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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
FAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES .
MAI, 17Jb.
Mobilitate viget. VIRGILE.
HEQUE
DE
LA
I
Видно
A PARIS,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriftine ,
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
BIBLIO
THE
LYON
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris , rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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, eftampes & pièces de mufique.
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des amateurs des lettres & de ceux qui les
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; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
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Bibliothèque grammat. 1 vol in-8 ° . br. 2 1. 10 .
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné,in- 12 ., br. 2 1.
Les Mêmes in- 12 . petit format • 1 l. 16 f.
Poëme fur l'Inoculation , in- 8 ° . br. 3 1.
IIIe liv. en versfr. des Odes d'Horace , in- 12, 2 l.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe
in 8°. broché ,
11.46.
sl.
Journal de Pierre le Grand , in- 8° . br. 1.
Inftitutions militaires , ou Traité élémentaire
de Tactique , 3 vol . in 8º . br. 91.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in- 8°. br. 1 l. 10 f.
Fables orientales , par M. Bret , vol , in-
80. broché ,
s
3 liv.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
enfans contrefaits , in 8 °. br . avec fig. 41.
Les Mufes Grecques , in- 8°. br.
11.161.
Les Pythiques de Pindare , in-8 ° . br. 5 liv.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c in - fol. avec planches ,
rél . en carton ,
Mémoiresfur les objets les plus importans de
l'Architecture , in - 4°. avec figures , rel . en
carton ,
Les Caractères modernes, ≈ vol, br,
241.
12 l.
3 L.
MERCURE
DE FRANCE
MA I ,
1775 .
THEQUE
BIBLIO
DE
LA
TILLE
LYON
*
1893 *
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SENTIMENS de repentir qu'adreffe à
Dieu un Philofophe libertin , dans un
état defouffrance.
Toi qui nous fais naître & mourir ,
Maître abfolu de la nature ,
Témoin des tourmens que j'endure ,
Grand Dieu , daigne me fecourir.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Lejour ne m'offre plus que des clartés funèbres ;
Mais puifque ton divin flambeau
Vient de mon coeur féduit diffiper les ténèbres ,
Qu'il me guide vers le tombeau .
Quand j'eus perdu mon innocence ,
Lorfque le monde enivroit mes defirs
Du vain éclat de la magnificence
Er du poifon de fes plaiſirs ;
Pour m'étourdir fur ma licence
Je ne ceffois d'avoir recours ,
Et de livrer ma confiance
9.
A ces Oracles de nos jours ,
Organes de l'erreur & de la fuffifance ,
Qui de clincant parant leur arrogance ,
Et du fophifme occupant les détours ,
Lancent leurs traits impurs contre ton exiſtence.
Alors mon pauvre efprit fier de fon ignorance ,
D'un abſurde ſyſtême accréditoit le cours ,
Et rejetoit ton évidence .
L'intérêt de mes fens dictoit feul ma croyances
Et grâce à mon puiflant fecours ,
J'empoifonnois tous mes difcours
De ma facrilége démence.
Je maudiflois le joug de toute autorité ,
Et donnois à mon coeur un pouvoir despotique.
Apôtre de la liberté ,
De mon impudence cynique
Je tirois même vanité ;
MAI. 1775 .
Et je cherchois un bonheur fantaftique
Dans le fein de la volupté.
L'ordre de l'Univers , fa régularité ,
Sa fplendeur , image authentique
De ton pouvoir , de ton immenfité ,
Loin de me pénétrer de ta divinité ,
Par fon ípectacle magnifique ,
Confirmoient ma fécurité ,
Excitoient ma témérité ;
De mon orgueil philoſophique
Entretenoient l'activité ;
De la raifon dont un Sage f: pique
Dégradoient la fublimité ,
Et n'offroient à mon oeil phyfique
Qu'un tout indépendant de toute volonté ,
Mu fans deflein par fa force énergique ,
Et l'effet éternel de la nécefité.
Ainfi toujours coupable & toujours emporté
Par mon délire phrénétique ,
J'ofois donner le nom de politique
A ton augufte vérité ;
Je renonçois à l'immortalité ,
Et mon plaifir préfent étoit mon bien unique.
Pour étayer ce dogme féducteur ,
De ma raifon la lumiere incertaine ,
Venoit fe joindre à la voix de mon coeur;
Et je me figurois fans peine
A ir
8 MERCURE DE FRANCE.
Qu'on ne pouvoit fe faire honneur ,
Et s'illuftrer , parmi l'efpèce humaine ,
Qu'en méconnoiflant fon auteur.
Sois moins mon juge que mon pere ,
Dieu puiflant , fur mon fort fais tomber tes regards
;
Vois mes pleurs ; & ſenſible à ma douleur amere ,
Reçois ici l'aveu fincere
De nies forfaits , de mes écarts.
Oui , fans remords & fans inquiétude ,
(Que ne puis je le dire au pied de tes autels ! )
La plus conftante ingratitude
Exerça tes foins paternels ;
Des plaifirs les plus criminels
Mes fens formerent l'habitude ,
Et jamais des biens éternels
Mon coeur ne fit la moindre étude.
Mais las enfin d'être outragé ,
Tu crus devoir lâcher le poids de ta colere ;
Je gémis des malheurs où je me fuis plongé ;
J'ai reçu mon digne falaire ,
Mes plaifirs mêmes t'on vengé.
Je te bénis pour le mal qui m'accable ;
Enfin j'ouvre les yeux , & j'adore ta loi ;
Tel pécheur endurci peut fouffrir moins que moi ,
Mais fon fort eft plus déplorable.
C'eft ainfi , Dieu Sauveur , digne objet de ma foi ,
MA I. 1775 .
Que ta main , toujours adorable ,
S'appéfantit fur nous pour nous mener vers toi.
Sois moi toujours auffi propice ;
Par les maux que je fens confirme mon eſpoir ;
Le repentir , l'amour & le devoir
T'en offrent l'humble facrifice ,
Grand Dieu , daigne le recevoir ;
Et que ton fouverain pouvoir
Remette à ta bonté les droits de ta juftice.
Quoniam ego in flagella paratus fum.
VERS adreffés à un jeune Epicurien de
vingt-deux ans , avec lequel je me trouvois
à l'inftant qu'expiroit un de fes
Amis , âgé de trente fix ans.
VOILA donc ce Damis , que le pauvre étonné
Nommoit du titre faux de riche fortuné ?
Un moment a détruit ce chef d'oeuvre admirable ,
Cet animal penfant , cet homme , mon ſemblable.
Sibarite opulent , toi , que la volupté
Fait courir à la mort d'un pas précipité ,
Vois comme on meurt , & crains : la foudre eft fur
ta tête ;
Peut-être pourrois -tu , plus fage & plus prudent ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Ralentir du fufeau l'éternel mouvement ;
Parun retour heureux éloigne la tempête...
Ton âge t'enhardit ? Jeune présomptueux ,
L'Etre qui de tout temps régla nos deſtinées ,
A-t-il dit à la Mort de compter nos années ?
Non , lorsqu'il faut mourir on eft toujours trop
vieux.
Hé ! que nous ferviroit une efpérance vaine !
A tout âge , en tout lieu , notre fin eft certaine :
La vie eft un préfent que chacun , à ſon tour ,
Ou donne , ou doit donner , mais qu'il doit rendre
un jour.
Les Rois , ces demi - Dieux que l'intérêt adore ,
Tous ces finges des Rois , que la baſſeſſe honore ,
Les Grands fi révérés , & ſouvent fi petits ,
A cet arrêt facré font tous affujettis.
La Mort qui , fans pitié , poite par tout fa rage ,
Frappe d'un coup égal le méchant & le fage :
Tout meurt ; mais l'honnête homme a du moins ,
en mourant ,
De l'emploi de les jours le tableau confolant ;
Il voit la vérité , qu'il a toujours chérie ,
Au livre des vertus écrire fes bienfaits ,
Et le dénombrement des heureux qu'il a faits.
Se concentrant alors dans fa philoſophie ,
Impaffible & ferein jufqu'au dernier moment ,
Il dit ,je vais dormir , & meurt tranquillement.
MA I. 1775.
IF
LE CHENE & LE POURCEAU.
Fable.
Au pied d'un Chêne fuperbe
Dom Pourceau , toujours grognant ;
S'en alloit toujours grugeant
Le gland qui tomboit fur l'herbe.
Etonné de cette humeur
Du Difciple d'Epicure ,
Notre Chêne , avec douceur ,
Lui dit : Animal grondeur ,
En prenant ta nourriture ,
Au moins à ton bienfaiteur
Daigne épargner le murmure.
A ce portrait , vils ingrats ,
Vous avez baillé la tête :
Je ne fais ce qui m'arrête •
Mais je ne vous nomme pas ,
Quoique ma lifte foit prête.
Par M. Bret.
À
vj
12 MERCURE DE FRANCE.
A Monfieur PERRONNET.
LESES Elèves des Ponts & Chauffées 9
voulant confacrer leur reconnoiffance envers
M. Perronnet , par un monument
durable , ont cru devoir placer fon buſte
dans leur Ecole , & lui en ont demandé
la permiffion par les vers fuivans :
O toi qui de Minerve illuftres la carriere ,
Permets que fes enfans , marchant à ta lumiere ,
De tes traits refpectés embelliflent ces lieux ;
Et que fans cefle ton image,
Pour recevoir leur tendre hommage ,
Comme elle eft dans leur coeur , ſoit préfente à
leurs yeux.
Ayant obtenu cette permiffion , ces
Meffieurs ont mis au bas du bufte le
quatrain qu'on va lire , & qui caractériſe
l'Artiste célèbre à qui ce jufte hommage
eft rendu .
Marchant au flambeau du génie ,
Dont il offre à nos yeux la fublime candeur ,
Il aflure aux François la gloire réunie
fes talens , des vertus par fon coeur.
Des arts par
MAI.
1775. 13
VERS à M. Trinqueffe fur le Portrait ,
entre- autres , qu'il a fait de Madame
Le C ***.
DEE ton pinceau j'admire la magie ;
La vérité guide les traits :
Tu joins dans tes tableaux la grâce à l'énergie ;
L'âme eft infule en tes portraits.
Quelle tichefle en leur fimple ordonnance !
Tout s'y rencontre , accord des ombres & des
clairs ,
Diſtinction des plans , perſpective , diſtance ,
Etoffes dont l'éclat n'eſt point nuiſible aux chairs .
Sous ces légeres draperies
Mes yeux charmés , fuivent le nu ;
Parmi ces figures chéries
Une fur-tout frappe mon coeur ému ;
Quelle fraîcheur ! quelle nobleffe !
Quel regard à la fois fage & voluptueux !
Je crois que c'eft une Déefle ,
J'approche & reconnois l'aimable le C ***.
Son Serin qu'elle attire , & non la mélodie *
* Cette Dame eft repréfentée jouant de la feri-
Rette.
14 MERCURE DE FRANCE .
Sur fon épaule a bien ſu ſe poſer ;
Bec ouvert , il s'élance , avide de baifer
Le coin d'une levre fleurie ,
Qu'à ces defirs on ne diſpute pas ...
Quelle tête ! quel corps ! & la jambe ! & le bras !
Comme tourne ce fein ! la main , comme elle eft
faite !
Quelle fouplefle dans les doigts !
Ne vous femble-t- il point ouir la ferinette ?
Le tendre enfant que j'apperçois ,
D'Hercule en arc doit courber la maſſue ,
Sans nul effort , puiſque c'eſt à la vue * .
Moi même , je ne puis la contempler envain :
Ce raviflant objet m'anime , m'encourage ;
Et fi je ne craignois de gâter ton ouvrage ,
Ami , j'y mettrois ce quatrain .
« Beauté fans artifice eft fon moindre avantage ,
» Talens & modeftie afluient fon pouvoir.
» Son Sexe lui pardonne un ſi rare partage :
Il eft doux de l'entendre autant que de la voir ».
Par M. Guichard.
* Quelques cartons à fes pieds annoncent
qu'elle vient de deffiner d'après l'Amour de Bouchardon
, qui cft dans le fond du tableau .
MA I. 1775 . IS
L'ÉPREUVE, Comédie de Société.
PERSONNAGES .
DAMON père.
DAMON fils , Amant de Lucile .
ORONTE .
LUCILE , fille d'Oronte .
LA BRANCHE , valet de Damon fils.
La Scène eft chez Damon père .
SCENE I.
DAMON fils , LA BRANCHE .
(Damonfils entre lepremier , il eft en habit
de chaffe , la Branche le fuit , portant
deux fufils).
(Damon eft plongé dans la plus profonde
rêverie , & fait plufieurs tours fur le
Théâtre fans rien dire ) .
LA BRANCHE.
MONSIEUR , voilà votre fufil .
DAMON fils , vivement. Mon fufil
pourquoi faire ? qui te l'a demandé ?
16 MERCURE DE FRANCE .
LA BRANCHE . Vous , Monfieur , à
l'inftant .
DAMON fils. Moi ? je t'ai demandé
mon fufil ?
LA BRANCHE. Oui , Monfieur , dès le
matin vous m'avez réveillé pour une
partie de chaffe... Vous ne chaffez pas
fans fufil , peut - être ?
DAMON fils fe regarde , & revient àfoi.
Tu as raifon , donne ; va - t'en . ( Il retombe
dansfa rêverie ).
LA BRANCHE. Monfieur .
DAMON fils. Va t'en , te dis je .
LA BRANCHE. Mais , Monfieur , au
moins faut- il que je fache de quel côté
vous chafferez aujourd'hui .
DAMON fils toujours diftrait. Eh ! que
t'importe? va toujours .
LA BRANCHE riant . Comment , Monfieur
, que m'importe ?
DAMON fils , à part . Je ne fais où je
fuis , ni ce que je dis , ni ce que je fais.
(haut) Va m'attendre aux environs de ce
grand bois , où nous chaflâmes hier, ( Le
Branchefort).
SCÈNE I I.
DAMON fils , feul.
Quel état cruel ! jufte ciel ! aide moi à
MA I. 1775 . 17
calmer les tranfports qui m'animent . J'ai
méprifé jufqu'à préfent les coups redoublés
dont la fortune n'a ceffé d'accabler
ma malheureufe famille mais depuis
que j'ai vu l'aimable Lucile , depuis que
je fai que le plus avare des hommes met
à prix la poffeffion de cette fille adorable
; Dieux ! que ne ferois je pas pour
fortir de la fituation où je fuis ! ah ! malheureux
Danon !
SCÈNE III.
DAMON père , DAMONfils.
DAMON père , furprenant fon fils . Mon
fils ...
DAMON fils , embarraſſe. Mon père...
DAMON père, Vous me paroiffez bien
agité.
DAMON fils. Mon père... non pas...
autrement... j'ai peu dormi cette nuit...
DAMON père. L'ardeur de la chaffe
vous tranfporte ... Vous parliez feul à
l'inftant ?
DAMONfils. Mon père... il eft vrai ;
la chatfe...
DAMON père. La chaffe eft un diver
tiffement honnête ; mais , mon fils , ce
18 MERCURE DE FRANCE.
n'eft qu'un divertiffement qui ne doit
point vous occuper tout entier , & devenir
chez vous une paffion . Comme vous
voilà agité , tout en défordre ... Que les
hommes font ingénieux à fe tourmenter!
DAMON fils. Mon père , j'envie votre
fang froid & votre tranquillité.
DAMON père. Et vous avez raifon ; il
n'eft point d'état plus heureux .
DAMON fils. Je le crois , mon père ;
mais c'est un bonheur qui n'eft pas fait.
pour moi.
w
DAMON père . Vous vous abuſez , mon
fils ; il ne s'agit que de favoir fe contenter
de peu . Tiens , cette maifon , ce
potager , ce verger , cet enclos qui fuffifert
à mes befoins , malgré leur petitefle ,
bornent tous mes voeux .
Si tu penfois
comme moi , mon fils , je t'apprendrois
fans crainte une chofe...
-
DAMONfils . Mon père!
DAMON père . Les richeffes ne te tourneroient-
elles point la tête ?
DAMON fils. Comment , mon père ?
DAMON père. Oui , fi la fortune fe
montroit moins févère ; n'oublierois tu
pas bientôt les vertus de la médiocrité ?
DAMON fils. Ah ! mon père... apprenez-
moi... de grâce ... je vous en conjure.
MA I. 1775 . 19
DAMON père. Quelle vivacité ! j'aurois
dû me taire ; mais puifque je me fuis fi
imprudemment avancé , apprenez donc
qu'un nouveau coup du fort nous remer
à la place d'où nous étions tombés . Votre
oncle eft mort à Pondicheri , & vous
laiffe fa fortune , qui fe monte à plus
de cent mille écus.
•
DAMON fils avec transport. Jufte ciel !
quel heureux événement !
DAMON père. Voilà une joie bien vive.
Mon fils , lorfqu'on attache auffi fortement
fon bonheur aux biens de la fortune
, on el prêt à tout faire pour les acquérir
& à tout perdre pour les conferver.
DAMON fils. Mon père , ne m'humiliez
pas davantage ; je fuis plus digne
de vous que vous ne penfez . Vous
favez combien j'aime Lucile ; vous avez
agréé mon amour ; vous n'ignorez pas ce
qui m'a fait effuyer le plus cruel des
refus. Ah ! mon père ! pouvez-vous ne
pas excufer mes tranfports ?
DAMON père. Oh ! tu es actuellement
dans le cas de faire defirer cet établiſſement
à M. Oronte.
DAMON fils. Permettez que j'y courre,
mon père; je vole leur annoncer .....
20 MERCURE DE FRANCE.
DAMON père. Qu'allez-vous faire ? quoi
après les plus infultans refus ?...
DAMONfils . Ah ! mon père , oublions
tout.
DAMON père. Quel aveuglement !
SCENE I V.
DAMON père , feul.
Et il poffible de prodiguer ainfi aux
paffions des emportemens réfervés pour
la vertu . O mon fils ! rendrois- tu inutiles
les foins que je prends , depuis vingt
ans , pour former ton coeur ? es- tu digne
encore d'entendre la voix de l'honneur ?
Je re prépare une épreuve terrible ; ſi tu
fuccombes , je fuis le plus malheureux
des pères.
SCENE V.
DAMON père , ORONTE.
ORONTE , accourant à bras ouverts . Eh!
bon jour , mon vieil ami , mon cher
voifin ; que j'ai de plaifir à vous embraffer
!
DAMON père , froidement. Je fuis votre
ferviteur.
MA I. 1775. 21
ORONTE . Eh bien ! qu'est - ce? vous
êtes bien joyeux , n'eft- ce pas ? comme
j'ai pris part à votre bonheur ! ma foi
Vous avez en moi un véritable ami .
DAMON père. Je vous fuis obligé.
ORONTE. Comment , quel air froid!
Eft-ce que vous ne me reconnoiffez pas ?
C'eft Oronte , c'est votre meilleur ami
qui vous parle.
DAMON père. Vous me furprenez
Monfieur ; je fuis ce même homme à qui
vous fites refufer l'entrée de votre maifon
il y a quelques jours..
ORONTE. Qui? moi ? à mon ami Damon?
qui font ces impertinens ...
DAMON père. Ne vous fâchez pas , &
n'accufez perfonne ; c'eft vous même :
vous prîtes à infulte la propofition que
je vous fis de marier mon fils à Lucile.
ORONTE , éclatant de rire . Ah , ah ,
ah ! cette bagatelle- là vous occupe . Eh !
mon cher ami , point de rancune . Je fuis
vif , emporté ; cette petite fotte de Lucile
me faifoit tourner la tête avec fes
vifions de couvent , de célibat ... Morbleu
! que j'étois fâché ! mais , entre nous ,
je crois que votre égrillard de fils a fait
changer fa réſolution .
DAMON père. Comment?
22 MERCURE DE FRANCE.
ORONTE. Oui , parbleu la petite en
tient. Je ne m'en ferois jamais douté ...
Ces filles font d'une diffimulation ! -
Touchez là , mon vieil ami ; j'accepte
votre fils pour mon gendre.
DAMON père. J'ai tout lieu d'être furpris
, après l'accueil ...
ORONTE. Eh ! que diable , vous en
revenez toujours là . Je vous l'ai déjà dit :
d'un côté Lucile me paroiffoit avoir un
éloignement invincible pour le mariage ;
d'un autre côté , je me voyois propoſer
un aimable jeune homme , vif , bien
planté , fils de mon meilleur ami....
Morbleu ! que j'étois impatienté !
DAMON père ,fouriant . Et puis les cent
mille écus dont mon fils vient d'hériter.
ORONTE. Ah! mon ami ! que ditesvous
là ? fe peut- il que vous me connoif
noiffiez fi peu. La fortune eft pour moi
peu de chofe ; je ne fonge qu'au bonheur
de ma Lucile , cette chère enfant , que
j'aime de tout mon coeur . Votre fils eft
bien né ; ils s'aiment ; que faut il davantage
? Vous êtes bien injufte , mon ami
eh bien ! tenez , je fuis meilleur ami que
vous ; je parierois que quand je ne pourrois
donner à Lucile qu'un bien médiocre
, vous ne vous prêteriez pas à ce maMA
1.
1775 . 23
riage avec moins de joie. Eft- ce bien.
penfer de fes amis , cela ?
DAMON père. Je vous fuis bien obli
gé vous me rendez juftice . Ainfi donc
la fortune n'entre pour rien dans votre
réfolution .
ORONTE. Non parbleu ; je ne confulte
que ma tendreffe pour ma fille .
DAMON père. Je me plais à vous voir
dans ces fentimens .
ORONTE un peu intrigué. En doutezvous
? Mais , pourquoi ces réflexions ?
DAMON père. C'eft que je fuis enchanté
: vous callurez mon coeur , & je ne
crains plus de vous apprendre que...
ORONTE l'interrompt avec vivacité.
Comment ? eft-ce que votre frère de Pon.
dichéri ne feroit pas mort ?
DAMON père. Non pas cela ; mais ....
ORONTE. Ah ! je conçois ; il aura
déshérité votre fils.
DAMON père. Point du tout ; daignez
m'entendre.
ORONTE. Morbleu ! vous verrez qu'il
ne s'est rien trouvé après la mort.
DAMON père. Pardonnez - moi ; on a
trouvé cent mille écus en or dans fes
coffres ; mais ..
ORONTE brusquement. Mais , quoi !
mais expliquez donc ce mais.
24 MERCURE DE FRANCE.
DAMON père. Quel homme ! laiffezmoi
parler ; je vous expliquerai . Ces cent
mille écus n'appartenoient point à mon
frère ; c'étoit un dépôt qu'on lui avoit
confié.
ORONTE confterné. Un dépôt ?
DAMON père. Hélas ! oui. Il nous en
inftruit lui même par un écrit que l'on a
trouvé dans les papiers & que j'ai entre
les mains .
ORONTE. Et que comptez vous faire
de ce bel écrit ?
DAMON père . Je pourrois le fupprimer
; mais l'honneur , mon cher M.
Oronte , l'honneur me fait un devoir de
le rendre public.
ORONTE , avec un foupir. L'honneur ,
oui , c'est une belle chofe que l'honneur.
DAMON père. Après les beaux fenti .
mens que vous venez de faire paroître ,
je ne doute point que vous ne penfiez
comme moi , & que vous n'approuviez
la réfolution que j'ai prife , de reftituer
cette fomme à fes légitimes maîtres .
Cela ne vous empêche pas de donner les
mains au bonheur de nos enfans ; quelque
médiocre que foient leurs biens , ils
leur fuffiront , s'ils favent s'en contenter.
Mais
MA I. 1775 . -25
Mais fuflent ils dans la plus cruelle indigence
, je ne voudrois pas les en tirer
par une injuftice.
ORONTE qui a paru rêveur pendant cette
tirade , fort brufquement . Serviteur , ferviteur.
SCENE V I.
DAMON père , DAMON fils , LUCILE.
DAMON fils. Souffrez , mon père , que
je vous préfente la charmante Lucile ;
fon père confent à notre union ; je fuis
le plus heureux des hommes .
DAMON père. Mon fils , modérez ces
tranſports ; il y a bien du changement .
DAMON fils. Ah ciel ! que dites vous ?
LUCILE. Quel nouveau malheur nous
menace ?
DAMON père tirant un papier. Tenez ,
lifez .
DAMONfils prend le papier & le parcourt.
Tout eft perdu !
乔LUCILE. Ah! Damon .
DAMON fils. Aimable Lucile , je vous
perds une feconde fois . Hélas ! mon bonheur
n'a été qu'un ſonge.
DAMON père. Mes chers enfans , votre
douleur me perce l'âme.
B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
DAMON fils. Ah ! fi par un heureux
retour ; mais... le plus dur des hommes
n'y confentira jamais . Pardon , belle Lucile
; c'eft votre père .
LUCILE . Odi , Damon , je dois lui
obéir & me taire .
DAMON fils. Malheureux que je fuis !
mais peut-être ignore t -il ? ... oui , fans
doute .. Ah ! mon père , fi vous vouliez.
DAMON père. Quoi ! mon fils .
DAMON fils. Pardonnez à mes tranfports
, mon père : excuſez mon amour.
M. Oronte fait ma fortune , il n'eft pas
inftruit du fatal revers .... Profitons de
cette erreur... Mais je m'égare , mon
père , je lis dans ves yeux ma faute.
DAMON père , froidement. Confultezvous
bien , mon fils ; quant à moi , je
n'ai rien à vous dire.
DAMONfils Eh ! quel crime de tromper
fon infatiable avarice , d'éviter d'en
devenir la victime ? N'a- t- il pas confenti
à notre bonheur?
DAMON père. C'eſt donc là votre avis ,
mon fils ?
DAMON fils , timidement. Oui , mon
père ;
fi c'eſt le vôtre.
DAMON père. J'en fuis bien fâché ;
mais un obftacle s'oppofe à ce beau pro-
3
MA I. 1775 . 27
jet. Je quitte M. Oronte : il fait tout.
DAMON fils. Ah ! je fuis perdu .
SCENE VII & dernière.
DAMON père , DAMON fils , ORONTE ,
LUCILE.
ORONTE. Je vous trouve tous raffemblés
fort à propos . Oh ! ça , mon vieil
ami , je vous ai quitté tantôt un peu
brufquement , n'eft -il pas vrai ? Mais ,
pallons : j'avois de bonnes raifons pour
cela .
DAMON père. Je les foupçonne.
ORONTE. Vous pouvez bien ne vous
pas tromper. Au lieu de perdre le temps ,
ainfi que vous , en de vaines lamenta
tions , j'ai fait quelques réflexions , dont
je vais vous dire le refultat.
DAMON père. Voyons.
ORONTE Ecoutez moi ; je vous préviens
d'abord que fans biens on n'aura
pas ma fille. Je voulois un gendre riche
de cent mille écus , mais je vous paffé à
cinquante. Voilà ce qui s'appelle être
raisonnable , cela !
DAMON père. Mais , où voulez - vous
que je les prenne ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ORONTE. Patience ; laiffez moi faire.
Mais il faudra en paffer par tout ce que
je dirai .
DAMON père. Nous verrons,
ORONIE à Damonfils. J'examine que >
d'un côté, votre oncle vous fait fon légataire
univerfel ; il vous laifle fes meubles
& fon argent comptant ; il fe trouve dans
fes coffres cent mille écus : donc ces cent
mille écus vous appartiennent.
DAMON père , fouriant. Voilà un fort
beau raiſonnement ; mais ce dépôt.
ORONTE. Bon !, ce dépôt ; il n'en refte
aucune trace que ce petit morceau de
papier , qu'on peut mettre au feu .
DAMON père. L'expédient eft merveilleux
. Votre avis feroit donc , Monfieur ,
de nous approprier cet or & d'en dépouiller
les légitimes propriétaires.
ORONTE . Non pas , morbleu ! non pas ;
vous ne connoiffez pas Oronte. L'honneur
! la probité ! Eh ! je crois que nous
en avons autant qu'un autre. Je difois
donc que d'un côté il falloit rendre quelque
juftice aux propriétaires du dépôt.
Ainfi donc on peut donner cinquante
mille écus , & les autres cinquante mille
écus demeureront à mon gendre , pour
lui tenir lieu de legs , & lui faire épouMA
I. 1775.
29
fer ma fille . Eh bien ! que dites vous de
cet arrangement -là ? heim ?
DAMON père. Vous m'en voyez interdit
d'admiration & d'étonnement.
ORONTE . Je le favois bien , moi , que
je vous furprendrois .
DAMON père . Oh ! on ne peut pas
vantage .
da-
ORONTE , à Damon père . Eh bien !
vous approuvez mon projet ; n'eft- il pas
vrai ? Répondez donc ?
DAMON père . Je ne puis vous rien dire.
Interrogez mon fils.
ORONTE. Qui ? mon gendre futur ?
oh ! je réponds de lui .
DAMON père. Non , Monfieur , cetre
affaire- ci le regarde : il faut qu'il s'explique.
DAMON fils paroît dans le plus grand
accablement. Doutez- vous de ma réponſe ,
mon père ? Je préfère de mériter la char
mante Lucile , au bonheur de la pofféder.
LUCILE . Ah! Damon , cet aveu m'en
chante ; il m'arrache celui de vous affurer
que fi Lucile ne peut être à vous , elle
renonce éternellement à tout autre.
ORONTE. Quais ; que veut dire ceci ?
quel rôle me fait - on jouer ?
B ii
30 MERCURE DE FRANCE.
DAMON père. Celui que vous méritez ,
mon cher M. Oronte ; pouvez - vous vous
laiffer aveugler ainfi par votre avarice ?
ORONTE , furieux Allez , vous êtes un
vieux fou. ( à Lucile . Et vous , Mademoifelle
l'impertinente , je vous défends
de jamais penſer à ce jeune for. Partez .
( Il veut fortir).
DAMON père. Artêtez un moment. Je
fuis peu ému de vos injures : mais , avant
que de nous quitter , je veux vous faire
une nouvelle confidence , qui vous plaira
plus que les premières . Ce dépôt eft un
jeu de mon imagination . J'ai effectivement
chez moi les cent mille écus , pour
marier mon fils à Lucile .
ORONTE , avec une extrême furpriſe.
Oh ! oh !
LUCILE. Ah ! ciel .
DAMON fils fejette aux genoux de fon
perc.
A 1. 1
m'ont
DAMON père . Relevez vous , mon fils ,
& embraffez moi . L'inquiétude & l'agitation
que j'ai remarquée en vous ,
alarmé , mon fils ; j'ai craint de vous
voir dédaigner les douceurs de la médio- .
crité ; mes craintes font heureuſement
diffipées ; jouiſſez du fruit de la libéralité
de votre oncle . On confie aifément les
MA I. 1775. 31
richeffes à ceux qui favent les méprifer.
Recevez pour récompenfe la main de
l'aimable Lucile . ( à Oronte ) . N'y confentez-
vous pas ?
ORONTE. De tout mon coeur ; je fuis
trop.confus de ce qui vient de fe paffer...
Mais , cent mille écus !
DAMON père. Je vous ai tant de fois
trompé , que vous n'oſez plus me croire ;
mais , paflez dans mon cabinet , & je ne
tarderai pas à vous convaincre.
Par Mile Raigner de Malfontaine.
COUPLETS quej'aurois chantés ,fij'avois
fait le rôle de M. le Bailli , à la feconde
repréſentation de la Fête du Château
devant la Reine , au Salon d'Hercule ,
la nuit du 20 au 21 Février 1775 .
AIR: Vive Henri , vive Henri.
A Madame la Comteffe DU N....
D'Hiné , jeune & fraîche Déeffe ;
Cherchez-vous les naiflans appas ,
La grâce , le tein , la ſoupleſſe ,
La taille , les traits délicats ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Pour vous fatisfaire
Et connoître un objet fi beau ;
Ne quittez point le féjour de la terre ,
Voyez la Dame du Château. bis.
Vous dont le pinceau cherche à rendre ,
En peignant la belle Cipris ,
Ce fouris , ce regard fi tendre ,
Vainqueurs de Mars & d'Adonis :
Pour vous fatisfaire ,
Et remplir un projet fi beau ;
Gardez- vous bien de courir à Cythere ;
Peignez la Dame du Château. bis.
Et vous dont l'oeil n'a point encore ,
En perfonne , vu dans un bal ,
Danfer l'agile Terpficore ,
Goûtez ce plaifir fans égal :
Pour vous fatisfaire ,
N'allez point au docte côteau ;
C'eft-là qu'elle eft une pure chimere ,
Voyez la Dame du Château. bis.
De ces trois Déeſſes brillantes ,
Ne diroit- on pas que l'Amour
Tout exprès , de fes mains puiflantes ,
Forma du Nolft.... pour la Cour ?
Si dans la Nature
Il fit un miracle auffi beau ,
MA I. 1775 : 3
Prenez mes yeux , vous direz , je vous jure,
C'eft pour la Dame du Château. bis.
Au milieu des brillans fuffrages *
Et de l'encens des plus grands Dieux ,
D'un Mortel les fimples hommages
Trouveront-ils grâce à vos yeux ?
La fiere Diane
D'un Berger à fubi la loi ,
Le plus grand Prince , belle Ba ...
Peut-il vous aimer mieux que moi ? bis.
A Verfailles , le 21 Février , à 7 heures
du matin , par le Chevalier du Luxem .
VERS adreffés à Madame la D. DE GR...
Soeur de M. le D. de Ch... àfon paffage à
Nîmes, (où elle ne devoitpaffer que deux
heures) ,par le Régiment de Bourbonnois,
qui y étoit en garniſon.
Excroirons nous un bruit répandu dans ces lieux?
Que le plus pur climat , les eaux d'une fontaine ,
* Ses talens , fa beauté , la modeſtie lui attirèsent
en ce moment les applandiflemens , & , je
puis dire , les coeurs de tout ce qu'il y a de plus
grand à la Cour,
Br
34
MERCURE DE FRANCE.
Bains chéris autrefois & délices des Dieux ,
Et tant de monumens de la grandeur Romaine ,
Ne pourront ous fixer ici qu'une heure où deux ?
Ah ! de grâce , à nos voeux montrez vous moins
contraire ;
Des antiques Célars ces immortels travaux ,
Leurs aigles mutilés , leurs cirques , leurs tombeaux
,
Dans des vafes brifés , cette vaine pouffiere ,
( Reftes inanimés d'équivoques Héros )
Sont-ils les feuls objets de votre itinéraire ?
Il en eft dans ces murs , qui , fans être antiquaire,
Je garantis , pour vous , plus touchans & plus
beaux ;
Tout intéreffe en eux ; tout est sûr de vous plaire:
Et , pour les voir , il faut une ſemaine entière ;
Ne les dédaignez pas .... Pour le dire , en deux
mots ,
Nous favons tous combien vous chériflez un frère
De qui la France attend la gloire & fon repos ,
Et nous fommes tous vos rivaux.
Par M. le Chev. Desb...
au nom du Corps.
MA I.
1775. 35
ODEfur le retour du Printemps , imitée
de l'Ode d'Horace : Solvitur acris
hyems , & c.
L'HIVER s'enfuit ; l'Amant de Flore.
Revole en nos heureux climats ;
D'un vert naiffant l'herbe colore
Les prés blanchis par les frimats.
Banni defon foyer ruftique ,
Déjà le Laboureur s'applique
A fertilifer fes fillons ;
Les troupeaux quittent leur afyle ;
Le vaiſſeau fend l'onde tranquille ,
Sans redouter les Aquilons.
Lorfque , fur la plaine azurée ,
La Lune a répandu les feux,,
Vénus , des Grâces entourée ,
Raffemble les Ris & les Jeux.
Des Nymphes la troupe légere ;
Foule en cadence la fougere ,
Au tendre fon des chalumeaux ;
Tandis qu'au centre de la terre ,
Des noirs artifans du tonnerre ,
Vulcain embrâfe les fourneaux.
Ami de la faifon des roles ,
B vi
36
MERCURE
DE
FRANCE
.
Laifferons-nous fuir les inftans ?
De fleurs nouvellement éclofes
Parfemons nos cheveux flottans ;
Couronnés d'un naiflant feuillage ,
Allons fous cet épais ombrage
Du Printemps chanter le retour ;
Au doux plaifir tout nous convie ,
Damon , l'éclair de notre vie
Luit pour Bacchus & pour l'Amour.
Peut être au bout de ta carriere ,
Pourquoi former de vains projets ?
La mort frappe à l'humble chaumiere
Comme aux plus fuperbes palais ;
Habitans des Royaumes fombres ,
Bientôt on te verra des ombres
Groffir le fabuleux effaim ;
Crois-tu qu'en ces lieux de détrefle
L'on puifle avoir une Maîtrefle
Ou devenir Roi d'un feftin.
Par le Solitaire d'Efeate.
LE
E mot de la première Enigme du
volume précédent eft le Puits ; celui de
la feconde eft Bulle d'eau & defavon ;
celui de la troifième eft Croix ; celui de
1
MA I. 1775 . 37
où
la quatrième est le Copeau. Le mot du
premier Logogryphe eft Laboratoire ,
fe trouvent or , ire, bal, rôtie , rot , boire ,
oratoire , âtre , latrie , Baal , lo , lara ,
robe ; celui du fecond eft Tambour , où
l'on trouve Amour; celui du troisième eft
Maifon , où l'on trouve Mai & fon.
ENIGM E.
DANS les forêts jeprends naiflance ;
En me donnant la fubfiftance ,
Ma mere auffi la donne à mille autres enfans ,
Qui de fon fein renaiffent tous les ans.
Mais que je plains ma deſtinée !
Dans une charrette liée
On m'emmené au fupplice : auffi - tôr des bours
reaux ,
Ecartant la pitié , me mettent par morceaux :
Enfuite je me vois aux flammes condamnée .
Me tiens- tu maintenant ,
Cher Lecteur ? Non . Hé bien ! ruminc.
Je te donne encore un inftant .
Il faut bien que tu me devine ,
Ou je t'appellerai... Mais non ;
Je te respecte trop pour te donner mon nom.
ParM. Raux , Chanoine à Châteaudu
38 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
J'AT douze enfans de taille égale ;
On fe fert d'eux quand il faut des foldats ;
Mais eux , ni moi , de la loi conjugale
N'avons connu les embarras ,
Et chacun d'eux a pourtant douze filles :
Un figrand nombre de familles
Avec moi loge au même endroit ;
Adieu , Lecteur , devine- moi.
Par M. le Clerc de la Mothe , Chev.de
St Louis.
A UTR E.
Aux Gens de Robe , aux Gens d'Egliſe
Je fers aflez communément ;
Ma taille eft mince , aſſez bien priſe ,
Et très-légere, aflurément ;
Sans être ennemi de la joie ,
A ma fuite , mon cher Lecteur ,
Prenez bien garde qu'on la voie ,
Ce feroit figne de malheur.
Par M. Bernard du Montelet,
·
MAI. 1775 .
AUTRE.
Di même qu'un Etat , plus ou moins relevé,
Rend l'homme auffi plus ou moins élevé ;
Tout de mêmeje rends , fans aucun artifice ,
L'homme plus ou moins grand & propre à la
milice:
Mais , fans à l'homme me borner ,
Je fais à la femme donner
Une élévation plus ou moins haute & grande ,
Et ce , fuivant qu'on le demande.
Engendré dans les bois ou forti des troupeaux ,
J'habite également les palais , les hameaux :
On me voit en caroffe , on me voit en charrette :
On me voit fur le trône & près de la houlette.
Enfin je fuis par-tout , au fpectacle , à l'autel ,
Et fans jamais offenfer l'Eternel.
Mais , malgré tous mes avantages ,
Je ſuis même au-deffous du Laquais & des Pages.
ARennes. Par M. de L. G.
LOGO GRYPHE
LECTEUR , je fuis par -tour ſur ce vaſte Univers.
Si le penchant t'engage à faire des voyages ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Parcours tous les Etats divers ,
Enfonce-toi dans les déferts ,
Confidere toutes les plages ,
Les lieux arides , les bocages ,
De tous côtés enfin promene tes regards ,
Tu m'apperçois de toutes parts.
Parlons à préfent d'autres choses .
Je vais te dire un mot de mes métamorpholes.
Ce n'eft pas le moins curieux.
Efface tête & queue , une Ville en Champagne
T'offre auffi- tôt un nectar précieux ,
Qu'on pourroit préférer àu meilleur vin d'Eſpas
gne ,
Pour fon parfum délicieux ,
Qu'à la Cour même , oui , qu'à la Cour on fêre.
Par un nouveau renverſement ,
Place ma queue avant ma tête ;
Mais afin que rien ne t'arrête ,
Coupe mon dernier membre : un Village Allemand
Très renommé , t'offre une eau falutaire ,
Au lieu du bon vin Champenois.
C'eſt- là qu'Amour , ulant de tous les droits ,
Aux maris , bien fouvent , n'a pas le don de plaire .
Taifons-nous fur ce point , ce n'eft pas notre
affaire.
Ami Lecteur , fur nouveaux frais ,
Pardonne- moi cette manie ,
MA I. 1775: 41
Je veux encore exercer ton génie ;
Mais je n'y mettrai point d'apprêts.
Dans un feul mot reconnois un eſpace
Affez étroit , encavé par les flots ,
Pourfervir de barriere à deux Peuples rivaux ;
Ce que tu fais quand tu quittes ta place ;
Enfuite une conjonction ,
Qui marque une négation .
Ce mot enfin dans la géométrie ,
Science où des humains éclate l'induſtrie ,
Exprime la diſtance . Ote mon chef ici ,
Reſte un terme de jeu. Voilà tout . Grand- merci .
Par M. Vincent , Curé de Quincey.
A
AUTR E.
LA plus horrible tempête ,
Reunir le fer & le feu ,
Tout cela pour moi n'eft qu'un jeu ;
Mais , à qui me coupe la tête ,
Lecteur , quel heureux changement !
J'offre un falutaire alinent.
Par M. Houllier de Saint - Remy ,
de Sezanne.
42 MERCURE DE FRANCE.
L'ARME
AUTRE.
' ARME dont les Romains faifoient uſage en
guerre ,
Un outil dont le fert le pauvre Bucheron ,
Ce qui feroit tomber la tête la plus chere ,
Eft rendu dans un mot en commençant mon nom.
Ce nom , pas plus que moi , peut le pafler de tête :
Mais , au lieu d'être en haut , la fienne eft par en
bas.
On lui compte huit pieds , dont cinq vont à la bête
Que Raton fait crier dans fes tendres ébats .
Par M. Sarrauton.
AUTR E.
Jz fuis , avec fix pieds , un mets fort ufité ;
Ma tête eft fleuve d'Italie ,
Et ma queue offre une Cité
Qu'on nepeut trouver qu'en Afic.
ParM. Lagache, fils.
MA I.
1775 . 43 .
VAUDEVILLE des Femmes vengées V
M. RIS s.
Moderato.
NE donnons jamais à nos
femmes De vrais mo- tifs
pour
fe ven- ger ; Le ciel
a placé
dans leurs ames Affez de
pen- chant pour chan- ger.
Quelque peu de Co- quet- te-
* Paroles de M. Sedaine ; muſique de M.
Philidor.
44 MERCURE DE FRANCE.
j
ri- e Peut les rendre vola-
ges mais , Pour rendre
agré- a- ble la vi- e ,
N'y regar- dons pas de trop
près , N'y re -gardons pas
de trop près .
Madame LEK.
Mon Epoux eft froid & ſauvage :
Il fe pique fouvent de rien ,
Il fe croit un grand perfonnage ,
Et ce qu'il fait cft toujours bien ;
Sa petite philofophie
Pourroit fouyent me fâcher ; mais , 7
MA I. 1775. 45
Pour rendre agréable la vie ,
N'y regardons pas de trop près.
LA PRÉSIDENTE.
Etre toujours dans fon ménage ,
En même temps froid & jaloux ;
Un vrai Caton pour le langage :
C'est le portrait de mon Epoux.
De fa galante perfidie ,
Je pourrois bien me venger ; mais ,
Pour rendre agréable la vie ,
N'yregardons pas de trop près.
LE PRÉSIDENT ,
Ma Femme eft tant foit peu coquette
pour rien ;
Un miroir n'est pas fait
Un Monfieur vient à fa toilette :
Madame que vous êtes bien !
Elle permet quelque folie ;
Cela pourroit me fâcher ; mais ,
Pour rendre agréable la vie ,
N'y regardons pas de trop près,
Madame RISS,
Pourpeindre une Femme très- belle ;
Mon Mari fait venir chez lui ,
Afin de fervir de modèle ,
46
MERCURE
DE
FRANCE
.
LeTendron le plus accompli.
Un jour la Fillette jolie ,.
Avec Monfieur babilloit ; mais ,
Pour rendre agréable la vie ,
N'y regardons pas de trop près.
Aux Spectateurs.
Diverfité : c'eft la devife
Des jeux que nous vous préfentons ,
Votre bonté nous autorife
A chanter fur différens tons ;
Celui de cette Comédie
A, fans doute , des défauts ; mais ,
Mais , Meffieurs , à cette folie ,
N'y regardez pas de trop près.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
* Dom Pedre , Roi de Caftille , Tragédie ;
& autres Pièces , 1775 , in- 8°.
CET Ouvrage , attribué au grandhomme
qui a tant de fois enrichi la
* ArticledeM. de la Harpe.
MAI. 1775. 47
"
»
20
Scène Française de fes chef-d'oeuvres
eft précédé d'une Epître dédicatoire de
l'Editeur , à M. d'Alembert : » Vous
» êtes , lui dit- il , une de ces ames privilégiées
, dont l'Auteur de D. Pèdre
» parle dans fon Difcours , ( le Difcours
hiftorique & critique qu'on trouve
» après l'Epître dédicatoire ) ; vous êtes
» de ce petit nombre d'hommes qui
» favent embellir l'efprit géométrique ,
par l'efprit de la littérature. L'Académie
Françaife a bien fenti , en vous
choiffant pour fon Secrétaire perpé
» tuel , & en rendant cet hommage à la
profondeur des Mathématiques, qu'elle
» en rendait un autre au bon goût & à
» la vraie éloquence Elle vous a jugé
» comme l'Académie des Sciences a jugé
» M. le Marquis de Condorcet , & tout
le public a penfé comme ces deux
Compagnies refpectables . Vous faites
» tous deux revivre ces anciens temps ,
» où les plus grands Philofophes de la
» Grèce enfeignaient les principes de
l'éloquence & de l'art dramatique ".
Il ajoute :
93
19
» L'Auteur n'a point ambitionné de
» donner certe Pièce au Théâtre . II
fait très- bien qu'elle n'eft qu'une ef48
MERCURE
DE FRANCE
.
»
quiffe ; mais les portraits reflemblent.
» C'eſt pourquoi il ne la préſente qu'aux
» hommes inftruits. Il me difait d'ail-
» leurs que le fuccès au Théâtre dépend
» entiérement d'un Acteur ou d'une Ac-
» trice ; mais qu'à la lecture il ne dépend
» que de l'arrêt équitable & févère d'un
» juge & d'un Ecrivain tel que vous . Il
fait qu'un homme de goût ne tolère
aujourd'hui ni déclamation ampoulée
» de Rhétorique , ni fade déclaration
» d'amour à ma Princeffe ; encore moins
ces infipides barbaries , en ftyle vifigot,
qui déchirent l'oreille , fans jamais
parler à la raifon & au fentiment
» deux chofes qu'il ne faut jamais fé-
» parer ". L'Editeur défigne & caractérife
tous ceux dont il defire plus particuliérement
le fuffrage. Je demande ,
» pour l'Auteur , l'arrêt de tous les Académiciens
qui ont cultivé affidûment
» notre Langue . Je commence par le
Philofophe inventeur ( 1 ) , qui , ayant
fait une defcription fi vraie & fi élo-
» quente du corps humain connaît
» l'homme moral , auffi bien qu'il obſerve
وو
و د
39
"
(1) M. de Buffon.
» l'homme
MA I. 1775 . 49
» l'homme phyfique . Je veux pour juge
le philofophe profond ( 1 ) , qui a percé
jufques dans l'origine de nos idées ,
» fans rien perdre de fa fenfibilité . Je
" veux pour juge l'Auteur du fiége de
» Calais , qui a communiqué fon enthoufiafme
à la Nation ; & qui , ayant
» lui-même compofé une Tragédie de
» D. Pèdre , doit regarder mon ami
» comme le fien , & non comme un
» rival. Je veux pour juge l'Auteur de
ןכ
Spartacus , qui a vengé l'humanité ,
» dans cette Pièce remplie de traits di-
» gnes du grand Corneille : car la véri-
» table gloire eft dans l'approbation des
» maîtres de l'art. Vous avez dit que
» rarement un Amateur raifonnera de
» l'art , avec autant de lumières qu'un
» habile Artifte : pour moi , j'ai toujours
» vu que des Artiftes feuls rendaient
» une exacte juftice ; quand ils n'étaient
» pas jaloux ..
و د
Je préfente la Tragédie de D. Pèdre
» à l'Académicien qui a fait parler fi
dignement Bélifaire .
"
39
(1) M. l'Abbé de Condillac.
C
So MERCURE DE FRANCE.
Je la foumets à la faine critique de
» ceux qui , dans des Difcours confirmés
par l'Académie , ont apprécié , avec tant
» de goût , les grands hommes du fiècle.
»
de Louis XIV. Je m'en remets entière-
» ment à la décifion de l'Auteur éclairé
» du Poëme de la peinture ( 1 ) , qui ſeul
» a donné les vraies règles de l'art qu'il
» chante , & qui le connaît à fond , ainſi
» que celui de la Poéfie, Je m'en tap-
» porte au Traducteur de Virgile , ſeul
digne de le traduire , parmi tous ceux
» qui l'ont tenté ; à l'illuftre Auteur des
Saifons , fi fupérieur à Thompſon &
à fon fujet , tous juges irréfragables
» dans l'art des vers très- peu connu , &
» qui ont été proclamés dans le temple
» de la gloire , par les cris mêmes de
» l'envie. Je fuis bien perfuadé que
celui qui met fur la Scène D , Pèdre
» & Guefclin préférerait , aux applaudif-
» femens paflagers du Parterre , l'appro-
» bation réfléchie de l'Officier auffi inf-
» truit de cet art , que de celui de la
» guerre ; qui , ayant fait parler fi noble-
"
(1) M. Vatelet,
MAI. 1775. SI
» ment le célèbre Connétable de Bour-
» bon & le plus célèbre Chevalier
Bayard , a donné l'exemple à notre
Auteur , de ne point prodiguer fa
» Pièce fur le Théâtre.
19
"9
·
Il fouhaite , fans doute , d'être jugé
par le Peintre de François - Pre-
» mier ; d'autant plus que ce favant
» & profond Hiftorien fait mieux que
perfonne , que fi l'on dur appeler le
Roi Charles Cinq , habile , ce fur
» Henri de Tranftamare qu'on dut nom-
» mer cruel . J'attends l'opinion des deux
» Académiciens Philofophes , vos dignes
confrères , qui ont confondu de lâches
& fots délateurs , par une réponſe
» auffi énergique que fage & délicate ,
» & qui favent juger comme écrire. Voi-
» là , Monfieur , l'Aréopage dont vous
» êtes l'organe , & c.
n
On pourrait dire de celui qui rend
compte ici de la Tragédie de Dom
Pèdre :
Se quoque principibus permiftum agnovit Achivis:
Mais il fait fort bien que ce qui
n'eft que juftice pour les autres , n'eft
pour lui qu'indulgence & amitié. Cependant
comme l'Editeur joint à les
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
22
louanges un témoignage infiniment
refpectable , l'Auteur de cet article
fe croirait coupable d'ingratitude , s'il
le paffait fous filence ; & il croit
devoir le rapporter , non par amour pro
pre , mais par reconnaiffance . Je vous
avouerai , dit l'Editeur , que j'aimerais
» mieux le feul fuffrage de celui qui a
» reffufcité le ftyle de Racine , dans
» Mélanie , que de me voir applaudi
» un mois de fuite , au théâtre « ; &
il ajoute en note : J'ofe dire hardi
» ment que je n'ai point vu de Pièce
» mieux écrite que Mélanie. Ce mérite
» fi rare a été fenti par les étrangers
qui apprennent notre Langue , par
»principes & par l'ufage. L'héritier de
» la plus vafte Monarchie ( 1 ) de
» notre hémisphère , étonné de n'enten-
» dre que très -difficilement le jargon.
» de quelques - uns de nos Auteurs nou-
» veaux , & d'entendre , avec autant de
و د
plaifir que de facilité , cette Pièce de
» Mélanie & l'éloge de Fénélon , a ré-
» pandu fur l'Auteur les bienfaits les plus
» honorables. Il a fait , par goût , ce que
(1 ) S. A. I. Mgr le Grand Duc de Ruffic.
MA I. 1775. 53
1
» Louis XIV fit , autrefois , par un noble
» amour de la gloire.
"
L'Editeur juftifie les louanges qu'il
diftribue , par l'exemple de l'Arioſte ,
qui nommait tous les hommes de fon
temps qui faifaient honneur à l'Italie ,
& fous lefquels il écrivait . » Si un Folliculaire
, dit-il encore , dit que je n'ai
donné de fi juftes éloges à ceux que
je prends pour juges de mon ami
qu'afin de les lui rendre favorables
» je réponds d'avance que je confirme
» ces éloges , fi mon ami eft condamné.
» Je demande pour lui une décifion &
» non des louanges.
»
"
Le fond de la Tragédie de D. Pèdre
eft d'une extrême fimplicité. Tranfta
mare , Bâtard légitimé d'Alphonfe , Roi
de Caftille , a été appelé par les der
nières volontés de ce Prince , à partager.
fon Royaume avec D. Pèdre , l'héritier
légitime de la Couronne. Il devait , fuivant
ce même teftament , époufer Léo .
nore de Lacerda , Princeffe du Sang
Royal.Ces difpofitions d'Alphonfe étaient
une fource de difcorde . D. Pèdre en ap.
pela comme d'une injuftice . Appuyé par
les Anglais & par le fameux Prince
Noir , il vainquit , à Navarette , Tranfta-
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
mare, & Guesclin , fon défenfeur . Cependant
il a accordé la paix à fon frère , &
ce frère en a profité pour foulever l'Efpagne
contre lui . Les Etats font affemblés
, pour prononcer fur les droits refpectifs
des deux Princes , & ces Etats
prétendent une autorité fupérieure à l'au
iorité Royale. Dans cette orageufe anarchie
, Tranftamare attend de nouveau
les fecours de la France & de Guefclin ,
& D. Pédre attend tout de fon courage.
Tel eft l'état des chofes , lorfque la pièce
commence . Nous en fuivrons la marche ,
en nous arrêtant quelquefois fur les
détails.
Dans la première fcène , Almède , que
Tranftamare avait envoyé à la Cour de
Charles- Cinq , folliciter les fecours de
le France , lui annonce qu'ils lui font
accordés , & que Guefclin arrive à Tolède
Charle , en vous foutenant au bord du précipice ,
Vous tend , par politique , une main prote &trice ,
Et divifant l'Espagne afin de l'affaiblir ,
Il veut frapper Dom Pèdre autant que vous fervir.
Pour fon intérêt feul il entreprend la guerie.
Dom Pèdre eut pour appui la fuperbe Angleterre
Le fameux Prince Noir était fon protecteur :
MA I. 1775. 55
Mais ce Guerrier terrible , & de Guefclin vainqueur
,
Au milieu de la gloire achevant la carrière ,
Approche , dans Bordeaux , de fon heure dernière .
Songénie accablait & la France & Guesclin ;
Et quand des jours fibeaux touchent à leur déclin ,
Ce Français , dont le bras aujourd'hui vous feconde
,
Demeure , avec éclat , ſeul en ſpectacle au monde.
Charle a choifi ce temps : l'Anglais tombe épuifé ,
L'Empire a trente Rois , & languit divifé ;
L'Espagnol eft en proie à la guerre civile ;
Charle eft le feul puiſſant , & , d'un eſprit tranquille
,
Ebranlant , à ſon gré , tous les autres États ,
Il triomphe à Paris fans employer fon bras.
Charles s'engage à affurer à Tranſta
mare , Valence & les autres poffeffions
que lui affignait le teftament d'Alphonfe .
Il lui promet fur-tout la main de la
Princefle Léonore .
TRANSTA MARE.
Léonore eft le bien le plus cher à mes yeux.
Mon père , tu le fais , voulut que l'hymenée
Fit revivre , par moi , les Rois dont elle est née.
Il avait gagné Rome : elle approuvait fon choix ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
Et l'Espagne , à genoux , reconnaiſfait mes droits.
Dans un alyle faint Léonore enfermée ,
Fuyait les factions de Tolède alarmée .
Elle fuyait Dom Pèdre : il la fait enlever .
De mes biens , en tout temps , ardent à me priver,
Illa retient ici captive avec la mère.
Voudrait-il feulement l'arracher à ſon frère ?
Croit- il de tant d'objets , trop heureux féducteur ,
De ce coeur fimple & vrai corrompre la candeur ?
Craindrait il en fecret les droits que Léonore
Au Trône Caſtillan peut conferver encore ?
Prétend- il l'époufer , ou d'un nouvel amour
Etaler le fcandale à fon indigne Cour ?
Veut-il des Lacerda déshonorer la fille ?
La traîner en triomphe après Laure & Padille ?
Et d'un peuple opprimé bravant les vains foupirs ,
Infulter aux humains du fein de fes plaiſirs ?
Le crédit des Etats & les armes des
Français raffurent Tranftamare . Il a foulevé
les efprits contre D. Pèdre .
L'opinion publique eft une arme puiffante ;
J'en aiguile les traits : la Ligue menaçante ,
Ne voit plus dans fon Roi qu'un Tyran criminel ;
Il n'eft plus défigné que du nom de crucl.
Ne me demande point fi c'eft avec juftice ;
Il faut qu'on le détefte avant qu'on le punifle.
La haine eft fans fcrupule : un peuple révolté
MA I. 1775 . 57
Ecoute les rumeurs & non la vérité.
On avilit fes moeurs , on noircit fa conduite ,
On le rend odieux à l'Europe féduite.
On le pourfuit dans Rome à ce vieux Tribunal ,
Qui , par un long abus , peut- être trop fatal ,
Sur tous les Souverains étend fon vaſte empire.
Je l'y fais condamner , & je puis te prédire
Que tu verras l'Espagne , en la crédulité ,
Exécuter l'arrêt dès qu'il fera porté .
Mais un foin plus preffant m'agite & me dévore
A les autels facrés il ravit Léonore.
De cette Cour profane il faut bien la fauver.
Arrachons - la des mains qui m'en ofent priyer.
Sans doute il s'eft flatté du grand art de féduire ,
De få vaine beauté , de ce frivole empire ,
Qu'il eut fur tous les coeurs aifés à conquérir ;
Tout cet éclat trompeur avec lui va périr,
Tout eft difpofé pour enlever à D,
Pèdre Léonore & le Trône . Léonore
paraît ; elle confeille à Tranftamare de
ne point fe préfenter devant le Roi ;
elle lui promet d'engager ce Prince à la
clémence , & l'on voit déjà , dans fes
difcours , la préférence qu'elle donne à
D. Pèdre. Ses offres , fes confeils & le
mot de clémence révoltent Tranſtamare .
Il fort , en déclarant qu'il faura défendre
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fes droits. Léonore demeure avec Elvire,
fa confidente. Elle explique fa paffion
pout D. Pèdre. Sa mère a confenti à
leur union fecrette , qui eft prête à s'ache .
vér ; mais elle frémit des dangers qui
environnent fon amant . Elle craint le
caractère violent du Prince , que pourtant
elle efpère d'adoucir.
Son âme eft noble & généreufe ,
Elvire ; elle eft fenfible autant qu'impétueuſe,
Et s'il m'aime en effet , jole encore eſpérer
Que des jours moins affreux peuvent nous éclai
rer.
L'augufte Lacerda , dont le ciel me fit naître ,
M'infpira ce projet en me donnant un Maître :
Ah! fi le Roi voulait , fi je pouvais un jour
Voir ce Trône ébranlé raffermi par l'amour ;;
Si , comme je l'ai cru , les femmes étaient nées.
Pour calmer des efprits les fougues effrénées,
Pour faire aimer la paix aus féroces humains ,
Pour émoufler le fer en leurs fanglantes mains &
D. Pèdre arrive . Elle le conjure de
pardonner à fon frère . Le Prince lui
rappelle tous les attentats de Tranfla
mare . I eft bleflé de l'intérêt qu'elle
paraît prendre à celui qu'il regarde come
un rebelle . Léonore fort confternée.
MA I. 1775. 19
1
Elle revient au fecond acte , & Tranftamare
fe préfeute , de nouveau , devant
elle. D. Pèdre , attive & voit avec indignation
, qu'il ofe parler à Léonore. Les
deux frères fe bravent & fe défient. Le
Roi , pouffé à bout , met la main fur fon
épée. Tranftamare , prêt à tirer la fienne,
lui dit :
Sire , oferiez- vous bien me faire cet honneur ?
+
Léonore fe jerre entre les deux frères
& leur reproche leurs emportemens. D.
Pèdre eft vivement bleffé qu'elle paraille
le confondre avec fon frère.
LONOR E.
Et vous me reprochez , dans ce défordre affreux ,
De vouloir épargner un crime à tous les deux !
Vous me connaiſſez mal : apprenez l'un & l'autre
Quels font mes fentimens , & mon fort & le vôtre.
Tranſtamare , fachez que vous n'auriez enfin ,
Quand vous feriez mon Roi , ni mon coeur , nå
ma main.
Sire , tombe fur moi la juftice éternelle ,
Si , jufqu'à mon trépas , je ne vous (uis fidelles
Mais la guerre civile eft horrible à mes yeux ,
Etje ne puis me voir entre deux furieux ,
Milérable fujet de difcorde & de haine ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Toujours dans la terreur & toujours incertaine ,
Si le feul de vous deux qui doit régner fur moi ,
Ne me fait pas l'affront de douter de ma foi.
Vous m'arrachez , Seigneur , au folitaire afyle ,
Oùmon coeur , loin de vous , était au moins tran
quille.
Je me vois exilée en ce cruel féjour ,
Dans cet autre fanglant , que vous nommez la
Cour.
Je la fuis. Je retourne à la tombe facrée ,
Qù j'étais morte au monde & du monde ignorée.
Qu'un autre le complaife à nourrir dans les coeurs
Les tourmens de l'Amour & toutes les fureurs ;
Amêler fans effroi fes langueurs tyranniques
Aux tumultes fanglans des discordes publiques ;
Qu'elle fe fafle un jeu du malheur des humains ,
Et des feux de la guerre attifés par les mains ;
Qu'elle y mette , à fon gré , fa gloire & fon mérite
,
Cette gloire exécrable eft tout ce que j'évite ;
Mon coeur , qui la déteſte , eſt encore étonné
D'avoir fui cette paix , pour qui feule il eſt né ,
Cette paix qu'on regrette au milieu des orages.
Je vais loin de Tolède & de ces grands naufrages
M'enfevelir , vous plaindre , & fervir àgenoux
Un Maîtreplus puiflant & plus clément que vous.
Elle . fort , & Tranftamare auffi . D.
MA I. 1775 .
61
Pèdre refte avec Mendofe. Ce fidèle ami
lui repréfente qu'il devrait mettre dans
fa conduite , plus de ménagement & de
politique ; qu'il a contre lui un parti
puiffant , qui ne ceffe de décrier fon caractère
& de le peindre comme un tyran
condamné par Rome & par le Ciel ; &
qu'il femble trop juftifier , par les violences
, les imputations de la haine . D.
Pèdre répond :
Ah! dure iniquité des jugemens humains ,
Fantômes élevés par des caprices vains !
J'ai dédaigné toujours votre vile fumée ;
Je foule aux pieds l'erreur qui fait la renommée.
On ne m'a vujamais fatiguer mes efprits
A chercher un fuffrage à Rome ou dans Paris .
J'ai vaincu , j'ai bravé la rumeur populaire ;
Je ne me fens point né pour flatter le vulgaire.
Où tombons , ou régnons . L'heureux eft respecté ,
Le vainqueur devient cher à la postérité ,
Et les infortunés font condamnés par elle.
Rome de Tranftamare embraffe la querelle ,
Rome fera pour moi quand j'aurai combattu
Quand on verra ce traître à mes pieds abattu ,
Me rendre , en expirant , ma puiſſance ufurpée.
Je ne veux plus de droits que ceux de mon épée.
Alvare paraît. Il ofe dire au Roi que
62 MERCURE DE FRANCE.
le Sénat le demande . Ce mot feul fait
fentir tout l'orgueil & tout le pouvoir
de ce Corps . D. Pèdre en eft révolté . On
lui déclare qu'il entendra , dans les Etats ,
la lecture d'un Edit rédigé par fon frère ,
& qui réglera le fort de l'Espagne.
Au Sénat que faut-il que j'annonce ?
D. PEDRE.
Je fuis fon Roi. Sortez. Et voilà ma réponſe.
D. Pèdre furieux donne ordre au
Chef de fes Gardes d'arrêter Tranftamare.
Les troupes du Roi approchent de
Tolède & foutiendront cet acte de vi
gueur. Mendose lui remontre le danger
où il s'expofe , en violant des loix &
des priviléges qu'on refpecte.
D. PEDRE .
Moi ! je refpecterais ce gothique ramas.
De priviléges vains que je ne connais pas !
Eternels alimens de troubles , de ſcandales ,
Que l'on ofe appeler nos loix fondamentales !
Ces Tyrans féodeaux , ces Barons fourcilleux ,
Sous leurs ruftiques toits indigens orgueilleux :
Tous ces Nobles nouveaux , ce Sénat anarchique ,
MA I. 1775 .
69
Erigeant la licence en liberté publique :
Ces Etats défunis dans leurs vaftes projets ,
Sous les débris du Trône écrasant les Sujets !
Ils aiment Tranflamare , ils flattent fon audace ;
Hs voudraient l'opprimer , s'il régnait en ma places
Je les punirai tous. Les armes d'un Sénat
N'ont pas beaucoup de force en un jour de conbat.
Au troisième acte , les troupes de D.
Pèdre font entrées dans Tolède. Il difpofe
tout pour l'hymen & le couronne
ment de Léonore. Il avoue , avec plaifir ,
tout l'afcendant qu'elle a pris fur lui . IE
efpère qu'elle voudra bien lui pardonner
fes foupçons & fes reproches injuftes .
Tranftamare eft arrêté , & tous les Grands
qui compofent les Etats s'apprêtent à le
défendre & à le venger . Léonore, prêre
à fe voir déclarer Reine , repréfente à
l'époux dont elle va recevoir la main ,
que la haine publique eft un fardeau
qu'il lui ferait dur de partager. D. Pèdre
Fentend & la prévient . Il fait venir fon
frère. Il lui rappelle qu'un ufage , confa
cré dans l'Espagne , permer à une Reine ,
le jour de fon couronnement , de demander
la grâce d'un criminel . Léonore
a demandé celle de Tranſtamare , qui
64
MERCURE
DE FRANCE
.
a mérité la mort. Il lui laiffe la vie ,
& fe contente de le bannir. Mais , dans
le même inftant , on annonce l'arrivée
de Guefclin. I demande audience
comme Ambaffadeur de Charles Cinq ,
& fon armée refte fous les murs. Dans
la première fcène du quatrième acte ,
entre D. Pèdre & Mendofe , on apprend
que l'hymen de Léonore eft achevé ;
que le parti de Tranftamare , foutenu
par les Français , l'a délivré des fers.
A peine ce Guefclin touchait à nos rivages ,
Tous les Grands , à l'envi , lui portant leurs hommages,
Accouraient dans fon camp , le nommaient
grands cris ,
L'Ange de la Caftille envoyé de Paris.
Il commande , il s'érige un tribunal fuprême ,
Où lui feul vajuger la Caftille & vous même.
Seipion fut moins fier & moins audacieux ,
Quand il vous apporta les aigles & les Dieux.
Mendofe s'étonne que D.Pèdre fouffre
dans Tolède la préfence de ce fuperbe
Français, qui a ofé arracher Tranftamare
de fes mains .
D. PEDRE.
Al ne fait qu'obéir au Roi qui me l'envoie.
MA I. 1775 .
65
L'orgueil de ce Guefclin fe montre & le déploie
Comme un reffort puiflant avec art préparé ,
Qu'un Maître induſtrieux fait mouvoir à fon gré.
Dans l'Europe aujourd'hui tu fais comme on les
nomme ;
Charle a le nom de fage & Guefclin de grand
homme.
Et qui fuis-je auprès d'eux , moi qui fus leur vain
,queur?
Je pourrais des Français punir l'Ambasadeur ,
Qui m'ofant outrager , à ma foi fe confie.
Plus d'un Roi s'eft vengé par une perfidie ;
Et les fuccès heureux de ces grands coups d'Etat ,
Souvent à leurs auteurs ont donné quelque éclat.
Leurs flatteurs ont vanté cette infâme prudence .
Ami , je ne veux point d'une telle vengeance.
Dans mes emportemens & dans mes paflions ,
Je refpecte plus qu'eux les droits des Nations .
J'ai déja fur Guefclin ce premier avantage ,
Et nous verrons bientôt s'il l'emporte en courage.
Un Français peut me vaincre & non m'humilier.
Je fuis Roi , cher Ami ; mais je fuis Chevalier.
Vient enfuite la fcène d'audience , où
D. Pèdre , fur fon Trône , environné de
toute la pompe de fa Cour , reçoit l'Ambaffadeur
Français . La nobleffe du dialogue
répond à ce grand appareil . Nous
-66 MERCURE DE FRANCE.
citerons une partie de cette fcène , qui
certainement produirait fur le théâtre
un effet impofant . Guefclin explique
nettement tout ce que Charles exige de
D. Pèdre , en s'appuyant fur les dernières
volontés d'Alphonfe , dont il s'établit
le garant.
Rendez à votre frère , injuftement profcrit ,
Léonore & les biens qu'un père lui promit ,
Tous les droits reconnus d'un Sénat toujours juſte ,
Dans Rome confirmés par un pouvoir augufte.
Des Etats Caftillans n'ufurpez point les droits ;
Pour qu'on vous obéifle , obéiſſez aux loix :
C'eft-là ce qu'à ma Cour on déclare équitable ,
Et Charle eft, à ce prix , votre ami véritable.
D. PDR E.
Inftruit de fes deffeins & non pas effrayé ,
Je préfere fa haine à fa faufle amitié.
S'il feint de protéger l'enfant de l'adultère ,
Le rebelle infolent qu'on appelle mon frère ;
Je fais qu'il n'a donné ces fecours dangereux
Que pour mieux s'aggrandir & nous perdre tous
deux .
Divifer pour régner , voilà fa politique .
Mais il en eft une autre où Dom Pèdre s'applique ,
C'est de vaincre ; & Guefclin ne doit pas l'ignores.
MA I.
1775. 67
Agent de Tranftamare , ofez -vous déclarer ,
Que vous lui deftinez la main de Léonore ?
Léonore eft ma femme . Apprenez plus encore ;
Sachez que votre Roi , qui penfè m'accabler ,
Des fecrets de mon lit ne doit point le mêler ;
Que de l'hymen des Rois Rome n'eft point le juge
Je demeure furpris que , pour dernier refuge ,
Au Tribunal de Rome on ofe en appeler ,
Et qu'un Guerrier Français s'abaifle à m'en parler.
Oubliez - vous , Monfieur , qu'on vous a vu vousmême
,
Vous qui me vantez Rome & fon pouvoir fue
prême ,
Extorquer les tributs , rançonner les Etats ,
Et forcer le Pontife à payer vos foldats ?
GUES CLIN.
On dit qu'en tous les temps ma Cour a fu con
naître
Et féparer les droits du Monarque & du Prêtre;
Mais , peu fait pour toucher ces refforts délicats ,
Je combats pour mon Prince & je ne l'inftruis pas.
Qu'on ait lancé fur vous ce qu'on nomme ana«
thêm ,
Que l'épouse d'un frère ou vous craigne ou vous
aime ,
Je n'examine point ces intrigues des Cours ,
Ces abus des autels , cucor moins vos amours.
68 MERCURE DE FRANCE.
Vous ne voyez en moi qu'un organe fidele
D'un Roi l'ami de Rome , & qui s'arme pour elle.
On va verfer le ſang , & l'on peut l'épargner :
Fléchiffez , croyez - moi , fi vous voulez régner .
D. PEDRE.
J'entends ; vous exigez ma prompte déférence
A ces refcrits de Rome émanés de la France .
Charle adore à genoux ces étonnans décrets ,
Ou les foule à fes pieds fuivant fes intérêts.
L'orgueil me les apporte au nom de la justice ;
Vous m'offrez un pardon , pourvu que j'obéifle .
Ecoutez : fi j'allais , du même zele épris ,
Envoyer une armée aux remparts de Paris ;
Si l'un de mes foldats diſait à votre Maître :
«
Sire , cédez le Trône où Dieu vous a fait naître ;
»Cédez le digne objet pour qui feul vous vivez ;
Et de tous ces trélors à vos mains enlevés ,
» Enrickiſlez un traître , un fils d'une étrangère ,
Indigne de la France , indigne de fon père.
» Gardez-vous de donner vos ordres abfolus
» Pour former des foldats , pour lever des tributs ;
»Attendez humblement qu'un Pontife l'ordonne;
>> Remettez au Sénat les droits de la couronne ;
»Et mon Maître , à ce prix , veut bien vous pro-
» téger ».
ככ
Votre Maître , à ce point fe fentant outrager ,
Pourrait-il écouter , fans un peu de colère,
MA L. 1775.
69
Ce difcours infultant d'un foldat téméraire.
GUES CLIN.
Je veux bien avouer que votre Ambaſſadeur
S'expliquerait fort mal avec tant de hauteur.
Rien ne juſtifierait l'orgueil & l'imprudence
De donner des leçons & des loix à la France.
Charles'en tient , Seigneur , à la foi des traités .
Songez aux derniers mots par Alphonſe dictés ;
Ils ont rendu mon Roi le tuteur & le père
De celui que Dom Pèdre eût dû traitér en frère.
D. PEDRE.
Le tuteur d'un rebelle ! ah ! noble Chevalier ,
Qu'il vous coûte en fecret de le juftifier !
J'en appelle à vous - même , à l'honneur , à la
gloire.
Votre Prince eft- il jufte ?
GUES CLIN .
Un Sujet doit le croire.
Je luis fon Général , & le fers contre tous ,
Comme je fervitais fi j'étais né fous vous.
Je vous ai déclaré les arrêts qu'il prononce :
Je'n'y veux rien changer , & j'attends la réponſes .
Donnez- la fans réferve ; il faut vous confulter ;
Je viens pour vous.combattre & non pour difputer.
70
MERCURE DE FRANCE.
Vous m'appelez foldat , & je le fuis , fans doute.
Ce n'eft plus qu'en foldat que Guesclin vous
écoute.
Cédez ou prononcez votre dernier refus.
D. PEDRE.
Je vous refufe tout excepté mon eftime , & c.
Il donne à Guefclin fon épée . Tout
fe difpofe pour le combat. Tranftamare ,
au cinquième acte , revient vainqueur ,
ou plutôt Gueſclin a vaincu
lui ;
pour
& Tranſtamare a fouillé la victoire , en
affaffinant fon frère défarmé , prifonnier ,
& bleffé. Léonore fe tue. Le généreux ,
Guefclin reproche à Tranftamare fa lâcheté
& fa barbarie , & le laiffe dans
les remords.
On fent qu'il ne nous conviendrait
point de prononcer un jugement fur un
Ouvrage de M. de Voltaire. Il est trop
au- deffus de nos éloges & de nos critiques,
& perfonne ne reprochera au difciple ,
de ne point juger fon maître.
Mémoires littéraires , critiques , philofophiques
, biographiques & bibliographiques,
pour fervir à l'hiftoire ancienne &.
MA I. 1775. 71
& moderne de la médecine ; dédiés
à Monfeigneur le Garde des Sceaux :
Louis XVI régnant , année 1775. A
Paris , chez Pire , Libraire , rue St
Jacques & chez Baſtien , Libraire , rue
du Petit Lion, Fauxbourg St Germain .
Avec approbation & privilège du Roi.
Ces Mémoires font in- 4. Il en paroît
exactement deux feuilles , tous les quinze
jours. Le prix de la foufcription eft de
12 liv , franc de port pour Paris , & de
liv.
pour la Province. 15
Il paroît déjà 16 feuilles de cet Ouvrage
, qui avoit commencé en 1769 ,
fous le titre de Lettres à un Médecin de
Province , lefquelles étoient déjà goûtées,
lorfqu'elles furent interrompues . L'Auteur
, M. Goulin , en reprenant fon tra
vail , fous un autre titre , l'a annoncé
fimplement , comme devant fervir de
fuite à l'hiftoire de l'art de guétir , Ce
projet nous femble mériter l'attention
des Médecins , des Chirurgiens , des
Pharmaciens . Tous fe regardant comme
membres d'une famille ancienne , favante
& confacrée , pour ainfi dire , au fervice
de l'humanité fouffrante , ils prendront
intérêt à une histoire qui eft véritablement
& proprement la lear. Les noms
72 MERCURE DE FRANCE.
de ceux qui les ont précédés leur font
chers ; ils éprouveront donc un plaifir
fenfible , en lifant le récit des actes de
leurs vies , de leurs fuccès , des honneurs
qu'ils ont reçus , des découvertes qu'ils
ont pu faire, desOuvrages qu'ils ont compofés.
Tels font les détails dans lesquels
l'Auteur s'engage d'entrer fucceffivement,
tant à l'égard des anciens , que des modernes
. Occupé , depuis 1 années , de
ce projet également important & curieux ,
M. Goulin fe montre préparé pour le
remplir ; il n'écrit pas avant d'avoir lu ,
avant que de s'être inftruit ; il a parcouru
le vafte champ de la Médecine , dont
il veut donner , pour ainsi dire , la Topographie.
Il débute par une differtation
, dans laquelle il prouve que l'origine
de l'art de guérir remonte prefque
å celle du inonde ; que , dans toutes les
Langues , celui qui l'exerce a été défigné
par le terme de Guériffeur ; que la Diété
tique & la Chirurgie font également
nobles ; & que le Chirurgien , qui auroit
confervé dix citoyens par les reffources
qu'il a puifées dans fou art , ne mérite
pas moins la couronne civique , que le
Médecin favant & expérimenté , qui en
auroit rendu à la vie un pareil nombre
à
dévoués
MAI. 1773 .. 73
'dévoué à une mort inévitable ; que ,
durant une longue fuite de fiècles , la
totalité de l'art fut exercée par un feul
individu. L'impartialité avec laquelle
M. Goulin parle des trois efpèces d'hommes
qui fe font partagé l'exercice de
la Médecine , annonce un écrivain raifonnable
, qui ne fe laiffe aveugler ni
par les préjugés , ni par l'efprit de
Corps.
Cette differtation eft fuivie d'une notice
fur la Vie & les Ouvrages de Pierre
'd'Abano , un des plus célèbres & des
plus favans Médecins des treizième &
quatorzième fiècles. L'Auteur des Mémoires
l'a traduite de l'Italien de M.
Mazzuchelli ; elle eft curieufe & a demandé
beaucoup de recherches , auxquelles
le Traducteur en a joint de
nouvelles , accompagnées d'obfervations
intéreffantes & inftructives . Un trait ,
peu adroitement lancé contre Pierre
d'Abano que M. ' Goulin repouffe , lui
donne occafion d'expliquer avec fagacité
un endroit d'Hippocrate, dont le texte eft
visiblement altéré , & les corrections
qu'il propofe , en les foumettant au jugement
des Savans , prouvent que la Langue
Grecque lui eft très-connue . Il de-
D
74 MERCURE DE FRANCE :
vroit bien s'impoſer le pénible , mais utile
travail de traduire tout Hippocrate en
François ; Ouvrage qui manque à notre
littérature , & dont nous favons qu'il a
déjà traduit différens traités,
Dans une autre differtation , l'on examine
fi , peu après le déluge , il y avoit
déjà des Anatomiftes ; fi les Druides &
les Juifs du premier âge doivent être
regardés comme tels , ainfi que l'avoit
annoncé un Ecrivain très- moderne . On
démontre , par des preuves non équivoques
, qu'on ne s'occupa guères de
l'Anatomie ( des brutes ) , avant le fiècle
de Thalès ; & que l'étude de la Philo
fophie chez les Grecs , en infpirant du
goût pour les fciences & pour les arts ,
fit naître le defir de rechercher les caufes
de divers phénomènes de la nature .
Ceux qui les frappèrent dans l'homme
& dans les animaux ne pouvoient s'expliquer
fans connoître leur ftructure. Ils
commencèrent à s'en inftruire fur ces
derniers , par la diffection , qui conduifit
infenfiblement à l'anatomie humaine ,
la feule qui foit véritablement néceffaire
aux Médecins & aux Chirurgiens.
Les gens de Lettres qui aiment la
critique , l'érudition , la philologie , la
MA I. 1775. 75
quoi
biographie & la bibliographie , ont de
fe fatisfaire , en lifant ces nouveaux
Mémoires. On ne fauroit douter qu'ils
n'obtiennent principalement les fuffrages
de ceux pour lefquels ils font deftinés ,
fi le zèle de l'Auteur ne fe rallentit pas .
Obfervations critiques en faveur du Roi
& de fon peuple , fur l'Ouvrage de
de M. Richard des Glannières , inti
tulé : Plan d'impofition économique &
d'adminiftration des Finances , préfenté
à Mgr. Turgot , Contrôleurgénéral
, par M. D. G. , Avocat an
Parlement de Paris.
i
L'oppofition des opinions en extrait
la lumière , & du débat naît enfin le
point qui fixe les jugemens. Voilà la
devife de l'Auteur. Les bons patriotes
ne peuvent rien faire de plus utile &
de plus méritoire , que de rédiger leurs
vues & leurs talents fur un objet auffi
important au rétabliſſement de l'économie
publique. Chacun eft obligé d'y con
tribuerpour fa part .On n'a rien à craindre
fous un gouvernement qui fait que lo
bien ne peut naître que de la réunion
des lumières ; que les fauffes vues & les
Dij
76
MERCURE DE FRANCE.
erreurs ne peuvent être écartées que
par la contradiction ; & que les vrais
principes ne peuvent acquérir l'autorité
qu'ils doivent avoir , que par la diſcuſffon
publique , libre & impartiale.
Dans le langage de la fcience économique
, il n'eft point d'erreurs légères ,
ni de petites fautes. En dénaturant les
expreffions de cette doctrine invariable
dans fes effets comme dans fa théorie
dit l'Auteur des obfervations , on rifque
de faire paffer les finances dans un dédale
auffi compliqué que celui d'où l'on
voudroit fortir. La route qu'on cherche
eft bordée d'écueils qu'il n'eft pas toujours
aifé d'appercevoir , La droiture du
coeur & l'amour de la patrie doivent
diriger les talens , mais ne les fuppofent
pas toujours. On ne fauroit donc réunir
trop de lumières , pour traiter une matière
auffi étendue & auffi délicate que
celle des finances.
Code Ecclefiaftique , ou queftions importantes
& obfervations fur l'Edit du.
mois d'Avril de 1655 , concernant la
Jurifdiction Ecclefiaftique ; fur l'Arrêt
du Parlement du 26 Février 1768
concernant les bulles & expéditions
MA I 1775. 74
de Cour de Rome ; fur l'Edit de Mars
1768 , concernant les Ordres Religieux
; fur l'Edit de Mai 1768 , concernant
les portions congrues ; & fur
plufieurs articles de l'Ordonnance du
mois d'Avril 1667 , concernant les
procédures : par M. Condert de Clozol,
Avocat au Parlement. A Paris , chez
Grangé , Libraire , pont Notre- Dame,
On trouve dans le Droit Eccléfiaftique
un grand nombre de matières mixtes
dans lefquelles la puiffance temporelle
concourt avec l'autorité fpirituelle ; &
où ces deux puilfances , fans être ſubor .
données l'une à l'autre , doivent fe prêtet
un fecours mutuel : afin qu'étant égaler
ment émanées de Dieu , ellés agiffents
chacune dans leur genre , pour la gloire
de leur Auteur & pour la félicité , non
feulement temporelle , mais encore éter
nelle , de leurs fujets . Il y a donc dous
bles loix & des Jugemens de deux eſpè
ces différentes ; & , par conféquent , deux
fortes d'études qu'il faut toujours réunir
pour s'inftruire pleinement du Droit
Eccléfiaftique . L'une eft celle des règles
établies par l'Eglife ; l'autre eft celle des
que les Princes y ont ajoutées.. Parmi loix
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
celles - ci , le Clergé réclame l'Edit de
1695 , concernant les droits de l'Eglife
& les privilégés des Eccléfiaftiques. I
prétend que cette loi ne fait qu'expliquer
& confirmer le droit ancien , &
n'établit point un droit nouveau . Plufieurs
Canoniftes célèbres ne penfent pas , à cet
égard , fur tous les articles de cet Edit ,
comme le Commentateur. Son Ouvrage
n'en eft pas moins utile pour les Supérieurs
Eccléfiaftiques & pour tous les
Jurifconfultes . Les Commentaires qui
ont précédé celui - ci n'étoient pas affez
étendus. On fe propofe , dans ce nouvel
Ouvrage , de faire connoître quelles font
les bornes de la Jurifdiction Eccléfiaf
tique , quel est le pouvoir dont jouiffent
à préfent les Evêques & les Officiaux ,
& quels font les priviléges du Clergé &
de tous ceux qui le compofent. On a
joint au Commentaire de l'Edit de 1655 ,
celui de plufieurs Edits nouveaux qui
complettent le Code Eccléfiaftique .
La confolation du Chrétien , ou motifs de
confiance en Dieu , dans les diverfes
circonftances de la vie ; par M. l'Abbé
Roiffard , en 2 vol. chez Humblot , rue
Saint-Jacques.
MA I. 1775 : 79
On ne peut être tenté de découragement
& de défiance au fervice de Dieu ,
que lorsqu'on n'a pas le bonheur de
connoître l'Evangile , qui renferme les
motifs les plus puiffans de l'efpérance
Chrétienne . L'Auteur , en les réuniffant ,
nous prouve que cette vertu , fi néceffaire
dans toutes les fituations de la vie ,
a , tout à la fois , la propriété de procurer
à l'homme les biens que fon indigence
lui rend néceffaires ; & de rendre à
Dieu , une gloire parfaite pour ces mêmes
biens , en confeffant qu'ils viennent
de Dieu & qu'il en eft le maître : enforte
quelle entichit l'homme , avec une parfaite
dépendance de Dieu. Dans ce point
de vue , toute la puiffance que nous reconnoiffons
en Dieu , pour le falut des
hommes , devient notre bien propre &
le titre de notre bonheur fatur. Toutes
les merveilles de l'oeuvre de J. C. ne
font plus pour nous un fpectacle stérile ;
mais un tréfor dont on entre folidairement
en poffeffion , avec tous ceux qui
ont été , dans tous les fiècles , les objets
des miféricordes de Dieu. Les divines
écritures renferment le gage de la gran--
deur deſtinée à ceux qui fe fient à Dieu. '
Quand on pofsède cette vertu , fi bien
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
développée dans l'Ouvrage de M. l'Abbé
Roillard ; on a le glorieux avantage de
lire les Ecritures , dans le même efprit
qu'un grand Seigneur parcourt fes archives
, où il ne voit rien d'énoncé qu'il ne
dife , en même temps : c'eft mon bien;
cela m'appartient . Alors notre foibleffe
ne nous effraye plus exceffivement , parce
que nous espérons de n'y être pas aban
donnés , & d'être foutenus par le Tout-
Puiffant. La longueur de la carrière que
nous avons à courir , les difficultés , les
viciffitudes que nous pouvons éprouver
en nous mêmes , tout cela ne nous fait
pas défefpérer d'arriver au terme du falut
; puifque nous avons le bonheur de
nous regarder comme étant du nombre
de ces brebis que Dieu porte dans fon
fein & que perfonne ne peut lui ravir.
Un coeur à qui Dieu fait connoître la
vanité de biens périflables , peut-il trop
fe fier à celui dont il attend fon bonheur .
Que la religion eft confolante , quand
elle est préfentée fous les caractères qui
lui font propres & qui faififfent le coeur !
Telle eft la manière dont M. l'Abbé
Roiffard la fait envifager dans fon
Ouvrage.
Louis XII , furnommé le Père du peuple,
MA I.
1775 .
81
dont le préfent règne nous rappelle le
fouvenir ; par M. Auffray , des Académies
de Metz & de Marfeille ; avec
des Notes .
Toutes les actions fages , réfléchies &
remplies d'équité , de notre augufte
Monarque , ont déterminé l'Auteur à
compofer l'éloge hiftorique de Louis XII ,
Marc Aurele fait penfer à Trajan , Titus
à Sévère , Louis XVI à Louis XII , à
Henri IV . Ces parallèles fe font tout
naturellement , & fervent à montrer
qu'on n'aime rien tant à louer qu'an
Souverain qui n'écoute que fon devoir ,
fans fe laiffer éblouir par fon autorité.
Tous les traits remarquables de fa vie
réveillent des fentimens qui font naître
ou raniment dans les coeurs l'amour du
bien , & donnent au bonheur national
une confiftance que rien ne peut ébranler .
Le même rang qui donne les Rois en
fpectacle , a dir an célèbre Prédicateur
les propofe pour modèle . Leurs moeurs
forment bientôt les moeurs publiques .
On fuppofe que ceux qui méritent nos
hommages , ne font pas indignes de
notre imitation. La foule n'a point d'autres
loix que les exemples de ceux qui
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
commandent. Leur vie fe reproduit ,
pour ainfi dire , dans le public . La nation
Françoife fur tout , plus attachée à fes
Maîtres & plus refpectueufe envers les
Grands , ſe fait une gloire de copier leurs
moeurs , comme un devoir d'aimer leurs
perfonnes. On eft flatté d'une reffemblance
, qui , nous rapprochant de leur
conduite , femble nous rapprocher de
leur rang. Tour devient honorable dans
de grands modèles . Le Panégyrifte de
Louis XII , en rapprochant tous les traits
de fa vie , nous infpire le plus fort intérêt
pour un Prince dont la mémoire
a toujours été en bénédiction parmi les
François. Sa plus forte envie fut toujours
de les rendre heureux , & de mériter ,
par fon amour pour eux , d'en être furnominé
le Père. Cet éloge prouvera que
les fautes qu'on peut lui reprocher ont
été moins les fiennes que celles des circonftances.
Il ne courut oncques , dir S.
Gelais , du règne de nul des autres ,
, fi bon
semps , qu'il afait durant lefien.
Une nation , dit cet Auteur , ne pourra
jamais avoir une Hiftoire générale digne
d'attention , tantque fon rédacteur n'aura
point fous la main une biographie nombreufe
& choiſie de Rois , & d'hommes
MA I.
1775.
83
illuftres dans tous les exemples. L'Hiftorien
, emporté par une narration rapide ,
eft fouvent forcé de négliger des faits
très-importants , que le Biographe , au
contraire , a très -foin de raflembler. Le
mérite du premier eft de peindre à grands,
traits , de fondre habilement des faits
fouvent difparates , & de les enchaîner
avec un art imperceptible. Le fecond ,
dont la marche et plus tranquille , ne
perd jamais de vue fon Héros , & choifit
les circonftances les plus propres à faire
connoître les vertus & les vices qui le
caractérisent. Plutarque nous a laiffé des
modèles de ce genre d'écrire , qu'il n'eſt
fi aifé d'imiter . On doit defirer que
ceux qui ont des talens fe joignent à
M. Auffray , pour nous donner un cours?
complet de biographie , & nous mettre
fous les yeux des exemples propres à
réveiller le goût de la vertu..
pas
Code dufaux, ou Commentaire fur l'Ordonnance
du mois de Juillet 1737
avec des notes fur chaque article , une
inftruction pour les Experts , en matière
de faux , & un recueil des Edits ,
Arrêts & Réglemens , concernant les
peines contre les fauffaires ; par few
D vi
$4 MERCURE DE FRANCE.
!
M. Serpillon , Lieutenant- Général ,
criminel , honoraire & Confeillercivil
aux Baillage , Chancellerie , aux
Contrats &. Siége Préfidial d'Autup .
M. Le Chancelier d'Agueffeau , à qui
l'on doit cette Ordonnance , était intimement
perfuadé qu'il étoit auffi impor.
tant de régler la forme de la procédure ,
que de fixer des maximes certaines &
invariables , fur le fond des matières ; &
avouoit que le premier point étoit d'un
ufage plus fréquent & plus général que
le fecond. Les questions difficiles &
problématiques ne fe préfentent pas dans
toutes les affaires : mais il n'y en a aucune
, ni civile , ni criminelle , où la
régularité de la procédure ne foit néceffaire
; & la voie pat laquelle on parvient
à obtenir juftice , exige une attention
plus continuelle que le fond de la juſtice:
même.
Tel fut le principal objet que Louis
XIV fe propofa , dans les Codes , ou dans
les Ordonnances générales de 1667 , de
1669 , de 1670 ; ou dans d'autres loix
femblables qui regardent l'ordre judiciaire
, & qui ne contribuent pas moins
que fes autres actions à immortalifer la
gloire de fon règne.
MAI. 1773.
Mais il eft attaché à la condition humaine
de ne produire aucun Ouvrage où
il ne fe gliffe quelque imperfection : il
n'eft point d'efprit , quelque vafte qu'il
foit , qui puiffe tout prévoir ; & les Légiflateurs
les plus éclairés n'ont pas rougi
d'avouer qu'ils devoient plus fouvent au
fecours de l'ufage & de l'expérience ,
qu'à leurs propres réflexions . C'est cer
ulage & cette expérience , plus fûre que
les loix mêmes , qui ont montré qu'il
manquoit encore quelque chofe à l'en .
tière perfection des Ordonnances qui
ont établi les règles de la procédure ; &
c'eft par cette railon qu'on jugea à propos
d'en faire une revifion exacte , foit
pour en bannir toute obfcurité ou toute
équivoque , foit pour fuppléer ce qui y
manque en quelques endroits , foit enfin
pour effayer de fimplifier encore plus le
ftyle judiciaire , d'abréger la longueur
& de diminuer les frais de la procédure.
Comme il étoit impoffible d'embraffer ,
en même temps , toutes les parties d'un
projet ft étendu , & que les inftructions
criminelles font les plus importantes &
les plus privilégiées ; Louis XV crut qu'il
falloit commencer cet Ouvrage par un
nouvel examen de l'Ordonnance de 1670 ;
86 MERCURE
DE FRANCE
.
& , dans le grand nombre de matières
que cette Ordonnance contenoit , or
donna la préférence à ce qui regarde l'inftruction
du faux ; foit parce que la rédaction
des deux titres qui s'y rapportent n'a
pas été faite avec autant d'exactitude , de
diftinction & de détail qu'il auroit été
à defirer ; foit parce que les Juges , obligés
de fuppléer , par leur attention , ce
qui manquoit à ces deux titres de l'Ordonnance
, l'ont expliquée fi différemment
, ou quelquefois même avec fi peu
de fuccès , qu'il fe trouve peu d'inftructions
uniformes & régulières fur le faux.
Delà vient qu'il n'y en avoit preſque
point où l'on ne découvrît des défauts
effentiels , qui obligent les Tribunaux
fupérieurs à la déclarer nulle. Ce fut donc
pour prévenir tous ces Jugemens , que
M. le Chancelier d'Agueffeau travailla ,
fous l'autorité du Souverain , à la rédaction
de l'Ordonnance de 1637. M. Ser.
pillon , qui avoit étudié , toute fa vie ,
les loix criminelles , s'étoit fur tour appli
qué à éclaircir toutes les queftions que
avoient rapport au crime de faux ; le feub
contre lequel nous ayons confervé la voie
d'infcription que le droit Romain exigeoit
pour les plus grands crimes : c'eft ce qui
MA I. 1775. 87
a fait dire à Coquille , qu'en France nous
n'avons pas reçu la peine du talion , pratiquée
chez les Romains , finon en cas
de crime de faux , auquel l'infcription eft
requife ; & , par conféquent , qu'elle a
lieu, dans ce cas , contre le calomniateur
qui accafe.
Chymie Hydraulique, pour extraire les fels
effentiels des végétaux , des animaux ,
par le moyen de l'eau pure ; par M.
le Comte de la Garaye : nouvelle Edition
, revue , corrigée & augmentée de
notes , par M. Parmentier , Penſionnaire
du Roi , Maître en Pharmacie ,
ancien Apoticaire Major de l'armée
Saxone & de l'Hôtel des Invalides ,
Membre de l'Académie Royale des
Sciences , Belles Lettres & Arts de
Rouen , &c . & c. A Paris , chez Didot
le jeune , Libraire , quay des Auguſtins
.
La première édition de la Chymie Hydraulique
parut en 1746. M. le Comte
de la Garaye répandoit auparavant , dans
le Royaume , les remèdes qui prove
noient de fa nouvelle méthode : mais
le Roi ayant defiré que ces remèdes , dif
88 MERCURE DE FRANCE.
tribués dans le filence , fuffent rendus
publics , pour le bien de fes Sujets & de
l'humanité , l'Auteur fe rendit bientôt
aux voeux de Sa Majefté , & publia fes
expériences ; & l'on peut dire que jamais
homme ne porta à un plus haut degré ,
l'amour de l'humanité , le zèle du bien
public , la fenfibilité pour les malheurs
d'autrui , le defir de prévenir & de foulager
l'infortuné fouffrant . Auffi M. Parmentier
compare - t- il ce vertueux citoyen
à M. de Chamouffet ; & voici com
me il termine le parallèle qu'il en fait :
» Ces deux amis des hommes laiffent de
grands exemples à ſuivre ; j'oſe affurer
que leurs imitateurs , quoiqu'en difent
» les détracteurs du genre humain , ne
font pas auffi rares qu'on voudroit le
» faire entendre. Le fentiment de bien-
» faifance nous eft tellement naturel
"
qu'en France fur- tout , depuis notre
»jeune Monarque jufqu'au dernier de
» fes Sujets , l'humanité eft fûre d'avoir
fes partifans & fes protecteurs.
Cette nouvelle édition eft confidérablement
augmentée de notes. Dans la
multitude de celles qui nous ont paru les
plus intéreffantes , nous allons en citer
une , que nous prenons au hafard , afin
de faire juger du mérite des autres .
MA I. 1775 .
89
33
23
ม
:
לכ
Hen eft , fans doute , des fels appli
qués à l'extérieur , dit M. Parmentier
» comme de ceux que nous prenons inté
» rieurement ; c'eſt - à - dire que dans le
» nombre il y en a plufieurs qui ont
» un effet plus efficace & plus marqué ,
" que les plantes d'où on les a extraits :
» par exemple , il eft bien certain que le
» fel de Thymelea , pour parler le lan-
» gage de cette Chymie , ne produira
jamais une action aufi prompte , ni
» auffi vive , que le végétal lui - même
» dont l'ufage , comme topique ou exu
"
toire , eft en vogue , depuis que M. le
» Roi nous en a,fi bien démontré les
avantages , dans beaucoup de maladies
rebelles & difficiles à guérir. A
» ce fajet , je dois faire part d'une ob .
» fervation qui m'a été communiquée
» par une Dame aimable & aufli in-
» téreflante par les charmes de la figure ,
» que par les qualités du coeur & de
» l'efprit . Madame de B. qu'un tendre &
» folide attachement pour fon époux ,
» avoit condamnée , pendant plufieurs
» années , aux fonctions pénibles & défagréables
d'une garde malade affidue ,
» a remarqué que quand on fait fubir à
» l'écorce du Garou , ou Thymelea , une
"
90 MERCURE DE FRANCE.
"
préparation avant de l'employer, ce qui
» confifte à la mettre en macération dans
» le vinaigre , il en résulte quelques in-
» convéniens qu'on n'éprouve jamais ,
» lorfque , au lieu de vinaigre , c'eſt de
» l'eau dont on s'eft fervi . Voici comme
» Madame de B. explique l'action de ces.
» deux fluides fur l'exutoire en queſtion :
» deux fluid de
l'eau , dit - elle , difpofe & développe.
- » le principe médicamenteux qui va agir,
tandis que le vinaigre , au contraire ,
» l'émouffe & le bride , en occafionnant
» de plus , fur la peau , une forte de crif-
» pation qui en refferre les pores . J'ai eu
» occafion de vérifier fur le bras d'une
n
19
Dame , chère à fa famille & à fes amis ,
» qu'en effet cette explication étoit on
» ne peut plus jufte , & qu'il falloit , dans
» ce cas , donner la préférence à l'eau ;
» & cette circonftance me rappelle que ,
pendant la dernière guerre , j'ai vu
» fouvent que les cantharides que l'on
» met ordinairement avec du levain
» font agir avec moins d'énergie & de
» célérité , que fi l'on avoit pris pour
expédient une matière réfineufe . J'ai
déjà dit combien les acides affoiblif-
» foient les vertus des plantes purga
» tives ou vénéneuſes . On fait que
>>
39
MA I.
1775 . 91
»
"
les accidens funeftes , caufés par le
ftramonium , font combattus par les
» acides végétaux ; que le fue de citron
» eft une des fubftances les plus propres
» à modérer l'activité de l'Opium , & à
» remédier aux effets dangereux qui pro-
» viennent de l'abus qu'on en fait ; que
» l'oximel fcillitique & colchique opère
» différemment que ces racines bulbeufes
, prifes en fubftance ou en décoc-
» tion : mais , quoique les acides foient
» les plus puiffans correctifs de tous ces
végétaux , il faut cependant bien pren-
» dre garde de ne les adminiftrer qu'avec
» les plus fages précautions & les plus
grands ménagemens.
«
La manière diftinguée & éclairée , avec
laquelle M. Parmentier parle des Savans,
le ton fimple & modefte qu'il emploie
pour préfenter fes judicieufes réflexions ,
manifeftent l'homme honnête , le Phar
macien profond & le Chymifte inftruit .
Nous aurions defiré que M. Parmentier
inférât dans la Chymie Hydraulique la
differtation de l'eau de la Seine , qu'il
vient de publier , pour raffurer les habitans
de la Capitale , fur la falubrité
de leur boiffon ordinaire ; car quel Ouvrage
en étoit plus digne , que celui dans
92 MERCURE
DE FRANCE
.
lequel il eft queftion d'extraire de tous
les corps leurs principes les plus actifs , à
la faveur de l'élément aqueux ?
On trouve chez le même Libraire :
Gaubii Inftitutiones Pathologia ; Lugd.
Bat. 1774 , in - 12 . Prix , 3 liv . relié. "
Le même délivre actuellement les
tomes 2 & de l'Hiftoire des Infectes
de M. de Réaumur , in- 4 . aux conditions
du Profpectus.
La France Illuftre , ou le Plutarque Fran
çois contenant l'hiftoire des Géné
raux , des Miniftres & des Magiftrats :
par M. Turpin . Vol. in - 8 . A Paris ,
chez l'Auteur , porte Saint Jacques
& chez Lacombe , Libraire , rue
Chriftine.
Un homme d'efprit interrogé lequel de
tous les livres de l'antiquité il voudroit
conferver, s'il ne pouvoit en obtenir qu'un
ſeul : les hommes illuftres de Plutarque, ré.
pondit-il. Il n'y a peut- être point, en effet ,
de livres plus propres à foriner les hommes
, foit pour la vie publique , foit pour
la vie privée. M. Turpin , en prenant
MA I. 1775• 93
Plutarque pour modèle , s'eft auffi propofé
le même but. Il omettra plufieurs
détails peuintéreffans , pour s'occuper plus
particuliérement des traits de caractère ,
de moeurs ou de paffions , qui non feument
peignent l'homme , mais fervent
encore de leçons au lecteur. On doit , de
plus , regarder l'Ouvrage que M. Turpin
entreprend aujourd'hui , comme un mo
nument élevé à la gloire de la Nobleffe
Françoife , & de tous ceux qui ont bien
mérité de la nation , par leurs travaux
publics ou privés. Un pareil monument
ne pourroit- il pas remplacer les ftatues
ou les trophées que les anciens avoient
coutume d'ériger à la gloire de leurs grands
hommes ?
Chaque cahier de la France illuftre
fera décoré du portrait du Guerrier , du
Magiftrat ou de l'Homme public , dont
M. Turpin donnera l'hiftoire . La compa
raifon que le lecteur pourra faire des
traits tranfmis pan la gravure , avec le
portrait tracé par l'Hiftorien , fixera celuici
dans la mémoire , tandis que l'autre fe
peindra dans l'imagination . Quel lecteur
d'ailleurs ne prendra plaifir à contempler
les traits de phyfionomie de , celui
dont l'Hiftorien lui peindra l'ame & le
94
MERCURE DE FRANCE.
caractère. M. Turpin invite donc les Familles
à lui confier les portraits de leurs
ancêtres , pour en perpétuer les traits par
le fecours du burin . C'eſt un hommage
qu'elles rendront à leur mémoire ; c'eſt
une complaifance pour le public , qui
aime à contempler les traits des bienfaiteurs
de la patrie , dont il lit les actions .
Il feroit auffi à defirer que Meffieurs des
Etats-majors vouluffent bien communiquer
à l'Hiftorien les traits qui peuvent
relever la gloire de leurs Corps , afin
qu'il en foit fait ufage dans l'occafion.
Les Ecrivains Grecs & Romains ont cor.
rigé la féchereffe de leur fujet , en tirant
de l'oubli une infinité d'actions héroïques
, faites par de fimples Légionaires.
Ces faits particuliers font propres à entretenir
la valeur nationale. Le Militaire
à qui l'on rappelle la gloire que fon Régiment
s'eft acquife dans une action , ſe
forme une plus haute idée de fon métier.
Cette collection renfermera pluſieurs
traits qu'il pourroit lire avec fruit.
Le degré de perfection que l'Auteur
fe propofe de donner à cette entrepriſe ,
en rend l'exécution difpendieufe ; mais
étant faite pour occuper une place dans
les cabinets de livres les mieux choifis ,
MA I. 1775. 95
il n'a été rien épargné pour affurer fa
deftinée. Le prix , pour chaque année ,
fera de 30 liv . franc de port , pour les
abonnés ; & de 36 liv. pour ceux qui ne le
font point. L'Auteur s'oblige à donner
pour étrennes, à fes abonnés, un treizième
cahier qui contiendra la vie des Littérateurs
& des Artiftes contemporains des
grands hommes dont il aura donné l'hiſtoire
pendant l'année . Les grands hommes
, dont il fera mention cette année ,
formeront une hiftoire complette du rè
gne de Louis XV.
N
Le premier cahier de cette importante
collection vient de paroître ; il nous offre
le portrait & l'hiftoire du Maréchal de
Saxe. Quoique Maurice , Comte de
» Saxe , foit né , nous dit l'Hiftorien ,
» dans une terre étrangère , la France
qu'il adopta , & qu'il rendit triom-
» phante , a droit de l'infcrire dans fes
» Faſtes & de le compter parmi fes Héros .
» La patrie du grand homme eft le pays
qui fut le théâtre de fa gloire,
"
.93
Maurice , né à Drefde , le 19 Octo-
» bre 1696, fut l'unique fruit des amours
» d'Augufte II , Electeur de Saxe , & de
» la Comteffe de Conifmarck , Suédoife ,
» qui comptoit des Miniftres & des He
$6 MERCURE
DE FRANCE.
®)
33
ros parmi les ancêtres ; fa beauté fut le
moindre des dons qu'elle reçut de la
» nature ; fupérieure à fon fexe , par l'affemblage
de tous les talens qui forment
» le grand homme , l'Europe l'eût comp
tée parmi fes premiers Souverains , fi
la naiffance l'eût appelée au gouverne
» ment d'un Empire : mais fi elle n'eut
» point de Couronne , elle eut du moins
» la gloire d'affervir un grand Roi . Née
» tendre & fenfible , fes foibleſſes femblent
avoir été anoblies & par celui
qui en fut l'objet , & par celui qui en
étoit le fruit. Augufte étoit le Prince le
plus accompli de fon fiècle ; Maurice
» devint le Héros du fien . Les demi-
» Dieux de l'antiquité ont eu une tache
originelle . La naiffance d'Hercule n'a
» point flétri la mémoire d'Alc mène ; on
refpecta des erreurs & des fautes dont
on retiroit le fruit , & le merveilleux
» les confacra.
و د
39
93
"
» Les premiers penchans de Maurice
» fe manifeftèrent pour la guerre. Les
,, exercices militaires furent les feuls
>> amuſemens de fon enfance ; un beau
cheval excitoit fes tranfports , & fon
unique paffion étoit de le dompter : à
Pexemple d'Achille à Scyros , il s'élan
» çoit
MA I. 1775 . 91
99
19
çoit avec enthoufiafme fur des armes ,
» pour en examiner la forme & en effayer
la trempe . Contempteur dédaigneux de
» toutes les frivolités qui captivent l'en-
» fance , il fembloit parvenu à la matu-
» rité , fans le fecours du temps . L'édu-
» cation Allemande a quelque chofe de
plus viril que la nôtre ; nous abandon-
" nons l'enfance & la jeuneffe à des Hif-
و د
trions plus propres à former des Héros
» de théâtre , qu'à donner des défenfeurs
» à la patrie : preflés de jouir , nous difpenfons
les jeunes gens d'être effentiels ;
» il nous fuffie qu'ils foient aimables.
,, Mais heureufement nous commençons
» à nous appercevoir de nos erreurs.
"
Ce fut contre la France que Maurice fic
fon apprentiffage ddee guerre
, à l'école
d'Eugène & de Malbouroug , Généraux
bien dignes de former un pareil Elève.
L'Hiftorien fait , à ce fujet , une réflexion
fur les jeux de la fortune , qui fe plaît à
tromper la prévoyance humaine. Eugène
né en france , & dédaigné par elle , en
devient la terreur. Maurice , né en Allemagne
, y apprend l'art de vaincre ; il fait
l'effai de fes talens militaires contre la
France , & en devient dans la fuite le
foutien.
E
98 MERCURE
DE
FRANCE
.
L'Hiftorien , fans entrer dans le détail
des expéditions militaires du Comte de
Saxe , n'omet cependant rien de ce qui
peut affurer à ce Général la gloire d'avoir
été le plus grand Capitaine de fon fiècle .
La célèbre victoire de Fontenoi fut due
principalement à fa vigilance & à fa capacité.
Ce Général cependant étoit alors
prefque mourant . Il fe fit traîner dans une
voiture d'ofier, pour vifiter tous les poftes.
Pendant l'action , il monta à cheval ; fon
extrême foibleffe faifoit craindre , à tout
moment, qu'il n'expirât : c'eft ce qui fir
dire au Roi de Pruffe , dans une Lettre
qu'il écrivit , long- temps après , » qu'agi-
» tant , il y a quelques jours , la queftion
39
de favoir quelle étoit la bataille de ce
» fiècle qui avoit fait le plus d'honneur
» au Général , les uns avoient propofé
» celle d'Almanza , & les autres celle de
Turin ; mais qu'il étoit d'avis que c'étoit
» celle qu'un Général , à l'agonie , rem-
» porta fur les ennemis de la France.
Maurice a étendu les limites de l'art
de la guerre ,
guerre , non feulement par fes travaux,
mais encore par un Ouvrage inftructif,
qu'il appeloit modeftement
fes rêve.
ries. C'est ce dont le lecteur pourra fe convaincre
, en lifant cette hiftoire ; & après
OTHEQUE
DE
LYON
/
3931
MA I. 1775. 99
HELTE
DE
LA
VILLE
avoir vu ce grand homme à la tête des
armées , il prendra fans doute plaifir à
le fuivre avec l'Hiftorien , prefque dans
l'intérieur de fa maiſon , à l'examine LYON
dans fon déshabillé , à prêter l'oreille
*1893 *
fes converfations les plus familières. Ce
Général , habile à pénétrer dans les coeurs,
recherchoit la valeur modefte , pour l'em .
ployer , & refufoit fa confiance à ces fanfarons
, toujours empreflés à demander
fes ordres pour marcher à l'ennemi. » Ces
» charlatans , difoit- il , reffemblent au
» cheval de bronze, qui a toujours le pied
» levé & qui ne marche jamais.
Quand on lui propofoit une attaque où
il falloit facrifier quelques foldats : » Dif-
» férons, répondoit il , de quelques jours ;
» le plus beau fuccès eft celui qui coûte le
» moins de fang ; un Grenadier m'eft
précieux , il faut vingt ans pour le remplacer.
"
H
La confiance dont l'honoroit le Monarque
lui attiroit une foule d'importuns
, qui follicitoient des grâces. Incapable
de tromper par de fauffes promeffes ,
il leur difoit avec ingénuité : » Meffieurs,
je ſuis bien le maître de faire caffer des
jambes & des bras ; je les épargne ,
quand je puis : mais je ne difpofe pas
">
"
"
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
des grâces du Roi ; je rendrai fimple-
» ment témoignage des fervices que vous
» avez rendus ". Il eft vrai que fa recommendation
étoit rarement ftérile .
;
Le Maréchal de Saxe penfoit que les
fpectacles & les fêtes étoient propres à
' diftraire le foldat de la réflexion fur les
dangers & les fatigues de fon métier
ainfi il eut ſoin de faire naître , dans fon
armée , la gaieté qui régnoit dans fon
coeur. La veille d'une bataille , il avoit
toujours un spectacle à donner ; & à peine
étoit - on forti de la fêre , qu'il falloit
marcher à l'ennemi. Obfervateur rigide
de la difcipline , il vouloit qu'on en rempérât
la rigueur par le ton de l'affabilité.
Le Major d'un Régiment , qui ne favoit
fe faire obéir qu'en maltraitant le foldat ,
reçut un coup de balle à la cuiffe , dans un
exercice à feu . Ce crime excita une grande
rumeur . Le Maréchal ſe rendit chez le
bleffé & dit , en préſence de beaucoup
d'Officiers : Voilà comme le foldat
» François paye les coups de canne qu'on
», lui donne par humeur..
Quoique le Maréchal de Saxe ne fût
point infatué de la chimère de la naiffance,
& qu'il reconnût dans les hommesune
égalité établie par la nature , & qui ne deMA
I. 1775: 101
"
voit être dérangée que par l'inégalité des
talens , il ne pouvoit fupporter ceux qui
s'oublient ; il vouloit que tout fut en
fa place . On lui reprocha fouvent de prof
tituer fa confiance , à des perfonnes d'une
réputation équivoque : Que voulez-
» vous , répondoit il ; on les chaffe par
» la porte , ils rentrent par les fenêtres
" tous les gens de ma forte font exposés à
» la féduction . D'ailleurs il eft certaines
perfonnes dont on peut exiger des fervi
» ces , que d'autres plus délicates refuſe-
» roient de rendre. Je les prends pour ce
» qu'ilsfont ; il faut tirer parti des moin-
»
» dres atomes. 33
Il connoiffoit parfaitement la mefure
de fes talens . Convaincu qu'il étoit plûtôt
né pour conquérir que pour gouverner ,
il s'abftenoit de toute difcuffion fur les
mystères de la politique. Il étoit encore
plus réfervé à parler de guerre avec ceux
dont il ne pouvoit tirer aucune inftruc
tion . Une femme , qui jouiffoit alors de
la plus haute faveur , exigea fon fecret fur
les opérations de la campagne qu'il alloit
entamer. Il crut que cette complaiſance
feroit une foiblefle ; & , fur fon refus ,
cette femme irritée jura d'être fon, éter
nelle ennemie. Le Maréchal en rendit
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
compte au Roi , qui fit éclater fon mécon
tentement par de juftes menaces . C'étoit
le préfage d'une difgrâce que la favorite
crut devoir prévenir ; & , pour en dérober
l'éclat au public , elle envoya prier le
Maréchal de fe rendre avec elle à l'Opéra.
Il fut exact à l'invitation ; & , en l'abordant
, il lui dit : » Oh ! Madame , pour
» ces fortes de chofes , je ferai toujours à
» vos ordres.
Le Comte de Saxe avoit un tempérament
ardent qui le livroit aux femmes ;
mais , peu conftant dans fes goûts , il ne
cherchoit qu'à les varier , & fouvent fans
beaucoup de délicateffe. Ses paffions pou
voient même être regardées comme les
faillies paffagères d'un coeur facile à s'en-
Aammer & à s'éteindre . Une aventure ,
rapportée par fon Hiftorien , le prouve
aflez. Mademoiſelle Lecouvreur , célèbre
Actrice du Théâtre François , qui aimoit
le Comte de Saxe & en étoit aimée , inftruite
de la fituation critique de fon
amant , lors du féjour qu'il fit en Courlande
, pour faire valoir fes prétentions
fur ce Duché, avoit , en fa faveur , fait le
facrifice de tout fon mobilier . Lorsque le
Comte revint à Paris , la reconnoiffance ,
fous le nom de l'amour , le conduifit
MA I. 1775. 103
chez Mademoiſelle Lecouvreur . Il ne fe
donna pas le temps de défaire fes bottes ,
ni de réparer le défordre d'un long voyage .
C'étoit , dit l'Hiftorien , un Tartare qui
fembloit revenir d'une courſe . L'Héroïne
de théâtre étoit retenue dans fon cabinet ,
pour des affaires preflées . Se trouvant feul
dans l'appartement , il apperçoit fur la
cheminée , une Lettre écrite par un amant
favorifé , qui fe lamentoit fur le retour
d'un rival qui alloit le fupplanter. Il y
avoit ces mots , dans cette douloureufe
complainte:»Comment ferons nous pour
» nous revoir ? Je laiffe à l'amour & à
» votre coeur le foin d'en ménager les
» moyens ". Le Comte , moins affligé
que furpris de fa défaite , voit entrer fon
amante infidelle qui fe jette dans fes
bras , avec un épanouiffement de joie qui
en eût impofé à un amant moins inftruit.
Le Comte , au lieu d'éclater en reproches
vulgaires , recoit fes careffes avec tranfport
; mais craignant de lui laiffer appercevoir
un dépit fecret , il lui dit : » Il faut
que je vous quitte , pour reparoître
» dans un état plus décent ; dans un mo-
» ment je fuis à vous » . Il la quitte ; & ,
au lieu d'aller chez fon baigneur , il ſe
rend chez fon rival , furpris d'une pareille
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
vifite ; il lui propofe de monter dans un
fiacre avec lui . Cette invitation reffembloit
à un appel fur l'arène : il fut accepté.
La furpriſe fut encore plus grande , lorf
qu'il vit qu'on le menoit chez Mademoifelle
Lecouvreur , à qui le Comte dit ,
en l'abordant : » Ma Tourterelle , vous
» ne ferez plus embarraffée des moyens
» de revoir Monfieur ; le voilà , c'eſt moi
» qui vous l'amène ; c'eſt au vaincu à
» couronner le vainqueur «. L'amante
confondue pleure , gémir , & veut héroïquement
fe poignarder. On l'arrête , &
on lui promet fon pardon. Le Comte
étoit lui- même coupable de trop d'infi.
délités , pour ne pas excufer les foibleffes
des autres ; affuré de trouver partout des
dédommagemens , il ceffa d'être fon
amant , fans ceffer d'être fon ami.
Nous omettrons plufieurs autres traits , ou
anecdotes propres à nous faire connoître
le Maréchal de Saxe ; afin de mettre ſous
les yeux de nos lecteurs le portrait que
P'Hiſtorien nous a tracé de fa perfonne,
"
"
Maurice , Comte de Saxe , étoit d'une
» haute taille . Sa force femble juftifier
» tout ce que les Grecs exagérateurs ont
» publié de Milon le Crotoniate . Il rom-
» poit un fer à cheval , fans efforts : on l'a
MAI. 1775 : 105
» vu plufieurs fois tortiller de gros clous
» avec les doigts , & en faite un tire-
» bouchon . Il fut infulté , dans les rues
» de Londres , par un boueur ; il le faifit
" par le chignon & lejeta fur fon tombereau
dégouttant d'une boue liquide. Son
» tein baſané , les fourcils noirs & épais
» lui donnoient un air dur , qu'il tempé
» roit par un fourire gracieux . Il fuffifoit
» de le voir , pour deviner qu'il étoit né
pour la guerre . Alexandre envioit à
» Achille le bonheur d'avoir eu un hom-
» me pour tranfmettre les actions héroï-
» ques à la poſtérité ; le Maréchal de
» Saxe , auffi grand & plus heureux que
» le Héros Macédonien , a eu M. Thomas
» pour panégyrifte ,
"
"
L'hommage le plus glorieux , rendu à
fa mémoire , eft celui de ces Grena-
» diers , qui , paſſant à Strasbourg , aigui
sèrent la lame de leur fabre fur fon
» tombeau. Cet enthouſiaſme nous rap-
» pelle l'admiration dont les Turcs , à la
» prife de Croya , furent faifis pour Scan-
» derberg , autrefois leur vainqueur. Ils
tirèrent fon corps du tombeau , pour
lui rendre des honneurs funèbres dignes
❞ d'un Héros . Les uns lui enlevèrent fon
cafque , les autres fon bouclier & fon »
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
>>
99
épée , dans la confiance d'être invinci
» bles en portant ces armes triomphantes.
» Ils hachèrent tout fon corps , pour en
faire des reliques : ceux qui lui coupèrent
les parties naturelles furent perfuadés
que leurs enfans feroient auffi
braves & auffi vigoureux que lui . Les
» Hymnes de la victoire , chantés par le
peuple & le foldat , font le plus beau
» Panégyrique d'un Général .
"
"
Cette Hiftoire , & celles du Maréchal
de Choifeul & du grand Condé , que M.
Turpin a ajoutées à la fuite des Vies des
hommes illuftres de France , publiées par
l'Abbé Perau , font un fûr garant de l'intérêt
que l'on doit efpérer de trouver dans
la collection que nous venons d'annoncer.
M. Turpin , qui a débuté dans la carrière
de l'Hiftoire , de la manière la plus honorable
, fait , par l'énergie & la dignité
de fon ftyle , foutenir la noble fonction
d'Hiftorien .
* Adonis. Imitation du chant huitième
de l'Adoné du Cavalier Marin : à Lon
dres ; & fe trouve à Paris , chez Mufier
Les deux articles fuivans font de M. de
ba Harpe.
M A 1. 1775 . 107
fils , Libraire , rue du foin St Jacques.
» On a tâché , dit le Traducteur , dans
» fon avertiflement , de mettre dans cette
» imitation une fuite & des liaiſons qu'on
» chercherait vainement dans l'Original ;
» on a même pris la liberté d'y ajouter
plufieurs idées. Mais quelques change-
» mens , quelques tranfpofitions qu'on ait
» été obligé de faire , les lecteurs y recon
» noîtront fans peine le génie Italien . Si
» cet effai de traduction , ou plutôt d'imi-
≫tation très-libre , a le bonheur de plaire,
» on pourra donner tous les chants de
» l'Adoné , par morceaux détachés , dans
» le même goût que celui - ci ; c'eſt - à - dire
» qu'on ne faifica dans ce Poëme , que
» ce qu'il renferme de plus agréable , &
qu'on laiffera de côté toutes les lon-
» gueurs , tous les petits détails , tous les
» concetti qui déparent cette production
» trop ingénieufe, difons le mot, trop Ita-
» lienne. Par ces retranchemens indiſpen
fables , il très bien arriver que
pourra
* de trois ou quatre chans du Cavalier
» Marin , on n'en faffe qu'un feul : ainfi
» le public n'a point à craindre qu'on le
furcharge d'un Ouvrage volumineux .
» On ne confultera dans ce travail , que le
و د
39
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
"
génie de notre langue & le goût de notre
» nation . Ces parties féparées feront im-
» primées dans le même format , avec
» les mêmes embelliffemens & le même
» caractère Typographique , que celle
qu'on fait paroître aujourd'hui .
L'Adoné eft un Poëme en 24 chants ,
le plus confidérable des Ouvrages de J.-
Baptifte Marini , célèbre poëte Italien ,
que nous appelons le Cavalier Marin. Son
Poëme d'Adonis pèche par le défaut d'ac
tion , par la prolixité & la monotonie
des defcriptions ; mais il eft femé d'idées
fines & délicates , & de peintures volup
tueuſes . Nous en citerons quelques morceaux
, qui fuffiront pour faire connaître
le génie du poëte Italien , le ton de
l'Ouvrage & le ſtyle de l'Imitateur.
Vénus , dans le huitième chant , fe préfente
aux regards d'Adonis , au moment
où il s'éveille . Elle l'enlève fur fon char
& le conduit àPaphos.Voici la defcription
du Palais de la Déeffe .
» Qui pourroit décrire ce Palais enchan-
» teur ! La Flatterie , qui fe tient fur le
» feuil de la porte , attire les jeunes étrangers
; la Vanitéleur fait un riant accueil ;
» la Confiance encourage les plus timides ;
la Richeffe, vêtue d'un habit de pourpre,
MA I. 1775 . 109
"
22
33
» étale devant eux tous les tréfors ; la
» Promeffe engageante les prend par la
main ; & la Gaieté, au vilage riant , les
» accompagne. Les Soupirs y font des ha-
» leines de feu ; le Regard eft coquet ; le
Sourire , agaçant ; les Jeux courent
» embraffer les Plaifirs ; les Charmes le
jettent dans les bras des Amuſemens ; la
» Joie chaffe loin d'elle les foucis incommodes,
& folâtre fans ceffe ; l'Amou
reufe Penfée , le front baiffé , eft toute
» entière à l'objet qui l'occupe : la Prière ,
à genoux , demande du relâche à la
» Douleur ; & la Paix , à la Guerre . Le
Gefte , meffager muet du Defir , fe fait
» entendre ; le Baifer préfente fes lèvres
» & fe fond dans un baiſer ; la Langueur
» fe repofe à chaque pas ; le Sommeil la
» fuit , avec un front appefanti , & le fou
tenant à peine. La troupe des Songes
`voltige autour de lui , les uns parés de
Aleurs , les autres couverts de ciprès ; le
Myflère eft enveloppé d'un voile prefque
impénétrable. On ne peut l'appercevoir
» que dans l'ombre de la nuit ou dans l'épaif-
» feur des forêts. Chaque jour il s'enrichit
des
pertes de l'Indiferétion. La Complaifance
facile prévient fes goûts ; les Soins
» obligeans compofent fon cortége ;
33
39
"
ود
"9
23
"
"
99
110 MERCURE DE FRANCE.
» la Jeuneffe fait des couronnes de lys , &
» treffe avec des rofes les boucles de fes
» cheveux . La Beauté , les Grâces , les
39
»
"
Agrémens & les Charmes fe tiennent par
» la main ; l'aimable Folie danſe au milieu
d'eux ; l'Espérance flatteufe & perfide les
» fuit , avec le Defir plein d'agitation .
L'Occafion ne fait que fe montrer &
difparoître ; elle a peur qu'on ne lui fai-
» fiffe le toupet de cheveux qu'elle a fur
» le front. L'Audace tremble elle- même,
» au premier larcin qu'elle fait . La Li-
» cence porte fes mains téméraires fur tout
» ce qui fe préfente ; l'adroite Tromperie
» & l'ingénieux Menfonge , tous deux
mafqués , fe promènent enfemble. La
» Fraude couvre de fleurs les ferpens de
fon horrible chevelure ; une voix douce ,
un fourire agréable , cachent le venin
» de fa langue. Les Sermens faux , ou in
» fidèles , s'envolent avec des ailes légères,
» font répandus dans les aits . Les Soupirs,
» les Sanglots entrecoupés , la Crainte ,
» au regard abbattu , marchent fur les
» pas de la Colère , fi facile à appaifer.
99
Ce dernier trait de la colère facile à
appaifer eft peut- être le plus heureux de
tous , parce qu'il eft le plus vrai &le plus
naturel.Il y en a quelques autres qui ont
MA I. 1775 . III
de la fineſſe & de l'agrément. Mais d'ailleurs
quel abus d'efprit ! Que cette profufion
d'allégories eft froide & de mauvais
goût ! C'est bien là que les figures
font l'oppofé de la Poéfie . Combien le
feul morceau de la ceinture de Vénus ,
dans Homère, eft fupérieur à tout ce clinquant
du bel- efprit moderne ! Comme
toute figure devient un défaut , dèsqu'elle
ne préfente pas un grand fens , ou
une image vraie & frappante ! Qu'impor
te que les Charmes fe jettent dans les bras
des Amuſemens , & que les Jeux embraffent
les Plaifirs ? Et quelle idée de faire
marcher les Sanglots fur les pas de la
Colère ! Comparez à ce morceau , qui n'eſt
guère qu'un amas de défauts brillants , le
temple de l'amour dans la Henriade ; &
voyez combien on retrouve le goût antique
, le génie de la belle Poéfie , dans ce
Poëme, que l'envie & l'ignorance ont accufé
fi fouvent de n'être qu'un monument
de bel - efprit.
Le repentir les fuit , déteftant leurs fureurs ;
Et baiffe , en foupirant , les yeux mouillés de
pleurs.
On croit revoir dans ce tableau celui
112 MERCURE DE FRANCE .
des prières qui fuivent l'injure , dans le
neuviéme livre de l'Iliade. Oppofons cependant
à ces défauts deMarini quelques
traits , dans lefquels il fe rapproche plus
des anciens, & , par conféquent, de la belle
nature. Il peint Vénus irritant les défits
d'Adonis.
ן כ
"
» Elle s'étoit un peu enfoncée dans le
bofquet , comme par modeftie , de ma
» nière cependant qu'on pouvoit la voir à
travers le feuillage. Qui connaît mieux
» que Vénus l'art d'irriter les yeux ! Elle
» fe montre & fe cache tour- à- tour . On
s'apperçoit même qu'elle rougit. Tous
» fes geftes , toutes fes atitudes , tous fes
» mouvemens formés à deffein ſemblent
» l'ouvrage de la timide retenue . Cette
pudeur enfantine , cet embarras qui
paraît ingénu , lui prêtent de nouveaux
» charmes . Tous les arbriffeaux empreffés
» fe difputent l'honneur de l'ombrager.
» Ils étendent , ils penchent leurs ra-
» meaux à l'envi , moins pour la parer
» des rayons curieux du Soleil , que pour
» s'en approcher eux-mêmes de plus près
» pour l'embraffer & la careffer. Leur
» féve , autrefois vagabonde', fe préci-
» pite aux extrémités des branches qui
» touchent la Déeffe. On vit même un
ود
و د
و د
7
MA I. 1775. fiz
» jeune hêtre qui , ne pouvant renfermer
» le plaifir qu'il reffentait , poufla des
» boutons & devint plus touffu » .
Quelle différence de ce morceau , vraiment
poëtique , à celui que nous venons
de blâmet ! c'est ici que l'imagination eft
heureuſement employée . Ce n'eft plus
une foule d'êtres moraux & métaphyfiques
ridiculement perfonnifiés ; c'eft Vé
nus , c'eſt la Déeffe du plaifir animant
tout ce qui l'approche . Les arbres , les
eaux , tout reffent de l'amour pour elle.
Non-feulement il y a de l'intérêt dans
ces fortes de fictions , qui nous rappellent
les idées qui plaifent le plus à notre
fenfibilité ; mais il y a même une forte
de vérité convenue. La mythologie , dont
nous avons adopté les inventions aimables
, peuplait tous les élémens d'êtres .
fenfibles ; ainfi notre imagination ne fe
révolte point de voir les feuilles des
arbres fe pencher amoureuſement vers la
Déeffe de l'Amour , de voir les flots la
careffer & s'empreffer autour d'elle . Cette
image du jeune hêtre qui pouffe des boutons
& devient plus touffu , eft charmante
& dans le goût des Anciens . Comme
en effet rien ne reffemble plus à la ſenfibilité
physique que la végétation , les'
114 MERCURE DE FRANCE.
fables qui uniffaient une Dryade à un
chêne , & faifaient habiter les Sylvains
dans les forêts , avaient l'avantage d'amufer
l'imagination fans trop bleffer le bon
fens.
Rien n'eft beau que le vrai , le vrai feul eft aimable;
Il doit régner par -tout & même dans la fable.
On a bien fouvent cité ces vers , parce
qu'ils ont un grand fens ; on les a plus
fouvent oubliés , parce que le bon goût
eft fort rare. Le Cavalier Marin a péché .
encore contre ce bon goût , même dans
le morceau que nous venons de louer
en donnant aux rayons du Soleil l'épi .
thète de curieux. Quelle idée froide &
bizarre de perfonnifier un rayon ! c'eft
cette comparaifon du bon & du mauvais
à côté l'un de l'autre , dans un même
Auteur & dans un même morceau , qui
peut fervir à former le goût . Les bonnes
traductions , qui nous font connaître la
Littérature ancienne & étrangère , font ,
en ce fens , de très- grands fervices rendus
à la nôtre Quoique l'Adoné ne foit
pas un bon Ouvrage , il n'eft pas fans
mérite , & la traduction qu'on nous an-.
MA I.
1775. 115
nonce peut être utile , & fera connaître
de plus en plus le génie des Italiens ,
même en s'écartant un peu de l'original .
Cette verſion eft élégante en général ;
mais le Traducteur devrait faire attention
à rejeter certains mots néceflairement
exclus de la langue poëtique ,
comme celui de toupet , que nous avons
remarqué
, comme lorfqu'il met des
draps dans le lit de Vénus ; ces fortes de
fautes font faciles à éviter.
Les Converfations d'Emilie. A Léipfic ;
& le trouve à Paris , chez Piffot , Libraire
, quai des Auguftins , près la rue
Gît le coeur.
C'eft une vérité qui n'a été reconnue
qu'un peu tard , que les livres élémentaires
ne peuvent être bien faits que par
des perfonnes fort fuperieures à ce genre
de travail. Il faut pofféder très - bien une
matière pour n'en offrir que les résultats
les plus intéreffans ; il faut beaucoup de
jufteffe d'efprit pour les faifir , beaucoup
de méthode pour les préfenter , beaucoup
de goût pour écarter l'inutile. C'eſt par
toutes ces raifons ( pour le dire en paffant
) qu'un bon Journal ne peut être
116 MERCURE DE FRANCE .
l'ouvrage que d'un homme de lettres trèsdiftingué
par fon efprit & fes talens .
Chargé de former le goût de fes lecteurs ,
comment fera til , s'il n'en a pas luimême
, ce qui arrive le plus fouvent ?
Et quelle grâce aura t-il à parler d'efprit
& de ftyle , s'il écrit comme un pédant
ennuyeux ou comme un fatirique grof
fier ?
Les converſations d'Emilie font un livre
de morale élémentaire,à la portée d'un en.
fant; mais il eft compofé de manière à être
lu avec plaifir par des hommes inftruits .
Il y règne une fimplicité aimable , qui
infpire le goût de la vérité & de la vertu .
La tendreffe & la vigilance maternelle ,
jettent de l'intérêt dans les converſations
d'Emilie avec fa mère. On aime à voir
une femme, qui paraît d'un efprit trèsfage
& très cultivé , defcendre juſqu'à
celui d'un enfant , pour l'élever , peu àpeu
, jufqu'au fien ; on fuit les progrès
de l'inftruction dans une âme neuve &
docile , à qui l'on fait concevoir & fentir
fucceffivement tous les principes de morale
qui fondent la fociété & en établiſ,
fent les rapports . Ces principes ne font
pas prolixement étalés , de manière à
infpirer l'ennui. La mère , attentive &
MA I. 1775 117
fage , qui fait que les enfans ont com.
munément l'efprit jufte , & qu'il ne s'agit
que de leur préfenter un objet à propos
pour le leur faire faifir de manière à
n'être pas oublié , fait toujours naître
une occafion pour enfeigner une vérité ,
& même la rend fi palpable , que c'eft
l'enfant qui a l'air de la découvrir . Tel
eft le louable artifice qui règne dans ces
dialogues , & que quelques exemples .
cités feront mieux connaître .
La mère veut faire fentir le ridicule
trop commun de mettre dans la tête des
enfans des mots qu'ils ne comprennent
pas , & dont l'explication tient à des
connaiffances trop élevées , au - deffus de
leur âge & de leur raifon . C'eſt le fujet
de la cinquième converfation.
EMILIE .
Maman , maman , embraffez-moi .
LA MERE.
T
Très volontiers. Vous me direz fans
doute pourquoi.
EMILI E.
Oui , maman , c'eft que je le merite
118 MERCURE DE FRANCE.
bien. C'eft que je fuis bien favante à
préfent. Je fais trois chofes de plus.
LA
MERE.
Trois chofes ! mais vraiment c'eft beaucoup
de chofes. Et font-elles belles ? fontelles
utiles ?
EMILI 1.
Vous allez voir , maman . C'eft que je
fais qu'il y a quatre élémens , le feu ,
l'eau , la terre & l'air.
Bon !
LA
MERE..
EMILIE .
Oui , maman , c'eft très- vrai . Et puis,
élément veut dire principe qui fait agir.
Vous voyez que j'ai bien retenu . Mais
ce n'eſt pas tout.
Eh bien !
LA
MERE.
EMILIE .
Tenez , maman , écoutez. Il y a trois
chofes encore qu'on appelle les trois règnes
; le règne végétal , que vous avez
MA I.
1775. 119
eu la bonté de m'expliquer l'autre jour :
ce font les fruits , les arbres , tout ce qui
fe féme ou fe plante ; vous favez bien ?
& puis le règne minéral , qui font les
pierres , l'or , l'argent , le fer , qu'on appelle
mines , & qui fe forment au fond
de la terre ; & puis le règne animal , qui
font tous les animaux les bêtes , les
poiflons , les oifeaux & les hommes : &
voilà de quoi tout le monde eft compofé.
>
LA
MERE.
Et c'eft pour cela qu'il a fallu vous
embraffer ?
EMILI E.
Oui , fûrement ma chère maman ;
eft-ce que vous n'êtes pas bien aife , bien
contente de moi ? Je fais tout ce qu'il y
a dans le monde à préſent.
LA MER E.
Vous croyez cela ?
EMILIE.
Mais , oui , maman. Eft- ce qu'il y a
encore autre choſe ?
120 MERCURE DE FRANCE .
LA MERE.
Et à qui avez - vous l'obligation de
cette belle fcience ?
EMILIE.
Maman , j'aurai l'honneur de vous le
dire. Mais dites-moi donc , ma chère
- maman , fi vous n'êtes pas bien contente
de moi.
LA MER 1.
Je le fuis de votre émulation & du
plaifir que vous avez en croyant m'en
avoir fait. Je vous en fais très- bon gré ;
je vous en remercie même , parce que
cela me prouve , que vous cherchez à
me plaire . Mais , ma chère enfant , G
vous voulez me faire un bien plus grand
plaifir encore , il faut oublier tout cela .
EMILI E.
Pourquoi donc , maman ?
LA MER E.
C'est que vous ne comprenez pas un
mot de ce que vous croyez fi bien favoir ;
&
MA I. 1775 . 121
&
que
que tien n'eft fi dangereux à votre âge
de parler des choſes qu'on n'entend
Il en arrive toutes fortes d'inconvé
niens.
pas.
EMILI E.
Mais pardonnez moi , maman . J'entends
très - bien tout ce que j'ai appris.
*
LA MERE.
C'eft ce que nous allons voir. Repre
nons un peu ce que vous avez dit . Savezvous
qu'il y a dequoi caufer huit jours
avant de comprendre un feul des grands
mots dont vous m'avez fait une fi bellelitanie.
EMILI E.
I 1
Oh ! tant mieux , maman . J'aime tant
à cauſer avec vous ! & puis il pleut depuis
ce matin ; j'espère qu'il ne viendra
perfonne. Nous aurons bien du temps.
LA
MERE
.
Profitons- en . Eh bien ! vous dites donc
qu'il y a quatre élémens ?
EMILI E.
Oui, maman : l'air , le feu …… .
122 MERCURE DE FRANCE.
LA MERE .
Oh ! doucement. Je ne vais pas fi
vite , moi. Je dis comme M. Gobemouche
, entendons- nous .
EMILIE riant de tout fon coeur.
M. Gobemouche , c'eft un drôle de
nom, Queft-ce que c'est que M. Gobemouche
?
LA MERE.
$
C'est un original qui n'a que faire à
notre converfation. Nous en parlerons
une autre fois. Nous difions qu'il y a
quatre élémens. Et n'y en a - t - il que
quatre ?
EMILI E.
Je ne fais pas. On ne m'en a montré
que quatre.
LA
MERE.
Et qu'est-ce qu'ils font ces quatre élémens
que vous connaiſſez ?
EMILIE .
Ah ! j'avais oublié . Il font aller le
monde.
MA I. 1775. 123
LA MERE.
·
Mais , qu'eft ce que c'eft que le
monde?
EMILI E.
Mais , maman , c'est tout cela , c'eſt
Paris , c'eft le Bois de Boulogne ; c'eft
St Cloud ... Voilà tout.
LA
MERE.
Voilà tout ce que vous en connaiſſez ;
Eh bien ! vos quatre élémens font donc
aller St Cloud & le Bois de Boulogne è
Mais comment cela ?
EMILI E.
Ah ! je ne fais pas.
LR MER E.
Bon , voilà déjà votre ſcience en défaur,
& c.
La mère tâche enfuite de lui faire entendre
fucceffivement ce qu'eft chacun
de ces élémens par rapport à l'homme :
mais elle ne va pas loin fans fe fervis
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE .
•
1
de termes que l'enfant n'entend plus &
dont elle demande la fignification . Alors
la mère lui dit que cette explication en
entraînerait encore d'autres qu'elle n'entendrait
pas davantage, Elle en prend
occafion de lui perfuader qu'elle doit
s'en tenir à ce que fa mère lui apprendra ,
parce que fa mère feule peut favoir ce
qui lui convient.
Dans un autre dialogue , la mère explique
à Emilie les moyens qui procurent
le bonheur. Elle l'amène , par degrés , à
convenir que le plus grand bonheur eft
celui d'être content de foi , & on ne l'eft
que lorsqu'on a fait fon devoir ,
LA MERE.
Quand vous étudiez mal , avec négli
gence , avec pareffe , quelle eft l'idée qui
vous occupe alors ? quelle en eft la caufe ?
EMILIE,
C'eft que d'apprendre
me donne de la
peine,
LA MERE .
Et que vous aimeriez
mieux aller
jouer , chanter , danfer ,
•
MA I. 1775. 125
E MI LI B.
Cela eft vrai .
LA MERE.
C'est donc pour fuir la peine &
pour avoir plutôt du plaifir que vous
étudiez mal ? Eh bien ! qu'est - ce qui
en arrive ?
EMILI E.
Ah ! il en arrive tout le contraire .
