perfection
» par une imitation vrate & choifie de la
» nature. « M. l'Abbé le B. , dans ce
même difcours , appelle les Graveurs
de vignettes des Copiftes ; mais un Graveur
, comme on l'a dit plufieurs fois
n'eft point un Copifte ; c'eft un traducteur
, puifqu'il emploie un procédé , ou
fi l'on veut , une manière de s'exprimer
différente de celle du Peintre ou du
Deflinateur
Nous citerons quelques autres endroits
de ce difcours , pour faire connoître le
ftyle un peu fingulier de l'Auteur. « Les
» talens trop vantés des anciens , femblent
ôter aux modernes , le fentiment
des leurs. Aforce de confidérer comme
JANVIER. 1777. 163
un Géant , le génie des Grands hom
» mes qui les ont précédés , le leur s'ap-
» pauvrit & devient puullanime : ils ,
» n'ofent ofer » .
"
"
募
» Pourquoi faut- il qu'il y air fi peu
» d'Artistes de qui l'on puiffe dire que
» l'éclat feul de leurs talens les ont dénoncés
aux Académies ? S'il eft honorable
les uns d'entrer pour dans ces
Corps illuftres à force de mérite , il eft
» déshonorant pour les autres d'y parve
» nir à force d'intriguailler.Le vrai talent,
» ajoute- il , n'auroit pas befoin de pareils
» refforts , fil'intérêt perfonnel cédoit
» à l'intérêt públic , le feul qui con-
» ferve & foutient les Empires , fi ,
» parmi les Artiftes , il yavoit & moins
» d'égoïsme & moins de cupidité ; mais
» l'or eft devenu , pour la plupart , lá
» mefure de la confidération & du bon.
heur. Ils ne cherchent qu'à s'enrichir.
» Leur vanité multiplie des befoins fac-
» tices , que leur imagination exagère .
» C'eft ainfi que les Arts partagent fou
vent les influences contagieufes , que
» l'intérêt communique à tout ce qu'il
" infecte "3 .
"
L'Auteur donne d'autres leçons pareilles
aux Artiftes ; mais il n'aime pas à
164 MERCURE DE FRANCE .
en recevoir d'eux ; il déclare même , dans
fon avertiffement , qu'il méprife le mépris
de les critiques. II les traite de gens
gauchement éduqués , de penfeurs bien
gauches : il répète ce mot de gauche ,
fi fouvent , que l'on pourroit croire qu'il
y entend fineffe . Il fe plaint
Y
་ de ce
qu'on lui a gauchement reproché d'avoir
» voulu , en défignant le genre que chaque
» Arrifte paroît avoir choifi , les reftrein-
» dre à ne s'exercer que dans un feul. La
puérilité de ce railonnement , ajoutet-
il , n'a pas befoin de commentaire.
» Chacun fait que fur cela l'Artiſte a la
» clef des champs.
ود
"
ود
و د
99
"
Il eft dit dans une note » Les
Auteurs de la prétendue réfutation de
1 Almanach publié l'année dernière
» font des prodiges de mauvaife foi :
après avoir fupprimé la définition de
l'allégorie , ils ont gauchement critiqué
la moitié de la phrafe qui la pré-
» cédoit , la mettant à la place de la dé-
» finition. Le Public , plus jufte , appré-
» ciera bien mieux qu'un Journaliſte
» complaifant , qui ne cherche ſouvent
» qu'à mortifier le vrai mérite de leur
» critique » . Voici une autre phrafe , qui
n'eft pas plus intelligible : l'Auteur , après
و د
ود
JANVIER. 1777. 164
s'être plaint d'avoir été la dupe d'un
homme qu'il croyoit honnête , ajoute :
» Il eſt le moteur de la cabale qui nous
réfute; & il prouve qu'il eft des hommes
» fi fourbes & fi méchans par caractère ,
qu'ils favent préparer de loin les moyens
» de nuire . ils éguifent fur la bonne- foi
ן כ
de leurs victimes » . Lorfqu'on écrit de
ce style , a-t-on bonne grâce de parler de
cabale ? On ne voit clairement ici d'autre
cabale contre l'Auteur , que fa mauvaiſe
élocution & fes déclamations déplacées.
Quand on mépriſe fi fort le mépris de fes
critiques , pour nous fervir de fon expreffion
, on ne cherche point à intéreffer
fon Lecteur dans une querelle qu'il
ignore ; on s'efforce plutôt de mériter fon
eftime par des recherches utiles ; & nous
avouerons , avec plaifir , que de ce côté le
nouvel Almanach des Artiftes , eſt plus
digne de l'attention des Amateurs , que
celui de l'année dernière .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'ILLADE , traduction nouvelle ; 2 vol.
in-12 . A Paris , chez Ruault , Libr . rue
de la Harpe.
166 MERCURE DE FRANGE.
Procès varbal des conférences tenues
var ordre du Roi , pour l'examen des
articles de l'Ordonnance civile du mois
d'Avril 1667 , & de l'Ordonnance criminelle
du mois d'Août 1670 ; nouvelle
édition revue & corrigée fur l'original ,
& augmentée d'une inftruction fur la
procédure civile & criminelle ; in-4 .
rel . 12 liv . A Paris , chez Debure frères,
Libr. quai des Auguftins ; 1776.
L'Ami Philofophe & Politique , Ouvrage
où l'on trouve l'effence , les efpèces
, les principes , les fignes caractériſtiques
, les avantages & les devoirs de
l'amitié ; l'art d'acquérir , de conferver ,
de regagner le coeur des hommes , & c.
vol . in-12 . br. 1 1. 10 f. A Paris , chez
Théophile Barrois le jeune , Libr. quai
des Auguftins ; 1776 .
Lettres de Mylord Rivers à Sir Charles
Cardignan , entremêlées d'une partie de
fes correfpondances à Londres , pendant
fon féjour en France ; par Madame Ric
coboni ; 2 parties in- 12 . br. 33 liv. A
Paris , chez Humblot, Libr. rue Saint
Jacques.
JANVIER . 1777. 167
Hiftoire générale & particulière de Bourgogne
, avec des Notes , des Differtations
, & les preuves juftificatives :
Compofée fur les Auteurs , les Titres
originaux , les Regiftres publics , les
Cartulaires des Eglifes Cathédrales &
Collégiales , des Abbayes & autres
anciens Monumens ; & enrichie de
Vignettes , de Cartes géographiques ,
de divers Plans , de plufieurs Figures
de Portiques , Tombeaux & Sceaux
tant des Ducs que des grandes Maifons
, &c. Par Dom PLANCHER , Religieux
Bénédictin , de l'Abbaye Saint
Benigne de Dijon , & de la Congré
gation de Saint Maur , continuée par
un Religieux Bénédictin de la même
Congrégation , & de la Province de
Bourgogne. Quatre Volumes in - folio ,
propofés par foufcription .
Avis de l'Imprimeur. Les trois premiers
volumes de l'Hiftoire générale &
particulière de Bourgogne , dont nous
annonçons aujourd'hui le quatrième &
dernier , ont été imprimés à Dijon , par
la voie des foufcriptions , chez Antoine
Defay , Imprimeur des États , de la Ville
& de l'Univerfité.
168 MERCURE DE FRANCE.
Chaque volume en feuilles a coûté
26 liv. aux Soufcripteurs , dont ils ont
payé 18 liv. en foufcrivant.
Lorfqu'on leur a délivré le premier ,
ils ont donné 8 liv. pour reftant du prix
de ce volume , & en outre 18 liv . pour la
foufcription du fecond.
Mêmes fommes ont été payées en leur
livrant les tomes II & III , de manière
que ceux de MM. les Soufcripteurs qui
ont exactement retiré les volumes à mefure
qu'ils ont paru , font en avance d'une
fomme de 18 liv. fur le quatrième qui
refte à imprimer.
La mort de D. Plancher ayant fait
craindre que cette Hiftoire ne fût jamais
continuée , il eft peut -être quelques perfonnes
qui ont regardé leurs avances
comme perdues ; on les prévient que les
héritiers du fieur Defay ayant cédé leur
Privilége , on leur en tiendra compte fur
le quatrième volume , & que nous remplirons
à cet égard , avec la plus fcrupuleufe
exactitude , tous les engagemens
que notre Prédéceffeur avoit contractés.
Nous invitons en conféquence MM.
les Soufcripteurs de retirer inceffamment
les volumes qui peuvent leur manquer.
C'eſt encore par ce même motif que
nous
JANVIER. 1777. 169
nous prolongeons la foufcription de l'Ouvrage
entier , aux mêmes conditions qui
avoient été propofées par le fieur Defay ;
infi les perfonnes qui auront négligé de
foufcrire , pourront le faire jufqu'à ce
que le quatrième volume paroiffe , paffé
lequel temps ils feront , comme ci- devant,
chacun du prix de 36 liv . en feuilles.
· · 96 liv.
On paiera , en foufcrivant & en recevant
les trois premiers volumes en feuilles
, quatre-vingt-feize liv.
En retirant le quatrième , auffi
en feuilles , au premier Septemb.
4777 , huit liv. ci . 8 liv
TOTAL .
IC4
liv.
Nous avertiffons que cette Hiftoire n'aété
tirée qu'à cinq cents exemplaires , &
qu'il en refte peu de complets .
1
On peut juger , par les trois volumes
qui font imprimés, que feu M. Defay n'a
cien négligé du côté de la typographie
foit pour la beauté des caractères , du papier
& des gravures , foit pour l'exactitude
de l'impreffion , & nous promettons
que nous prendrons les mêmesfoins pour
le quatrième.
1. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE
Lesfonfcriptions fe recevront, à Dijon
chez. L. N. Frantin , imprimeur du Roi ,
rue Saint- Etienne; & à Paris , chez Piffot,
Libraire , quai des Auguftins .
Les Antiquités Etrufques , Grecques &
Romaines , deffinées fur les originaux
du Cabinet de M. Hamilton , Envoyé
extraordinaire & plénipotentiaire de
S. M. Britannique à la Cour de Naples.
vol. in-folio , grand papier. 4
"
L'édition de ce magnifique Ouvrage ,
déjà connu par les annonces publiques ,
& par les deux premiers volumes qui ont
été délivrés , vient d'être conduite à fa
perfection ; les obftacles qui ont retardé
les deux derniers , ont été furmontés par
le courage des Editeurs, que les dépenfes
immenfes & non prévues n'ont pu rallentir.
Chacun des quatre volumes eſt orné
de 130 planches , gravées en cuivre , la
plupart parfaitement coloriées , & le quatrième
volume eft particulièrement enrichi
d'annotations pleines d'érudition .
Ces planches repréfentent d'anciennes
peintures relevées furces fortes de vafes
que l'on nomme Etrufques , dont elles
JANVIER. 1777. 171
font connoître en même temps la forme
& les dimenfions ; c'eft une collection
fingulière qui eft l'hiftoire du deffin de
L'ancienne Grèce .
Aucun Recueil ne peut paroître avec
plus de magnificence : les Frontifpices ,
les Initiales , les Lettres ouvragées , les
Vignettes & les Finales , font des acceffoires
prefque auffi intéreffants que
le fond de l'ouvrage.
Cependant quoique la furcharge des
dépenfes extraordinaires dût autorifer les
Editeurs à en augmenter le prix déjà fixé
à trente fequins , 11 liv, de France , ils le
délivreront pour cette fomme.
Quant à ceux qui font déjà pourvus
du premier & du fecond volume , les Édi
teurs ont pris des mefures pour leur éviter
le défagrément de devoir fe charger
de tout l'ouvrage , & pour leur fournir
feulement les deux derniers pour le prix
de quinze fequins .
Tous ceux qui voudront fe pourvoir
de l'ouvrage entier , ou le completter ,
pourront s'adreffer au fieur Gaetan Cambiagi
, Imprimeur de S. A. R. , ou à ceux
qui leur conviendront en cetre Ville ;
remettant directement , ou faifaut remet
tre par leur Correfpondant audit Impri
•
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
meur , la valeur proportionnée à leur
demande , en retirant les volumes.
NOTE de plufieurs Almanachs , dont les
titres détaillés font fuffifamment connoître
l'objet & l'utilité.
ALMANACH
LMANACH DEs Rendez - Vous ,
pour l'année 17773 prix 12 f. br. A
Paris , chez Lambert , Imprimeur-Libr.
rue de la Harpe .
Cet Almanach eft de la plus grande
utilité pour les Gens d'affaires , & pour
ceux qui veulent fe rendre compte annuellement
de ce qu'ils ont fait,
Almanach de l'Auteur & du Libraire,
contenant ; 1º. Le nom des Miniftres &
Magiftrats qui font à la tête de la Librai
rie , ceux des Cenfeurs & des Infpecteurs
,
2º . Un traité abrégé des formalités
qu'on doit remplir pour obtenir les diffé
rentes permiffions d'imprimer , de faire
venir des livres étrangers , de fuivre les
procès pendans en la Commiffion ou au
JANVIER. 1777. 173
Confeil , enfin ce qu'il faut faire pour par
venir à être reçu Libraire ou Imprimeur.
3 °. Un tableau de tous les Libraires
& Imprimeurs de Paris , avec la diftinction
de ceux qui font retirés , & du genre
de livres que chacun d'eux a adopté.
4°. Un tableau de tous les Libraires
& Imprimeurs du Royaume.
5°. Un tableau de tous les Libraires
accrédités des principales Villes de l'Europe.
On y trouve auffi une lifte complette
de tous les Ouvrages périodiques qui fe
chargent d'annoncer les livres nouveaux.
A Paris , chez la veuve Duchefne , Libr.
rue Saint Jacques.
Calendrier de la Cour , tiré des Ephémérides
,, pour l'année 1777 , contenant
le lever du foleil , fon coucher , fa déclinaiſon
, le lever de la lune & fon
coucher ; avec la naiffance des Rois ,
Reines , Princes & Princeffes de l'Europe
, &c. imprimé pour la Famille
Royale & Maifon de Sa Majefté . A
Paris , chez la veuve Hériffant , Imprim.
du Cabinet du Roi , Maiſon & Bâtimens
de Sa Majefté.
H ₁ij
174 MERCURE DE FRANCE.
Nouvelles Etrennes Orléanoifes , augmentées
d'un recueil de matières utiles ,
curieufes & amufantes , d'un manuel de
fanté , & précédées des éphémérides proverbiales
, hiftoriques & pronofticatives ;
Almanach univerfel pour
l'année 17773
dédié à M. de Cypierre , Baron de
Chevilly , Intendant de la Généralité
d'Orléans ; prix 12 f. br . A Orléans ,
chez Couret de Villeneuve , Libr. Impr
du Roi , rue Royale.
On trouve chez Saugrain , Libraire
quai des Auguftins :
L'Almanach de Liége , de Mathieu
Laensberch , avec les figures du calendrier
des Bergers , édition originale en papier
fin , relié en maroquin , 3 liv.; en veau
doré , 2 liv . 8 f.; broché en papier com-
12 f. mún ,
Le Calendrier perpétuel du temps ;
médaillon augmenté d'une table qui le
rend utile jufqu'en l'année 1500 ; prix
br. 18 f.; rel. l . 10 f. 1
Petits Recueils d'Almanachs , rel . 6 L
JANVIER. 1777 175
Almanach des Affociés , ou Almanach
fous verre , augmenté d'une notice curieufe
, contenant les découvertes , inventions
, ou expériences nouvellement
faites dans les fciences , les arts , les
métiers , l'induftrie , & c . A Paris , chez
Defchamps , Libraire , rue St Jacques ,
vis à-vis la Fontaine St Severin.
On trouve à la même adreffe les trèspetits
Almanachs des Dames , les Almanachs
changeans méchaniques, l'Almanach
perpétuel des quantièmes , &c.
L'Almanach de trente ans , dédié à la
Reine , enrichi du portrait du Roi & de,
la Reine , avec divers ornemens d'un
bon goût. A Paris , rue & Hôtel Condé ;
& dans les Villes de Province . Prix 2 1 .
& 6 1. fous verre , bordure dorée.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES.
I.
femblée publique de l'Académie de
Villefranche en Beaujolois , 25 Août
1776.
M. GOUVION , Directeur , ouvrit la
féance par un difcours fur la réproduction
des plantes .
M. l'Abbé de Caftilhon , Vicaire
Général du Diocèfe de Lyon , lut une
Epître en vers , adreffée à fes Concitoyens
, pleine de fentimens & de grâce,
Cette lecture fut fuivie d'un Dialogue
intitulé Xenocrate , dans lequel on s'étoit
efforcé de rapprocher & de réunir fous
un feul point de vue , tout ce que nous
a laiffé de plus curieux fur les grâces
l'ancienne Mythologie.
M. l'Abbé la Serre lut les deux pre
miers chants d'un Poëme fur l'Eloquence.
Il établit que pour être Orateur , il faut
être né , 1º. avec une ame fenfible ; 2º .
JANVIER . 1777- 177
avec une ame honnête : l'art de perfuader
, dit-il , eft l'objet de l'éloquence...
Mais il faut pour toucher , être touché foi- même.
La légère Aglaé veut envain me féduire ,
Je vois , ſans être ému , fon gracieux ſourire.
Et le concours heureux de ſes traits ſéduiſans ,
Sans rien dire à mon coeur ne parle qu'à mes fens.
Son ame eft fans chaleur : jamais fur fon vifage
La fenfibilité ne grava fon image ;
Elle entend fans pâlir les cris des malheureux ,
Et la douleur d'autrui ne mouille point fes yeux.
Le premier des appas eft une ame fenfible ;
Elle entraîne les coeurs par un charme inviſible ,
Elle adoucit des traits l'impofante fierté ,
Et prépare une excufe à la difformité :
Ainfique dans nos traits , elle eft dans nos ouvrages
La fource des tranfports , legarant desfuffrages.
M. la Serre prouve enfuite qu'il ne
fuffit pas d'avoir l'ame fenfible pour
arriver au grand but de l'éloquence ;
mais qu'il faut encore avoir une ame
honnête. Nous fommes nés , dit- il , pour
la vertu :
Hv
8 MERCURE DE FRANCE.
Péclatde lapenfée & l'heureux choix des mots ,
La nouveauté des tours , la fraîcheur des tableaux ,
Les accords féduifans d'une douce harmonie ,
L'élégance du goûr , l'audace du génie,
N'enfanteront jamais le preftige flatteur
Que prête à fes écrits la vertu de l'Auteur.
M. Champeaux lut un Mémoire intéreffant
fur les exhalaifons putrides dont
fe charge l'air , fur les maladies & les
accidents qui en réfultent , & enfin fur
la manière de purifier l'air , lorfqu'il a
été infecté par des miafmes peftilentiels.
M. Magel termina la féance par des
vers adreffés à M. Dorat.
I I.
Affemblée publique de l'Académie Royale
des Sciences & Belles- Lettres de Béziers
, du 4 Juillet 1776.
A caufe du dérangement de la fanté
du Directeur , M. de Lablanque , Juge-
Mage , Sous - Directeur cette année , ouvrit
la féance par une courte femonce ,
& par annoncer les difcours qui devoient
être lus. Après quoi le Secrétaire dit : il
eft jufte , Meffieurs , que nous donnions
quelques marques de reconnoiffance à
JANVIER. 1777 . 179
ceux qui nous font l'honneur de nous
communiquer les productions de leut
efprit , & nous ne pouvons mieux nous
acquitter de ce devoir, qu'en faifant dans
nos féances publiques une mention honorable
de tout ce qui nous a été préfenté
depuis notre dernière affemblée ,
foit par nos Affociés , foit par d'autres
Savans .
Dans le mois de Juin de l'année 1775.
M. l'Abbé Barral , notre Affocié , nous
envoya un manufcrit contenant l'éloge
d'Henri IV , Roi de France.
Vers la fin du mois d'Août 1775 , M.
Maynard d'Aiguefvives , notre Affocié ,
nous fit préfent d'un imprimé contenant
l'éloge de Cujas , fameux Profeffeur en
droit.
Dans le mois de Janvier , M. Pelletan
, aujourd'hui notre Confrère ,
préfenta un Mémoire , qui a pour titre :
Problême général fur la fommation & fur
plufieurs nouvelles propriétés des fuites récurrentes
, dont les premières différences
font égales à une quantité conftante , &
les fecondes différences font zéro , dont
M. de Forès & M. l'Abbé Bouillet firent
le rapport ; ce qui donna occafion à ce
dernier d'ajouter qu'en parcourant la pre-
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
mière partie du volume de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , année
1772 , dont nous venions de faire l'acquifition
, il y avoit trouvé un Mémoire
fur des irrationelles de différens ordres
avec une application au cercle , lequel lui
avoit paru avoir quelque rapport avec
un Mémoire de fa compofition , qu'il
avoit lu dans notre féance publique du
15 Octobre 1772 , & dont le précis avoit
été rendu public , de même que de celui
qui en contenoit les fondemens , & qui
avoit été lu publiquement le 16 Février
1769 ; & en même-temps , il lut quelques
remarques fur ce Mémoire.
Dans le mois de Février , M. Audibert
lut l'éloge de M. le Maréchal Duc
de Biron , nommé au Gouvernement du
Languedoc , qui lui avoit été adreffé
manufcrit , par M. Barral , notre Affocié
, & qui a été imprimé.
Peu de jours après , nous reçûmes
une lettre fort obligeante de la part de M.
le Baron de Marguerites , de l'Académie
Royale de Nifmes , avec une tragédie de
fa compofition , fous ce titre : la révolution
de Portugal.
Au mois d'Avril , je reçus une lettre
de M. Thiery , Médecin-Confultant du
JANVIER. 1777. 181
Roi, notre Affocié , dans laquelle il nous
fait part d'un cas de Médecine fort fingulier
, mais qu'il feroit trop long de
rapporter ici.
M. Buc'hoz , Médecin de Monfieur
notre Aſſocié , connu par une infinité
d'ouvrages concernant l'Hiftoire Naturelle
, la Médecine , &c . n'a pas manqué
de nous envoyer chaque mois deux cahiers
de fes feuilles .
Enfin M. Pauler , Docteur en Médecine
des Facultés de Paris & de Montpellier
, nous a fait préfent de deux volumes
in - 8°. contenant des Recherches
hiftoriques & phyfiques fur les maladies
Epizotiques, avec les moyens d'y remédier,
publiées par ordre du Roi ; & il nous a
fait part auffi de fa lettre à M. Cofte ,
Médecin de Nancy , où il fe défend victorieufement
contre l'injufte critique que
ce Médecin a faite de fes écrits .
Enfuite M. l'Abbé Decugis lut l'éloge
de M. Foulquier , Prêtre , Docteur en
Théologie , ancien Prieur de Murviel ,
ci-devant Principal du Collège Royal de
cette Ville , Académicien ordinaire , Vétéran
, mort à l'âge de foixante- dix ans.
Meffieurs de Ledrier , Lieutenant-Colonel
dans le Régiment de Béziers, Vialla,
Maître- ès-Arts & en Chirurgie , & Pel
18-2
MERCURE
DE FRANCE
.
letan, Ingénieur pour les travaux publics ,
& Directeur du Canal Royal , derniers
reçus , lurent leurs remercimens , auxquels
M. de Lablanque répondit d'une
manière également éloquente & gracieufe.
Meffieurs de Ledrier & Pelletan
Jurent auffi quelques réflexions , l'un fur
la philofophie , la politique , & la manière
de combattre des Grecs , qui fut
anéantie par les Romains qui les fubjuguèrent
, & fur les décifions orgueilleufes
& la folle préfomption de ces derniers
, à quoi il attribue la décadence de
leur Empire , autant qu'au luxe , qu'on en
regarde comme la caufe ; l'autre ( M. Pelletan)
lut un difcours fur le rapport qu'il
y a entre les progrès des ſciences & des
arts , & la félicité des peuples , fur l'influence
que l'un & l'autre peuvent avoir
dans le fort des Empires : il fit voir de
quelle manière les Académies ont contribué
à l'amélioration publique , en
comparant les temps d'ignorance avec
ceux où l'on a cultivé les fciences & les
arts : enfin il a appliqué cette vérité à la
ville de Béziers , qui depuis cinquante
ans s'eft confidérablement accrue & embellie.
M. Vialla lut deux obfervations
nouvelles concernant la défunion de la
JANVIER. 1777.
183
fymphyse des os du menton , avec les
moyens d'y remédier.
Enfin M. de Forès lut un Mémoire de
M. Pertholon , Prêtre de la Million
Profeffeur de Théologie au Séminaire ,
& Membre de plufieurs autres Académies
, fur la caufe phyfique des mouvemens
Electrico - circulaires. Après avoir
examiné dans ce Mémoire les différentes
roues qui ont été imaginées ; l'Auteur
rappelle en deux mots , la nouvelle roue
électrique qu'il a trouvée , & il affigne
les caufes phyfiques de ce mouvement
électrico- circulaire , , que le fluide électrique
feul met en jeu. Cette explication ,
fuppofant toute la théorie électrique , on
ne peut en donner ici une idée fatisfaifante.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Lundi 9 Décembre , on a donné au
Château des Thuileries un concert , dans
lequel Mademoiſelle Giorgy a chanté deux
airs Italiens , qu'elle a répétés , en cédant
aux acclamations & aux inftances du Pu184
MERCURE DE FRANCE.
blic. Son organe réunit la force , la lé
gèreté , l'étendue & la qualité la plus brillante
& la plus flatteufe. Elle parcourt
avec une telle facilité , tous les intervalles
de la mufique , que le chant lui femble
naturel, & fon langage ordinaire. Si cette
charmante Cantatrice veut joindre à tant
d'avantages , tout ce qui ne s'acquiert que
par l'étude & par les confeils des bons maî
tres , elle peut atteindre la perfection des
premiers fujets de l'Italie , & les furpaffer
par les dons que la nature lui a prodigués .
M. Ravoglia a joué avec applaudiffement
un concerto de hautbois. M. Beauvalet ,
qui chantoit avec fuccès la balfe - taille à
l'Opéra , vient d'arriver , après quelques
mois de féjour en Italie, avec une voix de
fauffet , & a tenté de chanter un air Italien
dans la manière des virtuofes de ce pays ;
mais quoiqu'il mette peut- être plus d'art
dans fon chant , & qu'il exécute des airs
plus difficiles , on regrette fa voix mâle &
fonore, & même fon ancienne manière de
chanter. MM. Wandyck & le Noble , ont
exécuté avec beaucoup de talent , une
fymphonie concertante . M. Jarnovick a
exécuté un concerto de violon avec cette
perfection qui le diftingue. Ce Concert
a fini par Samfon , Oratoire à grand
Choeur , de M. Méreaux .
JANVIER. 1777. 18 $
Dans le Concert du 24 Décembre ,
veille de Noel, Madame Balconi , célèbre
Cantatrice Italienne , a chanté deux airs ,
l'un de Sacchini , l'autre de Colla , & a
été applaudie pour le goût & la perfection
qu'elle met dans fon chant. Elle a bien
voulu répéter ces airs , en variant les
agrémens qu'elle diftribue avec beaucoup
d'art. Mademoiſelle Giorgy a auffi chanté
deux fois , par complaifance , un air
Italien , & toujours avec le même fuccès.
M. Caravoglia , excellent hautbois , a
exécuté un Concerto. MM. Palfa &
Tierchemith , ont joué plufieurs petits
airs à deux cors , qui
qui ont fait plaifir,
On a exécuté une fuite de Noels , arrangés
en fymphonie. Le célèbre M.
Jarnovick a exécuté un Concerto de
violon. Ce Concert a été heureuſement
terminé par le Te Deum de M. Langlé.
Le 25 Décembre ,` oonn a exécuté la
grande fymphonie de Toefchi . Mademoiſelle
Giorgy a chanté deux airs Italiens
; M. Baer a exécuté un Concerto
de clarinette ; on a entendu avec plaiſir
186 MERCURE DE FRANCE.
T
tin nouveau motet à voix feule del Signor
Prati , élève de Piccini . M Ponto a exécuté
avec applaudiffement un Concerto de cor
de fa compofition . M. Jarnovick a exé
cuté un Concerto de violon . On a fini
par le Pater , motet à grand Chour , de
M. Langlé.
' OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a donn alternativement avec Alceste ,
les Fragmens , compofés des Actes de la
Danfe , des Talens Lyriques ; d'Eglé ,
& de celui de Vertume & Pomone..
On a repris le Mardi 31. Décembre
Orphée & Euridice , Drame lyrique en
trois actes ; il faudra enfuite revenir à
P'Iphigénie. Ainfi M. le Chevalier Gluck
eft en poffeffion de la fcène lyrique
comme autrefois Lully & Rameau . Il
n'a point le génie du premier, ni l'imagination
du fecond ; mais il eutend mieux
que fes deux Prédéceffeurs , l'expreffion
des fentimens pathétiques & la déclamation
lyrique. Sa mufique eft plus théâtrale
; fon récitatif eft plus vrai , plus
JANVIER. 1777. 187
débité , & fes effets d'orchestre ont plus
de force & d'énergie . Il a le vrai
goût du Drame , dont l'objet principal
eft d'attefter & d'affecter l'ame . C'eft le
genre dominant qui s'eft emparé de tous
les Théâtres de Paris ; car en Province &
dans les Pays étrangers , ces Drames , où
cette mufique d'un mode fi fombre & fi
lugubre , ne trouve pas autant de Partifans
& d'Enthoufialtes que dans la Capitale.
Mile leVaffeur, M. le Gros , M. Larrivée ,
doivent partager une partie de la gloire
de M. le Chevalier Gluck , par l'action
& l'intelligence qu'ils mettent dans leurs
rôles. Ils ont faifi parfaitement dans leur
jeu , dans leur récit , dans leur chant
l'efprit du Maître ; ils fe livrent , avec
un heureux abandon , aux tranſports &
aux cris de la nature , lorfque l'art né
femble plus capable de les guider.
DEBUT .
MileCÉCILE , élève de M.Gardel , a débuté
fur ce Théâtre , dans les différens genres
de danfe . L'éclat de la jeuneffe , une taille
fvelre , une figure charmante , toutes les
grâces , une pofition de tête charmante ,
188 MERCURE DE FRANCE.
une grande précision , beaucoup de légéreté
, d'aifance & de moelleux dans fa
danfe , lui ont mérité tous les fuffrages
& diftingué cette nouvelle Terpficore.
Elle a joué , danfé & chanté le rôle d'Eglé
dans l'Acte de la Danfe. On ne peut
qu'applaudir au choix de Mercure , lorfqu'il
couronne des talens fi enchanteurs.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
ES Les Comédiens François ont donné l•
famedi 7 Décembre , la première repréfentation
du Malheureux imaginaire , Comédie
en cinq actes de M. Dorat .
Le Duc de Semours ayant tous les
avantages de la naiffance , de la fortune ,
de la confidération , aimant & étant aimé,
voulant faire du bien , & en faisant par
fon crédi: & par lui- même , a la manie
de fe croire malheureux , & il l'eſt en
effet ; une imagination active , mais triſte ,
ne ceffe de le tourmenter en lui repréfentant
les événemens les plus indifférens
, & les circonftances les plus favorables
, comme des combinaiſons du fort
pour l'affliger. Ileft amoureux de Madame
JANVIER. 1777. 189
à
de Thémine , veuve charmante , & qui a
toutes les qualités eftimables ; il en eft
chéri , il n'en peut douter ; cependant il
eft ingénieux à lui trouver des torts ,
lui remarquer de l'indifférence , & même
de l'inconftance. Ses foupçons fe forti
fient lorfque cette Veuve lui parle de
Florville , jeune homme qui a l'attachement
le plus tendre pour Émilie , foeur
& pupile du Duc de Semours. Il ne lui
donne pas le temps de dire les motifs
de l'éloge qu'elle en fait .Son imagination
bleffée faifit le premier mot ; il répond
avec une humeur & une ironie offenfanlui
reproche fa perfidie , & la laiffe
dans l'étonnement & l'inquiétude d'une
accufation fi mal fondée . Il furprend encore
la jeune Veuve avec une lettre de
Florville , & de - là nouveaux tourmens
pour le Malheureux imaginaire : nouveaux
reproches ; enfin il parvient à offenfer
fon Amante au point qu'elle- même
confirme fes foupçons , en difant que
puifqu'il le veut , elle aime Florville ;
mais elle parle avec ce ton du dépit qui
proteſte fi bien le contraire de fa penfée.
Le Duc veut marier fa foeur à Saint- Brice,
fon ami , non moins mélancolique que
lui , mais qui prétend l'être avec plus de
190 MERCURE DE FRANCE.
raifon . La réſiſtance qu'il trouve dans les
fentimens d'Émilie , & enfuite dans ceux
de fon ami . qui fe rend juftice , eft un
nouveau fujet de chagrin pour le Duc ;
il en trouve un autre dans le gain d'un
procès ; il fait obtenir un Régiment à
Florville , dans l'efpérance de l'éloigner ;
il obtient auffi un intérêt dans une affaire
de finance pour Dépermont , fon ami, &
véritablement malheureux , qui eft acca,
bié de dettes , qui perd continuellement
au jeu , à qui toutes les efpérances &
toutes les reffources manquent à la fois ,
mais qui eft infouciant par caractère, bravant
tous les événemens , toujours gai
& toujours content. Dépermont reçoit
le nouveau bienfait du Duc avec affez
d'indifférence , & paroît craindre jufqu'à
la fatigue de donner fa fignature. Ce caractère
contrafte parfaitement avec celui
de Semours : il eft plus faillant , plus théâ
tral , plus comique , & c'étoit peut- être
celui qui pouvoit faire le fujet principal
d'une Comédie , en lui oppofant le Malheureux
imaginaire. En effet , il ne faut
pas que les rôles fecondaires attachent
davantage que le premier rôle ; & c'eſt
un principe de l'art , de placer fur le
premier plan le perfonnage le plus remárJANVIER.
1777. 191
quable . D'ailleurs , le caractère de l'ln
fouciant doit fournir plus de traits , plus
de fcènes amufantes , plus de détails heu
reux , plus de variétés , que le caractère
du Malheureux imaginaire , qui ne peut
avoir qu'un ton , & qu'une manière de
voir la preuve en eft dans la Comédié
même dont il eft queftion. Dépermont
profite de l'erreur du Duc au fujet de
Madame de Thémine , pour favorifer
les prétentions de Florville fon parent
il aime , mais fans la moindre inquiétude
, Madame de Follange , qui eft une
Coquette fort légère , & qui ne refpire
que le plaifir ; elle a ordonné une fête &
un fpectacle chez le Duc , fort peu dif
pofé à s'amufer ; elle fait tout ce qu'elle
peut pour donner de la jaloufie à l'Infouciant
, fans pouvoir altérer fon humeur .
Mde de Thémine a le bonheur d'obtenir
de la Cour un Gouvernement pour un
ami du Duc , qui lui doit cet objet de fes
defirs . Sémours apprend bientôt que l'in
térêt que Madame de Thémine paroif
foit prendre au jeune de Florville , eft
pour remplir les voeux d'Emilie . Il con
fent à cette union , & reconnoît enfin
qu'il ceffera d'être malheureux en fe livrant
avec confiance aux fentimens d'une
II
192 MERCURE DE FRANCE.
femme eſtimable qu'il aime , & dont il
eft aimé. Cette Comédie eft écrite avec
beaucoup d'efprit , & il en falloit infiniment
pour remplir cinq actes avec un
fujet fi ftérile & fi malheureux. Il y a des
détails charmans ; ce qui a fait dire à une
perfonne éminente par fon rang , par fes
connoiffances & par fon goût , qu'il n'eftimoit
de cette pièce que les Ariettes .
Il nous femble encore que cette Comédie
eft furchargée de perfonnages qui
ne font pas effentiels à l'action , & que les
perfonnages fecondaires ne font point af-
Tez employés à faire reffortir le caractère
dominant. Il y a peu de fituations comiques
; & il faut convenir auffi que trop
d'efprit , trop de facilité , trop d'imagination
, ne permettent peut- être pas à M.
Dorat de méditer fuffifamment fon plan ,
& d'en affortir toutes les parties. Au refte ,
il y a dans cette Piéce une foule de vers
heureux , qui en fait le fuccès. Tels que
ceux-ci , en parlant de l'amour :
Confiant , il eft froid ; jaloux , il eft affreux ;
Quelque forme qu'il prenne il nous rend malheu.
reux .
Un Amant timide dit:
Youlois-je hafarder l'aveu de mon ardeur,
JANVIER. 1777. 193
Il mouroit fur ma bouche & rentroit dans mon
coeur .
L'Infouciant fait ainfi fon portrait:
Je fuis toujours le même ,
Infouciant par goût & léger par fyftême ;
Heureux , content de tout , je n'approfondis rien,
Un revers bien cruel m'enleva tout mon bien.
Mes amis m'ont trompé ,les femmes me trahiffent ;
Mes maudits créanciers quelquefois m'étourdiffent;
Je ne me fâche pas , j'y fuis accoutumé ,
Et , comme vous voyez , les malheurs m'ont
formé.
En parlant à Semours :
Jem'en fuis dit autant ,
J'ai l'horrible défaut d'être toujours content.
Vous grondez , moi , je ris , pardonnez l'apol→
trophe ,
Vous n'êtes que chagrin , & je fuis philofophe ,
Heureux effrontément.
Ecoutez , mon cher Duc , ceci va vous furprendre :
Quand j'aurois vos honneurs , vos amples re
1. Vol.
venus,
*
194 MERCURE DE FRANCE.
Vos titres fi brillans , vos entours fi connus ,
Et ces poftes nombreux qui ſemblent vous contraindre
,
Je ne m'en croirois pas pour cela moins à plaindre ;
Prêt à tous ces affauts ou prompt à m'aguérir ,
Je me réfignerois ; il faut favoir fouffrir.
Le Malheureux imaginaire eft joué
fupérieurement par M. Molé ; M. Belcour
a mis dans celui de l'Infouciant
beaucoup de fineffe , d'aifance & d'agrément
; M. Préville a tiré tout le parti
poffible du rôle de Saint-Brice , & M.
Monvel de celui de Florville . Madame
Doligni eft très -intéreffante dans le rôle
de Madame de Thémine . Mademoifelle
Fanier a rendu gaiement & avec efprir
la Coquette. M. Dugazon joue un
rôle de Valet , & Mademoiſelle Dugazon
un rôle de Soubrette.
Cette Piéce , à la fin de Décembre, avoit
neuf repréſentations , & fe continue .
On a donné , avec fuccès , quelques
repréſentations de Blanche & Guifcard,
-Tragédie de M. Saurin . Madame Veftris
a joué le rôle de Blanche avec la noJANVIER.
1777. 195
bleffe , l'énergie , & l'intelligence qui
caractériſent fon talent.
DEBUT S.
Le mardi 17 Décembre , Mademoiſelle
DESPERRIERES a joué le rôle d'Electre
dans la Tragédie d'Orefte, de M. de Voltaire
: cette Actrice a été beaucoup gênée
par fa timidité. Cependant on a reconnu
en elle de la fenfibilité , de l'intelligence ,
un fentiment prompt , les accens de la
douleur , & le cri de la paffion . Elle a
l'organe un peu voilé ; elle laiffe quelquefois
traîner fes fons, & elle ne ménage
point affez fa voix pour lui donner de la
force dans les momens de la paffion . Au
refte , Mademoiſelle Defperrieres reçoit
les avis d'un Maître bien capable de diriger
& de faire valoir fes dispofitions
naturelles.
M. le Kain a joué le rôle d'Orefte avec
cette perfection qui le diftingue . M. La
Rive a rendu avec le plus grand fuccès
le rôle de Pilade , & Mademoiſelle
Sainval a excité des transports d'admiration
dans le rôle de Clytemneftre , dont
elle a conçu & fait fentir toutes les
beautés.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
M. M. a débuté dans les rôles de
Payfans , & ceux dits à Manteau : il a
eu peu de fuccès.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné , le
Jeudi 5 Décembre , la repriſe de l'Aveugle
de Palmyre , de M. Desfontaines , pour
les paroles , & de M. Rodolphe , pour
la mufique .
Ce Drame a fait plaifir , mais peu de
fenfation , quoique le fpectacle en fort
agréable , la Pièce bien écrite & la mufique
très-gracieufe , & parfaitement exécutée
par M. Clairval , & par Mefdames
Laruette & Colombe , qui jouoient les
principaux rôles.
>
On a remis fur ce Théâtre Arlequin
Hulla , ancienne Pièce de Romagnéfi
qui a eu quelques repréfentations , dans
lefquelles on a beaucoup applaudi au jeu
de M. Carlin & de Madame Bianchi.
On a remis encore à ce Théâtre la
Belle Arsène, Comédie en quatre actes ,
JANVIER. 1777 . 197
en vers , de M. Favart , pour les paroles ,
& de M. Moncini , pour la mufique . Les
talens de ces deux Auteurs font des
garans
du fuccès de leur ouvrage.
On a repris auffi le 28 Décembre , les
Mariages Samnites , dont le poëme eft
de M. du Rozoi , & la mufique de M.
Grétry. Ce charmant fpectacle a fait
plus de fenfation que dans fon origine.
Le Public , qui devient de plus en plus
fenfible à la bonne mufique , à celle fur
tout qui eft l'interprète de la nature , du
fentiment & des paffions , a beaucoup
applaudi aux airs pleins d'expreflion &
d'énergie de cette Pièce , qui a un égal
fuccès fur les Théâtres de Paris , de la
Province & des Pays étrangers . Madame
Dugazon joue le rôle de Céphalide , &
fon chant & fon jeu lui font le plus
grand honneur. Elle a détaillé la fèène
avec une intelligence , une vérité & une
expreffion qui caractérisent une excellente
Actrice . Mademoiſelle Colombe a
été vue & entendue avec tranfport dans
le beau rôle d'Eliane. MM. Julien
Michu & Narbonne , ont auffi recueilli
les fuffrages des Spectateurs. Le duo
entre les deux Amis , à la fin de cette
Pièce , a été abrégé par un récitatif qui
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
partage le chant. Cette coupe heureuſe
a fait un plaifir infini.
DÉBUT.
Mademoiſelle DE LA COUR , a débuté
à ce Théâtre dans les rôles de Duègne.
Elle paroît avoir l'habitude de la ſcène ,
de l'intelligence , & une bonne manière
de chanter ; mais peu de voix , & de la
gêne dans fon chant & dans fa déclamation.
ARTS.
GRAVURES.
I.
LE Charlatan Allemand , le Charlatan
François , deux eftampes de neuf pouces
& demi de hauteur , & fept & demi de
largeur , très agréables & très-bien gravées
par M. Helman , d'après les deffins.
de M. Bertaux ; prix 1. 10 f. chacune ;
chez l'Auteur , Graveur de Mgr le Duc
JANVIER. 1777. 199
de Chartres , rue des Mathurins , au
petit Hôtel de Clugny.
I I.
Fête de Campagne Hollandoife , de
deux pieds de largeur , & de dix - neuf
pouces de hauteur , dédiée à M. le Baron
de Van- Baerll , Confeiller de Sa Majeſté
le Roi de Pologne , gravée par Dequevauviller
, d'après le tableau de Scovart.
AParis, rue & porte S. Jacques , maiſon
de l'Apothicaire . Cette eftampe eft d'une
compofition très- riche , très - gaie , dans
un beau ftyle , & remplie d'une multitude
de figures : elle eft gravée pittoref
quement , & d'un bon ton de couleur.
I I I.
Le Porte-Balle ou le Voyageur, eftampe
de douze pouces de largeur , & huit de
hauteur , gravée d'après le tableau original
de David Teniers , de même grandeur
, par Monfieur & Mademoiſelle
Chenu , prix 16 f. A Paris , chez les Auteurs
, rue de la Harpe , vis-à-vis le Café
de Condé .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Lapleine Moiffon, dédiée à S. A. Mon.
feigneur Adam de Czatoryski , gravée
d'après le deffin d'Ifaac Moucheron
par E. de Ghend ; compofition agréable ,
tyle gracieux , exécution très-foignée.
A Paris , chez Deghendt & Defmareſt ,
rue de Bourbon Villeneuve , vis - à- vis les
murs des Filies- Dieu .
V.
La Philofophie endormie , dédiée à Madame
Greuze, eftampe de dix-huit pouces
de hauteur, & treize de largeur ; gravure
d'après le deflin de M. Greuze , fous la
direction de M. Aliamet . A Paris , chez
Aliamet , rue des Mathurins .
V I.
>
Eftampe gravée par L. A. de Buigne ,
d'après le deffin de Gravelot , tirée d'une
fcène d'Henri IV, repréſentant le Prince
égaré dans une forêt , & pris pour un
Braconnier on lit au bas ces mots , tirés
de la Comédie , je tenons le coquin qui
JANVIER . 1777. 201
vient tirer fur les cerfs de notre bon Roi ,
prix 12 fols. A Paris , chez Linger , rue
des Maçons, à côté de l'Hôtel des Quatre
Nations ; le fujet fait pendant à un autre
de même prix , que l'on trouve chez
Ponce , Graveur , rue St. Hyacinthe
maifon de M. Debur ; de la même pièce,
repréfentant Sully aux pieds d'Henri IV,
& ce Prince le faifant relever , lui difant
ces mots : relevez-vous , ils vont croire que
je vous pardonne.
VII.
Fêtes d'étude , gravées par Madame
Linger , en manière de crayon , d'après
Monfieur Greuze , Peintre du Roi. Madame
Linger fe propofe d'en faire une
collection , qu'elle juge autli curieufe
qu'utile au Public , prix 16 fols , chaque
tête. A Paris, rue des Maçons, près l'Hô-
' tel des Quatre Nations .
VIII.
Tête de Vieillard , gravée en manière
noire, d'après un tableau de M. Vincent,
Penfionnaire du Roi à l'Académie de
Rome , par M. Haines. A Paris , chez •
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
l'Auteur , rue de Tournon , vis -à-vis
l'Hôtel de Nivernois.
I X.
Table gravée à l'ufage de la Loterie
Royale de France , pour favoir combien
de fois les numéros font fortis de la roue
de fortune , & c. A Paris , chez Perier ,
Graveur , rue des Foffés S. Germainl'Auxerrois
, près la Pofte aux Chevaux.
X.
Portrait de M. Bouvart , Cla. viro
Michali-Philippo Bouvart, Regii Ordinis
Equiti;falub. Fac. Pari. Dočtori in Collegio
Regio Profeffori Emeriti nec non
Reg. Scient. Academia focio, hanc ipfius
effigiem in veteris amicitia pignus ac monumentum
deffiné par Fr. Bourgoin ,
& gravé par B. L. Henriquez , Graveur
de S. M. I. de toutes les Ruffies , & de
l'Académie Impériale des B. A. de Saint
Pétersbourg , prix 3 liv. A Paris , chez
Henriquez , rue de la vieille Eftrapade ,
maifon de M. Moreau , Maître Charpentier.
JANVIER . 1777. 203
MUSIQUE.
I.
SECOND Recueil de petits airs , Menuets
& Ariettes , choifis & arrangés pour la
Harpe , par H. Petrony , prix 7 liv. 4 fols.
I I.
Recueil d'airs choifis , avec accompa
gnement de Harpe , par le même , prix
7 liv. 4 f. A Paris , chez le fieur Krupp ,
Luthier , rue Saint Honoré , vis- à- vis
l'Opéra , & aux adreffes ordinaires de
Mufique.
II I.
Mes Loifirs , Recueil d'Ariettes , Chanfons
, Romances & Duo , avec accompagnement
de baffe chiffrée , & un violon
, gravé féparément ; dédié à Madame
la Baronne d'Hinge , par M. Legat de
Furcy , Maître de goût & de chant , prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue
du Coq-Saint-Honoré , près l'Oratoire ;
& aux adreffes ordinaires de Mufique.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Pièces d'orgue , Meffe & Noëls Flamands
, François , Italiens , &c. avec
variations en fa majeur , dédiés à Madame
de Montmorency-Laval , Abbeſſe
de l'Abbaye Royale de Montmartre ,
compofées & arrangées par M. Benaut ,
Maitre de Clavecin , prix 3 liv. 12 fols ,
abonnement du mois d Octobre , chez
l'Auteur , rue Dauphine , près la rue
Chriſtine.
V.
Les foirées de Cheffy , ou trois Sonates
pour la harpe , fuivies d'un Menuet &
d'une Chaconne , avec ou fans accompagnement
de violon , dédiées à Mademoiſelle
de Walckiers , & compofées par
M. Burckoffer ; prix 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue Saint Honoré , à l'Hôtel du
Saint-Efprit , vis- à- vis les écuries du Roi ;
au Bureau d'abonnement mufical , rue
du Hazard- Richelieu ; Nadermann , Luthier
ordinaire de la Reine , rue d'Argenteuil-
Saint-Honoré , & aux adreffes
ordinaires de mufique.
JANVIER. 1777. 205
V I.
Traité des agrémens de la Mufique ,
exécutés fur la guittare ; ouvrage qui
manquoit aux Amateurs , & qui eft indifpenfable
pour exécuter avec goût les
pièces & les traits de chant qui fe trouvent
fouvent dans les accompagnemens ; con.
tenant des inftructions claires , & des
exemples démonftratifs fur le pincer , le
doigter , l'arpege , la batterie , l'accompagnement
, la chûte , la tirade , le martellement
, le trill , la gliffade & le fon
filé ; fuivis de plufieurs airs , la plupart
connus , dont le dernier renferme , dans
dix - neuf variations , tous les agrémens ;
par M. Merchi , Maître de guittare ,
Euvre XXXV , prix 9 liv. chez l'Auteur
, rue S. Thomas- du - Louvre , près
le Château d'eau ; & ` aux adreſſes ordinaires
de mufique .
En s'adreffant directement à l'Auteur ,
les perfonnes de Province jouiront du
bénéfice du Marchand, & feront fûres
d'avoir des exemplaires bien gravés . Il
faut affranchir l'avis & l'envoi de l'argent.
206 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
CARTE des limites actuelles de la Pologne
, réglées définitivement par la Diète
de cette année , & par les trois Puiffances
co-partageantes ; avec les limites de l'Empire
Ottoman , dans fa partie feptentrionale
, démembrée tant par les conquêtes
des Ruffes , que par un traité entre la
Maifon d'Autriche - Lorraine , & le Grand
Seigneur. Les routes , avec les diftances
entre Pétersbourg , Warsovie , Berlin ,
Vienne & Conftantinople , font tracées
dans cette Carte , qui eft un fupplément
abfolument néceffaire aux Atlas & Traités
de Géographie. Prix 15 fols . A Paris ,
chez M. Brion , Ingénieur -Géographe du
Roi , rue du Petit- Pont , près la Fontaine
Saint- Severin , maiſon de M. Langlois ,
Libraire.
JANVIER. 1777. 207
ARCHITECTURE.
M. DUMONT , Profeffeur de l'Ecole
Royale des Ponts & Chauffées , Membre
des Académies de Rome , Florence , Bologne
, & c , vient de faire graver un projet
de façade pour une entrée d'Hôtelde-
Ville , dédié à M. de Trudaine de
Montigny , Confeiller d'Etat , Intendant
des Finances , & c . On y trouve style
de Palladio , accommodé à nos ufages.
Les avant- corps , au nombre de trois ,
font d'un genre neuf & offrent des beautés
de détail . On remarque auffi la manière
adroite dont l'Auteur les a raccordées
avec les arrières- corps, qui, quoique
plus fimples , font d'une architecture
noble & bien caractérisée.
Nous ajouterons que l'exécution de la
gravure ne laiffe rien à defirer , tant pour
la netteté que pour l'effet.
Cette gravure fe trouve à Paris chez
l'Auteur , rue des Arcis , maifon du Com
miffaire ; & chez M. Jollain , quai de la
Megifferie .
208 MERCURE DE FRANCE.
Cours d'Elocution & d'Ortographe
Françoife.
Le cours compler d'Elocution & d'Orthographe
Françoife de M. Devillencour ,
ci-devant Profeffeur à la Cour de Bavière ,
fe continue avec fuccès , rue Bétizy , près
de la rue Tirechappe , au magafin des
Princes , où l'on s'adreffera au Portier.
༧ ༽ པ
Cours de Langue Italienne .
M. l'Abbé Fontana , déjà connu par
les cours de langue Italienne , que , depuis
du temps , il donne dans cette Capitale
avec fuccès , & recherché par la manière
facile & fuccinte avec laquelle il
enfeigne cette agréable langue , reprendra
un nouveau Cours famedi 11 Janvier
1777 , à trois heures du foir , jufqu'à
cinq , & le continuera tous les Mardis
& Samedis à la même heure . Il donne des
leçons particulières chez lui & eneville.
Les perfonnes qui voudront prendre
JANVIER. 1777 . 209
de fes leçons , font priées de lui écrire ,
ou de paffer chez lui , rue Montorgueil ,
porte- cochère à côté de la rue Pavée ,
où l'on trouve toujours du monde .
la
BIENFAISANCE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Monfieur , la bienfaifance eft une
vertu fi belle & fi rare de nos jours , que
c'eft un crime de laiffer échapper les occafions
d'en fournir des exemples aux
Grands , qui ne le font jamais davantage ,
que lorfque leur coeur s'élance hors le
tourbillon de la fortune & de la magnificence
qui les enivre , pour s'occuper du
fort des malheureux .
Monfieur de Narbonne , Evêque
d'Evreux , vient de marier , en fon château
de Condé , Mademoiſelle de Narbonne
fa niéce , à Monfieur le Comte
d'Héricourt. Pour rendre même les malheureux
participans de la fatisfaction des
deux Familles , il a fait choix , dans le
Bourg de Condé, chef lieu de fa Baronnie,
d'une jeune Fille auffi pauvre qu'honnête ,
qu'il a habillée , dotée d'une fomme de
210 MERCURE
DE FRANCE.
300 livres , & mariée jeudi dernier , à un
garçon du même Bourg : cette cérémonie
s'eft faite dans la Chapelle de fon Château ,
'd'où les nouveaux Epoux furent conduits
à un banquet exprès préparé , à la gaieté
duquel ce Prélat , M. & Madame la Comtelle
d'Héricourt n'ont pas dédaigné renouveller
les Saturnales . Madame d'Héricourt
fit même à la Meſſe une quête au
bénéfice des nouveaux Epoux , auxquels
elle remit une fomme de près de 150 liv.
Un acte de cette efpèce eft bien digne
d'un Prélat auffi généreux que M. de Narbonne
; mais il en eft un autre qui caractérife
bien plus effentiellement la bonté
de fon coeur. Le lendemain il fe tranfporta
au domicile des Epoux , & leur remit
une autre fomme de 300 liv . dont il
exigea un billet , en leur difant : faites
profiter cette fomme , mes enfans , & ce
fera la manière dont vous vous conduirez
qui me déterminera , ou à vous la laiffer ,
ou à vous la faire rendre. Le premier acte,
fuivant moi , eft beau ; mais le fecond eft
admirable , & méritent tous deux de paſfer
à la postérité , qui , comme nous ,
reconnoîtra dans la générofité de M. de
Narbonne , la bonté d'un père de famille ,
jointe à la religieufe inquiétude & à la
fage précaution d'un vrai Prélat.
JANVIE R. 1777. 211
Cette façon de faire du bien eft fi ingénieuſe
& fi nouvelle , que je ne penſe
pas que vous puiffiez lui refuſer la célébrité.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Variétés , inventions utiles , établissemens
nouveaux , & c.
I.
Nouvelle Fabrique & Magafin de Colonnes
, Supports, Dalles , Vafes, & autres
Curiofités de Porphyre de France.
Ce n'eft que tout récemment qu'une
Société de Particuliers zélés pour le progrès
des Arts , a découvert dans une
partie de la France des blocs confidérables
de Porphyres les plus variés .
Cette Compagnie a fait à fes frais enlever
, tranfporter , dégroffir , fcier , tailler ,
fculpter , polir , en un mot , mettre en
oeuvre , un nombre confidérable de ces
maffes précieufes. Ce ne fera plus déformais
de fimples effais de matières graniteufes
, des portions mefquines de Por
212 MERCURE DE FRANCE .
>
phyre , que la France fe glorifiera de
produire dans fon fein ; les ouvrages
de toutes dimenſions exécutés en
ce genre de pierre dure par la nouvelle
Compagnie , vont rendre la Seine rivale
du Nil. On trouvera en tout temps dans
la Capitale de la France, un Magafin confidérable
& richement afforti de ces fortes
de curiofités , où les Amateurs de
toutes nations pourront fe procurer, à un
prix modique , ce qu'on a payé jufqu'ici
au poids de l'or , ou , pour mieux dire ,
ce qu'on ne pouvoit fe procurer même
à prix d'or , tant ce genre de pierre étoit
devenu rare.
On ne s'arrête pas davantage à faire
fentir l'utilité réelle d'un tel établiffement
, qui va remettre l'Architecture &
la Sculpture en poffetlion de la matière
la plus noble , la plus précieuſe & la plus
inaltérable que ces deux Arts ayent jamais
employée.
Ces Porphyres , tirés du fein de la
France ont toutes les qualités intrinsèques
des Porphyres antiques ; il ne font
point effervefcence avec les acides ; ils
font vitrifiables à l'aide du feu ; ils font
étincelle avec l'acier . Plufieurs même
d'entr'eux font évidemment plus durs
JANVIER . 1777. 213
que le Granit d'Egypte . Une autre confidération
bien effentielle , c'eft l'étonnante
& riche variété des nouveaux Porphyres.
Le Magafin de la Compagnie en offre plus
de foixante variétés effectives , tandis que
le nombre des espèces antiques fe montoit
tout au plus à cinq ou fix .
Un tableau fuccinct des principales
efpèces , toutes Françoifes , que préſente
le Magafin, mettra les Amateurs à portée
de juger de l'abondance du nouvel
affortiment.
Dans toutes ces efpèces , il y a des
nuances ou fubdivifions à l'infini.
Lifte des principales fortes de Porphyres
qui fe trouvent dans le Magafin.
Granit rouge. Granit
rouge foncé , ou
Granit
d'Egypte
. Granit
gris à très-petits
grains. Breche verte graniteufe
. Porphyre
rouge. Breche
fond bleu , graniteufe
.
Granit
à taches
rouges
foncées
. Breche
Africaine
graniteufe
, forte en couleur
.
Breche
verte graniteufe
à grains
verdd'eau
. Jafpe
rubanté
graniteux
. Breche
verte à petits points
blancs. Granit
jaſpé ,
différemment
moucheté
. Porphyre
verd
à petits
grains. Porphyre
verd à taches
214 MERCURE DE FRANCE.
noires. Porphyre verd très -foncé , à taches
verd-d'eau demi-tranfparentes. Porphyre
en forme de Jafpe agathifé , très-tranfparent.
Granit à fond brun foncé , à petites
taches blanches. Porphyre en forme de
Jafpe fleuri. Granit fond blanc , à taches
inégales verdâtres. Porphyre en forme
de Jafpe fond rougeâtre , à taches blanches
, formant divers accidens curieux .
Breche grecque graniteufe , imitant parfaitement
la vraie breche grecque , enforte
qu'en les comparant enfemble , il
n'eft pas poffible d'y furprendre aucune
différence .
État des Curiofités de Porphyre mis en
oeuvre , qui fe trouvent dès-à-préſent
dans le Magafin.
Vafes de diverfes formes élégantes ,
Caffoletres , Athéniennes , Cuvettes , Bijoux
de cabinets , Colonnes , Supports
Couvre-papiers , &c. On y trouve auffi
des Dalles de Porphyre , de toute grandeur
, même de neuf pieds & plus de
long ; & par la fuite tout ce que les Amateurs
pourront defirer .
Ce Magafin eft fitué rue du Fauxbourg
S. Martin , maifon de M. Martin , VernifJANVIE
R. 1777. 21y
feur; chez M. Feuillet, Sculpteur, ancien
Profeffeur de l'Académie de S. Luc , qui
a chez lui l'Entrepôt de ces Porphyres ,
& qui eft chargé du foin de les orner &
décorer.
I I.
Fabrique de Mouchoirs de Fil.
Le fieur Maraud, autorifé du Confeil
pour la fabrique des mouchoirs de fil
rouge , bon teint , façon des Indes ,
avertit le Public qu'il en a établi la vente
chez le fieur Briard , Marchand Mercier
& Parfumeur , rue S. Antoine , au coin
de celle vieille du Temple.
La perfection à laquelle il a porté fes
teintures, a reçue une approbation géné
rale. Il donne avis en outre qu'il en fabrique
en fond blanc , façon de Béare &
de Siléfie , à bordure rouge , le tout à
des prix dont le Public fera fatisfait .
Je fouffigné , Commiffaire du Confeil
pour l'examen des teintures , certifie
qu'ayant fait l'épreuve des rouges de garence
fur fil & coton , dont font fabriqués
les mouchoirs du fieur Maraud, j'ai
trouvé qu'ils avoient autant de folidité
que ceux du Levant, connus fous le nom
216 MERCURE DE FRANCE.
de rouges de Turquie ou d'Andrinople .
A Paris , ce 4 Octobre 1776 , figné Macquer.
I I I.
On cultive dans le jardin Botanique
d'Edimbourg , une plante fort fingu.
lière que les Curieux s'empreffent de ve
nir voir, & à laquelle on a donné le nom
de plante mouvante. La graine en eſt venue
du Bengale ; le profeffeur Botanique
d'Edimbourg , la reçut avec la
planche & la defcription Botanique de
la plante . On l'appelle dans le pays Burrum
, Chundulii ; les habitans fuperftitieux
, lui attribuent des vertus & des
qualités prodigieufes .
Le 1s de Juin dernier , elle avoit
quinze pouces de haut ; fes mouvemens ,
qui font vraiment finguliers , ont commencé
vers le milieu du mois de Mai.
Ils ne dépendent pas , ainfi que ceux
de la fenfitive , d'aucune impulfion
d'aucune caufe externe , ils proviennent
d'une force interne Un coup de vent
un peu fort , dérange les opérations de
la plante , & en arrête les mouvemens
& les agitations.
Cette plante a fes feuilles partagées
en
JANVIE R. 1777. 217
en trois ; l'extrémité de la feuille eſt
fort large ; & par les différentes pofitions
qu'elle prend durant le jour , on
voit qu'elle fuit affez le cours du foleil ;
fes mouvemens les plus forts & les plus
remarquables font collatéraux, & ne s'accordent
pas toujours exactement avec
le mouvement du foleil : cette motion
des deux côtés oppofés de la feuille , eft
particulière & affez conftamment uniforme.
ANECDOTES.
I.
AUGUSTE I , Roi de Pologne , retournant
dans fon Royaume , & paffant près
d'une de fes villes
frontières , fes puſtillons
, pour éviter un mauvais chemin
voulurent paffer par le champ labouré
d'un payfan , qui , s'en étant apperçu , fe
faifit des rênes des chevaux , & menaça
de brifer les roues du carroffe avec une
forte hache dont il étoit armé , fi l'équipage
ne prenoit la ronte ordinaire : deux
Pages qui fuivoient le carroffe avancèrent
K
218 MERCURE DE FRANCE.
& maltraitèrent le payfan . Les poftillons
alloient paffer outre , lorfque le Roi , entendant
le bruit de la difpute , défendit
à fes Pages de frapper le payfan ; & lui
ayant fait donner quelque argent, ordonna
au poftillon de tourner & de rentrer dans
le chemin , en difant que ce pauvre avoit
raifon de défendre fon bien , & qu'un Roi
n'étoitpas plus en droit que le moindre particulier
, de ruiner perfonne , fur- tout fans
néceffité.
I I.
>
M. le Prince ( le Grand Condé ) eut
la curiofité de voir un poffédé en Bourgogne
, dont on faifoit beaucoup de bruit.
En tirant quelque chofe de fa poche ,
comme fi ç'eût été un reliquaire , il lui
mit la main fermée fur la tête : le poffédé
dit & fit auffi - tôt beaucoup d'extravagances.
Le Prince retirant fa main
fit voir au poffédé que c'étoit une montre
; le poffédé fort déconcerté de voir
cela & faifant mine de vouloir fe jeter
fur lui , le Prince qui avoit une canne
à la main , lui dit M. le diable , fi tu me
touche je t'avertis que je rollerai bien
ton étui . En faifant le récit de ce qui lui
étoit arrivé alors , il difoit , je parlai de
JANVIE R. 1777 .
219
cette manière , ne voulant pas qu'on
crût que j'étois affez fou pour battre le
diable : ce poffédé demeura dans fon devoir
, & ne bartit pas M. le Prince , qui
auroit exécuté fa menace .
AVIS.
I.
LE fieur Compigné , Tabletier breveté de
Sa Majefté , le propofe , comme les années précédentes
, de fixer l'attention des gens de goût ,
par les nouveautés qu'il expofe cette année dans
fon magafin , rue Greneta , au Roi David , tous
Ouvrages de fa fabrique . On y trouvera des tabatières
de toutes efpèces , les unes plus riches
que les autres , & de toutes les formes . Il en eft
à gorge , galons & rofe d'or , à miniature, &c.
& d'autres dont les ornemens imitent les broderies
& fans galons ; de très jolies bonbonnières ,
de différent genre , & d'un goût nouveau ; des
étuits , des boîtes à rouge , & des fouvenirs , &c .
de nouveaux tableaux gravés fur le tour , &
différens jolis petits meubles , ornés de ces
mêmes tableaux ; comme petites tables , chiffonnières
& autres ; enfin nombre de nouveau◄
tés , dont le détail feroit trop long ; particuliè
rement des boîtes de couleurs à la mode , ornées
de fujets d'un nouveau coloris , le tout à des
Kij
220 MERCURE DE FRANCE,
ז י
prix convenables aux dépenfes que l'on veut y
faire,
I I.
Le dépôt de la Manufacture de porcelaine de
MONSIEUR , frère du Roi , établie à Clignancourt
, eft actuellement dans la rue Neuve des
Petits-Champs , au coin de la nouvelle rue Chabanel.
L'accueil que ´le Public a fair à cette porcelaine
, a engagé le fieur Deruelle
à augmenter
fes travaux : il eſt à portée de fatisfaire
à toutes
les demandes
, tant pour l'utile en fervice de
table , figures en bifcuit , qu'en vafes & autres
objets d'ornemens
,
Il affortit parfaitement tous les anciens fervices
de Saxe.
La nature de fa porcelaine eft de la plus
grande dureté ; ce qui eft un avantage effentiel,
en ce qu'elle eft moins caffante, qu'elle réfifle
au paffage fubit du plus grand froid à la plus
grande chaleur de l'eau.
Il n'y a de dépôt de porcelaine de cette Manufacture,
que dans le magafin ci-deffus annoncé ;
& en pièces détachées , chez M. Granchez , au
petit Dunkerque, & chez M. de la Frenaye , au
Palais ; cette porcelaine eft marquée du chiffre
de MONSIEUR,
JANVIER. 1777. 221
III.
Avis des Auteurs de l'Année Littéraire.
On ne foufcrira déformais pour l'Année Lit
téraire , que chez M. Fréron , rue S. Jacques
près le Collège de Louis - le - Grand , ou chez le
fieur Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins
, au coin de la rue Pavée .
Les quatorze Numéros qui doivent paroître
encore pour completter l'année 1776 , feront
diftribués par le fieur le Jay , Libraite , rue S.
Jacques , & s'il arrivoit qu'il y eût lieu à quelque
plainte , c'eft à lui feul qu'il faudra s'adreffer
; mais dès le premier Numéro de l'année
1777 , la diftribution fe fera par le fieur Mérigot
feul.
Plufieurs de Meffieurs nos Soufcripteurs des
Provinces, fe font plaints à nous de ne pas recevoir
les feuilles dès qu'elles paroiffent . Ce retard
vient uniquement de ce qu'on foufcrit chez des
Libraires qui donnent ordre de ne leur envoyer
les feuilles qu'avec d'autres ballots qu'ils reçoivent
de temps en temps de la Capitale ; nous
avons des Soufcripteurs qui font quelquefois
fix femaines fans recevoir aucun Numéro . Pour
prévenir eet inconvénient , il faut s'adreffer directement
, ou à M. Fréron , ou au fieur Mérigot.
Les Auteurs ont beaucoup de matériaux prêts
à être imprimés , & dans peu ils completteront
l'année 1776. Les perfonnes qui voudroient
foufcrire pour l'année 1777 , font priées de le
faire inceffamment , afin qu'on puifle faite im
primer les adreffes.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , 17 Octobre.
ALI DAHER a difparu avec ſes tréfors ; mais on
tient fous bonne garde à Seyde , dans deux caravelles
, fes frères & quatre- vingt perfonnes de
leur maison ; les fept autres petits bâtimens font
toujours à Baruth . Le Pacha de Tripoli a fait , à
cinq ou fix lieues autour de cette ville , un pillage
immenfe , qu'il continue encore , & qu'on fait
déjà monter à plus de 150 bourfes.
Les troubles de la Crimée continuent ; le frère
du Kan actuel des Tartares de cette Prefqu'île ,
demande à la Porte des fecours qu'il ne peut
obtenir. La Ruffie a , dit-on , un parti confidérable
qui refufe de reconnoître ce Kan , & qui tente.
tous les moyens de rétablir le Kan dépofé.
De Pétersbourg, le 21 Novembre.
L'Impératrice a ordonné la levée de 20 mille
hommes de recrues pour completter fes troupes ,
dont une grande partie défile vers l'Ukraine & les
autres frontières de l'Empire. Ces mouvemens
& ceux que l'on remarque dans quelques Cours
voifines , donnent lieu à beaucoup de conjectures.
De Copenhague , le 29 Octobre,
›
La Banque royale , placée à la Bourfe de cette
1
JANVIE R. 1777. 223
ville , a été volée au commencement de ce mois
pendant la nuit , à la faveur d'une ouverture
pratiquée au toît de ce vafte édifice . On a ſaiſi
plufieurs des Crieurs , qu'on y enferme pendant
la nuit pour garder cet édifice , toujours rempli
de toutes fortes de marchandiſes ; mais on n'a
pu jufqu'ici tirer d'eux aucun éclairciffement .
De Vienne , le 25 Novembre.
Lebruit , qui fe répand depuis long-temps , d'un
voyage que l'Empereur fe propofe de faire en
France , fe confirme de plus en plus . On prétend
qu'il pourroit bien avoir lieu cet hiver .
On raffemble en Bohême & en Moravie un
grand nombre de recrues , qu'on y exerce journellement
au maniement des armes . L'armée de
Leurs Majeftés Impériales & Royale eft actuellement
fur le meilleur pied , & la plus nombreuſe
de l'Europe.
De Londres , le 28 Novembre.
Plufieurs vaifleaux arrivés de l'Amérique en
différens ports du Royaume , ont apporté des
dépêches , fur lefquelles la Cour garde le filence.
Le Public , impatient d'en favoir le contenu
s'étonne du peu d'empreffement des Miniftres à
fatisfaire fa curiofité , & tire de ce filence diver
fes conjectures : comme fi les événemens , pour
être heureux , devoient fe faivre auffi rapidement
que l'expédition des vaiffeaux qui partent fucceffivement
de New-Yorck. Des nouvelles particulières
font mention de quelques efcarmouches
"
Kiỷ
224 MERCURE DE FRANCE.
entre les détachemens des troupes Britanniques
& quelques Corps Américains qui , de temps en
temps , s'avancent hors de leurs retranchemens.
On ne manque pas d'attribuer toujours l'avanage
aux premiers ; cependant on préfume que
les Commandans de l'armée royale diffèrent l'attaque
des retranchemens des Kinsbrigde , & l'engagement
d'une affaire décifive , jufqu'à ce qu'ils
fe voyent prefque affurés du fuccès. Ce qui fait
croire qu'ils ne regardent ni la conquête de Long-
Ifland , ni l'abandon de New- Yorck , comme
une preuve de lâcheté de la part des Américains ,
& d'incapacité de la part de leurs Chefs . On penfe
aufli que peut- être le Général Howe attend , pour
déployer toutes les forces , des nouvelles certai
nes de l'approche des Généraux Carleton & Burgoyne,
qui menacent les derrières de la Nouvelle-
Yorck.
Les ordres donnés pour la preffe des Matelots
s'exécutent toujours fans relâche , & à toute
rigueur. Le Magiftrat & les Juges de Paix de la
Ville de Weftminster , ont commencé à faire arrêter
tous les vagabonds & gens fans aveu , pour
les remettre à l'Amirauté , qui les répartira fur les
vaiffeaux du Roi.
Il n'eft point de Villes d'Angleterre qui fe foient
autant diftinguées par leur attachement au Gou-
´vernement , que celles de Manchelter & de Liverpoole.
Dès que l'on y eut appris la nouvelle de la
défaite des Américains aux environs de New-
Yorck , & la prife de cette Ville par les Troupes
du Roi , on y célébra ces avantages par des feux
de joie & par des illuminations ; & le peuple fit
des effigies , fur lefquelles étoient tracés , en gros
JANVIER. 1777. 225
caractères , les noms des chefs de la révolte , &
qu'ils brûlèrent en place publique,
La Cour vient de recevoir , de la part du Général
Carleton , des dépêches qui annoncent que le
16 d'Octobre dernier , la flottille raffemblée par
les Généraux Anglois fur le lac Champlain , a
battu & détrait celle des Infurgens , & que les
vainqueurs ont pourfuivi les vainqueurs jufqu'à
Ticondérago. Le Général Carleton ajoute que ,
malgré cet avantage , la ſaiſon eſt trop avancée
pour qu'il puiffe continuer fes opérations , &
pénétrer jufqu'aux frontières de la Nouvelle- Angleterre
& de la Nouvelle -Yorck. Ainfi cette
pénible expédition n'aura abouti qu'à préparer
des moyens de pouffer avec plus de vigueur la
campagne qui s'ouvrira au printemps prochain ,
fi cette fanglante conteftation n'eft point terminée
par un accommodement folide avant cette
époque.
Le bruit court qu'il vient d'être arrêté en plein
Confeil , un plan de réconciliation . Il eft du
moins certain qu'il vient de partir un Courier ,
pour Plymouth , avec des dépêches adreffées au
Général Howe & au Chevalier fon frère , qui
doivent leur être au plutôt expédiées par un paquebot.
Le 21 du mois dernier , le nommé Knot , labou
reur à Pontefract , a vendu fa femme pour une
demie guinée , à Robert Rider , Amidonnier, Ce
mari brutal a en l'inhumanité de la traîner luimême
avec un licol qu'il lui avoit attaché au
con , jufques chez l'acheteur , qui demeuroit affez
loin de fa maiſon. Trois enfans , fruits de leur
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
mariage , fuivoient leur mère infortunée , en pouffant
des cris capables d'émouvoir tout
coeur
fenfible. Mais ce malheureux Payfan n'en tint
aucun compre , & conduifit fièrement fa femme
jufqu'à fon nouveau gîte , à travers les acclamations
& les murmures d'une populace nombreufe.
De Lisbonne , le 24 Octobre.
Sa Majeſté a fait publier une Ordonnance par
laquelle elle accorde une amniftie à tous les
fujets qui ont pris la fuite pour des affaires criminelles
, moyennant qu'ils viennent s'enrôler
pour cinq ans dans les Troupes. Il y a quelques
coupables exceptés dans cet Édit.
Un Corfaire Américain s'eft rendu maître , la
femaine dernière , d'un Navire Marchand Anglois
, à l'embouchure de notre rivière .
De Madrid , le 8 Novembre.
Les avis que l'on a reçus , le 6 de ce mois , des
frontières de ce Royaume , nous apprennent que
Sa Majesté a ordonné qu'on mît en état de fervir,
tous les bâtimens qui font dans fes ports ; &
qu'elle a fait augmenter de neuf mille hommes
le nombre des recrues qui s'y lèvent. On travaille
dans tous les arfenaux nuit & jour , les dimanches
& les fêtes ; celle même de la Touffaint n'a pas
été exceptée. Tous les tranfports d'artillerie fe
font vers le Portugal . Les Troupes de terre qu'on
a fait embarquer fur la flotte de Cadix , montent
à douze bataillons ; mais cette flotte n'eft point
JANVIER. 1777. 2.2%
encore partie. Elle eft partagée en trois divifions ,
dont chacune a fon Commandant ; elle vient
d'être renforcée de plufieurs vaiffeaux de ligne.
On affure que deux Régimens ont reçu ordre de
s'embarquer fur les derniers qui y font venus du
Férol.
De Rome , le 18 Novembre.
Le Pape voulant donner à la nouvelle facriftie
du Vatican , toute la majefté dont elle peut être
fufceptible , & defirant que tout ce qui environne
ce fuperbe édifice réponde à fa beauté , vient
d'ordonner l'acquifition des maifons qui l'avoifinent.
Four que rien ne nuife à la vue de ce monument
, on ouvrira , du côté qui correſpond à
l'Eglife de Campo Santo , une nouvelle rue qui
aboutira en droite ligne à la porte , connue cidevant
fous le nom de Porte de la Fabrique , St
qui , dorénavant , va porter celui de Porte de
Saint-Pierre.
On a frappé , par ordre du Pape , de nouvelles
efpèces en or , au titre de 22 carats , fous le nom
de piftoles romaines ; la fimple eft de 30 paoli ,
la double de 60 , & la demie de 15 : ces nouvelles
espèces doivent être , comme toutes les autres ,
du poids ordinaire ; mais par tolérance , & pour
la commodité du commerce , on permet le cours
de celles qui ont un grain de moins , à condition
qu'on diminuera 14 quatrins ou deniers .
K
228 MERCURE DE FRANCE.
De Paris , le 6 Décembre,
M. Jeli de Fleury , le plus jeune des Avocats-
Généraux , prononça , le 25 du mois dernier ,
dans la première féance que tint le Parlement,
un difcours , dans lequel il développa , avec toutes
les grâces de l'éloquence , les qualités qui conftituent
le Jurifconfulte & l'Orateur. Enfuite , pour
rendre hommage aux talens & encourager les
ames nobles qui fe diftinguent dans la carrière
du Barreau , il fit l'éloge des Avocats que la
mort a enlevés cette année . Toutes les parties de
fon difcours furent généralement applaudies ;
mais on y diftingua particulièrement l'éloge du
célèbre Cochin . M. le Premier Préfident prit
enfuite la parole ; il fit voir combien l'homme doit
être fenfible à la confidération publique ; & après
avoir parcouru les différens états qui peuvent avoir
des droits à l'eftime générale , il prouva que
l'ordre des Avocats la mérite à tous égards , puifqu'il
ne la doit & ne peut la devoir qu'à l'étendue
des connoiffances & à la vertu . On appela enfuite
la première caufe du rôle.
Le feu prit tout-à-coup à Breft , à l'Hôpital ,
qui en un inftant parut tout en flammes , fans
qu'on eut le temps d'y porter du fecours . Plus
de cinquante forçats & une grande quantité de
malades ont péri , le reſte a été bleffé par les dé
combres , ou en prenant la fuite . Pour empêcher
les forçats de fe fauver , le Commandant les a
fait entrer dans une cour , eſcortés par 500 hommes;
coinine ce nombre de fufiliers n'étoit pas
fuffifant pour les coatenir , il les a fait coucher
JANVIE R. 1777 . 229
fur le ventre par terre , avec ordre de brûler la
cervelle au premier qui leveroit la tête. Tout s'eft
paffé affez tranquillement dans ce moment d'horreur
& de défordre ; & à force de secours , on eft
parvenu à empêcher que l'incendie ne gagnât la.
Bagne & la Corderie , pour lefquelles l'impétuo-.
fité du vent & la force des flammes faifoient
trembler.
Il n'eft prefque queſtion aujourd'hui que de
fecouffes & de tremblemens de terre . On mande
de Calais , que le 28 du mois dernier , on y a reffenti
une fecouffe violente , accompagnée d'un
bruit fourd , & dont les effets fe font manifeftés
à deux repriſes confécutives , l'efpace de trois
fecondes , dans la direction du nord au fud , à 8
heures 10 minutes du matin. On a éprouvé à
Douvres le même tremblement.
L'Impératrice de Ruffie a honoré le fieur Meffier
, Aftronome de la Marine , & de l'Académie
Royale des Sciences , d'une magnifique Médaille
d'or de la première grandeur , frappée à l'occafion
de la paix entre la Ruffie & la Porte.
-
PRESENTATION .
Le 24 novembre , le fieur de Nicolaï , ci- devant
préfident au grand- confeil , auquel le Roi a accordé
la charge de premier préfident de la même
cour , vacante par la démiffion du fieur de la
Bourdonnoye , à eu l'honneur d'être préfenté à
Sa Majefté par M. de Miromefnil , garde des
230 MERCURE DE FRANCE.
fceaux de France , & de lui faire , en cette qualité
, fes remerciemens .
L'après-midi de ce même jour , la marquife de
Chilleau a eu l'honneur d'être préſentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille royale , par la ducheſſe
d'Ayen .
Le 27 , le comte d'Uffon , ambaſſadeur du Roi
près Sa Majefté Suédoife , de retour ici par congé ,
a eu l'honneur, à fon arrivée , d'être préfenté au
Roi , par le comte de Vergennes , miniftre & fecrétaire
d'état au département des affaires étrangères.
Le même jour , le comte de Vergennes préſenta
auffi au Roi le fieur Boyer de Fons -Colombe , envoyé
extraordinaire de Sa Majefté auprès de la
République de Gênes , auffi de retour ici par
congé.
La comtefle de Raftignac eut l'honneur d'être
préſentée au Roipar Madame , le 28 , en qualité
de dame pour accompagner cette princeffe .
I
Le décembre , la comteffe Okelly a eu l'honneur
d'être préſentée à Leurs Majeftés & à la Famille
royale, par la comteffe de Dillon .
Le 3 , le chevalier Moncénigo , ambaffadeur
de la République de Venife , eut fon audience de
congé du Roi , & Sa Majefté l'arma chevalier avec
les cérémonies accoutumées, immédiatement après
l'audience. Le même jour le chevalier Zéno , nouvel
ambaffadeur de la République , cut fa première
audience du Roi , & remit à Sa Majesté fes lettres
de créance. Les amballadeurs furent conduits à
l'audience de Leurs Majeftés & de la Famille
JANVIE R. 1777 . 231
royale , par le fieur Tolozan , introducteur des
ambaſſadeurs ; le fieur de Séqueville , fecrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des ambaſſadeurs
, précédoit.
Les , le comte de Grais , miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès du landegrave de Heffe-
Caffel , de retour par congé , a eu l'honneur d'être
préfenté à Sa Majefté par le comte de Vergennes ,
miniftre & fecrétaire d'état au département des
affaires étrangères.
La comteffe d'Hinnifdala eut , le 8 , l'honneur
d'être préfenté à Leurs Majeftés & à la Famille
royale , par la princeffe de Bhergne ; & le chevalier
de la Luzerne`, ci-devant nommé par le Roi
fon envoyé extraordinaire près l'électeur de Bavière
, a eu l'honneur d'être préfenté à Sa Majefté
par le comte de Vergennes , miniftre & fecrétaire
d'état au département des affaires étrangères , &
de prendre congé du Roi pour fe rendre à fa deftination.
a
Le 15 , le comte d'Adhémar , miniſtre plénipotentiaire
du Roi à Bruxelles, a eu l'honneur d'être
préfenté à Sa Majefté par le comte de Vergennes ,
miniftre & fecrétaire d'état au département des
affaires étrangères , de laquelle il a pris congé
pour retourner à fa deftination .
Le 16 , M. d'Albertas , premier préfident de
la cour des comptes , aides & finances de Provence
, a eu l'honneur d'être préfenté à Sa Majefté
par M. de Miromefnil , garde des fceaux de
France , & de prendre congé.
Le comte de Chambors , capitaine au régiment
de la Rochefoucault , dragons , cut , le 13 , l'hon
232 MERCURE DE FRANCE .
neur d'être préſenté au Roi par Monfeigneur le
comte d'Artcis , en qualité de gentilhomme d'honneur
de ce prince.
Le 22 , la vicomteffe de Maillé a eu l'honneur
d'être préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
royale, par la comtefle de Maillé.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 14 décembre , le fieur de Rouffel eut l'honneur
de préfenter au Roi , à Monfieur & à Monfeigneur
le comte d'Artois , l'Etat Militaire de
France , fuivant les ordonnances de la nouvelle
formation , pour l'année 1777.
pour
Le 15 l'académie royale des Sciences eut
l'honneur de préfenter au Roi , à la Reine , à
Monfieur , à Madame , à Monfeigneur le comte
d'Artois & à Madame la comteffe d'Artois , le fecond
volume de fes Mémoires
l'année 1772.
Ce volume étoit accompagné de deux cahiers de
l'art de fabriquer les étoffes de foie , par M. Paulet
; de la quatrième fection de la feconde partie
de l'art d'exploiter les mines de charbon , par M.
Morand , membre de l'académie.
Le 22 , le fieur Jeaurat , de l'académie royale
des Sciences , chargé par l'Académie de calculer
chaque année la connoiffance des temps ou l'état
du ciel , pour l'ufage des aftronomes & des navi
gateurs , a eu l'honneur de préfenter à Sa Majeſté
le volume de l'année 1778.
JANVIER . 1777. 233
I
NOMINATIONS .
eut
Le 1 décembre , le duc de la Vauguyon , l'un
des anciens menins du Roi , que Sa Majeſté avoit
précédemment nommé fon ambaladeur auprès
des Etats -Généraux des Provinces- Unies ,
l'honneur d'être préfenté à Sa Majefté par le comte
de Vergennes , miniftre & fecrétaire d'état au département
des affaires étrangères , & de prendre
congé pour fe rendre à fa deftination.
Monfieur ayant permis au prince de Montbarrey
de fe démettre , en faveur du prince de Saint-
Mauris , fon fils , de la charge de capitaine - colonel
des Suiffes de fa garde , dont il a confervé la
furvivance au Prince de Montbarrey ; le prince
de Saint-Mauris a , dans cette qualité , prété ferment
, le 8 , entre les mains de Monfieur. Il a eu
dans le même qualité , l'honneur d'être préſenté
au Roi , par Monfieur , le même jour
Le Roi a accordé l'abbaye de Sainte- Croix ,
ordre de Saint - Benoît , diocèfe & ville de Bordeaux
, à l'abbé de la Rochefoucault de Magnac ,
vicaire- général de Rouen ; celle de Moreilles ,
ordre de Citeaux , diocète de la Rochelle , à l'abbé
de Fontanges , vicaire- général de Chartres , aumônier
de la Reine ; celle de Chéeri , même ordre
, diocèfe de Reims , à l'abbé d'Ecquevilly;
celle de Tafque , ordre de Saint- Benoît , diocèſe
de Tarbes , à l'abbé de la Barthe- Thermes , vicaire
général de Sarlat ; celle de Goailles , ordre
234 MERCURE DE FRANCE .
-
de St- Auguſtin , diocèſe de Besançon , à l'abbé de
l'Aubepin, vicaire général de Graffe ; celle de
Bois Aubry , ordre de Saint- Benoît , diocèfe de
Tours , à l'abbé de Boniffent , confeiller - clerc au
parlement de Normandie ; celle de Foreſmoutier
même ordre , diocèfe d'Amiens , à l'abbé de Mouchet
de Villedieu , vicaire - général de Nevers ,
maître de l'oratoire de monfeigneur le comte d'Artois
, fur la nomination & préfentation de ce
prince , en vertu de fon apanage ; & celle de
Vaux - la-Douce , ordre de Citeaux , diocèfe de
Langres , à dom Poncelin de Raucourt , religieux
profès du même ordre.
MARIAGES.
Le 24 novembre , Leurs Majeftés & la famille
royale fignèrent le contrat de mariage du marquis.
de Pefay , meftre- de- camp de dragons , aide-maréchal-
de- logis de l'armée , avec demoiſelle de
Murat ; & celui du comte Okelly , avec dame de
Galard de Béarn , comteffe & chanoineffe du chapitre
royal & régulier de St Louis de Metz.
Le 27 décembre , Leurs Majeftés & la Famille
royale ont figné le contrat de mariage du marquis
de Rongé , capitaine de cavalerie au régiment de
Royal - Normandie , avec demoiſelle de Mortemard.
JANVIE R. 1777. 235
NAISSANCES.
Le 24 décembre , Monfieur & Madame ont
tenu fur les fonts , à la chapelle du Roi , le fils
du fieur Poiffonnier , écuyer , confeiller d'état ,
médecin confultant du Roi , infpecteur-général
des hôpitaux des ports & colonies de France , &
membre de l'académie des Sciences. Les cérémonies
du baptême furent fupplées à l'enfant , qui
qui fut nommé Louis - Jofeph , par l'évêque de
Séez , premier aumônier de Monfieur en furvivance
, en préſence du curé de la paroiſſe.
On écrit de la paroiffe de Montmorand en Bour
bonnois , que deux garçons & une fille , dont Anne
Renoux , femme de Guillaume Vignon , menuifier,
accoucha en 1768 , font tous trois exiftans
& jouiffentd'une parfaite fanté.
La femme de René-Zacharie Jerron , commis
à la direction des domaines à Amiens , eft accouchée
, le 9 décembre , à fix heures du matin , de
trois enfans mâles de la grandeur ordinaire. Les
deux derniers font morts le 12 ; le premier fe
porte bien. Cette femme , âgée de vingt- quatre
ans , & mariée depuis cinq , a déjà eu quatre enfans
en deux couches , & à fait deux fauffes couches
, l'une à quatre mois , & l'autre à trois mois
& demi , de deux jumeaux chacune . Le père eft de
l'âge de la mère .
a
236 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Claire-Charlotte de Cabalby, époufe de Henri-
Bernard , marquis d'Espagne , defcendans des anciens
vicomtes de Couferans , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , colonel d'infanterie
& premier baron des états de Nébouſan ,
eft morte au château d'Efplas en Couferans , le 7
novembre , âgée de 32 ans.
Le fieur Pierre-François de Siry de Matigny ,
baron de Conches , confeiller du Roi en fes confeils
, préſident honoraire en fa cour de Parlement
de Paris , eft mort le 19 novembre , au
château d'Herculet , près Beauvais , âgé de 60
ans , 6 mois, 27 jours.
Frère Jofeph de Lancry- Promleroy , chevalier
de l'ordre de St-Jean de Jérufalem , ancien Procureur
général & receveur de fon ordre au prieuré
de France , & ci -devant commandeur de la com- ·
manderie de Chanteraine, eft mort , le 26 novembre
, dans la 87 année de fon âge.
Marie-Jeanne l'Efpinai - Marteville , épouse
d'Anne- Sigifmond de Montmorency-Luxembourg,
duc d'Olonne , & ci- devant veuve de Jofeph-
Maurice-Annibal de Montmorency- Luxembourg ,
comte de Montmorency , lieutenant - général des
armées du Roi , eft morte à Paris le 2 décembre.
Zéphirine -Félicité de Rochechouart, époufe de
Jacques- François , marquis de Damas , brigadier
des armées du Roi , dame de Madame , eft morte
JANVIER. 1777. 237
à Paris , le 18 novembre , dans la 43 ° année de
fon âge.
Marie de Breget , épouse du comte de la Porte ,
eft morte le 1 décembre à Epinai- fur- Seine , âgée
de 20 ans.
I
Alexandre Boula , feigneur de Quincy, maître
des requêtes , intendant du commerce , fecrétaire
des coinmandemens de Madame , doyen de quartier
& préfident des requêtes de l'hôtel , eft mort
les à Paris , dans la 63 année de fon âge.
e
Tirages de la Loterie Royale de France
du 2 Décembre 1776,
Pour les lots ,
Pour les
primes.
28,77 , 25 , 82 , 86.
1er claffe. 42 , 38 , 82 , 73 , 25 .
II .
78 , 47 , 59 , so , 34.
III . 37 , 11 , 43 , 87 , 85 .
IV . 69 , 59 , 19 , 72, 55 .
Pour les lots ,
Pour les II .
Du 16 Décembre.
Ire claffe ,
41 , 40 , 64 , 36 , 82.
11 , 58 , 51 , 18 , 6.
22 , 34 , 46 , 87 , 54.
primes.
III . 15, 44 , 49 , 3 , 45 .
IV . 6 , 21 , 73 , 83 , 86.
Les prochains tirages fe feront le jeudi 2 Janvier
1777, à 10 heures précifès du matin.
238 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES IÈCES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE , P. S
L'Automne ,
Vers à M. de C *** .
Le Juge endormi , conte ,
ibid.
II
ibid.
Paroles de paix portées aux Auteurs Infurgens, 12
Imitation d'une épigramme de Claudien ,
Vers du Magifter de la paroiffe de Condé ,
à M. Wille ,
Le Colporteur généreux ,
Les trois Voyageurs ,
Première fcène de la Lecture interrompue ,
Les remords d'un Artiſte fucile ,
Acome & Olive ,
Vers préfentés à Mgr le Garde des Sceaux ,
Etrennes à une Demoiselle ,
A Madame Favart ,
Le Miroir de la Vérité,fable,
Ode à Vénus ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Romance ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Le Voyageur François ,
Les confeffions du Comte de ***,
14
16
18
1
19
25
34
41
45
55
ibid.
56
57
८०
61
62
1
65
67
68
ibid .
75
79
83
84
Effais fur le caractère & les moeurs des François ,
comparés à ceux des Anglois ,
Les commandemens de l'honnête homme ,
Le fouper des enthouſiaſtes ,
JANVIER. 1777 . 239
Nouvelle Hiftoire de la Ruffie ,
87
89
Dictionnaire des origines ,
Quaftio generalis ,
La trigonométrie rectiligne ,
Valmore ,
Hiftoire de Zulmie Warthei ,
Les malheurs de la jeune Emilie ,
La vie & les opinions de Triftram Shandy ,
93
95
97
୨୨
124
129
Lettre paftorale de Mgr l'Evêque de Leicar , 136
Almanach littéraire ,
Dictionnaire géographique , & c.
142
153
portatif du Commerce , 155
Théorie des traités de commerce entre les
Nations , 157
Almanach hiftorique & raifonné des Achitectes
, Peintres , Sculpteurs , Graveurs , Cizeleurs
,
Annonces littéraires ,
159
165
Almanachs , 172
ACADÉMIES , 176
Villefranche , ibid.
Béliers ,
178
SPECTACLES.
183
Concert Spirituel ,
ibid.
Opéra , 186
Début ,
187
Comédie Françoife,
188
Débuts , 195
Comédie Italienne 196
Début , 198
ARTS. ibid.
Gravures ,
ibid.
Mufique. 203
Géographie ,
206
Architecture , 207
240 MERCURE DE FRANCE .
Cours d'élocution & d'ortographe françoife , 208
-de langue Italienne ,
Bienfaisance.
ibid.
209
Variétés , inventions , &c.
211
Anecdotes. 217
AVIS , 219
Nouvelles politiques ;
222
Préſentations , 229
d'Ouvrages, 232
Nominations , 233
Mariages ,
234
Naiflances , 235
Morts ,
236
Loterie , 237
ΑΙ
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le 1er volume du Mercure de France pour
le mois de Janvier , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion
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, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
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Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à la perfection
; on recevia avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire 3 on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
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que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
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cahiers par an , à Paris & en Province , 1813
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province , 12 13
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, in-12 br.
Di&t. Diplomatique , in - 8 ° . 2 vol. avec fig.`br.
Dict . Héraldique , fig. in- 8 ° . br.
Révolutions de Ruffie , in-8 ° . rel.
Spectacle des Beaux- Arts , rel.
Di&ion. Iconologique , in- 8 ° . rel.
Dia. Ecclef. & Canonique , 2 vol. in- 89. rel.
Dict . des Beaux-Arts , in-82 . rel .
2 l.
12 1.
1. 15 f.
21. 10 f,
21. 1of.
3 l.
୨ 1.
41. 10f.
12 1. Abrégé chronol de l'Hift- du Nord , 2 vol . in-8 ° . rel .
de l'Hift. Eccléfiaftique , 3 vol. in- 8 ° . rel . 18 l.
de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol. in-8 °.
iel.
de l'Hift. Romaine , in- 8 °. rel .
121.
61.
Théâtre de M. de Saint - Foix , nouvelle édition , 3 vol .
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in- 89 . br.
Bibliothèque Grammat. in-8 ° , br.
Lettres nouvelles de Mde de Sevigué , in ta br.
Les mêmes , pet. format ,
Poëme fur l'Inoculation , vol . in-8 ° . br.
6 1.
21.
21. 10 f.
2 l. 10 f.
11. 16 f.
3 1.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8 ° . br. avec fig.
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 °. br.
41.
1.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , &c.
in-fol. avec planches br. en carton , 241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architec
..ture , in-4° . avec fig. br. en carton , 12 1.
L'Agricultre réduite à fes vrais principes, vol . in-12.
broché 7
Annales de l'Imperatrice-Reine , in-8 ° . br avec fig.
21.
41.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1777
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'ORIGINE DE LA FLUTE.
Ovide , Métam . Liv. I.
SUR les monts d'Arcadie erroit une Naïade ,
Plus brillante d'attraits qu'aucune Hamadriade ;
Syrinx étoit fon nom : elle éluda cent fois
Et les Dieux des vergers , & les Faunes des bois.
A iij
MERCURE DE FRANCE .
Chafte comme Diane , elle étoit auffi belle ,
Et fon arc fervoit feul à la diftinguer d'elle.
L'onn'étoit qu'un bois fouple & l'autre paroît d'or;
Même à voir fa démarche on s'y trompoit encor
Pan l'apperçut un jour au pied du mont Lycée.
Nymphe , lui dit- il , d'une voix empreffée ,
Cédez aux voeux d'un Dieu qui s'engage pour
vous ,
A joindre au nom d'amant le nom facré d'époux,
Syrinx , du Dieu lafcif évitant la pourſuite ,
Vers les bords du Ladon précipite fa fuite ;
Là , fondain expofée à des périls nouveaux ,
Entre les bras du Faune & l'obftacle des eaux ,
Et ne pouvant franchir leur barrière profonde ,
Elle invoque à grands cris les Déités de l'onde.
Les Nymphes , à la voix , transforment fes appas
Au moment où le Dieu , qui vole fur les pas ,
Se prépare à faifir la Naïade rebelle ,
Il faifit des rofeaux qu'il embraffe au lieu d'elle.
Ces rofeaux , que ſon ſouffle agite & fait frémir ,
Par fa bouche preffés , femblent alors gémir.
Pan , furpris & charmé de cette voix plaintive ,
Prête amoureusement une oreille attentive .
Ce murmure fi doux des joncs harmonieux ,
De la Nymphe pour lui font les derniers adieux.
A te perdre , dit - il , fi le ciel te condamne ,
Ah ! puiſſai-je du moins , par ce nouvel organe ,
' entretenir encore, I dit ; & fept rofeaux ,
JANVIER . 1777.
Tous affortis entre - eux , quoiqu'entre - eux
inégaux ,
Forment un inftrument que fon amour invente ,
Et qui retint depuis le nom de fon amante.
Par M. de Saint- Ange.
LE GÉNIE , LAVERTU ET LA RÉPUTATION .
Fable traduite de l'Anglois.
La Réputation , la Vertu , le Génie ,
Formèrent un jour la partie
De jeter , de concert , un regard curieux
Sur les côtes de l'Angleterre.
Prêts à fe mettre en route , ils convinrent entre-eux
De fixer un coin de la terre ,
Où chacun pût le retrouver ,
Dans le cas où l'un d'eux viendroit à s'égarer...
« Si de vous le deftin barbare
» Vient à bout de me féparer,
Dit le Génie , aux pieds du grand Shakeſpeare,
»Amis , j'irai me profterner;
» Sur fon tombeau facréje fais veu de me rendre ;
» Ou bien à l'ombre de ces bois ,
A iv
MERCURE DE FRANCE.
D'où Milton aux Dieux fit entendre
>>Les fons éclatans de fa voix .
» Si vous êtes jamais privés de ma préfence ,
.כ
» Pourfuivit d'un air d'innocence ,
20
La Vertu pouffant un foupir ;
Dans les temples des Dieux , féjour doux & tran-
» quille ,
» J'irai me choifir un aſyle :
» Mais fi l'on vient à m'en bannir ,
Sous les lambris dorés , fur les degrés du trône ,
Malgé l'éclat qui l'environne ,
» Pleine d'une noble fierté ,
Je viendrai confoler le Monarque attrifté ,-
Si , contre mon eſpoir , je n'y fuis pas reçue ,
»Dans une humble cabane , à l'orgueilinconnue ,
» Loin du tumulte & loin des Grands ,
כ כ
» J'irai fixer mes pas errans :
» Dans cette agréable demeure ,
» Berceau des plaifirs innocens ,
>Vous me trouverez à toute heure...
»Je n'ofe me flatter d'un femblable fuccès ,
» Dit , d'un ton de voix ingénue ,
» La Réputation ; dès que je fuis perdue ,
»On ne me retrouve jamais :
Par M. Houllier de Saint-Remy
JANVIER . 1777 .
CONT E.
Des plus lâches foupçons victime infortunée , ES
Sous les yeux d'un tyran , qui toujours la guetroit,
Bélife à quinze ans languiffoit ,
Comme un vil efclave , enchaînée ;
Ce que garde la crainte eft , dit- on , mal gardé :
Laffe enfin d'un tel procédé ,
La Belle un beau matin , ( Vénus , c'étoit ta fête)
Pendant l'abfence de l'époux ,
Emportant meubles & bijoux ,
Fuit avec un Galant ... Notre jaloux tempête ,
Se met à crier au voleur ,
Et trifte , conte fon malheur
Au premier qu'il voit dans la rue.
Quoi tout ce bruit , dit un Plaifant ,
Eft pourune femme perdue !
Ah ! puiffe -t- il chez nous en arriver autant !
Par le même.
10 MERCURE DE FRANCE.
A.
MADRIGAL
A Mademoiſelle G....
TES coups-d'oeil frippons je ne puis rien com
prendre ;
Si de toi , ma Zélis , je furprends un regard ,
Je le trouve beaucoup trop tendre
Pour n'être que l'effet de l'art ;
Mais au moment où, plein d'ivreffe
Il femble annoncer le bonheur ,
J'y remarque trop de fineffe ,
Pour croire qu'il parte du coeur .
Par le même.
EPIGRAMME imitée d'un mot de Piron
Vous voilà beau comme l'Amour ,
A certain Savant , l'autre jour ,
Difoit l'une de ces poupées
Que l'on voit par- tout équipées
D'un manteau court & d'un rabat
Comment vous voir en cet état
Sans témoigner de la ſurpriſe
JANVIE R. 1777 .
II
Oui , pour un Poëte fameux ,
Cet habit eft trop fomptueux ;
Et , pour parler avec franchiſe ,
Il n'eft point du tout fait pour vous...
Cela peut-être ; mais , dit l'autre ,
Cher Abbé , foit dit entre nous ,
Vous êtes peu fait pour le vôtre.
Par le même.
L'IVRESSE DE L'AMOUR.
A Mademoifelle.....
AH DIEUX ! que mon Amante eſt bien !
Que de grâces dans fon maintien!
Et que de goût dans fa parure !
Mortels , admirez- là : Jaloux , dites tout bas
Rien n'eft plus beau dans la nature ; -
Enviez mon bonheur , mais ne m'en privez pas ,
Par le même.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
CONT E.
CERTAIN Gafcon , partant homme de qualité ;
C'eſt un nom qu'à Paris tout le monde s'arroge ,
C'est l'étiquette enfin : nul Gafcon n'y déroge ;
Sa chaumière , au befoin , feroit un beau Comté
Bref: certain Gafcon fur Clarice ,
Accufé de tenir propos injurieux ,
Fut par elle traduit devant Dame Juftice.
Ç'à , lui dit d'un air férieux
L'organe de Thémis , arbitre de l'affaire ,
Convenez que Clarice en fes moeurs eft auſtère ,
Honnêre ... Honnête ! cadédis !
Jé lé maintiens , foi dé Marquis .
Si quelqu'un lé difpute , il faura mé connoître ;
Il y va dé l'honnur , jé la payois pour l'être.
Par M. Héron d'Agironne.
A M. LE KAI N.
ACTEUR CTEUR fublime & foutien de la ſcène ,
Quoi! vous quittez votre brillante Cour ,
JANVIER . 1777. 13
Votre Paris embelli par fa Reine !
De vos beaux- arts la jeune Souveraine
Vous fait partir pour mon trifte féjour !
On m'a conté que fouvent elle- même ,
Se dérobant à la grandeur fuprême ,
Sèche enfecret les pleurs des malheureux.
Son moindre charme eft , dit-on , d'être belle.
Ah ! laiſſons - là les Héros fabuleux ;
Il faut du vrai : ne parlons plus que d'elle .
Par M. de Voltaire.'
A M. l'Abbé DE LILLE.
VOUS
Ous n'êtes point favant en us ;
D'un François vous avez la grâce ;
Vos vers font de Virgilius ,
Et vos épîtres font d'Horace.
Par le même.
LETTRE A M. DE VOLTAIRE.
PERMETTEZ , Monſieur , que mon premier
foin , au retour de mon voyage , ſoit
de vous remercier de l'accueil gracieux que
14
MERCURE DE FRANCE.
vous avez bien voulu me faire. En arrivant
chez vous , je venois de voir une Cour que
je ne connoiffois pas , ce qui peut être fort
intéreffant pour un homme qui aime à
obferver..
Mais voir un Vieillard refpectable ,
Agé de quatre-vingt-deux ans ,
Souper avec de jeunes gens ,
Et plus long-temps qu'eux tenir table;
Le voir , fidèle à la gaieté ,
Se permettre un doux badinage ,
Et même en dépit de fon âge ,
Séduire encore la Beauté ;
Le voir enfin , par complaiſance ,
S'amufer de notre caquet ,
Quitter, fans trop de répugnance ,
Son fceptre pour notre hochet ,
Et defcendre à notre ignorance ;
Entendre l'ami de Phébus ,
Le favori des neuf Pucelles ,
L'Aureur d'Alzire , de Brutus ,
Et de tant d'oeuvres immortelles ,
Nous parler de pièces nouvelles ,
De mufique , de madrigaux ,
De couliffes , & de ruelles ,
JANVIER . 1777.
Et de femmes & de chevaux ,
Et de l'Anglois qui le ruine ,
Pour le faire aimer de Laïs ,
Et des volages Adonis
Dont elle eft folle à la fourdine ,
Et de ces vers fi renommés ,
Avant qu'ils aient vu la lumière,
Et qui s'en vont chez la Beurière
Auffi - tôt qu'ils font imprimés ,
Et de mille autres bagatelles ,
Fort néceffaires dans Paris ,
Qui font l'amufement des Belles
Et la gloire de mon Pays :
Voilà , certes , ce qui m'étonne
Et m'intéreffe en même-temps ,
Ce qui fait que je lui pardonne ,
Et fes fuccès & fes talens,
Ce qui m'étonne encore plus , c'eft la
Ville que vous faites bâtir ; ce qui me
charme , ce font les encouragemens que
vous donnez à l'agriculture & au commerce ,
dans un Pays où le fol étoit fi ingrat , qu'à
peine pouvoit-il fournir à la fubfiftance de
fes habitans.
Ainfi jadis on vit conftruire
Une Ville par Amphion
36 MERCURE DE FRANCE.
Vous faites croire à cette fiction ,
Et le Chantre Thébain vous a légué fa lyre.
Mais la Ville que vous avez bâtie ne fera
point habitée , je penfe , par des Guerriers
qui dépeuplent la terre , par de plats Auteurs
qui l'ennuient ; mais par d'honnêtes Laboureurs
qui la rendront fertile , par des Commerçans
eſtimables qui l'enrichiront ; & fi
jamais quelque Conquérant vient y porter
la deſtruction , il refpectera fûrement votre
Château , comme jadis Alexandre reſpecta
la Maiſon de Pindare , dont les écrits font
beaucoup moins lus que les vôtres.
Suivez , fuivez l'impulfion
Et l'inſtinct de votre génie ;
Excitez l'admiration ,
Confondez N... & l'envie ;
Cultivez vos champs , vos guérêtsz
Transformez des hameaux en Villess
Changez les malheureux en citoyens utiles 3
Régnez fur eux par vos bienfaits.
Conduifez la charrue & dirigez l'équerre ,
Embelliffez & fécondez la terre.
Envoyez-nousfouvent , fous des noms empruntés,
Des vers ingénieux , de la profe légère ;
JANVIE R. 1777. 17
Et , malgré tous vos foins , comptez
Que vos écrits offrent tant de beautés ,
Qu'il trahiffent bientôt le fecret de leur père.
Par M. le Marquis de Cub ** .
UN
Réponse de M. de Voltaire.
N beau fiécle commence , & vous me l'annoncez
;
Un jeune Titus le fait naître ,
Et c'est vous qui l'embelliffez :
L'écuyer eft digne du Maître .
Pégale ayant fu qu'aujourd'hui
Vous commandez dans l'écurie ,
Vient s'offrir à vous , & vous prie
De vous fervir fouvent de lui ;
Il aime votre grâce & votre humeur légère ;
Sous d'autres Écuyers il fit plus d'un faux pas ;
Sous vous il vole , il fait nous plaire :
Il ne vous égarera pas.
Je vois , Monfieur , que vous avez reffaiſi
votre droit d'aîneffe , & que vous faites
d'auffi jolis vers que M. votre Frère le
Chevalier ; je ne puis vous remercier à mon
18 MERCURE DE FRANCE .
âge qu'en mauvaiſe profe rimée , & c'eſt à
moi qu'il faut dire : Solve fenefcentem , &c.
J'ai l'honneur d'être , avec refpect ....
LE VIEUX MALADE DE FERNEI .
A Fernei , les Octobre 1775..
BALK I N.
Conte Oriental.
AGAKAM GAKAMBIS , Rois de Parthénie , étant
revenu un jour content de fa chaſſe , ſe
retira dans un des bofquets qui entouroient
fon palais , & parla ainfi à ceux
qui avoient eu l'honneur de l'accompagner
: Mes projets font enfin accomplis ;
j'ai appaifé l'envie , renverfé les cabales ,
j'ai concilié la jaloufie & les intrigues
des Courtifans ; j'ai banni la
guerre de
mon Royaume ; mes Provinces font garanties
par des fortereffes imprenables ,
& défendues par des troupes aguerries.
Mes ennemis tremblent en entendant
prononcer mon nom ; la juftice , le commerce
, les fciences , les arts font dans
JANVIER. 1777. 19
un état floriffant ; mes tréfors font remplis
richeffe dans les villes , abondance
dans les campagnes , la joie & la tranquillité
également répandues dans mes
Etats que me refte -t- il à defirer , fi ce
n'eft d'avoir un fils , à qui je pourrai un
jour tranfmettre le gouvernement de
mes peuples avec l'art de les rendre
heureux ?
د
La Fée Tricolore , qui avoit toujours
protégé le Royaume de Parthénie , entendit
les voeux du Roi , & les combla
bientôt par la naiffance du Prince Balkin
, à laquelle elle préfida. La jeuneffe
de ce Prince ne devoit être que le développement
des talens & des grâces. Mais
le bruit des réjouiffances , dont l'air retentir
en ce jour remarquable , avoit
troublé le fommeil de la Fée Grondeuſe,
endormie dans un bois voifin de la réfidence
, & fur le champ elle réfolut de
punir l'auteur de cette fête tumultueufe.
Les intelligences médiatrices entre les
dieux & les hommes , étoient autrefois
très-fréquentes dans les climats de l'Orient
; celle- ci n'avoit point de deftination
particulière ; fon plaifir le plus doux
étoit de porter la défunion & le trouble
dans le fein des familles , & de déranger
20 MERCURE DE FRANCE.
les projets des Fées Bienfaifantes . Elle
arriva au palais , au moment que la Fée
Tricolore venoit de répandre fes dons
fur le Prince nouveau né , & elle eut le
temps d'y ajouter : Il n'en jouira qu'après
avoir effuyé des contradictions prefque
infurmontables.
Cependant on ne négligea rien pour
former le coeur du Prince Balkin ; &
malgré les flatteurs qui l'avoient environné
dès fa tendre jeuneffe , & qui lui
avoient toujours foutenu qu'il n'avoit
point de défauts , il devint doux , indulgent,
humain & jufte . Né avec des paffions
impérieuſes , il employa toute la
-force de fon caractère non pour les
mettre en activité , mais pour les réptimer
& leur commander.
Lorfque l'éducation du Prince fut finie
, la Fée Tricolore lui confeilla d'ajouter
aux connoiffances qu'il avoit déja
acquifes, celle des pays étrangers ; & elle
voulut qu'il commençât par le Royaume
d'Almanzor. Cette Cour , célèbre la
par
prétendue gaieté , l'incroyable galanterie,
& les plaifirs multipliés qui y régnoient ,
attiroit une foule d'étrangers , & les
charmes de la Reine , appelée Siromène ,
joints à la vivacité de fon efprit , les y
attachoient encore davantage.
JANVIER. 1777.
21
Plufieurs Princes fe difputoient la
gloire de fixer fon coeur , mais fur- tout
le Prince Ananas. Infatué de fa figure ,
ce jeune Seigneur poffédoit , en un degré
fuprême , le talent de prodiguer à propos
, ces riens , ces bagatelles , qui font
les agrémens , & qui fouvent tiennent
lieu de l'attachement le plus tendre. En
un clin d'oeil il fe précipitoit dans un
fauteuil , une jambe fur l'autre, marmottoit
un petit air , tapoit du pied , fe mouchoit
, crachoit , arrangeoit fon habit ,
le tout avec une grâce infinie . Pour avertir
les autres du cas qu'il faifoit de fa
perfonne , il ne ceffoit de raconter ce
qu'il avoit dit & ce qu'il avoit fait ; & fi
la converfation tomboir fur quelqu'autre
objet , il la ramenoit adroitement à lui.
Ennemi juré de cette modeftie mauffade
qui étouffe le vrai mérite , il avoit le
noble courage de dire tout haut qu'il
avoit de l'efprit , du coeur , de la naifance
, de la figure . Une liberté enjouée ,
une légèreté agréable l'accompagnoient
par- tout , & ces qualités brillantes qu'il
portoit dans la fociété , faifoient rechercher
la fienne ; fi bien que la Reine ,
quoique coquette , la préféroit à celle
des autres.
22 MERCURE
DE FRANCE .
tel
Balkin ; qui dans fa jeuneffe , avoit
lu beaucoup de Romans , fe flattoit de
trouver l'amour dans la nature ,
qu'il eft peint dans les livres , & tel qu'il
s'en étoit formé l'idée . Son coeur rempli
des voeux les plus délicats foupiroit
après une amante , dont il fe faifoit une
fi douce image ; & il trouva en effet dans
Siromène , celle dont le coeur devoit être
la récompenfe de fes vertus ; mais il
n'étoit pas digne encore de s'en applaudir .
>
Arrivé à la Cour de la Reine d'Almanzor
, la réception que cette beauté
dangereufe fit à Balkin , lui promit le
fuccès le plus complet . Quelques regards
de complaifance , quelques paroles affectueufes
portèrent l'efpoir le plus doux
dans le coeur de ce nouvel amant . Sonaffiduité
& fon empreffement redoublèrent
tous les jours ; & un homme qui cher
che à plaire à une coquette , ne manque
ni d'occupation , ni d'inquiétude . Mais
bientôt Balkin s'apperçut avec un chagrin
profond , qu'il n'étoit pas mieux
traité que les autres ; que Siromène s'amufoit
de tout , tandis qu'il ne s'occupoir
que d'elle , & qu'elle changeoit
d'amans comme de parure. Il devint
rifte , inquiet , jaloux. Eft-ce ainfi, di
JANVIER. 1777. 23
G
--
il un jour à la Reine , que vous récompenfez
la délicateffe de mon amour, fontce
là les fentimens que vous m'avez fait
entrevoir ? Infenfé que vous êtes
croyez-vous avoir enlevé à tous les hommes
ce qui les rend aimables ? Je fuis
femme , & j'aime comme une femme
voilà tout ce que je puis faire pour vous.
- Je ne vous aurois donc connue que
pour être le plus infortuné des hommes ?
Je vous ai promis de vous aimer
mais je n'ai pas renoncé pour cela à
l'univers : Que diriez- vous de quelqu'un
qui affifteroit à un grand repas , & ne
mangeroit continuellement que du même
mets ? — Ah ! miféricorde , quelle image ,
quelle comparaifon ! Je vois bien que
fous un beau corps , fous des traits charmans
, vous ne cachez qu'une ame infenfible
, un coeur d'airain ; je vois que
vous êtes la plus volage , la plus cruelle
des femmes ! Ne vous emportez pas ,
Balkin , croyez-moi , un coeur languit
dans la conftance , tout comme l'onde ſe
glace dans le repos . Rendez- vous agréable
à plufieurs beautés , elles vous préviendront
, par- tout vous trouverez l'amour
fur vos traces .
Cependant l'air , le ton , le caractère
24 MERCURE DE FRANCE.
enjoué de Siromène avoient excité dans
l'ame de Balkin , un trouble & une émotion
que tien ne pouvoit calmer. I e fommeil
même ne pouvoit difper cette agitation
continuelle , où l'amour avoit jeté
fes fens & fa raifon . Il recherchoit avec
foin la folitude , & fon appartement lui
plaifoit infiniment. On y avoit placé les
portraits des illuftres amans , dont les
infortunes étoient confacrées dans les faftes
de l'amour ; & la Reine appeloit , par
dérifion , cet appartement , le Cabinet
des Fous trifles. Car le langage de l'a
mour paroît auffi ridicule à une coquette ,
qu'il eft précieux à une ame tendre &
fenfible.
Excédé enfin des tourmens auxquels
la Reine le livroit fans ceffe , & dont
elle ne fe faifoit qu'un jeu cruel , fatigué
des ridicules qu'on s'attachoit à lui donner
, ce qu'il n'étoit pas difficile de lui
trouver , puifque les paffions violentes
ont, par leur excès même , quelque chofe
de puérile , le Prince Balkin prit le parti
de fe dérober à tout ce qui l'affligeoit ,
& de chercher des diſtractions dans les
voyages. EnEn partant , il dit à la Reine :
puifque mon amour ne peut vous toucher
, je me vengerai de votre ingratitude
,
JANVIER. 1777. 25
tude , en vous livrant à l'inconftance &
à la perfidie des hommes . Jouiffez , Madame
, du plaifir que vous donne votre
beauté , de multiplier le nombre de vos
efclaves , trop heureux de n'être plus de
ce nombre.