Quand j'ai mal étudié , j'étudie plus
long- temps . L'humeur me prend , je fais
tout de travers , & je ne joue pas.
LA MERE.
Et quand vous êtes entêtée , & que
vous fuivez vos fantaifies , fans égards
pour ce que j'exige de vous , quelle eft
votre idée ?
EMILI E.
C'eſt que ce que je veux me fait plaifir
, & que ce qu'on exige de moi ne
m'en fait pas.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE,
LA MERE.
C'eft donc pour fair la peine & pour
vous procurer du plaifir. Et qu'en arrive.
_t - il ?
EMILI E.
Que je m'attire une bonne pénitence
que la peine dure tout le jour , & qu'il
n'eft plus queſtion de jeu ni de plaifir.
LA MERE.
Et quand vous étudiez bien , & que
Vous êtes docile , qu'en arrive- t- il ?
EMILIE.
Oh ! que mes devoirs font bientôt
faits ! que je fuis heureufe ! heureufe !
Tenez , ma petite maman , je fens là
quelque chofe dans mon coeur qui me
rend fi aife ! oh ! comme je fuis gaie &
contente !
LA MERE,
Vous voyez donc bien que quand vous
n'êtes pas raifonnable , vous vous trompez
fur les moyens qui mènent au bonMA
I.
1775. 127
hear. Lorfque vous vous fentez le defir
de contenter une fantaisie que je défap.
prouve , ou de faire quelque chofe que
je vous défends ; fi vous vous difiez : au
lieu du bien que je cherche , il va m’atriver
malheur ; fi je m'obſtine ; & fi au
contraire je cède , j'aurai un bonheur
plus grand que celui auquel je renonce ...
EMILIE.
Et lequel donc ?
LA MER E.
Le plus grand de tous , celui qu'il n'eft
au pouvoir de perfonne de vous faire
perdre , quand une fois vous l'avez.
EMILIE .
Maman , dites-moi donc vîte ce que
c'eft , je vous en prie.
LA
MERE.
Celui d'être contente de vous , de fentir
là , au coeur , ce qui vous rend fi
aife.
EMILI E.
Oh ! c'eſt vrai ; c'eft le plus grand
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
plaifir , quand j'ai là , au coeur , je ne fais
quoi qui me fait rire toute feule . Comment
cela s'appelle t - il , maman ?
LA MERE.
Cela s'appelle la joie de la bonne
confcience .
EMILI ..
Qu'est ce que c'est que la confcience ?
LA MERE..
C'eft un fentiment intérieur qui nous
avertit , malgré nous , de notre conduite.
EM ILI E.
Quoi! eft- ce que cela parle ?
LA MERE.
Oui , cela crie au dedans de nous , &
nous met mal à notre aife , quand nous
avons fait une faute même ignorée , &
cela nous fait rougir des louanges qu'on
nous donne quand nous ne les méritons
pas .
EMILI E.
Et quand nous les méritons , qu'eft- ce
qu'elle dit , la confcience ?
MA I.
1775. 129
LA
MERE.
Elle nous rend la louange agréable.
EMILI E.
Je l'ai entendue quelquefois , je crois ;
mais je ne favais pas ce que c'était.
LA
MERE.
Vous ne fauriez trop l'écouter , ni trop
chercher à entendre ce qu'elle vous dit .
C'est un guide fûr. C'est un ami que
nous avons toujours en nous , & qu'on
ne faurait trop ménager . Il faut vous accoutumer
à queftionner cet ami en vous
même plufieurs fois le jour .
EMILI E.
C'est drôle quelque chofe qui parle
comme cela tout bas en nous mêmes. Je
vous promets , maman , que je lui parlerai
tous les jours . Je lui dirai : ma
confcience , êtes vous contente ?
Il y a du charme dans cette naïveté
enfantine . En général ces dialogues font
agréables à lire ; mais ils doivent avoir
un intérêt particulier pour les perfonnes
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
qui ont des enfans à élever. Je ne connais
point pour cet âge de meilleur cours de
morale. Ce livre ne peut être l'ouvrage
que d'une excellente mère & d'une fem
me qui , née avec un efprit jufte & une
âme fenfible , a voulu confacrer l'un &
l'autre à l'éducation d'un enfant.
Les Etrennes de Santé , ou l'art de ſe bien
porter , contenant des préceptes pour
apprendre les chofes qui donnent la
vie la plus longue & exempte de maladies
, avec différens préfervatifs . Par
M. de C *** , D. M. P. A Epidaure ;
& fe trouve à Paris chez Cailleau
Imprimeur- Libraire , rue & vis à vis
Saint Séverin ; in 24 de 96 pag. Prix
12 f.
Ces Etrennes font divifées en trois
parties ; les deux premières font confacrées
à l'hygiene , ou la manière de fe
conferver en fanté . L'éducation phyſique
des enfans y tient un rang diftingué . La
troisième partie contient : 1º . différens remèdes
; 2. les cas qui demandent un
prompt fecours. 3 ° . Des moyens préfervatifs
de nombre de maux ; entre autres
on y trouve le préfervatif de M. de CéMA
I. 1775. 131
zan , D. M. P. contre le mal vénérien.
4° . Le dépôt à Paris des eaux minérales ,
& leur prix . 5 " . Les fecours gratuits , tels
que ceux pour les noyés , & c . 6º. Enfin
les adreffes où l'on trouve différentes
chofes utiles à la fanté , telles que celle
du fieur Jacquet , rue de Vaugirard , qui
vend la préparation antimoniale , approu
vée par la Faculté ; celle de M. Martin ,
Apothicaire , rue & vis- à-vis la Croix
des Petits -Champs , qui vend le chocolat
anti -vénérien de M. le Febure , D. M. P.
& de plufieurs Académies , &c . Le tour
terminé par des traits anecdotiques auſſi
curieux qu'amufans.
·
Annales du règne de Marie - Therefe ;
Impératrice Douairière , Reine de
Hongrie & de Bohême , Archiducheffe
d'Autriche , & c . & c . &c . dédiées à la
Reine par M. Fromageot , Prieur
Commendataire , Seigneur de Goudargues
, Uffel , &c . A Paris , chez l'Auteur
, rue Saint - Denis , vis - à - vis le
Saint -Sépulchre ; Prault fils , Libraire,
quai des Auguftins , à l'Immortalité ;
& Lacombe , Libraire , rue Chriftine.
Cet Ouvrage eft in- 4. & in - 8 . , avec
plufieurs planches très - bien gravées :
Evj
132 MERCURE DE FRANCE.
le prix de l'in - 4. broché eft de 12 liv.
& de l'in 8. 6 liv .
Les annales du règne de Marie The
rèfe font celles de toures les vertus , de
la grandeur d'ame & de la bienfaifance .
Cette, Impératrice Reine gouverne , depuis
trente quatre ans , une des plus
grandes parties de l'Eupore & n'a point ,
comme Titus , perdu un jour ; elle les
à tous confacrés au bonheur des différens.
peuples qui lui obéiſſent.
Lotfqu'en 1741 , prefque toutes les
puiffances. de l'Europe , liguées contre la
Maifon d'Autriche , menaçoient Vienne ,
Marie Therèfe fortit de fa Capitale , emmenant
avec elle l'Archiduc , aujourd'hui
P'Empereur ; elle alla en Hongrie ; elle
parur devant les Ordres de l'Etat , tenant
entre fes bras un fils âgé de quelques
mois , & leur adrefla , en Latin , ces paroles
touchantes : Abandonnée de mes
» amis , perfécutée par mes ennemis , atraquée
par mes plus proches parens , je
n'ai de reffources, que dans votre fidé
» lité , dans votre courage & dans ma
» conftance ; je remets en vos mains la
» fille & le fils de vos Rois , qui attendent
de vous leur falut ". A peine luk
""
3
MAI. 1775. 133
donne- t on le temps de finir ce difcours
énergique. Les Hongrois , tranfportés de
l'enthoufiafme qu'elle avoit fait naître ,
tirent leurs fabres & s'écrient , d'une voix
unanime : Mourons- tous pour notre Ro
Marie-Therèfe. Les Hongrois exécutèrent
ce qu'ils avoient promis . Des armées ,
forties de la Hongrie , de la Croatie , de
l'Esclavonie , & plufieurs grandes allian
ces terminèrent cette guerre. Dès que
Marie-Therèle n'eut plus d'ennemis à
combattre , elle ne vit plus que des fujets
à rendre heureux ; elle employa à ce
grand objet tous les moyens qui font
entre les mains des Souverains . On vit
cette Souveraine , toujours à la tête de
fon Confeil , guider elle- même les vues
de fes Miniftres ; on la vit veiller éga
lement aux befoins des particuliers & à
la conduite générale des affaires ; on la
vit quitter , de temps en temps , fa Capi
tale , & vifiter tantôt une partie de fes
Etats , tantôt une autre , pour y verfer
elle même , fur fes fujets , les grâces &
les récompenfes ; on la vit faire la revue
de fes armées , & préfider aux exercices
militaires ; enfin on fait avec quels foins
elle dirigeoit l'éducation de fes auguftes
enfans. Elle s'affranchit de cette étiquette
134 MERCURE DE FRANCE.
qui gênoit fon affabilité . Elle admit , deux
fois par femaine , à fa table , vingt quatre
perfonnes des principaux Seigneurs , &
quelques-unes des Dames les plus qualifiées.
Jamais l'Impératrice ne refufa d'audience
, & jamais on n'en fortit mécontent
d'elle . Elle établit un Ordre Militaire
, auquel elle donna fon nom , &
qui devint la récompenſe des généreux
défenfeurs de l'Etat. L'Empereur & l'Impératrice
, apprenant la victoire du Géné.
ral Daun , contre les Pruffiens , allèrent
chez la Maréchale lui en donner la nouvelle
& s'en féliciter avec elle . Quel
exemple d'humanité , de bienfaiſance &
de bonté , cette augufte Souveraine ne
donna - t elle point, lorfqu'étant à Luxem
bourg , elle y reçut un meflager de la part
d'une femme âgée de cent huit ans , qui,
pendant plufieurs années , n'avoit pas
manqué de le préſenter le jour du Jeudi-
Saint , pour être du nombre de ces pauvres
auxquels Sa Majefté Impériale &
Royale lavoit les pieds ! Depuis deux
ans , fes infirmités l'avoient empêchée de
fe rendre au Palais ; elle fit dire à l'Impératrice
qu'elle avoit le plus vif regret
de n'avoir pu fe trouver à cette pieufe
cérémonie , non à caufe de l'honneur
MA I. 1775. 135
qu'elle auroit reçu , mais parce qu'elle
avoit été privée du bonheur de voir une
Souveraine adorée. L'Impératrice Reine ,
touchée du meffage & des fentimens.
de cette bonne femme , fe rendit dans
le Village qu'elle habitoit ; elle ne dédaigna
pas d'entrer dans une miferable
cabane ; elle la trouva fur un grabat , où
la retenoient fes infirmités , compagnes
inféparables de l'âge. Vous regrettez de ne
m'avoir point vue , lui dit , avec bonté ,
cette généreufe Princeffe ; confolez- vous ,
ma bonne , je viens vous voir. Elle l'en
tretint pendant long- temps , & lui laiffa
une fomme d'argent néceffaire pour lui
procurer les fecours dont elle avoit befoin.
Cette Hiftoire eft écrite avec chaleur
& avec intérêt : l'Auteur l'a enrichie des
traits de bienfaifance & d'humanité de.
l'Empereur , & de la Reine de France ,
qui font le plus bel éloge de leur augufte
mère , & qui , à fon exemple ,
feront le bonheur & l'admiration de leurs.
peuples.
Le Médecin interprête de la nature , ou
recueil de pronoftics fur le caractère
des maladies , leur guérifon , leurs mé
136 MERCURE DE FRANCE .
taftafes & leurs fuites funeftes ; trad .
du Latin de M, le Docteur L. Geoffroy ..
Klein , Confeiller- Médecin & Phyli
cien , à Erbac ; par M. J. F. A. ,
Docteur en Médecine , de la Faculté
de Montpellier. 2 vol . in- 12 .; prix
broché , 4 liv. 4 f. : à Paris , chez Mufier
fils , Libraire , rue du Foin , près
la rue St - Jacques.
Difon , d'après le témoignage de M.
le Baron de Haller , que ce Livre ,
quoique peu volumineux , renferme des
chofes de la plus grande importance. M.
Klein a puifé dans les Ouvrages des
meilleurs Ecrivains , tant anciens que
modernes , depuis Hippocrate & Gallien ,
jufqu'aux Auteurs de nos jours ; il a
extrair , de cette multitude d'écrits , un
petit nombre de fentences qui renforment
, en peu de mots , tout ce qui
concerne l'hiftoire des maladies , leurs
fignes & leurs pronoftics. Les Médecins
praticiens y apprendront à connoître les
phénomènes d'un augure favorable &
ceux qui annoncent le danger . La petitefle
de ce volume a même fon utilité.
Le Médecin pourra le porter partout
commodément , & le confulter jufqu'au
MA I. 1775. 13.7
près du lit du malade . Un praticien bien
occupé peut aisément fe paffer de ces Ouvrages
volumineux , auxquels on trouve
une vaſte érudition , de favantes difcuffions
hiftoriques & des hypothèfes ingénieufes
fur tous les cas particuliers . M.
Klein n'a prefque choifi que des phrafes
ifolées , qui , femblables aux aphorifmes
d'Hippocrate , contiennent des corollairès
déduits d'un grand nombre de réful-
⚫tats d'accord entre eux. Il eft d'autant
plus propre à un pareil travail , qu'il a '
appris auprès des malades , à diftinguer
ce qui eft vraiment important , de ce qui
n'eft que favant. C'eft principalement en
faveur des jeunes Médecins que cet Ouvrage
a été compofé. On ne fauroit trop
leur en recommander la lecture . Elle ne
fera cependant pas tout - à - fait inutile aux
praticiens les plus exercés ; elle leur épargnera
bien de la peine , & ils n'y trouve-
Font rien à rejeter.
On trouve , chez le même Libraire :
Entretiens Philofophiques & critiques , fur
plufieurs points de morale & d'hiftorre
, concernant des principes de la Philofophie
moderne , dans les matières
38 MERCURE DE FRANCE.
•
de Religion & de critique ; par M.
M. P. P. C. 2 parties en 1 vol . in 12.
broché , 2 liv . 8 f.
On réfute , dans ces entretiens , tout
ce que les libertins & les incrédules fe
permettent journellement de dire & d'écrire
contre la Religion . Les Chrétiens
inftruits y retrouveront leurs principes.
Ceux qui ne font pas à portée de puiſer
dans des fources plus étendues , y prendront
du moins des notions fûres , &
fentiront l'avantage de la vérité & d'une
faine logique , fur la faufleté & la ſub.
tilité du bel- efprit.
La Religion eft fi intéreflante , que
l'homme raifonnable doit chercher , avec
empreffement , tout ce qui peut éclaircir
fa divine origine , & diffiper les nuages
que l'orgueil , l'ignorance & le libertinage
du coeur & de l'efprit , veulent répandre
. On a beau s'étourdir , on peut
parvenir malheureufement à éluder , dans
la chaleur des paflions , la crainte & les
remords : mais on ne peut ni reculer , ni
changer le terme fatal ; & l'évidence ,
dont l'incrédule veut bien ſe flatter , eſt
tout au plus celle de l'aveugle , qui nie
tous les phénomènes lumineux qu'il ne
peut ni voir , ni comprendre. La forme
MA I. 1775 .
139
de dialogue , que l'Auteur a choifie , lui
a facilité les moyens de faire faire les
queftions , dans le ftyle même qu'elles
ont été publiées , & de les réfuter par
des réponſes vraies fages & folides : Ċet
Ouvrage peut fervir infiniment aux Ecclé ,
fiaftiques qui fe deftinent au ministère
de la parole , & aux perfonnes qui font
chargées de l'éducation .
Propofitions avantageufes à l'Etat , Mémoire
imprimé. Par M. de Forge ,
ancien Ecuyer de main du Roi . A Paris
chez les Libraires au Palais Royal &
ailleurs.
On propofe l'exécution de l'Ordonnance
de 1773 , & de former en conféquence
une Compagnie pour faire figner
& parapher à chaque feuille par l'un des
Confuls , dans les Villes où il y a Jurifdiction
Confulaire; & dans les autres ,
par le Maire , ou l'un des Echevins , ou
par telles autres perfonnes commiſes par
la Compagnie ; les livres journaux des
Négocians , Marchands , Banquiers &
Agens de change , avec le droir qui fera
perçu d'un fol par page. Le produit de
cette taxe , eftimée aux environs d'un
million quatre cents vingt mille livres
140 MERCURE DE FRANCE.
par an , eft demandé pour vingt ans , au
moyen dequoi la Compagnie fe charge :
1º. De tenir la main à l'exécution de
l'Ordonnance du commerce , qui peut
feule rétablir la confiance dans le Royaume.
2. D'ouvrir le commerce du Nord
avec un nombre fuffifant de vaiffeaux
& d'y établir le commerce néceffaire pour
le bien de fa correfpondance.
3°. De défricher une partie des terres
incultes de la Guyanne , d'y envoyer un
- nombre fuffifant de vailleaux Négriers ,
ainfi que les cargaifons , vivres & uftenfiles
propres à faire fleurir cet établiffement
, & c.
On juftifie très bien cette perception
d'un droit fur les livres journaux des
Commerçans , comme très propre à maintenir
la bonne foi , qui fait l'âme du
commerce , & à empêcher & prévenir
le délit des banqueroutes frauduleuſes .
On établit pareillement la facilité de
la perception de cette taxe , qui fe levera
fans inquifition & fans contrainte arbitraire
, & fuivant le voeu du Marchand ,
qui enverra fon regiftre en blanc au Bureau
, le jour qu'il voudra .
On fait voir les grands avantages qui
MA I. 1775. 141
réfulteront pour la France des établiffemens
projetés.
Enfin , on répond avec folidité aux objections
qui ont été faites dans quelques
papiers publics contre la taxe & contre
les entrepriſes propofées.
Peut - être qu'avant de fonger à un
commerce du Nord , & à un défrichement
de terre à la Guyanne , pourroiton
propofer des objets plus importans
pour nous & plus prochains , comme des
défrichemens dans l'intérieur du Royaume
, des défléchemens de marais , des
cultures de landes abandonnées , des chemins
de traverſes , des canaux de communication
de Province à Province , & c.
Précis d'un projet d'opération de finance
par forme de lotterie ; par M. de la Fontaine
, ancien Officier au Régiment
des Gardes Suifles . Prix 12 f,
On doit , dit l'Auteur , dans une opé
ration de finance de cette eſpèce , chercher
à remplir deux objets ; le premier
eft de préfenter aux intéreflés un tableau
qui les fatte , & qui leur offre affez
d'avantages pour les engager à y placer
leurs fonds,
142 MERCURE DE FRANCE .
Le fecond eſt de procurer un bénéfice
réel au Gouvernement , qui met en ufage
un tel moyen.
C'est ce qu'on s'eft propofé dans ce
plan , & ce qu'on prétend démontrer.
Nous renvoyons à l'Ouvrage ceux qui
font curieux d'examiner les opérations
de cette Lotterie de trois cents mille bil
lets , à fix cents livres chacun , faifant
un fond de quatre vingt millions .
Profpectus.
La Gazette connue , depuis 1733 , fous
le titre de Courrier d'Avignon , & fufpendue
par la réunion de cette Ville à
la Couronne de France , va reprendre un
nouveau cours. Les deux Puitfances
dont l'une gouverne & l'autre protége
ce pays , favorifent également cette Feuille
périodique. Avignon & le Comtat
font rendus à leur ancien Maître ; & la
France , qui les remplit de fes bienfaits ,
& les environne de fa puiffance , n'y
veut rien que de jufte , rien qui bleffe
les droits des habitans , naguères fes
Sujets , aujourd'hui fes Régnicoles . Ces
droits , & l'ancienne poffeffion de la Ga
zette intitulée Courrierd'Avignon,avoient
MA I. 1775 . 143
été ménagés & refpectés , pour ainfi dire ,
dans le Privilége accordé pour la Feuille
de Monaco , & dans les conventions fai :
tes à ce fujet. Cette Gazette , y eft il dit ,
fubftituée à celle d'Avignon , qui a été
Supprimée , pourra , tant que durera cette
Juppreffion, être introduite dans le Royaume.
Cette fuppreffion a été révoquée , &
le temps n'eft pas loin où le Courrier
d'Avignon reverra la lumière . Nous fixons
cette époque au Mardi , 4 du mois de
Juillet prochain. Avancer ce terme , c'eût
été manquer d'égards pour le Privilégié
& pour les Soufcripreurs de la Gazette de.
Monaco : nous n'avons pas voulu troubler
leur jouiffance au milieu d'un femestre.
Ce feroit peut-être ici l'occafion de
rappeler ou d'apprendre au Lecteur combien
notre Gazette a eu de vogue , dans
tous les temps. Où eft celle qui pourroit
fe vanter d'un pareil débit ? Cet avantage
eft dû au bonheur de la pofition où
fe trouve la ville, d'Avignon ; à fon voi- ,
finage de Marfeille , de l'Italie & du.
Levant ; à fa correfpondance intime avec
la Cour de Rome ; & dans le cas où
ces lieux feroient le théâtre d'événemens >
remarquables , quelle eft la Gazette qui
1
14
144 MERCURE DE FRANCE.
1
pourroit fe flatter de donner des nouvelles
auffi fraîches , auffi fûres , aufli mul.
tipliées ?
•
Il n'y a point de guerre au-delà des
Alpes ; il n'y en a point en Europe , dans
cet heureux moment ; & nous faifons
avec tous les amis de l'humanité , les
voeux les plus fincères , pour que le ciel
détourne ce fléau redoutable. Eh ! qu'avons-
nous befoin de fiéges & de batailles
? Loin de manquer de matériaux pour
notre Feuille , nous ferons embarraffés
du choix . Les négociations , les traités &
les alliances entre les Cours , les révolutions
intérieures , les viciffitudes de l'adminiſtration
, la variation des fyſtêmes
politiques , la diverfité des plans économiques
, les différens refforts qui meuvent
la machine des Etats , les événemens
remarquables de la vie civile , les changemens
de fcène fi fréquens fur le théâtre
du monde , la navigation & fes courfes ,
le commerce & toutes les branches ,
l'agriculture floriflante fous un Roi dont
les jeunes mains ont conduit le foc , les
impôts & leur diminution , la finance
& les reffources , les arts & leurs chefsd'oeuvre
, les fciences & leurs progrès ,
la littérature & fes nouveautés ; voilà
la
MA I. 1775 . 145
la matière féconde de notre Gazette .
Avec des correſpondances nombreuſes ;
exactes , fûres & promptes ; avec l'intention
de ne jamais tromper , à moins que
nous ne foyons trompés les premiers ;
de ne nous expofer jamais à rougir d'un
menfonge aux yeux du public , auquel
nous aurons quelquefois à demander grâce
pour des erreurs & des méprifes ; nous
nous flattons d'obtenir l'indulgence &
peut- être les fuffrages de nos Le&eurs.
Voilà ce que
nous ofons nous promettre
tant nous fommes fûrs de notre zèle &
de notre droiture ; également éloignés
d'une modeftie affectée , qui n'eft qu'un
rafinement d'orgueil , ou d'un mal - adroit
charlatanifme , dont les promeffes magnifiques
reflemblent aux clameurs de la
montagne :
C'eft promettre beaucoup ; mais qu'en fort - it
Louvent ?
Du vent.
La Fontaine.
CONDITIONS.
1. On foufcrit pour le Courrier d'Avignon
, à Avignon , chez Jean- Jofeph
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Niel , feul Imprimeur de Sa Sainteté , rue
de la Balance.
2º, L'abonnement fera de 12 liv. par
an, pour les perfonnes qui le prendront
chez l'Imprimeur , & de 18 liv. pour
celles à qui on l'enverra par la pofte ,
franc de port pour toute la France , &
jufqu'à fes frontières pour les pays étran
gers .
3º. On pourra s'abonner dans tous les
temps , à fon choix , pour l'année entière ,
eu pour fix mois.
4. On remettra l'argent , franc de
port , au Bureau de la pofte le plus près
du lieu où l'on voudra recevoir le Cours
rier ; & l'on adreffera au même Imprimeur
la Lettre d'avis , où il y aura
l'adreffe exacte de la perfonne qui vou
dra s'abonner cette Lettre fera affranchie,
ainfi que les avis qu'on voudra faire inſérer
dans le Courrier , & qu'on aura foin
de faire parvenir avec la rétribution
d'ufage,
5. Le Courrier contiendra 4 pages
d'impreffion in-4 . Il fera imprimé avec
des caractères & fur du papier conformes
au Prospectus .
6°. Il paroîtra deux fois par femaine ,
le Mardi & le Vendredi ; ce qui rend
MA I. 1775 : 147
nótre Gazette beaucoup moins chère &
bien plus intéreffante que celles qui ne
font publiées qu'une fois par femaine.
Gazette des Banquiers , des Marchands &
des Négocians , par M. *** , Banquier.
Cette Gazette contiendra le Cours des
Changes de toutes les Places de l'Europe ;
le prix courant de toutes les Marchandifes
, dans toutes les Villes de Commerce
de l'Europe ; le Cours des Marchandifes
dans toutes les Illes Françoifes & étrangères
; le Cours du fret des Navires , &
des affurances ; l'arrivée & le départ des
Vailleaux , dans toutes les Villes maritimes
de l'Europe , avec une notice de
leur cargaifon ; le cours des matières d'or
& d'argent dans toutes les Places de l'Europe
; le nom des principaux Manufacturiers
, avec une notice de leurs Ouvrages
; le nom des principales Maiſons,
& leur genre de commerce ; le droit ordinaire
de commiffion des Banquiers ,
celui de l'achat & de la vente des marchandifes
; l'annonce & l'extrait de tous
les nouveaux Ouvrages relatifs au commerce
; une notice des ufages du commerce
de l'Europe.
Gij
143 MERCURE DE FRANCE.
On parlera quelquefois de la combinaifon
des Changes & de la manière
la plus fimple de les calculer.
On le permettra auffi quelques réflexions
far les Jurifdictions Confulaires , dans
toutes les Villes de Commerce de l'Europe
, & fur les Jugemens intéreffans qui
feront rendus.
Y
Il paroîtra une feuille de cette Gazette ,,
Tous les huit jours. On a choifi le Jeudi ,
pour pouvoir y inférer les Cours des
Changes qui arriveront le Mercredi , de
tout le Midi , & pour que la Gazette
foit diftribuée dans tout le Nord , avant
que les Lettres de France , d'Efpagne &
d'Italie y arrivent.
}
Ceux qui voudront faire inférer
quelques articles dans cette Gazette ,
pourront les adreffer , en affranchiffant
les Lettres , à M. Ducrocq , rue & en,
face du Carroufel : c'eft chez lui qu'on
en recevra les foufcriptions ; elles feront .
de 24 liv. par an , franches de port pout
Paris & pour tout le Royaume.
On fouferira auffi chez les principaux
Libraires de routes les Villes de commerce
de l'Europe.
MA I. 1775 . 149
ANNONCES.
De la Connoiffance de l'Homme , dans
fon être & dans fes rapports ; par M.
l'Abbé Joannet , de la Société Royale
des Sciences & Belles Lettres de Nancy:
Illi mors gravis incubat qui ignotus moriturfibi.
Sénec. Thyeft. Act . II .
2 vol , grand in- 8°. chacun d'environ
700 pages , avec des notes. Prix broc .
10 liv. A Paris , chez Lacombe , Libr.
rue Chriftine .
Nous donnerons dans les Mercures
fuivans des notices de cet Ouvrage , le
plus profond peut êtte qui ait été écrit
fur la connoiffance de l'homme dans fon
être & dans les rapports.
Abrégé de l'Hiftoire Romaine de L. A.
Florus. Traduction nouvelle , avec des
notes ; par M. l'Abbé Paul , Profeffeur
d'Eloquence au Collège d'Arles .
In brevi quafi tabella totam ejus ( Populi
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Rom. ) imaginem amplectitur. Flor . lib. I , in
pram.
Vol. in 12 rel . 3 liv . A Paris , chez
Barbou , Imprimeur- Libraire , rue &
vis- à - vis la grille des Mathurins .
M. l'Abbé Paul a pareillement traduit
Velleius Paterculus , v. in- 12 . & Juſtin ,
2 vol. in- 12. qui ont paru depuis peu
chez le même Libraire Imprimeur.
Hiftoire du bas Empire, en commençant
à Conftantin le Grand ; par M. le
Beau , Profeffeur Emérite en l'Univer
fité de Paris , Profeffeur d'Eloquence
au Collège Royal , Secrétaire ordinaire
de Monfeigneur le Duc d'Orléans
& ancien Secrétaire perpétuel de l'Academie
Royale des Infcriptions &
Belles Lettres . Tomes XVII & XVIII.
in- 12 . A Paris , chez Saillant & Nyon ,
rue St Jean de Beauvais ; & veuve
Defaint , rue du Foin .
Lorezzo , Anecdote Sicilienne , avec fig .
C'est la troisième du Tome Ile des
Epreuves du Sentiment . Liebman &
Rofalie , deux autres Anecdotes , font
MA I. 1775 .
ISI
fous preffe & completteront
levolume.
A Paris chez Delalain , Libraire , rue
de la Comédie Françoife.
Hiftoire des Souverains Pontifes qui ont
fiégé dans Avignon . Vol . in- 4° . A Avi
gnon , chez Jean Aubert , Imprimeur.
Libraire , rue de l'Epicerie ; & chez les
principaux Libraires de chaque Ville
de France.
LE
ACADÉMIES
.
I.
E 25 d'Avril l'Académie des Infcrip
tions & Belles- Lettres tint fa féance pu
blique au Louvre.
Le prix concernant l'Hiftoire de France
fur adjugé à M. Dumont , connu avantageulement
par plufieurs ouvrages .
Enfuite M. l'Abbé Barthélemi lut une
Differtation fur plufieurs médailles du
Cabinet du Roi , far lefquelles font repréfentés
les fignes du Zodiaque avec les
planètes .
M. de Guignes lut un Mémoire con-
Civ
12 MERCURE DE FRANCE:
cernant la Religion & la philofophie des
Chinois , dans lequel il effaye de prouver
que ces Peuples ont été inftruits &
policés par les Egyptiens.
M. l'Abbé Arnaud en lut un fur la
profe grecque.
Et M. le Beau termina la féance par
an Mémoire fur la légion . C'eft une
fuite de ceux qu'il a lus fur le même fujer.
Celui - ci a pour objet la paye du Soldar
Romain.
I I.
Affemblée publique de l'Académie Royale
des Sciences , du 26 Avril 1775.
M. de Fouchi a annoncé la publication
des Arts fuivans , approuvés par l'Académie
, favoir :
L'Ebénifterie , par M. Roubaut fils
Menuifier.
L'Art du Treillageur , par le même.
L'Art du Diftillateur-Liquorifte , par
M. de Machy.
L'Art du Savonnier , par M. Duhamel .
L'Art de l'Amidonier , par le même.
M. de Fouchi lut enfuite l'Eloge de
M. Quefnay , premier Médecin ordinaire
du Roi , homme célèbre par fon
MA I. 1775. 153
favoir, par fes écrits & par
économiques
.
fes
principes
Les Mémoires lus dans cette Affemblée
font 1 °. des Recherches fur les caufes
de la mort certaine & de la mort apparente
des noyés , par M. Tenon .
2. Mémoire fur la nature du principe
qui fe combine avec les métaux pendant
la calcination , & qui en augmente
le poids. M. Lavoifier prouve dans ce
Mémoire , par des expériences auffi ingénieufes
que décifives , que la fubftance
quí fe joint aux métaux pendant leur calcination
, & qui augmente confidérablement
le poids de leurs chaux , n'eft autre
chofe que de l'air pur , & même d'un
air beaucoup plus pur que celui de l'atmofphère
; car M. Lavoifier a conftaté
par des épreuves certaines , que les animaux
peuvent vivre plus long - temps
dans cet air des chaux métalliques , &
que la flamme des corps allumés y de
vient plus grande , plus lumineufe , &
fubfifte plus long- temps que dans l'air
que nous refpirons.
3°. Obfervations faites aux Indes for
l'inclinaifon de l'aiguille aimantée , par
M. le Gentil.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Prix propofe par l'Académie Royale des
Sciences , pour l'année 1777.
L'Académie avoit propofé pour le fujet
du prix de l'année 1775 , la question
fuivante : Quelle eft la meilleure manière
defabriquer les aiguilles aimantées , de les
fufpendre , de s'affurer qu'elles font dans
be vrai méridien magnétique , enfin de
rendre raifon de leurs variations diurnes
régulières ?
Quelques unes des pièces qui ont concouru
, ont paru contenir des vues ingénieufes
& utiles même à certains égards ;
on a fur-tout diftingué la pièce no . 2 , qui
a pour devife :
Etiam non affecutis voluiffe , abundè pulchrum
atque magnificum.eſt ,.
& qui fuppofe beaucoup de connoiffan
ces , de travail & d'obfervations : mais
P'Académie auroit defiré plus d'exactitude
& de précifion dans les recherches , foit
expérimentales , foit purement théori
ques , que cet ouvrage renferme ; & , en
général , aucun des Auteurs n'a fuffifamment
rempli les différens objets énoncés
programme..
dans le
MA I. 1773 . ISS
En conféquence l'Académie propoſe
de nouveau le même fujet , pour l'année
1777.
Le prix fera double , c'est -à- dire de
4000 liv.
Les Savans & les Artiftes de toutes les
Nations , font invités à travailler fur ce
fujet , & même les Affociés Etrangers de
l'Académie . Elle s'eft fait la loi d'exclure
les Académiciens régnicoles de prétendre
aux prix.
*
Les Auteurs qui ont déjà concouru
peuvent envoyer de nouvelles pièces , ou
des fupplémens à celles que l'Académie a
reçues ,
Ceux qui compoferont font invités à
écrire en françois ou en latin , mais fans
aucune obligation . Ils pourront écrire en
telle langue qu'ils voudront , & l'Acadé--
mie fera traduire leurs ouvrages.
On les prie que leurs écrits foient fort
fifibles , fur-tout quand il y aura des calculs
d'algèbre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs
ouvrages , mais feulement une fentence
ou devife. Ils pourront , s'ils veulent
attacher à leur écrit un billet féparé &
cacheté par eux , où feront , avec cette
• même fentence , leur nom , leurs qualités
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
& leur adreffe ; & ce billet ne fera ouvert
par l'Académie , qu'en cas que la pièce
ait remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour le prix ,
adrefferont leurs ouvrages à Paris , au
Secrétaire perpétuel de l'Académie , ou
les lui feront remettre entre les mains .
Dans ce fecond cas , le Secrétaire en donnera
en même temps à celui qui les lui
aura remis , fon récépiffé , où fera marquée
la fentence de l'ouvrage & fon numéro
, felon l'ordre ou le temps dans
lequel il aura été reçu .
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
1er Septembre 1776 , exclufivement.
L'Académie , à fon affemblée publique
d'après Pâques 1777 , proclamera la
pièce qui aura mérité ce prix .
S'il y a un récépiffé du Secrétaire pour
la pièce qui aura remporté le prix , le
Tréforier de l'Académie délivrera la fom.
me du prix à celui qui lui rapportera ce
récépiffé. Il n'y aura à cela nulle autre
formalité.
S'il n'y a pas de récépiffé da Secré
taire , le Tréforier ne délivrera le prix
qu'à l'Auteur même , qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part.
MA I.
1775 . .157
Prix extraordinaire fur l'Art de la
Teinture. Le fujet eft l'analyse de l'indigo
; prix de 1200 livres pour Pâques
1777.
II I.
Le 27 Avril l'Académie Françoife tint
une féance publique pour la réception de
M. de Chaftellux , à la place de feu M.
de Châteaubrun.
Le nouvel Académicien prononça un
beau Difcours , plein de raifon & de
philofophie , dans lequel il examina les
fignes & les caufes du goût dans la Litté
rature. Il honora la mémoire de fon Prédéceſſeur
, & fit le jufte éloge des illuftres
Protecteurs de l'Académie & des plus
célèbres Académiciens .
M. le Comte de Buffon , Directeur ,
répondit avec éloquence à ce Difcours ;
il fit quelques obfervations fur les élo
ges , releva l'éclat des titres littéraires du
nouvel Académicien , répandit des fleurs
fur la tombe de M. de Châteaubrun , &
paya le tribut de juftice & d'éloges dû au
jeune Monarque qui fait le bonheur de
fes Peuples. Nous rendrons un compte
plus détaillé de ces Difcours , lorfqu'ils
feront imprimés.
158 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Alembert , Secrétaire perpétuel
de l'Académie , a fini la féance par la
lecture de l'Eloge de la Morte Houdart ,
dont il 2 parfaitement caractérisé l'efprit ,
les talens & les ouvrages. Cet Eloge ,
plein de faillies , de traits lumineux , &
de vues fines & délicates , avec un parallèle
brillant entre cet Auteur & Fontenelle
, fon ami , fit la plus vive fſenſation
& le plus grand plaisir.
I V.
COPENHAGUE,
Le 10 Février 1775 , la Société des
Sciences à Copenhague fut affemblée pour
examiner les écrits adreffés à ladite Société
, fur les fujets propofés pour l'année
pafée.
Le prix d'Histoire fur adjugé à une
Differtation fur la fituation de Jomsborg
, avec cette devife : Tempus edax
rerum , tuque invidiofa vetuftas omnia deftruitis
, cette pièce étant écrite avec beau
de foin & d'érudition : mais comme.
l'Auteur n'a point affez confulté les anciens
Ecrivains , dont divers paffages
sapprochés & comparés enfemble , au
coup
MA I. 1775 . 159
roient pu fervir à la folution de la queftion
propofée , la Société ne fauroit
adopter l'hypothèſe foutenue dans ce Mémoire.
L'on ne manquera pas de publier
le nom de l'Aureur , dès qu'il voudra ſe
faire connoître à la Société.
N'ayant reçu aucun Mémoire fatisfaifant
fur les fujets mathématiques
& phy
fiques , la Société trouve bon de conti
nuer pour l'année prochaine les proble
mes fuivans :
EN
MATHÉMATIQUES.
Invenire machinam , aus mechanicum
quoddam artificium , cujus ope lacus , ftagna
, aliaque , id genus aquilegia „ commodè,
& fine magno pretio repurgari, & à
limo , immunditie , fructibufque aquaticis,
qua fundum elevant , interitumque lacuum
accelerant liberaripoffint ; co imprimis cafu,
ubi efluxus aquarum adexficcandas& effo
dendas ejufmodi aquarum collectiones nimis
ftarent impensis aliaque circumftantia
aquas dulces urbi neceffarias interea
perdi , & inutiliter defluere haud permit
tunt.
EN
PHYSIQUE.
Analyfin metallorum in partes confi
160 MERCURE DE FRANCE.
tutivas fecundùm follicitè inftituta experimenta
tradere.
Outre ces deux problêmes , il fut réfolu
, dans la même affemblée , de pro,
pofer pour cette année les fujets fuivans :
EN
MATHÉMATIQUES.
Incurvationem bafis carine aquæ diu
tiùs innatantis facili modo , ad calculum
revocare , & demonftrare quænam ftructura
navis huic vitio præ aliis fit obnoxia ?
EN PHYSIQUE.
Experientia docente , oculus hominis
Janus objecta vifa coloribus peregrinis à
diverfa refrangibilitate ortis, non inquinat
quamdiu pupilla integra radios excipit ;
hac verò ad dimidium tecta , obječta vifa
omninò coloribus peregrinis cinguntur. Defideratur
itaque ratio hujus phænomeni , &
difquifitio , numnè ad normam oculi ,
nova fpecies vitrorum objectivorum achromaticorum
componi queat ?
EN HISTOIRE.
Requiritur hiftoria juris in homines
MA I. 1775 .
161
proprios gleba additos quod in Dania viguit
, ab origine hujus juris ufque ad ejus
abrogationem.
Les Savans , tant Etrangers que Da
nois , excepté les Membres de la Société ,
font invités à concourir pour les prix , &
voudront bien écrire leur Mémoire en
danois , latin , françois ou allemand ; les
Ouvrages compofés en d'autres langues
étant exclus du concours.
Le prix que la Société décernera à celui
qui , à fon jugement , aura le mieux traité
chaque fujet , confifte en une médaille
d'or de la valeur de 100 écus ( rixdaler ) ,
argent de Dannemarck .
Les Concurrens adrefferont leurs Mémoires
, écrits d'un caractère lisible , &
francs de ports , à M. de Hielmftierne ,
Chevalier de l'Ordre de Dannebrogue &
Confeiller des conférences du Roi , Secrétaire
de la Société. Aucun écrit ne
fera reçu au Concours , paffé le dernier
Mars de l'année 1776.
La diftribution des prix fe fera vers
la fin du mois d'Avril 1776 , & le juge .
ment de la Société fera publié incontinent
après.
Les Auteurs ne fe feront point con .
noître ; ils mettront une devife à la tête
162 MERCURE DE FRANCE.
ou à la fin du Mémoire , & y joindront
un billet cacheté qui contiendra la même
devife , avec leur nom & le lieu de leur
réfidence .
Ceux qui fouhaiteront que leurs Our
vrages , qui ont concouru pour les prix
de l'année 1774 , leur foient rendus ,
font priés de s'adreffer , pour cet effet ,
à M. de Helmftierne , avant la fin de
l'année courante .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL,
LES Concerts donnés aux Tuileries ,
pendant la vacance des Spectacles , ont
attiré un grand concours d'Amateurs ,
empreffés d'applaudir à l'excellent choix
de mufique donné par les Directeurs , à la
parfaite exécution de l'orchestre , & aux
talens fupérieurs des voix & des inftrumens.
On a exécuté dans ces Concerts
plufieurs beaux motets , tels que l'Offertoire
de la Meffe des Morts , morceau pathétique
de M. Goffec ; le fameux Stabat
de Pergolèfe ; le De profundis , compor
MAI. 1775. 163
fition favante & d'un grand effet , de M.
Langlé ; Cantate , fuperbe motet à grand
choeur du même Maître ; Confitebor ,
motet de M. l'Abbé Roze , Maître de
Mufique des Saints Innocens , qui a montré
dans cette compofition le goût de la
mufique en même temps agréable & expreffive.
L'oratoire d'Efther & le motet
à trois voix de M. de Mereaux ont para
d'une mélodie élégante & d'une harmo
nie pittorefque. M. Cambini , célèbre
Compofiteur , a reçu les plus juftes applaudiffemens
, pour fes belles fymphonies
, pour fon Miferere , motet à grand
choeur ; pour fes oratoires françois , Joad
& le Sacrifice d'Isaac , tous morceaux qui
annoncent un génie heureux & facile, On
revoit & l'on entend toujours avec plaifir
les belles fymphonies de M. Goffec ,
& celles de M. Davaux & de M. Diters .
Les voix récitantes dans ces Concerts
font Mefdames Larrivée , Charpentier ,
Duchâteau ; MM. Legros , Guichard ,
Borel , Beauvalet , Roier & d'autres ,
dont le Public a admité l'organe & l'expreffion.
Les inftrumens qui fe font dif
tingués dans les fymphonies concertantes
font MM. Bertheaume , Guénin , Laurent
, le Jeune , Guerin , Leduc le jeune ,
164 MERCURE DE FRANCE.
excellens violons ; M. Monin , fur la
quinte ; M. Petit , fur le baffon. M. Baer
a exécuté avec un talent fupérieur plufieurs
excellens morceaux de clarinetre.
M. Schon a fait entendre un concerto de
cor de chaffe , dont il joue d'une maniere
très -diftinguée . On a auffi beaucoup
applaudi au jeu brillant & expreffif de
M. Duport le jeune , fur le violoncelle.
M. Lebrun , premier hautbois de S. A.
S. l'Electeur Palatin , a joué plufieurs
concerto , & toujours avec le même fuc
cès & un talent prodigieux , qui ne laiffe
rien à defirer ; il a trouvé l'art d'adoucit
& d'animer le hautbois , de lui donner
plus d'étendue dans les tons fupérieurs ,
de varier fon jeu , & de le rendre toujours
auf Aatteur qu'il eft admirable.
Deux rivaux pour le violon , dignes de
s'eftimer l'un l'autre , oonntt ppaarruu dans
la lice des talens , M. Jarnovick , célèbre
par le beau fini , par l'élégance
& par l'expreffion de fon jeu ; M.
Lamotte , jeune virtuofe , qui mer dans
fon exécution beaucoup de feu , de variété
& de hardieffe , ont joué alternativement
des concerto , & fe font enfuite
réunis dans le même Concert , où ils ont
développé leurs talens & toutes les refMA
I. 1775 . 165
fources de leur art. Ils ont été l'un &
l'autre applaudis avec tranfports ; & , réciproquement
vainqueurs & vaincus ,
ils ont partagé l'admiration fans l'affoiblir.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Mufique a fair
l'ouverture de fon Théâtre par Orphée &
Euridice , Drame héroïque en trois actes ,
en attendant Céphale & Procris , Tragé
die lyrique en trois actes , paroles de M.
de Marmontel , mufique de M. Grétry.
dont la première repréfentation eft annoncée
pour le Mardi 2 Mai . L'Académie
continue , pour les repréfentatious
des Jeudis , l'Acte Turc , Hilas & Eglé
& la Provençale.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ES Comédiens François ordinaires.du
Roi ont donné pour l'ouverture de leur
Théâtre , la quatorzième repréfentation
166 MERCURE DE FRANCE.
d'Adélaïde de Hongrie , Tragédie nouvelle
de M. Dorat * .
Le compliment d'ufage a été débité .
par M. Défeffart , dernier Acteur reçu .
Il a été jugé d'une précifion élégante.
M. Larrive , Acteur qui a déjà paru
fur ce Théâtre avec fuccès , doit y débuter
de nouveau dans le Tragique &
dans le haut Comique. Il jouera le Mercredi
3 Mai le rôle d'Edipe.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN a donné , à l'ouverture , la fixième
repréſentation des Femmes vengées , Comédie
nouvelle en un acte , mêlée d'ariettes
, paroles de M. Sedaine , mufique de
M. Philidor ** . **
* Cette Tragédie eft imprimée & ſe vend , prix
30 fols , chez Delalain , Libraire , rue de la Co.
médie Françoiſe.
** Cette Comédie eft imprimée & ſe vend , avec
des airs notés & une eftampe néceflaire pour l'intelligence
de la repréfentation , prix 30 f. à Paris.
chez Mufier fils , Lib. rue du Foin. Nous avons
rendu compte de cette Pièce dans le fecond volu
me d'Avril.
MA I. 1775 . 167
Le compliment a été débité par M.
Michu , dernier Acteur reçu . Il a paru
un peu long, par la differtation qui lui
étoit étrangère , fur le nouveau genre
héroïque que M. de Rozoi prétend avoir
introduit par fon Drame lyrique de Henri
IV, & qu'il annonce dans un nouveau
Drame de la Réduction de Paris.
On attend à ce Théâtre le début de
Mlle de Villeneuve , Actrice intéresfante
, qui a joué avec fuccès fur le
Théâtre de Strasbourg & fur celui de la
Ville de Verſailles .
BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DES
ROMANS.
Ouvrage périodique dans lequel on donnera
l'analyfe raifonnée des Romans
anciens & modernes , François , ou
traduits dans notre Langue ; avec des
anecdotes & des notices hiftoriques &
critiques , concernant les Auteurs ou
leurs Ouvrages , ainfi que les meurs
les ufages du temps , les circonstances
particulières & relatives , & les perfonnages
connus , déguifés ou emblé
>
165 MERCURE DE FRANCE.
matiques à Paris , chez Lacombe
Libraire , rue Chriſtine .
:
Les Romans ont été les premiers Livres ES
de toutes les nations. Ils renferment les
plus fidèles notions de leurs moeurs , de
leurs ufages , de leurs vices & de leurs
vertus . Ils font comme autant de tableaux
allégoriques qui préfentent la vérité voilée
, ou embellie par la fiction . Les Hor.
des fauvages , ainfi que les hommes policés
, ont leurs Romans : mais c'eſt chez
un peuple actif , noble & induſtrieux
qu'il faut chercher ces fruits heureux de
l'imagination ; c'eft en France fur tour
que les Romans deviennent intéreffans
& utiles pour quiconque veut aller audelà
du but que la frivolité paroît s'être
propofé. Ils renferment la branche la plus
ancienne , la plus étendue & la plus riche
de notre littérature. La lecture de quelques
Romans ifolés amufe l'oifiveté
trompe l'ennui , peut donner de fauffes
idées & de plus faux fentimens. Mais
cette même lecture , dirigée par la Philofophie
& embraffant la généralité des
fictions , devient l'étude la plus fûre & la
plus fuivie de l'Hiftoire la plus fecrette
& la plus fidelle , par les faits qu'elle
raffemble
MA I. 1775.
11
169
1
raffemble & les mystères qu'elle dévoile.
C'eſt une chaîne d'un nouveau genre , dont
il faut faifir & fuivre la progreffion : elle
lie tous les temps , & marque , pour ainfi
dire , les progrès de la Monarchie , par
les progrès du génie & la peinture des
paffions.
Le Roman a cet avantage fur l'Hiftoire,
qu'il peint les moeurs en décrivant les
faits ; qu'il développe & nuance les caractères
; & qu'il repréſente toute une nation ,
dans le récit des aventures de quelques
citoyens . Or , toutes les particularités
répandues dans les Romans , forment le
véritable corps de l'Hiftoire. Il feroit fans
doute impoffible , & même abfurde
de raffembler tous les volemes que le
temps a accumulés : il fuffit de les faire
connoître , en les analyfant ; d'en donner
l'ame , l'efprit , & , pour ainſi dire ,
la miniature. C'eft le plan que nous exécutons.
La difficulté étoit de retrouver tout ce
qui a été produit , dans ce genre , depuis
des fiècles ; & de raffembler toutes les richeffes
, foit nationales , foit étrangères ,
que la traduction a naturalifées parmi nous.
Cette difficulté a été levée par la généro
fité d'un homme de qualité, qui poffède
H
170 MERCURE DE FRANCE.
la bibliothèque la plus complette dans
tous les genres ; qui a réuni un nombre
étonnant de manufcrits précieux ; & qui
a recueilli lui-même , par un travail peutêtre
inconcevable , depuis plufieurs années
, une infinité d'anecdotes , de notes
hiftoriques & critiques fur les Auteurs ,
les ouvrages , & fur les objets qui leur
font relatifs . Il veut bien préfider à notre
plan , en tracer lui - même le deſſein , &
procurer les matériaux néceffaires pour
élever un des plus beaux monumens , &
le feul , en ce genre , dont la littérature
puiffe fe glorifier. La reconnoiffance , ici ,
marqueroit un fentiment bien foible , fi
elle trouvoit une expreffion.
Il y avoit plufieurs formes propres à
préfenter la collection que nous propofons
: favoir , 1 °. l'ordre chronologique
des Romans ; 2 °. l'ordre fyftématique des
gentes ; 3 ° . l'ordre alphabétique ; 4º . la
forme périodique. Les deux premières
avoient un grand inconvénient. Il eût
fallu arrêter trop long - temps le lecteur
fur des productions d'une imagination
gothique ; ou le fatiguer par une fuite
d'objets d'une même efpèce, La troisième
forme étoit trop affujettiffante , fans pro
curer aucun avantage . Nous avons préféré
la forme du journal , parce qu'elle
M A I. 1775 * 171
met le lecteur à portée de jouir promptement
& fucceffivement d'un travail déjà
fait ; & d'acquérir , fans fe fatiguer , les
richeffes , auffi variées qu'intéreffantes ,
de l'imagination . Cependant , pour ne
rien perdre des avantages qui peuvent
réfulter de tous ces plans , nous ferons , à
la fin de chaque année , une table qui
contiendra la chronologie des Romans
analyfés , & deux autres tables qui préfenteront
, dans un ordre méthodique &
alphabétique , les genres & les espèces.
Ce journal des Romans donnera, (comme
nous l'avons dit ) , la miniature de chaque
Roman : le fond du tableau fera relevé
par le piquant des anecdotes & par la lumière
des recherches , de la critique &
des traits hiftoriques . Nous tâcherons que
chaque volume de cette bibliothèque
foit d'une lecture diverfifiée , inftructive
& amufante , en nous attachant à faire
contraſter les genres , les temps , & l'intérêt
des fictions dont nous rendrons
compte . On fera bien étonné de voir
dans ce Journal , combien les Romans de
tout genre , ceux même de l'imagination
la plus folle , font hiftoriques ;
combien ils intéreffent la nation , par les
moeurs & par les perfonnes ; combien de
fictions font des vérités. Cadit perfona
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
•
manet res : le máfque ôté , on reconnoîtra
le perfonnage , ou le fait , déguifé fous
le voile de l'allégorie ; & la fable deviendra
le meilleur commentaire de
l'Histoire.
+
Nous aurons l'avantage de faire connoître
auffi beaucoup d'excellens Romans ,
qui font d'anciens manufcrits, renfermés ,
comme des tréfors , dans l'immenſe bibliothèque
qui nous eft ouverte ; & de
faire renaître beaucoup d'autres Romans,
auxquels la rareté ou la vérufté avoient
ravi les avantages de la publicité , en bor.
nant , à un très petit nombre , les exemplaires
en quelque forte mystérieux , qu'on
ne peut que très difficilement trouver. Les
Romans trop connus ne feront point analyfés.
Notre travail , à leur égard , fe bornera
à de fimples notices , pour en expliquer
les circonftances , donner l'intelligence
du deffein , & faire fentir leurs rapports
avec l'Hiftoire.Cet expofé fuffit , fans
doute , pourjuftifier les avantages de cette
entreprife , agréable à l'homme du monde
qui veut s'amufer , utile à l'homme
de Lettres qui veut s'inftruire , féconde
pour les Poëtes qui cherchent des fictions
heureufes propres au théâtre , néceffaire
à l'Hiftorien & à l'Obfervateur des moeurs,
MA I. 1775. 173
"
des temps & des ufages anciens & modernes.
La Bibliothèque univerfelle des Romans
paroîtra périodiquement , le premier de
chaque mois , à commencer au premier
Juillet 1775. Le volume fera de neuf
feuilles , au moins , d'impreffion , caractère
dé Cicero . On publiera feize
volumes par année ; favoir , outre les volumes
du mois , un autre volume , le 15
des mois de Janvier , Avril , Jailler &
Octobre . Le prix des feize volumes , par
année , fera de 24 liv. à Paris , & de 32
liv . en Province , rendus francs de port
aux abonnés. Chaque volume fera de
36 f. chez le Libraire , pour ceux qui
n'aurontpoint fouferit.
On pourra s'abonner , en tout temps ,
chez Lacombé , Libraire , à Paris , rue
Chriſtine ; au bureau des Journaux.
Meffieurs les Soufcripteurs font priés
d'affranchir le port de leurs Lettres d'avis
& de leur argent.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE :
VERS à Mademoiselle D. L. B *** , de
Versailles.
CERTAIN foir, qu'il étoit grande fête à Cithere,
Et qu'on avoit chanté maint cantique à l'Amour ,
Quelques Dieux , à l'envi , s'empreflant de lui
plaire ,
Lui vantoient tour- à -tour ,
Les foins qu'ils prenoient tous pour embellir fa
Cour.
Je me donne , dit Terpficore ,
Une rivale ; elle a mes divers mouvemens :
L'oeil l'admire d'abord , bientôt le coeur l'adore ,
Et les pas fur les fiens attirent mille Amans.
Pour moi , réplique Hébé , je peux citer les char
mes
D'un bijou de treize ans , embelli de mes traits ;
Son air naïf ajoute à fes attraits :
Elle fourit , & l'on lui rend les armes.
Fils de Cypris , pourſuivit Apollon ,
Tu fais que ta tendre harmonie
Apeuplé de tout temps les bofquets d'Idalie ?
Je m'occupe de toi , même fur l'Hélicon :
Je m'y plais à former une jeune Mortelle,
Dont la flexible voix
Rangera fous tes loix
MA I. 1775. 175
Le coeur le plus rebelle :
Les accords que fa harpe ou que fon clavecip
Soupirent fous fa main ,
Paroiflent s'échapper de ma lyre immortelle.
Bon ! s'écria l'Amour de plaifir transporté !
Voyons.ces trois merveilles.
Celle qui charmera nos yeux ou nos oreilles ,
Recevra de ma main un prix bien mérité.
Il dit , Mercure part ; l'ordre eft exécuté.
Mimi feule paroît : chacun des Dieux en elle
Voit applaudir l'Emule à fes leçons fidelle .
L'Amour lui fait préfent d'un trait toujours vain.
queur ;
J'ai vu Mimi , le trait eft dans mon coeur.
Par M. C ***.
A Monfeigneur le Maréchal DE Duras
V Ous venez donc de recevoir
Des Guerriers le fceptre héroïque }
Vous allez de plus vous affeoir
Dans le fauteuil Académique :
Double gloire bien dûe à votre illuftre nom!
La palme de Mars , avec grâce ,
Dans vos heureuſes mains s'enlace
Avec les lauriers d'Apollon .
Par Madame Bouret
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
A Monfieur le Marquis DE VERAC.
POLITIQUE ,
OLITIQUE
, guerrier , digne repréſentant
D'un jeune Roi qu'on idolâtre ,
Caffel étoit pour vous un trop petit théâtre ;
Allez où le Danois & le Nord vous attend.
Hélas ! nous gémirons de vous favoir abfent.
Avec un coeur tel que le vôtre ,
Et ce que votre efprit a par - tout de pouvoir,
D'un pays on n'eft point l'eſpoir ,
Sans être le regret d'un autre.
Par la même.
ÉPITRE du Prince de Belofelsky , Ruffe ,
à M. de Voltaire.
GRAND Voltaire , de qui la gloire ,
Au fein de l'Immortalité ,
Ira , de mémoire en mémoire ,
Intéreffer l'humanité ,
Servir de fujet à l'Hiſtoire ,
De phare à la Postérité ;
Acceptez l'hommage fincere
Que vous offre un enfant du Nord,
MA I. 1775. 177
Qui n'a de titre littéraire
Qu'un brûlant defir de vous plaire :
Ou pardonnez lui fon transport.
Etant fi près de vous , Monfieur , pouvoit- il
réfifter plus long- temps à l'impérieufe démangeaifon
de vous marquer la reconnoiffance ,
pour tant d'Ouvrages qui l'ont échauffé dans le
pays des frimats .
Mais quoique vous foyez le pere
De ces chants fi pleins d'agrément ,
Où le plaifant & le févère ,
Où le tour & le fentiment
Difputent à qui fait mieux plaire ;
Vous êtes bien peu conféquent ,
Saufvotre reſpect liminaire ,
D'avoir au bas mis votre nom :
Il falloit , fublime Voltaire ,
Il falloit figner Apollon.
8
Je me fuis mis au rang des rimeurs , comme
Vous voyez , Monfieur , & dans une langue , fi
vous n'y aviez écrit , abfolument étrangere à moi,
mais tout cela moins par étude que par fentiments
je me fuis dit de bonne heure :
Comme un torrent impétueux
Le temps coule & le précipite :
Se plaire à le fixer eft la gloire des Dieux 5
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
1
Pour nousun moindre efpoir doit couronner nos
voeux ,
Apprenons à tromper fa fuite ;
Par nous mêmes foyons heureux ;
Et , fans porter envie au partage fuprême ,
Recueillons notre efprit à l'afpect de ce temps
Et loin de tout fade fystême ,
Epluchons tous les traits , goûtons tous fes inf
tans .
Le plaifir leprolonge en dépit de lui - même.
LE PRINCE DE BELOSELSKI.
Réponse de M. de Voltaire.
A Ferney , 27 Mars 1775-
MONSIEUR ,
acca Un Vieillard de quatre -vingt & un ans ,
blé de maladies cruelles , a fenti quelques adouciflemens
à fes maux en recevant la Lettre charmante
en profe & en vers dont vous l'avez
honoré , dans une langue qui n'eft point la
vôtre & dans laquelle vous écrivez mieux que
tous les jeunes gens de notre Cour. Je viendrais
vous en remercier à Genève , fi mes fouffrances
me le permettaient, & fi elles ne me privaient
pas de toute fociété.
J'ai dit tout bas , en relifant vos vers :
MAI. 1775 .
179
Dans des climats glacés Ovide vit un jour
Une fille du tendre Orphée.
D'un beau feu leur âme échauffée ,
Fit des chanfons , des vers , & fur- tout fit l'amour.
Les Dieux bénitent leur tendreffe ,
Il en nâquit un fils orné de leurs talens ;
Yous en êtes iflu ; connaiſſez vos parens ,
Et tous vos titres de noblefls.
Agréez , Monfieur le Prince , le refpect du
Vieillard de Ferney.
LETTRE de M. de Voltaire à l'Auteur
des Ephémérides du Citoyen .
Je ne puis affez vous remercier , Monfieur ,
de la bonté que vous avez de me faire envoyer
vos Ephémérides. Les vérités utiles y font f
clairement énoncées , que j'y apprends toujours
quelque chofe , quoiqu'à mon âge on foit d'ordinaire
incapable d'apprendre. La liberté du
commerce des grains y eft traitée comme elle
doit l'être , & cet avantage inestimable ferait
encore plus grand , fi l'Etat avait pu dépenfer em
canaux de Province à Province la vingtième partie
de ce qu'il nous en a coûté pour deux guerres ,
dont la première fut entièrement inutile & l'autre
funefte. S'il y a jamais eu quelque chofe de prou-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
vé , c'eft la néceffité d'abolir pour jamais les
corvées. Voilà deux fervices eflentiels que Monfieur
Turgot veut rendre à la France ; & en cela
fon adminiſtration fera très - fupérieure à celle du
grand Colbert . J'ai toujours admiré cet habile
Miniftre de Louis XIV , bien moins pour ce qu'il
fit , que pour ce qu'il voulut faire ; car vous favez
que fon plan était d'écarter pour jamais les
Traitans. La guerre plus brillante que fage , de
1672 , détruisit toute son économie. Il fallut fervir
la gloire de Louis XIV , au lieu de fervir la
France. Il fallut recourir aux emprunts onéreux
au lieu d'impofer un tribut égal & proportionné
comme celui du dixième.
"
Que la France foit adminiftrée comme l'a été
la Province de Limoges , & alors cette France
fortant de fes ruines , fera le modèle du plus
heureux Gouvernement.
Je fuis bien content , Monfieur , de tout ce
que vous dites fur les entraves des Artiſtes , fur
les maîtrifes , fur les jurandes . J'ai fous mes yeux
un grand exemple de ce que peut une liberté
honnête & modérée en fait de commerce , auffi
bien qu'en fait d'agriculture. Il y avoit dans le
plus bel afpect de l'Europe , après Conftantinople
, mais dans le fol le plus ingrat & le plus
mal- lain , un petit hameau habité par quarante
malheureux dévorés d'écrouelles & de pauvreté.
Un homme avec un bien honnête , acheta ce
territoire affreux , exprès pour le changer ; I
commença par faire deflécher des marais empeftés
. Il défricha. Il fit venir des Artiftes étran
gers de toute espèce , & furtout des Horlogers
qui ne connurent ni maîtrife , ni jurande , ni
Compagnonage mais qui travaillèrent avec
MAI. 1775.
181
ane induftrie merveilleufe , & qui furent en
état de donner des ouvrages finis à un tiers
meilleur marché qu'on ne les vend à Paris.
Monfieur le Duc de Choileul les protégea
avec cette nobleffe & cette grandeur qui ont donné
tant d'éclat à toute fa conduite .
Monfieur Dogni les foutint par des bontés.
fans lesquelles ils étaient perdus .
Monfieur Turgot , voyant en eux des étrangers
devenus François , & des gens de bien devenus
utiles , leur a donné toutes les facilités
qui fe concilient avec les loix .
5
Enfin , en peu d'années , un repaire de quarante
fauvages eft devenu une petite Ville opulente
, habitée par douze cens perfonnes utiles
par des Phyficiens de pratique , par des fages
dont l'efprit occupe les mains. Si on les avoit
aflujettis aux loix ridicules inventées pour opprimer
les Arts , ce lieu ferait encore un défert
infect , habité par les ours des Alpes & du
Mont-Jura.
Continuez , Monfieur , à nous éclairer , à nous
encourager , à préparer les matériaux avec lefquels
nos Miniftres éleveront le temple de la
félicité publique.
J'ai l'honneur d'être , avec une reconnaiflance
refpectueufe , Monfieur ,
Votre très- humble & très- obéiflant
ferviteur VOLTAIRE.
182 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. de Voltaire à M.
Parmentier.
A Ferney , le 1 Avril 1775.
J'ai reçu , Monfieur , les deux excellens Mémoires
que vous avez bien voulu m'envoyer ,
l'un fur les Pommes de terre , defiré du Gou .
vernement , l'autre fur les Végétaux nourrilans ,
couronné par l'Académie de Befançon . Si j'ai
tardé un peu à vous remercier , c'eft que je ne
mangerai plus de pommes de terre dont j'ai fait
du pain très-favoureux , mêlé avec moitié de
farine de froment , & dont j'ai fait manger à
mes Agriculteurs dans un temps de difette , avec
te plus grand fuccès . Mais quatre- vingt & un
ans , furchargés de maladies , ne me permettent
pas d'être bien exact à répondre ; je n'en luis
pas moins fenfible à votre mérite , à l'utilité
de vos recherches , & au plaifir que vous m'avez
fait.
J'ai l'honneur d'être avec tous les fentimens
que je vous dois , Monfieur , votre très - humble
& très obéiflant ferviteur.
VOLTAIRE.
MA I. 1775. 183
COURS ET LEÇONS PUBLIQUES.
I.
M. Bouchaud , de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles Lettres, Lecteur
& Profeffeur Royal du Droit de la Nature
& des Gens ( Chaire nouvellement
établie ) , Docteur - Régent de la Faculté de
Droit , & Cenfeur Royal , a repris fes leçons
au Collège Royal , le Lundi 24 de
ce mois . Il les continuera les Lundis , Mercredis
& Vendredis à huit heures & demie
du matin , & donnera la première partie
de fes Inftitutions du Droit des Gens . M.
Bouchaud fera en outre , chez lui , un Cours
particulierde Droit Politique , les Dimanches
depuis dix heures jufqu'à midi , & les
Jeudis depuis onze heures jufqu'à une.
L'objet de ce Cours fera de développer la
conftitution politique & actuelle de tous
les Etats de l'Europe , & de confidérer ,
fous un point de vue général , les intérêts
de chacun d'eux relativement aux autres
Etats .
II.
M. l'Abbé Aubert, Cenfeur Royal, Di
184 MERCURE DE FRANCE.
recteur de la manutention économique de
la Gazette de France , Lecteur & Profeffeur
Royal en Littérature Françoife (Chaire
nouvellement créée ) , a fait l'ouverture
de fes leçons au Collége Royal , le Mardi
25, à onze heures du matin, par un Difcoursfur
l'origine de la Langue Françoife ,
& il les continuera les Mardis , Jeudis &
Samedis à la même heure. Il y reprendra
la Langue à fon berceau ; & il en fuivra
les progrès dans nos vieux Poëtes , en y
joignant tout ce que pourra lui fournir d'u
tile & de curieux , l'Hiftoire littéraire des
Troubadours , compofée d'après les ma
nufcrits de M. de Sainte - Palaye.
III.
M. Junker finira le 22 Mai prochain ,
fon Cours de Grammaire Allemande , auffi
bien que celui de Science Politique . Il recommencera
l'un & l'autre le 24 du même
mois , & les continuera pendant fix mois ,
comme il a fait jufqu'ici , tous les Lundis ,
Mercredis & Vendredis , le premier depuis
neuf heures du matin juſqu'à dix, &
le fecond depuis dix heures jufqu'à midi .
Le prix du Cours de Grammaire Allemande
eft de trois Louis , & celui du Cours
MA I. 1775 .
185
de Science Politique , très utile & même
néceffaire à ceux qui fe deftinent aux affaires
, eft de fix Louis , qui fe payent d'avance.
Les perfonnes qui voudront venir
à l'un ou à l'autre , font priées de fe faire
infcrire quelques jours auparavant. M.
Junker demeure rue Saint Benoît , Fauxbourg
Saint Germain , maiſon du Bourrelier
de Monfieur , au fecond.
I V.
M. Roberts, Profeffeur de Langue Angloife
, & Anglois de nation , a l'honneur
d'avertir le Public qu'il eft de retour de
Londres , qu'il continue de donner des
leçons chez lui & en ville , à fon ordinaire.
Les perfonnes qui defirent apprendre
l'Anglois , foit par goût ou par befoin ,
& qui veulent un peu s'y appliquer , peuvent
s'affurer qu'elles fauront le lire avec
un très bon accent , & de manière à fe
faire bien entendre au milieu de Londres
même , en très - peu de temps. On dit ' en
général que la prononciation de cette
Langue eft d'une difficulté extrême , finon
infurmontable ; pour détruire ce préjugé
, il fuffit de réfléchir que l'homme
eft né imitateur , & qu'entre les mains
186 MERCURE DE FRANCE:
d'un Maitre qui fait tirer parti de ce penchant
naturel , toutes les difficultés dif
paroiffent dans un mois de temps ,
en n'étudiant même qu'une heure par
jour. Les perfonnes qui éprouvent le
contraire doivent croire , ou qu'elles fuivent
une méthode éloignée de celle de
la nature , qui eft toujours la plus fimple
& la plus facile, ou qu'elles font mal enfeignées.
Cours public de Langue Angloife.
M. Roberts , pour faire voir au Públic
qu'il ne lui en impofe pas , & pour concourir
à l'utilité publique autant qu'il eft
en lui , invite les perfonnes qui defirent
cultiver l'Anglois , à fuivre le Cours qu'il
ouvrira le fix Mars prochain à 11 heures
du matin . Ce Cours durera quatre mois ,
il y aura leçon tous les jouts , les Fêtes
exceptées ; en lifant quelques - uns des
Hiftoriens Anglois , on expliquera d'une
manière nette & précife les règles de la
Grammaire à mefure qu'elles fe préfenteront,&
on réfervera les fix dernières femai
nes pour lire quelques morceaux choifis
de nos Poëtes les plus célèbres. Comme
l'Auteur ne négligera aucun foin pour renM
A I. 1775 .
187
dre ce Cours utile & intéreffant , il fe
fatte de mériter les fuffrages du Public
& de pouvoir affurer que les perfoones
qui l'auront fuivi régulièrement , feront
en état de lire toute forte de livres Anglois
, & même de pouvoir s'exprimer
dans cette Langue. Le bonheur d'être
utile fera la feule & la plus flatteuſe récompenfe
qu'il peut recevoir. M. Rober's
demeure rue Pavée Saint - Andrédes
Arts , chez M. Tourillon , Tapiffier ,
à Paris.
ARTS.
GRAVURES
I.
COLLECTION de planches enluminées &
non enluminées , repréfentant au naturel
ce qui fe trouve de plus intéreſſanc
& de plus curieux parmi les animaux ,
les végétaux & les minéraux , par M.
Buc'hoz , Médecin Botaniste & Surnuméraire
de Monfieur , Auteur de
l'Hiftoire Universelle du Règne Végé188
MERCURE DE FRANCE.
tal , & des Dictionnaires des trois Règnes
de la France.
CETTE COLLECTION , une des plus curieufes
& des plus intéreffantes en fon genre
, paroîtra par cahier régulièrement tous
les trois mois. Le premier cabier qui a
paru dès le commencement de Janvier ,
comprend le règne animal ; il renferme
12 feuilles de gravures tirées far grand
papier au Nom de Jéfus , & 10 feuilles
d'enluminures faifant en tout vingt-deux
feuilles .
Le fecond cahier qui paroît actuellement ,
comprend le règne végétal ; on n'y a repréfenté
que les plantes de la Chine , dont
le plus grand nombre eft encore actuellement
inconnu dans l'Europe . Depuis longtemps
on defiroit en Europe la repréfentation
figurée des plantes de la Chine ; il
falloit , pour pouvoir y parvenir , une cir
conftance auffi favorable que celle qui
s'eft préfentée à l'Auteur; on n'ignore pas
que l'entrée de la Chine eft interdite à
tout étranger ; comment donc pouvoir la
parcourir pour en reconnoître les plantes ?
Un Miffionnaire qui réuniffoit à fes talens
apoftoliques un goût pour la Botanique &
pour la Médecine , tâcha de réunir dans
MA I. 1775. 189
un corps d'ouvrage tout ce qu'il y avoit de
plus intéreflant & de plus curieux à favoir
fur les plantes , arbres & arbustes de la
Chine ; il puifa , pour cet effet , danst
tous les livres de Botanique du Pays ; il
confulta les Médecins , les Botaniſtes &
les Pharmaciens de la Cour ; il s'affocia
pareillement des Peintres pour figurer ces
mêmes plantes ; l'ouvrage qu'il rédigea
fur cet objet , eft actuellement dépofé
dans la Bibliothèque de l'Empereur; &
les figures des plantes qu'on publie dans
ce recueil , font copiées exactement d'après
cet ouvrage ; enforte qu'elles feroient
auffi rares , fi on les publioit à la Chine ,
qu'elles le font en France , puifqu'elles ne
fe trouvent que chez l'Empereur. C'eſt un
avantage pour nous d'avoir une notion de
ces plantes , telle que nous en avions de
celles d'Europe du temps de Diofcoride &
de Mathiole ; peut- être un jour pourrons .
nous mieux les connoître : du moins , par
la connoiffance que nous avons de leurs
noms Chinois qui fe trouvent gravés en
caractères du pays dans la dernière planche
de ce fecond cahier , pourra - t- on les
demander en réalité dans le pays & les
cultiver en France ? Ce fecond cahier qui
les repréfente , eft , de même que le pre190
MERCURE DE FRANCE.
mier, de 12 feuilles gravées , & de 10 enluminées
; il est tiré auffi fur même papier
; il fe trouve dans le cahier 30 plantes
figurées; le recueil de ces plantes pourra fe
monter environ à 500 .
Le troisième cahier , qui paroîtra en
Juillet , ne fera pas moins intéreffant que
les deux autres , pour ne pas dire plus ; il
eft actuellement gravé , & on peut dire
que c'eft un chef d'oeuvre de gravures ,
même au dire des Amateurs ; il eft deſtiné
au règne minéral ; on y trouve des foffiles
très- curieux , des cryftallifations, des accidens
parmi les minéraux , qui font rendus
avec la dernière exactitude : il n'y a encore
rien eu de fi bien exécuté en ce genre ;
on ne craint pas de l'avancer .
Le quatrième cahier paroîtra en Octo.
bre ; il eſt déjà plus de moitié gravé ; il
recommencera le règne animal ; & le cinquième
qu'on publiera en Janvier 1776 ,
fera la continuation du règne végétal , de
même que le fixième fera celle du règne
minéral , & ainfi de fuite régulièrement
de trois mois en trois mois ; chaque cahier
eft broché en papier bleu , & entre
chaque planche il y a des feuilles de pa-`
pier ferpente ; il faudra réunir dix cahiers
pour un volume.
MA I. 1775: 191
On n'ouvrira aucune foufcription pour
cette Collection de planches ; on aime
mieux en offrir l'acquifition à meſure
que chaque cahier paroîtra , fans rien
payer d'avance ; on n'en fera tirer que
300 Exemplaires ; ceux qui voudront
avoir les premières épreuves font priés.
de fe faire infcrire ; la diftribution s'en
fera felon la date de leur infcription ; le
prix de chaque cahier eft de 30 livres ;
on pourra fe les procurer chez l'Auteur ,
rue Haute-Feuille , & chez Lacombe , Libraire
, rue Chriftine .
On invite les Curieux & les Amateurs
qui auront quelques morceaux intéreflans
d'Hiftoire Naturelle , de vouloir bien en
donner avis à l'Auteur ; il les fera deffiner
& graver à fes frais , & indiquera les endroits
où on les trouve.
On foufcrit chez le même Libraire pour
un Ouvrage périodique fur l'Hiftoire Naturelle
, intitulé : la Nature confidéréefous
fes différens Afpects . Il en paroît deux ca
hiers par mois , & chaque fix mois , un.
de fupplément ; le prix de la foufcription ,
pour toute l'année , eft de 12 livres ; on
trouve raffemblé dans ce Journal tout ce
qu'il y a de plus intéreflant fur la Méde
cine , l'Art Vétérinaire , l'Agriculture , le
192 MERCURE DE FRANCE.
Jardinage , la Minéralogie , la Phyfique ,
l'Hiftoire des Animaux , & c .; enforte
qu'on peut regarder ce Recueil autant
comme Ouvrage de bibliothèque , que
comme Journal .
On trouve auffi à la même adreffe le
Traité économique des Oifeaux de baffecour
, Ouvrage nouveau , in- 12 , prix 2
1. broché.
:
I I.
L'Agréable Défordre & la Promeffe du
Retour deux Eftampes faifant pendant
, gravées par M. David ; de 14
pouces de hauteur , fur dix de largeur.
Ces deux fujets n'offrent rien que d'agréable
, & font rendus avec toute la fineffe
& la précision que l'Auteur a fu fi
bien répandre dans le Marché aux herbes
d'Amfterdam : il femble même que le
travail en eft plus foigné.
Elles fe trouvent à Paris , chez M.
David , Rue des Noyers , au coin de
celle des Anglois ; prix , chacune, 2 1. 8 f.
II I.
Le Sieur Thomas , jeune Graveur ,
vient
MA I. 1775 . 193
vient de mettre au jour le Portrait du
Sieur des Elfarts , Comédien du Roi ,
repréfenté dans le rôle de Francaleu , lifant
la Tragédie de la mort de Bucéphale.
Ce portrait eft gravé d'après le deffein
de M. Ingouf, l'aîné . M. Thomas , élève
du Sieur le Mire , célèbre Graveur , an
nonce de grandes difpofitions : Son burin
a de la couleur & de la fermeté . On trou
ve ce portrait chez M. Le Mire , rue St-
Etienne -des-Grès. Il fe vend i liv. 4 f.
I V.
Portrait , en médaillon , du fieur Jean-
Jofeph Sue , Profeffeur & Démonſtrateur
aux Ecoles Royales de Chirurgie , de
l'Académie Royale de peinture & fculpzure
, &c. Ce portrait eft gravé avec beaucoup
de foin & d'intelligence , d'après
un deffein de M. Pujos , par M. Pruneau
& fe vend ; I liv . 4 f. chez l'Auteur , rue
St Jacques , maiſon de Madame Duchef
ne , Libraire.
V.
Le grand tableau de Païfage de
M. le Prince ' , qui a été expofé au
I194
MERCURE DE FRANCE .
dernier Sallon , fous le titre de Vue des
environs de Fontainebleau , vient d'être
gravé par M. Godefroy . Cette Eftampe
de 22 pouces fur 16 , fe diftribuera , le
1 Juin , chez l'Auteur , rue des Francs-
Bourgeois , Place St - Michel , vis- à- vis
la rue de Vaugirard : prix 12 liv.
VI
Jardins Anglois.
Les curieux , qui ont foufcrit pour les
huit planches faifant fupplément des Jardins
Anglois , font priés de les faire
retirer.
Le cahier eft actuellément compofé
de 27 planches , compris le plan de Bellevue
& la defcription ; prix 9 liv . broché :
chez le Sieur le Rouge , Ingénieur - Géographe
, rue des grands Auguftins .
MUSIQUE.
I.
TROISIEME Recueil d'airs d'Opéra-
Comique & autres , avec accompagneMA
I. 1775 : 195
A
ment de Guittarre , par M. Tillier , de
l'Académie Royale de Mufique ; mis au
jour par M. Roüin ; OEuvre feptième :
prix , 7 l . 4 f.
I I.
Trente- unième Recueil périodique d'arietres
d'Opéra - Comique, arrangées pour
le Forté- Piano & le Clavecin à Paris ,
chez M. Pouteau , Organiſte à St - Martindes
Champs , & Maître de Clavecin ;
prix , I liv. 16 f. à Paris , chez M. Boüin
Marchand de Mufique , & de cordes d'inftrumens
; rue St Honoré , au Gagne - petit,
près St- Roch .
BAROMETRES ET THERMOMETRES.
LE SIEUR ASSTER PERICA , Ingénieur-
Conftructeur de Baromètres & Thermomètres
, & autres inftrumens de Phyfique
expérimentale , eft parvenu , après
un long travail , à ôter le choc du
mercure , fi long temps deftré pour ces
inftrumens , qui ne pouvoient auparavant
fe tranfporter d'un lieu à l'autre,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fans être expofés à fe caller & à ſe déranger
par le choc.
Ces Baromètres préviennent les tempêtes
& les ouragans ; & mettent , par
conféquent , les Capitaines de vaiffeaux ,
dans le cas de prévoir le danger.
Il a auffi inventé des Thermomètres ,
avec telle fenfibilité , que dans un quart
de minute , ils fe dilatent de so degrès ,
tandis que les ordinaires n'ont encorę
pris aucuns degrés de température.
Au premier changement de la condenfation
ou dilatation , les amateurs &
obfervateurs peuvent s'affürer de tous les
changemens qui en réfultent. Il conftruit
aufli des pèfe liqueurs de comparaiſon
pour mesurer toutes fortes de liqueurs.
On trouve ces pèfe- liqueurs chez M.
Baumé , Membre de l'Académie Royale
des Sciences de Paris , rue Coquillière ;
& une table d'explications . Le tout approuvé
par ladite Académie .
L'Auteur fait toutes fortes de Baromètres
, pour faire parallèle aux Pendules
& Cartels.
Il demeure rue Geoffroy - l'Afnier , au
coin de celle de St- Antoine , au Baromètre
Royal , à Paris .
MA I. 1775 .
197
4
1
ACTE DE BIENFAISANCE.
--
― Non...
Le jeune Robert attendoit fur le rivage , à
Marseille, que quelqu'un entrât dans fon batelet .
Un inconnu s'y place , mais il alloit en fortir incontinent
, en difant à Robert qui fe préfente , &
qu'il ne foupçonne pas en être le Patron , que
puifque le conducteur ne fe montre point , il va
paller dans un autre. Celui- ci eft le mien ,
Monfieur ; voulez vous fortir du port ?
Monfieur... Il n'y a plus qu'une heure de jour... Je
voulois feulement faire quelques tours dans le
baffin , pour profiter de la fraîcheur & de la beauté
de la foirée ... Mais vous n'avez pas l'air d'un
marinier , ni le ton d'un homme de cet état.
Cela eft vrai & je ne le fuis pas en effet : ce n'eft
que pour gagner plus d'argent que je fais ce métier
les fêtes & les dimanches. -Fi ! avare à votre
âge ! cela dépare votre jeunefle , & étouffe l'inté
rêt qu'infpire d'abord votre heureufe phyficnomie.
Hélas ! fi vous faviez pourquoi je
defire fi fort de gagner de l'argent , fi vous me
connoiflicz , vous n'ajouteriez pas à ma peine
celle de me croire un caractere fi bas . - J'ai pu
vous faire tort : mais vous vous êtes mal exprimé .
Faifons notre promenade ; vous me conterez votre
hiftoire... Eh bien ! mon cher ami , ditesmoi
donc quels font vos chagrins ; vous m'avez
difpofé à y prendre part . Je n'en ai qu'un ,
celui d'avoir mon pere dans les fers, fans pouvoir
l'en tirer encore . Il étoit Courtier dans cette Ville ;
s'étant procuré de les épargnes & de celles de ma
mere , dans le commerce de modes , un intérêt
✔
-
―
1 nj
198 MERCURE DE FRANCE .
fur un vaifleau en charge pour Smyrne , il a
voulu lui- même veiller à l'échange de fa pacotille
& en faire le choix . Le vaifleau a été pris par
un Corfaire & conduit à Tétuan , où mon malheureux
pere eft elclave avec le reste de l'équipage.
Il faut deux mille écus pour la rançon ;
mais comme il s'étoit épuifé , afin de rendre'
plus importante fon entreprife , nous fommes
bien éloignés d'avoir encore cette fomme . Ce
pendant ma mere & mes foeurs travaillent jour
& nuit j'en fais de même chez men maître ,
dans l'état de joaillier que j'ai embraflé , & je
cherche à mettre à profit , comme vous voyez ,
les Dimanches & les Fêtes. Nous nous fommes
retranchés julques fur les befoins de premiere
néceffité ; une feule petite chambre forme le logement
de notre ménage infortuné . Je croyois
d'abord qu'il m'étoit poffible d'aller prendre la
place de mon pere & de le délivrer en me chargeant
de les fers ; j'étois prêt à exécuter ce
projet , lorique ma mere , qui en fut informée
je ne fais comment , m'aflura qu'il étoit auffi
impraticable que chimérique , & fit défendre à
tous les Capitaines pour le Levant de me prendre
à leur bord. Recevez - vous quelquefois des
nouvelles de votre pere ; favez vous quel eft fon
Patron à Tétuan , & quels traitemens il y éprouve
! Son Patron eft Intendant des jardins du
Roi ; on le traite avec humanité ; & les travaux
auxquels on l'emploie ne font pas au - deffus de fes
forces . Mais nous ne fommes point avec lui pour
le confoler , pour le foulager , il eft éloigné de
nous , d'une époufe chérie & de trois enfans qu'il
aima toujours avec tendreffe. Et quel nom vo
tre pere porte-t-il à Tétuan ? - Il n'en a pás
-
---
MA I. 1775 . 199
- --
changé il s'appelle Robert , comme à Marseille,
Ha ha! Robert... chez l'Intendant des jardins.
Oui , Monfieur. Votre malheur me
touche , mais , d'après vos fentimens qui le méritent
, j'ofe vous préfager un meilleur fort , &
je vous le fouhaite bien fincèrement... En jouiffant
du frais , je voulois auffi me livrer à la foli,
tude :
: ne trouvez donc pas mauvais , mon ami ,
queje fois tranquille un moment.
Lorsqu'il fut nuit , Kobert eut ordre d'aborder,'
Sortaut du bateau , fans lui donner le temps d'en
defcendre , ni de l'attacher , l'inconnu ne permic
pas à Robert de le remercier de fa bourfe qu'il lui
Jaiffa , en le quittant ainfi avec précipitation . Il y
avoit dans cette bourfe huit doubles louis en or
& dix écus en argent. Une générosité auffi confidérable
infpira au jeune homme la plus haute
opinion de la fenfibilité de l'inconnu : mais ce
fut en vain qu'il faifoit des voeux pour le rencon
trer & lui en rendre grâces.
Six femaines après cette époque , cette famille
honnête , qui continuoit , fans relâche , à tra
vailler , pour completter la fomme dont elle avoit
befoin , étant à prendre un dîner frugal , compofé
de pain & d'amandes féches , voit arriver le pere
Robert , très - proprement vétu , qui la forprend
dans fa douleur & dans fa mifere. -Ah ! ma fem
me! ah ! mes chers enfans ! comment avez vous
pu me délivrer aufli promptement , & de la maniere
dont vous l'avez fait ? Voyez un peu comment
vous m'avez équipé ; & puis ces cinquante
Jouis que l'on m'a compté en m'embarquant fur
le vaifleau , où mon paflage & ma nourriture
étoient acquittés d'avance ! comment reconnoître
tant d'amour , tant de zele ! & ce dépouillement
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
→ La affreux où vous vous êtes mis moi !
pour
furprife de la mere lui ôte d'abord la force de
répondre ; elle ne peut qu'embrasfer fon mari ,
fondre en larmes , & fes filles de l'imiter . Pour
le jeune Robert , il reſte immobile fur fa chaife :
toujours fans mouvement , il s'y évanouit enfin.
Les pleurs qu'il a répandus rendent la parole
à la mere ; elle embrafle encore fon mari , elle
regarde fon fils , & le montrant au pere : voilà
votre libérateur. Il falioit fix mille francs pour
votre rançon nous en avons un peu plus de
moitié feulement , dont la meilleure partie eft le
prix du travail & de l'amour de votre fils . Ce refpectable
enfant aura trouvé des amis , qui , touchés
de les vertus , l'auront aidé ; & puisqu'il
projettoit , en fecret , dès le principe de votre
efclavage , d'aller prendre votre place ; c'eft fans
doute à lui que nous devons notre bonheur : il a
voulu de même nous en laiffer la furprife . Voyez
comme il le fent ! mais fecourons le . La mere vole
à lui ; fes foeurs en font de même . Ce n'est qu'avec
beaucoup de peine qu'on l'arrache de fon évanouiflement
; il jette alors les regards languiflans
fur fon pere : mais il n'a point aflez de force pour
parlerencore.
De fon côté, tout à coup rêveur & taciturne ;
le pere paroît bientôt confternê ; puis s'adreflant
à fon fils : malheureux ! qu'as- tu fait ? comment
puis je te devoir ma délivrance fans la regretter ?
comment pouvoit - elle refter un fecret pour ta
mere , fans être achetée au prix de ta vertu ? A ton
âge , fils d'un infortuné , d'un eſclave , on ne le
procure point naturellement les reffources conft
dérables qu'il te falloit. Je frémis de penser que
MAI. 1775 . 201
-
l'amour paternel t'ait rendu coupable ! Raffuremoi
, fois vrai , & mourons tous , fi tu as pa
celler d'être honnête. Tranquillifez - vous ,
mon pere , répond- il en fe levant avec effort :
embraflez votre fils ; il n'eft pas indigne de
ce beau titre , ni aflez heureux pour avoit
pu vous prouver combien il lui eft cher. Ce n'eſt
point à moi , ce n'eft point à nous que vous devez
votre liberté. Je connois notre bienfaiteur ; ma
mere! cet inconnu qui me donna la bourſe , m'a fait
bien des questions . Je paflerai ma vie à le chercher
; je le rencontrerai ; il viendra jouir de fes
bienfaits , les partager , & verfer avec nous de
douces larmes . Le fils raconte à fon pere Panecdote
de l'inconnu , & le rallure ainfi fur les
craintes.
Rendu à la tranquillité , Robert trouva des
amis & des fecours . Les fuccès les plus inattendus
furpaffant fes efpérances , couronnent fes nonvelles
entreprifes . Au bout de deux ans , il fe voit
riche ; fes enfans établis & heureux , goûtent
avec lui & fa femme une félicité qui feroit fans
mélanges , fi les recherches continuelles du fils
avoient pu lui faire découvrir ce bienfaiteur caché
, objet de leur reconnoiflance & de leurs
voeux.
Il le rencontre enfin un dimanche matin , Le
promenant feul fur le port. Ah ! mon Dieu tuté.
laire ! C'eft tout ce qu'il put prononcer en ſe je
tant à fes pieds , où il tombe fans connoiflance.
L'inconnu s'emprefle de le fecourir , & par quelque
cau fpiritueufe parvient à le faire revenir ; il
n'elt pas moins empreflé à lui demander la caufe
de fon état. Ah ! Monfieur , pouvez - vous
-
1v
202 MERCURE DE FRANCE.
l'ignorer? Avez -vous oublié Robert & fa famille infortunée
, que vous rendîtes au bonheur en lui tendant
fon perc? -Vous vous méprenez , mon ami; je
ne vous connois point , & vous ne fauriez me connoître;
car, étranger à Maifeille , je n'y fuis que
depuis peu être : mais de jours.Tout cela peut
rappelez-vous qu'il y a vingt-fix mois vous y étiez .
déjà cette promenade dans le port , l'intérêt que
Vous prîtes à mon malheur ; les queftions que
vous me fîtes , feulement fur les circonftances
qui pouvoient vous éclairer & vous donner les
lumieres néceflaires pour être mon bienfaiteur.
Libérateur de mon pere , pouvez - vous oublier
que vous êtes le fauveur d'une famille entiere ,
qui ne defire plus rien que votre préfence : Ne
vous refufez pas à fes voeux ; partagez la joie ; venez confondre les larmes de votre attendrille-
Venez.
ment à celles de notre reconnoiflance...
Doucement , mon ami ; je vous l'ai déjà dit :
vous vous méprenez. Non , Monfieur , je ne
me trompe point ... Vos traits font trop profondément
gravés dans mon coeur pour que je puiffe
vous méconnoître : venez , de grâce ! .. Et le jeune
Robert de le prendre par le bras & de lui faire
ainfi une douce violence pour l'entraîner , & le
peuple de s'aflembler autour de ces deux perfonnagés.
--
L'inconnu alors , d'un ton plus grave & plus
ferme : Monfieur , cette fcene me fatigue fans vous
Loulager. Quelque reffemblance frappante occafionne
vorre erreur ; rappelez votre raison , & ,
dans le fein de votre famille , allez reprendre la
tranquillité dont vous me pareillez avoir befoin.
Quelle barbarie ! bienfaiteur de cette famille ,
pourquoi , par votre réſiſtance , par votre refus
1
MA I. 1775. 201
1
de m'accompagner , altérer le bonheur qu'elle ne
doit qu'à vous? Refterai-je en vain à vos pieds ?
Et ferez - vous affez ctuel pour rebuter aujourd'hui
le tribut touchant que nous réfervons depuis fi
long-temps à votre fenfibilité ? Et vous , ô mes
Concitoyens ! vous tous que le défordre & le
trouble où je fuis doivent attendrir , joignezvous
àmoi pour que l'auteur de mon falut vienne
contempler lui- même fon propre ouvrage.
Ici l'inconnu fe tait . Mais réuniflant toutes fes
forces & rappelant fon courage , pour réfiſter à
la féduction de la jouiffance délicieuse qui lui eft
offerte , il échappe , dans la foule , aux yeux
éteints & égarés du jeune Robert , & laifle au
peuple étonné , l'exemple d'un héroïsme tel qu'il
n'avoit point encore vu.
Le filence de la défolation , la buffocation du
reflentiment (uccèdent à l'agitation dont l'honnête
Robert eft tourmenté : on eft obligé de le porter
chez lui , ou enfin un corrent de larmes falutaires
l'arrache au danger de fa fituation.
L'inconnu dont il a été queſtion juſqu'ici , le
feroit encore maintenant , & des gens d'affaires
ayant trouvé dans fes papiers , à la mort de leur
maître , une note de 75co liv. envoyées à Robert
Mayn , de Cadix , ne lui en euffent pas demandé
compte mais feulement par curiofité , puisque
la note étoit bâtonnée & le papier chiffonné ,
comme ceux qu'on deftine au feu. Ce famenx
Banquier Anglois répond qu'il en a fait ufage
pour délivrer un Marfeillois nommé Robert ,
efclave à Tétuan , conformément aux ordres de
CHARLES DE SECONDAT , BARON DE MONTESI
vj
204 MERCURE DE FRANCE.
1
་
A QUIEU , PRÉSIDENT & MORTIER AU PARLEMENT
DE BORDEAUX *.
Lorfque cet Auteur , par fes écrits , tous égale
ment infpirés & dictés par l'amour des hommes
& du vrai , éleva , lui même , à fa gloire , des
monumens éternels , j'ai cru qu'en rapportant fimplement
ce fait , c'étoit la feule manière dont
I'Humanité , pénétrée de fa perte , pouvoit , avec
quelque dignité , faire fumer l'encens de la reconnoiflance
fur le tombeau de fon immortel
bienfaiteur.
Douce , précieuſe , confolante philoſophie
que de refpect & de vénération n'imptimes - tu pas
dans tous les coeurs , quand ceux dont le génie
peut éclairer , rendre meilleurs & plus heureux
leurs femblables , font les premiers à donner
l'exemple de la vertu !
Quel tableau touchant pour ceux qui le connoiffoient!
quel fpectacle attendriflant pour les amis,
que la vie de l'Auteur de l'Esprit des Loix ! elle fut
facrifiée toute entiere à la bienfaifance : les lettres
& le plaifir n'en furent que les accefloires . Quel
dut être fon bonheur de voir l'Epoule qu'il adoroit
, une Epoufe digne de lui , dédaigner , repouffer
les hommages dus aux grâces & à la
beauté , pour ne s'occuper que du foulagement
des miférables ; pour ne trouver , avec lui , de fatisfaction
& de jouiffance qu'à faire des heureux !
11
* Dans fa vie , active , laborieufe & obfervatrice
, M. de Montefquieu aimoit à voyager.
viftoit fréquemment fa foeur , Madame d'Héricourt
,mariée à Marseille.
MA I. 1775 • 205
Leur vie , fi celle des êtres bienfaifans & délicats
dans le partage de leurs dons , pouvoit être connue
, ferviroit de modèle & de confolation aux
amis de l'Humanité .
O yous ! moderne Prométhée , dont l'ardent
Aambeau furprit la Nature dans fes projets ,
l'éclaira , l'embellit , vint l'agrandir à nos yeux
& nous découvrir les reflorts , jusqu'à vous imperceptibles
à la foiblefle de notre vue , Buffon !
que de moyens n'offrez-
-vous pas à nos neveux
pour faire de vos vertus le pendant de votre génie!
combien de traits brûlans de magnanimité ,
partis du brâfier de votre coeur ! Ainfi
lumineux qui vivifie & régénere la plante défléchée
par accident , vous relevez l'opprimé , vous
encouragez le malheureux , & effuyant fes larmes
, vous favez lui faire oublier juſqu'au louvenir
même de fes revers.
que
l'aftre
Arbitre & modèle du goût , mortel non moins
univerfel qu'étonnant , toi qui , rendant hommage
à mon Héros , a dit il y a deux jours :
De Londre à Pétersbourg on lit l'Esprit des Loix 5
C'eſt l'oracle du Peuple & la leçon des Rois .
Epitre à M. le Comte de Treffan .·
Toi de qui le nom feul eſt un bienfait , puisqu'il
rappelle fans ceffe au coeur & à l'esprit des actes
de générofité , des traits de lumière , ou l'image.
des grâces & du plaifir , que ne puis - je anticiper
fur les droits de la postérité ! mais la renommée
le les eft appropriés ; les noms de Calas , de Sirven
, celui de la race du grand Corneille , & tant
d'autres , volent à l'Immortalité avec ceux de
Henri & de Jeanne d'Arc :
206 MERCURE DE FRANCE.
Et le même laurier couvre Horace & Titus ,
M. le Chev. de Cubiere de Palmeſeau ,
Epitre fur l'Amour de la Gloire.
a dit , voulant parler de toi & chantant l'union
du génie & de la vertu , l'un de tes plus dignes
admirateurs .
Que ne puis - je raconter quelqu'une de ces
anecdotes qui diftinguent ta délicatefle ! que ne
m'eft-il permis fur - tout d'arracher de l'oubli ou
tu l'as plongée , une des circonftances de ta vie ,
où tu ne fis pas moins d'efforts que Montesquieu
pour te cacher à tous les yeux , & rejetter le tribut
que ta magnanimité venoit de t'allurer ! que
ne puis je le citer ce fait que j'ignorerois , fi celui
qui fut l'objet de ta bienfailance ne me l'eût point
appris , en te reprochant le filence auquel tu l'as
condamné !
Pardonne , ô Voltaire ! fi dans une carriere on
ta préfence entretient , perpétue le printemps &
fait fleurir le myrthe à l'ombre du laurier , pardonne
fi j'ai tenté de jeter des fleurs fur ta route
glorieufe ton génie & ton indulgence les firent
éclore : l'émulation & la reconnoiflance t'en préfentent
l'hommage.
Par M. Mingard.
4
MA I. 177 ).
207
ANECDOTES.
I.
Trait de piété filiale.
UNE femme du Japon étoit restée
veuve & fans bien , avec trois garçons.
Le travail de fes enfans ne fuffifoit pas
pour entretenir fa famille. Ils fe communiquèrent
leur chaguin , & ils prirent ,
pour mettre leur mère à fon aife , une
étrange réfolution. On avoit publié , de-
'puis peu , que quiconque livreroit un
voleur à la Juftice recevroit , pour récompenfe
, une fomme affez confidérable .
Les trois frères convinrent enſemble que
l'un d'eux feroit livré à la Justice par
les deux autres , comme voleur. On tita
au fort , & il tomba fur le plus jeune .
On le conduifit au Magiftrat . Interrogé
par le Juge , le prétendu coupable confeffa
le vol , & la fomme promiſe fut
délivrée à fes frères. Ces infortunés
attendris fur le fort de la victime , ſe
glifèrent dans la prifon , pour l'arrofer
de leurs larmes. Le Magiftrat s'en apper.
208 MERCURE DE FRANCE.
çut & les fic fuivre par un domestique :
celui- ci les obferva ; il s'infinua dans
leur maison , & entendit l'aveu qu'ils
firent à leur mère , de ce qui s'étoit
paffé. Cette femme , au déſeſpoir , refuſa
de conferver fa vie , au prix de celle de
fon jeune enfant . Elle commanda aux
deux autres d'aller promptement déclarer
an Magiftrat la vérité. Le Juge , informé
par le domeftique , interroge de nouveau
le prifonnier , qui , par fa conftance à
foutenir la première déclaration , ſembloit
vouloir le contraindre à le punir.
Le Magiftrat inftruifit le Cubo , ( le Souverain
) , de cette action immortelle . Le
Cubo combla les trois frères de carefles ,
& affigna au plus jeune , quinze cents
écus de rente , & cinq cents à chacun
des deux autres.
I I.
Un Prince Alide demandoit un jour
à Moëz , premier Prince de la Dinaſtie
des Fatimes Egyptiens , de quelle branche
des Alides il fortoit. Voilà ma généalogie
, lui dit Moëz , en tirant fon
épée ; il jeta enfuite de l'argent à fes
foldats attroupés , en difant : Voilà ma
Face.
MA I.
1775 . 209
I I I.
Onnontagué , Chef des Irroquois , en
guerre avec les Hurons & les François , ne
voulut point chercher fon falut par la fuite,
à la vue d'un corps ennemi infiniment
fupérieur à fon détachement , qui fe diffipa
fans être attaqué. Il tomba entre
les mains des Hurons , qui , fuivant
leurs moeurs , s'acharnèrent contre ce
Vieillard , âgé de cent ans. Celui - ci ,
bien loin de pouffer un foupir , reprocha
aux Harons d'être les vils efclaves des
François. Un de fes bourreaux , outré de
fes infultes , lui donne trois coups de
poignard, Tu as tort , lui dit fièrement
Onnontagué , d'abréger ma vie ;
tu aurois eu plus de temps pour aprendre
à mourir en homme.
I V.
Triftan , ayant pris un Fort dans l'Ifle
de Jocotora , trouva un aveugle qui
s'étoit retiré au fond d'un puits ; il lui
demanda comment il avoit pu y defcendre
Les aveugles , répondit il , voyent
le chemin de la liberté . La liberté fut
le fruit de fa réponſe.
210 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
ROBIN , Libraire , paflage du Saumon audeflus
de l'Egout Mont- Maitre , a formé depuis
deux ans un cabiner , où il a raflemblé & raffemble
journellement tout ce qui lui paroît propre
à la lecture .
Il a ramaflé julqu'à ce jour dix - huit cens
articles , tant d'anciens Romans que de Romans
modernes.
La partie du Théâtre eft prefque complette ,
indépendamment d'un très - grand nombre de
Pièces détachées des différens Théâtres qu'il
vend féparement & à jufte prix , & qu'on peut
fe procurer pour la lecture feulement .
L'Hiftoire de France eft une des parties à la
quelle il paroît s'attacher ſpécialement , outre
les Hiftoires générales . Il raflemble tout ce qu'il
trouve de Mémoires ou Hiftoires particulières
relatives à cet objet .
Il ne néglige rien néanmoins pour completter
autant qu'il lui eft poffible , les Hiftoires des
autres Nations , tant anciennes que modernes .
จ
Il a auffi un grand nombre de Voyageurs.
Enfin , s'il continue comme il a commencé
il y a apparence que dans quelques années il
aura formé le cabinet le plus complet en ce
genre.
MA I. 1775.
211
Il vend fon Catalogue douze fols , & donne
gratis tous les ans le fupplément.
Les conditions des différens abonnemens font
énoncés à la tête dudit Catalogue.
I I.
Spectacle pyrique & hydraulique , ou
imitation des effets des feux d'artifices
& des eaux.
Ce fpectacle confifte en différentes exécution's
d'artifices , fur des décorations variées d'Architecture
, de cafcades , &c. Il réunit tout ce que
l'art de l'Artificier embraffe , foit dans la partie
de l'illumination , foit dans celles des foleils
fixes & tournans , des napes & jets d'eaux , des
chiffres , des guirlandes & autres espèces d'ornement
; la vivacité des feux , leur mouvement
& leur variété fucceffive dans les couleurs conconrent
à faire l'illufion la plus parfaite.
Les Amateurs & les Artiftes que l'Auteur a
confultés , avant d'en faire part au public , l'ont
afluré qu'il paffoit de bien loin toutes les tentatives
faites jufqu'à préfent dans ce genre.
On pourra le voir tous les jours à fix heures
précifes du foir , chez le fieur Le Bailly , qui en
eft l'Auteur , en fa demeure , rue des Lavandieres,
place Maubert , au bureau de la capitation ,
au deuxième.
Les repréſentations changeront plufieurs fois
212 MERCURE DE FRANCE.
par femaine ; les billets feront de 24 fols par
place.
Les perfonnes qui ne voudroient pas s'affujetir
à l'heure ci deflus dite , pourront venir à tout
autre inftant , en faisant prévenir la veille le
feur Le Bailly.
I I I.
Cofmétique , Pâte de propreté.
ou
Le moindre des fecrets propres à conferver la
beauté ou à lui porter un nouvel éclat , nous
paroît digne d'être diftingué parmi les recettes
préfentées aux Dames . Celui que nous leur
offrons eft dans les harems des Orientaux & des
Levantins , très - recherché des femmes , finon
plus belles que les nôtres , au moins également
jaloufes de l'éclat de leurs attraits . La compofi
tion que nous leur avons annoncée déjà les
années piécédentes , s'appelle Guzellik ,
Ekmocq , nom arabe qui lui vient de l'ufage
que la propreté en fait au ferrail & dans toute
l'Afie. Elle eft fort au- deffus de la pâte d'amande ,
deftinée feulement à fe laver les mains. Le refte
du corps méritoit bien l'attention du beau fexe ,
& par conféquent des Artifans du luxe. Ce n'eft
point affez de fe nettoyer : blanchir , adoucir ,
rafermir les chairs & parfumer la peau , font des
foins importans qu'il feroit fouvent dangereux
de négliger , s'il eft vrai qu'en quelque forte
ils puiffent relever des charmes féduifans que la
nature donne avant l'art à cette moitié chérie
de l'efpèce humaine . L'Ekmecq a toutes les proMA
I. 1775 . 213
priétés les plus defirées : il fuffit pour s'en frotter
, de l'avoir fait tremper un inftant dans
l'eau , laquelle fert enfuite à le laver. Lors
qu'elle eft tiède , l'effet en devient plus prompt.
C'eft le fieur Fagonde , Marchand de parfums ,
qui la débite feul . Il demeure rue Saint - Denis
près de la rue des Lombards , à la Toilette.
Tout ce qui s'achette ailleurs eft abſolument
contre- fait. Les pains valent 24 fols pièce . Ils
ont une odeur très agréable & qui s'évapore
peu mais pour la conferver toujours , il faut
les ferrer dans un petit coffret , doublé d'étain ;
se qui fe trouve auffi chez le même Marchand.
Un pain dure trois mois , fi'l'on n'en fait ulage
que pour les mains ; & le pain & le coffre nе
coûtent ensemble que 48 fols .
Nota. Des perfonnes dignes de foi qui avoient
le tein échauffé & plein de boutons , après s'être
fervi de diverfes pommades indiquées & fans
fuccès , ont fait ufage de cette pâte , en en faifant
fondre dans de l'eau de rivière , jufqu'a ce
que l'eau foit un peu épaiffe , & s'en font humectés
le vifage tous les foirs ; cela a produit le meilleur
effet , & a fupprimé entièrement les boutons.
LETTES PATENTES , ARRÊTS ,
ORDONNANCES , &c,
I.
LE Parlement a enregiſtré le 16 Mars dernier ,
des Lettres-Patentes du Roi , en date du 12 Jan214
MERCURE DE FRANCE.
vier précédent , données en faveur de la Ville
Impériale de Reutlingen pour l'exemption du
Droit d'Aubaine , & la liberté du Commerce.
I I.
Il paroît deux Arrêts du Confeil d'Etat du Roi :
le premier en date du 5 Janvier dernier , avec Lettres
- Patentes fur icelui , qui ordonnent que le franefalé
des Officiers de la Chambre des Comptes de
cette Ville leur fera délivré ſuivant l'ancien ufage
& comme auparavant les Arrêts des 24 Février &
18 Juillet 1773. Le ſecond , en date du 2 de ce
mois , fupprime un ouvrage ayant pour titre :
Théorie du Libelle , ou l'Art de calomnier avec
fruit, Dialogue Philofophique pour fervir de
Supplément à la Théorie du Paradoxe.
I I I.
19
La Chambre des Comptes a rendu un Arrêt
en date du 22 Février dernier , concernant les
contrats d'échange faits entre le Roi & divers particuliers
, & acquifitions faites par Sa Majefté
pour être réunies à fon Domaine , depuis le
Décembre 1735 , jufqu'au premier Janvier 1771;
enfemble des contrats d'échange faits entre le
Duc d'Orléans , en qualité de Prince Apanagifte ,
& divers particuliers , depuis le 16 Août 1748
jufqu'au premier Janvier 1773 .
I V.
L'Intendant de la Généralité de Poiron , informé
MA I. 1775 . 215
que la maladie des bêtes à cornes pénétroit dans
le Périgord & la Saintonge , vient de publier
une Ordonnance par laquelle il prend toutes les
nefures convenables pour prévenir ce mal , en
interdifant les moyens de communication . Il défend
même , par une feconde Ordonnance , le
débarquement de tous cuirs dans les Ports ou fur
les Côtes de fa Généralité , de quelques lieux
qu'ils puiffent venir.
V.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 13 de ce
mois , qui ordonne que les droits fur le poiffon
de mer frais , ne feront perçus pour l'avenir que
fur le pied de la moitié à laquelle ils avoient été
réduits par la Déclaration du 8 Janvier dernier ,
& que la perception des droits fur le poiffon falé
fera & demeurera fupprimée par la fuite , ainfi
qu'elle l'étoit par la même Déclaration . N'entendant
néanmoins Sa Majefté comprendre dans la
réduction & fuppreffion , les droits irréductibles
de Domaine & Barage.
NOUVELLES POLITIQUES,
L
De Mofcou, les Mars 1775.
ES Troupes irrégulieres employées contre
les Turcs , font déjà renvoyées , en grande partie
, dans leurs Provinces : les feuls Régimens de
216
MERCURE
DE FRANCE
.
la divifion de Livonie & d'Eftonie reftent encore
dans leurs quartiers jufqu'à ce que les affaires de
la Pologne foient terminées .
De Warfovie, le 24 Mars 1775.
On affure qu'actuellement il y a dans le
Grand - Duché de Lithuanie à peu près vingt
mille Rufles.
Le Corps d'armée que Sa Majefté Pruffienne
a dans les Provinces de la Pruffe , & qu'on fait
monter à trente- fix mille cinq cents hommes ,
doit , à l'exception du Régiment qui eft auprès
de Dantzick , fe trouver le 6 Juin près de
Graudentz ( Ville du Palatinat de Culm , dans
la Pruffe Polonoile ) , pour y paffer la revue du
Roi.
Des lettres récentes des Frontières de Podolie ,
portent que la garnifon Rufle de Choczim en
étoit fortie le 10 de ce mois , & avoit remis cette
place aux Turcs , qui y étoient entrés au nombre
de deux cents foixante- dix hommes feulement
, commandés par un Aga . De leur côté , les
Turcs ont remis Kinburn aux Troupes Rufles.
Un Major François , nommé le Baron de Reuillecourt
, a obtenu le commandement d'une Légion
de douze cents hommes qu'il leve aux dépens
de la République.
Les dernieres lettres de la Podolie annoncent
le départ du Général Romanzow pour Moſcow.
Quant à l'armée Ruffe , elle paroît faire quelques
difpofitions pour la fortie de la Pologne.
1
De
MA I. 1775+ 217
0
De Copenhague , le 4 Avril 1779.
Le Baron de Blome , Envoyé extraordinaire à
la Cour de France , ayant obtenu un congé pour
paffer quelques mois dans le Holftein , le Confeiller
de Légation Schutz eft chargé à la même Cour
pendant l'abfence de cet Envoyé , des affaires de
Sa Majesté.
De Berlin , le 25 Mars 1775.
Par le Traité de Commerce conclu entre le
Roi de Prufle & la République de Pologne on
a ftipulé la diminution de moitié des droits d'entrée
& de fortie en Pologne , qui font réduits à 2
pour roo. Celui de tranfit a été auffi modifié à la
même taxe , pour les objets fabriqués dans les
deux Etats respectifs . Une claufe aflujettit aux
anciennes fixations tous les objets néceſſaires aux
fabrications des Etats du Roi de Prufle
1
De Madrid , le 4 Avril 1775.
c.yoll
Les Maures érant fortis de leur camp devant
Melille, & ayant arboré le drapeau blanc le r
Mars à deux heures après - midi , on laiffa en
conféquence approcher des murs de la place un
Alcaide qui annonça la levée du fiége , & qui demanda
que Sidi Hamer Elgazel , Ambafladeur à
la Cour d'Espagne , lors de la conclufion della
derniere paix , pût conférer avec le Commandant-
Général. G
Don Juan de Sherlock répondit qu'Elgazel
pouvoit venit , & bientôt il parut , accompagné
de deux autres Officiers Maures , qui donuerent ,
K
2.8 MERCURE DE FRANCE.
comme lui , en approchant , les marques d'un
refpect & d'une foumiffion ordinaires à cette
Nation.
peu
Le Gouverneur du Préfide du Pennon a auffi
donné avis que les Maures qui l'affiégeoient ,
avoient arboré l'étendart de la paix le 18 Mars
au foir , & que la place y ayant répondu , ils
firent en fubftance les mêmes proteftations qu'à
Mélille , demandant la paix & le retirant avec
leur artillerie.
De Naples , le 1 Avril 1775 .
Le Roi ayant été informé par fon Miniſtre à
Conftantinople , que les fommes deſtinées à l'entretien
des Lieux Saints n'étoient point appliquées
à leur objet , & que les Religieux qui réfident à
Jérusalem , privés de ce fecours , y fubfiftoient
avec peine , Sa Majesté à ordonné au fieur Leone ,
Préſident de la Chambre des Comptes , de fe rendre
au Couvent des Cordeliers de Sainte- Marie la
Neuve de cette Ville , où fe reçoivent les quêtes
relatives à cet entretien qui fe font dans tout le
Royaume .Ce Magiftrat s'eft fait remettre la clefdu
tréfor, & il y a trouvé plus de cent mille ducats
d'argent comptant ; dont il s'eft faifi . Deux jours
après , il a paru un Edit portant défenſes de faire
à l'avenir de pareilles quêtes , Sa Majeſté voulant
fe charger Elle même de pourvoir à l'entretien des
Saints Lieux de la maniere qu'ellejugera convenable.
- that .
De la Haye, le 31 Mars 1775 .:
Les Etats Généraux ont publié le 20, un placard
portant défenſe proviſionnelle , pour le terme de
M A I. 1775. 219
fix mois , d'exporter aucune munition de guerre ,'
poudre , canons , balles fur les Vaifleaux expédiés
vers les Domaines de la Grande - Bretagne , fous
peine de confifcation des objets prohibés qu'on y
trouveroit & d'une amende de mille florins dont le
Capitaine feroit refponfable & pour lesquels fon
Vailleau pourroit être exécuté. Les mêmes peines
& faifies font prononcées par cette Ordonnance
contre tous autres Vaifleaux , foit étrangers , foit
nationaux , s'ils ne font munis d'une permiffion
exprefle de fortir avec les chargemens ci deflus
défignés ; on a pourvu à ce que cette permiffion ne
pût leur être expédiée que par le Département de
l'amirauté , fous l'infpection duquel le feront les
embarquemens .
De Livourne , le 15 Mars 1775.
Selon les nouvelles d'Alger , les Sujets de cette
Régence voient avec inquiétude les mesures que
prend le Bey pour rendre héréditaire cette dignités
dans fa famille . La fermentation des efprits excite
des foulévemens dans la Ville , & donne quelques
alarmes aux Négocians Européens .
Extrait d'une Lettre de Philadelphie en date du
is Février 1775.
Il regne ici une grande maladie , & particulierement
dans les Troupes . Le dixieme Régiment
s'eft révolté il y a quelques jours , & il a été
délarmé pour avoir refufé de cafler la tête à trois
foldats qui avoient déferté . Les amis de l'adminiftration
ont eu grand foin d'étouffer cette af
faire.
De Bofton , le 7 Avril 1775 .
Le Congrès Provincial aflemblé le 15 Février
Kij
120 MERCURE DE FRANCE.
dernier à Cambridge , a décidé que la grande loi
de la confervation de foi - même obligeoit les habitans
de cette Colonie à fe préparer , fans délai ,
contre toute entrepriſe qui pourroit être formée
de les attaquer par ſurpriſe . En conféquence il eſt
ordonné à tout Corps de Milice de le perfection
ner dans la difcipline militaire. Il eft recommandé
aux Villes & Districts de la Colonie d'encourager
les Fabriquans d'armes & d'en pourvoir les Habitans
qui n'en ont point encore : cette réfolution
eft fignée John Hencock , Préfident du
Congrès Provincial .
De Londres, le 2 Avril 1775 ·
?
Les Généraux Howe , Clinton & Burgoyne ,
qui commanderont les Troupes en Amérique
doivent s'embarquer à Port (mouth ; mais l'idée
qu'on s'eft faite de leurs caracteres patriotiques ,
fait préfumer , qu'autant que l'honneur le leur
permettra , ils emploieront les voies de la perfuafon
& de la douceur , pour ramener ces Pays à
la Mere Patrie avant de recourir aux moyens de
rigueur..
On annonce avec quelques inquiétudes qu'un
Vailleau eft parti de Stétin , au mois de Mars
dernier , avec un chargement d'armes à feu ,
de
poudre à canon , de boulets , d'habits d'ordonnance
& de trente pièces de campagnes légeres ;
que les armes & les munitions ont été payées par
un Agent de l'Amérique à Berlin ; que ce Vailleau
porte buit Officiers Généraux qui ont fervi longtemps
en Allemagne , & du nombre defquels font
les feurs Roberveils , Larafont & Gurgenftein.
MA I. 1775 .
221
De Paris , le 28 Avril 1775.
a
Les Habitans de Saint- Domingue & les Chambres
du commerce du Royaume , ayant fait des
repréfentations fur le bas prix du café , Sa Majéfté
, pour encourager ce genre de culture
ordonné que le droit de 14 den . pour liv . qui fe
perçoit à St -Domingue fur cette denrée , fera réduit
à 4 pour 100 du prix vénal.
?
NOMINATIONS.
Le 19 Mars , la Marquife de Caumont de la
Force prêta ferment entre les mains de Monſeigneur
le Comte d'Artois , pour la place de Gouvernante
des Enfans de ce Prince.
Le Roi a accordé l'Évêché de Nantes à l'Evêque
de Tréguier ; & celui de Tréguier à l'Abbé de
Luberfac , Vicaire -Général d'Arles & Aumônie
de Sa Majesté.
PRÉSENTATIONS .
Le 6 Avril , le feur Bertrand de Boucheporne
nommé à l'Intendance de Corfe , fur la démiffion
du fieur de Pradine , a eu l'honneur de faire fes
remercîmens au Roi , auquel il a été présenté par
Je fieur Turgot , Contrôleur- Général des Finan
ces.
Le 12 Mars , le fieur de Courtilloles , Lieute
K iij
222 MERCURE DE FRANCE .
mant -Général au Baillage & Siége Préfidial d'Alen
çon , ainfi que les fieurs Dumellanger , Boullay &
de Badoire , Députés de cette Jurifdiction , eurent
l'honneur d'être préfentés à Monfieur , & de lui
faire leurs remercîmens , au nom de leur Compagnie
, pour laquelle ils ont obtenu la diſtinction .
de porter la robe rouge.
Le 28 Mars , le fieur d'Albertas fils , eut l'honneur
d'être préfenté au Roi par le Sr de Miromefnil
, Garde des Sceaux , & de faire fes remercîmens
à Sa Majefté de l'agrément qu'elle lui a accordé
pour la place de Premier Préfident à la Cour
des Comptes , Aides & Finances de Provence.
Le 17 Avril , la Marquife de Lomefnil eut
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeftés &
à la Famille Royale , par la Comtefle de Brienne.
M. le Vicomte de Villerau , Officier au Régiment
des Gardes Françoifes, a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi , à la Reine , & à la Famille
Royale le 18 d'Avril . Le même jour Monfieur
le Marquis de Baroncelly , Officier au Régiment
des Gardes Françoifes a auffi eu l'honneur d'être
préfenté au Roi, à la Reine & à la Famille Royale.
NAISSANCE S.
Le 10 Avril, la nommée Madeleine Vilguenne ,
âgée de quarante - deux ans , Femine de Claude
Nigue, Tiflerand , de la Paroiffe de Saint - Gobain ,
Diocèle de Laon , eft accouchée d'un garçon & de
deux filles qui fe portent très-bien . Cette femme
avoit déjà eu onze enfans , dont les huit premiers
étoient des garçons . Il en refte fept vivans au
père & à la mère qui font fort pauvres.
MA I. 1775 : 223
4
Le 8 de Mars , la Comtefle héréditaire de Wied .
Neuwied, née Comtefle de Berlebourg, accoucha
heureusement au Château de Neuwied , de fon fecond
fils , qui a été nommé Chrétien - Fréderic.
MARIAGES.
Le 17 Avril le Roi & la Famille
Royale ont
figné le contrat de mariage du Baron de la Houze,
Chevalier
des Ordres Royaux , Militaires
&
Hofpitaliers
de Notre - Dame du Mont Carmel
& de Saint Lazare de Jérufalem
, Chevalier
Honoraire
de l'Ordre de Malte , ci -devant Miniftre
Plénipotentiaire
de Sa Majefté à la Cour de Parme
, & actuellement
réfidaut avec le même titre
près les Princes & Etats du Cercle de la Bafle- Saxe ,
avec Demoiſelle
Favre de Schalens.
Le 18 Avril , le Roi & la Famille Royale ont
figné le contrat de Mariage du Comte d'Ecquevilli
, Meftre- de - Camp du Régiment Royal ,
Cavalerie, avec Demoiſelle de Durfort de Civrac ;
celui du Marquis de Bouzols , Colonel du Régiment
de Lyonnois , Infanterie ,, avec Demoifelle
d'Argout ; & celui du Comte de Pufignieu ,
Capitaine au Régiment Dauphin , Dragons , avec
Demoiſelle de Santo Domingue.
Le 9 Avril , le Roi & la Famille Royale ont
figné le contrat de mariage du Comte de Fleurigny ,
avec Demoiſelle Defreaulx ; & le 23 , celui du
fieur de Chapt de Raftignac , Comte de Chapt ,
Officier au Régiment du Roi , Infanterie , avec
Demoiſelle de Forbin de Janfon .
Le 12 Avril, le Comte régnant de Sayn-Witte
224 MERCURE DE FRANCE.
genftein- Berlebourg , époufa , à Grünſtatt , la
Comteile Charlote- Frédérique de Linange- Wefterbourg.
MORTS.
Pierre Mauclerc de la Mufanchere , Evêque de
Nantes en Bretagne , Confeiller du Roi , en tous
Les Confeils , eft mort dans fon Palais Epifcopal ,
ke 1I Avril.
Michel- Armand , Marquis de Broc , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de St Louis ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi , ci -devant
Commandant en Bretagne , & depuis en
Bafle Alface , eft mort dans fes Terres , au pays
du Maine , le 4 Avril .
On apprend de la Côte d'Or , en Afrique , que
Dahomay , Roi de Juda , y eft mort le 12 Mai
1774. Ce Prince étoit fils de Dahemay , un des
plus grands Conquérans de cette partie du inonde ;
& qui en 1727 , du fond des déferts & des terres ,
à la tête de quelques hordes errantes , fe rendit
maître des Royaumes d'Ardes , de Jaquin & de
Juda , qu'il réduifit au point que l'ancienne race
des Judaïques n'exifte plus . Adamoufou eft aujourd'hui
fur le Trône qu'a fondé fon Aycul par
le droit de la dévastation.
On mande de Caën en Normandie , que le 17
Mars dernier il y eft mort un particulier nommé
Thomas , âgé de 102 ans , natif de Chinon en
Touraine . Il n'a jamais eu de maladie , & n'a été
alité
que fix à fept jours avant ſa mort.
Nicolas de Frémont , Préfident honoraire au
1
MA I. 1773 . 225
Parlement ; eft mort le 6 Avril , dans la 66° année.
Etienne , Chevalier d'Efparbès de Luflan ,
Bailli de Manofque, Commandeur de Renneville ,
eft mort à Touloufe , le 13 Avril , dans fa 88°
année ; il étoit le treizième Chevalier de Malte
de la mailon.
Au mois de Mars mourut au Château de Berlebourg
Efther -Polyzene- Marie, Comtefle Douairiere
de Berlebourg , née Comteffe de Wurmbrand
, âgée de 79 ans.
LOTER I E.
Le cent foixante-douzième tirage de la Loterie
de l'Hôtel de Ville s'eft fait , le 25 du mois
d'Avril , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv. eſt échu au Nº . 83793. Celui
de vingt mille livres au Nº . 825 32 , & les deux
de dix mille , aux numéros 90103 & 95262.
ERRATA du Mercure d'Avril 2 vol . 1775.
Page 14 , après le vers :
Ce mot ou cet écueil de l'amour conjugal.
Ajoutez le vers omis :
Où quelquefois l'Amaut devient faux & parjure.
Page 196 , lig. 17, chofes finales ,
lifex caufes finales.
216 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Sentimens de repentir ,
Vers adreflés à un jeune Epicurien ,
Le Chêne & le Pourceau , fable.
A M. Perronnet ,
Vers à M. Trinqueffe ,
ibid.
9
II
13
13
L'Epreuve , Comédie de Société ,
Couplets ,
Vers adreflés à Mde la D. de Gr.
Ode fur le retour du Printemps ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Vaudeville des Femmes vengées ,
1f
31
33
35
36
37 .
39
43
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Don Pèdre , Tragédie ,
Mémoires littéraires , critiques , &c .
fon Peuple ,
46
ibid.
70
Obfervations critiques en faveur du Roi & de
Code Eccléfiaftique ,
La confolation du chrétien ,
Louis XII , furnommé le Père du Peuple , dont
le préfent règne nous rappelle le fouvenir,
Code du faux ,
Chimie hydraulique ,
75
76
78
81
83
87
La France illuftre ,
92
Adonis ,
106
Les converfations d'Emilie ,
115
Les Etrennes de ſanté ,
130
*
MA I. 1775. 227
Annales du regne de Marie- Thérele ;
Le Médecin interprete de la Nature ,
Entretiens philofophiques & critiques ,
Propofitions avantageufes à l'Etat,
Précis d'un projet d'opérations de finance par
forme de Loterie ,
Profpectus de la Gazette du Courrier d'Avignon
,
Gazette des Banquiers , & c.
Annonces ,
ACADÉMIES .
131
135
137
139
141
142
147
149
151
des Inscriptions & Belles-Lettres , ibid.
Royale des Sciences ,
Françoile ,
de Copenhague,
SPECTACLES.
ConcertSpirituel ,
Opéra
Comédie Françoiſe
Comédie Italienne
152
157
158
162
ibid.
165
ibid.
-166
A Mgr le Maréchal de Duras ,
A M. le Marquis deVérac ,
de Voltaire ,
Bibliotheque univerfelle des Romans , avec
des notes , Ouvrage périodique ,
Vers à Mlle D. L. B. de Verfailles ,
Epître du Prince de Belofelsky , Ruffe , à M.
Réponse de M. de Voltaire ,
Lettre de Voltaire à l'Auteur des Ephémérides
167
174
175
176
ibid.
178
du
Citoyen ,
179
Lettre de M. de Voltaire à M. Parmentier , 182
Cours & Leçons publiques ,
1.83 ARTS. 187
Gravures 7
ibid.
223 MERCURE DE FRANCE.
Mufique . 194
Baromètre & Thermomètre , 195
Acte de Bienfaiſance ,
197
Anecdotes. 207
Avis , 210
Lettres- Patentes , & c. 213
Nouvelles politiques ,
215
Nominations , 221
Préſentations , ibid
Naifiances,
Mariages ,
222
223
Morts ,
Loterie ,
224
252
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
le Volume du Mercure du mois de Mai 1775 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 30 Avril 1775-
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme,
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES :
JUIN, 1775.
Mobilitate viget. VIRGILE .
༣: ༦༠h ;
A
PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT
.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port, les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les pièces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public, & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique. Ce Journal devant être principalement
l'ou- vrage des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa per- fection ; on recevra avec reconnoiffance
ce qu'ils enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux , utiles au Journal , deviendront
même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes
fur le
produit du Mercure. L'abonnement
du Mercure à Paris eft de 24 liv. que l'on paiera d'avance
pour feize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement
pour la province
eft de 32 livres pareillement
pour feize volumes
rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps. Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour acux qui n'ont pas ſouſcrit, au lieu de
ceux qui font abonnés.
30 fols
pour
On fupplic Meffieurs
les Abonnés
d'envoyer d'avance
le prix de leur abonnement
franc de port par la pofte , ou autrement
, au Sieur Lacombe
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t
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fuivans , port franc par la Pofte.
JOURNAL DES SAVANS , in-4 . ou în- 12 , 14
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16 liv .
20 1.4 f.
JOURNAL DES BEAUX -ARTS ET DES SCIENCES , 16 vol.
petit in-1 2. par an , à Paris ,
En Province ,
13 1.8 f.
181.
BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DES ROMANS , Ouvrage
périodique , 416 vol. in- 12. à Paris ,
En Province ,
24 1.
32 1.
LA FRANCE ILLUSTRE OU LE PLUTARQUE FRANÇOIS ,
13 câhiers in-4° . avec des Portraits , par M. Turpin ,
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GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE , à Paris ,
port franc par la pofte , 18 1.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart ,
14 vol. par an , à Paris , 91. 16 f.
141.
Et pour la Province , port ftanc par la pofte ,
JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in- 12 par an ,
à Paris ,
Et pour la Province ,
18 1.
24 l.
JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , in-12 , 14 vol . 33 l . 12 f.
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE DE GENÉVE , 36
cahiers par an , à Paris & en Province , 181.
LE SPECTATEUR FRANÇOIS , 15 cah . par an , à Paris , 91.
Et pour la Province , 112 1.
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province , Iz 1.
SUITE DE TRÈS - BELLES PLANCHES in-folio, ENLUMINÉES
ET NON ENLUMINÉES , des trois règnes de l'Hiftoire
Naturelle , avec l'explication , chaque cahier ooé,
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30-1
JOURNAL DES DAMES , 12 cahiers , de chacun 5 feuilles ,
par an, pour Paris ,
Et pour la Province ,
१
L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , 24 cahiers par an, à Paris ,
En Province ,
Izl.
15 1.
181.
241.
A ij
}
Nouveautés quife trouvent chez le même Libraire,
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De la Connoiffance de l'Homme , dans fon être & dans
fes rapports , 2 vol. in - 8 ° . rel .
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Lettres nouvelles de Mde de Sévigné , in- 12 br.
Les mêmes , pet. format ,
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Vie du Dante , par M. Chabanon , in - 8 °.
Fables orientales , par M. Bret , 3. vol . in-8 ° .
Diogène moderne , 2 vol. in-8° . br.
2 1.
41.
2 1.
12 1.
3 1. 15 f.
3 vol .
6 1 .
2 l.
21. 10 f.
2 1. 10 f.
11. 16 f.
31.
2 1.
Il. 10
9 1.
5 liv.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8 °. br avec fig. 41.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe , in-8 °. br.
Les Mufes Grecques , in- 8 ° . br .
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br.
11.4f.
11. 16 f
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in-fol . avec planches br. en carton ,
5 1.
& c.
241.
Mémoire fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4°. avec fig. br . en carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol . br.
Mémoire fur la Mufique des Anciens , nouvelle
in 4 ° . br.
Lettre fur la divifion du Zodiaque , in 12. br.
Journal de Pierre le Grand , in- 8 ° . br.
12 1.
3 1.
édition ,
7 1.
12 fa
51. Jeftitutions Militaires , ou Traité élémentaire de Taάique
, 3 vol . in- 8".br.
9:1.
L'Agriculture réduite à fes vrais principes , vol. in-12.
broché ,
21
MERCURE
DE FRANC
DEL
VILLE
LYON
*1893 *
JUIN ,
1775.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE d'une jeune Religieufe à la
Marquise de *** , fa Soeur.
C'EN eft donc fait , ma soeur , & d'une infortunée
Un mot a , pour jamais , réglé la deſtinée :
Quand fur mes triftes jours l'arrêt eft prononcé ,
Je dois chérir encor la main qui l'a tracé ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Bénir , dans ma mifere , un joug inſupportable ,
Et moi-même ajouter au tourment qui m'accable.
Il eft des malheureux par le crime égaiés ,
Qui , pliés fous les fers qu'ils fe font préparés ,
Dans les cachots obſcurs infectés par le vice ,
Des loix qu'ils ont enfreint fatisfont la juſtice.
Maudifiant à la fois & prifons & bourreaux ,
Par leurs emportemens ils foulagent leurs maux.
A l'aspect menaçant du trépas qui s'avance ,
Les reftes abrégés d'une foible exiftence ,
Leur paroiffent plus doux , font plus chers à leurs
yeux ,
Et des momens fi courts en font plus précieux .
Souvent dans leur erreur embraflant de vains fonges
,
Ils confervent l'espoir & fes heureux menfonges }
Ou bien de l'échafaud méprifant les horreurs ,
Ils attendent la paix après de longs malheurs ,
Et regardent la mort fous fa plus douce image ,
Ainfi qu'un jour ferein qui brille après l'orage.
Pour moi , j'appelle en vain ce fortuné moment
Qui doit brifer ma chaîne & finir mon tourment :
Je l'apperçois toujours dans un lointain horrible ;
A mes voeux , à mes cris il le montre infenfible ;
Fans l'ombre de la nuit un effrayant réveil
Vient me réaliſer les horreurs du fommeil ;
Devant moi tout fe change en images funebres ,
JUI N. 1775 .
Je crains également le jour & les tenebres.
Sans efpoir , fans relâche, en proie à mes douleurs
,
Il ne me refte plus que de ftériles pleurs ;
Pour combattre mes maux ,
mes :
voilà mes feules at.
Que dis -je le devoir s'offenle de mes larmes !
Tyran barbare & vain qui , daps fa cruauté ,
Des malheureux qu'il fait veut être reſpecté !
Omon unique appui ! Soeur aimable & chérie ,
Viens confoler ta Soeur , viens pleurer ton amie ,
De tes bras careffans entrelacer les fiens ,
Sur les yeux abattus viens appuyer les tiens .
Oh ! quand tu la verras pâle , défigurée ,
Plaintive , languiffante & d'ennuis dévorée ,
Tu te rappeleras ces temps , ces heureux temps
Où la plus tendre joie animoit fon printemps.
Sans peines , laps chagrins , au ſein de la fagetle ,
Je coulois en repos ma premiere jeuneſſe :
Je levois vers le ciel mes regards innocens ;
Sa grandeur occupoit mes organes naiflans ;
Tout jetoit dans mon coeur un aimable délire ,
Et quand je regardois tout fembloit me fouțire :
Mes jours doux & brillans rayonnoient de gaîté,
Et mes yeux fe fermoient avec tranquillité.
Ah ! d'un bonheur fi pur quelle fut la durée !
Je les fens retentir dans mon âme égarée ,
A iv
१ MERCURE DE FRANCE .
Je les entends encor ces lugubres accens :
Je fuccombe , ma fille , au fardeau de mes ans :
Un fommeil éternel va fermer ma paupiere ;
Vos yeux autour de vous ne verront plus de
30
» pere.
Foible & timide encor , des regrets fuperflus
Soutiendront-ils vos jours quand vous ne m'au-
> rez plus ?
Figurez-vous ici , tremblante , déſolée ,
Daus de vains tourbillons en naiflant folée ,
» Près d'un monde attrayant qui , plein d'appas
»trompeurs ,
» Trahira votre enfance ou rira de vos pleurs.
∞
20
Mais il eft des maifons , refpectables afyles ,
Des vertus , de la paix , féjours purs & tran-
» quilles ,
» Où , dans un doux loifir , fans périls & fans
»foins ,
כ כ
» Une juſte abondance exauce les befoins .
» L'innocence à l'abri n'y craint point les orages ,
» Sans cefle à l'Eternel préfente les hommages ,
30 D'un luxe féduifant méprife les attraits ,
» Et bénit une vie exempte de regrets.
» C'eſt dans ce lieu ſacré que , cher à ma tendreſſe ,
» Le bonheur de vos jours charmera ma vieillefle :
Trop heureux de defcendre au tombeau qui
» m'attend ,
50
30
Si l'âge me permet d'y furvivre un inſtant ! »
JUI N. 1775
Que devins je à ces mots ? l'effroi m'avoit glacée
Je fentois fur ma langue expirer ma penſée ;
Je n'ofois à mon pere exprimer mes tranſports :
Je redoutois fa voix ; il m'effrayoit alors.
Sans force à fes genoux , dans un affreux filence
Mes bras , vers lui tendus , imploroient fa clémence,
Et mes regards tremblans interrogeoient les fiens
En vain de l'attendrir je cherchois les moyens ,
Il oppofe à mes pleurs un front toujours févere ,
Je vois les yeux s'armer du feu de la colere ,
Et la main , autrefois prompte à me carefler ,
Dans ce moment fatal fert à me repoufler.
Hélas ! c'en étoit trop pour un coeur foible &
rendre ,
Dece fpectacle affreux je ne pus me défendre :
Ma bouche promit tout & prononça des mots
Que démentoient affez mes pleurs & mes fanglots
Je meflattai long temps de l'efpérance vaine
Que mon pere attendri mettroit fin à ma peine:
Mais le jout eft venu ; vain efpoir qui féduit !
On fcelle mon malheur , & le fonge eft détruit
douleur fans remede ! ô mortelle journée !
Quand près des faints autels je me vis entraînée ,
Quand ma bouche tremblante articula des voux ,
Quand le cileau fatal abattit mes cheveux !
Dans ce terrible inftant de deuil & de triftefe
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Le coirois - tu , ma Soeur ? connois -tu ma foi»
blefle ?
Je regrettois encor les fimples agrémens ,
Tréfors de la nature , aimables ornemens , ´
Dont un Dieu créateur décora fon ouvrage ,
Et que la créature indignement outrage.
Le peuple autour de moi , rangé de toutes parts ,
Attira quelque temps mes timides regards ;
De mon âge innocent la foiblefle & les charmes ,
De leurs yeux agités faifoient couler des larmes .
Du fort qui m'attendoit , préfage malheureux !
Il s'attendrifioient tous dans ces momens affreux.
La douleur épuifant mon âme toute entiere ,
Je fuccombai bientôt & perdis la lumiere;
Sur tant de maux prélens , far un triſte avenir ,
Cet inftant fortuné tiompa mon fouvenir ;
Mais , à force de foins , quand ma paupiere ouverte
,
Me laífla découvrir l'appareil de ma perte ,
« Grand Dieu ! me dis - je alors , dans mon coeur
» alarmé ,
အ »Je vis encor , je vis ... & tout eft confommé !..
» Sacrifice inoui , plus affreux que le crime ,
Qui laifle après le coup expirer la victime !
S'il revenoit ce jour , le plus cruel des jours ,
Si le foleil pour moi vouloit changet fon cours,
Ah ! loin de prononcer ce ferment redoutable ,
JUI N. 17754
II
1
Ma bouche à mes bourreaux feroit moins favorable
;
Tu me verrois , ma Soeur , de tous les affiftans
Implorer le fecours dans mes gémiflemens ,
Les prier , m'élancer dans leurs bras éperdue :
Ils pleuroient tous alors , ils m'auroient défendue .
Mais pourquoi m'abufer ? quelle flatteufe erreur
De mes maux trop réels vient redoubler l'horreur ?
Ces fets entrelacés , ces murailles antiques ,
Ces cloîtres , ces caveaux , ces immenfes portiques
,
Ces tombeaux effrayans , images du trépas ,
Qui rappellent la mort & ne la donnent pas ;
De verroux , de cachots le hideux affemblage ,
Tout retrace à mes yeux un indigne esclavage ,
Et lorfque de mes maux tout aigrit le venin ,
Je dois ,fans l'avancer , en attendre la fiu .
ODieu jufte & puiſſant qui m'as donné la vie!
Dès cet inftant fais donc qu'elle me ſoit ravie :
C'est toi qui fis briller la lumiere à mes yeux ;
Retire ton préfent , il m'eft trop odieux ...
Ce voeu t'offenfe - t - il ? te paroît- il coupable?
De la nature , hélas ! c'eſt le cri miférable .
Arbitre de mon fort , qui vis , en me créant ,
Ce que je fouffrirois au fortir du néant ,
A préfent , ô mon Dieu ! fois-moi plus favorable ,
Permets-moi d'y rentrer ; que ta main fecourable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Le rouvre fous mes pas , m'y plonge pour ja
mais ,
Et que mon être au moins ait part à tes bienfaits.
Oma Soeur qu'ai - je dit , & quel affreux blaf
phême
Sur ma tête imprudente a porté l'anathême ?
Eh ! n'eft- ce pas aflez des maux les plus cruels
Sans les juftifier par des voeux criminels ;
Dieu de paix & d'amour ! quand ma bouche t'of
fenſe ,
Ah ! mon coeur ulcéré recourt à ta clémence ,
Oui , fhr moi , je le fais , tes defleins font fecrets ;
J'adore ,en foupirant , tes fublimes décrets ;
Mais par quel attentat, mon créateur, mon pere,
Ta fille a t elle pu s'attirer ta colere ?
Où font donc , montre lui , les crimes qu'elle a
faits ;
Hélas ! elle n'eft point dans l'âge des forfaits :
Daigne la raflurer de tes regards propices .
Non , non , tu n'aimes point ces cruels facrifices:
Qui t'enlevant des coeurs juftement combattus ,
Sous un vain fanatifme étouffent les vertus ;
C'eft nuire à tes defleins ; fur ce globe où nous
fommes ,
Pour la fociété , ta main plaça les hommes ,.