La Reine ne manqua pas de dire , le
pauvre Prince eft défefpéré ; cette fauffe
tranquillité qu'il affecte , n'eft qu'un dépit
cache ; mais le moyen d'aimer un homme
à paffion : il m'ennuyoit avec fes fentimens
éternels : j'ai peut-être des torts
avec lui ; il m'aimoit de bonne foi , mais
enfin , il eſt parti.
Semblables aux avares , que la moindre
perte alarme , tout comme le moindre
profit a des appas pour eux , les coquettes
n'envifagent que le nombre dans
le choix de leurs amans ; & fi par malheur
il s'en échappe un , elles emploient
toutes les reffources de leur art féduc
teur, pour le ramener dans leurs filets .
Siromène , piquée d'abord de la froideur
des adieux du Prince Balkin , en
conçut bientôt de l'affliction ; une inquié
tude mortelle s'empara de fon efprit ,
elle fe rappeloit quelquefois l'attachement
fincère que Balkin avoit eu pour elle
& fe reprochoit d'avoir éloigné , par fa
II. Vol. B
>
16 MERCURE DE FRANCE .
frivolité , un amant fi paffionné . Infen-
-fiblement elle devint fombre & mélancolique
, tout ce qui l'environnoit lui
étoit odieux , jufqu'au Prince Ananas ,
qui fut bien furpris de fe voir congédié
tout d'un coup. La Reine ne vouloit
plus quitter l'appartement qu'avoit
occupé le Prince Balkin , tout lui rappelloit
l'image de ce tendre amant , &
la fimplicité qui avoit régné dans fes
difcours & dans fes fentimens cette
douce trifteffe , qu'engendre la fenfibilité,
s'empara de fon coeur , la tendreffe remplaca
la coquetterie , la naïveté chaſſa la
diffimulation , & Siromène conçut l'amour
le plus paffionné pour le Prince
-Balkin.
Cet amant infortuné erroit de pays
"en pays , ennuyé du préfent , inquiet fur
l'avenir , & ne tenant à rien . Son ame
"noble & fenfible , qui ajoutoit aux agrémens
d'une figure intéreffante , lui atti-
' roient l'attention d'une quantité innombrable
de beautés moins févères ; mais
ni leurs charmes , ni leurs faveurs , n'éroient
capables de le captiver. L'image
de Siromène le pourfuivoit par tout ;
mécontent de lui-même , toujours, diftrait,
jamais confolé , rien ne pouvoiɛ
remplir le vuide de fon coeur.
JANVIER. 1777 . ༢༡
Dans tous les pays qu'il parcouroit ,
les promenades ifolées étoient fon occu
pation la plus douce . Ayant fait quelque
féjour dans la Principauté de Rézia
Les réflexions le conduifirent un jour fur
un rocher , dans le creux duquel il découvrit
un monument conftruit en marbre
, fans doute par quelque amant
que fes malheurs avoient inftruit. Co
lieu augufte étoit ombragé de toutes
parts de bois vénérables ; une fontaine ,
dont l'eau pure & tranfparente couloit
dans un ruiffeau toujours ' limpide , lavoit
abondamment le roc ; la fraîcheur
& le calme qui règnoient en cet endroit
, invitèrent Balkin à s'arrêter &
à examiner de plus près ce bâtiment
extraordinaire . Arrivé à la porte , on
lifoit cette infcription : à l'Amour raifonnable.
Ces mots aiguisèrent la curio
fité de Balkin , & lui infpirèrent le defir
de percer le voile des emblêmes dont il
voyoit garni l'extérieur de l'édifice . Plu
fieurs ftatues étoient à genoux , & repré
fentoient des femmes dans l'attitude de
la douleur & du remords : l'emblême
n'étoit pas difficile à pénétrer : c'étoient
les paffions figurées , engendrées par un
amour défordonné , qui demandoient
,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pardon à l'humanité , des plaies cruelles
qu'elles lui avoient caufées. Le ftatuaire
avoit repréſenté plufieurs efclaves , qui
crioient vengeance en regardant le ciel :
on croyoit entendre le récit touchant des
maux innombrables que l'amour leur
avoit fait fouffrir . Au milieu , une figure
dominante , fur un magnifique piédeftal
décoré, des attributs de l'amour , fourioit
& tendoit la main à la Philofophie,
dont les yeux étoient fixés fur un tableau
où l'on avoit gravé , en lettres d'or , les
paroles fuivantes :
Mortels , fi vous defirez goûter les
» charmes de l'amour , évitez l'inquié-
» tude des fantaifies , autant que Fem-
» portement de la paffion. Un amour
trop violent s'affoiblit trop vite , &
engendre bientôt l'ennui. Des fentimens
paffagers & renaiffans à chaque
inftant ne vous laifferont aucun repos ,
» & ne rempliront jamais votre ame.
» Choififfez, pour être heureux, une com-
» pagne honnête , d'une humeur égale ,
"
d'un caractère folide , d'une vertu fo-
» ciable & douce ; aimez fans inquié-
» tude ', poffédez fans dégoût , defirez
» pour jouir , faites des jaloux , & ne lo
foyez jamais .
n
JAN VIE R. 1777 . 19
un état floriffant ; mes tréfors font remplis
richeffe dans les villes , abondance
dans les campagnes , la joie & la tranquillité
également répandues dans mes
Etats que me refte-t- il à defirer , fi ce
n'eft d'avoir un fils , à qui je pourrai un
jour tranfmettre le gouvernement de
mes peuples , avec l'art de les rendre
heureux ?
La Fée Tricolore , qui avoit toujours
protégé le Royaume de Parthénie , entendit
les voeux du Roi , & les combla
bientôt par la naiffance du Prince Balkin
, à laquelle elle préfida. La jeuneffe
de ce Prince ne devoit être que le développement
des talens & des grâces . Mais
le bruit des réjouiffances , dont l'air retentit
en ce jour remarquable , avoit
troublé le fommeil de la Fée Grondeuſe,
endormie dans un bois voifin de la réfidence
, & fur le champ elle réfolut de
punir l'auteur de cette fête tumultueuſe.
Les intelligences médiatrices entre les
dieux & les hommes , étoient autrefois
très- fréquentes dans les climats de l'Orient
; celle-ci n'avoit point de deftination
particulière ; fon plaifir le plus doux
étoit de porter la défunion & le trouble.
dans le fein des familles , & de déranger
20 MERCURE DE FRANCE.
les projets des Fées Bienfaifantes. Elle
arriva au palais , au moment que la Fée
Tricolore venoit de répandre fes dons
fur le Prince nouveau né , & elle eut le
temps d'y ajouter : Il n'en jouira qu'après
avoir effuyé des contradictions prefque
infurmontables .
Cependant on ne négligea rien pour
former le coeur du Prince Balkin ; &
malgré les flatteurs qui l'avoient environné
dès fa tendre jeuneffe , & qui lui
avoient toujours foutenu qu'il n'avoit
point de défauts , il devint doux , indulgent
, humain & jufte . Né avec des paffions
impérieufes , il employa toute la
force de fon caractère non pour les
mettre en activité , mais pour les répti
mer & leur commander.
Lorfque l'éducation du Prince fur finie
, la Fée Tricolore lui confeilla d'ajouter
aux connoiffances qu'il avoit déja
acquifes , celle des pays étrangers ; & elle
voulut qu'il commençât par le Royaume
d'Almanzor . Cette Cour , célèbre par la
prétendue gaieté , l'incroyable galanterie,
& les plaifirs multipliés qui y régnoient ,
attiroit une foule d'étrangers , & les
charmes de la Reine , appelée Siromène ,
joints à la vivacité de fon efprit , les y
attachoient encore davantage.
JANVIER. 1777. 21
Plufieurs Princes fe difputoient la
gloire de fixer fon coeur , mais fur- tout
le Prince Ananas . Infatué de fa figure ,
ce jeune Seigneur poffédoit , en un degré
fuprême , le talent de prodiguer à propos
, ces riens , ces bagatelles , qui font
les agrémens , & qui fouvent tiennent
lieu de l'attachement le plus tendre. En
un clin d'oeil il fe précipitoit dans un
fauteuil , une jambe fur l'autre, marmot
toit un petit air, tapoit du pied , fe mouchoit
, crachoit , arrangeoit fon habit ,
le tout avec une grâce infinie. Pour avertir
les autres du cas qu'il faifoit de fa
perfonne , il ne ceffoit de raconter ce
qu'il avoit dit & ce qu'il avoit fait ; & fi
la converfation tomboir fur quelqu'autre
objet , il la ramenoit adroitement à lui .
Ennemi juré de cette modeftie mauffade
qui étouffe le vrai mérite , il avoit le
noble courage de dire tout haut qu'il
avoit de l'efprit , du coeur , de la nai
fance , de la figure . Une liberté enjouée ,
une légèreté agréable l'accompagnoient
par- tout , & ces qualités brillantes qu'il
portoit dans la fociété , faifoient rechercher
la fienne ; fi bien que la Reine ,
quoique coquette , la préféroit à celle
des autres.
22 MERCURE
DE FRANCE .
Balkin ; qui dans fa jeuneffe , avoit
lu beaucoup de Romans , fe flattoit de
trouver l'amour dans la nature , tel
qu'il eft peint dans les livres , & tel qu'il
s'en étoit formé l'idée. Son coeur rempli
des voeux les plus délicats , foupiroit
après une amante , dont il fe faifoit une
fi douce image ; & il trouva en effet dans
Siromène , celle dont le coeur devoit être
la récompenfe de fes vertus ; mais il
n'étoit pas digne encore de s'en applaudir.
Arrivé à la Cour de la Reine d'Almanzor
, la réception que cette beauté
dangereufe fit à Balkin , lui promit le
fuccès le plus complet. Quelques regards
de complaifance , quelques paroles affectneufes
portèrent l'efpoit le plus doux
dans le coeur de ce nouvel amant. Sonaffiduité
& fon empreffement redoublèrent
tous les jours ; & un homme qui cher
che à plaire à une coquette , ne manque
ni d'occupation , ni d'inquiétude . Mais
bientôt Balkin s'apperçut avec un chagrin
profond , qu'il n'étoit pas mieux
traité que les autres ; que Siromène s'amufoit
de tout , tandis qu'il ne s'occupoit
que d'elle , & qu'elle changeoit
d'amans comme de parure. Il devint
rifte , inquiet , jaloux. Eft-ce ainfi, dive
JANVIER. 1777. 23
? -
il un jour à la Reine , que vous récompenfez
la délicateffe de mon amour, fontce
là les fentimens que vous m'avez fait
entrevoir Infenfé que vous êtes ,
croyez-vous avoir enlevé à tous les hommes
ce qui les rend aimables ? Je fuis
femme , & j'aime comme une femme ,
voilà tout ce que je puis faire pour vous.
- Je ne vous aurois donc connue que
pour être le plus infortuné des hommes ?
Je vous ai promis de vous aimer
mais je n'ai раб renoncé pour cela à
l'univers : Que diriez- vous de quelqu'un
qui affifteroit à un grand repas , & ne
mangeroit continuellement que du même
mets ? - Ah ! miféricorde, quelle image ,
quelle comparaifon ! Je vois bien que
fous un beau corps , fous des traits charmans
, vous ne cachez qu'une ame infenfible
, un coeur d'airain ; je vois que
vous êtes la plus volage , la plus cruelle
des femmes ! Ne vous emportez pas ,
Balkin , croyez- moi , un coeur languit
dans la conftance , tout comme l'onde ſe
glace dans le repos . Rendez- vous agréable
à plufieurs beautés , elles vous préviendront
, par-tout vous trouverez l'amour
fur vos traces .
-
Cependant l'air , le ton , le caractère
24
MERCURE
DE
FRANCE
.
enjoué de Siromène avoient excité dans
l'ame de Balkin , un trouble & une émotion
que tien ne pouvoit calmer. Le fommeil
même ne pouvoit diliper cette agitation
continuelle , où l'amour avoit jeté
fes fens & fa raifon . Il recherchoit avec
foin la folitude , & fon appartement lui
plaifoit infiniment. On y avoit placé les
portraits des illuftres amans , dont les
infortunes étoient confacrées dans les faftes
de l'amour; & la Reine appeloit , par
dérifion , cet appartement , le Cabinet
des Fous trifles. Car le langage de l'a
mour paroît auffi ridicule à une coquette ,
qu'il eft précieux à une ame tendre &
fenfible .
Excédé enfin des tourmens auxquels
la Reine le livroit fans ceffe , & dont
elle ne fe faifoit qu'un jeu cruel , fatigué
des ridicules qu'on s'attachoit à lui donner
, ce qu'il n'étoit pas difficile de lui
trouver , puifque les paffions violentes
ont , par leur excès même , quelque choſe
de puérile , le Prince Balkin prit le parti
de fe dérober à tout ce qui l'affligeoit
& de chercher des diftractions dans les
voyages. En partant , il dit à la Reine :
puifque mon amour ne peut vous toucher
, je me vengerai de votre ingratitude
,
JANVIER. 1777. 25
tude , en vous livrant à l'inconftance &
à la perfidie des hommes. Jouiffez , Madame
, du plaifir que vous donne votre
beauté , de multiplier le nombre de vos
efclaves , trop heureux de n'être plus de
ce nombre.
La Reine ne manqua pas de dire , le
pauvre Prince eft défeſpéré ; cette fauffe
tranquillité qu'il affecte , n'eft qu'un dépit
caché ; mais le moyen d'aimer un homme
à paffion : il m'ennuyoit avec fes fentimens
éternels : j'ai peut-être des torts
avec lui ; il m'aimoit de bonne foi , mais
enfin , il eft parti .
dre
Semblables aux avares , que la moinperte
alarme , tout comme le moindre
profit a des appas pour eux , les coquettes
n'envifagent que le nombre dans
le choix de leurs amans ; & fi par malheur
il s'en échappe un , elles emploient
routes les reffources de leur art féduc
teur, pour le ramener dans leurs filets.
Siromène , piquée d'abord de la froideur
des adieux du Prince Balkin , en
conçut bientôt de l'affliction ; une inquié
tude mortelle s'empara de fon efprit ,
elle fe rappeloit quelquefois l'attachement
fincère que Balkin avoit eu pour elle ,
& fe reprochoit d'avoir éloigné , par ſa
II. Vol. B
16 MERCURE DE FRANCE.
>
frivolité , un amant fi paffionné. Infen-
-fiblement elle devint fombre & mélancolique
, tout ce qui l'environnoit lui
étoit odieux , jufqu'au Prince Ananas
qui fut bien furpris de fe voir congédié
tout d'un coup. La Reine ne vouloit
plus quitter l'appartement qu'avoit
occupé le Prince Balkin , tout lui rappelloit
l'image de ce tendre amant , &
la fimplicité qui avoit régné dans fes
-difcours & dans fes fentimens cette
douce trifteffe , qu'engendre la fenfibilité,
s'empara de fon coeur , la tendreffe remplaca
la coquetterie , la naïveté chafla la
diffimulation , & Siromène conçut l'amour
le plus paffionné pour le Prince
-Balkin.
Cet amant infortuné erroit de pays
en pays , ennuyé du préfent , inquiet fur
l'avenir , & ne tenant à rien. Son ame
"noble & fenfible , qui ajoutoit aux agrémens
d'une figure intéreffante , lui attiroient
l'attention d'une quantité innombrable
de beautés moins févères ; mais
ni leurs charmes , ni leurs faveurs , n'éroient
capables de le captiver. L'image
de Siromène le pourfuivoit par- tout ;
mécontent de lui-même , toujours dif
rrait , jamais confolé , rien ne pouvoir
remplir le vuide de ſon coeur ,
JANVIER. 1777. 27
>
Dans tous les pays qu'il parcouroit ,
les promenades ifolées étoient fon occu
pation la plus douce. Ayant fait quelque
féjour dans la Principauté de Rézia
Les réflexions le conduifirent un jour fur
un rocher , dans le creux duquel il découvrit
un monument conftruit en marbre
, fans doute par quelque amant
que fes malheurs avoient inftruit. Co
lieu augufte étoit ombragé de toutes
parts de bois vénérables ; une fontaine ,
dont l'eau pure & tranfparente couloit
dans un ruiffeau toujours limpide , la
voit abondamment le roc ; la fraîcheur
& le calme qui règnoient en cet endroit
, invitèrent Balkin à s'arrêter &
à examiner de plus près ce bâtiment
extraordinaire . Arrivé à la porte , on
lifoit cette infcription : à l'Amour raifonnable.
Ces mots aiguisèrent la curiofité
de Balkin , & lui infpirèrent le defir
de percer le voile des emblêmes dont il
voyoit garni l'extérieur de l'édifice . Plu
fieurs ftatues étoient à genoux , & repréfentoient
des femmes dans l'attitude de
la douleur & du remords : l'emblême
n'étoit pas difficile à pénétrer : c'étoient
les paffions figurées , engendrées par un
amour défordonné , qui demandoient
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pardon à l'humanité , des plaies cruelles
qu'elles lui avoient caufées . Le ſtatuaire
avoit repréfenté plufieurs efclaves , qui
crioient vengeance en regardant le ciel :
on croyoit entendre le récit touchant des
maux innombrables que l'amour leur
avoit fait fouffrir. Au milieu , une figure
dominante , fur un magnifique piédeftal
décoré, des attributs de l'amour , fourioit
& tendoit la main à la Philofophie,
dont les yeux étoient fixés fur un tableau
où l'on avoit gravé , en lettres d'or , les
paroles fuivantes :
་
Mortels , fi vous defirez goûter les
» charmes de l'amour , évitez l'inquié-
» tude des fantaifies , autant que l'em-
»portement de la paffion. Un amour
trop violent s'affoiblit trop vite , &
engendre bientôt l'ennui. Des fentimens
paffagers & renaiffans à chaque
inftant ne vous laifferont aucun repos ,
» & ne rempliront jamais votre ame.
» Choififfez, pour être heureux , une com-
» pagne honnête , d'une humeur égale ,
» d'un caractère folide , d'une vertu fo-
» ciable & douce ; aimez fans inquiétude',
poffédez fans dégoût , defirez
» pour jouir , faites des jaloux , & ne lo
foyez jamais .
"
JANVIER 1777: 19
Ces préceptes firent la plus vive impreffion
fur le coeur de Balkin ; il crut
avoir bu à la fource de la félicité parfaite
; fon ame fe fentit foulagée , & peuà-
peu le nuage épais dont la paffion l'a
voit enveloppé , fe diffipa.
Un plaifir fecret enchaînoit Balkin à
ce pailible fanctuaire de l'amour , & l'engageoit
à y retourner tous les jours. L'approche
de la nuit l'ayant obligé un jour
de quitter fa retraite , il rencontra dans
la forêt un homme plongé dans une profonde
rêverie. Il eft fi naturel aux malheureux
de fe plaindre & d'aimer leurs
femblables ! Balkin lut dans les yeux de
l'inconnu , qu'il avoit quelque chagrin
fecret qui l'amenoit en ces lieux . Bientôt
ils fe firent un aveu, mutuel de leurs peinés
, fe promirent de partager leurs chagrins
, & fe lièrent par les noeuds de l'amitié
la plus intime . Le Prince de Rézia,
c'étoit le nom de l'inconnu , engagea
Balkin à venir demeurer dans fon palais .
J'aimais , lui dit-il , la plus aimable , la
plus tendre des femmes , elle m'a trahi ;
fa perfidie répand l'amertume fur le refte
de mes jours , la langueur me confume ,
& je m'éteins infenfiblement. Du
moins vous avez joui du bonheur d'être
I
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
aimé ; mais j'ai eu le malheur de prodi
guer ma tendre le à une ingrate , à une
coquette , qui n'étoit idolâtre que d'ellemême.
-Lorfqu'on éprouve les rigueurs
d'une coquette , on peut croire qu'elle
n'a jamais aimé , & qu'elle n'aimera jamais
; mais peut-être mon amante eft
dans les bras d'un autre ! ... Leur conver
fation s'anima de plus en plus , & une
guerre violente parut, à tous les deux , la
moyen le plus defirable pour terminer
glorieufement leur carrière infortunées
forfqu'arrivés fur la chauffée , ils virent
accourir un homme à toute bride . Le
Prince Balkin reconnut un des ferviteurs
les plus affidés de la Reine d'Almanzor
& lui cria , du plus loin qu'il pouvoit
l'entendre eh bien ! quelle nouvelle ,
quel accident imprévu vous amène en
ces lieux ? Ah ! Seigneur , ne perdez pas
un moment pour voler au fecours de Siromène
, qui vous aime plus que la vie. -
Sur le refus conftant de fa main , le perfide
Ananas l'a détrônée & condamnée à
une prifon perpétuelle .
Les deux Princes frémirent à cette
nouvelle. Ils réfolurent d'attaquer inceffamment
le traître ; le Prince de Rézia
raffembla toutes les troupes & celles de fes
JANVIER. 1777. 3.8+
alliés ; il les confia à la conduite de Balkin
, & voulut lui-même l'accompagner.
Le Prince Ananas ofa venir à la rencontre
de cette armée ; mais il fut défait en
bataille rangée : une fuite honteufe fut .
fa reffource , & la capitale fe rendit aux
vainqueurs.
2
Balkin n'eut rien de plus preffé que
de courir à la prifon où Siromène devoit
être enfermée ; mais quelle fut fa furprife
, lorfqu'en entrant , il ne trouva per-
Tonne ! La Fée Tricolore , inftruite du .
défaftre de Siromène , avoit tranſporté
cette Princeffe dans une Ifle , où l'innocence
, la candeur , la fimplicité étoient
le caractère diftinctif des habitans. Une
Fée bienfaifante , indignée de la fauſſeté ›
des hommes , y avoit raffemblé un petit
nombre de mortels , qu'elle avoit rendus
diaphanes , afin de leurs ôter le plus
grand obftacle aux douceurs de la vie ,
qui eft la défiance mutuelle : chacun lifoit
dans le coeur de l'autre ; perfonne
n'avoit intérêt à déguifer la vérité , le
penchant y faifoit le choix , & leurs
coeurs finiples & tendres fe cherchoient
fans le favoir , & s'attiroient tour-àtour.
Ce féjour acheva de former le coeur
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
de Siromène , & de faire difparoître tous
les preftiges qui avoient fafciné fes yeux.
Elle trouva bientôt une amie , dans le
fein de laquelle elle pouvoit dépofer fes
chagrins. La Princeffe Araminte lui ouvrit
la première fon coeur . Si je n'avois
pas rebuté , par des rigueurs infupportatables
, l'amant le plus tendre , je ferois
dans les bras du Prince de Rézia . Hélas ! je
l'aime plus que jamais , mais peut- être mes
pleurs coulent pour un ingrat ; s'il m'aimoit
encore , il auroit trouvé moyen de
me rejoindre. Si le Prince eft tel que
vous me l'avez dépeint , il n'eſt point infidèle
; fans doute il ignore en quels
lieux vous trouver ; fans doute il eft ,
comme vous , plongé dans l'incertitude.
& dans la douleur. Si du moins il
voyoit ma douleur , la certitude d'être :
aimé l'aideroit à fupporter la fienne ; mais
le fort ne veut pas adoucir nos peines.
En fe confolant ainfi mutuellement , ces
deux amantes rallumoient fans ceffe dans
leurs coeurs l'efpérance prête à s'éteindre.
-
En attendant, les deux Princes avoient
rétabli la tranquillité dans le Royaume
d'Almanzor , & avoit fait toutes les difpofitions
néceffaires pour y maintenir
l'ordre. Ils étoient prêts à parcourir l'uJANVIER.
1777 33
hivers pour découvrir la Reine , en quelque
partie du monde qu'elle fe trouvât ,
lorfqu'on entendit un grand bruit vers la
porte du palais. C'étoit Siromène , que
la Fée ramenoit avec la Princeffe Araminte.
Les Princes reconnurent leurs.
amantes , & oublièrent bientôt les peines
& les torts paffés , pour fe livrer à
la joie la plus parfaite . L'hymen mit le
comble à leurs voeux, les nouveaux époux
reftèrent toujours amans ; & l'union la
plus étroite qui fut établie entre leurs
Etats , affura la félicité des jeunes Souverains
& celle de leurs peuples.
Par M. Papelier.
A M. le Comte DE TRES SAN.
TANDIS qu'aux fanges du Parnaſſe ,
D'une main criminelle & laſſe¸
Rufus va cherchant des poifons ,
Ta main , délicate & légère ,
Cueille aux campagnes de Cythère
Des fleurs dignes de tes chansons.
Les Grâces accordent ta lyre ;
Le Plaifir mollement t'infpire ,
В к
3.4
MERCURE
DE FRANCE
.
Et tu l'infpires tour-à- tour :
Que ta Muſe tendre & badine
Se fent bien de fon origine !
Elle eft la fille de l'Amour.
Loin ce Rimeur attrabilaire ,
Ce cynique , ce plagiaire ,
Qui , dans fes efforts odieux ,
Fait fervir à la calomnie ,
A la rage , à l'ignominie ,
Le langage facré des Dieux !
Sans doute les premiers Poëtes ,
Infpirés ainfi que vous l'êtes ,
Étoient des Dieux ou des Amans :
Tour a changé , tout dégénère ,
Et dans l'art d'écrire & de plaire...
Mais vous êtes des premiers temps.
Par M. de Voltaire.
A Madame NECKER.
Jiro
έτοιs nonchalamment tapi
Dans le creux de cette ftatue ,
Contre laquelle a tant glapi
Des méchans l'énorme cohue ;
JANVIER. 1777. 35
Je voulois, d'un écrit galant ,
Cageoller la belle Héroïne 1
Qui me fit un fi beau préſent
Du haut de fa double colline.
Mais on m'apprend que votre époux ,
Qui , fur la cîme du Parnaſſe ,
S'étoit mis à côté de vous ,
A changé tout- à-coup de place :
Il va de la Cour de Phébus,
Petite Cour affez brillante ,
A la groffe Cour de Plutus ,
Plus folide & plus impofante.
Je l'aimai , lorfque , dans Paris ,
De Colbert il prit la défenſe ,
Et qu'au Louvre il obtint le prix
Que le goût donne à l'éloquence :
A Monfieur Turgot j'applaudis ,
Quoiqu'il parut d'un autre avis
Sur le commerce & la finance.
Il faut qu'entre les Beaux-Efprits
Il foit un peu de différence ;
Qu'à fon gré, chaque mortel penfe
Qu'on foit honnêtement en France ,
Libre & fans fard dans fes écrits .
Par le même.
4
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
LA RECONNOISSANCE.
Étrennes à Madame la Comteſſe DE
RENNEPONT, Chanoineffe d'Epinal.
QU
UOI ! ces Légiflateurs , ces Oracles fameux
De la Grèce & de l'Aufonie ,
Qui virent éclore chez eux
L'Achéron , l'Elysée , & l'Olympe & les Dieux,
Et les Arts , enfans du génie ;
Ces fages infenfés , dont les noms immortels
Seront cités dans tous les âges ,
Aux plantes, aux inétaux , confacroient leurs hom
mages ,
Et moduloient pour eux des hymnes folennels !
Tous les fléaux , la faim , la guerre , le carnage ,
Jufqu'aux oifeaux de finiftre préfage ,
Recevoient l'encens des mortels .
Que dis-je? au vice même ils dreffoient des autels !
Funefte aveuglement ! déplorable démence !
L'humanité , la bienfaiſance
N'avoient pas un adorateur !
Si de ces ingrates contrées
Ces vertus furent ignorées ,
JANVIER . 1777. 37.
Quel culte je leur rends dans le fond de mon
coeur!
Et toi , fille de la nature ,
D'une ame vertueuse & pure ,
Tendre & fublime fentiment ,
Immortelle Reconnoiffance ,
Reçois mes voeux en ce moment !
Mon folide bonheur eft l'ouvrage d'Hortenfe 3
Cedoux penfer me fourit nuit & jour.
O pure volupté que je goûte en filence !
Dans mon fein fixe ton féjour !
Que tout autre objet cède à la réminiſcence ,
Et des bienfaits & de l'amour.
"
Hortenfe , quand le fort contraire
Epuifoit fur moi fes rigueurs ,
Futmon appui , mon ange tutélaire ,
Et s'attendrit fur mes malheurs .
Son zèle ne fut point stérile ;
Aux accens de fa voix la tempête docile,
Ecarta les frayeurs dont j'étois agité ;
L'orage difparut , le ciel devint tranquille ,
Et fon coeur généreux , en refſources fertile,
Affura ma félicité.
Dieux puiffans comblez mon envie ;
Hortenfe a tous les biens , les vertus , les talens ,
Le fouris de l'Amour , la fraîcheur du printemps.
Jè n'ai que des defirs , qu'une ame & qu'une vie ,
38 MERCURE
DE FRANCE
.
Eh bien ! qu'elle me foit ravie ;
Mais que fes jours fi chers foient respectés du
temps.
Par M. l'Abbé Dourneau , Chevalier
du Saint-Sépulchre.
VERS à l'occafion d'un renouvellement de
mariage entre deux Octogénaires.
CRÉÉs pour être heureux , hélas ! le ſommes-
On diroit
nous ?
que le ciel , aux enfans de la terre ,
Déclare , pour les perdre , une éternelle
guerrei
Pouvoit-il nous porter de plus fenfibles
coups ? D'innombrables
chagrins
affiégent
notre vie ; De mille maux affreux elle eft encor fuivie ;
Et victimes
enfin de notre cruel fort ,
Au milieu des tourmens
nous rencontrons
la mort.
Quefommes-nous après ? plus à plaindre peut-être: Le plus grand des malheurs
n'eft-il donc pas de
naître ?
Mortels, à qui la faute, ou de vous ou des Dieux?
Au fortir de leurs mains l'homme eft pur comme
eux;
JANVIER. 1777. 39
Réglé dans fes defirs , il pouvoit, fans alarmes ,
Vivre au fein du bonheur, en goûter tous les
charmes :
Mais les crimes bientôt s'emparant de fon coeur ,
Avec fon innocence il perdit fon bonheur.
Aufeu des paffions abandonné fans ceffe ,
Qu'ilpaye chèrement fa criminelle ivreffe !
Accablé de douleur , déjà vieux à trente ans ,
Il dépérit , il meurt au fort de fon printemps .
Ce font- là de tes fruits , trop bouillante jeuneſſe !
Ecoutant des plaifirs la voix enchantereffe ,
On s'y livre , on s'excède , & bientôt abattus ,
Nous tombons fous le poids de cent maux imprévus.
Deux vieillards cependant, dont le fort m'intéreſſe,
En fuyant tout excès , font enfin parvenus ,
Sans peine & fans dangers , à l'extrême vieilleffe."
D'un mariage heureux cinquante ans révolus ,
De ce couple admirable annoncent la ſageſſe.
Pleins de vigueur encor , pour prix de leurs
vertus ,
Ils vont renouveler leur hymen , leur tendreffe ,
Lés fermens qu'ils ont faits , qu'ils n'ont jamais’
rompus.
A voir ces deux époux fi vieux & fi fidèles ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Le Temps , l'Amour , pour eux ſemblent n'avoit
point d'aîles.
Que la Parque , occupée à filer vos beaux jours ,
Ne fe laffe jamais d'en prolonger le cours ;
Epuifez fes fufeaux chargés d'or & de foie ,
Et que rien, chers époux , n'altère votre joie.
Confolons -nous , mortels ; ces exemples vivans
Prouvent qu'on peut encor vivre heureux & longtemps.
Soyons dans nos plaifirs moins vifs , moins témé
raires ,
Nous verrons moins de maux & plus d'octogénaires.
De nos malheurs envain nous accufons les cieux ;
Abafant des bienfaits dont nous comblent les
Dieux ,
C'eſt à l'ingratitude ajouter des blaſphêmes.
Si nous fouffrons , il faut nous en prendre à nous
mêmes.
L'homme fut créé libre & maître de fon fort ,"
Pour le conduire il a la raiſon en partage :
Si de ce don célefte il ne fait point ufage ,
Les Dieux n'y font pour rien , & l'homme feul a
tort.
7A
JANVIER. 1777 41
PASTORALE.
Doux momens de ma vie ,
Que vous avez d'appas !
Ifmène , en la prairie ,
Le foir guide mes pas.
Son oeil , fans y prétendre ,
Fait croître des defirs ,
Et fa voix foible & tendre
Annonce les foupirs.
Auprès de ma Bergère ,
Nymphes , formez des choeurs.
Vous , Grâces de Cythère ,
Couronnez -la de fleurs.
Sous fon aimable empire
Volez , jeunes Amours ;
La gaieté qu'elle infpire ,
Fait naître lesbeaux jours.
En foulant la verdure ,
Nous refpirons le frais ;
De la fage nature ,
Nous goûtons les bienfaits
Si je te laffe , Ifmène ,
428 MERCURE
DE FRANCE.
}
Par mille jeux nouveaux,
Les gazons de la plaine
Sont nos lits de repos.
Dans ces lieux délectables ,
Venez , fenfibles coeurs .
Vos Belles intraitables
N'auront plus de rigueurs,
L'Amour, en cet afyle ,
Sur tout reprend les droits ,
Et , bien mieux qu'à la ville ,
Il y donne des loix.
Par M, B. D:
L'AIGLE & LA FAUVETTE,
Fable,
UN Aigle d'amour tendre aimoit une Fauvette ,
Non comme on aime une Grifette ,
Mais je crois bien en tout honneur :
Joli caquet & douce humeur ,
Que fais-je ? voix touchante , harmonieux ramage,
Tout cela peut fuffire à charmer un grand coeur.
Bref, l'oifillon des bois , foit mérite ou bonheur,
Du Prince des Oifeaux fixa le goût volage.
JANVIER 1777. $43
Monfeigneur , au déclin du jour ,
Voloit fous la feuillée où l'attendoit l'amour ;
Il y paffoit le foir , & bien fouvent l'aurore ,
Quelquefois le foleil l'y retrouvoit encore.
Cent fois pour l'ombrage enchanteur,
Il quitta fans regret les champs de la victoire.
Dans les cieux , difoit-il, on peut trouver la gloire ;
fous l'ormeau qu'on trouve le bon-
Ce n'eft
que
heur.
Un printemps s'écoula dans cette douce ivreffe ,
Sans que rien n'altérât leur commune tendreffe ,
Sans trouble & fans débats fâcheux :
L'un oublioit fon rang auprès de fon amie ,
L'autre de fon ami prévenoit tous les voeux .
affreux ,
Hélas! par un nuage
*Cette félicité fut trop vîte obfcurcie.
Qui n'a pas un moment d'humeur ?
La Fauvette en eut un , j'en ignore la caufe.
L'Aigle fe plaint avec aigreur ,
On répond , on réplique , & le pis de la chofe .
C'eft que l'orfeau royal , au fort de fa fureur ,
Se reffouvient de fa grandeur.
De ce moment, adieu l'erreur enchantereſſe ;
La difcorde commence & l'égalité ceffe .
Dans l'ombre du feuillage , en pouffant un foupir,
La Fauvette auffi -tôt s'enfonce ,
Et quand l'Aigle fupplie & veut la retenir ,
1
44
MERCURE DE FRANCE.
Il en reçoit cette réponſe :
Vous méritez bien des égards ;
Mais ce n'eft pas ainfi que l'amitié fe règle,
Seigneur ; j'ai lu dans vos regards
Que j'étois la Fauvette & que vous étiez l'Aigle...
Tous vos difcours font fuperflus :
Je vous crains , vous honore... & ne vous aime
plus.
Par M. L.B.
A M. DE VOLTAIRE.
NOUVEL Anacreon , le déclin de ton âge
Joint aux fleurs du printemps tous les feux de l'étés
Tu captives nos coeurs par l'aimable gaieté
Dont tu fais embellir les préceptes du fage.
Plaire au monde & l'inftruire eft ton double par❤
tage.
La vertu , les talens , par toi tout eft chanté ;
Les arts & les plaifirs ont toujours ton hommage ,
Ta bouche exprime encor la tendre volupté.
Au gré de nos defirs , ton immortel génie
Trompe le vieux Saturne & défarme la mort ;
Sois long-temps leur vainqueur , brave leur vain
effort ,
Suis gaiement le fentier de la plus longue vie.
JANVIER . 1777. 45
*
Eh ! qui pourroit troubler tes glorieux deftins ?
De nos derniers neveux tu feras les délices ;
Ton fort eft d'enchanter à jamais les humains ,
Tandis que les François & leurs deftins propices ,
Seront paffés , hélas ! comme des fonges vains .
Les Grecs fout difparus , Homère eft en nos mains;
Du temps Ovide , Horace ont bravé les caprices ;
Il épargna Virgile & non pas les Romains.
Que ne puis-je , ô grand homme ! au gré de mon
envie ,
Rejoindre mon aurore au couchant de tes jours !
Queje ferois heureux , en terminant ma vie ,
De ramener pour toi la faifon des amours !
Mais que dis je ? parcours ta brillante carrière
Un triomphe a marqué chacun de tes inftans
Rien ne peut ajouter à ta vive lumière ,
Et ton hiver vaut mieux cent fois que mon prin
temps.
Tu ranimes les arts aux doux fons de ta lyre ;
L'âge n'affoiblit point ta première vigueur ,
Et quand nos jeunes gens , dans leur trifte langueur,
Ne favent que pleurer , toi feul fais encor rire .
ONeftor du Parnaffe & fon plus ferme appui !
S'il t'ouvrit le chemin de la gloire immortelle ,
Tu lui rends bien l'éclat que tu reçus de lui :
Puiffe-tu dans trente ans , plus vieux que Fonteg
nelle ,
46 MERCURE
DE FRANCE
.
Brûler encor du feu qui t'anime aujourd'hui ! .
Les lauriers renaiflans qu'à Fernei tu moiffonnes ,
Tes vers pleins de gaîté , ces ouvrages charmans ,
Qu'au fein de la retraire à tes amis tu donnes ,
Ne fe reffentent point du travail & des ans ;
Et malgré les efforts de l'envie & du temps ,
Nous voyons chaque jour de nouvelles couronnes,
De ton front rajeuni cacher les cheveux blancs.
Par M. D. C. T. d. F.
Sur la nommination de Monfeigneur le
Contrôleur- Général,
Louis , de fon Peuple adoré ,
Pour confacrer la bienfaisance ,
Cherchoit un Miniftre éclairé
Qui pût ramener l'opulence .
Ouvrez fans différer le coeur de vos ſujets ,
Lui dit confidemment la Déeffe Minerve ;
Vous en avez la clé : dans le fein des fecrets ,
Vous trouverez celui que le ciel vous réferve.
A peine le Monarque eut- il levé le ſceau ,
Qu'il vit dans tous les coeurs le nom de Taho
reau.
Par M. de Caraccioli.
JANVIER. 1777. 47
A M. NECKER 1
UN jeune Roi , digne de l'âge d'or¸
A fes Sujets cher par fa bienfaiſance ,
Par fes confeils qu'animoit la prudence ,
Qui les dictoit fous les traits de Neftor ,
Cherchoit un homme inftruit par la fortune ,
Qui , dans un rang où la chûte eft commune ,
Sût accorder , par un art délicat ,
Les droits du fifc & le bien de l'Etat ;
Un Bel -Efprit , dans la foule ignorante ,
Qui fût chérir l'humanité ſouftrante ;
UnEtranger que le Peuple eſtimât ;
Un Commerçant que la Cour refpectât ,
Qui de l'Europe eût conquis le fuffrage ,
Enfin chez qui , par un rare aſſemblage ,
A la vertu le talent répondît :
Il choifit Necker , & la France applaudit.
Par M. L. D. S.
48
MERCURE
DE
FRANCE
.
C
VERS de M. L. D. de.... à un Chat de
parfilage , qu'on lui donne anonyme
tous les ans aux étrennes.
UNgros , un fuperbe Minet,
Aux jours où l'an fe renouvelle ,
Me vient offrir un fervage fidèle.
De ma toifon ( me dit l'archi-finet )
Dépouillez-moi... prenez le coeur encore...
vous , n'en doutez pas...
Tout eft à
Prendre fon coeur ! ( dis -je tout bas)
Il faut, avant , favoir ce que j'ignore :
D'où venez-vous , Monfieur ? Ce Monfieur eft
difcret ,
Il me refufe fon fecret.
Je n'aime pas la réfiftance ,
Je preffe , & l'obſtiné fait patte de velours ,
Mais d'autant garde le filence.
Hé bien ! je veux avoir mon tour ;
J'allois à ma reconnoiffance
Donner le plus grand apparat ;
Mais, foit par fage méfiance ,
Peut- être avec impatience ,
Nous ferons à bon chat bon rat.
VERS
JANVIER . 1777.
VERS de Madame la Ducheffe DE LA
VAL... à l'Inconnu qui lui a envoyé
un Chat de parfilure, ayant une patte
de velours.
SI du Maître du Parnaffe ,
Favorable à mes tranſports ,
J'avois reçu les accords
Ou de Pindare , ou d'Horace,
L'Inconnu qui , tous les ans ,
Me fais tenir mes étrennes ,
Auroit aujourd'hui les fiennes.
En vers pompeux & touchans.
Je n'ai point cet avantage ;
Il faut donc tout uniment
Chercher , dans fon badinage ,
Le fujet d'un compliment ,
Et fouhaiter bonnement
Que , fans befoin d'Hippocrate ,
Ni pour tête , ni pour ratte ,
Ni pour tous leurs alentours ,
Il coule en paix de longs jours ,
Et que , pour lui , chats & chatte ,
Faffent patte de velours.
II. Vol. C
I
१०
MERCURE
DE PRANCE.
RÉPONSE de M. GUDIN au Rédacteur
des Étrennes des Poëtes , où fe trouve
l'Eloge de Coriolan.
Vous demandez la vérité :
Pardonnez-moi fi je dénoue
Le voile qui tombe & fe joue
Sur la piquante nudité.
Dans ce recueil qu'a médité
En riant la malignité ,
Je fuis très-faché qu'on me loue ;
J'ai rougi de m'y voir vanté.
Ecrivons pour qui ? pour les Grâces ,
Pour Minerve , pour les Suivans ;
Mais de l'envie & des méchans ,
Auteurs , ne fuivez point les traces ;
C'eftproftituer vos talens.
On hait tout efprit fatyrique ;
Du Parnaffe il eft le fléau :
Le Lutrin & l'Art poëtique
Font à peine excufer Boileau.
JANVIER. 1777. Sr
ODE A LIGURINUS. Horace , X,
Livre IV.
O crudelis adhuc , &c.
I
OBEL ENFANT qu'un teint de rofes
Rend fi redoutable & fi vain ,
Qui ne réponds qu'avec dédain
Aux defirs ardens que tu cauſes!
Lorfque le temps te ravira
Ces cheveux où l'amour fejoue ,
Quecette fraîche & ronde joue
D'un poil épais fe couvrira :
Du trifte débris de tes charmes ,
Occupé devant un miroir ,
Tu diras , en verfant des larmes ,
Et plein d'un fecret défefpoit :
.
J
Que n'eus je un orgueil moins fauvage,
» Lorfque j'avois plus de beauté!.
Ou que n'ai-je , avec ma fierté ,
» Les grâces de mon premier âge !
"
ParM, L, R.
Cij
5.2 MERCURE DE FRANCE.
Explication des Enigmes & Logogryphes
du premier vol . de Janvier.
L
E mot de la première Enigme eft
Jour de l'An ; celui de la feconde eft
Foffoyeur ; celui de la troisième eft la
Pluie. Le mot du premier Logogryphe
eft Janvier , où le trouvent vie , navire ,
rive , Vire , vernis , ravin , âne , rien ,
vin , jeu , an , ire ; celui du fecond eft
Manche , où l'on trouve Canal de la
Manche , manne , Achem , ame , ane ,
mâche , hache.
ENIGM E.
LORSQUE
T
ORSQUE l'hiver , ramenant la froidure ,
D'un tapis blanc a couvert la nature ;
2 :
Lorfque l'on n'entend plus la voix
De l'éloquent chantre des bois ,
C'est alors , ther Lecteur , que tu me vois paroître.
Cherche bien , tu dois me connoître ,
Car tu m'as vu plus d'une fois .
Je préfente un vaiffeau d'une étrange ſtructure ,
Sans pont , fans voile , fans mâture ;
JANVIE R. 1777. 53
Je ne crains point le vent fi terrible en hiver ;
Je n'ai point de canon & ma quille eft de fer ;
D'un éperon tranchant on voit ma proue armée ;
Et par-tout où je vais , ma trace eft imprimée ;
L'homme fur moi monté , confultant fes plaifirs,
Court , vole , va , revient , au gré de fes defirs :
Devine , cher Lecteur , il faut enfin me taire ;
Encore un mot de plus tu faurois le mystère .
Par M. Godard.
AUTRE .
Si vous cherchez mon origine ,
Je ferai de peu de valeur ;
Mon père n'eft bon qu'en cuiſine ;
Cependant j'ai mon prix ailleur.
Un effaim de l'humaine race ,
Sans moi porteroit la beface ;
Le Plébéïen , par mon fecours ,
Peut prétendre une place en Cour.
Utile à toutes les Provinces ,
Les Rois , les Potentats , les Princes ,
M'admettent dans leurs cabinets ,
Et me font part de leurs fecrets .
Je fais d'une intrigue galante
C iij
54 MERCURE
DE FRANCE
.
¡
Communément la confidente ,
Lien des amis , des parens ,
Et la reffource des abfens.
AUTRE.
On trouve peu d'honnêtes gens ,
S'ils ne font accablés fous le poids de leurs ans ,
A qui je ne rende fervice ;
Je ne fais par quelle raifon ,
Ils ont cependant l'injuſtice
De me faire fouffrir une étroite prifon .
Quoique mon corps foit foible & mince ,
Je fuis utile au plus grand Prince ; .
Soir & matin de fon palais
Je nétoye avec art toutes les avenues
Que mille chofes fuperflues
Pourroient faire fentir mauvais .
Lorfque , fait pour un double ufage ,
Mes deux bouts ont chacun leur différent emploi ,
J'ai fouvent l'oreille du Roi ,
Sans que fes favoris en ayent de l'ombrage ,
Par M. Pot , C. d. N.
i ..
JANVIER. 1777. 55
LOGOGRYPHE.
Il ne faut que cinq pieds pour compofer men
être ;
Lecteur , fi tu retranches le premier ,
Changeant de nom tu me verras paroître
Bien plus petit , quoique je fois entier .
Mais fi tu me remets dans ma première forme ,
De petit que j'étois , je redeviens énorme.
Etre utile en naiffant ,
Mais beaucoup plus en grandiflant ;
Jeune ou vieux on me facrifie ,
Et je fers fort fouvent au foutien de ta vie.
Par M. le Roux.
AUTR E.
LECTEUR ,
ECTEUR , tu vois en moi le plus noir des humains
;
Et la gêne toujours eft ma trifte compagne ;
Sans être Médecin , le féné m'accompagne ;
Un Régent avec moi va courir la campagne ;
Toujours en vrai dévot , jeporte un de nos Saints,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
(Au fond du coeur s'entend , & non pas dans les
mains ).
Pour protecteur au ciel , ce fut celui - là même
Que Descartes reçut au jour de fon baptême.
Eh bien ? peux- tu me concevoir ?
Mais n'équivoquons plus , & d'un ftyle énergique,
Griffonnons de mon nom quelque indice authentique
:
Rafflemble mes fept pieds , je te les ai fait voir ;
Vite , nomme-moi donc : car fi tu ne m'explique ,
Je te fomme de comparoir
Au tribunal logogryphique.-
Par M. Huet de Longchamps.
AUTR E.
Tour enfant me chérit ; en voici la raifon :
Prends ma tête ou ma queue , en tout temps je fuis
bon.
Par le même.
JANVIE R. 1777 . 57
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Euvres de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
Tome IX ; contenant les Lettres fur
les matières criminelles , & fur les ma
tières civiles , A Paris , chez les Librai
res affociés.
LE premier volume des Lettres de M. le
Chancelier d'Agueffeau a été fi favorablement
accueilli , qu'on eft en droit d'efpérer
que celles qu'on publie aujourd'hui
produiront le même effet. Les Éditeurs
n'ont rien négligé pour en rendre la collection
complette , intéreffante , & pour
lui donner le meilleur ordre que les
circonftances ont permis,, Des Magif
trats dont les lumières égalent le zèle ,
n'ont pas dédaigné d'être les coopérateurs
de cet ouvrage . Ils ont communiqué fans
réferve toutes les Lettres qu'ils avoient
reçues de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
& celles qu'il avoit écrites à leurs prédé
ceffeurs , fur toutes les affaires dignes
d'intéreffer le Public. Ces fortes d'Ouvrages
ne font
pas fufceptibles d'analyfe.
C ▼
8 MERCURE DE FRANCE .
Nous remarquerons , avec l'Auteur du
Difcours préliminaire , qu'on trouvera
dans ce Recueil , comme dans les précédens
, ces principes folides , & féconds
en conféquences lumineufes , qui caractériſent
tous les Écrits de ce grand Homme
, & qui éclairent fi fenfiblement les
défilés les plus étroits & les plus obfcurs
de la Jurifprudence. On y verra les
moyens d'échapper aux inconvéniens
que rendent prefqu'inévitables la multiplicité
des formes , la diverfité des ufages
fuivis dans les Tribunaux , & les contradictions
réelles ou apparentes de nos
loix générales & particulières. Enfin on
y reconnoîtra toute l'importance des règles
propres à maintenir la févérité des
moeurs & de la difcipline dans la Magiftrature
, & fur-tout cette heureuſe harmonie
fans laquelle les Tribunaux, plongés
dans l'anarchie , deviendroient bientôt
inutiles , & peut- être nuifibles au corps
national , dont ils doivent être le lien &
le plus ferme appui.
Le volume que l'on publie embraffe
deux objets ; les matières criminelles , &
les matières civiles . Leur influence fur
le bonheur de l'humanité en fera fentir
toute l'importance à ceux même qui ont
JANVI E R. 1777 . 59
le moins approfondi les différens rapports
de ce qui conftitue l'ordre focial . On fait
que les loix civiles font, au corps politique ,
ce qu'eft un traité de morale pour chaque
citoyen en particulier ; que les loix
criminelles tendent à étouffer en détail
des étincelles dont la réunion formeroit
un embraferent général dans les fociétés
les mieux conftituées . Ainfi perfonne
n'ignore que de bonnes loix civiles &
criminelles , font les plus précieux & les
plus puiffans refforts qu'on puiffe appliquer
au régime des Nations. Mais on ne
fait point affez à quel point il importe à
la fociété que le principe & le but de ces
loix foient bien développés dans l'efprit
des Miniftres de la Juftice . On connoît à
peine le prix de ces hommes rares , à qui
la nature a donné , & en qui l'étude & la
réflexion ont fortifié le talent de ramener
à leur tronc les branches qui s'en éloignent
, ou qui , pour mieux dire , en paroiffent
détachées . C'eft par ces rapprochemens
, qui demandent tant de jufteffe
& de fagacité , que les loix font en quelforte
vivifiées , & qu'elles reprennent
leur légitime pouvoir dans toute l'étendue
de leur e npire. C'eft fur- tout par ces
traits de génie que M. d'Agueffeau étoit
que
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
révéré comme l'oracle de la Magiftrature.
Il étoit devenu , pendant fa longue adminiftration
, l'ame de ce Corps refpectable ;
& cette portion de fa gloire fut moins un
hommage rendu à fes dignités , que le
prix des qualités éminentes de fon efprit
& de fon coeur. Cette fupériorité perfonnelle
fe montre par tout dans fes
Lettres fur les matières civiles & criminelles
matières dont il avoit approfondi
les principes & fuivi les détails avec l'attention
la plus foutenue & la plus religieufe
.
-
Éclairé par fon expérience & par fes
fuccès , il ne laiffoit échapper aucune
occafion de faire fentir aux Magiftrats
l'étroite néceffité de fe livrer à l'étude
affidue de nos Loix . Le favoir ne lui paroiffoit
pas moins effentiel dans un Juge
que l'intégrité , parce que l'intégrité ne
fuffit pas pour fentir toute l'étendue des
devoirs , pour fournir les moyens de les
templir , pour fixer les incertitudes de
l'efprit , & pour conduire à la vérité à
travers les trompeufes lueurs des vraifemblances.
La fcience , dit M. le Chance-
» lier d'Agueffeau , nous donne en peu
de temps l'expérience de plufieurs fiécles.
Sage , fans attendre le fecours des
JANVIER. 1777. 61
"3
"
» années , & vieux dans fa jeuneſſe , le
Magiftrat reçoit de fes mains cette fuc-
» ceffion de lumières , cette tradition de
"bon fens à laquelle le caractère de cer-
» titude , & , fi on ofe le dire , de l'infaillibilité
humaine femble être attaché.
Ce n'est plus l'efprit d'un feul homme ,
toujours borné quelque grand qu'il
foit ; c'est l'efprit , c'eft la raifon de
tous les Légiflateurs qui fe fait entendre
par fa voix , & qui prononce par fa
» bouche des oracles d'une éternelle
» vérité ».
»
"
מ
»
Telle étoit l'idée que s'étoit faite M. le
Chancelier d'Agueffeau , de l'étendue des
connoiffances que doit réunir le Magiftrat
pour fournir fidellement , & avec
dignité, la noble carrière dans laquelle il
fe trouve engagé , & pour jouir de cette
gloire perfonnelle , toujours fupérieure
à celle qui eft attachée aux places les plus
éminentes . Il s'élevoit fans relâche contre
ces hommes indolens qui croient trouver
dans la multitude même de leurs devoirs ,
la difpenfe des lumières néceffaires pour
les remplir ; contre ces hommes vains
qui ofent invectiver contre l'étude & la
fcience , qui fe vantent d'avoir reçu de la
nature cette fagacité qui n'a befoin que
62 MERCURE DE FRANCE.
d'entrevoir les difficultés pour les faifir
& les réfoudre , qui ont l'aveugle confiance
de fe croire capables de deviner ces
mêmes loix qu'ils n'ont jamais étudiées.
» Malheur au Magiftrat , difoit l'illuftre
» & favant Chancelier , qui ne craint
point de préférer fa feule raifon à celle
» de tant de grands hommes ; & qui ,
» fans autre guide que la hardieffe de fon
génie , fe flatte de découvrir d'un fimple
regard , & de percer du premier
» coup d'oeil , la vafte étendue du droit
fous l'autorité duquel nous vivons » .
"
"
En effet , un Magiftrat dépourvu de
lumières acquifes par le travail & la réflexion
, ne peut qu'adopter au hafard
des idées étrangères ; également incapable
d'échapper aux erreurs d'autrui , &
d'évaluer les écarts des paffions de ceux
qu'il choifit fervilement pour fes guides.
Les droits & les intérêts des Citoyens ,
ceux de la fociété entière font toujours
Alottans entre fes mains , & la corruption
même ne produiroit pas des effets plus
redoutables. L'amour même de la juf-
» tice eft inutile , difoit M. d'Agueffeau ,
"
fi l'on n'y ajoute la connoiffance exacte
» des règles ». La vertu que la fcience
JANVIER. 1777. 63
n'éclaire point , marche au hafard dans
les fentiers de la juftice , & dans ceux
qui en éloignent ; elle échappe au danger
, ou s'y précipite avec la même fécurité.
M. le Chancelier d'Agueffeau préfente
par-tout dans fes ouvrages la réunion de
la fcience & de l'intégrité , comme l'apanage
propre de la Magiftrature. Perfuadé
qu'elle ne pouvoit avoir d'autre
intérêt que celui du Souverain & des
Peuples ; il croyoit que par-là même , ce
Corps refpectable devoit être regardé
comme inacceffible à l'intrigue & à la
féduction . Par une conféquence néceffaire
, il envifageoit comme un malheur
public , toutes les démarches qui auroient
pu affoiblir le refpect & la confiance des
peuples pour les dépofitaires des Loix ;
& il plaçoit parmi les devoirs d'une adminiftration
fage , de laiffer toujours un
libre cours à la Juftice , de n'en interrompre
ni l'ordre , ni l'activité . « Il eft
» bien dangereux , difoit- il , ( Tom. 9. p.
-
207 ) de s'accoutumer à nommer des
» Commiffaires , fur tout en matière
» criminelle , La Loi répond des incon-
» véniens qu'on éprouve quelquefois en
» la fuivant ; mais l'homme eft refpon.
64
MERCURE DE FRANCE.
>>
fable de ceux qui arrivent lorsqu'on
s'eft écarté de la règle 3.
Il s'élève avec la même force contre
cette maxime fi répandue & fi fouvent
dangereufe : qu'il faut toujours fuivre
l'efprit de la Loi, & fecouer le joug fervile
de la Lettre. Frappé des conféquences
qu'un tel principe pourroit entraîner
après lui ; la vie , la liberté , la fortune
des Citoyens , lui parurent expofées aux
plus effrayans dangers , au moment que
l'inftabilité des interprétations arbitraires
ufurperoit l'autorité invariable de la Loi .
Etrange principe , dit-il , qu'il paroît
plus naturel de fe conformer à l'eſprit
de la Loi , que de s'attacher fervilement
» à des formalités qui n'ont été prefcri-
» tes que dans la vue d'éviter la fraude
» & la fuggeftion . Avec cette maxime
générale , fi elle pouvoit être tolérée
» il n'y auroit aucun Juge qui ne fe crût
» en droit de méprifer toutes les forma-
» lités qui ont été fi fagement établies
» par les Loix pour affurer la vérité &
» la folemnité des actes les plus impor-
» tans de la fociété civile. Leur exécu-
»tion deviendroit abfolument arbitraire .
Chaque Juge , felon les motifs qu'il
» lui plairoit d'attribuer au Législateur ,
מ
"3
20
JANVIER. 1777. 65
s'imagineroit pouvoir en conclure qu'il
» n'eft pas dans le cas pour lequel la Loi
» a été faite , & il fe glorifieroit d'avoir
» fecoué le joug fervile de la Lettre ,
» pour fuivre ce qu'il lui plairoit d'en
» appeller l'efprit
לכ
».
C'eft ainfi que M. le Chancelier
d'Agueffeau apprécioit l'air apparent de
juftice & de fupériorité fous lequel on
mafquoit le mépris des formes. Les négliger
, c'étoit , à ſes yeux , abandonner
T'efprit général & commun à toutes les
Loix. C'étoit fubftituer aux règles des
inftitutions verfatiles, qui , par- là même ,
perdroient le caractère propre des inftitutions
, c'eft-à dire , la ftabilité & la
perpétuité, " Les queftions difficiles &
problématiques , difoit-il , ne fe pré-
» fentent pas dans toutes les affaires.
» Mais il n'y en a aucune , ni civile , ni.
so criminelle , où la régularité de la pro-
» cédure ne foit néceffaire ; & la voie
» par laquelle on parvient à obtenir juf
» tice , exige une attention encore plus
» continuelle
, que le fonds de la juftice
33
కు
» même » .
Les lettres relatives aux Ordonnances
des donations , des teftamens , des fubftitutions
, prouvent à quel point il étoit
66 MERCURE DE FRANCE .
frappé de la néceffité de conferver au
fonds toute fon importance ; mais de
s'occuper , avec la plus fcrupuleuſe attention
, des formes , qui en font inféparables.
On en jugera par la févérité
avec laquelle il prefcrivoit aux Tribunaux
de ne les jamais perdre de vue..
Nous devons principalement ces Ordonnances
à l'étonnement qu'avoit caufé
à ce favant Magiftrat , la contrariété qui
régnoit entre les loix de notre Monarchie
, fur des matières fi férieuſes ; & fa
furpriſe étoit encore augmentée par l'oppofition
qu'il obfervoit fouvent entre
l'efprit du Droit Romain & celui du
Droit François. Rien , fur-tout , ne lui
parut plus vague , plus obfcur que les
loix qui régloient les fubftitutions . Cette
obfcurité étoit devenue la fource de
procès interminables ainfi , les loix
mêmes , ce chef - d'oeuvre de l'efprit
d'ordre & de paix , dirigé vers le bonheur
des fociétés humaines , fomentoient
le trouble dans les familles , &
ne leur montroient aucun point fixe
fur lequel pût repofer leur concorde &
leur tranquillité. Rien n'étoit donc plus
preffant que de ramener des loix de
cette nature , à cette clarté ,
à cette
JANVIER . 1777.
67
uniformité de principes qui préviennent
les interprétations arbitraires , & qui
empêchent qu'à l'ombre des loix , les
fubtilités de l'efprit particulier , n'uſurpent
leur autorité . Mais quelque preffant
que fût le befoin , M. d'Agueffeau
ne perdit pas de vue que fon travail
devoit s'étendre fur les générations futures
, & qu'il fe trouvoit dans ce point
précis où les hommes fupérieurs ne
doivent fe hâter que lentement .
Il favoit mieux que perfonne , que
les loix ne peuvent être ftables & falutaires
, qu'autant qu'elles font l'expreffion
du væu général d'une Nation ;
qu'étant rédigées d'après la difcuffion &
l'avis du plus grand nombre d'hommes
inftruits & fages , elles deviennent
l'expreffion de la raifon publique. Il
regarda donc comme un devoir effentiel
, de confulter , fur les détails &
fur l'enfemble de la grande opération
qu'il méditoit , les Magiftrats les plus
éclairés , les Jurifconfultes les plus célèbres.
Confiance jufte , mais honorable ,
qui les difpofoit d'avance à s'intéreffer
au fuccès d'un ouvrage dans lequel ils
fe regardoient , pour ainfi dire , comme
les Co -adjuteurs du Chef de la Juftice .
68 MERCURE DE FRANCE .
Le fuccès juftifia fes efpérances . On
répondit de toutes parts , avec le plus
grand zèle & la plus grande fidélité ,
à des vues dont la fageffe & la pureté
étoient d'ailleurs fi connues . Il n'éprouva
dans cette vafte & longne correfpondance
, ni réſerve , ni diffimulation ;
& il vit avec cette joie douce qui n'appartient
qu'à la vertu , que le défintéreffement
étoit l'ame de tous les avis ;
que l'amour de la vérité & du bien
public , en étoient la bafe . C'eft de ces
riches & refpectables matériaux , qu'il
forma les Ordonnances dont nous parlons
ici .
Rien n'eft plus clair que les règles
établies fur les donations , leur nature ,
leur forme & leurs conditions effentielles ,
L'Ordonnance des teftamens , en conciliant
le Droit Romain & le Droit
Coutumier , établit un jufte milieu entre
la liberté exceffive & les entraves trop
rigoureufes données aux teftateurs. Tempérament
fage , qui , en refpectant cette
liberté naturelle dont tous les hommes
ont droit d'être jaloux , l'empêche de
dégénérer en licence . Enfin , la loi fur
les fubftitutions , enchaîna pour jamais
ces ennemis deftructifs de toute Jurif
JANVIER. 1777. 69
prudence & de tout ordre public , la
chicane & la mauvaiſe foi , en diffipant
F'ambiguité & les incertitudes qui naiffent
de la fubtilité des anciennes loix
fur cette matière.
Auffi toute la Magiftrature préférat-
elle cette Jurifprudence plus fimple ,
& par conféquent plus utile , à celle que
l'afcendant de l'habitude les avoit accoutumés
à refpecter. Tous les Tribunaux
fentirent les avantages inappréciables
de cette parfaite uniformité , fi honorable
au Législateur , fi utile à fes fujets.
Ces loix concertées avec tant de fageffe ,
n'ont éprouvé aucune contradiction .
Elles ont perpétué l'admiration qu'elles
excitèrent au moment de leur naillance."
Er elles n'ont point à craindre le fort
de tant de Réglemens qui furchargeoient
notre Code national , fans éclairer les
Miniftres de la Juftice ; Réglemens que
les befoins publics ont fucceffivement
détruits , ou par des ufages contraires ,'
ou par de nouvelles loix . Ces monumens
précieux du favoir , de la fageffei
& de la fupériorité de M. d'Agueffeau ,
doivent faire regretter, comme une perte
publique , qu'il n'ait pas eu le temps
d'exécuter fon plan général de légiſla70
MERCURE DE FRANCE.
tion , parce que rien ne lui manquoit
de ce qui pouvoit élever notre Jurifprudence
au plus haut degré de perfection
dont elle foit fufceptible ; & que.
la réunion des qualités qu'exige un
édifice ſi vaſte , fi majestueux , fi utile ,
n'eft prefque jamais qu'un objet de :
defir pour les Souverains & pour les
Peuples.
Le Recueil de ces Lettres nous paroît
d'autant plus propre à augmenter
ces regrets , qu'il y a , pour ainfi dire ,
configné fon coeur & fon efprit. Semblable
à ces lumières vives , mais douces ,
qui éclairent à toutes les diftances ,
il s'eft peint avec tant d'exactitude , foit.
par le caractère de vérité qui lui dictoit
ces différentes Lettres , foit par
l'énergie & la nobleffe de fes expreffions
, foit par la fageffe & la fublimité
de fes vues , qu'elles imprimoient à
ceux qui les recevoient aux extrémités
du Royaume , autant de vénération
pour fa perfonne , que fa préfence en
infpiroir à ceux qui avoient le bonheur :
de le voir & de l'approcher. Nous ne
doutons point qu'elles ne produifent le
même effet fur tous les Lecteurs.
JANVIE R. 1777. 71
Panégyriques & Oraifons funèbres , par
M. l'Abbé Guyot , Prédicateur du
Roi , Doyen & Chanoine de l'Eglife
de Soiffons , & Cenfeur Royal. A
Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin .
Les Panégyriques doivent moins fer
vir à faire admirer la perfonne qu'on
loue , qu'à infpirer , aux auditeurs
l'amour de la vertu , & fur- tout le defir .
d'imiter les belles actions qui font la
matière de l'éloge. Tout l'art de ce
genre de compofition , confifte à bien
choifir les actions du Saint dont on fait
l'éloge , & à les mettre dans le plus ,
beau jour, afin d'exciter une fainte émulation
parmi ceux qui viennent entendre
l'Orateur. Il ne fuffit pas de recueillir.
de l'hiftoire de ces grands hommes
ce qu'il y a de plus éclatant , il faut
encore en faire une heureufe applicacation
aux moeurs du fiècle . En un mot ,
on doit encore plus fonger à édifier les
auditeurs , qu'à rendre aux Saints le
tribut de louange qui leur eft dû . C'eſt
s'éloigner de ce but , que de fe livrer
uniquement aux faillies de l'efprit , &
72 MERCURE DE FRANCE ,
aux applications ingénieufes qui ne
fervent qu'à faire briller le Panégyrifte.
M. l'Abbé Guyot a cherché à éviter
ces écueils , & à modérer ce defir de
briller , fi commun à ceux qui parlent
en public. Ne pourroit-on pas foutenir
que ce defir eft plus excufable lorsqu'il
s'agit de faire une Oraifon funèbre
où l'on exige que l'Orateur déploie
toutes les richeffes de fon art ? D'ailleurs
, les Héros que l'on loue , ne
fourniffent pas toujours ces traits éclatans
dont le feul récit caufe les plus
vives émotions. Compofer une Oraifon
funèbre , c'eft fouvent tracer une riche
broderie fur une toile fort claire . On
eft donc obligé, dans ce genre d'ouvrage,
s'il faut en croire les grands maîtres de
l'éloquence , de chercher à flatter l'oreille
par des penfées brillantes , des traits
ingénieux , des expreffions énergiques ,'
& de l'harmonie dans tout le difcours.
Quintilien admet dans ce genre , les
ornemens les plus recherchés de l'art ,
le fréquent ufage des métaphores , la
beauté des figures , l'agrément des digreffions
; en un mot , tout ce que l'éloquence
a de plus pompeux & de plus
riche. M. Fléchier & M. Boffuet , font
les
JANVIER. 1777. 73
les deux modèles qu'on doit le plus
confulter , lorfqu'on fe deftine à ce
genre . Il eft effentiel d'avoir un ſtyle
auffi coulant & auffi harmonieux , que
celui de M. Fléchier . Mais il n'est pas
moins néceffaire d'imiter ces grands
fentimens , ces traits hardis , ces figures
vives & frappantes qui caractérisent les
Difcours du grand Boffuet. Cet Orateur ,
plus occupé des chofes que des mots ,
ne cherche point , comme fon émule ,
à répandre des fleurs dans fon difcours ,
& à fe livrer aux ornemens de l'antithèfe
, fon unique objet eft de rendre
le vrai fenfible à fes auditeurs.
Nous n'examinerons point fi l'Auteur
de ces Difcours , fuit toujours les traces
de ces grands modèles. La lecture
qu'on en fera , vaudra mieux que toutes
nos réflexions à cet égard. Mettons fous
les yeux des lecteurs , quelques traits
des Oraifons funèbres renfermées dans
le recueil que nous annonçons. Dans
celle de Staniflas le Bienfaifant où
l'Orateur montre tous les traits de la
véritable grandeur , & tous les caractères
d'une véritable bonté , on trouve
ce parallèle : « Staniflas Auteur ! Deux
Princes ont accoutumé l'Europe à ces
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
» phénomènes. L'un eft ce Roi belli-
» queux , militaire , auffi grand dans les
» campagnes , que profond & inftructif
lorfqu'il écrit fur l'art de la guerre ;
» créateur de fa Milice qu'il éclaire par
» fes ouvrages , comme il l'anima par
» fes exemples ; Prince , l'ami particu
» lier de Staniflas , qui ne ceffa de chérir
» dans lui , le fils de fon bienfaiteur à
» Konisberg.
"
ود
و د
و ر
>
» L'autre eft un Philofophe bienfaifant
, dont les écrits refpirent la
Religion toute l'honnêteté & la
doctrine d'une belle ame . Ouvrages
» utiles. Ici , il anime , il encourage
» les Savans ; là , il réforme les Légif
lateurs ; tantôt il affigne les écarts ,
» il pofe les bornes de la philofophie ;
» tantôt il manie , avec autant d'habileté
que de prudence , les refforts des
» Gouvernemens. Ici , Meffieurs , vous
» vous rappelez ces obfervations pro-
» fondes , dont la jufteffe & les principes
lumineux font encore l'admira-
» tion des Polonois les plus confommés
» dans les intérêts de leur République.
» Le fond riche de ces ouvrages , étoit
» dans un efprit cultivé par les Scien-
» ces ,
orné par la lecture , mûri par
93
la
JANVIE R. 1777. 75
33
"
réflexion ; dans cette imagination fé-
» conde , dont la vivácité , les faillies
pleines de fel & d'agrément , ren-
» doient fa converfation fi intéreffante.
» On fe rappelera long-tems ces traits.
» de lumière qui décèloient fon génie ;
» ces tours heureux & imprévus qui
» marquoient fa pénétration ; ces idées
» fortes & élevées qui annonçoient la
, fublimité de fon ame ; ces expreffions
» naïves , mais d'une énergique fimplicité
, qui caractériſoient fon élo-
» quence.....
"9
Dans l'Oraifon funèbre de Louis XV,
voici comme l'Orateur s'exprime au
fujet de M. le Cardinal de Fleury , qu'il
oppofe au Cardinal Alberoni. « Tel
parut en France ce Miniftre modefte,
» Favori fans être odieux , d'autant plus
» homme d'état , qu'il parut fe moins
» rechercher lui -même ; plus jaloux en
tout de l'utilité que de l'éclat des
» fervices ; plus occupé d'appliquer le
génie du François , que de le remuer;
» l'ami comme le confeil de fon Maître ;
trop en garde , peut-être , par le fouvenir
du règne paffé , contre la force
» du caractère dans un Roi , mais toujours
cher à la Nation , pour lui avoir
n
23
"
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
12
ן כ
ג כ
ود
formé , de tous les Rois , le plus humain
; négociateur habile ; le Miniftre
» de l'Europe entière autant que de la
» France; conciliant , par fon défintéreffement
, les prétentions les plus oppofées
; défarmant , par fa modéra-
» tion , les inimitiés anciennes , & faifant
rejaillir fur la France & fur fon
Roi , la gloire de fa prudence & de
» fa fagefle. Génie bienfaifant , les Arts ;
» le Commerce , la Finance , les Loix ,
» tout profpère dans l'Etat , à la faveur
» d'une adminiftration paiſible . Miniſtre
» le plus fortuné dans une longue car-
» rière , la nature & la faveur femblent
» l'excepter de la loi commune : il meurt
» fans que chez lui l'homme & le cour-
» tifan aient connu de déclin .
>
» Alberoni en Efpagne , Fleury en
» France! Qui ne voit ici pour ce Royau
» me une prédilection de la Providence !
» Chez l'un , les idées les plus vaſtes
» les projets les plus hardis , la politique
la plus remuante , avoient manqué
leur effet & perdu le Miniftre
par l'injuftice & l'odieux de fes ma-
» oeuvres . L'autre , politique plus ti-
» mide , en apparence , mais plus fage
en effet , obtient tout par une marJANVIER.
1777. 77
»
che mefurée , par ce caractère de
» droiture qui ne lui donne par - tout
que des amis de fa faveur & de fa
» Nation . Dieu marque-t-il plus fa Pro-
» vidence dans la formation de ces corps
inanimés qui nous éclairent , que
» dans la diftribution de ces génies
fupérieurs qui font le bonheur & le
» malheur des Etats ? Que quand il place
» entre le Prince & fon Peuple , une
» de ces ames fortes , fupérieures à
» toutes les paffions comme à tous les
préjugés , dévouées à la gloire du Roi
» & au bien de la Patrie , jufqu'au fa-
» crifice de tout intérêt perfonnel , de
» la faveur même ; une de ces ames
» vertueufes , qui impriment à tous
» leurs travaux , le fceau facré de la
အ
30
Religion ; un de ces fages , toujours
» ou patiens ou févères à propos , fur
» les maux de la Nation ; un de ces
génies auffi étendus que l'empire des
» Loix & de la Juftice ; auffi élevés
» que les motifs fublimes qui doivent
» en diftribuer les charges , en régler
» les opérations , en concilier les droits ,
» en déterminer l'efprit , & en affurer
», le fuccès ; un de ces hommes rares
auffi grands dans leur vie privée , que
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
"
» dans les fonctions d'hommes d'Etat ;
» Oracles & exemples , à la fois , des
plus fages maximes . Je parois , Meffieurs
, vous indiquer ici une fuite
» de grands hommes ; & tous ces traits
raffemblés pourroient à peine donner ,
à la postérité , une idée complette de
» ce Chef de la Juftice , que la France
perdit au milieu de ce fiècle : l'illuſtre
d'Agueffeau , homme au-deffus des
» temps & des fiècles , par la mémoire
» immortelle de fes talens , de fes
Ouvrages & de fes vertus ».
"
"
3
"
Procès verbal des conférences tenues par
ordre du Roi , pour l'examen des articles
de l'Ordonnance civile du mois
d'Avril 1667 , & de l'Ordonnance
criminelle du mois d'Août 1670 ;
nouvelle édition revue & corrigée fur
l'original , & augmentée d'une inf
truction fur la procédure civile & criminelle
; in-4 . rel . 12 liv. A Paris ,
chez Debure frères , Libr. quai des
Auguſtins ; 1776.
Chaque Corps de l'Etat a une gloire
qui lui eft propre ; celle des Magiftrats
dépend fur- tout de l'affemblage de leurs
JANVIER. 1777. 79
lumières ; & la connoiffance des formes
eft une des parties les plus effentielles
de la fcience que les Juges doivent acquérir.
Les formes ont été établies pour
prévenir l'illufion & les furprifes , pour
affurer la vérité & la folennité des actes
les plus importans de la fociété civile ..
Enfreindre ces formes , s'eft s'écarter de
la route indiquée par la loi , changer des
règle fages & inviolables en inftitutions
flottantes & arbitraires , & livrer aux
variations & aux entreprifes de chaque
Juge particulier , des loix dont la ſtabilité
doit être le principal caractère. Un
favant Magiftrat a dit avec raifon : « Que
la voie par laquelle on parvient à ob .
و د
» tenir juftice , exige une attention encore .
plus continuelle que le fond de la juſ-
» tice même » .
>>
L'Ouvrage que nous annonçons n'a
nal befoin d'éloges. Les noms célèbres
des Magiftrats à qui nous le devons ,
fuffifent pour en faire connoître tout le
prix. M. le Premier Préfident de Lamoi-,
gnon étoit l'ame des conférences où furent
examinés les articles de l'Ordonnance
civile de 1667 , & de l'Ordonnance
criminelle de 1670 ; la capacité , la droi
ture & les lumières de ce célèbre Magif- ,
Div
$6 MERCURE DE FRANCE .
trat , ont toujours été l'objet de l'admiration
publique. L'élévation de fon génie ,
éclairé par l'étude des loix , fortifié par
une longue expérience , donnoit tant de
poids à fes opinions , qu'il les faifoit
aifément fuivre par la force qu'elles emptuntoient
de fon autorité .
>
M. l'Avocat- Général Talon fit également
paroître , dans ces conférences
cette profonde érudition & cette folidité
de jugement , qui l'ont toujours fait
regarder comme le premier Avocat du
Royaume , par fon propre mérite , comme
il l'étoit déjà par fa dignité.
Entre MM. les Commiffaires du Confeil
nommés pour ce travail précieux ,
on vit briller fur-tout la pénétration &
l'habileté de M. Puffort , qui fur chargé
de dreffer le plan des articles de la réfor
mation. Tout les Magiftrats qui compofoient
ces fameufes affemblées , contribuèrent,
par leurs talens , à la réformation
de la juftice , & à la perfection d'un Ouvrage
, où l'on difcuta avec habileté , les
points les plus fubtils de la procédure ,
& où l'on traita , avec profondeur , les
plus grands & les plus fecrets myſtères
de la Jurifprudence . Rien ne fut omis
dans cette favante difcuffion ; & tous les
JANVIE R. 1777.
Tribunaux ont fenti le prix de cet Ouvrage
, & fe font un devoir de le confulter.
On y a joint une inftruction fur les matières
civiles & criminelles qui ont rapport
à l'une & à l'autre Ordonnance.
L'utilité de cette addition eft telle , qu'en
même-temps que l'on apprend la difpofition
de la loi par la lecture du texte ,
on fe trouve en état d'en faire l'application
.
On a corrigé & perfectionné dans cette
nouvelle édition , fi attendue , les deux
précis qui font à la tête des deux Ordonnances
, & où il y avoit un grand nombre
de fautes & d'omiflions ; outre cet avantage
, on a encore corrigé les fautes qui
s'étoient gliffées dans le texte du procès
verbal , fans déranger l'ordre de l'édition
précédente , afin qu'on puiffe vérifier
commodément les citations qui ont été
faites de ce procès verbal , dans plufieurs
Ouvrages de Jurifprudence. Il fuffit
d'annoncer un tel Ouvrage pour déterminer
les Magiftrats , les Jurifconfultes
& les Praticiens , d'en faire l'acquifition
.
Conférences Eccléfiaftiques du Diocèfe
'Angers , fur les États. Tome II.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
A Paris , chez la veuve Defaint , rue
du Foin Saint Jacques.
On a avoué dans tous les fiècles , que
l'ignorance des Miniftres de l'Eglife étoit
le mal le plus funefte qui pût arriver à
FEglife , en même temps qu'elle étoit la
fource d'une infinité d'autres maux. Les
qualités de Docteurs , de Pères , de Guides
, de Juges , de Médecins fpirituels
du Peuple Chrétien , dont l'Eglife les
honore , font autant de titres qui les
obligent à étudier la doctrine des Saints ,
fur-rout celle qui a rapport à la morale
pratique. Le caractère faint , loin de
donner les lumières , forme au contraire
un nouvel engagement pour les acquérir.
" Les Scribes & les Prêtres de la Loi ,
perfuadés que la connoiffance de fes
préceptes & de fes ordonnances , étoit
inféparable du Sacerdoce , dit un Paf-
» teur éloquent , affectoient de porter
" attachés à leurs vêtemens , & éta-
» loient avec oftentation leurs philactères ,
"
30
N
35.
qui n'étoient que des rouleaux amples
» de la loi , dont ils bordoient le bas
» de leurs robes. C'étoit , à la vérité ,
» une affectation pharifaïque & ridicule ;
mais ils nous apprennent du moins
JANVIER . 1777. S4
93.
22
"
22
qu'un Prêtre ne doit jamais marcher
» & paroître nalle part , fans porter avec
» lui la loi , non pas attachée à fes vête-
» temens , mais gravée profondément
» dans fon efprit & dans fon coeur. Dans
le Paganifme même , les Prêtres des
» Idoles n'avoient point d'autre occupa
tion , qu'une étude affidue des fables
» & des extravagances de leur mytholo
gie; ils vivoient retirés dans l'obfcurité
» de leurs Temples , pour répondre aux
Peuples abufés qui venoient les con
fulter fur leurs myftères impurs , in-
» fenfés , avant de s'y faire initier ; &
» nous établis , ajoute - t -il , pour nous
inftruire à fond d'une Religion fi fublime
, fi divine ; chargés de nous
remplir fans ceffe d'une doctrine, fr
fage & fi confolante , nous ne fenti-
» rions aucun goût pour nous en inftruire,
» pour la méditer & l'approfondir ? »
Tous les motifs les plus preffans fe réu
niffent donc pour engager les Miniftres
de l'Eglife à s'appliquer ferieufement
l'étude de la morale chrétienne. Tel eft
le but des Conférences fi fagement établies
, & fi propres à exciter une louable
émulation parmi les Pafteurs , & à les
prémunir également contre les dangers
22
י
D vj
宮本MERCURE DE FRANCE.
de l'ignotance , & contre les fophifmes
& les illufions de la cupidité. Ce poifon
fi actif fe gliffe dans tous les états ; &
rien n'eft fi propre à arrêter cette contagion
, qu'un cours de morale où l'on ne
cherche point à éluder la loi par de
fauffes interprétations , & par des opinions
relâchées , qui ne raffurent la confcience
que pour la tromper. L'Auteur de
ces Conférences a fu éviter cet écueil ,"
en traitant la matière des devoirs de
chaque profellion . Les règles qu'il trace
font conformes à l'Evangile ; il ramène
tout à une confcience éclairée & à la
loi de Dieu , qui ne peut ni changer ,
ni plier. Les articles des Conférences
renfermées dans ce troifième volume ,
font intéreffans : devoirs des gens de
guerre , des Maîtres & des Difciples ,
des Médecins & de tous leurs coopérateurs
, des Financiers , des Marchands ,
des Artifans , des gens mariés , &c. Tous
ceux qui font renfermés dans ces différentes
claffes , trouveront dans ces Conférences
l'éclairciffement des difficultés
qui peuvent les arrêter , l'exercice de
leurs devoirs , les divines Ecritures , les
Saints Canons , les Conciles , les Souverains
Pontifes , les écrits des Pères ;
JANVIER. 1777. 85
voilà les fources où l'Auteur des Conférences
prétend avoir puifé ; & ce font
les feules que les Pafteurs doivent ref
pecter , parce qu'elles conduifent à la
vérité , & qu'elles fourniffent les vrais
moyens de fanctification pour chaque
état.
•
Précis hiftorique de la vie de Jéfus- Chrift ,
de fa doctrine , de fes miracles , & de
l'établiffement de fon Eglife ; accompagné
de réflexions & de penfées choifie's
fur la Religion & fur l'incrédulité.
Par feu M. Tricallet , Directeur du
Séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet
; nouvelle édition , revue &
corrigée. A Paris , chez Lottin l'aîné ,
Impr.-Lib. rue St Jacques .
Le précis de la vie de Jésus -Chriſt ,
qui eft à la tête de cet Ouvrage , eft
extrait du difcours fur l'hiftoire univerfelle
., par M. Boffuet. Cela feul fuffic
pour faire l'éloge de ce morceau. L'Auteur
du fiècle de Louis XIV a dit avec
raifon , que ce difcours n'avoit eu ni
modèle , ni imitateurs ; & l'on peut
ajouter , d'après les meilleurs Juges en
ce genre , que c'eft un chef- d'oeuvre qui
86 MERCURE DE FRANCE.
>
réunit tout à la fois ce que le génie
de plus fublime , la politique de plus
profond , la morale de plus fage , le ftyle
de plus vigoureux & de plus brillant
l'art de plus étonnant. On a joint à l'extrait
de ce difcours , dont on devroit
faire apprendre aux jeunes gens la fe-,
conde partie par coeur , tout ce que Saint
Chryfoftôme & Saint Auguftin , les deux
grandes lumières de l'Eglife , nous ont
dit de relatif à l'objet de ce recueil. On
39
כ
joint quelques extraits de nos meilleurs
Poëtes , & ceux de M. de Fénélon's
qu'on relit toujours avec un nouveau
plaifir. " Toutes nos actions & toutes
» nos penfées , dit un célèbre Apologifte
» de la Religion chrétienne , doivent
prendre des routes fi différentes , felon
qu'il y aura des biens éternels à efpérer
» ou non ; qu'il eft impoffible de faire
» une démarche avec fens & jugement
» qu'en la réglant par ce point de vue ».
Or, rien n'eft plus propre à nous faire
difcuter cette importante queftion de la
vérité de notre Religion avec impartialité,
que la lecture de ces recueils , où l'on
trouve réunis les principaux argumens
en faveur de la Religion chrétienne , &
les plus beaux endroits des Ouvrages de
fes illuftres Défenfeurs .
59
JANVIER. 1777. 87
Differtation théologique fur l'ufure du prêt
du Commerce. A Rouen , chez Dumefnil
, Impr. rue de l'Ecureuil.
On a donné en 1762 une nouvelle
édition de l'Examen théologique fur la
fociété du prêt à rente , & c. où l'on
juftifie le profit qu'on exige de ceux qui
n'empruntent que pour gagner avec la
fomme empruntée. Cet Auteur fe fondoit
, 1 ° . fur la liberté de l'Emprunteur ,
qui paye les intérêts ; 2 ° . fur le grand
profit qui lui en revient ; 3 ° . fur la comparaifon
du prêt de commerce avec le
contrat de louage. On réfute , dans la
Differtation que nous annonçons , cette
opinion , qu'on regarde comme favorable
à l'ufure. L'Auteur fuppofe , d'après l'expérience
journalière, qu'il y a beaucoup
de gens pécunieux , qui ne veulent ni
conftituer leurs deniers en rente , ni acheter
des terres ou d'autres fonds , ni faire
aucun commerce , ni expofer leur argent
aux rifques d'une fociété légitime ; qui
enfin peuvent prêter , fans en fouffrir le
moindre dommage. Ces gens- là , quoiqu'on
en puiffe dire , ne font aux yeux
du Differtateur , ni de près , ni de loin ,
88 MERCURE DE FRANCE.
dans le cas du lucre ceffant ou du dommage
naiffant, & font par conféquent dans
l'obligation, lorfqu'ils prêtent , de le faire
fans intérêt. Voilà ce que l'on prétend
prouver dans la differtation , contre tous
ceux qui juftifient l'intérêt du prêt de
commerce.
Traité de l'ufure & des intérêts , augmenté
d'une défenſe du Traité , & de
diverfes obfervations fur les écrits qui
l'ont combattu. A Lyon , chez Bruifet
Ponthus.
Cet Ouvrage contient trois parties :
1º. tout ce qui a rapport au prêt & à
l'ufure ; 2 °. les titres fur ajoutés au prêt ,
qui peuvent autorifer à retirer des inté
rêts ; le profit ceffant & le dommage
naillant ; le rifque que le prêt fait courir ;
le délai du payement ; la fentence du
Juge ; le don des intérêts . 3 ° . Les contrats
différens du prêt , qui peuvent donner
lieu à des intérêts légitimes ; expofition
du contrat à intérêt , différent du
prêt ; preuve de la légitimité du contrat
à intérêt , différent du prêt ; réponſe aux
objections contre la légitimité du contrat
à intérêt, différent du prêt ; autorité des
JANVIE R. 1777 . 89
Papes , du droit canonique , des monts
de piété , favorables aux contrats à intérêts
, différens du prêt . L'Auteur foutient
qu'il a trouvé le jufte milieu qu'on doit
choifir entre les deux fentimens qui font
les plus communs , parce qu'ils font les
plus faciles à fuivre ; & il fe fert pour
cela de la fameufe Lettre Encyclique de
Benoît XIV , où ce Pape , de bonne mémoire
, s'éloigne également de l'opinion
des Docteurs trop févères , & de celle
des Cafuiftes relâchés . On a joint à cette
Lettre les déclarations des Univerfités
de Cologne , de Trèves , & une réponſe
à l'Auteur des principes théologiques . Ce
recueil contient des difcuffions intéreffantes
fur une matière qui a été trop
fouvent agitée parmi les Théologiens.
On defire depuis long temps de trouver
des moyens de conciliation qui ne bleffent
ni les intérêts de la charité chrétienne
, ni ceux du commerce , fi lié au
bien public,
x L'Iliade traduction nouvelle 2 vol.
in 12 , à Paris , chez Ruault, Libraire ,
rue de la Harpe.
Nous devons cette traduction au même
90 " MERCURE DE FRANCE.
Auteur qui donna , avec fuccès , il y a
quelque temps , une traduction du Talle .
Celle qu'il publie aujourd'hui de l'Iliade ,
ne peut manquer de produire une grande.
fenfation . Un ton poétique , une élévation
& une chaleur foutenues , un ſtyle
clair , vif & rapide , font les avantages
qui la diftinguent , & qui doivent la
rendre préférable à toutes celles en profe
qui ont déja paru aux yeux de ceux qui ,
ignorant la langue d'Homère , cherchent
à prendre une idée de fon génie & des
beautés de fa poéfie. Il fuffit , pour fe
convaincre de ce que nous venons de
dire , de la comparer à celle de Madame
Dacier , une des plus connues & des plus
eftimées , & qui, malgré la réputation &
la vogue qu'elle a eue , n'a guères d'autre
mérite que celui de la fidélité ; mérite , à
la vérité, fort effentiel , & le feul cependant
que le nouveau Traducteur paroiffe
avoir négligé quelquefois. Refte à favoir
fi l'on doit préférer une verfion rigoureufement
fidelle , & où le fens de l'original
fe trouve exactement confervé , comme
tous les traits d'un beau tableau le font
dans une gravure , ou une traduction un
peu plus libre , mais dans laquelle on
retrouve davantage la vie & la chaleur
JANVIER. 1777 . 91
que
qui animent ce même original . Il ne s'agit
de réfoudre cette queftion pour prononcer
entre la traduction de Madame
Dacier & celle que nous annonçons.
Nous allons extraire de l'une & de l'autre
le commencement du premier livre ,
très-propre à fervir de pièce de comparaifon
, & à établir l'idée de la différence
des deux ftyles , & des deux manières de
traduire. Voici comme s'exprime Madame
Dacier.
"
« Déeffe, chantez la colère d'Achille, fils
de Pélée ; cette colère pernicieufe, qui
» caufa tant de malheurs aux Grecs, & qui
précipita dans le fombre Royaume de
Pluton, les ames généreufes de tant de
Héros , livra leurs corps en proie aux
» chiens & aux vautours , depuis le jour
fatal qu'une querelle d'éclat eut divifé
» le fils d'Atrée & le divin Achille ; ainfi
» les décrets de Jupiter s'accompliffoient:
Quel Dieu les jeta dans ces diffenfions ?
» Le fils de Jupiter & de Latone , irrité
contre le Roi qui avoit déshonoré Chry、
» sès, fon facrificateur , envoya fur l'ar-
» mée une affreufe maladie , qui empor-
» toit les peuples. Car Chrysès étant allé
» aux vaiffeaux des Grecs chargé de
préfens pour la rançon de fa fille , &
و د
39
ود
92 MERCURE DE FRANCE.
ود
ود
»
» tenant dans fes mains les bandelettes
» facrées d'Apollon avec le fceptre d'or ,
pria humblement les Grecs , & fur-
» tout les deux fils d'Atrée , leurs Géné-
» raux : fils d'Atrée , leur dit-il , & vous,
généreux Grecs , que les Dieux qui
habitent l'Olympe , vous faffent la
grâce de détruire la fuperbe ville de
» Priam , & de vous voir heureuſement
» de retour dans votre patrie ; mais ren-
» dez- moi ma fille en recevant ces préfens
, & refpectez en moi le fils du
» grand Jupiter, Apollon , dont les traits
» font inévitables .
ود
و د
"
»
» Tous les Grecs firent connoître par
un murmure favorable , qu'il falloit
refpecter le Miniftre du Dieu , & rece-
» voir fes riches préfens : mais cette
» demande déplut à Agamemnon , aveuglé
par fa colère. Il renvoya durement
Chrysès , & accompagna fon refus de
» menaces : vieillard , lui dit-il , que je
» ne te trouve pas déformais dans mon
» camp , & qu'il ne t'arrive jamais d'y
revenir , fi tu ne veux que le fceptre
" & les bandelettes du Dieu dont tu
» es le Miniftre , ne te foient inutiles.
Je ne te rendrai point ta fille avant
qu'elle ait vieillie dans mon palais , à
20
30
"
JANVIER. 1777 . 93
ور
Argos , loin de fa patrie , travaillant
» en laine , & ayant foin de mon lit.
» Retire- toi donc , & ne m'irrite plus
davantage par ta préfence , fi tu as
quelque foin de tes jours . »
99
"
4
Voyons maintenant la verfion du nouvel
Interprête d'Homère. « Mufe, chante
la colère d'Achille ; cette colère fu-
» nefte , plongea les Grecs dans un abîme
» de douleurs , qui , avant le temps ,
précipita dans les fombres demeures
» une foule de Héros ; & de leurs cada- ;
» vres fanglans , fit la pâture des chiens
» & des vautours.
2
» Ainfi l'ordonna la volonté fuprême
» de Jupiter , depuis qu'une fatale que-
» relle divifa le fils d'Atrée , le Monar-
» que des Rois , & le divin Achille.
35
"
Quel Dieu alluma le flambeau de
» ces triftes difcordes ? Le fils de Jupiter
» & de Latone , pour venger l'outrage
fait , par Agamemnon , à Chrysès , fon
» Prêtre ; Apollon , enflammé de courroux
, lança fur l'armée des Grecs la
contagion & la mort , & les peuples
périrent .
"
*
Chrysès étoit venu pour rompre les
» fers d'une fille chérie ; il apportoit des
tréfors pour prix de fa liberté : dans
94
MERCURE DE FRANCE.
» fes mains étoient un fceptre d'or & des
» bandelettes facrées ; il imploroit tous
» les Grecs ; il imploroit fur-tout les
deux Atrides , les Chefs fuprêmes des
» Guerriers .
»
Fils d'Atrée , & vous généreux vengeurs
de la Grèce , puiffent les Dieux
» immortels livrer à vos coups la ville
» de Priam ? Puiffiez-vous retourner dans
» votre patrie vainqueurs & riches de fes
dépouilles ! Rendez , rendez- moi une
» fille tendrement aimée , & recevez la
» rançon que je vous offre. Refpectez
» dans fon Prêtre le fils de Jupiter , le
» Dieu qui lance au loin d'inévitables
» traits.
"
» Il dit : & tous les guerriers , avec
» un murmurę favorable, accueillent fon
» diſcours , tous veulent qu'on cède à fa
prière , & qu'on accepte les tréfors
qu'il apporte.
19
و د
" Mais l'orgueil d'Agamemnon fe ré-
» volte & s'indigne ; & par cette cruelle
réponſe , il ajoute encore à la dureté
» du refus .
9"
» Fuis , vieillard , fuis , & garde que
» mes yeux ne te rencontrent encore fur
» ces rives ! Ni ton fceptre , ni tes bandelettes
, ne pourroient te dérober à
JANVIER. 1777. 95
"
» mon reffentiment ; je ne te la rendrai
point , que la vieilleffe n'ait flétri fes
» appas. Je veux , qu'au fein d'Argos ,
» dans mon palais , loin de fa patrie , elle
» tourne le fufeau , & ferve fous mes
» loix : pars , crains d'allumer mon courroux
, fi tu veux fauver tes jours.
»
Il est facile de voir combien cette manière
de partager la narration en périodes
courtes , y répand d'intérêt , de nobleffe
& de rapidité. On peut remarquer
auffi le Traducteur fe permet en
que
profe les inverfions les plus hardies de
la poéfie . Ces inverfions font quelquefois
un heureux effet , & contribuent en
général beaucoup à animer le ftyle ; mais
outre que fouvent elles font trop perdre
à la profe ce caractère de fimplicité
qu'elle doit toujours conferver , même
lorfqu'elle emprunte les couleurs de la
poéfie , & qu'on retrouve avec tant de
plaifir dans l'admirable profe de Télémaque
; il en eft plufieurs qui doivent
paroître trop forcées , comme celle- ci :
de leurs cadavres fanglans, fit la pâture
des chiens & des vautours.
Cette légère remarque que nous hafardons,
ne diminue en rien le mérite de
la traduction de M. L. B.; nous allons
96 MERCURE DE FRANCE.
la mettre encore en parallèle avec celle de
Madame Dacier, dans un endroit du quatrième
livre . Le Poëte y peint le moment
où les armées Grecque & Troyenne
font en mouvement pour le combat.
Ce font les morceaux de ce genre , où
le feu & l'élévation du génie d'Homère
fe déployent le plus , que M. L. B. a
fur-tout traduits avec fuccès , & dans
lefquels on fent le mieux la fupériorité
de fon ftyle , fur le ftyle foible de Madame
Dacier.
Verfion de Madame Dacier : « Comme
lorfque le violent zéphir exerce fa ty-
» rannie fur la vafte mer , on voit d'a-
» bord les flots s'amonceler au milieu de
» la plaine liquide , & venir les uns fur les
» autres fe brifer contre le rivage avec
» de longs mugiffemens, où, luttant con-
» tre un orgueilleux rocher , qui s'oppofe
» à leur furie , & s'élèvant comme des
» montagnes , on les voit enfin vaincre
» fes efforts , & le couvrir d'algue &
» d'écume ; telles on voyoit s'avancer les
» nombreuſes phalanges des Grecs qui
» marchoient au combat. Elles avoient
chacune à leur tête leurs chefs, qu'elles
fuivoient dans un profond filence
» pour entendre & pour exécuter leurs
» ordres
"
JANVIER. 1777. 97
»
"
» ordres plus promptement. Vous euffiez
» dit que Jupiter avoit ôté la voix à cette
» multitude innombrable de peuples . Les
» armes dont ils étoient revêtus , jetoient
» un éclat que l'oeil ne pouvoit foutenir.
» Au contraire, les Troyens étoient dans
» leur camp , femblables à de nombreux
troupeaux de brebis quifont répandues
» dans les parcs d'un homme riche ; &
qui , pendant qu'on tire leur lait , &
qu'elles entendent la voix des agneaux
qu'on leur a ôtés , font retentir de leurs
» bêlemens tout le pâturage. Tel eft le
» bruit confus des troupes innombrables
» dont l'armée des Troyens eftcompofée;
» car elles n'ont pas toutes le même art,
ni le même langage ; mais c'eſt un
mélange confus de langues , comme
» de troupes ramaffées de toutes fortes
» de nations .
•
"
و د
ود
ود
"
» Les Troyens font animés par le Dieu
» Mars, & les Grecs par la Déeffe Mi-
» nerve ; ces deux divinités font fuivies
» de la terreur , de la fuite & de l'infa-
» tiable difcorde , four & compagne de
» l'homicide Dieu des combats , & qui ,
» dès qu'elle commence à paroître , s'é-
» lève
infenfiblement , & bientôt, quoi-
» qu'elle marche fur la terre , elle porte
11. Vol. E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
La tête orgueilleufe jufques dans les
cieux. Cette Déeffe implacable fo-
» mente l'animofité dans tous les coeurs ;
» & courant de rang en rang dans les
armées , elle allume la rage des com-
» battans , &-fe nourrit des maux qu'elle
» leur prépare.
»
32
Quand ces deux armées fe joignent
» & viennent aux mains , les boucliers
» fe heurtent , les lançes fe croifent ,
» l'haleine & les foupirs des combattans
» fe mêlent ; un bruit effroyable retentit
33
au loin ; les cris des vaincus & des
» vainqueurs , des bleffés & des mou-
» rans fe confondent , & la terre eft inondée
de ruiffeaux de fang , tels qué.
d'impétueux torrens groffis par les
pluies de l'hiver , & rompant leurs
digues , fe précipitent avec furie du
» haut des monts , & mêlent leurs eaux
» indomptables dans la fondrière d'un
» vallon ; les Pafteurs , au haut des ro-
» chers les plus reculés , entendent avec
» étonnement ce bruit horrible : tel eft le
» bruit que forment les cris & la fuite de
» tant de guerriers qui fe mêlent & qui
fe pouffent, ".
"
Verfion de M. L. B. « Toutes les phalanges
Grecques s'ébranlent. L'oeil tenJANVIER
. 1777. 99
du , l'oreille attentive à la voix des
» chefs qui les guident , elles marchent
» toutes dans un filence terrible & me-
" naçant de leurs armes jaillit le feu
» des éclairs. Tels , quand le fougueux
Aquilon eft déchaîné fur la mer , on
» voit les flots blanchir , s'amonceler, &
» bientôt en mugiffant , fe brifer für le
rivage , ou luttant contre les écueils ,
» les couvrir d'alque & d'écume .
» Les Troyens pouffent de tumultueu-
» fes clameurs ; dans ce confus allemblage
de mille peuples divers , mille
» fons différens fe font entendre ; ainfi ,
» dans un vafte troupeau , les cris des
» tendres agneaux fe mêlent au bêlement
» de leurs mères .
ود »MarsentraînelesTroyens;Minerve
guide les Grecs. Devant eux , marchent
» la terreur , la fuite, la difcorde funefte,
» foeurs de l'homicide Dieu des combats .
» Foible en fa naiffance , la difcorde s'élève
comme un géant ; fes pieds fort
» fur la terre ; fon front eft dans les -
» cieux. Elle s'élançe au milieu des guer-
» riers , les embrafe de fes flammes , &
appelle à grands cris le carnage & lạ.
ور
» mort.
» On s'approche , cafque contre caf
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
» que ; bouclier contre bouclier , épée
contre épée ; on fe heurte, on s'égorge .
» D'affreux mugiffemens épouvantent les
» airs . Les vaincus , les vainqueurs fe
mêlent & fe confondent. On entend ,
» tout à la fois , les cris de la mort & les
» chants de la victoire. Le fang ruiffele ,
la » plaine en eft inondée.
ود
Tels , du haut des montagnes, mille
» torrens fe précipitent , & vont , avec
» un horrible fracas , fe perdre enſemble
» dans un vallon ; le Paſteur , dans les
» forêts , entend au loin ce bruit affreux,
fon coeur eft glacé d'effroi . Ainfi fe
mêlent les accens de la fureur & les
cris du défefpoir.
33
ן כ
M. L. B. a mis à la tête de fa traduction
de l'Iliade , celle d'un dialogue que
lui a communiqué un favant Anglois
qui a vécu long- temps au milieu des ruines
de la Grèce , & qui a trouvé ce morceau
intéreffant fous les débris d'une des
mafures qui couvrent le lieu où fut autrefois
Athènes. Le texte en eft joint ici
à la traduction. Dans ce dialogue , Homère
paroît fous le nom de Méléfigène ,
& développe lui-même , fur un ton plein
de raifon & de philofophie , le fens &
le but moral de fon Iliade. M. L, B. croit
JANVI E R. 1777 . for
que cet ouvrage a été compofé par un'
de ces rapfodes , qui alloient dans la Grèce
chanter les vers d'Homère.
Difcours qui a remporté les deux Prix
d'Eloquence , au jugement de l'Académie
de Befançon , en 1776 , fur
ce fujet Combien le refpect pour
les Moeurs , contribue au bonheur d'un
Etat. Par M. l'Abbé de Moy , Chanoine
Honoraire de Verdun , & Curé
de S. Laurent , à Paris. A Paris , chez
le Jay , Libraire , rue S. Jacques .
Les Fléchier, les Boffuet, les Fénélon,
furent des Paſteurs auffi recommandables
par leurs vertus que par leurs lumières
& leurs talens ; & cependant ils ne
dédaignèrent pas de cultiver les Lettres
& l'Eloquence . Un Miniftre de l'Eglife
remplit d'autant mieux les devoirs de
fon état , qu'il pofsède dans un degré
fupérieur le don précieux de la parole.
C'eft en faifant un faint ufage de ce
talent , devenu fi rare , qu'il a la confolation
de ramener à la vertu , & de
foumettre au joug de l'Evangile , les
efprits les plus rebelles. Et c'eft en
employant les reffources de l'Eloquence,
Enj
102 MERCURE DE FRANCE.
qu'on rend aimable la morale de l'Evan
gile , & qu'on fait la préfenter fous les
couleurs qui lui conviennent. Or, peuton
atteindre ce but , fans employer les.
images qui faififfent vivement l'imagination
, & les figures de l'art oratoire
destinées à remuer les paffions ? Un Paf
teur du premier & du fecond ordre
doit donc , plus qu'un autre , cultiver
, par un fréquent exercice , le talent
de la parole : & les Académies concourent
à perfectionner ce talent , en
donnant , pour fujet d'Eloquence , des
vérités de morale. Jamais vérité ne fut
plus propre à réveiller le zèle d'un Pafteur
de l'Eglife , que celle que l'Académie
de Befançon a propofé l'année
dernière. L'Orateur n'a pu entrer en
lice , fans déployer tous les tréfors de
l'Eloquence , & fans employer tous les
ornemens du ftyle. D'ailleurs , comme
Pobferve , avec tant d'élégance , l'Orateur
couronné , un Pafteur doit fe monter
au ton de fon fiècle . r Dès que
les Apologiftes du vice font lettres ,
» il faut bien , ajoute - t - il , que les
» Apôtres de la vertu le devienrent.
Il faut , pour combattre les premiers
» avec fuccès , que ceux-ci remontent
JANVIE R. 1777 . 103
"
aux fources où ceux-là vont puifer
» des moyens : il faut aufli qu'employant
les richeffes de l'Egypte , à décorer les
Temples du vrai Dieu , fes Ministres
» tâchent de répandre , fur les inftruc-
» tions religieufes , un charme égal à
» celui que les partifans de la fauffe
Philofophie , impriment à l'objet de
leur culte . Parlez , écrivez , féduifez
» comme eux , & comme eux vous aurez
des Difciples ; vous en aurez infini
» ment davantage , puifque vous an
» noncerez le vrai .
99
33
Ce fur le fecret des Chrifoftôme , des
» Léon , & de cet Evêque d'Hyppone ,
» non moins inftruit que Cicéron , plus
éclairé que lui , & auquel il n'a man-
» qué pour être aufli éloquent , que
» de naître dans les beaux jours de la
littérature romaine. Ce fut celui de
» ce Boffuet , dont l'érudition étonne 5
dont l'élocution entraîne , & qui ne
laiffe à fon lecteur , ni la volonté ,
» ni le pouvoir de lui réfifter. Ce fut
» celui de ce Fénélon , qui femble avoir
» dérobé à Homère , la ceinture des grâ
ces , pour en parer la vérité , les
moeurs , la vertu , & leur foumettre
tous les coeurs, Ce fut fur-tout celui
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
» de ce Maffillon , fi doux , fi élégant ,
qui nous dérobe , fous des fleurs
» les chaînes de la perfuafion , & qui
à fait fi bien émouvoir & toucher , en
paroiffant ne chercher qu'à plaire ».
ןכ
Le refpectable Pafteur , à qui la double
couronne a été fi juftement décetnée
, n'a point manqué aux engagemens
de fon état , en marchant fur les traces
des Pères de l'Eglife , qui peuvent être
regardés comme les grands modèles de
L'Eloquence. Ce ne feroit pas leur rendre
une entière juſtice , de ne les regarder
comme de grands hommes , que
parce qu'ils étoient de grands Saints.
S'ils n'avoient pas toujours la véhémence
& la rapidité de Démosthène , ils avoient
au moins une douceur & une infinuation
, qui eft peut-être plus propre à perfuader
l'efprit humain , dont l'orgueil
inflexible à moins de peine à fe laiffer
gagner par le fentiment , qu'à céder à la
force & à l'empire de la raifon . M. l'Abbé
de Moy a fu joindre à ce talent qui ca
ractérife les Orateurs facrés , nos premiers
Maîtres , ce que l'éloquence a de
plus brillant & le ftyle de plus orné. Il
poſsède cet heureux art d'embellir la
raifon , d'adoucir la rudeffe de fes traits ,
JANVIE R. 1777. 105
de lui donner une teinte vive & agréa
ble , de la dépouiller de cette fécherelle
qui révolte & de cette monotonie qui
dégoûte . Si cet Orateur paroît s'être un
peu trop livré aux ornemens de l'art , &
fur- tout à ceux de la mythologie , c'eſt
qu'il eft impoffible d'avoir , fans cette
reffource , un coloris brillant , & cette
heureufe variété de tours qui anime le
ftyle & le rend intéreſſant . D'ailleurs , le
vice n'y eft pas revêtu de couleurs féduifantes
, comme on le voit quelquefois
dans plufieurs Moraliftes modernes , &
la vertu y eft parée de tous fes attraits.
L'Orateur n'a pu manquer de s'être propofé
, & le fujet qu'il a traité juftifie
cette profufion de richeffes qu'on remarque
dans fon Ouvrage . Etaler ce que
l'éloquence a de plus riche , pour prouver
que les moeurs honnêtes fervent au
bonheur d'un Etat , c'eft fervir également
la Religion & la Patrie , & préparer des
triomphes à l'Evangile. Ecoutons l'Orateur
lui - même , & nous applaudirons
fans peine à fes talens , & à l'ufage qu'il
en a fait dans fon Difcours , que l'Aca
démie de Befançon a préféré à trente-Gx
autres Ouvrages qui lui ont été préfentés .
Les moeurs , elles font indépendantes
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
» des cultes & des légiflations , des temps.
» & des climats. Filles de la conſcience ,
la vérité les accompagne & la félicité
» les fuit. Qui pourroit même , fans elles,
» jouir de l'inestimable avantage d'être
» bien avec foi- même & bien avec les.
autres ?.... Quoique l'Orateur foit
perfuadé , comme il le dit lui - même ,
qu'il n'y a pas de principe de moeurs plus
fécond & plus fûr que notre Religion
fainte , il a cru devoir envifager fon fujer
du côté littéraire , & parler un langage
que puffent entendre les hommes de
toutes les croyances & de tous les temps .
« La félicité ne fauroit naître que du
refpect pour les moeurs. Seul , il peut
» affurer aux Nations la tranquillité au
» dedans & la confidération au dehors.
» Tel ce Palladium de la Fable , auquel
» étoit attaché la deftinée d'une Ville-
59
fuperbe, triomphante & fortunée, aufli
long temps qu'il fut l'ornement de fes
murs ; à peine l'eût elle laiffé ravir ,
» qu'elle n'offrit plus que des ruines ".
L'Orateur s'exprime avec force contrele
luxe , qu'il regarde comme l'ennemi
de la félicité publique , puifqu'il enlève
P'homme à la terre , la terre à l'homme ,
& brife le reffort des Etats. « O toi !
JANVI E R. 1777. 107
ود
le peintre des grâces & l'interprête de
» la raifon , Poëte des Philofophes ! tn
déplorois , fous ce règne d'Augufte , fi
» vánté de nos Orateurs , l'affreufe vora-
» cité du luxe , qui déjà ne laiffoit plus
d'efpace à la charrue pour tracer des
» fillons ! Tu gémiffois de voir le platane
» célibataire remplacer de toutes parts
» le compagnon & l'appui de la vignes.
l'olivier fructueux difparoître devant
» le myrthe , qui n'eft qu'odorant ; des
» bâtimens auffi faftueux qu'inutiles
"J
pefer fur les champs qui nourriffoient
» autrefois les Camille & les Crorius !
Que dirois- tu , fi , tranſporté tout àcoup
dans les alentours de nos Villes:
» principales , tu te voyois contraint
» d'errer pendant plufieurs milles , avant:
d'appercevoir les pas de l'agriculture
imprimés fur le fol ! Si tu ne rencon-
» trois , au lieu d'elle , que de vaftes.
pièces d'eau , qui n'ont pas même le
mérite d'imiter la nature ; d'immenfes
tapis de gazon qu'on ceffe de trou- ~
» ver beaux , lorfqu'ils commencent
» à devenir utiles , & c. Plût aux Dieux !
t'écrirois-tu , que les pères de ces pro-
»priétaires fomptueux, euffent reffemblé
à leurs efféminés defcendans ! Jamais
23
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
»le fang Romain n'eût abreuvé les Gau-
» les , & cimenté les fondations de l'Em-
» pire des Francs .
Les moeurs faifoient alors la force
» de nos aïeux. Ce font elles qui élèvent
» les Etats ; c'eft le luxe qui les renverſe ;
» c'eft lui qui , plus puiffant que le Dien
de la guerre , vengea Carthage &
» l'Univers , des fers qu'ils avoient reçu
» de l'Italie . Sous fa main fe détend
» & fe rompt le reffort des Gouverne-
» mens.
"
» La crainte peut bien refter à l'efclave.
Comme il reçoit du luxe le peu
» de fleurs qui couvrent fa chaîne , il doit
» trembler de perdre ce honteux adou-
» ciffement. Mais l'honneur , mais la
» vertu , on les chercheroient inutilement
» dans les climats où le luxe domine :
" trop de diſtance fépare ces objets . La
» vertu ne cherche qu'à bien faire ;
» l'honneur , qu'à mériter l'eftime ; le
» luxe qu'à s'enrichir. La vertu fe dévoue
» à l'Etat , l'honneur s'y loue , le luxe s'y
» vend » .
ود
Ce que l'Auteur dit des Loix , qu'on
regarde comme le fupplément des moeurs,
doit avoir fait fenfation fur tous les Lecteurs
attentifs. « Toute loi impofe une
JANVIE R. 1777. 109
» obligation & une peine . A mefure que
le nombre des premières s'accroît , la
» lifte des peines & des obligations fe
groffit. Il faut des Prêteurs pour les
» faire connoître ; il faut des Licteurs
» pour les faire exécuter. Viennent en-
» fuite les Sénatus Confultes qui , foas
ود
"
prétexte de les éclaircir , ajoutent à la
» difficulté de les entendre ; les commen-
" taires qui concourent à les embrouiller
; la Jurifprudence qui achève de
» tout confondre . Il arrive un temps où
la Nation fe trouve divifée en deux
» grandes claffes , dont l'une armée , ce
» femble , par les loix & pour les loix ,
» n'eft occupée qu'à frapper ou effrayer
» l'autre ; & celle- ci , incertaine & trem-
» blante au milieu de ce labyrinthe d'Or-
» donnances & de Réglemens , ne ceffe
» de faire des chûtes , dont elle eft punie ,
ou n'ofe faire un pas dans la crainte ,
» contre quelqu'une des bornes que le
Gouvernement a pofées autour d'elle .
Quelqu'un qui chercheroit le bonheur
» au fein d'une pareille légiflation , reffembleroit
à ce Guerrier d'Homère qui
» demandoit le jour , quand Jupiter
» avoit couvert l'horizon de ténèbres.
4
"
» Athènes eut des moeurs & des ver
110 MERCURE DE FRANCE.
"
" tus ; & , pour tout dire , Athènes fut
heureufe avant d'avoir des loix . Celles
de Dracon la peuplèrent de bourreaux
» & de victimes ; celles de Solon la li-
» vrèrent aux factions , aux cabales , aux
» divifions intestines . Sparte même , re-
» doutée par fes armes , ne trouvoit pas
» le bonheur dans fa légiflation. Lycur-
" gue , en faifant de fes Concitoyens des
" lions contre l'ennemi , en avoit fait des
tigres pour leurs propres enfans & pour
» leurs efclaves. Et toi , Cité fuperbe ,
qui d'une chaumière de Pâtres & d'un
» vil repaire de brigands , portas ton
front jufqu'aux nues , & devint la dominatrice
de l'Univers , quel fut le
temps de ta félicité ! Plufieurs fiècles
» ont été les témoins de ta gloire : je
» cherche les jours de ton bonheur.
Commencèrent-ils à cette proclama-
» tion folennelle , où un homme fans
» moeurs vint dire à tes habitans : Jufqu'à
préfent le cri de la confcience vous
apprit vos devoirs ; lifez- les déformais
fur ces tables que je dépofe entre une
hache & des verges. L'Hiftoire ne le
» dit que trop ; ces douze tables furent
un figual permanent de vexation de la
part des Grands , de murmures & de
»
33
99
JANVIER 1777. TIT
» fouffrances de la part du Peuple. On
» eft forcé de remonter au- delà de cette
" époque , pour trouver l'âge d'or des
» Romains , le fiècle des Mutius , des
» Coclès , des Clélie , & de ce Cincin-
» natus , que la fimplicité , la tempé-
» rance , la modération , les moeurs en
» un mot , femblent avoir formé , pour
» montrer à l'homme quelle eft l'écoles
» de la véritable grandeur..
8.
A Dieu ne plaife que je veuille
» infpirer du mépris pour les loix . . .
» Je viens redire que , relativement au
» bonheur des Etats , le refpect pour
» les moeurs a cet avantage infini fur
» la multiplicité des loix , que le premier
y fuppofe toujours la vertu ,
» mère de la félicité publique ; tandis
» que la feconde n'y fuppofe jamais.
» que des vices d'où les loix font iſſues ,
» comme les remèdes font nés de nos
maux. Je viens redire que les loix
» ne peuvent rien fans les moeurs
tandis que les moeurs peuvent tout
» fans les loix ».
»
و
Voici comment l'Orateur termine fon
Difcours , après avoir prouvé que les
meurs feules font le vrai boulevard.
des Nations , & que les Etats ne prof
111 MERCURE DE FRANCE.
""
و د
C
pèrent qu'autant qu'ils favent les refpecter.
S'il en exiftoit un où le véritable
honneur fût prêt à s'éteindre ,
» où les Généraux fuffent plus avides
» de richeffes que de gloire ; les Magiftrats
plus jaloux de leurs préroga-
» tives que des intérêts de la Juftice ;.
» le Financier plus attentif à groffir fes
» tréfors que ceux du Souverain ; tous
les Ordres des Citoyens plus occupés
» à difputer entre eux de fafte & de
diftinction , 'qu'à remplir en filence , &
fans appareil , des devoirs que l'honneur
feul , fondé fur les moeurs , peut
rendre chers. Si cet Etat exiftoit ; s'il
» avoit en même-temps l'avantage d'être
" gouverné par un Prince affez éclairé
» pour chercher le vrai , affez généreux
pour vouloir le bien , affez courageux
pour l'entreprendre , affez
jeune pour efpérer d'y parvenir ; car
» le bien ne fe fait jamais mieux ,
» que lorfqu'il s'opère lentement ; je
» dirois au modérateur de cet état :
» c'eſt Minerve , fans doute , qui a jeté
» dans votre fein , le defir de rendre
» à votre Empire tout fon éclat . Mais
» pour cela , ne confultez pas trop les
» ombres illuftres de ces Monarques qui
ود
JANVIER . 1777. 113
39
» dorment fous le Trône où vous êtes
» affis . L'un vous perfuaderoit que pour
» être un grand Roi , il faut aller creufer
un vafte tombeau à fes Sujets , dans
les champs de fes voifins . Un autre
placeroit l'art fublime de régner ,
» dans l'art odieux de diffimuler. Un
» troifième borneroit la fcience du Gou-
» vernement , à des établiflemens fages,
» & à de bonnes loix : comme s'il fuf-
» fifoit d'enchaîner les bras pour faire
la félicité des coeurs. Pour un autre
encore , le premier mérite d'un Sou-
» verain , feroit la protection accordée
» aux Arts & aux Lettres ; comme fi
les préfens de Flore , étalés fur des
fillons , pouvoient y fuppléer les tréfors
de Cérès . Non , grand Prince
ce n'eft point tout cela qui fait la
" force des Nations & la gloire de leurs
"
conducteurs . Au milieu de ces cris de
la fauffe grandeur , diftinguez une
» voix modeſte , mais perçante , qui
s'élève & vous dit : Je fuis la vérité ,
fille de l'Eternel , j'ai pour appui
l'expérience , cette fille du temps ,
» qui ne trompe jamais. Il n'eft qu'un
» moyen de rétablir le reffort de votre
Empire , faites-y refpecter les moeurs.
"
»
"
114 MERCURE DE FRANCE.
» Bien-tôt élevant fa tige mâle & vigou
reufe , l'honneur couvrira , de fes
» rameaux , votre Trône & vos Peu-
» ples. Un même efprit animera toutes
» les claffes de vos Sujets. La profpérité
deviendra l'objet de leur ambi
tion. Leur propre bonheur fera la
» récompenfe de leurs efforts. Déjà les
» Nations voifines envient le deftin de
» celle qui chérit en vous un père ,
» encore plus qu'elle n'y révère un
» Maître. Je vois la poftérité , ce Juge
"
intègre & redoutable des dominateurs
» du monde , vous ouvrir les portes
» de l'immortalité . Je l'entends vous
proclâmer le reftaurateur des moeurs ,
» ne prononcer votre nom qu'avec l'émo
» tion la plus tendre , & vous offrir
» pour modèle à tous les Souverains » .
"
Mélanges de littérature, de morale & de
phyfique ; 6 vol . in - 1 2 .
La plupart des Ouvrages que renfer
ment ces mêlanges , furent bien accueil
lis lorfqu'on les donna au Public . Ou
fut agréablement furpris , en les lifant ,
de voir qu'une Dame ait pu réunir tant
de connoiffances avec tant de goût & de
JANVIE R. 1777. FIS
délicatelle .
"
Pour la folidité du raifon-
» nement , pour la force , pour la profondeur
, il ne faut que des hommes ,
» difoit Fontenelle ». L'Auteur des Mêlanges
a bien prouvé le contraire . Ce -
qu'elle nous a laiffé fur la chimie , fur
l'anatomie & fur la phyfique , nous a
prouvé que les Dames , lorfqu'elles ont
reçu de la nature une bonne trempe d'ef
prit , font capables de traiter tous les
genres . Notre Auteur , à qui l'on pourroit
reprocher d'avoir gardé l'incognito
avec trop de févérité , a eu beau faire des
excurfions dans les genres les plus oppo .
fés , fes fuccès n'en ont pas moins été
brillans. On croit lire la Rochefoucault
& la Bruyère en parcourant le recueil de
fes penfées. Ses lettres font bien plus
inftructives que celles qu'on a le plus
admirées ; fes traités de morale , tels que
ceux de l'amitié & des paffions , renfer
- ment des chofes neuves & piquantes .
Ses Romans conduifent à la vertu par un
chemin femé de fleurs. Ses traductions
font auffi élégantes qu'elles font fidelles .
Ses Pièces dramatiques intéreffent à la
lecture. Ses differtations fur les fciences
naturelles , font également utiles & profondes.
Nous ne répéterons pas ici les.
116 MERCURE DE FRANCE.
éloges que les Connoiffeurs ont donné
aux grands Ouvrages hiftoriques , où
l'on trouve des anecdotes curieufes &
neuves.
Offian , fils de Fingal, Barde du troifième
fiècle Poéfies Galliques , traduites fur
l'Anglois de M. Macpherfon, par M.
Letourneur , 2 vol. in- 8°. A Paris ;
chez Mufier fils , Libraire , rue du
Foin S. Jacques , 1777 ; 2 vol. in- 8 °.
M. Letourneur vient de faire un riche
préfent à notre littérature , en traduifant
ces poéfies , dont on avoit déja
fait connoître en France quelques fragmens
, fous le titre de Poéfies Erfes, ou
Irland ifes , titre qui leur avoit été donné
mal a propos , puifqu'il eft conftaté aujourd'hui
qu'Offian étoit de la nation
des Calédoniens , qui habitoit au nord
de l'Ecoffe ; quoique l'Irlande ait prétendu
s'approprier la gloire de lui avoir
donné le jour. Ce Poëte célèbre étoit
fils de Fingal , Roi de Morven , l'un des
Héros les plus fameux de ces contrées.
Offian lui-même s'étoit diftingué par fes
exploits. L'Ordre des Bardes , dont il fut
un des Membres les plus illuftres , faifoit.
JANVIER. Ì777. 117
partie de celui des Druides L'emploi de
ces Poëtes étoit de chanter les Héros &
les Dieux. Difciples des Druides , &
initiés aux myſtères & à la fcience de
cet ordre fameux , leur génie & leurs
connoiffances les mettoient fort au-deffus
de leurs compatriotes ; ils jouiffoient
de la plus haute confidération , & rempliffoient,
outre leurs fonctions ordinaires
, celles de Héraults & d'Ambaſſadeurs.
Les Rois & les principaux Chefs
en avoient toujours un nombre confidérable
à leur fuite . Leurs Poëmes étoient
en profe mefurée. Ils ne fe fervoient dé
la rime que dans les morceaux lyriques
dont ils femoient leurs ouvrages , &
qu'ils chantoient en s'accompagnant de
la harpe pour couper leurs récits & ¸réveiller
leurs Auditeurs. Ils fe réuniffoient
à l'armée dans les occafions mémorables
, & chantoient en choeur , ſoit
pour célébrer une victoire , foit pour déplorer
la mort d'un perfonnage diftingué.
Une chofe bien étonnante , c'eft que
les Poëmes d'Offian fe font confervés ,
par tradition & fans le fecours de l'écri
ture , chez les Calédoniens , & chez les
Montagnards d'Ecoffe , leurs defcendans ,
pendant près de quatorze cents ans . Ils
118 MERCURE DE FRANCE.
ont été inconnus jufqu'à nos jours , même
en Angleterre . Quelques gens de lettres,
qui entendoient la langue Gallique , en
poffedoient plufieurs morceaux détachés,
mais aucun d'eux n'avoit jamais penfé à
traduire la moindre chofe . M. Macpherfon,
quoiqu'il eut raffemblé un grand
nombre de ces Poëmes pour fon amufement
, fut lui- même long- temps fans y
penfer. Il hafarda d'abord , à la follicitation
d'un Ecoffois diftingué par fes
connoiffances , quelques morceaux détachés
, fous le nom de Fragmens d'anciennes
Poéfies. Le fuccès prodigieux de ces
fragmens le détermina à entreprendre
un voyage dans les montagnes d'Ecoffe ,
& aux ifles Hébrides , pour recouvrer le
plus qu'il pourroit des Poéfies d'Offian.
Il parvint en effet , pendant les fix mois
que dura fon voyage , à raffembler tout
ce qui s'en étoit confervé , & en exé
cuta la traduction en Anglois , fur la
quelle M. Letourneur a fait celle que
nous annonçons.
A la tête du recueil , eft un difcours
préliminaire très bien fait , que M. Letourneur
a extrait & compofe en grande
partie des differtations Angloifes de M.
Macpherſon. On y trouve les détails les
JANVIER . 1777 . 119
plus intéreffans fur la nation Calédonienne
, & les plus néceffaires pour lire
avec intérêt & avec fruit les Poéles d'Of
fian. Les bornes de cet extrait ne nous
permettant pas d'en citer un grand nom
bre ,,
nous allons choifir quelques-uns de
ceux qui ont le rapport le plus direct
avec l'efprit & le caractère de ces Poéfies.
« Les Calédoniens croyoient que les
ames commandoient aux vents & aux
tempêtes ; opinion qui fubfifte encore
parmi le peuple des montagnes ; ils pen
fent que les tourbillons & les rafales de
vents font occafionnés par les efprits. qui
fe tranfportent d'un lieu dans un autre.
On ne croyoit point que la mort pât
rompre les liens du fang & de l'amitié.
Les ombres s'intéreffoient à tous les évé
nemens heureux ou malheureux de leurs
amis , & il n'y a peut-être point dè nation
dans le monde qui ait donné une
croyance auffi étendue aux apparitions.
La fituation du pays y contribuoit fans
doute autant que cette difpofition à la
crédulité , qui eft le partage ordinaire
des peuples ignorans . Ils erroient fou
vent dans de vaftes & fombres folitudes,
dans des bruyères & des Landes abfolu
ment défertes ; fouvent ils étoient obli120
MERCURE DE FRANCE .
gés d'y dormir en plein air , au milieu
du fifflement des vents & du bruit des
torrens ; l'horreur des fcènes qui les environnoient
, étoit bien capable de produire
en eux cette difpofition mélancolique
de l'ame , qui lui fait recevoir ſi
promptement les impreffions extraordi
naires & furnaturelles . »
ود »L'efpritoccupédecesfombresidées
au moment où ils s'endormoient , troublés
dans leur fommeil par le bruit des
élémens ; il n'eft pas étonnant qu'ils cruffent
entendre la voix des morts , tandis
qu'ils n'entendoient réellement que le
murmure des vents dans le creux d'un
arbre antique , ou de quelque rocher voifin
; c'eſt à ces caufes qu'il faut attribuer
tous les contes que les Montagnards débitent
, & croyent encore aujourd'hui .
»
» C'étoit aux efprits que les Calédoniens
attribuoient en général la plupart
des effets naturels. L'écho des rochers
frappoit-il leurs oreilles ? C'étoit l'efprit
de la montagne qui fe plaifoit à répèter
les fons qu'il entendoit. Ce bruit fourd ,
lugubre qui précède la tempête , bien
connu de ceux qui ont habité un pays dé
montagnes ; c'étoit le rugiffement de l'efprit
de la colline. Si le vent faifoit réfonner
JANVIE R. 1777. 121
les
fonner les harpes des Bardes ; ce font
étoit produit par le tact léger des ombres
qui prédifoient ainfi la mort d'un
perfonnage illuftre ; & rarement un Chef
ou un Roi perdoit la vie , fans que
harpes des Bardes attachés à fa famille , ne
rendiffent ce fon prophétique . Un infortuné
mouroit- il de l'excès de fa douleur ?
Les ombres de fes ancêtres le voyant
feul , & luttant fans efpoir contre le
malheur , avoient emporté fon ame , &
l'avoient délivré de la vie . › @
» On fent combien il étoit confolant
de peupler la nature des ombres de fes
ancêtres & de fes amis , & de s'en croire
fans ceffe environné. Ces idées étoient
très-poétiques , fans doute ; mais elles
jettent une teinte de mélancolie fur toutes
les compofitions d'Offian . Il fe plaît
fur- tout à décrire les fcènes de la nuit ;
il s'arrête avec plaifir fur les objets fombres
& majestueux qu'elle préfente . La
mélancolie'Offian
étoit encore augmentée
par fa fituation . Il ne compofa fes
Poëmes qu'après que la partie active de
fa vie fut paffée. Il étoit aveugle , & furvivoit
à tous les compagnons de fa jeuneffe
. "2
» Prefque tous les Poëmes dont ces
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
deux volumes font compofés , ont pour
fujet les divers exploits de Fingal , père
du Poëte , & des autres guerriers de fa
famille ou de fa nation . Offian paroît luimême
comme Acteur dans la plus grande
partie ; car il pouvoir dire comme Enée
dans Virgile :: Quaque ipfe vidi, & quorum
pars magna fui. Les deux plus confidérables
de ces ouvrages, font les Poëmes
de Fingal & de Témora , auxquels
Editeur & Traducteur Anglois a donné
le titre de Poëmes épiques , & qu'il a
divifés , l'un en fix chants , & l'autre en
huit. Dans le premier , Fingal étant allé
en Irlande porter du fecours au Roi de
cette Ifle contre l'invafion d'un Prince
Scandinave , combat ce dernier , le fait
prifonnier, & l'oblige à fe rembarquer
après l'avoir remis en liberté. Le fujer
de Témora elt une nouvelle expédition
de Fingal en Irlande , pour y détruire
un ufurpateur qui en avoit malfacré le
Roi légitime. Il exécute ce deffein , &
rétablit fur le trône l'héritier du Prince
égorgé. Les autres Poëmes font beaucoup
moins confidérables . Nous conviendrons
fans peine, avec le Traducteur, que
tout y refpire la grandeur d'ame , la générofité,
le véritable héroïfme , & que
JANVIER. 1777. 123
le mérite de la compofition répond à la
beauté des fentimens. Quelques endroits
détachés que nous allons citer du Poëme
de Fingal, fuffiront fans doute à nos Lecteurs
pour leur en faire porter le même
jugement.
Le Roi ( Fingal ) fe plaça près de la
roche de Lubar , & trois fois il éleva
» fa voix terrible . Le cerf treffaille près
» des fources du Cromla , & les rochers
» tremblent fur les collines . Tels que les
» nuages amalfent les tempêtes & voilent
l'azur des cieux , tels , à la voix
» de Fingal , accourent les enfans du défert
toujours fes guerriers étoient
émus de joie aux accens de fa voix
» fouvent il les avoit conduits aux com-
» bats , & ramenés chargés des dépouilles
de l'ennemi ; .... tel qu'une nue
épaiffe & orageufe , dont les fancs
» enflammés font armés d'éclairs , & qui
» fuyant les rayons du matin , s'avance
» vers l'Occident ; tel s'éloigne le Roi
» Morven. Deux lances font dans fa
» main , & fon armure jette un éclat
terrible....Il abandonne au vent fes
» cheveux blancs : fouvent il fe retourne,
» & jette un regard fur le champ de bataille
; trois Bardes l'accompagnent ,
»
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
n
prêts à porter fes paroles à fes Héros .
» Il s'affied fur la cime de Cromla ; les
» mouvemens de fa lance étincelante régloient
notre marche .
Les deux armées s'attaquent & com-
» battent ; guerrier contre guerrier , fer
» contre fer. Les boucliers & les épées
» fe choquent & retentiffent : les hom-
» mes tombent : Gaul fond comme un
tourbillon d'Arven : la deftruction fuit
» fon épée : Swaran dévore comme l'in-
» cendie allumé dans les bruyères du
» Gormal. Comment pourrois-je redire
» dans mes chants tant de noms & de
» morts ? L'épée d'Offian fe fignala auffi
» dans ce fanglant combat : & toi , ô
"
mon Ofear , ô le plus grand , le meil
» leur de mes enfans , que tu étois ter-
» rible ! Mon ame éprouvoit une fecrette
joie , lorfque je voyois fon épée étinceler
fur les ennemis terraffés. Ils fuyent
» en défordre fur la plaine de Lena : nous
» pourfuivons , nous maffacrons ; comme
» la pierre bondit de rocher en rocher ;
» comme la hache frappe & retentit de
,, chêne en chêne ; comme le tonnerre
» roule de colline en colline fes effrayans
éclats ; tels, de la main d'Ofcar & de la
mienne , tomboient & fe fuiyoient les
de la mort .
"
ל ג
» coups
JANVIER. 1777 125
>>
"
"
"
» Quel autre que le fils de Starno, ofe
» roit venir à la rencontre du Roi de
» Morven ? Contemple le combat des
» deux Chefs. Tels combattent deux
efprits fur l'Océan , & difputent à
qui roulera fes flots . Le Chaleur
» fur la colline , entend le bruit de
» leurs efforts , & voit les vagues s'en-
» fler & s'avancer vers le rivage d'Arven :
» Ainfi parloit Connal , lorfque les deux
" Héros fe joignirent au milieu de leurs
guerriers tombans de toutes parts . C'eft.
» là qu'on entendit le bruit du choc des
» armes & des coups redoublés . Terrible
» eft le combat des deux Rois ; terribles
font leurs regards ; leurs boucliers font
brifés , & l'acier de leur cafque vole
» en éclats ; ils jettent les tronçons de
» leurs armes , chacun d'eux s'élance pour
» faifir au corps fon adverfaire ; leurs
» bras nerveux font enlacés ; ils s'em-
» braffent , ils s'attirent , fe balançant à
droite & à gauche ; dans leur lutte fanglante
, leurs muſcles fe tendent & ſe
déployent. Mais quand leur fureur au
» comble vint à développer toutes leurs
» forces ; alors la colline ébranlée par
» leurs efforts , trembla au haut de fa
» cîme . Enfin la force de Swaran s'é-
53
Fiij
125 MERCURE DE FRANCE.
99
puife , il tombe , & le Roi de Loclin
» eft enchaîné . Ainfi j'ai vu le Cona,
» Cona, que ne voyent plus mes yeux ;
» ainfi j'ai vu deux collines arrachées de
leurs bafes par l'effort d'un torrent im-
» pétueux ; leurs maffes inclinées l'une
» vers l'autre fe rapprochent ; la cîme de
» leurs arbres fe touche dans les airs ;
>> bientôt toutes deux enſemble tombent
» & roulent avec leurs arbres & leurs
» rochers ; le cours des feuves eſt changé,
» & les ruines rougeâtres de leurs terres
éboulées , frappent au loin l'oeil du
» Voyageur. »
Une circonstance très - remarquable
dans toutes les Poéfies d'Offian , c'eft
l'humanité & la générofité des guerriers
Calédoniens envers leurs ennemis vaincus
; ce qui forme un parfait contraſte
avec la férocité , trop fouvent barbare ,
que les héros de l'Iliade déployent dans
les mêmes circonstances .
Journal hiftorique & politique des principaux
événemens des différentes Cours
de l'Europe , année 1777 .
Le Journal hiftorique & politique de
Genève, eft compofé de 36 cahiers par
JANVIER . 1777 . 127
·
an , chacun de 60 pages au moins , &
fouvent davantage , lorfque l'abondance
des nouvelles politiques ou civiles l'exigent
; il y a même un fupplément dans
lequel on donne l'extrait des nouvelles
précoces ou hafardées des Gazertes étrangères
. Ce Journal paroît très exactement
trois fois par mois , c'eft-à- dire les 10 ,
20 & 30 du mois.
On eft libre de foufcrire en tout
temps , à telle époque qu'on veut , à
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue de
Tournon , près le Luxembourg ; le prix
de la foufeription , pour une année entière
, eft de 18 liv, franc de port.
MM . les Soufcripteurs
font priés d'affranchir
le port des lettres & de l'argent ,
& de donner leurs noms & leur adreffe
exacte , d'une écriture très-lifible .
On fait avec quel foin ce Journal eft
écrit , enforte qu'il eft regardé comme
l'histoire la plus exacte & la plus complerte
du temps préfent. C'eft un témoin
fidèle & un excellent obfervateur , qui
dépofe tout ce qui peut exciter la curiohté
ou intéreffer les Lecteurs .
Le Rédacteur eft dans l'ufage de donner
, àla tête de ces annales , un Difcours
qui raffemble , fous un même point de
Fiv
125 MERCURE DE FRANCE.
г
ود
"
puife , il tombe , & le Roi de Loclin
» eft enchaîné . Ainfi j'ai vu le Cona,
Cona, que ne voyent plus mes yeux ;
» ainfi j'ai vu deux collines arrachées de
» leurs bafes par l'effort d'un torrent im
» pétueux ; leurs maffes inclinées l'une
» vers l'autre fe rapprochent ; la cîme de
» leurs arbres fe touche dans les airs ;
>> bientôt toutes deux enfemble tombent
& roulent avec leurs arbres & leurs
» rochers ; le cours des fleuves eſt changé,
& les ruines rougeâtres de leurs terres
éboulées , frappent au loin l'ail du
Voyageur. »
Une circonftance très remarquable
dans toutes les Poéfies d'Offian , c'eft
l'humanité & la générofité des guerriers
Calédoniens envers leurs ennemis vaincus
; ce qui forme un parfait contraſte
avec la férocité , trop fouvent barbare ,
que les héros de l'Iliade déployent dans
les mêmes circonstances .
Journal hiftorique & politique des princi
paux événemens des différentes Cours
de l'Europe , année 1777 .
Le Journal hiftorique & politique de
Genève, eft compofé de 36 cahiers par
JANVIER . 1777 . 127
an , chacun de 60 pages au moins , &
fouvent davantage , lorfque l'abondance
des nouvelles politiques ou civiles l'exigent
; il y a même un fupplément dans
lequel on donne l'extrait des nouvelles
précoces ou hafardées des Gazertes étrangères.
Ce Journal paroît très exactement
trois fois par mois , c'eft-à- dire les 10 ,
20 & 30 du mois.
On eft libre de foufcrire en tout
temps , à telle époque qu'on veut , à
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue de
Tournon , près le Luxembourg ; le prix
de la foufeription , pour une année entière
, eft de 13 liv , franc de port.
MM. les Soufcripteurs font priés d'affranchir
le port des lettres & de l'argent ,
& de donner leurs noms & leur adreffe
exacte , d'une écriture très - lifible .
On fait avec quel foin ce Journal eſt
écrit , enforte qu'il eft regardé comme
l'hiftoire la plus exacte & la plus complette
du temps préfent . C'eft un témoin
fidèle & un excellent obfervateur , qui
dépofe tout ce qui peut exciter la curiohté
ou intéreffer les Lecteurs .
Le Rédacteur eft dans l'ufage de donner
, à la tête de ces annales , un Difcours
qui raffemble , fous un même point de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
vue , les grands intérêts des Nations , &
les principaux événemens de l'année précédente.
Nous allons tracer le plan général
de celui qui eft imprimé dans le premier
cahier du mois de Janvier de cette année...
C
Quand on fe retrace , dit cet éloquent
Ecrivain , le tableau des grandes
révolutions qui ont éclaté dans l'Univers
, on eft frappé de l'efpèce de fatalité
qui tranfporte fans ceffe la prééminence
& la gloire d'une contrée à une autre ,
& fait paffer chaque Peuple à fon tour
par tous les degrés marqués fur le cercle.
des viciffitudes politiques ».
» Au milieu des orages que le fouffle
impétueux de l'ambition a élevés fur la
terre depuis l'origine des Empires , combien
de fois n'a-t-on pas vu l'Afie , l'Afrique
& l'Europe s'élever & tomber alternativement
, perdre la prépondérance &
la reprendre l'une fur l'autre , & dans
cette lutte éternelle , defcendre tour- àtour
du faîte des profpérités dans un
abîme de difgrâces ? »
و و
L'Europe fe préfente aujourd'hui fur
cette grande fcène de révolution , avec
un appareil de fplendeur & de force ,
dont nulle autre contrée n'approcha
JANVIER . 1777. 129
jamais . En poffeffion du fceptre des
arts , elle règne par eux , depuis quelques
fiècles fur le refte du globe. Ses progrès
formidables dans la fcience militaire , &
fes découvertes immortelles dans la navigation
, l'ont rendue l'arbitre & le lien
des deux mondes . Après avoir aggrandi
l'Univers par des prodiges d'audace , elle
a fu l'affervir à fes befoins par les efforts
d'une laborieuſe induſtrie . Rivale de la
nature , elle étend fa puiffance à tous les
lieux , & fon influence active embraſſe
& vivifie tous les objets. D'une extrémité
du monde à l'autre , fes pavillons
parcourent les mers en fouverains , pour
rapporter en tribut les tréfors & les
productions de tous les climats : & tandis
que d'une main elle anime le commerce
& imprime à la maffe univerfelle des
richeffes , le mouvement de circulation
qui en règle la diftribution & l'ufage ;
de l'autre , elle fait mouvoir les refforts
de la politique , & domine fur les deux
hémisphères qu'elle foulève ou calme à
fon gré » .
"
Lorfque la navigation , vers la fin
du quinzième fiècle , commença à franchir
les barrières que l'ignorance oppofoit
à fon effor , l'Europe n'avoit encore
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
devancé le refte de la terre , que de
quelques pas , dans la carrière du génie.
L'utage de la bouffole & l'invention de
la poudre , furent les premiers leviers de
fa puiffance renaiffante , & lui fuffirent
pour tenter la découverte d'un hémifphère
ignoré ; déconverte fublime , qui
fur pour elle une fource intariffable de
trefors & de lumière ».
» L'Amérique , conquife & dépeuplée
auffi-tôt que connue , donna au monde
une face nouvelle , & à l'Europe une
fecouffe vive & profonde , dont l'impreffion
dute encore. La nature aggrandie ,
offrant un fpectacle plus majeftueux
infpira des idées plus hautes & plus dignes
d'elle ; la rouille des fiècles barbares
difparut peu à peu , les moeurs s'adoucitent
, la légiflation fe réforma , la fphère
des connoiffances humaines s'étendit à
Finfini ; on vit renaître les talens , les arts
fe ranimer , l'induftrie déployer de nouvelles
branches , & accroître fa tige fé-
⚫tonde de toute les découvertes dont l'empire
du génie & des fciences s'enrichiſfoit
de jour en jour » .
Avec le fecours des arts réunis , perfectionnés
l'un par l'autre , & pliés à de
nouveaux ufages ; avec les tréfors dut
JANVIER . 1777. 131
nouveau monde ; avec toutes les forces
de la nature ; eft-il étonnant que l'Europe
ait étendu fa domination jufqu'aux extré
mirés de l'Univers , & qu'elle fe foir
élevée progreffivement au plus haut degré
de fplendeur & de puiffance , où la politique
& l'induftrie humaines puiffent
atteindre par leur effort combiné ? »
» Ces merveilles , que l'Europe a fu
opérer d'abord avec de foibles moyens ,
enfuite avec des reffources afforties à
l'immensité de fes vues , annonceur affez
qu'à la gloire d'impofer des loix à l'Univers
entier , elle auroit pu joindre aifément
celle de fouftraire l'édifice de fa
grandeur à la fatalité commune , fi l'efprit
de paix & de modération avoit fait
ehez elle des progrès proportionnés à
Faccroiffement de fes lumières ; mais ces
lumières mêmes , loin d'étouffer dans
fon fein le germe des paffions turbulentes
& inconfidérées , dont les éruptions
ébranlent les fondemens des fociétés
politiques , n'ont fervi qu'à en rendre le
choc plus terrible & les fuites plus funeftes.
Auffi , n'eft il befoin ni de recourir
à des exemples , ni d'interroger l'expérience
des fiècles antérieurs , pour favoir
l'Europe doit craindre quelque
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
révolution fatale à fa puiffance : il fuffit
d'approfondir fa fituation actuelle , &
de lever les yeux fur ce qui fe paffe en:
d'autres climats , pour fe convaincre
qu'elle n'eft déjà plus ce qu'elle étoit
vers le milieu du fiècle précédent » .
L'Historien philofophe parcourt d'un
coup- d'oeil rapide la fituation de l'Europe
, depuis la paix de Weftphalie ; it
approfondit les caufes politiques & morales
de fes changemens , & il en prévoit
les fuites. Il confidère les forces réelles
de chaque Nation , & les reffources
qu'elle peut tirer tant de fa population
que de fes richeffes & de fon crédit. Ib
découvre la caufe récente de l'épuifement
& de la décadence des Gouverne→
mens dans le luxe immodéré de puiffance
, & dans l'appareil outré de grandeur
, de forces & d'armées , par lefquels
leurs Souverains veulent en impofer
depuis que Louis XIV en a donné l'exemple
à l'Europe .
cc
ཐ་
Qui fait , ajoute cet Ecrivain profond
& politique , fi cette période d'élévation
fucceffive , parvenue aujourd'hui à fon
terme , n'eft pas près de recommencer
fon cours dans le même ordre , mais
avec moins d'éclat , pour continuer fes
JANVIER. 1777. 133
révolutions fuivant une progreflion décroiffante
, jufqu'à ce qu'enfin une autre
partie du monde , s'emparant de nos arts
& de notre induftrie , reprenne fur l'Eu
rope le fceptre de la domination univerfelle
, échappé au luxe & à la foibleffe
de nos neveux ? >>
» On me dira , fans doute , que l'état
actuel de l'Afrique & de tout l'Orient ,
n'eft guère propre à donner du poids à
une conjecture fi hardie : j'en conviens ;
mais fi , comme je crois l'avoir démontré
, l'Europe a vu diminuer fes forces
en raifon des progrès que le luxe de
puifance a fait parmi les Nations qui
Phabitent ; fi ce luxe croît de jour en
jour , & fi l'efprit de conquête continue
à en bannir celui de confervation , qui
auroit dû le remplacer ; quel fera le
terme de cet affoibliffement rapide &
général ? Songeons que les Peuples dont
nous méprifons l'ignorance & la barbarie
, font des hommes comme nous : nos
arts , avec le temps , ne peuvent- ils pas
arriver jufqu'à eux ? Fortifiés de ce fe
cours , & affranchis d'une multitude de
befoins factices qui nous énervent , croiton
qu'il leur fût impoffible de venir un
jour faire la loi à l'Europe , & lui rendre
134 MERCURE DE FRANCE.
l'humiliation qu'elle leur a fait effuyer ?
Ignorons nous , d'ailleurs , que l'Afie
nourrit dans fes défers des Peuples no
mades , qu'une exubérance de popula
tion a déjà fait refluer à diverfes reprifes ,
fur toutes les parties de l'ancien Continent?
Ce furent leurs ancêtres qui bri
sèrent les Aigles Romaines. Ils ont ,
depuis , fubjugué la Chine & le Mogol .
Nos funeftes divifions dans l'Inde , leur
ont fait connoître notre art militaire , &
bientôt ils feront en état , s'ils le veulent ,
de nous interdire l'accès de ces contrées ,
en tournant contre nous la difcipline où
réfide la principale force de nos armes ;
difcipline dont notre jaloufie avare &
inquiète leur a révélé l'uſage & les principes.
Seroit il étonnant , par exemple ,
qu'avant peu les Marates parvinffent à
détruire les établiffemens de la Compagnie
Angloife dans l'Indoftan , & que de
proche en proche , les Européens perdiffent
toutes leurs poffeffions dans ces climats
, & fe viffent forcés à abandonner
les Ifles mêmes de l'Archipel Afiati -
que ? ,,
Cesterreurs peu fondées , peut-être ,
du côté de l'Afie , peuvent , du moins ,
fe réalifer de la part du nouveau monde,
JANVIE R. 1777. 135
Le continent Américain , dont une coupable
frénéfie a exterminé les anciens
habitans , commence à fe repeupler ; &
déjà nos arts , tranfplantés fur cette terre
féconde & récemment fortie de deffous
la main de la nature , l'ombragent de
leurs rameaux falutaires & redoutables .
Quelle que foit l'iffue de la querelle
fanglante qui défole actuellement ce fertile
continent , & qui paroît s'envenimer
& s'aigrir de plus en plus , peut- on ne
pas craindre qu'un jour cette branche ne
fe détache du tronc d'où elle est fortie ,
& qu'elle n'achève de l'épuifer ? Alors ,
peut-être , éclateront des guerres défaftreufes
qui anéantiront l'Europe amollie ,
tranfporteront au- delà des mers le dépôt
des connoiffances humaines & des archives
du monde , & livreront la patrie an
tique des arts à une barbarie éternelle ».
Il examine enfuite la vraie caufe de
la guerre allumée entre la Grande- Bretagne
& l'Amérique ; il la développe avec
une fagacité admirable , & il la juftifie
même par les motifs rapportés dans les
manifeftes des Colonies confédérées , &
par l'accroiffement de la dette nationale
des Anglois ; il compare les foibles Provinces
de la Hollande , luttant contre la
136 MERCURE DE FRANCE.
puiffance formidable des Efpagnols , aux
Colonies de l'Amérique , plus aguerries ,
plus puiffantes , fe défendant contre les
attaques moins terribles de l'Angleterre ;
& il en tire des conjectures bien vraiſem
blables en faveur des Américains.
Nous ne pouvons donner qu'une légère
efquiffe de ce beau Difcours , qui fe
termine ainfi : « On prévoit , fans peine,
que fi jamais l'Amérique rompoit les
liens qui l'attachent à l'Europe , ce grand
événement boulverferoit le fyftême actuel
, & changeroit tous les rapports de
politique & d'intérêt entre cette partie
du monde & celle que nous habitons.
De vaſtes Empires s'élèveroient peu-àpeu
dans ces profondes folitudes , où nul
homme civilifé ne porta jamais fes pas
avides ; un commerce immenfe naîtroit
de proche en proche , entre les diverfes
parties de ce continent ; & la population
encouragée par la fécondité d'un fol que
la culture n'a point encore fatigué de fes
foins avares lui procureroit , dans un
court efpace de temps , des forces fupérieures
à toute la puiffance de nos contrées.
Pent-être qu'alors l'Amérique attireroit
à elle notre population même , par
la douceur d'un empire fage & humain ,
JANVIER . 1777. 137
& par une modération politique que
nous n'avons point connue dans les jours
de notre profpérité ; mais peut-être auffi
que livrée à la foif des conquêtes , &
aux tourmens de cette dévorante ambition
, dont le fafte nous éblouir , elle
voudroit enchaîner l'ancien continent au
char de fa fortune. Peut- on penfer, fans
horreur , aux calamités affreufes qui réfulteroient
de ces fureurs , calamités dont
l'Europe fentit autrefois le poids fatal ,
lorfque des barbares vintent éteindre ,
dans des flots de fang , les derniers rayons
de la gloire des Romains & de celle de
l'Empire de Charlemagne .
و د
L'Europe a dans fon fein affez de
reffources pour prévenir le retour de tant
de défaftres . Parvenue au comble de la
gloire , qu'elle arrête les progrès de fon
affoibliffement . Aux yeux de l'humanité ,
tous les peuples qui l'habitent , ne font
qu'une feule famille divifée en plufieurs
branches , mais éclairée des mêmes lumières
, jouiffant des mêmes loix , du
même droit politique , n'ayant qu'un
même intérêt , & deftinée aux mêmes
viciffitudes d'élévation & d'abaiffement ,
de bonheur & d'adverfité . Ne feroit- il
pas temps qu'aux éclats tumultueux &
136 MERCURE DE FRANCE.
puiffance formidable des Efpagnols , aux
Colonies de l'Amérique , plus aguerries ,
plus puiffantes , fe défendant contre les
attaques moins terribles de l'Angleterre ;
& il en tire des conjectures bien vraifem
blables en faveur des Américains.
Nous ne pouvons donner qu'une légère
efquiffe de ce beau Difcours , qui fe
termine ainfi : « On prévoit , fans peine ,
que fi jamais l'Amérique rompoit les
liens qui l'attachent à l'Europe , ce grand
événement boulverferoit le fyftême actuel
, & changeroit tous les rapports de
politique & d'intérêt entre cette partie
du monde & celle que nous habitons .
De vaftes Empires s'élèveroient peu - àpeu
dans ces profondes folitudes , où sul
homme civilifé ne porta jamais fes pas
avides ; un commerce immenfe naîtroit
de proche en proche , entre les diverfes
parties de ce continent ; & la population
encouragée par la fécondité d'un fol que
la culture n'a point encore fatigué de ſes
foins avares , lui procureroit , dans un
court efpace de temps , des forces fupérieures
à toute la puiffance de nos contrées.
Peut-être qu'alors l'Amérique attireroit
à elle notre population même , par
la douceur d'un empire fage & humain ,
JANVIER. 1777- 137
& par une modération politique que
nous n'avons point connue dans les jours
de notre profpérité ; mais peut-être aufli
que livrée à la foif des conquêtes , &
aux tourmens de cette dévorante ambition
, dont le fafte nous éblouit , elle
voudroit enchaîner l'ancien continent au
char de fa fortune. Peut- on penfer, fans
horreur , aux calamités affreufes qui réfulteroient
de ces fureurs , calamités dont
l'Europe fentit autrefois le poids fatal
lorfque des barbares vinrent éteindre ,
dans des flots de fang , les derniers rayons
de la gloire des Romains & de celle de
l'Empire de Charlemagne. »
"
ود
L'Europe a dans fon fein affez de
reffources pour prévenir le retour de tant
de défaftres . Parvenue au comble de la
gloire , qu'elle arrête les progrès de fon
affoibliffement . Aux yeux de l'humanité ,
tous les peuples qui l'habitent , ne font
qu'une feule famille divifée en plufieurs
branches , mais éclairée des mêmes lumières
, jouiffant des mêmes loix , du
même droit politique , n'ayant qu'un
même intérêt , & deftinée aux mêmes
viciffitudes d'élévation & d'abaiffement .
de bonheur & d'adverfité . Ne feroit- il
pas temps qu'aux éclats tumultueux &
›
138 MERCURE DE FRANCE.
ftériles d'une vaine ambition , à cette ruineufe
oftentation de puiffance , qui ufe
fes forces publiques , elle fit fuccéder
l'efprit de confervation , feul capable de
retenir & de perpétuer , dans fon fein ,
la flamme des Arts , & d'affurer à fes
habitans la tranquille jouiffance des avantages
qu'ils ont achetés par une longue
fuite de travaux pénibles & d'actions glorieufes
? »
» Il étoit néceffaire , fans doute , après
la découverte de l'Amérique , qu'il s'élevât
des guerres pour faire fortir de l'Efpagne
, les tréfors innombrables que la
poffeffion des mines du nouveau Monde
amonceloit dans le fein de cette Monarchie
; c'étoit encore un bien que le centre
de l'Europe , agité à fon tour d'un mouvement
convulfif , continuât à étendre
ce ferment jufqu'au pôle ; mais aujour
d'hui que , d'une extrémité à l'autre , tout
eft animé d'une chaleur égale ; aujour
d'hui que tous les Peuples jouiffent àpeu
près des mêmes avantages , en proportion
des faveurs que la nature leur
a départis , peut-on perfévérer dans le
même fyftême , fans rifquer de tomber
dans le dépériffement ? La guerre eft ,
pour les Corps politiques , une efpèce de
JANVIER. 1777. 139
fèvre , dont les effets , rarement falutairés
, entraînent prefque toujours des fuites
fâcheufes , & laillent des traces de
langueur , fur lefquelles la prudence ne
permet pas de s'étourdir dans l'âge de la
maturité. Cette maturité précieufe femble
actuellement arrivée pour la plupart
des Etats. Que n'ont-ils donc pas à craindre
, s'ils nourriffoient plus long-temps
une effervefcence dangereufe , dont l'activité
n'a peut-être déjà été pouffée que
trop loin ? 12
» S'il exiftoit , en Europe , une Puiffance
affez étendue pour n'avoir pas be
foin d'afpirer à de nouveaux agrandiffemens
; affez riche pour n'avoir à defirer
que la confervation des avantages qu'elle
tient de la nature , & de l'induftrie de
fes Sujets une Poiffance affife fur les
deux mers , & qui n'eût qu'à furveiller
les mouvemens de fes rivales , pour s'en
affurer l'Empire ; fi cette Puiffance , en
état de couvrir fes frontières d'armées
formidables , fe trouvoit d'ailleurs garnie
d'un triple mur de fortifications , croiton
que , fagement obftinée à fe tenir fur
la défenfive , elle ne parviendroit pas aifément
, avec le fecours d'une adminif
tration ferme , vigilante & économe , à
138 MERCURE DE FRANCE .
ftériles d'une vaine ambition , à cette ruineufe
oftentation de puiffance , qui ufe
fes forces publiques , elle fit fuccéder
l'efprit de confervation , feul capable de
retenir & de perpétuer , dans fon fein ,
la flamme des Arts , & d'affurer à fes
habitans la tranquille jouillance des avantages
qu'ils ont achetés par une longue
fuite de travaux pénibles & d'actions glorieufes
? »
» Il étoit néceffaire , fans doute , après
la découverte de l'Amérique , qu'il s'élevât
des guerres pour faire fortir de l'Efpagne
, les tréfors innombrables que la
poffeffion des mines du nouveau Monde
amonceloit dans le fein de cette Monarchie
; c'étoit encore un bien que le centre
de l'Europe , agité à fon tour d'un mouvement
convulfif , continuât à étendre
ce ferment jufqu'au pôle ; mais aujourd'hui
que, d'une extrémité à l'autre , tout
eft animé d'une chaleur égale ; aujourd'hui
que tous les Peuples jouiffent àpeu
près des mêmes avantages , en proportion
des faveurs que la nature leur
a départis , peut-on perfévérer dans le
même fyftême , fans rifquer de tomber
dans le dépériffement ? La guerre eft ,
pour les Corps politiques , une efpèce de
JANVIER . 1777. 139
fèvre , dont les effets , rarement falutairés
, entraînent prefque toujours des fuites
fâcheufes , & laiffent des traces de
langueur , fur lefquelles la prudence ne
permet pas de s'étourdir dans l'âge de la
maturité. Cette maturité précieufe femble
actuellement arrivée
pour la plupart
des Etats. Que n'ont-ils donc pas à crain
dre , s'ils nourriffoient plus long-temps
une effervefcence dangereufe , dont l'activité
n'a peut-être déjà été pouffée que
trop loin ? » :
» S'il exiftoit , en Europe , une Puiffance
affez étendue pour n'avoir pas be
foin d'afpirer à de nouveaux agrandiffemens
; affez riche pour n'avoir à defirer
que la confervation des avantages qu'elle
tient de la nature , & de l'induftrie de
fes Sujers ; une Poiffance affife fur les
deux mers , & qui n'eût qu'à furveiller
les mouvemens de fes rivales , pour s'en
affurer l'Empire ; fi cette Puiffance , en
état de couvrir fes frontières d'armées
formidables , fe trouvoit d'ailleurs garnie
d'un triple mur de fortifications , croiton
que , fagement obftinée à fe tenir fur
la défenfive , elle ne parviendroit pas aifément
, avec le fecours d'une adminif
tration ferme , vigilante & économe ,
140 MERCURE DE FRANCE.
faire la loi au reſte de l'Europe , plongée
dans les agitations d'une politique turbulente
& ambitieufe ? C'étoit- là tout le
voeu de Henri IV , & l'objet continuel
des méditations politiques de ce grand
Roi.
e
Defcription générale de l'Univers , traduite
de l'Anglois de Salmons , d'après
la 15 édition donnée à Londres en
1768 , revue , corrigée & augmentée ,
par M. l'Abbé Jurain , enrichie de
vingt huit Cartes géographiques
vol. in - 8°. A Paris , chez Froullé
Libraire , Pont Notre - Dame ; & Colombier
, Libraire , rue des grands
degrés , près des Miramionnes .
> 2
L'Auteur de cette Géographie , réunit
les avantages de la nouveauté & de
la précifion , deux qualités propres à exciter
la curiofité & à fixer l'attention des
Lecteurs . Les Magiftrats & les Politiques
s'inftruiront , en le lifant , du Gouvernement
, des forces & des revenus des
Royaumes , & des Etats refpectifs ; les
Théologiens , de la Religion & des pratiques
fuperftitieufes des différens Peuples
de la terre ; les Négocians & les
JANVI E R. 1777. 14İ
>
Officiers de Marine , des denrées , du
commerce des vents périodiques , &
des faiſons des différens climats du globe.
On ne s'eft pas borné à donner le monde
en miniature , & à fuivre le ſyſtême de
géographie le plus exact qui ait encore
paru . On y a joint , pour l'agrément des
Lecteurs , qui aiment tous la variété ,
une Hiftoire moderne en abrégé , où la
chronologie n'eft point fautive. Si l'Auteur
original , comme bon compatriote ,
s'eft étendu fur l'Angleterre , le Traducteur
a fuivi cet exemple , en ajoutant à
l'article de la France beaucoup de choſes
intéreffantes , qui avoient été omifes.
Au refte , notre nouveau Géographe n'a
pas perdu de vue dans fon travail qu'il
étoit citoyen du monde , & que tous les
hommes étoient fes frères ; en conféquence
il n'a pas négligé la defcription
des autres Royaumes ; comme bon
Cofmopolite , il defireroit que tous les
hommes cherchaffent à fe connoî
tre malgré la diverfité des lieux &
des climats. Il fe récrie contre le préjugé
injufte qui nous fait regarder comme
barbares les Peuples qui ne font
la même Nation , & qui font éloignés à
de grandes diſtances : préjugé qui fouvent
pas
de
142 MERCURE DE FRANCE.
a donné lieu à des vexations , & même
à des cruautés révoltantes. On ne croiroit
pas qu'un Géographe s'érigeât en
moralifte ; mais les Anglois fe livrent à
leur goût pour la philofophie , même
dans les Ouvrages qui en paroiffent les
plus éloignés. Auffi confervent- ils de la
prédilection pour les Ouvrages philofo
phiques ; la quinzième édition de l'Ouvrage
que nous annonçons , prouve fuffifamment
l'estime qu'on en a fait en
Angleterre , où l'on fait fi bien apprécier
les Ouvrages & les Auteurs .
Journal des Caufes célèbres, curieuſes &
intéreffantes , de toutes les Cours fouveraines
du Royaume, avec lesjugemens
qui les ont décidées.
,
ne
Un Ouvrage qui renferme les affaires
les plus importantes qui font jugées dans
tous les Tribunaux du Royaume
peut manquer de plaire au Public ; c'eft
l'objet du Journal des Caufes célèbres.
Le fuccès de ce Recueil prouve fon utilité
, & il deviendra dans la fuite une
des collections les plus intéreffantes qu'il
y ait fur la Jurifprudence.
Le Journal des Caufes célèbres a un
JANVIER . 1777. 143
avantage
fenfible fur les autres Ouvrages
périodiques : ces derniers font curieux furtout
dans le moment qu'on les reçoit ,
Les Recueil de Caufes célèbres formera
au contraire , une collection précieuſe
pour les Jurifconfultes & les perfonnes
qui fe deftinent au Barreau : ils pourront
y puifer les motifs de la Jurifprudence ,
& connoître la véritable eſpèce des Arrêts.
Les autres claffes de Lecteurs trouveront
dans ce Recueil un dépôt des af
faires les plus intéreffantes , qui ont piqué
la curiofité publique.
Ce Journal renferme en effet toutes
le Caufes célèbres qui ont été jugées depuis
quelque temps . Il contient les affaires
de Montbailly , de l'Hermaphrodite
Grand-Jean , des Marchands de Baromè
tres , de Mademoiſelle de Camp contre
M. de Bombelle, de la Marquife de Gouy,
du Marquis de Brunoy, de Syrven,, de
Calas, du Marquis des Broffes, de l'Abbé
des Broffes, de la Dame de Launay , dẹ
la machine infernale de Lyon , de Games,
du fieur Rivière, fauffement accufé d'affaffinat
; d'un Curé accufé d'inceſte ſpirituel
& matériel , de plufieurs maris accufés
d'impuiffance , d'une femme accuſée
d'impuillance , de M. Alliot , Fermier144
MERCURE DE FRANCE.
Général, de plufieurs Bigames , jugés tant
en France que dans les Pays étrangers ,
du Colonel Gillenfwan, jugé en Suède ;
du brigan Pugatchew, jugé en Ruffie ; de
la Ducheffe de Kinſton , jugée en Angleterre
; du Commentaire de la Henriade de
M. de Voltaire , par MM. la Beaumelle
& Fréron , & c. &c. & c . On peut juger
par cette lifte de Caufes célèbres , de la
variété & de l'intérêt de ce Journal.
Il n'a paru d'abord que huit volumes
chaque année depuis deux ans il en
paroît douze. Chaque volume eft envoyé
aux Soufcripteurs , avec l'exactitude la
plus fcrupuleufe , tous les premiers de
chaque mois.
Le prix de la foufcription eft, pour Paris
, de 18 livres , & de 24 livrespour la
Province , franc de port. On foufcrit
chez M. des Effarts , Avocat au Parlement
, rue de Verneuil , la troifième
porte-cochère avant la rue de Poitiers
un des Auteurs de ce Journal ; & chez
Lacombe , Libraire au Bureau des Journaux
, rue de Tournon , près le Luxembourg.
On foufcrit auffi pour une table géné
rale des matières , qui paroîtra au mois
de
JANVIER. 1777 . 145
-de Juin 1777. Ceux qui voudront fe
procurer cette table , font priés de faire
paffer 3 livres avec le prix de leur foulcription
.
On reçoit encore des foufcriptions
pour les années précédentes , & on délivre
les volumes au même prix ; mais
on ne vend aucun volume féparé.
Il faut avoir l'attention d'affranchir le
port des lettres & de l'argent.
On prie auffi les perfonnes qui defireroient
faire inférer des affaires intéreffantes
qui ont été jugées dans les Parlemens
de Province , de faire paffer les Mémoires
& le difpofitif des Arrêts , à M. des
Effarts : il fe fera un plaifir d'en rendre
compte , & de donner aux talens des
defenfeurs les juftes éloges qu'ils méri
zteron
1
ANNONCES LITTÉRAIRES
DICTIONNAIRE
de la Nobleſſe , in- 4° .
Tome XI paroît ; le XIIe & dernier eft
fous preffe il y aura enfuite deux volumes
de Supplément pour les Mémoires
arrivés trop tard. A Paris , chez Antoine
II: Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Boudet , rue St Jacques ; & chez l'Auteur,
M. de la Chenaye - Desbois , rue
Saint André- des-Arcs , à côté de l'Hôtel
d'Hollande .
ALMANACHS.
Etrennes de la Nobleffe , ou état actuel
des Familles nobles de France , & des
Maifons & Princes Souverains de
l'Europe , pour l'année 1777. A Paris ,
chez Defnos , Libraire > rue Saint
Jacques.
CE recueil doit intéreſſer la Nobleſſe ,
en lui rappelant les titres glorieux de fon
origine , & l'honneur , qui en fait le plus
noble appui .
Almanach Mufical pour l'année 1777.
A Paris , chez Delalain , Libraire , rue
de la Comédie Françoife , & au Bureau
du Journal de Mufique
Montmartre, vis-à-vis celle des Vieux-
Auguftins ; prix 24 fols à Paris, & 30
fols par la Pofte.
rue
Cet Almanach eſt un Manuel pour
JANVIER . 1777. £47
tout Muficien ou Amateur de Mufique.
On y trouve les fêtes muſicales de chaque
mois , les découvertes faites ou publiées
dans l'année concernant la Mufique
; les Anecdotes muficales de l'année ;
la notice des nouveaux ouvrages de Mufique
; les noms & demeures de tous les
Mucificiens in omni genere , Compofiteurs
, Maîtres , & c. ; & des Marchands
de Mufique , Graveurs , Imprimeurs
Copiftes , &c. A la fin du volume , on
trouve un choix d'airs notés .
Voici une Anecdote muficale , remarquable
: Un jeune enfant , aſſiſtant à une
repréſentation d'Alcefte , fupplia fon père
de ne le plus amener à un opéra qui lui
faifoit mal. On rapporta l'expreffion de
cet enfant à M. le Chevalier Gluck. Je
ne m'en étonne point , dit- il , c'eft qu'ilfe
laiffe faire. Le mot de l'enfant , & la réponſe
de M. Gluck , caractériſent affez
bien la fenfation pénible qu'on éprouve
aux Opéra de ce fameux Compofiteur ,
& qui devenoit fans doute trop infupportable
pour
les organes délicats du
jeune Auditeur.
On ne fait pourquoi le Rédacteur de
cet Almanach veut déprifer le travail
utile de M. Benaut , qui a le talent d'ac-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
commoder , pour le clavecin & le forté
piano les meilleurs morceaux de mufique,
fans en altérer le chant & les beautés.
Etrennes du Parnaffe, choix de Poéfies ,
in-1 2 , pour 1777. A Paris , chez Fetil,
Libraire, rue des Cordeliers , près celle
de Condé .
Il paroît tous les ans un volume de
ce Recueil , que les Editeurs ont l'attention
de varier , en y melant avec les petites
pièces Françoifes , des imitations
des poéfies anciennes & étrangères . Celui
de l'année prochaine fera deftiné en partie
à la littérature Italienne . Celui de
cette année eft entièrement confacré à la
poéfie Françoife.
Étrennes des Poëtes , ou Recueil de
pièces de vers , extraits de plus de deux
cents manufcrits du dix-feptième fiècle ;
(il falloit dire du dix-huitième ſiècle) . Second
recueil broché , prix 24 fols , chez
Lefelapart , Libraire , quai de Gèvres.
Almanach de Verfailles , année 1777 ,
contenant la defcription de la Ville &
du Château ; la Maifon du Roi , de la
JANVIER . 17771. 142
Reine , celles de la Famille Royale , les
Bureaux des Miniftres , la Prévôté de
l'Hôtel, le Gouvernement de la Ville, & c .
A Verſailles , chez Blaizot , Libraire , rue
Satory ; & à Paris , chez Valade & Def
champs , Libraires , rue Saint Jacques,
Etrennes Patriotiques , ou Recueil anniverfaire
d'allégories , fur les époques
du Règne de Louis XVI , compofées
par le Chevalier de Berainville. Première
fuite. Année 1777. A Paris ,
chez Defnos , Ingénieur Géographe ,
& Libraire de Sa Majefté Danoife.
rue St. Jacques , au Globe,
Ces Etrennes renferment fept eſtampes
allégoriques , accompagnées chacune
d'une explication gravée , non- compris
le Frontifpice. Les fept eftampes repréfentent
: 1° . L'avénement de Louis XVI
au trône ; 2 °. La félicité que promet au
Royaume l'alliance de Louis XVI avec
fon Augufte Epoufe ; 3 ° . L'inoculation
de Louis XVI; 4° . Le rappel du Parlement
de Paris ; 5 ° . Le Sacre de L. M.
6°. Le mariage de Madame Clotilde
foeur de L. M avec le Prince de Pié
mont ; 7°. Le rétabliſſement de la fanté
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
de la Reine , en Septembre 1776. Le
fujet du Frotifpice eft le Génie allégorique
, gravant , fur les aîles du temps ,
les époques du Règne de Louis XVI.
État actuel de la Mufique du Roi , & des
trois fpectacles de Paris . A Paris , chez
Vente , Libraire des menus plaifirs
du Roi , au bas de la Montagne Sainte-
Geneviève . 1777.
L'état de chaque fpectacle est précédé
d'un petit difcours , contenant une notice
abrégée des nouveautés mifes au
jour dans le courant de l'année , & quelques
reflexions fur ces mêmes nouveautés
, & fur les révolutions du fpectacle .
Dans celui qui fe trouve à la tête de
l'article de l'Opéra , on rappelle au public
» qu'on a vu l'Opéra d'Alcefte , de
» M. le Chevalier Gluck , & celui de
» l'union de l'Amour & des Arts de M.
Floquet , fe difputer les fuffrages du
public , & former , en quelque forte ,
» deux partis , dont l'un tâchoit de ra-
» vir à l'autre les honneurs d'un concours
» auffi tumultueux qu'extatique «. On
y regrette les Opéra de Quinault , &
l'on s'élève contre » ces Parodies faJANVIER.
1777. ISI
» tigantes , où la langue , créée & po-
» lie par les Racines & les Quinaut , eft
impitoyablement déchirée «.
A l'article de la Comédie Françoiſe ,
l'Auteur de l'almanach affure que le Malheureux
imaginaire, eſt un des ouvrages des
plus brillans de ce Théâtre : c'eft, ajouteil
, un édifice conftruit en pierres précieufes
taillées à facettes ..... C'eft autemps àfixer
le jugement que l'on doit porter de cet ouvrage.
En parlant de la retraite de mademoiſelle
Dumefnil , on fait un jufte éloge
de cette inimitable Actrice , dont la
perte irréparable , excitera fans ceffe les
regrets des Amateurs , vraiement éclairés
& fenfibles.
Les fpectacles des Foires & des Boulvards
de Paris , ou Calendrier hiftorique &
chronologique des Théâtres forains ,
avec le catalogue général des pièces ,
farces , parades & pantomimes , tant
anciennes que nouvelles qu'on y a
jouées ; l'extrait de quelques -unes
d'entr'elles , des anecdotes plaifantes ,
& des recherches fur les Marionettes
les Mimes , Farceurs , Baladins , Sau-.
teurs & Danfeurs de corde , anciens &
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
modernes. Cinquième partie , pour
l'année 1777. Prix , 24 fols broché . A
Paris , chez J. F. Baftien , Libraire ,
rue du Petit Lion , Fauxbourg Saint-
Germain.
Cet Almanach , en rempliſſant tous .
les objets que promet le titre que nousvenons
de tranfcrire , doit fatisfaire pleinement
à la curiofité de ceux qui cher--
chent à fe bien inftruire de tout ce qui
concerne les Spectacles forains. Les Annaliſtes
de la foire , ont particulièrement
étendu , cette année , l'article des animaux
extraordinaires qu'on a montrés
à la dernière foire Saint - Germain ,
en rapportant diverfes obfervations &
anecdotes d'hiſtoire naturelle , tirées de
différens ouvrages , & relatives à ces
animaux. Ils ont indiqué les fources où
ils les ont puifés. Ils paroiffent avoir
auffi beaucoup augmenté les catalogues
des pièces jouées fur les différens Théâtres
de la foire ; ce qui fupplée un peu
à la difette des anecdotes , qui ne font
pas , à beaucoup près , cette fois auffi
nombreufes qu'à l'ordinaire. Nous allons
rapporter les deux plus piquantes.
On faifoit voir , à la foire , un homme
JANVIER . 1777. 153
trouvé , diſoit- on , dans une Ifle déferte ,
& qui ne mangeoit que des pierres . On
lifoit , en gros caractères , au- deffus de la
loge : » Je viens d'une lile de la mer des
» Indes , &je me nomme Siocnarf». Un
particulier étant allé voir cet individu
extraordinaire , fut très - furpris de le reconnoître
pour un Savoyard , qui avoit
fait long-temps les commiflions de fon
quartier. Il diffimula la découverte qu'il
venoit de faire ; & , relifant en fortant
l'infcription placée au- deffus de la pore,
s'apperçut que le nom bizarre , Siocnarf,
n'étoit autre chofe que François , vrai
nom du Savoyard , écrit au rebours .
Un particulier , voyant quelques Muficiens
des Cafés du Boulevard fẹ quéreller
vivement , fit apporter au milieu
d'eux plufieurs bouteilles de bon vin ; à
cet afpect imprévu , leur colère s'éteignit
comme par enchantement. » Dieu foit
loué , s'écria le Pacificateur , j'al trouvé
» le vrai moyen de mettre promptement
d'acord tout un Orcheftre . "
Almanach des Enfans . Deuxième recueil.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris ,
chez la Veuve Duchefne , Librang ,
rue St. Jacques , au Temple du Gous ;
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
& chez les Libraires qui vendent des
nouveautés. 1777.
Une morale nue apporte de l'ennui.
Le conte fait paffer le précepte avec lui.
La Fontaine.
Ce recueil eft compofé de fables & de
contes , en vers ou en profe , la plupart
de M. Willemain d'Abancourt , qui eft
auffi l'Auteur de la mort- d'Adam , Poëme
dramatique , imité de l'Allemand , &
du bonfils , ou la vertu récompenfée , petit
drame en un acte & en profe , qui termine
le volume , & qui a pour fujet ,
un trait célèbre de bienfaifance de l'immortel
Motefquieu , inferé , il y a près
de deux ans , dans un des volumes du
Mercure . Les autres morceaux confiftent
en quelques fables & moralités de MM .
Aubert , Desbillon , le Monnier , Sablier
& Senecé , en cinq à fix pièces anonymes
, & en un petit nombre d'anecdotes
& bons mots. Nous rapporterons
quelques-uns de ces derniers.
Le Cardinal de Richelieu venoit d'af
fifter à une cérémonie où un Cordelier
avoit prêché. Surpris de n'en avoir pas
affez impofé au Prédicateur, pour PinJANVIER.
1777. Iss
timider un peu , il lui demande
comment
il a pu parler avec tant d'affurance
? Ah !
Monfeigneur
, répondit
le Cordelier
, c'est
quej'ai appris
mon fermon
devant
un carré
de choux , au milieu duquel
il y en avoit
un rouge.
Vers le treizième fiècle , un homme
refufoit l'épreuve du fer chaud , & difoit
, pour autorifer fon refus , qu'il n'étoit
pas un Charlatan . Le Juge lui
faifant quelque inftance , pour l'engager
à fe réfoudre à la loi : Je prendrai volontiers
le fer ardent , répondit-il, pourvu que
je le reçoive de votre main. Le Juge décida
qu'il ne falloit pas tenter Dieu.
Le Cardinal de la Trémoille , jouant
un jour au piquet , étoit impatienté par
un homme à vue courte & à long
nez ; pour s'en débarraffer , il prit fon
mouchoir , & moucha le nez de fon importun
voifin : Ah ! Monfieur, dit- il auffitôt
, pardon , j'ai pris votre nez pour le
mien.
>
Ce recueil , qui n'a d'Almanach que
le nom , eft également propre à recréer
& à inftruire les enfans , & réunit à la
variété & à l'agrément , le mérite de la
briéveté , qui ne fe trouve pas toujours
dans les compilations de ce genre.
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Almanach des Muſes , 1777. A Paris, chez
Delalain , Libraire , rue de la Comédie
Françoiſe.
Ce recueil annuel plaît par fa variété
& par l'avantage de réunir , dans un affez
petit volume(qu'on pourroit peut-être encore
réduire confidérablement ) les ,productions
légères les plus remarquables
échappées à la verve de nos Poëtes Modernes.
Almanach de l'Etranger qui féjourne à
Paris. Année 1777. Prix 12 fols broché
, à Paris , chez Hardouin , Libraire
, paffage de la Colonnade du
Louvre, du côté de St. Germain l'Auxerrois.
Ce petit Almanach eft en effet un manuel
utile pour les Etrangers , & , à certains
égards , pour les habitans même de
Paris. On y indique les jours d'Audien .
ces des Miniftres , & autres perfonnes
en place ; ceux auxquels on peut voir
les monumens , & autres chofes remar
quables : on y denne des tenfeignemens
fur les fpectacles , les promenides , les
bibliothèques , les cabinets hittéraires ,
JANVIER. 1777 . 157
les voitures , les bains , & autres objets
de curiofité , d'amufemens , ou d'utilité
publique.
ACADÉMIE.
Séances publiques de l'Académie des Scien
ces , Arts & Belles- Lettres de Dijon
tenues le 17 Septembre 1775 , & 28.
Avril 1776.
M. MARET , Secrétaire perpétuel , a ou
vert la Séance par la lecture du Programme
des prix propofés par l'Académie , & qu'on
a déjà publié dans les Ouvrages périodiques.
Il a lu enfuite l'Hiftoire Littéraire de
l'Académie pour l'année 1775 , compofée ,
comme celles des précédentes années , de
deux parties diftinctes. L'une confacrée à
la notice des Ouvrages de littérature , &
l'autre à celle des Mémoires qui ont les
Sciences pour objet.
En terminant celle- ci , l'Hiftorien a fait
mention des Ouvrages envoyés par des
perfonnes qui ne font pas affociées à l'A158
MERCURE DE FRANCE.
cadémie. De ce nombre étoient les tableaux
de maladies , faits par M. Guiton ,
père , Médecin à Autun , & par M. Olivier
, à Bourg en Breffe.
39
ود
"
وو
وو
A cette occafion , M. Maret a cru devoir
rappeler les motifs qui ont engagé
l'Académie à fe charger de la correfpondance
defirée par M. Dupleix , & il a dit :
» Raffembler dans un dépôt commun ,
» toutes les deſcriptions des maladies épidémiques
,, ppoouurr ppoouuvvooiirr , en les com-
» parant , reconnoître l'indentité de celles
qui feront obfervées en divers endroits.
» Comparer le fuccès des différentes mé-
» thodes curatives , pour s'affurer de celle
qui conviendra le mieux à chaque
efpèce de maladie afin dans
que
le cas de l'invafion d'une fembla-
» ble épidémie , on puiffe promptement
» connoître la manière dont il faut la trai-
» ter : tel eft le but de la correfpondance
propofée; tel eft l'objet de l'Académie.
Cette Compagnie n'a d'autres vues que
» de coopérer au bien général , avec des
Citoyens qui , par goût , par devoir
par honneur, font engagés à ne rien négliger
pour leprocurer; elle demande des
fecours pour pouvoir être plus utile. Elle
» defire de raffembler comme en un même
ود
,و
»
»
›
>
JANVIER. 1777. 159
93 foyer , les lumières de tous les Méde-
» cins de la Province , mais pour les réfléchir
, pour les renvoyer par- tout où elles
deviendront néceffaires.
و د
Après la lecture de cette hiftoire , M.
Gauthey a fait celle du difcours prélimi–
naire d'un Ouvrage qui a pour objet une
nouvelle Langue Philofophique.
Cet Académicien rappelle d'abord en
peu de mots les motifs qui ont fait defirer
une Langue qui , devenant propre à tous
les Savans , favoriferoit les progrès des
connoiffances , en facilitant la communication
des lumières & des découvertes. A
l'expofition de ces motifs M. G. a
fait fuccéder un précis hiftorique de toutes
les tentatives faites , dans l'intention
de procurer cet avantage à la république
des lettres , & a fini par donner une idée
de la Langue qu'il a imaginée.
Cette Langue ne feroit point parlée ,
mais écrite ; & l'Auteur propofe des caractères
qui , une fois admis par les Sçavans
, formeroient , à ce qu'il préfume ,
un langage intelligible pour tous . Ces caractères
confiftent en lignes courbes &
directes , dont la longueur , l'épaiffeur &
la fituation font fufceptibles d'affez de variétés
pour donner toutes les lettres nécef160
MERCURE DE FRANCÉ.
faires. Les voyelles font peintes par des
courbes , & les confonnes par des lignes
droites .
La Séance a été terminée par M. Pazumot
, qui a lu la defcription des grottes
d'Arcy , près Auxerre.
Dans la Séance du 28 Avril 1776 ,
tenue pour l'ouverture des Cours de Chymie
& de matière Médicale , MM . de
Morveau , Maret puîné , & Durand ,
Commiffaire , défignés par l'Académie
pour faire les Cours de Chimie & de
matière médicale ont porté fucceffivement
la parole.
>
a M. de Morveau à fait l'ouverture de la
Séance , par l'expofition du plan fur lequel
fera fait le Cours de Chimie ; mais avant
d'entrer dans le développement de cè
plan , il a dit :
"
Quand le généreux Citoyen qui a
» fondé cette Académie , exprimoit dans
fes difpofitions , il y a à peine un demi
fiècle , le defir dont il étoit occupé , de
fuppléer dans fa patrie les reffources
» d'inftruction que procuroient ailleurs
» les Univerfités ; fi quelqu'un lui eût
» dit un Prince fe déclarera Protecteur
» de cet établiffement , & il fe fera un
JANVIER . 1777. 161
و د
>
plaifir d'enrichir fes collections , (1 ) un
» Bienfaiteur étant dans vos vues lui
» donnera un jardin de plantes. ( 2 ) Des
» Adminiſtrateurs éclairés lui affigneront
» des fonds pour l'entretien d'un labora-
» toire. (3 ) Un jour viendra enfin , que
» votre Académie profeffera publiquement
les Sciences que vous lui recommandez
de cultiver quelle joie eût faifi l'ame
» de ce Magiftrat patriote !
» Ce jour eft venu , Meffieurs , & notre
premier devoir eft de ranimer la
» cendre de ce Philofophe , en lui por-
» tant l'hommage de notre reconnoiffan-
» ce , en nous pénétrant du fentiment qu'il
eût éprouvé , en le communiquant autant
qu'il eft poffible , à tous ceux qui
» nous écoutent.
» M. Pouffier n'eft pas le feul qui ait
(1 ) S. A. S. Mgr le Prince de Condé a envoyé
tout récemment à l'Académie , plufieurs morceaux
très-précieux , qu'il a tirés de fon beau Cabiner
d'hiftoire naturelle de Chantilly.
(2 ) M. Legouz de Gerdon , lui a fait ce don
en 1773. M. du Ruffey y a fait conftruire une
grande ferre en 1775 .
(3 ) La délibération de MM. les Etats Géné
raux de la Province , eft du s Janvier 1776.
162 MERCURE DE FRANCE.
ود
ود
30
fongé à faire fervir les Académies à l'en- .
feignement des Sciences utiles ; le célè-
» bre Abbé de St Pierre en a tracé le pro-.
»jet dans cet Ouvrage ,auquel la difficulté
» de réalifer le bien , a fait donner le nom
» de rêve patriotique ; c'eft à la Médecine ,
elle-même qu'il en fait l'application , à la
Médecine , qu'il croyoit encore éloignée
» de la perfection , quoiqu'il y eût déjà
des Médecins intéreffés à accréditer, dans.
» le peuple des différentes conditions, que
» cet Art ancien a tout acquis , qu'ils n'ont
" plus qu'à pratiquer ; & que tenter des
» découvertes au-delà des cahiers de leurs
» maîtres , c'eft vouloir s'égarer dans le
" pays des chimères.
ود
ود
2
La Chimie n'eft pas moins ancienne.
» S'il faut dater de fes premières erreurs ,
» elle eft bien éloignée aujourd'hui d'une
» femblable prétention ; elle a foumis fes
dogmes à l'expérience, abandonné festraditions
fuperftitieufes, concilié fes principes
avec ceux de la phyfique générale ;
c'eft depuis qu'elle promet moins qu'elle
» tient beaucoup plus ; & nous difions de
» bonne-foi , en ouvrant ce Cours , que
» notre plus douce efpérance eft que
» ceux qui recevront ici les premières no-
» tions de cette fcience , pourront un jour
"
JANVIER. 1777. 163
ود »étendrenosvues&remplacernosconjectures
par des découvertes .
que
M. de Morveau dit enfuite , que c'estalors
qu'on connoîtra bien tout le prix de
ce nouvel établiffement , & les difpofitions
naturelles de nos compatriotes autorifent
cet efpoir. Il fait fentir le ridicule
des objections que fe promettent des
gens ou peu inftruits , ou de mauvaiſe foi ,
en foutenant que de pareilles inftitutions
ne peuvent avoir de fuccès que dans la capitale
;; que trop peu de perfonnes font
dans le cas d'en profiter , ( 1 ) & termine
fon difcours en difant :
"
» Laiffons donc ces cenfeurs , s'il s'en
» trouve , ufer d'un privilége qui ne nuit
» à perfonne , & recueillir dans leurs peti-
» tes Sociétés des applaudiffemens que
» nous ne ferons pas tentés de leur envier.
» Entrons hardiment dans la carrière , &
» dreffons d'abord la carte de notre route
» dans le pays immenſe que nous avons
» à parcourir.
Cette carte eft un tableau analytique
de toutes les opérations à faire dans le
(1) L'expérience a prononcé le contraire ; le
Cours a été très - fuivi , & par des perſonnes de
tout âge & de toutes les claſſes de Citoyens.
164 MERCURE DE FRANCE.
Cours. Les fubftances fimples , confidérées
comme diffolvants , y font diftribuées
à la tête de plufieurs colomnes verticales ,
que des lignes horizontales occupent à angles
droits. Ces lignes forment des cafes
dont les premières préfentent les fubftances
fur lefquelles les diffolvants doivent agir ;
& l'on trouve dans chaque cafe corref
pondante au diffolvant , le produit qui
réfulte de l'action de ces fubftances les
unes fur les autres.
M. Maret , dans le Mémoire qu'il a
lu après que M. de Morveau a eu fini fon
difcours, a fait fentir l'utilité de la Chimie ,
relativemeut à la Médecine.
Il a ajouté que , pour répondre aux
vues patriotiques de l'adminiftration
cette Compagnie a réfolu de faire faire en
même temps un Cours abrégé de matière
médicale ; qu'en conféquence il expofera
les ufages des remèdes tirés des règnes
animal & minéral ; & M. Durande , de
ceux que fournit le règne végétal .
La Séance a été terminée par M. Durande
, qui a expofé les facilités que donne
la Chimie , pour perfectionner la connoiffance
du règne végétal .
Il a fait obferver que fi les premières
tentatives , faites pour connoître , par l'aJANVIER.
1777. 163
nalyſe , les propriétés des végétaux , n'ont
pas répondu aux efpérances qu'on en avoit
conçues , on doit en accufer l'imperfection
des procédés que l'on employoit ; &
pour prouver les avantages que l'on peut
retirer des analyſes auxquelles on foumet
les végétaux , il a donné l'hiftoire de celle
qu'il a faite du bouillon blanc à petites
Aeurs
On voit, par les détails de cette analyfe,
que les vertus de cette plante dépendent
de la proportion dans laquelle fe trouvent
les parties réfineufes & gommeufes.
Que la fleur donne les mêmes produits
que la racine , mais que l'extrait qu'on
en fait eft moins amer ; de forte qu'en
réuniffant les fleurs à la racine de cette
plante , on eft affuré de donner un remède
moins échauffant que fi l'on n'employoit
que la racine , plus actif que fi
l'on fe bornoit à prefcrire les fleurs.
M. Durande a appuyé , par plufieurs
obfervations , les conféquences qu'il a tirées
de l'analyſe qu'il a décrite ; elles prouvent
que le bouillon blanc à petites Aeurs
eft celui que l'on peut employer avec fuccès
contre la jauniffe .
166 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
ON a donné, le Mercredi 15 Janvier ,
un grand concert au Château des Tuileries
au profit de la Signora Giorgi.
Cette célèbre Cantatrice a chanté plufieurs
airs de MM , Colla , Piccini &
Grétry. Elle a réuni tous les fuffrages par
la beauté de fon organe , par le goût de
fon chant , & par l'étonnante facilité de
fon exécution. M. Duport a joué une
fonate de violoncelle , & M. Franzel
un concerto de violon avec un applaudiffement
général.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a donné , le Vendredi 10 Janvier , une
repréſentation d'Alain & Rofette ou la
Bergère ingénue , intermède en un actè.
Les paroles font de , M. Boutellier , la
mufique eft de M. Pouteau .
JANVIER . 1777. 167
Alain fe plaint d'aimer & de n'ofer
le dire ; il confie fes craintes & fes
tourmens à Lucas , en le priant de parler
pour lui à fa Bergère. Rofette vient
en chantant , & bientôt elle s'abandonne
aux douceurs du fommeil . Lucas la réveille
, & au lieu de parler pour fon ami ,
il lui peint fon amour. A la defcription
que le Berger fait de ce Dieu , Rofette
devient fenfible . Elle demande , avec
naïveté, ce que c'eft qu'un Amant. Lucas
veut parler pour lui ; mais Alain qui
l'écoute en fecret , répond : C'eft Alain .
La Bergère fe déclare pour Alain ; ce
Berger fe jette à fes pieds. Lucas reconnoiffant
fa méprife , prend le parti de
féliciter les Am ns. Les Bergers & les
Bergères du Hameau célèbrent leur bonheur.
Ce petit Poëme , trop fimple ,
trop ingénu , n'a point réuffi . Il y a dans
la mufque des chants agréables ; mais
les motifs en font trop communs & trop
connus. Cet intermède a été joué par
Mademoiſelle Beaumefnil , & par MM.
Lainés & Durand.
On a applaudi avec tranfport dans le
divertiffement , le retour de M. Dauberval
, dont les talens brillans font fi chers
aux Amateurs.
168 MERCURE
DE FRANCE .
Mademoiſelle de la Guerre a joué &
chanté le rôle d'Euridice , avec beaucoup
d'applaudiffement , ainfi que M. Lainés
le rôle d'Orphée.
On a repris , le Mardi 14 , l'Opéra
d'Alceste.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François répètent Zuma ,
Tragédie nouvelle de M. Lefevre . Ils
reprennent avec fuccès leurs anciennes
Pièces . Mademoiſelle Defperrières continue
fon début dans la Tragédie.
་ ཟད་ ལས་ བ་
COMÉDIE ITALIENNE .
Las Comédiens Italiens fe diffent à
jouer inceffamment les trois Sultannes ,
intermède très-agréable de M. Favart ;
& le Mort marié , paroles de M. Sedaine,
mufique de M. Bianchi.
ARTS.
JANVIER. 1777. 169 .
ARTS.
GRAVURES.
L
ALMANACH Royal de Cabinet , orné
de gravures , avec la fuite chronologique
des Reines de France , in 24. A Paris ,
chez M. Decaché , rue neuve Notre-
Dame , à la Vertu .
I I.
de
Tableau Unique, ou la principalefcience
du Commerce François , où l'on trouve ,
fous un même coup- d'oeil , la dénomina
tion , la valeur , & la réduction en argent
de France de toutes les efpèces de
monnoies étrangères , tant réelles que
change & de comptes : 2 °. la réduction
des poids , mefures & aunages étrangers,
comparés à ceux de France : 3 ° .la variation
des changes étrangers : 4° . les places
par lefquelles Paris change avec les
Villes étrangères : j ° . leur diftance de
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Paris : 60. le départ des Couriers de Paris
pour lefdites Villes : 7. la manière
dont elles tiennent leurs écritures : 8 ° . les
principaux objets de commerce des places
les plus confidérables de l'Europe :
l'Afie , l'Afrique & l'Amérique .
Ce Tableau fe vend à Paris , chez M.
Deville , rue Saint Denis , vis- à vis les
Filles- Dieu .
MUSIQUE.
I.
Six trio pour deux violons & violoncelle
obligé par M. Jannfon l'aîné ;
OEuvre V. prix 9 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue de Seine , Fauxbourg St
Germain ; & aux adreffes ordinaires de
Mufique.
I I.
IV. Sonates pour le Clavecin , avec
accompagnement de violon ad libitum ;
par M. Edelmann. (Euvre V. prix 7 1.
4 f. A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Feuillade , maifon de M. le Baron de
JANVIER. 1777. 17
Bagge ; & Madame le Marchand , rue
Fromenteau.
›
II I.
Septième Recueil d'Ariettes d'Opéra
Comiques avec accompagnement de
Guittarre , Menuers variés , Allemandes
& Pièces pour le même inftrument , par
M. Vidal , Maître de Guittarre ; OEuvre
XIIIe , mis au jour par M. Boüin , Marchand
de Mufique , rue Saint-Honoré
près Saint-Roch ; prix 6 liv. En Provin
ce , chez les Marchands de Mufique .
I V.
>
Les Soirées Espagnoles , ou choix d'Ariettes
, avec accompagnement de Guit
tarre , propofées par foufcription ; 2 ° année,
qui a commencé le premier Janvier
1777 ; par M. Vidal , Me de Guittarre.
Il en fera délivré une feuille par
femaine , & qui compofera 52 feuilles
pour l'année entière. On foufcrit à Paris ,
chez le fieur Boüin , Editeur dudit Ouvrage.
A Verfailles , chez M. Blaizot ,
& à Bordeaux , chez M. le Noblet , Marchand
d'Eftampes & de Mufique , rue du
Pas-Saint-George. Le prix de la foufcription
eft de 12 liv. pour Paris , & de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
18 liv. pour la Province , franc de port.
Pour la facilité des Commençants ,
l'Auteur fe propofe de donner au moins
26 feuilles avec des
accompagnemens
aifés.
V.
Ouverture du Tableau parlant , arrangée
pour le Clavecin ou le Forté- Piano
avec accompagnement d'un Violon &
Violoncelle ad libitum , par M. Benoît ,
Maître de Clavecin de l'Abbaye Royale
de Montmartre , Dames de la Croix ,
& c. Abonnement pour le mois de Juin ,
prix 3 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue
Dauphine , la premiere porte- cochère
à gauche après la rue Chriftine.
V I.
Quatrième Recueil d'airs connus ;
arrangés en pièces de Harpe , avec accompagnement
de Violon & de Baffon
ad libitum ; dédié à Mademoiſelle de
Lufignan , par François Perrini , contenant
feize morceaux : fçavoir , 1º . l'ou
verture de l'Ami de la Maifon. 2 °. Les
cinq Ariettes de la Colonie Dès ce foir
l'hymen m'engage , &c. Le Ciel fait que
j'ai toujours dit non , &c. Si le Ciel eft
JANVIER . 1777 173
inexorable , &c. Qu'est- ce donc qui vous
arrête &c. Oui je pars , &c, 3 °. L'ouverture
d'Iphigénie . 4° . Menuet d'Iphigénie.
5. 6 Airs de l'Union de l'Amour
& des Arts, 6°. La Chacone de M. le
Breton. 7°. Le Tambourin d'Azolan.
On fouferit chez Coufineau , Luthier
de la Reine & de Madame la Comteffe
d'Artois , rue des Poulies , vis -à -vis le
Louvre à Paris .
Le prix de la foufcription eft de IS 1.
pour Paris, jufqu'au 20 Février prochain,.
paffé lequel tems le prix du Recueil entier
fera de 18 liv .
HORLOGERIE.
LE fieur Hilgers , Horloger , Abbaye
Saint - Germain , Cour des Religieux ,
au grand Villars , a préfenté à Meffieurs
de l'Académie Royale des Sciences
, une Montre d'une groffeur ordinaire
, de fon invention & compofition
, répétant l'heure , les quarts & les
minutes jufqu'à quatorze , de manière
que le tout eft fans confufion ; par ce
H iij
174
MERCURE DE FRANCE.
moyen on peut favoir , la nuit , en pouffant
ladite pièce , l'heure à la minute
comme de jour .
pas L'idée d'une pièce à minutes n'eſt
nouvelle , vu qu'il y a foixante ans
que l'on en a fait les premiers effais , &
depuis à plufieurs reprifes , mais aucun
n'a réuffi : elle fonnoit les heures & les
quarts
diftinctement ; quant aux minutes
, elle les fonnoit fi vîte & fi bas ,
étoit
impoffible de les pouvoir compter.
qu'il
Sa
conftruction étoit fi
compliquée &
fi difficile,que le meilleur Artifte ne pouvoit
fe flatter de l'exécuter fans être fujet
à manquer. Elle avoit auffi le défaut
de commencer à fonner les minutes.
par la dernière , c'eſt-à - dire , lorſqu'il
n'y avoit qu'une minute , elle en paffoit
treize fous filence & fonnoit à
la fin cette minute , ce qui devenoit
infipide d'être obligé d'attendre fi longtems
, pour favoir s'il reftoit quelque
chofe à fonner. Vu tous ces inconvéniens
& ne pouvant fervir de rien ,
on l'a abandonné. Au lieu que celle du
fieur Hilgers fonne l'heure , les quarts à
double coup comme une répétition
ordinaire , & recommence à fonner les
minutes à coup fimple , auffi diftincte
>
>
JANVIER. 1777 . 175
ر
ment qu'elle fonne les heures avant les
quarts. Il n'y a pas d'intervalle pendant
que la pièce fonne excepté quand il
n'y a pas de quart , elle met un filence
l'efpace de trois coups , pour diftinguer
les minutes d'avec les heures . Cette pièce ,
par la conftruction extraordinairement
fimple , eft auffi folide pour les effets ,
ain que fa durée , qu'une répétition
ordinaire & n'eft pas plus fujette au
raccommodage.Le fieur Hilgers vend ces
pièces à condition que fi on trouve de
meilleures montres plus régulières , même
dans les montres fimples , il les
reprend & rend le montant jufqu'à dixhuit
mois.
›
TOPOGRAPHIE.
I.
PLAN Topographique de la Ville de
New-Yorck, fur une feuille de chapelet ,
dans laquelle fe trouve une carte du port
& de la rade de cette Ville , avec les fondes,
Par Montréfor . Prix 3 liv . Chez le
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Rouge , Ingénieur Géographe du Roi ,
rue des grands Auguftins,
I I.
Table alphabétique pour trouver , par
les carreaux, tous les noms de Villes ,Vil-
Lages , Rivières , Provinces , Nations, Iſles,
Ports, Caps , & c. contenus dans la carte
des poffeffions angloifes en Amérique ;
par Mitchel , en 8 feuilles. Au moyen
des lettres alphabétiques & des chiffres ,
ceux qui ont déjà cette carte , pourront
s'en fervir , les carreaux étant formés par
les Méridiens & les Paralelles. 36 pages
grand in- 8° . Prix 2 liv. broché.
CANAL DE MONSIEUR.
LES Intéreffés aux mines de St. Geor
ges , jouiffent enfin , Monfieur , du plai
fir d'être utile , & d'avoir fait autant
d'heureux qu'il y a de Propriétaires &
même d'Habitans fur les deux bords du
Layon. Ce Canal , que leur zèle , leurs
foins & leurs dépenfes ont fait entreprendre
pour le bien public , & la gloire du
JANVIER. 1777 177
>
Prince dont il porte le nom , ce, Canal
fi blâmé par les ignorans , fi jaloufé par
les envieux , fi traverfé par les méchans ,
vient de forcer fous mes yeux l'approbation
de tous les partis , & de réunir
les fuffrages de tous les Spectateurs . A la
vue & au très-grand étonnement de près
de trois mille perfonnes , partagées entre
la crainte & l'efpérance , trois Bateaux ,
dont deux chargés , & le troifième por
tant cabanes , font partis de Chalonnes
le 27 du mois dernier , à dix heures
du matin , avec auffi peu d'eau qu'il eſt
poffible d'en avoir en cette faifon . De
l'aveu de tous les Habitans riverains , jamais
, dans le mois de Novembre , les
eaux du Layon n'avoient été aufli baſſes
qu'elles l'ont été cette année . Cependant
ces trois bateaux ont remonté , par douze
éclufes , jufqu'à Thouarcé , où ils font
arrivés, le 29 , fur les trois heures de l'après-
midi , par un fort mauvais temps .
Lorsqu'il y aura plus d'eau , que
les machines
feront plus exercées & les corda
ges plus fouples , la navigation fera infiniment
plus prompte ; & on doit conclure
de cette première expérience , qu'avec
fuffifante quantité d'eau , les bateaux remonteront
jufqu'aux mines de St. Geor
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
"·
ges , dans l'efpace de trois jours , & qu'ils
n'en emploieront que deux pour defcendre
à Chalonnes .
Vainqueurs , à la fois, des préjugés &
des obftacles que préfentoit la nature
dans la vallée où fe perdoient , fans aucun
fruit , les eaux du Layon , les Intéreffés.
peuvent recevoir aujourd'hui les compli
mens fincères dus au fuccès de leur conftance
& de leur courage infatiguables.
Je m'empreffe de leur faire les miens , au
nom de tous les Concitoyens honnêtes ,
affez éclairés pour appercevoir & fentir à
l'avance , les nouvelles jouiffances que
leur procure cette heureufe entreprife. Ils:
partagent avec moi la reconnoiffance publique
que leur doit cette partie de notre
Province , pour la facilité des tranſports
de fes denrées , & des objets d'échange
néceffaires à l'accroiffement de la culture:
& à la félicité des Cultivateurs. Leur patriotifme
ne fera donc pas fans récompenfe
; & la plus flatteufe pour eux ,
-fans doute , c'eft la certitude d'avoir effentiellement
contribué au bonheur de cette
claffe d'hommes utiles & précieux. Les:
avantages qu'en retireront MM. les Intéreffés
, pour l'exploitation & le facile.
tranfport du charbon de leurs mines
JANVIER. 1777. 179
fe
dans les différens lieux du Royaume où
la confommation en eft plus abondante ,
partagent néceffairement en faveur des
Artiftes qui le confomment , & du Public
, dont le luxe & fes befoins néceflitent
également l'ufage. Ils ne manque rien à
leur gloire , puifque MONSIEUR daigne
la couronner , en protégeant un établif
fement formé dans fon apanage , & qui
déformais portera fon nom. C'étoit le
moyen le plus fûr de perpétuer l'utilité
publique de ce Canal , & de porter
de femblables efforts , des Compagnies en
état d'opérer le même bien , fur des portions
confidérables de Provinces , qui
languiffent faute d'un pareil fecours .
à
Nota. Le Canal de MONSIEUR a été
commencé au mois de Septembre 1774 »
& exécuté fous les ordres de M. Duclu-
-zel, Intendant de la Généralité de Tours,
& fous l'infpection du fieur de Limoy ,
Ingénieur en chef des Ponts & Chauffées
de la Province ; par le fieur Martin
Entrepreneur de bâtimens à Paris. Ilcon
tient 27 éclufes , 12 ponts & 6 guets.
C
»
10
Bvj
480 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
Atlas célefte de Flamsteed, en 30 cartes
in-4 , approuvé par l'Académie Royale
des Sciences , & publié fous fon Privilége
; feconde édition . Par M. J.. Fortin
, Ingénieur, Mécanicien du Roi &
de la Famille Royale , pour les globes &
Sphères. A Paris, chez F. G. Defchamps ,
Libraire ,,, rue Saint-Jacques ; & chez
l'Auteur "
rue de la harpe , près celle
i du Foin. Prix , 9 liv. demie relieure
en façon d'Atlas , & 10 liv. , relié en
veau ..
L'ATLAS de Flamftéed , publié au commencement
de ce fiècle , eft le plus eftimé
del tous ceux qui exiftent , & le plus
-recherché par fon exactitude; mais la gran--
deur des cartes in-folio en augmentant
-de prix , a mis l'ouvrage hors de la portée
du plus grand nombre, ...!!
En publiant cet Atlas , réduit au tiers ,,
on a confervé tout le mérite original de
l'ouvrage , qui paroît aujourd'hui fous un:
format beaucoup plus commode;; mais ce
JANVIER. 1777. -181
C
t
n'eft le ficur pas une fimple réduction que
Fortin publie. Cet ouvrage doit être confidéré
comme neuf prefque à tous,
égards.
x
Flamftéed avoit placé les étoiles pour
21690 ; elles ont été remplacées pour 1780.
L'Editeur a ajouté quelques conftellations.
nouvelles, entr'autres , le Réenne, qui immortalife
les opérations de MM. de l'Académie
Royale des Sciences , au cercle
-polaire , pour la mefure d'un dégré du méridien
en 1736. Plufieurs fautes qui avoient
échappé à l'exactitude de Flamftéed ont
été corrigées.
On a ajouté les étoiles nébuleufes qui
Lent été obfervées par MM. de la Caille ,
Meffier & le Gentil , ainfi que la voie
lactée qui manque dans toutes les cartes.
-de Flamftéed.
Enfin ,pour completter l'ouvrage , le fieur
-Fortin a ajouté le Planifphère Auftrale de
M. l'Abbé de la Caille.
Cet Editeur ayant confervé tout le mé-
-rite de fon original , qui a mérité une approbation
univerfelle , on doit avouer que
cet Atlas réduit , devient un ouvrage nouveau
, dont les Sçavans , ainfi que ceux
qui defirent étudier & connoître le ciel ,
peuvent tirer le plus grand avantage. Le
182 MERCURE DE FRANCE.
44
détail de tout ce travail , eft expofé dans un
difcours préliminaire , qui contient en
même-temps les principes élémentaires
qui fervent à developper la théorie de la
projection , ainfi que celle qui eft néceffaire
pour qu'on puiffe faire ufage des
cartes , foit pour des obfervations importantes,
tant fur terre quefur mer,foit même
pour étudier le ciel élémentairement , &
acquérir la connoiffance détaillée des conftellations
& des étoiles qui les compofent.
Cet ouvrage fera utile aux Aftronomes ,
aux Hidrographes , aux Marins , & à ceux
qui, fans fe deſtiner à l'aſtronomie ou à la
navigation , defireront acquérir l'étude du
ciel pour leur fatisfaction particulière.
Après les 29 cartes qui compofent
l'Atlas , fuit une trentieme carte ou planifphère
, qui ne contient que les principales
étoiles liées enfemble par des alignemens.
On trouve à la fuite un catalogue de
400 étoiles , dont les afcenfions droites
ainfi que les diftances au Pole font calculées
pour 1780 , par degrés , minutes ,
fecondes & décimales. Suivent enfuite
deux tables , l'une du paffage du premier
point du Bélier par le méridien de Paris ,
calculée pour chaque jour d'une année
JANVIER. 1777. 183
moyenne entre deux biffextiles , l'autre
pour la réduction des heures en degrés &
minutes de l'Equateur , des degrés &
minuſtes de ce cercle en heures . On fait
qu'au moyen de la première de ces tables ,
dont l'ufage eft expliqué , on peut à tout
inftant connoître les étoiles & les conftellations
qui paffent au méridien.
Pour faciliter l'étude du ciel à ceux qui
n'en ont aucune connoiffance , cet ouvrage
contient de plus un traité très- ample fur
les moyens de connoître les étoiles par
des alignemens. Ce traité , en fuivant l'ordre
d'occident en orient , comprend chaque
conftellation en particulier , l'une après
l'autre , & toutes les étoiles principales qui
les compofent, feulement , à la vérité , pour
l'horifon de Paris ; ce qui fuffit pour la
France entière , & ce qui comprend plus.
de deux tiers du globe.
Cet Atlas eft terminé par neuf.problêmes
des plus intéreffans , tels que connoître
toutes les étoiles qui font toujours vifibles
fur un horifon , tracer une méridienne
. Par le moyen des étoiles , trouver
l'heure de leur paffage par le méridien , &
corriger par ce moyen l'accélération ou le
retard des pendules ou des montres , &c.
Cet ouvrage , dirigé par un de nos:
184 MERCURE DE FRANCE.
meilleurs Aftronomes , fait honneur à l'Editeur
, & à ceux qui ont bien voulu encourager
& foutenir fon zèle , en lui fournillant
ce qu'il ne pouvoit exécuter luimême.
La gravure de toutes les cartes de cet
Atlas , a été trés- bien foignée , ainfi que
la Typographie. On s'eft appliqué à éviter
la confufion , & à être net , fans que rien
n'y perdît d'ailleurs ; enfin cet ouvrage
mérite , à tous égards, l'acceuil du Public.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , &c.
I.
Induftrie.
LE fieur Delefcomer , ci -devant Arquebufier
Privilégié de Sa Majefté , a
inventé, pour toute forte d'armes à feu ,
une batterie brifée , qui a mérité l'appro
bation de l'Académie des Sciences . Elle
fait fon mouvement dans le fens de toutes
les autres batteries , fans qu'on ait à
craindre d'être coupé à la pierre , ni que
Tamorce fe perde. Elle eft d'ailleurs auffi
JAN VIE R. 1777. 18 ;
fimple & moins difforme que la batterie
tournante. Lorfqu'on veut que les deux
parties fe meuvent enfemble , elle eft
tenue par un crochet d'acier , qui entre
dans un arbre appartenant au couvre -baffinet
, & où il eft fixé par un reffort .
Quand on veut que l'arbre foit en fûreté,
il faut ouvrir le crochet , la batterie étant
fermée fur le baffinet par la petite palette
qui fert à laver la batterie : le couvre-
baffinet refte alors fixé fur l'amorce
par la petite branche du reffort de la batterie
; celle-ci demeure ouverte & fixée
fur fon talon par la plus forte branche
du même reffort. Si l'on veut tirer , on
referme la batterie & le crochet , ce qui
eft l'affaire d'un moment.
II.
Grifel & Compagnie , ont l'honneur
d'annoncer au Public une compofition
de marbre factice fur pierre , toute différente
des ftucs dont on voit plufieurs
ouvrages à Paris & aux environs , auquel
ftuc il fe forme en peu de temps un fal
pêtre deffus , caufé par l'humidité dont
it eft fufceptible , qui le détruit .
La compofition du fieur Grifel & Com186
MERCURE DE FRANCE.
par
pagnie, eft totalement à l'abri de ces inconvéniens,
les épreuves ayant été faites
par Meffieurs des Académies Royales
d'Architecture & des Sciences , dont lef
dits Grifel & Compagnie font munis de
certificats ; que les acides , même les
alkalins , ne font aucun effet fur cette
compofition ; l'humidité , loin de l'altérer
, contribue à la durcir de plus en
plus , de même que la chaleur caufée
l'ardeur du foleil , ce qui augmente
fa beauté & fa folidité , au point que des
Connoiffeurs prétendent que c'eft le vrai
ftuc des Anciens qu'on on a découvert en
Italie. Avec cette compofition , le fieur
Grifel & Compagnie imitent toutes efpèce
de marbre , même les plus rares
& les plus précieux , au point de tromper
les plus connoiffeurs , ayant le veiné , le
jafpé , le froid , le tact & le poli du
véritable marbre . Les échantillons que
lefdits Grifel & Compagnie foumettront,
feront voir que l'on peut, fans une
grande dépenfe , orner & décorer folidement
& magnifiquement les Eglifes
Chapelles , Sallons , Boudoirs , Cabinets ,
& tout autre Appartement , des marbres
les plus curieux , & de plus exécuter toute
forte de compartiments avec une grande
>
JANVIER. 1777: 187
précifion , & donneront même aux Ama
teurs plus de fatisfaction que le véritable
marbre , par les veines terraffeufes qui s'y
rencontrent, qui , le plus fouvent , font
remplies en maftic peu folide , & qui, en
peu de temps , périffent , laiffant le défagrément
aux beautés des ouvrages.
Il demeure rue baffe des Urfins , au
coin de celle de Glatigny, derrière Saint
Denis de la Chartre , à Paris.
III.
Nouvelle Ufine à fabriquer la poudre à
tirer.
Léonard Cazeneuve , ancien Grenadier
de France , Maître Menuifier à Nancy ,
rue de la Porte Sainte-Catherine , n° . 546 ,
vient d'exécuter en petit , fur la longueur
de 2 pieds 10 pouces , la largeur de 20
pouces , & la hauteur de 18 pouces ,
toute la machine néceffaire au roulement
d'une Ufine de Poudre à canon , d'une
invention toute nouvelle & des plus avantageufes.
Le rouage , qui en eft l'ame
n'exige , pour être mis en mouvement ,
qu'un cours d'eau très- médiocre . La Poudre
y eft fabriquée beaucoup plus vîte
188 MERCURE DE FRANCE.
que dans toutes les Ufines ordinaires ;
en forte qu'outre ce premier avantage
y ayant moins d'évaporation des matières
par la célérité du travail , qui , étant plus
parfait , donne à la Poudre beaucoup
plus de force , la Machine eft conftruite
de manière que les Ouvriers ne peuvent
encourir aucun danger.
Le fieur Cazeneuve, qui en eft l'inventeur
, a eu l'honneur de la préfenter à
M. le Comte de Stainville , Lieutenant-
Général des Armées de Sa Majefté , &
Commandant en Chef dans toute la Lor.
taine. Ce Seigneur , en ayant reconnu
l'utilité , a bien voulu en accepter l'efquiffe,
& apermis quell'Auteur en fit faire
l'annonce au Public fous fa protection .
Flatté de cet honneur , il offre fes fervices
à ceux qui font chargés de la fabrication
d'une auffi dangereufe compofition,
pour l'exécution d'Ufines en grand ,
fur le modèle que chacun peut voir &
examiner chez lui. Les Curieux & les
Connoiffeurs pourront juger aifément
de fon avantage & de fon utilité .
La conftruction de cette Machine en
grand , aura 34 pieds de longueur , 20
pieds de largeur , & 18 pieds de hauteur .
JANVIE R. 1777. 1891
I V.
On a inventé depuis peu , à Leipfick,
une eſpèce de lampe en forme de bougie
, qui éclaire pendant 24 ou 30 heures
, fans qu'il foit néceffaire de la moucher.
On fait , en s'en fervant , une épargne
confidérable , puifqu'avec un quarteron
d'huile on eft très-bien éclairé 8
ou 10 nuits. Ces Bougies artificielles
font placées fur un pied qui fert de chandelier
, & dans lequel une vis , en forme
de noyau , fait monter l'huile. Le cent de
ces Bougies ne revient quà 12 gros , &
200 fuffifent pour éclairer toute l'année .
Comme la lumière ne fatigue jamais
moins les yeux que lorfqu'elle fe trouve
placée à une jufte élévation , le Bureaudes
Annonces de Leipfick invite les Artiftes
à chercher le moyen de fixer la
Bougie à une hauteur convenable , &
toujours la même .
190 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
ALEXIS Grimou , Peintre François , né
à Argenteuil , étoit d'un caractére bizarre
& fingulier . Il ne voyoit ordinairement
que quelques amis qui s'en ivroient
avec lui ; & lorfqu'il travailloit , il avoit
toujours auprès de lui quatre ou cinq
bouteilles d'excellent vin de Bourgogne.
Rien n'étoit plus difficile que d'en obtenir
un tableau . Le Duc d'Orléans , Régent
, voulant avoir de fes ouvrages à
quelque prix que ce fût , le manda au
Palais Royal , le fit enfermer dans un
appartement , & ordonna qu'on lui fournît
tout ce qui fetoit néceffaire , tant pour
fon travail que pour fa perfonne. Grimou
, piqué de fe voir pris au trébuchet,
dit qu'il ne favoit rien faire en prifon ,
& jura très énergiquement que le premier
qui lui préfenteroit une palette ,
il la lui briferoit fur la tête. L'apparte
ment où on l'avoit enfermé n'étoit qu'au
premier étage ; il fe met à la fenêtre , &
JANVIER. 1777. 191
»
---
i
voit paffer un de fes amis , qui lui demande
à quoi il s'occupe là. « Je n'y
fais rien , répond Grimou , & n'y
» veux rien faire , c'eft pour cela qu'on
» m'y tient renfermé. Renfermé ! ré
pond l'autre , j'en fuis fâché , je t'au-
» rois propofé bouteille. A ces mots ,
Grimou ne connoît plus de danger .
• Artends - moi , s'écrie - t-il , je vais bien
les attraper. Auffi tôt il fe jette par
la fenêtre , & le caffe une cuiffe.
"
»
»
15
Quand le Légat Flavio Chigi aborda
à Marseille , il fit arborer l'étendart du
Crucifix , & les Galères de France baiffèrent
le pavillon & faluèrent : mais ayant
arboré enfuire la bannière du Pape fon
oncle, aux armes de la Maifon de Chigi,
les forts d'lfet & de Ratonneau tirèrent fur
La Galère , & lui firent baiffer le pavillon .
I I I.
Un Commis apporta au Duc de Guife ,
dit le Balafré , cent mille francs , que ce
Prince avoit gagné au jeu à M. ďO ,
Surintendant des Finances . Le Duc vou192
MERCURE DE FRANCE,
lant donner une gratification au Commis
, lui dit d'emporter un petit fac , '
qu'il ne croyoit contenir que de l'argent
blanc. Mais il y avoit trente mille francs
en or ; & le Commis découvrant la méprife
, reporta ce fac ; le Duc le refuſa ,
en difant : puifque la fortune vous a été
favorable , cherchez un autre que le Duc
de Guife pour ravir votre bonheur.
IV.
Une pauvre Fruitière de Paris , n'ayant
pas eu le moyen de payer deux ou trois
térmes de fon loyer , fon Hôte , impitoyable
, lui fit vendre fes meubles. Le
peu d'effets qu'elle poffédoit fuffifoit à
peine pour acquitter fes dettes & fatisfaire
aux frais de Juftice ; enforte qu'elle
fe voyoit réduite à la mendicité , & fondoit
en larmes. Son défefpoir augmenta
quand elle vit qu'on alloit crier un petit
St. Jérôme tout enfumé , d'un pied &
demi de haut , qu'elle avoit au chevet de
fon lit. Un Peintre, après l'avoir examiné,
le mit à un écu . Uncurieux , préfent à la
vente, enchérit auffi - tôt du double . L'Artifte
crut que , pour étonner cet homme ,
& lui faire perdre l'envie d'avoir le ta
bleau ,
JANVIER. 1777. 193.
bleau , il n'y avoit qu'à le pouffer un peu
haut tout d'un coup. A un louis , dit-il :
à soliv. reprit l'Amateur : à Ico francs ,
répliqua le Peintre : cependant la bonne
femme étoit tranfportée de joie ; fon
loyer & fes frais étoient déjà plus que
payés par le petit S. Jérôme. Sa joie redoubla
, quand elle entendit le Curieux
mettre le tableau à 200 livres ; elle fur
hors d'elle-même lorſqu'elle vit que d'enchère
en enchère , l'Amateur le porta
jufqu'à 600 francs. Le Peintre obligé
de céder , dit , en pleurant , à l'Acquéreur
: vous êtes heureux , Monfieur, d'être
plas riche que moi , car il vous coûteroit
zooo liv. , ou je l'aurois eu. C'étoit un
original de Raphael.
V.
Un Acteur de Province (ambulant ) arriva
un jour dans une Ville , où l'on devoit
le lendemain faire des réjouiffances publiques.
Il togea à l'Auberge, comme c'eft la
coutume de ces Meffieurs ; on lui donna
unie chambre honnête,telle qu'il l'avoit demandée.
Il s'énonça d'abord fur ce que
l'on appelle le bon ton de Comédien , c'eftà
dire tragique , pour en impofer à
II. Vol. I.
194 MERCURE DE FRANCE.
J'Hôte, & comique , pour l'amufer. La
foirée des illuminations arrivée , rien ne
paroît fur deux croiſées d'un appartement
qu'occupoit notre Acteur : on monte ,
on frappe à fa porte ; il ouvre : la fervante
lui dit qu'il faut des lumières fur
fes fenêtres ; fans s'émouvoir en aucune
façon , le Rofcius récite tranquillement
ces vers de Molière,
Laurent , ferrez ma hère avec ma difcipline ,
Et priez que toujours le ciel vous illumine.
Après ces mots , déclamés avec toute
l'emphaſe théâtrale , la fervante ne perd
point de temps , & defcend d'un air
joyeux , dire à fon Maître , ah ! que nous
allons être beaux ! Ce Monfieur de là- haut,
vient de dire à Saint Laurent que le Ciel
nous illumine,
V I.
L'unique grâce que Charles premier
obtint de fes ennemis , après le jugement
de fon procès , fut un intervalle de
trois jours entre fa fentence & fon exécution
. Il paffa ce temps dans une grande
tranquillité d'ame , occupé fur- tout de
JANVIE R. 1777. 195
lectures & d'exercices de piété. Ce qui
reftoit de fa famille en Angleterre , eut
un libre accès près de lui : elle confiftoit
dans la Princede Elifabeth & le
Duc de Glocefter . Le Duc d'Yorck, qui
s'étoit échappé de Gocefter , ne faifoit
que fortir de l'entance . La Princeſſe
dans un âge fort tendre , marquoit un
jugement fort avancé , & les inf rtunes
de fa famille avoient fait une forte impreffion
fur elle. Après quantité d'avis &
de pieufes confolations , fon malheureux
père le chargea de dire à la Reine , que
pendant tout le cours de fa vie , il
» n'avoit jamais manqué , même en idée,
» de fidélité pour elle ; & que fa tendreffe
conjugale auroit la même durée
que fa vie. Il crut devoir auffi quelques
avis paternels au jeune Duc , pour
jeter de bonne heure dans fon ame des
principes d'obéiffance & de fidélité pour
fon frère , qui devoit être fitôt fön Souverain.
Il le prit fur fes genoux : Mon
» fils , lui dit- il , ils vont couper la tête à
» ton père. Cet enfant , frappé d'une
image fi nouvelle , le regarda fixement ;
fais-y bien attention , mon fils , ils
» vont couper la tête à ton père , & peutêtre
te feront - ils Roi ! Mais prends
»
cs
19
>>
6.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE .
pas
» bien garde à ce que je t'ajoute ; tu në
» dois être Roi aulli long temps que
» tes frères Charles & Jacques feront en
vie : ils couperont la tête à tes frères ,
lorfqu'ils pourront mettre la main fur
eux ; & peut- être qu'à la fin ils re là ,
» couperont auffi. Je te charge donc de
» ne pas fouffrir qu'ils te faflent Roi . »
Le Duc pouffa un foupir , & répondit :
je me laifferai plutôt déchirer en pièces.
Une réponſe fi ferme à cet âge , pénétra
Charles , & remplit fes yeux de larmes
de joie & d'admiration.
VII.
Le jour de Saint Etienne , un Moine
devoit faire le Panégyrique de ce Saint.
Comme il étoit déja tard , les Prêtres, qui
avoient faim , craignant que le Prédica
teur ne fût trop long , le prièrent à l'oreille
d'abréger. Le Religieux monte en
chaire , & après un petit préambule :
Mes frères , dit-il , il y a aujourd'hui
» un an que je vous dis tout ce qui fe
peut dire touchant le Saint du jour ;
comme je n'ai pas appris qu'il ait rien
» fait de nouveau depuis , je n'ai rien
» non plus à ajouter à ce que j'en dis
JANVIER. 1777. 197
» alors : il fit le figne de la croix , &
» s'en alla.
> Le Marquis du Chafteler & de Courcelles
Chambellan actuel & Confeiller d'Etat de Leurs
Majeftés Impériales , Lieutenant de leur Garde
Noble & Gouverneur de Binch, a dépofé au Greffe
du Grand- Confeil à Malines , les titres de fa
Maifon, qui prouvent :
1. Qu'il defcend en ligne directe , légitime
& mafculine de Ferri , Seigneur du Chafteler ,
d'Autigny & de Rouvre , fils de Thiéri , furnommé
d'Enfer , Seigneur d'Autigni & de Rouvre , &
petit-fils de Ferri , Seigneur de Bitche.
20. Que depuis Ferri , Seigneur du Chaftler &
d'Autigni , qui vivoit dès 1230 , jufqu'au Marquis
du Chafteler , fes ancêtres ont toujours terminé
leur nom par une R, & nommément Ferri
& fes trois fils , Erard , Jean & Thiéri.
Ces titres refteront dépofés audit Greffe pendant
fix mois , & il fera libre à un chacun d'en
avoir infpection .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
1.
Articles nouvellement rentrés au Magafin
du petit Dunkerque , chez Granchez '
Bijoutier de la Reine , indépendamment
des objets qu'il a fait paroître depuis
fon établiſſement.
SCEAUX ovales à laver les pieds , en tôle vermie
a tableaux , repréſentant des ſujets analogues
à l'eau .
Chaînes de montre en or , à la Turque , pour
femme.
Perites caves à quatre flacons d'or émaillés ,
pour effence de rofes , & c. Bonbonnières en or
& émail tigrées , & autres en petits velours.
Evantails des Indes , fe raccourciffant de moitié
, pour mettre dans le manchon.
Etuis d'or émaillés , en forme de tabatières ,
avec miroir.
Jolie petite pendule de lit à tirage , bronze
doré au matte. Le premier modèle a été fair
pour la Reine , ainfi que les autres articles.
Idem. Pour cheminées à la Turque , repréſen
JANVIER, 1777. 199
tant une Sultane pinçant de la harpe fous un
dais.
Chaînes de montre à grelot , en or , forme de
luftre , garnie de neuf breloques nouvelles. La
première a été faite pour Madame .
Chaînes de montre en or , pour femme , avec
tableaux mouvans.
Petits flambeaux , forme d'Athénienne , en albâtre
& bronze doré au matte . Les premiers ont
été préfentés & vendus à Madame la Comteffe
d'Artois .
Boucles , argent & or , fupérieurement cife
lées , imitant les diamans , modèle de M. le Comte
d'Artois.
Eperons d'argent , dont la molerte fe reploie
à reffort , pour ne pas bleffer en marchant.
Un affortiment confidérable de bijoux d'or
émaillés dans de nouvelles couleurs ; autres en
pierres. Idem , en cheveux. Plufieurs objets nouveaux
en argent , pour le fervice de table. Idem
en tôle amalgamée d'argent , & plufieurs autres
articles qu'il a reçus de l'Etranger.
Nouveaux modèles de boucles en argent ,
forme de hauffe-col.
Idem , avec traverſes , ce qui forme deux boucles
fur le pied. Idem , à clous d'argent , fur
fond d'or damafquinés.
&
Idem , avec cordonnet entre deux filets unis ,
& tous les mêmes modèles en or de rapport
autres damafquinés , lefquels ont varié à l'infini .
Il s'en fait de 7 pouces de diamètre.
Boutons de manches en cheveux , garnis de
I Av
200 MERCURE DE FRANCE.
diamans , fur chaque ces fyllables : Fi- dé- li -té.
Tabatières en cuir de chamois , guillochées ,
auffi tranfparentes que l'écaille blonde , & point
fragiles.
Cordons de montre en cheveux , garnis de
diamans , fur émail .
Idem , avecgerbes en cheveux.
Bourfes à argent , en filet très-fin , avec- devi-
Les. Idem , à pois très-jolis . Coulans pour les
fermer , en or émaillés , à deviſes .
Colier avec prétention , repréfentant l'Amour
dans le coeur, ou l'Amour enchaîné .
Jolis boutons de fraque en argent , ronds &
ovales , taillés à diamans , imitant l'acier. Idem ,
ronds , en mine d'Irlande , pour les habits de
Vigogne. Idem , brodés en perles.
1 Nouveaux brandebourgs en acier. Cordons de
canucs, Idem , à cordelière.
¡ Divers deffeins de broderies en pierres dites
de Cayenne , pour les fouliers de Dames ', avec
rofettes.
Plufieurs nouveaux modèles de pendules en
marbre & bronze doré au matte , dont une repréfentant
Hébé qui verfe du nectar à l'Amour ;
une l'Amour carreflant Vénus ; une , id. l'Amour
menaçant : tous fujets traités avec goût , & au
tres modèles de l'année . Un affortiment trèsconfidérable
de vales & ornemens de cheminées
en marbre , albâtre , crystal , porcelaines de Cli→
gnancourt , le tout garni de bronze doré au
matte.
En cryftal d'Angleterre , falières en artichaux ,
JANVIE R. 1777. 201
flambeaux garnis de Straz , fucriers avec des
ornemens gravés , garnis d'argent . Superbes bias
de cheminée ornés de Straz.
Boujoirs , idem. Diverfes tabatières avec le
portrait de l'Empereur en miniature , très- reffemblant
; & plufieurs autres articles qu'il attend
de l'Etranger & des Artiftes de cette Capitale.
ne fixe pas les prix , pour ne plus fervir de règle
à mettre des objets inférieurs au rabais ; mais
les Seigneurs étrangers peuvent êrre affurés qu'ils
ne varient point pour perfonne.
I I.
Madame Delaiffe , Auteur des nouveaux Contes
moraux , & d'un Ouvrage fans titre , mis fous
la protection de la Reine , vient de compofer des
Proverbes , qu'elle a dédiés à S. A. S. Madame la
Ducheffe de Bourbon , dans un genre nouveau.
Ces Proverbes font mêlés d'aviettes , prifes dans
les plus jolis Opéra -comiques.
II I.
La vente des Livres de feu M. Randon de
Boiffet , Receveur - Général des Finances , commencera
le 3 Février 1777 , & la vente des
tableaux & des effets précieux fuivra immédiatement
celle des Livres , dont le catalogue fe diftribuera
chez Debure , fils aîné , Libraire , quai
des Auguftins.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
ISMAT
De Larnaca, 21 Octobre
SMAEL EFFENDI , ancien Miniftre des affaires
étrangères à Conftantinople , que le Grand- Seigueur
a exilé dans cette Ifle depuis quelque temps ,
fans que l'on en fache le motif, eft arrivé de
Smyrne en cette Echelle , le 2 de ce mois . Ce
Miniftre eft tellement agité de craintes , qu'il ne
reçoit de vifites qu'après que ceux qui les lui
font, fe font défarmés. Muftapha Aga Gulgulu
Oglou , Commandant de Salephi en Caramanie ,
eut cette complaifance , lorfqu'il le préſenta pour
le voir , & il lui jura qu'il n'étoit venu en cette
Echelle que pour les affaires particulières. Ce.
Commandant arriva au commencement de ce
mois à Cherimes , avec une fuite de 60 hommes :
fon arrivée inattendue effraya le pays ; mais elle
n'a eu d'autre objet que l'achat des agrès néceffaires
au gros chebec qui déferta il y a trois ans ,
pour aller fervir le Chéik- Daher & les Ruffes , &
Diezzar Pacha lui a fait rendre : il a été trèsbien
reçu à Nicofie , & il eft parti , il y a fix jours,
pour s'en retourner à fon Gouvernement.
que
De Conftantinople , 17 Novembre.
Un Exprès envoyé par Méhémet , Pacha de
Damas , eft arrivé ici le 14 , apportant au GrandJANVIER.
1777. 203
→
Seigneur la tête d'Ali- Daher , & celle de vingtfept
autres de fes principaux Officiers . La défaite.
de ce Rebelle n'a coûté aucune effuſion de fang.
Son fils , qui a été fait prifonnier par Gezzar
Pacha de Seyde , a de même été envoyé ici fous
bonne eſcorte ; il y a lieu d'efpérer que cet événement
important ramènera enfin le calme en
Syrie.
De Copenhague , le 24 Novembre.
Un des Conftructeurs de notre Marine ayant
inventé , pour le pilotage , une machine qui en
facilite les opérations , a reçu du Gouvernement
une récompenfe proportionnée à l'utilité de fon
invention .
De Londres , le 22 Décembre.
On écrit de Boſton que , fuivant les lettres
d'Halifax , le Général Marfey y commande envi
ron mille hommes , la plupart foldats de marine ,
& que les habitans de cette ville craignent d'être
attaqués par les Sauvages.