It non pour y languir , ifolés dans les fers. Et
Ce penfer me confole : oui , leDieu que je fers
JUIN. 1775. 13
Dans des hommages feints ne voyant que des
crimes ,
Veut des adorateurs & non pas des victimes.
Par M. Rangier.
LE RETOUR DU PRINTEMPS.
A Madame la Préfidente d'Her * **,
DEE nos hameaux Borée avoit chaſſé les ris ,
Déjà de nouveaux feux l'horifon étincelle ,
Quittez , Life , quittez vos fuperbes lambris ,
Sous de ruftiques toîts Vertumne vous appelle.
Au fracas de la ville , à fes brillans plaifirs ,
N'ofez-vous dérober vos charmes ?
Vous faites naître fes defirs ,
Il ne vous refte plus qu'à lui coûter des larmes.
Tandis que vos regards vainqueurs
Changeront en Bergers les Dieux du vaifinage à
Philomele oubliant fes antiques malheurs-
Des accens de l'amour remplira ce bocage ,
Progné , pour vous revoir , a traversé les mers
Et de retour fous vos fenêtres ,
Pour charmer vos loifirs champêtres ,
Elle reprendra les concerts.
14 MERCURE DE FRANCE.
Zéphire , de fa douce haleine ,
Careffe les bois reverdis :
Des Nourriflons du Pinde il ranime la veine,
Venez-en recueillir les fruits.
Par M. de la Louptière.
LES OISEAUX ,
Apologue traduit de l'Allemand.
La République des Oiſeaux , ainfi que
celle de Rome & d'Athènes , eut des
temps d'orages & de diffenfions . Dans
le règne animal , tout eft mu par les
paffions , depuis l'homme jufqu'au quadrupède
, & depuis celui ci jufqu'au rep.
tile. O Promethée ! le feu facré que tu
dérobas , fervit moins à nous éclairer qu'à
allumer toutes les parties combuſtibles
de notre être. Les étincelles s'en répandirent
dès lors la guerre naquit . Toutes
les efpèces & tous les individus devinrent
ennemis. Funefte tableau ! l'amour
feul eût pu le corriger , fi fon bandeau ,
attribut inféparable , ne l'eût aveuglé fur
fon ouvrage
.
Une vafte forêt fervoit de retraite aux
JUIN. 1775 . 15
êtres emplumés qui peuplent l'empire
des airs . Les chantres harmonieux du
printemps y étoient en petit nombre.
L'efpèce criade & folitaire couvroit leurs
doux concerts. Quelques oifeaux de proie ,
attirés par leurs fons indifcrets , vinrent
habiter le même ombrage , épiant le
doux moment de fondre fur eux & de
s'en repaître.
L'Epervier vorace fut affez adroit pour
fubjuguer une gentille Perruche , dont
le plumage le charma , & dont le bec &
les ferres lui parurent propres à feconder
fes projets. L'un & l'autre fe rapprochèrent
d'un Roffignol , dont les accens tendres
& joyeux attiroient prefque tous les
autres oifeaux dans fon bocage. Quel
étrange duo pour l'heureufe Philomèle !
Elle eſpéra que fa voix adouciroit leurs
caractères ; que , ſemblable à cette lyre
harmonieufe dont le Prophète ſe ſervoit
pour calmer les fureurs d'un Tyran , elle
feroit entrer la paix avec la joie dans
leur coeur . Vaine efpérance ! Le naturel
ne change point. Philomèle n'étoit pas
Philofophe.
Depuis long- temps l'Aigle bleffoit les
regards de la foule emplumée. Elle étoit
belle & puiffante en faut- il plus pour
16 MERCURE DE FRANCE:
exciter l'envie ? Dans fon vol , elle avoit
heurté inconfidérément tout ce qui
s'étoit trouvé fur fon paffage. Le mécon
tentement fe joignit à l'envie ; elle s'étoit
affociée une compagne ; de jolis Paffereaux
fe fixèrent auprès d'elle . Les clameurs
fuivirent ce triomphe. L'espèce
criade fe déchaîna ; la Perruche fe mit à
la tête , les Pies médifantes firent un
vacarme univerfel , les Chouettes envieufes
les imitèrent dans leurs conver
fations nocturnes. Le doux Rolignol
répéta confidemment quelques uns de
leurs accens à l'Epervier , & la foupleffe
de fon gofier fut les adoucir.
Quelques temps après , celui - ci fe livrant
à la férocité de fon caractère , fit ir
dans la forêt un dégât horrible . A la
faveur des ténèbres , il pénétra dans tous
les réduits , & déchira les habitans de la
façon la plus fanglante.
L'alarme & le deuil furent univerfels.
On voulut connoître l'auteur de cette
barbarie ; chacun foupçonna & nomma
F'Epervier. Le Roffignol fut appelé comme
ayant eu des liaifons avec ce perfide .
Il ne put diffimuler ; il avoua ingénue
ment ce qu'il penfoit du deftructeur.
Celui- ci , furieux de fe voir exclu de
JUIN. 1775 . 17
la forêt & convaincu du forfait focial ,
voulut jeter cetre atrocité fur le Roignol
, dont le foible bec ne s'étoit jamais
ouvert que pour becqueter les fleurs du
Parnaffe & rendre les fons de la rendreffe.
Il le dénonça comme ayant , dans fes
chants , infulté l'Aigle & fon amie .
L'efpèce légère prend auffi- tôt le change ,
les Pies revèches , les Merles au fiffler
aigu , les Grives infenfées , les Geais
imitateurs , fecrettement envieux de la
voix du Roffignol , fe déchaînent contre
lui , entraînent la volatille incertaine ,
& font un tel bruit , que perfonne ne
s'entend plus dans la forêt.
L'Aigle même & fa compagne ou
blient leurs plaies récentes. La Perruche
les anime ; l'Epervier leur communique
fa fureur ; il les outrage , & cependant
les guide , les méprife & les fait mouvoir.
I fe dérobe enfin , riant du piége
groffier dans lequel il a fait tomber tous
les objets de fa haine.
La tendre Philomèle , d'abord étourdie
, génit & fe tait. Elle regrette les
liens de bienveillance qui l'a:tachoient
à tous , les plaifirs qu'elle leur procuroit ,
& déplore leur erreur : mais enfin , revenue
à elle , elle fe confole avec l'ami
18 MERCURE DE FRANCE .
fidele dont le coeur eft fon empire. Elle
retrouve de tendres Colombes , de brillans
Sereins , de joyeux Pinçons , d'agréables
Linottes , de mélodieufes Fauvettes.
Elle fe cantonne , avec ce cercle heureux ,
dans le plus joli bocage. Il devient un
Elifée , où les grâces & l'amour , les ris
& les jeux folâtrent fans ceffe , fans crain
dre les paffions funeftes qui ont envahi
la forêr.
L'Aigle s'envola de ce trifte féjour ;
l'Epervier alla dévafter d'autres cantons ;
la Perruche , fa compagne , fut étaler
ailleurs la beauté de fon plumage ; & ,
hors le bofquet du Roffignol , la forêt
devint inhabitable.
Humains ! Humains ! que ceci vous
ferve de leçon . Fuyez les méchans , fuyez
auffi l'oeil de l'envie , il bleffe & attire
fes ferpens .
Le Roffignol devenu plus fage , ne
chante plus que la nuit : il attend que le
fommeil ait affoupi fes envieux ; fa voix
n'eft entendue que de ce qu'il aime.
JUIN. 1775. 19
VERS de Claudien fur le mariage de
l'Empereur Honorius , appliqués au
mariage de Madame Clotilde avec le
Prince de Piémont.
Exemple d'apostrophe Ad res inanimas &
fenfu carentes , qui s'eſt trouvé dans fa leçon ,
en expliquant la Rhétorique de Colonia.
Ligures ' favete campi !
Veneti favete montes !
Subitifquefe rofetis
Veftiat Alpinus apex
Rubeantque pruina!
Champs fertiles de Ligurie ,
Préfagez les douceurs de cet augufte hymen !
Abaillez vos fommets , montagnes d'Italie !
Ou fi toujours des cieux , jaloux d'être voisins
Mont Cenis ! tu te plais à furpafler la nue ,
'La Ligurie comprenoit le Montferrat , & une
partie du Piémont , qui apartiennent au Roi de
Sardaigne.
2 Madame doit y pafler.
20 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! que ta cime , toujours nue ,
Jaloufe en ce beaujour des beautés des vallons ,
Soit couverte de rofes
Subitement écloles ,
Et qu'un pourpre brillant fuccede à tes glaçons.
Par M. l'Abbé de Luzines , Cure & Chan.
réuni de Vivône , ci - devant Inftituteur
en furvivance des Enfans de France.
IMPROMPTU
A Madame la Comteffe de Clary (Princeffe
de Ligne ) en recevant d'elle un noeud
d'épée , brodé de fa main.
'A1 dit que je rajeunirois ,
Si de la jeune Cythérée ,
En fe mariant , j'obtenois
L'honneur de porter la livrée...
Mais fi déjà ce don charmant
D'un beau jour m'annonçoit l'aurore ;
Belle Comteffe , en vous voyant ,
Je lens que ce jour vient d'éclore .
Par M. D. L. P.
JUI N. 1775 .
21
EPIGRAMME.
LISE , en expirant , fouhaitoit ,
Si Cléon fe remarioit ,
Qu'il ne trouvât qu'une Megere.
L'Epoux , riant de fes fureurs :
Vous oubliez , dit- il , ma chere ,
Qu'on n'époufe pas les deux fours.
Par le même.
L'AMOUR TEL QU'IL EST.
DANS l'Enfant qui regne à Cythere ,
Je trouve un double caractere ,
Qui ne connoît pas de milieu .
Confultez l'Hiftoire & la Fable ;
S'il ne voit pas trop , c'eft un Dieu ,
Mais s'il veut trop voir... c'eft un Diable
Par le même.
22 MERCURE DE FRANCE.
L'AMOUR CHEZ LES DEUX SEXES.
V ous croyez , me dit une femme ,
Quand vous nous vantez votre flamme ,
Avoir droit à quelque retour ?
Sachez un peu mieux nous connoître ;
Des defirs chez vous naît l'Amour ,
Et chez nous l'Amour les fait naître.
Par le même.
GRANDE VÉRITÉ .
TUu demandes par quel caprice ,
Long- temps ami de Cléonice ,
Tu t'en vois quitté fans retour ?
J'ai lu dans un Auteur très -fage
Que d'un coeur où loge l'Amour,
L'Amitié bientôt déménage.
Par le même.
JUIN. 1775. 23
IL
SUR Monfieur ***.
Il a de la gloire en partage ,
Non pas tout ce qu'il en prétend.
Mais s'il n'en prétendoit pas tant ,
Il en auroit bien davantage.
Par le même.
QUELS SENTIMENS!
AH ! H! que cette étoile m'enchante !
Qu'elle estbelle ! qu'elle eft brillante !
( Difoit , avec raviflement ,
Minette , un foir , à lon Amant ).
-Ne m'en parlez plus , chere Amie,
Ou vous allez me chagriner. -
Eh ! pourquoi , Lindor , je vous prie -
Je ne saurois vous la donner.
Par le même.
24 MERCURE DE FRANCE .
GRAND PRINCIPE.
Si j'avois offenfé Nina ,
Je pourrois apparer la Belle ;
Mais c'eft Nina qui m'offenla ,
Pour moi fa haine eft éternelle.
Par le même.
EPITRE SUR LE BONHEUR.
To
A mon Ami .
or qui fais dans les champs une paifible étude
De chercher un objet que fuit l'inquiétude ,
Un être de raison pour qui tous les mortels ,
Jouets d'un vain efpoir , font ( umer les autels ;
Le Bonheur , en un mot , Divinité cruelle ,
Qui toujours nous évite & toujours nous appelle :
Dans ce jufte d flein , loin de t'intimider ,
Ton Ami , qui l'approuve , afpire à te guider.
Le Berger indigent , dès qu'il voit la lumiere ,
Remplit d'accens plaintifs fon étroite chaumiere ,
Ou le long des vallons conduifant fes troupeaux ,
De
JUI N. 1775 % 25
De fes cris impofteurs fatigue les échos..
La Nature , à fes yeux , criminelle marâtre ,
Prodigue à la grandeur , dont elle eft idolâtre ,'
Ses préfens les plus doux , fes plus rares faveurs
Et furfon toît obſcur raflemble ſes rigueurs.
Pourquoi des cieux , dit - il , la bizarre influence
Répand elle à la Cour une injufte abondance ?
Le fort , dans fes faveurs , doit il choifir les
rangs ?
Sont-ce donc des vertus que les titres des Grands ?
L'éclat de leur bonheur augmente ma mifere ,
Et redouble à la fois ma honte & ma colere .
Les plaifirs chaque jour renaillent fous leurs pas ;
Une route de fleurs les conduit au trépas .
La douleur & l'oubli , voilà tout mon partage :
Un travail affidu , fecondé du courage ,
Combat en vain l'horreur d'un fort i rigoureux ;
Le dernier de mes jours eft le moins malheureux.
Tandis que le Berger , couché fur la fougere ,
Permet un libre cours à la douleur amere ,
Etendu fur la pourpre , un Roi victorieux ,
Dans ce rangfi fuperbe & fi voifin des cieux ,
Ne trouve que l'ennui , le néant de lui- même.
Accablé fous le poids de fa grandeur fuprême ,
Il puïfe la triftefle aux fources des plaifirs
Son coeur eft dévoré par d'immortels defirs ;
Et la grandeur, ce monftre orgueilleux & fauvage;
B
i6 MERCURE DE FRANCE.
Qui n'eft rien dans les cieux , rien aux regards
du Sage ,
Lui montre en vain l'appât d'une faufle beauté:
Il n'y voit que l'ennui de l'uniformité.
Le Berger quelquefois , tout entier à lui-même,
Oublie , au fond des bois , qu'il eſt un diadême ,
Qu'il eftd'autres plaifirs que de voir des coreaux ,
Ou d'accorder fa voix au murmure des caux .
La volupté , mêlée au mal qui le conlume ,
Quelquefois de fon coeur a calmé l'amertume.
J'ofe à peine le dire , alors il fut content;
Si c'eft l'être en effet que de l'être un inftant.
Sur tout , quand aux genoux de celle qu'il adore ,
Il verfe dans fon coeur le feu qui le dévore ,
Quand cet heureux captif lui dérobe un regard ,
Qu'il doitàfa tendreſſe & non pas au kafard :
Des Monarques alors le plus haut-apanage
N'eft , au prix de fes fers , qu'un pénible eſcla
vage.
La chaumiere d'Iris eft le féjour des Dieux ,
Et fon lit de fougere eft un trône à fes yeux.
Un bouquet afforti des mains de fa Bergere,
Un ruban qu'a tiſſu ſon éguille légere ,
Voilà tous les préfens dont fon coeur eft épris s
Les autres ont perdu leur éclat & leur prix.
Le bonheurquelquefois habite au rang fuprême ,
JUI N. 1775.
27
Et le chagrin s'endort auprès du diadême:
Quel Roi n'a pas fenti couler quelque douceur
De ces mêmes plaiſirs , fans (el & fans favour ,
Que jamais chez les Grands le befoin n'allaiſonne
Que par mille dégoûts l'habitude empoisonne ?
Quand il voit la fortune , au gré de fes defleins ,
Effacer ou changer les arrêts des deſtins ;
Quand il voit fous ſes pieds rrembler un peuple
efclave ,
Il fe compare aux Dieux , & peut être les brave !
Il croit , en l'oubliant , s'affranchir du trépas ,
Erdu Trône à l'Olympe il n'apperçoit qu'un pas:
Enfin fon coeur altier compte dans ſon partage
Le rang même des Dieux dont il n'eſt que l'image.
De plaifirs & de maux ce mélange éternel
Te montre que le fort fe fait un jeu cruel
De femer lous nos pas des fleurs & des épines ;
Que ce bonheur parfait , vers qui tu t'achemines ,
Fuit les Rois , les Bergers , & même les Amours ;
Le bonheur véritable eft d'en jouir coujours ,
Que l'homme eft pour le ciel an fpectacle bizarre!
Peux-tu le voir , ô ciel ! & n'être point barbaret
Cet être qui , par - tout , croit voler au plaifir ,
Eft libre de vouloir , & jamais de fentir.
Il peut s'aflujettir aux loix de la fagefle ,
Et ne peut de les fens entretenir l'ivrefle.
B- ij
23 MERCURE DE FRANCE .
Jouet infortuné de les fenfations ,
Tantôt de la raifon , tantôt des paffions ;
Il écoute la voix , il reconnoît l'empire :
Et , fous tant de Tyrans cet Elclave refpire.
Grâces au fort cruel , jufques dans fes bienfaits ,
Rarement on nous voit expirer fous le faix :
Le trépas inflexible , & lent par barbarie ,
Nous laifle tout le temps de détefter la vie,
Le Sage pourroit feul s'affervir à fon gré
Les caprices du fort contre lui conjuré ;
Dans un bonheur conſtant voir couler tous fes
âges ;
Mais il n'eft point d'heureux puifqu'il n'eft point
de Sages.
Tout eft fou , vicieux , miférable , méchant.
L'Artifte infatigable & l'avide Marchand ,
L'orgueilleufe opulence & l'altiere noblefle ,
De leurs plaifirs bruyans ont banni la fageffe,
Toi , qui fais du bonheur l'objet de tes travaux ,
Evite leur mifere en fuyant leurs défauts ;
Plains les fans les haïr ; de la mifanthropie
Huis les fombres chagrins & la maligne envies
Sache affermir ton coeur dans cette égalité
Qui fait tout le reflort de la félicité.
Four dominer ton âme , apprends à la connoître
Sans être ton tyran , fois , fi tu peux , ton maître.
JUIN. 1775. 29
Cherche tu les plaifirs ? Que ta loi foit ton goût ;
Qu'il régle tes travaux & qu'il te guide en tout.
Content de ton partage , à l'abri de l'envie ,
Qu'un tiflu de beaux jours foit celui de ta vie,
Par M. de Sacy.
L'OFFICIER PRÉVOYANT , ou LA
TU
SAGE PRECAUTION.
u vas donc t'éloigner de moi ,
Difoit à fon Amant la fenfible Ilabelle !
Lindor , je crains , hélas ! qu'une flamme nouvelle
Ne te faffe oublier une Amante fidelle ,
Qui ne pourroit furvivre à ton manque de foi, -
Calme tes frayeurs indifcrettes ,
Lui répond auffi - tôt le galant Officier 3
Car , pour ne jamais t'oublier ,
J'ai mis ton nom fur mes tablettes
A Rouen.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
ROSEL I E.
CÉLICOUR
ÉLICOUR , aprés avoir fait une fortune
confidérable , venoit de fe fixer à Paris.
L'homme qui eft en état d'offrir à ceux
qui l'entourent, une bonne maiſon ; qui ,
jouiffant de tous les agrémens que donnent
les richeffes , peut les faire partager
à fes amis , ne manque jamais d'en avoir
un grand nombre . Célicour vouloit faire
un choix , & il ne tarda pas à reconnoître
que parmi tous ceux qui l'environnoient ,
à peine trouveroit il deux ou trois amis ;
c'étoit beaucoup , il avoit paflé cet âgé
où l'impétuofité avec laquelle nous nous
livrons à ceux qui nous plaifent , eft
fouvent le principe des amitiés les plus
conftantés. Cependant la première jeuneffe
n'en voit point former de plus tendres
que celle qui l'uniffoit au Chevalier
de C. Perfonne ne la méritoit à tant de
titres. Confacré par état au fervice militaire
, auffi brave que ceux qui n'ont pour
tout mérite que leur bravoure , le Chevalier
de C. joignoit à cette qualité celles
de citoyen zélé , d'homme inftruit , d'ami
généreux . Defiré dans toutes les fociétés ,
il en faifoit & l'agrément , par un efprit
JUIN. 1775 . 31
fin & agréable , qui lui attiroit beaucoup
d'amis ; & les délices, par un coeur excel.
lent qui favoit les lui conferver. Une
Terre près de Paris , décorée avec goût
& d'un affez gros revenu , étoit tout fon
bien. C'eft - là qu'il alloir quelquefois
avec Célicour jouir de la nature & de
lui- même; mais un motif plus puiſſant
encore l'y retenoit depuis quelque temps.
Il n'avoit pu fe défendre des charmes
d'ane jeune perfonne , privée , par des
circonftances malheureufes , d'une fortune
brillante , & dont il avoit fu fe
faite aimer , malgré la difproportion de
leurs âges. Le fort avoit fans doute voulu
réparer une partie des malheurs qu'il
avoit caufés à cette belle fille , en lui
marquant la retraite auprès d'un mortel
auffi vertueux.
Le Chevalier n'avoit fait à Célicour
aucun mystère de fa paffion . Cependant
celui- ci , foit dans la crainte de
renouveler fa propre douleur , en rap,
pelant de triftes fouvenirs , foir pour
ne pas affliger fon ami en la lui faifant
partager , n'avoit point répondu à cette
confidence. Je fens , lui difoit un jour le
Chevalier , qui herchoit une occafion
de le faire expliquer , que je ferois de
Biv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
vains efforts pour réfifter au penchant
fecret qui me force à vous aimer... que
je ferois heureux fi de votre côté..
Célicour ne le laiffa pas achever , & fes
embraffemens furent fa feule réponſe.
Vous voulez donc bien être mon ami ?
lui dit le Chevalier après quelques inftans
mais pouvez - vous douter qu'un
des premiets devoirs de l'amitié ne foit
la confiance la plus entière? Mon nom ,
ma fortune , ma vie paffée , mes projets ,
mon amour , jufqu'à mes espérances ,
sien ne vous eft caché . Pour vous , je ne
connois de vous que vous même. Me
tairez vous encore long temps ce qui me
touche de fi près , & votre ami n'a- t- il pas
encore le droit d'être inftruit des premières
circonftances de votre vie? .. Vous pleurez
, ajouta-t il , & au fouvenir de votre
jeuneffe vos yeux fe rempliffent de larmes
? Ah ! de grâce , ne m'en laiffez
point ignorer la caufe , & tirez - moi
d'une incertitude qui eft pour moi le plus
cruel des fupplices. Eh bien ! lui dit
Célicour , je ne veux pas vous refufer la
trifte confolation d'apprendre mes malheurs.
Vous allez me connoître ...
le plus infortuné des hommes .
pour
Alors s'étant affis auprès du Chevalier ,
JU IN . 177 . 33
il commença ainfi . Je fuis né dans une des
Provinces maritimes de la France ; mon
véritable nom eft de P .: mais les malheurs
que j'ai éprouvés en le portant me
l'ont fait quitter pour jamais. A ce nom
de P. le Chevalier fut fur le point de
l'interrompre ; mais réfléchiffant au peu
de rapport qui fe trouve fouvent entre
des perfonnes de même nom , il ſe réfalut
à donner toute fon attention au récit
qui devoit éclaircir fes doutes.
Desbiens immenfes, continua Célicour,
diffipés par mon aïeul , ne s'étoient point
augmentés entre les mains de mon père ,
& ne pouvoit donner à mon aîné qu'une
aifance affez bornée. Pour moi qui réduit ,
par les loix , à une bien petite partie de
ces débris , ne pouvois en faire le fon
dement de mes efpérances ; je ne tardai
pas à jeter les feux fur ce qui devoit
m'avancer fans ce fecours. Le hafard &
le malheur m'ont mieux fervi que n'auroit
fait la prudence la plus confommée.
Ma mère mourut ; & dépendant
uniquement d'un père qui m'aimoit ,
mais qui , malheureufement , fe laiffoit
gouverner par mon frère , je reffentis
bientôt les effets de cette influence . J'entrois
dans ma feizième année , & les facultés
de mon âme , plus développées
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
qu'elles ne le font ordinairement à cet
age,demandoient déjà l'aliment qui devoir
les nourrir. J'ignorois ce qui devoit remplit
le vuide immenfe de mon coeur ;
Teulement une légère émotion que me
caufoit l'approche d'une belle perfonne ,
fembloit m'avertir que l'heure d'aimer
étoit venue pour moi : mais ces impreffions
étoient trop légères pour ne pas
s'effacer bientôt d'elles - mêmes ; ce que je
reffentis en voyant Mlle de D. étoit bien
différent des fentimens qui m'avoient
agité jufqu'alors .
J'étois allé me promener hors de
la Ville avec quelques amis , & nous
fumes à temps d'offrir notre fecours
à des Dames , qu'un accident arrivé
à leur voiture avoit fort effrayées . Heureufement
le chemin étoit creux , & elles
en furent quittes pour la peur . Je m'informai
avec foin de leur condition & de
ce qui les conduifoit dans ma patrie ;
j'appris que Madame de D. , veuve d'un
Gentilhomme très riche , contrainte
par des affaires importantes , à fe féparer
de fa fille qu'elle aimoit avec tendreffe
venoit la remettre dans une Maifon deftinée
à l'éducation des jeunes Démoi
felles . J'eus quelque joie d'apprendre
qu'elle alloit demeurer dans le même
JUIN. 1775- 3
lieu que j'habirois ; mais j'étois bien loin
de foupçonner tout l'intérêt que j'y pre
nois. Je la quittai fans efpérance de la
revoir : car à peine lui avois je dit quelque
mots , qu'elle n'avoit peut être pas
remarqués , & elle entroit le lendemain
dans la retraite qui lui étoit deftinée
mais ton image , ô Rofélie ! ( c'eft ainſi
qu'on appeloir Mlie de D. ) étoit profondément
gravée dans mon coeur , & durant
quatre jours que je paffai fans la voir , je
ne pus m'empêcher d'y rêver continuellement.
Le caractère de fa beauté noble
& régulière , devoit produire fur moi des
effers auffi marqués , C'eft en vain que je
me la repréfentois comme un des premiers
partis de la Province ; tous les obftacles
me fembloient levés fi je parvenois
à lui plaire; & les plus grands fa
erifices que mon amour m'auroit rendus
faciles me répondoient du fuccès , fi le
coeur de Rofélie étoit auffi tendre que
le mien .
Enfin , après quatre jours de com
bats & d'incertitudes , je me réfolus à
me préfenter chez elle : Mademoiselle ,
lui dis je lorſqu'elle parut , il n'eft pas
furprenant que quelqu'un qui vousa vut
ane fois cherche l'occafion de vous revoir
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
A
1
-
encore : imais ce qui yous étonnera fans
doute , c'est que j'ofe le faire fans votre,
ordre. Tous ceux qui nous ont rendu
quelque fervice , me répondit elle , ac
quièrent de nouveaux droits à notre reconnoiffance
, en nous mettant à portée
de la leur témoigner ; ainfi vous n'aviez
pas befoin, d'ordre pour vous préfenter
devant moi . Cet accueil me fit d'autant
plus de plaifir que je m'y attendois moins ;
& je lui témoignai combien je me favois
gré d'une rencontre dont elle avoit bien
voulu garder le fouvenir , & qui l'empêchoit
d'être offenfée de ma témérité . Elle
plaifanta beaucoup fut ce que je faifois
tant valoir la connoiffance d'une pauvre
reclufe , & me laiffa aufli charmé de fon
efprit que je l'avois été de fa beauté. Je
ne fus prefque point de jour fans paller
avec elle des heures entières , jufqu'à ce
que les Surveillantes de la Maifon , alarmées
de ces affiduités , lui ordonnèrent
de me faire entendre qu'il falloit y re
noncer entièrement.
Ce contre - temps , qui fembloit rai
ner toutes mes efpérances , ne hâta pas
peu mon bonheur. Belle Rofélie , lui
dis - je , lorfqu'elle m'apprit cette nou
velle , fouffrirez - vous que le caprice
de quelques femmes me rende malJUI
N. 1775 . 37
heureux , & ne me permettrez - vous
pás de confier au papier ce que je ne
pourrai plus vous dire moi même. Elle
fut long- temps fans me répondre , mais
elle ne put refufer à mes inftances cette
précieufe faveur , & nous prîmes enfemble
des mefures pour la fûreté de notre
correfpondance ; ainfi je me vis en liberté.
d'écrire à Rofélie , de lui parler de mon
amour dans des termes que je n'aurois
peut être ofé avancer de long - temps en
La préfence ; elle me répondit fur le même
ton , par plaifanterie , à ce qu'elle croyoit :
mais fon imagination échauffée ne put
fe faire un jeu d'une chofe que j'avois
regardée comme très-férieufe dès le com
mencement de notre intelligence .
• Mes importunités & fon inclination la
déterminèrent à me voir en fecret. Je me
dérobois la nuit , à l'aide d'un domestique
qui m'étoit dévoué , & j'entretenois Ro
félié dans le jardin du Couvent , que
j'avois fu me rendre acceffible. Je ne vous
dirai pas ce qui fe paffa entre nous pendant
quatre mois que durèrent ces entrevues.
J'avois feize ans ; Rofélie en avoit
quinze. D'abord réfervée jufqu'au fcru
pule , ne confentant qu'avec peine à des
rendez- vous , que fa timidité naturelle
ans ;
38 MERCURE DE FRANCE.
lui faifoit en vifager avec frayeur ; peu -àpeu
mes foins & mes empreflemens la
rendirent plus tendre. Livrés l'un & l'au
tre à l'impétuofité de nos paffions , nous
n'en connoiffions pas les conféquences :
en faut il davantage pour tomber dans
une foibleffe à laquelle notre âge , la nature
& l'amour fembloient nous livrer de
concert. Rofélie s'apperçut bientôt d'une
alrération marquée dans fa fanté , qui ,
avec le peu d'expérience que j'avois , ne
m'en fir que trop connoître la caufe. Je ,
tui communiquai mes foupçons; elle fur
effrayée de fon état : mais les bontés de
fa mère la raffuroit . Pour moi qui ne
pouvois , fans frémit , remettre au caprice
d'une femme que je ne connoiffois
pas , la poffeffion de ma chère Rofélie , je
ne voulus point confentir à inftruire
Madame de D. de notre intelligence ,
fans nous être unis fecrettement. Je fis
agréer mon projet à Rofélie , quoique
avec affez de peine : & m'étant affuré
d'un Miniftre pour la cérémonie & d'une
maifon à quelque diftance de la Ville ,
Bous convinmes que le fur- lendemain ,
faivi feulement du domeftique qui m'a
voit toujours fecondé , j'irois la recevoir
elle & fa femme- de-chambre , qui étoit
dans nos intérêts.
JUIN. 1775 . 39
Je touchois au moment de m'unit
avec ma Rofélie ; cette démarche m'a
furoit fa poffeffion ; point d'obftacle à
prévoir du côté de ma famille. Déjà
j'étois chargé de tout ce qui pouvoit
m'être nécellaire ; j'allois fortir , lorfque
quatre hommes entrèrent dans ma chambre
& me commandèrent , au nom du
Roi , de les fuivre . Il ne me fut pas permis
de voir mon père . Je fus mis dans
une chaife de pofte & conduit au premier
port de mer , où je m'embarquai le len
demain. Le Capitaine , qui me témoigna
beaucoup de bienveillance , ne put rien
m'apprendre de l'ordre qui me faifoit paffer
en Amérique , finon qu'il avoit été
follicité par mon père for des raifons fecrentes
qu'il ignoroit lui - même. Il ne me
fut pas difficile de voir d'où le coup
partoit , & je me ferois aifément confolé
de ce dernier malheur , fi l'état de ma
chère Rofélie ne m'avoit caufé les plus
morrelles inquiétudes . J'arrivai ainfi à
ma deftination , après un voyage heureux .
Le Capitaine me préfenta au Gouver
neur des établiffemens que j'allois habiter ,
qui me promit fon appui pour avancer ma
fortune , avec une feule condition , qui
fut la défenfe abfolue d'écrire en Europe.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les mefures les plus exactes renditent
inutiles tous les moyens que j'employai
pour éluder cette loi , & je fus forcé de
renoncer à des tentatives qui me donnoient
, par leur mauvais fuccès , des
défagrémens infinis. Ainfi livré à la feule
Occupation d'amafler des richelles que
j'eftimois peu , j'ai fait , dans quinze ans.
que j'y ai paffés , une fortune brillante.
Mon premier foin après mon retour ,
auquel je n'ai point alors trouvé d'obftacle
, eft de revoir les lieux de ma naiffance.
J'arrive , je m'informe , je demande
à tout le monde des nouvelles de ma
chère Rofélie. Quelle eft ma furpriſe à
la nouvelle de fon mariage avec le même
frère que j'avois regardé comme l'auteur
de mon exil ! Mon étonnement redouble
lorfque j'apprends que peu de temps après
elle eft accouchée d'une fille ; que fa mère
& mon père étant morts , elle a diſparu
avec fon mari , après avoir vendu tous
fes biens. Je ne puis même avoir de
nouvelles de la femme- de - chambre , ni
du domeftique qui m'avoit fervi dans
mes entrepriſes . Enfin fatigué de mes recherches,
toujours inutiles, pour découvrir
le lieu de leur retraite , je fuis venu me
-fixer à Paris , réfola de fuir toute inclina
JUIN. 1775. 41
tion , après en avoir eu une auffi malheu
reufe.
Le Chevalier , qui avoit eu
len de
la peine à ne pas l'interrompre , voyant
que fon récit étoit achevé : Ah ! mon
cher Célicour , dit il en l'embraffant , fi
je ne puis vous rendre une amante auffi
tendre que Rofélie , du moins puis - je
vous faire connoître des événemens qui
vous la rendront , s'il eft poffible , encore
plus chère du moins puis- je remettre
dans vos bras une fille digne de vous &
de fa mère . Que me dires - vous , s'écria
Célicour , feroit - il poffible... Oui , lui
répondit le Chevalier , votre nom , celui
de Rofélie , les dernières circonstances
de votre recherche , les fentimens que
vous m'avez infpirés , plus vifs , plus rendrés
encore que ceux de la fimple amitié ,
rout maffure que vous êtes le père de
celle que j'adore. Vous pourrez favoir de
la femme de chambre , qui lui a fervi dé
mère , tout ce qui fuivit votre départ , &
les caufes de ce mariage qui vous fur prend
avec raifon . Le premier mouvement de
Célicour fut de voler dans les bras de fa
fille , d'aller porter toute fa tendreffe à
ce qui lui reftoir d'une perfonne qu'il
avoit tant aimée . Mais il doutoit encore
de fon bonheur , & il voulut auparavant ,
42 MERCURE
DE FRANCE.
comme fon ami le lui confeilloit , apprendre
le détail d'une fi étrange aventure.
que
Le Chevalier envoya chercher celle
qui avoit elévé fon amante , & dès qu'elle
fut arrivée , reconnoiffant Célicour , mal
gré l'altération de fes traits , elle fe jeta à
fes pieds , fans pouvoir faire autre choſe
de répandre des larmes qu'elle donnoit
au fouvenir d'une Maîtreſſe à laquelle
elle avoit été tendrement attachée . Célicour
la releva avec les plus grandes mar
ques d'affection , & lui ayant témoigné
Fempreffement où il étoit d'entendre le
récit qu'elle avoit à lui faire : Vous vous
rappelez fans doute , Monfieur , lui ditelle
, que pour écarter les foupçons , dans
le temps qu'il vous importoit le plus de
p'être point traversé dans votre entrepri
fe , vous ne deviez point voir ma Maîtreffe
les deux jours qui précédèrent votre
départ . Cette précaution , qui paroilloit
néceffaire à la réuffire de votre deffein
fut précisément le moyen qu'on employa
pour nous tromper , & la caufe de tous
nos malheurs . Le jour de l'exécution , le
traîrre , auquel vous vous livriez de fit
bonne foi , vint m'avertit que tout étoit
prêt pour minuit ; qu'il viendroit nous
prendre feules , parce que celui qui devoir
JUIN. 1775- 43
Vous anir l'avoit defiré ainfi ; qu'il exigeoit
même , pour plus grand fecret , que
la cérémonie fût faite fans lumières , dès
que nous ferions arrivées .
Je rapportai toutes ces circonstances à ma
Maîtreife, qui fut fur-tout étonnée que dans
le moment qu'elle faifoit en votre faveur
la démarche la plus délicare , vous la remiffiez
entre les mains d'un autre. Mais
réfléchiffant à ce qu'il vous en coûteroit
à vous-même pour vous empêcher de la
voir , elle m'afura qu'elle feroit prête à
partir. A l'heure marquée , nous fortîmes
aidées du domeftique qui devoit nous
conduire ; & étant montées dans une chaife
, nous arrivâmes , avant le jour , dans
une maison où nous étions attendues im.
patiemment. Celui qui nous reçut nous
mena droit à la Chapelle
Rofélie, qui étoit bien éloignée de foupçonner
la moindre trahiſon , fe hâta d'y entrer,
& fe trouvant entre les bras d'un hom
me quifit éclater, en l'y recevant , les plus
vifs tranfports , pouvoit- elle croire qu'un
autre que vous recevoit les careffes ?Cepen ,
dant tout fe paffoit dans le plus profond
filence . La cérémonie fut bientôt achevée .
Nous conduisîmes les époux dans l'appar
tement qui leur étoit deftiné . Le jour
commençoit à paroître ; & la chambre,
44 MERCURE DE FRANCE.
où étoit le lit nuptial , recevant les premiers
rayons du foleil levant , étoit déjà:
éclairée lorsque nous y entrâmes.
Jugez quelle dut être ma furprife & la
douleur de ma Maîtreffe , lorfqu'elle ſe vit
entre les bras d'un homme qu'elle ne con
noiffoit pas. Son premier mouvement efti
de ſe jeter dans les miens . Elle pleure , elle
crie , elle vous appelle à fon fecours , elle
veut s'arracher de ce lieu funefte ; quelquefois
elle ne peut croire ce qu'elle
voit: un moment après elle accable celuiqui
vient de la tromper fi cruellement ,
des noms les plus odieux . Pour lui , pro
fitant d'un moment où Rofélie , épuifée
par fes efforts , étoit obligée de céder à
fa foibleffe , il fe jette à fes genoux ; il
effaye de l'adoucit par toutes fortes de
foumiffions ; il lui repréfente la faute
qu'elle alloit faire en fe livrant à vous ;
il vous peint avec les couleurs les plus
noires ; il lui fait entendre qu'elle doit
renoncer à l'efpérance de vous revoir
puifque l'on ne fait où vous avez été
conduit , & lui avoue enfin qu'il eft votre
frère.
Tu es fon frère , s'écrie Rofélie en
reculant d'horreur ! monftre , ce feul mot
me feroit ajouter foi à toutes les horreurs
que tu viens de vomir , fi je pouvois forJUIN.
1775. 45
mer quelque foupçons contre mon époux :
camil l'eft , n'en doute point. La loi de la
nature, plus forte qu'une cérémonie trom
peuſe , me donne à lui , & l'enfant que
je porte dans mon fein le réclame pour.
fon père. A ces derniers mots , votre frère
pâlit ; mais les grands biens de Rofélie
ayant été le feul motif de fa perfidie , il
fe remit bientôt . Madame , lui dit- il un
moment après , j'avoue que je fuis le plus
imprudent des hommes ; mais le mal eft
fans remède ; mon frère abfent , vous ne
pouvez vous mettre à couvert du déshonneur
qu'en foutenant une démarche qui
ne peut être ignorée .
Rofélie fut long - temps fans pouvoir
répondre enfin , la crainte de l'infamie
la plus honteufe , & le peu d'efpérance
qu'elle avoit de vous revoir ,
la déterminèrent à tenir cette aventure
fecrette , après que votre frère lui eut
promis de ne la traiter jamais que comme
fa fæeur. Elle écrivit le jour même
à fa mère , pour lui demander pardon de
fa faute & la prier d'approuver fon mariage.
Madame de D. y confentit , ainfi
que votre père ; elle fe plaignit feulement
à fa fille du mystère qu'elle lui avoit
fait de fon inclination ,
4.5
MERCURE
DE
FRANCE
. Ce mariage & votre abfence firent
beaucoup de bruit : mais perſonne ne pé.
nétra la vérité. Les deux époux vivoient
au dehors en affez bonne intelligence.
Tout le monde attribuoit la retraite de
Rofélie an plaifir qu'elle avoit de vivre
auprès de fon mari . Seule confidente de
fes peines , je la voyois fans ceffe baignée
de larmes . C'eft en vain qu'elle vou
lut quelquefois s'informer de ce que vous
étiez devenu : un voile impénétrableavoit
couvert ce tiffu d'horreurs .
Cependant Madame de D. ne favoit
comment expliquer la douleur de fa
fille ; elle la preffa fi fort de lui en
découvrir la caufe , que celle- ci ne put
s'empêcher de le faire . Cette bonne mère
fut fi touchée de ce malheur , qu'elle ert
mourut peu de jours après. Enfin le terme
de la groffeffe de Rofélie étant venu , elle
mit au monde une fille , qui fut nommée
Agathe ; ce fruit de vos amours fembla
la rappeler à la vie. Toujours occupée de
vous , elle retrouvoit vos traits dans ceux
de fa fille mais les careffes qu'elle lai
prodiguoit étoient autant de coups de poi
gnard pour votre frère. Il n'avoit pas été
infenfible aux charmes de fa femme , &
foit pour ne plus voir un objet qui lui
JUIN. 1775 . 47
étoit odieux , foit qu'il efpérât qu'éloi
gnée de fa fille , Rofélie perdroit peu -àpeu
le fouvenir du père & fe rendroit
enfin à fes defirs ; il fe réfolut à lui ôter
la feule confolation qui lui reftoit . Rofe
lie me remit fa fille & une fomme confidérable
, avec laquelle je l'ai élevée dans
cette Terre , qui eft le lieu de ma naiffance.
Quelque temps auparavant , votre
père étoit mort , accablé des mauvais
procédés de fon fils : je ne doute pas que
dans les derniers momens de fa vie , il
n'ait fait tout ce qu'il a pu pour vous
rappeler ; mais votre frère , qui l'obféda
jufqu'à fon dernier foupir , empêcha fans
doute l'effet de fes bonnes intentions .
Rofélie , qui étoit obfervée avec le plus
grand foin , trouva le moyen de me faire
dire que toujours réfolue à ne point céder
aux defirs de fon mari , mais tyranniſée
par ce maître brutal , elle étoit obligée de
vendre tous fes biens & de le fuivre . Elle
m'allurqit que j'aurois de fes nouvelles en
quelque lieu qu'il la conduisît , Cependant
on n'a pas entendu parler de l'un ni de
l'autre depuis leur départ ; & j'avois moimême
confervé fi peu de liaifons dans la
Ville que nous habitions , que je n'ai appris
vos recherches que lorfque je ne pou
vois plus en profiter.
MERCURE DE FRANCE .
•
Célicour ne put s'empêcher d'être frap
pé de ce long filence , & de craindre que la
mort n'eût enlevé fa chère Rofélie ; mais
l'arrivée d'Agathe , que le Chevalier avoit
fait prier de venir au Château , fuspendit
fes inquiétudes. Il vola dans fes bras avec
les tranfports d'un père qui voit fa fille
pour la première fois. Elle y répondit par
les démonftrations de la joie la plus vive.
Au milieu de ces tendres carefles , Céli
courne fongeoit qu'à affurer tout fon bien
à fa fille , en lui donnant au plutôt pour
époux le Chevalier , qu'elle aimoit véri
tablement , lorfqu'on vint annoncer à ce
lui- ci qu'une Dame vouloit lui parler en
particulier. Un mouvement involontaire
fit palpiter le coeur de Célicour & de fa
fille. Quel fut leur étonnement , lorfque
le Chevalier étant rentré quelques inftans
après , donnant la main à une femme
Célicour la reconnut pour fa chère Rofélie
; fon coeur l'avoit devinée avant de la
voir. I fe précipite vers elle : mais le
plaifir de revoir fon amant & fa fille après
une fi longue abſence , étoit trop violent
pour un coeur comme celui de Rofélie ,
elle tombe évanouie dans un fauteuil :
Agathe & Célicour à fes pieds , le Chevalier
& la femme de chambre s'empreffant
autour
JUI N. 1775 . 49
autour d'elle , offroient le tableau tou
chant & varié de l'amour le plus vif, du
refpect le plus tendre , de la fidélité la
plus éprouvée , de l'amitié la plus compatillante.
Enfin elle reprend fes fens ;
on l'inftruit de ce qui s'est paflé pendant
fon abfence , & du mariage dont elle
vient augmenter la joie. De fon côté
elle leur apprend que fon mari , après
l'avoir tyranniſée pendant fi long - temps
fans pouvoir triompher de fa réfolution
eft mort en Italie où il s'étoit retiré;
qu'alors libre pour la première fois , elle
venoit , avec les débris de fa fortune ,
chercher fa fille , efpérant même y ſavoir
quelque nouvelle du père. Rien ne manqueroit
au bonheur de ces quatre perfonnes
, fi Célicour pouvoit remplir fes premiers
engagemens avec Rofélie ; mais la
publicité du mariage de fon frère , la
naiffance d'Agathe , la difficulté de prouver
des faits enfevelis dans le profond
fecret , tout s'oppofe à leur union . Auffi
ces deux amans ont- ils renoncé à cet efpoir
, & réfolus de vivre enſemble comme
an frère & une foeur , ils ne forment
qu'une même famille avec Agathe & le
Chevalier.
Par M. R ***.
C
30 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
M. Rigoley de Juvigny , Confeiller
Honoraire au Parlement de Metz.
De nos anciens Auteurs il ranima la cendre,
Et rappela leur nom à la Poftérité :
Par les favans écrits il a droit de prétendre
A jouir , avec eux , de l'immortalité .
ParM. Dareau , de la Société littéraira
de Clermont- Ferrand.
"
LE VER LUISANT & LE ROSSIGNOL .
Fable imitée de l'Anglois.
EMPLI d'orgueil & plein de fuffifance ;
Un Verluifant , dans une nuit d'été ,
Admiroit de fon corps l'éclat & la beauté.
Non , difoit- il , on ne peut voir , je penſe ,
D'être auffi beau que moi dans l'Univers.
Le Papillon léger , l'Abeille induftrieuſe ,
L'Araignée attentive oy la Fourmi foigneuſe ,
L'Escargot pareffeux , ce vil amas de vers ,
JUI N. 1775 . SD
Ces infectes rampans , créatures abjectes ;
Végèrent triftement , au fond de leurs retraites .
Né leul pour la grandeur , mon fort est bien plus
beau :
Ma race eft au -deffus de leur race vulgaire ;
Les Dieux m'ont placé fur la terre
Pour vivre & fervir de flambeau .
Ces aftres lumineux , ces étoiles brillantes
Que j'apperçois au ciel , en font les Vers luifans?
Si l'on fait cas des diamans ,
C'est qu'ils ont de mon corps les flammes écla
tantes.
Un Roffignol , qui chantoit fes amours ,
S'arrête , écoute : il entend ce difcours.
Guidé par la lueur de l'infecte fuperbe ,
Il fond , s'abat fur lui ; le vermiffeau tremblant '
Reconnut fon erreur . Hélas ! dit -il , fous l'herbe
J'eaffe pu vivre heureux , ignoré , moins brillant.
Cet orgueil qu'à nos yeux les hommes font paroître
,
Cauſe fouvent leur perte en dégradant leur être.
Par M. Bourlin , de Clermont- Ferrand
Cij
152
MERCURE DE FRANCE.
EPITAPHE du Marquis de L...
Cr cir ,hélas ! ci gît du beau Sexe l'idole ,
Un nouvel Adonis , formé pour les plaifirs
Dont la dépense & les brûlans defirs
Auroient tari la fource da Pactole.
Les Parques n'oloient le ravir
De peur d'outrager la Nature ;
- Mais Vénus & l'Amour , frappés de fa figure ,
Le trouvèrent trop beau pour le laifler vieillir.
Par M. C....
LI
mot de la première Enigme du
volume précédent eft Buche ; celui de
la feconde eft le Pied- de- Roi ; celui de
la troisième eft Rabat ; celui de la quatrième
eft Talon defouliers. Le mot du
premier Logogryphe eft Pays , où fe
trouvent A , Spa , pas de Calais , pas
ordinaire , qu'on fait en marchant ; pas ,
conjonction ; pas géométrique ; as; celui
du fecond eft Forge , où l'on trouve orge ;
celui du troisième eft Hachette , où fe
trouvent hache, chate & tête ; celui du
JUI N. 1775. 53
quatrième eft Potage , où l'on trouve Po
& Tage.
ÉNIGME.
Nous faifons, mes freres & moi ,
Une allez nombreuſe famille.
Quelques - uns d'entre nous s'en vont femant
l'effroi ;
D'autres , plus modérés ; ont l'allure gentille.
Celui- ci , turbulent , vous prend & vous houf
pille;
Cet autre vous étouffe ; un autre fetient coi ;
Et celui-là fe plaît à fomenter l'orage.
"
Pour moi , je fuis un franc vaurien .
Au printemps , quelquefois , je fais pourtant de
bien :
Mais , le plus fouvent je fais rage ,
Cherchant de tous côtés à répandre l'horreur.
´Souvent , dans une nuit , fans faire de tapage,
Je détruis tout d'un coup l'efpoir du Labouteur ;
C'eft en vain qu'il gémit : le mal eft fans remède.
Dans une autre laifon , la fureur me poflède ,
Et , fans pitié , j'exerce ma rigueur
Sur l'imbécille & fur le fage.
Je ne ferois pas grâce au plus grand perfonnage.
Le Roi , malgré l'éclat de ſa grandeur ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Le Prince le plus fier , le plus riche Seigneur ,
Le Payfan , qu'accable la mifere ,
La mere avec la fille , le fils avec le pere ,
Tous , en un mot , font faifis de frayeur
Et m'évitent comme un voleur.
Vainement , pour me faire piece ,
On s'enferme à regret dans fon appartement ,
Je m'y gliffe bientôt , & même impunément.
Ceft encor fans fuccès qu'au fort de la détreſſe ,
Croyantle venger pleinement ,
On le rejette , avec empreffement ,
Dans le fein , toujours redoutable ,
D'un furieux & perfide élément ,
Mon ennemi le plus impitoyable.
Quoi qu'on puiffe inventer , je reſte obſtinément : -
Et lorfque par devant on me rompt en vifiere,
Je me fais fentir par derriere.
Je vous l'ai déjà dit ; je fuis un garnement.
Auffi l'aimable & fage Hortenfe *,
Que décourage ma conftance ,
Soupirant après mon abfence ,
M'abhorre - t-elle horriblement .
Par M. Vincent , Curé de Quincey.
Madame la Marquife de la R. B
JUIN. 1773 . 55
AUTR E.
Mon exiſtence eft frivole & légere ; ON
Du papillon je raflemble les traits .
La rofe aux plus brillans attraits ,
Ne m'infpira jamais qu'une ardeur paflagere.
J'effleure tour & n'approfondis rien ,
Et chez moi le fouverain bien
N'en eft tout au plus que l'image.
Lecteur , t'en faut- il davantage?
Jefuis médilant par état ;
J'aime le tumulte & l'éclat ;
A bien mentir je mets ma gloire .
Faut- il vanter une victoire ,
Que je remportai par hafard ?
Oh ! pour cela je fuis habile .
Je ne fuis connu qu'à la ville :
Mais dans Paris plus qu'autre part .
Un
AUTR E.
Ma taille eft fine , élégante & légere ,
peu d'une venue : il faut être fincere ;
Pour être franche & douce un chacun me connoît :
Mais je ferois piquante envers un mal - adroit .
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
\
A l'un des bouts du corps j'ai certaine ouverture
Qui me fait rechercher fans cefle , je le jure ;
Comptez , fi je ne l'avois pas ,
Qu'on ne feroit de moi nul cas.
Combien j'enfante auffi d'admirables chef- d'oen
vres !
Plus d'un Auteur en paile dans les OEuvres.
Mais c'eft affez parler de foi ,
Je vais me renfermer chez moi.
A Rennes . Par M. de L. G.
PETIT
AUTRE.
ETIT meuble de propreté ,.
Je fers aux Prudes , aux Coquettes :
Je repofe fur leurs toilettes ;
Et je fuis d'une utilité
Dont , pour bien des gens , rien n'approche ;
Pour plus grande commodité ,
On me porte fouvent , l'hiver comme l'été ;
Lecteur , devine où ? Dans la poche. J
Par M. Houllier de Saint -Remy,
de Sezanne.
JUI N. 1775 . 57
LOGO GRYPHE . *
Iz eft un animal petit & malfailant ,
Qu'on voit prefque toujours en grande compa
gnie :
Toutefois je le trouve utile , en combinant.
Pris par devant il fert à la boulangerie,
Et par derriere à l'harmonic.
Par M. l'Abbé R... Ch...
à Châteaudun.
AUTRE.“
ENTIER , je fuis une faiſon.
Ami Lecteur, fi de mon nom
feule lettre eft ôtée ,
Une
Je ne fuis plus qu'une journée.
Par M. Bouvet, à Gifors.
AUTR E.
DEJA le temps eft près où , décorant la table ,
Tu jetteras fur moi un coup d'oeil favorable ;
Ma robe éclatera des plus vives couleurs;
Cr
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Tu nepeux me toucher fans voir couler mes pleurs,
Veux-tu ,.pour me connoître ,
Décomposer mon être ?
J'offre à tes regards curieux
Ce qui cache à tes yeux ,
Dans certains jours , l'Aftre qui nous éclaire ;
L'effet , fur bien desgens , caufé par le tonnerre:
Cherche deux unités ; de la mufique un ton ,
L'endroit où tu feras , fortant de ta maiſon ;
En prononçant les voeux ce que promet un Moine,
Et, fans les ce que
doit un Chanoine.
prononcer ,
J'en ai , je crois , trop dit , ton efprit pénétrant
Peut-être... me connoît : j'ajoute , en finiffant ,
Ce qui , chez les Romains , du temps des Arulpices
,
Aux obfeques fervoit , ainfi qu'aux facrifices.
ParM. Verkaven , fils.
Menuet des Nymphes de Diane * .
FIERE indiffé rence
,
Sois l'appui de l'innocence
,
* Paroles de M. Marmontel ; mufique de M.
Grétry.
JUIN. 1775.
59
Fie- re in- diffé- rence
, !
Fin.
Dé- fends nos coeurs. L'A- mour
en vain ſoupi- re , Re- fifte à fon em-
扫扫pire ;
羁
A fes attraits vain- queurs
Oppo- fe tes ri- gueurs : Romps
fes noeuds dange- reux , E- teints fes
feux Sou- ri-re & lar mes , Tout
dans fes char- mes , Tout dans fes char- mes
И
•
Eft dange- reux,
Al fegno.
Cvj
60 MERCURE
DE FRANCE
.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
De la Connoiffance de l'Homme , dans
fon être & dans fes rapports ; par M.
l'Abbé Joannet , de la Société Royale
des Sciences & Belles Lettres de Nancy.
2 volumes in- 8°. brochés 10 liv. A
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue
Chriftine .
Le vrai en métaphyfique , dit un Philofophe
célèbre * , reffemble au vrai en
matière de goût ; c'eft un vrai dont tous
les efprits ont le germe en eux - mêmes ,
auquel la plupart ne font point d'attention
, mais qu'ils reconnoiffent dès qu'on
le leur montre. Il femble que tout ce
qu'on apprend dans un bon livre de métaphylique
ne foit qu'une espèce de réminifcence
de ce que notre ame a déjà
fu ; l'obfcurité , quand il y en a , vient
toujours de la faute de l'Auteur , parce
que la fcience qu'il fe propofe d'enfei-
* Eléments de Philofophie.
JUIN. 1775:
61
gner n'a point d'autre langue , que la
langue commune. Auffi peut-on appliquer
aux bons Auteurs de métaphyfique
ce qu'on a dit des bons Ecrivains , qu'il
n'y a perfonne qui , en les lifant , ne
croye pouvoir en dire autant qu'eux .
ne font pas
Mais dans ce genre , continue le
même Auteur , tous font faits pour enrendre
, tous faits pour
inftruire. Le mérite de faire entrer avec
facilité dans les efprits des notions vraies
& fimples , eft beaucoup plus grand
qu'on ne penfe , puifque l'expérience
nous prouve combien il eft rare ; les faines
idées métaphyfiques font des vérités
communes que chacun faifit , mais que
peu d'hommes ont le talent de développer
; tant il eft difficile , dans quelque
sujet que ce puiffe être , de fe
rendre propre ce qui appartient à tout le
monde.
L'Ouvrage que nous annonçons ren .
ferme non feulement cette faine métaphyfique
, dont tous les bons efprits ont
le germe en eux - mêmes ; mais il réunit
encore cet heureux choix de penſées &
d'expreffions qui rend fenfibles & intéreffantes
les vérités les plus abftraites , &
cette méthode qui les préfente dans leur
62 MERCURE DE FRANCE.
vrai jour , & les met par ce moyen à la
portée de tous les Lecteurs tant foit peu attentifs
. On ne trouvera point dans cet Oa
vrage , également profond & folide , toutes
ces questions frivoles & infolubles , qui ne
fervent qu'à égarer l'efprit dans la région
des chimères , & à le rendre faux & contentieux
, fous prétexte de le rendre fubtil
& pénétrant. L'Auteur , en écartant
tout ce qui eft inutile & étranger à l'objet
qu'il traite , fait fe contenir dans de juftes
bornes , & nous montre tous les dangers
de cette licence qui a enfanté tant de
fophifmes captieux fur l'origine , l'excel.
lence & la deſtination de l'efprit humain.
En philofophie , il eft auffi effentiel de
favoir où l'on doit s'arrêter , que de fa- .
voir jufqu'où on peut s'avancer . La raiſon
humaine , habile à contredite & à multiplier
les difficultés fur certains objets
eft infiniment foible pour les réfoudre &
pour fe fixer immobilement au vrai . De
quoife fait , dit Montagne , la plus fubtile
folie, que de la plus fubtile fageffe ? Il
n'y a qu'un tour de cheville à paffer de
l'une à l'autre.
L'Auteur de la Connoiffance de l'Hom .
me, fans rien oublier de tout ce qui peut
faire connoître les facultés de l'efprit hu
JUI N. 1775 . 63
main, & les moyens de les étendre & de
les perfectionner , ne prétend point tout
expliquer avec évidence & tout ramener
à la décifion d'une raifon préfomptueufe
qui regarde comme abfui de tout ce qu'elle
ne comprend pas . Perfuadé que la religion
& la philofophie s'entr'aident mutuellement
& font faites pour aller enſemble ,
il les préfente comme deux flambeaux qui
peuvent nous éclairer dans l'examen des
queftions les plus difficiles fur l'origine.
la nature & la deftination des facultés
intellectuelles.
On trouve à la tête de ce Traité un Dif
cours préliminaire où l'éloquence de l'Ora
teur eft jointe à la clarté du ftyle philofophique.
Les vérités les plus fublimes &
les plus abftraites y font préfentées d'une
manière fimple & aifée , & forment une
chaîne dont toutes les parties font liées
& afforties immédiatement l'une à l'autre.
Les ornemens n'accablent pas les
preuves qui y font développées ; & ne
fervent qu'à les faire entrer avec plus de
facilité dans l'efprit . Un exemple pris au
hafard dans ce difcours fuffira pour donner
une juſte idée du ftyle de cet Auteur.
« L'objet de nos recherches , dit - il ,
» eft continuellement fous nos yeux
64 MERCURE DE FRANCE.
affecte fans cefle notre fentiment , nous
eft toujours préfent , & en nous - mêmes
& par fes relations hors de nous ; enforte
que quand même le fpectacle de
» la nature cefferoit entièrement d'exifter
» pour l'homme , l'être de l'homme le
» rempliroit encore , fuffiroit feul pour
» fixer toute fon attention , pour occuper
» tous les morens , & pour fournir un
aliment continuel à toute fon activité.
A la facilité que lui offre l'objet de
» fes recherches pour l'avoir continuel-
» lement fous fes yeux & pouvoir l'étu-
N
"
dier à loifir , fe joint l'intérêt le plus
» effentiel pour l'approfondir, Nulle con-
» noiffance dans l'homme ne peut remplacer
la connoiffance de lui - même.
Qu'il ait mefuré la vafte étendue des
» cieux & calculé les révolutions des
fphères qui en parcourent l'efpace ;
» qu'il ait décomposé notre globe & dé-
» mêlé ces différentes combinaifons de la
» matière dont il eft le réfultat ; qu'il ait
décrit la forme , déterminé la maffe ,
développé les mouvemens , décidé les
» genres , fixé les espèces de tous les êtres
animés qui planent dans les airs , qui
» nagent dans les eaux , qui rampent fur
la furface de la terre ; que par l'obfer-
192
JUI N. 1775 . 6 S
"
و د
» vation fcrupuleufe de leurs fibres & de
» leur contextures , par l'analyfe favante
» de leurs acceffoires & de leurs premiers
compofans , par la combinaiſon exacte
» de leurs différences & de leurs rap-
» ports , il ait fu affigner la claffe propre
» à chacun des végétaux , des pierres &
des minéraux , qui forment l'intervalle
» de l'humble hyffope au cèdre altier ,
» du fer groffier à l'or pur , du grain de´·
fable brut au diamant éclatant ; qu'il
» connoiffe tous les lieux que les hom-
» mes ont rendus remarquables par les
"
fociétés qu'ils y ont formées ; qu'il fa-
» che l'hiftoire des Empires , leur naif.
» fance & leurs progrès , leurs révolutions
» & leurs chûtes ; qu'il ait préfens les
faits mémorables qui fignalèrent les
paffions nobles & groffières , utiles ou
funeftes des humains , & qu'il en ait
» fixé les époques qui les rapprochent &
qui les lient; qu'il foit au fait du mécanifme
fur lequel jouent tous les arts
qu'a fait éclorte la néceffité , qu'a ima-
» ginés le luxe , & que la cupidité fait
» exécuter à l'induftrie ; qu'il pofféde en
» un mot toutes les fciences qui font du
reffort de l'efprit humain ; & que
» l'homme lui foit inconnu , qu'il s'ignore
65 MERCURE DE FRANCE .
J
31
» lui-même ; la connoiflance la plus ef-
» fentielle lui manque , celle qui peut
» feule le conduire à la jouillance la pus
pleine & la plus conftante de fa nature ,
en lui développant fon être & fes rap .
» ports , fes puiffances & fa fin , la voie
» par laquelle les unes peuvent le faire
parvenir à l'autre , & affurer même
fon bonheur préfent , au milieu des
» difficultés qu'il lui faut vaincre, & des
» combats qu'il doit livrer pour arriver
à fon terme .
» Et n'eft ce pas faute de fe connoître
» que l'homme ne fait ni conferver fes
»facultés corporelles , ni en réparer les
» pertes ; que fes fens , qui devroient
» l'éclairer & le diriger , deviennent
» pour lui des guides trompeurs & des
confeillers perfiles ; que fon intelli
» gence croupit dans les ténèbres de l'aveu
glement , ou n'en fort que pour fe jeter
» dans les vices de l'erreur ; que fes affec
» tions , bien plus décidées par l'inftin &
que par la raifon , n'ont ni régle , ni
mefure ; que l'ignorance de fes rapports ,
» & conféquemment de fes devoirs , que
» le faux préjugé de l'oppofition de ceuxci
avec les avantages réels , le mettent
» continuellement en oppofition avec la
JUIN. 1775 . 67
» bonheur de fes femblables & avec fon
» propre bonheur ».
C'est une chofe étrange que l'homme
qui s'aime foi même plus que toute cho .
fe , veuille connoître toute chofe plutôt
que foi-même. Par quelle fatalité l'homme
, qui defire naturellement d'apprendre
, qui cherche & aime la vérité , fem..
ble fuir , par une forte d'averfion , toutes,
les études qui ont pour objet la mécanique
intérieure de fon âine , & même
celle de fon corps , qu'il idolâtre . Comment
arrive til que l'efprit humain , qui ,
fe fortifie , s'étend , fe nourrit par cette
variété d'objets dont l'évidence le frappe ,
ne cherche pas à faire des connoiffances
acquifes, un degré pour monter à de plus
hautes , & à jouir du plaifir délicieux de
les voir s'enchaîner & s'affermir mutuellement?
Ce feroit une erreur de s'imaginer
que la vanité que le Savant , tire de
fa fcience , foit l'unique charme de l'écu .
de. La vraie fcience a des plaifirs purs,
où nulle autre paffion n'eft mêlée ; &
celui qui dans le tranfport , caufé par
une découverte qu'il venoit de faire ,
s'écria je l'ai trouvée , je l'ai trouvée,
ne penfoit guère en ce moment aux
louanges qu'elle lui attireroit. Comment
68 MERCURE DE FRANCE.
démêler cette contradiction de l'efprit
humain , & concilier notre goût pour la
vérité & notre averfion pour les études
férieufes ? Quelles font les caufes de
ce dégoût général pour tous les Ouvrages
métaphyfiques ? Ce font fans doute
les épines dont on a hériffé dans tous les
temps cette fcience fublime ; c'eſt l'obfcurité
, le défaut de méthode & la multitade
de queftions futiles qu'on remarque
dans la plupart de ces Ouvrages . C'eſt
auffi cette averfion de tout travail , qui
exige une tention foutenue & qui nous
dérobe aux folles paffions.
L'Ouvrage de M. l'Abbé Joannet , en
ôtant , par la clarté du ftyle & par une
méthode lumineufe , toutes les épines de .
l'étude la plus importante , & en diminuant
les peines qu'elle coûte , nous invite
à rentrer en nous-mêmes pour y démêler
l'origine & les progrès des facultés
de l'efprit humain . On doit l'avouer ; ent
fait de métaphyfique & de morale , la
méditation doit être jointe à la lecture .
C'eft au dedans de foi même qu'il faut
lire en fe livrant à cette étude ; c'eft là
que notre Auteur ett allé chercher les
matériaux qu'il a fu fi bien mettre en oeu
vre , fans négliger en aucune manière les
JUI N. 1775. 69
reffources précieufes qu'il a trouvées dans
plufieurs Ouvrages philofophiques , dont
il fait fi bien connoître tout le prix.
Dans les livres faits pour l'amufement ,
il fuffit d'extraire quelques paffages pour
donner une jufte idée de la bonté du ftyle
& des agrémens de l'Ouvrage . Il n'en eft
pas de même des Ouvrages philofophiques
, où l'on traite avec méthode des
matières compliquées , & où l'on trouve
la liaifon des principes & la fécondité
des conféquences ; dans ces fortes d'Ouvrages
on ne tient rien , comme on l'a
fi fouvent répété , fi on ne tient toute la
chaîne . Nous ne ferons donc qu'indiquer
les queftions intéreffantes du prémier
volume de la Connoiffance de
l'homme , où la matière la plus importante
est dépouillée de toutes les chimères
ſcolaſtiques & le trouve traitée
d'une manière neuve & même agréa-
· ble .
>
Il eft question dans le Difcours prélimi❤
naire de la néceffité de connoître l'homme
& fes facultés , des fecours pour parvenir à
cette connoiffance , des liens , de la certitude
, des bornes de nos connoiffances , des
: devoirs & du bonheur de l'homme , de
fes rapports avec lui -même , avec Dieu ,
70 MERCURE DE FRANCE.
avec les autres hommes , de la bafe des
loix fociales , du bon & mauvais ufage
de la raiſon , de la fin naturelle & morale
de l'homme , de les rapports en fociété
civile & religieufe ; en un mot , de l'âme
fous fes differens afpects . C'est dans le
corps de l'Ouvrage que l'Auteur confidère
l'âme comme fenfible , comme
intelligente & comme affective . Dans
le premier volume il développe avec
fagacité & avec profondeur tout ce qui
a rapport aux fenfations & aux connoiffances
humaines. On doit defirer
que les Colléges & tous les Inftituteurs
adoptent cet Ouvrage , & ſe
débarraffent enfin de la méthode des
cahiers , qui fait perdre un temps
confidérable aux Maîtres & aux Difciples.
Sageffe de Louis XVI, manifeſtée de jour
en jour , enfeignée à fes Peuples , fondée
fur les premiers principes de toute
vérité ; ouvrage moral & politique fur
les vertus & les vices de l'homme , en
2 Vol. in- 8 °. A Paris , chez Gueffier
rue de la Harpe ; & Dehanfy , Pont
au Change.
JUIN. 1775 . 71
Les hommes n'afpirent qu'à devenir
heureux le bonheur parfait eft l'objet
éternel de leurs defirs , de leurs travaux
& de leurs efpérances : l'homme ne peut
attendre ce bonheur que de l'accompliffement
de les devoirs ; ces devoirs
peuvent être confidérés , à l'égard de
Dieu , à l'égard de l'homme même ,
à l'égard de la fociété , & à l'égard de
l'homme du fiècle . Voilà tout le plan de
cet Ouvrage , orné d'une belle eftampe
allégorique , expliquée fort au long par
l'Auteur.
L'homme n'eft point ici bas un être
ifolé & indépendant , une espèce de
hors d'auvre dans l'Univers. Par cette
portion de matière , qu'il a de commun
avec les êtres qui l'environnent , il tient
à toute la nature ; par l'efprit qui anime.
fon corps , mais qui , plus vafte que
l'Univers , en franchit , quand il veut ,
l'efpace & les limites , il tient d'une
manière infiniment plus étroite à l'Être
immenfe qui renferme tout ; & la loi
de cette double dépendance eft fi vifible
, qu'on ne peut la méconnoître fans
renoncer à l'uſage de la raifon . Une attention
légère fur l'action réciproque des
corps , fur leurs rapports & leur liaiſon ,
72 MERCURE DE FRANCE.
ne conduit elle pas à la loi qui les dirige?
Mais fi la matière eft foumife invinciblement
à cette loi , l'efprit de l'homme
n'auroit-il pas la fienne ? Tout nous montre
cette vérité : les rapports de nos efprits
avec Dieu font auffi conftans , autfi
palpables que ceux des corps entre eux ;
& la loi qui les produit doit donc être
auffi certaine & auffi invariable que celle
qui fait tout exiſter .
Mais s'il n'eft pas néceffaire que l'homme
connoiffe la loi fondamentale de la
matière , n'étant pas chargé de la gouverner
, il ne peut ignorer celle qui doit
conduire fa volonté ; elle doit être même
d'autant plus facile à découvrir , que
l'homme étant effentiellement libre , fa
volonté peut fe détourner de la voie qu'il
doit fuivre , rompre ainfi l'union qu'elle
devoit entretenir , & mériter à l'homme
la juſte punition du défordre qu'elle auroit
caufé.
L'Auteur de cet Ouvrage de morale
remonte à l'unique fource de cette
loi , qui renferme ce qu'il nous eft effentiel
de favoir fur nos devoirs &
fur notre destination . Il montre que Dieu
n'a exigé nos hommages & ne nous a
prefcrit un culte & des devoirs , qu'en
donnan
JUI N. 1775 . 73
donnant à fa parole la clarté & l'immo
bilité néceffaire pour la faire connoître
aux efprits attentifs. Comme on a démontré
fort au long que cette divine
parole réuniffoit tous les caractères de
crédibilité , on fe hâte , dans cet Ouvra
ge , de traiter la matière importante des
devoirs que l'homme eft obligé de rem
plir dans le cours de fa vie. L'Auteur
préfère à cette raifon bornée & fouvent
corrompue par les paffions , la foi chré
tienne , cette ancre ferme qui fixe l'efprit,
qui l'attache conftamment à la vérité ,
fans lui permettre d'errer au gré des flots
& de fe laiffer emporter à tous les ventsdes
opinions humaines . C'eft à cette foi
feule qu'il eft réservé de calmer nos in
certitudes , & de placer l'efprit dans le
point précis de la vérité fans qu'il ait
befoin , pour l'inftruire de fes devoirs ,
ni d'étude pénible , ni de recherches cu
rieuſes. Tant d'écarts fur la morale & fug
la règle des devoirs , font une preuve
complette , qu'on mérite d'être livré aux
ténèbres de fon efprit , lorfqu'on veut
être à foi- même la propre lumière . La
raifon a fes droits ; on ne peut le nier
fans tomber dans le plus honteux fanatifme
: mais elle a fes bornes. On ne veur
D
74 MERCURE DE FRANCE.
pas diftinguer ces deux chofes dans la
Religion. Pourquoi faut- il croire ? Que
faut-il croire ? La raifon humaine doit
employer toutes les forces à approfondir
la première queftion ; mais elle eft obligée
de refpecter la feconde , & ne peut la
foumettre à fes lumières fans méconnoître
les bornes de l'efprit humain . L'Ouvrage
de notre Moralifte ne renferme
des leçons fi pures que parce qu'il a puifé
dans la véritable fource ces règles fublimes
auxquelles l'homme doit néceffairement
fe conformer , s'il veut vivre heureux
ici bas , & jouir de la félicité fans mélange
qui nous eft deftinée dans l'autre vie.
Comme la Nation Françoife , plus attachée
à ſes Maîtres & plus refpectueuſe
envers les Grands , fe fait une gloire de
copier leurs moeurs comme un devoir
d'aimer leur perfonne , l'Auteur nous
offre le modèle touchant des vertus du
Souverain qui nous gouverne. « Quand
» l'exemple des Grands , dit un Prédica-
» teur célèbre , ne ferviroit qu'à autori-
» fer la vertu , qu'à la rendre refpectable
» fur la terre , qu'à lui ôter ce ridicule
impie & infenfé que le monde lui
donne ; qu'à mettre les juftes à couvert
de la tentation , des dérifions & des
"
ود
JUI N. 1775. 75
» cenfures ; qu'à établir qu'il n'eft pas
» honteux à l'homme de fervir le Dieu
» qui l'a fait naître & qui le conſerve ,
» que le culte qu'on lui rend eft le devoir
» le plus glorieux & le plus honorable à
» la créature , & que le titre de ferviteur
» du Très- Haut eit mille fois plus grand
» & plus réel que tous les titres vains &
» pompeux qui entourent le diadême
» des Souverains : quand l'exemple des
» Grands n'auroit que cet avantage ,
quel honneur pour la Religion , &
quelle abondance de bénédictions pour
» un Empire !
"
39
» C'eft une maxime affurée , dit l'Au-
» teur de ce traité de morale , que l'Etat
reffemble à fon Prince , que fes domeftiques
fe forment fur lui , & que ,
» comme ceux qui font exposés au foleil
» ne peuvent fe garantir de fa chaleur ,
» ceux qui approchent le Souverain ne
» peuvent le défendre de fes vertus ni de
» fes vices. Ses loix n'ont pas tant de
» forces fur eux que fes actions. Il fem-
» ble qu'il leur commande tout ce qu'il
fait en leur préfence , & que ce feroit
» une eſpèce de rebellion que de s'oppo-
» fer à fes exemples. Had conditio principium
, ut quidquid faciant præcipere
"
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
videantur. Quintilian . 4. Dictum , e
On trouve à la fin de chaque volume
une Table raifonnée des Auteurs moraliftes
, qui forme une bibliothèque pour
les perfonnes jaloufes de s'inftruire de
leurs devoirs .
Les Confidences d'une jolie Femme ; quatre
parties in- 12 . A Paris , chez la veuve
Duchefne , Libraire , rue St Jacques ;
& Guillyn , Libraire , quai des Auguftins
.
""
« M. de Tournemont , né dans la
» haute financé , entra au fervice dès fa
» plus tendre jeuneffe. La nature même
» l'avoit fi bien deſtiné pour cet état
qu'il parvint aux grades les plus honorables
, fans qu'on pût attribuer fon
avancement à la faveur. Auffi tôt qu'il
s'y fut fait un nom , fon père , dont il
» étoit l'unique héritier , defira de lui
» procurer une grande alliance . Mile de
»
Balzine , accordée au prix de l'or , ap-
» porta en dot une âme de glace , un
efprit de feu , beaucoup d'orgueil , au-
» tant de beauté , joint à une paffion fi
» forte de dominer , qu'elle la rendoit
capable d'y facrifier toutes les autres.
JUI N. 1775 . 47
» Premier fruit de ce mariage , ajoute lä
» jolie femme , que l'on fait ici parler ,
» je fùs d'abord regardée par ma mère
comme une poupée dont elle s'amufoit
; mais une poupéè n'étoit pas faite
» pour captiver l'attention d'une jeune
» femme avide de plaifir , & livrée à la
» diffipation . Abandonnée , felon l'ufage ,
» aux foins des domeftiques , je reçus
"
dans cette école les germes des défauts
b qui fe développèrent fucceffivement
» en moi. On avoit décoré du titre de
» ma Gouvernante une fille à qui Mde
» de Tournemont n'avoit pas jugé la ca.
» pacité néceffaire pour la fervir : j'appris
» d'elle à n'articuler des mots que d'après
» les idées des autres , à déguifer foigneu
fement les miennes , à ne confidérer
tous les objets que dans un faux jour.
» Du refte , j'eus des Maîtres ; j'acquis
» des talens agréables ; on orna mon efprit
fans le former , & mon coeur demeura
vuide de principes
1 .
Les faites funeſtes d'une éducation
auffi mal dirigée , font exposées dans le
cours de ce roman ; & c'eft ce qui en
forme la partie morale. La jeune femme
qui nous fait par écrit fes confidences ,
avoue qu'après avoir donné fon coeur au
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
jeune Comte de Rozanne , elle eut néanmoins
la foiblefle d'époufer le Baron de
Marville , dont elle ne pouvoit faire le
bonheur; & cette conduite feule annonce
une femme fans caractère & fans délicateffe
. En effet , il faut qu'une jeune
perfonne en manque abfolument pour
aller , au gré d'autrui , former des
noeuds détestés ; pour jurer une foi qu'elle
eft sûre de ne pas garder ; pour fe
charger du bonheur d'un mari , quand
elle a la foibleffe de renoncer au fien
propre .
Les défagrémens & les malheurs que
peut entraîner une pareille union , font
aifés à preffentir. La Baronne de Murville
, au milieu même de fes chagrins
confervoit toujours cet efprit de légèreté
& d'inconféquence , qui faifoit le fond
de fon caractère . Elle avoit befoin d'un
confident , & elle donna fa confiance à
celui qui avoit eu les premiers droits fur
fon coeur , au Comte de Rozanne . Le
Baron de Murville , qui n'avoit eu que
des vues d'intérêt en époufant Mlle de
Tournemont , pouvoit voir avec indifférence
la conduite de fa femme : mais ,
jaloux de fauver les apparences , il ne
ceffoit de lui recommander de ne point
JUIN. 1775 .
79
"
"
le donner en fpectacle. « Vous avez une
paffion , lui difoit-il ; l'objet ne m'en
» eft pas agréable ; malgré cela , je vous
» promets de l'indulgence , à condition
» que vous n'en abuſerez point. Gardez
» les décences , ce fera toujours mon re-
» frain... Je fens bien qu'il faut paffer
quelques dédommagemens à une fem-
» me de votre âge , de votre vivacité ;
» mais je ne porterois pas la bonté jufqu'à
fouffrir quelle déshonorât mon
» nom par une inconduite éclatante...
"
99
Cette espèce de menace mit Mde de
Murville hors d'elle même , & ne contribua
qu'à en faire une femme fauffe.
Elle ne tarda point à fe précipiter dans de
nouvelles étourderies,qui obligèrent enfin
fon mari à rompre publiquement avec le
Comte de Rozanne . La mort du Baron ,
qui fuivit de près cette rupture , fit d'abord
foupçonner que les deux rivaux s'étoient
battus en duel ; mais plufieurs circonf
tances , rapportées dans ces Mémoires ,
éloignent tout foupçon , & font connoître
que le Baron de Murville , qui s'étoit
appuyé à la chaffe fur fon fufil chargé
à balles , avoit été la victime de fon
imprudence.
La Baronne de Murville , veuve avant
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
vingt- deux ans , poffédant de grandes ri
cheffes , & douée de tous les charmes de
la beauté , put , après fon deuil fini , couronner
la tendreffe du Comte de Rozan .
ne, qui avoit toujours confervé des droits
fur fon coeur. Quelle chaîne de félicités
ne devoit - elle pas fe promettre ! mais ce
n'eft pas affez que le bonheur fe préfente
à nous , il faut favoir en faire ufage ; &
c'eft un talent précieux qu'affurément la
Baronne de Murville ne poffédoit pas.
Elle venoit de légitimer avec le Comte
de Rozanne un amour qui , depuis tant
d'années , avoit fait le charme , le tourment
& le reproche de leur vie . Le len
demain de leur mariage , dans un de ces
momens paisibles , où le coeur feul atteſte
l'exiftence , la Comteffe de. Rozanne demanda
à fon mari s'il lui reftoit quelques
voeux à former ? «< Oui , répondit - il ,
» celui d'aflurer la durée de notre bonheur.
Qu'entendez- vous par l'aflurer ,
» demanda encore la Comteffe ? Je ne
vois
que la mort capable de la détruire ,
» puifqu'elle feule déformais peut nous
» arracher l'un à l'autre . Il est vrai , reprit-
il , qu'aucun pouvoir humain ne
»fauroit rompre les neuds charmans
» que nous avons formés ; mais c'est par
"
JUIN. 1775 .
la raifon même qu'ils font indiffolu
» bles , que nous devons nous appliquer
» fans ceffe , à les embellir... Il faut que
» ce foit toujours pour nous des chaînes
» de fleurs , & non un joug , dont la pe-
» fanteur feroit gémir notre foibleffe » .
Ce début furprit la Comteffe , elle alloit
interrompre Rozanne : il s'en apperçut ,
& la prévint. « De grâce , lui dit- il , fuf-
» pendez votre jugement , foyez sûre
» que je n'afpire qu'à vous rendre la plus
» heureufe des femmes , comme vous en
» êtes la plus aimée. En recevant au pied
» de l'autel cette main que je ferre avec
tant de fatisfaction , j'ai acquis des
» droits fur votre perfonne : des droits !
quelle rebutante expreffion ! Eh ! je
» pourrois en faire ufage avec mon
époufe , avec mon amie , comme un
impérieux Sultan avec fa vile efclave ?
" Ah! garde toi de le penfer... Maîtreffe
abfolue de tes faveurs , ton amant , ton
» tendre amant les follicitera avec vivacité
, mais ton mari ne les exigera jamais.
Quiconque réduit en dettes exi-
» gibles les marques touchantes de la
»
"
"
»
tendreffe d'une femme , la dégrade &
» fe trahit lui- même ; il détruit l'illufion-
» enchantereffe des defirs ; ravit à fa
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
" compagne le pouvoir d'y ajouter , en
» les réprimant ; il déffeche les roles &
39
le myrthe , dont l'amour fe plaît à
» couronner les âmes délicates .... Ma
» bien aimée , continua Rozanne , nos
» fentimens , font nos tréfors , c'est entre
» tes mains que je les dépofe , ménageles
avec prudence ; défends- moi contre
» l'effet impérieux de tes charmes ; mo-
» dère , arrête mes tranfports , quand tu
le jugeras néceffaire. Encore un coup ,
» je t'en abandonne le pouvoir , & je te
conjure d'en faire ufage , fans craindre
que jamais j'aie l'injuftice d'en
» murmurer. Traite ton mari comme
» un amant heureux , à qui tu ferois ache
» ter tes bontés , pour le ramener toujours
» à fentir combien elles lui doivent être
» chères . Ton coeur aura fûrement quel-
» ques efforts à fe faire : je les verrai
tous : ils pénétreront dans le mien , qui
» enchérira fur tes facrifices ; mais nous
» en ferons dédommagés par l'augmen
,, tation , par par la conftance de notre féli-
2 cité. Ufons de la même économie dans
les témoignages publics de notre tendreffe
; ne dédaignons point de montrer
» les égards , les préférences , la politeffe
» la plus attentive ; foyons & paroiffons
39
"
JUIN. 1775 . 83
19
"
39
"
» être ce que nous eftimons , ce que nous
refpectons le plus . Quant aux démons-
» trations , aux propos careffans , à cette
» douce familiarité dont j'ufe en ce mo-
» ment avec toi , ne les prodiguons pas
» devant un monde qui n'en eft pas
digne , & qui répandroit deffus le vernis
du ridicule . Je te propofe encore
» l'exemple des amans heureux : on les
devine ; mais ils ne fe dévoilent pas :
» de cela même , la plus petite bagatelle
» eft d'un prix infini pour eux. Un mot ,
» un rien , donne naiffance au plaifir ,
quand c'est l'expreffion du coeur & non
» l'effet de l'habitude. Que celle de vivre
" enfemble n'éteigne point en nous le
» defir de plaire , & ne nous en falle
» point négliger les moyens : ils font de
tous les temps , de tous les âges ; ils
doivent entrer dans toute la conduite de
» notre vie. Rien , dans ce foin Alatteur
» ne fauroit nous être pénible. Quoi de
plus délicieux que de pouvoir nous
» dire chaque jour , c'eft pour lui , c'eſt
» pour elle que je conferve précieuſe-
» ment les avantages qui m'en ont fair
» aimer ; que je combats tel défaut ,
que je m'enrichis d'une qualité nouvelle.
J'ajoute à notre commun bonheur
"
و د
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE .
""
» en ajoutant à la fomme de mes perfec
» tions. Loin de dérober aux regards du
monde ce qui peut m'attirer fon fuffrage
, je m'en glorifierai auprès de ce
que j'aime , parce qu'il y trouvera la
juftification de fon choix ; mais de
quelque poids que me paroiffe cette
approbation étrangère , ce fera toujours
» à la plus chère moitié de moi - même
» que j'en deſtinerai le premier tribut .
» Voilà , ma divine amie , quelles font
» mes difpofitions , & je me flatte que ce
feront auffi les tiennes ». Il s'en falloit
eaucoup que Rozanne eût deviné juſte .
Son épouse , perfuadée que fa feule poffeffion
devoit le rendre parfaitement heureux
, ne fuppofoit pas qu'elle eût quelques
frais à faire pour en être conftamment
adorée . Elle commit même des
imprudences , qui lui firent perdre la
confiance de fon mari . Le Comte de
Rozanne ne confultant que fes chagrins ,
fe refugia dans une de fes Terres pour
vivre éloigné d'une femme , qui , par fon
indifférence marquée , ne ceffoit de remplir
le coeur de fon mari d'amertume ,
& venoit encore de lui donner , par une
conduite imprudente , de nouveaux fujets
de plainte. La Cemteffe de Rozanne
JUIN. 1775.
85
étonnée , humiliée même de cette réſolution
, n'étoit cependant point fans reffource
. Sa conduite , quelque repréhenfible
qu'elle pût être , pouvoit feulement
être accufée d'inconféquence , d'étourderie.
Si , dans les premiers momens de
cette rupture , elle eût été fe jeter aux
pieds du Comte de Rozanne , lui avouer
fes fautes , celle fur tout de lui avoir
marqué moins de confiance que d'amour ;
elle auroit pu ramener à elle cet homme
fenfible , & jaloux de pofféder tous les
fentimens de celle qu'il s'étoit choifie
pour compagne . Mais loin de prendre
ce parti , elle fe retire dans une Ville
de Bourgogne , lorfque fon mari étoit
en Périgord & qu'elle étoit libre de
l'y fuivre . Elle cherche à briller & à jouir
de tous les amuſemens dont la Province
eft fufceptible . Elle fe fait entourer de
flatteurs , de parafites , & ne s'occupe
qu'à remplir toute une Ville de fon fracas.
Eft- ce là le rôle d'une femme défolée
? Auffi le Comte de Rozanne ne prít
point le change ; & lorfqu'accablé d'ennuis
, il vit fa femme venir embraffer
fes genoux , & lui avouer fes fautes , il
ne la rejeta pas loin de lui , il lui donna
même des confeils qui pouvoient fervir
86 MERCURE DE FRANCE.
à régler fa conduite , & à diriger l'édu
cation d'une fille qu'il lui laiffoit ; mais
fes réflexions firent affez connoître qu'il
n'attendoit plus de bonheur pour lui fur
la terre , puifqu'il s'étoit trompé dans le
choix qu'il avoit fait de fon époufe . Depuis
cette époque la vie du Comte de
Rozannes'éteignit fenfiblement . Sa mort,
dont on nous fait ici le tableau , laiſſa ſa
veuve dans les larmes : mais ces larmes
fi juftes , que la Comteffe de Rozanne
croyoit intariflables , s'arrêtoient dans fes
yeux , quand elle les tournoit veis la
carrière fleurie où elle pouvoit rentrer.
« Jeune encore , dit - elle à la fin de fes
» Mémoires , riche , parfaitement indépendante
, j'abjurai le mariage , qui
» m'avoit mal réuffi . Des goûts paffagers ,
» que j'honorerai du nom de paffions ,
» me procurèrent de l'amufement , des
29
."
chagrins , quelques plaiſirs , jamais le
» bonheur. Cependant les années s'écou-
» lèrent affez rapidement : je ne m'aviſai
» pas d'en faire le calcul , & je parvins à
» mon automne avec toutes les préten-
» tions de la jeuneffe. En vain. les hom-
» mes & les femmes femblèrent fe liguer
»pour m'en faire fentir le ridicule ; je ne
voulus rien voir, rien entendre de leur
JUIN. 1775. 87
39
» part . C'étoit à ma fille qu'étoient ré-
» fervés les premiers retours de ma rai-
» fon. Elle avoit accompagné fon mari
» dans fon ambaflade , & s'étoit attiré
» l'eftime d'une Nation , qui n'en eft pas
prodigue , fur tout envers la nôtre. Les
» vertus de fon père , cultivées par
» Mademoiſelle des Salles , & dévelop →
» pées par cinq ans de mariage , me la
» firent paroître toute nouvelle quand elle
» revint en France. Heureufe femme ,
» heureufe mère , fachant infpiter l'ami
» tié , la confiance , dans l'âge où l'on
n'infpire que l'amour & les defirs ....
» J'admirai………. Je m'humiliai ... Peut-
» être j'en ferois reftée là , fans un ami
20
qui fut mettre à profit la circonftance ,
» pour ne ranger enfin fous les loix du
»fens commun ; & cet ineftimable ami ,
" c'est vous , à qui il ne me refte plus
» rien à dire , puifque ma vie eft & doit
» être déformais de la plus parfaite uni-
» formité ».
La lecture de ces Mémoires peut être
utile , à caufe de plufieurs détails de conduite.
Ces détails , qui préfentent des
exemples à fuivre ou des imprudences à
éviter , ferviront de leçon aux jeunes
perfonnes qui entrent dans le monde . Ils
&S MERCURE DE FRANCE.
attachent d'ailleurs par quelques fitua
tions que nous n'avons pu faire connoî--
tre , mais qui jettent de l'intérêt fur différentes
parties de ces Mémoires , dictés
en général avec affez de naturel & d'élégance.
Il fe trouve néanmoins quelques
expreffions que l'Auteur fera bien de
corriger , celle ci , par exemple : « J'eus
» beau me raifonner , il me fut impoffible
» de , & c. -
2
*
..
Recherches critiques , hiftoriques & topogra
phiques fur la Ville de Paris , depuis
fes commencemens connus jufqu'à prés
fent ; avec le plan de chaque quartier .
Par le fieur Jaillot , Géographe ordinaite
du Roi , de l'Académie Royale
des Sciences & Belles-Lettres d'Angers
.
Quid verum... curo & rogo & omnis in hocfum.
Hor. Lib. I. Epift. I.
₹
Brochure in 8 °. qui comprend le dixneuvième
quartier : le Luxembourg.
A Paris , chez l'Auteur , quai & à côté
des grands Auguftins ; & chez Lottin
aîné , Imprimeur - Libraire , rue Saint-
..Jacques.
r
89
JUIN
. 1775
.
•
Ce nouveau cahier préfente le plan
du quartier du Luxembourg , féparé en
deux planches , dont l'une renferme la
partie feptentrionale & l'autre la partie
méridionale . Les recherches du Topographe
fur ce quartier ne fe font point ralenties
; elles ferviront à corriger plufieurs
erreurs dans lefquelles font tombés
les Hiftoriens de Paris . Ceux qui s'adonnent
à l'étude de l'Hiftoire y trouveront
de plus des notices utiles fur l'Abbaye
de Port Royal , les Filles du Saint - Sacrement
, le Prieuré de Notre Dame de
Confolation , dit du Chaffe - Midi , les
Filles du Bon Paſteur , l'Eglife de Saint-
Sulpice , le Séminaire de cette Eglife,
les Religieufes de Notre - Dame de Mifé
ricorde , le Séminaire de Saint Pierre &
de Saint Louis , les Chartreux , les Frères
des Ecoles Chrétiennes , les Prémontrés
Réformés , l'Abbaye de Notre-Dame aux
Bois , les Filles de Saint Thomas , les
Bénédictines de Notre- Dame de Lieffe ,
les Religieufes du Calvaire , celles du
Précieux - Sang , les Carmes Déchauffés,
les Religieufes de Notre - Dame des - Prés ',
l'Hôpital des Incurables , les Petites-
Maifons , la Foire St Germain , le Palais
d'Orléans , & c.
90 MERCURE DE FRANCE .
L'Ame d'un bon Roi , ou choix d'anecdotes
& de penfées de Henri IV , les
plus propres à caractériſer le coeur &
le génie de ce Prince ; précédé de fon
Eloge hiftorique & des portraits qu'en
ont tracés les meilleurs Hiftoriens . Par
M. Coftard , Libraire à Paris . Volume
in-8°. A Paris , rue St Jean de Beauvais
, la première porte cochère audefus
du Collége.
Lorfqu'un Ecrivain nous entretient de
Henri IV , le Lecteur François pourroit- il
fe plaindre de ce que cet Ecrivain ne fait
que répéter ce qu'un autre a déjà dit ?
Ne fuffit - il pas de parler de ce grand
Prince , de ce bon Roi pour mériter nos
fuffrages ? Le choix que l'Editeur a fait
des anecdotes & des penfées de Henri
IV , peut être joint aux éloges hiftoriques
de ce Prince. Celui publié à la tête de
cette collection , contient plufieurs réflexions
utiles , mais qui ne font pas tou
jours dictées avec affez de précifion , ce
qui fait reffembler ce difcours plutôt à
une differtation fur la politique ou la
morale , qu'à l'Eloge hiftorique d'un
Prince qui avoit un Royaume à conquérir
, & a eu befoin d'un courage toujours
JUIN. 1775.
actif pour faire le bien que fon coeur lai
dictoit.
Tablettes Aftronomiques , ou Abrégé élémentaire
de la fphère & des différens
fyftêmes de l'Univers , principalement
de celui de Copernic , avec les ufages
des globes artificiels : Ouvrage mis à
la portée de tout le monde. Par M.
Brion , Ingénieur Géographe du Roi ,
Profeffeur de Géographie & d'Hiftoire.
Vol . in- 16 , avec des planches gravées ;
prix , broché , 1 1. 16 f. A Paris , chez
Defnos , Libraire & Ingénieur Géographe
, rue St Jacques , au Globe.
Le titre de ce petit Ouvrage fait affez
connoître que l'Auteur a eu principalement
pour but de procurer à la jeuneſſe
& à ceux qui ne peuvent avoir recours
aux favans Traités d'aftronomie , des notions
élémentaires & indifpenfables fur
la fphère & les différens fyftêmes de
l'Univers. L'aftronomie de M. de Lalande
, a fervi de guide à l'Auteur de ces
Tablettes . Cet Auteur s'eft fait un devoir
d'écarter de fon Abrégé toute matière
abftraite , afin de fe conformer au titre.
de fon Ouvrage , & fe procurer plus d'ef
1
92 MERCURE DE FRANCE.
pace pour expofer quelques notions curieufes
, donner même, des calculs , dont
les uns ne fe trouvent point dans les
élémens ordinaires , & les autres font
plus conformes aux obfervations les plus
modernes & les mieux conftatées.
Les Curieux & tous ceux qui s'intéreffent
aux Ouvrages de mécanique &
d'aftronomie , peuvent voir chez le fieur
Defnos , à l'adreffe ci- deffus , une trèsbelle
sphère mouvante de deux pieds de
diamètre , & de plus de fix pieds de circonférence
, exécutée d'après le fyftême
de Copernic.
Principes fondamentaux de la conftruction
des Places , avec des réflexions propres
à démontrer les perfections & les imperfections
de celles qui font conftruites;
un nouveau fyftême de fortification
fur toutes efpèces de ligne ; &
une nouvelle théorie des mines . Vol ,
in 8. avec des planches. A Londres ,
& fe trouve à Paris chez Ruault , Lib .
rue de la Harpe ; Jombert le fils
rae Dauphine ; L'Efprit , au Palais
Royal.
...Ceux qui ont étudié les Ouvrages imé
JUIN. 1775. 93
primés de M. de Vauban fur les fortifi
cations , liront encore avec fruit ces Principes
fondamentaux de la conftruction
des Places. Ils y trouveront même des
idées neuves expofées avec beaucoup de
netteté & de préciſion, Ces idées , fruit
de l'expérience & de l'obſervation , appartiennent
, pour la plus grande partie ,
de l'aveu même de l'Editeur diftingué de
cet Ouvrage , à MM . d'Antoni , Rhaną
& Boffolino, Cet Editeur , très éclairé &
bon juge dans ces fortes de matières , ſe
propofe de donner pour fuite à ces prine
cipes fondamentaux de la construction
des Places , & dans le même format, un
Traité de la fortification irrégulière &
de la fortification de campagne , qui comprendra
quelques détails nouveaux , fimples
& piquans .
Le même Editeur , pour ne rien laiffer
à defirer , voudroit donner au Militaire
une Hiftoire raifonnée des différens pro+
grès de la fortification , par le plan , par
T'expofé des principaux fyftêmes dans
l'ordre où ils ont paru fucceffivement ;
& par une courte digreffion fur les avantages
& fur les défavantages de chacun
d'eux .
Il y a , dit- il dans la Préface de l'Ou94
MERCURE DE FRANCE.
vrage qui vient d'être publié , environ
deux cents fyftêmes principaux , auxquels
fe rapporte tout ce qui a été inventé
jufqu'ici fur la fortification ; leur plan ,
leur expofé , leur difcuffion , font peutêtre
ce qu'il y a de plus propre à répandre
la lumière la plus vive fur la fcience de
l'Ingénieur ; cet Ouvrage ne feroit ni
volumineux , ni cher . Il ne feroit point
volumineux , parce que pour chaque fyftême
, le verfo de la feuille où le plan
feroit deffiné , comprendroit l'explication
& la difcuffion du fyftême qui fuivroit
; de manière qu'en ouvrant le volume
in- 8°. on auroit à la fois fous les
yeux la figure & le difcours du même
fyftême. Il ne feroit point cher , s'il avoit
le fuccès qu'on peut attendre d'un Ouvrage
d'une utilité reconnue ; qui eft
écrit , & qu'on feroit imprimer dans les
quatre langues principales de l'Europe
pour multiplier les Acquéreurs , & pour
diminuer à chacun d'eux les frais de
gravures néceflairement trés confidérables.
·
>
L'Auteur avoue qu'il a plus de cent
fyftêmes mis au net ; & fi le Ministère
donne fa fanction à ce nouvel Ouvrage
dans quelques mois , le Public pourra en
JUIN. 1775. 95
1
voir l'ordre & l'exécution chez les Libraires
où fe trouvent les Principes fondamentaux
de fortifications que nous venons
d'annoncer.
t
Avis au Peuple fur fon premier befoin ;
par M. l'Abbé Baudeau ; nouv . édit.
revue & corrigée par l'Auteur . Vol.
in-12. 36 f. br. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris chez Didot aîné ,
Imprimeur- Libraire , rue Pavée , près
du quai des Auguftins ; & Lacombe ,
Libraire , rue Chriftine.
2
Cet Avis au Peuple renferme trois
Traités. L'entière & parfaite liberté du
commerce des grains eft la matière du
premier. L'Auteur communique au Public
, dans le fecond , quelques connoiffances
pratiques très utiles , fur la manière
économique de moudre les grains ; par
cette méthode nouvelle , prefque partout
ignorée , l'on tire du même bledbeaucoup
plus de belle & bonne farine ,
que par la routine ufitée dans la plupart de
nos Provinces. Il eft queftion dans le
troisième Traité de la manière de faire
le pain , & fur-tout de la proportion qui
doit toujours régner entre le prix du bled
& celui du pain.
6 MERCURE DE FRANCE.
Liberté du commerce & de l'induftrie ; par
feu M. le Préfident Bigot de Sainte-
Croix.
Libertas qua fera. . . . .
VIRG.
Brochure in . 12. 24 f. A Amfterdam ,
& fe trouve à Paris , chez Lacombe ,
Libr. rue Chriftine .
A mefure que la fcience du commerce
fera mieux connue , les Etats commerçans
travailleront à rendre plus libre
chez eux la carrière des arts & du négoce
, afin d'établir une concurrence favorable
, encourager l'induftrie , & attirer
l'étranger pauvre , mais laborieux.
Des Ecrivains politiques nous ont donné
différens Traités fur cette liberté du commerce
& de l'induſtrie , & ont fait voir
les inconvéniens du fyftême adopté précédemment
, de réduire tout en Corps de
Jurande. Mais , parmi ces Traités , nous
croyons que l'on diftinguera celui de feu
M. le Président Bigot de Sainte- Croix .
Il eſt appuyé fur des faits , & écrit avec
beaucoup de méthode & de clarté.
Journal de Littérature , par une Société
d'Académiciens ;
JUI N. 1775 • 97
d'Académiciens ; imprimé à Berlin. Il
en paroît tous les deux mois un vol .
in 8. d'environ 400 pages . Prix 2 1 .
10 f..
On peut fe procurer actuellement les
deux premières années complettes de ce
Journal , formant une fuite de 12 vol.
chez Lacombe , Libraire , rue Chriftine ,
à Paris . Le 13 ° & le 14 vol. ne tarderont
pas à paroître.
Les perfonnes qui defireront le procit
rer cet Ouvrage peuvent commencer à
tel mois ou à telle année qu'elles jugeront
a propos. Les volumes ne fe payent qu'à
mefure qu'on les reçoit.
Dictionnaire portatif, théologique & philofophique
, par M. L. Paulian , Auteur
du Dictionnaire de Phyfique. A
Paris , rue Saint Jean de Beauvais , la
première porte cochère au- deffus du
College
.
Cet Ouvrage , déjà connu du Public ,
mérite une attention particulière de ceux
qui aiment l'étude de la Religion . Pour
donner une idée favorable de l'impartia.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
i
lité avec laquelle l'Auteur s'eft propofé
d'ettaquer fes adverfaires •
& de fon
équité à l'égard de l'attribution
qu'on fe
permet de faire de certains Ouvrages à
des hommes qui n'y ont jamais eu la . moindre part , il fuffira de tranfcrire les
propres paroles de ce Théologien
philofophe.
Dès que le nom n'eft pas au titre
«
» d'un livre , je me garde bien d'ajouter
»foi à des bruits vagues qui le donnent à
» tel ou à tel , fur - tout lorfque l'Ouvrage
> eft infiniment
au deffous de la réputa-
» tion de l'Auteur à qui le Public l'attri-
» bue ; j'aurai toujours préfent à l'efprit
» ce que dit M. d'Alembert
dans fes
» Réflexions
fur l'abus de la critique en
» matière de religion , ( page 362 ) qu'en
»´cette matière , plus qu'en aucune autre,
» c'eft fur ce qu'on a écrit qu'on doit être
jugé , & non fur ce qu'on eft foupçonné
» mal à propos de penfer ou d'avoir voulu
» dire.... que c'eft aux hommes à pro-
» noncer fur les difcours & à Dieufeul à
» juger les coeurs..... & que l'accufation
"
d'irreligion , fur tout lorsqu'on l'intente
» devant le Public , ne fauroit être appuyée
fur des preuves trop convaincantes &
» trop notoires.
» L'on ne trouvera donc dans mon
"
JUI N. 1775 . 99
BIBLIOT
LYON
DE
FILLE
livre aucune perfonnalité contre qui
que ce foit au monde ; la caufe que je */893 *
défends est trop bonne pour employer ,
» au lieu de preuve , les fades plaifanteries
, les injures & les farcafmes indé-
»
cens.
» L'on y trouvera encore moins ces
difputes d'école ; c'eft à dire , ces vétilles
& ces inutilités théologiques , dont
» les feuls Scolaftiques font capables dé
s'occuper férieufement . Qu'on life mon
» article de Gráce , l'on verra que j'y
exhorte , du meilleur de mon coeur ,
les Théologiens Catholiques à mettre
fin à leurs difputes , toujours trop vives
, quelquefois peu édifiantes , & de
» tourner leurs armes contre les vérita-
» bles ennemis de la grâce de Jéfus .
« Chrift ».
n
Ces réflexions fi fages doivent faire
d'autant plus d'impreffions , que l'Auteur
a été à portée autrefois de voir de plus
près les inconvéniens de toutes ces difputes
, qui , fans rien éclaircir & fans
augmenter la maffe des connoiffances
#folides & des vertus civiles & religieufes
, ne font propres qu'à amener à la
fin les fiècles d'ignorance & à troubler
# l'harmonie de la fociété. On voit en
Eij !
TOO MERCURE
DE FRANCE
:
effet , lorsqu'on remonte à l'origine de
ces difputes & qu'on en fuit les progrès ,
qu'elles ne font l'ouvrage que d'efprits
avides de nouveautés
& de gloire , qui
ne cherchent dans l'étude de la Religion
que ce qui peut flatter leur orgueil ou
leur curiofité. « Des efprits ambitieux
» & jaloux , qui n'aiment de bien que
celui qu'ils font , & qui , pour mieux
» s'affurer l'eftime & la confiance publi-
» que , décréditent & noirciflent tout ce
» qui pourroir les partager ». ( Nous copions
les propres expreffions d'un Académicien
illuftre par fon rang & par fes
lumières ) . " Des efprits de corps , qui
» confacrent , qui généralifent
, qui per-
» pétuent dans les fociétés toutes les opi
» nions qui y ont été une fois adoptées ,
qui les défendent avec le même zèlë
que s'il s'agiffoit des objets de la foi ,
» & qui font qu'on ne tient à la vérité
que comme on tiendroit au préjugé ;
» des efprits foibles & ignorans , que le » premier venu féduit & entraîne ; des
» efprits crédules & pareffeux , qui , fur
39
»
"
la feule foi , d'un Maître ou d'un Au-
» teur , fouvent très-peu digne de leur
confiance , époufent tous fes fentimens
,
& prétendent
renfermer
enfuite la ca
JUIN. 1775.
ΙΟΙ
33
tholicité dans un cercle auffi étroit
-1
que
» celui de leurs idées ; des efprits imprudens
& précipités qui , fans avoir
rien examiné , prétendent tout favoir
» & entreprennent de tout décider ; des
efprits aigres & contentieux qui ne
favent rien traiter paisiblement , qui
» ne fe plaifent que dans la difpute , &
qui cherchent bien moins à s'éclaircir
» qu'à prévaloir ; des efprits enfin pleins
d'orgueil & de préfomption , qui adorent
leurs propres penfées , qui s'éri-
" gent à eux mêmes un tribunal , où ils
appellent en jugement tout ce qu'il
» leur plaît , & qui exercent ainfi fac
leurs frères un empire auquel il n'ont
dreit , ni par leur autorité , ni par leurs
lumières 12.
»
32
Inftrudions Chrétiennes pour les divers
états de la vie , avec des exercices de
piété pour chaque jour , chaque femaine
, chaque mois & chaque année ;
& un exercice pour la confeflion & la
communion. A Paris , chez Lottin
l'aîné & Onfroy , Libraires , rue Saint
Jacques , près St Yves , au Coq.
Les riches , & fur-tout les pauvres ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
trouveront dans cet Ouvrage des inftruc
tions propres à leur fanctification ; les
riches y verront les principaux oracles
des Livres Saints , qui leur apprendront
la vanité des richeffes & l'ufage chrétien
qu'ils font obligés d'en faire. Les pauvres
y liront les paroles faintes , qui leur montreront
les avantages de la médiocrité &
de la pauvreté , lorfqu'elle eft jointe à la
vertu , & les devoirs que leur a prefcrit
le Chef de notre divine Religion. On
trouve auffi dans cet Ouvrage édifiant
des inftructions détaillées pour les ouvriers
& pour les domeftiques. Les Pafteurs
, fur tout ceux de la campagne , ne
fauroient trop recommander la lecture de
ce livre , où les verités de pratique font
expofées avec clarté.
-
Traité économique & phyfique des Oiseaux
de baffe cour, contenant la defcription
de ces oifeaux , la manière de
les élever , de les multiplier , de
les nourrir , de les traiter dans leurs
maladies , & d'en tirer profit , tant
pour nos alimens que pour nos médicamens
, & pour les différens arts &
métiers . A Paris , chez Lacombe , Libraire,
rue Chriftine , près la rue DauJUIN.
1775: 101
phine. Volume in- 12 , prix , broché ,
2 liv.
Cet Ouvrage eft le premier en fon
genre qui ait paru en France ; perfonne ,
jufqu'à préfent , n'a encore publié de
Traité fur les Oifeaux de baffe cour , fi
on en excepte feulement le favant Réaumur
: mais dans les deux Ouvrages qu'il
a inis au jour dans le temps , il ne put
traiter de tous les oifeaux qu'on élève
dans les baffes cours ; il fe contenta feulement
de parler des poulets & de la manière
de les élever ; il eft néanmoins vrai
de dire que quelques Aureurs ont traité
des autres oifeaux de baffe cour , mais ce
qu'ils en ont dit eft , ou trop fuccinct ,
ou noyé dans de nombreufes collections
. On a remédié par ce Traité à l'un
& à l'autre de ces inconvéniens . L'Auteur
préfente fous un même point de vue
à fes Lecteurs tout ce qui peut concerner
la famille volatile ; il traite en çonféquence
dans fon Ouvrage de dix forres
d'oiſeaux , du paon , du dindon , du coq
& de la poule , de la pintarde , da faifan ,
de l'outarde , de l'oie , du canard , du
eigne & du pigeon. Il rend compte dans
la Préface de fon Ouvrage de tous les
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
details dans lesquels il entre au fujet de
ces oifeaux ; en général , on trouve raffemblé
dans l'Ouvrage que nous annoncons
toutes les connoiffances néceffaires
pour tirer profit d'une baffe - cour : c'eſt
peut- être dans les campagnes la plus gran
de reffource pour les fermières ; une bonne
ménagère fait trouver dans fa baffecour
de quoi payer fes tailles , fes domef
iques , l'entretien intérieur de fa maifon ,
fans être obligé de recourir aux productions
de la terre , qui deviennent par- là
tout profit pour le Laboureur . Depuis
long- temps on cherche la pierre philofophale
, on peut dire qu'elle eft trouvée
dans la propagation de la volaille ; une
batfe cour bien conduite peut rapporter
jufqu'a cinq à fix cents pour cent à fon
maître mais il faut beaucoup de foin ,
d'attention & de précaution de la part de
la gouvernante de baffe- cour ; ce n'eft
qu'à force d'induftrie , d'intelligence &
de travail qu'on peut parvenir à s'enrichir.
L'Auteur s'eftimeroit très- heureux ,
fi , par la publication de ce Traité , il
pouvoit ranimer dans les campagnes le
goût pour ce nouveau genre de richelles ,
& par conféquent l'aifance que l'un de
nos plus grands Rois defiroit de donner
JUIN. 1775. 105
aux payfans. Il a confulté , pour la rédaction
de ce Traité , les meilleurs Ouvrages
qui ont rapport , foit directement ou
indirectement , aux objets qui y font
traités : il a fait aufli ufage de fes propres
obfervations & expériences ; il a en outre
confulté les gens ufités en ce genre d'occupation
, qui valent , fans contredit ,
mieux que tous les livres auxquels on
pourroit avoir recours. Toute perfonne
qui demeure en campagne doit néceffairement
fe procurer cet Ouvrage , la
pratique qu'elle fera de ce Traité économique
deviendra pour elle un vrai
Pérou.
Avis aux mères qui veulent nourrir leurs
enfans ; troisième édition , revue &
confidérablement augmentée, par Ma .
L. R. A Paris , chez P. Fr. Didot le
jeune , Lib. quai des Auguſtins . Prix
1. 8 f. rel.
2
Si on doit juger d'un Ouvrage par le
prompt débit qui s'en fait , celui que
nous annonçons doit être placé dans le
nombre des meilleurs , puifqu'en moins
de fix ans c'eſt la troiſième édition qu'on
en a publiée : nous penfons ne pouvoir
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
1
mieux faire , pour en faire connoître le
mérite & l'utilité , que de rapporter ici
ce qu'en ont dit Meffieurs les Commilaires
de la Faculté dans l'extrait qu'ils
ont fait de la feconde édition de cet Ouvrage
.
Nous avons porté , difent- ils , à cette
nouvelle édition toute l'attention que
mérite la confiance que la Faculté a
» bien voulu avoir en nous , en foumertant
cet Ouvrage à notre examen .Tous
les principes qu'il contient font confor
» mes à la plus faine phyfiologie. Dans
» tous les temps , les Médecins ont re-
» commandé aux mères de nourrir elles-
» mêmes leurs enfans ; nos Ecoles one
» cent fois publié les avantages qui en
réfultent pour les uns & pour les autres :
» mais Madame le Rebours eft peut être
» la première qui ait prouvé , par des
» raifons claires & évidentes , qu'il faut
» qu'une mère donne à téter au nouveau
» né le plutôt poffible aprés fa naiffance ;
» elle fe débarraffe par-là d'une liqueur qui
pourroit devenir auffi pernicieufe pour
» elle qu'elle eft falutaite à celui pour
lequel la nature l'a deftinée ; nous penfons
donc qu'il eft à fouhaiter que cer
Ouvrage fe répande de plus en plus
33
ود
JUIN. 1775 . 107
» dans le Public , & que toutes les mères
s'y conforment exactement ; par là elles
» s'éviteront bien des maux , & confer-
» veront à l'Etat bien des Sujets , qui font
» les victimes de la méthode qu'on n'eft
» que trop dans l'ufage de fuivre . Signés
» Bernard , du Bourg , Gentil & d'Ar-
15 cet » .
En général on peut regarder cet Ouvra→
ge comme un écrit propre à encourager
la tendreffe des mères pour leurs enfans
& à leur communiquer le goût de fe
livrer à une pratique dont Madame le
Rebours a fi bien développé les avantages
; d'ailleurs tous ceux qui connoiffent
cette Dame favent que fon Ouvrage eft
le fruit de fon expériencce & de fes obfervations
fur un objet auffi intéreffant
pour l'humanité.
* Difcours prononcés dans l'Académie
Françaife le Jeudi 27 Avril 1775 ,
la réception de M. le Chevalier de
• Chatellux. A Paris , chez Demonville ,
Imprimeur Libraire de l'Académie ·
* Les trois articles fuivans font de M. de
la Harpe.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Françaiſe , rue St Severin , aux Armes
de Dombes ,
tré
Les Difcours Académiques , qui n'ont
que trop fouvent de ces complimens
étudiés & frivoles ,
Où le bon fens expire
Dans letravail de parler fans rien dire ,
font devenus , depuis plufieurs années ,
de très-bons Ouvrages de Littérature . Au
lieu de mettre tout leur art & tout leur
foin à rajeunir d'une manière plus ou
moins heureufe l'éloge , néceffairement
un peu ufé , de Louis XIV , de Richelieu
, &c, les Orateurs récipiendaires fe
font appliqués à traiter des queftions intéreffantes
, & ont tiré l'éloquence académique
du cercle étroit & rebat: u de
la louange dans lequel on l'avait trop
long- temps renfermée . Si cette révolution
n'eût pas été déjà faite , M. le Chevalier
de Chatellus l'aurait commencée . Un
efprit auffi philofophique que le Gen ,
accoutumé à envifager les objets fous de
nouveaux rapports , n'aurait pu s'enchaî
ner dans les formes générales & vulgaires
du panegyrique ; & le talent de penfer
JUIN. 1775. 109
qui s'était fait remarquer dans fes autres
Ouvrages , devait le retrouver dans le
Difcours où il remercie les Gens de Lettres
de l'avoir adopté parmi eux . Il fe
propofe dans ce Difcours de fuivre rapidement
la marche & les progrès du goût
dans les fiècles de lumières. " Deux fois ,
» dit il , depuis que ce globe eſt habité ,
l'efprit humain s'eft élevé à la plus
grande hauteur ; deux fois il en eft
» tombé , comme fi la nature eût franchi
fes limites , & que femblable au fleuve
qui ne rompt fes digues que pour inon-
» der un moment les campagnes , elle
» dût reprendre bientôt fon cours accou
» tumé. Gardons nous cependant de
"
"
"
donner trop de poids à ces confidéra-
» tions. L'exemple ne fait qu'avertir la
raifon : l'étude des caufes & des effets
» peat feule l'inftruire & l'éclairer . Elle
» nous apprendra l'origine de ces viciffi
» tudes que nous nous contentons de
craindre ou d'admirer. Nous connaî
» trons à la fois nos forces & notre fai-
» bleffe . Non moins entreprenans , non
>> moins audacieux que nos Ancêtres
» nous faurons mieux garder nos conquê
» tes : car enfin , Meffieurs , les premiers
» efforts en tout genre ne font pas ce pas..ce
110 MERCURE DE FRANCE.
"3
qu'il y a de plus difficile. L'efprit hu-
» main n'agit que par faillie : il s'élance
plutôt qu'il ne marche , & il eft plus
» aifé de le mettre en mouvement que
» d'affurer fes pas. Applaudiffons à fes
premiers efforts : mais tâchons d'en
» mieux profiter. Poffeffeurs des tréfors
» les plus précieux , occupons - nous de les
» défendre , & fouvenons - nous fur tout
» que dans le champ immenſe qui nous
» eft offert , fi c'eft au génie de créer
» c'eſt au goût qu'il appartient de confer-
» ver » .
*
M. le Chevalier de Chatellux obferve
d'abord combien eft ingénieuſe la figure
dont on s'eft fervi pour exprimer le goût.
Il femble en effet qu'après avoir réflé
chi fur les organes de nos fenfations ,
on ait reconnu que celui du goût était
» le feul qui eût des rapports frappans
» avec l'idée qu'on voulait exprimer ,
» parce qu'il eft le feul qui pénétrant ,
» pour ainfi dire , dans la fubftance la plus
» intime des choſes , en apprécie les pro
priétés les plus cachées , le feul qui joi-
» gne l'analyfe la plus fubtile au jugement
le plus rapide , le feul enfin qui ,
toujours irrité ou flatté , ne reçoive jamais
d'impreffions qui ne foient ac
❤
JUIN. 1779 .
» compagnées de peine ou de plaifir ».
L'Orateur philofophe trouve dans les
révolutions de Rome & de la Grèce , les
caufes de la corruption du goût après les
deux grandes époques de fon règne.
39
"
. و د
30
Athênes étoit floriflante. Les Euripides
, les Xénophons , les Platons ,
repofaient à peine fous une tombe ho-
» norée , lorfqu'Alexandre vint impoſer
des fers à la Grèce pour en préparer à
» l'Afie. Tout fléchit fous l'empire de fon
génie ; mais à peine avait il fubjugué
tant de Peuples amcb is , qui n'étaient pas
même dignes de l'avoir pour Maître ,
qu'il fut fubjugué à fon tour par fes
propres pafficns . Après avoir donné
l'exemple du courage , il donna celui
de la corruption , & ce fut le mieux
fuivi. Alors la vertu opprimée ou négligée
difparut avec la liberté , & l'orgueil
Afiatique remplaça les moeurs de
» la Grèce . La République des Lettres
dur partager ces révolutions ; & , de
» même que l'Empire d'Alexandre fut
divifé entre plufieurs Tyrans , tous ri-
» vaux ou ennemis , de même ce goût fage
» & éclairé , qui s'était épuré dans Athê-
» nes , ne tarda pas à difparaître , pour
faire place à la licence des opinions &
"
112 MERCURE DE FRANCE.
à l'orageufe tyrannie des Sectes . Difons
le à l'honneur des Belles - Lettres ,
» fi elles n'ont pas , comme la philofophie
, l'avantage d'influer fur la politi
» que & la légiflation , on leur doit du
moins cette louange , qu'elles n'ont
» jamais fleuri dans l'efclavage ; & que
» le bon goût , quoique apanage de l'efprit
, tient toujours à la nobleffe de
» l'âme ».
·
On ne peut qu'applaudir à ces idées
auffi juftes que bien énoncées . Mais fur
cette affertion , que les Belles Lettres
n'ont pas , comme la philofophie , l'avan
tage d'influer fur la politique & la légiflation
; nous oferons obferver qu'elle ne
peut être fondée , du moins par rapport à
Rome & à la Grèce , où l'éloquence influa
fur le gouvernement beaucoup plus que
la philofophie , & où l'art oratoire , cultivé
avec la plus curieufe recherche &
embelli de tous les ornemens littéraires
& de toutes les richeffes de l'imagination
, était dans les mains de Cicéron &
de Démosthène un des grands refforts de
'Etat. Quant à nous , on pourrait dire
encore que fr la philofophie a influé fur nos
moeurs & notre légiflation , c'eft en s'unif
fant aux Belles- Lettres. Chez un peuple
JUI N. 1775. 11-3
fi . fenfible à l'agrément & mené par l'opi
nion , & plus encore par l'enthouſiaſme ,
la philofophie , réduite à fon cortége
auftère de raisonnemens & de vérités ,
n'avancerait qu'à pas bien lents . Il faut
que l'éloquence & l'imagination la prennent
par la main ; les portes s'ouvrent à
ces deux conductrices aimables , dont
Montefquieu & M. de Voltaire ont fi
bien connu le pouvoir & l'ont fi heureufement
employé.
Mais qui ne fera pas de l'avis du Récipiendaire
, lorfqu'il attribue à l'esclavage
& au defpotifme , qui furent les fruits
de la conquête , l'avilillement des efprits
& la décadence des Beaux Arts dans la
Grèce? « Ofons ( dit-il ) rejeter fur les
» ambitieux & les Conquérans le repro-
» che d'inſtabilité qu'on fait aux Lettres.
» Eh ! quel voyageur , en déplorant les
» ruines de la Campanie , peut accufer
la fragilité des anciens édifices , lorfe
» qu'il voit la bouche du Véſuve encore
» fumante , & qu'il ſent la terre trembler
» fous fes pas? 15
"
P
"
On voit que M. le Chevalier de Chatellux
obferve le principe dont nous pat
lions tout - à - l'heure d'orner la vérité des
parures de l'imagination ; & ce principe
114 MERCURE DE FRANCE.
"
»
ne peut être obfervé que par le talent .
L'Orateur explique très bien pourquoi
chez les Ro.nains , foumis au gouvernement
de l'Empereur Octave , les Lettres
Aleurirent au lieu de dégénérer . « Dans
» cette époque défaftreufe & brillante ,
» où la nature humaine exaltée & fortie ,
pour ainfi dire , de fon équilibre , parut
exagérer les vertus & les vices , pour
» laiffer à la postérité les plus pernicieux
» exemples & les plus beaux modèles ,
» Rome , toute dégouttante de fang, s'éle-
» vait aux honneurs de la Grèce ; & tandis
que fes Confuls portaient le fer &
» le feu dans l'antique féjour des Arts &
» des Lettres , de nouveaux Démosthè-
» nes fleuriffaient dans fes murs & dif
39
»
99
putaient aux Scipions la gloire d'im
» mortalifer leur Patrie. Mais obfervez ,
» Meffieurs , que fi dans ces tertibles con-
» vulfions qui précédèrent le règne d'Oc
tave , Rome fut fouvent opprimée
elle ne fut jamais humiliée . Ses entrail
les étaient déchirées ; mais fes bras
» étaient forts & redoutables . L'efprit de
» difcorde régnait au dedans ; l'efprit de
» conquête régnait au dehors , & les
» Beaux-Arts eux mêmes furent pour
elle une conquête. C'eſt une vérité qui
JUIN. 1775 . 115
nous eft familière , mais dont on ne
faurait être trop pénétré , fi l'on veut
» fe faire une idée de la littérature ancienne.
Non ; les Romains n'ont rien
» inventé , & peut-être même pourraiton
ajouter que s'il eft des genres qu'ils
sont perfectionnés , il en eft d'autres
"
"
où l'imitation même ne leur a pas
» réuffi . C'eft far- tout dans les Beaux-
30 Arts que leur infériorité eft reconnaiffable.
La mufique , la peinture , la fculpture
parurent parmi eux comme d'illuftres
étrangères , auxquelles on s'empreffa
de rendre hommage : mais leur
» fort fut femblable à celui de Cléopâtre
» & de Bérénice ; elles eurent du crédit
» fans pouvoir devenir citoyennes ; elles
furent aimées , mais elles ne régnèrent
» pas ».
C'est avec ces tournures délicates &
ces rapports ingénieux que l'on fe rend
propres des idées qui femblent apparteni
à tout le monde. L'Orateur , après avoir
fuivi les progrès du goût chez les Romains
& remarqué fes nuances nationales
, attribue fa décadence au defpotifme
féroce & capricieux des Succeffeurs d'Augufte
. " Bientôt au fardeau de l'oppref
fion fe joignit la honte d'obéir à un
116 MERCURE DE FRANCE.
» Empereur qui n'était pas né citoyen
de Rome. A la fuite de ces Princes
» étrangers , on vit venir des Provinces
» les plus éloignées une foule de nouveaux
Littérateurs , de nouveaux Philo,
fophes , fruits précoces des connaiſſan
37:
ces, qui s'était étendue avec les armes
» Romaines. La philofophie profita de
» leurs travaux ; mais le bon goût dut en
fouffric... La morale même influa fur
les lettres. L'efprit humain toujours
exagéré , toujours prêt à paffer d'une
» extrémité à l'autre , ne réprouva la lie
» cence des moeurs , devenue trop géné
» rale , que pour fe livrer à l'austérité
ftoïque. Cette auftérité pénétra dans le
langage & dans le ftyle. Le févère Dif
» ciple de Zénon crut devoir s'interdire
jufqu'au luxe des paroles . Ses penſées ,
toujours fortes , toujours énergiques ,
ne purent le prêter à des ornemens qui
les gênaient dans leur marche & les
empêchaient de fe preffer les unes fut
» les autres. Delà ce goût des fentences
» & des antithèfes ; delà ce changement
» dans le ftyle & dans la littérature , qui
» fe fit appercevoir long- temps avant que
» la tyrannie eût impofé filence aux Ecrivains,
& que l'invafion des Barbares
"
JUI N. 1775 . 117
eût détruit jufqu'à la trace de leurs
» ouvrages "..
M. le Chevalier de Chatellux paffe au
moment de la renaiffance des Lettres en
kalie. Il confidère d'abord la diſtance qui
Léparait les nouveaux Litterateurs des
anciens , diſtance d'autant plus difficile
» à franchir , qu'elle fe faifait fentir éga
» lement dans le langage & dans les
moeurs dans le langage , par le mélan
» ge des idiomes barbares avec les langues
» anciennes ; dans les moeurs , parce que
toutes les idées politiques & religieufes
» étaient changées , parce que l'efprit des
» Nations du Nord avoit influé & même
» prévalo fur celui des Nations du Midi,
❤ parce que toute légiflation étant anéantie
» ou avilie , les vertus & les vices avaient
» pris´un caractère ifolé & individuel ,
» que le courage n'était plus que de la
chevalerie , l'héroïsme que du roma
» nefque , l'amour que de la galanterie ,
» la religion même qu'un affemblage
» monſtrueux des dogmes les plus faints
» & dés pratiques les plus puériles & les
» plus ridicules ».
»
"
Deux fottes d'hommes luttèrent contre
tant d'obſtacles :
Les unis , pénétrés d'admiration pour
118 MERCURE DE FRANCE
"
» les Anciens , dont ils commençaient à
» entendre & à goûter les Ouvrages , fe
livrèrent tout entiers au defir de les
imiter , & non contens de s'être initiés
dans leur doctrine , ils voulurent encore
s'approprier leur langage. Tels fu-
» rent les Bembo , la Sadolel , les Vida ;
» les autres , plus attachés au goût natio
» nal , tournèrent tous leurs efforts vers fa
perfection , & ces efforts furent les plus
» heureux . Pétrarque fut revêtir d'un fi
» beau coloris , & les fentimens exagérés
» & fa fauſſe métaphyſique , qu'il obtine
le rare privilége de charmer avec des
» mots & de s'immortalifer par des fonnets.
Le Dante , penfeur plus profond ,
plus hardi , paraît ne confulter que fes
» propres forces . S'il élève , s'il anoblic
"
l'expreffion , c'eſt en élevant , c'eſt en
» anobliffant auffi la penfée ; il marche
» à pas de géant , mais fa marche eft in-
» certaine Il s'égare , il fe perd ; c'eſt un
» captif indigné de fa chaîne qui s'agite
» & la rompt d'un même effort : mais
qui , poffeffeur d'une liberté dont il
❤n'a pas prévu l'emploi , laiffe errer fes
» regards , court fans objet , & fuit fans
» chercher un afyle
"
99 13.
Après avoir caractériſé le Dante avec
JUIN. 1775 . 119
n
39
cette énergie , le Récipiendaire ajoute
très-judicieufement : « Lors même que
» l'Ariofte & le Taffe eurent élevé la
poësie Italienne au plus haut degré de
fplendeur , le goût national fe fit tou-
»jours fentir dans leurs immortels Ouvrages
, & décida même de leur fuccès.
» Je n'en veux pas d'autre preuve que la
préférence que les Italiens ont toujours
donnée aux poëfies de l'Ariofte ; ils y
» admirent en effet cette richelle & cette
" liberté d'imagination , qui n'appartient
qu'à leur climat , unie avec une facilité
» dans le ftyle , un charme dans la dic-
39 tion , dont ils connaiffent feuls tout le
prix ; tandis que les Etrangers retrou
vent dans le Taffe un goût plus fage,
» plus méthodique , qui tient auffi de
plus près à l'antiquité. Si depuis que
" ces deux Poëtes célèbres ont illuftré leur
patrie ; fi prefqu'auffi- tôt après que les
» Bocace , les Guichardin , les Machiavel
» eurent fait des efforts , peut être trop
» audacieux , pour égaler la profe italiens
» ne à la profe latine , le goût paraît avoir
» déchu dans cet antique féjour des fcien
» ces & des beaux - arts ; n'en accufons
encore que les défaftres publics , dont
les belles - lettres ne peuvent être ref
»
29
H
120 MERCURE DE FRANCE .
ponfables ; & lorfque dans un temps
plus heureux nous voyons fleurir les
Métaftafe , les Zéno , les Gravina , les
Mafféi , croyons qu'il ne fallait pas
moins qu'une longue fucceffion de
» guerres civiles , de tyrannie & d'anarchie
pour rendre inféconde une tetre
fi fertile par fa nature ».
Enfin l'Orateur jetre un coup d'oeil fur
le fiècle brillant de Louis XIV , & arrive
à cet heureux réſultar , qui paraît être lé
but général de fon difcours : « Alors lé
" goût national s'effaça & fit place au
» feul qu'on doive fuivre , celui qui ,
formé par la connaiffance de tous les
modèles & par l'étude de toutes les
» convenances , ne confulte que lui - même
» & ne doit rien ni aux lieux , ni aux
» temps ».
pas un
Dans la defcription du fiècle de Louis
XIV , nous n'omettrons un trait d'une
grande beauté für les Ouvrages de Cor
heille ; Ouvrages immortels où l'Auteur
paraît fi grand , fi fort dès fes premiers
effais , qu'on ne fonge pas a
chercher fes modèles. C'eſt le fleuve
majeftueux de l'Egypte ; le voyageur
» qui ne l'a jamais vu couler que dans
un fit immenfe , défefpère d'en trouver
>> les
JUIN. 1775 . 121
1
les fources , & doute même de leur
" existence ».
Cette comparaiſon eft fublime ; mais
le morceau qui fuit , fur la littérature
Anglaife , eft peut -être le mieux fait de
l'Ouvrage.
"
Tandis que la critique , dirigeant &
affermiffant nos jugemens , s'occupait
» moins à étendre l'eflor de l'efprit hu-
» main qu'à lui donner des lumières ;
» une autre littérature s'élevait chez un
Peuple voifin , devenu notre rival d
» tous égards. L'Anglais , féparé par les
mers du refte de l'Europe , n'en fut pas
» mois féparé par l'opinion . On eût dit
» que dans les révolutions de la terre , la
99
39
"
penſée avait choiſi ſon féjour chez ce
Peuple folitaire & méditatif, qui , fier
» de les propres forces & ennemi de toute
» efpèce de chaîne , ne voulut avoir ni
» maîtres , ni modèles . Ailleurs , les arts
» & les lettres , ſe préfentant avec tous
leurs charmés , ouvraient le chemin
» à la raiſon , qui marchait fur leurs tra-
» ces . Là , c'eſt la philofophie , qui , du
haut de fon trône , daigne appeler les
» lettres , & femble leur permettre de
» la distraire quelquefois. Chez les au-
» tres Nations , le langage , en fe perfec-
F
122 MERCURE DE FRANCE .
و د
"
و د
» tionnant , permit aux idées de s'étendre
» & de fe propager ; chez ce Peuple contemplateur
, les mots ne font
que les
» eſclaves & non le cortège des idées , &
» l'ame , toute entière à fon objet , ne
» confidère la parole que comme un fimple
interprète. Tel eft cependant le
pouvoir de la penfée , que , lorfqu'elle .
» eft grande & forte , elle fait tout plier.
» fous fes loix , jufqu'au langage & à la
» diction. Shakefpear & Milton n'eurent
qu'à commander , & la langue Anglai
fe , remplie de confonnes & de monofyllables
, & n'ayant pour lien qu'une
» fyntaxe incomplette & demi barbare ,
prit auffi- tôt une forme agréable & nou-
» velle . Devenue l'organe de l'imagination
, elle n'épouvanta plus les Grâces ;
» & bientôt , fous la plume des Pope , des
» Steel & des Addiffon , le goût acheva
» ce qu'avait commencé le génie. Mais
» ces progrès rapides & inefpérés n'effa-
» cèrent pas & n'effaceront jamais le goût
"
"
و د
و د
"
national. Il régnera fur tout dans les
Ouvrages dramatiques , parce que le
» Théâtre eft livré au Peuple qui peut y
» exercer d'une manière abfolue un pou-
» voir qu'il ne fait que partager ailleurs ;
ne pourrait- on pas même dire que le
JUIN. 1775.
123
goût des Anglais fera toujours mixte
» comme leur Gouvernement , démocra
tique au Théâtre & au Barreau , monarchique
dans les ouvrages de poëfie
» & de littérature ? ,,
"
"
»
Le Récipiendaire cite en l'honneur di
règne de Louis XV quelques - uns des
des talens qui l'ont illuftré ; « cet hom-
» me de génie ( 1 ) qui , après avoir enri-
» chi de fes découvertes la géométrie la
plus fublime , fut rendre à l'éloquence.
» ce qu'une fecte frivole voulait lui,
ôter , & prouver , par fes exemples ,
» que le bon goût eft inféparable du bon
» efprit.. Le rival ( 1 ) de Virgile & fon
» imitateur ( 3 ) . ... Et fur - tout cet hom-
» me étonnant ( 4) qui naquit dans le
"
fiècle paffé pour illuftrer le fiècle pré-
» fent. Appelé , invité par tous les tas
» lens , il ne négligea rien pour répondre
» aux faveurs de la Nature . Enfant de
l'harmonie , il voulut que la lyre qui ,
» dans les mains d'Amphion , avait ſuffi
» pour élever les murs de Thèbes , fer-
199
(1) M. d'Alembert .
(2 ) L'Auteur des Saifons.
(3 ) Le Traducteur des Géorgiques.
(4) M. de Voltaire.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
» vit , dans les fiennes , à reconſtruire le
» vafte édifice des connaiffances humai-
" nes. Le Théâtre , l'Hiftoire & l'Epopée
» offrirent déformais une inftruction auffi
» chère à l'efprit que flatteufe à l'oreille ;
& la philofophie , parée de nouveaux
attraits , devint une dixième mufe
»
M. le Chevalier de Chatellux paye un
tribut d'éloges à la mémoire des deux
auguftes protecteurs de l'Académie , Louis
XIV & Louis XV , & à la jeuneſſe de
leur Succeffeur , qui femble nous promettre
de les furpaffer dans l'art de rendre
fes peuples heureux. Il finit par jeter
quelques fleurs fur la cendre de l'Acadé
micien vraiment eftimable , dont il occupe
la place à l'Académie . On peut
compter M. de Châteaubrun parmi les
Ecrivains qui ont compofé dans la littérature
ce qu'on appelle l'école de Racine ,
tels que l'Auteur d'Andronic & de Tiri
date , celui d'Abfalon , celui de Manlius ,
qui fans doute font fort loin de leur mai
tre , pour l'éloquence des paffions & la
magie du ftyle : mais qui du moins , dans
ceux de leurs Ouvrages qui font restés ,
ont de l'intérêt , du naturel , & quelque
pureté dans la diction. La Tragédie des
Troyennes eft de ce genre ; elle est écrite
JUIN. 1775 . 125
faiblement , & l'ordonnance en eft défectueufe
; mais il y a des fituations attendriffantes
, une fimplicité douce dans
le ftyle , & des traits de fenfibilité. On y
reconnaît un difciple de Racine & des
Grecs , & en général , un genre de compofition
infiniment fupérieur à ces décla
mations abfurdes en ftyle ridicule , em.
poulé & barbare , que le Parterre , averti
par l'ennui , condamne le premier jour ,
& qui enfuite , grâce à une tolérance
áchetée par des moyens dont perfonne
n'eft dupe , déshonorent la fcène françaiſe
pendant quelques femaines , pour
tomber enfuite dans l'inévitable gouffre
de l'oubli.
❤
ןכ
« Dès ma plus tendre jeuneffe , die
M. le Chevalier de Chatellux , j'enten
dis avec raviffement la première des
Tragédies de M. de Châteaubrun ( les
» Troyennes ) ; je me crus tranfporté dans
» un monde inconnu , & oubliant l'appa
» reil du Théâtre , je me vis tout- à- coup
» au milieu de Troye embrâfée . Bientôt
st après je reconnus M. de Châteaubrun ,
» ou plutôt Sophocle lui même dans le
» Philoctère mais je ne reconnus pas
» L'amour , quand je le retrouvai dans
» l'Ifle de Lemnos , mêlant fes flèches lé-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE,
gères aux flèches empoifonnées d'Al-
» cide » .
On ne peut donner à une critique jufte
& fondée une tournure pius fine & plus
gracieufe. Il eft certain que M. de Châteaubrun
a affaibli par une intrigue
d'amour affez froide le chef- d'oeuvre de
l'éloquence dramatique chez les anciens ,
& fans contredit le drame le plus parfait
qu'il nous ayent
laiffé .
En général , le Difcours de M. le
Chevalier de Chatellux eft , comme on
l'a vu , plein d'efprit , d'idées & d'imagi
nation dans le ftyle . On voudrait peutêtre
y fupprimer quelques expreffions
quelques tournures , d'un ton moins no
ble que le refte , & la marche de l'Ouvrage
pouvait être plus méthodique &
plus fentie.
M. le Comte de Buffon , Directeur de
l'Académie , a répondu au Récipiendaire,
On a reconnu l'éloquent Hiftorien de la
Nature , lorfqu'en parlant de l'abus de la
louange , il a peint la Vérité « portant
» d'une main l'éponge de l'oubli , & de
» l'autre le burin de la gloire , effaçant
» fous nos yeux les caractères de preſtige ,
» & gravant pour la poftérité les feuls
traits qu'elle doit confacrer ».
JUIN. 1775 . 127
Le Directeur rappelle les titres litté
raires & perfonnels du Récipiendaire . Il
ajoute quelques traits à l'éloge de M. de
Châteaubrun . La crainte de donner trop
d'étendue à cet article nous empêche de
nous arrêter fur cette réponſe , autant que
le Lecteur pourrait le defirer & que nous
le voudrions nous - mêmes. Nous nous
bornerons à citer un morceau plein d'une
fimplicité noble , qui montre comme il
faut louer les Rois.
"
r
L'éloge d'un Souverain fera fuffifam ..
» ment grand , quoique fimple , fi l'on
» peut prononcer comme une vérité re-
» connue Notre Roi veut le bien , &
» defire d'être aimé ; la toute puiffance ,
>> compagne de fa volonté , ne fe déploye
que pour augmenter le bonheur de fes
Peuples . Dans l'âge de la diflipation ,
il s'occupe avec affiduité. Son application
aux affaires annonce l'ordre & la
règle. L'attention férieufe de l'efprit ,
qualité fi rare dans la jeuneſſe , ſemble
» être un don de naiffance qu'il a reçu de
» fon augufte père ; & la juftefle de fon dif
» cernement n'eft - elle pas démontrée par
les faits? Il a choifi pour co- opérateur le
plus ancien , le plus vertueux & le plus
» éclairé de fes hommes d'Etat ; grand
"
»
"
Fiv
#28 MERCURE DE FRANCE.
Miniftre , éprouvé par les revers , dont
l'ame pure & ferme ne s'eft pas plus
affaiffée fous la difgrâce qu'enflée par
la faveur. Mon coeur palpite au nom
» du créateur de mes ouvrages , & ne fe
»
calme que par le fentiment du repos
» le plus doux ; c'eft que , comblé de
gloire , il eft au deffus de mes éloges ».
·
Eloge de Louis le Bien Aimé , lu à la
féance publique de l'Académie des
Sciences , Belles Lettres & Arts de
Befançon , tenue à la fin du deuil. Pag
M. l'Abbé Talbert , l'un des Membres
de cette Académie , Chanoine de l'il
luftre Eglife Métropolitaine de Befançon
. A Besançon , chez Fantet ,
Libraire.
L'Académie de Befançon a choifi M.
l'Abbé Talbert pour être l'interprète de
fa reconnaiffance envers la mémoire de
Louis XV , qui donna en 1752 des Lettres,
Patentes pour l'établiffement de cette
Académie , en lui accordant la plupart
des priviléges de l'Académie Françaiſe.
De tous les Panégyriques de Louis
XV , dont les Chaires & les Académies
ont retenti depuis la mort de ce Monar
JUIN. 1775.
que ,
blé fi
il n'en eft aucun où l'on ait tallemfcrupuleufement
tous les faits dignes
de remarque que l'on peut recueillir
dans un f long règne . Cet Eloge eft le
plus hiftorique de tous; c'eft là ce qui le
caractérife. Ce caractère le retrouve auffi
dans les notes,qui font inftructives.Com
me on a déjà très fouvent entretenu le
Public de ce fujet , nous nous contenterons
de citer deux ou trois paffages , qui
nous ont paru les meilleurs du Difcours ,
& qui donneront une idée de la manière
d'écrire de l'Auteur. Le premier regarde
la Régence du Duc d'Orléans.