Le Congrès , que les différens événemens de
cette guerre , paroillent ne pas intimider , vient
dit-on , de voter une nouvelle fomme de cinq
millions de piaftres pour la campagne prochaine ,
& l'on fait que leur cops de légiflation , dont
on n'a vu encore que l'efquifle pour les treize
Colonies-unies , ne tardera pas à être publié.
On a reçu ici , par la voie d'Irlande , différens
avis qui annoncent que le Général Howe avoit
atteint l'armée Américaine vers la mi-Novembre¡
204 MERCURE DE FRANCE.
qu'il y avoit cu entre les deux armées une fant
glante action , dans laquelle les Troupes du Roi
avoient été victorieufes. Le bruit s'elt répandu ,
par un autre canal , que les ports Américains ſe
trouvent fi bien bloqués par les vaiſſeaux Anglois
, que rien n'y peut entrer ni en fortir ; que
le fameux Chef d'Efcadre Hopkins s'eft retiré à
Boſton , après avoir vu la flotte diſperſée ; que
chaque jour nos vaiffeaux enlèvent quelques- uns
de leurs Armateurs ; que l'on préparoit à la Nouvelle-
Yorck un grand nombre de bâtimens deftinés
à transporter un corps de troupes du Roi
aux Colonies Méridionales , qui devoient être
bientôt foumiſes ; que le Congrès étoit fur le
point de le diffoudre , par le détachement de
plufieurs de fes Membres ; que beaucoup de
villes venoient , à l'exemple l'une de l'autre ,
prêter chaque jour , entre les mains des Commiffaires
du Roi , ferment de fidélité , & qu'enfin
tout annonçoit , & par les fuccès d'un côté , &
par la défection de l'autre , une pacification forcée
dans les Colonies. Quelques lettres particulières
défavouent , à la vérité , ces bruits , & c'eſt au
temps feul à les confirmer ou à les détruire.
On dit qu'il n'y avoit à Philadelphie que quelques
Membres du Congrès , lorfqu'on y reçut la
nouvelle de notre prife de poffeffion du Pont du
Roi. La plupart s'étoient retirés à leurs habitations
refpectives , fans avoir mis aucune forme à cette
efpèce de diffolution de l'affemblée ; leur conduite
, à cet égard , alarme le peuple de cette
ville , qui dit hautement que ces Chefs de la Nation
l'ayant mife dans la détreſſe où elle fe trouve ,
JANVIE R. 1777 . 205
ne pouvoient convenablement l'y abandonner.
De Venife , le 30 Novembre.
Le Gouvernement n'a pas encore difpofé de
rédifice immenfe de la redoute , ci - devant confacré
aux jeux de hafard. Le projet des Sages
actuels , eft d'y établir une Académie des Beaux-
Arts ; mais ils ont à combattre un partiqui , vraifemblablement
, l'emportera , puifque tout fe
décide ici par le nombre . La jeuneffe Patricienne
& les Dames , redemandent la redoute pour s'y
raflembler pendant le carnaval , & pour y jouer
les jeux de commerce.
De Gênes, le 9 Décembre.
و
Le 20 de ce mois , deux frégates Efpagnoles
qui , depuis plufieurs jours , étoient à la vue
de cette ville , mouillèrent dans ce port : elles ont
à bord des fommes confidérables pour le Tréforier
d'Espagne réfidant ici , & pour celui de Naples
, où elles doivent fe rendre inceffamment , &
fur lefquelles s'embarquera le Marquis Monimo ,
pallé de Rome en cette ville , & qui doit aller à
Madrid remplacer le Marquis de Grimaldi , qui
a obtenu fa démiffion du Miniftère des affaires
étrangères.
On apprend de Livourne que plufieurs vaiffeaux
de guerre Hollandois bloquent actuellement
tous les ports de l'Empereur de Maroc.
206 MERCURE DE FRANCE.
•
De Madrid , le 17 Décembre.
Un courier extraordinaire , dépêché de Malaga
, vient d'apporter au Roi la nouvelle qu'une
de fes efcadres de chebecs , commandée par le
Capitaine de vaiffeau Don Félix de Texada , avoit
pouriuivi , battu & brûlé un chebec Algérien , &
réduit un autre chebec de la même Nation à fe
brûler lui-même. Ces deux chebecs , de trente - fix
& de vingt- quatre canons , du calibre de huit &
de fix, étoient entrés dans l'Océan , où ils avoient
enlevé un paquebot Portugais , dont le fort a été
le même que celui des chebecs Algériens.
De Rome , le 18 Décembre.
On vient de frapper ici , au titre de vingt-deux
carats , une monnoie d'or de la valeur de trois
écus Romains. On fe propofe d'en frapper deux
autres pareillement d'or , & au même titre , dont
Pune vaudra dix écus Romains , & l'autre un écu
Romain & demi. On frappeia autfi pour vingt
mille de ces écos , tant en carlins qu'en doubles
carlins d'argent , allié de cuivre. Cette nouvelle
fabrication , la dernière fur- tout , eft d'autant
plus néceffaire , qu'on a depuis long - temps la
plus grande difficulé à convertir en eſpèces le
papier monnoie , qu'on appelle cédules.
L'écu Romain vaur 100 bayoques , évaluées
communément 105 fols de France. Le carlin vaut
7 bayoques & demi. Le double carlin is bayoques,
2
JANVIER. 1777. 207
De Lisbonne , le 10 Décembre.
Le Roi , fe trouvant toujours incommodé ,
& voulant dans cet état pourvoir au bien de fes
Peuples , comme il avoit fait en 1758 , a rendu ,
le 29 du mois dernier , le Décret fuivant :
« Trouvant convenable de pourvoir au Gou-
» vernement de mes Etats tant que durera ma
» maladie actuelle , & afin que la fufpenfion
» des affaires ne les accumule point de manière
» à en rendre l'expédition plus difficile par la
fuite , j'ai pour agréable de charger des affaires
» du Gouvernement la Reine mon époufe , pour
» qui mon eftime égale ma tendreiſe extrême ,
» & de lui accorder en conféquence' , tant que
» ma fanté ne fera pas rétablie , l'exercice de
» la fuprême Autorité Royale , ainfi que la plé-
» nitude du pouvoir qui m'appartient. Rempli de
» confiance en fes vertus Royales & fes éminen-.
tes qualités , je m'affure qu'elle adminiftrera
» la juſtice à mes fidéles Sujets , & qu'elle réglera..
» toutes les autres affaires avec le fuccès que
» je defire ; & pour manifefter ma royaie réſo-
כ כ
>
lution , j'ordonne au Marquis de Pombal ,
» Membre de mon Confeil d'Etat & du Cabinet ,
qu'après que ce Décret aura été paraphé par
» moi , il en envoie à tous les Tribunaux des
»Copies fignées de fa main auxquelles its
» ajouteront autant de foi qu'à l'original propre ,
» comme cela s'eft déjà pratiqué en pareil cas ,
» & nonobftant toutes loix , difpofitions ou
» ordres à ce contraires . Donné au Palais de
l'Ajuda , le 29 Novembre 1776 , avec le pa
208 MERCURE DE FRANCE.
>>
raphe de Sa Majefté . Expédié du même Pa-
» lais , le 4 Décembre fuivant . Signé , le Mar-
>> quis de Pombal » .
PRESENTATION .
Le 29 décembre , l'époufe du fieur Taboureau
contrôleur -général des finances , a eu l'honneur.
d'être préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
royale , par la marquife de Breant.
Le même jour , le vicomte de Vibraye , miniftre
plénipotentiaire du Roi , près le duc de Wirtemberg,
& fon miniftre auprès du cercle de Suabe
, de retour par congé , a eu , à fon arrivée
ici , l'honneur d'être préfenté à Sa Majesté par le
comte de Vergennes , miniftre & fecrétaite d'état
au département des affaires étrangères.
Le 2 janvier , le comte François de Damas eut
l'honneur d'être préfenté au Roi par Monfieur ,
en qualité de gentilhomme d'honneur de ce
prince.
PRESENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 26 décembre , le chevalier de Prunay ,
capitaine de Grenadiers , eut l'honneur de préfenter
à la Reine , à Madame , à Madame la comtelle
d'Artois , à Madame Elifabeth , à Madame
JANVIER . 1777. 209
Adélaïde , à Madame Victoire & à Madame Sophie
de France , un ouvrage de fa compoſition ,
dédié à Madame la princeffe de Lambale , & intitulé
Grammaire des Dames , pour faciliter aux
jeunes perfonnes la connoillance des principes de
la langue françoife , & leur donner les moyens
d'octographier correctement fans aucune peine.
Le 31 , le fieur Elie de Beaumont , avocat au
Parlement, intendant des finances de Monfeigneur
le comte d'Artois & avocat - général honoraire de
Monfieur , a eu l'honneur de préfenter au Roi ,
à la Reine , à Monfieur , à Madame , à Monfeigneur
le comte d'Artois & à Monfeigneur le duc
d'Angoulême , les deux médailles de la bonne
mere & du bon chef de famille , frappées pour la
fee des Bonnes Gens . La première repréfente une
mere allaitant un de fes enfans deux aurres fe
joiant près d'elle ; a peu de diftance un pélican
s'ouvre le fein : elle a pour légende , Maternum
pertentant gaudia pectus . La feconde un homme
de moyen âge, foutenant de fon bras gauche fa
mère languillante & débile , & appliquant de
l'autre fon jeune fière au manche de la charrue ,
& préparant aiufi , par les fecours qu'il leur
donne , ceux que dans la vieillelle il aura droit
d'attendre de fes enfans & petits enfans , avee
cette légende : Colliget avus. Cette inftitution
patriotique & morale , qui a eu cette année pluficurs
imitateurs , a reçu de nouveaux encouragemens
, par l'accueil plein de bonté avec lequel
cet hommage a été reçu .
Le même jour, le fieur Lebreton , premier imprimeur
ordinaire du Roi , çut l'honneur de re210
MERCURE DE FRANCE.
mettre à Leurs Majeſtés & à la Famille royale ,
l'almanach royal .
Le même jour , le fieur Vente , libraire des
menus plaisirs du Roi , eut auffi l'honneur de remettre
à Leurs Majeſtés & à la Famille royale ,
l'Etat actuel de la mufique du Roi & des trois
Spectacles .
Les fleurs Née & Mafquelier , graveurs , que
Leurs Majeftés & la Famille royale ont honoré de
leurs foufcriptions , pour un ouvrage intitulé :
Tableaux topographiques , pittorefques , phyfi .
ques, hiftoriques, moraux, politiques & littéraires
de la Suiffe , ornés de douze cents estampes , ont
eu l'honneur de remettre , le 7 janvier , la première
fuite de ces eftampes , qui doit compofer le
voyage de la Suiffe , à Leurs Majeftés & à la Famille
royale. Cet ouvrage a été accueilli trèsfavorablement.
NOMINATIONS.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint -Efprit , s'étant affemblés le premier
de l'an vers les onze heures du matin dans
le Cabinet du Roi , Sa Majefté tint un Chapitre
dans lequel Elle nomma Chevaliers de fes Ordres
le Duc de Villequier , Premier Gentilhomme de
fa Chambre en furvivance , le Marquis de Polignac
, Premier Ecuyer de Monfeigneur le Comte
d'Artois , & le Marquis de Bérenger , Chevalier
JANVIER. 1777. 211
"
d'Honneur de Madame . Le Chapitre fini , le fieur
de Verigny , Héraut -Roi d'Armes de l'Ordre ,
vint annoncer la nomination à la porte de la
Chambre de Sa Majefté , qui fortit enfuite de
fon appartement pour fe rendre à la Chapelle ,
précédée de Monfieur , de Monfeigneur le Comte
d'Artois , du Duc de Chartres , du Prince de
Condé , du Duc de Bourbon du Prince de
Conti , du Duc de Penthievre & des Chevaliers ,
Commanders & Officiers de l'Ordre . Entre les
Chevaliers , Officiers de l'Ordre , marchoient le
Prince de Lambefc , Grand Ecuyer de France , le
Duc de Coigny , Premier Ecuyer du Roi , & le
Baron de Breteuil , Ambaffadeur à Vienne , en
habits de Novices. Deux Huiffiers de la Chambre
du Roi portoiert leurs maffes devant Sa
Majefté , qui étoit revêtue du Manteau Royal ,
ayant pardef is le Collier de l'Ordre & celui de
la Toifon d'Or. L'ancien Evêque de Limoges ,
Prélat Commandeur , célébra la Grand'Melle ,
qui fut chantée par la Mufique du Roi , à laquelle
la Reine , Madame , Madame la Comteffe d'Artois
& Madame Elifabeth de France affiftèrent
dans une des travées. La Marquife de Coigny
fit la quête. La Meffe finie , le Roi monta fur
fon Trône , reçur Chevaliers de l'Ordre du
Saint- Efprit le Prince de Lambefc , Grand Ecuyer
de France , le Duc de Coigny , Premier Ecuyer
du Roi , & le Baron de Bieteuil , Ambaffadeur
de Sa Majefté à Vienne. Le Roi fut enfuite reconduit
à fon Appartement dans le même ordre qu'il
en étoit forti.
Le Roi a chargé le baron de Tott , brigadier
212 MERCURE DE FRANCE.
de fes armées , de l'inſpection générale des éta,
bliſſemens françois au Levant & en Barbarie.
MORTS.
Le fieur François d'Abyne de la Douze , mar
quis de Mayac , eft mort en fon château en Périgord
, le 19 décembre , âgée de 79 ans .
·
Catherine Eléonore - Elifabeth Cavalier de
Chauveau , originaire de la Rochelle , eft décédée
à Nancy, où elle demeuroit : elle a nommé
pour fon héritier J. B. Cavalier de Chauveau ,
fon frère unique , que l'exécuteur teftamentaire
a vainement fait chercher jufqu'à ce jour. Si
cette annonce lui parvient , ou à les ayant-caufes,
ils s'adrefferont au fieur Chaffel , avocar & cenfeur
royal à Nancy.
Le feur Jean Durut de LaTale , originaire
d'Auvergne , vient de laiffer à Saint -Domingue,
où il eft mort , une fucceffion affez confidérable,
On prie fes héritiers de s'adreffer au fieur Grim
prel , notaire au Cap François , qui leur donnera
fur cet objet toutes les inftructions néceffaires.
Jacques - Charles-François de la Ferrière , feigneur
de Roiffé , connu par des ouvrages de
phyfique , eft mort le 13 Décembre , agé de
foixante -dix-huit ans.
François - Gafpard - Anne de Forbin , chevalier
de l'ordre de Saint -Jean de Jérufalem , & major
général des troupes de fon ordre , eft mort le
18 Décembre , dans la cinquante- huitième année
de fon âge.
JANVIER . 1777. 213
Marie-Anne de Lentilhac de Gimel , ancienne
comteffe & chanoineffe du chapitre noble de
Remiremont , dame de la croix étoilée de l'ordre
de l'Impératrice - Reine , époufe de François-
Jofeph , marquis de Clermont- Tonnerre , maréchal
des camps & armées du Roi , fils du maréchal
- duc de Clermont-Tonnerre , chef du tribunal
des maréchaux de France , eft morte au châreau
de Champlatreux , dans la quarante- huitìème
année de fon âge , le Novembre.
Louis-Robert Malet de Graville , comte de
Graville , chevalier des ordres du Roi , commandeur
de l'ordre de Notre- Dame de Mont-
Carmel & de Saint - Lazare , lieutenant- général
des armées de Sa Majefté , gouverneur des ville
& citadelle de Maubeuge , eft mort en cette ville
le 18 Décembre , dans la foixante - dix - neuvième
année de fon âge.
Tirages de la Loterie Royale de France ,
du 2 Janvier 1777.
Pour les lots , 5,89, 36, 85, 23.
1er claffe. 68 , 16 , 28 , 87 , 20 .
Pour les
primes.
II . '49 , 2 , 14, 10 , 58.
III . II , 16,79 , 7,39.
IV . 71 , 74 , II , 76 , 40.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIÈCES
TABLE.
IECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE , P. f
L'origine de la fute ,
ibid.
Le Génie , la Vertu & la Réputation ,
Conte ,
Madrigal ,
7
9
10
Epigramme ,
L'ivreffe de l'Amour,
Conte ,
A M. le Kain ,
A M. l'abbé de Lille ,
Lettre à M. de Voltaire ,
Réponse de M. de Voltaire ,
Balkin ,
AM . le Comte de Treffan ,
ibid.
II
12
ibid.
13
ibid.
17
18
33
AMadame Necker , 34
La Reconnoillance ,
36
Vers à l'occafion d'un renouvellement de
mariage ,
38 Paftorale ,
4I
L'Aigle & la Fauvette , 42
A M. de Voltaire , 44
néral ,
A M. Necker ,
Sur la nommination de M. le Contrôleur- Gé-
Vers de M. L. D. de... à un chat de parfilage , 48
Vers de Mde la Ducheffe de la Val...
Réponſe de M. Gudin ,
Ode à Ligurinus ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
49
50
st
25
46
47
JANVIE R. 1777 . 215
ENIGMES . ibid.
LOGOGRYPHES , ss
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Euves de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
Panegyrique & Oraiſons funèbres ,
Proces verbal des conférences tenues par ordre
17
ibid.
71
du Roi , 78
Conférence du Diocèfe d'Angers ,
81
Précis de la vie de J. C. 85
Differtation théologique fur l'ufure , 87
Traité de l'ufure , 88
L'Iliale ,
Combien le refpect pour les moeurs contribue
au bonheur d'un Etat ,
Mélanges de littérature ,
ΙΟΣ
114
Offian ,
116
Journal politique de Genève , 126
Deſcription générale de l'Univers , 140
Journal des caufes célèbres ," 142
Annonces littéraires , 145
Almanachs ,
146
ACADÉMIES ,
- 157
Dijon ,
ibid.
SPECTACLES.
166
Concert ibid.
Opéra ,
186
Comédie Françoiſe, 186
Comédie Italienne
ibid.
ARTS,
167
Gravures ibid.
Mufique. 170
Horlogerie , 173
Topographie , 175
Canal de Monficar , 176
Géographie , 180
216 MERCURE DE FRANCE
Variétés , inventions , &c.
184
Anecdotes.
190
AVIS , 198
Nouvelles politiques ,
202
Préfentations ,
208
d'Ouvrages ,
ibid.
Nominations ,
210
Morts ,
221
Loterie , 213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le 2. volume du Mercure de France pour
le mois de Janvier , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion .
A Paris , сс 19 Janvier 1777.
DI SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe ,
près Saint Come,
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JANVIER , 1777.
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRG
DU
BIBLIOT
107
CHATEAL
VEU
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APARIS,
ROYAL
Chez LACOMBE , Libraire , rue de Touron
près le
Luxembourg .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
STOR
LIBRARY
ORK
AVERTISSEMENT.
' ESTau Sieur LACOMBE libraire , à Paris , rue de
Tournon , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de proſe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdores
événemens finguliers , remarques fur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevia avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
Ou fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
Libraire, à Paris , rue de Tournon.
On trouve auffi chez le même Libraire les Journaux
fuivans , port franc par la Pofte.
JOURNAL DES SAVANS , in-4º. ou in- 12 , 14 vol. à
Paris ,
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JOURNALDES BEAUX-ARTS ET DES SCIENCES , 24 cahiers
par an , à Paris ,
En Province ,
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BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE DES ROMANS , Ouvrage
périodique , 16 vol . in-12. à Paris ,
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241
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ANNÉE LITTÉRAIRE , 40 cah . par an , à Paris ,
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JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart ,
14 vol. par an , à Paris , 91. 16 L
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JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in - 12 par an ,
à Paris •
Et pourda Province , ..
181
241. JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE DE GENÉVE , 36
cahiers par an , à Paris & en Province ,
18I
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an, pour
Paris & pour la Province , .12 1.
JOURNAL ANGLOIs , 24 cahiers par an ; à Paris & en
Province ,
2.1
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JOURNAL DES DAMES , 12 cahiers , de chacun fenilles ,
par an , pour Paris ,
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TABLE GÉNÉRALE DES JOURNAUX anciens & modernes ,
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.
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en françois , 5 vol.gr. in-8 ° . rel .
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5 in-12 br.
Dict . Diplomatique , in- 8 °. 2 vol. avec fig, br.
Dict . Héraldique , fig. in- 8 ° .br.
Révolutions de Ruffie , in- 8 ° . rel.
Spectacle des Beaux - Arts , rel .
IT A.
Diction. Iconologique , in- 8 ° . rel.
Dict . Ecclef. & Canonique , 2 vol . in- 89 . rel.
Dict . des Beaux-Arts , in-8 ". rel.
21,
12 I.
3 1. 15 f.
21. 10 f,
21. 10 f.
3 l.
9 1.
41. Icf.
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de l'Hift. Eccléfiaſtique , 3 vol. in- 8 ° . rel. 18 1.
de l'Hift. d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol. in-8 °.
Sugel. A
de l'Hift. Romaine , in- 8 ° rel.
12 1.
61. Théâtre de M. de Saint Foix , nouvelle édition , 3 vol .
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in -8 °. br.
Bibliothèque Grammat. in-8 ° . br. 146
Lettres nouvelles de Mde de Sevigué , in 12 br.
Les mêmes , pet . format ,
Poëme furl'Inoculation , vol, in-8 ° . br.
61.
£21.
21. 10 f.
2 1. 10 f.
1 l. 16 f.
31.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in-8 bravec figs .
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br. i5 la
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , & c .
in- fol . avec planches br. en carton , 241 .
12 1.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architec
tyre , in-4 . avec fig. br . en carton ,
L'Agriculture réduite à fes vrais principes, vol . in-12 .
broché 21.
Annales de l'Imperatrice -Reine , in -8 ° , br. avec fig. 4
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 4777
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'AUTOMNE , Chant IIIe du Poëme des
Saifons ; imitation libre de Tompfon
IN VOCATION.
L'AUTOMNE 'AUTOMNE , orné de pampres rougians,
Sur la nature exerce un doux empire : I
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Defcends des cieux , Mufe , reprends ta lyre,
Et fais au loin retentir tes accens .
DEDICACE.
O toi , qui tiens le fceptre du génie ,
Chantre immortel , qu'ont refpecté les ans,
Toi , contre qui l'infatigable envie
Irrite envain fes farouches ferpens ;
Soutiens mon vol : daigne , illuftre V***,
Encourager mes timides pinceaux ;
Daigneremplir un espoir téméraire ,
Et d'un fourire accueille mes tableaux !
PREMIERS EFFETS DE L'AUTOMNE.
*
L'été s'éloigne , & l'éclatante Aftrée ,
Cédant fon trône & l'empire des airs ,
Ne brille plus fous la voûte azurée :
Thémis paroît , & pèfe l'Univers .
Entrecoupé d'une flamme dorée ,
Du firmament l'azur eft plus ferein ;
Un rideau blanc fend la plaine éthérée ,
Et trace en l'air un lumineux chemin.
L'aftrebrillant verfe un calme agréable ;
L'autan fougueux n'attrifte point les champs :
Bacchus s'avance , & fa compagne aimable ,
Pomone vient étaler fes préfens
JANVIER . 1777 . 7
C'eſt maintenant le triomphe des treilles :
La pourpre & l'or brillent fur les côteaux,
Et fous le poids de les grappes vermeilles ,
Labranche plie & fe courbe en berceaux.
ÉLOGE DE L'INDUSTRIE .
O du chaos , toi qui tiras le monde ,
Toi qui des arts es la fource féconde ,
Toi qu'on n'obtient qu'à force de labeur,
Fille du temps ! ô puiffante induftrie !
Tu nous montras la route du bonheur !
De la pareffe implacable ennemie ,
Tout eft empreint de ton fceau précieux ;
Et nous devons à tes foins généreux ,
Les agrémens qui charment notre vie.
L'homme , ifolé dans de vaftes déferts ,
Ne parcouroit que des landes arides :
Tu l'animas ; à fes regards avides ,
Tufis éclore un nouvel Univers.
Envain des arts il portoit la femence ,
Et des befoins il ſentoit l'aiguillon ;
S'abandonnant à la molle indolence ,
Il repouffoit le joug de la raiſon :
Sur fes defirs réglant fa marche errante,
Il diffipoit le tribut de fes champs ,
Sans mériter , par des travaux conftans ,
A iv
MERCURE DE FRANCE .
Une récolte encor plus abondante.
État cruel! des bienfaits de Cérès ,.
Loin de tirer une ſubſtance pure ,
Pour leur ravir une inculte pâture ,
Il pourſuivoit les monftres des forêts ::
Et quand l'hiver flétriffoit leur parure ,.
Et ramenoit la neige & les frimats ,
Sous un rocher creusé par la nature ,
Il échappoit à l'horreur du trépas .
Morne , ftupide , abhorrant fon femblable ,
Fuyant les ris , les jeux & les amours ,
Plus malheureux encore que coupable ,
Dans la douleur s'écouloient fes beaux jours..
Age de fer, fiècle de barbarie ,
Tu ne ceffas que lorfque l'induftrie
Offrit à l'homme un généreux fecours !
Elle parut , & fema l'abondance ;
Le Boeufau joug marcha fans réſiſtance ,
Et les moiffons couvrirent les guérêts :
L'homme à fa voix oublia ſa misère ;
A la coignée il ouvrit les forêts ,
Tailla le bois & façonna la pierre..
Il fe foumit les plus fiers animaux ;
Et rejetant leurs dépouilles fanglantes ,
Dont le couvroient fes mains encor fumantes ,
Il fe tráma des vêtemens nouveaux..
I cultiva de falutaires plantes ,
Dont il tira de meilleurs alimens ,
JANVIER 1777 .
Ets'abreuva des liqueurs bienfaifantes ,
Dont la chaleur femble créer des fens.
L'aménité defcendit fur la terre ,
Forma l'efprit & fit régner les moeurs ;
L'amour du bien germa dans tous les coeursa
L'homme , abjurant fon farouche repaire !
De tous côtés éleva des remparts ;
Et le commerce , affrontant les hafards ;
Pour réunir l'un & l'autre hémisphère ,
Dans les cités ratſembla tous les arts.
Bravant des mers le courroux inutile ,
Le Nautonnier , fur un vaiffeau fragile ,
Ofa franchir les flots impétueux ,
Et dans les ports trouvant un fur afyle ,
Malgré l'orage & les vents furieux ,
J
D'un pôle à l'autre , avec un front tranquille ,
Il fit voler les mâts audacieux.
O France , ainfi les tréfors des deux mondes
Viennent en foule entichir tes climats !
C'est danstes mers qu'on voit , au gré des ondes,
Flotter fans ceffe une forêt de mâts.
Le vent s'élève , & par toure la terre
Ils vont porter l'éclat de ton tonnerre
Le luxe dût à tant d'heureux efforts ,
Av
10
MERCURE DE FRANCE.
.
Tous les progrès : la colonnade fière ,
Jufques aux cieux leva ſa tête altière „
Et le Pactole épancha ſes tréſors.
L'homme donna l'ellor à fon génie
Sous fon cifeau le marbre refpira;
Sous fes pinceaux la toile s'anima 5
De la cadence it fixa l'harmonie ,
Et fous fes doigts la flûte foupira,
C'eft à toi feule , ô divine induftrie !
Que nous devons les plaifirs différens,
Qui , dans l'hiver embelliſſant la vie ,
Font oublier les fureurs des autans..
Privé de toi , l'agréable printems
Seroitfans fleurs , fans éclat & fans vie :
C'est par tes foins que le riant été ,
Du moiffonneur confirmant l'efpérance ,
Répand la sève & la fécondité :
L'Automne enfin te doit l'heureuſe aiſance ,
Ses doux préfens & ſes tréfors ambrés ,
Dont mes pipeaux , trop long- temps égarés,
Yont , dans ces chants , célébrer l'abondance ,
Par M. Willemain d'Abancourt.
JANVIER . 1777. II
VERS à M. DE C *** , en lui envoyant
un fouvenir.
PAR lui-m AR lui- même ce don n'a rien qui puiffe plaire ;
Mais c'eſt un don de l'amitié ;
Et quand elle a quelques cadeaux à faire ,
Le coeur eft toujours de moitié.
Par le même.
LE JUGE ENDORM I.
Conte.
UN Confeiller d'une Cour fouveraine
S'endormit fur les fleurs de lys :
Le cas n'eft pas nouveau; j'en fais qui par femaine...
Paix , bavard !.. Quand on vint recueillir les avis ,
Du trouble de fes fens fe remettant à peine :
Qu'on lepende , dit-il. Qu'on le pende ! reprit
Le Préfident. Pour le coup votre efprit
Sur le courfier d'Aftolphe en ce moment chevauche.
Jefuis defang-froid. Boy ! c'eft d'un pré qu'il s'agit.
Unpré, dites- vous ? Qu'on lefauche !
Par le même.
A vi
12 MERCURE DE FRANCE ..
PAROLES de paix portées aux Auteurs:
Infurgens ; paroles inutiles , mifes en
vers dans le goût & dans la manière de
Chapelle , par un vieux Hermite du
Parnaffe , qui les a adreffées à Milords
& Meffieurs des Communes de la Lit
térature.
FRÈRES , RÈRES , très- chers en Apollon ,
De grâce , terminez vos guerres !
Ceffez de vous brûler vos terres………
Vos terres du facré vallon .
Eteignez vos petits tonneires,
Ou lancez vos petits carreaux ,
Vos petits foudres fut lesfots 3
Ce font là les vrais adverfaires ,
Les ennemis , les francs Corfaires ,
Qu'il faut brûler par vos bons mots,
Mais que la paix & le repos
Règnent parmi les Gens de- lettres ;;
Ne vous difputez plus vos champs 3
Cultivez- les en bonnes-gens.
Que les Poëtes, dans leurs chants ,
JANVIER . 1777. 13
"
Difent du bien des Géomètres ;
Et laiffant- là les tons tranchans
N'ôtez ni ne donnez les rangs :
Les moins brillans & les plus piètres:
Ne font pas des poftes méchians ,
Lorfque l'on fert le Dieu des Lettres
Du Pinde , gaillard citoyen,
Fen fuis l'habitant le plus mince ;
Au Parnaffe je ne fuis rien ;
Mais je vais m'en croire le Prince,
Si je puis trouver le moyen
De fixer dans cette Province ,
Que défolent des Beaux- efprits ,
Infurgens allez aguerris ,
La paix à qui tout eft poffible ,
Par qui les aris font refleuris ;
La paix qui rappelie les ris ,
Qu'éloigne la guerre terrible
Que fe font nos frères chéris.
Ai-je une adreffe affez flexible
Pour concilier des efprits
Si différens , fi fort aigris ,
Et pour fléchir l'orgueil horrible ,
Dont nos Auteurs font tous paitris ?
Eſſayons ; rien n'eſt impoſſible…..
Mes enfans, une ame ſenſible...
14 MERCURE DE FRANCE.
Mais , quels cris j'entends ? ..«Non ; jamais ,
»Jamais au Parnaſſe de paix.
C'eft le cri de chaque cabale ,
Des amours- propres oppofés ,
Bien violens , bien divifés .
«Quoi ! dit leur troupe martiale ,
» A nous la paix ! Quoi vous ofez
Laprêcher ? Vous nous propofez
Cette jouiffance idéale !
» Bonhomme , vous vous amufez
» A la pierre philoſophale ».
IMITATION d'une Epigramme de
Claudien , fur un Vieillard Italien qui
n'étoit jamais forti defa campagne.
HEUREUX quiprès du terme où doit finit la vie ,
D'abandonner les champs n'a jamais eu l'envie !
L'humble toît qui vit naître & mourir les ayeux ,
L'a vu ramper enfant , le voit fe traîner vieux .
Fortune , il n'alla point , fuivant ton inconftance ,
Promener à ton gré fa mobile exiſtence ;
Marchand , braver les flots , & foldat les hafards ,
Ni plaideur de fon juge implorer les égards.
JANVIE R. 1777.
15
Il ne chercha jamais des fources étrangères ,
L'onde où s'éteint fa foif, défaltéroit les pères ;
Tranquille , il fixe en paix lui-même ſes deftins ,
Et coule des jours purs , ignoré des humains,
Il veille avec l'aurore , avec elle il repoſe ,
Il connoît le printemps annoncé par la rofe ,
L'automne, quand Pomone a courbéfes pommiers,
Ou quand Bacchus prodigue enrichit fes celliers.
Sa cabane , fes champs , pour lui voilà le monde.
Il jouit librement du ciel qui les féconde.
Ce chêne qu'il admire , & fes bois toujoursverds ,
Ont autant défié qu'il a vêcu d'hivers ;
Enfant il les planta ; leur feuillage , leur gloire ,
Des jeux de fon jeune âge enchantent la mémoire .
Cependant il blanchit , même au fein du bonheur
Mais loin de fa jeuneſſe , il en a la vigueur.
Qu'un autre de la terre.embraſſe l'étendue :
Il rétrécit fa vie en étendant la vue.
Par M. le Méteyer.
16 MERCURE DE FRANCE.
VERS du Magifter de la Paroiffe de
Condé, à deux Époux mariés par la
munificence de Monfeigneur l'Evêque
Evreux , envoyés la veille de leurs
nóces , le 27 Novembre 1776.
AMANS dont la fortune , au gré de fon caprice ,
Trop long- temps traverſa les voeux ,
Ne vous affligez plus : une main protectrice ,
Au pied de nos autels va couronner vos feux .
Mais favez - vous à quoi déformais vous engage
Le prix de fes bienfaits en tous lieux répandus ?
De la reconnoiffance elle ne veux qu'un gage :
Tous les autres fans lui deviendroient fuperflus..
Au mérite indigent prodiguant fes largeffes ,
Ce Paſteur adoré, ce Prélat généreux ,
Quoique compâtiffant aux humaines foibleffes ,
N'aime à récompenfer que les coeurs vertueux.
D'honnêtes Citoyens , pour peupler nos contrées ,
Quand ce penchant commun aux Bergers comme
aux Rois ,
A deux coeurs purs impofera fes loix ,
JANVIE R. 1777 . 17
Il veut qu'à les unir par des chaînes facrées ,
Ses richeffes par an deux fois foient confacrées.
Quelle gloire pour vous d'être fon premier choix !
A le juftifier que votre ardeur s'empreffe ;
Volez , & dans fes mains prononçant vos fermens,
Si vous voulez pour vous toujours qu'il s'intéreffe ,
Sur fes nobles deffeins réglez vos fentimens.
Afes yeux , de fa bienfaisance
Alors les dons ne feront point perdus.
Sous vos ruftiques toîts appelant l'abondance,
Le travail banira le fléau des vertus.
A leurs faintes leçons vos ames attentives ,
Uniront dans la joie & l'époufe & l'époux ,
Et de l'Iton vous peuplerez les rives
De Citoyens utiles comme vous.
Par M. l'Abbé de Rouvere , Vicaire-
Général d'Evreux.
18 MERCURE DE FRANCE.
VERS à M. WILLE , Fils , de l'Acadé
mie Royale de Peinture , Sculpture &
Gravure , furfon tableau de la Fête des
Bonnes-Gens , inftituée à Canon , en
Normandie, à l'imitation de celle de
Salency.
DANS vos murs renommés , Canon , la vertu
brille ,
Témoin ce bon vieillard & cette fage fille
Dont vous récompenfez les innocentes moeurs.
Qui ne feroit ému de voir cette famille !
On vous rend donc juftice , honnêtes laboureurs !
Trop long temps dédaignés , votre état intéreffe ;
Pour quelque chofe enfin on compte vos fueurs ;
Échangeant en plaiſirs de frivoles grandeurs ,
Avec des Payfans fe confond la nobleffe :
Ce que le fort fépare , uni par la tendreſſe !
Ah ! j'en fuis touché jufqu'aux pleurs !
Sur chaque front éclate une fainte allégreſſe.
Ces fifres , ces tambours , ces rubans & ces fleurs ,
Ce cortége divers qui tourne , qui s'empreffe ,
Ces joyeux fufiliers , ces voltigeans drapeaux ,
Pacifique fignal d'une douce victoire ,
JANVIER . 1777 . 19
Despères , les enfans , impatiens rivaux ,
La femme du vieillard , qui partage fa gloire ,
Mais qui ne la voit point , & d'un pas chancelant ,
Letenant par l'habit, l'accompagne en tremblant...
Quel fpectacle ! ô fête fublime !
Affurément Wille étoit-là ,
Et mieux qu'en vers je ne l'exprime ,
Ses pinceaux fur la toile ont rendu tout cela.
Par M. Guichard.
N. B. Les Amateurs peuvent fe procurer la
fatisfaction de voir ce tableau , rue des Foffés St
Germain , Cour du Commerce , où demeure l'Artifte.
LE COLPORTEUR GÉNÉREUX.
Anecdote véritable.
LA bienfaifance eft de tous les états ;
mais elle fe manifefte plus communément
dans une condition mitoyenne ;
plus fouvent encore ceux qui flottent
entre l'indigence & le fimple néceffaire ,
ont l'ame bienfaifante. La plupart des
Grands , livrés à la molleffe , environnés
20 MERCURE DE FRANCE .
de vils flatteurs , & uniquement occupés
de leurs plaifirs , ne connoiffent pas les
charmes de cette douce bienfaifance . Un
Traitant étonne la Capitale par fon fafte
& fes dépenfes exceffives : il transforme
un antre fauvage en un palais enchanté :
il fait difparoître une montagne dont la
cîme fourcilleufe l'importune : ivre de
fon opulence , il ne vit que pour lui : il
ignore s'il exifte des malheureux. Quiconque
a éprouvé l'infortune , ne ferme
pas ainfi l'oreille aux cris de l'humanité
fouffrante.
Un Habitant d'un Bourg du Cercle
d'Ertzgeburg , étoit réduit à la dernière
mendicité. Il avoit , pour faire fubfifter
fa famille , épuifé toutes les reffources .
Une légère provifion d'avoine , qui fervoit
depuis quelques jours de nourriture
à cette famille infortunée , étant finie
elle s'eft vu plongée dans la plus affreufe
détreffe . Un Boulanger , auquel le père
devoit neuf écus , refufe impitoyablement
de lui fournir du pain , jufqu'à ce
qu'il lui ait payé cette fomme. Les cris de
fes miférables enfans , prêts à tomber en
défaillance par le befoin , les larmes d'une
tendre épouſe lui percent l'ame. Cher
époux , lui difoit cette mère défolée ,
JANVIER. 1777. 21
laifferons nous périr nos malheureux
enfans ? Ne leur aurons - nous donné
» l'existence que pour les voir enlever par
» les horreurs de la faim? regarde ces triites
» victimes , fruits de notre amour :
"
33
33
บ
"
12
déjà la
pâleur de la mort couvre leurs joues.
» Moi-même j'expire de douleur & de
" misère... Hélas ! fi encore , aux dépens
» de ma vie , je pouvois conferver celle » de mes enfans... Cours ... vole dans la
» Ville voiſine ... expofe nos befoins ...
qu'une mauvaiſe honte ne te retienne
point... Songes que tous les inftans
» que tu perds , font autant de coups de
poignard que tu porte dans le fein de
» ta pauvre famille. Peut-être le ciel
fera- il touché de nos peines : peut-être
trouveras- tu quelque ame bienfaifante
qui nous foulagera dans nos maux ».
Ce malheureux
père , reffemblant
plutôt
à un ſpectre qu'à un homme , couvert
de haillons
, tourne fes pas vers
la Ville :
il prie , il follicite , il peint fa déplorable
fituation
avec toute l'énergie
du fenti
ment & l'amertume
de la plus vive douleur
perfonne
ne l'écoute , perfonne
ne
l'affifte. Indigné d'une pareille cruauté , il entre dans un bois avec la réfolution
d'attaquer
le premier paffant ; la nécef-
:
22 MERCURE
DE FRANCE
.
fité lui paroît une loi ; l'occafion le favo
rife bientôt , il arrête un Colporteur ;
celui- ci , fans oppofer la moindre réſiſtance
, lui remet une bourfe de vingt- un
écus. Mais à peine s'en eft-il faifi , qu'il
eft déchiré de remords ; il fe jette aux
genoux du Colporteur ; il les arrofe de
fes larmes. Tenez , lui dit- il , voilà le
» refte de votre argent ; je ne prends que
» ce que mes preffans befoins exigent.
Croyez qu'il m'en a coûté beaucoup
» pour me réfoudre à commettre cette
» action. Mon coeur n'eft pas fait pour
» le crime. Daignez , je vous en conjure ,
» venir jufqu'à mon habitation , vous
» reconnoîtrez la caufe qui m'y porte.
» En voyant le trifte état où eft ma famille
, vous me pardonnerez : vous de-
» viendrez mon bienfaiteur , mon fau→
"
"
» veur ».
Le pauvre & honnête Colporteur rele .
va cet infortuné en l'embraffant, Vaincu
par fes follicitations , & entraîné par fa
propre fenfibilité , il n'hésite pas un feul
moment à le fuivre . Mais combien fon
trouble augmenta en entrant dans la
mafure du Payfan ! Tout ce qu'il voit
excite fa compaffion : il trouve des enfans
prefques nuds , couchés fur de la
JANVIER. 1777 . 23
paille & à la veille d'expirer , une mère
dans l'état le plus affreux .
30
"
"
Le Payfan raconte fon aventure à fa
femme . « Tu fais , lui dit- il , avec quel
empreffement j'ai été à la Ville dans
l'efpoir d'y trouver des fecours . Mais ,
chère amie , je n'ai rencontré que des
» coeur durs , que des gens occupés , les
» uns à amaffer des richeffes , les autres
» à diffiper celles qu'ils ont par leur luxe
» & leurs folles dépenfes ; tous m'ont
» rebuté . Défefpéré.. furieux... je me
» fuis jeté dans le bois voifin ... Le croi-
» rois-tu ? ... J'ai ofé porter une main
» facrilége fur l'honnête homme que tu
» vois... J'ai ofé le... Ah ! je ne peux
» achever ».
30
Ayez pitié de mes enfans , s'écrie
auffi - tôt la mère déſolée , en regar-
» dant le Colporteur ; confidérez l'hor-
» reur de la misère à laquelle nous fom-
» mes livrés . Hélas ! la pauvreté n'a point
changé nos fentimens . Nous avons
toujours , au milieu de la plus affreufe
» indigence , confervé l'honneur . Je ré-
» clame votre miféricorde en faveur de
» mon mari : j'implore vos bontés pour
mes enfans ».
"
L'honnête Colporteur , attendri par
24 MERCURE DE FRANCE.
ןכ
-
ce qu'il entend , & par tous les triftes
objets qui frappent fes yeux , mêle fes
lat mes à celles de ces pauvres gens . « Je
» fuis votre ami , leur dit il ; prenez , je
» le veux , ces vingt- un écus. Que n'ai -je
» une fortune aufli étendue que l'eft ma
» bonne volonté pour vous ! mon regret
» eft de ne pouvoir vous affurer un fort
» heureux pour l'avenir. Quoi ! répond
le Payfan , loin de me traiter
comme votre ennemi , vous daignez
» être mon protecteur?... Vous voulez
» être notre libérateur ? Ah ! mon crime
» me rend indigne de vos bontés . Oui ,
» duffions-nous mourir de faim , je ne
prendrai point votre argent » . Le Colporteur
infifte , & le force de l'accepter.
Toute la famille baife la main fecourable
qui vient de la préferver de la mort . Des
larmes de reconnoiffance innondent les
vifages , & le Colporteur fe retire avec
la fatisfaction & les délices qu'éprouvent
les ames bienfaifantes.
93
O vous ! riches orgueilleux & avares ,
en voyant l'exemple de générofité que
vous donne cet honnête Colporteur , vos
coeurs feront-ils toujours inacceffibles à
la pitié ? Verrez-vous d'un oeil ſec fouffrir
vos femblables ? Ne fentirez-vous
jamais
JANVIER . 1777. 25
jamais combien il eft doux de faire des
heureux ? Ah ! ne vous endormez pas
dans le fein de l'opulence ! La fortune
eft inconftante ; jouiffez de fes faveurs
préfentes , mais au moins n'oubliez pas
cette importante vérité , que votre fuper-
Aus doit être le patrimoine des pauvres.
Par M. Jaymebon , Préfident au Grenier
à Sel d'Argentan , en Berry.
LES TROIS VOYAGEURS.
MAINT curieux fouvent s'eſt repenti
De s'être envain laſſé dans un trifte voyage ::
Ni plus heureux , ni meilleur , ni plus fage ,
Excepté cheveux blancs, teint blême & rembruni ,
Sillons au front , chez lui devançant l'âge .
Il est au même point dont il étoit parti.
Trois Voyageurs , Simon , Paul & Maurice ,
Le troisième Alchimifte , obéré par état ,
Le Cecond Déferteur , l'autre enfant de Moife ,
Croyant faire fortune en changeant de climat,
Cinglèrent vers Tunis , en partant de Venife .
Le Maître du vaiffeau , Commerçant Ragulain,
Alloit dans la Lybie acheter des Efclaves.
I. Vol B
3.26
MERCURE
DE
FRANCE
.
Déjà s'offroit un port : un Corfaire Africain
Fondfur la nef, & malgré les trois Braves,
Il vient à l'abordage , & les réduit enfin .
Hazan , vainqueur , les accable de chaînes ,
Er dans Alger , à leurs antiques peines ,
Subſtitue un chagrin plus jufte & plus cuifant.
L'Alchimifte fougueux s'exhaloit en injures ,
Et contre Alger & contre Hazan ;
Paul regrettoit alors fon Régiment ;
Simon le Juif, étouffoit fes murmures ,
Patientoit en enrageant.
Enfin , pour alléger les maux de l'esclavage ,
Les trois Amis , habiles Muficiens ,
Beaux , bien tournés, au printemps de leur âge ,
Parleurs luths & leurs voix charmoient les Algégériens.
Hazan lui -même , épris de l'harmonie ,
En fonférail introduit les captifs :
Plus éprifes des gens que de la mélodie ,
Vingt Beautés, par l'amour & les feux les plus vifs,
Les vengent en fecret des fers de la Lybie.
L'amour a pour les maux la vertu du Léthé ;
Mais ce charme puiffant ne dura qu'un été ;
L'ennui reprit nos gens : les belles Africaines
Des rofes de Paphos envain paroient leurs chaînes
Uu départ clandeftin bientôt fu: arrêté,
JANVIE R. 1777. 27
གླ ༈ ་
n
Hazan fur un chebec un jour alloit en course ;
Le volage trio fait d'Alger fans regrets' ,
Des préfens du férail ayant rempli la bourſe :
Dans la Turquie il crut, à peu de frais ,
Trouver, pour s'enrichir , infaillible feffource .
Vid
En paffant à Balbeck , nos Chevaliers errans
En admiroient les colonnes fameufés ,"
Du goût exquis des Grecs fuperbes inonumens .
Et du faſte Romain ruines orgueilleufes ;
Ils font foudain volés par des brigands.
Un Sangiac , pour comble d'infortune ,
Les dénonce au Muphti comme des mécréans ;
Infcrits de force au rang des Mufulmans ,
Rien ne peut les fauver de la règle commune :
Tout, fous peine du pal , eft foudain circoncis.
Dans l'eau , trois fois par jour , effacer ſa fouillure ,
Fuir Bacchus , voir la Mecque , encenfer les Dervis,
Jeûner le Ramazan , parut aux trois Amis
Pur fanatifme & rifible impoſture.
Un beau jour il s'en vont de Byfance à Tauris.
La route fut d'un an. Nos gens pris & repris ,
Virent enfin cette Ville importante ,
Ou Perfans , Turcs , Chinois échangent pour de
l'or ,
Les tapis , les bijoux de l'Afie opulente.
Ce trafic éternel les ennuyoit encor':
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28 MERCURE DE FRANCE.
Leur tête folle , inhabile au commerce ,
Leur fit pour l'Inde abandonner la Perſe.
Un jour l'Aurore à peine étaloit ſes rubis ,
Nos Braves entichés d'un eſpoir chimérique ,
Après de longs détours , des périls infinis ,
Atteignirent les bords de la mer Arabique.
Ils alloient au Mogol . A cent pas de Goa ,
Après fix mois d'un finiftre voyage ,
Jouet des flots , leur navire échoua :
L'Amirauté confifqua l'équipage ;
Des gens le Saint Office , à fon tour , s'empana.
Comme relaps & d'engence profcrite ,
Sur des fagots ardens on alloit les nicher ;
Clara , du Préfident la beauté favorite ,
Sollicite pour eux , les arrache au bûcher.
Nouvel aiman ; la côte de Bengale
Sur le fein de Thétis ramena nos Héros ;
Faute d'argent jetés à fond de cale ,
Ils envioient le fort des plus vils matelots.
Prefque nuds , affamés , accablés de tous maux ,
On les laiffa fur le premier rivage.
Fixons-nous , difoit Paul , en ce climat fauvage ,
Loin des humains nous ferons fans bourreaux.
J'apperçois des palmiers ; cette terre fertile
Nous peut nourrir & fournir un afyle...
JANVIE R. 1777 . 29
Le foldat péroroit ; lorfqu'un gros de pêcheurs
Caufe aux confédérés de nouvelles terreurs .
Une barque vomit vingt hommes fur l'arène.
Nos champions , défolés , éperdus ,
Sous les palmiers touffus
S'enfuyoient à perte d'haleine :
Les pêcheurs émus de pitié ,
Leur montrent divers mets en figne d'amitié ;
Et la faim defpotique auffi- tôt les ramène .
Les Sauvages armés d'un fer étincelant ,
En frappent des cailloux ; le feu brille à l'inftant :
On jette les filets ; & la pêche abondante ,
Que fuivent fruits exquis & breuvage excellent,
Du trio régalé calme enfin l'épouvante.
Les pêcheurs , quoique nuds , n'avoient rien d'inhumain
,
Sinon que croaffer fo: moit tout leur langage :
Nos gens au ciel confiant leur deftin ,
Ofent les fuivre en un prochain village.
Des filles qu'enveloppe une peau de chamois ,
Autour des étrangers s'agitent en cadence ,
Au fon bruyant des tambouis , des hautbois :
Pour bannir de chez eux l'effroi , la défiance ,
On leur affigne , en un lieu féparé ,
Bled, ruftique attirail, femmes en affluence ,
Si cet article eft à leur gré :
Paul lui-même , en cepoint , parut fort modéré ,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
7
La laideur des fujets brida l'incontinence.
Faut-il , difoit Simon , que l'hofpitalité
Soit l'attribut d'une horde fauvage ?
Mutilés ou captifs , l'humaine iniquité ,
Par la flamme & le fer , la rapine & l'outrage ,
Jufqu'ici contre nous exhala donc fa rage ;
Et tout refpire ici les moeurs , l'aménité !
L'homme ailleurs fanguinaire , altier , fourbe ,
fantafque,
N'offie , hélas ! que le mafque
Des vertus dont ce Peuple a la réalité !
Hatlons & croaffons , fi tel eft fon ufage.
Sachez , pour vous confondre , hommes civilifés ,
Que la fimple nature , en cette Ifle fauvage ,
Vaut mieux qu'efprit & loix , defquels vous
abufez.
Le plus humain fut toujours le plus fage.
N'accufons , s'écria l'Alchimifte furpris ,
Que nous des maux foufferts fur la terrè & fur
l'onde.
Pourquoi quitter l'Europe & courir à Tunis ?
Biens , maux , peines , plaifirs fe croifent dans le
monde.
Efclaves dans Alger , mais fêtés & ché : is ,
L'or & l'amour embelliffoient nos chaînes :
Nous fuîmes; on nous prit lesdons des Africaines.
JANVIER 1777 . 31.
Nous étions des brigans volés par des ban dits.
Heureux fi c'eût été le terme de nos peines !
Loia du Muphti qui nous fit mutiler ,
Nous pouvions à Tauris , dans un trafic honnê te'
Trouver l'or, cette idole à qui chacun fait fère :
Nous courons à Goa nous y faire brûler.
Nul climat envers nous au fond n'étoit perfide ;
Qui nous les rendit tels ? L'ennui , l'oifiveté .
Mais l'éloge de l'Ifle eft- il bien mérité ?
J'ai vu par- tout l'homme le plus ftapide
Pencher le plus à l'inhumanité.
Ce Peuple fans police , ignorant , hébéré ,
Qui te ſemble fi doux , eft peut- être homicile .
Hurlons , pour le flater , croaffons ; j'y confene.
Et tous trois de heurler. Accoutent les Sauvagés ,
En grande pompe , au fon des inftrumens ,
Conduifant trois enfans coutonnés de feuillages: -
Il fe fait un chorus de longs croaffemens.
Puis Sauvages de fuir auprès d'un précipice .
On les fuit; & bientôt , aux pieds d'un bouc
hideux ,
Les innocens , offerts en facrifice ,
Font mugir les échos de leurs cris douloureux .
Paul bravant les dangers d'un affant téméraire ,
Alloit , la dague en main , percer l'exécuteur :
Arrêté par Maurice , il tourne fa fureur
Sur l'Hébreu qui vanta la horde fanguinaire.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE..
1
Sont- ce-là , lui dit-il , les traits de loyauté
Qui relèvent l'inſtinct de la fimple nature ?
Corbleu ! fui- nous , oifeau de trifte augure ,
Ou je te croife la figure ;
Chez ces hommes de fens croupis en liberté.
Simon , confus , avoua fa bévue ;
Et quittant le premier ce théâtre d'horreur ,.
Suivi des fiens , harcelé par la peur ,
Il s'enfuit vers les bords de cette Ifle inconnue
Le mêmejour un navire Hollandois ,
Battu des vents en venant de Surate ,
Vint radouber fes mâts & les agrêts.
Sur les bords odieux de l'Ifle fcélérate .
Nos Voyageurs admis fur le vaiffeau ,
Et comme extafiés d'un hafard fi propice ,
Reflembloient à des gens qu'au moment du fupplice
,
On arrache par grâce aux horreurs du tombeau .
On lève l'ancre , & la cruelle terre
Fuit comme une ombre aux yeux des matelots.
La proue à peine un mois avoir fendu les flots ,
Que l'oeil admire au loin les beaux champs de
Madère.
slo por d'Amfterdam l'équipage eft rentré
Na en étranger , défoeuvré.
Pour s'arracher à la misère ,
JANVIER 1777. 3.3.
Paul y reprit le harnois militaire.
L'Alchimifte Maurice y trouva des badauts ,
Comme lui fugitifs, qui cherchant le grand- oeuvre,
Comptant , nouveaux Flamels , tranfmuer les
métaux ,
Payèrent de leurs biens fa trompeufe manoeuvre ;
Mais dans peu l'indigence éteignit les fourneaux.
L'Hébreu Simon y rencontra des frères ,
Dont l'affiftance allégea fes misères ;
Il s'y convainquit pour toujours
Qu'un Peuple induſtrieux , dont les prudens
ufages ,
La franchiſe éclairée , affurent les beaux jours
Vaut mieux que des hommes fauvagės , `
Sans loix , cruels , ftupides à l'excès ;
Qugle fort des humains étant d'être imparfaits ,
Les États policés préſentent les plus fages.
Par M. Flandy
В v
34. MERCURE DE FRANCE.
Première Scène de la Lecture interrompue
, Comédie de M. le Chevalier de
Cubières , jouée à Fontainebleau le 29
Octobre 1776.
.X
DORIMENE , PROUSAS.
DORIMENE.
O1, ce fyftéine eft faux autant que monstrueux.
On vous traite par-tout , Monfieur , de rêve-creux ,
Qui veut , renouvelant une ancienne héréſié ,
De la fcène bannir l'aimable poëfic ;
En chaffer les Héros , les Princes & les Rois ,
Pour leur fubftituer d'infipides Bourgeois :
Qui ne veut plus fur tout rire à la comédie.
PROUS AS .
Savez-vous que le rire eft une maladie ,
Qu'à nos mufcles il caufe une contraction ,
Qui peut troubler du fang la circulation ?
DORIMEN E.
Il vaut donc mieux pleurer...
PROUSA S.
I
Je pleure avec délices.
JANVIER. 1777. 35
Quand je fuis attendri , les risfont mes fupplices.
DORIMEN E.
Et moi , je ris beaucoup ; & je me porte bien .
PROUS AS .
Je prétends vous guérir...
DORIMINE.
Fil d'un tel Gallien.
C'eſt bien avec raiſon qu'alors on pourroit dite
Que le rire eft un mal , dont le remède eft pire.
PRO USA S.
Je faisque lentement perce la vérité.
Mais tremblez : quelque jour , juftement irrité
De ne pas m'attirer plus d'un Panégyr :fte ,
Je veux lâcher un drame & fi fombre & fi triſte ,
Que je me fatte , grâce à mes pinceaux ſavans ,
Long-temps après ina mort , d'effrayer les vivans,
DORIMEN E.
Avec tous vos écrits & leur lagubre charme,
Vous ne pourrez jamais m'arracher une larme,
Il n'eft que la gaîté qui donne de beaux jours ,
C'est moi qui vous le dis ; mais changeons de
difcours .
Vous Lavez que Sainfort , épris de votre fille ,
B
vi
36 MERCURE DE FRANCE.
N'alpire qu'au bonheur d'entrer dans la famille.
Sainfort a dans le monde une exiſtence , un nom
Voulez - vous le choifir pour votre gendre ?
PROUS A S.
Nem'en parlez jamais .
Now
DORIMEN E.
Il a de la figure ,
De l'efprit ; tout cela m'eſt d'un heureux augure.
Qui pourroit contre lui vous donner de l'humeur ?
PROUS AS.
C'eft qu'il me contredit toujours avec aigreur.
Que fes opinions antiques , furannées ,
En matière de goût font fauffes , erronées :
Qu'il veut dans la difpute avoir toujours raiſon ,
Et qu'il mettroit enfin le trouble en ma maiſon =
Qu'il litfouvent des vers , que même il en compole
,
Loin d'étendre avec moi l'empire de la profe :
Que c'eft un homme enfin que Racine a gâté.
DORIMENE.
On a donc l'efprit faux & le goût frelate,
Trouvant Racine tendre & Corneille admirable
Une pareille erreur eft pourtant excufable.
C'eft celle du Public,
JANVIER. 1777. 37
PROUSA S.
Et le Public a tort.
Mais ce qui juftement me fait hair Sainfort ,
C'est que je l'ai vu rire aux endroits pathétiques
D'un drame , le plus noir de mes drames tragiques.
Tandis qu'il eft d'un beau vraiment fi fépulchral ,,
Que même des Anglois par fois s'y trouvent mal .
DORIMÈN E.
Eh bien de tout cela pourquoi lui faire un crime ?
Il peut avoir pour vous la plus fincère eftime ;
Et fidèle aux devoirs par l'amitié preferits ,
Se moquer quelquefois de vos graves écrits .
Il fait vous diftinguer,Monfieur, de vos ouvrages.
PRO USA S..
Comme ils font mes enfans , je reflens leurs ou
trages.
La critique fur moi fait rejaillir fes coups .
Pour ma fille en un motje fais choix d'un époux
Que je dois préférer à Sainfort votre idole ..
Je veux un gendre , moi , qui fiflant l'art frivole ,
De qui tout le mérite eft d'arranger des mots
Qui ne peuvent flatter que l'oreille des fots,
Mette entous les difcours un défordre fublime ,
Qui foit , ainfi que moi , ligué contre la rime,
Sente ce que je vaux , & répande par -tout
381 MERCURE
DE FRANCE
,
Que je fuis un grand homme , & que j'ai ſeul du
goût :
Et ce gendre eft tout prêt.
DORIMEN E.
Peut-on , fans vous déplaire ,
Vous demander , Monfieur , d'éclairer ce myſtère ?
PROUSA S.
Vous favez que des noeuds d'une tendre amitié ,
Depuis long temps Sombreufe eft avec moi lié ,
Et que même le fang entre -nous les refferre ,
Puifqu'un de mes aïeux épouſa ſa grand mère.
DORIMÈNE , avec vivacité.
C'eſt à cet homme- là , qu'efco : tent les foucis ,
Qui vint nous voir , je crois , en l'an foixante- fix ,
Au temps du carnaval , mais dont la face blème
Anticicipoit déjà beaucoup fur le carême ;
Que rien ne dérida , ne fit rire jamais ,
Qui fuyoit Arlequin & n'alloit aux Prançais ,
Que quand de la Chauffée on jouoit une pièce ;
C'eft a cet hoinme-là que vous donnez ma nièce ?
PRO USA S.
Pouvez-vous le penfer? Cet homme a foixantë
ans
Voulez- vous qu'àliver funile de primempes
JANVIER. 1777. 39
C'eft pour fon fils , ma four , qu'il demande ma
fille .
Dorimène demande à fon frère quels fervices
Sombreufe luz a rendus.
PROUS AS .
Quels fervices ! morbleu ? quoi ! ne ſavez -vous
pas
Qu'à Lyon tous les ans il fait jouer mes drames.
Qu'il y fait fondre en pleurs les hommes & les
femmes ,
En donnant le premier l'exemple d'y pleurer.
Que peut-être à préfent il y fait admirer
Mon ſavoir, més talens, & qu'ainfi mon nom volė,
Par lui , par fon fecours , de l'un à l'autre Pole.
DORIMENE.
Jamais je n'en ſus rien . Son ſtratagême eſt tel ,
Qu'à l'infçu du Public il vous rend immortel.
រ
Cette fcène a été applaudie , ainfi que
les deux fuivantes.
Les autres fcènes n'ont pas été entenaues
, à caufe des toux multipliées &
des éternuemens du Parterre , qui , ce
jour- là, étoit fort enthumé. Cependant
40 MERCURE DE FRANCE .
les Auditeurs attentifs ont remarqué que
l'intrigue étoit foible & commune ; mais
peut- être l'Auteur a- t- il eu raifon de
rendre fes perfonnages moins intéreſſans
que ridicules . Telle eft en général la
marche des pièces à caractère. La peinture
des travers du principal perfonnage ,
ne permet guères d'y développer les paffions
des perfonnages fubalternes . L'homme
qu'on veut jouer , y eft toujours mis
dans le plus grand jour . Les Ainans
n'occupent que les coins , ou l'enfoncement
du tableau .
On a critiqué le dénouement avec
plus de juftice . On l'a trouvé froid &
trifte ; & la fortie de Sombreufe top
femblable à celle de Triffoiin dans les
Femmes Savantes . L'Auteur en eft convenu
de bonne -foi. Il a travaillé à ôter
ces défauts ; ce qui fait préfumer que la
Pièce , telle qu'il l'a corrigée , fera reçue
à Paris plus favorablement qu'à Fontainebleau
.
Une autre raifon de fon peu de fuccès,
c'eft que le Public n'a peut - être pas affez
fenti que M. le Chevalier de Cubières
cherchoit bien moins à critiquer les
Comédies attendriffantes , que l'abus de
ce genre vraiment eftimable , dans lequel
JANVIER. 1777. 41
plufieurs grands hommes ont cueilli des
palmes méritées , & c.
Par M. D*** , Commis de la Guerre.
LES REMORDS D'UN ARTISTE
FUTILE.
Au centre du repos , au fein de la fortune ,
Quelnoir préfentiment m'affiége & m'importune !
Quelle plaintive voix s'élève dans mon coeur ,
Et le remplit foudain de trouble & de douleur!
Remord ! cruel remord ! tourment inévitable ,
Tu frappes , tu punis tôt ou tard le coupable !
Envain fur ton reproche il voudroit s'étourdir ,
Le bruit des paffions , l'extafe du plaifir ,
La rudeffe du coeur , fa molle indifférence ,
Rien ne peut le fouftraire à ta jufte vengeance :
Un inutile efpoir le flatte & le féduit ;
Il porte dansfon fein le fupplice qu'il fuir ,
Et toujours attentif à fuivre ta victime ,
Tu pénètres par- tout où pénètre le crime.
Il est venu pour moi ce moment de terreur ,
Où l'homme fe réveille & compre avec fon coeur:
Lé nuage ſe fend ; une main protectrice ,
Venant me retirer du fond du précipice ,
42 MERCURE DE FRANCE .
Détruit l'enchantement pire que le trépas ,
Qui m'entraînoit au crime & ne l'excufoit pas.
Mes regards étonnés fe portent fur moi- même.
Cet or , qui fut l'objet de mon ivreffe extrême ,
S'avilit à mes yeux , & recouvrant fon prix ,
Il ne me paroît plus qu'un objet de mépris.
O fortune ! ô chimère ! ô féduifante idole !
Que de tés cruautés le pauvre fe confole !
Tu fais payer trop cher aux malheureux mortels.
L'honneur , l'affreux honneur d'encenfertes aurels.
Ridicule tableau du chaos qui s'anime ,
Toi qu'on aime & qu'on hait , qu'on blâme &
qu'on eftime ,
Paris , c'eft contre toi que j'élève ma voix ,
Et pour te condamner, voici quels font mes droits.
Dans tes murs enchantés , hélas ! je pris naiffance ;
Orphelin à quinze ans , laiffé dans l indigence ,
Maudiffant en fecret la rigueur de mon fort ,
J'ai voulu l'éviter & prendre mon effor :
Entre mille talens , dont ton fein eſt l'aſyle ,
Je choifis le plus fûr & le plus inutile.
Dans ces temples fameux où de jeunes Beautés ,
Prêtreffes de Vénus & des frivolités ,
Font , fous l'oeil dangereux d'une fauffe Maîtreffe ,
Commerce de pompons , de gaze & de tendreffe ,
JANVIER . 1777. 43
Guidé par le plaifir fi fatale aux humains ,
J'adoptai des travaux indignes de mes mains:
L'amour, l'oifiveté, ces Dieux de la parure ,
Reçurent mes fermens avec un doux murmure ;
Et naturalifé dans ce func fte état ,
Mon nom de rang en rangvoloit avec éclat;
Quand foudain , lavarice agaçant mon génie ,
J'irritai les erreurs de la coquetterie :
Une gaze pliée avec art fous mes doigts ,
Devenoit une rofe , un oeillet à mon choix :
Reconnu pour un chef dans la brillante école ,
Mon enfeigne du Goût en étoit le fymbole.
Le fexe énorgueilli de mes futilités ,
M'érigeoit des autels comme aux Divinités ;
Et l'inftrument honteux de toutes les foiblefes ,
L'or , ruiffeloit chez moi pour prix de mes foupleſſes.
Mais nous eft-il permis , par ces pompeux riens ,
D'artérer le bonheur de nos Concitoyens ? -
Mon coeur n'étoit-il pas devenu facrilége ,
En abufant ainfi du trifte privilége
Que fembloit m'accorder la fottife & l'erreur
D'un Peuple qu'éblouit cette fauffe fplendeut ?
Hélas ! c'eft par mes fois que le luxe varie :
La mode de la veille eft aujourd'hui vieillie ;
Et par un changement auffi précipité ,
44
MERCURE DE FRANCE.
Je flatte & j'appauvris la fotte vanité.
Ah ! fije me reproche une telle injuſtice ,
Dont la néceffité m'a rendu le complice ,
Auteur de tous ces maux , Paris , ne dois- tu pas
Rougir avec terreur de tous ces attentats ?
Jufques à quand , grands Dieux ! barbare envers
toi- même,
Prenant le faux éclat pour lagloire fuprême ,
Seras-tu de concert avec tes ennemis ,
Dont le trône eft paré de tes propres débris ?
Vois le luxe impudent lever fa tête altière ,
Te déchirer le fein d'une main meurtrière ,
S'abreuver de ton fang , & crains que quelque
jour,
Crains qu'il te vende cher ton criminel amour ;
Qu'il épuife à plaifir la fource de ta vie,
Et devenu bientôt une maffe affoiblie ,
Qu'il tombe , & que ce monftre , ingrat jufques
au bout ,
T'entraînant avec lui , t'écrâfe fous le coup.
Pour moi je vais faifir ce moment favorable ,
Où je fuis à mes yeux ridicule & coupable ,
Pour détruire en mon coeur cet invincible attrait ,
Par qui le Dieu de l'or à fes loix nous foumet ;
De mes trésors enfin j'épurerai la fource ,
Et contre mes remords trouvant une reffource ,
JANVIER . 1777. 45.
Enverfant ma fortune au fein des malheureux ,
Béni de l'indigent , je le ferai des Dieux.
T
Par M. Defalles.
A COME & OLIVE.
Hiftoire Africaine.
L'AMOUR , cette paffion
qui maîtriſe
nos fens & fouvent nous fafcine les yeux ,
eft de tous les états & de toutes les conditions
. Pour s'exprimer avec plus de
délicateffe en Europe , elle n'en brûle
pas moins vivement dans le coeur du
fauvage Africain. Ce trait véritable ne
contribuera pas peu à le prouver.
Acome , jeune noir , dans l'âge de
fentir les impreffions de ce beau feu ,
cherchoit une compagne. Olive , jeune
Africaine du même canton , fut celle
dont il fit choix . Sa douceur lui plut
davantage que les traits de la beauté ,
dont elle n'étoit cependant pas dépourvue
.Une convention mutuelle de s'aimer
jufqu'au tombeau , étoit le feul lien qui
les attachoit l'un à l'autre. Contens de
46 MERCURE DE FRANCE.
leur fort , ils couloient les jours les plus
heureux; mais trop voifins d'un comptoir
Européen , ils ne devoient jouir que peu
de temps de cette douce tranquillité . La
pêche & la chaffe étoient les feules occupations
d'Acome ; fa moitié les partageoit
; c'en étoit affez pour lui faire
oublier fes fatigues , pour ne fonger qu'au
plaifir d'être auprès d'elle.
Deux ans s'étoient écoulés dans un
genre de vie fi heureux , fans avoir
aucun fruit de leur union. Le fort leur
préparoit bien des foupirs & des larmes ,
& fi de leurs amours fût né un tendre
rejeton , outre leurs malheurs , ils euffent
eu auffi à pleurer celui de ce petit infortuné.
Un jour qu'Acome , fur le rivage près
de fa pirogue , arrangeoit fes filets ( Olive
n'étoit point pour lors avec lui ) quatre
Matelots d'un Navire François , venus
pour la traite des Noirs , admirent de
loin l'air vigoureux de notre Africain . Sa
jeuneffe leur fait efpérer de le vendre
un bon prix. D'ailleurs la facilité de s'en
faifir , & la fécurité dans laquelle il eſt ,
tout contribue à les encourager. Alors fe
jetant tous à la fois fur lui , ils rendent
inutiles tous les efforts qu'il fait pour fe
JANVIER. 1777. 47
délivrer de leurs mains Envain il appelle
Olive ; il voudroit au moins lui dire un
dernier & éternel adieu ; mais cette compagne
fidelle ne l'entendoit point . Ses
raviffeurs l'embarquent dans fa propre
pirogue , & gagnent leur vaiffeau Cet
infortuné eft enfermé avec la foule de
ceux qu'un pareil fort réduifoit à l'eſclavage.
::
La jeune Olive , qu'une épine avoit
bleffé au pied la veille , étant dans le
bois à la chaffe avec fon époux , n'avoit
pu cette fois le fuivre à la pêche ; mais
toujours occupée de lui , elle treffoit
une natte de joncs , fraîchement cenillis ,
pour qu'il s'y reposât à fon retour.
Déjà le foleil avoit difparu dans l'onde ,
& Acome ne paroiffoit point. Inquiète ,
elle parcourt le rivage , jette au loin fa
vue , & ne découvre rien. Le vent avoit
foufflé dans la journée , c'en eft affez
pour lui perfuader qu'Acome n'exife
plus ; elle l'appelle envain ; le trifte écho
des montagnes voisines répète ce nom
fi cher. Accablé de douleur , elle re-
* Je me fuis permis le nom d'époux , attendu
que ces deux Efclaves s'étoient ubis fuivant la
coutume de leur Pays.
48 MERCURE DE FRANCE .
tourne à fa cabane. Quelle nuit cruelle
elle paffa ! Le fommeil avoit fui avec
fon époux. Cette natte fi fraîche lui rappeloit
à chaque inftant le fouvenir de
celui pour qui elle la deftinoit ,
Acome , dans fon défeſpoir , ne defiroit
que la mort; mais chargé de chaînes ,
il ne pouvoit nullement attenter à fa vie.
Le moment du départ arrive ; le Navire
fait voile pour la Martinique , lieu deftiné
pour la vente des Efclaves qu'il renferme.
Notre époux , trifte & languiffant, ne
fut pas des derniers à trouver un Maître.
Quoique defféché par le chagrin ,
fon âge fait tout efpérer de lui . On offre
un prix , & il eft auffi-tôt livré à un
habitant de cette Ifle , nommé Auref.
Loin de reffembler à quelques- uns de
fes compatriotes qui , guidés par un
fordide intérêt , croyent trouver la fortune
dans le fang de ces infortunés , dont
ils font cruellement prodigues , il avoit
reçu de la nature un coeur compâtiffant
& fenfible. Touché de l'air chagrin de
fon Efclave , il employa tout pour lui
donner certe gaîté , qui répond ordinairement
du fuccès de ces malheureux. Il
commençoit enfin à défefpérer de fes
foins ; careffes, menaces , tout fut inutile.
Acome
JANVIE R. 1777.
49
Acome avoit réfolu de mourir ; il menoit
une vie trifte & mélancolique ; & ce qui
mettoit le comble à fes maux , étoit de
ne pouvoir les épancher dans le fein d'un
Noir de fon Pays. De tous les Nègres
de l'habitation , pas un n'entendoit fon
idiôme . Il lui fallut donc dévorer fa
douleur ; fans doute qu'il y eût fuccombé
, fans une circonftance des plus heureufes
pour lui.
Son Maître , toujours attentif à fes
maux , content d'ailleurs de fes fervices ,
qu'il rendoit de fon mieux , cherche à
lui donner un compagnon. En conféquence
un Nègre de la même terre eft
acheté ; on lui fait partager la cabane
d'Acome. Que d'informations de la part
de ce dernier , touchant le feul objet
pour lequel il veut vivre ! Celui - ci met
le comble à fa joie eenn lui lui apprenant
qu'Olive partage le même fort que lui
& qu'elle habite la même Ifle. A cette
nouvelle il devint tout un autre homme.
Son raviffement s'exprime par mille
fauts , mille attitudes grotefques . Auref
prefque auffi charmé que lui , cherche à
deviner la caufe d'un changement fifubit;
· il l'interroge par fignes , & parvient enfin
(par l'habitude qu'ont les habitans de
I.Vol. C
MERCURE DÉ FRANCE.
deviner ainfi les befoins de ces malheu-
Feux ) à découvrir le fujet de fon tranfport.
Plutôt le père que le maître de fes
Efclaves , il n'employoit les châtimens
qu'à la dernière extrémité ; & l'on peut
dire que jamais la cupidité n'arma fon
bras. Faire le bien étoit fon unique oc
cupation. Il mène Acome à la Ville où
venoit d'arriver cette nouvelle cargaiſon
de Noirs.
>
Ces malheureufes victimes d'un barbare
intérêt , étoient expofées , toutes
nues , en vente , fur la place publique .
Notre Africain n'eut point de peine à
reconnoître fa tendre Olive , Cette infortunée
l'avoit apperçu au même inſtant.
Ils s'élancent dans les bras l'un de l'autre ,
& préfentent le fpectacle le plus attendriffant.
Auref , touché de cette fcène
n'avoit garde de l'interrompre : ce langage
muet étoit celui de fon coeur , auffi en
entendoit-il toutes les expreffions . Acome
, après avoir fait éclater fes premiers
tranfports , faifit Olive , la place aux
pieds de fon Maître , & s'y jette luimême
à fon tour. La nouvelle Efclave
eft achetée & conduite par fon époux ,
comme en triomphe , à l'habitation .
Elle lui raconte , les yeux baignés de
JANVIER . 1777. sr
pleurs , tout ce qu'elle a fouffert depuis
l'inftant fatal où elle le crut perdu pour
toujours. Occupée jour & nuit à te pleurer
, lui difoit- elle , je te redemandois à
tout ce qui pouvoit me rappeler ton
fouvenir. Sitôt que le foleil venoit d'éclairer
ma chaumière , je la quittois pour aller
baigner de pleurs le rivage où tu difparus ;
j'y reftois jufqu'à ce que le même aftre
fe plongeât dans les abyfmes où je te
croyois englouti . Combien de fois ne
lui ai - je point adreffé mes plaintes ?
Combien de fois ne lui ai-je point redemandé
mon cher Acome ? Le peu de
nourriture que je ne prenois qu'à
gret , fuffifoit à peine pour me foutenir.
Enfin un Roi voifin , ou plutôt un brigand
à la tête d'une troupe de gens armés
, fond dans notre hameau , malfacre
ceux qui oppofent une foible réfiftance ,
& emmène prifonniers les femmes , les
enfans & les fuyards . Je fus du nombre
de ces derniers , & vendue à un Blanc
qui m'a conduit ici. Loin de maudir ma
deftinée , je la trouve des plus heureuſes ,
puifqu'elle me réunit à toi.
re-
Acome l'avoit écouté dans le plus
profond filence ; il ne l'interrompit que
pour la couvrir de baifers. L'on croira
C ij
52 MERCURE
DE FRANCE
peut
être que leurs infortunes touchoient
à leur fin. Non ; ils ne devoient jouir
que de l'ombre du bonheur , fans en
jamais pofféder la réalité. Ces triftes
jouets du fort le plus barbare , devoient
en éprouver toute la rigueur. Le coeur
fenfible d'Acome devoit faigner encore
une fois.
Auref avoit plufieurs enfans ; l'un
d'eux , prêt à s'établir , devoit avoir en
partage un certain nombre d'Efclaves ;
le fort devoit en décider. L'habitation
étoit une fucrerie , & cet Efclave , doué
d'intelligence , avoit en peu de temps fi
bien faili l'art de conduire cette manufacture
, qu'il y étoit devenu très- effentiel
; ainfi de droit il y devoit refter attaché.
Mais Olive n'avoit rien qui pût la
fouftraire au caprice du hafard . Il fallut
donc le fubir. Le partage devoit être
fait entre ceux qui , libres , n'avoient
aucunes raifons pour ne pas fe prêter à
la circonftance , & ceux qui vivoient
dans un commerce illégitime. Pour les
Efclaves dont la Religion avoit cimenté
les noeuds , ils ne pouvoient être féparés .
La loi le défendoit , & leur Maître
Aurefétoit Membre du Confeil de cette Ifie ,
JANVIER . 1777. 53
prépofé lui même par état pour la faire
obferver , n'avoit garde de l'enfreindre.
Le nombre des femmes étoit petit ;
il ne fera donc point étonnant qu'Olive
fût du nombre de celles fur qui tomba
le fort . Elle eft conduite , non fans peine ,
à la nouvelle demeure de fon nouveau
Maître. Acome ne vit point cette féparation
fans en être accablé. Pour comble
de malheur , un enfant qu'il avoit eu
d'Olive , fuivit fa mère . Čet infortuné
fe revit donc de nouveau plongé dans
la plus profonde douleur ; elle n'étoit
fufpendue que par les vifites rares que
lui rendoit fa fidelle compagne
, & que
l'éloignement & le travail , auquel elle
étoit affujétie , contribuoient à rendre
moins fréquentes . Notre Efclave , trop
fenfible pour endurer de pareils revers ,
dépériffoit chaque jour ; une langueur
mortelle s'empara de lui . Son Maître ,
que l'on vit toujours attentif à le foulager
, ne fe démentit point dans cette
occafion. L'état d'Acome lui coûta quel
ques larmes ; il n'avoit point fait fon
malheur; il voulut au moins réparer les
maux qu'un cruel hafard avoit occafionné.
Son fils , dédommagé d'une autre
Efclave , rend Olive , qui eft remiſe à
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
celui qui l'aimoit avec tant d'ardeur :
mais la plaie de ce dernier avoit été rouverte
tant de fois , qu'elle étoit devenue
incurable. Il ne jouit pas long-temps de
ce bonheur ; la mort lui ferma les yeux
fur le fein de celle qui feule avoit eue
des droits fi puiffans fur fon coeur. Olive ,
la tendre Olive , fut accablée de ce coup.
Pendant long- temps l'on crut qu'elle y
fuccomberoit; mais elle avoit un gage
précieux de la tendreffe de fon cher &
malheureux Acome ; il falloit vivre pour
lui , & c'eft- là le feul motif qui l'attache
encore à la vie.
Trop malheureux Efclave ! ta bienaimée
ne fut pas la feule qui verfa des
larmes fur ta tombe ! Son funefte fort ,
dont je fus témoin , fait de tems en temps
couler les miennes . Ton Olive , ta cabane ,
tes flèches & tes filets , étoient les inftrumens
de ta fortune & de ton bonheur
en Afrique ; au lieu que dans nos climats:
tu es venu chercher des chaînes & la
inort.
Par M. F. D. F. Off. d'Art
JANVIE R. 1777 51
VERS préfentés à Monfeigneur LE GARDE
DES SCEAUX , par les Libraires &
Imprimeurs de Paris , en remerciement
de fon Bufie qu'ils ont fait placer dans
leur Salle d'Affemblée.
Exegit monumentum ære perennius .
Le Bufte précieux qui nous offre tes traits ,
E
Peut éprouver des temps la fatale puiffance ;
Mais tu fais dans nos coeurs fonder partes bienfaits
Un monument conftant : c'eſt la reconnoiffance.
Par un Libraire.
ÉTRENNES A UNE DEMOISELLE.
DAIGNEZ d'un ferviteur conftant
Recevoir le fidèle hommage ,
Et fouffrez qu'il ait l'avantage
De vous tourner un compliment.
Il vous aime bien tendrement ;
Mais , quoique fon coeur en murmure ,
Il ne le dit qu'une fois l'an :
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
Et ce n'eft pas trop , je vous jure ,
Quand on le penfe à tout moment.
Par M. de R*** , de Péronne.
A Madame FAVART , nouvellement
mariée avec M. Favart le fils , en lui
envoyant deux cachets de feue Madame
Favart.
Ex uniffant vos coeurs , l'amour & l'hyménée
Do bel âge ont uni tous les dons excellens ,
Et Minerve , qui veille à votre deſtinée ,
Se plut à l'embellir du charme des talens .
De l'amitié fincère , en recevant l'hommage ,
Et le plus fimple des tributs ,
Des cachets de Favart agréez le partage ;
A fa charmante Bru ne font-ils pas bien dûs?
De la tendre amitié qu'ils foient pour vous le gage ,
A ce titre je les reçus :
Qu'ilsvous foient précieux , Favart en fit ufage ,
Et fa rofe doit être un de vos attributs .
Le chiffre de Favart comble feul mon envie.
JANVIE R. 1777 . 57
Eh ! quel don de fa main pouvoit m'être plus doux ?
Pour ne l'oublier de ina vie ,
Ai-je befoin d'un nombre de bijoux ?
Ah ! que n'eft-elle encor pour voir dans fa famille
Tant d'heureux talens réunis !
Elle auroit votre coeur , vous nommeroit fa fille ,
Et jouiroit du bonheur de fon fils .
Son immortel époux , dont la Mufe légère
Offre tant d'agrément & de variété ,
D'une Grâce nouvelle en devenant le père ,
Reçoit de votre coeur l'hommage mérité.
Toujours heureufe de lui plaire ,
Adorez-le , jeune Beauté ;
Les tendres foins d'une fille fi chère ,
Lui rendront fa félicité.
Par M. Guérin de Frémicourt.
LE MIROIR DE LA VÉRITÉ.
Fable.
UN Artiffe plein de génie ,
Inventa jadis un miroir
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Si merveilleux, fibeau , qu'en Europe , en Afie
Que par-tout on brûloit du defir de s'y voir;
Tout le monde y couroit comme à la Comédie ..
Davides fpectateurs , étonnés , confondus
La tête encor toute remplie
Des phénomènes qu'ils ont vus ,
Interdits , muets & confus ,
S'en reviennent de compagnie ,
20
Et fe promettent bien de n'y retourner plus.
Quelmiroir !... Il peignoit non le maſque , maits
l'homme.
La honte & l'effroi des pervers ,
Il fit rougir Paris , Pékin , Londres & Rome ;
Il eût fait honte à l'Univers.
Sous l'utile manteau de l'humaine fageffe
Là , le Sage apperçoit mille défauts divers ;
Mais le miroir févère épargnoit la foibleffe ,
Et rectifioit les travers.
Parmi des fous de toute espèce ,
Là rougit une Agnès qui fe moque d'un fot ;
Là meurt de honte une Lucrèce ,
Qui fe voit confondue & ne peut dire un mot,
De fes charmes vainqueurs Laïs préoccupée ,
S'avance vers la glace & regarde à fon tour.
La coquette fut bien trompée ,
Et fon miroir ici lui joue un cruel tour
JANVIER. 1777. 5.9
Il offre à fes regards ... une froide poupée ,
Trifte jouet de mille enfans ,
Qui , devenus enfin fages à leurs dépens ,
Dégoûtés d'un plaifir que le coeur défavoue ,
Et qui ne dit plus rien aux fens ,
Jettent avec mépris leur jouet dans la bouc.
Turcaret , dans la glace ayant jeté les yeux ,
Voit paroître un cheval lourd , pouſſif, ombrageux
,
Fier d'une houffe à triple frange ,
Fier d'un brillant harnois qui le rend plus affreux :
Un vil porc engraiffé du fang des malheureux ,
Un vafe d'or rempli de fange.
Un Grand bien fier , bien dédaigneux ,'
Et dont l'ame étoit des plus balles ,
Voit fur un théâtre pompeux,
Un Nain guindé fur des échâffes.
A l'oeil fuperbe & dur du plus fier des Sultans
Au milieu de fa cour tremblante ,
On expofe , on offre , on préfente
Le miroir , l'effroi des Tyrans.
D'un trône que le crime & la mort environnent ,
S'élève un parricide , au finiftre regard ,
Un defpote cruel que des cyprès couronnent ,
Et dont le fceptre horrible eft un fanglant poignard
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
Tout change : & ce trône fublime
N'eft plus qu'un funeſte échafaud ;
Le fier Monarque eft la victime ,
Son propre fils eft le bourreau.
Le monftre expire & tout s'efface.
Le fpectateur pâlit & détourne les yeux.
Au courroux la terreur fait place ,
Et le miroir audacieux
Eft renverfé, brifé , pour prix de fon audace
Bientôt le Héros en fureur ,
Sur les débris épars de la fidelle glace ,
Perce...fait expirer l'intrépide inventeur.
ParM. Drobecq.
ODE A VÉNUS. Horace , XXVI,
DANS
Livre III.
Vixi puellis , &c,
amours les doux combats des
J'ai gagné plus d'une victoire.
Vénus illuftra mes beaux jours ;
Que les monumens de ma gloire
Lui foient confacrés pour toujours .
Dans le Temple de l'Immortelle
Portez ces leviers , ces flambeaux,
J A N V IE R. 1777. ` 61
Ce ferfunefte à mes rivaux ,
Et ce luth , organe fidèle
De mes plaifirs & de mes maux,
C'en eft fait , je renonce à plaire.
Reçois mes adieux , ô Cypris !
Mais du moins , pour grâce dernière ,
Frappe Chloé dans fa colère ,
Et venge-moi de tes mépris.
Par M. L. R.
Explication des Enigmes & Logogryphes
du Mercure de Novembre.
Le mot de la première Énigme du
Mercure de Décembre eft Billard ; celui
de la feconde eft le Chat ; celui de la
troiſième eft le Gage-Touché. Le mot du
premier Logogryphe eſt Bronze , où ſe
trouvent bon , or , onze, robe , bouze,
borne , zône , roze, nez ; celui du ſecond
eft Livre , où l'on trouve ivre , lire (inf
trument) .
.62
MERCURE
DE
FRANCE
.
L
J
ÉNIGM E.
E fuis l'aîné d'une famille ,
Qui , comme tu verras , Lecteur ,
En maints enfans mâles fourmille ;
Mais fi je n'eus jamais de foeur ,
Je n'y perds rien , ma foi , car j'ai bien plus d'un
frère.
Ce n'eft pas tout ; tu croyois qu'un enfant
Étoit toujours plus jeune que fa mère,
Je fuis pourtant la preuve du contraire :
Car tufauras que dans le même inftant,
La mienne & moi recevons l'existence .
Apprends encor que j'ai de la puiffance ;
A peineje parois qu'on eft en mouvement
Aux champs , à la cour , à la ville,
L'on va , l'on vient & l'on babille ,
Dieu fait & combien & comment.
Un tel pouvoir pourtant m'étonne,
m'aimer il faut être un enfant;
Car
pour
Et quiconque raifonne ,
Me doit hair affurément.
Par M. V.
JANVIE R. 1777. 63
AUTRE.
UN Laboureur peut toujours eſpérer
Du grain qu'il a femé , la récolte abondantes
Maisje cultive un champ que j'ai beau labourer,
Il ne rapporte rien de tout ce que j'y plante.
Je travaille pour des ingrats ,
Qui n'ont de mon labeur nulle reconnoiſſance ;
Mais fi de ce travail ils ne me payent pas ,
J'en fais fort bien tirer d'ailleurs la récompenfe.
Dans mon emploi fouvent , & de deffein ,
Je fais coucher le fils avec la mère ,
Le frère avec ſa four , la fille avec fon père,
Et la coufine avecque fon coufin .
Rimer n'eft pas mon exercice ,
Je m'y prendrois tout de travers ;
Mais ceux à qui je rends fervice
Font naturellement bientôt après des vers
Aux parens , aux amis , & même en leur préſence,
On me voit enlever ce qu'ils ont de plus cher
Sans qu'ils fe mettent en défenſe
Et tentent de me l'arracher.
Mon ouvrage , quoique pénible ,
Ne me chagrine pas pourtant ,
Toujours il s'achève en chantant ;
>
Bien loin qu'à la fatigue l'on me trouve ſenſible.
64 MERCURE DE FRANCE.
De ma profeffion fi l'on fait peu de cas ,
Abus ; car fur ce point à bon droit je m'obſtine
Qu'on devoit lui donner le pas ,
Immédiatement après la Médecine.
Par M. Darblay.
AUTR E.
De Bacchus un adorateur
Ne peut m'entendre fans frayeur ;
Souvent du Vigneron je détruis l'eſpérance ;
Et fuis d'un élément qu'il voit avec horreur ;
Cependant je tiens ma naiflance
De l'aftre bienfaifant , dont la douce chaleur
Fait naître , mûrit & colore
Du vainqueur de l'Indus les tréfors précieux.
Les peuples fuperftitieux ,
Chez qui l'oignon eft un Dieu qu'on adore,'
Envain me demandent aux cieux :
pour
Et hâter le moment où je ceffe ,
De la fource du Nil tous les noirs habitans ,
Que ma conftance accable de détrefle ,
Fatiguent Jupiter de leurs voeux impuiſſans.
Par M. Louis Guilbaut.
JANVIE R. 1777 . 65
LOGO GRYPH E.
Ma mère à douze fils donnant leur héritage , A
Par l'effet du hafard , j'obtins l'onzième lot ;
Aujourd'hui , le premier vient m'échoir en par
tage ;
Mes freres , néanmoins , n'en ont pas dit le mot.
Quand je parois , le fou , le ſage ,
Ne font que courir & troter.
Que faire? c'est un vieil uſage
Qu'envain on voudroit réformer.
Sept pieds forment mon existence ,
En les pofant diverſement ,
•
Ami Lecteur , avec aifance ,
Vous trouverez facilement
Ce qu'on a de plus cher au monde ;
L'efpérance des Commerçans ;
L'intime compagne de l'onde ;
Une ville chez les Normands ;
Ce qui décore une boiſure ;
Un lieu difficile à franchir ;
Une très -commode monture ;
Ce qu'on ne fauroit définir ;
Une liqueur fouvent traîtreffe ;
Le vrai fentier de l'Hôpital ;
Ce qui s'écoule avec vîteffe ;
Enfin un péché capital.
66 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
Au genre humain utile hermaphrodite ,
On pourroit me trouver juſqu'au ſein d'Amphitrite
;
Suis-je du genre maſculin ,
De moi, Lecteur , tu fais uſage ,
Très-fouvent je fuis dans ta main.
M'aime-tu mieux du genre féminin ?
Je n'aurai pas moins d'avantage ,
Je fuis fur toi foir & matin .
Mais , pour me deviner , réfléchis & combine ;
Quatre de mes fix pieds fervent en médecine ;
Et cinq font un Royaume , en un pays lointain .
De toi-même veux-tu la plus noble ſubſtance ?
Trois de mes pieds , avec aifance ,
La préfenteront à tes yeux ;
Faut- il encor s'expliquer meux ?
Pour te donner de l'exercice ,
Je puis t'offrir un animal
Que par- tout on traite fort mal ,
Quoi qu'on en tire bon fervice;
Je peux encor dans un jardin
T'offrir & légume & falade ;
On ne fait point fans moi le fervice divin ;
ROMANCE , Par M.D. L.
Andantino allegretto.
Je l'ai plan-téje l'ai vu
nai -tre Ce beau rozier où
les oiseaux Venoient chan
+
-ter sous ma fenêtre Per-
-ches ,
perches sur ses jeunes ra
meaux sur sesjeunes rameaux,
Petits oiseaux troupe
a : mou-reuse Ah!par pi
-tie ne
chan : ter pas
Lamant qui me rendait heur
rew-se Est
parti pour
d'autres cli-mats pour
Da Cap
d'autres climats. Fin
3.Couplet.
Pour les trésors d'un nouveau monde
Ilfuit l'amour, brave la mort.
Helas pourquoi chercher sur l'onde.
Le bonheur qu'il trouvoit au port.
e
4. Coup.
Vous ,passageres hirondelles
Qui revenez chaque Printems,
Oiseaux sensibles etfidelles
Ramenez -le moi tous les ans.
FIN.
JANVIE R. 1777 . 67
Aime-tu le concert , le bal , la férénade ?
Eh bien ! regarde un violon ,
Confidère une baffe , un fiftre , une guitarre,
Tu me verras ; mais je m'égare :
Plus léger que le papillon ,
Pour mieux débrouiller ce grimoire ,
J'allois , je crois , de l'écumoire
Te mener jufqu'au goupillon ;
Revenons plutôt au ménage.
Mais à quoi bon m'étendre davantage ?
Tu peux mechercher fimplement ,
Sans recourir à l'analyſe :
A toute heure fur toi , fi tu n'es fans chemife ,
Tu me trouveras fûrement.
Par M. Dafnières , Officier de la
Marine , à Breft.
68 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le Voyageur François , ou la connoiffance
de l'ancien & du nouveau
Monde , mis au jour par M. l'Abbé
de la Porte . Tomes XXI & XXII
in- 12 . Prix 3 liv . chaque volume rel.
A Paris , chez L. Cellot , Imprimeur-
Libraire , rue Dauphine , 1776 .
JES Ces deux nouveaux volumes ne font
pas les moins curieux de cette intéreffante
collection. L'Auteur y fait parcourir à
fon Voyageur le Danemarck , la Suède ,
la Courlande & la Pologne. Il fe montre
toujours attentif à joindre à la defcription
de chaque Pays , les détails les plus
fatisfaifans fur le gouvernement , les
moeurs , le commerce , l'induſtrie , les
fciences , & généralement fur tout ce
qui peut piquer la curiofité , relativement
à un Pays policé. C'eft avec le
même foin qu'il rapporte ce que l'hiftoire
& les antiquités des Nations , chez
lefquelles il fait voyager fon Lecteur ,
renferment de plus remarquable. On lira
JANVIER. 1777. 69.
fur- tout avec intérêt , à l'article de Danemarck
, quelques détails fur la mythologie
des anciens Scandinaves. M. l'Abbé
de la Porte indique la fource dans laquelle
il les a puifés ; c'eft l'Edda , Ouvrage
d'une antiquité très - reculée , &
fort propre
à répandre du jour fur
l'hiftoire des opinions & des moeurs des
Peuples qui habitoient autrefois ces régions
feptentrionales . Comme ce monument
précieux eft très peu connu hors
des bornes de la Scandinavie , nous allons
rapporter quelques - uns des traits qu'en
cite le Voyageur François : ils ne pourront
manquer de faire plaifir à nos Lecteurs ,
pour qui , en général , ils doivent avoir
le mérite de la nouveauté,
Les principales Divinités dont l'Edda
fait mention , font Thor , Loke , Balder,
Tyr , Hoder & Hermode . « Le premier
» eft le plus fort des Dieux & des hom-
» mes . Il poſsède un Palais , dans lequel
» il y a cinq cents quarante falles. Son
char est tiré par deux boucs ; & c'eſt
» fur cette voiture qu'il voyage dans le
Pays des Géans. Il pofsède trois chofes
précieufes une maffue à laquelle rien
» ne réfiftes un baudrier qui , lorfqu'il
» le ceint , le rend plus fort de moitié ;
33
>>
70 MERCURE DE FRANCE .
» des
gants
de fer , fans
lefquels
il no
pourroit
faire
ufage
de fa maffue
.
"
"
93
» Un jour qu'il voyageoit avec Loke
dans fon char , il alla loger chez un
Payfan. L'heure du fouper étant venue ,
il tua fes deux boucs & les fit cuire. 11
» invita le payfan , fa femme & leurs
» enfans , à manger avec lui . Le fils de
» fon hôte fe nommoit Tiulfe , & fa fille
» Raska. Thor leur recommanda de jeter
» tous les os dans les peaux de ces boucs ,
qu'il tenoit étendues près de la table ;
» mais le jeune Tiulfe , pour avoir de la
» moëlle , rompit avec fon couteau l'os
» d'une jambe.
ور
93
Après avoir paffé la nuit dans ce
» lieu , Thor fe leva de grand matin ,
» & s'étant habillé , il ne fit que toucher
» le manche de fa maffue , & dans l'inf-
» tant , les deux boucs reprirent leur
وو
forme & la vie. Le Dieu voyant que
» l'un deux boîtoit , en devine la cauſe ,
» & entre dans une colère épouvantable .
» Il prend fa matfue & la ferte avec tant
» de force , qu'on voit blanchir les join-
» tures de fes doigts . Le Payfan tremblant
, craint d'être terraffé d'un feul
» de fes regards. Ses enfans fe joignent à
lui , pour fupplier le Dieu de leur par-
39
JANVIER. 1777. 71
» donner, Touché de leur crainte , Thor
s'appaife , & fe contente d'emmener
" avec lui Tiulfe & Raska. Il laiffe fes
» boucs dans ce lieu , & fe remet en
» route pour fe rendre dans le Pays des
» Géans.
33
» A l'entrée de la nuit , cherchant
» un endroit pour fe coucher , ils entrent
» dans une maifon , paffent dans une
» chambre & s'y repofent. Le lendemain ,
» Thor voit , auprès de cette habitation ,
» un homme prodigieufement grand ,
» qui lui dit : Je m'appelle le Géant
Skrymner ; pour toi , je fais que tu es
» le Dieu Thor ; & je n'ai pas befoin de
» te demander fi tu n'a pas pris mon
gant ? En même temps il étend la main
» pour le reprendre ; & Thor s'apperçoit
que cette maifon où ils ont paffé la
»> nuit, eft ce même gant , & la chambre
un de fes doigts. La nuit fuivante ,
» comme le Géant dormoit profondément,
Thor prend fa maffue & la lui
» lance dans la joue avec tant de vio-
» lence , qu'elle s'y enfonce jufqu'au
99
manche. Le Géant fe réveille & porte
» la main à fa joue , en difant : Y a-t-il
» des oifeaux perchés fur cette arbre ?
» Il me femble qu'il m'eft tombé une
» plume fur le vifage.
$2
MERCURE DE FRANCE .
H
"
ןכ
Nos Voyageurs fe lèvent de grand
» matin , & continuant leur route , ils
apperçoivent une Ville fituée au milieu
» d'une vafte campagne. Ils y entrent ,
» & arrivent au Palais du Roi . Si je ne
» me trompe , dit le Monarque , ce petit
» homme que je vois-là , doit être Thor ;
» voyons un peu , ajoute-t- il , en lui
» adreffant la parole , quels font les arts
» où tu te diſtingues , toi & tes compagnons
? Car perfonne ne peut refter ici ,
» à moins qu'il ne fache quelque métier ,
» & n'y excèlle .
» Loke parla le premier , & dit que
» fon art étoit de manger plus que per-
" fonne. Le Roi fit venir un de fes cour-
» tifans qui fe nommoit Loge , & l'on
» apporta un tonneau plein de viande
» que nos deux champions fe mirent à
dévorer. Le tonneau fut vuidé dans
l'inftant , mais Loke n'avoit mangé de
» fa portion que la chair , au lieu que
» l'autre avoit avalé la viande & les
» os . Tout le monde jugea que Loke
» étoit vaincu. Le Prince demanda à
Tiulfe ce qu'il favoit faire . Le jeune
» homme répondit qu'il difputeroit avec
le plus agile des courtifans , à qui courroit
le plus vite en patins. On lui
» donna
93
و د
ย
JANVIE R. 1777. 73
»
donna pour adverfaire , un coureur
nommé Hugo . Celui - ci avoit déjà
* touché le but , que Tiulfe n'étoit encore
qu'à moitié chemin. Le prix de la
» courfe fut adjugé au vainqueur. Thor
» dit au Prince qu'il difputeroit avec toute
» fa Cour à qui boiroit le plus . Le Roi fit
" apporter une grande corne ; l'Echan-
» fon la remplit , & le buveur engloutit
» une quantité prodigieufe de ce qu'elle
» contenoit fans reprendre haleine .
Quand il eut éloigné la coupe de fa
» bouche pour regarder dedans , à peine
s'apperçut-il que la liqueur fût diminuée.
Il y revint jufqu'à trois fois ;
» mais il s'en fallut bien qu'il pût vuider
» toute la corne. Il la rendit au Prince ,
fans vouloir continuer plus long- temps
» ce genre d'efcrime , aimant mieux
♦ s'avouer vaincu .
"
»
»
"
» Thor paffa la nuit dans ce lieu avec
fes compagnons , & le lendemain il
» ſe prépara à partir. Le Roi l'accompagna
hors de la Ville ; & comme ils
» étoient prêts à fe dire adieu : Il faut.
» dit le Prince , que je vous découvre à
» préfent la vérité. Je vous affure que
fi j'avois prévu que vous euffiez tant
» de force , je ne vous aurois pas laiffé
4.Vol. D
"
74
MERCURE
DE FRANCE
.
"
entrer dans ma Ville ; mais je vous ai
» enchanté par mes preftiges. D'abord ,
dans la forêt où je vins au devant de
» vous , vous voulûtes me frapper de
» votre maffue . Je me cachai derrière:
» un rocher , contre lequel le coup porta ,"
" & manqua de l'abattre. J'ai ufé des
» mêmes preftiges dans les combats que
» vous avez foutenu contre les gens de
» ma cour. Dans le premier , Loke a
dévoré , comme un affamé , toute fa
portion ; mais fon adverfaire étoit un
feu errant , qui a confumé les viandes ,
» les os & le vafe qui les contenoit .
» Celui qui a difputé le prix de la courſe ,
étoit mon efprit , que Tiulfe ne pou-
» voit égaler en rapidité. Quand vous
» avez voulu vuider la corne , vous avez "
fait une merveille , que je ne pourrois
pas croire fi je ne l'avois vues car un ·
des bouts s'étendoit jufqu'à la mer ,
» ce que vous n'avez pas apperçu ; &
» quand vous irez au bord de l'Océan ,
» vous verrez combien il eft diminué,
» A préfent que nous allons nous quitter,
je vous déclare qu'il eft avantageux
» pour l'un & pour l'autre , que vous ne
» veniez jamais me revoir.
»
"
و د
·
*
» Comme il achevoit ces mots , Thor :
JANVIER. 1777
indigné prend fa maffue , & veut frap-
» per le Monarque ; mais celui-ci difpa-
>> roît ; & le Dieu retournant vers la
» Ville pour la détruire , ne trouve plus
» qu'une campagne couverte de verdure.
Il continue fon chemin , & revient ,
fans fe repofer , jufques dans fon Pa-
» lais ».
La Suède , la Gourlande & la Pologne
donnent également lieu à une foule de
digreffions non moins intéreffantes . Comme
le Voyageur eft cenfé avoir parcoura
ces États en 1756 , M. l'Abbé de la Porte
a ajouté un fupplément à l'article de la
Pologne , contenant un détail fuccinct
des révolutions de ce Royaume , poſtérieures
à cette époque.
7
En général , cet Ouvrage , qu'il faur
diftinguer de la foule des compilations ,
continue à mériter un accueil favorable
par la variété des matériaux dont il eft
compofé , & par la clarté & l'agrément
du ftyle.
; par Les Confeffions du Comte de ***
44 M. Duclos , de l'Académie Françoiſe;
édition ornée de belles gravures par
les meilleurs Maîtres. L
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
Si quis rapiet ad fe quod erit commune ,
Stuliè nudabit animi confcientiam.
PHADR.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Coftard , rue Saint-Jean-de Beauvais ,
la première porte cochère au-deffus
du College ; in- 8 °. 2 parties.
On fait que ce fut Madame de T.
dans la fociété de laquelle M. Duclos
entra de bonne heure , qui l'engagea à
écrire quelques Romans. L'Ecrivain philofophe
qui avoit obfervé les hommes ,
ne devoit pas le refufer au plaifir d'ef
Layer de mettre en action les obfervations
qu'il avoit faites ; il céda volontiers
à cette invitation : le goût de fa fociété ;
le fien en particulier étoit celui des portraits.
Il en remplit les Confeffions du
Comte de ***. Unhomme livréau plaifir,
le cherchant de tous côtés , rencontre
fans ceffe des perfonnages nouveaux ,
qui fe préfentent fucceffivement fur la
fcène , ils font peints d'une manière
agréable & variée qui attache ; mais ce
n'eft qu'une fuite de portraits qu'on n'eût
Bu multiplier davantage , Lans fatiguer ;
JANVIER . 1777. 77.
les
le cadre n'a été imaginé que pour
raffembler. Les perfonnages font bien
peints ; mais ils n'agiffent pas affez .
L'Auteur femble n'avoir étudié que les
grands traits caractériſtiques de l'homme .
Il n'a peut-être pas porté la même profondeur
d'obfervation dans les paffions
qui fe diverfifient à l'infini , & qui offrent
tant de nuances intéreffantes à faifir ; &
on fait que le développement des paffions
eft l'ame des Romans. Le feul homme
qui en a fu tirer le plus grand parti , eſt
M. de Crébillon , dont les productions ,
quelquefois délicates , mais que nous ne
confidérons ici que comme des produc
tions d'efprit & d'imagination , peuvent
fervir de modèle. Cet Ecrivain , né avec
une imagination vive , brillante & féconde
, un coeur fenfible , une connoiffance
particulière des paflions & du
monde , a offert des exemples de la
manière de les peindre felon les temps ,
les lieux , les perfonnes , les caractères
& les âges ; des fictions ingénieufes , &
qui attachent par leur originalité & par
leur fingularité même , lui fourniffent
tous fes cadres , & fans ceffe on retrouve
dans les détails l'expreffion fidèle des
moeurs & de la fociété ; on les reconnoît ,
Diij
18 MERCURE DE FRANCE.
& avec plus de plaifir encore , dans les
Pays inconnus où il tranfporte les Lecreurs
; il n'eft ni moins vrai , ni moins
intéreffant lorfqu'il ne fort pas de la
France on peut en attefter tous ceux
qui ont lu les Égaremens du coeur & de
Pefprit , Roman charmant , qui ne laiffe
qu'un regret lorfqu'on le quitte , celui
de ne pas le trouver fini . Si M. Duclos
offre une galerie de portraits , comme
on l'a dit , M. de Crébillon en offre une
de tableaux également intéreffans & bien
faits.
Mais ne nous arrêtons pas à l'analyſe
des Confeffions du Comte de *** . Ce
Roman eft connu de tous nos Lecteurs ;
& quoiqu'il eût été réimprimé plufieurs
fois depuis vinge à vingt- cinq ans , les
exemplaires en étoient devenus rares.
La nouvelle édition qu'on en préfente ,
ne peut qu'être bien accueillie ; elle eft
fans contredit plus foignée qu'aucune de
celles qu'on a publiées . On y a joint des
ornemens , dont les précédentes s'étoient
paffés le Roman n'a pas eu befoin de
ce paffe- port, & n'en a pas befoin davantage
aujourd'hui . Tout ce qui peut
déparer cette édition , c'eft peut- être la
vie de l'Auteur qu'on a mife à la têté i
JANVIER . 1777 .
דכ
c'eft une fatire violente contre les Philo
fophes , à l'occafion d'un Philofophe
qu'on ne fait pas connoître.
Effai fur le caractère & les moeurs des
François, comparés à ceux des Anglois.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Valade , Libraire du Roi de Suède ,
rue Saint Jacques. Prix 1 liv . 16 f.
in- 12.
Cet Ouvrage eft traduit de l'Anglois ;
l'original eft fimplement intitulé : An
account of the charecter and manners of
the French ; il fur publié en 1770 ; nous
avons eu l'original entre les mains , &
le Traducteur ne s'eft pas borné à faire
des retranchemens ; il a quelquefois corrigé
, ou du moins changé les détails de
fon Auteur : on n'en fera pas furpris . Les
moeurs des François font l'objet principal
, & la comparaifon qu'on en fait
avec celles des Anglois , n'eft qu'acceffoire
, elle ne vient que pour prouver la
fupériorité de ceux- ci fur tous les points
importans ; & on ne reconnoît guère celle
des François que dans les bagatelles &
les frivolités . La balance entre deux Peuples
voisins & rivaux , pour être tenus
Div
bo MERCURE DE FRANCE..
exactement , ne devroit peut - être pas
être entre les mains d'un Anglois ni d'un
François ; il faudroit un Philofophe
étranger à l'un & à l'autre , & le travail
de ce Philofophe feroit affurément précieux
& intéreſſant . Il ne s'étendroit pas ,
comme l'on fait ici , fur une multitude
de minuties affurément indifférentes
Qu'importe au caractère & aux moeurs
d'une Nation , non pas la manière dont
elle fe nourrit , mais le dénombrement
des plats qu'on fert fur les tables des
gens riches , & l'ordre dans lequel on
les fert ? La gaieté qui préfide aux repas
des François , contrafte avec le filence.
par lequel commencent tous ceux des
Anglois , & le bruit qui y fuccède , lorfqu'on
entame quelques difcuffions poli-
, tiques , qui finiffent quelquefois par de
gros mots de la part des difputans de
partis oppofés. On n'auroit pas dû gliffer
fur la fobriété qui règne au milieu du
luxe des tables Françoifes ; on auroit ри
comparer aux excès fi fréquens chez
leurs voifins .
la
Nous doutons que l'Auteur ait bien
vu la France , lorfqu'il dit que les belles
femmes y font très rares. La beauté
eft une plante qui ne croît pas come
*
JANVIER. 1777. 81L
99
"
» munément fur le fol François. Il faut
l'y chercher avec autant de difficulté
qu'elle fe encontre aifément en Angleterre
, où toutes les rues offrent des
objets charmans , avec une profufion
qui a mérité de la part d'un illuftre
Etranger , qui vifitoit la Cour de Charles
I , un compliment , dont voici le
» dernier vers :
ce
99
"
"
» Huc venerem credas tranfpofuiffe Paphon.
>> On croiroit que Vénus tranſporte ici Paphos ».
On pourroit trouver qu'une galanterie
ne fait pas une autorité.
On accufe ici les François de fe faire
un plaifir malin de critiquer les Anglois ,
qui n'ont peut-être jamais trouvé chez
eux de meilleurs Panégyriftes. Quelle
Nation les a mieux loués & leur a rendu
plus de juftice ? Les François , dit- on'
s'arrogent le premier rang dans la carrière
da génie & de la gloire ; ils donnent le
fecond aux Anglois . On ne manque pas
dans cette occafion de citer l'exemple de
Thémiftocle , qui s'attribua la primauté
fur tous les Capitaines Grecs , parce que
chacun d'eux le plaçoit immédiatement
après lui. L'Europe eft le feul Juge fun
४
Dv
MERCURE DE FRANCE.
la préféance littéraire ; elle paroît avoir
prononcé. Quelle eft la langue la plus
univerfellement répandue , celle qu'on
pourroit dire qu'on parle généralement ?
Quelle eft la Nation qui a un Théâtre
dans toutes les Cours étrangères ? L'Auteur
fe fait cette demande; mais la réponfe
étoit embarraffante par fes conféquences
, & il n'en fait aucune ; il oublie
qu'il l'avoit donnée dans un autre endroit,
en parlant de la mufique Françoife. « Tan-
» dis qu'on joue dans toute l'Europe des
compofitions Allemandes , Italiennes ,
Angloifes , Portugaifes même , la mufique
Françoife n'eft reçue nulle part
qu'en France ».
"
"
L'impartialité dans un Ouvrage de
la nature de celui - ci , eft un mérite rare ,
qu'il ne faut pas s'attendre à trouver ici ;
elle auroit pu rendre cet Ouvrage trèsintéreflant
; & l'Auteur , à en juger par
quelques obfervations où il n'eft pas
queftion de comparer les deux Peuples ,
paroît avoir faifi , dans bien des endroits
le véritable caractère des François . Son
livre fe fait lire avec plaifir ; dans fes
parties mêmes où il donne le plus à fes
préjugés , il peut piquer notre curiofité ;
& s'il bleffe quelquefois notre amour-
1
JANVIER. 1777. 83
propre, il nous rendra circonfpects nousmêmes
, lorfque nous entreprendrons de
juger & d'apprécier les autres Nations.
Les Commandemens de l'honnête Homme,
ou maximes de morale faciles à retenir
, & principalement deſtinées à
l'ufage des petites Ecoles ; par M. F.
in-8 °. Prix 4 fols. A Paris , chez
d'Houry , Imprimeur Libraire de Mgr
le Duc d'Orléans , rue de la Vieille-
Bouclerie 17764
§ I
Les Commandemens de l'honnête-
Homme font préfentés dans ce livre en
diftiques , fuivant le modèle des Conmandemens
de Dieu & de PEglife , inférés
dans les Catéchifmes pour les petires
Ecoles. Ces principes font utiles
pour la conduite de la vie , & propres
à infpirer le goût des vérités civiles &
mordles à cette claffe précieufe d'hommes
, fans lefquels nous manquerions de
tour. C'eft pourquoi l'Auteur invite
toutes les perfonnes élevées en dignité
de les répandte , & de les faire connoître
te plus qu'il eft poffible . Ils ont été auffi
inprimés en forme de placards ou d'af
thes , pour être appliqués contre les
Dvi
84
MERCURE DE FRANCE.
murs des veftibules des Châteaux , ainfi
dans les Écoles , & fous les porches
des Paroiffes de Village .
que
Voici quelques - unes de ces maximes :
Ton Souverain tu ferviras
Avec zèle & fidèlement.
Tous les humains regarderas
En frères véritablement.
Chafte & fobre toujours feras
Pour être en fanté longuement.
Pareffe , envie , orgueil fuiras,
Et colère ſemblablement.
Avarice mépriferas ,
Pourn'exifter honteufement , &c.
Le Souper des Enthoufiaftes ; in-8 ° . de
41 pages. A Amfterdam ; & à Paris ,
chez Cellor , Imprim. - Lib. rue Dauphine
; 1776 .
Les Enthoufiaftes de ce fouper font
une apologie très - exaltée du bel Opéra
d'Alceste. Rien , fuivant eux , n'eft comparable
à la mufique de M. le Chevalier
Gluck. Ce Compofiteur eft fans doute
JANVIER. 1777 85
un grand Maître ; il fait exprimer furtour
la douleur & les fentimens pathétiques
; cependant on a cru s'appercevoir
qu'il tiroit prefque tous les effets de
l'harmonie , que fon coloris, en général
, étoit fombre ; qu'il avoit une
manière un peu monotone ; que fes
Opéra fe reffemblent beaucoup , & qu'ils
font peu variés ; qu'il négligeoit trop le
chant, qui eft la partie de l'invention & le
vrai figne du génie. Il difoit un jour qu'il
voudroit fe paffer de mufique : c'eft ainfi
qu'en voulant perdre de vue l'art , pour
fe rapprocher de plus près de la nature ,
il oblige fes Acteurs d'abandonner le
chant , & de fe livrer aux cris de la paffion.
Nous croyons au contraire qu'une
copie fi exacte détruit le plaifir qui naît
de la difficulté vaincue. Pourquoi admirons-
nous l'art du Peintre , qui fait
donner du relief & du mouvement à fes
figures fur la toile , ou le Sculpteur qui
donne de la foupleffe & de la grace au
marbre ? C'est que ces habiles Artiftes
ne nous trompent point , quoiqu'ils nous
enchantent par la magie de leurs talens
Mais qu'un Sculpteur emploie les couleurs,&
les habillemens des perfonnages
vivans , fur les figures qu'il modèle , il
plaît alors d'autant moins , qu'il s'appro
$6 MERCURE DE FRANCE.
che davantage du naturel , qu'il s'éloigné
de fon art , & qu'il franchit les difficultés
d'où naît le charme de fon ouvrage. Il en
eft de même de la mufique , qui perd
fon principal caractère , fi on lui ôre le
chant pour y ſubſtituer des cris , ou
des expreffions forcées. L'analyfe que
les Enthoufiaftes du fouper nous font de
la mufique de l'Opéra d'Alcefte , eſt
route dans le ton admiratif. Un Abbé
s'écrie , au milieu de ceux dont il a
allumé Fimagination : mes Amis , mé
voici comme le Grand Prêtre au moment
+
de l'infpiration ; vous êtes de véritables
admirateurs ; votre efprit n'a point jugé
mais votre ame a fenti ; & M. l'Abbé
n'oublie point alors la plus petite ritournelle
, fans en relever l'extrême beauté.
H eft fingulier de voir comme il trouve
des prodiges de génie , jufques dans les
morceaux les plus fimples : Auroit- on
pu croire , dit-il , avant cet Opéra , qu'un
même chant pût exprimer à la fois deux
fentimens, & fur- tout deux fentimens oppofés?