رد
" Intrépide dans le ministère comme à
» la guerre , & fouffrant la calomnie avec
» le mépris d'un homme fupérieur au
foupçon , il diffipe les factions en fe
» jouant , les réprime bien plus qu'il ne
» les châtie , s'affermit fans cruauté , &
» dédaigne la vengeance . Lion fier &
» généreux , qui écarte fans colère tout
» ce qui n'eft pas digne de l'effrayer;
» Henri IV , dont il defcend , reconnaî-
"
trait en lui fon génie , fa bravoure , fes
» goûts & fon humanité . Il voudrait
» étendre à la fois le domaine des beaux ,
-» arts & celui des plaifirs ; fes taleos , fes
vertus , les défauts participent égale,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
» ment à l'activité de fon ame. On le
» voit obéir à ſes paffions & commander
» à tout le refte , ferrer le frein impofé à
» l'Europe , changer le plan de la politi-
» que , & prévenir la guerre en la décla-
» Fant " .
On voit que l'Auteur penfe mieux
qu'il n'écrit , qu'il cherche la précifion &
l'énergie , & manque fouvent de justelle
& d'elégance. Le mot d'effrayer eft mak
employé en parlant du lion que tien ne
doit effrayer ; participer n'eft guères noble
, & fur tout n'eft pas le mot propre
dans la place où l'Auteur l'a mis ; ferrer
le frein n'eft pas plus élégant.
Les mêmes défauts fe rencontrent dans
le morceau fuivant , mêlés avec quelques
beautés . Il s'agit du paffage des Alpes qui
a immortalité les Troupes Françaiſes ,
& le génie du Prince qui les commandait.
« Une armée paffe en Italie pour affu-
» rer l'apanage de Dom Philippe , à qui
» Louis donne bien plus encore en lui
» accordant le Prince de Conti. C'eft fous
» fes ordres que des prodiges d'audace
» furmontent ces énormes remparts élevés
jufqu'aux cieux par la nature , & forti
fiés par toutes les reffources de l'art.
>>
JUIN. 1775 . 131
Conti porte le tonnerre fur ces fom-
» mets glacés , & renverſe tout ce qui'
femblait inacceffible. Ni les précipices ,
» ni les torrens , ni les hauteurs escarpées ,
» ni les Troupes aguerries , ni les em
» buches multipliées , ni la préfence du
» valeureux Guerrier des Alpes , ne dé-
» tournèrent le vol de cet aigle qui faific
» fa proie au plus haut des monts , la
froiffe , l'écrafe contre les rochers . En
» vain Mantalban , Villefranche , Châ-
» teau Dauphin fe flattent d'être la digue
» de l'incroyable impétuofité des Français ;
ןכ
»
tout cède à l'opiniâtreté de leur cou-
» rage. Mais ces prodiges de valeur ne
font que le prélude de la victoire qui
» les attend fous les murs de Coni , C'eſt
» alors qu'aux yeux de l'Italie un nouvel
" Annibal defcend des Alpes pour gagner
» des batailles , avec la différence que le
» Héros Carthaginois n'eut à vaincre que ,
» la nature pour s'ouvrir une route qui ne
» lui fut pas difputée »19.
L'image de l'aigle eft belle , quoiqu'elle
ait été fouvent employée . Mais des prodiges
ne furmontent point des rochers ,
& des villes qui fe flattent d'être la digue
de l'impétuofité ne forment pas une phrafe
élégante .
Fvj
13.2 MERCURE DE FRANCE.
2:
En général , l'Ouvrage eft d'un homme
d'efprit & d'un homme de lettres. On
ne peut que l'exhorter à s'occuper davantage
de la propriété des termes & des
règles du bon goût . On trouve en ouvrant
le livre , un coup fubtil & terrafant qui
a frappé le chef de la vafle famille de
' Etat . Il est évident qu'un coup qui a
terraffé a fait plus que defrapper , & qu'il
ne faut pas mettre l'expreffion faible après.
l'expreffion forte . Unefamille eft immen.
fe , & n'eft jamais vafte. C'eft en accumu
lant fans attention ces fortes de fautes
que, même avec du talent , on parvient
à corrompre fon ftyle , & qu'on rebute le
Lecteur éclairé. A la page fuivante , l'Auteur
parle encore d'une bonté vafte , qui,
n'eft pas meilleure qu'une famille vaste..
Il nous peint Louis XV qui s'élançait du
berceau fur le Trône , quoiqu'il foit difficile
de s'elanger de fon berceau. Lorſque
le Gouvernement indécis &flottant eut pour
ainfi dire ceffé d'être à plomb. Pour ainfi
dire ne juftifie pas ce qu'on n'a jamais dû
dire ; & qu'est- ce qu'un Gouvernement
qui n'eft pas à plomb ? Qu'est- ce que des
maux accumulés lentement , & pour ainfi
dire par couches , qui doivent disparaître
de même? Non- feulement la diction eft
JUI N. 1775 . 133.
mauvaiſe ; mais où eft le fens ? Que fignifie
difparaître par couches ? Que fignifie
ce que l'Auteur dit ailleurs en parlant
de Montefquieu , que fous les ailes de fon
génie un effaim nouveau s'eft raffemblé ,
&
prenant leffor à fa voix , a répandu par
degrés cet efprit de difcuffion & de vérité ,
&c.?Comment en prenant l'effor , répandon
l'efprit de difcuffion ? Comment affemble
t- on des idées & des images fi difparates
? Au furplus , fi l'on s'eft permis
ces critiques fur l'ouvrage de M. l'Abbé
Talbert , c'eft que les morceaux que nous
avons cités & plufieurs autres , annoncent
qu'il eft en état de mieux faire , s'il écrit
avec plus de réflexion & s'il confulte de
meilleurs modèles .
Monfieur Caffandre , ou les effets de l'amour
& du vert de gris , Drame en deux actes
& en vers , dédié à Madame la Marquife
de *** ; par M. Doucet , de
plufieurs Académies ; feconde édition ,
revue , corrigée & augmentée , & enrichie
d'eftampes. Prix 1 liv . 10 f. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris chez-
Gueffier , Imprimeur- Libraire , au bas
de la rue de la Harpe.
La première édition de cette plaifan134
MERCURE DE FRANCE.
›
terie a été enlevée avant que nous ayons
eu le temps d'en rendre compte . C'eſt
une critique très gaie des mauvais Drames
dont nous fommes inondés des
affertions extravagantes des dramaturgest
Jombres & moraux , qui prétendent , être
beaucoup plus utiles à la République des
Lettres & à l'Etat , que les Auteurs de
Phèdre , de Cinna , de Mahomet , & faire
difparaître bientôt tous les chefs d'oeuvre
de notre fcène devant le Drame honnête
& bourgeois ; de l'interponctuation exagérée
, & de la pantomime ridicule dont
ces Drames font furchargés ; des déclamations
ténébreufes & vuides de fens ,
dont ils font remplis ; des préfaces , épîtres
dédicatoires , difcours préliminaires ,
avis au Lecteur , & c. où les Auteurs avertiffent
du degré d'admiration qui leur eſt
dû , & difcourent de leur mérite par
fommaires & par fections, Tous ces travers
de nos jours fe trouvent préfentés
fous une forme très plaifante dans M.
Caffandre & dans les morceaux qui l'accompagnent.
Il a , tout comme un autre ,
l'épître dédicatoire , la préface , le difcours
préliminaire , l'avertiffement , l'avis au
Lecteur , & le catalogue des Ouvrages
fous preffe qui fe vendent chez le même
·
JUI N. 1775 . 135
Libraire , toutes grandes reflources , non
pas de talens , il eft vrai , mais de commerce
, qui , avec la grande marge , les
gros caractères & les grands interlignes ,
font un volume de la plus mince brochure
, & toujours pour la postérité.
L'Auteur imite très adroitement , dans
fa profe , l'importance , l'affectation & le
galimathias , fi fort à la mode dans les
préfaces de nos brochures nouvelles , &
il en emprunte fouvent les expreffions.
« Pénétré d'admiration pour la chaleur
» avec laquelle vous donnez dans le fombre
, je ne puis choifir de plus heureux
aufpices que les vôtres pour faire pa-
» raître M. Caffandre .... Vous m'avez
rafluré contre les clamears de mes ri-
» vaux fitôt que je vous vis laver mės
» tableaux des larmes du fentiment ; je
» m'écriai , dans l'enthoufiafme. que don-
» ne un fuffrage tel que le vôtre : Que
» peuvent faire mes ennemis ? J'ai pour
» moi Clorinde . Car vous m'avez permis
» de vous appeler de ce nom dans les
petits vers que j'ai eu l'honneur de
» vous préfenter en différentes occafions ,
» & c. »
Voici maintenant comme il débute
dans la préface :
136 MERCURE DE FRANCE.
« Cette pièce n'eſt point imitée de
l'Anglais ; mais fi elle n'a pas cet avan
elle a du moins celui de m'avoir
» été indiquée par un Anglais , amateur
« du Drame , & qui avait fur ce genre
» des idées profondes . Tout ce qu'il a
» tage ,
ל כ
fait dans la vie s'en reflentait ; il a
» même fini par fe caffer la tête l'été der-
» nier ; fans celail eût été loin . Je regrette
>> fort cet honnête homme : mais puif-
"
·qu'il avait à moutir cette année , je fuis
» charmé que ce foit de la manière qu'il
» a choifie. Cela m'a fourni un ſujet fort
intéreffant que j'exécute en Drame , &
» qui fera fini dans deux mois. Puifque
» j'avoue que je n'ai pas le mérite d'avoir
» trouvé moi- même le fujet de M. Caf-
» fandre , il doit m'être permis de dire
tout le bien que j'en penfe. Je n'avan
» cerai rien de trop , quand je dirai que
» ni chez les Grecs , ni chez les Anglais ,
» on ne trouve rien qui approche du pathétique
, du fombre , du terrible , da
profond , de l'effrayant , du tendre , de
l'épouvantable , qui fe trouvent raſſem-
» blés dans ce Roman »..
39
Il expofe le fujet de fa pièce , & il
ajoute :
"
« Malheur à l'homme infenfible qui
JUIN. 1775. 137
22
33
-ne fera pas faifi d'horreur à la fimple
expofition que je viens de faire ! Qu'il
ferme là le livre , fans perdre fon
temps à lire cette Tragedie : il la par
» courrait les yeux fecs. Son âne: étroite
» & maigre n'eſt pas faite pour fentir les
impreffions profondes . Sa vue n'eſt pas
faite pour les traits mâles & vigoureux ,
» pour les tableaux terribles & fombres
» de la vie humaine . Loin de lui , loin
de fes faibles yeux les peintures de
» Rembrant & de le Brun . Ils ne fauraient
» tien diftinguer dans les horreurs d'une
» nuit profonde . Ils fe ferment à moitié
» devant les feux ardens des paſſions , &
ne font pas capables de les fixer »>.
N'eft- ce pas là parfaitement le ton emphatique
& le ftyle infenfé de nos déclamateurs
, qui s'indignent toujours le
plus férieufement du monde contre quiconque
n'aura pas de leurs Drames & de
leurs préfaces la haute opinion qu'ils annoncent
eux--mêmes ?
23
Quant au ftyle , fi je n'y ai pas ré-
» pandu ce coloris brillant , cette chaleur
d'idées , & cette fraîcheur d'expreffions ,
» cette touche légère & fine , qui caracté
» rifent plufieurs des Ecrivains illuftres
de ce fiècle , lefquels font en poffeffion
138 MERCURE DE FRANCE.
X
» de cette couleur de rofe morte fur un
fond gris de lin , j'ai tâché du moins de
» le rendre correct , & de parler le lan-
» gage brûlant des paffions ».
Ne retrouve t - on pas ici toutes les
belles expreffions qui reviennent fans
ceffe dans les feuilles & les almanachs ,
pour louer les Ecrivains ridicules , toujours
néceffairement amis des faifeurs de
feuilles & d'almanachs ?
Dans le difcours préliminaire , l'Auteur
fe moque avec beaucoup de fineſſe
& de gaîté de l'importance que quelques
têtes froidement exaltées voudraient attacher
au Drame , & de leurs héréfies
littéraires. Nous en citerons quelques
paffages.
« On exécute publiquement les crimi-
» nels pour effrayer le peuple par leur
» fupplice. Que n'ouvre- t-on des Théâ-
» tres où le peuple puiffe aller voir des
» fcènes terribles , où l'on repréſente Bi-
» cêtre , l'Hôpital , la Grève , la Concier
"
gerie , & c. comme l'a propofé M.
» M *** , & l'on n'entendra plus parler
» de ces crimes qui révoltent continuel-
» lement. Ce que je vais dire excitera
» fans doute le rire des plaifans agréa
» bles : mais il n'importe ; j'ai le noble
JUIN. 1775 . 139
es
"
» courage que donne la vérité. Je main-
» tiens donc que quatre Poëtes dramatiques
bien fombres feront mille fois
plus d'effets que les quarante - huit
Commiffaires de Paris & que tous les
" Exempts de la Police ; & file Gouver-
" nement voulait fupprimer toutes ces
Charges qui deviendraient inutiles , &
»
donner feulement le quart de leurs bé-
» néfices à ces quatre Poëtes , qui s'en-
» gageraient à fournir par an chacun deux
» Drames , & qui ferviraient par quar-
» tier , la Ville ferait beaucoup plus en
» fûreté . J'ai là deffus un Mémoire inf-
» tructif & détaillé , que je compte avoir
» l'honneur de préfenter inceffamment
» au Roi . Si les Drames font d'une uti-
» lité fi grande , il faut convenir auffi
qu'ils ont des difficultés fans nombre
» & ne peut pas faire des Drames qui
» veut. Il faut , entre autres chofes , avoir
» un faire à foi , ce faire fi recommandé
depuis quelques années , ce faire que
poffédaient Racine & Molière fans
s'en être jamais doutés , ce faire qu'on
peut mieux fentir que définir , ce faire
» qui eft la plus belle chofe du monde.
Quelques gens pufillanimes vont me
» demander s'il faut écrire les Drames
"
"
وو
મ
140 MERCURE DE FRANCE.
"
»
" en profe où en vers . Si l'on m'en croit,
ce fera en profe. Loin de nous ces
temps de barbarie où l'on difait for
» tement que les Poëmes fe doivent
écrire en vers , & que ceux qui les fai-
» faient en profe avaient apparemment
» fenti l'impuiffance de faire autrement .
C'eft de la profe qu'il nous faut . Que
» l'on écrive en vers des madrigaux , des
bouquets , des ftances au bas des
por
traits , & des épîtres à Cloris ; à la
bonne heure : mais les grands objets
doivent être traités en profe. Je fou
tiens , avec beaucoup de beaux efprits ,
qu'il faut être bien plus Poëte pour
» écrire en profe que pour écrire en vers.
Ainfi les Drames de toute efpèce feront
» en profe , les Tragédies en profe , les
Comédies en profe , les Poëmes épi-
» ques en profe. Je crois bien que Racine
& Molière auraient été capables
» d'écrire en profe leurs Ouvrages ; mais
c'eft par complaifance pour leur fiècle
qu'ils ont fait des vers , comme c'eſt
par un refte de faibleffe pour le mien
que j'ai écrit M. Caffandre en vers.
Je déclare que c'eft la dernière fois , &
que tous les Ouvrages dramatiques que
j'ai actuellement fous preffe font tous
JUI N. 1775. 141
» en profe , ainsi que le feront tous ceux
que je ferai dans la fuite ».
A l'égard des vers d'emprunt dont
l'Auteur a enrichi le ridicule de fon
Drame , il ſe juſtifie de ce larcin par une
tournure très- ingénieufe dans un Avis au
Lecteur , qui doit lui concilier la bienveillance
de tous les Auteurs qu'il a miş
à contribution ,
39
8
་
Je dois prévenir mes Lecteurs d'une
liberté que je me fuis permife. A la
première lecture que je fis de M. Caf-
» fandre , tout le monde obferva qu'il y
» avait des vers qui fe trouvaient déjà
dans plufieurs Ouvrages connus . Ma
» grande mémoire & la pleine connaiffance
que j'ai de nos Auteurs les plus
» célèbres , ou plutôt la beauté de ces vers
qui frappent tellement l'efprit , qu'ils
» s'y gravent fur le champ fans pouvoir
s'en effacer , me les firent écrire invo-
» lontairement , en les croyant de moi ,
La remarque que l'on m'en fit faite me
» mortifia d'abord ; mais enfin je pris
» mon parti , & je vis que je ne pouvais
» retrancher ces vers fans ôter beaucoup
de grâce & d'énergie à mon Ouvrage.
» En conféquence je me fuis décidé à les
» laiffer, & à prévenir le Lecteur par des
מ
2
442 MERCURE DE FRANCE .
» notes , des endroits d'où je les ai pris ,
» & cela pour aller au - devant des accufa
» tions de plagiat ».
Si l'on fait quelques reproches à l'Auteur
, ce ne fera pas de s'être permis ces
fortes de larcins , dont il fait toujours un
ufage très heureux , c'eft de ne les avoir
pas affez multipliés . Son Ouvrage , en
forme de centon , aurait été beaucoup
plus plaifant , & l'on aurait eu le plaifir
de voir raffembler en peu d'efpace une
partie de nos richeffes littéraires . Ce
n'était pas une befogue très difficile. Les
fonds ne manquaient pas pour ce travail .
Il y a plus d'un Auteur , parmi ceux qui
ont une forte de réputation dans les Provinces
& dans quelques cotteries de Paris
, dont on pourrait tirer un volume
entier de profe & de vers , beaucoup
plus ridicules que tout ce que Molière &
Boileau ont ridiculifé dans le fiècle dernier.
L'Auteur rend compte lui - même dans
fa préface du fujet de fon Drame. M.
Callandre amoureux de fa fervante Jacqueline
, & jaloux d'un rival qu'il ne
connaît pas , empoifonne ce rival dans
une taupette de ratafiat qu'il a vue dans
la chambre de Jacqueline , & dans la
JUIN. 1775• 143
*
quelle il met du vert - de- gris . Ce rival
eft fon propre fils , qui allait la nuit
même époufer Jacqueline en fecret . M.
Caflandre eft mis en prifon ; il s'empoifonne
lui- même avec une bouteille de
vin , dans laquelle il a jeté le refte de
fon vert- de gris ; le Géolier & fon fils ,
qui avaient échappé au premier empoifonnement
, boivent auffi de cette bouteille
par mégarde , & meurent avec M.
Caffandre ; ils tombent tous enſemble
fur Madame Caffandre , qui meurt étouffés
, genre de mort abſolument neuf au
Théâtre , comme le dit très bien l'Auteur
, en ajoutant qu'il a encore inventé
quinze autres genres de mort tout auffi
nouveaux , qu'il promet d'employer dans
fes Drames .
A l'égard de fon dialogue on y trouve
de la gaîté & des vers d'une tournure
très-plaifante . Nous allons citer un fonge
de M. Caffandre , où il femble que l'Auteur
fe foit rendu propre le fatras inintelligible
qu'on appelle aujourd'hui coloris
, fublime , génie , & c .
Je rêvais qu'égaré fous des voûtes profondes ,
Dont l'immenfe étendue embraflait les deux mondes
,
144 MERCURE DE FRANCE.
Je ne pouvais fortir de cet affreux ſéjour ,
Ou par aucun endroit ne pénétrait le jour.
Des spectres près de moi ſe traînaient avec peine ,
Pouflant des hurlemens & fecouant leur chaîne ;
Une infecte vapeur me faififfait le nez ;
La terre s'écroulait fous mes pas étonnés ;
J'entendais des ferpens qui me foufflaient leur
rage ,
Et des chauve -fouris me frifaient le vifage.
LÉ ANDRE , avec effroi.
Dieu ! des chauve-fouris !
M. CASSANDRE.
Laifle-moi donc parler.
Je n'ofais avancer , je n'ofais reculer ;
Car , comme je t'ai dit , je ne voyais plus goutte.
Alors de cris d'horreur je fais mugir la voûte.
Tour à coup , qui l'eût dit ? de funèbres flambeaux
Jettent leur fombre éclat fur de vaftes tombeaux ,
Découvrant à mes yeux des chofes plus terribles
Que ce que j'entendais : des fquélettes horribles
Embarraffaient mes pas : à l'aide de ces feux
J'entrevois des rochers dans un lointain affreux.
Jepars , j'erre en ces rocs , dont par tout fehériffe
Une chaîne de monts qu'il faut que jegravifle :
Mais qu'y vois je , grand Dieu ! quel spectacle
d'horreur !
Un
JUI N. 1775: 145
Un jeune homme dont l'air annonçait la candeur ,
Défait , râle , appuyé fur les bras de ſa femme .
Mais ce qui déchirait encore plus mon âme ,
Il avait tous tes traits ; il avait à la fois
Tonâge , ton maintien , juſqu'à ton (on de voix .
Mais voici le plus fort : je frémis à le dire .
Je tombefur mafemme & l'étouffe ; elle expire.
Je tourne alors vers lui mes triftes yeux ; la mort
Terminait fon deftin : je crois le voir encor.
Il élévait vers moi ſa main appelantie ;
Ainfique lui , la femme était prefque fans vie.
Il me montre les coups , fon fang , ma femme ,
ciel!
Ses mains tiennent encor le breuvage mortel.
L'Univers eft contraint de permettre un tel crime ;
Et la Mortlefaifit , admirant (a vištime.
On voit que les vers d'emprunt , mar
qués en italique , paraient très- naturellement
amenés , & ne forment point de
difparate avec ce qui précède.
Voici une apostrophe de M. Caflandre
à fon bonnet de nuit & à fa perruque ,
qui font très - bien tournés dans le genre
héroï comique.
Miniftre du fommeil , ômeuble antique & cher !
Quedes fleurs de l'amour j'ai vu jadis couvert
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Toi qu'ornaient tant de mains de blondes ou de
brunes ,
Toi qui fus le témoin de mes bonnes fortunes ,
Tu ne le feras plus déformais que des pleurs ,
Que fur mon traverfin font couler mes douleurs.
( Il óte fa perruque avec des mains tremblantes
, & dit en la regardant avec des
yeux remplis de larmes ).
De mes cheveux perdus , image ingénieuſe ,
Haraucour te forma : la main induſtrieuſe
En vain me fait paraître & moins trifte & moins
vieux ;
Vas , tufais fur mon front un mensonge orgueilleux,
"
L'Auteur met en note : « Haraucour
» eft le nom de celui qui fait les perru
» ques de l'Auteur , qui faifit avec plai-
» fir cette occafion de louer fon Perru-
» quier fur fes talens , & fur-tout de ce
» que , dans fa jeuneffe , il a mieux aimé
fe livrer à la perruque qu'à la poëſie ,
chofe fort rare dans ce fiècle - ci . On
» ne lui a même jamais adreffé un feul
» vers, avantage que n'a pas le Perruquier
» de M. l'Abbé Aubert » .
2
En général , cette pièce est un genre
JUIN. 1775. 147
de fatire le moins amer & le plus innocent
de tous. C'eft l'amuſement d'un
homme qui joint beaucoup de gaîté &
beaucoup d'efprit , & qui fe croit permis
de rire du mauvais goût. On fent bien
que fes plaifanteries fur le Drame , ne
tombent pas fur le genre même , qui ,
comme tous les autres , eft bon quand il
eſt bien traité , mais fur l'abus qu'on en,
fait & qui eft fi facile & fi commun .
Théâtre de Campagne , par l'Auteur des
Proverbes Dramatiques , 4 vol . in - 8 ° .
prix 15 liv. br. A Paris , chez Ruault ,
Libr. rue de la Harpe.
Ce recueil offre un grand nombre de
petites comédies , très propres à faire les
amuſemens de la campagne , comme à
développer & à former les talens des
jeunes perfonnes . L'Auteur a beaucoup
varié fes fujets , les perfonnages , & les
caractères. Il y a plufieurs de ces drames
qui réuffiroient fur les Théâtres publics ;
& nous croyons qu'entr'autres l'Entété y
feroit plaifir. Voici une efquifle de cette
comédie , qui eft en deux actes & en
profe.
Mademoiſelle de Saint-Evre & le Che
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
valier de Murci s'aiment en fecret
craignant que leurs parens ne mettent un
obftacle à leur union ; le Chevalier annonce
avec tranfport que fon père approuve
fon choix ; il veut déclarer fon
amour au Baron de Saint Evre , père de
fon amante mais il eft arrêté par Mlle
de Saint- Evre qui ne veut confier de fi
chers intérêts qu'à la Comteffe de Rifiere
fa tante . Elle défend fur-tout au Cheva❤
Jier d'employer le Marquis de Durmont,
homme entêté & fort prévenu , qui pour.
roit contrarier fon père . Ce Marquis développe
fon caractère en ne voulant pas
facrifier fon opinion aux chofes même
les plus évidentes. Il aime la Comtefle
dont il foutient qu'il n'eft pas aimé fincèrement
, parce qu'il lui a vu jouer la
paffion avec trop de vérité dans une comédie
. Il veut payer par entêtement quatre
cents mille francs une Terre que le Baron
ne veut lui vendre que cent mille écus ;
& , par une fuite de fon entêtement , il
fe propofe pour l'époux de Mlle de Saint-
Evre , fille du Baron , ce qui inquiète
d'autant plus le Chevalier, que le père
accepte fa propofition . Cependant la Com.
reffe , foeur du Baron , arrive ; elle eft fol-
Licitée par les jeunes amans de favorifer
JUIN. 1775. 149
leur inclination ; elle eft elle même défef
pérée du changement du Marquis . Celuici
eft irréfolu quand il voit la Comteffe ,
& qu'il entend parle de fa tendre inquiétude.
Cependant fon obftination l'emporte
fur fon amour ; il perfifte à vouloir
époufer Mlle de Saint- Evre : mais le Baron
lui dit que fa fille préfère le Chevalier
, & qu'il approuve une inclination
auffi bien affortie. Le Marquis foutient
toujours que cela ne peut pas être , qu'il.
eft aimé de Mlle de Saint -Evre , & que
la Comteffe aime le Chevalier. Il révolte
tout le monde par fes vifions ; fon emportement
va jufqu'à demander fatisfac
tion au Chevalier. La Comteffe a une
explication avec le Marquis ; elle ne peut
le diffuader , & fort très - irritée de fon
aveugle opiniâtreté . Dupré , fon valet ,
ne veut plus être à fon fervice , parce
qu'il lui nie toujours l'évidence .
Dans cet abandon de fa maîtreffe , de
fes amis , de fon valet , le Marquis commence
à faire réflexion qu'il faut quelquelquefois
fe plier au fentiment des
autres. L'amour le ramène aux piés de
la Comteffe : il convient de fes torts ; il
figne le contrat de mariage des amans . Il
le reconcilie avec fa maîtreffe ; mais au
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
>
moment d'obtenir fon pardon , fon entêtement
à foutenir qu'il avoit raiſon
détermine enfin la Comteffe à craindre
fon caractère incorrigible & à renoncer à
Jui .
Théâtre de Shakespeare , dédié au Roi.
>
Le profpectus très - répandu de cet
Ouvrage fait connoître les talens & les
foins des Traducteurs du Poëte Anglois
, qu'ils fe propofent de naturalifer
parmi nous : « Avec la jufte ambition ,
» difent ils , de plaire à notre Nation
» dont Shakeſpeare va parler la langue ,
» nous l'avons traduit , pour ainsi dire ,
» en préfence des Anglois : toujours nous
les avons appelés & confultés en idée
» fur la penfée , le fentiment & l'expref-
» fion de leur Poëte ; & nous n'avons
» ceflé de lutter contre la difficulté qu'après
» avoir en quelque forte reçu leur ré-
» ponfe , qu'elle leur paroiffoit vaincue » .
Le premier volume , orné du portrait
de ce grand homme , contiendra , avec
ce qu'il y a d'intéreffant fur l'Auteur ou
fur fes Ouvrages , dans les Préfaces an
gloifes , la Tragédie d'Othello . Le fecond ,
La Pièce de Jules Céfar & la Tempête. Les
JUI N. 1775 .
autres volumes fe fuivront plus rapidement.
Le Théâtre de Shakeſpeare eft
traduit en entier : mais nous mettons , difent
les Editeurs , à le retoucher plus de
temps qu'on n'en emploie ordinairement
traduire.
Nous veillerons avec foin fur l'exécution
Typographique ; fon plus grand luxe
doit être ici fon exactitude.
Chaque volume in 8 ° . fera des livres
pour ceux qui n'auront pas foufcrit ; de 4
liv. pour les Soufcripteurs , à qui nous
ne demandons d'autres avances , que leur
engagement par écrit , de prendre & de
payer les volumes en les recevant ,
fure qu'ils paroîtront.
à me .
On foufcrit à Paris , chez M. le Tourneur
, rue Notre Dame des Victoires , où
fe délivreront les volumes aux Soufcripteurs.
On les trouvera auffi chez
Saillant & Nyon , Libraires , rue Saint
Jean de Beauvais .
La veuve Duchefne , rue St Jacques.
Lacombe , rue Chriftine .
Le Jay , rue St Jacques.
Mufier fils , rue du Foin St Jacques.
Ruault , rue de la Harpe .
Et Cloufier , rue St Jacques.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
On eft prié d'affranchir le port des
lettres.
Les deux premiers volumes paroîtront
au mois de Novembre prochain .
On imprimera en tête du premier vol.
la lifte des Soufcripteurs.
Réflexions fur les avantages de la Gazette
des Banquiers , des Négocians & des
Marchands, fuivies du tableau de cette
Gazette .
Le profpectus publié fuffit pour faire
connoître aux Négocians Futilité de cetre
Gazette. Mais aujourd'hui que le goût
des fpéculations de commerce s'eft emparé
de tous les efprits , que perfonne
n'en dédaigne les connoiffances , & qu'on
commence à accorder à ceux qui s'y diftinguent
, la confidération qu'ils méri
tent ; l'Editeur entre dans les détails de
cette fcience importante , & tâche de
les rendre intéreflans pour tous les Lecteurs.
Il donne à cet égard des exemples
qui prouvent la néceffité ou l'utilité pour
les Négocians & les Voyageurs d'être
inftruits du cours des changes & des mou
vemens du commerce . Le modèle qu'il
expofe de fa Gazette à la fuite de ces
JUIN. 1775. 153
téflexions , en fait encore mieux fentir
tous les avantages.
Manuel Militaire ou l'art de vaincre par
l'épée ; dédié à Meffieurs les Gardesdu
Corps du Roi de la Compagnie
de Noaille , par M. Ch. Navarre , Maître
d'armes de la première Compagnie
de la Maiſon du Roi ; in- 89 . prix 24
fols relié. A Paris , chez les Libraires
du Palais Royal , & quai de Gêvres ;
à Verfailles , fous la galerie des Pring
ces; & à Beauvais , chez l'Auteur.
Les principes des armes font démontrés
intelligiblement dans ce petit Ouvrage
, ainfi que leurs rapports avec les
principes de l'équitation. L'Auteur fait
une explication méthodique de chaque
partie de l'efcrime ; & il a fu donner en
peu de mots les réfultats de tout ce qui
eft relatif au maniement de l'épée.
Journal des Caufes célèbres , curieufes &
intéreffantes de toutes les Cours du
Royaume , avec lesjugemens qui les one
décidées.
Le quatrième & le cinquième Tome
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
:
de cet Ouvrage ont paru le premier Avril
& le premier Mai . Le premier de ces
deux volumes renferme quatre cauſes ,
dont trois contiennent des difcuffions favantes
& approfondies fur trois queſtions
de droit très importantes. La quatrième
préfente aux Lecteurs les détails les plus
piquans & les plus finguliers.
و ر
"
"
Le volume de ce mois ci , ne renferme
qu'une feule caufe ; c'eft celle du
Sieur le Lievre. « Cette caufe ( difent
» les Auteurs de cet Ouvrage ) eft un
» tiſſu d'événemens bizarres & finguliers
» qu'on croiroit inventés à plaifir pour
exciter la curiofité publique . Le vrai n'y
paroît pas vraisemblable , & le récit
» que nous allons en tracer pafferoit pour
» un jeu de l'imagination , fi l'on n'étoit
» accoutumé depuis quelques années à
» voir éclater du fond des Cloîtres les
» fcènes les plus incroyables , &c. » . Tel
eft le début de cette cauſe importante ,
dont les détails ne peuvent manquer de
plaire à toutes fortes de Lecteurs. Les
principes de la matière y font rappelés ,
& la difcuffion des moyens répond à l'in
térêt de l'affaire .
Cet Ouvrage devient chaque jour un
récueil précieux pour les Jurifconfultes .
JUIN. 1775 ISS
Il joint l'utile à l'agréable , & il formera
dans la fuite une des collections les plus
curieufes & les plus intéreffantes que
nous ayons dans ce genre.
Il paroît un volume de ce Journal tous
les premiers de chaque mois . La foufcription
a commencé au premier Janvier,
de cette année. Le prix , pour la Province
, eſt de 24 liv. & de 18 I. pour Paris.
On foufcrit chez M. Defeffarts , Avocat
au Parlement , rue de Verneuil , la troifième
porte cochère avant la rue de Verneuil
, l'un des Auteurs de cet Ouvrage ;
& chez le fieur Lacombe , Libraire , rue
Chriſtine. On foufcrit en tout temps.
Mon dernier mot , Satire en vers de M.
Clément , fous le faux titre de Gonève
*.
Nous crumes , en lifant les premiers vers
de cet Ouvrage , reconnaître un Peintre
qui voulait imiter la touche de M. de
Rulliere dans fon Epître fur la Diſpute,
l'un des plus agréables ouvrages de notre
fiècle . Mais l'Auteur de Mon dernier mot
* Article de M , D. V. G. O. D. R.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
s'écarte bientôt de fon modèle . Il dit du
mal de tous ceux qui font honneur à la
France , à commencer par M. de Rulliere
lui-même ; & il proteſte qu'il en uſera
toujours ainsi . Il fe vante d'imiter Boileau
dans le refte de fa fatire . Mais il
nous femble que pour imiter Boileau il
faut parler purement fa langue , donner
à la fois de bonnes inftructions & de
bonnes plaifanteries , fur tout ne condamner
les vers d'autrui que par des
vers excellens .
Voici des vers de la fatire de M.Clément
De Boileau , diront- ils , miférable copifte,
D'un pas timide il fuit fon modèle à la piste.
Si l'un n'eût point raillé ni Pradon , ni Perrin ,,
L'autre n'eût point fifflé Marmontel , ni Saurin..
Ces deux point font des folécifmes:
qu'on ne pafferait pas à un Ecolier de
baffe claffe.
Ce qui eft pire qu'un folécifme , c'eſt
Ja plate imitation de ces vers pleins de
fel.
Avant lui Juvénal avait dit en latin ,
'Qu'on eft affis à l'aife aux fermons de Cotin
C'eſt malheureufement l'âne qui veur
JUI N. 1778 : 157
imiter le petit chien careffé du Maître.
Mais ce qu'il y a de plus impardonnable
encore , c'eft l'infolence d'infulter
par leur nom deux Académiciens d'un
mérite diftingué. Il s'eft imaginé que
Boileau ayant réuffi , quoiqu'il eût infulté
Quinault très-mal à propos ,
lui ,
Clément , réuffirait de même en nommant
& en dénigrant , à tort & à travers ,
tous les bons Ecrivains du fiècle . Il devait
fentir qu'il n'y a aucun mérite , mais
beaucoup de honte & peut être de
danger , à dire des injures en mauvais
vers.
Et moije ne pourrai démafquer la fottife!
Je ne pourrai trouver d'Alembert précieux ,
Dorat impertinent , Condorcet ennuyeux ?
Voilà certainement une groffiéreté
qu'on ne peut excufer . Car il n'y a pas un
homme de lettres dans Paris qui ne fache
que
le caractère de M. d'Alembert , dans
fes moeurs & dans fes écrits , eft précifément
le contraire de l'affectation & du
précieux. Le peu que nous avons d'écrits
de M. le Marquis de Condorcet ne peut
ennuyer qu'un ignorant incapable de les
entendre. C'est le comble de l'imperti
158 MERCURE DE FRANCE.
nence de dire , d'imprimer qu'un homme
, quel qu'il foit , eft un impertinent.
C'est une injure puniffable qu'on n'oſerait
dire en face , & pour laquelle un
Gentilhomme ferait condamné à quelques
années de prifon . A plus forte raiſon
une injure fi groffière , fi vague , fi fotte
mais infultante , dite publiquement
par le fils d'un Procureur de Province à
un homme tel que M. Dorat , eſt un
délit très puniffable.
Dorat , dont vous bravez le jargon en tout lieu
Va-t-il , à votre gré , devenir un Chaulieu ?
Et , par vos bons avis , penſez - vous que de Lille
Puifle autre chofe enfin que rimer à Virgile ?
Voilà des fottifes un peu moins atroces
, & qui fentent moins l'homme de la
lie du peuple. Mais il n'y a dans ces vers
mi efprit , ni fineffe , ni grâce , ni imagination
; & il font encore infectés d'un
autre folécifme : Penfez- vous que de Lille
puiffe par vos bons avis autre chose que
rimer à Virgile? On ne peut dire : Je
peux autre chose que hair un mauvais
Poëte infolent. Ce tous n'eft pas français ,
& j'en fais juge l'Académie entière . Mais
je fais juge tout le Public avec elle de
JUI N. 1775. 159
l'excès d'impertinence (& c'eft ici que le
mot d'impertinence eft bien placé ) , de
cet excès , dis-je , avec lequel un fi mauvais
Ecrivain ofe infulter plus de vingt
perfonnes refpectables par leurs noms ,
par leurs places , par leurs talens , fans
avoir jamais peut-être pu parler à aucune
d'elles.
E
ANNONCES.
Le fin Matois ou Hiftoire du grand Taquin
, traduite de l'Eſpagnol de Quévédo ;
avec des notes hiftoriques & politiques
néceffaires pour la parfaite intelligence
de cet Auteur ; 3 vol . in 12. prix 4 liv .
4 f. br . A Paris , chez le Jay , Libraire ,
rue St Jacques ; & Mérigot jeune , Libr.
quai des Auguftins.
Le Voyageur Naturalifte , ou inftructions
fur les moyens de ramaffer les objets
d'hiſtoire naturelle , & de les bien conferver
; avec des obfervations propres
étendre les recherches relatives aux connoiffances
humaines en général . Par M.
160 MERCURE DE FRANCE.
John Coakley Lettfon , Docteur - Médecin
, Membre de la Société Royale de
Londres & de celle des Arts . Traduit de
l'Anglois fur la feconde édition corrigée
& augmentée , auquel on a joint l'Art de
calmer les flots de la mer , Ouvrage auffi
traduit de l'Anglois , qui renferme la
preuve d'un phénomène qui mérite d'être
placé parmi les découvertes curieuſes &
utiles de la phyfique moderne . Volume
in- 1 2. br. prix 36 f . A Paris , chez Lacombe
, Libr.rue Chriſtine.
Les Tableaux de la Nature ; par M. ***
Membre de plufieurs Académies , in- 8 %
avec fig. prix 36 fols . A Paris , chez la
veuve Duchefne , Libraire , rue Saint
Jacques.
Eloge de Molière , en vers , avec des
notes curieufes , par le petit Coufin de
Rabelais ; in 8 ° . A Paris , chez les Libraires
qui débitent les Nouveautés .
Traité des injures dans l'ordre judidiaire
, Ouvrage qui renferme particuliè
tement la jurifprudence du petit crimi
mel. Vol, in-12. Par Me François Da
JUI N. 1775 .
161 A
reau , Avocat au Parlement & au Prédial
de la Marche à Gueret.
Neminem ladere. Juft . Lib. I.
A Paris , chez Prault père , Imprimeur du
Roi , quai de Gêvres .
Lettre de M. Clément à M. de L. H. ,
au fujet d'une fatire intitulée : Mon dernier
mot , qui court dans le monde fous
le nom du premier. Brochure in - 8 ° . de
0 pages.
•
Supplément aux Mémoires de M. Paliffor
, pour fervir à l'hiftoire de notre
littérature , ou Lettre à M. Paliffot for
un article de fes Mémoires . Broch . in- 8°.
A Paris , chez Cailleau , Impr.- Libr. rue
St Séverin .
Roland Furieux, chant premier , en
profe , avec fig. in 8. de 26 pages . A
Paris , chez Brunet , Libraire , rue des
Ecrivains.
Théatre Lyrique de M. Venard de la
Jonchere , nouvelle édition ; 2 volumes
in 8°. prix 6 liv. brochés. A Paris , chez
1
162 MERCURE DE FRANCE.
Delalain , Libr. rue de la Comédie Françoiſe.
Les fuites d'un moment d'erreur , ou
Lettres de Mile de Kerefmont , publiées
par Madame de *** ; 2 parties in- 12. A
Amfterdam , chez Changuion ; à Paris ,
chez le Jay , Libr . rue St Jacques.
..
L'Art d'aimer & poëlies diverfes de
M. Bernard ; in- 8 ° . de 184 pages , avec
fig. Prix br . 7 liv . 4 f. chez le Jay , Lib .
rue St Jacques.
Voyage en Sicile & à Malthe ; traduit
de l'Anglois de M. Brydone , par M. de
Meunier ; 2 vol . in - 8 ° . rel . 10l . A Paris
chez Piffot , Lib. quai des Auguftins ; &
Panckouke , rue des Poitevins.
Répertoire univerfel & raifonné de Jurif
prudence civile , criminelle , canonique &
bénéficiale , Ouvrage de plufieurs Jurifconfaltes
, publié & mis en ordre par M.
Guyot , Ecuyer , ancien Magiftrat ; in- 8°.
Tome premier. A Paris , chez Dorez ,
Lib. rue St Jacques ; & chez les principaux
Libraires de France.
JUIN. 1775. 163
Difcours publics & Eloges , auxquels
on a joint une Lettre où l'Auteur développe
le plan annoncé dans l'un de fes
Difcours , pour réformer la Jurifprudence.
Par M. *** , Ayocat Général ; 2
vol. in- 12 . A Paris , chez Simon , Imprimeur
du Parlement , rue Mignon St
André- des - Arts.
Thelaire, Nouvelle Mexiquaine . Nº. X
du Tome II du Décaméron François ,
par M. d'Uffieux ; in 8°. avec fig.
Louis de Bourbon , Prince de Condé ,
Anecdote hiftorique . N°. I des Nouvelles
Françoifes , par M. d'Uffieux ; in - 8 ° . avec
fig. A Paris , chez Brunet , Lib . rue des
Ecrivains.
Supplément au Manuel de l'Arpenteur ,
ou l'on fimplifie la manière de lever & de
rédiger l'Atlas , & le plan général topographique
d'un fief, annexé à la confec
tion des terriers ; les principes de copier
les plans , avec une méthode fondamentale
de les réduire de grand en petit , &
leurs échelles dans leurs proportions ; de
l'angle de réduction & du pentographe ;
l'abrégé de la fphère armillaire & du
164 MERCURE DE FRANCE.
globe terreftre , &c. Tome II ; in - 8°. par
M. Ginet , Arpenteur Royal en la Maitrife
des Eaux & Forêts de Paris & Ifle
de France . A Paris , chez Brunet , Libr.
rue des Ecrivains.
Taconet , où Mémoires hiftoriques
pour fervir à la vie de cet homme célè
bre. Article oublié dans le Nécrologe de
1775. A Amfterdam . Broch. in - 12 . de
53 pages.
Le Mariage à la mode , Drame en un
acte & en vers ; par M. Fardeau . Nouvelle
édition . Brochure in- 8 °. de 30 p.
A Paris , chez la veuve Duchefne , Leſclapart
, Langlois & Efprit , Libraires .
ACADÉMIE FRANÇOISE.
Le quinze du mois de Mai M. le
Maréchal Duc de Duras , Premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté ,
qui avoit été élu par l'Académie Françoife
pour remplir la place vacante par la mort
de M. de Belloy , eft venu prendre
JUIN. 1775 . 164
féance à l'Académie , & a prononcé fon
Difcours de remercîment , Difcours fingulièrement
recommandable par l'obfervation
des convenances , par un goût févère
, & par une éloquence douce &
fenfible , également honorable pour les
Lettres , & pour l'Académicien qui les
protége , qui les cultive , & qui en parle
fi dignement.
M. le Comte de Buffon , alors Directeur
de l'Académie Françoife , a répondu
au Difcours de M. le Maréchal Duc de
Duras. Ce Savant , dont les Ouvrages ,
le génie & les moeurs ont un fi grand
caractère de nobleffe & d'élévation , a
répandu les charmes de fon éloquence
fur les juftes éloges qu'il donne au nouvel
Académicien , & fur l'union qu'il defire
parmi les Gens de Lettres, Heureufement
les vrais talens fraternifent enfemble
; il n'y a que la malheureuſe médiocrité
qui s'itrite contre le mérite qu'elle
ne peut atteindre. Nous donnerons un
compte plus étendu de ces beaux Discours
lorfque l'impreffion les aura publiés.
M. l'Abbé de Lille a lu enfuite avec
applaudiffement , la traduction , en trèsbeaux
vers , d'une partie du IVe Livre
de l'Enéïde.
166 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Alembert , Secrétaire perpétuel
termina la féance par l'Eloge de Boffuet ,
qui doit entrer dans la continuation de
l'Hiftoire de l'Académie . Jamais le Père
de l'Eglife Gallicane , l'Orateur fublime ,
le favant controverfiſte , Boffuet enfin n'a
été mieux loué , apprécié avec plus de
juſtelle & de vérité, plus exalté , plus
honoré que dans ce magnifique Eloge , où
le génie de l'Hiftorien philofophe s'eft
élevé à la hauteur du génie apoftolique
qu'il célébroit. Les rapports qu'il a ſu
amener fi heureuſement entre l'éloquence
de Boffuer & celle de M. l'Archevêque
de Toulouſe , un des Académiciens préfent
à cette affemblée , a excité jufqu'aux
larmes la fenfibilité de ce Prélat , dont
les Lettres Paftorales & les Mandemens
font des modèles parfaits d'éloquence &
de charité évangelique.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL .
Le Jeudi vingt- cinq Mai on a exécuté
au Concert Spirituei une grande fympho.
JUIN. 1775 . 167
nie , qui a été fuivie d'un excellent moter
à voix feule , de la compofition de M.
l'Abbé Roze , chanté par M. Tirot. MM.
Jarnowik & Guérin ont joué avec beaucoup
d'applaudiffement une nouvelle fymphonie
concertante de M. Davaux . Cette.
première partie a été terminée par un
motet à deux voix de la compoſition de
M. Poullain , chanté par Mad . Larrivée
& par M. Beauvalet, La feconde partie a
été composée d'une fonate de violoncelle,
fupérieurement exécutée par M. Duport.
Mad. Charpentier a chanté , avec goût ,
un motet à voix feule del fignor Pasqua,
On a beaucoup applaudi un concerto de
violon de la compofition de M. Jarnowik
, & qu'il a parfaitement joué. Le
Concert a fini par la Sortie de l'Egypte ,
oratoire à grand choeur de la compofition
de M. Rigel,
OPERA.
Le Mardi 2 Mai l'Académie royale de
Mufique a donné Céphale & Procris
ballet héroïque en trois actes , repréſenté
pour la première fois en 1773 , aux fères
168 MERCURE DE FRANCE.
de Verfailles , pour le mariage de M. le
Comte d'Artois . Paroles de M. Marmontel
; mufique de M. Grétry.
On lit dans les Métamorphofes d'Ovide
la fable qui fait le fujet du poëme.
Céphale , jeune & beau Chafleur , fut
aimé de l'Aurore ; mais infenfible à tous
fes charmes , il refta fidèle à Procris ,
Celle ci cependant eut de la jalouſie ,
parce qu'on lui avoit dit que dans les
bois , Céphale , en ſe repofant après la
challe , ne cefloit d'appeler AURA ; elle
crut qu'AURA étoit une Nymphe dont il
étoit amoureux . ( C'étoit le nom de ce
vent frais qu'on refpire à l'ombre des
bois ) . Procris , pour convaincre Céphale
d'infidélité , voulut le furprendre avec fa
rivale ; elle fe cacha dans le bois où il
avoit coutume de fe repofer. Elle l'entendit
appeler AURA ; ce nom lui caufa
l'émotion du dépit & de la douleur ; &
au bruit qu'elle fit à travers le feuillage ,
Céphale croyant que c'étoit quelque bête
féroce , lança fen javelot . Un cri plaintif
fe fit entendre ; c'étoit Procris qu'il venoit
de bleffer.
Pour motiver la fatalité de cette aventure
, M. Marmontel fuppofe que Procris
avoit été une des Nymphes de Diane ;"
que
JUIN. 1775 • 169
que Céphale l'ayant féduite , lui avoit
fait violer fes voeux , & que Diane , pour
fe venger , avoit fufcité la Jaloufie , empreffée
à lui obéir , parce qu'elles fon
l'une & l'autre ennemies de l'Amour.
De même , au lieu de faire enlever
Céphale par l'Autore , comme dans Ovide
, il fuppofe que la Déeffe , déguifée
en Nymphe , ne fit que l'attirer dans fon
Palais , en lui perfuadant d'aller implorer
fon appui ; & ceci eft fondé fur des rapports
donnés
par la Mythologie .
Du Dieu du jour Diane eft la brillante foeur ;
Du Dieu du jour l'Aurore a reçu la naiflance ;
Peut-il lui refufer d'être le défenfeur
De l'amour & de l'innocence ?
Enfin , comme un Opéra doit finir par
une fête , il a fallu que Procris expirante
fût ranimée par l'Amour. Voilà tous les
changemens que le Poëte a faits dans
cette fable.
ACTE Ier. Аст
L'Aurore , déguifée en Nymphe des
bois y vient attendre Céphale ; mais malgré
ce déguilement toute la Nature la
reconnoît & fe reffent de fa préfence , ce
H
170 MERCURE DE FRANCE.
qui donne lieu à cet air qui fait partie
de l'expofition .
Naillantes fleurs , ceffez d'éclore.
Oifeaux indifcrets , taifez - vous,
Vous révélez aux Dieux jaloux
L'afyle où fe cache l'Aurore . &c.
Elle voit arriver Céphale , & , dans le
trouble qu'il lui caufe , elle craint de fe
trahir ; elle fe dérobe à fes yeux.
Céphale exprime fon bonheur par un
air d'un caractère noble & brillant ; fes
jours fortunés le partagent entre la chaffe
& l'amour.
Une jeune Nymphe vient lui demander
s'il n'auroit pas vu fes Compagnes.
Surpris de la trouver feule & fans armes
dans les bois , il lui en demande la
cauſe ;
L'AUROR E.
Un Dieu qui me pourfuit , me fait tout négliger.
Un Dieu ?
CEPHALE,
L'AURORE.
Le plus puiflant & le feul invincible.
JUIN. 1775. 171
Jupiter ?
CÉPHA LE.
L'AUROR I.
Jupiter obéit à fes loix.
CEPHALE .
Ah ! c'eft l'Amour !
L'AURORE .
Jugez du trouble où je me vois.
AIR.
Mon coeur bleffé d'un trait de flamme ,
Réfifte & combat vainement.
Rien n'eft fibeau que mon Amant ;
Rien n'eft fi tendre que mon ame.
Fait pour l'amour , jeune & charmant .
Rien n'eftfibeau que mon Amant . &c.
CEPHAL E.
Vous allez donc quitter Diane?
L'AURORE.
Et le puis-je fans l'offenfer ?
L'exemple de Procris me défend d'y penfer.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
*
Elle apprend à Céphale que Diane
irritée , a condamné Procris à périr de la
main de fon raviffeur. Dès lors la fcène
devient animée , & l'Auroré , après avoir
jeté le trouble & la frayeur dans l'ame
de Céphale , le raflure , & lui fait eſpérer
que s'il a recours à l'Aurore , elle fera fa
paix avec Diane , par l'entremife d'Apollon.
Comme elle s'éloigne , Procris arrive ,
& voyant une Nymphe s'échapper dans
les bois , elle croit Céphale infidèle .
CEPHALE.
Ceffe de m'accabler d'un injufte reproche.
Je t'aime , hélas ! plus que jamais.
PROCR I S.
Volage époux , fi tu m'aimais ,
Te vetrois fe interdit , tremblantamonapproche
CEPHALE.
O ma chère Procris ! en violant res voeux ,
Qu'as-tu fait ?
PROCR I S.
Mon bonheur.
JUIN. 1775 • 173
CEPHALE..
Le malheurde tous deux
PROGRI S.
Ah ! j'ai donc ceffé de te plaire.
CEPHALE.
Eloigne-toi. Crains la colère
Qu'à Diane infpirent nos feux.
Cette fcène fe termine par un duo
qui eft un des chefs - d'oeuvre de M.
Grétry. Céphale & Procris fe féparent ;
& l'acte finit par un ballet des Nymphes
de Diane annoncé dès la troiſième ſcène ,
& dans lequel une jeune Nymphe eſt
reçue à la place de Procris . Ce ballet a
paru très agréable , & par les tableaux
qu'il préfente , & par les airs de danſe
dont il est compofé.
ACTE II.
Le lieu de la fcène eft le Palais de
l'Aurore , d'abord environné de nuages ,
qui fe diffipent & laiffent voir l'Aurore
endormie fur un lit de fleurs , au milieu
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
de fa Cour. La première fcène eft donc
le réveil de l'Aurore . En ouvrant les
yeux elle penfe à Céphale , elle l'appelle ,
il ne vient point encore. Elle confie à
Flore & à Palès l'amour qu'elle a conçu
pour ce jeune Chaſſeur,
J'ai laiffé dans fon coeur les plus vives alarmes ;
Lui-même il doit venir implorer mon appui.
Embelliflez ma Cour , ajoutez à mes charmes ;
Et qu'ici , par vos foins , tout foit digne de lui.
Les Dieux du Printemps fe raffemblent
dans le Palais de l'Aurore ; mais à
l'arrivée de Céphale tout difparoît . Flore
feule refte avec lui. Il la prend d'abord
pour l'Aurore , elle le détrompe avec modeftie
; & comme il lui demande fon
appui auprès de la Déeffe , elle lui apprend
que l'Aurore aime un jeune mortel
, qui feul aura plus de pouvoir auprès
d'elle que tous les Dieux.
CEPHALE.
Ah ! s'il étoit fenfible à ma douleur mortelle ! ...
Oui , je veux l'attendre &le voir.
FLORE.
Adieu. Dites- lui qu'auprès d'elle
L'Amour lui remet fon pouvoir.
JUIN. 1775 . 175
CEPHALE , feul.
AIR.
Parois , mortel amoureux.
Hélas ! feroit-il poffible
Qu'il ne fût pas généreux ?
L'Amour l'aura fait fenfible
Avant de le rendre heureux , & c.
Dans l'inftant le Palais de l'Aurore
s'ouvre. Sa Cour environne Céphale &
s'empreffe à lui plaire.
CEPHALE , au milieu du ballet.
Eft -ce une erreur ? Je crois à peine
Ce que j'entends , ce que je voi.
Non , Dieux charmans , ce n'eft pas moi
Que fous vos loix l'Amour amène.
L'Aurore defcend de fon Trône , fait
éloigner la Cour , & , feule avec Céphale ,
elle lui fait l'aveu de l'amour qu'il lui a
infpiré. Mais pour appaifer Diane &
mériter fon bonheur , il faut qu'il renonce
à Procris. Céphale ne peut s'y réfoudre.
C'eft alors que le dialogue s'anime par
un duo paffionné , qui devient quatuor
à l'arrivée de Palès & de Flore , &
fe termine par un choeur.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Céphale au défefpoir , s'éloigne , &
l'Aurore eft forcée de monter fur fon char
pour aller annoncer le jour.
Аств ACTE III.
Cet acte fe paffe , comme le premier ,
au milieu des bois. Ia Jaloufiery forme ,
avec les Démons fes fuivans , le projet
de venger Diane : pour cela , elle fe déguife
en Nymphe , & fous le même vêtement
que l'Aurore dans le premier
acte..
Procris , défolée de l'abſence de Cé .
phale , vient le chercher , & dit fur un
air très touchant :
Témoin de ma naiſſante flamme ,
De l'Amour afyle charmant ,
Temple où je reçus le ferment
Qui combloit les voeux de mon ame ,
Rendez , rendez moi mon Amant.
Sans lui , dans mon inquiétude ,
Je ne puis plus vivre un moment.
D'une éternelle folitude
Aurois -je à fubir le tourment ?
Elle entend une voix qui fe plaint de
Céphale ; elle écoute , elle voit paroître
une Nymphe qui répète :
JUIN. 1775 . 177
Ah ! Céphale ! amant infidèle !
Tu me fuis : tu veux montrépas.
PROCR I S.
Nymphe , quelle douleur vous preſſe ?
Vous appelez Céphale , & vous verfez des pleurs.
LA JALOUSIE.
Laiflez moi me cacher. Ma crédule tendrefle
Caule ma honte & mes malheurs.
AIR.
Ah ! j'ai bien mérité l'injure
Que je reçois de les mépris !
De la belle & tendre Procris
J'ai couronné l'Amant parjure.
Ah ! j'ai bien mérité l'injure
Que je reçois de les mépris !
Cette fauffe confidence & la douleur
qu'elle caufe à Procris , forment une
fcène neuve au Théâtre , & que le Muficien
a rendue avec une force & une vérité
furprenante.
A l'arrivée de Céphale , la Jaloufie
engage Procris à fe cacher avec elle , pour
apprendre à connoître un perfide Amant.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
Céphale paroît égaré . Il gémit ; il appelle
AURA pour appaifer le trouble dévorant
qui le preffe. Il entend du bruit dans le
bois , & il lance fon javelot . A l'inftant
même il reconnoît la voix de Procris
expirante il fe voit environné de
Furies qui lui reprochent fon trépas , &
qui , la lui montrant , lui difent :
Regarde . Voilà ton ouvrage .
Au milieu de ce tableau terrible paroît
l'Amour , qui du haut des airs agite fon
flambeau . Les Démons difparoiffent . Procris
, dans les bras de Céphale , fe ranime
infenfiblement. Le Théâtre change &
repréfente le Palais de l'Amour. Une
fête termine le fpectacle.
Tel eft le plan de ce Poëme , allez
détaillé pour que le Lecteur qui n'a pu
le voir repréfenter puiffe juger du talent
& du ftyle de M. Marmontel dans le
genre lyrique.
La mufique a paru digne de la réputation
rapide & brillante que M. Grétri
s'eft acquife . Les chants de l'Aurore &
de fa Cour font pleins de grâce & de
fraîcheur ; ceux de Céphale & de Procris
font nobles & touchans ; ceux de la Jaloufie
& des Démons étonnent , dans un
JUIN. 1775 . 379
genre où tout fembloit être épuifé . Les
duo du premier acte , le quatuor qui finit
le fecond , tout l'acte de la Jaloufie , font
du plus grand caractère . Les choeurs ont
le double mérite d'un deffein clair &
fimple , & d'un enfemble harmonieux .
Quelques perfonnes fembloient douter
fi M. Grétri , qui excelloit dans le chant ,
réuffiroit de même dans le récitatif &
dans les airs de danfe. Le problème eft
bien réfolu. Son récitatif eft fi vrai , fi
facile , fi naturel , fi analogue à l'accent
de la langue , qu'il femble n'être que la
parole embellie , anoblie , & plus fenfible
encore que la fimple déclamation . On
a obfervé feulement qu'il n'étoit pas affez
débité , ce qui a paru lui donner quelque
reffemblance avec l'ancien récitatif; mais
quand la profodie de la langue & les
tons justes de la paffion & du fentiment
font notés , l'effet ne dépend plus que de
la manière de les parler ou de les réciter.
Pour les airs de ballet , on avouera fans
peine que depuis Rameau on n'a rien
entendu de mieux deffiné , de plus varié ,
de plus animé , de plus favorable à la
danſe .
M. Larrivé a joué le rôle de Céphale
avec le talent qu'on lui connoît. Mad.
3
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Larrivé a bien rendu les airs charmans
qu'elle avoit à chanter . On a goûté la
manière dont Mlle le Vafleur a exécuté
le rôle de Procris. Mlle de la Guerre ?
qui n'a joué que dans les deux der
nières repréfentations le même rôle , a
été très -applaudie , & pour la vérité tou
chante de fon jeu , & pour la fenfibilité
intéreffante qu'elle met dans fon chant.
Mile Duplant s'eft furpallée dans le rôle
de la Jaloufie , qu'elle rend avec beau
coup d'énergie & de caractère. Les autres
rôles fecondaires ont été joués par Miles
Châteauneuf & Mallet. Cette dernière
chante à merveille l'air de la fin de l'Opéra
, dans le rôle de l'Amour. Les ballets ,
qui font de la compofition de MM. Veftris
, Dauberval & Gardel , ont été fort
approuvés. Ils ont eux-mêmes danfé plufieurs
entrées , & figuré avec diftinction
dans leurs excellentes pantomimes . Mile
Guimard s'eft diftinguée , à l'ordinaire
par les grâces & le charme de fa danfe
& de fon jeu . Mlle Peslin , qui conduit
la gaieté fur fes pas , a été fort applaudie;
on doit auffi de juftes éloges au progrès
des talens de Mlle Dorival , de M.
Veftris fils & de M. Gardel le jeune.
>
JUIN. 1775 .
181
COMÉDIE FRANÇOISE.
OnNa N a donné fucceffivement à ce Théâtre
plufieurs repréfentations d'Albert Premier,
d'Adélaïde de Hongrie & du Barbier de
Séville , tous Drames nouveaux
nous avons rendu compte .
DEBUT.
dont
Le famedi , 29 Avril dernier , M. de
la Rive a débuté par le rôle d'Orefte dans
Iphigénie en Tauride . Ce jeune Acteur
avoit déjà paru il y a quatre ans fur
ce Théâtre , où il avoit annoncé des
talens , qu'il a perfectionnés depuis .
Un bel organe , une figure intéreflante ,
beaucoup d'intelligence , une noble fimplicité
dans le débit , de l'ame & du
feu dans la paffion , un jeu naturel &
facile , tous avantages de la nature &
d'un talent exercé , font efpérer que cet
Acteur aura le plus grand fuccès fur ce
Théâtre, & qu'il foutiendra l'honneur
de la fcène Françoife. Ce jeune Acteur
a continué fes débuts dans les rôles
d'Edipe , d'Achille , de Gengis - Kan , de
Mahomet , & c . Il joue auf les principaux
rôles du haut comique. Cet Acteur
eft reçu & fixé à ce Théâtre .
182 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné la famedi 13 Mai la
première repréſentation de Roger Bontemps
& Javotte , parodie de l'Opéra
d'Orphée & Euridice , par MM . Moline
& d'Orvigni . Cette parodie eft en vaudevilles
. Les Parodiftes ont cherché à
tourner en ridicule la fable d'Orphée ,
& à relever les fautes du poëme & de
la mufique . Ils blâment les cris outrés
d'Orphée & la foiblefle des airs de
danfe de cet Opéra . M. Fumeron , Maître
de Forge , qui a enlevé Javotte , fait
un rôle que Pluton auroit dû avoir dans
l'Opéra . Au refte , la parodie eft calquée
fur l'action de l'Opéra ; c'eſt une ſervante
qui contrefait ridiculement la marche de
fa Maîtreffe. Les plaifanteries de cette
bagatelle & les caractères des perfonnages
font rire quelquefois , & c'eft vraifemblable.
nent tout le fuccès que les
Auteurs ont dû en attendre . Une fingularité
remarquable , c'eft que M. Moline ,
Traducteur de l'Opéra d'Orphée , fe foit
JUIN. 1775 .
183
joué lui- même dans la parodie , dont il
eft auffi un des Auteurs . Les principaux
rôles de cette parodie font bien rendus
par Madame Moulinghen , & par , MM.
Julien , Narbonne , Thomaffin & Dhemery.
DEBUT S.
9
Mademoiſelle de Villeneuve , fille du
Directeur du Théâtre de Strasbourg
âgée de dix - fept ans & demi , qui a
reçu l'éducation la plus fuivie & la plus
complette , excellente Muficienne , foit
pour le chant , foit pour divers inftrumens
, a débuté fur ce Théâtre , & a
obtenu le fuccès qu'elle devoit eſpérer
de fes talens aimables . Cette Actrice intéreffante
avoit déjà eu fur le Théâtre de
Strasbourg & fur celui de Fontainebleau
les plus grands applaudiſſemens , qu'elle a
vu confirmer par ttoouutt ccee qu'il y a d'Amateurs
& de Connoiffeurs dans la Capitale.
De la jeuneffe , beaucoup de talent , un
organe agréable , un goût fûr dans fon
chant , une prononciation nette & fenfible
, une figure aimable , de la phyfionomie
, beaucoup d'aifance & de vérité dans
le débit , l'art de bien dialoguer & de phra
fer avec précifion fes airs , un jeu animé ,
fpirituel & délicat , tant d'avantages réu
184 MERCURE DE FRANCE.
ans ,
nis en font un fujet rare & d'autant plus
précieux à ce Théâtre ( i elle n'en eft point
éloignée) , qu'elle laiffe entrevoir dans fes
talens acquis ceux qu'elle peut encore
obtenir & perfectionner. Mlle de Villeneuve
a débuté le mercredi 3 Mai par
le rôle de Clémentine dans le Magnifique ,
rôle qu'elle a joué & chanté avec grâce
& avec délicateffe ; elle a joué enfuite
avec un égal fuccès Agathe dans l'Ami
de la Maifon , Zémire dans l'intermède
d'Azor, Hélène dans l'Amoureux de quinze
Colombine dans le Tableau parlant.
Elle a parfaitement exécuté dans Zémire
& Azor une pièce de forte piano , & dans
l'Ami de la Maifon des airs fur la mando.
line. M. Clairval , qui met dans tous fes
rôles tant de grâces , d'élégance & de
vérité , M. Laruette , dont le jeu eft fi
naïf, M. Trial , Comédien très agréable ,
M. Nainville , auffi bon chanteur que bon
Acteur , ont fecondé cette jeune Débutante
, & l'ont animée par leur jeu . Nous
favons auffi que Madame Trial , qui a la
générosité du vrai mérite , a éclairé de
fes confeils cette Actrice charmante , en
qui elle a trouvé beaucoup de talent' ; &
ce qui en eft la preuve , beaucoup de
docilité & de reconnoiffance..
JUI N. 1775. 185
A Mademoiſelle DE VILLENEUVE ,
jouant Clémentine .
Sur l'air du Barbier de Séville : Vous l'ardonnez,
Un Dieu fripon , en volant , fur les traces
A fait tomber la rofe de la main ;
Mais le Public la relève ſoudain
Pour couronner les talens & les grâces.
ParM. Coffon.
Mademoiſelle Seyffert , autrefois Danfeufe
à ce Théâtre , a débuté dans les
rôles de mère & de dougne . Elle met
dans fon jeu de la vérité & du naturel ;
mais la foibleffe de fon organe fe refufe
quelquefois à l'expreffion & à la jufteffe
du chant.
M. Lecoutre , Acteur qui a joué avec
fuccès à Bordeaux , a débuté le 19 Mai ,
par le rôle d'Alexis dans le Déferteur ; il a
joué enfuite le rôle de Silvain , de Lubin , &c.
Cer Acteur a une figure belle & théâtrale ;
il est jeune , il a un organe fort & fonore,
& beaucoup de feu. Il doit feulement
186 MERCURE DE FRANCE.
prendre garde de forcer fa voix & d'outrer
fon jeu.
M. Coralli a débuté dans les rôles
d'Arlequin. Il a pour ami M. Carlin ,
qui peut guider & former fon talent , &
lui donner le plus excellent modèle des
grâces & des fineffes propres à fon jeu .
ARTS.
GRAVURES.
I.
Suite de Gravures à l'eau forte , d'après
les deffins de L. F. de la Rue , Sculp
teur , ancien Penfionnaire du Roi , par
Ph. I.. Parizeau . A Paris , chez Parizeau
, Deffinateur & Graveur , rue des
Foffés de M. le Prince , maifon du Ri
che Laboureur .
CETTE fuite de gravures eft compolée
de cent dix planches divifées en dix
cahiers , dont trois offrent différentes
JUIN. 1775. 187
compofitions hiftoriques , des facrifices ,
des bacchanales , des jeux d'enfans , & c .
Les fept autres cahiers nous rappellent.
diverfes formes d'autels , tabernacles ,
tombeaux , tables , trépieds , vafes , &c.
dans le goût antique. Cette fuite de gravures
ne peut donc manquer d'intéreller ,
par
par la variété des objets qu'elle préſente ,
les Amateurs & les Artiftes , & tous ceux
qui dirigent les Manufactures de porcelaines
, ou qui font dans le cas de commander
des ouvrages aux Sculpteurs
Orfévres , Cifeleurs , &c. Le prix de
chaque cahier de cette fuite eft de 1 liv.
10. La faite entière , imprimée fur de
grand papier , coûte 13 liv. tof.; & imprimée
fur papier plus petit , 1 2 1 .
I
On diftribue à la même adreffe cideffus
, un cahier de différens grouppes de
figures , compofées & gravées au trait par
Ph. L. Parizeau . Cette dernière fuite ,
très utile aux Architectes , fe vend i liv . 4 f.
I I.
Coftume des anciens Peuples , vingtcinquième
cahier , contenant les ufages
religieux des Perfes . Cette fuite , fi curieufe
& fi intéreffante pour les Peintres ,
188 MERCURE DE FRANCE.
pour les Sculpteurs & pour tous les Amateurs
du deflin & de l'antiquité , conduite.
par le célèbre M. Cochin & par M. d'André
Bardon , fe, continue avec exactitude ;
elle eft accompagnée d'explications & de
réflexions importantes fur les objets repréſentés
& fur plufieurs parties de l'Art.
III.
Quatre eftampes , dont les fujets font
imirés de quelques fcènes du Théâtre de
l'Ambign Comique , favoir le Chaudronier
, la Belle aux bois dormant , les deux
Solitaires , Aminte . A Paris , chez le
Pere & Avaulez , Marchands d'Estampes ,
rue St Jacques ; & chez Freffotte , Graveur
, rue des Grands Degrés , maifon
du Limonadier , vis à vis la rue Perdue.
I V.
Les Soins tardifs & le Carquois épuisé,
deux eftampes gravées par M. de Laumay
d'après les tableaux de M. Baudouin
, Peintre du Roi . Ces fujets de galanterie
, traités avec efprit , & gravés
avec beaucoup de foin & de talent , prix
chacun 3 liv. , fe trouvent à Paris , chez
JUIN. 1775.
189
M. de Launay , rue de la Bucherie , la
porte cochère près la rue des Rats. Ils
font fuite de deux autres eftampes agréa⚫
bles que nous avons annoncées dans le
temps fous les titres de la Sentinelle en
défaut & de l'Epoufe indifcrette.
V.
Portrait de M. Defeffarts , Comédien ,
Penfionnaire du Roi , gravé par M. Thomas
, d'après le deflin de M. Ingouf l'aîné.
Ce portrait eft fort reflemblant & trèsbien
rendu. Il fe trouve à Paris , chez M.
le Mire , Graveur , rue & vis- à - vis Saint
Etienne-des- Grès.
V I.
Les Nappes d'eau , eftampe de 22
pouces de large , fur 16 de haut , dédiée
& préfentée à la Reine ; gravée pa : M.
Godefroy , d'après le tableau de M. le
Prince de 6 pieds de haut fur 4 de large ,
appartenant à M. le Comte de Choifeul ,
& expofé au dernier Sallon fous le titre.
de Vue des environs de Fontainebleau. A
Paris, chez l'Auteur , rue des Francs Bourgeois
, Porte St Michel , vis à vis la rue
de Vaugirard . Prix 12 liv.
190 MERCURE DE FRANCE.
M. le Prince ayant lu à l'Académie le
commencement de fon Traité fur la peinture
en payfage , plufieurs de fes Confrères
, applaudiffant à fes vues , trouvèrent
cependant fingulier qu'il voulûc
donner des préceptes dans un genre de
peinture qui lui étoit étranger ; M. le
Prince ,, pour toute réponſe , partit le lendemain
pour Fontainebleau , & à fon res
tour préfenta ce tableau à l'Académie ,
qui admira fa belle réponſe. M. Godefroy
, frappé de la beauté de cette peinture
& de la fenfation univerfelle qu'elle
a produite , vient de la graver . Nous ne
dirons rien de cette magnifique eftampe ;
fa modeftie nous impofe filence , & c'eft
à regret que nous le gardons .
SCULPTURE.
Le fieur Allegrain , premier Sculpteur
de la Marine à Rochefort , a eu l'honneur
de faire voir au Roi , le 8 Janvier
dernier , différens deffins de vaiffeaux , ´
dont Sa Majesté à paru fatisfaite.
L'abondance des matières ne nous a
pas permis de donner plutôt au Public un
JUIN. 1775. 191
précis de ces deffins ; nous nous bornerons
à parler d'un feul ; les autres ont
également offert des preuves du goût &
de l'intelligence qui dirigent les travaux
de cet habile Artiſte.
Ces deffins repréfentent le fendant en
quatre parties : la proue , la pouppe , la
bouteille , caractérifent de toutes parts ce
vaiffeau,
Deux intentions ont été offertes pour
la proue ; dans la première , c'eft un mâle
guerrier monté fur un courfier fuperbe ,
tenant de fa main gauche un bouclier
dont il fe défend , & de l'autre un fabre
levé , comme pour fendre une preffe qui
veut l'accabler. Son attitude fière & terrible
annonce l'intrépide courage des
braves Marins qu'il conduit.
Dans l'autre , plus analogue peut - être
au fujet , c'est un vigoureux Matelot qui ,
à coups redoublés de fa rame , fend une
mer agitée , dont il s'efforce de furmonter
les vagues .
La proue , dans la partie la plus élevée ,
offre un autre fcène plus tranquille
, mais
auffi intére fante. Deux Génies , par leurs
vol, fendent les airs , & découvrent
à
l'Univers
l'étendard & les lys François,
192 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'inférieure , des Tritons ailés
fendent les eaux avec leurs nageoires , &
paroiffent s'élancer après le vaiffeau dont
ils fuivent la rapide courſe.
La bouteille du bâtiment répète divers
trophées de la proue , & retrace le ſpectacle
fi ordinaire aux Marins , des dauphins
qui femblent fe jouer , en bondiſſant ſur
la furface des eaux.
C'estainsi qu'une imagination poëtique
& fage , que dirige un goût épuré , donne
de la vie aux fujets qu'on en croit le
moins fufceptibles . Qu'on compare cette
fculpture avec les fantaftiques & bizarres
fujets dont les Anglois décorent leurs
navires , on eft étonné de les voir encore
fur ce point fi éloignés du bon goût. On
dira peut - être qu'ils préfèrent l'utile , &
qu'ils yfacrifient jufqu'au luxe de l'ornement.
Mais Bellone , ne fe plaît - t- elle
pas à être adorée en Minerve , & n'eft.
elle pas la redoutable Déeffe des combats
comme la protectrice tutélaire des Arts .
Au refte le fieur Allegrain a fes titres
de familles pour prouver qu'il ne peut
être que très habile dans fon art. Il eft
neveu du célèbre Pigalle , dont le maufolée
du Maréchal de Saxe fera auffi im.
mortel que le nom du Héros , & fils
du
JUI N. 1775. 193
du fieur Allegrain , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture , appelée par
notre Gècle le Statuaire des Graces . Les
différens prix que le Sr Allegrain fils a obtenus
dans le cours de fes études , tant à
Paris qu'à Rome , préfageoient fans doute
fes talens : mais fon mérite vient encore
d'être mieux apprécié par l'Ecole Royale
de Peinture , de Sculpture & d'Architec
ture de la Ville de Poitiers , qui vient de
lui accorder le titre de fon Affocié libre ,
&fon Correfpondant à Rochefort.
MUSIQUE.
I.
QUATUOR pour le clavecin & forte
-piano , deux violons & baffe , dédiés à
Mlle de Cypiere , compofés par M.
Lafceux , Organifte de St Etienne Dumont
& des Mathurins ; oeuvre IV .
Prix 7 liv. 4 f. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Saint - Jacques , vis - à - vis celle des
Mathurins ; & Mlle Girard , Marchande
de mufique , rue du Roule , à la Nouveauté.
}
194 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Trente - deuxième Recueil d'Ariettes
d'Opéra - Comiques , & autrès arrangées
pour le forte piano & le clavefin , par M.
Pouteau , Organifte de Saint- Jacques de
la Boucherie , de St Martin - des-Champs,
& Maître de clavecin. Prix 1 liv.16 f.
I I I.
I
Deux concerto à violon principal , premier
& fecond violon , alto , baſſe , flûtes
ou haut- bois , & deux cors , dédiés à fon
Alteffe Séréniffime Madame la Ducheffe
de Bourbon , compofés par M. Patible ;
Cuvre I. Prix 7 liv . 4 f. A Paris , chez
M. Bouin , Marchand de mufique & de
cordes d'inftrumens , rue Saint- Honoré ,
au Gagne perit, près Saint Roch ; à Verfailles
, chez M. Blaizot ; en Province ,
chez les Marchands de mufique.
Ces deux concerto ayant été mis au
jour pendant l'abfence de l'Auteur , il
s'eft trouvé des fautes dans les premiers
qui ont paru avec l'adreffe de l'Auteur ,
affeż confidérables pour en empêcher
l'exécution ; il prévient MM . les Amateurs
& Profeffeurs de mufique , qu'il en
JUI N. 1775. 195
a fait une correction très - exacte , & que
ceux qui feront à l'adreffe ci- deffus , font
les feuls auxquels les corrections auront
été faites .
VERS pour mettre au bas du Portrait de
M. Turgot.
Ces traits que révère la France , ES
Dans l'efprit des méchans font gravés par l'effroi ;
Dans nos coeurs , par l'efpoir & la reconnoiffance ;
Par la vertu , dans l'ame de fon Roi.
Par M. Quefnay, de St Germain.
Lettre à M. LACOMBE , Auteur du
Mercure.
Paris, 6 Mai 1775.
Monfieur , dans l'Acte de Bienfaifance publié
fous mon nom dans le Mercure de ce mois , il
s'eft gliffé quelques fautes , dont une fur- tout ,
doit être relevée . Après avoir nommé M. de
Montefquieu & terminé ainfi l'article qui le
concerne , ce n'eft plus de l'Esprit des Loix ni
de fon Auteur dont il eft queftion , mais de feu
M. Helvécius , Auteur du Livre de Esprit , non
moins digne , par la bienfailance , de l'admita-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
tion univerfelle . En attendant , Monfieur , que j
vous faffe connoître cet homme célèbre par quel
qu'un des actes éclatans de fa vie , dont j'ai été le
témoin , je vous prie de rectifier cette erreur cu
publiant ma Lettre .
J'ai l'honneur d'être très parfaitement ,
Monfieur ,
Votre très-humble & très- obéiffant
ferviteur MINGARD .
Lettre à M. de Voltaire , fous le nom de
M. le Chevalier de Morton .
MONSIEUR LE CHEVALIER .
Permettez que je vous remercie , au nom des
Parifiens , de la jolie Epître que vous venez de leur
envoyer fur ces peftes publiques qu'on nomme
Philofophes. J'ai vu quelques- uns de ces derniers
qui trouvent charmantes les injures que vous leur
dites. Il eft für que la manière dont vous les dénonceż
au Pape devroit bien plutôt leur valoir les
honneurs d'une canonifation que d'un Autodafé .
Comment fe peut -il qu'un jeune homme cominę
vous ait déjà dans les écrits , ces grâces , cette
énergie & cette vérité qui décèlent un âge mûr ?
Votre Dom Pedre annonce toute la vigueur d'un
Chevalier jeune & loyal. L'Eloge de la Raifon eft
une folie charmante. Semblables à ces beaux arbres
qui font la ticheffe & l'ornement de l'Inde
vous portez fans cefle des fleurs & des fruits,
Nous voudrions feulement que vous fuffiez com-
•
JUIN. 1775 . 197
me eux à l'abri des tempêtes & des glaces de
l'hiver , & que pareil encore aux chênes de Dodone
, vous puffiez jufqu'à cent ans conferver vos
feuillages & rendre des oracles .
A propos , M. le Chevalier , j'ai une grâce à
vous demander. Je me mêle par fois de faire des
vers : mais je n'en adrefle jamais qu'aux jolies
femmes & aux grands hommes ; ce font- là mes
idoles . Je vous prie de vouloir bien remettre ceux
que vous trouverez ci-joints au génie que je tévère
& qui habite le même endroit que vous . Vous
le connoiflez , fans doute. C'eft M. de Voltaire .
Préfentez -lui en même temps mes très humbles
refpects , & recevez l'accollade d'un de vos Confrères
qui a l'honneur d'être avec une vénération
profonde ,
Monfieur le Chevalier ,
Votre très-humble , & c.
Le Chevalier DE PALMÉZEAUX.
Réponse de M. de Voltaire.
Je n'ai pu , Monfieur , vous remercier plutôt
des chofes agréables que vous avez eu la bonté de
m'envoyer. J'ai gardé pendant fix femaines ma
Nièce , qui a été entre la vie & la mort. Ce n'eſt
que d'aujourd'hui que je puis vous témoigner ma
reconnaiſſance.
Je dois vous dire queje fuis point le Chevalier
de Morton. J'ignore quel eft l'Auteur de la pièce
très-indifcrette & très- inégale que ce prétendu
Chevalier à écrite à M. de Treflan . J'ai été très
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
affligé que M. de Treflan me l'ait attribuée , &
qu'il ait eu la faiblefle d'y répondre . Il devait bien
fentir qu'il était impoffible que je lui cufle parlé
des petits foupers d Epicure Stanislas , qui n'a ja
mais foupé , & qui ne reflemblait point du tout à
Epicure. I devait lentir , par beaucoup d'autres
raifons , le tort qu'il a eu de fe donner ainfi en
fpectacle au Public. Je lui en ai fait des reproches
d'autant plus. vifs , que je lui fuis attaché depuis
très - long - temps.
Quand on fait imprimer de pareilles pièces de
poëfie , il faut que tous les vers foient bons ; &
quand on les fait fur de pareils fujets , il ne faut
pas les faire imprimer. Le chagrin que cette méprife
ridicule me caufe , ne me permet pas de
Vous en dire davantage.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , votre trèshumble
, & c .
VOLTAIRE.
Au Château de Ferney , le 26 Avril 1775.
Lettre à M. l'Abbé **
a
Vous avez vu dans le temps , mon cher Abbé ,
la belle & magnifique Lettre de M. l'Archevêque
de Toulouſe à fes Curés , fur les moyens de prévenir
ou d'arrêter les ravages de la maladie épizootique
En la lifant enfemble , nous admirions
comme les vues & les confeils de l'homme d'Etat
rendent plus actives & plus éclairées la bienfaifance
& la charité du Paſteur ; comme la religion
fe montre dans tout ce qu'elle a de touchant &
d'augufte , quand on la fait parler avec la noblefle
JUIN. 1775. 199
& la fagefle qui les caractériſent. Nous béniffions
le Prélat d'avoir fu rendre les Curés plus précieux
au gouvernement , en les chargeant de préparer
les efprits à fe foumettre à une loi utile ; mais qui ,
fans cette précaution , auroit rencontré beaucoup
plus d'obstacles & de difficultés dans fon exécution.
Nous regrettions de n'avoir pu entendre ces
hommes vénérables expliquer en patois , à leurs
Paroiffiens , la Lettre de leur Paſteur , le Réglement
du Prince , & terminer cette touchante
inftruction par des fecours proportionnés aux
pertes & aux facrifices . Le temps eft venu , difions.
nous , où le Clergé , que l'envie , l'ignorance & le
fanatilme ne celle de repréſenter comme un corps,
étranger au reste du Royaume , ne peut confondre
fes ennemis & les réduire au filence , qu'autant
qu'il emploira fes richefles , fes priviléges & lon
autorité à feconder auprès des Peuples les vues
de juftice & de bienfaifance du ministère ; qu'au
tant qu'il fera de tous les Eccléfiaftiques des Apôtres
, & , s'il eft permis de s'exprimer ainfi , des
préconifeurs de la félicité publique . D'après ce
principe , ajoutions - nous , ne feroit-il pas à fouhaiter
que quand le Prince a été aflez heureux pour
faire une grande & belle action , c'eſt - à -dire dont
le bonheur général doit réfulter ; ne feroit- il pas
à fouhaiter que dans nos Temples les Orateurs
Chrétiens l'en remerciaflent au nom de Dieu &
de toute la Nation.
Voilà , mon cher Abbé , les réflexions que nous
nous communiquions dans le fecret de l'amitié ,
& qui terminèrent la lecture de la Lettre de M.
l'Archevêque de Toulouſe. Je me hâte de vous envoyer
une Ordonnance du même Prélat fur les
lépultures. Je ne connois rien de plus fage ni
liv
200
MERCURE DE FRANCE.
de plus raisonnable dans les difpofitions , rien de
mieux écrit , & , quand le fujet l'exige , de plus
éloquent que le préambule ; rien qui , dans un
autre genre , ait plus de droits pour être placé à
côté de la célèbre défente de la Déclaration de 82 .
Ce Réglement , que l'on follicitoit depuis fi longtemps
, & que la fatale expérience de nouveaux
malheurs rendoit plus néceflaire , a encore le
mérite d'être fondé fur les oracles des Conciles ,
fur la doctrine des l'ères , fur la difcipline des
premiers fiècles de l'Eglife ; & c'eft du milieu de
toutes ces autorités que M. l'Archevêque, page 2 ,
faifit l'occafion de s'écrier : Teleft le fublime accord
de la Religion & de la Politique , que tout ce que
celle ci ofe avouer d'honnête & d'utile , l'autre le
preferit & le commande.
Mais le trait qui me paroît caractériſer davantage
l'Ordonnance fur les fépultures eft de l'avoir
rendue tellement générale , qu'il eft impoffible d'y
découvrir aucune de ces exceptions qui encouragent
l'orgueil à les demander , humilient les petits
qui ne peuvent ni les acheter , ni les obtenir , &
finiffent enfin par éluder ou anéantir les meilleures
loix.
Puifle , mon cher Abbé , pour l'honneur de
l'Epifcopat , puiffe ce monument de fagefle , élevé
à la religion & à l'humanité, trouver beaucoup
de mains empreflées à le perpétuer dans les différens
Diocéfès du Royaume ! Fuiffe l'Eglife de
France compter dans ſon ſein beaucoup d'Evêques
qui penfent, s'expriment & agiflent comme M.
l'Archevêque de Toulouſe ! Si le Sacerdoce &
I'Empire, dont il feroit dangereux de vouloir féparer
les intérêts , peuvent recevoir de grands ,
d'importans fervices , ce ne fera jamais que de la
part de Prélats qui joindront beaucoup de fcience
& de lumières àbeaucoup de zèle & de piété. Et
1
JUIN. 1775. .201
ontdans
quel temps & fous quel règne les hommes
en place , de tous les rangs , de tous les états ,
ils eu autant de facilités pour faire le bien qu'ils
en ont aujourd'hui ? Tout ce qui porte avec foi
le caractère de la raifon & de l'utilité publique , ne
peut qu'être adopté & autorifé par un Prince , dont
le premier élan de l'ame eſt toujours ou un acte
de juftice ou un trait de bienfaiſance , qui , en
appelant auprès de lui & environnant fa jeuneffe
des gens les plus honnêtes & les plus éclairés de
fon Royaume , a eu le bonheur , à vingt ans , de
choifir les Miniftres comme auroit fait Marc- Aurèle
à cinquante ; qui enfin , dans la circonftance
la plus délicate ou un Roi puifle fe trouver , vient
de montrer un calme , une fermeté & une préſence
d'efprit qui honoreroient la longue expérience d'un
Prince vieilli dans l'art de régner. J'ai lu l'Inftruction
qu'il adrefle aux Evêques pour être envoyée
à tous les Curés , & je regrette de n'être pas le
Pafteur de la dernière Paroifle de la France , pour
jouir de l'avantage ineftimable de développer aux
habitans de la campagne les motifs de foumiffion ,
d'obéiflance & de fidélité qu'ils doivent à leur
Maître , pour les prémunir contre les fcélérats
qui voudroient les entraîner dans la révolte , en
un mot , pour entrer avec eux dans le détail de
tout ce que fait & fera le Roi pour la félicité de
fon Peuple. O le beau , le fublime ministère que
dans ce moment- ci les Curés ont à remplir !
Voilà une bien longue Lettre , mon cher Abbé ,
mais quand je vous ouvre mon coeur ou que vous
me laflez lire dans le vôtre , je ne redoute l'ennui
ni pour vous , ni pour moi .
L'Abbé R... Vic . Génér. d'Alby.
A Chartres , le 14 Mai 1775.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Copie de la Lettre du Roi , écrite aux
Archevêques & Evêques de fon Royaume.
M.
Vous êtes inftruit du brigandage inouï qui s'eft
exercéjur les bleds autour de la Capitale , & prefquefous
mes yeux à Versailles , & qui femble menacer
pufieurs Provinces du Royaume . S'il vient
à s'approcher de votre Diocèfe , ou à s'y introdui
re, je ne doute pas que vous n'y oppofiez tous les
obftacles que votre zèle , votre attachement à ma
Perfonne , & plus encore la Religion fainte dont
vous êtes le Miniftre , fauront vous fuggérer, Le
maintien de l'ordre public eft une loi de l'Evangile
, comme une loi de l'Etat & tout ce qui le
trouble , eft également criminel, devant Dieu &
devant les hommes ,
و
J'ai pensé que dans cette circonftance il pourroit
être utile que les Curés de mon Royaume
fuffent inftruits des principes & des effets de ces
émeutes ; & c'eft dans cette vue que j'aifait dreffer
pour eux l'Inftruction que je vous envoie , & que
vous aurez foin d'adreſſer à ceux de votre Diocèfe.
Les connoiffances qu'elle renferme , mifes par eux
fous les yeux des Peuples , pourront les préferver
de lafédition , & les empêcher d'en être les victimes
ou les complices.
Je compte que vous y joindrez de votre part,
toutes les inftructions que les circonftances vous
feront juger néceffaires. Je furs bien perfuadé que
je n'ai rien à preferire à votre zèle ; maisfi le defir
de m'être agréable , peut l'accroître , foyez für
JUIN. 1776 . 203
qu'on ne peut mieux me fervir & me plaire qu'en
" préfervant les Peuples de tout malheur , & par
deffus tour , de celui d'être coupables dans un moment
, où , pour leur intérêt même , il ne me ferdit
-pas permis d'afer d'indulgence . La préfente n'étant
à autre fin , je prie Dieu , M qu'il vous
ait en fa fainte garde. Ecrit à Versailles le
Instruction envoyée par ordre de S. M. à
tous les Curés de fon Royaume.
Sa MAJESTÉ a ordonné que les brigandages
qui dévaftent ou menacent plufieurs provinces
de fon Royaume , fuffent réprimés par des punitions
promptes & fevères. Mais fi Elle a été forcée
d'y avoir recours pour diminuer le nombre des
coupables , & en arrêter les excès , Elle eſt encore
plus occupée d'empêcher qu'aucun de fes Sujets
ne le devienne ; & fi Elle peut y parvenir , le
fuccès de fes foins fera d'autant plus confolant
pour Elle , qu'Elle eft plus vivement affligée des
mefures rigoureufes , que les circonstances ne
lui pemettent pas de négliger.
C'eft dans cette vue que Sa Majefté a jugé à
propos de faire adreffer la préfente inftruction
aux Curés de fon Royaume.
Elle a déjà éprouvé l'utile influence de plufieurs
d'entr'eux dans des paroiffes dont quelques habitans
entraînés à la révolte par des impreflions
étrangères , mais ramenés par les exhortations
de leurs Pafteurs , à leur devoir & à leur véritable
intérêt , fe font empreffès de remettre euxmêmes
les denrées qu'ils avoient enlevées , &
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de porter aux pieds des autels , le repentir de
leurs fautes , & des prières ferventes pour leur
Roi , dont on avoit cfé , pour les féduire ,
fulter & rendre fufpecte la bonté.
in-
S. M. fe promet le même zèle des autres Curés
de fon royaume. La confiance des peuples
eft le prix naturel de leur tendreffe , de leur affection
& de leurs foins : & lorfqu'aux vérités faintes
de la religion , qui profcrit tout trouble dans
l'ordre public , & toute ufurpation du bien d'autrui
, ils joindront la terreur des peines impofees
par les loix civiles , contre le vol & la fédition ,
des avis falutaires fur les dangers & les malheurs
du brigandage , & fur-tout les affurances
de la bonté du Roi , qui n'eft occupé, que du
bonheur de fes fujets ; S. M. a lieu d'efpérer que
les peuples feront garantis des voies odieules
qu'on emploie pour les tromper , & qu'ils fauront
fe préferver également du crime de la fédition ,
& du malheur d'en être les victimes .
Pour que les Curés foient plus à portée de
faire valoir ces utiles réflexions , il eft néceffaire
qu'ils foient inftruits des principes & des fuites de
la fédition , dont les habitans de leurs paroiffes ont
à fe préferver & à fe défendre.
Elle n'eft point occafionnée par la rareté réelle
des bleds : ils ont toujours été en quantité ſuffifante
dans les marchés , & particulièrement dans
les Provinces qui ont été les premières expofées au
pillage .
Elle n'eft pas non plus produite par l'excès de la
misère : on a vu la denrée portée à des prix plus
élevés , fans que le moindre murmure fe foit fait
entendre ; & les fecours que Sa Majeſté a fait répandre
, les Ateliers qu'Elle a fait ouvrir dans les
JUIN. 1775. 205
Provinces , ceux qui font entretenus dans la Capitale,
ont diminué la cherté pour les pauvres,
en leur fourniffant les moyens de gagner des falaires
& d'atteindre le prix du pain .
Le brigandage a été excité par des hommes
étrangers aux Paroiffes qu'ils venoient dévafter:
tantôt ces hommes pervers , uniquement occupés
d'émouvoir les efprits , ne vouloient pas , même
pour leur compte , des bleds dont ils occafionnoient
le pillage; tantôt ils les enlevoient à leur profit, fans
doute pour les revendre un jour , & fatisfaire ainfi
leur avidité .
On les a vus quelquefois affecter de payer la
denrée à vil prix ; mais en acheter une quantité ſi
confidérable , que l'argent qu'ils y employoient ,
prouvoit qu'ils n'étoient pouffés ni par la misère
préfente, ni par la crainte de l'éprouver.
Ce qu'il y a de plus déplorable , eft que ces
furieux ont porté la rage jufqu'à détruire ce qu'ils
avoient pillé. Il y a eu des grains & des farines
jetés dans la rivière.
La ſcélérateſſe a été pouffée juſqu'à brûler des
granges pleines de bleds & des fermes entières.
Il femble que le but de ce complot , ait été de
produire une véritable famine dans les Provinces
qui environnent Paris , & dans Paris même , pour
porter les Peuples , par le befoin & le défefpoir,
aux derniers excès .
Le moyen employé par ces ennemis du peuple ,
a été de l'exciter par-tout au pillage , en affectant
de paroître fes défenfeurs . Pour le féduire , les
uns ont ofé fuppofer que les vues du Roi étoient
peu favorables au bien de fes Peuples : comme
s'il avoit jamais féparé fon bonheur de celui de
206 MERCURE DE FRANCE.
fes Sujets , & comme s'il pouvoit avoir d'autre
penfée que celle de les rendre heureux .
Les autres affectant plus de refpect , mais non
moins dangereux , n'ont pas craint de répandre
que le Roi approuveroit leur conduite , & vouloit
que le prix des bleds füt baiffé comme fi Sa
Majefté avoit le pouvoir & le moyen de baiſſer à
fon gré le prix des denrées , & que ce prix ne fût
pas entièrement dépendant de leur rareté ou de
leur abondance .
Un de leurs artifices les plus adroits a été de
femer la divifion entre les différentes claffes des
citoyens , & d'accufer le Gouvernement de favorifer
les riches aux dépens des pauvres tandis
qu'au contraire il a eu pour but principal d'affurer
une production plus grande , des tranſports plus
faciles , des provifions plus abondantes ; & par ces
divers moyens , d'empêcher tout- à-la -fois la difette
de la denrée , & les variations exceffives dans
les prix , qui font les feules caufes de la misère.
Projets deftructeurs fuppofés au Gouvernement,
fauffes inquiétudes malignement exagérées , profanation
des noms les plus refpectables , tout a
été employé par ces hommes méchans , pour fervir
leurs pallions & leurs projets ; & une multitude
aveugle s'eft laiffé fduire & tromper : elle a
douté de la bonté du Roi , de fa vigilance & de fes
fois, & par fes doutes clie a penfé rendre ces foins
inutiles , & tous les remèdes vains & fans effet.
Les fermes que le brigandage a pillées , les magafins
qu'il a dévastés , étoient une reffource toute
prête pour les temps difficiles , & affuroit les
moyens de fubfifter jufqu'à la récolte.
Si l'on continue de priver l'État de cette reffource,
de piller les voitures fur les chemins , de déJUIN.
1775. 207
vafter les marchés , comment fe flatter qu'ils feront
garnis , que les grains n'enchériront pas davantage
, que la denrée diffipée , interceptée &
arrêtée de toutes parts , ne finira pas par manquer
aux befoins ? Si les bleds font montés à des prix
trop élevés , ce n'eft pas en les diffipant , en les
pillant , en les enlevant à la fubfiftance des Peuples
, qu'on les rendra moins chers & plus communs.
L'abondance paffagère d'un moment , obtenue
par de tels moyens , feroit le préſage certain
d'une difette prochaine , & qu'on tenteroit alors
en vain d'éviter.
Ce font ces vérités qu'il eft néceffaire que les
Curés faffent comprendre aux peuples pour leur
propre intérêt , le pillage amène les maux que
feignent de craindre ceux qui l'infpirent & le
confeillent ; & un petit nombre de gens mal intentionnés
, profite du défordre , tandis que ceux
qu'ils ont féduits en demeurent les victimes.
Des Paſteurs n'ont pas besoin d'être avertis de
faire remarquer aux peuples , que toute ufurpation
de la denrée , même en la payant , lorfque
c'eſt à un prix inférieur à fa valeur , eft un vol
véritable , réprouvé par les Loix divines & humaines
, que nulle excufe ne peut colorer , qu'aucun
prétexte ne peat difpenfer de reftituer en entier
au véritable maître de la chofe ufurpée. Ils
feront fentir à ceux qui pourroient être dans
l'illufion , que le prix des bleds ne peut malheureufement
être proportionné qu'à la plus ou moins
grande abondance des récoltes ; que la fageffe du
Gouvernement peut rendre les chertés moins rigoureufes
, en facilitant l'importation des bleds
étrangers , en procurant la libre circulation des
108 MERCURE DE FRANCE.
"
bleds nationaux , en mettant par la facilité du
tranfport & des ventes. , la fubfiftance plus près du
beſoin , en donnant aux malheureux , & multipliant
pour eux toutes les reflources d'une charité
induſtrieuſe : mais que toutes ces précautions ,
qui n'ont jamais été prifes plus abondamment
que depuis le règne de Sa Majefté , ne peuvent
empêcher qu'il n'y ait des chertés ; qu'elles font
aulli inévitables que les gréles , les intempéries ,
les temps pluvieux ou trop fecs qui les produi
fent ; que la crainte & la méfiance des peuples
contribuent à les augmenter , & qu'elles devien
droient exceffives , fi , le commerce fe trouvant
arré é par les émeutes , les communications devenoient
difficiles , & les Laboureurs étant découragés
, la denrée ne pouvoit plus être apportée à
ceux qui la conſomment.
Il n'eft point de bien que Sa Majeſté ne ſoir
dans l'intention de procurer à fes Sujets. Si tous
les foulagemens ne peuvent leur être accordés en
même temps , s'il eft des maux qui , comme la
cherté , fuite nécefsaire des mauvaiſes récoltes ,
ne font pas foumis au pouvoir des Rois , Sa
Majefté en eft auffi affectée que fes Peuples : mais
quelle défiance ne doivent - ils pas avoir de ces
hommes mal intentionnés , qui , pour les émouvoir
, fe plaisent à exagérer leur malheur , &
l'aggravent par les moyens mêmes qu'ils leur indiquent
pour le diminuer !
Pa
Sa Majefté compte que tous les Curés des
foiffes où cette eſpèce d'hommes chercheroit à
s'introduire , préviendront avec foin les habitans
contre leurs fatales fuggeftions.
Des Troupes font déja difpofées pour affurer la
tranquillité des Marchés & le tranfport des grains.
JUIN. 1775. 209
Les habitans doivent feconder leur activité , & fe
joindre à elles pour repouffer la fédition qui viendroit
troubler leurs foyers & accroître leur misère
, fous prétexte de la foulager.
Lorfque le peuple connoîtra quels en font les
auteurs , il les verra avec horreur , loin d'avoir
en eux aucune confiance ; lorſqu'il en connoîtra
les fuites , il les craindra plus que la difette même.
Les fublimes préceptes de la Religion , ' expofés
en même temps par les Curés , affureront le
maintien de l'ordre & de la juftice . En exerçant
ainfi leur miniſtère , ils concourront aux vues bienfailantes
de Sa Majefté ; Elle leur faura gré de
leurs fuccès & de leurs foins : le plus für moyen
de mériter fes bontés , eft de partager fon affection
pour fes Peuples , & de travailler à leur bonheur.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
A
nouveaux .
1.
QUELQUE distance de Drefde , il y
a une Fabrique confidérable & très- variée
de chapeaux de paille ; on y occupe les
viellards & les enfans depuis l'âge de cinq
à fix ans. Ces chapeaux font agréables &
d'une bonne qualité. Il y a de pareilles
Fabriques dans la Bavière & le haut Palatinat
; les ouvrages en font inférieurs à
ceux de Saxe , mais on s'attache à les per
210 MERCURE DE FRANCE.
fectionner. On ne fauroit trop encourager
ces établiffemens d'autant plus recommandables
, qu'ils offrent une reſource
affurée au pauvre & à l'impotent.
I I.
M. Pingeron , ancien Ingénieur de
Zamosch en Pologne , vient de trouver
un moyen très - fimple de tirer l'eau des
puits les plus profonds , en faiſant ofciller
un long levier . Tout le mécanisme eft
caché dans l'axe du treuil fur lequel s'entortille
la corde fervant à tirer les deux
feaux. On ne voit à l'extérieur que deux
rochers. Le mouvement eft continuel &
non alternatif , comme on pourroit le
croire. Ce mécanisme eft le moins dif
pendieux qu'on ait juſqu'à préſent imaginé
pour remplir un objet fi important ,
principalement pour les Villes fituées
fur des hauteurs.
II I.
Après diverfes expériences , le Sr Muller,
Marchand Droguifte à Copenhague , a
trouvé le fecret de faire de la porcelaine
auffi belle que celle de la Chine , tant
pour la finelle que pour le vernis. Il tire
de l'Ile de Bornholm la terre néceffaire
à fa compofition,
JUIN. 1775 . 211
AM. LACOMBE , Auteur du Mercure.
Paris , ce 12 Mai 1775• .
Moyen de détruire les chenilles .
Monfieur ; un de mes amis m'écrit de Picardie ,'
que pendant trois années de fuite il n'avoit pu
recueillir aucun fruit , par la quantité d'infectes
& de chenilles que les brouillards occafionnent
dans le mois de Mai. On fait que les chenilles
fur- tout rongent & détruilent les fruits
naiflans où elles s'attachent . Mon ami ajoute que,
s'étant avifé l'année dernière de répandre de la
cendre de tan fur chaque arbre , il avoit eu
beaucoup de fruits ; qu'ayant fait la même chofe
cette année , dès le mois d'Avril , parce que
l'année a paru précoce , il voyoit encore avec
plaifir les apparences de l'efficacité de fon remè
de , & qu'il ne doutoit pas d'une récolte abondante
pour lui ; mais qu'il voyoit en même
temps , avec douleur , fes voifins privés du même
avantage , pour n'avoir pas eu recours au même
moyen. J'aurois voulu , Monfieur , connoître
plutôt ce fecret auffi fimple qu'utile , afin d'en
inftruire le public par la voie de votre Journal.
Mon ami m'apprend encore qu'il s'eft fervi
d'un
moyen rout auffi fimple , pour conferver
les
blés ; c'eft de les mettre en tas avec la paille .
après les avoir vanés , & de les entourrer de chaux
vive. Il affure que non feulement le blé fe conferve
ainfi d'une année à l'autre , fans qu'on y
touche ; mais que ni les fouris ni les infectes n'y
font aucun tort.
J'ai l'honneur d'être , &c.
212 MERCURE DE FRANCE.
BIENFAISANCE.
I.
Fêtes de la Vertu.
PAR un acte paffé chez M. Garnieť
Defchenes , Notaire à Paris , le 10 Février
1775 , le fieut Elie de Beaumont , célèbre
Avocat , & Intendant des Finances de
Monfeigneur le Comte d'Artois , & la
Dame fon épouse , auffi diftinguée que
fon mari par les productions de fon efprit,
ont inftitué à perpétuité , dans leur Terre
& Seigneurie de Canon en Normandie
fous le bon plaifir du Roi , & en actions
de grâces au Ciel pour la groffeffe de Madame
la Comtelle d'Artois , & l'heureuſe
naiffance efpérée d'un futur Duc d'Angoulême
, une fête & folemnité qui fera
appelée la Fête des bonnes - gens.
1
Il y aura quatre prix qui feront diftribués
deux à la fois , alternativement d'an
née en année , & deux médailles par chacun
an , qui y feront diftribuées de même ,
avec des bouquets & des couronnes.
L'un de ces prix , qui fera celui de la
bonne-fille , fera donné à la fille d'une des
JUIN. 1775. 213
Paroiffes défignées dans l'acte , qui aura
été préfentée & nommée dans la manière
prefcrite par un réglement ad hoc.
L'autre prix de la même année fera le
prix du bon vieillard , âgé de foixante- cinq
ans accomplis , nommé & préfenté dans
les mêmes formes que ci- deffus.
L'un des prix de l'année fuivante fera
celui de la bonne- mère , & fera donné à
une femme , mère ou belle- mère de trois
enfans vivans , nommée & préfentée ,
& c.
• L'autre , pour ladite feconde année ,
fera le prix du bon chef de famille , donné
à un homme , garçon ou marié , âgé au
moins de 20 ans , & jufqu'à 35 , &c.
Pour la dotation de ladite fête des bon
nes-gens , & pour les prix qui feront de
300 liv. chacun , médailles , bouquets ,
& c. lefdits Sieur & Dame Elie de Beaumont
donnent & affignent aux Communautés
des Paroiffes de Canon , & autres
défignées , 650 liv . de rente perpétuelle ,
& non- rachetable , fur le Clergé.
Les médailles feront d'argent , à - peuprès
de la grandeur d'un écu de 6 liv, &
continueront d'être portées au côté gauche
par ceux ou celles qui les auront obtenues
. Celle de la bonne -fille repréfentera
214 MERCURE DE FRANCE .
la vertu publique qui couronne l'innocence
, fous la figure d'une jeune fille ,
avec cette exergue , la bonne-fille ; & au
revers , la mention de l'inftitution dans
une couronne de roſes , & tout autour dų
revers les noms de baptême & de famille
de la fille couronnée , le nom de la Paroiffe
, & la date de l'année , avec cette
autre exergue : His pietatis honos .
La médaille de la bonne - mère repréfentera
une femme qui allaite fes enfans ,
& deux autres enfans feront auprès d'elle ,
& un pélican qui s'ouvre le fein , avec
cette éxergue : la bonne - mère ; & le revers
femblable à la précédente , à la différence
près de l'exergue , qui fera : Maternum
pertentant gaudia pectus.
La médaille du bon vieillard repréſentera
la Déeffe de l'Agriculture , aflife fur
des gerbes , qui met fur la tête d'un vieillard
une couronne d'épis de bled , de feuil
les de chêne & de laurier , s'il a fervi le
Roi dans fa jeuneffe , avec l'exergue : le
bon vieillard; & le revers comme la première
, avec cette exergue : Dignum laude
fenem vetat mori.
La médaille du bon chef de famille repréfentera
un jeune homme foutenant
d'une main une femme âgée , & appli
JUIN. 1775 . 215
quant
de l'autre main un jeune garçon au
manche d'une charrue , avec l'exergue du
bon père de famille ; & au revers la même
mention qu'à la première médaille , avec
cette exergue : Colligit amor.
I I.
Je viens , Monfieur , de paffer quelques
jours à la campagne , aux environs
de Romainville . Un petit nombre de Citoyens
, probablement des Bourgeois de
Paris , fe raffemblent les Dimanches &
Fêtes pour s'amufer à tirer au blanc dans
un endroit de ce village. Ils ont voulu gratifier
les habitans & les rendre participans
de leurs plaifirs . Ils ont pour cet effet propofé
l'année dernière une dot de cent écus
pour la fille de Romainville , eftimée par
fes compagnes & par les notables , à la
pluralité des voix , la plus pieufe , la plus
modefte , la plus refpectueufe envers fes
parens , la plus laborieufe & la plus propre
, par fon efprit de fageffe & d'économie
, a former une digne mère de famille.
Son mariage doit fe faire au mois de Septembre
prochain , & elle doit être élue
dans une affemblée du 21 Mai. J'ai lu ces
jours derniers , à la porte de l'Eglife de
216 MERCURE DE FRANCE:
l'endroit où j'étois , l'affiche qui annonce
le jour de cette élection . Elle eft imprimée
au nom du Roi & de M. le Marquis
de Ségur , Seigneur de Romainville . Les
Citoyens dont il eft queftion , ont promis
de tenir fur les fonds de baptême le premier
enfant qui naîtroit du mariage dont
ils ont fourni la dot ; & Madame la Marquife
de Ségur , voulant entrer pour quel .
que chofe dans une fi belle oeuvre , a pro
mis la layette. J'ai cru devoir vous faire
part de ces détails , afin que dans le Mercure
yous les mettiez , fi vous le jugez à
propos, fous les yeux du public. Un pareil
exemple , imité de la Fête de la Roſe de
Salency , ne peut , en fe multipliant , que
tourner au profit des moeurs , & affurer
l'innocence & le bonheur des habitans des
campagnes.
ANECDOTES.
I.
UN Gentilhomme de Fiango , dans le
Japon , avoit une femme d'une rare
beauté , qui l'auroit peut - être long - temps
rendu
JUIN. 1775. 217
rendu heureux s'il avoit fu cacher qu'il
l'étoit . Son bonheur vint à la connoiffance
de l'Empereur , & il lui en coûta la
vie. L'Empereur voulut enfuite obliger
la veuve de venir demeurer dans fon palais
; elle lui en témoigna fa reconnoiffance
, & ne lui demanda que la grâce de
lui laiffer pleurer fon mari pendant trente
jours , & de régaler enfuite fes parens.
L'Empereur y confentit , & les trente
jours écoulés , il voulut être du feftin . Au
fortit de la table , la veuve s'approcha du
balcon de l'appartement , & delà fe jeta
par la fenêtre , pour mettre fon honneur
en sûreté , & pour fatisfaire à la fidélité
qu'elle avoit jurée à fon mari .
I I.
Mahmoud, Empereur des Turcs , fut
averti qu'unTurc de fes troupes avoit chaflé
un homme de fa maifon pour y jouir de fa
femme , de fes enfans & de fes biens ; il
fe rendit dans la maifon de cet homme
quand il fut que le Turc y étoit arrivé , il
entre , il fait éteindre les lumières , &
maffacre le coupable ; l'exécution faite , il
fait rallumer les flambleaux . Dès qu'il vit
le cadavre du coupable , il fe profterna
K
218 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre des actions de grâces à Dieu,
& fit dans ce lieu même un léger repas.
On ofa lui demander les raifons de fa conduire
: j'ai cru , répondit - il avec bonté ,
que l'auteur de ces infamies , ne pouvoit
être qu'un de mes enfans ; mais voulant
obferver une juſtice rigoureufe , & craignant
d'en être détourné par la tendrelle paternelle,
fi mon fils étoit expofé à ma vue,
j'ai voulu mettre les ténèbres entre lui &
moi. J'ai reconnu que le coupable étoit un
étranger , j'en ai rendu grâce au Ciel ; &
j'ai demandé à manger , parce que juſqu'alors
l'inquiétude ne m'avoit pas permis
de prendre aucune nourriture .
I I I.
Anciennement il n'y avoit point de
femmes fur le Théâtre de Londres ; le
Roi Charles II s'impatientant un jour
de ce que le fpectacle ne commençoit
pas , le Directeur vint s'excufer , en
difant que la Reine n'étoit pas encore
rafée.
I V.
On mande de *** , qu'un ancien Ingénieur
de l'Ile - de-France , qui s'ennuie
JUIN. 1775 .
219
de demeurer en France , fe difpoſe à
repartir pour cette Ile. Son intention eft
d'y paffer cinq à fix ans , pour voir s'il
y trouvera quelques refources - contre
cet engourdiffement de l'âme qui le farigue.
Si cet effai ne lui réuffit pas , il
compte revenir paffer en France le refte
de fes jours. Il a 85 ans.
V.
De tous les complimens que M. le
Berthon , Premier Préfident du Parlement
de Bordeaux a reçus à fon retour dans
cette ville , & les remercîmens les plus
gracieux & les plus fpirituels qu'il y a
faits , on en a diftingué un qui eft un
impromptu remarquable , & la réponfo
encore plus. De tous ceux qui s'empreffoient
de complimenter ce Magiftrat ,
perfonne ne l'approchoit fans lui préfenter
une branche de laurier ou de myrthe.
M. le Chevalier de Vigier , qui a fervi
long-temps , avec la plus grande diftinction
, dans le Régiment du Roi , Infanterie
, lui préfenta auffi une branche de
laurier , & lui dit en même temps :
Monfieur , elle est bien petite pour un
homme qui en a mérité de fi grandes.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. le Premier Préfident répondit : Il
eft vrai , Monfieur , qu'elle eft bien petite
pour une main qui en a tant moiffonné.
AVIS.
I.
LE fieur Hochereau , Libraire , Quai de Conti ,
vis à- vis les marches du Pont Neuf , ayant des
correfpondances sûres à Naples , donne avis aux
Amateurs , qu'il s'y eft procuré quelques exeinplaires
complets du précieux recueil d'Herculanum
, déjà porté à fept volumes , grand in folio
& beaucoup de tomes léparés , propres à completter
ce iecueil.
Il vendra chaque volume en feuilles 84 livres ,
& le recueil complet , compofé de fept volumes ,
560 livres ; mais comme la chereté d'un pareil
ouvrage le met dans le cas de s'aflurer du débit
pour y proportionner les achats , il prie les perfonnes
qui voudront bien l'honorer de leur confiance
, de lui donner , avec leurs noms & leurs
adrefles , leurs demandes bien circonftanciées , ne
fe propofant de n'en faire venir qu'au prorata des
ordres qu'il aura reçus & qu'il demande par écrit ,
avec la foumiffion de retirer chaque commiffion
qui lui aura été donnée fitôt qu'elle lui fera arrivée.
On peut être d'autant plus afluré de recevoir
des exemplaires bien conditionnés , qu'ils feront
JUIN. 1775 . 221
choifis par un habile Artiſte , & que le payement
n'en aura lieu qu'après que chacun fera convaincu
de la beauté des épreuves qui lui feront remiſes.
I I.
Effence royale & virginale du fieur Cattiné.
Cette Effence a été choisie pour l'ufage de Sa
Majefté , tant parce que MM . les Valets de Cham
bre du Roi l'ont décidée préférable à tout ce qui eſt
connu pour laver la barbe , que par rapport à les
propriétés pour la peau , qui ont été reconnues
par les examens de MM. les premier Médecin &
ceux de la Faculté de Paris , joint au long ufage
qu'en font les Seigneurs de la Cour ; elle fut aurorifée
par brevet du 24 Juillet 1769 , & elle fe
débite chez M. Lanfon , Diftillateur , Cour Saint
Martin-des- Champs , à Paris , où est le tableau.
Elle ne coûte pas plus que les bonnes favonnettes .
I I I.
Mademoiſelle Charpentier , enclos des Quinze
Vingts , la premiere boutique par la porte de la
rue S. Honoré , au Roi des Indes , vient de recevoir
un aflortiment de toile des Indes , comme
cirsakas , canadaris , dinouchay , fiftreçai , siftremençai
, sirsak , tépoife & autres . Elle tient toujoursdes
pékins , gourgourans , patifages , fatins ,
lampas , damas , belles perfes , angloifes , petites
toiles en or , toiles d'orange & autres ,
choirs des Indes de toutes façons.
& mou-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
VI
Le dépôt des porcelaines de la Manufacture
royale de Sève , qui étoit ci - devant au Palais
Marchand , eft actuellement chez le fieur Laval ,
Marchand Joaillier Bijoutier , à la Tabatière d'or,
rue St Honoré. Ce magafin eft composé des plus
belles pièces dans ce genre.
Il tient auffi un affortiment de bijouterie , qui
ne laifle rien à defirer , tant pour le choix que pour
le goût & les prix.
Il fait envoi dans la Province , & entreprend la
partie du diamant .
"V.
Nouvelle Pommade attractive du Sieur
Chaumont , Perruquier.
Cette pommade , dont l'odeur eft très agréa
ble , a la propriété de faire tenir les toupets poftiches
fur la tête , lans aucun inconvénient , de
manière qu'ils imitent fiparfaitement la naiflance
des cheveux , qu'ils font allufion à la chevelure la
mieux plantée : on s'en fert auffi avec fuccès pour
les perruques fujettes à reculer & à fe déranger.
Comme elle a une couleur de chair , qu'elle
s'étend facilement & ne fond point , elle a l'avan
tage d'effacer fur le front le bord des Perruques ,
telle épaifleur qu'elles aient.
Pour le fervir de cette pommade , il faut l'étendre
légèrement par derrière le premier rang de
JUIN. 1775 . 223
cheveux du bord de la perruque , les avancer un
peu fur le front , en les relevant obliquement fur
eux-mêmes ; ce qui formera une bordure en cheveux
adhérante à la peau , auffi fine qu'on pourra
la defirer ; elle fe vend 30 fols l'once. Les bâtons
font de deux onces chacun .
L'on trouvera chez l'Auteur l'indication de fon
Burcau de diftribution .
Il demeure rue des Poulies , à droite , en entrant
par la rue St Honoré .
ARRÊTS.
I.
ARRET du Confeil d'Etat du Roi du 7 , qui
cafle les Ordonnances des Officiers de la Sénéchauffée
& Lieutenans - Généraux de Police de la
Rochelle des 9 & 10 Mars dernier. La première
en ce qu'elle ordonne la vifite des grains venant
de l'étranger ; & la feconde , en ce qu'elle en fulpend
la vente , fous le prétexte qu'ils font avariés :
fe réfervant Sa Majefté de ftatuer fur les dommages
& intérêts qui peuvent ou pourront être
dûs par lefdits Juges de Police aux Négocians
auxquels lefdits grains appartiennent .
I L
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 22 , qui
fufpend à Dijon , Beaune , Saint- Jean - de-Lône &
Kiv
124 MERCURE DE FRANCE.
Montbard , la perception des droits fur les grains
& farines , tant à l'entrée defdites Villes que dans
les Marchés-
II I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 24 , qui
en renouvelant les défenfes à toutes perfoones
notamment aux Juges de Police ,
à tous les Offi
ciers , &c. de mettre aucun obftacle à la libre
circulation des grains & farines de Province à
Province , accorde à ceux qui feront venir des
grains de l'étranger dans le Royaume , une gratification
de 18 . par quintal de froment , & de
12 1. par quintal de feigle.
IV.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 23 Avril
dernier , qui exempte de tous droits d'entrée dans
Je Royaume , les livres imprimés ou gravés , foit
en françois , foit en latin , reliés on non reliés ,
vieux ou neufs , venant de l'étranger.
2
NOUVELLES POLITIQUES.
D'Athenes , le 20 Février 1775 •
CENT-CING
¿ENT - CINQUANTE Grecs de la Morée ont fait
une defcente dans l'Ifle d'Egina le 2 de ce mois , &
yont commis toutes les horreurs du brigandage
le plus décidé.
JUI N. 1775. 225
Du Caire , le 21 Février 1775-
Méhemet Bey , inftruit que les Anglois avoient
des lettres à lui remettre de la part du Gouverneur
de Bombay , vient de charger le Douanier
de lui préfenter ces Etrangers & d'avoir pour eux
toute forte d'égards . Le Gouvernement d'Egypte
eſt très - diſpoſe à favorifer le commerce des Indes
par la Mer Rouge , & à y attirer les Navigateurs
Européens qui pourroient y faire un cabotage
utile. Ils doivent ces difpofitions à la connoillance
qu'on a de leur expérience & de l'ignorance des
Mariniers du pays.
De Rome, le 22 Mars 1775•
Les fouilles faites depuis peu à Tivoli , one
procuré des découvertes précieufes pour les Amateurs
de l'antiquité & des arts. On a trouvé différentes
ftatues de grandeur naturelle , d'un travail
achevé ; entr'autres une figure en pied repréfentant
Apollon touchant de fa lyre ; une autre
repréfentant Thalie couronnée de lierre , & portant
une houlette & un mafque ; une Melpomène
avec un mafque tragique & la couronne de Bacchus
, & une Polymnie enveloppée d'une draperie
& couronnée de fleurs . Parmi les autres morceaux
curieux trouvés en cet endroit , où l'on
croit que la maiſon de campagne de Caffius étoit
fituée , on remarque fur- tout un tableau en mofaïque
, très- bien confervé. Ce tableau repréſente
une barque fur le Nil , pourfuivie par une hippopotame
& par un crocodile. On voit dans la barque
un grand nombre de figures , & entr'autres
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Matelot qui défend , avec un trident , fon bâtiment
contre la fureur de ces animaux.
On vient de découvrir , en dehors de la Porte
Majeure , un monument précieux de l'antiquité,
C'est une tête de marbre que l'on croit être celle de
l'Empereur Vitellius.
De Livourne , le 12 Avril 17756 ·
Le peu de fuccès du Roi de Maroc devant
Mélle , & les forces confidérables que le Roi
d'Espagne raflemble , ont répandu la confternation
parmi les Etats Barbarefques & particulièrement
à Alger. Quelques gens prétendent que ces
Puiflances immolent leurs querelles particulières
à la crainte générale , & qu'elles ont conclu entr'elles
une alliance offenfive & défenfive , pour
être plus en état de faire tête aux Elpagnols .
Mais cette nouvelle paroît moins avérée que la
déclaration de guerre du Roi de Maroc aux Algériens.
Des Frontières de la Ruffie , le 16 Avril
1775.
Des lettres de Cafan parlent d'un foulevement
arrivé au pays des Baskirs. On prétend qu'ils ont
voulu , à l'exemple des Tartares de Barabinskoy,
s'affranchir du tribut qu'ils paient depuis deux
fiècles aux Souverains de Ruffie . Ils ont chaílé
les Receveurs de ce tribut , tué ou maltraité des
Popes qui leur avoient été envoyés pour travailler
à leur converfion , & placé leurs Idoles &
les images du grand Lama dans les Chapelles
ambulantes que les Prêtres Rufes avoient établies
JUI N. 1775. 227
au milieu de leurs Hordes. Ces Peuples font voi
fins d'une Nation Tartare qui reconnoît l'Empire
du Dey - Lama , & de celle des Calmouks
Usbeks. Le Gouvernement prend des mesures
les faire rentrer dans l'ordre.
De Vienne , le 15 Avril 1775 .
pour
L'attroupement des payfans de la Bohême eft
diffipé tous les mutins font rentrés dans le
devoir. On a publié un pardon général & on
attend une nouvelle Ordonnance qui doit fixer à
trois jours par femaine les corvées de ces Paylans
pour leurs Seigneurs.
On vient de défendre aux foldats la poudre & la
frifure. Les cheveux des faces feront renfermés
déformais dans la queue.
De Londres , le 20 Avril 1775 .
Un Vaiffeau arrivé de la Guinée a apporté , diton
, la nouvelle que les Foulis , Peuples defcenda
des Arabes , avoit paru depuis peu en grand nombres
fur les bords de la rivière de Gambie, & qu'ils
avoient commis plufieurs actes d'hoftilité contre
les Anglois. Ces nouvelles ajoutent que ce Peuple,
Mahoméran rigide , eft très - puiflant & très-intruit
des avantages de la traite de l'or , de l'ivoire
& des Efclaves , & que fa bravoure peut nous
caufer de grands embarras fur cetre côte .
Le Congrès provincial , aflemblé à Concord ,
dans la baie de Maßachufert , a fait , le 24.
Mars , un arrêté pour recommander aux Peuples
de redoubler leurs efforts & leur réſiſtance ·
1
K vj
128 MERCURE DE FRANCE.
contre les entreprifes de l'ennemi commun , quefque
rifque qu'il y eût à courir. Cet arrêté eft figué
de J. Hamock , Préfident , & du Secrétaire de l'Affemblée.
On affure que trois des Régimens qui viennent
de s'embarquer , ont ordre de fe rendre à Philadelphie
, ou doit fe tenir le Congrès généralindiqué
au 10 Mai.
Vingt-quatre bâtimens de tranſport , chargés
de Troupes pour le camp de Bofton , font partis
de Corck ( en Irlande ) le 28 Avril.
On apprend que la Province de la Nouvelle-
Yorck envoie des Délégués au Congrès de Philadelphie.
On ajoute que dans le Comté de Cum
berland, colonie de cette Province , les Infurgens ,
au nombre de cinq cents , peu fatisfaits de leurs
Magiftrats , les ont enlevés , & l'indécifion du
genre de mort qu'ils leurs feroient fubir a fauvé
leurs jours , en donnant le temps aux Habitans de
la Nouvelle - Hampshire de s'emparer de cesJuges
qu'ils ont conduits dans leurs prifons . On ne laifle
traverser le Comté de Cumberland par aucun
voyageur fans un pafle - port figné du Comité . De
tous les Officiers de Juftice , ils n'en ont confervé
deux , dont ils ont reftreint les fonctions à la
feule connoiffance des affaires criminelles .
que
De la Haye , le 28 Avril 1775.
Le Docteur Plenicz , de Vienne en Autriche ,
connu par plufieurs Ouvrages , a remis , avec la
permiffion de l'Impératrice- Reine , aux Miniftres
de Hollande & d'Angleterre , un fecret de fon
invention pour la confervation des bois , avant
JUIN. 1775 . 229
après l'emploi qu'on en fait dans la Marine .
Oa doit conftater la réalité & l'importance de
cette découverte par des épreuves faites avec
foin dans les Ports où les bois font le plus expofés
à fe détériorer.
On a reçu à Amfterdam des lettres de Modagor
, en date des 16 & 17 Mars , fuivant lefquelles
l'Empereur de Maroc venoit de faire publier
qu'aucun Vaifleau n'approchât de fes Ports avant
le lever ni après le coucher du ſoleil , fous
peine de payer 1000 pièces de huit , indépendamment
des fuites fâcheufes auxquelles ces
vaiffeaux pourroient être expolés en contrevenant
à la défenſe.
De Paris , le 12 Mai 1775.
Les mêmes brigands qui avoient enlevé le
Bled , la farine , le pain à Pontoile , à Saint-
Germain , à Verfailles , font venus ici piller la
Halle au pain , les différens marchés & les Boulangers
; ils fe font enfuite répandus dans les Villes
, Bourgs , Villages qui avoifinert la Capitale.
Ce n'eft pas le befoin qui a porté ces malheureux
à ces excès . Ils ne manquent ni de pain , ni d'argent.
Ils laiffent même de l'or dans les lieux où ils
fixent les bleds & le pain au- deffous de leur valeur.
Il est évident qu'ils n'ont d'autre but que de dé
pouiller les Propriétaires , de ruiner les Fermiers
& les Laboureurs, & d'anéantir la fubfiftance
qu'ils jettent & qu'ils difperfent. Le Gouvernement
a pris de juftes mefures pour rétablir la
tranquillité ; les malfaiteurs font actuellement
pourfuivis fans relâche . L'excès du défordre a
forcé d'aurorifer les Troupes à repouffer la vio
130 MERCURE DE FRANCE.
lence par la force , & l'on fera une punition
prompte & exemplaire de ceux qui feront arrê
tés.
Les brigands qui courent les Villes & les campagnes
pour enlever & détruire la fubfiſtance du
Peuple , s'étant rendus à Mery - fur- Oife , y ont
pillé un bateau de bled , & ont excité les Habitans
du lieu à fe joindre à eux & à voler le grain.
Le Curé , par un prône touchant & par les exhortations
qu'il a faites dans tous les Hameaux où il
s'eft tranfporté , a déterminé tous les Paroiffiens
à rendre ce qu'ils avoient pris , tant en bled qu'en
farine , ce qui a été complettement exécuté Le
Roi , informé de la conduite qu'a tenue ce Curé ,
lui a fait aflarer une penfion de 1200 liv . fur le
premier bénéfice qui viendroit à vacquer.
Les reftitutions qui ont commencé par Méry ,
fe font étendues : il s'en fait journellement de
tous côtés , loit en nature , foit en argent. Le
Roi a fait publier un ban par lequel il fait grâce
à tous ceux qui n'étant ni les chefs , ni les inftigateurs
du délordre , ont été entraînés dans les
attroupemens par l'exemple & la féduction , à
condition qu'ils reftitueront en nature ou en ar
gent , les grains , farines & pains qu'ils auront
pillés , ou qu'ils fe feront fait donner au- deffous
du prix courant .
fa
Sidi Abdhraman Bediri Aga , Envoyé du Pacha
& de la Régence de Tripoly de Barbarie , eft
arrivé à Paris : il a eu , le 17 de ce mois ,
mière audience du fieur de Sartine , Secrétaire
d'Etat ayant le département de la Marine.
preJUI
N. 1775. 231
PRESENTATIONS.
Le 30 Avril , la Marquise de Coigny & la
Comtefle de Chapt ont eu l'honneur d'être préfentées
au Roi & à la Famille Royale , la première
par la Comtefle de Coigny , & la feconde
par la Comtefle de Raftignac.
I Le Mai , le Marquis de Segur , Chevalier de
l'Ordre du Roi , a eu l'honneur de faire fes remercimens
à Sa Majeſté , en qualité de Commandant
de la Franche - Comté ; & il a été préſenté,
en la même qualité , à la Reine & à la Famille
Royale.
Le 7 Mai , les Députés des Etats d'Artois ont
eu audience du Roi , auquel ils ont été préſentés
par le Marquis de Levis , Gouverneur de la Province
, Lieutenant Général des armées du Roi &
Capitaine des Gardes de Monfieur ; & par le Maréchal
du Muy , Miniftre & Sécretaire d'Etat ,
ayant le département de la guerre. Ils ont été
conduits à cette audience par le Marquis de Dreux,
Grand Maître de cérémonies , & par le fieur de
Watronville , Aide des cérémonies . La députatien
étoit compofée , pour le Clergé , de l'Evêque
de Saint Omer , nommé à l'Archevêché de Tours,
qui portoit la parole ; pour la Noblefle , da
Marquis d'Aouft , & pour le Tiers - Etat , de
fieut Brunet , Ecuyer , ancien Confeiller- Penfionnaire
de la ville & cité d'Arras.
La marquife de Barbançois , la comtefle d'Ecquevilly
, la marquife de Goulet & la marquife
232 MERCURE DE FRANCE.
de Valanglard ont eu l'honneur d'être préfen
tées , le 7 mai , à leurs Majeftés & à la Familleroyale
; la première , par la marquife de Turpin ;
la feconde , par la marquile d'Ecquevilly ; la
troifième , par la Princefle de Beauveau ; & la
quatrième , par la Princeffe de Guiftel .
+
Le 9 Mai , le duc Charles- Augufte de Saxe-
Weymar -Eilenack, & le prince Frédéric- Ferdinand
, fon frère , qui voyagent fous le nom de
comtes d'Alftede, prirent congé de Leurs Majeltés
& de la Famille Royale , étant préfentés par
le comte de Mercy , amballadeur de Leurs Majef
tés Impériales & Royale en cette cour ; & conduits
par le fieur la Live de la Briche , introducteur
, & le fieur de Séqueville , fecrétaire ordinaire
du Roi à la conduite des ambaſſadeurs ,
qui précédoit.
Le 14 mai , le fieur Albert , lieutenant-général
de Police de Paris , a eu l'honneur d'être préſenté
en cette qualité au Roi, par le duc de la Vrillière ,
miniftre & Secrétaire d'Etat.
La marquife de Choifeul a eu l'honneur d'être
préfentée , le 14 mai , à Leurs Majeſtés & à la
Famille royale , par la Marquife de Choifeul ,
Douairière.
Le 21 mai , la comteffe de Turenne a eu l'honneur
d'être préfentée à leurs Majeſtés , ainſi qu'à
la Famille royale , par la vicomtefle de Noailles.
Le 18 du mois d'avril dernier , le vicomte de
Villereau , officier au régiment des Gardes - Françoiſes
, a eu l'honneur d'être préſenté à Leurs
Majeftés & à la Famille royale.
L'on répéte ici cette préfentation , parce qu'au
dernier Mercure , dans lequel elle a été inférée,
JUI N. 1775 . 233
l'on avoit mis le vicomte de Villerau , au lieu
qu'il faut lire de Villereau .
NOMINATIONS.
Sa Majefté a accordé l'Abbaye de Haute-Fontaine
, ordre de Citeaux , diocèle de Châlons - fur-
Marne , à l'abbé Berthelot , inftituteur des enfans
de France.
Sa Majesté a accordé la place de commandeur ,
vacante dans l'ordre de Saint- Louis par la mort
du marquis de Broc , au comte de Gayon , lieutenant
-général des armées du Roi.
Le Geur le Noir ayant remis au Roi la démiffion
de la place de lieutenant-général de police
de Paris , Sa Majesté a nommé à cette place le
fieur Albert , ci - devant confeiller au Parlement,
& intendant du Commerce..
Le Roi a auffi donné au fieur la Garenne ,
fergent- major au Régiment des Gardes- Françoifes
, une commiffion pour commander la Garde
de Paris & le Guer à pied .
Le Roi a difpofé de la place de commandeur ,
vacante dans l'Ordre de Saint Louis › pat la
mort du fieur de la Graulet , en faveur du fienr
de la Merville , maréchal de camp , lieutenant
de Sa Majesté à Lille.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre
au maréchal de Nicolay.
Le Roi a nommé aux places vacantes dans
la chappelle de Madame Adelaïde > & fur la
234 MERCURE DE FRANCE.
préfentation de cette Princeffe : 1. à la place de
chapelain , fur la démiffion de l'abbé de Pertuis
, l'abbé de Lucy , clerc de Chapelle ordinaire'
: 2º. à la place de clerc ordinaire de Chapelle
ordinaire , l'abbé Rollet , chapelain de
quartier: 3 ° . à la place de chapelain de quartier
, l'abbé Baranchon , clerc de chapelle de
quartier : 4° . à la place de clerc de chapelle de
quartier , l'abbé Raulin , docteur de Sorbonne ,
chanoine de Périgueux.
Le 18 Mai , le Roi a nommé caudataire de
Sa Majesté pour porter la queue de fon manteau
à la cérémonie de la réception de grand
maître de l'Ordre du Saint - Efprit , qui fe fera à
Reims le furlendemain de fon facre , le vicomte
de Talaru , premier maître d'hôtel de la
Reine.
MARIAGES .
Le 30 Avril , le Roi & la Famille Royale ont
figné le contrat de inariage du marquis de Lou
vois , lieutenant général du Royaume de Navarre
, & Pays de Béarn avec la baronne de
Huffel , née Vriéfen .
·
Le 7 Mai , le Roi figna , ainfi que la Famille
Royale , le contrat de mariage du marquis de
Tragin , avec Demoiſelle Blondel d'Azincourt ,
& celui du marquis de Folleville , capitaine au
Régiment de Bourbon , cavalerie , avec Demoifelle
de Buffy. ,
Le 21 Mai , le Roi , la Reine & la Famille
JUIN. 1775 . 235
avec
Royale ont figné le contrat de mariage du marquis
de Saint Hermines , gentilhomme d'honneur
de monfeigneur le comte d'Artois ,
Demoitelle de Polignac ; celui du comte de la
Farre , aide- major de la Gendarmerie , avec Demoifelle
de Caramant ; celui du comte de Vauban
, lieutenant de Roi de la province de Franche-
Comté , avec Demoiſelle de Barbantane , &
celui du comte de Folieres , meftre - de camp de
Dragons , avec Demoiselle de Gleon .
NAISSANCES.
La princefle Caroline , foeur du Stathouder ,
époufe du prince de Nalau - Weilbourg , eft ac
couchée d'un fils , le premier Mai , à Kirckeim .
La nommée Jeanne Boucher , femine de Jean-
Charles Innocent Carmin , foldat au Régiment
des Gardes Suitles du Roi , eft accouchée , le 13
Mai , de trois garçons , qui fe portent bien.
BAP.TÊ ME.
Le Jeudi 4 Mai , la Reine , repréſentée par
Madame la maréchale de Mouchi , & mon (eigneur
le comte d'Artois , repréſenté par M. le
comte de Bourbon Buffet , ont fait l'honneur
aux fieur & dame Gretry de tenir leur fille fur
les fonts de baptême , dans l'Eglife de Notre-
Dame de Vertailles ; elle a été nommée Antoinette-
Charlotte-Philippine.
236 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Le 27 Avril 1775 , très-haut & très- puiffant
Seigneur , Monfeigneur Charles - Frédéric de la
Tour-du-Pin de Bourlon , marquis de Gouver
net , vicomte de Calvinac , baron d'Aix , Seigneur
de Chaunac , Auberive , Laudfer , Senevienes
, & autres places , gouverneur de Mon
telimart , fénéchal de Diois & Valantinois
eft mort âgé de 80 ans & demi , étant né le 7
Novembre 1694. Il étoit le chef de la Mailon
de la Tour -du-Pin Bourlon ; en lui s'éteint la
branche aînée de cette Maifon , n'ayant eu que
trois foeurs mariées , l'aînée , dont la postérité
eft éteinte avec le Marquis de Cruflol Monfales
; la feconde mariée avec le marquis de Vegnes
; elle a laiflé un fils reçu chevalier de Malthe
, & marié avec Mademoiſelle de Maugiron ;
la troisième mariée avec le marquis de Miramond
, dont il y a trois fils , l'aîné mariée avec
Mademoiſelle de Sanfac ; le fecond vicaire- général
d'Autun ; le troisième Chevalier de Malthe
, & officier aux Gardes- Françoiſes.
Anne Coujard fille , eft décédée le 19
Avril , en la ville de Château Chinon , âgée de
cent ans. Elle a conſervé juſqu'au dernier moment
la mémoire la plus heureuſe , & peu de
jours avant la mort , elle lifoit encore avec facilité
.
Le fieur de la Graulet , brigadier des armées
du Roi , commandeur de l'Ordre de Saint Louis ,
lieutenant pour Sa Majefté du Château - Trom
pette , eft mort à Bordeaux le 25 Avril.
JUI N. 1775 . 23.7
Pierre Antoine Rome , abbé commandataire
de l'Abbaye d'Autrai , eft mort à Paris le 2 Mai,
âgé de foixante trois ans.
Luc-François de Laurencin , chevalier baron
de Chanzé , feigneur dudit lieu , y eft mort dans
fa quatre-vingt- quinzième année.
Anne-Elifabeth Amiot , veuve du fieur Motin
, marchand à Bourg- en- Brefle , y eft morte
le 4 Mai , dans la cent- deuxième année de fon
âge. Il n'y a pas plus de fix mois qu'elle avoit
fait cinq lieues à pied dans le même jour.
La Reine de Danemarck , Caroline- Malthilde ,
foeur du Roi d'Angleterre , eft morte le 10 Mai
à Zell , dans l'Electorat de Hanovre dans fa
vingt-quatrième année.
>
La Comtefle de Périgord , dame d'honneur
de Mefdames Victoire & Sophie eft morte à
Verfailles le 22 Mai.
LOTERIE S.
Le cent foixante- treizième tirage de la Loterie
de l'Hôtel- de - Ville s'eſt fait , le 26 du mois
de Mai , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv . eft échu au No. 16136. Celui
de vingt mille livres au N° . 11182 , & les deux
de dix mille , aux numéros 11200 & 11589.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le 5 Mai . Les numéros fortis de
la roue de fortune font 15 , 4. 12 , 37 , 39. Le
*prochain tirage le fera les Juin.
238 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe, pages
Epître d'une jeune Religieufe à fa Soeur ,
Le retour du printemps ,
Les Oiseaux ,
ibid.
13
14
19
20
21
Vers de Claudien appliqués au mariage de Mde
Clotilde ,
Impromptu à Mad. la Comtefle de Clary.
Epigramme ,
L'Amour tel qu'il eft ,
L'Amour chez les deux fexes ,
Grande Vérité ,
Sur M. *** ,
Quels fentimens !
ibid.
22
ibid.
23
ibid.
Grand principe,
Epître fur le Bonheur ,
24
ibid.
29
30
Vers pour mettre au bas du portrait de M. Ri-
50
ibid.
52
བྷཱམྦཱ ཏྠཱ ཡཙྪཱ ཡྻཱ ॰ , ཝོ ཡཝཾ ཡདེ ཝཝཾ R
L'Officier prévoyant,
Rofélie , conte ,
goley deJuvigny ,
Le Ver luifant & le Roffignol , fable.
Epitaphe du Marquis de L...
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Menuet des Nymphes de Diane ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
De la connoiffance de l'Homme ,
Sageffe de Louis XVI ,
Les confidences d'une jolie femme ,
53
57
58
66
ibid.
76
JUIN. 1775 . 239
Recherches critiques ,,hiftoriques , fur la ville
de Paris ,
L'ame d'un bon Roi ,
Tablettes aftronomiques ,
88
90
91
92
95
96
ibid.
97
Principes fondamentaux de la conftruction des
places ,
Avis au peuple fur fon premier befoin ,
Liberté du commerce & de l'induftric ,
Journal de Littérature ,
Diction, portatif , théologique , & c.
Inftructions chrétiennes ,
Traité économique & phyfique des Oiseaux
de balle - cour ,
Avis aux mères qui veulent nourrir leurs enfans
,
ΙΟΙ
102
105
Difcours prononcés dans l'Acad. Françoile , 107
Eloge de Louis le Bien - Aimé ,
Monfieur Caflandre ,
128
133
Théâtre de Campagne ,
de Shakespeare ,
Banquiers ,
Manuel Militaire ,
147
150
Réflexions fur les avantages de la Gazette des
Journal des caufes célèbres ,
Mon dernier mot ,
Annonces ,
152
153
ibid.
155
159
Académie Françoile ,
164
SPECTACLES. 166
Concert Spirituel ,
ibid.
Opéra , 167
Comédie Françoiſe
Comédie Italienne
181
182
ARTS.
136
Gravures , ibid.
Sculpture , 190
240 MERCURE DE FRANCE:
Mufique.
Vers pour mettre au bas du portrait de M.
Turgot ,
Lettre à M. Lacombe ,
193
195 i
ibid.
Lettre à M. de Voltaire , 196
Réponse de M. de Voltaire , 197
Lettre à M. l'Abbé *** , 198
Copie de la lettre du Roi envoyée aux Evêques
, 203
Inftruction , 204
Variétés , inventions , &c. 209
Lettre à M. Lacombe , 21X
Bienfaisance,
22
Anecdotes. 216
Avis ,
220
Arrêts , 223
Nouvelles politiques ;
224
Préſentations , 231
Nominations , 233
Mariages ,
234
Naillances , Baptême ,
235
Morts ,
236
Loteries , 237
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
le Volume du Mercure du mois de Juin 1775 »
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion.
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3 L.
MERCURE
DE FRANCE
MA I ,
1775 .
THEQUE
BIBLIO
DE
LA
TILLE
LYON
*
1893 *
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SENTIMENS de repentir qu'adreffe à
Dieu un Philofophe libertin , dans un
état defouffrance.
Toi qui nous fais naître & mourir ,
Maître abfolu de la nature ,
Témoin des tourmens que j'endure ,
Grand Dieu , daigne me fecourir.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Lejour ne m'offre plus que des clartés funèbres ;
Mais puifque ton divin flambeau
Vient de mon coeur féduit diffiper les ténèbres ,
Qu'il me guide vers le tombeau .
Quand j'eus perdu mon innocence ,
Lorfque le monde enivroit mes defirs
Du vain éclat de la magnificence
Er du poifon de fes plaiſirs ;
Pour m'étourdir fur ma licence
Je ne ceffois d'avoir recours ,
Et de livrer ma confiance
9.
A ces Oracles de nos jours ,
Organes de l'erreur & de la fuffifance ,
Qui de clincant parant leur arrogance ,
Et du fophifme occupant les détours ,
Lancent leurs traits impurs contre ton exiſtence.
Alors mon pauvre efprit fier de fon ignorance ,
D'un abſurde ſyſtême accréditoit le cours ,
Et rejetoit ton évidence .
L'intérêt de mes fens dictoit feul ma croyances
Et grâce à mon puiflant fecours ,
J'empoifonnois tous mes difcours
De ma facrilége démence.
Je maudiflois le joug de toute autorité ,
Et donnois à mon coeur un pouvoir despotique.
Apôtre de la liberté ,
De mon impudence cynique
Je tirois même vanité ;
MAI. 1775 .
Et je cherchois un bonheur fantaftique
Dans le fein de la volupté.
L'ordre de l'Univers , fa régularité ,
Sa fplendeur , image authentique
De ton pouvoir , de ton immenfité ,
Loin de me pénétrer de ta divinité ,
Par fon ípectacle magnifique ,
Confirmoient ma fécurité ,
Excitoient ma témérité ;
De mon orgueil philoſophique
Entretenoient l'activité ;
De la raifon dont un Sage f: pique
Dégradoient la fublimité ,
Et n'offroient à mon oeil phyfique
Qu'un tout indépendant de toute volonté ,
Mu fans deflein par fa force énergique ,
Et l'effet éternel de la nécefité.
Ainfi toujours coupable & toujours emporté
Par mon délire phrénétique ,
J'ofois donner le nom de politique
A ton augufte vérité ;
Je renonçois à l'immortalité ,
Et mon plaifir préfent étoit mon bien unique.
Pour étayer ce dogme féducteur ,
De ma raifon la lumiere incertaine ,
Venoit fe joindre à la voix de mon coeur;
Et je me figurois fans peine
A ir
8 MERCURE DE FRANCE.
Qu'on ne pouvoit fe faire honneur ,
Et s'illuftrer , parmi l'efpèce humaine ,
Qu'en méconnoiflant fon auteur.
Sois moins mon juge que mon pere ,
Dieu puiflant , fur mon fort fais tomber tes regards
;
Vois mes pleurs ; & ſenſible à ma douleur amere ,
Reçois ici l'aveu fincere
De nies forfaits , de mes écarts.
Oui , fans remords & fans inquiétude ,
(Que ne puis je le dire au pied de tes autels ! )
La plus conftante ingratitude
Exerça tes foins paternels ;
Des plaifirs les plus criminels
Mes fens formerent l'habitude ,
Et jamais des biens éternels
Mon coeur ne fit la moindre étude.
Mais las enfin d'être outragé ,
Tu crus devoir lâcher le poids de ta colere ;
Je gémis des malheurs où je me fuis plongé ;
J'ai reçu mon digne falaire ,
Mes plaifirs mêmes t'on vengé.
Je te bénis pour le mal qui m'accable ;
Enfin j'ouvre les yeux , & j'adore ta loi ;
Tel pécheur endurci peut fouffrir moins que moi ,
Mais fon fort eft plus déplorable.
C'eft ainfi , Dieu Sauveur , digne objet de ma foi ,
MA I. 1775 .
Que ta main , toujours adorable ,
S'appéfantit fur nous pour nous mener vers toi.
Sois moi toujours auffi propice ;
Par les maux que je fens confirme mon eſpoir ;
Le repentir , l'amour & le devoir
T'en offrent l'humble facrifice ,
Grand Dieu , daigne le recevoir ;
Et que ton fouverain pouvoir
Remette à ta bonté les droits de ta juftice.
Quoniam ego in flagella paratus fum.
VERS adreffés à un jeune Epicurien de
vingt-deux ans , avec lequel je me trouvois
à l'inftant qu'expiroit un de fes
Amis , âgé de trente fix ans.
VOILA donc ce Damis , que le pauvre étonné
Nommoit du titre faux de riche fortuné ?
Un moment a détruit ce chef d'oeuvre admirable ,
Cet animal penfant , cet homme , mon ſemblable.
Sibarite opulent , toi , que la volupté
Fait courir à la mort d'un pas précipité ,
Vois comme on meurt , & crains : la foudre eft fur
ta tête ;
Peut-être pourrois -tu , plus fage & plus prudent ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Ralentir du fufeau l'éternel mouvement ;
Parun retour heureux éloigne la tempête...
Ton âge t'enhardit ? Jeune présomptueux ,
L'Etre qui de tout temps régla nos deſtinées ,
A-t-il dit à la Mort de compter nos années ?
Non , lorsqu'il faut mourir on eft toujours trop
vieux.
Hé ! que nous ferviroit une efpérance vaine !
A tout âge , en tout lieu , notre fin eft certaine :
La vie eft un préfent que chacun , à ſon tour ,
Ou donne , ou doit donner , mais qu'il doit rendre
un jour.
Les Rois , ces demi - Dieux que l'intérêt adore ,
Tous ces finges des Rois , que la baſſeſſe honore ,
Les Grands fi révérés , & ſouvent fi petits ,
A cet arrêt facré font tous affujettis.
La Mort qui , fans pitié , poite par tout fa rage ,
Frappe d'un coup égal le méchant & le fage :
Tout meurt ; mais l'honnête homme a du moins ,
en mourant ,
De l'emploi de les jours le tableau confolant ;
Il voit la vérité , qu'il a toujours chérie ,
Au livre des vertus écrire fes bienfaits ,
Et le dénombrement des heureux qu'il a faits.
Se concentrant alors dans fa philoſophie ,
Impaffible & ferein jufqu'au dernier moment ,
Il dit ,je vais dormir , & meurt tranquillement.
MA I. 1775.
IF
LE CHENE & LE POURCEAU.
Fable.
Au pied d'un Chêne fuperbe
Dom Pourceau , toujours grognant ;
S'en alloit toujours grugeant
Le gland qui tomboit fur l'herbe.
Etonné de cette humeur
Du Difciple d'Epicure ,
Notre Chêne , avec douceur ,
Lui dit : Animal grondeur ,
En prenant ta nourriture ,
Au moins à ton bienfaiteur
Daigne épargner le murmure.
A ce portrait , vils ingrats ,
Vous avez baillé la tête :
Je ne fais ce qui m'arrête •
Mais je ne vous nomme pas ,
Quoique ma lifte foit prête.
Par M. Bret.
À
vj
12 MERCURE DE FRANCE.
A Monfieur PERRONNET.
LESES Elèves des Ponts & Chauffées 9
voulant confacrer leur reconnoiffance envers
M. Perronnet , par un monument
durable , ont cru devoir placer fon buſte
dans leur Ecole , & lui en ont demandé
la permiffion par les vers fuivans :
O toi qui de Minerve illuftres la carriere ,
Permets que fes enfans , marchant à ta lumiere ,
De tes traits refpectés embelliflent ces lieux ;
Et que fans cefle ton image,
Pour recevoir leur tendre hommage ,
Comme elle eft dans leur coeur , ſoit préfente à
leurs yeux.
Ayant obtenu cette permiffion , ces
Meffieurs ont mis au bas du bufte le
quatrain qu'on va lire , & qui caractériſe
l'Artiste célèbre à qui ce jufte hommage
eft rendu .
Marchant au flambeau du génie ,
Dont il offre à nos yeux la fublime candeur ,
Il aflure aux François la gloire réunie
fes talens , des vertus par fon coeur.
Des arts par
MAI.
1775. 13
VERS à M. Trinqueffe fur le Portrait ,
entre- autres , qu'il a fait de Madame
Le C ***.
DEE ton pinceau j'admire la magie ;
La vérité guide les traits :
Tu joins dans tes tableaux la grâce à l'énergie ;
L'âme eft infule en tes portraits.
Quelle tichefle en leur fimple ordonnance !
Tout s'y rencontre , accord des ombres & des
clairs ,
Diſtinction des plans , perſpective , diſtance ,
Etoffes dont l'éclat n'eſt point nuiſible aux chairs .
Sous ces légeres draperies
Mes yeux charmés , fuivent le nu ;
Parmi ces figures chéries
Une fur-tout frappe mon coeur ému ;
Quelle fraîcheur ! quelle nobleffe !
Quel regard à la fois fage & voluptueux !
Je crois que c'eft une Déefle ,
J'approche & reconnois l'aimable le C ***.
Son Serin qu'elle attire , & non la mélodie *
* Cette Dame eft repréfentée jouant de la feri-
Rette.
14 MERCURE DE FRANCE .
Sur fon épaule a bien ſu ſe poſer ;
Bec ouvert , il s'élance , avide de baifer
Le coin d'une levre fleurie ,
Qu'à ces defirs on ne diſpute pas ...
Quelle tête ! quel corps ! & la jambe ! & le bras !
Comme tourne ce fein ! la main , comme elle eft
faite !
Quelle fouplefle dans les doigts !
Ne vous femble-t- il point ouir la ferinette ?
Le tendre enfant que j'apperçois ,
D'Hercule en arc doit courber la maſſue ,
Sans nul effort , puiſque c'eſt à la vue * .
Moi même , je ne puis la contempler envain :
Ce raviflant objet m'anime , m'encourage ;
Et fi je ne craignois de gâter ton ouvrage ,
Ami , j'y mettrois ce quatrain .
« Beauté fans artifice eft fon moindre avantage ,
» Talens & modeftie afluient fon pouvoir.
» Son Sexe lui pardonne un ſi rare partage :
Il eft doux de l'entendre autant que de la voir ».
Par M. Guichard.
* Quelques cartons à fes pieds annoncent
qu'elle vient de deffiner d'après l'Amour de Bouchardon
, qui cft dans le fond du tableau .
MA I. 1775 . IS
L'ÉPREUVE, Comédie de Société.
PERSONNAGES .
DAMON père.
DAMON fils , Amant de Lucile .
ORONTE .
LUCILE , fille d'Oronte .
LA BRANCHE , valet de Damon fils.
La Scène eft chez Damon père .
SCENE I.
DAMON fils , LA BRANCHE .
(Damonfils entre lepremier , il eft en habit
de chaffe , la Branche le fuit , portant
deux fufils).
(Damon eft plongé dans la plus profonde
rêverie , & fait plufieurs tours fur le
Théâtre fans rien dire ) .
LA BRANCHE.
MONSIEUR , voilà votre fufil .
DAMON fils , vivement. Mon fufil
pourquoi faire ? qui te l'a demandé ?
16 MERCURE DE FRANCE .
LA BRANCHE . Vous , Monfieur , à
l'inftant .
DAMON fils. Moi ? je t'ai demandé
mon fufil ?
LA BRANCHE. Oui , Monfieur , dès le
matin vous m'avez réveillé pour une
partie de chaffe... Vous ne chaffez pas
fans fufil , peut - être ?
DAMON fils fe regarde , & revient àfoi.
Tu as raifon , donne ; va - t'en . ( Il retombe
dansfa rêverie ).
LA BRANCHE. Monfieur .
DAMON fils. Va t'en , te dis je .
LA BRANCHE. Mais , Monfieur , au
moins faut- il que je fache de quel côté
vous chafferez aujourd'hui .
DAMON fils toujours diftrait. Eh ! que
t'importe? va toujours .
LA BRANCHE riant . Comment , Monfieur
, que m'importe ?
DAMON fils , à part . Je ne fais où je
fuis , ni ce que je dis , ni ce que je fais.
(haut) Va m'attendre aux environs de ce
grand bois , où nous chaflâmes hier, ( Le
Branchefort).
SCÈNE I I.
DAMON fils , feul.
Quel état cruel ! jufte ciel ! aide moi à
MA I. 1775 . 17
calmer les tranfports qui m'animent . J'ai
méprifé jufqu'à préfent les coups redoublés
dont la fortune n'a ceffé d'accabler
ma malheureufe famille mais depuis
que j'ai vu l'aimable Lucile , depuis que
je fai que le plus avare des hommes met
à prix la poffeffion de cette fille adorable
; Dieux ! que ne ferois je pas pour
fortir de la fituation où je fuis ! ah ! malheureux
Danon !
SCÈNE III.
DAMON père , DAMONfils.
DAMON père , furprenant fon fils . Mon
fils ...
DAMON fils , embarraſſe. Mon père...
DAMON père, Vous me paroiffez bien
agité.
DAMON fils. Mon père... non pas...
autrement... j'ai peu dormi cette nuit...
DAMON père. L'ardeur de la chaffe
vous tranfporte ... Vous parliez feul à
l'inftant ?
DAMONfils. Mon père... il eft vrai ;
la chatfe...
DAMON père. La chaffe eft un diver
tiffement honnête ; mais , mon fils , ce
18 MERCURE DE FRANCE.
n'eft qu'un divertiffement qui ne doit
point vous occuper tout entier , & devenir
chez vous une paffion . Comme vous
voilà agité , tout en défordre ... Que les
hommes font ingénieux à fe tourmenter!
DAMON fils. Mon père , j'envie votre
fang froid & votre tranquillité.
DAMON père. Et vous avez raifon ; il
n'eft point d'état plus heureux .
DAMON fils. Je le crois , mon père ;
mais c'est un bonheur qui n'eft pas fait.
pour moi.
w
DAMON père . Vous vous abuſez , mon
fils ; il ne s'agit que de favoir fe contenter
de peu . Tiens , cette maifon , ce
potager , ce verger , cet enclos qui fuffifert
à mes befoins , malgré leur petitefle ,
bornent tous mes voeux .
Si tu penfois
comme moi , mon fils , je t'apprendrois
fans crainte une chofe...
-
DAMONfils . Mon père!
DAMON père . Les richeffes ne te tourneroient-
elles point la tête ?
DAMON fils. Comment , mon père ?
DAMON père. Oui , fi la fortune fe
montroit moins févère ; n'oublierois tu
pas bientôt les vertus de la médiocrité ?
DAMON fils. Ah ! mon père... apprenez-
moi... de grâce ... je vous en conjure.
MA I. 1775 . 19
DAMON père. Quelle vivacité ! j'aurois
dû me taire ; mais puifque je me fuis fi
imprudemment avancé , apprenez donc
qu'un nouveau coup du fort nous remer
à la place d'où nous étions tombés . Votre
oncle eft mort à Pondicheri , & vous
laiffe fa fortune , qui fe monte à plus
de cent mille écus.
•
DAMON fils avec transport. Jufte ciel !
quel heureux événement !
DAMON père. Voilà une joie bien vive.
Mon fils , lorfqu'on attache auffi fortement
fon bonheur aux biens de la fortune
, on el prêt à tout faire pour les acquérir
& à tout perdre pour les conferver.
DAMON fils. Mon père , ne m'humiliez
pas davantage ; je fuis plus digne
de vous que vous ne penfez . Vous
favez combien j'aime Lucile ; vous avez
agréé mon amour ; vous n'ignorez pas ce
qui m'a fait effuyer le plus cruel des
refus. Ah ! mon père ! pouvez-vous ne
pas excufer mes tranfports ?
DAMON père. Oh ! tu es actuellement
dans le cas de faire defirer cet établiſſement
à M. Oronte.
DAMON fils. Permettez que j'y courre,
mon père; je vole leur annoncer .....
20 MERCURE DE FRANCE.
DAMON père. Qu'allez-vous faire ? quoi
après les plus infultans refus ?...
DAMONfils . Ah ! mon père , oublions
tout.
DAMON père. Quel aveuglement !
SCENE I V.
DAMON père , feul.
Et il poffible de prodiguer ainfi aux
paffions des emportemens réfervés pour
la vertu . O mon fils ! rendrois- tu inutiles
les foins que je prends , depuis vingt
ans , pour former ton coeur ? es- tu digne
encore d'entendre la voix de l'honneur ?
Je re prépare une épreuve terrible ; ſi tu
fuccombes , je fuis le plus malheureux
des pères.
SCENE V.
DAMON père , ORONTE.
ORONTE , accourant à bras ouverts . Eh!
bon jour , mon vieil ami , mon cher
voifin ; que j'ai de plaifir à vous embraffer
!
DAMON père , froidement. Je fuis votre
ferviteur.
MA I. 1775. 21
ORONTE . Eh bien ! qu'est - ce? vous
êtes bien joyeux , n'eft- ce pas ? comme
j'ai pris part à votre bonheur ! ma foi
Vous avez en moi un véritable ami .
DAMON père. Je vous fuis obligé.
ORONTE. Comment , quel air froid!
Eft-ce que vous ne me reconnoiffez pas ?
C'eft Oronte , c'est votre meilleur ami
qui vous parle.
DAMON père. Vous me furprenez
Monfieur ; je fuis ce même homme à qui
vous fites refufer l'entrée de votre maifon
il y a quelques jours..
ORONTE. Qui? moi ? à mon ami Damon?
qui font ces impertinens ...
DAMON père. Ne vous fâchez pas , &
n'accufez perfonne ; c'eft vous même :
vous prîtes à infulte la propofition que
je vous fis de marier mon fils à Lucile.
ORONTE , éclatant de rire . Ah , ah ,
ah ! cette bagatelle- là vous occupe . Eh !
mon cher ami , point de rancune . Je fuis
vif , emporté ; cette petite fotte de Lucile
me faifoit tourner la tête avec fes
vifions de couvent , de célibat ... Morbleu
! que j'étois fâché ! mais , entre nous ,
je crois que votre égrillard de fils a fait
changer fa réſolution .
DAMON père. Comment?
22 MERCURE DE FRANCE.
ORONTE. Oui , parbleu la petite en
tient. Je ne m'en ferois jamais douté ...
Ces filles font d'une diffimulation ! -
Touchez là , mon vieil ami ; j'accepte
votre fils pour mon gendre.
DAMON père. J'ai tout lieu d'être furpris
, après l'accueil ...
ORONTE. Eh ! que diable , vous en
revenez toujours là . Je vous l'ai déjà dit :
d'un côté Lucile me paroiffoit avoir un
éloignement invincible pour le mariage ;
d'un autre côté , je me voyois propoſer
un aimable jeune homme , vif , bien
planté , fils de mon meilleur ami....
Morbleu ! que j'étois impatienté !
DAMON père ,fouriant . Et puis les cent
mille écus dont mon fils vient d'hériter.
ORONTE. Ah! mon ami ! que ditesvous
là ? fe peut- il que vous me connoif
noiffiez fi peu. La fortune eft pour moi
peu de chofe ; je ne fonge qu'au bonheur
de ma Lucile , cette chère enfant , que
j'aime de tout mon coeur . Votre fils eft
bien né ; ils s'aiment ; que faut il davantage
? Vous êtes bien injufte , mon ami
eh bien ! tenez , je fuis meilleur ami que
vous ; je parierois que quand je ne pourrois
donner à Lucile qu'un bien médiocre
, vous ne vous prêteriez pas à ce maMA
1.
1775 . 23
riage avec moins de joie. Eft- ce bien.
penfer de fes amis , cela ?
DAMON père. Je vous fuis bien obli
gé vous me rendez juftice . Ainfi donc
la fortune n'entre pour rien dans votre
réfolution .
ORONTE. Non parbleu ; je ne confulte
que ma tendreffe pour ma fille .
DAMON père. Je me plais à vous voir
dans ces fentimens .
ORONTE un peu intrigué. En doutezvous
? Mais , pourquoi ces réflexions ?
DAMON père. C'eft que je fuis enchanté
: vous callurez mon coeur , & je ne
crains plus de vous apprendre que...
ORONTE l'interrompt avec vivacité.
Comment ? eft-ce que votre frère de Pon.
dichéri ne feroit pas mort ?
DAMON père. Non pas cela ; mais ....
ORONTE. Ah ! je conçois ; il aura
déshérité votre fils.
DAMON père. Point du tout ; daignez
m'entendre.
ORONTE. Morbleu ! vous verrez qu'il
ne s'est rien trouvé après la mort.
DAMON père. Pardonnez - moi ; on a
trouvé cent mille écus en or dans fes
coffres ; mais ..
ORONTE brusquement. Mais , quoi !
mais expliquez donc ce mais.
24 MERCURE DE FRANCE.
DAMON père. Quel homme ! laiffezmoi
parler ; je vous expliquerai . Ces cent
mille écus n'appartenoient point à mon
frère ; c'étoit un dépôt qu'on lui avoit
confié.
ORONTE confterné. Un dépôt ?
DAMON père. Hélas ! oui. Il nous en
inftruit lui même par un écrit que l'on a
trouvé dans les papiers & que j'ai entre
les mains .
ORONTE. Et que comptez vous faire
de ce bel écrit ?
DAMON père . Je pourrois le fupprimer
; mais l'honneur , mon cher M.
Oronte , l'honneur me fait un devoir de
le rendre public.
ORONTE , avec un foupir. L'honneur ,
oui , c'est une belle chofe que l'honneur.
DAMON père. Après les beaux fenti .
mens que vous venez de faire paroître ,
je ne doute point que vous ne penfiez
comme moi , & que vous n'approuviez
la réfolution que j'ai prife , de reftituer
cette fomme à fes légitimes maîtres .
Cela ne vous empêche pas de donner les
mains au bonheur de nos enfans ; quelque
médiocre que foient leurs biens , ils
leur fuffiront , s'ils favent s'en contenter.
Mais
MA I. 1775 . -25
Mais fuflent ils dans la plus cruelle indigence
, je ne voudrois pas les en tirer
par une injuftice.
ORONTE qui a paru rêveur pendant cette
tirade , fort brufquement . Serviteur , ferviteur.
SCENE V I.
DAMON père , DAMON fils , LUCILE.
DAMON fils. Souffrez , mon père , que
je vous préfente la charmante Lucile ;
fon père confent à notre union ; je fuis
le plus heureux des hommes .
DAMON père. Mon fils , modérez ces
tranſports ; il y a bien du changement .
DAMON fils. Ah ciel ! que dites vous ?
LUCILE. Quel nouveau malheur nous
menace ?
DAMON père tirant un papier. Tenez ,
lifez .
DAMONfils prend le papier & le parcourt.
Tout eft perdu !
乔LUCILE. Ah! Damon .
DAMON fils. Aimable Lucile , je vous
perds une feconde fois . Hélas ! mon bonheur
n'a été qu'un ſonge.
DAMON père. Mes chers enfans , votre
douleur me perce l'âme.
B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
DAMON fils. Ah ! fi par un heureux
retour ; mais... le plus dur des hommes
n'y confentira jamais . Pardon , belle Lucile
; c'eft votre père .
LUCILE . Odi , Damon , je dois lui
obéir & me taire .
DAMON fils. Malheureux que je fuis !
mais peut-être ignore t -il ? ... oui , fans
doute .. Ah ! mon père , fi vous vouliez.
DAMON père. Quoi ! mon fils .
DAMON fils. Pardonnez à mes tranfports
, mon père : excuſez mon amour.
M. Oronte fait ma fortune , il n'eft pas
inftruit du fatal revers .... Profitons de
cette erreur... Mais je m'égare , mon
père , je lis dans ves yeux ma faute.
DAMON père , froidement. Confultezvous
bien , mon fils ; quant à moi , je
n'ai rien à vous dire.
DAMONfils Eh ! quel crime de tromper
fon infatiable avarice , d'éviter d'en
devenir la victime ? N'a- t- il pas confenti
à notre bonheur?
DAMON père. C'eſt donc là votre avis ,
mon fils ?
DAMON fils , timidement. Oui , mon
père ;
fi c'eſt le vôtre.
DAMON père. J'en fuis bien fâché ;
mais un obftacle s'oppofe à ce beau pro-
3
MA I. 1775 . 27
jet. Je quitte M. Oronte : il fait tout.
DAMON fils. Ah ! je fuis perdu .
SCENE VII & dernière.
DAMON père , DAMON fils , ORONTE ,
LUCILE.
ORONTE. Je vous trouve tous raffemblés
fort à propos . Oh ! ça , mon vieil
ami , je vous ai quitté tantôt un peu
brufquement , n'eft -il pas vrai ? Mais ,
pallons : j'avois de bonnes raifons pour
cela .
DAMON père. Je les foupçonne.
ORONTE. Vous pouvez bien ne vous
pas tromper. Au lieu de perdre le temps ,
ainfi que vous , en de vaines lamenta
tions , j'ai fait quelques réflexions , dont
je vais vous dire le refultat.
DAMON père. Voyons.
ORONTE Ecoutez moi ; je vous préviens
d'abord que fans biens on n'aura
pas ma fille. Je voulois un gendre riche
de cent mille écus , mais je vous paffé à
cinquante. Voilà ce qui s'appelle être
raisonnable , cela !
DAMON père. Mais , où voulez - vous
que je les prenne ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ORONTE. Patience ; laiffez moi faire.
Mais il faudra en paffer par tout ce que
je dirai .
DAMON père. Nous verrons,
ORONIE à Damonfils. J'examine que >
d'un côté, votre oncle vous fait fon légataire
univerfel ; il vous laifle fes meubles
& fon argent comptant ; il fe trouve dans
fes coffres cent mille écus : donc ces cent
mille écus vous appartiennent.
DAMON père , fouriant. Voilà un fort
beau raiſonnement ; mais ce dépôt.
ORONTE. Bon !, ce dépôt ; il n'en refte
aucune trace que ce petit morceau de
papier , qu'on peut mettre au feu .
DAMON père. L'expédient eft merveilleux
. Votre avis feroit donc , Monfieur ,
de nous approprier cet or & d'en dépouiller
les légitimes propriétaires.
ORONTE . Non pas , morbleu ! non pas ;
vous ne connoiffez pas Oronte. L'honneur
! la probité ! Eh ! je crois que nous
en avons autant qu'un autre. Je difois
donc que d'un côté il falloit rendre quelque
juftice aux propriétaires du dépôt.
Ainfi donc on peut donner cinquante
mille écus , & les autres cinquante mille
écus demeureront à mon gendre , pour
lui tenir lieu de legs , & lui faire épouMA
I. 1775.
29
fer ma fille . Eh bien ! que dites vous de
cet arrangement -là ? heim ?
DAMON père. Vous m'en voyez interdit
d'admiration & d'étonnement.
ORONTE . Je le favois bien , moi , que
je vous furprendrois .
DAMON père . Oh ! on ne peut pas
vantage .
da-
ORONTE , à Damon père . Eh bien !
vous approuvez mon projet ; n'eft- il pas
vrai ? Répondez donc ?
DAMON père . Je ne puis vous rien dire.
Interrogez mon fils.
ORONTE. Qui ? mon gendre futur ?
oh ! je réponds de lui .
DAMON père. Non , Monfieur , cetre
affaire- ci le regarde : il faut qu'il s'explique.
DAMON fils paroît dans le plus grand
accablement. Doutez- vous de ma réponſe ,
mon père ? Je préfère de mériter la char
mante Lucile , au bonheur de la pofféder.
LUCILE . Ah! Damon , cet aveu m'en
chante ; il m'arrache celui de vous affurer
que fi Lucile ne peut être à vous , elle
renonce éternellement à tout autre.
ORONTE. Quais ; que veut dire ceci ?
quel rôle me fait - on jouer ?
B ii
30 MERCURE DE FRANCE.
DAMON père. Celui que vous méritez ,
mon cher M. Oronte ; pouvez - vous vous
laiffer aveugler ainfi par votre avarice ?
ORONTE , furieux Allez , vous êtes un
vieux fou. ( à Lucile . Et vous , Mademoifelle
l'impertinente , je vous défends
de jamais penſer à ce jeune for. Partez .
( Il veut fortir).
DAMON père. Artêtez un moment. Je
fuis peu ému de vos injures : mais , avant
que de nous quitter , je veux vous faire
une nouvelle confidence , qui vous plaira
plus que les premières . Ce dépôt eft un
jeu de mon imagination . J'ai effectivement
chez moi les cent mille écus , pour
marier mon fils à Lucile .
ORONTE , avec une extrême furpriſe.
Oh ! oh !
LUCILE. Ah ! ciel .
DAMON fils fejette aux genoux de fon
perc.
A 1. 1
m'ont
DAMON père . Relevez vous , mon fils ,
& embraffez moi . L'inquiétude & l'agitation
que j'ai remarquée en vous ,
alarmé , mon fils ; j'ai craint de vous
voir dédaigner les douceurs de la médio- .
crité ; mes craintes font heureuſement
diffipées ; jouiſſez du fruit de la libéralité
de votre oncle . On confie aifément les
MA I. 1775. 31
richeffes à ceux qui favent les méprifer.
Recevez pour récompenfe la main de
l'aimable Lucile . ( à Oronte ) . N'y confentez-
vous pas ?
ORONTE. De tout mon coeur ; je fuis
trop.confus de ce qui vient de fe paffer...
Mais , cent mille écus !
DAMON père. Je vous ai tant de fois
trompé , que vous n'oſez plus me croire ;
mais , paflez dans mon cabinet , & je ne
tarderai pas à vous convaincre.
Par Mile Raigner de Malfontaine.
COUPLETS quej'aurois chantés ,fij'avois
fait le rôle de M. le Bailli , à la feconde
repréſentation de la Fête du Château
devant la Reine , au Salon d'Hercule ,
la nuit du 20 au 21 Février 1775 .
AIR: Vive Henri , vive Henri.
A Madame la Comteffe DU N....
D'Hiné , jeune & fraîche Déeffe ;
Cherchez-vous les naiflans appas ,
La grâce , le tein , la ſoupleſſe ,
La taille , les traits délicats ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Pour vous fatisfaire
Et connoître un objet fi beau ;
Ne quittez point le féjour de la terre ,
Voyez la Dame du Château. bis.
Vous dont le pinceau cherche à rendre ,
En peignant la belle Cipris ,
Ce fouris , ce regard fi tendre ,
Vainqueurs de Mars & d'Adonis :
Pour vous fatisfaire ,
Et remplir un projet fi beau ;
Gardez- vous bien de courir à Cythere ;
Peignez la Dame du Château. bis.
Et vous dont l'oeil n'a point encore ,
En perfonne , vu dans un bal ,
Danfer l'agile Terpficore ,
Goûtez ce plaifir fans égal :
Pour vous fatisfaire ,
N'allez point au docte côteau ;
C'eft-là qu'elle eft une pure chimere ,
Voyez la Dame du Château. bis.
De ces trois Déeſſes brillantes ,
Ne diroit- on pas que l'Amour
Tout exprès , de fes mains puiflantes ,
Forma du Nolft.... pour la Cour ?
Si dans la Nature
Il fit un miracle auffi beau ,
MA I. 1775 : 3
Prenez mes yeux , vous direz , je vous jure,
C'eft pour la Dame du Château. bis.
Au milieu des brillans fuffrages *
Et de l'encens des plus grands Dieux ,
D'un Mortel les fimples hommages
Trouveront-ils grâce à vos yeux ?
La fiere Diane
D'un Berger à fubi la loi ,
Le plus grand Prince , belle Ba ...
Peut-il vous aimer mieux que moi ? bis.
A Verfailles , le 21 Février , à 7 heures
du matin , par le Chevalier du Luxem .
VERS adreffés à Madame la D. DE GR...
Soeur de M. le D. de Ch... àfon paffage à
Nîmes, (où elle ne devoitpaffer que deux
heures) ,par le Régiment de Bourbonnois,
qui y étoit en garniſon.
Excroirons nous un bruit répandu dans ces lieux?
Que le plus pur climat , les eaux d'une fontaine ,
* Ses talens , fa beauté , la modeſtie lui attirèsent
en ce moment les applandiflemens , & , je
puis dire , les coeurs de tout ce qu'il y a de plus
grand à la Cour,
Br
34
MERCURE DE FRANCE.
Bains chéris autrefois & délices des Dieux ,
Et tant de monumens de la grandeur Romaine ,
Ne pourront ous fixer ici qu'une heure où deux ?
Ah ! de grâce , à nos voeux montrez vous moins
contraire ;
Des antiques Célars ces immortels travaux ,
Leurs aigles mutilés , leurs cirques , leurs tombeaux
,
Dans des vafes brifés , cette vaine pouffiere ,
( Reftes inanimés d'équivoques Héros )
Sont-ils les feuls objets de votre itinéraire ?
Il en eft dans ces murs , qui , fans être antiquaire,
Je garantis , pour vous , plus touchans & plus
beaux ;
Tout intéreffe en eux ; tout est sûr de vous plaire:
Et , pour les voir , il faut une ſemaine entière ;
Ne les dédaignez pas .... Pour le dire , en deux
mots ,
Nous favons tous combien vous chériflez un frère
De qui la France attend la gloire & fon repos ,
Et nous fommes tous vos rivaux.
Par M. le Chev. Desb...
au nom du Corps.
MA I.
1775. 35
ODEfur le retour du Printemps , imitée
de l'Ode d'Horace : Solvitur acris
hyems , & c.
L'HIVER s'enfuit ; l'Amant de Flore.
Revole en nos heureux climats ;
D'un vert naiffant l'herbe colore
Les prés blanchis par les frimats.
Banni defon foyer ruftique ,
Déjà le Laboureur s'applique
A fertilifer fes fillons ;
Les troupeaux quittent leur afyle ;
Le vaiſſeau fend l'onde tranquille ,
Sans redouter les Aquilons.
Lorfque , fur la plaine azurée ,
La Lune a répandu les feux,,
Vénus , des Grâces entourée ,
Raffemble les Ris & les Jeux.
Des Nymphes la troupe légere ;
Foule en cadence la fougere ,
Au tendre fon des chalumeaux ;
Tandis qu'au centre de la terre ,
Des noirs artifans du tonnerre ,
Vulcain embrâfe les fourneaux.
Ami de la faifon des roles ,
B vi
36
MERCURE
DE
FRANCE
.
Laifferons-nous fuir les inftans ?
De fleurs nouvellement éclofes
Parfemons nos cheveux flottans ;
Couronnés d'un naiflant feuillage ,
Allons fous cet épais ombrage
Du Printemps chanter le retour ;
Au doux plaifir tout nous convie ,
Damon , l'éclair de notre vie
Luit pour Bacchus & pour l'Amour.
Peut être au bout de ta carriere ,
Pourquoi former de vains projets ?
La mort frappe à l'humble chaumiere
Comme aux plus fuperbes palais ;
Habitans des Royaumes fombres ,
Bientôt on te verra des ombres
Groffir le fabuleux effaim ;
Crois-tu qu'en ces lieux de détrefle
L'on puifle avoir une Maîtrefle
Ou devenir Roi d'un feftin.
Par le Solitaire d'Efeate.
LE
E mot de la première Enigme du
volume précédent eft le Puits ; celui de
la feconde eft Bulle d'eau & defavon ;
celui de la troifième eft Croix ; celui de
1
MA I. 1775 . 37
où
la quatrième est le Copeau. Le mot du
premier Logogryphe eft Laboratoire ,
fe trouvent or , ire, bal, rôtie , rot , boire ,
oratoire , âtre , latrie , Baal , lo , lara ,
robe ; celui du fecond eft Tambour , où
l'on trouve Amour; celui du troisième eft
Maifon , où l'on trouve Mai & fon.
ENIGM E.
DANS les forêts jeprends naiflance ;
En me donnant la fubfiftance ,
Ma mere auffi la donne à mille autres enfans ,
Qui de fon fein renaiffent tous les ans.
Mais que je plains ma deſtinée !
Dans une charrette liée
On m'emmené au fupplice : auffi - tôr des bours
reaux ,
Ecartant la pitié , me mettent par morceaux :
Enfuite je me vois aux flammes condamnée .
Me tiens- tu maintenant ,
Cher Lecteur ? Non . Hé bien ! ruminc.
Je te donne encore un inftant .
Il faut bien que tu me devine ,
Ou je t'appellerai... Mais non ;
Je te respecte trop pour te donner mon nom.
ParM. Raux , Chanoine à Châteaudu
38 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
J'AT douze enfans de taille égale ;
On fe fert d'eux quand il faut des foldats ;
Mais eux , ni moi , de la loi conjugale
N'avons connu les embarras ,
Et chacun d'eux a pourtant douze filles :
Un figrand nombre de familles
Avec moi loge au même endroit ;
Adieu , Lecteur , devine- moi.
Par M. le Clerc de la Mothe , Chev.de
St Louis.
A UTR E.
Aux Gens de Robe , aux Gens d'Egliſe
Je fers aflez communément ;
Ma taille eft mince , aſſez bien priſe ,
Et très-légere, aflurément ;
Sans être ennemi de la joie ,
A ma fuite , mon cher Lecteur ,
Prenez bien garde qu'on la voie ,
Ce feroit figne de malheur.
Par M. Bernard du Montelet,
·
MAI. 1775 .
AUTRE.
Di même qu'un Etat , plus ou moins relevé,
Rend l'homme auffi plus ou moins élevé ;
Tout de mêmeje rends , fans aucun artifice ,
L'homme plus ou moins grand & propre à la
milice:
Mais , fans à l'homme me borner ,
Je fais à la femme donner
Une élévation plus ou moins haute & grande ,
Et ce , fuivant qu'on le demande.
Engendré dans les bois ou forti des troupeaux ,
J'habite également les palais , les hameaux :
On me voit en caroffe , on me voit en charrette :
On me voit fur le trône & près de la houlette.
Enfin je fuis par-tout , au fpectacle , à l'autel ,
Et fans jamais offenfer l'Eternel.
Mais , malgré tous mes avantages ,
Je ſuis même au-deffous du Laquais & des Pages.
ARennes. Par M. de L. G.
LOGO GRYPHE
LECTEUR , je fuis par -tour ſur ce vaſte Univers.
Si le penchant t'engage à faire des voyages ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Parcours tous les Etats divers ,
Enfonce-toi dans les déferts ,
Confidere toutes les plages ,
Les lieux arides , les bocages ,
De tous côtés enfin promene tes regards ,
Tu m'apperçois de toutes parts.
Parlons à préfent d'autres choses .
Je vais te dire un mot de mes métamorpholes.
Ce n'eft pas le moins curieux.
Efface tête & queue , une Ville en Champagne
T'offre auffi- tôt un nectar précieux ,
Qu'on pourroit préférer àu meilleur vin d'Eſpas
gne ,
Pour fon parfum délicieux ,
Qu'à la Cour même , oui , qu'à la Cour on fêre.
Par un nouveau renverſement ,
Place ma queue avant ma tête ;
Mais afin que rien ne t'arrête ,
Coupe mon dernier membre : un Village Allemand
Très renommé , t'offre une eau falutaire ,
Au lieu du bon vin Champenois.
C'eſt- là qu'Amour , ulant de tous les droits ,
Aux maris , bien fouvent , n'a pas le don de plaire .
Taifons-nous fur ce point , ce n'eft pas notre
affaire.
Ami Lecteur , fur nouveaux frais ,
Pardonne- moi cette manie ,
MA I. 1775: 41
Je veux encore exercer ton génie ;
Mais je n'y mettrai point d'apprêts.
Dans un feul mot reconnois un eſpace
Affez étroit , encavé par les flots ,
Pourfervir de barriere à deux Peuples rivaux ;
Ce que tu fais quand tu quittes ta place ;
Enfuite une conjonction ,
Qui marque une négation .
Ce mot enfin dans la géométrie ,
Science où des humains éclate l'induſtrie ,
Exprime la diſtance . Ote mon chef ici ,
Reſte un terme de jeu. Voilà tout . Grand- merci .
Par M. Vincent , Curé de Quincey.
A
AUTR E.
LA plus horrible tempête ,
Reunir le fer & le feu ,
Tout cela pour moi n'eft qu'un jeu ;
Mais , à qui me coupe la tête ,
Lecteur , quel heureux changement !
J'offre un falutaire alinent.
Par M. Houllier de Saint - Remy ,
de Sezanne.
42 MERCURE DE FRANCE.
L'ARME
AUTRE.
' ARME dont les Romains faifoient uſage en
guerre ,
Un outil dont le fert le pauvre Bucheron ,
Ce qui feroit tomber la tête la plus chere ,
Eft rendu dans un mot en commençant mon nom.
Ce nom , pas plus que moi , peut le pafler de tête :
Mais , au lieu d'être en haut , la fienne eft par en
bas.
On lui compte huit pieds , dont cinq vont à la bête
Que Raton fait crier dans fes tendres ébats .
Par M. Sarrauton.
AUTR E.
Jz fuis , avec fix pieds , un mets fort ufité ;
Ma tête eft fleuve d'Italie ,
Et ma queue offre une Cité
Qu'on nepeut trouver qu'en Afic.
ParM. Lagache, fils.
MA I.
1775 . 43 .
VAUDEVILLE des Femmes vengées V
M. RIS s.
Moderato.
NE donnons jamais à nos
femmes De vrais mo- tifs
pour
fe ven- ger ; Le ciel
a placé
dans leurs ames Affez de
pen- chant pour chan- ger.
Quelque peu de Co- quet- te-
* Paroles de M. Sedaine ; muſique de M.
Philidor.
44 MERCURE DE FRANCE.
j
ri- e Peut les rendre vola-
ges mais , Pour rendre
agré- a- ble la vi- e ,
N'y regar- dons pas de trop
près , N'y re -gardons pas
de trop près .
Madame LEK.
Mon Epoux eft froid & ſauvage :
Il fe pique fouvent de rien ,
Il fe croit un grand perfonnage ,
Et ce qu'il fait cft toujours bien ;
Sa petite philofophie
Pourroit fouyent me fâcher ; mais , 7
MA I. 1775. 45
Pour rendre agréable la vie ,
N'y regardons pas de trop près.
LA PRÉSIDENTE.
Etre toujours dans fon ménage ,
En même temps froid & jaloux ;
Un vrai Caton pour le langage :
C'est le portrait de mon Epoux.
De fa galante perfidie ,
Je pourrois bien me venger ; mais ,
Pour rendre agréable la vie ,
N'yregardons pas de trop près.
LE PRÉSIDENT ,
Ma Femme eft tant foit peu coquette
pour rien ;
Un miroir n'est pas fait
Un Monfieur vient à fa toilette :
Madame que vous êtes bien !
Elle permet quelque folie ;
Cela pourroit me fâcher ; mais ,
Pour rendre agréable la vie ,
N'y regardons pas de trop près,
Madame RISS,
Pourpeindre une Femme très- belle ;
Mon Mari fait venir chez lui ,
Afin de fervir de modèle ,
46
MERCURE
DE
FRANCE
.
LeTendron le plus accompli.
Un jour la Fillette jolie ,.
Avec Monfieur babilloit ; mais ,
Pour rendre agréable la vie ,
N'y regardons pas de trop près.
Aux Spectateurs.
Diverfité : c'eft la devife
Des jeux que nous vous préfentons ,
Votre bonté nous autorife
A chanter fur différens tons ;
Celui de cette Comédie
A, fans doute , des défauts ; mais ,
Mais , Meffieurs , à cette folie ,
N'y regardez pas de trop près.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
* Dom Pedre , Roi de Caftille , Tragédie ;
& autres Pièces , 1775 , in- 8°.
CET Ouvrage , attribué au grandhomme
qui a tant de fois enrichi la
* ArticledeM. de la Harpe.
MAI. 1775. 47
"
»
20
Scène Française de fes chef-d'oeuvres
eft précédé d'une Epître dédicatoire de
l'Editeur , à M. d'Alembert : » Vous
» êtes , lui dit- il , une de ces ames privilégiées
, dont l'Auteur de D. Pèdre
» parle dans fon Difcours , ( le Difcours
hiftorique & critique qu'on trouve
» après l'Epître dédicatoire ) ; vous êtes
» de ce petit nombre d'hommes qui
» favent embellir l'efprit géométrique ,
par l'efprit de la littérature. L'Académie
Françaife a bien fenti , en vous
choiffant pour fon Secrétaire perpé
» tuel , & en rendant cet hommage à la
profondeur des Mathématiques, qu'elle
» en rendait un autre au bon goût & à
» la vraie éloquence Elle vous a jugé
» comme l'Académie des Sciences a jugé
» M. le Marquis de Condorcet , & tout
le public a penfé comme ces deux
Compagnies refpectables . Vous faites
» tous deux revivre ces anciens temps ,
» où les plus grands Philofophes de la
» Grèce enfeignaient les principes de
l'éloquence & de l'art dramatique ".
Il ajoute :
93
19
» L'Auteur n'a point ambitionné de
» donner certe Pièce au Théâtre . II
fait très- bien qu'elle n'eft qu'une ef48
MERCURE
DE FRANCE
.
»
quiffe ; mais les portraits reflemblent.
» C'eſt pourquoi il ne la préſente qu'aux
» hommes inftruits. Il me difait d'ail-
» leurs que le fuccès au Théâtre dépend
» entiérement d'un Acteur ou d'une Ac-
» trice ; mais qu'à la lecture il ne dépend
» que de l'arrêt équitable & févère d'un
» juge & d'un Ecrivain tel que vous . Il
fait qu'un homme de goût ne tolère
aujourd'hui ni déclamation ampoulée
» de Rhétorique , ni fade déclaration
» d'amour à ma Princeffe ; encore moins
ces infipides barbaries , en ftyle vifigot,
qui déchirent l'oreille , fans jamais
parler à la raifon & au fentiment
» deux chofes qu'il ne faut jamais fé-
» parer ". L'Editeur défigne & caractérife
tous ceux dont il defire plus particuliérement
le fuffrage. Je demande ,
» pour l'Auteur , l'arrêt de tous les Académiciens
qui ont cultivé affidûment
» notre Langue . Je commence par le
Philofophe inventeur ( 1 ) , qui , ayant
fait une defcription fi vraie & fi élo-
» quente du corps humain connaît
» l'homme moral , auffi bien qu'il obſerve
وو
و د
39
"
(1) M. de Buffon.
» l'homme
MA I. 1775 . 49
» l'homme phyfique . Je veux pour juge
le philofophe profond ( 1 ) , qui a percé
jufques dans l'origine de nos idées ,
» fans rien perdre de fa fenfibilité . Je
" veux pour juge l'Auteur du fiége de
» Calais , qui a communiqué fon enthoufiafme
à la Nation ; & qui , ayant
» lui-même compofé une Tragédie de
» D. Pèdre , doit regarder mon ami
» comme le fien , & non comme un
» rival. Je veux pour juge l'Auteur de
ןכ
Spartacus , qui a vengé l'humanité ,
» dans cette Pièce remplie de traits di-
» gnes du grand Corneille : car la véri-
» table gloire eft dans l'approbation des
» maîtres de l'art. Vous avez dit que
» rarement un Amateur raifonnera de
» l'art , avec autant de lumières qu'un
» habile Artifte : pour moi , j'ai toujours
» vu que des Artiftes feuls rendaient
» une exacte juftice ; quand ils n'étaient
» pas jaloux ..
و د
Je préfente la Tragédie de D. Pèdre
» à l'Académicien qui a fait parler fi
dignement Bélifaire .
"
39
(1) M. l'Abbé de Condillac.
C
So MERCURE DE FRANCE.
Je la foumets à la faine critique de
» ceux qui , dans des Difcours confirmés
par l'Académie , ont apprécié , avec tant
» de goût , les grands hommes du fiècle.
»
de Louis XIV. Je m'en remets entière-
» ment à la décifion de l'Auteur éclairé
» du Poëme de la peinture ( 1 ) , qui ſeul
» a donné les vraies règles de l'art qu'il
» chante , & qui le connaît à fond , ainſi
» que celui de la Poéfie, Je m'en tap-
» porte au Traducteur de Virgile , ſeul
digne de le traduire , parmi tous ceux
» qui l'ont tenté ; à l'illuftre Auteur des
Saifons , fi fupérieur à Thompſon &
à fon fujet , tous juges irréfragables
» dans l'art des vers très- peu connu , &
» qui ont été proclamés dans le temple
» de la gloire , par les cris mêmes de
» l'envie. Je fuis bien perfuadé que
celui qui met fur la Scène D , Pèdre
» & Guefclin préférerait , aux applaudif-
» femens paflagers du Parterre , l'appro-
» bation réfléchie de l'Officier auffi inf-
» truit de cet art , que de celui de la
» guerre ; qui , ayant fait parler fi noble-
"
(1) M. Vatelet,
MAI. 1775. SI
» ment le célèbre Connétable de Bour-
» bon & le plus célèbre Chevalier
Bayard , a donné l'exemple à notre
Auteur , de ne point prodiguer fa
» Pièce fur le Théâtre.
19
"9
·
Il fouhaite , fans doute , d'être jugé
par le Peintre de François - Pre-
» mier ; d'autant plus que ce favant
» & profond Hiftorien fait mieux que
perfonne , que fi l'on dur appeler le
Roi Charles Cinq , habile , ce fur
» Henri de Tranftamare qu'on dut nom-
» mer cruel . J'attends l'opinion des deux
» Académiciens Philofophes , vos dignes
confrères , qui ont confondu de lâches
& fots délateurs , par une réponſe
» auffi énergique que fage & délicate ,
» & qui favent juger comme écrire. Voi-
» là , Monfieur , l'Aréopage dont vous
» êtes l'organe , & c.
n
On pourrait dire de celui qui rend
compte ici de la Tragédie de Dom
Pèdre :
Se quoque principibus permiftum agnovit Achivis:
Mais il fait fort bien que ce qui
n'eft que juftice pour les autres , n'eft
pour lui qu'indulgence & amitié. Cependant
comme l'Editeur joint à les
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
22
louanges un témoignage infiniment
refpectable , l'Auteur de cet article
fe croirait coupable d'ingratitude , s'il
le paffait fous filence ; & il croit
devoir le rapporter , non par amour pro
pre , mais par reconnaiffance . Je vous
avouerai , dit l'Editeur , que j'aimerais
» mieux le feul fuffrage de celui qui a
» reffufcité le ftyle de Racine , dans
» Mélanie , que de me voir applaudi
» un mois de fuite , au théâtre « ; &
il ajoute en note : J'ofe dire hardi
» ment que je n'ai point vu de Pièce
» mieux écrite que Mélanie. Ce mérite
» fi rare a été fenti par les étrangers
qui apprennent notre Langue , par
»principes & par l'ufage. L'héritier de
» la plus vafte Monarchie ( 1 ) de
» notre hémisphère , étonné de n'enten-
» dre que très -difficilement le jargon.
» de quelques - uns de nos Auteurs nou-
» veaux , & d'entendre , avec autant de
و د
plaifir que de facilité , cette Pièce de
» Mélanie & l'éloge de Fénélon , a ré-
» pandu fur l'Auteur les bienfaits les plus
» honorables. Il a fait , par goût , ce que
(1 ) S. A. I. Mgr le Grand Duc de Ruffic.
MA I. 1775. 53
1
» Louis XIV fit , autrefois , par un noble
» amour de la gloire.
"
L'Editeur juftifie les louanges qu'il
diftribue , par l'exemple de l'Arioſte ,
qui nommait tous les hommes de fon
temps qui faifaient honneur à l'Italie ,
& fous lefquels il écrivait . » Si un Folliculaire
, dit-il encore , dit que je n'ai
donné de fi juftes éloges à ceux que
je prends pour juges de mon ami
qu'afin de les lui rendre favorables
» je réponds d'avance que je confirme
» ces éloges , fi mon ami eft condamné.
» Je demande pour lui une décifion &
» non des louanges.
»
"
Le fond de la Tragédie de D. Pèdre
eft d'une extrême fimplicité. Tranfta
mare , Bâtard légitimé d'Alphonfe , Roi
de Caftille , a été appelé par les der
nières volontés de ce Prince , à partager.
fon Royaume avec D. Pèdre , l'héritier
légitime de la Couronne. Il devait , fuivant
ce même teftament , époufer Léo .
nore de Lacerda , Princeffe du Sang
Royal.Ces difpofitions d'Alphonfe étaient
une fource de difcorde . D. Pèdre en ap.
pela comme d'une injuftice . Appuyé par
les Anglais & par le fameux Prince
Noir , il vainquit , à Navarette , Tranfta-
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
mare, & Guesclin , fon défenfeur . Cependant
il a accordé la paix à fon frère , &
ce frère en a profité pour foulever l'Efpagne
contre lui . Les Etats font affemblés
, pour prononcer fur les droits refpectifs
des deux Princes , & ces Etats
prétendent une autorité fupérieure à l'au
iorité Royale. Dans cette orageufe anarchie
, Tranftamare attend de nouveau
les fecours de la France & de Guefclin ,
& D. Pédre attend tout de fon courage.
Tel eft l'état des chofes , lorfque la pièce
commence . Nous en fuivrons la marche ,
en nous arrêtant quelquefois fur les
détails.
Dans la première fcène , Almède , que
Tranftamare avait envoyé à la Cour de
Charles- Cinq , folliciter les fecours de
le France , lui annonce qu'ils lui font
accordés , & que Guefclin arrive à Tolède
Charle , en vous foutenant au bord du précipice ,
Vous tend , par politique , une main prote &trice ,
Et divifant l'Espagne afin de l'affaiblir ,
Il veut frapper Dom Pèdre autant que vous fervir.
Pour fon intérêt feul il entreprend la guerie.
Dom Pèdre eut pour appui la fuperbe Angleterre
Le fameux Prince Noir était fon protecteur :
MA I. 1775. 55
Mais ce Guerrier terrible , & de Guefclin vainqueur
,
Au milieu de la gloire achevant la carrière ,
Approche , dans Bordeaux , de fon heure dernière .
Songénie accablait & la France & Guesclin ;
Et quand des jours fibeaux touchent à leur déclin ,
Ce Français , dont le bras aujourd'hui vous feconde
,
Demeure , avec éclat , ſeul en ſpectacle au monde.
Charle a choifi ce temps : l'Anglais tombe épuifé ,
L'Empire a trente Rois , & languit divifé ;
L'Espagnol eft en proie à la guerre civile ;
Charle eft le feul puiſſant , & , d'un eſprit tranquille
,
Ebranlant , à ſon gré , tous les autres États ,
Il triomphe à Paris fans employer fon bras.
Charles s'engage à affurer à Tranſta
mare , Valence & les autres poffeffions
que lui affignait le teftament d'Alphonfe .
Il lui promet fur-tout la main de la
Princefle Léonore .
TRANSTA MARE.
Léonore eft le bien le plus cher à mes yeux.
Mon père , tu le fais , voulut que l'hymenée
Fit revivre , par moi , les Rois dont elle est née.
Il avait gagné Rome : elle approuvait fon choix ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
Et l'Espagne , à genoux , reconnaiſfait mes droits.
Dans un alyle faint Léonore enfermée ,
Fuyait les factions de Tolède alarmée .
Elle fuyait Dom Pèdre : il la fait enlever .
De mes biens , en tout temps , ardent à me priver,
Illa retient ici captive avec la mère.
Voudrait-il feulement l'arracher à ſon frère ?
Croit- il de tant d'objets , trop heureux féducteur ,
De ce coeur fimple & vrai corrompre la candeur ?
Craindrait il en fecret les droits que Léonore
Au Trône Caſtillan peut conferver encore ?
Prétend- il l'époufer , ou d'un nouvel amour
Etaler le fcandale à fon indigne Cour ?
Veut-il des Lacerda déshonorer la fille ?
La traîner en triomphe après Laure & Padille ?
Et d'un peuple opprimé bravant les vains foupirs ,
Infulter aux humains du fein de fes plaiſirs ?
Le crédit des Etats & les armes des
Français raffurent Tranftamare . Il a foulevé
les efprits contre D. Pèdre .
L'opinion publique eft une arme puiffante ;
J'en aiguile les traits : la Ligue menaçante ,
Ne voit plus dans fon Roi qu'un Tyran criminel ;
Il n'eft plus défigné que du nom de crucl.
Ne me demande point fi c'eft avec juftice ;
Il faut qu'on le détefte avant qu'on le punifle.
La haine eft fans fcrupule : un peuple révolté
MA I. 1775 . 57
Ecoute les rumeurs & non la vérité.
On avilit fes moeurs , on noircit fa conduite ,
On le rend odieux à l'Europe féduite.
On le pourfuit dans Rome à ce vieux Tribunal ,
Qui , par un long abus , peut- être trop fatal ,
Sur tous les Souverains étend fon vaſte empire.
Je l'y fais condamner , & je puis te prédire
Que tu verras l'Espagne , en la crédulité ,
Exécuter l'arrêt dès qu'il fera porté .
Mais un foin plus preffant m'agite & me dévore
A les autels facrés il ravit Léonore.
De cette Cour profane il faut bien la fauver.
Arrachons - la des mains qui m'en ofent priyer.
Sans doute il s'eft flatté du grand art de féduire ,
De få vaine beauté , de ce frivole empire ,
Qu'il eut fur tous les coeurs aifés à conquérir ;
Tout cet éclat trompeur avec lui va périr,
Tout eft difpofé pour enlever à D,
Pèdre Léonore & le Trône . Léonore
paraît ; elle confeille à Tranftamare de
ne point fe préfenter devant le Roi ;
elle lui promet d'engager ce Prince à la
clémence , & l'on voit déjà , dans fes
difcours , la préférence qu'elle donne à
D. Pèdre. Ses offres , fes confeils & le
mot de clémence révoltent Tranſtamare .
Il fort , en déclarant qu'il faura défendre
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fes droits. Léonore demeure avec Elvire,
fa confidente. Elle explique fa paffion
pout D. Pèdre. Sa mère a confenti à
leur union fecrette , qui eft prête à s'ache .
vér ; mais elle frémit des dangers qui
environnent fon amant . Elle craint le
caractère violent du Prince , que pourtant
elle efpère d'adoucir.
Son âme eft noble & généreufe ,
Elvire ; elle eft fenfible autant qu'impétueuſe,
Et s'il m'aime en effet , jole encore eſpérer
Que des jours moins affreux peuvent nous éclai
rer.
L'augufte Lacerda , dont le ciel me fit naître ,
M'infpira ce projet en me donnant un Maître :
Ah! fi le Roi voulait , fi je pouvais un jour
Voir ce Trône ébranlé raffermi par l'amour ;;
Si , comme je l'ai cru , les femmes étaient nées.
Pour calmer des efprits les fougues effrénées,
Pour faire aimer la paix aus féroces humains ,
Pour émoufler le fer en leurs fanglantes mains &
D. Pèdre arrive . Elle le conjure de
pardonner à fon frère . Le Prince lui
rappelle tous les attentats de Tranfla
mare . I eft bleflé de l'intérêt qu'elle
paraît prendre à celui qu'il regarde come
un rebelle . Léonore fort confternée.
MA I. 1775. 19
1
Elle revient au fecond acte , & Tranftamare
fe préfeute , de nouveau , devant
elle. D. Pèdre , attive & voit avec indignation
, qu'il ofe parler à Léonore. Les
deux frères fe bravent & fe défient. Le
Roi , pouffé à bout , met la main fur fon
épée. Tranftamare , prêt à tirer la fienne,
lui dit :
Sire , oferiez- vous bien me faire cet honneur ?
+
Léonore fe jerre entre les deux frères
& leur reproche leurs emportemens. D.
Pèdre eft vivement bleffé qu'elle paraille
le confondre avec fon frère.
LONOR E.
Et vous me reprochez , dans ce défordre affreux ,
De vouloir épargner un crime à tous les deux !
Vous me connaiſſez mal : apprenez l'un & l'autre
Quels font mes fentimens , & mon fort & le vôtre.
Tranſtamare , fachez que vous n'auriez enfin ,
Quand vous feriez mon Roi , ni mon coeur , nå
ma main.
Sire , tombe fur moi la juftice éternelle ,
Si , jufqu'à mon trépas , je ne vous (uis fidelles
Mais la guerre civile eft horrible à mes yeux ,
Etje ne puis me voir entre deux furieux ,
Milérable fujet de difcorde & de haine ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Toujours dans la terreur & toujours incertaine ,
Si le feul de vous deux qui doit régner fur moi ,
Ne me fait pas l'affront de douter de ma foi.
Vous m'arrachez , Seigneur , au folitaire afyle ,
Oùmon coeur , loin de vous , était au moins tran
quille.
Je me vois exilée en ce cruel féjour ,
Dans cet autre fanglant , que vous nommez la
Cour.
Je la fuis. Je retourne à la tombe facrée ,
Qù j'étais morte au monde & du monde ignorée.
Qu'un autre le complaife à nourrir dans les coeurs
Les tourmens de l'Amour & toutes les fureurs ;
Amêler fans effroi fes langueurs tyranniques
Aux tumultes fanglans des discordes publiques ;
Qu'elle fe fafle un jeu du malheur des humains ,
Et des feux de la guerre attifés par les mains ;
Qu'elle y mette , à fon gré , fa gloire & fon mérite
,
Cette gloire exécrable eft tout ce que j'évite ;
Mon coeur , qui la déteſte , eſt encore étonné
D'avoir fui cette paix , pour qui feule il eſt né ,
Cette paix qu'on regrette au milieu des orages.
Je vais loin de Tolède & de ces grands naufrages
M'enfevelir , vous plaindre , & fervir àgenoux
Un Maîtreplus puiflant & plus clément que vous.
Elle . fort , & Tranftamare auffi . D.
MA I. 1775 .
61
Pèdre refte avec Mendofe. Ce fidèle ami
lui repréfente qu'il devrait mettre dans
fa conduite , plus de ménagement & de
politique ; qu'il a contre lui un parti
puiffant , qui ne ceffe de décrier fon caractère
& de le peindre comme un tyran
condamné par Rome & par le Ciel ; &
qu'il femble trop juftifier , par les violences
, les imputations de la haine . D.
Pèdre répond :
Ah! dure iniquité des jugemens humains ,
Fantômes élevés par des caprices vains !
J'ai dédaigné toujours votre vile fumée ;
Je foule aux pieds l'erreur qui fait la renommée.
On ne m'a vujamais fatiguer mes efprits
A chercher un fuffrage à Rome ou dans Paris .
J'ai vaincu , j'ai bravé la rumeur populaire ;
Je ne me fens point né pour flatter le vulgaire.
Où tombons , ou régnons . L'heureux eft respecté ,
Le vainqueur devient cher à la postérité ,
Et les infortunés font condamnés par elle.
Rome de Tranftamare embraffe la querelle ,
Rome fera pour moi quand j'aurai combattu
Quand on verra ce traître à mes pieds abattu ,
Me rendre , en expirant , ma puiſſance ufurpée.
Je ne veux plus de droits que ceux de mon épée.
Alvare paraît. Il ofe dire au Roi que
62 MERCURE DE FRANCE.
le Sénat le demande . Ce mot feul fait
fentir tout l'orgueil & tout le pouvoir
de ce Corps . D. Pèdre en eft révolté . On
lui déclare qu'il entendra , dans les Etats ,
la lecture d'un Edit rédigé par fon frère ,
& qui réglera le fort de l'Espagne.
Au Sénat que faut-il que j'annonce ?
D. PEDRE.
Je fuis fon Roi. Sortez. Et voilà ma réponſe.
D. Pèdre furieux donne ordre au
Chef de fes Gardes d'arrêter Tranftamare.
Les troupes du Roi approchent de
Tolède & foutiendront cet acte de vi
gueur. Mendose lui remontre le danger
où il s'expofe , en violant des loix &
des priviléges qu'on refpecte.
D. PEDRE .
Moi ! je refpecterais ce gothique ramas.
De priviléges vains que je ne connais pas !
Eternels alimens de troubles , de ſcandales ,
Que l'on ofe appeler nos loix fondamentales !
Ces Tyrans féodeaux , ces Barons fourcilleux ,
Sous leurs ruftiques toits indigens orgueilleux :
Tous ces Nobles nouveaux , ce Sénat anarchique ,
MA I. 1775 .
69
Erigeant la licence en liberté publique :
Ces Etats défunis dans leurs vaftes projets ,
Sous les débris du Trône écrasant les Sujets !
Ils aiment Tranflamare , ils flattent fon audace ;
Hs voudraient l'opprimer , s'il régnait en ma places
Je les punirai tous. Les armes d'un Sénat
N'ont pas beaucoup de force en un jour de conbat.
Au troisième acte , les troupes de D.
Pèdre font entrées dans Tolède. Il difpofe
tout pour l'hymen & le couronne
ment de Léonore. Il avoue , avec plaifir ,
tout l'afcendant qu'elle a pris fur lui . IE
efpère qu'elle voudra bien lui pardonner
fes foupçons & fes reproches injuftes .
Tranftamare eft arrêté , & tous les Grands
qui compofent les Etats s'apprêtent à le
défendre & à le venger . Léonore, prêre
à fe voir déclarer Reine , repréfente à
l'époux dont elle va recevoir la main ,
que la haine publique eft un fardeau
qu'il lui ferait dur de partager. D. Pèdre
Fentend & la prévient . Il fait venir fon
frère. Il lui rappelle qu'un ufage , confa
cré dans l'Espagne , permer à une Reine ,
le jour de fon couronnement , de demander
la grâce d'un criminel . Léonore
a demandé celle de Tranſtamare , qui
64
MERCURE
DE FRANCE
.
a mérité la mort. Il lui laiffe la vie ,
& fe contente de le bannir. Mais , dans
le même inftant , on annonce l'arrivée
de Guefclin. I demande audience
comme Ambaffadeur de Charles Cinq ,
& fon armée refte fous les murs. Dans
la première fcène du quatrième acte ,
entre D. Pèdre & Mendofe , on apprend
que l'hymen de Léonore eft achevé ;
que le parti de Tranftamare , foutenu
par les Français , l'a délivré des fers.
A peine ce Guefclin touchait à nos rivages ,
Tous les Grands , à l'envi , lui portant leurs hommages,
Accouraient dans fon camp , le nommaient
grands cris ,
L'Ange de la Caftille envoyé de Paris.
Il commande , il s'érige un tribunal fuprême ,
Où lui feul vajuger la Caftille & vous même.
Seipion fut moins fier & moins audacieux ,
Quand il vous apporta les aigles & les Dieux.
Mendofe s'étonne que D.Pèdre fouffre
dans Tolède la préfence de ce fuperbe
Français, qui a ofé arracher Tranftamare
de fes mains .
D. PEDRE.
Al ne fait qu'obéir au Roi qui me l'envoie.
MA I. 1775 .
65
L'orgueil de ce Guefclin fe montre & le déploie
Comme un reffort puiflant avec art préparé ,
Qu'un Maître induſtrieux fait mouvoir à fon gré.
Dans l'Europe aujourd'hui tu fais comme on les
nomme ;
Charle a le nom de fage & Guefclin de grand
homme.
Et qui fuis-je auprès d'eux , moi qui fus leur vain
,queur?
Je pourrais des Français punir l'Ambasadeur ,
Qui m'ofant outrager , à ma foi fe confie.
Plus d'un Roi s'eft vengé par une perfidie ;
Et les fuccès heureux de ces grands coups d'Etat ,
Souvent à leurs auteurs ont donné quelque éclat.
Leurs flatteurs ont vanté cette infâme prudence .
Ami , je ne veux point d'une telle vengeance.
Dans mes emportemens & dans mes paflions ,
Je refpecte plus qu'eux les droits des Nations .
J'ai déja fur Guefclin ce premier avantage ,
Et nous verrons bientôt s'il l'emporte en courage.
Un Français peut me vaincre & non m'humilier.
Je fuis Roi , cher Ami ; mais je fuis Chevalier.
Vient enfuite la fcène d'audience , où
D. Pèdre , fur fon Trône , environné de
toute la pompe de fa Cour , reçoit l'Ambaffadeur
Français . La nobleffe du dialogue
répond à ce grand appareil . Nous
-66 MERCURE DE FRANCE.
citerons une partie de cette fcène , qui
certainement produirait fur le théâtre
un effet impofant . Guefclin explique
nettement tout ce que Charles exige de
D. Pèdre , en s'appuyant fur les dernières
volontés d'Alphonfe , dont il s'établit
le garant.
Rendez à votre frère , injuftement profcrit ,
Léonore & les biens qu'un père lui promit ,
Tous les droits reconnus d'un Sénat toujours juſte ,
Dans Rome confirmés par un pouvoir augufte.
Des Etats Caftillans n'ufurpez point les droits ;
Pour qu'on vous obéifle , obéiſſez aux loix :
C'eft-là ce qu'à ma Cour on déclare équitable ,
Et Charle eft, à ce prix , votre ami véritable.
D. PDR E.
Inftruit de fes deffeins & non pas effrayé ,
Je préfere fa haine à fa faufle amitié.
S'il feint de protéger l'enfant de l'adultère ,
Le rebelle infolent qu'on appelle mon frère ;
Je fais qu'il n'a donné ces fecours dangereux
Que pour mieux s'aggrandir & nous perdre tous
deux .
Divifer pour régner , voilà fa politique .
Mais il en eft une autre où Dom Pèdre s'applique ,
C'est de vaincre ; & Guefclin ne doit pas l'ignores.
MA I.
1775. 67
Agent de Tranftamare , ofez -vous déclarer ,
Que vous lui deftinez la main de Léonore ?
Léonore eft ma femme . Apprenez plus encore ;
Sachez que votre Roi , qui penfè m'accabler ,
Des fecrets de mon lit ne doit point le mêler ;
Que de l'hymen des Rois Rome n'eft point le juge
Je demeure furpris que , pour dernier refuge ,
Au Tribunal de Rome on ofe en appeler ,
Et qu'un Guerrier Français s'abaifle à m'en parler.
Oubliez - vous , Monfieur , qu'on vous a vu vousmême
,
Vous qui me vantez Rome & fon pouvoir fue
prême ,
Extorquer les tributs , rançonner les Etats ,
Et forcer le Pontife à payer vos foldats ?
GUES CLIN.
On dit qu'en tous les temps ma Cour a fu con
naître
Et féparer les droits du Monarque & du Prêtre;
Mais , peu fait pour toucher ces refforts délicats ,
Je combats pour mon Prince & je ne l'inftruis pas.
Qu'on ait lancé fur vous ce qu'on nomme ana«
thêm ,
Que l'épouse d'un frère ou vous craigne ou vous
aime ,
Je n'examine point ces intrigues des Cours ,
Ces abus des autels , cucor moins vos amours.
68 MERCURE DE FRANCE.
Vous ne voyez en moi qu'un organe fidele
D'un Roi l'ami de Rome , & qui s'arme pour elle.
On va verfer le ſang , & l'on peut l'épargner :
Fléchiffez , croyez - moi , fi vous voulez régner .
D. PEDRE.
J'entends ; vous exigez ma prompte déférence
A ces refcrits de Rome émanés de la France .
Charle adore à genoux ces étonnans décrets ,
Ou les foule à fes pieds fuivant fes intérêts.
L'orgueil me les apporte au nom de la justice ;
Vous m'offrez un pardon , pourvu que j'obéifle .
Ecoutez : fi j'allais , du même zele épris ,
Envoyer une armée aux remparts de Paris ;
Si l'un de mes foldats diſait à votre Maître :
«
Sire , cédez le Trône où Dieu vous a fait naître ;
»Cédez le digne objet pour qui feul vous vivez ;
Et de tous ces trélors à vos mains enlevés ,
» Enrickiſlez un traître , un fils d'une étrangère ,
Indigne de la France , indigne de fon père.
» Gardez-vous de donner vos ordres abfolus
» Pour former des foldats , pour lever des tributs ;
»Attendez humblement qu'un Pontife l'ordonne;
>> Remettez au Sénat les droits de la couronne ;
»Et mon Maître , à ce prix , veut bien vous pro-
» téger ».
ככ
Votre Maître , à ce point fe fentant outrager ,
Pourrait-il écouter , fans un peu de colère,
MA L. 1775.
69
Ce difcours infultant d'un foldat téméraire.
GUES CLIN.
Je veux bien avouer que votre Ambaſſadeur
S'expliquerait fort mal avec tant de hauteur.
Rien ne juſtifierait l'orgueil & l'imprudence
De donner des leçons & des loix à la France.
Charles'en tient , Seigneur , à la foi des traités .
Songez aux derniers mots par Alphonſe dictés ;
Ils ont rendu mon Roi le tuteur & le père
De celui que Dom Pèdre eût dû traitér en frère.
D. PEDRE.
Le tuteur d'un rebelle ! ah ! noble Chevalier ,
Qu'il vous coûte en fecret de le juftifier !
J'en appelle à vous - même , à l'honneur , à la
gloire.
Votre Prince eft- il jufte ?
GUES CLIN .
Un Sujet doit le croire.
Je luis fon Général , & le fers contre tous ,
Comme je fervitais fi j'étais né fous vous.
Je vous ai déclaré les arrêts qu'il prononce :
Je'n'y veux rien changer , & j'attends la réponſes .
Donnez- la fans réferve ; il faut vous confulter ;
Je viens pour vous.combattre & non pour difputer.
70
MERCURE DE FRANCE.
Vous m'appelez foldat , & je le fuis , fans doute.
Ce n'eft plus qu'en foldat que Guesclin vous
écoute.
Cédez ou prononcez votre dernier refus.
D. PEDRE.
Je vous refufe tout excepté mon eftime , & c.
Il donne à Guefclin fon épée . Tout
fe difpofe pour le combat. Tranftamare ,
au cinquième acte , revient vainqueur ,
ou plutôt Gueſclin a vaincu
lui ;
pour
& Tranſtamare a fouillé la victoire , en
affaffinant fon frère défarmé , prifonnier ,
& bleffé. Léonore fe tue. Le généreux ,
Guefclin reproche à Tranftamare fa lâcheté
& fa barbarie , & le laiffe dans
les remords.
On fent qu'il ne nous conviendrait
point de prononcer un jugement fur un
Ouvrage de M. de Voltaire. Il est trop
au- deffus de nos éloges & de nos critiques,
& perfonne ne reprochera au difciple ,
de ne point juger fon maître.
Mémoires littéraires , critiques , philofophiques
, biographiques & bibliographiques,
pour fervir à l'hiftoire ancienne &.
MA I. 1775. 71
& moderne de la médecine ; dédiés
à Monfeigneur le Garde des Sceaux :
Louis XVI régnant , année 1775. A
Paris , chez Pire , Libraire , rue St
Jacques & chez Baſtien , Libraire , rue
du Petit Lion, Fauxbourg St Germain .
Avec approbation & privilège du Roi.
Ces Mémoires font in- 4. Il en paroît
exactement deux feuilles , tous les quinze
jours. Le prix de la foufcription eft de
12 liv , franc de port pour Paris , & de
liv.
pour la Province. 15
Il paroît déjà 16 feuilles de cet Ouvrage
, qui avoit commencé en 1769 ,
fous le titre de Lettres à un Médecin de
Province , lefquelles étoient déjà goûtées,
lorfqu'elles furent interrompues . L'Auteur
, M. Goulin , en reprenant fon tra
vail , fous un autre titre , l'a annoncé
fimplement , comme devant fervir de
fuite à l'hiftoire de l'art de guétir , Ce
projet nous femble mériter l'attention
des Médecins , des Chirurgiens , des
Pharmaciens . Tous fe regardant comme
membres d'une famille ancienne , favante
& confacrée , pour ainfi dire , au fervice
de l'humanité fouffrante , ils prendront
intérêt à une histoire qui eft véritablement
& proprement la lear. Les noms
72 MERCURE DE FRANCE.
de ceux qui les ont précédés leur font
chers ; ils éprouveront donc un plaifir
fenfible , en lifant le récit des actes de
leurs vies , de leurs fuccès , des honneurs
qu'ils ont reçus , des découvertes qu'ils
ont pu faire, desOuvrages qu'ils ont compofés.
Tels font les détails dans lesquels
l'Auteur s'engage d'entrer fucceffivement,
tant à l'égard des anciens , que des modernes
. Occupé , depuis 1 années , de
ce projet également important & curieux ,
M. Goulin fe montre préparé pour le
remplir ; il n'écrit pas avant d'avoir lu ,
avant que de s'être inftruit ; il a parcouru
le vafte champ de la Médecine , dont
il veut donner , pour ainsi dire , la Topographie.
Il débute par une differtation
, dans laquelle il prouve que l'origine
de l'art de guérir remonte prefque
å celle du inonde ; que , dans toutes les
Langues , celui qui l'exerce a été défigné
par le terme de Guériffeur ; que la Diété
tique & la Chirurgie font également
nobles ; & que le Chirurgien , qui auroit
confervé dix citoyens par les reffources
qu'il a puifées dans fou art , ne mérite
pas moins la couronne civique , que le
Médecin favant & expérimenté , qui en
auroit rendu à la vie un pareil nombre
à
dévoués
MAI. 1773 .. 73
'dévoué à une mort inévitable ; que ,
durant une longue fuite de fiècles , la
totalité de l'art fut exercée par un feul
individu. L'impartialité avec laquelle
M. Goulin parle des trois efpèces d'hommes
qui fe font partagé l'exercice de
la Médecine , annonce un écrivain raifonnable
, qui ne fe laiffe aveugler ni
par les préjugés , ni par l'efprit de
Corps.
Cette differtation eft fuivie d'une notice
fur la Vie & les Ouvrages de Pierre
'd'Abano , un des plus célèbres & des
plus favans Médecins des treizième &
quatorzième fiècles. L'Auteur des Mémoires
l'a traduite de l'Italien de M.
Mazzuchelli ; elle eft curieufe & a demandé
beaucoup de recherches , auxquelles
le Traducteur en a joint de
nouvelles , accompagnées d'obfervations
intéreffantes & inftructives . Un trait ,
peu adroitement lancé contre Pierre
d'Abano que M. ' Goulin repouffe , lui
donne occafion d'expliquer avec fagacité
un endroit d'Hippocrate, dont le texte eft
visiblement altéré , & les corrections
qu'il propofe , en les foumettant au jugement
des Savans , prouvent que la Langue
Grecque lui eft très-connue . Il de-
D
74 MERCURE DE FRANCE :
vroit bien s'impoſer le pénible , mais utile
travail de traduire tout Hippocrate en
François ; Ouvrage qui manque à notre
littérature , & dont nous favons qu'il a
déjà traduit différens traités,
Dans une autre differtation , l'on examine
fi , peu après le déluge , il y avoit
déjà des Anatomiftes ; fi les Druides &
les Juifs du premier âge doivent être
regardés comme tels , ainfi que l'avoit
annoncé un Ecrivain très- moderne . On
démontre , par des preuves non équivoques
, qu'on ne s'occupa guères de
l'Anatomie ( des brutes ) , avant le fiècle
de Thalès ; & que l'étude de la Philo
fophie chez les Grecs , en infpirant du
goût pour les fciences & pour les arts ,
fit naître le defir de rechercher les caufes
de divers phénomènes de la nature .
Ceux qui les frappèrent dans l'homme
& dans les animaux ne pouvoient s'expliquer
fans connoître leur ftructure. Ils
commencèrent à s'en inftruire fur ces
derniers , par la diffection , qui conduifit
infenfiblement à l'anatomie humaine ,
la feule qui foit véritablement néceffaire
aux Médecins & aux Chirurgiens.
Les gens de Lettres qui aiment la
critique , l'érudition , la philologie , la
MA I. 1775. 75
quoi
biographie & la bibliographie , ont de
fe fatisfaire , en lifant ces nouveaux
Mémoires. On ne fauroit douter qu'ils
n'obtiennent principalement les fuffrages
de ceux pour lefquels ils font deftinés ,
fi le zèle de l'Auteur ne fe rallentit pas .
Obfervations critiques en faveur du Roi
& de fon peuple , fur l'Ouvrage de
de M. Richard des Glannières , inti
tulé : Plan d'impofition économique &
d'adminiftration des Finances , préfenté
à Mgr. Turgot , Contrôleurgénéral
, par M. D. G. , Avocat an
Parlement de Paris.
i
L'oppofition des opinions en extrait
la lumière , & du débat naît enfin le
point qui fixe les jugemens. Voilà la
devife de l'Auteur. Les bons patriotes
ne peuvent rien faire de plus utile &
de plus méritoire , que de rédiger leurs
vues & leurs talents fur un objet auffi
important au rétabliſſement de l'économie
publique. Chacun eft obligé d'y con
tribuerpour fa part .On n'a rien à craindre
fous un gouvernement qui fait que lo
bien ne peut naître que de la réunion
des lumières ; que les fauffes vues & les
Dij
76
MERCURE DE FRANCE.
erreurs ne peuvent être écartées que
par la contradiction ; & que les vrais
principes ne peuvent acquérir l'autorité
qu'ils doivent avoir , que par la diſcuſffon
publique , libre & impartiale.
Dans le langage de la fcience économique
, il n'eft point d'erreurs légères ,
ni de petites fautes. En dénaturant les
expreffions de cette doctrine invariable
dans fes effets comme dans fa théorie
dit l'Auteur des obfervations , on rifque
de faire paffer les finances dans un dédale
auffi compliqué que celui d'où l'on
voudroit fortir. La route qu'on cherche
eft bordée d'écueils qu'il n'eft pas toujours
aifé d'appercevoir , La droiture du
coeur & l'amour de la patrie doivent
diriger les talens , mais ne les fuppofent
pas toujours. On ne fauroit donc réunir
trop de lumières , pour traiter une matière
auffi étendue & auffi délicate que
celle des finances.
Code Ecclefiaftique , ou queftions importantes
& obfervations fur l'Edit du.
mois d'Avril de 1655 , concernant la
Jurifdiction Ecclefiaftique ; fur l'Arrêt
du Parlement du 26 Février 1768
concernant les bulles & expéditions
MA I 1775. 74
de Cour de Rome ; fur l'Edit de Mars
1768 , concernant les Ordres Religieux
; fur l'Edit de Mai 1768 , concernant
les portions congrues ; & fur
plufieurs articles de l'Ordonnance du
mois d'Avril 1667 , concernant les
procédures : par M. Condert de Clozol,
Avocat au Parlement. A Paris , chez
Grangé , Libraire , pont Notre- Dame,
On trouve dans le Droit Eccléfiaftique
un grand nombre de matières mixtes
dans lefquelles la puiffance temporelle
concourt avec l'autorité fpirituelle ; &
où ces deux puilfances , fans être ſubor .
données l'une à l'autre , doivent fe prêtet
un fecours mutuel : afin qu'étant égaler
ment émanées de Dieu , ellés agiffents
chacune dans leur genre , pour la gloire
de leur Auteur & pour la félicité , non
feulement temporelle , mais encore éter
nelle , de leurs fujets . Il y a donc dous
bles loix & des Jugemens de deux eſpè
ces différentes ; & , par conféquent , deux
fortes d'études qu'il faut toujours réunir
pour s'inftruire pleinement du Droit
Eccléfiaftique . L'une eft celle des règles
établies par l'Eglife ; l'autre eft celle des
que les Princes y ont ajoutées.. Parmi loix
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
celles - ci , le Clergé réclame l'Edit de
1695 , concernant les droits de l'Eglife
& les privilégés des Eccléfiaftiques. I
prétend que cette loi ne fait qu'expliquer
& confirmer le droit ancien , &
n'établit point un droit nouveau . Plufieurs
Canoniftes célèbres ne penfent pas , à cet
égard , fur tous les articles de cet Edit ,
comme le Commentateur. Son Ouvrage
n'en eft pas moins utile pour les Supérieurs
Eccléfiaftiques & pour tous les
Jurifconfultes . Les Commentaires qui
ont précédé celui - ci n'étoient pas affez
étendus. On fe propofe , dans ce nouvel
Ouvrage , de faire connoître quelles font
les bornes de la Jurifdiction Eccléfiaf
tique , quel est le pouvoir dont jouiffent
à préfent les Evêques & les Officiaux ,
& quels font les priviléges du Clergé &
de tous ceux qui le compofent. On a
joint au Commentaire de l'Edit de 1655 ,
celui de plufieurs Edits nouveaux qui
complettent le Code Eccléfiaftique .
La confolation du Chrétien , ou motifs de
confiance en Dieu , dans les diverfes
circonftances de la vie ; par M. l'Abbé
Roiffard , en 2 vol. chez Humblot , rue
Saint-Jacques.
MA I. 1775 : 79
On ne peut être tenté de découragement
& de défiance au fervice de Dieu ,
que lorsqu'on n'a pas le bonheur de
connoître l'Evangile , qui renferme les
motifs les plus puiffans de l'efpérance
Chrétienne . L'Auteur , en les réuniffant ,
nous prouve que cette vertu , fi néceffaire
dans toutes les fituations de la vie ,
a , tout à la fois , la propriété de procurer
à l'homme les biens que fon indigence
lui rend néceffaires ; & de rendre à
Dieu , une gloire parfaite pour ces mêmes
biens , en confeffant qu'ils viennent
de Dieu & qu'il en eft le maître : enforte
quelle entichit l'homme , avec une parfaite
dépendance de Dieu. Dans ce point
de vue , toute la puiffance que nous reconnoiffons
en Dieu , pour le falut des
hommes , devient notre bien propre &
le titre de notre bonheur fatur. Toutes
les merveilles de l'oeuvre de J. C. ne
font plus pour nous un fpectacle stérile ;
mais un tréfor dont on entre folidairement
en poffeffion , avec tous ceux qui
ont été , dans tous les fiècles , les objets
des miféricordes de Dieu. Les divines
écritures renferment le gage de la gran--
deur deſtinée à ceux qui fe fient à Dieu. '
Quand on pofsède cette vertu , fi bien
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
développée dans l'Ouvrage de M. l'Abbé
Roillard ; on a le glorieux avantage de
lire les Ecritures , dans le même efprit
qu'un grand Seigneur parcourt fes archives
, où il ne voit rien d'énoncé qu'il ne
dife , en même temps : c'eft mon bien;
cela m'appartient . Alors notre foibleffe
ne nous effraye plus exceffivement , parce
que nous espérons de n'y être pas aban
donnés , & d'être foutenus par le Tout-
Puiffant. La longueur de la carrière que
nous avons à courir , les difficultés , les
viciffitudes que nous pouvons éprouver
en nous mêmes , tout cela ne nous fait
pas défefpérer d'arriver au terme du falut
; puifque nous avons le bonheur de
nous regarder comme étant du nombre
de ces brebis que Dieu porte dans fon
fein & que perfonne ne peut lui ravir.
Un coeur à qui Dieu fait connoître la
vanité de biens périflables , peut-il trop
fe fier à celui dont il attend fon bonheur .
Que la religion eft confolante , quand
elle est préfentée fous les caractères qui
lui font propres & qui faififfent le coeur !
Telle eft la manière dont M. l'Abbé
Roiffard la fait envifager dans fon
Ouvrage.
Louis XII , furnommé le Père du peuple,
MA I.
1775 .
81
dont le préfent règne nous rappelle le
fouvenir ; par M. Auffray , des Académies
de Metz & de Marfeille ; avec
des Notes .
Toutes les actions fages , réfléchies &
remplies d'équité , de notre augufte
Monarque , ont déterminé l'Auteur à
compofer l'éloge hiftorique de Louis XII ,
Marc Aurele fait penfer à Trajan , Titus
à Sévère , Louis XVI à Louis XII , à
Henri IV . Ces parallèles fe font tout
naturellement , & fervent à montrer
qu'on n'aime rien tant à louer qu'an
Souverain qui n'écoute que fon devoir ,
fans fe laiffer éblouir par fon autorité.
Tous les traits remarquables de fa vie
réveillent des fentimens qui font naître
ou raniment dans les coeurs l'amour du
bien , & donnent au bonheur national
une confiftance que rien ne peut ébranler .
Le même rang qui donne les Rois en
fpectacle , a dir an célèbre Prédicateur
les propofe pour modèle . Leurs moeurs
forment bientôt les moeurs publiques .
On fuppofe que ceux qui méritent nos
hommages , ne font pas indignes de
notre imitation. La foule n'a point d'autres
loix que les exemples de ceux qui
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
commandent. Leur vie fe reproduit ,
pour ainfi dire , dans le public . La nation
Françoife fur tout , plus attachée à fes
Maîtres & plus refpectueufe envers les
Grands , ſe fait une gloire de copier leurs
moeurs , comme un devoir d'aimer leurs
perfonnes. On eft flatté d'une reffemblance
, qui , nous rapprochant de leur
conduite , femble nous rapprocher de
leur rang. Tour devient honorable dans
de grands modèles . Le Panégyrifte de
Louis XII , en rapprochant tous les traits
de fa vie , nous infpire le plus fort intérêt
pour un Prince dont la mémoire
a toujours été en bénédiction parmi les
François. Sa plus forte envie fut toujours
de les rendre heureux , & de mériter ,
par fon amour pour eux , d'en être furnominé
le Père. Cet éloge prouvera que
les fautes qu'on peut lui reprocher ont
été moins les fiennes que celles des circonftances.
Il ne courut oncques , dir S.
Gelais , du règne de nul des autres ,
, fi bon
semps , qu'il afait durant lefien.
Une nation , dit cet Auteur , ne pourra
jamais avoir une Hiftoire générale digne
d'attention , tantque fon rédacteur n'aura
point fous la main une biographie nombreufe
& choiſie de Rois , & d'hommes
MA I.
1775.
83
illuftres dans tous les exemples. L'Hiftorien
, emporté par une narration rapide ,
eft fouvent forcé de négliger des faits
très-importants , que le Biographe , au
contraire , a très -foin de raflembler. Le
mérite du premier eft de peindre à grands,
traits , de fondre habilement des faits
fouvent difparates , & de les enchaîner
avec un art imperceptible. Le fecond ,
dont la marche et plus tranquille , ne
perd jamais de vue fon Héros , & choifit
les circonftances les plus propres à faire
connoître les vertus & les vices qui le
caractérisent. Plutarque nous a laiffé des
modèles de ce genre d'écrire , qu'il n'eſt
fi aifé d'imiter . On doit defirer que
ceux qui ont des talens fe joignent à
M. Auffray , pour nous donner un cours?
complet de biographie , & nous mettre
fous les yeux des exemples propres à
réveiller le goût de la vertu..
pas
Code dufaux, ou Commentaire fur l'Ordonnance
du mois de Juillet 1737
avec des notes fur chaque article , une
inftruction pour les Experts , en matière
de faux , & un recueil des Edits ,
Arrêts & Réglemens , concernant les
peines contre les fauffaires ; par few
D vi
$4 MERCURE DE FRANCE.
!
M. Serpillon , Lieutenant- Général ,
criminel , honoraire & Confeillercivil
aux Baillage , Chancellerie , aux
Contrats &. Siége Préfidial d'Autup .
M. Le Chancelier d'Agueffeau , à qui
l'on doit cette Ordonnance , était intimement
perfuadé qu'il étoit auffi impor.
tant de régler la forme de la procédure ,
que de fixer des maximes certaines &
invariables , fur le fond des matières ; &
avouoit que le premier point étoit d'un
ufage plus fréquent & plus général que
le fecond. Les questions difficiles &
problématiques ne fe préfentent pas dans
toutes les affaires : mais il n'y en a aucune
, ni civile , ni criminelle , où la
régularité de la procédure ne foit néceffaire
; & la voie pat laquelle on parvient
à obtenir juftice , exige une attention
plus continuelle que le fond de la juſtice:
même.
Tel fut le principal objet que Louis
XIV fe propofa , dans les Codes , ou dans
les Ordonnances générales de 1667 , de
1669 , de 1670 ; ou dans d'autres loix
femblables qui regardent l'ordre judiciaire
, & qui ne contribuent pas moins
que fes autres actions à immortalifer la
gloire de fon règne.
MAI. 1773.
Mais il eft attaché à la condition humaine
de ne produire aucun Ouvrage où
il ne fe gliffe quelque imperfection : il
n'eft point d'efprit , quelque vafte qu'il
foit , qui puiffe tout prévoir ; & les Légiflateurs
les plus éclairés n'ont pas rougi
d'avouer qu'ils devoient plus fouvent au
fecours de l'ufage & de l'expérience ,
qu'à leurs propres réflexions . C'est cer
ulage & cette expérience , plus fûre que
les loix mêmes , qui ont montré qu'il
manquoit encore quelque chofe à l'en .
tière perfection des Ordonnances qui
ont établi les règles de la procédure ; &
c'eft par cette railon qu'on jugea à propos
d'en faire une revifion exacte , foit
pour en bannir toute obfcurité ou toute
équivoque , foit pour fuppléer ce qui y
manque en quelques endroits , foit enfin
pour effayer de fimplifier encore plus le
ftyle judiciaire , d'abréger la longueur
& de diminuer les frais de la procédure.
Comme il étoit impoffible d'embraffer ,
en même temps , toutes les parties d'un
projet ft étendu , & que les inftructions
criminelles font les plus importantes &
les plus privilégiées ; Louis XV crut qu'il
falloit commencer cet Ouvrage par un
nouvel examen de l'Ordonnance de 1670 ;
86 MERCURE
DE FRANCE
.
& , dans le grand nombre de matières
que cette Ordonnance contenoit , or
donna la préférence à ce qui regarde l'inftruction
du faux ; foit parce que la rédaction
des deux titres qui s'y rapportent n'a
pas été faite avec autant d'exactitude , de
diftinction & de détail qu'il auroit été
à defirer ; foit parce que les Juges , obligés
de fuppléer , par leur attention , ce
qui manquoit à ces deux titres de l'Ordonnance
, l'ont expliquée fi différemment
, ou quelquefois même avec fi peu
de fuccès , qu'il fe trouve peu d'inftructions
uniformes & régulières fur le faux.
Delà vient qu'il n'y en avoit preſque
point où l'on ne découvrît des défauts
effentiels , qui obligent les Tribunaux
fupérieurs à la déclarer nulle. Ce fut donc
pour prévenir tous ces Jugemens , que
M. le Chancelier d'Agueffeau travailla ,
fous l'autorité du Souverain , à la rédaction
de l'Ordonnance de 1637. M. Ser.
pillon , qui avoit étudié , toute fa vie ,
les loix criminelles , s'étoit fur tour appli
qué à éclaircir toutes les queftions que
avoient rapport au crime de faux ; le feub
contre lequel nous ayons confervé la voie
d'infcription que le droit Romain exigeoit
pour les plus grands crimes : c'eft ce qui
MA I. 1775. 87
a fait dire à Coquille , qu'en France nous
n'avons pas reçu la peine du talion , pratiquée
chez les Romains , finon en cas
de crime de faux , auquel l'infcription eft
requife ; & , par conféquent , qu'elle a
lieu, dans ce cas , contre le calomniateur
qui accafe.
Chymie Hydraulique, pour extraire les fels
effentiels des végétaux , des animaux ,
par le moyen de l'eau pure ; par M.
le Comte de la Garaye : nouvelle Edition
, revue , corrigée & augmentée de
notes , par M. Parmentier , Penſionnaire
du Roi , Maître en Pharmacie ,
ancien Apoticaire Major de l'armée
Saxone & de l'Hôtel des Invalides ,
Membre de l'Académie Royale des
Sciences , Belles Lettres & Arts de
Rouen , &c . & c. A Paris , chez Didot
le jeune , Libraire , quay des Auguſtins
.
La première édition de la Chymie Hydraulique
parut en 1746. M. le Comte
de la Garaye répandoit auparavant , dans
le Royaume , les remèdes qui prove
noient de fa nouvelle méthode : mais
le Roi ayant defiré que ces remèdes , dif
88 MERCURE DE FRANCE.
tribués dans le filence , fuffent rendus
publics , pour le bien de fes Sujets & de
l'humanité , l'Auteur fe rendit bientôt
aux voeux de Sa Majefté , & publia fes
expériences ; & l'on peut dire que jamais
homme ne porta à un plus haut degré ,
l'amour de l'humanité , le zèle du bien
public , la fenfibilité pour les malheurs
d'autrui , le defir de prévenir & de foulager
l'infortuné fouffrant . Auffi M. Parmentier
compare - t- il ce vertueux citoyen
à M. de Chamouffet ; & voici com
me il termine le parallèle qu'il en fait :
» Ces deux amis des hommes laiffent de
grands exemples à ſuivre ; j'oſe affurer
que leurs imitateurs , quoiqu'en difent
» les détracteurs du genre humain , ne
font pas auffi rares qu'on voudroit le
» faire entendre. Le fentiment de bien-
» faifance nous eft tellement naturel
"
qu'en France fur- tout , depuis notre
»jeune Monarque jufqu'au dernier de
» fes Sujets , l'humanité eft fûre d'avoir
fes partifans & fes protecteurs.
Cette nouvelle édition eft confidérablement
augmentée de notes. Dans la
multitude de celles qui nous ont paru les
plus intéreffantes , nous allons en citer
une , que nous prenons au hafard , afin
de faire juger du mérite des autres .
MA I. 1775 .
89
33
23
ม
:
לכ
Hen eft , fans doute , des fels appli
qués à l'extérieur , dit M. Parmentier
» comme de ceux que nous prenons inté
» rieurement ; c'eſt - à - dire que dans le
» nombre il y en a plufieurs qui ont
» un effet plus efficace & plus marqué ,
" que les plantes d'où on les a extraits :
» par exemple , il eft bien certain que le
» fel de Thymelea , pour parler le lan-
» gage de cette Chymie , ne produira
jamais une action aufi prompte , ni
» auffi vive , que le végétal lui - même
» dont l'ufage , comme topique ou exu
"
toire , eft en vogue , depuis que M. le
» Roi nous en a,fi bien démontré les
avantages , dans beaucoup de maladies
rebelles & difficiles à guérir. A
» ce fajet , je dois faire part d'une ob .
» fervation qui m'a été communiquée
» par une Dame aimable & aufli in-
» téreflante par les charmes de la figure ,
» que par les qualités du coeur & de
» l'efprit . Madame de B. qu'un tendre &
» folide attachement pour fon époux ,
» avoit condamnée , pendant plufieurs
» années , aux fonctions pénibles & défagréables
d'une garde malade affidue ,
» a remarqué que quand on fait fubir à
» l'écorce du Garou , ou Thymelea , une
"
90 MERCURE DE FRANCE.
"
préparation avant de l'employer, ce qui
» confifte à la mettre en macération dans
» le vinaigre , il en résulte quelques in-
» convéniens qu'on n'éprouve jamais ,
» lorfque , au lieu de vinaigre , c'eſt de
» l'eau dont on s'eft fervi . Voici comme
» Madame de B. explique l'action de ces.
» deux fluides fur l'exutoire en queſtion :
» deux fluid de
l'eau , dit - elle , difpofe & développe.
- » le principe médicamenteux qui va agir,
tandis que le vinaigre , au contraire ,
» l'émouffe & le bride , en occafionnant
» de plus , fur la peau , une forte de crif-
» pation qui en refferre les pores . J'ai eu
» occafion de vérifier fur le bras d'une
n
19
Dame , chère à fa famille & à fes amis ,
» qu'en effet cette explication étoit on
» ne peut plus jufte , & qu'il falloit , dans
» ce cas , donner la préférence à l'eau ;
» & cette circonftance me rappelle que ,
pendant la dernière guerre , j'ai vu
» fouvent que les cantharides que l'on
» met ordinairement avec du levain
» font agir avec moins d'énergie & de
» célérité , que fi l'on avoit pris pour
expédient une matière réfineufe . J'ai
déjà dit combien les acides affoiblif-
» foient les vertus des plantes purga
» tives ou vénéneuſes . On fait que
>>
39
MA I.
1775 . 91
»
"
les accidens funeftes , caufés par le
ftramonium , font combattus par les
» acides végétaux ; que le fue de citron
» eft une des fubftances les plus propres
» à modérer l'activité de l'Opium , & à
» remédier aux effets dangereux qui pro-
» viennent de l'abus qu'on en fait ; que
» l'oximel fcillitique & colchique opère
» différemment que ces racines bulbeufes
, prifes en fubftance ou en décoc-
» tion : mais , quoique les acides foient
» les plus puiffans correctifs de tous ces
végétaux , il faut cependant bien pren-
» dre garde de ne les adminiftrer qu'avec
» les plus fages précautions & les plus
grands ménagemens.
«
La manière diftinguée & éclairée , avec
laquelle M. Parmentier parle des Savans,
le ton fimple & modefte qu'il emploie
pour préfenter fes judicieufes réflexions ,
manifeftent l'homme honnête , le Phar
macien profond & le Chymifte inftruit .
Nous aurions defiré que M. Parmentier
inférât dans la Chymie Hydraulique la
differtation de l'eau de la Seine , qu'il
vient de publier , pour raffurer les habitans
de la Capitale , fur la falubrité
de leur boiffon ordinaire ; car quel Ouvrage
en étoit plus digne , que celui dans
92 MERCURE
DE FRANCE
.
lequel il eft queftion d'extraire de tous
les corps leurs principes les plus actifs , à
la faveur de l'élément aqueux ?
On trouve chez le même Libraire :
Gaubii Inftitutiones Pathologia ; Lugd.
Bat. 1774 , in - 12 . Prix , 3 liv . relié. "
Le même délivre actuellement les
tomes 2 & de l'Hiftoire des Infectes
de M. de Réaumur , in- 4 . aux conditions
du Profpectus.
La France Illuftre , ou le Plutarque Fran
çois contenant l'hiftoire des Géné
raux , des Miniftres & des Magiftrats :
par M. Turpin . Vol. in - 8 . A Paris ,
chez l'Auteur , porte Saint Jacques
& chez Lacombe , Libraire , rue
Chriftine.
Un homme d'efprit interrogé lequel de
tous les livres de l'antiquité il voudroit
conferver, s'il ne pouvoit en obtenir qu'un
ſeul : les hommes illuftres de Plutarque, ré.
pondit-il. Il n'y a peut- être point, en effet ,
de livres plus propres à foriner les hommes
, foit pour la vie publique , foit pour
la vie privée. M. Turpin , en prenant
MA I. 1775• 93
Plutarque pour modèle , s'eft auffi propofé
le même but. Il omettra plufieurs
détails peuintéreffans , pour s'occuper plus
particuliérement des traits de caractère ,
de moeurs ou de paffions , qui non feument
peignent l'homme , mais fervent
encore de leçons au lecteur. On doit , de
plus , regarder l'Ouvrage que M. Turpin
entreprend aujourd'hui , comme un mo
nument élevé à la gloire de la Nobleffe
Françoife , & de tous ceux qui ont bien
mérité de la nation , par leurs travaux
publics ou privés. Un pareil monument
ne pourroit- il pas remplacer les ftatues
ou les trophées que les anciens avoient
coutume d'ériger à la gloire de leurs grands
hommes ?
Chaque cahier de la France illuftre
fera décoré du portrait du Guerrier , du
Magiftrat ou de l'Homme public , dont
M. Turpin donnera l'hiftoire . La compa
raifon que le lecteur pourra faire des
traits tranfmis pan la gravure , avec le
portrait tracé par l'Hiftorien , fixera celuici
dans la mémoire , tandis que l'autre fe
peindra dans l'imagination . Quel lecteur
d'ailleurs ne prendra plaifir à contempler
les traits de phyfionomie de , celui
dont l'Hiftorien lui peindra l'ame & le
94
MERCURE DE FRANCE.
caractère. M. Turpin invite donc les Familles
à lui confier les portraits de leurs
ancêtres , pour en perpétuer les traits par
le fecours du burin . C'eſt un hommage
qu'elles rendront à leur mémoire ; c'eſt
une complaifance pour le public , qui
aime à contempler les traits des bienfaiteurs
de la patrie , dont il lit les actions .
Il feroit auffi à defirer que Meffieurs des
Etats-majors vouluffent bien communiquer
à l'Hiftorien les traits qui peuvent
relever la gloire de leurs Corps , afin
qu'il en foit fait ufage dans l'occafion.
Les Ecrivains Grecs & Romains ont cor.
rigé la féchereffe de leur fujet , en tirant
de l'oubli une infinité d'actions héroïques
, faites par de fimples Légionaires.
Ces faits particuliers font propres à entretenir
la valeur nationale. Le Militaire
à qui l'on rappelle la gloire que fon Régiment
s'eft acquife dans une action , ſe
forme une plus haute idée de fon métier.
Cette collection renfermera pluſieurs
traits qu'il pourroit lire avec fruit.
Le degré de perfection que l'Auteur
fe propofe de donner à cette entrepriſe ,
en rend l'exécution difpendieufe ; mais
étant faite pour occuper une place dans
les cabinets de livres les mieux choifis ,
MA I. 1775. 95
il n'a été rien épargné pour affurer fa
deftinée. Le prix , pour chaque année ,
fera de 30 liv . franc de port , pour les
abonnés ; & de 36 liv. pour ceux qui ne le
font point. L'Auteur s'oblige à donner
pour étrennes, à fes abonnés, un treizième
cahier qui contiendra la vie des Littérateurs
& des Artiftes contemporains des
grands hommes dont il aura donné l'hiſtoire
pendant l'année . Les grands hommes
, dont il fera mention cette année ,
formeront une hiftoire complette du rè
gne de Louis XV.
N
Le premier cahier de cette importante
collection vient de paroître ; il nous offre
le portrait & l'hiftoire du Maréchal de
Saxe. Quoique Maurice , Comte de
» Saxe , foit né , nous dit l'Hiftorien ,
» dans une terre étrangère , la France
qu'il adopta , & qu'il rendit triom-
» phante , a droit de l'infcrire dans fes
» Faſtes & de le compter parmi fes Héros .
» La patrie du grand homme eft le pays
qui fut le théâtre de fa gloire,
"
.93
Maurice , né à Drefde , le 19 Octo-
» bre 1696, fut l'unique fruit des amours
» d'Augufte II , Electeur de Saxe , & de
» la Comteffe de Conifmarck , Suédoife ,
» qui comptoit des Miniftres & des He
$6 MERCURE
DE FRANCE.
®)
33
ros parmi les ancêtres ; fa beauté fut le
moindre des dons qu'elle reçut de la
» nature ; fupérieure à fon fexe , par l'affemblage
de tous les talens qui forment
» le grand homme , l'Europe l'eût comp
tée parmi fes premiers Souverains , fi
la naiffance l'eût appelée au gouverne
» ment d'un Empire : mais fi elle n'eut
» point de Couronne , elle eut du moins
» la gloire d'affervir un grand Roi . Née
» tendre & fenfible , fes foibleſſes femblent
avoir été anoblies & par celui
qui en fut l'objet , & par celui qui en
étoit le fruit. Augufte étoit le Prince le
plus accompli de fon fiècle ; Maurice
» devint le Héros du fien . Les demi-
» Dieux de l'antiquité ont eu une tache
originelle . La naiffance d'Hercule n'a
» point flétri la mémoire d'Alc mène ; on
refpecta des erreurs & des fautes dont
on retiroit le fruit , & le merveilleux
» les confacra.
و د
39
93
"
» Les premiers penchans de Maurice
» fe manifeftèrent pour la guerre. Les
,, exercices militaires furent les feuls
>> amuſemens de fon enfance ; un beau
cheval excitoit fes tranfports , & fon
unique paffion étoit de le dompter : à
Pexemple d'Achille à Scyros , il s'élan
» çoit
MA I. 1775 . 91
99
19
çoit avec enthoufiafme fur des armes ,
» pour en examiner la forme & en effayer
la trempe . Contempteur dédaigneux de
» toutes les frivolités qui captivent l'en-
» fance , il fembloit parvenu à la matu-
» rité , fans le fecours du temps . L'édu-
» cation Allemande a quelque chofe de
plus viril que la nôtre ; nous abandon-
" nons l'enfance & la jeuneffe à des Hif-
و د
trions plus propres à former des Héros
» de théâtre , qu'à donner des défenfeurs
» à la patrie : preflés de jouir , nous difpenfons
les jeunes gens d'être effentiels ;
» il nous fuffie qu'ils foient aimables.
,, Mais heureufement nous commençons
» à nous appercevoir de nos erreurs.
"
Ce fut contre la France que Maurice fic
fon apprentiffage ddee guerre
, à l'école
d'Eugène & de Malbouroug , Généraux
bien dignes de former un pareil Elève.
L'Hiftorien fait , à ce fujet , une réflexion
fur les jeux de la fortune , qui fe plaît à
tromper la prévoyance humaine. Eugène
né en france , & dédaigné par elle , en
devient la terreur. Maurice , né en Allemagne
, y apprend l'art de vaincre ; il fait
l'effai de fes talens militaires contre la
France , & en devient dans la fuite le
foutien.
E
98 MERCURE
DE
FRANCE
.
L'Hiftorien , fans entrer dans le détail
des expéditions militaires du Comte de
Saxe , n'omet cependant rien de ce qui
peut affurer à ce Général la gloire d'avoir
été le plus grand Capitaine de fon fiècle .
La célèbre victoire de Fontenoi fut due
principalement à fa vigilance & à fa capacité.
Ce Général cependant étoit alors
prefque mourant . Il fe fit traîner dans une
voiture d'ofier, pour vifiter tous les poftes.
Pendant l'action , il monta à cheval ; fon
extrême foibleffe faifoit craindre , à tout
moment, qu'il n'expirât : c'eft ce qui fir
dire au Roi de Pruffe , dans une Lettre
qu'il écrivit , long- temps après , » qu'agi-
» tant , il y a quelques jours , la queftion
39
de favoir quelle étoit la bataille de ce
» fiècle qui avoit fait le plus d'honneur
» au Général , les uns avoient propofé
» celle d'Almanza , & les autres celle de
Turin ; mais qu'il étoit d'avis que c'étoit
» celle qu'un Général , à l'agonie , rem-
» porta fur les ennemis de la France.
Maurice a étendu les limites de l'art
de la guerre ,
guerre , non feulement par fes travaux,
mais encore par un Ouvrage inftructif,
qu'il appeloit modeftement
fes rêve.
ries. C'est ce dont le lecteur pourra fe convaincre
, en lifant cette hiftoire ; & après
OTHEQUE
DE
LYON
/
3931
MA I. 1775. 99
HELTE
DE
LA
VILLE
avoir vu ce grand homme à la tête des
armées , il prendra fans doute plaifir à
le fuivre avec l'Hiftorien , prefque dans
l'intérieur de fa maiſon , à l'examine LYON
dans fon déshabillé , à prêter l'oreille
*1893 *
fes converfations les plus familières. Ce
Général , habile à pénétrer dans les coeurs,
recherchoit la valeur modefte , pour l'em .
ployer , & refufoit fa confiance à ces fanfarons
, toujours empreflés à demander
fes ordres pour marcher à l'ennemi. » Ces
» charlatans , difoit- il , reffemblent au
» cheval de bronze, qui a toujours le pied
» levé & qui ne marche jamais.
Quand on lui propofoit une attaque où
il falloit facrifier quelques foldats : » Dif-
» férons, répondoit il , de quelques jours ;
» le plus beau fuccès eft celui qui coûte le
» moins de fang ; un Grenadier m'eft
précieux , il faut vingt ans pour le remplacer.
"
H
La confiance dont l'honoroit le Monarque
lui attiroit une foule d'importuns
, qui follicitoient des grâces. Incapable
de tromper par de fauffes promeffes ,
il leur difoit avec ingénuité : » Meffieurs,
je ſuis bien le maître de faire caffer des
jambes & des bras ; je les épargne ,
quand je puis : mais je ne difpofe pas
">
"
"
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
des grâces du Roi ; je rendrai fimple-
» ment témoignage des fervices que vous
» avez rendus ". Il eft vrai que fa recommendation
étoit rarement ftérile .
;
Le Maréchal de Saxe penfoit que les
fpectacles & les fêtes étoient propres à
' diftraire le foldat de la réflexion fur les
dangers & les fatigues de fon métier
ainfi il eut ſoin de faire naître , dans fon
armée , la gaieté qui régnoit dans fon
coeur. La veille d'une bataille , il avoit
toujours un spectacle à donner ; & à peine
étoit - on forti de la fêre , qu'il falloit
marcher à l'ennemi. Obfervateur rigide
de la difcipline , il vouloit qu'on en rempérât
la rigueur par le ton de l'affabilité.
Le Major d'un Régiment , qui ne favoit
fe faire obéir qu'en maltraitant le foldat ,
reçut un coup de balle à la cuiffe , dans un
exercice à feu . Ce crime excita une grande
rumeur . Le Maréchal ſe rendit chez le
bleffé & dit , en préſence de beaucoup
d'Officiers : Voilà comme le foldat
» François paye les coups de canne qu'on
», lui donne par humeur..
Quoique le Maréchal de Saxe ne fût
point infatué de la chimère de la naiffance,
& qu'il reconnût dans les hommesune
égalité établie par la nature , & qui ne deMA
I. 1775: 101
"
voit être dérangée que par l'inégalité des
talens , il ne pouvoit fupporter ceux qui
s'oublient ; il vouloit que tout fut en
fa place . On lui reprocha fouvent de prof
tituer fa confiance , à des perfonnes d'une
réputation équivoque : Que voulez-
» vous , répondoit il ; on les chaffe par
» la porte , ils rentrent par les fenêtres
" tous les gens de ma forte font exposés à
» la féduction . D'ailleurs il eft certaines
perfonnes dont on peut exiger des fervi
» ces , que d'autres plus délicates refuſe-
» roient de rendre. Je les prends pour ce
» qu'ilsfont ; il faut tirer parti des moin-
»
» dres atomes. 33
Il connoiffoit parfaitement la mefure
de fes talens . Convaincu qu'il étoit plûtôt
né pour conquérir que pour gouverner ,
il s'abftenoit de toute difcuffion fur les
mystères de la politique. Il étoit encore
plus réfervé à parler de guerre avec ceux
dont il ne pouvoit tirer aucune inftruc
tion . Une femme , qui jouiffoit alors de
la plus haute faveur , exigea fon fecret fur
les opérations de la campagne qu'il alloit
entamer. Il crut que cette complaiſance
feroit une foiblefle ; & , fur fon refus ,
cette femme irritée jura d'être fon, éter
nelle ennemie. Le Maréchal en rendit
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
compte au Roi , qui fit éclater fon mécon
tentement par de juftes menaces . C'étoit
le préfage d'une difgrâce que la favorite
crut devoir prévenir ; & , pour en dérober
l'éclat au public , elle envoya prier le
Maréchal de fe rendre avec elle à l'Opéra.
Il fut exact à l'invitation ; & , en l'abordant
, il lui dit : » Oh ! Madame , pour
» ces fortes de chofes , je ferai toujours à
» vos ordres.
Le Comte de Saxe avoit un tempérament
ardent qui le livroit aux femmes ;
mais , peu conftant dans fes goûts , il ne
cherchoit qu'à les varier , & fouvent fans
beaucoup de délicateffe. Ses paffions pou
voient même être regardées comme les
faillies paffagères d'un coeur facile à s'en-
Aammer & à s'éteindre . Une aventure ,
rapportée par fon Hiftorien , le prouve
aflez. Mademoiſelle Lecouvreur , célèbre
Actrice du Théâtre François , qui aimoit
le Comte de Saxe & en étoit aimée , inftruite
de la fituation critique de fon
amant , lors du féjour qu'il fit en Courlande
, pour faire valoir fes prétentions
fur ce Duché, avoit , en fa faveur , fait le
facrifice de tout fon mobilier . Lorsque le
Comte revint à Paris , la reconnoiffance ,
fous le nom de l'amour , le conduifit
MA I. 1775. 103
chez Mademoiſelle Lecouvreur . Il ne fe
donna pas le temps de défaire fes bottes ,
ni de réparer le défordre d'un long voyage .
C'étoit , dit l'Hiftorien , un Tartare qui
fembloit revenir d'une courſe . L'Héroïne
de théâtre étoit retenue dans fon cabinet ,
pour des affaires preflées . Se trouvant feul
dans l'appartement , il apperçoit fur la
cheminée , une Lettre écrite par un amant
favorifé , qui fe lamentoit fur le retour
d'un rival qui alloit le fupplanter. Il y
avoit ces mots , dans cette douloureufe
complainte:»Comment ferons nous pour
» nous revoir ? Je laiffe à l'amour & à
» votre coeur le foin d'en ménager les
» moyens ". Le Comte , moins affligé
que furpris de fa défaite , voit entrer fon
amante infidelle qui fe jette dans fes
bras , avec un épanouiffement de joie qui
en eût impofé à un amant moins inftruit.
Le Comte , au lieu d'éclater en reproches
vulgaires , recoit fes careffes avec tranfport
; mais craignant de lui laiffer appercevoir
un dépit fecret , il lui dit : » Il faut
que je vous quitte , pour reparoître
» dans un état plus décent ; dans un mo-
» ment je fuis à vous » . Il la quitte ; & ,
au lieu d'aller chez fon baigneur , il ſe
rend chez fon rival , furpris d'une pareille
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
vifite ; il lui propofe de monter dans un
fiacre avec lui . Cette invitation reffembloit
à un appel fur l'arène : il fut accepté.
La furpriſe fut encore plus grande , lorf
qu'il vit qu'on le menoit chez Mademoifelle
Lecouvreur , à qui le Comte dit ,
en l'abordant : » Ma Tourterelle , vous
» ne ferez plus embarraffée des moyens
» de revoir Monfieur ; le voilà , c'eſt moi
» qui vous l'amène ; c'eſt au vaincu à
» couronner le vainqueur «. L'amante
confondue pleure , gémir , & veut héroïquement
fe poignarder. On l'arrête , &
on lui promet fon pardon. Le Comte
étoit lui- même coupable de trop d'infi.
délités , pour ne pas excufer les foibleffes
des autres ; affuré de trouver partout des
dédommagemens , il ceffa d'être fon
amant , fans ceffer d'être fon ami.
Nous omettrons plufieurs autres traits , ou
anecdotes propres à nous faire connoître
le Maréchal de Saxe ; afin de mettre ſous
les yeux de nos lecteurs le portrait que
P'Hiſtorien nous a tracé de fa perfonne,
"
"
Maurice , Comte de Saxe , étoit d'une
» haute taille . Sa force femble juftifier
» tout ce que les Grecs exagérateurs ont
» publié de Milon le Crotoniate . Il rom-
» poit un fer à cheval , fans efforts : on l'a
MAI. 1775 : 105
» vu plufieurs fois tortiller de gros clous
» avec les doigts , & en faite un tire-
» bouchon . Il fut infulté , dans les rues
» de Londres , par un boueur ; il le faifit
" par le chignon & lejeta fur fon tombereau
dégouttant d'une boue liquide. Son
» tein baſané , les fourcils noirs & épais
» lui donnoient un air dur , qu'il tempé
» roit par un fourire gracieux . Il fuffifoit
» de le voir , pour deviner qu'il étoit né
pour la guerre . Alexandre envioit à
» Achille le bonheur d'avoir eu un hom-
» me pour tranfmettre les actions héroï-
» ques à la poſtérité ; le Maréchal de
» Saxe , auffi grand & plus heureux que
» le Héros Macédonien , a eu M. Thomas
» pour panégyrifte ,
"
"
L'hommage le plus glorieux , rendu à
fa mémoire , eft celui de ces Grena-
» diers , qui , paſſant à Strasbourg , aigui
sèrent la lame de leur fabre fur fon
» tombeau. Cet enthouſiaſme nous rap-
» pelle l'admiration dont les Turcs , à la
» prife de Croya , furent faifis pour Scan-
» derberg , autrefois leur vainqueur. Ils
tirèrent fon corps du tombeau , pour
lui rendre des honneurs funèbres dignes
❞ d'un Héros . Les uns lui enlevèrent fon
cafque , les autres fon bouclier & fon »
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
>>
99
épée , dans la confiance d'être invinci
» bles en portant ces armes triomphantes.
» Ils hachèrent tout fon corps , pour en
faire des reliques : ceux qui lui coupèrent
les parties naturelles furent perfuadés
que leurs enfans feroient auffi
braves & auffi vigoureux que lui . Les
» Hymnes de la victoire , chantés par le
peuple & le foldat , font le plus beau
» Panégyrique d'un Général .
"
"
Cette Hiftoire , & celles du Maréchal
de Choifeul & du grand Condé , que M.
Turpin a ajoutées à la fuite des Vies des
hommes illuftres de France , publiées par
l'Abbé Perau , font un fûr garant de l'intérêt
que l'on doit efpérer de trouver dans
la collection que nous venons d'annoncer.
M. Turpin , qui a débuté dans la carrière
de l'Hiftoire , de la manière la plus honorable
, fait , par l'énergie & la dignité
de fon ftyle , foutenir la noble fonction
d'Hiftorien .
* Adonis. Imitation du chant huitième
de l'Adoné du Cavalier Marin : à Lon
dres ; & fe trouve à Paris , chez Mufier
Les deux articles fuivans font de M. de
ba Harpe.
M A 1. 1775 . 107
fils , Libraire , rue du foin St Jacques.
» On a tâché , dit le Traducteur , dans
» fon avertiflement , de mettre dans cette
» imitation une fuite & des liaiſons qu'on
» chercherait vainement dans l'Original ;
» on a même pris la liberté d'y ajouter
plufieurs idées. Mais quelques change-
» mens , quelques tranfpofitions qu'on ait
» été obligé de faire , les lecteurs y recon
» noîtront fans peine le génie Italien . Si
» cet effai de traduction , ou plutôt d'imi-
≫tation très-libre , a le bonheur de plaire,
» on pourra donner tous les chants de
» l'Adoné , par morceaux détachés , dans
» le même goût que celui - ci ; c'eſt - à - dire
» qu'on ne faifica dans ce Poëme , que
» ce qu'il renferme de plus agréable , &
qu'on laiffera de côté toutes les lon-
» gueurs , tous les petits détails , tous les
» concetti qui déparent cette production
» trop ingénieufe, difons le mot, trop Ita-
» lienne. Par ces retranchemens indiſpen
fables , il très bien arriver que
pourra
* de trois ou quatre chans du Cavalier
» Marin , on n'en faffe qu'un feul : ainfi
» le public n'a point à craindre qu'on le
furcharge d'un Ouvrage volumineux .
» On ne confultera dans ce travail , que le
و د
39
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
"
génie de notre langue & le goût de notre
» nation . Ces parties féparées feront im-
» primées dans le même format , avec
» les mêmes embelliffemens & le même
» caractère Typographique , que celle
qu'on fait paroître aujourd'hui .
L'Adoné eft un Poëme en 24 chants ,
le plus confidérable des Ouvrages de J.-
Baptifte Marini , célèbre poëte Italien ,
que nous appelons le Cavalier Marin. Son
Poëme d'Adonis pèche par le défaut d'ac
tion , par la prolixité & la monotonie
des defcriptions ; mais il eft femé d'idées
fines & délicates , & de peintures volup
tueuſes . Nous en citerons quelques morceaux
, qui fuffiront pour faire connaître
le génie du poëte Italien , le ton de
l'Ouvrage & le ſtyle de l'Imitateur.
Vénus , dans le huitième chant , fe préfente
aux regards d'Adonis , au moment
où il s'éveille . Elle l'enlève fur fon char
& le conduit àPaphos.Voici la defcription
du Palais de la Déeffe .
» Qui pourroit décrire ce Palais enchan-
» teur ! La Flatterie , qui fe tient fur le
» feuil de la porte , attire les jeunes étrangers
; la Vanitéleur fait un riant accueil ;
» la Confiance encourage les plus timides ;
la Richeffe, vêtue d'un habit de pourpre,
MA I. 1775 . 109
"
22
33
» étale devant eux tous les tréfors ; la
» Promeffe engageante les prend par la
main ; & la Gaieté, au vilage riant , les
» accompagne. Les Soupirs y font des ha-
» leines de feu ; le Regard eft coquet ; le
Sourire , agaçant ; les Jeux courent
» embraffer les Plaifirs ; les Charmes le
jettent dans les bras des Amuſemens ; la
» Joie chaffe loin d'elle les foucis incommodes,
& folâtre fans ceffe ; l'Amou
reufe Penfée , le front baiffé , eft toute
» entière à l'objet qui l'occupe : la Prière ,
à genoux , demande du relâche à la
» Douleur ; & la Paix , à la Guerre . Le
Gefte , meffager muet du Defir , fe fait
» entendre ; le Baifer préfente fes lèvres
» & fe fond dans un baiſer ; la Langueur
» fe repofe à chaque pas ; le Sommeil la
» fuit , avec un front appefanti , & le fou
tenant à peine. La troupe des Songes
`voltige autour de lui , les uns parés de
Aleurs , les autres couverts de ciprès ; le
Myflère eft enveloppé d'un voile prefque
impénétrable. On ne peut l'appercevoir
» que dans l'ombre de la nuit ou dans l'épaif-
» feur des forêts. Chaque jour il s'enrichit
des
pertes de l'Indiferétion. La Complaifance
facile prévient fes goûts ; les Soins
» obligeans compofent fon cortége ;
33
39
"
ود
"9
23
"
"
99
110 MERCURE DE FRANCE.
» la Jeuneffe fait des couronnes de lys , &
» treffe avec des rofes les boucles de fes
» cheveux . La Beauté , les Grâces , les
39
»
"
Agrémens & les Charmes fe tiennent par
» la main ; l'aimable Folie danſe au milieu
d'eux ; l'Espérance flatteufe & perfide les
» fuit , avec le Defir plein d'agitation .
L'Occafion ne fait que fe montrer &
difparoître ; elle a peur qu'on ne lui fai-
» fiffe le toupet de cheveux qu'elle a fur
» le front. L'Audace tremble elle- même,
» au premier larcin qu'elle fait . La Li-
» cence porte fes mains téméraires fur tout
» ce qui fe préfente ; l'adroite Tromperie
» & l'ingénieux Menfonge , tous deux
mafqués , fe promènent enfemble. La
» Fraude couvre de fleurs les ferpens de
fon horrible chevelure ; une voix douce ,
un fourire agréable , cachent le venin
» de fa langue. Les Sermens faux , ou in
» fidèles , s'envolent avec des ailes légères,
» font répandus dans les aits . Les Soupirs,
» les Sanglots entrecoupés , la Crainte ,
» au regard abbattu , marchent fur les
» pas de la Colère , fi facile à appaifer.
99
Ce dernier trait de la colère facile à
appaifer eft peut- être le plus heureux de
tous , parce qu'il eft le plus vrai &le plus
naturel.Il y en a quelques autres qui ont
MA I. 1775 . III
de la fineſſe & de l'agrément. Mais d'ailleurs
quel abus d'efprit ! Que cette profufion
d'allégories eft froide & de mauvais
goût ! C'est bien là que les figures
font l'oppofé de la Poéfie . Combien le
feul morceau de la ceinture de Vénus ,
dans Homère, eft fupérieur à tout ce clinquant
du bel- efprit moderne ! Comme
toute figure devient un défaut , dèsqu'elle
ne préfente pas un grand fens , ou
une image vraie & frappante ! Qu'impor
te que les Charmes fe jettent dans les bras
des Amuſemens , & que les Jeux embraffent
les Plaifirs ? Et quelle idée de faire
marcher les Sanglots fur les pas de la
Colère ! Comparez à ce morceau , qui n'eſt
guère qu'un amas de défauts brillants , le
temple de l'amour dans la Henriade ; &
voyez combien on retrouve le goût antique
, le génie de la belle Poéfie , dans ce
Poëme, que l'envie & l'ignorance ont accufé
fi fouvent de n'être qu'un monument
de bel - efprit.
Le repentir les fuit , déteftant leurs fureurs ;
Et baiffe , en foupirant , les yeux mouillés de
pleurs.
On croit revoir dans ce tableau celui
112 MERCURE DE FRANCE .
des prières qui fuivent l'injure , dans le
neuviéme livre de l'Iliade. Oppofons cependant
à ces défauts deMarini quelques
traits , dans lefquels il fe rapproche plus
des anciens, & , par conféquent, de la belle
nature. Il peint Vénus irritant les défits
d'Adonis.
ן כ
"
» Elle s'étoit un peu enfoncée dans le
bofquet , comme par modeftie , de ma
» nière cependant qu'on pouvoit la voir à
travers le feuillage. Qui connaît mieux
» que Vénus l'art d'irriter les yeux ! Elle
» fe montre & fe cache tour- à- tour . On
s'apperçoit même qu'elle rougit. Tous
» fes geftes , toutes fes atitudes , tous fes
» mouvemens formés à deffein ſemblent
» l'ouvrage de la timide retenue . Cette
pudeur enfantine , cet embarras qui
paraît ingénu , lui prêtent de nouveaux
» charmes . Tous les arbriffeaux empreffés
» fe difputent l'honneur de l'ombrager.
» Ils étendent , ils penchent leurs ra-
» meaux à l'envi , moins pour la parer
» des rayons curieux du Soleil , que pour
» s'en approcher eux-mêmes de plus près
» pour l'embraffer & la careffer. Leur
» féve , autrefois vagabonde', fe préci-
» pite aux extrémités des branches qui
» touchent la Déeffe. On vit même un
ود
و د
و د
7
MA I. 1775. fiz
» jeune hêtre qui , ne pouvant renfermer
» le plaifir qu'il reffentait , poufla des
» boutons & devint plus touffu » .
Quelle différence de ce morceau , vraiment
poëtique , à celui que nous venons
de blâmet ! c'est ici que l'imagination eft
heureuſement employée . Ce n'eft plus
une foule d'êtres moraux & métaphyfiques
ridiculement perfonnifiés ; c'eft Vé
nus , c'eſt la Déeffe du plaifir animant
tout ce qui l'approche . Les arbres , les
eaux , tout reffent de l'amour pour elle.
Non-feulement il y a de l'intérêt dans
ces fortes de fictions , qui nous rappellent
les idées qui plaifent le plus à notre
fenfibilité ; mais il y a même une forte
de vérité convenue. La mythologie , dont
nous avons adopté les inventions aimables
, peuplait tous les élémens d'êtres .
fenfibles ; ainfi notre imagination ne fe
révolte point de voir les feuilles des
arbres fe pencher amoureuſement vers la
Déeffe de l'Amour , de voir les flots la
careffer & s'empreffer autour d'elle . Cette
image du jeune hêtre qui pouffe des boutons
& devient plus touffu , eft charmante
& dans le goût des Anciens . Comme
en effet rien ne reffemble plus à la ſenfibilité
physique que la végétation , les'
114 MERCURE DE FRANCE.
fables qui uniffaient une Dryade à un
chêne , & faifaient habiter les Sylvains
dans les forêts , avaient l'avantage d'amufer
l'imagination fans trop bleffer le bon
fens.
Rien n'eft beau que le vrai , le vrai feul eft aimable;
Il doit régner par -tout & même dans la fable.
On a bien fouvent cité ces vers , parce
qu'ils ont un grand fens ; on les a plus
fouvent oubliés , parce que le bon goût
eft fort rare. Le Cavalier Marin a péché .
encore contre ce bon goût , même dans
le morceau que nous venons de louer
en donnant aux rayons du Soleil l'épi .
thète de curieux. Quelle idée froide &
bizarre de perfonnifier un rayon ! c'eft
cette comparaifon du bon & du mauvais
à côté l'un de l'autre , dans un même
Auteur & dans un même morceau , qui
peut fervir à former le goût . Les bonnes
traductions , qui nous font connaître la
Littérature ancienne & étrangère , font ,
en ce fens , de très- grands fervices rendus
à la nôtre Quoique l'Adoné ne foit
pas un bon Ouvrage , il n'eft pas fans
mérite , & la traduction qu'on nous an-.
MA I.
1775. 115
nonce peut être utile , & fera connaître
de plus en plus le génie des Italiens ,
même en s'écartant un peu de l'original .
Cette verſion eft élégante en général ;
mais le Traducteur devrait faire attention
à rejeter certains mots néceflairement
exclus de la langue poëtique ,
comme celui de toupet , que nous avons
remarqué
, comme lorfqu'il met des
draps dans le lit de Vénus ; ces fortes de
fautes font faciles à éviter.
Les Converfations d'Emilie. A Léipfic ;
& le trouve à Paris , chez Piffot , Libraire
, quai des Auguftins , près la rue
Gît le coeur.
C'eft une vérité qui n'a été reconnue
qu'un peu tard , que les livres élémentaires
ne peuvent être bien faits que par
des perfonnes fort fuperieures à ce genre
de travail. Il faut pofféder très - bien une
matière pour n'en offrir que les résultats
les plus intéreffans ; il faut beaucoup de
jufteffe d'efprit pour les faifir , beaucoup
de méthode pour les préfenter , beaucoup
de goût pour écarter l'inutile. C'eſt par
toutes ces raifons ( pour le dire en paffant
) qu'un bon Journal ne peut être
116 MERCURE DE FRANCE .
l'ouvrage que d'un homme de lettres trèsdiftingué
par fon efprit & fes talens .
Chargé de former le goût de fes lecteurs ,
comment fera til , s'il n'en a pas luimême
, ce qui arrive le plus fouvent ?
Et quelle grâce aura t-il à parler d'efprit
& de ftyle , s'il écrit comme un pédant
ennuyeux ou comme un fatirique grof
fier ?
Les converſations d'Emilie font un livre
de morale élémentaire,à la portée d'un en.
fant; mais il eft compofé de manière à être
lu avec plaifir par des hommes inftruits .
Il y règne une fimplicité aimable , qui
infpire le goût de la vérité & de la vertu .
La tendreffe & la vigilance maternelle ,
jettent de l'intérêt dans les converſations
d'Emilie avec fa mère. On aime à voir
une femme, qui paraît d'un efprit trèsfage
& très cultivé , defcendre juſqu'à
celui d'un enfant , pour l'élever , peu àpeu
, jufqu'au fien ; on fuit les progrès
de l'inftruction dans une âme neuve &
docile , à qui l'on fait concevoir & fentir
fucceffivement tous les principes de morale
qui fondent la fociété & en établiſ,
fent les rapports . Ces principes ne font
pas prolixement étalés , de manière à
infpirer l'ennui. La mère , attentive &
MA I. 1775 117
fage , qui fait que les enfans ont com.
munément l'efprit jufte , & qu'il ne s'agit
que de leur préfenter un objet à propos
pour le leur faire faifir de manière à
n'être pas oublié , fait toujours naître
une occafion pour enfeigner une vérité ,
& même la rend fi palpable , que c'eft
l'enfant qui a l'air de la découvrir . Tel
eft le louable artifice qui règne dans ces
dialogues , & que quelques exemples .
cités feront mieux connaître .
La mère veut faire fentir le ridicule
trop commun de mettre dans la tête des
enfans des mots qu'ils ne comprennent
pas , & dont l'explication tient à des
connaiffances trop élevées , au - deffus de
leur âge & de leur raifon . C'eſt le fujet
de la cinquième converfation.
EMILIE .
Maman , maman , embraffez-moi .
LA MERE.
T
Très volontiers. Vous me direz fans
doute pourquoi.
EMILI E.
Oui , maman , c'eft que je le merite
118 MERCURE DE FRANCE.
bien. C'eft que je fuis bien favante à
préfent. Je fais trois chofes de plus.
LA
MERE.
Trois chofes ! mais vraiment c'eft beaucoup
de chofes. Et font-elles belles ? fontelles
utiles ?
EMILI 1.
Vous allez voir , maman . C'eft que je
fais qu'il y a quatre élémens , le feu ,
l'eau , la terre & l'air.
Bon !
LA
MERE..
EMILIE .
Oui , maman , c'eft très- vrai . Et puis,
élément veut dire principe qui fait agir.
Vous voyez que j'ai bien retenu . Mais
ce n'eſt pas tout.
Eh bien !
LA
MERE.
EMILIE .
Tenez , maman , écoutez. Il y a trois
chofes encore qu'on appelle les trois règnes
; le règne végétal , que vous avez
MA I.
1775. 119
eu la bonté de m'expliquer l'autre jour :
ce font les fruits , les arbres , tout ce qui
fe féme ou fe plante ; vous favez bien ?
& puis le règne minéral , qui font les
pierres , l'or , l'argent , le fer , qu'on appelle
mines , & qui fe forment au fond
de la terre ; & puis le règne animal , qui
font tous les animaux les bêtes , les
poiflons , les oifeaux & les hommes : &
voilà de quoi tout le monde eft compofé.
>
LA
MERE.
Et c'eft pour cela qu'il a fallu vous
embraffer ?
EMILI E.
Oui , fûrement ma chère maman ;
eft-ce que vous n'êtes pas bien aife , bien
contente de moi ? Je fais tout ce qu'il y
a dans le monde à préſent.
LA MER E.
Vous croyez cela ?
EMILIE.
Mais , oui , maman. Eft- ce qu'il y a
encore autre choſe ?
120 MERCURE DE FRANCE .
LA MERE.
Et à qui avez - vous l'obligation de
cette belle fcience ?
EMILIE.
Maman , j'aurai l'honneur de vous le
dire. Mais dites-moi donc , ma chère
- maman , fi vous n'êtes pas bien contente
de moi.
LA MER 1.
Je le fuis de votre émulation & du
plaifir que vous avez en croyant m'en
avoir fait. Je vous en fais très- bon gré ;
je vous en remercie même , parce que
cela me prouve , que vous cherchez à
me plaire . Mais , ma chère enfant , G
vous voulez me faire un bien plus grand
plaifir encore , il faut oublier tout cela .
EMILI E.
Pourquoi donc , maman ?
LA MER E.
C'est que vous ne comprenez pas un
mot de ce que vous croyez fi bien favoir ;
&
MA I. 1775 . 121
&
que
que tien n'eft fi dangereux à votre âge
de parler des choſes qu'on n'entend
Il en arrive toutes fortes d'inconvé
niens.
pas.
EMILI E.
Mais pardonnez moi , maman . J'entends
très - bien tout ce que j'ai appris.
*
LA MERE.
C'eft ce que nous allons voir. Repre
nons un peu ce que vous avez dit . Savezvous
qu'il y a dequoi caufer huit jours
avant de comprendre un feul des grands
mots dont vous m'avez fait une fi bellelitanie.
EMILI E.
I 1
Oh ! tant mieux , maman . J'aime tant
à cauſer avec vous ! & puis il pleut depuis
ce matin ; j'espère qu'il ne viendra
perfonne. Nous aurons bien du temps.
LA
MERE
.
Profitons- en . Eh bien ! vous dites donc
qu'il y a quatre élémens ?
EMILI E.
Oui, maman : l'air , le feu …… .
122 MERCURE DE FRANCE.
LA MERE .
Oh ! doucement. Je ne vais pas fi
vite , moi. Je dis comme M. Gobemouche
, entendons- nous .
EMILIE riant de tout fon coeur.
M. Gobemouche , c'eft un drôle de
nom, Queft-ce que c'est que M. Gobemouche
?
LA MERE.
$
C'est un original qui n'a que faire à
notre converfation. Nous en parlerons
une autre fois. Nous difions qu'il y a
quatre élémens. Et n'y en a - t - il que
quatre ?
EMILI E.
Je ne fais pas. On ne m'en a montré
que quatre.
LA
MERE.
Et qu'est-ce qu'ils font ces quatre élémens
que vous connaiſſez ?
EMILIE .
Ah ! j'avais oublié . Il font aller le
monde.
MA I. 1775. 123
LA MERE.
·
Mais , qu'eft ce que c'eft que le
monde?
EMILI E.
Mais , maman , c'est tout cela , c'eſt
Paris , c'eft le Bois de Boulogne ; c'eft
St Cloud ... Voilà tout.
LA
MERE.
Voilà tout ce que vous en connaiſſez ;
Eh bien ! vos quatre élémens font donc
aller St Cloud & le Bois de Boulogne è
Mais comment cela ?
EMILI E.
Ah ! je ne fais pas.
LR MER E.
Bon , voilà déjà votre ſcience en défaur,
& c.
La mère tâche enfuite de lui faire entendre
fucceffivement ce qu'eft chacun
de ces élémens par rapport à l'homme :
mais elle ne va pas loin fans fe fervis
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE .
•
1
de termes que l'enfant n'entend plus &
dont elle demande la fignification . Alors
la mère lui dit que cette explication en
entraînerait encore d'autres qu'elle n'entendrait
pas davantage, Elle en prend
occafion de lui perfuader qu'elle doit
s'en tenir à ce que fa mère lui apprendra ,
parce que fa mère feule peut favoir ce
qui lui convient.
Dans un autre dialogue , la mère explique
à Emilie les moyens qui procurent
le bonheur. Elle l'amène , par degrés , à
convenir que le plus grand bonheur eft
celui d'être content de foi , & on ne l'eft
que lorsqu'on a fait fon devoir ,
LA MERE.
Quand vous étudiez mal , avec négli
gence , avec pareffe , quelle eft l'idée qui
vous occupe alors ? quelle en eft la caufe ?
EMILIE,
C'eft que d'apprendre
me donne de la
peine,
LA MERE .
Et que vous aimeriez
mieux aller
jouer , chanter , danfer ,
•
MA I. 1775. 125
E MI LI B.
Cela eft vrai .
LA MERE.
C'est donc pour fuir la peine &
pour avoir plutôt du plaifir que vous
étudiez mal ? Eh bien ! qu'est - ce qui
en arrive ?
EMILI E.
Ah ! il en arrive tout le contraire .
Quand j'ai mal étudié , j'étudie plus
long- temps . L'humeur me prend , je fais
tout de travers , & je ne joue pas.
LA MERE.
Et quand vous êtes entêtée , & que
vous fuivez vos fantaifies , fans égards
pour ce que j'exige de vous , quelle eft
votre idée ?
EMILI E.