O Rubens ! Peintre immortel! ton
art n'aura pas feul dérobé ce fecret à ta
nature ! Cet enthoufiafme foutenu a trop
l'air du perfiftlage , & doir offenfer M.
le Chevalier Gluck. Ce Compofreur
peut être compté parmi les plus habilesi
JANVIER. 1777 87
Maîtres ; mais il ne fouffriroit pas qu'on
voulûr lai élever une ftatue coloffale audeffus
des hommes de génie qui l'ont
égalé , & quelquefois furpaffé , dans la
même carrière.
,
Nouvelle Hiftoire de la Ruffie , depuis
l'origine de la Nation Rulle jufqu'à la
mort du Grand-Duc Jaroflaws I. Par
Michel Lomonoffow Confeillerd'État
, & Membre des Académies
Impériales & Royales de Saint Péterf
bourg, de Stockolm, &c. &c. Traduite
de l'Allemand par M. E*** augmen
tée de deux cartes géographiques ;
vol. in-8°, prix 4 liv . rel. A Paris ,
chez Nyon aîné , Libraire , rue Saint
Jean de Beauvais ; 1776.
:
On regrettera en lifant cette Hiftoire ,
dont la traduction avoit déjà para il y a
quelques années , que l'Auteur , mort
en 1765 , l'air laiflée imparfaite. C'éroit
un Écrivain auffi judicieux qu'éclairé ,
très-verfé dans l'Hiftoire ancienne de fon
Pays , & qui avoit puifé dans les bonnes
fources. Son Ouvrage finit à l'an 1054,
& comprend par conféquent la partie la
plus obfcure & la plus difficile à déve
88 MERCURE DE FRANCE.
>
lopper de l'Hiftoire de Ruffie. Autfi les
faits qu'il renferme étoient-ils à peu près
inconnus aux autres Nations . Rurik
Igor , Wladimir , Jaroflaws , Souverains
célèbres fans doute en Ruffie , n'étoient
preique même pas connus de nom dans
les parties méridionales de l'Europe .
L'Ouvrage eft divifé en deux parties.
La première expofe l'état de la Rullie
avant Rurik. L'Auteur y développe l'origine
de la Nation Ruffe , & fait connoître
les anciens habitans de la Ruffie fous
leurs diverſes dénominations . Il diftingue
fur-tout parmi ces Peuples , les Eſclavons
, les Ezudes & les Warangiens. La
feconde partie commence à Rurik , Prince
Warangien , fondateur de la Monarchie
Ruffe , en 862 , & contient l'hiftoire de
fon règne & de ceux de fes huit premiers
Succeffeurs , jufqu'à Jaroflaws , mort en
1C14. Ce dernier affermit beaucoup la
puiffance de la Ruffie par les alliances
qu'il contracta , & par plufieurs victoires
remportées fur fes ennemis. Il régna
trente-huit ans , & fut auffi grand dans
la paix que dans la
dans la guerre.
A l'élégance & la précifion du ftyle,
le Traducteur paroît réunir le mérite de
l'exactitude. Ila foin d'avertir qu'il a
JANVIE R. 1777 . 89
préféré de tranfcrire les noms propres
des Villes & des Peuples , tels qu'ils font
dans l'original , que de les défigurer en
leur donnant une terminaifon françoiſe.
Dictionnaire des Origines , ou Epoques
des inventions utiles , des découvertes
importantes , & de l'établiſſement des
Peuples , des Religions , des Sectes ,
des Héréfies , des Loix , des Coutumes ,
des Modes , des Dignités , des Monnoies
, &c. 2 vol . in 8 °. A Paris , chez
Jean François Baftien , Libraire , rue
du Petit - Lion , Fauxb . St Germain
1776.
;
Le titre de cet Ouvrage annonce fon
utilité & l'étendue des matières qu'il
embraffe. Quelques articles que nous
allons extraire d'entre ceux qui nous ont
paru les plus piquans , le feront encore
mieux connoître .
ABBÉ. Le nom d'Abbé vient d'un
mot hébreu qui fignifie père. Les Con
ciles s'efforcèrent inutilement de rappeler
les Abbés à l'énergique fimplicité
» de ce nom , aux devoirs qu'il prefcrit ,
» & à la modeftie qu'il exige ; ils s'arrogèrent,
fur-tout en Occident , le titre
༡༠
MERCURE DE FRANCE
»
» de Seigneurs , & prirent les marques
diſtinctives de l'Epifcopat : ce qui donna
l'origine aux Abbés mitrés , croffés &
» non croffés , aux Abbés Ecuméniques,
» aux Abbés Cardinaux , & c . »
30
» ACROSTICHES . Les premiers Poëtes
François faifoient beaucoup d'acroftiches
, c'eft-à-dire , de petits Ouvrages
qui renfermoient autant de vers que le
» mot , la devife ou le nom dont ils
» vouloient faire un acroftiche , contenoit
de lettres , & où ces lettres , prifes
» de fuite , commençoient tous les vers .
» Maintenant , un ne tireroit pas vanité
» d'avoir fait le meilleur acroftiche. A
» meſure que le goût s'eft perfectionné ,
on a reconnu que ce n'eft qu'en méchanique
qu'on doit faire quelque cas
des ouvrages qui n'ont que le mérite
» de la difficulté vaincue .
» A GUI- L'AN-NEUF . Ces mots rappel-
» lent un ufage des Druidés , Prêtres des
Gaulois , qui , le premier jour de l'an ,
alloient dans les forêts cueillir le gui
de- chêne , & fe répandoient enfuite
» dans les campagnes voisines en criant
» de toutes leurs forces : au gui- l'an- neuf.
» C'eſt encore par ce chant que les enc
fans fouhaitent la bonne année dans
JANVIER. 1777 . 97
quelques parties de la Bourgogne , de la
» Picardie & de la Bretagne. L'a-gui-
» l'an-neuf défignoit auffi une quête que
les jeunes gens de l'an & de l'autre
fexe faifoient dans quelques endroits ,
» le premier jour de l'an , pour les cierges
de l'Eglife. Elle fut défendue dans le
Diocèfe d'Angers , en 1595 , à caufé
» des extravagances qui s'y commet
» toient ; & profcrite par-tout , pour la
»
» même cauſe , en 1688 .
:
» AIDES . Il faut remonter à Chilpe-
» ric , pour trouver l'origine des impôts
qui fe lèvent en France fur les marchandifes
& les denrées. Ce Prince er
» mit un fur le vin . Mais ces fortes de
» droits n'eurent guères de confiftance
* qu'en 1356 , lorfque le Roi Jean fut
» fait prifonnier par les Anglois , à la
lĩ
journée de Poitiers. Alors les États
» Généraux affemblés accordèrent unë
aide au Dauphin , depuis Charles V
& obtinrent la permiffion de nommer
» des Officiers pour en faire la perception
. C'eſt à ces Officiers , dit M. le
» Préfident Hénault , qui ne devoient
fubfifter qu'autant que l'aide devoit
» avoir cours , que l'on peut rapporter
l'origine des Cour des Aides.
92 MERCURE DE FRANCE.
"
" AÎNESSE ( droit d' ) . Les Romains
croyoient que les enfans devoient avoir
également part à la fucceffion de leurs
» pères ; il n'y avoit point chez eux de
droit d'aineffe. L'orgueil & la vanité
» l'ont fait introduire en France , pour
» foutenir le nom des grandes Maifons
" & en conferver l'éclat . On ne confidère
» pas les avantages de ce droit dans les
Coutumes qui l'ont adopté , fans de-
" firer que du moins les douceurs de
» l'amitié , y dédommagent de l'inégalité
» des fortunes.
30
» AMADIS . Ce font des bouts de manches
qui defcendent & le boutonnent
fur le poignet. On affure que leur nom
» vient de l'Opéra d'Amadis , où les
principaux Acteurs avoient ces longues
>> manches.
و د
» AMAUTAS. Ces Philofophes du Pé-
» rou enfeignoient les fciences à Cufco ,
» fous le règne des Incas . Mais les Prin-
"
ces & la Nobleffe étoient feuls admis
» dans les Écoles fondées par l'Inca Roca.
» Les Artifans ne paroiffoient pas mériter
» d'être inftruits. On penfe bien diffé-
» remment parmi nous. Le Souverain
récompenfe les Savans qui éclairent le
Peuple , & il annonce , par ſa bienfai
"
JANVIER. 1777 . 25
fance , qu'il le juge digne d'être heu
» reux .
و د
"
» Anguille dE MELUN . Un nomme
Anguille , originaire de la Ville de
Melun , jouant dans une Comédie le
» rôle de Saint Barthélémy , jeta des cris
» fi horribles à l'afpect du Bourreau qui ,
» le couteau à la main , menaçoit de
l'écorcher , que de - là eft venue l'habi-
» tude de dire de quelqu'un qui s'effraie
mal-à-propos , que c'eft une Anguille
» de Melun , qui crie avant qu'on l'écor
che ».
»
ود
Quaftio generalis, &c. Queſtion générale ,
où l'on examine : Si Fo - Hi , fondateur
de l'Empire des Chinois , eft le même
que Noé; par un Auteur Séquanois . A
Einfelden ; & fe trouve à Paris , chez
d'Houry , rue de la Vieille-Bouclerie ;
1776 .
Cette fingulière Thèſe eft divifée en
quatre articles , d'après lefquels l'Auteur
conclud,felonfes propres termes, que nous
allons rapporter : « 1°. Que Noé & Fc-Hi
» étoient contemporains . 2 ° . Rien n'en →
pêche de mettre la mort de l'un & de
P l'autre dans la même année. 3 ° . Qn ef
و د
24 MERCURE DE FRANCE.
bien fondé à croire que la Chine a dur
» être le partage des fils de Sem , après
» la difperfion , vu que les fils de Cham &
Japhet s'établirent & s'avancèrent dans
les régions oppofées . 4° . S'il n'eft pas
» certain , il eft du moins très probable
»
qu'une partie des Defcendans de Noé
» s'attacha à lui ; que ce faint homme
» eut foin de les inftruire d'une manière
» particulière , & qu'il forma un Peuple
tout différentdes autres pour les moeurs
» & le gouvernement ; & cela convient
» aux Chinois... C'eſt donc Noé qui a été
» l'inſtituteur & le père des Peuples de
» la Chine fous deux noms , l'un hébreu
& l'autre chinois ; ou , fi ce n'eſt pas
» lui , c'eſt du moins un de fes enfans ,
» &c. »
Si ce n'eft toi , c'est donc ton frère.
Je n'en ai point. C'eſt donc quelqu'un des tiens .
Une autre réflexion qui paroît affez
naturelle à l'Auteur , & dont il ne s'eft
pourtant avifé que dans une efpèce de
Poft- Scriptum , quoiqu'elle lui fourniffe
une raifon aufli puiffante que décifive ,
c'eft que plufieurs exemplaires chinois ,
au lieu de Fo- Hi, écrivent Fo-Hé. De
JANVIER. 1777. 25-
Fo Hé à Noé , comme on voit , il n'y a
de grande différence que la lettre initiale.
La Trigonométrie rectiligne & fes ufages ;
par 1. J. R. Brochure in - 8 °.
Embrun , chez P. F. Moyfe , Imprim.-
Libr.; & fe trouve à Paris , chez Baftien
, Libr. , rue du Perit-Lion , Fauxbourg
St Germain. t
La trigonométrie , cette partie des
mathématiques qui nous apprend les
fecrets les plus intéreffans , comme de
connoître les diftances de différens points
de vue , fe borne ordinairement aux
Fiftances terreftres.
M. l'Abbé Roflignol , autrefois Profeffeur
à l'Univerfité de Milan , vient
de nous donner une trigonométrie ( en 64
pages ) . H nous apprend dans ce petit
Opufcule , divifé en cinq parties , à mefarer
toutes les diftances terreftres , cé- '
leftes & marines ; il donne d'abord les
définitions préliminaires.
La première partie traite de la conf- .
truction des tables. La deuxième partie
traite de la réfolution des triangles en
dix propofitions.
Le refte de l'Opufcule contient les
fages pratiques & problèmes.
96
MERCURE DE FRANCE.
La troisième partie , la mefure des
diſtances célestes , en treize propofitions ,
fuivies d'obfervations.
La quatrième partie , la meſure des
diftances célestes , en quatorze propofitions.
La cinquième partie commence par
des définitions , & contient la meſure
des diſtances marines en dix propofitions,
fuivies d'obfervations.
Les trois dernières parties renferment
prefque autant de problêmes que de pro
pofitions.
I'Ouvrage eft terminé par une plan
che bien gravée.
5
: )
L'Auteur a ajouté à la fuite de ce
Traité , les problêmes d'équation les
plus curieux ; d'abord 80 du premier degré
, 20 du fecond degré , d'un degré
fupérieur ; vient enfuite la clef des nombres
cherchés On peut affurer que rien
ne peut intéreffer davantage ceux qui fe
mêlent d'enfeigner cette partie de mathématique
, que le choix des problêmes
qui fe trouvent ici ; la plupart d'ail
leurs font hiftoriques.
Le même Auteur a donné des élé
mèns de géométrie en 8
en avoir fait l'éloge , que de
pages. C'eſt
dire que cet
Ouvrage .
JANVIE R. 1777. 97
Ouvrage eft le fruit de 20 ans de tentatives
, d'effais , de réflexions , de corrections
, &c. Il y employoit fes momens
de loifir , lors même qu'il étoit Profeffeur
de mathématiques dans une des
premières Univerfités de l'Europe .
M. l'Abbé Roffignol vient auffi de
donner des Vues fur l'Euchariftie ( en 16
pages ) , & on trouve dans cet Opufcule ,
qui n'a prefque qu'une feuille d'impreffion
, des obfervations phyfiques les
plus curieufes , fur la petiteffe des corps ,
fur- tout en fuppofant la diminution des
pores dont ils font remplis. On cite en
particulier celle- ci de Newton : Si on
rapprochoit toute la matière de l'Univers ,
de façon à en exclure tous les pores , on
n'eft pas affuré qu'elle occupât un pouce
d'étendue ; delà & d'une infinité d'autres
obfervations , toutes plus intéreſſantes
les unes que les autres , l'Auteur en conclud
que le corps de Jéfus Chrift peut
( fans co-pénétration ) par la feule diminution
des pores , être contenu dans la
plus petite hoftie , & dans la plus petite
partie de l'hoftie.
Valmore, Anecdote Françoife ; par M.
Loaifel de Treogate , Gendarme da
I. Vol.
98 MERCURE DE FRANCE.
Roi, Brochure in- 8° . A Paris , chez
Moutard , Libraire , rue du Hurepoix.
Un Officier nommé Valmore , qui n'a
que dix-huit ans , conçoit l'amour le plus
violent pour une fille de qualité qui n'en
a que feize . Cet âge eft celui de la confiance.
Ces deux Amans concluent de ce
qu'ils s'aiment , qu'ils font deftinés l'un
pour l'autre. Ils font bien éloignés de
s'imaginer qu'un père puifle avoir de
bonnes raifons pour s'oppofer à leur
union . Ses repréſentations les plus judicieufes,
ne font à leurs yeux que des actes
de defpotifme , & la réfiftance à fes ordres
, une action héroïque. Un Eſclave ,
dit Valmore à fa Maîtreffe , fe déshonnore-
t il en brifant fes fers ? Ne doit on
pas au contraire accorder toute fon eftime
à l'homme affez courageux pour fouler
aux pieds de coupables loix , qui veulent
ufurper l'empire de la nature &
affujettit les cours ? C'eft ainfi , fuivant
la réflexion de l'Ecrivain , que les affections
défordonnées corrompent le jugement
& la volonté . On s'arrange une
morale fuivant fes paffions ; on pare du
voile de la vertu tout ce qui plaît au
JANVIER. 1777. 99
&
coeur ; on adopte avec empreffement
tous les raifonnemens qui peuvent étouffer
les remords. La confcience timide
alors fe tait , & la paffion n'ayant plus de
frein , nous précipite dans les écarts les
plus condamnables. Valmore & fa foible
Maîtreffe en font la trifle expérience . On
fera peut-être furpris de voir une fille de
condition , élevée dans les bienséances
de fon rang , s'affocier à une troupe
d'hiftrions , mettre un prix à fes appas ,
tomber ainsi , d'elle - même , dans le dernier
degré de l'opprobre & de l'avilifement.
Cependant l'Auteur n'a peint que
ce que l'expérience n'apprend que trop
fouvent. Une fille qui s'eft une fois
fouftraite à l'autorité paternelle , connoît
rarement d'autre frein . Comme l'indigence
eft alors pour elle le plus terrible
des fléaux , qand il s'agit de le prévenir ,
il n'eft plus de facrifice qui lui coûte .
Hiftoire de Zulnie Warthei ; par Mademoifelle
M ***. Volume in - 12. A
Paris , chez la veuve Duchefue , Libr
rue Saint Jacques.
Mifs Hindfei , fille unique d'un père .
ambitieux , immola tout à l'amour , &
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ne connut d'autre félicité que celle d'aimer
& d'être aimée . Elle étoit adorée
d'un jeune Lord , qui devoit le renverſement
de fa fortune à fon amour conftant
:
pour l'augufte fang des Stuarts , qu'avoit
abandonné depuis long-temps Milord
Hindfei : qu'on juge donc fi la paffion
du jeune Warthei fut favorifée par lui !
Sans être ému des pleurs de fa fille , qu'il
voyoit fans ceffe à fes genoux , il reſta
inflexible . Les obftacles font l'aliment de
l'amour celui de Mifs Hindfei s'accrut
encore. L'état où eft la fortune de fon
Amant , la différence des religions , tout
cela n'eft rien pour elle . Pour l'amour
elle abjure le Calvinifme , abandonne les
richeffes , fe fauve de la maifon paternelle
, & court fe jeter dans les bras de
Warthei . Auffi-tôt ils s'embarquent fur
un vaiffeau qui fait voile vers la France.
L'Aumônier de l'équipage les unit , &
fatisfait enfin le defir qu'ils ont d'être
l'un à l'autre . Cependant Warthei foupire
; il ne peut regarder fon épouſe ,
fans fe fentir oppreffé ; il regrette pour
elle ce qu'elle vient de facrifier pour lui :
elle lit dans fes yeux la trifteffe qui l'ac
cable ; elle lui en demande la caufe :
vaincu par fes careffes , il lui ouvre fon
JANVIER. 1777. 101
30
"
ame.«Quoi ! lui dit- elle , c'eft cela qui
t'afflige ? Tu m'aimes , & tu peux me
» trouver à plaindre ? Tu es à mes pieds ,
» & tu pleures fur moi ? Et dis , quelle
» aifance , quelles grandeurs pourroient
» balancer le bonheur de t'être chère ?
» Mon ami ! nous nous voyons , & nous
> nous trouverions pauvres ?.... Ah !
» j'augure mieux de ton coeur ! - Femme
» incomparable ! s'écrie Warthei en l'em-
» braſſant; arrête , ta générosité fait mon
» tourment : mais , que veux-tu dire ?
» Penfes-tu que pour moi j'envifage des
biens que je foulerais aux pieds pour
» un feul de tes regards ? Connois mieux
»Warthei : l'indigence à fes yeux n'eſt
» un mal que pour toi ... - Va , ceffe de
pleurer fur mon bonheur : ce bonheur!
» je le tiens de toi ; je ne peux le perdre
» que par toi aime- moi toujours ; je
» ferai toujours heureuſe . Que je
» t'aime toujours ! peux- tu me le recom-
» mander ? Adorable épouſe ! la mort
» feule.....» En cet endroit Warthei
eft interrompu on lui annonce qu'on
eft menacé d'une violente tempête : il
jette un coup - d'oeil fur fon épouse &
frémit. Cet homme fi courageux connoît
la crainte pour la première fois : il pâlir ,
30
E iij
102 MERCURE
DE FRANCE.
Friffonne , tremble à l'idée du péril . Mais
fes alarmes n'étoient que l'effet de fa
fenfibilité. Ce n'étoit pas lui qu'il envifageoit
; c'étoit fon époufe feule . Dan's
de pareils momens , l'homme peut pleurer
fans foibleffe ; & fi c'en eft une , elle
honore l'humanité. Cependant l'orage fe
diffipe . Bientôt ils abordèrent à Calais ,
d'où ils fe hâtèrent de venir à Paris.
Quand on envifage leur condition , on
ne peut s'empêcher de déplorer la médiocrité
où ils étoient réduits . Deux laquais
& une femme- de- chambre , qu'ils
avoient emmenés d'Angleterre , compofoient
tout leur domestique ; mais ils
s'aimoient, & ils fe trouvoient riches.
Peu de temps après leur arrivée , Miledy
fe trouva enceinte : des infortunés ne
doivent guères fouhaiter de voir étendre
leur exiftence : néanmoins Warthei ne
put , fans une joie extrême , apprendre
qu'il alloit être père. On ne demandera
Tans doute pas fi fa compagne partagea
fes fentimens. Au terme marqué , Milady
donne le jour à une fille , qui fut reçue
avec tranfport dans les bras de fon père ,
qui enfuite la remit dans ceux de fa
mère ; & cette mère , fidelle aux loix de
la nature trop fouvent étouffées , ne reJANVIE
R. 1777 103
fufa pas àfon enfant la fubftance que fon
fein lui devoit. La petite Zulmie , c'est
ainfi qu'elle fut nommée , croifloit ſous
les yeux des auteurs de fes jours , & donna
à fa mère , pour récompenfe de fes
foins , fon premier fourire. Lady Warthei
, trop rendre époufe pour n'être pas
tendre mère , fuirvoit les progrès de fon
aimable enfant. Le jour que la teuant
dans fes bras , elle vit , pour la première
fois , fa bouche innocente lui offrir l'expreffion
du plaifir: Warthei ! crie - t- elle
à fon époux ; Warthei ! mon ami , regarde...
elle me forrit » . Et aufi -tôt
elle embraffe mille fois Zülnie avec attendriffement.
Le père , tout ému , vient
épancher fa tendreffe fur ces chers objets ,
& recevoir le fecond fourite d'un être ,
en qui il retrouve & lui-même & la
femme qu'il adore. Grand Dieu ! dit
alors Milady; fi mon père étoit témoin
» de cette foène , pourtoit- il n'eh être
» pas touché ? S'il voyoit cet enfant .... f
feulement il étoit inftruit qu'elle exif-
» te , crois tu que l'idée de fe favoir
multiplié ne tendroit pas à la nature
» fes droits ? Si je lai écrivois , pour lai
apprendre un bonheur qu'il ignore ? ...
Faites , Madame , faites,, fi vous
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
39
» voulez vous voir arracher de mes bras :
» vous connoiffez votre père , fon cour
» roux nous pourfuivra par - tout où il
faura que nous refpirons. Il ne verra
» dans cet enfant que celui d'un homme
qu'il abhorre , & qu'il abhorrera tou-
»jours. Vous favez les motifs qui nous
divifent ils ne peuvent s'anéantir.
»D'abord ne croyez pas que le coeur de
» votre père puiffe être fenfible : religion ,
devoir , honneur , fidélité , il facrifia
» tout à l'ambition ; ce fut-là fa feule
» divinité : & c'eft la feule qu'il recon-
» noiffe encore. N'enviez point fes biens
» pour ma fille ; ils feroient fon oppro-
» bre : ils ont été donnés par l'ufurpateur
» de la couronne de mon Maître : ilfuffit
» pour que mon fang n'ait rien à y pré-
» tendre. Pardonne , s'écrie fa femme
» toute tremblante , pardonne fi j'ai pu
offenfer ta grande ame ; mais enfin
» Milord Hindfei eft mon père , je fuis
» fa fille.
Vous êtes Citoyenne ; c'eft
» là votre premier devoir imitez les
généreufes Spartiates , qui méconnoif
» foient leurs parens quand ils mécon
» noiffoient la patrie. Barbare ! fi mon
» père eft coupable , je dois le plaindre
❤ & non pas le haïr : je l'ai offenſé ; je
"
و د
"
M
-
JANVIER . 1777. 105
"
» dois lui demander grâce : ah ! je devrois
» voler vers lui , embraffer fes genoux ,
» lui préfenter cette jeune innocente ,
implorer pour elle fes bontés ! -Partez,
» Madame , courez dans les bras d'un
père qui détefte votre époux. Mais
» toujours , ma fille ne vous fuivra pas ;
» elle reftera dans mon fein ; elle n'ira
» pas fourire à un homme traître à fon
» Roi. Allez , allez vous fouiller des
richeffes de votre père , tandis qu'elle
» & moi nous nous honorerons d'une
noble indigence. Cruel ! quel reproche
! Eft - ce à moi qu'il devroit
s'adreffer ? moi , qui t'adore , qui ne
» vit qu'en toi , qui ai foumis tous mes
» fentimens aux tiens : voilà donc le
» trait dont tu me perces le coeur ? C'eſt
donc là cet amour que tu me juras
>
-
-
tant de fois ? Tu es fans égard pour ta
» malheureufe femme ma foibleffe ,
» que tu devrois foutenir , tu l'abas ; mes
» remords , que tu devrois effacer , tu
» les redoubles ; ma fenfibilité , à qui tu
» devrois compatir , tu la bleffes ; mes
larmes , que tu devrois effuyer , inhu-
» main ! tu les fais couler » . En difant
ces mots , elle preffe contre fon fein
Zulmie , qui fe met à la careffer de fes
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
ང་
petites mains : cette action la fait fondre
en larmes. Chère enfant ! dit - elle >
» confole ton infortunée mère ; fais -lui
» oublier les rigueurs d'une union qui
» doit empoifonner fa vie , & pour qui
elle facrifia tout ! A ces dernières pa ·
roles : « Voilà ce que j'avois préva , reprit
Wartheis je m'attendois à ces regrets .
Telles font les femmes : incapables d'un
folide attachement , elles ne favent ce
» que c'est que d'aimer ; & baffes dans
leurs plaintes , elles fe fervent de leur
foibleffe pour nous outrager impunement
». Ce reproche eft un trait de
lumière pour Lady Warthei ; elle fent la
bleffure qu'elle venoit de faire à fon
époux ; il fe fait une révolution dans
tout fon être , qui lui ravit l'uſage de
fes fens fes yeux fe ferment ; fes bras
défaillans ceffent de retenir Zulmie . Warthei
, dans cet inftant , n'eft que père . Il11
prend l'enfant , qui étoit fur le point de
tomber , & le remer dans fon berceau .
Enfuite il fonne ; la femme de chambre
de Milady vient , & il fe retire. Les regards
de Lady Warthei , en revoyant
la
Tumière , cherchent envain fon époux ;
ils ne l'apperçoivent pas cette indiffé
rence déchire fon ame . Elle ordonne à
JANVIER. 1777 .
707
fa femme de-chambre de la lailler feute.
Toure entière à elle-même , quelles ré-
Hexions accablantes viennent fe préfenter
à fon efprit troublé! « Warthei ne m'ai-
» me plus , dit-elle ; il a pu voir l'image
s de ma deftruction & être tranquille !
» il n'a pas cherché lui- même à me rap-
» peler à la vie ! ... Eh ! fi cette vie ne
Tintéreffe plas , pourquoi chercher à
» la conferver ? ... Zulmie ! ma chère
Zulmie ! fi je ne me devois pas à tor,
» mon fort feroit déjà décidé . Mais , je
» fuis mère ; il faut en remplir les devoirs
: je t'immole plus que la vie y en
me la confervant ». Un fanglot vient
fe joindre à ces triftes paroles. Warther,
qui étoit dans un autre appartement ,
inquiet , pour ainfi dire , malgré luimême
, reparoît dans cet inftant aux yeux
'de fon époufe , qui , noyée dans fes
larmes , vole fe jeter à fes pieds. Ses
pleurs qui relevoient encore l'éclat de fa
beauté , & qui ajoutoient à fes grâces ,
fa pofture fuppliante , tout parle au contr
de Warthei : il eft prêt à tomber à fés
genoux , à lui demander grâce ; l'amour
eft fur le point de triompher : mais la
délicateffe vient fappeler l'outrage qu'elle
a reçue. A cette idée , l'émotion qui fe
Evi
..
108 MERCURE DE FRANCE.
-33-
-
laiffoit déjà remarquer fur la figure de
Warthei , eft auffi- tôt couverte d'un voile
fombre. Il s'éloigne de fa trifte femme.
« Perce moi donc le fein , lui dit- elle ,
» en reftant profternée ; Warthei ! paf-
» ferons-nous ainfi le refte de nos jours?
» Ce malheureux enfant fera t-il élevé
fous de pareils aufpices ? Vas- tu hair
» fa mère ? — De quoi vous ferviroit
» mon amour ? Vous dédommageroit-il
» des facrifices que vous avez faits pour
» moi ?
Ah! ne parlons plus de cela .
Vous en avez pourtant parlé , reprit-
» il avec amertume .-Je le fais ; c'eft mon
crime : oublie- le. L'oublierez-vous
» vous- même ? O Warthei ! tu m'ac-
» cables ! veux-tu me voir fuccomber !
» veux-tu que je meure ? » Elle eſt encore
prête à s'évanouir , les bras tendus
vers fon époux , à peine fe foutient - elle :
c'en étoit trop pour un homme auffi
fenfible , & peut-être pas affez pour un
homme auffi délicat que Warthei . Il fe
rapproche de fa femme , la relève , l'embraffe
; mais ce baiſer n'avoit point cette
expreffion , cette vie que l'amour lui
donne : Milady le fentit. « Eft ce - là un
baifer , lui dit- elle , en lui en donnant
» mille paffionnés ? Quoi ! tout , jufqu'à
33
--
JANVIER. 1777. 109
» tes careffes , ne feroit-il plus qu'une
marque d'indifférence ? » Warthei ému
jufqu'au fond de l'ame , montre enfin
une paupière mouillée , & preffe avec
toute l'énergie du fentiment , fa femme
contre fon coeur. « Oh! je renais , s'écria-
» t-elle alors ; tu m'aimes encore ; je le
» fens à cette étreinte ! » En prononçant
ces mots, il parut un plaifir fi vif dans
les yeux de Lady Warthei , que fon mari
tranfporté , oublia tout en ce moment ,
fléchit un genou devant elle , & implora
fa grâce. Ce qu'éprouva dans cet inſtant
Lady Warthei eft fait , non pour être
dit , mais pour être fenti . L'orage difparut
donc ; & s'il refta quelques traces de
fes ravages , ce fut dans le coeur feul de
Lady Warthei , qui n'éprouva que trop
combien il eft dur de fe mettre dans le
cas d'avoir befoin d'un pardon . Depuis
ce jour , elle n'ofa plus prononcer le nom
de fon père , & vécut uniquement concentrée
en fon époux & fa fille , dont
la rare beauté acquéroit tous les jours
de la grâce & de l'expreffion , Le charme
ingénu de fon efprit enchantoit & attachoit.
Sa modeftie , fa timidité , vertus
de la folitude , infpiroient le refpect &
la rendoient encore plus aimable. Elle
110 MERCURE DE FRANCE.
étoit l'idole de Milord & de Milady
Warthei , qui n'avoient d'autre regret
que celui de ne pouvoir affarer à leur
chere Zulmie le fort le plus brillant :
car Milords malgré tout le ftoicifme
qu'il affectoit, ceffoit fouvent d'être Philofophe
, en penfant qu'il étoit père. Il
fe trouvoit avec une fortune très - bornée ,
fans efpoir de la voir augmenter ; a
moins de fléchir fous le joug d'un Maître
que fon coeur défavouoit . Pour furcroît
de peines , le peu de bien qu'il avoit
recueilli ne pouvoit plus fournir à fes
dépenfes , le domeftique diminuoit , les
créanciers fe multiplioient Warthei
voyoit tout cela , né difoit rien & fouffroit.
Sa fille étoit fon fupplice . En envifageant
l'avenir , il détournoit la vue
avec faififfement . Dans la trifteffe de fa
femnie , qui perçoit quelquefois malgré
elle , il croyoit entrevoir un reproches
dans fes careffes , il trouvoit un poifon
pire que le poifon même . Dans la joie
naïve de Zulmie , il prenoit l'aliment du
défefpoir ; défefpoir que faifoit difparoître
de fes yeux cette fille charmante ,
pour le concentrer dans fon coeur . Tels
étoient les efforts généreux de la nature :
on déroboit à Zalmie l'image de la douJANVIER.
1777. I
leur ; on ne la regardoit que pour lai
fourire; & élevée au fein des larmes , elle
ne connoiffoit que la gaîté. Tranquille
fur fon fort , jufqu'à quinze ans , elle
ne penfa pas qu'il pût exifter un bonheur
autre que celui dont elle jouiffoit. Jufqu'alors
elle s'étoit trouvée heureuſe auprès
de fa mère , avoit vécu fans defirs .
Mais à cet âge , elle commença à fentir
qu'il manquoit quelque chofe à fa fatiffaction.
L'inquiétude fe gliffa dans fon
coeur , fon fommeil devint plus léger ;
fouvent on la voyoit dans la journée
quitter fon ouvrage , fans s'en appercevoir
, & devenir rêveufe fans favoir à
quoi elle rêvoit. Lady Warthei , affligée
de la voir dans cet état , l'appelle , l'embraffe
, & lui demande la raifon du chan .
gement de fon humeur. « Hélas ! je ne
fais , répondit Zulmie , avec un fon-
» pir ; autrefois j'étois contente ; mon
» fort n'a point changé ; il eft toujours
» le même & pourtant je fuis bien dif
férente de ce que j'étois : tout m'inf-
» pire de la fatiété ; je ne trouve que du
» vuide antour de moi ; mon ame fem-
» ble aſpirer à la poffeffion d'un bien
qu'elle ne connoît pas , mais qui eft
» fait pour ellen. Cette réponse ingé-
"
112 MERCURE DE FRANCE.
nue , en éclairant Lady Warthei , lui
perça le fein. Si fa fille eût été dans une
élévation convenable à fon rang , elle
n'y auroit vu qu'une fomme de plus
d'ajoutée à fon bonheur ; mais étant
comme ils étoient , comment fatisfaire
au befoin de ce coeur avide de tendreffe ?
Milady ne dit prefque rien à fa fille , &
fit part à fon époux de l'aveu qu'elle en
avoit reçu . Warthei pâlit , ne répondit
que par un morne filence , & un regard
fixe où fe peignoit l'horreur. Envain l'infortunée
Lady faifit ce moment pour
folliciter de nouveau de fon époux la
permiffion d'écrire en Angletetre. Sa
fermeté ftoique rejeta toujours aves
horreur l'idée de mandier des fecours à
l'ennemi de fon Prince. « D'après une
pareille réfolution , lui dit fon époufe ,
» il feroit bien à fouhaiter que Zulmie
» eût de l'inclination pour la vie religieufe
c'eft un état honorable ; il
» convient à l'infortune. Que dites-
" vous? Ma fille confulteroit l'intérêt
pour fe confacrer à la Religion ? Ce
» feroit le calcul de fa fortune qui déter-
» mineroit fon choix ? ... Au lieu d'im-
» moler l'orgueil à Dieu , elle immoleroit
» Dieu à l'orgueil ? Non. Elle eſt ma
99
"9
JANVIE R. 1777. II3
33
"
» fille ; cela ne doit pas être : je ne le
» fouhaite pas. Je ferois tout pour l'empêcher
qu'elle vive infortunée ; mais
» qu'elle vive vertueufe. Quelle ne fe
rende pas parjure.- Si nous perdons la
» vie , je le répète encore , jette donc un
» coup d'oeil fur ta fille : privée de, nous ,
» fans appui , au milieu d'un monde
» corrompu , qu'elle ne connoît pas ;
»
-
fans
expérience , fi jeune , fi belle , fi fen-
» fible , que de piéges pour l'innocence !
Voilà ce que j'entrevois , voilà ce que
» je redoute. Ne crains rien de Zulmie
: elle est formée de mon fang ; ce
mot me dit tout : fa fenfibilité peut
faire fon malheur , mais jamais lui
ravir fa vertu » . Lady Warthei cherchoit
à modérer cette fenfibilité dans fa
fille , en lui peignant l'amour fous les
couleurs les plus fombres. « Ne t'en fais
pas une idée fi belle , lui dit-elle un
» jour ; c'eſt un féducteur qui paroît
charmant , fur- tout quand on commence
à le connoître : mais fes douceurs
font paffagères ; le nectar qu'il
répand eft bientôt épuifé , & fait place
» au poifon. Crois- en ta mère ; étouffe
" le germe que ce tyran a dépofé dans
» ton coeur; & quand nous ne ferons
114 MERCURE DE FRANCE.
»
"
"
plus , fuis les confeils que t'a donné
» ton père , de vivre penfionnaire dans
» un Couvent à quelques lieues de Pa-
» ris.
Ah! Maman , quel feroit mon
» deftin , fi privée de tous deux , je vi-
» vois ainfi concentrée en moi- même ?
» Chère Maman ! eft- ce- là vivre ? N'aimer
perfonne , n'être aimée de perfonne ;
quelle vie ! ou plutot quelle mort ! car
» exiftons-nous par nous-mêmes ? Non ,
» ce n'eft que dans les autres que gît
» notre exiſtence. Un être à qui perfonne
» n'eft attaché , à qui perfonne ne penfe ,
qui enfin eft oublié de tout l'Univers ,
» ne vit pas ; il achève de mourir .
Cette fille parloit à une mère , qui
n'avoit peut-être été que trop, fenfble
à l'amour , & connoiffoit le befoin ,
pour une ame tendre , d'aimer ; auffi
chercha- t-elle à favorifer l'amour que
le Chevalier d'Ulmi , jeune homine
plein de grâces , de moeurs douces , &
dont la fortune étoit confidérable , avoit
conçu pour Zulmie . Les fcènes que cet
amour produir, mettent dans un nouveau
jour la fenfibilité de cette jeune perfonne ,
& le caractère de Warthei , dont la fierté
ne peut fouffrir la moindre bleffare ; ce
père ne fe rappelle même qu'impatiemment
les offres du Chevalier , de faire
·
JANVIER. 1777. Tirs
jouir , par fon alliance , l'aimable Zulmie
du tang que fa naiffance lui promettoit ;
il fe trouve infulté , en penfant qu'on a
pa le croire capable d'écouter les propo
fitions que lui a faites cet Amant : il jette
les yeux fur Zulmie , fe promet à luimême
de ne jamais l'unir à qui que de
foit , plutôt que de fe voir l'obligé d'un
gendre , & d'être dans le cas de lui devoir
de la reconnoiffance du bonheur de
fa fille : il ne vouloit pas qu'elle dût rien
à perfonne ; il aimoit mieux la favoir
malheureufe & fans fortune , que de la
voir au ſein de l'abondance , s'il eût
fallu , pour en jouir , qu'elle en fût redevable
à un époux : fa fille ne lui paroiffoit
pas faite pour recevoir des dons ,
mais pour en faire ; & , dans cetté occa
fion , il auroit au moins voulu l'égalité.
Ce père , continuellement en proie
aux foucis dévorans , fe vit bientôt près
de fa fin . Il étoit à peine âgé de 38 ans.
Dans fes derniers momens , qui préſentent
ici le tableau le plus pathétique , il
fit jurer à fon époufe , que fidelle aux
promeffes qu'elle lui avoit déjà faites ,
elle ne profiteroit pas de fa mort pour
aller implorer les fecours de l'ennemi de
fon Roi. Mais cette tendre épouſe , ſen116
MERCURE DE FRANCE .
"
fible à la perte qu'elle venoit de faire ,
ne furvécut pas long-temps à celui qui
lui avoit caufé tant d'amour & de cha- .
grins. La tendre Zulmie parut fuccomber
à cette nouvelle perte , qui lui rendoit
la première encore plus fenfible. Envain
le Chevalier , qui depuis la mort de
Warthei avoit obtenu la permiffion de
voir fa Maîtreffe , cherchoit il à calmer
fa douleur , l'amour étoit impuiffant. Le
Chevalier attendit tout du temps & de
fon amour. Je révère votre douleur, lui
» dit-il , je la partage ; je ne prétends
» rien ; je ne fuis pas fait pour rien pré-
» tendre : ce fera vous qui fixerez mon
» bonheur , fi jamais vous daignez m'en
» faire jouir. Je vous adore ; voilà mon
» feul titre ». Zulmie accepta les hommages
de cet Amant; & après avoir
avec le peu de bien qui lui reftoit , & à
l'infçu même du Chevalier , acquitté les
dettes de fon père , elle fe retira dans
un Couvent, où le Chevalier payoit fa
penfion . Zulmie l'eftimoit , l'aimoit , s'en
favoit aimée , connoiffoit fes vues , &
par conféquent croyoit pouvoir fouffrir
ce qu'il faifoit pour elle. Née fière fansle
favoir , parce qu'elle n'avoit jamais
eu aucune occafion de s'en appercevoir
JANVIER. 1777. 117
elle-même , elle recevoit fans rougir les
bienfaits du Chevalier bienfaits qui
n'avoient de prix à fes yeux que par la
main qui en étoit la fource ; ou , pour
mieux dire , bienfaits auxquels elle ne
penfoit pas indifférence qui prouve plus
qu'on ne fauroit le croire , l'excès de fon
amour pour lui , & l'opinion qu'elle avoit
de fa délicateffe . Il n'y a peut-être pas ,
ajoute l'Auteur , de reconnoiffance plus
flatteufe pour le bienfaiteur que cette
indifférence; fur- tout fi ce bienfaiteur
généreux fait que celui qu'il oblige eft
affez délicat pour ne pas accepter d'un
autre ce qu'il accepte fi volontiers d'un
ami .Telle étoit la jouiffance que Zulmie
donnoit au Chevalier , qui tous les jours
venoit à fes pieds attendre l'inftant où
elle confentiroit à fa félicité . Un jeune
Marquis de vingt- trois ans , vif, étourdi,
inconféquent , que l'imprudent Chevalier
avoit pris pour confident , ne pouvoit
concevoir comment on pouvoit trouver
tant de plaifir à paffer des heures entières
à un parloir , pour y converfer feulement
avec une femme. Il en fit des plaifanteries
au Chevalier , qui fut affez foible
pour y applaudir. Il ofa même profaner
l'amour par des intrigues indignes de lui ,
118 MERCURE DE FRANCE.
& commença dès-lors à faire des vifites
moins fréquentes à Zulmie. Il ne lui
parla plus que du ton de l'indifférence .
Zulmie s'en apperçut , en gémit , & ,
pour la première fois , penfa aux bienfaits
du Chevalier : elle les trouva honteux ;
& , pour s'acquitter envers le Chevalier ,
vend quelques bijoux , met l'argent
qu'elle en reçoit dans un coffre , & le
lui renvoye avec une lettre , que l'on
pouvoit regarder comme un nouveau
témoignage de la nobleffe de fes fentimens
& de la franchiſe de fon ame.
›
Cetre lettre fut un coup de foudre
pour
le Chevalier , qui fentit , en la lifant ,
l'inconféquence
de fa conduite , & la
grandeur de la perte qu'il venoit de
faire . Dans fa douleur , il fe réfout d'aller
fe jeter aux pieds de fa Maîtrelle
pour obtenir fon pardon à quelque prix
que ce foir. Mais Zulmie ne pouvant
fournir à la dépenfe de fa penfion ; voulant
d'ailleurs éloigner d'elle pour toujours
un Amant infidèle , avoit quitté
fon Couvent , & s'étoit retirée dans un
quartier éloigné , où elle avoit changé
de nom. Sa femme- de- chambre , qu'elle
n'étoit plus en état de garder , trouva
dans ce même temps à entrer chez une -
JANVIER. 1777. 119
Comteffe. Voilà donc la petite- fille de
Milord Hindfei feule , livrée à elle- mê - ´
me , & reléguée dans un afyle , dont
auroit rougi la fille d'un Bourgeois . "
Quant à elle , elle ne favoit pas encore
rougir par orgueil ; fon ame , fortie en
quelque forte des mains de la nature
ne connoiffoir point cette hauteur , cette
vanité , qui ne viennent que du préjugé.
Toutes fes penfées , loin de fe
tourner fur fon indigence & fur le mépris
auquel l'expofoit cette indigence , ne fe
raflemblèrent que fur un père , une mère
qui n'exiftoient plus , & un Amant toujours
cher, malgré fon infidélité . Hélas !
6
"
difoit- elle , en fongeant à lui , fi au
» moins il pouvoit fe voir aimé comme
je l'aime , je ne regretterois pas la perte
» de fon coeur ; le mien , heureux de fa
félicité , ne trouveroit plus rien à de-
» firer . Tel étoit l'amour de Zulmie ;
parfaitement dégagé d'égoïfme , elle aimoit
le Chevalier pour lui & non pour
elle. Néanmoins elle avoit des momens
d'amertume . qui affligeoient fes fens ,
& faifoient couler fes larmes . Une nuit
fur- tout qu'elle ne dormoit pas , jetant
les yeux autour d'elle , à la faveur d'une
lampe : " On peut donc , dit- elle , être
120 MERCURE DE FRANCE.
"2
» mort au milieu des vivans ! car qu'eftce
que ma vie ? Elle eft nulle pour
» tout le monde : puis-je donc la compter
pour une vie , puifque perfonne ne
s'intéreffe à elle ? Pour tous les mortels.
je fuis... je fuis rien... Je n'occupe
» aucun être dans l'Univers ; mon exif-
» tence eſt un néant : elle ne fera plus le
» bonheur , ni même le plaifir de qui que
» ce foit. En quittant le jour , je ne trou-
» verai pas une larme , pas un foupir ....
» Eft-ce-là vivre ? Non ; j'ai vécu » .
Cette ame aimante foulageoit fes chagrins
par les bienfaits qu'elle répandoit
fur des infortunés qui logeoient auprès
d'elle . Cependant le Chevalier d'Ulmy
ne ceffoit de faire les perquifitions les
plus exactes pour découvrir la retraite
de celle qui étoit devenue néceffaire à
fon bonheur. Il parvint cependant à en être
inftruit , par le moyen de la femme-dechambre
qui avoit fervi Zulmie. Le
trouble , l'agitation , les remords de cet
Amant , les pleurs de la tendre Zulmie
fes fentimens , le pardon qu'elle accorde
à celui qui l'a offenfée , la franchiſe
même qu'elle met dans ce pardon , forment
autant de fcènes variées , qui ne
laiffent pas le Lecteur indifférent. Ce ..
Lecteur
JANVIER, 1777. 121
Lecteur admirera fur- tout la délicateffe
des fentimens qui portent Zulmie à refufer
le don que le Chevalier veut lui
faire de fa main & de fa fortune , par la
raifon feule que fe trouvant actuellement
fans biens , on pourroit croire que c'eft
la détreffe où elle fe trouve , qui la fait
confentir à cette union . Le Chevalier
s'efforce inutilement de vaincre cette réfolution
. Sa Maîtreffe l'oblige de fe retirer.
Il s'éloigne, & fuit en défefpéré . Il
étoit feul à pied , & vêtu négligemment.
Dans fon chemin , comme il maudifſoit
fes richeffes , il apperçoit un homme
qui fortoit d'une maifon , avec toutes
les marques de la rage : il le prend pour
un Amant malheureux ; dans fon premier
mouvement , il l'aborde : « Infortuné
» lui dit- il , l'êtes-vous par l'amour ? »
Cet homme étonné , fe recule , & s'écrie :
« Plût aux Dieux que je n'euffe pas
» d'autres fujets de m'affliger !
- En
» peut-il être de plus grands ? reprit le
" Chevalier. Ah ! Monfieur , vous ne
» connoiffez pas le démon du jeu ....
-
Perdre cinq cents louis ! .. Malheureux !
» fi encore il me reftoit de quoi tenter le
» fort ! Le Chevalier touché de la
Gituation de cet homme, & ayant plus
I.Vol.
هو
122 MERCURE DE FRANCE .
>
que de l'indifférence pour l'argent
le prie d'accepter une bourfe de louis
qu'il lui remet Il réfléchit alors fur les
fortunes conſidérables abforbées par le
jeu ; & perfuadé que dénué de tout , il
vaincra plus facilement la réfiftance de
Zulmie , il forme la réfolution d'abyfmer
fes richeffes dans ce gouffre qui les engloutit
toutes. D'après cette réfolution
conçue précipitamment
, il vole chez
lui , prend tout fon or , & revole l'expofer
fur cette mer orageufe ; mais la fortune
, loin de lui être contraire , doubloit
à chaque inftant les fommes qu'il rifquoit
. Les fignes les plus fenfibles du
chagrin & du défefpoir , annonçoient fes
fuccès ; & ce fut peut- être pour la première
fois que l'on vit un Joueur, que la
fortune favorifoit , affecté de tous les
fentimens de ceux qui perdent. Chacun
a la vue fixée fur lui . Un Anglois fur
tout, étonné de cette fingularité , l'exa--
mine très attentivement
. C'étoit un
homme d'environ cinquante ans. Il parle
au. jeune François , l'interroge fur les
motifs de fa conduite. Cet entretien
anrène une explication & le dénouement
du Roman. Cet Anglois fe trouve être
Foucle de Zulmie ; il la reconnoît pour
-
JANVIER 1777. 123
que
fa nièce , & lui affure les grands biens
fon aïeul avoit laiffes . Cette fortune ,
en levant les obftacles que la délicatelle
'de Zulmie oppofoit toujours aux empreffemens
du Chevalier , fit la félicité
de ces deux Amans.
Comme il y a peu d'action dans ce
Roman , & qu'il intéreffe principalement
par la nobleffe des caractères , & par des
vérités de nature & de fentimens , elles
annoncent dans l'Auteur beaucoup de
fenfibilité . Si on lui objectoit qu'il a
donné à fes perfonnages des caractères
plus beaux que nature , il répondroit que
dans une hiftoire où l'on eft obligé de
peindre les hommes tels qu'ils font , on
n'eft que trop fouvent forcé d'affliger les
Lecteurs par la peinture du vice ; mais
que dans un Roman , qui eft un Ouvrage
d'imagination , & où l'on peut par conféquent
créer fes perfonnages , il eft bien
permis de repréfenter les hommes tels
qu'ils doivent être , & élever , par ce
l'ame du Lecteur. On eft feulemoyen
,
l'ame
dizalier
d'Ulmy
,
ment fâché que
avec la réfolution où il eft de fe féparer
de fon bien , préfère la loi du jeu à celle
de la dépenfe en actes de bienfaifance ,
qui le rendroient plus digne de Zulmie.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
D'ailleurs un Amant peut-il defirer la
poffeffion d'une Maîtreffe qu'il adore ,
pour l'affocier à fon indigence ? Mais les
paffions raifonnent- elles , & cette action
du Chevalier n'eft- elle pas une nouvelle
preuve que leur excès a toujours quelque
chofe de ridicule & de puéril ?
Les malheurs de la jeune Emilie , pour
fervir d'inftruction aux ames vertueufes
& fenfibles ; par Madame la Préfidente
d'Ormoy : 2 vol. in- 12 divifés
en deux parties . A Paris , chez Dufour ,
quai de Gevres , au Grand Voltaire ;
la veuve Duchefne , rue St Jacques ,
au Temple du Goût ; Nyon , rue St
Jean-de-Beauvais ; Ruault , rue de la
Harpe ; 1777,
1
La jeune Emilie naquit du Baron de
Lorme & de Demoiſelle *** , fon épouse,
Elle perdit fon père à l'âge de quatre
ans. Après avoir rendu les derniers devoirs
à fon mari , la Baronne de Lorme
voulut fervir elle-même de
gouvernante
à fa fille tout fon plaifir étoit de la
former à la vertu , en lui en faifant fentir
le prix , plus par fon exemple que par fes
préceptes, Ses leçons eurent tant de fucJANVIER
1777. 125
cès , que la jeune Emilie ne s'eftimoir
heureufe que lorfqu'elle foulageoit les
malheureux par fes largeffes , ou qu'elle
avoit occafion de faire quelque action
méritoire . Cependant , quoique prévenue
fur le danger de prêter l'oreille aux difcours
féduifans de ceux qui cherchoient
à lui plaire , elle ne put refufer fon coeur
au Comte d'Olban , qui n'avoit pu la
voir fans l'adorer. Comme le Comte étoic
un parti fortable pour fa fille , la Baronne
approuva leurs feux. Elle fongeoit à ferrer
cette union par les liens les plus
folennels , lorfqu'une maladie cruelle vint
la priver de cette fatisfaction , & la mit
dans peu de jours au tombeau .
Avant que d'expirer , cette tendre
mère recommanda fa chère fille à Madame
de Saint-Onge , fon intime amie ;
& après avoir béni Emilie & fon futur
époux , elle leur dit un éternel adieu . Le
Comte d'Olban n'oublia rien pour fécher
les pleurs de fa Maîtreffe ; il étoit affidu
à lui faire fa cour , mais Madame de
Saint- Onge rappela à Emilie la promeffe
qu'elle avoit faite à fa mère de fe retirer
dans un Couvent. Ce ne fut point fans
peine que cette fille vertueufe facrifia à
fon devoir le plaifir de voir fouvent le
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Comte d'Olban , qu'elle regardoit comme
fon époux.
Elle y reçut la vifite de fon Amant ;
& pendant
qu'ils s'entretenoient
enfemble
des douceurs
de leur prochaine
union , ils furent
interrompus
par le
Chevalier
de Saint- Onge , qui ayant
conçu une violente
paffion
pour la jeune
Emilie , ne put voir ce tête-à- tête fans
une émotion
violente. Il attaqua
brufquement
le Comte
d'Olban
Le combat
fut vif & fanglant
. On en fit part
l'Abbeffe
du Couvent
, qui fcandaliſée
de ce qu'une de fes Penfionnaires
donnât
lieu à un éclat fi fâcheux
, ordonna
qu'on
enfermât
Emilie dans la priſon de l'Abbaye.
à
Cette jeune perfonne fut très-fenfible
à ce traitement. Heureufement pour elle ,
une Religieufe , nommée la Soeur Saint-
Ange , prit part à fon affliction . Elle favoit,
par expérience , ce que peut l'amour
fur une ame fenfible . Elle venoit quelquefois
caufer avec elle , & pour la confoler
, elle lui raconta l'hiſtoire de fa vie .
C'eft un épifode qui embellit ce Roman ,
& qu'on lira avec autant d'attendriffement
que d'intérêt.
Cependant le Comte d'Olban n'ou
JANVIE R. 1777. 127
blioit point fa chère Maîtreffe. Ayant eu
occafion de connoître le Jardinier de
l'Abbaye , il le chargea d'une lettre pour
elle. Il lui propofoit de rompre fes chaî
nes , fi elle vouloit lui en confier le foin.
Emilie accepta cette propofition , & lui
répondit qu'il pouvoit la venir prendre
avec une femme que le Comte difoit
être une de fes parentes. Elle defcendit
avec eux dans une magnifique maifon.
& richement meublée .
Emilie étoit au comble de fa joie ; la
parente du Comte lui paroiffoit extrême,
ment aimable , & elle ne doutoit point.
que cette aventure ne fe terminât heureu
fement : fauffe illufion ! Madame Davies ,
c'est le nom de cette femme , non -feulement
n'étoit point parente du Comte,
mais c'étoit une de ces intriguantes qui
font métier de féduire les filles pour les
plaifirs de leurs Amans. Elle avoitpromis
au Comte d'amener Emilie au point où
fes defirs afpiroient. En écoutant un jons
leur entretien , cette fille infortunice en
tendit le complot : elle vit tout ce qu'elle
avoit à craindres fur le champ elle fe
détermina à fortir d'une maifon fi fut
nefte pour elle. Elle gagna le Portier par
fes larmes & fes prières , & étant mon
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
tée dans un carroffe de place , elle alla
loger en chambre garnie.
En fortant de chez le Comte d'Olban ,
Emilie avoit emporté tous fes bijoux ,
fes pierreries & quelque argent qu'elle
avoit. Elle employa fes effets à l'achat de
quelques hardes ; & pour prévenir l'indigence
, elle s'occupa à broder , & envoya
vendre fes ouvrages. Ce fut une
foible reffource ; auffi une année étoit à
peine écoulée , qu'elle fe trouva fans argent.
Les peines d'efprit qu'elle éprouvoit
continuellement , jointes à une mauvaiſe
nourriture , la mirent à deux doigts de
fa perte. Sans fecours , prefque mourante
, & victime déplorable de fa vertu ,
elle demanda à parler à fon Hôteffe pour
fe faire connoître & l'inftruire de fes
malheurs. Elle la conjura fur- tout de
n'avertir le Comte que quand elle ne
feroit plus.
L'Hôteffe ne crut pas devoir attendre
ce dernier moment. Malgré la défenſe
d'Emilie , elle courut chez le Comte ,
qui vint fur le champ apporter des fecours
& de la confolation à cette vertueufe fille .
Lorfqu'il arriva , Emilie étoit fi mal ,
qu'on la crut à l'agonie : elle ne parloit
plus. Cependant les cris perçans du
JANVIER . 1777. 429
Comte femblèrent réveiller la mourante.
Le nom d'époufe , qu'il répétoit continuellement
, avoit pénétré jufqu'à fon
coeur. Sa fanté fe rétablit ; mais d'Olban
n'attendit pas fon entier rétabliſſement
pour s'unir à elle. Il l'époufa après avoir
récompenfé largement fon Hôteffe , &
jouit avec elle d'une félicité que rien ne
fut capable d'altérer.
Tel eft le précis de l'hiftoire des
Malheurs de la jeune Emilie. La lecture
en eft intéreſſante , & ne peut manquer
de produire ce doux attendriffement qui
fait les délices des ames fenfibles. Ún
autre mérite de cette production , c'eſt
que tout y porte à la vertu ,
:
La vie & les opinions de Triftram Shandy,
traduites de l'Anglois de Stern , par
M. Frenais ; 2 parties in- 12 , prix 3 1.
brochées. A Yorck ; & fe trouve à
Paris , chez Ruault , Libraire , rue
de la Harpe , près la rue Serpente ;
: 1776 .
Ce très -fingulier Roman a fait une
fortune prodigieufe en Angleterre.
Suivant l'Auteur des Questions fur
l'Encyclopédie , qui en a traduit lui-
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
·
même quelques paffages , « il renferme
des peintures fupérieures à celles dé
" Rembrant & aux crayons de Calot »
Il ajoute que M. Stern eft le ſecond Rablais
de l'Angleterre On voit effectivement ,
par la tournure de fes idées & de fon ftyle,
combien il étoit nourri de la lecture des
écrits du Curé de Meudon , dont il
faifoit fes délices. Quoi qu'il en foit , la
marche de l'Hiftoire de Gargantua & de
Pantagruel , n'a d'ailleurs guères de ref
femblance avec celle des deux premiers
volumes de Triftram Shandy. Il feroit
difficile de donner , non-feulement une
analyfe , mais même une définition bien
nette de ce dernier Ouvrage. C'est une
efpèce de pot-pourri rempli d'une foule
de digreffions , dont la moindre minutie
fournit fouvent le fujet , & qui viennent
même quelquefois , comme on dit , à
propos de botte. Par ce moyen , l'histoire
de quelques minutes occupe fréquemment
un grand nombre de pages , & le
Héros du Roman ne fait que de naître
à la fin du fecond volume. Il en refte
encore quatre à traduire : nous ignorons
fi la marche en eft un peu plus rapide ,
& s'ils renferment réellement la Vie de
Triflram Shandy. Au refte , rien de plus
JANVIER . 1777. 131
agréable que la plupart des détails, du
bifarre tiffu qui compofe ces deux premiers
volumes . Il eft impoffible de répane
dre plus de gaieté & de grâces dans un
bavardage pouffé jufqu'à la caricature.
On y trouve des defcriptions pittoref
ques , des réflexions fines & ingénieuſes ,
& fur- tour des caractères finguliers &
frappans , tels que ceux du Capitaine
Tobie Shandy , oncle du Héros emmaillotté
, & du bon Caporal Trim , fon
domestique.
Pour donner une idée de la manière
de l'Ouvrage , nous allons en rapporter
un des endroits les plus plaifans , & un
de ceux en même temps où l'Auteur
s'écarte le moins de fon récit. Le père
de Triftram Shandy , retiré à la campa
gue au moment où fon fils eft près de
naître , fait monter fon domestique . Oba
diah à cheval , pour aller en toute diligence
chercher le Docteur Slap , le plus
célèbre Accoucheur du Canton. A cinquante
toifes de la Maifon , re domeſtique
rencontre le Docteur qui venoir
aufli à cheval. Nous allons faire parler
M. Sterne lui-même , par la bouche.de
fon Traducteur. « Il n'eft pas aifé de fe
» faire une idée du Docteur Slop. Le
Fuj
132 MERCURE DE FRANCE .
"3
ود
» père Labutte , qu'on a tant chanté , qui
boit pendant que perfonne ne le voit ,
» & qui a bu fans que perfonne l'ait vu ,
» le père Labutte eft bien connu , même
» de qui ne l'a pas vu , & je me repréfente
aifément fa figure... Mon imagination
fupplée à fa préfence. Mais
» le Docteur Slop ! le Docteur Slop eft
» bien un autre homme , & qui ne l'a
» pas vu y perd beaucoup. Figurez - vous
» cependant une figure haute de quatre
pieds & demi, perpendiculaire , groffe ,
trapue , rabougrie , avec un dos de
deux pieds & demi de large , & qui
porte un ventre au moins fefquilatéral,
qui feroit honneur à Silène.... Telles
font à-peu- près les lignes , qui forment
le contours de l'individu du Docteur
Slop... Mille coups de pinceau de plus
» feroient en pure perte ; je ne le ferois
pas mieux connoître... Ceux- ci , à l'aide
» de l'analyfe de la beauté de M. Hogarth
, fuffifent pour donner une affez
jufte idée de celle du perfonnage.
>>
"
:
??
» Cet homme , ainfi fait , alloit dou-
» cement , pas à pas , & en tortillant à
» travers la boue fur les vertèbres d'un
» affez joli petit bidet , mais qui à peine
avoit la force de mettre les jambes l'une
JANVIER. 1777. 133
">
» devant l'autre , fous un tel fardeau...
» Encore fi le chemin avoit été pratica-
» ble pour aller à l'amble ! mais il ne
l'étoit pas. Cependant Obadiah , juché
fur le gros cheval de carroffe , & pi-
» quant de l'épron , bravoit les fondriè-
» res , & couroit à toute bride au grand
galop... Le Docteur Slop , l'apperce-
» vant de très -loin qui couroit de toute
» fa force dans le même fentier , en fai-
» fant jaillir de tous côtés la boue en
»forme de tourbillon , n'auroit peut-
» être pas eu plus de peur de la plus
» maligne comète de M. Whifton , que
» de le rencontrer... Pour ne rien dire
» du choc du cheval & du Cavalier , les
» feules flaques de bones liquides au-
» roient pu emporter , finon le Docteur
» lui- même , au moins le bidet du Doc-
» teur... C'eft ainfi qu'il auroit jugé du
» phénomène qui lui auroit frappé la
» vue... Mais quelle ne dût point être
» la terreur & l'hydrophobie du Docteur
98
Slop , quand , tout-à coup , lorfque
» n'étant pas à cinquante toife de Shandy
, & prefqu'à l'encoignure d'un
angle , qui étoit formé par le mur du
jardin , Obadiah & fon gros cheval de
» carroffe , tournèrent le coin fubite-
»
"
134 MERCURE DE FRANCE.
»
» ment , & courant avec toute la vîteſſe
imaginable , furvinrent inopinément
fur le pauvre Docteur & fur fon bidet ?
Il n'étoit pas poffible de trouver une
rencontre plus funefte . Le bidet du
" Docteur , & le Docteur lui- même ,
» n'y étoient pas plus préparés l'un que
» l'autre , il étoit difficile de foutenir un
choc auffi rude ... Hélas ! que pouvoit
» faire le Docteur Slop ? Il étoit Prêtre ,
» & fe figna . Le nigaud ! il auroit mieux
» fait de faifir le pommeau de la felle...
En fe fignant , il laiffe échapper fon
fouet .. Il veut le rattraper entre fon
genou & le bord de la felle , & il perd
l'étrier. Il perd auffi fon équilibre , &
» dans la multitude de ces pertes , le
» Docteur infortuné perd la préſence
d'efprit , & fans attendre le choc d'Obadiah
, il abandonne fon bidet à fon
» deftin , roule diagonalement du faîte
"
35
de fon cheval , & tombe comme un
» fac de laine fans fe bleffer , & s'enfonce
» d'un pied dans la boue.
» Obadiah ôta deux fois fon bonnet
» pour faluer le Docteur Sløp , une fois
comme il tomboit , l'autre quand il le
» vit enfeveli dans la boue ..... L'impertinent
! c'étoit bien là le moJANVIER.
1777 139
n
» ment de faire des politeffes ! un
» diôle comme cela mériteroit qu'on le
chátiât , pour n'avoir pas arrêté fon
» cheval , n'en être pas auli- tôt defcendu
» & n'avoir pas aidé au Docteur... Monfieur
, point d'humeur.. Obadiah fit
tout ce qu'il put dans cette occafion .
» Mais le mouvement du gros cheval de
» carroffe étoit fi violent , qu'il ne pouvoit
pas tout faire à la fois... Il tourna
n
»
» d'abord trois fois autour du Docteur
n
Slop , & ce ne fut qu'au point où fon
cheval , toujours piétinant , alloit re-
» commencer un quatrième cercle , qu'il
parvint à l'arrêter , & ce fut avec une
» telle explosion de boue , qu'il auroit
» infiniment mieux valu qu'Obadiah
» n'eût point fongé à foulager le pauvre
» Docteur. Il en fut fi horriblement
» couvert , que jamais Docteur n'a été
» fi crotté de la tête aux pieds , depuis
qu'il y a de la boue & des Docteurs
» au monde
»
12 .
2
Le Traducteur a fait précéder ces deux
volumes d'un précis de la vie de Stern
qui fait aimer cet Ecrivain , dont il paroît
que l'ame étoit auffi honnête & auffi
fenfible que fon caractère étoit gai , &
fon efprit ingénieux & plaifant.
136 MERCURE DE FRANCE .
Il eft à defirer que l'on complette cet
Ouvrage dans notre langue ; il deviendra
un des livres les plus recherchés par
ceux qui veulent s'amufer & obferver
l'eſpèce humaine dans une multitude de
tableaux variés.
Lettre Paftorale de Monſeigneur l'Évêque
de Lefcar , à l'occafion des ravages
caufés dans fon Diocèfe , par la mortalité
des beftiaux . A Paris , chez P.
G. Simon , Imprimeur du Parlement ,
rue Mignon Saint André- des -Arcs ,
1776.
M. l'Évêque de Lefcar , après avoir
porté au pied du trône , à la tête de la
Députation des États de Béarn , le tableau
fidèle des malheurs qui ont affligé cette
Province , invite aujourd'hui fes Diocéfains
à prévenir , par des fecours abondans
, les triftes fuites d'une première
calamité. Il propofe l'établiffement de
deux caiffes , l'une de don , l'autre de
prêt ; & joignant à l'exhortation , l'exemple
toujours plus efficace , il verfe trente
mille livres dans la première , & quinze
mille dans la feconde. M. l'Archevêque
de Toulouſe avoit déjà frayé cette route
JANVIE R. 1777 . 137
:
glorieufe , & le public fe rappelle avec
plaifir , la lettre que ce Prélat publia.
Pour donner une jufte idée de celle de
M. de Lefcar , il faudroit la tranfcrire.
en entier : nous nous contenterons d'en
citer quelques morceaux qui nous paroiffent
les plus intéreifans ; le début en
eft noble & Eloigné de vous , mes très-
» chers Frères , vos maux font toujours
préfens à mes yeux ; je crois voir vos
» campagnes languir fans fruits & fans
culture ; le laboureur , regrettant les
» animaux qui partageoient fon travail ,
perdre tout efpoir de nouvelle moiffon ;
» la difette , la faim , l'émigration , fuivre
» un premier fléau , & toutes les calamités
naître d'une feule ».
و د
ر د
"
«
Après avoir peint la Providence , répendant
les maux fur la terre pour punir
les coupables , & ramener les divers Peuples
, par la contrainte & la terreur , ce
Prélat paffe du principe général , à l'appli
cation particulière .
C'est donc pour
» notre amandement & notre plus grand
bien , mes très- chers Frères , que Dieu
» nous viſite aujourd'hui par la calamité ;
» il nous a vus dans l'abondance oublier
l'Auteur de notre être , & tourner con-
» tre nous-mêmes l'ufage de fes dons ;
"
1-38 MERCURE DE FRANCE.
» ilavu un luxe étranger à ces contrées',
» gagnant de Province en Province pour
» arriver jufqu'à nous , fe répandre de
» nos villes dans nos campagnes , forcer
» la retraite du pâtre & du cultivateur ,
» infulter à la fimplicité de nos climats ,
» & combatre de vanité , avec un fiècls
qui l'emporte fur tous ceux qui l'ont
précédé.
ן כ
"
La décadence des Empires a toujours
été la fuite de la dépravation des moeurs
& des progrès du luxe. Auffi , continue
le Prélat il étoit temps qu'une Provi
» dence attentive vint nous ôter des mains
un funefte poifon ....... Elle frappe
le riche dans fes richeffes , fource de
» fes vices & de fes erreurs ...... Eile
" veut que , rapprochés par le malheur ,
" nul homme ne foit étranger à un autre
homme ; que le pauvre s'attache au
riche par fes befoins , que le riche s'at
tache au pauvre par fes bienfairs .....
» C'eft donc entrer dans les deffeins de
» la Providence , & remplir les plus doux
» de nos devoirs , que de chercher les
moyens de vous fecourir ...... Occupés
de ce foin , nous avons porté au
pied du Trône , le tableau fidèle de
vos malheurs. Nous avons vu un jeune
ود
99
»
29
JANVIER. 1777. 139
» Prince , digne fils du Grand Henri ,
» s'attendrir au récit de vos pertes , &
» vouloir mettre fin à vos maux. Mais fi
32
""
la compaffion eft le premier fentiment
» d'un heureux naturel , la Juftice eft la
première vertu des Rois. Père commun
» des peuples foumis à fon Empire , il a
pefé , dans la même balance , & vos
» malheurs , & les befoins de fes autres
Sujets. A fes premiers & feconds bien-
» faits , fa bonté n'a pu ajouter que des
» larmes ; fa puiffance & fa fageffe , ne
» peuvent que vous protéger. Vous de-
» vez donc , à l'ombre de fon bras , tra-
» vailler à réparer vos pertes , chercher
»
en vous mêmes les reffources qu'y laiſſe
» une Providence indulgente dans fa fé-
» vérité , & vous tranfmettre , les uns
» aux autres , ces premières avances que
» le riche doit à la terre qui le nourrit de
» fes larmes , ne pouvant plus la cultiver.
M. l'Evêque de Lefcar preffe , par les
motifs les plus puiffans , le riche à fecou
rir le pauvre ; il invoque l'intérêt propre ,
la voix de la religion & de la nature , les
Loix civiles & eccléfiaftiques , & propoſe
des exemples qu'il a le bonheur de trouver
dans fon pays , & parmi fes Diocéfains
; il les invite à concourir à la bonne
140 MERCURE DE FRANCE .
oeuvre , & enhardit leur charité , qui ,
pour être utile dans ces circonftances
doit être publique comme le malheur.
Il parle à chaque portion du troupeau ,
de la manière la plus pathétique &la plus
analogue à fa fituation ; il s'adreffe aux
Béarnois établis en Efpagne ; & oppofant
leur féparation involontaire à celle des
Proteftans qui font dans fon Diocèfe ,
dit à ceux- ci :
"
il
» Mais vous , qui n'étiez qu'un coeur
» & qu'une ame avec nous , vivant fous
» les mêmes Pafteurs , unis par les liens
» d'une même foi , & qui maintenant ,
» féparés de croyance & de communion,
» formez un Peuple étranger au ſein
» d'une même patrie , vainement vous
» obſtinez-vous à nous fuir ; nous cou-
» rons après vous : vainement avez-vous
» fecoué le joug d'une obéiffance filiale ;
» nous aurons toujours des entrailles de
» père , & nous déplorerons vos erreurs
» & vos malheurs . Vous avez perdu par
la calamité , vous aurez part
à
» diftributions à l'égal de nos frères ;
» nous ferons plus , nous recevrons vos
bienfaits ; & nous nous aiderons de
» votre zèle & de vos confeils . Peutêtre
que touchés des marques de la
39
nos
JANVIER. 1777. 141
39
plus tendre affection , rapprochés par
» un même intérêt & par les mêmes
» foins , vos répugnances venant à dimi-
» nuer , vos préjugés venant à s'affoiblir,
» vos yeux feront plus difpofés à s'ouvrir
» à la lumière , & vos coeurs à revenir à
» l'unité .
Quant aux Paſteurs chargés du foin
» immédiat des Paroiffes , ils leur doi-
» vent leurs fecours tout entier . Plufieurs
» d'entre- eux , nous le difons avec dou-
» leur , font pauvres eux-mêmes , & au-
» roient befoin d'être fecourus . Qu'ils
s'attendriffent fur les maux qu'ils ne
peuvent foulager ; qu'ils infpirent par
» leurs exhortations , la bienfaiſance aux
» riches , la patience aux pauvres ; qu'ils
nous aident à difcerner les vrais befoins
» qui fe cachent , des faux befoins qui
» chercheroient à nous tromper. Si par
» leur canal & leurs avis , vos largeſſes
» arrivent à leur véritable deſtination
» ils ont rempli leur miniſtère , & leur
» mérite fera grand devant les hommes
» & devant Dieu »,
On voit bien , au ton de charité qui
règne dans ces deux articles , que le Prélat
eft ennemi de la perfécution , & qu'il
favoriferoit une augmentation de fubfif142
MERCURE DE FRANCE .
tance pour les Pafteurs du fecond ordre ,
qui fupportent le poids du jour. Il termine
fon Inftruction Paftorale par l'établiffement
du Bureau de Secours , &
propofe les vues les plus fages pour une
bonne adminiftration.
Le style de cette Lettre éloquente eft
fimple , noble & touchant , éloigné de
l'affectation du fiècle , précis fans féchereffe
, harmonieux fans emphafe , vrai
ment original fans fingularité : il ne copie
ni les Boffuet , ni les Fénélon ; mais il
participe affez fouvent à l'élévation de
f'un , & aux grâces touchantes de l'autre.
Almanach Littéraire , ou Etrennes d'Apotlon
; contenant l'Eloge hiftorique du
Grand Corneille , par M. de Voltaire ;
le Fontenelliana , où l'on trouve un
grand nombre de réparties de Fontenelle,
qui n'ont jamais été imprimées ;
plufieurs bons mots de MM. Piron ,
de Crébillon , l'Abbé de Voifenon &
de Voltaire ; des anecdotes intéreffantes
; une notice des principaux Ouvrages
mis au jour en 1776 , & autres
morceaux curieux. A Paris , chez lá
veuve Duchefne , Prault fils , Merlin
Ruault & Efprit , Libraires.
JANVIER . 1777- 143
Un Eloge hiftorique de Pierre Corneille
, extrait des Commentaires publiés
par foufcription au profit de la famille
de ce grand homme , étoit fans doute la
meilleure réponſe que l'on pouvoit faire
à ceux qui ont ofé avancer que l'illuftre
Commentateur , en écrivant les obfervations
, avoit eu pour but d'humilier &
de rabaiffer le Père de notre Théâtre :
Où pourroit on même prendre une idée
plus haute & plus vraie du génie fublime
du Créateur de la Scène Françoife , que
dans cet Eloge ? Felices effent artes , dit
Quintilien, fi de illis foli artifices predi
carent. On lira donc cet Eloge avec intérêt
& avec fruit , quoiqu'il ne foit
compofé, comme on le penfe bien , que
de pièces de rapport. Il eft précédé d'une
jolie eftampe gravée d'après le detlin
de Ch . Eifen , & qui repréfente l'apothéofe
du Grand Corneille , avec ce vers
au bas:
Je ne dois qu'à moi feul toute ma renommée.
Ce même Almanach littéraire préſente
des pièces de poëfies , tirées de différens
porte -feuilles . On lira fur tout avec plaifir
une jolie Epître de Pfyché à l'Amour ,
de feu le Préfident Hénault. Plufieurs
144 MERCURE DE FRANCE .
anecdotes & différentes réparties connues
d'Ecrivains célèbres , enrichiffent ces
Etrennes & y jettent de la variété . Le
Fontenelliana eft le morceau le plus confidérable
de ce répertoire. On lit au bas
cette note : « L'Abbé Trublet a écrit un
n
épais volume fur le célèbre Fontenelle .
» Ce Compilateur eft ftérile dans fon
» abondance. Outre une foule de mots
» excellens qu'il aa oommiiss ,, && que l'on
» trouvera ici , il faut chercher ceux dont
» il a fait part au Public , dans un amas
» énorme de détails minutieux & rebu-
» tans . Cet Abbé parle trop , & fair
" parler M. de Fontenelle trop peu » . II
auroit été fans doute plus honnête de
marquer de la reconnoiffance à un Ecrivain
dont on a mis les Mémoires à contribution
. Si on dépouille les gens , il
ne faut pas du moins les infulter. L'Abbé
Trublet , qui avoit étudié fon Fontenelle
toute fa vie , peut néanmoins avoir omis
quelque mots excellens de cet homme
célèbre. Mais l'Editeur de cet Ana a-t- il
lui-même recueilli tous ceux rapportés
par cet Abbé ? En voici du moins deux
que l'on eft un peu furpris de ne pas
trouver ici. Les gens du monde , fri-
» voles lors même qu'ils font curieux ,
» parce
JANVIER. 1777. 145
parce qu'ils ne le font que par vanité ,
» voudroient qu'on leur expliquât cout
≫ en peu de mots en peu de temps.
En peu de mots , répondit un jour M.
» de Fontenelle , j'y confens : mais en
peu de temps , cela m'eft impofible. Au
» reflé , que vous importe de favoir ce que
vous me demandez ?
»
» Un Difcoureur , qui ne difoit que
» des chofes triviales , & qui néanmoins
» les difoit d'un ton & de l'air , dont à
50
peine auroit- on droit de dire les chofes
» les plus rares & les plus exquifes , d'un
ton & d'un air qui commandoient l'at-
» tention , adreffoit un jour la parole à
» M. de Fontenelle. Malgré toute fa
» douceur & toute fa politeffe , il interrompit
le Difcoureur. Tout cela
eft très-vrai , Monfieur , lui dit- il , trèsvrai
, je l'avois même entendu dire à
» d'autres » .
K
>
Il y a cette autre anecdote , qui n'eſt
point rapportée par l'Abbé Trublet
mais qui auroit encore da trouver fa
place dans ce Fontenelliana. Une fervants
de M. de Fontenelle éclairoit un Académicien
de Marfeille , qui fortoit de
chez fon Maître. Comme elle le faifoit -
mal , le Provençal lui dit : Faites-moi
L. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
lumière , je ne m'y vois pas dans les efcaliers.
Cette fervante , ne comprenant rien
à ce jargon , n'éclairoit pas mieux , & le
Provençal de réitérer fa prière & fa
mauvaife élocution . M. de Fontenelle
qui fuivoit , dit : « Excufez , Monfieur ,
» cette pauvre fille ; elle n'entend que le
» françois
"
Un des points de morale de Fontenelle
, étoit qu'il falloit fe refufer le
fuperflu , pour procurer aux autres le
néceffaire. Il a fouvent répondu à ceux
qui le louoient d'une bonne action : Cela
Je doit.
»
Ce mot fait honneur à fa vertu ; mais
dans celui- ci , rapporté par l'Editeur , il
ne fe montre que fage : Si je tenois ,
difoit - il , toutes les vérités dans la
main , je me garderois bien de l'ouvrir
» pour
les montrer aux hommes .. Il fe
rappeloit peut être alors que la découverte
d'une feule , fit traîner Galilée dans
les prifons de l'Inquifition .
M. de Fontenelle avoit le coeur fain ,
ainfi que l'efprit. Dans un âge , difoit
ce Philofophe , où j'étois le plus amoureux
, ma Maîtreffe me quitte & prend
un autre Amant. Je l'apprends , je fuis
furieux : je vais chez elle , je l'accable de
JANVIE R. 1777 147
"
reproches ; elle m'écoute , & me dit en
riant : « Fontenelle , lorfque je vous pris ,
c'étoit fans contredit le plaifir que je
» cherchois ; j'en trouve plus avec un
» autre . Eft ce au moindre plaifir que je
» dois donner la préférence ? Soyez juſte ,
» & répondez -moi » . Ma foi, dit Fontenelle
, vous avez raifon , & fi je ne fuis
plus votre Amant , je veux du moins refter
votre Ami . Une pareille réponſe , dit M.
H..., qui rapporte cette même anecdote
dans un de fes Ouvrages , fuppofoit peu
d'amour dans M. de Fontenelle . Les
paffions ne raifonnent pas fi jufte.
-
M. de la Motte croyoit avoir pour amis
tous les Gens-de- Lettres , & alla un jour
jufqu'à le dire à M. de Fontenelle . « Si
» cela étoit vrai , lui répondit- il , ce feroit
..un terrible préjugé contre vous ; mais
» vous leur faites trop d'honneur , &
-vous ne vous en faites pas aflez » .
Fontenelle étoit un Philofophe indulgenr,
ou, fi l'on veut , un Philofophe
qui aimoit beaucoup fon repos , comme
on peut s'en convaincre par les traits
fuivans. On lui demandoit un jour par
quel moven il s'étoit fait tant d'amis &
pas un ennemi. « Par ces deux axiomes
- dit-il , tout eft poſſible & tout le monde
a raifon
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
"Les hommes font fots ou méchans ;
» difoit-il quelquefois ; j'ai à vivre avec
» eux , & je me le fuis dit de bonne
» heure » ,
Quand M. de Fontenelle avoit dit
fon fentiment & fes raifons fur quel
que chofe , on avoit beau le contredire ,
il refufoit de fe défendre , & alléguoit
pour couvrir fon refus , qu'il avoit une
mauvaiſe poitrine . Belle raifon ! s'écrioit
un jour un Difputeur éternel , pour étrangler
une difpute qui intéreffe toute une
compagnie.
On difoit un jour à M. de Montef
quieu : M. de Fontenelle n'aime perfonne
». Il répondit : « Eh bien ! il
» en eft plus aimable dans la fociété ».
Ily portoit tout , a dit une femme de fes
amies , excepté ce degré d'intérêt qui rend
malheureux.
M. de Fontenelle , excédé des éternelles
fymphonies des concerts , s'écria
un jour , dans un tranfport d'impatience :
Sonate , que me veux-tu ? Les Partifans
de la mufique vocale , citent fouvent ce
mot de Fontenelle ; mais les Amateurs
de la mufique inftrumentale peuvent
leur répondre qu'une fymphonie ou une
fonate bien faite , eft une efpèce de mufique
pantomime , dont les expreffions
JANVIER. 1777. 149
étant moins circonfcrites & moins limitées
que celles de la mufique vocale ,
font naître , pour cette raiton même ,
plus de fenfations & d'idées dans une
imagination vive & paffionnée. L'histoire
ne nous apprend- elle pas que les Romains
préféroient les pantomimes aux
fpectacles vocaux ; & doit-on être plus
furpris de voir que la mufique inftrumentale
a , pour quelques Amateurs ,
plus de charmes que la vocale ?
Il y a dans ces mêmes Etrennes que
nous annonçons , un recueil de réparties
de différens Auteurs célèbres . Plufieurs
de ces traits d'efprit cependant ne doivent
être regardés que comme des traits
de gaieté ou de caractère , tels que ceuxci
, attribués à feu Piron.
En Bourgogne , eft- il dit ici , on nomme
les Habitans de Beaune , les ânes de
Beaune. Piron , qui leur en vouloit , fut
un jour dans les environs de la Ville ,
coupant , abattant , arrachant tous les
chardons. Les Paffans lui en demandérent
la raifon : « Je fuis , leur répondit-
» il en guerre avec les Beaunois ; je leur
» coupe les vivres » .
Piron fe trouvant dans cette même
Ville de Beaune , affiftoit à la repréfentation
d'une Comédie. Quelqu'un apof-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tropha tout -à- coup le Parterre , qui étoit
fort tranquille , d'un Paix- là , Meffieurs,
on n'entend pas.
་ Ce n'eft pas faute
» d'oreilles , s'écria Piron » .
Un Partifan demandoit à ce Poëte
une infcription pour mettre fur la face
d'un Château qu'il venoit de faire bâtir.
Piron lui dit : « Je ne peux pas vous
» faire cela fur l'heure ; quand j'irai voir
» votre Terre , il me viendra peut-être
» quelque idée là - deffus . Puis un moment
après Monfieur , dit-il , j'ai
» trouvé ce qu'il vous faut : vous met
trez Halcedama ( ce qui fignifie le
Champ du fang) . Je n'entends point
cela , dit le Richard . - Vous vous le
ferez expliquer , reptit Piron , en quit
tant brufquement fon homme ».
•
-
L'Abbé *** étoit logé tout proche
d'un Maréchal . Quelqu'un qui ignoroit
fa demeure , la demanda à Piron : « C'eft ,
répondit celui- ci , dans telle rue , à
» côté de fon Cordonnier ».
55
L'Acteur qui devoit jouer le rôle de
l'Empirée dans la Métromanie , homme
de la plus belle figure , embarraffé de la
manière dont il s'habilleroit , confulta Piron
: Ne vous inquiétez point , dit le Poëte,
à la première répétition , vous prendrez
modèle fur moi.
JANVIER . 1777 . 150
•
On rapporte dans ce recueil beaucoup
d'autres faillies de Piron . On pourroit
cependant faire une collection encore
plus ample de réparties qui lui font
attribuées , & que l'on ne trouve point
ici . Mais l'Editeur n'a pas omis ce mot
de Crébillon , qui devroit faire rougir
les jeunes gens du vil métier de la fatire.
Un jeune Poëte , auquel M. de Crébillon
prenoit intérêt , avoit compofé un Ouvrage
fur quelques Ecrivains célèbres de
fon temps : il prioit M. de Crébillon de
lui en dire fon jugement. Cet illuſtre
Poëte , après avoir eu la patience de
lire cet écrit , tança vivement le jeune
Auteur fur le mauvais ufage qu'il faifoit
de l'efprit qu'il fe croyoit , & termina fa
remontrance par ces mots : « Jugez à
quel point la fatire eft méprifable
"
39
puifque vous y réuffiffez en quelque
forte , même à votre âge » . On peut
croire que d'après ces principes , il n'a
jamais écrit contre perfonne ; & on le
favoit fi bien , que lorfque dans fon difcours
à l'Académie il récita ce vers :
Aucun fiel n'a jamais empoiſonné ma plume ,
le Public , par des applaudiffemens réi-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
7
rérés , confirma la juftice que fe rendoit
M. de Crébillon.
Nous termincions cet extrait par ce
mot attribué à l'Abbé de Voifenon. Un
homme qui fe trouvoit au parterre de
la Comédie à côté de l'orchestre , où
l'Abbé de Voifenon caufoit affez haut ,
cria de toute fa force : " Taifez - vous
» donc , bête à foin , vous m'empêchez
» d'entendre . Monfieur , lui dit fioi- " -
» dement l'Abbé , ne vous ôtez pas les
» morceaux de la bouche ». Ce même
mot eft rapporté plus exactement , &
mieux , dans les Etrennes de Clio , publiées
en 1774. « Dans le temps de la
vogue des Bouffons Italiens fur le
» Théâtre de l'Opéra de Paris , il arriva
que M. ***
ennuyé , dans le parterre ,
» d'un intermède italien , prit le parti de
» fortir ; & que quelqu'un , obligé de
s'écarter pour le laiffer paffer , s'avifa de
į dire à d'autres Bouffoniftes comme lui :
» On voit bien qu'il ne faut que du foin à
» M. ***.- Je ne veux point, Monfieur,
» vous l'ôter de la bouche, répondit celui-
»
ci » .
Une notice des principaux Ouvrages
mis au jour en 1776 , & imprimée à la
fin de ces Etrennes , les rendront d'une
JANVIER. 1777. 153
7
utilité plus générale. L'Editeur a cherché
à rendre cette notice intéreffante , par des
obfervations critiques ou quelques anecdotes.
On aime fur-tout cette réponſe naïve
d'un Poëte , auquel un Académicien reprochoit
un ridicule penchant à fe louer
lui-même. « Vous autres Meffieurs , vous
» avez vos cercles , vos bureaux d'efprit ,
qui vous louent & vous couronnent
» fans ceffe. Privé de cet avantage , je
» fais ma befogne moi-même » .
>>
Dictionnaire Géographique , Hiftorique &
Mithologique portatif, par M. Furgault,
Profeffeur Emérite de l'Univerfité de
Paris. A Paris chez Moutard , Libraire
de la Reine , rue du Hurepoix.
Ce genre d'Ouvrage , fort à la mode
aujourd'hui , réunit plufieurs avantages,
n'en deplaiſe aux détracteurs , qui ne le
confidèrent que du mauvais côté . Tous
les hommes ne font pas doués de cette
mémoire tenace , à qui rien n'échappe .
Les années d'ailleurs affoibliffent cette
faculté lors même qu'elle eft bien organifée.
D'un autre côté , on ne peut pas
toujours raffembler tous les livres qui
contiennent , dans un détail approfondi, les
Gv
154 MERCURE DE FRANCE..
vérités qui font éparfes dans les diction
naires portatifs . Par l'ordre alphabétique,
ufité dans ces fortes d'Ouvrages, on trou
ve recueilli dans un petit nombre de
volumes , ce qu'il faudroit tirer fouvent
avec des recherches ennuyeufes , d'une
infinité de volumes qu'on n'a pas tou--
jours , ni les moyens de fe procurer , ni
le temps de fouiller dans un dictionnaire ::
on trouve en un inftant , ce que l'on a oublié,
ou ce que l'on n'a jamais eu le temps:
d'apprendre. On ne doit donc point être
étonné de l'empreffement que l'on a dans:
notre fiècle , pour ces bibliothèques.
abrégées.
L'ouvrage que nous annonçons , réu.
nit la clarté & la précifion , & raffemble
les connoiffances les plus néceffaires
, celles qui font l'ame des converfations
. On y trouve la defcription des
Empires , des Royaumes & des pays du
monde connu des anciens , avec les révolutions
arrivées dans leurs limites &
leurs dominations. La pofition des villes ,
leurs différents noms anciens & modernes
, celle des Mers , des Golfes , des
Iffes , des Ports , des Fleuves , des Monagnes
, &c. On y a joint un précis de
la vie des grands hommes de l'antis
JANVIER . 1777. ISS
quité , qui fe font rendus célèbres dans la
guerre ou dans la paix , ou qui fe font
illuftrés par leurs connoiffances fupérieures
, & diftingués par leurs talens ;
enfin , ce qu'il eft effentiel de favoir des
Fables que le Paganifme a débitées de
fes Dieux & de fes Héros . On doit favoir
gré à cet Auteur , qui nous a
donné autrefois un bon dictionnaire d'antiquités
, d'y avoit joint celui que nous
annonçons , où ii facilite à la jeuneſſe
l'intelligence des anciens, & lui épargne
la peine de recourir à plufieurs volumes
qu'elle n'a pas toujours fous la main ,
& dans lefquels la difficulté des recherches
, fouvent infructueufes , n'eft propre
qu'à lui caufer de l'ennui , & à lui
inſpirer du dégoût pour la belle antiquité.
Dictionnaire portatif du Commerce. A
Paris , chez Batien , Libraire , rue
du petit Lion , Fauxbourg Saint-
Germain.
Si les Hommes s'en tenoient aux befoins
réels , on n'auroit pas tant befoin
de multiplier les échanges & les autres
branches du Commerce. Mais on veut
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
1
›
jouir de tant de fenfations agréables ,
qu'il a fallu multiplier les matières premières
les perfectionner , & fouvent
même les altérer , pour fatisfaire des
defirs déréglés. Ainfi le befoin d'emprun .
ter des Nations , tant de chofes qui nous
manquent, a augmenté en proportion du
luxe qui a fait tant de ravages au milieu
de nous.Mais les hommes une fois accoutumés
aux commodités de la vie , ne
peuvent plus s'en paffer ; & le Commerce
fera toujours un lien néceffaire parmi
les hommes. D'ailleurs , la Providence
femble avoir mis tous les peuples dans
une dépendance réciproque , en variant
les productions de chaque climat ; en
forte que le fuperflu de l'un même ,
devient le néceflaire de l'autre ; &
l'on peut dire qu'en retranchant le fafte
exceffifque le luxe a introduit , le Commerce
feroit toujours néceffaire pour favorifer
l'agriculture & exciter l'induftrie.
Sans l'agriculture , les fources du Commerce
font bientôt taries : fans l'induſtrie ,
les fruits de la terre font fans valeur. On
doit donc protéger le Commerce , fans
toutefois devenir le Panégyrifte de ce
luxe outré qui confond tous les etats qui
partagent la fociété civile. Tous les OuJANVIER
. 1777. 157
vrages qui traitent de cet objet , font
toujours bien accueillis . On trouve dans
ce Dictionnaire , l'ufage des différentes.
places de change en commerce , tant pour
les lettres-de-change, monnoies , poids,
mefures, qu'aunages. 2 ° . L'origine hiftorique
de toutes les Communautés d'arts
& métiers , telles qu'elles avoient été
créées , & fubfiftoient jufqu'au moment
de leur fuppreffion , en Mars 1776. 3 °.
L'Edit du 2 Août 1776 , qui les rétablit
fous une nouvelle forme , avec tous
les réglemens pour les maintenir ; les
tableaux de comparaifon & de réunion,
4°. Les différentes Jurifdictions où elles
peuvent être traduites & traduire les
1
autres.
Théorie des Traités de Commerce entre les
Nations ; par M. Bouchaud , de l'Académie
royale des Infcriptions & Belles-
Lettres , & c. A Paris , chez la veuve
Duchetne , rue Saint Jacques.
Rien n'eft plus néceffaire au bonheur
des Etats , que la connoiffance approfondie
de tout ce qui conflitue leurs véritables
droits , & les moyens légitimes de les
conferver , en les mettant à l'abri de
toute ufurpation. Cicéron , dont la phi158
MERCURE DE FRANCE .
lofophie morale étoit fi faine , ne s'eſt
pas contenté de rejeter cette maxime fi
dangereufe : Que l'on ne peut gouverner
heureusement la Républiquefans commettre
des injuftices; mais il a encore établi comme
une vérité conftante : Que l'on ne peut
adminiftrer falutairement les affaires publiques,
fi l'on ne s'attache à la plus exacte
juftice. La Providence nous a donné un
Souverain & des Miniftres pénétrés de
cette vérité fi précieufe ; & les Auteurs
qui confacreront à la défenſe de cette
vérité leur érudition & leurs talens , ne
peuvent manquer d'être honorés d'une
diftinction particulière , fous le règne
de la vertu & de la juftice . L'Auteur de
cette théorie , chargé de l'enfeignement
honorable du Droit de la nature & des
Gens , ne pouvoit pas choifir un fujet
plus convenable à fa profeffion , & plus
afforti aux circonftances. Tout ce qui
tient à la navigation & au commerce ,
mérite d'être approfondi , dans un Royaume
où ces deux objets doivent être encouragés.
Aucun Auteur François n'avoit
traité , ex profeffo , la queftion importante
qui fait l'objet de l'Ouvrage que nous
annonçons. On ne connoît fur cette ma
tière que la Differtation latine de FadeJANVIER.
1777. 159
ribus Commerciorum , compofée par un
Savant d'Allemagne ( M. Mafcou ) & les
différens morceaux qui font épars dans
Heinucius , Loccenius , Marquardus ,
Zieglerus , & quelques autres Jurifconfultes
Allemands , dont M. Bouchaud a
cru devoir faire ufage. Le Droit Public
de l'Europe , compofé par M. l'Abbé
Mably , juftement appelé le Manuel des
Politiques , a fourni à notre favant Publicifte
quelques matériaux qu'il a employés
avec confiance . On nous reprochoit
autrefois de négliger cette fcience , dont
les difficultés ont été applanies par les
Grotius , les Puffendorff & les Vatel ; les
leçons & les Ouvrages de l'Auteur de la
Théorie des Traités de Commerce , nous
mettront déformais à l'abri de ce reproche..
Almanach hiftorique & raifonné des Architectes
, Peintres , Sculpteurs , Graveurs
& Cizeleurs : contenant des notions fur
les Cabinets des Curieux du Royaume ,
fur les Marchands de tableaux , fur
les Maîtres à deffiner de Paris , &
autres renfeignemens utiles , relativement
au deffin ; dédié aux Ama
teurs des arts..
160 MERCURE DE FRANCE .
Famá celebrantur , propagantur.
CIC. de Nat. de Or.
Année 1777 ; vol. in - 12 . petit format.
A Paris , chez la veuve Ducheſne ,
Libr. rue Saint Jacques .
L'Auteur , M. l'Abbé le Brun , a publié
l'année dernière un pareil Almanach.
Celui qu'il nous donne cette année eſt
plus foigné , & la nomenclature des
Architectes , Peintres , Sculpteurs , Def
finateurs , Gravears , eft plus exacte. Ce
n'eft pas que l'on ne puifle encore y rencontrer
quelques omiflions ; mais elles
font peu confidérables . On ne trouve
point , par exemple , l'article de M. de
Seve , Deffinateur , chargé fpécialement
de tous les deffins pour les gravures qui
entrent dans l'Hiftoire Naturelle de M.
de Buffon. Dans cette nomenclature ,
l'Auteur donne à Madame Vien la qualité
de Peintreffe en miniature , & à Madame
Therbouche , celle de Peintreffe
de portraits ; expreffion nouvellement
forgée , & qui n'a pas été adoptée par les
Amateurs . M. l'Abbé le Brun lui - même ,
fe fert du terme ordinaire de Peintre ,
>
JANVIER . 1777. 161
pour défigner le talent de Mademoiſelle
Vallayer, qu'il qualifie de Peintre de
nature morte , quoiqu'on ait vu de cette
Artifte des portraits très - animés , &
peints d'après nature avec fentiment . Ce
même Almanach contient une notice fur
les différentes Académies de Peinture ,
Sculpture & Architecture du Royaume.
Il indique les collections de tableaux ,
deffins , eftampes , &c . formées à Paris
par divers Amateurs ; les noms & adreffes
des Marchands de ces fortes de curiofités
; la fuite des gravures publiées pendant
l'année , & c. On trouvera de plus
dans cet Almanach , la defcription de
quelques productions d'Artiftes connus ,
celle , entre -autres , d'un beau fallon nouvellement
décoré par M. Cleriffeau . Cet
Artifte , nourri des maximes des Anciens ,
nous prouve , par cette nouvelle production
de fon génie , que l'on peut puifer
dans ces maximes un genre de décoration
qui , quoique très- différent de celui
qui eft le plus en ufage , peut cependant
s'adapter avec fuccès à notre manière de
conftruire & de diftribuer.
Les éloges des Artiftes & des Amateurs
, morts en 1776 > Occupent une
partie confidérable de cet Almanach.
162 MERCURE DE FRANCE.
"
»
Tout ceci eft précédé d'un difcours fur
l'invention , où l'on rencontre trop peu
d'idées pour en foutenir la lecture. « La
» vraie éloquence de la peinture , nous
» dit l'Auteur , ne confifte ni dans le
» choix d'une couleur brillante , ni dans
» des fituations fingulières ». Qui en doute
! L'Aureur ajoute : elle ne fait fur
» les fens & fur l'ame , des impreffions
» vives , que lorfqu'elle imite parfaite-
» ment tous les jeux de la nature » . II
feroit plus exacte de dire : « Lorfqu'elle
» nous préfente l'image de la perfection
» par une imitation vrate & choifie de la
» nature. « M. l'Abbé le B. , dans ce
même difcours , appelle les Graveurs
de vignettes des Copiftes ; mais un Graveur
, comme on l'a dit plufieurs fois
n'eft point un Copifte ; c'eft un traducteur
, puifqu'il emploie un procédé , ou
fi l'on veut , une manière de s'exprimer
différente de celle du Peintre ou du
Deflinateur
Nous citerons quelques autres endroits
de ce difcours , pour faire connoître le
ftyle un peu fingulier de l'Auteur. « Les
» talens trop vantés des anciens , femblent
ôter aux modernes , le fentiment
des leurs. Aforce de confidérer comme
JANVIER. 1777. 163
un Géant , le génie des Grands hom
» mes qui les ont précédés , le leur s'ap-
» pauvrit & devient puullanime : ils ,
» n'ofent ofer » .
"
"
募
» Pourquoi faut- il qu'il y air fi peu
» d'Artistes de qui l'on puiffe dire que
» l'éclat feul de leurs talens les ont dénoncés
aux Académies ? S'il eft honorable
les uns d'entrer pour dans ces
Corps illuftres à force de mérite , il eft
» déshonorant pour les autres d'y parve
» nir à force d'intriguailler.Le vrai talent,
» ajoute- il , n'auroit pas befoin de pareils
» refforts , fil'intérêt perfonnel cédoit
» à l'intérêt públic , le feul qui con-
» ferve & foutient les Empires , fi ,
» parmi les Artiftes , il yavoit & moins
» d'égoïsme & moins de cupidité ; mais
» l'or eft devenu , pour la plupart , lá
» mefure de la confidération & du bon.
heur. Ils ne cherchent qu'à s'enrichir.
» Leur vanité multiplie des befoins fac-
» tices , que leur imagination exagère .
» C'eft ainfi que les Arts partagent fou
vent les influences contagieufes , que
» l'intérêt communique à tout ce qu'il
" infecte "3 .
"
L'Auteur donne d'autres leçons pareilles
aux Artiftes ; mais il n'aime pas à
164 MERCURE DE FRANCE .
en recevoir d'eux ; il déclare même , dans
fon avertiffement , qu'il méprife le mépris
de les critiques. II les traite de gens
gauchement éduqués , de penfeurs bien
gauches : il répète ce mot de gauche ,
fi fouvent , que l'on pourroit croire qu'il
y entend fineffe . Il fe plaint
Y
་ de ce
qu'on lui a gauchement reproché d'avoir
» voulu , en défignant le genre que chaque
» Arrifte paroît avoir choifi , les reftrein-
» dre à ne s'exercer que dans un feul. La
puérilité de ce railonnement , ajoutet-
il , n'a pas befoin de commentaire.
» Chacun fait que fur cela l'Artiſte a la
» clef des champs.
ود
"
ود
و د
99
"
Il eft dit dans une note » Les
Auteurs de la prétendue réfutation de
1 Almanach publié l'année dernière
» font des prodiges de mauvaife foi :
après avoir fupprimé la définition de
l'allégorie , ils ont gauchement critiqué
la moitié de la phrafe qui la pré-
» cédoit , la mettant à la place de la dé-
» finition. Le Public , plus jufte , appré-
» ciera bien mieux qu'un Journaliſte
» complaifant , qui ne cherche ſouvent
» qu'à mortifier le vrai mérite de leur
» critique » . Voici une autre phrafe , qui
n'eft pas plus intelligible : l'Auteur , après
و د
ود
JANVIER. 1777. 164
s'être plaint d'avoir été la dupe d'un
homme qu'il croyoit honnête , ajoute :
» Il eſt le moteur de la cabale qui nous
réfute; & il prouve qu'il eft des hommes
» fi fourbes & fi méchans par caractère ,
qu'ils favent préparer de loin les moyens
» de nuire . ils éguifent fur la bonne- foi
ן כ
de leurs victimes » . Lorfqu'on écrit de
ce style , a-t-on bonne grâce de parler de
cabale ? On ne voit clairement ici d'autre
cabale contre l'Auteur , que fa mauvaiſe
élocution & fes déclamations déplacées.
Quand on mépriſe fi fort le mépris de fes
critiques , pour nous fervir de fon expreffion
, on ne cherche point à intéreffer
fon Lecteur dans une querelle qu'il
ignore ; on s'efforce plutôt de mériter fon
eftime par des recherches utiles ; & nous
avouerons , avec plaifir , que de ce côté le
nouvel Almanach des Artiftes , eſt plus
digne de l'attention des Amateurs , que
celui de l'année dernière .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'ILLADE , traduction nouvelle ; 2 vol.
in-12 . A Paris , chez Ruault , Libr . rue
de la Harpe.
166 MERCURE DE FRANGE.
Procès varbal des conférences tenues
var ordre du Roi , pour l'examen des
articles de l'Ordonnance civile du mois
d'Avril 1667 , & de l'Ordonnance criminelle
du mois d'Août 1670 ; nouvelle
édition revue & corrigée fur l'original ,
& augmentée d'une inftruction fur la
procédure civile & criminelle ; in-4 .
rel . 12 liv . A Paris , chez Debure frères,
Libr. quai des Auguftins ; 1776.
L'Ami Philofophe & Politique , Ouvrage
où l'on trouve l'effence , les efpèces
, les principes , les fignes caractériſtiques
, les avantages & les devoirs de
l'amitié ; l'art d'acquérir , de conferver ,
de regagner le coeur des hommes , & c.
vol . in-12 . br. 1 1. 10 f. A Paris , chez
Théophile Barrois le jeune , Libr. quai
des Auguftins ; 1776 .
Lettres de Mylord Rivers à Sir Charles
Cardignan , entremêlées d'une partie de
fes correfpondances à Londres , pendant
fon féjour en France ; par Madame Ric
coboni ; 2 parties in- 12 . br. 33 liv. A
Paris , chez Humblot, Libr. rue Saint
Jacques.
JANVIER . 1777. 167
Hiftoire générale & particulière de Bourgogne
, avec des Notes , des Differtations
, & les preuves juftificatives :
Compofée fur les Auteurs , les Titres
originaux , les Regiftres publics , les
Cartulaires des Eglifes Cathédrales &
Collégiales , des Abbayes & autres
anciens Monumens ; & enrichie de
Vignettes , de Cartes géographiques ,
de divers Plans , de plufieurs Figures
de Portiques , Tombeaux & Sceaux
tant des Ducs que des grandes Maifons
, &c. Par Dom PLANCHER , Religieux
Bénédictin , de l'Abbaye Saint
Benigne de Dijon , & de la Congré
gation de Saint Maur , continuée par
un Religieux Bénédictin de la même
Congrégation , & de la Province de
Bourgogne. Quatre Volumes in - folio ,
propofés par foufcription .
Avis de l'Imprimeur. Les trois premiers
volumes de l'Hiftoire générale &
particulière de Bourgogne , dont nous
annonçons aujourd'hui le quatrième &
dernier , ont été imprimés à Dijon , par
la voie des foufcriptions , chez Antoine
Defay , Imprimeur des États , de la Ville
& de l'Univerfité.
168 MERCURE DE FRANCE.
Chaque volume en feuilles a coûté
26 liv. aux Soufcripteurs , dont ils ont
payé 18 liv. en foufcrivant.
Lorfqu'on leur a délivré le premier ,
ils ont donné 8 liv. pour reftant du prix
de ce volume , & en outre 18 liv . pour la
foufcription du fecond.
Mêmes fommes ont été payées en leur
livrant les tomes II & III , de manière
que ceux de MM. les Soufcripteurs qui
ont exactement retiré les volumes à mefure
qu'ils ont paru , font en avance d'une
fomme de 18 liv. fur le quatrième qui
refte à imprimer.
La mort de D. Plancher ayant fait
craindre que cette Hiftoire ne fût jamais
continuée , il eft peut -être quelques perfonnes
qui ont regardé leurs avances
comme perdues ; on les prévient que les
héritiers du fieur Defay ayant cédé leur
Privilége , on leur en tiendra compte fur
le quatrième volume , & que nous remplirons
à cet égard , avec la plus fcrupuleufe
exactitude , tous les engagemens
que notre Prédéceffeur avoit contractés.
Nous invitons en conféquence MM.
les Soufcripteurs de retirer inceffamment
les volumes qui peuvent leur manquer.
C'eſt encore par ce même motif que
nous
JANVIER. 1777. 169
nous prolongeons la foufcription de l'Ouvrage
entier , aux mêmes conditions qui
avoient été propofées par le fieur Defay ;
infi les perfonnes qui auront négligé de
foufcrire , pourront le faire jufqu'à ce
que le quatrième volume paroiffe , paffé
lequel temps ils feront , comme ci- devant,
chacun du prix de 36 liv . en feuilles.
· · 96 liv.
On paiera , en foufcrivant & en recevant
les trois premiers volumes en feuilles
, quatre-vingt-feize liv.
En retirant le quatrième , auffi
en feuilles , au premier Septemb.
4777 , huit liv. ci . 8 liv
TOTAL .
IC4
liv.
Nous avertiffons que cette Hiftoire n'aété
tirée qu'à cinq cents exemplaires , &
qu'il en refte peu de complets .
1
On peut juger , par les trois volumes
qui font imprimés, que feu M. Defay n'a
cien négligé du côté de la typographie
foit pour la beauté des caractères , du papier
& des gravures , foit pour l'exactitude
de l'impreffion , & nous promettons
que nous prendrons les mêmesfoins pour
le quatrième.
1. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE
Lesfonfcriptions fe recevront, à Dijon
chez. L. N. Frantin , imprimeur du Roi ,
rue Saint- Etienne; & à Paris , chez Piffot,
Libraire , quai des Auguftins .
Les Antiquités Etrufques , Grecques &
Romaines , deffinées fur les originaux
du Cabinet de M. Hamilton , Envoyé
extraordinaire & plénipotentiaire de
S. M. Britannique à la Cour de Naples.
vol. in-folio , grand papier. 4
"
L'édition de ce magnifique Ouvrage ,
déjà connu par les annonces publiques ,
& par les deux premiers volumes qui ont
été délivrés , vient d'être conduite à fa
perfection ; les obftacles qui ont retardé
les deux derniers , ont été furmontés par
le courage des Editeurs, que les dépenfes
immenfes & non prévues n'ont pu rallentir.
Chacun des quatre volumes eſt orné
de 130 planches , gravées en cuivre , la
plupart parfaitement coloriées , & le quatrième
volume eft particulièrement enrichi
d'annotations pleines d'érudition .
Ces planches repréfentent d'anciennes
peintures relevées furces fortes de vafes
que l'on nomme Etrufques , dont elles
JANVIER. 1777. 171
font connoître en même temps la forme
& les dimenfions ; c'eft une collection
fingulière qui eft l'hiftoire du deffin de
L'ancienne Grèce .
Aucun Recueil ne peut paroître avec
plus de magnificence : les Frontifpices ,
les Initiales , les Lettres ouvragées , les
Vignettes & les Finales , font des acceffoires
prefque auffi intéreffants que
le fond de l'ouvrage.
Cependant quoique la furcharge des
dépenfes extraordinaires dût autorifer les
Editeurs à en augmenter le prix déjà fixé
à trente fequins , 11 liv, de France , ils le
délivreront pour cette fomme.
Quant à ceux qui font déjà pourvus
du premier & du fecond volume , les Édi
teurs ont pris des mefures pour leur éviter
le défagrément de devoir fe charger
de tout l'ouvrage , & pour leur fournir
feulement les deux derniers pour le prix
de quinze fequins .
Tous ceux qui voudront fe pourvoir
de l'ouvrage entier , ou le completter ,
pourront s'adreffer au fieur Gaetan Cambiagi
, Imprimeur de S. A. R. , ou à ceux
qui leur conviendront en cetre Ville ;
remettant directement , ou faifaut remet
tre par leur Correfpondant audit Impri
•
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
meur , la valeur proportionnée à leur
demande , en retirant les volumes.
NOTE de plufieurs Almanachs , dont les
titres détaillés font fuffifamment connoître
l'objet & l'utilité.
ALMANACH
LMANACH DEs Rendez - Vous ,
pour l'année 17773 prix 12 f. br. A
Paris , chez Lambert , Imprimeur-Libr.
rue de la Harpe .
Cet Almanach eft de la plus grande
utilité pour les Gens d'affaires , & pour
ceux qui veulent fe rendre compte annuellement
de ce qu'ils ont fait,
Almanach de l'Auteur & du Libraire,
contenant ; 1º. Le nom des Miniftres &
Magiftrats qui font à la tête de la Librai
rie , ceux des Cenfeurs & des Infpecteurs
,
2º . Un traité abrégé des formalités
qu'on doit remplir pour obtenir les diffé
rentes permiffions d'imprimer , de faire
venir des livres étrangers , de fuivre les
procès pendans en la Commiffion ou au
JANVIER. 1777. 173
Confeil , enfin ce qu'il faut faire pour par
venir à être reçu Libraire ou Imprimeur.
3 °. Un tableau de tous les Libraires
& Imprimeurs de Paris , avec la diftinction
de ceux qui font retirés , & du genre
de livres que chacun d'eux a adopté.
4°. Un tableau de tous les Libraires
& Imprimeurs du Royaume.
5°. Un tableau de tous les Libraires
accrédités des principales Villes de l'Europe.
On y trouve auffi une lifte complette
de tous les Ouvrages périodiques qui fe
chargent d'annoncer les livres nouveaux.
A Paris , chez la veuve Duchefne , Libr.
rue Saint Jacques.
Calendrier de la Cour , tiré des Ephémérides
,, pour l'année 1777 , contenant
le lever du foleil , fon coucher , fa déclinaiſon
, le lever de la lune & fon
coucher ; avec la naiffance des Rois ,
Reines , Princes & Princeffes de l'Europe
, &c. imprimé pour la Famille
Royale & Maifon de Sa Majefté . A
Paris , chez la veuve Hériffant , Imprim.
du Cabinet du Roi , Maiſon & Bâtimens
de Sa Majefté.
H ₁ij
174 MERCURE DE FRANCE.
Nouvelles Etrennes Orléanoifes , augmentées
d'un recueil de matières utiles ,
curieufes & amufantes , d'un manuel de
fanté , & précédées des éphémérides proverbiales
, hiftoriques & pronofticatives ;
Almanach univerfel pour
l'année 17773
dédié à M. de Cypierre , Baron de
Chevilly , Intendant de la Généralité
d'Orléans ; prix 12 f. br . A Orléans ,
chez Couret de Villeneuve , Libr. Impr
du Roi , rue Royale.
On trouve chez Saugrain , Libraire
quai des Auguftins :
L'Almanach de Liége , de Mathieu
Laensberch , avec les figures du calendrier
des Bergers , édition originale en papier
fin , relié en maroquin , 3 liv.; en veau
doré , 2 liv . 8 f.; broché en papier com-
12 f. mún ,
Le Calendrier perpétuel du temps ;
médaillon augmenté d'une table qui le
rend utile jufqu'en l'année 1500 ; prix
br. 18 f.; rel. l . 10 f. 1
Petits Recueils d'Almanachs , rel . 6 L
JANVIER. 1777 175
Almanach des Affociés , ou Almanach
fous verre , augmenté d'une notice curieufe
, contenant les découvertes , inventions
, ou expériences nouvellement
faites dans les fciences , les arts , les
métiers , l'induftrie , & c . A Paris , chez
Defchamps , Libraire , rue St Jacques ,
vis à-vis la Fontaine St Severin.
On trouve à la même adreffe les trèspetits
Almanachs des Dames , les Almanachs
changeans méchaniques, l'Almanach
perpétuel des quantièmes , &c.
L'Almanach de trente ans , dédié à la
Reine , enrichi du portrait du Roi & de,
la Reine , avec divers ornemens d'un
bon goût. A Paris , rue & Hôtel Condé ;
& dans les Villes de Province . Prix 2 1 .
& 6 1. fous verre , bordure dorée.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES.
I.
femblée publique de l'Académie de
Villefranche en Beaujolois , 25 Août
1776.
M. GOUVION , Directeur , ouvrit la
féance par un difcours fur la réproduction
des plantes .
M. l'Abbé de Caftilhon , Vicaire
Général du Diocèfe de Lyon , lut une
Epître en vers , adreffée à fes Concitoyens
, pleine de fentimens & de grâce,
Cette lecture fut fuivie d'un Dialogue
intitulé Xenocrate , dans lequel on s'étoit
efforcé de rapprocher & de réunir fous
un feul point de vue , tout ce que nous
a laiffé de plus curieux fur les grâces
l'ancienne Mythologie.
M. l'Abbé la Serre lut les deux pre
miers chants d'un Poëme fur l'Eloquence.
Il établit que pour être Orateur , il faut
être né , 1º. avec une ame fenfible ; 2º .
JANVIER . 1777- 177
avec une ame honnête : l'art de perfuader
, dit-il , eft l'objet de l'éloquence...
Mais il faut pour toucher , être touché foi- même.
La légère Aglaé veut envain me féduire ,
Je vois , ſans être ému , fon gracieux ſourire.
Et le concours heureux de ſes traits ſéduiſans ,
Sans rien dire à mon coeur ne parle qu'à mes fens.
Son ame eft fans chaleur : jamais fur fon vifage
La fenfibilité ne grava fon image ;
Elle entend fans pâlir les cris des malheureux ,
Et la douleur d'autrui ne mouille point fes yeux.
Le premier des appas eft une ame fenfible ;
Elle entraîne les coeurs par un charme inviſible ,
Elle adoucit des traits l'impofante fierté ,
Et prépare une excufe à la difformité :
Ainfique dans nos traits , elle eft dans nos ouvrages
La fource des tranfports , legarant desfuffrages.
M. la Serre prouve enfuite qu'il ne
fuffit pas d'avoir l'ame fenfible pour
arriver au grand but de l'éloquence ;
mais qu'il faut encore avoir une ame
honnête. Nous fommes nés , dit- il , pour
la vertu :
Hv
8 MERCURE DE FRANCE.
Péclatde lapenfée & l'heureux choix des mots ,
La nouveauté des tours , la fraîcheur des tableaux ,
Les accords féduifans d'une douce harmonie ,
L'élégance du goûr , l'audace du génie,
N'enfanteront jamais le preftige flatteur
Que prête à fes écrits la vertu de l'Auteur.
M. Champeaux lut un Mémoire intéreffant
fur les exhalaifons putrides dont
fe charge l'air , fur les maladies & les
accidents qui en réfultent , & enfin fur
la manière de purifier l'air , lorfqu'il a
été infecté par des miafmes peftilentiels.
M. Magel termina la féance par des
vers adreffés à M. Dorat.
I I.
Affemblée publique de l'Académie Royale
des Sciences & Belles- Lettres de Béziers
, du 4 Juillet 1776.
A caufe du dérangement de la fanté
du Directeur , M. de Lablanque , Juge-
Mage , Sous - Directeur cette année , ouvrit
la féance par une courte femonce ,
& par annoncer les difcours qui devoient
être lus. Après quoi le Secrétaire dit : il
eft jufte , Meffieurs , que nous donnions
quelques marques de reconnoiffance à
JANVIER. 1777 . 179
ceux qui nous font l'honneur de nous
communiquer les productions de leut
efprit , & nous ne pouvons mieux nous
acquitter de ce devoir, qu'en faifant dans
nos féances publiques une mention honorable
de tout ce qui nous a été préfenté
depuis notre dernière affemblée ,
foit par nos Affociés , foit par d'autres
Savans .
Dans le mois de Juin de l'année 1775.
M. l'Abbé Barral , notre Affocié , nous
envoya un manufcrit contenant l'éloge
d'Henri IV , Roi de France.
Vers la fin du mois d'Août 1775 , M.
Maynard d'Aiguefvives , notre Affocié ,
nous fit préfent d'un imprimé contenant
l'éloge de Cujas , fameux Profeffeur en
droit.
Dans le mois de Janvier , M. Pelletan
, aujourd'hui notre Confrère ,
préfenta un Mémoire , qui a pour titre :
Problême général fur la fommation & fur
plufieurs nouvelles propriétés des fuites récurrentes
, dont les premières différences
font égales à une quantité conftante , &
les fecondes différences font zéro , dont
M. de Forès & M. l'Abbé Bouillet firent
le rapport ; ce qui donna occafion à ce
dernier d'ajouter qu'en parcourant la pre-
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
mière partie du volume de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , année
1772 , dont nous venions de faire l'acquifition
, il y avoit trouvé un Mémoire
fur des irrationelles de différens ordres
avec une application au cercle , lequel lui
avoit paru avoir quelque rapport avec
un Mémoire de fa compofition , qu'il
avoit lu dans notre féance publique du
15 Octobre 1772 , & dont le précis avoit
été rendu public , de même que de celui
qui en contenoit les fondemens , & qui
avoit été lu publiquement le 16 Février
1769 ; & en même-temps , il lut quelques
remarques fur ce Mémoire.
Dans le mois de Février , M. Audibert
lut l'éloge de M. le Maréchal Duc
de Biron , nommé au Gouvernement du
Languedoc , qui lui avoit été adreffé
manufcrit , par M. Barral , notre Affocié
, & qui a été imprimé.
Peu de jours après , nous reçûmes
une lettre fort obligeante de la part de M.
le Baron de Marguerites , de l'Académie
Royale de Nifmes , avec une tragédie de
fa compofition , fous ce titre : la révolution
de Portugal.
Au mois d'Avril , je reçus une lettre
de M. Thiery , Médecin-Confultant du
JANVIER. 1777. 181
Roi, notre Affocié , dans laquelle il nous
fait part d'un cas de Médecine fort fingulier
, mais qu'il feroit trop long de
rapporter ici.
M. Buc'hoz , Médecin de Monfieur
notre Aſſocié , connu par une infinité
d'ouvrages concernant l'Hiftoire Naturelle
, la Médecine , &c . n'a pas manqué
de nous envoyer chaque mois deux cahiers
de fes feuilles .
Enfin M. Pauler , Docteur en Médecine
des Facultés de Paris & de Montpellier
, nous a fait préfent de deux volumes
in - 8°. contenant des Recherches
hiftoriques & phyfiques fur les maladies
Epizotiques, avec les moyens d'y remédier,
publiées par ordre du Roi ; & il nous a
fait part auffi de fa lettre à M. Cofte ,
Médecin de Nancy , où il fe défend victorieufement
contre l'injufte critique que
ce Médecin a faite de fes écrits .
Enfuite M. l'Abbé Decugis lut l'éloge
de M. Foulquier , Prêtre , Docteur en
Théologie , ancien Prieur de Murviel ,
ci-devant Principal du Collège Royal de
cette Ville , Académicien ordinaire , Vétéran
, mort à l'âge de foixante- dix ans.
Meffieurs de Ledrier , Lieutenant-Colonel
dans le Régiment de Béziers, Vialla,
Maître- ès-Arts & en Chirurgie , & Pel
18-2
MERCURE
DE FRANCE
.
letan, Ingénieur pour les travaux publics ,
& Directeur du Canal Royal , derniers
reçus , lurent leurs remercimens , auxquels
M. de Lablanque répondit d'une
manière également éloquente & gracieufe.
Meffieurs de Ledrier & Pelletan
Jurent auffi quelques réflexions , l'un fur
la philofophie , la politique , & la manière
de combattre des Grecs , qui fut
anéantie par les Romains qui les fubjuguèrent
, & fur les décifions orgueilleufes
& la folle préfomption de ces derniers
, à quoi il attribue la décadence de
leur Empire , autant qu'au luxe , qu'on en
regarde comme la caufe ; l'autre ( M. Pelletan)
lut un difcours fur le rapport qu'il
y a entre les progrès des ſciences & des
arts , & la félicité des peuples , fur l'influence
que l'un & l'autre peuvent avoir
dans le fort des Empires : il fit voir de
quelle manière les Académies ont contribué
à l'amélioration publique , en
comparant les temps d'ignorance avec
ceux où l'on a cultivé les fciences & les
arts : enfin il a appliqué cette vérité à la
ville de Béziers , qui depuis cinquante
ans s'eft confidérablement accrue & embellie.
M. Vialla lut deux obfervations
nouvelles concernant la défunion de la
JANVIER. 1777.
183
fymphyse des os du menton , avec les
moyens d'y remédier.
Enfin M. de Forès lut un Mémoire de
M. Pertholon , Prêtre de la Million
Profeffeur de Théologie au Séminaire ,
& Membre de plufieurs autres Académies
, fur la caufe phyfique des mouvemens
Electrico - circulaires. Après avoir
examiné dans ce Mémoire les différentes
roues qui ont été imaginées ; l'Auteur
rappelle en deux mots , la nouvelle roue
électrique qu'il a trouvée , & il affigne
les caufes phyfiques de ce mouvement
électrico- circulaire , , que le fluide électrique
feul met en jeu. Cette explication ,
fuppofant toute la théorie électrique , on
ne peut en donner ici une idée fatisfaifante.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Lundi 9 Décembre , on a donné au
Château des Thuileries un concert , dans
lequel Mademoiſelle Giorgy a chanté deux
airs Italiens , qu'elle a répétés , en cédant
aux acclamations & aux inftances du Pu184
MERCURE DE FRANCE.
blic. Son organe réunit la force , la lé
gèreté , l'étendue & la qualité la plus brillante
& la plus flatteufe. Elle parcourt
avec une telle facilité , tous les intervalles
de la mufique , que le chant lui femble
naturel, & fon langage ordinaire. Si cette
charmante Cantatrice veut joindre à tant
d'avantages , tout ce qui ne s'acquiert que
par l'étude & par les confeils des bons maî
tres , elle peut atteindre la perfection des
premiers fujets de l'Italie , & les furpaffer
par les dons que la nature lui a prodigués .
M. Ravoglia a joué avec applaudiffement
un concerto de hautbois. M. Beauvalet ,
qui chantoit avec fuccès la balfe - taille à
l'Opéra , vient d'arriver , après quelques
mois de féjour en Italie, avec une voix de
fauffet , & a tenté de chanter un air Italien
dans la manière des virtuofes de ce pays ;
mais quoiqu'il mette peut- être plus d'art
dans fon chant , & qu'il exécute des airs
plus difficiles , on regrette fa voix mâle &
fonore, & même fon ancienne manière de
chanter. MM. Wandyck & le Noble , ont
exécuté avec beaucoup de talent , une
fymphonie concertante . M. Jarnovick a
exécuté un concerto de violon avec cette
perfection qui le diftingue. Ce Concert
a fini par Samfon , Oratoire à grand
Choeur , de M. Méreaux .
JANVIER. 1777. 18 $
Dans le Concert du 24 Décembre ,
veille de Noel, Madame Balconi , célèbre
Cantatrice Italienne , a chanté deux airs ,
l'un de Sacchini , l'autre de Colla , & a
été applaudie pour le goût & la perfection
qu'elle met dans fon chant. Elle a bien
voulu répéter ces airs , en variant les
agrémens qu'elle diftribue avec beaucoup
d'art. Mademoiſelle Giorgy a auffi chanté
deux fois , par complaifance , un air
Italien , & toujours avec le même fuccès.
M. Caravoglia , excellent hautbois , a
exécuté un Concerto. MM. Palfa &
Tierchemith , ont joué plufieurs petits
airs à deux cors , qui
qui ont fait plaifir,
On a exécuté une fuite de Noels , arrangés
en fymphonie. Le célèbre M.
Jarnovick a exécuté un Concerto de
violon. Ce Concert a été heureuſement
terminé par le Te Deum de M. Langlé.
Le 25 Décembre ,` oonn a exécuté la
grande fymphonie de Toefchi . Mademoiſelle
Giorgy a chanté deux airs Italiens
; M. Baer a exécuté un Concerto
de clarinette ; on a entendu avec plaiſir
186 MERCURE DE FRANCE.
T
tin nouveau motet à voix feule del Signor
Prati , élève de Piccini . M Ponto a exécuté
avec applaudiffement un Concerto de cor
de fa compofition . M. Jarnovick a exé
cuté un Concerto de violon . On a fini
par le Pater , motet à grand Chour , de
M. Langlé.
' OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a donn alternativement avec Alceste ,
les Fragmens , compofés des Actes de la
Danfe , des Talens Lyriques ; d'Eglé ,
& de celui de Vertume & Pomone..
On a repris le Mardi 31. Décembre
Orphée & Euridice , Drame lyrique en
trois actes ; il faudra enfuite revenir à
P'Iphigénie. Ainfi M. le Chevalier Gluck
eft en poffeffion de la fcène lyrique
comme autrefois Lully & Rameau . Il
n'a point le génie du premier, ni l'imagination
du fecond ; mais il eutend mieux
que fes deux Prédéceffeurs , l'expreffion
des fentimens pathétiques & la déclamation
lyrique. Sa mufique eft plus théâtrale
; fon récitatif eft plus vrai , plus
JANVIER. 1777. 187
débité , & fes effets d'orchestre ont plus
de force & d'énergie . Il a le vrai
goût du Drame , dont l'objet principal
eft d'attefter & d'affecter l'ame . C'eft le
genre dominant qui s'eft emparé de tous
les Théâtres de Paris ; car en Province &
dans les Pays étrangers , ces Drames , où
cette mufique d'un mode fi fombre & fi
lugubre , ne trouve pas autant de Partifans
& d'Enthoufialtes que dans la Capitale.
Mile leVaffeur, M. le Gros , M. Larrivée ,
doivent partager une partie de la gloire
de M. le Chevalier Gluck , par l'action
& l'intelligence qu'ils mettent dans leurs
rôles. Ils ont faifi parfaitement dans leur
jeu , dans leur récit , dans leur chant
l'efprit du Maître ; ils fe livrent , avec
un heureux abandon , aux tranſports &
aux cris de la nature , lorfque l'art né
femble plus capable de les guider.
DEBUT .
MileCÉCILE , élève de M.Gardel , a débuté
fur ce Théâtre , dans les différens genres
de danfe . L'éclat de la jeuneffe , une taille
fvelre , une figure charmante , toutes les
grâces , une pofition de tête charmante ,
188 MERCURE DE FRANCE.
une grande précision , beaucoup de légéreté
, d'aifance & de moelleux dans fa
danfe , lui ont mérité tous les fuffrages
& diftingué cette nouvelle Terpficore.
Elle a joué , danfé & chanté le rôle d'Eglé
dans l'Acte de la Danfe. On ne peut
qu'applaudir au choix de Mercure , lorfqu'il
couronne des talens fi enchanteurs.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
ES Les Comédiens François ont donné l•
famedi 7 Décembre , la première repréfentation
du Malheureux imaginaire , Comédie
en cinq actes de M. Dorat .
Le Duc de Semours ayant tous les
avantages de la naiffance , de la fortune ,
de la confidération , aimant & étant aimé,
voulant faire du bien , & en faisant par
fon crédi: & par lui- même , a la manie
de fe croire malheureux , & il l'eſt en
effet ; une imagination active , mais triſte ,
ne ceffe de le tourmenter en lui repréfentant
les événemens les plus indifférens
, & les circonftances les plus favorables
, comme des combinaiſons du fort
pour l'affliger. Ileft amoureux de Madame
JANVIER. 1777. 189
à
de Thémine , veuve charmante , & qui a
toutes les qualités eftimables ; il en eft
chéri , il n'en peut douter ; cependant il
eft ingénieux à lui trouver des torts ,
lui remarquer de l'indifférence , & même
de l'inconftance. Ses foupçons fe forti
fient lorfque cette Veuve lui parle de
Florville , jeune homme qui a l'attachement
le plus tendre pour Émilie , foeur
& pupile du Duc de Semours. Il ne lui
donne pas le temps de dire les motifs
de l'éloge qu'elle en fait .Son imagination
bleffée faifit le premier mot ; il répond
avec une humeur & une ironie offenfanlui
reproche fa perfidie , & la laiffe
dans l'étonnement & l'inquiétude d'une
accufation fi mal fondée . Il furprend encore
la jeune Veuve avec une lettre de
Florville , & de - là nouveaux tourmens
pour le Malheureux imaginaire : nouveaux
reproches ; enfin il parvient à offenfer
fon Amante au point qu'elle- même
confirme fes foupçons , en difant que
puifqu'il le veut , elle aime Florville ;
mais elle parle avec ce ton du dépit qui
proteſte fi bien le contraire de fa penfée.
Le Duc veut marier fa foeur à Saint- Brice,
fon ami , non moins mélancolique que
lui , mais qui prétend l'être avec plus de
190 MERCURE DE FRANCE.
raifon . La réſiſtance qu'il trouve dans les
fentimens d'Émilie , & enfuite dans ceux
de fon ami . qui fe rend juftice , eft un
nouveau fujet de chagrin pour le Duc ;
il en trouve un autre dans le gain d'un
procès ; il fait obtenir un Régiment à
Florville , dans l'efpérance de l'éloigner ;
il obtient auffi un intérêt dans une affaire
de finance pour Dépermont , fon ami, &
véritablement malheureux , qui eft acca,
bié de dettes , qui perd continuellement
au jeu , à qui toutes les efpérances &
toutes les reffources manquent à la fois ,
mais qui eft infouciant par caractère, bravant
tous les événemens , toujours gai
& toujours content. Dépermont reçoit
le nouveau bienfait du Duc avec affez
d'indifférence , & paroît craindre jufqu'à
la fatigue de donner fa fignature. Ce caractère
contrafte parfaitement avec celui
de Semours : il eft plus faillant , plus théâ
tral , plus comique , & c'étoit peut- être
celui qui pouvoit faire le fujet principal
d'une Comédie , en lui oppofant le Malheureux
imaginaire. En effet , il ne faut
pas que les rôles fecondaires attachent
davantage que le premier rôle ; & c'eſt
un principe de l'art , de placer fur le
premier plan le perfonnage le plus remárJANVIER.
1777. 191
quable . D'ailleurs , le caractère de l'ln
fouciant doit fournir plus de traits , plus
de fcènes amufantes , plus de détails heu
reux , plus de variétés , que le caractère
du Malheureux imaginaire , qui ne peut
avoir qu'un ton , & qu'une manière de
voir la preuve en eft dans la Comédié
même dont il eft queftion. Dépermont
profite de l'erreur du Duc au fujet de
Madame de Thémine , pour favorifer
les prétentions de Florville fon parent
il aime , mais fans la moindre inquiétude
, Madame de Follange , qui eft une
Coquette fort légère , & qui ne refpire
que le plaifir ; elle a ordonné une fête &
un fpectacle chez le Duc , fort peu dif
pofé à s'amufer ; elle fait tout ce qu'elle
peut pour donner de la jaloufie à l'Infouciant
, fans pouvoir altérer fon humeur .
Mde de Thémine a le bonheur d'obtenir
de la Cour un Gouvernement pour un
ami du Duc , qui lui doit cet objet de fes
defirs . Sémours apprend bientôt que l'in
térêt que Madame de Thémine paroif
foit prendre au jeune de Florville , eft
pour remplir les voeux d'Emilie . Il con
fent à cette union , & reconnoît enfin
qu'il ceffera d'être malheureux en fe livrant
avec confiance aux fentimens d'une
II
192 MERCURE DE FRANCE.
femme eſtimable qu'il aime , & dont il
eft aimé. Cette Comédie eft écrite avec
beaucoup d'efprit , & il en falloit infiniment
pour remplir cinq actes avec un
fujet fi ftérile & fi malheureux. Il y a des
détails charmans ; ce qui a fait dire à une
perfonne éminente par fon rang , par fes
connoiffances & par fon goût , qu'il n'eftimoit
de cette pièce que les Ariettes .
Il nous femble encore que cette Comédie
eft furchargée de perfonnages qui
ne font pas effentiels à l'action , & que les
perfonnages fecondaires ne font point af-
Tez employés à faire reffortir le caractère
dominant. Il y a peu de fituations comiques
; & il faut convenir auffi que trop
d'efprit , trop de facilité , trop d'imagination
, ne permettent peut- être pas à M.
Dorat de méditer fuffifamment fon plan ,
& d'en affortir toutes les parties. Au refte ,
il y a dans cette Piéce une foule de vers
heureux , qui en fait le fuccès. Tels que
ceux-ci , en parlant de l'amour :
Confiant , il eft froid ; jaloux , il eft affreux ;
Quelque forme qu'il prenne il nous rend malheu.
reux .
Un Amant timide dit:
Youlois-je hafarder l'aveu de mon ardeur,
JANVIER. 1777. 193
Il mouroit fur ma bouche & rentroit dans mon
coeur .
L'Infouciant fait ainfi fon portrait:
Je fuis toujours le même ,
Infouciant par goût & léger par fyftême ;
Heureux , content de tout , je n'approfondis rien,
Un revers bien cruel m'enleva tout mon bien.
Mes amis m'ont trompé ,les femmes me trahiffent ;
Mes maudits créanciers quelquefois m'étourdiffent;
Je ne me fâche pas , j'y fuis accoutumé ,
Et , comme vous voyez , les malheurs m'ont
formé.
En parlant à Semours :
Jem'en fuis dit autant ,
J'ai l'horrible défaut d'être toujours content.
Vous grondez , moi , je ris , pardonnez l'apol→
trophe ,
Vous n'êtes que chagrin , & je fuis philofophe ,
Heureux effrontément.
Ecoutez , mon cher Duc , ceci va vous furprendre :
Quand j'aurois vos honneurs , vos amples re
1. Vol.
venus,
*
194 MERCURE DE FRANCE.
Vos titres fi brillans , vos entours fi connus ,
Et ces poftes nombreux qui ſemblent vous contraindre
,
Je ne m'en croirois pas pour cela moins à plaindre ;
Prêt à tous ces affauts ou prompt à m'aguérir ,
Je me réfignerois ; il faut favoir fouffrir.
Le Malheureux imaginaire eft joué
fupérieurement par M. Molé ; M. Belcour
a mis dans celui de l'Infouciant
beaucoup de fineffe , d'aifance & d'agrément
; M. Préville a tiré tout le parti
poffible du rôle de Saint-Brice , & M.
Monvel de celui de Florville . Madame
Doligni eft très -intéreffante dans le rôle
de Madame de Thémine . Mademoifelle
Fanier a rendu gaiement & avec efprir
la Coquette. M. Dugazon joue un
rôle de Valet , & Mademoiſelle Dugazon
un rôle de Soubrette.
Cette Piéce , à la fin de Décembre, avoit
neuf repréſentations , & fe continue .
On a donné , avec fuccès , quelques
repréſentations de Blanche & Guifcard,
-Tragédie de M. Saurin . Madame Veftris
a joué le rôle de Blanche avec la noJANVIER.
1777. 195
bleffe , l'énergie , & l'intelligence qui
caractériſent fon talent.
DEBUT S.
Le mardi 17 Décembre , Mademoiſelle
DESPERRIERES a joué le rôle d'Electre
dans la Tragédie d'Orefte, de M. de Voltaire
: cette Actrice a été beaucoup gênée
par fa timidité. Cependant on a reconnu
en elle de la fenfibilité , de l'intelligence ,
un fentiment prompt , les accens de la
douleur , & le cri de la paffion . Elle a
l'organe un peu voilé ; elle laiffe quelquefois
traîner fes fons, & elle ne ménage
point affez fa voix pour lui donner de la
force dans les momens de la paffion . Au
refte , Mademoiſelle Defperrieres reçoit
les avis d'un Maître bien capable de diriger
& de faire valoir fes dispofitions
naturelles.
M. le Kain a joué le rôle d'Orefte avec
cette perfection qui le diftingue . M. La
Rive a rendu avec le plus grand fuccès
le rôle de Pilade , & Mademoiſelle
Sainval a excité des transports d'admiration
dans le rôle de Clytemneftre , dont
elle a conçu & fait fentir toutes les
beautés.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
M. M. a débuté dans les rôles de
Payfans , & ceux dits à Manteau : il a
eu peu de fuccès.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné , le
Jeudi 5 Décembre , la repriſe de l'Aveugle
de Palmyre , de M. Desfontaines , pour
les paroles , & de M. Rodolphe , pour
la mufique .
Ce Drame a fait plaifir , mais peu de
fenfation , quoique le fpectacle en fort
agréable , la Pièce bien écrite & la mufique
très-gracieufe , & parfaitement exécutée
par M. Clairval , & par Mefdames
Laruette & Colombe , qui jouoient les
principaux rôles.
>
On a remis fur ce Théâtre Arlequin
Hulla , ancienne Pièce de Romagnéfi
qui a eu quelques repréfentations , dans
lefquelles on a beaucoup applaudi au jeu
de M. Carlin & de Madame Bianchi.
On a remis encore à ce Théâtre la
Belle Arsène, Comédie en quatre actes ,
JANVIER. 1777 . 197
en vers , de M. Favart , pour les paroles ,
& de M. Moncini , pour la mufique . Les
talens de ces deux Auteurs font des
garans
du fuccès de leur ouvrage.
On a repris auffi le 28 Décembre , les
Mariages Samnites , dont le poëme eft
de M. du Rozoi , & la mufique de M.
Grétry. Ce charmant fpectacle a fait
plus de fenfation que dans fon origine.
Le Public , qui devient de plus en plus
fenfible à la bonne mufique , à celle fur
tout qui eft l'interprète de la nature , du
fentiment & des paffions , a beaucoup
applaudi aux airs pleins d'expreflion &
d'énergie de cette Pièce , qui a un égal
fuccès fur les Théâtres de Paris , de la
Province & des Pays étrangers . Madame
Dugazon joue le rôle de Céphalide , &
fon chant & fon jeu lui font le plus
grand honneur. Elle a détaillé la fèène
avec une intelligence , une vérité & une
expreffion qui caractérisent une excellente
Actrice . Mademoiſelle Colombe a
été vue & entendue avec tranfport dans
le beau rôle d'Eliane. MM. Julien
Michu & Narbonne , ont auffi recueilli
les fuffrages des Spectateurs. Le duo
entre les deux Amis , à la fin de cette
Pièce , a été abrégé par un récitatif qui
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
partage le chant. Cette coupe heureuſe
a fait un plaifir infini.
DÉBUT.
Mademoiſelle DE LA COUR , a débuté
à ce Théâtre dans les rôles de Duègne.
Elle paroît avoir l'habitude de la ſcène ,
de l'intelligence , & une bonne manière
de chanter ; mais peu de voix , & de la
gêne dans fon chant & dans fa déclamation.
ARTS.
GRAVURES.
I.
LE Charlatan Allemand , le Charlatan
François , deux eftampes de neuf pouces
& demi de hauteur , & fept & demi de
largeur , très agréables & très-bien gravées
par M. Helman , d'après les deffins.
de M. Bertaux ; prix 1. 10 f. chacune ;
chez l'Auteur , Graveur de Mgr le Duc
JANVIER. 1777. 199
de Chartres , rue des Mathurins , au
petit Hôtel de Clugny.
I I.
Fête de Campagne Hollandoife , de
deux pieds de largeur , & de dix - neuf
pouces de hauteur , dédiée à M. le Baron
de Van- Baerll , Confeiller de Sa Majeſté
le Roi de Pologne , gravée par Dequevauviller
, d'après le tableau de Scovart.
AParis, rue & porte S. Jacques , maiſon
de l'Apothicaire . Cette eftampe eft d'une
compofition très- riche , très - gaie , dans
un beau ftyle , & remplie d'une multitude
de figures : elle eft gravée pittoref
quement , & d'un bon ton de couleur.
I I I.
Le Porte-Balle ou le Voyageur, eftampe
de douze pouces de largeur , & huit de
hauteur , gravée d'après le tableau original
de David Teniers , de même grandeur
, par Monfieur & Mademoiſelle
Chenu , prix 16 f. A Paris , chez les Auteurs
, rue de la Harpe , vis-à-vis le Café
de Condé .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Lapleine Moiffon, dédiée à S. A. Mon.
feigneur Adam de Czatoryski , gravée
d'après le deffin d'Ifaac Moucheron
par E. de Ghend ; compofition agréable ,
tyle gracieux , exécution très-foignée.
A Paris , chez Deghendt & Defmareſt ,
rue de Bourbon Villeneuve , vis - à- vis les
murs des Filies- Dieu .
V.
La Philofophie endormie , dédiée à Madame
Greuze, eftampe de dix-huit pouces
de hauteur, & treize de largeur ; gravure
d'après le deflin de M. Greuze , fous la
direction de M. Aliamet . A Paris , chez
Aliamet , rue des Mathurins .
V I.
>
Eftampe gravée par L. A. de Buigne ,
d'après le deffin de Gravelot , tirée d'une
fcène d'Henri IV, repréſentant le Prince
égaré dans une forêt , & pris pour un
Braconnier on lit au bas ces mots , tirés
de la Comédie , je tenons le coquin qui
JANVIER . 1777. 201
vient tirer fur les cerfs de notre bon Roi ,
prix 12 fols. A Paris , chez Linger , rue
des Maçons, à côté de l'Hôtel des Quatre
Nations ; le fujet fait pendant à un autre
de même prix , que l'on trouve chez
Ponce , Graveur , rue St. Hyacinthe
maifon de M. Debur ; de la même pièce,
repréfentant Sully aux pieds d'Henri IV,
& ce Prince le faifant relever , lui difant
ces mots : relevez-vous , ils vont croire que
je vous pardonne.
VII.
Fêtes d'étude , gravées par Madame
Linger , en manière de crayon , d'après
Monfieur Greuze , Peintre du Roi. Madame
Linger fe propofe d'en faire une
collection , qu'elle juge autli curieufe
qu'utile au Public , prix 16 fols , chaque
tête. A Paris, rue des Maçons, près l'Hô-
' tel des Quatre Nations .
VIII.
Tête de Vieillard , gravée en manière
noire, d'après un tableau de M. Vincent,
Penfionnaire du Roi à l'Académie de
Rome , par M. Haines. A Paris , chez •
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
l'Auteur , rue de Tournon , vis -à-vis
l'Hôtel de Nivernois.
I X.
Table gravée à l'ufage de la Loterie
Royale de France , pour favoir combien
de fois les numéros font fortis de la roue
de fortune , & c. A Paris , chez Perier ,
Graveur , rue des Foffés S. Germainl'Auxerrois
, près la Pofte aux Chevaux.
X.
Portrait de M. Bouvart , Cla. viro
Michali-Philippo Bouvart, Regii Ordinis
Equiti;falub. Fac. Pari. Dočtori in Collegio
Regio Profeffori Emeriti nec non
Reg. Scient. Academia focio, hanc ipfius
effigiem in veteris amicitia pignus ac monumentum
deffiné par Fr. Bourgoin ,
& gravé par B. L. Henriquez , Graveur
de S. M. I. de toutes les Ruffies , & de
l'Académie Impériale des B. A. de Saint
Pétersbourg , prix 3 liv. A Paris , chez
Henriquez , rue de la vieille Eftrapade ,
maifon de M. Moreau , Maître Charpentier.
JANVIER . 1777. 203
MUSIQUE.
I.
SECOND Recueil de petits airs , Menuets
& Ariettes , choifis & arrangés pour la
Harpe , par H. Petrony , prix 7 liv. 4 fols.
I I.
Recueil d'airs choifis , avec accompa
gnement de Harpe , par le même , prix
7 liv. 4 f. A Paris , chez le fieur Krupp ,
Luthier , rue Saint Honoré , vis- à- vis
l'Opéra , & aux adreffes ordinaires de
Mufique.
II I.
Mes Loifirs , Recueil d'Ariettes , Chanfons
, Romances & Duo , avec accompagnement
de baffe chiffrée , & un violon
, gravé féparément ; dédié à Madame
la Baronne d'Hinge , par M. Legat de
Furcy , Maître de goût & de chant , prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue
du Coq-Saint-Honoré , près l'Oratoire ;
& aux adreffes ordinaires de Mufique.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Pièces d'orgue , Meffe & Noëls Flamands
, François , Italiens , &c. avec
variations en fa majeur , dédiés à Madame
de Montmorency-Laval , Abbeſſe
de l'Abbaye Royale de Montmartre ,
compofées & arrangées par M. Benaut ,
Maitre de Clavecin , prix 3 liv. 12 fols ,
abonnement du mois d Octobre , chez
l'Auteur , rue Dauphine , près la rue
Chriſtine.
V.
Les foirées de Cheffy , ou trois Sonates
pour la harpe , fuivies d'un Menuet &
d'une Chaconne , avec ou fans accompagnement
de violon , dédiées à Mademoiſelle
de Walckiers , & compofées par
M. Burckoffer ; prix 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue Saint Honoré , à l'Hôtel du
Saint-Efprit , vis- à- vis les écuries du Roi ;
au Bureau d'abonnement mufical , rue
du Hazard- Richelieu ; Nadermann , Luthier
ordinaire de la Reine , rue d'Argenteuil-
Saint-Honoré , & aux adreffes
ordinaires de mufique.
JANVIER. 1777. 205
V I.
Traité des agrémens de la Mufique ,
exécutés fur la guittare ; ouvrage qui
manquoit aux Amateurs , & qui eft indifpenfable
pour exécuter avec goût les
pièces & les traits de chant qui fe trouvent
fouvent dans les accompagnemens ; con.
tenant des inftructions claires , & des
exemples démonftratifs fur le pincer , le
doigter , l'arpege , la batterie , l'accompagnement
, la chûte , la tirade , le martellement
, le trill , la gliffade & le fon
filé ; fuivis de plufieurs airs , la plupart
connus , dont le dernier renferme , dans
dix - neuf variations , tous les agrémens ;
par M. Merchi , Maître de guittare ,
Euvre XXXV , prix 9 liv. chez l'Auteur
, rue S. Thomas- du - Louvre , près
le Château d'eau ; & ` aux adreſſes ordinaires
de mufique .
En s'adreffant directement à l'Auteur ,
les perfonnes de Province jouiront du
bénéfice du Marchand, & feront fûres
d'avoir des exemplaires bien gravés . Il
faut affranchir l'avis & l'envoi de l'argent.
206 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
CARTE des limites actuelles de la Pologne
, réglées définitivement par la Diète
de cette année , & par les trois Puiffances
co-partageantes ; avec les limites de l'Empire
Ottoman , dans fa partie feptentrionale
, démembrée tant par les conquêtes
des Ruffes , que par un traité entre la
Maifon d'Autriche - Lorraine , & le Grand
Seigneur. Les routes , avec les diftances
entre Pétersbourg , Warsovie , Berlin ,
Vienne & Conftantinople , font tracées
dans cette Carte , qui eft un fupplément
abfolument néceffaire aux Atlas & Traités
de Géographie. Prix 15 fols . A Paris ,
chez M. Brion , Ingénieur -Géographe du
Roi , rue du Petit- Pont , près la Fontaine
Saint- Severin , maiſon de M. Langlois ,
Libraire.
JANVIER. 1777. 207
ARCHITECTURE.
M. DUMONT , Profeffeur de l'Ecole
Royale des Ponts & Chauffées , Membre
des Académies de Rome , Florence , Bologne
, & c , vient de faire graver un projet
de façade pour une entrée d'Hôtelde-
Ville , dédié à M. de Trudaine de
Montigny , Confeiller d'Etat , Intendant
des Finances , & c . On y trouve style
de Palladio , accommodé à nos ufages.
Les avant- corps , au nombre de trois ,
font d'un genre neuf & offrent des beautés
de détail . On remarque auffi la manière
adroite dont l'Auteur les a raccordées
avec les arrières- corps, qui, quoique
plus fimples , font d'une architecture
noble & bien caractérisée.
Nous ajouterons que l'exécution de la
gravure ne laiffe rien à defirer , tant pour
la netteté que pour l'effet.
Cette gravure fe trouve à Paris chez
l'Auteur , rue des Arcis , maifon du Com
miffaire ; & chez M. Jollain , quai de la
Megifferie .
208 MERCURE DE FRANCE.
Cours d'Elocution & d'Ortographe
Françoife.
Le cours compler d'Elocution & d'Orthographe
Françoife de M. Devillencour ,
ci-devant Profeffeur à la Cour de Bavière ,
fe continue avec fuccès , rue Bétizy , près
de la rue Tirechappe , au magafin des
Princes , où l'on s'adreffera au Portier.
༧ ༽ པ
Cours de Langue Italienne .
M. l'Abbé Fontana , déjà connu par
les cours de langue Italienne , que , depuis
du temps , il donne dans cette Capitale
avec fuccès , & recherché par la manière
facile & fuccinte avec laquelle il
enfeigne cette agréable langue , reprendra
un nouveau Cours famedi 11 Janvier
1777 , à trois heures du foir , jufqu'à
cinq , & le continuera tous les Mardis
& Samedis à la même heure . Il donne des
leçons particulières chez lui & eneville.
Les perfonnes qui voudront prendre
JANVIER. 1777 . 209
de fes leçons , font priées de lui écrire ,
ou de paffer chez lui , rue Montorgueil ,
porte- cochère à côté de la rue Pavée ,
où l'on trouve toujours du monde .
la
BIENFAISANCE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Monfieur , la bienfaifance eft une
vertu fi belle & fi rare de nos jours , que
c'eft un crime de laiffer échapper les occafions
d'en fournir des exemples aux
Grands , qui ne le font jamais davantage ,
que lorfque leur coeur s'élance hors le
tourbillon de la fortune & de la magnificence
qui les enivre , pour s'occuper du
fort des malheureux .
Monfieur de Narbonne , Evêque
d'Evreux , vient de marier , en fon château
de Condé , Mademoiſelle de Narbonne
fa niéce , à Monfieur le Comte
d'Héricourt. Pour rendre même les malheureux
participans de la fatisfaction des
deux Familles , il a fait choix , dans le
Bourg de Condé, chef lieu de fa Baronnie,
d'une jeune Fille auffi pauvre qu'honnête ,
qu'il a habillée , dotée d'une fomme de
210 MERCURE
DE FRANCE.
300 livres , & mariée jeudi dernier , à un
garçon du même Bourg : cette cérémonie
s'eft faite dans la Chapelle de fon Château ,
'd'où les nouveaux Epoux furent conduits
à un banquet exprès préparé , à la gaieté
duquel ce Prélat , M. & Madame la Comtelle
d'Héricourt n'ont pas dédaigné renouveller
les Saturnales . Madame d'Héricourt
fit même à la Meſſe une quête au
bénéfice des nouveaux Epoux , auxquels
elle remit une fomme de près de 150 liv.
Un acte de cette efpèce eft bien digne
d'un Prélat auffi généreux que M. de Narbonne
; mais il en eft un autre qui caractérife
bien plus effentiellement la bonté
de fon coeur. Le lendemain il fe tranfporta
au domicile des Epoux , & leur remit
une autre fomme de 300 liv . dont il
exigea un billet , en leur difant : faites
profiter cette fomme , mes enfans , & ce
fera la manière dont vous vous conduirez
qui me déterminera , ou à vous la laiffer ,
ou à vous la faire rendre. Le premier acte,
fuivant moi , eft beau ; mais le fecond eft
admirable , & méritent tous deux de paſfer
à la postérité , qui , comme nous ,
reconnoîtra dans la générofité de M. de
Narbonne , la bonté d'un père de famille ,
jointe à la religieufe inquiétude & à la
fage précaution d'un vrai Prélat.
JANVIE R. 1777. 211
Cette façon de faire du bien eft fi ingénieuſe
& fi nouvelle , que je ne penſe
pas que vous puiffiez lui refuſer la célébrité.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Variétés , inventions utiles , établissemens
nouveaux , & c.
I.
Nouvelle Fabrique & Magafin de Colonnes
, Supports, Dalles , Vafes, & autres
Curiofités de Porphyre de France.
Ce n'eft que tout récemment qu'une
Société de Particuliers zélés pour le progrès
des Arts , a découvert dans une
partie de la France des blocs confidérables
de Porphyres les plus variés .
Cette Compagnie a fait à fes frais enlever
, tranfporter , dégroffir , fcier , tailler ,
fculpter , polir , en un mot , mettre en
oeuvre , un nombre confidérable de ces
maffes précieufes. Ce ne fera plus déformais
de fimples effais de matières graniteufes
, des portions mefquines de Por
212 MERCURE DE FRANCE .
>
phyre , que la France fe glorifiera de
produire dans fon fein ; les ouvrages
de toutes dimenſions exécutés en
ce genre de pierre dure par la nouvelle
Compagnie , vont rendre la Seine rivale
du Nil. On trouvera en tout temps dans
la Capitale de la France, un Magafin confidérable
& richement afforti de ces fortes
de curiofités , où les Amateurs de
toutes nations pourront fe procurer, à un
prix modique , ce qu'on a payé jufqu'ici
au poids de l'or , ou , pour mieux dire ,
ce qu'on ne pouvoit fe procurer même
à prix d'or , tant ce genre de pierre étoit
devenu rare.
On ne s'arrête pas davantage à faire
fentir l'utilité réelle d'un tel établiffement
, qui va remettre l'Architecture &
la Sculpture en poffetlion de la matière
la plus noble , la plus précieuſe & la plus
inaltérable que ces deux Arts ayent jamais
employée.
Ces Porphyres , tirés du fein de la
France ont toutes les qualités intrinsèques
des Porphyres antiques ; il ne font
point effervefcence avec les acides ; ils
font vitrifiables à l'aide du feu ; ils font
étincelle avec l'acier . Plufieurs même
d'entr'eux font évidemment plus durs
JANVIER . 1777. 213
que le Granit d'Egypte . Une autre confidération
bien effentielle , c'eft l'étonnante
& riche variété des nouveaux Porphyres.
Le Magafin de la Compagnie en offre plus
de foixante variétés effectives , tandis que
le nombre des espèces antiques fe montoit
tout au plus à cinq ou fix .
Un tableau fuccinct des principales
efpèces , toutes Françoifes , que préſente
le Magafin, mettra les Amateurs à portée
de juger de l'abondance du nouvel
affortiment.
Dans toutes ces efpèces , il y a des
nuances ou fubdivifions à l'infini.
Lifte des principales fortes de Porphyres
qui fe trouvent dans le Magafin.
Granit rouge. Granit
rouge foncé , ou
Granit
d'Egypte
. Granit
gris à très-petits
grains. Breche verte graniteufe
. Porphyre
rouge. Breche
fond bleu , graniteufe
.
Granit
à taches
rouges
foncées
. Breche
Africaine
graniteufe
, forte en couleur
.
Breche
verte graniteufe
à grains
verdd'eau
. Jafpe
rubanté
graniteux
. Breche
verte à petits points
blancs. Granit
jaſpé ,
différemment
moucheté
. Porphyre
verd
à petits
grains. Porphyre
verd à taches
214 MERCURE DE FRANCE.
noires. Porphyre verd très -foncé , à taches
verd-d'eau demi-tranfparentes. Porphyre
en forme de Jafpe agathifé , très-tranfparent.
Granit à fond brun foncé , à petites
taches blanches. Porphyre en forme de
Jafpe fleuri. Granit fond blanc , à taches
inégales verdâtres. Porphyre en forme
de Jafpe fond rougeâtre , à taches blanches
, formant divers accidens curieux .
Breche grecque graniteufe , imitant parfaitement
la vraie breche grecque , enforte
qu'en les comparant enfemble , il
n'eft pas poffible d'y furprendre aucune
différence .
État des Curiofités de Porphyre mis en
oeuvre , qui fe trouvent dès-à-préſent
dans le Magafin.
Vafes de diverfes formes élégantes ,
Caffoletres , Athéniennes , Cuvettes , Bijoux
de cabinets , Colonnes , Supports
Couvre-papiers , &c. On y trouve auffi
des Dalles de Porphyre , de toute grandeur
, même de neuf pieds & plus de
long ; & par la fuite tout ce que les Amateurs
pourront defirer .
Ce Magafin eft fitué rue du Fauxbourg
S. Martin , maifon de M. Martin , VernifJANVIE
R. 1777. 21y
feur; chez M. Feuillet, Sculpteur, ancien
Profeffeur de l'Académie de S. Luc , qui
a chez lui l'Entrepôt de ces Porphyres ,
& qui eft chargé du foin de les orner &
décorer.
I I.
Fabrique de Mouchoirs de Fil.
Le fieur Maraud, autorifé du Confeil
pour la fabrique des mouchoirs de fil
rouge , bon teint , façon des Indes ,
avertit le Public qu'il en a établi la vente
chez le fieur Briard , Marchand Mercier
& Parfumeur , rue S. Antoine , au coin
de celle vieille du Temple.
La perfection à laquelle il a porté fes
teintures, a reçue une approbation géné
rale. Il donne avis en outre qu'il en fabrique
en fond blanc , façon de Béare &
de Siléfie , à bordure rouge , le tout à
des prix dont le Public fera fatisfait .
Je fouffigné , Commiffaire du Confeil
pour l'examen des teintures , certifie
qu'ayant fait l'épreuve des rouges de garence
fur fil & coton , dont font fabriqués
les mouchoirs du fieur Maraud, j'ai
trouvé qu'ils avoient autant de folidité
que ceux du Levant, connus fous le nom
216 MERCURE DE FRANCE.
de rouges de Turquie ou d'Andrinople .
A Paris , ce 4 Octobre 1776 , figné Macquer.
I I I.
On cultive dans le jardin Botanique
d'Edimbourg , une plante fort fingu.
lière que les Curieux s'empreffent de ve
nir voir, & à laquelle on a donné le nom
de plante mouvante. La graine en eſt venue
du Bengale ; le profeffeur Botanique
d'Edimbourg , la reçut avec la
planche & la defcription Botanique de
la plante . On l'appelle dans le pays Burrum
, Chundulii ; les habitans fuperftitieux
, lui attribuent des vertus & des
qualités prodigieufes .
Le 1s de Juin dernier , elle avoit
quinze pouces de haut ; fes mouvemens ,
qui font vraiment finguliers , ont commencé
vers le milieu du mois de Mai.
Ils ne dépendent pas , ainfi que ceux
de la fenfitive , d'aucune impulfion
d'aucune caufe externe , ils proviennent
d'une force interne Un coup de vent
un peu fort , dérange les opérations de
la plante , & en arrête les mouvemens
& les agitations.
Cette plante a fes feuilles partagées
en
JANVIE R. 1777. 217
en trois ; l'extrémité de la feuille eſt
fort large ; & par les différentes pofitions
qu'elle prend durant le jour , on
voit qu'elle fuit affez le cours du foleil ;
fes mouvemens les plus forts & les plus
remarquables font collatéraux, & ne s'accordent
pas toujours exactement avec
le mouvement du foleil : cette motion
des deux côtés oppofés de la feuille , eft
particulière & affez conftamment uniforme.
ANECDOTES.
I.
AUGUSTE I , Roi de Pologne , retournant
dans fon Royaume , & paffant près
d'une de fes villes
frontières , fes puſtillons
, pour éviter un mauvais chemin
voulurent paffer par le champ labouré
d'un payfan , qui , s'en étant apperçu , fe
faifit des rênes des chevaux , & menaça
de brifer les roues du carroffe avec une
forte hache dont il étoit armé , fi l'équipage
ne prenoit la ronte ordinaire : deux
Pages qui fuivoient le carroffe avancèrent
K
218 MERCURE DE FRANCE.
& maltraitèrent le payfan . Les poftillons
alloient paffer outre , lorfque le Roi , entendant
le bruit de la difpute , défendit
à fes Pages de frapper le payfan ; & lui
ayant fait donner quelque argent, ordonna
au poftillon de tourner & de rentrer dans
le chemin , en difant que ce pauvre avoit
raifon de défendre fon bien , & qu'un Roi
n'étoitpas plus en droit que le moindre particulier
, de ruiner perfonne , fur- tout fans
néceffité.
I I.
>
M. le Prince ( le Grand Condé ) eut
la curiofité de voir un poffédé en Bourgogne
, dont on faifoit beaucoup de bruit.
En tirant quelque chofe de fa poche ,
comme fi ç'eût été un reliquaire , il lui
mit la main fermée fur la tête : le poffédé
dit & fit auffi - tôt beaucoup d'extravagances.
Le Prince retirant fa main
fit voir au poffédé que c'étoit une montre
; le poffédé fort déconcerté de voir
cela & faifant mine de vouloir fe jeter
fur lui , le Prince qui avoit une canne
à la main , lui dit M. le diable , fi tu me
touche je t'avertis que je rollerai bien
ton étui . En faifant le récit de ce qui lui
étoit arrivé alors , il difoit , je parlai de
JANVIE R. 1777 .
219
cette manière , ne voulant pas qu'on
crût que j'étois affez fou pour battre le
diable : ce poffédé demeura dans fon devoir
, & ne bartit pas M. le Prince , qui
auroit exécuté fa menace .
AVIS.
I.
LE fieur Compigné , Tabletier breveté de
Sa Majefté , le propofe , comme les années précédentes
, de fixer l'attention des gens de goût ,
par les nouveautés qu'il expofe cette année dans
fon magafin , rue Greneta , au Roi David , tous
Ouvrages de fa fabrique . On y trouvera des tabatières
de toutes efpèces , les unes plus riches
que les autres , & de toutes les formes . Il en eft
à gorge , galons & rofe d'or , à miniature, &c.
& d'autres dont les ornemens imitent les broderies
& fans galons ; de très jolies bonbonnières ,
de différent genre , & d'un goût nouveau ; des
étuits , des boîtes à rouge , & des fouvenirs , &c .
de nouveaux tableaux gravés fur le tour , &
différens jolis petits meubles , ornés de ces
mêmes tableaux ; comme petites tables , chiffonnières
& autres ; enfin nombre de nouveau◄
tés , dont le détail feroit trop long ; particuliè
rement des boîtes de couleurs à la mode , ornées
de fujets d'un nouveau coloris , le tout à des
Kij
220 MERCURE DE FRANCE,
ז י
prix convenables aux dépenfes que l'on veut y
faire,
I I.
Le dépôt de la Manufacture de porcelaine de
MONSIEUR , frère du Roi , établie à Clignancourt
, eft actuellement dans la rue Neuve des
Petits-Champs , au coin de la nouvelle rue Chabanel.
L'accueil que ´le Public a fair à cette porcelaine
, a engagé le fieur Deruelle
à augmenter
fes travaux : il eſt à portée de fatisfaire
à toutes
les demandes
, tant pour l'utile en fervice de
table , figures en bifcuit , qu'en vafes & autres
objets d'ornemens
,
Il affortit parfaitement tous les anciens fervices
de Saxe.
La nature de fa porcelaine eft de la plus
grande dureté ; ce qui eft un avantage effentiel,
en ce qu'elle eft moins caffante, qu'elle réfifle
au paffage fubit du plus grand froid à la plus
grande chaleur de l'eau.
Il n'y a de dépôt de porcelaine de cette Manufacture,
que dans le magafin ci-deffus annoncé ;
& en pièces détachées , chez M. Granchez , au
petit Dunkerque, & chez M. de la Frenaye , au
Palais ; cette porcelaine eft marquée du chiffre
de MONSIEUR,
JANVIER. 1777. 221
III.
Avis des Auteurs de l'Année Littéraire.
On ne foufcrira déformais pour l'Année Lit
téraire , que chez M. Fréron , rue S. Jacques
près le Collège de Louis - le - Grand , ou chez le
fieur Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins
, au coin de la rue Pavée .
Les quatorze Numéros qui doivent paroître
encore pour completter l'année 1776 , feront
diftribués par le fieur le Jay , Libraite , rue S.
Jacques , & s'il arrivoit qu'il y eût lieu à quelque
plainte , c'eft à lui feul qu'il faudra s'adreffer
; mais dès le premier Numéro de l'année
1777 , la diftribution fe fera par le fieur Mérigot
feul.
Plufieurs de Meffieurs nos Soufcripteurs des
Provinces, fe font plaints à nous de ne pas recevoir
les feuilles dès qu'elles paroiffent . Ce retard
vient uniquement de ce qu'on foufcrit chez des
Libraires qui donnent ordre de ne leur envoyer
les feuilles qu'avec d'autres ballots qu'ils reçoivent
de temps en temps de la Capitale ; nous
avons des Soufcripteurs qui font quelquefois
fix femaines fans recevoir aucun Numéro . Pour
prévenir eet inconvénient , il faut s'adreffer directement
, ou à M. Fréron , ou au fieur Mérigot.
Les Auteurs ont beaucoup de matériaux prêts
à être imprimés , & dans peu ils completteront
l'année 1776. Les perfonnes qui voudroient
foufcrire pour l'année 1777 , font priées de le
faire inceffamment , afin qu'on puifle faite im
primer les adreffes.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , 17 Octobre.
ALI DAHER a difparu avec ſes tréfors ; mais on
tient fous bonne garde à Seyde , dans deux caravelles
, fes frères & quatre- vingt perfonnes de
leur maison ; les fept autres petits bâtimens font
toujours à Baruth . Le Pacha de Tripoli a fait , à
cinq ou fix lieues autour de cette ville , un pillage
immenfe , qu'il continue encore , & qu'on fait
déjà monter à plus de 150 bourfes.
Les troubles de la Crimée continuent ; le frère
du Kan actuel des Tartares de cette Prefqu'île ,
demande à la Porte des fecours qu'il ne peut
obtenir. La Ruffie a , dit-on , un parti confidérable
qui refufe de reconnoître ce Kan , & qui tente.
tous les moyens de rétablir le Kan dépofé.
De Pétersbourg, le 21 Novembre.
L'Impératrice a ordonné la levée de 20 mille
hommes de recrues pour completter fes troupes ,
dont une grande partie défile vers l'Ukraine & les
autres frontières de l'Empire. Ces mouvemens
& ceux que l'on remarque dans quelques Cours
voifines , donnent lieu à beaucoup de conjectures.
De Copenhague , le 29 Octobre,
›
La Banque royale , placée à la Bourfe de cette
1
JANVIE R. 1777. 223
ville , a été volée au commencement de ce mois
pendant la nuit , à la faveur d'une ouverture
pratiquée au toît de ce vafte édifice . On a ſaiſi
plufieurs des Crieurs , qu'on y enferme pendant
la nuit pour garder cet édifice , toujours rempli
de toutes fortes de marchandiſes ; mais on n'a
pu jufqu'ici tirer d'eux aucun éclairciffement .
De Vienne , le 25 Novembre.
Lebruit , qui fe répand depuis long-temps , d'un
voyage que l'Empereur fe propofe de faire en
France , fe confirme de plus en plus . On prétend
qu'il pourroit bien avoir lieu cet hiver .
On raffemble en Bohême & en Moravie un
grand nombre de recrues , qu'on y exerce journellement
au maniement des armes . L'armée de
Leurs Majeftés Impériales & Royale eft actuellement
fur le meilleur pied , & la plus nombreuſe
de l'Europe.
De Londres , le 28 Novembre.
Plufieurs vaifleaux arrivés de l'Amérique en
différens ports du Royaume , ont apporté des
dépêches , fur lefquelles la Cour garde le filence.
Le Public , impatient d'en favoir le contenu
s'étonne du peu d'empreffement des Miniftres à
fatisfaire fa curiofité , & tire de ce filence diver
fes conjectures : comme fi les événemens , pour
être heureux , devoient fe faivre auffi rapidement
que l'expédition des vaiffeaux qui partent fucceffivement
de New-Yorck. Des nouvelles particulières
font mention de quelques efcarmouches
"
Kiỷ
224 MERCURE DE FRANCE.
entre les détachemens des troupes Britanniques
& quelques Corps Américains qui , de temps en
temps , s'avancent hors de leurs retranchemens.
On ne manque pas d'attribuer toujours l'avanage
aux premiers ; cependant on préfume que
les Commandans de l'armée royale diffèrent l'attaque
des retranchemens des Kinsbrigde , & l'engagement
d'une affaire décifive , jufqu'à ce qu'ils
fe voyent prefque affurés du fuccès. Ce qui fait
croire qu'ils ne regardent ni la conquête de Long-
Ifland , ni l'abandon de New- Yorck , comme
une preuve de lâcheté de la part des Américains ,
& d'incapacité de la part de leurs Chefs . On penfe
aufli que peut- être le Général Howe attend , pour
déployer toutes les forces , des nouvelles certai
nes de l'approche des Généraux Carleton & Burgoyne,
qui menacent les derrières de la Nouvelle-
Yorck.
Les ordres donnés pour la preffe des Matelots
s'exécutent toujours fans relâche , & à toute
rigueur. Le Magiftrat & les Juges de Paix de la
Ville de Weftminster , ont commencé à faire arrêter
tous les vagabonds & gens fans aveu , pour
les remettre à l'Amirauté , qui les répartira fur les
vaiffeaux du Roi.
Il n'eft point de Villes d'Angleterre qui fe foient
autant diftinguées par leur attachement au Gou-
´vernement , que celles de Manchelter & de Liverpoole.
Dès que l'on y eut appris la nouvelle de la
défaite des Américains aux environs de New-
Yorck , & la prife de cette Ville par les Troupes
du Roi , on y célébra ces avantages par des feux
de joie & par des illuminations ; & le peuple fit
des effigies , fur lefquelles étoient tracés , en gros
JANVIER. 1777. 225
caractères , les noms des chefs de la révolte , &
qu'ils brûlèrent en place publique,
La Cour vient de recevoir , de la part du Général
Carleton , des dépêches qui annoncent que le
16 d'Octobre dernier , la flottille raffemblée par
les Généraux Anglois fur le lac Champlain , a
battu & détrait celle des Infurgens , & que les
vainqueurs ont pourfuivi les vainqueurs jufqu'à
Ticondérago. Le Général Carleton ajoute que ,
malgré cet avantage , la ſaiſon eſt trop avancée
pour qu'il puiffe continuer fes opérations , &
pénétrer jufqu'aux frontières de la Nouvelle- Angleterre
& de la Nouvelle -Yorck. Ainfi cette
pénible expédition n'aura abouti qu'à préparer
des moyens de pouffer avec plus de vigueur la
campagne qui s'ouvrira au printemps prochain ,
fi cette fanglante conteftation n'eft point terminée
par un accommodement folide avant cette
époque.
Le bruit court qu'il vient d'être arrêté en plein
Confeil , un plan de réconciliation . Il eft du
moins certain qu'il vient de partir un Courier ,
pour Plymouth , avec des dépêches adreffées au
Général Howe & au Chevalier fon frère , qui
doivent leur être au plutôt expédiées par un paquebot.
Le 21 du mois dernier , le nommé Knot , labou
reur à Pontefract , a vendu fa femme pour une
demie guinée , à Robert Rider , Amidonnier, Ce
mari brutal a en l'inhumanité de la traîner luimême
avec un licol qu'il lui avoit attaché au
con , jufques chez l'acheteur , qui demeuroit affez
loin de fa maiſon. Trois enfans , fruits de leur
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
mariage , fuivoient leur mère infortunée , en pouffant
des cris capables d'émouvoir tout
coeur
fenfible. Mais ce malheureux Payfan n'en tint
aucun compre , & conduifit fièrement fa femme
jufqu'à fon nouveau gîte , à travers les acclamations
& les murmures d'une populace nombreufe.
De Lisbonne , le 24 Octobre.
Sa Majeſté a fait publier une Ordonnance par
laquelle elle accorde une amniftie à tous les
fujets qui ont pris la fuite pour des affaires criminelles
, moyennant qu'ils viennent s'enrôler
pour cinq ans dans les Troupes. Il y a quelques
coupables exceptés dans cet Édit.
Un Corfaire Américain s'eft rendu maître , la
femaine dernière , d'un Navire Marchand Anglois
, à l'embouchure de notre rivière .
De Madrid , le 8 Novembre.
Les avis que l'on a reçus , le 6 de ce mois , des
frontières de ce Royaume , nous apprennent que
Sa Majesté a ordonné qu'on mît en état de fervir,
tous les bâtimens qui font dans fes ports ; &
qu'elle a fait augmenter de neuf mille hommes
le nombre des recrues qui s'y lèvent. On travaille
dans tous les arfenaux nuit & jour , les dimanches
& les fêtes ; celle même de la Touffaint n'a pas
été exceptée. Tous les tranfports d'artillerie fe
font vers le Portugal . Les Troupes de terre qu'on
a fait embarquer fur la flotte de Cadix , montent
à douze bataillons ; mais cette flotte n'eft point
JANVIER. 1777. 2.2%
encore partie. Elle eft partagée en trois divifions ,
dont chacune a fon Commandant ; elle vient
d'être renforcée de plufieurs vaiffeaux de ligne.
On affure que deux Régimens ont reçu ordre de
s'embarquer fur les derniers qui y font venus du
Férol.
De Rome , le 18 Novembre.
Le Pape voulant donner à la nouvelle facriftie
du Vatican , toute la majefté dont elle peut être
fufceptible , & defirant que tout ce qui environne
ce fuperbe édifice réponde à fa beauté , vient
d'ordonner l'acquifition des maifons qui l'avoifinent.
Four que rien ne nuife à la vue de ce monument
, on ouvrira , du côté qui correſpond à
l'Eglife de Campo Santo , une nouvelle rue qui
aboutira en droite ligne à la porte , connue cidevant
fous le nom de Porte de la Fabrique , St
qui , dorénavant , va porter celui de Porte de
Saint-Pierre.
On a frappé , par ordre du Pape , de nouvelles
efpèces en or , au titre de 22 carats , fous le nom
de piftoles romaines ; la fimple eft de 30 paoli ,
la double de 60 , & la demie de 15 : ces nouvelles
espèces doivent être , comme toutes les autres ,
du poids ordinaire ; mais par tolérance , & pour
la commodité du commerce , on permet le cours
de celles qui ont un grain de moins , à condition
qu'on diminuera 14 quatrins ou deniers .
K
228 MERCURE DE FRANCE.
De Paris , le 6 Décembre,
M. Jeli de Fleury , le plus jeune des Avocats-
Généraux , prononça , le 25 du mois dernier ,
dans la première féance que tint le Parlement,
un difcours , dans lequel il développa , avec toutes
les grâces de l'éloquence , les qualités qui conftituent
le Jurifconfulte & l'Orateur. Enfuite , pour
rendre hommage aux talens & encourager les
ames nobles qui fe diftinguent dans la carrière
du Barreau , il fit l'éloge des Avocats que la
mort a enlevés cette année . Toutes les parties de
fon difcours furent généralement applaudies ;
mais on y diftingua particulièrement l'éloge du
célèbre Cochin . M. le Premier Préfident prit
enfuite la parole ; il fit voir combien l'homme doit
être fenfible à la confidération publique ; & après
avoir parcouru les différens états qui peuvent avoir
des droits à l'eftime générale , il prouva que
l'ordre des Avocats la mérite à tous égards , puifqu'il
ne la doit & ne peut la devoir qu'à l'étendue
des connoiffances & à la vertu . On appela enfuite
la première caufe du rôle.
Le feu prit tout-à-coup à Breft , à l'Hôpital ,
qui en un inftant parut tout en flammes , fans
qu'on eut le temps d'y porter du fecours . Plus
de cinquante forçats & une grande quantité de
malades ont péri , le reſte a été bleffé par les dé
combres , ou en prenant la fuite . Pour empêcher
les forçats de fe fauver , le Commandant les a
fait entrer dans une cour , eſcortés par 500 hommes;
coinine ce nombre de fufiliers n'étoit pas
fuffifant pour les coatenir , il les a fait coucher
JANVIE R. 1777 . 229
fur le ventre par terre , avec ordre de brûler la
cervelle au premier qui leveroit la tête. Tout s'eft
paffé affez tranquillement dans ce moment d'horreur
& de défordre ; & à force de secours , on eft
parvenu à empêcher que l'incendie ne gagnât la.
Bagne & la Corderie , pour lefquelles l'impétuo-.
fité du vent & la force des flammes faifoient
trembler.
Il n'eft prefque queſtion aujourd'hui que de
fecouffes & de tremblemens de terre . On mande
de Calais , que le 28 du mois dernier , on y a reffenti
une fecouffe violente , accompagnée d'un
bruit fourd , & dont les effets fe font manifeftés
à deux repriſes confécutives , l'efpace de trois
fecondes , dans la direction du nord au fud , à 8
heures 10 minutes du matin. On a éprouvé à
Douvres le même tremblement.
L'Impératrice de Ruffie a honoré le fieur Meffier
, Aftronome de la Marine , & de l'Académie
Royale des Sciences , d'une magnifique Médaille
d'or de la première grandeur , frappée à l'occafion
de la paix entre la Ruffie & la Porte.
-
PRESENTATION .
Le 24 novembre , le fieur de Nicolaï , ci- devant
préfident au grand- confeil , auquel le Roi a accordé
la charge de premier préfident de la même
cour , vacante par la démiffion du fieur de la
Bourdonnoye , à eu l'honneur d'être préfenté à
Sa Majefté par M. de Miromefnil , garde des
230 MERCURE DE FRANCE.
fceaux de France , & de lui faire , en cette qualité
, fes remerciemens .
L'après-midi de ce même jour , la marquife de
Chilleau a eu l'honneur d'être préſentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille royale , par la ducheſſe
d'Ayen .
Le 27 , le comte d'Uffon , ambaſſadeur du Roi
près Sa Majefté Suédoife , de retour ici par congé ,
a eu l'honneur, à fon arrivée , d'être préfenté au
Roi , par le comte de Vergennes , miniftre & fecrétaire
d'état au département des affaires étrangères.
Le même jour , le comte de Vergennes préſenta
auffi au Roi le fieur Boyer de Fons -Colombe , envoyé
extraordinaire de Sa Majefté auprès de la
République de Gênes , auffi de retour ici par
congé.
La comtefle de Raftignac eut l'honneur d'être
préſentée au Roipar Madame , le 28 , en qualité
de dame pour accompagner cette princeffe .
I
Le décembre , la comteffe Okelly a eu l'honneur
d'être préſentée à Leurs Majeftés & à la Famille
royale, par la comteffe de Dillon .
Le 3 , le chevalier Moncénigo , ambaffadeur
de la République de Venife , eut fon audience de
congé du Roi , & Sa Majefté l'arma chevalier avec
les cérémonies accoutumées, immédiatement après
l'audience. Le même jour le chevalier Zéno , nouvel
ambaffadeur de la République , cut fa première
audience du Roi , & remit à Sa Majesté fes lettres
de créance. Les amballadeurs furent conduits à
l'audience de Leurs Majeftés & de la Famille
JANVIE R. 1777 . 231
royale , par le fieur Tolozan , introducteur des
ambaſſadeurs ; le fieur de Séqueville , fecrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des ambaſſadeurs
, précédoit.
Les , le comte de Grais , miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès du landegrave de Heffe-
Caffel , de retour par congé , a eu l'honneur d'être
préfenté à Sa Majefté par le comte de Vergennes ,
miniftre & fecrétaire d'état au département des
affaires étrangères.
La comteffe d'Hinnifdala eut , le 8 , l'honneur
d'être préfenté à Leurs Majeftés & à la Famille
royale , par la princeffe de Bhergne ; & le chevalier
de la Luzerne`, ci-devant nommé par le Roi
fon envoyé extraordinaire près l'électeur de Bavière
, a eu l'honneur d'être préfenté à Sa Majefté
par le comte de Vergennes , miniftre & fecrétaire
d'état au département des affaires étrangères , &
de prendre congé du Roi pour fe rendre à fa deftination.
a
Le 15 , le comte d'Adhémar , miniſtre plénipotentiaire
du Roi à Bruxelles, a eu l'honneur d'être
préfenté à Sa Majefté par le comte de Vergennes ,
miniftre & fecrétaire d'état au département des
affaires étrangères , de laquelle il a pris congé
pour retourner à fa deftination .
Le 16 , M. d'Albertas , premier préfident de
la cour des comptes , aides & finances de Provence
, a eu l'honneur d'être préfenté à Sa Majefté
par M. de Miromefnil , garde des fceaux de
France , & de prendre congé.
Le comte de Chambors , capitaine au régiment
de la Rochefoucault , dragons , cut , le 13 , l'hon
232 MERCURE DE FRANCE .
neur d'être préſenté au Roi par Monfeigneur le
comte d'Artcis , en qualité de gentilhomme d'honneur
de ce prince.
Le 22 , la vicomteffe de Maillé a eu l'honneur
d'être préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
royale, par la comtefle de Maillé.
PRÉSENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 14 décembre , le fieur de Rouffel eut l'honneur
de préfenter au Roi , à Monfieur & à Monfeigneur
le comte d'Artois , l'Etat Militaire de
France , fuivant les ordonnances de la nouvelle
formation , pour l'année 1777.
pour
Le 15 l'académie royale des Sciences eut
l'honneur de préfenter au Roi , à la Reine , à
Monfieur , à Madame , à Monfeigneur le comte
d'Artois & à Madame la comteffe d'Artois , le fecond
volume de fes Mémoires
l'année 1772.
Ce volume étoit accompagné de deux cahiers de
l'art de fabriquer les étoffes de foie , par M. Paulet
; de la quatrième fection de la feconde partie
de l'art d'exploiter les mines de charbon , par M.
Morand , membre de l'académie.
Le 22 , le fieur Jeaurat , de l'académie royale
des Sciences , chargé par l'Académie de calculer
chaque année la connoiffance des temps ou l'état
du ciel , pour l'ufage des aftronomes & des navi
gateurs , a eu l'honneur de préfenter à Sa Majeſté
le volume de l'année 1778.
JANVIER . 1777. 233
I
NOMINATIONS .
eut
Le 1 décembre , le duc de la Vauguyon , l'un
des anciens menins du Roi , que Sa Majeſté avoit
précédemment nommé fon ambaladeur auprès
des Etats -Généraux des Provinces- Unies ,
l'honneur d'être préfenté à Sa Majefté par le comte
de Vergennes , miniftre & fecrétaire d'état au département
des affaires étrangères , & de prendre
congé pour fe rendre à fa deftination.
Monfieur ayant permis au prince de Montbarrey
de fe démettre , en faveur du prince de Saint-
Mauris , fon fils , de la charge de capitaine - colonel
des Suiffes de fa garde , dont il a confervé la
furvivance au Prince de Montbarrey ; le prince
de Saint-Mauris a , dans cette qualité , prété ferment
, le 8 , entre les mains de Monfieur. Il a eu
dans le même qualité , l'honneur d'être préſenté
au Roi , par Monfieur , le même jour
Le Roi a accordé l'abbaye de Sainte- Croix ,
ordre de Saint - Benoît , diocèfe & ville de Bordeaux
, à l'abbé de la Rochefoucault de Magnac ,
vicaire- général de Rouen ; celle de Moreilles ,
ordre de Citeaux , diocète de la Rochelle , à l'abbé
de Fontanges , vicaire- général de Chartres , aumônier
de la Reine ; celle de Chéeri , même ordre
, diocèfe de Reims , à l'abbé d'Ecquevilly;
celle de Tafque , ordre de Saint- Benoît , diocèſe
de Tarbes , à l'abbé de la Barthe- Thermes , vicaire
général de Sarlat ; celle de Goailles , ordre
234 MERCURE DE FRANCE .
-
de St- Auguſtin , diocèſe de Besançon , à l'abbé de
l'Aubepin, vicaire général de Graffe ; celle de
Bois Aubry , ordre de Saint- Benoît , diocèfe de
Tours , à l'abbé de Boniffent , confeiller - clerc au
parlement de Normandie ; celle de Foreſmoutier
même ordre , diocèfe d'Amiens , à l'abbé de Mouchet
de Villedieu , vicaire - général de Nevers ,
maître de l'oratoire de monfeigneur le comte d'Artois
, fur la nomination & préfentation de ce
prince , en vertu de fon apanage ; & celle de
Vaux - la-Douce , ordre de Citeaux , diocèfe de
Langres , à dom Poncelin de Raucourt , religieux
profès du même ordre.
MARIAGES.
Le 24 novembre , Leurs Majeftés & la famille
royale fignèrent le contrat de mariage du marquis.
de Pefay , meftre- de- camp de dragons , aide-maréchal-
de- logis de l'armée , avec demoiſelle de
Murat ; & celui du comte Okelly , avec dame de
Galard de Béarn , comteffe & chanoineffe du chapitre
royal & régulier de St Louis de Metz.
Le 27 décembre , Leurs Majeftés & la Famille
royale ont figné le contrat de mariage du marquis
de Rongé , capitaine de cavalerie au régiment de
Royal - Normandie , avec demoiſelle de Mortemard.
JANVIE R. 1777. 235
NAISSANCES.
Le 24 décembre , Monfieur & Madame ont
tenu fur les fonts , à la chapelle du Roi , le fils
du fieur Poiffonnier , écuyer , confeiller d'état ,
médecin confultant du Roi , infpecteur-général
des hôpitaux des ports & colonies de France , &
membre de l'académie des Sciences. Les cérémonies
du baptême furent fupplées à l'enfant , qui
qui fut nommé Louis - Jofeph , par l'évêque de
Séez , premier aumônier de Monfieur en furvivance
, en préſence du curé de la paroiſſe.
On écrit de la paroiffe de Montmorand en Bour
bonnois , que deux garçons & une fille , dont Anne
Renoux , femme de Guillaume Vignon , menuifier,
accoucha en 1768 , font tous trois exiftans
& jouiffentd'une parfaite fanté.
La femme de René-Zacharie Jerron , commis
à la direction des domaines à Amiens , eft accouchée
, le 9 décembre , à fix heures du matin , de
trois enfans mâles de la grandeur ordinaire. Les
deux derniers font morts le 12 ; le premier fe
porte bien. Cette femme , âgée de vingt- quatre
ans , & mariée depuis cinq , a déjà eu quatre enfans
en deux couches , & à fait deux fauffes couches
, l'une à quatre mois , & l'autre à trois mois
& demi , de deux jumeaux chacune . Le père eft de
l'âge de la mère .
a
236 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Claire-Charlotte de Cabalby, époufe de Henri-
Bernard , marquis d'Espagne , defcendans des anciens
vicomtes de Couferans , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , colonel d'infanterie
& premier baron des états de Nébouſan ,
eft morte au château d'Efplas en Couferans , le 7
novembre , âgée de 32 ans.
Le fieur Pierre-François de Siry de Matigny ,
baron de Conches , confeiller du Roi en fes confeils
, préſident honoraire en fa cour de Parlement
de Paris , eft mort le 19 novembre , au
château d'Herculet , près Beauvais , âgé de 60
ans , 6 mois, 27 jours.
Frère Jofeph de Lancry- Promleroy , chevalier
de l'ordre de St-Jean de Jérufalem , ancien Procureur
général & receveur de fon ordre au prieuré
de France , & ci -devant commandeur de la com- ·
manderie de Chanteraine, eft mort , le 26 novembre
, dans la 87 année de fon âge.
Marie-Jeanne l'Efpinai - Marteville , épouse
d'Anne- Sigifmond de Montmorency-Luxembourg,
duc d'Olonne , & ci- devant veuve de Jofeph-
Maurice-Annibal de Montmorency- Luxembourg ,
comte de Montmorency , lieutenant - général des
armées du Roi , eft morte à Paris le 2 décembre.
Zéphirine -Félicité de Rochechouart, époufe de
Jacques- François , marquis de Damas , brigadier
des armées du Roi , dame de Madame , eft morte
JANVIER. 1777. 237
à Paris , le 18 novembre , dans la 43 ° année de
fon âge.
Marie de Breget , épouse du comte de la Porte ,
eft morte le 1 décembre à Epinai- fur- Seine , âgée
de 20 ans.
I
Alexandre Boula , feigneur de Quincy, maître
des requêtes , intendant du commerce , fecrétaire
des coinmandemens de Madame , doyen de quartier
& préfident des requêtes de l'hôtel , eft mort
les à Paris , dans la 63 année de fon âge.
e
Tirages de la Loterie Royale de France
du 2 Décembre 1776,
Pour les lots ,
Pour les
primes.
28,77 , 25 , 82 , 86.
1er claffe. 42 , 38 , 82 , 73 , 25 .
II .
78 , 47 , 59 , so , 34.
III . 37 , 11 , 43 , 87 , 85 .
IV . 69 , 59 , 19 , 72, 55 .
Pour les lots ,
Pour les II .
Du 16 Décembre.
Ire claffe ,
41 , 40 , 64 , 36 , 82.
11 , 58 , 51 , 18 , 6.
22 , 34 , 46 , 87 , 54.
primes.
III . 15, 44 , 49 , 3 , 45 .
IV . 6 , 21 , 73 , 83 , 86.
Les prochains tirages fe feront le jeudi 2 Janvier
1777, à 10 heures précifès du matin.
238 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
PIÈCES FUGITIVES IÈCES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE , P. S
L'Automne ,
Vers à M. de C *** .
Le Juge endormi , conte ,
ibid.
II
ibid.
Paroles de paix portées aux Auteurs Infurgens, 12
Imitation d'une épigramme de Claudien ,
Vers du Magifter de la paroiffe de Condé ,
à M. Wille ,
Le Colporteur généreux ,
Les trois Voyageurs ,
Première fcène de la Lecture interrompue ,
Les remords d'un Artiſte fucile ,
Acome & Olive ,
Vers préfentés à Mgr le Garde des Sceaux ,
Etrennes à une Demoiselle ,
A Madame Favart ,
Le Miroir de la Vérité,fable,
Ode à Vénus ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Romance ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Le Voyageur François ,
Les confeffions du Comte de ***,
14
16
18
1
19
25
34
41
45
55
ibid.
56
57
८०
61
62
1
65
67
68
ibid .
75
79
83
84
Effais fur le caractère & les moeurs des François ,
comparés à ceux des Anglois ,
Les commandemens de l'honnête homme ,
Le fouper des enthouſiaſtes ,
JANVIER. 1777 . 239
Nouvelle Hiftoire de la Ruffie ,
87
89
Dictionnaire des origines ,
Quaftio generalis ,
La trigonométrie rectiligne ,
Valmore ,
Hiftoire de Zulmie Warthei ,
Les malheurs de la jeune Emilie ,
La vie & les opinions de Triftram Shandy ,
93
95
97
୨୨
124
129
Lettre paftorale de Mgr l'Evêque de Leicar , 136
Almanach littéraire ,
Dictionnaire géographique , & c.
142
153
portatif du Commerce , 155
Théorie des traités de commerce entre les
Nations , 157
Almanach hiftorique & raifonné des Achitectes
, Peintres , Sculpteurs , Graveurs , Cizeleurs
,
Annonces littéraires ,
159
165
Almanachs , 172
ACADÉMIES , 176
Villefranche , ibid.
Béliers ,
178
SPECTACLES.
183
Concert Spirituel ,
ibid.
Opéra , 186
Début ,
187
Comédie Françoife,
188
Débuts , 195
Comédie Italienne 196
Début , 198
ARTS. ibid.
Gravures ,
ibid.
Mufique. 203
Géographie ,
206
Architecture , 207
240 MERCURE DE FRANCE .
Cours d'élocution & d'ortographe françoife , 208
-de langue Italienne ,
Bienfaisance.
ibid.
209
Variétés , inventions , &c.
211
Anecdotes. 217
AVIS , 219
Nouvelles politiques ;
222
Préſentations , 229
d'Ouvrages, 232
Nominations , 233
Mariages ,
234
Naiflances , 235
Morts ,
236
Loterie , 237
ΑΙ
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le 1er volume du Mercure de France pour
le mois de Janvier , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion
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, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
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Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à la perfection
; on recevia avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire 3 on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
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LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province , 12 13
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5 1.
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Di&t. Diplomatique , in - 8 ° . 2 vol. avec fig.`br.
Dict . Héraldique , fig. in- 8 ° . br.
Révolutions de Ruffie , in-8 ° . rel.
Spectacle des Beaux- Arts , rel.
Di&ion. Iconologique , in- 8 ° . rel.
Dia. Ecclef. & Canonique , 2 vol. in- 89. rel.
Dict . des Beaux-Arts , in-82 . rel .
2 l.
12 1.
1. 15 f.
21. 10 f,
21. 1of.
3 l.
୨ 1.
41. 10f.
12 1. Abrégé chronol de l'Hift- du Nord , 2 vol . in-8 ° . rel .
de l'Hift. Eccléfiaftique , 3 vol. in- 8 ° . rel . 18 l.
de l'Hift . d'Eſpagne & dc Portugal , 2 vol. in-8 °.
iel.
de l'Hift. Romaine , in- 8 °. rel .
121.
61.
Théâtre de M. de Saint - Foix , nouvelle édition , 3 vol .
brochés ,
Théâtre de M. de Sivry , vol . in- 89 . br.
Bibliothèque Grammat. in-8 ° , br.
Lettres nouvelles de Mde de Sevigué , in ta br.
Les mêmes , pet. format ,
Poëme fur l'Inoculation , vol . in-8 ° . br.
6 1.
21.
21. 10 f.
2 l. 10 f.
11. 16 f.
3 1.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8 ° . br. avec fig.
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 °. br.
41.
1.
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV , &c.
in-fol. avec planches br. en carton , 241.
Mémoires fur les objets les plus importans de l'Architec
..ture , in-4° . avec fig. br. en carton , 12 1.
L'Agricultre réduite à fes vrais principes, vol . in-12.
broché 7
Annales de l'Imperatrice-Reine , in-8 ° . br avec fig.
21.
41.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1777
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'ORIGINE DE LA FLUTE.
Ovide , Métam . Liv. I.
SUR les monts d'Arcadie erroit une Naïade ,
Plus brillante d'attraits qu'aucune Hamadriade ;
Syrinx étoit fon nom : elle éluda cent fois
Et les Dieux des vergers , & les Faunes des bois.
A iij
MERCURE DE FRANCE .
Chafte comme Diane , elle étoit auffi belle ,
Et fon arc fervoit feul à la diftinguer d'elle.
L'onn'étoit qu'un bois fouple & l'autre paroît d'or;
Même à voir fa démarche on s'y trompoit encor
Pan l'apperçut un jour au pied du mont Lycée.
Nymphe , lui dit- il , d'une voix empreffée ,
Cédez aux voeux d'un Dieu qui s'engage pour
vous ,
A joindre au nom d'amant le nom facré d'époux,
Syrinx , du Dieu lafcif évitant la pourſuite ,
Vers les bords du Ladon précipite fa fuite ;
Là , fondain expofée à des périls nouveaux ,
Entre les bras du Faune & l'obftacle des eaux ,
Et ne pouvant franchir leur barrière profonde ,
Elle invoque à grands cris les Déités de l'onde.
Les Nymphes , à la voix , transforment fes appas
Au moment où le Dieu , qui vole fur les pas ,
Se prépare à faifir la Naïade rebelle ,
Il faifit des rofeaux qu'il embraffe au lieu d'elle.
Ces rofeaux , que ſon ſouffle agite & fait frémir ,
Par fa bouche preffés , femblent alors gémir.
Pan , furpris & charmé de cette voix plaintive ,
Prête amoureusement une oreille attentive .
Ce murmure fi doux des joncs harmonieux ,
De la Nymphe pour lui font les derniers adieux.
A te perdre , dit - il , fi le ciel te condamne ,
Ah ! puiſſai-je du moins , par ce nouvel organe ,
' entretenir encore, I dit ; & fept rofeaux ,
JANVIER . 1777.
Tous affortis entre - eux , quoiqu'entre - eux
inégaux ,
Forment un inftrument que fon amour invente ,
Et qui retint depuis le nom de fon amante.
Par M. de Saint- Ange.
LE GÉNIE , LAVERTU ET LA RÉPUTATION .
Fable traduite de l'Anglois.
La Réputation , la Vertu , le Génie ,
Formèrent un jour la partie
De jeter , de concert , un regard curieux
Sur les côtes de l'Angleterre.
Prêts à fe mettre en route , ils convinrent entre-eux
De fixer un coin de la terre ,
Où chacun pût le retrouver ,
Dans le cas où l'un d'eux viendroit à s'égarer...
« Si de vous le deftin barbare
» Vient à bout de me féparer,
Dit le Génie , aux pieds du grand Shakeſpeare,
»Amis , j'irai me profterner;
» Sur fon tombeau facréje fais veu de me rendre ;
» Ou bien à l'ombre de ces bois ,
A iv
MERCURE DE FRANCE.
D'où Milton aux Dieux fit entendre
>>Les fons éclatans de fa voix .
» Si vous êtes jamais privés de ma préfence ,
.כ
» Pourfuivit d'un air d'innocence ,
20
La Vertu pouffant un foupir ;
Dans les temples des Dieux , féjour doux & tran-
» quille ,
» J'irai me choifir un aſyle :
» Mais fi l'on vient à m'en bannir ,
Sous les lambris dorés , fur les degrés du trône ,
Malgé l'éclat qui l'environne ,
» Pleine d'une noble fierté ,
Je viendrai confoler le Monarque attrifté ,-
Si , contre mon eſpoir , je n'y fuis pas reçue ,
»Dans une humble cabane , à l'orgueilinconnue ,
» Loin du tumulte & loin des Grands ,
כ כ
» J'irai fixer mes pas errans :
» Dans cette agréable demeure ,
» Berceau des plaifirs innocens ,
>Vous me trouverez à toute heure...
»Je n'ofe me flatter d'un femblable fuccès ,
» Dit , d'un ton de voix ingénue ,
» La Réputation ; dès que je fuis perdue ,
»On ne me retrouve jamais :
Par M. Houllier de Saint-Remy
JANVIER . 1777 .
CONT E.
Des plus lâches foupçons victime infortunée , ES
Sous les yeux d'un tyran , qui toujours la guetroit,
Bélife à quinze ans languiffoit ,
Comme un vil efclave , enchaînée ;
Ce que garde la crainte eft , dit- on , mal gardé :
Laffe enfin d'un tel procédé ,
La Belle un beau matin , ( Vénus , c'étoit ta fête)
Pendant l'abfence de l'époux ,
Emportant meubles & bijoux ,
Fuit avec un Galant ... Notre jaloux tempête ,
Se met à crier au voleur ,
Et trifte , conte fon malheur
Au premier qu'il voit dans la rue.
Quoi tout ce bruit , dit un Plaifant ,
Eft pourune femme perdue !
Ah ! puiffe -t- il chez nous en arriver autant !
Par le même.
10 MERCURE DE FRANCE.
A.
MADRIGAL
A Mademoiſelle G....
TES coups-d'oeil frippons je ne puis rien com
prendre ;
Si de toi , ma Zélis , je furprends un regard ,
Je le trouve beaucoup trop tendre
Pour n'être que l'effet de l'art ;
Mais au moment où, plein d'ivreffe
Il femble annoncer le bonheur ,
J'y remarque trop de fineffe ,
Pour croire qu'il parte du coeur .
Par le même.
EPIGRAMME imitée d'un mot de Piron
Vous voilà beau comme l'Amour ,
A certain Savant , l'autre jour ,
Difoit l'une de ces poupées
Que l'on voit par- tout équipées
D'un manteau court & d'un rabat
Comment vous voir en cet état
Sans témoigner de la ſurpriſe
JANVIE R. 1777 .
II
Oui , pour un Poëte fameux ,
Cet habit eft trop fomptueux ;
Et , pour parler avec franchiſe ,
Il n'eft point du tout fait pour vous...
Cela peut-être ; mais , dit l'autre ,
Cher Abbé , foit dit entre nous ,
Vous êtes peu fait pour le vôtre.
Par le même.
L'IVRESSE DE L'AMOUR.
A Mademoifelle.....
AH DIEUX ! que mon Amante eſt bien !
Que de grâces dans fon maintien!
Et que de goût dans fa parure !
Mortels , admirez- là : Jaloux , dites tout bas
Rien n'eft plus beau dans la nature ; -
Enviez mon bonheur , mais ne m'en privez pas ,
Par le même.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
CONT E.
CERTAIN Gafcon , partant homme de qualité ;
C'eſt un nom qu'à Paris tout le monde s'arroge ,
C'est l'étiquette enfin : nul Gafcon n'y déroge ;
Sa chaumière , au befoin , feroit un beau Comté
Bref: certain Gafcon fur Clarice ,
Accufé de tenir propos injurieux ,
Fut par elle traduit devant Dame Juftice.
Ç'à , lui dit d'un air férieux
L'organe de Thémis , arbitre de l'affaire ,
Convenez que Clarice en fes moeurs eft auſtère ,
Honnêre ... Honnête ! cadédis !
Jé lé maintiens , foi dé Marquis .
Si quelqu'un lé difpute , il faura mé connoître ;
Il y va dé l'honnur , jé la payois pour l'être.
Par M. Héron d'Agironne.
A M. LE KAI N.
ACTEUR CTEUR fublime & foutien de la ſcène ,
Quoi! vous quittez votre brillante Cour ,
JANVIER . 1777. 13
Votre Paris embelli par fa Reine !
De vos beaux- arts la jeune Souveraine
Vous fait partir pour mon trifte féjour !
On m'a conté que fouvent elle- même ,
Se dérobant à la grandeur fuprême ,
Sèche enfecret les pleurs des malheureux.
Son moindre charme eft , dit-on , d'être belle.
Ah ! laiſſons - là les Héros fabuleux ;
Il faut du vrai : ne parlons plus que d'elle .
Par M. de Voltaire.'
A M. l'Abbé DE LILLE.
VOUS
Ous n'êtes point favant en us ;
D'un François vous avez la grâce ;
Vos vers font de Virgilius ,
Et vos épîtres font d'Horace.
Par le même.
LETTRE A M. DE VOLTAIRE.
PERMETTEZ , Monſieur , que mon premier
foin , au retour de mon voyage , ſoit
de vous remercier de l'accueil gracieux que
14
MERCURE DE FRANCE.
vous avez bien voulu me faire. En arrivant
chez vous , je venois de voir une Cour que
je ne connoiffois pas , ce qui peut être fort
intéreffant pour un homme qui aime à
obferver..
Mais voir un Vieillard refpectable ,
Agé de quatre-vingt-deux ans ,
Souper avec de jeunes gens ,
Et plus long-temps qu'eux tenir table;
Le voir , fidèle à la gaieté ,
Se permettre un doux badinage ,
Et même en dépit de fon âge ,
Séduire encore la Beauté ;
Le voir enfin , par complaiſance ,
S'amufer de notre caquet ,
Quitter, fans trop de répugnance ,
Son fceptre pour notre hochet ,
Et defcendre à notre ignorance ;
Entendre l'ami de Phébus ,
Le favori des neuf Pucelles ,
L'Aureur d'Alzire , de Brutus ,
Et de tant d'oeuvres immortelles ,
Nous parler de pièces nouvelles ,
De mufique , de madrigaux ,
De couliffes , & de ruelles ,
JANVIER . 1777.
Et de femmes & de chevaux ,
Et de l'Anglois qui le ruine ,
Pour le faire aimer de Laïs ,
Et des volages Adonis
Dont elle eft folle à la fourdine ,
Et de ces vers fi renommés ,
Avant qu'ils aient vu la lumière,
Et qui s'en vont chez la Beurière
Auffi - tôt qu'ils font imprimés ,
Et de mille autres bagatelles ,
Fort néceffaires dans Paris ,
Qui font l'amufement des Belles
Et la gloire de mon Pays :
Voilà , certes , ce qui m'étonne
Et m'intéreffe en même-temps ,
Ce qui fait que je lui pardonne ,
Et fes fuccès & fes talens,
Ce qui m'étonne encore plus , c'eft la
Ville que vous faites bâtir ; ce qui me
charme , ce font les encouragemens que
vous donnez à l'agriculture & au commerce ,
dans un Pays où le fol étoit fi ingrat , qu'à
peine pouvoit-il fournir à la fubfiftance de
fes habitans.
Ainfi jadis on vit conftruire
Une Ville par Amphion
36 MERCURE DE FRANCE.
Vous faites croire à cette fiction ,
Et le Chantre Thébain vous a légué fa lyre.
Mais la Ville que vous avez bâtie ne fera
point habitée , je penfe , par des Guerriers
qui dépeuplent la terre , par de plats Auteurs
qui l'ennuient ; mais par d'honnêtes Laboureurs
qui la rendront fertile , par des Commerçans
eſtimables qui l'enrichiront ; & fi
jamais quelque Conquérant vient y porter
la deſtruction , il refpectera fûrement votre
Château , comme jadis Alexandre reſpecta
la Maiſon de Pindare , dont les écrits font
beaucoup moins lus que les vôtres.
Suivez , fuivez l'impulfion
Et l'inſtinct de votre génie ;
Excitez l'admiration ,
Confondez N... & l'envie ;
Cultivez vos champs , vos guérêtsz
Transformez des hameaux en Villess
Changez les malheureux en citoyens utiles 3
Régnez fur eux par vos bienfaits.
Conduifez la charrue & dirigez l'équerre ,
Embelliffez & fécondez la terre.
Envoyez-nousfouvent , fous des noms empruntés,
Des vers ingénieux , de la profe légère ;
JANVIE R. 1777. 17
Et , malgré tous vos foins , comptez
Que vos écrits offrent tant de beautés ,
Qu'il trahiffent bientôt le fecret de leur père.
Par M. le Marquis de Cub ** .
UN
Réponse de M. de Voltaire.
N beau fiécle commence , & vous me l'annoncez
;
Un jeune Titus le fait naître ,
Et c'est vous qui l'embelliffez :
L'écuyer eft digne du Maître .
Pégale ayant fu qu'aujourd'hui
Vous commandez dans l'écurie ,
Vient s'offrir à vous , & vous prie
De vous fervir fouvent de lui ;
Il aime votre grâce & votre humeur légère ;
Sous d'autres Écuyers il fit plus d'un faux pas ;
Sous vous il vole , il fait nous plaire :
Il ne vous égarera pas.
Je vois , Monfieur , que vous avez reffaiſi
votre droit d'aîneffe , & que vous faites
d'auffi jolis vers que M. votre Frère le
Chevalier ; je ne puis vous remercier à mon
18 MERCURE DE FRANCE .
âge qu'en mauvaiſe profe rimée , & c'eſt à
moi qu'il faut dire : Solve fenefcentem , &c.
J'ai l'honneur d'être , avec refpect ....
LE VIEUX MALADE DE FERNEI .
A Fernei , les Octobre 1775..
BALK I N.
Conte Oriental.
AGAKAM GAKAMBIS , Rois de Parthénie , étant
revenu un jour content de fa chaſſe , ſe
retira dans un des bofquets qui entouroient
fon palais , & parla ainfi à ceux
qui avoient eu l'honneur de l'accompagner
: Mes projets font enfin accomplis ;
j'ai appaifé l'envie , renverfé les cabales ,
j'ai concilié la jaloufie & les intrigues
des Courtifans ; j'ai banni la
guerre de
mon Royaume ; mes Provinces font garanties
par des fortereffes imprenables ,
& défendues par des troupes aguerries.
Mes ennemis tremblent en entendant
prononcer mon nom ; la juftice , le commerce
, les fciences , les arts font dans
JANVIER. 1777. 19
un état floriffant ; mes tréfors font remplis
richeffe dans les villes , abondance
dans les campagnes , la joie & la tranquillité
également répandues dans mes
Etats que me refte -t- il à defirer , fi ce
n'eft d'avoir un fils , à qui je pourrai un
jour tranfmettre le gouvernement de
mes peuples avec l'art de les rendre
heureux ?
د
La Fée Tricolore , qui avoit toujours
protégé le Royaume de Parthénie , entendit
les voeux du Roi , & les combla
bientôt par la naiffance du Prince Balkin
, à laquelle elle préfida. La jeuneffe
de ce Prince ne devoit être que le développement
des talens & des grâces. Mais
le bruit des réjouiffances , dont l'air retentir
en ce jour remarquable , avoit
troublé le fommeil de la Fée Grondeuſe,
endormie dans un bois voifin de la réfidence
, & fur le champ elle réfolut de
punir l'auteur de cette fête tumultueufe.
Les intelligences médiatrices entre les
dieux & les hommes , étoient autrefois
très-fréquentes dans les climats de l'Orient
; celle- ci n'avoit point de deftination
particulière ; fon plaifir le plus doux
étoit de porter la défunion & le trouble
dans le fein des familles , & de déranger
20 MERCURE DE FRANCE.
les projets des Fées Bienfaifantes . Elle
arriva au palais , au moment que la Fée
Tricolore venoit de répandre fes dons
fur le Prince nouveau né , & elle eut le
temps d'y ajouter : Il n'en jouira qu'après
avoir effuyé des contradictions prefque
infurmontables.
Cependant on ne négligea rien pour
former le coeur du Prince Balkin ; &
malgré les flatteurs qui l'avoient environné
dès fa tendre jeuneffe , & qui lui
avoient toujours foutenu qu'il n'avoit
point de défauts , il devint doux , indulgent,
humain & jufte . Né avec des paffions
impérieuſes , il employa toute la
-force de fon caractère non pour les
mettre en activité , mais pour les réptimer
& leur commander.
Lorfque l'éducation du Prince fut finie
, la Fée Tricolore lui confeilla d'ajouter
aux connoiffances qu'il avoit déja
acquifes, celle des pays étrangers ; & elle
voulut qu'il commençât par le Royaume
d'Almanzor. Cette Cour , célèbre la
par
prétendue gaieté , l'incroyable galanterie,
& les plaifirs multipliés qui y régnoient ,
attiroit une foule d'étrangers , & les
charmes de la Reine , appelée Siromène ,
joints à la vivacité de fon efprit , les y
attachoient encore davantage.
JANVIER. 1777.
21
Plufieurs Princes fe difputoient la
gloire de fixer fon coeur , mais fur- tout
le Prince Ananas. Infatué de fa figure ,
ce jeune Seigneur poffédoit , en un degré
fuprême , le talent de prodiguer à propos
, ces riens , ces bagatelles , qui font
les agrémens , & qui fouvent tiennent
lieu de l'attachement le plus tendre. En
un clin d'oeil il fe précipitoit dans un
fauteuil , une jambe fur l'autre, marmottoit
un petit air , tapoit du pied , fe mouchoit
, crachoit , arrangeoit fon habit ,
le tout avec une grâce infinie . Pour avertir
les autres du cas qu'il faifoit de fa
perfonne , il ne ceffoit de raconter ce
qu'il avoit dit & ce qu'il avoit fait ; & fi
la converfation tomboir fur quelqu'autre
objet , il la ramenoit adroitement à lui.
Ennemi juré de cette modeftie mauffade
qui étouffe le vrai mérite , il avoit le
noble courage de dire tout haut qu'il
avoit de l'efprit , du coeur , de la naifance
, de la figure . Une liberté enjouée ,
une légèreté agréable l'accompagnoient
par- tout , & ces qualités brillantes qu'il
portoit dans la fociété , faifoient rechercher
la fienne ; fi bien que la Reine ,
quoique coquette , la préféroit à celle
des autres.
22 MERCURE
DE FRANCE .
tel
Balkin ; qui dans fa jeuneffe , avoit
lu beaucoup de Romans , fe flattoit de
trouver l'amour dans la nature ,
qu'il eft peint dans les livres , & tel qu'il
s'en étoit formé l'idée . Son coeur rempli
des voeux les plus délicats foupiroit
après une amante , dont il fe faifoit une
fi douce image ; & il trouva en effet dans
Siromène , celle dont le coeur devoit être
la récompenfe de fes vertus ; mais il
n'étoit pas digne encore de s'en applaudir .
>
Arrivé à la Cour de la Reine d'Almanzor
, la réception que cette beauté
dangereufe fit à Balkin , lui promit le
fuccès le plus complet . Quelques regards
de complaifance , quelques paroles affectueufes
portèrent l'efpoir le plus doux
dans le coeur de ce nouvel amant . Sonaffiduité
& fon empreffement redoublèrent
tous les jours ; & un homme qui cher
che à plaire à une coquette , ne manque
ni d'occupation , ni d'inquiétude . Mais
bientôt Balkin s'apperçut avec un chagrin
profond , qu'il n'étoit pas mieux
traité que les autres ; que Siromène s'amufoit
de tout , tandis qu'il ne s'occupoir
que d'elle , & qu'elle changeoit
d'amans comme de parure. Il devint
rifte , inquiet , jaloux. Eft-ce ainfi, di
JANVIER. 1777. 23
G
--
il un jour à la Reine , que vous récompenfez
la délicateffe de mon amour, fontce
là les fentimens que vous m'avez fait
entrevoir ? Infenfé que vous êtes
croyez-vous avoir enlevé à tous les hommes
ce qui les rend aimables ? Je fuis
femme , & j'aime comme une femme
voilà tout ce que je puis faire pour vous.
- Je ne vous aurois donc connue que
pour être le plus infortuné des hommes ?
Je vous ai promis de vous aimer
mais je n'ai pas renoncé pour cela à
l'univers : Que diriez- vous de quelqu'un
qui affifteroit à un grand repas , & ne
mangeroit continuellement que du même
mets ? — Ah ! miféricorde , quelle image ,
quelle comparaifon ! Je vois bien que
fous un beau corps , fous des traits charmans
, vous ne cachez qu'une ame infenfible
, un coeur d'airain ; je vois que
vous êtes la plus volage , la plus cruelle
des femmes ! Ne vous emportez pas ,
Balkin , croyez-moi , un coeur languit
dans la conftance , tout comme l'onde ſe
glace dans le repos . Rendez- vous agréable
à plufieurs beautés , elles vous préviendront
, par- tout vous trouverez l'amour
fur vos traces .
Cependant l'air , le ton , le caractère
24 MERCURE DE FRANCE.
enjoué de Siromène avoient excité dans
l'ame de Balkin , un trouble & une émotion
que tien ne pouvoit calmer. I e fommeil
même ne pouvoit difper cette agitation
continuelle , où l'amour avoit jeté
fes fens & fa raifon . Il recherchoit avec
foin la folitude , & fon appartement lui
plaifoit infiniment. On y avoit placé les
portraits des illuftres amans , dont les
infortunes étoient confacrées dans les faftes
de l'amour ; & la Reine appeloit , par
dérifion , cet appartement , le Cabinet
des Fous trifles. Car le langage de l'a
mour paroît auffi ridicule à une coquette ,
qu'il eft précieux à une ame tendre &
fenfible.
Excédé enfin des tourmens auxquels
la Reine le livroit fans ceffe , & dont
elle ne fe faifoit qu'un jeu cruel , fatigué
des ridicules qu'on s'attachoit à lui donner
, ce qu'il n'étoit pas difficile de lui
trouver , puifque les paffions violentes
ont, par leur excès même , quelque chofe
de puérile , le Prince Balkin prit le parti
de fe dérober à tout ce qui l'affligeoit ,
& de chercher des diſtractions dans les
voyages. EnEn partant , il dit à la Reine :
puifque mon amour ne peut vous toucher
, je me vengerai de votre ingratitude
,
JANVIER. 1777. 25
tude , en vous livrant à l'inconftance &
à la perfidie des hommes . Jouiffez , Madame
, du plaifir que vous donne votre
beauté , de multiplier le nombre de vos
efclaves , trop heureux de n'être plus de
ce nombre.
La Reine ne manqua pas de dire , le
pauvre Prince eft défefpéré ; cette fauffe
tranquillité qu'il affecte , n'eft qu'un dépit
cache ; mais le moyen d'aimer un homme
à paffion : il m'ennuyoit avec fes fentimens
éternels : j'ai peut-être des torts
avec lui ; il m'aimoit de bonne foi , mais
enfin , il eſt parti.
Semblables aux avares , que la moindre
perte alarme , tout comme le moindre
profit a des appas pour eux , les coquettes
n'envifagent que le nombre dans
le choix de leurs amans ; & fi par malheur
il s'en échappe un , elles emploient
toutes les reffources de leur art féduc
teur, pour le ramener dans leurs filets .
Siromène , piquée d'abord de la froideur
des adieux du Prince Balkin , en
conçut bientôt de l'affliction ; une inquié
tude mortelle s'empara de fon efprit ,
elle fe rappeloit quelquefois l'attachement
fincère que Balkin avoit eu pour elle
& fe reprochoit d'avoir éloigné , par fa
II. Vol. B
>
16 MERCURE DE FRANCE .
frivolité , un amant fi paffionné . Infen-
-fiblement elle devint fombre & mélancolique
, tout ce qui l'environnoit lui
étoit odieux , jufqu'au Prince Ananas ,
qui fut bien furpris de fe voir congédié
tout d'un coup. La Reine ne vouloit
plus quitter l'appartement qu'avoit
occupé le Prince Balkin , tout lui rappelloit
l'image de ce tendre amant , &
la fimplicité qui avoit régné dans fes
difcours & dans fes fentimens cette
douce trifteffe , qu'engendre la fenfibilité,
s'empara de fon coeur , la tendreffe remplaca
la coquetterie , la naïveté chaſſa la
diffimulation , & Siromène conçut l'amour
le plus paffionné pour le Prince
-Balkin.
Cet amant infortuné erroit de pays
"en pays , ennuyé du préfent , inquiet fur
l'avenir , & ne tenant à rien . Son ame
"noble & fenfible , qui ajoutoit aux agrémens
d'une figure intéreffante , lui atti-
' roient l'attention d'une quantité innombrable
de beautés moins févères ; mais
ni leurs charmes , ni leurs faveurs , n'éroient
capables de le captiver. L'image
de Siromène le pourfuivoit par tout ;
mécontent de lui-même , toujours, diftrait,
jamais confolé , rien ne pouvoiɛ
remplir le vuide de fon coeur.
JANVIER. 1777 . ༢༡
Dans tous les pays qu'il parcouroit ,
les promenades ifolées étoient fon occu
pation la plus douce . Ayant fait quelque
féjour dans la Principauté de Rézia
Les réflexions le conduifirent un jour fur
un rocher , dans le creux duquel il découvrit
un monument conftruit en marbre
, fans doute par quelque amant
que fes malheurs avoient inftruit. Co
lieu augufte étoit ombragé de toutes
parts de bois vénérables ; une fontaine ,
dont l'eau pure & tranfparente couloit
dans un ruiffeau toujours ' limpide , lavoit
abondamment le roc ; la fraîcheur
& le calme qui règnoient en cet endroit
, invitèrent Balkin à s'arrêter &
à examiner de plus près ce bâtiment
extraordinaire . Arrivé à la porte , on
lifoit cette infcription : à l'Amour raifonnable.
Ces mots aiguisèrent la curio
fité de Balkin , & lui infpirèrent le defir
de percer le voile des emblêmes dont il
voyoit garni l'extérieur de l'édifice . Plu
fieurs ftatues étoient à genoux , & repré
fentoient des femmes dans l'attitude de
la douleur & du remords : l'emblême
n'étoit pas difficile à pénétrer : c'étoient
les paffions figurées , engendrées par un
amour défordonné , qui demandoient
,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pardon à l'humanité , des plaies cruelles
qu'elles lui avoient caufées. Le ftatuaire
avoit repréſenté plufieurs efclaves , qui
crioient vengeance en regardant le ciel :
on croyoit entendre le récit touchant des
maux innombrables que l'amour leur
avoit fait fouffrir . Au milieu , une figure
dominante , fur un magnifique piédeftal
décoré, des attributs de l'amour , fourioit
& tendoit la main à la Philofophie,
dont les yeux étoient fixés fur un tableau
où l'on avoit gravé , en lettres d'or , les
paroles fuivantes :
Mortels , fi vous defirez goûter les
» charmes de l'amour , évitez l'inquié-
» tude des fantaifies , autant que Fem-
» portement de la paffion. Un amour
trop violent s'affoiblit trop vite , &
engendre bientôt l'ennui. Des fentimens
paffagers & renaiffans à chaque
inftant ne vous laifferont aucun repos ,
» & ne rempliront jamais votre ame.
» Choififfez, pour être heureux, une com-
» pagne honnête , d'une humeur égale ,
"
d'un caractère folide , d'une vertu fo-
» ciable & douce ; aimez fans inquié-
» tude ', poffédez fans dégoût , defirez
» pour jouir , faites des jaloux , & ne lo
foyez jamais .
n
JAN VIE R. 1777 . 19
un état floriffant ; mes tréfors font remplis
richeffe dans les villes , abondance
dans les campagnes , la joie & la tranquillité
également répandues dans mes
Etats que me refte-t- il à defirer , fi ce
n'eft d'avoir un fils , à qui je pourrai un
jour tranfmettre le gouvernement de
mes peuples , avec l'art de les rendre
heureux ?
La Fée Tricolore , qui avoit toujours
protégé le Royaume de Parthénie , entendit
les voeux du Roi , & les combla
bientôt par la naiffance du Prince Balkin
, à laquelle elle préfida. La jeuneffe
de ce Prince ne devoit être que le développement
des talens & des grâces . Mais
le bruit des réjouiffances , dont l'air retentit
en ce jour remarquable , avoit
troublé le fommeil de la Fée Grondeuſe,
endormie dans un bois voifin de la réfidence
, & fur le champ elle réfolut de
punir l'auteur de cette fête tumultueuſe.
Les intelligences médiatrices entre les
dieux & les hommes , étoient autrefois
très- fréquentes dans les climats de l'Orient
; celle-ci n'avoit point de deftination
particulière ; fon plaifir le plus doux
étoit de porter la défunion & le trouble.
dans le fein des familles , & de déranger
20 MERCURE DE FRANCE.
les projets des Fées Bienfaifantes. Elle
arriva au palais , au moment que la Fée
Tricolore venoit de répandre fes dons
fur le Prince nouveau né , & elle eut le
temps d'y ajouter : Il n'en jouira qu'après
avoir effuyé des contradictions prefque
infurmontables .
Cependant on ne négligea rien pour
former le coeur du Prince Balkin ; &
malgré les flatteurs qui l'avoient environné
dès fa tendre jeuneffe , & qui lui
avoient toujours foutenu qu'il n'avoit
point de défauts , il devint doux , indulgent
, humain & jufte . Né avec des paffions
impérieufes , il employa toute la
force de fon caractère non pour les
mettre en activité , mais pour les répti
mer & leur commander.
Lorfque l'éducation du Prince fur finie
, la Fée Tricolore lui confeilla d'ajouter
aux connoiffances qu'il avoit déja
acquifes , celle des pays étrangers ; & elle
voulut qu'il commençât par le Royaume
d'Almanzor . Cette Cour , célèbre par la
prétendue gaieté , l'incroyable galanterie,
& les plaifirs multipliés qui y régnoient ,
attiroit une foule d'étrangers , & les
charmes de la Reine , appelée Siromène ,
joints à la vivacité de fon efprit , les y
attachoient encore davantage.
JANVIER. 1777. 21
Plufieurs Princes fe difputoient la
gloire de fixer fon coeur , mais fur- tout
le Prince Ananas . Infatué de fa figure ,
ce jeune Seigneur poffédoit , en un degré
fuprême , le talent de prodiguer à propos
, ces riens , ces bagatelles , qui font
les agrémens , & qui fouvent tiennent
lieu de l'attachement le plus tendre. En
un clin d'oeil il fe précipitoit dans un
fauteuil , une jambe fur l'autre, marmot
toit un petit air, tapoit du pied , fe mouchoit
, crachoit , arrangeoit fon habit ,
le tout avec une grâce infinie. Pour avertir
les autres du cas qu'il faifoit de fa
perfonne , il ne ceffoit de raconter ce
qu'il avoit dit & ce qu'il avoit fait ; & fi
la converfation tomboir fur quelqu'autre
objet , il la ramenoit adroitement à lui .
Ennemi juré de cette modeftie mauffade
qui étouffe le vrai mérite , il avoit le
noble courage de dire tout haut qu'il
avoit de l'efprit , du coeur , de la nai
fance , de la figure . Une liberté enjouée ,
une légèreté agréable l'accompagnoient
par- tout , & ces qualités brillantes qu'il
portoit dans la fociété , faifoient rechercher
la fienne ; fi bien que la Reine ,
quoique coquette , la préféroit à celle
des autres.
22 MERCURE
DE FRANCE .
Balkin ; qui dans fa jeuneffe , avoit
lu beaucoup de Romans , fe flattoit de
trouver l'amour dans la nature , tel
qu'il eft peint dans les livres , & tel qu'il
s'en étoit formé l'idée. Son coeur rempli
des voeux les plus délicats , foupiroit
après une amante , dont il fe faifoit une
fi douce image ; & il trouva en effet dans
Siromène , celle dont le coeur devoit être
la récompenfe de fes vertus ; mais il
n'étoit pas digne encore de s'en applaudir.
Arrivé à la Cour de la Reine d'Almanzor
, la réception que cette beauté
dangereufe fit à Balkin , lui promit le
fuccès le plus complet. Quelques regards
de complaifance , quelques paroles affectneufes
portèrent l'efpoit le plus doux
dans le coeur de ce nouvel amant. Sonaffiduité
& fon empreffement redoublèrent
tous les jours ; & un homme qui cher
che à plaire à une coquette , ne manque
ni d'occupation , ni d'inquiétude . Mais
bientôt Balkin s'apperçut avec un chagrin
profond , qu'il n'étoit pas mieux
traité que les autres ; que Siromène s'amufoit
de tout , tandis qu'il ne s'occupoit
que d'elle , & qu'elle changeoit
d'amans comme de parure. Il devint
rifte , inquiet , jaloux. Eft-ce ainfi, dive
JANVIER. 1777. 23
? -
il un jour à la Reine , que vous récompenfez
la délicateffe de mon amour, fontce
là les fentimens que vous m'avez fait
entrevoir Infenfé que vous êtes ,
croyez-vous avoir enlevé à tous les hommes
ce qui les rend aimables ? Je fuis
femme , & j'aime comme une femme ,
voilà tout ce que je puis faire pour vous.
- Je ne vous aurois donc connue que
pour être le plus infortuné des hommes ?
Je vous ai promis de vous aimer
mais je n'ai раб renoncé pour cela à
l'univers : Que diriez- vous de quelqu'un
qui affifteroit à un grand repas , & ne
mangeroit continuellement que du même
mets ? - Ah ! miféricorde, quelle image ,
quelle comparaifon ! Je vois bien que
fous un beau corps , fous des traits charmans
, vous ne cachez qu'une ame infenfible
, un coeur d'airain ; je vois que
vous êtes la plus volage , la plus cruelle
des femmes ! Ne vous emportez pas ,
Balkin , croyez- moi , un coeur languit
dans la conftance , tout comme l'onde ſe
glace dans le repos . Rendez- vous agréable
à plufieurs beautés , elles vous préviendront
, par-tout vous trouverez l'amour
fur vos traces .
-
Cependant l'air , le ton , le caractère
24
MERCURE
DE
FRANCE
.
enjoué de Siromène avoient excité dans
l'ame de Balkin , un trouble & une émotion
que tien ne pouvoit calmer. Le fommeil
même ne pouvoit diliper cette agitation
continuelle , où l'amour avoit jeté
fes fens & fa raifon . Il recherchoit avec
foin la folitude , & fon appartement lui
plaifoit infiniment. On y avoit placé les
portraits des illuftres amans , dont les
infortunes étoient confacrées dans les faftes
de l'amour; & la Reine appeloit , par
dérifion , cet appartement , le Cabinet
des Fous trifles. Car le langage de l'a
mour paroît auffi ridicule à une coquette ,
qu'il eft précieux à une ame tendre &
fenfible .
Excédé enfin des tourmens auxquels
la Reine le livroit fans ceffe , & dont
elle ne fe faifoit qu'un jeu cruel , fatigué
des ridicules qu'on s'attachoit à lui donner
, ce qu'il n'étoit pas difficile de lui
trouver , puifque les paffions violentes
ont , par leur excès même , quelque choſe
de puérile , le Prince Balkin prit le parti
de fe dérober à tout ce qui l'affligeoit
& de chercher des diftractions dans les
voyages. En partant , il dit à la Reine :
puifque mon amour ne peut vous toucher
, je me vengerai de votre ingratitude
,
JANVIER. 1777. 25
tude , en vous livrant à l'inconftance &
à la perfidie des hommes. Jouiffez , Madame
, du plaifir que vous donne votre
beauté , de multiplier le nombre de vos
efclaves , trop heureux de n'être plus de
ce nombre.
La Reine ne manqua pas de dire , le
pauvre Prince eft défeſpéré ; cette fauffe
tranquillité qu'il affecte , n'eft qu'un dépit
caché ; mais le moyen d'aimer un homme
à paffion : il m'ennuyoit avec fes fentimens
éternels : j'ai peut-être des torts
avec lui ; il m'aimoit de bonne foi , mais
enfin , il eft parti .
dre
Semblables aux avares , que la moinperte
alarme , tout comme le moindre
profit a des appas pour eux , les coquettes
n'envifagent que le nombre dans
le choix de leurs amans ; & fi par malheur
il s'en échappe un , elles emploient
routes les reffources de leur art féduc
teur, pour le ramener dans leurs filets.
Siromène , piquée d'abord de la froideur
des adieux du Prince Balkin , en
conçut bientôt de l'affliction ; une inquié
tude mortelle s'empara de fon efprit ,
elle fe rappeloit quelquefois l'attachement
fincère que Balkin avoit eu pour elle ,
& fe reprochoit d'avoir éloigné , par ſa
II. Vol. B
16 MERCURE DE FRANCE.
>
frivolité , un amant fi paffionné. Infen-
-fiblement elle devint fombre & mélancolique
, tout ce qui l'environnoit lui
étoit odieux , jufqu'au Prince Ananas
qui fut bien furpris de fe voir congédié
tout d'un coup. La Reine ne vouloit
plus quitter l'appartement qu'avoit
occupé le Prince Balkin , tout lui rappelloit
l'image de ce tendre amant , &
la fimplicité qui avoit régné dans fes
-difcours & dans fes fentimens cette
douce trifteffe , qu'engendre la fenfibilité,
s'empara de fon coeur , la tendreffe remplaca
la coquetterie , la naïveté chafla la
diffimulation , & Siromène conçut l'amour
le plus paffionné pour le Prince
-Balkin.
Cet amant infortuné erroit de pays
en pays , ennuyé du préfent , inquiet fur
l'avenir , & ne tenant à rien. Son ame
"noble & fenfible , qui ajoutoit aux agrémens
d'une figure intéreffante , lui attiroient
l'attention d'une quantité innombrable
de beautés moins févères ; mais
ni leurs charmes , ni leurs faveurs , n'éroient
capables de le captiver. L'image
de Siromène le pourfuivoit par- tout ;
mécontent de lui-même , toujours dif
rrait , jamais confolé , rien ne pouvoir
remplir le vuide de ſon coeur ,
JANVIER. 1777. 27
>
Dans tous les pays qu'il parcouroit ,
les promenades ifolées étoient fon occu
pation la plus douce. Ayant fait quelque
féjour dans la Principauté de Rézia
Les réflexions le conduifirent un jour fur
un rocher , dans le creux duquel il découvrit
un monument conftruit en marbre
, fans doute par quelque amant
que fes malheurs avoient inftruit. Co
lieu augufte étoit ombragé de toutes
parts de bois vénérables ; une fontaine ,
dont l'eau pure & tranfparente couloit
dans un ruiffeau toujours limpide , la
voit abondamment le roc ; la fraîcheur
& le calme qui règnoient en cet endroit
, invitèrent Balkin à s'arrêter &
à examiner de plus près ce bâtiment
extraordinaire . Arrivé à la porte , on
lifoit cette infcription : à l'Amour raifonnable.
Ces mots aiguisèrent la curiofité
de Balkin , & lui infpirèrent le defir
de percer le voile des emblêmes dont il
voyoit garni l'extérieur de l'édifice . Plu
fieurs ftatues étoient à genoux , & repréfentoient
des femmes dans l'attitude de
la douleur & du remords : l'emblême
n'étoit pas difficile à pénétrer : c'étoient
les paffions figurées , engendrées par un
amour défordonné , qui demandoient
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pardon à l'humanité , des plaies cruelles
qu'elles lui avoient caufées . Le ſtatuaire
avoit repréfenté plufieurs efclaves , qui
crioient vengeance en regardant le ciel :
on croyoit entendre le récit touchant des
maux innombrables que l'amour leur
avoit fait fouffrir. Au milieu , une figure
dominante , fur un magnifique piédeftal
décoré, des attributs de l'amour , fourioit
& tendoit la main à la Philofophie,
dont les yeux étoient fixés fur un tableau
où l'on avoit gravé , en lettres d'or , les
paroles fuivantes :
་
Mortels , fi vous defirez goûter les
» charmes de l'amour , évitez l'inquié-
» tude des fantaifies , autant que l'em-
»portement de la paffion. Un amour
trop violent s'affoiblit trop vite , &
engendre bientôt l'ennui. Des fentimens
paffagers & renaiffans à chaque
inftant ne vous laifferont aucun repos ,
» & ne rempliront jamais votre ame.
» Choififfez, pour être heureux , une com-
» pagne honnête , d'une humeur égale ,
» d'un caractère folide , d'une vertu fo-
» ciable & douce ; aimez fans inquiétude',
poffédez fans dégoût , defirez
» pour jouir , faites des jaloux , & ne lo
foyez jamais .
"
JANVIER 1777: 19
Ces préceptes firent la plus vive impreffion
fur le coeur de Balkin ; il crut
avoir bu à la fource de la félicité parfaite
; fon ame fe fentit foulagée , & peuà-
peu le nuage épais dont la paffion l'a
voit enveloppé , fe diffipa.