C'eſt que ce que je veux me fait plaifir
, & que ce qu'on exige de moi ne
m'en fait pas.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE,
LA MERE.
C'eft donc pour fair la peine & pour
vous procurer du plaifir. Et qu'en arrive.
_t - il ?
EMILI E.
Que je m'attire une bonne pénitence
que la peine dure tout le jour , & qu'il
n'eft plus queſtion de jeu ni de plaifir.
LA MERE.
Et quand vous étudiez bien , & que
Vous êtes docile , qu'en arrive- t- il ?
EMILIE.
Oh ! que mes devoirs font bientôt
faits ! que je fuis heureufe ! heureufe !
Tenez , ma petite maman , je fens là
quelque chofe dans mon coeur qui me
rend fi aife ! oh ! comme je fuis gaie &
contente !
LA MERE,
Vous voyez donc bien que quand vous
n'êtes pas raifonnable , vous vous trompez
fur les moyens qui mènent au bonMA
I.
1775. 127
hear. Lorfque vous vous fentez le defir
de contenter une fantaisie que je défap.
prouve , ou de faire quelque chofe que
je vous défends ; fi vous vous difiez : au
lieu du bien que je cherche , il va m’atriver
malheur ; fi je m'obſtine ; & fi au
contraire je cède , j'aurai un bonheur
plus grand que celui auquel je renonce ...
EMILIE.
Et lequel donc ?
LA MER E.
Le plus grand de tous , celui qu'il n'eft
au pouvoir de perfonne de vous faire
perdre , quand une fois vous l'avez.
EMILIE .
Maman , dites-moi donc vîte ce que
c'eft , je vous en prie.
LA
MERE.
Celui d'être contente de vous , de fentir
là , au coeur , ce qui vous rend fi
aife.
EMILI E.
Oh ! c'eſt vrai ; c'eft le plus grand
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
plaifir , quand j'ai là , au coeur , je ne fais
quoi qui me fait rire toute feule . Comment
cela s'appelle t - il , maman ?
LA MERE.
Cela s'appelle la joie de la bonne
confcience .
EMILI ..
Qu'est ce que c'est que la confcience ?
LA MERE..
C'eft un fentiment intérieur qui nous
avertit , malgré nous , de notre conduite.
EM ILI E.
Quoi! eft- ce que cela parle ?
LA MERE.
Oui , cela crie au dedans de nous , &
nous met mal à notre aife , quand nous
avons fait une faute même ignorée , &
cela nous fait rougir des louanges qu'on
nous donne quand nous ne les méritons
pas .
EMILI E.
Et quand nous les méritons , qu'eft- ce
qu'elle dit , la confcience ?
MA I.
1775. 129
LA
MERE.
Elle nous rend la louange agréable.
EMILI E.
Je l'ai entendue quelquefois , je crois ;
mais je ne favais pas ce que c'était.
LA
MERE.
Vous ne fauriez trop l'écouter , ni trop
chercher à entendre ce qu'elle vous dit .
C'est un guide fûr. C'est un ami que
nous avons toujours en nous , & qu'on
ne faurait trop ménager . Il faut vous accoutumer
à queftionner cet ami en vous
même plufieurs fois le jour .
EMILI E.
C'est drôle quelque chofe qui parle
comme cela tout bas en nous mêmes. Je
vous promets , maman , que je lui parlerai
tous les jours . Je lui dirai : ma
confcience , êtes vous contente ?
Il y a du charme dans cette naïveté
enfantine . En général ces dialogues font
agréables à lire ; mais ils doivent avoir
un intérêt particulier pour les perfonnes
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
qui ont des enfans à élever. Je ne connais
point pour cet âge de meilleur cours de
morale. Ce livre ne peut être l'ouvrage
que d'une excellente mère & d'une fem
me qui , née avec un efprit jufte & une
âme fenfible , a voulu confacrer l'un &
l'autre à l'éducation d'un enfant.
Les Etrennes de Santé , ou l'art de ſe bien
porter , contenant des préceptes pour
apprendre les chofes qui donnent la
vie la plus longue & exempte de maladies
, avec différens préfervatifs . Par
M. de C *** , D. M. P. A Epidaure ;
& fe trouve à Paris chez Cailleau
Imprimeur- Libraire , rue & vis à vis
Saint Séverin ; in 24 de 96 pag. Prix
12 f.
Ces Etrennes font divifées en trois
parties ; les deux premières font confacrées
à l'hygiene , ou la manière de fe
conferver en fanté . L'éducation phyſique
des enfans y tient un rang diftingué . La
troisième partie contient : 1º . différens remèdes
; 2. les cas qui demandent un
prompt fecours. 3 ° . Des moyens préfervatifs
de nombre de maux ; entre autres
on y trouve le préfervatif de M. de CéMA
I. 1775. 131
zan , D. M. P. contre le mal vénérien.
4° . Le dépôt à Paris des eaux minérales ,
& leur prix . 5 " . Les fecours gratuits , tels
que ceux pour les noyés , & c . 6º. Enfin
les adreffes où l'on trouve différentes
chofes utiles à la fanté , telles que celle
du fieur Jacquet , rue de Vaugirard , qui
vend la préparation antimoniale , approu
vée par la Faculté ; celle de M. Martin ,
Apothicaire , rue & vis- à-vis la Croix
des Petits -Champs , qui vend le chocolat
anti -vénérien de M. le Febure , D. M. P.
& de plufieurs Académies , &c . Le tour
terminé par des traits anecdotiques auſſi
curieux qu'amufans.
·
Annales du règne de Marie - Therefe ;
Impératrice Douairière , Reine de
Hongrie & de Bohême , Archiducheffe
d'Autriche , & c . & c . &c . dédiées à la
Reine par M. Fromageot , Prieur
Commendataire , Seigneur de Goudargues
, Uffel , &c . A Paris , chez l'Auteur
, rue Saint - Denis , vis - à - vis le
Saint -Sépulchre ; Prault fils , Libraire,
quai des Auguftins , à l'Immortalité ;
& Lacombe , Libraire , rue Chriftine.
Cet Ouvrage eft in- 4. & in - 8 . , avec
plufieurs planches très - bien gravées :
Evj
132 MERCURE DE FRANCE.
le prix de l'in - 4. broché eft de 12 liv.
& de l'in 8. 6 liv .
Les annales du règne de Marie The
rèfe font celles de toures les vertus , de
la grandeur d'ame & de la bienfaifance .
Cette, Impératrice Reine gouverne , depuis
trente quatre ans , une des plus
grandes parties de l'Eupore & n'a point ,
comme Titus , perdu un jour ; elle les
à tous confacrés au bonheur des différens.
peuples qui lui obéiſſent.
Lotfqu'en 1741 , prefque toutes les
puiffances. de l'Europe , liguées contre la
Maifon d'Autriche , menaçoient Vienne ,
Marie Therèfe fortit de fa Capitale , emmenant
avec elle l'Archiduc , aujourd'hui
P'Empereur ; elle alla en Hongrie ; elle
parur devant les Ordres de l'Etat , tenant
entre fes bras un fils âgé de quelques
mois , & leur adrefla , en Latin , ces paroles
touchantes : Abandonnée de mes
» amis , perfécutée par mes ennemis , atraquée
par mes plus proches parens , je
n'ai de reffources, que dans votre fidé
» lité , dans votre courage & dans ma
» conftance ; je remets en vos mains la
» fille & le fils de vos Rois , qui attendent
de vous leur falut ". A peine luk
""
3
MAI. 1775. 133
donne- t on le temps de finir ce difcours
énergique. Les Hongrois , tranfportés de
l'enthoufiafme qu'elle avoit fait naître ,
tirent leurs fabres & s'écrient , d'une voix
unanime : Mourons- tous pour notre Ro
Marie-Therèfe. Les Hongrois exécutèrent
ce qu'ils avoient promis . Des armées ,
forties de la Hongrie , de la Croatie , de
l'Esclavonie , & plufieurs grandes allian
ces terminèrent cette guerre. Dès que
Marie-Therèle n'eut plus d'ennemis à
combattre , elle ne vit plus que des fujets
à rendre heureux ; elle employa à ce
grand objet tous les moyens qui font
entre les mains des Souverains . On vit
cette Souveraine , toujours à la tête de
fon Confeil , guider elle- même les vues
de fes Miniftres ; on la vit veiller éga
lement aux befoins des particuliers & à
la conduite générale des affaires ; on la
vit quitter , de temps en temps , fa Capi
tale , & vifiter tantôt une partie de fes
Etats , tantôt une autre , pour y verfer
elle même , fur fes fujets , les grâces &
les récompenfes ; on la vit faire la revue
de fes armées , & préfider aux exercices
militaires ; enfin on fait avec quels foins
elle dirigeoit l'éducation de fes auguftes
enfans. Elle s'affranchit de cette étiquette
134 MERCURE DE FRANCE.
qui gênoit fon affabilité . Elle admit , deux
fois par femaine , à fa table , vingt quatre
perfonnes des principaux Seigneurs , &
quelques-unes des Dames les plus qualifiées.
Jamais l'Impératrice ne refufa d'audience
, & jamais on n'en fortit mécontent
d'elle . Elle établit un Ordre Militaire
, auquel elle donna fon nom , &
qui devint la récompenſe des généreux
défenfeurs de l'Etat. L'Empereur & l'Impératrice
, apprenant la victoire du Géné.
ral Daun , contre les Pruffiens , allèrent
chez la Maréchale lui en donner la nouvelle
& s'en féliciter avec elle . Quel
exemple d'humanité , de bienfaiſance &
de bonté , cette augufte Souveraine ne
donna - t elle point, lorfqu'étant à Luxem
bourg , elle y reçut un meflager de la part
d'une femme âgée de cent huit ans , qui,
pendant plufieurs années , n'avoit pas
manqué de le préſenter le jour du Jeudi-
Saint , pour être du nombre de ces pauvres
auxquels Sa Majefté Impériale &
Royale lavoit les pieds ! Depuis deux
ans , fes infirmités l'avoient empêchée de
fe rendre au Palais ; elle fit dire à l'Impératrice
qu'elle avoit le plus vif regret
de n'avoir pu fe trouver à cette pieufe
cérémonie , non à caufe de l'honneur
MA I. 1775. 135
qu'elle auroit reçu , mais parce qu'elle
avoit été privée du bonheur de voir une
Souveraine adorée. L'Impératrice Reine ,
touchée du meffage & des fentimens.
de cette bonne femme , fe rendit dans
le Village qu'elle habitoit ; elle ne dédaigna
pas d'entrer dans une miferable
cabane ; elle la trouva fur un grabat , où
la retenoient fes infirmités , compagnes
inféparables de l'âge. Vous regrettez de ne
m'avoir point vue , lui dit , avec bonté ,
cette généreufe Princeffe ; confolez- vous ,
ma bonne , je viens vous voir. Elle l'en
tretint pendant long- temps , & lui laiffa
une fomme d'argent néceffaire pour lui
procurer les fecours dont elle avoit befoin.
Cette Hiftoire eft écrite avec chaleur
& avec intérêt : l'Auteur l'a enrichie des
traits de bienfaifance & d'humanité de.
l'Empereur , & de la Reine de France ,
qui font le plus bel éloge de leur augufte
mère , & qui , à fon exemple ,
feront le bonheur & l'admiration de leurs.
peuples.
Le Médecin interprête de la nature , ou
recueil de pronoftics fur le caractère
des maladies , leur guérifon , leurs mé
136 MERCURE DE FRANCE .
taftafes & leurs fuites funeftes ; trad .
du Latin de M, le Docteur L. Geoffroy ..
Klein , Confeiller- Médecin & Phyli
cien , à Erbac ; par M. J. F. A. ,
Docteur en Médecine , de la Faculté
de Montpellier. 2 vol . in- 12 .; prix
broché , 4 liv. 4 f. : à Paris , chez Mufier
fils , Libraire , rue du Foin , près
la rue St - Jacques.
Difon , d'après le témoignage de M.
le Baron de Haller , que ce Livre ,
quoique peu volumineux , renferme des
chofes de la plus grande importance. M.
Klein a puifé dans les Ouvrages des
meilleurs Ecrivains , tant anciens que
modernes , depuis Hippocrate & Gallien ,
jufqu'aux Auteurs de nos jours ; il a
extrair , de cette multitude d'écrits , un
petit nombre de fentences qui renforment
, en peu de mots , tout ce qui
concerne l'hiftoire des maladies , leurs
fignes & leurs pronoftics. Les Médecins
praticiens y apprendront à connoître les
phénomènes d'un augure favorable &
ceux qui annoncent le danger . La petitefle
de ce volume a même fon utilité.
Le Médecin pourra le porter partout
commodément , & le confulter jufqu'au
MA I. 1775. 13.7
près du lit du malade . Un praticien bien
occupé peut aisément fe paffer de ces Ouvrages
volumineux , auxquels on trouve
une vaſte érudition , de favantes difcuffions
hiftoriques & des hypothèfes ingénieufes
fur tous les cas particuliers . M.
Klein n'a prefque choifi que des phrafes
ifolées , qui , femblables aux aphorifmes
d'Hippocrate , contiennent des corollairès
déduits d'un grand nombre de réful-
⚫tats d'accord entre eux. Il eft d'autant
plus propre à un pareil travail , qu'il a '
appris auprès des malades , à diftinguer
ce qui eft vraiment important , de ce qui
n'eft que favant. C'eft principalement en
faveur des jeunes Médecins que cet Ouvrage
a été compofé. On ne fauroit trop
leur en recommander la lecture . Elle ne
fera cependant pas tout - à - fait inutile aux
praticiens les plus exercés ; elle leur épargnera
bien de la peine , & ils n'y trouve-
Font rien à rejeter.
On trouve , chez le même Libraire :
Entretiens Philofophiques & critiques , fur
plufieurs points de morale & d'hiftorre
, concernant des principes de la Philofophie
moderne , dans les matières
38 MERCURE DE FRANCE.
•
de Religion & de critique ; par M.
M. P. P. C. 2 parties en 1 vol . in 12.
broché , 2 liv . 8 f.
On réfute , dans ces entretiens , tout
ce que les libertins & les incrédules fe
permettent journellement de dire & d'écrire
contre la Religion . Les Chrétiens
inftruits y retrouveront leurs principes.
Ceux qui ne font pas à portée de puiſer
dans des fources plus étendues , y prendront
du moins des notions fûres , &
fentiront l'avantage de la vérité & d'une
faine logique , fur la faufleté & la ſub.
tilité du bel- efprit.
La Religion eft fi intéreflante , que
l'homme raifonnable doit chercher , avec
empreffement , tout ce qui peut éclaircir
fa divine origine , & diffiper les nuages
que l'orgueil , l'ignorance & le libertinage
du coeur & de l'efprit , veulent répandre
. On a beau s'étourdir , on peut
parvenir malheureufement à éluder , dans
la chaleur des paflions , la crainte & les
remords : mais on ne peut ni reculer , ni
changer le terme fatal ; & l'évidence ,
dont l'incrédule veut bien ſe flatter , eſt
tout au plus celle de l'aveugle , qui nie
tous les phénomènes lumineux qu'il ne
peut ni voir , ni comprendre. La forme
MA I. 1775 .
139
de dialogue , que l'Auteur a choifie , lui
a facilité les moyens de faire faire les
queftions , dans le ftyle même qu'elles
ont été publiées , & de les réfuter par
des réponſes vraies fages & folides : Ċet
Ouvrage peut fervir infiniment aux Ecclé ,
fiaftiques qui fe deftinent au ministère
de la parole , & aux perfonnes qui font
chargées de l'éducation .
Propofitions avantageufes à l'Etat , Mémoire
imprimé. Par M. de Forge ,
ancien Ecuyer de main du Roi . A Paris
chez les Libraires au Palais Royal &
ailleurs.
On propofe l'exécution de l'Ordonnance
de 1773 , & de former en conféquence
une Compagnie pour faire figner
& parapher à chaque feuille par l'un des
Confuls , dans les Villes où il y a Jurifdiction
Confulaire; & dans les autres ,
par le Maire , ou l'un des Echevins , ou
par telles autres perfonnes commiſes par
la Compagnie ; les livres journaux des
Négocians , Marchands , Banquiers &
Agens de change , avec le droir qui fera
perçu d'un fol par page. Le produit de
cette taxe , eftimée aux environs d'un
million quatre cents vingt mille livres
140 MERCURE DE FRANCE.
par an , eft demandé pour vingt ans , au
moyen dequoi la Compagnie fe charge :
1º. De tenir la main à l'exécution de
l'Ordonnance du commerce , qui peut
feule rétablir la confiance dans le Royaume.
2. D'ouvrir le commerce du Nord
avec un nombre fuffifant de vaiffeaux
& d'y établir le commerce néceffaire pour
le bien de fa correfpondance.
3°. De défricher une partie des terres
incultes de la Guyanne , d'y envoyer un
- nombre fuffifant de vailleaux Négriers ,
ainfi que les cargaifons , vivres & uftenfiles
propres à faire fleurir cet établiffement
, & c.
On juftifie très bien cette perception
d'un droit fur les livres journaux des
Commerçans , comme très propre à maintenir
la bonne foi , qui fait l'âme du
commerce , & à empêcher & prévenir
le délit des banqueroutes frauduleuſes .
On établit pareillement la facilité de
la perception de cette taxe , qui fe levera
fans inquifition & fans contrainte arbitraire
, & fuivant le voeu du Marchand ,
qui enverra fon regiftre en blanc au Bureau
, le jour qu'il voudra .
On fait voir les grands avantages qui
MA I. 1775. 141
réfulteront pour la France des établiffemens
projetés.
Enfin , on répond avec folidité aux objections
qui ont été faites dans quelques
papiers publics contre la taxe & contre
les entrepriſes propofées.
Peut - être qu'avant de fonger à un
commerce du Nord , & à un défrichement
de terre à la Guyanne , pourroiton
propofer des objets plus importans
pour nous & plus prochains , comme des
défrichemens dans l'intérieur du Royaume
, des défléchemens de marais , des
cultures de landes abandonnées , des chemins
de traverſes , des canaux de communication
de Province à Province , & c.
Précis d'un projet d'opération de finance
par forme de lotterie ; par M. de la Fontaine
, ancien Officier au Régiment
des Gardes Suifles . Prix 12 f,
On doit , dit l'Auteur , dans une opé
ration de finance de cette eſpèce , chercher
à remplir deux objets ; le premier
eft de préfenter aux intéreflés un tableau
qui les fatte , & qui leur offre affez
d'avantages pour les engager à y placer
leurs fonds,
142 MERCURE DE FRANCE .
Le fecond eſt de procurer un bénéfice
réel au Gouvernement , qui met en ufage
un tel moyen.
C'est ce qu'on s'eft propofé dans ce
plan , & ce qu'on prétend démontrer.
Nous renvoyons à l'Ouvrage ceux qui
font curieux d'examiner les opérations
de cette Lotterie de trois cents mille bil
lets , à fix cents livres chacun , faifant
un fond de quatre vingt millions .
Profpectus.
La Gazette connue , depuis 1733 , fous
le titre de Courrier d'Avignon , & fufpendue
par la réunion de cette Ville à
la Couronne de France , va reprendre un
nouveau cours. Les deux Puitfances
dont l'une gouverne & l'autre protége
ce pays , favorifent également cette Feuille
périodique. Avignon & le Comtat
font rendus à leur ancien Maître ; & la
France , qui les remplit de fes bienfaits ,
& les environne de fa puiffance , n'y
veut rien que de jufte , rien qui bleffe
les droits des habitans , naguères fes
Sujets , aujourd'hui fes Régnicoles . Ces
droits , & l'ancienne poffeffion de la Ga
zette intitulée Courrierd'Avignon,avoient
MA I. 1775 . 143
été ménagés & refpectés , pour ainfi dire ,
dans le Privilége accordé pour la Feuille
de Monaco , & dans les conventions fai :
tes à ce fujet. Cette Gazette , y eft il dit ,
fubftituée à celle d'Avignon , qui a été
Supprimée , pourra , tant que durera cette
Juppreffion, être introduite dans le Royaume.
Cette fuppreffion a été révoquée , &
le temps n'eft pas loin où le Courrier
d'Avignon reverra la lumière . Nous fixons
cette époque au Mardi , 4 du mois de
Juillet prochain. Avancer ce terme , c'eût
été manquer d'égards pour le Privilégié
& pour les Soufcripreurs de la Gazette de.
Monaco : nous n'avons pas voulu troubler
leur jouiffance au milieu d'un femestre.
Ce feroit peut-être ici l'occafion de
rappeler ou d'apprendre au Lecteur combien
notre Gazette a eu de vogue , dans
tous les temps. Où eft celle qui pourroit
fe vanter d'un pareil débit ? Cet avantage
eft dû au bonheur de la pofition où
fe trouve la ville, d'Avignon ; à fon voi- ,
finage de Marfeille , de l'Italie & du.
Levant ; à fa correfpondance intime avec
la Cour de Rome ; & dans le cas où
ces lieux feroient le théâtre d'événemens >
remarquables , quelle eft la Gazette qui
1
14
144 MERCURE DE FRANCE.
1
pourroit fe flatter de donner des nouvelles
auffi fraîches , auffi fûres , aufli mul.
tipliées ?
•
Il n'y a point de guerre au-delà des
Alpes ; il n'y en a point en Europe , dans
cet heureux moment ; & nous faifons
avec tous les amis de l'humanité , les
voeux les plus fincères , pour que le ciel
détourne ce fléau redoutable. Eh ! qu'avons-
nous befoin de fiéges & de batailles
? Loin de manquer de matériaux pour
notre Feuille , nous ferons embarraffés
du choix . Les négociations , les traités &
les alliances entre les Cours , les révolutions
intérieures , les viciffitudes de l'adminiſtration
, la variation des fyſtêmes
politiques , la diverfité des plans économiques
, les différens refforts qui meuvent
la machine des Etats , les événemens
remarquables de la vie civile , les changemens
de fcène fi fréquens fur le théâtre
du monde , la navigation & fes courfes ,
le commerce & toutes les branches ,
l'agriculture floriflante fous un Roi dont
les jeunes mains ont conduit le foc , les
impôts & leur diminution , la finance
& les reffources , les arts & leurs chefsd'oeuvre
, les fciences & leurs progrès ,
la littérature & fes nouveautés ; voilà
la
MA I. 1775 . 145
la matière féconde de notre Gazette .
Avec des correſpondances nombreuſes ;
exactes , fûres & promptes ; avec l'intention
de ne jamais tromper , à moins que
nous ne foyons trompés les premiers ;
de ne nous expofer jamais à rougir d'un
menfonge aux yeux du public , auquel
nous aurons quelquefois à demander grâce
pour des erreurs & des méprifes ; nous
nous flattons d'obtenir l'indulgence &
peut- être les fuffrages de nos Le&eurs.
Voilà ce que
nous ofons nous promettre
tant nous fommes fûrs de notre zèle &
de notre droiture ; également éloignés
d'une modeftie affectée , qui n'eft qu'un
rafinement d'orgueil , ou d'un mal - adroit
charlatanifme , dont les promeffes magnifiques
reflemblent aux clameurs de la
montagne :
C'eft promettre beaucoup ; mais qu'en fort - it
Louvent ?
Du vent.
La Fontaine.
CONDITIONS.
1. On foufcrit pour le Courrier d'Avignon
, à Avignon , chez Jean- Jofeph
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Niel , feul Imprimeur de Sa Sainteté , rue
de la Balance.
2º, L'abonnement fera de 12 liv. par
an, pour les perfonnes qui le prendront
chez l'Imprimeur , & de 18 liv. pour
celles à qui on l'enverra par la pofte ,
franc de port pour toute la France , &
jufqu'à fes frontières pour les pays étran
gers .
3º. On pourra s'abonner dans tous les
temps , à fon choix , pour l'année entière ,
eu pour fix mois.
4. On remettra l'argent , franc de
port , au Bureau de la pofte le plus près
du lieu où l'on voudra recevoir le Cours
rier ; & l'on adreffera au même Imprimeur
la Lettre d'avis , où il y aura
l'adreffe exacte de la perfonne qui vou
dra s'abonner cette Lettre fera affranchie,
ainfi que les avis qu'on voudra faire inſérer
dans le Courrier , & qu'on aura foin
de faire parvenir avec la rétribution
d'ufage,
5. Le Courrier contiendra 4 pages
d'impreffion in-4 . Il fera imprimé avec
des caractères & fur du papier conformes
au Prospectus .
6°. Il paroîtra deux fois par femaine ,
le Mardi & le Vendredi ; ce qui rend
MA I. 1775 : 147
nótre Gazette beaucoup moins chère &
bien plus intéreffante que celles qui ne
font publiées qu'une fois par femaine.
Gazette des Banquiers , des Marchands &
des Négocians , par M. *** , Banquier.
Cette Gazette contiendra le Cours des
Changes de toutes les Places de l'Europe ;
le prix courant de toutes les Marchandifes
, dans toutes les Villes de Commerce
de l'Europe ; le Cours des Marchandifes
dans toutes les Illes Françoifes & étrangères
; le Cours du fret des Navires , &
des affurances ; l'arrivée & le départ des
Vailleaux , dans toutes les Villes maritimes
de l'Europe , avec une notice de
leur cargaifon ; le cours des matières d'or
& d'argent dans toutes les Places de l'Europe
; le nom des principaux Manufacturiers
, avec une notice de leurs Ouvrages
; le nom des principales Maiſons,
& leur genre de commerce ; le droit ordinaire
de commiffion des Banquiers ,
celui de l'achat & de la vente des marchandifes
; l'annonce & l'extrait de tous
les nouveaux Ouvrages relatifs au commerce
; une notice des ufages du commerce
de l'Europe.
Gij
143 MERCURE DE FRANCE.
On parlera quelquefois de la combinaifon
des Changes & de la manière
la plus fimple de les calculer.
On le permettra auffi quelques réflexions
far les Jurifdictions Confulaires , dans
toutes les Villes de Commerce de l'Europe
, & fur les Jugemens intéreffans qui
feront rendus.
Y
Il paroîtra une feuille de cette Gazette ,,
Tous les huit jours. On a choifi le Jeudi ,
pour pouvoir y inférer les Cours des
Changes qui arriveront le Mercredi , de
tout le Midi , & pour que la Gazette
foit diftribuée dans tout le Nord , avant
que les Lettres de France , d'Efpagne &
d'Italie y arrivent.
}
Ceux qui voudront faire inférer
quelques articles dans cette Gazette ,
pourront les adreffer , en affranchiffant
les Lettres , à M. Ducrocq , rue & en,
face du Carroufel : c'eft chez lui qu'on
en recevra les foufcriptions ; elles feront .
de 24 liv. par an , franches de port pout
Paris & pour tout le Royaume.
On fouferira auffi chez les principaux
Libraires de routes les Villes de commerce
de l'Europe.
MA I. 1775 . 149
ANNONCES.
De la Connoiffance de l'Homme , dans
fon être & dans fes rapports ; par M.
l'Abbé Joannet , de la Société Royale
des Sciences & Belles Lettres de Nancy:
Illi mors gravis incubat qui ignotus moriturfibi.
Sénec. Thyeft. Act . II .
2 vol , grand in- 8°. chacun d'environ
700 pages , avec des notes. Prix broc .
10 liv. A Paris , chez Lacombe , Libr.
rue Chriftine .
Nous donnerons dans les Mercures
fuivans des notices de cet Ouvrage , le
plus profond peut êtte qui ait été écrit
fur la connoiffance de l'homme dans fon
être & dans les rapports.
Abrégé de l'Hiftoire Romaine de L. A.
Florus. Traduction nouvelle , avec des
notes ; par M. l'Abbé Paul , Profeffeur
d'Eloquence au Collège d'Arles .
In brevi quafi tabella totam ejus ( Populi
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Rom. ) imaginem amplectitur. Flor . lib. I , in
pram.
Vol. in 12 rel . 3 liv . A Paris , chez
Barbou , Imprimeur- Libraire , rue &
vis- à - vis la grille des Mathurins .
M. l'Abbé Paul a pareillement traduit
Velleius Paterculus , v. in- 12 . & Juſtin ,
2 vol. in- 12. qui ont paru depuis peu
chez le même Libraire Imprimeur.
Hiftoire du bas Empire, en commençant
à Conftantin le Grand ; par M. le
Beau , Profeffeur Emérite en l'Univer
fité de Paris , Profeffeur d'Eloquence
au Collège Royal , Secrétaire ordinaire
de Monfeigneur le Duc d'Orléans
& ancien Secrétaire perpétuel de l'Academie
Royale des Infcriptions &
Belles Lettres . Tomes XVII & XVIII.
in- 12 . A Paris , chez Saillant & Nyon ,
rue St Jean de Beauvais ; & veuve
Defaint , rue du Foin .
Lorezzo , Anecdote Sicilienne , avec fig .
C'est la troisième du Tome Ile des
Epreuves du Sentiment . Liebman &
Rofalie , deux autres Anecdotes , font
MA I. 1775 .
ISI
fous preffe & completteront
levolume.
A Paris chez Delalain , Libraire , rue
de la Comédie Françoife.
Hiftoire des Souverains Pontifes qui ont
fiégé dans Avignon . Vol . in- 4° . A Avi
gnon , chez Jean Aubert , Imprimeur.
Libraire , rue de l'Epicerie ; & chez les
principaux Libraires de chaque Ville
de France.
LE
ACADÉMIES
.
I.
E 25 d'Avril l'Académie des Infcrip
tions & Belles- Lettres tint fa féance pu
blique au Louvre.
Le prix concernant l'Hiftoire de France
fur adjugé à M. Dumont , connu avantageulement
par plufieurs ouvrages .
Enfuite M. l'Abbé Barthélemi lut une
Differtation fur plufieurs médailles du
Cabinet du Roi , far lefquelles font repréfentés
les fignes du Zodiaque avec les
planètes .
M. de Guignes lut un Mémoire con-
Civ
12 MERCURE DE FRANCE:
cernant la Religion & la philofophie des
Chinois , dans lequel il effaye de prouver
que ces Peuples ont été inftruits &
policés par les Egyptiens.
M. l'Abbé Arnaud en lut un fur la
profe grecque.
Et M. le Beau termina la féance par
an Mémoire fur la légion . C'eft une
fuite de ceux qu'il a lus fur le même fujer.
Celui - ci a pour objet la paye du Soldar
Romain.
I I.
Affemblée publique de l'Académie Royale
des Sciences , du 26 Avril 1775.
M. de Fouchi a annoncé la publication
des Arts fuivans , approuvés par l'Académie
, favoir :
L'Ebénifterie , par M. Roubaut fils
Menuifier.
L'Art du Treillageur , par le même.
L'Art du Diftillateur-Liquorifte , par
M. de Machy.
L'Art du Savonnier , par M. Duhamel .
L'Art de l'Amidonier , par le même.
M. de Fouchi lut enfuite l'Eloge de
M. Quefnay , premier Médecin ordinaire
du Roi , homme célèbre par fon
MA I. 1775. 153
favoir, par fes écrits & par
économiques
.
fes
principes
Les Mémoires lus dans cette Affemblée
font 1 °. des Recherches fur les caufes
de la mort certaine & de la mort apparente
des noyés , par M. Tenon .
2. Mémoire fur la nature du principe
qui fe combine avec les métaux pendant
la calcination , & qui en augmente
le poids. M. Lavoifier prouve dans ce
Mémoire , par des expériences auffi ingénieufes
que décifives , que la fubftance
quí fe joint aux métaux pendant leur calcination
, & qui augmente confidérablement
le poids de leurs chaux , n'eft autre
chofe que de l'air pur , & même d'un
air beaucoup plus pur que celui de l'atmofphère
; car M. Lavoifier a conftaté
par des épreuves certaines , que les animaux
peuvent vivre plus long - temps
dans cet air des chaux métalliques , &
que la flamme des corps allumés y de
vient plus grande , plus lumineufe , &
fubfifte plus long- temps que dans l'air
que nous refpirons.
3°. Obfervations faites aux Indes for
l'inclinaifon de l'aiguille aimantée , par
M. le Gentil.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Prix propofe par l'Académie Royale des
Sciences , pour l'année 1777.
L'Académie avoit propofé pour le fujet
du prix de l'année 1775 , la question
fuivante : Quelle eft la meilleure manière
defabriquer les aiguilles aimantées , de les
fufpendre , de s'affurer qu'elles font dans
be vrai méridien magnétique , enfin de
rendre raifon de leurs variations diurnes
régulières ?
Quelques unes des pièces qui ont concouru
, ont paru contenir des vues ingénieufes
& utiles même à certains égards ;
on a fur-tout diftingué la pièce no . 2 , qui
a pour devife :
Etiam non affecutis voluiffe , abundè pulchrum
atque magnificum.eſt ,.
& qui fuppofe beaucoup de connoiffan
ces , de travail & d'obfervations : mais
P'Académie auroit defiré plus d'exactitude
& de précifion dans les recherches , foit
expérimentales , foit purement théori
ques , que cet ouvrage renferme ; & , en
général , aucun des Auteurs n'a fuffifamment
rempli les différens objets énoncés
programme..
dans le
MA I. 1773 . ISS
En conféquence l'Académie propoſe
de nouveau le même fujet , pour l'année
1777.
Le prix fera double , c'est -à- dire de
4000 liv.
Les Savans & les Artiftes de toutes les
Nations , font invités à travailler fur ce
fujet , & même les Affociés Etrangers de
l'Académie . Elle s'eft fait la loi d'exclure
les Académiciens régnicoles de prétendre
aux prix.
*
Les Auteurs qui ont déjà concouru
peuvent envoyer de nouvelles pièces , ou
des fupplémens à celles que l'Académie a
reçues ,
Ceux qui compoferont font invités à
écrire en françois ou en latin , mais fans
aucune obligation . Ils pourront écrire en
telle langue qu'ils voudront , & l'Acadé--
mie fera traduire leurs ouvrages.
On les prie que leurs écrits foient fort
fifibles , fur-tout quand il y aura des calculs
d'algèbre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs
ouvrages , mais feulement une fentence
ou devife. Ils pourront , s'ils veulent
attacher à leur écrit un billet féparé &
cacheté par eux , où feront , avec cette
• même fentence , leur nom , leurs qualités
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
& leur adreffe ; & ce billet ne fera ouvert
par l'Académie , qu'en cas que la pièce
ait remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour le prix ,
adrefferont leurs ouvrages à Paris , au
Secrétaire perpétuel de l'Académie , ou
les lui feront remettre entre les mains .
Dans ce fecond cas , le Secrétaire en donnera
en même temps à celui qui les lui
aura remis , fon récépiffé , où fera marquée
la fentence de l'ouvrage & fon numéro
, felon l'ordre ou le temps dans
lequel il aura été reçu .
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
1er Septembre 1776 , exclufivement.
L'Académie , à fon affemblée publique
d'après Pâques 1777 , proclamera la
pièce qui aura mérité ce prix .
S'il y a un récépiffé du Secrétaire pour
la pièce qui aura remporté le prix , le
Tréforier de l'Académie délivrera la fom.
me du prix à celui qui lui rapportera ce
récépiffé. Il n'y aura à cela nulle autre
formalité.
S'il n'y a pas de récépiffé da Secré
taire , le Tréforier ne délivrera le prix
qu'à l'Auteur même , qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part.
MA I.
1775 . .157
Prix extraordinaire fur l'Art de la
Teinture. Le fujet eft l'analyse de l'indigo
; prix de 1200 livres pour Pâques
1777.
II I.
Le 27 Avril l'Académie Françoife tint
une féance publique pour la réception de
M. de Chaftellux , à la place de feu M.
de Châteaubrun.
Le nouvel Académicien prononça un
beau Difcours , plein de raifon & de
philofophie , dans lequel il examina les
fignes & les caufes du goût dans la Litté
rature. Il honora la mémoire de fon Prédéceſſeur
, & fit le jufte éloge des illuftres
Protecteurs de l'Académie & des plus
célèbres Académiciens .
M. le Comte de Buffon , Directeur ,
répondit avec éloquence à ce Difcours ;
il fit quelques obfervations fur les élo
ges , releva l'éclat des titres littéraires du
nouvel Académicien , répandit des fleurs
fur la tombe de M. de Châteaubrun , &
paya le tribut de juftice & d'éloges dû au
jeune Monarque qui fait le bonheur de
fes Peuples. Nous rendrons un compte
plus détaillé de ces Difcours , lorfqu'ils
feront imprimés.
158 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Alembert , Secrétaire perpétuel
de l'Académie , a fini la féance par la
lecture de l'Eloge de la Morte Houdart ,
dont il 2 parfaitement caractérisé l'efprit ,
les talens & les ouvrages. Cet Eloge ,
plein de faillies , de traits lumineux , &
de vues fines & délicates , avec un parallèle
brillant entre cet Auteur & Fontenelle
, fon ami , fit la plus vive fſenſation
& le plus grand plaisir.
I V.
COPENHAGUE,
Le 10 Février 1775 , la Société des
Sciences à Copenhague fut affemblée pour
examiner les écrits adreffés à ladite Société
, fur les fujets propofés pour l'année
pafée.
Le prix d'Histoire fur adjugé à une
Differtation fur la fituation de Jomsborg
, avec cette devife : Tempus edax
rerum , tuque invidiofa vetuftas omnia deftruitis
, cette pièce étant écrite avec beau
de foin & d'érudition : mais comme.
l'Auteur n'a point affez confulté les anciens
Ecrivains , dont divers paffages
sapprochés & comparés enfemble , au
coup
MA I. 1775 . 159
roient pu fervir à la folution de la queftion
propofée , la Société ne fauroit
adopter l'hypothèſe foutenue dans ce Mémoire.
L'on ne manquera pas de publier
le nom de l'Aureur , dès qu'il voudra ſe
faire connoître à la Société.
N'ayant reçu aucun Mémoire fatisfaifant
fur les fujets mathématiques
& phy
fiques , la Société trouve bon de conti
nuer pour l'année prochaine les proble
mes fuivans :
EN
MATHÉMATIQUES.
Invenire machinam , aus mechanicum
quoddam artificium , cujus ope lacus , ftagna
, aliaque , id genus aquilegia „ commodè,
& fine magno pretio repurgari, & à
limo , immunditie , fructibufque aquaticis,
qua fundum elevant , interitumque lacuum
accelerant liberaripoffint ; co imprimis cafu,
ubi efluxus aquarum adexficcandas& effo
dendas ejufmodi aquarum collectiones nimis
ftarent impensis aliaque circumftantia
aquas dulces urbi neceffarias interea
perdi , & inutiliter defluere haud permit
tunt.
EN
PHYSIQUE.
Analyfin metallorum in partes confi
160 MERCURE DE FRANCE.
tutivas fecundùm follicitè inftituta experimenta
tradere.
Outre ces deux problêmes , il fut réfolu
, dans la même affemblée , de pro,
pofer pour cette année les fujets fuivans :
EN
MATHÉMATIQUES.
Incurvationem bafis carine aquæ diu
tiùs innatantis facili modo , ad calculum
revocare , & demonftrare quænam ftructura
navis huic vitio præ aliis fit obnoxia ?
EN PHYSIQUE.
Experientia docente , oculus hominis
Janus objecta vifa coloribus peregrinis à
diverfa refrangibilitate ortis, non inquinat
quamdiu pupilla integra radios excipit ;
hac verò ad dimidium tecta , obječta vifa
omninò coloribus peregrinis cinguntur. Defideratur
itaque ratio hujus phænomeni , &
difquifitio , numnè ad normam oculi ,
nova fpecies vitrorum objectivorum achromaticorum
componi queat ?
EN HISTOIRE.
Requiritur hiftoria juris in homines
MA I. 1775 .
161
proprios gleba additos quod in Dania viguit
, ab origine hujus juris ufque ad ejus
abrogationem.
Les Savans , tant Etrangers que Da
nois , excepté les Membres de la Société ,
font invités à concourir pour les prix , &
voudront bien écrire leur Mémoire en
danois , latin , françois ou allemand ; les
Ouvrages compofés en d'autres langues
étant exclus du concours.
Le prix que la Société décernera à celui
qui , à fon jugement , aura le mieux traité
chaque fujet , confifte en une médaille
d'or de la valeur de 100 écus ( rixdaler ) ,
argent de Dannemarck .
Les Concurrens adrefferont leurs Mémoires
, écrits d'un caractère lisible , &
francs de ports , à M. de Hielmftierne ,
Chevalier de l'Ordre de Dannebrogue &
Confeiller des conférences du Roi , Secrétaire
de la Société. Aucun écrit ne
fera reçu au Concours , paffé le dernier
Mars de l'année 1776.
La diftribution des prix fe fera vers
la fin du mois d'Avril 1776 , & le juge .
ment de la Société fera publié incontinent
après.
Les Auteurs ne fe feront point con .
noître ; ils mettront une devife à la tête
162 MERCURE DE FRANCE.
ou à la fin du Mémoire , & y joindront
un billet cacheté qui contiendra la même
devife , avec leur nom & le lieu de leur
réfidence .
Ceux qui fouhaiteront que leurs Our
vrages , qui ont concouru pour les prix
de l'année 1774 , leur foient rendus ,
font priés de s'adreffer , pour cet effet ,
à M. de Helmftierne , avant la fin de
l'année courante .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL,
LES Concerts donnés aux Tuileries ,
pendant la vacance des Spectacles , ont
attiré un grand concours d'Amateurs ,
empreffés d'applaudir à l'excellent choix
de mufique donné par les Directeurs , à la
parfaite exécution de l'orchestre , & aux
talens fupérieurs des voix & des inftrumens.
On a exécuté dans ces Concerts
plufieurs beaux motets , tels que l'Offertoire
de la Meffe des Morts , morceau pathétique
de M. Goffec ; le fameux Stabat
de Pergolèfe ; le De profundis , compor
MAI. 1775. 163
fition favante & d'un grand effet , de M.
Langlé ; Cantate , fuperbe motet à grand
choeur du même Maître ; Confitebor ,
motet de M. l'Abbé Roze , Maître de
Mufique des Saints Innocens , qui a montré
dans cette compofition le goût de la
mufique en même temps agréable & expreffive.
L'oratoire d'Efther & le motet
à trois voix de M. de Mereaux ont para
d'une mélodie élégante & d'une harmo
nie pittorefque. M. Cambini , célèbre
Compofiteur , a reçu les plus juftes applaudiffemens
, pour fes belles fymphonies
, pour fon Miferere , motet à grand
choeur ; pour fes oratoires françois , Joad
& le Sacrifice d'Isaac , tous morceaux qui
annoncent un génie heureux & facile, On
revoit & l'on entend toujours avec plaifir
les belles fymphonies de M. Goffec ,
& celles de M. Davaux & de M. Diters .
Les voix récitantes dans ces Concerts
font Mefdames Larrivée , Charpentier ,
Duchâteau ; MM. Legros , Guichard ,
Borel , Beauvalet , Roier & d'autres ,
dont le Public a admité l'organe & l'expreffion.
Les inftrumens qui fe font dif
tingués dans les fymphonies concertantes
font MM. Bertheaume , Guénin , Laurent
, le Jeune , Guerin , Leduc le jeune ,
164 MERCURE DE FRANCE.
excellens violons ; M. Monin , fur la
quinte ; M. Petit , fur le baffon. M. Baer
a exécuté avec un talent fupérieur plufieurs
excellens morceaux de clarinetre.
M. Schon a fait entendre un concerto de
cor de chaffe , dont il joue d'une maniere
très -diftinguée . On a auffi beaucoup
applaudi au jeu brillant & expreffif de
M. Duport le jeune , fur le violoncelle.
M. Lebrun , premier hautbois de S. A.
S. l'Electeur Palatin , a joué plufieurs
concerto , & toujours avec le même fuc
cès & un talent prodigieux , qui ne laiffe
rien à defirer ; il a trouvé l'art d'adoucit
& d'animer le hautbois , de lui donner
plus d'étendue dans les tons fupérieurs ,
de varier fon jeu , & de le rendre toujours
auf Aatteur qu'il eft admirable.
Deux rivaux pour le violon , dignes de
s'eftimer l'un l'autre , oonntt ppaarruu dans
la lice des talens , M. Jarnovick , célèbre
par le beau fini , par l'élégance
& par l'expreffion de fon jeu ; M.
Lamotte , jeune virtuofe , qui mer dans
fon exécution beaucoup de feu , de variété
& de hardieffe , ont joué alternativement
des concerto , & fe font enfuite
réunis dans le même Concert , où ils ont
développé leurs talens & toutes les refMA
I. 1775 . 165
fources de leur art. Ils ont été l'un &
l'autre applaudis avec tranfports ; & , réciproquement
vainqueurs & vaincus ,
ils ont partagé l'admiration fans l'affoiblir.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Mufique a fair
l'ouverture de fon Théâtre par Orphée &
Euridice , Drame héroïque en trois actes ,
en attendant Céphale & Procris , Tragé
die lyrique en trois actes , paroles de M.
de Marmontel , mufique de M. Grétry.
dont la première repréfentation eft annoncée
pour le Mardi 2 Mai . L'Académie
continue , pour les repréfentatious
des Jeudis , l'Acte Turc , Hilas & Eglé
& la Provençale.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ES Comédiens François ordinaires.du
Roi ont donné pour l'ouverture de leur
Théâtre , la quatorzième repréfentation
166 MERCURE DE FRANCE.
d'Adélaïde de Hongrie , Tragédie nouvelle
de M. Dorat * .
Le compliment d'ufage a été débité .
par M. Défeffart , dernier Acteur reçu .
Il a été jugé d'une précifion élégante.
M. Larrive , Acteur qui a déjà paru
fur ce Théâtre avec fuccès , doit y débuter
de nouveau dans le Tragique &
dans le haut Comique. Il jouera le Mercredi
3 Mai le rôle d'Edipe.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN a donné , à l'ouverture , la fixième
repréſentation des Femmes vengées , Comédie
nouvelle en un acte , mêlée d'ariettes
, paroles de M. Sedaine , mufique de
M. Philidor ** . **
* Cette Tragédie eft imprimée & ſe vend , prix
30 fols , chez Delalain , Libraire , rue de la Co.
médie Françoiſe.
** Cette Comédie eft imprimée & ſe vend , avec
des airs notés & une eftampe néceflaire pour l'intelligence
de la repréfentation , prix 30 f. à Paris.
chez Mufier fils , Lib. rue du Foin. Nous avons
rendu compte de cette Pièce dans le fecond volu
me d'Avril.
MA I. 1775 . 167
Le compliment a été débité par M.
Michu , dernier Acteur reçu . Il a paru
un peu long, par la differtation qui lui
étoit étrangère , fur le nouveau genre
héroïque que M. de Rozoi prétend avoir
introduit par fon Drame lyrique de Henri
IV, & qu'il annonce dans un nouveau
Drame de la Réduction de Paris.
On attend à ce Théâtre le début de
Mlle de Villeneuve , Actrice intéresfante
, qui a joué avec fuccès fur le
Théâtre de Strasbourg & fur celui de la
Ville de Verſailles .
BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DES
ROMANS.
Ouvrage périodique dans lequel on donnera
l'analyfe raifonnée des Romans
anciens & modernes , François , ou
traduits dans notre Langue ; avec des
anecdotes & des notices hiftoriques &
critiques , concernant les Auteurs ou
leurs Ouvrages , ainfi que les meurs
les ufages du temps , les circonstances
particulières & relatives , & les perfonnages
connus , déguifés ou emblé
>
165 MERCURE DE FRANCE.
matiques à Paris , chez Lacombe
Libraire , rue Chriſtine .
:
Les Romans ont été les premiers Livres ES
de toutes les nations. Ils renferment les
plus fidèles notions de leurs moeurs , de
leurs ufages , de leurs vices & de leurs
vertus . Ils font comme autant de tableaux
allégoriques qui préfentent la vérité voilée
, ou embellie par la fiction . Les Hor.
des fauvages , ainfi que les hommes policés
, ont leurs Romans : mais c'eſt chez
un peuple actif , noble & induſtrieux
qu'il faut chercher ces fruits heureux de
l'imagination ; c'eft en France fur tour
que les Romans deviennent intéreffans
& utiles pour quiconque veut aller audelà
du but que la frivolité paroît s'être
propofé. Ils renferment la branche la plus
ancienne , la plus étendue & la plus riche
de notre littérature. La lecture de quelques
Romans ifolés amufe l'oifiveté
trompe l'ennui , peut donner de fauffes
idées & de plus faux fentimens. Mais
cette même lecture , dirigée par la Philofophie
& embraffant la généralité des
fictions , devient l'étude la plus fûre & la
plus fuivie de l'Hiftoire la plus fecrette
& la plus fidelle , par les faits qu'elle
raffemble
MA I. 1775.
11
169
1
raffemble & les mystères qu'elle dévoile.
C'eſt une chaîne d'un nouveau genre , dont
il faut faifir & fuivre la progreffion : elle
lie tous les temps , & marque , pour ainfi
dire , les progrès de la Monarchie , par
les progrès du génie & la peinture des
paffions.
Le Roman a cet avantage fur l'Hiftoire,
qu'il peint les moeurs en décrivant les
faits ; qu'il développe & nuance les caractères
; & qu'il repréſente toute une nation ,
dans le récit des aventures de quelques
citoyens . Or , toutes les particularités
répandues dans les Romans , forment le
véritable corps de l'Hiftoire. Il feroit fans
doute impoffible , & même abfurde
de raffembler tous les volemes que le
temps a accumulés : il fuffit de les faire
connoître , en les analyfant ; d'en donner
l'ame , l'efprit , & , pour ainſi dire ,
la miniature. C'eft le plan que nous exécutons.
La difficulté étoit de retrouver tout ce
qui a été produit , dans ce genre , depuis
des fiècles ; & de raffembler toutes les richeffes
, foit nationales , foit étrangères ,
que la traduction a naturalifées parmi nous.
Cette difficulté a été levée par la généro
fité d'un homme de qualité, qui poffède
H
170 MERCURE DE FRANCE.
la bibliothèque la plus complette dans
tous les genres ; qui a réuni un nombre
étonnant de manufcrits précieux ; & qui
a recueilli lui-même , par un travail peutêtre
inconcevable , depuis plufieurs années
, une infinité d'anecdotes , de notes
hiftoriques & critiques fur les Auteurs ,
les ouvrages , & fur les objets qui leur
font relatifs . Il veut bien préfider à notre
plan , en tracer lui - même le deſſein , &
procurer les matériaux néceffaires pour
élever un des plus beaux monumens , &
le feul , en ce genre , dont la littérature
puiffe fe glorifier. La reconnoiffance , ici ,
marqueroit un fentiment bien foible , fi
elle trouvoit une expreffion.
Il y avoit plufieurs formes propres à
préfenter la collection que nous propofons
: favoir , 1 °. l'ordre chronologique
des Romans ; 2 °. l'ordre fyftématique des
gentes ; 3 ° . l'ordre alphabétique ; 4º . la
forme périodique. Les deux premières
avoient un grand inconvénient. Il eût
fallu arrêter trop long - temps le lecteur
fur des productions d'une imagination
gothique ; ou le fatiguer par une fuite
d'objets d'une même efpèce, La troisième
forme étoit trop affujettiffante , fans pro
curer aucun avantage . Nous avons préféré
la forme du journal , parce qu'elle
M A I. 1775 * 171
met le lecteur à portée de jouir promptement
& fucceffivement d'un travail déjà
fait ; & d'acquérir , fans fe fatiguer , les
richeffes , auffi variées qu'intéreffantes ,
de l'imagination . Cependant , pour ne
rien perdre des avantages qui peuvent
réfulter de tous ces plans , nous ferons , à
la fin de chaque année , une table qui
contiendra la chronologie des Romans
analyfés , & deux autres tables qui préfenteront
, dans un ordre méthodique &
alphabétique , les genres & les espèces.
Ce journal des Romans donnera, (comme
nous l'avons dit ) , la miniature de chaque
Roman : le fond du tableau fera relevé
par le piquant des anecdotes & par la lumière
des recherches , de la critique &
des traits hiftoriques . Nous tâcherons que
chaque volume de cette bibliothèque
foit d'une lecture diverfifiée , inftructive
& amufante , en nous attachant à faire
contraſter les genres , les temps , & l'intérêt
des fictions dont nous rendrons
compte . On fera bien étonné de voir
dans ce Journal , combien les Romans de
tout genre , ceux même de l'imagination
la plus folle , font hiftoriques ;
combien ils intéreffent la nation , par les
moeurs & par les perfonnes ; combien de
fictions font des vérités. Cadit perfona
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
•
manet res : le máfque ôté , on reconnoîtra
le perfonnage , ou le fait , déguifé fous
le voile de l'allégorie ; & la fable deviendra
le meilleur commentaire de
l'Histoire.
+
Nous aurons l'avantage de faire connoître
auffi beaucoup d'excellens Romans ,
qui font d'anciens manufcrits, renfermés ,
comme des tréfors , dans l'immenſe bibliothèque
qui nous eft ouverte ; & de
faire renaître beaucoup d'autres Romans,
auxquels la rareté ou la vérufté avoient
ravi les avantages de la publicité , en bor.
nant , à un très petit nombre , les exemplaires
en quelque forte mystérieux , qu'on
ne peut que très difficilement trouver. Les
Romans trop connus ne feront point analyfés.
Notre travail , à leur égard , fe bornera
à de fimples notices , pour en expliquer
les circonftances , donner l'intelligence
du deffein , & faire fentir leurs rapports
avec l'Hiftoire.Cet expofé fuffit , fans
doute , pourjuftifier les avantages de cette
entreprife , agréable à l'homme du monde
qui veut s'amufer , utile à l'homme
de Lettres qui veut s'inftruire , féconde
pour les Poëtes qui cherchent des fictions
heureufes propres au théâtre , néceffaire
à l'Hiftorien & à l'Obfervateur des moeurs,
MA I. 1775. 173
"
des temps & des ufages anciens & modernes.
La Bibliothèque univerfelle des Romans
paroîtra périodiquement , le premier de
chaque mois , à commencer au premier
Juillet 1775. Le volume fera de neuf
feuilles , au moins , d'impreffion , caractère
dé Cicero . On publiera feize
volumes par année ; favoir , outre les volumes
du mois , un autre volume , le 15
des mois de Janvier , Avril , Jailler &
Octobre . Le prix des feize volumes , par
année , fera de 24 liv. à Paris , & de 32
liv . en Province , rendus francs de port
aux abonnés. Chaque volume fera de
36 f. chez le Libraire , pour ceux qui
n'aurontpoint fouferit.
On pourra s'abonner , en tout temps ,
chez Lacombé , Libraire , à Paris , rue
Chriſtine ; au bureau des Journaux.
Meffieurs les Soufcripteurs font priés
d'affranchir le port de leurs Lettres d'avis
& de leur argent.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE :
VERS à Mademoiselle D. L. B *** , de
Versailles.
CERTAIN foir, qu'il étoit grande fête à Cithere,
Et qu'on avoit chanté maint cantique à l'Amour ,
Quelques Dieux , à l'envi , s'empreflant de lui
plaire ,
Lui vantoient tour- à -tour ,
Les foins qu'ils prenoient tous pour embellir fa
Cour.
Je me donne , dit Terpficore ,
Une rivale ; elle a mes divers mouvemens :
L'oeil l'admire d'abord , bientôt le coeur l'adore ,
Et les pas fur les fiens attirent mille Amans.
Pour moi , réplique Hébé , je peux citer les char
mes
D'un bijou de treize ans , embelli de mes traits ;
Son air naïf ajoute à fes attraits :
Elle fourit , & l'on lui rend les armes.
Fils de Cypris , pourſuivit Apollon ,
Tu fais que ta tendre harmonie
Apeuplé de tout temps les bofquets d'Idalie ?
Je m'occupe de toi , même fur l'Hélicon :
Je m'y plais à former une jeune Mortelle,
Dont la flexible voix
Rangera fous tes loix
MA I. 1775. 175
Le coeur le plus rebelle :
Les accords que fa harpe ou que fon clavecip
Soupirent fous fa main ,
Paroiflent s'échapper de ma lyre immortelle.
Bon ! s'écria l'Amour de plaifir transporté !
Voyons.ces trois merveilles.
Celle qui charmera nos yeux ou nos oreilles ,
Recevra de ma main un prix bien mérité.
Il dit , Mercure part ; l'ordre eft exécuté.
Mimi feule paroît : chacun des Dieux en elle
Voit applaudir l'Emule à fes leçons fidelle .
L'Amour lui fait préfent d'un trait toujours vain.
queur ;
J'ai vu Mimi , le trait eft dans mon coeur.
Par M. C ***.
A Monfeigneur le Maréchal DE Duras
V Ous venez donc de recevoir
Des Guerriers le fceptre héroïque }
Vous allez de plus vous affeoir
Dans le fauteuil Académique :
Double gloire bien dûe à votre illuftre nom!
La palme de Mars , avec grâce ,
Dans vos heureuſes mains s'enlace
Avec les lauriers d'Apollon .
Par Madame Bouret
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
A Monfieur le Marquis DE VERAC.
POLITIQUE ,
OLITIQUE
, guerrier , digne repréſentant
D'un jeune Roi qu'on idolâtre ,
Caffel étoit pour vous un trop petit théâtre ;
Allez où le Danois & le Nord vous attend.
Hélas ! nous gémirons de vous favoir abfent.
Avec un coeur tel que le vôtre ,
Et ce que votre efprit a par - tout de pouvoir,
D'un pays on n'eft point l'eſpoir ,
Sans être le regret d'un autre.
Par la même.
ÉPITRE du Prince de Belofelsky , Ruffe ,
à M. de Voltaire.
GRAND Voltaire , de qui la gloire ,
Au fein de l'Immortalité ,
Ira , de mémoire en mémoire ,
Intéreffer l'humanité ,
Servir de fujet à l'Hiſtoire ,
De phare à la Postérité ;
Acceptez l'hommage fincere
Que vous offre un enfant du Nord,
MA I. 1775. 177
Qui n'a de titre littéraire
Qu'un brûlant defir de vous plaire :
Ou pardonnez lui fon transport.
Etant fi près de vous , Monfieur , pouvoit- il
réfifter plus long- temps à l'impérieufe démangeaifon
de vous marquer la reconnoiffance ,
pour tant d'Ouvrages qui l'ont échauffé dans le
pays des frimats .
Mais quoique vous foyez le pere
De ces chants fi pleins d'agrément ,
Où le plaifant & le févère ,
Où le tour & le fentiment
Difputent à qui fait mieux plaire ;
Vous êtes bien peu conféquent ,
Saufvotre reſpect liminaire ,
D'avoir au bas mis votre nom :
Il falloit , fublime Voltaire ,
Il falloit figner Apollon.
8
Je me fuis mis au rang des rimeurs , comme
Vous voyez , Monfieur , & dans une langue , fi
vous n'y aviez écrit , abfolument étrangere à moi,
mais tout cela moins par étude que par fentiments
je me fuis dit de bonne heure :
Comme un torrent impétueux
Le temps coule & le précipite :
Se plaire à le fixer eft la gloire des Dieux 5
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
1
Pour nousun moindre efpoir doit couronner nos
voeux ,
Apprenons à tromper fa fuite ;
Par nous mêmes foyons heureux ;
Et , fans porter envie au partage fuprême ,
Recueillons notre efprit à l'afpect de ce temps
Et loin de tout fade fystême ,
Epluchons tous les traits , goûtons tous fes inf
tans .
Le plaifir leprolonge en dépit de lui - même.
LE PRINCE DE BELOSELSKI.
Réponse de M. de Voltaire.
A Ferney , 27 Mars 1775-
MONSIEUR ,
acca Un Vieillard de quatre -vingt & un ans ,
blé de maladies cruelles , a fenti quelques adouciflemens
à fes maux en recevant la Lettre charmante
en profe & en vers dont vous l'avez
honoré , dans une langue qui n'eft point la
vôtre & dans laquelle vous écrivez mieux que
tous les jeunes gens de notre Cour. Je viendrais
vous en remercier à Genève , fi mes fouffrances
me le permettaient, & fi elles ne me privaient
pas de toute fociété.
J'ai dit tout bas , en relifant vos vers :
MAI. 1775 .
179
Dans des climats glacés Ovide vit un jour
Une fille du tendre Orphée.
D'un beau feu leur âme échauffée ,
Fit des chanfons , des vers , & fur- tout fit l'amour.
Les Dieux bénitent leur tendreffe ,
Il en nâquit un fils orné de leurs talens ;
Yous en êtes iflu ; connaiſſez vos parens ,
Et tous vos titres de noblefls.
Agréez , Monfieur le Prince , le refpect du
Vieillard de Ferney.
LETTRE de M. de Voltaire à l'Auteur
des Ephémérides du Citoyen .
Je ne puis affez vous remercier , Monfieur ,
de la bonté que vous avez de me faire envoyer
vos Ephémérides. Les vérités utiles y font f
clairement énoncées , que j'y apprends toujours
quelque chofe , quoiqu'à mon âge on foit d'ordinaire
incapable d'apprendre. La liberté du
commerce des grains y eft traitée comme elle
doit l'être , & cet avantage inestimable ferait
encore plus grand , fi l'Etat avait pu dépenfer em
canaux de Province à Province la vingtième partie
de ce qu'il nous en a coûté pour deux guerres ,
dont la première fut entièrement inutile & l'autre
funefte. S'il y a jamais eu quelque chofe de prou-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
vé , c'eft la néceffité d'abolir pour jamais les
corvées. Voilà deux fervices eflentiels que Monfieur
Turgot veut rendre à la France ; & en cela
fon adminiſtration fera très - fupérieure à celle du
grand Colbert . J'ai toujours admiré cet habile
Miniftre de Louis XIV , bien moins pour ce qu'il
fit , que pour ce qu'il voulut faire ; car vous favez
que fon plan était d'écarter pour jamais les
Traitans. La guerre plus brillante que fage , de
1672 , détruisit toute son économie. Il fallut fervir
la gloire de Louis XIV , au lieu de fervir la
France. Il fallut recourir aux emprunts onéreux
au lieu d'impofer un tribut égal & proportionné
comme celui du dixième.
"
Que la France foit adminiftrée comme l'a été
la Province de Limoges , & alors cette France
fortant de fes ruines , fera le modèle du plus
heureux Gouvernement.
Je fuis bien content , Monfieur , de tout ce
que vous dites fur les entraves des Artiſtes , fur
les maîtrifes , fur les jurandes . J'ai fous mes yeux
un grand exemple de ce que peut une liberté
honnête & modérée en fait de commerce , auffi
bien qu'en fait d'agriculture. Il y avoit dans le
plus bel afpect de l'Europe , après Conftantinople
, mais dans le fol le plus ingrat & le plus
mal- lain , un petit hameau habité par quarante
malheureux dévorés d'écrouelles & de pauvreté.
Un homme avec un bien honnête , acheta ce
territoire affreux , exprès pour le changer ; I
commença par faire deflécher des marais empeftés
. Il défricha. Il fit venir des Artiftes étran
gers de toute espèce , & furtout des Horlogers
qui ne connurent ni maîtrife , ni jurande , ni
Compagnonage mais qui travaillèrent avec
MAI. 1775.
181
ane induftrie merveilleufe , & qui furent en
état de donner des ouvrages finis à un tiers
meilleur marché qu'on ne les vend à Paris.
Monfieur le Duc de Choileul les protégea
avec cette nobleffe & cette grandeur qui ont donné
tant d'éclat à toute fa conduite .
Monfieur Dogni les foutint par des bontés.
fans lesquelles ils étaient perdus .
Monfieur Turgot , voyant en eux des étrangers
devenus François , & des gens de bien devenus
utiles , leur a donné toutes les facilités
qui fe concilient avec les loix .
5
Enfin , en peu d'années , un repaire de quarante
fauvages eft devenu une petite Ville opulente
, habitée par douze cens perfonnes utiles
par des Phyficiens de pratique , par des fages
dont l'efprit occupe les mains. Si on les avoit
aflujettis aux loix ridicules inventées pour opprimer
les Arts , ce lieu ferait encore un défert
infect , habité par les ours des Alpes & du
Mont-Jura.
Continuez , Monfieur , à nous éclairer , à nous
encourager , à préparer les matériaux avec lefquels
nos Miniftres éleveront le temple de la
félicité publique.
J'ai l'honneur d'être , avec une reconnaiflance
refpectueufe , Monfieur ,
Votre très- humble & très- obéiflant
ferviteur VOLTAIRE.
182 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. de Voltaire à M.
Parmentier.
A Ferney , le 1 Avril 1775.
J'ai reçu , Monfieur , les deux excellens Mémoires
que vous avez bien voulu m'envoyer ,
l'un fur les Pommes de terre , defiré du Gou .
vernement , l'autre fur les Végétaux nourrilans ,
couronné par l'Académie de Befançon . Si j'ai
tardé un peu à vous remercier , c'eft que je ne
mangerai plus de pommes de terre dont j'ai fait
du pain très-favoureux , mêlé avec moitié de
farine de froment , & dont j'ai fait manger à
mes Agriculteurs dans un temps de difette , avec
te plus grand fuccès . Mais quatre- vingt & un
ans , furchargés de maladies , ne me permettent
pas d'être bien exact à répondre ; je n'en luis
pas moins fenfible à votre mérite , à l'utilité
de vos recherches , & au plaifir que vous m'avez
fait.
J'ai l'honneur d'être avec tous les fentimens
que je vous dois , Monfieur , votre très - humble
& très obéiflant ferviteur.
VOLTAIRE.
MA I. 1775. 183
COURS ET LEÇONS PUBLIQUES.
I.
M. Bouchaud , de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles Lettres, Lecteur
& Profeffeur Royal du Droit de la Nature
& des Gens ( Chaire nouvellement
établie ) , Docteur - Régent de la Faculté de
Droit , & Cenfeur Royal , a repris fes leçons
au Collège Royal , le Lundi 24 de
ce mois . Il les continuera les Lundis , Mercredis
& Vendredis à huit heures & demie
du matin , & donnera la première partie
de fes Inftitutions du Droit des Gens . M.
Bouchaud fera en outre , chez lui , un Cours
particulierde Droit Politique , les Dimanches
depuis dix heures jufqu'à midi , & les
Jeudis depuis onze heures jufqu'à une.
L'objet de ce Cours fera de développer la
conftitution politique & actuelle de tous
les Etats de l'Europe , & de confidérer ,
fous un point de vue général , les intérêts
de chacun d'eux relativement aux autres
Etats .
II.
M. l'Abbé Aubert, Cenfeur Royal, Di
184 MERCURE DE FRANCE.
recteur de la manutention économique de
la Gazette de France , Lecteur & Profeffeur
Royal en Littérature Françoife (Chaire
nouvellement créée ) , a fait l'ouverture
de fes leçons au Collége Royal , le Mardi
25, à onze heures du matin, par un Difcoursfur
l'origine de la Langue Françoife ,
& il les continuera les Mardis , Jeudis &
Samedis à la même heure. Il y reprendra
la Langue à fon berceau ; & il en fuivra
les progrès dans nos vieux Poëtes , en y
joignant tout ce que pourra lui fournir d'u
tile & de curieux , l'Hiftoire littéraire des
Troubadours , compofée d'après les ma
nufcrits de M. de Sainte - Palaye.
III.
M. Junker finira le 22 Mai prochain ,
fon Cours de Grammaire Allemande , auffi
bien que celui de Science Politique . Il recommencera
l'un & l'autre le 24 du même
mois , & les continuera pendant fix mois ,
comme il a fait jufqu'ici , tous les Lundis ,
Mercredis & Vendredis , le premier depuis
neuf heures du matin juſqu'à dix, &
le fecond depuis dix heures jufqu'à midi .
Le prix du Cours de Grammaire Allemande
eft de trois Louis , & celui du Cours
MA I. 1775 .
185
de Science Politique , très utile & même
néceffaire à ceux qui fe deftinent aux affaires
, eft de fix Louis , qui fe payent d'avance.
Les perfonnes qui voudront venir
à l'un ou à l'autre , font priées de fe faire
infcrire quelques jours auparavant. M.
Junker demeure rue Saint Benoît , Fauxbourg
Saint Germain , maiſon du Bourrelier
de Monfieur , au fecond.
I V.
M. Roberts, Profeffeur de Langue Angloife
, & Anglois de nation , a l'honneur
d'avertir le Public qu'il eft de retour de
Londres , qu'il continue de donner des
leçons chez lui & en ville , à fon ordinaire.
Les perfonnes qui defirent apprendre
l'Anglois , foit par goût ou par befoin ,
& qui veulent un peu s'y appliquer , peuvent
s'affurer qu'elles fauront le lire avec
un très bon accent , & de manière à fe
faire bien entendre au milieu de Londres
même , en très - peu de temps. On dit ' en
général que la prononciation de cette
Langue eft d'une difficulté extrême , finon
infurmontable ; pour détruire ce préjugé
, il fuffit de réfléchir que l'homme
eft né imitateur , & qu'entre les mains
186 MERCURE DE FRANCE:
d'un Maitre qui fait tirer parti de ce penchant
naturel , toutes les difficultés dif
paroiffent dans un mois de temps ,
en n'étudiant même qu'une heure par
jour. Les perfonnes qui éprouvent le
contraire doivent croire , ou qu'elles fuivent
une méthode éloignée de celle de
la nature , qui eft toujours la plus fimple
& la plus facile, ou qu'elles font mal enfeignées.
Cours public de Langue Angloife.
M. Roberts , pour faire voir au Públic
qu'il ne lui en impofe pas , & pour concourir
à l'utilité publique autant qu'il eft
en lui , invite les perfonnes qui defirent
cultiver l'Anglois , à fuivre le Cours qu'il
ouvrira le fix Mars prochain à 11 heures
du matin . Ce Cours durera quatre mois ,
il y aura leçon tous les jouts , les Fêtes
exceptées ; en lifant quelques - uns des
Hiftoriens Anglois , on expliquera d'une
manière nette & précife les règles de la
Grammaire à mefure qu'elles fe préfenteront,&
on réfervera les fix dernières femai
nes pour lire quelques morceaux choifis
de nos Poëtes les plus célèbres. Comme
l'Auteur ne négligera aucun foin pour renM
A I. 1775 .
187
dre ce Cours utile & intéreffant , il fe
fatte de mériter les fuffrages du Public
& de pouvoir affurer que les perfoones
qui l'auront fuivi régulièrement , feront
en état de lire toute forte de livres Anglois
, & même de pouvoir s'exprimer
dans cette Langue. Le bonheur d'être
utile fera la feule & la plus flatteuſe récompenfe
qu'il peut recevoir. M. Rober's
demeure rue Pavée Saint - Andrédes
Arts , chez M. Tourillon , Tapiffier ,
à Paris.
ARTS.
GRAVURES
I.
COLLECTION de planches enluminées &
non enluminées , repréfentant au naturel
ce qui fe trouve de plus intéreſſanc
& de plus curieux parmi les animaux ,
les végétaux & les minéraux , par M.
Buc'hoz , Médecin Botaniste & Surnuméraire
de Monfieur , Auteur de
l'Hiftoire Universelle du Règne Végé188
MERCURE DE FRANCE.
tal , & des Dictionnaires des trois Règnes
de la France.
CETTE COLLECTION , une des plus curieufes
& des plus intéreffantes en fon genre
, paroîtra par cahier régulièrement tous
les trois mois. Le premier cabier qui a
paru dès le commencement de Janvier ,
comprend le règne animal ; il renferme
12 feuilles de gravures tirées far grand
papier au Nom de Jéfus , & 10 feuilles
d'enluminures faifant en tout vingt-deux
feuilles .
Le fecond cahier qui paroît actuellement ,
comprend le règne végétal ; on n'y a repréfenté
que les plantes de la Chine , dont
le plus grand nombre eft encore actuellement
inconnu dans l'Europe . Depuis longtemps
on defiroit en Europe la repréfentation
figurée des plantes de la Chine ; il
falloit , pour pouvoir y parvenir , une cir
conftance auffi favorable que celle qui
s'eft préfentée à l'Auteur; on n'ignore pas
que l'entrée de la Chine eft interdite à
tout étranger ; comment donc pouvoir la
parcourir pour en reconnoître les plantes ?
Un Miffionnaire qui réuniffoit à fes talens
apoftoliques un goût pour la Botanique &
pour la Médecine , tâcha de réunir dans
MA I. 1775. 189
un corps d'ouvrage tout ce qu'il y avoit de
plus intéreflant & de plus curieux à favoir
fur les plantes , arbres & arbustes de la
Chine ; il puifa , pour cet effet , danst
tous les livres de Botanique du Pays ; il
confulta les Médecins , les Botaniſtes &
les Pharmaciens de la Cour ; il s'affocia
pareillement des Peintres pour figurer ces
mêmes plantes ; l'ouvrage qu'il rédigea
fur cet objet , eft actuellement dépofé
dans la Bibliothèque de l'Empereur; &
les figures des plantes qu'on publie dans
ce recueil , font copiées exactement d'après
cet ouvrage ; enforte qu'elles feroient
auffi rares , fi on les publioit à la Chine ,
qu'elles le font en France , puifqu'elles ne
fe trouvent que chez l'Empereur. C'eſt un
avantage pour nous d'avoir une notion de
ces plantes , telle que nous en avions de
celles d'Europe du temps de Diofcoride &
de Mathiole ; peut- être un jour pourrons .
nous mieux les connoître : du moins , par
la connoiffance que nous avons de leurs
noms Chinois qui fe trouvent gravés en
caractères du pays dans la dernière planche
de ce fecond cahier , pourra - t- on les
demander en réalité dans le pays & les
cultiver en France ? Ce fecond cahier qui
les repréfente , eft , de même que le pre190
MERCURE DE FRANCE.
mier, de 12 feuilles gravées , & de 10 enluminées
; il est tiré auffi fur même papier
; il fe trouve dans le cahier 30 plantes
figurées; le recueil de ces plantes pourra fe
monter environ à 500 .
Le troisième cahier , qui paroîtra en
Juillet , ne fera pas moins intéreffant que
les deux autres , pour ne pas dire plus ; il
eft actuellement gravé , & on peut dire
que c'eft un chef d'oeuvre de gravures ,
même au dire des Amateurs ; il eft deſtiné
au règne minéral ; on y trouve des foffiles
très- curieux , des cryftallifations, des accidens
parmi les minéraux , qui font rendus
avec la dernière exactitude : il n'y a encore
rien eu de fi bien exécuté en ce genre ;
on ne craint pas de l'avancer .
Le quatrième cahier paroîtra en Octo.
bre ; il eſt déjà plus de moitié gravé ; il
recommencera le règne animal ; & le cinquième
qu'on publiera en Janvier 1776 ,
fera la continuation du règne végétal , de
même que le fixième fera celle du règne
minéral , & ainfi de fuite régulièrement
de trois mois en trois mois ; chaque cahier
eft broché en papier bleu , & entre
chaque planche il y a des feuilles de pa-`
pier ferpente ; il faudra réunir dix cahiers
pour un volume.
MA I. 1775: 191
On n'ouvrira aucune foufcription pour
cette Collection de planches ; on aime
mieux en offrir l'acquifition à meſure
que chaque cahier paroîtra , fans rien
payer d'avance ; on n'en fera tirer que
300 Exemplaires ; ceux qui voudront
avoir les premières épreuves font priés.
de fe faire infcrire ; la diftribution s'en
fera felon la date de leur infcription ; le
prix de chaque cahier eft de 30 livres ;
on pourra fe les procurer chez l'Auteur ,
rue Haute-Feuille , & chez Lacombe , Libraire
, rue Chriftine .
On invite les Curieux & les Amateurs
qui auront quelques morceaux intéreflans
d'Hiftoire Naturelle , de vouloir bien en
donner avis à l'Auteur ; il les fera deffiner
& graver à fes frais , & indiquera les endroits
où on les trouve.
On foufcrit chez le même Libraire pour
un Ouvrage périodique fur l'Hiftoire Naturelle
, intitulé : la Nature confidéréefous
fes différens Afpects . Il en paroît deux ca
hiers par mois , & chaque fix mois , un.
de fupplément ; le prix de la foufcription ,
pour toute l'année , eft de 12 livres ; on
trouve raffemblé dans ce Journal tout ce
qu'il y a de plus intéreflant fur la Méde
cine , l'Art Vétérinaire , l'Agriculture , le
192 MERCURE DE FRANCE.
Jardinage , la Minéralogie , la Phyfique ,
l'Hiftoire des Animaux , & c .; enforte
qu'on peut regarder ce Recueil autant
comme Ouvrage de bibliothèque , que
comme Journal .
On trouve auffi à la même adreffe le
Traité économique des Oifeaux de baffecour
, Ouvrage nouveau , in- 12 , prix 2
1. broché.
:
I I.
L'Agréable Défordre & la Promeffe du
Retour deux Eftampes faifant pendant
, gravées par M. David ; de 14
pouces de hauteur , fur dix de largeur.
Ces deux fujets n'offrent rien que d'agréable
, & font rendus avec toute la fineffe
& la précision que l'Auteur a fu fi
bien répandre dans le Marché aux herbes
d'Amfterdam : il femble même que le
travail en eft plus foigné.
Elles fe trouvent à Paris , chez M.
David , Rue des Noyers , au coin de
celle des Anglois ; prix , chacune, 2 1. 8 f.
II I.
Le Sieur Thomas , jeune Graveur ,
vient
MA I. 1775 . 193
vient de mettre au jour le Portrait du
Sieur des Elfarts , Comédien du Roi ,
repréfenté dans le rôle de Francaleu , lifant
la Tragédie de la mort de Bucéphale.
Ce portrait eft gravé d'après le deffein
de M. Ingouf, l'aîné . M. Thomas , élève
du Sieur le Mire , célèbre Graveur , an
nonce de grandes difpofitions : Son burin
a de la couleur & de la fermeté . On trou
ve ce portrait chez M. Le Mire , rue St-
Etienne -des-Grès. Il fe vend i liv. 4 f.
I V.
Portrait , en médaillon , du fieur Jean-
Jofeph Sue , Profeffeur & Démonſtrateur
aux Ecoles Royales de Chirurgie , de
l'Académie Royale de peinture & fculpzure
, &c. Ce portrait eft gravé avec beaucoup
de foin & d'intelligence , d'après
un deffein de M. Pujos , par M. Pruneau
& fe vend ; I liv . 4 f. chez l'Auteur , rue
St Jacques , maiſon de Madame Duchef
ne , Libraire.
V.
Le grand tableau de Païfage de
M. le Prince ' , qui a été expofé au
I194
MERCURE DE FRANCE .
dernier Sallon , fous le titre de Vue des
environs de Fontainebleau , vient d'être
gravé par M. Godefroy . Cette Eftampe
de 22 pouces fur 16 , fe diftribuera , le
1 Juin , chez l'Auteur , rue des Francs-
Bourgeois , Place St - Michel , vis- à- vis
la rue de Vaugirard : prix 12 liv.
VI
Jardins Anglois.
Les curieux , qui ont foufcrit pour les
huit planches faifant fupplément des Jardins
Anglois , font priés de les faire
retirer.
Le cahier eft actuellément compofé
de 27 planches , compris le plan de Bellevue
& la defcription ; prix 9 liv . broché :
chez le Sieur le Rouge , Ingénieur - Géographe
, rue des grands Auguftins .
MUSIQUE.
I.
TROISIEME Recueil d'airs d'Opéra-
Comique & autres , avec accompagneMA
I. 1775 : 195
A
ment de Guittarre , par M. Tillier , de
l'Académie Royale de Mufique ; mis au
jour par M. Roüin ; OEuvre feptième :
prix , 7 l . 4 f.
I I.
Trente- unième Recueil périodique d'arietres
d'Opéra - Comique, arrangées pour
le Forté- Piano & le Clavecin à Paris ,
chez M. Pouteau , Organiſte à St - Martindes
Champs , & Maître de Clavecin ;
prix , I liv. 16 f. à Paris , chez M. Boüin
Marchand de Mufique , & de cordes d'inftrumens
; rue St Honoré , au Gagne - petit,
près St- Roch .
BAROMETRES ET THERMOMETRES.
LE SIEUR ASSTER PERICA , Ingénieur-
Conftructeur de Baromètres & Thermomètres
, & autres inftrumens de Phyfique
expérimentale , eft parvenu , après
un long travail , à ôter le choc du
mercure , fi long temps deftré pour ces
inftrumens , qui ne pouvoient auparavant
fe tranfporter d'un lieu à l'autre,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fans être expofés à fe caller & à ſe déranger
par le choc.
Ces Baromètres préviennent les tempêtes
& les ouragans ; & mettent , par
conféquent , les Capitaines de vaiffeaux ,
dans le cas de prévoir le danger.
Il a auffi inventé des Thermomètres ,
avec telle fenfibilité , que dans un quart
de minute , ils fe dilatent de so degrès ,
tandis que les ordinaires n'ont encorę
pris aucuns degrés de température.
Au premier changement de la condenfation
ou dilatation , les amateurs &
obfervateurs peuvent s'affürer de tous les
changemens qui en réfultent. Il conftruit
aufli des pèfe liqueurs de comparaiſon
pour mesurer toutes fortes de liqueurs.
On trouve ces pèfe- liqueurs chez M.
Baumé , Membre de l'Académie Royale
des Sciences de Paris , rue Coquillière ;
& une table d'explications . Le tout approuvé
par ladite Académie .
L'Auteur fait toutes fortes de Baromètres
, pour faire parallèle aux Pendules
& Cartels.
Il demeure rue Geoffroy - l'Afnier , au
coin de celle de St- Antoine , au Baromètre
Royal , à Paris .
MA I. 1775 .
197
4
1
ACTE DE BIENFAISANCE.
--
― Non...
Le jeune Robert attendoit fur le rivage , à
Marseille, que quelqu'un entrât dans fon batelet .
Un inconnu s'y place , mais il alloit en fortir incontinent
, en difant à Robert qui fe préfente , &
qu'il ne foupçonne pas en être le Patron , que
puifque le conducteur ne fe montre point , il va
paller dans un autre. Celui- ci eft le mien ,
Monfieur ; voulez vous fortir du port ?
Monfieur... Il n'y a plus qu'une heure de jour... Je
voulois feulement faire quelques tours dans le
baffin , pour profiter de la fraîcheur & de la beauté
de la foirée ... Mais vous n'avez pas l'air d'un
marinier , ni le ton d'un homme de cet état.
Cela eft vrai & je ne le fuis pas en effet : ce n'eft
que pour gagner plus d'argent que je fais ce métier
les fêtes & les dimanches. -Fi ! avare à votre
âge ! cela dépare votre jeunefle , & étouffe l'inté
rêt qu'infpire d'abord votre heureufe phyficnomie.
Hélas ! fi vous faviez pourquoi je
defire fi fort de gagner de l'argent , fi vous me
connoiflicz , vous n'ajouteriez pas à ma peine
celle de me croire un caractere fi bas . - J'ai pu
vous faire tort : mais vous vous êtes mal exprimé .
Faifons notre promenade ; vous me conterez votre
hiftoire... Eh bien ! mon cher ami , ditesmoi
donc quels font vos chagrins ; vous m'avez
difpofé à y prendre part . Je n'en ai qu'un ,
celui d'avoir mon pere dans les fers, fans pouvoir
l'en tirer encore . Il étoit Courtier dans cette Ville ;
s'étant procuré de les épargnes & de celles de ma
mere , dans le commerce de modes , un intérêt
✔
-
―
1 nj
198 MERCURE DE FRANCE .
fur un vaifleau en charge pour Smyrne , il a
voulu lui- même veiller à l'échange de fa pacotille
& en faire le choix . Le vaifleau a été pris par
un Corfaire & conduit à Tétuan , où mon malheureux
pere eft elclave avec le reste de l'équipage.
Il faut deux mille écus pour la rançon ;
mais comme il s'étoit épuifé , afin de rendre'
plus importante fon entreprife , nous fommes
bien éloignés d'avoir encore cette fomme . Ce
pendant ma mere & mes foeurs travaillent jour
& nuit j'en fais de même chez men maître ,
dans l'état de joaillier que j'ai embraflé , & je
cherche à mettre à profit , comme vous voyez ,
les Dimanches & les Fêtes. Nous nous fommes
retranchés julques fur les befoins de premiere
néceffité ; une feule petite chambre forme le logement
de notre ménage infortuné . Je croyois
d'abord qu'il m'étoit poffible d'aller prendre la
place de mon pere & de le délivrer en me chargeant
de les fers ; j'étois prêt à exécuter ce
projet , lorique ma mere , qui en fut informée
je ne fais comment , m'aflura qu'il étoit auffi
impraticable que chimérique , & fit défendre à
tous les Capitaines pour le Levant de me prendre
à leur bord. Recevez - vous quelquefois des
nouvelles de votre pere ; favez vous quel eft fon
Patron à Tétuan , & quels traitemens il y éprouve
! Son Patron eft Intendant des jardins du
Roi ; on le traite avec humanité ; & les travaux
auxquels on l'emploie ne font pas au - deffus de fes
forces . Mais nous ne fommes point avec lui pour
le confoler , pour le foulager , il eft éloigné de
nous , d'une époufe chérie & de trois enfans qu'il
aima toujours avec tendreffe. Et quel nom vo
tre pere porte-t-il à Tétuan ? - Il n'en a pás
-
---
MA I. 1775 . 199
- --
changé il s'appelle Robert , comme à Marseille,
Ha ha! Robert... chez l'Intendant des jardins.
Oui , Monfieur. Votre malheur me
touche , mais , d'après vos fentimens qui le méritent
, j'ofe vous préfager un meilleur fort , &
je vous le fouhaite bien fincèrement... En jouiffant
du frais , je voulois auffi me livrer à la foli,
tude :
: ne trouvez donc pas mauvais , mon ami ,
queje fois tranquille un moment.
Lorsqu'il fut nuit , Kobert eut ordre d'aborder,'
Sortaut du bateau , fans lui donner le temps d'en
defcendre , ni de l'attacher , l'inconnu ne permic
pas à Robert de le remercier de fa bourfe qu'il lui
Jaiffa , en le quittant ainfi avec précipitation . Il y
avoit dans cette bourfe huit doubles louis en or
& dix écus en argent. Une générosité auffi confidérable
infpira au jeune homme la plus haute
opinion de la fenfibilité de l'inconnu : mais ce
fut en vain qu'il faifoit des voeux pour le rencon
trer & lui en rendre grâces.
Six femaines après cette époque , cette famille
honnête , qui continuoit , fans relâche , à tra
vailler , pour completter la fomme dont elle avoit
befoin , étant à prendre un dîner frugal , compofé
de pain & d'amandes féches , voit arriver le pere
Robert , très - proprement vétu , qui la forprend
dans fa douleur & dans fa mifere. -Ah ! ma fem
me! ah ! mes chers enfans ! comment avez vous
pu me délivrer aufli promptement , & de la maniere
dont vous l'avez fait ? Voyez un peu comment
vous m'avez équipé ; & puis ces cinquante
Jouis que l'on m'a compté en m'embarquant fur
le vaifleau , où mon paflage & ma nourriture
étoient acquittés d'avance ! comment reconnoître
tant d'amour , tant de zele ! & ce dépouillement
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
→ La affreux où vous vous êtes mis moi !
pour
furprife de la mere lui ôte d'abord la force de
répondre ; elle ne peut qu'embrasfer fon mari ,
fondre en larmes , & fes filles de l'imiter . Pour
le jeune Robert , il reſte immobile fur fa chaife :
toujours fans mouvement , il s'y évanouit enfin.
Les pleurs qu'il a répandus rendent la parole
à la mere ; elle embrafle encore fon mari , elle
regarde fon fils , & le montrant au pere : voilà
votre libérateur. Il falioit fix mille francs pour
votre rançon nous en avons un peu plus de
moitié feulement , dont la meilleure partie eft le
prix du travail & de l'amour de votre fils . Ce refpectable
enfant aura trouvé des amis , qui , touchés
de les vertus , l'auront aidé ; & puisqu'il
projettoit , en fecret , dès le principe de votre
efclavage , d'aller prendre votre place ; c'eft fans
doute à lui que nous devons notre bonheur : il a
voulu de même nous en laiffer la furprife . Voyez
comme il le fent ! mais fecourons le . La mere vole
à lui ; fes foeurs en font de même . Ce n'est qu'avec
beaucoup de peine qu'on l'arrache de fon évanouiflement
; il jette alors les regards languiflans
fur fon pere : mais il n'a point aflez de force pour
parlerencore.
De fon côté, tout à coup rêveur & taciturne ;
le pere paroît bientôt confternê ; puis s'adreflant
à fon fils : malheureux ! qu'as- tu fait ? comment
puis je te devoir ma délivrance fans la regretter ?
comment pouvoit - elle refter un fecret pour ta
mere , fans être achetée au prix de ta vertu ? A ton
âge , fils d'un infortuné , d'un eſclave , on ne le
procure point naturellement les reffources conft
dérables qu'il te falloit. Je frémis de penser que
MAI. 1775 . 201
-
l'amour paternel t'ait rendu coupable ! Raffuremoi
, fois vrai , & mourons tous , fi tu as pa
celler d'être honnête. Tranquillifez - vous ,
mon pere , répond- il en fe levant avec effort :
embraflez votre fils ; il n'eft pas indigne de
ce beau titre , ni aflez heureux pour avoit
pu vous prouver combien il lui eft cher. Ce n'eſt
point à moi , ce n'eft point à nous que vous devez
votre liberté. Je connois notre bienfaiteur ; ma
mere! cet inconnu qui me donna la bourſe , m'a fait
bien des questions . Je paflerai ma vie à le chercher
; je le rencontrerai ; il viendra jouir de fes
bienfaits , les partager , & verfer avec nous de
douces larmes . Le fils raconte à fon pere Panecdote
de l'inconnu , & le rallure ainfi fur les
craintes.
Rendu à la tranquillité , Robert trouva des
amis & des fecours . Les fuccès les plus inattendus
furpaffant fes efpérances , couronnent fes nonvelles
entreprifes . Au bout de deux ans , il fe voit
riche ; fes enfans établis & heureux , goûtent
avec lui & fa femme une félicité qui feroit fans
mélanges , fi les recherches continuelles du fils
avoient pu lui faire découvrir ce bienfaiteur caché
, objet de leur reconnoiflance & de leurs
voeux.
Il le rencontre enfin un dimanche matin , Le
promenant feul fur le port. Ah ! mon Dieu tuté.
laire ! C'eft tout ce qu'il put prononcer en ſe je
tant à fes pieds , où il tombe fans connoiflance.
L'inconnu s'emprefle de le fecourir , & par quelque
cau fpiritueufe parvient à le faire revenir ; il
n'elt pas moins empreflé à lui demander la caufe
de fon état. Ah ! Monfieur , pouvez - vous
-
1v
202 MERCURE DE FRANCE.
l'ignorer? Avez -vous oublié Robert & fa famille infortunée
, que vous rendîtes au bonheur en lui tendant
fon perc? -Vous vous méprenez , mon ami; je
ne vous connois point , & vous ne fauriez me connoître;
car, étranger à Maifeille , je n'y fuis que
depuis peu être : mais de jours.Tout cela peut
rappelez-vous qu'il y a vingt-fix mois vous y étiez .
déjà cette promenade dans le port , l'intérêt que
Vous prîtes à mon malheur ; les queftions que
vous me fîtes , feulement fur les circonftances
qui pouvoient vous éclairer & vous donner les
lumieres néceflaires pour être mon bienfaiteur.
Libérateur de mon pere , pouvez - vous oublier
que vous êtes le fauveur d'une famille entiere ,
qui ne defire plus rien que votre préfence : Ne
vous refufez pas à fes voeux ; partagez la joie ; venez confondre les larmes de votre attendrille-
Venez.
ment à celles de notre reconnoiflance...
Doucement , mon ami ; je vous l'ai déjà dit :
vous vous méprenez. Non , Monfieur , je ne
me trompe point ... Vos traits font trop profondément
gravés dans mon coeur pour que je puiffe
vous méconnoître : venez , de grâce ! .. Et le jeune
Robert de le prendre par le bras & de lui faire
ainfi une douce violence pour l'entraîner , & le
peuple de s'aflembler autour de ces deux perfonnagés.
--
L'inconnu alors , d'un ton plus grave & plus
ferme : Monfieur , cette fcene me fatigue fans vous
Loulager. Quelque reffemblance frappante occafionne
vorre erreur ; rappelez votre raison , & ,
dans le fein de votre famille , allez reprendre la
tranquillité dont vous me pareillez avoir befoin.
Quelle barbarie ! bienfaiteur de cette famille ,
pourquoi , par votre réſiſtance , par votre refus
1
MA I. 1775. 201
1
de m'accompagner , altérer le bonheur qu'elle ne
doit qu'à vous? Refterai-je en vain à vos pieds ?
Et ferez - vous affez ctuel pour rebuter aujourd'hui
le tribut touchant que nous réfervons depuis fi
long-temps à votre fenfibilité ? Et vous , ô mes
Concitoyens ! vous tous que le défordre & le
trouble où je fuis doivent attendrir , joignezvous
àmoi pour que l'auteur de mon falut vienne
contempler lui- même fon propre ouvrage.
Ici l'inconnu fe tait . Mais réuniflant toutes fes
forces & rappelant fon courage , pour réfiſter à
la féduction de la jouiffance délicieuse qui lui eft
offerte , il échappe , dans la foule , aux yeux
éteints & égarés du jeune Robert , & laifle au
peuple étonné , l'exemple d'un héroïsme tel qu'il
n'avoit point encore vu.
Le filence de la défolation , la buffocation du
reflentiment (uccèdent à l'agitation dont l'honnête
Robert eft tourmenté : on eft obligé de le porter
chez lui , ou enfin un corrent de larmes falutaires
l'arrache au danger de fa fituation.
L'inconnu dont il a été queſtion juſqu'ici , le
feroit encore maintenant , & des gens d'affaires
ayant trouvé dans fes papiers , à la mort de leur
maître , une note de 75co liv. envoyées à Robert
Mayn , de Cadix , ne lui en euffent pas demandé
compte mais feulement par curiofité , puisque
la note étoit bâtonnée & le papier chiffonné ,
comme ceux qu'on deftine au feu. Ce famenx
Banquier Anglois répond qu'il en a fait ufage
pour délivrer un Marfeillois nommé Robert ,
efclave à Tétuan , conformément aux ordres de
CHARLES DE SECONDAT , BARON DE MONTESI
vj
204 MERCURE DE FRANCE.
1
་
A QUIEU , PRÉSIDENT & MORTIER AU PARLEMENT
DE BORDEAUX *.
Lorfque cet Auteur , par fes écrits , tous égale
ment infpirés & dictés par l'amour des hommes
& du vrai , éleva , lui même , à fa gloire , des
monumens éternels , j'ai cru qu'en rapportant fimplement
ce fait , c'étoit la feule manière dont
I'Humanité , pénétrée de fa perte , pouvoit , avec
quelque dignité , faire fumer l'encens de la reconnoiflance
fur le tombeau de fon immortel
bienfaiteur.
Douce , précieuſe , confolante philoſophie
que de refpect & de vénération n'imptimes - tu pas
dans tous les coeurs , quand ceux dont le génie
peut éclairer , rendre meilleurs & plus heureux
leurs femblables , font les premiers à donner
l'exemple de la vertu !
Quel tableau touchant pour ceux qui le connoiffoient!
quel fpectacle attendriflant pour les amis,
que la vie de l'Auteur de l'Esprit des Loix ! elle fut
facrifiée toute entiere à la bienfaifance : les lettres
& le plaifir n'en furent que les accefloires . Quel
dut être fon bonheur de voir l'Epoule qu'il adoroit
, une Epoufe digne de lui , dédaigner , repouffer
les hommages dus aux grâces & à la
beauté , pour ne s'occuper que du foulagement
des miférables ; pour ne trouver , avec lui , de fatisfaction
& de jouiffance qu'à faire des heureux !
11
* Dans fa vie , active , laborieufe & obfervatrice
, M. de Montefquieu aimoit à voyager.
viftoit fréquemment fa foeur , Madame d'Héricourt
,mariée à Marseille.
MA I. 1775 • 205
Leur vie , fi celle des êtres bienfaifans & délicats
dans le partage de leurs dons , pouvoit être connue
, ferviroit de modèle & de confolation aux
amis de l'Humanité .
O yous ! moderne Prométhée , dont l'ardent
Aambeau furprit la Nature dans fes projets ,
l'éclaira , l'embellit , vint l'agrandir à nos yeux
& nous découvrir les reflorts , jusqu'à vous imperceptibles
à la foiblefle de notre vue , Buffon !
que de moyens n'offrez-
-vous pas à nos neveux
pour faire de vos vertus le pendant de votre génie!
combien de traits brûlans de magnanimité ,
partis du brâfier de votre coeur ! Ainfi
lumineux qui vivifie & régénere la plante défléchée
par accident , vous relevez l'opprimé , vous
encouragez le malheureux , & effuyant fes larmes
, vous favez lui faire oublier juſqu'au louvenir
même de fes revers.
que
l'aftre
Arbitre & modèle du goût , mortel non moins
univerfel qu'étonnant , toi qui , rendant hommage
à mon Héros , a dit il y a deux jours :
De Londre à Pétersbourg on lit l'Esprit des Loix 5
C'eſt l'oracle du Peuple & la leçon des Rois .
Epitre à M. le Comte de Treffan .·
Toi de qui le nom feul eſt un bienfait , puisqu'il
rappelle fans ceffe au coeur & à l'esprit des actes
de générofité , des traits de lumière , ou l'image.
des grâces & du plaifir , que ne puis - je anticiper
fur les droits de la postérité ! mais la renommée
le les eft appropriés ; les noms de Calas , de Sirven
, celui de la race du grand Corneille , & tant
d'autres , volent à l'Immortalité avec ceux de
Henri & de Jeanne d'Arc :
206 MERCURE DE FRANCE.
Et le même laurier couvre Horace & Titus ,
M. le Chev. de Cubiere de Palmeſeau ,
Epitre fur l'Amour de la Gloire.
a dit , voulant parler de toi & chantant l'union
du génie & de la vertu , l'un de tes plus dignes
admirateurs .
Que ne puis - je raconter quelqu'une de ces
anecdotes qui diftinguent ta délicatefle ! que ne
m'eft-il permis fur - tout d'arracher de l'oubli ou
tu l'as plongée , une des circonftances de ta vie ,
où tu ne fis pas moins d'efforts que Montesquieu
pour te cacher à tous les yeux , & rejetter le tribut
que ta magnanimité venoit de t'allurer ! que
ne puis je le citer ce fait que j'ignorerois , fi celui
qui fut l'objet de ta bienfailance ne me l'eût point
appris , en te reprochant le filence auquel tu l'as
condamné !
Pardonne , ô Voltaire ! fi dans une carriere on
ta préfence entretient , perpétue le printemps &
fait fleurir le myrthe à l'ombre du laurier , pardonne
fi j'ai tenté de jeter des fleurs fur ta route
glorieufe ton génie & ton indulgence les firent
éclore : l'émulation & la reconnoiflance t'en préfentent
l'hommage.
Par M. Mingard.
4
MA I. 177 ).
207
ANECDOTES.
I.
Trait de piété filiale.
UNE femme du Japon étoit restée
veuve & fans bien , avec trois garçons.
Le travail de fes enfans ne fuffifoit pas
pour entretenir fa famille. Ils fe communiquèrent
leur chaguin , & ils prirent ,
pour mettre leur mère à fon aife , une
étrange réfolution. On avoit publié , de-
'puis peu , que quiconque livreroit un
voleur à la Juftice recevroit , pour récompenfe
, une fomme affez confidérable .
Les trois frères convinrent enſemble que
l'un d'eux feroit livré à la Justice par
les deux autres , comme voleur. On tita
au fort , & il tomba fur le plus jeune .
On le conduifit au Magiftrat . Interrogé
par le Juge , le prétendu coupable confeffa
le vol , & la fomme promiſe fut
délivrée à fes frères. Ces infortunés
attendris fur le fort de la victime , ſe
glifèrent dans la prifon , pour l'arrofer
de leurs larmes. Le Magiftrat s'en apper.
208 MERCURE DE FRANCE.
çut & les fic fuivre par un domestique :
celui- ci les obferva ; il s'infinua dans
leur maison , & entendit l'aveu qu'ils
firent à leur mère , de ce qui s'étoit
paffé. Cette femme , au déſeſpoir , refuſa
de conferver fa vie , au prix de celle de
fon jeune enfant . Elle commanda aux
deux autres d'aller promptement déclarer
an Magiftrat la vérité. Le Juge , informé
par le domeftique , interroge de nouveau
le prifonnier , qui , par fa conftance à
foutenir la première déclaration , ſembloit
vouloir le contraindre à le punir.
Le Magiftrat inftruifit le Cubo , ( le Souverain
) , de cette action immortelle . Le
Cubo combla les trois frères de carefles ,
& affigna au plus jeune , quinze cents
écus de rente , & cinq cents à chacun
des deux autres.
I I.
Un Prince Alide demandoit un jour
à Moëz , premier Prince de la Dinaſtie
des Fatimes Egyptiens , de quelle branche
des Alides il fortoit. Voilà ma généalogie
, lui dit Moëz , en tirant fon
épée ; il jeta enfuite de l'argent à fes
foldats attroupés , en difant : Voilà ma
Face.
MA I.
1775 . 209
I I I.
Onnontagué , Chef des Irroquois , en
guerre avec les Hurons & les François , ne
voulut point chercher fon falut par la fuite,
à la vue d'un corps ennemi infiniment
fupérieur à fon détachement , qui fe diffipa
fans être attaqué. Il tomba entre
les mains des Hurons , qui , fuivant
leurs moeurs , s'acharnèrent contre ce
Vieillard , âgé de cent ans. Celui - ci ,
bien loin de pouffer un foupir , reprocha
aux Harons d'être les vils efclaves des
François. Un de fes bourreaux , outré de
fes infultes , lui donne trois coups de
poignard, Tu as tort , lui dit fièrement
Onnontagué , d'abréger ma vie ;
tu aurois eu plus de temps pour aprendre
à mourir en homme.
I V.
Triftan , ayant pris un Fort dans l'Ifle
de Jocotora , trouva un aveugle qui
s'étoit retiré au fond d'un puits ; il lui
demanda comment il avoit pu y defcendre
Les aveugles , répondit il , voyent
le chemin de la liberté . La liberté fut
le fruit de fa réponſe.
210 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
ROBIN , Libraire , paflage du Saumon audeflus
de l'Egout Mont- Maitre , a formé depuis
deux ans un cabiner , où il a raflemblé & raffemble
journellement tout ce qui lui paroît propre
à la lecture .
Il a ramaflé julqu'à ce jour dix - huit cens
articles , tant d'anciens Romans que de Romans
modernes.
La partie du Théâtre eft prefque complette ,
indépendamment d'un très - grand nombre de
Pièces détachées des différens Théâtres qu'il
vend féparement & à jufte prix , & qu'on peut
fe procurer pour la lecture feulement .
L'Hiftoire de France eft une des parties à la
quelle il paroît s'attacher ſpécialement , outre
les Hiftoires générales . Il raflemble tout ce qu'il
trouve de Mémoires ou Hiftoires particulières
relatives à cet objet .
Il ne néglige rien néanmoins pour completter
autant qu'il lui eft poffible , les Hiftoires des
autres Nations , tant anciennes que modernes .
จ
Il a auffi un grand nombre de Voyageurs.
Enfin , s'il continue comme il a commencé
il y a apparence que dans quelques années il
aura formé le cabinet le plus complet en ce
genre.
MA I. 1775.
211
Il vend fon Catalogue douze fols , & donne
gratis tous les ans le fupplément.
Les conditions des différens abonnemens font
énoncés à la tête dudit Catalogue.
I I.
Spectacle pyrique & hydraulique , ou
imitation des effets des feux d'artifices
& des eaux.
Ce fpectacle confifte en différentes exécution's
d'artifices , fur des décorations variées d'Architecture
, de cafcades , &c. Il réunit tout ce que
l'art de l'Artificier embraffe , foit dans la partie
de l'illumination , foit dans celles des foleils
fixes & tournans , des napes & jets d'eaux , des
chiffres , des guirlandes & autres espèces d'ornement
; la vivacité des feux , leur mouvement
& leur variété fucceffive dans les couleurs conconrent
à faire l'illufion la plus parfaite.
Les Amateurs & les Artiftes que l'Auteur a
confultés , avant d'en faire part au public , l'ont
afluré qu'il paffoit de bien loin toutes les tentatives
faites jufqu'à préfent dans ce genre.
On pourra le voir tous les jours à fix heures
précifes du foir , chez le fieur Le Bailly , qui en
eft l'Auteur , en fa demeure , rue des Lavandieres,
place Maubert , au bureau de la capitation ,
au deuxième.
Les repréſentations changeront plufieurs fois
212 MERCURE DE FRANCE.
par femaine ; les billets feront de 24 fols par
place.
Les perfonnes qui ne voudroient pas s'affujetir
à l'heure ci deflus dite , pourront venir à tout
autre inftant , en faisant prévenir la veille le
feur Le Bailly.
I I I.
Cofmétique , Pâte de propreté.
ou
Le moindre des fecrets propres à conferver la
beauté ou à lui porter un nouvel éclat , nous
paroît digne d'être diftingué parmi les recettes
préfentées aux Dames . Celui que nous leur
offrons eft dans les harems des Orientaux & des
Levantins , très - recherché des femmes , finon
plus belles que les nôtres , au moins également
jaloufes de l'éclat de leurs attraits . La compofi
tion que nous leur avons annoncée déjà les
années piécédentes , s'appelle Guzellik ,
Ekmocq , nom arabe qui lui vient de l'ufage
que la propreté en fait au ferrail & dans toute
l'Afie. Elle eft fort au- deffus de la pâte d'amande ,
deftinée feulement à fe laver les mains. Le refte
du corps méritoit bien l'attention du beau fexe ,
& par conféquent des Artifans du luxe. Ce n'eft
point affez de fe nettoyer : blanchir , adoucir ,
rafermir les chairs & parfumer la peau , font des
foins importans qu'il feroit fouvent dangereux
de négliger , s'il eft vrai qu'en quelque forte
ils puiffent relever des charmes féduifans que la
nature donne avant l'art à cette moitié chérie
de l'efpèce humaine . L'Ekmecq a toutes les proMA
I. 1775 . 213
priétés les plus defirées : il fuffit pour s'en frotter
, de l'avoir fait tremper un inftant dans
l'eau , laquelle fert enfuite à le laver. Lors
qu'elle eft tiède , l'effet en devient plus prompt.
C'eft le fieur Fagonde , Marchand de parfums ,
qui la débite feul . Il demeure rue Saint - Denis
près de la rue des Lombards , à la Toilette.
Tout ce qui s'achette ailleurs eft abſolument
contre- fait. Les pains valent 24 fols pièce . Ils
ont une odeur très agréable & qui s'évapore
peu mais pour la conferver toujours , il faut
les ferrer dans un petit coffret , doublé d'étain ;
se qui fe trouve auffi chez le même Marchand.
Un pain dure trois mois , fi'l'on n'en fait ulage
que pour les mains ; & le pain & le coffre nе
coûtent ensemble que 48 fols .
Nota. Des perfonnes dignes de foi qui avoient
le tein échauffé & plein de boutons , après s'être
fervi de diverfes pommades indiquées & fans
fuccès , ont fait ufage de cette pâte , en en faifant
fondre dans de l'eau de rivière , jufqu'a ce
que l'eau foit un peu épaiffe , & s'en font humectés
le vifage tous les foirs ; cela a produit le meilleur
effet , & a fupprimé entièrement les boutons.
LETTES PATENTES , ARRÊTS ,
ORDONNANCES , &c,
I.
LE Parlement a enregiſtré le 16 Mars dernier ,
des Lettres-Patentes du Roi , en date du 12 Jan214
MERCURE DE FRANCE.
vier précédent , données en faveur de la Ville
Impériale de Reutlingen pour l'exemption du
Droit d'Aubaine , & la liberté du Commerce.
I I.
Il paroît deux Arrêts du Confeil d'Etat du Roi :
le premier en date du 5 Janvier dernier , avec Lettres
- Patentes fur icelui , qui ordonnent que le franefalé
des Officiers de la Chambre des Comptes de
cette Ville leur fera délivré ſuivant l'ancien ufage
& comme auparavant les Arrêts des 24 Février &
18 Juillet 1773. Le ſecond , en date du 2 de ce
mois , fupprime un ouvrage ayant pour titre :
Théorie du Libelle , ou l'Art de calomnier avec
fruit, Dialogue Philofophique pour fervir de
Supplément à la Théorie du Paradoxe.
I I I.
19
La Chambre des Comptes a rendu un Arrêt
en date du 22 Février dernier , concernant les
contrats d'échange faits entre le Roi & divers particuliers
, & acquifitions faites par Sa Majefté
pour être réunies à fon Domaine , depuis le
Décembre 1735 , jufqu'au premier Janvier 1771;
enfemble des contrats d'échange faits entre le
Duc d'Orléans , en qualité de Prince Apanagifte ,
& divers particuliers , depuis le 16 Août 1748
jufqu'au premier Janvier 1773 .
I V.
L'Intendant de la Généralité de Poiron , informé
MA I. 1775 . 215
que la maladie des bêtes à cornes pénétroit dans
le Périgord & la Saintonge , vient de publier
une Ordonnance par laquelle il prend toutes les
nefures convenables pour prévenir ce mal , en
interdifant les moyens de communication . Il défend
même , par une feconde Ordonnance , le
débarquement de tous cuirs dans les Ports ou fur
les Côtes de fa Généralité , de quelques lieux
qu'ils puiffent venir.
V.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 13 de ce
mois , qui ordonne que les droits fur le poiffon
de mer frais , ne feront perçus pour l'avenir que
fur le pied de la moitié à laquelle ils avoient été
réduits par la Déclaration du 8 Janvier dernier ,
& que la perception des droits fur le poiffon falé
fera & demeurera fupprimée par la fuite , ainfi
qu'elle l'étoit par la même Déclaration . N'entendant
néanmoins Sa Majefté comprendre dans la
réduction & fuppreffion , les droits irréductibles
de Domaine & Barage.
NOUVELLES POLITIQUES,
L
De Mofcou, les Mars 1775.
ES Troupes irrégulieres employées contre
les Turcs , font déjà renvoyées , en grande partie
, dans leurs Provinces : les feuls Régimens de
216
MERCURE
DE FRANCE
.
la divifion de Livonie & d'Eftonie reftent encore
dans leurs quartiers jufqu'à ce que les affaires de
la Pologne foient terminées .
De Warfovie, le 24 Mars 1775.
On affure qu'actuellement il y a dans le
Grand - Duché de Lithuanie à peu près vingt
mille Rufles.
Le Corps d'armée que Sa Majefté Pruffienne
a dans les Provinces de la Pruffe , & qu'on fait
monter à trente- fix mille cinq cents hommes ,
doit , à l'exception du Régiment qui eft auprès
de Dantzick , fe trouver le 6 Juin près de
Graudentz ( Ville du Palatinat de Culm , dans
la Pruffe Polonoile ) , pour y paffer la revue du
Roi.
Des lettres récentes des Frontières de Podolie ,
portent que la garnifon Rufle de Choczim en
étoit fortie le 10 de ce mois , & avoit remis cette
place aux Turcs , qui y étoient entrés au nombre
de deux cents foixante- dix hommes feulement
, commandés par un Aga . De leur côté , les
Turcs ont remis Kinburn aux Troupes Rufles.
Un Major François , nommé le Baron de Reuillecourt
, a obtenu le commandement d'une Légion
de douze cents hommes qu'il leve aux dépens
de la République.
Les dernieres lettres de la Podolie annoncent
le départ du Général Romanzow pour Moſcow.
Quant à l'armée Ruffe , elle paroît faire quelques
difpofitions pour la fortie de la Pologne.
1
De
MA I. 1775+ 217
0
De Copenhague , le 4 Avril 1779.
Le Baron de Blome , Envoyé extraordinaire à
la Cour de France , ayant obtenu un congé pour
paffer quelques mois dans le Holftein , le Confeiller
de Légation Schutz eft chargé à la même Cour
pendant l'abfence de cet Envoyé , des affaires de
Sa Majesté.
De Berlin , le 25 Mars 1775.
Par le Traité de Commerce conclu entre le
Roi de Prufle & la République de Pologne on
a ftipulé la diminution de moitié des droits d'entrée
& de fortie en Pologne , qui font réduits à 2
pour roo. Celui de tranfit a été auffi modifié à la
même taxe , pour les objets fabriqués dans les
deux Etats respectifs . Une claufe aflujettit aux
anciennes fixations tous les objets néceſſaires aux
fabrications des Etats du Roi de Prufle
1
De Madrid , le 4 Avril 1775.
c.yoll
Les Maures érant fortis de leur camp devant
Melille, & ayant arboré le drapeau blanc le r
Mars à deux heures après - midi , on laiffa en
conféquence approcher des murs de la place un
Alcaide qui annonça la levée du fiége , & qui demanda
que Sidi Hamer Elgazel , Ambafladeur à
la Cour d'Espagne , lors de la conclufion della
derniere paix , pût conférer avec le Commandant-
Général. G
Don Juan de Sherlock répondit qu'Elgazel
pouvoit venit , & bientôt il parut , accompagné
de deux autres Officiers Maures , qui donuerent ,
K
2.8 MERCURE DE FRANCE.
comme lui , en approchant , les marques d'un
refpect & d'une foumiffion ordinaires à cette
Nation.
peu
Le Gouverneur du Préfide du Pennon a auffi
donné avis que les Maures qui l'affiégeoient ,
avoient arboré l'étendart de la paix le 18 Mars
au foir , & que la place y ayant répondu , ils
firent en fubftance les mêmes proteftations qu'à
Mélille , demandant la paix & le retirant avec
leur artillerie.
De Naples , le 1 Avril 1775 .
Le Roi ayant été informé par fon Miniſtre à
Conftantinople , que les fommes deſtinées à l'entretien
des Lieux Saints n'étoient point appliquées
à leur objet , & que les Religieux qui réfident à
Jérusalem , privés de ce fecours , y fubfiftoient
avec peine , Sa Majesté à ordonné au fieur Leone ,
Préſident de la Chambre des Comptes , de fe rendre
au Couvent des Cordeliers de Sainte- Marie la
Neuve de cette Ville , où fe reçoivent les quêtes
relatives à cet entretien qui fe font dans tout le
Royaume .Ce Magiftrat s'eft fait remettre la clefdu
tréfor, & il y a trouvé plus de cent mille ducats
d'argent comptant ; dont il s'eft faifi . Deux jours
après , il a paru un Edit portant défenſes de faire
à l'avenir de pareilles quêtes , Sa Majeſté voulant
fe charger Elle même de pourvoir à l'entretien des
Saints Lieux de la maniere qu'ellejugera convenable.
- that .
De la Haye, le 31 Mars 1775 .:
Les Etats Généraux ont publié le 20, un placard
portant défenſe proviſionnelle , pour le terme de
M A I. 1775. 219
fix mois , d'exporter aucune munition de guerre ,'
poudre , canons , balles fur les Vaifleaux expédiés
vers les Domaines de la Grande - Bretagne , fous
peine de confifcation des objets prohibés qu'on y
trouveroit & d'une amende de mille florins dont le
Capitaine feroit refponfable & pour lesquels fon
Vailleau pourroit être exécuté. Les mêmes peines
& faifies font prononcées par cette Ordonnance
contre tous autres Vaifleaux , foit étrangers , foit
nationaux , s'ils ne font munis d'une permiffion
exprefle de fortir avec les chargemens ci deflus
défignés ; on a pourvu à ce que cette permiffion ne
pût leur être expédiée que par le Département de
l'amirauté , fous l'infpection duquel le feront les
embarquemens .
De Livourne , le 15 Mars 1775.
Selon les nouvelles d'Alger , les Sujets de cette
Régence voient avec inquiétude les mesures que
prend le Bey pour rendre héréditaire cette dignités
dans fa famille . La fermentation des efprits excite
des foulévemens dans la Ville , & donne quelques
alarmes aux Négocians Européens .
Extrait d'une Lettre de Philadelphie en date du
is Février 1775.
Il regne ici une grande maladie , & particulierement
dans les Troupes . Le dixieme Régiment
s'eft révolté il y a quelques jours , & il a été
délarmé pour avoir refufé de cafler la tête à trois
foldats qui avoient déferté . Les amis de l'adminiftration
ont eu grand foin d'étouffer cette af
faire.
De Bofton , le 7 Avril 1775 .
Le Congrès Provincial aflemblé le 15 Février
Kij
120 MERCURE DE FRANCE.
dernier à Cambridge , a décidé que la grande loi
de la confervation de foi - même obligeoit les habitans
de cette Colonie à fe préparer , fans délai ,
contre toute entrepriſe qui pourroit être formée
de les attaquer par ſurpriſe . En conféquence il eſt
ordonné à tout Corps de Milice de le perfection
ner dans la difcipline militaire. Il eft recommandé
aux Villes & Districts de la Colonie d'encourager
les Fabriquans d'armes & d'en pourvoir les Habitans
qui n'en ont point encore : cette réfolution
eft fignée John Hencock , Préfident du
Congrès Provincial .
De Londres, le 2 Avril 1775 ·
?
Les Généraux Howe , Clinton & Burgoyne ,
qui commanderont les Troupes en Amérique
doivent s'embarquer à Port (mouth ; mais l'idée
qu'on s'eft faite de leurs caracteres patriotiques ,
fait préfumer , qu'autant que l'honneur le leur
permettra , ils emploieront les voies de la perfuafon
& de la douceur , pour ramener ces Pays à
la Mere Patrie avant de recourir aux moyens de
rigueur..
On annonce avec quelques inquiétudes qu'un
Vailleau eft parti de Stétin , au mois de Mars
dernier , avec un chargement d'armes à feu ,
de
poudre à canon , de boulets , d'habits d'ordonnance
& de trente pièces de campagnes légeres ;
que les armes & les munitions ont été payées par
un Agent de l'Amérique à Berlin ; que ce Vailleau
porte buit Officiers Généraux qui ont fervi longtemps
en Allemagne , & du nombre defquels font
les feurs Roberveils , Larafont & Gurgenftein.
MA I. 1775 .
221
De Paris , le 28 Avril 1775.
a
Les Habitans de Saint- Domingue & les Chambres
du commerce du Royaume , ayant fait des
repréfentations fur le bas prix du café , Sa Majéfté
, pour encourager ce genre de culture
ordonné que le droit de 14 den . pour liv . qui fe
perçoit à St -Domingue fur cette denrée , fera réduit
à 4 pour 100 du prix vénal.
?
NOMINATIONS.
Le 19 Mars , la Marquife de Caumont de la
Force prêta ferment entre les mains de Monſeigneur
le Comte d'Artois , pour la place de Gouvernante
des Enfans de ce Prince.
Le Roi a accordé l'Évêché de Nantes à l'Evêque
de Tréguier ; & celui de Tréguier à l'Abbé de
Luberfac , Vicaire -Général d'Arles & Aumônie
de Sa Majesté.
PRÉSENTATIONS .
Le 6 Avril , le feur Bertrand de Boucheporne
nommé à l'Intendance de Corfe , fur la démiffion
du fieur de Pradine , a eu l'honneur de faire fes
remercîmens au Roi , auquel il a été présenté par
Je fieur Turgot , Contrôleur- Général des Finan
ces.
Le 12 Mars , le fieur de Courtilloles , Lieute
K iij
222 MERCURE DE FRANCE .
mant -Général au Baillage & Siége Préfidial d'Alen
çon , ainfi que les fieurs Dumellanger , Boullay &
de Badoire , Députés de cette Jurifdiction , eurent
l'honneur d'être préfentés à Monfieur , & de lui
faire leurs remercîmens , au nom de leur Compagnie
, pour laquelle ils ont obtenu la diſtinction .
de porter la robe rouge.
Le 28 Mars , le fieur d'Albertas fils , eut l'honneur
d'être préfenté au Roi par le Sr de Miromefnil
, Garde des Sceaux , & de faire fes remercîmens
à Sa Majefté de l'agrément qu'elle lui a accordé
pour la place de Premier Préfident à la Cour
des Comptes , Aides & Finances de Provence.
Le 17 Avril , la Marquife de Lomefnil eut
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeftés &
à la Famille Royale , par la Comtefle de Brienne.
M. le Vicomte de Villerau , Officier au Régiment
des Gardes Françoifes, a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi , à la Reine , & à la Famille
Royale le 18 d'Avril . Le même jour Monfieur
le Marquis de Baroncelly , Officier au Régiment
des Gardes Françoifes a auffi eu l'honneur d'être
préfenté au Roi, à la Reine & à la Famille Royale.
NAISSANCE S.
Le 10 Avril, la nommée Madeleine Vilguenne ,
âgée de quarante - deux ans , Femine de Claude
Nigue, Tiflerand , de la Paroiffe de Saint - Gobain ,
Diocèle de Laon , eft accouchée d'un garçon & de
deux filles qui fe portent très-bien . Cette femme
avoit déjà eu onze enfans , dont les huit premiers
étoient des garçons . Il en refte fept vivans au
père & à la mère qui font fort pauvres.
MA I. 1775 : 223
4
Le 8 de Mars , la Comtefle héréditaire de Wied .
Neuwied, née Comtefle de Berlebourg, accoucha
heureusement au Château de Neuwied , de fon fecond
fils , qui a été nommé Chrétien - Fréderic.
MARIAGES.
Le 17 Avril le Roi & la Famille
Royale ont
figné le contrat de mariage du Baron de la Houze,
Chevalier
des Ordres Royaux , Militaires
&
Hofpitaliers
de Notre - Dame du Mont Carmel
& de Saint Lazare de Jérufalem
, Chevalier
Honoraire
de l'Ordre de Malte , ci -devant Miniftre
Plénipotentiaire
de Sa Majefté à la Cour de Parme
, & actuellement
réfidaut avec le même titre
près les Princes & Etats du Cercle de la Bafle- Saxe ,
avec Demoiſelle
Favre de Schalens.
Le 18 Avril , le Roi & la Famille Royale ont
figné le contrat de Mariage du Comte d'Ecquevilli
, Meftre- de - Camp du Régiment Royal ,
Cavalerie, avec Demoiſelle de Durfort de Civrac ;
celui du Marquis de Bouzols , Colonel du Régiment
de Lyonnois , Infanterie ,, avec Demoifelle
d'Argout ; & celui du Comte de Pufignieu ,
Capitaine au Régiment Dauphin , Dragons , avec
Demoiſelle de Santo Domingue.
Le 9 Avril , le Roi & la Famille Royale ont
figné le contrat de mariage du Comte de Fleurigny ,
avec Demoiſelle Defreaulx ; & le 23 , celui du
fieur de Chapt de Raftignac , Comte de Chapt ,
Officier au Régiment du Roi , Infanterie , avec
Demoiſelle de Forbin de Janfon .
Le 12 Avril, le Comte régnant de Sayn-Witte
224 MERCURE DE FRANCE.
genftein- Berlebourg , époufa , à Grünſtatt , la
Comteile Charlote- Frédérique de Linange- Wefterbourg.
MORTS.
Pierre Mauclerc de la Mufanchere , Evêque de
Nantes en Bretagne , Confeiller du Roi , en tous
Les Confeils , eft mort dans fon Palais Epifcopal ,
ke 1I Avril.
Michel- Armand , Marquis de Broc , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de St Louis ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi , ci -devant
Commandant en Bretagne , & depuis en
Bafle Alface , eft mort dans fes Terres , au pays
du Maine , le 4 Avril .
On apprend de la Côte d'Or , en Afrique , que
Dahomay , Roi de Juda , y eft mort le 12 Mai
1774. Ce Prince étoit fils de Dahemay , un des
plus grands Conquérans de cette partie du inonde ;
& qui en 1727 , du fond des déferts & des terres ,
à la tête de quelques hordes errantes , fe rendit
maître des Royaumes d'Ardes , de Jaquin & de
Juda , qu'il réduifit au point que l'ancienne race
des Judaïques n'exifte plus . Adamoufou eft aujourd'hui
fur le Trône qu'a fondé fon Aycul par
le droit de la dévastation.
On mande de Caën en Normandie , que le 17
Mars dernier il y eft mort un particulier nommé
Thomas , âgé de 102 ans , natif de Chinon en
Touraine . Il n'a jamais eu de maladie , & n'a été
alité
que fix à fept jours avant ſa mort.
Nicolas de Frémont , Préfident honoraire au
1
MA I. 1773 . 225
Parlement ; eft mort le 6 Avril , dans la 66° année.
Etienne , Chevalier d'Efparbès de Luflan ,
Bailli de Manofque, Commandeur de Renneville ,
eft mort à Touloufe , le 13 Avril , dans fa 88°
année ; il étoit le treizième Chevalier de Malte
de la mailon.
Au mois de Mars mourut au Château de Berlebourg
Efther -Polyzene- Marie, Comtefle Douairiere
de Berlebourg , née Comteffe de Wurmbrand
, âgée de 79 ans.
LOTER I E.
Le cent foixante-douzième tirage de la Loterie
de l'Hôtel de Ville s'eft fait , le 25 du mois
d'Avril , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv. eſt échu au Nº . 83793. Celui
de vingt mille livres au Nº . 825 32 , & les deux
de dix mille , aux numéros 90103 & 95262.
ERRATA du Mercure d'Avril 2 vol . 1775.
Page 14 , après le vers :
Ce mot ou cet écueil de l'amour conjugal.
Ajoutez le vers omis :
Où quelquefois l'Amaut devient faux & parjure.
Page 196 , lig. 17, chofes finales ,
lifex caufes finales.
216 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Sentimens de repentir ,
Vers adreflés à un jeune Epicurien ,
Le Chêne & le Pourceau , fable.
A M. Perronnet ,
Vers à M. Trinqueffe ,
ibid.
9
II
13
13
L'Epreuve , Comédie de Société ,
Couplets ,
Vers adreflés à Mde la D. de Gr.
Ode fur le retour du Printemps ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Vaudeville des Femmes vengées ,
1f
31
33
35
36
37 .
39
43
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Don Pèdre , Tragédie ,
Mémoires littéraires , critiques , &c .
fon Peuple ,
46
ibid.
70
Obfervations critiques en faveur du Roi & de
Code Eccléfiaftique ,
La confolation du chrétien ,
Louis XII , furnommé le Père du Peuple , dont
le préfent règne nous rappelle le fouvenir,
Code du faux ,
Chimie hydraulique ,
75
76
78
81
83
87
La France illuftre ,
92
Adonis ,
106
Les converfations d'Emilie ,
115
Les Etrennes de ſanté ,
130
*
MA I. 1775. 227
Annales du regne de Marie- Thérele ;
Le Médecin interprete de la Nature ,
Entretiens philofophiques & critiques ,
Propofitions avantageufes à l'Etat,
Précis d'un projet d'opérations de finance par
forme de Loterie ,
Profpectus de la Gazette du Courrier d'Avignon
,
Gazette des Banquiers , & c.
Annonces ,
ACADÉMIES .
131
135
137
139
141
142
147
149
151
des Inscriptions & Belles-Lettres , ibid.
Royale des Sciences ,
Françoile ,
de Copenhague,
SPECTACLES.
ConcertSpirituel ,
Opéra
Comédie Françoiſe
Comédie Italienne
152
157
158
162
ibid.
165
ibid.
-166
A Mgr le Maréchal de Duras ,
A M. le Marquis deVérac ,
de Voltaire ,
Bibliotheque univerfelle des Romans , avec
des notes , Ouvrage périodique ,
Vers à Mlle D. L. B. de Verfailles ,
Epître du Prince de Belofelsky , Ruffe , à M.
Réponse de M. de Voltaire ,
Lettre de Voltaire à l'Auteur des Ephémérides
167
174
175
176
ibid.
178
du
Citoyen ,
179
Lettre de M. de Voltaire à M. Parmentier , 182
Cours & Leçons publiques ,
1.83 ARTS. 187
Gravures 7
ibid.
223 MERCURE DE FRANCE.
Mufique . 194
Baromètre & Thermomètre , 195
Acte de Bienfaiſance ,
197
Anecdotes. 207
Avis , 210
Lettres- Patentes , & c. 213
Nouvelles politiques ,
215
Nominations , 221
Préſentations , ibid
Naifiances,
Mariages ,
222
223
Morts ,
Loterie ,
224
252
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
le Volume du Mercure du mois de Mai 1775 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 30 Avril 1775-
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme,
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES :
JUIN, 1775.
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PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT
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C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port, les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les pièces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public, & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique. Ce Journal devant être principalement
l'ou- vrage des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa per- fection ; on recevra avec reconnoiffance
ce qu'ils enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux , utiles au Journal , deviendront
même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes
fur le
produit du Mercure. L'abonnement
du Mercure à Paris eft de 24 liv. que l'on paiera d'avance
pour feize volumes rendus
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14 vol. par an , à Paris , 91. 16 f.
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JOURNAL DES CAUSES CÉLÈBRES , 12 vol in- 12 par an ,
à Paris ,
Et pour la Province ,
18 1.
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JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , in-12 , 14 vol . 33 l . 12 f.
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE DE GENÉVE , 36
cahiers par an , à Paris & en Province , 181.
LE SPECTATEUR FRANÇOIS , 15 cah . par an , à Paris , 91.
Et pour la Province , 112 1.
LA NATURE CONSIDÉRÉE , 52 feuilles par an , pour
Paris & pour la Province , Iz 1.
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ET NON ENLUMINÉES , des trois règnes de l'Hiftoire
Naturelle , avec l'explication , chaque cahier ooé,
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par an, pour Paris ,
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L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , 24 cahiers par an, à Paris ,
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Izl.
15 1.
181.
241.
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fes rapports , 2 vol. in - 8 ° . rel .
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Recueil des Découvertes & Inventions , br.
Dia. Diplomatique , in -8° . 2 vol.avec fig. br.
Dict . Héraldique, fig. in-8 ° . br .
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Théâtre de M. de Sivry , vol. in - 89. br.
Bibliothèque Grammat . in-8 ° . br.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné , in- 12 br.
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Vie du Dante , par M. Chabanon , in - 8 °.
Fables orientales , par M. Bret , 3. vol . in-8 ° .
Diogène moderne , 2 vol. in-8° . br.
2 1.
41.
2 1.
12 1.
3 1. 15 f.
3 vol .
6 1 .
2 l.
21. 10 f.
2 1. 10 f.
11. 16 f.
31.
2 1.
Il. 10
9 1.
5 liv.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les enfans contrefaits
, in- 8 °. br avec fig. 41.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe , in-8 °. br.
Les Mufes Grecques , in- 8 ° . br .
Les Odes Pythiques de Pindare , in-8 ° . br.
11.4f.
11. 16 f
Monumens érigés en France à la gloire de Louis XV ,
in-fol . avec planches br. en carton ,
5 1.
& c.
241.
Mémoire fur les objets les plus importans de l'Architecture
, in-4°. avec fig. br . en carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol . br.
Mémoire fur la Mufique des Anciens , nouvelle
in 4 ° . br.
Lettre fur la divifion du Zodiaque , in 12. br.
Journal de Pierre le Grand , in- 8 ° . br.
12 1.
3 1.
édition ,
7 1.
12 fa
51. Jeftitutions Militaires , ou Traité élémentaire de Taάique
, 3 vol . in- 8".br.
9:1.
L'Agriculture réduite à fes vrais principes , vol. in-12.
broché ,
21
MERCURE
DE FRANC
DEL
VILLE
LYON
*1893 *
JUIN ,
1775.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE d'une jeune Religieufe à la
Marquise de *** , fa Soeur.
C'EN eft donc fait , ma soeur , & d'une infortunée
Un mot a , pour jamais , réglé la deſtinée :
Quand fur mes triftes jours l'arrêt eft prononcé ,
Je dois chérir encor la main qui l'a tracé ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Bénir , dans ma mifere , un joug inſupportable ,
Et moi-même ajouter au tourment qui m'accable.
Il eft des malheureux par le crime égaiés ,
Qui , pliés fous les fers qu'ils fe font préparés ,
Dans les cachots obſcurs infectés par le vice ,
Des loix qu'ils ont enfreint fatisfont la juſtice.
Maudifiant à la fois & prifons & bourreaux ,
Par leurs emportemens ils foulagent leurs maux.
A l'aspect menaçant du trépas qui s'avance ,
Les reftes abrégés d'une foible exiftence ,
Leur paroiffent plus doux , font plus chers à leurs
yeux ,
Et des momens fi courts en font plus précieux .
Souvent dans leur erreur embraflant de vains fonges
,
Ils confervent l'espoir & fes heureux menfonges }
Ou bien de l'échafaud méprifant les horreurs ,
Ils attendent la paix après de longs malheurs ,
Et regardent la mort fous fa plus douce image ,
Ainfi qu'un jour ferein qui brille après l'orage.
Pour moi , j'appelle en vain ce fortuné moment
Qui doit brifer ma chaîne & finir mon tourment :
Je l'apperçois toujours dans un lointain horrible ;
A mes voeux , à mes cris il le montre infenfible ;
Fans l'ombre de la nuit un effrayant réveil
Vient me réaliſer les horreurs du fommeil ;
Devant moi tout fe change en images funebres ,
JUI N. 1775 .
Je crains également le jour & les tenebres.
Sans efpoir , fans relâche, en proie à mes douleurs
,
Il ne me refte plus que de ftériles pleurs ;
Pour combattre mes maux ,
mes :
voilà mes feules at.
Que dis -je le devoir s'offenle de mes larmes !
Tyran barbare & vain qui , daps fa cruauté ,
Des malheureux qu'il fait veut être reſpecté !
Omon unique appui ! Soeur aimable & chérie ,
Viens confoler ta Soeur , viens pleurer ton amie ,
De tes bras careffans entrelacer les fiens ,
Sur les yeux abattus viens appuyer les tiens .
Oh ! quand tu la verras pâle , défigurée ,
Plaintive , languiffante & d'ennuis dévorée ,
Tu te rappeleras ces temps , ces heureux temps
Où la plus tendre joie animoit fon printemps.
Sans peines , laps chagrins , au ſein de la fagetle ,
Je coulois en repos ma premiere jeuneſſe :
Je levois vers le ciel mes regards innocens ;
Sa grandeur occupoit mes organes naiflans ;
Tout jetoit dans mon coeur un aimable délire ,
Et quand je regardois tout fembloit me fouțire :
Mes jours doux & brillans rayonnoient de gaîté,
Et mes yeux fe fermoient avec tranquillité.
Ah ! d'un bonheur fi pur quelle fut la durée !
Je les fens retentir dans mon âme égarée ,
A iv
१ MERCURE DE FRANCE .
Je les entends encor ces lugubres accens :
Je fuccombe , ma fille , au fardeau de mes ans :
Un fommeil éternel va fermer ma paupiere ;
Vos yeux autour de vous ne verront plus de
30
» pere.
Foible & timide encor , des regrets fuperflus
Soutiendront-ils vos jours quand vous ne m'au-
> rez plus ?
Figurez-vous ici , tremblante , déſolée ,
Daus de vains tourbillons en naiflant folée ,
» Près d'un monde attrayant qui , plein d'appas
»trompeurs ,
» Trahira votre enfance ou rira de vos pleurs.
∞
20
Mais il eft des maifons , refpectables afyles ,
Des vertus , de la paix , féjours purs & tran-
» quilles ,
» Où , dans un doux loifir , fans périls & fans
»foins ,
כ כ
» Une juſte abondance exauce les befoins .
» L'innocence à l'abri n'y craint point les orages ,
» Sans cefle à l'Eternel préfente les hommages ,
30 D'un luxe féduifant méprife les attraits ,
» Et bénit une vie exempte de regrets.
» C'eſt dans ce lieu ſacré que , cher à ma tendreſſe ,
» Le bonheur de vos jours charmera ma vieillefle :
Trop heureux de defcendre au tombeau qui
» m'attend ,
50
30
Si l'âge me permet d'y furvivre un inſtant ! »
JUI N. 1775
Que devins je à ces mots ? l'effroi m'avoit glacée
Je fentois fur ma langue expirer ma penſée ;
Je n'ofois à mon pere exprimer mes tranſports :
Je redoutois fa voix ; il m'effrayoit alors.
Sans force à fes genoux , dans un affreux filence
Mes bras , vers lui tendus , imploroient fa clémence,
Et mes regards tremblans interrogeoient les fiens
En vain de l'attendrir je cherchois les moyens ,
Il oppofe à mes pleurs un front toujours févere ,
Je vois les yeux s'armer du feu de la colere ,
Et la main , autrefois prompte à me carefler ,
Dans ce moment fatal fert à me repoufler.
Hélas ! c'en étoit trop pour un coeur foible &
rendre ,
Dece fpectacle affreux je ne pus me défendre :
Ma bouche promit tout & prononça des mots
Que démentoient affez mes pleurs & mes fanglots
Je meflattai long temps de l'efpérance vaine
Que mon pere attendri mettroit fin à ma peine:
Mais le jout eft venu ; vain efpoir qui féduit !
On fcelle mon malheur , & le fonge eft détruit
douleur fans remede ! ô mortelle journée !
Quand près des faints autels je me vis entraînée ,
Quand ma bouche tremblante articula des voux ,
Quand le cileau fatal abattit mes cheveux !
Dans ce terrible inftant de deuil & de triftefe
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Le coirois - tu , ma Soeur ? connois -tu ma foi»
blefle ?
Je regrettois encor les fimples agrémens ,
Tréfors de la nature , aimables ornemens , ´
Dont un Dieu créateur décora fon ouvrage ,
Et que la créature indignement outrage.
Le peuple autour de moi , rangé de toutes parts ,
Attira quelque temps mes timides regards ;
De mon âge innocent la foiblefle & les charmes ,
De leurs yeux agités faifoient couler des larmes .
Du fort qui m'attendoit , préfage malheureux !
Il s'attendrifioient tous dans ces momens affreux.
La douleur épuifant mon âme toute entiere ,
Je fuccombai bientôt & perdis la lumiere;
Sur tant de maux prélens , far un triſte avenir ,
Cet inftant fortuné tiompa mon fouvenir ;
Mais , à force de foins , quand ma paupiere ouverte
,
Me laífla découvrir l'appareil de ma perte ,
« Grand Dieu ! me dis - je alors , dans mon coeur
» alarmé ,
အ »Je vis encor , je vis ... & tout eft confommé !..
» Sacrifice inoui , plus affreux que le crime ,
Qui laifle après le coup expirer la victime !
S'il revenoit ce jour , le plus cruel des jours ,
Si le foleil pour moi vouloit changet fon cours,
Ah ! loin de prononcer ce ferment redoutable ,
JUI N. 17754
II
1
Ma bouche à mes bourreaux feroit moins favorable
;
Tu me verrois , ma Soeur , de tous les affiftans
Implorer le fecours dans mes gémiflemens ,
Les prier , m'élancer dans leurs bras éperdue :
Ils pleuroient tous alors , ils m'auroient défendue .
Mais pourquoi m'abufer ? quelle flatteufe erreur
De mes maux trop réels vient redoubler l'horreur ?
Ces fets entrelacés , ces murailles antiques ,
Ces cloîtres , ces caveaux , ces immenfes portiques
,
Ces tombeaux effrayans , images du trépas ,
Qui rappellent la mort & ne la donnent pas ;
De verroux , de cachots le hideux affemblage ,
Tout retrace à mes yeux un indigne esclavage ,
Et lorfque de mes maux tout aigrit le venin ,
Je dois ,fans l'avancer , en attendre la fiu .
ODieu jufte & puiſſant qui m'as donné la vie!
Dès cet inftant fais donc qu'elle me ſoit ravie :
C'est toi qui fis briller la lumiere à mes yeux ;
Retire ton préfent , il m'eft trop odieux ...
Ce voeu t'offenfe - t - il ? te paroît- il coupable?
De la nature , hélas ! c'eſt le cri miférable .
Arbitre de mon fort , qui vis , en me créant ,
Ce que je fouffrirois au fortir du néant ,
A préfent , ô mon Dieu ! fois-moi plus favorable ,
Permets-moi d'y rentrer ; que ta main fecourable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Le rouvre fous mes pas , m'y plonge pour ja
mais ,
Et que mon être au moins ait part à tes bienfaits.
Oma Soeur qu'ai - je dit , & quel affreux blaf
phême
Sur ma tête imprudente a porté l'anathême ?
Eh ! n'eft- ce pas aflez des maux les plus cruels
Sans les juftifier par des voeux criminels ;
Dieu de paix & d'amour ! quand ma bouche t'of
fenſe ,
Ah ! mon coeur ulcéré recourt à ta clémence ,
Oui , fhr moi , je le fais , tes defleins font fecrets ;
J'adore ,en foupirant , tes fublimes décrets ;
Mais par quel attentat, mon créateur, mon pere,
Ta fille a t elle pu s'attirer ta colere ?
Où font donc , montre lui , les crimes qu'elle a
faits ;
Hélas ! elle n'eft point dans l'âge des forfaits :
Daigne la raflurer de tes regards propices .
Non , non , tu n'aimes point ces cruels facrifices:
Qui t'enlevant des coeurs juftement combattus ,
Sous un vain fanatifme étouffent les vertus ;
C'eft nuire à tes defleins ; fur ce globe où nous
fommes ,
Pour la fociété , ta main plaça les hommes ,.
It non pour y languir , ifolés dans les fers. Et
Ce penfer me confole : oui , leDieu que je fers
JUIN. 1775. 13
Dans des hommages feints ne voyant que des
crimes ,
Veut des adorateurs & non pas des victimes.
Par M. Rangier.
LE RETOUR DU PRINTEMPS.
A Madame la Préfidente d'Her * **,
DEE nos hameaux Borée avoit chaſſé les ris ,
Déjà de nouveaux feux l'horifon étincelle ,
Quittez , Life , quittez vos fuperbes lambris ,
Sous de ruftiques toîts Vertumne vous appelle.
Au fracas de la ville , à fes brillans plaifirs ,
N'ofez-vous dérober vos charmes ?
Vous faites naître fes defirs ,
Il ne vous refte plus qu'à lui coûter des larmes.
Tandis que vos regards vainqueurs
Changeront en Bergers les Dieux du vaifinage à
Philomele oubliant fes antiques malheurs-
Des accens de l'amour remplira ce bocage ,
Progné , pour vous revoir , a traversé les mers
Et de retour fous vos fenêtres ,
Pour charmer vos loifirs champêtres ,
Elle reprendra les concerts.
14 MERCURE DE FRANCE.
Zéphire , de fa douce haleine ,
Careffe les bois reverdis :
Des Nourriflons du Pinde il ranime la veine,
Venez-en recueillir les fruits.
Par M. de la Louptière.