Un plaifir fecret enchaînoit Balkin à
ce pailible fanctuaire de l'amour , & l'engageoit
à y retourner tous les jours. L'approche
de la nuit l'ayant obligé un jour
de quitter fa retraite , il rencontra dans
la forêt un homme plongé dans une profonde
rêverie. Il eft fi naturel aux malheureux
de fe plaindre & d'aimer leurs
femblables ! Balkin lut dans les yeux de
l'inconnu , qu'il avoit quelque chagrin
fecret qui l'amenoit en ces lieux . Bientôt
ils fe firent un aveu, mutuel de leurs peinés
, fe promirent de partager leurs chagrins
, & fe lièrent par les noeuds de l'amitié
la plus intime . Le Prince de Rézia,
c'étoit le nom de l'inconnu , engagea
Balkin à venir demeurer dans fon palais .
J'aimais , lui dit-il , la plus aimable , la
plus tendre des femmes , elle m'a trahi ;
fa perfidie répand l'amertume fur le refte
de mes jours , la langueur me confume ,
& je m'éteins infenfiblement. Du
moins vous avez joui du bonheur d'être
I
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
aimé ; mais j'ai eu le malheur de prodi
guer ma tendre le à une ingrate , à une
coquette , qui n'étoit idolâtre que d'ellemême.
-Lorfqu'on éprouve les rigueurs
d'une coquette , on peut croire qu'elle
n'a jamais aimé , & qu'elle n'aimera jamais
; mais peut-être mon amante eft
dans les bras d'un autre ! ... Leur conver
fation s'anima de plus en plus , & une
guerre violente parut, à tous les deux , la
moyen le plus defirable pour terminer
glorieufement leur carrière infortunées
forfqu'arrivés fur la chauffée , ils virent
accourir un homme à toute bride . Le
Prince Balkin reconnut un des ferviteurs
les plus affidés de la Reine d'Almanzor
& lui cria , du plus loin qu'il pouvoit
l'entendre eh bien ! quelle nouvelle ,
quel accident imprévu vous amène en
ces lieux ? Ah ! Seigneur , ne perdez pas
un moment pour voler au fecours de Siromène
, qui vous aime plus que la vie. -
Sur le refus conftant de fa main , le perfide
Ananas l'a détrônée & condamnée à
une prifon perpétuelle .
Les deux Princes frémirent à cette
nouvelle. Ils réfolurent d'attaquer inceffamment
le traître ; le Prince de Rézia
raffembla toutes les troupes & celles de fes
JANVIER. 1777. 3.8+
alliés ; il les confia à la conduite de Balkin
, & voulut lui-même l'accompagner.
Le Prince Ananas ofa venir à la rencontre
de cette armée ; mais il fut défait en
bataille rangée : une fuite honteufe fut .
fa reffource , & la capitale fe rendit aux
vainqueurs.
2
Balkin n'eut rien de plus preffé que
de courir à la prifon où Siromène devoit
être enfermée ; mais quelle fut fa furprife
, lorfqu'en entrant , il ne trouva per-
Tonne ! La Fée Tricolore , inftruite du .
défaftre de Siromène , avoit tranſporté
cette Princeffe dans une Ifle , où l'innocence
, la candeur , la fimplicité étoient
le caractère diftinctif des habitans. Une
Fée bienfaifante , indignée de la fauſſeté ›
des hommes , y avoit raffemblé un petit
nombre de mortels , qu'elle avoit rendus
diaphanes , afin de leurs ôter le plus
grand obftacle aux douceurs de la vie ,
qui eft la défiance mutuelle : chacun lifoit
dans le coeur de l'autre ; perfonne
n'avoit intérêt à déguifer la vérité , le
penchant y faifoit le choix , & leurs
coeurs finiples & tendres fe cherchoient
fans le favoir , & s'attiroient tour-àtour.
Ce féjour acheva de former le coeur
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
de Siromène , & de faire difparoître tous
les preftiges qui avoient fafciné fes yeux.
Elle trouva bientôt une amie , dans le
fein de laquelle elle pouvoit dépofer fes
chagrins. La Princeffe Araminte lui ouvrit
la première fon coeur . Si je n'avois
pas rebuté , par des rigueurs infupportatables
, l'amant le plus tendre , je ferois
dans les bras du Prince de Rézia . Hélas ! je
l'aime plus que jamais , mais peut- être mes
pleurs coulent pour un ingrat ; s'il m'aimoit
encore , il auroit trouvé moyen de
me rejoindre. Si le Prince eft tel que
vous me l'avez dépeint , il n'eſt point infidèle
; fans doute il ignore en quels
lieux vous trouver ; fans doute il eft ,
comme vous , plongé dans l'incertitude.
& dans la douleur. Si du moins il
voyoit ma douleur , la certitude d'être :
aimé l'aideroit à fupporter la fienne ; mais
le fort ne veut pas adoucir nos peines.
En fe confolant ainfi mutuellement , ces
deux amantes rallumoient fans ceffe dans
leurs coeurs l'efpérance prête à s'éteindre.
-
En attendant, les deux Princes avoient
rétabli la tranquillité dans le Royaume
d'Almanzor , & avoit fait toutes les difpofitions
néceffaires pour y maintenir
l'ordre. Ils étoient prêts à parcourir l'uJANVIER.
1777 33
hivers pour découvrir la Reine , en quelque
partie du monde qu'elle fe trouvât ,
lorfqu'on entendit un grand bruit vers la
porte du palais. C'étoit Siromène , que
la Fée ramenoit avec la Princeffe Araminte.
Les Princes reconnurent leurs.
amantes , & oublièrent bientôt les peines
& les torts paffés , pour fe livrer à
la joie la plus parfaite . L'hymen mit le
comble à leurs voeux, les nouveaux époux
reftèrent toujours amans ; & l'union la
plus étroite qui fut établie entre leurs
Etats , affura la félicité des jeunes Souverains
& celle de leurs peuples.
Par M. Papelier.
A M. le Comte DE TRES SAN.
TANDIS qu'aux fanges du Parnaſſe ,
D'une main criminelle & laſſe¸
Rufus va cherchant des poifons ,
Ta main , délicate & légère ,
Cueille aux campagnes de Cythère
Des fleurs dignes de tes chansons.
Les Grâces accordent ta lyre ;
Le Plaifir mollement t'infpire ,
В к
3.4
MERCURE
DE FRANCE
.
Et tu l'infpires tour-à- tour :
Que ta Muſe tendre & badine
Se fent bien de fon origine !
Elle eft la fille de l'Amour.
Loin ce Rimeur attrabilaire ,
Ce cynique , ce plagiaire ,
Qui , dans fes efforts odieux ,
Fait fervir à la calomnie ,
A la rage , à l'ignominie ,
Le langage facré des Dieux !
Sans doute les premiers Poëtes ,
Infpirés ainfi que vous l'êtes ,
Étoient des Dieux ou des Amans :
Tour a changé , tout dégénère ,
Et dans l'art d'écrire & de plaire...
Mais vous êtes des premiers temps.
Par M. de Voltaire.
A Madame NECKER.
Jiro
έτοιs nonchalamment tapi
Dans le creux de cette ftatue ,
Contre laquelle a tant glapi
Des méchans l'énorme cohue ;
JANVIER. 1777. 35
Je voulois, d'un écrit galant ,
Cageoller la belle Héroïne 1
Qui me fit un fi beau préſent
Du haut de fa double colline.
Mais on m'apprend que votre époux ,
Qui , fur la cîme du Parnaſſe ,
S'étoit mis à côté de vous ,
A changé tout- à-coup de place :
Il va de la Cour de Phébus,
Petite Cour affez brillante ,
A la groffe Cour de Plutus ,
Plus folide & plus impofante.
Je l'aimai , lorfque , dans Paris ,
De Colbert il prit la défenſe ,
Et qu'au Louvre il obtint le prix
Que le goût donne à l'éloquence :
A Monfieur Turgot j'applaudis ,
Quoiqu'il parut d'un autre avis
Sur le commerce & la finance.
Il faut qu'entre les Beaux-Efprits
Il foit un peu de différence ;
Qu'à fon gré, chaque mortel penfe
Qu'on foit honnêtement en France ,
Libre & fans fard dans fes écrits .
Par le même.
4
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
LA RECONNOISSANCE.
Étrennes à Madame la Comteſſe DE
RENNEPONT, Chanoineffe d'Epinal.
QU
UOI ! ces Légiflateurs , ces Oracles fameux
De la Grèce & de l'Aufonie ,
Qui virent éclore chez eux
L'Achéron , l'Elysée , & l'Olympe & les Dieux,
Et les Arts , enfans du génie ;
Ces fages infenfés , dont les noms immortels
Seront cités dans tous les âges ,
Aux plantes, aux inétaux , confacroient leurs hom
mages ,
Et moduloient pour eux des hymnes folennels !
Tous les fléaux , la faim , la guerre , le carnage ,
Jufqu'aux oifeaux de finiftre préfage ,
Recevoient l'encens des mortels .
Que dis-je? au vice même ils dreffoient des autels !
Funefte aveuglement ! déplorable démence !
L'humanité , la bienfaiſance
N'avoient pas un adorateur !
Si de ces ingrates contrées
Ces vertus furent ignorées ,
JANVIER . 1777. 37.
Quel culte je leur rends dans le fond de mon
coeur!
Et toi , fille de la nature ,
D'une ame vertueuse & pure ,
Tendre & fublime fentiment ,
Immortelle Reconnoiffance ,
Reçois mes voeux en ce moment !
Mon folide bonheur eft l'ouvrage d'Hortenfe 3
Cedoux penfer me fourit nuit & jour.
O pure volupté que je goûte en filence !
Dans mon fein fixe ton féjour !
Que tout autre objet cède à la réminiſcence ,
Et des bienfaits & de l'amour.
"
Hortenfe , quand le fort contraire
Epuifoit fur moi fes rigueurs ,
Futmon appui , mon ange tutélaire ,
Et s'attendrit fur mes malheurs .
Son zèle ne fut point stérile ;
Aux accens de fa voix la tempête docile,
Ecarta les frayeurs dont j'étois agité ;
L'orage difparut , le ciel devint tranquille ,
Et fon coeur généreux , en refſources fertile,
Affura ma félicité.
Dieux puiffans comblez mon envie ;
Hortenfe a tous les biens , les vertus , les talens ,
Le fouris de l'Amour , la fraîcheur du printemps.
Jè n'ai que des defirs , qu'une ame & qu'une vie ,
38 MERCURE
DE FRANCE
.
Eh bien ! qu'elle me foit ravie ;
Mais que fes jours fi chers foient respectés du
temps.
Par M. l'Abbé Dourneau , Chevalier
du Saint-Sépulchre.
VERS à l'occafion d'un renouvellement de
mariage entre deux Octogénaires.
CRÉÉs pour être heureux , hélas ! le ſommes-
On diroit
nous ?
que le ciel , aux enfans de la terre ,
Déclare , pour les perdre , une éternelle
guerrei
Pouvoit-il nous porter de plus fenfibles
coups ? D'innombrables
chagrins
affiégent
notre vie ; De mille maux affreux elle eft encor fuivie ;
Et victimes
enfin de notre cruel fort ,
Au milieu des tourmens
nous rencontrons
la mort.
Quefommes-nous après ? plus à plaindre peut-être: Le plus grand des malheurs
n'eft-il donc pas de
naître ?
Mortels, à qui la faute, ou de vous ou des Dieux?
Au fortir de leurs mains l'homme eft pur comme
eux;
JANVIER. 1777. 39
Réglé dans fes defirs , il pouvoit, fans alarmes ,
Vivre au fein du bonheur, en goûter tous les
charmes :
Mais les crimes bientôt s'emparant de fon coeur ,
Avec fon innocence il perdit fon bonheur.
Aufeu des paffions abandonné fans ceffe ,
Qu'ilpaye chèrement fa criminelle ivreffe !
Accablé de douleur , déjà vieux à trente ans ,
Il dépérit , il meurt au fort de fon printemps .
Ce font- là de tes fruits , trop bouillante jeuneſſe !
Ecoutant des plaifirs la voix enchantereffe ,
On s'y livre , on s'excède , & bientôt abattus ,
Nous tombons fous le poids de cent maux imprévus.
Deux vieillards cependant, dont le fort m'intéreſſe,
En fuyant tout excès , font enfin parvenus ,
Sans peine & fans dangers , à l'extrême vieilleffe."
D'un mariage heureux cinquante ans révolus ,
De ce couple admirable annoncent la ſageſſe.
Pleins de vigueur encor , pour prix de leurs
vertus ,
Ils vont renouveler leur hymen , leur tendreffe ,
Lés fermens qu'ils ont faits , qu'ils n'ont jamais’
rompus.
A voir ces deux époux fi vieux & fi fidèles ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Le Temps , l'Amour , pour eux ſemblent n'avoit
point d'aîles.
Que la Parque , occupée à filer vos beaux jours ,
Ne fe laffe jamais d'en prolonger le cours ;
Epuifez fes fufeaux chargés d'or & de foie ,
Et que rien, chers époux , n'altère votre joie.
Confolons -nous , mortels ; ces exemples vivans
Prouvent qu'on peut encor vivre heureux & longtemps.
Soyons dans nos plaifirs moins vifs , moins témé
raires ,
Nous verrons moins de maux & plus d'octogénaires.
De nos malheurs envain nous accufons les cieux ;
Abafant des bienfaits dont nous comblent les
Dieux ,
C'eſt à l'ingratitude ajouter des blaſphêmes.
Si nous fouffrons , il faut nous en prendre à nous
mêmes.
L'homme fut créé libre & maître de fon fort ,"
Pour le conduire il a la raiſon en partage :
Si de ce don célefte il ne fait point ufage ,
Les Dieux n'y font pour rien , & l'homme feul a
tort.
7A
JANVIER. 1777 41
PASTORALE.
Doux momens de ma vie ,
Que vous avez d'appas !
Ifmène , en la prairie ,
Le foir guide mes pas.
Son oeil , fans y prétendre ,
Fait croître des defirs ,
Et fa voix foible & tendre
Annonce les foupirs.
Auprès de ma Bergère ,
Nymphes , formez des choeurs.
Vous , Grâces de Cythère ,
Couronnez -la de fleurs.
Sous fon aimable empire
Volez , jeunes Amours ;
La gaieté qu'elle infpire ,
Fait naître lesbeaux jours.
En foulant la verdure ,
Nous refpirons le frais ;
De la fage nature ,
Nous goûtons les bienfaits
Si je te laffe , Ifmène ,
428 MERCURE
DE FRANCE.
}
Par mille jeux nouveaux,
Les gazons de la plaine
Sont nos lits de repos.
Dans ces lieux délectables ,
Venez , fenfibles coeurs .
Vos Belles intraitables
N'auront plus de rigueurs,
L'Amour, en cet afyle ,
Sur tout reprend les droits ,
Et , bien mieux qu'à la ville ,
Il y donne des loix.
Par M, B. D:
L'AIGLE & LA FAUVETTE,
Fable,
UN Aigle d'amour tendre aimoit une Fauvette ,
Non comme on aime une Grifette ,
Mais je crois bien en tout honneur :
Joli caquet & douce humeur ,
Que fais-je ? voix touchante , harmonieux ramage,
Tout cela peut fuffire à charmer un grand coeur.
Bref, l'oifillon des bois , foit mérite ou bonheur,
Du Prince des Oifeaux fixa le goût volage.
JANVIER 1777. $43
Monfeigneur , au déclin du jour ,
Voloit fous la feuillée où l'attendoit l'amour ;
Il y paffoit le foir , & bien fouvent l'aurore ,
Quelquefois le foleil l'y retrouvoit encore.
Cent fois pour l'ombrage enchanteur,
Il quitta fans regret les champs de la victoire.
Dans les cieux , difoit-il, on peut trouver la gloire ;
fous l'ormeau qu'on trouve le bon-
Ce n'eft
que
heur.
Un printemps s'écoula dans cette douce ivreffe ,
Sans que rien n'altérât leur commune tendreffe ,
Sans trouble & fans débats fâcheux :
L'un oublioit fon rang auprès de fon amie ,
L'autre de fon ami prévenoit tous les voeux .
affreux ,
Hélas! par un nuage
*Cette félicité fut trop vîte obfcurcie.
Qui n'a pas un moment d'humeur ?
La Fauvette en eut un , j'en ignore la caufe.
L'Aigle fe plaint avec aigreur ,
On répond , on réplique , & le pis de la chofe .
C'eft que l'orfeau royal , au fort de fa fureur ,
Se reffouvient de fa grandeur.
De ce moment, adieu l'erreur enchantereſſe ;
La difcorde commence & l'égalité ceffe .
Dans l'ombre du feuillage , en pouffant un foupir,
La Fauvette auffi -tôt s'enfonce ,
Et quand l'Aigle fupplie & veut la retenir ,
1
44
MERCURE DE FRANCE.
Il en reçoit cette réponſe :
Vous méritez bien des égards ;
Mais ce n'eft pas ainfi que l'amitié fe règle,
Seigneur ; j'ai lu dans vos regards
Que j'étois la Fauvette & que vous étiez l'Aigle...
Tous vos difcours font fuperflus :
Je vous crains , vous honore... & ne vous aime
plus.
Par M. L.B.
A M. DE VOLTAIRE.
NOUVEL Anacreon , le déclin de ton âge
Joint aux fleurs du printemps tous les feux de l'étés
Tu captives nos coeurs par l'aimable gaieté
Dont tu fais embellir les préceptes du fage.
Plaire au monde & l'inftruire eft ton double par❤
tage.
La vertu , les talens , par toi tout eft chanté ;
Les arts & les plaifirs ont toujours ton hommage ,
Ta bouche exprime encor la tendre volupté.
Au gré de nos defirs , ton immortel génie
Trompe le vieux Saturne & défarme la mort ;
Sois long-temps leur vainqueur , brave leur vain
effort ,
Suis gaiement le fentier de la plus longue vie.
JANVIER . 1777. 45
*
Eh ! qui pourroit troubler tes glorieux deftins ?
De nos derniers neveux tu feras les délices ;
Ton fort eft d'enchanter à jamais les humains ,
Tandis que les François & leurs deftins propices ,
Seront paffés , hélas ! comme des fonges vains .
Les Grecs fout difparus , Homère eft en nos mains;
Du temps Ovide , Horace ont bravé les caprices ;
Il épargna Virgile & non pas les Romains.
Que ne puis-je , ô grand homme ! au gré de mon
envie ,
Rejoindre mon aurore au couchant de tes jours !
Queje ferois heureux , en terminant ma vie ,
De ramener pour toi la faifon des amours !
Mais que dis je ? parcours ta brillante carrière
Un triomphe a marqué chacun de tes inftans
Rien ne peut ajouter à ta vive lumière ,
Et ton hiver vaut mieux cent fois que mon prin
temps.
Tu ranimes les arts aux doux fons de ta lyre ;
L'âge n'affoiblit point ta première vigueur ,
Et quand nos jeunes gens , dans leur trifte langueur,
Ne favent que pleurer , toi feul fais encor rire .
ONeftor du Parnaffe & fon plus ferme appui !
S'il t'ouvrit le chemin de la gloire immortelle ,
Tu lui rends bien l'éclat que tu reçus de lui :
Puiffe-tu dans trente ans , plus vieux que Fonteg
nelle ,
46 MERCURE
DE FRANCE
.
Brûler encor du feu qui t'anime aujourd'hui ! .
Les lauriers renaiflans qu'à Fernei tu moiffonnes ,
Tes vers pleins de gaîté , ces ouvrages charmans ,
Qu'au fein de la retraire à tes amis tu donnes ,
Ne fe reffentent point du travail & des ans ;
Et malgré les efforts de l'envie & du temps ,
Nous voyons chaque jour de nouvelles couronnes,
De ton front rajeuni cacher les cheveux blancs.
Par M. D. C. T. d. F.
Sur la nommination de Monfeigneur le
Contrôleur- Général,
Louis , de fon Peuple adoré ,
Pour confacrer la bienfaisance ,
Cherchoit un Miniftre éclairé
Qui pût ramener l'opulence .
Ouvrez fans différer le coeur de vos ſujets ,
Lui dit confidemment la Déeffe Minerve ;
Vous en avez la clé : dans le fein des fecrets ,
Vous trouverez celui que le ciel vous réferve.
A peine le Monarque eut- il levé le ſceau ,
Qu'il vit dans tous les coeurs le nom de Taho
reau.
Par M. de Caraccioli.
JANVIER. 1777. 47
A M. NECKER 1
UN jeune Roi , digne de l'âge d'or¸
A fes Sujets cher par fa bienfaiſance ,
Par fes confeils qu'animoit la prudence ,
Qui les dictoit fous les traits de Neftor ,
Cherchoit un homme inftruit par la fortune ,
Qui , dans un rang où la chûte eft commune ,
Sût accorder , par un art délicat ,
Les droits du fifc & le bien de l'Etat ;
Un Bel -Efprit , dans la foule ignorante ,
Qui fût chérir l'humanité ſouftrante ;
UnEtranger que le Peuple eſtimât ;
Un Commerçant que la Cour refpectât ,
Qui de l'Europe eût conquis le fuffrage ,
Enfin chez qui , par un rare aſſemblage ,
A la vertu le talent répondît :
Il choifit Necker , & la France applaudit.
Par M. L. D. S.
48
MERCURE
DE
FRANCE
.
C
VERS de M. L. D. de.... à un Chat de
parfilage , qu'on lui donne anonyme
tous les ans aux étrennes.
UNgros , un fuperbe Minet,
Aux jours où l'an fe renouvelle ,
Me vient offrir un fervage fidèle.
De ma toifon ( me dit l'archi-finet )
Dépouillez-moi... prenez le coeur encore...
vous , n'en doutez pas...
Tout eft à
Prendre fon coeur ! ( dis -je tout bas)
Il faut, avant , favoir ce que j'ignore :
D'où venez-vous , Monfieur ? Ce Monfieur eft
difcret ,
Il me refufe fon fecret.
Je n'aime pas la réfiftance ,
Je preffe , & l'obſtiné fait patte de velours ,
Mais d'autant garde le filence.
Hé bien ! je veux avoir mon tour ;
J'allois à ma reconnoiffance
Donner le plus grand apparat ;
Mais, foit par fage méfiance ,
Peut- être avec impatience ,
Nous ferons à bon chat bon rat.
VERS
JANVIER . 1777.
VERS de Madame la Ducheffe DE LA
VAL... à l'Inconnu qui lui a envoyé
un Chat de parfilure, ayant une patte
de velours.
SI du Maître du Parnaffe ,
Favorable à mes tranſports ,
J'avois reçu les accords
Ou de Pindare , ou d'Horace,
L'Inconnu qui , tous les ans ,
Me fais tenir mes étrennes ,
Auroit aujourd'hui les fiennes.
En vers pompeux & touchans.
Je n'ai point cet avantage ;
Il faut donc tout uniment
Chercher , dans fon badinage ,
Le fujet d'un compliment ,
Et fouhaiter bonnement
Que , fans befoin d'Hippocrate ,
Ni pour tête , ni pour ratte ,
Ni pour tous leurs alentours ,
Il coule en paix de longs jours ,
Et que , pour lui , chats & chatte ,
Faffent patte de velours.
II. Vol. C
I
१०
MERCURE
DE PRANCE.
RÉPONSE de M. GUDIN au Rédacteur
des Étrennes des Poëtes , où fe trouve
l'Eloge de Coriolan.
Vous demandez la vérité :
Pardonnez-moi fi je dénoue
Le voile qui tombe & fe joue
Sur la piquante nudité.
Dans ce recueil qu'a médité
En riant la malignité ,
Je fuis très-faché qu'on me loue ;
J'ai rougi de m'y voir vanté.
Ecrivons pour qui ? pour les Grâces ,
Pour Minerve , pour les Suivans ;
Mais de l'envie & des méchans ,
Auteurs , ne fuivez point les traces ;
C'eftproftituer vos talens.
On hait tout efprit fatyrique ;
Du Parnaffe il eft le fléau :
Le Lutrin & l'Art poëtique
Font à peine excufer Boileau.
JANVIER. 1777. Sr
ODE A LIGURINUS. Horace , X,
Livre IV.
O crudelis adhuc , &c.
I
OBEL ENFANT qu'un teint de rofes
Rend fi redoutable & fi vain ,
Qui ne réponds qu'avec dédain
Aux defirs ardens que tu cauſes!
Lorfque le temps te ravira
Ces cheveux où l'amour fejoue ,
Quecette fraîche & ronde joue
D'un poil épais fe couvrira :
Du trifte débris de tes charmes ,
Occupé devant un miroir ,
Tu diras , en verfant des larmes ,
Et plein d'un fecret défefpoit :
.
J
Que n'eus je un orgueil moins fauvage,
» Lorfque j'avois plus de beauté!.
Ou que n'ai-je , avec ma fierté ,
» Les grâces de mon premier âge !
"
ParM, L, R.
Cij
5.2 MERCURE DE FRANCE.
Explication des Enigmes & Logogryphes
du premier vol . de Janvier.
L
E mot de la première Enigme eft
Jour de l'An ; celui de la feconde eft
Foffoyeur ; celui de la troisième eft la
Pluie. Le mot du premier Logogryphe
eft Janvier , où le trouvent vie , navire ,
rive , Vire , vernis , ravin , âne , rien ,
vin , jeu , an , ire ; celui du fecond eft
Manche , où l'on trouve Canal de la
Manche , manne , Achem , ame , ane ,
mâche , hache.
ENIGM E.
LORSQUE
T
ORSQUE l'hiver , ramenant la froidure ,
D'un tapis blanc a couvert la nature ;
2 :
Lorfque l'on n'entend plus la voix
De l'éloquent chantre des bois ,
C'est alors , ther Lecteur , que tu me vois paroître.
Cherche bien , tu dois me connoître ,
Car tu m'as vu plus d'une fois .
Je préfente un vaiffeau d'une étrange ſtructure ,
Sans pont , fans voile , fans mâture ;
JANVIE R. 1777. 53
Je ne crains point le vent fi terrible en hiver ;
Je n'ai point de canon & ma quille eft de fer ;
D'un éperon tranchant on voit ma proue armée ;
Et par-tout où je vais , ma trace eft imprimée ;
L'homme fur moi monté , confultant fes plaifirs,
Court , vole , va , revient , au gré de fes defirs :
Devine , cher Lecteur , il faut enfin me taire ;
Encore un mot de plus tu faurois le mystère .
Par M. Godard.
AUTRE .
Si vous cherchez mon origine ,
Je ferai de peu de valeur ;
Mon père n'eft bon qu'en cuiſine ;
Cependant j'ai mon prix ailleur.
Un effaim de l'humaine race ,
Sans moi porteroit la beface ;
Le Plébéïen , par mon fecours ,
Peut prétendre une place en Cour.
Utile à toutes les Provinces ,
Les Rois , les Potentats , les Princes ,
M'admettent dans leurs cabinets ,
Et me font part de leurs fecrets .
Je fais d'une intrigue galante
C iij
54 MERCURE
DE FRANCE
.
¡
Communément la confidente ,
Lien des amis , des parens ,
Et la reffource des abfens.
AUTRE.
On trouve peu d'honnêtes gens ,
S'ils ne font accablés fous le poids de leurs ans ,
A qui je ne rende fervice ;
Je ne fais par quelle raifon ,
Ils ont cependant l'injuſtice
De me faire fouffrir une étroite prifon .
Quoique mon corps foit foible & mince ,
Je fuis utile au plus grand Prince ; .
Soir & matin de fon palais
Je nétoye avec art toutes les avenues
Que mille chofes fuperflues
Pourroient faire fentir mauvais .
Lorfque , fait pour un double ufage ,
Mes deux bouts ont chacun leur différent emploi ,
J'ai fouvent l'oreille du Roi ,
Sans que fes favoris en ayent de l'ombrage ,
Par M. Pot , C. d. N.
i ..
JANVIER. 1777. 55
LOGOGRYPHE.
Il ne faut que cinq pieds pour compofer men
être ;
Lecteur , fi tu retranches le premier ,
Changeant de nom tu me verras paroître
Bien plus petit , quoique je fois entier .
Mais fi tu me remets dans ma première forme ,
De petit que j'étois , je redeviens énorme.
Etre utile en naiffant ,
Mais beaucoup plus en grandiflant ;
Jeune ou vieux on me facrifie ,
Et je fers fort fouvent au foutien de ta vie.
Par M. le Roux.
AUTR E.
LECTEUR ,
ECTEUR , tu vois en moi le plus noir des humains
;
Et la gêne toujours eft ma trifte compagne ;
Sans être Médecin , le féné m'accompagne ;
Un Régent avec moi va courir la campagne ;
Toujours en vrai dévot , jeporte un de nos Saints,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
(Au fond du coeur s'entend , & non pas dans les
mains ).
Pour protecteur au ciel , ce fut celui - là même
Que Descartes reçut au jour de fon baptême.
Eh bien ? peux- tu me concevoir ?
Mais n'équivoquons plus , & d'un ftyle énergique,
Griffonnons de mon nom quelque indice authentique
:
Rafflemble mes fept pieds , je te les ai fait voir ;
Vite , nomme-moi donc : car fi tu ne m'explique ,
Je te fomme de comparoir
Au tribunal logogryphique.-
Par M. Huet de Longchamps.
AUTR E.
Tour enfant me chérit ; en voici la raifon :
Prends ma tête ou ma queue , en tout temps je fuis
bon.
Par le même.
JANVIE R. 1777 . 57
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Euvres de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
Tome IX ; contenant les Lettres fur
les matières criminelles , & fur les ma
tières civiles , A Paris , chez les Librai
res affociés.
LE premier volume des Lettres de M. le
Chancelier d'Agueffeau a été fi favorablement
accueilli , qu'on eft en droit d'efpérer
que celles qu'on publie aujourd'hui
produiront le même effet. Les Éditeurs
n'ont rien négligé pour en rendre la collection
complette , intéreffante , & pour
lui donner le meilleur ordre que les
circonftances ont permis,, Des Magif
trats dont les lumières égalent le zèle ,
n'ont pas dédaigné d'être les coopérateurs
de cet ouvrage . Ils ont communiqué fans
réferve toutes les Lettres qu'ils avoient
reçues de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
& celles qu'il avoit écrites à leurs prédé
ceffeurs , fur toutes les affaires dignes
d'intéreffer le Public. Ces fortes d'Ouvrages
ne font
pas fufceptibles d'analyfe.
C ▼
8 MERCURE DE FRANCE .
Nous remarquerons , avec l'Auteur du
Difcours préliminaire , qu'on trouvera
dans ce Recueil , comme dans les précédens
, ces principes folides , & féconds
en conféquences lumineufes , qui caractériſent
tous les Écrits de ce grand Homme
, & qui éclairent fi fenfiblement les
défilés les plus étroits & les plus obfcurs
de la Jurifprudence. On y verra les
moyens d'échapper aux inconvéniens
que rendent prefqu'inévitables la multiplicité
des formes , la diverfité des ufages
fuivis dans les Tribunaux , & les contradictions
réelles ou apparentes de nos
loix générales & particulières. Enfin on
y reconnoîtra toute l'importance des règles
propres à maintenir la févérité des
moeurs & de la difcipline dans la Magiftrature
, & fur-tout cette heureuſe harmonie
fans laquelle les Tribunaux, plongés
dans l'anarchie , deviendroient bientôt
inutiles , & peut- être nuifibles au corps
national , dont ils doivent être le lien &
le plus ferme appui.
Le volume que l'on publie embraffe
deux objets ; les matières criminelles , &
les matières civiles . Leur influence fur
le bonheur de l'humanité en fera fentir
toute l'importance à ceux même qui ont
JANVI E R. 1777 . 59
le moins approfondi les différens rapports
de ce qui conftitue l'ordre focial . On fait
que les loix civiles font, au corps politique ,
ce qu'eft un traité de morale pour chaque
citoyen en particulier ; que les loix
criminelles tendent à étouffer en détail
des étincelles dont la réunion formeroit
un embraferent général dans les fociétés
les mieux conftituées . Ainfi perfonne
n'ignore que de bonnes loix civiles &
criminelles , font les plus précieux & les
plus puiffans refforts qu'on puiffe appliquer
au régime des Nations. Mais on ne
fait point affez à quel point il importe à
la fociété que le principe & le but de ces
loix foient bien développés dans l'efprit
des Miniftres de la Juftice . On connoît à
peine le prix de ces hommes rares , à qui
la nature a donné , & en qui l'étude & la
réflexion ont fortifié le talent de ramener
à leur tronc les branches qui s'en éloignent
, ou qui , pour mieux dire , en paroiffent
détachées . C'eft par ces rapprochemens
, qui demandent tant de jufteffe
& de fagacité , que les loix font en quelforte
vivifiées , & qu'elles reprennent
leur légitime pouvoir dans toute l'étendue
de leur e npire. C'eft fur- tout par ces
traits de génie que M. d'Agueffeau étoit
que
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
révéré comme l'oracle de la Magiftrature.
Il étoit devenu , pendant fa longue adminiftration
, l'ame de ce Corps refpectable ;
& cette portion de fa gloire fut moins un
hommage rendu à fes dignités , que le
prix des qualités éminentes de fon efprit
& de fon coeur. Cette fupériorité perfonnelle
fe montre par tout dans fes
Lettres fur les matières civiles & criminelles
matières dont il avoit approfondi
les principes & fuivi les détails avec l'attention
la plus foutenue & la plus religieufe
.
-
Éclairé par fon expérience & par fes
fuccès , il ne laiffoit échapper aucune
occafion de faire fentir aux Magiftrats
l'étroite néceffité de fe livrer à l'étude
affidue de nos Loix . Le favoir ne lui paroiffoit
pas moins effentiel dans un Juge
que l'intégrité , parce que l'intégrité ne
fuffit pas pour fentir toute l'étendue des
devoirs , pour fournir les moyens de les
templir , pour fixer les incertitudes de
l'efprit , & pour conduire à la vérité à
travers les trompeufes lueurs des vraifemblances.
La fcience , dit M. le Chance-
» lier d'Agueffeau , nous donne en peu
de temps l'expérience de plufieurs fiécles.
Sage , fans attendre le fecours des
JANVIER. 1777. 61
"3
"
» années , & vieux dans fa jeuneſſe , le
Magiftrat reçoit de fes mains cette fuc-
» ceffion de lumières , cette tradition de
"bon fens à laquelle le caractère de cer-
» titude , & , fi on ofe le dire , de l'infaillibilité
humaine femble être attaché.
Ce n'est plus l'efprit d'un feul homme ,
toujours borné quelque grand qu'il
foit ; c'est l'efprit , c'eft la raifon de
tous les Légiflateurs qui fe fait entendre
par fa voix , & qui prononce par fa
» bouche des oracles d'une éternelle
» vérité ».
»
"
מ
»
Telle étoit l'idée que s'étoit faite M. le
Chancelier d'Agueffeau , de l'étendue des
connoiffances que doit réunir le Magiftrat
pour fournir fidellement , & avec
dignité, la noble carrière dans laquelle il
fe trouve engagé , & pour jouir de cette
gloire perfonnelle , toujours fupérieure
à celle qui eft attachée aux places les plus
éminentes . Il s'élevoit fans relâche contre
ces hommes indolens qui croient trouver
dans la multitude même de leurs devoirs ,
la difpenfe des lumières néceffaires pour
les remplir ; contre ces hommes vains
qui ofent invectiver contre l'étude & la
fcience , qui fe vantent d'avoir reçu de la
nature cette fagacité qui n'a befoin que
62 MERCURE DE FRANCE.
d'entrevoir les difficultés pour les faifir
& les réfoudre , qui ont l'aveugle confiance
de fe croire capables de deviner ces
mêmes loix qu'ils n'ont jamais étudiées.
» Malheur au Magiftrat , difoit l'illuftre
» & favant Chancelier , qui ne craint
point de préférer fa feule raifon à celle
» de tant de grands hommes ; & qui ,
» fans autre guide que la hardieffe de fon
génie , fe flatte de découvrir d'un fimple
regard , & de percer du premier
» coup d'oeil , la vafte étendue du droit
fous l'autorité duquel nous vivons » .
"
"
En effet , un Magiftrat dépourvu de
lumières acquifes par le travail & la réflexion
, ne peut qu'adopter au hafard
des idées étrangères ; également incapable
d'échapper aux erreurs d'autrui , &
d'évaluer les écarts des paffions de ceux
qu'il choifit fervilement pour fes guides.
Les droits & les intérêts des Citoyens ,
ceux de la fociété entière font toujours
Alottans entre fes mains , & la corruption
même ne produiroit pas des effets plus
redoutables. L'amour même de la juf-
» tice eft inutile , difoit M. d'Agueffeau ,
"
fi l'on n'y ajoute la connoiffance exacte
» des règles ». La vertu que la fcience
JANVIER. 1777. 63
n'éclaire point , marche au hafard dans
les fentiers de la juftice , & dans ceux
qui en éloignent ; elle échappe au danger
, ou s'y précipite avec la même fécurité.
M. le Chancelier d'Agueffeau préfente
par-tout dans fes ouvrages la réunion de
la fcience & de l'intégrité , comme l'apanage
propre de la Magiftrature. Perfuadé
qu'elle ne pouvoit avoir d'autre
intérêt que celui du Souverain & des
Peuples ; il croyoit que par-là même , ce
Corps refpectable devoit être regardé
comme inacceffible à l'intrigue & à la
féduction . Par une conféquence néceffaire
, il envifageoit comme un malheur
public , toutes les démarches qui auroient
pu affoiblir le refpect & la confiance des
peuples pour les dépofitaires des Loix ;
& il plaçoit parmi les devoirs d'une adminiftration
fage , de laiffer toujours un
libre cours à la Juftice , de n'en interrompre
ni l'ordre , ni l'activité . « Il eft
» bien dangereux , difoit- il , ( Tom. 9. p.
-
207 ) de s'accoutumer à nommer des
» Commiffaires , fur tout en matière
» criminelle , La Loi répond des incon-
» véniens qu'on éprouve quelquefois en
» la fuivant ; mais l'homme eft refpon.
64
MERCURE DE FRANCE.
>>
fable de ceux qui arrivent lorsqu'on
s'eft écarté de la règle 3.
Il s'élève avec la même force contre
cette maxime fi répandue & fi fouvent
dangereufe : qu'il faut toujours fuivre
l'efprit de la Loi, & fecouer le joug fervile
de la Lettre. Frappé des conféquences
qu'un tel principe pourroit entraîner
après lui ; la vie , la liberté , la fortune
des Citoyens , lui parurent expofées aux
plus effrayans dangers , au moment que
l'inftabilité des interprétations arbitraires
ufurperoit l'autorité invariable de la Loi .
Etrange principe , dit-il , qu'il paroît
plus naturel de fe conformer à l'eſprit
de la Loi , que de s'attacher fervilement
» à des formalités qui n'ont été prefcri-
» tes que dans la vue d'éviter la fraude
» & la fuggeftion . Avec cette maxime
générale , fi elle pouvoit être tolérée
» il n'y auroit aucun Juge qui ne fe crût
» en droit de méprifer toutes les forma-
» lités qui ont été fi fagement établies
» par les Loix pour affurer la vérité &
» la folemnité des actes les plus impor-
» tans de la fociété civile. Leur exécu-
»tion deviendroit abfolument arbitraire .
Chaque Juge , felon les motifs qu'il
» lui plairoit d'attribuer au Législateur ,
מ
"3
20
JANVIER. 1777. 65
s'imagineroit pouvoir en conclure qu'il
» n'eft pas dans le cas pour lequel la Loi
» a été faite , & il fe glorifieroit d'avoir
» fecoué le joug fervile de la Lettre ,
» pour fuivre ce qu'il lui plairoit d'en
» appeller l'efprit
לכ
».
C'eft ainfi que M. le Chancelier
d'Agueffeau apprécioit l'air apparent de
juftice & de fupériorité fous lequel on
mafquoit le mépris des formes. Les négliger
, c'étoit , à ſes yeux , abandonner
T'efprit général & commun à toutes les
Loix. C'étoit fubftituer aux règles des
inftitutions verfatiles, qui , par- là même ,
perdroient le caractère propre des inftitutions
, c'eft-à dire , la ftabilité & la
perpétuité, " Les queftions difficiles &
problématiques , difoit-il , ne fe pré-
» fentent pas dans toutes les affaires.
» Mais il n'y en a aucune , ni civile , ni.
so criminelle , où la régularité de la pro-
» cédure ne foit néceffaire ; & la voie
» par laquelle on parvient à obtenir juf
» tice , exige une attention encore plus
» continuelle
, que le fonds de la juftice
33
కు
» même » .
Les lettres relatives aux Ordonnances
des donations , des teftamens , des fubftitutions
, prouvent à quel point il étoit
66 MERCURE DE FRANCE .
frappé de la néceffité de conferver au
fonds toute fon importance ; mais de
s'occuper , avec la plus fcrupuleuſe attention
, des formes , qui en font inféparables.
On en jugera par la févérité
avec laquelle il prefcrivoit aux Tribunaux
de ne les jamais perdre de vue..
Nous devons principalement ces Ordonnances
à l'étonnement qu'avoit caufé
à ce favant Magiftrat , la contrariété qui
régnoit entre les loix de notre Monarchie
, fur des matières fi férieuſes ; & fa
furpriſe étoit encore augmentée par l'oppofition
qu'il obfervoit fouvent entre
l'efprit du Droit Romain & celui du
Droit François. Rien , fur-tout , ne lui
parut plus vague , plus obfcur que les
loix qui régloient les fubftitutions . Cette
obfcurité étoit devenue la fource de
procès interminables ainfi , les loix
mêmes , ce chef - d'oeuvre de l'efprit
d'ordre & de paix , dirigé vers le bonheur
des fociétés humaines , fomentoient
le trouble dans les familles , &
ne leur montroient aucun point fixe
fur lequel pût repofer leur concorde &
leur tranquillité. Rien n'étoit donc plus
preffant que de ramener des loix de
cette nature , à cette clarté ,
à cette
JANVIER . 1777.
67
uniformité de principes qui préviennent
les interprétations arbitraires , & qui
empêchent qu'à l'ombre des loix , les
fubtilités de l'efprit particulier , n'uſurpent
leur autorité . Mais quelque preffant
que fût le befoin , M. d'Agueffeau
ne perdit pas de vue que fon travail
devoit s'étendre fur les générations futures
, & qu'il fe trouvoit dans ce point
précis où les hommes fupérieurs ne
doivent fe hâter que lentement .
Il favoit mieux que perfonne , que
les loix ne peuvent être ftables & falutaires
, qu'autant qu'elles font l'expreffion
du væu général d'une Nation ;
qu'étant rédigées d'après la difcuffion &
l'avis du plus grand nombre d'hommes
inftruits & fages , elles deviennent
l'expreffion de la raifon publique. Il
regarda donc comme un devoir effentiel
, de confulter , fur les détails &
fur l'enfemble de la grande opération
qu'il méditoit , les Magiftrats les plus
éclairés , les Jurifconfultes les plus célèbres.
Confiance jufte , mais honorable ,
qui les difpofoit d'avance à s'intéreffer
au fuccès d'un ouvrage dans lequel ils
fe regardoient , pour ainfi dire , comme
les Co -adjuteurs du Chef de la Juftice .
68 MERCURE DE FRANCE .
Le fuccès juftifia fes efpérances . On
répondit de toutes parts , avec le plus
grand zèle & la plus grande fidélité ,
à des vues dont la fageffe & la pureté
étoient d'ailleurs fi connues . Il n'éprouva
dans cette vafte & longne correfpondance
, ni réſerve , ni diffimulation ;
& il vit avec cette joie douce qui n'appartient
qu'à la vertu , que le défintéreffement
étoit l'ame de tous les avis ;
que l'amour de la vérité & du bien
public , en étoient la bafe . C'eft de ces
riches & refpectables matériaux , qu'il
forma les Ordonnances dont nous parlons
ici .
Rien n'eft plus clair que les règles
établies fur les donations , leur nature ,
leur forme & leurs conditions effentielles ,
L'Ordonnance des teftamens , en conciliant
le Droit Romain & le Droit
Coutumier , établit un jufte milieu entre
la liberté exceffive & les entraves trop
rigoureufes données aux teftateurs. Tempérament
fage , qui , en refpectant cette
liberté naturelle dont tous les hommes
ont droit d'être jaloux , l'empêche de
dégénérer en licence . Enfin , la loi fur
les fubftitutions , enchaîna pour jamais
ces ennemis deftructifs de toute Jurif
JANVIER. 1777. 69
prudence & de tout ordre public , la
chicane & la mauvaiſe foi , en diffipant
F'ambiguité & les incertitudes qui naiffent
de la fubtilité des anciennes loix
fur cette matière.
Auffi toute la Magiftrature préférat-
elle cette Jurifprudence plus fimple ,
& par conféquent plus utile , à celle que
l'afcendant de l'habitude les avoit accoutumés
à refpecter. Tous les Tribunaux
fentirent les avantages inappréciables
de cette parfaite uniformité , fi honorable
au Législateur , fi utile à fes fujets.
Ces loix concertées avec tant de fageffe ,
n'ont éprouvé aucune contradiction .
Elles ont perpétué l'admiration qu'elles
excitèrent au moment de leur naillance."
Er elles n'ont point à craindre le fort
de tant de Réglemens qui furchargeoient
notre Code national , fans éclairer les
Miniftres de la Juftice ; Réglemens que
les befoins publics ont fucceffivement
détruits , ou par des ufages contraires ,'
ou par de nouvelles loix . Ces monumens
précieux du favoir , de la fageffei
& de la fupériorité de M. d'Agueffeau ,
doivent faire regretter, comme une perte
publique , qu'il n'ait pas eu le temps
d'exécuter fon plan général de légiſla70
MERCURE DE FRANCE.
tion , parce que rien ne lui manquoit
de ce qui pouvoit élever notre Jurifprudence
au plus haut degré de perfection
dont elle foit fufceptible ; & que.
la réunion des qualités qu'exige un
édifice ſi vaſte , fi majestueux , fi utile ,
n'eft prefque jamais qu'un objet de :
defir pour les Souverains & pour les
Peuples.
Le Recueil de ces Lettres nous paroît
d'autant plus propre à augmenter
ces regrets , qu'il y a , pour ainfi dire ,
configné fon coeur & fon efprit. Semblable
à ces lumières vives , mais douces ,
qui éclairent à toutes les diftances ,
il s'eft peint avec tant d'exactitude , foit.
par le caractère de vérité qui lui dictoit
ces différentes Lettres , foit par
l'énergie & la nobleffe de fes expreffions
, foit par la fageffe & la fublimité
de fes vues , qu'elles imprimoient à
ceux qui les recevoient aux extrémités
du Royaume , autant de vénération
pour fa perfonne , que fa préfence en
infpiroir à ceux qui avoient le bonheur :
de le voir & de l'approcher. Nous ne
doutons point qu'elles ne produifent le
même effet fur tous les Lecteurs.
JANVIE R. 1777. 71
Panégyriques & Oraifons funèbres , par
M. l'Abbé Guyot , Prédicateur du
Roi , Doyen & Chanoine de l'Eglife
de Soiffons , & Cenfeur Royal. A
Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin .
Les Panégyriques doivent moins fer
vir à faire admirer la perfonne qu'on
loue , qu'à infpirer , aux auditeurs
l'amour de la vertu , & fur- tout le defir .
d'imiter les belles actions qui font la
matière de l'éloge. Tout l'art de ce
genre de compofition , confifte à bien
choifir les actions du Saint dont on fait
l'éloge , & à les mettre dans le plus ,
beau jour, afin d'exciter une fainte émulation
parmi ceux qui viennent entendre
l'Orateur. Il ne fuffit pas de recueillir.
de l'hiftoire de ces grands hommes
ce qu'il y a de plus éclatant , il faut
encore en faire une heureufe applicacation
aux moeurs du fiècle . En un mot ,
on doit encore plus fonger à édifier les
auditeurs , qu'à rendre aux Saints le
tribut de louange qui leur eft dû . C'eſt
s'éloigner de ce but , que de fe livrer
uniquement aux faillies de l'efprit , &
72 MERCURE DE FRANCE ,
aux applications ingénieufes qui ne
fervent qu'à faire briller le Panégyrifte.
M. l'Abbé Guyot a cherché à éviter
ces écueils , & à modérer ce defir de
briller , fi commun à ceux qui parlent
en public. Ne pourroit-on pas foutenir
que ce defir eft plus excufable lorsqu'il
s'agit de faire une Oraifon funèbre
où l'on exige que l'Orateur déploie
toutes les richeffes de fon art ? D'ailleurs
, les Héros que l'on loue , ne
fourniffent pas toujours ces traits éclatans
dont le feul récit caufe les plus
vives émotions. Compofer une Oraifon
funèbre , c'eft fouvent tracer une riche
broderie fur une toile fort claire . On
eft donc obligé, dans ce genre d'ouvrage,
s'il faut en croire les grands maîtres de
l'éloquence , de chercher à flatter l'oreille
par des penfées brillantes , des traits
ingénieux , des expreffions énergiques ,'
& de l'harmonie dans tout le difcours.
Quintilien admet dans ce genre , les
ornemens les plus recherchés de l'art ,
le fréquent ufage des métaphores , la
beauté des figures , l'agrément des digreffions
; en un mot , tout ce que l'éloquence
a de plus pompeux & de plus
riche. M. Fléchier & M. Boffuet , font
les
JANVIER. 1777. 73
les deux modèles qu'on doit le plus
confulter , lorfqu'on fe deftine à ce
genre . Il eft effentiel d'avoir un ſtyle
auffi coulant & auffi harmonieux , que
celui de M. Fléchier . Mais il n'est pas
moins néceffaire d'imiter ces grands
fentimens , ces traits hardis , ces figures
vives & frappantes qui caractérisent les
Difcours du grand Boffuet. Cet Orateur ,
plus occupé des chofes que des mots ,
ne cherche point , comme fon émule ,
à répandre des fleurs dans fon difcours ,
& à fe livrer aux ornemens de l'antithèfe
, fon unique objet eft de rendre
le vrai fenfible à fes auditeurs.
Nous n'examinerons point fi l'Auteur
de ces Difcours , fuit toujours les traces
de ces grands modèles. La lecture
qu'on en fera , vaudra mieux que toutes
nos réflexions à cet égard. Mettons fous
les yeux des lecteurs , quelques traits
des Oraifons funèbres renfermées dans
le recueil que nous annonçons. Dans
celle de Staniflas le Bienfaifant où
l'Orateur montre tous les traits de la
véritable grandeur , & tous les caractères
d'une véritable bonté , on trouve
ce parallèle : « Staniflas Auteur ! Deux
Princes ont accoutumé l'Europe à ces
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
» phénomènes. L'un eft ce Roi belli-
» queux , militaire , auffi grand dans les
» campagnes , que profond & inftructif
lorfqu'il écrit fur l'art de la guerre ;
» créateur de fa Milice qu'il éclaire par
» fes ouvrages , comme il l'anima par
» fes exemples ; Prince , l'ami particu
» lier de Staniflas , qui ne ceffa de chérir
» dans lui , le fils de fon bienfaiteur à
» Konisberg.
"
ود
و د
و ر
>
» L'autre eft un Philofophe bienfaifant
, dont les écrits refpirent la
Religion toute l'honnêteté & la
doctrine d'une belle ame . Ouvrages
» utiles. Ici , il anime , il encourage
» les Savans ; là , il réforme les Légif
lateurs ; tantôt il affigne les écarts ,
» il pofe les bornes de la philofophie ;
» tantôt il manie , avec autant d'habileté
que de prudence , les refforts des
» Gouvernemens. Ici , Meffieurs , vous
» vous rappelez ces obfervations pro-
» fondes , dont la jufteffe & les principes
lumineux font encore l'admira-
» tion des Polonois les plus confommés
» dans les intérêts de leur République.
» Le fond riche de ces ouvrages , étoit
» dans un efprit cultivé par les Scien-
» ces ,
orné par la lecture , mûri par
93
la
JANVIE R. 1777. 75
33
"
réflexion ; dans cette imagination fé-
» conde , dont la vivácité , les faillies
pleines de fel & d'agrément , ren-
» doient fa converfation fi intéreffante.
» On fe rappelera long-tems ces traits.
» de lumière qui décèloient fon génie ;
» ces tours heureux & imprévus qui
» marquoient fa pénétration ; ces idées
» fortes & élevées qui annonçoient la
, fublimité de fon ame ; ces expreffions
» naïves , mais d'une énergique fimplicité
, qui caractériſoient fon élo-
» quence.....
"9
Dans l'Oraifon funèbre de Louis XV,
voici comme l'Orateur s'exprime au
fujet de M. le Cardinal de Fleury , qu'il
oppofe au Cardinal Alberoni. « Tel
parut en France ce Miniftre modefte,
» Favori fans être odieux , d'autant plus
» homme d'état , qu'il parut fe moins
» rechercher lui -même ; plus jaloux en
tout de l'utilité que de l'éclat des
» fervices ; plus occupé d'appliquer le
génie du François , que de le remuer;
» l'ami comme le confeil de fon Maître ;
trop en garde , peut-être , par le fouvenir
du règne paffé , contre la force
» du caractère dans un Roi , mais toujours
cher à la Nation , pour lui avoir
n
23
"
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
12
ן כ
ג כ
ود
formé , de tous les Rois , le plus humain
; négociateur habile ; le Miniftre
» de l'Europe entière autant que de la
» France; conciliant , par fon défintéreffement
, les prétentions les plus oppofées
; défarmant , par fa modéra-
» tion , les inimitiés anciennes , & faifant
rejaillir fur la France & fur fon
Roi , la gloire de fa prudence & de
» fa fagefle. Génie bienfaifant , les Arts ;
» le Commerce , la Finance , les Loix ,
» tout profpère dans l'Etat , à la faveur
» d'une adminiftration paiſible . Miniſtre
» le plus fortuné dans une longue car-
» rière , la nature & la faveur femblent
» l'excepter de la loi commune : il meurt
» fans que chez lui l'homme & le cour-
» tifan aient connu de déclin .
>
» Alberoni en Efpagne , Fleury en
» France! Qui ne voit ici pour ce Royau
» me une prédilection de la Providence !
» Chez l'un , les idées les plus vaſtes
» les projets les plus hardis , la politique
la plus remuante , avoient manqué
leur effet & perdu le Miniftre
par l'injuftice & l'odieux de fes ma-
» oeuvres . L'autre , politique plus ti-
» mide , en apparence , mais plus fage
en effet , obtient tout par une marJANVIER.
1777. 77
»
che mefurée , par ce caractère de
» droiture qui ne lui donne par - tout
que des amis de fa faveur & de fa
» Nation . Dieu marque-t-il plus fa Pro-
» vidence dans la formation de ces corps
inanimés qui nous éclairent , que
» dans la diftribution de ces génies
fupérieurs qui font le bonheur & le
» malheur des Etats ? Que quand il place
» entre le Prince & fon Peuple , une
» de ces ames fortes , fupérieures à
» toutes les paffions comme à tous les
préjugés , dévouées à la gloire du Roi
» & au bien de la Patrie , jufqu'au fa-
» crifice de tout intérêt perfonnel , de
» la faveur même ; une de ces ames
» vertueufes , qui impriment à tous
» leurs travaux , le fceau facré de la
အ
30
Religion ; un de ces fages , toujours
» ou patiens ou févères à propos , fur
» les maux de la Nation ; un de ces
génies auffi étendus que l'empire des
» Loix & de la Juftice ; auffi élevés
» que les motifs fublimes qui doivent
» en diftribuer les charges , en régler
» les opérations , en concilier les droits ,
» en déterminer l'efprit , & en affurer
», le fuccès ; un de ces hommes rares
auffi grands dans leur vie privée , que
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
"
» dans les fonctions d'hommes d'Etat ;
» Oracles & exemples , à la fois , des
plus fages maximes . Je parois , Meffieurs
, vous indiquer ici une fuite
» de grands hommes ; & tous ces traits
raffemblés pourroient à peine donner ,
à la postérité , une idée complette de
» ce Chef de la Juftice , que la France
perdit au milieu de ce fiècle : l'illuſtre
d'Agueffeau , homme au-deffus des
» temps & des fiècles , par la mémoire
» immortelle de fes talens , de fes
Ouvrages & de fes vertus ».
"
"
3
"
Procès verbal des conférences tenues par
ordre du Roi , pour l'examen des articles
de l'Ordonnance civile du mois
d'Avril 1667 , & de l'Ordonnance
criminelle du mois d'Août 1670 ;
nouvelle édition revue & corrigée fur
l'original , & augmentée d'une inf
truction fur la procédure civile & criminelle
; in-4 . rel . 12 liv. A Paris ,
chez Debure frères , Libr. quai des
Auguſtins ; 1776.
Chaque Corps de l'Etat a une gloire
qui lui eft propre ; celle des Magiftrats
dépend fur- tout de l'affemblage de leurs
JANVIER. 1777. 79
lumières ; & la connoiffance des formes
eft une des parties les plus effentielles
de la fcience que les Juges doivent acquérir.
Les formes ont été établies pour
prévenir l'illufion & les furprifes , pour
affurer la vérité & la folennité des actes
les plus importans de la fociété civile ..
Enfreindre ces formes , s'eft s'écarter de
la route indiquée par la loi , changer des
règle fages & inviolables en inftitutions
flottantes & arbitraires , & livrer aux
variations & aux entreprifes de chaque
Juge particulier , des loix dont la ſtabilité
doit être le principal caractère. Un
favant Magiftrat a dit avec raifon : « Que
la voie par laquelle on parvient à ob .
و د
» tenir juftice , exige une attention encore .
plus continuelle que le fond de la juſ-
» tice même » .
>>
L'Ouvrage que nous annonçons n'a
nal befoin d'éloges. Les noms célèbres
des Magiftrats à qui nous le devons ,
fuffifent pour en faire connoître tout le
prix. M. le Premier Préfident de Lamoi-,
gnon étoit l'ame des conférences où furent
examinés les articles de l'Ordonnance
civile de 1667 , & de l'Ordonnance
criminelle de 1670 ; la capacité , la droi
ture & les lumières de ce célèbre Magif- ,
Div
$6 MERCURE DE FRANCE .
trat , ont toujours été l'objet de l'admiration
publique. L'élévation de fon génie ,
éclairé par l'étude des loix , fortifié par
une longue expérience , donnoit tant de
poids à fes opinions , qu'il les faifoit
aifément fuivre par la force qu'elles emptuntoient
de fon autorité .
>
M. l'Avocat- Général Talon fit également
paroître , dans ces conférences
cette profonde érudition & cette folidité
de jugement , qui l'ont toujours fait
regarder comme le premier Avocat du
Royaume , par fon propre mérite , comme
il l'étoit déjà par fa dignité.
Entre MM. les Commiffaires du Confeil
nommés pour ce travail précieux ,
on vit briller fur-tout la pénétration &
l'habileté de M. Puffort , qui fur chargé
de dreffer le plan des articles de la réfor
mation. Tout les Magiftrats qui compofoient
ces fameufes affemblées , contribuèrent,
par leurs talens , à la réformation
de la juftice , & à la perfection d'un Ouvrage
, où l'on difcuta avec habileté , les
points les plus fubtils de la procédure ,
& où l'on traita , avec profondeur , les
plus grands & les plus fecrets myſtères
de la Jurifprudence . Rien ne fut omis
dans cette favante difcuffion ; & tous les
JANVIE R. 1777.
Tribunaux ont fenti le prix de cet Ouvrage
, & fe font un devoir de le confulter.
On y a joint une inftruction fur les matières
civiles & criminelles qui ont rapport
à l'une & à l'autre Ordonnance.
L'utilité de cette addition eft telle , qu'en
même-temps que l'on apprend la difpofition
de la loi par la lecture du texte ,
on fe trouve en état d'en faire l'application
.
On a corrigé & perfectionné dans cette
nouvelle édition , fi attendue , les deux
précis qui font à la tête des deux Ordonnances
, & où il y avoit un grand nombre
de fautes & d'omiflions ; outre cet avantage
, on a encore corrigé les fautes qui
s'étoient gliffées dans le texte du procès
verbal , fans déranger l'ordre de l'édition
précédente , afin qu'on puiffe vérifier
commodément les citations qui ont été
faites de ce procès verbal , dans plufieurs
Ouvrages de Jurifprudence. Il fuffit
d'annoncer un tel Ouvrage pour déterminer
les Magiftrats , les Jurifconfultes
& les Praticiens , d'en faire l'acquifition
.
Conférences Eccléfiaftiques du Diocèfe
'Angers , fur les États. Tome II.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
A Paris , chez la veuve Defaint , rue
du Foin Saint Jacques.
On a avoué dans tous les fiècles , que
l'ignorance des Miniftres de l'Eglife étoit
le mal le plus funefte qui pût arriver à
FEglife , en même temps qu'elle étoit la
fource d'une infinité d'autres maux. Les
qualités de Docteurs , de Pères , de Guides
, de Juges , de Médecins fpirituels
du Peuple Chrétien , dont l'Eglife les
honore , font autant de titres qui les
obligent à étudier la doctrine des Saints ,
fur-rout celle qui a rapport à la morale
pratique. Le caractère faint , loin de
donner les lumières , forme au contraire
un nouvel engagement pour les acquérir.
" Les Scribes & les Prêtres de la Loi ,
perfuadés que la connoiffance de fes
préceptes & de fes ordonnances , étoit
inféparable du Sacerdoce , dit un Paf-
» teur éloquent , affectoient de porter
" attachés à leurs vêtemens , & éta-
» loient avec oftentation leurs philactères ,
"
30
N
35.
qui n'étoient que des rouleaux amples
» de la loi , dont ils bordoient le bas
» de leurs robes. C'étoit , à la vérité ,
» une affectation pharifaïque & ridicule ;
mais ils nous apprennent du moins
JANVIER . 1777. S4
93.
22
"
22
qu'un Prêtre ne doit jamais marcher
» & paroître nalle part , fans porter avec
» lui la loi , non pas attachée à fes vête-
» temens , mais gravée profondément
» dans fon efprit & dans fon coeur. Dans
le Paganifme même , les Prêtres des
» Idoles n'avoient point d'autre occupa
tion , qu'une étude affidue des fables
» & des extravagances de leur mytholo
gie; ils vivoient retirés dans l'obfcurité
» de leurs Temples , pour répondre aux
Peuples abufés qui venoient les con
fulter fur leurs myftères impurs , in-
» fenfés , avant de s'y faire initier ; &
» nous établis , ajoute - t -il , pour nous
inftruire à fond d'une Religion fi fublime
, fi divine ; chargés de nous
remplir fans ceffe d'une doctrine, fr
fage & fi confolante , nous ne fenti-
» rions aucun goût pour nous en inftruire,
» pour la méditer & l'approfondir ? »
Tous les motifs les plus preffans fe réu
niffent donc pour engager les Miniftres
de l'Eglife à s'appliquer ferieufement
l'étude de la morale chrétienne. Tel eft
le but des Conférences fi fagement établies
, & fi propres à exciter une louable
émulation parmi les Pafteurs , & à les
prémunir également contre les dangers
22
י
D vj
宮本MERCURE DE FRANCE.
de l'ignotance , & contre les fophifmes
& les illufions de la cupidité. Ce poifon
fi actif fe gliffe dans tous les états ; &
rien n'eft fi propre à arrêter cette contagion
, qu'un cours de morale où l'on ne
cherche point à éluder la loi par de
fauffes interprétations , & par des opinions
relâchées , qui ne raffurent la confcience
que pour la tromper. L'Auteur de
ces Conférences a fu éviter cet écueil ,"
en traitant la matière des devoirs de
chaque profellion . Les règles qu'il trace
font conformes à l'Evangile ; il ramène
tout à une confcience éclairée & à la
loi de Dieu , qui ne peut ni changer ,
ni plier. Les articles des Conférences
renfermées dans ce troifième volume ,
font intéreffans : devoirs des gens de
guerre , des Maîtres & des Difciples ,
des Médecins & de tous leurs coopérateurs
, des Financiers , des Marchands ,
des Artifans , des gens mariés , &c. Tous
ceux qui font renfermés dans ces différentes
claffes , trouveront dans ces Conférences
l'éclairciffement des difficultés
qui peuvent les arrêter , l'exercice de
leurs devoirs , les divines Ecritures , les
Saints Canons , les Conciles , les Souverains
Pontifes , les écrits des Pères ;
JANVIER. 1777. 85
voilà les fources où l'Auteur des Conférences
prétend avoir puifé ; & ce font
les feules que les Pafteurs doivent ref
pecter , parce qu'elles conduifent à la
vérité , & qu'elles fourniffent les vrais
moyens de fanctification pour chaque
état.
•
Précis hiftorique de la vie de Jéfus- Chrift ,
de fa doctrine , de fes miracles , & de
l'établiffement de fon Eglife ; accompagné
de réflexions & de penfées choifie's
fur la Religion & fur l'incrédulité.
Par feu M. Tricallet , Directeur du
Séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet
; nouvelle édition , revue &
corrigée. A Paris , chez Lottin l'aîné ,
Impr.-Lib. rue St Jacques .
Le précis de la vie de Jésus -Chriſt ,
qui eft à la tête de cet Ouvrage , eft
extrait du difcours fur l'hiftoire univerfelle
., par M. Boffuet. Cela feul fuffic
pour faire l'éloge de ce morceau. L'Auteur
du fiècle de Louis XIV a dit avec
raifon , que ce difcours n'avoit eu ni
modèle , ni imitateurs ; & l'on peut
ajouter , d'après les meilleurs Juges en
ce genre , que c'eft un chef- d'oeuvre qui
86 MERCURE DE FRANCE.
>
réunit tout à la fois ce que le génie
de plus fublime , la politique de plus
profond , la morale de plus fage , le ftyle
de plus vigoureux & de plus brillant
l'art de plus étonnant. On a joint à l'extrait
de ce difcours , dont on devroit
faire apprendre aux jeunes gens la fe-,
conde partie par coeur , tout ce que Saint
Chryfoftôme & Saint Auguftin , les deux
grandes lumières de l'Eglife , nous ont
dit de relatif à l'objet de ce recueil. On
39
כ
joint quelques extraits de nos meilleurs
Poëtes , & ceux de M. de Fénélon's
qu'on relit toujours avec un nouveau
plaifir. " Toutes nos actions & toutes
» nos penfées , dit un célèbre Apologifte
» de la Religion chrétienne , doivent
prendre des routes fi différentes , felon
qu'il y aura des biens éternels à efpérer
» ou non ; qu'il eft impoffible de faire
» une démarche avec fens & jugement
» qu'en la réglant par ce point de vue ».
Or, rien n'eft plus propre à nous faire
difcuter cette importante queftion de la
vérité de notre Religion avec impartialité,
que la lecture de ces recueils , où l'on
trouve réunis les principaux argumens
en faveur de la Religion chrétienne , &
les plus beaux endroits des Ouvrages de
fes illuftres Défenfeurs .
59
JANVIER. 1777. 87
Differtation théologique fur l'ufure du prêt
du Commerce. A Rouen , chez Dumefnil
, Impr. rue de l'Ecureuil.
On a donné en 1762 une nouvelle
édition de l'Examen théologique fur la
fociété du prêt à rente , & c. où l'on
juftifie le profit qu'on exige de ceux qui
n'empruntent que pour gagner avec la
fomme empruntée. Cet Auteur fe fondoit
, 1 ° . fur la liberté de l'Emprunteur ,
qui paye les intérêts ; 2 ° . fur le grand
profit qui lui en revient ; 3 ° . fur la comparaifon
du prêt de commerce avec le
contrat de louage. On réfute , dans la
Differtation que nous annonçons , cette
opinion , qu'on regarde comme favorable
à l'ufure. L'Auteur fuppofe , d'après l'expérience
journalière, qu'il y a beaucoup
de gens pécunieux , qui ne veulent ni
conftituer leurs deniers en rente , ni acheter
des terres ou d'autres fonds , ni faire
aucun commerce , ni expofer leur argent
aux rifques d'une fociété légitime ; qui
enfin peuvent prêter , fans en fouffrir le
moindre dommage. Ces gens- là , quoiqu'on
en puiffe dire , ne font aux yeux
du Differtateur , ni de près , ni de loin ,
88 MERCURE DE FRANCE.
dans le cas du lucre ceffant ou du dommage
naiffant, & font par conféquent dans
l'obligation, lorfqu'ils prêtent , de le faire
fans intérêt. Voilà ce que l'on prétend
prouver dans la differtation , contre tous
ceux qui juftifient l'intérêt du prêt de
commerce.
Traité de l'ufure & des intérêts , augmenté
d'une défenſe du Traité , & de
diverfes obfervations fur les écrits qui
l'ont combattu. A Lyon , chez Bruifet
Ponthus.
Cet Ouvrage contient trois parties :
1º. tout ce qui a rapport au prêt & à
l'ufure ; 2 °. les titres fur ajoutés au prêt ,
qui peuvent autorifer à retirer des inté
rêts ; le profit ceffant & le dommage
naillant ; le rifque que le prêt fait courir ;
le délai du payement ; la fentence du
Juge ; le don des intérêts . 3 ° . Les contrats
différens du prêt , qui peuvent donner
lieu à des intérêts légitimes ; expofition
du contrat à intérêt , différent du
prêt ; preuve de la légitimité du contrat
à intérêt , différent du prêt ; réponſe aux
objections contre la légitimité du contrat
à intérêt, différent du prêt ; autorité des
JANVIE R. 1777 . 89
Papes , du droit canonique , des monts
de piété , favorables aux contrats à intérêts
, différens du prêt . L'Auteur foutient
qu'il a trouvé le jufte milieu qu'on doit
choifir entre les deux fentimens qui font
les plus communs , parce qu'ils font les
plus faciles à fuivre ; & il fe fert pour
cela de la fameufe Lettre Encyclique de
Benoît XIV , où ce Pape , de bonne mémoire
, s'éloigne également de l'opinion
des Docteurs trop févères , & de celle
des Cafuiftes relâchés . On a joint à cette
Lettre les déclarations des Univerfités
de Cologne , de Trèves , & une réponſe
à l'Auteur des principes théologiques . Ce
recueil contient des difcuffions intéreffantes
fur une matière qui a été trop
fouvent agitée parmi les Théologiens.
On defire depuis long temps de trouver
des moyens de conciliation qui ne bleffent
ni les intérêts de la charité chrétienne
, ni ceux du commerce , fi lié au
bien public,
x L'Iliade traduction nouvelle 2 vol.
in 12 , à Paris , chez Ruault, Libraire ,
rue de la Harpe.
Nous devons cette traduction au même
90 " MERCURE DE FRANCE.
Auteur qui donna , avec fuccès , il y a
quelque temps , une traduction du Talle .
Celle qu'il publie aujourd'hui de l'Iliade ,
ne peut manquer de produire une grande.
fenfation . Un ton poétique , une élévation
& une chaleur foutenues , un ſtyle
clair , vif & rapide , font les avantages
qui la diftinguent , & qui doivent la
rendre préférable à toutes celles en profe
qui ont déja paru aux yeux de ceux qui ,
ignorant la langue d'Homère , cherchent
à prendre une idée de fon génie & des
beautés de fa poéfie. Il fuffit , pour fe
convaincre de ce que nous venons de
dire , de la comparer à celle de Madame
Dacier , une des plus connues & des plus
eftimées , & qui, malgré la réputation &
la vogue qu'elle a eue , n'a guères d'autre
mérite que celui de la fidélité ; mérite , à
la vérité, fort effentiel , & le feul cependant
que le nouveau Traducteur paroiffe
avoir négligé quelquefois. Refte à favoir
fi l'on doit préférer une verfion rigoureufement
fidelle , & où le fens de l'original
fe trouve exactement confervé , comme
tous les traits d'un beau tableau le font
dans une gravure , ou une traduction un
peu plus libre , mais dans laquelle on
retrouve davantage la vie & la chaleur
JANVIER. 1777 . 91
que
qui animent ce même original . Il ne s'agit
de réfoudre cette queftion pour prononcer
entre la traduction de Madame
Dacier & celle que nous annonçons.
Nous allons extraire de l'une & de l'autre
le commencement du premier livre ,
très-propre à fervir de pièce de comparaifon
, & à établir l'idée de la différence
des deux ftyles , & des deux manières de
traduire. Voici comme s'exprime Madame
Dacier.
"
« Déeffe, chantez la colère d'Achille, fils
de Pélée ; cette colère pernicieufe, qui
» caufa tant de malheurs aux Grecs, & qui
précipita dans le fombre Royaume de
Pluton, les ames généreufes de tant de
Héros , livra leurs corps en proie aux
» chiens & aux vautours , depuis le jour
fatal qu'une querelle d'éclat eut divifé
» le fils d'Atrée & le divin Achille ; ainfi
» les décrets de Jupiter s'accompliffoient:
Quel Dieu les jeta dans ces diffenfions ?
» Le fils de Jupiter & de Latone , irrité
contre le Roi qui avoit déshonoré Chry、
» sès, fon facrificateur , envoya fur l'ar-
» mée une affreufe maladie , qui empor-
» toit les peuples. Car Chrysès étant allé
» aux vaiffeaux des Grecs chargé de
préfens pour la rançon de fa fille , &
و د
39
ود
92 MERCURE DE FRANCE.
ود
ود
»
» tenant dans fes mains les bandelettes
» facrées d'Apollon avec le fceptre d'or ,
pria humblement les Grecs , & fur-
» tout les deux fils d'Atrée , leurs Géné-
» raux : fils d'Atrée , leur dit-il , & vous,
généreux Grecs , que les Dieux qui
habitent l'Olympe , vous faffent la
grâce de détruire la fuperbe ville de
» Priam , & de vous voir heureuſement
» de retour dans votre patrie ; mais ren-
» dez- moi ma fille en recevant ces préfens
, & refpectez en moi le fils du
» grand Jupiter, Apollon , dont les traits
» font inévitables .
ود
و د
"
»
» Tous les Grecs firent connoître par
un murmure favorable , qu'il falloit
refpecter le Miniftre du Dieu , & rece-
» voir fes riches préfens : mais cette
» demande déplut à Agamemnon , aveuglé
par fa colère. Il renvoya durement
Chrysès , & accompagna fon refus de
» menaces : vieillard , lui dit-il , que je
» ne te trouve pas déformais dans mon
» camp , & qu'il ne t'arrive jamais d'y
revenir , fi tu ne veux que le fceptre
" & les bandelettes du Dieu dont tu
» es le Miniftre , ne te foient inutiles.
Je ne te rendrai point ta fille avant
qu'elle ait vieillie dans mon palais , à
20
30
"
JANVIER. 1777 . 93
ور
Argos , loin de fa patrie , travaillant
» en laine , & ayant foin de mon lit.
» Retire- toi donc , & ne m'irrite plus
davantage par ta préfence , fi tu as
quelque foin de tes jours . »
99
"
4
Voyons maintenant la verfion du nouvel
Interprête d'Homère. « Mufe, chante
la colère d'Achille ; cette colère fu-
» nefte , plongea les Grecs dans un abîme
» de douleurs , qui , avant le temps ,
précipita dans les fombres demeures
» une foule de Héros ; & de leurs cada- ;
» vres fanglans , fit la pâture des chiens
» & des vautours.
2
» Ainfi l'ordonna la volonté fuprême
» de Jupiter , depuis qu'une fatale que-
» relle divifa le fils d'Atrée , le Monar-
» que des Rois , & le divin Achille.
35
"
Quel Dieu alluma le flambeau de
» ces triftes difcordes ? Le fils de Jupiter
» & de Latone , pour venger l'outrage
fait , par Agamemnon , à Chrysès , fon
» Prêtre ; Apollon , enflammé de courroux
, lança fur l'armée des Grecs la
contagion & la mort , & les peuples
périrent .
"
*
Chrysès étoit venu pour rompre les
» fers d'une fille chérie ; il apportoit des
tréfors pour prix de fa liberté : dans
94
MERCURE DE FRANCE.
» fes mains étoient un fceptre d'or & des
» bandelettes facrées ; il imploroit tous
» les Grecs ; il imploroit fur-tout les
deux Atrides , les Chefs fuprêmes des
» Guerriers .
»
Fils d'Atrée , & vous généreux vengeurs
de la Grèce , puiffent les Dieux
» immortels livrer à vos coups la ville
» de Priam ? Puiffiez-vous retourner dans
» votre patrie vainqueurs & riches de fes
dépouilles ! Rendez , rendez- moi une
» fille tendrement aimée , & recevez la
» rançon que je vous offre. Refpectez
» dans fon Prêtre le fils de Jupiter , le
» Dieu qui lance au loin d'inévitables
» traits.
"
» Il dit : & tous les guerriers , avec
» un murmurę favorable, accueillent fon
» diſcours , tous veulent qu'on cède à fa
prière , & qu'on accepte les tréfors
qu'il apporte.
19
و د
" Mais l'orgueil d'Agamemnon fe ré-
» volte & s'indigne ; & par cette cruelle
réponſe , il ajoute encore à la dureté
» du refus .
9"
» Fuis , vieillard , fuis , & garde que
» mes yeux ne te rencontrent encore fur
» ces rives ! Ni ton fceptre , ni tes bandelettes
, ne pourroient te dérober à
JANVIER. 1777. 95
"
» mon reffentiment ; je ne te la rendrai
point , que la vieilleffe n'ait flétri fes
» appas. Je veux , qu'au fein d'Argos ,
» dans mon palais , loin de fa patrie , elle
» tourne le fufeau , & ferve fous mes
» loix : pars , crains d'allumer mon courroux
, fi tu veux fauver tes jours.
»
Il est facile de voir combien cette manière
de partager la narration en périodes
courtes , y répand d'intérêt , de nobleffe
& de rapidité. On peut remarquer
auffi le Traducteur fe permet en
que
profe les inverfions les plus hardies de
la poéfie . Ces inverfions font quelquefois
un heureux effet , & contribuent en
général beaucoup à animer le ftyle ; mais
outre que fouvent elles font trop perdre
à la profe ce caractère de fimplicité
qu'elle doit toujours conferver , même
lorfqu'elle emprunte les couleurs de la
poéfie , & qu'on retrouve avec tant de
plaifir dans l'admirable profe de Télémaque
; il en eft plufieurs qui doivent
paroître trop forcées , comme celle- ci :
de leurs cadavres fanglans, fit la pâture
des chiens & des vautours.
Cette légère remarque que nous hafardons,
ne diminue en rien le mérite de
la traduction de M. L. B.; nous allons
96 MERCURE DE FRANCE.
la mettre encore en parallèle avec celle de
Madame Dacier, dans un endroit du quatrième
livre . Le Poëte y peint le moment
où les armées Grecque & Troyenne
font en mouvement pour le combat.
Ce font les morceaux de ce genre , où
le feu & l'élévation du génie d'Homère
fe déployent le plus , que M. L. B. a
fur-tout traduits avec fuccès , & dans
lefquels on fent le mieux la fupériorité
de fon ftyle , fur le ftyle foible de Madame
Dacier.
Verfion de Madame Dacier : « Comme
lorfque le violent zéphir exerce fa ty-
» rannie fur la vafte mer , on voit d'a-
» bord les flots s'amonceler au milieu de
» la plaine liquide , & venir les uns fur les
» autres fe brifer contre le rivage avec
» de longs mugiffemens, où, luttant con-
» tre un orgueilleux rocher , qui s'oppofe
» à leur furie , & s'élèvant comme des
» montagnes , on les voit enfin vaincre
» fes efforts , & le couvrir d'algue &
» d'écume ; telles on voyoit s'avancer les
» nombreuſes phalanges des Grecs qui
» marchoient au combat. Elles avoient
chacune à leur tête leurs chefs, qu'elles
fuivoient dans un profond filence
» pour entendre & pour exécuter leurs
» ordres
"
JANVIER. 1777. 97
»
"
» ordres plus promptement. Vous euffiez
» dit que Jupiter avoit ôté la voix à cette
» multitude innombrable de peuples . Les
» armes dont ils étoient revêtus , jetoient
» un éclat que l'oeil ne pouvoit foutenir.
» Au contraire, les Troyens étoient dans
» leur camp , femblables à de nombreux
troupeaux de brebis quifont répandues
» dans les parcs d'un homme riche ; &
qui , pendant qu'on tire leur lait , &
qu'elles entendent la voix des agneaux
qu'on leur a ôtés , font retentir de leurs
» bêlemens tout le pâturage. Tel eft le
» bruit confus des troupes innombrables
» dont l'armée des Troyens eftcompofée;
» car elles n'ont pas toutes le même art,
ni le même langage ; mais c'eſt un
mélange confus de langues , comme
» de troupes ramaffées de toutes fortes
» de nations .
•
"
و د
ود
ود
"
» Les Troyens font animés par le Dieu
» Mars, & les Grecs par la Déeffe Mi-
» nerve ; ces deux divinités font fuivies
» de la terreur , de la fuite & de l'infa-
» tiable difcorde , four & compagne de
» l'homicide Dieu des combats , & qui ,
» dès qu'elle commence à paroître , s'é-
» lève
infenfiblement , & bientôt, quoi-
» qu'elle marche fur la terre , elle porte
11. Vol. E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
La tête orgueilleufe jufques dans les
cieux. Cette Déeffe implacable fo-
» mente l'animofité dans tous les coeurs ;
» & courant de rang en rang dans les
armées , elle allume la rage des com-
» battans , &-fe nourrit des maux qu'elle
» leur prépare.
»
32
Quand ces deux armées fe joignent
» & viennent aux mains , les boucliers
» fe heurtent , les lançes fe croifent ,
» l'haleine & les foupirs des combattans
» fe mêlent ; un bruit effroyable retentit
33
au loin ; les cris des vaincus & des
» vainqueurs , des bleffés & des mou-
» rans fe confondent , & la terre eft inondée
de ruiffeaux de fang , tels qué.
d'impétueux torrens groffis par les
pluies de l'hiver , & rompant leurs
digues , fe précipitent avec furie du
» haut des monts , & mêlent leurs eaux
» indomptables dans la fondrière d'un
» vallon ; les Pafteurs , au haut des ro-
» chers les plus reculés , entendent avec
» étonnement ce bruit horrible : tel eft le
» bruit que forment les cris & la fuite de
» tant de guerriers qui fe mêlent & qui
fe pouffent, ".
"
Verfion de M. L. B. « Toutes les phalanges
Grecques s'ébranlent. L'oeil tenJANVIER
. 1777. 99
du , l'oreille attentive à la voix des
» chefs qui les guident , elles marchent
» toutes dans un filence terrible & me-
" naçant de leurs armes jaillit le feu
» des éclairs. Tels , quand le fougueux
Aquilon eft déchaîné fur la mer , on
» voit les flots blanchir , s'amonceler, &
» bientôt en mugiffant , fe brifer für le
rivage , ou luttant contre les écueils ,
» les couvrir d'alque & d'écume .
» Les Troyens pouffent de tumultueu-
» fes clameurs ; dans ce confus allemblage
de mille peuples divers , mille
» fons différens fe font entendre ; ainfi ,
» dans un vafte troupeau , les cris des
» tendres agneaux fe mêlent au bêlement
» de leurs mères .
ود »MarsentraînelesTroyens;Minerve
guide les Grecs. Devant eux , marchent
» la terreur , la fuite, la difcorde funefte,
» foeurs de l'homicide Dieu des combats .
» Foible en fa naiffance , la difcorde s'élève
comme un géant ; fes pieds fort
» fur la terre ; fon front eft dans les -
» cieux. Elle s'élançe au milieu des guer-
» riers , les embrafe de fes flammes , &
appelle à grands cris le carnage & lạ.
ور
» mort.
» On s'approche , cafque contre caf
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
» que ; bouclier contre bouclier , épée
contre épée ; on fe heurte, on s'égorge .
» D'affreux mugiffemens épouvantent les
» airs . Les vaincus , les vainqueurs fe
mêlent & fe confondent. On entend ,
» tout à la fois , les cris de la mort & les
» chants de la victoire. Le fang ruiffele ,
la » plaine en eft inondée.
ود
Tels , du haut des montagnes, mille
» torrens fe précipitent , & vont , avec
» un horrible fracas , fe perdre enſemble
» dans un vallon ; le Paſteur , dans les
» forêts , entend au loin ce bruit affreux,
fon coeur eft glacé d'effroi . Ainfi fe
mêlent les accens de la fureur & les
cris du défefpoir.
33
ן כ
M. L. B. a mis à la tête de fa traduction
de l'Iliade , celle d'un dialogue que
lui a communiqué un favant Anglois
qui a vécu long- temps au milieu des ruines
de la Grèce , & qui a trouvé ce morceau
intéreffant fous les débris d'une des
mafures qui couvrent le lieu où fut autrefois
Athènes. Le texte en eft joint ici
à la traduction. Dans ce dialogue , Homère
paroît fous le nom de Méléfigène ,
& développe lui-même , fur un ton plein
de raifon & de philofophie , le fens &
le but moral de fon Iliade. M. L, B. croit
JANVI E R. 1777 . for
que cet ouvrage a été compofé par un'
de ces rapfodes , qui alloient dans la Grèce
chanter les vers d'Homère.
Difcours qui a remporté les deux Prix
d'Eloquence , au jugement de l'Académie
de Befançon , en 1776 , fur
ce fujet Combien le refpect pour
les Moeurs , contribue au bonheur d'un
Etat. Par M. l'Abbé de Moy , Chanoine
Honoraire de Verdun , & Curé
de S. Laurent , à Paris. A Paris , chez
le Jay , Libraire , rue S. Jacques .
Les Fléchier, les Boffuet, les Fénélon,
furent des Paſteurs auffi recommandables
par leurs vertus que par leurs lumières
& leurs talens ; & cependant ils ne
dédaignèrent pas de cultiver les Lettres
& l'Eloquence . Un Miniftre de l'Eglife
remplit d'autant mieux les devoirs de
fon état , qu'il pofsède dans un degré
fupérieur le don précieux de la parole.
C'eft en faifant un faint ufage de ce
talent , devenu fi rare , qu'il a la confolation
de ramener à la vertu , & de
foumettre au joug de l'Evangile , les
efprits les plus rebelles. Et c'eft en
employant les reffources de l'Eloquence,
Enj
102 MERCURE DE FRANCE.
qu'on rend aimable la morale de l'Evan
gile , & qu'on fait la préfenter fous les
couleurs qui lui conviennent. Or, peuton
atteindre ce but , fans employer les.
images qui faififfent vivement l'imagination
, & les figures de l'art oratoire
destinées à remuer les paffions ? Un Paf
teur du premier & du fecond ordre
doit donc , plus qu'un autre , cultiver
, par un fréquent exercice , le talent
de la parole : & les Académies concourent
à perfectionner ce talent , en
donnant , pour fujet d'Eloquence , des
vérités de morale. Jamais vérité ne fut
plus propre à réveiller le zèle d'un Pafteur
de l'Eglife , que celle que l'Académie
de Befançon a propofé l'année
dernière. L'Orateur n'a pu entrer en
lice , fans déployer tous les tréfors de
l'Eloquence , & fans employer tous les
ornemens du ftyle. D'ailleurs , comme
Pobferve , avec tant d'élégance , l'Orateur
couronné , un Pafteur doit fe monter
au ton de fon fiècle . r Dès que
les Apologiftes du vice font lettres ,
» il faut bien , ajoute - t - il , que les
» Apôtres de la vertu le devienrent.
Il faut , pour combattre les premiers
» avec fuccès , que ceux-ci remontent
JANVIE R. 1777 . 103
"
aux fources où ceux-là vont puifer
» des moyens : il faut aufli qu'employant
les richeffes de l'Egypte , à décorer les
Temples du vrai Dieu , fes Ministres
» tâchent de répandre , fur les inftruc-
» tions religieufes , un charme égal à
» celui que les partifans de la fauffe
Philofophie , impriment à l'objet de
leur culte . Parlez , écrivez , féduifez
» comme eux , & comme eux vous aurez
des Difciples ; vous en aurez infini
» ment davantage , puifque vous an
» noncerez le vrai .
99
33
Ce fur le fecret des Chrifoftôme , des
» Léon , & de cet Evêque d'Hyppone ,
» non moins inftruit que Cicéron , plus
éclairé que lui , & auquel il n'a man-
» qué pour être aufli éloquent , que
» de naître dans les beaux jours de la
littérature romaine. Ce fut celui de
» ce Boffuet , dont l'érudition étonne 5
dont l'élocution entraîne , & qui ne
laiffe à fon lecteur , ni la volonté ,
» ni le pouvoir de lui réfifter. Ce fut
» celui de ce Fénélon , qui femble avoir
» dérobé à Homère , la ceinture des grâ
ces , pour en parer la vérité , les
moeurs , la vertu , & leur foumettre
tous les coeurs, Ce fut fur-tout celui
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
» de ce Maffillon , fi doux , fi élégant ,
qui nous dérobe , fous des fleurs
» les chaînes de la perfuafion , & qui
à fait fi bien émouvoir & toucher , en
paroiffant ne chercher qu'à plaire ».
ןכ
Le refpectable Pafteur , à qui la double
couronne a été fi juftement décetnée
, n'a point manqué aux engagemens
de fon état , en marchant fur les traces
des Pères de l'Eglife , qui peuvent être
regardés comme les grands modèles de
L'Eloquence. Ce ne feroit pas leur rendre
une entière juſtice , de ne les regarder
comme de grands hommes , que
parce qu'ils étoient de grands Saints.
S'ils n'avoient pas toujours la véhémence
& la rapidité de Démosthène , ils avoient
au moins une douceur & une infinuation
, qui eft peut-être plus propre à perfuader
l'efprit humain , dont l'orgueil
inflexible à moins de peine à fe laiffer
gagner par le fentiment , qu'à céder à la
force & à l'empire de la raifon . M. l'Abbé
de Moy a fu joindre à ce talent qui ca
ractérife les Orateurs facrés , nos premiers
Maîtres , ce que l'éloquence a de
plus brillant & le ftyle de plus orné. Il
poſsède cet heureux art d'embellir la
raifon , d'adoucir la rudeffe de fes traits ,
JANVIE R. 1777. 105
de lui donner une teinte vive & agréa
ble , de la dépouiller de cette fécherelle
qui révolte & de cette monotonie qui
dégoûte . Si cet Orateur paroît s'être un
peu trop livré aux ornemens de l'art , &
fur- tout à ceux de la mythologie , c'eſt
qu'il eft impoffible d'avoir , fans cette
reffource , un coloris brillant , & cette
heureufe variété de tours qui anime le
ftyle & le rend intéreſſant . D'ailleurs , le
vice n'y eft pas revêtu de couleurs féduifantes
, comme on le voit quelquefois
dans plufieurs Moraliftes modernes , &
la vertu y eft parée de tous fes attraits.
L'Orateur n'a pu manquer de s'être propofé
, & le fujet qu'il a traité juftifie
cette profufion de richeffes qu'on remarque
dans fon Ouvrage . Etaler ce que
l'éloquence a de plus riche , pour prouver
que les moeurs honnêtes fervent au
bonheur d'un Etat , c'eft fervir également
la Religion & la Patrie , & préparer des
triomphes à l'Evangile. Ecoutons l'Orateur
lui - même , & nous applaudirons
fans peine à fes talens , & à l'ufage qu'il
en a fait dans fon Difcours , que l'Aca
démie de Befançon a préféré à trente-Gx
autres Ouvrages qui lui ont été préfentés .
Les moeurs , elles font indépendantes
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
» des cultes & des légiflations , des temps.
» & des climats. Filles de la conſcience ,
la vérité les accompagne & la félicité
» les fuit. Qui pourroit même , fans elles,
» jouir de l'inestimable avantage d'être
» bien avec foi- même & bien avec les.
autres ?.... Quoique l'Orateur foit
perfuadé , comme il le dit lui - même ,
qu'il n'y a pas de principe de moeurs plus
fécond & plus fûr que notre Religion
fainte , il a cru devoir envifager fon fujer
du côté littéraire , & parler un langage
que puffent entendre les hommes de
toutes les croyances & de tous les temps .
« La félicité ne fauroit naître que du
refpect pour les moeurs. Seul , il peut
» affurer aux Nations la tranquillité au
» dedans & la confidération au dehors.
» Tel ce Palladium de la Fable , auquel
» étoit attaché la deftinée d'une Ville-
59
fuperbe, triomphante & fortunée, aufli
long temps qu'il fut l'ornement de fes
murs ; à peine l'eût elle laiffé ravir ,
» qu'elle n'offrit plus que des ruines ".
L'Orateur s'exprime avec force contrele
luxe , qu'il regarde comme l'ennemi
de la félicité publique , puifqu'il enlève
P'homme à la terre , la terre à l'homme ,
& brife le reffort des Etats. « O toi !
JANVI E R. 1777. 107
ود
le peintre des grâces & l'interprête de
» la raifon , Poëte des Philofophes ! tn
déplorois , fous ce règne d'Augufte , fi
» vánté de nos Orateurs , l'affreufe vora-
» cité du luxe , qui déjà ne laiffoit plus
d'efpace à la charrue pour tracer des
» fillons ! Tu gémiffois de voir le platane
» célibataire remplacer de toutes parts
» le compagnon & l'appui de la vignes.
l'olivier fructueux difparoître devant
» le myrthe , qui n'eft qu'odorant ; des
» bâtimens auffi faftueux qu'inutiles
"J
pefer fur les champs qui nourriffoient
» autrefois les Camille & les Crorius !
Que dirois- tu , fi , tranſporté tout àcoup
dans les alentours de nos Villes:
» principales , tu te voyois contraint
» d'errer pendant plufieurs milles , avant:
d'appercevoir les pas de l'agriculture
imprimés fur le fol ! Si tu ne rencon-
» trois , au lieu d'elle , que de vaftes.
pièces d'eau , qui n'ont pas même le
mérite d'imiter la nature ; d'immenfes
tapis de gazon qu'on ceffe de trou- ~
» ver beaux , lorfqu'ils commencent
» à devenir utiles , & c. Plût aux Dieux !
t'écrirois-tu , que les pères de ces pro-
»priétaires fomptueux, euffent reffemblé
à leurs efféminés defcendans ! Jamais
23
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
»le fang Romain n'eût abreuvé les Gau-
» les , & cimenté les fondations de l'Em-
» pire des Francs .
Les moeurs faifoient alors la force
» de nos aïeux. Ce font elles qui élèvent
» les Etats ; c'eft le luxe qui les renverſe ;
» c'eft lui qui , plus puiffant que le Dien
de la guerre , vengea Carthage &
» l'Univers , des fers qu'ils avoient reçu
» de l'Italie . Sous fa main fe détend
» & fe rompt le reffort des Gouverne-
» mens.
"
» La crainte peut bien refter à l'efclave.
Comme il reçoit du luxe le peu
» de fleurs qui couvrent fa chaîne , il doit
» trembler de perdre ce honteux adou-
» ciffement. Mais l'honneur , mais la
» vertu , on les chercheroient inutilement
» dans les climats où le luxe domine :
" trop de diſtance fépare ces objets . La
» vertu ne cherche qu'à bien faire ;
» l'honneur , qu'à mériter l'eftime ; le
» luxe qu'à s'enrichir. La vertu fe dévoue
» à l'Etat , l'honneur s'y loue , le luxe s'y
» vend » .
ود
Ce que l'Auteur dit des Loix , qu'on
regarde comme le fupplément des moeurs,
doit avoir fait fenfation fur tous les Lecteurs
attentifs. « Toute loi impofe une
JANVIE R. 1777. 109
» obligation & une peine . A mefure que
le nombre des premières s'accroît , la
» lifte des peines & des obligations fe
groffit. Il faut des Prêteurs pour les
» faire connoître ; il faut des Licteurs
» pour les faire exécuter. Viennent en-
» fuite les Sénatus Confultes qui , foas
ود
"
prétexte de les éclaircir , ajoutent à la
» difficulté de les entendre ; les commen-
" taires qui concourent à les embrouiller
; la Jurifprudence qui achève de
» tout confondre . Il arrive un temps où
la Nation fe trouve divifée en deux
» grandes claffes , dont l'une armée , ce
» femble , par les loix & pour les loix ,
» n'eft occupée qu'à frapper ou effrayer
» l'autre ; & celle- ci , incertaine & trem-
» blante au milieu de ce labyrinthe d'Or-
» donnances & de Réglemens , ne ceffe
» de faire des chûtes , dont elle eft punie ,
ou n'ofe faire un pas dans la crainte ,
» contre quelqu'une des bornes que le
Gouvernement a pofées autour d'elle .
Quelqu'un qui chercheroit le bonheur
» au fein d'une pareille légiflation , reffembleroit
à ce Guerrier d'Homère qui
» demandoit le jour , quand Jupiter
» avoit couvert l'horizon de ténèbres.
4
"
» Athènes eut des moeurs & des ver
110 MERCURE DE FRANCE.
"
" tus ; & , pour tout dire , Athènes fut
heureufe avant d'avoir des loix . Celles
de Dracon la peuplèrent de bourreaux
» & de victimes ; celles de Solon la li-
» vrèrent aux factions , aux cabales , aux
» divifions intestines . Sparte même , re-
» doutée par fes armes , ne trouvoit pas
» le bonheur dans fa légiflation. Lycur-
" gue , en faifant de fes Concitoyens des
" lions contre l'ennemi , en avoit fait des
tigres pour leurs propres enfans & pour
» leurs efclaves. Et toi , Cité fuperbe ,
qui d'une chaumière de Pâtres & d'un
» vil repaire de brigands , portas ton
front jufqu'aux nues , & devint la dominatrice
de l'Univers , quel fut le
temps de ta félicité ! Plufieurs fiècles
» ont été les témoins de ta gloire : je
» cherche les jours de ton bonheur.
Commencèrent-ils à cette proclama-
» tion folennelle , où un homme fans
» moeurs vint dire à tes habitans : Jufqu'à
préfent le cri de la confcience vous
apprit vos devoirs ; lifez- les déformais
fur ces tables que je dépofe entre une
hache & des verges. L'Hiftoire ne le
» dit que trop ; ces douze tables furent
un figual permanent de vexation de la
part des Grands , de murmures & de
»
33
99
JANVIER 1777. TIT
» fouffrances de la part du Peuple. On
» eft forcé de remonter au- delà de cette
" époque , pour trouver l'âge d'or des
» Romains , le fiècle des Mutius , des
» Coclès , des Clélie , & de ce Cincin-
» natus , que la fimplicité , la tempé-
» rance , la modération , les moeurs en
» un mot , femblent avoir formé , pour
» montrer à l'homme quelle eft l'écoles
» de la véritable grandeur..
8.
A Dieu ne plaife que je veuille
» infpirer du mépris pour les loix . . .
» Je viens redire que , relativement au
» bonheur des Etats , le refpect pour
» les moeurs a cet avantage infini fur
» la multiplicité des loix , que le premier
y fuppofe toujours la vertu ,
» mère de la félicité publique ; tandis
» que la feconde n'y fuppofe jamais.
» que des vices d'où les loix font iſſues ,
» comme les remèdes font nés de nos
maux. Je viens redire que les loix
» ne peuvent rien fans les moeurs
tandis que les moeurs peuvent tout
» fans les loix ».
»
و
Voici comment l'Orateur termine fon
Difcours , après avoir prouvé que les
meurs feules font le vrai boulevard.
des Nations , & que les Etats ne prof
111 MERCURE DE FRANCE.
""
و د
C
pèrent qu'autant qu'ils favent les refpecter.
S'il en exiftoit un où le véritable
honneur fût prêt à s'éteindre ,
» où les Généraux fuffent plus avides
» de richeffes que de gloire ; les Magiftrats
plus jaloux de leurs préroga-
» tives que des intérêts de la Juftice ;.
» le Financier plus attentif à groffir fes
» tréfors que ceux du Souverain ; tous
les Ordres des Citoyens plus occupés
» à difputer entre eux de fafte & de
diftinction , 'qu'à remplir en filence , &
fans appareil , des devoirs que l'honneur
feul , fondé fur les moeurs , peut
rendre chers. Si cet Etat exiftoit ; s'il
» avoit en même-temps l'avantage d'être
" gouverné par un Prince affez éclairé
» pour chercher le vrai , affez généreux
pour vouloir le bien , affez courageux
pour l'entreprendre , affez
jeune pour efpérer d'y parvenir ; car
» le bien ne fe fait jamais mieux ,
» que lorfqu'il s'opère lentement ; je
» dirois au modérateur de cet état :
» c'eſt Minerve , fans doute , qui a jeté
» dans votre fein , le defir de rendre
» à votre Empire tout fon éclat . Mais
» pour cela , ne confultez pas trop les
» ombres illuftres de ces Monarques qui
ود
JANVIER . 1777. 113
39
» dorment fous le Trône où vous êtes
» affis . L'un vous perfuaderoit que pour
» être un grand Roi , il faut aller creufer
un vafte tombeau à fes Sujets , dans
les champs de fes voifins . Un autre
placeroit l'art fublime de régner ,
» dans l'art odieux de diffimuler. Un
» troifième borneroit la fcience du Gou-
» vernement , à des établiflemens fages,
» & à de bonnes loix : comme s'il fuf-
» fifoit d'enchaîner les bras pour faire
la félicité des coeurs. Pour un autre
encore , le premier mérite d'un Sou-
» verain , feroit la protection accordée
» aux Arts & aux Lettres ; comme fi
les préfens de Flore , étalés fur des
fillons , pouvoient y fuppléer les tréfors
de Cérès . Non , grand Prince
ce n'eft point tout cela qui fait la
" force des Nations & la gloire de leurs
"
conducteurs . Au milieu de ces cris de
la fauffe grandeur , diftinguez une
» voix modeſte , mais perçante , qui
s'élève & vous dit : Je fuis la vérité ,
fille de l'Eternel , j'ai pour appui
l'expérience , cette fille du temps ,
» qui ne trompe jamais. Il n'eft qu'un
» moyen de rétablir le reffort de votre
Empire , faites-y refpecter les moeurs.
"
»
"
114 MERCURE DE FRANCE.
» Bien-tôt élevant fa tige mâle & vigou
reufe , l'honneur couvrira , de fes
» rameaux , votre Trône & vos Peu-
» ples. Un même efprit animera toutes
» les claffes de vos Sujets. La profpérité
deviendra l'objet de leur ambi
tion. Leur propre bonheur fera la
» récompenfe de leurs efforts. Déjà les
» Nations voifines envient le deftin de
» celle qui chérit en vous un père ,
» encore plus qu'elle n'y révère un
» Maître. Je vois la poftérité , ce Juge
"
intègre & redoutable des dominateurs
» du monde , vous ouvrir les portes
» de l'immortalité . Je l'entends vous
proclâmer le reftaurateur des moeurs ,
» ne prononcer votre nom qu'avec l'émo
» tion la plus tendre , & vous offrir
» pour modèle à tous les Souverains » .
"
Mélanges de littérature, de morale & de
phyfique ; 6 vol . in - 1 2 .
La plupart des Ouvrages que renfer
ment ces mêlanges , furent bien accueil
lis lorfqu'on les donna au Public . Ou
fut agréablement furpris , en les lifant ,
de voir qu'une Dame ait pu réunir tant
de connoiffances avec tant de goût & de
JANVIE R. 1777. FIS
délicatelle .
"
Pour la folidité du raifon-
» nement , pour la force , pour la profondeur
, il ne faut que des hommes ,
» difoit Fontenelle ». L'Auteur des Mêlanges
a bien prouvé le contraire . Ce -
qu'elle nous a laiffé fur la chimie , fur
l'anatomie & fur la phyfique , nous a
prouvé que les Dames , lorfqu'elles ont
reçu de la nature une bonne trempe d'ef
prit , font capables de traiter tous les
genres . Notre Auteur , à qui l'on pourroit
reprocher d'avoir gardé l'incognito
avec trop de févérité , a eu beau faire des
excurfions dans les genres les plus oppo .
fés , fes fuccès n'en ont pas moins été
brillans. On croit lire la Rochefoucault
& la Bruyère en parcourant le recueil de
fes penfées. Ses lettres font bien plus
inftructives que celles qu'on a le plus
admirées ; fes traités de morale , tels que
ceux de l'amitié & des paffions , renfer
- ment des chofes neuves & piquantes .
Ses Romans conduifent à la vertu par un
chemin femé de fleurs. Ses traductions
font auffi élégantes qu'elles font fidelles .
Ses Pièces dramatiques intéreffent à la
lecture. Ses differtations fur les fciences
naturelles , font également utiles & profondes.
Nous ne répéterons pas ici les.
116 MERCURE DE FRANCE.
éloges que les Connoiffeurs ont donné
aux grands Ouvrages hiftoriques , où
l'on trouve des anecdotes curieufes &
neuves.
Offian , fils de Fingal, Barde du troifième
fiècle Poéfies Galliques , traduites fur
l'Anglois de M. Macpherfon, par M.
Letourneur , 2 vol. in- 8°. A Paris ;
chez Mufier fils , Libraire , rue du
Foin S. Jacques , 1777 ; 2 vol. in- 8 °.
M. Letourneur vient de faire un riche
préfent à notre littérature , en traduifant
ces poéfies , dont on avoit déja
fait connoître en France quelques fragmens
, fous le titre de Poéfies Erfes, ou
Irland ifes , titre qui leur avoit été donné
mal a propos , puifqu'il eft conftaté aujourd'hui
qu'Offian étoit de la nation
des Calédoniens , qui habitoit au nord
de l'Ecoffe ; quoique l'Irlande ait prétendu
s'approprier la gloire de lui avoir
donné le jour. Ce Poëte célèbre étoit
fils de Fingal , Roi de Morven , l'un des
Héros les plus fameux de ces contrées.
Offian lui-même s'étoit diftingué par fes
exploits. L'Ordre des Bardes , dont il fut
un des Membres les plus illuftres , faifoit.
JANVIER. Ì777. 117
partie de celui des Druides L'emploi de
ces Poëtes étoit de chanter les Héros &
les Dieux. Difciples des Druides , &
initiés aux myſtères & à la fcience de
cet ordre fameux , leur génie & leurs
connoiffances les mettoient fort au-deffus
de leurs compatriotes ; ils jouiffoient
de la plus haute confidération , & rempliffoient,
outre leurs fonctions ordinaires
, celles de Héraults & d'Ambaſſadeurs.
Les Rois & les principaux Chefs
en avoient toujours un nombre confidérable
à leur fuite . Leurs Poëmes étoient
en profe mefurée. Ils ne fe fervoient dé
la rime que dans les morceaux lyriques
dont ils femoient leurs ouvrages , &
qu'ils chantoient en s'accompagnant de
la harpe pour couper leurs récits & ¸réveiller
leurs Auditeurs. Ils fe réuniffoient
à l'armée dans les occafions mémorables
, & chantoient en choeur , ſoit
pour célébrer une victoire , foit pour déplorer
la mort d'un perfonnage diftingué.
Une chofe bien étonnante , c'eft que
les Poëmes d'Offian fe font confervés ,
par tradition & fans le fecours de l'écri
ture , chez les Calédoniens , & chez les
Montagnards d'Ecoffe , leurs defcendans ,
pendant près de quatorze cents ans . Ils
118 MERCURE DE FRANCE.
ont été inconnus jufqu'à nos jours , même
en Angleterre . Quelques gens de lettres,
qui entendoient la langue Gallique , en
poffedoient plufieurs morceaux détachés,
mais aucun d'eux n'avoit jamais penfé à
traduire la moindre chofe . M. Macpherfon,
quoiqu'il eut raffemblé un grand
nombre de ces Poëmes pour fon amufement
, fut lui- même long- temps fans y
penfer. Il hafarda d'abord , à la follicitation
d'un Ecoffois diftingué par fes
connoiffances , quelques morceaux détachés
, fous le nom de Fragmens d'anciennes
Poéfies. Le fuccès prodigieux de ces
fragmens le détermina à entreprendre
un voyage dans les montagnes d'Ecoffe ,
& aux ifles Hébrides , pour recouvrer le
plus qu'il pourroit des Poéfies d'Offian.
Il parvint en effet , pendant les fix mois
que dura fon voyage , à raffembler tout
ce qui s'en étoit confervé , & en exé
cuta la traduction en Anglois , fur la
quelle M. Letourneur a fait celle que
nous annonçons.
A la tête du recueil , eft un difcours
préliminaire très bien fait , que M. Letourneur
a extrait & compofe en grande
partie des differtations Angloifes de M.
Macpherſon. On y trouve les détails les
JANVIER . 1777 . 119
plus intéreffans fur la nation Calédonienne
, & les plus néceffaires pour lire
avec intérêt & avec fruit les Poéles d'Of
fian. Les bornes de cet extrait ne nous
permettant pas d'en citer un grand nom
bre ,,
nous allons choifir quelques-uns de
ceux qui ont le rapport le plus direct
avec l'efprit & le caractère de ces Poéfies.
« Les Calédoniens croyoient que les
ames commandoient aux vents & aux
tempêtes ; opinion qui fubfifte encore
parmi le peuple des montagnes ; ils pen
fent que les tourbillons & les rafales de
vents font occafionnés par les efprits. qui
fe tranfportent d'un lieu dans un autre.
On ne croyoit point que la mort pât
rompre les liens du fang & de l'amitié.
Les ombres s'intéreffoient à tous les évé
nemens heureux ou malheureux de leurs
amis , & il n'y a peut-être point dè nation
dans le monde qui ait donné une
croyance auffi étendue aux apparitions.
La fituation du pays y contribuoit fans
doute autant que cette difpofition à la
crédulité , qui eft le partage ordinaire
des peuples ignorans . Ils erroient fou
vent dans de vaftes & fombres folitudes,
dans des bruyères & des Landes abfolu
ment défertes ; fouvent ils étoient obli120
MERCURE DE FRANCE .
gés d'y dormir en plein air , au milieu
du fifflement des vents & du bruit des
torrens ; l'horreur des fcènes qui les environnoient
, étoit bien capable de produire
en eux cette difpofition mélancolique
de l'ame , qui lui fait recevoir ſi
promptement les impreffions extraordi
naires & furnaturelles . »
ود »L'efpritoccupédecesfombresidées
au moment où ils s'endormoient , troublés
dans leur fommeil par le bruit des
élémens ; il n'eft pas étonnant qu'ils cruffent
entendre la voix des morts , tandis
qu'ils n'entendoient réellement que le
murmure des vents dans le creux d'un
arbre antique , ou de quelque rocher voifin
; c'eſt à ces caufes qu'il faut attribuer
tous les contes que les Montagnards débitent
, & croyent encore aujourd'hui .
»
» C'étoit aux efprits que les Calédoniens
attribuoient en général la plupart
des effets naturels. L'écho des rochers
frappoit-il leurs oreilles ? C'étoit l'efprit
de la montagne qui fe plaifoit à répèter
les fons qu'il entendoit. Ce bruit fourd ,
lugubre qui précède la tempête , bien
connu de ceux qui ont habité un pays dé
montagnes ; c'étoit le rugiffement de l'efprit
de la colline. Si le vent faifoit réfonner
JANVIE R. 1777. 121
les
fonner les harpes des Bardes ; ce font
étoit produit par le tact léger des ombres
qui prédifoient ainfi la mort d'un
perfonnage illuftre ; & rarement un Chef
ou un Roi perdoit la vie , fans que
harpes des Bardes attachés à fa famille , ne
rendiffent ce fon prophétique . Un infortuné
mouroit- il de l'excès de fa douleur ?
Les ombres de fes ancêtres le voyant
feul , & luttant fans efpoir contre le
malheur , avoient emporté fon ame , &
l'avoient délivré de la vie . › @
» On fent combien il étoit confolant
de peupler la nature des ombres de fes
ancêtres & de fes amis , & de s'en croire
fans ceffe environné. Ces idées étoient
très-poétiques , fans doute ; mais elles
jettent une teinte de mélancolie fur toutes
les compofitions d'Offian . Il fe plaît
fur- tout à décrire les fcènes de la nuit ;
il s'arrête avec plaifir fur les objets fombres
& majestueux qu'elle préfente . La
mélancolie'Offian
étoit encore augmentée
par fa fituation . Il ne compofa fes
Poëmes qu'après que la partie active de
fa vie fut paffée. Il étoit aveugle , & furvivoit
à tous les compagnons de fa jeuneffe
. "2
» Prefque tous les Poëmes dont ces
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
deux volumes font compofés , ont pour
fujet les divers exploits de Fingal , père
du Poëte , & des autres guerriers de fa
famille ou de fa nation . Offian paroît luimême
comme Acteur dans la plus grande
partie ; car il pouvoir dire comme Enée
dans Virgile :: Quaque ipfe vidi, & quorum
pars magna fui. Les deux plus confidérables
de ces ouvrages, font les Poëmes
de Fingal & de Témora , auxquels
Editeur & Traducteur Anglois a donné
le titre de Poëmes épiques , & qu'il a
divifés , l'un en fix chants , & l'autre en
huit. Dans le premier , Fingal étant allé
en Irlande porter du fecours au Roi de
cette Ifle contre l'invafion d'un Prince
Scandinave , combat ce dernier , le fait
prifonnier, & l'oblige à fe rembarquer
après l'avoir remis en liberté. Le fujer
de Témora elt une nouvelle expédition
de Fingal en Irlande , pour y détruire
un ufurpateur qui en avoit malfacré le
Roi légitime. Il exécute ce deffein , &
rétablit fur le trône l'héritier du Prince
égorgé. Les autres Poëmes font beaucoup
moins confidérables . Nous conviendrons
fans peine, avec le Traducteur, que
tout y refpire la grandeur d'ame , la générofité,
le véritable héroïfme , & que
JANVIER. 1777. 123
le mérite de la compofition répond à la
beauté des fentimens. Quelques endroits
détachés que nous allons citer du Poëme
de Fingal, fuffiront fans doute à nos Lecteurs
pour leur en faire porter le même
jugement.
Le Roi ( Fingal ) fe plaça près de la
roche de Lubar , & trois fois il éleva
» fa voix terrible . Le cerf treffaille près
» des fources du Cromla , & les rochers
» tremblent fur les collines . Tels que les
» nuages amalfent les tempêtes & voilent
l'azur des cieux , tels , à la voix
» de Fingal , accourent les enfans du défert
toujours fes guerriers étoient
émus de joie aux accens de fa voix
» fouvent il les avoit conduits aux com-
» bats , & ramenés chargés des dépouilles
de l'ennemi ; .... tel qu'une nue
épaiffe & orageufe , dont les fancs
» enflammés font armés d'éclairs , & qui
» fuyant les rayons du matin , s'avance
» vers l'Occident ; tel s'éloigne le Roi
» Morven. Deux lances font dans fa
» main , & fon armure jette un éclat
terrible....Il abandonne au vent fes
» cheveux blancs : fouvent il fe retourne,
» & jette un regard fur le champ de bataille
; trois Bardes l'accompagnent ,
»
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
n
prêts à porter fes paroles à fes Héros .
» Il s'affied fur la cime de Cromla ; les
» mouvemens de fa lance étincelante régloient
notre marche .
Les deux armées s'attaquent & com-
» battent ; guerrier contre guerrier , fer
» contre fer. Les boucliers & les épées
» fe choquent & retentiffent : les hom-
» mes tombent : Gaul fond comme un
tourbillon d'Arven : la deftruction fuit
» fon épée : Swaran dévore comme l'in-
» cendie allumé dans les bruyères du
» Gormal. Comment pourrois-je redire
» dans mes chants tant de noms & de
» morts ? L'épée d'Offian fe fignala auffi
» dans ce fanglant combat : & toi , ô
"
mon Ofear , ô le plus grand , le meil
» leur de mes enfans , que tu étois ter-
» rible ! Mon ame éprouvoit une fecrette
joie , lorfque je voyois fon épée étinceler
fur les ennemis terraffés. Ils fuyent
» en défordre fur la plaine de Lena : nous
» pourfuivons , nous maffacrons ; comme
» la pierre bondit de rocher en rocher ;
» comme la hache frappe & retentit de
,, chêne en chêne ; comme le tonnerre
» roule de colline en colline fes effrayans
éclats ; tels, de la main d'Ofcar & de la
mienne , tomboient & fe fuiyoient les
de la mort .
"
ל ג
» coups
JANVIER. 1777 125
>>
"
"
"
» Quel autre que le fils de Starno, ofe
» roit venir à la rencontre du Roi de
» Morven ? Contemple le combat des
» deux Chefs. Tels combattent deux
efprits fur l'Océan , & difputent à
qui roulera fes flots . Le Chaleur
» fur la colline , entend le bruit de
» leurs efforts , & voit les vagues s'en-
» fler & s'avancer vers le rivage d'Arven :
» Ainfi parloit Connal , lorfque les deux
" Héros fe joignirent au milieu de leurs
guerriers tombans de toutes parts . C'eft.
» là qu'on entendit le bruit du choc des
» armes & des coups redoublés . Terrible
» eft le combat des deux Rois ; terribles
font leurs regards ; leurs boucliers font
brifés , & l'acier de leur cafque vole
» en éclats ; ils jettent les tronçons de
» leurs armes , chacun d'eux s'élance pour
» faifir au corps fon adverfaire ; leurs
» bras nerveux font enlacés ; ils s'em-
» braffent , ils s'attirent , fe balançant à
droite & à gauche ; dans leur lutte fanglante
, leurs muſcles fe tendent & ſe
déployent. Mais quand leur fureur au
» comble vint à développer toutes leurs
» forces ; alors la colline ébranlée par
» leurs efforts , trembla au haut de fa
» cîme . Enfin la force de Swaran s'é-
53
Fiij
125 MERCURE DE FRANCE.
99
puife , il tombe , & le Roi de Loclin
» eft enchaîné . Ainfi j'ai vu le Cona,
» Cona, que ne voyent plus mes yeux ;
» ainfi j'ai vu deux collines arrachées de
leurs bafes par l'effort d'un torrent im-
» pétueux ; leurs maffes inclinées l'une
» vers l'autre fe rapprochent ; la cîme de
» leurs arbres fe touche dans les airs ;
>> bientôt toutes deux enſemble tombent
» & roulent avec leurs arbres & leurs
» rochers ; le cours des feuves eſt changé,
» & les ruines rougeâtres de leurs terres
éboulées , frappent au loin l'oeil du
» Voyageur. »
Une circonstance très - remarquable
dans toutes les Poéfies d'Offian , c'eft
l'humanité & la générofité des guerriers
Calédoniens envers leurs ennemis vaincus
; ce qui forme un parfait contraſte
avec la férocité , trop fouvent barbare ,
que les héros de l'Iliade déployent dans
les mêmes circonstances .