LES OISEAUX ,
Apologue traduit de l'Allemand.
La République des Oiſeaux , ainfi que
celle de Rome & d'Athènes , eut des
temps d'orages & de diffenfions . Dans
le règne animal , tout eft mu par les
paffions , depuis l'homme jufqu'au quadrupède
, & depuis celui ci jufqu'au rep.
tile. O Promethée ! le feu facré que tu
dérobas , fervit moins à nous éclairer qu'à
allumer toutes les parties combuſtibles
de notre être. Les étincelles s'en répandirent
dès lors la guerre naquit . Toutes
les efpèces & tous les individus devinrent
ennemis. Funefte tableau ! l'amour
feul eût pu le corriger , fi fon bandeau ,
attribut inféparable , ne l'eût aveuglé fur
fon ouvrage
.
Une vafte forêt fervoit de retraite aux
JUIN. 1775 . 15
êtres emplumés qui peuplent l'empire
des airs . Les chantres harmonieux du
printemps y étoient en petit nombre.
L'efpèce criade & folitaire couvroit leurs
doux concerts. Quelques oifeaux de proie ,
attirés par leurs fons indifcrets , vinrent
habiter le même ombrage , épiant le
doux moment de fondre fur eux & de
s'en repaître.
L'Epervier vorace fut affez adroit pour
fubjuguer une gentille Perruche , dont
le plumage le charma , & dont le bec &
les ferres lui parurent propres à feconder
fes projets. L'un & l'autre fe rapprochèrent
d'un Roffignol , dont les accens tendres
& joyeux attiroient prefque tous les
autres oifeaux dans fon bocage. Quel
étrange duo pour l'heureufe Philomèle !
Elle eſpéra que fa voix adouciroit leurs
caractères ; que , ſemblable à cette lyre
harmonieufe dont le Prophète ſe ſervoit
pour calmer les fureurs d'un Tyran , elle
feroit entrer la paix avec la joie dans
leur coeur . Vaine efpérance ! Le naturel
ne change point. Philomèle n'étoit pas
Philofophe.
Depuis long- temps l'Aigle bleffoit les
regards de la foule emplumée. Elle étoit
belle & puiffante en faut- il plus pour
16 MERCURE DE FRANCE:
exciter l'envie ? Dans fon vol , elle avoit
heurté inconfidérément tout ce qui
s'étoit trouvé fur fon paffage. Le mécon
tentement fe joignit à l'envie ; elle s'étoit
affociée une compagne ; de jolis Paffereaux
fe fixèrent auprès d'elle . Les clameurs
fuivirent ce triomphe. L'espèce
criade fe déchaîna ; la Perruche fe mit à
la tête , les Pies médifantes firent un
vacarme univerfel , les Chouettes envieufes
les imitèrent dans leurs conver
fations nocturnes. Le doux Rolignol
répéta confidemment quelques uns de
leurs accens à l'Epervier , & la foupleffe
de fon gofier fut les adoucir.
Quelques temps après , celui - ci fe livrant
à la férocité de fon caractère , fit ir
dans la forêt un dégât horrible . A la
faveur des ténèbres , il pénétra dans tous
les réduits , & déchira les habitans de la
façon la plus fanglante.
L'alarme & le deuil furent univerfels.
On voulut connoître l'auteur de cette
barbarie ; chacun foupçonna & nomma
F'Epervier. Le Roffignol fut appelé comme
ayant eu des liaifons avec ce perfide .
Il ne put diffimuler ; il avoua ingénue
ment ce qu'il penfoit du deftructeur.
Celui- ci , furieux de fe voir exclu de
JUIN. 1775 . 17
la forêt & convaincu du forfait focial ,
voulut jeter cetre atrocité fur le Roignol
, dont le foible bec ne s'étoit jamais
ouvert que pour becqueter les fleurs du
Parnaffe & rendre les fons de la rendreffe.
Il le dénonça comme ayant , dans fes
chants , infulté l'Aigle & fon amie .
L'efpèce légère prend auffi- tôt le change ,
les Pies revèches , les Merles au fiffler
aigu , les Grives infenfées , les Geais
imitateurs , fecrettement envieux de la
voix du Roffignol , fe déchaînent contre
lui , entraînent la volatille incertaine ,
& font un tel bruit , que perfonne ne
s'entend plus dans la forêt.
L'Aigle même & fa compagne ou
blient leurs plaies récentes. La Perruche
les anime ; l'Epervier leur communique
fa fureur ; il les outrage , & cependant
les guide , les méprife & les fait mouvoir.
I fe dérobe enfin , riant du piége
groffier dans lequel il a fait tomber tous
les objets de fa haine.
La tendre Philomèle , d'abord étourdie
, génit & fe tait. Elle regrette les
liens de bienveillance qui l'a:tachoient
à tous , les plaifirs qu'elle leur procuroit ,
& déplore leur erreur : mais enfin , revenue
à elle , elle fe confole avec l'ami
18 MERCURE DE FRANCE .
fidele dont le coeur eft fon empire. Elle
retrouve de tendres Colombes , de brillans
Sereins , de joyeux Pinçons , d'agréables
Linottes , de mélodieufes Fauvettes.
Elle fe cantonne , avec ce cercle heureux ,
dans le plus joli bocage. Il devient un
Elifée , où les grâces & l'amour , les ris
& les jeux folâtrent fans ceffe , fans crain
dre les paffions funeftes qui ont envahi
la forêr.
L'Aigle s'envola de ce trifte féjour ;
l'Epervier alla dévafter d'autres cantons ;
la Perruche , fa compagne , fut étaler
ailleurs la beauté de fon plumage ; & ,
hors le bofquet du Roffignol , la forêt
devint inhabitable.
Humains ! Humains ! que ceci vous
ferve de leçon . Fuyez les méchans , fuyez
auffi l'oeil de l'envie , il bleffe & attire
fes ferpens .
Le Roffignol devenu plus fage , ne
chante plus que la nuit : il attend que le
fommeil ait affoupi fes envieux ; fa voix
n'eft entendue que de ce qu'il aime.
JUIN. 1775. 19
VERS de Claudien fur le mariage de
l'Empereur Honorius , appliqués au
mariage de Madame Clotilde avec le
Prince de Piémont.
Exemple d'apostrophe Ad res inanimas &
fenfu carentes , qui s'eſt trouvé dans fa leçon ,
en expliquant la Rhétorique de Colonia.
Ligures ' favete campi !
Veneti favete montes !
Subitifquefe rofetis
Veftiat Alpinus apex
Rubeantque pruina!
Champs fertiles de Ligurie ,
Préfagez les douceurs de cet augufte hymen !
Abaillez vos fommets , montagnes d'Italie !
Ou fi toujours des cieux , jaloux d'être voisins
Mont Cenis ! tu te plais à furpafler la nue ,
'La Ligurie comprenoit le Montferrat , & une
partie du Piémont , qui apartiennent au Roi de
Sardaigne.
2 Madame doit y pafler.
20 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! que ta cime , toujours nue ,
Jaloufe en ce beaujour des beautés des vallons ,
Soit couverte de rofes
Subitement écloles ,
Et qu'un pourpre brillant fuccede à tes glaçons.
Par M. l'Abbé de Luzines , Cure & Chan.
réuni de Vivône , ci - devant Inftituteur
en furvivance des Enfans de France.
IMPROMPTU
A Madame la Comteffe de Clary (Princeffe
de Ligne ) en recevant d'elle un noeud
d'épée , brodé de fa main.
'A1 dit que je rajeunirois ,
Si de la jeune Cythérée ,
En fe mariant , j'obtenois
L'honneur de porter la livrée...
Mais fi déjà ce don charmant
D'un beau jour m'annonçoit l'aurore ;
Belle Comteffe , en vous voyant ,
Je lens que ce jour vient d'éclore .
Par M. D. L. P.
JUI N. 1775 .
21
EPIGRAMME.
LISE , en expirant , fouhaitoit ,
Si Cléon fe remarioit ,
Qu'il ne trouvât qu'une Megere.
L'Epoux , riant de fes fureurs :
Vous oubliez , dit- il , ma chere ,
Qu'on n'époufe pas les deux fours.
Par le même.
L'AMOUR TEL QU'IL EST.
DANS l'Enfant qui regne à Cythere ,
Je trouve un double caractere ,
Qui ne connoît pas de milieu .
Confultez l'Hiftoire & la Fable ;
S'il ne voit pas trop , c'eft un Dieu ,
Mais s'il veut trop voir... c'eft un Diable
Par le même.
22 MERCURE DE FRANCE.
L'AMOUR CHEZ LES DEUX SEXES.
V ous croyez , me dit une femme ,
Quand vous nous vantez votre flamme ,
Avoir droit à quelque retour ?
Sachez un peu mieux nous connoître ;
Des defirs chez vous naît l'Amour ,
Et chez nous l'Amour les fait naître.
Par le même.
GRANDE VÉRITÉ .
TUu demandes par quel caprice ,
Long- temps ami de Cléonice ,
Tu t'en vois quitté fans retour ?
J'ai lu dans un Auteur très -fage
Que d'un coeur où loge l'Amour,
L'Amitié bientôt déménage.
Par le même.
JUIN. 1775. 23
IL
SUR Monfieur ***.
Il a de la gloire en partage ,
Non pas tout ce qu'il en prétend.
Mais s'il n'en prétendoit pas tant ,
Il en auroit bien davantage.
Par le même.
QUELS SENTIMENS!
AH ! H! que cette étoile m'enchante !
Qu'elle estbelle ! qu'elle eft brillante !
( Difoit , avec raviflement ,
Minette , un foir , à lon Amant ).
-Ne m'en parlez plus , chere Amie,
Ou vous allez me chagriner. -
Eh ! pourquoi , Lindor , je vous prie -
Je ne saurois vous la donner.
Par le même.
24 MERCURE DE FRANCE .
GRAND PRINCIPE.
Si j'avois offenfé Nina ,
Je pourrois apparer la Belle ;
Mais c'eft Nina qui m'offenla ,
Pour moi fa haine eft éternelle.
Par le même.
EPITRE SUR LE BONHEUR.
To
A mon Ami .
or qui fais dans les champs une paifible étude
De chercher un objet que fuit l'inquiétude ,
Un être de raison pour qui tous les mortels ,
Jouets d'un vain efpoir , font ( umer les autels ;
Le Bonheur , en un mot , Divinité cruelle ,
Qui toujours nous évite & toujours nous appelle :
Dans ce jufte d flein , loin de t'intimider ,
Ton Ami , qui l'approuve , afpire à te guider.
Le Berger indigent , dès qu'il voit la lumiere ,
Remplit d'accens plaintifs fon étroite chaumiere ,
Ou le long des vallons conduifant fes troupeaux ,
De
JUI N. 1775 % 25
De fes cris impofteurs fatigue les échos..
La Nature , à fes yeux , criminelle marâtre ,
Prodigue à la grandeur , dont elle eft idolâtre ,'
Ses préfens les plus doux , fes plus rares faveurs
Et furfon toît obſcur raflemble ſes rigueurs.
Pourquoi des cieux , dit - il , la bizarre influence
Répand elle à la Cour une injufte abondance ?
Le fort , dans fes faveurs , doit il choifir les
rangs ?
Sont-ce donc des vertus que les titres des Grands ?
L'éclat de leur bonheur augmente ma mifere ,
Et redouble à la fois ma honte & ma colere .
Les plaifirs chaque jour renaillent fous leurs pas ;
Une route de fleurs les conduit au trépas .
La douleur & l'oubli , voilà tout mon partage :
Un travail affidu , fecondé du courage ,
Combat en vain l'horreur d'un fort i rigoureux ;
Le dernier de mes jours eft le moins malheureux.
Tandis que le Berger , couché fur la fougere ,
Permet un libre cours à la douleur amere ,
Etendu fur la pourpre , un Roi victorieux ,
Dans ce rangfi fuperbe & fi voifin des cieux ,
Ne trouve que l'ennui , le néant de lui- même.
Accablé fous le poids de fa grandeur fuprême ,
Il puïfe la triftefle aux fources des plaifirs
Son coeur eft dévoré par d'immortels defirs ;
Et la grandeur, ce monftre orgueilleux & fauvage;
B
i6 MERCURE DE FRANCE.
Qui n'eft rien dans les cieux , rien aux regards
du Sage ,
Lui montre en vain l'appât d'une faufle beauté:
Il n'y voit que l'ennui de l'uniformité.
Le Berger quelquefois , tout entier à lui-même,
Oublie , au fond des bois , qu'il eſt un diadême ,
Qu'il eftd'autres plaifirs que de voir des coreaux ,
Ou d'accorder fa voix au murmure des caux .
La volupté , mêlée au mal qui le conlume ,
Quelquefois de fon coeur a calmé l'amertume.
J'ofe à peine le dire , alors il fut content;
Si c'eft l'être en effet que de l'être un inftant.
Sur tout , quand aux genoux de celle qu'il adore ,
Il verfe dans fon coeur le feu qui le dévore ,
Quand cet heureux captif lui dérobe un regard ,
Qu'il doitàfa tendreſſe & non pas au kafard :
Des Monarques alors le plus haut-apanage
N'eft , au prix de fes fers , qu'un pénible eſcla
vage.
La chaumiere d'Iris eft le féjour des Dieux ,
Et fon lit de fougere eft un trône à fes yeux.
Un bouquet afforti des mains de fa Bergere,
Un ruban qu'a tiſſu ſon éguille légere ,
Voilà tous les préfens dont fon coeur eft épris s
Les autres ont perdu leur éclat & leur prix.
Le bonheurquelquefois habite au rang fuprême ,
JUI N. 1775.
27
Et le chagrin s'endort auprès du diadême:
Quel Roi n'a pas fenti couler quelque douceur
De ces mêmes plaiſirs , fans (el & fans favour ,
Que jamais chez les Grands le befoin n'allaiſonne
Que par mille dégoûts l'habitude empoisonne ?
Quand il voit la fortune , au gré de fes defleins ,
Effacer ou changer les arrêts des deſtins ;
Quand il voit fous ſes pieds rrembler un peuple
efclave ,
Il fe compare aux Dieux , & peut être les brave !
Il croit , en l'oubliant , s'affranchir du trépas ,
Erdu Trône à l'Olympe il n'apperçoit qu'un pas:
Enfin fon coeur altier compte dans ſon partage
Le rang même des Dieux dont il n'eſt que l'image.
De plaifirs & de maux ce mélange éternel
Te montre que le fort fe fait un jeu cruel
De femer lous nos pas des fleurs & des épines ;
Que ce bonheur parfait , vers qui tu t'achemines ,
Fuit les Rois , les Bergers , & même les Amours ;
Le bonheur véritable eft d'en jouir coujours ,
Que l'homme eft pour le ciel an fpectacle bizarre!
Peux-tu le voir , ô ciel ! & n'être point barbaret
Cet être qui , par - tout , croit voler au plaifir ,
Eft libre de vouloir , & jamais de fentir.
Il peut s'aflujettir aux loix de la fagefle ,
Et ne peut de les fens entretenir l'ivrefle.
B- ij
23 MERCURE DE FRANCE .
Jouet infortuné de les fenfations ,
Tantôt de la raifon , tantôt des paffions ;
Il écoute la voix , il reconnoît l'empire :
Et , fous tant de Tyrans cet Elclave refpire.
Grâces au fort cruel , jufques dans fes bienfaits ,
Rarement on nous voit expirer fous le faix :
Le trépas inflexible , & lent par barbarie ,
Nous laifle tout le temps de détefter la vie,
Le Sage pourroit feul s'affervir à fon gré
Les caprices du fort contre lui conjuré ;
Dans un bonheur conſtant voir couler tous fes
âges ;
Mais il n'eft point d'heureux puifqu'il n'eft point
de Sages.
Tout eft fou , vicieux , miférable , méchant.
L'Artifte infatigable & l'avide Marchand ,
L'orgueilleufe opulence & l'altiere noblefle ,
De leurs plaifirs bruyans ont banni la fageffe,
Toi , qui fais du bonheur l'objet de tes travaux ,
Evite leur mifere en fuyant leurs défauts ;
Plains les fans les haïr ; de la mifanthropie
Huis les fombres chagrins & la maligne envies
Sache affermir ton coeur dans cette égalité
Qui fait tout le reflort de la félicité.
Four dominer ton âme , apprends à la connoître
Sans être ton tyran , fois , fi tu peux , ton maître.
JUIN. 1775. 29
Cherche tu les plaifirs ? Que ta loi foit ton goût ;
Qu'il régle tes travaux & qu'il te guide en tout.
Content de ton partage , à l'abri de l'envie ,
Qu'un tiflu de beaux jours foit celui de ta vie,
Par M. de Sacy.
L'OFFICIER PRÉVOYANT , ou LA
TU
SAGE PRECAUTION.
u vas donc t'éloigner de moi ,
Difoit à fon Amant la fenfible Ilabelle !
Lindor , je crains , hélas ! qu'une flamme nouvelle
Ne te faffe oublier une Amante fidelle ,
Qui ne pourroit furvivre à ton manque de foi, -
Calme tes frayeurs indifcrettes ,
Lui répond auffi - tôt le galant Officier 3
Car , pour ne jamais t'oublier ,
J'ai mis ton nom fur mes tablettes
A Rouen.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
ROSEL I E.
CÉLICOUR
ÉLICOUR , aprés avoir fait une fortune
confidérable , venoit de fe fixer à Paris.
L'homme qui eft en état d'offrir à ceux
qui l'entourent, une bonne maiſon ; qui ,
jouiffant de tous les agrémens que donnent
les richeffes , peut les faire partager
à fes amis , ne manque jamais d'en avoir
un grand nombre . Célicour vouloit faire
un choix , & il ne tarda pas à reconnoître
que parmi tous ceux qui l'environnoient ,
à peine trouveroit il deux ou trois amis ;
c'étoit beaucoup , il avoit paflé cet âgé
où l'impétuofité avec laquelle nous nous
livrons à ceux qui nous plaifent , eft
fouvent le principe des amitiés les plus
conftantés. Cependant la première jeuneffe
n'en voit point former de plus tendres
que celle qui l'uniffoit au Chevalier
de C. Perfonne ne la méritoit à tant de
titres. Confacré par état au fervice militaire
, auffi brave que ceux qui n'ont pour
tout mérite que leur bravoure , le Chevalier
de C. joignoit à cette qualité celles
de citoyen zélé , d'homme inftruit , d'ami
généreux . Defiré dans toutes les fociétés ,
il en faifoit & l'agrément , par un efprit
JUIN. 1775 . 31
fin & agréable , qui lui attiroit beaucoup
d'amis ; & les délices, par un coeur excel.
lent qui favoit les lui conferver. Une
Terre près de Paris , décorée avec goût
& d'un affez gros revenu , étoit tout fon
bien. C'eft - là qu'il alloir quelquefois
avec Célicour jouir de la nature & de
lui- même; mais un motif plus puiſſant
encore l'y retenoit depuis quelque temps.
Il n'avoit pu fe défendre des charmes
d'ane jeune perfonne , privée , par des
circonftances malheureufes , d'une fortune
brillante , & dont il avoit fu fe
faite aimer , malgré la difproportion de
leurs âges. Le fort avoit fans doute voulu
réparer une partie des malheurs qu'il
avoit caufés à cette belle fille , en lui
marquant la retraite auprès d'un mortel
auffi vertueux.
Le Chevalier n'avoit fait à Célicour
aucun mystère de fa paffion . Cependant
celui- ci , foit dans la crainte de
renouveler fa propre douleur , en rap,
pelant de triftes fouvenirs , foir pour
ne pas affliger fon ami en la lui faifant
partager , n'avoit point répondu à cette
confidence. Je fens , lui difoit un jour le
Chevalier , qui herchoit une occafion
de le faire expliquer , que je ferois de
Biv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
vains efforts pour réfifter au penchant
fecret qui me force à vous aimer... que
je ferois heureux fi de votre côté..
Célicour ne le laiffa pas achever , & fes
embraffemens furent fa feule réponſe.
Vous voulez donc bien être mon ami ?
lui dit le Chevalier après quelques inftans
mais pouvez - vous douter qu'un
des premiets devoirs de l'amitié ne foit
la confiance la plus entière? Mon nom ,
ma fortune , ma vie paffée , mes projets ,
mon amour , jufqu'à mes espérances ,
sien ne vous eft caché . Pour vous , je ne
connois de vous que vous même. Me
tairez vous encore long temps ce qui me
touche de fi près , & votre ami n'a- t- il pas
encore le droit d'être inftruit des premières
circonftances de votre vie? .. Vous pleurez
, ajouta-t il , & au fouvenir de votre
jeuneffe vos yeux fe rempliffent de larmes
? Ah ! de grâce , ne m'en laiffez
point ignorer la caufe , & tirez - moi
d'une incertitude qui eft pour moi le plus
cruel des fupplices. Eh bien ! lui dit
Célicour , je ne veux pas vous refufer la
trifte confolation d'apprendre mes malheurs.
Vous allez me connoître ...
le plus infortuné des hommes .
pour
Alors s'étant affis auprès du Chevalier ,
JU IN . 177 . 33
il commença ainfi . Je fuis né dans une des
Provinces maritimes de la France ; mon
véritable nom eft de P .: mais les malheurs
que j'ai éprouvés en le portant me
l'ont fait quitter pour jamais. A ce nom
de P. le Chevalier fut fur le point de
l'interrompre ; mais réfléchiffant au peu
de rapport qui fe trouve fouvent entre
des perfonnes de même nom , il ſe réfalut
à donner toute fon attention au récit
qui devoit éclaircir fes doutes.
Desbiens immenfes, continua Célicour,
diffipés par mon aïeul , ne s'étoient point
augmentés entre les mains de mon père ,
& ne pouvoit donner à mon aîné qu'une
aifance affez bornée. Pour moi qui réduit ,
par les loix , à une bien petite partie de
ces débris , ne pouvois en faire le fon
dement de mes efpérances ; je ne tardai
pas à jeter les feux fur ce qui devoit
m'avancer fans ce fecours. Le hafard &
le malheur m'ont mieux fervi que n'auroit
fait la prudence la plus confommée.
Ma mère mourut ; & dépendant
uniquement d'un père qui m'aimoit ,
mais qui , malheureufement , fe laiffoit
gouverner par mon frère , je reffentis
bientôt les effets de cette influence . J'entrois
dans ma feizième année , & les facultés
de mon âme , plus développées
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
qu'elles ne le font ordinairement à cet
age,demandoient déjà l'aliment qui devoir
les nourrir. J'ignorois ce qui devoit remplit
le vuide immenfe de mon coeur ;
Teulement une légère émotion que me
caufoit l'approche d'une belle perfonne ,
fembloit m'avertir que l'heure d'aimer
étoit venue pour moi : mais ces impreffions
étoient trop légères pour ne pas
s'effacer bientôt d'elles - mêmes ; ce que je
reffentis en voyant Mlle de D. étoit bien
différent des fentimens qui m'avoient
agité jufqu'alors .
J'étois allé me promener hors de
la Ville avec quelques amis , & nous
fumes à temps d'offrir notre fecours
à des Dames , qu'un accident arrivé
à leur voiture avoit fort effrayées . Heureufement
le chemin étoit creux , & elles
en furent quittes pour la peur . Je m'informai
avec foin de leur condition & de
ce qui les conduifoit dans ma patrie ;
j'appris que Madame de D. , veuve d'un
Gentilhomme très riche , contrainte
par des affaires importantes , à fe féparer
de fa fille qu'elle aimoit avec tendreffe
venoit la remettre dans une Maifon deftinée
à l'éducation des jeunes Démoi
felles . J'eus quelque joie d'apprendre
qu'elle alloit demeurer dans le même
JUIN. 1775- 3
lieu que j'habirois ; mais j'étois bien loin
de foupçonner tout l'intérêt que j'y pre
nois. Je la quittai fans efpérance de la
revoir : car à peine lui avois je dit quelque
mots , qu'elle n'avoit peut être pas
remarqués , & elle entroit le lendemain
dans la retraite qui lui étoit deftinée
mais ton image , ô Rofélie ! ( c'eft ainſi
qu'on appeloir Mlie de D. ) étoit profondément
gravée dans mon coeur , & durant
quatre jours que je paffai fans la voir , je
ne pus m'empêcher d'y rêver continuellement.
Le caractère de fa beauté noble
& régulière , devoit produire fur moi des
effers auffi marqués , C'eft en vain que je
me la repréfentois comme un des premiers
partis de la Province ; tous les obftacles
me fembloient levés fi je parvenois
à lui plaire; & les plus grands fa
erifices que mon amour m'auroit rendus
faciles me répondoient du fuccès , fi le
coeur de Rofélie étoit auffi tendre que
le mien .
Enfin , après quatre jours de com
bats & d'incertitudes , je me réfolus à
me préfenter chez elle : Mademoiselle ,
lui dis je lorſqu'elle parut , il n'eft pas
furprenant que quelqu'un qui vousa vut
ane fois cherche l'occafion de vous revoir
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
A
1
-
encore : imais ce qui yous étonnera fans
doute , c'est que j'ofe le faire fans votre,
ordre. Tous ceux qui nous ont rendu
quelque fervice , me répondit elle , ac
quièrent de nouveaux droits à notre reconnoiffance
, en nous mettant à portée
de la leur témoigner ; ainfi vous n'aviez
pas befoin, d'ordre pour vous préfenter
devant moi . Cet accueil me fit d'autant
plus de plaifir que je m'y attendois moins ;
& je lui témoignai combien je me favois
gré d'une rencontre dont elle avoit bien
voulu garder le fouvenir , & qui l'empêchoit
d'être offenfée de ma témérité . Elle
plaifanta beaucoup fut ce que je faifois
tant valoir la connoiffance d'une pauvre
reclufe , & me laiffa aufli charmé de fon
efprit que je l'avois été de fa beauté. Je
ne fus prefque point de jour fans paller
avec elle des heures entières , jufqu'à ce
que les Surveillantes de la Maifon , alarmées
de ces affiduités , lui ordonnèrent
de me faire entendre qu'il falloit y re
noncer entièrement.
Ce contre - temps , qui fembloit rai
ner toutes mes efpérances , ne hâta pas
peu mon bonheur. Belle Rofélie , lui
dis - je , lorfqu'elle m'apprit cette nou
velle , fouffrirez - vous que le caprice
de quelques femmes me rende malJUI
N. 1775 . 37
heureux , & ne me permettrez - vous
pás de confier au papier ce que je ne
pourrai plus vous dire moi même. Elle
fut long- temps fans me répondre , mais
elle ne put refufer à mes inftances cette
précieufe faveur , & nous prîmes enfemble
des mefures pour la fûreté de notre
correfpondance ; ainfi je me vis en liberté.
d'écrire à Rofélie , de lui parler de mon
amour dans des termes que je n'aurois
peut être ofé avancer de long - temps en
La préfence ; elle me répondit fur le même
ton , par plaifanterie , à ce qu'elle croyoit :
mais fon imagination échauffée ne put
fe faire un jeu d'une chofe que j'avois
regardée comme très-férieufe dès le com
mencement de notre intelligence .
• Mes importunités & fon inclination la
déterminèrent à me voir en fecret. Je me
dérobois la nuit , à l'aide d'un domestique
qui m'étoit dévoué , & j'entretenois Ro
félié dans le jardin du Couvent , que
j'avois fu me rendre acceffible. Je ne vous
dirai pas ce qui fe paffa entre nous pendant
quatre mois que durèrent ces entrevues.
J'avois feize ans ; Rofélie en avoit
quinze. D'abord réfervée jufqu'au fcru
pule , ne confentant qu'avec peine à des
rendez- vous , que fa timidité naturelle
ans ;
38 MERCURE DE FRANCE.
lui faifoit en vifager avec frayeur ; peu -àpeu
mes foins & mes empreflemens la
rendirent plus tendre. Livrés l'un & l'au
tre à l'impétuofité de nos paffions , nous
n'en connoiffions pas les conféquences :
en faut il davantage pour tomber dans
une foibleffe à laquelle notre âge , la nature
& l'amour fembloient nous livrer de
concert. Rofélie s'apperçut bientôt d'une
alrération marquée dans fa fanté , qui ,
avec le peu d'expérience que j'avois , ne
m'en fir que trop connoître la caufe. Je ,
tui communiquai mes foupçons; elle fur
effrayée de fon état : mais les bontés de
fa mère la raffuroit . Pour moi qui ne
pouvois , fans frémit , remettre au caprice
d'une femme que je ne connoiffois
pas , la poffeffion de ma chère Rofélie , je
ne voulus point confentir à inftruire
Madame de D. de notre intelligence ,
fans nous être unis fecrettement. Je fis
agréer mon projet à Rofélie , quoique
avec affez de peine : & m'étant affuré
d'un Miniftre pour la cérémonie & d'une
maifon à quelque diftance de la Ville ,
Bous convinmes que le fur- lendemain ,
faivi feulement du domeftique qui m'a
voit toujours fecondé , j'irois la recevoir
elle & fa femme- de-chambre , qui étoit
dans nos intérêts.
JUIN. 1775 . 39
Je touchois au moment de m'unit
avec ma Rofélie ; cette démarche m'a
furoit fa poffeffion ; point d'obftacle à
prévoir du côté de ma famille. Déjà
j'étois chargé de tout ce qui pouvoit
m'être nécellaire ; j'allois fortir , lorfque
quatre hommes entrèrent dans ma chambre
& me commandèrent , au nom du
Roi , de les fuivre . Il ne me fut pas permis
de voir mon père . Je fus mis dans
une chaife de pofte & conduit au premier
port de mer , où je m'embarquai le len
demain. Le Capitaine , qui me témoigna
beaucoup de bienveillance , ne put rien
m'apprendre de l'ordre qui me faifoit paffer
en Amérique , finon qu'il avoit été
follicité par mon père for des raifons fecrentes
qu'il ignoroit lui - même. Il ne me
fut pas difficile de voir d'où le coup
partoit , & je me ferois aifément confolé
de ce dernier malheur , fi l'état de ma
chère Rofélie ne m'avoit caufé les plus
morrelles inquiétudes . J'arrivai ainfi à
ma deftination , après un voyage heureux .
Le Capitaine me préfenta au Gouver
neur des établiffemens que j'allois habiter ,
qui me promit fon appui pour avancer ma
fortune , avec une feule condition , qui
fut la défenfe abfolue d'écrire en Europe.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les mefures les plus exactes renditent
inutiles tous les moyens que j'employai
pour éluder cette loi , & je fus forcé de
renoncer à des tentatives qui me donnoient
, par leur mauvais fuccès , des
défagrémens infinis. Ainfi livré à la feule
Occupation d'amafler des richelles que
j'eftimois peu , j'ai fait , dans quinze ans.
que j'y ai paffés , une fortune brillante.
Mon premier foin après mon retour ,
auquel je n'ai point alors trouvé d'obftacle
, eft de revoir les lieux de ma naiffance.
J'arrive , je m'informe , je demande
à tout le monde des nouvelles de ma
chère Rofélie. Quelle eft ma furpriſe à
la nouvelle de fon mariage avec le même
frère que j'avois regardé comme l'auteur
de mon exil ! Mon étonnement redouble
lorfque j'apprends que peu de temps après
elle eft accouchée d'une fille ; que fa mère
& mon père étant morts , elle a diſparu
avec fon mari , après avoir vendu tous
fes biens. Je ne puis même avoir de
nouvelles de la femme- de - chambre , ni
du domeftique qui m'avoit fervi dans
mes entrepriſes . Enfin fatigué de mes recherches,
toujours inutiles, pour découvrir
le lieu de leur retraite , je fuis venu me
-fixer à Paris , réfola de fuir toute inclina
JUIN. 1775. 41
tion , après en avoir eu une auffi malheu
reufe.
Le Chevalier , qui avoit eu
len de
la peine à ne pas l'interrompre , voyant
que fon récit étoit achevé : Ah ! mon
cher Célicour , dit il en l'embraffant , fi
je ne puis vous rendre une amante auffi
tendre que Rofélie , du moins puis - je
vous faire connoître des événemens qui
vous la rendront , s'il eft poffible , encore
plus chère du moins puis- je remettre
dans vos bras une fille digne de vous &
de fa mère . Que me dires - vous , s'écria
Célicour , feroit - il poffible... Oui , lui
répondit le Chevalier , votre nom , celui
de Rofélie , les dernières circonstances
de votre recherche , les fentimens que
vous m'avez infpirés , plus vifs , plus rendrés
encore que ceux de la fimple amitié ,
rout maffure que vous êtes le père de
celle que j'adore. Vous pourrez favoir de
la femme de chambre , qui lui a fervi dé
mère , tout ce qui fuivit votre départ , &
les caufes de ce mariage qui vous fur prend
avec raifon . Le premier mouvement de
Célicour fut de voler dans les bras de fa
fille , d'aller porter toute fa tendreffe à
ce qui lui reftoir d'une perfonne qu'il
avoit tant aimée . Mais il doutoit encore
de fon bonheur , & il voulut auparavant ,
42 MERCURE
DE FRANCE.
comme fon ami le lui confeilloit , apprendre
le détail d'une fi étrange aventure.
que
Le Chevalier envoya chercher celle
qui avoit elévé fon amante , & dès qu'elle
fut arrivée , reconnoiffant Célicour , mal
gré l'altération de fes traits , elle fe jeta à
fes pieds , fans pouvoir faire autre choſe
de répandre des larmes qu'elle donnoit
au fouvenir d'une Maîtreſſe à laquelle
elle avoit été tendrement attachée . Célicour
la releva avec les plus grandes mar
ques d'affection , & lui ayant témoigné
Fempreffement où il étoit d'entendre le
récit qu'elle avoit à lui faire : Vous vous
rappelez fans doute , Monfieur , lui ditelle
, que pour écarter les foupçons , dans
le temps qu'il vous importoit le plus de
p'être point traversé dans votre entrepri
fe , vous ne deviez point voir ma Maîtreffe
les deux jours qui précédèrent votre
départ . Cette précaution , qui paroilloit
néceffaire à la réuffire de votre deffein
fut précisément le moyen qu'on employa
pour nous tromper , & la caufe de tous
nos malheurs . Le jour de l'exécution , le
traîrre , auquel vous vous livriez de fit
bonne foi , vint m'avertit que tout étoit
prêt pour minuit ; qu'il viendroit nous
prendre feules , parce que celui qui devoir
JUIN. 1775- 43
Vous anir l'avoit defiré ainfi ; qu'il exigeoit
même , pour plus grand fecret , que
la cérémonie fût faite fans lumières , dès
que nous ferions arrivées .
Je rapportai toutes ces circonstances à ma
Maîtreife, qui fut fur-tout étonnée que dans
le moment qu'elle faifoit en votre faveur
la démarche la plus délicare , vous la remiffiez
entre les mains d'un autre. Mais
réfléchiffant à ce qu'il vous en coûteroit
à vous-même pour vous empêcher de la
voir , elle m'afura qu'elle feroit prête à
partir. A l'heure marquée , nous fortîmes
aidées du domeftique qui devoit nous
conduire ; & étant montées dans une chaife
, nous arrivâmes , avant le jour , dans
une maison où nous étions attendues im.
patiemment. Celui qui nous reçut nous
mena droit à la Chapelle
Rofélie, qui étoit bien éloignée de foupçonner
la moindre trahiſon , fe hâta d'y entrer,
& fe trouvant entre les bras d'un hom
me quifit éclater, en l'y recevant , les plus
vifs tranfports , pouvoit- elle croire qu'un
autre que vous recevoit les careffes ?Cepen ,
dant tout fe paffoit dans le plus profond
filence . La cérémonie fut bientôt achevée .
Nous conduisîmes les époux dans l'appar
tement qui leur étoit deftiné . Le jour
commençoit à paroître ; & la chambre,
44 MERCURE DE FRANCE.
où étoit le lit nuptial , recevant les premiers
rayons du foleil levant , étoit déjà:
éclairée lorsque nous y entrâmes.
Jugez quelle dut être ma furprife & la
douleur de ma Maîtreffe , lorfqu'elle ſe vit
entre les bras d'un homme qu'elle ne con
noiffoit pas. Son premier mouvement efti
de ſe jeter dans les miens . Elle pleure , elle
crie , elle vous appelle à fon fecours , elle
veut s'arracher de ce lieu funefte ; quelquefois
elle ne peut croire ce qu'elle
voit: un moment après elle accable celuiqui
vient de la tromper fi cruellement ,
des noms les plus odieux . Pour lui , pro
fitant d'un moment où Rofélie , épuifée
par fes efforts , étoit obligée de céder à
fa foibleffe , il fe jette à fes genoux ; il
effaye de l'adoucit par toutes fortes de
foumiffions ; il lui repréfente la faute
qu'elle alloit faire en fe livrant à vous ;
il vous peint avec les couleurs les plus
noires ; il lui fait entendre qu'elle doit
renoncer à l'efpérance de vous revoir
puifque l'on ne fait où vous avez été
conduit , & lui avoue enfin qu'il eft votre
frère.
Tu es fon frère , s'écrie Rofélie en
reculant d'horreur ! monftre , ce feul mot
me feroit ajouter foi à toutes les horreurs
que tu viens de vomir , fi je pouvois forJUIN.
1775. 45
mer quelque foupçons contre mon époux :
camil l'eft , n'en doute point. La loi de la
nature, plus forte qu'une cérémonie trom
peuſe , me donne à lui , & l'enfant que
je porte dans mon fein le réclame pour.
fon père. A ces derniers mots , votre frère
pâlit ; mais les grands biens de Rofélie
ayant été le feul motif de fa perfidie , il
fe remit bientôt . Madame , lui dit- il un
moment après , j'avoue que je fuis le plus
imprudent des hommes ; mais le mal eft
fans remède ; mon frère abfent , vous ne
pouvez vous mettre à couvert du déshonneur
qu'en foutenant une démarche qui
ne peut être ignorée .
Rofélie fut long - temps fans pouvoir
répondre enfin , la crainte de l'infamie
la plus honteufe , & le peu d'efpérance
qu'elle avoit de vous revoir ,
la déterminèrent à tenir cette aventure
fecrette , après que votre frère lui eut
promis de ne la traiter jamais que comme
fa fæeur. Elle écrivit le jour même
à fa mère , pour lui demander pardon de
fa faute & la prier d'approuver fon mariage.
Madame de D. y confentit , ainfi
que votre père ; elle fe plaignit feulement
à fa fille du mystère qu'elle lui avoit
fait de fon inclination ,
4.5
MERCURE
DE
FRANCE
. Ce mariage & votre abfence firent
beaucoup de bruit : mais perſonne ne pé.
nétra la vérité. Les deux époux vivoient
au dehors en affez bonne intelligence.
Tout le monde attribuoit la retraite de
Rofélie an plaifir qu'elle avoit de vivre
auprès de fon mari . Seule confidente de
fes peines , je la voyois fans ceffe baignée
de larmes . C'eft en vain qu'elle vou
lut quelquefois s'informer de ce que vous
étiez devenu : un voile impénétrableavoit
couvert ce tiffu d'horreurs .
Cependant Madame de D. ne favoit
comment expliquer la douleur de fa
fille ; elle la preffa fi fort de lui en
découvrir la caufe , que celle- ci ne put
s'empêcher de le faire . Cette bonne mère
fut fi touchée de ce malheur , qu'elle ert
mourut peu de jours après. Enfin le terme
de la groffeffe de Rofélie étant venu , elle
mit au monde une fille , qui fut nommée
Agathe ; ce fruit de vos amours fembla
la rappeler à la vie. Toujours occupée de
vous , elle retrouvoit vos traits dans ceux
de fa fille mais les careffes qu'elle lai
prodiguoit étoient autant de coups de poi
gnard pour votre frère. Il n'avoit pas été
infenfible aux charmes de fa femme , &
foit pour ne plus voir un objet qui lui
JUIN. 1775 . 47
étoit odieux , foit qu'il efpérât qu'éloi
gnée de fa fille , Rofélie perdroit peu -àpeu
le fouvenir du père & fe rendroit
enfin à fes defirs ; il fe réfolut à lui ôter
la feule confolation qui lui reftoit . Rofe
lie me remit fa fille & une fomme confidérable
, avec laquelle je l'ai élevée dans
cette Terre , qui eft le lieu de ma naiffance.
Quelque temps auparavant , votre
père étoit mort , accablé des mauvais
procédés de fon fils : je ne doute pas que
dans les derniers momens de fa vie , il
n'ait fait tout ce qu'il a pu pour vous
rappeler ; mais votre frère , qui l'obféda
jufqu'à fon dernier foupir , empêcha fans
doute l'effet de fes bonnes intentions .
Rofélie , qui étoit obfervée avec le plus
grand foin , trouva le moyen de me faire
dire que toujours réfolue à ne point céder
aux defirs de fon mari , mais tyranniſée
par ce maître brutal , elle étoit obligée de
vendre tous fes biens & de le fuivre . Elle
m'allurqit que j'aurois de fes nouvelles en
quelque lieu qu'il la conduisît , Cependant
on n'a pas entendu parler de l'un ni de
l'autre depuis leur départ ; & j'avois moimême
confervé fi peu de liaifons dans la
Ville que nous habitions , que je n'ai appris
vos recherches que lorfque je ne pou
vois plus en profiter.
MERCURE DE FRANCE .
•
Célicour ne put s'empêcher d'être frap
pé de ce long filence , & de craindre que la
mort n'eût enlevé fa chère Rofélie ; mais
l'arrivée d'Agathe , que le Chevalier avoit
fait prier de venir au Château , fuspendit
fes inquiétudes. Il vola dans fes bras avec
les tranfports d'un père qui voit fa fille
pour la première fois. Elle y répondit par
les démonftrations de la joie la plus vive.
Au milieu de ces tendres carefles , Céli
courne fongeoit qu'à affurer tout fon bien
à fa fille , en lui donnant au plutôt pour
époux le Chevalier , qu'elle aimoit véri
tablement , lorfqu'on vint annoncer à ce
lui- ci qu'une Dame vouloit lui parler en
particulier. Un mouvement involontaire
fit palpiter le coeur de Célicour & de fa
fille. Quel fut leur étonnement , lorfque
le Chevalier étant rentré quelques inftans
après , donnant la main à une femme
Célicour la reconnut pour fa chère Rofélie
; fon coeur l'avoit devinée avant de la
voir. I fe précipite vers elle : mais le
plaifir de revoir fon amant & fa fille après
une fi longue abſence , étoit trop violent
pour un coeur comme celui de Rofélie ,
elle tombe évanouie dans un fauteuil :
Agathe & Célicour à fes pieds , le Chevalier
& la femme de chambre s'empreffant
autour
JUI N. 1775 . 49
autour d'elle , offroient le tableau tou
chant & varié de l'amour le plus vif, du
refpect le plus tendre , de la fidélité la
plus éprouvée , de l'amitié la plus compatillante.
Enfin elle reprend fes fens ;
on l'inftruit de ce qui s'est paflé pendant
fon abfence , & du mariage dont elle
vient augmenter la joie. De fon côté
elle leur apprend que fon mari , après
l'avoir tyranniſée pendant fi long - temps
fans pouvoir triompher de fa réfolution
eft mort en Italie où il s'étoit retiré;
qu'alors libre pour la première fois , elle
venoit , avec les débris de fa fortune ,
chercher fa fille , efpérant même y ſavoir
quelque nouvelle du père. Rien ne manqueroit
au bonheur de ces quatre perfonnes
, fi Célicour pouvoit remplir fes premiers
engagemens avec Rofélie ; mais la
publicité du mariage de fon frère , la
naiffance d'Agathe , la difficulté de prouver
des faits enfevelis dans le profond
fecret , tout s'oppofe à leur union . Auffi
ces deux amans ont- ils renoncé à cet efpoir
, & réfolus de vivre enſemble comme
an frère & une foeur , ils ne forment
qu'une même famille avec Agathe & le
Chevalier.
Par M. R ***.
C
30 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
M. Rigoley de Juvigny , Confeiller
Honoraire au Parlement de Metz.
De nos anciens Auteurs il ranima la cendre,
Et rappela leur nom à la Poftérité :
Par les favans écrits il a droit de prétendre
A jouir , avec eux , de l'immortalité .
ParM. Dareau , de la Société littéraira
de Clermont- Ferrand.
"
LE VER LUISANT & LE ROSSIGNOL .
Fable imitée de l'Anglois.
EMPLI d'orgueil & plein de fuffifance ;
Un Verluifant , dans une nuit d'été ,
Admiroit de fon corps l'éclat & la beauté.
Non , difoit- il , on ne peut voir , je penſe ,
D'être auffi beau que moi dans l'Univers.
Le Papillon léger , l'Abeille induftrieuſe ,
L'Araignée attentive oy la Fourmi foigneuſe ,
L'Escargot pareffeux , ce vil amas de vers ,
JUI N. 1775 . SD
Ces infectes rampans , créatures abjectes ;
Végèrent triftement , au fond de leurs retraites .
Né leul pour la grandeur , mon fort est bien plus
beau :
Ma race eft au -deffus de leur race vulgaire ;
Les Dieux m'ont placé fur la terre
Pour vivre & fervir de flambeau .
Ces aftres lumineux , ces étoiles brillantes
Que j'apperçois au ciel , en font les Vers luifans?
Si l'on fait cas des diamans ,
C'est qu'ils ont de mon corps les flammes écla
tantes.
Un Roffignol , qui chantoit fes amours ,
S'arrête , écoute : il entend ce difcours.
Guidé par la lueur de l'infecte fuperbe ,
Il fond , s'abat fur lui ; le vermiffeau tremblant '
Reconnut fon erreur . Hélas ! dit -il , fous l'herbe
J'eaffe pu vivre heureux , ignoré , moins brillant.
Cet orgueil qu'à nos yeux les hommes font paroître
,
Cauſe fouvent leur perte en dégradant leur être.
Par M. Bourlin , de Clermont- Ferrand
Cij
152
MERCURE DE FRANCE.
EPITAPHE du Marquis de L...
Cr cir ,hélas ! ci gît du beau Sexe l'idole ,
Un nouvel Adonis , formé pour les plaifirs
Dont la dépense & les brûlans defirs
Auroient tari la fource da Pactole.
Les Parques n'oloient le ravir
De peur d'outrager la Nature ;
- Mais Vénus & l'Amour , frappés de fa figure ,
Le trouvèrent trop beau pour le laifler vieillir.
Par M. C....
LI
mot de la première Enigme du
volume précédent eft Buche ; celui de
la feconde eft le Pied- de- Roi ; celui de
la troisième eft Rabat ; celui de la quatrième
eft Talon defouliers. Le mot du
premier Logogryphe eft Pays , où fe
trouvent A , Spa , pas de Calais , pas
ordinaire , qu'on fait en marchant ; pas ,
conjonction ; pas géométrique ; as; celui
du fecond eft Forge , où l'on trouve orge ;
celui du troisième eft Hachette , où fe
trouvent hache, chate & tête ; celui du
JUI N. 1775. 53
quatrième eft Potage , où l'on trouve Po
& Tage.
ÉNIGME.
Nous faifons, mes freres & moi ,
Une allez nombreuſe famille.
Quelques - uns d'entre nous s'en vont femant
l'effroi ;
D'autres , plus modérés ; ont l'allure gentille.
Celui- ci , turbulent , vous prend & vous houf
pille;
Cet autre vous étouffe ; un autre fetient coi ;
Et celui-là fe plaît à fomenter l'orage.
"
Pour moi , je fuis un franc vaurien .
Au printemps , quelquefois , je fais pourtant de
bien :
Mais , le plus fouvent je fais rage ,
Cherchant de tous côtés à répandre l'horreur.
´Souvent , dans une nuit , fans faire de tapage,
Je détruis tout d'un coup l'efpoir du Labouteur ;
C'eft en vain qu'il gémit : le mal eft fans remède.
Dans une autre laifon , la fureur me poflède ,
Et , fans pitié , j'exerce ma rigueur
Sur l'imbécille & fur le fage.
Je ne ferois pas grâce au plus grand perfonnage.
Le Roi , malgré l'éclat de ſa grandeur ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Le Prince le plus fier , le plus riche Seigneur ,
Le Payfan , qu'accable la mifere ,
La mere avec la fille , le fils avec le pere ,
Tous , en un mot , font faifis de frayeur
Et m'évitent comme un voleur.
Vainement , pour me faire piece ,
On s'enferme à regret dans fon appartement ,
Je m'y gliffe bientôt , & même impunément.
Ceft encor fans fuccès qu'au fort de la détreſſe ,
Croyantle venger pleinement ,
On le rejette , avec empreffement ,
Dans le fein , toujours redoutable ,
D'un furieux & perfide élément ,
Mon ennemi le plus impitoyable.
Quoi qu'on puiffe inventer , je reſte obſtinément : -
Et lorfque par devant on me rompt en vifiere,
Je me fais fentir par derriere.
Je vous l'ai déjà dit ; je fuis un garnement.
Auffi l'aimable & fage Hortenfe *,
Que décourage ma conftance ,
Soupirant après mon abfence ,
M'abhorre - t-elle horriblement .
Par M. Vincent , Curé de Quincey.
Madame la Marquife de la R. B
JUIN. 1773 . 55
AUTR E.
Mon exiſtence eft frivole & légere ; ON
Du papillon je raflemble les traits .
La rofe aux plus brillans attraits ,
Ne m'infpira jamais qu'une ardeur paflagere.
J'effleure tour & n'approfondis rien ,
Et chez moi le fouverain bien
N'en eft tout au plus que l'image.
Lecteur , t'en faut- il davantage?
Jefuis médilant par état ;
J'aime le tumulte & l'éclat ;
A bien mentir je mets ma gloire .
Faut- il vanter une victoire ,
Que je remportai par hafard ?
Oh ! pour cela je fuis habile .
Je ne fuis connu qu'à la ville :
Mais dans Paris plus qu'autre part .
Un
AUTR E.
Ma taille eft fine , élégante & légere ,
peu d'une venue : il faut être fincere ;
Pour être franche & douce un chacun me connoît :
Mais je ferois piquante envers un mal - adroit .
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
\
A l'un des bouts du corps j'ai certaine ouverture
Qui me fait rechercher fans cefle , je le jure ;
Comptez , fi je ne l'avois pas ,
Qu'on ne feroit de moi nul cas.
Combien j'enfante auffi d'admirables chef- d'oen
vres !
Plus d'un Auteur en paile dans les OEuvres.
Mais c'eft affez parler de foi ,
Je vais me renfermer chez moi.
A Rennes . Par M. de L. G.
PETIT
AUTRE.
ETIT meuble de propreté ,.
Je fers aux Prudes , aux Coquettes :
Je repofe fur leurs toilettes ;
Et je fuis d'une utilité
Dont , pour bien des gens , rien n'approche ;
Pour plus grande commodité ,
On me porte fouvent , l'hiver comme l'été ;
Lecteur , devine où ? Dans la poche. J
Par M. Houllier de Saint -Remy,
de Sezanne.
JUI N. 1775 . 57
LOGO GRYPHE . *
Iz eft un animal petit & malfailant ,
Qu'on voit prefque toujours en grande compa
gnie :
Toutefois je le trouve utile , en combinant.
Pris par devant il fert à la boulangerie,
Et par derriere à l'harmonic.
Par M. l'Abbé R... Ch...
à Châteaudun.
AUTRE.“
ENTIER , je fuis une faiſon.
Ami Lecteur, fi de mon nom
feule lettre eft ôtée ,
Une
Je ne fuis plus qu'une journée.
Par M. Bouvet, à Gifors.
AUTR E.
DEJA le temps eft près où , décorant la table ,
Tu jetteras fur moi un coup d'oeil favorable ;
Ma robe éclatera des plus vives couleurs;
Cr
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Tu nepeux me toucher fans voir couler mes pleurs,
Veux-tu ,.pour me connoître ,
Décomposer mon être ?
J'offre à tes regards curieux
Ce qui cache à tes yeux ,
Dans certains jours , l'Aftre qui nous éclaire ;
L'effet , fur bien desgens , caufé par le tonnerre:
Cherche deux unités ; de la mufique un ton ,
L'endroit où tu feras , fortant de ta maiſon ;
En prononçant les voeux ce que promet un Moine,
Et, fans les ce que
doit un Chanoine.
prononcer ,
J'en ai , je crois , trop dit , ton efprit pénétrant
Peut-être... me connoît : j'ajoute , en finiffant ,
Ce qui , chez les Romains , du temps des Arulpices
,
Aux obfeques fervoit , ainfi qu'aux facrifices.
ParM. Verkaven , fils.
Menuet des Nymphes de Diane * .
FIERE indiffé rence
,
Sois l'appui de l'innocence
,
* Paroles de M. Marmontel ; mufique de M.
Grétry.
JUIN. 1775.
59
Fie- re in- diffé- rence
, !
Fin.
Dé- fends nos coeurs. L'A- mour
en vain ſoupi- re , Re- fifte à fon em-
扫扫pire ;
羁
A fes attraits vain- queurs
Oppo- fe tes ri- gueurs : Romps
fes noeuds dange- reux , E- teints fes
feux Sou- ri-re & lar mes , Tout
dans fes char- mes , Tout dans fes char- mes
И
•
Eft dange- reux,
Al fegno.
Cvj
60 MERCURE
DE FRANCE
.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
De la Connoiffance de l'Homme , dans
fon être & dans fes rapports ; par M.
l'Abbé Joannet , de la Société Royale
des Sciences & Belles Lettres de Nancy.
2 volumes in- 8°. brochés 10 liv. A
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue
Chriftine .
Le vrai en métaphyfique , dit un Philofophe
célèbre * , reffemble au vrai en
matière de goût ; c'eft un vrai dont tous
les efprits ont le germe en eux - mêmes ,
auquel la plupart ne font point d'attention
, mais qu'ils reconnoiffent dès qu'on
le leur montre. Il femble que tout ce
qu'on apprend dans un bon livre de métaphylique
ne foit qu'une espèce de réminifcence
de ce que notre ame a déjà
fu ; l'obfcurité , quand il y en a , vient
toujours de la faute de l'Auteur , parce
que la fcience qu'il fe propofe d'enfei-
* Eléments de Philofophie.
JUIN. 1775:
61
gner n'a point d'autre langue , que la
langue commune. Auffi peut-on appliquer
aux bons Auteurs de métaphyfique
ce qu'on a dit des bons Ecrivains , qu'il
n'y a perfonne qui , en les lifant , ne
croye pouvoir en dire autant qu'eux .
ne font pas
Mais dans ce genre , continue le
même Auteur , tous font faits pour enrendre
, tous faits pour
inftruire. Le mérite de faire entrer avec
facilité dans les efprits des notions vraies
& fimples , eft beaucoup plus grand
qu'on ne penfe , puifque l'expérience
nous prouve combien il eft rare ; les faines
idées métaphyfiques font des vérités
communes que chacun faifit , mais que
peu d'hommes ont le talent de développer
; tant il eft difficile , dans quelque
sujet que ce puiffe être , de fe
rendre propre ce qui appartient à tout le
monde.
L'Ouvrage que nous annonçons ren .
ferme non feulement cette faine métaphyfique
, dont tous les bons efprits ont
le germe en eux - mêmes ; mais il réunit
encore cet heureux choix de penſées &
d'expreffions qui rend fenfibles & intéreffantes
les vérités les plus abftraites , &
cette méthode qui les préfente dans leur
62 MERCURE DE FRANCE.
vrai jour , & les met par ce moyen à la
portée de tous les Lecteurs tant foit peu attentifs
. On ne trouvera point dans cet Oa
vrage , également profond & folide , toutes
ces questions frivoles & infolubles , qui ne
fervent qu'à égarer l'efprit dans la région
des chimères , & à le rendre faux & contentieux
, fous prétexte de le rendre fubtil
& pénétrant. L'Auteur , en écartant
tout ce qui eft inutile & étranger à l'objet
qu'il traite , fait fe contenir dans de juftes
bornes , & nous montre tous les dangers
de cette licence qui a enfanté tant de
fophifmes captieux fur l'origine , l'excel.
lence & la deſtination de l'efprit humain.
En philofophie , il eft auffi effentiel de
favoir où l'on doit s'arrêter , que de fa- .
voir jufqu'où on peut s'avancer . La raiſon
humaine , habile à contredite & à multiplier
les difficultés fur certains objets
eft infiniment foible pour les réfoudre &
pour fe fixer immobilement au vrai . De
quoife fait , dit Montagne , la plus fubtile
folie, que de la plus fubtile fageffe ? Il
n'y a qu'un tour de cheville à paffer de
l'une à l'autre.
L'Auteur de la Connoiffance de l'Hom .
me, fans rien oublier de tout ce qui peut
faire connoître les facultés de l'efprit hu
JUI N. 1775 . 63
main, & les moyens de les étendre & de
les perfectionner , ne prétend point tout
expliquer avec évidence & tout ramener
à la décifion d'une raifon préfomptueufe
qui regarde comme abfui de tout ce qu'elle
ne comprend pas . Perfuadé que la religion
& la philofophie s'entr'aident mutuellement
& font faites pour aller enſemble ,
il les préfente comme deux flambeaux qui
peuvent nous éclairer dans l'examen des
queftions les plus difficiles fur l'origine.
la nature & la deftination des facultés
intellectuelles.
On trouve à la tête de ce Traité un Dif
cours préliminaire où l'éloquence de l'Ora
teur eft jointe à la clarté du ftyle philofophique.
Les vérités les plus fublimes &
les plus abftraites y font préfentées d'une
manière fimple & aifée , & forment une
chaîne dont toutes les parties font liées
& afforties immédiatement l'une à l'autre.
Les ornemens n'accablent pas les
preuves qui y font développées ; & ne
fervent qu'à les faire entrer avec plus de
facilité dans l'efprit . Un exemple pris au
hafard dans ce difcours fuffira pour donner
une juſte idée du ftyle de cet Auteur.
« L'objet de nos recherches , dit - il ,
» eft continuellement fous nos yeux
64 MERCURE DE FRANCE.
affecte fans cefle notre fentiment , nous
eft toujours préfent , & en nous - mêmes
& par fes relations hors de nous ; enforte
que quand même le fpectacle de
» la nature cefferoit entièrement d'exifter
» pour l'homme , l'être de l'homme le
» rempliroit encore , fuffiroit feul pour
» fixer toute fon attention , pour occuper
» tous les morens , & pour fournir un
aliment continuel à toute fon activité.
A la facilité que lui offre l'objet de
» fes recherches pour l'avoir continuel-
» lement fous fes yeux & pouvoir l'étu-
N
"
dier à loifir , fe joint l'intérêt le plus
» effentiel pour l'approfondir, Nulle con-
» noiffance dans l'homme ne peut remplacer
la connoiffance de lui - même.
Qu'il ait mefuré la vafte étendue des
» cieux & calculé les révolutions des
fphères qui en parcourent l'efpace ;
» qu'il ait décomposé notre globe & dé-
» mêlé ces différentes combinaifons de la
» matière dont il eft le réfultat ; qu'il ait
décrit la forme , déterminé la maffe ,
développé les mouvemens , décidé les
» genres , fixé les espèces de tous les êtres
animés qui planent dans les airs , qui
» nagent dans les eaux , qui rampent fur
la furface de la terre ; que par l'obfer-
192
JUI N. 1775 . 6 S
"
و د
» vation fcrupuleufe de leurs fibres & de
» leur contextures , par l'analyfe favante
» de leurs acceffoires & de leurs premiers
compofans , par la combinaiſon exacte
» de leurs différences & de leurs rap-
» ports , il ait fu affigner la claffe propre
» à chacun des végétaux , des pierres &
des minéraux , qui forment l'intervalle
» de l'humble hyffope au cèdre altier ,
» du fer groffier à l'or pur , du grain de´·
fable brut au diamant éclatant ; qu'il
» connoiffe tous les lieux que les hom-
» mes ont rendus remarquables par les
"
fociétés qu'ils y ont formées ; qu'il fa-
» che l'hiftoire des Empires , leur naif.
» fance & leurs progrès , leurs révolutions
» & leurs chûtes ; qu'il ait préfens les
faits mémorables qui fignalèrent les
paffions nobles & groffières , utiles ou
funeftes des humains , & qu'il en ait
» fixé les époques qui les rapprochent &
qui les lient; qu'il foit au fait du mécanifme
fur lequel jouent tous les arts
qu'a fait éclorte la néceffité , qu'a ima-
» ginés le luxe , & que la cupidité fait
» exécuter à l'induftrie ; qu'il pofféde en
» un mot toutes les fciences qui font du
reffort de l'efprit humain ; & que
» l'homme lui foit inconnu , qu'il s'ignore
65 MERCURE DE FRANCE .
J
31
» lui-même ; la connoiflance la plus ef-
» fentielle lui manque , celle qui peut
» feule le conduire à la jouillance la pus
pleine & la plus conftante de fa nature ,
en lui développant fon être & fes rap .
» ports , fes puiffances & fa fin , la voie
» par laquelle les unes peuvent le faire
parvenir à l'autre , & affurer même
fon bonheur préfent , au milieu des
» difficultés qu'il lui faut vaincre, & des
» combats qu'il doit livrer pour arriver
à fon terme .
» Et n'eft ce pas faute de fe connoître
» que l'homme ne fait ni conferver fes
»facultés corporelles , ni en réparer les
» pertes ; que fes fens , qui devroient
» l'éclairer & le diriger , deviennent
» pour lui des guides trompeurs & des
confeillers perfiles ; que fon intelli
» gence croupit dans les ténèbres de l'aveu
glement , ou n'en fort que pour fe jeter
» dans les vices de l'erreur ; que fes affec
» tions , bien plus décidées par l'inftin &
que par la raifon , n'ont ni régle , ni
mefure ; que l'ignorance de fes rapports ,
» & conféquemment de fes devoirs , que
» le faux préjugé de l'oppofition de ceuxci
avec les avantages réels , le mettent
» continuellement en oppofition avec la
JUIN. 1775 . 67
» bonheur de fes femblables & avec fon
» propre bonheur ».
C'est une chofe étrange que l'homme
qui s'aime foi même plus que toute cho .
fe , veuille connoître toute chofe plutôt
que foi-même. Par quelle fatalité l'homme
, qui defire naturellement d'apprendre
, qui cherche & aime la vérité , fem..
ble fuir , par une forte d'averfion , toutes,
les études qui ont pour objet la mécanique
intérieure de fon âine , & même
celle de fon corps , qu'il idolâtre . Comment
arrive til que l'efprit humain , qui ,
fe fortifie , s'étend , fe nourrit par cette
variété d'objets dont l'évidence le frappe ,
ne cherche pas à faire des connoiffances
acquifes, un degré pour monter à de plus
hautes , & à jouir du plaifir délicieux de
les voir s'enchaîner & s'affermir mutuellement?
Ce feroit une erreur de s'imaginer
que la vanité que le Savant , tire de
fa fcience , foit l'unique charme de l'écu .
de. La vraie fcience a des plaifirs purs,
où nulle autre paffion n'eft mêlée ; &
celui qui dans le tranfport , caufé par
une découverte qu'il venoit de faire ,
s'écria je l'ai trouvée , je l'ai trouvée,
ne penfoit guère en ce moment aux
louanges qu'elle lui attireroit. Comment
68 MERCURE DE FRANCE.
démêler cette contradiction de l'efprit
humain , & concilier notre goût pour la
vérité & notre averfion pour les études
férieufes ? Quelles font les caufes de
ce dégoût général pour tous les Ouvrages
métaphyfiques ? Ce font fans doute
les épines dont on a hériffé dans tous les
temps cette fcience fublime ; c'eſt l'obfcurité
, le défaut de méthode & la multitade
de queftions futiles qu'on remarque
dans la plupart de ces Ouvrages . C'eſt
auffi cette averfion de tout travail , qui
exige une tention foutenue & qui nous
dérobe aux folles paffions.
L'Ouvrage de M. l'Abbé Joannet , en
ôtant , par la clarté du ftyle & par une
méthode lumineufe , toutes les épines de .
l'étude la plus importante , & en diminuant
les peines qu'elle coûte , nous invite
à rentrer en nous-mêmes pour y démêler
l'origine & les progrès des facultés
de l'efprit humain . On doit l'avouer ; ent
fait de métaphyfique & de morale , la
méditation doit être jointe à la lecture .
C'eft au dedans de foi même qu'il faut
lire en fe livrant à cette étude ; c'eft là
que notre Auteur ett allé chercher les
matériaux qu'il a fu fi bien mettre en oeu
vre , fans négliger en aucune manière les
JUI N. 1775. 69
reffources précieufes qu'il a trouvées dans
plufieurs Ouvrages philofophiques , dont
il fait fi bien connoître tout le prix.
Dans les livres faits pour l'amufement ,
il fuffit d'extraire quelques paffages pour
donner une jufte idée de la bonté du ftyle
& des agrémens de l'Ouvrage . Il n'en eft
pas de même des Ouvrages philofophiques
, où l'on traite avec méthode des
matières compliquées , & où l'on trouve
la liaifon des principes & la fécondité
des conféquences ; dans ces fortes d'Ouvrages
on ne tient rien , comme on l'a
fi fouvent répété , fi on ne tient toute la
chaîne . Nous ne ferons donc qu'indiquer
les queftions intéreffantes du prémier
volume de la Connoiffance de
l'homme , où la matière la plus importante
est dépouillée de toutes les chimères
ſcolaſtiques & le trouve traitée
d'une manière neuve & même agréa-
· ble .
>
Il eft question dans le Difcours prélimi❤
naire de la néceffité de connoître l'homme
& fes facultés , des fecours pour parvenir à
cette connoiffance , des liens , de la certitude
, des bornes de nos connoiffances , des
: devoirs & du bonheur de l'homme , de
fes rapports avec lui -même , avec Dieu ,
70 MERCURE DE FRANCE.
avec les autres hommes , de la bafe des
loix fociales , du bon & mauvais ufage
de la raiſon , de la fin naturelle & morale
de l'homme , de les rapports en fociété
civile & religieufe ; en un mot , de l'âme
fous fes differens afpects . C'est dans le
corps de l'Ouvrage que l'Auteur confidère
l'âme comme fenfible , comme
intelligente & comme affective . Dans
le premier volume il développe avec
fagacité & avec profondeur tout ce qui
a rapport aux fenfations & aux connoiffances
humaines. On doit defirer
que les Colléges & tous les Inftituteurs
adoptent cet Ouvrage , & ſe
débarraffent enfin de la méthode des
cahiers , qui fait perdre un temps
confidérable aux Maîtres & aux Difciples.
Sageffe de Louis XVI, manifeſtée de jour
en jour , enfeignée à fes Peuples , fondée
fur les premiers principes de toute
vérité ; ouvrage moral & politique fur
les vertus & les vices de l'homme , en
2 Vol. in- 8 °. A Paris , chez Gueffier
rue de la Harpe ; & Dehanfy , Pont
au Change.
JUIN. 1775 . 71
Les hommes n'afpirent qu'à devenir
heureux le bonheur parfait eft l'objet
éternel de leurs defirs , de leurs travaux
& de leurs efpérances : l'homme ne peut
attendre ce bonheur que de l'accompliffement
de les devoirs ; ces devoirs
peuvent être confidérés , à l'égard de
Dieu , à l'égard de l'homme même ,
à l'égard de la fociété , & à l'égard de
l'homme du fiècle . Voilà tout le plan de
cet Ouvrage , orné d'une belle eftampe
allégorique , expliquée fort au long par
l'Auteur.
L'homme n'eft point ici bas un être
ifolé & indépendant , une espèce de
hors d'auvre dans l'Univers. Par cette
portion de matière , qu'il a de commun
avec les êtres qui l'environnent , il tient
à toute la nature ; par l'efprit qui anime.
fon corps , mais qui , plus vafte que
l'Univers , en franchit , quand il veut ,
l'efpace & les limites , il tient d'une
manière infiniment plus étroite à l'Être
immenfe qui renferme tout ; & la loi
de cette double dépendance eft fi vifible
, qu'on ne peut la méconnoître fans
renoncer à l'uſage de la raifon . Une attention
légère fur l'action réciproque des
corps , fur leurs rapports & leur liaiſon ,
72 MERCURE DE FRANCE.
ne conduit elle pas à la loi qui les dirige?
Mais fi la matière eft foumife invinciblement
à cette loi , l'efprit de l'homme
n'auroit-il pas la fienne ? Tout nous montre
cette vérité : les rapports de nos efprits
avec Dieu font auffi conftans , autfi
palpables que ceux des corps entre eux ;
& la loi qui les produit doit donc être
auffi certaine & auffi invariable que celle
qui fait tout exiſter .
Mais s'il n'eft pas néceffaire que l'homme
connoiffe la loi fondamentale de la
matière , n'étant pas chargé de la gouverner
, il ne peut ignorer celle qui doit
conduire fa volonté ; elle doit être même
d'autant plus facile à découvrir , que
l'homme étant effentiellement libre , fa
volonté peut fe détourner de la voie qu'il
doit fuivre , rompre ainfi l'union qu'elle
devoit entretenir , & mériter à l'homme
la juſte punition du défordre qu'elle auroit
caufé.
L'Auteur de cet Ouvrage de morale
remonte à l'unique fource de cette
loi , qui renferme ce qu'il nous eft effentiel
de favoir fur nos devoirs &
fur notre destination . Il montre que Dieu
n'a exigé nos hommages & ne nous a
prefcrit un culte & des devoirs , qu'en
donnan
JUI N. 1775 . 73
donnant à fa parole la clarté & l'immo
bilité néceffaire pour la faire connoître
aux efprits attentifs. Comme on a démontré
fort au long que cette divine
parole réuniffoit tous les caractères de
crédibilité , on fe hâte , dans cet Ouvra
ge , de traiter la matière importante des
devoirs que l'homme eft obligé de rem
plir dans le cours de fa vie. L'Auteur
préfère à cette raifon bornée & fouvent
corrompue par les paffions , la foi chré
tienne , cette ancre ferme qui fixe l'efprit,
qui l'attache conftamment à la vérité ,
fans lui permettre d'errer au gré des flots
& de fe laiffer emporter à tous les ventsdes
opinions humaines . C'eft à cette foi
feule qu'il eft réservé de calmer nos in
certitudes , & de placer l'efprit dans le
point précis de la vérité fans qu'il ait
befoin , pour l'inftruire de fes devoirs ,
ni d'étude pénible , ni de recherches cu
rieuſes. Tant d'écarts fur la morale & fug
la règle des devoirs , font une preuve
complette , qu'on mérite d'être livré aux
ténèbres de fon efprit , lorfqu'on veut
être à foi- même la propre lumière . La
raifon a fes droits ; on ne peut le nier
fans tomber dans le plus honteux fanatifme
: mais elle a fes bornes. On ne veur
D
74 MERCURE DE FRANCE.
pas diftinguer ces deux chofes dans la
Religion. Pourquoi faut- il croire ? Que
faut-il croire ? La raifon humaine doit
employer toutes les forces à approfondir
la première queftion ; mais elle eft obligée
de refpecter la feconde , & ne peut la
foumettre à fes lumières fans méconnoître
les bornes de l'efprit humain . L'Ouvrage
de notre Moralifte ne renferme
des leçons fi pures que parce qu'il a puifé
dans la véritable fource ces règles fublimes
auxquelles l'homme doit néceffairement
fe conformer , s'il veut vivre heureux
ici bas , & jouir de la félicité fans mélange
qui nous eft deftinée dans l'autre vie.
Comme la Nation Françoife , plus attachée
à ſes Maîtres & plus refpectueuſe
envers les Grands , fe fait une gloire de
copier leurs moeurs comme un devoir
d'aimer leur perfonne , l'Auteur nous
offre le modèle touchant des vertus du
Souverain qui nous gouverne. « Quand
» l'exemple des Grands , dit un Prédica-
» teur célèbre , ne ferviroit qu'à autori-
» fer la vertu , qu'à la rendre refpectable
» fur la terre , qu'à lui ôter ce ridicule
impie & infenfé que le monde lui
donne ; qu'à mettre les juftes à couvert
de la tentation , des dérifions & des
"
ود
JUI N. 1775. 75
» cenfures ; qu'à établir qu'il n'eft pas
» honteux à l'homme de fervir le Dieu
» qui l'a fait naître & qui le conſerve ,
» que le culte qu'on lui rend eft le devoir
» le plus glorieux & le plus honorable à
» la créature , & que le titre de ferviteur
» du Très- Haut eit mille fois plus grand
» & plus réel que tous les titres vains &
» pompeux qui entourent le diadême
» des Souverains : quand l'exemple des
» Grands n'auroit que cet avantage ,
quel honneur pour la Religion , &
quelle abondance de bénédictions pour
» un Empire !
"
39
» C'eft une maxime affurée , dit l'Au-
» teur de ce traité de morale , que l'Etat
reffemble à fon Prince , que fes domeftiques
fe forment fur lui , & que ,
» comme ceux qui font exposés au foleil
» ne peuvent fe garantir de fa chaleur ,
» ceux qui approchent le Souverain ne
» peuvent le défendre de fes vertus ni de
» fes vices. Ses loix n'ont pas tant de
» forces fur eux que fes actions. Il fem-
» ble qu'il leur commande tout ce qu'il
fait en leur préfence , & que ce feroit
» une eſpèce de rebellion que de s'oppo-
» fer à fes exemples. Had conditio principium
, ut quidquid faciant præcipere
"
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
videantur. Quintilian . 4. Dictum , e
On trouve à la fin de chaque volume
une Table raifonnée des Auteurs moraliftes
, qui forme une bibliothèque pour
les perfonnes jaloufes de s'inftruire de
leurs devoirs .
Les Confidences d'une jolie Femme ; quatre
parties in- 12 . A Paris , chez la veuve
Duchefne , Libraire , rue St Jacques ;
& Guillyn , Libraire , quai des Auguftins
.
""
« M. de Tournemont , né dans la
» haute financé , entra au fervice dès fa
» plus tendre jeuneffe. La nature même
» l'avoit fi bien deſtiné pour cet état
qu'il parvint aux grades les plus honorables
, fans qu'on pût attribuer fon
avancement à la faveur. Auffi tôt qu'il
s'y fut fait un nom , fon père , dont il
» étoit l'unique héritier , defira de lui
» procurer une grande alliance . Mile de
»
Balzine , accordée au prix de l'or , ap-
» porta en dot une âme de glace , un
efprit de feu , beaucoup d'orgueil , au-
» tant de beauté , joint à une paffion fi
» forte de dominer , qu'elle la rendoit
capable d'y facrifier toutes les autres.
JUI N. 1775 . 47
» Premier fruit de ce mariage , ajoute lä
» jolie femme , que l'on fait ici parler ,
» je fùs d'abord regardée par ma mère
comme une poupée dont elle s'amufoit
; mais une poupéè n'étoit pas faite
» pour captiver l'attention d'une jeune
» femme avide de plaifir , & livrée à la
» diffipation . Abandonnée , felon l'ufage ,
» aux foins des domeftiques , je reçus
"
dans cette école les germes des défauts
b qui fe développèrent fucceffivement
» en moi. On avoit décoré du titre de
» ma Gouvernante une fille à qui Mde
» de Tournemont n'avoit pas jugé la ca.
» pacité néceffaire pour la fervir : j'appris
» d'elle à n'articuler des mots que d'après
» les idées des autres , à déguifer foigneu
fement les miennes , à ne confidérer
tous les objets que dans un faux jour.
» Du refte , j'eus des Maîtres ; j'acquis
» des talens agréables ; on orna mon efprit
fans le former , & mon coeur demeura
vuide de principes
1 .
Les faites funeſtes d'une éducation
auffi mal dirigée , font exposées dans le
cours de ce roman ; & c'eft ce qui en
forme la partie morale. La jeune femme
qui nous fait par écrit fes confidences ,
avoue qu'après avoir donné fon coeur au
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
jeune Comte de Rozanne , elle eut néanmoins
la foiblefle d'époufer le Baron de
Marville , dont elle ne pouvoit faire le
bonheur; & cette conduite feule annonce
une femme fans caractère & fans délicateffe
. En effet , il faut qu'une jeune
perfonne en manque abfolument pour
aller , au gré d'autrui , former des
noeuds détestés ; pour jurer une foi qu'elle
eft sûre de ne pas garder ; pour fe
charger du bonheur d'un mari , quand
elle a la foibleffe de renoncer au fien
propre .
Les défagrémens & les malheurs que
peut entraîner une pareille union , font
aifés à preffentir. La Baronne de Murville
, au milieu même de fes chagrins
confervoit toujours cet efprit de légèreté
& d'inconféquence , qui faifoit le fond
de fon caractère . Elle avoit befoin d'un
confident , & elle donna fa confiance à
celui qui avoit eu les premiers droits fur
fon coeur , au Comte de Rozanne . Le
Baron de Murville , qui n'avoit eu que
des vues d'intérêt en époufant Mlle de
Tournemont , pouvoit voir avec indifférence
la conduite de fa femme : mais ,
jaloux de fauver les apparences , il ne
ceffoit de lui recommander de ne point
JUIN. 1775 .
79
"
"
le donner en fpectacle. « Vous avez une
paffion , lui difoit-il ; l'objet ne m'en
» eft pas agréable ; malgré cela , je vous
» promets de l'indulgence , à condition
» que vous n'en abuſerez point. Gardez
» les décences , ce fera toujours mon re-
» frain... Je fens bien qu'il faut paffer
quelques dédommagemens à une fem-
» me de votre âge , de votre vivacité ;
» mais je ne porterois pas la bonté jufqu'à
fouffrir quelle déshonorât mon
» nom par une inconduite éclatante...
"
99
Cette espèce de menace mit Mde de
Murville hors d'elle même , & ne contribua
qu'à en faire une femme fauffe.
Elle ne tarda point à fe précipiter dans de
nouvelles étourderies,qui obligèrent enfin
fon mari à rompre publiquement avec le
Comte de Rozanne . La mort du Baron ,
qui fuivit de près cette rupture , fit d'abord
foupçonner que les deux rivaux s'étoient
battus en duel ; mais plufieurs circonf
tances , rapportées dans ces Mémoires ,
éloignent tout foupçon , & font connoître
que le Baron de Murville , qui s'étoit
appuyé à la chaffe fur fon fufil chargé
à balles , avoit été la victime de fon
imprudence.
La Baronne de Murville , veuve avant
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
vingt- deux ans , poffédant de grandes ri
cheffes , & douée de tous les charmes de
la beauté , put , après fon deuil fini , couronner
la tendreffe du Comte de Rozan .
ne, qui avoit toujours confervé des droits
fur fon coeur. Quelle chaîne de félicités
ne devoit - elle pas fe promettre ! mais ce
n'eft pas affez que le bonheur fe préfente
à nous , il faut favoir en faire ufage ; &
c'eft un talent précieux qu'affurément la
Baronne de Murville ne poffédoit pas.
Elle venoit de légitimer avec le Comte
de Rozanne un amour qui , depuis tant
d'années , avoit fait le charme , le tourment
& le reproche de leur vie . Le len
demain de leur mariage , dans un de ces
momens paisibles , où le coeur feul atteſte
l'exiftence , la Comteffe de. Rozanne demanda
à fon mari s'il lui reftoit quelques
voeux à former ? «< Oui , répondit - il ,
» celui d'aflurer la durée de notre bonheur.
Qu'entendez- vous par l'aflurer ,
» demanda encore la Comteffe ? Je ne
vois
que la mort capable de la détruire ,
» puifqu'elle feule déformais peut nous
» arracher l'un à l'autre . Il est vrai , reprit-
il , qu'aucun pouvoir humain ne
»fauroit rompre les neuds charmans
» que nous avons formés ; mais c'est par
"
JUIN. 1775 .
la raifon même qu'ils font indiffolu
» bles , que nous devons nous appliquer
» fans ceffe , à les embellir... Il faut que
» ce foit toujours pour nous des chaînes
» de fleurs , & non un joug , dont la pe-
» fanteur feroit gémir notre foibleffe » .
Ce début furprit la Comteffe , elle alloit
interrompre Rozanne : il s'en apperçut ,
& la prévint. « De grâce , lui dit- il , fuf-
» pendez votre jugement , foyez sûre
» que je n'afpire qu'à vous rendre la plus
» heureufe des femmes , comme vous en
» êtes la plus aimée. En recevant au pied
» de l'autel cette main que je ferre avec
tant de fatisfaction , j'ai acquis des
» droits fur votre perfonne : des droits !
quelle rebutante expreffion ! Eh ! je
» pourrois en faire ufage avec mon
époufe , avec mon amie , comme un
impérieux Sultan avec fa vile efclave ?
" Ah! garde toi de le penfer... Maîtreffe
abfolue de tes faveurs , ton amant , ton
» tendre amant les follicitera avec vivacité
, mais ton mari ne les exigera jamais.
Quiconque réduit en dettes exi-
» gibles les marques touchantes de la
»
"
"
»
tendreffe d'une femme , la dégrade &
» fe trahit lui- même ; il détruit l'illufion-
» enchantereffe des defirs ; ravit à fa
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
" compagne le pouvoir d'y ajouter , en
» les réprimant ; il déffeche les roles &
39
le myrthe , dont l'amour fe plaît à
» couronner les âmes délicates .... Ma
» bien aimée , continua Rozanne , nos
» fentimens , font nos tréfors , c'est entre
» tes mains que je les dépofe , ménageles
avec prudence ; défends- moi contre
» l'effet impérieux de tes charmes ; mo-
» dère , arrête mes tranfports , quand tu
le jugeras néceffaire. Encore un coup ,
» je t'en abandonne le pouvoir , & je te
conjure d'en faire ufage , fans craindre
que jamais j'aie l'injuftice d'en
» murmurer. Traite ton mari comme
» un amant heureux , à qui tu ferois ache
» ter tes bontés , pour le ramener toujours
» à fentir combien elles lui doivent être
» chères . Ton coeur aura fûrement quel-
» ques efforts à fe faire : je les verrai
tous : ils pénétreront dans le mien , qui
» enchérira fur tes facrifices ; mais nous
» en ferons dédommagés par l'augmen
,, tation , par par la conftance de notre féli-
2 cité. Ufons de la même économie dans
les témoignages publics de notre tendreffe
; ne dédaignons point de montrer
» les égards , les préférences , la politeffe
» la plus attentive ; foyons & paroiffons
39
"
JUIN. 1775 . 83
19
"
39
"
» être ce que nous eftimons , ce que nous
refpectons le plus . Quant aux démons-
» trations , aux propos careffans , à cette
» douce familiarité dont j'ufe en ce mo-
» ment avec toi , ne les prodiguons pas
» devant un monde qui n'en eft pas
digne , & qui répandroit deffus le vernis
du ridicule . Je te propofe encore
» l'exemple des amans heureux : on les
devine ; mais ils ne fe dévoilent pas :
» de cela même , la plus petite bagatelle
» eft d'un prix infini pour eux. Un mot ,
» un rien , donne naiffance au plaifir ,
quand c'est l'expreffion du coeur & non
» l'effet de l'habitude. Que celle de vivre
" enfemble n'éteigne point en nous le
» defir de plaire , & ne nous en falle
» point négliger les moyens : ils font de
tous les temps , de tous les âges ; ils
doivent entrer dans toute la conduite de
» notre vie. Rien , dans ce foin Alatteur
» ne fauroit nous être pénible. Quoi de
plus délicieux que de pouvoir nous
» dire chaque jour , c'eft pour lui , c'eſt
» pour elle que je conferve précieuſe-
» ment les avantages qui m'en ont fair
» aimer ; que je combats tel défaut ,
que je m'enrichis d'une qualité nouvelle.
J'ajoute à notre commun bonheur
"
و د
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE .
""
» en ajoutant à la fomme de mes perfec
» tions. Loin de dérober aux regards du
monde ce qui peut m'attirer fon fuffrage
, je m'en glorifierai auprès de ce
que j'aime , parce qu'il y trouvera la
juftification de fon choix ; mais de
quelque poids que me paroiffe cette
approbation étrangère , ce fera toujours
» à la plus chère moitié de moi - même
» que j'en deſtinerai le premier tribut .
» Voilà , ma divine amie , quelles font
» mes difpofitions , & je me flatte que ce
feront auffi les tiennes ». Il s'en falloit
eaucoup que Rozanne eût deviné juſte .
Son épouse , perfuadée que fa feule poffeffion
devoit le rendre parfaitement heureux
, ne fuppofoit pas qu'elle eût quelques
frais à faire pour en être conftamment
adorée . Elle commit même des
imprudences , qui lui firent perdre la
confiance de fon mari . Le Comte de
Rozanne ne confultant que fes chagrins ,
fe refugia dans une de fes Terres pour
vivre éloigné d'une femme , qui , par fon
indifférence marquée , ne ceffoit de remplir
le coeur de fon mari d'amertume ,
& venoit encore de lui donner , par une
conduite imprudente , de nouveaux fujets
de plainte. La Cemteffe de Rozanne
JUIN. 1775.
85
étonnée , humiliée même de cette réſolution
, n'étoit cependant point fans reffource
. Sa conduite , quelque repréhenfible
qu'elle pût être , pouvoit feulement
être accufée d'inconféquence , d'étourderie.
Si , dans les premiers momens de
cette rupture , elle eût été fe jeter aux
pieds du Comte de Rozanne , lui avouer
fes fautes , celle fur tout de lui avoir
marqué moins de confiance que d'amour ;
elle auroit pu ramener à elle cet homme
fenfible , & jaloux de pofféder tous les
fentimens de celle qu'il s'étoit choifie
pour compagne . Mais loin de prendre
ce parti , elle fe retire dans une Ville
de Bourgogne , lorfque fon mari étoit
en Périgord & qu'elle étoit libre de
l'y fuivre . Elle cherche à briller & à jouir
de tous les amuſemens dont la Province
eft fufceptible . Elle fe fait entourer de
flatteurs , de parafites , & ne s'occupe
qu'à remplir toute une Ville de fon fracas.
Eft- ce là le rôle d'une femme défolée
? Auffi le Comte de Rozanne ne prít
point le change ; & lorfqu'accablé d'ennuis
, il vit fa femme venir embraffer
fes genoux , & lui avouer fes fautes , il
ne la rejeta pas loin de lui , il lui donna
même des confeils qui pouvoient fervir
86 MERCURE DE FRANCE.
à régler fa conduite , & à diriger l'édu
cation d'une fille qu'il lui laiffoit ; mais
fes réflexions firent affez connoître qu'il
n'attendoit plus de bonheur pour lui fur
la terre , puifqu'il s'étoit trompé dans le
choix qu'il avoit fait de fon époufe . Depuis
cette époque la vie du Comte de
Rozannes'éteignit fenfiblement . Sa mort,
dont on nous fait ici le tableau , laiſſa ſa
veuve dans les larmes : mais ces larmes
fi juftes , que la Comteffe de Rozanne
croyoit intariflables , s'arrêtoient dans fes
yeux , quand elle les tournoit veis la
carrière fleurie où elle pouvoit rentrer.
« Jeune encore , dit - elle à la fin de fes
» Mémoires , riche , parfaitement indépendante
, j'abjurai le mariage , qui
» m'avoit mal réuffi . Des goûts paffagers ,
» que j'honorerai du nom de paffions ,
» me procurèrent de l'amufement , des
29
."
chagrins , quelques plaiſirs , jamais le
» bonheur. Cependant les années s'écou-
» lèrent affez rapidement : je ne m'aviſai
» pas d'en faire le calcul , & je parvins à
» mon automne avec toutes les préten-
» tions de la jeuneffe. En vain. les hom-
» mes & les femmes femblèrent fe liguer
»pour m'en faire fentir le ridicule ; je ne
voulus rien voir, rien entendre de leur
JUIN. 1775. 87
39
» part . C'étoit à ma fille qu'étoient ré-
» fervés les premiers retours de ma rai-
» fon. Elle avoit accompagné fon mari
» dans fon ambaflade , & s'étoit attiré
» l'eftime d'une Nation , qui n'en eft pas
prodigue , fur tout envers la nôtre. Les
» vertus de fon père , cultivées par
» Mademoiſelle des Salles , & dévelop →
» pées par cinq ans de mariage , me la
» firent paroître toute nouvelle quand elle
» revint en France. Heureufe femme ,
» heureufe mère , fachant infpiter l'ami
» tié , la confiance , dans l'âge où l'on
n'infpire que l'amour & les defirs ....
» J'admirai………. Je m'humiliai ... Peut-
» être j'en ferois reftée là , fans un ami
20
qui fut mettre à profit la circonftance ,
» pour ne ranger enfin fous les loix du
»fens commun ; & cet ineftimable ami ,
" c'est vous , à qui il ne me refte plus
» rien à dire , puifque ma vie eft & doit
» être déformais de la plus parfaite uni-
» formité ».
La lecture de ces Mémoires peut être
utile , à caufe de plufieurs détails de conduite.
Ces détails , qui préfentent des
exemples à fuivre ou des imprudences à
éviter , ferviront de leçon aux jeunes
perfonnes qui entrent dans le monde . Ils
&S MERCURE DE FRANCE.
attachent d'ailleurs par quelques fitua
tions que nous n'avons pu faire connoî--
tre , mais qui jettent de l'intérêt fur différentes
parties de ces Mémoires , dictés
en général avec affez de naturel & d'élégance.
Il fe trouve néanmoins quelques
expreffions que l'Auteur fera bien de
corriger , celle ci , par exemple : « J'eus
» beau me raifonner , il me fut impoffible
» de , & c. -
2
*
..
Recherches critiques , hiftoriques & topogra
phiques fur la Ville de Paris , depuis
fes commencemens connus jufqu'à prés
fent ; avec le plan de chaque quartier .
Par le fieur Jaillot , Géographe ordinaite
du Roi , de l'Académie Royale
des Sciences & Belles-Lettres d'Angers
.
Quid verum... curo & rogo & omnis in hocfum.
Hor. Lib. I. Epift. I.
₹
Brochure in 8 °. qui comprend le dixneuvième
quartier : le Luxembourg.
A Paris , chez l'Auteur , quai & à côté
des grands Auguftins ; & chez Lottin
aîné , Imprimeur - Libraire , rue Saint-
..Jacques.
r
89
JUIN
. 1775
.
•
Ce nouveau cahier préfente le plan
du quartier du Luxembourg , féparé en
deux planches , dont l'une renferme la
partie feptentrionale & l'autre la partie
méridionale . Les recherches du Topographe
fur ce quartier ne fe font point ralenties
; elles ferviront à corriger plufieurs
erreurs dans lefquelles font tombés
les Hiftoriens de Paris . Ceux qui s'adonnent
à l'étude de l'Hiftoire y trouveront
de plus des notices utiles fur l'Abbaye
de Port Royal , les Filles du Saint - Sacrement
, le Prieuré de Notre Dame de
Confolation , dit du Chaffe - Midi , les
Filles du Bon Paſteur , l'Eglife de Saint-
Sulpice , le Séminaire de cette Eglife,
les Religieufes de Notre - Dame de Mifé
ricorde , le Séminaire de Saint Pierre &
de Saint Louis , les Chartreux , les Frères
des Ecoles Chrétiennes , les Prémontrés
Réformés , l'Abbaye de Notre-Dame aux
Bois , les Filles de Saint Thomas , les
Bénédictines de Notre- Dame de Lieffe ,
les Religieufes du Calvaire , celles du
Précieux - Sang , les Carmes Déchauffés,
les Religieufes de Notre - Dame des - Prés ',
l'Hôpital des Incurables , les Petites-
Maifons , la Foire St Germain , le Palais
d'Orléans , & c.
90 MERCURE DE FRANCE .
L'Ame d'un bon Roi , ou choix d'anecdotes
& de penfées de Henri IV , les
plus propres à caractériſer le coeur &
le génie de ce Prince ; précédé de fon
Eloge hiftorique & des portraits qu'en
ont tracés les meilleurs Hiftoriens . Par
M. Coftard , Libraire à Paris . Volume
in-8°. A Paris , rue St Jean de Beauvais
, la première porte cochère audefus
du Collége.
Lorfqu'un Ecrivain nous entretient de
Henri IV , le Lecteur François pourroit- il
fe plaindre de ce que cet Ecrivain ne fait
que répéter ce qu'un autre a déjà dit ?
Ne fuffit - il pas de parler de ce grand
Prince , de ce bon Roi pour mériter nos
fuffrages ? Le choix que l'Editeur a fait
des anecdotes & des penfées de Henri
IV , peut être joint aux éloges hiftoriques
de ce Prince. Celui publié à la tête de
cette collection , contient plufieurs réflexions
utiles , mais qui ne font pas tou
jours dictées avec affez de précifion , ce
qui fait reffembler ce difcours plutôt à
une differtation fur la politique ou la
morale , qu'à l'Eloge hiftorique d'un
Prince qui avoit un Royaume à conquérir
, & a eu befoin d'un courage toujours
JUIN. 1775.
actif pour faire le bien que fon coeur lai
dictoit.
Tablettes Aftronomiques , ou Abrégé élémentaire
de la fphère & des différens
fyftêmes de l'Univers , principalement
de celui de Copernic , avec les ufages
des globes artificiels : Ouvrage mis à
la portée de tout le monde. Par M.
Brion , Ingénieur Géographe du Roi ,
Profeffeur de Géographie & d'Hiftoire.
Vol . in- 16 , avec des planches gravées ;
prix , broché , 1 1. 16 f. A Paris , chez
Defnos , Libraire & Ingénieur Géographe
, rue St Jacques , au Globe.
Le titre de ce petit Ouvrage fait affez
connoître que l'Auteur a eu principalement
pour but de procurer à la jeuneſſe
& à ceux qui ne peuvent avoir recours
aux favans Traités d'aftronomie , des notions
élémentaires & indifpenfables fur
la fphère & les différens fyftêmes de
l'Univers. L'aftronomie de M. de Lalande
, a fervi de guide à l'Auteur de ces
Tablettes . Cet Auteur s'eft fait un devoir
d'écarter de fon Abrégé toute matière
abftraite , afin de fe conformer au titre.
de fon Ouvrage , & fe procurer plus d'ef
1
92 MERCURE DE FRANCE.
pace pour expofer quelques notions curieufes
, donner même, des calculs , dont
les uns ne fe trouvent point dans les
élémens ordinaires , & les autres font
plus conformes aux obfervations les plus
modernes & les mieux conftatées.
Les Curieux & tous ceux qui s'intéreffent
aux Ouvrages de mécanique &
d'aftronomie , peuvent voir chez le fieur
Defnos , à l'adreffe ci- deffus , une trèsbelle
sphère mouvante de deux pieds de
diamètre , & de plus de fix pieds de circonférence
, exécutée d'après le fyftême
de Copernic.
Principes fondamentaux de la conftruction
des Places , avec des réflexions propres
à démontrer les perfections & les imperfections
de celles qui font conftruites;
un nouveau fyftême de fortification
fur toutes efpèces de ligne ; &
une nouvelle théorie des mines . Vol ,
in 8. avec des planches. A Londres ,
& fe trouve à Paris chez Ruault , Lib .
rue de la Harpe ; Jombert le fils
rae Dauphine ; L'Efprit , au Palais
Royal.
...Ceux qui ont étudié les Ouvrages imé
JUIN. 1775. 93
primés de M. de Vauban fur les fortifi
cations , liront encore avec fruit ces Principes
fondamentaux de la conftruction
des Places. Ils y trouveront même des
idées neuves expofées avec beaucoup de
netteté & de préciſion, Ces idées , fruit
de l'expérience & de l'obſervation , appartiennent
, pour la plus grande partie ,
de l'aveu même de l'Editeur diftingué de
cet Ouvrage , à MM . d'Antoni , Rhaną
& Boffolino, Cet Editeur , très éclairé &
bon juge dans ces fortes de matières , ſe
propofe de donner pour fuite à ces prine
cipes fondamentaux de la construction
des Places , & dans le même format, un
Traité de la fortification irrégulière &
de la fortification de campagne , qui comprendra
quelques détails nouveaux , fimples
& piquans .
Le même Editeur , pour ne rien laiffer
à defirer , voudroit donner au Militaire
une Hiftoire raifonnée des différens pro+
grès de la fortification , par le plan , par
T'expofé des principaux fyftêmes dans
l'ordre où ils ont paru fucceffivement ;
& par une courte digreffion fur les avantages
& fur les défavantages de chacun
d'eux .
Il y a , dit- il dans la Préface de l'Ou94
MERCURE DE FRANCE.
vrage qui vient d'être publié , environ
deux cents fyftêmes principaux , auxquels
fe rapporte tout ce qui a été inventé
jufqu'ici fur la fortification ; leur plan ,
leur expofé , leur difcuffion , font peutêtre
ce qu'il y a de plus propre à répandre
la lumière la plus vive fur la fcience de
l'Ingénieur ; cet Ouvrage ne feroit ni
volumineux , ni cher . Il ne feroit point
volumineux , parce que pour chaque fyftême
, le verfo de la feuille où le plan
feroit deffiné , comprendroit l'explication
& la difcuffion du fyftême qui fuivroit
; de manière qu'en ouvrant le volume
in- 8°. on auroit à la fois fous les
yeux la figure & le difcours du même
fyftême. Il ne feroit point cher , s'il avoit
le fuccès qu'on peut attendre d'un Ouvrage
d'une utilité reconnue ; qui eft
écrit , & qu'on feroit imprimer dans les
quatre langues principales de l'Europe
pour multiplier les Acquéreurs , & pour
diminuer à chacun d'eux les frais de
gravures néceflairement trés confidérables.
·
>
L'Auteur avoue qu'il a plus de cent
fyftêmes mis au net ; & fi le Ministère
donne fa fanction à ce nouvel Ouvrage
dans quelques mois , le Public pourra en
JUIN. 1775. 95
1
voir l'ordre & l'exécution chez les Libraires
où fe trouvent les Principes fondamentaux
de fortifications que nous venons
d'annoncer.
t
Avis au Peuple fur fon premier befoin ;
par M. l'Abbé Baudeau ; nouv . édit.
revue & corrigée par l'Auteur . Vol.
in-12. 36 f. br. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris chez Didot aîné ,
Imprimeur- Libraire , rue Pavée , près
du quai des Auguftins ; & Lacombe ,
Libraire , rue Chriftine.
2
Cet Avis au Peuple renferme trois
Traités. L'entière & parfaite liberté du
commerce des grains eft la matière du
premier. L'Auteur communique au Public
, dans le fecond , quelques connoiffances
pratiques très utiles , fur la manière
économique de moudre les grains ; par
cette méthode nouvelle , prefque partout
ignorée , l'on tire du même bledbeaucoup
plus de belle & bonne farine ,
que par la routine ufitée dans la plupart de
nos Provinces. Il eft queftion dans le
troisième Traité de la manière de faire
le pain , & fur-tout de la proportion qui
doit toujours régner entre le prix du bled
& celui du pain.
6 MERCURE DE FRANCE.
Liberté du commerce & de l'induftrie ; par
feu M. le Préfident Bigot de Sainte-
Croix.
Libertas qua fera. . . . .
VIRG.
Brochure in . 12. 24 f. A Amfterdam ,
& fe trouve à Paris , chez Lacombe ,
Libr. rue Chriftine .
A mefure que la fcience du commerce
fera mieux connue , les Etats commerçans
travailleront à rendre plus libre
chez eux la carrière des arts & du négoce
, afin d'établir une concurrence favorable
, encourager l'induftrie , & attirer
l'étranger pauvre , mais laborieux.
Des Ecrivains politiques nous ont donné
différens Traités fur cette liberté du commerce
& de l'induſtrie , & ont fait voir
les inconvéniens du fyftême adopté précédemment
, de réduire tout en Corps de
Jurande. Mais , parmi ces Traités , nous
croyons que l'on diftinguera celui de feu
M. le Président Bigot de Sainte- Croix .
Il eſt appuyé fur des faits , & écrit avec
beaucoup de méthode & de clarté.
Journal de Littérature , par une Société
d'Académiciens ;
JUI N. 1775 • 97
d'Académiciens ; imprimé à Berlin. Il
en paroît tous les deux mois un vol .
in 8. d'environ 400 pages . Prix 2 1 .
10 f..
On peut fe procurer actuellement les
deux premières années complettes de ce
Journal , formant une fuite de 12 vol.
chez Lacombe , Libraire , rue Chriftine ,
à Paris . Le 13 ° & le 14 vol. ne tarderont
pas à paroître.
Les perfonnes qui defireront le procit
rer cet Ouvrage peuvent commencer à
tel mois ou à telle année qu'elles jugeront
a propos. Les volumes ne fe payent qu'à
mefure qu'on les reçoit.
Dictionnaire portatif, théologique & philofophique
, par M. L. Paulian , Auteur
du Dictionnaire de Phyfique. A
Paris , rue Saint Jean de Beauvais , la
première porte cochère au- deffus du
College
.
Cet Ouvrage , déjà connu du Public ,
mérite une attention particulière de ceux
qui aiment l'étude de la Religion . Pour
donner une idée favorable de l'impartia.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
i
lité avec laquelle l'Auteur s'eft propofé
d'ettaquer fes adverfaires •
& de fon
équité à l'égard de l'attribution
qu'on fe
permet de faire de certains Ouvrages à
des hommes qui n'y ont jamais eu la . moindre part , il fuffira de tranfcrire les
propres paroles de ce Théologien
philofophe.
Dès que le nom n'eft pas au titre
«
» d'un livre , je me garde bien d'ajouter
»foi à des bruits vagues qui le donnent à
» tel ou à tel , fur - tout lorfque l'Ouvrage
> eft infiniment
au deffous de la réputa-
» tion de l'Auteur à qui le Public l'attri-
» bue ; j'aurai toujours préfent à l'efprit
» ce que dit M. d'Alembert
dans fes
» Réflexions
fur l'abus de la critique en
» matière de religion , ( page 362 ) qu'en
»´cette matière , plus qu'en aucune autre,
» c'eft fur ce qu'on a écrit qu'on doit être
jugé , & non fur ce qu'on eft foupçonné
» mal à propos de penfer ou d'avoir voulu
» dire.... que c'eft aux hommes à pro-
» noncer fur les difcours & à Dieufeul à
» juger les coeurs..... & que l'accufation
"
d'irreligion , fur tout lorsqu'on l'intente
» devant le Public , ne fauroit être appuyée
fur des preuves trop convaincantes &
» trop notoires.
» L'on ne trouvera donc dans mon
"
JUI N. 1775 . 99
BIBLIOT
LYON
DE
FILLE
livre aucune perfonnalité contre qui
que ce foit au monde ; la caufe que je */893 *
défends est trop bonne pour employer ,
» au lieu de preuve , les fades plaifanteries
, les injures & les farcafmes indé-
»
cens.
» L'on y trouvera encore moins ces
difputes d'école ; c'eft à dire , ces vétilles
& ces inutilités théologiques , dont
» les feuls Scolaftiques font capables dé
s'occuper férieufement . Qu'on life mon
» article de Gráce , l'on verra que j'y
exhorte , du meilleur de mon coeur ,
les Théologiens Catholiques à mettre
fin à leurs difputes , toujours trop vives
, quelquefois peu édifiantes , & de
» tourner leurs armes contre les vérita-
» bles ennemis de la grâce de Jéfus .
« Chrift ».
n
Ces réflexions fi fages doivent faire
d'autant plus d'impreffions , que l'Auteur
a été à portée autrefois de voir de plus
près les inconvéniens de toutes ces difputes
, qui , fans rien éclaircir & fans
augmenter la maffe des connoiffances
#folides & des vertus civiles & religieufes
, ne font propres qu'à amener à la
fin les fiècles d'ignorance & à troubler
# l'harmonie de la fociété. On voit en
Eij !
TOO MERCURE
DE FRANCE
:
effet , lorsqu'on remonte à l'origine de
ces difputes & qu'on en fuit les progrès ,
qu'elles ne font l'ouvrage que d'efprits
avides de nouveautés
& de gloire , qui
ne cherchent dans l'étude de la Religion
que ce qui peut flatter leur orgueil ou
leur curiofité. « Des efprits ambitieux
» & jaloux , qui n'aiment de bien que
celui qu'ils font , & qui , pour mieux
» s'affurer l'eftime & la confiance publi-
» que , décréditent & noirciflent tout ce
» qui pourroir les partager ». ( Nous copions
les propres expreffions d'un Académicien
illuftre par fon rang & par fes
lumières ) . " Des efprits de corps , qui
» confacrent , qui généralifent
, qui per-
» pétuent dans les fociétés toutes les opi
» nions qui y ont été une fois adoptées ,
qui les défendent avec le même zèlë
que s'il s'agiffoit des objets de la foi ,
» & qui font qu'on ne tient à la vérité
que comme on tiendroit au préjugé ;
» des efprits foibles & ignorans , que le » premier venu féduit & entraîne ; des
» efprits crédules & pareffeux , qui , fur
39
»
"
la feule foi , d'un Maître ou d'un Au-
» teur , fouvent très-peu digne de leur
confiance , époufent tous fes fentimens
,
& prétendent
renfermer
enfuite la ca
JUIN. 1775.
ΙΟΙ
33
tholicité dans un cercle auffi étroit
-1
que
» celui de leurs idées ; des efprits imprudens
& précipités qui , fans avoir
rien examiné , prétendent tout favoir
» & entreprennent de tout décider ; des
efprits aigres & contentieux qui ne
favent rien traiter paisiblement , qui
» ne fe plaifent que dans la difpute , &
qui cherchent bien moins à s'éclaircir
» qu'à prévaloir ; des efprits enfin pleins
d'orgueil & de préfomption , qui adorent
leurs propres penfées , qui s'éri-
" gent à eux mêmes un tribunal , où ils
appellent en jugement tout ce qu'il
» leur plaît , & qui exercent ainfi fac
leurs frères un empire auquel il n'ont
dreit , ni par leur autorité , ni par leurs
lumières 12.
»
32
Inftrudions Chrétiennes pour les divers
états de la vie , avec des exercices de
piété pour chaque jour , chaque femaine
, chaque mois & chaque année ;
& un exercice pour la confeflion & la
communion. A Paris , chez Lottin
l'aîné & Onfroy , Libraires , rue Saint
Jacques , près St Yves , au Coq.
Les riches , & fur-tout les pauvres ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
trouveront dans cet Ouvrage des inftruc
tions propres à leur fanctification ; les
riches y verront les principaux oracles
des Livres Saints , qui leur apprendront
la vanité des richeffes & l'ufage chrétien
qu'ils font obligés d'en faire. Les pauvres
y liront les paroles faintes , qui leur montreront
les avantages de la médiocrité &
de la pauvreté , lorfqu'elle eft jointe à la
vertu , & les devoirs que leur a prefcrit
le Chef de notre divine Religion. On
trouve auffi dans cet Ouvrage édifiant
des inftructions détaillées pour les ouvriers
& pour les domeftiques. Les Pafteurs
, fur tout ceux de la campagne , ne
fauroient trop recommander la lecture de
ce livre , où les verités de pratique font
expofées avec clarté.
-
Traité économique & phyfique des Oiseaux
de baffe cour, contenant la defcription
de ces oifeaux , la manière de
les élever , de les multiplier , de
les nourrir , de les traiter dans leurs
maladies , & d'en tirer profit , tant
pour nos alimens que pour nos médicamens
, & pour les différens arts &
métiers . A Paris , chez Lacombe , Libraire,
rue Chriftine , près la rue DauJUIN.
1775: 101
phine. Volume in- 12 , prix , broché ,
2 liv.
Cet Ouvrage eft le premier en fon
genre qui ait paru en France ; perfonne ,
jufqu'à préfent , n'a encore publié de
Traité fur les Oifeaux de baffe cour , fi
on en excepte feulement le favant Réaumur
: mais dans les deux Ouvrages qu'il
a inis au jour dans le temps , il ne put
traiter de tous les oifeaux qu'on élève
dans les baffes cours ; il fe contenta feulement
de parler des poulets & de la manière
de les élever ; il eft néanmoins vrai
de dire que quelques Aureurs ont traité
des autres oifeaux de baffe cour , mais ce
qu'ils en ont dit eft , ou trop fuccinct ,
ou noyé dans de nombreufes collections
. On a remédié par ce Traité à l'un
& à l'autre de ces inconvéniens . L'Auteur
préfente fous un même point de vue
à fes Lecteurs tout ce qui peut concerner
la famille volatile ; il traite en çonféquence
dans fon Ouvrage de dix forres
d'oiſeaux , du paon , du dindon , du coq
& de la poule , de la pintarde , da faifan ,
de l'outarde , de l'oie , du canard , du
eigne & du pigeon. Il rend compte dans
la Préface de fon Ouvrage de tous les
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
details dans lesquels il entre au fujet de
ces oifeaux ; en général , on trouve raffemblé
dans l'Ouvrage que nous annoncons
toutes les connoiffances néceffaires
pour tirer profit d'une baffe - cour : c'eſt
peut- être dans les campagnes la plus gran
de reffource pour les fermières ; une bonne
ménagère fait trouver dans fa baffecour
de quoi payer fes tailles , fes domef
iques , l'entretien intérieur de fa maifon ,
fans être obligé de recourir aux productions
de la terre , qui deviennent par- là
tout profit pour le Laboureur . Depuis
long- temps on cherche la pierre philofophale
, on peut dire qu'elle eft trouvée
dans la propagation de la volaille ; une
batfe cour bien conduite peut rapporter
jufqu'a cinq à fix cents pour cent à fon
maître mais il faut beaucoup de foin ,
d'attention & de précaution de la part de
la gouvernante de baffe- cour ; ce n'eft
qu'à force d'induftrie , d'intelligence &
de travail qu'on peut parvenir à s'enrichir.
L'Auteur s'eftimeroit très- heureux ,
fi , par la publication de ce Traité , il
pouvoit ranimer dans les campagnes le
goût pour ce nouveau genre de richelles ,
& par conféquent l'aifance que l'un de
nos plus grands Rois defiroit de donner
JUIN. 1775. 105
aux payfans. Il a confulté , pour la rédaction
de ce Traité , les meilleurs Ouvrages
qui ont rapport , foit directement ou
indirectement , aux objets qui y font
traités : il a fait aufli ufage de fes propres
obfervations & expériences ; il a en outre
confulté les gens ufités en ce genre d'occupation
, qui valent , fans contredit ,
mieux que tous les livres auxquels on
pourroit avoir recours. Toute perfonne
qui demeure en campagne doit néceffairement
fe procurer cet Ouvrage , la
pratique qu'elle fera de ce Traité économique
deviendra pour elle un vrai
Pérou.
Avis aux mères qui veulent nourrir leurs
enfans ; troisième édition , revue &
confidérablement augmentée, par Ma .
L. R. A Paris , chez P. Fr. Didot le
jeune , Lib. quai des Auguſtins . Prix
1. 8 f. rel.
2
Si on doit juger d'un Ouvrage par le
prompt débit qui s'en fait , celui que
nous annonçons doit être placé dans le
nombre des meilleurs , puifqu'en moins
de fix ans c'eſt la troiſième édition qu'on
en a publiée : nous penfons ne pouvoir
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
1
mieux faire , pour en faire connoître le
mérite & l'utilité , que de rapporter ici
ce qu'en ont dit Meffieurs les Commilaires
de la Faculté dans l'extrait qu'ils
ont fait de la feconde édition de cet Ouvrage
.
Nous avons porté , difent- ils , à cette
nouvelle édition toute l'attention que
mérite la confiance que la Faculté a
» bien voulu avoir en nous , en foumertant
cet Ouvrage à notre examen .Tous
les principes qu'il contient font confor
» mes à la plus faine phyfiologie. Dans
» tous les temps , les Médecins ont re-
» commandé aux mères de nourrir elles-
» mêmes leurs enfans ; nos Ecoles one
» cent fois publié les avantages qui en
réfultent pour les uns & pour les autres :
» mais Madame le Rebours eft peut être
» la première qui ait prouvé , par des
» raifons claires & évidentes , qu'il faut
» qu'une mère donne à téter au nouveau
» né le plutôt poffible aprés fa naiffance ;
» elle fe débarraffe par-là d'une liqueur qui
pourroit devenir auffi pernicieufe pour
» elle qu'elle eft falutaite à celui pour
lequel la nature l'a deftinée ; nous penfons
donc qu'il eft à fouhaiter que cer
Ouvrage fe répande de plus en plus
33
ود
JUIN. 1775 . 107
» dans le Public , & que toutes les mères
s'y conforment exactement ; par là elles
» s'éviteront bien des maux , & confer-
» veront à l'Etat bien des Sujets , qui font
» les victimes de la méthode qu'on n'eft
» que trop dans l'ufage de fuivre . Signés
» Bernard , du Bourg , Gentil & d'Ar-
15 cet » .
En général on peut regarder cet Ouvra→
ge comme un écrit propre à encourager
la tendreffe des mères pour leurs enfans
& à leur communiquer le goût de fe
livrer à une pratique dont Madame le
Rebours a fi bien développé les avantages
; d'ailleurs tous ceux qui connoiffent
cette Dame favent que fon Ouvrage eft
le fruit de fon expériencce & de fes obfervations
fur un objet auffi intéreffant
pour l'humanité.
* Difcours prononcés dans l'Académie
Françaife le Jeudi 27 Avril 1775 ,
la réception de M. le Chevalier de
• Chatellux. A Paris , chez Demonville ,
Imprimeur Libraire de l'Académie ·
* Les trois articles fuivans font de M. de
la Harpe.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Françaiſe , rue St Severin , aux Armes
de Dombes ,
tré
Les Difcours Académiques , qui n'ont
que trop fouvent de ces complimens
étudiés & frivoles ,
Où le bon fens expire
Dans letravail de parler fans rien dire ,
font devenus , depuis plufieurs années ,
de très-bons Ouvrages de Littérature . Au
lieu de mettre tout leur art & tout leur
foin à rajeunir d'une manière plus ou
moins heureufe l'éloge , néceffairement
un peu ufé , de Louis XIV , de Richelieu
, &c, les Orateurs récipiendaires fe
font appliqués à traiter des queftions intéreffantes
, & ont tiré l'éloquence académique
du cercle étroit & rebat: u de
la louange dans lequel on l'avait trop
long- temps renfermée . Si cette révolution
n'eût pas été déjà faite , M. le Chevalier
de Chatellus l'aurait commencée . Un
efprit auffi philofophique que le Gen ,
accoutumé à envifager les objets fous de
nouveaux rapports , n'aurait pu s'enchaî
ner dans les formes générales & vulgaires
du panegyrique ; & le talent de penfer
JUIN. 1775. 109
qui s'était fait remarquer dans fes autres
Ouvrages , devait le retrouver dans le
Difcours où il remercie les Gens de Lettres
de l'avoir adopté parmi eux . Il fe
propofe dans ce Difcours de fuivre rapidement
la marche & les progrès du goût
dans les fiècles de lumières. " Deux fois ,
» dit il , depuis que ce globe eſt habité ,
l'efprit humain s'eft élevé à la plus
grande hauteur ; deux fois il en eft
» tombé , comme fi la nature eût franchi
fes limites , & que femblable au fleuve
qui ne rompt fes digues que pour inon-
» der un moment les campagnes , elle
» dût reprendre bientôt fon cours accou
» tumé. Gardons nous cependant de
"
"
"
donner trop de poids à ces confidéra-
» tions. L'exemple ne fait qu'avertir la
raifon : l'étude des caufes & des effets
» peat feule l'inftruire & l'éclairer . Elle
» nous apprendra l'origine de ces viciffi
» tudes que nous nous contentons de
craindre ou d'admirer. Nous connaî
» trons à la fois nos forces & notre fai-
» bleffe . Non moins entreprenans , non
>> moins audacieux que nos Ancêtres
» nous faurons mieux garder nos conquê
» tes : car enfin , Meffieurs , les premiers
» efforts en tout genre ne font pas ce pas..ce
110 MERCURE DE FRANCE.
"3
qu'il y a de plus difficile. L'efprit hu-
» main n'agit que par faillie : il s'élance
plutôt qu'il ne marche , & il eft plus
» aifé de le mettre en mouvement que
» d'affurer fes pas. Applaudiffons à fes
premiers efforts : mais tâchons d'en
» mieux profiter. Poffeffeurs des tréfors
» les plus précieux , occupons - nous de les
» défendre , & fouvenons - nous fur tout
» que dans le champ immenſe qui nous
» eft offert , fi c'eft au génie de créer
» c'eſt au goût qu'il appartient de confer-
» ver » .
*
M. le Chevalier de Chatellux obferve
d'abord combien eft ingénieuſe la figure
dont on s'eft fervi pour exprimer le goût.
Il femble en effet qu'après avoir réflé
chi fur les organes de nos fenfations ,
on ait reconnu que celui du goût était
» le feul qui eût des rapports frappans
» avec l'idée qu'on voulait exprimer ,
» parce qu'il eft le feul qui pénétrant ,
» pour ainfi dire , dans la fubftance la plus
» intime des choſes , en apprécie les pro
priétés les plus cachées , le feul qui joi-
» gne l'analyfe la plus fubtile au jugement
le plus rapide , le feul enfin qui ,
toujours irrité ou flatté , ne reçoive jamais
d'impreffions qui ne foient ac
❤
JUIN. 1779 .
» compagnées de peine ou de plaifir ».
L'Orateur philofophe trouve dans les
révolutions de Rome & de la Grèce , les
caufes de la corruption du goût après les
deux grandes époques de fon règne.
39
"
. و د
30
Athênes étoit floriflante. Les Euripides
, les Xénophons , les Platons ,
repofaient à peine fous une tombe ho-
» norée , lorfqu'Alexandre vint impoſer
des fers à la Grèce pour en préparer à
» l'Afie. Tout fléchit fous l'empire de fon
génie ; mais à peine avait il fubjugué
tant de Peuples amcb is , qui n'étaient pas
même dignes de l'avoir pour Maître ,
qu'il fut fubjugué à fon tour par fes
propres pafficns . Après avoir donné
l'exemple du courage , il donna celui
de la corruption , & ce fut le mieux
fuivi. Alors la vertu opprimée ou négligée
difparut avec la liberté , & l'orgueil
Afiatique remplaça les moeurs de
» la Grèce . La République des Lettres
dur partager ces révolutions ; & , de
» même que l'Empire d'Alexandre fut
divifé entre plufieurs Tyrans , tous ri-
» vaux ou ennemis , de même ce goût fage
» & éclairé , qui s'était épuré dans Athê-
» nes , ne tarda pas à difparaître , pour
faire place à la licence des opinions &
"
112 MERCURE DE FRANCE.
à l'orageufe tyrannie des Sectes . Difons
le à l'honneur des Belles - Lettres ,
» fi elles n'ont pas , comme la philofophie
, l'avantage d'influer fur la politi
» que & la légiflation , on leur doit du
moins cette louange , qu'elles n'ont
» jamais fleuri dans l'efclavage ; & que
» le bon goût , quoique apanage de l'efprit
, tient toujours à la nobleffe de
» l'âme ».
·
On ne peut qu'applaudir à ces idées
auffi juftes que bien énoncées . Mais fur
cette affertion , que les Belles Lettres
n'ont pas , comme la philofophie , l'avan
tage d'influer fur la politique & la légiflation
; nous oferons obferver qu'elle ne
peut être fondée , du moins par rapport à
Rome & à la Grèce , où l'éloquence influa
fur le gouvernement beaucoup plus que
la philofophie , & où l'art oratoire , cultivé
avec la plus curieufe recherche &
embelli de tous les ornemens littéraires
& de toutes les richeffes de l'imagination
, était dans les mains de Cicéron &
de Démosthène un des grands refforts de
'Etat. Quant à nous , on pourrait dire
encore que fr la philofophie a influé fur nos
moeurs & notre légiflation , c'eft en s'unif
fant aux Belles- Lettres. Chez un peuple
JUI N. 1775. 11-3
fi . fenfible à l'agrément & mené par l'opi
nion , & plus encore par l'enthouſiaſme ,
la philofophie , réduite à fon cortége
auftère de raisonnemens & de vérités ,
n'avancerait qu'à pas bien lents . Il faut
que l'éloquence & l'imagination la prennent
par la main ; les portes s'ouvrent à
ces deux conductrices aimables , dont
Montefquieu & M. de Voltaire ont fi
bien connu le pouvoir & l'ont fi heureufement
employé.
Mais qui ne fera pas de l'avis du Récipiendaire
, lorfqu'il attribue à l'esclavage
& au defpotifme , qui furent les fruits
de la conquête , l'avilillement des efprits
& la décadence des Beaux Arts dans la
Grèce? « Ofons ( dit-il ) rejeter fur les
» ambitieux & les Conquérans le repro-
» che d'inſtabilité qu'on fait aux Lettres.
» Eh ! quel voyageur , en déplorant les
» ruines de la Campanie , peut accufer
la fragilité des anciens édifices , lorfe
» qu'il voit la bouche du Véſuve encore
» fumante , & qu'il ſent la terre trembler
» fous fes pas? 15
"
P
"
On voit que M. le Chevalier de Chatellux
obferve le principe dont nous pat
lions tout - à - l'heure d'orner la vérité des
parures de l'imagination ; & ce principe
114 MERCURE DE FRANCE.
"
»
ne peut être obfervé que par le talent .
L'Orateur explique très bien pourquoi
chez les Ro.nains , foumis au gouvernement
de l'Empereur Octave , les Lettres
Aleurirent au lieu de dégénérer . « Dans
» cette époque défaftreufe & brillante ,
» où la nature humaine exaltée & fortie ,
pour ainfi dire , de fon équilibre , parut
exagérer les vertus & les vices , pour
» laiffer à la postérité les plus pernicieux
» exemples & les plus beaux modèles ,
» Rome , toute dégouttante de fang, s'éle-
» vait aux honneurs de la Grèce ; & tandis
que fes Confuls portaient le fer &
» le feu dans l'antique féjour des Arts &
» des Lettres , de nouveaux Démosthè-
» nes fleuriffaient dans fes murs & dif
39
»
99
putaient aux Scipions la gloire d'im
» mortalifer leur Patrie. Mais obfervez ,
» Meffieurs , que fi dans ces tertibles con-
» vulfions qui précédèrent le règne d'Oc
tave , Rome fut fouvent opprimée
elle ne fut jamais humiliée . Ses entrail
les étaient déchirées ; mais fes bras
» étaient forts & redoutables . L'efprit de
» difcorde régnait au dedans ; l'efprit de
» conquête régnait au dehors , & les
» Beaux-Arts eux mêmes furent pour
elle une conquête. C'eſt une vérité qui
JUIN. 1775 . 115
nous eft familière , mais dont on ne
faurait être trop pénétré , fi l'on veut
» fe faire une idée de la littérature ancienne.
Non ; les Romains n'ont rien
» inventé , & peut-être même pourraiton
ajouter que s'il eft des genres qu'ils
sont perfectionnés , il en eft d'autres
"
"
où l'imitation même ne leur a pas
» réuffi . C'eft far- tout dans les Beaux-
30 Arts que leur infériorité eft reconnaiffable.
La mufique , la peinture , la fculpture
parurent parmi eux comme d'illuftres
étrangères , auxquelles on s'empreffa
de rendre hommage : mais leur
» fort fut femblable à celui de Cléopâtre
» & de Bérénice ; elles eurent du crédit
» fans pouvoir devenir citoyennes ; elles
furent aimées , mais elles ne régnèrent
» pas ».
C'est avec ces tournures délicates &
ces rapports ingénieux que l'on fe rend
propres des idées qui femblent apparteni
à tout le monde. L'Orateur , après avoir
fuivi les progrès du goût chez les Romains
& remarqué fes nuances nationales
, attribue fa décadence au defpotifme
féroce & capricieux des Succeffeurs d'Augufte
. " Bientôt au fardeau de l'oppref
fion fe joignit la honte d'obéir à un
116 MERCURE DE FRANCE.
» Empereur qui n'était pas né citoyen
de Rome. A la fuite de ces Princes
» étrangers , on vit venir des Provinces
» les plus éloignées une foule de nouveaux
Littérateurs , de nouveaux Philo,
fophes , fruits précoces des connaiſſan
37:
ces, qui s'était étendue avec les armes
» Romaines. La philofophie profita de
» leurs travaux ; mais le bon goût dut en
fouffric... La morale même influa fur
les lettres. L'efprit humain toujours
exagéré , toujours prêt à paffer d'une
» extrémité à l'autre , ne réprouva la lie
» cence des moeurs , devenue trop géné
» rale , que pour fe livrer à l'austérité
ftoïque. Cette auftérité pénétra dans le
langage & dans le ftyle. Le févère Dif
» ciple de Zénon crut devoir s'interdire
jufqu'au luxe des paroles . Ses penſées ,
toujours fortes , toujours énergiques ,
ne purent le prêter à des ornemens qui
les gênaient dans leur marche & les
empêchaient de fe preffer les unes fut
» les autres. Delà ce goût des fentences
» & des antithèfes ; delà ce changement
» dans le ftyle & dans la littérature , qui
» fe fit appercevoir long- temps avant que
» la tyrannie eût impofé filence aux Ecrivains,
& que l'invafion des Barbares
"
JUI N. 1775 . 117
eût détruit jufqu'à la trace de leurs
» ouvrages "..
M. le Chevalier de Chatellux paffe au
moment de la renaiffance des Lettres en
kalie. Il confidère d'abord la diſtance qui
Léparait les nouveaux Litterateurs des
anciens , diſtance d'autant plus difficile
» à franchir , qu'elle fe faifait fentir éga
» lement dans le langage & dans les
moeurs dans le langage , par le mélan
» ge des idiomes barbares avec les langues
» anciennes ; dans les moeurs , parce que
toutes les idées politiques & religieufes
» étaient changées , parce que l'efprit des
» Nations du Nord avoit influé & même
» prévalo fur celui des Nations du Midi,
❤ parce que toute légiflation étant anéantie
» ou avilie , les vertus & les vices avaient
» pris´un caractère ifolé & individuel ,
» que le courage n'était plus que de la
chevalerie , l'héroïsme que du roma
» nefque , l'amour que de la galanterie ,
» la religion même qu'un affemblage
» monſtrueux des dogmes les plus faints
» & dés pratiques les plus puériles & les
» plus ridicules ».
»
"
Deux fottes d'hommes luttèrent contre
tant d'obſtacles :
Les unis , pénétrés d'admiration pour
118 MERCURE DE FRANCE
"
» les Anciens , dont ils commençaient à
» entendre & à goûter les Ouvrages , fe
livrèrent tout entiers au defir de les
imiter , & non contens de s'être initiés
dans leur doctrine , ils voulurent encore
s'approprier leur langage. Tels fu-
» rent les Bembo , la Sadolel , les Vida ;
» les autres , plus attachés au goût natio
» nal , tournèrent tous leurs efforts vers fa
perfection , & ces efforts furent les plus
» heureux . Pétrarque fut revêtir d'un fi
» beau coloris , & les fentimens exagérés
» & fa fauſſe métaphyſique , qu'il obtine
le rare privilége de charmer avec des
» mots & de s'immortalifer par des fonnets.
Le Dante , penfeur plus profond ,
plus hardi , paraît ne confulter que fes
» propres forces . S'il élève , s'il anoblic
"
l'expreffion , c'eſt en élevant , c'eſt en
» anobliffant auffi la penfée ; il marche
» à pas de géant , mais fa marche eft in-
» certaine Il s'égare , il fe perd ; c'eſt un
» captif indigné de fa chaîne qui s'agite
» & la rompt d'un même effort : mais
qui , poffeffeur d'une liberté dont il
❤n'a pas prévu l'emploi , laiffe errer fes
» regards , court fans objet , & fuit fans
» chercher un afyle
"
99 13.
Après avoir caractériſé le Dante avec
JUIN. 1775 . 119
n
39
cette énergie , le Récipiendaire ajoute
très-judicieufement : « Lors même que
» l'Ariofte & le Taffe eurent élevé la
poësie Italienne au plus haut degré de
fplendeur , le goût national fe fit tou-
»jours fentir dans leurs immortels Ouvrages
, & décida même de leur fuccès.
» Je n'en veux pas d'autre preuve que la
préférence que les Italiens ont toujours
donnée aux poëfies de l'Ariofte ; ils y
» admirent en effet cette richelle & cette
" liberté d'imagination , qui n'appartient
qu'à leur climat , unie avec une facilité
» dans le ftyle , un charme dans la dic-
39 tion , dont ils connaiffent feuls tout le
prix ; tandis que les Etrangers retrou
vent dans le Taffe un goût plus fage,
» plus méthodique , qui tient auffi de
plus près à l'antiquité. Si depuis que
" ces deux Poëtes célèbres ont illuftré leur
patrie ; fi prefqu'auffi- tôt après que les
» Bocace , les Guichardin , les Machiavel
» eurent fait des efforts , peut être trop
» audacieux , pour égaler la profe italiens
» ne à la profe latine , le goût paraît avoir
» déchu dans cet antique féjour des fcien
» ces & des beaux - arts ; n'en accufons
encore que les défaftres publics , dont
les belles - lettres ne peuvent être ref
»
29
H
120 MERCURE DE FRANCE .
ponfables ; & lorfque dans un temps
plus heureux nous voyons fleurir les
Métaftafe , les Zéno , les Gravina , les
Mafféi , croyons qu'il ne fallait pas
moins qu'une longue fucceffion de
» guerres civiles , de tyrannie & d'anarchie
pour rendre inféconde une tetre
fi fertile par fa nature ».
Enfin l'Orateur jetre un coup d'oeil fur
le fiècle brillant de Louis XIV , & arrive
à cet heureux réſultar , qui paraît être lé
but général de fon difcours : « Alors lé
" goût national s'effaça & fit place au
» feul qu'on doive fuivre , celui qui ,
formé par la connaiffance de tous les
modèles & par l'étude de toutes les
» convenances , ne confulte que lui - même
» & ne doit rien ni aux lieux , ni aux
» temps ».
pas un
Dans la defcription du fiècle de Louis
XIV , nous n'omettrons un trait d'une
grande beauté für les Ouvrages de Cor
heille ; Ouvrages immortels où l'Auteur
paraît fi grand , fi fort dès fes premiers
effais , qu'on ne fonge pas a
chercher fes modèles. C'eſt le fleuve
majeftueux de l'Egypte ; le voyageur
» qui ne l'a jamais vu couler que dans
un fit immenfe , défefpère d'en trouver
>> les
JUIN. 1775 . 121
1
les fources , & doute même de leur
" existence ».
Cette comparaiſon eft fublime ; mais
le morceau qui fuit , fur la littérature
Anglaife , eft peut -être le mieux fait de
l'Ouvrage.
"
Tandis que la critique , dirigeant &
affermiffant nos jugemens , s'occupait
» moins à étendre l'eflor de l'efprit hu-
» main qu'à lui donner des lumières ;
» une autre littérature s'élevait chez un
Peuple voifin , devenu notre rival d
» tous égards. L'Anglais , féparé par les
mers du refte de l'Europe , n'en fut pas
» mois féparé par l'opinion . On eût dit
» que dans les révolutions de la terre , la
99
39
"
penſée avait choiſi ſon féjour chez ce
Peuple folitaire & méditatif, qui , fier
» de les propres forces & ennemi de toute
» efpèce de chaîne , ne voulut avoir ni
» maîtres , ni modèles . Ailleurs , les arts
» & les lettres , ſe préfentant avec tous
leurs charmés , ouvraient le chemin
» à la raiſon , qui marchait fur leurs tra-
» ces . Là , c'eſt la philofophie , qui , du
haut de fon trône , daigne appeler les
» lettres , & femble leur permettre de
» la distraire quelquefois. Chez les au-
» tres Nations , le langage , en fe perfec-
F
122 MERCURE DE FRANCE .
و د
"
و د
» tionnant , permit aux idées de s'étendre
» & de fe propager ; chez ce Peuple contemplateur
, les mots ne font
que les
» eſclaves & non le cortège des idées , &
» l'ame , toute entière à fon objet , ne
» confidère la parole que comme un fimple
interprète. Tel eft cependant le
pouvoir de la penfée , que , lorfqu'elle .
» eft grande & forte , elle fait tout plier.
» fous fes loix , jufqu'au langage & à la
» diction. Shakefpear & Milton n'eurent
qu'à commander , & la langue Anglai
fe , remplie de confonnes & de monofyllables
, & n'ayant pour lien qu'une
» fyntaxe incomplette & demi barbare ,
prit auffi- tôt une forme agréable & nou-
» velle . Devenue l'organe de l'imagination
, elle n'épouvanta plus les Grâces ;
» & bientôt , fous la plume des Pope , des
» Steel & des Addiffon , le goût acheva
» ce qu'avait commencé le génie. Mais
» ces progrès rapides & inefpérés n'effa-
» cèrent pas & n'effaceront jamais le goût
"
"
و د
و د
"
national. Il régnera fur tout dans les
Ouvrages dramatiques , parce que le
» Théâtre eft livré au Peuple qui peut y
» exercer d'une manière abfolue un pou-
» voir qu'il ne fait que partager ailleurs ;
ne pourrait- on pas même dire que le
JUIN. 1775.
123
goût des Anglais fera toujours mixte
» comme leur Gouvernement , démocra
tique au Théâtre & au Barreau , monarchique
dans les ouvrages de poëfie
» & de littérature ? ,,
"
"
»
Le Récipiendaire cite en l'honneur di
règne de Louis XV quelques - uns des
des talens qui l'ont illuftré ; « cet hom-
» me de génie ( 1 ) qui , après avoir enri-
» chi de fes découvertes la géométrie la
plus fublime , fut rendre à l'éloquence.
» ce qu'une fecte frivole voulait lui,
ôter , & prouver , par fes exemples ,
» que le bon goût eft inféparable du bon
» efprit.. Le rival ( 1 ) de Virgile & fon
» imitateur ( 3 ) . ... Et fur - tout cet hom-
» me étonnant ( 4) qui naquit dans le
"
fiècle paffé pour illuftrer le fiècle pré-
» fent. Appelé , invité par tous les tas
» lens , il ne négligea rien pour répondre
» aux faveurs de la Nature . Enfant de
l'harmonie , il voulut que la lyre qui ,
» dans les mains d'Amphion , avait ſuffi
» pour élever les murs de Thèbes , fer-
199
(1) M. d'Alembert .
(2 ) L'Auteur des Saifons.
(3 ) Le Traducteur des Géorgiques.
(4) M. de Voltaire.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
» vit , dans les fiennes , à reconſtruire le
» vafte édifice des connaiffances humai-
" nes. Le Théâtre , l'Hiftoire & l'Epopée
» offrirent déformais une inftruction auffi
» chère à l'efprit que flatteufe à l'oreille ;
& la philofophie , parée de nouveaux
attraits , devint une dixième mufe
»
M. le Chevalier de Chatellux paye un
tribut d'éloges à la mémoire des deux
auguftes protecteurs de l'Académie , Louis
XIV & Louis XV , & à la jeuneſſe de
leur Succeffeur , qui femble nous promettre
de les furpaffer dans l'art de rendre
fes peuples heureux. Il finit par jeter
quelques fleurs fur la cendre de l'Acadé
micien vraiment eftimable , dont il occupe
la place à l'Académie . On peut
compter M. de Châteaubrun parmi les
Ecrivains qui ont compofé dans la littérature
ce qu'on appelle l'école de Racine ,
tels que l'Auteur d'Andronic & de Tiri
date , celui d'Abfalon , celui de Manlius ,
qui fans doute font fort loin de leur mai
tre , pour l'éloquence des paffions & la
magie du ftyle : mais qui du moins , dans
ceux de leurs Ouvrages qui font restés ,
ont de l'intérêt , du naturel , & quelque
pureté dans la diction. La Tragédie des
Troyennes eft de ce genre ; elle est écrite
JUIN. 1775 . 125
faiblement , & l'ordonnance en eft défectueufe
; mais il y a des fituations attendriffantes
, une fimplicité douce dans
le ftyle , & des traits de fenfibilité. On y
reconnaît un difciple de Racine & des
Grecs , & en général , un genre de compofition
infiniment fupérieur à ces décla
mations abfurdes en ftyle ridicule , em.
poulé & barbare , que le Parterre , averti
par l'ennui , condamne le premier jour ,
& qui enfuite , grâce à une tolérance
áchetée par des moyens dont perfonne
n'eft dupe , déshonorent la fcène françaiſe
pendant quelques femaines , pour
tomber enfuite dans l'inévitable gouffre
de l'oubli.
❤
ןכ
« Dès ma plus tendre jeuneffe , die
M. le Chevalier de Chatellux , j'enten
dis avec raviffement la première des
Tragédies de M. de Châteaubrun ( les
» Troyennes ) ; je me crus tranfporté dans
» un monde inconnu , & oubliant l'appa
» reil du Théâtre , je me vis tout- à- coup
» au milieu de Troye embrâfée . Bientôt
st après je reconnus M. de Châteaubrun ,
» ou plutôt Sophocle lui même dans le
» Philoctère mais je ne reconnus pas
» L'amour , quand je le retrouvai dans
» l'Ifle de Lemnos , mêlant fes flèches lé-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE,
gères aux flèches empoifonnées d'Al-
» cide » .
On ne peut donner à une critique jufte
& fondée une tournure pius fine & plus
gracieufe. Il eft certain que M. de Châteaubrun
a affaibli par une intrigue
d'amour affez froide le chef- d'oeuvre de
l'éloquence dramatique chez les anciens ,
& fans contredit le drame le plus parfait
qu'il nous ayent
laiffé .
En général , le Difcours de M. le
Chevalier de Chatellux eft , comme on
l'a vu , plein d'efprit , d'idées & d'imagi
nation dans le ftyle . On voudrait peutêtre
y fupprimer quelques expreffions
quelques tournures , d'un ton moins no
ble que le refte , & la marche de l'Ouvrage
pouvait être plus méthodique &
plus fentie.
M. le Comte de Buffon , Directeur de
l'Académie , a répondu au Récipiendaire,
On a reconnu l'éloquent Hiftorien de la
Nature , lorfqu'en parlant de l'abus de la
louange , il a peint la Vérité « portant
» d'une main l'éponge de l'oubli , & de
» l'autre le burin de la gloire , effaçant
» fous nos yeux les caractères de preſtige ,
» & gravant pour la poftérité les feuls
traits qu'elle doit confacrer ».
JUIN. 1775 . 127
Le Directeur rappelle les titres litté
raires & perfonnels du Récipiendaire . Il
ajoute quelques traits à l'éloge de M. de
Châteaubrun . La crainte de donner trop
d'étendue à cet article nous empêche de
nous arrêter fur cette réponſe , autant que
le Lecteur pourrait le defirer & que nous
le voudrions nous - mêmes. Nous nous
bornerons à citer un morceau plein d'une
fimplicité noble , qui montre comme il
faut louer les Rois.
"
r
L'éloge d'un Souverain fera fuffifam ..
» ment grand , quoique fimple , fi l'on
» peut prononcer comme une vérité re-
» connue Notre Roi veut le bien , &
» defire d'être aimé ; la toute puiffance ,
>> compagne de fa volonté , ne fe déploye
que pour augmenter le bonheur de fes
Peuples . Dans l'âge de la diflipation ,
il s'occupe avec affiduité. Son application
aux affaires annonce l'ordre & la
règle. L'attention férieufe de l'efprit ,
qualité fi rare dans la jeuneſſe , ſemble
» être un don de naiffance qu'il a reçu de
» fon augufte père ; & la juftefle de fon dif
» cernement n'eft - elle pas démontrée par
les faits? Il a choifi pour co- opérateur le
plus ancien , le plus vertueux & le plus
» éclairé de fes hommes d'Etat ; grand
"
»
"
Fiv
#28 MERCURE DE FRANCE.
Miniftre , éprouvé par les revers , dont
l'ame pure & ferme ne s'eft pas plus
affaiffée fous la difgrâce qu'enflée par
la faveur. Mon coeur palpite au nom
» du créateur de mes ouvrages , & ne fe
»
calme que par le fentiment du repos
» le plus doux ; c'eft que , comblé de
gloire , il eft au deffus de mes éloges ».
·
Eloge de Louis le Bien Aimé , lu à la
féance publique de l'Académie des
Sciences , Belles Lettres & Arts de
Befançon , tenue à la fin du deuil. Pag
M. l'Abbé Talbert , l'un des Membres
de cette Académie , Chanoine de l'il
luftre Eglife Métropolitaine de Befançon
. A Besançon , chez Fantet ,
Libraire.
L'Académie de Befançon a choifi M.
l'Abbé Talbert pour être l'interprète de
fa reconnaiffance envers la mémoire de
Louis XV , qui donna en 1752 des Lettres,
Patentes pour l'établiffement de cette
Académie , en lui accordant la plupart
des priviléges de l'Académie Françaiſe.
De tous les Panégyriques de Louis
XV , dont les Chaires & les Académies
ont retenti depuis la mort de ce Monar
JUIN. 1775.
que ,
blé fi
il n'en eft aucun où l'on ait tallemfcrupuleufement
tous les faits dignes
de remarque que l'on peut recueillir
dans un f long règne . Cet Eloge eft le
plus hiftorique de tous; c'eft là ce qui le
caractérife. Ce caractère le retrouve auffi
dans les notes,qui font inftructives.Com
me on a déjà très fouvent entretenu le
Public de ce fujet , nous nous contenterons
de citer deux ou trois paffages , qui
nous ont paru les meilleurs du Difcours ,
& qui donneront une idée de la manière
d'écrire de l'Auteur. Le premier regarde
la Régence du Duc d'Orléans.
رد
" Intrépide dans le ministère comme à
» la guerre , & fouffrant la calomnie avec
» le mépris d'un homme fupérieur au
foupçon , il diffipe les factions en fe
» jouant , les réprime bien plus qu'il ne
» les châtie , s'affermit fans cruauté , &
» dédaigne la vengeance . Lion fier &
» généreux , qui écarte fans colère tout
» ce qui n'eft pas digne de l'effrayer;
» Henri IV , dont il defcend , reconnaî-
"
trait en lui fon génie , fa bravoure , fes
» goûts & fon humanité . Il voudrait
» étendre à la fois le domaine des beaux ,
-» arts & celui des plaifirs ; fes taleos , fes
vertus , les défauts participent égale,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
» ment à l'activité de fon ame. On le
» voit obéir à ſes paffions & commander
» à tout le refte , ferrer le frein impofé à
» l'Europe , changer le plan de la politi-
» que , & prévenir la guerre en la décla-
» Fant " .
On voit que l'Auteur penfe mieux
qu'il n'écrit , qu'il cherche la précifion &
l'énergie , & manque fouvent de justelle
& d'elégance. Le mot d'effrayer eft mak
employé en parlant du lion que tien ne
doit effrayer ; participer n'eft guères noble
, & fur tout n'eft pas le mot propre
dans la place où l'Auteur l'a mis ; ferrer
le frein n'eft pas plus élégant.
Les mêmes défauts fe rencontrent dans
le morceau fuivant , mêlés avec quelques
beautés . Il s'agit du paffage des Alpes qui
a immortalité les Troupes Françaiſes ,
& le génie du Prince qui les commandait.
« Une armée paffe en Italie pour affu-
» rer l'apanage de Dom Philippe , à qui
» Louis donne bien plus encore en lui
» accordant le Prince de Conti. C'eft fous
» fes ordres que des prodiges d'audace
» furmontent ces énormes remparts élevés
jufqu'aux cieux par la nature , & forti
fiés par toutes les reffources de l'art.
>>
JUIN. 1775 . 131
Conti porte le tonnerre fur ces fom-
» mets glacés , & renverſe tout ce qui'
femblait inacceffible. Ni les précipices ,
» ni les torrens , ni les hauteurs escarpées ,
» ni les Troupes aguerries , ni les em
» buches multipliées , ni la préfence du
» valeureux Guerrier des Alpes , ne dé-
» tournèrent le vol de cet aigle qui faific
» fa proie au plus haut des monts , la
froiffe , l'écrafe contre les rochers . En
» vain Mantalban , Villefranche , Châ-
» teau Dauphin fe flattent d'être la digue
» de l'incroyable impétuofité des Français ;
ןכ
»
tout cède à l'opiniâtreté de leur cou-
» rage. Mais ces prodiges de valeur ne
font que le prélude de la victoire qui
» les attend fous les murs de Coni , C'eſt
» alors qu'aux yeux de l'Italie un nouvel
" Annibal defcend des Alpes pour gagner
» des batailles , avec la différence que le
» Héros Carthaginois n'eut à vaincre que ,
» la nature pour s'ouvrir une route qui ne
» lui fut pas difputée »19.
L'image de l'aigle eft belle , quoiqu'elle
ait été fouvent employée . Mais des prodiges
ne furmontent point des rochers ,
& des villes qui fe flattent d'être la digue
de l'impétuofité ne forment pas une phrafe
élégante .
Fvj
13.2 MERCURE DE FRANCE.
2:
En général , l'Ouvrage eft d'un homme
d'efprit & d'un homme de lettres. On
ne peut que l'exhorter à s'occuper davantage
de la propriété des termes & des
règles du bon goût . On trouve en ouvrant
le livre , un coup fubtil & terrafant qui
a frappé le chef de la vafle famille de
' Etat . Il est évident qu'un coup qui a
terraffé a fait plus que defrapper , & qu'il
ne faut pas mettre l'expreffion faible après.
l'expreffion forte . Unefamille eft immen.
fe , & n'eft jamais vafte. C'eft en accumu
lant fans attention ces fortes de fautes
que, même avec du talent , on parvient
à corrompre fon ftyle , & qu'on rebute le
Lecteur éclairé. A la page fuivante , l'Auteur
parle encore d'une bonté vafte , qui,
n'eft pas meilleure qu'une famille vaste..
Il nous peint Louis XV qui s'élançait du
berceau fur le Trône , quoiqu'il foit difficile
de s'elanger de fon berceau. Lorſque
le Gouvernement indécis &flottant eut pour
ainfi dire ceffé d'être à plomb. Pour ainfi
dire ne juftifie pas ce qu'on n'a jamais dû
dire ; & qu'est- ce qu'un Gouvernement
qui n'eft pas à plomb ? Qu'est- ce que des
maux accumulés lentement , & pour ainfi
dire par couches , qui doivent disparaître
de même? Non- feulement la diction eft
JUI N. 1775 . 133.
mauvaiſe ; mais où eft le fens ? Que fignifie
difparaître par couches ? Que fignifie
ce que l'Auteur dit ailleurs en parlant
de Montefquieu , que fous les ailes de fon
génie un effaim nouveau s'eft raffemblé ,
&
prenant leffor à fa voix , a répandu par
degrés cet efprit de difcuffion & de vérité ,
&c.?Comment en prenant l'effor , répandon
l'efprit de difcuffion ? Comment affemble
t- on des idées & des images fi difparates
? Au furplus , fi l'on s'eft permis
ces critiques fur l'ouvrage de M. l'Abbé
Talbert , c'eft que les morceaux que nous
avons cités & plufieurs autres , annoncent
qu'il eft en état de mieux faire , s'il écrit
avec plus de réflexion & s'il confulte de
meilleurs modèles .
Monfieur Caffandre , ou les effets de l'amour
& du vert de gris , Drame en deux actes
& en vers , dédié à Madame la Marquife
de *** ; par M. Doucet , de
plufieurs Académies ; feconde édition ,
revue , corrigée & augmentée , & enrichie
d'eftampes. Prix 1 liv . 10 f. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris chez-
Gueffier , Imprimeur- Libraire , au bas
de la rue de la Harpe.
La première édition de cette plaifan134
MERCURE DE FRANCE.
›
terie a été enlevée avant que nous ayons
eu le temps d'en rendre compte . C'eſt
une critique très gaie des mauvais Drames
dont nous fommes inondés des
affertions extravagantes des dramaturgest
Jombres & moraux , qui prétendent , être
beaucoup plus utiles à la République des
Lettres & à l'Etat , que les Auteurs de
Phèdre , de Cinna , de Mahomet , & faire
difparaître bientôt tous les chefs d'oeuvre
de notre fcène devant le Drame honnête
& bourgeois ; de l'interponctuation exagérée
, & de la pantomime ridicule dont
ces Drames font furchargés ; des déclamations
ténébreufes & vuides de fens ,
dont ils font remplis ; des préfaces , épîtres
dédicatoires , difcours préliminaires ,
avis au Lecteur , & c. où les Auteurs avertiffent
du degré d'admiration qui leur eſt
dû , & difcourent de leur mérite par
fommaires & par fections, Tous ces travers
de nos jours fe trouvent préfentés
fous une forme très plaifante dans M.
Caffandre & dans les morceaux qui l'accompagnent.
Il a , tout comme un autre ,
l'épître dédicatoire , la préface , le difcours
préliminaire , l'avertiffement , l'avis au
Lecteur , & le catalogue des Ouvrages
fous preffe qui fe vendent chez le même
·
JUI N. 1775 . 135
Libraire , toutes grandes reflources , non
pas de talens , il eft vrai , mais de commerce
, qui , avec la grande marge , les
gros caractères & les grands interlignes ,
font un volume de la plus mince brochure
, & toujours pour la postérité.
L'Auteur imite très adroitement , dans
fa profe , l'importance , l'affectation & le
galimathias , fi fort à la mode dans les
préfaces de nos brochures nouvelles , &
il en emprunte fouvent les expreffions.
« Pénétré d'admiration pour la chaleur
» avec laquelle vous donnez dans le fombre
, je ne puis choifir de plus heureux
aufpices que les vôtres pour faire pa-
» raître M. Caffandre .... Vous m'avez
rafluré contre les clamears de mes ri-
» vaux fitôt que je vous vis laver mės
» tableaux des larmes du fentiment ; je
» m'écriai , dans l'enthoufiafme. que don-
» ne un fuffrage tel que le vôtre : Que
» peuvent faire mes ennemis ? J'ai pour
» moi Clorinde . Car vous m'avez permis
» de vous appeler de ce nom dans les
petits vers que j'ai eu l'honneur de
» vous préfenter en différentes occafions ,
» & c. »
Voici maintenant comme il débute
dans la préface :
136 MERCURE DE FRANCE.
« Cette pièce n'eſt point imitée de
l'Anglais ; mais fi elle n'a pas cet avan
elle a du moins celui de m'avoir
» été indiquée par un Anglais , amateur
« du Drame , & qui avait fur ce genre
» des idées profondes . Tout ce qu'il a
» tage ,
ל כ
fait dans la vie s'en reflentait ; il a
» même fini par fe caffer la tête l'été der-
» nier ; fans celail eût été loin . Je regrette
>> fort cet honnête homme : mais puif-
"
·qu'il avait à moutir cette année , je fuis
» charmé que ce foit de la manière qu'il
» a choifie. Cela m'a fourni un ſujet fort
intéreffant que j'exécute en Drame , &
» qui fera fini dans deux mois. Puifque
» j'avoue que je n'ai pas le mérite d'avoir
» trouvé moi- même le fujet de M. Caf-
» fandre , il doit m'être permis de dire
tout le bien que j'en penfe. Je n'avan
» cerai rien de trop , quand je dirai que
» ni chez les Grecs , ni chez les Anglais ,
» on ne trouve rien qui approche du pathétique
, du fombre , du terrible , da
profond , de l'effrayant , du tendre , de
l'épouvantable , qui fe trouvent raſſem-
» blés dans ce Roman »..
39
Il expofe le fujet de fa pièce , & il
ajoute :
"
« Malheur à l'homme infenfible qui
JUIN. 1775. 137
22
33
-ne fera pas faifi d'horreur à la fimple
expofition que je viens de faire ! Qu'il
ferme là le livre , fans perdre fon
temps à lire cette Tragedie : il la par
» courrait les yeux fecs. Son âne: étroite
» & maigre n'eſt pas faite pour fentir les
impreffions profondes . Sa vue n'eſt pas
faite pour les traits mâles & vigoureux ,
» pour les tableaux terribles & fombres
» de la vie humaine . Loin de lui , loin
de fes faibles yeux les peintures de
» Rembrant & de le Brun . Ils ne fauraient
» tien diftinguer dans les horreurs d'une
» nuit profonde . Ils fe ferment à moitié
» devant les feux ardens des paſſions , &
ne font pas capables de les fixer »>.
N'eft- ce pas là parfaitement le ton emphatique
& le ftyle infenfé de nos déclamateurs
, qui s'indignent toujours le
plus férieufement du monde contre quiconque
n'aura pas de leurs Drames & de
leurs préfaces la haute opinion qu'ils annoncent
eux--mêmes ?
23
Quant au ftyle , fi je n'y ai pas ré-
» pandu ce coloris brillant , cette chaleur
d'idées , & cette fraîcheur d'expreffions ,
» cette touche légère & fine , qui caracté
» rifent plufieurs des Ecrivains illuftres
de ce fiècle , lefquels font en poffeffion
138 MERCURE DE FRANCE.
X
» de cette couleur de rofe morte fur un
fond gris de lin , j'ai tâché du moins de
» le rendre correct , & de parler le lan-
» gage brûlant des paffions ».
Ne retrouve t - on pas ici toutes les
belles expreffions qui reviennent fans
ceffe dans les feuilles & les almanachs ,
pour louer les Ecrivains ridicules , toujours
néceffairement amis des faifeurs de
feuilles & d'almanachs ?
Dans le difcours préliminaire , l'Auteur
fe moque avec beaucoup de fineſſe
& de gaîté de l'importance que quelques
têtes froidement exaltées voudraient attacher
au Drame , & de leurs héréfies
littéraires. Nous en citerons quelques
paffages.
« On exécute publiquement les crimi-
» nels pour effrayer le peuple par leur
» fupplice. Que n'ouvre- t-on des Théâ-
» tres où le peuple puiffe aller voir des
» fcènes terribles , où l'on repréſente Bi-
» cêtre , l'Hôpital , la Grève , la Concier
"
gerie , & c. comme l'a propofé M.
» M *** , & l'on n'entendra plus parler
» de ces crimes qui révoltent continuel-
» lement. Ce que je vais dire excitera
» fans doute le rire des plaifans agréa
» bles : mais il n'importe ; j'ai le noble
JUIN. 1775 . 139
es
"
» courage que donne la vérité. Je main-
» tiens donc que quatre Poëtes dramatiques
bien fombres feront mille fois
plus d'effets que les quarante - huit
Commiffaires de Paris & que tous les
" Exempts de la Police ; & file Gouver-
" nement voulait fupprimer toutes ces
Charges qui deviendraient inutiles , &
»
donner feulement le quart de leurs bé-
» néfices à ces quatre Poëtes , qui s'en-
» gageraient à fournir par an chacun deux
» Drames , & qui ferviraient par quar-
» tier , la Ville ferait beaucoup plus en
» fûreté . J'ai là deffus un Mémoire inf-
» tructif & détaillé , que je compte avoir
» l'honneur de préfenter inceffamment
» au Roi . Si les Drames font d'une uti-
» lité fi grande , il faut convenir auffi
qu'ils ont des difficultés fans nombre
» & ne peut pas faire des Drames qui
» veut. Il faut , entre autres chofes , avoir
» un faire à foi , ce faire fi recommandé
depuis quelques années , ce faire que
poffédaient Racine & Molière fans
s'en être jamais doutés , ce faire qu'on
peut mieux fentir que définir , ce faire
» qui eft la plus belle chofe du monde.
Quelques gens pufillanimes vont me
» demander s'il faut écrire les Drames
"
"
وو
મ
140 MERCURE DE FRANCE.
"
»
" en profe où en vers . Si l'on m'en croit,
ce fera en profe. Loin de nous ces
temps de barbarie où l'on difait for
» tement que les Poëmes fe doivent
écrire en vers , & que ceux qui les fai-
» faient en profe avaient apparemment
» fenti l'impuiffance de faire autrement .
C'eft de la profe qu'il nous faut . Que
» l'on écrive en vers des madrigaux , des
bouquets , des ftances au bas des
por
traits , & des épîtres à Cloris ; à la
bonne heure : mais les grands objets
doivent être traités en profe. Je fou
tiens , avec beaucoup de beaux efprits ,
qu'il faut être bien plus Poëte pour
» écrire en profe que pour écrire en vers.
Ainfi les Drames de toute efpèce feront
» en profe , les Tragédies en profe , les
Comédies en profe , les Poëmes épi-
» ques en profe. Je crois bien que Racine
& Molière auraient été capables
» d'écrire en profe leurs Ouvrages ; mais
c'eft par complaifance pour leur fiècle
qu'ils ont fait des vers , comme c'eſt
par un refte de faibleffe pour le mien
que j'ai écrit M. Caffandre en vers.
Je déclare que c'eft la dernière fois , &
que tous les Ouvrages dramatiques que
j'ai actuellement fous preffe font tous
JUI N. 1775. 141
» en profe , ainsi que le feront tous ceux
que je ferai dans la fuite ».
A l'égard des vers d'emprunt dont
l'Auteur a enrichi le ridicule de fon
Drame , il ſe juſtifie de ce larcin par une
tournure très- ingénieufe dans un Avis au
Lecteur , qui doit lui concilier la bienveillance
de tous les Auteurs qu'il a miş
à contribution ,
39
8
་
Je dois prévenir mes Lecteurs d'une
liberté que je me fuis permife. A la
première lecture que je fis de M. Caf-
» fandre , tout le monde obferva qu'il y
» avait des vers qui fe trouvaient déjà
dans plufieurs Ouvrages connus . Ma
» grande mémoire & la pleine connaiffance
que j'ai de nos Auteurs les plus
» célèbres , ou plutôt la beauté de ces vers
qui frappent tellement l'efprit , qu'ils
» s'y gravent fur le champ fans pouvoir
s'en effacer , me les firent écrire invo-
» lontairement , en les croyant de moi ,
La remarque que l'on m'en fit faite me
» mortifia d'abord ; mais enfin je pris
» mon parti , & je vis que je ne pouvais
» retrancher ces vers fans ôter beaucoup
de grâce & d'énergie à mon Ouvrage.
» En conféquence je me fuis décidé à les
» laiffer, & à prévenir le Lecteur par des
מ
2
442 MERCURE DE FRANCE .
» notes , des endroits d'où je les ai pris ,
» & cela pour aller au - devant des accufa
» tions de plagiat ».
Si l'on fait quelques reproches à l'Auteur
, ce ne fera pas de s'être permis ces
fortes de larcins , dont il fait toujours un
ufage très heureux , c'eft de ne les avoir
pas affez multipliés . Son Ouvrage , en
forme de centon , aurait été beaucoup
plus plaifant , & l'on aurait eu le plaifir
de voir raffembler en peu d'efpace une
partie de nos richeffes littéraires . Ce
n'était pas une befogue très difficile. Les
fonds ne manquaient pas pour ce travail .
Il y a plus d'un Auteur , parmi ceux qui
ont une forte de réputation dans les Provinces
& dans quelques cotteries de Paris
, dont on pourrait tirer un volume
entier de profe & de vers , beaucoup
plus ridicules que tout ce que Molière &
Boileau ont ridiculifé dans le fiècle dernier.
L'Auteur rend compte lui - même dans
fa préface du fujet de fon Drame. M.
Callandre amoureux de fa fervante Jacqueline
, & jaloux d'un rival qu'il ne
connaît pas , empoifonne ce rival dans
une taupette de ratafiat qu'il a vue dans
la chambre de Jacqueline , & dans la
JUIN. 1775• 143
*
quelle il met du vert - de- gris . Ce rival
eft fon propre fils , qui allait la nuit
même époufer Jacqueline en fecret . M.
Caflandre eft mis en prifon ; il s'empoifonne
lui- même avec une bouteille de
vin , dans laquelle il a jeté le refte de
fon vert- de gris ; le Géolier & fon fils ,
qui avaient échappé au premier empoifonnement
, boivent auffi de cette bouteille
par mégarde , & meurent avec M.
Caffandre ; ils tombent tous enſemble
fur Madame Caffandre , qui meurt étouffés
, genre de mort abſolument neuf au
Théâtre , comme le dit très bien l'Auteur
, en ajoutant qu'il a encore inventé
quinze autres genres de mort tout auffi
nouveaux , qu'il promet d'employer dans
fes Drames .
A l'égard de fon dialogue on y trouve
de la gaîté & des vers d'une tournure
très-plaifante . Nous allons citer un fonge
de M. Caffandre , où il femble que l'Auteur
fe foit rendu propre le fatras inintelligible
qu'on appelle aujourd'hui coloris
, fublime , génie , & c .
Je rêvais qu'égaré fous des voûtes profondes ,
Dont l'immenfe étendue embraflait les deux mondes
,
144 MERCURE DE FRANCE.
Je ne pouvais fortir de cet affreux ſéjour ,
Ou par aucun endroit ne pénétrait le jour.
Des spectres près de moi ſe traînaient avec peine ,
Pouflant des hurlemens & fecouant leur chaîne ;
Une infecte vapeur me faififfait le nez ;
La terre s'écroulait fous mes pas étonnés ;
J'entendais des ferpens qui me foufflaient leur
rage ,
Et des chauve -fouris me frifaient le vifage.
LÉ ANDRE , avec effroi.
Dieu ! des chauve-fouris !
M. CASSANDRE.
Laifle-moi donc parler.
Je n'ofais avancer , je n'ofais reculer ;
Car , comme je t'ai dit , je ne voyais plus goutte.
Alors de cris d'horreur je fais mugir la voûte.
Tour à coup , qui l'eût dit ? de funèbres flambeaux
Jettent leur fombre éclat fur de vaftes tombeaux ,
Découvrant à mes yeux des chofes plus terribles
Que ce que j'entendais : des fquélettes horribles
Embarraffaient mes pas : à l'aide de ces feux
J'entrevois des rochers dans un lointain affreux.
Jepars , j'erre en ces rocs , dont par tout fehériffe
Une chaîne de monts qu'il faut que jegravifle :
Mais qu'y vois je , grand Dieu ! quel spectacle
d'horreur !
Un
JUI N. 1775: 145
Un jeune homme dont l'air annonçait la candeur ,
Défait , râle , appuyé fur les bras de ſa femme .
Mais ce qui déchirait encore plus mon âme ,
Il avait tous tes traits ; il avait à la fois
Tonâge , ton maintien , juſqu'à ton (on de voix .
Mais voici le plus fort : je frémis à le dire .
Je tombefur mafemme & l'étouffe ; elle expire.
Je tourne alors vers lui mes triftes yeux ; la mort
Terminait fon deftin : je crois le voir encor.
Il élévait vers moi ſa main appelantie ;
Ainfique lui , la femme était prefque fans vie.
Il me montre les coups , fon fang , ma femme ,
ciel!
Ses mains tiennent encor le breuvage mortel.
L'Univers eft contraint de permettre un tel crime ;
Et la Mortlefaifit , admirant (a vištime.
On voit que les vers d'emprunt , mar
qués en italique , paraient très- naturellement
amenés , & ne forment point de
difparate avec ce qui précède.
Voici une apostrophe de M. Caflandre
à fon bonnet de nuit & à fa perruque ,
qui font très - bien tournés dans le genre
héroï comique.
Miniftre du fommeil , ômeuble antique & cher !
Quedes fleurs de l'amour j'ai vu jadis couvert
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Toi qu'ornaient tant de mains de blondes ou de
brunes ,
Toi qui fus le témoin de mes bonnes fortunes ,
Tu ne le feras plus déformais que des pleurs ,
Que fur mon traverfin font couler mes douleurs.
( Il óte fa perruque avec des mains tremblantes
, & dit en la regardant avec des
yeux remplis de larmes ).
De mes cheveux perdus , image ingénieuſe ,
Haraucour te forma : la main induſtrieuſe
En vain me fait paraître & moins trifte & moins
vieux ;
Vas , tufais fur mon front un mensonge orgueilleux,
"
L'Auteur met en note : « Haraucour
» eft le nom de celui qui fait les perru
» ques de l'Auteur , qui faifit avec plai-
» fir cette occafion de louer fon Perru-
» quier fur fes talens , & fur-tout de ce
» que , dans fa jeuneffe , il a mieux aimé
fe livrer à la perruque qu'à la poëſie ,
chofe fort rare dans ce fiècle - ci . On
» ne lui a même jamais adreffé un feul
» vers, avantage que n'a pas le Perruquier
» de M. l'Abbé Aubert » .
2
En général , cette pièce est un genre
JUIN. 1775. 147
de fatire le moins amer & le plus innocent
de tous. C'eft l'amuſement d'un
homme qui joint beaucoup de gaîté &
beaucoup d'efprit , & qui fe croit permis
de rire du mauvais goût. On fent bien
que fes plaifanteries fur le Drame , ne
tombent pas fur le genre même , qui ,
comme tous les autres , eft bon quand il
eſt bien traité , mais fur l'abus qu'on en,
fait & qui eft fi facile & fi commun .
Théâtre de Campagne , par l'Auteur des
Proverbes Dramatiques , 4 vol . in - 8 ° .
prix 15 liv. br. A Paris , chez Ruault ,
Libr. rue de la Harpe.
Ce recueil offre un grand nombre de
petites comédies , très propres à faire les
amuſemens de la campagne , comme à
développer & à former les talens des
jeunes perfonnes . L'Auteur a beaucoup
varié fes fujets , les perfonnages , & les
caractères. Il y a plufieurs de ces drames
qui réuffiroient fur les Théâtres publics ;
& nous croyons qu'entr'autres l'Entété y
feroit plaifir. Voici une efquifle de cette
comédie , qui eft en deux actes & en
profe.
Mademoiſelle de Saint-Evre & le Che
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
valier de Murci s'aiment en fecret
craignant que leurs parens ne mettent un
obftacle à leur union ; le Chevalier annonce
avec tranfport que fon père approuve
fon choix ; il veut déclarer fon
amour au Baron de Saint Evre , père de
fon amante mais il eft arrêté par Mlle
de Saint- Evre qui ne veut confier de fi
chers intérêts qu'à la Comteffe de Rifiere
fa tante . Elle défend fur-tout au Cheva❤
Jier d'employer le Marquis de Durmont,
homme entêté & fort prévenu , qui pour.
roit contrarier fon père . Ce Marquis développe
fon caractère en ne voulant pas
facrifier fon opinion aux chofes même
les plus évidentes. Il aime la Comtefle
dont il foutient qu'il n'eft pas aimé fincèrement
, parce qu'il lui a vu jouer la
paffion avec trop de vérité dans une comédie
. Il veut payer par entêtement quatre
cents mille francs une Terre que le Baron
ne veut lui vendre que cent mille écus ;
& , par une fuite de fon entêtement , il
fe propofe pour l'époux de Mlle de Saint-
Evre , fille du Baron , ce qui inquiète
d'autant plus le Chevalier, que le père
accepte fa propofition . Cependant la Com.
reffe , foeur du Baron , arrive ; elle eft fol-
Licitée par les jeunes amans de favorifer
JUIN. 1775. 149
leur inclination ; elle eft elle même défef
pérée du changement du Marquis . Celuici
eft irréfolu quand il voit la Comteffe ,
& qu'il entend parle de fa tendre inquiétude.
Cependant fon obftination l'emporte
fur fon amour ; il perfifte à vouloir
époufer Mlle de Saint- Evre : mais le Baron
lui dit que fa fille préfère le Chevalier
, & qu'il approuve une inclination
auffi bien affortie. Le Marquis foutient
toujours que cela ne peut pas être , qu'il.
eft aimé de Mlle de Saint -Evre , & que
la Comteffe aime le Chevalier. Il révolte
tout le monde par fes vifions ; fon emportement
va jufqu'à demander fatisfac
tion au Chevalier. La Comteffe a une
explication avec le Marquis ; elle ne peut
le diffuader , & fort très - irritée de fon
aveugle opiniâtreté . Dupré , fon valet ,
ne veut plus être à fon fervice , parce
qu'il lui nie toujours l'évidence .
Dans cet abandon de fa maîtreffe , de
fes amis , de fon valet , le Marquis commence
à faire réflexion qu'il faut quelquelquefois
fe plier au fentiment des
autres. L'amour le ramène aux piés de
la Comteffe : il convient de fes torts ; il
figne le contrat de mariage des amans . Il
le reconcilie avec fa maîtreffe ; mais au
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
>
moment d'obtenir fon pardon , fon entêtement
à foutenir qu'il avoit raiſon
détermine enfin la Comteffe à craindre
fon caractère incorrigible & à renoncer à
Jui .
Théâtre de Shakespeare , dédié au Roi.
>
Le profpectus très - répandu de cet
Ouvrage fait connoître les talens & les
foins des Traducteurs du Poëte Anglois
, qu'ils fe propofent de naturalifer
parmi nous : « Avec la jufte ambition ,
» difent ils , de plaire à notre Nation
» dont Shakeſpeare va parler la langue ,
» nous l'avons traduit , pour ainsi dire ,
» en préfence des Anglois : toujours nous
les avons appelés & confultés en idée
» fur la penfée , le fentiment & l'expref-
» fion de leur Poëte ; & nous n'avons
» ceflé de lutter contre la difficulté qu'après
» avoir en quelque forte reçu leur ré-
» ponfe , qu'elle leur paroiffoit vaincue » .
Le premier volume , orné du portrait
de ce grand homme , contiendra , avec
ce qu'il y a d'intéreffant fur l'Auteur ou
fur fes Ouvrages , dans les Préfaces an
gloifes , la Tragédie d'Othello . Le fecond ,
La Pièce de Jules Céfar & la Tempête. Les
JUI N. 1775 .
autres volumes fe fuivront plus rapidement.
Le Théâtre de Shakeſpeare eft
traduit en entier : mais nous mettons , difent
les Editeurs , à le retoucher plus de
temps qu'on n'en emploie ordinairement
traduire.
Nous veillerons avec foin fur l'exécution
Typographique ; fon plus grand luxe
doit être ici fon exactitude.
Chaque volume in 8 ° . fera des livres
pour ceux qui n'auront pas foufcrit ; de 4
liv. pour les Soufcripteurs , à qui nous
ne demandons d'autres avances , que leur
engagement par écrit , de prendre & de
payer les volumes en les recevant ,
fure qu'ils paroîtront.
à me .
On foufcrit à Paris , chez M. le Tourneur
, rue Notre Dame des Victoires , où
fe délivreront les volumes aux Soufcripteurs.
On les trouvera auffi chez
Saillant & Nyon , Libraires , rue Saint
Jean de Beauvais .
La veuve Duchefne , rue St Jacques.
Lacombe , rue Chriftine .
Le Jay , rue St Jacques.
Mufier fils , rue du Foin St Jacques.
Ruault , rue de la Harpe .
Et Cloufier , rue St Jacques.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
On eft prié d'affranchir le port des
lettres.
Les deux premiers volumes paroîtront
au mois de Novembre prochain .
On imprimera en tête du premier vol.
la lifte des Soufcripteurs.
Réflexions fur les avantages de la Gazette
des Banquiers , des Négocians & des
Marchands, fuivies du tableau de cette
Gazette .
Le profpectus publié fuffit pour faire
connoître aux Négocians Futilité de cetre
Gazette. Mais aujourd'hui que le goût
des fpéculations de commerce s'eft emparé
de tous les efprits , que perfonne
n'en dédaigne les connoiffances , & qu'on
commence à accorder à ceux qui s'y diftinguent
, la confidération qu'ils méri
tent ; l'Editeur entre dans les détails de
cette fcience importante , & tâche de
les rendre intéreflans pour tous les Lecteurs.
Il donne à cet égard des exemples
qui prouvent la néceffité ou l'utilité pour
les Négocians & les Voyageurs d'être
inftruits du cours des changes & des mou
vemens du commerce . Le modèle qu'il
expofe de fa Gazette à la fuite de ces
JUIN. 1775. 153
téflexions , en fait encore mieux fentir
tous les avantages.
Manuel Militaire ou l'art de vaincre par
l'épée ; dédié à Meffieurs les Gardesdu
Corps du Roi de la Compagnie
de Noaille , par M. Ch. Navarre , Maître
d'armes de la première Compagnie
de la Maiſon du Roi ; in- 89 . prix 24
fols relié. A Paris , chez les Libraires
du Palais Royal , & quai de Gêvres ;
à Verfailles , fous la galerie des Pring
ces; & à Beauvais , chez l'Auteur.
Les principes des armes font démontrés
intelligiblement dans ce petit Ouvrage
, ainfi que leurs rapports avec les
principes de l'équitation. L'Auteur fait
une explication méthodique de chaque
partie de l'efcrime ; & il a fu donner en
peu de mots les réfultats de tout ce qui
eft relatif au maniement de l'épée.
Journal des Caufes célèbres , curieufes &
intéreffantes de toutes les Cours du
Royaume , avec lesjugemens qui les one
décidées.
Le quatrième & le cinquième Tome
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
:
de cet Ouvrage ont paru le premier Avril
& le premier Mai . Le premier de ces
deux volumes renferme quatre cauſes ,
dont trois contiennent des difcuffions favantes
& approfondies fur trois queſtions
de droit très importantes. La quatrième
préfente aux Lecteurs les détails les plus
piquans & les plus finguliers.
و ر
"
"
Le volume de ce mois ci , ne renferme
qu'une feule caufe ; c'eft celle du
Sieur le Lievre. « Cette caufe ( difent
» les Auteurs de cet Ouvrage ) eft un
» tiſſu d'événemens bizarres & finguliers
» qu'on croiroit inventés à plaifir pour
exciter la curiofité publique . Le vrai n'y
paroît pas vraisemblable , & le récit
» que nous allons en tracer pafferoit pour
» un jeu de l'imagination , fi l'on n'étoit
» accoutumé depuis quelques années à
» voir éclater du fond des Cloîtres les
» fcènes les plus incroyables , &c. » . Tel
eft le début de cette cauſe importante ,
dont les détails ne peuvent manquer de
plaire à toutes fortes de Lecteurs. Les
principes de la matière y font rappelés ,
& la difcuffion des moyens répond à l'in
térêt de l'affaire .
Cet Ouvrage devient chaque jour un
récueil précieux pour les Jurifconfultes .
JUIN. 1775 ISS
Il joint l'utile à l'agréable , & il formera
dans la fuite une des collections les plus
curieufes & les plus intéreffantes que
nous ayons dans ce genre.
Il paroît un volume de ce Journal tous
les premiers de chaque mois . La foufcription
a commencé au premier Janvier,
de cette année. Le prix , pour la Province
, eſt de 24 liv. & de 18 I. pour Paris.
On foufcrit chez M. Defeffarts , Avocat
au Parlement , rue de Verneuil , la troifième
porte cochère avant la rue de Verneuil
, l'un des Auteurs de cet Ouvrage ;
& chez le fieur Lacombe , Libraire , rue
Chriſtine. On foufcrit en tout temps.
Mon dernier mot , Satire en vers de M.
Clément , fous le faux titre de Gonève
*.
Nous crumes , en lifant les premiers vers
de cet Ouvrage , reconnaître un Peintre
qui voulait imiter la touche de M. de
Rulliere dans fon Epître fur la Diſpute,
l'un des plus agréables ouvrages de notre
fiècle . Mais l'Auteur de Mon dernier mot
* Article de M , D. V. G. O. D. R.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
s'écarte bientôt de fon modèle . Il dit du
mal de tous ceux qui font honneur à la
France , à commencer par M. de Rulliere
lui-même ; & il proteſte qu'il en uſera
toujours ainsi . Il fe vante d'imiter Boileau
dans le refte de fa fatire . Mais il
nous femble que pour imiter Boileau il
faut parler purement fa langue , donner
à la fois de bonnes inftructions & de
bonnes plaifanteries , fur tout ne condamner
les vers d'autrui que par des
vers excellens .
Voici des vers de la fatire de M.Clément
De Boileau , diront- ils , miférable copifte,
D'un pas timide il fuit fon modèle à la piste.
Si l'un n'eût point raillé ni Pradon , ni Perrin ,,
L'autre n'eût point fifflé Marmontel , ni Saurin..
Ces deux point font des folécifmes:
qu'on ne pafferait pas à un Ecolier de
baffe claffe.
Ce qui eft pire qu'un folécifme , c'eſt
Ja plate imitation de ces vers pleins de
fel.
Avant lui Juvénal avait dit en latin ,
'Qu'on eft affis à l'aife aux fermons de Cotin
C'eſt malheureufement l'âne qui veur
JUI N. 1778 : 157
imiter le petit chien careffé du Maître.
Mais ce qu'il y a de plus impardonnable
encore , c'eft l'infolence d'infulter
par leur nom deux Académiciens d'un
mérite diftingué. Il s'eft imaginé que
Boileau ayant réuffi , quoiqu'il eût infulté
Quinault très-mal à propos ,
lui ,
Clément , réuffirait de même en nommant
& en dénigrant , à tort & à travers ,
tous les bons Ecrivains du fiècle . Il devait
fentir qu'il n'y a aucun mérite , mais
beaucoup de honte & peut être de
danger , à dire des injures en mauvais
vers.
Et moije ne pourrai démafquer la fottife!
Je ne pourrai trouver d'Alembert précieux ,
Dorat impertinent , Condorcet ennuyeux ?
Voilà certainement une groffiéreté
qu'on ne peut excufer . Car il n'y a pas un
homme de lettres dans Paris qui ne fache
que
le caractère de M. d'Alembert , dans
fes moeurs & dans fes écrits , eft précifément
le contraire de l'affectation & du
précieux. Le peu que nous avons d'écrits
de M. le Marquis de Condorcet ne peut
ennuyer qu'un ignorant incapable de les
entendre. C'est le comble de l'imperti
158 MERCURE DE FRANCE.
nence de dire , d'imprimer qu'un homme
, quel qu'il foit , eft un impertinent.
C'est une injure puniffable qu'on n'oſerait
dire en face , & pour laquelle un
Gentilhomme ferait condamné à quelques
années de prifon . A plus forte raiſon
une injure fi groffière , fi vague , fi fotte
mais infultante , dite publiquement
par le fils d'un Procureur de Province à
un homme tel que M. Dorat , eſt un
délit très puniffable.
Dorat , dont vous bravez le jargon en tout lieu
Va-t-il , à votre gré , devenir un Chaulieu ?
Et , par vos bons avis , penſez - vous que de Lille
Puifle autre chofe enfin que rimer à Virgile ?
Voilà des fottifes un peu moins atroces
, & qui fentent moins l'homme de la
lie du peuple. Mais il n'y a dans ces vers
mi efprit , ni fineffe , ni grâce , ni imagination
; & il font encore infectés d'un
autre folécifme : Penfez- vous que de Lille
puiffe par vos bons avis autre chose que
rimer à Virgile? On ne peut dire : Je
peux autre chose que hair un mauvais
Poëte infolent. Ce tous n'eft pas français ,
& j'en fais juge l'Académie entière . Mais
je fais juge tout le Public avec elle de
JUI N. 1775. 159
l'excès d'impertinence (& c'eft ici que le
mot d'impertinence eft bien placé ) , de
cet excès , dis-je , avec lequel un fi mauvais
Ecrivain ofe infulter plus de vingt
perfonnes refpectables par leurs noms ,
par leurs places , par leurs talens , fans
avoir jamais peut-être pu parler à aucune
d'elles.
E
ANNONCES.
Le fin Matois ou Hiftoire du grand Taquin
, traduite de l'Eſpagnol de Quévédo ;
avec des notes hiftoriques & politiques
néceffaires pour la parfaite intelligence
de cet Auteur ; 3 vol . in 12. prix 4 liv .
4 f. br . A Paris , chez le Jay , Libraire ,
rue St Jacques ; & Mérigot jeune , Libr.
quai des Auguftins.
Le Voyageur Naturalifte , ou inftructions
fur les moyens de ramaffer les objets
d'hiſtoire naturelle , & de les bien conferver
; avec des obfervations propres
étendre les recherches relatives aux connoiffances
humaines en général . Par M.
160 MERCURE DE FRANCE.
John Coakley Lettfon , Docteur - Médecin
, Membre de la Société Royale de
Londres & de celle des Arts . Traduit de
l'Anglois fur la feconde édition corrigée
& augmentée , auquel on a joint l'Art de
calmer les flots de la mer , Ouvrage auffi
traduit de l'Anglois , qui renferme la
preuve d'un phénomène qui mérite d'être
placé parmi les découvertes curieuſes &
utiles de la phyfique moderne . Volume
in- 1 2. br. prix 36 f . A Paris , chez Lacombe
, Libr.rue Chriſtine.
Les Tableaux de la Nature ; par M. ***
Membre de plufieurs Académies , in- 8 %
avec fig. prix 36 fols . A Paris , chez la
veuve Duchefne , Libraire , rue Saint
Jacques.
Eloge de Molière , en vers , avec des
notes curieufes , par le petit Coufin de
Rabelais ; in 8 ° . A Paris , chez les Libraires
qui débitent les Nouveautés .
Traité des injures dans l'ordre judidiaire
, Ouvrage qui renferme particuliè
tement la jurifprudence du petit crimi
mel. Vol, in-12. Par Me François Da
JUI N. 1775 .
161 A
reau , Avocat au Parlement & au Prédial
de la Marche à Gueret.
Neminem ladere. Juft . Lib. I.
A Paris , chez Prault père , Imprimeur du
Roi , quai de Gêvres .
Lettre de M. Clément à M. de L. H. ,
au fujet d'une fatire intitulée : Mon dernier
mot , qui court dans le monde fous
le nom du premier. Brochure in - 8 ° . de
0 pages.
•
Supplément aux Mémoires de M. Paliffor
, pour fervir à l'hiftoire de notre
littérature , ou Lettre à M. Paliffot for
un article de fes Mémoires . Broch . in- 8°.
A Paris , chez Cailleau , Impr.- Libr. rue
St Séverin .
Roland Furieux, chant premier , en
profe , avec fig. in 8. de 26 pages . A
Paris , chez Brunet , Libraire , rue des
Ecrivains.
Théatre Lyrique de M. Venard de la
Jonchere , nouvelle édition ; 2 volumes
in 8°. prix 6 liv. brochés. A Paris , chez
1
162 MERCURE DE FRANCE.
Delalain , Libr. rue de la Comédie Françoiſe.
Les fuites d'un moment d'erreur , ou
Lettres de Mile de Kerefmont , publiées
par Madame de *** ; 2 parties in- 12. A
Amfterdam , chez Changuion ; à Paris ,
chez le Jay , Libr . rue St Jacques.
..
L'Art d'aimer & poëlies diverfes de
M. Bernard ; in- 8 ° . de 184 pages , avec
fig. Prix br . 7 liv . 4 f. chez le Jay , Lib .
rue St Jacques.
Voyage en Sicile & à Malthe ; traduit
de l'Anglois de M. Brydone , par M. de
Meunier ; 2 vol . in - 8 ° . rel . 10l . A Paris
chez Piffot , Lib. quai des Auguftins ; &
Panckouke , rue des Poitevins.
Répertoire univerfel & raifonné de Jurif
prudence civile , criminelle , canonique &
bénéficiale , Ouvrage de plufieurs Jurifconfaltes
, publié & mis en ordre par M.
Guyot , Ecuyer , ancien Magiftrat ; in- 8°.
Tome premier. A Paris , chez Dorez ,
Lib. rue St Jacques ; & chez les principaux
Libraires de France.
JUIN. 1775. 163
Difcours publics & Eloges , auxquels
on a joint une Lettre où l'Auteur développe
le plan annoncé dans l'un de fes
Difcours , pour réformer la Jurifprudence.
Par M. *** , Ayocat Général ; 2
vol. in- 12 . A Paris , chez Simon , Imprimeur
du Parlement , rue Mignon St
André- des - Arts.
Thelaire, Nouvelle Mexiquaine . Nº. X
du Tome II du Décaméron François ,
par M. d'Uffieux ; in 8°. avec fig.
Louis de Bourbon , Prince de Condé ,
Anecdote hiftorique . N°. I des Nouvelles
Françoifes , par M. d'Uffieux ; in - 8 ° . avec
fig. A Paris , chez Brunet , Lib . rue des
Ecrivains.
Supplément au Manuel de l'Arpenteur ,
ou l'on fimplifie la manière de lever & de
rédiger l'Atlas , & le plan général topographique
d'un fief, annexé à la confec
tion des terriers ; les principes de copier
les plans , avec une méthode fondamentale
de les réduire de grand en petit , &
leurs échelles dans leurs proportions ; de
l'angle de réduction & du pentographe ;
l'abrégé de la fphère armillaire & du
164 MERCURE DE FRANCE.
globe terreftre , &c. Tome II ; in - 8°. par
M. Ginet , Arpenteur Royal en la Maitrife
des Eaux & Forêts de Paris & Ifle
de France . A Paris , chez Brunet , Libr.
rue des Ecrivains.
Taconet , où Mémoires hiftoriques
pour fervir à la vie de cet homme célè
bre. Article oublié dans le Nécrologe de
1775. A Amfterdam . Broch. in - 12 . de
53 pages.
Le Mariage à la mode , Drame en un
acte & en vers ; par M. Fardeau . Nouvelle
édition . Brochure in- 8 °. de 30 p.
A Paris , chez la veuve Duchefne , Leſclapart
, Langlois & Efprit , Libraires .
ACADÉMIE FRANÇOISE.
Le quinze du mois de Mai M. le
Maréchal Duc de Duras , Premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté ,
qui avoit été élu par l'Académie Françoife
pour remplir la place vacante par la mort
de M. de Belloy , eft venu prendre
JUIN. 1775 . 164
féance à l'Académie , & a prononcé fon
Difcours de remercîment , Difcours fingulièrement
recommandable par l'obfervation
des convenances , par un goût févère
, & par une éloquence douce &
fenfible , également honorable pour les
Lettres , & pour l'Académicien qui les
protége , qui les cultive , & qui en parle
fi dignement.
M. le Comte de Buffon , alors Directeur
de l'Académie Françoife , a répondu
au Difcours de M. le Maréchal Duc de
Duras. Ce Savant , dont les Ouvrages ,
le génie & les moeurs ont un fi grand
caractère de nobleffe & d'élévation , a
répandu les charmes de fon éloquence
fur les juftes éloges qu'il donne au nouvel
Académicien , & fur l'union qu'il defire
parmi les Gens de Lettres, Heureufement
les vrais talens fraternifent enfemble
; il n'y a que la malheureuſe médiocrité
qui s'itrite contre le mérite qu'elle
ne peut atteindre. Nous donnerons un
compte plus étendu de ces beaux Discours
lorfque l'impreffion les aura publiés.
M. l'Abbé de Lille a lu enfuite avec
applaudiffement , la traduction , en trèsbeaux
vers , d'une partie du IVe Livre
de l'Enéïde.
166 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Alembert , Secrétaire perpétuel
termina la féance par l'Eloge de Boffuet ,
qui doit entrer dans la continuation de
l'Hiftoire de l'Académie . Jamais le Père
de l'Eglife Gallicane , l'Orateur fublime ,
le favant controverfiſte , Boffuet enfin n'a
été mieux loué , apprécié avec plus de
juſtelle & de vérité, plus exalté , plus
honoré que dans ce magnifique Eloge , où
le génie de l'Hiftorien philofophe s'eft
élevé à la hauteur du génie apoftolique
qu'il célébroit. Les rapports qu'il a ſu
amener fi heureuſement entre l'éloquence
de Boffuer & celle de M. l'Archevêque
de Toulouſe , un des Académiciens préfent
à cette affemblée , a excité jufqu'aux
larmes la fenfibilité de ce Prélat , dont
les Lettres Paftorales & les Mandemens
font des modèles parfaits d'éloquence &
de charité évangelique.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL .
Le Jeudi vingt- cinq Mai on a exécuté
au Concert Spirituei une grande fympho.
JUIN. 1775 . 167
nie , qui a été fuivie d'un excellent moter
à voix feule , de la compofition de M.
l'Abbé Roze , chanté par M. Tirot. MM.
Jarnowik & Guérin ont joué avec beaucoup
d'applaudiffement une nouvelle fymphonie
concertante de M. Davaux . Cette.
première partie a été terminée par un
motet à deux voix de la compoſition de
M. Poullain , chanté par Mad . Larrivée
& par M. Beauvalet, La feconde partie a
été composée d'une fonate de violoncelle,
fupérieurement exécutée par M. Duport.
Mad. Charpentier a chanté , avec goût ,
un motet à voix feule del fignor Pasqua,
On a beaucoup applaudi un concerto de
violon de la compofition de M. Jarnowik
, & qu'il a parfaitement joué. Le
Concert a fini par la Sortie de l'Egypte ,
oratoire à grand choeur de la compofition
de M. Rigel,
OPERA.
Le Mardi 2 Mai l'Académie royale de
Mufique a donné Céphale & Procris
ballet héroïque en trois actes , repréſenté
pour la première fois en 1773 , aux fères
168 MERCURE DE FRANCE.
de Verfailles , pour le mariage de M. le
Comte d'Artois . Paroles de M. Marmontel
; mufique de M. Grétry.
On lit dans les Métamorphofes d'Ovide
la fable qui fait le fujet du poëme.
Céphale , jeune & beau Chafleur , fut
aimé de l'Aurore ; mais infenfible à tous
fes charmes , il refta fidèle à Procris ,
Celle ci cependant eut de la jalouſie ,
parce qu'on lui avoit dit que dans les
bois , Céphale , en ſe repofant après la
challe , ne cefloit d'appeler AURA ; elle
crut qu'AURA étoit une Nymphe dont il
étoit amoureux . ( C'étoit le nom de ce
vent frais qu'on refpire à l'ombre des
bois ) . Procris , pour convaincre Céphale
d'infidélité , voulut le furprendre avec fa
rivale ; elle fe cacha dans le bois où il
avoit coutume de fe repofer. Elle l'entendit
appeler AURA ; ce nom lui caufa
l'émotion du dépit & de la douleur ; &
au bruit qu'elle fit à travers le feuillage ,
Céphale croyant que c'étoit quelque bête
féroce , lança fen javelot . Un cri plaintif
fe fit entendre ; c'étoit Procris qu'il venoit
de bleffer.
Pour motiver la fatalité de cette aventure
, M. Marmontel fuppofe que Procris
avoit été une des Nymphes de Diane ;"
que
JUIN. 1775 • 169
que Céphale l'ayant féduite , lui avoit
fait violer fes voeux , & que Diane , pour
fe venger , avoit fufcité la Jaloufie , empreffée
à lui obéir , parce qu'elles fon
l'une & l'autre ennemies de l'Amour.
De même , au lieu de faire enlever
Céphale par l'Autore , comme dans Ovide
, il fuppofe que la Déeffe , déguifée
en Nymphe , ne fit que l'attirer dans fon
Palais , en lui perfuadant d'aller implorer
fon appui ; & ceci eft fondé fur des rapports
donnés
par la Mythologie .
Du Dieu du jour Diane eft la brillante foeur ;
Du Dieu du jour l'Aurore a reçu la naiflance ;
Peut-il lui refufer d'être le défenfeur
De l'amour & de l'innocence ?
Enfin , comme un Opéra doit finir par
une fête , il a fallu que Procris expirante
fût ranimée par l'Amour. Voilà tous les
changemens que le Poëte a faits dans
cette fable.
ACTE Ier. Аст
L'Aurore , déguifée en Nymphe des
bois y vient attendre Céphale ; mais malgré
ce déguilement toute la Nature la
reconnoît & fe reffent de fa préfence , ce
H
170 MERCURE DE FRANCE.
qui donne lieu à cet air qui fait partie
de l'expofition .
Naillantes fleurs , ceffez d'éclore.
Oifeaux indifcrets , taifez - vous,
Vous révélez aux Dieux jaloux
L'afyle où fe cache l'Aurore . &c.
Elle voit arriver Céphale , & , dans le
trouble qu'il lui caufe , elle craint de fe
trahir ; elle fe dérobe à fes yeux.
Céphale exprime fon bonheur par un
air d'un caractère noble & brillant ; fes
jours fortunés le partagent entre la chaffe
& l'amour.
Une jeune Nymphe vient lui demander
s'il n'auroit pas vu fes Compagnes.
Surpris de la trouver feule & fans armes
dans les bois , il lui en demande la
cauſe ;
L'AUROR E.
Un Dieu qui me pourfuit , me fait tout négliger.
Un Dieu ?
CEPHALE,
L'AURORE.
Le plus puiflant & le feul invincible.
JUIN. 1775. 171
Jupiter ?
CÉPHA LE.
L'AUROR I.
Jupiter obéit à fes loix.
CEPHALE .
Ah ! c'eft l'Amour !
L'AURORE .
Jugez du trouble où je me vois.
AIR.
Mon coeur bleffé d'un trait de flamme ,
Réfifte & combat vainement.
Rien n'eft fibeau que mon Amant ;
Rien n'eft fi tendre que mon ame.
Fait pour l'amour , jeune & charmant .
Rien n'eftfibeau que mon Amant . &c.
CEPHAL E.
Vous allez donc quitter Diane?
L'AURORE.
Et le puis-je fans l'offenfer ?
L'exemple de Procris me défend d'y penfer.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
*
Elle apprend à Céphale que Diane
irritée , a condamné Procris à périr de la
main de fon raviffeur. Dès lors la fcène
devient animée , & l'Auroré , après avoir
jeté le trouble & la frayeur dans l'ame
de Céphale , le raflure , & lui fait eſpérer
que s'il a recours à l'Aurore , elle fera fa
paix avec Diane , par l'entremife d'Apollon.
Comme elle s'éloigne , Procris arrive ,
& voyant une Nymphe s'échapper dans
les bois , elle croit Céphale infidèle .
CEPHALE.
Ceffe de m'accabler d'un injufte reproche.
Je t'aime , hélas ! plus que jamais.
PROCR I S.
Volage époux , fi tu m'aimais ,
Te vetrois fe interdit , tremblantamonapproche
CEPHALE.
O ma chère Procris ! en violant res voeux ,
Qu'as-tu fait ?
PROCR I S.
Mon bonheur.
JUIN. 1775 • 173
CEPHALE..
Le malheurde tous deux
PROGRI S.
Ah ! j'ai donc ceffé de te plaire.
CEPHALE.
Eloigne-toi. Crains la colère
Qu'à Diane infpirent nos feux.
Cette fcène fe termine par un duo
qui eft un des chefs - d'oeuvre de M.
Grétry. Céphale & Procris fe féparent ;
& l'acte finit par un ballet des Nymphes
de Diane annoncé dès la troiſième ſcène ,
& dans lequel une jeune Nymphe eſt
reçue à la place de Procris . Ce ballet a
paru très agréable , & par les tableaux
qu'il préfente , & par les airs de danſe
dont il est compofé.
ACTE II.
Le lieu de la fcène eft le Palais de
l'Aurore , d'abord environné de nuages ,
qui fe diffipent & laiffent voir l'Aurore
endormie fur un lit de fleurs , au milieu
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
de fa Cour. La première fcène eft donc
le réveil de l'Aurore . En ouvrant les
yeux elle penfe à Céphale , elle l'appelle ,
il ne vient point encore. Elle confie à
Flore & à Palès l'amour qu'elle a conçu
pour ce jeune Chaſſeur,
J'ai laiffé dans fon coeur les plus vives alarmes ;
Lui-même il doit venir implorer mon appui.
Embelliflez ma Cour , ajoutez à mes charmes ;
Et qu'ici , par vos foins , tout foit digne de lui.
Les Dieux du Printemps fe raffemblent
dans le Palais de l'Aurore ; mais à
l'arrivée de Céphale tout difparoît . Flore
feule refte avec lui. Il la prend d'abord
pour l'Aurore , elle le détrompe avec modeftie
; & comme il lui demande fon
appui auprès de la Déeffe , elle lui apprend
que l'Aurore aime un jeune mortel
, qui feul aura plus de pouvoir auprès
d'elle que tous les Dieux.
CEPHALE.
Ah ! s'il étoit fenfible à ma douleur mortelle ! ...
Oui , je veux l'attendre &le voir.
FLORE.
Adieu. Dites- lui qu'auprès d'elle
L'Amour lui remet fon pouvoir.
JUIN. 1775 . 175
CEPHALE , feul.
AIR.
Parois , mortel amoureux.
Hélas ! feroit-il poffible
Qu'il ne fût pas généreux ?
L'Amour l'aura fait fenfible
Avant de le rendre heureux , & c.
Dans l'inftant le Palais de l'Aurore
s'ouvre. Sa Cour environne Céphale &
s'empreffe à lui plaire.
CEPHALE , au milieu du ballet.
Eft -ce une erreur ? Je crois à peine
Ce que j'entends , ce que je voi.
Non , Dieux charmans , ce n'eft pas moi
Que fous vos loix l'Amour amène.
L'Aurore defcend de fon Trône , fait
éloigner la Cour , & , feule avec Céphale ,
elle lui fait l'aveu de l'amour qu'il lui a
infpiré. Mais pour appaifer Diane &
mériter fon bonheur , il faut qu'il renonce
à Procris. Céphale ne peut s'y réfoudre.
C'eft alors que le dialogue s'anime par
un duo paffionné , qui devient quatuor
à l'arrivée de Palès & de Flore , &
fe termine par un choeur.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Céphale au défefpoir , s'éloigne , &
l'Aurore eft forcée de monter fur fon char
pour aller annoncer le jour.
Аств ACTE III.
Cet acte fe paffe , comme le premier ,
au milieu des bois. Ia Jaloufiery forme ,
avec les Démons fes fuivans , le projet
de venger Diane : pour cela , elle fe déguife
en Nymphe , & fous le même vêtement
que l'Aurore dans le premier
acte..
Procris , défolée de l'abſence de Cé .
phale , vient le chercher , & dit fur un
air très touchant :
Témoin de ma naiſſante flamme ,
De l'Amour afyle charmant ,
Temple où je reçus le ferment
Qui combloit les voeux de mon ame ,
Rendez , rendez moi mon Amant.
Sans lui , dans mon inquiétude ,
Je ne puis plus vivre un moment.
D'une éternelle folitude
Aurois -je à fubir le tourment ?
Elle entend une voix qui fe plaint de
Céphale ; elle écoute , elle voit paroître
une Nymphe qui répète :
JUIN. 1775 . 177
Ah ! Céphale ! amant infidèle !
Tu me fuis : tu veux montrépas.
PROCR I S.
Nymphe , quelle douleur vous preſſe ?
Vous appelez Céphale , & vous verfez des pleurs.
LA JALOUSIE.
Laiflez moi me cacher. Ma crédule tendrefle
Caule ma honte & mes malheurs.
AIR.
Ah ! j'ai bien mérité l'injure
Que je reçois de les mépris !
De la belle & tendre Procris
J'ai couronné l'Amant parjure.
Ah ! j'ai bien mérité l'injure
Que je reçois de les mépris !
Cette fauffe confidence & la douleur
qu'elle caufe à Procris , forment une
fcène neuve au Théâtre , & que le Muficien
a rendue avec une force & une vérité
furprenante.
A l'arrivée de Céphale , la Jaloufie
engage Procris à fe cacher avec elle , pour
apprendre à connoître un perfide Amant.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
Céphale paroît égaré . Il gémit ; il appelle
AURA pour appaifer le trouble dévorant
qui le preffe. Il entend du bruit dans le
bois , & il lance fon javelot . A l'inftant
même il reconnoît la voix de Procris
expirante il fe voit environné de
Furies qui lui reprochent fon trépas , &
qui , la lui montrant , lui difent :
Regarde . Voilà ton ouvrage .
Au milieu de ce tableau terrible paroît
l'Amour , qui du haut des airs agite fon
flambeau . Les Démons difparoiffent . Procris
, dans les bras de Céphale , fe ranime
infenfiblement. Le Théâtre change &
repréfente le Palais de l'Amour. Une
fête termine le fpectacle.
Tel eft le plan de ce Poëme , allez
détaillé pour que le Lecteur qui n'a pu
le voir repréfenter puiffe juger du talent
& du ftyle de M. Marmontel dans le
genre lyrique.
La mufique a paru digne de la réputation
rapide & brillante que M. Grétri
s'eft acquife . Les chants de l'Aurore &
de fa Cour font pleins de grâce & de
fraîcheur ; ceux de Céphale & de Procris
font nobles & touchans ; ceux de la Jaloufie
& des Démons étonnent , dans un
JUIN. 1775 . 379
genre où tout fembloit être épuifé . Les
duo du premier acte , le quatuor qui finit
le fecond , tout l'acte de la Jaloufie , font
du plus grand caractère . Les choeurs ont
le double mérite d'un deffein clair &
fimple , & d'un enfemble harmonieux .
Quelques perfonnes fembloient douter
fi M. Grétri , qui excelloit dans le chant ,
réuffiroit de même dans le récitatif &
dans les airs de danfe. Le problème eft
bien réfolu. Son récitatif eft fi vrai , fi
facile , fi naturel , fi analogue à l'accent
de la langue , qu'il femble n'être que la
parole embellie , anoblie , & plus fenfible
encore que la fimple déclamation . On
a obfervé feulement qu'il n'étoit pas affez
débité , ce qui a paru lui donner quelque
reffemblance avec l'ancien récitatif; mais
quand la profodie de la langue & les
tons justes de la paffion & du fentiment
font notés , l'effet ne dépend plus que de
la manière de les parler ou de les réciter.
Pour les airs de ballet , on avouera fans
peine que depuis Rameau on n'a rien
entendu de mieux deffiné , de plus varié ,
de plus animé , de plus favorable à la
danſe .
M. Larrivé a joué le rôle de Céphale
avec le talent qu'on lui connoît. Mad.
3
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Larrivé a bien rendu les airs charmans
qu'elle avoit à chanter . On a goûté la
manière dont Mlle le Vafleur a exécuté
le rôle de Procris. Mlle de la Guerre ?
qui n'a joué que dans les deux der
nières repréfentations le même rôle , a
été très -applaudie , & pour la vérité tou
chante de fon jeu , & pour la fenfibilité
intéreffante qu'elle met dans fon chant.
Mile Duplant s'eft furpallée dans le rôle
de la Jaloufie , qu'elle rend avec beau
coup d'énergie & de caractère. Les autres
rôles fecondaires ont été joués par Miles
Châteauneuf & Mallet. Cette dernière
chante à merveille l'air de la fin de l'Opéra
, dans le rôle de l'Amour. Les ballets ,
qui font de la compofition de MM. Veftris
, Dauberval & Gardel , ont été fort
approuvés. Ils ont eux-mêmes danfé plufieurs
entrées , & figuré avec diftinction
dans leurs excellentes pantomimes . Mile
Guimard s'eft diftinguée , à l'ordinaire
par les grâces & le charme de fa danfe
& de fon jeu . Mlle Peslin , qui conduit
la gaieté fur fes pas , a été fort applaudie;
on doit auffi de juftes éloges au progrès
des talens de Mlle Dorival , de M.
Veftris fils & de M. Gardel le jeune.
>
JUIN. 1775 .
181
COMÉDIE FRANÇOISE.
OnNa N a donné fucceffivement à ce Théâtre
plufieurs repréfentations d'Albert Premier,
d'Adélaïde de Hongrie & du Barbier de
Séville , tous Drames nouveaux
nous avons rendu compte .
DEBUT.
dont
Le famedi , 29 Avril dernier , M. de
la Rive a débuté par le rôle d'Orefte dans
Iphigénie en Tauride . Ce jeune Acteur
avoit déjà paru il y a quatre ans fur
ce Théâtre , où il avoit annoncé des
talens , qu'il a perfectionnés depuis .
Un bel organe , une figure intéreflante ,
beaucoup d'intelligence , une noble fimplicité
dans le débit , de l'ame & du
feu dans la paffion , un jeu naturel &
facile , tous avantages de la nature &
d'un talent exercé , font efpérer que cet
Acteur aura le plus grand fuccès fur ce
Théâtre, & qu'il foutiendra l'honneur
de la fcène Françoife. Ce jeune Acteur
a continué fes débuts dans les rôles
d'Edipe , d'Achille , de Gengis - Kan , de
Mahomet , & c . Il joue auf les principaux
rôles du haut comique. Cet Acteur
eft reçu & fixé à ce Théâtre .
182 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné la famedi 13 Mai la
première repréſentation de Roger Bontemps
& Javotte , parodie de l'Opéra
d'Orphée & Euridice , par MM . Moline
& d'Orvigni . Cette parodie eft en vaudevilles
. Les Parodiftes ont cherché à
tourner en ridicule la fable d'Orphée ,
& à relever les fautes du poëme & de
la mufique . Ils blâment les cris outrés
d'Orphée & la foiblefle des airs de
danfe de cet Opéra . M. Fumeron , Maître
de Forge , qui a enlevé Javotte , fait
un rôle que Pluton auroit dû avoir dans
l'Opéra . Au refte , la parodie eft calquée
fur l'action de l'Opéra ; c'eſt une ſervante
qui contrefait ridiculement la marche de
fa Maîtreffe. Les plaifanteries de cette
bagatelle & les caractères des perfonnages
font rire quelquefois , & c'eft vraifemblable.
nent tout le fuccès que les
Auteurs ont dû en attendre . Une fingularité
remarquable , c'eft que M. Moline ,
Traducteur de l'Opéra d'Orphée , fe foit
JUIN. 1775 .
183
joué lui- même dans la parodie , dont il
eft auffi un des Auteurs . Les principaux
rôles de cette parodie font bien rendus
par Madame Moulinghen , & par , MM.
Julien , Narbonne , Thomaffin & Dhemery.
DEBUT S.
9
Mademoiſelle de Villeneuve , fille du
Directeur du Théâtre de Strasbourg
âgée de dix - fept ans & demi , qui a
reçu l'éducation la plus fuivie & la plus
complette , excellente Muficienne , foit
pour le chant , foit pour divers inftrumens
, a débuté fur ce Théâtre , & a
obtenu le fuccès qu'elle devoit eſpérer
de fes talens aimables . Cette Actrice intéreffante
avoit déjà eu fur le Théâtre de
Strasbourg & fur celui de Fontainebleau
les plus grands applaudiſſemens , qu'elle a
vu confirmer par ttoouutt ccee qu'il y a d'Amateurs
& de Connoiffeurs dans la Capitale.
De la jeuneffe , beaucoup de talent , un
organe agréable , un goût fûr dans fon
chant , une prononciation nette & fenfible
, une figure aimable , de la phyfionomie
, beaucoup d'aifance & de vérité dans
le débit , l'art de bien dialoguer & de phra
fer avec précifion fes airs , un jeu animé ,
fpirituel & délicat , tant d'avantages réu
184 MERCURE DE FRANCE.
ans ,
nis en font un fujet rare & d'autant plus
précieux à ce Théâtre ( i elle n'en eft point
éloignée) , qu'elle laiffe entrevoir dans fes
talens acquis ceux qu'elle peut encore
obtenir & perfectionner. Mlle de Villeneuve
a débuté le mercredi 3 Mai par
le rôle de Clémentine dans le Magnifique ,
rôle qu'elle a joué & chanté avec grâce
& avec délicateffe ; elle a joué enfuite
avec un égal fuccès Agathe dans l'Ami
de la Maifon , Zémire dans l'intermède
d'Azor, Hélène dans l'Amoureux de quinze
Colombine dans le Tableau parlant.
Elle a parfaitement exécuté dans Zémire
& Azor une pièce de forte piano , & dans
l'Ami de la Maifon des airs fur la mando.
line. M. Clairval , qui met dans tous fes
rôles tant de grâces , d'élégance & de
vérité , M. Laruette , dont le jeu eft fi
naïf, M. Trial , Comédien très agréable ,
M. Nainville , auffi bon chanteur que bon
Acteur , ont fecondé cette jeune Débutante
, & l'ont animée par leur jeu . Nous
favons auffi que Madame Trial , qui a la
générosité du vrai mérite , a éclairé de
fes confeils cette Actrice charmante , en
qui elle a trouvé beaucoup de talent' ; &
ce qui en eft la preuve , beaucoup de
docilité & de reconnoiffance..
JUI N. 1775. 185
A Mademoiſelle DE VILLENEUVE ,
jouant Clémentine .
Sur l'air du Barbier de Séville : Vous l'ardonnez,
Un Dieu fripon , en volant , fur les traces
A fait tomber la rofe de la main ;
Mais le Public la relève ſoudain
Pour couronner les talens & les grâces.
ParM. Coffon.
Mademoiſelle Seyffert , autrefois Danfeufe
à ce Théâtre , a débuté dans les
rôles de mère & de dougne . Elle met
dans fon jeu de la vérité & du naturel ;
mais la foibleffe de fon organe fe refufe
quelquefois à l'expreffion & à la jufteffe
du chant.
M. Lecoutre , Acteur qui a joué avec
fuccès à Bordeaux , a débuté le 19 Mai ,
par le rôle d'Alexis dans le Déferteur ; il a
joué enfuite le rôle de Silvain , de Lubin , &c.
Cer Acteur a une figure belle & théâtrale ;
il est jeune , il a un organe fort & fonore,
& beaucoup de feu. Il doit feulement
186 MERCURE DE FRANCE.
prendre garde de forcer fa voix & d'outrer
fon jeu.
M. Coralli a débuté dans les rôles
d'Arlequin. Il a pour ami M. Carlin ,
qui peut guider & former fon talent , &
lui donner le plus excellent modèle des
grâces & des fineffes propres à fon jeu .
ARTS.
GRAVURES.
I.
Suite de Gravures à l'eau forte , d'après
les deffins de L. F. de la Rue , Sculp
teur , ancien Penfionnaire du Roi , par
Ph. I.. Parizeau . A Paris , chez Parizeau
, Deffinateur & Graveur , rue des
Foffés de M. le Prince , maifon du Ri
che Laboureur .
CETTE fuite de gravures eft compolée
de cent dix planches divifées en dix
cahiers , dont trois offrent différentes
JUIN. 1775. 187
compofitions hiftoriques , des facrifices ,
des bacchanales , des jeux d'enfans , & c .
Les fept autres cahiers nous rappellent.
diverfes formes d'autels , tabernacles ,
tombeaux , tables , trépieds , vafes , &c.
dans le goût antique. Cette fuite de gravures
ne peut donc manquer d'intéreller ,
par
par la variété des objets qu'elle préſente ,
les Amateurs & les Artiftes , & tous ceux
qui dirigent les Manufactures de porcelaines
, ou qui font dans le cas de commander
des ouvrages aux Sculpteurs
Orfévres , Cifeleurs , &c. Le prix de
chaque cahier de cette fuite eft de 1 liv.
10. La faite entière , imprimée fur de
grand papier , coûte 13 liv. tof.; & imprimée
fur papier plus petit , 1 2 1 .
I
On diftribue à la même adreffe cideffus
, un cahier de différens grouppes de
figures , compofées & gravées au trait par
Ph. L. Parizeau . Cette dernière fuite ,
très utile aux Architectes , fe vend i liv . 4 f.
I I.
Coftume des anciens Peuples , vingtcinquième
cahier , contenant les ufages
religieux des Perfes . Cette fuite , fi curieufe
& fi intéreffante pour les Peintres ,
188 MERCURE DE FRANCE.
pour les Sculpteurs & pour tous les Amateurs
du deflin & de l'antiquité , conduite.
par le célèbre M. Cochin & par M. d'André
Bardon , fe, continue avec exactitude ;
elle eft accompagnée d'explications & de
réflexions importantes fur les objets repréſentés
& fur plufieurs parties de l'Art.
III.
Quatre eftampes , dont les fujets font
imirés de quelques fcènes du Théâtre de
l'Ambign Comique , favoir le Chaudronier
, la Belle aux bois dormant , les deux
Solitaires , Aminte . A Paris , chez le
Pere & Avaulez , Marchands d'Estampes ,
rue St Jacques ; & chez Freffotte , Graveur
, rue des Grands Degrés , maifon
du Limonadier , vis à vis la rue Perdue.
I V.
Les Soins tardifs & le Carquois épuisé,
deux eftampes gravées par M. de Laumay
d'après les tableaux de M. Baudouin
, Peintre du Roi . Ces fujets de galanterie
, traités avec efprit , & gravés
avec beaucoup de foin & de talent , prix
chacun 3 liv. , fe trouvent à Paris , chez
JUIN. 1775.
189
M. de Launay , rue de la Bucherie , la
porte cochère près la rue des Rats. Ils
font fuite de deux autres eftampes agréa⚫
bles que nous avons annoncées dans le
temps fous les titres de la Sentinelle en
défaut & de l'Epoufe indifcrette.
V.
Portrait de M. Defeffarts , Comédien ,
Penfionnaire du Roi , gravé par M. Thomas
, d'après le deflin de M. Ingouf l'aîné.
Ce portrait eft fort reflemblant & trèsbien
rendu. Il fe trouve à Paris , chez M.
le Mire , Graveur , rue & vis- à - vis Saint
Etienne-des- Grès.
V I.
Les Nappes d'eau , eftampe de 22
pouces de large , fur 16 de haut , dédiée
& préfentée à la Reine ; gravée pa : M.
Godefroy , d'après le tableau de M. le
Prince de 6 pieds de haut fur 4 de large ,
appartenant à M. le Comte de Choifeul ,
& expofé au dernier Sallon fous le titre.
de Vue des environs de Fontainebleau. A
Paris, chez l'Auteur , rue des Francs Bourgeois
, Porte St Michel , vis à vis la rue
de Vaugirard . Prix 12 liv.
190 MERCURE DE FRANCE.
M. le Prince ayant lu à l'Académie le
commencement de fon Traité fur la peinture
en payfage , plufieurs de fes Confrères
, applaudiffant à fes vues , trouvèrent
cependant fingulier qu'il voulûc
donner des préceptes dans un genre de
peinture qui lui étoit étranger ; M. le
Prince ,, pour toute réponſe , partit le lendemain
pour Fontainebleau , & à fon res
tour préfenta ce tableau à l'Académie ,
qui admira fa belle réponſe. M. Godefroy
, frappé de la beauté de cette peinture
& de la fenfation univerfelle qu'elle
a produite , vient de la graver . Nous ne
dirons rien de cette magnifique eftampe ;
fa modeftie nous impofe filence , & c'eft
à regret que nous le gardons .
SCULPTURE.
Le fieur Allegrain , premier Sculpteur
de la Marine à Rochefort , a eu l'honneur
de faire voir au Roi , le 8 Janvier
dernier , différens deffins de vaiffeaux , ´
dont Sa Majesté à paru fatisfaite.
L'abondance des matières ne nous a
pas permis de donner plutôt au Public un
JUIN. 1775. 191
précis de ces deffins ; nous nous bornerons
à parler d'un feul ; les autres ont
également offert des preuves du goût &
de l'intelligence qui dirigent les travaux
de cet habile Artiſte.
Ces deffins repréfentent le fendant en
quatre parties : la proue , la pouppe , la
bouteille , caractérifent de toutes parts ce
vaiffeau,
Deux intentions ont été offertes pour
la proue ; dans la première , c'eft un mâle
guerrier monté fur un courfier fuperbe ,
tenant de fa main gauche un bouclier
dont il fe défend , & de l'autre un fabre
levé , comme pour fendre une preffe qui
veut l'accabler. Son attitude fière & terrible
annonce l'intrépide courage des
braves Marins qu'il conduit.
Dans l'autre , plus analogue peut - être
au fujet , c'est un vigoureux Matelot qui ,
à coups redoublés de fa rame , fend une
mer agitée , dont il s'efforce de furmonter
les vagues .
La proue , dans la partie la plus élevée ,
offre un autre fcène plus tranquille
, mais
auffi intére fante. Deux Génies , par leurs
vol, fendent les airs , & découvrent
à
l'Univers
l'étendard & les lys François,
192 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'inférieure , des Tritons ailés
fendent les eaux avec leurs nageoires , &
paroiffent s'élancer après le vaiffeau dont
ils fuivent la rapide courſe.
La bouteille du bâtiment répète divers
trophées de la proue , & retrace le ſpectacle
fi ordinaire aux Marins , des dauphins
qui femblent fe jouer , en bondiſſant ſur
la furface des eaux.
C'estainsi qu'une imagination poëtique
& fage , que dirige un goût épuré , donne
de la vie aux fujets qu'on en croit le
moins fufceptibles . Qu'on compare cette
fculpture avec les fantaftiques & bizarres
fujets dont les Anglois décorent leurs
navires , on eft étonné de les voir encore
fur ce point fi éloignés du bon goût. On
dira peut - être qu'ils préfèrent l'utile , &
qu'ils yfacrifient jufqu'au luxe de l'ornement.
Mais Bellone , ne fe plaît - t- elle
pas à être adorée en Minerve , & n'eft.
elle pas la redoutable Déeffe des combats
comme la protectrice tutélaire des Arts .
Au refte le fieur Allegrain a fes titres
de familles pour prouver qu'il ne peut
être que très habile dans fon art. Il eft
neveu du célèbre Pigalle , dont le maufolée
du Maréchal de Saxe fera auffi im.
mortel que le nom du Héros , & fils
du
JUI N. 1775. 193
du fieur Allegrain , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture , appelée par
notre Gècle le Statuaire des Graces . Les
différens prix que le Sr Allegrain fils a obtenus
dans le cours de fes études , tant à
Paris qu'à Rome , préfageoient fans doute
fes talens : mais fon mérite vient encore
d'être mieux apprécié par l'Ecole Royale
de Peinture , de Sculpture & d'Architec
ture de la Ville de Poitiers , qui vient de
lui accorder le titre de fon Affocié libre ,
&fon Correfpondant à Rochefort.
MUSIQUE.
I.
QUATUOR pour le clavecin & forte
-piano , deux violons & baffe , dédiés à
Mlle de Cypiere , compofés par M.
Lafceux , Organifte de St Etienne Dumont
& des Mathurins ; oeuvre IV .
Prix 7 liv. 4 f. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Saint - Jacques , vis - à - vis celle des
Mathurins ; & Mlle Girard , Marchande
de mufique , rue du Roule , à la Nouveauté.
}
194 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Trente - deuxième Recueil d'Ariettes
d'Opéra - Comiques , & autrès arrangées
pour le forte piano & le clavefin , par M.
Pouteau , Organifte de Saint- Jacques de
la Boucherie , de St Martin - des-Champs,
& Maître de clavecin. Prix 1 liv.16 f.
I I I.
I
Deux concerto à violon principal , premier
& fecond violon , alto , baſſe , flûtes
ou haut- bois , & deux cors , dédiés à fon
Alteffe Séréniffime Madame la Ducheffe
de Bourbon , compofés par M. Patible ;
Cuvre I. Prix 7 liv . 4 f. A Paris , chez
M. Bouin , Marchand de mufique & de
cordes d'inftrumens , rue Saint- Honoré ,
au Gagne perit, près Saint Roch ; à Verfailles
, chez M. Blaizot ; en Province ,
chez les Marchands de mufique.
Ces deux concerto ayant été mis au
jour pendant l'abfence de l'Auteur , il
s'eft trouvé des fautes dans les premiers
qui ont paru avec l'adreffe de l'Auteur ,
affeż confidérables pour en empêcher
l'exécution ; il prévient MM . les Amateurs
& Profeffeurs de mufique , qu'il en
JUI N. 1775. 195
a fait une correction très - exacte , & que
ceux qui feront à l'adreffe ci- deffus , font
les feuls auxquels les corrections auront
été faites .
VERS pour mettre au bas du Portrait de
M. Turgot.
Ces traits que révère la France , ES
Dans l'efprit des méchans font gravés par l'effroi ;
Dans nos coeurs , par l'efpoir & la reconnoiffance ;
Par la vertu , dans l'ame de fon Roi.
Par M. Quefnay, de St Germain.
Lettre à M. LACOMBE , Auteur du
Mercure.
Paris, 6 Mai 1775.
Monfieur , dans l'Acte de Bienfaifance publié
fous mon nom dans le Mercure de ce mois , il
s'eft gliffé quelques fautes , dont une fur- tout ,
doit être relevée . Après avoir nommé M. de
Montefquieu & terminé ainfi l'article qui le
concerne , ce n'eft plus de l'Esprit des Loix ni
de fon Auteur dont il eft queftion , mais de feu
M. Helvécius , Auteur du Livre de Esprit , non
moins digne , par la bienfailance , de l'admita-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
tion univerfelle . En attendant , Monfieur , que j
vous faffe connoître cet homme célèbre par quel
qu'un des actes éclatans de fa vie , dont j'ai été le
témoin , je vous prie de rectifier cette erreur cu
publiant ma Lettre .
J'ai l'honneur d'être très parfaitement ,
Monfieur ,
Votre très-humble & très- obéiffant
ferviteur MINGARD .
Lettre à M. de Voltaire , fous le nom de
M. le Chevalier de Morton .
MONSIEUR LE CHEVALIER .
Permettez que je vous remercie , au nom des
Parifiens , de la jolie Epître que vous venez de leur
envoyer fur ces peftes publiques qu'on nomme
Philofophes. J'ai vu quelques- uns de ces derniers
qui trouvent charmantes les injures que vous leur
dites. Il eft für que la manière dont vous les dénonceż
au Pape devroit bien plutôt leur valoir les
honneurs d'une canonifation que d'un Autodafé .
Comment fe peut -il qu'un jeune homme cominę
vous ait déjà dans les écrits , ces grâces , cette
énergie & cette vérité qui décèlent un âge mûr ?
Votre Dom Pedre annonce toute la vigueur d'un
Chevalier jeune & loyal. L'Eloge de la Raifon eft
une folie charmante. Semblables à ces beaux arbres
qui font la ticheffe & l'ornement de l'Inde
vous portez fans cefle des fleurs & des fruits,
Nous voudrions feulement que vous fuffiez com-
•
JUIN. 1775 . 197
me eux à l'abri des tempêtes & des glaces de
l'hiver , & que pareil encore aux chênes de Dodone
, vous puffiez jufqu'à cent ans conferver vos
feuillages & rendre des oracles .
A propos , M. le Chevalier , j'ai une grâce à
vous demander. Je me mêle par fois de faire des
vers : mais je n'en adrefle jamais qu'aux jolies
femmes & aux grands hommes ; ce font- là mes
idoles . Je vous prie de vouloir bien remettre ceux
que vous trouverez ci-joints au génie que je tévère
& qui habite le même endroit que vous . Vous
le connoiflez , fans doute. C'eft M. de Voltaire .
Préfentez -lui en même temps mes très humbles
refpects , & recevez l'accollade d'un de vos Confrères
qui a l'honneur d'être avec une vénération
profonde ,
Monfieur le Chevalier ,
Votre très-humble , & c.
Le Chevalier DE PALMÉZEAUX.
Réponse de M. de Voltaire.
Je n'ai pu , Monfieur , vous remercier plutôt
des chofes agréables que vous avez eu la bonté de
m'envoyer. J'ai gardé pendant fix femaines ma
Nièce , qui a été entre la vie & la mort. Ce n'eſt
que d'aujourd'hui que je puis vous témoigner ma
reconnaiſſance.
Je dois vous dire queje fuis point le Chevalier
de Morton. J'ignore quel eft l'Auteur de la pièce
très-indifcrette & très- inégale que ce prétendu
Chevalier à écrite à M. de Treflan . J'ai été très
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
affligé que M. de Treflan me l'ait attribuée , &
qu'il ait eu la faiblefle d'y répondre . Il devait bien
fentir qu'il était impoffible que je lui cufle parlé
des petits foupers d Epicure Stanislas , qui n'a ja
mais foupé , & qui ne reflemblait point du tout à
Epicure. I devait lentir , par beaucoup d'autres
raifons , le tort qu'il a eu de fe donner ainfi en
fpectacle au Public. Je lui en ai fait des reproches
d'autant plus. vifs , que je lui fuis attaché depuis
très - long - temps.
Quand on fait imprimer de pareilles pièces de
poëfie , il faut que tous les vers foient bons ; &
quand on les fait fur de pareils fujets , il ne faut
pas les faire imprimer. Le chagrin que cette méprife
ridicule me caufe , ne me permet pas de
Vous en dire davantage.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , votre trèshumble
, & c .
VOLTAIRE.
Au Château de Ferney , le 26 Avril 1775.
Lettre à M. l'Abbé **
a
Vous avez vu dans le temps , mon cher Abbé ,
la belle & magnifique Lettre de M. l'Archevêque
de Toulouſe à fes Curés , fur les moyens de prévenir
ou d'arrêter les ravages de la maladie épizootique
En la lifant enfemble , nous admirions
comme les vues & les confeils de l'homme d'Etat
rendent plus actives & plus éclairées la bienfaifance
& la charité du Paſteur ; comme la religion
fe montre dans tout ce qu'elle a de touchant &
d'augufte , quand on la fait parler avec la noblefle
JUIN. 1775. 199
& la fagefle qui les caractériſent. Nous béniffions
le Prélat d'avoir fu rendre les Curés plus précieux
au gouvernement , en les chargeant de préparer
les efprits à fe foumettre à une loi utile ; mais qui ,
fans cette précaution , auroit rencontré beaucoup
plus d'obstacles & de difficultés dans fon exécution.
Nous regrettions de n'avoir pu entendre ces
hommes vénérables expliquer en patois , à leurs
Paroiffiens , la Lettre de leur Paſteur , le Réglement
du Prince , & terminer cette touchante
inftruction par des fecours proportionnés aux
pertes & aux facrifices . Le temps eft venu , difions.
nous , où le Clergé , que l'envie , l'ignorance & le
fanatilme ne celle de repréſenter comme un corps,
étranger au reste du Royaume , ne peut confondre
fes ennemis & les réduire au filence , qu'autant
qu'il emploira fes richefles , fes priviléges & lon
autorité à feconder auprès des Peuples les vues
de juftice & de bienfaifance du ministère ; qu'au
tant qu'il fera de tous les Eccléfiaftiques des Apôtres
, & , s'il eft permis de s'exprimer ainfi , des
préconifeurs de la félicité publique . D'après ce
principe , ajoutions - nous , ne feroit-il pas à fouhaiter
que quand le Prince a été aflez heureux pour
faire une grande & belle action , c'eſt - à -dire dont
le bonheur général doit réfulter ; ne feroit- il pas
à fouhaiter que dans nos Temples les Orateurs
Chrétiens l'en remerciaflent au nom de Dieu &
de toute la Nation.
Voilà , mon cher Abbé , les réflexions que nous
nous communiquions dans le fecret de l'amitié ,
& qui terminèrent la lecture de la Lettre de M.
l'Archevêque de Toulouſe. Je me hâte de vous envoyer
une Ordonnance du même Prélat fur les
lépultures. Je ne connois rien de plus fage ni
liv
200
MERCURE DE FRANCE.
de plus raisonnable dans les difpofitions , rien de
mieux écrit , & , quand le fujet l'exige , de plus
éloquent que le préambule ; rien qui , dans un
autre genre , ait plus de droits pour être placé à
côté de la célèbre défente de la Déclaration de 82 .
Ce Réglement , que l'on follicitoit depuis fi longtemps
, & que la fatale expérience de nouveaux
malheurs rendoit plus néceflaire , a encore le
mérite d'être fondé fur les oracles des Conciles ,
fur la doctrine des l'ères , fur la difcipline des
premiers fiècles de l'Eglife ; & c'eft du milieu de
toutes ces autorités que M. l'Archevêque, page 2 ,
faifit l'occafion de s'écrier : Teleft le fublime accord
de la Religion & de la Politique , que tout ce que
celle ci ofe avouer d'honnête & d'utile , l'autre le
preferit & le commande.
Mais le trait qui me paroît caractériſer davantage
l'Ordonnance fur les fépultures eft de l'avoir
rendue tellement générale , qu'il eft impoffible d'y
découvrir aucune de ces exceptions qui encouragent
l'orgueil à les demander , humilient les petits
qui ne peuvent ni les acheter , ni les obtenir , &
finiffent enfin par éluder ou anéantir les meilleures
loix.
Puifle , mon cher Abbé , pour l'honneur de
l'Epifcopat , puiffe ce monument de fagefle , élevé
à la religion & à l'humanité, trouver beaucoup
de mains empreflées à le perpétuer dans les différens
Diocéfès du Royaume ! Fuiffe l'Eglife de
France compter dans ſon ſein beaucoup d'Evêques
qui penfent, s'expriment & agiflent comme M.
l'Archevêque de Toulouſe ! Si le Sacerdoce &
I'Empire, dont il feroit dangereux de vouloir féparer
les intérêts , peuvent recevoir de grands ,
d'importans fervices , ce ne fera jamais que de la
part de Prélats qui joindront beaucoup de fcience
& de lumières àbeaucoup de zèle & de piété. Et
1
JUIN. 1775. .201
ontdans
quel temps & fous quel règne les hommes
en place , de tous les rangs , de tous les états ,
ils eu autant de facilités pour faire le bien qu'ils
en ont aujourd'hui ? Tout ce qui porte avec foi
le caractère de la raifon & de l'utilité publique , ne
peut qu'être adopté & autorifé par un Prince , dont
le premier élan de l'ame eſt toujours ou un acte
de juftice ou un trait de bienfaiſance , qui , en
appelant auprès de lui & environnant fa jeuneffe
des gens les plus honnêtes & les plus éclairés de
fon Royaume , a eu le bonheur , à vingt ans , de
choifir les Miniftres comme auroit fait Marc- Aurèle
à cinquante ; qui enfin , dans la circonftance
la plus délicate ou un Roi puifle fe trouver , vient
de montrer un calme , une fermeté & une préſence
d'efprit qui honoreroient la longue expérience d'un
Prince vieilli dans l'art de régner. J'ai lu l'Inftruction
qu'il adrefle aux Evêques pour être envoyée
à tous les Curés , & je regrette de n'être pas le
Pafteur de la dernière Paroifle de la France , pour
jouir de l'avantage ineftimable de développer aux
habitans de la campagne les motifs de foumiffion ,
d'obéiflance & de fidélité qu'ils doivent à leur
Maître , pour les prémunir contre les fcélérats
qui voudroient les entraîner dans la révolte , en
un mot , pour entrer avec eux dans le détail de
tout ce que fait & fera le Roi pour la félicité de
fon Peuple. O le beau , le fublime ministère que
dans ce moment- ci les Curés ont à remplir !
Voilà une bien longue Lettre , mon cher Abbé ,
mais quand je vous ouvre mon coeur ou que vous
me laflez lire dans le vôtre , je ne redoute l'ennui
ni pour vous , ni pour moi .
L'Abbé R... Vic . Génér. d'Alby.
A Chartres , le 14 Mai 1775.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Copie de la Lettre du Roi , écrite aux
Archevêques & Evêques de fon Royaume.
M.
Vous êtes inftruit du brigandage inouï qui s'eft
exercéjur les bleds autour de la Capitale , & prefquefous
mes yeux à Versailles , & qui femble menacer
pufieurs Provinces du Royaume . S'il vient
à s'approcher de votre Diocèfe , ou à s'y introdui
re, je ne doute pas que vous n'y oppofiez tous les
obftacles que votre zèle , votre attachement à ma
Perfonne , & plus encore la Religion fainte dont
vous êtes le Miniftre , fauront vous fuggérer, Le
maintien de l'ordre public eft une loi de l'Evangile
, comme une loi de l'Etat & tout ce qui le
trouble , eft également criminel, devant Dieu &
devant les hommes ,
و
J'ai pensé que dans cette circonftance il pourroit
être utile que les Curés de mon Royaume
fuffent inftruits des principes & des effets de ces
émeutes ; & c'eft dans cette vue que j'aifait dreffer
pour eux l'Inftruction que je vous envoie , & que
vous aurez foin d'adreſſer à ceux de votre Diocèfe.
Les connoiffances qu'elle renferme , mifes par eux
fous les yeux des Peuples , pourront les préferver
de lafédition , & les empêcher d'en être les victimes
ou les complices.
Je compte que vous y joindrez de votre part,
toutes les inftructions que les circonftances vous
feront juger néceffaires. Je furs bien perfuadé que
je n'ai rien à preferire à votre zèle ; maisfi le defir
de m'être agréable , peut l'accroître , foyez für
JUIN. 1776 . 203
qu'on ne peut mieux me fervir & me plaire qu'en
" préfervant les Peuples de tout malheur , & par
deffus tour , de celui d'être coupables dans un moment
, où , pour leur intérêt même , il ne me ferdit
-pas permis d'afer d'indulgence . La préfente n'étant
à autre fin , je prie Dieu , M qu'il vous
ait en fa fainte garde. Ecrit à Versailles le
Instruction envoyée par ordre de S. M. à
tous les Curés de fon Royaume.
Sa MAJESTÉ a ordonné que les brigandages
qui dévaftent ou menacent plufieurs provinces
de fon Royaume , fuffent réprimés par des punitions
promptes & fevères. Mais fi Elle a été forcée
d'y avoir recours pour diminuer le nombre des
coupables , & en arrêter les excès , Elle eſt encore
plus occupée d'empêcher qu'aucun de fes Sujets
ne le devienne ; & fi Elle peut y parvenir , le
fuccès de fes foins fera d'autant plus confolant
pour Elle , qu'Elle eft plus vivement affligée des
mefures rigoureufes , que les circonstances ne
lui pemettent pas de négliger.
C'eft dans cette vue que Sa Majefté a jugé à
propos de faire adreffer la préfente inftruction
aux Curés de fon Royaume.
Elle a déjà éprouvé l'utile influence de plufieurs
d'entr'eux dans des paroiffes dont quelques habitans
entraînés à la révolte par des impreflions
étrangères , mais ramenés par les exhortations
de leurs Pafteurs , à leur devoir & à leur véritable
intérêt , fe font empreffès de remettre euxmêmes
les denrées qu'ils avoient enlevées , &
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de porter aux pieds des autels , le repentir de
leurs fautes , & des prières ferventes pour leur
Roi , dont on avoit cfé , pour les féduire ,
fulter & rendre fufpecte la bonté.
in-
S. M. fe promet le même zèle des autres Curés
de fon royaume. La confiance des peuples
eft le prix naturel de leur tendreffe , de leur affection
& de leurs foins : & lorfqu'aux vérités faintes
de la religion , qui profcrit tout trouble dans
l'ordre public , & toute ufurpation du bien d'autrui
, ils joindront la terreur des peines impofees
par les loix civiles , contre le vol & la fédition ,
des avis falutaires fur les dangers & les malheurs
du brigandage , & fur-tout les affurances
de la bonté du Roi , qui n'eft occupé, que du
bonheur de fes fujets ; S. M. a lieu d'efpérer que
les peuples feront garantis des voies odieules
qu'on emploie pour les tromper , & qu'ils fauront
fe préferver également du crime de la fédition ,
& du malheur d'en être les victimes .
Pour que les Curés foient plus à portée de
faire valoir ces utiles réflexions , il eft néceffaire
qu'ils foient inftruits des principes & des fuites de
la fédition , dont les habitans de leurs paroiffes ont
à fe préferver & à fe défendre.
Elle n'eft point occafionnée par la rareté réelle
des bleds : ils ont toujours été en quantité ſuffifante
dans les marchés , & particulièrement dans
les Provinces qui ont été les premières expofées au
pillage .
Elle n'eft pas non plus produite par l'excès de la
misère : on a vu la denrée portée à des prix plus
élevés , fans que le moindre murmure fe foit fait
entendre ; & les fecours que Sa Majeſté a fait répandre
, les Ateliers qu'Elle a fait ouvrir dans les
JUIN. 1775. 205
Provinces , ceux qui font entretenus dans la Capitale,
ont diminué la cherté pour les pauvres,
en leur fourniffant les moyens de gagner des falaires
& d'atteindre le prix du pain .
Le brigandage a été excité par des hommes
étrangers aux Paroiffes qu'ils venoient dévafter:
tantôt ces hommes pervers , uniquement occupés
d'émouvoir les efprits , ne vouloient pas , même
pour leur compte , des bleds dont ils occafionnoient
le pillage; tantôt ils les enlevoient à leur profit, fans
doute pour les revendre un jour , & fatisfaire ainfi
leur avidité .
On les a vus quelquefois affecter de payer la
denrée à vil prix ; mais en acheter une quantité ſi
confidérable , que l'argent qu'ils y employoient ,
prouvoit qu'ils n'étoient pouffés ni par la misère
préfente, ni par la crainte de l'éprouver.
Ce qu'il y a de plus déplorable , eft que ces
furieux ont porté la rage jufqu'à détruire ce qu'ils
avoient pillé. Il y a eu des grains & des farines
jetés dans la rivière.
La ſcélérateſſe a été pouffée juſqu'à brûler des
granges pleines de bleds & des fermes entières.
Il femble que le but de ce complot , ait été de
produire une véritable famine dans les Provinces
qui environnent Paris , & dans Paris même , pour
porter les Peuples , par le befoin & le défefpoir,
aux derniers excès .
Le moyen employé par ces ennemis du peuple ,
a été de l'exciter par-tout au pillage , en affectant
de paroître fes défenfeurs . Pour le féduire , les
uns ont ofé fuppofer que les vues du Roi étoient
peu favorables au bien de fes Peuples : comme
s'il avoit jamais féparé fon bonheur de celui de
206 MERCURE DE FRANCE.
fes Sujets , & comme s'il pouvoit avoir d'autre
penfée que celle de les rendre heureux .
Les autres affectant plus de refpect , mais non
moins dangereux , n'ont pas craint de répandre
que le Roi approuveroit leur conduite , & vouloit
que le prix des bleds füt baiffé comme fi Sa
Majefté avoit le pouvoir & le moyen de baiſſer à
fon gré le prix des denrées , & que ce prix ne fût
pas entièrement dépendant de leur rareté ou de
leur abondance .
Un de leurs artifices les plus adroits a été de
femer la divifion entre les différentes claffes des
citoyens , & d'accufer le Gouvernement de favorifer
les riches aux dépens des pauvres tandis
qu'au contraire il a eu pour but principal d'affurer
une production plus grande , des tranſports plus
faciles , des provifions plus abondantes ; & par ces
divers moyens , d'empêcher tout- à-la -fois la difette
de la denrée , & les variations exceffives dans
les prix , qui font les feules caufes de la misère.
Projets deftructeurs fuppofés au Gouvernement,
fauffes inquiétudes malignement exagérées , profanation
des noms les plus refpectables , tout a
été employé par ces hommes méchans , pour fervir
leurs pallions & leurs projets ; & une multitude
aveugle s'eft laiffé fduire & tromper : elle a
douté de la bonté du Roi , de fa vigilance & de fes
fois, & par fes doutes clie a penfé rendre ces foins
inutiles , & tous les remèdes vains & fans effet.
Les fermes que le brigandage a pillées , les magafins
qu'il a dévastés , étoient une reffource toute
prête pour les temps difficiles , & affuroit les
moyens de fubfifter jufqu'à la récolte.
Si l'on continue de priver l'État de cette reffource,
de piller les voitures fur les chemins , de déJUIN.
1775. 207
vafter les marchés , comment fe flatter qu'ils feront
garnis , que les grains n'enchériront pas davantage
, que la denrée diffipée , interceptée &
arrêtée de toutes parts , ne finira pas par manquer
aux befoins ? Si les bleds font montés à des prix
trop élevés , ce n'eft pas en les diffipant , en les
pillant , en les enlevant à la fubfiftance des Peuples
, qu'on les rendra moins chers & plus communs.
L'abondance paffagère d'un moment , obtenue
par de tels moyens , feroit le préſage certain
d'une difette prochaine , & qu'on tenteroit alors
en vain d'éviter.
Ce font ces vérités qu'il eft néceffaire que les
Curés faffent comprendre aux peuples pour leur
propre intérêt , le pillage amène les maux que
feignent de craindre ceux qui l'infpirent & le
confeillent ; & un petit nombre de gens mal intentionnés
, profite du défordre , tandis que ceux
qu'ils ont féduits en demeurent les victimes.
Des Paſteurs n'ont pas besoin d'être avertis de
faire remarquer aux peuples , que toute ufurpation
de la denrée , même en la payant , lorfque
c'eſt à un prix inférieur à fa valeur , eft un vol
véritable , réprouvé par les Loix divines & humaines
, que nulle excufe ne peut colorer , qu'aucun
prétexte ne peat difpenfer de reftituer en entier
au véritable maître de la chofe ufurpée. Ils
feront fentir à ceux qui pourroient être dans
l'illufion , que le prix des bleds ne peut malheureufement
être proportionné qu'à la plus ou moins
grande abondance des récoltes ; que la fageffe du
Gouvernement peut rendre les chertés moins rigoureufes
, en facilitant l'importation des bleds
étrangers , en procurant la libre circulation des
108 MERCURE DE FRANCE.
"
bleds nationaux , en mettant par la facilité du
tranfport & des ventes. , la fubfiftance plus près du
beſoin , en donnant aux malheureux , & multipliant
pour eux toutes les reflources d'une charité
induſtrieuſe : mais que toutes ces précautions ,
qui n'ont jamais été prifes plus abondamment
que depuis le règne de Sa Majefté , ne peuvent
empêcher qu'il n'y ait des chertés ; qu'elles font
aulli inévitables que les gréles , les intempéries ,
les temps pluvieux ou trop fecs qui les produi
fent ; que la crainte & la méfiance des peuples
contribuent à les augmenter , & qu'elles devien
droient exceffives , fi , le commerce fe trouvant
arré é par les émeutes , les communications devenoient
difficiles , & les Laboureurs étant découragés
, la denrée ne pouvoit plus être apportée à
ceux qui la conſomment.
Il n'eft point de bien que Sa Majeſté ne ſoir
dans l'intention de procurer à fes Sujets. Si tous
les foulagemens ne peuvent leur être accordés en
même temps , s'il eft des maux qui , comme la
cherté , fuite nécefsaire des mauvaiſes récoltes ,
ne font pas foumis au pouvoir des Rois , Sa
Majefté en eft auffi affectée que fes Peuples : mais
quelle défiance ne doivent - ils pas avoir de ces
hommes mal intentionnés , qui , pour les émouvoir
, fe plaisent à exagérer leur malheur , &
l'aggravent par les moyens mêmes qu'ils leur indiquent
pour le diminuer !
Pa
Sa Majefté compte que tous les Curés des
foiffes où cette eſpèce d'hommes chercheroit à
s'introduire , préviendront avec foin les habitans
contre leurs fatales fuggeftions.
Des Troupes font déja difpofées pour affurer la
tranquillité des Marchés & le tranfport des grains.
JUIN. 1775. 209
Les habitans doivent feconder leur activité , & fe
joindre à elles pour repouffer la fédition qui viendroit
troubler leurs foyers & accroître leur misère
, fous prétexte de la foulager.
Lorfque le peuple connoîtra quels en font les
auteurs , il les verra avec horreur , loin d'avoir
en eux aucune confiance ; lorſqu'il en connoîtra
les fuites , il les craindra plus que la difette même.
Les fublimes préceptes de la Religion , ' expofés
en même temps par les Curés , affureront le
maintien de l'ordre & de la juftice . En exerçant
ainfi leur miniſtère , ils concourront aux vues bienfailantes
de Sa Majefté ; Elle leur faura gré de
leurs fuccès & de leurs foins : le plus für moyen
de mériter fes bontés , eft de partager fon affection
pour fes Peuples , & de travailler à leur bonheur.
Variétés , inventions utiles , établiſſemens
A
nouveaux .
1.
QUELQUE distance de Drefde , il y
a une Fabrique confidérable & très- variée
de chapeaux de paille ; on y occupe les
viellards & les enfans depuis l'âge de cinq
à fix ans. Ces chapeaux font agréables &
d'une bonne qualité. Il y a de pareilles
Fabriques dans la Bavière & le haut Palatinat
; les ouvrages en font inférieurs à
ceux de Saxe , mais on s'attache à les per
210 MERCURE DE FRANCE.
fectionner. On ne fauroit trop encourager
ces établiffemens d'autant plus recommandables
, qu'ils offrent une reſource
affurée au pauvre & à l'impotent.
I I.
M. Pingeron , ancien Ingénieur de
Zamosch en Pologne , vient de trouver
un moyen très - fimple de tirer l'eau des
puits les plus profonds , en faiſant ofciller
un long levier . Tout le mécanisme eft
caché dans l'axe du treuil fur lequel s'entortille
la corde fervant à tirer les deux
feaux. On ne voit à l'extérieur que deux
rochers. Le mouvement eft continuel &
non alternatif , comme on pourroit le
croire. Ce mécanisme eft le moins dif
pendieux qu'on ait juſqu'à préſent imaginé
pour remplir un objet fi important ,
principalement pour les Villes fituées
fur des hauteurs.
II I.
Après diverfes expériences , le Sr Muller,
Marchand Droguifte à Copenhague , a
trouvé le fecret de faire de la porcelaine
auffi belle que celle de la Chine , tant
pour la finelle que pour le vernis. Il tire
de l'Ile de Bornholm la terre néceffaire
à fa compofition,
JUIN. 1775 . 211
AM. LACOMBE , Auteur du Mercure.
Paris , ce 12 Mai 1775• .
Moyen de détruire les chenilles .
Monfieur ; un de mes amis m'écrit de Picardie ,'
que pendant trois années de fuite il n'avoit pu
recueillir aucun fruit , par la quantité d'infectes
& de chenilles que les brouillards occafionnent
dans le mois de Mai. On fait que les chenilles
fur- tout rongent & détruilent les fruits
naiflans où elles s'attachent . Mon ami ajoute que,
s'étant avifé l'année dernière de répandre de la
cendre de tan fur chaque arbre , il avoit eu
beaucoup de fruits ; qu'ayant fait la même chofe
cette année , dès le mois d'Avril , parce que
l'année a paru précoce , il voyoit encore avec
plaifir les apparences de l'efficacité de fon remè
de , & qu'il ne doutoit pas d'une récolte abondante
pour lui ; mais qu'il voyoit en même
temps , avec douleur , fes voifins privés du même
avantage , pour n'avoir pas eu recours au même
moyen. J'aurois voulu , Monfieur , connoître
plutôt ce fecret auffi fimple qu'utile , afin d'en
inftruire le public par la voie de votre Journal.
Mon ami m'apprend encore qu'il s'eft fervi
d'un
moyen rout auffi fimple , pour conferver
les
blés ; c'eft de les mettre en tas avec la paille .
après les avoir vanés , & de les entourrer de chaux
vive. Il affure que non feulement le blé fe conferve
ainfi d'une année à l'autre , fans qu'on y
touche ; mais que ni les fouris ni les infectes n'y
font aucun tort.
J'ai l'honneur d'être , &c.
212 MERCURE DE FRANCE.
BIENFAISANCE.
I.
Fêtes de la Vertu.
PAR un acte paffé chez M. Garnieť
Defchenes , Notaire à Paris , le 10 Février
1775 , le fieut Elie de Beaumont , célèbre
Avocat , & Intendant des Finances de
Monfeigneur le Comte d'Artois , & la
Dame fon épouse , auffi diftinguée que
fon mari par les productions de fon efprit,
ont inftitué à perpétuité , dans leur Terre
& Seigneurie de Canon en Normandie
fous le bon plaifir du Roi , & en actions
de grâces au Ciel pour la groffeffe de Madame
la Comtelle d'Artois , & l'heureuſe
naiffance efpérée d'un futur Duc d'Angoulême
, une fête & folemnité qui fera
appelée la Fête des bonnes - gens.
1
Il y aura quatre prix qui feront diftribués
deux à la fois , alternativement d'an
née en année , & deux médailles par chacun
an , qui y feront diftribuées de même ,
avec des bouquets & des couronnes.
L'un de ces prix , qui fera celui de la
bonne-fille , fera donné à la fille d'une des
JUIN. 1775. 213
Paroiffes défignées dans l'acte , qui aura
été préfentée & nommée dans la manière
prefcrite par un réglement ad hoc.
L'autre prix de la même année fera le
prix du bon vieillard , âgé de foixante- cinq
ans accomplis , nommé & préfenté dans
les mêmes formes que ci- deffus.
L'un des prix de l'année fuivante fera
celui de la bonne- mère , & fera donné à
une femme , mère ou belle- mère de trois
enfans vivans , nommée & préfentée ,
& c.
• L'autre , pour ladite feconde année ,
fera le prix du bon chef de famille , donné
à un homme , garçon ou marié , âgé au
moins de 20 ans , & jufqu'à 35 , &c.
Pour la dotation de ladite fête des bon
nes-gens , & pour les prix qui feront de
300 liv. chacun , médailles , bouquets ,
& c. lefdits Sieur & Dame Elie de Beaumont
donnent & affignent aux Communautés
des Paroiffes de Canon , & autres
défignées , 650 liv . de rente perpétuelle ,
& non- rachetable , fur le Clergé.
Les médailles feront d'argent , à - peuprès
de la grandeur d'un écu de 6 liv, &
continueront d'être portées au côté gauche
par ceux ou celles qui les auront obtenues
. Celle de la bonne -fille repréfentera
214 MERCURE DE FRANCE .
la vertu publique qui couronne l'innocence
, fous la figure d'une jeune fille ,
avec cette exergue , la bonne-fille ; & au
revers , la mention de l'inftitution dans
une couronne de roſes , & tout autour dų
revers les noms de baptême & de famille
de la fille couronnée , le nom de la Paroiffe
, & la date de l'année , avec cette
autre exergue : His pietatis honos .
La médaille de la bonne - mère repréfentera
une femme qui allaite fes enfans ,
& deux autres enfans feront auprès d'elle ,
& un pélican qui s'ouvre le fein , avec
cette éxergue : la bonne - mère ; & le revers
femblable à la précédente , à la différence
près de l'exergue , qui fera : Maternum
pertentant gaudia pectus.
La médaille du bon vieillard repréſentera
la Déeffe de l'Agriculture , aflife fur
des gerbes , qui met fur la tête d'un vieillard
une couronne d'épis de bled , de feuil
les de chêne & de laurier , s'il a fervi le
Roi dans fa jeuneffe , avec l'exergue : le
bon vieillard; & le revers comme la première
, avec cette exergue : Dignum laude
fenem vetat mori.
La médaille du bon chef de famille repréfentera
un jeune homme foutenant
d'une main une femme âgée , & appli
JUIN. 1775 . 215
quant
de l'autre main un jeune garçon au
manche d'une charrue , avec l'exergue du
bon père de famille ; & au revers la même
mention qu'à la première médaille , avec
cette exergue : Colligit amor.
I I.
Je viens , Monfieur , de paffer quelques
jours à la campagne , aux environs
de Romainville . Un petit nombre de Citoyens
, probablement des Bourgeois de
Paris , fe raffemblent les Dimanches &
Fêtes pour s'amufer à tirer au blanc dans
un endroit de ce village. Ils ont voulu gratifier
les habitans & les rendre participans
de leurs plaifirs . Ils ont pour cet effet propofé
l'année dernière une dot de cent écus
pour la fille de Romainville , eftimée par
fes compagnes & par les notables , à la
pluralité des voix , la plus pieufe , la plus
modefte , la plus refpectueufe envers fes
parens , la plus laborieufe & la plus propre
, par fon efprit de fageffe & d'économie
, a former une digne mère de famille.
Son mariage doit fe faire au mois de Septembre
prochain , & elle doit être élue
dans une affemblée du 21 Mai. J'ai lu ces
jours derniers , à la porte de l'Eglife de
216 MERCURE DE FRANCE:
l'endroit où j'étois , l'affiche qui annonce
le jour de cette élection . Elle eft imprimée
au nom du Roi & de M. le Marquis
de Ségur , Seigneur de Romainville . Les
Citoyens dont il eft queftion , ont promis
de tenir fur les fonds de baptême le premier
enfant qui naîtroit du mariage dont
ils ont fourni la dot ; & Madame la Marquife
de Ségur , voulant entrer pour quel .
que chofe dans une fi belle oeuvre , a pro
mis la layette. J'ai cru devoir vous faire
part de ces détails , afin que dans le Mercure
yous les mettiez , fi vous le jugez à
propos, fous les yeux du public. Un pareil
exemple , imité de la Fête de la Roſe de
Salency , ne peut , en fe multipliant , que
tourner au profit des moeurs , & affurer
l'innocence & le bonheur des habitans des
campagnes.
ANECDOTES.
I.
UN Gentilhomme de Fiango , dans le
Japon , avoit une femme d'une rare
beauté , qui l'auroit peut - être long - temps
rendu
JUIN. 1775. 217
rendu heureux s'il avoit fu cacher qu'il
l'étoit . Son bonheur vint à la connoiffance
de l'Empereur , & il lui en coûta la
vie. L'Empereur voulut enfuite obliger
la veuve de venir demeurer dans fon palais
; elle lui en témoigna fa reconnoiffance
, & ne lui demanda que la grâce de
lui laiffer pleurer fon mari pendant trente
jours , & de régaler enfuite fes parens.
L'Empereur y confentit , & les trente
jours écoulés , il voulut être du feftin . Au
fortit de la table , la veuve s'approcha du
balcon de l'appartement , & delà fe jeta
par la fenêtre , pour mettre fon honneur
en sûreté , & pour fatisfaire à la fidélité
qu'elle avoit jurée à fon mari .
I I.
Mahmoud, Empereur des Turcs , fut
averti qu'unTurc de fes troupes avoit chaflé
un homme de fa maifon pour y jouir de fa
femme , de fes enfans & de fes biens ; il
fe rendit dans la maifon de cet homme
quand il fut que le Turc y étoit arrivé , il
entre , il fait éteindre les lumières , &
maffacre le coupable ; l'exécution faite , il
fait rallumer les flambleaux . Dès qu'il vit
le cadavre du coupable , il fe profterna
K
218 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre des actions de grâces à Dieu,
& fit dans ce lieu même un léger repas.
On ofa lui demander les raifons de fa conduire
: j'ai cru , répondit - il avec bonté ,
que l'auteur de ces infamies , ne pouvoit
être qu'un de mes enfans ; mais voulant
obferver une juſtice rigoureufe , & craignant
d'en être détourné par la tendrelle paternelle,
fi mon fils étoit expofé à ma vue,
j'ai voulu mettre les ténèbres entre lui &
moi. J'ai reconnu que le coupable étoit un
étranger , j'en ai rendu grâce au Ciel ; &
j'ai demandé à manger , parce que juſqu'alors
l'inquiétude ne m'avoit pas permis
de prendre aucune nourriture .
I I I.
Anciennement il n'y avoit point de
femmes fur le Théâtre de Londres ; le
Roi Charles II s'impatientant un jour
de ce que le fpectacle ne commençoit
pas , le Directeur vint s'excufer , en
difant que la Reine n'étoit pas encore
rafée.
I V.
On mande de *** , qu'un ancien Ingénieur
de l'Ile - de-France , qui s'ennuie
JUIN. 1775 .
219
de demeurer en France , fe difpoſe à
repartir pour cette Ile. Son intention eft
d'y paffer cinq à fix ans , pour voir s'il
y trouvera quelques refources - contre
cet engourdiffement de l'âme qui le farigue.
Si cet effai ne lui réuffit pas , il
compte revenir paffer en France le refte
de fes jours. Il a 85 ans.
V.
De tous les complimens que M. le
Berthon , Premier Préfident du Parlement
de Bordeaux a reçus à fon retour dans
cette ville , & les remercîmens les plus
gracieux & les plus fpirituels qu'il y a
faits , on en a diftingué un qui eft un
impromptu remarquable , & la réponfo
encore plus. De tous ceux qui s'empreffoient
de complimenter ce Magiftrat ,
perfonne ne l'approchoit fans lui préfenter
une branche de laurier ou de myrthe.
M. le Chevalier de Vigier , qui a fervi
long-temps , avec la plus grande diftinction
, dans le Régiment du Roi , Infanterie
, lui préfenta auffi une branche de
laurier , & lui dit en même temps :
Monfieur , elle est bien petite pour un
homme qui en a mérité de fi grandes.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. le Premier Préfident répondit : Il
eft vrai , Monfieur , qu'elle eft bien petite
pour une main qui en a tant moiffonné.
AVIS.
I.
LE fieur Hochereau , Libraire , Quai de Conti ,
vis à- vis les marches du Pont Neuf , ayant des
correfpondances sûres à Naples , donne avis aux
Amateurs , qu'il s'y eft procuré quelques exeinplaires
complets du précieux recueil d'Herculanum
, déjà porté à fept volumes , grand in folio
& beaucoup de tomes léparés , propres à completter
ce iecueil.
Il vendra chaque volume en feuilles 84 livres ,
& le recueil complet , compofé de fept volumes ,
560 livres ; mais comme la chereté d'un pareil
ouvrage le met dans le cas de s'aflurer du débit
pour y proportionner les achats , il prie les perfonnes
qui voudront bien l'honorer de leur confiance
, de lui donner , avec leurs noms & leurs
adrefles , leurs demandes bien circonftanciées , ne
fe propofant de n'en faire venir qu'au prorata des
ordres qu'il aura reçus & qu'il demande par écrit ,
avec la foumiffion de retirer chaque commiffion
qui lui aura été donnée fitôt qu'elle lui fera arrivée.
On peut être d'autant plus afluré de recevoir
des exemplaires bien conditionnés , qu'ils feront
JUIN. 1775 . 221
choifis par un habile Artiſte , & que le payement
n'en aura lieu qu'après que chacun fera convaincu
de la beauté des épreuves qui lui feront remiſes.
I I.
Effence royale & virginale du fieur Cattiné.
Cette Effence a été choisie pour l'ufage de Sa
Majefté , tant parce que MM . les Valets de Cham
bre du Roi l'ont décidée préférable à tout ce qui eſt
connu pour laver la barbe , que par rapport à les
propriétés pour la peau , qui ont été reconnues
par les examens de MM. les premier Médecin &
ceux de la Faculté de Paris , joint au long ufage
qu'en font les Seigneurs de la Cour ; elle fut aurorifée
par brevet du 24 Juillet 1769 , & elle fe
débite chez M. Lanfon , Diftillateur , Cour Saint
Martin-des- Champs , à Paris , où est le tableau.
Elle ne coûte pas plus que les bonnes favonnettes .
I I I.
Mademoiſelle Charpentier , enclos des Quinze
Vingts , la premiere boutique par la porte de la
rue S. Honoré , au Roi des Indes , vient de recevoir
un aflortiment de toile des Indes , comme
cirsakas , canadaris , dinouchay , fiftreçai , siftremençai
, sirsak , tépoife & autres . Elle tient toujoursdes
pékins , gourgourans , patifages , fatins ,
lampas , damas , belles perfes , angloifes , petites
toiles en or , toiles d'orange & autres ,
choirs des Indes de toutes façons.
& mou-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
VI
Le dépôt des porcelaines de la Manufacture
royale de Sève , qui étoit ci - devant au Palais
Marchand , eft actuellement chez le fieur Laval ,
Marchand Joaillier Bijoutier , à la Tabatière d'or,
rue St Honoré. Ce magafin eft composé des plus
belles pièces dans ce genre.
Il tient auffi un affortiment de bijouterie , qui
ne laifle rien à defirer , tant pour le choix que pour
le goût & les prix.
Il fait envoi dans la Province , & entreprend la
partie du diamant .
"V.
Nouvelle Pommade attractive du Sieur
Chaumont , Perruquier.
Cette pommade , dont l'odeur eft très agréa
ble , a la propriété de faire tenir les toupets poftiches
fur la tête , lans aucun inconvénient , de
manière qu'ils imitent fiparfaitement la naiflance
des cheveux , qu'ils font allufion à la chevelure la
mieux plantée : on s'en fert auffi avec fuccès pour
les perruques fujettes à reculer & à fe déranger.
Comme elle a une couleur de chair , qu'elle
s'étend facilement & ne fond point , elle a l'avan
tage d'effacer fur le front le bord des Perruques ,
telle épaifleur qu'elles aient.
Pour le fervir de cette pommade , il faut l'étendre
légèrement par derrière le premier rang de
JUIN. 1775 . 223
cheveux du bord de la perruque , les avancer un
peu fur le front , en les relevant obliquement fur
eux-mêmes ; ce qui formera une bordure en cheveux
adhérante à la peau , auffi fine qu'on pourra
la defirer ; elle fe vend 30 fols l'once. Les bâtons
font de deux onces chacun .
L'on trouvera chez l'Auteur l'indication de fon
Burcau de diftribution .
Il demeure rue des Poulies , à droite , en entrant
par la rue St Honoré .
ARRÊTS.
I.
ARRET du Confeil d'Etat du Roi du 7 , qui
cafle les Ordonnances des Officiers de la Sénéchauffée
& Lieutenans - Généraux de Police de la
Rochelle des 9 & 10 Mars dernier. La première
en ce qu'elle ordonne la vifite des grains venant
de l'étranger ; & la feconde , en ce qu'elle en fulpend
la vente , fous le prétexte qu'ils font avariés :
fe réfervant Sa Majefté de ftatuer fur les dommages
& intérêts qui peuvent ou pourront être
dûs par lefdits Juges de Police aux Négocians
auxquels lefdits grains appartiennent .
I L
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 22 , qui
fufpend à Dijon , Beaune , Saint- Jean - de-Lône &
Kiv
124 MERCURE DE FRANCE.
Montbard , la perception des droits fur les grains
& farines , tant à l'entrée defdites Villes que dans
les Marchés-
II I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 24 , qui
en renouvelant les défenfes à toutes perfoones
notamment aux Juges de Police ,
à tous les Offi
ciers , &c. de mettre aucun obftacle à la libre
circulation des grains & farines de Province à
Province , accorde à ceux qui feront venir des
grains de l'étranger dans le Royaume , une gratification
de 18 . par quintal de froment , & de
12 1. par quintal de feigle.
IV.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 23 Avril
dernier , qui exempte de tous droits d'entrée dans
Je Royaume , les livres imprimés ou gravés , foit
en françois , foit en latin , reliés on non reliés ,
vieux ou neufs , venant de l'étranger.
2
NOUVELLES POLITIQUES.
D'Athenes , le 20 Février 1775 •
CENT-CING
¿ENT - CINQUANTE Grecs de la Morée ont fait
une defcente dans l'Ifle d'Egina le 2 de ce mois , &
yont commis toutes les horreurs du brigandage
le plus décidé.
JUI N. 1775. 225
Du Caire , le 21 Février 1775-
Méhemet Bey , inftruit que les Anglois avoient
des lettres à lui remettre de la part du Gouverneur
de Bombay , vient de charger le Douanier
de lui préfenter ces Etrangers & d'avoir pour eux
toute forte d'égards . Le Gouvernement d'Egypte
eſt très - diſpoſe à favorifer le commerce des Indes
par la Mer Rouge , & à y attirer les Navigateurs
Européens qui pourroient y faire un cabotage
utile. Ils doivent ces difpofitions à la connoillance
qu'on a de leur expérience & de l'ignorance des
Mariniers du pays.
De Rome, le 22 Mars 1775•
Les fouilles faites depuis peu à Tivoli , one
procuré des découvertes précieufes pour les Amateurs
de l'antiquité & des arts. On a trouvé différentes
ftatues de grandeur naturelle , d'un travail
achevé ; entr'autres une figure en pied repréfentant
Apollon touchant de fa lyre ; une autre
repréfentant Thalie couronnée de lierre , & portant
une houlette & un mafque ; une Melpomène
avec un mafque tragique & la couronne de Bacchus
, & une Polymnie enveloppée d'une draperie
& couronnée de fleurs . Parmi les autres morceaux
curieux trouvés en cet endroit , où l'on
croit que la maiſon de campagne de Caffius étoit
fituée , on remarque fur- tout un tableau en mofaïque
, très- bien confervé. Ce tableau repréſente
une barque fur le Nil , pourfuivie par une hippopotame
& par un crocodile. On voit dans la barque
un grand nombre de figures , & entr'autres
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Matelot qui défend , avec un trident , fon bâtiment
contre la fureur de ces animaux.
On vient de découvrir , en dehors de la Porte
Majeure , un monument précieux de l'antiquité,
C'est une tête de marbre que l'on croit être celle de
l'Empereur Vitellius.
De Livourne , le 12 Avril 17756 ·
Le peu de fuccès du Roi de Maroc devant
Mélle , & les forces confidérables que le Roi
d'Espagne raflemble , ont répandu la confternation
parmi les Etats Barbarefques & particulièrement
à Alger. Quelques gens prétendent que ces
Puiflances immolent leurs querelles particulières
à la crainte générale , & qu'elles ont conclu entr'elles
une alliance offenfive & défenfive , pour
être plus en état de faire tête aux Elpagnols .
Mais cette nouvelle paroît moins avérée que la
déclaration de guerre du Roi de Maroc aux Algériens.
Des Frontières de la Ruffie , le 16 Avril
1775.
Des lettres de Cafan parlent d'un foulevement
arrivé au pays des Baskirs. On prétend qu'ils ont
voulu , à l'exemple des Tartares de Barabinskoy,
s'affranchir du tribut qu'ils paient depuis deux
fiècles aux Souverains de Ruffie . Ils ont chaílé
les Receveurs de ce tribut , tué ou maltraité des
Popes qui leur avoient été envoyés pour travailler
à leur converfion , & placé leurs Idoles &
les images du grand Lama dans les Chapelles
ambulantes que les Prêtres Rufes avoient établies
JUI N. 1775. 227
au milieu de leurs Hordes. Ces Peuples font voi
fins d'une Nation Tartare qui reconnoît l'Empire
du Dey - Lama , & de celle des Calmouks
Usbeks. Le Gouvernement prend des mesures
les faire rentrer dans l'ordre.
De Vienne , le 15 Avril 1775 .
pour
L'attroupement des payfans de la Bohême eft
diffipé tous les mutins font rentrés dans le
devoir. On a publié un pardon général & on
attend une nouvelle Ordonnance qui doit fixer à
trois jours par femaine les corvées de ces Paylans
pour leurs Seigneurs.
On vient de défendre aux foldats la poudre & la
frifure. Les cheveux des faces feront renfermés
déformais dans la queue.
De Londres , le 20 Avril 1775 .
Un Vaiffeau arrivé de la Guinée a apporté , diton
, la nouvelle que les Foulis , Peuples defcenda
des Arabes , avoit paru depuis peu en grand nombres
fur les bords de la rivière de Gambie, & qu'ils
avoient commis plufieurs actes d'hoftilité contre
les Anglois. Ces nouvelles ajoutent que ce Peuple,
Mahoméran rigide , eft très - puiflant & très-intruit
des avantages de la traite de l'or , de l'ivoire
& des Efclaves , & que fa bravoure peut nous
caufer de grands embarras fur cetre côte .
Le Congrès provincial , aflemblé à Concord ,
dans la baie de Maßachufert , a fait , le 24.
Mars , un arrêté pour recommander aux Peuples
de redoubler leurs efforts & leur réſiſtance ·
1
K vj
128 MERCURE DE FRANCE.
contre les entreprifes de l'ennemi commun , quefque
rifque qu'il y eût à courir. Cet arrêté eft figué
de J. Hamock , Préfident , & du Secrétaire de l'Affemblée.
On affure que trois des Régimens qui viennent
de s'embarquer , ont ordre de fe rendre à Philadelphie
, ou doit fe tenir le Congrès généralindiqué
au 10 Mai.
Vingt-quatre bâtimens de tranſport , chargés
de Troupes pour le camp de Bofton , font partis
de Corck ( en Irlande ) le 28 Avril.
On apprend que la Province de la Nouvelle-
Yorck envoie des Délégués au Congrès de Philadelphie.
On ajoute que dans le Comté de Cum
berland, colonie de cette Province , les Infurgens ,
au nombre de cinq cents , peu fatisfaits de leurs
Magiftrats , les ont enlevés , & l'indécifion du
genre de mort qu'ils leurs feroient fubir a fauvé
leurs jours , en donnant le temps aux Habitans de
la Nouvelle - Hampshire de s'emparer de cesJuges
qu'ils ont conduits dans leurs prifons . On ne laifle
traverser le Comté de Cumberland par aucun
voyageur fans un pafle - port figné du Comité . De
tous les Officiers de Juftice , ils n'en ont confervé
deux , dont ils ont reftreint les fonctions à la
feule connoiffance des affaires criminelles .
que
De la Haye , le 28 Avril 1775.
Le Docteur Plenicz , de Vienne en Autriche ,
connu par plufieurs Ouvrages , a remis , avec la
permiffion de l'Impératrice- Reine , aux Miniftres
de Hollande & d'Angleterre , un fecret de fon
invention pour la confervation des bois , avant
JUIN. 1775 . 229
après l'emploi qu'on en fait dans la Marine .
Oa doit conftater la réalité & l'importance de
cette découverte par des épreuves faites avec
foin dans les Ports où les bois font le plus expofés
à fe détériorer.
On a reçu à Amfterdam des lettres de Modagor
, en date des 16 & 17 Mars , fuivant lefquelles
l'Empereur de Maroc venoit de faire publier
qu'aucun Vaifleau n'approchât de fes Ports avant
le lever ni après le coucher du ſoleil , fous
peine de payer 1000 pièces de huit , indépendamment
des fuites fâcheufes auxquelles ces
vaiffeaux pourroient être expolés en contrevenant
à la défenſe.
De Paris , le 12 Mai 1775.
Les mêmes brigands qui avoient enlevé le
Bled , la farine , le pain à Pontoile , à Saint-
Germain , à Verfailles , font venus ici piller la
Halle au pain , les différens marchés & les Boulangers
; ils fe font enfuite répandus dans les Villes
, Bourgs , Villages qui avoifinert la Capitale.
Ce n'eft pas le befoin qui a porté ces malheureux
à ces excès . Ils ne manquent ni de pain , ni d'argent.
Ils laiffent même de l'or dans les lieux où ils
fixent les bleds & le pain au- deffous de leur valeur.
Il est évident qu'ils n'ont d'autre but que de dé
pouiller les Propriétaires , de ruiner les Fermiers
& les Laboureurs, & d'anéantir la fubfiftance
qu'ils jettent & qu'ils difperfent. Le Gouvernement
a pris de juftes mefures pour rétablir la
tranquillité ; les malfaiteurs font actuellement
pourfuivis fans relâche . L'excès du défordre a
forcé d'aurorifer les Troupes à repouffer la vio
130 MERCURE DE FRANCE.
lence par la force , & l'on fera une punition
prompte & exemplaire de ceux qui feront arrê
tés.
Les brigands qui courent les Villes & les campagnes
pour enlever & détruire la fubfiſtance du
Peuple , s'étant rendus à Mery - fur- Oife , y ont
pillé un bateau de bled , & ont excité les Habitans
du lieu à fe joindre à eux & à voler le grain.
Le Curé , par un prône touchant & par les exhortations
qu'il a faites dans tous les Hameaux où il
s'eft tranfporté , a déterminé tous les Paroiffiens
à rendre ce qu'ils avoient pris , tant en bled qu'en
farine , ce qui a été complettement exécuté Le
Roi , informé de la conduite qu'a tenue ce Curé ,
lui a fait aflarer une penfion de 1200 liv . fur le
premier bénéfice qui viendroit à vacquer.
Les reftitutions qui ont commencé par Méry ,
fe font étendues : il s'en fait journellement de
tous côtés , loit en nature , foit en argent. Le
Roi a fait publier un ban par lequel il fait grâce
à tous ceux qui n'étant ni les chefs , ni les inftigateurs
du délordre , ont été entraînés dans les
attroupemens par l'exemple & la féduction , à
condition qu'ils reftitueront en nature ou en ar
gent , les grains , farines & pains qu'ils auront
pillés , ou qu'ils fe feront fait donner au- deffous
du prix courant .
fa
Sidi Abdhraman Bediri Aga , Envoyé du Pacha
& de la Régence de Tripoly de Barbarie , eft
arrivé à Paris : il a eu , le 17 de ce mois ,
mière audience du fieur de Sartine , Secrétaire
d'Etat ayant le département de la Marine.
preJUI
N. 1775. 231
PRESENTATIONS.
Le 30 Avril , la Marquise de Coigny & la
Comtefle de Chapt ont eu l'honneur d'être préfentées
au Roi & à la Famille Royale , la première
par la Comtefle de Coigny , & la feconde
par la Comtefle de Raftignac.
I Le Mai , le Marquis de Segur , Chevalier de
l'Ordre du Roi , a eu l'honneur de faire fes remercimens
à Sa Majeſté , en qualité de Commandant
de la Franche - Comté ; & il a été préſenté,
en la même qualité , à la Reine & à la Famille
Royale.
Le 7 Mai , les Députés des Etats d'Artois ont
eu audience du Roi , auquel ils ont été préſentés
par le Marquis de Levis , Gouverneur de la Province
, Lieutenant Général des armées du Roi &
Capitaine des Gardes de Monfieur ; & par le Maréchal
du Muy , Miniftre & Sécretaire d'Etat ,
ayant le département de la guerre. Ils ont été
conduits à cette audience par le Marquis de Dreux,
Grand Maître de cérémonies , & par le fieur de
Watronville , Aide des cérémonies . La députatien
étoit compofée , pour le Clergé , de l'Evêque
de Saint Omer , nommé à l'Archevêché de Tours,
qui portoit la parole ; pour la Noblefle , da
Marquis d'Aouft , & pour le Tiers - Etat , de
fieut Brunet , Ecuyer , ancien Confeiller- Penfionnaire
de la ville & cité d'Arras.
La marquife de Barbançois , la comtefle d'Ecquevilly
, la marquife de Goulet & la marquife
232 MERCURE DE FRANCE.
de Valanglard ont eu l'honneur d'être préfen
tées , le 7 mai , à leurs Majeftés & à la Familleroyale
; la première , par la marquife de Turpin ;
la feconde , par la marquile d'Ecquevilly ; la
troifième , par la Princefle de Beauveau ; & la
quatrième , par la Princeffe de Guiftel .
+
Le 9 Mai , le duc Charles- Augufte de Saxe-
Weymar -Eilenack, & le prince Frédéric- Ferdinand
, fon frère , qui voyagent fous le nom de
comtes d'Alftede, prirent congé de Leurs Majeltés
& de la Famille Royale , étant préfentés par
le comte de Mercy , amballadeur de Leurs Majef
tés Impériales & Royale en cette cour ; & conduits
par le fieur la Live de la Briche , introducteur
, & le fieur de Séqueville , fecrétaire ordinaire
du Roi à la conduite des ambaſſadeurs ,
qui précédoit.
Le 14 mai , le fieur Albert , lieutenant-général
de Police de Paris , a eu l'honneur d'être préſenté
en cette qualité au Roi, par le duc de la Vrillière ,
miniftre & Secrétaire d'Etat.
La marquife de Choifeul a eu l'honneur d'être
préfentée , le 14 mai , à Leurs Majeſtés & à la
Famille royale , par la Marquife de Choifeul ,
Douairière.
Le 21 mai , la comteffe de Turenne a eu l'honneur
d'être préfentée à leurs Majeſtés , ainſi qu'à
la Famille royale , par la vicomtefle de Noailles.
Le 18 du mois d'avril dernier , le vicomte de
Villereau , officier au régiment des Gardes - Françoiſes
, a eu l'honneur d'être préſenté à Leurs
Majeftés & à la Famille royale.
L'on répéte ici cette préfentation , parce qu'au
dernier Mercure , dans lequel elle a été inférée,
JUI N. 1775 . 233
l'on avoit mis le vicomte de Villerau , au lieu
qu'il faut lire de Villereau .
NOMINATIONS.
Sa Majefté a accordé l'Abbaye de Haute-Fontaine
, ordre de Citeaux , diocèle de Châlons - fur-
Marne , à l'abbé Berthelot , inftituteur des enfans
de France.
Sa Majesté a accordé la place de commandeur ,
vacante dans l'ordre de Saint- Louis par la mort
du marquis de Broc , au comte de Gayon , lieutenant
-général des armées du Roi.
Le Geur le Noir ayant remis au Roi la démiffion
de la place de lieutenant-général de police
de Paris , Sa Majesté a nommé à cette place le
fieur Albert , ci - devant confeiller au Parlement,
& intendant du Commerce..
Le Roi a auffi donné au fieur la Garenne ,
fergent- major au Régiment des Gardes- Françoifes
, une commiffion pour commander la Garde
de Paris & le Guer à pied .
Le Roi a difpofé de la place de commandeur ,
vacante dans l'Ordre de Saint Louis › pat la
mort du fieur de la Graulet , en faveur du fienr
de la Merville , maréchal de camp , lieutenant
de Sa Majesté à Lille.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre
au maréchal de Nicolay.
Le Roi a nommé aux places vacantes dans
la chappelle de Madame Adelaïde > & fur la
234 MERCURE DE FRANCE.
préfentation de cette Princeffe : 1. à la place de
chapelain , fur la démiffion de l'abbé de Pertuis
, l'abbé de Lucy , clerc de Chapelle ordinaire'
: 2º. à la place de clerc ordinaire de Chapelle
ordinaire , l'abbé Rollet , chapelain de
quartier: 3 ° . à la place de chapelain de quartier
, l'abbé Baranchon , clerc de chapelle de
quartier : 4° . à la place de clerc de chapelle de
quartier , l'abbé Raulin , docteur de Sorbonne ,
chanoine de Périgueux.
Le 18 Mai , le Roi a nommé caudataire de
Sa Majesté pour porter la queue de fon manteau
à la cérémonie de la réception de grand
maître de l'Ordre du Saint - Efprit , qui fe fera à
Reims le furlendemain de fon facre , le vicomte
de Talaru , premier maître d'hôtel de la
Reine.
MARIAGES .
Le 30 Avril , le Roi & la Famille Royale ont
figné le contrat de inariage du marquis de Lou
vois , lieutenant général du Royaume de Navarre
, & Pays de Béarn avec la baronne de
Huffel , née Vriéfen .
·
Le 7 Mai , le Roi figna , ainfi que la Famille
Royale , le contrat de mariage du marquis de
Tragin , avec Demoiſelle Blondel d'Azincourt ,
& celui du marquis de Folleville , capitaine au
Régiment de Bourbon , cavalerie , avec Demoifelle
de Buffy. ,
Le 21 Mai , le Roi , la Reine & la Famille
JUIN. 1775 . 235
avec
Royale ont figné le contrat de mariage du marquis
de Saint Hermines , gentilhomme d'honneur
de monfeigneur le comte d'Artois ,
Demoitelle de Polignac ; celui du comte de la
Farre , aide- major de la Gendarmerie , avec Demoifelle
de Caramant ; celui du comte de Vauban
, lieutenant de Roi de la province de Franche-
Comté , avec Demoiſelle de Barbantane , &
celui du comte de Folieres , meftre - de camp de
Dragons , avec Demoiselle de Gleon .
NAISSANCES.
La princefle Caroline , foeur du Stathouder ,
époufe du prince de Nalau - Weilbourg , eft ac
couchée d'un fils , le premier Mai , à Kirckeim .
La nommée Jeanne Boucher , femine de Jean-
Charles Innocent Carmin , foldat au Régiment
des Gardes Suitles du Roi , eft accouchée , le 13
Mai , de trois garçons , qui fe portent bien.
BAP.TÊ ME.
Le Jeudi 4 Mai , la Reine , repréſentée par
Madame la maréchale de Mouchi , & mon (eigneur
le comte d'Artois , repréſenté par M. le
comte de Bourbon Buffet , ont fait l'honneur
aux fieur & dame Gretry de tenir leur fille fur
les fonts de baptême , dans l'Eglife de Notre-
Dame de Vertailles ; elle a été nommée Antoinette-
Charlotte-Philippine.
236 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Le 27 Avril 1775 , très-haut & très- puiffant
Seigneur , Monfeigneur Charles - Frédéric de la
Tour-du-Pin de Bourlon , marquis de Gouver
net , vicomte de Calvinac , baron d'Aix , Seigneur
de Chaunac , Auberive , Laudfer , Senevienes
, & autres places , gouverneur de Mon
telimart , fénéchal de Diois & Valantinois
eft mort âgé de 80 ans & demi , étant né le 7
Novembre 1694. Il étoit le chef de la Mailon
de la Tour -du-Pin Bourlon ; en lui s'éteint la
branche aînée de cette Maifon , n'ayant eu que
trois foeurs mariées , l'aînée , dont la postérité
eft éteinte avec le Marquis de Cruflol Monfales
; la feconde mariée avec le marquis de Vegnes
; elle a laiflé un fils reçu chevalier de Malthe
, & marié avec Mademoiſelle de Maugiron ;
la troisième mariée avec le marquis de Miramond
, dont il y a trois fils , l'aîné mariée avec
Mademoiſelle de Sanfac ; le fecond vicaire- général
d'Autun ; le troisième Chevalier de Malthe
, & officier aux Gardes- Françoiſes.
Anne Coujard fille , eft décédée le 19
Avril , en la ville de Château Chinon , âgée de
cent ans. Elle a conſervé juſqu'au dernier moment
la mémoire la plus heureuſe , & peu de
jours avant la mort , elle lifoit encore avec facilité
.
Le fieur de la Graulet , brigadier des armées
du Roi , commandeur de l'Ordre de Saint Louis ,
lieutenant pour Sa Majefté du Château - Trom
pette , eft mort à Bordeaux le 25 Avril.
JUI N. 1775 . 23.7
Pierre Antoine Rome , abbé commandataire
de l'Abbaye d'Autrai , eft mort à Paris le 2 Mai,
âgé de foixante trois ans.
Luc-François de Laurencin , chevalier baron
de Chanzé , feigneur dudit lieu , y eft mort dans
fa quatre-vingt- quinzième année.
Anne-Elifabeth Amiot , veuve du fieur Motin
, marchand à Bourg- en- Brefle , y eft morte
le 4 Mai , dans la cent- deuxième année de fon
âge. Il n'y a pas plus de fix mois qu'elle avoit
fait cinq lieues à pied dans le même jour.
La Reine de Danemarck , Caroline- Malthilde ,
foeur du Roi d'Angleterre , eft morte le 10 Mai
à Zell , dans l'Electorat de Hanovre dans fa
vingt-quatrième année.
>
La Comtefle de Périgord , dame d'honneur
de Mefdames Victoire & Sophie eft morte à
Verfailles le 22 Mai.
LOTERIE S.
Le cent foixante- treizième tirage de la Loterie
de l'Hôtel- de - Ville s'eſt fait , le 26 du mois
de Mai , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv . eft échu au No. 16136. Celui
de vingt mille livres au N° . 11182 , & les deux
de dix mille , aux numéros 11200 & 11589.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le 5 Mai . Les numéros fortis de
la roue de fortune font 15 , 4. 12 , 37 , 39. Le
*prochain tirage le fera les Juin.
238 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe, pages
Epître d'une jeune Religieufe à fa Soeur ,
Le retour du printemps ,
Les Oiseaux ,
ibid.
13
14
19
20
21
Vers de Claudien appliqués au mariage de Mde
Clotilde ,
Impromptu à Mad. la Comtefle de Clary.
Epigramme ,
L'Amour tel qu'il eft ,
L'Amour chez les deux fexes ,
Grande Vérité ,
Sur M. *** ,
Quels fentimens !
ibid.
22
ibid.
23
ibid.
Grand principe,
Epître fur le Bonheur ,
24
ibid.
29
30
Vers pour mettre au bas du portrait de M. Ri-
50
ibid.
52
བྷཱམྦཱ ཏྠཱ ཡཙྪཱ ཡྻཱ ॰ , ཝོ ཡཝཾ ཡདེ ཝཝཾ R
L'Officier prévoyant,
Rofélie , conte ,
goley deJuvigny ,
Le Ver luifant & le Roffignol , fable.
Epitaphe du Marquis de L...
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Menuet des Nymphes de Diane ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
De la connoiffance de l'Homme ,
Sageffe de Louis XVI ,
Les confidences d'une jolie femme ,
53
57
58
66
ibid.
76
JUIN. 1775 . 239
Recherches critiques ,,hiftoriques , fur la ville
de Paris ,
L'ame d'un bon Roi ,
Tablettes aftronomiques ,
88
90
91
92
95
96
ibid.
97
Principes fondamentaux de la conftruction des
places ,
Avis au peuple fur fon premier befoin ,
Liberté du commerce & de l'induftric ,
Journal de Littérature ,
Diction, portatif , théologique , & c.
Inftructions chrétiennes ,
Traité économique & phyfique des Oiseaux
de balle - cour ,
Avis aux mères qui veulent nourrir leurs enfans
,
ΙΟΙ
102
105
Difcours prononcés dans l'Acad. Françoile , 107
Eloge de Louis le Bien - Aimé ,
Monfieur Caflandre ,
128
133
Théâtre de Campagne ,
de Shakespeare ,
Banquiers ,
Manuel Militaire ,
147
150
Réflexions fur les avantages de la Gazette des
Journal des caufes célèbres ,
Mon dernier mot ,
Annonces ,
152
153
ibid.
155
159
Académie Françoile ,
164
SPECTACLES. 166
Concert Spirituel ,
ibid.
Opéra , 167
Comédie Françoiſe
Comédie Italienne
181
182
ARTS.
136
Gravures , ibid.
Sculpture , 190
240 MERCURE DE FRANCE:
Mufique.
Vers pour mettre au bas du portrait de M.
Turgot ,
Lettre à M. Lacombe ,
193
195 i
ibid.
Lettre à M. de Voltaire , 196
Réponse de M. de Voltaire , 197
Lettre à M. l'Abbé *** , 198
Copie de la lettre du Roi envoyée aux Evêques
, 203
Inftruction , 204
Variétés , inventions , &c. 209
Lettre à M. Lacombe , 21X
Bienfaisance,
22
Anecdotes. 216
Avis ,
220
Arrêts , 223
Nouvelles politiques ;
224
Préſentations , 231
Nominations , 233
Mariages ,
234
Naillances , Baptême ,
235
Morts ,
236
Loteries , 237
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
le Volume du Mercure du mois de Juin 1775 »
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion.
A Paris , le 31 Mai 1775. TRELLE
LOUVEL.
De mp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
Qualité de la reconnaissance optique de caractères