Journal hiftorique & politique des principaux
événemens des différentes Cours
de l'Europe , année 1777 .
Le Journal hiftorique & politique de
Genève, eft compofé de 36 cahiers par
JANVIER . 1777 . 127
·
an , chacun de 60 pages au moins , &
fouvent davantage , lorfque l'abondance
des nouvelles politiques ou civiles l'exigent
; il y a même un fupplément dans
lequel on donne l'extrait des nouvelles
précoces ou hafardées des Gazertes étrangères
. Ce Journal paroît très exactement
trois fois par mois , c'eft-à- dire les 10 ,
20 & 30 du mois.
On eft libre de foufcrire en tout
temps , à telle époque qu'on veut , à
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue de
Tournon , près le Luxembourg ; le prix
de la foufeription , pour une année entière
, eft de 18 liv, franc de port.
MM . les Soufcripteurs
font priés d'affranchir
le port des lettres & de l'argent ,
& de donner leurs noms & leur adreffe
exacte , d'une écriture très-lifible .
On fait avec quel foin ce Journal eft
écrit , enforte qu'il eft regardé comme
l'histoire la plus exacte & la plus complerte
du temps préfent. C'eft un témoin
fidèle & un excellent obfervateur , qui
dépofe tout ce qui peut exciter la curiohté
ou intéreffer les Lecteurs .
Le Rédacteur eft dans l'ufage de donner
, àla tête de ces annales , un Difcours
qui raffemble , fous un même point de
Fiv
125 MERCURE DE FRANCE.
г
ود
"
puife , il tombe , & le Roi de Loclin
» eft enchaîné . Ainfi j'ai vu le Cona,
Cona, que ne voyent plus mes yeux ;
» ainfi j'ai vu deux collines arrachées de
» leurs bafes par l'effort d'un torrent im
» pétueux ; leurs maffes inclinées l'une
» vers l'autre fe rapprochent ; la cîme de
» leurs arbres fe touche dans les airs ;
>> bientôt toutes deux enfemble tombent
& roulent avec leurs arbres & leurs
» rochers ; le cours des fleuves eſt changé,
& les ruines rougeâtres de leurs terres
éboulées , frappent au loin l'ail du
Voyageur. »
Une circonftance très remarquable
dans toutes les Poéfies d'Offian , c'eft
l'humanité & la générofité des guerriers
Calédoniens envers leurs ennemis vaincus
; ce qui forme un parfait contraſte
avec la férocité , trop fouvent barbare ,
que les héros de l'Iliade déployent dans
les mêmes circonstances .
Journal hiftorique & politique des princi
paux événemens des différentes Cours
de l'Europe , année 1777 .
Le Journal hiftorique & politique de
Genève, eft compofé de 36 cahiers par
JANVIER . 1777 . 127
an , chacun de 60 pages au moins , &
fouvent davantage , lorfque l'abondance
des nouvelles politiques ou civiles l'exigent
; il y a même un fupplément dans
lequel on donne l'extrait des nouvelles
précoces ou hafardées des Gazertes étrangères.
Ce Journal paroît très exactement
trois fois par mois , c'eft-à- dire les 10 ,
20 & 30 du mois.
On eft libre de foufcrire en tout
temps , à telle époque qu'on veut , à
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue de
Tournon , près le Luxembourg ; le prix
de la foufeription , pour une année entière
, eft de 13 liv , franc de port.
MM. les Soufcripteurs font priés d'affranchir
le port des lettres & de l'argent ,
& de donner leurs noms & leur adreffe
exacte , d'une écriture très - lifible .
On fait avec quel foin ce Journal eſt
écrit , enforte qu'il eft regardé comme
l'hiftoire la plus exacte & la plus complette
du temps préfent . C'eft un témoin
fidèle & un excellent obfervateur , qui
dépofe tout ce qui peut exciter la curiohté
ou intéreffer les Lecteurs .
Le Rédacteur eft dans l'ufage de donner
, à la tête de ces annales , un Difcours
qui raffemble , fous un même point de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
vue , les grands intérêts des Nations , &
les principaux événemens de l'année précédente.
Nous allons tracer le plan général
de celui qui eft imprimé dans le premier
cahier du mois de Janvier de cette année...
C
Quand on fe retrace , dit cet éloquent
Ecrivain , le tableau des grandes
révolutions qui ont éclaté dans l'Univers
, on eft frappé de l'efpèce de fatalité
qui tranfporte fans ceffe la prééminence
& la gloire d'une contrée à une autre ,
& fait paffer chaque Peuple à fon tour
par tous les degrés marqués fur le cercle.
des viciffitudes politiques ».
» Au milieu des orages que le fouffle
impétueux de l'ambition a élevés fur la
terre depuis l'origine des Empires , combien
de fois n'a-t-on pas vu l'Afie , l'Afrique
& l'Europe s'élever & tomber alternativement
, perdre la prépondérance &
la reprendre l'une fur l'autre , & dans
cette lutte éternelle , defcendre tour- àtour
du faîte des profpérités dans un
abîme de difgrâces ? »
و و
L'Europe fe préfente aujourd'hui fur
cette grande fcène de révolution , avec
un appareil de fplendeur & de force ,
dont nulle autre contrée n'approcha
JANVIER . 1777. 129
jamais . En poffeffion du fceptre des
arts , elle règne par eux , depuis quelques
fiècles fur le refte du globe. Ses progrès
formidables dans la fcience militaire , &
fes découvertes immortelles dans la navigation
, l'ont rendue l'arbitre & le lien
des deux mondes . Après avoir aggrandi
l'Univers par des prodiges d'audace , elle
a fu l'affervir à fes befoins par les efforts
d'une laborieuſe induſtrie . Rivale de la
nature , elle étend fa puiffance à tous les
lieux , & fon influence active embraſſe
& vivifie tous les objets. D'une extrémité
du monde à l'autre , fes pavillons
parcourent les mers en fouverains , pour
rapporter en tribut les tréfors & les
productions de tous les climats : & tandis
que d'une main elle anime le commerce
& imprime à la maffe univerfelle des
richeffes , le mouvement de circulation
qui en règle la diftribution & l'ufage ;
de l'autre , elle fait mouvoir les refforts
de la politique , & domine fur les deux
hémisphères qu'elle foulève ou calme à
fon gré » .
"
Lorfque la navigation , vers la fin
du quinzième fiècle , commença à franchir
les barrières que l'ignorance oppofoit
à fon effor , l'Europe n'avoit encore
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
devancé le refte de la terre , que de
quelques pas , dans la carrière du génie.
L'utage de la bouffole & l'invention de
la poudre , furent les premiers leviers de
fa puiffance renaiffante , & lui fuffirent
pour tenter la découverte d'un hémifphère
ignoré ; déconverte fublime , qui
fur pour elle une fource intariffable de
trefors & de lumière ».
» L'Amérique , conquife & dépeuplée
auffi-tôt que connue , donna au monde
une face nouvelle , & à l'Europe une
fecouffe vive & profonde , dont l'impreffion
dute encore. La nature aggrandie ,
offrant un fpectacle plus majeftueux
infpira des idées plus hautes & plus dignes
d'elle ; la rouille des fiècles barbares
difparut peu à peu , les moeurs s'adoucitent
, la légiflation fe réforma , la fphère
des connoiffances humaines s'étendit à
Finfini ; on vit renaître les talens , les arts
fe ranimer , l'induftrie déployer de nouvelles
branches , & accroître fa tige fé-
⚫tonde de toute les découvertes dont l'empire
du génie & des fciences s'enrichiſfoit
de jour en jour » .
Avec le fecours des arts réunis , perfectionnés
l'un par l'autre , & pliés à de
nouveaux ufages ; avec les tréfors dut
JANVIER . 1777. 131
nouveau monde ; avec toutes les forces
de la nature ; eft-il étonnant que l'Europe
ait étendu fa domination jufqu'aux extré
mirés de l'Univers , & qu'elle fe foir
élevée progreffivement au plus haut degré
de fplendeur & de puiffance , où la politique
& l'induftrie humaines puiffent
atteindre par leur effort combiné ? »
» Ces merveilles , que l'Europe a fu
opérer d'abord avec de foibles moyens ,
enfuite avec des reffources afforties à
l'immensité de fes vues , annonceur affez
qu'à la gloire d'impofer des loix à l'Univers
entier , elle auroit pu joindre aifément
celle de fouftraire l'édifice de fa
grandeur à la fatalité commune , fi l'efprit
de paix & de modération avoit fait
ehez elle des progrès proportionnés à
Faccroiffement de fes lumières ; mais ces
lumières mêmes , loin d'étouffer dans
fon fein le germe des paffions turbulentes
& inconfidérées , dont les éruptions
ébranlent les fondemens des fociétés
politiques , n'ont fervi qu'à en rendre le
choc plus terrible & les fuites plus funeftes.
Auffi , n'eft il befoin ni de recourir
à des exemples , ni d'interroger l'expérience
des fiècles antérieurs , pour favoir
l'Europe doit craindre quelque
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
révolution fatale à fa puiffance : il fuffit
d'approfondir fa fituation actuelle , &
de lever les yeux fur ce qui fe paffe en:
d'autres climats , pour fe convaincre
qu'elle n'eft déjà plus ce qu'elle étoit
vers le milieu du fiècle précédent » .
L'Historien philofophe parcourt d'un
coup- d'oeil rapide la fituation de l'Europe
, depuis la paix de Weftphalie ; it
approfondit les caufes politiques & morales
de fes changemens , & il en prévoit
les fuites. Il confidère les forces réelles
de chaque Nation , & les reffources
qu'elle peut tirer tant de fa population
que de fes richeffes & de fon crédit. Ib
découvre la caufe récente de l'épuifement
& de la décadence des Gouverne→
mens dans le luxe immodéré de puiffance
, & dans l'appareil outré de grandeur
, de forces & d'armées , par lefquels
leurs Souverains veulent en impofer
depuis que Louis XIV en a donné l'exemple
à l'Europe .
cc
ཐ་
Qui fait , ajoute cet Ecrivain profond
& politique , fi cette période d'élévation
fucceffive , parvenue aujourd'hui à fon
terme , n'eft pas près de recommencer
fon cours dans le même ordre , mais
avec moins d'éclat , pour continuer fes
JANVIER. 1777. 133
révolutions fuivant une progreflion décroiffante
, jufqu'à ce qu'enfin une autre
partie du monde , s'emparant de nos arts
& de notre induftrie , reprenne fur l'Eu
rope le fceptre de la domination univerfelle
, échappé au luxe & à la foibleffe
de nos neveux ? >>
» On me dira , fans doute , que l'état
actuel de l'Afrique & de tout l'Orient ,
n'eft guère propre à donner du poids à
une conjecture fi hardie : j'en conviens ;
mais fi , comme je crois l'avoir démontré
, l'Europe a vu diminuer fes forces
en raifon des progrès que le luxe de
puifance a fait parmi les Nations qui
Phabitent ; fi ce luxe croît de jour en
jour , & fi l'efprit de conquête continue
à en bannir celui de confervation , qui
auroit dû le remplacer ; quel fera le
terme de cet affoibliffement rapide &
général ? Songeons que les Peuples dont
nous méprifons l'ignorance & la barbarie
, font des hommes comme nous : nos
arts , avec le temps , ne peuvent- ils pas
arriver jufqu'à eux ? Fortifiés de ce fe
cours , & affranchis d'une multitude de
befoins factices qui nous énervent , croiton
qu'il leur fût impoffible de venir un
jour faire la loi à l'Europe , & lui rendre
134 MERCURE DE FRANCE.
l'humiliation qu'elle leur a fait effuyer ?
Ignorons nous , d'ailleurs , que l'Afie
nourrit dans fes défers des Peuples no
mades , qu'une exubérance de popula
tion a déjà fait refluer à diverfes reprifes ,
fur toutes les parties de l'ancien Continent?
Ce furent leurs ancêtres qui bri
sèrent les Aigles Romaines. Ils ont ,
depuis , fubjugué la Chine & le Mogol .
Nos funeftes divifions dans l'Inde , leur
ont fait connoître notre art militaire , &
bientôt ils feront en état , s'ils le veulent ,
de nous interdire l'accès de ces contrées ,
en tournant contre nous la difcipline où
réfide la principale force de nos armes ;
difcipline dont notre jaloufie avare &
inquiète leur a révélé l'uſage & les principes.
Seroit il étonnant , par exemple ,
qu'avant peu les Marates parvinffent à
détruire les établiffemens de la Compagnie
Angloife dans l'Indoftan , & que de
proche en proche , les Européens perdiffent
toutes leurs poffeffions dans ces climats
, & fe viffent forcés à abandonner
les Ifles mêmes de l'Archipel Afiati -
que ? ,,
Cesterreurs peu fondées , peut-être ,
du côté de l'Afie , peuvent , du moins ,
fe réalifer de la part du nouveau monde,
JANVIE R. 1777. 135
Le continent Américain , dont une coupable
frénéfie a exterminé les anciens
habitans , commence à fe repeupler ; &
déjà nos arts , tranfplantés fur cette terre
féconde & récemment fortie de deffous
la main de la nature , l'ombragent de
leurs rameaux falutaires & redoutables .
Quelle que foit l'iffue de la querelle
fanglante qui défole actuellement ce fertile
continent , & qui paroît s'envenimer
& s'aigrir de plus en plus , peut- on ne
pas craindre qu'un jour cette branche ne
fe détache du tronc d'où elle est fortie ,
& qu'elle n'achève de l'épuifer ? Alors ,
peut-être , éclateront des guerres défaftreufes
qui anéantiront l'Europe amollie ,
tranfporteront au- delà des mers le dépôt
des connoiffances humaines & des archives
du monde , & livreront la patrie an
tique des arts à une barbarie éternelle ».
Il examine enfuite la vraie caufe de
la guerre allumée entre la Grande- Bretagne
& l'Amérique ; il la développe avec
une fagacité admirable , & il la juftifie
même par les motifs rapportés dans les
manifeftes des Colonies confédérées , &
par l'accroiffement de la dette nationale
des Anglois ; il compare les foibles Provinces
de la Hollande , luttant contre la
136 MERCURE DE FRANCE.
puiffance formidable des Efpagnols , aux
Colonies de l'Amérique , plus aguerries ,
plus puiffantes , fe défendant contre les
attaques moins terribles de l'Angleterre ;
& il en tire des conjectures bien vraiſem
blables en faveur des Américains.
Nous ne pouvons donner qu'une légère
efquiffe de ce beau Difcours , qui fe
termine ainfi : « On prévoit , fans peine,
que fi jamais l'Amérique rompoit les
liens qui l'attachent à l'Europe , ce grand
événement boulverferoit le fyftême actuel
, & changeroit tous les rapports de
politique & d'intérêt entre cette partie
du monde & celle que nous habitons.
De vaſtes Empires s'élèveroient peu-àpeu
dans ces profondes folitudes , où nul
homme civilifé ne porta jamais fes pas
avides ; un commerce immenfe naîtroit
de proche en proche , entre les diverfes
parties de ce continent ; & la population
encouragée par la fécondité d'un fol que
la culture n'a point encore fatigué de fes
foins avares lui procureroit , dans un
court efpace de temps , des forces fupérieures
à toute la puiffance de nos contrées.
Pent-être qu'alors l'Amérique attireroit
à elle notre population même , par
la douceur d'un empire fage & humain ,
JANVIER . 1777. 137
& par une modération politique que
nous n'avons point connue dans les jours
de notre profpérité ; mais peut-être auffi
que livrée à la foif des conquêtes , &
aux tourmens de cette dévorante ambition
, dont le fafte nous éblouir , elle
voudroit enchaîner l'ancien continent au
char de fa fortune. Peut- on penfer, fans
horreur , aux calamités affreufes qui réfulteroient
de ces fureurs , calamités dont
l'Europe fentit autrefois le poids fatal ,
lorfque des barbares vintent éteindre ,
dans des flots de fang , les derniers rayons
de la gloire des Romains & de celle de
l'Empire de Charlemagne .
و د
L'Europe a dans fon fein affez de
reffources pour prévenir le retour de tant
de défaftres . Parvenue au comble de la
gloire , qu'elle arrête les progrès de fon
affoibliffement . Aux yeux de l'humanité ,
tous les peuples qui l'habitent , ne font
qu'une feule famille divifée en plufieurs
branches , mais éclairée des mêmes lumières
, jouiffant des mêmes loix , du
même droit politique , n'ayant qu'un
même intérêt , & deftinée aux mêmes
viciffitudes d'élévation & d'abaiffement ,
de bonheur & d'adverfité . Ne feroit- il
pas temps qu'aux éclats tumultueux &
136 MERCURE DE FRANCE.
puiffance formidable des Efpagnols , aux
Colonies de l'Amérique , plus aguerries ,
plus puiffantes , fe défendant contre les
attaques moins terribles de l'Angleterre ;
& il en tire des conjectures bien vraifem
blables en faveur des Américains.
Nous ne pouvons donner qu'une légère
efquiffe de ce beau Difcours , qui fe
termine ainfi : « On prévoit , fans peine ,
que fi jamais l'Amérique rompoit les
liens qui l'attachent à l'Europe , ce grand
événement boulverferoit le fyftême actuel
, & changeroit tous les rapports de
politique & d'intérêt entre cette partie
du monde & celle que nous habitons .
De vaftes Empires s'élèveroient peu - àpeu
dans ces profondes folitudes , où sul
homme civilifé ne porta jamais fes pas
avides ; un commerce immenfe naîtroit
de proche en proche , entre les diverfes
parties de ce continent ; & la population
encouragée par la fécondité d'un fol que
la culture n'a point encore fatigué de ſes
foins avares , lui procureroit , dans un
court efpace de temps , des forces fupérieures
à toute la puiffance de nos contrées.
Peut-être qu'alors l'Amérique attireroit
à elle notre population même , par
la douceur d'un empire fage & humain ,
JANVIER. 1777- 137
& par une modération politique que
nous n'avons point connue dans les jours
de notre profpérité ; mais peut-être aufli
que livrée à la foif des conquêtes , &
aux tourmens de cette dévorante ambition
, dont le fafte nous éblouit , elle
voudroit enchaîner l'ancien continent au
char de fa fortune. Peut- on penfer, fans
horreur , aux calamités affreufes qui réfulteroient
de ces fureurs , calamités dont
l'Europe fentit autrefois le poids fatal
lorfque des barbares vinrent éteindre ,
dans des flots de fang , les derniers rayons
de la gloire des Romains & de celle de
l'Empire de Charlemagne. »
"
ود
L'Europe a dans fon fein affez de
reffources pour prévenir le retour de tant
de défaftres . Parvenue au comble de la
gloire , qu'elle arrête les progrès de fon
affoibliffement . Aux yeux de l'humanité ,
tous les peuples qui l'habitent , ne font
qu'une feule famille divifée en plufieurs
branches , mais éclairée des mêmes lumières
, jouiffant des mêmes loix , du
même droit politique , n'ayant qu'un
même intérêt , & deftinée aux mêmes
viciffitudes d'élévation & d'abaiffement .
de bonheur & d'adverfité . Ne feroit- il
pas temps qu'aux éclats tumultueux &
›
138 MERCURE DE FRANCE.
ftériles d'une vaine ambition , à cette ruineufe
oftentation de puiffance , qui ufe
fes forces publiques , elle fit fuccéder
l'efprit de confervation , feul capable de
retenir & de perpétuer , dans fon fein ,
la flamme des Arts , & d'affurer à fes
habitans la tranquille jouiffance des avantages
qu'ils ont achetés par une longue
fuite de travaux pénibles & d'actions glorieufes
? »
» Il étoit néceffaire , fans doute , après
la découverte de l'Amérique , qu'il s'élevât
des guerres pour faire fortir de l'Efpagne
, les tréfors innombrables que la
poffeffion des mines du nouveau Monde
amonceloit dans le fein de cette Monarchie
; c'étoit encore un bien que le centre
de l'Europe , agité à fon tour d'un mouvement
convulfif , continuât à étendre
ce ferment jufqu'au pôle ; mais aujour
d'hui que , d'une extrémité à l'autre , tout
eft animé d'une chaleur égale ; aujour
d'hui que tous les Peuples jouiffent àpeu
près des mêmes avantages , en proportion
des faveurs que la nature leur
a départis , peut-on perfévérer dans le
même fyftême , fans rifquer de tomber
dans le dépériffement ? La guerre eft ,
pour les Corps politiques , une efpèce de
JANVIER. 1777. 139
fèvre , dont les effets , rarement falutairés
, entraînent prefque toujours des fuites
fâcheufes , & laillent des traces de
langueur , fur lefquelles la prudence ne
permet pas de s'étourdir dans l'âge de la
maturité. Cette maturité précieufe femble
actuellement arrivée pour la plupart
des Etats. Que n'ont-ils donc pas à craindre
, s'ils nourriffoient plus long-temps
une effervefcence dangereufe , dont l'activité
n'a peut-être déjà été pouffée que
trop loin ? 12
» S'il exiftoit , en Europe , une Puiffance
affez étendue pour n'avoir pas be
foin d'afpirer à de nouveaux agrandiffemens
; affez riche pour n'avoir à defirer
que la confervation des avantages qu'elle
tient de la nature , & de l'induftrie de
fes Sujets une Poiffance affife fur les
deux mers , & qui n'eût qu'à furveiller
les mouvemens de fes rivales , pour s'en
affurer l'Empire ; fi cette Puiffance , en
état de couvrir fes frontières d'armées
formidables , fe trouvoit d'ailleurs garnie
d'un triple mur de fortifications , croiton
que , fagement obftinée à fe tenir fur
la défenfive , elle ne parviendroit pas aifément
, avec le fecours d'une adminif
tration ferme , vigilante & économe , à
138 MERCURE DE FRANCE .
ftériles d'une vaine ambition , à cette ruineufe
oftentation de puiffance , qui ufe
fes forces publiques , elle fit fuccéder
l'efprit de confervation , feul capable de
retenir & de perpétuer , dans fon fein ,
la flamme des Arts , & d'affurer à fes
habitans la tranquille jouillance des avantages
qu'ils ont achetés par une longue
fuite de travaux pénibles & d'actions glorieufes
? »
» Il étoit néceffaire , fans doute , après
la découverte de l'Amérique , qu'il s'élevât
des guerres pour faire fortir de l'Efpagne
, les tréfors innombrables que la
poffeffion des mines du nouveau Monde
amonceloit dans le fein de cette Monarchie
; c'étoit encore un bien que le centre
de l'Europe , agité à fon tour d'un mouvement
convulfif , continuât à étendre
ce ferment jufqu'au pôle ; mais aujourd'hui
que, d'une extrémité à l'autre , tout
eft animé d'une chaleur égale ; aujourd'hui
que tous les Peuples jouiffent àpeu
près des mêmes avantages , en proportion
des faveurs que la nature leur
a départis , peut-on perfévérer dans le
même fyftême , fans rifquer de tomber
dans le dépériffement ? La guerre eft ,
pour les Corps politiques , une efpèce de
JANVIER . 1777. 139
fèvre , dont les effets , rarement falutairés
, entraînent prefque toujours des fuites
fâcheufes , & laiffent des traces de
langueur , fur lefquelles la prudence ne
permet pas de s'étourdir dans l'âge de la
maturité. Cette maturité précieufe femble
actuellement arrivée
pour la plupart
des Etats. Que n'ont-ils donc pas à crain
dre , s'ils nourriffoient plus long-temps
une effervefcence dangereufe , dont l'activité
n'a peut-être déjà été pouffée que
trop loin ? » :
» S'il exiftoit , en Europe , une Puiffance
affez étendue pour n'avoir pas be
foin d'afpirer à de nouveaux agrandiffemens
; affez riche pour n'avoir à defirer
que la confervation des avantages qu'elle
tient de la nature , & de l'induftrie de
fes Sujers ; une Poiffance affife fur les
deux mers , & qui n'eût qu'à furveiller
les mouvemens de fes rivales , pour s'en
affurer l'Empire ; fi cette Puiffance , en
état de couvrir fes frontières d'armées
formidables , fe trouvoit d'ailleurs garnie
d'un triple mur de fortifications , croiton
que , fagement obftinée à fe tenir fur
la défenfive , elle ne parviendroit pas aifément
, avec le fecours d'une adminif
tration ferme , vigilante & économe ,
140 MERCURE DE FRANCE.
faire la loi au reſte de l'Europe , plongée
dans les agitations d'une politique turbulente
& ambitieufe ? C'étoit- là tout le
voeu de Henri IV , & l'objet continuel
des méditations politiques de ce grand
Roi.
e
Defcription générale de l'Univers , traduite
de l'Anglois de Salmons , d'après
la 15 édition donnée à Londres en
1768 , revue , corrigée & augmentée ,
par M. l'Abbé Jurain , enrichie de
vingt huit Cartes géographiques
vol. in - 8°. A Paris , chez Froullé
Libraire , Pont Notre - Dame ; & Colombier
, Libraire , rue des grands
degrés , près des Miramionnes .
> 2
L'Auteur de cette Géographie , réunit
les avantages de la nouveauté & de
la précifion , deux qualités propres à exciter
la curiofité & à fixer l'attention des
Lecteurs . Les Magiftrats & les Politiques
s'inftruiront , en le lifant , du Gouvernement
, des forces & des revenus des
Royaumes , & des Etats refpectifs ; les
Théologiens , de la Religion & des pratiques
fuperftitieufes des différens Peuples
de la terre ; les Négocians & les
JANVI E R. 1777. 14İ
>
Officiers de Marine , des denrées , du
commerce des vents périodiques , &
des faiſons des différens climats du globe.
On ne s'eft pas borné à donner le monde
en miniature , & à fuivre le ſyſtême de
géographie le plus exact qui ait encore
paru . On y a joint , pour l'agrément des
Lecteurs , qui aiment tous la variété ,
une Hiftoire moderne en abrégé , où la
chronologie n'eft point fautive. Si l'Auteur
original , comme bon compatriote ,
s'eft étendu fur l'Angleterre , le Traducteur
a fuivi cet exemple , en ajoutant à
l'article de la France beaucoup de choſes
intéreffantes , qui avoient été omifes.
Au refte , notre nouveau Géographe n'a
pas perdu de vue dans fon travail qu'il
étoit citoyen du monde , & que tous les
hommes étoient fes frères ; en conféquence
il n'a pas négligé la defcription
des autres Royaumes ; comme bon
Cofmopolite , il defireroit que tous les
hommes cherchaffent à fe connoî
tre malgré la diverfité des lieux &
des climats. Il fe récrie contre le préjugé
injufte qui nous fait regarder comme
barbares les Peuples qui ne font
la même Nation , & qui font éloignés à
de grandes diſtances : préjugé qui fouvent
pas
de
142 MERCURE DE FRANCE.
a donné lieu à des vexations , & même
à des cruautés révoltantes. On ne croiroit
pas qu'un Géographe s'érigeât en
moralifte ; mais les Anglois fe livrent à
leur goût pour la philofophie , même
dans les Ouvrages qui en paroiffent les
plus éloignés. Auffi confervent- ils de la
prédilection pour les Ouvrages philofo
phiques ; la quinzième édition de l'Ouvrage
que nous annonçons , prouve fuffifamment
l'estime qu'on en a fait en
Angleterre , où l'on fait fi bien apprécier
les Ouvrages & les Auteurs .
Journal des Caufes célèbres, curieuſes &
intéreffantes , de toutes les Cours fouveraines
du Royaume, avec lesjugemens
qui les ont décidées.
,
ne
Un Ouvrage qui renferme les affaires
les plus importantes qui font jugées dans
tous les Tribunaux du Royaume
peut manquer de plaire au Public ; c'eft
l'objet du Journal des Caufes célèbres.
Le fuccès de ce Recueil prouve fon utilité
, & il deviendra dans la fuite une
des collections les plus intéreffantes qu'il
y ait fur la Jurifprudence.
Le Journal des Caufes célèbres a un
JANVIER . 1777. 143
avantage
fenfible fur les autres Ouvrages
périodiques : ces derniers font curieux furtout
dans le moment qu'on les reçoit ,
Les Recueil de Caufes célèbres formera
au contraire , une collection précieuſe
pour les Jurifconfultes & les perfonnes
qui fe deftinent au Barreau : ils pourront
y puifer les motifs de la Jurifprudence ,
& connoître la véritable eſpèce des Arrêts.
Les autres claffes de Lecteurs trouveront
dans ce Recueil un dépôt des af
faires les plus intéreffantes , qui ont piqué
la curiofité publique.
Ce Journal renferme en effet toutes
le Caufes célèbres qui ont été jugées depuis
quelque temps . Il contient les affaires
de Montbailly , de l'Hermaphrodite
Grand-Jean , des Marchands de Baromè
tres , de Mademoiſelle de Camp contre
M. de Bombelle, de la Marquife de Gouy,
du Marquis de Brunoy, de Syrven,, de
Calas, du Marquis des Broffes, de l'Abbé
des Broffes, de la Dame de Launay , dẹ
la machine infernale de Lyon , de Games,
du fieur Rivière, fauffement accufé d'affaffinat
; d'un Curé accufé d'inceſte ſpirituel
& matériel , de plufieurs maris accufés
d'impuiffance , d'une femme accuſée
d'impuillance , de M. Alliot , Fermier144
MERCURE DE FRANCE.
Général, de plufieurs Bigames , jugés tant
en France que dans les Pays étrangers ,
du Colonel Gillenfwan, jugé en Suède ;
du brigan Pugatchew, jugé en Ruffie ; de
la Ducheffe de Kinſton , jugée en Angleterre
; du Commentaire de la Henriade de
M. de Voltaire , par MM. la Beaumelle
& Fréron , & c. &c. & c . On peut juger
par cette lifte de Caufes célèbres , de la
variété & de l'intérêt de ce Journal.
Il n'a paru d'abord que huit volumes
chaque année depuis deux ans il en
paroît douze. Chaque volume eft envoyé
aux Soufcripteurs , avec l'exactitude la
plus fcrupuleufe , tous les premiers de
chaque mois.
Le prix de la foufcription eft, pour Paris
, de 18 livres , & de 24 livrespour la
Province , franc de port. On foufcrit
chez M. des Effarts , Avocat au Parlement
, rue de Verneuil , la troifième
porte-cochère avant la rue de Poitiers
un des Auteurs de ce Journal ; & chez
Lacombe , Libraire au Bureau des Journaux
, rue de Tournon , près le Luxembourg.
On foufcrit auffi pour une table géné
rale des matières , qui paroîtra au mois
de
JANVIER. 1777 . 145
-de Juin 1777. Ceux qui voudront fe
procurer cette table , font priés de faire
paffer 3 livres avec le prix de leur foulcription
.
On reçoit encore des foufcriptions
pour les années précédentes , & on délivre
les volumes au même prix ; mais
on ne vend aucun volume féparé.
Il faut avoir l'attention d'affranchir le
port des lettres & de l'argent.
On prie auffi les perfonnes qui defireroient
faire inférer des affaires intéreffantes
qui ont été jugées dans les Parlemens
de Province , de faire paffer les Mémoires
& le difpofitif des Arrêts , à M. des
Effarts : il fe fera un plaifir d'en rendre
compte , & de donner aux talens des
defenfeurs les juftes éloges qu'ils méri
zteron
1
ANNONCES LITTÉRAIRES
DICTIONNAIRE
de la Nobleſſe , in- 4° .
Tome XI paroît ; le XIIe & dernier eft
fous preffe il y aura enfuite deux volumes
de Supplément pour les Mémoires
arrivés trop tard. A Paris , chez Antoine
II: Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Boudet , rue St Jacques ; & chez l'Auteur,
M. de la Chenaye - Desbois , rue
Saint André- des-Arcs , à côté de l'Hôtel
d'Hollande .
ALMANACHS.
Etrennes de la Nobleffe , ou état actuel
des Familles nobles de France , & des
Maifons & Princes Souverains de
l'Europe , pour l'année 1777. A Paris ,
chez Defnos , Libraire > rue Saint
Jacques.
CE recueil doit intéreſſer la Nobleſſe ,
en lui rappelant les titres glorieux de fon
origine , & l'honneur , qui en fait le plus
noble appui .
Almanach Mufical pour l'année 1777.
A Paris , chez Delalain , Libraire , rue
de la Comédie Françoife , & au Bureau
du Journal de Mufique
Montmartre, vis-à-vis celle des Vieux-
Auguftins ; prix 24 fols à Paris, & 30
fols par la Pofte.
rue
Cet Almanach eſt un Manuel pour
JANVIER . 1777. £47
tout Muficien ou Amateur de Mufique.
On y trouve les fêtes muſicales de chaque
mois , les découvertes faites ou publiées
dans l'année concernant la Mufique
; les Anecdotes muficales de l'année ;
la notice des nouveaux ouvrages de Mufique
; les noms & demeures de tous les
Mucificiens in omni genere , Compofiteurs
, Maîtres , & c. ; & des Marchands
de Mufique , Graveurs , Imprimeurs
Copiftes , &c. A la fin du volume , on
trouve un choix d'airs notés .
Voici une Anecdote muficale , remarquable
: Un jeune enfant , aſſiſtant à une
repréſentation d'Alcefte , fupplia fon père
de ne le plus amener à un opéra qui lui
faifoit mal. On rapporta l'expreffion de
cet enfant à M. le Chevalier Gluck. Je
ne m'en étonne point , dit- il , c'eft qu'ilfe
laiffe faire. Le mot de l'enfant , & la réponſe
de M. Gluck , caractériſent affez
bien la fenfation pénible qu'on éprouve
aux Opéra de ce fameux Compofiteur ,
& qui devenoit fans doute trop infupportable
pour
les organes délicats du
jeune Auditeur.
On ne fait pourquoi le Rédacteur de
cet Almanach veut déprifer le travail
utile de M. Benaut , qui a le talent d'ac-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
commoder , pour le clavecin & le forté
piano les meilleurs morceaux de mufique,
fans en altérer le chant & les beautés.
Etrennes du Parnaffe, choix de Poéfies ,
in-1 2 , pour 1777. A Paris , chez Fetil,
Libraire, rue des Cordeliers , près celle
de Condé .
Il paroît tous les ans un volume de
ce Recueil , que les Editeurs ont l'attention
de varier , en y melant avec les petites
pièces Françoifes , des imitations
des poéfies anciennes & étrangères . Celui
de l'année prochaine fera deftiné en partie
à la littérature Italienne . Celui de
cette année eft entièrement confacré à la
poéfie Françoife.
Étrennes des Poëtes , ou Recueil de
pièces de vers , extraits de plus de deux
cents manufcrits du dix-feptième fiècle ;
(il falloit dire du dix-huitième ſiècle) . Second
recueil broché , prix 24 fols , chez
Lefelapart , Libraire , quai de Gèvres.
Almanach de Verfailles , année 1777 ,
contenant la defcription de la Ville &
du Château ; la Maifon du Roi , de la
JANVIER . 17771. 142
Reine , celles de la Famille Royale , les
Bureaux des Miniftres , la Prévôté de
l'Hôtel, le Gouvernement de la Ville, & c .
A Verſailles , chez Blaizot , Libraire , rue
Satory ; & à Paris , chez Valade & Def
champs , Libraires , rue Saint Jacques,
Etrennes Patriotiques , ou Recueil anniverfaire
d'allégories , fur les époques
du Règne de Louis XVI , compofées
par le Chevalier de Berainville. Première
fuite. Année 1777. A Paris ,
chez Defnos , Ingénieur Géographe ,
& Libraire de Sa Majefté Danoife.
rue St. Jacques , au Globe,
Ces Etrennes renferment fept eſtampes
allégoriques , accompagnées chacune
d'une explication gravée , non- compris
le Frontifpice. Les fept eftampes repréfentent
: 1° . L'avénement de Louis XVI
au trône ; 2 °. La félicité que promet au
Royaume l'alliance de Louis XVI avec
fon Augufte Epoufe ; 3 ° . L'inoculation
de Louis XVI; 4° . Le rappel du Parlement
de Paris ; 5 ° . Le Sacre de L. M.
6°. Le mariage de Madame Clotilde
foeur de L. M avec le Prince de Pié
mont ; 7°. Le rétabliſſement de la fanté
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
de la Reine , en Septembre 1776. Le
fujet du Frotifpice eft le Génie allégorique
, gravant , fur les aîles du temps ,
les époques du Règne de Louis XVI.
État actuel de la Mufique du Roi , & des
trois fpectacles de Paris . A Paris , chez
Vente , Libraire des menus plaifirs
du Roi , au bas de la Montagne Sainte-
Geneviève . 1777.
L'état de chaque fpectacle est précédé
d'un petit difcours , contenant une notice
abrégée des nouveautés mifes au
jour dans le courant de l'année , & quelques
reflexions fur ces mêmes nouveautés
, & fur les révolutions du fpectacle .
Dans celui qui fe trouve à la tête de
l'article de l'Opéra , on rappelle au public
» qu'on a vu l'Opéra d'Alcefte , de
» M. le Chevalier Gluck , & celui de
» l'union de l'Amour & des Arts de M.
Floquet , fe difputer les fuffrages du
public , & former , en quelque forte ,
» deux partis , dont l'un tâchoit de ra-
» vir à l'autre les honneurs d'un concours
» auffi tumultueux qu'extatique «. On
y regrette les Opéra de Quinault , &
l'on s'élève contre » ces Parodies faJANVIER.
1777. ISI
» tigantes , où la langue , créée & po-
» lie par les Racines & les Quinaut , eft
impitoyablement déchirée «.
A l'article de la Comédie Françoiſe ,
l'Auteur de l'almanach affure que le Malheureux
imaginaire, eſt un des ouvrages des
plus brillans de ce Théâtre : c'eft, ajouteil
, un édifice conftruit en pierres précieufes
taillées à facettes ..... C'eft autemps àfixer
le jugement que l'on doit porter de cet ouvrage.
En parlant de la retraite de mademoiſelle
Dumefnil , on fait un jufte éloge
de cette inimitable Actrice , dont la
perte irréparable , excitera fans ceffe les
regrets des Amateurs , vraiement éclairés
& fenfibles.
Les fpectacles des Foires & des Boulvards
de Paris , ou Calendrier hiftorique &
chronologique des Théâtres forains ,
avec le catalogue général des pièces ,
farces , parades & pantomimes , tant
anciennes que nouvelles qu'on y a
jouées ; l'extrait de quelques -unes
d'entr'elles , des anecdotes plaifantes ,
& des recherches fur les Marionettes
les Mimes , Farceurs , Baladins , Sau-.
teurs & Danfeurs de corde , anciens &
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
modernes. Cinquième partie , pour
l'année 1777. Prix , 24 fols broché . A
Paris , chez J. F. Baftien , Libraire ,
rue du Petit Lion , Fauxbourg Saint-
Germain.
Cet Almanach , en rempliſſant tous .
les objets que promet le titre que nousvenons
de tranfcrire , doit fatisfaire pleinement
à la curiofité de ceux qui cher--
chent à fe bien inftruire de tout ce qui
concerne les Spectacles forains. Les Annaliſtes
de la foire , ont particulièrement
étendu , cette année , l'article des animaux
extraordinaires qu'on a montrés
à la dernière foire Saint - Germain ,
en rapportant diverfes obfervations &
anecdotes d'hiſtoire naturelle , tirées de
différens ouvrages , & relatives à ces
animaux. Ils ont indiqué les fources où
ils les ont puifés. Ils paroiffent avoir
auffi beaucoup augmenté les catalogues
des pièces jouées fur les différens Théâtres
de la foire ; ce qui fupplée un peu
à la difette des anecdotes , qui ne font
pas , à beaucoup près , cette fois auffi
nombreufes qu'à l'ordinaire. Nous allons
rapporter les deux plus piquantes.
On faifoit voir , à la foire , un homme
JANVIER . 1777. 153
trouvé , diſoit- on , dans une Ifle déferte ,
& qui ne mangeoit que des pierres . On
lifoit , en gros caractères , au- deffus de la
loge : » Je viens d'une lile de la mer des
» Indes , &je me nomme Siocnarf». Un
particulier étant allé voir cet individu
extraordinaire , fut très - furpris de le reconnoître
pour un Savoyard , qui avoit
fait long-temps les commiflions de fon
quartier. Il diffimula la découverte qu'il
venoit de faire ; & , relifant en fortant
l'infcription placée au- deffus de la pore,
s'apperçut que le nom bizarre , Siocnarf,
n'étoit autre chofe que François , vrai
nom du Savoyard , écrit au rebours .
Un particulier , voyant quelques Muficiens
des Cafés du Boulevard fẹ quéreller
vivement , fit apporter au milieu
d'eux plufieurs bouteilles de bon vin ; à
cet afpect imprévu , leur colère s'éteignit
comme par enchantement. » Dieu foit
loué , s'écria le Pacificateur , j'al trouvé
» le vrai moyen de mettre promptement
d'acord tout un Orcheftre . "
Almanach des Enfans . Deuxième recueil.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris ,
chez la Veuve Duchefne , Librang ,
rue St. Jacques , au Temple du Gous ;
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
& chez les Libraires qui vendent des
nouveautés. 1777.
Une morale nue apporte de l'ennui.
Le conte fait paffer le précepte avec lui.
La Fontaine.
Ce recueil eft compofé de fables & de
contes , en vers ou en profe , la plupart
de M. Willemain d'Abancourt , qui eft
auffi l'Auteur de la mort- d'Adam , Poëme
dramatique , imité de l'Allemand , &
du bonfils , ou la vertu récompenfée , petit
drame en un acte & en profe , qui termine
le volume , & qui a pour fujet ,
un trait célèbre de bienfaifance de l'immortel
Motefquieu , inferé , il y a près
de deux ans , dans un des volumes du
Mercure . Les autres morceaux confiftent
en quelques fables & moralités de MM .
Aubert , Desbillon , le Monnier , Sablier
& Senecé , en cinq à fix pièces anonymes
, & en un petit nombre d'anecdotes
& bons mots. Nous rapporterons
quelques-uns de ces derniers.
Le Cardinal de Richelieu venoit d'af
fifter à une cérémonie où un Cordelier
avoit prêché. Surpris de n'en avoir pas
affez impofé au Prédicateur, pour PinJANVIER.
1777. Iss
timider un peu , il lui demande
comment
il a pu parler avec tant d'affurance
? Ah !
Monfeigneur
, répondit
le Cordelier
, c'est
quej'ai appris
mon fermon
devant
un carré
de choux , au milieu duquel
il y en avoit
un rouge.
Vers le treizième fiècle , un homme
refufoit l'épreuve du fer chaud , & difoit
, pour autorifer fon refus , qu'il n'étoit
pas un Charlatan . Le Juge lui
faifant quelque inftance , pour l'engager
à fe réfoudre à la loi : Je prendrai volontiers
le fer ardent , répondit-il, pourvu que
je le reçoive de votre main. Le Juge décida
qu'il ne falloit pas tenter Dieu.
Le Cardinal de la Trémoille , jouant
un jour au piquet , étoit impatienté par
un homme à vue courte & à long
nez ; pour s'en débarraffer , il prit fon
mouchoir , & moucha le nez de fon importun
voifin : Ah ! Monfieur, dit- il auffitôt
, pardon , j'ai pris votre nez pour le
mien.
>
Ce recueil , qui n'a d'Almanach que
le nom , eft également propre à recréer
& à inftruire les enfans , & réunit à la
variété & à l'agrément , le mérite de la
briéveté , qui ne fe trouve pas toujours
dans les compilations de ce genre.
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Almanach des Muſes , 1777. A Paris, chez
Delalain , Libraire , rue de la Comédie
Françoiſe.
Ce recueil annuel plaît par fa variété
& par l'avantage de réunir , dans un affez
petit volume(qu'on pourroit peut-être encore
réduire confidérablement ) les ,productions
légères les plus remarquables
échappées à la verve de nos Poëtes Modernes.
Almanach de l'Etranger qui féjourne à
Paris. Année 1777. Prix 12 fols broché
, à Paris , chez Hardouin , Libraire
, paffage de la Colonnade du
Louvre, du côté de St. Germain l'Auxerrois.
Ce petit Almanach eft en effet un manuel
utile pour les Etrangers , & , à certains
égards , pour les habitans même de
Paris. On y indique les jours d'Audien .
ces des Miniftres , & autres perfonnes
en place ; ceux auxquels on peut voir
les monumens , & autres chofes remar
quables : on y denne des tenfeignemens
fur les fpectacles , les promenides , les
bibliothèques , les cabinets hittéraires ,
JANVIER. 1777 . 157
les voitures , les bains , & autres objets
de curiofité , d'amufemens , ou d'utilité
publique.
ACADÉMIE.
Séances publiques de l'Académie des Scien
ces , Arts & Belles- Lettres de Dijon
tenues le 17 Septembre 1775 , & 28.
Avril 1776.
M. MARET , Secrétaire perpétuel , a ou
vert la Séance par la lecture du Programme
des prix propofés par l'Académie , & qu'on
a déjà publié dans les Ouvrages périodiques.
Il a lu enfuite l'Hiftoire Littéraire de
l'Académie pour l'année 1775 , compofée ,
comme celles des précédentes années , de
deux parties diftinctes. L'une confacrée à
la notice des Ouvrages de littérature , &
l'autre à celle des Mémoires qui ont les
Sciences pour objet.
En terminant celle- ci , l'Hiftorien a fait
mention des Ouvrages envoyés par des
perfonnes qui ne font pas affociées à l'A158
MERCURE DE FRANCE.
cadémie. De ce nombre étoient les tableaux
de maladies , faits par M. Guiton ,
père , Médecin à Autun , & par M. Olivier
, à Bourg en Breffe.
39
ود
"
وو
وو
A cette occafion , M. Maret a cru devoir
rappeler les motifs qui ont engagé
l'Académie à fe charger de la correfpondance
defirée par M. Dupleix , & il a dit :
» Raffembler dans un dépôt commun ,
» toutes les deſcriptions des maladies épidémiques
,, ppoouurr ppoouuvvooiirr , en les com-
» parant , reconnoître l'indentité de celles
qui feront obfervées en divers endroits.
» Comparer le fuccès des différentes mé-
» thodes curatives , pour s'affurer de celle
qui conviendra le mieux à chaque
efpèce de maladie afin dans
que
le cas de l'invafion d'une fembla-
» ble épidémie , on puiffe promptement
» connoître la manière dont il faut la trai-
» ter : tel eft le but de la correfpondance
propofée; tel eft l'objet de l'Académie.
Cette Compagnie n'a d'autres vues que
» de coopérer au bien général , avec des
Citoyens qui , par goût , par devoir
par honneur, font engagés à ne rien négliger
pour leprocurer; elle demande des
fecours pour pouvoir être plus utile. Elle
» defire de raffembler comme en un même
ود
,و
»
»
›
>
JANVIER. 1777. 159
93 foyer , les lumières de tous les Méde-
» cins de la Province , mais pour les réfléchir
, pour les renvoyer par- tout où elles
deviendront néceffaires.
و د
Après la lecture de cette hiftoire , M.
Gauthey a fait celle du difcours prélimi–
naire d'un Ouvrage qui a pour objet une
nouvelle Langue Philofophique.
Cet Académicien rappelle d'abord en
peu de mots les motifs qui ont fait defirer
une Langue qui , devenant propre à tous
les Savans , favoriferoit les progrès des
connoiffances , en facilitant la communication
des lumières & des découvertes. A
l'expofition de ces motifs M. G. a
fait fuccéder un précis hiftorique de toutes
les tentatives faites , dans l'intention
de procurer cet avantage à la république
des lettres , & a fini par donner une idée
de la Langue qu'il a imaginée.
Cette Langue ne feroit point parlée ,
mais écrite ; & l'Auteur propofe des caractères
qui , une fois admis par les Sçavans
, formeroient , à ce qu'il préfume ,
un langage intelligible pour tous . Ces caractères
confiftent en lignes courbes &
directes , dont la longueur , l'épaiffeur &
la fituation font fufceptibles d'affez de variétés
pour donner toutes les lettres nécef160
MERCURE DE FRANCÉ.
faires. Les voyelles font peintes par des
courbes , & les confonnes par des lignes
droites .
La Séance a été terminée par M. Pazumot
, qui a lu la defcription des grottes
d'Arcy , près Auxerre.
Dans la Séance du 28 Avril 1776 ,
tenue pour l'ouverture des Cours de Chymie
& de matière Médicale , MM . de
Morveau , Maret puîné , & Durand ,
Commiffaire , défignés par l'Académie
pour faire les Cours de Chimie & de
matière médicale ont porté fucceffivement
la parole.
>
a M. de Morveau à fait l'ouverture de la
Séance , par l'expofition du plan fur lequel
fera fait le Cours de Chimie ; mais avant
d'entrer dans le développement de cè
plan , il a dit :
"
Quand le généreux Citoyen qui a
» fondé cette Académie , exprimoit dans
fes difpofitions , il y a à peine un demi
fiècle , le defir dont il étoit occupé , de
fuppléer dans fa patrie les reffources
» d'inftruction que procuroient ailleurs
» les Univerfités ; fi quelqu'un lui eût
» dit un Prince fe déclarera Protecteur
» de cet établiffement , & il fe fera un
JANVIER . 1777. 161
و د
>
plaifir d'enrichir fes collections , (1 ) un
» Bienfaiteur étant dans vos vues lui
» donnera un jardin de plantes. ( 2 ) Des
» Adminiſtrateurs éclairés lui affigneront
» des fonds pour l'entretien d'un labora-
» toire. (3 ) Un jour viendra enfin , que
» votre Académie profeffera publiquement
les Sciences que vous lui recommandez
de cultiver quelle joie eût faifi l'ame
» de ce Magiftrat patriote !
» Ce jour eft venu , Meffieurs , & notre
premier devoir eft de ranimer la
» cendre de ce Philofophe , en lui por-
» tant l'hommage de notre reconnoiffan-
» ce , en nous pénétrant du fentiment qu'il
eût éprouvé , en le communiquant autant
qu'il eft poffible , à tous ceux qui
» nous écoutent.
» M. Pouffier n'eft pas le feul qui ait
(1 ) S. A. S. Mgr le Prince de Condé a envoyé
tout récemment à l'Académie , plufieurs morceaux
très-précieux , qu'il a tirés de fon beau Cabiner
d'hiftoire naturelle de Chantilly.
(2 ) M. Legouz de Gerdon , lui a fait ce don
en 1773. M. du Ruffey y a fait conftruire une
grande ferre en 1775 .
(3 ) La délibération de MM. les Etats Géné
raux de la Province , eft du s Janvier 1776.
162 MERCURE DE FRANCE.
ود
ود
30
fongé à faire fervir les Académies à l'en- .
feignement des Sciences utiles ; le célè-
» bre Abbé de St Pierre en a tracé le pro-.
»jet dans cet Ouvrage ,auquel la difficulté
» de réalifer le bien , a fait donner le nom
» de rêve patriotique ; c'eft à la Médecine ,
elle-même qu'il en fait l'application , à la
Médecine , qu'il croyoit encore éloignée
» de la perfection , quoiqu'il y eût déjà
des Médecins intéreffés à accréditer, dans.
» le peuple des différentes conditions, que
» cet Art ancien a tout acquis , qu'ils n'ont
" plus qu'à pratiquer ; & que tenter des
» découvertes au-delà des cahiers de leurs
» maîtres , c'eft vouloir s'égarer dans le
" pays des chimères.
ود
ود
2
La Chimie n'eft pas moins ancienne.
» S'il faut dater de fes premières erreurs ,
» elle eft bien éloignée aujourd'hui d'une
» femblable prétention ; elle a foumis fes
dogmes à l'expérience, abandonné festraditions
fuperftitieufes, concilié fes principes
avec ceux de la phyfique générale ;
c'eft depuis qu'elle promet moins qu'elle
» tient beaucoup plus ; & nous difions de
» bonne-foi , en ouvrant ce Cours , que
» notre plus douce efpérance eft que
» ceux qui recevront ici les premières no-
» tions de cette fcience , pourront un jour
"
JANVIER. 1777. 163
ود »étendrenosvues&remplacernosconjectures
par des découvertes .
que
M. de Morveau dit enfuite , que c'estalors
qu'on connoîtra bien tout le prix de
ce nouvel établiffement , & les difpofitions
naturelles de nos compatriotes autorifent
cet efpoir. Il fait fentir le ridicule
des objections que fe promettent des
gens ou peu inftruits , ou de mauvaiſe foi ,
en foutenant que de pareilles inftitutions
ne peuvent avoir de fuccès que dans la capitale
;; que trop peu de perfonnes font
dans le cas d'en profiter , ( 1 ) & termine
fon difcours en difant :
"
» Laiffons donc ces cenfeurs , s'il s'en
» trouve , ufer d'un privilége qui ne nuit
» à perfonne , & recueillir dans leurs peti-
» tes Sociétés des applaudiffemens que
» nous ne ferons pas tentés de leur envier.
» Entrons hardiment dans la carrière , &
» dreffons d'abord la carte de notre route
» dans le pays immenſe que nous avons
» à parcourir.
Cette carte eft un tableau analytique
de toutes les opérations à faire dans le
(1) L'expérience a prononcé le contraire ; le
Cours a été très - fuivi , & par des perſonnes de
tout âge & de toutes les claſſes de Citoyens.
164 MERCURE DE FRANCE.
Cours. Les fubftances fimples , confidérées
comme diffolvants , y font diftribuées
à la tête de plufieurs colomnes verticales ,
que des lignes horizontales occupent à angles
droits. Ces lignes forment des cafes
dont les premières préfentent les fubftances
fur lefquelles les diffolvants doivent agir ;
& l'on trouve dans chaque cafe corref
pondante au diffolvant , le produit qui
réfulte de l'action de ces fubftances les
unes fur les autres.
M. Maret , dans le Mémoire qu'il a
lu après que M. de Morveau a eu fini fon
difcours, a fait fentir l'utilité de la Chimie ,
relativemeut à la Médecine.
Il a ajouté que , pour répondre aux
vues patriotiques de l'adminiftration
cette Compagnie a réfolu de faire faire en
même temps un Cours abrégé de matière
médicale ; qu'en conféquence il expofera
les ufages des remèdes tirés des règnes
animal & minéral ; & M. Durande , de
ceux que fournit le règne végétal .
La Séance a été terminée par M. Durande
, qui a expofé les facilités que donne
la Chimie , pour perfectionner la connoiffance
du règne végétal .
Il a fait obferver que fi les premières
tentatives , faites pour connoître , par l'aJANVIER.
1777. 163
nalyſe , les propriétés des végétaux , n'ont
pas répondu aux efpérances qu'on en avoit
conçues , on doit en accufer l'imperfection
des procédés que l'on employoit ; &
pour prouver les avantages que l'on peut
retirer des analyſes auxquelles on foumet
les végétaux , il a donné l'hiftoire de celle
qu'il a faite du bouillon blanc à petites
Aeurs
On voit, par les détails de cette analyfe,
que les vertus de cette plante dépendent
de la proportion dans laquelle fe trouvent
les parties réfineufes & gommeufes.
Que la fleur donne les mêmes produits
que la racine , mais que l'extrait qu'on
en fait eft moins amer ; de forte qu'en
réuniffant les fleurs à la racine de cette
plante , on eft affuré de donner un remède
moins échauffant que fi l'on n'employoit
que la racine , plus actif que fi
l'on fe bornoit à prefcrire les fleurs.
M. Durande a appuyé , par plufieurs
obfervations , les conféquences qu'il a tirées
de l'analyſe qu'il a décrite ; elles prouvent
que le bouillon blanc à petites Aeurs
eft celui que l'on peut employer avec fuccès
contre la jauniffe .
166 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
ON a donné, le Mercredi 15 Janvier ,
un grand concert au Château des Tuileries
au profit de la Signora Giorgi.
Cette célèbre Cantatrice a chanté plufieurs
airs de MM , Colla , Piccini &
Grétry. Elle a réuni tous les fuffrages par
la beauté de fon organe , par le goût de
fon chant , & par l'étonnante facilité de
fon exécution. M. Duport a joué une
fonate de violoncelle , & M. Franzel
un concerto de violon avec un applaudiffement
général.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
a donné , le Vendredi 10 Janvier , une
repréſentation d'Alain & Rofette ou la
Bergère ingénue , intermède en un actè.
Les paroles font de , M. Boutellier , la
mufique eft de M. Pouteau .
JANVIER . 1777. 167
Alain fe plaint d'aimer & de n'ofer
le dire ; il confie fes craintes & fes
tourmens à Lucas , en le priant de parler
pour lui à fa Bergère. Rofette vient
en chantant , & bientôt elle s'abandonne
aux douceurs du fommeil . Lucas la réveille
, & au lieu de parler pour fon ami ,
il lui peint fon amour. A la defcription
que le Berger fait de ce Dieu , Rofette
devient fenfible . Elle demande , avec
naïveté, ce que c'eft qu'un Amant. Lucas
veut parler pour lui ; mais Alain qui
l'écoute en fecret , répond : C'eft Alain .
La Bergère fe déclare pour Alain ; ce
Berger fe jette à fes pieds. Lucas reconnoiffant
fa méprife , prend le parti de
féliciter les Am ns. Les Bergers & les
Bergères du Hameau célèbrent leur bonheur.
Ce petit Poëme , trop fimple ,
trop ingénu , n'a point réuffi . Il y a dans
la mufque des chants agréables ; mais
les motifs en font trop communs & trop
connus. Cet intermède a été joué par
Mademoiſelle Beaumefnil , & par MM.
Lainés & Durand.
On a applaudi avec tranfport dans le
divertiffement , le retour de M. Dauberval
, dont les talens brillans font fi chers
aux Amateurs.
168 MERCURE
DE FRANCE .
Mademoiſelle de la Guerre a joué &
chanté le rôle d'Euridice , avec beaucoup
d'applaudiffement , ainfi que M. Lainés
le rôle d'Orphée.
On a repris , le Mardi 14 , l'Opéra
d'Alceste.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François répètent Zuma ,
Tragédie nouvelle de M. Lefevre . Ils
reprennent avec fuccès leurs anciennes
Pièces . Mademoiſelle Defperrières continue
fon début dans la Tragédie.
་ ཟད་ ལས་ བ་
COMÉDIE ITALIENNE .
Las Comédiens Italiens fe diffent à
jouer inceffamment les trois Sultannes ,
intermède très-agréable de M. Favart ;
& le Mort marié , paroles de M. Sedaine,
mufique de M. Bianchi.
ARTS.
JANVIER. 1777. 169 .
ARTS.
GRAVURES.
L
ALMANACH Royal de Cabinet , orné
de gravures , avec la fuite chronologique
des Reines de France , in 24. A Paris ,
chez M. Decaché , rue neuve Notre-
Dame , à la Vertu .
I I.
de
Tableau Unique, ou la principalefcience
du Commerce François , où l'on trouve ,
fous un même coup- d'oeil , la dénomina
tion , la valeur , & la réduction en argent
de France de toutes les efpèces de
monnoies étrangères , tant réelles que
change & de comptes : 2 °. la réduction
des poids , mefures & aunages étrangers,
comparés à ceux de France : 3 ° .la variation
des changes étrangers : 4° . les places
par lefquelles Paris change avec les
Villes étrangères : j ° . leur diftance de
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Paris : 60. le départ des Couriers de Paris
pour lefdites Villes : 7. la manière
dont elles tiennent leurs écritures : 8 ° . les
principaux objets de commerce des places
les plus confidérables de l'Europe :
l'Afie , l'Afrique & l'Amérique .
Ce Tableau fe vend à Paris , chez M.
Deville , rue Saint Denis , vis- à vis les
Filles- Dieu .
MUSIQUE.
I.
Six trio pour deux violons & violoncelle
obligé par M. Jannfon l'aîné ;
OEuvre V. prix 9 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue de Seine , Fauxbourg St
Germain ; & aux adreffes ordinaires de
Mufique.
I I.
IV. Sonates pour le Clavecin , avec
accompagnement de violon ad libitum ;
par M. Edelmann. (Euvre V. prix 7 1.
4 f. A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Feuillade , maifon de M. le Baron de
JANVIER. 1777. 17
Bagge ; & Madame le Marchand , rue
Fromenteau.
›
II I.
Septième Recueil d'Ariettes d'Opéra
Comiques avec accompagnement de
Guittarre , Menuers variés , Allemandes
& Pièces pour le même inftrument , par
M. Vidal , Maître de Guittarre ; OEuvre
XIIIe , mis au jour par M. Boüin , Marchand
de Mufique , rue Saint-Honoré
près Saint-Roch ; prix 6 liv. En Provin
ce , chez les Marchands de Mufique .
I V.
>
Les Soirées Espagnoles , ou choix d'Ariettes
, avec accompagnement de Guit
tarre , propofées par foufcription ; 2 ° année,
qui a commencé le premier Janvier
1777 ; par M. Vidal , Me de Guittarre.
Il en fera délivré une feuille par
femaine , & qui compofera 52 feuilles
pour l'année entière. On foufcrit à Paris ,
chez le fieur Boüin , Editeur dudit Ouvrage.
A Verfailles , chez M. Blaizot ,
& à Bordeaux , chez M. le Noblet , Marchand
d'Eftampes & de Mufique , rue du
Pas-Saint-George. Le prix de la foufcription
eft de 12 liv. pour Paris , & de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
18 liv. pour la Province , franc de port.
Pour la facilité des Commençants ,
l'Auteur fe propofe de donner au moins
26 feuilles avec des
accompagnemens
aifés.
V.
Ouverture du Tableau parlant , arrangée
pour le Clavecin ou le Forté- Piano
avec accompagnement d'un Violon &
Violoncelle ad libitum , par M. Benoît ,
Maître de Clavecin de l'Abbaye Royale
de Montmartre , Dames de la Croix ,
& c. Abonnement pour le mois de Juin ,
prix 3 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue
Dauphine , la premiere porte- cochère
à gauche après la rue Chriftine.
V I.
Quatrième Recueil d'airs connus ;
arrangés en pièces de Harpe , avec accompagnement
de Violon & de Baffon
ad libitum ; dédié à Mademoiſelle de
Lufignan , par François Perrini , contenant
feize morceaux : fçavoir , 1º . l'ou
verture de l'Ami de la Maifon. 2 °. Les
cinq Ariettes de la Colonie Dès ce foir
l'hymen m'engage , &c. Le Ciel fait que
j'ai toujours dit non , &c. Si le Ciel eft
JANVIER . 1777 173
inexorable , &c. Qu'est- ce donc qui vous
arrête &c. Oui je pars , &c, 3 °. L'ouverture
d'Iphigénie . 4° . Menuet d'Iphigénie.
5. 6 Airs de l'Union de l'Amour
& des Arts, 6°. La Chacone de M. le
Breton. 7°. Le Tambourin d'Azolan.
On fouferit chez Coufineau , Luthier
de la Reine & de Madame la Comteffe
d'Artois , rue des Poulies , vis -à -vis le
Louvre à Paris .
Le prix de la foufcription eft de IS 1.
pour Paris, jufqu'au 20 Février prochain,.
paffé lequel tems le prix du Recueil entier
fera de 18 liv .
HORLOGERIE.
LE fieur Hilgers , Horloger , Abbaye
Saint - Germain , Cour des Religieux ,
au grand Villars , a préfenté à Meffieurs
de l'Académie Royale des Sciences
, une Montre d'une groffeur ordinaire
, de fon invention & compofition
, répétant l'heure , les quarts & les
minutes jufqu'à quatorze , de manière
que le tout eft fans confufion ; par ce
H iij
174
MERCURE DE FRANCE.
moyen on peut favoir , la nuit , en pouffant
ladite pièce , l'heure à la minute
comme de jour .
pas L'idée d'une pièce à minutes n'eſt
nouvelle , vu qu'il y a foixante ans
que l'on en a fait les premiers effais , &
depuis à plufieurs reprifes , mais aucun
n'a réuffi : elle fonnoit les heures & les
quarts
diftinctement ; quant aux minutes
, elle les fonnoit fi vîte & fi bas ,
étoit
impoffible de les pouvoir compter.
qu'il
Sa
conftruction étoit fi
compliquée &
fi difficile,que le meilleur Artifte ne pouvoit
fe flatter de l'exécuter fans être fujet
à manquer. Elle avoit auffi le défaut
de commencer à fonner les minutes.
par la dernière , c'eſt-à - dire , lorſqu'il
n'y avoit qu'une minute , elle en paffoit
treize fous filence & fonnoit à
la fin cette minute , ce qui devenoit
infipide d'être obligé d'attendre fi longtems
, pour favoir s'il reftoit quelque
chofe à fonner. Vu tous ces inconvéniens
& ne pouvant fervir de rien ,
on l'a abandonné. Au lieu que celle du
fieur Hilgers fonne l'heure , les quarts à
double coup comme une répétition
ordinaire , & recommence à fonner les
minutes à coup fimple , auffi diftincte
>
>
JANVIER. 1777 . 175
ر
ment qu'elle fonne les heures avant les
quarts. Il n'y a pas d'intervalle pendant
que la pièce fonne excepté quand il
n'y a pas de quart , elle met un filence
l'efpace de trois coups , pour diftinguer
les minutes d'avec les heures . Cette pièce ,
par la conftruction extraordinairement
fimple , eft auffi folide pour les effets ,
ain que fa durée , qu'une répétition
ordinaire & n'eft pas plus fujette au
raccommodage.Le fieur Hilgers vend ces
pièces à condition que fi on trouve de
meilleures montres plus régulières , même
dans les montres fimples , il les
reprend & rend le montant jufqu'à dixhuit
mois.
›
TOPOGRAPHIE.
I.
PLAN Topographique de la Ville de
New-Yorck, fur une feuille de chapelet ,
dans laquelle fe trouve une carte du port
& de la rade de cette Ville , avec les fondes,
Par Montréfor . Prix 3 liv . Chez le
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Rouge , Ingénieur Géographe du Roi ,
rue des grands Auguftins,
I I.
Table alphabétique pour trouver , par
les carreaux, tous les noms de Villes ,Vil-
Lages , Rivières , Provinces , Nations, Iſles,
Ports, Caps , & c. contenus dans la carte
des poffeffions angloifes en Amérique ;
par Mitchel , en 8 feuilles. Au moyen
des lettres alphabétiques & des chiffres ,
ceux qui ont déjà cette carte , pourront
s'en fervir , les carreaux étant formés par
les Méridiens & les Paralelles. 36 pages
grand in- 8° . Prix 2 liv. broché.
CANAL DE MONSIEUR.
LES Intéreffés aux mines de St. Geor
ges , jouiffent enfin , Monfieur , du plai
fir d'être utile , & d'avoir fait autant
d'heureux qu'il y a de Propriétaires &
même d'Habitans fur les deux bords du
Layon. Ce Canal , que leur zèle , leurs
foins & leurs dépenfes ont fait entreprendre
pour le bien public , & la gloire du
JANVIER. 1777 177
>
Prince dont il porte le nom , ce, Canal
fi blâmé par les ignorans , fi jaloufé par
les envieux , fi traverfé par les méchans ,
vient de forcer fous mes yeux l'approbation
de tous les partis , & de réunir
les fuffrages de tous les Spectateurs . A la
vue & au très-grand étonnement de près
de trois mille perfonnes , partagées entre
la crainte & l'efpérance , trois Bateaux ,
dont deux chargés , & le troifième por
tant cabanes , font partis de Chalonnes
le 27 du mois dernier , à dix heures
du matin , avec auffi peu d'eau qu'il eſt
poffible d'en avoir en cette faifon . De
l'aveu de tous les Habitans riverains , jamais
, dans le mois de Novembre , les
eaux du Layon n'avoient été aufli baſſes
qu'elles l'ont été cette année . Cependant
ces trois bateaux ont remonté , par douze
éclufes , jufqu'à Thouarcé , où ils font
arrivés, le 29 , fur les trois heures de l'après-
midi , par un fort mauvais temps .
Lorsqu'il y aura plus d'eau , que
les machines
feront plus exercées & les corda
ges plus fouples , la navigation fera infiniment
plus prompte ; & on doit conclure
de cette première expérience , qu'avec
fuffifante quantité d'eau , les bateaux remonteront
jufqu'aux mines de St. Geor
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
"·
ges , dans l'efpace de trois jours , & qu'ils
n'en emploieront que deux pour defcendre
à Chalonnes .
Vainqueurs , à la fois, des préjugés &
des obftacles que préfentoit la nature
dans la vallée où fe perdoient , fans aucun
fruit , les eaux du Layon , les Intéreffés.
peuvent recevoir aujourd'hui les compli
mens fincères dus au fuccès de leur conftance
& de leur courage infatiguables.
Je m'empreffe de leur faire les miens , au
nom de tous les Concitoyens honnêtes ,
affez éclairés pour appercevoir & fentir à
l'avance , les nouvelles jouiffances que
leur procure cette heureufe entreprife. Ils:
partagent avec moi la reconnoiffance publique
que leur doit cette partie de notre
Province , pour la facilité des tranſports
de fes denrées , & des objets d'échange
néceffaires à l'accroiffement de la culture:
& à la félicité des Cultivateurs. Leur patriotifme
ne fera donc pas fans récompenfe
; & la plus flatteufe pour eux ,
-fans doute , c'eft la certitude d'avoir effentiellement
contribué au bonheur de cette
claffe d'hommes utiles & précieux. Les:
avantages qu'en retireront MM. les Intéreffés
, pour l'exploitation & le facile.
tranfport du charbon de leurs mines
JANVIER. 1777. 179
fe
dans les différens lieux du Royaume où
la confommation en eft plus abondante ,
partagent néceffairement en faveur des
Artiftes qui le confomment , & du Public
, dont le luxe & fes befoins néceflitent
également l'ufage. Ils ne manque rien à
leur gloire , puifque MONSIEUR daigne
la couronner , en protégeant un établif
fement formé dans fon apanage , & qui
déformais portera fon nom. C'étoit le
moyen le plus fûr de perpétuer l'utilité
publique de ce Canal , & de porter
de femblables efforts , des Compagnies en
état d'opérer le même bien , fur des portions
confidérables de Provinces , qui
languiffent faute d'un pareil fecours .
à
Nota. Le Canal de MONSIEUR a été
commencé au mois de Septembre 1774 »
& exécuté fous les ordres de M. Duclu-
-zel, Intendant de la Généralité de Tours,
& fous l'infpection du fieur de Limoy ,
Ingénieur en chef des Ponts & Chauffées
de la Province ; par le fieur Martin
Entrepreneur de bâtimens à Paris. Ilcon
tient 27 éclufes , 12 ponts & 6 guets.
C
»
10
Bvj
480 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
Atlas célefte de Flamsteed, en 30 cartes
in-4 , approuvé par l'Académie Royale
des Sciences , & publié fous fon Privilége
; feconde édition . Par M. J.. Fortin
, Ingénieur, Mécanicien du Roi &
de la Famille Royale , pour les globes &
Sphères. A Paris, chez F. G. Defchamps ,
Libraire ,,, rue Saint-Jacques ; & chez
l'Auteur "
rue de la harpe , près celle
i du Foin. Prix , 9 liv. demie relieure
en façon d'Atlas , & 10 liv. , relié en
veau ..
L'ATLAS de Flamftéed , publié au commencement
de ce fiècle , eft le plus eftimé
del tous ceux qui exiftent , & le plus
-recherché par fon exactitude; mais la gran--
deur des cartes in-folio en augmentant
-de prix , a mis l'ouvrage hors de la portée
du plus grand nombre, ...!!
En publiant cet Atlas , réduit au tiers ,,
on a confervé tout le mérite original de
l'ouvrage , qui paroît aujourd'hui fous un:
format beaucoup plus commode;; mais ce
JANVIER. 1777. -181
C
t
n'eft le ficur pas une fimple réduction que
Fortin publie. Cet ouvrage doit être confidéré
comme neuf prefque à tous,
égards.
x
Flamftéed avoit placé les étoiles pour
21690 ; elles ont été remplacées pour 1780.
L'Editeur a ajouté quelques conftellations.
nouvelles, entr'autres , le Réenne, qui immortalife
les opérations de MM. de l'Académie
Royale des Sciences , au cercle
-polaire , pour la mefure d'un dégré du méridien
en 1736. Plufieurs fautes qui avoient
échappé à l'exactitude de Flamftéed ont
été corrigées.
On a ajouté les étoiles nébuleufes qui
Lent été obfervées par MM. de la Caille ,
Meffier & le Gentil , ainfi que la voie
lactée qui manque dans toutes les cartes.
-de Flamftéed.
Enfin ,pour completter l'ouvrage , le fieur
-Fortin a ajouté le Planifphère Auftrale de
M. l'Abbé de la Caille.
Cet Editeur ayant confervé tout le mé-
-rite de fon original , qui a mérité une approbation
univerfelle , on doit avouer que
cet Atlas réduit , devient un ouvrage nouveau
, dont les Sçavans , ainfi que ceux
qui defirent étudier & connoître le ciel ,
peuvent tirer le plus grand avantage. Le
182 MERCURE DE FRANCE.
44
détail de tout ce travail , eft expofé dans un
difcours préliminaire , qui contient en
même-temps les principes élémentaires
qui fervent à developper la théorie de la
projection , ainfi que celle qui eft néceffaire
pour qu'on puiffe faire ufage des
cartes , foit pour des obfervations importantes,
tant fur terre quefur mer,foit même
pour étudier le ciel élémentairement , &
acquérir la connoiffance détaillée des conftellations
& des étoiles qui les compofent.
Cet ouvrage fera utile aux Aftronomes ,
aux Hidrographes , aux Marins , & à ceux
qui, fans fe deſtiner à l'aſtronomie ou à la
navigation , defireront acquérir l'étude du
ciel pour leur fatisfaction particulière.
Après les 29 cartes qui compofent
l'Atlas , fuit une trentieme carte ou planifphère
, qui ne contient que les principales
étoiles liées enfemble par des alignemens.
On trouve à la fuite un catalogue de
400 étoiles , dont les afcenfions droites
ainfi que les diftances au Pole font calculées
pour 1780 , par degrés , minutes ,
fecondes & décimales. Suivent enfuite
deux tables , l'une du paffage du premier
point du Bélier par le méridien de Paris ,
calculée pour chaque jour d'une année
JANVIER. 1777. 183
moyenne entre deux biffextiles , l'autre
pour la réduction des heures en degrés &
minutes de l'Equateur , des degrés &
minuſtes de ce cercle en heures . On fait
qu'au moyen de la première de ces tables ,
dont l'ufage eft expliqué , on peut à tout
inftant connoître les étoiles & les conftellations
qui paffent au méridien.
Pour faciliter l'étude du ciel à ceux qui
n'en ont aucune connoiffance , cet ouvrage
contient de plus un traité très- ample fur
les moyens de connoître les étoiles par
des alignemens. Ce traité , en fuivant l'ordre
d'occident en orient , comprend chaque
conftellation en particulier , l'une après
l'autre , & toutes les étoiles principales qui
les compofent, feulement , à la vérité , pour
l'horifon de Paris ; ce qui fuffit pour la
France entière , & ce qui comprend plus.
de deux tiers du globe.
Cet Atlas eft terminé par neuf.problêmes
des plus intéreffans , tels que connoître
toutes les étoiles qui font toujours vifibles
fur un horifon , tracer une méridienne
. Par le moyen des étoiles , trouver
l'heure de leur paffage par le méridien , &
corriger par ce moyen l'accélération ou le
retard des pendules ou des montres , &c.
Cet ouvrage , dirigé par un de nos:
184 MERCURE DE FRANCE.
meilleurs Aftronomes , fait honneur à l'Editeur
, & à ceux qui ont bien voulu encourager
& foutenir fon zèle , en lui fournillant
ce qu'il ne pouvoit exécuter luimême.
La gravure de toutes les cartes de cet
Atlas , a été trés- bien foignée , ainfi que
la Typographie. On s'eft appliqué à éviter
la confufion , & à être net , fans que rien
n'y perdît d'ailleurs ; enfin cet ouvrage
mérite , à tous égards, l'acceuil du Public.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
nouveaux , &c.
I.
Induftrie.
LE fieur Delefcomer , ci -devant Arquebufier
Privilégié de Sa Majefté , a
inventé, pour toute forte d'armes à feu ,
une batterie brifée , qui a mérité l'appro
bation de l'Académie des Sciences . Elle
fait fon mouvement dans le fens de toutes
les autres batteries , fans qu'on ait à
craindre d'être coupé à la pierre , ni que
Tamorce fe perde. Elle eft d'ailleurs auffi
JAN VIE R. 1777. 18 ;
fimple & moins difforme que la batterie
tournante. Lorfqu'on veut que les deux
parties fe meuvent enfemble , elle eft
tenue par un crochet d'acier , qui entre
dans un arbre appartenant au couvre -baffinet
, & où il eft fixé par un reffort .
Quand on veut que l'arbre foit en fûreté,
il faut ouvrir le crochet , la batterie étant
fermée fur le baffinet par la petite palette
qui fert à laver la batterie : le couvre-
baffinet refte alors fixé fur l'amorce
par la petite branche du reffort de la batterie
; celle-ci demeure ouverte & fixée
fur fon talon par la plus forte branche
du même reffort. Si l'on veut tirer , on
referme la batterie & le crochet , ce qui
eft l'affaire d'un moment.
II.
Grifel & Compagnie , ont l'honneur
d'annoncer au Public une compofition
de marbre factice fur pierre , toute différente
des ftucs dont on voit plufieurs
ouvrages à Paris & aux environs , auquel
ftuc il fe forme en peu de temps un fal
pêtre deffus , caufé par l'humidité dont
it eft fufceptible , qui le détruit .
La compofition du fieur Grifel & Com186
MERCURE DE FRANCE.
par
pagnie, eft totalement à l'abri de ces inconvéniens,
les épreuves ayant été faites
par Meffieurs des Académies Royales
d'Architecture & des Sciences , dont lef
dits Grifel & Compagnie font munis de
certificats ; que les acides , même les
alkalins , ne font aucun effet fur cette
compofition ; l'humidité , loin de l'altérer
, contribue à la durcir de plus en
plus , de même que la chaleur caufée
l'ardeur du foleil , ce qui augmente
fa beauté & fa folidité , au point que des
Connoiffeurs prétendent que c'eft le vrai
ftuc des Anciens qu'on on a découvert en
Italie. Avec cette compofition , le fieur
Grifel & Compagnie imitent toutes efpèce
de marbre , même les plus rares
& les plus précieux , au point de tromper
les plus connoiffeurs , ayant le veiné , le
jafpé , le froid , le tact & le poli du
véritable marbre . Les échantillons que
lefdits Grifel & Compagnie foumettront,
feront voir que l'on peut, fans une
grande dépenfe , orner & décorer folidement
& magnifiquement les Eglifes
Chapelles , Sallons , Boudoirs , Cabinets ,
& tout autre Appartement , des marbres
les plus curieux , & de plus exécuter toute
forte de compartiments avec une grande
>
JANVIER. 1777: 187
précifion , & donneront même aux Ama
teurs plus de fatisfaction que le véritable
marbre , par les veines terraffeufes qui s'y
rencontrent, qui , le plus fouvent , font
remplies en maftic peu folide , & qui, en
peu de temps , périffent , laiffant le défagrément
aux beautés des ouvrages.
Il demeure rue baffe des Urfins , au
coin de celle de Glatigny, derrière Saint
Denis de la Chartre , à Paris.
III.
Nouvelle Ufine à fabriquer la poudre à
tirer.
Léonard Cazeneuve , ancien Grenadier
de France , Maître Menuifier à Nancy ,
rue de la Porte Sainte-Catherine , n° . 546 ,
vient d'exécuter en petit , fur la longueur
de 2 pieds 10 pouces , la largeur de 20
pouces , & la hauteur de 18 pouces ,
toute la machine néceffaire au roulement
d'une Ufine de Poudre à canon , d'une
invention toute nouvelle & des plus avantageufes.
Le rouage , qui en eft l'ame
n'exige , pour être mis en mouvement ,
qu'un cours d'eau très- médiocre . La Poudre
y eft fabriquée beaucoup plus vîte
188 MERCURE DE FRANCE.
que dans toutes les Ufines ordinaires ;
en forte qu'outre ce premier avantage
y ayant moins d'évaporation des matières
par la célérité du travail , qui , étant plus
parfait , donne à la Poudre beaucoup
plus de force , la Machine eft conftruite
de manière que les Ouvriers ne peuvent
encourir aucun danger.
Le fieur Cazeneuve, qui en eft l'inventeur
, a eu l'honneur de la préfenter à
M. le Comte de Stainville , Lieutenant-
Général des Armées de Sa Majefté , &
Commandant en Chef dans toute la Lor.
taine. Ce Seigneur , en ayant reconnu
l'utilité , a bien voulu en accepter l'efquiffe,
& apermis quell'Auteur en fit faire
l'annonce au Public fous fa protection .
Flatté de cet honneur , il offre fes fervices
à ceux qui font chargés de la fabrication
d'une auffi dangereufe compofition,
pour l'exécution d'Ufines en grand ,
fur le modèle que chacun peut voir &
examiner chez lui. Les Curieux & les
Connoiffeurs pourront juger aifément
de fon avantage & de fon utilité .
La conftruction de cette Machine en
grand , aura 34 pieds de longueur , 20
pieds de largeur , & 18 pieds de hauteur .
JANVIE R. 1777. 1891
I V.
On a inventé depuis peu , à Leipfick,
une eſpèce de lampe en forme de bougie
, qui éclaire pendant 24 ou 30 heures
, fans qu'il foit néceffaire de la moucher.
On fait , en s'en fervant , une épargne
confidérable , puifqu'avec un quarteron
d'huile on eft très-bien éclairé 8
ou 10 nuits. Ces Bougies artificielles
font placées fur un pied qui fert de chandelier
, & dans lequel une vis , en forme
de noyau , fait monter l'huile. Le cent de
ces Bougies ne revient quà 12 gros , &
200 fuffifent pour éclairer toute l'année .
Comme la lumière ne fatigue jamais
moins les yeux que lorfqu'elle fe trouve
placée à une jufte élévation , le Bureaudes
Annonces de Leipfick invite les Artiftes
à chercher le moyen de fixer la
Bougie à une hauteur convenable , &
toujours la même .
190 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
ALEXIS Grimou , Peintre François , né
à Argenteuil , étoit d'un caractére bizarre
& fingulier . Il ne voyoit ordinairement
que quelques amis qui s'en ivroient
avec lui ; & lorfqu'il travailloit , il avoit
toujours auprès de lui quatre ou cinq
bouteilles d'excellent vin de Bourgogne.
Rien n'étoit plus difficile que d'en obtenir
un tableau . Le Duc d'Orléans , Régent
, voulant avoir de fes ouvrages à
quelque prix que ce fût , le manda au
Palais Royal , le fit enfermer dans un
appartement , & ordonna qu'on lui fournît
tout ce qui fetoit néceffaire , tant pour
fon travail que pour fa perfonne. Grimou
, piqué de fe voir pris au trébuchet,
dit qu'il ne favoit rien faire en prifon ,
& jura très énergiquement que le premier
qui lui préfenteroit une palette ,
il la lui briferoit fur la tête. L'apparte
ment où on l'avoit enfermé n'étoit qu'au
premier étage ; il fe met à la fenêtre , &
JANVIER. 1777. 191
»
---
i
voit paffer un de fes amis , qui lui demande
à quoi il s'occupe là. « Je n'y
fais rien , répond Grimou , & n'y
» veux rien faire , c'eft pour cela qu'on
» m'y tient renfermé. Renfermé ! ré
pond l'autre , j'en fuis fâché , je t'au-
» rois propofé bouteille. A ces mots ,
Grimou ne connoît plus de danger .
• Artends - moi , s'écrie - t-il , je vais bien
les attraper. Auffi tôt il fe jette par
la fenêtre , & le caffe une cuiffe.
"
»
»
15
Quand le Légat Flavio Chigi aborda
à Marseille , il fit arborer l'étendart du
Crucifix , & les Galères de France baiffèrent
le pavillon & faluèrent : mais ayant
arboré enfuire la bannière du Pape fon
oncle, aux armes de la Maifon de Chigi,
les forts d'lfet & de Ratonneau tirèrent fur
La Galère , & lui firent baiffer le pavillon .
I I I.
Un Commis apporta au Duc de Guife ,
dit le Balafré , cent mille francs , que ce
Prince avoit gagné au jeu à M. ďO ,
Surintendant des Finances . Le Duc vou192
MERCURE DE FRANCE,
lant donner une gratification au Commis
, lui dit d'emporter un petit fac , '
qu'il ne croyoit contenir que de l'argent
blanc. Mais il y avoit trente mille francs
en or ; & le Commis découvrant la méprife
, reporta ce fac ; le Duc le refuſa ,
en difant : puifque la fortune vous a été
favorable , cherchez un autre que le Duc
de Guife pour ravir votre bonheur.
IV.
Une pauvre Fruitière de Paris , n'ayant
pas eu le moyen de payer deux ou trois
térmes de fon loyer , fon Hôte , impitoyable
, lui fit vendre fes meubles. Le
peu d'effets qu'elle poffédoit fuffifoit à
peine pour acquitter fes dettes & fatisfaire
aux frais de Juftice ; enforte qu'elle
fe voyoit réduite à la mendicité , & fondoit
en larmes. Son défefpoir augmenta
quand elle vit qu'on alloit crier un petit
St. Jérôme tout enfumé , d'un pied &
demi de haut , qu'elle avoit au chevet de
fon lit. Un Peintre, après l'avoir examiné,
le mit à un écu . Uncurieux , préfent à la
vente, enchérit auffi - tôt du double . L'Artifte
crut que , pour étonner cet homme ,
& lui faire perdre l'envie d'avoir le ta
bleau ,
JANVIER. 1777. 193.
bleau , il n'y avoit qu'à le pouffer un peu
haut tout d'un coup. A un louis , dit-il :
à soliv. reprit l'Amateur : à Ico francs ,
répliqua le Peintre : cependant la bonne
femme étoit tranfportée de joie ; fon
loyer & fes frais étoient déjà plus que
payés par le petit S. Jérôme. Sa joie redoubla
, quand elle entendit le Curieux
mettre le tableau à 200 livres ; elle fur
hors d'elle-même lorſqu'elle vit que d'enchère
en enchère , l'Amateur le porta
jufqu'à 600 francs. Le Peintre obligé
de céder , dit , en pleurant , à l'Acquéreur
: vous êtes heureux , Monfieur, d'être
plas riche que moi , car il vous coûteroit
zooo liv. , ou je l'aurois eu. C'étoit un
original de Raphael.
V.
Un Acteur de Province (ambulant ) arriva
un jour dans une Ville , où l'on devoit
le lendemain faire des réjouiffances publiques.
Il togea à l'Auberge, comme c'eft la
coutume de ces Meffieurs ; on lui donna
unie chambre honnête,telle qu'il l'avoit demandée.
Il s'énonça d'abord fur ce que
l'on appelle le bon ton de Comédien , c'eftà
dire tragique , pour en impofer à
II. Vol. I.
194 MERCURE DE FRANCE.
J'Hôte, & comique , pour l'amufer. La
foirée des illuminations arrivée , rien ne
paroît fur deux croiſées d'un appartement
qu'occupoit notre Acteur : on monte ,
on frappe à fa porte ; il ouvre : la fervante
lui dit qu'il faut des lumières fur
fes fenêtres ; fans s'émouvoir en aucune
façon , le Rofcius récite tranquillement
ces vers de Molière,
Laurent , ferrez ma hère avec ma difcipline ,
Et priez que toujours le ciel vous illumine.
Après ces mots , déclamés avec toute
l'emphaſe théâtrale , la fervante ne perd
point de temps , & defcend d'un air
joyeux , dire à fon Maître , ah ! que nous
allons être beaux ! Ce Monfieur de là- haut,
vient de dire à Saint Laurent que le Ciel
nous illumine,
V I.
L'unique grâce que Charles premier
obtint de fes ennemis , après le jugement
de fon procès , fut un intervalle de
trois jours entre fa fentence & fon exécution
. Il paffa ce temps dans une grande
tranquillité d'ame , occupé fur- tout de
JANVIE R. 1777. 195
lectures & d'exercices de piété. Ce qui
reftoit de fa famille en Angleterre , eut
un libre accès près de lui : elle confiftoit
dans la Princede Elifabeth & le
Duc de Glocefter . Le Duc d'Yorck, qui
s'étoit échappé de Gocefter , ne faifoit
que fortir de l'entance . La Princeſſe
dans un âge fort tendre , marquoit un
jugement fort avancé , & les inf rtunes
de fa famille avoient fait une forte impreffion
fur elle. Après quantité d'avis &
de pieufes confolations , fon malheureux
père le chargea de dire à la Reine , que
pendant tout le cours de fa vie , il
» n'avoit jamais manqué , même en idée,
» de fidélité pour elle ; & que fa tendreffe
conjugale auroit la même durée
que fa vie. Il crut devoir auffi quelques
avis paternels au jeune Duc , pour
jeter de bonne heure dans fon ame des
principes d'obéiffance & de fidélité pour
fon frère , qui devoit être fitôt fön Souverain.
Il le prit fur fes genoux : Mon
» fils , lui dit- il , ils vont couper la tête à
» ton père. Cet enfant , frappé d'une
image fi nouvelle , le regarda fixement ;
fais-y bien attention , mon fils , ils
» vont couper la tête à ton père , & peutêtre
te feront - ils Roi ! Mais prends
»
cs
19
>>
6.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE .
pas
» bien garde à ce que je t'ajoute ; tu në
» dois être Roi aulli long temps que
» tes frères Charles & Jacques feront en
vie : ils couperont la tête à tes frères ,
lorfqu'ils pourront mettre la main fur
eux ; & peut- être qu'à la fin ils re là ,
» couperont auffi. Je te charge donc de
» ne pas fouffrir qu'ils te faflent Roi . »
Le Duc pouffa un foupir , & répondit :
je me laifferai plutôt déchirer en pièces.
Une réponſe fi ferme à cet âge , pénétra
Charles , & remplit fes yeux de larmes
de joie & d'admiration.
VII.
Le jour de Saint Etienne , un Moine
devoit faire le Panégyrique de ce Saint.
Comme il étoit déja tard , les Prêtres, qui
avoient faim , craignant que le Prédica
teur ne fût trop long , le prièrent à l'oreille
d'abréger. Le Religieux monte en
chaire , & après un petit préambule :
Mes frères , dit-il , il y a aujourd'hui
» un an que je vous dis tout ce qui fe
peut dire touchant le Saint du jour ;
comme je n'ai pas appris qu'il ait rien
» fait de nouveau depuis , je n'ai rien
» non plus à ajouter à ce que j'en dis
JANVIER. 1777. 197
» alors : il fit le figne de la croix , &
» s'en alla.
> Le Marquis du Chafteler & de Courcelles
Chambellan actuel & Confeiller d'Etat de Leurs
Majeftés Impériales , Lieutenant de leur Garde
Noble & Gouverneur de Binch, a dépofé au Greffe
du Grand- Confeil à Malines , les titres de fa
Maifon, qui prouvent :
1. Qu'il defcend en ligne directe , légitime
& mafculine de Ferri , Seigneur du Chafteler ,
d'Autigny & de Rouvre , fils de Thiéri , furnommé
d'Enfer , Seigneur d'Autigni & de Rouvre , &
petit-fils de Ferri , Seigneur de Bitche.
20. Que depuis Ferri , Seigneur du Chaftler &
d'Autigni , qui vivoit dès 1230 , jufqu'au Marquis
du Chafteler , fes ancêtres ont toujours terminé
leur nom par une R, & nommément Ferri
& fes trois fils , Erard , Jean & Thiéri.
Ces titres refteront dépofés audit Greffe pendant
fix mois , & il fera libre à un chacun d'en
avoir infpection .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
1.
Articles nouvellement rentrés au Magafin
du petit Dunkerque , chez Granchez '
Bijoutier de la Reine , indépendamment
des objets qu'il a fait paroître depuis
fon établiſſement.
SCEAUX ovales à laver les pieds , en tôle vermie
a tableaux , repréſentant des ſujets analogues
à l'eau .
Chaînes de montre en or , à la Turque , pour
femme.
Perites caves à quatre flacons d'or émaillés ,
pour effence de rofes , & c. Bonbonnières en or
& émail tigrées , & autres en petits velours.
Evantails des Indes , fe raccourciffant de moitié
, pour mettre dans le manchon.
Etuis d'or émaillés , en forme de tabatières ,
avec miroir.
Jolie petite pendule de lit à tirage , bronze
doré au matte. Le premier modèle a été fair
pour la Reine , ainfi que les autres articles.
Idem. Pour cheminées à la Turque , repréſen
JANVIER, 1777. 199
tant une Sultane pinçant de la harpe fous un
dais.
Chaînes de montre à grelot , en or , forme de
luftre , garnie de neuf breloques nouvelles. La
première a été faite pour Madame .
Chaînes de montre en or , pour femme , avec
tableaux mouvans.
Petits flambeaux , forme d'Athénienne , en albâtre
& bronze doré au matte . Les premiers ont
été préfentés & vendus à Madame la Comteffe
d'Artois .
Boucles , argent & or , fupérieurement cife
lées , imitant les diamans , modèle de M. le Comte
d'Artois.
Eperons d'argent , dont la molerte fe reploie
à reffort , pour ne pas bleffer en marchant.
Un affortiment confidérable de bijoux d'or
émaillés dans de nouvelles couleurs ; autres en
pierres. Idem , en cheveux. Plufieurs objets nouveaux
en argent , pour le fervice de table. Idem
en tôle amalgamée d'argent , & plufieurs autres
articles qu'il a reçus de l'Etranger.
Nouveaux modèles de boucles en argent ,
forme de hauffe-col.
Idem , avec traverſes , ce qui forme deux boucles
fur le pied. Idem , à clous d'argent , fur
fond d'or damafquinés.
&
Idem , avec cordonnet entre deux filets unis ,
& tous les mêmes modèles en or de rapport
autres damafquinés , lefquels ont varié à l'infini .
Il s'en fait de 7 pouces de diamètre.
Boutons de manches en cheveux , garnis de
I Av
200 MERCURE DE FRANCE.
diamans , fur chaque ces fyllables : Fi- dé- li -té.
Tabatières en cuir de chamois , guillochées ,
auffi tranfparentes que l'écaille blonde , & point
fragiles.
Cordons de montre en cheveux , garnis de
diamans , fur émail .
Idem , avecgerbes en cheveux.
Bourfes à argent , en filet très-fin , avec- devi-
Les. Idem , à pois très-jolis . Coulans pour les
fermer , en or émaillés , à deviſes .
Colier avec prétention , repréfentant l'Amour
dans le coeur, ou l'Amour enchaîné .
Jolis boutons de fraque en argent , ronds &
ovales , taillés à diamans , imitant l'acier. Idem ,
ronds , en mine d'Irlande , pour les habits de
Vigogne. Idem , brodés en perles.
1 Nouveaux brandebourgs en acier. Cordons de
canucs, Idem , à cordelière.
¡ Divers deffeins de broderies en pierres dites
de Cayenne , pour les fouliers de Dames ', avec
rofettes.
Plufieurs nouveaux modèles de pendules en
marbre & bronze doré au matte , dont une repréfentant
Hébé qui verfe du nectar à l'Amour ;
une l'Amour carreflant Vénus ; une , id. l'Amour
menaçant : tous fujets traités avec goût , & au
tres modèles de l'année . Un affortiment trèsconfidérable
de vales & ornemens de cheminées
en marbre , albâtre , crystal , porcelaines de Cli→
gnancourt , le tout garni de bronze doré au
matte.
En cryftal d'Angleterre , falières en artichaux ,
JANVIE R. 1777. 201
flambeaux garnis de Straz , fucriers avec des
ornemens gravés , garnis d'argent . Superbes bias
de cheminée ornés de Straz.
Boujoirs , idem. Diverfes tabatières avec le
portrait de l'Empereur en miniature , très- reffemblant
; & plufieurs autres articles qu'il attend
de l'Etranger & des Artiftes de cette Capitale.
ne fixe pas les prix , pour ne plus fervir de règle
à mettre des objets inférieurs au rabais ; mais
les Seigneurs étrangers peuvent êrre affurés qu'ils
ne varient point pour perfonne.
I I.
Madame Delaiffe , Auteur des nouveaux Contes
moraux , & d'un Ouvrage fans titre , mis fous
la protection de la Reine , vient de compofer des
Proverbes , qu'elle a dédiés à S. A. S. Madame la
Ducheffe de Bourbon , dans un genre nouveau.
Ces Proverbes font mêlés d'aviettes , prifes dans
les plus jolis Opéra -comiques.
II I.
La vente des Livres de feu M. Randon de
Boiffet , Receveur - Général des Finances , commencera
le 3 Février 1777 , & la vente des
tableaux & des effets précieux fuivra immédiatement
celle des Livres , dont le catalogue fe diftribuera
chez Debure , fils aîné , Libraire , quai
des Auguftins.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
ISMAT
De Larnaca, 21 Octobre
SMAEL EFFENDI , ancien Miniftre des affaires
étrangères à Conftantinople , que le Grand- Seigueur
a exilé dans cette Ifle depuis quelque temps ,
fans que l'on en fache le motif, eft arrivé de
Smyrne en cette Echelle , le 2 de ce mois . Ce
Miniftre eft tellement agité de craintes , qu'il ne
reçoit de vifites qu'après que ceux qui les lui
font, fe font défarmés. Muftapha Aga Gulgulu
Oglou , Commandant de Salephi en Caramanie ,
eut cette complaifance , lorfqu'il le préſenta pour
le voir , & il lui jura qu'il n'étoit venu en cette
Echelle que pour les affaires particulières. Ce.
Commandant arriva au commencement de ce
mois à Cherimes , avec une fuite de 60 hommes :
fon arrivée inattendue effraya le pays ; mais elle
n'a eu d'autre objet que l'achat des agrès néceffaires
au gros chebec qui déferta il y a trois ans ,
pour aller fervir le Chéik- Daher & les Ruffes , &
Diezzar Pacha lui a fait rendre : il a été trèsbien
reçu à Nicofie , & il eft parti , il y a fix jours,
pour s'en retourner à fon Gouvernement.
que
De Conftantinople , 17 Novembre.
Un Exprès envoyé par Méhémet , Pacha de
Damas , eft arrivé ici le 14 , apportant au GrandJANVIER.
1777. 203
→
Seigneur la tête d'Ali- Daher , & celle de vingtfept
autres de fes principaux Officiers . La défaite.
de ce Rebelle n'a coûté aucune effuſion de fang.
Son fils , qui a été fait prifonnier par Gezzar
Pacha de Seyde , a de même été envoyé ici fous
bonne eſcorte ; il y a lieu d'efpérer que cet événement
important ramènera enfin le calme en
Syrie.
De Copenhague , le 24 Novembre.
Un des Conftructeurs de notre Marine ayant
inventé , pour le pilotage , une machine qui en
facilite les opérations , a reçu du Gouvernement
une récompenfe proportionnée à l'utilité de fon
invention .
De Londres , le 22 Décembre.
On écrit de Boſton que , fuivant les lettres
d'Halifax , le Général Marfey y commande envi
ron mille hommes , la plupart foldats de marine ,
& que les habitans de cette ville craignent d'être
attaqués par les Sauvages.
Le Congrès , que les différens événemens de
cette guerre , paroillent ne pas intimider , vient
dit-on , de voter une nouvelle fomme de cinq
millions de piaftres pour la campagne prochaine ,
& l'on fait que leur cops de légiflation , dont
on n'a vu encore que l'efquifle pour les treize
Colonies-unies , ne tardera pas à être publié.
On a reçu ici , par la voie d'Irlande , différens
avis qui annoncent que le Général Howe avoit
atteint l'armée Américaine vers la mi-Novembre¡
204 MERCURE DE FRANCE.
qu'il y avoit cu entre les deux armées une fant
glante action , dans laquelle les Troupes du Roi
avoient été victorieufes. Le bruit s'elt répandu ,
par un autre canal , que les ports Américains ſe
trouvent fi bien bloqués par les vaiſſeaux Anglois
, que rien n'y peut entrer ni en fortir ; que
le fameux Chef d'Efcadre Hopkins s'eft retiré à
Boſton , après avoir vu la flotte diſperſée ; que
chaque jour nos vaiffeaux enlèvent quelques- uns
de leurs Armateurs ; que l'on préparoit à la Nouvelle-
Yorck un grand nombre de bâtimens deftinés
à transporter un corps de troupes du Roi
aux Colonies Méridionales , qui devoient être
bientôt foumiſes ; que le Congrès étoit fur le
point de le diffoudre , par le détachement de
plufieurs de fes Membres ; que beaucoup de
villes venoient , à l'exemple l'une de l'autre ,
prêter chaque jour , entre les mains des Commiffaires
du Roi , ferment de fidélité , & qu'enfin
tout annonçoit , & par les fuccès d'un côté , &
par la défection de l'autre , une pacification forcée
dans les Colonies. Quelques lettres particulières
défavouent , à la vérité , ces bruits , & c'eſt au
temps feul à les confirmer ou à les détruire.
On dit qu'il n'y avoit à Philadelphie que quelques
Membres du Congrès , lorfqu'on y reçut la
nouvelle de notre prife de poffeffion du Pont du
Roi. La plupart s'étoient retirés à leurs habitations
refpectives , fans avoir mis aucune forme à cette
efpèce de diffolution de l'affemblée ; leur conduite
, à cet égard , alarme le peuple de cette
ville , qui dit hautement que ces Chefs de la Nation
l'ayant mife dans la détreſſe où elle fe trouve ,
JANVIE R. 1777 . 205
ne pouvoient convenablement l'y abandonner.
De Venife , le 30 Novembre.
Le Gouvernement n'a pas encore difpofé de
rédifice immenfe de la redoute , ci - devant confacré
aux jeux de hafard. Le projet des Sages
actuels , eft d'y établir une Académie des Beaux-
Arts ; mais ils ont à combattre un partiqui , vraifemblablement
, l'emportera , puifque tout fe
décide ici par le nombre . La jeuneffe Patricienne
& les Dames , redemandent la redoute pour s'y
raflembler pendant le carnaval , & pour y jouer
les jeux de commerce.
De Gênes, le 9 Décembre.
و
Le 20 de ce mois , deux frégates Efpagnoles
qui , depuis plufieurs jours , étoient à la vue
de cette ville , mouillèrent dans ce port : elles ont
à bord des fommes confidérables pour le Tréforier
d'Espagne réfidant ici , & pour celui de Naples
, où elles doivent fe rendre inceffamment , &
fur lefquelles s'embarquera le Marquis Monimo ,
pallé de Rome en cette ville , & qui doit aller à
Madrid remplacer le Marquis de Grimaldi , qui
a obtenu fa démiffion du Miniftère des affaires
étrangères.
On apprend de Livourne que plufieurs vaiffeaux
de guerre Hollandois bloquent actuellement
tous les ports de l'Empereur de Maroc.
206 MERCURE DE FRANCE.
•
De Madrid , le 17 Décembre.
Un courier extraordinaire , dépêché de Malaga
, vient d'apporter au Roi la nouvelle qu'une
de fes efcadres de chebecs , commandée par le
Capitaine de vaiffeau Don Félix de Texada , avoit
pouriuivi , battu & brûlé un chebec Algérien , &
réduit un autre chebec de la même Nation à fe
brûler lui-même. Ces deux chebecs , de trente - fix
& de vingt- quatre canons , du calibre de huit &
de fix, étoient entrés dans l'Océan , où ils avoient
enlevé un paquebot Portugais , dont le fort a été
le même que celui des chebecs Algériens.
De Rome , le 18 Décembre.
On vient de frapper ici , au titre de vingt-deux
carats , une monnoie d'or de la valeur de trois
écus Romains. On fe propofe d'en frapper deux
autres pareillement d'or , & au même titre , dont
Pune vaudra dix écus Romains , & l'autre un écu
Romain & demi. On frappeia autfi pour vingt
mille de ces écos , tant en carlins qu'en doubles
carlins d'argent , allié de cuivre. Cette nouvelle
fabrication , la dernière fur- tout , eft d'autant
plus néceffaire , qu'on a depuis long - temps la
plus grande difficulé à convertir en eſpèces le
papier monnoie , qu'on appelle cédules.
L'écu Romain vaur 100 bayoques , évaluées
communément 105 fols de France. Le carlin vaut
7 bayoques & demi. Le double carlin is bayoques,
2
JANVIER. 1777. 207
De Lisbonne , le 10 Décembre.
Le Roi , fe trouvant toujours incommodé ,
& voulant dans cet état pourvoir au bien de fes
Peuples , comme il avoit fait en 1758 , a rendu ,
le 29 du mois dernier , le Décret fuivant :
« Trouvant convenable de pourvoir au Gou-
» vernement de mes Etats tant que durera ma
» maladie actuelle , & afin que la fufpenfion
» des affaires ne les accumule point de manière
» à en rendre l'expédition plus difficile par la
fuite , j'ai pour agréable de charger des affaires
» du Gouvernement la Reine mon époufe , pour
» qui mon eftime égale ma tendreiſe extrême ,
» & de lui accorder en conféquence' , tant que
» ma fanté ne fera pas rétablie , l'exercice de
» la fuprême Autorité Royale , ainfi que la plé-
» nitude du pouvoir qui m'appartient. Rempli de
» confiance en fes vertus Royales & fes éminen-.
tes qualités , je m'affure qu'elle adminiftrera
» la juſtice à mes fidéles Sujets , & qu'elle réglera..
» toutes les autres affaires avec le fuccès que
» je defire ; & pour manifefter ma royaie réſo-
כ כ
>
lution , j'ordonne au Marquis de Pombal ,
» Membre de mon Confeil d'Etat & du Cabinet ,
qu'après que ce Décret aura été paraphé par
» moi , il en envoie à tous les Tribunaux des
»Copies fignées de fa main auxquelles its
» ajouteront autant de foi qu'à l'original propre ,
» comme cela s'eft déjà pratiqué en pareil cas ,
» & nonobftant toutes loix , difpofitions ou
» ordres à ce contraires . Donné au Palais de
l'Ajuda , le 29 Novembre 1776 , avec le pa
208 MERCURE DE FRANCE.
>>
raphe de Sa Majefté . Expédié du même Pa-
» lais , le 4 Décembre fuivant . Signé , le Mar-
>> quis de Pombal » .
PRESENTATION .
Le 29 décembre , l'époufe du fieur Taboureau
contrôleur -général des finances , a eu l'honneur.
d'être préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
royale , par la marquife de Breant.
Le même jour , le vicomte de Vibraye , miniftre
plénipotentiaire du Roi , près le duc de Wirtemberg,
& fon miniftre auprès du cercle de Suabe
, de retour par congé , a eu , à fon arrivée
ici , l'honneur d'être préfenté à Sa Majesté par le
comte de Vergennes , miniftre & fecrétaite d'état
au département des affaires étrangères.
Le 2 janvier , le comte François de Damas eut
l'honneur d'être préfenté au Roi par Monfieur ,
en qualité de gentilhomme d'honneur de ce
prince.
PRESENTATIONS D'OUVRAGES.
Le 26 décembre , le chevalier de Prunay ,
capitaine de Grenadiers , eut l'honneur de préfenter
à la Reine , à Madame , à Madame la comtelle
d'Artois , à Madame Elifabeth , à Madame
JANVIER . 1777. 209
Adélaïde , à Madame Victoire & à Madame Sophie
de France , un ouvrage de fa compoſition ,
dédié à Madame la princeffe de Lambale , & intitulé
Grammaire des Dames , pour faciliter aux
jeunes perfonnes la connoillance des principes de
la langue françoife , & leur donner les moyens
d'octographier correctement fans aucune peine.
Le 31 , le fieur Elie de Beaumont , avocat au
Parlement, intendant des finances de Monfeigneur
le comte d'Artois & avocat - général honoraire de
Monfieur , a eu l'honneur de préfenter au Roi ,
à la Reine , à Monfieur , à Madame , à Monfeigneur
le comte d'Artois & à Monfeigneur le duc
d'Angoulême , les deux médailles de la bonne
mere & du bon chef de famille , frappées pour la
fee des Bonnes Gens . La première repréfente une
mere allaitant un de fes enfans deux aurres fe
joiant près d'elle ; a peu de diftance un pélican
s'ouvre le fein : elle a pour légende , Maternum
pertentant gaudia pectus . La feconde un homme
de moyen âge, foutenant de fon bras gauche fa
mère languillante & débile , & appliquant de
l'autre fon jeune fière au manche de la charrue ,
& préparant aiufi , par les fecours qu'il leur
donne , ceux que dans la vieillelle il aura droit
d'attendre de fes enfans & petits enfans , avee
cette légende : Colliget avus. Cette inftitution
patriotique & morale , qui a eu cette année pluficurs
imitateurs , a reçu de nouveaux encouragemens
, par l'accueil plein de bonté avec lequel
cet hommage a été reçu .
Le même jour, le fieur Lebreton , premier imprimeur
ordinaire du Roi , çut l'honneur de re210
MERCURE DE FRANCE.
mettre à Leurs Majeſtés & à la Famille royale ,
l'almanach royal .
Le même jour , le fieur Vente , libraire des
menus plaisirs du Roi , eut auffi l'honneur de remettre
à Leurs Majeſtés & à la Famille royale ,
l'Etat actuel de la mufique du Roi & des trois
Spectacles .
Les fleurs Née & Mafquelier , graveurs , que
Leurs Majeftés & la Famille royale ont honoré de
leurs foufcriptions , pour un ouvrage intitulé :
Tableaux topographiques , pittorefques , phyfi .
ques, hiftoriques, moraux, politiques & littéraires
de la Suiffe , ornés de douze cents estampes , ont
eu l'honneur de remettre , le 7 janvier , la première
fuite de ces eftampes , qui doit compofer le
voyage de la Suiffe , à Leurs Majeftés & à la Famille
royale. Cet ouvrage a été accueilli trèsfavorablement.
NOMINATIONS.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint -Efprit , s'étant affemblés le premier
de l'an vers les onze heures du matin dans
le Cabinet du Roi , Sa Majefté tint un Chapitre
dans lequel Elle nomma Chevaliers de fes Ordres
le Duc de Villequier , Premier Gentilhomme de
fa Chambre en furvivance , le Marquis de Polignac
, Premier Ecuyer de Monfeigneur le Comte
d'Artois , & le Marquis de Bérenger , Chevalier
JANVIER. 1777. 211
"
d'Honneur de Madame . Le Chapitre fini , le fieur
de Verigny , Héraut -Roi d'Armes de l'Ordre ,
vint annoncer la nomination à la porte de la
Chambre de Sa Majefté , qui fortit enfuite de
fon appartement pour fe rendre à la Chapelle ,
précédée de Monfieur , de Monfeigneur le Comte
d'Artois , du Duc de Chartres , du Prince de
Condé , du Duc de Bourbon du Prince de
Conti , du Duc de Penthievre & des Chevaliers ,
Commanders & Officiers de l'Ordre . Entre les
Chevaliers , Officiers de l'Ordre , marchoient le
Prince de Lambefc , Grand Ecuyer de France , le
Duc de Coigny , Premier Ecuyer du Roi , & le
Baron de Breteuil , Ambaffadeur à Vienne , en
habits de Novices. Deux Huiffiers de la Chambre
du Roi portoiert leurs maffes devant Sa
Majefté , qui étoit revêtue du Manteau Royal ,
ayant pardef is le Collier de l'Ordre & celui de
la Toifon d'Or. L'ancien Evêque de Limoges ,
Prélat Commandeur , célébra la Grand'Melle ,
qui fut chantée par la Mufique du Roi , à laquelle
la Reine , Madame , Madame la Comteffe d'Artois
& Madame Elifabeth de France affiftèrent
dans une des travées. La Marquife de Coigny
fit la quête. La Meffe finie , le Roi monta fur
fon Trône , reçur Chevaliers de l'Ordre du
Saint- Efprit le Prince de Lambefc , Grand Ecuyer
de France , le Duc de Coigny , Premier Ecuyer
du Roi , & le Baron de Bieteuil , Ambaffadeur
de Sa Majefté à Vienne. Le Roi fut enfuite reconduit
à fon Appartement dans le même ordre qu'il
en étoit forti.
Le Roi a chargé le baron de Tott , brigadier
212 MERCURE DE FRANCE.
de fes armées , de l'inſpection générale des éta,
bliſſemens françois au Levant & en Barbarie.
MORTS.
Le fieur François d'Abyne de la Douze , mar
quis de Mayac , eft mort en fon château en Périgord
, le 19 décembre , âgée de 79 ans .
·
Catherine Eléonore - Elifabeth Cavalier de
Chauveau , originaire de la Rochelle , eft décédée
à Nancy, où elle demeuroit : elle a nommé
pour fon héritier J. B. Cavalier de Chauveau ,
fon frère unique , que l'exécuteur teftamentaire
a vainement fait chercher jufqu'à ce jour. Si
cette annonce lui parvient , ou à les ayant-caufes,
ils s'adrefferont au fieur Chaffel , avocar & cenfeur
royal à Nancy.
Le feur Jean Durut de LaTale , originaire
d'Auvergne , vient de laiffer à Saint -Domingue,
où il eft mort , une fucceffion affez confidérable,
On prie fes héritiers de s'adreffer au fieur Grim
prel , notaire au Cap François , qui leur donnera
fur cet objet toutes les inftructions néceffaires.
Jacques - Charles-François de la Ferrière , feigneur
de Roiffé , connu par des ouvrages de
phyfique , eft mort le 13 Décembre , agé de
foixante -dix-huit ans.
François - Gafpard - Anne de Forbin , chevalier
de l'ordre de Saint -Jean de Jérufalem , & major
général des troupes de fon ordre , eft mort le
18 Décembre , dans la cinquante- huitième année
de fon âge.
JANVIER . 1777. 213
Marie-Anne de Lentilhac de Gimel , ancienne
comteffe & chanoineffe du chapitre noble de
Remiremont , dame de la croix étoilée de l'ordre
de l'Impératrice - Reine , époufe de François-
Jofeph , marquis de Clermont- Tonnerre , maréchal
des camps & armées du Roi , fils du maréchal
- duc de Clermont-Tonnerre , chef du tribunal
des maréchaux de France , eft morte au châreau
de Champlatreux , dans la quarante- huitìème
année de fon âge , le Novembre.
Louis-Robert Malet de Graville , comte de
Graville , chevalier des ordres du Roi , commandeur
de l'ordre de Notre- Dame de Mont-
Carmel & de Saint - Lazare , lieutenant- général
des armées de Sa Majefté , gouverneur des ville
& citadelle de Maubeuge , eft mort en cette ville
le 18 Décembre , dans la foixante - dix - neuvième
année de fon âge.
Tirages de la Loterie Royale de France ,
du 2 Janvier 1777.
Pour les lots , 5,89, 36, 85, 23.
1er claffe. 68 , 16 , 28 , 87 , 20 .
Pour les
primes.
II . '49 , 2 , 14, 10 , 58.
III . II , 16,79 , 7,39.
IV . 71 , 74 , II , 76 , 40.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIÈCES
TABLE.
IECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE , P. f
L'origine de la fute ,
ibid.
Le Génie , la Vertu & la Réputation ,
Conte ,
Madrigal ,
7
9
10
Epigramme ,
L'ivreffe de l'Amour,
Conte ,
A M. le Kain ,
A M. l'abbé de Lille ,
Lettre à M. de Voltaire ,
Réponse de M. de Voltaire ,
Balkin ,
AM . le Comte de Treffan ,
ibid.
II
12
ibid.
13
ibid.
17
18
33
AMadame Necker , 34
La Reconnoillance ,
36
Vers à l'occafion d'un renouvellement de
mariage ,
38 Paftorale ,
4I
L'Aigle & la Fauvette , 42
A M. de Voltaire , 44
néral ,
A M. Necker ,
Sur la nommination de M. le Contrôleur- Gé-
Vers de M. L. D. de... à un chat de parfilage , 48
Vers de Mde la Ducheffe de la Val...
Réponſe de M. Gudin ,
Ode à Ligurinus ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
49
50
st
25
46
47
JANVIE R. 1777 . 215
ENIGMES . ibid.
LOGOGRYPHES , ss
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Euves de M. le Chancelier d'Agueffeau ,
Panegyrique & Oraiſons funèbres ,
Proces verbal des conférences tenues par ordre
17
ibid.
71
du Roi , 78
Conférence du Diocèfe d'Angers ,
81
Précis de la vie de J. C. 85
Differtation théologique fur l'ufure , 87
Traité de l'ufure , 88
L'Iliale ,
Combien le refpect pour les moeurs contribue
au bonheur d'un Etat ,
Mélanges de littérature ,
ΙΟΣ
114
Offian ,
116
Journal politique de Genève , 126
Deſcription générale de l'Univers , 140
Journal des caufes célèbres ," 142
Annonces littéraires , 145
Almanachs ,
146
ACADÉMIES ,
- 157
Dijon ,
ibid.
SPECTACLES.
166
Concert ibid.
Opéra ,
186
Comédie Françoiſe, 186
Comédie Italienne
ibid.
ARTS,
167
Gravures ibid.
Mufique. 170
Horlogerie , 173
Topographie , 175
Canal de Monficar , 176
Géographie , 180
216 MERCURE DE FRANCE
Variétés , inventions , &c.
184
Anecdotes.
190
AVIS , 198
Nouvelles politiques ,
202
Préfentations ,
208
d'Ouvrages ,
ibid.
Nominations ,
210
Morts ,
221
Loterie , 213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Garde des
Sceaux , le 2. volume du Mercure de France pour
le mois de Janvier , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion .
A Paris , сс 19 Janvier 1777.
DI SANCY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe ,
près Saint Come,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères