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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
AVRIL, 1775.
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
DU
GHITEAL
D'EU
Reugnet
APARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriftine ,
près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Rund-
BRA
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2 vol. br.
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Bibliothèquegrammat. 1 vol in- 8 °. br. 2 1. 10 f.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné, in - 12. br. 2 1.
Les Mêmes in- 12 . petit format ,
Poëme fur l'Inoculation , in - 8 ° . br.
I l. 16 f.
31.
Ile liv. en versfr. des Odes d'Horace , in- 12. 21.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe
in 8 °. broché , 11.46
51.
9 l.
Journal de Pierre le Grand , in - 8 ° . br.
Inftitutions militaires , ou Traité élémentaire
de Tactique , 3 vol. in - 8 ° . br.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in- 8 °. br.
Fables orientales , par M. Bret , vol . in-
8°. broché ,
11. 10 f..
3 liv.
21. zof
La Henriade de M. de Voltaire , en vers la
tins & françois , 1772 , in- 8°. br.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
enfans contrefaits , in- 8 °. br. avec fig. 41.
Les Mufes Grecques , in-8 °. br. 1 l. 164.
Les Pythiques de Pindare , in- 8 °. br. 5 liv.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c, in - fol. avec planches ,
rel , en carton , 24 l
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in- 4° . avec figures, rel. en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
3 4.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1775 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A M. DE SAINT- LAMBERT.
T
Par un Ruffe.
or dont le pinceau vrai, gracieux & facile
A tous les agrémens du pinceau de Virgile ;
Toi qui fais dans Paris , émule de Tomplon ,
Confacrer à Cérès les fleurs de l'Hélicon ;
Aimable Saint-Lambert , que ta Mufe m'enchante !
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Elle eft belle fans fard ; à ſa voix confolante
Un fentiment nouveau pénetré dans mon coeur :
J'entrevois les verrus qui menent au bonheur.
Mon âme en treflaillant rejette l'impofture ,
Et je me lens meilleur , plus près de la nature .
Ton Poëme à la main , je parcours quelquefois ,
Mes plaines , mes côteaux , mes vallons & mes
bois ;
J'apperçois le flambeau , précédé par l'aurore ,
Sortir du fein des mers que fon éclat colore ; *
Je jouis du midi , de la fin d'un beau jour ;
Chaque objet pour tes vers augmente mon amour.
Tu peins ce queje vois , & tu le peins en maître.
Le bourgeon entr'ouvert , la fleur qui vient de
naître ,
Cette fource qui fuit , ces odorans berceaux ,
L'haleine des zéphyrs , le doux chant des oileaux,
Mes troupeaux bondiflans fur la verte prairie ,
Les épis vacillans dans la plaine jaunie ,
Ces fites variés , ces grouppes , ce lointain ,
Tout ce qui m'environne eft tracé de ta main .
Cependant fi le fort t'eût conduit fur ces rives ,
Où la Newa fix mois tient les ondes captives ;
* La campagne de l'Auteur eft fur les bords da
golfe de Finlande.
AVRIL. 1775 .
Ou , d'un char parcffeux , Phébus verſe longtemps
Une clarté douteufe & des rayons mourans ;
La Nature , fublime , étonnante , énergique ,
Eût fans doute occupé ton efprit poëtique.
Tu peignis les hivers ; mais ceux de nos climats
Ost pour l'obfervateur de plus piquans appas ,
Des traits plus reflentis , un plus grand caractère .
Quand l'Epoux d'Orythie , exhalant fa colère,
Par fes horribles cris trouble les élémens ,
L'oeil refte environné de fpectacles frappans.
Un Océan de neige inonde les campagnes ;
On ne diftingue plus les vallons des montagnes ;
Les lacs font difparus , & plus le ciel eft pur ,
Plus un froid pénétrant condenſe ſon azur.
La fumée , en touchant l'invifible barrière,
Retombe fur les toits & roule jufqu'à terre ;
Tandis que le duvet argenté de nos champs
Jette un éclat femblable aux feux des diamans.
Les troupes des oileaux , dans le vague planan .
tes •
S'abattent brulquement & tombent défaillantes.
Sur l'agile courfier le poil eft hériflé ,
Des horreurs du trépas chaque être eft menacé .
S'éloignant une fois de nos palais profanes ,
La terreur va ſceller les portes des cabanes :
Et Neptune lui- même , en ces lieux confterné ,
Sous un albâtre épais languit emprisonné.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE:
C'eft dans cette faifon , au milieu des nuits fom
bres ,
Qu'un météore ardent vient triompher des om ?
bres ; *
Il ramene le jour. Miniftre du fommeil ,
Morphée eft plein d'effroi fur l'horifon vermeil ,
En voyant tout à coup les traits de la lumiere
Interrompre fes loix , rétrécir la carriere.
Une flamme légere en fes longs mouvemens
Eparpille dans l'air des faiſceaux ondoyans ,
Et des cieux moins brunis les voûres impofantes
Se revêtent fouvent de colonnes brillantes.
Mais c'eft peu ; contemplons ces momens déſaftreux
,
Ces orages d'hivers , ces ouragans affreux ,
* L'aurore boréale devient plus intéreſſante à
mefure qu'on s'approche du Pôle . Ce phénomène
ne paroît dans tout fon éclat qu'entre le 60 ° & le
70° degré de latitude feptentrionale. Ceux qui
veulent s'en former une idée précife peuvent con
fulter le grand Dictonnaire Encyclopédique ,
article Aurore boréale.
** Cette elpece d'ouragan , nommé en Ruſſe
métel , eft très redoutée . Elle fait périr nombre
de perfonnes en route . Ses effets font incomparablement
plus fenfibles en Sibérie & dans ce
AVRIL. 1775. 9
Quand l'Aquilon , doublant l'horreur & la froi
dure ,
Charge encor le tableau des maux de la nature.
Il chaffe des côteaux , dans le fond des vallons ,
Ceshumides tapis de neige & de glaçons .
Et lance en même temps , fur les cimes pelées ,
Les flocons entaflés dans le creux des vallées.
Ces tourbillons , ces corps l'un à l'autre oppofés ,
Ce choc des élémens l'an par l'autre brifés ,
Troublant le Voyageur dans le champ qui va
cille ,
L'enferment avec bruit dans un globe mobile.
Il marche ; l'orbe cede. Où diriger les pas !
Près de lui , loin de lui fe preffent les frimats ,
Et le ciel & la terre , & les objets fenfibles
A fes yeux étonnés deviennent inviſibles.
Mais il ne reste plus de traces de nos maux
Quand le foleil vainqueur entre dans lesGémeaux.
Quels tranfports raviflans ! quel charme inexprimable
!
Zéphyr , en devançant une Déeffe aimable ,
Par un fouffle paifible & plein de volupté ,
Epanche mollement la vie & la fanté.
Ilfe joue , & tout prend une face nouvelle ;
qu'on nomme les ſteps ou déferts , que dans les
provinces intérieures de l'Empire.
Av
10 MERCURE
DE FRANCE .
L'Idalic eft aux lieux rajeunis par fon aile.
Sous les aftres de l'Ourfe on trouve le Lignon .
La folie a banni l'ennui de ce canton .
Le fentiment s'éveille & s'enflamme fans cefle .
Echo prolonge au loin le cri de l'alégrefle ,
Ce cri délicieux , le fignal du printemps ;
Et l'enfant de Paphos eft le Dieu de nos fens.
La loi qu'il nous impofe eft la feule adorée.
On s'abreuve à longs traits dans fon urne facrée.
Que la tendre Euphrofine & les touchantes Soeurs ,
Inclinent pour Chloé plus que pour les grandeurs ;
Une Dane titrée au fond de l'âme enrage
De céder d'agrémens aux Nymphes du village ;
C'est un affont , dit- on , fait à la qualité. *
Ah ! rien ne plaît au coeur fans la fimplicité.
En vain à le parer Dorphife fe tourmente ,
L'art éblouit fans doute & la nature enchante.
Ce n'eft point par degrés que Flore en nos climats
Aflemble les atours & reprend les appas.
A peine le Zéphyr carefle la prairie ,
Apeine ces climats font rendus à la vie ,
Que le front de Cybele eft nuancé d'émaux .
L'émeraude a percé l'écorce des rameaux ,
Et déjà Philomèle au fein d'un verd bocage ,
De les accens perlés charme le voifinage.
*Vers de la Comédie de Nanine,
AVRIL. 1775 .
11
Des parfums du matin les airs font impregnés .
Dans cet enchantement , dans ces temps fortunés ,
Le Laboureur confie au guéret qu'il fillone
Des trésors qu'en deux mois il décuple & moilfonne.
*
Dans le coeur de l'été pénétrons fous le ciel ,
Où l'on voit dominer les remparts d'Arcangel ;
Minuit fonne , & le jour éclaire ces contrées . **
* On a cherché à exprimer deux vérités dans ce
vers ; l'une , qu'entre Mofcou & Pétersbourg il
ne s'écoule guères que deux mois depuis le temps
qu'on feme les grains en Mars , jufqu'à celui où
on fait la récolte . L'autre , que les femences ripportent
dix grains pour un. C'est même quelque
chofe de commun en Ingrie , en Eſtonie
vori ..
en Li-
** Ces vers font imités d'un morceau de la
Pétréade de feu M. Lomonofow où Pierre le
Grand eft repréfenté naviguant fur la Mer Blan
che. En voici la traduction littérale . « L'aftre du
» jour atteint minuit & ne cache point la face are
» dente dans l'aby ( me. Il paroît comme une montagne
de flammes au deflus des vagues , &
étend un éclat pourpré de derriere les glaçon
» Au milieu d'une nuit merveilleufe , éclairée de
tous les rayons du foleil , les fommets dorés
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
De l'Océan du Nord les vagues azurés ,
Ecument de fatigue en rompant le rayon
D'un difque , qui fe meut fans quitter l'horifon
L'édifice pompeux , aux ailes blanchiflantes ,
Qui vole en effleurant les plaines mugiflantes ,
Par les noeuds du commerce arrêté fur ces bords ,
Va transporter au loin nos utiles trésors ; *
Sans avoir entrevu dans les courſes célebres ,
Ni lesfaphirs des nuits , ni l'aftre des ténebres .
Aux bornes de ces mers , quels colofles brillans
Semblent toucher les cieux de leurs fronts menaçans
?
Leur afpe &t fait frémir. Ces mafles formidables
Sont l'onde transformée en rocs inaltérables.
Le fluide , durci par d'éternels hivers ,
Plus haut que l'Apennin s'éleve dans les airs .
Des monftres à fes pieds , méditant fa ruine ,
» des flots vacillans éblouiffent l'oeil du Naviga
ǝteur ».
* Prefque toutes les marchandiſes qui fortent
de Ruffie font des objets de premiere néceffité ,
comme le chanvre ; le fer , le cuivre , les mâts
les bois de conftruction , la cire , le fuif , & c. &
les grains , branche nouvelle de commerce que le
pays doit à l'augufte Catherine II . On croira difficilement
à quel point ce dernier article augmente
l'exportation qui fe fait par Arcangel.
AVRIL. 1779: 13
Ne peuvent ébranler fa profonde racine ;
Et lorfque le foleil tempere les ardeurs ,
Ces prifmes merveilleux répetent les couleurs .
Hélas ! où m'emportai - je , & quel espoir m'abuſe !
Pour rendre ces objets il nous faudrait a Mule.
Elle feule pourrait , fur ces bords écartés ,
Deffiner noblement ces locales beautés .
O ! combien j'applaudis , alors que ton génie
Des habitans des champs m'offre la bonhommie ,
Leurs vertus fans apprêts , leurs fêtes fans langueur.
La chafteté , la foi , l'équité , la candeur ,
La franchiſe adorable & les amours finceres
Semblent être en dépôt fous les toits følitaires :
Dans ces humbles hameaux que dédaignent les
Grands ,
On y trouve , au lieu d'or , de paifibles momens.
La médiocrité ne connaît point d'alarmes .
Après un long travail le repos a des charmes.
Le plaifir cft plus pur quand il n'eſt point payé ,
Et qui n'eft pas oifif n'eft jamais ennuyé.
Je les vois quelquefois ces Bergers , ces Bergeres ,
Ces Villageois contens au feuil de leur chaumieres:
Que je méprile alors nos lambris faſtueux !
Le calme eft dans mon coeur , la gaîté fous mes
yeux ;
Il ne manque plus rien au bonheur de ma vie,
14
MERCURE DE FRANCE.
Heureux qui , s'appuyant fur la philofophie ,
Modefte en fes defirs & fans biens fuperflus ,
Dans un séjour obfcur cultive les vertus !
Lié par les devoirs , & non chargé d'entraves ,
Il vit fans préjugés , fans maître & fans eſclaves ;
Et contemple en pitié les fragiles faveurs ,
L'appareil du pouvoir , le fonge des honneurs ,
Ces titres , ces emplois , brigués avec balletle ,
Dont l'homme médiocre entoure fa faiblefle ;
Qui , charmant les regards jufqu'au bord du cercueil
,
Etourdiffent fa tête en flattant fon orgueil.
L'augufte vérité , la compagne fidelle ,
Toujours à fes côtés , lui femble toujours belle ;
Et la tendre amitié , prodiguant tous les dons ,
'Embellit les foyers de fes plus doux rayons ;
C'eſt le feu de Veſta que garde l'innocence .
Ah ! dans ce fiecle affreux de crime & de licence ,
Quand le luxe cruel vient endurcir les coeurs ,
Et brile infolemment la barriere des moeurs ;
Quand l'homme dégradé , fans force & lans courage
,
Préfente à Plutus feul fes voeux & fon hommage ,
Et croit que le bonheur , qu'il cherche avec tranſport
,
Ne fe trouve jamais que fur des piles d'or ;
Il est beau de tracer la félicité pure
AVRIL. 1775.
Qu'on goûte à peu de frais au fein de la nature ;
D'offrir à nos Créfus , aux cinq fens émouflés ,
Tous les jeux des hameaux par des jeux remplacés;
D'honorer à leurs yeux le foc de Triptolême ;
De peindre la vertu , bafe du bien fuprême ;
De rappeler enfin les humains étonnés ,
Aux emplois innocens pour lefquels ils font nés:
Ce font- là les travaux de ton génie aimable.
Pourfuis , ô Saint- Lambert ! que ta main ſecou→
rable
Préfente de nouveau ces tableaux raviſſans ,
Qui fatisfont l'efprit , le coeur , l'âme & les fens ;
Ajoute à nos plaifirs en remontant ta lyre :
Un C ** te cenfure & l'Europe t'admire.
C'est ainsi qu'autrefois l'ingénieux Maron
S'élevait par fes chants au fommet d'Hélicon ,
De l'Empire Romain captivait le fuffrage ,
Tandis que Mévius lui prodiguait la rage.
Ton âme eft au- deflus de ces faibles dégoûts ;
Le talent fut créé pour faire des jaloux .
Malheur à l'Ecrivain qui défarme la haine.
Les arts font devenus une indécente arêne ,
Ou toujours les vaincus infultent aux vainqueurs;
Et combien de Lettrés font des Gladiateurs ?
Cent pédans belliqueux vous déclarent la guerre;*
Ils font vos ennemis , dès que vous favez plaire.'
* On diftingue à Paris la haute & la baffe Lit
16 MERCURE
DE FRANCE
.
FABLE PRÉSENTÉE A LA REINE.
JUPITER ET LE PAPILLON,
UN Papillon de bonne race
Conçut un jour la noble audace
De tenter la route des cieux ;
Hélas ! difoit- il , quel espace
Entre les hommes & les Dieux !
Fort à propos un Aigle paffe ,
C'étoit l'oiſeau de Jupiter ;
Il le voit , le faifit , l'embrasle :
Voilà le Papillon dans l'air.
Il arrive ; tout l'Empirée
térature , comme on diftingue à Vienne en Aurriche
la grande & la petite Nobleffe. Parmi la popu
lace des Ecrivains , il s'éleve de temps en tempsde
ces hommes impudens qui difent au Public
qu'il a tort d'estimer tels & tels Auteurs , dont le
mérite prodigieux les humilie . Ces gens dégoû
tans , qui s'érigent en Apôtres du goût , font encore
plus ridicules qu'odieux , quoique leurs facéties
foient ordinairement farcies d'atrocités. Note
de l'Auteur
AVRIL 1775. 17
Précifément célébroit dans ce jour
Une fête au ciel confacrée
Par le refpect & par l'amour.
Plus on fent , moins on peut fe taire ;
Le Papillon , pour fon malheur ,
N'étoit pas brillant orateur ;
Il vouloit parler... Comment faire
Ilprit ce qu'il dit dans fon coeur ;
Et ce qu'il bagaya fut plaie.
On applaudit à les tranfports.
Avant que de quitter les voûtes éternelles ,
Je veux , dit Jupiter , qu'on lui dore les ailes
Pour récompenfer fes efforts.
L'Olympe retentit à la voix de fon Maître ,
Et le Papillon fut content ;
Il fut heureux je pourrai l'être
Quand vous voudrez en dire autant.
Par M. l'Abbé de Morveau
1
18 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre THAMAS KOULI-KAN , Roi de
Perfe ; & LA PRINCESSE AL..
veuve du Grand Prince de R
LA PRINCESSE A L. ar II
ENFIN , me voilà délivrée du fardeau
de la vie , après l'avoir été auparavant
de celui des grandeurs .
TH. KOULI. KAN.
Je perdis la vie & mes grandeurs lorfque
j'allois en jouir le plus tranquillement
. J'avois payé ma fortune aflez cher
pour qu'elle dût être plus durable.
LA PRINCESSE AL...
Fûtes vous Monarque ou Empereur?
•
TH. KOULI - KAN.
Je portai le titre de Roi des Rois . Il
Ce Dialogue eft anecdotique , & l'anecdote
eft des plus modernes.
AVRIL 1775. 19
y avoit une diftance infinie entre ce rang
& celui où la fortune m'avoit fait naître .
Je ne fus d'abord qu'un brigand obfcur ,
& enfuite chef de brigands. Je me vis
recherché par le Souverain qui auroit dû
me punir . Je devins fon appui ; mais je ne
tardai pas à devenir fon oppreffeur . J'at
tentai à les jours ; je fis périr l'enfant qui
devoit lui fuccéder. Vous frémiflez ! j'en
frémis moi même , dans ces lieux où le
voile de l'ambition ne fafcine plus mes
regards , & ne laiffe envifager mes forfaits
avec toute leur noirceur. Mais le
Trône de Perfe où je montai , la Turquie
humiliée par mes armes , l'Inde foumife
& dépouillée par mes mains ; tout contri
buoit à nourrir l'ivreffe de mon âme & de
mes defirs . Un crime couronné par tant
de fuccès ne me parut plus un crime . Je
ne parus plus occupé que du foin d'en
jouir avec éclat. Je gouvernai en maître
abfolu , mais équitable ; & fi l'Afie me
confond parmi les Ufurpateurs , la Perfe
me comptera toujours au nombre de fes
plus grands Rois .
LA PRINCESSE AL ...
Vous êtes donc le célèbre Thamas-
Kouli-Kan ?
ܘܐ܂
MERCURE DE FRANCE.
TH. KOULI - KAN .
Oui , vous voyez en moi fon ombre .
Je fus precipité du Trône comme j'y
étois monté; par un crime. Un de mes
neveux trempa fes mains dans mon fang ;
moins pour punir en moi l'Ufurpateur que
pour s'emparer du rang que j'avois ufurpé.
LA PRINCESSE AL...
Il eft trifte pour l'humanité que l'envie
de gouverner les hommes rende quelques
uns d'entre eux fi criminels. J'étois
née pour contempler de près le rang fuprême.
Je fus portée , par une alliance
à côté du Trône de R.....; j'époufai
l'héritier préfomptif de cet Empire , &
j'attendois fans impatience que l'ordre
de la Nature lui fit remplacer P.... le
Grand. Je faifois même des voeux pour
que ce fecond fondateur de l'Empire des
R.... gouvernât long- temps le peuple
qu'il avoit formé. On accufa mon époux
de faire des voeux contraires , & même
d'y joindre des projets plus dangereux . Un
père qui règne eft peu difpofé à rejetter
une accufation. Bientôt le C... ne vit plus
dans fon fils qu'un chef de révolte . Il le
AVRIL. 1775 : 21
fit arrêter ; on le jugea coupable ; & cette
tête , deſtinée à porter une couronne ,
tomba fous les coups d'un vil bourreau ,
TH. KOULI - KAN.
J'aurois pu , en pareil cas , épargner
cette honte à mon fils ; mais je n'eulle
pas épargné la tête .... Quel fut votre
fort après celui de votre époux ?
LA PRINCESSE AL...
On m'avoit reléguée dans une étroite
prifon j'y attendois la mort , & je la
defirois. L'Officier chargé de veiller à ma
garde , fut touché de ma fituation & des
autres malheurs qui pouvoient s'y joindre.
J'étois jeune , j'étois belle , j'étois
en péril & il étoit François . Il rifqua de
fe perdre pour me fauver. Je ne me déterminai
qu'avec peine à profiter d'un
fecours fi dangereux pour lui ; mais il
infifta , il preffa ; nous devions fuir enfemble,
... Je crus devoir me fier au
hafard dans une circonftance où le hafard
feul pouvoit me fervir,
TH. KOULI - KAN.
Je parierois la vigne d'or du Grand,
22 MERCURE DE FRANCE.
Mogol , fi j'en étois encore le maître ,
que ce François étoit jeune , bien fait ,
& tant foit peu étourdi.... Mais ne parlons
que de votre fuite. Fut elle heureufe ?
LA PRINCESSE AL ...
Plus que je n'ofois l'efpérer. Un déguifement
bien choisi nous fit échapper
à toutes les recherches. Mon libérateur
m'amena dans fa patrie. Il n'y jouiffoit
pas d'une grande fortune , & il ne me
reftoit de toute la mienne qu'un titre
dont je n'ofois plus me parer. Il m'importoit
d'ailleurs de me fouftraire aux
regards de tous ceux qui pouvoient me
recontre. Nous prîmes le parti , mon
époux & moi....
TH, KOULI - KAN.
Votre époux !
LA PRINCESSE AL....
Oui ; j'avois époufé mon libérateur.
TH. KOULI - KAN .
Vous voyez , Princeffe , que je n'aurois
pas perdu ma vigne.
AVRIL. 1775 . 23
LA PRINCESSE AL...
J'eus à combattre un préjugé trop généralement
reçu en Europe ; mais un
fentiment plus vif me fourniffoit des
armes contre lui . Il eft des cas où la
reconnoiffance paroît fi légitime ! mon
bienfaiteur n'exigeoit rien , & je l'en
trouvois plus digne d'obtenir ce qu'il ne
demandoit pas . Il avoit tout hafardé pour
moi , & je n'avois d'autre récompenfe à
lui donner que moi - même . C'étoit la
feule chofe que m'eût laiffée la fortune .
Mais celui à qui j'en voulois faire le facrifice
combatroit fes propres defirs &
les miens : il fongeoit moins à l'état où
il me voyoit réduite , qu'au rang où il
m'avoit vue élevée. Enfin un médiateur
plus pluiffant nous mit d'accord ; ce fut
l'Amour. Il ne connoît point les diftinctions
inventées par la politique . Il aime
à les rapprocher ; il fe joue des conventions
humaines ; & lorfqu'il parle fortement
, il eft rare qu'on écoute un autre
langage.
TH. KOULI - KAN.
Votre Europe auroit grand befoin de
24 MERCURE DE FRANCE.
prendre quelque leçons de notre Afie .
Elle y apprendroit à fe familiarifer avec
ces méfalliances , qui ne font point hors
de l'ordre , puifqu'elles font dans la nature
.
LA PRINCESSE A L...
Sans doute , mais prefque tout eft convention
chez les humains. La beauté ,
certaines vertus , certains devoirs , certaines
bienféances ne font parmi eux que
l'effet de cette convention. Elles different
chez différens Peuples comme les productions
des climats qu'ils habitent . Mais
j'avois à craindre autre chofe que le blâme
; il falloit me fouftraire aux recherches
d'un ennemi puiffant . Il falloit , de
plus , me fouftraire , mon époux & moi ,
aux horreurs de l'indigence. Il obtint un
emploi honorable dans les Troupes que
la France envoyoit aux Indes. Je le fuivis
; j'affrontai avec lui les dangers que
l'on court fur ces mers immenfes qui féparent
l'Europe de l'Alie . Arrivés dans
ces lieux , fi nouveaux pour moi , mon
époux eut d'autres périls à braver . Il y
trouva la mort ; il périt dans un combat
livré aux Anglois . Jugez de ma cruelle
fituation ! étrangère , ignorée , hors d'état
de
AVRIL. 1775. 25
de me faire connoître , intéreffée même
à ne pas être connue , j'éprouvai toutes
les atteintes de l'infortune , fans entrevoir
aucun remède à mes difgrâces . Le
préfent m'effrayoit , l'avenir n'offroit à
mon efprit qu'un nouvel abyfme. J'enviois
le fort des humains les plus abjects
, & j'aurois voulu pouvoir le partager.
Il ne me reftoit de toutes mes
grandeurs que l'impuiffance de pouvoir
defcendre aux derniers rangs.
TH. KOULI - KAN.
J'avoue que се récit m'intérelle. Quel
parti prîtes- vous enfin ?
LA PRINCESSE AL...
Celui de m'expofer encore à l'inconftance
des mers & des événemens . Mon
fort me réduifoit à tout braver. Je revins
en France. J'y fubfiftai d'une modique
penfion que me valut la mort de mon
époux . J'y vécus perpétuellement inconnue.
Un jour cependant que me je prome-:
nois dans le magnifique jardin des Rois.
de France * , j'y fis une rencontre qui
*Aux Tuileries.
I. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
penfa dévoiler mon incognito. Ce fut
celle du célèbre Maurice de Saxe , ce Général
qui fit tant de bruit dans le monde ,
quelque temps après que vous l'eûtes
quitté. Il m'avoit vue à Mofcou ; il me
econnut à Paris . Je cherchai en vain à
m'efquiver ; il m'aborde & me témoigne
fon étonnement. Il falloit me débarraffer
de fes queftions : je lui affignai
un autre jour & un autre lieu pour y
répondre.
TH. KOULI - KAN.
Il fut fans doute exact au rendez - vous
LA PRINCESSE AL. ...
Je l'ignore ; le rendez vous n'étoit que
fimulé. Je ne voulois point de confidens
d'une fituation qui ne pouvoit plus changer.
I eft vrai que mon enneini n'exiftoit
plus ; mais le préjugé que javois bra
vé fubfiftoit toujours. Je ne me repentois
, ni ne voulois m'accufer de rien .
J'étois réfolue de finir dans l'obfcurité
une carrière qui eût été plus heureuſe , ſi
je l'eufle commencée avec moins d'éclat,
AVRIL. 1775 . 27
TH. KOULIKAN.
Ne deviez vous pas craindre de nouvelles
rencontres ?
LA PRINCESSE A L...
des
Je pris de nouvelles précautions pour
'y fouftraire. Je me retirai dans un villa
ge voifin de la capitale * , & habité par
humains qui ne foupçonnent point la
grandeur où elle ne fe montre pas . J'y
vécus , oubliée de toute la terre , & oubliant
moi - même qu'on pût y jouer un
plus grand rôle. En un mot , je trouvai
le repos dans ma retraite ; & , dans une
pofition telle que la mienne , c'étoit y
trouver le bonheur,
TH. KOULI - KAN.
Pardonnez ; je crois difficilement à ce
bonheur fi tardif. Il en eft des grandeurs
comme de certains climats , qu'on ne
quitte pas impunément , lorfqu'on y eft
né , qu'on n'habite pas impunément fi
l'on naquit loin d'eux.
* Le village de Vitry.
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
LA PRINCESSE AL...
Le repos eft pour l'âme ce que la bonté
du climat eft pour le corps . Je me
rappelois mes grandeurs paffées comme
on fe rappelle un fonge pénible & douloureux
. L'inftant du réveil est toujours
accompagné d'un fentiment de joie . Vous
ne jouîtes point de cet inftant ; votre
fonge ne finit qu'avec vos jours.
TH. KOULI - KAN.
J'aurois voulu pouvoir le prolonger.
Tout eft fonge dans la vie , & il vaut
encore mieux rêver qu'on eft le Maîtte
d'un vaſte Empire , que de fe croire l'Eſclave
de quelque petit Defpote .
LA PRINCESSE AL...
Au fond , je crois la chofe affez égale ;
mais voyez à quoi tient le repos de la
terre & le bonheur des individus qui l'habitent.
L'Afie eût été bien moins troublée
fi vous n'euffiez jamais quitté votre villa
ge, & ma vie eût été bien plus heureuſe ſi
j'avois plutôt habité le mien.
Par M. de la Dixmerie.
AVRIL. 1775 . 29
EPITRE à un de mes Amis , auffi conftant
que malheureux dansfes amours .
TEE voilà , nouveau Céladon ,
Toujours plus tendre & plus fidele :
Jamais les rives du Lignon
N'avoient vu de flamme fi belle ;
Auffiique ne naiflois- tu là ?
L'Amour t'eût donné la couronne,
Et de ces beaux fentimens - là
Aucun en France ne la donne.
Y fonges -tu? Né vif, charmant ,
Le François ne doit l'art de plaire
Qu'à ce rayon de fentiment ,
Cette étincelle fi légere
Qui brille & meurt au même inſtant.
Le coeur eft une fleur naiſſante
Qu'entrouve une douce chaleur :
Quand elle devient trop ardente ,
On voit foudain languir la fleur ;
Mais un léger ruiffeau qui coule ,
Bondit & gazouille à l'entour ,
Vient tempérer les feux du jour.
L'inconftance eft le flot qui roule
B iij
30 MERCURE
DE
FRANCE
. Pour calmer les feux de l'Amour.
Pauline eut ton coeur ; à Julie
Cours à l'inftant porter tes voeux.
Ah ! pour plaire à Nymphe jolie ,
C'eft un titre bien précieux
Qu'une Beauté déjà trahie.
Te voilà donc tout réformé.
Moins raisonnable & bien plus (age ,
Moins aimant & bien plus aimé ;
Tu vas déformais faire rage .
Trifte , languiffant , abattu ,
Le refpe& rampe aux pieds des Belles .
L'Amant qui veut triompher d'elles
Doit croire moins à leur vertu.
Leur coeur , en cherchant à paroître
Ce qu'au fond il dément tout bas ,
Hairoit trop de nous voir être
Comme elles voudroient n'être pas.
Julie auroit la fantaifie
D'un coeur conftant dans fes amours ;
Mais en eft-il ? Promets toujours ,
Jure de l'aimer pour la vie.
A quoi t'engagent des fermens 2
Le vent les porte fur les ailes .
Le Ciel punit- il les Amans
Pour n'avoir pas été fideles ?
A vingt Décles tour - à- tour
AVRIL. 1775 .
(Prenons Jupiter pour modele )
Il fit mille fermens d'amour
Qu'iloublia le même jour
Aux genoux de quelque Mortelle.
Hercule , de grand fentiment ,
Se piqua- t-il auprès d'Omphale ?
Iole encor l'ent pour Amant.
Phoebus garda- t- il (on ferment ?
Mars aina Vénus tendrement ;
Vénus eut plus d'une rivale .
On peut , en imitant les Dieux ,
Ne pas rougir d'être coupable .
En amour , qui trompe le mieux,
Fut de tout temps le plus aimable .
Dès queta conquête ne tient
Qu'à quelque peu de perfidie ,
De plein droit elle te revient ;
Et l'ufage t'acquiert Julie.
Mais comment tromper les jaloux
Qui , nuit & jour , en sentinelle ,
De douze clefs , de vingt verroux
Arment une porte cruelle ?
Sur les gonds , comment ébranler
Sa mafle lourde & gémillante ?
L'Amour , que Julie y confente ,
D'un feul doigt la fera rouler.
Argus , vos foins nous font utiles ;
Nous nous plaignons à tort de vous :
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Rendez les plaifirs difficiles ,
Il n'en feront que bien plus doux
Et les Nymphes bien plus dociles.
Eh ! qui pourroit nous réſiſter
Quand l'Amour ouvre le paflage?
Argus , frimats , nuit , vents , orage ,
Que rien ne puifle l'arrêter.
Vénus hait les cours fans courage ,
Et fes faveurs font le partage
De ceux qui favent tout tenter.
A Aix. Par M. d'Hermite de
Maillanne.
Bosi , Conte tiré d'un Auieur Turc.
Bosi , né avec le caractère le plus heureux
, l'âme la plus fenfible , les fentimens
les plus diftingués , fembloit n'avoir
rien à defirer . Il comptoit pour Ayeux
plufieurs Mufulmans , qui , par leurs lumières
, s'étoient illuftrés à Stamboul . Ce
qui fur-tout lui faifoit beaucoup d'honneur
, c'étoit d'être d'une famille dont
aucun des membres , depuis un temps
immémorial , n'avoit eu la foibleffe de
rire. Une aifance honnête le tenoit élevé
au deffus des malheureux qui rampent
AVRIL. 1775 . 33
dans la pouffière. Il vivoit retiré dans
une terre éloignée du fracas de la ville
& du fiége du defpotifme ; & , pour le
récompenfer de fa vertu , le divin Prophète
verfoit fur lui la rofée de fes faveurs.
Le deftin voulut l'éprouver par
quelques tribulations. Un injufte voilin
s'empara de fes biens , le maltraita & le
chaffa de fa maifon. Pénétré de douleur ,
il confulta des Sages qui lui donnèrent
des avis dont l'exécution étoit impoffible.
Il confulta fes amis , qui ne purent que
mêler leurs larmes aux fiennes. Enfin il.
confulta fes parens . Ceux - ci lui avouèrent
qu'un de leurs proches , nommé Mouf
fouw , étoit parvenu au rang de Bacha à
trois queues , en achetant , par des baffeffes
, l'amitié du petit Ali ; que ce petit
Ali étoit un compagnon de débauches
de l'Empereur Bajazet II , fur l'efprit du
quel il avoit un afcendant incroyable.
Ôn lui ajouta qu'il feroit bien de recourir
à Mouffouw pour obtenir une prompte
juftice . Bofi refufa d'abord d'employer à
une auffi belle oeuvre un homme parvenu
à un degré de fortune aufli éminent , par
des moyens auffi bas. « Jeune homme
» lui dit un vieillard , le fumier fait pouf
fer les rofes , & fouvent Dieu le ferr
و د
30
By
34 MERCURE DE FRANCE.
» du vice pour faire triompher la vertu .
» Hâte- toi d'aller trouver Moulfouw , &
33
ne néglige rien pour obtenir la puni-
» tion de ton voifin. Si tu lui pardonnes
» pour toi-même ( ce dont je fuis perfuadé
) je te défends de lui pardonner pour
» la fociété ». Bofi obéit. S'appuyant fur
un gros bâton noueux , il fe met en chemin
& arrive à Stambou !. Il fe préfente chez
Moulfouw , s'annonce comme fon parent.
On dit à Mouſſouw qu'un homme
feul , venant à pied de fort loin , a l'audace
de demander à lui parler en qualité
de parent. Mes parens , s'écria le Bacha
» à trois queues , quand ils voyagent , ont
» une nombreufe efcorte ; ils montent
» des chevaux qui ont tous plus de 300
ans de pobleffe , & leurs pieds , rougis
» du fang du peuple , ne foulent que des
tapis de pourpre . Qu'on chaffe donc cet
» homme , je ne veux pas le voir ».
Bofi fut frappé de cette réponſe comme
d'un coup de foudre : « O vieillard !
» dit -il à l'inſtant , quel confeil m'as tu
» donné ! Si de pareits refus outragent
» le dernier des hommes , lorfqu'ils pro-
» viennent d'un étranger , combien ne
doivent- ils pas être fenfibles pour une
» âme noble qui les fouffre d'un parent ?
99
AVRIL. 1775 . 3.5
Boli au defefpoir , réfolut d'obtenic
juftice de l'Empereur même. En effet il
faifit l'inftant où Bajazet va le matin à la
Mofquée : il fend les rangs des Janiſſai- ' }
res , il fe jette aux genoux du Prince &
lui expofe en peu de mots fes fujets de
plainte , tant contre fon voifin que contre
fon parent. Bajazet étoit juſte quand
il étoit de fang- froid : Leve-toi , dit - il à
Bofi , & vat en chez toi . Bofi fe lève ,
s'éloigne avec précipitation , arrive dans
fa terre . Le premier objet qui fe préfente
à fes yeux eft fon voifin pendu vis à vis
fa porte. « Je trouve l'arrêt trop
févère
,
» s'écria le vértueux Muſulman ; il n'étoit
» pas mon parent , on pouvoit eſpérer de
» lui quelque retour » . En entrant dans
fa maifon il apperçoit Mouffouw qui
étoit aufli pendu : « Cette punition ett
jute , dit alors Bofi : car un tel parent
» ne pouvoit être qu'un monftre ».
n
ود
Par M. de Lamoligniere.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à Mademoiſelle de P ***
lui envoyant un Recueil de vers .
RECEECEVVEEZZ P *** le galant bréviaire
Que les neuf Mufes ont dicté ;
Vous y lirez maint cantique chanté
Par les Amours au Temple de Cythere .
Lorſqu'en le feuilletant j'y trouvois les portraits
De Zirphé , de Zélis ou d'une autre Bergere ,
Je me difois : elle a bien plus d'attraits
La Beauté qui fait tant me plaire :
en
Auffi , pour mon malheur , elle eft bien plus févere
.
Ma conftance , mes foins ne peuvent l'attendrir ;
Elle rit de mes pleurs , s'offenle d'un ſoupir ;
Un feul de mes regards excite fa colere.
Amant délicat & difcret ,
J'ai vu deux fois la tendre tourterelle
Céder aux doux tranfports de fon oifeau fidele ,
Et repeupler cet antique bofquet ,
Où chaque jour , quand la triple Immortelle
Sous les loix du fommeil enchaîne les humains ,
Je vais gémir des rigueurs de ma Belle ;
Cet antique bofquet où mes tremblantes mains.
AVRIL. 1775.. 37.
Ont tracé fi louvent le nom de la cruelle.
J'ai vu deux fois la faifon des Amours
Ramener en ces lieux Zéphyr & les beaux jours ;
Deux fois j'ai vu tous les êtres fenfibles
S'enflammer & s'unir fur ces rives paiſibles ,
Et , fortunés par lui , célébrer le printemps.
Tout s'eft renouvelé fous l'empire de Flore :
Et moi feul , embrâfé du feu qui me dévore ,
Je fuis resté toujours en proie à mes tourmens.
Dieu de Paphos , pour prix de ma conſtance ,
Adoucis s'il le peut fa fiere indifférence .
Sous le chevet de P ***
Vas dépoler ce volume chéri .
page :
?
Des plus belles chanſons fais lui noter la
D'Imbert ou de Dorat les chants harmonieux
L'attendriront peut être en lifant cet ouvrage.
Saifis avec ardeur ce moment précieux .
Dis lui: « Si ton Berger ne fauroit faire entendre
→Des accens auffi doux , auffi mélodieux ;
S'il ne peut égaler ces Poëtes heureux ,
»Aucun d'eux n'eut un coeur plus fenfible & plus
tendre
Par M. de Bellerie.
38 MERCURE DE FRANCE.
ELEGIE DE TIBULLE.
Divitias alius
Pour l'avare mortel que l'or feul ait des charmes
,
Qu'il entafle à fon gré ce métal précieux ;
Jamais il ne jouit , il vit dans les alarmes :
Le fommeil fuit loin de les yeux.
Dans le fein du repos je puis couler ma vie ,
Et dans ma pauvreté goûter un fort heureux ;
Si de fruits chaque jour ma corbeille eft remplie ;
Si Bacchus répond à mes voeux .
Je ne rougirai point de travailler ma vigne ,
D'apporter au bercail le chevreau délaiflé .
Palès , de tes bienfaits fi tu me trouves digne ,
Un . laitpur te fera verfé..
Soit qu'un marbre pompeux nous offre ton image ,
Soit que par un tronc vil tes traits foient reproduits
,
O Déefle des champs ! je te ferai l'hommage
Des prémices de tous mes fruits .
Sufpendons , ô Cérès ! aux parvis de ton Temple
Les épis des moiflons , en couronne treflés ;
AVRIL. 1775 . 39
Et que dans mes vergers , Priape , on te contemple
Parmi les oifeaux difperfés .
Vous , jadis les gardiens d'un plus riche héritage ,
Mes Lares , agréez ce modique préfent :
Un agneau , de mes voeux fera l'unique gage ;
Tribut d'un mortel indigent.
Exaucez - nous au bruit des chants de la jeuneffe !
Nos vales font d'argile , ils font purs ; l'âge d'or
Ignoroit , comme nous , l'éclat de la richelle :
Les dons du coeur font un tréfor.
Pourfuivez les troupeaux qui vont courant la
plaine ,
Loups cruels ; épargnez mes agneaux peu nombreux
.
Je ne regrette point un plus vaſte domaine ,
Ni l'or des lambris fomptueux.
Sous un ruftique toit , dans mon unique couche ,
Que je repole en paix , pauvre fans embarras ;
Que j'entende gronder la tempête farouche ,
Serrant Délie entre mes bras !
Le calme eft dans mon coeur , & l'Aufter en furic
Fait tomber de la nue un déluge bruyant ;
Soyez riche , infenfé qui perdez votre vie
Abraver Neptune écumant,
Je lais vivre de peu : le temps m'a rendu fage.
40 MERCURE DE FRANCE.
Je pafferai mes jours fur le bord des ruifleaux ,
A l'abri du ſoleil , fous un épais ombrage ,
Flatté du murmure des eaux.
Périffent les tréfors que le Pactole donne ,
Plutôt que mon départ afflige la Beauté !
Sois vainqueur , Meflala , fuis le char de Bellone :
L'Amour feul me tient arrêté .
Que m'importe l'encens du ftupide vulgaire ?
Délie , auprès de toi je trouve l'Univers ;
Près de toi je ferai pafteur & folitaire ,
Et j'oublierai tous mes revers .
Sur le fimple gazen mon fommeil eft paisible ;
L'Amour préfere - t-il les fuperbes tapis ?
Délie eft avec moi ! par un charme invincible
Ces afyles font embellis.
Quel eft le coeur de fer qui , délaiffant les Grâces ,
Epris d'un fol efpoir , cherche de vains lauriers ?
Et de Mars en fureur ofant fuivre les traces ,
S'élance à travers les guerriers ?
Délie , ô mes amours ! quand la Mort effrayante
Viendra près de mon lit pour frapper ton Amant ,
Puiflé-je te prefler de ma main défaillante ,
Et mourir en te regàrdant !
Tes bailers & tes pleurs réveilleront ma cendre ;
AVRIL. 1775. 41
Tu pleureras . Le Ciel , qui voulut te former ,
N'a point couvert d'acier ton coeur fidele &
tendre ;
Délie eft faite pour aimer.
Quand de jeunes Amans une foule éplorée
Gémira fur ma tombe en ce jour douloureux ;
Garde-toi de porter ta main déſeſpérée
Sur ton front , fur tes beaux cheveux.
Mais , le Ciel le permet , embraflons- nous encore ;
Le voile de la mort trop tôt vient nous couvrir.
Au déclin de mes jours qui rejoindra l'aurore ?
Et pourrai -je aimer fans rougir ?
Livrons -nous à Vénus , profitons du bel âge ;
D'autres iront chercher de l'or & des exploits .
Charmé de tes attraits , content de mon partage
Je vois à mes pieds tous les Rois.
Par M. Marteau.
LE SOCLE ET LA STATUE.
OSES-TU
Fable.
SES- TU t'égaler à moi ,
Difoit au Socle une fiere Statue &
42
MERCURE DE FRANCE.
Je porte mon front dans la nue ,
Et je pofe le pied fur toi;
Encore , trop heureux qu'un jourje ne t'écrafe.--
Plus de douceur & moins d'emphâfe :
Il te fied bien de m'infulter ,
Etre foible , injufte & fuperbe !
Si je ceffois de te porter
Je te verrois bientôt fous l'herbe.
Par M. Feutry.
QUATRA IN
Pour être mis au bas d'un Portrait de
M. l'Archevêque Duc de C *** , Prince
du Saint Empire.
D'UN aimable Paſteur la douoe piété ,
La vertu , les talens , l'efprit & la bonté ,
De nos derniers neveux ont mérité d'avance
L'amour , l'eftime & la reconnoillance *.
* Plufieurs fervices rendus à la Province & aux
Eglifes de la T **.
Par M. B. de R...
AVRIL. 1775 . 43
EPITRE à une jeune femme qui exigeoit
qu'on n'eut pour elle que de l'amitié.
DELPHIRE à ta morale auſtere
En vain je veux m'accoutumer.
Il eft auffi par trop févere
De me défendre de t'aimer .
Sans que la plus ardente flamme
T'infpire la moindre pitié ,
Tu voudrois qu'on n'ouvrit ſon âme
Qu'au feul plaifir de l'amitié ;
C'eft pour une lexagénaire
Qu'eft fait un pareil fentiment :
D'une femme en âge de plaire ,
L'Ami toujours devient l'Amant.
Ah ! crois que tout ce qui refpire
Reconnoit les loix de l'Amour ;
Crois que toi- mêine à ſon empire
Tu te foumettras à ton tour.
Rien ne peut égaler fes charmes :
Unique fource du bonheur ,
Au fein même de fes alarmes
Il est encor quelque douceur.
Redoutes pourtant fa colere ,
Crains les fondres qu'il peut lancer :
En vain on reffemble à fa mere
Si l'on ne craint de l'offenler .
Protecteur des Amans fideles ,
44 MERCURE DE FRANCE .
Il eſt encor moins irrité
De l'inconftance dans les Belles
Que de l'infenfibilité .
Renonces donc à ton ſyſtême ,
Soit par crainte ou par fentiment :
Et crois que le bonheur ſuprême
Ne peut fe trouver qu'en aimant.
Par M. le Seurre de Muſſey.
LA PROSPERITÉ ET L'ADVERSITÉ.
Allégorie traduite de l'Anglois.
LA Providence envoya un jour deux de
fes filles , la Profpérité & l'Adverfité .
chez un riche Marchand nommé Vélafco
, qui demeuroit à Tyr , capitale du
Royaume de Phénicie.
Vélafco avoit deux fils , Félix & Uranio.
Tous deux , deftinés au commerce ,
avoient reçu une éducation proportionnée
à la fortune de leur père , & avoient
paffé leur enfance dans l'amitié la plus
intime ; mais l'Amour , devant qui toutes
les affections de l'âme difparoiffent
comme les traces d'un vaiffeau fur l'Océan ,
trouva bientôt le moyen de les défunir .
Ils furent tous deux au même inftant enflammés
par les charmes de Profpérité;
AVRIL. 1775. 45.
la Nymphe , femblable aux filles des
hommes , flattoit en particulier leurs efpérances
, mais déclaroit en public qu'elle
ne pouvoit prendre aucun engagement
que fa foeur , de qui , difoit-elle , elle ne
pouvoit être long temps féparée , ne fût
mariée en même temps.
Vélafco s'apperçut bientôt de la paffion
de fes fils , & craignant tout de leur violence
, il voulut en prévenir les fuites ;
il les contraignit , par fon autorité ,
fouffrir que le fort décidât de leurs prétentions
; chacun d'eux s'engagea par un
ferment folennel à époufer la Nymphe
qui lui tomberoit en partage . Les lots
furent tirés. Profpérité devint la femme
de Félix , & Adverfité échut à Uranio .
Peu de temps après la célébration de
ces deux mariages, Vélafco mourut , ayant
légué à fon fils aîné la maiſon où il demeuroit
, avec la plus grande partie de
fes biens.
Félix étoit fi enchanté & fi orgueilleux
de la beauté de fa femme , que les plus
riches habits & les perles du plus grand
prix furent employées à en relever l'éclät.
Il lui bâtit un palais magnifique fur les
débris de la maifon modefte de fon père ;
détourna à grands frais une rivière pour
embellir fon jardin , & en orna le rivage
46 MERCURE DE FRANCE.
de pavillons fuperbes. I recevoit à fa
table la Nobleffe la plus diftinguée , faifoit
à fes convives la chère la plus délicate
, réjouiffoit leurs oreilles par une
mufique délicieufe , & leurs yeux par la
plus grande magnificence. Bientôt il ne
regarda plus fes parens les plus proches
& fes amis les plus intimes que comme
des étrangers ; & fon frère même , devenu
pour lui un objet de mépris , reçut
ordre de ne fe plus préfenter à fa porte.
Mais comme l'eau qui forme un grand
canal fe perd dans les vallées , fi elle
n'eft pas contenue par une digue ; de
même la fortune la plus confidérable eſt
bientôt diffipée quand elle n'eft pas confervée
par une fage économie . En peu
d'années les biens de Félix furent altérés
par les extravagances ; fes marchandifes
lui manquèrent , faute de foins & d'exactitude
, & fes meubles furent faifis par
les mains impitoyables de fes créanciers.
Il s'adreffa dans fa détreffe aux Nobles
qu'il avoit fêtés & accablés de préfens ;
mais il n'en putrien obtenir : quelques uns
même ne fe rappelèrent pas exactement
fes traits ; les amis , qu'il avoit négligés ,
le méprisèrent à leur tour , & fa femme
elle-même infulta à fa misère, & le quit
ta , après lui avoir reproché fes prodigaAVRIL.
1775 . 47
lités . Cependant il en étoit fi fortement
épris qu'il la fuivoit encore ; mais Prof
périté , voulant le fuir avec précipitation ,
laiffa tomber fon mafque & lui découvrit
un vifage auffi difforme que , fous le mafque
, il l'avoit trouvé charmant ,
On ne fait pas précisément ce qu'il
devint enfuite . On croit qu'il erra dans
P'Egypte , où il vécut milérablement des
fecours de quelques amis qui ne l'avoient
pas entièrement abandonné , & qu'il
mourut peu de temps après dans la pauvreté
& dans l'exil.
Retournons maintenant à Uranio ,
que nous avons vu chaffé par fon frère .
Adverfité , quoiqu'elle ne fût qu'un objet
de haine pour fon coeur & un spectre
hideux à fes yeux , fuivoit par tout fes
pas ; pour aggraver fon malheur , il reçut
la nouvelle que fon plus riche vaiſeau
avoit été pris par un Pirate ; qu'un autre
avoit fait naufrage fur les côtes de Lybie ;
& pour comble d'infortune , que le
Banquier far lequel la plus grande partie
de fes biens étoit placée , venoit de faire
banqueroute & de fe retirer en Sicile .
Ramaffant alors les foibles reftes de fa
fortune , il abandonna fa patrie , & , ſuivi
par Adverfité , à travers des routes dé-
>
48 MERCURE DE FRANCE.
fertes & des forêts inconnues , ils arrivèrent
dans un petit village , fitué au
pied d'une haute montagne . Là ils fixèrent
pour quelque temps leur habitation ;
& Adverfité , pour diminuer les maux
qu'il avoit foufferts , adouciffant la févérité
de fes regards , lui donnoit les confeils
les plus falutaires , guériffoit fon
coeur de l'amour immodéré des biens de
la terre , lui apprenoit à révérer les Dieux
& à placer tout fon bonheur dans leur
protection . Elle humanifoit fon âme , le
rendoit humble & modefte , compatiffant
aux maux de fes femblables , & l'engageoit
à les fecourir.
r
les
« Je fuis , difoit- elle , envoyée par
» Dieux à ceux qu'ils chériflent : car je
» les conduis non - feulement , par ma
févère difcipline , à la gloire éternelle ;
» mais auffi je les difpofe à recevoir
» avec les plus grands tranfports , la joie.
» la plus légère. Ce fut moi qui élevai
» les caractères de Caton , de Socrate &
» de Timoléon à cette hauteur prefque.
» divine , qui les rendit l'exemple des
fiècles futurs . Profpérité , ma flatteufe
» mais perfide foeur , ne réduit que trop
» fouvent ceux qu'elle a féduits à être
» punis par fes cruels compagnons , le
Chagrin
و د
>>
AVRIL. 1775 . 49
"
Chagrin & le Défefpoir ; tandis que
» l'Adverfité ne manque jamais de rendre
» heureux & tranquilles ceux qui profi
tent de fes inftructions .
"
Uranio écoutoit ces mots avec attention
, & regardant le vifage d'Adverfité ,
il lui fembloit moins affreux . Peu à peu
fon averfion diminua : enfin il s'abandonna
entièrement à fes confeils . Elle
lui répétoit fréquemment cette fage maxime
d'un Philofophe : « Ceux qui man
» quent des plus petites chofes reffernblent
le plus à la Divinité , qui ne
» manque de rien ». Elle l'exhortoit à
regarder la foule confidérable d'êtres qui
végétoient au deffous de lui , au lieu de
confidérer le petit nombre de ceux qui
vivoient dans la pompe & dans la fplen
deur , & de demander aux Dieux , à la
place des richeffes & des grandeurs , un
efprit fage & vertueux , & une âme ferme
& inaltérable .
Adverfité voyant de jour en jour Uranio
profiter de fes leçons , & le trouvant
dant l'état de réfignation où elle le defiroit
, lui adreffa ce difcours : « Ainſi que
» l'or eft rafiné par le feu , l'Adverſité
» eft envoyée par la Providence pour
éparer la vertu des mortels ; ma tâche
I. Vol.
"
C
MERCURE DE FRANCE.
n
eft remplie , je vous quitte & je vais
» rendre compte de ma commiffion .
» Votre frère , qui eut la Profpérité pour
» fon lot , & dont le fort étoit envié de
» tout le monde , après avoir fait l'expé-
»rience de fon choix , eft enfin délivré
» par la mort , de l'existence la plus mal-
» heureuſe. C'eſt un bonheur pour Ura
>> nio l'Adverfité ait été fon partage ;
que
» s'il s'en fouvient , comme il le doit ,
fa vie fera honorable & ſa mort heureuſe
» & tranquille ».
»
Après avoir dit ces mots , elle difparut
à fes yeux. Quoique fes traits en ce
moment , au lieu d'infpirer l'horreur ac
coutumée , femblaffent faire briller une
forte de beauté douce & languiffante ;
Uranio , qui n'avoit pu parvenir à l'aimer,
ne regretta point fon départ & ne defira
point fon retour : mais , quoiqu'il fe
réjouît de fon abfence , il conferva précieufement
fes confeils au fond de fon
coeur , & devint heureux en les pratiquant,
Il fe remit dans le commerce ; &
ayant en peu d'années , par fa bonne conduite
, amaffé un bien fuffifant pour fa
tisfaire aux befoins de la vie , il ſe retira
dans une petite ferme qu'il avoit
AVRIL 1775.
achetée , & ſe propofa d'y fiair fes jours.
1ly employoit le temps à cultiver fes
terres & fon jardin , à réprimer fes paffions
, & à mettre en pratique les leçons
d'Adverfité. Il paffoit tous fes momens
de loifir dans un petit hermitage qu'il
avoit pratiqué au fond de fon jardin fous
un bofquet d'arbres touffus , entourés de
lierre & de chevrefeuil , & où un ruiffeau
, qui tomboit d'un rocher voifin ,
formoit un bain délicieux . On lifoit ces
mots gravés fur la porte :
" Sous ce toit couvert de mouffe ha-`
» bitent la vérité , le contentement , la
» liberté & la vertu. Dites - moi , vous
qui ofez méprifer cette heureufe retraite
, quels palais magnifiques vous
»procurent des biens plus réels ? »
n
Il parvint dans cet afyle jufqu'à un
âge très - avancé , & mourut honoré &
regretté de tous ceux qui le connoilloient.
Par M. Simoneau.
Cij
32 MERCURE
DE FRANCE :
VERS à Madame de Montanclos , Auteur
du Journal des Dames .
L'AMOUR , fier de donner des loix
Aux mortels même les plus fages ,
Calculoit au bout de les doigts
Et le nombre de fes exploits ,
Et le produit de tant d'ouvrages ;
Lorfque la Déefle aux cent voix ,
Portant trompette en bandouilliere ,
En fon vol , brillante & légere,
Fendit les airs rapidement,
Où courez-vous , belle Déeſſe ?
Dit l'Amour en la pourſuivant ;
Toujours quelqu'affaire vous prefle
Arrêtez du moins un moment.
La Déefle , non complaifante,
De ce difcours fit peu de cas ;
Dans fa courfe , l'indifférente ,
Loin d'arrêter, doubla le pas .
Mais , à fon gré , l'Amour déroute
Celle qui penle l'éviter ;
En le fuyant , fans s'en douter ,
On le retrouve fur fa route.
Auffi le petit Dieu lutin ,
Dont le croyait bien éloignée
AVRIL. 1773 . 53
La dédaigneuse Renommée ,
De nouveau barra fon chemin.
Eh ! quelle eft donc cette humeur noire
Alors que je vous fais ma cour ?
Reprit malignement l'Amour ;
Je luis prefque tenté de croire
Que vous me trouvez dangereux.
Comme votre air eft foucieux !
Auriez -vous donc à la Victoire
A reprocher des faits honteux ?
Eft- ce que vous boudez la Gloire
On fait plus d'ingrats que d'heureux .
Heureux par vous ! quel avantage !
En eft-il à lui préférer ?
Et ne l'être pas , quel dommage !
On pourroit s'en défefpérer.
Ce mielleux & doux langage
Parut fans doute un perfifflage ;
Mais la Déeffe s'arrêta :
Et redoutant qu'un ton févere
Ne piquât l'enfant de Cythere ,
Doucement elle ripofta :
Non ; je ne veux mal à perfonne ;
Avec la Gloire en paix je vis ,
Et tout le bien dont je jouis
Vient des confeils qu'elle me donne .
Mais puifqu'au plus charmant des Dieux
J'ai le flatteur efpoir de plaire ;
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
En lui dévoilant un myftere
Dont il me femble curieux ;
Sans différer je vais l'inftruire ;
S'il daigne à mon projet ſourire ,
Il me fera plus précieux .
Il faut qu'aux Faftes du Génie
Soitinferit glorieufement
Certain Journal intéreſſant
Qu'en France aujourd'hui l'on publie.
L'Efprit , les Grâces , l'Harmonie ,
La Décence & le Sentiment
Ont prononcé ce jugement.
Je vais au Temple de Mémoire
Chercher la Mufe de l'Hiſtoire ,
Puis l'une & l'autre , à qui mieux mieux
Nous en exalterons la gloire ;
Et tous ces hommes envieux ,
Dont la brigue eft infatigable ,
Verront enfin qu'un lexe aimable
Peut s'élever auffi haut qu'eux .
Ah ! dit l'Amour , rien n'eit fi fage
Que ce dont vous vous avilez :
Celle que vous préconifez
A droit de même à mon hommage
Mais c'eft peu de la protéger ;
Vous êtes d'un fi bon exemple,
Montons enſemble juſqu'au Temple
Je prétends auffi l'obliger :
AVRIL. 1775. 55
Je veux , pour lui prouver mon zele ;
Que Clio , quittant le burin ,
Arrache de la propre main ,
L'une des plumes de mon aile ;
Et que , fur un velin , traçant
En caractere inaltérable ,
De cette femme inimitable
Le nom , les grâces , le talent ,
On lile : Ces charmans ouvrages
Ont acquis l'immortalité,
Et telle auffifutfa beauté ,
Qu'elle entraîna tous les fuffrages.
Ainfi , Muſe , Déelle , Amour
Ont defiré , divine Hortenfe ,
Vous éternifer fans retour ;
Mais ce n'eft pas leur complaifance
Qui feule alluma leurs tranfports ;
Croyez qu'à l'envi l'un de l'autre ,
Ils ont fait bien autant d'efforts
Pour leur honneur que pour le vôtre.
L'ANE , LE LION ET LE LOUP.
Fable imitée d'une Nouvelle , Italienne,
DANS l'Arcadie autrefois habitoit
Martin Aliboron , fleur de la race Afine :
Ciy
36 MERCURE DE FRANCE.
Sur fon dos un Meunier chaque jour infligeoit ,
D'un gros bâton noueux mainte falve aflaffine .
Jamais fourrage ou d'avoine un feul grain ,
N'adoucifloient fon jeûne & fon martyre :
Pour le grifon , nulle fête au moulin ;
Paille & chardons , feuls mets du pauvre Sire ,
Excorioient fa gueule & lui laiffoient la faim.
Las , excédé d'un & triſte régime ,
Voulant à fes vieux jours aflurer du repos ,
Martin rompt fon licol , & , le bât fur le dos ,
D'un mont voifin eſcalade la cime ,
A l'inftant qu'on alloit aggraver ſes travaux.
Le fugitif ne voit pas fans envie ,
Des trésors de verdure étalés fous les pas ;
Sur l'herbe , s'il ofoit , il prendroit fes ébats.
Un clair ruifleau l'invite ; mais , hélas !
Goûte- t'on le plaifir où l'on craint pour la vie!
L'Aurore avoir quitté les bras du vieux Titon :
L'Ane guette par-tout en battant la campagne ;
Il ne s'arrête point qu'il n'ait mis la montagne
Entre lon dos & l'énorme bâton,
Anéanti par la marche accablante ,
Martin , d'une vallée enfiloit le fontier ,
Lorsqu'un Lion , à la gueule béante ,
Branlant fa fiere queue , arrête le courfier ,
Le miférable en fût mort d'épouvante ,
AVRIL. 1775. 57.
Si le Lion lui -même , effrayé du Rouffin ,
De fa lugubre voix , de fes amples oreilles ,
Pour lui nouveautés fans pareilles ,
Oubliant la fureur , n'eût dit : Beau pèlerin ,
De quel droit , par tes cris , troubles - tu mon em
pire ?
Ignores-tu que tout ce qui refpire
Craint magriffe & ma queue ; & que , Roi du vallon
,
Lion je fuis Et moi , dit l'Etalon ,
Archi-Lion je fuis , & crains peu tes bravades;
Vois fous ma queue un canon : & foudain
Au curieux i ! lâche vingt ruades ,
Et tout autantde pétarades .
Ami, dit le Monarque , alarmé du tocfin
Sonné par la maligne bête ,
Que l'adrefle entre- nous , non le fang ou la mort
Décide à qui fera cette belle retraite.
Vois ce foflé : fautons à l'autre bord.
Le Lion s'y lança comme un trait d'arbalête .
A toi , l'ami , dit -il à Dom Baudet.
L'Ane fait trois élans & fond fur un piquet ,
Où , par ſon bât , il pendoit comme un luftre.
Pour le fauver , fon rival généreux
Vole au piquet & dégage le ruftre.
Quelfut le grand- merci ? L'Ane malencontreux
Dit au Lion : maudite foit la bête !
Que ne m'y laidois - tu ? Ton humeur indiferette ;
Cv
38 MERCURE
DE FRANCE
Juré coquin , m'a fevré d'un plaifir...
Pendu fur le follé , j'eſlayois d'éclaircir
Laquelle pele plus, ou la queue ou la tête.
Le Lion lui replique : excufe mon erreur ,
Mon zele m'excitoit à te fauver lavie ;
Encore un tour d'adreſſe , auffi digne d'envie,
Du beau vallon te rendra le Seigneur .
Le couple s'achemine & fe rend près d'un fleuve
Impétueux , large & profond:
Le Roi des bois s'écrie : alerte Archi- Lion ,
Il nous faut faire , à la nage , une épreuves,
Prends , dit Martin , fitu veux les devans ,
Ten laifferai je moins , pauvre for , en arriere ?
Le Lion , comme un Daim , coupe droit la riviere
Son émule , tranfi , n'oſoit entrer dedans ,
Tandis qu'à l'autre bord il- féchoir fa crinieres
Le défi le trouvant par malheur engagé,
Be Baudet nage enfin , d'une allure ailez vive
Il fe croyoit déjà fur l'autre rive :
Mais un tourbillon d'eau l'a bientôt fubmergé
In'offre plus qu'un pied, puis la croupe ou la tête .
LeLion , d'une part , ayant peur du canon ,
Nofoit aider la dangereufe bête ;
Vafncu par la pitié , dans le fleuve il'fe jette
Et, par un pied , réchappe Aliboron.,
A peine celui-cife voit fur lesivage
AVRIL. 1775. $9
Q'apostrophant le fauveur de fes jours ,
Avec un ton de dépit & de rage :
Scélérat , lui dit - il , fandra- t- il que toujours
A mes côtés , pour ma perte tu veilles !
Et fecouant auffi - tôt fes oreilles ,
Il tombe des goujons : vois , dit - il , malheureux ,
Par cet effai quelle eftt été ma pêche ,
Traître , à qui je devrois fendre la tête en deux!
Maudit foit ton fecours ! fans toi , bête revêche,
J'amenois fur le fable un poiffon monftrucux.
Le Lion part , tout confus , pour la chaſſe ;
Il voit un Loup : compere, lui dit- il ,
Si tu neveux y laifler ta carcafle ,
Evite un animal gris , terrible & fubtil ;
Armé d'un gros canon , il foudroie , il affomme
Tout ce qu'il voit errer lur ces côteaux ;
Il a voix de tonnerre & felle fur le dos ;
Ce monftre , à longue oreille , Archi- Lion fe nomme.
Le Loup reconnut l'Ane à ces divers fignaux.
C'eft , dit- il , Monfeigneur , la bête la plus vile 3
Je fais de fes pareils un morceau journalier ;
Venez voir du maroufe augmenter mon charnier,
Le Sultan des forêts n'en eft pas plus tranquille.
La peur, de tous les maux , eft le pire à guérir.
Le Lion cede enfin : mais avant de partir ,
Pour que la fuite au Loup foit empêchée ,
Il vent que l'un à l'autre ait la queue attaché :
Cr
60 MERCURE
DE
FRANCE.
Unis ainfi , dit -il , allons vaincre ou périr.
A l'afpect de Martin le coeur du Loup palpite ;
Il croit déjà fendre l'Ane en quartiers :
Mais fon lâche adjudant , fuyant à l'oppolite ,
L'entraîne & le déchire à travers les halliers.
Le Lion perd un oeil que lui creve une ronce :
T'ai-je pas dit , bourreau , dit-il à fon voiúin ,
Qu'Archi- Lion eft terrible & malin !
Le Loup mourant ne fait point de réponſe.
Le monftre a de nous vu lafin ,
Lui difoit le Lion lui fermant la paupiere ;
J'y laifle un oeil , & toi carcaffe entiere.
Je quitte le vallon fans en être envicux :
Heureux , quoique bleflé , de revoir ma taniere !
Je laifle Archi Lion régner feul en ces lieux .
Ce conte apprend qu'aux champs comme
C
ville,
Le fol eft en ingrats , en faux braves fertile ;
Que le Loup devoit fuir les avis d'un Tyran
On voit dans le Lion , bravé par un éinule
Tel qu'un Baudet , infolent , ridicule ,
Quel'audace au mérite en impofe fouvent.
Par M. Flandy..
la
AVRIL. 1775. 61
•
A Madame LA RUETTE , fur fon retour
au Théâtre Italien en Février 1775 ,
aprés le rétabliſſement defa fanté
CHARMANTE Cantatrice , aimable la Ruette ,
Enfin te voilà donc rendue à nos defirs.
Viens , dédommage nous , fonge que ta retraite ,
Néceflaire à tes jours , nous coûta des plaifirs.
Jouis de tes fuccès ; que ton jeu noble & tendre
S'anime aux doux accens d'un organe enchanteur;
Le Public fatisfait , empreflé de t'entendre ,
T'accordera toujours le prix le plus flatteur.
LE
mot de la première Enigme du
volume du Mercure du mois de Mars
1775 eft la Fumée ; celui de la feconde
eft un If, où fe trouve fi ; celui de la
troisième eft Crible. Le mot du premier
Logogryphe eft Fauteuil , où l'on trouve
eu, fat , if, lit , ail , fil , faute , feu , eau ,
ut , fa , la , filet , île , flûte , lia , autel ;
celui du fecond eft Chateau , où se trouvent
chat & eau ; celui du troisième eft
Confcience , où l'on trouve fcience ; celui
du quatrième ek Canon , où fe trouve
ánon.
62 MERCURE DE FRANCE.
ENIGME.
Le luxefut mon pere,
La mollefle ma mere ;
J'entends quant à l'invention ,
Non quant à l'exécution ;
Car , pour que je m'explique ,
Je tiens l'existence phyfique
De l'induftrie ou , fi l'on veut , de l'art,
Qui me finit toujours par m'enduire de fard.
Ma deftination eft de courir le monde
Sur terre & non fur l'onde.
Tantôt en l'air , mais plus ſouvent à bas ,
De mon pied je ne fais jamais le moindre pas.
On a chez moi porte & fenêtres :
Je mets fort à l'aiſe mes Maîtres.
Je... Mais je dirois mon fecret ,
Chut. Gardons le tacet.
A Rennes. Par M. de L. G.
AUTR E.
BON HENRI , de tes Sujets le pere !
Oui , toi , dont la mémoire à jamais fera chere';
AVRIL. 1775.
63
Sache que tu revis
Dans la perfonne de Louis ;
Et que moi , qui toujours dans le champ de la
gloire
T'accompagnai , volant à la victoire ,
Chez le beau Sexe auffi
Je revis aujourd'hui ;
Avec la feule différence
Que deton temps j'annonçois ta préfence
Et ta bravoure à tes vaillans foldats ,
Dans la mêlée & le fort des combats ;
Au lieu qu'aujourd'hui chez les Belles,
Dominant fur tous leurs atours
Par un emploi plus doux , je rallie autour d'elles
Les Ris , les Jeux & les Amours.
Par le même.
AUTRE.
Si je n'agis jamais que dans l'obſcurité
En fuis - je moins de grande utilité ?
Non certes ; & chacun l'éprouve fréquemment :
Mais ,loin d'y trouver mon bien- être ,
Souvent ma re on ferre fortement ,
Et, par fois , on me fait l'indigne traitement
De me jeterpar la fenêtre.
PatM. B. L. de Tours,
64
MERCURE DE FRANCE.
ABIEN
AUTR E..
BIEN DES GENS , foit de jour ou de nuit ,
Mon voitinage en toute ſaiſon nuit ;
Cependant je ne fors jamais de ma demeure ,
Hors, quand le malheur veut , qu'à ma façon jè
meure.
Par le même.
LOGO GRYPHE
En plus d'un lieu , dans maint appartement ; N
Chez les riches fur-tout , je fus toujours d'ufage.
De mon tout les deux tiers n'ornent point un vi-
Lage ,
Et la moitié fous terre a fon département.
Par le même.
AUTRE:
M-ASCULIN MASCULIN , je tiens dans le Ciel
Une place honorable ;
Féminin , je fuis fur l'autel
AVRIL. 1775 . 65
Objet très relpectable.
Dumême genre enfin très- commune je fuis:
On me trouve par- tout pays.
D'autres , du niême nom , font rares , curieufes ,
Et d'autres précieuſes. *
D'autres prennent naiflance où l'on ne voudroit
point ,
Et font fouffrir au dernier point.
Il en eft une autre attitante ;
Une qui ne fert que d'attente ;
Mais je finis par celle enfin
Qu'on cherchera toujours en vain.
A Rennes. Par M. L. G.
JAT
AUTR E..
'AT deux moitiés . On voit dans la premiere
Un mois charmant & gracieux .
Dans la feconde , une écorce groffiere ,
Refte léger qui voiloit à tes yeux
L'aliment le plus fain & le plus précieux.
Par M. Vincent , Curé de Quincy.
66 MERCURE DE FRANCE.
AIR de la Fauſſe Magie *.
Allegretto.
C'EST un état bien pé- nible Que
ce- lui d'un jeune coeur , D'un coeur
timide & fen- fible , Que fait tai- re
la pu- deur : C'eſt uné- tat
bien pé- nible Que celui
d'un
Adagio. comeprima.
jeune
coeur , D'un coeur
timide & fen- fible , Que fait
* Mufique deM. Grétry.
AVRIL. 1775 . 67
tai- re la pu- deur : C'eſt un
état bien pé- nible Que ce- lui d'un
jeune coeur, Que fait
tai- re
la pu- deur , Que fait
tai-re ,
Que fait taire, Que fait tai- re
la pu- deur , Que fait tai- re
la pu- deur. L'A- mour lui fait
vi- o- lence , Le de voir lui
dit ,
lence ;
Comment
68 MERCURE DE FRANCE.
faire, à qui cé- der ? On ne
fait au- quel en- tendre ; On eft
crain- tive , on eft tendre ; Comment
faire ? à qui ce- der ? Et com
Adagio.
ment fe dé- ci- der ? Comment , com-
ॐ
ment fe dé ci- der ? C'eft un.
AVRIL. 1775. 69
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Du Miroir ardent d'Archimède ; par M.
L. Dutens. Brochure in 8° : prix i liv.
4 fols. A Paris , chez Debure , fils
aîné , Libraire , quai des Auguftins.
Le génie fécond d'Archimède s'eſt manifefté
d'une manière éclatante , non-feu .
lement dans les écrits qui nous ont été
confervés de lui , mais auffi dans les def
criptions que les Auteurs , qui font venus
peu de temps après lui , nous ont faites
de fes découvertes dans les mathématiques
& la mécanique . Quelques - unes
des inventions de ce grand homme ont
paru
même tellement au- deffus des efforts
de l'efprit humain , que de célèbres Philofophes
ont trouvé plus facile de les ré
voquer en doute , que d'imaginer comme
elles avoient été mifes en exécution ; &
plufieurs d'eux ont été jufqu'à prétendre
en démontrer l'impoffibilité . M. Dutens
ne s'arrête ici que fur les miroirs ardens.
que les anciens Hiftoriens nous rapportent
avoir été employés par Archimède pour
brûler la flotte des Romains. Kepler ,
70 MERCURE DE FRANCE.
:
Naudé , Fontenelle , Defcartes même ,
ont traité ce fait de pure fable , quoique
Diodore de Sicile , Lucien , Dion , Zonare
, Galien , Euftathe , Anthemius ,
Tzerzès & plufieurs autres en euflent faic
mention. On voit ici , ajoute M. Dutens ,
un exemple bien frappant du défaut, de
raifonnement appelé énumération imparfaite
on ne confidère pas affez tous les
moyens par lefquels une chofe peut être ;
& l'on conclut témérairement qu'elle
n'eft pas , parce qu'elle n'eft point d'une
certaine manière , quoiqu'elle pût être
d'une autre. Defcartes & Kepler prétendoient
que pour avoir des miroirs ardens
dont le foyer pût atteindre la flotte des
Romains , il eût été néceffaire d'avoir des
miroirs ou convexes ou concaves , d'une
telle grandeur , que l'exécution en auroit
été abfolument impraticable . Mais ils ne
confideroient pas qu'Archimède avoit pu
fe fervir d'un autre moyen ; favoir , de
celui de plufieurs miroirs plans , réunis &
dirigés vers un même foyer , dont la
longueur n'étoit point par conféquent limitée
. M. Dutens fait voir par les détails
que les anciens Ecrivains nous ont tranfmis
là - deffus , que c'étoit en effet fur ce
dernier principe qu'Archimède avoit
AVRIL. 1775. 71
conftruit fon miroir . Diodore de Sicile ,
Dion Caffius & plufieurs autres Hiftoriens
, qui pouvoient avoir écrit d'après
les mémoires des Contemporains d'Archimède
, fe contentent de raconter le
fait de l'embrâfement de la flotte des Romains
par ce grand homme , fans entrer
dans aucun détail . Tzetzès , qui vivoit au
douzième fiècle , non - feulement rapporte
le fait , mais il explique la conftruction
du miroir. Il dit clairement que « lorſque
" les vaiffeaux de Marcellus fe trouvè-
» rent à la portée d'un trait d'arbalête
» Atchimède fit apporter le miroir qu'il
avoit fait , compofé de petits miroirs
quadrangulaires , lequel il plaça dans
» une diſtance proportionnée , & qu'il fit
» mouvoir en tous fens , à l'aide de leurs
» charnières & de certaines lames ; & que
» recevant fur ces miroirs les rayons du
foleil , & les dirigeant enfuite vers les
» vaiffeaux des Romains , il réduifit en
» cendres toute la flotte , quoiqu'elle fût
éloignée de la portée d'un trait ».
"
ود
"
Les Savans verront encore avec plaifir
la defcription qu'Anthemius , de Tralles
en Lydie , nous donne d'un miroir qu'il
avoit fait à l'imitation de celui d'Archimède.
Anthemius vivoit du temps de
72 MERCURE DE FRANCE.
»
"
84
19
l'Empereur Juftinien , avoit cultivé avec
fuccès les mathématiques , la fculpture &
l'architecture. Le manufcrit grec où ce
Savant parle de fon miroir ardent , fe
trouve à la Bibliothèque du Roi ; & M.
Dutens nous donne une traduction fidèle
du paflage qui a rapport à ce miroir. Anthemius
commence par le propoſer la
queftion : a Comment dans un lieu don-
» né, qui feroit à la diftance d'un trait
» d'arbalête , on pourroit produire un embrâfement
par le moyen des rayons
du foleil ? I pofe pour principe :
qu'un tel embrâfement ne pourroit
» être caufé que par la réflexion des rayons
» du foleil , qui fe feroit dans une direc
» tion inclinée & oppofée à cet aftre » .
Il ajoute que la diſtance requife étant
» fort confidérable , il paroîtroit d'abord
impoffible que les rayons puffent produire
un embrâfement ; mais que cependant
perfonne ne pouvant conteſter
» à Archimède la gloire d'avoir brûlé la
» flotte des Romains par la réflexion des
» rayons du foleil , ce dont on convenoit
» unanimement , il jugeoit raifonnable
» de croire ce problême poflible fur le
principe qu'il avoit avancé ». Il approfondit
enfuite la queftion , & établit
premièrement
ود
"
ود
33
AVRIL. 1775. 73
38
13
»
38
premièrement quelques propofitions néceffaires
pour la bien comprendre. « Il
propofe de trouver avec un miroir plan ,
» une pofition quelconque qui réfléchiffe
les rayons du foleil à un point donné
; il fait voir que l'angle de réflexion
» eſt égal à celui d'incidence ; & , après
» avoir démontré que dans cette pofition
d'un point donné , relativement au fo-
» leil , les rayons lui peuvent être réflé-
» chis par un miroir plan , il foutient que
» l'embrâfement requis peut être produit
» par l'affemblage de ces rayons du fo-
» leil , dirigés à un même foyer , parce
qu'alors , de la chaleur réunie & con-
» centrée de ces différens rayons fur un
» même point , il en devra réfulter un
embrâfement ; & de même que quand
» un corps eft échauffé par le feu , il com .
munique fa chaleur à l'air qui l'envi-
» ronne , ainfi tous les rayons du fɔleil
étant raffemblés vers un même point ,
» doivent contribuer réciproquement à
» augmenter la puiffance de la chaleur ;
d'où il eft néceffaire , continue - t-il
» de conclure qu'avec plufieurs miroirs
plans, on peut réfléchir vers un foyer
donné & à la diftance d'un trait d'ar-
» balête , une telle quantité de rayons du
1.Vol.
15
"
"
99
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
"
"
foleil , que leur réunion , à un même
point , y produife un enibrâfement ».
Quant à la manière de faire cette expérience
, il dit : qu'elle peut fe faire par
» le moyen de plufieurs hommes dont
» chacun tiendroit un miroir dans la pofition
ci - deffus indiquée ». Mais afin
d'éviter l'embarras d'une telle méthode
, il imagine un autre moyen , qui eft
de prendre un cadre , auquel on accom-
» mode vingt- quatre miroits plans , qui
puiffent fe mouvoir dans les directions
prefcrites , par des plaques ou des ban-
» des quelconques , qui les joindroient
» enſemble ou , encore mieux
» des charnières ; & préfentant cette ma-
» chine aux rayons du foleil , faire en-
» forte après avoir fixé le miroir du
"
و د
"
ور
cc
› par
milieu) d'ajufter adroitement & promp
» tement les autres miroirs qui l'entou-
» rent , en les inclinant fur celui du mi-
» lieu , de manière que les rayons du fo-
» leil , partant de ces différens miroirs ,
» feront réfléchis au même foyer que
celui du miroir principal ; & qu'ainfi ,
répétant la même chofe , en plaçant
d'autres miroirs , compofés d'après le
» même principe & dirigés vers le même
lieu que le premier , la réflexion des
و ر
99
AVRIL. 1775 . 75
ן כ
ןכ
"
»
» rayons du foleil fe faifant toute entière
» vers un même point , il en résultera
» infailliblement l'embrâfement requis
» dans un point donné ». Il ajoute encore
que certe expérience réuffira d'autant
» mieux , que l'on préparera une plus
grande quantité de ces miroirs compofés
, de forte que fi l'on en affemble
plufieurs en même temps , on produira
» des effets plus ou moins confidérables » .
Enfin Anthemius conclut fa differtation
en difant « qu'il étoit bon de remarquer
» que tous les Auteurs qui avoient parlé
des miroirs du divin Archimède n'a-
» voient pas fait mention d'un miroir
» feulement , mais de plufieurs » . Une
explication auffi claire de la conftruction
du miroir ardent d'Archimède , ne peut
plus laiffer aucun doute fur un fait auffi
long- temps disputé ; & l'on ne peut affez
s'étonner avec M. Dutens , que les deux
derniers fiècles ( que l'on peut regarder
comme les plus éclairés que l'hiftoire
nous préfente ) fe foient obftinés à traiter
de pure fable une vérité annoncée avec
tant de perfévérance .
M. Datens , déjà bien connu dans la
République des Lettres par des Recherches
fur l'origine des découvertes attribuées
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
aux Modernes , publiées à Paris en 1766 ,
en deux vol. in - 8° . & dont on prépare
une nouvelle édition avec des additions ,
termine l'écrit que nous annonçons par
une réfléxion importante fur le peu d'attention
que l'on donne en ce fiècle à l'étu
de des Anciens. On prend fouvent , nous
dit - il , pour de nouvelles découvertes
plufieurs chofes qui leur ont été réellement
connues , ou fur lefquelles ils ont
du moins répandu le plus grand jour.
Souvent auffi on leur refufe d'avoir eu
des connoiffances que leur attribue l'hif
toire , parce qu'elles ne fe trouvent pas
affez clairement énoncées dans leurs Ouvrages
. Cependant il eft facile de fe convaincre
que les grandes vérités des fyftêmes
reçus avec tant d'applaudiffemens
depuis deux fiècles , avoient déjà été
connus & enfeignés par Pythagore , Platon
, Ariftote , Archimède , Euclide
Plutarque , & c.; & nous devons penſer
qu'ils favoient démontrer ces mêmes vérités,
quoique les raifonnemens fur lef
quels une partie de leurs démonſtrations
étoient fondées , ne foient point parvenus
jufqu'à nous. Car fi dans les écrits qui
font échappés aux injures du temps , on
trouve une foule de preuves de la pro-
?
AVRIL. 1775. 77
fondeur de leurs méditations , & de la
jufteffe de leur dialectique pour expofer
leurs découvertes , il eft très- jufte de
croire qu'ils ont employé les mêmes foins
& la même force de raifonnement pour
appuyer les autres vérités que nous trouvons
fimplement énoncées dans ceux de
leurs écrits que nous connoiffons . Cette
conjecture eft d'autant plus naturelle , que
parmi les titres qui nous ont été confervés
de ces Ouvrages qui ont péri , on en
trouve plufieurs qui traitoient de ces
mêmes fujets, qui ne font qu'énoncés
dans leurs autres écrits ; d'où il eft naturel
de penfer que l'on y eût trouvé les
démonftrations qui nous manquent de
ces vérités . Ils jugeoient fans doute inutile
de les répéter après en avoir parlé
en plufieurs autres livres , auxquels ils
réfèrent fort fouvent , & dont Diogène
Laerce , Suidas & d'autres Anciens nous
ont confervé les titres , qui fuffifent feuls
pour nous donner une idée de la grandeur
de notre perte.
La Pologne telle qu'elle a été , telle qu'elle
eft , telle qu'elle fera ; 3 parties in- 12.
brochées 2 liv . 8 f. A Poitiers , chez
Chevrier , Libraire ; & à Paris , chez
Valade , rue St Jacques , & Baftien ,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
ノ
rue du Petit Lion , Fauxbourg Saint
Germain .
L'Auteur a cherché à fe rendre favorable
le jugement des Lecteurs , par une
préface où il rend compte de fon Ouvrage.
« C'eft , dit- il , au milieu des tem.
» pêtes qui agitent maintenant la Pologne
, que je fais paroître cet Ouvrage.
» On n'eft jamais plus attentif à l'orage
» que lorfqu'il gronde .
·
>> On me jugera très impartial fi
» l'on eft défintéreffé ; mais fans dou-
»te je ferai lu par des hommes de
parti . Il y a préfentement trop de fac-
» tions en Pologne pour plaire à tous les
» Polonois .
33
"
» Le tableau que j'offre au Public n'eft
qu'en miniature. La plupart des hom-
» mes , diftraits par leurs plaifirs ou par
» leurs occupations , n'aiment les hiftoi-
" res qu'en abrégé ; d'ailleurs on fe répète
lorfqu'on veut tout dire , & l'on eft
» prefque toujours languiffant .
29
» L'événement qui fait le fujer de cet
» écrit , mérite l'attention de tous les efprits
il nous inftruit de tout ce que
» peut la force , & des dangers auxquels
» un Gouvernement foible eft toujours
expofé.
"
AVRIL. 1775. 79
"9
" Je n'attends d'autre fuccès de cct
Ouvrage que le plaifir de rendre homm
» mage à la vérité , & de mettre fous les
» yeux des Lecteurs des faits dont tous
les fiècles parleront , & dont ils feront
"
» étonnés .
"
» L'hiftoire de notre temps doit nous
» intéreffer beaucoup plus que celle des
» Grecs & des Romains ; on n'est jamais
plus affecté d'une Tragédie que lorf
qu'on eft au parterre. La Pologne eſt
» maintenant un vafte Théâtre où l'on
» voit la fcène la plus touchante ; & il
n'y a point d'Européen qui ne doive fe
regarder comme en étant le fpectateur .
Les Royaumes , à raifon de la politi-
» que & du commerce , font devenus ,
» depuis long-temps , une feule & même
» famille .
"
و د
» L'homme jufte eft citoyen du mon-
» de , il n'arrive point de révolution dans
» l'étendue des Empires qu'il n'y prenne
» part.
"
13
J'ai fouvent interrogé un Auteur
" moderne qui m'a beaucoup fervi , &
j'ai placé dans ce petit Ouvrage tout
» ce que la Pologne , dans fon principe ,
» dans fa fplendeur , dans fon déclin ,
» offre de plus frappant ; on n'y décou-
» vrira rien qui puiffe bleffer perfonne..
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
» La prudence doit toujours être compa
gne de la vérité ».
»
L'Ecrivain ne s'eft point écarté de ce
principe. La première partie de fon Ouvrage
nous préfente un tableau vrai de la
Pologne , confidérée depuis fon origine
jufqu'au temps préfent . Les traits rapprochés
dans ce tableau , nous peignent les
moeurs & le caractère des Polonois . Ils
nous donnent une connoiffance fuffifante
de leurs loix , de leur conftitution & de
l'efprit de leur Gouvernement. Si la population
eft une des règles les plus certaines
pour juger de la bonté relative des
Gouvernemens , le Lecteur gémira plus
d'une fois fur celui de la Pologne. Il
verra avec douleur un Etat long de quatre
cents lieues & large de deux cents , n'avoir
que fix millions d'habitans , & ne pouvoir
conféquemment cultiver que les
deux tiers de fon terrein , perte d'autant
plus déplorable , que le fol de la Pologne
eft excellent. Les villes ainfi que les villages
appartiennent aux Grands en propriété
, ils les engagent , ils les vendent ;
de forte qu'il fe rient des Seigneuries de
Paroiffes dont les principaux droits confiftent
à recevoir avant tous les habitans
de l'eau bénite & de l'encens . Le Comte
Branicki , Grand- Général de la Couron .
-AVRIL. 1775.
ne , mort depuis peu , voyant le feu qui
confumoit fa ville de Bialeftok , ordonna
qu'on la laiffât brûler, & prit un crayon
pour en deffiner une autre .
"
33
L'Ecrivain termine par cette réflexion
la feconde partie de cet Ouvrage , où il
nous décrit les troubles actuels qui déchirent
la Pologne. « Tout Philofophe ,
dit- il , qui pèfe attentivement ce que
» nous venons d'expofer , & ce qui fe
palla prefque fous nos yeux , a bien des
fujets de méditer , foit fur l'inftabilité
» des chofes humaines , foit fur la ma-
» nière dont les Empires diminuent ou
s'aggrandiffent . Il voit d'un côté tom-
» ber une République immenfe qui , depuis
un temps immémorial , gouvernoit
» en quelque forte fes Rois ; & de l'autre
, s'élever , fur fes débris , des voi-
» fins puiffans , qui métamorphofent des
Seigneurs dans des vaffaux , & des ferfs
» dans des hommes libres : car voilà
l'étrange révolution qui occupe main-
» tenant tous les efprits
"
و د
"
ود
"
39.
L'Auteur , dans la troisième partie de
cet écrit , après avoir analyfé les forces
de la Pologne , & après avoir examiné
le génie & la , poſition des Puiffances qui
environnent cet Etat infortuné , tire des
inductions propres à faire croire que la
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
"
République de Pologne n'attendra pas
en vain l'heureux moment qui lui rendra
fon patrimoine & fa liberté. « Si la
Pologne , dit- il , a des chaînes , & fi
» les Puiffances qui s'emparent de cet
Etat fe maintiennent dans leur poffef-
» fion , l'équilibre n'a plus lieu , & le
» commerce eft gêné. Auffi plufieurs Po- .
» litiques affurent - ils que la France
l'Espagne , le Portugal , la Suède , le
Dannemarck , l'Angleterre , la Hollan-
» de , la Sardaigne même , & bien en-
» tendu la Turquie , formeront une al-
» liance pour s'oppofer à une pareille
:
>>
entreprife , & que ces différens Royau-
» mes , felon leurs intérêts , ne peuvent
» abfolument s'en diſpenſer » Sans doute
, fi cela étoit , la Pologne feroit bientôt
dégagée ; mais elle n'a pas befoin de
tous ces fecours , fuivant la remarque de
l'Ecrivain politique , pour recouvrer fes
terres & fa liberté. Qu'on examine en
effet les Puiffances qui s'en emparent ;
qu'on fuppute en même temps les dépen
fes énormes qu'il faudra faire de toutes
manières , pour élever des forts & pour
répandre dans ce vafte Royaume , qui
n'eft nullement peuplé , des hommes &
des foldats. Outre que ce ne peut être
AVRIL. 1775 . 83
qu'en s'appauvriffant elles mêmes que les
Puiffances co- partageantes peupleroient
la Pologne & la fortifieroient , elles ont
toujours à redouter des Nationaux qui
tiennent à leur liberté plus qu'à leur vie ,
& qui , dans la moindre querelle avec
les Ruffes & les Autrichiens , renaîtront
de leurs propres cendres , pour fe retrouver
comme ils étoient . On les y excitera
quand même ils n'y penferoient pas
alors ; & lorfqu'une guerre violente s'allumera
fur les bords du Rhin , de l'Ef
caut ou du Pô , fera t- il poffible que la
Pruffe & l'Autriche fe répandent de toutes
parts ? & fur- tout fi la Turquie , qui
aima toujours la Pologne , & qui eft intéreffée
à la protéger , fe met de la partie.
D'ailleurs les trois Puiffances copartageantes
ne feront pas toujours unies .
Si c'eft la Ruffie qui entre en guerre avec
les Pruffiens & les Autrichiens , elle
s'unira dès- lors à l'Empire Ottoman pour
les déloger de la Pologne ; & l'on peut
préfumer qu'elle y réuffira. Le Lecteur
ajoutera à ces réflexions que les trois Puif
fances qui partagent aujourd'hui la Pologne
, doivent leurs fuccès à la fupério
rité de leur génie & à leur héroïfme , &
qu'ils pourront avoir des fucceffeurs foi-
D vj
84
MERCURE
DE
FRANCE
,
bles . Il faut des fiècles pour produire des
Héros. Frédéric le Grand peut s'appeler
un Atlas qui porte la Monarchie fur fes
épaules . Quelques talens qu'ait celui qui
doit le remplacer , il eft prefque impoffible
qu'il le rende trait pour trait. Les
événemens dès- lors n'auront pas le même
cours. Ce ne feront plus les mêmes
vues , les mêmes projets , les mêmes defirs
, les mêmês inclinations . Tous les
Souverains n'aiment pas la guerre , &
l'on profite fouvent de cette difpofition
pour les dépouiller , d'où l'Auteur de cet
écrit ofe affurer que la Pologne , à quelque
chofe près , reviendra quelque jour
ce qu'elle étoit. « Cette prédiction , con-
» tinue-t- il , n'eft point pour flatter les
» Polonois , quoique je leur fois fincè-
» rement attaché , ni pour les engager
» à fupporter leur joug impatiemment ,
» d'autant mieux les Puiflances co-
» partageantes traitent tous leurs Sujets
» avec bonté , & qu'ils peuvent s'atten-
» dre , pour le moins , à un pareil traite-
ود
ود
ود
» ment .
"
que
Quiconque a lu l'hiftoire de la Pologne
n'a pas manqué d'obferver que ce
» vaſte Royaume eut plus d'une fois af-
» faire à des ennemis qui le partagèrent
AVRIL. 1775. 85
"
"
22
و د
"
» en quelque forte; & qu'en 1655 , fous le
règne de Cafimir, il elluya les plus cruel-
» les révolutions. Charles Guftave , deve-
» nu Roi de Suède par l'abdication de
» Chriftine (cette Reine qui préféra la phi
» lofophie au plaifir de régner ) , fe rendit
» maître en peu de temps d'une partie de la
» Mazovie & d'une grande partie de la Po
logne, fans compter la Lithuanie qui
» fe foumis au Vainqueur. Les Hiftoriens
ajoutent qu'alors les Polonois fem
» bloient être frappés de la foudre , &
qu'il ne leur reftoit qu'un courage inu-
» tile , mêlé de défefpoir . Cependant
» ces orages fe diffipèrent , & le mo-
» ment vint où la Pologne reprit ce
qu'elle avoit perdu , malgré les efforts
» de Ragotski , Prince de Tranfylvanie ,
qui s'étoit uni à Guſtave , dans le def-
» fein même de ravir la couronne à
» Cafimir ». L'hiftoire ancienne & mo.
derne peut fournit plufieurs autres exem
ples pareils , qui confirmeront la réflexion
que fait ici l'Auteur , qu'il eft des crifes
dans les révolutions comme dans les maladies
; l'état des chofes change , & ſouvent
, au moment le moins attendu , un
Empire qu'on croyoit démembré éprouve
une fecouffe & reparoît tel qu'il étoit.
و د
"
que
$6 MERCURE DE FRANCE.
Temple de Mémoire ou vifion d'un Solitaire.
A Paris , chez Ruault , Libraire ,
rue de la Harpe .
Thalie conduit le Solitaire dans le
Temple de Mémoire , & lui montre
tous les hommes qui ont mérité d'y avoir
une place diftinguée. Cet édifice , d'une
architecture noble & majestueufe , &
tout environné de lumière , n'étoit point
affez vafte pour contenir ceux qui fe font
immortalités par leurs talens & par leurs
actions fublimes. Voici comme l'homme
aux vifions nous dépeint Thalie .
Une Nymphe au fouris malin ,
Avec un mafque dans la main ,
Tout- à- coup fortit d'un nuage ;
Ses yeux refpiroient l'enjouement ,
L'efprit , la fine raillerie.
Une légère draperie ,
Qui couvroit fon bufte charmant ,
En deffinoit correctement
Les contours & la fymmétrie .
Ses pieds mignons étoient chauffés
De brodequins ou de fandales ,
Dont les cordons , entrelaflés ,
Brilloient de rubis enchaflés ,
AVRIL 1775.
87
Et de perles orientales .
Pour la fraîcheur du coloris ,
C'étoit une rofe nouvelle
Qu'on voit éclorre entre des lis :
Enfin , à mes fens interdits ,
Tout annonçoit une immortelle.
Où n'iroit- on pas avec un fi charmant
guide ? Et comment s'égarer avec une
Nymphe qui ne fait d'autre ufage de fes
talens que celui d'infpirer le goût de la
vraie gloire , & d'apprécier avec impar
tialité le mérite des hommes qui fe font
rendus dignes de l'immortalilé? La vie
و د
des hommes , dit cette aimable Déeffe ,
» eft fi bornée , qu'il leur eft bien permis
» de chercher du moins à perpétuer le
» fouvenir de leur exiſtence ; j'entends
» par tout ce qui mérite l'eftime & l'ad-
» miration de leurs femblables. C'eft une
» feconde vie qui tourne au profit de
» ceux qui reftent ; parce qu'elle entre-
» tient le goût des chofes honnêtes &
utiles par les exemples qu'elle laide à
imiter. D'ailleurs , la vertu & le ſavoir
» font fi mal récompenfés fur la terre ,
qu'ils tomberoient dans le décourage-
» ment s'ils n'étoient foutenus par cette
» idée de gloire & de renommée qu'ils fe
13
»
"
1
88 MERCURE DE FRANCE.
» promettent des fiècles à venir » . Et
tien n'eft plus propre à exciter une noble
émulation & à perpétuer le louable defir
d'imiter les grands hommes , que la manière
avec laquelle Thalie les offre à nos
yeux.
On eft feulement fâché de voir que
l'enceinte du Temple foit fi étroite , &
que les noms des Monarques , des Capitaines
, des Magiftrats , ne foient pas toujours
accompagnés des éloges qu'ils ont
fi juftement mérités .
Paradoxes par un Citoyen . Lettres de Bru .
tus fur les chars anciens & modernes.
Chez Saillant & Nyon , Libraires , rue
St Jean de Beauvais.
L'Auteur de cet Ouvrage a déjà donné
au Public la Philofophie de la Nature ,
qui a réuni prefque tous les fuffages . A
la vérité il fut mal accueilli par un Journalifte
; qu'importe d'être fétri par un
Satirique , dit notre Philofophe ; fi l'Ouvrage
eft bon , l'opprobre rejaillit tout
entier fur le Faifeur de fatire . S'il eft
mauvais , l'Ouvrage & la fatire font oubliés
au même inftant. D'après cette idée
des critiques qu'on croit être injuftes , les
AVRIL. 1775 .
89
Auteurs des bons Ouvrages devroient
jouir d'une parfaite tranquillité. On a
fouvent remarqué que lorsqu'un Ouvrage
eft critiqué , ce n'eft pas l'Auteur de
l'Ouvrage qui fubit la plus délicate épreu
ve. Le Public , intelligent , fe réferve le
droit de juger le Cenfeur ; & fi la critique
eft injufte & fauffe , le mépris dont
elle eft payée fe mefure à l'idée de fupériorité
que tout Cenfeur fait préfumer
avoir voulu donner de foi. On ne doit
pas fe diffimuler les difficultés de la critique.
Rien de plus rare , après les bons
livres , que les bons Juges de livres ;
pour les juger , difoit Malherbe , il faut
fcience & confcience . Cette réunion n'eft
pas fi commune qu'on pourroit le penfer .
Convaincu , par principe & par fentiment
, qu'il falloit une bafe à la morale
univerfelle , l'Auteur des nouveaux paradoxes
a épuifé toutes les différentes
preuves de l'exiftence de Dieu , de la
néceffité de la marale & de notre immortalité.
Les raifonnemens qu'il a em
ployés ne mènent point au dogme trifte
& froid de l'indifférence . L'indifférence ,
comme l'obferve très bien notre Philofophe
, eft le principe de l'homme qui
n'en a point ; c'eft le plus grand mal que
90 MERCURE DE FRANCE.
le pyrrhonifme ait pu faire à la terre :
l'indifférence dans les arts conduit à la
barbarie ; dans la vie fociale , elle produic
des êtres vils & fans caractères ; dans la
la Religion , elle fait des Athées . La faine
philofophie , dont cet Ecrivain prend
la défenfe , s'éloigne également de tous
ces excès fi propres à avilir l'homme &
à nuire à la fociété . Les Philofophes ,
dignes de porter ce nom glorieux , unif
fent la vertu au génie , & n'admettent
d'autres principes que ceux qui peuvent
rendre l'homme heureux ici bas & dans
l'économie future. C'eft fe couvrir d'opprobre
que de calomnier ceux qu'on doit
regarder plutôt comme les bienfaiteurs
de l'humanité. C'eft le comble de l'injustice
que de les confondre avec ces Auteurs
qui voudroient renverser les règles
immuables des moeurs , & qui n'admettant
point la diftinction du bien & du
mal , ne reconnoiffent point le Légifla
teur fuprême , qui doit récompenfer l'un
& punir l'autre. Aurant l'Auteur des Paradoxes
montre de zèle pour la faine philofophie
, autant il manifefte fon indignation
contre ceux qui ofent méconnoître
l'origine & la deftination de l'homme ,
& qui ne lui offrent que la perspective
AVRIL. 1775 . I
du néant pour le confoler dans les traverfes
& dans les maux auxquels il eft
expofé dans le cours de la vie.
L'accufation de plagiat , qu'on n'em .
ploye que pour dégrader la perfonne du
Philofophe , & pour éloigner le vulgaire
de la lecture de l'Ecrivain qu'on calommie
, n'eft le plus fouvent que la reffource
de l'envie & de la médiocrité . L'Auteur
des Paradoxes juftifie pluſieurs Ecrivains
célèbres qu'on a cherché à Alétric
par cette odieufe imputation ; & l'apologie
qu'il fait de ces Ecrivains le conduit
à traiter la fameufe queftion de la preffe .
Il est plus aifé de prouver que les loix
peuvent & doivent fixer des limites à la
liberté d'écrire , que de les déterminer
avec cette fageffe impartiale qui difcute
également les inconvéniens & les avantages.
On regarde comme un principe
incontestable qu'une faculté fi naturelle
& fi utile ne doit & ne peut être gênée
qu'autant que le bien de l'Etat , cette loi
fuprême , l'exige . Il n'eft pas cependant
auffi facile qu'on fe l'imagine de démêler
les circonstances ou l'intérêt public l'or .
donne. La vérité n'a point à craindre les
attaques de l'erreur. Multiplier les com
bats , c'eft multiplier fes triomphes. C'eſt
92 MERCURE DE FRANCE.
fouvent du choc des opinions que naît
cette lumière bienfaifante qui éclaire
tous les efprits , & qui termine enfin
toutes ces vaines & ridicules difputes
fouvent fi contraires à l'ordre public & à
la tranquillité des Citoyens.
>
On trouve à la fuite de ces differtations
une nouvelle édition des Lettres de
Brutus fur les chars anciens & modernes ,
où l'Auteur employe toute fon érudition
contre ce genre de luxe qui a tant de fois
produit des malheurs & des défordres
dans la fociété. M. de Voltaire , en recevant
la première édition de cet Ouvrage
, a écrit cette Lettre de remerciement
à l'Auteur. Monfieur, il y a deux ans
» que je ne fors point de chambre , & que
» la vieilleffe & les maladies qui accablent
» mon corps très foible , me retiennent
prefque toujours dans mon lit. Je ne pren .
» drai point contre vous le parti de ceux
qui vont en carroffe : tout ce que je puis
» vous dire , c'eft qu'un homme qui écrit
» auffi bien que vous , mérite au moins
» un carroffe à fix chevaux ; vous voulez
qu'on foit porté par des hommes
» j'irai bientôt ainfi dans ma Paroifle ,
fuppofé qu'on veuille bien m'y rece-
» voir. En attendant , j'ai l'honneur d'être
"
"
AVRIL. 1775 . 93
» avec la plus profonde estime & la plus
» vive reconnoiflance ».
Difcours fur l'Education , prononcés au
College Royal de Rouen , fuivis de
notes tirées des meilleurs Auteurs anciens
& modernes ; auxquels on a joint
des réflexions fur l'amitié . Par M. Auger
, Prêtre , Profeffeur d'Eloquence
au Collège de Rouen , de l'Académie
des Sciences , Belles Lettres & Arts de
la même ville. A Paris , chez Durand ,
Libraire , rue Galande.
Cet Ouvrage ne peut être que fort
utile aux pères & aux mères qui font
jaloux de bien élever leurs enfans . La
faine morale qu'il refpire , & les notes
excellentes qui font tirées de Platon
Plutarque , Montaigne , Locke , Fénélon ,
Rollin , M. Rouffeau , rendent ces Difcours
très- intéreffans . Ce Profeffeur , que
le zèle feul du bien public anime , ſe
fait un devoir & un plaifir d'avouer que
l'Emile de M. Rouffeau eft un riche tréfor
où l'on trouve fur l'éducation une
foule de vérités neuves & lumineufes ,
les réflexions les plus juftes & les plus
fenfées , la morale la plus pure & la plus
94 MERCURE DE FRANCE.
févère. Ce Philofophe , également profond
& éloquent , s'eft déclaré pour l'éducation
Lacédémoniene , qui s'occupoit
fur- tout à fortifier le corps & à perfectionner
les organes ; il a foutenu que jufqu'à
un âge affez avancé on ne doit former
l'efprit & le coeur que par occafion
& par forme de converfation . Il veut
qu'on n'exerce le jugement de fon Elève
que de vive voir , & qu'on laiffe fa mémoire
oifive ; éloignant de lui toute ef
pèce de livres , it ne l'applique jamais à
l'étude. Quant à la Religion , l'Auteur
d'Emile veut qu'on lui en parle tard , &
qu'on préfère la Religion purement naturelle.
La jufte admiration que notre Profefleur
à conçue pour M. Rouffeau , ne
l'empêche pas de modifier & de corriger
ce nouveau fyftême d'éducation . Il convient
qu'on doit ménager les forces d'un
jeune Élève en ne l'appliquant pas trop
tôt à l'étude : il ne regarde pas comme
une chofe moins effentielle d'exercer de
bonne heure fa mémoire fur des objets
agréables & utiles , comme fables , hiftoires
, & c. parce que c'eft dans la première
jeuneffe que la mémoire eft bonne
& qu'on peut la plier à faire d'heureux
efforts. Il ne fuffit pas de prendre garde
AVRIL.
1775 .
d'y introduire des idées fauffes , mais on
95
doit encore la remplir d'excellens matériaux
, que le jugement trouvera & mettra
en oeuvre quand il fera formé . Le
Profeffeur refpecte trop la
Religion pour
ne pas regarder comme le devoir le plus
effentiel de faire connoître au plutôt à
fon Elève l'Être dont il tient
l'existence ,
& de lui bien inculquer que tout vient
de Dieu par fon amour , & que tout doit
lui être rapporté par le nôtre. Ne doit- on
pas prévoir que ce jeune homme en entrant
dans le monde , fera environné des
ténèbres les plus épaiffes & des maximes
les plus fauffes , & qu'il ne
manquera
pas de marcher dans ces fentiers ténébreux
, fi l'on ne lui a pas appris à ſe
fervir du flambeau célefte que Dieu nous
met en main pour nous éclairer & nous
empêcher de nous égarer. Les Livres
Saints qui renferment les vérités révélées ,
nous font repréfentés comme un cabinet
précieux dont Dieu nous donne l'uſage ,
& dans lequel il a mis en réſerve toutes
fortes de
remèdes propres à guér'r nos
maladies
fpirituelles. Le jeune Elève ,
fentant les propres défauts , pourra trouver
dans ce trésor de la parole de Dieu ,
l'efpèce particulière de remède qui con96
MERCURE DE FRANCE.
vient à fon mal . Comme Dieu aà donné
à la terre la vertu de porter toutes fortes
d'herbes , de plantes & de fucs deftinés
à guérir les plaies du corps ; il a de
même rempli les Livres Saints de préceptes
falutaires pour remédier aux maladies
de notre âme. Qu'on le rappelle le
bel éloge que M. Rouffeau fait de ces
Livres , & l'on fera furpris qu'il n'inſiſte
pas fur la néceffité de les mettre entre
les mains des jeunes gens , en les dirigeant
dans cette lecture.
Le Profeffeur d'Eloquence obferve judicieufeinent
qu'un des plus précieuxavantages
de l'éducation , doit être de
faire contracter l'habitude de travailler
feul & de lutter feul contre les difficultés
fans le fecours d'autrui . C'eſt fans doute
une excellente méthode d'inftruire les
enfans en les amufant , en converfant
avec eux , en leur faifant faire de vive
voix des réflexions qui foient à la portéede
leur âge , fur tout ce qu'ils lifent ,
voyent ou entendent , en arrachant pour
eux & avec eux les épines de la fcience.
Mais l'expérience nous apprend que nous
ne favons bien que ce que nous avons
appris avec quelque peine , ce dont nous
nous fommes efforcés de trouver feuls ,
de
AVRIL. 1775 . 97
de réfoudre feuls les difficultés . En effet ,
on doit craindre qu'un enfant qu'on n'a
inftruit que par la converfation , ne s'ennuie
& ne fe morfonde dès qu'il fera
livré au filence & à la folitude da cabinet.
Quant à l'inconvénient de commencer
tard à étudier , on ne peut fe refuſer
à cette vérité d'expérience , qu'il y a un
temps après lequel on ceffe d'apprendre ;
ou l'on n'apprend que difficilement. Le
jugement a beau être formé , fi le cerveau
, fiége de la mémoire , n'eft rempli
ai de mots ni de faits , fur quoi opérerat-
il? Comment manifeftera- t- il aux autres
fes opérations , fi l'on ne l'a pas accoutumé
de bonne heure à recevoir mille
impreffions différentes , à fe plier & fe
replier de mille manières diverfes , lorfqu'il
étoit comme une cire molle ? Si on
a attendu que les fibres fe foient durcies ,
rien n'y pourra plus entrer , ou n'y entrera
qu'avec peine. Rien ne feroit plus
effentiel au Profefleur que de remplir la
mémoire de fon Elève d'une infinité de
mots , de faits & d'idées qu'il retrouve
au befoin , & de rendre plus facile , par
l'habitude , l'application de l'efprit.
On trouve dans ces Difcours l'éloge
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
du Souverain en qui la fagefle a devancé
les années , & qui eft convaincu que
pour affermir fon pouvoir , il doit le
fonder fur les Loix & fur l'amour de fes
Sujets , & que les Loix font l'ornement
& le foutien de la puiflance fouveraine.
En effet l'intérêt invariable du Trône eft
fi visiblement attaché à l'empire des
Loix , qu'il eft rare de voir les Princes
fe porter d'eux -mêmes à les détruire . Cette
corruption vient toujours des Sujets ,
dont les uns veulent fe fouftraire aux
Loix , & les autres afpirent à dominer
fur elles , Mais pour faire honorer ces
Loix , fur lesquelles repofe la gloire du
Souverain & le bonheur des Peuples , il
faut honorer leurs Miniftres , & fur- tout
ces Compagnies utiles , & dépofitaires
des Loix & des formes , que l'Auteur
compare à de fortes chaînes , toutes attachées
au Trône , qui uniffent étroitement
toutes les parties d'un vaſte Empire
; qui lient à la perfonne facrée du
Souverain tous les Membres du Corps
politique , par des noeuds indiffolubles.
L'Auteur a joint aux deux Difcours
fur l'Education , relativement au corps ,
à l'efprit & au coeur , l'extrait d'un plan
d'éducation par Platon , celui de l'éducaAVRIL.
1775 : 99
tion des anciens Perfes , & celui de l'inftitution
Lacédémonienne ; & l'Ouvrage
eft terminé par des réflexions judicieufes
fur la véritable amitié.
Traité complet d'Anatomie , ou defcription
de toutes les parties du corps
humain , par M. Sabathier ,, Membre
du Collège de Chirurgie de Paris
Cenfeur & Profefleur Royal , de l'Académie
Royale des Sciences & de celle
de Chirurgie , Chirurgien - Major &
Confultant de l'Hôtel Royal des Invalides
, & c. 2 vol. in- 8 °. chez Didot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins .
·
Cet Ouvrage est vraiment élémentaire
; c'eſt un des meilleurs dans fon
genre qui ait paru ; l'Auteur a puifé dans
fes propres obfervations & dans fes diffections
, la doctrine qu'il y expofe ; il a
confulté en outre , pour fa rédaction ,
les Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences , & il ne fe trouve prefque aucun
Auteur célèbre qu'il n'ait mis , en quel
que forte, à contribution ; les Morgagni,
les Haller , les Monro , les Meckel , les
Hunter , les Zinn , les Senac , les Winf
low, les Lieutaud , les Heifter , font au-
E ij
MERCURE DE FRANCE.
tant de célèbres Anatomiftes dont il a
émprunté les lumières . Il fe fait un
honneur d'être un des difciples de M.
Verdier ; & s'il n'avoit été obligé de
céder aux follicitations réitérées de fes
amis , il auroit continué de faire paroître
cet Ouvrage fous le nom de fon Maî
tre , quoiqu'il puifle le réclamer comme
le fruit de fes travaux , puifqu'il en a
retranché le peu qui s'y trouvoit de M.
Verdier , & que d'ailleurs il a fait des
additions très confidérables .
Cet Ouvrage eft divifé en fept parties ,
en ofteologie , myologie , fplanchnologie
, angeiologie , névrologie , adenologie
, & en hiftoire des tégumens . La
première , outre la defcription des òs ,
contient celle du périofte , des cartilages ,
des ligamens , des glandes fynoviales ,
de la moelle & de leurs vaiffeaux . La
feconde traite des mufcles . Ces organes
répandus dans la machine animale , opèrent
le plus grand nombre , ou plutôt ,
prefque tous les mouvemens qui s'y exécutent.
La fplanchnologie , qui fait la
troifième partie de cet Ouvrage , eſt une
des plus intéreffantes ; auf l'Auteur l'at-
il traitée avec beaucoup d'étendue ; elle
commence par ce qui concerne la tête , &
AVRIL. 1775 .
continue par l'hiftoire de la poitrine &
du bas ventre. L'angeiologie a pour objet
la connoiffance des vaiffeaux fanguins &
lymphatiques ; M. Sabathier a tiré , pour
la rédaction de cette partie , les plus
grands fecours des Fafciculi anatomici de
M. de Haller. La névrologie qui vient
enfuite , contient quelques notions fur
les nerfs en général . L'adenologie , fur
la defcription des nerfs ; ce n'eft , pour
ainsi dire , qu'une récapitulation des
glandes , dont l'Auteur a déjà parlé dans
la fplanchnologie. Enfin l'hiftoire des
tégumens comprend celle du tiffu cellulaire
, qui eft moins une des enveloppes
fous lesquelles toutes les parties font enfermées
, qu'un des principes conftitutifs
de la machine animale.
Telle eft la difpofition de cet Ouvrage
; outre ce qui concerne la forme ,
les dimenfions , la ftructure & les rapports
de tout ce qui entre dans la compofition
du corps humain , l'Auteur a
eu foin d'y inférer encore un affez grand
nombre de remarques hiftoriques , critiques
, phyfiologiques & pathologiques
.
On trouve auffi chez le même Libraire
qui débite cet Ouvrage , & chez l'Au-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
teur , rue Saint Jacques , un autre qui a
pour titre Apparatus ad nofologiam feu
Lynopfis nefologia methodica Auct.
Gul. Cullen ; editio nova auta. Amftelodami
1775 , in- 89. prix 6 livres broché
.
*
>
Difcours prononcés en différentes folennités
de piété ; par M. l'Abbé le Coufturier
, Chanoine de Saint Quentin ,
Prédicateur du Roi . A Paris , chez
Moutard , Libraire , rue du Harpoix ,
1774. Nouvelle édition ; 1 v. de 492
pages.
Ces Difcours ont déjà mérité l'appro
bation du Public ; celle dont l'Académie
Françoiſe a honoré deux Panégyriques de
Saint Louis , prononcés devant elle par
le même Orateur , eft la plus honorable
pour M. l'Abbé C. L'Académie détermina
, par les applaudiffemens réitérés qui
interrompirent l'Orateur , follicita en fa
faveur les grâces de la Cour. Le changement
de Ministère fut un obstacle , &
l'Orateur applaudi fut oublié. La vérité
& la bonté font les deux grands traits
fous lefquels M. l'Abbé le Couſturier.
repréſente tout le règne de Saint Louis.
AVRIL. 1775 . 103
* Quand la vérité éclaire les Rois , dit- il ,
que leur règne eft puiffant ! Elle les
» inftruit dans l'art de gouverner , elle
» foutient leur Trône , elle met la Juſtice
" à côté de la Victoire , le courage à côté
» des malheurs ; ils veillent à la fois aux
» intérêts du ciel & au bonheur de la
terre. Quand la bonté infpire les Rois,
» que leur empire eft doux ! L'autorité ,
quelquefois terrible , n'eft plus que
bienfaifante ; ils aiment leurs Peuples ,
» ils en font aimés , ils les rendent heu-
" reux il font plus , ils les rendent dignes
de l'être . Heureux le Prince qui
» peut mériter un tel éloge ! heareux le
» Peuple qui peut mériter un tel Prince !
» la gloire de l'un , le bonheur de l'autre
» font inféparables & font également af
furés...
» Voulez vous , Meffieurs , dit l'Orateur
, un triomphe de la vérité dans un
autre genre ? Le fchifme , ce monftre
qui ébranle les Trônes au nom de la
Religion , éclate entre Rome & l'Em
pire ; au milieu des nuages qui s'élèvent
dans l'Europe , Louis , les yeux
» fixés fur le centre de lumière & de vérité
, voit en gémiffant le glaive des
Pontifes & le glaive des Céfars tour-
"
"
Ę iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ود
» nés l'un contre l'autre ; il reconnoît
» avec douleur le déchaînement des paf-
» fions humaines , les mots facrés ne lui
» en impofent pas . Il fait que fouvent ,
» felon le langage de fes paffions , ven-
" ger Dieu , c'eft fe venger foi- même. Il
reſpecte les titres , dévoile les prétex-
» tes , démêle les intérêts , gémit des ex-
» cès & juge les hommes.
و د
» La Juftice eft la compagne de la
» vérité. Elle fe foutenoit fous le règne
» de Louis , mais foible , chancelante ,
» accablée fous un fardeau de loix , &
ces loix confondues enfemble , défigu- » tées
ود
رپ
ود
»
par la barbarie de leur première
origine , amas informe , dont l'obfcurité
divifoit les Citoyens au lieu de les
unir , dont l'incertitude multiplioit les
jugemens , n'arrêtoit pas les coupables ,
» dont la chaîne , loin d'envelopper le
" corps focial , fe brifoit à chaque inf-
» tant & laiffoit un vuide ...... Au
» milieu de tant de maux la Juſtice
éplorée , cherche l'appui de la Vérité ,
» & c. »
و د
•
Ce Difcours ne perd rien à la lecture
de la fenfation qu'il a faite lorfqu'il fut
prononcé. La manière d'écrire de M.
l'Abbé C. a quelque chofe de touchant ,
AVRIL. 1775 .: 105
d'infinuant , de rapide qui entraîne &
fubjugue l'Auditeur ; on lui a déjà rendu
la justice de dire qu'il poffédoit & imitoit
l'art d'écrire de Boffuet , fi négligé de
nos jours.
99
Entre plufieurs Difcours qui remplif
fent ce volume , & qu'il faut lire de fuire
dans le volume même , M. l'Abbé C.
varie fes portraits felon les perfonnes
qu'il a à peindre. Voici celui d'une Abbeffe
Religieufe " que paroît offrir ou
que doit offrir à une jeune perfonne
qui fuit la voix qui l'entraîne au pied
» de l'autel , cet afyle religieux , où elle
» enfevelit les plus brillans de fes jours !
» Une folitude qui la fépare du monde ,
» des affaires , des intérêts , des efpéran-
» ces , des plaifirs du monde , de tout ce
qui peut lui plaire , la diftraire , la
» flatter dans le monde ; une carrière
plus ou moins longue à terminer
" mais toujours renfermée dans un ef
» pace bién étroit & que parcourent les
» yeux . Une perfpective fombre de de-
» voirs obfcurs , de fonctions pénibles ,
"
"
"
33
"
auftères , rigoureufes ; de ménagemens
» néceffaires , de facrifices fréquens , de
» liaifons forcées , de bienféances & de
» charité , mais bornées aux objets , aux
E v
106 MERCURE DE FRANCE:
"
» perfonnes qui entourent ; une fuccef
» fion incertaine , plus ou moins rapide
» de celles qui précèdent & de celles qui
» fuivront , mais toujours dans le même
» lieu ; un concours de caractères , d'efprits
différens que la piété à raffemblés
» & foumis à l'empire de la même loi ;
» un oubli de foi-même pour ne plus
» vivre , pour ne plus voir que par l'oeil
» de la foi , & ne reconnoître dans celle
qui commande que la voix & l'auto-
» rité du Légiflateur fuprême » , Ce tableau
eft peint d'après l'expérience & pré
fenté par la vérité.
"
39
Voici le portrait d'un Paſteur réduit
aux foins méritoires de la campagne.
" Un Prêtre de la loi nouvelle * héritier
» du zèle & des vertus des Prêtres de
» l'ancienne loi ; un homme occupé du
» ministère évangelique , le plus pénible ,
» le plus obfcur , & par- là peut- être le
plus méritoire ; un homme calomnié
d'abord , épreuve bien rigoureuſe pour
» un coeur fenfible , qui ne peut fe juftifier
que par fa douleur ; l'innocence
connoît-elle d'autres armes ? Un Pal-
12
»
Le B. P. Fourrier , Curé de Mataincourt.
AVRIL. 1775. 107
»
beau
teur d'un pauvre troupeau , plus pauvre
" lui-même encore par choix & par devoir,
& par- là plus véritable Paſteur ; un
» homme connu de Dieu feul & de fon
» Peuple ; un homme nourri à l'ombre
» d'un autel obfcur , bien éloigné d'en
» dérober l'encens ou de lui préférer les
vapeurs de la molleffe , ou les fumées
» de la vanité ». Cet exemple eſt trop
pour n'être pas trop rare.
Le Difcours fur la Révélation , dit
l'Editeur , devoit être prononcé dans
une affemblée de perfonnes inftruites &
éclairées ; ce fujet n'avoit été traité jufqu'ici
que dans des écrits polémiques ,
retouchés par des mains favantes , mais
moins propres à faire naître dans l'âme
ces émotions falutaires qui caractériſent
Fart oratoire. Ces Difcours en général
font dans le ton d'une éloquence vraie ,
pathétique , touchante & éclairée . Les
notes qui les accompagnent méritent
d'être lues.
L'Homme fenfible ; traduit de l'Anglois ,
par M. de Saint- Ange. A Paris , chez
Piffot , Libraire , quai des Auguftins ,
près la rue Gît le -coeur. Prix 30 fols
broché.
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Homofum , humani nihil à me alienum
puto. Ce vers de Térence , dont voici la
traduction littérale : Je fuis homme : rien
de ce qui eft de l'homme ne m'est étranger
donne une idée jufte & préciſe du tond
de cet Ouvrage , c'eft un récit très fimple
d'incidens plus fimples encore : mais ce
récit , où l'inſtruction fe trouve toujours
mêlée , devient fouvent piquant par fa
fimplicité même. Le Lecteur attentif fera
étonné d'y trouver autant , & même plus ,
de ce qu'on appelle fineffe d'efprit , que
dans ces écrits dont le bel - efprit paroît
être le caractère dominant ; fouvent aufli
on remarquera dans le ftyle autant d'élégance
que de naturel . « L'Auteur Anglois
, M. Brook , dit le Traducteur ,
paroît avoir adopté la manière & le
tyle du Voyage fentimental. On pourroir
, à beaucoup d'égards , rapprocher
» ces deux Ouvrages ; même fagacité
d'efprit , même fenfibilité d'âme y ren-
» dent les détails tour- à tour piquans &
» intéreflans. Mais en dépouillant la par.
» tialité ordinaire à un Traducteur , on
» fe hafarde à croire que le parallèle fe-
» roit à l'avantage de M. Brook.
"3
""
39
"
»
ود
" On a reproché , avec raifon , au
voyage de Stern un défaut de liaiſon
AVRIL 1775. 109
» trop fenfible ; on ne remarque aucun
» deffein dans la diftribution de fes cha-
>>
"
وو
pitres ; ce font des fragmens fans fuite ,
qui fouvent finiffent tout- à- coup , au
» moment où l'intérêt alloit commencer,
» On ne peut faire les mêmes reproches à
» notre Auteur. Quoique fon Livre foit
» un affemblage d'épiſodes détachées , il
» y a obfervé cette gradation progreffive
» d'intérêt que les Italiens appellent en
mufique le Crefcendo. Il met dans la
» main des Lecteurs un fil qui les con-
» duit à travers les fcènes différentes ,
dont le tiffa compofe fon eſpèce de
Roman ; ce fil eft le développement
» fucceffif du caractère de l'homme fen-
» fible 19.
ود
Nous allons en tranferire plufieurs paffages
; l'Ouvrage commence ainfi :
""
"
Il y aune forte de rouille originelle à
l'efprit de l'homme . Chacun de nous la
» contracte en naiffant. Dans certains pays
néanmoins , en France par exemple , les
idées des habitans font d'une fi prodigieufe
& fi habituelle légéreté , que lors
» même qu'elles font en petit nombre ,
» elles doivent néceffairement le frotter
» fans ceffe ; de manière que cette rouille
» de l'efprit s'efface bientôt. Le contraire
"
"
110 MERCURE DE FRANCE.
» arrive en Angleterre . Un Anglois meurt
» fouvent avant de s'en être débarraffé ...
"
» Il y a un moyen sûr de perdre cette
» rouille , dit le frère du Baronnet , qui
» étoit un exemple frappant d'un excellent
métail horriblement rouillé , c'est
» de voyager. A ces mots j'approchai ma
» chaiſe de la fienne . Qu'on me permette
» de peindre cet honnête vieillard ; ce
» n'eft qu'une phrafe en paffant , pour rap
» peler fon image dans ma mémoire.
"
» Son attitude la plus habituelle étoit
d'être attis , le coude appuyé fur le
» genou , & les doigts appliqués fur la
joue. Sa main cachoit à moitié fon vifage
. Cependant il avoit dû paffer autrefois
pour être très-beau ; fes traits
» étoient mâles & frappans ; fes fourcils ,
les plus larges que je me rappelle avoir
" vus, lui donnoient un certain air de
dignité. Sa perfonne étoit grande &
»bien fate ; mais fon indolence naturelle
» lui avoit fait prendre un embonpoint
» confidérable.
" Il parloit peu , & feulement à quel
ques amis particuliers ; mais il ne difoit
rien qui ne méritât d'être écouté
avec refpect. Simple & intègre dans
toutes les actions , il étoit tout de feu
AVRIL. 1775. 118
quand il s'agiffoit des intérêts de la
» vertu & de l'amitié .
»
" Aujourd'hui il eft oublié : il eft ab-
» fent . La dernière fois que j'allai à Sil-
» ton - Halle , je vis fon fauteuil au coin
» de la cheminée : on y avoit ajouté un
» couffin , & il étoit occupé par l'épagneul
de ma jeune maîtrelle . Je m'en
approchai fans être apperçu , & dans
mon dépit fecret , je lui pinçai l'oreil-
» le ; il fit an cri & fe refugia auprès de
» fa maîtreffe . Elle ne devina pas l'au-
» teur de cette méchanceté ; mais elle
déplora l'infortune du pauvre animal
» dans les termes les plus pathétiques ;
» elle le careffa , le prit fur fes genoux ,
» & le couvrit avec un mouchoir de la
plus fine baptifte.
CC
"
"
Moi , je me plaçai plaçai dans le fiége
de mon vieil ami : j'entendis autour
» de moi les ris & la gaîté bruyante de
» la compagnie ; alors , pauvre Ben-
» Filton , je te donnai une larme . Accep
» te la elle coule à l'honneur de tom
» fouvenir , & c. » "
La lecture de ce morceau a dû faire
plaifir . Le contrafte des foins recherchés
pour l'épagneul & de l'oubli du vieil
lard , de la gaîté d'une frivole aſſemblée
112 MERCURE DE FRANCE.
& de la fenfibilité recueillie d'un homme
fenfé , préfente une peinture de moeurs
piquante à la fois & attend riffante . Pref
que tout le Roman eft compofé d'une
foule de fcènes non moins intéreffantes.
On en pourra juger par les citations que
l'on va lire . Harley , ou l'homme fenfible
, fait un voyage à Londres pour y fol
liciter une affaire. Son féjour en cette
ville donne lieu à plufieurs incidens d'un
genre varié ; il en eft reparti dans une
voiture publique.
99
و د
" Lorfque le coche fut arrivé à l'en-
» droit de fa deftination , Harley fe mit
» à examiner comment il continueroit fa
» route . Le Maître de l'Hôtellerie l'abor-
» da avec civilité & lui propofa le choix
» d'un cheval ou d'une chaife de pofte .
» Mais Harley faifoit rarement les chofes
» de la manière qu'on appelle communé
» ment la plus naturelle. Il remercia l'Hôte
» & s'achemina à pied , après avoir don-
» né les ordres néceffaires. pour fon porte-
manteau. C'étoit une façon de voya
" ger qui lui étoit ordinaire. Par- là ,
» fans autre embarras que celui de fa perfonne
, il étoit libre de choifir fes auber-
" ges & d'entrer dans la première cabane
où il feroit attiré par une phyfionomie
99.
AVRIL. 1775. 113
» intéreffante. Enfin , lorfque fa fenfibi-
» lité pour fes femblables n'abforboit pas
» toutes les affections , il pouvoit les
» étendre fur des êtres d'une espèce infé- ,
» rieure ; il pouvoit , tantôt fur le pen-
» chant d'une colline , tantôt fur le bord
» d'un ruiffeau , fe laiffer aller au fom-
» meil ou à fes rêveries.
»
Le jour étoit fur fon déclin , & le
» foir des plus fereins , lorfqu'il entra
» dans un chemin creux qui alloit en
» tournant entre deux hauteurs qui l'en-
» vironnoient . Ce chemin étoit couvert
» d'une pelouſe entre coupée par diffé-
»rens petits fentiers , felon les diverfes
» traces que les voyageurs avoient te-
» nues. Il paroiffoit alors peu fréquenté ,
» & quelques uns des endroits battus
» commençoient à fe recouvrir de ver-
» dure. Ce site agréable l'engagea à s'ar-
» rêter pour en contempler les beautés.
» Comme il portoit fes yeux de côté &
» d'autre , fes regards , jufqu'alors penfifs
& rêveurs , furent frappés d'un objet
qui réveilla fon attention.
ود
32
" Un homme âgé , dont l'habit paroif-
» foit avoir été celui d'un foldat , dor
moit profondément fur le gazon ; il
114 MERCURE DE FRANCE.
avoit à fa droite un havre fac pofé fur
» une pierre , & à fa gauche un ſabre
garni de cuivre , placé en travers fur
» fon bâton. Harley le confidéra attenti-
» vement ; c'étoit une figure dans le gen
» re des deffins de Salvator . Les alentours
n
avoient je ne fais quoi d'agrefte & de
» fauvage , qui cadroit avec le fond du
#tableau . Les hauteurs étoient couron
» nées , des deux côtés , d'arbuftes incul .
» tes qui croiffoient irregulièrement ; fur
l'une de ces éminences on voyoit , à
quelque diftance , un poteau deſtiné à
indiquer la différente direction du che
min , qui fe partageoit en deux en cet
» endroit un roc , femé de quelques
» fleurs champêtres , formoit un avance
" ment au-deffus de la tête du foldat en-
» dormi . Elle étoit ombragée par la feule
branche encore verte & touffue d'un
vieux tronc enraciné fur le fommetdu
roc.Le vifage du voyageur avoit les traits
» mâles d'une belle phyfronomie , altérée
» par les années ; fon front n'étoit pas
» entièrement chauve , mais on auroit
» pu compter fes cheveux ; leur blancheur
n faifoit , avec le bran foncé de fon cou
"
un contrafte vénérable qui faifit de refpect
l'âme de Harley. Tu es vieux ,
AVRIL. 1775 : 118
"
"
·
dit- il en lui même ; & l'âge qui t'a ôté
» les forces , ne t'a pas donné le repos .
» Hélas ! peut être ces cheveux blanchis
» au fervice de ton pays n'ont pu y trou-
» ver un abri . Le foldat fe réveilla ; il
>> parut confus en voyant Harley ; mais
» Harley connoiffoit trop bien ce genre
» d'embarras pour ne pas l'épargner à un
» autre : il fe détourna & reprit fon che-
» min. Le vieux foldat rajuſta ſon havre-
»fac & fuivit un des fentiers battus , de
» l'autre côté de la route.
و د
» Lorfque Harley eut entendu derrière
» lui le bruit des pas du vieux voyageur ,
il ne put s'empêcher de lui jeter des
» regards à la dérobée. Ses reins paroif-
» foient courbés fous le poids de fon ha-
» vre fac. Il étoit eftropié d'une jambe
» qui le faifoit boiter , & perclus d'un
» bras qui pendoit en écharpe für fa poi-
» trine. Ses regards avoient l'expreffion
» d'un homme aguerri contre les fouf-
» frances , qui avoit appris à envifager fes
» malheurs avec des yeux fecs ».
Les deux voyageurs lient converfation
enfemble ; ils alloient tous deux au même
endroit.
" Nous pouvons , dit Harley , nous
abréger mutuellement la route en la
116 MERCURE DE FRANCE.
» faifant enſemble. Il paroît que vous
» avez fervi votre Patrie , & que vous
» avez beaucoup fouffert en la fervant.
» Sachez que je ne connois point de gen-
» re de mérite plus glorieux & plus refpectable
; mais au nom de votre âge ,
» permettez - moi , avant tout , de vous
foulager de ce havre- fac.
"
» Le vieux foldat le regarda avec une
» larme à l'oeil : Jeune homme , lui dit-
» il , vous êtes trop bon ; puiffe le ciel
» vous bénir à la prière d'un vieillard qui
» ne peut vous donner que des bénédic-
» tions : mais mon havre fac eft fi fami-
» lier avec mes épaules , que j'en mar-
» cherois moins bien s'il me manquoit ;
» cette charge feroit pour vous d'autant
plus embarraffante que vous n'y êtes
» pas accoutumé. Au contraire , reprit
Harley avec feu , j'en ferois plus léger.
» Je ne porterai jamais un fardeau plus
» honorable ».
99
>>
-
Harley eft reconnu du vieillard , qui
lui raconte fes malheurs. Il eſt chaffé de
fa première ferme par l'injuftice & la
dureté d'un Intendant . L'animofité d'un
Juge de paix caufe une feconde fois le
défaftre de fa famille.
« Un Officier arriva dans le Comté
AVRIL. 1775. 117
» avec un ordre du Roi pour faire des
» levées de foldats . Le Juge de paix fe
» concerta avec lui pour enlever un cer-
» tain nombre d'hommes dont il vouloit
» purger le pays ; le nom de mon fils
»fut inferit fur la lifte.
»
» C'étoit une veille de Noël , jour de
la naiffance du petit garçon de mon fils ,
ainli que de celle du Sauveur . La nuit
» étoit d'un froid faififfant. Il faifoit un
» ouragan horrible , accompagné de grêle
» & de neige ; nous nous étions retirés
» dans la chambre du fond , où nous
» avions allumé un grand feu . J'étois
affis devant la cheminée dans un fau-
"
,
reuil d'ozier remerciant Dieu de
» m'avoir laiffé un abri pour ma famille
» & pour moi . Les enfans de mon fils
» s'amufoient à fauter autour de mes
» genoux . Je me fentois ragaillardi à la
vue de leurs petites gambades : j'avois
» mis fur la table une bouteille de notre
meilleure bière , & nous avions pref-
» que oublié nos malheurs paffés.
>>
" Tous les ans , la nuit de Noël , nous
étions dans l'ufage de nous amufer au
» jeu de Colin - Maillard ; conformément
» à cette coutume , nous avions.tiré au
fort , moi , mon fils , fa femme , la
118
MERCURE
DE
FRANCE
.
"
» fille d'un Fermier voilin , qui étoit
« venue nous rendre vifite , les deux pe
» tits enfans & la bonne vieille qui nous
fervoit , & qui avoit paffé toute la vie
avec moi. Le fort étoit tombé fur
» mon fils ; c'étoit à lui d'avoir les yeux
» bandés.
»
» Le jeu commençoit à s'animer. Mon
fils avoit paffé à tâtons dans la première
chambre , en pourfuivant quelqu'un
qu'il croyoit s'y être refugié. Nous
» nous tenions fans bruit chacun à notre
» place , & fon erreur nous divertifloit.
» Il y avoit quelque temps qu'il y rodoit.
» en aveugle , lorfqu'il fentit par derrière
quelqu'un qui le frappoit a l'épaule ; il
fe retourna & le faific en difant : Vous
» êtes pris ; — & vous auffi lui répondit-
» on , & dans peu l'on vous fera jouer à
» un autre jeu que celui - ci .
"
Harley interrompit ce récit par une
exclamation de fureur ; l'indignation
» fe peignit fur fon vifage . Sa main , par
» un mouvement machinal , ſe jeta fur
» le fabre d'Edouard & le tira à moitié
» du foureau. Le bonhomme l'y replaça
tranquillement & continua fa narra-
» tion.
"
» Ces paroles prononcées par une voix
AVRIL. 1775. 119
étrangère , nous attirèrent dans la cham
» bre qui fut bientôt remplie d'une trou-
» pe de vauriens en habit de foldat . Ma
belle- fille tomba évanouie à leur vue ;
» la vieille fervante & moi nous nous
emprefsâmes de la fecourir , tandis que
» mon pauvre fils , refté immobile &
» comme pétrifié , portoit tour - à- tour ſes
regards fur fes enfans & fur fa femme,
» Nos foins la rappelèrent à la vie. Nous
» voulions qu'elle fe retirât jufqu'au dé-
» nouement de cette malheureuſe aven-
» ture ; mais elle courut précipitamment
» dans les bras de fon mari , qu'elle ferra
» dans les fiens , dans une attitude qui
exprimoit à la fois fa douleur & fon
» effroi.
39
» Un des hommes de la troupe , que
» nous prîmes à fon uniforme pour un
fergent d'infanterie , s'approcha de moi
» & me dit que mon fils... pouvoit fe
39
racheter en donnant un autre homme
» & en payant une certaine fomme d'ar-
» gent pour fa liberté. Nous fûmes aflez
» heureux pour ramaffer la fomme entre
» nous , grâces à la générofité de la bonne
» vieille , qui apporta dans une petite
» bourfe de foie verte tout le produit de
» fes économies depuis qu'elle étoit à mon
120 MERCURE DE FRANCE.
"
» fervice . Mais il falloit un homme pour
remplacer mon fils. Sa femme fixa fur
fes enfans des yeux pleins de tendreffe
» & de défefpoir.
» Pauvres enfans , s'écria- t- elle , on
» veut vous arracher . votre père : qui
» veut on qui prenne foin de vous ? Faudra-
t- il que votre mère vous voye mourir
de faim , ou qu'elle aille mendier
» pour elle & pour vous le foutien d'une
vie miférable ? Je la priai de fe tranquillifer
, mais je n'avois point de vé-
» ritable caution à lui donner . Après un
» moment de réflexion je pris le Sergent
» à part , & l'interrogeai pour favoir fi
» mon âge ne m'empêchoit point d'en-
» trer au fervice à la place de mon fils .
» Votre âge , me répondit - il , devroit
» vous en empêcher ; mais avec de l'ar
» gent tout s'accommode. Je lui mis dans
» la main la fomme que nous avions
» recueillie ; je courus enfuite embraffer
» mon fils : Jacques , lui dis - je à baffe
» voix , vous êtes libre ; vivez pour vo
» tre femme & pour ces jeunes enfans.
» Il me reste peu de vie à perdre : fi je
reftois , je ne ferois qu'un malheureux
» de plus à charge à d'autres malheureux .
Non , s'écria mon fils , je ne fuis pas
» auffi
"
"
>>
AVRIL. 1775. 121
20
» auffi lâche que vous paroiffez le croire.
» Non ; le ciel n'ordonne point que mon
» père expofe fa tête , déjà blanchie par
» l'âge , tandis que fon fils meneroit une
» vie douce & paifible. Je fuis jeune &
capable d'endurer la fatigue ; Dieu aura
pitié de nous ; il fera , en mon abfence
, le confolateur de ma femme &
» le père de mes enfans . Jacques , lui
répondis je , je veux que cette difpute
» finiffe. Vous m'avez toujours.obéi juf
qu'à ce moment : vous ne le choiſirez
» pas pour contrevenir à mes volontés.
Je vous lègue , comme père , le foin
» de ma famille ; je m'en repofe fur
» vous comme ami . Notre féparation ,
"9
»
M. Harley , fut un déchirement de
» part & d'autre qui ne peut fe décrire ;
» c'étoit pour la première fois que nous
» allions nous quitter. Les foldats avoient
peine à fe défendre les larmes , &c. »
"
"
Nous fommes fâchés que les bornes
ordinaires d'un extrait nous ayent forcés
de mutiler ce chapitre. Mais nous croyons
que les Lecteurs fenfibles , & même les
gens de goût nous fauront gré de tranſ
crire encore le morceau qui fuit .
« Ils n'étoient plus qu'à très - peu de
» diftance du village où ils alloient ,
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
i
ļ
"
ןכ
lorfque Harley s'arrêta tout- à-coup &
regarda avec étonnement les décom-
" bres d'une maison fituée fur un des
« côtés de la route : O ciel ! s'écria t il ,
» ô demeure de mon enfance ! dans quel
» état t'apperçois-je aujourd'hui ? Pour.
quoi te vois -je ainfi deferre & renver
fée de fond en comble ? Où est allée la
» troupe enfantine de tes habitans ? Pourquoi
n'entends je plus bourdonner leur
» effaim folâtre ? Edouard , regardez , re-
» gardez ici ; voyez le théâtre de mes
» premiers amuſemens & de mes pre-
» mières liaiſons , détruit & devenu un
» amas de ruines. C'eft- là l'école où j'étois
» en penfion dans le temps que vous de-
» meuriez à South - Hill. A peine y a- t-il
» un an qu'elle étoit encore debout , &
» que fes bancs étoient remplis d'une
» foule d'enfans. Vis à vis c'étoit une pe-
" loufe où ils avoient coutume de prendre
innocemment leurs ébats. Voyez
» comme la charrue facrilége en a pro-
» fané la verdure . J'aurois donné cent
» fois la valeur de ce terrein pour le pré-
» ferver de ce ravage.
» Mon bon M. Harley , répondit
» Edouard , peut être cette demeure a - t-
» elle été abandonnée par choix ; peut être
AVRIL 1775. 123
C
•
"
»
-
en at on préféré une autre plus com-
» mode & mieux lituée . Cela ne peut
être , reprit Harley , cela ne peut
» être. Eh ! quoi ! cette plaine ne fera
, donc plus émaillée de fleurs champê-
» tres ; elle ne fera plus foulée par les
pieds délicats d'un peuple de jeunes
innocens. Je ne verrai plus ce vieux
» tronc paré des guirlandes que leurs
petites mains entrelaçoient en s'amu .
» fant. Ces deux longues pierres qu'on
apperçoit à côté ; renversées par terre ,
» fervoient de piliers à une petite hutte
» que j'avoisaidé moi- même à bâtir.Com
» bien de fois m'y fuis-je affis fur un fiége
de verdure ? Combien de fois y ai - je
fait , avec mes camarades , un régal de
» pommes ? Plus heureux alors , oui ,
mon cher Edouard , infiniment plus
heureux que je ne puis jamais l'être ! »
"
"
19
و د
"
"
Remède nouveau contre les maladies véné
riennes , tiré du règne végétal ; ou effai
fur la vertu anti - vénérienne des alkalis
volatils ; par M. Peyrilhe , du Collége
de Chirurgie de Paris , Docteur en
Médecine , de l'Académie des Sciences
, Infcriptions & Belles Lettres de
Touloufe , & de celle des Sciences de
Montpellier. A Paris , chez Didot le
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
jeune , Libraire , quai des Auguftins,
Prix 2 liv , br,
Dans l'introduction de cet Ouvrage ,
on voit quelles font les raifons qui ont
déterminé M. P. à faire la recherche d'un
anti vénérien nouveau . La principale eft
l'erreur où l'on eft qu'en poffédant le mercure
, l'art de guérir ne peut efpérer un
meilleur remède . Les grands Maîtres
avoient pourtant recommandé , mais fans
fruit , de fe défendre de cette erreur,
Cet effai eft accompagné de notes léparées
, qui font comme un traité à part ,
auffi étendu que l'Ouvrage , même. Ce
font des réflexions judicieufes fur les cas
que M. P. auroit trouvé bon de difcuter
dans le cours de fon effai , s'il n'eût pas
trop détourné le Lecteur , en lui expliquant
tout ce qui pouvoit l'inftruire ,
On fent que cet Ouvrage eft de nature
à ne pouvoir qu'être annoncé dans ce
Journal ; mais il fait d'ailleurs honneur
à fon Auteur comme ami de l'humanité ,
comme favant praticien & comme bon
écrivain.
Traité élémentaire de Géométrie & de la
manière d'appliquer l'Algèbre à la GéoAVRIL.
1775 . 125
métrie ; par M. l'Abbé Bollut , Examinateur
des Ingénieurs , Membre de
l'Académie Royale des Sciences de
Paris , de l'Inftitut de Bologne & de la
Société Royale de Lyon . 1 vol . in 8º.
A Paris , chez Jombert fils aîné , rue
Dauphine .
Ce Traité eft la troifième partie du
Cours de Mathématiques que l'Auteur
donne au Public , à l'ufage des Ingénieurs.
Il est écrit , comme tous ceux qui
l'ont précédé , avec clarté , précifion &
élégance; & quoiqu'il ne femble promettre
que des connoiffances élémentai
res , on y trouvera beaucoup de chofes
nouvelles & piquantes , fur- tout dans le
traité des folides & dans l'application de
l'Algèbre à la Géométrie . Nous inférerons
dans le prochain Mercure le Difcours
préliminaire que M. l'Abbé Boffut
a mis à la tête de cet Ouvrage.
Lettre & réflexions fur la fureur du jeu,
auxquelles on a joint une autre Lettre
morale ; par M Dufaulx , ancien Commiffaire
de la Gendarmerie , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles
Lettres & de celle de Nancy . :
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Simplexne furor ? Juvénal .
Vol. in- 8 °. prix 1 liv . 16 f. broché.
A Paris , chez Lacombe , Libraire ,
rue Chriftine , près la rue Dauphine .
Le favant Traducteur de Juvénal emprunte
ici fa véhémente éloquence pour détourner
lesjeunes gens de la fureur du jeu .
Sa Lettre cependant eft moins une fatire de
cette paffion qu'un tablean vif , animé ,
mais vrai & effrayant des malheurs dans
lefquels cette paffion nous précipite , &
des tourmens quelle nous fait éprouver.
La Lettre eft adreffée à un jeune homme
qui avoit effoyé une perte confidérable
au jeu. « Vous gémiffez , mon ami , lui
» dit - il , & moi je m'applaudis de la perte
» que vous venez de faire : mes confeils ,
» vous le favez , n'ont pu vous en garan-
» tir ; peut être que la leçon du malheur
» fera plus efficace. Il eft temps de vous
"
corriger ; mais ne différez point . Quand
», il s'agit de la fureur du jeu , l'expérien-
» ce arrive prefque toujours trop tard .
M. Dufaulx , après avoir fait confidérer
à fon ami le danger qu'il a couru ,
espère qu'il pourra fe défendre facilement
de la paffion du jeu , parce qu'il
AVRIL. 1775. 127
1
n'eft pas encore ce qu'on appelle un joueur,
& qu'il n'a pas eu le temps d'en contracter
les moeurs. " Savez - vous , lui dit- il , ce
»
"
33
"3
"
que c'eft qu'un joueur ? J'en attefte tout
» honnête homme , ce titre feul eſt une
infulte ; vous en auriez horreur , fi vous
faviez , comme moi , ce qu'il exprime
d'abject & d'inhumain . Quiconque ne
» fait pas réfifter à ce funefte penchant ,
quels que foient fes motifs , ne fauroit
» être qu'un fot , un fourbe ou bien un
furieux ; je ne fache point de termes
» moyens. Oui , je le foutiens , il eft de la
plus abfurde inconféquence de rifquer
» le néceflaire pour obtenir le fuperilu ;
» de fe permettre , comme un paffe temps
légitime , d'immoler celui que , bien-
» tôt après , on ne fauroit s'empêcher de
plaindre , & quelquefois de fecourir ;
» en un mot , de faire le métier de
brigand avec le coeur d'un honnête
» homme .
"
99
99
"
» Déteftons , vous & moi , les ufages
» & les maximes qui , dans la fociété ,
» n'ont d'autre fondement , d'autre fanction
, que le voeu d'acquérir des richeffes
, au préjudice réciproque des mem-
» bres qui la compofent . Il n'y a , mon
ami , de falaires légitimes que pour
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» les talens utiles ; & duffé - je vous pa-
» roître trop dur , je foutiendrai toujours
» que les profits des joueurs ne font au
» fond que des rapines 79.
Les fauffes bienféances d'un luxe fcandaleux
& des conventions deftructives ,
femblent aujourd'hui concourir à allumer
la paffion du jeu . Donner une fête , c'eſt
donner à jouer ; c'eft , après bien des
tourmens , livrer des victimes au défef.
poir. M. Dufaulx auroit pu citer ici une
foule d'exemples tragiques , qui montrent
jufqu'où peut aller le défefpoir des
joueurs. Mais il fe contente de rapporter
ce trait de défefpoir d'une nouvelle efpèce.
Un Joueur , phlegmatique en apparence
, après avoir perdu tranquillement
, & même avec férénité , la plus
forte partie de fa fortune , joua fon refte
d'un feul coup , & le perdit fans murmurer.
On le regarde avec furprife ; fa
figure ne change point on s'apperçoit
feulement qu'elle devient fixe & immobile
; l'étonnement redouble. Bientôt
deux ruiffeaux de larmes coulent rapidedement
le long de fes joues , & toujours
fans que fon vifage en foit altéré . D'abord
on fe mit à rire ; mais , ajoute M. Dufaulx
, je ne fais quelles idées cette ftatue
AVRIL. 1775 . 129 .
pleuranie réveilla infenfiblement dans
T'âme des fpectateurs : ils finitent tous
par être faifis de terreur & de pitié.
"
"9
"
"
" J'ai voulu , continue M. Dufaulx
" revoir ces triftes affemblées , où le plaifir
fert de prétexte à la cupidité ; j'ai
» voulu les étudier. Je friffonnois au feul
» afpect de la foule pâle , muette &
» tremblante , qui attendoit fon arrêt.
» Quoique fimple fpectateur , je fouffrois.
» Tous ces infenfés , fufpendus à la roue
» de fortune , qui les agitoit en fens contraire
, me forçoient , malgré mon indignation
, ou plutôt mes mépris , de
compâtir à leur miférable fort . J'ai
fouvent attendu jufqu'au lever du foleil
le dénouement de ces drames ter-
» ribles & trop pleins de vérité . Que l'art
» eft loin d'imiter ce flux & reflux de
» mouvemens oppofés , ces furprifes ,
» ces fecoufles , ces tranfes & tous ces
» caractères de l'efpérance & de la crain
» te , variés à l'infini fur chacun des vifages
! .... Tout cela n'eft rien , en
comparaifon des angoiffes fecrettes .
» Ecoutez & frémiffez : deux joueurs
» manifeftoient leur rage , l'un par un
» morne filence , l'autre par des impréc
tions redoublées ; celui ci choqué du
מ
- dư
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
"
"
:-
fang froid apparent de fon voifin , luk
reproche d'endurer fans fe plaindre des
» revers , coup fur coup multipliés :-
» Tiens , répond l'autre , regarde . Il s'é-
» toit déchiré la poitrine , & lui en mon
» troit des lambeaux fanglans » .
Et l'âme.... que dévient-elle , lors .
qu'ainfi battue de toutes parts , & dépourvue
de motifs honnêtes , elle n'obéit
plus qu'à des impulfions foudaines ? M.
Dufaulx dit avoir vu un jeune homme
de qualité , plein d'honneur & de bravoure,
dont la tête fut tellement bouleverfée
par un coup fatal & ruineux , qu'il
fe leva brufquement , regarda d'un ´air
furieux & égaré fon camarade qui venoit
de le gagner : " Que m'importe ? lui ditil
; je ne dois rien » . Puis tout- à-coup
fondant fur lui , le ferrant entre fes bras ,
& l'arrofant de fes larmes : « Ah ! mon
» ami , tu me connois , ne crains rien ; fi
» j'avois joué mon fang contre toi , tu
» fais bien que je le verferois tout à
l'heure à tes pieds ".
Mais le moment peut-être le plus terrible
& le plus difficile à peindre eft celui
où le joueur triomphant fe lève & fe
retire. « Ce départ eft un coup de foudre
» pour celui qu'il abandonne. Après un
AVRIL. 177- 131
"
"
» combat fingulier , la haine expire. entre
les deux rivaux , & le vainqueur
» attendri tend la main au vaincu . Après
» cet odieux conflit , l'imprudent qui s'eſt
» compromis , fans égards à fes moyens ,
» a beau chercher fur le front de fon
Adverfaire le moindre fentiment de
compaffion ou de générofité , il n'y lic
» que ces mots : Point de grâce , point
» de délai ; il faut payer. Quand?
» Demain . Hé !le puis-je ? -L'hor-
» rible fituation ! C'est là que commence
» un nouveau genre de fupplice . Tant
qu'il et en action , le joueur efpère un
» heureux retour ; il joue du moins ,
"
n
"
-
-
lutte & s'étourdit : mais rendu à lui-
» même , les faries le faififfent , l'hon-
» neur réclame fa parole , il ne lui laiſſe'
que le terme rigoureux preferit par
l'ufage , plus impérieux que les loix &
» la raifon. Dès- lors , éperdu , confus ,
» il ne fait à qui recourir : fes amis les
plus intimes lui deviennent fufpects ;
» il fe croit feul dans l'Univers : que dis-
» je ? Il y voit fon créancier ».
"
"
Ceux qui font dominés par la paffion
du jeu n'accuferont pas M. D. d'avoir
chargé ce tableau . « Ah ! fi mon oreiller ,
» s'écrioit un joueur de profeffion , pou
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
voit révéler ce que j'ai fouffert pendant
» les nuits ! Les joueurs comme le remarque
l'Auteur , ne s'abftiennent guèrê da
jeu qu'autant qu'ils font dénués d'argent
& de reflources. Cette inaction forcée
eft pour eux un fupplice dont les tourmens
, comme il arrive dans certaines
maladies aiguës , font redoublés pendant
les nuits . Une Demoifelle avancée en
âge ( l'exemple n'eft pas fameux ) qui ne
vivoit que de pain & de laitage , pour
épargner un très mince revenu qu'elle
perdoit affiduement , ne faifoit pas de
difficulté d'avouer qu'elle avoit plus d'une
fois ufé , déchiré les draps de fon lit avec
les ongles de fes pieds , & percé fon matelas
.
·
Confidérons avec M. D. quelles font
les occupations des joueurs , & quelle
eft leur exiſtence . Cherchons une heure
de calme & de férénité dans le cours de
leur vie ; cherchons - y la moindre tendance
au bien public : nous n'y trouverons
que du vertige , & trop fouvent.
l'oubli des devoirs les plus facrés . Brû
lant de courir de nouveaux hazards ;
dont ils ne favent pas fe défier , ils regardent
comme perdu tout le temps qui
s'écoule jufqu'à ce qu'ils recommencent.
AVRIL. 1775. 133
Qui le croiroit , fans l'avoir éprouvé ,
c'est à regret qu'ils voient laire le foleil ;
s'ils le pouvoient , ils hâteroint fa courfe.
Aufi faut il les voir entre eux , &
lorfqu'ils font libres de toutes bienséances.
Quand la partie eft belle , quand une
fois le defir du gain & le regret de la
perte font bien exaltés , les heures & les
journées s'écoulent fans qu'ils s'en apperçoivent
. On a vu , le croira- t on , des
joueurs refter trois , quatre & quelquefois
cinq jours de fuite affis à la même
table de jeu ; on les a vus dans ce long
fupplice , dont quelques- ans font morts ,
ne prendre que furtivement , de la main
des valets , de quoi fe fubftanter , & ne
vaquer qu'en murmurant aux befoins natárels.
N'eft-il pas permis de s'écrier avec
Juvénal , fimplexne furor ? N'eft - ce là
que de la fureur?
Ces traits & d'autres rapportés dans
cette même Lettre , font bien capables
d'effrayer tout joueur de profeffion . Si
cependant les catastrophes enfantées par
le jeu & dépofées dans la plupart des
Greffes criminels , ne peuvent éteindre
dans un joueur le defir de courir de nouveaux
hafards , pour avoir de nouvelles
fommes à diffiper ; qu'il calcule du moins
134 MERCURE DE FRANCE .
avec un peu de fang froid ; & il verra
que fon argent fe trouve néceffairement
abforbé par les cartes & par d'autres frais
de convention . En effet , tous ces repaires
, tous ces cloaques , renommés parun
faſte impofteur , & qu'il préfère aux honnêtes
maisons , ne fubfiftent & ne payent
des tributs fecrets qu'à l'aide des largeffes
ufitées , que font alternativement les
joueurs , quand la fortune leur rit ; de
forte qu'à la longue , c'eſt le tapis & la
prodigalité qui dévorent tout. Mais ils
ne font occupés que du moment préfent
; l'avenir n'existe point pour les
joueurs .
Comme c'eft principalement en faveur
des jeunes gens que M. D. a fait imprimer
fa Lettre & fes réflexions fur la fureur
du jeu ; il a cru devoir avertir les
parens qui envoyent leurs entans dans
les villes capitales , & fur- tout à Paris ,
de prendre toutes fortes de précautions
contre les intriguans qui ont le département
de la jeuneffe . Voici la marche ordinaire
de ces hommes dangereux : quand
ils n'ont point de titres , ils s'en fabriquent
; & peu de gens les leur conteftent,
parce qu'on trouve ces Meffieurs utiles
aux plaifirs de la fociété , dont ils fons
AVRIL. 1775. 1351
les frais aux dépens des dupes qu'ils mettent
dans le monde . Le revenu de ces
Chevaliers d'induftrie eft ordinairement
fondé fur l'inexpérience de ceux qui les
regardent comme des modèles & des
oracles . D'abord ils fe les attachent par
des appas de toute efpèce . Après les avoir
promenés d'erreurs en erreurs , après leur
avoir fuggéré une foule de befoins & de
vices , qu'ils ne font plus en état de fatiffaire
, ils leur enfeignent , s'ils font majeurs
, la reflource infaillible du jeu ; c'eſt .
là , dès l'origine , le terme fatal où ils.
vouloient les mener. Alors le protecteur
livre fes petits amis à des exécuteurs fubalternes
, qui les ruinent au profit.com .
mun des confédérés .
M. Dufaulx a joint à cette Lettre & à
ces réflexions fur le jeu , deux fcènes
d'une Comédie qui y avoit rapport , &
dont l'objet étoit de faire voir le danger
des liaifons.
Les Lecteurs d'un caractère doux &
pailible , à qui la manie turbulente que
M. D. a tâché de peindre eft étrangère ,
liront fans doute avec plus d'intérêt la
Lettre morale du même Auteur fur la
mort d'un honnête homme , d'un homme
qui fut autant qu'il étoit en lui le confo136
MERCURE DE FRANCE.
lateur & le foutien de fes femblables , &
n'eut jamais à rougir des excès qu'il avoit
blâmés . De tous les vices à la mode
l'adultère étoit fans exception celui qui
lui infpiroit le plus d'horreur , & dont.
il faifoit le mieux fentir les affreufes
conféquences. Il avoit le courage de s'en
expliquer hautement : car cet homme à
grand caractère n'avoit plus d'égards , &
ne craignoit plus le ridicule quand il plaidoit
la caufe des moeurs « N'efpérons
» pas , difoit-il , qu'elles fe rétabliffent ja-
» mais , tant qu'il fera du bon ton de
» railler le lien conjugal ; tant que les
» Poëtes & les romanciers diront impu-
» nément comme Ovide :
Rufticus eſt nimium , quem lædit adultera conjux,
Et notos mores non fatis urbis habet.
L'honnête homme dont il eft parlé
dans cette Lettre avoit écrit rapidement
des confeils à un jeune homme mécontent
de fon début dans le monde ; & ces
confeils font ici publiés par M. D. Ce
petit écrit , dicté par un coeur honnête &
fenfible , & épris du beau moral , eft le
plus bel éloge que M. D. pouvoit faire
de fon ami . Tout ceci eft accompagné de
AVRIL. 1775 . 137
notes & de citations qui occupent agréa
blement le Lecteur , & font difparoîtte
la féchereffe ordinaire à ces fortes d'écrits.
Euvres complettes d'Alexis Piron , propofées
par foufcription . A Paris , chez
Michel Lambert , Imprimeur Libraire ,
rue de la Harpe , près St Côme.
On n'a pu répondre plutôt à l'empreffement
du Public au fujet de l'édition
des OEuvres complettes de feu Alexis Piron.
Cette édition , actuellement fous preffe ,
fera compofée de fept volumes in - 8°. &
paroîtra , fans aucun retard , au mois de
Novembre prochain .
Elle contiendra toutes les Pièces qu'il
a données , foit aux Théâtres François &
Italien , foit à l'Opéra Comique . Celles
qui regardent ce Spectacle forain , en
affez grand nombre , n'ont point encore
été imprimées . L'Auteur les avoit raffemblées
avec foin , dans le deffein de les
joindre à la collection générale de fes
OEuvres . On s'eft d'autant plus volontiers,
conformé à fes intentions , que rien n'eft
plus gai , plus plaifant & plus fpirituel
que ces Opéra Comiques , dont l'ingénieux
& malin vaudeville eft & propre
138 MERCURE DE FRANCE.
à dérider le front le plus grave & le plus
févère. On doit regretter que ce genre
de fpectacle , qui avoit atteint à fa perfection
fous le fertile & riant pinceau du
célèbre M. Favart , foit entièrement per
du pour nous .
Les Contes , les Epigrammes & les
Chanfons de Piron , genres dans lesquels
i excelloit , ne feront pas le moindre
ornement de cette édition.
Elle fera précieufe encore par une infinité
d'autres Pièces fugitives, qui verrout
le jour pour la première fois. Il eſt
inutile de faire ici l'éloge des différens
Quvrages qui compofent cette collection .
Il fuffit de dire qu'on y reconnoîtra partout
le génie de l'illuftre Auteur de la
Métromanie , dont on trouvera la vie à
la tête du premier volume , par l'Homme
de Lettres , à l'amitié duquel il a
confié , en mourant , le foin de fa mémoire.
CONDITIONS.
On foufcrita à Paris , chez Michel
Lambert , Imprimeur Libraire , rue de
la Harpe , près St Côme.
Cette édition , ornée du Portrait de
l'Auteur , contiendra fept volumes in- 8°.
AVRIL. $ 775 . 139
en très - beaux caractères , & fur papier
fin d'Angoulême. Elle fera du prix de
quarante- deux livres en feuilles pour les
Soufcripteurs.
On payera en foufcrivant .
En retirant l'exemplaire com.
plet au mois de Novembre de la
préſente année .
24 1.
• 18
42
1.
Il y en a vingt cinq exemplaires en
très beau papier d'Hollande , dont le prix
fera de 84 liv . On payera 48 liv. en
foufcrivant , & 36 1. en retirant l'exemplaire
complet.
Vers à ma Patrie ; 8 pages in - 8 ° . A
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue
Chriftine.
Ces vers renferment l'expreffion des
fentimens d'un bon Citoyen , qui célèbre
le bonheur de fa Patrie .
La France a retenti des accens du bonheur ;
J'entends chanter Louis , la Juſtice & l'Honneur :
Tout paroît refpirer une nouvelle vie ;
Il eft permis enfin de croire à la Patrie
140 MERCURE DE FRANCE.
D'être bon Citoyen ainfi que bon Sujet ,
Et d'adorer (on Roi dans le bien qu'il nous fait.
O France ! ô mon Pays , idole de mon âme !
Un nouveau jour m'éclaire , un nouveau jour
m'enflamme ;
Par l'eſpoir animé , je reffens dans mon coeur
L'orgueil du nom François & cette noble ardeur
Qui plaît par fon audace & tient lieu de génie.
C'eft célébrer son Roi que chanter la Patrie.
ANNONCES..
Code Eccléfiaftique , ou queftions importantes
& obfervations fur l'Edit du
mois d'Avril 1695 , concernant la
Jurifdiction Ecclefiaftique.; fur l'Arrêt
du Parlement du 26 Février 1768 ,
concernant les Bulles & autres expéditions
de Cour de Rome ; fur l'Edit
de Mars 1768 , concernant les Ordres
Religieux ; fur l'Edit de Mai 1768 ,
concernant les portions congrues ; &
fur plufieurs articles de l'Ordonnance
du mois d'Avril 1768 , concernant les
procédures. Par M. J. B. Coudart de
Clozol , Avocat au Parlement . 2 vol.
in-8°. prix 8 1. br. & 10 l . rel . A Paris ,
chez Grangé , Libraire Imprimeur , au
AVRIL. 1775 . 141
Cabinet Littéraire , pont Notre-Dame,
près la Pompe.
La vie du Pape Clément XIV ( Ganga
nelli ) ; in 12. br. 3 1. A Paris , chez
la veuve Defaint , Libraire , rue du
Foin Saint Jacques,
Architecture pratique , qui comprend la
construction générale & patticuliere
des bâtimens , le détail , les toifé &
devis de chaque partie , favoir maçonnerie
, charpenterie , couverture , menuiferie
, ferrurerie , vîtrerie , plomberie
, peinture d'impreffion , dorure ,
fculpture , marbrerie , miroiterie , poëlerie
, &c. avec une explication & une
conférence des trente- fix articles de la
coutume de Paris fur les titres des Sen.
tences & rapports qui concernent les
bâtimens & l'Ordonnance de 1673 .
Par M. Bullet , Architecte du Roi , &
de l'Académie Royale d'Architecture ;
revue , corrigée avec foin , confidérablement
augmentée , fur- tout des détails
effentiels à l'ufage actuel du toifé
des bâtimens , aux us & coutumes de
Paris & aux réglemens des mémoires ,
& à laquelle on a joint un tarif & des
Comptes faits de toutes fortes d'ouvra
142 MERCURE DE FRANCE .
ges en bâtiment , & un autre tarifpour
connoître le poids du pied de fer fuivant
les différentes groffeurs, Par M ***
Architecte , ancien Infpecteur Toifeur
de bâtimens ; Ouvrage très - utile aux
Architectes & Entrepreneurs , à tous
Propriétaires de maifons & à ceux qui
veulent bâtir. Nouvelle édition revue
& augmentée ; in - 8 . avec fig . A Paris
, chez Delalain , rue de la Comédie
Françoiſe.
La Confolation du Chrétien , ou motifs
de confiance en Dieu dans les diverfes
circonstances de la vie ; par M.
l'Abbé Roifard , 2 vol . in - 12 . rel . s l .
A Paris , chez Humblot , Libr. rue Sc
Jacques , entre la rue du Plâtre & celle
des Noyers , près St Yves , 1775.
Le Dentiſte obfervateur , ou recueil abrégé
d'obfervations tant fur les maladies
qui attaquent les gencives & les dents ,
que fur les moyens de les guérir ; dans
lequel on trouve un précis de la ftrucde
la formation & de la connexion
des dents , avec une réfutation
de l'efficacité prétendue des effences
& élixirs ; & de la defcription d'un
nouveau pélican , imaginé pour l'exture
,
AVRIL. 1775. 145
traction des dents doubles . Par Honoré
Gaillard Courtois , Expert Dentiste à
Paris ; vol. in- 12 . avec fig. prix 2 1. 8 f.
br. de l'Imprimerie de Michel Lambert
; fe trouve chez Lacombe , Libr.
rue Chriftine , près la rue Dauphine.
Détail des fuccès de l'établissement que la
ville de Paris a fait en faveur des perfonnes
noyées & qui a été adopté dans
diverfes Provinces de France ; troisième
partie , 1774. On y a joint plufieurs
exemples des moyens éprouvés pour
rappeler à la vie les perfonnes que des
vapeurs mofétiques & d'autres accidens
de différente nature , ont frappées
d'une mort apparente, & le procèsverbal
de la mort des fieur & dame le
Maire , fuffoqués par la vapeur du
charbon allumé. Par M. Pia . Ampliat
atatem fuam vir bonus , quando longavitati
confortium prodeft. A Paris , rue
St Jacques , près St Yves , au Coq " &
Livre d'or , chez Lottin l'aîné , Imprimeur
de la Ville ; & Eugène Onfroy ,
Libraire,
Leure apologétique fur les corvées , analyfée
& réfutée , par M. l'Abbé Bau144
MERCURE DE FRANCE.
deau ; in- 12 . de 75 pages . Prix 12 fols.
A Paris , chez Lacombe , Libr . rue
Chriftine.
Lettres & Mémoires à un Magiftrat du Par
lement de Paris , fur l'Arrêt du 13 Septe.
nbre 1774 , concernant la liberté du
commerce des grains ; in 12. de 146
pages , prix 24 f. à la même adrefle.
DISCOURS : Quelles font les caufes générales
des progrès de l'induftrie & du
commerce, & quelle a été leur influence
fur l'efprit & les moeurs des Nations ,
prononcé à l'Hôtel - de- Ville de Lyon
le 21 Décembre 1774 , par M. Bergaffe
, Avocat . A Lyon , de l'Imprimerie
d'Aimé de la Roche ; & à Paris ,
chez Humblot , Libraire , rue Saint
Jacques.
Etabliffement d'Hôpitaux pour les Enfans
Trouvés , en Bretagne ; in 4. de
28 pages. Ce Mémoire eft vendu au
profit des Hôpitaux . A Paris , chez les
Libraires du quai de Gêyres
Choix de tableaux tirés de diverfes gale
ries Angloifes , par M. Berquin ; in-8 °.
de
AVRIL. 1775. 145
de 300 pages. A Paris , chez la veuve
Duchefne & le Jay , Libraires , rue St
Jacques ; Saillant & Nyon , rue Saint
Jean de Beauvais ; Delalain & Monory
, rue de la Comédie Françoife ; &
Ruault , rue de la Harpe .
Pygmalion , fcène lyrique de M. J. J.
Rouffeau , mife en vers par M. Berquin
; & Idylle par M. Berquin , in- 8 °.
orné de figures & lettres gravées. Prix
2 liv . 8 f. chez Coftard , rue St Jeande
Beauvais .
i
Itinéraire des routes les plus fréquentées
ou Journal d'un voyage aux Villes
principales de l'Europe , où l'on a
marqué en heures & minutes le temps.
· employé à aller d'une pofte à l'autre ,
les diftances en milles Anglois , mefurées
par un odomètre appliqué à la
voiture ; le produit des contrées , la
population des Villes , les choſes remarquables
à vois dans les Villes &
fur les routes , les auberges , & c. & c,
On y a joint le rapport des monnoies
& celui des mefures itinéraires & linéales
, ainfi que le prix des chevaux
de pofte des différens pays ; par M.
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Dutens ; vol. in- 89 . prix br. 1 1. 16 f.
A Paris , chez Pilot , Libr. quai des
Auguftins .
Recueil d'obfervations fur les différentes
méthodes propofées pour guérir la maladie
épidémique qui attaque les bêtes
à cornes ; fur les moyens de la reconnoître
par-tout où elle pourra fe manifefter
, & fur la manière de définfecter
les étables ; par M. Félix Vicq
d'Azyr , Médecin envoyé par les ordres
du Roi dans les Provinces où règne
la contagion ; in- 4° . A Paris de l'Imprimerie
Royale,
Inftructions fur la manière de définfecter
les Villages ; par M. Vicq d'Azyr
in- 4°. A Paris , de l'Imprim. Royale .
C'est d'après ces Inftructions que l'on
procède à l'exécution de l'Arrêt du Confeil
d'Etat du 30 Janvier dernier , qui
prdonne de tuer les bêtes malades .
AVRIL. 1775. 147
ACADÉMIES.
I.
DIJON.
Séance publique de l'Académie des Sciences
, Arts & Belles- Lettres de Dijon ,
senue le 14 Août 1774.
M. MARET , Secrétaire perpétuel , a
ouvert la féance par un Eloge précis de
Louis XV.
L'Académie doit à cet augufte Monar
que la liberté de s'affembler ; il lui a
permis de confacrer aux Mufes l'Hôtel
qu'elle occupe , & d'accepter la donation
du Jardin des plantes qui lui a été faite
par M. Legouz.
Ces bienfaits , en excitant fa recon
noiffance , autorifoient à donner de la
publicité aux expreffions de fa fenfibilité.
M. Maret s'eft borné à montrer dans`
Louis XV le Protecteur éclairé des Letres
, des Sciences & des Arts ; il a rap
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
pelé que fi la protection accordée par
Louis XIII & par Louis XIV aux Gens
de Lettres , aux Savans & aux Artistes , a
hâté les progrès des connoillances & fait
prendre à la France une face bien différente
de celle qu'elle avoit avant les
règnes de ces Monarques ; il falloit
pour rendre la révolution complette , que
le flambeau des fciences , allumé dans la
Capitale du Royaume , pût porter fa
lumière jufqu'aux extrémités des Provinces
les plus reculées ; que les Lettres ,
en adouciffant les moeurs de tous les
François , fiffent fentir univerfellement
le prix d'une fociété paifible ; & que les
Sciences & les Arts , vivifiant toutes les
parties de la France , multipliant les occafions
de travail & les commodités de
la vie , attachaffent les Sujets à leur Roi
par les liens de l'amour & de la reconnoiffance.
Une énumération rapide des établiffemens
faits ou autorifés par Louis XV en
faveur des Lettres , des Sciences & des
Aris , & un tableau des avantages qu'ont
procurés ces établiffemens , fervent à M.
Maret pour prouver que Louis XV s'eſt
acquis des droits puiffans à la reconnoiffance
de fes Sujets , & qu'il a aſſuré à la
AVRIL. 1775 . 149
France un bonheur dont les vertus éclatantes
de fon Succeffeur garantiffent la
durée .
Après avoir payé ce tribut à la mémoire
de ce Monarque , M. Maret a lu
l'éloge de M. Legouz de Gerland , ancien
Grand- Bailli du Dijonois & Académicien
Honoraire , mort le 17 Mars dernier .
❤
Ua précis des Ouvrages donnés au
Public par M. Legouz ou qui fe font
trouvés dans les portes feuilles , fait .
d'abord voir qu'avec le defir de tout apprendre
, cet Académicien avoit les talens
néceffaires pour téuffir dans tous les genres
: mais que l'hiftoire naturelle , celle
du coeur de l'homme & celle de l'antiquité
avoient été les principaux objets de
fes études.
Le portrait de la belle âme de cet
Académicien montre enfuite à quels titres
il s'étoit concilié tous les cours ; &
l'expofition des bienfaits dont il a comblé
l'Académie , des projets qu'il avoit
formés pour l'avantage de fa Patrie , met
dans le plus beau jour le patriotifme dont
if étoit animé , & prouve qu'aux qualités
qui rendent les particuliers aimables , il
réuniffoit celles qui font les excellens
Citoyens .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Cette lecture a été fuivie de celle des
fances faites par M. Baillot , Suppléant
au Collège , fur la mort de M. Legouz .
Les regrets que cette mort a fait naître
dans les coeurs de tous les Citoyens , &
les motifs de fes regrets , y font rendus
avec une énergie & une harmonie qui
font également honneur à l'efprit & au
coeur du jeune Poëte. Comme l'Académie
a arrêté qu'elles feroient imprimées
à la fuite de l'éloge de l'Académicien .
qui en eft l'objet * , on n'en citera qu'une
qui caractérife M. Legouz d'une manière
bien heureuſe .
Ainfi , d'un feu facré , brûlant pour fa Patrie ,
Sans cefle autour de lui Legouz porte la vue ;
Des Arts il eft l'appui :
A leurs favans travaux le confacrant lui - même ,
Son coeur puile fa joie & fon bonheur fuprême
Dans le bonheur d'autrui.
M. de Morveau a lu la première fection
d'un Mémoire fur la manière d'ef-
* Ces deux Ouvrages ont été imprimés à Dijon
chez Caufle , & fe vendent à Paris chez le Jay,
Libraire , rue Saint Jacques ; on a placé le por
trait de M. Legouz à la tête de ſon Eloge.
AVRIL. 1775 . 158
fayer les mines de fer , & fur les avantages
que l'on peut retirer de ces effais pour
perfectionner l'hiftoire naturelle de ce
minéral , affurer la théorie de fa réduc
tion , & fur- tout pour diriger les opérations
journalières des travaux en grand ,
avec une obfervation fur la cryſtallifation
régulière du fer fondu .
Le defir de faire connoître une manière
facile & peu difpendieufe d'eflayer les mines
de fer , fecret que M. Bouchu avoit,
promis de communiquer à l'Académie , que
fa famille , contre le voeu de ce Savant ,
a cru devoir le réferver , & que M. de
Morveau a découvert , a engagé cet Académicien
à compofer cet Ouvrage.
Il s'eft principalement propofé d'y in
diquer la méthode qu'il a fuivie , de manière
que ceux qui font le moins verfés
dans la métallurgie puiffent eflayer trèspromptement
& à peu de frais toutes
fortes de mines de fer , comparer celles,
qui font à leur portée , en faire un choix
avantageux , diriger en conféquence leurs
travaux , & en retirer enfin tout le fruit
qu'ils peuvent s'en procurer , en les mettant
à même de juger d'avance , & avec
certitude , de la qualité de leurs mines ,
ce qu'ils n'apprennent ordinairement que
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
très - imparfaitement & par des tâtonne
mens difpendieux .
M. Mailli , Profeſſeur au Collége , a
lu des fragmens d'une introduction à l'efprit
des Croisades .
Jugement des Pièces envoyées au concours
pour le prix de 1774 .
L'Académie avoit propofé pour le prix
de 1771 de déterminer l'action des acides
fur les huiles , le mécanisme de leur combi
naifon & la nature des différens compofés
Javoneux qui en résultent.
Elle n'eut pas la fatisfaction de trouver
parmi les Mémoires qui lui furent envoyés
, un Ouvrage digne de la couronne
qu'elle avoit promife , & crut engager les
Auteurs à faire des efforts plus heureux ,
en différant jufqu'à cette année la diftribution
du même prix , & annonçant que
ce prix feroit double.
Les efpérances de l'Académie ont été
trompées , & loin d'avoir à s'applaudir
du parti qu'elle avoit pris , cette Compa
gnie n'a reçu qu'une feule pièce , encore
fort au- deffous de celle dont elle avoit
cru devoir faire l'éloge en 1771. Celleci
ne contient que des expériences trop
AVRIL. 1775. 153
peu nombreuſes & trop peu variées pour
donner des réſultats fatisfaifans ; on n'y
trouve ni expliquation du mécanisme de
la combinaifon des acides avec les huiles ,
ni tentatives faites pour produire des com .
pofés favoneux nouveaux , ni énumération
des fubftances végétales qui font
dans l'état favoneux , ni expofition des
uſages auxquels on peut les employer
dans les Arts ; en un mot , rien de ce
qu'attendoit l'Académie , & fur quoi elle
s'étoit expliquée de la manière la plus
précife & la plus claire.
L'imperfection de cet Ouvrage l'a
forcée à réferver encore le prix qu'elle
efpéroit adjuger , & peu s'en eft fallu
que le mauvais fuccès de ce fecond concours
ne l'ait engagée à renoncer à l'eſpérance
de recevoir quelque jour une répon
fe fatisfaifante à la question qu'elle avoit
faite aux Phyficiens Chimiſtes ; mais l'importance
du fujet l'a déterminée à le propofer
une troisième fois pour l'année
1777. Le prix fera triple & compofé de
trois médailles , chacune de 300 liv . Elle
fe réferve la faculté de partager ce prix ,
fi plufieurs des Mémoires qui lui feront
envoyés méritent cette diftinction ; &
elle annonce dès- à - préfent que fi ce troi-
Gv
114 MERCURE DE FRANCE .
fième concours ne remplit pas fes vues ,
elle abandonnera ce fujet , & employera ›
la valeur de ce prix à diriger l'émulation
des Phyficiens fur quelques autres objets ,
dans le choix defquels cette Compagnie
fe décidera , pour ce qui pourra le plus
contribuer à l'utilité publique , fuivant
le voeu de M. le Marquis du Terrail ,
fondateur du prix.
II.
LIMOGES.
La Société Royale d'Agriculture de
Limoges ayant promis , fuivant le programme
qu'elle fit répandre l'année der
nière , une médaille d'or de 300 liv. au
meilleur Mémoire fur la comparaifon de
L'emploi du baufou du cheval dans la cul
ture des terres;
A, dans fon affemblée du 18 Février
dernier , décerné le prix au Mémoire nº.
3 , ayant pour devile : Exercere , viri , tanros;
ferite hordea campis , dont l'Auteur
eft M. Silvain , natif de la Ville de St
Yrier , Diocèfe & Election de Limoges.
Elle a accordé un acceffit à deux autres
Mémoires , l'un n °. § , ayant pour
f
AVRIL. 1775.
155
devife Argumentum experientia probadont
l'Auteur eft M. de Braumanfon
, ancien Officier , à St Remi en Provence.
L'autre , n . 9 , ayant pour devife :
Depreffo incipiat jam tum mihi taurus
aratro , dont l'Auteur eft M. de Villedieu
de Torcy , Seigneur de Torcy , demeurant
à Dijon .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL .
Le Samedi 25 Mars on a donné au
Château des Tuileries un très - beau Concert
, compofé d'une fymphonie à grand
orchestre de Toefchy. Madame Larrivé
à chanté avec goût un motet à voix
feule . MM. Stamitz & Guénin , excellens
violons , ont exécuté , avec applaudiffement
, une fymphonie concertante
de M. Cambiny. Enfuite on a fait entendre
le Dixit Dominus , fuperbe motet à grand
choeur de Duranti . MM. Kllyn , Reyffer,
Paifa , Tiersmith Richard & Petit ,
ont exécuté avec beaucoup de précision
"
Gvj
156 MERCURE
DE FRANCE
.
& d'intelligence , avec des inftrumens à
vent , plufieurs morceaux d'harmonie . On
a été charmé d'un air italien chanté avec
expreffion par Mlle Duchâteau . M. de
la Mothe , premier violon de l'Empereur
, virtuole très-jeune & très- diftingué ,
a parfaitement exécuté un concerto de
viòlon de fa compofition . Ce Concert a
fini par Samfon , Oratoire à grand choeur ,
qui fait honneur à M. de Mereaux .
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Mufique continue
avec fuccès les repréfentaions d'Iphigénie
en Aulide. Mile Rofalie joue &
chante avec autant d'énergie que de fenfibilité
le rôle d'Iphigénie , & y eft fort
applaudie. On doit beaucoup d'éloges
au zèle de cette jeune Actrice , qui a
un très bel organe , beaucoup d'intelligence
, d'âme & de fentiment , & qui.
fe rend d'autant plus utile à ce Théâtre , '
qu'elle aime fon talent & qu'elle tend à
le perfectionner , en fuivant les avis des
Maîtres de l'art .
La Reine , Madame , & les Princes
AVRIL 1775. 157
frères du Roi , ont honoré ce fpectacle
de leur préfence . Il feroit difficile de
peindre l'hommage éclatant & les acclamations
de l'affemblée à leur préfence.
L'Archiduc Maximilien pendant fon
féjour à Paris , & Monfeigneur le Comte.
d'Artois , le jour de fon entrée dans cette
Capitale , ont aflifté à ce fpectacle , où
ils ont été reçus avec les plus vives démonftrations
de joie .
Tous les Jeudis font remplis par les
Fragmens , compofés de l'Acte Turc ,
d'Hilas & Eglé , ballet héroïque , & de
l'Acte de la Provençale.
1
. Le Mercredi 22 Mars on a donné une
répréfentation d'Orphée & Euridice au
profit des Acteurs . Le Public s'eft posté
en foule à cette repréfentation & aux fui
vantes , & a prodigué les plus grands applaudiffemens
à la mufique & à fa par
faite exécution .
DEBUT.
Mlle Affelin , nièce , très - jeune Danfeufe
, de la plus graude eſpérance , a
débuté & a été très - applaudie dans le
genre noble & dans celui des Pâtres avec
M. Veftris fils. Elle eft élève de Mile
Allard , & femble être fon émule. On ne
158 MERCURE DE FRANCE.
peut réunir plus de talent avec plus de jeuneſſe
que ces deux charmans Danfeats , qui
paroiffent avoir atteint la perfection de .
leur art dans l'âge où l'on commençoit à
peine autrefois à en apprendre les élémens
.
On difpofe les répétitions de Céphale
& Procris , Tragédie lyrique en trois actes
, dont les paroles font de M. Marmontel
, & la mufique de M. Grétri
Opéra qui doit être joué à l'ouverture du
Théâtre après Pâques.
;
Sur la réception de LA REINE à l'Opéra
d'Iphigénie.
J'Ar vu d'une augufte Princefle
L'embarras , le trouble enchanteur ;
J'ai reflenti l'aimable ivrefle ',
L'enthoufiafme de fon coeur.
J'ai vu de précieuſes larmes
Couler de fes yeux attendris ;
Eh ! comment réfiſter aux charmes
Des voeux touchans de tout Paris ?
Partageant fon heureux délire :
AVRIL . 1775. 359
Amon tour effuyant mes pleuts ,
Tout bas je me ſuis mis à dire :
Voilà , voilà de vrais honneurs ;
La pompe des Rois nous étonne ;
Et fur -tout lorsque la beauté
Réunit l'éclat qu'elle donne
A l'éclat de la Majeſté.
Mais ces tranfports de l'alegrefle ,
L'accord charmant de mille mains ,
Ces voix qu'élève la tendreffe ,
Sont- ce là des fuffrages vains ?
O Rois ! voilà votre richeſſe ,
C'est le fafte des Souverains .
Refpectables Epoux , que le François adore,
Goûtez , goûtez long- temps un fi parfait bon-
Oui ,
heur.
quel que
foit pour vous l'excès de la gran
deur ,
Unhommage au fi pureftbien plus doux encore *.
*Cette pièce eft de M. Thierry fils , Colonel
de Dragons , premier Valet- de- Chambre du Roi.
La Reine l'a reçue avec beaucoup de bonté , & a
voulu qu'elle fût envoyée à la Cour de Vienne.
160 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LE Barbier de Séville , dont nous n'avons
pu donner qu'une efquiffe légère en atten .
dant l'impreflion , attire toujours , par fa
gaîté , beaucoup de monde à la Comédie
Françoife. Les ris des fpectateurs font les
meilleurs applaudiffeniens qui puiffent
être donnés à cette Comédie , dont le
principal but eft rempli , puifqu'elle amufe.
Il faut auffi y diftinguer des fituations
d'un excellent comique , telle que la
fcène de la Pupille furprife par fon Tuteur
jaloux , & trouvant le moyen de lui
donner le change & de laiffer prendre ,
pendant un feint évanouillement , une
autre lettre que celle qu'il vouloit voir.
On a joué le Mercredi 15 Mats Tancrede
, Tragédie de M. de Voltaire ; ce
beau fpectacle , parfaitement rendu par
MM. Lekain , Brifard , & par Madame,
Veftris , a été honoré de la préfence de
Monfeigneur le Comte d'Artois , qui a
reçu avec fenfibilité les témoignages redoublés
du refpect & de la joie de l'affemblée
la plus brillante & la plus nombreuſe.
AVRIL. 1775. 161
DEBUT S.
M. Beaugrand fils , après avoir joué
dans différentes Villes de Province , a
débuté le Jeudi 16 Mars fur le Théâtre.
de la Capitale , dans le rôle du Chevalier
de la Comédie du Diftrait , & dans celui
de Lindor d'Heureufement . Ce jeune Acteur
, avec l'habitude du Théâtre & de
Tintelligence , n'a point cru devoir continuer
fon début.
Mile Pitror , très jeune Actrice , de la
figure la plus agréable & la plus intéreffante
, a débuté le 19 Mats dans le rôle
de Junie de la Tragédie de Britannicus ,
& a joué le lendemain la Pupille dans la
Pièce de ce nom . Une très - grande timidité
ne lui a guères permis de développer
fon organe , & de fe livrer à fa fenfibilité
; mais il faut encourager un talent
fi utile & d'ailleurs fi bien accompagné
par les grâces,
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné le Lundi 20 Mars , la
162 MERCURE DE FRANCE.
prémière repréſentation des Femmes ven
gées , Opéra Comique en un acte , en
vers , par M. Sedaine , la mufique de M.
Philidor.
ACTEUR S.
M. Riff, Peintre.
M. Clairval.
Mde Riff.
Mde Moulinghen.
Le Prefident.
M. Laruette.
La Préfidente.
M. Lek.
Mde Lek.
Mlle Colombe .
M. Nainville.
Mde Gault.
Ce Drame offre une fingularité théâtrale
, c'eft la repréfentation de trois
fcènes à la fois dans trois lieux différens ,"
en obfervant l'unité d'action . Mde Riff
fe difpofe à venger deux femmes fesamies
de la perfidie de leurs maris , qui
lui font l'amour. Elle avertit Mde Lek
& la Préfidente , qui croyent leurs maris
abfens . Elle leur confie le projet qu'elle
a concerté avec fon mari , auquel ces
femmes foufcrivent de bon coeur pour
punir leurs infidèles . Ce projet eft de recevoir
les deux Amans , de paroître céder
à leur amour ; alors M. Riff for
viendra ; les deux époux , effrayés de ce
contre- temps , fe cacheront dans un cabi
AVRIL. 1775.. 163
net ; arriveront enfuite les femmes trom
pées , & chacune d'elles paroîtra tour- àtour
demeurer feule en tête - à- tête avec
M. Riff, & feindra une infidélité , dont
chacun des maris fera auffi tour- à-tour le
témoin , fans ofer fe plaindre . Ce projec
s'exécute comme il a été convenu . Mde
Riff reçoit les deux Galans qui viennent
l'un avec un pâté & des bifcuits , l'autre
avec des bouteilles de vin de Champagne.
Ils croyent le Peintre abfent pour
long- temps , & ils aident à mettre le cou
vert : mais à peine fe difpofent- ils à fouper
avec leur voifine qu'ils entendent
fonner ; c'eft M. Riff que fa femme leur
annonce . La frayeur les gagne ; ils fe cachent
dans un cabinet où le Spectateur
voit leur embarras . M. Riff fe félicite en
riant d'être de retour plutôt qu'il ne le
comptoit . Il demande pour qui ce fouper
apprêté ; Mde Riff répond , comme en
hésitant , qu'elle attend Mde Lek & Mde
la Préfidente. Le mari dit à fa femme
de les aller chercher ; & feul alors , it
s'applaudit du plaifir qu'illaura de fouper
avec ce qu'il adore . Ce mot commence
à intriguer les Epoux cachés dans le cabinet.
M. Riff , dans la joie qui le tranf
porte , veut tirer fon piftolet contre le
164 MERCURE DE FRANCE.
cabinet , & le percer de deux balles . Les
deux amis effrayés font le plongeon ; le
Peintre chante , en riant , fes amours . Les
femmes arrivent & mangent avec le
Peintre & fa femme le repas apprêté par
leurs maris ; mais le vin manque. Mde
Riff engage Mde la Présidente à la fuivre
à la cave. Elles fe rendent dans le cabinet
oppofé , où elles font vues du Spectateur.
Le Peintre joue la fcène d'Amoureux
avec Mde Lek , & paroît s'abſenter
avec elle , en fe retirant dans le cabinet.
Le mari , qui entend tout , enrage &
vent faire du bruit ; mais le Président le
retient , & l'exherte à la patience . La mê
me fcène ne tarde pas à fe répéter avec
la Préfidente , qui , elle- même , femble
prévenir le Peintte & lui faire , avec un
Ton comiquement tragique , la déclaration
de fon amour. Les prétendus Amans
fortis & retirés aufli dans le cabinet où
ils font vifibles au Spectateur ; le Préfident
s'emporte & eft raillé par M. Lek
qui prend fa revanche . Mde Riff revient .
Les deux maris lui content tout ce qui
s'eft paffé , croyant qu'elle l'ignore ; ils
lui demandent vengeance & font à fes
genoux . Leurs femmes & le Peintre les
furprennent en riant. Les maris ne tarAVRIL.
$ 775 .
165
:
dent pas à reconnoître qu'ils ont été du
pes de Mde Riff , & perfiflés par leurs
femmes ils demandent pardon de leur
écart , & ils s'en vont corrigés & contens.
Cet Opéra Comique a paru fort gai , &
chaque fcène offre une fituation plaifante
& bien intriguée . C'eft un bon
Opéra-Comique, qui eût beaucoup réoffi
& qui eût été fort fuivi avant que le
Public eût donné un goût de préférence
aux intermèdes d'un genre noble & intéreffant.
La mufique de M. Philidor , ajou
te à la réputation de ce favant Compofiteur.
Il y a des chants fort agréables . On
peut citer , pour les paroles & pour la
mufique , les airs fuivans.
M. RIs S.
Quand Pâris fur le mont Ida
Jugea trois Beautés immortelles ;
Que de voluptés il goûta ,
A l'afpect enchanteur des charmes des trois Eelles!
Je fuis plus fortuné que n'étoit ce Berger :
Car il ne fit que les juger,
Et je fuis aimé d'elles .
ROMANCE.
Tous les pas d'un diſcret Amant
166 MERCURE DE FRANCE.
Ne doivent laiffer nulles traces ;
Le fecret eft au fentiment
Ce que la pudeur eft aux Grâces ;
Vénus fuit l'immortel féjour
Pour un Berger qui fait fe taire :
Car on n'eftime l'amour
Qu'accompagné du myſtère.
Cet Opéra- Comique eft généralement
bien joué. M. Clairval y fait briller de
nouveau le talent qu'il a d'embellir fon
rôle , & de le rendre avec la plus grande
vérité. Mlle Colombe chante & joue à
merveille ; elle eft beaucoup applaudie
dans fa brillante ariette de la Coquette
volage. Le jeu comique de M. Laruette &
de M. Nainville , & la vivacité charmante
de Mde Moulinghen , font auffi
le plus grand plaifir.
Le Jeudi 23 Mars Monfeigneur le
Comte d'Artois eft venu à la Comédie
Italienne , où il a été reçu avec acclamation
par le Public , honoré & charmé
de fa préfence. On a repréfenté l'Amoureux
de quinze ans & le Turban enchanté.
AVRIL. 1775. 167
ARTS.
GRAVURES.
I.
Portrait en grand médaillon de Marie-
Antoinette , Archiducheffe d'Autriche ,
Reine de France.
Que te tam læta tulerunt
Sacula l qui tanti talem genuêre parentes !
CB Portrait eft gravé d'après le tableau
de Fredou , par Cathelin , Graveur du
Roi . Il eft d'un burin délicat & précieux ;
il a le mérite de préfenter à notre hommage
la parfaite reffemblance de la Beauté
& des Grâces qui régnent fur tous les
coeurs François,
Ce Portrait fe trouve à Verſailles chez
Blaizot , au Cabinet Littéraire , rue Sarory;
& à Paris chez Calenge , rue de la
Harpe , près celle du Foin , maifon de
M, Fortin , Ingénieur pour les Globes .
168 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Portrait de Georges - Louis le Clerc , Comte
de Buffon , d'après le tableau de M.
Drouais , gravé par M. Savárt , rue &
près le petit St Antoine , au coin de
la rue Percée.
Ce Portrait eft accompagné des attribut
des travaux & de la gloire de ce
grand homme ; il eft très- reffemblant &
gravé avec foin. Il fait fuite de la collection
précieufe des Ecrivains célèbres , qui
ont été gravés par MM. Fiquet & Savart.
IIL
Portrait de M. d'Alembert , deffiné par
Pajos , & très bien gravé par Maleuvre .
Ce Portrait , qui ne fe vend point , &
que M. de Beaufleury a fait graver à
Tinfçu de M. d'Alembert , eſt dédié à
M. de Voltaire. On lit au bas ces quatre
vers de M. Marmontel.
Ce Sage à l'amitié rend un culte affidu ,
Se dérobe à la gloire & fe cache à l'envie :
Modefte comme le génie
Et fage comme la vertu.
M.
AVRIL. 1775. 169
M. Coffon , Profeffeur au Gollége
Mazarin , en a fait cette traduction latine
:
Cultor amicitia , fimul & contemptor honorum ,
Quæritat hic tenebras , invidiamque fugit s
Quem comes ingenii fecura modeftia velat
Virtutifqueforor candidafimplicitas .
I V.
La Converfation des Fermières ; jolie
eftampe colorée , imitant le deffin , gravée
par Briceau . Prix 6 1. chez l'Auteur ,
rue St Honoré , près l'Oratoire.
V.
Le fieur Halbou , Graveur en tailledouce
, vient de mettre au jour trois
planches , dont l'une a pour titre le Temps
perdu , d'après un deflin de M. Will
Peintre du Roi. Le fujer eft un homme ,
qui , engagé par les careffes d'une femme ,
s'amufe à enfiler des perles . L'autre a
pour titre l'aventure fréquente , d'après un
deffin de Scheneau , Peintre de S. A. S.
l'Electeur de Saxe. Le fujet eſt une jeune
Cardeufe de matelas furprife par un Ecolier
, qui lai caffe for fabot. Ces deux
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
gravures font pendans ; elles ont feize
pouces de haut fur onze & demi de large.
La troisième de ces planches eft . le
Portrait de M. de Troye fils , Peintre du
Roi , Directeur de l'Académie de Rome
& Chevalier de l'Ordre de St Michel ,
mort à Rome en 1752 , âgé de 76 ans ,
gravé au burin d'après le tableau de M.
Aved , pour fa réception à l'Académie .
Ce Portrait a 9 pouces & demi de haut ,
fur 7 de large. Ces gravures font faites
avec beaucoup de foin & de talent .
On trouve chez le même Graveur les
Intrigues amoureufes & la Crédulitéfans
réflexion , qui font pendans . L'adreffe du
fieur Halbou eft rue du Fouarre , maiſon
de M. Maillard , Procureur au Parlement.
V I.
Epoques de Thémis , avec des cartels
différens , le tout orné de vers François ;
préfenté à Sa Majesté Louis XVI.
Thémis militante.
On lit ces vers , qui en font l'explication
:
Les vices déchaînés à Thémis font la guerre.
AVRIL. 1775.
171
Hélas ! cédera- t - elle à leurs complots cruels ?
S'ils peuvent lui ravir fon glaive & les autels ,
Nous verrons le bonheur s'exiler de la terre .
Cartel.
Minerve préfente à Diogène S. A. R.
Monfieur, Autour du Portrait de S. A.
R. on lit: Patria columen ; à droite & à
gauche du cartel on lit ces vers :
Diogène autrefois , fa lanterne àla main ,
Chercha , fans le trouver, un homme dans Athènes
;
Minerve offrant ce Prince à ſon oeil incertain ,
S'il revenoit un jour termineroit les peines .
Thémis
fouffrance.
Au bas du deffin on lit ces vers :
Au fein de ces rochers , l'effroi de la nature ,
Thémis eft condamnée à l'exil , à l'ennui ;
La Veuve & l'Orphelin , privés de fon appui ,
De l'Opprefleur puiffant deviendront la pâture.
Cartel.
Henri Quatre , fans doute , eft bien cher à nos
voeux ;
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE:
Mais pourquoi dans ce jour lui rendre la lumiere?
Notre jeune Louis , qu'un même efprit éclaire ,
Lefurpaffe dans l'art de faire des heureux.
Thémis triomphante.
Au bas du deffin on lit ces vers :
D'où viennent ces tranfports , & quel chant d'allégrefle
Un Peuple tout entier élève jufqu'aux cieux !
Le retour de Thémis excite fon ivreffe ;
Elle abat les méchans & rend le Peuple heureux;
Cartel.
Eprouve enfin , Thémis , des tranfports d'alégrefle.
Hercule vient t'offrir ton zélé Protecteur ;
Ce Prince t'appuyant de la rare fagefle ,
Par ton heureux retour a fait notre bonheur.
Les exemplaires des gravures ci deffus
énoncées fe trouvent chez le fieur Bigant ,
Graveur , quai des Auguftins , dans une
boutique attenant l'Eglife. Prix 6 1.
VII.
Eftampe repréfentant
une petite fille
AVRIL. 1775. 173
nonchalamment pofée , ayant un livre
en main & pour titre : Honifoit qui mal
y penfe. Elle est dédiée à 5. A. S. Mgr le
Duc de Chartres. L'Artifte ayant repris
le burin pour perfectionner fa gravure ,
ne reconnoît pour bonnes épreuves que
celles avec la dédicace . Cette eftampe eſt
d'un travail fini . Prix 3 l.; à Paris , chez
l'Auteur , rue d'Ecoffe , vis-à- vis la petite
porte de St Hilaire.
Lettre à M. LACOMBE.
Monfieur , vous êtes François , & c'eſt à ce
titre que je vous prie d'annoncer le projet fuivant
dans votre Ouvrage. Je me propofe de dépofer
dans un recueil les portraits des Hommes chers à
la Nation , par des établiſſemens utiles , par des
découvertes heureules , & enfin par tout ce qui
peut intéreffer la France & ajouter à fa gloire.
Les portraits feront gravés en bufte de format
in 4° . On gravera au bas de chaque planche les -
actions qui auront rendu recommandable le Citoyen
qui en fera l'objet. L'Ouvrage fera intitulé :
Les Faftes du Patriotisme.
Ce qui eft utile eft toujours au- deſſus de ce qui eft
grand.
Thomas , Eloge de Sulli.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
On nous a retracé les Hommes illuftres , on a
prefque oublié les Hommes utiles ; c'eft à eux que
je confacre mes veilles , & à la Nation que je dédie
mon Ouvrage . La grandeur n'eft pas exclufi-"
vement attachée à la naiflance , & chaque Ci
toyen , dans quelque claffe que le fort l'ait placé ,
a droit d'y prétendre , quand la fublimité de fes
vertus , l'élévation de fon génie & la fupériorité
de fes talens tournent au profit de la fociété ;
ainfi , depuis le Miniftre jufqu'à l'Artifan , en
parcourant tous les Ordres de l'Etat , tout homme
a droit à nos hommages , quand il augmente le
bonheur de fes Concitoyens : c'eft une vérité qui
n'a pas befoin de preuve.
Nous devons à l'agriculture , au commerce &
à l'induftrie cette douce aifance qui fait le charme
de la vie . Les progrès des connoiflances font moins
l'ouvrage du temps que de quelques génies heureux
, qui ont fu vaincre les difficultés & braver.
les obftacles : nous jouiflons du bienfait fans nous
fouvenir du bienfaiteur , & ces hommes rares , ces
inftrumens de notre bonheur refteront , pour la
plupart , enfevelis dans l'oubli ? Non... avec le
Héros qui défend nos foyers , & le Magiftrat qui
fait régner la juftice & la concorde parmi les Citoyens
, le Négociant & le Financier , qui entretiennent
l'abondance & la circulation , le Cultivateur,
le Fabricant , &c. chacun trouvera une
place dans ces Faftes , quand la voix publique la
lui aura décernée ; & grâce à la philofophie , qui
a porté dans toutes les âmes le flambeau de la
raifon , l'on ne le croira pas confondu pour être
placé à côté de l'autre : tout homme utile eft l'ami
de la Patrie.
Quels prodiges n'enfantera point la noble émuAVRIL.
1775 . 1.75
lation , que ces exemples vivans exciteront parmi
les Citoyens & dans le fein des fan, illes ! quel En
fant pourra voir les Aïeux placés au Temple de
Mémoire , fans faire des efforts plus qu'humains
pour y arriver ?
On s'eft efforcé d'étendre la mémoire des fameux
Guerriers , & le Peuple François n'a befoin.
que d'occaſions pour être un Peuple de Héros .
Que ne doit- on pas attendre de l'enthousialme
François quand la renommée appuyera fon empreinte
immortelle fur les actions utiles conime
elle l'eft fur les actions glorieules ; & quand chaque
Citoyen , diftingué par fon mérite , pourra
jouir haurement de l'eftime de foi même par le
témoignage public , des actions qui lui auront
mérité celle de fes Compatriotes , fans craindre
d'être humilié par aucune comparaiſon ?
Je ferai trop heureux fi mes foibles talens peuvent
donner aux actions utiles toute la publicité
qu'elles méritent ; quoi qu'il en foit , la fagetle
du Gouvernement me promet d'avance la protection
, & le nombre des bons François m'aflure
des encouragemens publics.
J'invite les perfonnes qui voudront concourir à
m'aider dans cette entreprife patriotique , à le
faire infcrire chez l'Auteur , rue Croix des petits
Champs , au Magafin de chapeaux des Troupes
du Roi , à Paris ; chez Didot le jeune , Lib, quai
des Auguftins ; Delfaint junior , Lib . au pavillon
des quatre Nations ; Lacombe , Lib. rue Chrif
tine.
Je propoferai les conditions de la foufcription ,
dès que le nombre des perfonnes qui fe feront fait
inferire, fuffira pour les frais d'exécution ; & , chaque
année , je publierai la liſte de tous les Souf-
Hiv
176
MERCURE DE FRANCE.
cripteurs qui contribueront à l'établiſſement de
cet Ouvrage National.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
Votre très-humble & obéiſtant
ferviteur , F. REGNAULT.
Paris , ce 13 Février 1775 .
SCULPTURES.
I.
DANS le courant du mois de Mars
1775 , il a été pofé dans une niche de la
Chapelle de Saint Grégoire de l'Eglife
Royale des Invalides , une figure en
marbre de fept pieds cinq pouces de
proportion , repréfentant Sainte Sylvie ,
femme de Gordien , Sénateur Romain
mère de Saint Grégoire , Pape . Elle
eft repréfentée dans le moment qu'elle
remercie Dieu de lui avoir donné un fils
qui a été un des plus grands Pontifes..
Cette figure a été exécutée par M. Caffiéri
, Sculpteur du Roi .
Elle eft habillée d'une longue tunique
& d'un ample manteau , parure ordinaire
des Dames Romaines.
Ce magnifique morceau de fculpture
AVRIL. 1775. 177
fait infiniment d'honneur à M. Caffiéri.
On y trouve , outre la perfection du deffin
, le grand caractère de nobleffe & de
vertu joint au charme de la beauté . Cette
figure fera diftinguée parmi les chefsd'oeuvre
qui ornent la riche Chapelle
des Invalides .
1 I.
Il a été expofé pendant près de quinze
jours dans les Appartemens de Verfulles
, un très - riche cadre doté , deſtiné à
recevoir le portrait de la Reine en pied ,
de grandeur naturelle .
Des Génies fupportent , dans le couronnement
, le médaillon du chiffre de
cette Princese , ceint d'une bordure de
rofe , furmonté d'une couronne royale ,
avec différens acceffoires.
Le fupport préfente une portion circus
laire , dans laquelle un Amour unit les
écuffons de Leurs Majeftés , & fe termine
en cul - de - lampe avec des feftons de
Aeurs.
On a remarqué dans le profil une
moulure taillée d'une multitude de coeurs
unis par des flocons de chaînes , embralfés
de fleurons qui en forment la circonférence
; les autres font ornées de feuil-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
les d'olive , d'entre lacs de lierre & autres
fymboles. De doubles feftons de
fruits font chûte fur les montans qui font
Alanqués , fous les croffettes de branches'
de lis , paffées dans des couronnes de
feuilles d'olive.
Quand le couronnement & le fupport
n'annonceroient pas quel doit être l'intérefant
objet du tableau ; qui , en voyant
réunis les fymboles de la beauté , de
l'âme , de la pureté du coeur , des charmes
du caractère , de la fraîcheur & des grâces
de la jeuneffe , pourroit méconnoître
l'intention de ces heureufes allégories ?
Ces coeurs , adroitement fubftitués aux
oves ordinaires , ces flocons de chaînes ,
ces feftons de fleurs , qui s'offrent de toutes
parts , ne font ils pas éprouver au
Spectateur que c'est l'attachement univerfel
de la France & le bonheur du rè
gne préfent que cette expreflive fculpture
a voulu rendre .
La compofition de ce charmant morceau
, la délicateffe & le fini de fon exécution
, juftifient bien la réputation du
fieur Boulanger * placé depuis longtemps
au rang des plus célèbres Artiftes
Sculpteur des Bâtimens du Roi.
2
AVRIL. 1775. 179 .
de fon genre n'eût- il à citer que les
chefs -d'oeuvre de fculpture tant admités
à l'Ecole Militaire , fur tout dans la Salle
du Confeil.
La dorure n'eft pas moins un chefd'oeuvre
; il eft à peine concevable comment
cet art peut le difputer ainſi à l'or
moulu , au point de faire douter fi ce
n'eſt pas le métal même fortant des mains,
du plus habile Orfévre . Elle a été exécutée
par les fieurs Watin & Ramier ,
Affociés pour les entreprifes de dorure &
de peinture .
Leurs Majeftés & la Famille Royale
ont para extrêmement fatisfaites. Le feur ,
Watin , à cette occafion , a eu l'honneur .
de préfenter à la Reine l'Art du Peintre ,
Doreur, Verniffeur , Ouvrage de fa compofition
, qu'Elle a daigné accueillir avec
bonté *.
C * Nous avons fait connoître
cet Ouvrage
dans
le fecond
volume
du mois d'Octobre
1773 ; nous
annoncions
alors
qu'au
mérite
de décrire
fupérieurement
les procédés
de fon art , le fieur Watin
joignoit
celui de les exécuter
de même .
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
I.
CARTE curieufe des nouvelles limites
de la Pologne , de l'Empire Ottoman &
des Etats voisins , fixées 1 ° . par les Puiffances
co - partageantes , 2º. par la paix
entre les Ruffes & les Turcs , 3º . par in
Traité entre la Maifon d'Autriche & le-
Grand-Seigneur ; avec les Places fortes ,'
les grandes routes & diftances entre les
Capitales de ces divers Etats , & des notes
politiques . Par M. Brion , Ingénieur-
Géographe du Roi , à Paris , rue St Jacques,
à la Ville de Coutances , près la
Fontaine St Séverin , au deuxième , feuil .
le d'Atlas , prix 1 liv . 4 f. Cette Carte ,
qui s'étend depuis la Mer Baltique juſqu'à
la Mer Noire & la Mer Cafpienne
devient un fupplément d'autant plus néceflaire
aujourd'hui aux Atlas & livres de
Géographie , qu'étant fondée fur d'exacres
opérations faites fur les lieux mêmes ,
elle differe eflentiellement de route autre
pour les longitudes & les latitudes.
'étendue des pays ou leurs divifions.
AVRIL. 1775. 181
I 1.
Cartes géographiques d'une partie de
l'Allemagne , gravées fous la direction de
l'Académie Royale des Sciences de Berlin
; favoir :
La Pruffe , en 6 feuilles.
La Ruflie , en 3 feuilles.
La Pomeranie cîtérieure , en 4 feuil.
La Heffe , en 4 feuilles.
Le Mecklenbourg , en 4 f.
Les Duchés de Brême & de Verden, 2 f.
La Baviere , en 4 f.
Le plan de Berlin fur papier.
Le même fur toile fine .
La grande Carte d'Allemagne fur pap.
La même fur toile fine.
L'Atlas de Marino , en 13 feuilles.
Le Port de Berlin , une feuilles
Ces Cartes fe trouvent à Paris , chez
Mde Duclos , rue des Singes , Maiſon à
côté du Maréchal .
I I I.
Nouvelle Carte réduite de la Manche
de Bretagne , en 3 feuilles de papier gr.
aigle , contenant toutes les côtes de Fran
ce depuis Dunkerque jufqu'à Oueffant ,
& les côtes d'Angleterre depuis Colcheſ
182 MERCURE DE FRANCE.
ter , qui eft au nord de la Tamiſe , juſqu'au
Cap Clare , en Irlande ; les braffeigges
& qualités des fonds , tant en
dedans qu'en dehors de la Manche , &c.
-Cette Carte , qui eft dédiée au Commerce
, fe trouve chez le fieur de Gaulle ,
l'Auteur , rue St Jacques , au Havre ; &
chez le fieur Mérigot l'aîné , Libr. quai
des Auguftins , à Paris , qui a le dépôt
des Cartes hidrographiques ; prix 7 liv.
10 f. les feuilles. Les Marchands de
Provinces qui vendent des Cartes , en
en prenant un certain nombre , auront
une diminution honnête. L'on trouve
chez le fieur de Gaulle tout ce qui concerne
la navigation ; il fait des envois
d'inftrumens , & n'en vend aucuns qu'il
n'en garantiffe la préciſion par un billet
figné de fa main.
IX
MUSIQUE.
I.
Six duo pour deux violons , dédiés à M›
Guelle , Contrôleur Général des Suiffes
& Grifons . Par M. A. Guenin. OEuv . III
Prix 7 1. 4f. chez l'Auteur , rue des Mou.
AVRIL. 1775. 183
lins , butte St Roch , Maifon de M. Pérart
, Architecte du Roi ; & aux adreffes
ordinaires de mufique . En Province chez
les Marchands de mufique.
I I.
Perrin & Lucette , Comédie en deux
actes & en profe , mêlée d'ariettes , par
M. Cifolelli ; les paroles font de M. Davefne
; prix 15 liv . A Paris , au Bureau
mufical , rue du Hafard . Richelieu ; &
aux adreffes ordinaires de mufique . A
Lyon , chez M. Caftau , Marchand Lib..
place de la Comédie .
II I.
Les vrais Amans , ariette en rondeau
avec accompagnement de deux violons
& baffe ; par M. Defcombes , Auteur de
la mufique & des paroles ; prix 1 1. 16 f.
à Paris chez l'Auteur , cloître St Nicolas
du Louvre , maifon de M. Lacour ; Bignon
, Graveur , place du Louvre , à
l'Accord Parfait ; & aux adrefles ordinaires
de mufique.
I V.
Trentième Recueil périodique d'ariettes
184 MERCURE DE FRANCE.
d'Opéra Comiques & autres , arrangées ,
pour le piano forte & le clavecin ; par
M. Pouteau , Organiſte de St Jacques de
la Boucherie , & Marchand de clavecin .
Prix 1 l . 16 f. à Paris chez le fieur Bouin
Marchand de mufique & de cordes d'inftrumens
, tue Saint Honoré , près Saint
Roch , au Gagne- Petit.
On trouvera à la même adreffe plufeurs
Recueils de contre danfes en potpourci
qui fe danſent chez la Reine , avec
l'explication des figures .
V.
Sei duetti per due violini , compofiti
dalla Sig. Madalena Laura Syrmen . Op .
V. Prix 7 l . 4 f. à Paris chez M. Venier ,
Editeur de plufieurs Ouvrages de mufique
, rue St Thomas du Louvre , vis à vis
le Château d'eau ; & aux adreffes ordi .
naires . En Province , chez tous les Marchands
de mufique .
V I.
On trouve à la même adreffe : Sei fefetti
per tre violini , viola , è due violoncelli
obligatti , compofiti dall . Sig . Gaesano
Brunetti , Virtuofo della Capella
AVRIL. 1775. 185
Reale di S. M. C. & primo Violino e
Compofitor di Camera ; di S. A. R. il
Prencipe d'Asturias . Opera I. Prix 12 l .
N. B. La partie du fecond violoncelle
pourra exécuter fur l'alto ou un ballon fe
VII. 1
Six trio à trois violons , compofés par
G. de Maki . Prix 7 l . 4 f. à Paris chez
le fieur Sieber , rue St Honoré , à l'Hôtel
d'Aligre , ancien Grand - Confeil ; à Lyon ,
chez Cafteau ; à Bordeaux , chez Saunier ;
à Bruxelles , chez Godefroy .
VIII.
Ouverture d'Iphigénie en Aulide , arrangée
pour le clavecin ou le forte - piano
, avec accompagnement d'un violon
& violoncelle ad libitum ; par M. Benaut
, Maître de clavecin . Prix 2 1. 8 f.
Paris , chez l'Auteur , rue Gît- le coeur , la
deuxième porte à gauche en entrant par
le Pont Neuf; & aux adrefles ordinaires
de mufique.
I X.
On trouve aux mêmes adreffes l'Ou186
MERCURE DE FRANCE.
verture de la Rofière de Salency , arrangée
pour le clavecin ou le forte- piano , avec
accompagnement d'un violon & violon-.
celle , ad libitum ; par M. Benaut. Prix 2
1.8 f.
X.
Et le Premier Recueil de duo d'Opéra
& Opéra Comiques , &c. arrangés pour
le clavecin ou le forte- piano ; dédié à
Mademoiſelle Rofalie de Rohan Chabot
, née Comtelle de Chabot , par Benaut
. Prix 1.16 f.
LETTRE du Roi de Suède à M. de Roffet,
Auteur du Poëme de l'Agriculture.
Monf. de Roffet. J'ai reçu avec plaifir , & j'ai
Lu avec plus de plaifir encore l'Ouvrage que vous
m'avez envoyé . Votre poëlie fera certainement
louée par les Poëtes. Je me borne à vous remercier
, au nom de l'humanité , de ce que vous avez
confacré vos talens à embellir les régles d'un art
qui fait la baſe la plus folide de la puiflance des
Empires & du bonheur des Peuples. Cet art ne
peut pas être trop enfeigné par les Savans , ni
trop encouragé par les Princes. Vous devez donc
être perfuadé de toute mon eftime & de toute ma
bienveillance . Et fur ce , je prie Dieu qu'il vous
AVRIL. 1775. 187
áit , Monf. de Roffet , en fa fainte & digne garde,
Fait à Stokholm le 29 Novembre 1774.
GUSTAVE.
LETTRE de M. de Voltaire à M. de la
Croix , Avocat.
A Ferney , par Lyon , le 21 Janvier1775.
Il femble , Monfieur , qu'en adouciflant, les
maux de ma vicilleffe, & en confolant ma folitude
par la lecture de vos agréables Ouvrages , vous
ayez voulu me priver du plaifir de vous en remercier.
Vous ne m'avez point donné votre adreffe ?
il y a plufieurs perſonnes à Paris qui portent votre.
nom , quoiqu'il n'y ait que vous qui le rendiez
célèbre .
Je hafarde mes remerciemens chez votre Libraire.
Il a imprimé peu de Mémoires auffi bien
faits . Ceux pour la Rofiere font les premiers , je
crois , qui aient introduit les grâces dans l'éloquence
du barreau . Celui de Delpech me femble
difcuter les probabilités avec beaucoup de vraifemblance
: car les hommes ne peuvent juger que
par les probabilités. La certitude n'eft gueres faite
pour eux , & voilà pourquoi j'ai toujours penfé
que notre Code criminel eft auffi abfurde que
barbare. Il n'y a guere de Tribunal en France qui
n'ait rendu des jugemens affreux & iniques pour
avoir mal raifonné plutôt que pour avoir eu l'intention
de condamner l'innocence.
188 MERCURE DE FRANCE .
J'ai l'honneur d'être , avec toute l'eſtime &
la
reconnoiffance que je vous dois ,
Monfieur,
Votre très- humble & très- obéiflant
ferviteur De Voltaire.
ANECDOTES.
I.
UN Colonel , fous Louis XIV , frappa
de fa canne un Grenadier dans un exercice.
La violence du mal fit oublier un
inftant à celui ci la févérité de la diftipline
militaire. Un gefte menaçant an
nonça au Colonel le reffentiment du brave
homme qu'il venoit d'offenfer. Grenadier
qu'ofez - vous ? -lui cria vivement
le Colonel . Ah ! Monfieur , quel mal
vous m'avez fair , reprend le malheureux
Grenadier , en fe laiffant tomber fur les
genoux . On le conduit à l'Hôpital .
On fent quelle rumeur dut exciter cette
action dans toute la garnifon ; elle fur
d'autant plus vive , que celui qui s'en
étoit rendu coupable étoit un Officier
d'une grande efpérance & d'une des plus
AVRIL. 1775. 189
»
illuftres Familles du Royaume . Touché
de repentir , ce jeune Colonel fe rend à
l'Hôpital , & s'approche du lit du Grenadier
, à qui il offre cinq ou fix louis.
Celui - ci , fe levant bruſquement fur fon
féant : Eh ! croyez vous , Monfieur ,
que c'eft avec de l'or qu'on fait oublier
» une injore auffi fanglante que celle que
» vous m'avez faite ; mordieu ! mon Co-
» lonel , gardez vos louis . Vous avez vu
» dans quel abyfme de maux vous pou-
» viez plonger un homme d'honneur ! ...
» Un refte de raifon m'a retenu ! ... Béniffons-
en le ciel l'un & l'autre. Allez ,
gardez votre or & corrigez vous » .
"
1 I.
Diogène voyoit un jour un Vainqueur
des Jeux Olympiques faifant fon entrée
dans Athènes , fixer , avec un attachement
fingulier , one jeune fille qui le fuivoit.
Regardez donc ce Vainqueur , s'écria-
» til ; au milieu même de fon triomphe
» il eft déjà vaincu ».
"
כ
320
I I I.
Une Princeffe du Sang paffoit par une
190
MERCURE DE FRANCE.
64
Ville de Province ; tous les Corps s'emprefsèrent
de l'aller complimenter. Celui
de l'Election n'étoit reprefenté que par
trois Membres. Madame , lui dit le
» Chef de cette Jurifdiction , nous fom-
» mes dans ce moment une preuve fen.
» fiblé de cette vérité facrée , beaucoup
» d'Appelés & peu d'Elus. Notre devoir
» eft de prononcer fur le fait des Tailles ,
» & nous certifierons à tout le monde
que la vôtre eft des plus élégantes ».
~
I V.
Fabius Maximus , qui avoit été Dictateur
à Rome , alloit à cheval au- devant
de fon fils , qui venoit d'être créé
Conful ; celui- ci voyant fon père , lui
envoya commander de mettre pied à
terre . Fabius defcendit auffi tôt & embraflant
fon fils , je me réjouis , lui dit- il ,
de ce que tu te comportes en Conful.
V.
Dans le temps que le Duc de Bourgogne
, petit- fils de Louis XIV , commandoit
l'arinée en Flandres , un vieux
Officier , qui connoiffoit mieux fon méAVRIL.
1775. 191
tier que les ufages de la Cour , fe mit à
la table du Prince fans en avoir obtenu
la permiffion . On l'avertit de fa faute ,
& il en demanda pardon . Monfieur , lui
dit obligeamment le jeune Prince , vous
Jouperez avec moi ; je vous apprendrai la
Cour & vous m'apprendrez la guerre.
"
V. I
M. de Fontenelle étoit dans une compagnie
où l'on montroit un petit ouvrage
d'ivoire , d'un travail fi délicat , qu'on
n'ofoit le toucher. Chacun l'admiroit ;
pour moi , dit M. de Fontenelle , je n'ai
me point ce qu'il faut tant reſpecter. La
Marquife de F. très- belle femme , fur.
vint tandis qu'il parloit ; M. de Fontenelle
alla au- devant d'elle , & ajouta en
l'abordant , je ne dis pas cela pour vous ,
Madame.
VII.
Un Enfant s'étoit levé fort tard ; fon
père , pour le rendre plus diligent , lui
dit : « Mon fils , vous ne connoiflez pas
» le prix & les avantages de la diligence ;
» un homme diligent s'étant levé fort
» matin, trouva une bourfe pleine de louis
192 MERCURE DE FRANCE .
dans fon chemin ». Mais , mon Pèrè ,
répondit l'Enfant , celui qui l'avoit perdue
s'étoit encore levé plus matin.
•
VIII.
C
Un jour le Roi Jacques II ordonna an
Poëte Waller.de l'attendre , parce qu'il
vouloit lui parler ; c'étoit dans l'aprèsmidi.
Le Roi ne rentra que tard ; il conduifit
Waller dans fon cabinet , & lui
préfentant un tableau , il lui demanda ce
qu'il en penfoit. Le temps eft obſcur ,
répondit Waller , je ne vois pas bien ce
» que c'eft , fi Votre Majefté daignoit
» m'aider... C'eft la Princeffe d'Oran-
" ge. Elle reflemble prefque à la plus
" grande Princeffe du monde. A quelle
» Princelle donnez vous ce nom ? A la
» Reine Elifabeth. Je fuis furpris M.
» Waller que vous parliez ainfi ; Elifa-
» beth étoit comme les autres femmes ,
elle dut fa grandeur à fon Confeil.
»
-~-
-
» Eh ! Sire , croyez - vous que des fous
" ayent jamais choifi des Confeillers
fages ? »
53
AVIS
AVRIL. 1775 . 93
AVIS.
I.
Bijouterie.
I Efieur Grancher , Bijoutier de la Reine , au
petit Dunkerque , vis - à -vis le Pont - Neuf, vient
de mettre au jour un nouveau portrait de la Reine
, exécuté en talc , fupérieur à tout ce que
l'on
a vu en ce genre , tant pour la gravure que pour
la reflemblance ; il eft pofé fur différentes boîtes ,
dites le tableau parlant , à divers prix , dont le
meilleur marché eft de 30 livres. L'on trouve auffi
fur des tabatieres le même portrait en miniature ,
de même que celui de l'Archiduc , frere de la Reině
, prix 60 1 .
De très -beaux modèles nouveaux de boutons
d'habit en pinsbeck , acier & autres , en argent
émaillé qu'il attendoit depuis long-temps ; ainfi
que des épées d'acier à pointes de diamans & pinfbeck
, faifanc un grand effet aux lumieres.
Une collection confidérable d'ouvrages en pierres
de ftras d'Angleterre , tant en girandoles qu'en
luftres & garnitures de cheminées de la plus grande
beauté ; carafes à oignons , flambeaux , vales ,
caffolettes unies , le tout en cryſtal factice de diverfes
couleurs , garnies à Paris en bronze doré
d'or moulu.
De fuperbes jattes à punch & d'autres petits
cryftaux pour la table.
1. Vol. I
19 MERCURE DE FRANCE.
De nouvelles pièces en tôle amalgamé en are
gent , dites pletedes ; corbeilles à compartiment ,
pour fervir les rôties ; petits flambeaux de cabi
nets , fontaines à thé , falieres en bouts de tables.
Theyeres en litron ; écritoires en ébene pour
bureaux , garmes en tôle amalgamé en argent
avec les pieces en cryftal taillé.
Cuifiniere angloife pour faire cuir au bainmarie
les viandes ou le fromage.
*
Bagues d'or montées à l'antique , avec portrait
en relief , émaillé fous cryftal , du Roi , de la
Reine , d'Henri IV , de l'Empereur & de l'Impératrice
, gravés par Wurtz , que l'on peut annon.
cer pour être le chef- d'oeuvre de reflemblance ;
prix 36 1. piece .
Nouveaux boutons de printemps en pierres de
couleurs , doublés & ornés d'or & de petits grains;
prix 601. la garniture.
Boucles d'argent très grandes , d'une cifelure
imitant la broderie.
Nouvelle porcelaine dure , de Clignancourt ,
allant au feu."
Figures en bifcuit de l'Ifle St Denis.
Nouveaux flambeaux de marbre blanc , garnis
de bronze doré au mat , & vafes très - beaux dans
le même genre , ainfi que plufieurs pendules tant
en marbre de Paros , repréfentant un vafe , & orné
de bronze doré au inat , qu'en bronze , repréfentant
, l'une l'Innocence , une autre la Pleureufe
d'oileaux , une autre Apollon & Daphné , & aus
tres fujets , depuis Icoo 1. jufqu'à 2000 !.
-
AVRIL 1775 . 195
I I.
Eau Favorite.
Le fieur Fargeon , Parfumeur du Roi & de la
Cour , a trouvé le fecret d'enlever les taches de
roufleur par le moyen d'un cofmétique appelé
Eau favorite. Aucune tache ne peut réfifter aux
effets admirables de cette eau , fi l'on eft conftant
à s'en fervir ; elle a la propriété d'éclaircir
le teint & de diffiper les dartres farineufes , fans
endommager la dentelure . Le prix eft de 3 1. la
petite bouteille : il donne la maniere de s'en
Lervir.
Plufieurs perfonnes s'étant plaintes à lui de la
perte de leurs cheveux , il a compofé une pommade
à la fleur d'orange , à la moële de boeuf; elle
a l'onctueux de la graifle d'ours , mais en outre
elle a la vertu de fortifier les racines des cheveux :
les mélanges dont elle eft compofée étant reconnus
pour les feuls fpécifiques réels pour leur confervation
, il a pris le parti de les faire entrer dans
toutes les pommades ; le prix eft de 30 f. l'once.
Sa demeure eft rue du Roule , au Cygne des Par
fums.
I I I.
Le Tréfor de la Bouche.
Le fieur Pierre Bocquillon , Marchand Gantier
Parfumeur à Paris , à la Providence , rue St Antoine
, entre l'Eglife de St Louis de MM. de Sainte
Catherine & la rue Percée , vis à - vis celle des
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Ballets , annonce au Public qu'il a été reçu & ap
prouvé à la Commiſſion Royale de Médecine , le
11 Octobre 1773 , pour une liqueur nommée le
véritable tréfor de la bouche , dont il eft le feul
compofiteur. Ses rares vertus la font préférer , en
lui établiſlant une très grande réputation . La propriété
de fa liqueur eft de guérir tous les maux de
dents quelque violens qu'ils puiflent être , de purger
de tout venin , abfcès & ulcères , enfin de
préferver la bouche de tout ce qui peut contribuer
à gâter les dents ; elle les conferve même quoique
gâtées. Cette liqueur a un goût très-agréable.
L'Auteur en reçoit tous les jours de nouveaux
fuffrages par des certificats que lui envoyent fans
ceffe les perfonnes de la premiere diftinction.
L'Auteur à des bouteilles à 101. 51. 3 1. & il 4f.
Il donne la manière de s'en fervir , fignée & paraphée
de fa main ; il met fon nom de baptême & de
fa famille fur l'étiquette des bouteilles , ainfi que
fur le bouchon , marqué de fon cachet , & un tableau
au deffus de fa porte , pour ne pas fe tromper.
Il vend auffi le véritable taffetas d'Angleterre
, propre pour les coupures & brûlures , approuvé
par MM. de la Médecine , le 31 Juillet
1773. L'Auteur prie de lui affranchir le port des
lettres.
a
Le fieur Bocquillon a l'honneur de donner avis
au Public qu'il va établir au premier de Mai
prochain , un Bureau de fa liqueur, nommée le
Tréfor de la Bouche, chez le Sr Bouffu , fon gendre
, Marchand de modes , rue St Honoré , visavis
la petite- porte de la boucherie de Beauvais ,
entre la rue Tirechape & la rue des Bourdonois ,
pour la facilité du Public , à Paris.
AVRIL 1775. 197
I V.
Le fieur Rouffel , demeurant à Paris , rue Jeande
l'Epîne , chez l'Epicier en gros , la porte cochère
à côté du Taillandier , au deuxième appare
tement fur le devant , près de la Grêve , donne
avis au Public qu'il débite , avec permiflion , des
bagues dont la propriété eft de guérir la goutte.
Les perfonnes qui en font fort affligées doivent
porter cette bague avant ou après l'attaque de la
goutte ; en la portant toujours au doigt , elle
préserve d'apoplexie & de paralyfie .
Le prix des bagues montées en or , eft de 36
liv. & celles en argent , de 24.1 .
Le fieur Rouflel coupe les Cors , les guérit avec
un peu d'onguent , & coupe les ongles des pieds .
Le prix des boîtes à douze mouches eft de 3 liv .
Celui des boîtes à fix mouches eft 1 1. 10 f..
Il a une pommade pour les hémorrhoïdes , les
foulage & les guérit .
Les pots de pommade font de 3 liv . & 1 1.
46.
Il a une eau pour guérir les brûlures , approùvée
par M. le Doyen & Préſident de la Commiffion
Royale de Médecine.
Le prix des bouteilles eft de 3 liv . & de 1 1. 4 f
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES .
ON
Du Caire , le 12 Décembre 1774.
N travaille ici , par ordre de la Porte , à
des préparatifs pour une expédition contre le
Chéik Daher. Mehemet Bey a imposé en conféquence
, une taxe de 1800 livres fur chacun des
principaux villages de ce Royaume. On ne croit
pas que l'intention de ce Prince foit de fe mettre
à la tête des troupes qu'il enverra en Syrie.
Il y a apparence qu'il en deftine le commandement
à quelques Beys , qui fe joindront vraifemblablement
à celles que la Porte enverra de
Lon côté.
De Malaga , le 19 Février 1775-
Les Maures ont commencé le 12 de ce mois
le fiége du Pennon de Velez ; & , juſqu'au 17 ,
ils ont jeté dans cette place deux cens trente deux
bombes , qui ont tué un forçat & en ont bleflé
deux autres . Le colonel Don Florent Moreno ,
qui y commande , ayant demandé du fecours
à notre Capitaine Général , celui - ci vient d'ordonner
à un détachement de trois cens hommes
de fe tenir prêt à s'embarquer. Ce détachement
partira auffi tôt que le vent fera devenu favorable.
De Madrid , le 7 Mars 1775 •
On a appris par les derniers avis reçus du
AVRIL. 1775 . 199
Commandant Général de Melille , les particu
larités fuivantes :
Le Roi de Maroc ayant aflemblé le 11 Février
fes Généraux & les Gens de Loi , pour délibérer
avec eux fur le deffein qu'il avoit formé de donner
un aflaut à la Place , tous s'accorderent à
lui faire des repréfentations fi férieufes fur la
témérité de cette entreprite , qu'il confentit enfin
à y renoncer , au grand regret de les troupes ,
qui efpéroient par cette action périlleuse , mettre
fin aux travaux & à la mifere qu'ils éprouvent
dans le camp. Les gens qu'on avoit fait venit
des endroits circonvoifins furent renvoyés immédiatement
après les fêtes de Pâques. L'ennemi
appréhendant que nos vaifleaux ne tentaffent une
defcente , fit élever fur la plage une nouvelle
batterie , & la dirigeant vers la baye , il fortifia
l'artillerie de celle qui eft placée derriere la pointe ,
à l'embouchure de la Rambla. Il ramena au camp
la plus grande partie de fes mortiers , & tout
bombardement cefla le 12 .
De Triefte , le 9 Février 1775 .
On écrit de Venife , en date du 4 de ce mois ,
qu'un navire de cette République s'étant laillé
aborder par une galiote qui avoit pavillon Rufle ;
des Pirates qui la montoient , tuerent le Capitaine
& la plupart des Matelots , & conduifuent enfuite
le navire dans une des îles de l'Archipel , où ils
déchargerent ce qu'il contenoit de plus précieux
; après quoi , ils rendirent à un Pilote &
deux Matelots qui s'étoient cachés , la liberté de
fe retirer , avec leur bâtiment , qui eſt arrivé
heureulement à Venife .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
De Rome, le 15 Février 1775.
Jean-Ange Brafchi , Cardinal-Prêtre du titre
de Saint - Onuphre , né à Cefene , ville de l'Etar
Eccléfiaftique , le 27 Décembre 1717 , Tréforier
Général du Saint Siége avant la promotion au
Cardinalat , arrivée ſous le Pontificat de Clément
XIV , le 26 Avril 1773 , ayant réuni tous les
fuffrages du Sacré Collége , a été élu Pape au
fcrutin de ce matin , & a pris le nom de Pie VI.
Cette nouvelle a été publiée auffi - tôt , luisant
l'ufage , par le Cardinal Alexandre Albani , pre,
mier Cardinal Diacre, & annoncée en même temps
par une décharge de l'artillerie du Château Saint,
Ange , à laquelle toutes les cloches de la ville ont
répondu.
La vacance du Saint Siége a duré quatre mois ,
& vingt-deux jours , & le Conclave quatre mois
& dix jours.
Du 22.
La double cérémonie du facre & du couronnement
du Pape s'eft faite ce matin , avec beau
coup de folennité , dans l'Eglife de Saint Pierre.
Lorque le Cardinal Doyen du Sacré Collège , a
eu mis la tiare ( ur la tête du Souverain fontife
, Sa Sainteté a donné fa bénédiction à un peuple
immenfe , raflemblé dans la place de Saint
Pierre ; & il s'eft fait en même temps une déchar
ge de l'artillerie du Château Saint - Ange. Comme
cette cérémonie fe trouve tomber le jour de la fête
de la Chaire de St Pierre , Sa Sainteté a voulu que,
pour cette année feulement , ce fût fête de précepte
en cette ville.
De la Haye , le 24 Février 1775.
La planete de Saturne a offert aux Aftrono
AVRIL. 1775. 201
mes, dans l'efpace d'environ fept mois , deux
phénomènes intéreflans . Le premier eft la réapparition
de fon anneau , qui ne difparoîtra plus.
que du mois de Juillet dernier en quinze ans.
Le fecond eft l'occultation de fon globe par la
June , obfervée à Utrecht le 18 de ce mois , depuis
heures 28 minutes 57 fecondes du foir
( temps vrai ) , moment de l'immersion , jufqu'à
10 heur. 19 min 26 fec. Cette éclipfe , qu'on
n'avoit point oblervée depuis 1678 , a été vue
également à Paris , & pourra fervir à déterminer
exactement la longitude d'Utrecht. L'occultation
du centre à Paris , eft arrivée à 9 h. 11 m. 1 4 f.
& l'émerfion à 10 h, 11 m. +f.
Les équipemens ordonnés par les Etats- Géné
raux le font avec tant de célérité , qu'outre les
huit frégates de guerre qui doivent croifer actuellement
vers les côtes d'Afrique , la Républi
que fera en état d'en mettre fix autres en mer
avant le mois de Mai . Quelques- uns de ces bâtimens
, dont on portera le nombre à dix - fept
font conftruits fur une nouvelle méthode , qui
change l'ufage & la difpofition des batteries de
canon.
Les lettres les plus récentes de Batavia ne confirment
point les bruits qui avoient couru en
Europe , au fujet de quelques difficultés qu'on
prétendoit avoir été fufcitées aux Hollandois dans
Je Japon; ces lettres font mention de plufieurs
défaltres arrivés dans ces contrées. Une maladie
contagieufe , plus violente que celle qu'on y
éprouva il y a foixante- deux ans , a enlevé en
1773 , plus de fept cens mille hommes dans la
Capitale & dans d'autres Villes. A cette calamisé
lefont jointes des inondations qui ont emporté
202 MERCURE DE FRANCE.
les habitations les plus élevées . Ailleurs , la mer
ayant rompu fes digues , a englouti une Ville
entiere , en fubmergeant tous les environs , c'eſtà-
dire , un très- vafte territoire cultivé & habité.
De Turin , le 19 Février 1775 .
Le mariage du Prince de Piémont avec Madame
Clotilde de France , eft fixé au mois de Septembre
prochain. On dit que la Cour fera cet
été un voyage à Chambéry , où elle attendra
cette Princefle .
De Paris , le 10 Mars 1775.
La cérémonie de la réception au Parlement
du Duc de Coflé , nouveau Gouverneur & Lieutenant-
Général pour le Roi , de la Ville , Prévôté
& Vicomté de Paris , & celle de fon inftallation
à l'Hôtel -de - Ville , fe firent le 4 de ce
mois.
Le 7 de ce mois , Monfeigneur le Comte d'Artois
vint dans cette Capitale , accompagné des
principaux Officiers de fa Maifon. Il fut falué , à
fon arrivée & à fon départ , par le canon de l'Hôtel
Royal des Invalides , par celui de la Ville & par
celui de la Baftille . Le Corps de Ville lui fut préfenté
par le Duc de Coffé , Gouverneur de Paris ,
qui le reçut à l'endroit où étoit anciennement la
Porte appelée de la Conference ; & le fieur de la
Michodière , Confeiller d'État & Prevôt- des- Marchands
, eut l'honneur de le complimenter. Le fieur
le Noir , Maître des Requêtes , & Lieutenant- Général
de Police , s'étoit rendu au même endroit.
Le Prince , en ariyant , monta dans un des carAVRIL.
1775 : 203
roffes de parade qui l'attendoient , & qui furent
remplis par les perfonnes de fa faite. Celui qu'occupoit
le Prince étoit précédé & fuivi de fes Gar-1
des-du-Corps. Le cortége prit le chemin de Notre-
Dame , par le quai des Tuileries , le pont Royal ,
les quais des Théatins & de Conti , le pont Neuf,
le quai des Orfévres , la rue Saint- Louis , le marché
Neuf & la rue Notre - Dame . Arrivé à la Cathé
drale , Monfeigneur le Comte d'Artois fut reçu &
complimenté, à la porte de l'Églife , par l'Archevêque
de Paris , revêtu de fes habits pontificaux &
à la tête des Chanoines. Ce Prince fit fa prière
dans le Choeur , & entendit la Meſſe à la Chapelle
de la Vierge ; après quoi , il fut reconduit avec
les mêmes cérémonies , remonta en carroffe , &
alla à Sainte Génevieve , par la rue Notre-Dame ,
le marché Neuf , la rue Saint-Louis , le quai des
Orfévres , le pont Neuf , le quai des Auguſtins ,
le pont Saint-Michel, la rue de la Bouclerie , les
rues Saint-Severin & Saint-Jacques , le marché &
la place de la nouvelle Eglife . L'Abbé de Sainte-
Genevieve, accompagné des Chanoines Réguliers ,
eut l'honneur de le recevoir & de lui adreffer un
Difcours . Après avoir fait fa prière dans ce te
Eglife , & avoir vu la bibliothèque de la Maifon ,
le Prince fe rendit aux Tuileries , par les rucs
Saint-Thomas , d'Enfer , des Francs- Bourgeois ,
de Tournon , des Quatre-Vents , de la Comédie
Françoife , Dauphine , le pont Neuf , les rues de
la Monnoie , du Roule , Saint-Honoré , Saint-Nicaife
, & la place du Carroufel . Il dîna au Palais
des Tuileries , à une table de quarante couverts .
A une feconde table étoient les Seigneurs à qui ce
Prince avoit fait l'honneur de les inviter . L'après-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
midi , Monfeigneur le Comte d'Artois , ainfi que
les Seigneurs qui l'avoient accompagné , alla à
l'Opéra , par la rue Saint-Nicaife & la rue Saint-
Honoré. Îl vit repréfenter l'Opéra d'Iphigénie. En
fortant de ce fpectacle , il retourna à Verſailles ,
par la rue Saint-Honoré , la rue Royale & la place
de Louis XV . Le Gouverneur de Paris , le Lieutenant-
Général de Police & le Prévôt-des -Marchands
fe font trouvés dans tous les endroirs où le Prince
s'eft arrêté , & où les Gardes Françoifes & Suiffes
étoient fous les armes , ayant leurs Officiers à leur
tête. En allant à Sainte Génevieve , il fut compli
raenté à la porte du Collège de Louis - le -Grand ,
par le Recteur de l'Univerſité à la tête des Quatre
Facultés. Le Peuple , accouru en foule fur fon
paffage , malgré le mauvais temps , lui a donné
par-tout des témoignages éclatans de la joie que
La préfence lui infpiroit.
Jean-Ange Braſchi , comme on l'a déjà annoncé,
eft né à Célène , Ville de la Romagne , le 27 Décembre
1717. Sa Maiſon , l'une des plus nobles .
de cette province , porte dans fes Armes l'Aigle &
les Fleurs de Lys . Ce Pontife , qui eft de la plus
belle repréſentation , a beaucoup d'efprit , de vivacité
& de connoiflances . Benoît XIV , dont il
étoit eſtimé , lui confia plufieurs emplois importans
; & dans tous ceux qu'il a occupés , il
s'eft toujours diftingué par fon défintéreflement
& par fon exactitude . Quoiqu'il n'ait jamais joui
que d'une fortune très -médiocre , il favoit faifir.
à propos les occafions de faire éclater la générofité
de fon coeur & fon goû: pour la magnificence.
A ces rares qualités il joint une piété
folide & éclairée , ainfi que le plus grand éloi
gnement de tout efprit de parti. Tant de vertus
AVRIL. 1775. 205
réunies juftifient l'applaudiffement général qui a
été donné à ſon exaltation.
On mande de Lyon que le 15 Janvier dernier ,
une femme en couche , ayant vainement fouffert
pendant deux jours les douleurs de l'enfantement
, le fieur Faiflolles , Chirurgien du Roi en
cette Ville , qui avoit été appelé auprès d'elle ,
fut obligé de fe fervir du forceps pour fauver
cette femme & fon fruit. A huit heures du foir it
la délivra d'un enfant fans mouvement , fans
pouls , qui avoit le vifage de couleur violette
foncée , & que ce Chirurgien crut mort. Il ordon
na de faire chauffer du vin , & après avoir foigné
la mere , il alla au fecours de l'enfant , auquel on
avoit déjà adminiftré inutilement plufieurs remedes
. Il le plongea dans du vin tiede animé avec
de l'eau - de- vie , & lui fouffla dans la bouche autant
d'air que fes poumons lui en purent fournir.
Dix minutes s'étant écoulées fans fuccès , il infifta
( ur ce traitement en faiſant refpirer à l'enfant
de l'eau de luce & du vinaigre radical , & en le
tenant toujours dans le vin tiede & continuant
les frictions. Environ une demi- heure après , il
fortit de la bouche de cet enfant beaucoup d'eau
écumeule ; on lui fentit quelques légers battemens
de coeurs , & au bout de trois quarts d'heure
il s'annonça lui- même à la mere , par un cri qui
répandit la joie dans toute la famille . C'étoit un
premier enfant après quatre années de mariage. Il
fe porte aujourd hur très-bien , & il eft nourri par
fa mere. Cette méthode pour rappeler les enfans
qui paroiffent avoir été fuffoqués au paffage , a
également réuff plufieurs fois à un Chirurgien
de Paris. Le fieur Portal , dans fon rapport à l'Aca
démie Royale des Sciences fur les fuffoqués , em
206 MERCURE DE FRANCE.
39
33
a auffi parlé de la forte : « Nous dirons ici , ea
paflant , que nous avons foufflé dans la bouche
d'un enfant , qui n'avoit encore donné aucun
figne de vie à peine le fouffle parvint- il dans
» le poumon de cet enfant , qu'on le vit mouvoir
les yeux , & qu'on l'entendit toufler avec
effort ; il rendit par la toux & par le vomiſle-
» ment , des glaires qui remplifoient fes bron-
» ches : & il reípira enfuite avec facilité » .
$
PRESENTATIONS .
La comtefle de Seguin & la baronne de Marfilly
furent présentées le 26 Février , à Leurs Majeftés ,
& à la Famille Royale ; la premiere , par la com
refle de Modene , & la feconde , par la marquife
de Tilly.
Le 1 mars le comte de Mercy , ambaffadeur
extraordinaire de LL . MM . II . préfenta au Roi le
comte de Burgaw , qui prit congé de Sa Majefté
& de la Reine , pour retourner à Vienne .
Le 2 mars la marquife de Lefcure fut préſentée
à Leurs Majestés par Madame Adélaïde , en qua
lité de Dame pour accompagner cetre Princeffe .
Les mars la marquife de Saint Aignan la Fre
maye fut préfentée à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la
Famille Royale , par la marquile de Mailly , dame
du palais de la Reine.
Le duc Charles - Augufte de Saxe Weimar- Eifenach
, & le prince Frédéric- Ferdinand fon frere ,,
qui voyagent fous le nom de comtes d'Alftedt ,
furent préfentés , le 7 Mars , au Roi & à la ReiAVRIL.
1775. 207
me , ainfi qu'à la Famille Royale , par le comte
de Mercy , ambafladeur de LL . MM . II. en cette
Cour.
Le 5 mars le comte de Clermont - Tonnerre , fils
aîné du maréchal de Tonnerre , lieutenant - général
des armées du Roi , & lieutenant - général en
furvivance de la province de Dauphiné , où il
commande en chef, eut l'honneur de faire les remerciemens
au Roi en qualité de commiflaire
nommé Sa Majesté pour accompagner Madame
Clotilde. Il fut préfenté en la même qualité à
la Reine & à la Famille Royale .
par
Le bailli de Saint Simon , ambaffadeur de la
Religion de Malthe , eut , le 14 mars , une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta
à Sa Majefté la lettre de créance . Le fieur
la Live de la Briche , introducteur des ambafladeurs
, le conduifit à cette audience , & à celle de
la Reine & de la Famille Royale ; le fieur de Séqueville
fecrétaire ordinaire du Roi à la conduite
des ambafladeurs , précédoit.
Le Roi ayant nommé maréchaux de France le
duc d'Harcourt , le duc de Noailles , le comte de
Nicolai , le duc de Fitz- James , le comte de
Noailles , le comte de Muy & le duc de Duras , ils
eurent l'honneur , dimanche dernier , 26 mars ,
de faire leurs remerciemens à S. M. , & d'être préfentés
en cette qualité à la Reine & à la Famille
Royale.
Le même jour , la baronne de Montboiffier fur
préfentée à Leurs Majeftés , ainsi qu'à la Famille
Royale , par ia vicomtefle de Montboiffier.
208 MERCURE DE FRANCE.
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre à
Févêque de Rennes .
Sa Majefté a difpofé de l'archevêché d'Arles en
faveur de l'abbé Dulau , agent-général du Clergé
; & de l'évêché de Mariana & Accia , en Corfe,
en faveur de l'évêque de Nebbio . Elle a nommé
ce dernier évêché l'abbé de Santini , vicaire géné❤
rale de Sagone .
Le Roi a difpofé du gouvernement de l'île de
Rhé , vacant par la mort du bailli d'Aulan , en
faveur du chevalier de Chantilly , maréchal -decamp.
-
Le Roi a nommé au commandement de la marine
à Breft le comte d'Orvilliers , chef d'efcadre ,
à la place du comte de Breugnon , qui a demandé
la permiffion de fe démettre de ce commandement.
Le Roi a accordé l'abbaye de Saint Arnoulds
ordre de St Benoît , diocefe & ville de Merz , à
Févêque de Metz ; celle de Bonneval de St Florentin
, même ordre , diocefe de Chartres , à l'évêque
d'Autun ; & celle de St Symphorien , même
ordre , diocefe & ville de Metz , à l'abbé de Polignac
, vicaire général d'Auxerre.
Le 18 mars le comte de Mødene , gentilhamme
de Monfieur , fit les remercimens au Kor pour
le gouvernement du palais du Luxembourg, que
Sa Majesté lui a accordé fus la démillion du masquis
de MarignyAVRIL.
1775. 209
Le fieur Gabriel , premier architecte des bâtimens
du Roi , ayant demandé la retraite , S. M.
a nommé pour le remplacer le fieur Mique , chevalier
de l'ordre du Roi , premie architecte du
feu Roi de Pologne , duc de Lorraine & de Bar ,
intendant & contrôleur des bâtimens de la Reine,
Le Roia bien voulu en même temps , pour récom,
penfer les fervices du fieur Gabriel , lui accorder
le titre de fon premier architecte honoraire , & le
maintient , en ce qualité , dans la place de directeur
de l'académie royale d'architecture .
MARIAGES.
Le Roi & la Reine , ainfi que la Famille Royale,
fignerent , le 26 Février , le contrat de mariage du
Vicomte de St Vallier , maréchal de camp , avec
d. moifelle de Ryante .
Le Roi & la Famille Royale , fignerent , le s
mars , le contrat de mariage du comte de Praffin,
capitaine à la fuite de la cavalerie , avec demoifelle
O Brien de Thomond ; & celui du marquis
de Rennepònt , capitaine de dragons au régiment
de la Reine , avec demo felle Cheftret .
Le 19 mars , Leurs Majeftés , ainfi que la
Famille Royale , fignerent le contrat de mariage
du chevalier de la Tour - du- Pin , brigadier des
armées du Roi , & gentilhomme
d'honneur de
Monſeigneur
le comte d'Artois , avec demoiſelle
Pajor de Juvily . Le Roi a trouvé bon que le chevalier
de la Tour du- Pin portât dorénavant le
nom de vicomte de la Charce.
210 MERCURE DE FRANCE.
NAISSANCE S.
Jeanne Roulot , femme du nommé Milloreau ,
meûnier au moulin de Beaux , paroifle de Saulieu
en Bourgogne , accoucha , le 19 janvier , de trois
garçons , dont deux fe portent très bien ; la mere
en nourrit un elle - même , l'autre eft en nourrice
au Jarnoi , paroiffe d'Aligny ; le troifiene eft mort
le 31 du même mois.
MORTS.
La veuve C. Lacroix eft morte à la Haye , âgée
de plus de 10 ans ; quoiqu'elle n'eût qu'une for
tune très- médiocre , la fanté & la gaité ne l'ont
abandonnée que la veille de fa mort.
Le nommé Jacques Scheraff , né en 1667 au
Petit-Lucelle , canton de Soleure , qu'il quitta en
1679 , pour demeurer avec les parens à Neu .
neich , métairie fituée dans une paroifle de la haute-
Alface , y eft mort le 27 janvier , âgé de 108
ans. Il a confervé jufqu'au dernier moment l'ulage
de tous les fens , & une excellente mémoire ; il
ne fe nourriffoit que de laitage & de pommes de
terre , & n'avoit eu que deux maladies graves ,
l'une à 7 ans & l'autre à 35 ; l'hiver il defcendoit
tous les jours une montagne très - rapide , d'une
lieue de hauteur , pour foigner fes beftiaux , qu'il
étoit obligé d'entretenir dans un village , faute
de fourrage fur cette montagne , où il avoit lon
AVRIL. 1775. 211
habitation , huit mois avant la mott il s'occupoit
encore des travaux très rudes , comme de faucher
& de façonner du bois . Il laifle cinq enfans
& douze petits- enfans , qui font prelque tous au
fervice du Roi,
Pierre-Louis d'Abadie de Cadarcet , chevalier
de l'ordre royal & militaire de Saint - Louis , ancien
maréchal des logis dans la premiere compagnie
des Moufquetaires , ayant le brevet de meftre- decamp,
eft mort le 15 février , en la terre de Cadarcet
, au pays de Foix , dans la 100 année de
fon âge.
Pierre Marie de Combarel du Gibanel de Vernege
, maréchal - de camp , chevalier de l'ordre de
St Louis , & commandeur de celui de St Lazare ,
major des Gendarmes - de- la -Garde , cft mort à
Paris le 28 Février âgé de 78 ans .
Michel , marquis de Vallan , ancien fous - lieutenant
au régiment des Gardes - Françoiles , capitaine
des levrettes de la chambre du Roi , eft
mort à Paris le 4 mars , daus la 69 ° année de fon
âge.
Pierre Laurent Buirette de Belloy , avocat , citoyen
de Calais , & l'un des quarante de l'académie
françoise , cft mort à Paris le s mars , âgé
d'environ 47 ans .
Pierre- André comte de Palmes , colonel d'infanterie
, capitaine de grenadiers au régiment des
Gardes - Françoifes , chevalier de l'ordre royal &
militaire de St Louis , eft mort à Paris le 6 mars
dans la 57 ° année de fon âge.
•
La nommée Marie Labattut , veuve de Jean
Rouge , laboureur , eft morte dans la paroifle
d'Ambrus , diocefe de Condom , à l'âge de 107
212 MERCURE DE FRANCE .
ans . Cette femme le fouvenoit parfaitement des
événemens dont elle avoit été témoin dans fa
jeunefle ; elle n'avoit aucune des infirmités de la
vieilletle , & elle a confervé toute la railon jufqu'au
dernier moment .
Le chevalier de Crenay , brigadier des armées
navales , neveu du chevalier de Crenay , décédé
vice amiral de France , eft mout le 20 février , au
château de Montaigu en Normandie.
eft
Le nommé Martin , laboureur au village de
Lasbolas , paroiffe d'Uflac , en bas Limousin ,
mort le 24 février , âgé de 103 ans.
Louis Roger Franfore de Villers , chef- d'eſcadre
des armées navales de S. M. & chevalier de
l'ordre royal & militaire de St Louis , eſt mort au
Havie- de- Grace , dans la 92 ° année de fon âge
Il fervoir le Roi depuis 75 ans , & avoit eu le
talon emporté par un coup de mitraille , au com.
bat naval qui le donna piès de Malaga Ic 24 Août
1704 .
François-de-Paule-Philogene , marquis de Blan
cheforr , baron d'Afnois ,gouverneur pour le Roi
du pays de Gex , eft mort à Paris le 10 mars , dans
fa 71 année?
N Doat , préfident à mortier au parlement de
Pau , y eft mort le 10 mars , âgé de 86 ans. Il a
confervé jufqu'au dernier moment une tête faine ,
& beaucoup de fagacité & de pénétration pour les
affaires ; il s'étoit toujours montré affidu à rem
plir les fonctions , & il n'y avoit qu'environ trois
fèmaines qu'il avoit ceflé de fuivre le palais . Ce
magiftrat étoit le plus ancien préfident à mortier
du Royaume , étant entré dans cette charge en
3713.
AVRIL. 1775 . 213
Henri-Claude chevalier de Boulainvillier , capitaine
au régiment de cavalerie , comte de la
Marche , eft mort à Paris le 16 mars , dans la 23 °
année de fon âge.
Thadée comte de Tyszkiewicz , grand - notaire
du grand duché de Lithuanie , nommé chevalier
de l'ordre de St Stanillas , eft mort à Paris le 17
mars , dans la 25 année de fon âge.
Jean-Baptifte- Elie Camus de Pontcarré de Viarmes
, confeiller d'état ordinaire & ancien prévôt
des marchands , eft mort à Paris le 22 mars , âgé
de 73 ans.
La nommée Marie - Marguerite St Aubin , men,
diante , eft morte à Mantes -fur- Seine le 21 février
, âgéede ro2 ans ; cette femme , qui aimoit
beaucoup à boire , n'avoit jamais été malade.
LOTERIES.
Le cent foixante-onzième tirage de la Loterie
de l'Hôtel de Ville s'eft fait , le 24 du mois
de Mars , en la manière accoutumée. Le lor de
cinquante mille liv. eft échu au No. 78261. Celui
de vingt mille livres au N° . 7020s , & les deux
de dix mille , aux numéros 63580 & 71455.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le 6 de Mars. Les numéros fortis de
la roue de fortune font 66 , 9 , 7 , 78 , 22. Le
prochain tirage le ferade s Avril.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Epître à M. de Saint - Lambert ,
Dialogue entre Thamas - Kouli-Kan , & la Prin-
PIECES
Jupiter & le Papillon , fable.
ceffe Al ...
Epître à un de mes Amis ,
Bofi , conte ,
Epître à Mlle de P ** .
Elégie de Tibulle ,
ibid.
16
18
29
32
36
38
41 Le Socle & la Statue , fable.
Quatrain pour être mis au bas d'un portrait de
M. l'Archevêque Duc de C **.
Epître à une jeune femme ,
La Profpériré & l'Adverfité , allégorie ,
Vers à Mde de Montanclos ,
L'Ane , le Lion & le Loup , fable.
A Mde Laruette ,
42
44
44
52
55
61
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Air de la Faufle Magie.
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Du miroir ardent d'Archimede ,
La Pologne telle qu'elle a été , telle qu'elle eft ,
& telle qu'elle fera ,
62
64
66
69
ibid.
77
86
$8
83
99
102
Temple de Mémoire ,
Paradoxes par un Citoyen ,
Difcours fur l'éducation ,
Traité complet d'anatomie ,
Difcours prononcés en différentes folennités de
piété ,
AVRIL 1775. 215
L'Homme fenfible ,
Remede nouveau contre les maladies véné-
107
riennes ,
123
Traité élémentaire de géométrie , & c .
124
Lettre & réflexions fur la fureur du jeu ;
ibid.
Euvres complertes d'Alexis Piron ,
137
139
140
141
ibid.
142
ibid.
Vers à ma Parrie ,
Code Ecclefiaftique ,
La vie du Pape Clément XIV ,
Architecture pratique ,
La confolation du Chrétien ,
Le Dentiſte obfervateur ,
Détail des fuccès de l'établiſſement que la ville
de Paris a fait en faveur des perfonnes
noyées ,
Lettre apologétique fur les corvées ,
Lettres & Mémoires à un Magiftrat du Parlement
de Paris ,
Etabliflemens d'hôpitaux pour les enfans trouvés
, en Bretagne ,
Choix de tableaux ,
Pygmalion,
143
ibida
144
ibid.
ibid,
145
Itinéraires des routes les plus fréquentes , ibid.
Recueil d'obfervations pour la guériſon de la
maladie épidémique qui attaque les bêtes à
cornes ,
Inftructions fur la maniere de définfecter les
ibid.
villages ,
ibid.
ACADÉMIES. 147
de Dijon ,
ibid.
de Limoges ,
154
SPECTACLES , Concert Spirituel , Iss
Opéra ,
156
Sur la réception de la Reine à l'Opéra d'Iphigénie
,
158
Comédie Françoife
160
216 MERCURE DE FRANCE.
Comédie Italienne , 161
ARTS , Gravures ,
167
Lettre à M. Lacombe , 173
Sculpture , 176
Géographie ,
1 180
Mufique. 182
Lettre du Roi de Suede à M. de Rofler ,
Letre de M. de Voltaire à M. de la Croix ,
186
187
Anecdotes. 188
AVIS , 193
Nouvelles politiques ,
198
Préfentations , 206
Nominations ,
Mariages ,
Naiẞances,
Morts ,
Loteries ,
208
209
210
ibid.
213
J'AIAI
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
le premier Volume. du Mercure du mois d'Avril
1775 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru
voir en empêcher l'impreſſion.
A Paris , le 31 Avril 1775.
LOUVEL.
de-
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL, 1775 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
2110714
209
Beughe
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilège du Roi.
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les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdo
tes , événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des li
vres , eftampes & pièces de mufique.
>
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
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, 52
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in 8°,broché , il.46
l.
و ا م
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Inftitutions militaires , ou Traité élémentaire
de Tactique , 3 vol. in- 8 ° . br.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in - 8 ° . br .
Fables orientales , par M. Bret , vol, in-
8°. broché ,
I l. 10 f.
3 liv.
La Henriade
de M. de Voltaire
, en vers latins
& françois
, 1772 , in- 8°. br.
21, 106,
Traité
du Rakitis
, ou l'art de redreffer
les
enfans
contrefaits
, in - 8 °. br. avec fig. 41.
Les Mufes
Grecques
, in-8°. br.
11. 16f.
Les Pythiques
de Pindare
, in- 8° . br. 5 liv.
Monumens
érigés
en France
à la gloire
de
Louis
XV, &c. in- fol. avec planches
,
241. rel. en carton ,
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in- 4°. avec figures, rel. en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
121.
31...
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1775 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS AU SOLEIL ,
Surfon retour dans nos climats.
Tu viens , flambeau du jour , d'achever ta carriere
:
Des bords glacés du Groenlan
Jufqu'aux fots indomptés qu'a franchis Magellan
,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Tu viens , dans la nature entiere ,
De lancer , par torrens , tes feux & ta lumiere.
En vain , fous les glaçons , la neige & les frimats ,
Le fougueux aquilon tient l'Europe aftervie ;
Soleil , reprends ton vol , & viens à nos climats
Rendre l'éclat du jour , la chaleur & la vie.
A la fombre horreur des hivers ,
Viens faire fuccéder la féduifante image
Des jours brillans du premier âge ;
Viens , pere des faiſons , ranimer l'Univers.
Aflez & trop long- temps l'Aurore
Ne naît que des plus fombres nuits.
Eft-ce donc du fein des ennuis
Que le plaifir devait éclore ?
Laifle les Hottentots & leurs affreux déferts ;
Viens , avec plus d'ardeur recommencer ta courfe ;
De nos malheurs paflés ferme à jamais la fource ;
Et que tous tes tréfors nous foient fans cefle ouverts.
Qui peut , dans les plages lointaines ,
Attacher déformais tes céleftes regards ?
Pour quelque foible eflai des arts ,
Dans ces régions inhumaines ,
De la férocité que de fanglantes fcenes !
Que d'affreux monumens épars
Des plus terribles phénomenes !
Vois ,fur le Trône des Français ,
AVRIL. 1775 . 7
Un Roi qu'avec refpect tout l'Univers contemple ,
Des plus grandes vertus donner aux Rois l'exemple,
Et compter chaque inſtant
faits .
par de nouveaux bien-
Vois une Princeſſe adorée ,
S'occupant de notre bonheur ,
Préparer aux Français le fpectacle enchanteur
Du fiecle fortuné que vit fleurir Aftrée.
Contemple ces nouveaux Sullis
Que l'augufte héritier du dernier des Henris
Admet à partager les travaux & fa gloire.
Vois- les , fur l'aile des vertus ,
Guidés par ce nouveau Titus ,
Voler au Temple de Mémoire.
Ainfi , ces efprits immortels ,
A qui Dieu confia ſa volonté fuprême ,
Heureux du bonheur de Dieu même
Dont ils verfent fur nous les fecours paternels ,
Ont , parmi les humains , mérité des autels.
Si ta lumiere la plus pure
Put jadis éclairer nos malheurs inouis ;
Plonge- les , Dieu du jour , dans une nuit obſcure :
Échauffe , embellis la nature ;
}
Comble notre bonheur en imitant Louis.
Par M. Morand.
A iv
03
MERCURE DE FRANCE.
To
AU DIEU MERCURE.
or qui fais anoblir tout ce qui t'environne ,
Fidele Meflager des Dieux ,
Mercure , jufqu'au pied du Trône ,
Va porter mon reſpect , mon hommage & mes
voeux .
Par le même.
TYRCIS ET ANNETTE.
Idylle,
Au milieu d'un beau jour , ſous un feuillage
épais ,
A l'abri du foleil , Tircis prenoit le frais.
Inquiet & rêveur , couché fur la verdure ,
Le Berger près de lui voitjune grotte obfcure.
Il regarde ... Il fe leve... Il héfite un moment ...
Enfin il s'y tranfporte , & trouve un lieu charmant.
Là brillent en fecret le lis , l'oeillet , la role ,
Entourés d'un ruiffeau qui coule & les arrofe ;
Leur parfum délicat enchaîne tous les fens ;
De mille oifeaux divers il entend les accens ;
AVRIL. 1775 .
il y remarqu : auffi la trifte tourterelle :
Il la fixe , l'écoute & foupire avec elle.
Quel chant pour un Amant pénétré de douleur !
Il fent , plus il l'écoute , accroître fa langueur.
Il s'ylivre , & bientôt cédant à fes alarmes ,
Le coeur gros de foupirs , les yeux noyés de larmes,
Il confie à ces lieux , témoins de les regrets ,
Le tropjufte motif de fes ennuis fecrets :
Tourterelle , dit- il , plaintive & gémiflante ,
Tu pleures un Amant, moi je pleure une Amante ;
J'étois aimé d'Annette , hélas ! foins fuperflus ,
Mon coeur l'adore encor , le fien ne m'aime plus.
Ah ! qui jamais eût cru qu'elle devînt légere ,
Elle qui paroifloit ne vouloir que me plaire ,
Qui de mon hautbois feul n'écoutoit que lesfons ,
Et ne vouloit jamais chanter que mes chansons.
Annettte , tu me fuis ! dois- je & puis -je le croire?
Toi qui de notre ardeur femblois te faire gloire !
Eft- ce donc là le fruit de ces tendres fermens ,
Qu'Amour nous arrachoit dans ces heureux moniens
,
Où nos deux coeurs , plongés dans une douce
ivrefle ,
Se juroient pour toujours une égale tendrefle ?
Ofunefte départ qui m'éloigna de toi !
Sans lui , j'en fuis certain , j'aurois encor ta foi.
C'étoit donc pen qu'en proie aux tourmens de l'ab
fence ,
Av
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
Je vifle , avec mes pleurs , augmenter ma conf
tance ;
Devois-je encor te voir , pour prix de mon amour,
Au lieu de me chercher , me fuir à mon retour !
D'un changement fi prompt je ne fuis point la
dupe ,
Je fais qu'un autre Amant t'intéreffe & t'occupe.
On m'avoit informé de ta légéreté ;
Et moi , trop prévenu ſur ta fincérité ,
Annette , me difois -je , ofer être parjure !
Annette qui brûloit d'une flamme fi pure ,
Qu'elle m'a fouvent fait un crime d'un regard
Sur d'autres que fur elle , échappé par hafard ;
Annette me quitter ! non cela ne peut être ;
Ce foupçon eft injufte , on doit mieux la connoître...
Dieux! il n'eft que trop vrai... Mais pourquoi
m'attrifter ?
Après fa trahiſon , dois- je la regretter ?
Non , non , n'y penfons plus ; mon coeur tendre
& fincere
Peur afpirer encor à plus d'une Bergere.
Eglé fouvent m'agace & fuit exprès mes pas :
Elle et plus vive qu'elle... oui... mais ne la vaut
pas.
Eh bien ! au lieu d'Eglé , je choifirai Sylvie :-
Elle chante très- bien , fa figure eft jolie ,
J'en conviens... cependant on pourroit trouver
mieux
AVRIL. 1775 :
II
Annette , à mon avis , a de bien plus beaux yeux.
A qui donc recourir ? Je ne vois que Suzette :
Elle eft douce , & d'ailleurs bien plus jeune qu'Annette
;
Oui , je veux m'yfixer... mais ... ce n'eft qu'une en
fant ,
Simple , fans connoiffance & fans raisonnement ;
Au lieu que pour l'efprit Annette eft un prodige,
Quelle perplexité ! tout à l'envi m'afflige ;
Je voudrois fuir Annette ou ne plus y penfer ,
Et de mon fouvenir rien ne peut l'effacer.
C'en eft donc fait ; mon coeur , qui malgré luż
foupire ,
Va traîner en tous lieux le trait qui le déchire,
Non , c'en eft trop , Amour , Dieu cruel , laiffemoi
,
Je ne veux plus aimer , j'ai trop vécu pour toi ;
Laiffe-moi déformais , dans une paix profonde ,
Oublier , s'il le peut , qu'Annette foit au monde s
Le trépas , maintenant , eft mon unique eſpoir ;
Je l'attends de fes yeux & de mon déſeſpoir...
Non , tu ne mourras point , Tircis , s'écrie Am
nette ".
En fortant tout- à-coup d'une fombre cachette ,
Un coeur auffi conftant mérite un autre fort :
J'ai voulu t'éprouver , pardonne fi j'ai tort ;
Je connois' , cher Tircis , l'excès de ta tendreffe ;
Vivons , Berger , vivons pour nous aimer fans
cefle ;
A vj
12 MERCURE
DE FRANCE
.
Partage mes loisirs , partage mes travaux ;
Le jour , occupons - nous du foin de nos troupeaux,
Le foir , quand le foleil précipité dans l'onde ,
Viendra rendre la nuit & la fraîcheur au monde ,
Annette , libre alors de tout foin étranger ,
N'aura plus que celui d'être avec fon Berger ;
Tous les deux , retirés dans cette grotte obfcure ,
Ignorés tous les deux de toute la nature
Nous viendrons , loin des yeux de tes rivaux jaloux
,
Livrer nos tendres coeurs aux ttanſports les plus
doux.
Tu charmeras ce lieu des fons de ta mufette :
Je chanterai Tircis , tu chanteras Annette ,
Quelque fois tour- à- tour , fouvent à l'uniflon ;
Et lorfque tu feras pour moi quelque chanſon ,
Un baifer fur le champ deviendra ton falaire.
Qu'il eft doux à ce prix de chanter ma Bergere,
Képond Tircis charmé ; je jure ici ma foi
De n'aimer ni chanter d'autre Belle que toi.
Goûtons bien ce beau jour que l'Amour nous envoie
;
Quel jour ! je ne crains plus que de mourir de joie.
Par M. D ***, de Beaune.
AVRIL. 1775. 13
VERS à M. le Marquis de Miroménil ,
Garde- des- Sceaux de France , faifane
les fonctions de Chancelier.
Du vaifleau de l'Etat bouffole invariable ,
Sage Miroménil , ton génie équitable ,
Par ton coeur dirigé vers le point de l'honneur ,
Marque la route sûre au port du vrai bonheur.
Le favoir du Pilote éclate en fa prudence :
Affis au gouvernail , dont il fent l'importance ,
Le choix de fa bouffole & de fes matelots ,
Fait triompherfon art & des vents , & des flots.
Au milieu des écueils , au plus fort de l'orage ,
Sous de tels conducteurs on craint peu le naufrage
Par M. le Chevalier de Berainville , en luž
préfentantfon médaillon allégorique fur le
retour du Parlement , dans lequel la Ville
de Paris eftfous l'emblême d'un vaiffeauau
milieu d'une mer agitée.
14 MERCURE DE FRANCE .
EPITRE à Madame *** , fur fon
mariage.
C'EN eft fait , pour jamais , vertueuſe Sophie ,
A l'objet de tes voeux le ciel enfin te lie :
Tu
Un oui , ce mot fi court , & fouvent fi fatal ,
Ce port , ou cet écueil de l'amour conjugal ,
Ce mot , pour toi fi doux , & que d'une voix sûre
prononças ; fans doute , a fcellé de ton coeur
Et les purs fentimens , & l'éternel bonheur.
Eh! qu'avois- tu beſoin qu'un ennuyeux Notaire
De ton engagement dreffât le formulaire ?
Un luftre de conftance avoit fixé ton choix ,
Uu luftre de foupirs le confirma cent fois.
L'Amour , dont le flambeau s'allume dans les larmes
,
Eprouvant ton ardeur , ajoutoit à tes charmes :
Chaquejour ton Amant , bleflé de nouveau traits ,
Trouvoit dans l'avenir de féduifans attraits ;
Et , jaloux de fes droits , de vos coeurs , Hymenée
Au livre des époux marqua la deftinée.
Déjà s'eft écoulé le plus beau de tes jours :
Déjà les Ris , les Jeux , les folâtres Amours ,
Miniftres empreflés de ton ardente flamme ,
D'une volupté pure ont pénétré ton âme.
Déjà le nom d'Epoux fuccede au nom d'Amant
AVRIL. 1775. 15
Et l'ardeur du defir fait place au ſentiment.
Les Plaifirs , dont jadis l'honneur t'eût fait un
crime,
Sont pour toi déformais un devoir légitime ,
Et le tribut d'Hymen , dont tu chéris la loi ,
De ton fidele Epoux t'aflurera la foi.
Ajoutant chaque jour aux délices d'un pere ,
Tu doubleras le fit d'une trame fi chere ;
Et le ciel béniffant tes vertus tes travaux ,
·
Remplira ta maiſon , de petits commençaux ,
Qui t'offrant au printemps les doux fruits de Po
mone ,
Couronneront de fleurs les jours de ton automne.
Par le même.
Traduction de l'Ode d'Horace : Donec
QUAND
gratus eram tibi.
HORACE.
des jeunes Amans qui te donnoient leur
foi
J'étois le plus chéri , trop aimable Lidie ,
Hélas ! difois je , aux Rois je porte peu d'envie
Tout fortunés qu'ils font , ils le font moins que
moi.
16 MERCURE DE FRANCE.
LIDIE.
Quand Lidie à tes yeux n'avoit point de rivale ,
Quand , reine de ton coeur , j'en allumois les feux ,
Fiere d'un don fi cher , je doutois qu'en ces lieux ,
Parmi tant de beautés , Lidie eût fon égale .
HORAC E.
Chloé fait m'engager dans de nouveaux liens .
Son luth eft fi touchant & fa voix eft fì belle ! ..
Je ne demande aux Dieux que de mourir pour elle ,
Si du prix de mes jours je rachette les fiens.
LIDIE.
Je fens pour Calais une flamme éternelle .
Je fuis le feul objet de les tendres amours.
Je mourrois mille fois , fi la Parque cruelle
Confentoit à ce prix d'épargner les beaux jours.
HORAC E.
Mais , quoi ! fi rappelant ma premiere tendreffe ,
Dans d'éternels liens j'allois me réunir ;
Si de mon coeur Chloé cefloit d'être maîtrefle ,
Et qu'à Lidie encor il voulût le rouvrir?
LIDIE.
Calaïs eft plus beau que le plus beau jour même ,
AVRIL 1775 .
1 %
Et toi plus agité que les flots en courroux ; =
Mais Lidie eût encor fait fon bonheur fuprême
De vivre & de mourrir en des liens fi doux .
A Aix. Par M. d'Hermite de
Maillanne.
LE BARBET & LE DOGUE.
n
39
Fable imitée de l'Allemand.
BON Bon Dieu ! comme en ce pays
Notre race dégénère !
Que les chiens y font petits !
Les plus foibles ennemis
» Doivent braver leur colere.
Dans le pays des Hurons ,
33 (Je fuivois mon maître Charle )
»J'en ai vu , moi qui vous parle ,
Se jouer à des Lions .
A des Lions ! quel courage !
» Je les ai vu ; c'eſt un fait »
Ainfi parloit un Barbet ,
Tout frais venu d'un voyage.
«Ce récit cft bel & bon ,
»Dit un Dogue d'Angleterre ;
» Mais forcent-ils le Lion
A mordre enfin la pouffiere ?-
18 MERCURE DE FRANCE .
»Je n'en fais rien. - Pourquoi donc
» Tant prôner une chimere ?
»Mais attaquer un Lion ! -
L'attaquer & le défaire ,
-
Ce font deux. Mais cependant ...-
» Cependant rien n'eft moins fage :
» Ces chiens , que tu vantes tant
N'ont que l'orgueil en partage ;
C'eft un fait bien atteſté ,
20 Bien prouvé témérité , :
>
» Comme on dit , n'eft pas courage ».
Par M. Willemain d'Abancourt.
L'HOMME , LE LION & LE Tigre .
SUR
Fable imitée de l'Allemand.
UR les côtes d'Afrique errant à l'aventure ;
Sans guide , fans fecours , luttant contre la mort ,
Un voyageur , dans une nuit obſcure ,
Attendoit que le ciel décidât de fon fort..
Le bruit des flots , qui baignent ces rivages ,
Les hurlemens des animaux fauvages ,
Tout dans fon fein porte une jufte horreur.
Le jour renaît ; & , loin de le rendre à la vie ,
Le jour encore ajoute à ſa terreur.
AVRIL. 1775 . 19
Des fombres bois de la Mauritanie ;
S'élance avec furie ;
Un Tigre qu'un Lion pourfuit avec ardeur. '
Pour cet infortuné quelle horrible détrefle !
Le Tigre l'apperçoit , redouble de vîteffe ,
L'atteint & fond fur lui . Tout faifi de frayeur ,
Le pauvre Voyageur
Chancelle , & le défend avec fi peu d'adreffe ;
Qu'il va bientôt du Tigre affouvir la fureur.
Deftin cruel ! fort affreux !.. Mais la chance
Tourne auffi - tôt : voyant ce combat inégal ,
Le Lion fierement s'avance ;
Hériflé , l'oeil ardent , fur le Tigre il s'élance ,
L'étrangle ; & loin de fuivre fa vengeance ,
Laiflant aller le Voyageur fans mal ,
Apprends , lui cria- t- il , que la reconnoiffance
» Parmi les animaux eft un devoir facré ;
50
"
Autrefois à la mort j'allois être livré ,
Lorsqu'un de tes pareils m'aflura l'existence.
» C'eſt à lui feul que j'ai dû le bonheur
כ כ
D'échapper à la vigilance
» De mon barbare & perfide opprefleur.
» J'ai faim ; mais ne crains rien : va ,
30
ל כ
≫ noiffance
la recon
»En ce moment l'emporte dans mon coeur.
J'apperçois un vaiſleau ; retourne en ta patrie,
Et lorfqu'à ta famille étonnée , attendrie
Turaconteras ton malheur ,
$10 MERCURE DE FRANCE
» Souviens- toi bien , pour ton honneur ,
» Que ce fut un Lion qui te fauva la vie » .
Par le même.
C
LE BONHEUR INTERROMPU.
Il y a quelques jours , Meſdames , qu'en
revenant chez moi , je palai par la plai
ne de Frontenen ; il faifoit prefque nuit ;
j'entendis tout-à coup des foupirs & des
gémiflemens. Il eft naturel de fecourir
les malheureux. J'approchai de l'endroit
d'où partoit ce que je venois d'entendre :
je vis , autant que l'obfcurité put me le
permettre , un homme affis au pied d'un
arbre , la tête appuyée dans fes mains ,
& qui donnoit les plus grandes marques
de défefpoir ; il étoit affez bien mis , & ,
à fa figure , je jugeai qu'il n'étoit pas un
homme du commun ; il ne prenoit pas
garde à moi , & il répétoit toujours : Que
je fuis malheureux ! que mon fort eft
affreux ! Je lui offris mes fecours , & il
ne répondit que par des plaintes amères .
Je lui demandai la caufe de fon état '; s'il
étoit bleffé ; s'il avoit été attaqué par des
voleurs ; s'il avoit perdu fa fortune , fes
AVRIL. 1775 . 21
---
parens , fes amis ; fi l'injustice des hommes
l'avoit couvert de quelque opprobre
; à chaque fois il me répondoit : qu'il
feroit heureux s'il n'avoit que cela à regretter.
Monfieur , lui dis-je , la confiance
foulage les maux , quelle peut - être la
caufe des vôtres ? Tout ce qui dépend de
moi... Ah ! Monfieur , me dit-il , la vie
m'eft infupportable , je fuis le plus infortuné
des hommes , j'ai perdu un ruban ,
Un ruban ? Oui , Monfieur , un
ruban , un ruban couleur de rofe & vert :
il m'étoit plus précieux que la vie ; elle
Y étoit attachée ; je l'ai perdu ici , & fi
je ne le retrouve pas , j'efpère que la
mort... Les pleurs & les fanglots étouffèrent
fes paroles ; mon premier mouve
ment fut de juger fort mal de la raifon
de cet inconnu : mais il étoit malheureux ;
quelle qu'en fût la caufe , il méritoit ma
pitié , & je m'efforçai de le confoler. Je
l'affurai qu'il feroit poffible de trouver à
la ville des rubans couleur de rofe &
vert ; je lui promis d'en chercher chez
toutes les marchandes de mode , & je lui
propofai de fe laiffer conduire chez moi ;
il y confentit avec quelques peines, & fans
faire aucune trève à ſa douleur. Je lui par
lois peu; je vis qu'il ne falloit pas chers
22 MERCURE DE FRANCE.
cher à le diftraire . On fervit le fouper ;
fon affliction ne l'empêcha pas de boire
plufieurs coups de vin , & de manger les
deux tiers du fouper d'affez bon appetit.
Au deffert , il me dit : l'honnêteté eſt
peinte fur votre phyfionomie ; vous infpirez
la confiance , voulez -vous écouter
mon hiſtoire. Je lui dis qu'il m'intéreſfoit
, & que je ne demandois pas mieux
que de favoir en quoi je pourrois lui
rendre fervice. Pour n'être pas long , continua-
t-il , je ne commencerai que depuis
ma naiffance. Je m'appelle Mifis ;
Mifis , dis- je ; je ne connois point ce
nom là à Genève. Vous êtes un nouvel
habitant , ou tout- à- fait étranger Eh !
qu'importe , d'où je fois , reprit - il ; les
malheureux ne font - ils pas de tous les
pays ? Je ne l'ai cependant pas toujours
été ; & fi je le fuis aujourd'hui , ce n'eſt
la faute de la fortune. Je fuis né riche,
& de parens , qui , toute leur vie , fe font
difputés fur la vocation que je devois embraffer.
Mon père vouloit que j'entraffe
au fervice ; ma mère , que je priffe le parti
de la robe : les bonnes gens moururent
fans avoir rien décidé , me laiſsèrent leur
indécifion & affez de fortune . Je crus ne
pouvoir mieux employer ma liberté ,
pas
―
AVRIL.
1775. 23
qu'en apprenant à connoître le monde en
voyeagant, & je voulus commencer par
ma patrie. Je fis mes apprêts , & j'allois
monter dans ma chaife de pofte , lorfqu'elle
fut accrochée pas un caroffe qui
alloit affez vite. Ces deux voitures fe fracafsèrent
; je n'étois pas dans la mienne
& je pus donner des fecours à l'autre , qui
étoit dans l'état le plus déplorable. Trois
femmes en fortirent avec peine . La politeffe
m'ordonnoit de leur offrir des foufagemens.
Elles les acceptèrent . Je différai
mon voyage , & je les reçus chez moi.
Quand elles furent un peu remiſes de
leur frayeur , je leur témoignai la part
que je prenois à ce qui leur étoit arrivé ,
& je les priai d'accepter tout ce qui dépendroit
de moi. La mère , car il
avoit une , me raconta que fa fille , qui
devoit prendre le voile & faire fes voeux
le lendemain , venoit de voir, pour la dernière
fois , fon grand père , qui la dotoit
pour le couvent ; & elle témoigna la plus
grande crainte que cet accident n'apportât
quelque retard à cette cérémonie , à
laquelle elle paroiffoit fort attachée . Tout
ce qu'elle me dit là -deffus commença déjà
à m'intéreffer pour fa fille ; je paffai auprès
de fon lit : elle étoit la plus malade,
y en
14 MERCURE DE FRANCE.
·
elle avoit une très forte contufion à la
tête. Oh ! que je fus frappé en voyant la
plus belle perfonne du monde ! Raphaël
& le Corrège , en peignant leurs vierges,
n'ont pas raffemblé plus d'attraits , plus
de grâces , plus de nobleffe , plus de candeur
; jamais il n'y eut autant de beautés
réunies les linges qui lui enveloppoient
la tête , ajoutoient encore à fes charmes.
-Je comprends , Monfieur , lui dis - je ,
elle reffembloit une Vierge en peinture ,
& fans doute que vous en devîntes amoureux.
Vous n'avez peut - être jamais eu
de paffion , me dit -il. Pardonnez - moi
répondis- je je me mets quelquefois en
en colère. Enfin , Monfieur , continuatil
, je ne fais dans ce moment ce que je
devins ; tout ce que j'éprouvai ne peut
point fe décrite : il s'éleva dans mon ame
des fentimens qui m'étoient inconnus .
Quand je fus un peu remis , je dis ce que
je pus .
Dans la converfation , elle m'apprit
que fa mère lui avoit perfuadé de
fe faire religieufe pour fon bonheur , &
pour laiffer toute la fortune de la famille
à un frère que l'on aimoit beaucoup plus
qu'elle. Je ne vous ferai point le détail
de tout ce qui fe paffa entre nous ; je vous
dirai feulement qu'à force de peines , de
foins
AVRIL. 1775. 25
foins & d'affiduités , je me fis préférer au
couvent , & par la mère , & par la fille ;
au moins à ce qu'il paroiffoit , par une
fuite de circonflances : elles étoient même
reſtées chez moi ; le mariage étoit
fixé à peu de jours ; je me croyois le
plus heureux des hommes. Je fortis un
matin pour faire quelques emplettes : des
affaires m'entraînèrent ; je ne rentrai que
le foir , affez tard. Quel fut mon étonnement
, Monfieur , de trouver , à mon retour
, l'appartement parfaitement défert
tout avoit difparu . J'eus beau
queftionner , demander , m'informer ;
je ne pus rien apprendre de perfonne
; mes recherches furent inutiles ;"
tout fut perdu pour moi . Au milieu de
ma peine & de mon défefpoir , je reçus
un petit paquet , dans lequel il y avoit
un billet & un ruban . Il ne m'a pas éré
difficile de retenir ce qu'il y avoit d'écrit;
il ne contenoit que ces mots : Je vous aimerai
toujours ; je vous fuis attachée pour
la vie ; que ce ruban en foit le gage , tant
que vous me ferezfidèle . Ce billet me rendit
un peu de calme ; je le baifai mille
fois , & je mis le ruban for mon feis .
Les larmes & les foupirs interrompirent
ici fon récit un moment. Je fis encore
II. Vol. B
20 MERCURE DE FRANCE.
des perquifitions , continua -t - il ; je fus
long temps dans l'efpérance d'apprendre long -temps
quelque chofe : tout fut inutile. Je me
déterminai enfin à reprendre mon premier
projet de voyage , & je partis . Je
parcourus plufieurs provinces. Au bout
de quatre mois , j'arrivai à Bordeaux . J'y
entendis parler par- tout de la belle Elmire;
on ne s'entretenoit que de fa beauté
, que de fes grâces , que de fes talens ;
elle occupoit tout le monde ; elle réuniffoit
toutes les attentions . La curiofité me
fit chercher les occafions de la voir , &
je me rendis dans une affemblée où elle
devoit être. Quelle fut ma furpriſe en reconnoiffant
parfaitement ma chère Elmire
, que j'adorois , que je devois époufer
, & qui m'avoit été enlevée ! Mon
trouble & mon embarras furent extrêmes,
Je pris le parti de ne point me faire connoître
d'abord ; je me cachai dans la foule
. Si elle eft infidèle , difois - je , pourquoi
lui donner le plaifir de me l'apprendre ,
& de jouir à mes yeux de quelque nouveau
triomphe, Il devoit y avoir un grand
bal mafqué le lendemain ; je réfolus de
mettre mon ruban en écharpe par- deffus
mon domino. Si je fuis oublié , difois je
encore , elle n'y prendra pas garde ; fi
AVRIL. 1775 .
27
elle m'aime toujours , elle trouvera quelque
façon de le faire connoître . Je n'eus
pas été un moment dans la falle du bal ,
que , près de moi , un mafque tomba en
fyncope. A la quantité de flacons qui for
tirent , à l'empreffement de tout le monde
, je jugeai que c'étoit Elmire , que le
ruban avoit frappée. Je fendis la preffe ,
je m'approchai ; elle revenoit à elle . Que
dois je efpérer , lui dis - je à demi - voix , en
luiferrant la main avec tranſport . Que vous
êtes aimé, me dit- elle , mais fuyez- moi dans
ce moment, & bientôt vous me rejoindrez .
Des marques l'entraînèrent ; je crus reconnoître
fa mère ; je ne perdis pas Elmire
de vue . Dès que je la vis un peu féparée
de la cohue , je l'abordai ; & , après
l'affurance de nos fentimens réciproques,
elle me dit rapidement que fa mère avoit
été perfuadée par fon frère , de ne point ,
nous laiffer marier ; que,puifqu'elle n'entroit
pas au couvent , il falloit tâcher de
la marier à la Cour ; qu'un très - grand
Seigneur l'avoit vue , & l'avoit trouvée
très- belle ; que là - deflus , il avoit établi
des projets de fortune , & que , de concert
avec la mère , il avoit réfola de l'en-
\ lever . Elle m'aflura qu'elle s'étoit vivement
oppofée à leurs deffeins ; qu'elle
Bij
28. MERCURE DE FRANCE .
leur avoit juré mille fois qu'elle n'auroit
jamais d'autre époux que moi ; & que
voyant qu'ils ne pouvoient rien obtenir
d'elle , ils avoient pris le parti de la faire
voyager , pour la dépayfer , & pour lui
ôter les folies qu'elle avoit par la tête.
C'est ainsi , continua - t- elle , qu'ils appellent
la paffion que j'ai pour vous . Venez
demain à midi à notre demeure ; je tenterai
tout auprès de ma mère pour la flé- ;
chir ; vous m'aiderez. Nous nous féparâmes
, de peur d'être remarqués . Je fus
le lendemain chez Elmire . Dès qu'elle
ra'apperçut , elle vint au-devant de moi ,
me prit par la main , & me conduifit à fa
mère . Elle lui jura qu'elle mourroit ou
qu'elle feroit unie à moi . Je me jetai à
fes pieds , & , par nos prières , nous obrînmes
une feconde fois fon confentement.
Le frère d'Elmire , après quelques réliftances
, donna aufli le fien . Pour éviter
de nouveaux malheurs , j'obtins que la
cérémonie de notre mariage feroit fixée
au lendemain , & je pris toutes les mefures
en conféquence. Pour peu que vous
foyez fenfible , Monfieur , vous pouvez
juger de tout ce qui fe paffoit dans mon
ame. Ce jour que je regardois comme le
plus fortuné de ma vie , arrive ; tout eft
AVRIL. 1775 . 29
prêt ; je fuis au comble de la joie ; je
donne la main à Elmire pour monter en
voiture ; dans l'inftant , je reçois un ordre
du Gouverneur de la Province de me
rendre chez lui . J'eus beau repréſenter
qu'un homme qui va fe marier ne peut
recevoir d'ordre de perfonne ; on me dit
qu'il n'y avoit pas un moment à perdre :
il fallut tout renvoyer , & aller. Le Gouverneur
me dit qu'il avoit des avis certains
que j'étois en intelligence & en
correfpondance avec les Anglois ; qu'il
étoit obligé de s'affuter de moi , & que
je devois me rendre à la citadelle . Mes
repréſentations furent inutiles. On me
dit que tout feroit vérifié dans 24 heures
, & que je ferois libre , fi j'étois innocent.
On me permit d'écrire un mot à
Elmire. Je me rappelai qu'elle m'avoit
dit que nous devions nous défier de fon
frère , & mes foupçons ne purent tomber
que fur lui. Il n'y a jamais eu de temps
plus long que ces 24 heures : elles me
parurent un fiècle , & encore furent- elles
prolongées de plufieurs autres. Enfin je
fortis ; je volai chez Elmire . Ah ! Monfieur
, que mon impatience fut trompée :
je ne retrouvai perſonne ; tout avoit fui ,
tout avoit difparu , comme la première
B iij
30
MERCURE DE FRANCE.
fois. La foudre m'auroit moins frappé ;
le défefpoir me fit faire cent folies ; enfin
je courus à la poſte . On me dit que deux
femmes avoient fait prendre des chevaux
; j'en pris auffi , & je courus après.
Au bout de deux jours , je rattrapai une
chaife , que j'aurois mife en pièces, quand
je vis que ces deux femmes qui étoient
dedans m'étoient abfolument inconnues.
Je revins fans pouvoir découvrir aucune
trace d'Elmire . On parla beaucoup de notre
mariage , de ma détention , de fon
départ. Les femmes, qui n'en étoient pas
fâchées , firent cent conjectures confolantes
pour elles ; mais perfonne ne fçut ce
qu'elle étoit devenue. Il me reftoit mon
défefpoir & mon ruban . Avec ce trife
équipage , je continuai mon voyage . Je
reftai long - temps en Languedoc & en
Provence , & au bout de fix mois j'arri
vai à Lyon , toujours trifte , toujours dé
fefpérant de revoir Elmire : l'ennui & le
chagrin me fuivoient par -tout . J'allai un
jour à la comédie . Au moment où j'entrai
au parterre , tous ceux qui y étoient , difoient
: la voilà , la voilà. Tous les yeux ,
toutes les lorgnettes étoient tournées fur
la même loge ; j'y portai aufli les miens .
C'étoit Elmire , qui attiroit tous les re
AVRIL. 1775 .
gards par fa beauté . Je fuis un peu fujet
à l'étonnement , mais ici mon émotion
fut égale à celui que j'éprouvai ; mon premiet
mouvement fut de voler vers elle ',
& de ne pas la quitter un inftant , que les
noeuds qui devoient nous unir ne fullent
formés pour toujours : je préférai cependant
de ne point faire d'éclat au ſpectacle.
Je fus où elle logeoit , je lui écrivis
ces mots : Elmire , je fuis près de vous ,
dois - je mourir ou vivre ; & j'y joignis un
petit morceau de ruban . Elle me répondit
qu'il y avoit bien long- temps qu'elle
défefpéroit de me retrouver ; qu'elle avoit
tout tenté pour avoir de mes nouvelles , &
me donner des fiennes ; que fa mère & fon
frère l'avoient cruellement éloignéedemoi
à Bordeaux ; qu'on l'avoit fait monter en
chaife , fous prétexte d'aller me voit dans
le lieu de ma prifon , & qu'on l'avoit
conduite à Paris , fans qu'elle pût s'en défendre.
Elle ajoutoit qu'elle étoit à Lyon
depuis quelques jours , pour des affaires
de famille , & pour le mariage de fon
frère , qui vouloit toujours traverfer le
nôtre ; qué , dans ce moment , elle prenoit
le parti de s'échapper le lendemain
matin , de fe jeter dans le couvent des
Urfulines , & de n'en fortir que pour me
Biv
32. MERCURE DE FRANCE.
fuivre aux Autels . Heureux de retrouver
Elmire fidèle , je ne penfai qu'à éloignet
tous les obftacles qui pourroient nous
traverfer encore : je pris toutes les mefures
poffibles , & je me rendis au couvent
à l'heure où je jugeai qu'elle pouvoit y
être je la trouvai en effet. Si vous ne
comprenez pas tout ce que doivent fe
dire deux amans malheureux , & qui fe
revoient, il eft inutile que je vous en faſſe
le détail nous convînmes que le lende- :
main nous ferions bénir notre mariage
dans la chapelle du couvent. Nous avions
le confentement de fa mère ; elle devoit
même être repartie après que fa fille lui
eut communiqué fes intentions pour le
couvent ; rien ne devoit plus nous arrêter.
Serai je encore malheureux , difoisje
? Quel nouveau démon s'oppofera encore
à ma félicité ? Je tremblois , mais
j'efpérois cependant que rien ne pourroit
troubler mon fort . Enfin le moment
arrive ; je vais au parloir ; j'y trouve
Elmire ; elle étoit avec la Supérieure
& une perfionnaire . Je croyois avoir tout
prévu , paré à tout ; le Prêtre nous attend,
je conduis Elmire , nous allons à l'Autel ;
enfin , difois je tout bas : je fuis heureux ,
tous mes maux font finis. On commence
AVRIL. 1775. 33
l'Office. A peine le Prêtre avoit - il die
quelques mots , qu'il s'élève une voix
dans l'Eglife qui dit : il eft Huguenot.
On y fit d'abord peu d'attention , & j'étois
bien éloigné de croire que cela me regardoit.
Le bruit augmente peu- à- peu ;
tout ce qui étoit là de peuple crioit : il
eft Huguenot , il eft Proteftant . Alors le
Prêtre me demande s'il eft vrai que je
fuis de la Religion Réformée . Je lui fis
tous les fermens que j'étois bon Catholi-
* que , & que je lui en donnerois toutes les
preuves qu'il voudroit . On s'obſtina à
crier que j'étois Proteftant ; & un homme
même s'avança , & affura qu'il me
connoiffoit bien , & que j'étois Huguenot .
Le Prêtre ne voulut pas continuer la cérémonie
; il dit que la crainte de commettre
un facrilege valoit bien la peine.
de renvoyer de quelques heures ; que j'étois
étranger , & qu'il falloit un nouveau
billet de l'Archevêque , ou au moins de
quelqu'Eccléfiaftique connu . Mais, Monfieur
, lui dis- je , en l'interrompant , pourquoi
, vouloir toujours époufer la même
femme. Ah ! me répondit il , vous ne
connoiffez pas Elmire : il n'y a qu'une
femme au monde , & c'eft elle. Je ne pus
rien gagner, ni par menace ni par pro-
B
34 MERCURE DE FRANCE.
meffe : il fallut rentrer au couvent . I
étoit bien aife de lever ce nouvel obftacle
; mais il falloit renvoyer de quelques
heures , & cette feule idée me mettoit au
défefpoir tout ce qui m'étoit arrivé me
donnoit un preffentiment de ce qui pouvoit
m'arriver encore , & de ce qui m'arriva
en effer. Je portai mes plaintes ,j'obtins
tout ce que je voulus . Hélas ! Monfieur,
quandje revins le foir au couvent , El
mire n'y étoit plus mille morts m'auroient
été moins affreufes . On me dit que , par
un ordre , elle devoit être transférée dans
un autre couvent , & que pour cela elle
étoit partie tout de fuite dans une chaife
de pofte , accompagnée de deux gardes.
Je foupçonnois tout du fière d'Elmire ;
mais je ne concevois pas que depuis qu'el
le étoit aux Urfulines , on eût pu obtenir
cet ordre . Sans m'amufer aux réflexions
& aux poffibilités , je pris des chevaux &
je fuivis fes traces. J'eus bientôt atteint
la voiture qui la conduifoir ; mais les
gardes ne voulurent pas me laiffer approcher
; rien ne put les tenter ; ils ne vou-
Jurent même entrer dans aucune explication
; & quand ils virent que je pourrois
en venir à quelque violence , l'un fe jeta
fur mon épée , & me l'arracha , & l'autre
AVRIL. 1775 . 35
coupa les fangles de mon cheval ; & au
même instant ils doublèrent le pas , &
s'éloignèrent , en me difant que j'étois
bien heureux d'être traité fi doucement.
Si on pouvoit s'ôter la vie avec un fouet
de pofte , qui étoit tout ce qui me reftoit,
je n'exifterois fûrement plus. Je retournai
comme je pus à Lyon ; j'y reftai longtemps
dans l'efpérance d'apprendre ou de
recevoir quelques nouvelles ; enfin , après
avoir attendu plufieurs mois inutilement ,
j'en repartis pour continuer mon voyage .
Genève eft un pays trop intéreſſant pour
être négligé par un voyageur un peu curieux
. Il y a plufieurs jours que j'y fuis , &
aujourd'hui j'étois allé promener dans
l'endroit où vous m'avez trouvé , j'y rêvois
à mes malheurs , à Elmire ; je tenois
ce ruban , que je chéris , & qui étoit tout
ce qui me reftoit de mes efpérances , lorfque
j'ai cru voir Elmire dans un caroffe
qui alloit très vite . L'eſpoir m'a donné
des ailes ; j'ai couru pour m'en affurer :
mais je n'ai pu atteindre la voiture , & le
ruban m'eft échappé ; je l'ai perdu , & je
l'ai cherché inutilement pendant cinq
heures. Je fuis né pour le malheur ; tout
me fuit ; tout s'accorde pour me tourmenter;
je n'ai plus qu'à mourir . Les
·
B vj
36
MERCURE
DE
FRANCE
. fanglots l'empêchèrent d'en dire davantage.
Je le confolai autant qu'il me fut
poffible ; je lui repréfentai que quand même
le bonheur & les femmes échappoient
quelquefois , il y avoit encore des reffources
. Je lui promis de faire d'abord les
plus grandes perquifitions pour découvrir
Elmire ; je lui dis qu'il y avoit une espèce
de café à la cuifine * , où s'affembloit trèsbonne
compagnie ; qu'il y avoit toute
forte de papiers publics , & que peut - être
il apprendroit quelque chofe d'elle ou du
ruban dans les affiches à la main ; & je
lui propofai de l'y accompagner dès le
lendemain . Il y avoit ce jour-là beaucoup
de monde ; plufieurs compagnies étoient
répandues ça & là ; les unes lifoient des
manufcrits , d'autres s'entretenoient ; &
plus loin , fur le gazon , fe formoient des
danfes & des jeux. Mifis y porta fa trifteffe
: il ne prenoit garde à rien ; il avoit
l'air diftrait , rêveur , lorfque tout à coup
je le vis voler comme un trait , & le précipiter
aux pieds d'une femme occupée à
une contredanfe. Il avoit fait mille fermens
, mille proteftations les plus vives ,
* Canton près de Genève , où il y a un trèsgrand
nombre de fort belles maifons de campagne .
AVRIL. 1775 . 37
que l'on n'avoit pas encore pris garde à
lui . Elmire émue , lui tend la main , &
lui dit : Quoi ! Mifis , fi long- temps fans
me chercher , fans me trouver ; ah ! m'è.
tes vous fidèle ? Mifis , fans s'arrêter à une
juftification , jure qu'il ne la quittera plus,
en prend à témoin toute la terre . Alors
on les entoure ; on demande ce qui arrive
; chacun veut être inftruit de l'aventure
; Elmire , avec fes grâces & fa douceur
, raconte , en peu de mots , qu'elle a
été engagée à Mifis ; qu'elle a dû l'époufer;
qu'elle en avoit été féparée par des
accidens imprévus ; enfin , ajouta - t- elle
d'un air un peu méchant , il y a plus de
huit mois qu'il m'a quittée ; je n'ai eu
aucune de fes nouvelles , & je lui ai donné
un ruban qu'il devoit garder auffi longtemps
qu'il feroit fidèle ; qu'il le montre ,
& alors je pourrai le croire & l'écouter.
Toutes les femmes applaudirent à Elmire
, & l'approuvèrent dans la défiance
qu'elle témoignoit ; & lorfque Mifis vou.
lut parler , elles crièrent toutes : le ruban ,
le ruban. Il voulut dire comment il l'avoit
perdu en courrant après Elmire ; il
ne fut point écouté . Je fuis bien malheu .
reux , lui difoit il , je ne vous vois jamais
que pour vous perdre , je ne dois jamais
38
MERCURE
DE
FRANCE
. vous retrouver fans frémir . On n'eft point
femme impunément ; jouir de fon pouvoir
, de fon afcendant eft une douceur
de l'amour- propre que le beau fexe ne néglige
guère : Elmire trouva un plaifiɛ
fecret à mettre fon amant dans la peine ,
& à l'éprouver. C'eft un petit triomphe
dont elle voulut s'affarer ; je ne veux
point vous revoir , lui dit - elle , fans les
gages de mon attachement . Revenez ici
dans 15 jours , vous le retrouverez sûrement;
& alors je remplirai tous mes engagemens
. J'en prends , continua - t - elle ,
toutes ces Dames à témoin : elles voudront
bien s'intéreſſer à nous , & prendre part à la
fin de nos malheurs,& contribuer , par leur
préfence , à notre joie ou à notre confolation
. Mais le Ruban! & au même inftant
elle s'éloigne , & remonte en voiture.
Mifs , combattu par toute forte de fentimens
, ne fait que devenit ; fe lui promis
tous mes fecours ; je lui offris de faire
faire un ruban qui imiteroit parfaitement
celui qui étoit perdu . Non , dit- il , je ne
veux pas tromper Elmire , pour prouver
que je fuis fidèle ; je connois mon
malheur; je ne trouverai rien ; elle me
fera enlevée mais quelle bizarrerie de
faire dépendre ma vie , mon fort , & le
lui
AVRIL. 1775 . 39
que
fien , d'un ruban ? Il répétoit cela à chaque
inftant, & les quinze jours fe pafsèrent
dans la crainte , dans les peines & dans le
défefpoir. Enfin , le temps expiré , nous
nous rendîmes au café . Elmire y étoit
déjà , il feroit inutile de vouloir peindre
fa beauré ; c'étoit l'affemblage de toutes
les grâces ; un air de gaieté relevoit encore
fes charmes ; le ruban Milis regrettoit
faifoit fa feule parure. Pour lui ,
pâle , défait , troublé , n'approchant qu'en
tremblant , if ne voit rien ; le coeur gonflé
, les yeux baignés de larmes , il ne peut
dire , en abordant Elmire , que ces mots
entrecoupés je n'ai plus qu'à mourir
Madame , fi ..... Elle ne le laille point
achever ; elle fe jette dans fes bras . Cher
Mifis , lui dit- elle , pardonne le dernier
chagrin que je te ferai fouffrir ; reçois
ton Elmire plus tendre , plus fidèle que
jamais ; & ce ruban , reconnois- le . Je l'avois
dit que tu le retrouverois , le voilà .
Oublions tous nos maux ; rien ne pourra
déformais nous féparer. Mifis ne peut
croire fon bonheur ; les paroles expirent
fur fes lèvres . Cette fcène touchante attendrit
tous ceux qui en étoient les témoins.
La naïveté , la candeur , la vertu,
étoient fi bien peintes , fi bien exptimées
"
40 MERCURE DE FRANCE.
chez ces deux amans , que tout le monde
s'intéreffa à leur fort. Les femmes embraffent
Elmire , lui font cent queſtions,
cent proteftations d'amitié ; les hommes
envient le bonheur de Mifis , & applaudiffent
à fon choix & à fes fentimens :
tous s'accordent à leur offrir des fecours ,
& à leur donner des confeils fur leur conduite
& fur la manière de terminer le
cours de leurs infortunes. On conclut
que le mariage feroit béni le lendemain à
la chapelle de la Réfidence , où ils font
fûrs même de trouver toute forte de protection
. Milis n'ofoit fe livrer à l'eſpérance
; le bonheur lui a fi fouvent échappé ,
qu'il craindra jufqu'au dernier moment
de le voir fuir encore . Elmire promit de
fatisfaire la curiofité des femmes , qui lui
demandoient fon hiftoire . En attendant
dit elle, il faut que j'inftruife Mifis de ce
qui m'eft arrivé depuis que nous fommes
féparés. L'ordre ne me regardoit point :
une reffemblance de nom fut caufe de la
méprife. Je fus prife pour une autre , &
l'on me fit partir avec tant de précipita
tion , qu'il ne put y avoir aucun éclairciffement.
Nous étions deftinés à être malheureux
encore. On ne s'apperçut de l'erreur
que lorfque je fus arrivée au couvent
AVRIL 1775. 4
"
où l'on me conduifoit . On répondit à
mes plaintes par des pardons , & on me
dit que j'étois libre d'aller où je voudrois.
Dans mon embarras , je ne fus que retourner
chez ma mère , qui m'avoit quit
tée à Lyon , & je demandai d'être conduire
à Paris . Je ne devois pas m'attendre
à être bien reçue , & le récit de mon aventure
ne toucha point ma mère . Dès ce
moment je vécus malheureufe : ce qui ,
joint au chagrin de tout ce qui m'étoit arrivé
, altéra ma fanté. Je tombai dans une
efpèce de maladie de langueur , qui m'au
roit fans doute conduite au tombeau.
Une des amies de ma mère venoit à Genève
pour confulter un habile médecin .
Elle me propofa de l'accompagner pour
le même objet ; & nous en obiînmes la
permiffion & le confentement de ma mère.
Le voyage , qui me rendit quelqu'ef
pérance de vous revoir , me rendit auffi
de la fanté ; & le médecin a eu peu de
peine de me rétablir , depuis que je vous
ai vu. Je vous reconnus bien vîte , lorfque
je paffai près de vous en voiture. L'émotion
ne me laiffa pas la force de faire arrêter.
Je ne l'ofai même pas ; mais mon
trouble fut à fon comble , quand , un moment
après , je vis , entre les mains d'un
42 MERCURE DE FRANCE.
domeftique qui nous avoit fuivis à pied ,
le ruban que je vous avois donné. Je le
lui arrachai avec impétuofité ; je lui fis
cent questions précipitées ; il ne put rien
m'apprendre , finou qu'il l'avoit trouvé
dans le chemin. Il n'avoit vu perfonne ,
& je ne compris pas pourquoi vous l'aviez
jeté. Je ne doutai point cependant ,
que , fi près l'un de l'autre , nous ne nous
reviffions bientôt. Pardonnez - moi , cher
Mifis , la peine que je vous ai caufée pendant
ces quinze jours ; j'en ai éprouvé
peut - être d'auffi fortes : mais n'avonsnous
pas trop fouvent raifon de nous défier
des hommes , & nous avons été ſéparés
fi long- temps ? Mifis ne répondit que
par des foupirs. Trop occupé de fon
bonheur, il ne chercha qu'à l'affurer . Vous
favez , Mefdamės , le reste de leur hiſtoire ;
comment ils fe marièrent le lendemain ,
& comment ils font retournés à Paris heureux
& contens .
ParMM.*** de Genève.
AVRIL. 1775 . 43
Aux trois Capotes du Bal de S... Mde de
P... Mde de L... & Mlle B... que l'Auteur
n'avoit pas reconnues fous ce déguifement
, & à qui il n'avoit pas même
parlé dans le Bal.
PARDON , Meldames les Capotes ;
Hélas ! je m'en veux bien du mal .
Oui , j'ai méconnu dans le bal
Votre prix fous ces paquingotes.
Quels yeux ne s'y feroient trompés ? :
Dans un coin , toutes trois affiles ,
Tous vos charmes enveloppés ,
Aux regards ne donnoient point priſes.
Mon coeur, (vit- on telles mépriſes !)
Mon coeur vous pafloit ſous le nez
Sans reflentir les moindres crifes.
Revenez- y , Capotes grifes ,
Nous n'y ferons plus attrapés ?
Mais vous partez fans qu'on vous voie;
Alors le fecret eft connu .
Ciel ! j'apprends ce que j'ai perdu ...
Guillaume , en apprenant que l'oie
* L'Auteur avoit joué le même jour le rôle de
Guillaume dans l'Avocat Patelin.
44 MERCURE DE FRANCE .
Vientd'être mangée à dîné ,
Ne fut jamais fi confterné.
Encor fi la jeune Capote,
Qui complettoit votre trio ,
Eût fait danſer (on domino ;
Cette grâce qui la dénote
Me l'eût fait connoître bientôt.
A fon maintient noble & modefte ,
A la jufteffe de fes pas,
A la taille élégante & lefte ,
J'aurois preflenti les appas ,
Et je tenois la clef du refte..
Enfin je ne devinai pas
Que ces triftes métamorphofes
Tenoient tant de grâces enclofes ;
Mais je retiendrai la leçon ,
Et ne verrai plus de buiflon
Que je n'aille y chercher des roſes.
Par M. deJ.....
EPITRE A LA FOLIE.
Tor que ce fiècle ofe proſcrire , ΟΙ
Qui cependant fur les efprits
Exerces unfi grand empire ,
Comme l'attefte le délire
De tant d'extravagans écrits ;
AVRIL. 1-7) -
45
Toi que fous le nom de Thalie
Sifflent aujourd'hui nos Savans ,
Epris des beaux raisonnemens
De Melpomene traveſtie ,
En Philofophe de ce temps ;
Permets , agréable Folie ,
Qu'un de tes moindres lectateurs ,
Par l'offre d'un fincere hommage ,
Publiquement te dédommage
Du mépris de tes détracteurs .
Je pourrois , en fuivant l'uſage ,
Satisfaire ma vanité ,
Et me parer du
nom de fage
En dépit de la vérité :
Mais , d'une fagefle empruntée ,
Je hais les vains rafinemens :
J'aime mieux , portant ta livrée,
Partager tes amuſemens ..
Ce goût anti- philofophique
Pourra prêter à la critique
Des cercles brillans de Paris :
Ah ! dira Life à fa toilette ,
Où le trouve un fringuant Marquis ,
Un Savant , un jeune Poëte :
Il faut être bien pea jaloux
D'illuftrer un jour fa mémoire ,
Pour fe faire une vaine gloire
D'être mis au nombre des fous :
46 MERCURE
DE FRANCE
.
A la décifion de Life
Chacun d'abord applaudira:
Notre Marquis perfifilera
L'Auteur d'une telle fottife ;
Le Savant le réfutera
Par les règles de l'analyſe ;
Le Poëte le confondra
Par une piece raiſonnée ,
Où galamment il foutiendra
Que Life eft de vertus ornée ,
Charmante , fage , & cætera ,
Que quiconque en difconviendra
Doit avoir la tête tournée ,
Ce que fans peine il prouvera.
De grâce , athlète redoutable ,
Calmez un peu votre courroux :
Qui , malgréfon ton aigre - doux ,
Life , je l'avoue eſt aimable :
Avec du fard & des bijoux
Elle peut même être jolie :
Mais elle n'eft pas plus que vous
Mon cher , exempte de folie .
N'eft - elle pas , depuis un mois ,
Folle de ce Marquis volage ,
Qui porte un inconftant hommage
A cent Beautés tout à la fois ?
Et ce Marquis , dont la parure ,
Les petits airs de conquérant
AVRIL. 1775 . 47
Font le principal agrément ,
N'eft -il pas fou de la figure ?
Et ce Savant , plein de travers ,
N'eft-il pas fou de fa fcience ?
Et vous , parlez en confcience ,
N'êtes-vous pas fou de vos vers ?
C'eft ainfi , charmante Déefle ,
Que tu fais , fur des coeurs divers ,
Répandre une agréable ivrefle ,
Et par là te rendre maîtrefle
Des habitans de l'Univers .
Qui peut donc empêcher les hommes
De reconnoître tes arrêts ?
Nous te devons ce que nous fommes ,
Et nos plaifirs font tes bienfaits.
C'est toi dont la main complaifante
Sans cefle à nos regards préfente
Les fpectacles les plus flatteurs
Toi qui ranimes l'espérance
D'un malheureux , dont les douleurs
Auroient épuifé la conftance ;
Toi qui , lorfque du fort jaloux
La fureur fur nous ſe déchaîne ,
Sais guérir les plus rudes coups
Quenous avoit portés la haine.
L'homme , privé de ton fecours ,
Etudie en vain la fageffe :
Les nuages de la triſteſle
48 MERCURE
DE FRANCE
.
Obscurciflent les plus beaux jours.
Eh ! peut- il connoître la joie ,
Lorfqu'éclairé par la railon ,
Il voit tout l'Univers en proie
Aux fureurs de l'ambition ;
Lorfqu'il voit l'audace du vice
Infulter la foible vertu ,
Lorſqu'il voit le bon droit perdu
Dans les détours de l'injustice ?
Ta main bienfailante & propice
Dérobe à nos yeux ces horreurs :
Et toujours de nouvelles fleurs
Tu parfemes ce court paffage ,
Dont une fagel : fauvage
Auroit fait un chemin de pleurs.
Qu'un autre ait la folle manie
D'être fage par vanité ,
Moi , je ne fuis point entêté
De cette ridicule envie :
Ami de la fincérité ,
C'eſt à toi que je facrifie ;
Toi feule es ma divinité ,
Et de ton heureuſe influence
J'attends déformais le bonheur :
Car je fuis Amant & rimeur;
Quede droits à ta bienfaiſance !
DIALOGUE
AVRIL. 1775 . 49
DIALOGUE
Entre GALILEE , MALHERBE &
FONTENELLE * .
Un inftant de folie aimable
Vaut mieux qu'un bon raiſonnement.
Car. de Bernis.
GALIL É E.
TE voilà donc defcendu auffi aux enfers
? Tes Mufes , ton Apollon , tes vers ,
rien n'a pu te garantir des traits de l'a
mort : encore fi en buvant de l'eau de
cette charmante fontaine , à laquelle tu
t'enivrois fi fouvent , tu avois trouvé le
fecret de prolonger tes jours , je refpecterois
volontiers la poëfie & les Poëtes ;
mais puifqu'il faut mourir , & que per-
* Ce Dialogue a été composé à l'occafion d'un
petit différend qui s'eft élevé dans une fociété
d'amis , entre un Mathématicien Aftronome, dont
le nom eft connu , & un jeune Poëte. L'Auteur fut
engagé à chanter cette petite querelle , qui fe termina
par la lecture du Dialogue qu'on préſente au
Public.
II. Vol. C
30
MERCURE
DE FRANCE .
fonne n'eft exempt de cette loi générale
de la nature , j'aime mieux avoir été un
bon Phyficien qu'un grand Poëte : je ne
fais pas même fi je voudrois retourner fur la
terre pour le devenir , quand bien même
il plairoit à Pluton de m'y renvoyer , &
de me donner mon paffeport pour l'autre
monde.
:
MALHER BE.
On ne m'avoit donc pas trompé en
me difant fur la terre que tu avois perdu
la tête je n'en ai rien voulu croire , j'ai
attendu pour juger par moi - même ; je
vois aujourd'hui qu'on ne m'en a point
impofé . Mais.... fi cette fontaine d'Hypocrêne
, dont tu parles avec tant de mépris
, ne peut prolonger nos jours d'un
inftant ; il me femble de même que l'eau
qu'on t'a fait boire dans les prifons de
l'Inquifition n'a pu te rendre le bon fens
que tu avois perdu .
GALILÉE .
Voilà de belles idées poëtiques ! Tu
aurois bien dû y mettre un peu de rime ;
car il n'y a pas trop de raifon. Pour me
donner une plus haute idée de la poëſie ,
pourquoi me parler en profe ? Les char
AVRIL. 1775 .
Sr
mes qu'a naturellement un vers harmonieux
& bien cadencé , auroient pu me
faire illufion peut être que...
MALHER BE.
Le détracteur d'un talent auffi fublime
n'est point digne d'entendre le langage
des Dieux.
Mais , dis - moi , d'où te vient ce dégoût
? pourquoi tant méprifer les Poëtes ?
As tu la vanité de te croire un perfonnage
plus important qu'Homère , Virgile
, Anacréon , Sapho , Pindare , Horace
, & tant d'autres que je pourrois te
citer ? Tu ferois bien heureux de les atteindre
& de marcher d'un pas égal à
l'immortalité qu'ils ont acquife. Je fuis
tenté de croire que tu as encore la tête
dans les cieux , & que tu cours après
les Satellites de Jupiter .
GALIL É E. ·
Vains propos ! vaines déclamations !
Je reconnois à ces traits la gent poëtique
, toujours jaloufe , toujours envieufe
du bonheur d'autrui . Hélas ! comment ne
feriez- vous pas jaloux de la gloire des
étrangers , puifque vous l'êtes les uns des
Cij
32 MERCURE DE FRANCE,
autres , au point de vous déchirer par
les fatires les plus fanglantes .
MALHER BE.
Que les mauvais Poëtes foient jaloux
les uns des autres , qu'ils fe piquent ,
qu'ils fe mordent , qu'importe ! cela décide-
t-il la queſtion ? As- tu pour cela le
droit de méprifer la poëfie & les Poëtes
en général ? Pour un Mathématicien , tu
tires des conféquences bien fingulières ;
tu nous fais là une bien pitoyable équa
tion,
GALILÉE.
Pour te prouver que je n'ai pas fi tort
que tu te l'imagines , voyons un peu à
quoi vous paffez votre vie , vous autres
Poëtes : quelle eft votre étude ? quels font
les objets qui vous fixent ?
Perchés fur un Pégafe imaginaire ,
vous vous croyez perpétuellement dans
les forêts du Pinde & de l'Hélicon , où
vous careffez des Mufes encore plus imaginaires
; votre imagination vagabonde ,
ou plutôt le démon qui vous obsède , ſe
crée une Nymphe , dont la figure chiffonnée
vous trouble le cerveau : vous vous
tandis
croyez toujours auprès d'elle >
AVRIL. 1775. 53
qu'elle fuit loin de vous ; vous paffez les
jours & les nuits à pleurer , à gémir , &
le tout fans rien perdre de la gaieté qui
vous eft naturelle.
Là , c'est une fleur qui vous occups
des femaines entières ; ici , c'eft un bouquer
pour Thémire : là , un compliment
pour Eglé qui vous adore , & qui cepen.
dant ne vous connoît pas ; ici , c'eft le
chien de Mélanie à qui il faut ériger un
cénotaphe : plus loin , c'eft l'oifeau de
Sylvanie dont il faut faire l'apothéofe :
enfin il n'eft point de finge , de chien ,
de chat qui n'ait des vertus , & un Poëre
pour
les chanter. Heureux ! G le fruit de
fes travaux & de fes veilles ne faifoit
point dormir les autres ! Quelle belle occupation
pour un homme qui afpire à
I'immortalité ! Voilà cependant celle de
prefque tous les Poëtes,
Tandis que vous végétez fi infipidement
, à charge à vous - mêmes & aux
autres , femblables à l'aigle audacieux ,
nous nous élevons d'une aile rapide jufques
aux nues ; admis dans les cieux ,
nous entrons dans le palais des Dieux
que vous invoquez en vain fur la terre :
nous leur donnons des loix , nous conmoiffons
tous leurs fecrets , nous éclairons
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
toutes leurs démarches , enfin rien n'é
chappe à nos yeux .
Cette Vénus fi célèbre dans vos écrits ,
nous la forçons à nous obéir : c'eſt nous
qui compofons fa Cour , tandis que vous
êtes à vous morfondre en rimaillant à la
toilette de quelque Aventuriere , à qui
vous prodiguez ce nom .
Cet Apollon qui vous fait perdre la
tête à tous , & que vous ne pouvez invoquer
fans être hors de vous-mêmes , nous
le voyons , nous converfons avec lui ;
attachés fut fes pas , nous le fuivons partout
il ne peut faire une démarche fans
que nous n'en foyons informés fur le
champ. Je ne finirois pas , fi je te nommois
les Dieux & les Déeffes que nous
vifitons dans les cieux ,
Après cela oferas- tu me le difputer ,
& prendre le pas fur moi?
MALHER BE.
Oui. Tu plaides fort bien ta caufe ,
de manière même à la gagner , fi tu n'avois
perfonne pour te contredire : mais
tu en es bien loin , & j'efpère te faire
rabattre de tes prétentions.
Vous compofez la Cour de Vénus, disAVRIL.
1775 . 55
tu , vous la fuivez de l'oeil quand elle va
rendre viſite au Soleil ; vous connoiſſez ,
vous prévoyez même toutes fes démar
ches ; j'en conviens pour un inftant :
mais eft- il bien vrai que vous lui faites
faire tout ce que vous voulez ? Contemplez-
vous de près ces puiffans attraits ,
ces charmes féducteurs , qui la rendent
la Reine & la plus belle de toutes les Divinités
? Voyez vous cette ceinture magique
, auffi précieufe à l'Univers que
toutes les découvertes aftronomiques enfemble
? Voyez- vous à fes côtés les Grâces
, les Ris , les Jeux , les Amours , formant
autour d'elle un grouppe aimable ,
folâtrer & jouer fur un tapis de verdure ?
Elt- ce là ta Vénus ? La reconnois - tu à ce
portrait ? Celle que tu nous vantes tant
eft une petite malheureufe étoile , à qui
des Laboureurs groffiers & ignorans ont
donné ce nom , & qui tourne comme
une évaporée autour du Soleil ; encore
vous autres Aftronomes , vous ne pouvez
la voir quand vous voulez , il faut que
le ciel vous favorife ; fans cela , adieu
votre Vénus : nous , au contraire , à toutes
heures du jour , à toute faiſon , nous
pouvons voir la nôtre. Qu'il pleuve ,
qu'il grêle , qu'il vente , qu'il neige , ad-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
mis dans fon appartement , car elle fe
plaît à defcendre fur la terre pour fe faire
voir aux mortels , nous la voyons , nous
lui parlons elle ne dédaigne pas de
nous répondre par quelques faveurs , qui
nous dédommagent bien de notre travail
& de nos peines : elle a bien voulu
prêter fa ceinture au divin Homère , pour
qu'il pût chanter plus élégamment fes
divins appas. Que peux - tu me répondre
à cela ?
Ce Soleil que tu nous vantes tant ,
ofez- vous le fixer? le pourriez vous même
quand vous le voudriez ? Vous ne
pouvez le regarder & le voir qu'au bout
de vos lunettes ou en defcendant au fond
d'une cave; encore faut-il qu'il le veuille
& qu'il fe prête à vos defirs , en écartant
les nuages qui pourroient vous le dérober
: nous , au contraire , nous le trouvons
toujours prêt , quand nous l'appelons ;
pour nous fa Cour est toujours ouverte ;
au lieu des pauvres Planètes que vous
voyez errer géométriquement autour de
lui , nous nous mêlons aux Mufes qui
l'accompagnent & qui forment fa Cour ;
nous entendons les unes tirer des fons
agréables d'une lyre d'or , tandis que les
autres le difputent aux roffignols & aux
AVRIL. 1775. 57
oifeaux des bocages , par la douceur &
l'harmonie de leurs chants .
Après cela , viens nous vanter la beau
té des corps céleftes , qui ne vous donnent
de repos , ni jour , ni nuit . Ne vautil
pas mieux converfer avec une Nymphe
aimable , qui nous adore... que de paffer
fa vie un compas & une lunette à la
main , à faire des obfervations , qui à la
fin ne font d'aucune utilité.
Tantôt c'eft votre vieux Saturne qui
perd fon anneau ; il faut fécher & pâlir
fur vos livres ; chercher par b +y + x
le jour , l'heure , la minute même à laquelle
il fe retrouvera . Dis moi , n'es- tu
pas bien avancé quand tu vois reparoître
un anneau dont tu ne peux faire aucun
ulage ?
Tantôt c'eft votre grimacière de Vénus
qui fe donne les airs de paſſer fur
le Soleil , & qui vous fait courir les
mers , braver les orages , les tempêtes ,
les brouillards , les vents , le froid & le
chaud , la mort même : pourquoi ? Souvent
pour rien . Car fi elle eft de mauvaife
humeur , elle choisit pour voyager un
temps noir & nébuleux ; elle palle , &
vous ne la voyez pas , & vous êtes force
de lui fouhaiter le bon foir , & de reve-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
nir triftement dans vos bateaux manger
du bifcuit & boire de l'eau .
Tantôt enfin , cette Lune quinteufe fe
cache derrière le Soleil : il vous faut être
aux aguets pour favoir quand il lui plaira
de revenir. Quand vous avez examiné
bien regardé , en êtes-vous plus avancé ?
Un Laboureur , un Artifan , un homme
quelconque , en fait prefqu'autant que
vous : il voit la Lune s'éclipfer , il s'en
confole ; il s'imagine voir une Belle irritée
qui boude fon Amant. Quand elle reparoît
, il peut dire , auffi bien que le premier
Aftronome , il y a eu hier une
éclipfe de Lune , & il est tout auffi avancé
que vous.
Il n'en eft pas de même de nous :
Vénus a- t-elle perdu fa ceinture , nous
l'avons bientôt trouvée . Le deffin en eft
dans notre tête : nous lui pouvons même
en fubftituer une plus belle que celle qui
étoit perdue nous la préfentons nousmêmes
; un fourire eft le prix dont Vénus
paye notre travail : car il n'eft pas donné
à tous de partager les faveurs qu'elle
n'accorde qu'après une longue fuite de
victoires.
Diane veut- elle s'égarer dans les bois ,
nous la fuivons d'un pas rapide , ' nous
AVRIL. 3775. 59
arrivons auffi tôt qu'elle au rendez - vous :
une eau claire & limpide la reçoit dans
fon fein ; alors , fi nous craignons d'alar
mer fa pudeur & de fubir le fort du malheureux
Actéon , un habit de Nymphe
nous tire d'embarras ; nous avançons ;
bientôt le même bain nous reçoit : nous
contemplons à loifir ces appas féduifans ,
qu'un mortel ne peut appercevoir fans.
être puni de fa témérité.
Viens nous dire à préfent que les Poëtes
ne travaillent que d'après les Aftronomes
& les Géomètres ; je te renverrai
bientôt à tes calculs & à tes livres.
GALILÉ E.
J'aurois prefque envie de croire tout
ce que tu viens de me dire , fi je n'étois
prévenu que vous autres Poëtes vous ne
parlez jamais fans fiction , fans changer
toujours du blanc au noir ; vous défigurez
tout , & après avoir retourné un objet de
mille façons , vous croyez l'avoir appro
fondi ; vous n'avez fait que l'effleurer ,
& vous finiffez par perdre la tête.
MALHBR B E.
Je voudrois bien ſavoir qui l'a perdue
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
de toi ou de moi : j'en fais Juge la première
Ombre que nous allons trouver .
J'apperçois celle de Fontenelle : depuis
trois jours il eft ici ; lui qui a fi
bien fait parler les vivans & les morts ,
& qui d'ailleurs a été Poëte & Géomètre
, peut bien nous juger ; prenons le
pour arbitre. S'il a pris un parti plutôt
que l'autre , dans certaines circonstances ;
c'eft qu'il eut des efprits fins & délicats ,
un fiècle éclairé à ménager mais ici il
n'a plus rien à redouter ; fon jugement
ne peut te paroître fufpect. Il me femble
qu'il pénètre mon deffein , car il s'avance
un peu plus vite.
Confidére fa démarche , cet air enjoué,
badin & fpirituel , ne crois - tu pas
voir le Soleil fe lever & rendre à la nature
la beauté & l'éclat que la nuit lui
avoit fait perdre. Réponds : a.til l'air
d'avoir perdu la tête ?
GALILÉ E.
Fontenelle étoit plutôt Géomètre &
Phyficien que Poëte ; & en cette qualité
la perdre. il n'a pu
MALHER BE,
Ne l'as-tu pas perdue toi , en me difanı
AVRIL. 1775 .
61
que Fontenelle doit fa réputation plutôt
à la géométrie qu'à la poëlie ? Mais , finif
fons ; le voici .
« Nouvel habitant de ces régions for-
» tunées , c'eſt à toi à nous juger : fois
» l'arbitre du différend qui nous retient :
je vais t'en expliquer la caufe ».
FONTENELLE.
Il me fuffit.... Je fais quel eft votre
différend . Caché à l'entrée de ce bois de
myrte & d'orangers , je n'ai entendu qu'à
regret vos récriminations . Pourquoi vous
difputer ? N'avez- vous pas chacun votre
mérite particulier ? Pourquoi chercher à
vous dénigrer mutuellement. De tout
teinps l'aftronomie & la poëfie ont été
regardées comme deux foeurs également
refpectables : mais la poëfie a toujours eu
l'avantage fur l'autre; ainfi l'ont voulu
les Dieux . Un bon Poëte & un habile
Géomètre ont leur gloire & leur répu
tation indépendante l'une de l'autre : ainfi
point de débats .
Toi donc , Galilée , quitte cette hu
meur noire & atrabilaire , quand tu par
les des Mofes & d'Apollon , que tu n'as
jamais vus que de loin ; ne dérange point
la couronne de Vénus , ne foule point
62 MERCURE DE FRANCE.
aux pieds les fleurs qui la décorent : ton
étoile brillante , que tu affectionnes tant
& que tu aimes à voir tourner autour du
Soleil , trouve- là charmante : mais trou
ve auffi Vénus plus aimable & plus
belle , quand on te la montrera endormie
fous un berceau de roſe & de myrte ,
l'Amour fur fon fein , & deux colombes
à fes côtés .
Suis Diane avec nous dans les forêts ,
mêle toi au cheur de fes Nymphes , &
va voir enfuite , fi tu le veux , quel jour
la Lune fera dans fon plein . Enfin , tu
ne ferois plus un grand homme fi tu
étois l'ennemi de celui qui partage avec
toi un beau titre .
Avance ; place - toi entre nous deux ,
& viens boire au fleuve Léthé , pour oublier
ce que tu as dit contre un talent
qui fera toujours le plus propre à conduire
un homme à l'immortalité.
Par M. l'Abbé de Baville.
LE PROCES NON JUGÉ.
SUR deux piés que la Chine envieroit à la France;
Deux Amis hier difputoient ;
AVRIL. 1775 . 63
L'un étoit pour Clarice , & l'autre pour Hortenfe :
Tous deux , avec même éloquence ,
Très- naïvemeut s'expliquoient.
Pour terminer l'importante querelle .
Ils décident que chaque Belle
Mettra fon joli petit pié
Dans le foulier de ſa rivale.
L'expédient et employé ,
Des deux piés la forme eft égale ;
Et le procès n'eft pas jugé.
Jadis , dans la Grèce étonnée ,
Un Berger , des Dieux protégé ,
Vit un pareil débat . Vénus fut couronnée ;
Le Berger fe vit applaudi ;
Et la Grèce brilla d'une gloire nouvelle.
La France eft , en ce point , plus illuftre aujourd'hui
;
Deux Vénus , dans fon fein , la rendent immortelle.
LE
mot de la première Enigme du
volume précédent eft Chaife à Porteur ;
celui de la feconde eft Panache ; celui
de la troisième eft Clef; celui de la
trième eft Cloche. Le mot du premier
Logogryphe eft Rideau , où fe trouvent
ride & eau; ceux du feco font Pierre
qua64
MERCURE
DE FRANCE
.
( Saint ) , pierre ( ſacrée ) , pierre en géné
ral , pierre ( diamant ) , pierre des reins ,
pierre d'aimant , pierre d'attente , pierre
philofophale ; celui du troisième eft Mai
fon , où l'on trouve Mai & fon.
Αν
ENIGM E.
u temps jadis , une Vertu
Vint me demander un afyle .
Son air paroifloit abattu
Et fon coeur n'étoit point tranquille
Je fus fenfible à fes malheurs.
Ses infâmes perfécuteurs
De fon Trône l'avoit chaffée.
L'accueil que je lui fis fut des plus gracieux,
Et je la cachai de mon mieux.
Tant d'amitié lui plut & fut récompenfée.
L'aimable fugitive ayant lu ma penſée ,
De fon deffein daigna s'ouvrir ;
Et dès ce jour , de préférence ,
Dans mon fombre palais fixa ſa réfidence.
Ce n'eft donc que chez moi qu'on peut la décou
vrir .
Or ce palais préfente une figure ronde ,
Selon les cas , ou plus ou moins profonde
Et je puis dire, en vérité,
AVRIL 1775 : 65
1
Dela plus grande utilité .
Fréquemment l'on me rend vifite :
Et ce qu'on vient prendre chez moi
Eft néceflaire à la marmite ,
Sans parler de maint autre emploi ;
Car on connoît mon favoir faire .
Je fuis par fois affez bien décoré ,
Très-fouvent je ne le fuis guère ,
Quelquefois même auffi je parois délabré.
4 Toujours le meflager , quel qu'il soit qu'on
m'envoie ,
Par le cou fufpendu vifite mes lambris .
Ce qui te furprendra , Comus même m'emploie
Pour amufer les badauts de Paris.
Lecteur , plus d'une fois j'aurois bien pu paroître
Ates piés , & partant te caufer quelque effroi.
Si ce n'eft pas aflez pour me faire connoître ,
Parbleu , Lecteur , arrange - toi.
Par M. Vincent , Curé de Quincy.
AUTRE.
Mon pere eft l'air; & ma forme eft fphérique ON
Je fuis légere , éclatante , élastique .
J'offre aux regards les plus vives couleurs ;
En me brilant , je m'exhale en vapeurs.
Deux élémens compofent mon effence ;
66 MERCURE DE FRANCE.
D'un autre agent je tiens ma confiftence .
Mon volume eft ou plus ou moins petit.
Le moindre choc m'anéantit ;
Et très-fouvent je ceffe d'être
Au moment où je viens de naître.
Un fouffle léger me produit ;
Un fouffle trop prompt me détruit.
Aux amuſemens
de l'enfance
Je dois ma trop courte existence.
Atous ces traits on voit combien
Il eft ailé de me comprendre
.
J'ajoute encor : veut on me prendre ?
Je difparoîs ; on ne tient rien.
Par M. L. J.
AUTR E.
Jx fuis des criminels ce qui faifoit l'effroi ;
J'ai fervi de fupplice au plus jufte des Rois.
Deftinée aujourd'hui poar un plus noble uſage ,
De l'Univers entier je reçois les hommages.
Par M. F **.
AVRIL. 1775 .
67
DANS
AUTRE.
is plus d'un attelier la main - d'oeuvre
m'opere .
Prenez garde , Lecteur , fouvent lorsqu'on me
fait ,
Je pourrois vous rompre en vifiere :
Je pars auffi vice qu'un trait.
Pris dans le fuperflu , je fuis pour l'ordinaire
Très utile au befoin : mais je dure fort peu ;
En fortant des mains de mon pere
Je pafle volontiers au feu.
Par M. Hubert.
LOGO GRYPHE
Au Chimifte je fuis utile ,
Ainfi qu'à la charmante Emile :
De moi l'un & l'autre font cas ,
L'un pourremplir un devoir falutaire
Qui peut garantir du trépas ;
L'autre pour amufante affaire ,
Où fon goût ne ſe dément pas.
Emile connoît mon mérite,
68 MERCURE DE FRANCE,
Elle m'embellit chaque jour ;
A me voir chacun elle invite ;
Je fuis enfin l'objet de fon amour :
Mais cet amour à fa conduite
Ne peut faire le moindre tort ;
On feroit même un vain effort
Si l'on cherchoit à la trouver coupable :
Emile , auffi fage qu'aimable ,
Dans la vertu puiſe tout fon bonheur.
Mais il faut donner au Lecteur
Plus d'un moyen pour me connoître.
Onze pieds préfentent mon tout:
Combinez les , & vous verrez paroître
Ce qui fert de pafle - par tout ;
Certain péché que l'on abhorre ;
Ce que chérit l'aimable Terpficore ;
Ce qui peut flatter notre goût ;
Un bruit qui caufe la furpriſe
Et nous fait rire en même temps ;
La fource de mille accidens ;
Le lieu qu'un libertin mépriſe ;
Ce qui toujours garde le feu ;
Le culte que l'on rend à Dieu ;
Un fils de l'époux d'Amphitrite ,
Jadis par un Peuple adoré ,
Et par les Juifs peu révéré ;
Une Beauté dont le mérite
Déplut à la fiere Junon ;
AVRIL. 1775% 69
La Nayade du fleuve Almon
Conduite aux Enfers par Mercure ;
Le vêtement de la Magiſtrature ;
Enfin ce qui couvre un ânon .
AUTR E.
A Mademoiselle Rom *** à Nantes.
Je fuis battu par deux femelles ;
De mes lept pieds , Iris , mettez en deux à bas ,'
Et je ferai ce Dieu qui ne porte des ailes
Que pour voltiger (ur vos pas.
Par M. Lagache, fils:
AUTRE.
L'ON me trouve , Lecteur , à la ville , an vile
lage ,
Même dans les fimples hameaux :
L'une de mes moitiés voit naître le feuillage ,
Et l'autre anime les échos.
Par le même.
70 MERCURE DE FRANCE.
"
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Roger & Victor de Sabran , Nouvelle
Françoife ; par M. d'Uffieux ; in - 8 °.
avec figures. A Paris chez Brunet , Lib.
rue des Ecrivains .
CETTE Nouvelle , qui fait partie du
Décaméron François , eft la neuvième
de ce recueil entrepris par M. d'Uffieux .
L'Auteur en a placé l'époque fous Louis
IX. « Ce Prince , toujours guidé par la
fageffe dans la diftribution des grâces.
» & des honneurs , venoit de remettre
» dans les mains d'Amauri de Montfort
» l'épée de Connétable , dont la mort
» avoit dépouillé Matthieu de Montmo-
» renci , furnommé le Grand par fon
» fiècle & la postérité. Depuis ce jour , le
» Château d'Amauri étoit devenu le ren-
» dez vous de cette jeune & brillante
Nobleffe , qui prétendoit à la gloire
» de venger l'honneur de Dieu & celui des
» Dames. Les Provinces les plus éloignées
y envoyoient à l'envi l'une de
» l'autre , les précieux rejetons de leurs
Gentilshommes , auffitôt qu'ils avoient
و و
AVRIL. 1775. 71
"
"
"
atteint leur feptième année . On favoit
» que cette illuftre jeunelfe y vivoit fous
» les loix d'une difcipline févère , qui
l'épuroit pour ainsi dire , & la rendoit
digne de monter un jour au Temple de
» l'honneur ; mais ce qui ajoutoit fur-
» tout à l'éclat de cette école de Chevalerie
, c'étoit Emilie , la fille d'Amauri .
» La renommée avoit fait connoître à
» toute l'Europe les charmes & la courtoifie
de cette jeune Beauté . Chaque
» père étoit jaloux que fon fils fût formé
» par elle à la Religion & au commerce
» du monde : car on doit fe fouvenir que
» les Dames étoient chargées d'enfeigner
» à cette fleur de Nobleffe , & le cathé
"
"
"
30
"
chifme & l'art d'aimer. Emilie venoit
» d'atteindre fa dix feptième année , lorſ.
qu'arrivèrent à la Cour de fon père
Roger & Victor de Sabran , deux frères
jumeaux déjà hors de page depuis quatre
» ans , & d'une reffemblance fi parfaite ,
» que leur mère elle - même avoit be-
»foin , pour les diftinguer , de donner
» à Victor une écharpe écarlate qu'il ne
»
"
quittoit jamais. Quoique déjà formés
» aux fonctions pénibles d'Ecuyer , ils
» vouloient perfectionner leur éducation
» chez le Connétable , & mériter de re72
MERCURE
DE FRANCE
.
39
"
n
cevoir fous lui le haut grade de Che-
» valier. Trois années leur reftoient en-
» core à paffer dans ces longues épreu
» ves , avant de toucher à l'âge de vingt
» & un ans , terme ordinaire auquel on
pouvoit obtenir l'Ordre de Chevalerie .
» A peine furent- ils au milieu de cette
brillante jeuneffe , raſſemblée dans le
» Château d'Amauri , qu'une fecrette voix ,
une certaine fympathie d'humeur firent
diftinguer Roger par Emilie. Lorfqu'en-
» tourée d'un cercle nombreux elle te-
» noit école de Religion & d'Amour , elle
s'adreffoit à lui plus fouvent qu'à tout
» autre. Le fourire qu'elle donnoit à
» fes réponſes étoit toujours gracieux . Si
elle le voyoit difputer à fes camarades
le paffage d'une rivière , la prife de
quelque fortereffe ; un tendre intérêt ,
» dont elle ne foupçonnoit point la caufe
, tournoit auffitôt fon coeur vers le
» plus aimable des deux frères , & lui
faifoit fouhaiter de lui voir remporter
la victoire . De leur côté , Roger &
» Victor nourriffoient pour elle une égale
» tendreffe : mais comme l'amour reçoit
» toujours l'empreinte du caractère de
39
39
"
39
celui qu'il maîtrife , il étoit modefte ,
intéreflant dans Roger ; dans Victor ,
» ardent ,
AVRIL. 1775 . 73
» ardent , impétueux & toujours voifin
» de la jalousie
L'Auteur , dans la fuite de cette Nouvelle
, nous développe ces deux caractères
par les fentimens qui leur font prodes
actions relatives à l'an- pres, & par
cienne Chevalerie . Il tire même fon
dénouement du choc de ces deux caractères
; mais ce dénouement pourra révolter
quelques Lecteurs. Ils fouffriront de
voir la belle Emilie exiger de Roger une
vengeance cruelle d'un Chevalier qui
avoit refufé de fecourir une Beauté malheureufe
. Ce Chevalier difcourtois fe
rend à un tournois que Louis donnoit à
Paris pour célébrer les noces des Princes
Robert & Alfonfe , frères du Monarque.
Roger , pour obéir à fa Maîtreffe , cherche
l'inconnu dans la lice , l'appelle
au combat , l'attaque , & le bleffe à
mort. Il s'approche de fon ennemi renverfé
, lui détache fon cafque & découvre
fon vifage. Quel coup de foudre
pour le Chevalier victorieux ! « Ceft
» mon frère , s'écria t - il , c'eft Victor
» que j'ai égorgé ! Et il tombe fans
force , fans voix & fans chaleur à côté
du mourant. Quelques mois s'écoulèrent
avant que Roger pût fe confoler de for
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
crime involontaire ; mais enfin l'amour
triompha de fa douleur. « Emilie , dit
» l'Hiftorien , devenue l'époufe de fon
» amant , redoubla de foins & de tendreffe
, & ferma une plaie qui avoit
faigné trop long- temps » .
"
"2
Précis des maladies chroniques & aiguës ;
par M. Didelot ; fervant de faite à
l'avis aux gens de la campagne du même
Auteur : contenant l'hiftoire des
maladies , la manière de les traiter.
d'après les plus célèbres Médecins ;
avec des remarques & des obfervations
très- intéreffantes pour la pratique.
Inventionis remediorum omnium due nobis
funt inftrumenta , videlicet experientia &
ratio.
?
Gal.
2 vol . in 12. A Nancy, chez Matthieu ,
Marchand Libraire.
L'Auteur , dans un Difcours préliminaire
qui fert d'introduction à cer Ouvrage,
nous entretient des changemens
& des altérations qui s'opèrent dans la
nature , & particulièrement qu'éprouve
le corps de l'homme. « Ce corps n'eft
1 - AVRIL. 1775. 75
32
2
"
>>
.99
corps
de-
» pas plutôt arrivé à fon point de per-
» fection , qu'il commence à déchoir ; le
dépéciffement eft d'abord infenfible ; il
» fe paffe même plufieurs années avant
» que nous nous appercevions d'un chan .
gement confidérable : mais à mesure
» que nous avançons en âge , les os , les
cartilages , les membranes , la chair,
la peau & tous les fibres du
» viennent plus folides , plus dures &
plus féches ; toutes les parties du corps
» ſe retirent , ſe refferrent ; tous les mou-
» vemens deviennent plus lents , plus
difficiles ; la circulation des fluides fe
» fait avec moins de liberté , la tranfpi-
» ration diminue , les fecrétions s'a tè-
» rent , la digeftion des alimens devient
» lente & laborieufe ; les fucs nourriciers
" font moins abondans , & ne pouvant
» être reçus dans la plupart des fibres ,
» devenus trop foibles , ils ne fervent
plus à l'entretien ; ces parties , trop foslides
, font des parties déjà mortes ,
puifqu'elles ceffent de fe nourrir ; le
corps meurt donc peu - à- peu & par
» parties ; fon mouvement diminue par
degré ; la vie s'éteint par nuances fuc-
» ceffives , & la mort n'eft que le dernier
»terme de cette fuite de degrés , la der-
» nière nuance de la vie ».
39
ท
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE.
Lorfque le corps eft bien conftitué ,
peut être eft il poffible de le faire durer
quelques années de plus en le ménageant
; il fe peut que la modération dans
les paffions , la tempérance & la fobriété
dans les plaifirs , contribuent à la durée
de la vie ; & M. Didelot cite ici l'exemple
de deux vieillards dont il eſt fait
mention dans les Tranfactions Philofophiques
, dont l'un a vécu 165 ans &
l'autre 144. L'Auteur rapporte auffi d'au
tres exemples qui prouvent que le régime
le plus dur , quand il eft naturel ou volontaire
, eft le plus falutaire à l'homme.
Cependant , malgré ces exemples , la
fanté de l'homme eft certainement moins
ferme & plus chancelante que celle d'au
cun des animaux ; il eft malade plus fouvent
& plus long- temps ; il périt à tout
âge , au lieu que les animaux femblent
parcourir d'un pas égal & ferme l'efpace
de la vie. La première caufe eft l'agitation
de notre âme ; elle eft occafionnée par le
déréglement de notre fens intérieur matériel
; les paffions & les malheurs qu'il
-entraîne , influent fur la fanté & dérangent
les principes qui nous animent ;
fi l'on obfervoit les hommes , on verroit
que prefque tous mènent une vie timide
AVRIL 1775. 77
& contentieufe , & que la plupart meu--
rent de chagrin .
La feconde caufe de la foibleffe de
l'individu eft l'imperfection de ceux de
nos fens qui font relatifs à l'appétit . Les
animaux fentent bien mieux que nous
ce qui convient à leur nature ; ils ne fe
trompent pas dans le choix de leurs alimens
; ils ne s'excèdent pas dans leurs
plaifirs ; guidés par le feul fentiment de
leurs befoins actuels , ils fe fatisfont ,
fans chercher à en faire naître de nouveaux.
Nous , indépendamment de ce
que nous voulons tout à l'excès , indépendamment
de cette efpèce de fureur
avec laquelle nous cherchons à nous détruire
, en cherchant à forcer la nature ,
nous ne favons pas trop ce qui nous convient
ou ce qui nous eft nuifible ; nous
ne diftinguons pas bien les effets de telle
ou telle nourriture ; nous dédaignons les
alimens fimples , & nous leurs préférons
des mets compofés ; parce que nous avons
corrompu notre goar , & que d'un fens
de plaifir nous en avons fait un organe
de débauche , qui n'eſt flatté que par ce
qui l'irrite . Il n'eft donc pas étonnant
que nous foyons , plus que les animaux ,
fujets à des infirmités , puifque nous ne
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
fentons pas , auffi bien qu'eux , ce qui
nous eft bon ou mauvais ; ce qui peut
contribuer à conferver ou à détruire notre
fanté ; que notre expérience eft bien
moins sûre à cet égard que leur fentiment
; que d'ailleurs nous abafons infini .
ment plus qu'eux de ces mêmes fens de
l'appétit , qu'ils ont meilleurs & plus
parfaits que nous , puifque ces fens ne
font pour eux que des moyens de confervation
& de fanté , & qu'ils deviennent
pour nous des caufes de deftruction &
de maladies . L'intempérance détruit &
fait languir plus d'hommes elle feule
que tous les autres fléaux de la nature humaine
réunis . Plus occidit gula quàm gladius
: vérité qu'on ne fauroit trop incul
per aux hommes , fur tout aux habitans
cififs des grandes villes .
Cette introduction eft très bien écrite.
On voit que l'Auteur a la avec attention
Jes Difcours philofophiques de M. de B.
& les Ouvrages de M. R. de Genève . H
emprunte quelquefois lents pensées &
même lears expreffions . M. D. termine
fon introduction par faire des réflexions
qui tendent à mieux faire goûter à l'ha
bitant de la campagne la douce tranquil
lité dont il jouir. Son bonheur ajoute *
AVRIL 1775. 79
n
» t- il , n'eſt pas étendu , mais il eft prefque
toujours affaré ; il ne compte ni
» fur un emploi , ni fur une dignité , ni
» fur une diftinétion ; la démarche de fes
» voiſins ne lui eft pas fufpecte ; leurs
» voeux ne fe croifent jamais. La crainte ,
» la défiance , la jaloufie , l'inimitié lui
» font inconnues ; elles n'habitent jamais
» dans fon coeur , elles ne troublent já-
» mais les fonctions de fes organes ».
M. D. a fait voir , dans un Ouvrage
publié précédemment & intitulé : Avis
aux gens de la campagne , ou traité des
maladies les plus communes , que la fanté
de l'homme de campagne étoit fouvent
confiée à des fourbes ou à des ignorans . Il
a tâché de le détourner de la confiance
qu'il donnoit à ces miférables Conful
tans d'urine , à ces Charlatans , fléaux de
la fociété , qui font incapables de faire le
plus petit bien , & dont tous les jours font
marqués par de nouvelles victimes . L'Auteur
, dans fon Précis des maladies chroniques
& aiguës , fait de nouveaux efforts
pour foulager cette utile portion du genre
humain ; il a travaillé du moins à
adoucir fes maux , en lui indiquant dans
un ftyle clair , fimple & à la portée du
plus grand nombre , une route affurée &
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
ود
des moyens efficaces & fouvent approuvés
contre les maladies qui l'affligent.
" Aucun Citoyen , s'écrie ici le vertueux
» Médecin , ne peut fe vanter d'avoir du
» loifir tant qu'il y aura du bien à faire ,
une Patrie à fervir , des malheureux à
foulager . En effet , tout ce qui a rapport
à la confervation de cette partie des
hommes , dévouée aux befoins de l'hu-
» manité , mérite particulièrement notre
» attention ; & les remèdes qui peuvent
» tourner à la guérifon ou au foulage-
» ment des maux qu'un travail pénible
» leur attire , ne peuvent être trop tôt
» Lendus publics ».
"
"
"
Hiftoire de l'Alcoran , où l'on découvre
le fyftème politique & religieux du
faux Prophète , & les fources où il ax
puifé fa légiflation . Ouvrage dédié à
Mgr le Marquis de Miroménil, Garde
des Sceaux. Par M. Turpin ; 2 vol . in-
12. A Londres ; & fe trouve à Paris ,
chez de Hanfy , libraire , Pont- au-
Change.
L'Hiftorien de l'Alcoran commence
pat nous donner une idée générale de cet
ouvrage . Alcoran , qui fignifie le livre ou
AVRIL. 1775.
plutôt ce qu'on doit lire , a la même origine
, la même fignification chez les Mufulmans
, que le Micra chez les Juifs , &
la Bible chez les Chrétiens . Comme ce
nom dérive du verbe koraa , lire , c'eſt un
abus de prononcer Alcoran , puifqu'Al
n'eft qu'un article ; ainfi en réuniffant ces
deux mots , l'Hiftorien s'est écarté des rè
gles de la langue Arabe ; mais quoiqu'on
doive donner à cette compilation le nom
de Koran , il s'eft affujetti à l'ufage de
prononcer Alcoran. Ce livre , difent les
Mufulmans , fut envoyé du Ciel fur la
terre , pour annoncer ce que Dieu prefcrivoit
fur la doctrine & la morale . Mais il
n'y defcendit que par verfets , pendant
le cours de vingt trois ans que dura l'apoftolat
de Mahomet. « Cette précaution ,
"
ajoute l'historien , eft un témoignage
» de la politique adroite du Prophète
» qui fe ménagoit la reffource de réformer
» ce qu'on trouvoit de défectueux ou de
» révoltant dans fes révélations . C'étoit
» encore un moyen d'accommoder les vo-
"
lontés du Ciel aux befoins du moment ,
» & les faire fervir aux fuccès de fon ambition
. Toutes les fois qu'on lui faifoit
des objections qu'il étoit dans l'im
» puiffance de réfoudre , il avoit coutu
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
.
» me de répondre : il faut attendre que
» Dieu nous dévoile la profondeur de fes
mystères ineffables. C'étoit ainfi , qu'à
» la faveur d'une nouvelle vifion , il le-
» voir toutes les difficultés fans s'expoſer
à la févérité d'une jufte cenfure . » Cet
amas de révélations eut la deftinée des réponfes
des Sybilles. I refta long-temps
épars & expofé à l'infidélité de la mémoire
, & à l'altération des ignorans ou des
ambitieux. Ce ne fut qu'après la mort du
Prophète , que fon fucceffeur Abu Becre
en forma un corps complet dans l'ordre
où ces menfonges , prétendus facrés , font
aujourd'hui rédigés. Les compilateurs
n'obfervèrent point l'ordre des temps our
ces révélations furent publiées. Les plus
longs chapitres furent placés les premiers ;
plufieurs paffages qui paroiffoient avoir
été altérés , furent rétablis , & l'on eur
recours au témoignage des compagnons
du Prophète , comme devant être les
nieux inftruits des interprétations qu'il
donnoit aux paffages équivoques & obfcurs.
Quand ils eurent formé ce recueil
ils en confièrent le premier exemplaire
à Haffa , veuve du Prophète & fille d'O
mar. Il s'en tira plufieurs copies , mais
l'ouvrage ne fut publié & revêtu de l'auto
AVRIL. 1778.
83
rité des Imans que fous le califat d'Omar ,
fecond fucceffeur de Mahomet.
Le ftyle de l'Alcoran eſt fi riche & ft
pompeux , que les Arabes s'en font un titre
pour prouver fa divinité. Il eft devenu
la règle de la langue nationale , & l'on
ne paffe pour difert & pour élégant qu'autant
qu'on approche de fa pureté. Les zélés
Mufulmans prétendent que cette
magnificence de ftyle , dans un homme
privé du fecours de l'éducation & des let
ires , eft un miracle auffi étonnant que la
réfurrection d'un mort , & que c'eft un
modèle que nul mortel ne peut imiter. It
eft vrai que plufieurs docteurs , moins
enthoufiaftes , ne fe font point livrés à
cette admiration fuperftitienfe . Tout le
monde convient que c'eft une profe har
monieufe & coulante ; c'eft un fon agréa
ble qui n'offre point d'idées. Le luxe &
» l'audace des métaphores , continue l'hiftorien
, éblouillent fans éclairer . Une
profufion d'images étalées fans choix
empêche de diftingner les objets. L'o-
» reille eft farrée ; mais , quoique le
» Prophetene parle que pour elle , il la
fatigue & l'étourdit par un amas d'ex-
» preffions fententieuſes , qui , à force
» d'êtreconciſes & ferrées , font fouvent
"
"
99
"
Dvj
84
MERCURE
DE FRANCE
.
obfcures & myftérieufes ; enfin , c'eft
» une efpèce de magie dont la douce illufion
égare l'efprit , & le rend incapa-
» ble de réfléchir fur les objets qu'on lui
» laiffe entrevoir , fans lui donner le temps
» de les examiner . »
Mahomet donna à fa religion le nom
d'Islamifme , qui fignifie une réfignation
abfolue à la volonté de Dieu . Ce titre
convient parfaitement à une doctrine qui
impoſe filence à la raiſon , qui exige de
fes fectateurs une obéillance fans replique ,
qui commande de fe foumettre à tous les
événemens fans murmurer , qui veut que
fes difciples foient amoureux de leurs
chaînes , qu'ils s'en glorifient comme
d'un monument de leur vocation à une
éternité de gloire , & d'un gage anticipé
de l'héritage célefte. Les Mufulmans appèlent
Vrai-croyant , celui qui admet
un dogme fans l'avoir examiné , & qui
fe foumet avec docilité aux décisions de
Docteurs auffi faillibles que lui.
Le faux Prophète n'établit ſon apoftolar
que far des vifions qu'il publie fans pu
deur. C'est en cela , comme le en remarque
l'hiftorien , qu'il eft plus adroit que les
impofteurs qui l'avoient précédé. Ils
avoient eu l'imprudence de faire dépendre
AVRIL. 1775 . 35
leur miffion du don des miracles , & lorfqu'ils
étoient follicités d'en opérer , ils fe
trouvoient fouvent dans l'impuiffance
d'exercer leurs preftiges. Mahomet prend
une autre marche , & fe dit gratifié de
vifions. Les efprits difficiles pouvoient
bien le traiter d'impofteur ; mais ils ne
pouvoient réfuter un homme accrédité ,
qui difoit , j'ai vu.
Mahomet , entouré de Juifs & de
Chrétiens , puifa dans leurs annales facrées
quelques maximes qu'il altéra par
le mélange de l'erreur pour déguifer fes
larcins. Les Arabes auroient refufé de l'écouter
s'il avoit paru avoir été formé à leur
école. Quoiqu'on le regarde comme le
créateur de l'Alcoran ' , on n'y trouve aucun
dogme qui n'eût été enfeigné avant
qu'il déclarât fa miffion. C'eft une compilation
informe de quelques vérités lumineufes
& d'erreurs révoltantes , qu'il a
fu revêtir des plus riches couleurs de l'éloquence
.
D'immenfes volumes ont été publiés
fur la légiflation religieufe des Arabes . M.
Turpin n'a pas négligé de les confulter . Il
y a puifé un efprit de critique & de difcuffion
qui donne un nouveau degré d'intérêt
à fon hiftoire de l'Alcoran. M. Tur86
MERCURE DE FRANCE.
pin convient que Mahomet fut un fourbe
dont la légiflation eft fenfuelle , fi on la
compare à l'austérité des maximes évangéliques.
Mais cet écrivain prouve trèsbien
que ce ne fut point en autorifant la
licence que le faux Prophète établit fon
empire fur les efprits . Il affecta des dehors
févères & fe couvrit des apparences de la
vertu , perfuadé que les hommes vicieux
confervent un fecret attachement pour
elle . On n'eûr point reconnu l'envoyé d'un
Dieu dans un homme qui abandonnoit les
coeurs à la licence de leurs penchans . H
prefcrit des peines & des mortifications
comme des moyens propres à calmer la révolte
des fens ; il ordonne le pardon des
injures à des peuples qui regardoient com
me le plus noble de leurs priviléges le
droit de la vengeance : les prières fréquentes
dont il fait des obligations effentielles
doivent être regardées comme un
frein contre le vice , puifqu'elles rappel
lent que l'on a un maître & un juge dans
le Dieu que l'on invoque. La circoncifion
douloureuſe , le pélerinage de la
Mecque à travers des fables brûlans , des
ablutions multipliées qui font des fignes
extérieurs de la pureté de l'ame , font aufl
des obligations propres à maîtriser les
AVRIL 1779 . 87
fens. L'hiftorien s'eft donc propofé de
rectifier les idées que le vulgaire fe forme
de l'Alcoran & de fon Auteur. Mais il ne
déguife point ce défordre , ces déclama
tions , ces abfurdités , ces erreurs de politique,
d'hiftoire & de chronologie, quidécèlent
qu : c'est la production d'un impofteur
effronté , qui ne craint point d'être
démenti par un peuple ignorant & groffier.
M. T. s'eft permis , dans le cours de
fon hiftoire , quelques digreffions qui
Occupent agréablement le lecteur , & lui
dérobent l'ennui de l'uniformité . Cet hiftorien
, après nous avoir expofé les prin
cipes fondamentaux de l'iflamifme ; après
nous avoir entretenus fur la prière , la circoncifion
, l'aumône & le jeûne , le pélerinage
de la Mecque , le mariage & le
divorce , les Eunuques , la poligamie &
a clôture , le décret abfolu , le droit de la
erre chez les Mufulmans & for tes autres
objets dont il eft parlé dans l'Alcosan
, termine fon ouvrage par nous rappeler
les caufes phyfiques & morales qui
ont accrédité la légiflation de Mahomet.
« Quiconque , nous dit- il , eft verfé
dans l'hiftoire de l'ancienne Arabie
ne voit point dans l'établiffement de
$8 MERCURE DE FRANCE.
» l'Alcoran autant de difficultés à furmon-
» ter qu'on fe le figure ordinairement.
» Mahomet ne fema point, il ne fit qu'arracher
quelque ivraie d'un champ depuis
long - temps cultivé : il ne planta
point l'arbre de l'Iſlamiſme , il ne fit
>> qu'en élaguer quelques rameaux. »
و د
M. Turpin , bien connu par une trèsbonne
hiftoire de Louis II , Prince de
Condé , & par d'autres écrits de ce genre ,
fait par une marche libre , des réflexions
fages , un ftyle grave , mais ferme & plein
de chaleur , fixer de nouveau l'attention
du lecteur fur des objets déjà traités par
plufieurs favans & que les hiftoriens de
l'Arabie nous rappellent fouvent.
Expériences & obfervations fur différentes
efpèces d'air ; traduites de l'Anglois de
M. J. Priestley , Docteur en Droit ,
Membre de la Société Royale de Lon
dres. A Berlin ; & fe trouve à Paris ,
chez Saillant & Nyon , Lib . rue St Jean
de Beauvais.
Les Phyficiens modernes fe font appliqués
particulièrement à faire différentes
expériences fur l'air ; M. Priestley eſt un
des premiers qui ait dirigé fes vues vers
AVRIL. 1775. 89
eet objet ; & c'est le réfultat de fes expériences
& de fes obfervations qu'il a
confignées dans l'ouvrage que nous annon
çons , & qui ont déjà produit une grande
révolution dans la fcience phyfique. Les
premières découvertes qui ont été faites
fur l'air furent la pefanteur & l'élafticité.
M. Bayle découvrit que des fluides
élaftiques , effentiellement différens de
l'air de l'atmosphère , mais femblables à
lui dans fes propriétés , telles que
la pe.
fanteur , l'élafticité & la tranſparence
pouvoient être produits par des corps folides
; mais bien long-temps auparavant ,
ceux qui travailloient dans les mines ,
avoient connoiffance de deux espèces
d'airs différens & factices , ou du moins
de leurs effets. L'un de ces airs eft plus
pelant que l'air commun ; on lui a donné
le nom de vapeur fuffocante ; & l'autre
, plus léger , s'appelle vapeur inflammable.
Quoiqu'on fût que la première
de ces espèces d'airs eft nuifible , on
n'avoit pas encore découvert que la feconde
l'eft auffi ; parce qu'on la croyoit
toujours mêlée avec l'air commun , pour
être refpiré avec fûreté : l'air de la première
efpèce , découvert dans différentes
cavernes , avoit pareillement été observé
90 MERCURE DE FRANCE.
-
à la furface des liqueurs en fermentation,
par Vanhelmont & par d'autres Chimiſtes
Allemands , qui lui donnèrent le nom de
gas; mais dans la fuite il reçut celui d'air
fixe , fur tout depuis que le Docteur
Black d'Edimbourg , eut découvert qu'il
exiſte dans un état de fixité dans les
corps alkalins , la craie & les autres fubftances
calcaires. Cet excellent Phyficien
découvrit que l'air fixe contenu dans ces
fubftances , eft ce qui les rend denfes ; &
que lorfqu'elles en font privées par la
violence du feu , ou par quelqu'autre
procédé , elles paffent à cet état que l'on
a appellé cauftique , à caufe de l'effet corrofif
& brûlant qu'il produit fur les fubf
tances animales & végétales .
> Le Docteur Macbride a découvert
d'après une obfervation du Chevalier
Pringle , que l'air fixe eft antifceptique à
un degré convenable. Le Docteur Browintigg
a découvert auffi que la même
efpèce d'air eft contenue en grande quan .
tité dans les eaux minérales qui ont un
goût acidule ; & que leur odeur particu
lière , leur goût piquant & leurs vertus
minérales font dûs à cet ingrédient. Le
Docteur Hales a obfervé que certaines
fubfiances & certaines opérations produiAVRIL.
1775 . 91
fent de l'air , & que d'autres l'abſorbent.
M. Cavendifch a déterminé avec exactitude
les pefanteurs fpécifiques de l'air
fixe & de l'air inflammable ; enfin M.
Lêne a découvert que l'eau ainfi impreguée
d'air fixe peut diffoudre une quantité
confidérable de fer , & devenir parlà
fortement chalybée . C'eft d'après ces
découvertes que M. Priestley eft parti
pour faire les expériences , qui fe trouvent
déjà rapportées dans le Recueil des Obfer
vations fur la Phyfique , par M. l'Abbé
Rofier , & qu'il faut lire dans l'Ouvrage
même. L'Auteur , dans une Lettre à M.
Gibelin , Traducteur de cet Ouvrage
dit avoir tiré de l'air inflammable , de plu
heurs métaux , par le moyen d'un miroir
ardent , fans s'être fervi d'acide quelconque
; il a depuis fait une infinité d'obfervations
fur l'air , extrait de différentes
fubftances par ce moyen ; & il a obtenu
un air acide vitriolique , en faisant bouil-
Jir de l'huile de vitriol avec des fubftances
qui contiennent du phlogifque ;
cet air , felon lui , reffemble affez à l'air
acide marin , mais avec plufieurs différences
frappantes . M. Priestley a fait auffi
un grand nombre d'expériences fur l'ait
qu'il a obtenu par la diffolution de quan.
92 MERCURE DE FRANCE.
tité de fubftances , dans l'efprit de nitre.
La diffolution du charbon & autres fubftances
qui contiennent du phlogistique ,
lui a donné de l'air nitreux prefque auffi
pur que celui qu'on obtient par la diffolution
des métaux. Nous n'indiquons ici
les expériences de cet Auteur que pour
engager les Chimiftes à les tenter.
On a envoyé depuis peu à Gibert aîné ,
Libraire , rue des Mathurins , quelques
exemplaires d'un Ouvrage écrit en idiome
latin & anglois , & qui a pour titre:
Anatomia uteri humani gravidi tabulis
illuftrata , Auctore Gulielmo Hunter , Regine
Medico extraordinario . Cet Ouvraeft
grand in -fol. forme d'Atlas & de
la plus grande beauté ; il a été imprimé
l'année dernière par Baskerville , fi connu
dans la République des Lettres par les
Ouvrages qui font fortis de defous fa
preffe , & il eft orné en outre de 34 planches
, gravées par les meilleurs Maîtres :
elles repréfentent des foetus de tout âge .
L'Auteur de cet Ouvrage eft le Docteur
Hunter , très renommé à Londres dans
l'art des accouchemens .
De l'efprit du gouvernement économique ;
AVRIL. 1775; 93
"
و د
99
par M. Boefnier de l'Orme. A Paris ,
chez Debure , frères , quai des Auguf
tins , près la rue Pavée .
"L'art de procurer aux fociétés la plus
grande fomme de bonheur poffible , a
» dit un Orareur éloquent dans l'Eloge
» de Descartes , eft une des branches de
» la philofophie la plus intéreffante ; &
» peut être dans toute l'Europe eft -elle
» moins avancée que n'étoit la phyfique
à la naiffance de Defcartes . Il y a des
» préjugés non moins preffans à renverfer
; il y a d'anciens fyftêmes à détruire
; il y a des opinions & des cou-
» tumes funeftes , & qui n'ont ceffé de
paroître telles que par l'empire de l'ha-
» bitude : les hommes réfléchiffent fi peu ,
qu'un mal qui fe fait depuis cent ans ,
leur paroît prefque un bien . Ce feroit
» une grande entreprife d'appliquer le
» doute de Defcartes à ces objets , de les
» examiner pièce à pièce , comme il exa
» mina toutes fes idées , & de ne juger
» de tout que d'après la grande maxime
» de l'évidence
"
לכ
Rien n'est plus utile à la fociété que
de porter ce flambeau de la difcuffion
par- tout où la lumière de la vérité n'a
point encore pénétré ; tout ce qui tient
94 MERCURE DE FRANCE .
au grand art de gouverner les hommes ,
& de les conduire au plus grand bonheur
poffible , exige beaucoup de difcuffion :
il ne s'agit tien moins que de revenir fur
des principes qu'on a fouvent adoptés fans
examen ; de repaffer fur toutes les opinions
qu'un refpect aveugle & une parefle
, fi naturelle à la plupart des hommes
, ont perpétuées dans la fociété ; de
foumettre ces opinions à une reviſion
exacte & févère , afin de ne rien approuver
que ce qui fera conftamment vrai &
utile aux hommes ; en un mot , d'appli
quer le doute univerfel de Descartes à
tous les points de la fcience du gouvernement
, afin d'augmenter , s'il eft poffible
, le dépôt de lumières que l'expérience
de tous les fiècles doit néceffairement
produire. Ces fortes de difcuffions ne
peuvent qu'infpirer un plus grand refpect
pour les maximes qui font auffi utiles au
bien de la fociété qu'elles font anciennes.
La vérité devient d'autant plus éclatante ,
qu'elle a triomphé de la contradiction .
Si les opinions qu'on veut introduire
font des erreurs dangereufes , rien n'eft
fi néceffaire que d'ouvrir les yeux de
ceux qui peuvent en être les victimes ;
d'ailleurs on convient que dans les maAVRIL.
1775. 95
1
tières de pur raifonnement , & foumifes
à un examen public , la féduction ne
fauroit être de longue durée. Ceux mêmes
qui fe trompent , méritent des égards,
lorfque l'amour feul du bien de la Patrie
les dirige. Il n'en eft pas moins vrai que
les erreurs ne peuvent être indifférentes
dans une matière qui intéreffe de fi près
le bonheur de l'humanité. Celui qui ofe
les attaquer mérite fur-tout les éloges de
ceux qui peuvent concourir au triomphe
de la vérité. L'Auteur de l'Efprit du gouvernement
économique uniquement
animé de l'amour du bien public , a fu
réunir dans fon Ouvrage les objets les
plus importans de l'adminiftration . Agriculture
, arts & manufactures , commerce
, crédit , ufage de la monnoie , richeſſe
d'un Etat , Colonies , revenu national ,
nature de l'impôt , emprunts publics , & c.
tous ces différens objets font traités avec
clarté & précifion dans un feul volume ,
l'Auteur defire qu'on élève la gloire du
Gouvernement actuel au delà du point
où l'ont tranfportée les Sullis & les Colberts
, en fixant , par des loix raiſonnées ,
les vrais principes de l'économie politique
, & en affurant pour toujours l'ordre
de l'administration & le bonheur public,
.96 MERCURE DE FRANCE.
par un de ces établiffemens , faits pour
rendre chère à jamais la mémoire de leur
fondateur. Un Ecrivain qui ne cherche
qu'à être utile , en difcutant des objets
auffi importans , a des droits fur notre
reconnoillance , & mérite d'être encouragé
; & l'on aura droit de répéter à tous
ceux qui s'oppoferont à cette forte de
difcuffion , ces paroles , dont on a fait
ufage à fi jufte titre : Savons nous tout ;
fommes nous bien?
Dictionnaire d'Hiftoire Naturelle qui concerne
les Teftacées ou les Coquillages
de mer , de terre & d'eau douce , avec
la Nomenclature , la Zoomorphofe ,
& les différens fyftêmes de plufieurs
célèbres Naturaliftes , anciens & modernes.
Ouvrage qui renferme la deſcription
détaillée des figures , des coquilles
, l'explication des termes ufités ,
les propriétés de plufieurs , & les nores
en partie des endroits où elles fe trouvent
. Par M. l'Abbé Favart d'Herbigny.
3 vol . in- 8°. A Paris , chez Bleuet , libraire
, fur le Pont St. Michel ; 1775 .
Les Dictionnaires d'Hiftoire Naturelle
qui ont paru jufqu'aujourd'hui n'ont
prefque
AVRIL. 1775 . 97
prefque point fait mention de la partie
du règne animal qui comprend les Teftacées
ou les Coquillages en général , ou n'ont
adopté qu'un ou deux Auteurs fans entrer
dans la Nomenclature ancienne & moderne
des espèces . C'eft ce qui a déterminé
en bonne partie l'auteur à compoſer
ce Dictionnaire féparément.
On connoît les progrès de la connoiffance
de la Conchiliologie depuis Pline
le Naturalifte jufqu'aux auteurs de
nos jours ; & la multitude des coquillages
que l'on a découverts dans toutes les
Mers Orientales & Occidentales , a trouvé
par les mêmes gradations, des Nomenclateurs
zélés , afin de pouvoir diſtinguer
tous ces animaux aquatiques ou terreftres
. On fait auffi que leurs enveloppes
précieuſes ou leurs coquilles frappent &
piquent infiniment la curiofité des Natu
raliftes ; préfentent , parmi les êtres créés ,
le coup d'eil le plus raviffant ; & leur procurent
une riche empreinte de ces fortes
de reptiles ,pour tirer des conféquences de
leurs figures , puifqu'ils ne font pas fufcep
tibles d'être examinés comme les autres,
animaux. L'auteur a fait part de fon plan a
MM. Guetard , d'Aubenton , Adenſon , le
Sage de l'Académie des Sciences de Pa
II. Vel.
5
98 MERCURE
DE FRANCE .
ris , ainsi qu'à plufieurs célèbres Naturaliftes
, à M. l'Abbé de Crillon , M. l'Abbé
Gruel , à M. Romé de l'Ifle , & à d'autres
dont il a eu également les fuffrages . C'eft
dans les noms des genres, où l'auteur donne
ceux des différens pays, & les différentes
étymologies, qu'il analyfe & développe les
fyftêmes de Rondelet & d'Aldrovande
(qui font mention de ceux des Anciens
Philofophes ) avec la traduction des citations
; celui de Rumphius avec fa nomenclature
& l'interprétation de la Langue
Hollandoife ; les fyftêmes de Gualtien
de MM. Adanfon , d'Argenville .
Il auroit été difficile à M. Favart de
faire des defcriptions auffi exactes fans le
fecours d'une grande collection de coquillages
qu'il a décrits à la main , ainfi qu'avec
ceux qu'il a vus dans plufieurs cabinets
renommés ; les définitions latines dont
elles forment les extraits feront utiles aux
Nations étrangères , & peuvent établir
une nomenclature que l'Auteur met au
jour avant de faire l'hiftoire générale des
Coquillages qui feront gravés & arrangés
dans un nouvel ordre méthodique qu'il
propofe aux Conchiliologiftes dans fon
Ouvrage.
Cette interprétation Hollandoife fera
AVRIL..1775 : 99
•
très utile pour les perfonnes qui fouhaite .
ront faire des négociations avec les Curieux ,
& les Marchands Hollandois , ainſi qu'à
ceux qui poffèdent cet Auteur.
Lettre fur les Économistes.
Cette Lettre de 72 pages in - 12 . fe
trouve inférée dans le troisième volume
des Ephémérides de la préfente année ,
quoiqu'elle fe vende féparément de ce
volume. Elle est une expofition claire &
fuccincte de ce qu'on appelle dans le
monde le Systême des Economiſtes. Cette
expofition eft préſentée de manière qu'elle
peut être regardée comme une apologie
complette de ce fyſtème.
On voit dans cette Lettre que les loix
d'une fociété politique doivent être puifées
dans celles de la nature , que l'ordre
focial doit être calqué fur l'ordre phyfique.
Elle nous montre enfuite que pour
réduire en pratique cette théorie , il ne
s'agit que de reconnoître le droit de propriété
pour la première de toutes les
loix fondamentales , pour la fource commune
, la raifon primitive de toutes les
loix , de toutes les grandes polices , de
toutes les inftitutions qui doivent entrer
E ij
100 MERCURE
DE FRANCE.
dans la formation d'un corps policique ;
qu'ainfi un tel corps ne peut fe flatter
d'être parfaitement organité , s'il ne l'eft
en tout point , d'une manière conféquente
au droit de propriété , fi toures
les diverfes parties de fa conftitution ne
concourrent au maintien de ce droit dans
toute fon intégrité.
>
Sans rien développer , l'auteur de la
Lettre en dit cependant affez pour faire
voir que le droit de propirété eft le fondement
de la profpérité d'un Empire , le
germe moral de fa richeffe , de fon induftrie
, de fa population , de fa puiſfance
& de la félicité publique. Cet auteur
va plus loin encore : il obferve que
le droit de propriété conftituant néceffairement
l'intérêt commun feul &
unique lien focial , conftitue néceffairement
auffi la juftice pat effence , cette
règle fondamentale de la morale univer
elle ; de cette morale qui eft de tous les
fiècles & de tous les climats ; de cet e
moraic , qui , ayant pour objet le bonheur
commun de notre efpèce , ne peut
que pacifier la terre , que tenir les Nations
parfaitement unies entre elles ;
ne former , pour ainfi dire , de tous les
peuples , qu'un feul & même Empire ,
dont toutes les parties foumifes à la
AVRIL. 1775 . 101
même loi , jouillent de la même félicité
.
Du droit de propriété , nous voyons
naître la fûreté civile & politique , la fûreté
intérieure & extérieure ; nous voyons
naître la plus grande liberté dont un Citoyen
puille jouir , la plus parfaite égalité
que l'état focial puiffe comporter ; de la
même fource découlent la liberté &
l'immunité du commerce , la néceffité
d'un prêt unique & territorial , dont la
quotité foit invariablement réglée par
les loix , l'inftitution d'une fouveraineté
héréditaire & d'un Souverain unique
dont l'autorité ſoit abfolue fans être arbitraire
, foit fans partage & non pasfans
bornes , foit en un mot la fille & jamais
la rivale des loix , foit ainfi le gage & le
garant de la ſtabilité des loix.
Après avoir crayonné rapidement le
fyftême des Economiftes , fur ce que
l'auteur appelle la bonne conftitution
d'un corps politique ; avoir montré que
leurs principes n'ont rien qui ne foit
avantageux aux Monarques , à leurs Sujers
& à la Religion ; pour mettre fa démonftration
dans un plus grand jour ,
l'auteur prend l'inverfe de ces mêmes
principes , & préfente une chaîne de
propofitions qu'il paroît difficile de lire
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
fans en être révolté . Ce morceau nous
a paru un des plus faillans de la lettre ,
qui d'ailleurs eft remarquable , non -feulement
par la pureté de fon ſtyle & par
le choix des idées , mais encore par la
noble fimplicité & par l'honnêteté qui
règnent dans cet ouvrage caractères
d'autant plus précieux qu'on ſemble fouvent
s'en écarter .
Dictionnaire des mots homonymes de la
Langue Françoife ; c'est - à - dire , dont
la prononciation eft la même & la
fignification différente ; avec la quantité
fur les principales fyllabes de chaque
mot, pour marquer la durée de
leur prononciation , prouvée par des
exemples agréables , tirés des Auteurs
& des Poëtes Latins & François , tant
anciens que modernes. Par M. Hurtaut ,
Maître- ès Arts & de Penfion de l'Univerfité
de Paris , ancien Profeffeur de
l'Ecole Royale Militaire , & Penfionnaire
de Sa Majefté. A Paris , chez
Langlois , Libr. rue du Petit Pont ,
près la rue Saint Séverin , au St Eſprit
couronné .
Ou renonçons à l'éloquence , à la
Poéfie , à l'art d'écrire , & fermons l'AAVRIL.
1775. 101
cadémie , difoit l'Abbé d'Olivet : ou
convenons que s'il eft beau de cultiver
les arts qui font honneur à l'efprit
humain & qui font utiles à la fociété
; on auroit tort , de négli
ger des connoiffances fans lesquelles
ces arts ne peuvent qu'être imparfaits.
L'Auteur de ce Dictionnaire s'eft propofé
de faciliter les progrès dans l'étude
de la Langue Françoife , en nous appre
nant la vraie fignification & l'énergie
de certains mots François dont la prononciation
eft la même , & en y joignant
la manière de les prononcer comme il
faut. La plupart des Grammairiens ne
font pas entrés dans ce détail de règles
sûres , qui peuvent fur - tout nous diriger
dans la connoiffance de ce dernier objet.
M. l'Abbé d'Olivet , qui nous a donné
les meilleures règles de la profodie Françoife
, auroit voulu y fuppléer , en nous
donnant un Dictionnaire profodique ,
où il auroit apprécié la durée de chaque
fyllabe , & fixé , par ce moyen , la prononciation
fur laquelle il s'élève fouvent
des doutes . Cet illuftre Grammairien
n'auroit pas manqué de bien accueillie
l'Ouvrage de l'ancien Profeffeur que
nous annonçons , & de l'encourager à
pouffer plus loin fes recherches , afin
:
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
pare
d'avoir une théorie exacte , foit des accens
, qui marquent l'élevation ou l'abaiffement
de la voix dans la prononciation
d'une fyllabe , foit de la quanrité
, qui en indique la durée plus ou
moins longue . On a remarqué que le
François , qui néglige le plus la prononciation
de fa Langue , n'en exige pas
moins rigoureufement l'accent le plus
pûr , dans les perfonnes deſtinées à
ler en public . On a vu , dans les Pro- ,
vinces méridionales , plufieurs Villes .
fiffler des Acteurs , à caufe de leur mauvais
accent & d'une articulation vicieufe .
On ne doit donc pas être furpris qu'à
Paris on détourne la tête & l'on manifefte
fon dégoût , lorfqu'on entend déciamer
un Acteur Provincial , qui ne
s'eft point guéri de fon accent . On a
beau dire que la prononciation s'apprend
plus de vive voix , par l'ufage & la fréquentation
des perfonnes qui parlent
correctement, que par des règles détail
lées & méthodiques ; l'ufage du monde
& la lecture des bons livres ont beau
rectifier , en quelque chofe , le langage
& l'écriture : ils ne donneront jamais
des principes fixes & propres à diriger
dans la prononciation de beaucoup de
mots. Il eft impoffible de parler toujours
on
AVRIL. 1775 . 105
correctement , lorfqu'on n'a d'autre règle
que l'habitude & une imitation aveugle.
On n'avance , dans quelque fcience
que ce puiffe être , qu'autant qu'on étudie
& qu'on approfondit les véritables
principes. Comme on ne peut mieux
perfectionner les organes , que lorfqu'ils
font tendres & fufceptibles de toutes
fortes d'accens ; on ne fauroit mettre
trop tôt ce nouveau Dictionnaire entre
les mains des jeunes gens , qui leur applanira
les difficultés de la Langue Françoife
& de la Langue Latine. Les Provinciaux
y trouveront de bonnes obfervations
fur leurs articulations vicieuſes.
Le choix judicieux des exemples qui y
font joints devient un ornement néceffaire
dans les Ouvrages didactiques.
Commentaires fur les Loix Angloifes de
M. Blackftone , traduits de l'Anglois
par M. D. G. fur la quatrième Edition
d'Oxford , 3 vol . in- 8. à Bruxelles,
chez Boubers ; à Paris , chez Durand
Libraire , rue Galande , & chez Dorez ,
rue Saint-Jacques , près Saint . Yves.
On defiroit , depuis long temps , une
bonne traduction de cet Ouvrage , f
eftimé parmi les Anglois. L'Auteur , per
fuadé qu'il faut éclaicit l'Hiftoire pag
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
les Loix , & les Loix par l'Hiftoire ,
avoit étudié , à fond , la conftitution
du Gouvernement d'Angleterre & les
différentes révolutions de ce Royaume.
Aucun monument , relatif à l'Histoire
n'a échappé à fes recherches . Auffi l'Ouvrage
de M. Blackstone doit être regardé
comme celui d'un Savant Littérateur
d'un Publicien profond & d'un Jurifconfulte
habile.
Rien n'eft fi effentiel , comme l'obferve
l'Auteur , que de connoître les
Loix du Corps de fociété dans lequel on
vit. Ciceron nous apprend que l'on étoit
obligé , dans l'âge d'adolefcence , d'apprendre
par coeur les douze tables de la
Loi pourquoi faut - il qu'on néglige
parmi nous l'étude d'une fcience qui
doit être regardée comme la fauve garde
des droits naturels & la règle de la conduite
civile. La conftitution particulière
d'Angleterre rend cette connoiffance encore
plus néceffaire . Dans un Royaume
où la liberté civile confifte principalement
dans le pouvoir de faire tout ce
que la Loi permet , chaque individu eft
en quelque façon néceffité d'avoir quelque
connoiffance des Loix qui le concernent
immédiatement ; foit pour ne
pas encourir le blâme de vivre dans une
AVRIL. 1775. 107
fociété aux Loix de laquelle il eft foumis
, fans les connoître ; foit pour n'être
pas exposé aux inconvéniens qui réfulteroient
de cette ignorance . Le Commentaire
de M. Blackstone ne pouvoit donc
qu'être bien accueilli par fes compatriotes.
Il eſt également effentiel pour tous
les Jurifconfultes , les Hiftoriens , les
Littérateurs & les Publiciftes , de quel
que nation qu'ils foient. Ceux qui aiment
la faine morale & les anciens
ufages , le liront avec plaifir. On peut
regarder cet Ouvrage comme un bon
modèle d'un Traité fur les Loix Fran-
• çoifes , qu'on attend depuis long- temps.
Sermons , Difcours , Panégyriques , & c.
dédiés au Pape Clément XIII , deux
volumes. A Paris , rue S. Jean - de-
Beauvais , la première porte cochère
au deffus du Collège.
Les Curés & les Miffionnaires trouve
ront dans ces deux volumes tous les matériaux
qui leur feront néceffaires pour
l'inftruction des fidèles . L'auteur s'eft
d'abord appliqué , dans fes premiers ou
vrages , à réfoudre felon les maximes
de la plus faine morale , une partie des
difficultés qui arrêtent les jeunes Prêtres
dans l'exercice de leur miniftère. Il a
י
Evi
108 MERCURE DE FRANCE.
>
voulu encore leur fournir des modèles
de difcours qu'ils puiffent lire en chaire ,
ou les débiter en tout on en partie. Les
Pafteurs qui ont plus de zèle que de loisir ,
ou même de facilité , aiment encore
mieux s'approprier les ouvrages d'autrui
que de manquer au devoir fi effentiel
d'éclairer leurs Paroiffiens. Ils trouveront
dans ces deux volumes que nous annonçons
, les principales maximes , qui ont
pour but d'établir l'empire de la juftice
chrétienne & de faire refpecter &
aimer une religion qui fixe à chaque
âge fes devoirs , à chaque fexe fes pratiques
convenables , & à chaque condi
tion fes vraies bornes . On a beau prêcher
cette religion , dit on , perfonne ne quitte
fes mauvaifes inclinations. Un remède .
parce qu'il ne guérit pas tous les malades
, doit- il être pour cela rejeté comme
inutile . Un miroir ardent ne fait
qu'une impreffion légère far le marbre &
l'acier , s'enfuit- il qu'il n'eft pas propre
à mettre en feu des matières combuftibles.
Préparez votre terre avec foin , je
rez une bonne femence , que le foleil &
la pluie viennent tour à tour , & la récolte
ne fauroit manquer d'être abondante.
Qui ne reconnoît pas fous cerre
emblême la prédication lorfqu'elle eft
AVRIL 1775. 109
jointe à la vigilance & à la fageffe des
Pafteurs animés d'un zèle apoftolique ?
Qu'on parcoure l'Hiftoire Eccléfiaftique ,
& l'on verra de fiècle en fiècle les peuples
paffer fucceffivement des horreurs
de la barbarie à la douceur du chriftianiſme
, du ſein de l'ignorance à la connoiffance
de leurs devoirs , de la corruption
à la verta. Auguftin va prêcher
en Angleretre , où l'ignorance & la corruption
des moeurs étoient à leur comble.
A fa voix tout change de face ; aux vices
des payens fuccèdent les vertus du chrif
tianifme. Romuald prêche en Espagne ,
on y voit des Evêques mêmes & des
Chanoines rentrer en eux mêmes & ſe
réformer. Boniface de Mayence va prêcher
dans la Frife , la Heffe & la Thuringe
; Saint Amand chez les Gantois &
les Elclaves; Otton dans la Pologne &
la Pomeranie , pays où la pluralité des
femmes étoit en ufage , où l'on adoroit
des arbres & l'on facrifioit des enfans:
on y voit bientôt l'humanité fuccéder à
la barbarie , la charité à l'efprit de vengeance
, la douceur à la férocité. Savonarolle
vient à Florence , ville plongée
dans la molleffe , le luxe & tous les viil
monte en chaire : on court l'ene
ces ;
ΠΙΟ MERCURE DE FRANCE.
tendre , on ne parle que de réforme ; les
inftrumens de luxe & de la vanité font
portés fur la place & brûlés au pied d'une
pyramide . Enfin on voit dans Florence
une autre Ninive , la converfion des
' habitans n'étant ni moins prompte ni
moins durable. La prédication reproduira
encore les mêmes prodiges , lorfque
l'éloquence des Pafteurs fera fou
tenue par la fermeté de leur zèle & la
fainteté de leur vie.
Eloge de Marc- Aurèle ; par M. Thomas
, de l'Académie Françaife. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris chez
Moutard , quai des Auguftins.
On a obfervé plus d'une fois les inconvéniens
du panégyrique. La louange
fatigue aifément . La raifon févère fe
défie toujours d'un homme qui dit : Je
vais louer. S'il exagère , c'eft un Rhéteur
qui flatte , c'est un Artifte qui remplic
une tâche & qui en fait un jeu d'efprit.
Le panégyrique demande un fujet heureux
, où l'Orateur puiffe fe paffionner
fans affectation , fûr de retrouver pour
* Article de M. dela Harpe
AVRIL. 1775. II ]
་
fon Héros , dans le coeur de ceux qui
l'écoutent , la même fenfibilité que
dans le fien . S'il porte cette fenfibilité
jufqu'au point de faire oublier l'art , &
d'occuper entièrement de l'homme qu'il
célèbre , il a obtenu un beau triomphe.
L'Orateur n'eft jamais plus puiflant que
lorfqu'il peut paraître un perfonnage pénétré
de la chofe dont il parle : que fera
ce s'il l'eft en effet ? S'il faut louer un
grand Prince , qui le louera mieux que
Je Sage qui a été fon maître & fon ami ,
& qui vient près de fon cercueil pour
rendre hommage à fa mémoire , en préfence
de tout un Peuple ? Quel intérêt acquiert
alors le panégyrique? C'eſt cette
idée fi heureufe qu'a faifie M. Thomas .
C'eft cette forme abfolument neuve qui
fait de l'éloge de Marc-Aurèle un Drame
fi animé , fi attachant , fi pathétique ; &
la beauté du ftyle en fait un Drame ſublime.
« Après un règne de vingt ans , Marc-
» Aurèle mourut à Vienne. Il était alors
» à faire la guerre aux Germains . Son
" corps fut rapporté à Rome , où il entra
au milieu des larmes & de la défo-
» lation publique. Le Sénat , en deuil ,
» avait été au - devant du char funèbre ..
112 MERCURE DE FRANCE.
Lepeuple & l'armée l'accompagnaient.
so Le fils de Marc- Aurèle fuivait le char.
" Le peuple marchait lentement & en
» filence. Tout à coup un vieillard s'a-
» vança dans la foule ; fa taille était hau-
» te & fon air vénérable ; tout le monde
» le reconnut : c'était Apollonius , Phi-
» lofophe Stoïcien , eftimé dans Rome ,
» & plus reſpecté encore par fon carac-
» tère que par fon grand âge . Il avait
» toutes les vertus rigides de la Secte ,
»& de plus avait été le maître & l'ami
» de Marc Aurèle . Il s'arrêta près du cer-
» cueil , le regarda triftement , & tout- à-
"coup élevant la voix , &c. n .
Cette manière d'établir le lieu de la
fcène eft noble & impofante. Ces defcriptions
locales étaient familières aux
Anciens , qui s'attachaient beaucoup à
parler aux fens ou à l'imagination , qui
les fupplée. Voyez dans le troifième livre
de l'Enéïde la peinture d'Andromaque
offrant des libations au tombeau
d'Hector.
Solemnes tum fortè dapes & triflia dona ,
Ante urbem , in luco , falfi Simoentis ad undam ,
Libabat cineri Andromache , manefque vocabat
Hectoreum ad tumulum viridi quem cefpite inanem,
Et geminas, caufam lacrimis , facraverat aras,
AVRIL 1775. 113
Un exemple beaucoup plus ancien , &
peut-être encore plus beau par fa touchante
fimplicité , c'eft cet exorde qui
précède les plaintes éloquentes de Jérémie
fur les malheurs de Sion . Poftquam
in captivitatem redactus eft Ifrael & Jeru
falem deferta eft , fedit Jeremias Propheta,
flens , & planxit lamentatione hac in Jeru
falem , & amaro animo fufpirans & ejulans
dixit : Quomodo , & c . Un pareil dé
but s'empare d'abord de l'âme , & vous
tranfporte fur une fcène de douleur , &
ce qui fait répond parfaitement à la
beauté de cet exorde .
Un Philofophe Stoïcien ne connaît
point l'adulation . Aufli l'Aureur qui le
fait parler n'a t il mis dans fon difcours
aucune de ces flatteries qui fe mêlent à
l'éloge des meilleurs Princes . Jamais la
louange ne fut plus auftère , jamais la vé..
rité ne parut plus fainte . « Romains , ( dit
» il ) la pompe funèbre de l'homme jufte
» eft le triomphe de la vertu qui retour-
» ne à l'Être Suprême . Confacrons cette
"9
fête par nos éloges . Je fais que la vertu
» n'en a pas befoin : mais ils feront l'hom-
» mage de notre reconnoiffance . Il en eft
» des grands hommes comme des Dieux ;
» comblés de leurs bienfaits, nous n'avons
114 MERCURE DE FRANCE.
pas pour eux de récompenfes , mais
» nous avons des hymnes. Puiflé je au
» bout de ma carrière , en parcourant la
"
vie de Marc - Aurèle , honorer à vos
» yeux les derniers momens de la mien-
» ne. Et toi qui es ici préfent , toi , fon
fuccefleur & fon fils , écoute les vertus
» & les actions de ton père. Tu vas ré-
» gner ; la flatterie t'attend pour te cor .
rompre. Une voix libre , pour la dernière
fois peut- être , fe fait entendre à
» toi. Ton père , tu le fais , ne m'a point
» accoutumé à parler en efclave. Il aimait
» la vérité. La vérité va faire fon éloge.
" Puiffe -t-elle un jour faire le tien ! »
Apollonius retrace l'éducation févère
que reçut Marc - Aurèle loin de Rome &
de la Cour , & il prend cette occafion
pour reprocher aux Romains que cette
éducation mâle commence à dégénéres
parmi eux.
ร ร
"
« L'héritier avare compte avec plaifir
» tous ceux qui lui ont tranfmis des richeffes.
Marc Aurèle , plus avancé en
âge , comptait tous ceux à qui , dans
» fon enfance , il avait dû l'exemple
» d'une vertu . Mon père , nous difait- il ,
" m'apprit à n'avoir rien de lâche &
» d'efféminé ; ma mère , à éviter jufqu'à
AVRIL. 1775 . rij
·
la pensée du mal ; mon aïeul , à êrre
bienfaifant; mon frère , à préférer la
» vérité à tout. Voilà dequoi , Romains , il
>> rend grâces aux Dieux , à la tête de l'ouvrage
où il a dépofé tous les fentimens
» de fon coeur. Bientôt des maîtres lui enfeignèrent
tous les devoirs de l'homme,
mais en les pratiquant. On ne lui difait
» pas, aime les malheureux ; mais on foulageait
devant lui ceux qui l'étaient . Per-
» fonne ne lui dit , mérite des amis ; mais
"
"
" il vit l'un de fes maîtres facrifier fa for-
» tune à un ami opprimé . J'ai vu un
» guerrier qui , pour lui donner des le-
» çons de valeur , lui montra fon fein
» tout couvert de bleffures , &c.
"
» Il n'était pas encore forti de l'enfance
, que déjà l'entoufiafme de la vertu
» était dans fon coeur. A douze ans il
» s'était confacré au genre de vie le plus
» auftère. A quinze , il avait cédé à fa
» foeur unique tout le bien de fon père .
A dix- fept, il fut adopté par Antonin ;
» & je ne vous rapporte que ce que j'ai
» vu moi-même , il pleura fur la gran-
» deur . O jour qui , après quarante an-
» nées m'est encore préfent ! Il fe prome
» nait dans les jardins de fa mère ; j'étais
auprès de lui ; nous partions enfemble
·3D
116 MERCURE DE FRANCE.
ود
» des devoirs de l'homme , lorfqu'on
» vint lui annonçer fon élévation . Je le
» vis changer de couleur , & il parut
long- temps inquiet & trifte. Sa maifon
» cependant l'environnait avec des tranf-
» ports de joie. Eronnés de fa douleur ,
nous lui en demandons la caufe. Pou-
» vez-vous me le demander ? dit- il . Je
» vais régner ».
Apollonius obferve que la philofophie
fut le caractère diftinctif de Marc Aurèle .
" A ce mot de philofophie , je m'ar-
» rête. Quel eft ce nom facté dans cer-
» tains fiècles & abhorré dans d'autres ;
» objet tour à tour & du refpect & de
la haine , que quelques Princes ont
→ perfécuté avec fureur , que d'autres
» ont placé à côté d'eux fur le Trône ?
» Romains , oferai je louer la philofophie
» dans Rome , où tant de fois les Philo-
ร
fophes ont été calomniés , d'où ils ont
» été bannis tant de fois ? C'eft d'ici , c'eft
» de ces murs facrés que nous avons été
relégués fur des rochers & dans des îles
» défertes : c'est ici que nos livres ont
» été confumés par les flammes : c'eft ici
» que notre ſang a coulé fous les poi-
» gnards. L'Europe , l'Afie & l'Afrique
» nous ont vus , errans & profcrits , cher.
AVRIL. 1775. 117
"
»
» cher un afyle dans les antres des bêtes
» féroces , ou condamnés à travailler ,
chargés de chaînes , parmi les affaflins
» & les brigands. Quoi donc ! la philofophie
ferait- elle l'ennemie des hom-
» mes & le fléau des Etats ? Romains ,
» croyez - en un vieillard qui , depuis
quatre- vingts ans , étudie la vertu &
» cherche à la pratiquer. La philofophie
eft l'art d'éclairer les hommes pour les
❤rendre meilleurs . C'eft la morale uni-
» verfelle des Peuples & des Rois , fondée
fur la nature & fur l'ordre éternel.
» Regardez ce tombeau ; celui que vous
» pleurez était un fage. La philofophie
fur le Trône , a fait vingt ans le bonheur
du monde . C'est en effuyant les
larmes des Nations qu'elle a réfuté les
calomnies des Tyrans ».
"
Apollonius continue de tracer le tableau
de la philofophie , & c'eft avec la
fierté du pinceau le plus énergique.
Romains , c'eft cette philofophie qui
» vous a donné Caton & Brutus . C'eſt
» elle qui les foutint au milieu des rui-
» nes de la liberté. Elle s'étendit enfuite
» & fe multiplia fous vos Tyrans. Il feme
» ble qu'elle était devenue comme un
» befoin pour vos ancêtres opprimés ,
n
118 MERCURE DE FRANCE.
"
39
dont la vie incertaine était fans ceffe
fous la hache du defpotifme. Dans ces
temps d'opprobre , feule elle conferva
la dignité de la nature humaine . Elle
apprenait à vivre , elle apprenait à mou-
» tir ; & tandis que la tyrannie dégradait
a les âmes , elle les relevait avec plus
» de force & de grandeur. Cette mâle
philofophie fut faite de tout temps
» pour les âmes fortes . Marc - Aurèle s'y
» livra avec tranfport . Dès ce moment il
≫ n'eut qu'une paffion , celle de fe livrer
» aux vertus les plus pénibles. Tout ce
"
39
qui pouvait l'aider dans ce deffein
" était pour lui un bienfait du ciel. Il
» remarqua comme un des jours les plus
» heureux de fa vie celui de fon enfance,
» où il entendit pour la première fois
parler de Caton. Il garda avec recon-
» noiffance les noms de ceux qui lui
» avaient fait connaître Brutus & Thraféas
. Il remercia les Dieux d'avoir pu
lire les maximes d'Epictète , & c . »
Apollonius veut faire connaître au
Peuple Romain le précis de la philoſophie
de Marc Aurèle , compofé par cet
Empereur lui -même , & qui et parvenu
jufqu'à nous . « Ici le Philofophe s'arrêta
un moment ; la foule innombrable des
AVRIL. 1775. 119
"
» Citoyens qui l'écoutaient , fe ferra pour
» l'entendre de plus près. A un grand
» mouvement fuccéda bientôt un grand
» filence . Seul entre le Peuple & le Philofophe
, le nouvel Empereur était inquiet
& penfif. Apollonius avait une
» main appuyée fur la tombe ; de l'autre
il tenait un papier écrit de la main de
» Marc-Aurèle. Il reprit la parole & lup
» ce qui fuit ».
Dans le précis philofophique & moral
que M. Thomas fait lire par Apollonius ,
il a faili l'efprit général des Ouvrages de
Marc - Aurèle . Il s'attache à faire voir
fur tout de quel il cet Empereur regar
dait le Trône & l'humanité : le refpect
qu'il reffentait pour l'une & l'effroi que
lui infpirait l'autre. Marc- Aurèle a devant
les yeux le jugement qu'il doit fubir
dans la poftérité , s'il ne règne pas
pour le bonheur des hommes. Il fe dit à
lui- même ; « La nature : indignée te dira ,
» je t'ai confié mes enfans pour les ren-
» dre heureux , qu'en as tu fait ? Pourquoi
» ai je entendu des gémiffemens fur la
» terre ? Pourquoi les hommes ont - ils
» levé leurs mains vers moi pour me
» prier d'abréger leurs jours ? Pourquoi
la mère a - t - elle pleuré fur fon fils qui
120 MERCURE DE FRANCE.
» venait de naître ? Pourquoi la moiſſon ,
» que j'avais deftinée à nourrir le pauvre
, a-t-elle été arrachée de fa caba-
» ne ? Que répondras - tu ? Les maux des
» hommes dépoferont contre toi , & là
Juftice qui t'obferve , gravera ton nom
parmi les noms des mauvais Princes ».
Ici la lecture d'Apollonius eft inter-
99
"
rompue.
99
"
" Le Peuple fe mit à crier , jamais ,
»jamais ; mille voix s'élevèrent enfemble.
L'un difait , tu as été notre père ;
» un autre , tu ne fouffris jamais d'oppreffeurs
; d'autres , tu as foulagé tous
» nos maux ; & des milliers d'hommes
à la fois , nous t'avons béni , nous tẻ
béniffons. O fage ! ô clément ! ô jufte
Empereur! Que ta mémoire foit fa-
» crée , qu'elle foit adorée à jamais . Elle
» le fera , reprit Apollonius , & ce fera
,, dans tous les fiècles. Mais c'eft en
» s'effrayant lui - même des maux qu'il
» aurait pu vous caufer , qu'il eft parvenu
à vous rendre heureux , & à mériter
» ces acclamations qui retentiffent fur fa
» tombe » .
و د
"
39
On fent combien tous ces mouvemens
ont d'intérêt & de dignité. Un moment
plus frappant & qui a paru de la plus
grande
AVRIL. 1775. 125
grande beauté , c'eft celui où Marc Aurèle
eft repréſenté dans l'entretien qu'il a
avec lui même , prêt à abdiquer l'Empire
, dont le fardeau l'épouvante . Je fus
un inftant réfolu , dit il , oui je fus réfolu
d'abdiquer l'Empire.
" A ces mots les Romains , qui écou-
» taient dans un profond filence , paru-
» rent effrayés comme s'ils étaient me-
» nacés de perdre leur Empereur. Ils
», oubliaient que ce grand homme d'était
» plus. Bientôt cette illufion fe diffipa ;
» on eût dit qu'alors ils le perdaient une
" feconde fois. Dans un mouvement tumultueux
, ils s'inclinèrent tous vers fa
tombe. Femmes , enfans , vieillards ,
», tout fe précipita de ce côté. Tous les
coeurs étaient émus , tous les yeux ver-
» faient des larmes . Un bruit confus de
» douleur errait fur cette immenfe affemblée.
Apollonius lui - même fe troubla.
Le papier qu'il tenait tomba de ſa
» main ; il embrada le cercueil . La vue de
» ce vieillard défolé parut augmenter le
» trouble général . Peu à peu le murmure
» fe ralentit. Apollonius fe releva comme
» un homme qui fortait d'un fonge ; & ,
» l'oeil encore à demi égaré par la douleur
, il reprit le papier fur la tombe ,
II.Vol.
39
F
122 MERCURE DE FRANCE.
» & continua d'une voix altérée , & c. »
Le grand peintre Tacite n'aurait pas
employé des couleurs plus vraies , plus
touchantes. Un morceau d'un autre genre
& d'une imagination poëtique & fublime
, c'eſt le fonge de Marc- Aurèle .
" Je voulus méditer fur la douleur . La
» nuit était déjà avancée . Le beſoin du
» fommeil fatiguait ma paupière . Je
» luttai quelque temps. Enfin je fus
ود
obligé de céder , & je m'affoupis .
» Mais dans cet intervalle , je crus avoir
» un fonge. Il me fembla voir dans un
» vafte portique une multitude d'hom-
» mes raffemblés . Ils avaient tous quel-
» que chofe d'augufte & de grand . Quoi-
» que je n'eulle jamais vécu avec eux ,
» leurs traits pourtant ne m'étaient pas
étrangers. Je crus me rappeler que
» j'avais fouvent contemplé leurs ftatues.
» dans Rome. Je les regardais tous ,
quand une voix forte & terrible reten-
» tit fous le portique : Mortels , apprenez
» à fouffrir. Au même inftant devant l'an
je vis allumer des flammes , & il y
pofa la main. On apporta à l'autre du
" poifon , il but , & fit une libation aux
» Dieux. Le troisième était debout , aua
près d'une ftatue de la Liberté , brifée .
» Il tenait d'une main un livre ; de l'au-
و د
39
"
#
I
AVRIL. 1775. 123
"
"
"
» tre , il prit une épée dont il regardait
la pointe . Plus loin , je dif
tinguai un homme tout fanglant , mais
» calme , & plus tranquille
que fes bourreaux.
Je courus à lui en m'écriant : O
Régulus , eft ce toi ? Je ne pus fou-
» tenir le fpectacle
de fes maux , & je
» détournai
mes regards. Alors j'apperçus
» Fabrice dans la pauvreté
, Scipion mou-
» rant dans l'exil , Epictère écrivant dans
les chaînes , Sénèque & Thraféas
les
» veines ouvertes , & regardant
d'un oeil
» tranquille
leur fang couler. Environné
» de tous ces grands hommes malheureux
, je verfais des larmes ; ils paru-
» rent étonnés. L'un d'eux , ce fut Caton,
approcha
de moi , & me dit : Ne
» nous plains pas , mais imite nous ; &
» toi auffi , apprends à vaincre la douleur .
Cependant
il me parut prêt à tourner
» contre lui le fer qu'il tenait à la main .
» Je voulus l'arrêter ; je frémis ; & je » m'éveillai
» .
»
و د
"
ود
Il faut fe borner , car on ferait obligé
de tranfcrire tout le difcours pour en citer
toutes les beautés . Venons à l'endroit
où Apollonius rappelle la faveur que
Marc-Aurèle avait accordée aux Philofophes
& aux Gens de Lettres. Le Pané
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
gyrfte y parle bien noblement de luimême
& de ceux qui , comme lui , élèvent
leur âme en épurant leur raiſon .
« En parlant de la protection que Marc-
» Aurèle accorda aux hommes utiles de
» tous les rangs , puis je oublier , Ro-
» mains , celle qu'il nous accordait à
» nous- mêmes & à tous ceux qui , com-
» me lui , cultivaient leur raifon par
l'étude . Je prends les Dieux à temoin
» que ce n'eft point un lâche intérêt qui ,
» dans ce moment , me fait louer mon
Empereur . Si pendant foixante ans je
n'ai ni afpiré à des honneurs , ni brigué
des richelles ; G , aimé de Marc - Au-
» rèle , j'ai juftifié mon pouvoir par ma
» conduite , fi , outragé quelquefois , je
» n'ai jamais répondu à la haine que par
"
"9
des bienfaits , & à la calomnie que par
» mes actions ; j'ai peut être le droit de
parler de tout ce que ce grand homme
a fait pour la philofophie & les lettres.
» Je ne fais fi elles auront encore un
jour des ennemis dans Rome ; je ne
» fais fi la profcription & l'exil devien-
» dront encore notre partage : mais
dans aucun temps , on ne pourra étouffer
en nous le cri de la nature , qui
» nous avertit que les Peuples ont le
29
32
AVRIL 1775. 125
"
"9
» droit d'être heureux . Nous pleurerons
» fur les maux du genre humain : &
lorfqu'en quelque partie du monde il
» s'élevera un Prince comme Marc- Anrèle
, qui annoncera qu'il veut placer
» avec lui fur le Trône la morale & les
lumières ; au fond de nos réduits nous
" leverons , tous enfemble , nos mains
» pour remercier les Dieux . Ici je vou
» drais pouvoir ranimer ma voix trem-
» blante. Marc Aurèle , du haut du Ca-
» pitole , donne le fignal . Tous ceux qui ,
» dans toutes les parties de l'Empire ,
» aiment & cherchent la vérité , accou
>> rent autour de lui . Il les encourage , il
les protége; vous l'avez vu même , étant
Empereur, ferendre plus d'une fois dans
les Ecoles publiques pour s'y inftruire.
» On eûr dit qu'il venoit dans la foule
» chercher la vérité , qui fuit les Rois.
» Sous fon règne nous étions utiles . Cette
39
99
gloire nous eût fuffi . Ce grand homme
» voulut y ajouter les honneurs. Il a éle
» vé plufieurs de nous aux premières
places de l'Empire , & leur a fait ériger
» des ftatues à côté des Catons & des
» Socrates . Romains , fi vos Tyrans pou-
» vaient fortir de leurs tombeaux & re
paraître dans vos murs , combien ils
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
, feraient étonnés en voyant leurs pro-
» pres ftatues mutilées & abattues dans
» Rome ; & , à leurs places , les fucceffeurs
de ces mêmes hommes , qu'ils
faifaient traîner dans les prifons &
» dont ils faifaient couler le fang fous
» les haches ! >>
"
"
Viennent enfuite les Députés de toutes
les Nations de l'Empire , qui , en rappelant
les bienfaits que chacune de ces
Nations a reçues de Marc- Aurèle , apportént
fuccettivement à fa cendre les hom .
mages des trois parties du monde . Cette
cérémonie eft impofante : mais des hom .
mes d'un goût févère & délicat ont pen .
fé que cette répétition de la même formule
: J'apporte à la cendre de Marc-
Aurèle les hommages de l'Italie ; j'apporte
à la cendre de Marc- Aurèle les
hommages de l'Afrique , & c . avait un
air d'arrangement peu fait pour la noble
fimplicité qui règne dans l'Ouvrage . Il
ferait facile de remédier à ce défaut , fi
c'en eft un , en faifant parler tour à tour
ces Repréfentans de chaque Peuple , qui
raconteraient ce que Marc - Aurèle fit
pour eux , & tous fe réuniflant enfuite ,
s'écrieraient d'une voix unanime , nous
apportons à la cendre de Marc-Aurèle les
hommages de l'Univers .
AVRIL. 1775. 127
Si l'Auteur adoptait ce changement
dans une feconde édition , il pourrait
auffi fupprimer ou corriger quelques'
phrafes qui paraiffent manquer de juftelle
où de naturel . Plus ce défaut eft
rare dans cet excellent difcours , plus on
defire de n'en voir aucune trace . Par
exemple Apollonius commence par
dire :
Il ne faut pleurer que fur la cendre des méchans
, car ils ont fait le mal & ne peuvent
plus le réparer. Cette idée me paraît plus
recherchée que vraie. On dirait avec
beaucoup plus de fondement : Il faut pleurer
fur la cendre des hommes vertueux ,
car ils ne peuvent plus faire le bien ; & ce
début même , dans la bouche du Stoïcien
Apollonius , ferait plus pathétique
& d'un plus grand effet . Voici d'ailleurs -
quelques phrafes dont la tournure ne me
femble pas heureufe. Il reçut cette première
éducation à laquelle vos Ancêtres
ont toujours mis un fi grand prix , & qui
prépare à l'âme un corps robuſte & fain ...
Mourir n'eft qu'une action de la vie... Le
temps coulait pour les divifions & pour les
crimes ; fon cours était fufpendu pour le
rétablissement de l'ordre . Ce dernier membre
de phrafe offre même un fens louche :
car il pourrait fignifier le contraire de ce
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
que l'Auteur veut dire. Voilà les feules
taches que j'aye remarquées dans ce
chef- d'oeuvre. Terminons par le tableau
de la mort de Marc - Aurèle , & ne nous
refufons pas au plaifir de tranfcrire la
péroraifon , qui furpaffe tout ce que nous
venons d'admirer . « Quand le dernier
terme approcha , il ne fut point étonné.
» Je me fentais élevé par fes difcours.
» Romains , le grand homme mourant a
» je ne fais quoi d'impofant & d'auguſte ,
» Il femble qu'à meſure qu'il ſe détache
» de la terre , il prend quelque chofe de
» cette nature divine & inconnue qu'il
» va rejoindre. Je ne touchais fes mains
» défaillantes qu'avec refpect ; & le lit
» funèbre où il attendait la mort me fem.
» blait une espèce de fanctuaire . Cependant
l'armée était confternée ; le foldat
ود
و
"
gémiffait fous fes tentes ; la nature
» elle-même femblait en deuil . Le ciel
» de la Germanie était plus obfcur. Des
tempêtes agitaient la cime des forêts
qui environnaient le camp ; & ces objets
lugubres femblaient ajouter encore
» à notre défolation . Il voulut quelque
temps être feul , foit pour repaffer fa
» vie en préfence de l'Etre Suprême ,
foit pour méditer encore une fois avant
»
"
❞
n
129 AVRIL. 1775 .
"
» que de mourir. Enfin il nous fit appe
» ler. Tous les amis de ce grand homme
» & les principaux de l'armée vinrent ſe
» ranger autour de lui . Il était pâle , les
» yeux prefque éteints & fes lèvres à
demi glacées. Cependant nous remarquâmes
tous une tendre inquiétude fur
» fon vifage . Prince , il parut fe ranimer
» un moment pour toi . Sa main mourante
» te préfenta à tous ces vieillards qui
» avaient fervi fous lui. Il leur recom-
» manda ta jeuneffe. Servez lui de père ,
» leur dit- il , ah ! fervez lui de père.
» Alors il te donna des confeils tels que
» Marc-Aurèle mourant devait les don-
» ner ; & bientôt après Rome & l'Univers
» le perdirent.
"
"
» A ces mots tout le Peuple Romain
» demeura morne & immobile. Apol-
» lonius fe tur; fes larmes coulèrent . II
fe laiffa tomber fur le corps de Marc-
Aurèle. Il le ferra long temps entre fes
bras , & fe relevant tout-à coup : Mais
» toi , qui vas fuccéder à ce grand hom-
» me , ôfils de Marc- Aurèle ! ô mon
» fils ! permets ce nom à un vieillard qui
» t'a vu naître , & qui t'a tenu enfant
» dans fes bras. Songe au fardeau que
t'ont impofé les Dieux . Songe aux de
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
voirs de celui qui commande , aux droits
» de ceux qui obéiffent. Deftiné à ré-
» gner , il faut que tu fois ou le plus
» jufte ou le plus coupable des hommes.
., Le fils de Marc- Aurèle auroit - il à choi-
-» fir ? On te dira bientôt que tu es tout-
» puiffant ; on te trompera , les bornes
de ton autorité font dans la loi. On te
» dira encore que tu es grand ; que tu es
adoré de tes Peuples. Ecoute : quand
» Néron eut empoifonné fon frère , on
» lui dit qu'il avait fauvé Rome ; quand
il eut fait égorger fa femme , on loua
devant lui fa juftice . Quand il eut af
-» faffiné fa mère , on baifa fa main par-
» ricide , & l'on courut aux Temples re-
» mercier les Dieux . Ne te laiffe pas non
» plus éblouir par des refpects . Si tu n'as
» des vertus , on te rendra des hommages,
» & l'on te haïra . Crois moi ; on n'abuſe
point les Peuples. La justice outragée
» veille dans tous les coeurs. Maître du
» monde , tu peux m'ordonner de mou-
» rir , mais non de t'eftimer. O fils de
Marc- Aurèle ! pardonne ; je te parle
» au nom des Dieux , au nom de l'Uni-
» vers qui t'eft confié. Je te parle pour le
bonheur des hommes & pour le tien.
» Non , tu ne feras point infenfible à une
AVRIL 1775. 131
"» gloire fi pure . Je touche au terme de
ma vie. Bientôt j'irai rejoindre ton
père. Si tu dois être jufte , puiffé je vivre
» encore affez pour contempler tes ver-
» tus ! Si tu devais un jour...
39
ود
" Tout - à coup Commode , qui était
» en habit de guerrier , agita fa lance
d'une manière terrible . Tous les Ro-
» mains pâlirent . Apollonius fut frappé
» des malheurs qui menaçaient Rome.
» Il ne put achever. Ce vénérable vieil-
» lard fe voila le vifage . La pompe fu-
" nèbre , qui avait été fufpendue , reprit
» fa marche . Le People fuivit , confterné
» & dans un profond filence. Il venait
d'apprendre que Marc-Aurèle était tout
» entier dans le tombeau » .
"
Si ce n'eft pas là de l'éloquence , de
la grandeur & du génie , il n'y en eut
jamais. Quelles paroles que celles - ci !
Ecoute : quand Néron eut empoisonné
fon frère , & c. Jamais la vérité n'eut un
ton plus mâle & plus fublime. Et quel
tableau que celui qui termine l'Ouvrage !
Quel effet il produirait fur la toile fi le
pinceau d'un grand Artifte l'y retraçait !
J'avoue que la beauté de ce morceau m'a
profondément frappé . Ne nous laiffons
point intimider jufquès dans le fenti-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ment de nos plaifirs , & n'ayons point
cette faiblefle fi commune de nous refufer
à l'admiration , de peur d'être démen
tis par l'envie. Ofons parler comme on
parlerait , fi l'Auteur de cet Ouvrage était
depuis cent ans fous la tombe. Plus on
dédaigne conftamment l'adroite & intriguante
médiocrité , qui emploie à s'arranger
un fuccès de deux jours , l'art &
le talent qu'elle ne fait pas mettre dans
fes Ouvrages ; plus il faut rendre une
juſtice éclatante à ceux qui ne fe recommandent
que par leur mérite , & à qui
celui d'autrui n'infpire que de l'émulation.
La gloire ne peut être fentie que
par de belles âmes , & n'eft difpenfée que
par des mains pures ; il ne manquera rien
à celle de M. Thomas , quand fon Ouvrage
aura été dénigré , comme de raifon
, par ceux dont le métier eft d'outra.
ger journellement les talens , la vérité &
la vertu .
Euvres de M. de Saint Mare ; vol . in- 8 °.
grand format , orné de gravures , avec
le portrait de l'Auteur. Prix 6 livres
broch . A Genève , & fe trouve à Paris ,
chez Monory , Lib , rue de la Comédie
Françoife,
AVRIL. 1775.
133
L'amour & un fentiment naïf du beau
& de l'honnête , ont dicté les poëfies de
ce recueil , qui contient des Epîtres , des
Pièces Anacréontiques , des Contes , la
Tragédie lyrique d'Adèle de Ponthieu ,
des Comédies Ballets , des Paſtorales ,
& le Difcours de réception de l'Auteur
à l'Académie de Bordeaux .
Les partifans de nos meurs antiques
fauront gré à l'Auteur d'avoir confacré
une partie de ſes tableaux poëtiques à
nous rappeler les moeurs de notre bonne
& ancienne Chevalerie . La première
Epître de ce recueil , intitulée la Chevalerie
, eft une leçon de noble franchiſe ,
d'amour de la Patrie & de refpect pour
les Dames , L'Epître eft terminée par
cette vertueufe exhortation que fait le
Poëte à fes Compatriotes.
François , vous êtes nés pour l'amour de la gloire.
Voulez-vous au bonheur enchaîner la victoire ?
Cedez un doux empire à ce fexe charmant ;
Liez-vous à fes pieds par un heureux ferment.
Envain vous l'accufez d'erreurs & de caprices ;
Ses défauts , quels qu'ils foient , ne font dûs qu'à
nos vices:.
Par un manége adroit , ou des foins empreffés ,
Vous voulez qu'il vous plaife , & vous l'en punif
Lezi
134 MERCURE DE FRANCE.
Il fe refpectera fi l'honneur vous anime.
Il aura cent vertus , s'il obtient votie eftime.
Soyez juftes , & vrais ; ne couvrez plus de fleurs
Le chemin qui le trompe , & le mene aux erreurs.
Bientôt vous le verrez , fur de nouvelles traces ,
Conquérir par les moeurs , & regner par les grâces ,
Au talent de trahir préférer la candeur ,
Applaudir l'héroïsme , eftimer la valeur ,
Et ramener ces jours , que l'on traite de fables ,
Où les plus vertueux étoient les plus aimables .
Plus fenfibles alors , plus noblement charmés ,
Vous ferez moins féduits ; mais vous ferez aimés .
Ciel ! un riant efpoir tout- à- coup vient meluire.
Volez au pied du Trône où l'amour vous attire.
Si les regards d'un Roi peuvent tant fur nos coeurs,
Eh! que ne fera point l'exemple de ſes meurs ?
Contemplez votre Maître , & l'augufte Princefle ,
Qu'enchainent avec lui l'amour & la jeuneſſe ,
Les grâces , la franchiſe , & la douce gaité ,
Dont le charme indulgent fied à la Mejeſté .
Voyez-là , de fa main renverfant la barriere
Qu'oppofoit à la Cour une étiquete altiere ,
Elever des Mortels , par un choix glorieux ,
Au bonheur d'être affis à la table des Dieux .
Allez ,fuivez les pas , & qu'elle vous enſeigne
A chérir les vertus qui vont parer fon
Un feul de fes regards , un feul vous l'apprendra
regne.
AVRIL. 1775 : 235
Et c'eft en fouriant qu'elle vous inftruira.
Mais quels font ces accens ? Que j'aime à les éntendre
!
Mes
yeux verfent des pleurs ; mon coeur devient
plus tendre :
De ce Trône acceffible où vous portez vos voeux
Une voix part , & dit : François , foyez heureux !
Et moi j'ofe ajouter , foyez dignes de l'être.
Imitez vos Ayeux , imitez votre Maître ;
Rappelez dans vos coeurs l'antique loyauté ;
Honorez la vertu pour plaire à la beauté.
Le Poëte , non content de nous avoir
retracé dans cette Epître les ufages refpectables
de l'ancienne Chevalerie , a
voulu encore nous en rendre témoins . Sa
Tragédie d'Adèle de Ponthieu nous remet
en quelque forte fous les yeux , ces jours
heureux , où la foibleffe & la vertu offenfées
voyoient accourir de toutes parts
une foule de héros , jaloux de les défendre
& de les venger ; où les noms d'honneur
& de patrie alloient retentir dans
tous les creurs des Chevaliers , & de
ceux qui prétendoient à le devenir ; où
les Souverains les plus puiffans croyoient
moins honorer les Chevaliers que s'honorer
eux-mêmes , en partageant ce glo136
MERCURE DE FRANCE.
rieux titre avec eux . Cette Tragédie , repréfentée
en trois actes par l'Académie
Royale de Mufique , pour la première
fois , le premier Décembre 1772 , eft ici
réimprimée en cinq actes. Le Poëte a
donné plus de développement à fon poë.
me , afin de mettre en action ce qui auparavant
n'étoit qu'en récit. Il a penſé ,
avec raifon , que dans un fujet auffi neuf
fur la scène , auffi intéreffant pour la Nation
, on ne devoit rien négliger de ce
qui pouvoit donner de la pompe & de
la majefté au fpectacle . Ces développemens
d'ailleurs feront voir aux partifans
de nos anciens Opéra combien les grands
tableaux hiftoriques , traités par une main
habile , font fupérieurs à tous les lieux
communs de la Mithologie . Nous penfons
même que cette Tragédie d'Adèle de Pon.
thieu , revêtue de la nouvelle action que
le Poëte lui a donnée , fera époque dans
l'hiſtoire de notre fcène lyrique. Quel
fpectacle en effet plus capable d'intéreffer
la Nation Françoife que celui qui lui
retrace fon attachement à fes devoirs , à
fon Souverain , à fa Patrie , qui lui offre
l'image de fes triomphes , & lui préfente
le tableau de cette galanterie héroïque ,
qui l'a toujours caractériſée.
AVRIL. 1775. 137
Les Comédies Ballets & les Paftorales
qui font imprimnées à la fuite de la Tragédie
d'Adèle de Ponthieu , prouvent également
que M. de Saint- Marc a bien
étudié toutes les parties de la fcène lyrique
; & que c'eft d'après cette étude réfléchie
qu'il a , dans fon Difcours de réception
à l'Académie de Bordeaux , tracé
les difficultés qu'elle préfente . Il fait voir
que la Tragédie lyrique n'exige pas moins
de talens que la Tragédie fimple. En effet
la marche des deux Drames eft femblable
; il faut que la fable en foit également
noble , & nous conduite de même ,
par degrés , à la pitié & à la terreur . Les
caractères doivent être également foutenus
dans ces deux Drames , mais plus
rapidement prononcés dans le lyrique ,
qui , foit par le nombre des vers , foit
par leur mefure , foit par les facrifices
qu'il faut faire aux divertiffemens , offre
à peine la quatrième partie d'une Tragédie
fimple. Aufli cette dernière parle - telle
plus à la raiſon & au coeur , tandis
que la Tragédie lyrique , avec l'avantage
de préfenter fouvent en action ce que
l'autre ne peut préfenter qu'en récit , eft
plus particulièrement le fpectacle de
l'imagination & des fens. Mais quelles
138 MERCURE DE FRANCE.
:
différences n'offre - t - elle pas au Poëte ,
dans la néceffité qui lui eſt impoſée de
fubftituer des tableaux aux développemens
, de préparer des effets & des oppofitions
à la mufique , en variant rapidement
la fituation de fes perfonnages , en
donnant tour - à-tour aux paffions qu'il fait
agir , des momens d'agitation & de
calme ; en faifant fuccéder l'efpérance à
la crainte , la peine au plaifir , le bonheur
à l'excès d'inquiétude . Ajoutons , contitinue
M. de Saint- Marc , la néceffité ,
plus épineufe encore , de fufpendre naturellement
l'action , fans néanmoins la
laiffer oublier , pour offrir aux yeux , dans
chaque acte , les charmes de la danſe , &
ceux de la peinture , dans les changemens
également preferits du lieu de la fcène.
Les poëlies Anacréontiques qui font
partie des OEuvres que nous annonçons ,
offrent des images fimples , naïves & enjouées.
Les contes , d'une tournure épigrammatique
, ont auffi la précifion & la
vivacité de l'épigramme. On fe rappelle
cette anecdote de Madame de Staal ,
dont nous avons des Mémoires écrits avecaffez
de franchife & d'ingénuité. Cette Da .
me avoit eu autrefois quelques intrigues
galantes. Une femme de fes amies , qui
AVRIL. 1775 . 139
favoit qu'elle compofoit fes Mémoires ,
lui demanda comment elle s'y prendroit
pour le peindre elle-même , lorfqu'elle
en feroit à la fenfibilité de fon coeur , à
fes aventures galantes ? Oh ! dit - elle , je
ne me représenterai qu'en bufte. Cette répartie
fait la matière du conte fuivant ,
par lequel nous terminerons cet extrait .
Il eft intitulé : Il nefaut pas tout dire.
Une femme d'efprit & d'un goût fort vanté
Avoit fait imprimer l'hiftoire de fa vie ,
Et rircit fur-tout vanité
D'avoir , c'étoit - là fa manie ,
En tous fes points rendu la vérité.
Qui , lui dit un ami , fans doute , on doit vous
croire ;
Mais n'avez - vous pas prudemment
Mis de côté le dénouement
De plus d'une galante hiftoire ?
Convenez du fait entre nous ;
Allons , cela n'eft-il pas jufte ?
Ah ! reprit elle , fans courroux ,
Je ne me fuis peinte qu'en bufte.
Remède éprouvé pour guérir radicalement
le cancer occulte & manifefte ou ulcéré,
Par Meffire G. R. le Febure de
Saint Ild*** , Ecuyer , Docteur en
140 MERCURE DE FRANCE.
Médecine. Feuille in- 8 . A Paris chez
Michel Lambert , Imprimeur Libraire ,
rue de la Harpe , près St Côme.
la cure
Ce n'eft que d'après un nombre d'obfervations
très répétées que l'Auteur propofe
le remède dont il s'agit ici : il a joint
aux fiennes propres celles des Médecins
de la Faculté de Paris , entre- autres celles
de M. de Cézan . C'eft avec une extrême
prudence qu'il propofe le poifon , qu'il
regarde comme fpécifique , pour
du cancer. « En effayant de nouveaux
» remèdes , dit il , un Médecin ne fatis-
" fait pas feulement aux devoirs de l'humanité
, il travaille encore pour les
progrès de l'art ... Et dans les cas
défefpérés , " il convient mieux fans
» doute de tenter un remède même dou-
» teux , que d'abandonner le malade au
» fort le plus funeſte » . M. le Febure a
fait des expériences chimiques pour découvrir
la nature du cancer . Il a recueilli
de l'ichor qui diftille des cancers ouverts ;
il en a eu de deux Sujets différens : l'un
a verdi & l'autre a rougi le firop de violette
. Voici une contrariété bien évidente
dans la nature de ce virus ; & il conclud
de ce phénomène que la médecine ratio-
"3
"
AVRIL. 1775 . 141
nelle ne tire qu'un foible avantage de
fes lumières , pour faire le choix des remèdes
qui conviennent à certaines maladies
, d'après l'examen qu'elle a fait de
leur virus . C'eft l'arfenic qu'il propofe pour
la guérifon du cancer ; il penfe qu'on ne
fera point étonné de voir un Médecin
ofer donner ce poifon intérieurement ,
puifqu'on a vu le célèbre Van - Swieten
humanifer le fublimé - corrofif , & M.
Storck nous familiarifer avec la ciguë. La
Médecine , ajoute M. le Febure , a retiré
des fecours puiffans de plufieurs déletères
qui tiennent aujourd'hui un rang diftingué
dans la matière médicale ; l'émétique a
été profcrit pendant cent années . D'ailleurs
il n'eft point le premier Médecin
qui ait donné l'arfenic intérieurement ,
M. Jacobi l'a fait prendre pour toutes
fortes de fièvres , & particulièrement
pour les intermittentes ; Pitcarn & Zacutus
Lufitanus s'en font fervis dans la dyfenterie
; Friccius parle auffi de plufieurs
Médecins qui l'ont employé de la même
manière . M. le Febure eft cependant celui
qui l'a donné le premier pour le
cancer il eft bien vrai que Fallope ,
Penot , Gui de Chauliac , Théodoric ,
Valefcus l'ont employé en topiques fur
142 MERCURE DE FRANCE;
les ulcères cancéreux ; mais ils s'en fer
voient en qualité d'efcarotique , & ils
l'unifoient fouvent au fublimé - corrofif.
Ce n'est qu'à la vertu fpécifique de l'arfenic
que l'Auteur attribue la guérifon du
cancer ; il n'explique point la manière
d'agir fur le virus cancéreux ; il ne dit
point quelle eft la partie conftitutive de
ce minéral , qui contribue particulièrement
à la guérifon du cancer. Il eſt
» au - deffus de nos lumières , dit- il , d'expliquer
l'action des fpécifiques propre-
» ment dits ». Il ne fe permettra de faire
des hypotèfes qu'après que la fpécificité
de fon remède fera à l'abri de tout ſoupçon
. Il faut voir dans l'Auteur même la
manière d'adminiftrer le remède , & de
panser les ulcères cancéreux . Nous ne
pouvons qu'applaudir aux vues fages &
patriotiques de M. le Febure. Jufqu'ici
nous n'avons point eu de remède fpécifique
contre la cruelle maladie dont nous
parlons ; c'eft un grand avantage pour
l'humanité fi elle trouve ici le moyen de
fe fecourir dans un cas auffi déſeſpéré.
Certains hommes , jaloux de ce que les
autres inventent , s'élèvent contre tous les
nouveaux remèdes : comment , dirontils
ici , pourra-t - on aujourd'hui guéric
AVRIL 1775. 143
une maladie incurable jufqu'à nous ? Incurable
jufqu'à nous eft trop fort : nous
avons fous les yeux des obfervations trop
récentes & trop vraies pour hafarder une
négative auffi générale ; le célèbre Storck
n'eft point fait pour abufer le Public ; &
le cancer eût été incurable dans la force
da terme , jufqu'à nous , que ce ne pourroit
être une raifon pour défefpérer de le
guérir un jour. Laiffons à eux- mêmes ces
frondeurs éternels , & concluons qu'il
fera toujours avantageux à l'humanité de
chercher des remèdes nouveaux on fera
trop riche & trop heureux , fi , fur cent ,
il en réuffit un. Il ne nous eft pas befoin
de rappeler à nos Lecteurs que M. le
Febure , auquel on doit ce nouveau fecours
pour les cancers , a écrit avec fuccès
fur les maladies vénériennes & fur les
accouchemens.
Nous apprenons que M. Juncker
Allemand , vient de traduire dans fa langue
l'utile Traité fur le cancer , dont nous
venons de parler ; il s'imprime à Strasbourg
, chez M. Heitz . Quand il nous
fera parvenu , nous en rendrons compte
à nos Lecteurs.
La Vie du Pape Clément XIV ( Ganga144
MERCURE DE FRANCE
nell ) . A Paris, chez la veuve Defaint ,
rue du Foin S. Jacques .
Cette vie , comme dit l'auteur au com .
mencement de la Préface , n'eft point
celle d'un Pape qui n'a d'autre éclat que
la prééminence de fon rang & de fes vertus
; mais la vie d'un Pontife , qui , par
ces finguliers & mémorables événemens
dont fon règne fut accompagné , tient à
tous les empires & à tous les fiècles à
venir. Ganganelli avoit fçu , par fes rares
qualités , fe concilier l'eftime générale
de toutes les Cours , & de toutes les
Communions . Auffi fon Hiftoire peut
être regardée comme l'éloge de la raifon
, de la piété & de la faine politique ..
L'auteur de cette vie , qui depuis longtemps
a confacré les talens & fon loifir
à la défenfe de la morale de l'Evangile ,
méritoit plus que tout autre de devenir
le panégyrifte d'un Pontife digne des.
premiers fiècles de l'Eglife. Après avoir
rapporté des circonstances intéreffantes
de fon enfance & de la jeuneffe , il le
fuit dans le cloître pas à pas ; & il le
fait connoître par des anecdotes curieufes
, comme le Religieux le plus humble
& le plus favant , ennemi de toute
eſpèce
AVRIL. 1775 . 145
efpèce d'intrigue , étranger aux affaires
du fiècle ; il n'avoit d'autre zèle que celui
de pratiquer avec édification tous les
devoirs de la vie Religieufe : je ne fuis
jamais plus libre , difoit- il fouvent , que
lorfque j'ai des devoirs à remplir , parce
que je me fais un plaifir de tout ce queje
dois faire. Son humilité l'empêchoit de
prendre le plus léger intérêt aux élections
: peu m'importe , lui a t- on fouvent
entendu répéter , que les Supérieurs changent
, puifque la Règle ne doit jamais vatier,
L'amour de l'étude avoit étouffé en
lui tout germe d'ambition ."
M. Caraccioli préfente enfuite Gan
ganelli fous la Pourpre avec des traits de
Tagelle & de lumière , qui juftifient par
faitement le choix qu'on fit de fa perfonne
lorfqu'on l'éleva fur la Chaire de
Saint Pierre. Benoît XIV , jufte appréciateur
du mérite , s'empreffa de le nommer
Confulteur du Saint Office , place.
qui exige beaucoup de connoiffances ,
lorfqu'on veut la remplir avec diftinction .
L'auteur parle à ce fujet de l'Inquifition
qui eft depuis long temps à Rome un
Tribunal prefque fans vigueur , & falt
cette obfervation judicieufe , que la Capitale
du monde Chrétien eft la ville o
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
"
lon eft le moins inquiété pour les affaires de
religion. On y refpire , dit il , cette dou-
» ceur , cette paix , dont le fuprême Légiflateur
nous donna l'exemple , & l'on
n'y connoît que la voie de la perfuafion.
Ganganelli, rempli d'amour pour cette
paix fi defirable & fi avantageufe au
bien de l'Eglife , cherchoit les moyens
efficaces de la rétablir dans tous les pays.
catholiques. Il ne celloit de dire que la
foi fe perfuadoit & ne fe commandoit
pas ; & que c'étoit combattre tout à la
fois l'efprit de l'Evangile & les principes
de la raifon , que de vouloir employer
des moyens violens au progrès de
l'Evangile. Aufli réprouvoit- il tous ceux
qui ne font propres qu'à troubler le repos
public , fans éclairer les efprits , & à
produire des hommages forcés & bien
peu propres à plaire à la Divinité, « On
» peut emprifonner le corps , le tour-
» menter , le détruire , difoit un célèbre
» Académicien. Mais l'âme prend fon
» ellor : elle échappe à la violence , por-
» tant en elle-même cette loi ineffaça-
» ble , cette liberté de penfer , qu'il eft
impoffible de lui ravir , quand on for-
» ceroit la langue d'articuler quelques
» mots. L'on ne fauroit emporter les
ود
*
AVRIL. 1775. 147
» confciences à main armée , non plus
que les remparts avec des raifonne-
» mens ".
L'hiftoire du Pontificat de Ganganelli
forme un tableau digne de la curiofité:
des Lecteurs . On doit favoir gré à cet
Auteur , d'avoir femé fon Ouvrage de
traits propres à faire connoître le Gouvernement
de Rome , le génie de fes
Habitans , la politique des Conclaves ,
la manière de vivre des Cardinaux , &
d'avoir recueilli plufieurs bons mots dont
Clément XIV affaifonnoit tout ce qu'il
difoit. On eft ravi de lui entendre dire
que le befoin des Peuples eft l'horloge dés
Souverains , qui , à quelque moment qu'ils
ayent befoin de leur affiftance , doivent
être à eux .
L'article de la mort , dont il fut longtemps
le tranquille fpectateur , & qui lui
coûta de fi vives douleurs , eft traité avec
cette circonfpection fi néceffaire à un
Hiftorien qui ne doit rien affirmer qu'avec
des preuves en main. L'Auteur , fans
rien omettre , rejette tout ce qui eft faperflu.
Le parallèle qu'il a fait entre Clé
ment XIV & Sixte-Quint nous a paru
bien caractériſer ces deux grands Pontifes .
Il eft fuivi de neuf Lettres de l'immor-
Gij
MERCURE DE FRANCE.
tel Ganganelli , pleines de goût , de fagefle
& d'érudition , qui prouvent que
ce n'eft pas fans raifon que le Roi d'An
gleterre , le Roi de Prufle , l'Impératrice
de Ruffie , & le Sultan lui -même eſtimèrent
fingulièrement Clément XIV.
M. de Voltaire , qu'on n'accufera pas
d'avoir une paffion aveugle pour les Pontifes
de l'Eglife Romaine , a toujours fait ,
avec plaifir , l'éloge de Ganganelli , tou
tes les fois qu'il en trouve l'occaſion ,
comme d'un Pape digne , à tous égards ,
& de notre admiration , & de nos regrets.
L'Auteur termine fon ouvrage par ce
trait bien Aatreur pour Ganganelli : fi
quelqu'un , dit - il , trouve que cette vie
tient plus de l'éloge que de l'hiftstre ; qu'il
s'en prenne à Clément XIV, & non à
Hiftorien. Eh ! pourquoi Ganganelli futil
unfi grand homme ?
Recueil de Pièces concernant le Prix général
de l'Arquebufe Royale de France
, rendu par la Compagnie de la ville
de Saint-Quentin , le 5 Novembre &
jours fuivans 1774 ; brochure in 12 .
prix , 10 liv. 10 f. à Saint - Quentin ,
chez F. T. Hautoy , Libraire & Impris
AVRIL 1775. 149
meur du Roi ; & à Paris , chez Brocas ,
Libraire , rue Saint - Jacques.
L'origine des Compagnies Militaires ,
appelées aujourd'hui de l'Arquebufe , eft
très -ancienne . Les Villes de Communes ,
qui avoient le droit de fe garder ellesmêmes
, comme celle de Saint- Quentin
entretenoient de ces Compagnies qui fe
formoient au maniment des armes , & qui
étoient toujours prêtes à marcher , au
premier ordre . Ces Compagnies eurent
différentes dénominations , fuivant les
différentes armes qui furent en ufage . On
les appela fucceffivement Compagnies
d'Archers , d'Arbalèrriers & d'Arquebu.
fiers. Les Communes , avec leurs Compagnies
, voloient même au fecours de
leurs Souverains . Une notice héroïque ,
concernant la Compagnie de l'Arquebufe
de Saint -Quentin , cite plufieurs faits
d'armes où ont éclaté la fidélité & le
zèle de ces Compagnies pour la patrie .
Cette notice eft fuivie de la permiffion
du Roi & du Gouverneur de la Province
de Picardie , pour le tirage du Prix géné .
ral qui s'eft fait au mois de Septembre
1774, à Saint Quentin . Viennent enfuite
les conditions fous lefquelles le Prix devoit
être tiré , & la déclaration des Prix
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
des quatre Pantons . Des Poéfies Lyriques ,
dont le principal mérite eft d'être relatives
à la fête , ornent ce recueil qui contient
auffi le tableau des Compagnies de
T'Arquebufe Royale de France , la lifte des
Officiers & Chevaliers qui ont emporté
les Prix des quatre Pantons , une differtation
hiftorique fur l'Arquebufe de France
& fur ce qui s'eft paffé en la ville de Saint-
Quentin , lors de la reddition du Prix ;
enfin une defcription du Bouquet du Prix
général . Les Compagnies de l'Arquebuſe ,
pour entretenir entre elles l'émulation &
l'adreffe , & fe former au maniment des
fe font affociées pour diftribuer
des Prix généraux & particuliers. Ces
Prix généraux fe rendent dans les Villes
qui font choifies alternativement de Provinces
en Provinces , & la Ville où ces
Compagnies conviennent de tirer un Prix ;
devient dépofitaire d'un gage d'armes ,
qu'elle reçoit à la pluralité des voix . Ce
gage d'armes s'appelle Bouquet : il fixe &
détermine le lieu où l'affemblée prochaine
doit fe tenir , & oblige ceux qui l'ont reçu
de rendre le Prix , dans un temps limité ,
& de donner un nouveau gage d'armes ,
pour le tirage fuivant. On nous donne ici
la defcription des cérémonies de la repréfentation
de ce Bouquet , qui s'eft faite à
armes ,
AVRIL. 1775 .
Saint-Quentin , au mois de Septembre
dernier.
Conferences Ecclefiaftiques du Diocèle
d'Angers , fur les actes humains &
fur les péchés , tenues pendant l'année
1760 & les fuivantes , par l'ordre de
Monfeigneur l'illuftriflime & Révérendiffime
Jacques de Graffe , Evêque
d'Angers ; rédigées par l'Auteur des
Cas réfervés & des Loix , 2 vol . in 12 .
à Paris , chez la Veuve Defaint , rue
da Foin - Saint -Jacques.
Ces deux nouveaux volumes font fuite
aux anciennes Conférences du même
Diocèle , rédigées & publiées par M.
Babin . Ce pieux Eccéfiaftique ne donnoit
que le réfultat des Conférences ;
inais le nouvel Editeur a cru devoir les
donner entières . L'importance des matières
lui a paru le demander. Ce font
les fondemens de la morale : ils ont
beſoin de preuves , de développement ,
d'explication & d'application à des cas
particuliers ; ce qui jette néceffairement
dans de certaines longueurs. L'Editeur
a d'ailleurs voulu rendre notre morale
plus refpectable , par des citations fréquentes
de l'Ecriture & des Pères ; la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE:
venger quelquefois des attaques des
ennemis de la Religion ; la rendre plus
intéreffante , en montrant la beauté de
cette morale Evangélique , fa néceffité
& fon utilité . Le même Editeur nous
prévient , dans fon avertiffement , qu'on
lui a fait fouvent des queftions fur
des objets des anciennes Conférences ,
qu'il a cru devoir les prévenir , en
entrant dans un plus grand détail :
mais auffi , pour éviter la confusion
des idées , il a fait une espèce de récapitulation
des principes , à la fin des
queftions qui ont paru le mériter ; il a
cherché à y mettre cette précifion qui
préfente des idées claires & nettes ,
d'après lefquelles on peut prononcer
fûrement fur les cas différens.
Nouvelle édition in - 4 . de l'Histoire Naturelle
, fous le titre d'Euvres complettes
de M. le Comte de Buffon , &c.
ornées de plus de 360 figures d'Ani
maux , dont 60 n'avoient point paru.
Les Tom. I , II & III font en vente. A
Paris, hôtel de Thou , rue des Poitevins .
Cette nouvelle édition in 4 paroît fous
le titre , d'Euvres Complettes de M. de
Buffon , parce qu'on y réunira différens
morceaux qui n'ont point encore pary.
AVRIL. 1775. 153
On a mis à la tête du premier volume
le Portrait de M. le Comte de Buffon ,
gravé par M. Chevillet , d'après le Tableau
de M. Drouais : la reffemblance
eft parfaite , ainfi que l'exécution . Quant
à la beauté de l'ouvrage , elle eft auffi
reconnue , & auffi établie que la gloire de
fon Auteur. L'Hiftorien de la nature eft
grand , fécond , varié , majestueux comme
elle. Comme elle il s'élève fans efforts &
fans fecouffes ; comme elle , il defcend
dans les plus petits détails , fans être
moins attachant ni moins beau ; fon ſtyle
fe plie à tous les objers , & en prend la
couleur : fublime quand il déploie à nos
regards l'immenfité des mondes , & les
richelles de la création ; quand il peine
les révolutions du globe , les bienfaits ou
les rigueurs de la nature : orné quand il
décrit, profond quand il analyfe ; interreffant
lorfqu'il nous raconte l'histoire des
animaux utiles , devenus nos amis & nos
bienfaiteurs : jufte envers ceux qui l'ont
précédé dans le même genre d'écrire , il
loue Pline & Ariftote , & il eft plus éloquent
que ces deux grands hommes : en
un mot, fon ouvrage eft un des beaux
monumens de ce fiècle , élevé pour
les âges fuivans , & auquel l'antiquité n'a
rien à oppofer.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
!
2.
La nouvelle édition in-4 comprend la
totalité des Ouvrages de M. de Buffon .
Le premier volume renferme la Théorie
de la terre ; le fecond , les Supplémens
à la Théorie de la terre & l'Introduction
à l'Hiftoire des Minéraux ; le troifième ,
la fuite de la Théorie de la terre & les
préliminaires à l'Hiftoire des Végétaux.
Cette édition , par la beauté du papier
de l'impreffion des planches , mérite l'attention
du Public & des Amateurs'; toutes
les planches ont été gravées de nouveau ,
& confiées à la direction de M. de Seve ,
le Deffinateur de tout l'Ouvrage . Les
papiers ont été fabriqués exprès , & l'on
a fait fondre de nouveaux caractères . Il
n'eft point forti d'Ouvrage plus foigné
des preffes de l'Imprimerie Royale. Le
Public peut en juger par les trois premiers
volumes qui font actuellement en
vente.
Cette Edition comprendra huit à neuf
volumes in 4. C'eft pour cette Edition
qu'on fait imprimer en couleur les animaux
quadrupèdes . Le premier Cahier
paroîtra ince flamment . Le prix de chaque
volume in 4. eft de liv . en
feuilles , 15 liv . 12 f. broché & 17 liv.
10 f relié. Ceux qui prendront les
AVRIL. 1775.
ISS
quadrupèdes colorés ne payeront les volumes
que 4 liv . les planches en manière
noire leur étant inutiles.
On vient de mettre auffi en vente ,
Paris , hôtel de Thou , rue des Poitevins ;
le tome III des OEuvres complettes de
M. le Comte de Buffon , in- 4. Imprimerie
Royale ; les tomes VIII à XIV
defdites OEuvres in - 12 . le tome III ;
in-4. de l'Hiftoire- naturelle des oifeaux ,
par M. de Buffon & Guenau de Montbeliard
; le tome III , in-fol . grand &
perit papier ; le tome II , in - 4: de la
Minéralogie ; le tome V de l'Abrégé
des Mémoires de l'Académie des Sciences
, in 4. les tomes XVI , XVII de la
Collection Académique , in- 4. les tom .
XXXVI ,XXXVIIdesMémoires de l'Académie
des Infcriptions , in 4. une nouvelle
Edition de Pietre & Thomas Cor
neille , avec les Commentaires de M.
de Voltaire , confidérablement augmentés
, 8 vol . in 4. Cette Edition peut auffi
fervir de faite aux OEuvres de M. de
Voltaire , in- 4.
·
Catalogue des Livres de la Bibliothèque
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE,
defeu M. de Lalen , Secrétaire du Roi ,
& Notaire , dont la vente fera faite
en fa maiſon , Hôtel de la Tour- du-
Pin , vieille rue du Temple , le Mardi ,
2 Mai , & jours fuivans , in- 8 . prix
2 liv. 8 f. broché à Paris , chez
Saillant & Nyon , Libraires , rue Saint-
Jean de Beauvais.
Ce catalogue , très- bien fait , exact &
méthodique , offre un grand nombre de
Livres rares & précieux . Les Belles-
Lettres font compofées des plus belles
Editions des Auteurs Latins & François.
La partie du Théâtre , foit Italienne , foir
Françoife , eft très - nombreuſe ; & l' Hifzoire,
fur- tout celle de France , eft fort
ziche. On a eu foin de donner des notes
inftructives fur les objets les plus remar
quables.
Hiftoire univerfelle du Règne végétal , ou
Nouveau Dictionnaire phyfique & économique
de toutes les Plantes qui croif
fent fur la furface du Globe. contenant
leurs noms Botaniques & Triviaux
dans toutes les Langues , leurs
claffes , leurs familles , leurs genses
& leurs efpèces ; les endroits où
AVRIL. 1775. 157
on les trouve le plus communément ,
leur culture ; les animaux auxquels
elles peuvent fervir de nourriture ;
leurs analyfes chymiques ; la manière
de les employer pour nos alimens
tant folides que liquides ; leurs propriétés
, non feulement pour la Médecine
des hommes , mais encore pour celle
des animaux ; les dofes & la manière de
les formuler , & les différens ufages
pour lesquels on peut s'en fervir dans.
les Arts & Métiers , &c , & c , & c.
On y a joint une bibliothèque raiſon-.
née de tous les livres de Botanique
l'explication des différens termes ufités
dans cette partie de l'Hiftoire Naturelle
; une notice de tous les fyftêmes , &
enfin la lifte des Profeffeurs & des Jardins
botaniques de l'Europe. Ouvrage
orné de 1200 Planches gravées en taille
- douce par les meilleurs Maîtres ,
& deffinées d'après nature . Par M.
Buc'hoz, Docteur en Médecine , Médecin
Botaniſte de Monfieur , frère du
Roi , & Médecin de Quartier Surnuméraire
de fa Maifon , ancien Médecin
de quartier de Monfeigneur le
Comte d'Artois , & Médecin ordinai
re de feuSa Majesté le Roi de Pologne,
158 MERCURE DE FRANCE.
Agrégé au Collège Royal & à la Facul
té de Médecine de Nancy , Affocié
des Académies de Mayence , de Châlons
, d'Angers , de Dijon , de Béziers
, de Caen , de Bordeaux & de
Metz , Correfpondant de celles de
Rouen & de Touloufe ; Membre de la
Société royale d'Agriculture de Rouen .
24 volumes in - folio , dont 12 de difcours
& 12 de planches. A Paris , chez
Bruner , libraire , rue des Ecrivains ,
vis-à- vis le Cloître Saint -Jacques - la-
Boucherie.
›
Le titre de cet Ouvrage annonce affez
quelle en eft l'importance & l'entendue ;
on fe contentera pour en démontrer
l'utilité , de dire que les Commiffaires
nommés par l'Académie Royale des Scien
ces , MM. Macquer & Guettard , pour
l'examiner , en ont fait le rapport le plus
favorable.
Dans cet Ouvrage , difent les Comiffaires
, le premier de ce genre qui ait paru
en François , M. Buc'hoz ne s'attache pas
feulement à faire connoître les plantes ;
mais il détaille les ufages qu'on en fait ,
non - feulement en Médecine , inais dans
les différens arts où elles font employées ,
AVRIL. 1775. 159
pour en donner une connoiffance complette.
Il les décrit avec exactitude , développe
toutes les parties de la fleur , &
& en établit ainfi le genre. Il donne en
outre , non feulement la concordance des
Auteurs , en rapprochant les fynonymes
ou les phrafes par lefquelles les Auteurs
ont défigné les plantes ; mais il rapporte
même les propriétés que ces plantes ont
dans les différens pays où elles croiffent.
Au moyen de ce fecours , il fera difficile
à toute perfonne qui cherchera à connoître
une plante , de ne pas bien conftater
quelle fera cette plante , dont il voudra
avoir la connoiffance .
M. Buc'hoz ne s'eft pas moins donné
de peine , & n'a pas eu moins d'attention ,
lorfqu'il s'eft agi de parler de l'ufage des
plantes. Comme l'analyfe chimique eft
un des moyens des plus fûrs pour avoir
ane connoiffance raifonnée de ces ufages,
M. Buc'hoz rapporte les analyfes de celles
qui ont été analyfées ; & tire ce qu'il
dit des meilleurs Chimiftes. Il a également
recours aux ouvrages des plus habiles
Médecins praticiens , pour ce qui regarde
l'ufage qu'on fait des plantes dans
la pratique de la Médecine . La Médecine
vétérinaire étant d'une très - grande im
160 MERCURE DE FRANCE.
portance dans l'économie rurale , M.
Buc'hoz a cru devoir ne pas négliger de
faire auffi mention de l'utilité que l'on
retire des plantes dans la pratique de cette
Médecine ; & il a pareillement eu recours
aux ouvrages les plus fûrs & les mieux
faits fur les maladies des animaux , pour
en extraire ce dont il avoit befoin.
Il en a agi de même pour ce qui regar
de l'ufage des plantes dans les arts. Plufieurs
de ces plantes demandent à être cultivées
en grand , pour que l'on puiffe en
avoir une quantité fuffifante : M. Buc'hoz
déraille avec foin la culture que l'on a
imaginée pour ces plantes .
Les grains dont nous nous fervons pour
notre nourriture , & ceux que nous culti
vons pour les animaux que nous em
ployons aux travaux , & dont nous nous
nourriffons en partie , étant de première
néceffité , & demandant auffi de notre part
beaucoup de foins , & une culture plus
recherchée ; M. Buc'hoz a eu l'attention
de tirer des Auteurs les plus accrédités
ce qu'il dit de ces plantes fi utiles & fi néceffaires.
M. Buc'hoz n'a pas oublié de
parler de la manière dont il cultive les
plantes de pur agrément , ou de celles
qu'on emploie feulement à l'ornemens
AVRIL. 1775. 161
,
des jardins. Enfin , M. Buc'hoz a fu réunir
dans fon ouvrage , tout ce que le Botaniste,
l'Amateur & le Cultivateur peuvent defirer.
M. Buc'hoz n'en préfente à préfent
que le premier volume , accompagné de
fix cents planches très - bien gravées ; &
dont plufieurs font des plantes qui ne
l'ont jamais été. Ces gravures , qui font
in folio , ne repréfentent pas feulement
une branche de la plante ; mais , lorfque
M. Buc'hoz a vu la plante en fleur , il a
fait graver cette fleur , & fes parties , dan's
le plus grandérail : ce qui eft important
pour les Botaniftes . Lorfque la plante l'a
permis par fon peu de grandeur , M. Buc'hoz
l'a fait graver dans celle qu'elle a
naturellement : & il a ainfi mis toute perfonnes
en état de la reconnoître .
Dans un onvrage de la nature de celui
- ci , où l'on a réuni un grand nombre
d'objets , les tables alphabétiques ne peuvent
être qu'abfolument néceffaires : il
feroit très- difficile d'y trouver ce que l'on
auroit lu , & qu'on voudroit lire , fi on
manquoit de tables . M. Buc'hoz a fenti
cette vérité ; & , pour mettre chacun em
état de fe faciliter cette recherche , il a
formé dix tables alphabétiques ; au moyen
defquelles on trouvera aifément les fy162
MERCURE DE FRANCE.
nonymes des plantes , & les noms communs
qu'elles portent dans leur pays natal
; les maladies contre lefquelles on les
emploie , foit des hommes , foit des animaux;
les objets d'agriculture , les plantes
alimentaires , les plantes dont on fait
ufage dans les arts & métiers , dans les
jardins d'ornement ; les plantes analyfées ;
les recettes médicinales ; enfin les endroits
d'où les différentes plantes viennent . A
cès différentes tables , M. Buc'hoz ajoute
un petit Dictionnaire des termes des arts ,
pour mettre en état chaque perfonne d'entendre
plus facilement ce qu'il aura pu
dire de ces arts dans le cours de cer ouvrage
. L'Académie peut être en état , à ce
que nous croyons , de juger que le travail
de M. Buc'hoz ne peut qu'être utile; qu'on
ne peut que defirer qu'il foit continué juſqu'à
la fin ; & nous penfons qu'elle peut
accorder fon approbation à cet ouvrage.
Il paroît actuellement fept volumes de
planches : le prix de chaque volume eft
de trente- fix livres. On fera le maître de
fe les procurer féparément. Le huitième
eft prêt à paroître. Quant aux volumes de
difcours , ils feront chacun de cinquante
feuilles d'impreffion . Le Prix en fera de
dix livres. On en diftribuera les trois preAVRIL.
1775. 163
miers enfemble. Le premier eft déja imprimé
; le fecond & le troifième font fous
preffe , & paroîtront inceffamment. Le
fieur Brunet , qui a fait l'acquifition du
fonds de cet ouvrage , fe fera un devoir
de remplir les engagemens de la foufcrip
tion , & de fournir gratis aux Soufcripreurs
, les trois volumes du difcours qui
leur font promis , en lui rapportant cependant
la quittance fignée du fieur Coftard.
Il ne fera pas moins exact pour remplir
les engagemens dudit fieur Coftard ,
au fujet du cinquième volume du Dictionnaire
Vétérinaire , qui eft actuellement
fous preffe, de même que le fixième;
& du quatrième volume du Dictionnaire
minéralogique .
Bruner , libraire , rue des Ecrivains
donne avis au Public qu'il a fait l'acquifi .
tion du Dictionnaire Vétérinaire & des
Animaux domestiques , par M. Buc'hoz ,
& c. Cet ouvrage eft de la dernière im
portance , principalement dans les cir
conftances préfentes , & d'une utilité univerfellement
reconnue . L'Auteur y rapporte
tout ce qui a paru intéreffant fur les
maladies épizootiques des beftiaux : il en
164 MERCURE DE FRANCE,
donne la defcription , les divers fymptô
mes & la manière de les traiter : il a raf
femblé fur cet objet , à l'article Epizootie,
tout ce qu'il y a de plus intéreflant ; &
aux articles Contagion , Vétérinaire , Bétail
, &c. il indique tous les palliatifs
qu'on peut employer contre ces fortes de
mäladies.
Ce Dictionnaire fera indifpenfablement
époque , tant pour les maladies des
beftiaux que pour la manière de les élever
, & le profit qu'on en peut tirer pour
les ufages économiques ; c'eft un vrai répertoire
pour tout ce qui concerne l'Art
vétérinaire , l'économie champêtre , la
chaffe , la pêche , & c. En un mot , on y
trouve raffemblées les connoiffances de
tous les fiècles juſqu'à ce jour , ſur les
Sciences économiques . Cet ouvrage eft
donc de la plus grande néceffité pour les
habitans des campagnes , & pour tous ceux
qui font valoir leurs terres . Les quatre
premiers volumes fe diftribuent actuelle.
ment , & les deux derniers paroîtront dans
fix femaines , au plus tard .
AVRIL. 1775. 165
ACADÉMIE S.
I.
DIJON
Séance publique de l'Académie des Scien
ces , Arts & Belles- Lettres de Dijon
tenue le 18 Décembre 1774.
M. MARET , Secrétaire perpétuel pour
la partie des Sciences , a ouvert la féance
par la lecture du programme des prix
propofés par l'Académie pour les années
1775 , 1776 & 1777 .
Il a lu enfuite l'Hiftoire littéraire de
l'Académie pour l'année 1774 , dans la
quelle il a donné une notice de tous les
Quvrages qui ont rempli les féances de
cette année .
Cette lecture a été fuivie de l'Eloge
de M. Michault , Cenfeur Royal & Aca
démicien honoraire , fait par M. de Mor
veau , Vice Chancelier de l'Académie.
M. Michault , né à Dijon le 18 Janvier
1707 , y eft mort dans le mois de
156 MERCURE DE FRANCE.
ges
•
་ ་
Septembre 1770. Des circonftances par-a
ticulières ont retardé le tribut de louandû
à la mémoire de cet Académicien ,
& à cette occafion M. de Morveau dit :
Mais la louange , qui honore le plus
les Savans , n'eft pas celle que la fenfibilité
leur prodigue au moment où
» l'on ferme . leur tombeau ; c'eft celle.
» que l'impartialité leur accorde quand
» on a ceffé de les pleurer , & qui s'appuie
fur des faits que les années ont
refpectés »
17.
Ces faits qui donnent à M. Michault
des droits à l'eftime de la poftérité , font ,
un goût vifpour les Lettres , une ardeur
pour l'étude , fupérieure à tous les obſtacles;
des talens prouvés par des Ouvrages,
par des collections , qui annonçoient dans
cet Académicien une variété , une étendue
de connoiffances d'autant plus remarquable
, que le defir de tout favoir ne l'avoir
pas porté à effleurer feulement les objets ,
& que fa littérature étoit auffi profonde
que variée.
L'accueil honorable que fit à M. Michault
l'illuftre Président Bouhier , en l'admettant
dans la fociété des Savans qui s'af
fembloient dans fa Biblothèque ; l'em
preffement avec lequel il fut admis dans
AVRIL. 1775 . 167°
cette Académie lors de fon établiſſement ,
& dans la Société que M. de Ruffey avoit
formée ; la place de Secrétaire qu'il remplit
avec honneur dans l'une & dans
l'autre de ces Sociétés ; fon alſociation à
l'Académie de Rouen , à celle de Caen ,
& à la Société d'Auxerre ; la confiance
dont l'honora, l'illuftre Chancelier Dagueffeau
, en le nommant Cenfeur royal ,
font autant de preuves du mérite réel de
cet Académicien , autant de traits qui
juftifient les regrets & les éloges de l'Académie.
Une énumération , une notice des quvrages
que M, Michault a faitimprimer ,
& de ceux qu'il a laiffés manufcrirs , montrent
à quels tittes il avoit acquis cette
confidération que tout Homme de Lettres
ambitionne. Une grande connoiffance de
la bibliographie , " connoiffance , dit M.
» de Morveau , qui femble devenir plus
» rare , à mesure qu'elle feroit plus néceffaire
, diftinguoit plus particuliè
rement M. Michault , & l'a mis en correfpondance
avec une infinité de favans
& de curieux ,
و د
ود
S'il ne parvint pas au premier rang ,
s'il ne peut pas être mis de pair avec ces
hommes dont le nom n'eft prononcé
€68 MERCURE DE FRANCE.
qu'avec admiration , qu'avec refpect; en eſtil
moins digne d'éloges ? M. de Morveau
juftifie cette remarque par une réflexion
qu'on affoiblitoit en la donnant par extrait.
"
« Il n'y a que l'envie contemporaine.
» qui ofe dire qu'il faut refuſer tout hon-
" neur à ceux qui ne font pas parvenus
» au premier rang . Elle ne le dit , que
», parce qu'elle voudroit voir la carrière
» déferte. Eft- ce donc qu'il naîtroit des
» Crébillon des Piron , des Buffon
» dans une Ville dont tous les Citoyens
» feroient enfevelis dans les ténébres de
» l'ignorance , abandonnés ou à la moleffe
, ou à la frivolité ? Qui eft- ce qui
» ne s'eft pas encore rendu compte que
» les génies eux-mêmes n'ofent débuter
qu'en fe cachant dans la foule ; que
» dans leur premier effor , ils recher-
» chent l'appui de ceux qu'ils doivent
bien - tôt laiffer en arrière ; que s'il leur
manque , la prudence de leur âge leur
» confeille l'inaction , & que leurs forces
» fe perdent enfin dans l'habitude du
» repos ? On diftingue les fiècles qui
» ont produit les grands hommes , &
» c'eſt le nombre des Écrivains , des Sa-
» vans , des Artiſtes du fecond ordre qui
33
» ont
AVRIL. 17737 169
"
» ont formé ces fiècles. C'eſt le prix qu'on
» amis aux efforts , qui a enfanté des
fuccès. Ainfi la deflinée des Lettres follicite
elle-même nos éloges , pour un
Citoyen qui n'a vécu que pour elles ,
qui n'a ceffé de lutter avec courage
» contre la malignité, obftinée à répandre
» les dégoûts fur la plus noble des
profeffions , qui n'a cellé de remettre
fous les yeux de fes compatriotes ,
» dans fes écrits , dans fes converſations ,
» dans de riches collections en tous gen-
» res , tous les objets qui pouvoient
éveiller le talent , échauffer le zèle ,
produire l'enthouſiaſme , diriger l'ému-
" lation. C'eft fur- tour à ces titres , que
» le nom de M. Michault fera longtemps
répété parmi nous avec reconnoiffance
.
>
M. l'Abbé Colas a la enfuite un
difcours , qui a pour objet l'aménité
confidérée relativement à ceux qui cultivent
les Sciences & les Leures.
»
L'aménité , dit l'Orateur , eft » cet
heureux don de plaire , ce coloris
fuave que les grâces répandent fur les
talens & les moeurs , pour en faire les
» délices de la fociété ; auffi prévenante ,
» mais plus naturelle que la politeffe ;
II. Vol. A
170 MERCURE DE FRANCE .
» auffi douce , mais plus engageante que
» la bonté ; auffi gracieufe , mais plus
» calme que la galeté : l'aménité donne
» au caractère , du liant & de l'aifance ;
au mérite , de l'indulgence & de la
» modeftie ; aux écrits , de l'intérêt &
» des charmes . "
و د
*
M. Colas développe fucceffivement
ces idées , & fait voir que le moyen
le plus sûr d'obtenir cette immortalité ,
objet des voeux de tous les gens de
Lettres , eft d'aimer fes femblables, pour
leur plaire & en être aimé , d'intéreffer
à fes fuccès , par fon zèle pour le bonheur ,
pour les fuccès de fes contemporains.
» Pline le jeune eft fi digne d'être
aimé , que fon époufe ne le quitte
» pas même dans le cours de fes études ;
» & , comme pour s'affocier à fes veilles ,
» foutient , d'une main empreffée , la
lampe qui les éclaire. Les Ciceron ,
les Quintilien partagent la joie que
» leur tendreffe procure à leur famille ,
goûtent les prémices de celui que
leur dévouement obtint de la Patrie.
» On voit , en Grèce , un Ariftipe affez
appliqué , affez profond , pour fonder
» une Secte Philofophique ; être , en
même temps , affez liant , affez fouple ,
"
ود
09
"
.
AVRIL. 1775 . 171
» pour vivre à la Cour & pour y plaire :
» un Socrate fe montrer toujours ferein ,
» toujours inaltérable , malgré les capri-
» ces de Xantipe ; fe placer , dans les
» feftins , au rang des convives , & ne
pas hésiter de paroître dans les cercles
d'Afpafie & de Diotime .
"
L'homme de Lettres , le Savant qui
aime les hommes & qui veut en être
aimé , tolère les foibleffes , accueille
» les efforts , relève les perfections des
» autres , concourt à leur gloire , évite
» toute prétention qui indifpofe , toute
» arrogance qui révolte , toute critique
qui offenfe , toute comparaifon qui
» humilie . Il a pour tous les hommes
» de l'indulgence , pour foi-même de la
» modeftie. Indulgence , modeftie , s'é-
» crie l'Orateur , fi effentielles à notre "
»
paix de tous les dons de l'aménité ,
» vous êtes fans doute les plus defirables ,
» ou plutôt vous tenez à tous , tous
» contribuent à vous former.
A ce portrait du Savant aimable ,
fuccède une expofition des avantages de
l'indulgence & de la modeftie . Ceux
que procure la modeftie font rendus
fenfibles par une comparaifon frappante.
» Prévenu pour la plus riche parure
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de Flore , j'accours contempler une
5 fuite de tulipes nombreuſes & choilies ,
» Le rayon du midi les colore , & ces
» plantes brillent de couleurs dont la
» vivacité me fatigue ; j'efpérois admi-
» rer , je ne fuis qu'ébloui . Reviens - je
» quelques momens après ? Le fpectacle
» a changé . Le luftre des panaches eft
» moins ardent ; les calices mollement
» s'entroavrent ; mon eil s'y repofe
» avec complaifance ; je jouis de leurs
» tréfors , à loifir ; la paffion de l'Ama-
» teur me paroît juftifiée & je me réunis
» à fes éloges . D'où provient ce change-
» ment ? Un voile , étendu fur le ber-
» ceau qui furmonte ces fleurs , fait
» toute la magie ; fon ombre déliée ,
» n'atténuant que l'éclat qui bleffe , don-
» ne la nuance & conferve la beauté qui
>> ravit.
Une des plus précieufes prérogatives
de l'aménité eft de répandre fur les écrits
de celui qui en eft doué , un intérêt &
des charmes , qui , captivant jufqu'à l'envie
, la font même confentir à la propre
défaite .
C'eft en défignant l'amenité d'après les
grands maîtres , par les noms d'Atticifme
& d'Urbanité , que M. Colas décrit ici
fes effets.
AVRIL. 1775. 173
» Sous fon impreffion , jamais rien de
» dut & d'emphatique dans les termes ,
» de bizarre ni d'outré dans les idées ,
» de contraint ni de recherché dans la
» manière de les rendre ; des pensées
» naturelles & juftes , un ſtyle nombreux
» & coulant , un diction pure & facile ,
» & fur-tout une élégance aifee , plus
» fentie qu'apperçue : voilà fes dons ; &
» les Ouvrages qu'ils embelliffent pré-
» fentent toujours une furface douce &
» polie , non moins éloignée de l'affec-
» tation que de la négligence. L'amé-
»nité fait orner la fimplicité , fans la dé-
»-truire ; fon art eft de paroître tenir
» des objets mêmes , les agrémens qu'elle
» leur prête. Aufi , formées de la forte
» fans apprêts , les beautés qui en réful-
» tent attachent fans efforts ; le travail
ne s'y marque point , & l'on n'apperçoit
, en elle , que la fleur de l'efprit
» & la touche du fentiment .
"
Les Homère , les Periclès , les Démofthène
, Platon , Pline , font les modè
les de cet Atticifme , dont Monfieur
Colas appuye la définition qu'il vient
d'en donner ; & , à l'occafion de Pline
rappelant une époque bien flatteufe pour
l'Académie , celle où M. de Buffon lut ,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
"
„
dans une féance publique , un fragment
de fon Ouvrage fur les époques de la
nature , il dit : Quel cri m'arrête ! Des
» acclamations univerfelles me fixent fur
» le Génie fupérieur qui , dans nos jours ,
» l'a furpaffe . Lorfque nous l'entendîmes
prefcrire les momens au développe-
» ment du globe , ne crûmes - nous pas
» le voir fe faifir de l'Univers ? Dumoins
fon ſtyle fans ceffe en exprime l'har-
" monie , fes defcriptions en réfléchif-
» fent les couleurs. A lui feul apparte-
» noit de démontrer , par le fait , que
» l'aménité peut embraffer & décorer
» tous les genres .
"
M. Colas , en termimant fon difcours
, fait obferver que , de l'aveu
même des autres peuples , l'aménité eft
le trait diftinctif du caractère des François.
Mais , remarque t il , » dès- qu'on
» nous verra lui fubftituer l'appareil des
» fentences & l'enflure des mots , analyfer
quand il faut fentir , raifonner
quand on doit émouvoir , devenir
avides de déclamations , enthouſiaſtes
» d'attendriff mens Romanefques , de
» fcènes de terreur ; & , dans nos lectu-
» res , nos fpectacles , nos compofitions ,
préférer la teinte fombre & lugubre
»
"
AVRIL. 1775. 175
de Rimbrant , au coloris frais &
» brillant de l'Albanne : que l'alarme
égale la furprife ; il y aura tout lieu
» de craindre que la nation ne change
» de caractère , ne perde entièrement
"
"
» fon aménité .
»
Mais ce qui le raffure contre une ré
volution fi funefte , ce font les prémi
» ces d'un règne fous lequel la juſtice
❞ & la bonté s'uniflant pour notre
» bonheur , ont déjà fait renaître l'en-
» jouement & la férénité ; c'eſt ſpéciale-
» ment la protection continuée aux So-
» ciétés littéraires & favantes , où les
» talens fe policent par le concours , la
» fenfibilité fe développe par les égards ,
» & la néceffité de vivre enfemble en
» fait une de s'aimer , & , par confé-
» quent , de fe plaire par tous les attraits
de l'aménité .
La féance a été terminée par la lecture
d'une Epître , en vers , de M. l'Abbé
la Serre , réfidant à Lyon , adreffée à
M. l'Abbé le Monnier.
L'Auteur félicite fon ami , fur la naiveté
& l'élégance de fes fables , fur
l'art avec lequel il peint nos ridicules ;
il l'invite à peindre , avec la même
liberté ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Les travers & les crimes
De ce monde tant exalté ,
Où dans le gouffre des délices
Notre valeur s'enfevelit ;
Où le luxe , fource des vices ,
En les ornant , les anoblit.
Oule flatteur , plein de foupleffe,
En s'élevant par la baffefle ,
De fa honte s'enorgueillit ;
Où notre caduque jeuneſſe ,
Le front ridé, les yeux fétris ,
Court acheter chez nos Laïs ,
Et les langueurs de la vieilleffe ,
Et des remords , & nos mépris ;
Où , d'un fexe vain & frivole ,
Nous voyons le folâtre eflairn
Gouverner , un grelot en main ,
Les hommes , dont il eft l'idole ,
De leurs goûts être la bouflole ,
Et l'arbitre de leurs deftins .
Ce morceau donne une fuffifante idée
du ton Philofophique fur lequel eft
écrite cette Epître, & du faire de l'Auteur .
L'on s'en tiendra , quoique avec regrer ,
à cette courte notice d'un Ouvrage qu'il
auroit fallu tranfcrire en entier .
AVRIL. 1775. 177
Lettre à M. LACOMBE.
MONSIEUR ,
L'Académie a reçu , le 4 Juin 1774 ;
un Mémoire pour concourir au prix
propofé pour 1776. On lui en a envoyé
un , pour le même concours , les Janvier
dernier.Ces envois prématurés ne peuvent
être que l'effet d'une erreur des Auteurs.
Ces Meffieurs pourroient trouver éton
nant que l'on ne fît pas connoître le
jugement des Mémoires envoyés ; peutêtre
même ont-ils regretté de n'avoir
pas eu affez de temps pour les travailler.
L'Académie vous prie , Monfieur d'inférer
ma Lettre dans un de vos Mercures ;
& je fuis chargé d'annoncer que les
Auteurs peuvent faire retirer leurs Ouvrages
, qui n'ont point été lus ; qu'il
n'eft pas befoin qu'ils fe nomment , &
qu'il fuffira qu'ils rappellent l'épigraphe
de leur Mémoire , & donnent une copie
exacte de la première & de la dernière
phrafe.
Je fuis avec refpect , Monfieur ,
Votre très-humble & très-obéiffant
ferviteur MARET, Secret. Perpét.
H&
178 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Prix propofe par l'Académie des Jeux
Floraux . Extrait des Regiftres de ladite
Académie , du
Mars 1775. 17
L'Académie , pénétrée des fentimens
que la France & la ville de Toulouſe
en particulier , ont fait éclater à l'occafion
du rétabliffement du Parlement ,
a cru ne pouvoir participer à la joie
publique, d'une manière plus convenable
à fon inftitution & à fes anciens ufages ,
qu'en propofant un Prix extraordinaire
déftiné à une Ode , qui aura pour fujet
le rétabliffement du Parlement . Ce Prix
fera une Thémis d'argent , dont le piédeftal
portera une infcription relative à
cet événement.
Les Auteurs font avertis de faire remettre
leurs Ouvrages à M. Delpy ,
Secrétaire de l'Académie ; ou , en fon
abfence , à M. l'Abbé Magi , rue Provenfal
on les recevra depuis le premier
Juin jufqu'au 25 du même mois.
Le Prix fera diftribué , le premier
Dimanche de Juillet , dans une Affemblée
publique extraordinaire , qui fera
AVRIL. 1775. 179
terminée par une Cantate en mufique ,
à l'honneur des Mufes & du Parlement.
II I.
L'Académie Royale de Chirurgie tiendra
fa féance publique , le Jeudi 27
Avril , dans la grande Salle des NOUVELLES
ECOLES , rue & vis-à- vis l'Eglife
des Cordeliers , à trois heures après
midi ; & le Lundi 8 Mai , les leçons
feront ouvettes par un Difcours , à onze
heures précifes du matin , dans le nouvel
Amphitéâtre.
SPECTACLES.
•
CONCERT SPIRITUEL,
DANS le Concert donné au Château
des Tuileries le 2 Avril , Dimanche de
la Paffion , on a exécuté une excellente
fymphonie ; Mde Charpentier a chanté
avec goût un motet à voix feule ; M. Duport
a joué fur le violoncelle une nouvelle
fonate de fa compofition , & a obtenu
les applaudiffemens dûs à fon talent pro-
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
digieux. Joad , oratoire nouveau , tiré
des choeurs d'Athalie , & de la compofi
tion de M. Cambiny , a fait le plus grand
plaifir , & beaucoup d'honneur au génie
de cet habile Compofiteur. Le Public a
été enchanté d'une fymphonie concertante
de M. Davaux , & exécutée avec
intelligence & une précifion admirable
par MM. Leduc le jeune , Laurent &
Monin. L'air italien , parfaitement chan .
té par Mile Duchâteau , a eu beaucoup
de fuccès. On a admiré le jeu ferme , précis
& très- Aatteur de M. Lamotte , premier
violon de l'Empereur . Ce jeune
virtuofe a exécuté un concerto de fa compofition
, & l'on peut dire qu'il a un
talent rare pour la double corde . Ce Con .
cert a été terminé par Notus in Judea
Deus , très - beau moter à grand choeur de
M. Ray , Maître de Mufique de Nantes.
Le Concert du Vendredi 7 Avril , a
été parfaitement rempli par une grande
fymphonie , par un motet à voix feule ,
de la compofition de M. Girouſt , Maître
de Mufique de la Chapelle du Roi ,
& chanté par Madame Girouft ; par un
concerto de clarinette parfaitement exéAVRIL.
1775. 181
cuté par M. Baer , qai met dans fon jeu
beaucoup d'âme & de goût ; par un motet
à deux voix de M. Poullain , chanté par
MM. Legros & Guichard ; par un excellent
concerto de violon , de la plus
brillante exécution , de M. Stamits ; par
un motet à voix feule chanté par M.
Guichard. M. Lebrun , premier hautbois
de S. A. S. l'Electeur Palatin , a étonné
& ravi l'affemblée par un concerto de fa
compofition , fur le hautbois , inftrument
qu'il a fu maîtriſer , adoucir , animer &
rendre , à fon gré , fenfible & paffionné .
Ce Concert a fini par l'excellent oratoire
tiré des choeurs d'Efther , de la compofition
de M. Mereaux .
Concert du Avril , Dimanche des
Rameaux . M. Jarnowik a exécuté un
nouveau concerto de fa compofition qui
a été très-applaudi . On fait que le talent
de ce Virtuofe fait les délices des Amateurs
, & que fon jeu eft brillant , fini &
précieux , en même temps qu'il eft ſenfible
& animé. M. Lebrun , a pareillement
enchanté par fon talent fupérieur,
& par un concerto de fa compofition fur
le hautbois . On a exécuté un très -beau
182 MERCURE DE FRANCE.
motet à grand choeur formé de la réunion
des talens choifis de différens Auteurs
Italiens. Les autres morceaux exécutés
dans ce Concert font connus & fort goûtés
, tels que le motet à trois voix de M.
Mereaux , un motet de M. Girouft , un
motet de M. Guichard , une fymphonie
concertante de M. Davaux.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique a fait la
clôture de fon Théâtre , le Vendredi 31
Mars , par l'Opéra d'Iphigénie , & le Samedi
premier Avril , par la repréfentation
d'Orphée , les deux chefs - d'oeuvres
de M. le Chevalier Gluck , qu'il a fait
jouer toujours avec fuccès dans plufieurs
Capitales de l'Europe , & qui ont été
accueillis & applaudis à Paris avec tout
l'entoufiafme François.
L'Académie prépare pour l'ouverture ,
après Pâques , l'Opéra de Céphale &
Procris , Tragédie lyrique en trois actes ,
dont le poëme eft de M. de Marmontel ,
& la musique de M. Grétry .
AVRIL. 1775. 18.3
M. Rebel , Adminiftrateur- Général de
l'Académie Royale de Mufique , ayant
obtenu fa retraite , M. Leberton , à qui
le feu Roi avoit donné la furvivance de
cette place , en a pris poffeffion & en
fait les fonctions depuis le 1er Avril .
L'administration générale de ce grand
Spectacle , le premier & le plus confidérable
qu'il y ait dans le monde , ne
pouvoit être confiée à un habile Compofiteur,
qui connût mieux le goût & l'efprit
de ce Théâtre , & qui eût plus le génie ,
les talens & l'intelligence propres pour le
conduire , pour y maintenir l'ordre , &
lui donner tout ſon éclat.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ordinaires du
Roi ont joué le famedi premier Avril ,
pour la clôture , Iphigénie en Tauride ,
Tragédie de M. de la Touche , & les
Fauffes Infidélités , Comédie en un acte ,
en vers , de M. Barthe. Dans la Tragédie ,
le rôle d'Oreste a été joué fupérieurement
184 MERCURE DE FRANCE.
& avec beaucoup d'énergie & d'intelli
gence par M, Ponteuil , dont le talent
digne d'être encouragé , prend de jour en
jour plus d'afſurance & d'effor.
M. Défeffarts , Acteur aimé du Public
& le dernier reçu , a fait le compliment
d'ufage. Ce compliment a eu le
mérite d'être fort court , bien dit , bien
prononcé & bien accueilli.
DEBUT.
Mde Suin , Comédienne qui jouoit
avec fuccès fur le Théâtre de la Ville à
Verfailles , a débuté à la Comédie Françoife
le Jeudi 23 Mars , par le rôle d'Elmire
dans le Tartuffe , par celui de Mde
de Clainville dans la Gageure ; elle a joué
Mélanide le Mardi 28 Mars . On a fort
applaudi fes talens , & l'on efpère beaucoup
des moyens qu'elle paroît avoir
réuffir.
pour
L
COMÉDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné , pour la clôture , les
Femmes vengées , de M. Sedaine & de
AVRIL. 1779. 185
M. Philidor ; Opéra Comique fort gai ,
& très bien joué , dont nous avons rendu
compte.
Le compliment , que M. Anfeaulme
eft en poffeffion de compofer depuis plufieurs
années , étoit un petit Drame impromptu
, joué par plufieurs Acteurs &
Actrices Italiens & François . M. Trial ,
déguilé en Porteur de petite loterie ,
donnoit des lots à ceux qui tiroient des
onméros fur fa boëte , & chacun de ces
lors étoit un compliment récité ou chanté
par l'Acteur ou l'Actrice. Ces couplets
ont paru en général heureufement exprimés
, ont fait plaifir & ont été applaudis.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Coftume des anciens Peuples , par M.
Dandré Bardon , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculp
ture , Directeur perpétuel de celle de
de Marſeille , & Membre de l'Académie
des Belles - Lettres , Sciences &
186 MERCURE DE FRANCE.
Arts de la même Ville . Seconde partie
; vingt troisième & vingt quatrième
cahiers. A Paris , rue Dauphine , chez
Jombert , père & fils , & Cellot Imprimeur.
CES nouveaux cahiers font fuite à ceux
que nous avons précédemment annoncés .
Ils contiennent , ainfi que les premiers , 12
planches , qui nous rappellent les ufages
civils & militaires des Egyptiens. Les
explications qui y font jointes ont la
netteté & l'étendue néceffaire pour fatisfaire
l'Artiste ou l'Amateur qui veut
éclairer , par la connoiffance des moeurs
& ufages des Anciens , l'étude qu'il fait
de l'Hiftoire.
I I.
Le petit Boudeur , Eftampe de format
in-4 . gravée par Carl . Guttenberg ,
d'après le tableau de J. B. Greuze ,
Peintre du Roi , Prix 1 I. 4 f. A Paris ,
chez le Graveur , rue de Tournon ,
vis à- vis l'Hôtel de Brancas.
Le petit Boudeur eſt un enfant d'une
jolie figure ; il eft repréfenté affis fur
une chaife , & fon attitude eft affez pitAVRIL
1779. 187
torefque. L'Artiste a cherché à rendre
l'effet du tableau par des travaux foignés
& finis. Il a fait hommage de fon travail
à M. le Seurre , Amateur qui cultive les
Arts.
MUSIQUE.
I.
OUVERTURE d'Henri IV & la marche ,
arrangées pour le clavecin ou le fortepiano
, avec accompagnement
d'un violon
ou violoncelle, ad libitum.Par M. Benaut,
Maître de Clavecin . Prix 2 1. 8 f. A Paris
, chez l'Auteur , rue Gît- le- Coeur , la
deuxième porte cochère à gauche en entrant
par le Pont- Neuf ; & aux adreffes
ordinaires.
I I.
Quatre Symphonies concertantes pour
huit inftrumens , deux violons , deux
hautbois & deux cors , alto viola , flûte ,
& violoncelle & baffe ; compofées par
Vanhal. Op . XVIII . Prix 9 liv . Au Bureau
d'abonnement mufical , rue du Ha188
MERCURE DE FRANCE.
fard Richelieu ; & aux adrefles ordi-
Baires. A Lyon , chez M. Caftaud .
HISTOIRE NATURELLE .
I.
M. REGNAULT vient de mettre au jour
le premier cahier du recueil des jeux de
la Nature , Ouvrage qu'il a annoncé au
mois de Février dernier fous le titre des
Monftres ou écarts de la Nature . Ce cahier
contient dix fujets tirés tant du cabinet
du Roi que de ceux de différens particuliers
; 1. un enfant monopède , 2º .
un cochon d'inde à deux corps , 3 ° . un
poulain cyclope , 4 ° . un double enfant ,
5 ° . un poulet à quatre pattes , 6º . un
chat à deux têtes , 7 " . un lapin tripède ,
8 ° . un enfant à deux têtes , 9. un chien
à trois croupes , & un veau à double
tête forment la dixième planche.
Les perfonnes qui defireront connoître
la forme & l'exécution de ce recueil
pourront le voir à Paris , chez l'Auteur
rue Croix des Petits Champs ; chez Didot
le jeune , Deffain junior & Lacombe ,
Libraires ; à Reims , chez Cazin ; à DiAVRIL.
1775. 189
jon , chez Frantin ; à Lyon , chez les
Frères Périfle ; & à Rouen , chez la veuve
Befongne .
La foufcription reftera au même prix
jufqu'au mois de Juillet prochain , pour
la commodité des perfonnes de Province
& des Etrangers. Voyez , pour les conditions
de la foufcription , le volume du
Mercure de Février 1775 , p. 187.
Le même Auteur invite plufieurs Soufcripteurs
de fon Ouvrage de Botanique ,
à retirer les cahiers de Novembre & Décembre
1774 , qui doivent leur être délivrés
gratis , avant le mois de Juillet
prochain ; parce qu'à cette époque s'il
refte quelques exemplaires , on fera obligé
de les completter , au préjudice de
ceux qui refteroient imparfaits par la né
gligence des Soufcripteurs , que cet avis
regarde fi l'Auteur favoit leurs adreffes ,
il les leur feroit parvenir.
:
I I.
Maifon hofpitalière pour les accouchemens
M. Lebas , Profeffeur public d'accouchemens
aux Ecoles royales de Chirurgie
, ancien Prévôt de fa Compagnie
Men bre de plufieurs Académies , Cen190
MERCURE DE FRANCE,
feur royal , & c . autant occupé de la perfection
, de la théorie & de la pratique
des accouchemens , dont l'enſeignement
lui eft confié depuis plufieurs années ,
que du bien de l'humanité , vient de former
un établiffement où il reçoir , au
dernier mois de leur groffeffe , les perfonnes
enceintes & hors d'état de fubvenir
aux frais de leurs couches , pour les
y nourrir , accoucher & médicamenter
gratuitement , jufqu'à ce qu'elles foient
rétablies . L'ordre & la difcipline que ce
Maître de l'art , auffi diftingué par fes
lumières que par fon attachement à fon
état , a établi dans cet afyle pour l'humanité
, tant relativement aux Elèves des
deux fexes qu'aux perfonnes groffes qui y
font reçues , ont tellement fixé l'attention
de M. de Sartine & de M. le Noir , Lieutenant
- Général de la Police de Paris ,
qu'ils l'ont honorée de leur protection
particulière . Ceux & celles qui defirent
s'inftruire dans la partie des accouchemens
, trouveront chez lui tous les moyens
propres à remplir leurs voeux . Il demeure
rue Chriftine , au Bureau des Journaux
où les perfonnes enceintes fe préfenteront
pour être reçues , & celles qui defireront
s'inftruire , foit à titre de penfionnaires
, foit à celui d'externes.
AVRIL. 1775 . 19t
Extrait d'une Lettre de M. de Voltaire à
M. le Baron d'Espagnac. De Ferney , le
premier Février 1775.
Je vous fais mille remercimens , Monfieur ,
d'avoir bien voulu écouter ma prière , de permettre
qu'on imprimât votre excellente Hiftoire du
Maréchal de Saxe avec des plans de batailles &
de marches.
Vous pouflez la bonté juſqu'à daigner enrichir
ma bibliothèque de cet Ouvrage , qui fera éternellement
cher à tous les Français , & qui eft
l'inftruction de tous les Gens de guerre. Je ne
fuis pas du métier : mais je le refpecte infiniment ,
quand c'eft un Officier- Général tel que vous qui
en donne des leçons .
J'ai l'honneur d'être , avec reſpect & record
naiflance.
Extrait d'une autre Lettre de M. de Voltaire
à M. le Baron d'Espagnac. A Ferney,
le 10 Mars 1775.
Tous les plans dont vous avez gratifié le Public
, font d'une exactitude dont perfonne n'avait
encore approché. Vous repréfentez les pofitions.
des armées avant & après , comme dans l'action
même. Votre Livre fera à jamais l'inſtruction des
192 MERCURE DE FRANCE.
Officiers , & c'eft affurément un des plus beaux
monumens du fiècle . Pardonnez moi ces éloges
puifque c'eft la vérité qui les dicte .
J'ai l'honneur d'être , avec la reconnaiſlance &
l'eftime la plus refpectueule.
Lettre de M. d'Alembert à M. le Baron
d'Efpagnac. De Paris , le 21 Février
1775.
Je reçois à l'inftant , Monfieur , la nouvelle
édition de votre excellent & magnifique Ouvra
ge , que vous me faites l'honneur de m'envoyer.
Quelque mauvais juge que je fois en ces matiè
res , je lirai certainement , avec tout l'intérêt poffible
, les augmentations que vous y avez faites ,
& je ne doute point qu'elles ne reçoivent des connoilleurs
les mêmes fuffrages que la première
édition . Quant à moi , je ne puis vous offrir que
ma reconnoiflance de toutes vos bontés , & je
vous prie d'être bien perfuadé qu'elle ne peut être
plus vive & plus fincère .
J'ai l'honneur d'être , avec le plus refpectueux
attachement.
Leure de M. de Marmontel, Hiftoriographe
de France , à M. le Baron d'Efpagnac .
De Paris , le 2 Mars 1775-
Si je n'avois pas reçu aujourd'hui , Monfieur,
comme
AVRIL. 1775 . 193
comme une marque de vos bontés , la nouvelle
édition de l'Hiftoire du Maréchal de Saxe , je
l'aurois acquife demain . Que n'ai -je des guides aufli
fûrs pour tous les autres détails du règne de Louis
XV. Je vous fuivrai pas à pas , Monfieur , en fai
fant hommage à mon Maître des lumières que je
lui devrai, Agréez celui de ma reconnoiffance &
du relpect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Lettre de M. Thomas à M. le Baron d'Ef
pagnac. De Paris , le 3 Mars 1775 .
Je vous dois , Monfieur , de nouveaux remer
cimens Four la nouvelle édition de la vie du Maréchal
de Saxe , que vous avez eu la bonté de
m'envoyer Vous avez ajouté un noveau degré de
perfection à un Ouvrage qui étoit déjà fi digne de
l'eftime publique . La vie de cet homme illuftre
devient , fous votre plume , une partie intéreflante
de notre Hiftoire . Les Militaires y trouveront des
leçons , & les Familles , qui ont bien fervi l'Etat ,
un monument élevé à leur gloire . Vous écri
vez fur la guerre comme Polybe , & vous achevez
de peindre un grand homme à la manière de Plutarque
, par les anecdotes & les traits particuliers
de la vie. Perfonne , Monfieur , ne vous a lu avec
plus d'empreflement & d'intérêt que moi . J'ai
appris comme j'aurois dû louer un Homme célebre
, & je devrois effacer le peu de lignes que
j'ai ofé écrire aux piés de fon tombeau.
Agréez ma reconnoiflance & tous les fentimens
de refpect avec lefquels j'ai l'honneur d'être.
II. Vol. I
194 MERCURE
DE FRANCE .
Lettre de M. D *** , de l'Académie des
›
Sciences , à M, de Voltaire , en lui en♣
voyantfon Ellai fut les Comètes *.
Monfieur , il eft jufte de rendre à Céfar ce qui
appartient à Célar. D'après ce grand principe de
morale , perfonne n'a plus de droit que vous à
l'Ouvrage que j'ai l'honneur de vous préfenter.
Vous verrez en effet que ce n'eft qu'un cominentaire
fur la vérité que j'ai prife pour épigraphe ,
& que vous avez lu'exprimer en fi beaux vers . Je
n'ai d'autre mérite que d'avoir rendu fenfible',
dans 400 pages , ce que vous avez exposé dans
deux lignes. Vous avez encore un autre droit à
cet Ouvrage , c'eft l'intérêt que vous devez prendre
à la ſtabilité de l'Univers Qu'importe en effet
au vulgaire des hommes la durée de certe terre ?
Pourvu que la révolution qui doit la détruire
n'arrive pas dans l'inftant précis de leur exiſtence
paffagère . Tour de refte leur eft à-peu -près indifferent;
mais vous , Monfieur , dont la réputation
durera autant que ce monde , vous avez un tout
* L'Auteur avoit pris pour épigraphe les vers
Luivans de l'Epître de M. de Voltaire à Mde la
Marquife du Châtelet:
Comères , quel'on craint à l'égal du tonnère ,
Celez d'épouvanter les Peuples de la terre.
AVRIL. 1775. 195
autre intérêt à la ſtabilité de la terre , & vous
devez accueillir un Ouvrage dans lequel cette fta-.
bilité eft établie.
J'ai l'honneur d'être , avec le plus profond refpect
, Monacur
Votre très-humble , & c.
Réponse de M. de Voltaire.
AFerney , le 18 Janvier1775-
Monfieur , je vous remercie avec beaucoup de
fenfibilité & un peu de honte , de l'utile & beau
préfent que vous daignez me faire . Je reffemblé
aflez à ce vieux animal de baffe-cour à qui on
donna un diamant ; la pauvre bête répondit qu'il
me lui fallait qu'un grain de millet,
Autrefois , Monfieur , j'aurais pu fuivre vos
calculs ; mais , à quatre-vingt & un ans , accablé
de maladies , je ne puis guères m'en tenirqu'à vos
élultats . Je les trouve fi probables , que je ne
compte pas après vous . Je luis très - perfuadé
qu'aucune comète ne peut prendre aucune planète
en flanc . Vous décidez un grand procès vous
donnez un arrêt par lequel le genre humain confervera
long-temps, fon héritage, Refte à favoir fi
Théritage en vaut la peine ,
Je ne crois pas non plus que nous acquerions jamais
un nouveau fatellite , qui ferait , ce me ſemble,
un domestique fort importun , & qui troublerait
furieulement les fervices que nous rend celui que
nous avons depuis fi long- temps,
I ij
196, MERCURE DE FRANCE.
Pour les Arcadiens , qui fe croyaient plus anciens
que la Lune , il me semble qu'ils reflemblaient
à ces Rois d'Orient , qui s'intitulaient
Coufins du Soleil . Je veux croire que ces Meffieurs
d'Arcadie avaient inventé la mufique , Soli cantare
periti Arcades ; mais ces bonnes gens n'ap
prirent que fort tard à manger du gland , & il eft
dit qu'ils le nourrirent d'herbes pendant des
fiècles.
Vous en favez , Neuton & vous , un peu plus
que ces Arcades , & que toute l'Antiquité enſemble.
Je fouhaite que Neuton ait raison , quand il
Loupçonne qu'il y a des comètes qui tombent
dans le Soleil pour le nourrir , comme on jette
des buches dans un feu qui pourrait s'éteindre .
Neuton croyait aux chofes finales ; j'ofe y croire
comme lui : car enfin la lumière fert à nos yeux ,
& nos yeux femblent faits pour elle. Toute la
Nature n'eft que mathématique. Vous la voyez
toute entière avec les yeux de l'efprit ; & moi ,
qui ai perdu les miens , je m'en rapporte entière
ment à vous.
J'ai l'honneur d'être , avec l'eftime que je vous
dois , & avec une reſpectueuſe reconnaiſſance ,
Monfieur,
Votre très-humble & très - obéiflant
ferviteur DE VOLTAIRE , Gentilhomme
ordinaire de la Chambe
du Roi,
AVRIL. 1775. 197
ANECDOTES.
I.
La Reine Catherine de Médicis , vou
länt amener les Huguenots à lui céder
leurs Places de fûreté , eut une conférence
avec les Chefs du Parti & les
Députés du Roi de Navarre ; elle remit
fes intérêts entre les mains d'un Négo .
ciateur auffi adroit qu'éloquent. Celuici
, dans un beau difcours préparé à ce
fujet , déploya toutes les reffources de
fon art , & fon éloquence alloit triompher.
Catherine , enivrée de l'efpoir
d'un fi heureux fuccès , s'adreffe à un des
députés Huguenots : Gouverneur de Figeac
, que vous femble , lui dit- elle , de
cette harangue ? Madame , reprit vivement
celui ci , M. l'Orateur a fait affurément
une excellente étude de l'éloquence ;
mais mes compagnons , ni moi , ne fommes
pas d'avis de payer fes études , de nos
têtes.
I I.
Au fiége de Maftricht par les Frans
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
çois , en 1673, un Grenadier du Régiment
du Roi , remarquant qu'un Officier
, qui le fuivoit à l'affaut , étoit
tombé fur le ventre , lui tendit la main
droite pour le relever en cet inſtant , un
coup de moufquet lui perce le poingnet;
le Grenadier , fans fe plaindre ni s'étonner
, lui tend la main gauche & le
relève.
II I.
A l'âge de 14 ans , le Duc de Berri,
petit fils de Louis XIV , rencontra un
Officier qui lui expofa fon extrême befoin
. Le Duc de Berri lui dit qu'il ne
pouvoit l'affifter alors , mais qu'il devoit
toucher , le lendemain , fon mois
& qu'il pourroit , ce jour là , lui porter
quelque fecours , & lui donna un
rendez - vous à la chaffe. Dès que le
Prince vit cer Officier , il lui mit , en
fecret , une boutfe où il y avoit trente
louis . C'étoit tout ce qu'il avoit reçu
pour fes menus plaifirs. Le foir , les Princes
firent une partie de jeu . Le Duc de
Berri s'excufa de jouer ; & , comme il
fut preffé d'en donner les raifons , il
avoua qu'il avoit donné fon mois à un
pauvre Officier ruiné par la paix , &
qu'il avoit mieux aimé fe priver de
AVRIL 1775. 199
fes plaifirs , que de laiffer mourir de
faim un homme qui avoit bien fervi te
Roi.
1 V.
Un Cavalier qui avoit époufé une
Demoiſelle fort laide , mais très méritante
, difoit : Je l'ai prife au poids , & je
n'ai point acheté lafaçon .
V.
M. de Vendôme trouva , un jour ,
Palaprat , fon fecretaire , qui maltraitoit
fon domestique ; il lui en fit des reproches
fort vifs : Comment , Monſeigneur ,
vous me blámez , dit Palaprat ; ſavez-vous
bien que , quoique je n'aie qu'un laquais ,
je fuis auffi malfervi que vous qui en avez
trente.
AVIS.
I.
Concours pour une place de Deffinateur.
Li décès du fieur Hargnignier , Adjoint à
Profeffeur à l'Ecole royale gratuite de deffin ,
Liv
100 MERCURE DE FRANCE.
laille une place à remplir ; en conféquence il fera
Ouvert un concours le premier Mai de la préfente
année .
On s'adreffera , pour y être admis , à M. Bachelier
, Directeur de ladite Ecole , muni d'un certificat
de premier médaillifte , figné de M. Cochin ,
Secrétaire de l'Académie royale de Peinture &
Sculpture.
I I.
Chocolai aphrodisiaque ou anti vénérien.
M. Martin , Apothicaire , rue Croix des Petits
- Champs , vis - à - vis celle du Boulloi , continue
de débiter avec fuccès le chocolat aphrodifiaque
ou anti -vénérien de M. le Febure , D. M.
P. & de plufieurs Académies.
Ce Médecin prie ceux qui lui écriront , rue du
Foin Saint Jacques , au Collège Gervais , d'af
franchir leurs lettres.
I I I.
Pommade pour guérir les hemorrhoïdes.
Pommade qui guérit radicalement les hé
morrhoïdes internes & externes , en peu de jours,
fans qu'il y ait rien à craindre de retour de cette
maladie , ni accident pour la vie , en les guérilfant
; prouvé par nombre de certificats authentiques
que l'Auteur a entre fes mains , & par un
nombre infini de perfonnes dignes de foi , de tout
âge & de tous fexe , guéries radicalement depuis,
AVRIL. 1775 201
plufieurs années , & c . par l'ulage qu'elles ont fait
de cette pommade , inventée & compofée par le
fieur C Levallois , pour fa propre guériſon à luimême
, au mois de Mai 1763 .
Cette pommade fait fon opération avec une
douceur & une diligence furprenantes , en ôtant
d'abord les douleurs dès fes premières applica
tions.
Elle eft diviféc en deux fortes , pour agir enfemble
de concert; l'une eft préparée en fuppo
fitoires , pour être infinuée & amollir les hémor
rhoïdes internes par une douce tranſpiration 3
Fautre eft applicative fur les externes , pour fondre
& difloudre , avec la même douceur , les grof
feurs externes , & recevoir au dehors la tranlpiration
qui fe fait intérieurement .
L'on diftribue cette pommade avec approbation
& permiffion , chez l'Auteur , ci - devant rue
du Temple , à préfent rue des Gravilliers , la cinquième
maifon après la rue des Vertus , en entrant
par la rue St Martin , vis - à- vis d'un Boulan
ger; ou à fon dépôt , chez M. Deloche , Marchand
Limonadier , au coin de la rue de la Perle , au Marais
, à Paris.
Le prix des doubles boîtes , avec fix fuppofitoires,
pour les hémorroïdes anciennes , eft de
6 livres.
Et pour celles qui font nouvellement parues ,
la demi boîte , avec trois fuppofitoires , font de
I. joint à un imprimé qui indique la manière de
s'en fervir.
3
Les perfonnes de Province qui defireront fe
procurer de cette pommade , font priées d'affran
chir leurs lettres.
202 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Baume fpécifique pour la furdité , dureté
d'oreilles , & généralement les accidens
qui attaquent cette partie.
Par acte paflé devant Bontemps & fon Confrère
, Notaires à Paris , le 30 Octobre 11750 ,
entre le fieur Babelin , & la feue demoiselle de
Luffan , qui lui a célé & tranſporté les droits . Le
fieur Babelin a perfectionné , par le confeil d'habiles
Médecins , le remède qu'il préfente aujourd'hui
au Public ; il a lieu d'efpérer qu'il le recevra
auffi favorablement qu'il a fait du vivant de
Mlle de Luflan .
Manière de s'enfervir.
Ce topique eft un remède fpiritueux & dour
qui opère lentement , & quelquefois guérit trèspromptement
: cela dépend du temps & de l'ancienneté
de la furdité ; plus la maladie eft ancienne
, plus il faut fe fervir long-temps de ce remède.
On prend un gros de ce baume que l'on met le
foir dans l'oreille , la tête penchée du côté oppolé
, ſituation où il faut demeurer une demiheure
, pour que ce baume refte & pénètre plus
avant ; enfuite on fe bouche l'oreille avec du
coton bien imbibé dudit baume : on fera la même
choſe à l'autre oreille , obſervant , fi l'on peut ,
de s'endormir fur la moins mauvaiſe , qui ſem
toujours celle qu'on panfera la première.
AVRIL. 1775. 264
Avant de mettre ce baume dans l'oreille , il
faut s'en froiter la tête , puis après mettre une
calote chaude , de papier brouillard. Il eft telle
furdité où la guériton fera aflez prompte pour
n'employer que deux boîtes , particulièrement
quand la furdité eft nouvelle ; il s'en trouvera de
plus anciennes & de plus opiniâtres , qui refte
ront plus long temps , mais qui céderont enfin
à l'efficacité du remède , continué avec exactitude
On peut *fe
purger avant d'en faire uſage ,
& pendant qu'on le continue : il n'y a aucun régime
à oblerver; on doit ſeulement le garantir
du vent & du brouillard.
•
De quelque manière que les opérations de ce
remède le manifeſtent , il n'y a rien à craindre ;
au contraire elles font toujours les garans d'une
guérifon bien plus prompte , que torfqu'il ne
femble pas agir : mais foit qu'il opère ou doucement
ou vivement , il ne peut jamais cauſet le
moindre accident.
Les atteftations des habiles Médecins , mentionnées
dans ledit brevet , font de fûrs garans des
heureux fuccès de ce baume.
On pourra envoyer chercher ce baume tous les
jours , rue Ticquetonne , maifon du hear Berger ,
Fabriquant de chapeaux , où demeure ledit heur
Babelin , Oculïíte . On n'en débiteræ dans aucuns
autres endroits.
Le prix eft de 12 1, r2 f. la boîte.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
ORDONNANCES , & c.
L E Roi , outre les deux Ordonnances , l'une
portant création de cent Compagnies de Fufiliers
, fous la dénomination de Corps Royal d'In
fanterie de la Marine , & l'autre rétabliffant la
Compagnie de Bombardiers claflés dans les Ports:
de Breft , Toulon & Rochefort , & réglant provifoirement
ce qui fera obfervé dans le fervice
& l'adminiftration de l'Artillerie de la Marine ;
en a rendu une troisième concernant l'inftruction
la difcipline , l'avancement des Gardes du Pavillon
& de la Marine , & les épreuves à faire des
Alpirans aux places de Gardes de la Marine.
I I
Le Parlement a enregistré le 16 de ce mois
des Lettres Patentes du Roi , données à Versail
les le 12 Janvier , en faveur de la Ville Impé- :
riale de Rutlingen , pour l'exemption du droit
d'aubaine & la liberté du commerce.
I V.
Il paroît deux Ordonnances du Roi , en date
du 26 Décembre dernier , l'une pour le dépôt des
Troupes des Colonies à l'Ile de Ré , & l'autre..
pour la réforme du Régiment de l'Amérique,.
AVRIL. 1775. 205
NOUVELLES POLITIQUES .
De Conftantinople , le 3 Février 1775.
LA Caravane de Bagdad , confiftant en quinze
cents chameaux chargés , allant à Damas , a été
pillée près de Palmyre , par Sheek Tyawr , Chef
des Arabes d'Amify. Six cents Perles , qui Le rendoient
à la Mecque à la fuite de cette Caravane
ont été également dépouillés. Il y avoit parmi
eux des perfonnes de diftinction . On dit que
faute de vêtemens , il en eft mort près de deux
cents , de la rigueur du froid . La perte des effets
tombe principalement fur les Marchands de cette
Ville , & fur ceux de Bagdad , de Baflora , de
Damas & d'Alep .
De Vienne , le Is Mars 1775.
L'Empereur a fixé fon départ pour la Croatie
& la Dalmatie , au 18 du mois prochain . Sa
Majefté Impériale , ainsi qu'il a été dit précé
demment , s'arrêtera quelques jours à Triefte ,
& ira à Venife , où Elle reftera jufqu'aux Fêtes
de l'Afcenfion . Les Archiducs fes Frères s'y trou
veront. Un Officier- Général , Membre du Confeil
de Guerre , eft parti aujourd'hui pour faire les
préparatifs de ce voyage.
De Madrid, le 21 Mars 1775.
On apprend par les lettres du Commandang
206 MERCURE DE FRANCE.
Général de Melille , du premier & du 3 du courant
, que l'attaque de la Tour de Sainte Lucie ,
projetée par les ennemis , n'avoit pas eu lieu ;
que leurs échelles , placées dans cette vue derrierre
la Puntilla , ont été retirées ; que nous
avons démonté leur batterie de la plage , &
qu'il ne leur refte plus que deux ou trois canons.
Le Commandant Général de Melille & le
Gouverneur de Pennon font les plus grands
éloges du fervice de leur artillerie . Les Maures
ont perdu beaucoup de monde , & le Roi de
Maroc , depuis plufieurs jours , n'eft pas forti de
fa tente,
Les lettres du Pennon , du 18 ,
écrites pag
le Gouverneur Don Florentio Moreno , portent
que jufqu'ici il n'y a pas eu de nouvel événement
; que le nombre des bombes qui ont été
jetées par l'ennemi , ſe monte à quatre cents
foixante dix- huit . & qu'il n'y a eu que deuz
hommes tués & fix bleflés.
?
De Cadix , le 11 Mars 1775 .
On prépare ici , avec la plus grande activité
un armement fupérieur à ce que nous avons vu
jufqu'ici de relatif au fiége de Melille . Il confif
tera en plufieurs Vaiffeaux de ligne , en Frégates
& en Bâtimens marchands , deftinés au tranf
port de toute førte de munitions de guerre , &
même d'un Corps de Troupes , parmi lesquelles il
y aura de la Cavalerie.
De Rome, le 8 Mars 775.
Le Souverain Pontife paroît vouloir habiter
AVRIL 1779. 207
le Palais du Vatican juſqu'après la belle faiſon:
on allure que les différens Bureaux ont eu ordre
d'aller s'y établir . Sa Sainteté continue de
donner audience à tous ceux qui fe préfentent ,
& fon antichambre eft ouverte jufqu'à minuit.
Le grand nombre de perfonnes qu'Elle reçoit ,
ne l'empêche pas de s'occuper des objets qui concernent
l'adminiftration . On s'attend même à
voir bientôt paroître de nouveaux Réglemens ,
principalement au fujet de l'exportation des
denrées,
La Ville de Céfene où eft, né le Saint Père ,
lui a envoyé une Deputation de deux Prélats &
de deux Gentilshommes Séculiers , pour le féliciter
fur (on exaltation . Sa Sainteté a reçu
ces Députés avec les démoftrations de la plus
vive rendrefle .
De Turin , le 22 Mars 1775-
Jeudi dernier , le Roi déclara le mariage
du Duc de Chablais , fon frère , avec la Prin
eeffe Marianne , fa fille. Les Mimftres Etrangers
avoient été invités la veille , par le Maître des
Cérémonies , à le rendre à la Cour , ainfi que les
Chevaliers de l'Annonciade , les Miniftres d'Etat ,
& toutes les perfonnes qui ont les entrées de la
Chambre. Le lendemain , le Roi , le Prince de
Piémont & le Duc de Chablais , furent compli
mentés par le Corps Diplômatique , à la tête
duquel l'Ambaffadeur de France porta la parole.
Le jour d'après on figna le contrat de mariage ;
& Dimanche , à cinq heures du foir , FArchevêque
de cette Ville , Grand Aumônier , donna
aux nouveaux Epoux la bénédiction nuptiale.
208 MERCURE DE FRANCE.
La Ducheſſe de Chablais reçut le 20 , les com
plimens des Miniftres Etrangers. Le même jour ,
dans l'après-midi , ainfi que le lendemain 21
la Noblefle fut admife à féliciter cette Princefle
& fon augufte Epoux . Il y eut grand cercle à
la Cour.
De Venife , le 4 Mars 1775.
On aflure que la République a le projet d'éta
blir avec l'Empire de Ruffie , un commerce direct
par la Mer Noire.
De Naples , le 4 Mars 1775.
Le Roi , defirant que tous les Sujets , fans
exception , participent à la joie que l'heureufe
naiflance du Prince fon fils premier né , a caufée
généralement , vient de faire publier un Indult ,
par lequel il eft ordonné aux Officiers de Juftice
de rendre la liberté à diverſes perſonnes détenues
en prifon pour dettes , ou pour d'autres délits fufceptibles
de cette grâce .
Sa Majesté s'eft en outre déterminée à don
ner , une fois la femaine , des audiences pri
vées à fes Sujets . Elle a commencé Mercredi
dernier , à recevoir les Mémoires qu'un lui a
préſentés & Elle daigne en prendre lecture Elle
même.
De Londres , le 15 Mars 1775.
Le Bill qui tend à reftreindre le commerce
de la Nouvelle - Angleterre & à la priver de la
pêche fur les Bancs de Terre - Neuve ou fur les
Côtes de l'Amérique feptentrionale , pafla le 8 ,
AVRIL. 1775. 209
à la Chambre des Communes , à la pluralité de
cent quatre vingt - huit voix contre cinquantehuit
. Ce Bill , à compter du 1 ' Juillet prochain ,
défend aux Colonies d'exporter toutes espèces de
marchandiſes ailleurs que dans les poffeffions de
l'Empire Britannique , foit aux Indes Orientales
, foit en Europe. Au 1'Septembre , tout Vaiffeau
chargé autre part que dans la Grande- Bretagne
, de Marchandifes quelconques , pour la
Nouvelle Angleterre , fera faififfable , non - feulement
dans les Ports de cette Province , mais
même à deux lieues de fes Côtes . Il n'y a d'excepté
que les chevaux , les vivres & les toiles
fabriquées en Irlande , venant directement de ce
Royaume.
Des lettres de Philadelphie portent qu'on y a
reçu le Difcours du Roi à l'ouverture du Parlelement
, & qu'on lui a donné le furnom d'Arrêt
de mort pour l'Amérique. Elles ajoutent qu'un
Vaifleau du Port de Glafcow , árrivé à la Nouvelle
Yorck , peu de temps après la défenſe d'importation
, a tenté , fous la protection d'un Vailfeau
de guerre , de débarquer quelques marchandifes
; mais que les Habitans s'y font op
pofés , & l'ont forcé de faire voile pour la Jamaïque.
Le Congrès Provincial tenu à Cambridge , le
7 de ce mois , a pris les réfolutions les plus fa
vorables pour les Boftoniens. Il a pourvu à ce
qu'aucun des Habitans de cette Province ne pût
approvifionner l'armée qui eft actuellement de
vant Boſton .
On apprend par un Courier de Cambridge
que ce même Congrès a nommé un Comité pour
répondre au Difcours très - gracieux du Roi, &
210 MERCURE DE FRANCE.
pour l'adurer que les Colonies n'ont aucun def
fein de violer les Loix , ainfi qu'on l'a repréſenté
Lans fondement à Sa Majesté.
De la Haye , le 24 Mars 1775 .
La nouvelle Eclufe inventée à la Haye paroît
remplir , dans l'exécution , toutes les prometles
du projet. Le principal avantage de cette machine
confifte à fournir les moyens d'inonder, avec la plus
grande célérité , un Pays dont on veut interdire
Papprocheà l'ennemi , de décharger une rivière
de l'excès de fes eaux , d'en retenir la quantité néceffaire
à la navigation , enfin de dominer l'élément
le moins docile chez toutes les Nations en
général , & chez les Hollandois fur tout. Le
devis de cette Eclufe , en fix planches , trèsbien
gravées , le vend à Amfterdam & en cette
Ville.
NOMINATIONS.
Le Marquis d'Aubterre , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant Général de les Armées , Confeiller
d'Etat d'Epée , & ci devant fon Ambafladeur
aux Cours de Vienne , Madrid & Rome , cut
l'honneur de faire , le premier Avril , les remercimens
au Roi pour la place de Commandant de
la Bretagne , dont Sa Majesté l'a pourvu .
Le 2 Avril , le Marquis de Lauzun a prêté ferment
entre les mains du Roi en qualité de Lieutenant
Général du Beauvoiſis .
AVRIL. 1775 .
ΣΙΓ
A
Le Vicomte de Vibraye , que le Roi a nommé
fon Miniftre plénipotentiaire auprès du Duc de
Wirtemberg, & le Marquis de Claufonnette , qui
l'a précédé dans cette place , & qui pafle , en la
même qualité , à la Cour de l'Electeur de Mayen
ont eut l'honneur de faire à cette occafion ,
le 31 Mars , leurs remerciemens au Roi. Le Marquis
d'Entraigues Latis , ci devant revêtu du
même caractère auprès de cet Electeur , a été
nommé , par S. M. , Miniftre plénipotentiaire près
ce ,
de l'Electeur de Saxe.
MORTS.
Il cft mort vers la fin de l'année dernière , dans
le village de Coflana , en Carniole , un Lahoureur
, 20mmé Urbin Prelz , âgé d'environ 114
ans. Cet homme , dans un âge fi avancé , avoit
tellement confervé les forces , que , peu de temps
avant la mort , il faifoit deux lieues à pied , fans
foutien ; il s'étoit marié deux fois , & à quatrevingt
-deux ans il avoit eu un fils de fa feconde
femme, qui étoit reftée vingt - cinq ans ftérile .
François Cavalcafelle , Apothicaire de Venife ,
y mourut le 16 Février , d'une attaque d'apoplexie
, à l'âge de 100 ans , 10 mois & 2 jours.
Il a confervé jufqu'au dernier moment l'ufage de
fa raifon ; fa vue n'étoit point affoiblie : & il fe
promenoit tous les jours à pied ; il avoit fait le 14
Février plufieurs parties d'échecs. Sa veuve eſt
âgée de 93 ans.
212 MERCURE DE FRANCE.
N. Agard de Morogues , Vicaire- Générale de
l'Archevêché de Bourges , & Abbé commendataire
de l'Abbaye Royale de Notre- Dame de Loroi ,
'Ordre de Cîteaux , Diocèle de Bourges , eft mort
à Bourges le 13 Mars , dans la 66° année de fon
âge.
N. de Paris , Vicaire- Général , Official & Sous-
Doyen de l'Eglife d'Orleans , Abbé commendataire
de l'Abbaye de Chezal - Benoît , Ordre de St
Benoît , Diocèle de Bourges , eft mort à Orléans
le 13 Mars , dans fa 78 ° année.
N. Darguel , Vifiteur- Général des Carmelites ,
& Abbé commendataire de l'Abbaye Royale de
Notre-Dame d'Haute - Fontaine , Ordre de C} -
teaux , Diocèle de Châlons - fur - Marne , eft mort
à Toulouſe le 20 Mars , dans la 77 ° année de fon
âge.
Marie -Louife Elifabeth Hennequin de Charmon
, veuve du Marquis de la Palun Gouverneur
pour le Roi de la Ville & Principauté d'Orange &
Bourbon l'Archambaut , ancien Capitaine des
Gardes du Comte de Charolois , eft morte le 30
Mars , dans la 82 ° année .
Jean de Broffin , Baron de Méré , Capitaine des
des Vaifleaux du Roi , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de St Louis , eft mort , le 3 Avril , au
Château d'Ecury , près Soiflons , âgé de 89 ans.
René-Charles de Maupeou , Marquis de Morangles
, Vicomte de Bruyeres , Seigneur de Noifly,
de Montigny & autres lieux , ancien Premier Préfident
du Parlement , Chancelier & Garde des
Sceaux de France , eft mort à Paris le 4 Avril ,
dans la 87° année de ſon âge.
AVRIL.
1775 .
213.
1
Jeanne Leterrier , veuve de François Queudeville
, eft morte le 22 Mars , au village de Breteville-
la- Pavée , près Caën , dans fa 106 année ;
elle n'avoit aucune des infirmités de la vieilleßle ,
fon efprit étoit encore fain & fa mémoire trèsbonne.
Le nommé Pierre Regnier , Jardinier , eft mort
à Morigny , village fitué à un quart de lieue d'E
tampes , fur la fin de Janvier dernier , dans la
108 année. En 1773 il avoit cultivé lui- mêine
fon jardin & cueilli fes fruits . Le Gouvernement
lui avoit accordé , depuis environ fix mois , une
penfion de 100 écus , à caufe de fon grand âge . Il
avoit l'efprit fain , la mémoire bonne , & marchoit
fort aifément , portant toujours fon bâton
fous fon bras .
Simon- Nicolas , Comte de Montjoie , Evêque
de Bâle , Prince du Saint- Empire , eft mort , le s
d'Avril , en fon Château de Porentru , dans fa 82°
année. Il avoit été élu Evêque le 21 Octobre
1762.
LOTERIE.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait les Ayril. Les numéros fortis de
la roue de fortune font 32 , 71 , 83 , 64 , 85. Le
prochain tirage fe fera le s Mai.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Vers au Soleil ,
Au Dieu Mercure ,
Tirfis & Annette ,
Vers à M. de Miroménil ,
Epître à Mde *** .
Traduction d'une Ode d'Horace ,
Le Barbet & le Dogue ,fable.
L'Homme , le Lion & le Tigre , fable.
Le Bonheur interrompu , conte ,
Aux trois Capotes du bal de S..
Epître à la Folie ,
Dialogue entre Galilée , Malherbe & Fontenelle
,
Le Procès non jugé ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES
Roger & Victor de Sabran ,"
Précis des maladies chroniques & aiguës ,
Hiftoire de l'Alcoran ,
Expériences & obfervations fur différentes efpeces
d'airs ,
L'Elprit du Gouvernement économique ,
Dictionnaire d'Hiftoire naturelle ,
Lettre fur les Economiſtes ,
Dictionnaire des mots homonymes ,
ibid.
&
ibid.
13
14
Is
17
18
20
43
44
49
品古
63
64
67
70
ibid.
- 74
80
88
92
96
99
102
AVRIL. 1775 . 215
Commentaires fur les Loix Angloifes de M.
Blackeftone ,
Difcours , Panégyriques ,
Eloge de Marc - Aurèle ,
OEuvres de M. de Saint.Marc ,
105
107
110
132
Remède éprouvé pour guérir radicalement le
cancer ,
La vie du Pape Clément XIV ,
de l'Arquebule royale de France ,
139
143
Recueil de pièces concernant le prix général
148
Conférences Eccléfiaftiques ,
151
Euvres complettes de M. le Comte de Buffon
,
156
Catalogue de la Bibliothèque de feu M. de
Laleu , 156
Hiftoire univerfelle du règne végetal ,
ACADÉMIES .
de Dijon ,
des Jeux Floraux ,
de Chirurgie ,
ibid.
165
ibid.
178
SPECTACLES.
Concert Spirituel ,
Opéra ,
179
ibid.
ibid.
182
Comédie Françoiſe
183
Comédie Italienne ,
184
ARTS.
ibid.
Gravures ,
Mufique.
187
Hiftoire naturelle , 188
Maiſon Hofpitalière pour les accouche-
189
mens ,
Lettres de M. de Voltaire à M. le Baron d'Efpagnac
, 191
Lettre de M. d'Alembert à M. le Baron d'Efpagnac
, 192
216
MERCURE
DE FRANCE.
Lettre de M. de Marmontel à M. le Baron
d'Espagnac ,
Lettre de M. Thomas à M. le Baron d'Eſpagnac
,
Lettre de M. D*** , de l'Académie des Sciences
, à M. de Voltaire, en lui envoyant ſon
Eflai fur les Comètes ,
Réponse de M. de Voltaire ,
Anecdotes.
*
AVIS ,
Ordonnances ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Morts ,
Loterie ,
ibid.
193
194
195
197
199
204
205
210
211
213
APPROBATION
.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le fecond Volume du Mercure du mois d'Avril
1775 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru deg
voir en empêcher l'impreffion .
A Paris , le 15 Avril 1775.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme,
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
AVRIL, 1775.
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DU
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du Louvre , 3 vol. in 12. br.
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Bibliothèquegrammat. 1 vol in- 8 °. br. 2 1. 10 f.
Lettres nouvelles de Mde de Sévigné, in - 12. br. 2 1.
Les Mêmes in- 12 . petit format ,
Poëme fur l'Inoculation , in - 8 ° . br.
I l. 16 f.
31.
Ile liv. en versfr. des Odes d'Horace , in- 12. 21.
Eloge de la Fontaine , par M. de la Harpe
in 8 °. broché , 11.46
51.
9 l.
Journal de Pierre le Grand , in - 8 ° . br.
Inftitutions militaires , ou Traité élémentaire
de Tactique , 3 vol. in - 8 ° . br.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in- 8 °. br.
Fables orientales , par M. Bret , vol . in-
8°. broché ,
11. 10 f..
3 liv.
21. zof
La Henriade de M. de Voltaire , en vers la
tins & françois , 1772 , in- 8°. br.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
enfans contrefaits , in- 8 °. br. avec fig. 41.
Les Mufes Grecques , in-8 °. br. 1 l. 164.
Les Pythiques de Pindare , in- 8 °. br. 5 liv.
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Louis XV, &c, in - fol. avec planches ,
rel , en carton , 24 l
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in- 4° . avec figures, rel. en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
3 4.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1775 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE A M. DE SAINT- LAMBERT.
T
Par un Ruffe.
or dont le pinceau vrai, gracieux & facile
A tous les agrémens du pinceau de Virgile ;
Toi qui fais dans Paris , émule de Tomplon ,
Confacrer à Cérès les fleurs de l'Hélicon ;
Aimable Saint-Lambert , que ta Mufe m'enchante !
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Elle eft belle fans fard ; à ſa voix confolante
Un fentiment nouveau pénetré dans mon coeur :
J'entrevois les verrus qui menent au bonheur.
Mon âme en treflaillant rejette l'impofture ,
Et je me lens meilleur , plus près de la nature .
Ton Poëme à la main , je parcours quelquefois ,
Mes plaines , mes côteaux , mes vallons & mes
bois ;
J'apperçois le flambeau , précédé par l'aurore ,
Sortir du fein des mers que fon éclat colore ; *
Je jouis du midi , de la fin d'un beau jour ;
Chaque objet pour tes vers augmente mon amour.
Tu peins ce queje vois , & tu le peins en maître.
Le bourgeon entr'ouvert , la fleur qui vient de
naître ,
Cette fource qui fuit , ces odorans berceaux ,
L'haleine des zéphyrs , le doux chant des oileaux,
Mes troupeaux bondiflans fur la verte prairie ,
Les épis vacillans dans la plaine jaunie ,
Ces fites variés , ces grouppes , ce lointain ,
Tout ce qui m'environne eft tracé de ta main .
Cependant fi le fort t'eût conduit fur ces rives ,
Où la Newa fix mois tient les ondes captives ;
* La campagne de l'Auteur eft fur les bords da
golfe de Finlande.
AVRIL. 1775 .
Ou , d'un char parcffeux , Phébus verſe longtemps
Une clarté douteufe & des rayons mourans ;
La Nature , fublime , étonnante , énergique ,
Eût fans doute occupé ton efprit poëtique.
Tu peignis les hivers ; mais ceux de nos climats
Ost pour l'obfervateur de plus piquans appas ,
Des traits plus reflentis , un plus grand caractère .
Quand l'Epoux d'Orythie , exhalant fa colère,
Par fes horribles cris trouble les élémens ,
L'oeil refte environné de fpectacles frappans.
Un Océan de neige inonde les campagnes ;
On ne diftingue plus les vallons des montagnes ;
Les lacs font difparus , & plus le ciel eft pur ,
Plus un froid pénétrant condenſe ſon azur.
La fumée , en touchant l'invifible barrière,
Retombe fur les toits & roule jufqu'à terre ;
Tandis que le duvet argenté de nos champs
Jette un éclat femblable aux feux des diamans.
Les troupes des oileaux , dans le vague planan .
tes •
S'abattent brulquement & tombent défaillantes.
Sur l'agile courfier le poil eft hériflé ,
Des horreurs du trépas chaque être eft menacé .
S'éloignant une fois de nos palais profanes ,
La terreur va ſceller les portes des cabanes :
Et Neptune lui- même , en ces lieux confterné ,
Sous un albâtre épais languit emprisonné.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE:
C'eft dans cette faifon , au milieu des nuits fom
bres ,
Qu'un météore ardent vient triompher des om ?
bres ; *
Il ramene le jour. Miniftre du fommeil ,
Morphée eft plein d'effroi fur l'horifon vermeil ,
En voyant tout à coup les traits de la lumiere
Interrompre fes loix , rétrécir la carriere.
Une flamme légere en fes longs mouvemens
Eparpille dans l'air des faiſceaux ondoyans ,
Et des cieux moins brunis les voûres impofantes
Se revêtent fouvent de colonnes brillantes.
Mais c'eft peu ; contemplons ces momens déſaftreux
,
Ces orages d'hivers , ces ouragans affreux ,
* L'aurore boréale devient plus intéreſſante à
mefure qu'on s'approche du Pôle . Ce phénomène
ne paroît dans tout fon éclat qu'entre le 60 ° & le
70° degré de latitude feptentrionale. Ceux qui
veulent s'en former une idée précife peuvent con
fulter le grand Dictonnaire Encyclopédique ,
article Aurore boréale.
** Cette elpece d'ouragan , nommé en Ruſſe
métel , eft très redoutée . Elle fait périr nombre
de perfonnes en route . Ses effets font incomparablement
plus fenfibles en Sibérie & dans ce
AVRIL. 1775. 9
Quand l'Aquilon , doublant l'horreur & la froi
dure ,
Charge encor le tableau des maux de la nature.
Il chaffe des côteaux , dans le fond des vallons ,
Ceshumides tapis de neige & de glaçons .
Et lance en même temps , fur les cimes pelées ,
Les flocons entaflés dans le creux des vallées.
Ces tourbillons , ces corps l'un à l'autre oppofés ,
Ce choc des élémens l'an par l'autre brifés ,
Troublant le Voyageur dans le champ qui va
cille ,
L'enferment avec bruit dans un globe mobile.
Il marche ; l'orbe cede. Où diriger les pas !
Près de lui , loin de lui fe preffent les frimats ,
Et le ciel & la terre , & les objets fenfibles
A fes yeux étonnés deviennent inviſibles.
Mais il ne reste plus de traces de nos maux
Quand le foleil vainqueur entre dans lesGémeaux.
Quels tranfports raviflans ! quel charme inexprimable
!
Zéphyr , en devançant une Déeffe aimable ,
Par un fouffle paifible & plein de volupté ,
Epanche mollement la vie & la fanté.
Ilfe joue , & tout prend une face nouvelle ;
qu'on nomme les ſteps ou déferts , que dans les
provinces intérieures de l'Empire.
Av
10 MERCURE
DE FRANCE .
L'Idalic eft aux lieux rajeunis par fon aile.
Sous les aftres de l'Ourfe on trouve le Lignon .
La folie a banni l'ennui de ce canton .
Le fentiment s'éveille & s'enflamme fans cefle .
Echo prolonge au loin le cri de l'alégrefle ,
Ce cri délicieux , le fignal du printemps ;
Et l'enfant de Paphos eft le Dieu de nos fens.
La loi qu'il nous impofe eft la feule adorée.
On s'abreuve à longs traits dans fon urne facrée.
Que la tendre Euphrofine & les touchantes Soeurs ,
Inclinent pour Chloé plus que pour les grandeurs ;
Une Dane titrée au fond de l'âme enrage
De céder d'agrémens aux Nymphes du village ;
C'est un affont , dit- on , fait à la qualité. *
Ah ! rien ne plaît au coeur fans la fimplicité.
En vain à le parer Dorphife fe tourmente ,
L'art éblouit fans doute & la nature enchante.
Ce n'eft point par degrés que Flore en nos climats
Aflemble les atours & reprend les appas.
A peine le Zéphyr carefle la prairie ,
Apeine ces climats font rendus à la vie ,
Que le front de Cybele eft nuancé d'émaux .
L'émeraude a percé l'écorce des rameaux ,
Et déjà Philomèle au fein d'un verd bocage ,
De les accens perlés charme le voifinage.
*Vers de la Comédie de Nanine,
AVRIL. 1775 .
11
Des parfums du matin les airs font impregnés .
Dans cet enchantement , dans ces temps fortunés ,
Le Laboureur confie au guéret qu'il fillone
Des trésors qu'en deux mois il décuple & moilfonne.
*
Dans le coeur de l'été pénétrons fous le ciel ,
Où l'on voit dominer les remparts d'Arcangel ;
Minuit fonne , & le jour éclaire ces contrées . **
* On a cherché à exprimer deux vérités dans ce
vers ; l'une , qu'entre Mofcou & Pétersbourg il
ne s'écoule guères que deux mois depuis le temps
qu'on feme les grains en Mars , jufqu'à celui où
on fait la récolte . L'autre , que les femences ripportent
dix grains pour un. C'est même quelque
chofe de commun en Ingrie , en Eſtonie
vori ..
en Li-
** Ces vers font imités d'un morceau de la
Pétréade de feu M. Lomonofow où Pierre le
Grand eft repréfenté naviguant fur la Mer Blan
che. En voici la traduction littérale . « L'aftre du
» jour atteint minuit & ne cache point la face are
» dente dans l'aby ( me. Il paroît comme une montagne
de flammes au deflus des vagues , &
étend un éclat pourpré de derriere les glaçon
» Au milieu d'une nuit merveilleufe , éclairée de
tous les rayons du foleil , les fommets dorés
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
De l'Océan du Nord les vagues azurés ,
Ecument de fatigue en rompant le rayon
D'un difque , qui fe meut fans quitter l'horifon
L'édifice pompeux , aux ailes blanchiflantes ,
Qui vole en effleurant les plaines mugiflantes ,
Par les noeuds du commerce arrêté fur ces bords ,
Va transporter au loin nos utiles trésors ; *
Sans avoir entrevu dans les courſes célebres ,
Ni lesfaphirs des nuits , ni l'aftre des ténebres .
Aux bornes de ces mers , quels colofles brillans
Semblent toucher les cieux de leurs fronts menaçans
?
Leur afpe &t fait frémir. Ces mafles formidables
Sont l'onde transformée en rocs inaltérables.
Le fluide , durci par d'éternels hivers ,
Plus haut que l'Apennin s'éleve dans les airs .
Des monftres à fes pieds , méditant fa ruine ,
» des flots vacillans éblouiffent l'oeil du Naviga
ǝteur ».
* Prefque toutes les marchandiſes qui fortent
de Ruffie font des objets de premiere néceffité ,
comme le chanvre ; le fer , le cuivre , les mâts
les bois de conftruction , la cire , le fuif , & c. &
les grains , branche nouvelle de commerce que le
pays doit à l'augufte Catherine II . On croira difficilement
à quel point ce dernier article augmente
l'exportation qui fe fait par Arcangel.
AVRIL. 1779: 13
Ne peuvent ébranler fa profonde racine ;
Et lorfque le foleil tempere les ardeurs ,
Ces prifmes merveilleux répetent les couleurs .
Hélas ! où m'emportai - je , & quel espoir m'abuſe !
Pour rendre ces objets il nous faudrait a Mule.
Elle feule pourrait , fur ces bords écartés ,
Deffiner noblement ces locales beautés .
O ! combien j'applaudis , alors que ton génie
Des habitans des champs m'offre la bonhommie ,
Leurs vertus fans apprêts , leurs fêtes fans langueur.
La chafteté , la foi , l'équité , la candeur ,
La franchiſe adorable & les amours finceres
Semblent être en dépôt fous les toits følitaires :
Dans ces humbles hameaux que dédaignent les
Grands ,
On y trouve , au lieu d'or , de paifibles momens.
La médiocrité ne connaît point d'alarmes .
Après un long travail le repos a des charmes.
Le plaifir cft plus pur quand il n'eſt point payé ,
Et qui n'eft pas oifif n'eft jamais ennuyé.
Je les vois quelquefois ces Bergers , ces Bergeres ,
Ces Villageois contens au feuil de leur chaumieres:
Que je méprile alors nos lambris faſtueux !
Le calme eft dans mon coeur , la gaîté fous mes
yeux ;
Il ne manque plus rien au bonheur de ma vie,
14
MERCURE DE FRANCE.
Heureux qui , s'appuyant fur la philofophie ,
Modefte en fes defirs & fans biens fuperflus ,
Dans un séjour obfcur cultive les vertus !
Lié par les devoirs , & non chargé d'entraves ,
Il vit fans préjugés , fans maître & fans eſclaves ;
Et contemple en pitié les fragiles faveurs ,
L'appareil du pouvoir , le fonge des honneurs ,
Ces titres , ces emplois , brigués avec balletle ,
Dont l'homme médiocre entoure fa faiblefle ;
Qui , charmant les regards jufqu'au bord du cercueil
,
Etourdiffent fa tête en flattant fon orgueil.
L'augufte vérité , la compagne fidelle ,
Toujours à fes côtés , lui femble toujours belle ;
Et la tendre amitié , prodiguant tous les dons ,
'Embellit les foyers de fes plus doux rayons ;
C'eſt le feu de Veſta que garde l'innocence .
Ah ! dans ce fiecle affreux de crime & de licence ,
Quand le luxe cruel vient endurcir les coeurs ,
Et brile infolemment la barriere des moeurs ;
Quand l'homme dégradé , fans force & lans courage
,
Préfente à Plutus feul fes voeux & fon hommage ,
Et croit que le bonheur , qu'il cherche avec tranſport
,
Ne fe trouve jamais que fur des piles d'or ;
Il est beau de tracer la félicité pure
AVRIL. 1775.
Qu'on goûte à peu de frais au fein de la nature ;
D'offrir à nos Créfus , aux cinq fens émouflés ,
Tous les jeux des hameaux par des jeux remplacés;
D'honorer à leurs yeux le foc de Triptolême ;
De peindre la vertu , bafe du bien fuprême ;
De rappeler enfin les humains étonnés ,
Aux emplois innocens pour lefquels ils font nés:
Ce font- là les travaux de ton génie aimable.
Pourfuis , ô Saint- Lambert ! que ta main ſecou→
rable
Préfente de nouveau ces tableaux raviſſans ,
Qui fatisfont l'efprit , le coeur , l'âme & les fens ;
Ajoute à nos plaifirs en remontant ta lyre :
Un C ** te cenfure & l'Europe t'admire.
C'est ainsi qu'autrefois l'ingénieux Maron
S'élevait par fes chants au fommet d'Hélicon ,
De l'Empire Romain captivait le fuffrage ,
Tandis que Mévius lui prodiguait la rage.
Ton âme eft au- deflus de ces faibles dégoûts ;
Le talent fut créé pour faire des jaloux .
Malheur à l'Ecrivain qui défarme la haine.
Les arts font devenus une indécente arêne ,
Ou toujours les vaincus infultent aux vainqueurs;
Et combien de Lettrés font des Gladiateurs ?
Cent pédans belliqueux vous déclarent la guerre;*
Ils font vos ennemis , dès que vous favez plaire.'
* On diftingue à Paris la haute & la baffe Lit
16 MERCURE
DE FRANCE
.
FABLE PRÉSENTÉE A LA REINE.
JUPITER ET LE PAPILLON,
UN Papillon de bonne race
Conçut un jour la noble audace
De tenter la route des cieux ;
Hélas ! difoit- il , quel espace
Entre les hommes & les Dieux !
Fort à propos un Aigle paffe ,
C'étoit l'oiſeau de Jupiter ;
Il le voit , le faifit , l'embrasle :
Voilà le Papillon dans l'air.
Il arrive ; tout l'Empirée
térature , comme on diftingue à Vienne en Aurriche
la grande & la petite Nobleffe. Parmi la popu
lace des Ecrivains , il s'éleve de temps en tempsde
ces hommes impudens qui difent au Public
qu'il a tort d'estimer tels & tels Auteurs , dont le
mérite prodigieux les humilie . Ces gens dégoû
tans , qui s'érigent en Apôtres du goût , font encore
plus ridicules qu'odieux , quoique leurs facéties
foient ordinairement farcies d'atrocités. Note
de l'Auteur
AVRIL 1775. 17
Précifément célébroit dans ce jour
Une fête au ciel confacrée
Par le refpect & par l'amour.
Plus on fent , moins on peut fe taire ;
Le Papillon , pour fon malheur ,
N'étoit pas brillant orateur ;
Il vouloit parler... Comment faire
Ilprit ce qu'il dit dans fon coeur ;
Et ce qu'il bagaya fut plaie.
On applaudit à les tranfports.
Avant que de quitter les voûtes éternelles ,
Je veux , dit Jupiter , qu'on lui dore les ailes
Pour récompenfer fes efforts.
L'Olympe retentit à la voix de fon Maître ,
Et le Papillon fut content ;
Il fut heureux je pourrai l'être
Quand vous voudrez en dire autant.
Par M. l'Abbé de Morveau
1
18 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre THAMAS KOULI-KAN , Roi de
Perfe ; & LA PRINCESSE AL..
veuve du Grand Prince de R
LA PRINCESSE A L. ar II
ENFIN , me voilà délivrée du fardeau
de la vie , après l'avoir été auparavant
de celui des grandeurs .
TH. KOULI. KAN.
Je perdis la vie & mes grandeurs lorfque
j'allois en jouir le plus tranquillement
. J'avois payé ma fortune aflez cher
pour qu'elle dût être plus durable.
LA PRINCESSE AL...
Fûtes vous Monarque ou Empereur?
•
TH. KOULI - KAN.
Je portai le titre de Roi des Rois . Il
Ce Dialogue eft anecdotique , & l'anecdote
eft des plus modernes.
AVRIL 1775. 19
y avoit une diftance infinie entre ce rang
& celui où la fortune m'avoit fait naître .
Je ne fus d'abord qu'un brigand obfcur ,
& enfuite chef de brigands. Je me vis
recherché par le Souverain qui auroit dû
me punir . Je devins fon appui ; mais je ne
tardai pas à devenir fon oppreffeur . J'at
tentai à les jours ; je fis périr l'enfant qui
devoit lui fuccéder. Vous frémiflez ! j'en
frémis moi même , dans ces lieux où le
voile de l'ambition ne fafcine plus mes
regards , & ne laiffe envifager mes forfaits
avec toute leur noirceur. Mais le
Trône de Perfe où je montai , la Turquie
humiliée par mes armes , l'Inde foumife
& dépouillée par mes mains ; tout contri
buoit à nourrir l'ivreffe de mon âme & de
mes defirs . Un crime couronné par tant
de fuccès ne me parut plus un crime . Je
ne parus plus occupé que du foin d'en
jouir avec éclat. Je gouvernai en maître
abfolu , mais équitable ; & fi l'Afie me
confond parmi les Ufurpateurs , la Perfe
me comptera toujours au nombre de fes
plus grands Rois .
LA PRINCESSE AL ...
Vous êtes donc le célèbre Thamas-
Kouli-Kan ?
ܘܐ܂
MERCURE DE FRANCE.
TH. KOULI - KAN .
Oui , vous voyez en moi fon ombre .
Je fus precipité du Trône comme j'y
étois monté; par un crime. Un de mes
neveux trempa fes mains dans mon fang ;
moins pour punir en moi l'Ufurpateur que
pour s'emparer du rang que j'avois ufurpé.
LA PRINCESSE AL...
Il eft trifte pour l'humanité que l'envie
de gouverner les hommes rende quelques
uns d'entre eux fi criminels. J'étois
née pour contempler de près le rang fuprême.
Je fus portée , par une alliance
à côté du Trône de R.....; j'époufai
l'héritier préfomptif de cet Empire , &
j'attendois fans impatience que l'ordre
de la Nature lui fit remplacer P.... le
Grand. Je faifois même des voeux pour
que ce fecond fondateur de l'Empire des
R.... gouvernât long- temps le peuple
qu'il avoit formé. On accufa mon époux
de faire des voeux contraires , & même
d'y joindre des projets plus dangereux . Un
père qui règne eft peu difpofé à rejetter
une accufation. Bientôt le C... ne vit plus
dans fon fils qu'un chef de révolte . Il le
AVRIL. 1775 : 21
fit arrêter ; on le jugea coupable ; & cette
tête , deſtinée à porter une couronne ,
tomba fous les coups d'un vil bourreau ,
TH. KOULI - KAN.
J'aurois pu , en pareil cas , épargner
cette honte à mon fils ; mais je n'eulle
pas épargné la tête .... Quel fut votre
fort après celui de votre époux ?
LA PRINCESSE AL...
On m'avoit reléguée dans une étroite
prifon j'y attendois la mort , & je la
defirois. L'Officier chargé de veiller à ma
garde , fut touché de ma fituation & des
autres malheurs qui pouvoient s'y joindre.
J'étois jeune , j'étois belle , j'étois
en péril & il étoit François . Il rifqua de
fe perdre pour me fauver. Je ne me déterminai
qu'avec peine à profiter d'un
fecours fi dangereux pour lui ; mais il
infifta , il preffa ; nous devions fuir enfemble,
... Je crus devoir me fier au
hafard dans une circonftance où le hafard
feul pouvoit me fervir,
TH. KOULI - KAN.
Je parierois la vigne d'or du Grand,
22 MERCURE DE FRANCE.
Mogol , fi j'en étois encore le maître ,
que ce François étoit jeune , bien fait ,
& tant foit peu étourdi.... Mais ne parlons
que de votre fuite. Fut elle heureufe ?
LA PRINCESSE AL ...
Plus que je n'ofois l'efpérer. Un déguifement
bien choisi nous fit échapper
à toutes les recherches. Mon libérateur
m'amena dans fa patrie. Il n'y jouiffoit
pas d'une grande fortune , & il ne me
reftoit de toute la mienne qu'un titre
dont je n'ofois plus me parer. Il m'importoit
d'ailleurs de me fouftraire aux
regards de tous ceux qui pouvoient me
recontre. Nous prîmes le parti , mon
époux & moi....
TH, KOULI - KAN.
Votre époux !
LA PRINCESSE AL....
Oui ; j'avois époufé mon libérateur.
TH. KOULI - KAN .
Vous voyez , Princeffe , que je n'aurois
pas perdu ma vigne.
AVRIL. 1775 . 23
LA PRINCESSE AL...
J'eus à combattre un préjugé trop généralement
reçu en Europe ; mais un
fentiment plus vif me fourniffoit des
armes contre lui . Il eft des cas où la
reconnoiffance paroît fi légitime ! mon
bienfaiteur n'exigeoit rien , & je l'en
trouvois plus digne d'obtenir ce qu'il ne
demandoit pas . Il avoit tout hafardé pour
moi , & je n'avois d'autre récompenfe à
lui donner que moi - même . C'étoit la
feule chofe que m'eût laiffée la fortune .
Mais celui à qui j'en voulois faire le facrifice
combatroit fes propres defirs &
les miens : il fongeoit moins à l'état où
il me voyoit réduite , qu'au rang où il
m'avoit vue élevée. Enfin un médiateur
plus pluiffant nous mit d'accord ; ce fut
l'Amour. Il ne connoît point les diftinctions
inventées par la politique . Il aime
à les rapprocher ; il fe joue des conventions
humaines ; & lorfqu'il parle fortement
, il eft rare qu'on écoute un autre
langage.
TH. KOULI - KAN.
Votre Europe auroit grand befoin de
24 MERCURE DE FRANCE.
prendre quelque leçons de notre Afie .
Elle y apprendroit à fe familiarifer avec
ces méfalliances , qui ne font point hors
de l'ordre , puifqu'elles font dans la nature
.
LA PRINCESSE A L...
Sans doute , mais prefque tout eft convention
chez les humains. La beauté ,
certaines vertus , certains devoirs , certaines
bienféances ne font parmi eux que
l'effet de cette convention. Elles different
chez différens Peuples comme les productions
des climats qu'ils habitent . Mais
j'avois à craindre autre chofe que le blâme
; il falloit me fouftraire aux recherches
d'un ennemi puiffant . Il falloit , de
plus , me fouftraire , mon époux & moi ,
aux horreurs de l'indigence. Il obtint un
emploi honorable dans les Troupes que
la France envoyoit aux Indes. Je le fuivis
; j'affrontai avec lui les dangers que
l'on court fur ces mers immenfes qui féparent
l'Europe de l'Alie . Arrivés dans
ces lieux , fi nouveaux pour moi , mon
époux eut d'autres périls à braver . Il y
trouva la mort ; il périt dans un combat
livré aux Anglois . Jugez de ma cruelle
fituation ! étrangère , ignorée , hors d'état
de
AVRIL. 1775. 25
de me faire connoître , intéreffée même
à ne pas être connue , j'éprouvai toutes
les atteintes de l'infortune , fans entrevoir
aucun remède à mes difgrâces . Le
préfent m'effrayoit , l'avenir n'offroit à
mon efprit qu'un nouvel abyfme. J'enviois
le fort des humains les plus abjects
, & j'aurois voulu pouvoir le partager.
Il ne me reftoit de toutes mes
grandeurs que l'impuiffance de pouvoir
defcendre aux derniers rangs.
TH. KOULI - KAN.
J'avoue que се récit m'intérelle. Quel
parti prîtes- vous enfin ?
LA PRINCESSE AL...
Celui de m'expofer encore à l'inconftance
des mers & des événemens . Mon
fort me réduifoit à tout braver. Je revins
en France. J'y fubfiftai d'une modique
penfion que me valut la mort de mon
époux . J'y vécus perpétuellement inconnue.
Un jour cependant que me je prome-:
nois dans le magnifique jardin des Rois.
de France * , j'y fis une rencontre qui
*Aux Tuileries.
I. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
penfa dévoiler mon incognito. Ce fut
celle du célèbre Maurice de Saxe , ce Général
qui fit tant de bruit dans le monde ,
quelque temps après que vous l'eûtes
quitté. Il m'avoit vue à Mofcou ; il me
econnut à Paris . Je cherchai en vain à
m'efquiver ; il m'aborde & me témoigne
fon étonnement. Il falloit me débarraffer
de fes queftions : je lui affignai
un autre jour & un autre lieu pour y
répondre.
TH. KOULI - KAN.
Il fut fans doute exact au rendez - vous
LA PRINCESSE AL. ...
Je l'ignore ; le rendez vous n'étoit que
fimulé. Je ne voulois point de confidens
d'une fituation qui ne pouvoit plus changer.
I eft vrai que mon enneini n'exiftoit
plus ; mais le préjugé que javois bra
vé fubfiftoit toujours. Je ne me repentois
, ni ne voulois m'accufer de rien .
J'étois réfolue de finir dans l'obfcurité
une carrière qui eût été plus heureuſe , ſi
je l'eufle commencée avec moins d'éclat,
AVRIL. 1775 . 27
TH. KOULIKAN.
Ne deviez vous pas craindre de nouvelles
rencontres ?
LA PRINCESSE A L...
des
Je pris de nouvelles précautions pour
'y fouftraire. Je me retirai dans un villa
ge voifin de la capitale * , & habité par
humains qui ne foupçonnent point la
grandeur où elle ne fe montre pas . J'y
vécus , oubliée de toute la terre , & oubliant
moi - même qu'on pût y jouer un
plus grand rôle. En un mot , je trouvai
le repos dans ma retraite ; & , dans une
pofition telle que la mienne , c'étoit y
trouver le bonheur,
TH. KOULI - KAN.
Pardonnez ; je crois difficilement à ce
bonheur fi tardif. Il en eft des grandeurs
comme de certains climats , qu'on ne
quitte pas impunément , lorfqu'on y eft
né , qu'on n'habite pas impunément fi
l'on naquit loin d'eux.
* Le village de Vitry.
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
LA PRINCESSE AL...
Le repos eft pour l'âme ce que la bonté
du climat eft pour le corps . Je me
rappelois mes grandeurs paffées comme
on fe rappelle un fonge pénible & douloureux
. L'inftant du réveil est toujours
accompagné d'un fentiment de joie . Vous
ne jouîtes point de cet inftant ; votre
fonge ne finit qu'avec vos jours.
TH. KOULI - KAN.
J'aurois voulu pouvoir le prolonger.
Tout eft fonge dans la vie , & il vaut
encore mieux rêver qu'on eft le Maîtte
d'un vaſte Empire , que de fe croire l'Eſclave
de quelque petit Defpote .
LA PRINCESSE AL...
Au fond , je crois la chofe affez égale ;
mais voyez à quoi tient le repos de la
terre & le bonheur des individus qui l'habitent.
L'Afie eût été bien moins troublée
fi vous n'euffiez jamais quitté votre villa
ge, & ma vie eût été bien plus heureuſe ſi
j'avois plutôt habité le mien.
Par M. de la Dixmerie.
AVRIL. 1775 . 29
EPITRE à un de mes Amis , auffi conftant
que malheureux dansfes amours .
TEE voilà , nouveau Céladon ,
Toujours plus tendre & plus fidele :
Jamais les rives du Lignon
N'avoient vu de flamme fi belle ;
Auffiique ne naiflois- tu là ?
L'Amour t'eût donné la couronne,
Et de ces beaux fentimens - là
Aucun en France ne la donne.
Y fonges -tu? Né vif, charmant ,
Le François ne doit l'art de plaire
Qu'à ce rayon de fentiment ,
Cette étincelle fi légere
Qui brille & meurt au même inſtant.
Le coeur eft une fleur naiſſante
Qu'entrouve une douce chaleur :
Quand elle devient trop ardente ,
On voit foudain languir la fleur ;
Mais un léger ruiffeau qui coule ,
Bondit & gazouille à l'entour ,
Vient tempérer les feux du jour.
L'inconftance eft le flot qui roule
B iij
30 MERCURE
DE
FRANCE
. Pour calmer les feux de l'Amour.
Pauline eut ton coeur ; à Julie
Cours à l'inftant porter tes voeux.
Ah ! pour plaire à Nymphe jolie ,
C'eft un titre bien précieux
Qu'une Beauté déjà trahie.
Te voilà donc tout réformé.
Moins raisonnable & bien plus (age ,
Moins aimant & bien plus aimé ;
Tu vas déformais faire rage .
Trifte , languiffant , abattu ,
Le refpe& rampe aux pieds des Belles .
L'Amant qui veut triompher d'elles
Doit croire moins à leur vertu.
Leur coeur , en cherchant à paroître
Ce qu'au fond il dément tout bas ,
Hairoit trop de nous voir être
Comme elles voudroient n'être pas.
Julie auroit la fantaifie
D'un coeur conftant dans fes amours ;
Mais en eft-il ? Promets toujours ,
Jure de l'aimer pour la vie.
A quoi t'engagent des fermens 2
Le vent les porte fur les ailes .
Le Ciel punit- il les Amans
Pour n'avoir pas été fideles ?
A vingt Décles tour - à- tour
AVRIL. 1775 .
(Prenons Jupiter pour modele )
Il fit mille fermens d'amour
Qu'iloublia le même jour
Aux genoux de quelque Mortelle.
Hercule , de grand fentiment ,
Se piqua- t-il auprès d'Omphale ?
Iole encor l'ent pour Amant.
Phoebus garda- t- il (on ferment ?
Mars aina Vénus tendrement ;
Vénus eut plus d'une rivale .
On peut , en imitant les Dieux ,
Ne pas rougir d'être coupable .
En amour , qui trompe le mieux,
Fut de tout temps le plus aimable .
Dès queta conquête ne tient
Qu'à quelque peu de perfidie ,
De plein droit elle te revient ;
Et l'ufage t'acquiert Julie.
Mais comment tromper les jaloux
Qui , nuit & jour , en sentinelle ,
De douze clefs , de vingt verroux
Arment une porte cruelle ?
Sur les gonds , comment ébranler
Sa mafle lourde & gémillante ?
L'Amour , que Julie y confente ,
D'un feul doigt la fera rouler.
Argus , vos foins nous font utiles ;
Nous nous plaignons à tort de vous :
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Rendez les plaifirs difficiles ,
Il n'en feront que bien plus doux
Et les Nymphes bien plus dociles.
Eh ! qui pourroit nous réſiſter
Quand l'Amour ouvre le paflage?
Argus , frimats , nuit , vents , orage ,
Que rien ne puifle l'arrêter.
Vénus hait les cours fans courage ,
Et fes faveurs font le partage
De ceux qui favent tout tenter.
A Aix. Par M. d'Hermite de
Maillanne.
Bosi , Conte tiré d'un Auieur Turc.
Bosi , né avec le caractère le plus heureux
, l'âme la plus fenfible , les fentimens
les plus diftingués , fembloit n'avoir
rien à defirer . Il comptoit pour Ayeux
plufieurs Mufulmans , qui , par leurs lumières
, s'étoient illuftrés à Stamboul . Ce
qui fur-tout lui faifoit beaucoup d'honneur
, c'étoit d'être d'une famille dont
aucun des membres , depuis un temps
immémorial , n'avoit eu la foibleffe de
rire. Une aifance honnête le tenoit élevé
au deffus des malheureux qui rampent
AVRIL. 1775 . 33
dans la pouffière. Il vivoit retiré dans
une terre éloignée du fracas de la ville
& du fiége du defpotifme ; & , pour le
récompenfer de fa vertu , le divin Prophète
verfoit fur lui la rofée de fes faveurs.
Le deftin voulut l'éprouver par
quelques tribulations. Un injufte voilin
s'empara de fes biens , le maltraita & le
chaffa de fa maifon. Pénétré de douleur ,
il confulta des Sages qui lui donnèrent
des avis dont l'exécution étoit impoffible.
Il confulta fes amis , qui ne purent que
mêler leurs larmes aux fiennes. Enfin il.
confulta fes parens . Ceux - ci lui avouèrent
qu'un de leurs proches , nommé Mouf
fouw , étoit parvenu au rang de Bacha à
trois queues , en achetant , par des baffeffes
, l'amitié du petit Ali ; que ce petit
Ali étoit un compagnon de débauches
de l'Empereur Bajazet II , fur l'efprit du
quel il avoit un afcendant incroyable.
Ôn lui ajouta qu'il feroit bien de recourir
à Mouffouw pour obtenir une prompte
juftice . Bofi refufa d'abord d'employer à
une auffi belle oeuvre un homme parvenu
à un degré de fortune aufli éminent , par
des moyens auffi bas. « Jeune homme
» lui dit un vieillard , le fumier fait pouf
fer les rofes , & fouvent Dieu le ferr
و د
30
By
34 MERCURE DE FRANCE.
» du vice pour faire triompher la vertu .
» Hâte- toi d'aller trouver Moulfouw , &
33
ne néglige rien pour obtenir la puni-
» tion de ton voifin. Si tu lui pardonnes
» pour toi-même ( ce dont je fuis perfuadé
) je te défends de lui pardonner pour
» la fociété ». Bofi obéit. S'appuyant fur
un gros bâton noueux , il fe met en chemin
& arrive à Stambou !. Il fe préfente chez
Moulfouw , s'annonce comme fon parent.
On dit à Mouſſouw qu'un homme
feul , venant à pied de fort loin , a l'audace
de demander à lui parler en qualité
de parent. Mes parens , s'écria le Bacha
» à trois queues , quand ils voyagent , ont
» une nombreufe efcorte ; ils montent
» des chevaux qui ont tous plus de 300
ans de pobleffe , & leurs pieds , rougis
» du fang du peuple , ne foulent que des
tapis de pourpre . Qu'on chaffe donc cet
» homme , je ne veux pas le voir ».
Bofi fut frappé de cette réponſe comme
d'un coup de foudre : « O vieillard !
» dit -il à l'inſtant , quel confeil m'as tu
» donné ! Si de pareits refus outragent
» le dernier des hommes , lorfqu'ils pro-
» viennent d'un étranger , combien ne
doivent- ils pas être fenfibles pour une
» âme noble qui les fouffre d'un parent ?
99
AVRIL. 1775 . 3.5
Boli au defefpoir , réfolut d'obtenic
juftice de l'Empereur même. En effet il
faifit l'inftant où Bajazet va le matin à la
Mofquée : il fend les rangs des Janiſſai- ' }
res , il fe jette aux genoux du Prince &
lui expofe en peu de mots fes fujets de
plainte , tant contre fon voifin que contre
fon parent. Bajazet étoit juſte quand
il étoit de fang- froid : Leve-toi , dit - il à
Bofi , & vat en chez toi . Bofi fe lève ,
s'éloigne avec précipitation , arrive dans
fa terre . Le premier objet qui fe préfente
à fes yeux eft fon voifin pendu vis à vis
fa porte. « Je trouve l'arrêt trop
févère
,
» s'écria le vértueux Muſulman ; il n'étoit
» pas mon parent , on pouvoit eſpérer de
» lui quelque retour » . En entrant dans
fa maifon il apperçoit Mouffouw qui
étoit aufli pendu : « Cette punition ett
jute , dit alors Bofi : car un tel parent
» ne pouvoit être qu'un monftre ».
n
ود
Par M. de Lamoligniere.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à Mademoiſelle de P ***
lui envoyant un Recueil de vers .
RECEECEVVEEZZ P *** le galant bréviaire
Que les neuf Mufes ont dicté ;
Vous y lirez maint cantique chanté
Par les Amours au Temple de Cythere .
Lorſqu'en le feuilletant j'y trouvois les portraits
De Zirphé , de Zélis ou d'une autre Bergere ,
Je me difois : elle a bien plus d'attraits
La Beauté qui fait tant me plaire :
en
Auffi , pour mon malheur , elle eft bien plus févere
.
Ma conftance , mes foins ne peuvent l'attendrir ;
Elle rit de mes pleurs , s'offenle d'un ſoupir ;
Un feul de mes regards excite fa colere.
Amant délicat & difcret ,
J'ai vu deux fois la tendre tourterelle
Céder aux doux tranfports de fon oifeau fidele ,
Et repeupler cet antique bofquet ,
Où chaque jour , quand la triple Immortelle
Sous les loix du fommeil enchaîne les humains ,
Je vais gémir des rigueurs de ma Belle ;
Cet antique bofquet où mes tremblantes mains.
AVRIL. 1775.. 37.
Ont tracé fi louvent le nom de la cruelle.
J'ai vu deux fois la faifon des Amours
Ramener en ces lieux Zéphyr & les beaux jours ;
Deux fois j'ai vu tous les êtres fenfibles
S'enflammer & s'unir fur ces rives paiſibles ,
Et , fortunés par lui , célébrer le printemps.
Tout s'eft renouvelé fous l'empire de Flore :
Et moi feul , embrâfé du feu qui me dévore ,
Je fuis resté toujours en proie à mes tourmens.
Dieu de Paphos , pour prix de ma conſtance ,
Adoucis s'il le peut fa fiere indifférence .
Sous le chevet de P ***
Vas dépoler ce volume chéri .
page :
?
Des plus belles chanſons fais lui noter la
D'Imbert ou de Dorat les chants harmonieux
L'attendriront peut être en lifant cet ouvrage.
Saifis avec ardeur ce moment précieux .
Dis lui: « Si ton Berger ne fauroit faire entendre
→Des accens auffi doux , auffi mélodieux ;
S'il ne peut égaler ces Poëtes heureux ,
»Aucun d'eux n'eut un coeur plus fenfible & plus
tendre
Par M. de Bellerie.
38 MERCURE DE FRANCE.
ELEGIE DE TIBULLE.
Divitias alius
Pour l'avare mortel que l'or feul ait des charmes
,
Qu'il entafle à fon gré ce métal précieux ;
Jamais il ne jouit , il vit dans les alarmes :
Le fommeil fuit loin de les yeux.
Dans le fein du repos je puis couler ma vie ,
Et dans ma pauvreté goûter un fort heureux ;
Si de fruits chaque jour ma corbeille eft remplie ;
Si Bacchus répond à mes voeux .
Je ne rougirai point de travailler ma vigne ,
D'apporter au bercail le chevreau délaiflé .
Palès , de tes bienfaits fi tu me trouves digne ,
Un . laitpur te fera verfé..
Soit qu'un marbre pompeux nous offre ton image ,
Soit que par un tronc vil tes traits foient reproduits
,
O Déefle des champs ! je te ferai l'hommage
Des prémices de tous mes fruits .
Sufpendons , ô Cérès ! aux parvis de ton Temple
Les épis des moiflons , en couronne treflés ;
AVRIL. 1775 . 39
Et que dans mes vergers , Priape , on te contemple
Parmi les oifeaux difperfés .
Vous , jadis les gardiens d'un plus riche héritage ,
Mes Lares , agréez ce modique préfent :
Un agneau , de mes voeux fera l'unique gage ;
Tribut d'un mortel indigent.
Exaucez - nous au bruit des chants de la jeuneffe !
Nos vales font d'argile , ils font purs ; l'âge d'or
Ignoroit , comme nous , l'éclat de la richelle :
Les dons du coeur font un tréfor.
Pourfuivez les troupeaux qui vont courant la
plaine ,
Loups cruels ; épargnez mes agneaux peu nombreux
.
Je ne regrette point un plus vaſte domaine ,
Ni l'or des lambris fomptueux.
Sous un ruftique toit , dans mon unique couche ,
Que je repole en paix , pauvre fans embarras ;
Que j'entende gronder la tempête farouche ,
Serrant Délie entre mes bras !
Le calme eft dans mon coeur , & l'Aufter en furic
Fait tomber de la nue un déluge bruyant ;
Soyez riche , infenfé qui perdez votre vie
Abraver Neptune écumant,
Je lais vivre de peu : le temps m'a rendu fage.
40 MERCURE DE FRANCE.
Je pafferai mes jours fur le bord des ruifleaux ,
A l'abri du ſoleil , fous un épais ombrage ,
Flatté du murmure des eaux.
Périffent les tréfors que le Pactole donne ,
Plutôt que mon départ afflige la Beauté !
Sois vainqueur , Meflala , fuis le char de Bellone :
L'Amour feul me tient arrêté .
Que m'importe l'encens du ftupide vulgaire ?
Délie , auprès de toi je trouve l'Univers ;
Près de toi je ferai pafteur & folitaire ,
Et j'oublierai tous mes revers .
Sur le fimple gazen mon fommeil eft paisible ;
L'Amour préfere - t-il les fuperbes tapis ?
Délie eft avec moi ! par un charme invincible
Ces afyles font embellis.
Quel eft le coeur de fer qui , délaiffant les Grâces ,
Epris d'un fol efpoir , cherche de vains lauriers ?
Et de Mars en fureur ofant fuivre les traces ,
S'élance à travers les guerriers ?
Délie , ô mes amours ! quand la Mort effrayante
Viendra près de mon lit pour frapper ton Amant ,
Puiflé-je te prefler de ma main défaillante ,
Et mourir en te regàrdant !
Tes bailers & tes pleurs réveilleront ma cendre ;
AVRIL. 1775. 41
Tu pleureras . Le Ciel , qui voulut te former ,
N'a point couvert d'acier ton coeur fidele &
tendre ;
Délie eft faite pour aimer.
Quand de jeunes Amans une foule éplorée
Gémira fur ma tombe en ce jour douloureux ;
Garde-toi de porter ta main déſeſpérée
Sur ton front , fur tes beaux cheveux.
Mais , le Ciel le permet , embraflons- nous encore ;
Le voile de la mort trop tôt vient nous couvrir.
Au déclin de mes jours qui rejoindra l'aurore ?
Et pourrai -je aimer fans rougir ?
Livrons -nous à Vénus , profitons du bel âge ;
D'autres iront chercher de l'or & des exploits .
Charmé de tes attraits , content de mon partage
Je vois à mes pieds tous les Rois.
Par M. Marteau.
LE SOCLE ET LA STATUE.
OSES-TU
Fable.
SES- TU t'égaler à moi ,
Difoit au Socle une fiere Statue &
42
MERCURE DE FRANCE.
Je porte mon front dans la nue ,
Et je pofe le pied fur toi;
Encore , trop heureux qu'un jourje ne t'écrafe.--
Plus de douceur & moins d'emphâfe :
Il te fied bien de m'infulter ,
Etre foible , injufte & fuperbe !
Si je ceffois de te porter
Je te verrois bientôt fous l'herbe.
Par M. Feutry.
QUATRA IN
Pour être mis au bas d'un Portrait de
M. l'Archevêque Duc de C *** , Prince
du Saint Empire.
D'UN aimable Paſteur la douoe piété ,
La vertu , les talens , l'efprit & la bonté ,
De nos derniers neveux ont mérité d'avance
L'amour , l'eftime & la reconnoillance *.
* Plufieurs fervices rendus à la Province & aux
Eglifes de la T **.
Par M. B. de R...
AVRIL. 1775 . 43
EPITRE à une jeune femme qui exigeoit
qu'on n'eut pour elle que de l'amitié.
DELPHIRE à ta morale auſtere
En vain je veux m'accoutumer.
Il eft auffi par trop févere
De me défendre de t'aimer .
Sans que la plus ardente flamme
T'infpire la moindre pitié ,
Tu voudrois qu'on n'ouvrit ſon âme
Qu'au feul plaifir de l'amitié ;
C'eft pour une lexagénaire
Qu'eft fait un pareil fentiment :
D'une femme en âge de plaire ,
L'Ami toujours devient l'Amant.
Ah ! crois que tout ce qui refpire
Reconnoit les loix de l'Amour ;
Crois que toi- mêine à ſon empire
Tu te foumettras à ton tour.
Rien ne peut égaler fes charmes :
Unique fource du bonheur ,
Au fein même de fes alarmes
Il est encor quelque douceur.
Redoutes pourtant fa colere ,
Crains les fondres qu'il peut lancer :
En vain on reffemble à fa mere
Si l'on ne craint de l'offenler .
Protecteur des Amans fideles ,
44 MERCURE DE FRANCE .
Il eſt encor moins irrité
De l'inconftance dans les Belles
Que de l'infenfibilité .
Renonces donc à ton ſyſtême ,
Soit par crainte ou par fentiment :
Et crois que le bonheur ſuprême
Ne peut fe trouver qu'en aimant.
Par M. le Seurre de Muſſey.
LA PROSPERITÉ ET L'ADVERSITÉ.
Allégorie traduite de l'Anglois.
LA Providence envoya un jour deux de
fes filles , la Profpérité & l'Adverfité .
chez un riche Marchand nommé Vélafco
, qui demeuroit à Tyr , capitale du
Royaume de Phénicie.
Vélafco avoit deux fils , Félix & Uranio.
Tous deux , deftinés au commerce ,
avoient reçu une éducation proportionnée
à la fortune de leur père , & avoient
paffé leur enfance dans l'amitié la plus
intime ; mais l'Amour , devant qui toutes
les affections de l'âme difparoiffent
comme les traces d'un vaiffeau fur l'Océan ,
trouva bientôt le moyen de les défunir .
Ils furent tous deux au même inftant enflammés
par les charmes de Profpérité;
AVRIL. 1775. 45.
la Nymphe , femblable aux filles des
hommes , flattoit en particulier leurs efpérances
, mais déclaroit en public qu'elle
ne pouvoit prendre aucun engagement
que fa foeur , de qui , difoit-elle , elle ne
pouvoit être long temps féparée , ne fût
mariée en même temps.
Vélafco s'apperçut bientôt de la paffion
de fes fils , & craignant tout de leur violence
, il voulut en prévenir les fuites ;
il les contraignit , par fon autorité ,
fouffrir que le fort décidât de leurs prétentions
; chacun d'eux s'engagea par un
ferment folennel à époufer la Nymphe
qui lui tomberoit en partage . Les lots
furent tirés. Profpérité devint la femme
de Félix , & Adverfité échut à Uranio .
Peu de temps après la célébration de
ces deux mariages, Vélafco mourut , ayant
légué à fon fils aîné la maiſon où il demeuroit
, avec la plus grande partie de
fes biens.
Félix étoit fi enchanté & fi orgueilleux
de la beauté de fa femme , que les plus
riches habits & les perles du plus grand
prix furent employées à en relever l'éclät.
Il lui bâtit un palais magnifique fur les
débris de la maifon modefte de fon père ;
détourna à grands frais une rivière pour
embellir fon jardin , & en orna le rivage
46 MERCURE DE FRANCE.
de pavillons fuperbes. I recevoit à fa
table la Nobleffe la plus diftinguée , faifoit
à fes convives la chère la plus délicate
, réjouiffoit leurs oreilles par une
mufique délicieufe , & leurs yeux par la
plus grande magnificence. Bientôt il ne
regarda plus fes parens les plus proches
& fes amis les plus intimes que comme
des étrangers ; & fon frère même , devenu
pour lui un objet de mépris , reçut
ordre de ne fe plus préfenter à fa porte.
Mais comme l'eau qui forme un grand
canal fe perd dans les vallées , fi elle
n'eft pas contenue par une digue ; de
même la fortune la plus confidérable eſt
bientôt diffipée quand elle n'eft pas confervée
par une fage économie . En peu
d'années les biens de Félix furent altérés
par les extravagances ; fes marchandifes
lui manquèrent , faute de foins & d'exactitude
, & fes meubles furent faifis par
les mains impitoyables de fes créanciers.
Il s'adreffa dans fa détreffe aux Nobles
qu'il avoit fêtés & accablés de préfens ;
mais il n'en putrien obtenir : quelques uns
même ne fe rappelèrent pas exactement
fes traits ; les amis , qu'il avoit négligés ,
le méprisèrent à leur tour , & fa femme
elle-même infulta à fa misère, & le quit
ta , après lui avoir reproché fes prodigaAVRIL.
1775 . 47
lités . Cependant il en étoit fi fortement
épris qu'il la fuivoit encore ; mais Prof
périté , voulant le fuir avec précipitation ,
laiffa tomber fon mafque & lui découvrit
un vifage auffi difforme que , fous le mafque
, il l'avoit trouvé charmant ,
On ne fait pas précisément ce qu'il
devint enfuite . On croit qu'il erra dans
P'Egypte , où il vécut milérablement des
fecours de quelques amis qui ne l'avoient
pas entièrement abandonné , & qu'il
mourut peu de temps après dans la pauvreté
& dans l'exil.
Retournons maintenant à Uranio ,
que nous avons vu chaffé par fon frère .
Adverfité , quoiqu'elle ne fût qu'un objet
de haine pour fon coeur & un spectre
hideux à fes yeux , fuivoit par tout fes
pas ; pour aggraver fon malheur , il reçut
la nouvelle que fon plus riche vaiſeau
avoit été pris par un Pirate ; qu'un autre
avoit fait naufrage fur les côtes de Lybie ;
& pour comble d'infortune , que le
Banquier far lequel la plus grande partie
de fes biens étoit placée , venoit de faire
banqueroute & de fe retirer en Sicile .
Ramaffant alors les foibles reftes de fa
fortune , il abandonna fa patrie , & , ſuivi
par Adverfité , à travers des routes dé-
>
48 MERCURE DE FRANCE.
fertes & des forêts inconnues , ils arrivèrent
dans un petit village , fitué au
pied d'une haute montagne . Là ils fixèrent
pour quelque temps leur habitation ;
& Adverfité , pour diminuer les maux
qu'il avoit foufferts , adouciffant la févérité
de fes regards , lui donnoit les confeils
les plus falutaires , guériffoit fon
coeur de l'amour immodéré des biens de
la terre , lui apprenoit à révérer les Dieux
& à placer tout fon bonheur dans leur
protection . Elle humanifoit fon âme , le
rendoit humble & modefte , compatiffant
aux maux de fes femblables , & l'engageoit
à les fecourir.
r
les
« Je fuis , difoit- elle , envoyée par
» Dieux à ceux qu'ils chériflent : car je
» les conduis non - feulement , par ma
févère difcipline , à la gloire éternelle ;
» mais auffi je les difpofe à recevoir
» avec les plus grands tranfports , la joie.
» la plus légère. Ce fut moi qui élevai
» les caractères de Caton , de Socrate &
» de Timoléon à cette hauteur prefque.
» divine , qui les rendit l'exemple des
fiècles futurs . Profpérité , ma flatteufe
» mais perfide foeur , ne réduit que trop
» fouvent ceux qu'elle a féduits à être
» punis par fes cruels compagnons , le
Chagrin
و د
>>
AVRIL. 1775 . 49
"
Chagrin & le Défefpoir ; tandis que
» l'Adverfité ne manque jamais de rendre
» heureux & tranquilles ceux qui profi
tent de fes inftructions .
"
Uranio écoutoit ces mots avec attention
, & regardant le vifage d'Adverfité ,
il lui fembloit moins affreux . Peu à peu
fon averfion diminua : enfin il s'abandonna
entièrement à fes confeils . Elle
lui répétoit fréquemment cette fage maxime
d'un Philofophe : « Ceux qui man
» quent des plus petites chofes reffernblent
le plus à la Divinité , qui ne
» manque de rien ». Elle l'exhortoit à
regarder la foule confidérable d'êtres qui
végétoient au deffous de lui , au lieu de
confidérer le petit nombre de ceux qui
vivoient dans la pompe & dans la fplen
deur , & de demander aux Dieux , à la
place des richeffes & des grandeurs , un
efprit fage & vertueux , & une âme ferme
& inaltérable .
Adverfité voyant de jour en jour Uranio
profiter de fes leçons , & le trouvant
dant l'état de réfignation où elle le defiroit
, lui adreffa ce difcours : « Ainſi que
» l'or eft rafiné par le feu , l'Adverſité
» eft envoyée par la Providence pour
éparer la vertu des mortels ; ma tâche
I. Vol.
"
C
MERCURE DE FRANCE.
n
eft remplie , je vous quitte & je vais
» rendre compte de ma commiffion .
» Votre frère , qui eut la Profpérité pour
» fon lot , & dont le fort étoit envié de
» tout le monde , après avoir fait l'expé-
»rience de fon choix , eft enfin délivré
» par la mort , de l'existence la plus mal-
» heureuſe. C'eſt un bonheur pour Ura
>> nio l'Adverfité ait été fon partage ;
que
» s'il s'en fouvient , comme il le doit ,
fa vie fera honorable & ſa mort heureuſe
» & tranquille ».
»
Après avoir dit ces mots , elle difparut
à fes yeux. Quoique fes traits en ce
moment , au lieu d'infpirer l'horreur ac
coutumée , femblaffent faire briller une
forte de beauté douce & languiffante ;
Uranio , qui n'avoit pu parvenir à l'aimer,
ne regretta point fon départ & ne defira
point fon retour : mais , quoiqu'il fe
réjouît de fon abfence , il conferva précieufement
fes confeils au fond de fon
coeur , & devint heureux en les pratiquant,
Il fe remit dans le commerce ; &
ayant en peu d'années , par fa bonne conduite
, amaffé un bien fuffifant pour fa
tisfaire aux befoins de la vie , il ſe retira
dans une petite ferme qu'il avoit
AVRIL 1775.
achetée , & ſe propofa d'y fiair fes jours.
1ly employoit le temps à cultiver fes
terres & fon jardin , à réprimer fes paffions
, & à mettre en pratique les leçons
d'Adverfité. Il paffoit tous fes momens
de loifir dans un petit hermitage qu'il
avoit pratiqué au fond de fon jardin fous
un bofquet d'arbres touffus , entourés de
lierre & de chevrefeuil , & où un ruiffeau
, qui tomboit d'un rocher voifin ,
formoit un bain délicieux . On lifoit ces
mots gravés fur la porte :
" Sous ce toit couvert de mouffe ha-`
» bitent la vérité , le contentement , la
» liberté & la vertu. Dites - moi , vous
qui ofez méprifer cette heureufe retraite
, quels palais magnifiques vous
»procurent des biens plus réels ? »
n
Il parvint dans cet afyle jufqu'à un
âge très - avancé , & mourut honoré &
regretté de tous ceux qui le connoilloient.
Par M. Simoneau.
Cij
32 MERCURE
DE FRANCE :
VERS à Madame de Montanclos , Auteur
du Journal des Dames .
L'AMOUR , fier de donner des loix
Aux mortels même les plus fages ,
Calculoit au bout de les doigts
Et le nombre de fes exploits ,
Et le produit de tant d'ouvrages ;
Lorfque la Déefle aux cent voix ,
Portant trompette en bandouilliere ,
En fon vol , brillante & légere,
Fendit les airs rapidement,
Où courez-vous , belle Déeſſe ?
Dit l'Amour en la pourſuivant ;
Toujours quelqu'affaire vous prefle
Arrêtez du moins un moment.
La Déefle , non complaifante,
De ce difcours fit peu de cas ;
Dans fa courfe , l'indifférente ,
Loin d'arrêter, doubla le pas .
Mais , à fon gré , l'Amour déroute
Celle qui penle l'éviter ;
En le fuyant , fans s'en douter ,
On le retrouve fur fa route.
Auffi le petit Dieu lutin ,
Dont le croyait bien éloignée
AVRIL. 1773 . 53
La dédaigneuse Renommée ,
De nouveau barra fon chemin.
Eh ! quelle eft donc cette humeur noire
Alors que je vous fais ma cour ?
Reprit malignement l'Amour ;
Je luis prefque tenté de croire
Que vous me trouvez dangereux.
Comme votre air eft foucieux !
Auriez -vous donc à la Victoire
A reprocher des faits honteux ?
Eft- ce que vous boudez la Gloire
On fait plus d'ingrats que d'heureux .
Heureux par vous ! quel avantage !
En eft-il à lui préférer ?
Et ne l'être pas , quel dommage !
On pourroit s'en défefpérer.
Ce mielleux & doux langage
Parut fans doute un perfifflage ;
Mais la Déeffe s'arrêta :
Et redoutant qu'un ton févere
Ne piquât l'enfant de Cythere ,
Doucement elle ripofta :
Non ; je ne veux mal à perfonne ;
Avec la Gloire en paix je vis ,
Et tout le bien dont je jouis
Vient des confeils qu'elle me donne .
Mais puifqu'au plus charmant des Dieux
J'ai le flatteur efpoir de plaire ;
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
En lui dévoilant un myftere
Dont il me femble curieux ;
Sans différer je vais l'inftruire ;
S'il daigne à mon projet ſourire ,
Il me fera plus précieux .
Il faut qu'aux Faftes du Génie
Soitinferit glorieufement
Certain Journal intéreſſant
Qu'en France aujourd'hui l'on publie.
L'Efprit , les Grâces , l'Harmonie ,
La Décence & le Sentiment
Ont prononcé ce jugement.
Je vais au Temple de Mémoire
Chercher la Mufe de l'Hiſtoire ,
Puis l'une & l'autre , à qui mieux mieux
Nous en exalterons la gloire ;
Et tous ces hommes envieux ,
Dont la brigue eft infatigable ,
Verront enfin qu'un lexe aimable
Peut s'élever auffi haut qu'eux .
Ah ! dit l'Amour , rien n'eit fi fage
Que ce dont vous vous avilez :
Celle que vous préconifez
A droit de même à mon hommage
Mais c'eft peu de la protéger ;
Vous êtes d'un fi bon exemple,
Montons enſemble juſqu'au Temple
Je prétends auffi l'obliger :
AVRIL. 1775. 55
Je veux , pour lui prouver mon zele ;
Que Clio , quittant le burin ,
Arrache de la propre main ,
L'une des plumes de mon aile ;
Et que , fur un velin , traçant
En caractere inaltérable ,
De cette femme inimitable
Le nom , les grâces , le talent ,
On lile : Ces charmans ouvrages
Ont acquis l'immortalité,
Et telle auffifutfa beauté ,
Qu'elle entraîna tous les fuffrages.
Ainfi , Muſe , Déelle , Amour
Ont defiré , divine Hortenfe ,
Vous éternifer fans retour ;
Mais ce n'eft pas leur complaifance
Qui feule alluma leurs tranfports ;
Croyez qu'à l'envi l'un de l'autre ,
Ils ont fait bien autant d'efforts
Pour leur honneur que pour le vôtre.
L'ANE , LE LION ET LE LOUP.
Fable imitée d'une Nouvelle , Italienne,
DANS l'Arcadie autrefois habitoit
Martin Aliboron , fleur de la race Afine :
Ciy
36 MERCURE DE FRANCE.
Sur fon dos un Meunier chaque jour infligeoit ,
D'un gros bâton noueux mainte falve aflaffine .
Jamais fourrage ou d'avoine un feul grain ,
N'adoucifloient fon jeûne & fon martyre :
Pour le grifon , nulle fête au moulin ;
Paille & chardons , feuls mets du pauvre Sire ,
Excorioient fa gueule & lui laiffoient la faim.
Las , excédé d'un & triſte régime ,
Voulant à fes vieux jours aflurer du repos ,
Martin rompt fon licol , & , le bât fur le dos ,
D'un mont voifin eſcalade la cime ,
A l'inftant qu'on alloit aggraver ſes travaux.
Le fugitif ne voit pas fans envie ,
Des trésors de verdure étalés fous les pas ;
Sur l'herbe , s'il ofoit , il prendroit fes ébats.
Un clair ruifleau l'invite ; mais , hélas !
Goûte- t'on le plaifir où l'on craint pour la vie!
L'Aurore avoir quitté les bras du vieux Titon :
L'Ane guette par-tout en battant la campagne ;
Il ne s'arrête point qu'il n'ait mis la montagne
Entre lon dos & l'énorme bâton,
Anéanti par la marche accablante ,
Martin , d'une vallée enfiloit le fontier ,
Lorsqu'un Lion , à la gueule béante ,
Branlant fa fiere queue , arrête le courfier ,
Le miférable en fût mort d'épouvante ,
AVRIL. 1775. 57.
Si le Lion lui -même , effrayé du Rouffin ,
De fa lugubre voix , de fes amples oreilles ,
Pour lui nouveautés fans pareilles ,
Oubliant la fureur , n'eût dit : Beau pèlerin ,
De quel droit , par tes cris , troubles - tu mon em
pire ?
Ignores-tu que tout ce qui refpire
Craint magriffe & ma queue ; & que , Roi du vallon
,
Lion je fuis Et moi , dit l'Etalon ,
Archi-Lion je fuis , & crains peu tes bravades;
Vois fous ma queue un canon : & foudain
Au curieux i ! lâche vingt ruades ,
Et tout autantde pétarades .
Ami, dit le Monarque , alarmé du tocfin
Sonné par la maligne bête ,
Que l'adrefle entre- nous , non le fang ou la mort
Décide à qui fera cette belle retraite.
Vois ce foflé : fautons à l'autre bord.
Le Lion s'y lança comme un trait d'arbalête .
A toi , l'ami , dit -il à Dom Baudet.
L'Ane fait trois élans & fond fur un piquet ,
Où , par ſon bât , il pendoit comme un luftre.
Pour le fauver , fon rival généreux
Vole au piquet & dégage le ruftre.
Quelfut le grand- merci ? L'Ane malencontreux
Dit au Lion : maudite foit la bête !
Que ne m'y laidois - tu ? Ton humeur indiferette ;
Cv
38 MERCURE
DE FRANCE
Juré coquin , m'a fevré d'un plaifir...
Pendu fur le follé , j'eſlayois d'éclaircir
Laquelle pele plus, ou la queue ou la tête.
Le Lion lui replique : excufe mon erreur ,
Mon zele m'excitoit à te fauver lavie ;
Encore un tour d'adreſſe , auffi digne d'envie,
Du beau vallon te rendra le Seigneur .
Le couple s'achemine & fe rend près d'un fleuve
Impétueux , large & profond:
Le Roi des bois s'écrie : alerte Archi- Lion ,
Il nous faut faire , à la nage , une épreuves,
Prends , dit Martin , fitu veux les devans ,
Ten laifferai je moins , pauvre for , en arriere ?
Le Lion , comme un Daim , coupe droit la riviere
Son émule , tranfi , n'oſoit entrer dedans ,
Tandis qu'à l'autre bord il- féchoir fa crinieres
Le défi le trouvant par malheur engagé,
Be Baudet nage enfin , d'une allure ailez vive
Il fe croyoit déjà fur l'autre rive :
Mais un tourbillon d'eau l'a bientôt fubmergé
In'offre plus qu'un pied, puis la croupe ou la tête .
LeLion , d'une part , ayant peur du canon ,
Nofoit aider la dangereufe bête ;
Vafncu par la pitié , dans le fleuve il'fe jette
Et, par un pied , réchappe Aliboron.,
A peine celui-cife voit fur lesivage
AVRIL. 1775. $9
Q'apostrophant le fauveur de fes jours ,
Avec un ton de dépit & de rage :
Scélérat , lui dit - il , fandra- t- il que toujours
A mes côtés , pour ma perte tu veilles !
Et fecouant auffi - tôt fes oreilles ,
Il tombe des goujons : vois , dit - il , malheureux ,
Par cet effai quelle eftt été ma pêche ,
Traître , à qui je devrois fendre la tête en deux!
Maudit foit ton fecours ! fans toi , bête revêche,
J'amenois fur le fable un poiffon monftrucux.
Le Lion part , tout confus , pour la chaſſe ;
Il voit un Loup : compere, lui dit- il ,
Si tu neveux y laifler ta carcafle ,
Evite un animal gris , terrible & fubtil ;
Armé d'un gros canon , il foudroie , il affomme
Tout ce qu'il voit errer lur ces côteaux ;
Il a voix de tonnerre & felle fur le dos ;
Ce monftre , à longue oreille , Archi- Lion fe nomme.
Le Loup reconnut l'Ane à ces divers fignaux.
C'eft , dit- il , Monfeigneur , la bête la plus vile 3
Je fais de fes pareils un morceau journalier ;
Venez voir du maroufe augmenter mon charnier,
Le Sultan des forêts n'en eft pas plus tranquille.
La peur, de tous les maux , eft le pire à guérir.
Le Lion cede enfin : mais avant de partir ,
Pour que la fuite au Loup foit empêchée ,
Il vent que l'un à l'autre ait la queue attaché :
Cr
60 MERCURE
DE
FRANCE.
Unis ainfi , dit -il , allons vaincre ou périr.
A l'afpect de Martin le coeur du Loup palpite ;
Il croit déjà fendre l'Ane en quartiers :
Mais fon lâche adjudant , fuyant à l'oppolite ,
L'entraîne & le déchire à travers les halliers.
Le Lion perd un oeil que lui creve une ronce :
T'ai-je pas dit , bourreau , dit-il à fon voiúin ,
Qu'Archi- Lion eft terrible & malin !
Le Loup mourant ne fait point de réponſe.
Le monftre a de nous vu lafin ,
Lui difoit le Lion lui fermant la paupiere ;
J'y laifle un oeil , & toi carcaffe entiere.
Je quitte le vallon fans en être envicux :
Heureux , quoique bleflé , de revoir ma taniere !
Je laifle Archi Lion régner feul en ces lieux .
Ce conte apprend qu'aux champs comme
C
ville,
Le fol eft en ingrats , en faux braves fertile ;
Que le Loup devoit fuir les avis d'un Tyran
On voit dans le Lion , bravé par un éinule
Tel qu'un Baudet , infolent , ridicule ,
Quel'audace au mérite en impofe fouvent.
Par M. Flandy..
la
AVRIL. 1775. 61
•
A Madame LA RUETTE , fur fon retour
au Théâtre Italien en Février 1775 ,
aprés le rétabliſſement defa fanté
CHARMANTE Cantatrice , aimable la Ruette ,
Enfin te voilà donc rendue à nos defirs.
Viens , dédommage nous , fonge que ta retraite ,
Néceflaire à tes jours , nous coûta des plaifirs.
Jouis de tes fuccès ; que ton jeu noble & tendre
S'anime aux doux accens d'un organe enchanteur;
Le Public fatisfait , empreflé de t'entendre ,
T'accordera toujours le prix le plus flatteur.
LE
mot de la première Enigme du
volume du Mercure du mois de Mars
1775 eft la Fumée ; celui de la feconde
eft un If, où fe trouve fi ; celui de la
troisième eft Crible. Le mot du premier
Logogryphe eft Fauteuil , où l'on trouve
eu, fat , if, lit , ail , fil , faute , feu , eau ,
ut , fa , la , filet , île , flûte , lia , autel ;
celui du fecond eft Chateau , où se trouvent
chat & eau ; celui du troisième eft
Confcience , où l'on trouve fcience ; celui
du quatrième ek Canon , où fe trouve
ánon.
62 MERCURE DE FRANCE.
ENIGME.
Le luxefut mon pere,
La mollefle ma mere ;
J'entends quant à l'invention ,
Non quant à l'exécution ;
Car , pour que je m'explique ,
Je tiens l'existence phyfique
De l'induftrie ou , fi l'on veut , de l'art,
Qui me finit toujours par m'enduire de fard.
Ma deftination eft de courir le monde
Sur terre & non fur l'onde.
Tantôt en l'air , mais plus ſouvent à bas ,
De mon pied je ne fais jamais le moindre pas.
On a chez moi porte & fenêtres :
Je mets fort à l'aiſe mes Maîtres.
Je... Mais je dirois mon fecret ,
Chut. Gardons le tacet.
A Rennes. Par M. de L. G.
AUTR E.
BON HENRI , de tes Sujets le pere !
Oui , toi , dont la mémoire à jamais fera chere';
AVRIL. 1775.
63
Sache que tu revis
Dans la perfonne de Louis ;
Et que moi , qui toujours dans le champ de la
gloire
T'accompagnai , volant à la victoire ,
Chez le beau Sexe auffi
Je revis aujourd'hui ;
Avec la feule différence
Que deton temps j'annonçois ta préfence
Et ta bravoure à tes vaillans foldats ,
Dans la mêlée & le fort des combats ;
Au lieu qu'aujourd'hui chez les Belles,
Dominant fur tous leurs atours
Par un emploi plus doux , je rallie autour d'elles
Les Ris , les Jeux & les Amours.
Par le même.
AUTRE.
Si je n'agis jamais que dans l'obſcurité
En fuis - je moins de grande utilité ?
Non certes ; & chacun l'éprouve fréquemment :
Mais ,loin d'y trouver mon bien- être ,
Souvent ma re on ferre fortement ,
Et, par fois , on me fait l'indigne traitement
De me jeterpar la fenêtre.
PatM. B. L. de Tours,
64
MERCURE DE FRANCE.
ABIEN
AUTR E..
BIEN DES GENS , foit de jour ou de nuit ,
Mon voitinage en toute ſaiſon nuit ;
Cependant je ne fors jamais de ma demeure ,
Hors, quand le malheur veut , qu'à ma façon jè
meure.
Par le même.
LOGO GRYPHE
En plus d'un lieu , dans maint appartement ; N
Chez les riches fur-tout , je fus toujours d'ufage.
De mon tout les deux tiers n'ornent point un vi-
Lage ,
Et la moitié fous terre a fon département.
Par le même.
AUTRE:
M-ASCULIN MASCULIN , je tiens dans le Ciel
Une place honorable ;
Féminin , je fuis fur l'autel
AVRIL. 1775 . 65
Objet très relpectable.
Dumême genre enfin très- commune je fuis:
On me trouve par- tout pays.
D'autres , du niême nom , font rares , curieufes ,
Et d'autres précieuſes. *
D'autres prennent naiflance où l'on ne voudroit
point ,
Et font fouffrir au dernier point.
Il en eft une autre attitante ;
Une qui ne fert que d'attente ;
Mais je finis par celle enfin
Qu'on cherchera toujours en vain.
A Rennes. Par M. L. G.
JAT
AUTR E..
'AT deux moitiés . On voit dans la premiere
Un mois charmant & gracieux .
Dans la feconde , une écorce groffiere ,
Refte léger qui voiloit à tes yeux
L'aliment le plus fain & le plus précieux.
Par M. Vincent , Curé de Quincy.
66 MERCURE DE FRANCE.
AIR de la Fauſſe Magie *.
Allegretto.
C'EST un état bien pé- nible Que
ce- lui d'un jeune coeur , D'un coeur
timide & fen- fible , Que fait tai- re
la pu- deur : C'eſt uné- tat
bien pé- nible Que celui
d'un
Adagio. comeprima.
jeune
coeur , D'un coeur
timide & fen- fible , Que fait
* Mufique deM. Grétry.
AVRIL. 1775 . 67
tai- re la pu- deur : C'eſt un
état bien pé- nible Que ce- lui d'un
jeune coeur, Que fait
tai- re
la pu- deur , Que fait
tai-re ,
Que fait taire, Que fait tai- re
la pu- deur , Que fait tai- re
la pu- deur. L'A- mour lui fait
vi- o- lence , Le de voir lui
dit ,
lence ;
Comment
68 MERCURE DE FRANCE.
faire, à qui cé- der ? On ne
fait au- quel en- tendre ; On eft
crain- tive , on eft tendre ; Comment
faire ? à qui ce- der ? Et com
Adagio.
ment fe dé- ci- der ? Comment , com-
ॐ
ment fe dé ci- der ? C'eft un.
AVRIL. 1775. 69
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Du Miroir ardent d'Archimède ; par M.
L. Dutens. Brochure in 8° : prix i liv.
4 fols. A Paris , chez Debure , fils
aîné , Libraire , quai des Auguftins.
Le génie fécond d'Archimède s'eſt manifefté
d'une manière éclatante , non-feu .
lement dans les écrits qui nous ont été
confervés de lui , mais auffi dans les def
criptions que les Auteurs , qui font venus
peu de temps après lui , nous ont faites
de fes découvertes dans les mathématiques
& la mécanique . Quelques - unes
des inventions de ce grand homme ont
paru
même tellement au- deffus des efforts
de l'efprit humain , que de célèbres Philofophes
ont trouvé plus facile de les ré
voquer en doute , que d'imaginer comme
elles avoient été mifes en exécution ; &
plufieurs d'eux ont été jufqu'à prétendre
en démontrer l'impoffibilité . M. Dutens
ne s'arrête ici que fur les miroirs ardens.
que les anciens Hiftoriens nous rapportent
avoir été employés par Archimède pour
brûler la flotte des Romains. Kepler ,
70 MERCURE DE FRANCE.
:
Naudé , Fontenelle , Defcartes même ,
ont traité ce fait de pure fable , quoique
Diodore de Sicile , Lucien , Dion , Zonare
, Galien , Euftathe , Anthemius ,
Tzerzès & plufieurs autres en euflent faic
mention. On voit ici , ajoute M. Dutens ,
un exemple bien frappant du défaut, de
raifonnement appelé énumération imparfaite
on ne confidère pas affez tous les
moyens par lefquels une chofe peut être ;
& l'on conclut témérairement qu'elle
n'eft pas , parce qu'elle n'eft point d'une
certaine manière , quoiqu'elle pût être
d'une autre. Defcartes & Kepler prétendoient
que pour avoir des miroirs ardens
dont le foyer pût atteindre la flotte des
Romains , il eût été néceffaire d'avoir des
miroirs ou convexes ou concaves , d'une
telle grandeur , que l'exécution en auroit
été abfolument impraticable . Mais ils ne
confideroient pas qu'Archimède avoit pu
fe fervir d'un autre moyen ; favoir , de
celui de plufieurs miroirs plans , réunis &
dirigés vers un même foyer , dont la
longueur n'étoit point par conféquent limitée
. M. Dutens fait voir par les détails
que les anciens Ecrivains nous ont tranfmis
là - deffus , que c'étoit en effet fur ce
dernier principe qu'Archimède avoit
AVRIL. 1775. 71
conftruit fon miroir . Diodore de Sicile ,
Dion Caffius & plufieurs autres Hiftoriens
, qui pouvoient avoir écrit d'après
les mémoires des Contemporains d'Archimède
, fe contentent de raconter le
fait de l'embrâfement de la flotte des Romains
par ce grand homme , fans entrer
dans aucun détail . Tzetzès , qui vivoit au
douzième fiècle , non - feulement rapporte
le fait , mais il explique la conftruction
du miroir. Il dit clairement que « lorſque
" les vaiffeaux de Marcellus fe trouvè-
» rent à la portée d'un trait d'arbalête
» Atchimède fit apporter le miroir qu'il
avoit fait , compofé de petits miroirs
quadrangulaires , lequel il plaça dans
» une diſtance proportionnée , & qu'il fit
» mouvoir en tous fens , à l'aide de leurs
» charnières & de certaines lames ; & que
» recevant fur ces miroirs les rayons du
foleil , & les dirigeant enfuite vers les
» vaiffeaux des Romains , il réduifit en
» cendres toute la flotte , quoiqu'elle fût
éloignée de la portée d'un trait ».
"
ود
"
Les Savans verront encore avec plaifir
la defcription qu'Anthemius , de Tralles
en Lydie , nous donne d'un miroir qu'il
avoit fait à l'imitation de celui d'Archimède.
Anthemius vivoit du temps de
72 MERCURE DE FRANCE.
»
"
84
19
l'Empereur Juftinien , avoit cultivé avec
fuccès les mathématiques , la fculpture &
l'architecture. Le manufcrit grec où ce
Savant parle de fon miroir ardent , fe
trouve à la Bibliothèque du Roi ; & M.
Dutens nous donne une traduction fidèle
du paflage qui a rapport à ce miroir. Anthemius
commence par le propoſer la
queftion : a Comment dans un lieu don-
» né, qui feroit à la diftance d'un trait
» d'arbalête , on pourroit produire un embrâfement
par le moyen des rayons
du foleil ? I pofe pour principe :
qu'un tel embrâfement ne pourroit
» être caufé que par la réflexion des rayons
» du foleil , qui fe feroit dans une direc
» tion inclinée & oppofée à cet aftre » .
Il ajoute que la diſtance requife étant
» fort confidérable , il paroîtroit d'abord
impoffible que les rayons puffent produire
un embrâfement ; mais que cependant
perfonne ne pouvant conteſter
» à Archimède la gloire d'avoir brûlé la
» flotte des Romains par la réflexion des
» rayons du foleil , ce dont on convenoit
» unanimement , il jugeoit raifonnable
» de croire ce problême poflible fur le
principe qu'il avoit avancé ». Il approfondit
enfuite la queftion , & établit
premièrement
ود
"
ود
33
AVRIL. 1775. 73
38
13
»
38
premièrement quelques propofitions néceffaires
pour la bien comprendre. « Il
propofe de trouver avec un miroir plan ,
» une pofition quelconque qui réfléchiffe
les rayons du foleil à un point donné
; il fait voir que l'angle de réflexion
» eſt égal à celui d'incidence ; & , après
» avoir démontré que dans cette pofition
d'un point donné , relativement au fo-
» leil , les rayons lui peuvent être réflé-
» chis par un miroir plan , il foutient que
» l'embrâfement requis peut être produit
» par l'affemblage de ces rayons du fo-
» leil , dirigés à un même foyer , parce
qu'alors , de la chaleur réunie & con-
» centrée de ces différens rayons fur un
» même point , il en devra réfulter un
embrâfement ; & de même que quand
» un corps eft échauffé par le feu , il com .
munique fa chaleur à l'air qui l'envi-
» ronne , ainfi tous les rayons du fɔleil
étant raffemblés vers un même point ,
» doivent contribuer réciproquement à
» augmenter la puiffance de la chaleur ;
d'où il eft néceffaire , continue - t-il
» de conclure qu'avec plufieurs miroirs
plans, on peut réfléchir vers un foyer
donné & à la diftance d'un trait d'ar-
» balête , une telle quantité de rayons du
1.Vol.
15
"
"
99
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
"
"
foleil , que leur réunion , à un même
point , y produife un enibrâfement ».
Quant à la manière de faire cette expérience
, il dit : qu'elle peut fe faire par
» le moyen de plufieurs hommes dont
» chacun tiendroit un miroir dans la pofition
ci - deffus indiquée ». Mais afin
d'éviter l'embarras d'une telle méthode
, il imagine un autre moyen , qui eft
de prendre un cadre , auquel on accom-
» mode vingt- quatre miroits plans , qui
puiffent fe mouvoir dans les directions
prefcrites , par des plaques ou des ban-
» des quelconques , qui les joindroient
» enſemble ou , encore mieux
» des charnières ; & préfentant cette ma-
» chine aux rayons du foleil , faire en-
» forte après avoir fixé le miroir du
"
و د
"
ور
cc
› par
milieu) d'ajufter adroitement & promp
» tement les autres miroirs qui l'entou-
» rent , en les inclinant fur celui du mi-
» lieu , de manière que les rayons du fo-
» leil , partant de ces différens miroirs ,
» feront réfléchis au même foyer que
celui du miroir principal ; & qu'ainfi ,
répétant la même chofe , en plaçant
d'autres miroirs , compofés d'après le
» même principe & dirigés vers le même
lieu que le premier , la réflexion des
و ر
99
AVRIL. 1775 . 75
ן כ
ןכ
"
»
» rayons du foleil fe faifant toute entière
» vers un même point , il en résultera
» infailliblement l'embrâfement requis
» dans un point donné ». Il ajoute encore
que certe expérience réuffira d'autant
» mieux , que l'on préparera une plus
grande quantité de ces miroirs compofés
, de forte que fi l'on en affemble
plufieurs en même temps , on produira
» des effets plus ou moins confidérables » .
Enfin Anthemius conclut fa differtation
en difant « qu'il étoit bon de remarquer
» que tous les Auteurs qui avoient parlé
des miroirs du divin Archimède n'a-
» voient pas fait mention d'un miroir
» feulement , mais de plufieurs » . Une
explication auffi claire de la conftruction
du miroir ardent d'Archimède , ne peut
plus laiffer aucun doute fur un fait auffi
long- temps disputé ; & l'on ne peut affez
s'étonner avec M. Dutens , que les deux
derniers fiècles ( que l'on peut regarder
comme les plus éclairés que l'hiftoire
nous préfente ) fe foient obftinés à traiter
de pure fable une vérité annoncée avec
tant de perfévérance .
M. Datens , déjà bien connu dans la
République des Lettres par des Recherches
fur l'origine des découvertes attribuées
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
aux Modernes , publiées à Paris en 1766 ,
en deux vol. in - 8° . & dont on prépare
une nouvelle édition avec des additions ,
termine l'écrit que nous annonçons par
une réfléxion importante fur le peu d'attention
que l'on donne en ce fiècle à l'étu
de des Anciens. On prend fouvent , nous
dit - il , pour de nouvelles découvertes
plufieurs chofes qui leur ont été réellement
connues , ou fur lefquelles ils ont
du moins répandu le plus grand jour.
Souvent auffi on leur refufe d'avoir eu
des connoiffances que leur attribue l'hif
toire , parce qu'elles ne fe trouvent pas
affez clairement énoncées dans leurs Ouvrages
. Cependant il eft facile de fe convaincre
que les grandes vérités des fyftêmes
reçus avec tant d'applaudiffemens
depuis deux fiècles , avoient déjà été
connus & enfeignés par Pythagore , Platon
, Ariftote , Archimède , Euclide
Plutarque , & c.; & nous devons penſer
qu'ils favoient démontrer ces mêmes vérités,
quoique les raifonnemens fur lef
quels une partie de leurs démonſtrations
étoient fondées , ne foient point parvenus
jufqu'à nous. Car fi dans les écrits qui
font échappés aux injures du temps , on
trouve une foule de preuves de la pro-
?
AVRIL. 1775. 77
fondeur de leurs méditations , & de la
jufteffe de leur dialectique pour expofer
leurs découvertes , il eft très- jufte de
croire qu'ils ont employé les mêmes foins
& la même force de raifonnement pour
appuyer les autres vérités que nous trouvons
fimplement énoncées dans ceux de
leurs écrits que nous connoiffons . Cette
conjecture eft d'autant plus naturelle , que
parmi les titres qui nous ont été confervés
de ces Ouvrages qui ont péri , on en
trouve plufieurs qui traitoient de ces
mêmes fujets, qui ne font qu'énoncés
dans leurs autres écrits ; d'où il eft naturel
de penfer que l'on y eût trouvé les
démonftrations qui nous manquent de
ces vérités . Ils jugeoient fans doute inutile
de les répéter après en avoir parlé
en plufieurs autres livres , auxquels ils
réfèrent fort fouvent , & dont Diogène
Laerce , Suidas & d'autres Anciens nous
ont confervé les titres , qui fuffifent feuls
pour nous donner une idée de la grandeur
de notre perte.
La Pologne telle qu'elle a été , telle qu'elle
eft , telle qu'elle fera ; 3 parties in- 12.
brochées 2 liv . 8 f. A Poitiers , chez
Chevrier , Libraire ; & à Paris , chez
Valade , rue St Jacques , & Baftien ,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
ノ
rue du Petit Lion , Fauxbourg Saint
Germain .
L'Auteur a cherché à fe rendre favorable
le jugement des Lecteurs , par une
préface où il rend compte de fon Ouvrage.
« C'eft , dit- il , au milieu des tem.
» pêtes qui agitent maintenant la Pologne
, que je fais paroître cet Ouvrage.
» On n'eft jamais plus attentif à l'orage
» que lorfqu'il gronde .
·
>> On me jugera très impartial fi
» l'on eft défintéreffé ; mais fans dou-
»te je ferai lu par des hommes de
parti . Il y a préfentement trop de fac-
» tions en Pologne pour plaire à tous les
» Polonois .
33
"
» Le tableau que j'offre au Public n'eft
qu'en miniature. La plupart des hom-
» mes , diftraits par leurs plaifirs ou par
» leurs occupations , n'aiment les hiftoi-
" res qu'en abrégé ; d'ailleurs on fe répète
lorfqu'on veut tout dire , & l'on eft
» prefque toujours languiffant .
29
» L'événement qui fait le fujer de cet
» écrit , mérite l'attention de tous les efprits
il nous inftruit de tout ce que
» peut la force , & des dangers auxquels
» un Gouvernement foible eft toujours
expofé.
"
AVRIL. 1775. 79
"9
" Je n'attends d'autre fuccès de cct
Ouvrage que le plaifir de rendre homm
» mage à la vérité , & de mettre fous les
» yeux des Lecteurs des faits dont tous
les fiècles parleront , & dont ils feront
"
» étonnés .
"
» L'hiftoire de notre temps doit nous
» intéreffer beaucoup plus que celle des
» Grecs & des Romains ; on n'est jamais
plus affecté d'une Tragédie que lorf
qu'on eft au parterre. La Pologne eſt
» maintenant un vafte Théâtre où l'on
» voit la fcène la plus touchante ; & il
n'y a point d'Européen qui ne doive fe
regarder comme en étant le fpectateur .
Les Royaumes , à raifon de la politi-
» que & du commerce , font devenus ,
» depuis long-temps , une feule & même
» famille .
"
و د
» L'homme jufte eft citoyen du mon-
» de , il n'arrive point de révolution dans
» l'étendue des Empires qu'il n'y prenne
» part.
"
13
J'ai fouvent interrogé un Auteur
" moderne qui m'a beaucoup fervi , &
j'ai placé dans ce petit Ouvrage tout
» ce que la Pologne , dans fon principe ,
» dans fa fplendeur , dans fon déclin ,
» offre de plus frappant ; on n'y décou-
» vrira rien qui puiffe bleffer perfonne..
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
» La prudence doit toujours être compa
gne de la vérité ».
»
L'Ecrivain ne s'eft point écarté de ce
principe. La première partie de fon Ouvrage
nous préfente un tableau vrai de la
Pologne , confidérée depuis fon origine
jufqu'au temps préfent . Les traits rapprochés
dans ce tableau , nous peignent les
moeurs & le caractère des Polonois . Ils
nous donnent une connoiffance fuffifante
de leurs loix , de leur conftitution & de
l'efprit de leur Gouvernement. Si la population
eft une des règles les plus certaines
pour juger de la bonté relative des
Gouvernemens , le Lecteur gémira plus
d'une fois fur celui de la Pologne. Il
verra avec douleur un Etat long de quatre
cents lieues & large de deux cents , n'avoir
que fix millions d'habitans , & ne pouvoir
conféquemment cultiver que les
deux tiers de fon terrein , perte d'autant
plus déplorable , que le fol de la Pologne
eft excellent. Les villes ainfi que les villages
appartiennent aux Grands en propriété
, ils les engagent , ils les vendent ;
de forte qu'il fe rient des Seigneuries de
Paroiffes dont les principaux droits confiftent
à recevoir avant tous les habitans
de l'eau bénite & de l'encens . Le Comte
Branicki , Grand- Général de la Couron .
-AVRIL. 1775.
ne , mort depuis peu , voyant le feu qui
confumoit fa ville de Bialeftok , ordonna
qu'on la laiffât brûler, & prit un crayon
pour en deffiner une autre .
"
33
L'Ecrivain termine par cette réflexion
la feconde partie de cet Ouvrage , où il
nous décrit les troubles actuels qui déchirent
la Pologne. « Tout Philofophe ,
dit- il , qui pèfe attentivement ce que
» nous venons d'expofer , & ce qui fe
palla prefque fous nos yeux , a bien des
fujets de méditer , foit fur l'inftabilité
» des chofes humaines , foit fur la ma-
» nière dont les Empires diminuent ou
s'aggrandiffent . Il voit d'un côté tom-
» ber une République immenfe qui , depuis
un temps immémorial , gouvernoit
» en quelque forte fes Rois ; & de l'autre
, s'élever , fur fes débris , des voi-
» fins puiffans , qui métamorphofent des
Seigneurs dans des vaffaux , & des ferfs
» dans des hommes libres : car voilà
l'étrange révolution qui occupe main-
» tenant tous les efprits
"
و د
"
ود
"
39.
L'Auteur , dans la troisième partie de
cet écrit , après avoir analyfé les forces
de la Pologne , & après avoir examiné
le génie & la , poſition des Puiffances qui
environnent cet Etat infortuné , tire des
inductions propres à faire croire que la
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
"
République de Pologne n'attendra pas
en vain l'heureux moment qui lui rendra
fon patrimoine & fa liberté. « Si la
Pologne , dit- il , a des chaînes , & fi
» les Puiffances qui s'emparent de cet
Etat fe maintiennent dans leur poffef-
» fion , l'équilibre n'a plus lieu , & le
» commerce eft gêné. Auffi plufieurs Po- .
» litiques affurent - ils que la France
l'Espagne , le Portugal , la Suède , le
Dannemarck , l'Angleterre , la Hollan-
» de , la Sardaigne même , & bien en-
» tendu la Turquie , formeront une al-
» liance pour s'oppofer à une pareille
:
>>
entreprife , & que ces différens Royau-
» mes , felon leurs intérêts , ne peuvent
» abfolument s'en diſpenſer » Sans doute
, fi cela étoit , la Pologne feroit bientôt
dégagée ; mais elle n'a pas befoin de
tous ces fecours , fuivant la remarque de
l'Ecrivain politique , pour recouvrer fes
terres & fa liberté. Qu'on examine en
effet les Puiffances qui s'en emparent ;
qu'on fuppute en même temps les dépen
fes énormes qu'il faudra faire de toutes
manières , pour élever des forts & pour
répandre dans ce vafte Royaume , qui
n'eft nullement peuplé , des hommes &
des foldats. Outre que ce ne peut être
AVRIL. 1775 . 83
qu'en s'appauvriffant elles mêmes que les
Puiffances co- partageantes peupleroient
la Pologne & la fortifieroient , elles ont
toujours à redouter des Nationaux qui
tiennent à leur liberté plus qu'à leur vie ,
& qui , dans la moindre querelle avec
les Ruffes & les Autrichiens , renaîtront
de leurs propres cendres , pour fe retrouver
comme ils étoient . On les y excitera
quand même ils n'y penferoient pas
alors ; & lorfqu'une guerre violente s'allumera
fur les bords du Rhin , de l'Ef
caut ou du Pô , fera t- il poffible que la
Pruffe & l'Autriche fe répandent de toutes
parts ? & fur- tout fi la Turquie , qui
aima toujours la Pologne , & qui eft intéreffée
à la protéger , fe met de la partie.
D'ailleurs les trois Puiffances copartageantes
ne feront pas toujours unies .
Si c'eft la Ruffie qui entre en guerre avec
les Pruffiens & les Autrichiens , elle
s'unira dès- lors à l'Empire Ottoman pour
les déloger de la Pologne ; & l'on peut
préfumer qu'elle y réuffira. Le Lecteur
ajoutera à ces réflexions que les trois Puif
fances qui partagent aujourd'hui la Pologne
, doivent leurs fuccès à la fupério
rité de leur génie & à leur héroïfme , &
qu'ils pourront avoir des fucceffeurs foi-
D vj
84
MERCURE
DE
FRANCE
,
bles . Il faut des fiècles pour produire des
Héros. Frédéric le Grand peut s'appeler
un Atlas qui porte la Monarchie fur fes
épaules . Quelques talens qu'ait celui qui
doit le remplacer , il eft prefque impoffible
qu'il le rende trait pour trait. Les
événemens dès- lors n'auront pas le même
cours. Ce ne feront plus les mêmes
vues , les mêmes projets , les mêmes defirs
, les mêmês inclinations . Tous les
Souverains n'aiment pas la guerre , &
l'on profite fouvent de cette difpofition
pour les dépouiller , d'où l'Auteur de cet
écrit ofe affurer que la Pologne , à quelque
chofe près , reviendra quelque jour
ce qu'elle étoit. « Cette prédiction , con-
» tinue-t- il , n'eft point pour flatter les
» Polonois , quoique je leur fois fincè-
» rement attaché , ni pour les engager
» à fupporter leur joug impatiemment ,
» d'autant mieux les Puiflances co-
» partageantes traitent tous leurs Sujets
» avec bonté , & qu'ils peuvent s'atten-
» dre , pour le moins , à un pareil traite-
ود
ود
ود
» ment .
"
que
Quiconque a lu l'hiftoire de la Pologne
n'a pas manqué d'obferver que ce
» vaſte Royaume eut plus d'une fois af-
» faire à des ennemis qui le partagèrent
AVRIL. 1775. 85
"
"
22
و د
"
» en quelque forte; & qu'en 1655 , fous le
règne de Cafimir, il elluya les plus cruel-
» les révolutions. Charles Guftave , deve-
» nu Roi de Suède par l'abdication de
» Chriftine (cette Reine qui préféra la phi
» lofophie au plaifir de régner ) , fe rendit
» maître en peu de temps d'une partie de la
» Mazovie & d'une grande partie de la Po
logne, fans compter la Lithuanie qui
» fe foumis au Vainqueur. Les Hiftoriens
ajoutent qu'alors les Polonois fem
» bloient être frappés de la foudre , &
qu'il ne leur reftoit qu'un courage inu-
» tile , mêlé de défefpoir . Cependant
» ces orages fe diffipèrent , & le mo-
» ment vint où la Pologne reprit ce
qu'elle avoit perdu , malgré les efforts
» de Ragotski , Prince de Tranfylvanie ,
qui s'étoit uni à Guſtave , dans le def-
» fein même de ravir la couronne à
» Cafimir ». L'hiftoire ancienne & mo.
derne peut fournit plufieurs autres exem
ples pareils , qui confirmeront la réflexion
que fait ici l'Auteur , qu'il eft des crifes
dans les révolutions comme dans les maladies
; l'état des chofes change , & ſouvent
, au moment le moins attendu , un
Empire qu'on croyoit démembré éprouve
une fecouffe & reparoît tel qu'il étoit.
و د
"
que
$6 MERCURE DE FRANCE.
Temple de Mémoire ou vifion d'un Solitaire.
A Paris , chez Ruault , Libraire ,
rue de la Harpe .
Thalie conduit le Solitaire dans le
Temple de Mémoire , & lui montre
tous les hommes qui ont mérité d'y avoir
une place diftinguée. Cet édifice , d'une
architecture noble & majestueufe , &
tout environné de lumière , n'étoit point
affez vafte pour contenir ceux qui fe font
immortalités par leurs talens & par leurs
actions fublimes. Voici comme l'homme
aux vifions nous dépeint Thalie .
Une Nymphe au fouris malin ,
Avec un mafque dans la main ,
Tout- à- coup fortit d'un nuage ;
Ses yeux refpiroient l'enjouement ,
L'efprit , la fine raillerie.
Une légère draperie ,
Qui couvroit fon bufte charmant ,
En deffinoit correctement
Les contours & la fymmétrie .
Ses pieds mignons étoient chauffés
De brodequins ou de fandales ,
Dont les cordons , entrelaflés ,
Brilloient de rubis enchaflés ,
AVRIL 1775.
87
Et de perles orientales .
Pour la fraîcheur du coloris ,
C'étoit une rofe nouvelle
Qu'on voit éclorre entre des lis :
Enfin , à mes fens interdits ,
Tout annonçoit une immortelle.
Où n'iroit- on pas avec un fi charmant
guide ? Et comment s'égarer avec une
Nymphe qui ne fait d'autre ufage de fes
talens que celui d'infpirer le goût de la
vraie gloire , & d'apprécier avec impar
tialité le mérite des hommes qui fe font
rendus dignes de l'immortalilé? La vie
و د
des hommes , dit cette aimable Déeffe ,
» eft fi bornée , qu'il leur eft bien permis
» de chercher du moins à perpétuer le
» fouvenir de leur exiſtence ; j'entends
» par tout ce qui mérite l'eftime & l'ad-
» miration de leurs femblables. C'eft une
» feconde vie qui tourne au profit de
» ceux qui reftent ; parce qu'elle entre-
» tient le goût des chofes honnêtes &
utiles par les exemples qu'elle laide à
imiter. D'ailleurs , la vertu & le ſavoir
» font fi mal récompenfés fur la terre ,
qu'ils tomberoient dans le décourage-
» ment s'ils n'étoient foutenus par cette
» idée de gloire & de renommée qu'ils fe
13
»
"
1
88 MERCURE DE FRANCE.
» promettent des fiècles à venir » . Et
tien n'eft plus propre à exciter une noble
émulation & à perpétuer le louable defir
d'imiter les grands hommes , que la manière
avec laquelle Thalie les offre à nos
yeux.
On eft feulement fâché de voir que
l'enceinte du Temple foit fi étroite , &
que les noms des Monarques , des Capitaines
, des Magiftrats , ne foient pas toujours
accompagnés des éloges qu'ils ont
fi juftement mérités .
Paradoxes par un Citoyen . Lettres de Bru .
tus fur les chars anciens & modernes.
Chez Saillant & Nyon , Libraires , rue
St Jean de Beauvais.
L'Auteur de cet Ouvrage a déjà donné
au Public la Philofophie de la Nature ,
qui a réuni prefque tous les fuffages . A
la vérité il fut mal accueilli par un Journalifte
; qu'importe d'être fétri par un
Satirique , dit notre Philofophe ; fi l'Ouvrage
eft bon , l'opprobre rejaillit tout
entier fur le Faifeur de fatire . S'il eft
mauvais , l'Ouvrage & la fatire font oubliés
au même inftant. D'après cette idée
des critiques qu'on croit être injuftes , les
AVRIL. 1775 .
89
Auteurs des bons Ouvrages devroient
jouir d'une parfaite tranquillité. On a
fouvent remarqué que lorsqu'un Ouvrage
eft critiqué , ce n'eft pas l'Auteur de
l'Ouvrage qui fubit la plus délicate épreu
ve. Le Public , intelligent , fe réferve le
droit de juger le Cenfeur ; & fi la critique
eft injufte & fauffe , le mépris dont
elle eft payée fe mefure à l'idée de fupériorité
que tout Cenfeur fait préfumer
avoir voulu donner de foi. On ne doit
pas fe diffimuler les difficultés de la critique.
Rien de plus rare , après les bons
livres , que les bons Juges de livres ;
pour les juger , difoit Malherbe , il faut
fcience & confcience . Cette réunion n'eft
pas fi commune qu'on pourroit le penfer .
Convaincu , par principe & par fentiment
, qu'il falloit une bafe à la morale
univerfelle , l'Auteur des nouveaux paradoxes
a épuifé toutes les différentes
preuves de l'exiftence de Dieu , de la
néceffité de la marale & de notre immortalité.
Les raifonnemens qu'il a em
ployés ne mènent point au dogme trifte
& froid de l'indifférence . L'indifférence ,
comme l'obferve très bien notre Philofophe
, eft le principe de l'homme qui
n'en a point ; c'eft le plus grand mal que
90 MERCURE DE FRANCE.
le pyrrhonifme ait pu faire à la terre :
l'indifférence dans les arts conduit à la
barbarie ; dans la vie fociale , elle produic
des êtres vils & fans caractères ; dans la
la Religion , elle fait des Athées . La faine
philofophie , dont cet Ecrivain prend
la défenfe , s'éloigne également de tous
ces excès fi propres à avilir l'homme &
à nuire à la fociété . Les Philofophes ,
dignes de porter ce nom glorieux , unif
fent la vertu au génie , & n'admettent
d'autres principes que ceux qui peuvent
rendre l'homme heureux ici bas & dans
l'économie future. C'eft fe couvrir d'opprobre
que de calomnier ceux qu'on doit
regarder plutôt comme les bienfaiteurs
de l'humanité. C'eft le comble de l'injustice
que de les confondre avec ces Auteurs
qui voudroient renverser les règles
immuables des moeurs , & qui n'admettant
point la diftinction du bien & du
mal , ne reconnoiffent point le Légifla
teur fuprême , qui doit récompenfer l'un
& punir l'autre. Aurant l'Auteur des Paradoxes
montre de zèle pour la faine philofophie
, autant il manifefte fon indignation
contre ceux qui ofent méconnoître
l'origine & la deftination de l'homme ,
& qui ne lui offrent que la perspective
AVRIL. 1775 . I
du néant pour le confoler dans les traverfes
& dans les maux auxquels il eft
expofé dans le cours de la vie.
L'accufation de plagiat , qu'on n'em .
ploye que pour dégrader la perfonne du
Philofophe , & pour éloigner le vulgaire
de la lecture de l'Ecrivain qu'on calommie
, n'eft le plus fouvent que la reffource
de l'envie & de la médiocrité . L'Auteur
des Paradoxes juftifie pluſieurs Ecrivains
célèbres qu'on a cherché à Alétric
par cette odieufe imputation ; & l'apologie
qu'il fait de ces Ecrivains le conduit
à traiter la fameufe queftion de la preffe .
Il est plus aifé de prouver que les loix
peuvent & doivent fixer des limites à la
liberté d'écrire , que de les déterminer
avec cette fageffe impartiale qui difcute
également les inconvéniens & les avantages.
On regarde comme un principe
incontestable qu'une faculté fi naturelle
& fi utile ne doit & ne peut être gênée
qu'autant que le bien de l'Etat , cette loi
fuprême , l'exige . Il n'eft pas cependant
auffi facile qu'on fe l'imagine de démêler
les circonstances ou l'intérêt public l'or .
donne. La vérité n'a point à craindre les
attaques de l'erreur. Multiplier les com
bats , c'eft multiplier fes triomphes. C'eſt
92 MERCURE DE FRANCE.
fouvent du choc des opinions que naît
cette lumière bienfaifante qui éclaire
tous les efprits , & qui termine enfin
toutes ces vaines & ridicules difputes
fouvent fi contraires à l'ordre public & à
la tranquillité des Citoyens.
>
On trouve à la fuite de ces differtations
une nouvelle édition des Lettres de
Brutus fur les chars anciens & modernes ,
où l'Auteur employe toute fon érudition
contre ce genre de luxe qui a tant de fois
produit des malheurs & des défordres
dans la fociété. M. de Voltaire , en recevant
la première édition de cet Ouvrage
, a écrit cette Lettre de remerciement
à l'Auteur. Monfieur, il y a deux ans
» que je ne fors point de chambre , & que
» la vieilleffe & les maladies qui accablent
» mon corps très foible , me retiennent
prefque toujours dans mon lit. Je ne pren .
» drai point contre vous le parti de ceux
qui vont en carroffe : tout ce que je puis
» vous dire , c'eft qu'un homme qui écrit
» auffi bien que vous , mérite au moins
» un carroffe à fix chevaux ; vous voulez
qu'on foit porté par des hommes
» j'irai bientôt ainfi dans ma Paroifle ,
fuppofé qu'on veuille bien m'y rece-
» voir. En attendant , j'ai l'honneur d'être
"
"
AVRIL. 1775 . 93
» avec la plus profonde estime & la plus
» vive reconnoiflance ».
Difcours fur l'Education , prononcés au
College Royal de Rouen , fuivis de
notes tirées des meilleurs Auteurs anciens
& modernes ; auxquels on a joint
des réflexions fur l'amitié . Par M. Auger
, Prêtre , Profeffeur d'Eloquence
au Collège de Rouen , de l'Académie
des Sciences , Belles Lettres & Arts de
la même ville. A Paris , chez Durand ,
Libraire , rue Galande.
Cet Ouvrage ne peut être que fort
utile aux pères & aux mères qui font
jaloux de bien élever leurs enfans . La
faine morale qu'il refpire , & les notes
excellentes qui font tirées de Platon
Plutarque , Montaigne , Locke , Fénélon ,
Rollin , M. Rouffeau , rendent ces Difcours
très- intéreffans . Ce Profeffeur , que
le zèle feul du bien public anime , ſe
fait un devoir & un plaifir d'avouer que
l'Emile de M. Rouffeau eft un riche tréfor
où l'on trouve fur l'éducation une
foule de vérités neuves & lumineufes ,
les réflexions les plus juftes & les plus
fenfées , la morale la plus pure & la plus
94 MERCURE DE FRANCE.
févère. Ce Philofophe , également profond
& éloquent , s'eft déclaré pour l'éducation
Lacédémoniene , qui s'occupoit
fur- tout à fortifier le corps & à perfectionner
les organes ; il a foutenu que jufqu'à
un âge affez avancé on ne doit former
l'efprit & le coeur que par occafion
& par forme de converfation . Il veut
qu'on n'exerce le jugement de fon Elève
que de vive voir , & qu'on laiffe fa mémoire
oifive ; éloignant de lui toute ef
pèce de livres , it ne l'applique jamais à
l'étude. Quant à la Religion , l'Auteur
d'Emile veut qu'on lui en parle tard , &
qu'on préfère la Religion purement naturelle.
La jufte admiration que notre Profefleur
à conçue pour M. Rouffeau , ne
l'empêche pas de modifier & de corriger
ce nouveau fyftême d'éducation . Il convient
qu'on doit ménager les forces d'un
jeune Élève en ne l'appliquant pas trop
tôt à l'étude : il ne regarde pas comme
une chofe moins effentielle d'exercer de
bonne heure fa mémoire fur des objets
agréables & utiles , comme fables , hiftoires
, & c. parce que c'eft dans la première
jeuneffe que la mémoire eft bonne
& qu'on peut la plier à faire d'heureux
efforts. Il ne fuffit pas de prendre garde
AVRIL.
1775 .
d'y introduire des idées fauffes , mais on
95
doit encore la remplir d'excellens matériaux
, que le jugement trouvera & mettra
en oeuvre quand il fera formé . Le
Profeffeur refpecte trop la
Religion pour
ne pas regarder comme le devoir le plus
effentiel de faire connoître au plutôt à
fon Elève l'Être dont il tient
l'existence ,
& de lui bien inculquer que tout vient
de Dieu par fon amour , & que tout doit
lui être rapporté par le nôtre. Ne doit- on
pas prévoir que ce jeune homme en entrant
dans le monde , fera environné des
ténèbres les plus épaiffes & des maximes
les plus fauffes , & qu'il ne
manquera
pas de marcher dans ces fentiers ténébreux
, fi l'on ne lui a pas appris à ſe
fervir du flambeau célefte que Dieu nous
met en main pour nous éclairer & nous
empêcher de nous égarer. Les Livres
Saints qui renferment les vérités révélées ,
nous font repréfentés comme un cabinet
précieux dont Dieu nous donne l'uſage ,
& dans lequel il a mis en réſerve toutes
fortes de
remèdes propres à guér'r nos
maladies
fpirituelles. Le jeune Elève ,
fentant les propres défauts , pourra trouver
dans ce trésor de la parole de Dieu ,
l'efpèce particulière de remède qui con96
MERCURE DE FRANCE.
vient à fon mal . Comme Dieu aà donné
à la terre la vertu de porter toutes fortes
d'herbes , de plantes & de fucs deftinés
à guérir les plaies du corps ; il a de
même rempli les Livres Saints de préceptes
falutaires pour remédier aux maladies
de notre âme. Qu'on le rappelle le
bel éloge que M. Rouffeau fait de ces
Livres , & l'on fera furpris qu'il n'inſiſte
pas fur la néceffité de les mettre entre
les mains des jeunes gens , en les dirigeant
dans cette lecture.
Le Profeffeur d'Eloquence obferve judicieufeinent
qu'un des plus précieuxavantages
de l'éducation , doit être de
faire contracter l'habitude de travailler
feul & de lutter feul contre les difficultés
fans le fecours d'autrui . C'eſt fans doute
une excellente méthode d'inftruire les
enfans en les amufant , en converfant
avec eux , en leur faifant faire de vive
voix des réflexions qui foient à la portéede
leur âge , fur tout ce qu'ils lifent ,
voyent ou entendent , en arrachant pour
eux & avec eux les épines de la fcience.
Mais l'expérience nous apprend que nous
ne favons bien que ce que nous avons
appris avec quelque peine , ce dont nous
nous fommes efforcés de trouver feuls ,
de
AVRIL. 1775 . 97
de réfoudre feuls les difficultés . En effet ,
on doit craindre qu'un enfant qu'on n'a
inftruit que par la converfation , ne s'ennuie
& ne fe morfonde dès qu'il fera
livré au filence & à la folitude da cabinet.
Quant à l'inconvénient de commencer
tard à étudier , on ne peut fe refuſer
à cette vérité d'expérience , qu'il y a un
temps après lequel on ceffe d'apprendre ;
ou l'on n'apprend que difficilement. Le
jugement a beau être formé , fi le cerveau
, fiége de la mémoire , n'eft rempli
ai de mots ni de faits , fur quoi opérerat-
il? Comment manifeftera- t- il aux autres
fes opérations , fi l'on ne l'a pas accoutumé
de bonne heure à recevoir mille
impreffions différentes , à fe plier & fe
replier de mille manières diverfes , lorfqu'il
étoit comme une cire molle ? Si on
a attendu que les fibres fe foient durcies ,
rien n'y pourra plus entrer , ou n'y entrera
qu'avec peine. Rien ne feroit plus
effentiel au Profefleur que de remplir la
mémoire de fon Elève d'une infinité de
mots , de faits & d'idées qu'il retrouve
au befoin , & de rendre plus facile , par
l'habitude , l'application de l'efprit.
On trouve dans ces Difcours l'éloge
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
du Souverain en qui la fagefle a devancé
les années , & qui eft convaincu que
pour affermir fon pouvoir , il doit le
fonder fur les Loix & fur l'amour de fes
Sujets , & que les Loix font l'ornement
& le foutien de la puiflance fouveraine.
En effet l'intérêt invariable du Trône eft
fi visiblement attaché à l'empire des
Loix , qu'il eft rare de voir les Princes
fe porter d'eux -mêmes à les détruire . Cette
corruption vient toujours des Sujets ,
dont les uns veulent fe fouftraire aux
Loix , & les autres afpirent à dominer
fur elles , Mais pour faire honorer ces
Loix , fur lesquelles repofe la gloire du
Souverain & le bonheur des Peuples , il
faut honorer leurs Miniftres , & fur- tout
ces Compagnies utiles , & dépofitaires
des Loix & des formes , que l'Auteur
compare à de fortes chaînes , toutes attachées
au Trône , qui uniffent étroitement
toutes les parties d'un vaſte Empire
; qui lient à la perfonne facrée du
Souverain tous les Membres du Corps
politique , par des noeuds indiffolubles.
L'Auteur a joint aux deux Difcours
fur l'Education , relativement au corps ,
à l'efprit & au coeur , l'extrait d'un plan
d'éducation par Platon , celui de l'éducaAVRIL.
1775 : 99
tion des anciens Perfes , & celui de l'inftitution
Lacédémonienne ; & l'Ouvrage
eft terminé par des réflexions judicieufes
fur la véritable amitié.
Traité complet d'Anatomie , ou defcription
de toutes les parties du corps
humain , par M. Sabathier ,, Membre
du Collège de Chirurgie de Paris
Cenfeur & Profefleur Royal , de l'Académie
Royale des Sciences & de celle
de Chirurgie , Chirurgien - Major &
Confultant de l'Hôtel Royal des Invalides
, & c. 2 vol. in- 8 °. chez Didot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins .
·
Cet Ouvrage est vraiment élémentaire
; c'eſt un des meilleurs dans fon
genre qui ait paru ; l'Auteur a puifé dans
fes propres obfervations & dans fes diffections
, la doctrine qu'il y expofe ; il a
confulté en outre , pour fa rédaction ,
les Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences , & il ne fe trouve prefque aucun
Auteur célèbre qu'il n'ait mis , en quel
que forte, à contribution ; les Morgagni,
les Haller , les Monro , les Meckel , les
Hunter , les Zinn , les Senac , les Winf
low, les Lieutaud , les Heifter , font au-
E ij
MERCURE DE FRANCE.
tant de célèbres Anatomiftes dont il a
émprunté les lumières . Il fe fait un
honneur d'être un des difciples de M.
Verdier ; & s'il n'avoit été obligé de
céder aux follicitations réitérées de fes
amis , il auroit continué de faire paroître
cet Ouvrage fous le nom de fon Maî
tre , quoiqu'il puifle le réclamer comme
le fruit de fes travaux , puifqu'il en a
retranché le peu qui s'y trouvoit de M.
Verdier , & que d'ailleurs il a fait des
additions très confidérables .
Cet Ouvrage eft divifé en fept parties ,
en ofteologie , myologie , fplanchnologie
, angeiologie , névrologie , adenologie
, & en hiftoire des tégumens . La
première , outre la defcription des òs ,
contient celle du périofte , des cartilages ,
des ligamens , des glandes fynoviales ,
de la moelle & de leurs vaiffeaux . La
feconde traite des mufcles . Ces organes
répandus dans la machine animale , opèrent
le plus grand nombre , ou plutôt ,
prefque tous les mouvemens qui s'y exécutent.
La fplanchnologie , qui fait la
troifième partie de cet Ouvrage , eſt une
des plus intéreffantes ; auf l'Auteur l'at-
il traitée avec beaucoup d'étendue ; elle
commence par ce qui concerne la tête , &
AVRIL. 1775 .
continue par l'hiftoire de la poitrine &
du bas ventre. L'angeiologie a pour objet
la connoiffance des vaiffeaux fanguins &
lymphatiques ; M. Sabathier a tiré , pour
la rédaction de cette partie , les plus
grands fecours des Fafciculi anatomici de
M. de Haller. La névrologie qui vient
enfuite , contient quelques notions fur
les nerfs en général . L'adenologie , fur
la defcription des nerfs ; ce n'eft , pour
ainsi dire , qu'une récapitulation des
glandes , dont l'Auteur a déjà parlé dans
la fplanchnologie. Enfin l'hiftoire des
tégumens comprend celle du tiffu cellulaire
, qui eft moins une des enveloppes
fous lesquelles toutes les parties font enfermées
, qu'un des principes conftitutifs
de la machine animale.
Telle eft la difpofition de cet Ouvrage
; outre ce qui concerne la forme ,
les dimenfions , la ftructure & les rapports
de tout ce qui entre dans la compofition
du corps humain , l'Auteur a
eu foin d'y inférer encore un affez grand
nombre de remarques hiftoriques , critiques
, phyfiologiques & pathologiques
.
On trouve auffi chez le même Libraire
qui débite cet Ouvrage , & chez l'Au-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
teur , rue Saint Jacques , un autre qui a
pour titre Apparatus ad nofologiam feu
Lynopfis nefologia methodica Auct.
Gul. Cullen ; editio nova auta. Amftelodami
1775 , in- 89. prix 6 livres broché
.
*
>
Difcours prononcés en différentes folennités
de piété ; par M. l'Abbé le Coufturier
, Chanoine de Saint Quentin ,
Prédicateur du Roi . A Paris , chez
Moutard , Libraire , rue du Harpoix ,
1774. Nouvelle édition ; 1 v. de 492
pages.
Ces Difcours ont déjà mérité l'appro
bation du Public ; celle dont l'Académie
Françoiſe a honoré deux Panégyriques de
Saint Louis , prononcés devant elle par
le même Orateur , eft la plus honorable
pour M. l'Abbé C. L'Académie détermina
, par les applaudiffemens réitérés qui
interrompirent l'Orateur , follicita en fa
faveur les grâces de la Cour. Le changement
de Ministère fut un obstacle , &
l'Orateur applaudi fut oublié. La vérité
& la bonté font les deux grands traits
fous lefquels M. l'Abbé le Couſturier.
repréſente tout le règne de Saint Louis.
AVRIL. 1775 . 103
* Quand la vérité éclaire les Rois , dit- il ,
que leur règne eft puiffant ! Elle les
» inftruit dans l'art de gouverner , elle
» foutient leur Trône , elle met la Juſtice
" à côté de la Victoire , le courage à côté
» des malheurs ; ils veillent à la fois aux
» intérêts du ciel & au bonheur de la
terre. Quand la bonté infpire les Rois,
» que leur empire eft doux ! L'autorité ,
quelquefois terrible , n'eft plus que
bienfaifante ; ils aiment leurs Peuples ,
» ils en font aimés , ils les rendent heu-
" reux il font plus , ils les rendent dignes
de l'être . Heureux le Prince qui
» peut mériter un tel éloge ! heareux le
» Peuple qui peut mériter un tel Prince !
» la gloire de l'un , le bonheur de l'autre
» font inféparables & font également af
furés...
» Voulez vous , Meffieurs , dit l'Orateur
, un triomphe de la vérité dans un
autre genre ? Le fchifme , ce monftre
qui ébranle les Trônes au nom de la
Religion , éclate entre Rome & l'Em
pire ; au milieu des nuages qui s'élèvent
dans l'Europe , Louis , les yeux
» fixés fur le centre de lumière & de vérité
, voit en gémiffant le glaive des
Pontifes & le glaive des Céfars tour-
"
"
Ę iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ود
» nés l'un contre l'autre ; il reconnoît
» avec douleur le déchaînement des paf-
» fions humaines , les mots facrés ne lui
» en impofent pas . Il fait que fouvent ,
» felon le langage de fes paffions , ven-
" ger Dieu , c'eft fe venger foi- même. Il
reſpecte les titres , dévoile les prétex-
» tes , démêle les intérêts , gémit des ex-
» cès & juge les hommes.
و د
» La Juftice eft la compagne de la
» vérité. Elle fe foutenoit fous le règne
» de Louis , mais foible , chancelante ,
» accablée fous un fardeau de loix , &
ces loix confondues enfemble , défigu- » tées
ود
رپ
ود
»
par la barbarie de leur première
origine , amas informe , dont l'obfcurité
divifoit les Citoyens au lieu de les
unir , dont l'incertitude multiplioit les
jugemens , n'arrêtoit pas les coupables ,
» dont la chaîne , loin d'envelopper le
" corps focial , fe brifoit à chaque inf-
» tant & laiffoit un vuide ...... Au
» milieu de tant de maux la Juſtice
éplorée , cherche l'appui de la Vérité ,
» & c. »
و د
•
Ce Difcours ne perd rien à la lecture
de la fenfation qu'il a faite lorfqu'il fut
prononcé. La manière d'écrire de M.
l'Abbé C. a quelque chofe de touchant ,
AVRIL. 1775 .: 105
d'infinuant , de rapide qui entraîne &
fubjugue l'Auditeur ; on lui a déjà rendu
la justice de dire qu'il poffédoit & imitoit
l'art d'écrire de Boffuet , fi négligé de
nos jours.
99
Entre plufieurs Difcours qui remplif
fent ce volume , & qu'il faut lire de fuire
dans le volume même , M. l'Abbé C.
varie fes portraits felon les perfonnes
qu'il a à peindre. Voici celui d'une Abbeffe
Religieufe " que paroît offrir ou
que doit offrir à une jeune perfonne
qui fuit la voix qui l'entraîne au pied
» de l'autel , cet afyle religieux , où elle
» enfevelit les plus brillans de fes jours !
» Une folitude qui la fépare du monde ,
» des affaires , des intérêts , des efpéran-
» ces , des plaifirs du monde , de tout ce
qui peut lui plaire , la diftraire , la
» flatter dans le monde ; une carrière
plus ou moins longue à terminer
" mais toujours renfermée dans un ef
» pace bién étroit & que parcourent les
» yeux . Une perfpective fombre de de-
» voirs obfcurs , de fonctions pénibles ,
"
"
"
33
"
auftères , rigoureufes ; de ménagemens
» néceffaires , de facrifices fréquens , de
» liaifons forcées , de bienféances & de
» charité , mais bornées aux objets , aux
E v
106 MERCURE DE FRANCE:
"
» perfonnes qui entourent ; une fuccef
» fion incertaine , plus ou moins rapide
» de celles qui précèdent & de celles qui
» fuivront , mais toujours dans le même
» lieu ; un concours de caractères , d'efprits
différens que la piété à raffemblés
» & foumis à l'empire de la même loi ;
» un oubli de foi-même pour ne plus
» vivre , pour ne plus voir que par l'oeil
» de la foi , & ne reconnoître dans celle
qui commande que la voix & l'auto-
» rité du Légiflateur fuprême » , Ce tableau
eft peint d'après l'expérience & pré
fenté par la vérité.
"
39
Voici le portrait d'un Paſteur réduit
aux foins méritoires de la campagne.
" Un Prêtre de la loi nouvelle * héritier
» du zèle & des vertus des Prêtres de
» l'ancienne loi ; un homme occupé du
» ministère évangelique , le plus pénible ,
» le plus obfcur , & par- là peut- être le
plus méritoire ; un homme calomnié
d'abord , épreuve bien rigoureuſe pour
» un coeur fenfible , qui ne peut fe juftifier
que par fa douleur ; l'innocence
connoît-elle d'autres armes ? Un Pal-
12
»
Le B. P. Fourrier , Curé de Mataincourt.
AVRIL. 1775. 107
»
beau
teur d'un pauvre troupeau , plus pauvre
" lui-même encore par choix & par devoir,
& par- là plus véritable Paſteur ; un
» homme connu de Dieu feul & de fon
» Peuple ; un homme nourri à l'ombre
» d'un autel obfcur , bien éloigné d'en
» dérober l'encens ou de lui préférer les
vapeurs de la molleffe , ou les fumées
» de la vanité ». Cet exemple eſt trop
pour n'être pas trop rare.
Le Difcours fur la Révélation , dit
l'Editeur , devoit être prononcé dans
une affemblée de perfonnes inftruites &
éclairées ; ce fujet n'avoit été traité jufqu'ici
que dans des écrits polémiques ,
retouchés par des mains favantes , mais
moins propres à faire naître dans l'âme
ces émotions falutaires qui caractériſent
Fart oratoire. Ces Difcours en général
font dans le ton d'une éloquence vraie ,
pathétique , touchante & éclairée . Les
notes qui les accompagnent méritent
d'être lues.
L'Homme fenfible ; traduit de l'Anglois ,
par M. de Saint- Ange. A Paris , chez
Piffot , Libraire , quai des Auguftins ,
près la rue Gît le -coeur. Prix 30 fols
broché.
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Homofum , humani nihil à me alienum
puto. Ce vers de Térence , dont voici la
traduction littérale : Je fuis homme : rien
de ce qui eft de l'homme ne m'est étranger
donne une idée jufte & préciſe du tond
de cet Ouvrage , c'eft un récit très fimple
d'incidens plus fimples encore : mais ce
récit , où l'inſtruction fe trouve toujours
mêlée , devient fouvent piquant par fa
fimplicité même. Le Lecteur attentif fera
étonné d'y trouver autant , & même plus ,
de ce qu'on appelle fineffe d'efprit , que
dans ces écrits dont le bel - efprit paroît
être le caractère dominant ; fouvent aufli
on remarquera dans le ftyle autant d'élégance
que de naturel . « L'Auteur Anglois
, M. Brook , dit le Traducteur ,
paroît avoir adopté la manière & le
tyle du Voyage fentimental. On pourroir
, à beaucoup d'égards , rapprocher
» ces deux Ouvrages ; même fagacité
d'efprit , même fenfibilité d'âme y ren-
» dent les détails tour- à tour piquans &
» intéreflans. Mais en dépouillant la par.
» tialité ordinaire à un Traducteur , on
» fe hafarde à croire que le parallèle fe-
» roit à l'avantage de M. Brook.
"3
""
39
"
»
ود
" On a reproché , avec raifon , au
voyage de Stern un défaut de liaiſon
AVRIL 1775. 109
» trop fenfible ; on ne remarque aucun
» deffein dans la diftribution de fes cha-
>>
"
وو
pitres ; ce font des fragmens fans fuite ,
qui fouvent finiffent tout- à- coup , au
» moment où l'intérêt alloit commencer,
» On ne peut faire les mêmes reproches à
» notre Auteur. Quoique fon Livre foit
» un affemblage d'épiſodes détachées , il
» y a obfervé cette gradation progreffive
» d'intérêt que les Italiens appellent en
mufique le Crefcendo. Il met dans la
» main des Lecteurs un fil qui les con-
» duit à travers les fcènes différentes ,
dont le tiffa compofe fon eſpèce de
Roman ; ce fil eft le développement
» fucceffif du caractère de l'homme fen-
» fible 19.
ود
Nous allons en tranferire plufieurs paffages
; l'Ouvrage commence ainfi :
""
"
Il y aune forte de rouille originelle à
l'efprit de l'homme . Chacun de nous la
» contracte en naiffant. Dans certains pays
néanmoins , en France par exemple , les
idées des habitans font d'une fi prodigieufe
& fi habituelle légéreté , que lors
» même qu'elles font en petit nombre ,
» elles doivent néceffairement le frotter
» fans ceffe ; de manière que cette rouille
» de l'efprit s'efface bientôt. Le contraire
"
"
110 MERCURE DE FRANCE.
» arrive en Angleterre . Un Anglois meurt
» fouvent avant de s'en être débarraffé ...
"
» Il y a un moyen sûr de perdre cette
» rouille , dit le frère du Baronnet , qui
» étoit un exemple frappant d'un excellent
métail horriblement rouillé , c'est
» de voyager. A ces mots j'approchai ma
» chaiſe de la fienne . Qu'on me permette
» de peindre cet honnête vieillard ; ce
» n'eft qu'une phrafe en paffant , pour rap
» peler fon image dans ma mémoire.
"
» Son attitude la plus habituelle étoit
d'être attis , le coude appuyé fur le
» genou , & les doigts appliqués fur la
joue. Sa main cachoit à moitié fon vifage
. Cependant il avoit dû paffer autrefois
pour être très-beau ; fes traits
» étoient mâles & frappans ; fes fourcils ,
les plus larges que je me rappelle avoir
" vus, lui donnoient un certain air de
dignité. Sa perfonne étoit grande &
»bien fate ; mais fon indolence naturelle
» lui avoit fait prendre un embonpoint
» confidérable.
" Il parloit peu , & feulement à quel
ques amis particuliers ; mais il ne difoit
rien qui ne méritât d'être écouté
avec refpect. Simple & intègre dans
toutes les actions , il étoit tout de feu
AVRIL. 1775. 118
quand il s'agiffoit des intérêts de la
» vertu & de l'amitié .
»
" Aujourd'hui il eft oublié : il eft ab-
» fent . La dernière fois que j'allai à Sil-
» ton - Halle , je vis fon fauteuil au coin
» de la cheminée : on y avoit ajouté un
» couffin , & il étoit occupé par l'épagneul
de ma jeune maîtrelle . Je m'en
approchai fans être apperçu , & dans
mon dépit fecret , je lui pinçai l'oreil-
» le ; il fit an cri & fe refugia auprès de
» fa maîtreffe . Elle ne devina pas l'au-
» teur de cette méchanceté ; mais elle
déplora l'infortune du pauvre animal
» dans les termes les plus pathétiques ;
» elle le careffa , le prit fur fes genoux ,
» & le couvrit avec un mouchoir de la
plus fine baptifte.
CC
"
"
Moi , je me plaçai plaçai dans le fiége
de mon vieil ami : j'entendis autour
» de moi les ris & la gaîté bruyante de
» la compagnie ; alors , pauvre Ben-
» Filton , je te donnai une larme . Accep
» te la elle coule à l'honneur de tom
» fouvenir , & c. » "
La lecture de ce morceau a dû faire
plaifir . Le contrafte des foins recherchés
pour l'épagneul & de l'oubli du vieil
lard , de la gaîté d'une frivole aſſemblée
112 MERCURE DE FRANCE.
& de la fenfibilité recueillie d'un homme
fenfé , préfente une peinture de moeurs
piquante à la fois & attend riffante . Pref
que tout le Roman eft compofé d'une
foule de fcènes non moins intéreffantes.
On en pourra juger par les citations que
l'on va lire . Harley , ou l'homme fenfible
, fait un voyage à Londres pour y fol
liciter une affaire. Son féjour en cette
ville donne lieu à plufieurs incidens d'un
genre varié ; il en eft reparti dans une
voiture publique.
99
و د
" Lorfque le coche fut arrivé à l'en-
» droit de fa deftination , Harley fe mit
» à examiner comment il continueroit fa
» route . Le Maître de l'Hôtellerie l'abor-
» da avec civilité & lui propofa le choix
» d'un cheval ou d'une chaife de pofte .
» Mais Harley faifoit rarement les chofes
» de la manière qu'on appelle communé
» ment la plus naturelle. Il remercia l'Hôte
» & s'achemina à pied , après avoir don-
» né les ordres néceffaires. pour fon porte-
manteau. C'étoit une façon de voya
" ger qui lui étoit ordinaire. Par- là ,
» fans autre embarras que celui de fa perfonne
, il étoit libre de choifir fes auber-
" ges & d'entrer dans la première cabane
où il feroit attiré par une phyfionomie
99.
AVRIL. 1775. 113
» intéreffante. Enfin , lorfque fa fenfibi-
» lité pour fes femblables n'abforboit pas
» toutes les affections , il pouvoit les
» étendre fur des êtres d'une espèce infé- ,
» rieure ; il pouvoit , tantôt fur le pen-
» chant d'une colline , tantôt fur le bord
» d'un ruiffeau , fe laiffer aller au fom-
» meil ou à fes rêveries.
»
Le jour étoit fur fon déclin , & le
» foir des plus fereins , lorfqu'il entra
» dans un chemin creux qui alloit en
» tournant entre deux hauteurs qui l'en-
» vironnoient . Ce chemin étoit couvert
» d'une pelouſe entre coupée par diffé-
»rens petits fentiers , felon les diverfes
» traces que les voyageurs avoient te-
» nues. Il paroiffoit alors peu fréquenté ,
» & quelques uns des endroits battus
» commençoient à fe recouvrir de ver-
» dure. Ce site agréable l'engagea à s'ar-
» rêter pour en contempler les beautés.
» Comme il portoit fes yeux de côté &
» d'autre , fes regards , jufqu'alors penfifs
& rêveurs , furent frappés d'un objet
qui réveilla fon attention.
ود
32
" Un homme âgé , dont l'habit paroif-
» foit avoir été celui d'un foldat , dor
moit profondément fur le gazon ; il
114 MERCURE DE FRANCE.
avoit à fa droite un havre fac pofé fur
» une pierre , & à fa gauche un ſabre
garni de cuivre , placé en travers fur
» fon bâton. Harley le confidéra attenti-
» vement ; c'étoit une figure dans le gen
» re des deffins de Salvator . Les alentours
n
avoient je ne fais quoi d'agrefte & de
» fauvage , qui cadroit avec le fond du
#tableau . Les hauteurs étoient couron
» nées , des deux côtés , d'arbuftes incul .
» tes qui croiffoient irregulièrement ; fur
l'une de ces éminences on voyoit , à
quelque diftance , un poteau deſtiné à
indiquer la différente direction du che
min , qui fe partageoit en deux en cet
» endroit un roc , femé de quelques
» fleurs champêtres , formoit un avance
" ment au-deffus de la tête du foldat en-
» dormi . Elle étoit ombragée par la feule
branche encore verte & touffue d'un
vieux tronc enraciné fur le fommetdu
roc.Le vifage du voyageur avoit les traits
» mâles d'une belle phyfronomie , altérée
» par les années ; fon front n'étoit pas
» entièrement chauve , mais on auroit
» pu compter fes cheveux ; leur blancheur
n faifoit , avec le bran foncé de fon cou
"
un contrafte vénérable qui faifit de refpect
l'âme de Harley. Tu es vieux ,
AVRIL. 1775 : 118
"
"
·
dit- il en lui même ; & l'âge qui t'a ôté
» les forces , ne t'a pas donné le repos .
» Hélas ! peut être ces cheveux blanchis
» au fervice de ton pays n'ont pu y trou-
» ver un abri . Le foldat fe réveilla ; il
>> parut confus en voyant Harley ; mais
» Harley connoiffoit trop bien ce genre
» d'embarras pour ne pas l'épargner à un
» autre : il fe détourna & reprit fon che-
» min. Le vieux foldat rajuſta ſon havre-
»fac & fuivit un des fentiers battus , de
» l'autre côté de la route.
و د
» Lorfque Harley eut entendu derrière
» lui le bruit des pas du vieux voyageur ,
il ne put s'empêcher de lui jeter des
» regards à la dérobée. Ses reins paroif-
» foient courbés fous le poids de fon ha-
» vre fac. Il étoit eftropié d'une jambe
» qui le faifoit boiter , & perclus d'un
» bras qui pendoit en écharpe für fa poi-
» trine. Ses regards avoient l'expreffion
» d'un homme aguerri contre les fouf-
» frances , qui avoit appris à envifager fes
» malheurs avec des yeux fecs ».
Les deux voyageurs lient converfation
enfemble ; ils alloient tous deux au même
endroit.
" Nous pouvons , dit Harley , nous
abréger mutuellement la route en la
116 MERCURE DE FRANCE.
» faifant enſemble. Il paroît que vous
» avez fervi votre Patrie , & que vous
» avez beaucoup fouffert en la fervant.
» Sachez que je ne connois point de gen-
» re de mérite plus glorieux & plus refpectable
; mais au nom de votre âge ,
» permettez - moi , avant tout , de vous
foulager de ce havre- fac.
"
» Le vieux foldat le regarda avec une
» larme à l'oeil : Jeune homme , lui dit-
» il , vous êtes trop bon ; puiffe le ciel
» vous bénir à la prière d'un vieillard qui
» ne peut vous donner que des bénédic-
» tions : mais mon havre fac eft fi fami-
» lier avec mes épaules , que j'en mar-
» cherois moins bien s'il me manquoit ;
» cette charge feroit pour vous d'autant
plus embarraffante que vous n'y êtes
» pas accoutumé. Au contraire , reprit
Harley avec feu , j'en ferois plus léger.
» Je ne porterai jamais un fardeau plus
» honorable ».
99
>>
-
Harley eft reconnu du vieillard , qui
lui raconte fes malheurs. Il eſt chaffé de
fa première ferme par l'injuftice & la
dureté d'un Intendant . L'animofité d'un
Juge de paix caufe une feconde fois le
défaftre de fa famille.
« Un Officier arriva dans le Comté
AVRIL. 1775. 117
» avec un ordre du Roi pour faire des
» levées de foldats . Le Juge de paix fe
» concerta avec lui pour enlever un cer-
» tain nombre d'hommes dont il vouloit
» purger le pays ; le nom de mon fils
»fut inferit fur la lifte.
»
» C'étoit une veille de Noël , jour de
la naiffance du petit garçon de mon fils ,
ainli que de celle du Sauveur . La nuit
» étoit d'un froid faififfant. Il faifoit un
» ouragan horrible , accompagné de grêle
» & de neige ; nous nous étions retirés
» dans la chambre du fond , où nous
» avions allumé un grand feu . J'étois
affis devant la cheminée dans un fau-
"
,
reuil d'ozier remerciant Dieu de
» m'avoir laiffé un abri pour ma famille
» & pour moi . Les enfans de mon fils
» s'amufoient à fauter autour de mes
» genoux . Je me fentois ragaillardi à la
vue de leurs petites gambades : j'avois
» mis fur la table une bouteille de notre
meilleure bière , & nous avions pref-
» que oublié nos malheurs paffés.
>>
" Tous les ans , la nuit de Noël , nous
étions dans l'ufage de nous amufer au
» jeu de Colin - Maillard ; conformément
» à cette coutume , nous avions.tiré au
fort , moi , mon fils , fa femme , la
118
MERCURE
DE
FRANCE
.
"
» fille d'un Fermier voilin , qui étoit
« venue nous rendre vifite , les deux pe
» tits enfans & la bonne vieille qui nous
fervoit , & qui avoit paffé toute la vie
avec moi. Le fort étoit tombé fur
» mon fils ; c'étoit à lui d'avoir les yeux
» bandés.
»
» Le jeu commençoit à s'animer. Mon
fils avoit paffé à tâtons dans la première
chambre , en pourfuivant quelqu'un
qu'il croyoit s'y être refugié. Nous
» nous tenions fans bruit chacun à notre
» place , & fon erreur nous divertifloit.
» Il y avoit quelque temps qu'il y rodoit.
» en aveugle , lorfqu'il fentit par derrière
quelqu'un qui le frappoit a l'épaule ; il
fe retourna & le faific en difant : Vous
» êtes pris ; — & vous auffi lui répondit-
» on , & dans peu l'on vous fera jouer à
» un autre jeu que celui - ci .
"
Harley interrompit ce récit par une
exclamation de fureur ; l'indignation
» fe peignit fur fon vifage . Sa main , par
» un mouvement machinal , ſe jeta fur
» le fabre d'Edouard & le tira à moitié
» du foureau. Le bonhomme l'y replaça
tranquillement & continua fa narra-
» tion.
"
» Ces paroles prononcées par une voix
AVRIL. 1775. 119
étrangère , nous attirèrent dans la cham
» bre qui fut bientôt remplie d'une trou-
» pe de vauriens en habit de foldat . Ma
belle- fille tomba évanouie à leur vue ;
» la vieille fervante & moi nous nous
emprefsâmes de la fecourir , tandis que
» mon pauvre fils , refté immobile &
» comme pétrifié , portoit tour - à- tour ſes
regards fur fes enfans & fur fa femme,
» Nos foins la rappelèrent à la vie. Nous
» voulions qu'elle fe retirât jufqu'au dé-
» nouement de cette malheureuſe aven-
» ture ; mais elle courut précipitamment
» dans les bras de fon mari , qu'elle ferra
» dans les fiens , dans une attitude qui
exprimoit à la fois fa douleur & fon
» effroi.
39
» Un des hommes de la troupe , que
» nous prîmes à fon uniforme pour un
fergent d'infanterie , s'approcha de moi
» & me dit que mon fils... pouvoit fe
39
racheter en donnant un autre homme
» & en payant une certaine fomme d'ar-
» gent pour fa liberté. Nous fûmes aflez
» heureux pour ramaffer la fomme entre
» nous , grâces à la générofité de la bonne
» vieille , qui apporta dans une petite
» bourfe de foie verte tout le produit de
» fes économies depuis qu'elle étoit à mon
120 MERCURE DE FRANCE.
"
» fervice . Mais il falloit un homme pour
remplacer mon fils. Sa femme fixa fur
fes enfans des yeux pleins de tendreffe
» & de défefpoir.
» Pauvres enfans , s'écria- t- elle , on
» veut vous arracher . votre père : qui
» veut on qui prenne foin de vous ? Faudra-
t- il que votre mère vous voye mourir
de faim , ou qu'elle aille mendier
» pour elle & pour vous le foutien d'une
vie miférable ? Je la priai de fe tranquillifer
, mais je n'avois point de vé-
» ritable caution à lui donner . Après un
» moment de réflexion je pris le Sergent
» à part , & l'interrogeai pour favoir fi
» mon âge ne m'empêchoit point d'en-
» trer au fervice à la place de mon fils .
» Votre âge , me répondit - il , devroit
» vous en empêcher ; mais avec de l'ar
» gent tout s'accommode. Je lui mis dans
» la main la fomme que nous avions
» recueillie ; je courus enfuite embraffer
» mon fils : Jacques , lui dis - je à baffe
» voix , vous êtes libre ; vivez pour vo
» tre femme & pour ces jeunes enfans.
» Il me reste peu de vie à perdre : fi je
reftois , je ne ferois qu'un malheureux
» de plus à charge à d'autres malheureux .
Non , s'écria mon fils , je ne fuis pas
» auffi
"
"
>>
AVRIL. 1775. 121
20
» auffi lâche que vous paroiffez le croire.
» Non ; le ciel n'ordonne point que mon
» père expofe fa tête , déjà blanchie par
» l'âge , tandis que fon fils meneroit une
» vie douce & paifible. Je fuis jeune &
capable d'endurer la fatigue ; Dieu aura
pitié de nous ; il fera , en mon abfence
, le confolateur de ma femme &
» le père de mes enfans . Jacques , lui
répondis je , je veux que cette difpute
» finiffe. Vous m'avez toujours.obéi juf
qu'à ce moment : vous ne le choiſirez
» pas pour contrevenir à mes volontés.
Je vous lègue , comme père , le foin
» de ma famille ; je m'en repofe fur
» vous comme ami . Notre féparation ,
"9
»
M. Harley , fut un déchirement de
» part & d'autre qui ne peut fe décrire ;
» c'étoit pour la première fois que nous
» allions nous quitter. Les foldats avoient
peine à fe défendre les larmes , &c. »
"
"
Nous fommes fâchés que les bornes
ordinaires d'un extrait nous ayent forcés
de mutiler ce chapitre. Mais nous croyons
que les Lecteurs fenfibles , & même les
gens de goût nous fauront gré de tranſ
crire encore le morceau qui fuit .
« Ils n'étoient plus qu'à très - peu de
» diftance du village où ils alloient ,
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
i
ļ
"
ןכ
lorfque Harley s'arrêta tout- à-coup &
regarda avec étonnement les décom-
" bres d'une maison fituée fur un des
« côtés de la route : O ciel ! s'écria t il ,
» ô demeure de mon enfance ! dans quel
» état t'apperçois-je aujourd'hui ? Pour.
quoi te vois -je ainfi deferre & renver
fée de fond en comble ? Où est allée la
» troupe enfantine de tes habitans ? Pourquoi
n'entends je plus bourdonner leur
» effaim folâtre ? Edouard , regardez , re-
» gardez ici ; voyez le théâtre de mes
» premiers amuſemens & de mes pre-
» mières liaiſons , détruit & devenu un
» amas de ruines. C'eft- là l'école où j'étois
» en penfion dans le temps que vous de-
» meuriez à South - Hill. A peine y a- t-il
» un an qu'elle étoit encore debout , &
» que fes bancs étoient remplis d'une
» foule d'enfans. Vis à vis c'étoit une pe-
" loufe où ils avoient coutume de prendre
innocemment leurs ébats. Voyez
» comme la charrue facrilége en a pro-
» fané la verdure . J'aurois donné cent
» fois la valeur de ce terrein pour le pré-
» ferver de ce ravage.
» Mon bon M. Harley , répondit
» Edouard , peut être cette demeure a - t-
» elle été abandonnée par choix ; peut être
AVRIL 1775. 123
C
•
"
»
-
en at on préféré une autre plus com-
» mode & mieux lituée . Cela ne peut
être , reprit Harley , cela ne peut
» être. Eh ! quoi ! cette plaine ne fera
, donc plus émaillée de fleurs champê-
» tres ; elle ne fera plus foulée par les
pieds délicats d'un peuple de jeunes
innocens. Je ne verrai plus ce vieux
» tronc paré des guirlandes que leurs
petites mains entrelaçoient en s'amu .
» fant. Ces deux longues pierres qu'on
apperçoit à côté ; renversées par terre ,
» fervoient de piliers à une petite hutte
» que j'avoisaidé moi- même à bâtir.Com
» bien de fois m'y fuis-je affis fur un fiége
de verdure ? Combien de fois y ai - je
fait , avec mes camarades , un régal de
» pommes ? Plus heureux alors , oui ,
mon cher Edouard , infiniment plus
heureux que je ne puis jamais l'être ! »
"
"
19
و د
"
"
Remède nouveau contre les maladies véné
riennes , tiré du règne végétal ; ou effai
fur la vertu anti - vénérienne des alkalis
volatils ; par M. Peyrilhe , du Collége
de Chirurgie de Paris , Docteur en
Médecine , de l'Académie des Sciences
, Infcriptions & Belles Lettres de
Touloufe , & de celle des Sciences de
Montpellier. A Paris , chez Didot le
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
jeune , Libraire , quai des Auguftins,
Prix 2 liv , br,
Dans l'introduction de cet Ouvrage ,
on voit quelles font les raifons qui ont
déterminé M. P. à faire la recherche d'un
anti vénérien nouveau . La principale eft
l'erreur où l'on eft qu'en poffédant le mercure
, l'art de guérir ne peut efpérer un
meilleur remède . Les grands Maîtres
avoient pourtant recommandé , mais fans
fruit , de fe défendre de cette erreur,
Cet effai eft accompagné de notes léparées
, qui font comme un traité à part ,
auffi étendu que l'Ouvrage , même. Ce
font des réflexions judicieufes fur les cas
que M. P. auroit trouvé bon de difcuter
dans le cours de fon effai , s'il n'eût pas
trop détourné le Lecteur , en lui expliquant
tout ce qui pouvoit l'inftruire ,
On fent que cet Ouvrage eft de nature
à ne pouvoir qu'être annoncé dans ce
Journal ; mais il fait d'ailleurs honneur
à fon Auteur comme ami de l'humanité ,
comme favant praticien & comme bon
écrivain.
Traité élémentaire de Géométrie & de la
manière d'appliquer l'Algèbre à la GéoAVRIL.
1775 . 125
métrie ; par M. l'Abbé Bollut , Examinateur
des Ingénieurs , Membre de
l'Académie Royale des Sciences de
Paris , de l'Inftitut de Bologne & de la
Société Royale de Lyon . 1 vol . in 8º.
A Paris , chez Jombert fils aîné , rue
Dauphine .
Ce Traité eft la troifième partie du
Cours de Mathématiques que l'Auteur
donne au Public , à l'ufage des Ingénieurs.
Il est écrit , comme tous ceux qui
l'ont précédé , avec clarté , précifion &
élégance; & quoiqu'il ne femble promettre
que des connoiffances élémentai
res , on y trouvera beaucoup de chofes
nouvelles & piquantes , fur- tout dans le
traité des folides & dans l'application de
l'Algèbre à la Géométrie . Nous inférerons
dans le prochain Mercure le Difcours
préliminaire que M. l'Abbé Boffut
a mis à la tête de cet Ouvrage.
Lettre & réflexions fur la fureur du jeu,
auxquelles on a joint une autre Lettre
morale ; par M Dufaulx , ancien Commiffaire
de la Gendarmerie , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles
Lettres & de celle de Nancy . :
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Simplexne furor ? Juvénal .
Vol. in- 8 °. prix 1 liv . 16 f. broché.
A Paris , chez Lacombe , Libraire ,
rue Chriftine , près la rue Dauphine .
Le favant Traducteur de Juvénal emprunte
ici fa véhémente éloquence pour détourner
lesjeunes gens de la fureur du jeu .
Sa Lettre cependant eft moins une fatire de
cette paffion qu'un tablean vif , animé ,
mais vrai & effrayant des malheurs dans
lefquels cette paffion nous précipite , &
des tourmens quelle nous fait éprouver.
La Lettre eft adreffée à un jeune homme
qui avoit effoyé une perte confidérable
au jeu. « Vous gémiffez , mon ami , lui
» dit - il , & moi je m'applaudis de la perte
» que vous venez de faire : mes confeils ,
» vous le favez , n'ont pu vous en garan-
» tir ; peut être que la leçon du malheur
» fera plus efficace. Il eft temps de vous
"
corriger ; mais ne différez point . Quand
», il s'agit de la fureur du jeu , l'expérien-
» ce arrive prefque toujours trop tard .
M. Dufaulx , après avoir fait confidérer
à fon ami le danger qu'il a couru ,
espère qu'il pourra fe défendre facilement
de la paffion du jeu , parce qu'il
AVRIL. 1775. 127
1
n'eft pas encore ce qu'on appelle un joueur,
& qu'il n'a pas eu le temps d'en contracter
les moeurs. " Savez - vous , lui dit- il , ce
»
"
33
"3
"
que c'eft qu'un joueur ? J'en attefte tout
» honnête homme , ce titre feul eſt une
infulte ; vous en auriez horreur , fi vous
faviez , comme moi , ce qu'il exprime
d'abject & d'inhumain . Quiconque ne
» fait pas réfifter à ce funefte penchant ,
quels que foient fes motifs , ne fauroit
» être qu'un fot , un fourbe ou bien un
furieux ; je ne fache point de termes
» moyens. Oui , je le foutiens , il eft de la
plus abfurde inconféquence de rifquer
» le néceflaire pour obtenir le fuperilu ;
» de fe permettre , comme un paffe temps
légitime , d'immoler celui que , bien-
» tôt après , on ne fauroit s'empêcher de
plaindre , & quelquefois de fecourir ;
» en un mot , de faire le métier de
brigand avec le coeur d'un honnête
» homme .
"
99
99
"
» Déteftons , vous & moi , les ufages
» & les maximes qui , dans la fociété ,
» n'ont d'autre fondement , d'autre fanction
, que le voeu d'acquérir des richeffes
, au préjudice réciproque des mem-
» bres qui la compofent . Il n'y a , mon
ami , de falaires légitimes que pour
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» les talens utiles ; & duffé - je vous pa-
» roître trop dur , je foutiendrai toujours
» que les profits des joueurs ne font au
» fond que des rapines 79.
Les fauffes bienféances d'un luxe fcandaleux
& des conventions deftructives ,
femblent aujourd'hui concourir à allumer
la paffion du jeu . Donner une fête , c'eſt
donner à jouer ; c'eft , après bien des
tourmens , livrer des victimes au défef.
poir. M. Dufaulx auroit pu citer ici une
foule d'exemples tragiques , qui montrent
jufqu'où peut aller le défefpoir des
joueurs. Mais il fe contente de rapporter
ce trait de défefpoir d'une nouvelle efpèce.
Un Joueur , phlegmatique en apparence
, après avoir perdu tranquillement
, & même avec férénité , la plus
forte partie de fa fortune , joua fon refte
d'un feul coup , & le perdit fans murmurer.
On le regarde avec furprife ; fa
figure ne change point on s'apperçoit
feulement qu'elle devient fixe & immobile
; l'étonnement redouble. Bientôt
deux ruiffeaux de larmes coulent rapidedement
le long de fes joues , & toujours
fans que fon vifage en foit altéré . D'abord
on fe mit à rire ; mais , ajoute M. Dufaulx
, je ne fais quelles idées cette ftatue
AVRIL. 1775 . 129 .
pleuranie réveilla infenfiblement dans
T'âme des fpectateurs : ils finitent tous
par être faifis de terreur & de pitié.
"
"9
"
"
" J'ai voulu , continue M. Dufaulx
" revoir ces triftes affemblées , où le plaifir
fert de prétexte à la cupidité ; j'ai
» voulu les étudier. Je friffonnois au feul
» afpect de la foule pâle , muette &
» tremblante , qui attendoit fon arrêt.
» Quoique fimple fpectateur , je fouffrois.
» Tous ces infenfés , fufpendus à la roue
» de fortune , qui les agitoit en fens contraire
, me forçoient , malgré mon indignation
, ou plutôt mes mépris , de
compâtir à leur miférable fort . J'ai
fouvent attendu jufqu'au lever du foleil
le dénouement de ces drames ter-
» ribles & trop pleins de vérité . Que l'art
» eft loin d'imiter ce flux & reflux de
» mouvemens oppofés , ces furprifes ,
» ces fecoufles , ces tranfes & tous ces
» caractères de l'efpérance & de la crain
» te , variés à l'infini fur chacun des vifages
! .... Tout cela n'eft rien , en
comparaifon des angoiffes fecrettes .
» Ecoutez & frémiffez : deux joueurs
» manifeftoient leur rage , l'un par un
» morne filence , l'autre par des impréc
tions redoublées ; celui ci choqué du
מ
- dư
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
"
"
:-
fang froid apparent de fon voifin , luk
reproche d'endurer fans fe plaindre des
» revers , coup fur coup multipliés :-
» Tiens , répond l'autre , regarde . Il s'é-
» toit déchiré la poitrine , & lui en mon
» troit des lambeaux fanglans » .
Et l'âme.... que dévient-elle , lors .
qu'ainfi battue de toutes parts , & dépourvue
de motifs honnêtes , elle n'obéit
plus qu'à des impulfions foudaines ? M.
Dufaulx dit avoir vu un jeune homme
de qualité , plein d'honneur & de bravoure,
dont la tête fut tellement bouleverfée
par un coup fatal & ruineux , qu'il
fe leva brufquement , regarda d'un ´air
furieux & égaré fon camarade qui venoit
de le gagner : " Que m'importe ? lui ditil
; je ne dois rien » . Puis tout- à-coup
fondant fur lui , le ferrant entre fes bras ,
& l'arrofant de fes larmes : « Ah ! mon
» ami , tu me connois , ne crains rien ; fi
» j'avois joué mon fang contre toi , tu
» fais bien que je le verferois tout à
l'heure à tes pieds ".
Mais le moment peut-être le plus terrible
& le plus difficile à peindre eft celui
où le joueur triomphant fe lève & fe
retire. « Ce départ eft un coup de foudre
» pour celui qu'il abandonne. Après un
AVRIL. 177- 131
"
"
» combat fingulier , la haine expire. entre
les deux rivaux , & le vainqueur
» attendri tend la main au vaincu . Après
» cet odieux conflit , l'imprudent qui s'eſt
» compromis , fans égards à fes moyens ,
» a beau chercher fur le front de fon
Adverfaire le moindre fentiment de
compaffion ou de générofité , il n'y lic
» que ces mots : Point de grâce , point
» de délai ; il faut payer. Quand?
» Demain . Hé !le puis-je ? -L'hor-
» rible fituation ! C'est là que commence
» un nouveau genre de fupplice . Tant
qu'il et en action , le joueur efpère un
» heureux retour ; il joue du moins ,
"
n
"
-
-
lutte & s'étourdit : mais rendu à lui-
» même , les faries le faififfent , l'hon-
» neur réclame fa parole , il ne lui laiſſe'
que le terme rigoureux preferit par
l'ufage , plus impérieux que les loix &
» la raifon. Dès- lors , éperdu , confus ,
» il ne fait à qui recourir : fes amis les
plus intimes lui deviennent fufpects ;
» il fe croit feul dans l'Univers : que dis-
» je ? Il y voit fon créancier ».
"
"
Ceux qui font dominés par la paffion
du jeu n'accuferont pas M. D. d'avoir
chargé ce tableau . « Ah ! fi mon oreiller ,
» s'écrioit un joueur de profeffion , pou
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
voit révéler ce que j'ai fouffert pendant
» les nuits ! Les joueurs comme le remarque
l'Auteur , ne s'abftiennent guèrê da
jeu qu'autant qu'ils font dénués d'argent
& de reflources. Cette inaction forcée
eft pour eux un fupplice dont les tourmens
, comme il arrive dans certaines
maladies aiguës , font redoublés pendant
les nuits . Une Demoifelle avancée en
âge ( l'exemple n'eft pas fameux ) qui ne
vivoit que de pain & de laitage , pour
épargner un très mince revenu qu'elle
perdoit affiduement , ne faifoit pas de
difficulté d'avouer qu'elle avoit plus d'une
fois ufé , déchiré les draps de fon lit avec
les ongles de fes pieds , & percé fon matelas
.
·
Confidérons avec M. D. quelles font
les occupations des joueurs , & quelle
eft leur exiſtence . Cherchons une heure
de calme & de férénité dans le cours de
leur vie ; cherchons - y la moindre tendance
au bien public : nous n'y trouverons
que du vertige , & trop fouvent.
l'oubli des devoirs les plus facrés . Brû
lant de courir de nouveaux hazards ;
dont ils ne favent pas fe défier , ils regardent
comme perdu tout le temps qui
s'écoule jufqu'à ce qu'ils recommencent.
AVRIL. 1775. 133
Qui le croiroit , fans l'avoir éprouvé ,
c'est à regret qu'ils voient laire le foleil ;
s'ils le pouvoient , ils hâteroint fa courfe.
Aufi faut il les voir entre eux , &
lorfqu'ils font libres de toutes bienséances.
Quand la partie eft belle , quand une
fois le defir du gain & le regret de la
perte font bien exaltés , les heures & les
journées s'écoulent fans qu'ils s'en apperçoivent
. On a vu , le croira- t on , des
joueurs refter trois , quatre & quelquefois
cinq jours de fuite affis à la même
table de jeu ; on les a vus dans ce long
fupplice , dont quelques- ans font morts ,
ne prendre que furtivement , de la main
des valets , de quoi fe fubftanter , & ne
vaquer qu'en murmurant aux befoins natárels.
N'eft-il pas permis de s'écrier avec
Juvénal , fimplexne furor ? N'eft - ce là
que de la fureur?
Ces traits & d'autres rapportés dans
cette même Lettre , font bien capables
d'effrayer tout joueur de profeffion . Si
cependant les catastrophes enfantées par
le jeu & dépofées dans la plupart des
Greffes criminels , ne peuvent éteindre
dans un joueur le defir de courir de nouveaux
hafards , pour avoir de nouvelles
fommes à diffiper ; qu'il calcule du moins
134 MERCURE DE FRANCE .
avec un peu de fang froid ; & il verra
que fon argent fe trouve néceffairement
abforbé par les cartes & par d'autres frais
de convention . En effet , tous ces repaires
, tous ces cloaques , renommés parun
faſte impofteur , & qu'il préfère aux honnêtes
maisons , ne fubfiftent & ne payent
des tributs fecrets qu'à l'aide des largeffes
ufitées , que font alternativement les
joueurs , quand la fortune leur rit ; de
forte qu'à la longue , c'eſt le tapis & la
prodigalité qui dévorent tout. Mais ils
ne font occupés que du moment préfent
; l'avenir n'existe point pour les
joueurs .
Comme c'eft principalement en faveur
des jeunes gens que M. D. a fait imprimer
fa Lettre & fes réflexions fur la fureur
du jeu ; il a cru devoir avertir les
parens qui envoyent leurs entans dans
les villes capitales , & fur- tout à Paris ,
de prendre toutes fortes de précautions
contre les intriguans qui ont le département
de la jeuneffe . Voici la marche ordinaire
de ces hommes dangereux : quand
ils n'ont point de titres , ils s'en fabriquent
; & peu de gens les leur conteftent,
parce qu'on trouve ces Meffieurs utiles
aux plaifirs de la fociété , dont ils fons
AVRIL. 1775. 1351
les frais aux dépens des dupes qu'ils mettent
dans le monde . Le revenu de ces
Chevaliers d'induftrie eft ordinairement
fondé fur l'inexpérience de ceux qui les
regardent comme des modèles & des
oracles . D'abord ils fe les attachent par
des appas de toute efpèce . Après les avoir
promenés d'erreurs en erreurs , après leur
avoir fuggéré une foule de befoins & de
vices , qu'ils ne font plus en état de fatiffaire
, ils leur enfeignent , s'ils font majeurs
, la reflource infaillible du jeu ; c'eſt .
là , dès l'origine , le terme fatal où ils.
vouloient les mener. Alors le protecteur
livre fes petits amis à des exécuteurs fubalternes
, qui les ruinent au profit.com .
mun des confédérés .
M. Dufaulx a joint à cette Lettre & à
ces réflexions fur le jeu , deux fcènes
d'une Comédie qui y avoit rapport , &
dont l'objet étoit de faire voir le danger
des liaifons.
Les Lecteurs d'un caractère doux &
pailible , à qui la manie turbulente que
M. D. a tâché de peindre eft étrangère ,
liront fans doute avec plus d'intérêt la
Lettre morale du même Auteur fur la
mort d'un honnête homme , d'un homme
qui fut autant qu'il étoit en lui le confo136
MERCURE DE FRANCE.
lateur & le foutien de fes femblables , &
n'eut jamais à rougir des excès qu'il avoit
blâmés . De tous les vices à la mode
l'adultère étoit fans exception celui qui
lui infpiroit le plus d'horreur , & dont.
il faifoit le mieux fentir les affreufes
conféquences. Il avoit le courage de s'en
expliquer hautement : car cet homme à
grand caractère n'avoit plus d'égards , &
ne craignoit plus le ridicule quand il plaidoit
la caufe des moeurs « N'efpérons
» pas , difoit-il , qu'elles fe rétabliffent ja-
» mais , tant qu'il fera du bon ton de
» railler le lien conjugal ; tant que les
» Poëtes & les romanciers diront impu-
» nément comme Ovide :
Rufticus eſt nimium , quem lædit adultera conjux,
Et notos mores non fatis urbis habet.
L'honnête homme dont il eft parlé
dans cette Lettre avoit écrit rapidement
des confeils à un jeune homme mécontent
de fon début dans le monde ; & ces
confeils font ici publiés par M. D. Ce
petit écrit , dicté par un coeur honnête &
fenfible , & épris du beau moral , eft le
plus bel éloge que M. D. pouvoit faire
de fon ami . Tout ceci eft accompagné de
AVRIL. 1775 . 137
notes & de citations qui occupent agréa
blement le Lecteur , & font difparoîtte
la féchereffe ordinaire à ces fortes d'écrits.
Euvres complettes d'Alexis Piron , propofées
par foufcription . A Paris , chez
Michel Lambert , Imprimeur Libraire ,
rue de la Harpe , près St Côme.
On n'a pu répondre plutôt à l'empreffement
du Public au fujet de l'édition
des OEuvres complettes de feu Alexis Piron.
Cette édition , actuellement fous preffe ,
fera compofée de fept volumes in - 8°. &
paroîtra , fans aucun retard , au mois de
Novembre prochain .
Elle contiendra toutes les Pièces qu'il
a données , foit aux Théâtres François &
Italien , foit à l'Opéra Comique . Celles
qui regardent ce Spectacle forain , en
affez grand nombre , n'ont point encore
été imprimées . L'Auteur les avoit raffemblées
avec foin , dans le deffein de les
joindre à la collection générale de fes
OEuvres . On s'eft d'autant plus volontiers,
conformé à fes intentions , que rien n'eft
plus gai , plus plaifant & plus fpirituel
que ces Opéra Comiques , dont l'ingénieux
& malin vaudeville eft & propre
138 MERCURE DE FRANCE.
à dérider le front le plus grave & le plus
févère. On doit regretter que ce genre
de fpectacle , qui avoit atteint à fa perfection
fous le fertile & riant pinceau du
célèbre M. Favart , foit entièrement per
du pour nous .
Les Contes , les Epigrammes & les
Chanfons de Piron , genres dans lesquels
i excelloit , ne feront pas le moindre
ornement de cette édition.
Elle fera précieufe encore par une infinité
d'autres Pièces fugitives, qui verrout
le jour pour la première fois. Il eſt
inutile de faire ici l'éloge des différens
Quvrages qui compofent cette collection .
Il fuffit de dire qu'on y reconnoîtra partout
le génie de l'illuftre Auteur de la
Métromanie , dont on trouvera la vie à
la tête du premier volume , par l'Homme
de Lettres , à l'amitié duquel il a
confié , en mourant , le foin de fa mémoire.
CONDITIONS.
On foufcrita à Paris , chez Michel
Lambert , Imprimeur Libraire , rue de
la Harpe , près St Côme.
Cette édition , ornée du Portrait de
l'Auteur , contiendra fept volumes in- 8°.
AVRIL. $ 775 . 139
en très - beaux caractères , & fur papier
fin d'Angoulême. Elle fera du prix de
quarante- deux livres en feuilles pour les
Soufcripteurs.
On payera en foufcrivant .
En retirant l'exemplaire com.
plet au mois de Novembre de la
préſente année .
24 1.
• 18
42
1.
Il y en a vingt cinq exemplaires en
très beau papier d'Hollande , dont le prix
fera de 84 liv . On payera 48 liv. en
foufcrivant , & 36 1. en retirant l'exemplaire
complet.
Vers à ma Patrie ; 8 pages in - 8 ° . A
Paris , chez Lacombe , Libraire , rue
Chriftine.
Ces vers renferment l'expreffion des
fentimens d'un bon Citoyen , qui célèbre
le bonheur de fa Patrie .
La France a retenti des accens du bonheur ;
J'entends chanter Louis , la Juſtice & l'Honneur :
Tout paroît refpirer une nouvelle vie ;
Il eft permis enfin de croire à la Patrie
140 MERCURE DE FRANCE.
D'être bon Citoyen ainfi que bon Sujet ,
Et d'adorer (on Roi dans le bien qu'il nous fait.
O France ! ô mon Pays , idole de mon âme !
Un nouveau jour m'éclaire , un nouveau jour
m'enflamme ;
Par l'eſpoir animé , je reffens dans mon coeur
L'orgueil du nom François & cette noble ardeur
Qui plaît par fon audace & tient lieu de génie.
C'eft célébrer son Roi que chanter la Patrie.
ANNONCES..
Code Eccléfiaftique , ou queftions importantes
& obfervations fur l'Edit du
mois d'Avril 1695 , concernant la
Jurifdiction Ecclefiaftique.; fur l'Arrêt
du Parlement du 26 Février 1768 ,
concernant les Bulles & autres expéditions
de Cour de Rome ; fur l'Edit
de Mars 1768 , concernant les Ordres
Religieux ; fur l'Edit de Mai 1768 ,
concernant les portions congrues ; &
fur plufieurs articles de l'Ordonnance
du mois d'Avril 1768 , concernant les
procédures. Par M. J. B. Coudart de
Clozol , Avocat au Parlement . 2 vol.
in-8°. prix 8 1. br. & 10 l . rel . A Paris ,
chez Grangé , Libraire Imprimeur , au
AVRIL. 1775 . 141
Cabinet Littéraire , pont Notre-Dame,
près la Pompe.
La vie du Pape Clément XIV ( Ganga
nelli ) ; in 12. br. 3 1. A Paris , chez
la veuve Defaint , Libraire , rue du
Foin Saint Jacques,
Architecture pratique , qui comprend la
construction générale & patticuliere
des bâtimens , le détail , les toifé &
devis de chaque partie , favoir maçonnerie
, charpenterie , couverture , menuiferie
, ferrurerie , vîtrerie , plomberie
, peinture d'impreffion , dorure ,
fculpture , marbrerie , miroiterie , poëlerie
, &c. avec une explication & une
conférence des trente- fix articles de la
coutume de Paris fur les titres des Sen.
tences & rapports qui concernent les
bâtimens & l'Ordonnance de 1673 .
Par M. Bullet , Architecte du Roi , &
de l'Académie Royale d'Architecture ;
revue , corrigée avec foin , confidérablement
augmentée , fur- tout des détails
effentiels à l'ufage actuel du toifé
des bâtimens , aux us & coutumes de
Paris & aux réglemens des mémoires ,
& à laquelle on a joint un tarif & des
Comptes faits de toutes fortes d'ouvra
142 MERCURE DE FRANCE .
ges en bâtiment , & un autre tarifpour
connoître le poids du pied de fer fuivant
les différentes groffeurs, Par M ***
Architecte , ancien Infpecteur Toifeur
de bâtimens ; Ouvrage très - utile aux
Architectes & Entrepreneurs , à tous
Propriétaires de maifons & à ceux qui
veulent bâtir. Nouvelle édition revue
& augmentée ; in - 8 . avec fig . A Paris
, chez Delalain , rue de la Comédie
Françoiſe.
La Confolation du Chrétien , ou motifs
de confiance en Dieu dans les diverfes
circonstances de la vie ; par M.
l'Abbé Roifard , 2 vol . in - 12 . rel . s l .
A Paris , chez Humblot , Libr. rue Sc
Jacques , entre la rue du Plâtre & celle
des Noyers , près St Yves , 1775.
Le Dentiſte obfervateur , ou recueil abrégé
d'obfervations tant fur les maladies
qui attaquent les gencives & les dents ,
que fur les moyens de les guérir ; dans
lequel on trouve un précis de la ftrucde
la formation & de la connexion
des dents , avec une réfutation
de l'efficacité prétendue des effences
& élixirs ; & de la defcription d'un
nouveau pélican , imaginé pour l'exture
,
AVRIL. 1775. 145
traction des dents doubles . Par Honoré
Gaillard Courtois , Expert Dentiste à
Paris ; vol. in- 12 . avec fig. prix 2 1. 8 f.
br. de l'Imprimerie de Michel Lambert
; fe trouve chez Lacombe , Libr.
rue Chriftine , près la rue Dauphine.
Détail des fuccès de l'établissement que la
ville de Paris a fait en faveur des perfonnes
noyées & qui a été adopté dans
diverfes Provinces de France ; troisième
partie , 1774. On y a joint plufieurs
exemples des moyens éprouvés pour
rappeler à la vie les perfonnes que des
vapeurs mofétiques & d'autres accidens
de différente nature , ont frappées
d'une mort apparente, & le procèsverbal
de la mort des fieur & dame le
Maire , fuffoqués par la vapeur du
charbon allumé. Par M. Pia . Ampliat
atatem fuam vir bonus , quando longavitati
confortium prodeft. A Paris , rue
St Jacques , près St Yves , au Coq " &
Livre d'or , chez Lottin l'aîné , Imprimeur
de la Ville ; & Eugène Onfroy ,
Libraire,
Leure apologétique fur les corvées , analyfée
& réfutée , par M. l'Abbé Bau144
MERCURE DE FRANCE.
deau ; in- 12 . de 75 pages . Prix 12 fols.
A Paris , chez Lacombe , Libr . rue
Chriftine.
Lettres & Mémoires à un Magiftrat du Par
lement de Paris , fur l'Arrêt du 13 Septe.
nbre 1774 , concernant la liberté du
commerce des grains ; in 12. de 146
pages , prix 24 f. à la même adrefle.
DISCOURS : Quelles font les caufes générales
des progrès de l'induftrie & du
commerce, & quelle a été leur influence
fur l'efprit & les moeurs des Nations ,
prononcé à l'Hôtel - de- Ville de Lyon
le 21 Décembre 1774 , par M. Bergaffe
, Avocat . A Lyon , de l'Imprimerie
d'Aimé de la Roche ; & à Paris ,
chez Humblot , Libraire , rue Saint
Jacques.
Etabliffement d'Hôpitaux pour les Enfans
Trouvés , en Bretagne ; in 4. de
28 pages. Ce Mémoire eft vendu au
profit des Hôpitaux . A Paris , chez les
Libraires du quai de Gêyres
Choix de tableaux tirés de diverfes gale
ries Angloifes , par M. Berquin ; in-8 °.
de
AVRIL. 1775. 145
de 300 pages. A Paris , chez la veuve
Duchefne & le Jay , Libraires , rue St
Jacques ; Saillant & Nyon , rue Saint
Jean de Beauvais ; Delalain & Monory
, rue de la Comédie Françoife ; &
Ruault , rue de la Harpe .
Pygmalion , fcène lyrique de M. J. J.
Rouffeau , mife en vers par M. Berquin
; & Idylle par M. Berquin , in- 8 °.
orné de figures & lettres gravées. Prix
2 liv . 8 f. chez Coftard , rue St Jeande
Beauvais .
i
Itinéraire des routes les plus fréquentées
ou Journal d'un voyage aux Villes
principales de l'Europe , où l'on a
marqué en heures & minutes le temps.
· employé à aller d'une pofte à l'autre ,
les diftances en milles Anglois , mefurées
par un odomètre appliqué à la
voiture ; le produit des contrées , la
population des Villes , les choſes remarquables
à vois dans les Villes &
fur les routes , les auberges , & c. & c,
On y a joint le rapport des monnoies
& celui des mefures itinéraires & linéales
, ainfi que le prix des chevaux
de pofte des différens pays ; par M.
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Dutens ; vol. in- 89 . prix br. 1 1. 16 f.
A Paris , chez Pilot , Libr. quai des
Auguftins .
Recueil d'obfervations fur les différentes
méthodes propofées pour guérir la maladie
épidémique qui attaque les bêtes
à cornes ; fur les moyens de la reconnoître
par-tout où elle pourra fe manifefter
, & fur la manière de définfecter
les étables ; par M. Félix Vicq
d'Azyr , Médecin envoyé par les ordres
du Roi dans les Provinces où règne
la contagion ; in- 4° . A Paris de l'Imprimerie
Royale,
Inftructions fur la manière de définfecter
les Villages ; par M. Vicq d'Azyr
in- 4°. A Paris , de l'Imprim. Royale .
C'est d'après ces Inftructions que l'on
procède à l'exécution de l'Arrêt du Confeil
d'Etat du 30 Janvier dernier , qui
prdonne de tuer les bêtes malades .
AVRIL. 1775. 147
ACADÉMIES.
I.
DIJON.
Séance publique de l'Académie des Sciences
, Arts & Belles- Lettres de Dijon ,
senue le 14 Août 1774.
M. MARET , Secrétaire perpétuel , a
ouvert la féance par un Eloge précis de
Louis XV.
L'Académie doit à cet augufte Monar
que la liberté de s'affembler ; il lui a
permis de confacrer aux Mufes l'Hôtel
qu'elle occupe , & d'accepter la donation
du Jardin des plantes qui lui a été faite
par M. Legouz.
Ces bienfaits , en excitant fa recon
noiffance , autorifoient à donner de la
publicité aux expreffions de fa fenfibilité.
M. Maret s'eft borné à montrer dans`
Louis XV le Protecteur éclairé des Letres
, des Sciences & des Arts ; il a rap
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
pelé que fi la protection accordée par
Louis XIII & par Louis XIV aux Gens
de Lettres , aux Savans & aux Artistes , a
hâté les progrès des connoillances & fait
prendre à la France une face bien différente
de celle qu'elle avoit avant les
règnes de ces Monarques ; il falloit
pour rendre la révolution complette , que
le flambeau des fciences , allumé dans la
Capitale du Royaume , pût porter fa
lumière jufqu'aux extrémités des Provinces
les plus reculées ; que les Lettres ,
en adouciffant les moeurs de tous les
François , fiffent fentir univerfellement
le prix d'une fociété paifible ; & que les
Sciences & les Arts , vivifiant toutes les
parties de la France , multipliant les occafions
de travail & les commodités de
la vie , attachaffent les Sujets à leur Roi
par les liens de l'amour & de la reconnoiffance.
Une énumération rapide des établiffemens
faits ou autorifés par Louis XV en
faveur des Lettres , des Sciences & des
Aris , & un tableau des avantages qu'ont
procurés ces établiffemens , fervent à M.
Maret pour prouver que Louis XV s'eſt
acquis des droits puiffans à la reconnoiffance
de fes Sujets , & qu'il a aſſuré à la
AVRIL. 1775 . 149
France un bonheur dont les vertus éclatantes
de fon Succeffeur garantiffent la
durée .
Après avoir payé ce tribut à la mémoire
de ce Monarque , M. Maret a lu
l'éloge de M. Legouz de Gerland , ancien
Grand- Bailli du Dijonois & Académicien
Honoraire , mort le 17 Mars dernier .
❤
Ua précis des Ouvrages donnés au
Public par M. Legouz ou qui fe font
trouvés dans les portes feuilles , fait .
d'abord voir qu'avec le defir de tout apprendre
, cet Académicien avoit les talens
néceffaires pour téuffir dans tous les genres
: mais que l'hiftoire naturelle , celle
du coeur de l'homme & celle de l'antiquité
avoient été les principaux objets de
fes études.
Le portrait de la belle âme de cet
Académicien montre enfuite à quels titres
il s'étoit concilié tous les cours ; &
l'expofition des bienfaits dont il a comblé
l'Académie , des projets qu'il avoit
formés pour l'avantage de fa Patrie , met
dans le plus beau jour le patriotifme dont
if étoit animé , & prouve qu'aux qualités
qui rendent les particuliers aimables , il
réuniffoit celles qui font les excellens
Citoyens .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Cette lecture a été fuivie de celle des
fances faites par M. Baillot , Suppléant
au Collège , fur la mort de M. Legouz .
Les regrets que cette mort a fait naître
dans les coeurs de tous les Citoyens , &
les motifs de fes regrets , y font rendus
avec une énergie & une harmonie qui
font également honneur à l'efprit & au
coeur du jeune Poëte. Comme l'Académie
a arrêté qu'elles feroient imprimées
à la fuite de l'éloge de l'Académicien .
qui en eft l'objet * , on n'en citera qu'une
qui caractérife M. Legouz d'une manière
bien heureuſe .
Ainfi , d'un feu facré , brûlant pour fa Patrie ,
Sans cefle autour de lui Legouz porte la vue ;
Des Arts il eft l'appui :
A leurs favans travaux le confacrant lui - même ,
Son coeur puile fa joie & fon bonheur fuprême
Dans le bonheur d'autrui.
M. de Morveau a lu la première fection
d'un Mémoire fur la manière d'ef-
* Ces deux Ouvrages ont été imprimés à Dijon
chez Caufle , & fe vendent à Paris chez le Jay,
Libraire , rue Saint Jacques ; on a placé le por
trait de M. Legouz à la tête de ſon Eloge.
AVRIL. 1775 . 158
fayer les mines de fer , & fur les avantages
que l'on peut retirer de ces effais pour
perfectionner l'hiftoire naturelle de ce
minéral , affurer la théorie de fa réduc
tion , & fur- tout pour diriger les opérations
journalières des travaux en grand ,
avec une obfervation fur la cryſtallifation
régulière du fer fondu .
Le defir de faire connoître une manière
facile & peu difpendieufe d'eflayer les mines
de fer , fecret que M. Bouchu avoit,
promis de communiquer à l'Académie , que
fa famille , contre le voeu de ce Savant ,
a cru devoir le réferver , & que M. de
Morveau a découvert , a engagé cet Académicien
à compofer cet Ouvrage.
Il s'eft principalement propofé d'y in
diquer la méthode qu'il a fuivie , de manière
que ceux qui font le moins verfés
dans la métallurgie puiffent eflayer trèspromptement
& à peu de frais toutes
fortes de mines de fer , comparer celles,
qui font à leur portée , en faire un choix
avantageux , diriger en conféquence leurs
travaux , & en retirer enfin tout le fruit
qu'ils peuvent s'en procurer , en les mettant
à même de juger d'avance , & avec
certitude , de la qualité de leurs mines ,
ce qu'ils n'apprennent ordinairement que
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
très - imparfaitement & par des tâtonne
mens difpendieux .
M. Mailli , Profeſſeur au Collége , a
lu des fragmens d'une introduction à l'efprit
des Croisades .
Jugement des Pièces envoyées au concours
pour le prix de 1774 .
L'Académie avoit propofé pour le prix
de 1771 de déterminer l'action des acides
fur les huiles , le mécanisme de leur combi
naifon & la nature des différens compofés
Javoneux qui en résultent.
Elle n'eut pas la fatisfaction de trouver
parmi les Mémoires qui lui furent envoyés
, un Ouvrage digne de la couronne
qu'elle avoit promife , & crut engager les
Auteurs à faire des efforts plus heureux ,
en différant jufqu'à cette année la diftribution
du même prix , & annonçant que
ce prix feroit double.
Les efpérances de l'Académie ont été
trompées , & loin d'avoir à s'applaudir
du parti qu'elle avoit pris , cette Compa
gnie n'a reçu qu'une feule pièce , encore
fort au- deffous de celle dont elle avoit
cru devoir faire l'éloge en 1771. Celleci
ne contient que des expériences trop
AVRIL. 1775. 153
peu nombreuſes & trop peu variées pour
donner des réſultats fatisfaifans ; on n'y
trouve ni expliquation du mécanisme de
la combinaifon des acides avec les huiles ,
ni tentatives faites pour produire des com .
pofés favoneux nouveaux , ni énumération
des fubftances végétales qui font
dans l'état favoneux , ni expofition des
uſages auxquels on peut les employer
dans les Arts ; en un mot , rien de ce
qu'attendoit l'Académie , & fur quoi elle
s'étoit expliquée de la manière la plus
précife & la plus claire.
L'imperfection de cet Ouvrage l'a
forcée à réferver encore le prix qu'elle
efpéroit adjuger , & peu s'en eft fallu
que le mauvais fuccès de ce fecond concours
ne l'ait engagée à renoncer à l'eſpérance
de recevoir quelque jour une répon
fe fatisfaifante à la question qu'elle avoit
faite aux Phyficiens Chimiſtes ; mais l'importance
du fujet l'a déterminée à le propofer
une troisième fois pour l'année
1777. Le prix fera triple & compofé de
trois médailles , chacune de 300 liv . Elle
fe réferve la faculté de partager ce prix ,
fi plufieurs des Mémoires qui lui feront
envoyés méritent cette diftinction ; &
elle annonce dès- à - préfent que fi ce troi-
Gv
114 MERCURE DE FRANCE .
fième concours ne remplit pas fes vues ,
elle abandonnera ce fujet , & employera ›
la valeur de ce prix à diriger l'émulation
des Phyficiens fur quelques autres objets ,
dans le choix defquels cette Compagnie
fe décidera , pour ce qui pourra le plus
contribuer à l'utilité publique , fuivant
le voeu de M. le Marquis du Terrail ,
fondateur du prix.
II.
LIMOGES.
La Société Royale d'Agriculture de
Limoges ayant promis , fuivant le programme
qu'elle fit répandre l'année der
nière , une médaille d'or de 300 liv. au
meilleur Mémoire fur la comparaifon de
L'emploi du baufou du cheval dans la cul
ture des terres;
A, dans fon affemblée du 18 Février
dernier , décerné le prix au Mémoire nº.
3 , ayant pour devile : Exercere , viri , tanros;
ferite hordea campis , dont l'Auteur
eft M. Silvain , natif de la Ville de St
Yrier , Diocèfe & Election de Limoges.
Elle a accordé un acceffit à deux autres
Mémoires , l'un n °. § , ayant pour
f
AVRIL. 1775.
155
devife Argumentum experientia probadont
l'Auteur eft M. de Braumanfon
, ancien Officier , à St Remi en Provence.
L'autre , n . 9 , ayant pour devife :
Depreffo incipiat jam tum mihi taurus
aratro , dont l'Auteur eft M. de Villedieu
de Torcy , Seigneur de Torcy , demeurant
à Dijon .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL .
Le Samedi 25 Mars on a donné au
Château des Tuileries un très - beau Concert
, compofé d'une fymphonie à grand
orchestre de Toefchy. Madame Larrivé
à chanté avec goût un motet à voix
feule . MM. Stamitz & Guénin , excellens
violons , ont exécuté , avec applaudiffement
, une fymphonie concertante
de M. Cambiny. Enfuite on a fait entendre
le Dixit Dominus , fuperbe motet à grand
choeur de Duranti . MM. Kllyn , Reyffer,
Paifa , Tiersmith Richard & Petit ,
ont exécuté avec beaucoup de précision
"
Gvj
156 MERCURE
DE FRANCE
.
& d'intelligence , avec des inftrumens à
vent , plufieurs morceaux d'harmonie . On
a été charmé d'un air italien chanté avec
expreffion par Mlle Duchâteau . M. de
la Mothe , premier violon de l'Empereur
, virtuole très-jeune & très- diftingué ,
a parfaitement exécuté un concerto de
viòlon de fa compofition . Ce Concert a
fini par Samfon , Oratoire à grand choeur ,
qui fait honneur à M. de Mereaux .
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Mufique continue
avec fuccès les repréfentaions d'Iphigénie
en Aulide. Mile Rofalie joue &
chante avec autant d'énergie que de fenfibilité
le rôle d'Iphigénie , & y eft fort
applaudie. On doit beaucoup d'éloges
au zèle de cette jeune Actrice , qui a
un très bel organe , beaucoup d'intelligence
, d'âme & de fentiment , & qui.
fe rend d'autant plus utile à ce Théâtre , '
qu'elle aime fon talent & qu'elle tend à
le perfectionner , en fuivant les avis des
Maîtres de l'art .
La Reine , Madame , & les Princes
AVRIL 1775. 157
frères du Roi , ont honoré ce fpectacle
de leur préfence . Il feroit difficile de
peindre l'hommage éclatant & les acclamations
de l'affemblée à leur préfence.
L'Archiduc Maximilien pendant fon
féjour à Paris , & Monfeigneur le Comte.
d'Artois , le jour de fon entrée dans cette
Capitale , ont aflifté à ce fpectacle , où
ils ont été reçus avec les plus vives démonftrations
de joie .
Tous les Jeudis font remplis par les
Fragmens , compofés de l'Acte Turc ,
d'Hilas & Eglé , ballet héroïque , & de
l'Acte de la Provençale.
1
. Le Mercredi 22 Mars on a donné une
répréfentation d'Orphée & Euridice au
profit des Acteurs . Le Public s'eft posté
en foule à cette repréfentation & aux fui
vantes , & a prodigué les plus grands applaudiffemens
à la mufique & à fa par
faite exécution .
DEBUT.
Mlle Affelin , nièce , très - jeune Danfeufe
, de la plus graude eſpérance , a
débuté & a été très - applaudie dans le
genre noble & dans celui des Pâtres avec
M. Veftris fils. Elle eft élève de Mile
Allard , & femble être fon émule. On ne
158 MERCURE DE FRANCE.
peut réunir plus de talent avec plus de jeuneſſe
que ces deux charmans Danfeats , qui
paroiffent avoir atteint la perfection de .
leur art dans l'âge où l'on commençoit à
peine autrefois à en apprendre les élémens
.
On difpofe les répétitions de Céphale
& Procris , Tragédie lyrique en trois actes
, dont les paroles font de M. Marmontel
, & la mufique de M. Grétri
Opéra qui doit être joué à l'ouverture du
Théâtre après Pâques.
;
Sur la réception de LA REINE à l'Opéra
d'Iphigénie.
J'Ar vu d'une augufte Princefle
L'embarras , le trouble enchanteur ;
J'ai reflenti l'aimable ivrefle ',
L'enthoufiafme de fon coeur.
J'ai vu de précieuſes larmes
Couler de fes yeux attendris ;
Eh ! comment réfiſter aux charmes
Des voeux touchans de tout Paris ?
Partageant fon heureux délire :
AVRIL . 1775. 359
Amon tour effuyant mes pleuts ,
Tout bas je me ſuis mis à dire :
Voilà , voilà de vrais honneurs ;
La pompe des Rois nous étonne ;
Et fur -tout lorsque la beauté
Réunit l'éclat qu'elle donne
A l'éclat de la Majeſté.
Mais ces tranfports de l'alegrefle ,
L'accord charmant de mille mains ,
Ces voix qu'élève la tendreffe ,
Sont- ce là des fuffrages vains ?
O Rois ! voilà votre richeſſe ,
C'est le fafte des Souverains .
Refpectables Epoux , que le François adore,
Goûtez , goûtez long- temps un fi parfait bon-
Oui ,
heur.
quel que
foit pour vous l'excès de la gran
deur ,
Unhommage au fi pureftbien plus doux encore *.
*Cette pièce eft de M. Thierry fils , Colonel
de Dragons , premier Valet- de- Chambre du Roi.
La Reine l'a reçue avec beaucoup de bonté , & a
voulu qu'elle fût envoyée à la Cour de Vienne.
160 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LE Barbier de Séville , dont nous n'avons
pu donner qu'une efquiffe légère en atten .
dant l'impreflion , attire toujours , par fa
gaîté , beaucoup de monde à la Comédie
Françoife. Les ris des fpectateurs font les
meilleurs applaudiffeniens qui puiffent
être donnés à cette Comédie , dont le
principal but eft rempli , puifqu'elle amufe.
Il faut auffi y diftinguer des fituations
d'un excellent comique , telle que la
fcène de la Pupille furprife par fon Tuteur
jaloux , & trouvant le moyen de lui
donner le change & de laiffer prendre ,
pendant un feint évanouillement , une
autre lettre que celle qu'il vouloit voir.
On a joué le Mercredi 15 Mats Tancrede
, Tragédie de M. de Voltaire ; ce
beau fpectacle , parfaitement rendu par
MM. Lekain , Brifard , & par Madame,
Veftris , a été honoré de la préfence de
Monfeigneur le Comte d'Artois , qui a
reçu avec fenfibilité les témoignages redoublés
du refpect & de la joie de l'affemblée
la plus brillante & la plus nombreuſe.
AVRIL. 1775. 161
DEBUT S.
M. Beaugrand fils , après avoir joué
dans différentes Villes de Province , a
débuté le Jeudi 16 Mars fur le Théâtre.
de la Capitale , dans le rôle du Chevalier
de la Comédie du Diftrait , & dans celui
de Lindor d'Heureufement . Ce jeune Acteur
, avec l'habitude du Théâtre & de
Tintelligence , n'a point cru devoir continuer
fon début.
Mile Pitror , très jeune Actrice , de la
figure la plus agréable & la plus intéreffante
, a débuté le 19 Mats dans le rôle
de Junie de la Tragédie de Britannicus ,
& a joué le lendemain la Pupille dans la
Pièce de ce nom . Une très - grande timidité
ne lui a guères permis de développer
fon organe , & de fe livrer à fa fenfibilité
; mais il faut encourager un talent
fi utile & d'ailleurs fi bien accompagné
par les grâces,
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné le Lundi 20 Mars , la
162 MERCURE DE FRANCE.
prémière repréſentation des Femmes ven
gées , Opéra Comique en un acte , en
vers , par M. Sedaine , la mufique de M.
Philidor.
ACTEUR S.
M. Riff, Peintre.
M. Clairval.
Mde Riff.
Mde Moulinghen.
Le Prefident.
M. Laruette.
La Préfidente.
M. Lek.
Mde Lek.
Mlle Colombe .
M. Nainville.
Mde Gault.
Ce Drame offre une fingularité théâtrale
, c'eft la repréfentation de trois
fcènes à la fois dans trois lieux différens ,"
en obfervant l'unité d'action . Mde Riff
fe difpofe à venger deux femmes fesamies
de la perfidie de leurs maris , qui
lui font l'amour. Elle avertit Mde Lek
& la Préfidente , qui croyent leurs maris
abfens . Elle leur confie le projet qu'elle
a concerté avec fon mari , auquel ces
femmes foufcrivent de bon coeur pour
punir leurs infidèles . Ce projet eft de recevoir
les deux Amans , de paroître céder
à leur amour ; alors M. Riff for
viendra ; les deux époux , effrayés de ce
contre- temps , fe cacheront dans un cabi
AVRIL. 1775.. 163
net ; arriveront enfuite les femmes trom
pées , & chacune d'elles paroîtra tour- àtour
demeurer feule en tête - à- tête avec
M. Riff, & feindra une infidélité , dont
chacun des maris fera auffi tour- à-tour le
témoin , fans ofer fe plaindre . Ce projec
s'exécute comme il a été convenu . Mde
Riff reçoit les deux Galans qui viennent
l'un avec un pâté & des bifcuits , l'autre
avec des bouteilles de vin de Champagne.
Ils croyent le Peintre abfent pour
long- temps , & ils aident à mettre le cou
vert : mais à peine fe difpofent- ils à fouper
avec leur voifine qu'ils entendent
fonner ; c'eft M. Riff que fa femme leur
annonce . La frayeur les gagne ; ils fe cachent
dans un cabinet où le Spectateur
voit leur embarras . M. Riff fe félicite en
riant d'être de retour plutôt qu'il ne le
comptoit . Il demande pour qui ce fouper
apprêté ; Mde Riff répond , comme en
hésitant , qu'elle attend Mde Lek & Mde
la Préfidente. Le mari dit à fa femme
de les aller chercher ; & feul alors , it
s'applaudit du plaifir qu'illaura de fouper
avec ce qu'il adore . Ce mot commence
à intriguer les Epoux cachés dans le cabinet.
M. Riff , dans la joie qui le tranf
porte , veut tirer fon piftolet contre le
164 MERCURE DE FRANCE.
cabinet , & le percer de deux balles . Les
deux amis effrayés font le plongeon ; le
Peintre chante , en riant , fes amours . Les
femmes arrivent & mangent avec le
Peintre & fa femme le repas apprêté par
leurs maris ; mais le vin manque. Mde
Riff engage Mde la Présidente à la fuivre
à la cave. Elles fe rendent dans le cabinet
oppofé , où elles font vues du Spectateur.
Le Peintre joue la fcène d'Amoureux
avec Mde Lek , & paroît s'abſenter
avec elle , en fe retirant dans le cabinet.
Le mari , qui entend tout , enrage &
vent faire du bruit ; mais le Président le
retient , & l'exherte à la patience . La mê
me fcène ne tarde pas à fe répéter avec
la Préfidente , qui , elle- même , femble
prévenir le Peintte & lui faire , avec un
Ton comiquement tragique , la déclaration
de fon amour. Les prétendus Amans
fortis & retirés aufli dans le cabinet où
ils font vifibles au Spectateur ; le Préfident
s'emporte & eft raillé par M. Lek
qui prend fa revanche . Mde Riff revient .
Les deux maris lui content tout ce qui
s'eft paffé , croyant qu'elle l'ignore ; ils
lui demandent vengeance & font à fes
genoux . Leurs femmes & le Peintre les
furprennent en riant. Les maris ne tarAVRIL.
$ 775 .
165
:
dent pas à reconnoître qu'ils ont été du
pes de Mde Riff , & perfiflés par leurs
femmes ils demandent pardon de leur
écart , & ils s'en vont corrigés & contens.
Cet Opéra Comique a paru fort gai , &
chaque fcène offre une fituation plaifante
& bien intriguée . C'eft un bon
Opéra-Comique, qui eût beaucoup réoffi
& qui eût été fort fuivi avant que le
Public eût donné un goût de préférence
aux intermèdes d'un genre noble & intéreffant.
La mufique de M. Philidor , ajou
te à la réputation de ce favant Compofiteur.
Il y a des chants fort agréables . On
peut citer , pour les paroles & pour la
mufique , les airs fuivans.
M. RIs S.
Quand Pâris fur le mont Ida
Jugea trois Beautés immortelles ;
Que de voluptés il goûta ,
A l'afpect enchanteur des charmes des trois Eelles!
Je fuis plus fortuné que n'étoit ce Berger :
Car il ne fit que les juger,
Et je fuis aimé d'elles .
ROMANCE.
Tous les pas d'un diſcret Amant
166 MERCURE DE FRANCE.
Ne doivent laiffer nulles traces ;
Le fecret eft au fentiment
Ce que la pudeur eft aux Grâces ;
Vénus fuit l'immortel féjour
Pour un Berger qui fait fe taire :
Car on n'eftime l'amour
Qu'accompagné du myſtère.
Cet Opéra- Comique eft généralement
bien joué. M. Clairval y fait briller de
nouveau le talent qu'il a d'embellir fon
rôle , & de le rendre avec la plus grande
vérité. Mlle Colombe chante & joue à
merveille ; elle eft beaucoup applaudie
dans fa brillante ariette de la Coquette
volage. Le jeu comique de M. Laruette &
de M. Nainville , & la vivacité charmante
de Mde Moulinghen , font auffi
le plus grand plaifir.
Le Jeudi 23 Mars Monfeigneur le
Comte d'Artois eft venu à la Comédie
Italienne , où il a été reçu avec acclamation
par le Public , honoré & charmé
de fa préfence. On a repréfenté l'Amoureux
de quinze ans & le Turban enchanté.
AVRIL. 1775. 167
ARTS.
GRAVURES.
I.
Portrait en grand médaillon de Marie-
Antoinette , Archiducheffe d'Autriche ,
Reine de France.
Que te tam læta tulerunt
Sacula l qui tanti talem genuêre parentes !
CB Portrait eft gravé d'après le tableau
de Fredou , par Cathelin , Graveur du
Roi . Il eft d'un burin délicat & précieux ;
il a le mérite de préfenter à notre hommage
la parfaite reffemblance de la Beauté
& des Grâces qui régnent fur tous les
coeurs François,
Ce Portrait fe trouve à Verſailles chez
Blaizot , au Cabinet Littéraire , rue Sarory;
& à Paris chez Calenge , rue de la
Harpe , près celle du Foin , maifon de
M, Fortin , Ingénieur pour les Globes .
168 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Portrait de Georges - Louis le Clerc , Comte
de Buffon , d'après le tableau de M.
Drouais , gravé par M. Savárt , rue &
près le petit St Antoine , au coin de
la rue Percée.
Ce Portrait eft accompagné des attribut
des travaux & de la gloire de ce
grand homme ; il eft très- reffemblant &
gravé avec foin. Il fait fuite de la collection
précieufe des Ecrivains célèbres , qui
ont été gravés par MM. Fiquet & Savart.
IIL
Portrait de M. d'Alembert , deffiné par
Pajos , & très bien gravé par Maleuvre .
Ce Portrait , qui ne fe vend point , &
que M. de Beaufleury a fait graver à
Tinfçu de M. d'Alembert , eſt dédié à
M. de Voltaire. On lit au bas ces quatre
vers de M. Marmontel.
Ce Sage à l'amitié rend un culte affidu ,
Se dérobe à la gloire & fe cache à l'envie :
Modefte comme le génie
Et fage comme la vertu.
M.
AVRIL. 1775. 169
M. Coffon , Profeffeur au Gollége
Mazarin , en a fait cette traduction latine
:
Cultor amicitia , fimul & contemptor honorum ,
Quæritat hic tenebras , invidiamque fugit s
Quem comes ingenii fecura modeftia velat
Virtutifqueforor candidafimplicitas .
I V.
La Converfation des Fermières ; jolie
eftampe colorée , imitant le deffin , gravée
par Briceau . Prix 6 1. chez l'Auteur ,
rue St Honoré , près l'Oratoire.
V.
Le fieur Halbou , Graveur en tailledouce
, vient de mettre au jour trois
planches , dont l'une a pour titre le Temps
perdu , d'après un deflin de M. Will
Peintre du Roi. Le fujer eft un homme ,
qui , engagé par les careffes d'une femme ,
s'amufe à enfiler des perles . L'autre a
pour titre l'aventure fréquente , d'après un
deffin de Scheneau , Peintre de S. A. S.
l'Electeur de Saxe. Le fujet eſt une jeune
Cardeufe de matelas furprife par un Ecolier
, qui lai caffe for fabot. Ces deux
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
gravures font pendans ; elles ont feize
pouces de haut fur onze & demi de large.
La troisième de ces planches eft . le
Portrait de M. de Troye fils , Peintre du
Roi , Directeur de l'Académie de Rome
& Chevalier de l'Ordre de St Michel ,
mort à Rome en 1752 , âgé de 76 ans ,
gravé au burin d'après le tableau de M.
Aved , pour fa réception à l'Académie .
Ce Portrait a 9 pouces & demi de haut ,
fur 7 de large. Ces gravures font faites
avec beaucoup de foin & de talent .
On trouve chez le même Graveur les
Intrigues amoureufes & la Crédulitéfans
réflexion , qui font pendans . L'adreffe du
fieur Halbou eft rue du Fouarre , maiſon
de M. Maillard , Procureur au Parlement.
V I.
Epoques de Thémis , avec des cartels
différens , le tout orné de vers François ;
préfenté à Sa Majesté Louis XVI.
Thémis militante.
On lit ces vers , qui en font l'explication
:
Les vices déchaînés à Thémis font la guerre.
AVRIL. 1775.
171
Hélas ! cédera- t - elle à leurs complots cruels ?
S'ils peuvent lui ravir fon glaive & les autels ,
Nous verrons le bonheur s'exiler de la terre .
Cartel.
Minerve préfente à Diogène S. A. R.
Monfieur, Autour du Portrait de S. A.
R. on lit: Patria columen ; à droite & à
gauche du cartel on lit ces vers :
Diogène autrefois , fa lanterne àla main ,
Chercha , fans le trouver, un homme dans Athènes
;
Minerve offrant ce Prince à ſon oeil incertain ,
S'il revenoit un jour termineroit les peines .
Thémis
fouffrance.
Au bas du deffin on lit ces vers :
Au fein de ces rochers , l'effroi de la nature ,
Thémis eft condamnée à l'exil , à l'ennui ;
La Veuve & l'Orphelin , privés de fon appui ,
De l'Opprefleur puiffant deviendront la pâture.
Cartel.
Henri Quatre , fans doute , eft bien cher à nos
voeux ;
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE:
Mais pourquoi dans ce jour lui rendre la lumiere?
Notre jeune Louis , qu'un même efprit éclaire ,
Lefurpaffe dans l'art de faire des heureux.
Thémis triomphante.
Au bas du deffin on lit ces vers :
D'où viennent ces tranfports , & quel chant d'allégrefle
Un Peuple tout entier élève jufqu'aux cieux !
Le retour de Thémis excite fon ivreffe ;
Elle abat les méchans & rend le Peuple heureux;
Cartel.
Eprouve enfin , Thémis , des tranfports d'alégrefle.
Hercule vient t'offrir ton zélé Protecteur ;
Ce Prince t'appuyant de la rare fagefle ,
Par ton heureux retour a fait notre bonheur.
Les exemplaires des gravures ci deffus
énoncées fe trouvent chez le fieur Bigant ,
Graveur , quai des Auguftins , dans une
boutique attenant l'Eglife. Prix 6 1.
VII.
Eftampe repréfentant
une petite fille
AVRIL. 1775. 173
nonchalamment pofée , ayant un livre
en main & pour titre : Honifoit qui mal
y penfe. Elle est dédiée à 5. A. S. Mgr le
Duc de Chartres. L'Artifte ayant repris
le burin pour perfectionner fa gravure ,
ne reconnoît pour bonnes épreuves que
celles avec la dédicace . Cette eftampe eſt
d'un travail fini . Prix 3 l.; à Paris , chez
l'Auteur , rue d'Ecoffe , vis-à- vis la petite
porte de St Hilaire.
Lettre à M. LACOMBE.
Monfieur , vous êtes François , & c'eſt à ce
titre que je vous prie d'annoncer le projet fuivant
dans votre Ouvrage. Je me propofe de dépofer
dans un recueil les portraits des Hommes chers à
la Nation , par des établiſſemens utiles , par des
découvertes heureules , & enfin par tout ce qui
peut intéreffer la France & ajouter à fa gloire.
Les portraits feront gravés en bufte de format
in 4° . On gravera au bas de chaque planche les -
actions qui auront rendu recommandable le Citoyen
qui en fera l'objet. L'Ouvrage fera intitulé :
Les Faftes du Patriotisme.
Ce qui eft utile eft toujours au- deſſus de ce qui eft
grand.
Thomas , Eloge de Sulli.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
On nous a retracé les Hommes illuftres , on a
prefque oublié les Hommes utiles ; c'eft à eux que
je confacre mes veilles , & à la Nation que je dédie
mon Ouvrage . La grandeur n'eft pas exclufi-"
vement attachée à la naiflance , & chaque Ci
toyen , dans quelque claffe que le fort l'ait placé ,
a droit d'y prétendre , quand la fublimité de fes
vertus , l'élévation de fon génie & la fupériorité
de fes talens tournent au profit de la fociété ;
ainfi , depuis le Miniftre jufqu'à l'Artifan , en
parcourant tous les Ordres de l'Etat , tout homme
a droit à nos hommages , quand il augmente le
bonheur de fes Concitoyens : c'eft une vérité qui
n'a pas befoin de preuve.
Nous devons à l'agriculture , au commerce &
à l'induftrie cette douce aifance qui fait le charme
de la vie . Les progrès des connoiflances font moins
l'ouvrage du temps que de quelques génies heureux
, qui ont fu vaincre les difficultés & braver.
les obftacles : nous jouiflons du bienfait fans nous
fouvenir du bienfaiteur , & ces hommes rares , ces
inftrumens de notre bonheur refteront , pour la
plupart , enfevelis dans l'oubli ? Non... avec le
Héros qui défend nos foyers , & le Magiftrat qui
fait régner la juftice & la concorde parmi les Citoyens
, le Négociant & le Financier , qui entretiennent
l'abondance & la circulation , le Cultivateur,
le Fabricant , &c. chacun trouvera une
place dans ces Faftes , quand la voix publique la
lui aura décernée ; & grâce à la philofophie , qui
a porté dans toutes les âmes le flambeau de la
raifon , l'on ne le croira pas confondu pour être
placé à côté de l'autre : tout homme utile eft l'ami
de la Patrie.
Quels prodiges n'enfantera point la noble émuAVRIL.
1775 . 1.75
lation , que ces exemples vivans exciteront parmi
les Citoyens & dans le fein des fan, illes ! quel En
fant pourra voir les Aïeux placés au Temple de
Mémoire , fans faire des efforts plus qu'humains
pour y arriver ?
On s'eft efforcé d'étendre la mémoire des fameux
Guerriers , & le Peuple François n'a befoin.
que d'occaſions pour être un Peuple de Héros .
Que ne doit- on pas attendre de l'enthousialme
François quand la renommée appuyera fon empreinte
immortelle fur les actions utiles conime
elle l'eft fur les actions glorieules ; & quand chaque
Citoyen , diftingué par fon mérite , pourra
jouir haurement de l'eftime de foi même par le
témoignage public , des actions qui lui auront
mérité celle de fes Compatriotes , fans craindre
d'être humilié par aucune comparaiſon ?
Je ferai trop heureux fi mes foibles talens peuvent
donner aux actions utiles toute la publicité
qu'elles méritent ; quoi qu'il en foit , la fagetle
du Gouvernement me promet d'avance la protection
, & le nombre des bons François m'aflure
des encouragemens publics.
J'invite les perfonnes qui voudront concourir à
m'aider dans cette entreprife patriotique , à le
faire infcrire chez l'Auteur , rue Croix des petits
Champs , au Magafin de chapeaux des Troupes
du Roi , à Paris ; chez Didot le jeune , Lib, quai
des Auguftins ; Delfaint junior , Lib . au pavillon
des quatre Nations ; Lacombe , Lib. rue Chrif
tine.
Je propoferai les conditions de la foufcription ,
dès que le nombre des perfonnes qui fe feront fait
inferire, fuffira pour les frais d'exécution ; & , chaque
année , je publierai la liſte de tous les Souf-
Hiv
176
MERCURE DE FRANCE.
cripteurs qui contribueront à l'établiſſement de
cet Ouvrage National.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
Votre très-humble & obéiſtant
ferviteur , F. REGNAULT.
Paris , ce 13 Février 1775 .
SCULPTURES.
I.
DANS le courant du mois de Mars
1775 , il a été pofé dans une niche de la
Chapelle de Saint Grégoire de l'Eglife
Royale des Invalides , une figure en
marbre de fept pieds cinq pouces de
proportion , repréfentant Sainte Sylvie ,
femme de Gordien , Sénateur Romain
mère de Saint Grégoire , Pape . Elle
eft repréfentée dans le moment qu'elle
remercie Dieu de lui avoir donné un fils
qui a été un des plus grands Pontifes..
Cette figure a été exécutée par M. Caffiéri
, Sculpteur du Roi .
Elle eft habillée d'une longue tunique
& d'un ample manteau , parure ordinaire
des Dames Romaines.
Ce magnifique morceau de fculpture
AVRIL. 1775. 177
fait infiniment d'honneur à M. Caffiéri.
On y trouve , outre la perfection du deffin
, le grand caractère de nobleffe & de
vertu joint au charme de la beauté . Cette
figure fera diftinguée parmi les chefsd'oeuvre
qui ornent la riche Chapelle
des Invalides .
1 I.
Il a été expofé pendant près de quinze
jours dans les Appartemens de Verfulles
, un très - riche cadre doté , deſtiné à
recevoir le portrait de la Reine en pied ,
de grandeur naturelle .
Des Génies fupportent , dans le couronnement
, le médaillon du chiffre de
cette Princese , ceint d'une bordure de
rofe , furmonté d'une couronne royale ,
avec différens acceffoires.
Le fupport préfente une portion circus
laire , dans laquelle un Amour unit les
écuffons de Leurs Majeftés , & fe termine
en cul - de - lampe avec des feftons de
Aeurs.
On a remarqué dans le profil une
moulure taillée d'une multitude de coeurs
unis par des flocons de chaînes , embralfés
de fleurons qui en forment la circonférence
; les autres font ornées de feuil-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
les d'olive , d'entre lacs de lierre & autres
fymboles. De doubles feftons de
fruits font chûte fur les montans qui font
Alanqués , fous les croffettes de branches'
de lis , paffées dans des couronnes de
feuilles d'olive.
Quand le couronnement & le fupport
n'annonceroient pas quel doit être l'intérefant
objet du tableau ; qui , en voyant
réunis les fymboles de la beauté , de
l'âme , de la pureté du coeur , des charmes
du caractère , de la fraîcheur & des grâces
de la jeuneffe , pourroit méconnoître
l'intention de ces heureufes allégories ?
Ces coeurs , adroitement fubftitués aux
oves ordinaires , ces flocons de chaînes ,
ces feftons de fleurs , qui s'offrent de toutes
parts , ne font ils pas éprouver au
Spectateur que c'est l'attachement univerfel
de la France & le bonheur du rè
gne préfent que cette expreflive fculpture
a voulu rendre .
La compofition de ce charmant morceau
, la délicateffe & le fini de fon exécution
, juftifient bien la réputation du
fieur Boulanger * placé depuis longtemps
au rang des plus célèbres Artiftes
Sculpteur des Bâtimens du Roi.
2
AVRIL. 1775. 179 .
de fon genre n'eût- il à citer que les
chefs -d'oeuvre de fculpture tant admités
à l'Ecole Militaire , fur tout dans la Salle
du Confeil.
La dorure n'eft pas moins un chefd'oeuvre
; il eft à peine concevable comment
cet art peut le difputer ainſi à l'or
moulu , au point de faire douter fi ce
n'eſt pas le métal même fortant des mains,
du plus habile Orfévre . Elle a été exécutée
par les fieurs Watin & Ramier ,
Affociés pour les entreprifes de dorure &
de peinture .
Leurs Majeftés & la Famille Royale
ont para extrêmement fatisfaites. Le feur ,
Watin , à cette occafion , a eu l'honneur .
de préfenter à la Reine l'Art du Peintre ,
Doreur, Verniffeur , Ouvrage de fa compofition
, qu'Elle a daigné accueillir avec
bonté *.
C * Nous avons fait connoître
cet Ouvrage
dans
le fecond
volume
du mois d'Octobre
1773 ; nous
annoncions
alors
qu'au
mérite
de décrire
fupérieurement
les procédés
de fon art , le fieur Watin
joignoit
celui de les exécuter
de même .
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
I.
CARTE curieufe des nouvelles limites
de la Pologne , de l'Empire Ottoman &
des Etats voisins , fixées 1 ° . par les Puiffances
co - partageantes , 2º. par la paix
entre les Ruffes & les Turcs , 3º . par in
Traité entre la Maifon d'Autriche & le-
Grand-Seigneur ; avec les Places fortes ,'
les grandes routes & diftances entre les
Capitales de ces divers Etats , & des notes
politiques . Par M. Brion , Ingénieur-
Géographe du Roi , à Paris , rue St Jacques,
à la Ville de Coutances , près la
Fontaine St Séverin , au deuxième , feuil .
le d'Atlas , prix 1 liv . 4 f. Cette Carte ,
qui s'étend depuis la Mer Baltique juſqu'à
la Mer Noire & la Mer Cafpienne
devient un fupplément d'autant plus néceflaire
aujourd'hui aux Atlas & livres de
Géographie , qu'étant fondée fur d'exacres
opérations faites fur les lieux mêmes ,
elle differe eflentiellement de route autre
pour les longitudes & les latitudes.
'étendue des pays ou leurs divifions.
AVRIL. 1775. 181
I 1.
Cartes géographiques d'une partie de
l'Allemagne , gravées fous la direction de
l'Académie Royale des Sciences de Berlin
; favoir :
La Pruffe , en 6 feuilles.
La Ruflie , en 3 feuilles.
La Pomeranie cîtérieure , en 4 feuil.
La Heffe , en 4 feuilles.
Le Mecklenbourg , en 4 f.
Les Duchés de Brême & de Verden, 2 f.
La Baviere , en 4 f.
Le plan de Berlin fur papier.
Le même fur toile fine .
La grande Carte d'Allemagne fur pap.
La même fur toile fine.
L'Atlas de Marino , en 13 feuilles.
Le Port de Berlin , une feuilles
Ces Cartes fe trouvent à Paris , chez
Mde Duclos , rue des Singes , Maiſon à
côté du Maréchal .
I I I.
Nouvelle Carte réduite de la Manche
de Bretagne , en 3 feuilles de papier gr.
aigle , contenant toutes les côtes de Fran
ce depuis Dunkerque jufqu'à Oueffant ,
& les côtes d'Angleterre depuis Colcheſ
182 MERCURE DE FRANCE.
ter , qui eft au nord de la Tamiſe , juſqu'au
Cap Clare , en Irlande ; les braffeigges
& qualités des fonds , tant en
dedans qu'en dehors de la Manche , &c.
-Cette Carte , qui eft dédiée au Commerce
, fe trouve chez le fieur de Gaulle ,
l'Auteur , rue St Jacques , au Havre ; &
chez le fieur Mérigot l'aîné , Libr. quai
des Auguftins , à Paris , qui a le dépôt
des Cartes hidrographiques ; prix 7 liv.
10 f. les feuilles. Les Marchands de
Provinces qui vendent des Cartes , en
en prenant un certain nombre , auront
une diminution honnête. L'on trouve
chez le fieur de Gaulle tout ce qui concerne
la navigation ; il fait des envois
d'inftrumens , & n'en vend aucuns qu'il
n'en garantiffe la préciſion par un billet
figné de fa main.
IX
MUSIQUE.
I.
Six duo pour deux violons , dédiés à M›
Guelle , Contrôleur Général des Suiffes
& Grifons . Par M. A. Guenin. OEuv . III
Prix 7 1. 4f. chez l'Auteur , rue des Mou.
AVRIL. 1775. 183
lins , butte St Roch , Maifon de M. Pérart
, Architecte du Roi ; & aux adreffes
ordinaires de mufique . En Province chez
les Marchands de mufique.
I I.
Perrin & Lucette , Comédie en deux
actes & en profe , mêlée d'ariettes , par
M. Cifolelli ; les paroles font de M. Davefne
; prix 15 liv . A Paris , au Bureau
mufical , rue du Hafard . Richelieu ; &
aux adreffes ordinaires de mufique . A
Lyon , chez M. Caftau , Marchand Lib..
place de la Comédie .
II I.
Les vrais Amans , ariette en rondeau
avec accompagnement de deux violons
& baffe ; par M. Defcombes , Auteur de
la mufique & des paroles ; prix 1 1. 16 f.
à Paris chez l'Auteur , cloître St Nicolas
du Louvre , maifon de M. Lacour ; Bignon
, Graveur , place du Louvre , à
l'Accord Parfait ; & aux adrefles ordinaires
de mufique.
I V.
Trentième Recueil périodique d'ariettes
184 MERCURE DE FRANCE.
d'Opéra Comiques & autres , arrangées ,
pour le piano forte & le clavecin ; par
M. Pouteau , Organiſte de St Jacques de
la Boucherie , & Marchand de clavecin .
Prix 1 l . 16 f. à Paris chez le fieur Bouin
Marchand de mufique & de cordes d'inftrumens
, tue Saint Honoré , près Saint
Roch , au Gagne- Petit.
On trouvera à la même adreffe plufeurs
Recueils de contre danfes en potpourci
qui fe danſent chez la Reine , avec
l'explication des figures .
V.
Sei duetti per due violini , compofiti
dalla Sig. Madalena Laura Syrmen . Op .
V. Prix 7 l . 4 f. à Paris chez M. Venier ,
Editeur de plufieurs Ouvrages de mufique
, rue St Thomas du Louvre , vis à vis
le Château d'eau ; & aux adreffes ordi .
naires . En Province , chez tous les Marchands
de mufique .
V I.
On trouve à la même adreffe : Sei fefetti
per tre violini , viola , è due violoncelli
obligatti , compofiti dall . Sig . Gaesano
Brunetti , Virtuofo della Capella
AVRIL. 1775. 185
Reale di S. M. C. & primo Violino e
Compofitor di Camera ; di S. A. R. il
Prencipe d'Asturias . Opera I. Prix 12 l .
N. B. La partie du fecond violoncelle
pourra exécuter fur l'alto ou un ballon fe
VII. 1
Six trio à trois violons , compofés par
G. de Maki . Prix 7 l . 4 f. à Paris chez
le fieur Sieber , rue St Honoré , à l'Hôtel
d'Aligre , ancien Grand - Confeil ; à Lyon ,
chez Cafteau ; à Bordeaux , chez Saunier ;
à Bruxelles , chez Godefroy .
VIII.
Ouverture d'Iphigénie en Aulide , arrangée
pour le clavecin ou le forte - piano
, avec accompagnement d'un violon
& violoncelle ad libitum ; par M. Benaut
, Maître de clavecin . Prix 2 1. 8 f.
Paris , chez l'Auteur , rue Gît- le coeur , la
deuxième porte à gauche en entrant par
le Pont Neuf; & aux adrefles ordinaires
de mufique.
I X.
On trouve aux mêmes adreffes l'Ou186
MERCURE DE FRANCE.
verture de la Rofière de Salency , arrangée
pour le clavecin ou le forte- piano , avec
accompagnement d'un violon & violon-.
celle , ad libitum ; par M. Benaut. Prix 2
1.8 f.
X.
Et le Premier Recueil de duo d'Opéra
& Opéra Comiques , &c. arrangés pour
le clavecin ou le forte- piano ; dédié à
Mademoiſelle Rofalie de Rohan Chabot
, née Comtelle de Chabot , par Benaut
. Prix 1.16 f.
LETTRE du Roi de Suède à M. de Roffet,
Auteur du Poëme de l'Agriculture.
Monf. de Roffet. J'ai reçu avec plaifir , & j'ai
Lu avec plus de plaifir encore l'Ouvrage que vous
m'avez envoyé . Votre poëlie fera certainement
louée par les Poëtes. Je me borne à vous remercier
, au nom de l'humanité , de ce que vous avez
confacré vos talens à embellir les régles d'un art
qui fait la baſe la plus folide de la puiflance des
Empires & du bonheur des Peuples. Cet art ne
peut pas être trop enfeigné par les Savans , ni
trop encouragé par les Princes. Vous devez donc
être perfuadé de toute mon eftime & de toute ma
bienveillance . Et fur ce , je prie Dieu qu'il vous
AVRIL. 1775. 187
áit , Monf. de Roffet , en fa fainte & digne garde,
Fait à Stokholm le 29 Novembre 1774.
GUSTAVE.
LETTRE de M. de Voltaire à M. de la
Croix , Avocat.
A Ferney , par Lyon , le 21 Janvier1775.
Il femble , Monfieur , qu'en adouciflant, les
maux de ma vicilleffe, & en confolant ma folitude
par la lecture de vos agréables Ouvrages , vous
ayez voulu me priver du plaifir de vous en remercier.
Vous ne m'avez point donné votre adreffe ?
il y a plufieurs perſonnes à Paris qui portent votre.
nom , quoiqu'il n'y ait que vous qui le rendiez
célèbre .
Je hafarde mes remerciemens chez votre Libraire.
Il a imprimé peu de Mémoires auffi bien
faits . Ceux pour la Rofiere font les premiers , je
crois , qui aient introduit les grâces dans l'éloquence
du barreau . Celui de Delpech me femble
difcuter les probabilités avec beaucoup de vraifemblance
: car les hommes ne peuvent juger que
par les probabilités. La certitude n'eft gueres faite
pour eux , & voilà pourquoi j'ai toujours penfé
que notre Code criminel eft auffi abfurde que
barbare. Il n'y a guere de Tribunal en France qui
n'ait rendu des jugemens affreux & iniques pour
avoir mal raifonné plutôt que pour avoir eu l'intention
de condamner l'innocence.
188 MERCURE DE FRANCE .
J'ai l'honneur d'être , avec toute l'eſtime &
la
reconnoiffance que je vous dois ,
Monfieur,
Votre très- humble & très- obéiflant
ferviteur De Voltaire.
ANECDOTES.
I.
UN Colonel , fous Louis XIV , frappa
de fa canne un Grenadier dans un exercice.
La violence du mal fit oublier un
inftant à celui ci la févérité de la diftipline
militaire. Un gefte menaçant an
nonça au Colonel le reffentiment du brave
homme qu'il venoit d'offenfer. Grenadier
qu'ofez - vous ? -lui cria vivement
le Colonel . Ah ! Monfieur , quel mal
vous m'avez fair , reprend le malheureux
Grenadier , en fe laiffant tomber fur les
genoux . On le conduit à l'Hôpital .
On fent quelle rumeur dut exciter cette
action dans toute la garnifon ; elle fur
d'autant plus vive , que celui qui s'en
étoit rendu coupable étoit un Officier
d'une grande efpérance & d'une des plus
AVRIL. 1775. 189
»
illuftres Familles du Royaume . Touché
de repentir , ce jeune Colonel fe rend à
l'Hôpital , & s'approche du lit du Grenadier
, à qui il offre cinq ou fix louis.
Celui - ci , fe levant bruſquement fur fon
féant : Eh ! croyez vous , Monfieur ,
que c'eft avec de l'or qu'on fait oublier
» une injore auffi fanglante que celle que
» vous m'avez faite ; mordieu ! mon Co-
» lonel , gardez vos louis . Vous avez vu
» dans quel abyfme de maux vous pou-
» viez plonger un homme d'honneur ! ...
» Un refte de raifon m'a retenu ! ... Béniffons-
en le ciel l'un & l'autre. Allez ,
gardez votre or & corrigez vous » .
"
1 I.
Diogène voyoit un jour un Vainqueur
des Jeux Olympiques faifant fon entrée
dans Athènes , fixer , avec un attachement
fingulier , one jeune fille qui le fuivoit.
Regardez donc ce Vainqueur , s'écria-
» til ; au milieu même de fon triomphe
» il eft déjà vaincu ».
"
כ
320
I I I.
Une Princeffe du Sang paffoit par une
190
MERCURE DE FRANCE.
64
Ville de Province ; tous les Corps s'emprefsèrent
de l'aller complimenter. Celui
de l'Election n'étoit reprefenté que par
trois Membres. Madame , lui dit le
» Chef de cette Jurifdiction , nous fom-
» mes dans ce moment une preuve fen.
» fiblé de cette vérité facrée , beaucoup
» d'Appelés & peu d'Elus. Notre devoir
» eft de prononcer fur le fait des Tailles ,
» & nous certifierons à tout le monde
que la vôtre eft des plus élégantes ».
~
I V.
Fabius Maximus , qui avoit été Dictateur
à Rome , alloit à cheval au- devant
de fon fils , qui venoit d'être créé
Conful ; celui- ci voyant fon père , lui
envoya commander de mettre pied à
terre . Fabius defcendit auffi tôt & embraflant
fon fils , je me réjouis , lui dit- il ,
de ce que tu te comportes en Conful.
V.
Dans le temps que le Duc de Bourgogne
, petit- fils de Louis XIV , commandoit
l'arinée en Flandres , un vieux
Officier , qui connoiffoit mieux fon méAVRIL.
1775. 191
tier que les ufages de la Cour , fe mit à
la table du Prince fans en avoir obtenu
la permiffion . On l'avertit de fa faute ,
& il en demanda pardon . Monfieur , lui
dit obligeamment le jeune Prince , vous
Jouperez avec moi ; je vous apprendrai la
Cour & vous m'apprendrez la guerre.
"
V. I
M. de Fontenelle étoit dans une compagnie
où l'on montroit un petit ouvrage
d'ivoire , d'un travail fi délicat , qu'on
n'ofoit le toucher. Chacun l'admiroit ;
pour moi , dit M. de Fontenelle , je n'ai
me point ce qu'il faut tant reſpecter. La
Marquife de F. très- belle femme , fur.
vint tandis qu'il parloit ; M. de Fontenelle
alla au- devant d'elle , & ajouta en
l'abordant , je ne dis pas cela pour vous ,
Madame.
VII.
Un Enfant s'étoit levé fort tard ; fon
père , pour le rendre plus diligent , lui
dit : « Mon fils , vous ne connoiflez pas
» le prix & les avantages de la diligence ;
» un homme diligent s'étant levé fort
» matin, trouva une bourfe pleine de louis
192 MERCURE DE FRANCE .
dans fon chemin ». Mais , mon Pèrè ,
répondit l'Enfant , celui qui l'avoit perdue
s'étoit encore levé plus matin.
•
VIII.
C
Un jour le Roi Jacques II ordonna an
Poëte Waller.de l'attendre , parce qu'il
vouloit lui parler ; c'étoit dans l'aprèsmidi.
Le Roi ne rentra que tard ; il conduifit
Waller dans fon cabinet , & lui
préfentant un tableau , il lui demanda ce
qu'il en penfoit. Le temps eft obſcur ,
répondit Waller , je ne vois pas bien ce
» que c'eft , fi Votre Majefté daignoit
» m'aider... C'eft la Princeffe d'Oran-
" ge. Elle reflemble prefque à la plus
" grande Princeffe du monde. A quelle
» Princelle donnez vous ce nom ? A la
» Reine Elifabeth. Je fuis furpris M.
» Waller que vous parliez ainfi ; Elifa-
» beth étoit comme les autres femmes ,
elle dut fa grandeur à fon Confeil.
»
-~-
-
» Eh ! Sire , croyez - vous que des fous
" ayent jamais choifi des Confeillers
fages ? »
53
AVIS
AVRIL. 1775 . 93
AVIS.
I.
Bijouterie.
I Efieur Grancher , Bijoutier de la Reine , au
petit Dunkerque , vis - à -vis le Pont - Neuf, vient
de mettre au jour un nouveau portrait de la Reine
, exécuté en talc , fupérieur à tout ce que
l'on
a vu en ce genre , tant pour la gravure que pour
la reflemblance ; il eft pofé fur différentes boîtes ,
dites le tableau parlant , à divers prix , dont le
meilleur marché eft de 30 livres. L'on trouve auffi
fur des tabatieres le même portrait en miniature ,
de même que celui de l'Archiduc , frere de la Reině
, prix 60 1 .
De très -beaux modèles nouveaux de boutons
d'habit en pinsbeck , acier & autres , en argent
émaillé qu'il attendoit depuis long-temps ; ainfi
que des épées d'acier à pointes de diamans & pinfbeck
, faifanc un grand effet aux lumieres.
Une collection confidérable d'ouvrages en pierres
de ftras d'Angleterre , tant en girandoles qu'en
luftres & garnitures de cheminées de la plus grande
beauté ; carafes à oignons , flambeaux , vales ,
caffolettes unies , le tout en cryſtal factice de diverfes
couleurs , garnies à Paris en bronze doré
d'or moulu.
De fuperbes jattes à punch & d'autres petits
cryftaux pour la table.
1. Vol. I
19 MERCURE DE FRANCE.
De nouvelles pièces en tôle amalgamé en are
gent , dites pletedes ; corbeilles à compartiment ,
pour fervir les rôties ; petits flambeaux de cabi
nets , fontaines à thé , falieres en bouts de tables.
Theyeres en litron ; écritoires en ébene pour
bureaux , garmes en tôle amalgamé en argent
avec les pieces en cryftal taillé.
Cuifiniere angloife pour faire cuir au bainmarie
les viandes ou le fromage.
*
Bagues d'or montées à l'antique , avec portrait
en relief , émaillé fous cryftal , du Roi , de la
Reine , d'Henri IV , de l'Empereur & de l'Impératrice
, gravés par Wurtz , que l'on peut annon.
cer pour être le chef- d'oeuvre de reflemblance ;
prix 36 1. piece .
Nouveaux boutons de printemps en pierres de
couleurs , doublés & ornés d'or & de petits grains;
prix 601. la garniture.
Boucles d'argent très grandes , d'une cifelure
imitant la broderie.
Nouvelle porcelaine dure , de Clignancourt ,
allant au feu."
Figures en bifcuit de l'Ifle St Denis.
Nouveaux flambeaux de marbre blanc , garnis
de bronze doré au mat , & vafes très - beaux dans
le même genre , ainfi que plufieurs pendules tant
en marbre de Paros , repréfentant un vafe , & orné
de bronze doré au inat , qu'en bronze , repréfentant
, l'une l'Innocence , une autre la Pleureufe
d'oileaux , une autre Apollon & Daphné , & aus
tres fujets , depuis Icoo 1. jufqu'à 2000 !.
-
AVRIL 1775 . 195
I I.
Eau Favorite.
Le fieur Fargeon , Parfumeur du Roi & de la
Cour , a trouvé le fecret d'enlever les taches de
roufleur par le moyen d'un cofmétique appelé
Eau favorite. Aucune tache ne peut réfifter aux
effets admirables de cette eau , fi l'on eft conftant
à s'en fervir ; elle a la propriété d'éclaircir
le teint & de diffiper les dartres farineufes , fans
endommager la dentelure . Le prix eft de 3 1. la
petite bouteille : il donne la maniere de s'en
Lervir.
Plufieurs perfonnes s'étant plaintes à lui de la
perte de leurs cheveux , il a compofé une pommade
à la fleur d'orange , à la moële de boeuf; elle
a l'onctueux de la graifle d'ours , mais en outre
elle a la vertu de fortifier les racines des cheveux :
les mélanges dont elle eft compofée étant reconnus
pour les feuls fpécifiques réels pour leur confervation
, il a pris le parti de les faire entrer dans
toutes les pommades ; le prix eft de 30 f. l'once.
Sa demeure eft rue du Roule , au Cygne des Par
fums.
I I I.
Le Tréfor de la Bouche.
Le fieur Pierre Bocquillon , Marchand Gantier
Parfumeur à Paris , à la Providence , rue St Antoine
, entre l'Eglife de St Louis de MM. de Sainte
Catherine & la rue Percée , vis à - vis celle des
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Ballets , annonce au Public qu'il a été reçu & ap
prouvé à la Commiſſion Royale de Médecine , le
11 Octobre 1773 , pour une liqueur nommée le
véritable tréfor de la bouche , dont il eft le feul
compofiteur. Ses rares vertus la font préférer , en
lui établiſlant une très grande réputation . La propriété
de fa liqueur eft de guérir tous les maux de
dents quelque violens qu'ils puiflent être , de purger
de tout venin , abfcès & ulcères , enfin de
préferver la bouche de tout ce qui peut contribuer
à gâter les dents ; elle les conferve même quoique
gâtées. Cette liqueur a un goût très-agréable.
L'Auteur en reçoit tous les jours de nouveaux
fuffrages par des certificats que lui envoyent fans
ceffe les perfonnes de la premiere diftinction.
L'Auteur à des bouteilles à 101. 51. 3 1. & il 4f.
Il donne la manière de s'en fervir , fignée & paraphée
de fa main ; il met fon nom de baptême & de
fa famille fur l'étiquette des bouteilles , ainfi que
fur le bouchon , marqué de fon cachet , & un tableau
au deffus de fa porte , pour ne pas fe tromper.
Il vend auffi le véritable taffetas d'Angleterre
, propre pour les coupures & brûlures , approuvé
par MM. de la Médecine , le 31 Juillet
1773. L'Auteur prie de lui affranchir le port des
lettres.
a
Le fieur Bocquillon a l'honneur de donner avis
au Public qu'il va établir au premier de Mai
prochain , un Bureau de fa liqueur, nommée le
Tréfor de la Bouche, chez le Sr Bouffu , fon gendre
, Marchand de modes , rue St Honoré , visavis
la petite- porte de la boucherie de Beauvais ,
entre la rue Tirechape & la rue des Bourdonois ,
pour la facilité du Public , à Paris.
AVRIL 1775. 197
I V.
Le fieur Rouffel , demeurant à Paris , rue Jeande
l'Epîne , chez l'Epicier en gros , la porte cochère
à côté du Taillandier , au deuxième appare
tement fur le devant , près de la Grêve , donne
avis au Public qu'il débite , avec permiflion , des
bagues dont la propriété eft de guérir la goutte.
Les perfonnes qui en font fort affligées doivent
porter cette bague avant ou après l'attaque de la
goutte ; en la portant toujours au doigt , elle
préserve d'apoplexie & de paralyfie .
Le prix des bagues montées en or , eft de 36
liv. & celles en argent , de 24.1 .
Le fieur Rouflel coupe les Cors , les guérit avec
un peu d'onguent , & coupe les ongles des pieds .
Le prix des boîtes à douze mouches eft de 3 liv .
Celui des boîtes à fix mouches eft 1 1. 10 f..
Il a une pommade pour les hémorrhoïdes , les
foulage & les guérit .
Les pots de pommade font de 3 liv . & 1 1.
46.
Il a une eau pour guérir les brûlures , approùvée
par M. le Doyen & Préſident de la Commiffion
Royale de Médecine.
Le prix des bouteilles eft de 3 liv . & de 1 1. 4 f
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES .
ON
Du Caire , le 12 Décembre 1774.
N travaille ici , par ordre de la Porte , à
des préparatifs pour une expédition contre le
Chéik Daher. Mehemet Bey a imposé en conféquence
, une taxe de 1800 livres fur chacun des
principaux villages de ce Royaume. On ne croit
pas que l'intention de ce Prince foit de fe mettre
à la tête des troupes qu'il enverra en Syrie.
Il y a apparence qu'il en deftine le commandement
à quelques Beys , qui fe joindront vraifemblablement
à celles que la Porte enverra de
Lon côté.
De Malaga , le 19 Février 1775-
Les Maures ont commencé le 12 de ce mois
le fiége du Pennon de Velez ; & , juſqu'au 17 ,
ils ont jeté dans cette place deux cens trente deux
bombes , qui ont tué un forçat & en ont bleflé
deux autres . Le colonel Don Florent Moreno ,
qui y commande , ayant demandé du fecours
à notre Capitaine Général , celui - ci vient d'ordonner
à un détachement de trois cens hommes
de fe tenir prêt à s'embarquer. Ce détachement
partira auffi tôt que le vent fera devenu favorable.
De Madrid , le 7 Mars 1775 •
On a appris par les derniers avis reçus du
AVRIL. 1775 . 199
Commandant Général de Melille , les particu
larités fuivantes :
Le Roi de Maroc ayant aflemblé le 11 Février
fes Généraux & les Gens de Loi , pour délibérer
avec eux fur le deffein qu'il avoit formé de donner
un aflaut à la Place , tous s'accorderent à
lui faire des repréfentations fi férieufes fur la
témérité de cette entreprite , qu'il confentit enfin
à y renoncer , au grand regret de les troupes ,
qui efpéroient par cette action périlleuse , mettre
fin aux travaux & à la mifere qu'ils éprouvent
dans le camp. Les gens qu'on avoit fait venit
des endroits circonvoifins furent renvoyés immédiatement
après les fêtes de Pâques. L'ennemi
appréhendant que nos vaifleaux ne tentaffent une
defcente , fit élever fur la plage une nouvelle
batterie , & la dirigeant vers la baye , il fortifia
l'artillerie de celle qui eft placée derriere la pointe ,
à l'embouchure de la Rambla. Il ramena au camp
la plus grande partie de fes mortiers , & tout
bombardement cefla le 12 .
De Triefte , le 9 Février 1775 .
On écrit de Venife , en date du 4 de ce mois ,
qu'un navire de cette République s'étant laillé
aborder par une galiote qui avoit pavillon Rufle ;
des Pirates qui la montoient , tuerent le Capitaine
& la plupart des Matelots , & conduifuent enfuite
le navire dans une des îles de l'Archipel , où ils
déchargerent ce qu'il contenoit de plus précieux
; après quoi , ils rendirent à un Pilote &
deux Matelots qui s'étoient cachés , la liberté de
fe retirer , avec leur bâtiment , qui eſt arrivé
heureulement à Venife .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
De Rome, le 15 Février 1775.
Jean-Ange Brafchi , Cardinal-Prêtre du titre
de Saint - Onuphre , né à Cefene , ville de l'Etar
Eccléfiaftique , le 27 Décembre 1717 , Tréforier
Général du Saint Siége avant la promotion au
Cardinalat , arrivée ſous le Pontificat de Clément
XIV , le 26 Avril 1773 , ayant réuni tous les
fuffrages du Sacré Collége , a été élu Pape au
fcrutin de ce matin , & a pris le nom de Pie VI.
Cette nouvelle a été publiée auffi - tôt , luisant
l'ufage , par le Cardinal Alexandre Albani , pre,
mier Cardinal Diacre, & annoncée en même temps
par une décharge de l'artillerie du Château Saint,
Ange , à laquelle toutes les cloches de la ville ont
répondu.
La vacance du Saint Siége a duré quatre mois ,
& vingt-deux jours , & le Conclave quatre mois
& dix jours.
Du 22.
La double cérémonie du facre & du couronnement
du Pape s'eft faite ce matin , avec beau
coup de folennité , dans l'Eglife de Saint Pierre.
Lorque le Cardinal Doyen du Sacré Collège , a
eu mis la tiare ( ur la tête du Souverain fontife
, Sa Sainteté a donné fa bénédiction à un peuple
immenfe , raflemblé dans la place de Saint
Pierre ; & il s'eft fait en même temps une déchar
ge de l'artillerie du Château Saint - Ange. Comme
cette cérémonie fe trouve tomber le jour de la fête
de la Chaire de St Pierre , Sa Sainteté a voulu que,
pour cette année feulement , ce fût fête de précepte
en cette ville.
De la Haye , le 24 Février 1775.
La planete de Saturne a offert aux Aftrono
AVRIL. 1775. 201
mes, dans l'efpace d'environ fept mois , deux
phénomènes intéreflans . Le premier eft la réapparition
de fon anneau , qui ne difparoîtra plus.
que du mois de Juillet dernier en quinze ans.
Le fecond eft l'occultation de fon globe par la
June , obfervée à Utrecht le 18 de ce mois , depuis
heures 28 minutes 57 fecondes du foir
( temps vrai ) , moment de l'immersion , jufqu'à
10 heur. 19 min 26 fec. Cette éclipfe , qu'on
n'avoit point oblervée depuis 1678 , a été vue
également à Paris , & pourra fervir à déterminer
exactement la longitude d'Utrecht. L'occultation
du centre à Paris , eft arrivée à 9 h. 11 m. 1 4 f.
& l'émerfion à 10 h, 11 m. +f.
Les équipemens ordonnés par les Etats- Géné
raux le font avec tant de célérité , qu'outre les
huit frégates de guerre qui doivent croifer actuellement
vers les côtes d'Afrique , la Républi
que fera en état d'en mettre fix autres en mer
avant le mois de Mai . Quelques- uns de ces bâtimens
, dont on portera le nombre à dix - fept
font conftruits fur une nouvelle méthode , qui
change l'ufage & la difpofition des batteries de
canon.
Les lettres les plus récentes de Batavia ne confirment
point les bruits qui avoient couru en
Europe , au fujet de quelques difficultés qu'on
prétendoit avoir été fufcitées aux Hollandois dans
Je Japon; ces lettres font mention de plufieurs
défaltres arrivés dans ces contrées. Une maladie
contagieufe , plus violente que celle qu'on y
éprouva il y a foixante- deux ans , a enlevé en
1773 , plus de fept cens mille hommes dans la
Capitale & dans d'autres Villes. A cette calamisé
lefont jointes des inondations qui ont emporté
202 MERCURE DE FRANCE.
les habitations les plus élevées . Ailleurs , la mer
ayant rompu fes digues , a englouti une Ville
entiere , en fubmergeant tous les environs , c'eſtà-
dire , un très- vafte territoire cultivé & habité.
De Turin , le 19 Février 1775 .
Le mariage du Prince de Piémont avec Madame
Clotilde de France , eft fixé au mois de Septembre
prochain. On dit que la Cour fera cet
été un voyage à Chambéry , où elle attendra
cette Princefle .
De Paris , le 10 Mars 1775.
La cérémonie de la réception au Parlement
du Duc de Coflé , nouveau Gouverneur & Lieutenant-
Général pour le Roi , de la Ville , Prévôté
& Vicomté de Paris , & celle de fon inftallation
à l'Hôtel -de - Ville , fe firent le 4 de ce
mois.
Le 7 de ce mois , Monfeigneur le Comte d'Artois
vint dans cette Capitale , accompagné des
principaux Officiers de fa Maifon. Il fut falué , à
fon arrivée & à fon départ , par le canon de l'Hôtel
Royal des Invalides , par celui de la Ville & par
celui de la Baftille . Le Corps de Ville lui fut préfenté
par le Duc de Coffé , Gouverneur de Paris ,
qui le reçut à l'endroit où étoit anciennement la
Porte appelée de la Conference ; & le fieur de la
Michodière , Confeiller d'État & Prevôt- des- Marchands
, eut l'honneur de le complimenter. Le fieur
le Noir , Maître des Requêtes , & Lieutenant- Général
de Police , s'étoit rendu au même endroit.
Le Prince , en ariyant , monta dans un des carAVRIL.
1775 : 203
roffes de parade qui l'attendoient , & qui furent
remplis par les perfonnes de fa faite. Celui qu'occupoit
le Prince étoit précédé & fuivi de fes Gar-1
des-du-Corps. Le cortége prit le chemin de Notre-
Dame , par le quai des Tuileries , le pont Royal ,
les quais des Théatins & de Conti , le pont Neuf,
le quai des Orfévres , la rue Saint- Louis , le marché
Neuf & la rue Notre - Dame . Arrivé à la Cathé
drale , Monfeigneur le Comte d'Artois fut reçu &
complimenté, à la porte de l'Églife , par l'Archevêque
de Paris , revêtu de fes habits pontificaux &
à la tête des Chanoines. Ce Prince fit fa prière
dans le Choeur , & entendit la Meſſe à la Chapelle
de la Vierge ; après quoi , il fut reconduit avec
les mêmes cérémonies , remonta en carroffe , &
alla à Sainte Génevieve , par la rue Notre-Dame ,
le marché Neuf , la rue Saint-Louis , le quai des
Orfévres , le pont Neuf , le quai des Auguſtins ,
le pont Saint-Michel, la rue de la Bouclerie , les
rues Saint-Severin & Saint-Jacques , le marché &
la place de la nouvelle Eglife . L'Abbé de Sainte-
Genevieve, accompagné des Chanoines Réguliers ,
eut l'honneur de le recevoir & de lui adreffer un
Difcours . Après avoir fait fa prière dans ce te
Eglife , & avoir vu la bibliothèque de la Maifon ,
le Prince fe rendit aux Tuileries , par les rucs
Saint-Thomas , d'Enfer , des Francs- Bourgeois ,
de Tournon , des Quatre-Vents , de la Comédie
Françoife , Dauphine , le pont Neuf , les rues de
la Monnoie , du Roule , Saint-Honoré , Saint-Nicaife
, & la place du Carroufel . Il dîna au Palais
des Tuileries , à une table de quarante couverts .
A une feconde table étoient les Seigneurs à qui ce
Prince avoit fait l'honneur de les inviter . L'après-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
midi , Monfeigneur le Comte d'Artois , ainfi que
les Seigneurs qui l'avoient accompagné , alla à
l'Opéra , par la rue Saint-Nicaife & la rue Saint-
Honoré. Îl vit repréfenter l'Opéra d'Iphigénie. En
fortant de ce fpectacle , il retourna à Verſailles ,
par la rue Saint-Honoré , la rue Royale & la place
de Louis XV . Le Gouverneur de Paris , le Lieutenant-
Général de Police & le Prévôt-des -Marchands
fe font trouvés dans tous les endroirs où le Prince
s'eft arrêté , & où les Gardes Françoifes & Suiffes
étoient fous les armes , ayant leurs Officiers à leur
tête. En allant à Sainte Génevieve , il fut compli
raenté à la porte du Collège de Louis - le -Grand ,
par le Recteur de l'Univerſité à la tête des Quatre
Facultés. Le Peuple , accouru en foule fur fon
paffage , malgré le mauvais temps , lui a donné
par-tout des témoignages éclatans de la joie que
La préfence lui infpiroit.
Jean-Ange Braſchi , comme on l'a déjà annoncé,
eft né à Célène , Ville de la Romagne , le 27 Décembre
1717. Sa Maiſon , l'une des plus nobles .
de cette province , porte dans fes Armes l'Aigle &
les Fleurs de Lys . Ce Pontife , qui eft de la plus
belle repréſentation , a beaucoup d'efprit , de vivacité
& de connoiflances . Benoît XIV , dont il
étoit eſtimé , lui confia plufieurs emplois importans
; & dans tous ceux qu'il a occupés , il
s'eft toujours diftingué par fon défintéreflement
& par fon exactitude . Quoiqu'il n'ait jamais joui
que d'une fortune très -médiocre , il favoit faifir.
à propos les occafions de faire éclater la générofité
de fon coeur & fon goû: pour la magnificence.
A ces rares qualités il joint une piété
folide & éclairée , ainfi que le plus grand éloi
gnement de tout efprit de parti. Tant de vertus
AVRIL. 1775. 205
réunies juftifient l'applaudiffement général qui a
été donné à ſon exaltation.
On mande de Lyon que le 15 Janvier dernier ,
une femme en couche , ayant vainement fouffert
pendant deux jours les douleurs de l'enfantement
, le fieur Faiflolles , Chirurgien du Roi en
cette Ville , qui avoit été appelé auprès d'elle ,
fut obligé de fe fervir du forceps pour fauver
cette femme & fon fruit. A huit heures du foir it
la délivra d'un enfant fans mouvement , fans
pouls , qui avoit le vifage de couleur violette
foncée , & que ce Chirurgien crut mort. Il ordon
na de faire chauffer du vin , & après avoir foigné
la mere , il alla au fecours de l'enfant , auquel on
avoit déjà adminiftré inutilement plufieurs remedes
. Il le plongea dans du vin tiede animé avec
de l'eau - de- vie , & lui fouffla dans la bouche autant
d'air que fes poumons lui en purent fournir.
Dix minutes s'étant écoulées fans fuccès , il infifta
( ur ce traitement en faiſant refpirer à l'enfant
de l'eau de luce & du vinaigre radical , & en le
tenant toujours dans le vin tiede & continuant
les frictions. Environ une demi- heure après , il
fortit de la bouche de cet enfant beaucoup d'eau
écumeule ; on lui fentit quelques légers battemens
de coeurs , & au bout de trois quarts d'heure
il s'annonça lui- même à la mere , par un cri qui
répandit la joie dans toute la famille . C'étoit un
premier enfant après quatre années de mariage. Il
fe porte aujourd hur très-bien , & il eft nourri par
fa mere. Cette méthode pour rappeler les enfans
qui paroiffent avoir été fuffoqués au paffage , a
également réuff plufieurs fois à un Chirurgien
de Paris. Le fieur Portal , dans fon rapport à l'Aca
démie Royale des Sciences fur les fuffoqués , em
206 MERCURE DE FRANCE.
39
33
a auffi parlé de la forte : « Nous dirons ici , ea
paflant , que nous avons foufflé dans la bouche
d'un enfant , qui n'avoit encore donné aucun
figne de vie à peine le fouffle parvint- il dans
» le poumon de cet enfant , qu'on le vit mouvoir
les yeux , & qu'on l'entendit toufler avec
effort ; il rendit par la toux & par le vomiſle-
» ment , des glaires qui remplifoient fes bron-
» ches : & il reípira enfuite avec facilité » .
$
PRESENTATIONS .
La comtefle de Seguin & la baronne de Marfilly
furent présentées le 26 Février , à Leurs Majeftés ,
& à la Famille Royale ; la premiere , par la com
refle de Modene , & la feconde , par la marquife
de Tilly.
Le 1 mars le comte de Mercy , ambaffadeur
extraordinaire de LL . MM . II . préfenta au Roi le
comte de Burgaw , qui prit congé de Sa Majefté
& de la Reine , pour retourner à Vienne .
Le 2 mars la marquife de Lefcure fut préſentée
à Leurs Majestés par Madame Adélaïde , en qua
lité de Dame pour accompagner cetre Princeffe .
Les mars la marquife de Saint Aignan la Fre
maye fut préfentée à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la
Famille Royale , par la marquile de Mailly , dame
du palais de la Reine.
Le duc Charles - Augufte de Saxe Weimar- Eifenach
, & le prince Frédéric- Ferdinand fon frere ,,
qui voyagent fous le nom de comtes d'Alftedt ,
furent préfentés , le 7 Mars , au Roi & à la ReiAVRIL.
1775. 207
me , ainfi qu'à la Famille Royale , par le comte
de Mercy , ambafladeur de LL . MM . II. en cette
Cour.
Le 5 mars le comte de Clermont - Tonnerre , fils
aîné du maréchal de Tonnerre , lieutenant - général
des armées du Roi , & lieutenant - général en
furvivance de la province de Dauphiné , où il
commande en chef, eut l'honneur de faire les remerciemens
au Roi en qualité de commiflaire
nommé Sa Majesté pour accompagner Madame
Clotilde. Il fut préfenté en la même qualité à
la Reine & à la Famille Royale .
par
Le bailli de Saint Simon , ambaffadeur de la
Religion de Malthe , eut , le 14 mars , une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta
à Sa Majefté la lettre de créance . Le fieur
la Live de la Briche , introducteur des ambafladeurs
, le conduifit à cette audience , & à celle de
la Reine & de la Famille Royale ; le fieur de Séqueville
fecrétaire ordinaire du Roi à la conduite
des ambafladeurs , précédoit.
Le Roi ayant nommé maréchaux de France le
duc d'Harcourt , le duc de Noailles , le comte de
Nicolai , le duc de Fitz- James , le comte de
Noailles , le comte de Muy & le duc de Duras , ils
eurent l'honneur , dimanche dernier , 26 mars ,
de faire leurs remerciemens à S. M. , & d'être préfentés
en cette qualité à la Reine & à la Famille
Royale.
Le même jour , la baronne de Montboiffier fur
préfentée à Leurs Majeftés , ainsi qu'à la Famille
Royale , par ia vicomtefle de Montboiffier.
208 MERCURE DE FRANCE.
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre à
Févêque de Rennes .
Sa Majefté a difpofé de l'archevêché d'Arles en
faveur de l'abbé Dulau , agent-général du Clergé
; & de l'évêché de Mariana & Accia , en Corfe,
en faveur de l'évêque de Nebbio . Elle a nommé
ce dernier évêché l'abbé de Santini , vicaire géné❤
rale de Sagone .
Le Roi a difpofé du gouvernement de l'île de
Rhé , vacant par la mort du bailli d'Aulan , en
faveur du chevalier de Chantilly , maréchal -decamp.
-
Le Roi a nommé au commandement de la marine
à Breft le comte d'Orvilliers , chef d'efcadre ,
à la place du comte de Breugnon , qui a demandé
la permiffion de fe démettre de ce commandement.
Le Roi a accordé l'abbaye de Saint Arnoulds
ordre de St Benoît , diocefe & ville de Merz , à
Févêque de Metz ; celle de Bonneval de St Florentin
, même ordre , diocefe de Chartres , à l'évêque
d'Autun ; & celle de St Symphorien , même
ordre , diocefe & ville de Metz , à l'abbé de Polignac
, vicaire général d'Auxerre.
Le 18 mars le comte de Mødene , gentilhamme
de Monfieur , fit les remercimens au Kor pour
le gouvernement du palais du Luxembourg, que
Sa Majesté lui a accordé fus la démillion du masquis
de MarignyAVRIL.
1775. 209
Le fieur Gabriel , premier architecte des bâtimens
du Roi , ayant demandé la retraite , S. M.
a nommé pour le remplacer le fieur Mique , chevalier
de l'ordre du Roi , premie architecte du
feu Roi de Pologne , duc de Lorraine & de Bar ,
intendant & contrôleur des bâtimens de la Reine,
Le Roia bien voulu en même temps , pour récom,
penfer les fervices du fieur Gabriel , lui accorder
le titre de fon premier architecte honoraire , & le
maintient , en ce qualité , dans la place de directeur
de l'académie royale d'architecture .
MARIAGES.
Le Roi & la Reine , ainfi que la Famille Royale,
fignerent , le 26 Février , le contrat de mariage du
Vicomte de St Vallier , maréchal de camp , avec
d. moifelle de Ryante .
Le Roi & la Famille Royale , fignerent , le s
mars , le contrat de mariage du comte de Praffin,
capitaine à la fuite de la cavalerie , avec demoifelle
O Brien de Thomond ; & celui du marquis
de Rennepònt , capitaine de dragons au régiment
de la Reine , avec demo felle Cheftret .
Le 19 mars , Leurs Majeftés , ainfi que la
Famille Royale , fignerent le contrat de mariage
du chevalier de la Tour - du- Pin , brigadier des
armées du Roi , & gentilhomme
d'honneur de
Monſeigneur
le comte d'Artois , avec demoiſelle
Pajor de Juvily . Le Roi a trouvé bon que le chevalier
de la Tour du- Pin portât dorénavant le
nom de vicomte de la Charce.
210 MERCURE DE FRANCE.
NAISSANCE S.
Jeanne Roulot , femme du nommé Milloreau ,
meûnier au moulin de Beaux , paroifle de Saulieu
en Bourgogne , accoucha , le 19 janvier , de trois
garçons , dont deux fe portent très bien ; la mere
en nourrit un elle - même , l'autre eft en nourrice
au Jarnoi , paroiffe d'Aligny ; le troifiene eft mort
le 31 du même mois.
MORTS.
La veuve C. Lacroix eft morte à la Haye , âgée
de plus de 10 ans ; quoiqu'elle n'eût qu'une for
tune très- médiocre , la fanté & la gaité ne l'ont
abandonnée que la veille de fa mort.
Le nommé Jacques Scheraff , né en 1667 au
Petit-Lucelle , canton de Soleure , qu'il quitta en
1679 , pour demeurer avec les parens à Neu .
neich , métairie fituée dans une paroifle de la haute-
Alface , y eft mort le 27 janvier , âgé de 108
ans. Il a confervé jufqu'au dernier moment l'ulage
de tous les fens , & une excellente mémoire ; il
ne fe nourriffoit que de laitage & de pommes de
terre , & n'avoit eu que deux maladies graves ,
l'une à 7 ans & l'autre à 35 ; l'hiver il defcendoit
tous les jours une montagne très - rapide , d'une
lieue de hauteur , pour foigner fes beftiaux , qu'il
étoit obligé d'entretenir dans un village , faute
de fourrage fur cette montagne , où il avoit lon
AVRIL. 1775. 211
habitation , huit mois avant la mott il s'occupoit
encore des travaux très rudes , comme de faucher
& de façonner du bois . Il laifle cinq enfans
& douze petits- enfans , qui font prelque tous au
fervice du Roi,
Pierre-Louis d'Abadie de Cadarcet , chevalier
de l'ordre royal & militaire de Saint - Louis , ancien
maréchal des logis dans la premiere compagnie
des Moufquetaires , ayant le brevet de meftre- decamp,
eft mort le 15 février , en la terre de Cadarcet
, au pays de Foix , dans la 100 année de
fon âge.
Pierre Marie de Combarel du Gibanel de Vernege
, maréchal - de camp , chevalier de l'ordre de
St Louis , & commandeur de celui de St Lazare ,
major des Gendarmes - de- la -Garde , cft mort à
Paris le 28 Février âgé de 78 ans .
Michel , marquis de Vallan , ancien fous - lieutenant
au régiment des Gardes - Françoiles , capitaine
des levrettes de la chambre du Roi , eft
mort à Paris le 4 mars , daus la 69 ° année de fon
âge.
Pierre Laurent Buirette de Belloy , avocat , citoyen
de Calais , & l'un des quarante de l'académie
françoise , cft mort à Paris le s mars , âgé
d'environ 47 ans .
Pierre- André comte de Palmes , colonel d'infanterie
, capitaine de grenadiers au régiment des
Gardes - Françoifes , chevalier de l'ordre royal &
militaire de St Louis , eft mort à Paris le 6 mars
dans la 57 ° année de fon âge.
•
La nommée Marie Labattut , veuve de Jean
Rouge , laboureur , eft morte dans la paroifle
d'Ambrus , diocefe de Condom , à l'âge de 107
212 MERCURE DE FRANCE .
ans . Cette femme le fouvenoit parfaitement des
événemens dont elle avoit été témoin dans fa
jeunefle ; elle n'avoit aucune des infirmités de la
vieilletle , & elle a confervé toute la railon jufqu'au
dernier moment .
Le chevalier de Crenay , brigadier des armées
navales , neveu du chevalier de Crenay , décédé
vice amiral de France , eft mout le 20 février , au
château de Montaigu en Normandie.
eft
Le nommé Martin , laboureur au village de
Lasbolas , paroiffe d'Uflac , en bas Limousin ,
mort le 24 février , âgé de 103 ans.
Louis Roger Franfore de Villers , chef- d'eſcadre
des armées navales de S. M. & chevalier de
l'ordre royal & militaire de St Louis , eſt mort au
Havie- de- Grace , dans la 92 ° année de fon âge
Il fervoir le Roi depuis 75 ans , & avoit eu le
talon emporté par un coup de mitraille , au com.
bat naval qui le donna piès de Malaga Ic 24 Août
1704 .
François-de-Paule-Philogene , marquis de Blan
cheforr , baron d'Afnois ,gouverneur pour le Roi
du pays de Gex , eft mort à Paris le 10 mars , dans
fa 71 année?
N Doat , préfident à mortier au parlement de
Pau , y eft mort le 10 mars , âgé de 86 ans. Il a
confervé jufqu'au dernier moment une tête faine ,
& beaucoup de fagacité & de pénétration pour les
affaires ; il s'étoit toujours montré affidu à rem
plir les fonctions , & il n'y avoit qu'environ trois
fèmaines qu'il avoit ceflé de fuivre le palais . Ce
magiftrat étoit le plus ancien préfident à mortier
du Royaume , étant entré dans cette charge en
3713.
AVRIL. 1775 . 213
Henri-Claude chevalier de Boulainvillier , capitaine
au régiment de cavalerie , comte de la
Marche , eft mort à Paris le 16 mars , dans la 23 °
année de fon âge.
Thadée comte de Tyszkiewicz , grand - notaire
du grand duché de Lithuanie , nommé chevalier
de l'ordre de St Stanillas , eft mort à Paris le 17
mars , dans la 25 année de fon âge.
Jean-Baptifte- Elie Camus de Pontcarré de Viarmes
, confeiller d'état ordinaire & ancien prévôt
des marchands , eft mort à Paris le 22 mars , âgé
de 73 ans.
La nommée Marie - Marguerite St Aubin , men,
diante , eft morte à Mantes -fur- Seine le 21 février
, âgéede ro2 ans ; cette femme , qui aimoit
beaucoup à boire , n'avoit jamais été malade.
LOTERIES.
Le cent foixante-onzième tirage de la Loterie
de l'Hôtel de Ville s'eft fait , le 24 du mois
de Mars , en la manière accoutumée. Le lor de
cinquante mille liv. eft échu au No. 78261. Celui
de vingt mille livres au N° . 7020s , & les deux
de dix mille , aux numéros 63580 & 71455.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le 6 de Mars. Les numéros fortis de
la roue de fortune font 66 , 9 , 7 , 78 , 22. Le
prochain tirage le ferade s Avril.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Epître à M. de Saint - Lambert ,
Dialogue entre Thamas - Kouli-Kan , & la Prin-
PIECES
Jupiter & le Papillon , fable.
ceffe Al ...
Epître à un de mes Amis ,
Bofi , conte ,
Epître à Mlle de P ** .
Elégie de Tibulle ,
ibid.
16
18
29
32
36
38
41 Le Socle & la Statue , fable.
Quatrain pour être mis au bas d'un portrait de
M. l'Archevêque Duc de C **.
Epître à une jeune femme ,
La Profpériré & l'Adverfité , allégorie ,
Vers à Mde de Montanclos ,
L'Ane , le Lion & le Loup , fable.
A Mde Laruette ,
42
44
44
52
55
61
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
Air de la Faufle Magie.
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Du miroir ardent d'Archimede ,
La Pologne telle qu'elle a été , telle qu'elle eft ,
& telle qu'elle fera ,
62
64
66
69
ibid.
77
86
$8
83
99
102
Temple de Mémoire ,
Paradoxes par un Citoyen ,
Difcours fur l'éducation ,
Traité complet d'anatomie ,
Difcours prononcés en différentes folennités de
piété ,
AVRIL 1775. 215
L'Homme fenfible ,
Remede nouveau contre les maladies véné-
107
riennes ,
123
Traité élémentaire de géométrie , & c .
124
Lettre & réflexions fur la fureur du jeu ;
ibid.
Euvres complertes d'Alexis Piron ,
137
139
140
141
ibid.
142
ibid.
Vers à ma Parrie ,
Code Ecclefiaftique ,
La vie du Pape Clément XIV ,
Architecture pratique ,
La confolation du Chrétien ,
Le Dentiſte obfervateur ,
Détail des fuccès de l'établiſſement que la ville
de Paris a fait en faveur des perfonnes
noyées ,
Lettre apologétique fur les corvées ,
Lettres & Mémoires à un Magiftrat du Parlement
de Paris ,
Etabliflemens d'hôpitaux pour les enfans trouvés
, en Bretagne ,
Choix de tableaux ,
Pygmalion,
143
ibida
144
ibid.
ibid,
145
Itinéraires des routes les plus fréquentes , ibid.
Recueil d'obfervations pour la guériſon de la
maladie épidémique qui attaque les bêtes à
cornes ,
Inftructions fur la maniere de définfecter les
ibid.
villages ,
ibid.
ACADÉMIES. 147
de Dijon ,
ibid.
de Limoges ,
154
SPECTACLES , Concert Spirituel , Iss
Opéra ,
156
Sur la réception de la Reine à l'Opéra d'Iphigénie
,
158
Comédie Françoife
160
216 MERCURE DE FRANCE.
Comédie Italienne , 161
ARTS , Gravures ,
167
Lettre à M. Lacombe , 173
Sculpture , 176
Géographie ,
1 180
Mufique. 182
Lettre du Roi de Suede à M. de Rofler ,
Letre de M. de Voltaire à M. de la Croix ,
186
187
Anecdotes. 188
AVIS , 193
Nouvelles politiques ,
198
Préfentations , 206
Nominations ,
Mariages ,
Naiẞances,
Morts ,
Loteries ,
208
209
210
ibid.
213
J'AIAI
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
le premier Volume. du Mercure du mois d'Avril
1775 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru
voir en empêcher l'impreſſion.
A Paris , le 31 Avril 1775.
LOUVEL.
de-
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL, 1775 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
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209
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fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
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Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des li
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enverront au Libraire ; on les nommera quand
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franc de port , à Paris ,
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par an ,
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24 1.
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30 1
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11. 16f.
Les Pythiques
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XV, &c. in- fol. avec planches
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Les Caractères modernes , 2 vol. br.
121.
31...
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1775 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS AU SOLEIL ,
Surfon retour dans nos climats.
Tu viens , flambeau du jour , d'achever ta carriere
:
Des bords glacés du Groenlan
Jufqu'aux fots indomptés qu'a franchis Magellan
,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Tu viens , dans la nature entiere ,
De lancer , par torrens , tes feux & ta lumiere.
En vain , fous les glaçons , la neige & les frimats ,
Le fougueux aquilon tient l'Europe aftervie ;
Soleil , reprends ton vol , & viens à nos climats
Rendre l'éclat du jour , la chaleur & la vie.
A la fombre horreur des hivers ,
Viens faire fuccéder la féduifante image
Des jours brillans du premier âge ;
Viens , pere des faiſons , ranimer l'Univers.
Aflez & trop long- temps l'Aurore
Ne naît que des plus fombres nuits.
Eft-ce donc du fein des ennuis
Que le plaifir devait éclore ?
Laifle les Hottentots & leurs affreux déferts ;
Viens , avec plus d'ardeur recommencer ta courfe ;
De nos malheurs paflés ferme à jamais la fource ;
Et que tous tes tréfors nous foient fans cefle ouverts.
Qui peut , dans les plages lointaines ,
Attacher déformais tes céleftes regards ?
Pour quelque foible eflai des arts ,
Dans ces régions inhumaines ,
De la férocité que de fanglantes fcenes !
Que d'affreux monumens épars
Des plus terribles phénomenes !
Vois ,fur le Trône des Français ,
AVRIL. 1775 . 7
Un Roi qu'avec refpect tout l'Univers contemple ,
Des plus grandes vertus donner aux Rois l'exemple,
Et compter chaque inſtant
faits .
par de nouveaux bien-
Vois une Princeſſe adorée ,
S'occupant de notre bonheur ,
Préparer aux Français le fpectacle enchanteur
Du fiecle fortuné que vit fleurir Aftrée.
Contemple ces nouveaux Sullis
Que l'augufte héritier du dernier des Henris
Admet à partager les travaux & fa gloire.
Vois- les , fur l'aile des vertus ,
Guidés par ce nouveau Titus ,
Voler au Temple de Mémoire.
Ainfi , ces efprits immortels ,
A qui Dieu confia ſa volonté fuprême ,
Heureux du bonheur de Dieu même
Dont ils verfent fur nous les fecours paternels ,
Ont , parmi les humains , mérité des autels.
Si ta lumiere la plus pure
Put jadis éclairer nos malheurs inouis ;
Plonge- les , Dieu du jour , dans une nuit obſcure :
Échauffe , embellis la nature ;
}
Comble notre bonheur en imitant Louis.
Par M. Morand.
A iv
03
MERCURE DE FRANCE.
To
AU DIEU MERCURE.
or qui fais anoblir tout ce qui t'environne ,
Fidele Meflager des Dieux ,
Mercure , jufqu'au pied du Trône ,
Va porter mon reſpect , mon hommage & mes
voeux .
Par le même.
TYRCIS ET ANNETTE.
Idylle,
Au milieu d'un beau jour , ſous un feuillage
épais ,
A l'abri du foleil , Tircis prenoit le frais.
Inquiet & rêveur , couché fur la verdure ,
Le Berger près de lui voitjune grotte obfcure.
Il regarde ... Il fe leve... Il héfite un moment ...
Enfin il s'y tranfporte , & trouve un lieu charmant.
Là brillent en fecret le lis , l'oeillet , la role ,
Entourés d'un ruiffeau qui coule & les arrofe ;
Leur parfum délicat enchaîne tous les fens ;
De mille oifeaux divers il entend les accens ;
AVRIL. 1775 .
il y remarqu : auffi la trifte tourterelle :
Il la fixe , l'écoute & foupire avec elle.
Quel chant pour un Amant pénétré de douleur !
Il fent , plus il l'écoute , accroître fa langueur.
Il s'ylivre , & bientôt cédant à fes alarmes ,
Le coeur gros de foupirs , les yeux noyés de larmes,
Il confie à ces lieux , témoins de les regrets ,
Le tropjufte motif de fes ennuis fecrets :
Tourterelle , dit- il , plaintive & gémiflante ,
Tu pleures un Amant, moi je pleure une Amante ;
J'étois aimé d'Annette , hélas ! foins fuperflus ,
Mon coeur l'adore encor , le fien ne m'aime plus.
Ah ! qui jamais eût cru qu'elle devînt légere ,
Elle qui paroifloit ne vouloir que me plaire ,
Qui de mon hautbois feul n'écoutoit que lesfons ,
Et ne vouloit jamais chanter que mes chansons.
Annettte , tu me fuis ! dois- je & puis -je le croire?
Toi qui de notre ardeur femblois te faire gloire !
Eft- ce donc là le fruit de ces tendres fermens ,
Qu'Amour nous arrachoit dans ces heureux moniens
,
Où nos deux coeurs , plongés dans une douce
ivrefle ,
Se juroient pour toujours une égale tendrefle ?
Ofunefte départ qui m'éloigna de toi !
Sans lui , j'en fuis certain , j'aurois encor ta foi.
C'étoit donc pen qu'en proie aux tourmens de l'ab
fence ,
Av
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
Je vifle , avec mes pleurs , augmenter ma conf
tance ;
Devois-je encor te voir , pour prix de mon amour,
Au lieu de me chercher , me fuir à mon retour !
D'un changement fi prompt je ne fuis point la
dupe ,
Je fais qu'un autre Amant t'intéreffe & t'occupe.
On m'avoit informé de ta légéreté ;
Et moi , trop prévenu ſur ta fincérité ,
Annette , me difois -je , ofer être parjure !
Annette qui brûloit d'une flamme fi pure ,
Qu'elle m'a fouvent fait un crime d'un regard
Sur d'autres que fur elle , échappé par hafard ;
Annette me quitter ! non cela ne peut être ;
Ce foupçon eft injufte , on doit mieux la connoître...
Dieux! il n'eft que trop vrai... Mais pourquoi
m'attrifter ?
Après fa trahiſon , dois- je la regretter ?
Non , non , n'y penfons plus ; mon coeur tendre
& fincere
Peur afpirer encor à plus d'une Bergere.
Eglé fouvent m'agace & fuit exprès mes pas :
Elle et plus vive qu'elle... oui... mais ne la vaut
pas.
Eh bien ! au lieu d'Eglé , je choifirai Sylvie :-
Elle chante très- bien , fa figure eft jolie ,
J'en conviens... cependant on pourroit trouver
mieux
AVRIL. 1775 :
II
Annette , à mon avis , a de bien plus beaux yeux.
A qui donc recourir ? Je ne vois que Suzette :
Elle eft douce , & d'ailleurs bien plus jeune qu'Annette
;
Oui , je veux m'yfixer... mais ... ce n'eft qu'une en
fant ,
Simple , fans connoiffance & fans raisonnement ;
Au lieu que pour l'efprit Annette eft un prodige,
Quelle perplexité ! tout à l'envi m'afflige ;
Je voudrois fuir Annette ou ne plus y penfer ,
Et de mon fouvenir rien ne peut l'effacer.
C'en eft donc fait ; mon coeur , qui malgré luż
foupire ,
Va traîner en tous lieux le trait qui le déchire,
Non , c'en eft trop , Amour , Dieu cruel , laiffemoi
,
Je ne veux plus aimer , j'ai trop vécu pour toi ;
Laiffe-moi déformais , dans une paix profonde ,
Oublier , s'il le peut , qu'Annette foit au monde s
Le trépas , maintenant , eft mon unique eſpoir ;
Je l'attends de fes yeux & de mon déſeſpoir...
Non , tu ne mourras point , Tircis , s'écrie Am
nette ".
En fortant tout- à-coup d'une fombre cachette ,
Un coeur auffi conftant mérite un autre fort :
J'ai voulu t'éprouver , pardonne fi j'ai tort ;
Je connois' , cher Tircis , l'excès de ta tendreffe ;
Vivons , Berger , vivons pour nous aimer fans
cefle ;
A vj
12 MERCURE
DE FRANCE
.
Partage mes loisirs , partage mes travaux ;
Le jour , occupons - nous du foin de nos troupeaux,
Le foir , quand le foleil précipité dans l'onde ,
Viendra rendre la nuit & la fraîcheur au monde ,
Annette , libre alors de tout foin étranger ,
N'aura plus que celui d'être avec fon Berger ;
Tous les deux , retirés dans cette grotte obfcure ,
Ignorés tous les deux de toute la nature
Nous viendrons , loin des yeux de tes rivaux jaloux
,
Livrer nos tendres coeurs aux ttanſports les plus
doux.
Tu charmeras ce lieu des fons de ta mufette :
Je chanterai Tircis , tu chanteras Annette ,
Quelque fois tour- à- tour , fouvent à l'uniflon ;
Et lorfque tu feras pour moi quelque chanſon ,
Un baifer fur le champ deviendra ton falaire.
Qu'il eft doux à ce prix de chanter ma Bergere,
Képond Tircis charmé ; je jure ici ma foi
De n'aimer ni chanter d'autre Belle que toi.
Goûtons bien ce beau jour que l'Amour nous envoie
;
Quel jour ! je ne crains plus que de mourir de joie.
Par M. D ***, de Beaune.
AVRIL. 1775. 13
VERS à M. le Marquis de Miroménil ,
Garde- des- Sceaux de France , faifane
les fonctions de Chancelier.
Du vaifleau de l'Etat bouffole invariable ,
Sage Miroménil , ton génie équitable ,
Par ton coeur dirigé vers le point de l'honneur ,
Marque la route sûre au port du vrai bonheur.
Le favoir du Pilote éclate en fa prudence :
Affis au gouvernail , dont il fent l'importance ,
Le choix de fa bouffole & de fes matelots ,
Fait triompherfon art & des vents , & des flots.
Au milieu des écueils , au plus fort de l'orage ,
Sous de tels conducteurs on craint peu le naufrage
Par M. le Chevalier de Berainville , en luž
préfentantfon médaillon allégorique fur le
retour du Parlement , dans lequel la Ville
de Paris eftfous l'emblême d'un vaiffeauau
milieu d'une mer agitée.
14 MERCURE DE FRANCE .
EPITRE à Madame *** , fur fon
mariage.
C'EN eft fait , pour jamais , vertueuſe Sophie ,
A l'objet de tes voeux le ciel enfin te lie :
Tu
Un oui , ce mot fi court , & fouvent fi fatal ,
Ce port , ou cet écueil de l'amour conjugal ,
Ce mot , pour toi fi doux , & que d'une voix sûre
prononças ; fans doute , a fcellé de ton coeur
Et les purs fentimens , & l'éternel bonheur.
Eh! qu'avois- tu beſoin qu'un ennuyeux Notaire
De ton engagement dreffât le formulaire ?
Un luftre de conftance avoit fixé ton choix ,
Uu luftre de foupirs le confirma cent fois.
L'Amour , dont le flambeau s'allume dans les larmes
,
Eprouvant ton ardeur , ajoutoit à tes charmes :
Chaquejour ton Amant , bleflé de nouveau traits ,
Trouvoit dans l'avenir de féduifans attraits ;
Et , jaloux de fes droits , de vos coeurs , Hymenée
Au livre des époux marqua la deftinée.
Déjà s'eft écoulé le plus beau de tes jours :
Déjà les Ris , les Jeux , les folâtres Amours ,
Miniftres empreflés de ton ardente flamme ,
D'une volupté pure ont pénétré ton âme.
Déjà le nom d'Epoux fuccede au nom d'Amant
AVRIL. 1775. 15
Et l'ardeur du defir fait place au ſentiment.
Les Plaifirs , dont jadis l'honneur t'eût fait un
crime,
Sont pour toi déformais un devoir légitime ,
Et le tribut d'Hymen , dont tu chéris la loi ,
De ton fidele Epoux t'aflurera la foi.
Ajoutant chaque jour aux délices d'un pere ,
Tu doubleras le fit d'une trame fi chere ;
Et le ciel béniffant tes vertus tes travaux ,
·
Remplira ta maiſon , de petits commençaux ,
Qui t'offrant au printemps les doux fruits de Po
mone ,
Couronneront de fleurs les jours de ton automne.
Par le même.
Traduction de l'Ode d'Horace : Donec
QUAND
gratus eram tibi.
HORACE.
des jeunes Amans qui te donnoient leur
foi
J'étois le plus chéri , trop aimable Lidie ,
Hélas ! difois je , aux Rois je porte peu d'envie
Tout fortunés qu'ils font , ils le font moins que
moi.
16 MERCURE DE FRANCE.
LIDIE.
Quand Lidie à tes yeux n'avoit point de rivale ,
Quand , reine de ton coeur , j'en allumois les feux ,
Fiere d'un don fi cher , je doutois qu'en ces lieux ,
Parmi tant de beautés , Lidie eût fon égale .
HORAC E.
Chloé fait m'engager dans de nouveaux liens .
Son luth eft fi touchant & fa voix eft fì belle ! ..
Je ne demande aux Dieux que de mourir pour elle ,
Si du prix de mes jours je rachette les fiens.
LIDIE.
Je fens pour Calais une flamme éternelle .
Je fuis le feul objet de les tendres amours.
Je mourrois mille fois , fi la Parque cruelle
Confentoit à ce prix d'épargner les beaux jours.
HORAC E.
Mais , quoi ! fi rappelant ma premiere tendreffe ,
Dans d'éternels liens j'allois me réunir ;
Si de mon coeur Chloé cefloit d'être maîtrefle ,
Et qu'à Lidie encor il voulût le rouvrir?
LIDIE.
Calaïs eft plus beau que le plus beau jour même ,
AVRIL 1775 .
1 %
Et toi plus agité que les flots en courroux ; =
Mais Lidie eût encor fait fon bonheur fuprême
De vivre & de mourrir en des liens fi doux .
A Aix. Par M. d'Hermite de
Maillanne.
LE BARBET & LE DOGUE.
n
39
Fable imitée de l'Allemand.
BON Bon Dieu ! comme en ce pays
Notre race dégénère !
Que les chiens y font petits !
Les plus foibles ennemis
» Doivent braver leur colere.
Dans le pays des Hurons ,
33 (Je fuivois mon maître Charle )
»J'en ai vu , moi qui vous parle ,
Se jouer à des Lions .
A des Lions ! quel courage !
» Je les ai vu ; c'eſt un fait »
Ainfi parloit un Barbet ,
Tout frais venu d'un voyage.
«Ce récit cft bel & bon ,
»Dit un Dogue d'Angleterre ;
» Mais forcent-ils le Lion
A mordre enfin la pouffiere ?-
18 MERCURE DE FRANCE .
»Je n'en fais rien. - Pourquoi donc
» Tant prôner une chimere ?
»Mais attaquer un Lion ! -
L'attaquer & le défaire ,
-
Ce font deux. Mais cependant ...-
» Cependant rien n'eft moins fage :
» Ces chiens , que tu vantes tant
N'ont que l'orgueil en partage ;
C'eft un fait bien atteſté ,
20 Bien prouvé témérité , :
>
» Comme on dit , n'eft pas courage ».
Par M. Willemain d'Abancourt.
L'HOMME , LE LION & LE Tigre .
SUR
Fable imitée de l'Allemand.
UR les côtes d'Afrique errant à l'aventure ;
Sans guide , fans fecours , luttant contre la mort ,
Un voyageur , dans une nuit obſcure ,
Attendoit que le ciel décidât de fon fort..
Le bruit des flots , qui baignent ces rivages ,
Les hurlemens des animaux fauvages ,
Tout dans fon fein porte une jufte horreur.
Le jour renaît ; & , loin de le rendre à la vie ,
Le jour encore ajoute à ſa terreur.
AVRIL. 1775 . 19
Des fombres bois de la Mauritanie ;
S'élance avec furie ;
Un Tigre qu'un Lion pourfuit avec ardeur. '
Pour cet infortuné quelle horrible détrefle !
Le Tigre l'apperçoit , redouble de vîteffe ,
L'atteint & fond fur lui . Tout faifi de frayeur ,
Le pauvre Voyageur
Chancelle , & le défend avec fi peu d'adreffe ;
Qu'il va bientôt du Tigre affouvir la fureur.
Deftin cruel ! fort affreux !.. Mais la chance
Tourne auffi - tôt : voyant ce combat inégal ,
Le Lion fierement s'avance ;
Hériflé , l'oeil ardent , fur le Tigre il s'élance ,
L'étrangle ; & loin de fuivre fa vengeance ,
Laiflant aller le Voyageur fans mal ,
Apprends , lui cria- t- il , que la reconnoiffance
» Parmi les animaux eft un devoir facré ;
50
"
Autrefois à la mort j'allois être livré ,
Lorsqu'un de tes pareils m'aflura l'existence.
» C'eſt à lui feul que j'ai dû le bonheur
כ כ
D'échapper à la vigilance
» De mon barbare & perfide opprefleur.
» J'ai faim ; mais ne crains rien : va ,
30
ל כ
≫ noiffance
la recon
»En ce moment l'emporte dans mon coeur.
J'apperçois un vaiſleau ; retourne en ta patrie,
Et lorfqu'à ta famille étonnée , attendrie
Turaconteras ton malheur ,
$10 MERCURE DE FRANCE
» Souviens- toi bien , pour ton honneur ,
» Que ce fut un Lion qui te fauva la vie » .
Par le même.
C
LE BONHEUR INTERROMPU.
Il y a quelques jours , Meſdames , qu'en
revenant chez moi , je palai par la plai
ne de Frontenen ; il faifoit prefque nuit ;
j'entendis tout-à coup des foupirs & des
gémiflemens. Il eft naturel de fecourir
les malheureux. J'approchai de l'endroit
d'où partoit ce que je venois d'entendre :
je vis , autant que l'obfcurité put me le
permettre , un homme affis au pied d'un
arbre , la tête appuyée dans fes mains ,
& qui donnoit les plus grandes marques
de défefpoir ; il étoit affez bien mis , & ,
à fa figure , je jugeai qu'il n'étoit pas un
homme du commun ; il ne prenoit pas
garde à moi , & il répétoit toujours : Que
je fuis malheureux ! que mon fort eft
affreux ! Je lui offris mes fecours , & il
ne répondit que par des plaintes amères .
Je lui demandai la caufe de fon état '; s'il
étoit bleffé ; s'il avoit été attaqué par des
voleurs ; s'il avoit perdu fa fortune , fes
AVRIL. 1775 . 21
---
parens , fes amis ; fi l'injustice des hommes
l'avoit couvert de quelque opprobre
; à chaque fois il me répondoit : qu'il
feroit heureux s'il n'avoit que cela à regretter.
Monfieur , lui dis-je , la confiance
foulage les maux , quelle peut - être la
caufe des vôtres ? Tout ce qui dépend de
moi... Ah ! Monfieur , me dit-il , la vie
m'eft infupportable , je fuis le plus infortuné
des hommes , j'ai perdu un ruban ,
Un ruban ? Oui , Monfieur , un
ruban , un ruban couleur de rofe & vert :
il m'étoit plus précieux que la vie ; elle
Y étoit attachée ; je l'ai perdu ici , & fi
je ne le retrouve pas , j'efpère que la
mort... Les pleurs & les fanglots étouffèrent
fes paroles ; mon premier mouve
ment fut de juger fort mal de la raifon
de cet inconnu : mais il étoit malheureux ;
quelle qu'en fût la caufe , il méritoit ma
pitié , & je m'efforçai de le confoler. Je
l'affurai qu'il feroit poffible de trouver à
la ville des rubans couleur de rofe &
vert ; je lui promis d'en chercher chez
toutes les marchandes de mode , & je lui
propofai de fe laiffer conduire chez moi ;
il y confentit avec quelques peines, & fans
faire aucune trève à ſa douleur. Je lui par
lois peu; je vis qu'il ne falloit pas chers
22 MERCURE DE FRANCE.
cher à le diftraire . On fervit le fouper ;
fon affliction ne l'empêcha pas de boire
plufieurs coups de vin , & de manger les
deux tiers du fouper d'affez bon appetit.
Au deffert , il me dit : l'honnêteté eſt
peinte fur votre phyfionomie ; vous infpirez
la confiance , voulez -vous écouter
mon hiſtoire. Je lui dis qu'il m'intéreſfoit
, & que je ne demandois pas mieux
que de favoir en quoi je pourrois lui
rendre fervice. Pour n'être pas long , continua-
t-il , je ne commencerai que depuis
ma naiffance. Je m'appelle Mifis ;
Mifis , dis- je ; je ne connois point ce
nom là à Genève. Vous êtes un nouvel
habitant , ou tout- à- fait étranger Eh !
qu'importe , d'où je fois , reprit - il ; les
malheureux ne font - ils pas de tous les
pays ? Je ne l'ai cependant pas toujours
été ; & fi je le fuis aujourd'hui , ce n'eſt
la faute de la fortune. Je fuis né riche,
& de parens , qui , toute leur vie , fe font
difputés fur la vocation que je devois embraffer.
Mon père vouloit que j'entraffe
au fervice ; ma mère , que je priffe le parti
de la robe : les bonnes gens moururent
fans avoir rien décidé , me laiſsèrent leur
indécifion & affez de fortune . Je crus ne
pouvoir mieux employer ma liberté ,
pas
―
AVRIL.
1775. 23
qu'en apprenant à connoître le monde en
voyeagant, & je voulus commencer par
ma patrie. Je fis mes apprêts , & j'allois
monter dans ma chaife de pofte , lorfqu'elle
fut accrochée pas un caroffe qui
alloit affez vite. Ces deux voitures fe fracafsèrent
; je n'étois pas dans la mienne
& je pus donner des fecours à l'autre , qui
étoit dans l'état le plus déplorable. Trois
femmes en fortirent avec peine . La politeffe
m'ordonnoit de leur offrir des foufagemens.
Elles les acceptèrent . Je différai
mon voyage , & je les reçus chez moi.
Quand elles furent un peu remiſes de
leur frayeur , je leur témoignai la part
que je prenois à ce qui leur étoit arrivé ,
& je les priai d'accepter tout ce qui dépendroit
de moi. La mère , car il
avoit une , me raconta que fa fille , qui
devoit prendre le voile & faire fes voeux
le lendemain , venoit de voir, pour la dernière
fois , fon grand père , qui la dotoit
pour le couvent ; & elle témoigna la plus
grande crainte que cet accident n'apportât
quelque retard à cette cérémonie , à
laquelle elle paroiffoit fort attachée . Tout
ce qu'elle me dit là -deffus commença déjà
à m'intéreffer pour fa fille ; je paffai auprès
de fon lit : elle étoit la plus malade,
y en
14 MERCURE DE FRANCE.
·
elle avoit une très forte contufion à la
tête. Oh ! que je fus frappé en voyant la
plus belle perfonne du monde ! Raphaël
& le Corrège , en peignant leurs vierges,
n'ont pas raffemblé plus d'attraits , plus
de grâces , plus de nobleffe , plus de candeur
; jamais il n'y eut autant de beautés
réunies les linges qui lui enveloppoient
la tête , ajoutoient encore à fes charmes.
-Je comprends , Monfieur , lui dis - je ,
elle reffembloit une Vierge en peinture ,
& fans doute que vous en devîntes amoureux.
Vous n'avez peut - être jamais eu
de paffion , me dit -il. Pardonnez - moi
répondis- je je me mets quelquefois en
en colère. Enfin , Monfieur , continuatil
, je ne fais dans ce moment ce que je
devins ; tout ce que j'éprouvai ne peut
point fe décrite : il s'éleva dans mon ame
des fentimens qui m'étoient inconnus .
Quand je fus un peu remis , je dis ce que
je pus .
Dans la converfation , elle m'apprit
que fa mère lui avoit perfuadé de
fe faire religieufe pour fon bonheur , &
pour laiffer toute la fortune de la famille
à un frère que l'on aimoit beaucoup plus
qu'elle. Je ne vous ferai point le détail
de tout ce qui fe paffa entre nous ; je vous
dirai feulement qu'à force de peines , de
foins
AVRIL. 1775. 25
foins & d'affiduités , je me fis préférer au
couvent , & par la mère , & par la fille ;
au moins à ce qu'il paroiffoit , par une
fuite de circonflances : elles étoient même
reſtées chez moi ; le mariage étoit
fixé à peu de jours ; je me croyois le
plus heureux des hommes. Je fortis un
matin pour faire quelques emplettes : des
affaires m'entraînèrent ; je ne rentrai que
le foir , affez tard. Quel fut mon étonnement
, Monfieur , de trouver , à mon retour
, l'appartement parfaitement défert
tout avoit difparu . J'eus beau
queftionner , demander , m'informer ;
je ne pus rien apprendre de perfonne
; mes recherches furent inutiles ;"
tout fut perdu pour moi . Au milieu de
ma peine & de mon défefpoir , je reçus
un petit paquet , dans lequel il y avoit
un billet & un ruban . Il ne m'a pas éré
difficile de retenir ce qu'il y avoit d'écrit;
il ne contenoit que ces mots : Je vous aimerai
toujours ; je vous fuis attachée pour
la vie ; que ce ruban en foit le gage , tant
que vous me ferezfidèle . Ce billet me rendit
un peu de calme ; je le baifai mille
fois , & je mis le ruban for mon feis .
Les larmes & les foupirs interrompirent
ici fon récit un moment. Je fis encore
II. Vol. B
20 MERCURE DE FRANCE.
des perquifitions , continua -t - il ; je fus
long temps dans l'efpérance d'apprendre long -temps
quelque chofe : tout fut inutile. Je me
déterminai enfin à reprendre mon premier
projet de voyage , & je partis . Je
parcourus plufieurs provinces. Au bout
de quatre mois , j'arrivai à Bordeaux . J'y
entendis parler par- tout de la belle Elmire;
on ne s'entretenoit que de fa beauté
, que de fes grâces , que de fes talens ;
elle occupoit tout le monde ; elle réuniffoit
toutes les attentions . La curiofité me
fit chercher les occafions de la voir , &
je me rendis dans une affemblée où elle
devoit être. Quelle fut ma furpriſe en reconnoiffant
parfaitement ma chère Elmire
, que j'adorois , que je devois époufer
, & qui m'avoit été enlevée ! Mon
trouble & mon embarras furent extrêmes,
Je pris le parti de ne point me faire connoître
d'abord ; je me cachai dans la foule
. Si elle eft infidèle , difois - je , pourquoi
lui donner le plaifir de me l'apprendre ,
& de jouir à mes yeux de quelque nouveau
triomphe, Il devoit y avoir un grand
bal mafqué le lendemain ; je réfolus de
mettre mon ruban en écharpe par- deffus
mon domino. Si je fuis oublié , difois je
encore , elle n'y prendra pas garde ; fi
AVRIL. 1775 .
27
elle m'aime toujours , elle trouvera quelque
façon de le faire connoître . Je n'eus
pas été un moment dans la falle du bal ,
que , près de moi , un mafque tomba en
fyncope. A la quantité de flacons qui for
tirent , à l'empreffement de tout le monde
, je jugeai que c'étoit Elmire , que le
ruban avoit frappée. Je fendis la preffe ,
je m'approchai ; elle revenoit à elle . Que
dois je efpérer , lui dis - je à demi - voix , en
luiferrant la main avec tranſport . Que vous
êtes aimé, me dit- elle , mais fuyez- moi dans
ce moment, & bientôt vous me rejoindrez .
Des marques l'entraînèrent ; je crus reconnoître
fa mère ; je ne perdis pas Elmire
de vue . Dès que je la vis un peu féparée
de la cohue , je l'abordai ; & , après
l'affurance de nos fentimens réciproques,
elle me dit rapidement que fa mère avoit
été perfuadée par fon frère , de ne point ,
nous laiffer marier ; que,puifqu'elle n'entroit
pas au couvent , il falloit tâcher de
la marier à la Cour ; qu'un très - grand
Seigneur l'avoit vue , & l'avoit trouvée
très- belle ; que là - deflus , il avoit établi
des projets de fortune , & que , de concert
avec la mère , il avoit réfola de l'en-
\ lever . Elle m'aflura qu'elle s'étoit vivement
oppofée à leurs deffeins ; qu'elle
Bij
28. MERCURE DE FRANCE .
leur avoit juré mille fois qu'elle n'auroit
jamais d'autre époux que moi ; & que
voyant qu'ils ne pouvoient rien obtenir
d'elle , ils avoient pris le parti de la faire
voyager , pour la dépayfer , & pour lui
ôter les folies qu'elle avoit par la tête.
C'est ainsi , continua - t- elle , qu'ils appellent
la paffion que j'ai pour vous . Venez
demain à midi à notre demeure ; je tenterai
tout auprès de ma mère pour la flé- ;
chir ; vous m'aiderez. Nous nous féparâmes
, de peur d'être remarqués . Je fus
le lendemain chez Elmire . Dès qu'elle
ra'apperçut , elle vint au-devant de moi ,
me prit par la main , & me conduifit à fa
mère . Elle lui jura qu'elle mourroit ou
qu'elle feroit unie à moi . Je me jetai à
fes pieds , & , par nos prières , nous obrînmes
une feconde fois fon confentement.
Le frère d'Elmire , après quelques réliftances
, donna aufli le fien . Pour éviter
de nouveaux malheurs , j'obtins que la
cérémonie de notre mariage feroit fixée
au lendemain , & je pris toutes les mefures
en conféquence. Pour peu que vous
foyez fenfible , Monfieur , vous pouvez
juger de tout ce qui fe paffoit dans mon
ame. Ce jour que je regardois comme le
plus fortuné de ma vie , arrive ; tout eft
AVRIL. 1775 . 29
prêt ; je fuis au comble de la joie ; je
donne la main à Elmire pour monter en
voiture ; dans l'inftant , je reçois un ordre
du Gouverneur de la Province de me
rendre chez lui . J'eus beau repréſenter
qu'un homme qui va fe marier ne peut
recevoir d'ordre de perfonne ; on me dit
qu'il n'y avoit pas un moment à perdre :
il fallut tout renvoyer , & aller. Le Gouverneur
me dit qu'il avoit des avis certains
que j'étois en intelligence & en
correfpondance avec les Anglois ; qu'il
étoit obligé de s'affuter de moi , & que
je devois me rendre à la citadelle . Mes
repréſentations furent inutiles. On me
dit que tout feroit vérifié dans 24 heures
, & que je ferois libre , fi j'étois innocent.
On me permit d'écrire un mot à
Elmire. Je me rappelai qu'elle m'avoit
dit que nous devions nous défier de fon
frère , & mes foupçons ne purent tomber
que fur lui. Il n'y a jamais eu de temps
plus long que ces 24 heures : elles me
parurent un fiècle , & encore furent- elles
prolongées de plufieurs autres. Enfin je
fortis ; je volai chez Elmire . Ah ! Monfieur
, que mon impatience fut trompée :
je ne retrouvai perſonne ; tout avoit fui ,
tout avoit difparu , comme la première
B iij
30
MERCURE DE FRANCE.
fois. La foudre m'auroit moins frappé ;
le défefpoir me fit faire cent folies ; enfin
je courus à la poſte . On me dit que deux
femmes avoient fait prendre des chevaux
; j'en pris auffi , & je courus après.
Au bout de deux jours , je rattrapai une
chaife , que j'aurois mife en pièces, quand
je vis que ces deux femmes qui étoient
dedans m'étoient abfolument inconnues.
Je revins fans pouvoir découvrir aucune
trace d'Elmire . On parla beaucoup de notre
mariage , de ma détention , de fon
départ. Les femmes, qui n'en étoient pas
fâchées , firent cent conjectures confolantes
pour elles ; mais perfonne ne fçut ce
qu'elle étoit devenue. Il me reftoit mon
défefpoir & mon ruban . Avec ce trife
équipage , je continuai mon voyage . Je
reftai long - temps en Languedoc & en
Provence , & au bout de fix mois j'arri
vai à Lyon , toujours trifte , toujours dé
fefpérant de revoir Elmire : l'ennui & le
chagrin me fuivoient par -tout . J'allai un
jour à la comédie . Au moment où j'entrai
au parterre , tous ceux qui y étoient , difoient
: la voilà , la voilà. Tous les yeux ,
toutes les lorgnettes étoient tournées fur
la même loge ; j'y portai aufli les miens .
C'étoit Elmire , qui attiroit tous les re
AVRIL. 1775 .
gards par fa beauté . Je fuis un peu fujet
à l'étonnement , mais ici mon émotion
fut égale à celui que j'éprouvai ; mon premiet
mouvement fut de voler vers elle ',
& de ne pas la quitter un inftant , que les
noeuds qui devoient nous unir ne fullent
formés pour toujours : je préférai cependant
de ne point faire d'éclat au ſpectacle.
Je fus où elle logeoit , je lui écrivis
ces mots : Elmire , je fuis près de vous ,
dois - je mourir ou vivre ; & j'y joignis un
petit morceau de ruban . Elle me répondit
qu'il y avoit bien long- temps qu'elle
défefpéroit de me retrouver ; qu'elle avoit
tout tenté pour avoir de mes nouvelles , &
me donner des fiennes ; que fa mère & fon
frère l'avoient cruellement éloignéedemoi
à Bordeaux ; qu'on l'avoit fait monter en
chaife , fous prétexte d'aller me voit dans
le lieu de ma prifon , & qu'on l'avoit
conduite à Paris , fans qu'elle pût s'en défendre.
Elle ajoutoit qu'elle étoit à Lyon
depuis quelques jours , pour des affaires
de famille , & pour le mariage de fon
frère , qui vouloit toujours traverfer le
nôtre ; qué , dans ce moment , elle prenoit
le parti de s'échapper le lendemain
matin , de fe jeter dans le couvent des
Urfulines , & de n'en fortir que pour me
Biv
32. MERCURE DE FRANCE.
fuivre aux Autels . Heureux de retrouver
Elmire fidèle , je ne penfai qu'à éloignet
tous les obftacles qui pourroient nous
traverfer encore : je pris toutes les mefures
poffibles , & je me rendis au couvent
à l'heure où je jugeai qu'elle pouvoit y
être je la trouvai en effet. Si vous ne
comprenez pas tout ce que doivent fe
dire deux amans malheureux , & qui fe
revoient, il eft inutile que je vous en faſſe
le détail nous convînmes que le lende- :
main nous ferions bénir notre mariage
dans la chapelle du couvent. Nous avions
le confentement de fa mère ; elle devoit
même être repartie après que fa fille lui
eut communiqué fes intentions pour le
couvent ; rien ne devoit plus nous arrêter.
Serai je encore malheureux , difoisje
? Quel nouveau démon s'oppofera encore
à ma félicité ? Je tremblois , mais
j'efpérois cependant que rien ne pourroit
troubler mon fort . Enfin le moment
arrive ; je vais au parloir ; j'y trouve
Elmire ; elle étoit avec la Supérieure
& une perfionnaire . Je croyois avoir tout
prévu , paré à tout ; le Prêtre nous attend,
je conduis Elmire , nous allons à l'Autel ;
enfin , difois je tout bas : je fuis heureux ,
tous mes maux font finis. On commence
AVRIL. 1775. 33
l'Office. A peine le Prêtre avoit - il die
quelques mots , qu'il s'élève une voix
dans l'Eglife qui dit : il eft Huguenot.
On y fit d'abord peu d'attention , & j'étois
bien éloigné de croire que cela me regardoit.
Le bruit augmente peu- à- peu ;
tout ce qui étoit là de peuple crioit : il
eft Huguenot , il eft Proteftant . Alors le
Prêtre me demande s'il eft vrai que je
fuis de la Religion Réformée . Je lui fis
tous les fermens que j'étois bon Catholi-
* que , & que je lui en donnerois toutes les
preuves qu'il voudroit . On s'obſtina à
crier que j'étois Proteftant ; & un homme
même s'avança , & affura qu'il me
connoiffoit bien , & que j'étois Huguenot .
Le Prêtre ne voulut pas continuer la cérémonie
; il dit que la crainte de commettre
un facrilege valoit bien la peine.
de renvoyer de quelques heures ; que j'étois
étranger , & qu'il falloit un nouveau
billet de l'Archevêque , ou au moins de
quelqu'Eccléfiaftique connu . Mais, Monfieur
, lui dis- je , en l'interrompant , pourquoi
, vouloir toujours époufer la même
femme. Ah ! me répondit il , vous ne
connoiffez pas Elmire : il n'y a qu'une
femme au monde , & c'eft elle. Je ne pus
rien gagner, ni par menace ni par pro-
B
34 MERCURE DE FRANCE.
meffe : il fallut rentrer au couvent . I
étoit bien aife de lever ce nouvel obftacle
; mais il falloit renvoyer de quelques
heures , & cette feule idée me mettoit au
défefpoir tout ce qui m'étoit arrivé me
donnoit un preffentiment de ce qui pouvoit
m'arriver encore , & de ce qui m'arriva
en effer. Je portai mes plaintes ,j'obtins
tout ce que je voulus . Hélas ! Monfieur,
quandje revins le foir au couvent , El
mire n'y étoit plus mille morts m'auroient
été moins affreufes . On me dit que , par
un ordre , elle devoit être transférée dans
un autre couvent , & que pour cela elle
étoit partie tout de fuite dans une chaife
de pofte , accompagnée de deux gardes.
Je foupçonnois tout du fière d'Elmire ;
mais je ne concevois pas que depuis qu'el
le étoit aux Urfulines , on eût pu obtenir
cet ordre . Sans m'amufer aux réflexions
& aux poffibilités , je pris des chevaux &
je fuivis fes traces. J'eus bientôt atteint
la voiture qui la conduifoir ; mais les
gardes ne voulurent pas me laiffer approcher
; rien ne put les tenter ; ils ne vou-
Jurent même entrer dans aucune explication
; & quand ils virent que je pourrois
en venir à quelque violence , l'un fe jeta
fur mon épée , & me l'arracha , & l'autre
AVRIL. 1775 . 35
coupa les fangles de mon cheval ; & au
même instant ils doublèrent le pas , &
s'éloignèrent , en me difant que j'étois
bien heureux d'être traité fi doucement.
Si on pouvoit s'ôter la vie avec un fouet
de pofte , qui étoit tout ce qui me reftoit,
je n'exifterois fûrement plus. Je retournai
comme je pus à Lyon ; j'y reftai longtemps
dans l'efpérance d'apprendre ou de
recevoir quelques nouvelles ; enfin , après
avoir attendu plufieurs mois inutilement ,
j'en repartis pour continuer mon voyage .
Genève eft un pays trop intéreſſant pour
être négligé par un voyageur un peu curieux
. Il y a plufieurs jours que j'y fuis , &
aujourd'hui j'étois allé promener dans
l'endroit où vous m'avez trouvé , j'y rêvois
à mes malheurs , à Elmire ; je tenois
ce ruban , que je chéris , & qui étoit tout
ce qui me reftoit de mes efpérances , lorfque
j'ai cru voir Elmire dans un caroffe
qui alloit très vite . L'eſpoir m'a donné
des ailes ; j'ai couru pour m'en affurer :
mais je n'ai pu atteindre la voiture , & le
ruban m'eft échappé ; je l'ai perdu , & je
l'ai cherché inutilement pendant cinq
heures. Je fuis né pour le malheur ; tout
me fuit ; tout s'accorde pour me tourmenter;
je n'ai plus qu'à mourir . Les
·
B vj
36
MERCURE
DE
FRANCE
. fanglots l'empêchèrent d'en dire davantage.
Je le confolai autant qu'il me fut
poffible ; je lui repréfentai que quand même
le bonheur & les femmes échappoient
quelquefois , il y avoit encore des reffources
. Je lui promis de faire d'abord les
plus grandes perquifitions pour découvrir
Elmire ; je lui dis qu'il y avoit une espèce
de café à la cuifine * , où s'affembloit trèsbonne
compagnie ; qu'il y avoit toute
forte de papiers publics , & que peut - être
il apprendroit quelque chofe d'elle ou du
ruban dans les affiches à la main ; & je
lui propofai de l'y accompagner dès le
lendemain . Il y avoit ce jour-là beaucoup
de monde ; plufieurs compagnies étoient
répandues ça & là ; les unes lifoient des
manufcrits , d'autres s'entretenoient ; &
plus loin , fur le gazon , fe formoient des
danfes & des jeux. Mifis y porta fa trifteffe
: il ne prenoit garde à rien ; il avoit
l'air diftrait , rêveur , lorfque tout à coup
je le vis voler comme un trait , & le précipiter
aux pieds d'une femme occupée à
une contredanfe. Il avoit fait mille fermens
, mille proteftations les plus vives ,
* Canton près de Genève , où il y a un trèsgrand
nombre de fort belles maifons de campagne .
AVRIL. 1775 . 37
que l'on n'avoit pas encore pris garde à
lui . Elmire émue , lui tend la main , &
lui dit : Quoi ! Mifis , fi long- temps fans
me chercher , fans me trouver ; ah ! m'è.
tes vous fidèle ? Mifis , fans s'arrêter à une
juftification , jure qu'il ne la quittera plus,
en prend à témoin toute la terre . Alors
on les entoure ; on demande ce qui arrive
; chacun veut être inftruit de l'aventure
; Elmire , avec fes grâces & fa douceur
, raconte , en peu de mots , qu'elle a
été engagée à Mifis ; qu'elle a dû l'époufer;
qu'elle en avoit été féparée par des
accidens imprévus ; enfin , ajouta - t- elle
d'un air un peu méchant , il y a plus de
huit mois qu'il m'a quittée ; je n'ai eu
aucune de fes nouvelles , & je lui ai donné
un ruban qu'il devoit garder auffi longtemps
qu'il feroit fidèle ; qu'il le montre ,
& alors je pourrai le croire & l'écouter.
Toutes les femmes applaudirent à Elmire
, & l'approuvèrent dans la défiance
qu'elle témoignoit ; & lorfque Mifis vou.
lut parler , elles crièrent toutes : le ruban ,
le ruban. Il voulut dire comment il l'avoit
perdu en courrant après Elmire ; il
ne fut point écouté . Je fuis bien malheu .
reux , lui difoit il , je ne vous vois jamais
que pour vous perdre , je ne dois jamais
38
MERCURE
DE
FRANCE
. vous retrouver fans frémir . On n'eft point
femme impunément ; jouir de fon pouvoir
, de fon afcendant eft une douceur
de l'amour- propre que le beau fexe ne néglige
guère : Elmire trouva un plaifiɛ
fecret à mettre fon amant dans la peine ,
& à l'éprouver. C'eft un petit triomphe
dont elle voulut s'affarer ; je ne veux
point vous revoir , lui dit - elle , fans les
gages de mon attachement . Revenez ici
dans 15 jours , vous le retrouverez sûrement;
& alors je remplirai tous mes engagemens
. J'en prends , continua - t - elle ,
toutes ces Dames à témoin : elles voudront
bien s'intéreſſer à nous , & prendre part à la
fin de nos malheurs,& contribuer , par leur
préfence , à notre joie ou à notre confolation
. Mais le Ruban! & au même inftant
elle s'éloigne , & remonte en voiture.
Mifs , combattu par toute forte de fentimens
, ne fait que devenit ; fe lui promis
tous mes fecours ; je lui offris de faire
faire un ruban qui imiteroit parfaitement
celui qui étoit perdu . Non , dit- il , je ne
veux pas tromper Elmire , pour prouver
que je fuis fidèle ; je connois mon
malheur; je ne trouverai rien ; elle me
fera enlevée mais quelle bizarrerie de
faire dépendre ma vie , mon fort , & le
lui
AVRIL. 1775 . 39
que
fien , d'un ruban ? Il répétoit cela à chaque
inftant, & les quinze jours fe pafsèrent
dans la crainte , dans les peines & dans le
défefpoir. Enfin , le temps expiré , nous
nous rendîmes au café . Elmire y étoit
déjà , il feroit inutile de vouloir peindre
fa beauré ; c'étoit l'affemblage de toutes
les grâces ; un air de gaieté relevoit encore
fes charmes ; le ruban Milis regrettoit
faifoit fa feule parure. Pour lui ,
pâle , défait , troublé , n'approchant qu'en
tremblant , if ne voit rien ; le coeur gonflé
, les yeux baignés de larmes , il ne peut
dire , en abordant Elmire , que ces mots
entrecoupés je n'ai plus qu'à mourir
Madame , fi ..... Elle ne le laille point
achever ; elle fe jette dans fes bras . Cher
Mifis , lui dit- elle , pardonne le dernier
chagrin que je te ferai fouffrir ; reçois
ton Elmire plus tendre , plus fidèle que
jamais ; & ce ruban , reconnois- le . Je l'avois
dit que tu le retrouverois , le voilà .
Oublions tous nos maux ; rien ne pourra
déformais nous féparer. Mifis ne peut
croire fon bonheur ; les paroles expirent
fur fes lèvres . Cette fcène touchante attendrit
tous ceux qui en étoient les témoins.
La naïveté , la candeur , la vertu,
étoient fi bien peintes , fi bien exptimées
"
40 MERCURE DE FRANCE.
chez ces deux amans , que tout le monde
s'intéreffa à leur fort. Les femmes embraffent
Elmire , lui font cent queſtions,
cent proteftations d'amitié ; les hommes
envient le bonheur de Mifis , & applaudiffent
à fon choix & à fes fentimens :
tous s'accordent à leur offrir des fecours ,
& à leur donner des confeils fur leur conduite
& fur la manière de terminer le
cours de leurs infortunes. On conclut
que le mariage feroit béni le lendemain à
la chapelle de la Réfidence , où ils font
fûrs même de trouver toute forte de protection
. Milis n'ofoit fe livrer à l'eſpérance
; le bonheur lui a fi fouvent échappé ,
qu'il craindra jufqu'au dernier moment
de le voir fuir encore . Elmire promit de
fatisfaire la curiofité des femmes , qui lui
demandoient fon hiftoire . En attendant
dit elle, il faut que j'inftruife Mifis de ce
qui m'eft arrivé depuis que nous fommes
féparés. L'ordre ne me regardoit point :
une reffemblance de nom fut caufe de la
méprife. Je fus prife pour une autre , &
l'on me fit partir avec tant de précipita
tion , qu'il ne put y avoir aucun éclairciffement.
Nous étions deftinés à être malheureux
encore. On ne s'apperçut de l'erreur
que lorfque je fus arrivée au couvent
AVRIL 1775. 4
"
où l'on me conduifoit . On répondit à
mes plaintes par des pardons , & on me
dit que j'étois libre d'aller où je voudrois.
Dans mon embarras , je ne fus que retourner
chez ma mère , qui m'avoit quit
tée à Lyon , & je demandai d'être conduire
à Paris . Je ne devois pas m'attendre
à être bien reçue , & le récit de mon aventure
ne toucha point ma mère . Dès ce
moment je vécus malheureufe : ce qui ,
joint au chagrin de tout ce qui m'étoit arrivé
, altéra ma fanté. Je tombai dans une
efpèce de maladie de langueur , qui m'au
roit fans doute conduite au tombeau.
Une des amies de ma mère venoit à Genève
pour confulter un habile médecin .
Elle me propofa de l'accompagner pour
le même objet ; & nous en obiînmes la
permiffion & le confentement de ma mère.
Le voyage , qui me rendit quelqu'ef
pérance de vous revoir , me rendit auffi
de la fanté ; & le médecin a eu peu de
peine de me rétablir , depuis que je vous
ai vu. Je vous reconnus bien vîte , lorfque
je paffai près de vous en voiture. L'émotion
ne me laiffa pas la force de faire arrêter.
Je ne l'ofai même pas ; mais mon
trouble fut à fon comble , quand , un moment
après , je vis , entre les mains d'un
42 MERCURE DE FRANCE.
domeftique qui nous avoit fuivis à pied ,
le ruban que je vous avois donné. Je le
lui arrachai avec impétuofité ; je lui fis
cent questions précipitées ; il ne put rien
m'apprendre , finou qu'il l'avoit trouvé
dans le chemin. Il n'avoit vu perfonne ,
& je ne compris pas pourquoi vous l'aviez
jeté. Je ne doutai point cependant ,
que , fi près l'un de l'autre , nous ne nous
reviffions bientôt. Pardonnez - moi , cher
Mifis , la peine que je vous ai caufée pendant
ces quinze jours ; j'en ai éprouvé
peut - être d'auffi fortes : mais n'avonsnous
pas trop fouvent raifon de nous défier
des hommes , & nous avons été ſéparés
fi long- temps ? Mifis ne répondit que
par des foupirs. Trop occupé de fon
bonheur, il ne chercha qu'à l'affurer . Vous
favez , Mefdamės , le reste de leur hiſtoire ;
comment ils fe marièrent le lendemain ,
& comment ils font retournés à Paris heureux
& contens .
ParMM.*** de Genève.
AVRIL. 1775 . 43
Aux trois Capotes du Bal de S... Mde de
P... Mde de L... & Mlle B... que l'Auteur
n'avoit pas reconnues fous ce déguifement
, & à qui il n'avoit pas même
parlé dans le Bal.
PARDON , Meldames les Capotes ;
Hélas ! je m'en veux bien du mal .
Oui , j'ai méconnu dans le bal
Votre prix fous ces paquingotes.
Quels yeux ne s'y feroient trompés ? :
Dans un coin , toutes trois affiles ,
Tous vos charmes enveloppés ,
Aux regards ne donnoient point priſes.
Mon coeur, (vit- on telles mépriſes !)
Mon coeur vous pafloit ſous le nez
Sans reflentir les moindres crifes.
Revenez- y , Capotes grifes ,
Nous n'y ferons plus attrapés ?
Mais vous partez fans qu'on vous voie;
Alors le fecret eft connu .
Ciel ! j'apprends ce que j'ai perdu ...
Guillaume , en apprenant que l'oie
* L'Auteur avoit joué le même jour le rôle de
Guillaume dans l'Avocat Patelin.
44 MERCURE DE FRANCE .
Vientd'être mangée à dîné ,
Ne fut jamais fi confterné.
Encor fi la jeune Capote,
Qui complettoit votre trio ,
Eût fait danſer (on domino ;
Cette grâce qui la dénote
Me l'eût fait connoître bientôt.
A fon maintient noble & modefte ,
A la jufteffe de fes pas,
A la taille élégante & lefte ,
J'aurois preflenti les appas ,
Et je tenois la clef du refte..
Enfin je ne devinai pas
Que ces triftes métamorphofes
Tenoient tant de grâces enclofes ;
Mais je retiendrai la leçon ,
Et ne verrai plus de buiflon
Que je n'aille y chercher des roſes.
Par M. deJ.....
EPITRE A LA FOLIE.
Tor que ce fiècle ofe proſcrire , ΟΙ
Qui cependant fur les efprits
Exerces unfi grand empire ,
Comme l'attefte le délire
De tant d'extravagans écrits ;
AVRIL. 1-7) -
45
Toi que fous le nom de Thalie
Sifflent aujourd'hui nos Savans ,
Epris des beaux raisonnemens
De Melpomene traveſtie ,
En Philofophe de ce temps ;
Permets , agréable Folie ,
Qu'un de tes moindres lectateurs ,
Par l'offre d'un fincere hommage ,
Publiquement te dédommage
Du mépris de tes détracteurs .
Je pourrois , en fuivant l'uſage ,
Satisfaire ma vanité ,
Et me parer du
nom de fage
En dépit de la vérité :
Mais , d'une fagefle empruntée ,
Je hais les vains rafinemens :
J'aime mieux , portant ta livrée,
Partager tes amuſemens ..
Ce goût anti- philofophique
Pourra prêter à la critique
Des cercles brillans de Paris :
Ah ! dira Life à fa toilette ,
Où le trouve un fringuant Marquis ,
Un Savant , un jeune Poëte :
Il faut être bien pea jaloux
D'illuftrer un jour fa mémoire ,
Pour fe faire une vaine gloire
D'être mis au nombre des fous :
46 MERCURE
DE FRANCE
.
A la décifion de Life
Chacun d'abord applaudira:
Notre Marquis perfifilera
L'Auteur d'une telle fottife ;
Le Savant le réfutera
Par les règles de l'analyſe ;
Le Poëte le confondra
Par une piece raiſonnée ,
Où galamment il foutiendra
Que Life eft de vertus ornée ,
Charmante , fage , & cætera ,
Que quiconque en difconviendra
Doit avoir la tête tournée ,
Ce que fans peine il prouvera.
De grâce , athlète redoutable ,
Calmez un peu votre courroux :
Qui , malgréfon ton aigre - doux ,
Life , je l'avoue eſt aimable :
Avec du fard & des bijoux
Elle peut même être jolie :
Mais elle n'eft pas plus que vous
Mon cher , exempte de folie .
N'eft - elle pas , depuis un mois ,
Folle de ce Marquis volage ,
Qui porte un inconftant hommage
A cent Beautés tout à la fois ?
Et ce Marquis , dont la parure ,
Les petits airs de conquérant
AVRIL. 1775 . 47
Font le principal agrément ,
N'eft -il pas fou de la figure ?
Et ce Savant , plein de travers ,
N'eft-il pas fou de fa fcience ?
Et vous , parlez en confcience ,
N'êtes-vous pas fou de vos vers ?
C'eft ainfi , charmante Déefle ,
Que tu fais , fur des coeurs divers ,
Répandre une agréable ivrefle ,
Et par là te rendre maîtrefle
Des habitans de l'Univers .
Qui peut donc empêcher les hommes
De reconnoître tes arrêts ?
Nous te devons ce que nous fommes ,
Et nos plaifirs font tes bienfaits.
C'est toi dont la main complaifante
Sans cefle à nos regards préfente
Les fpectacles les plus flatteurs
Toi qui ranimes l'espérance
D'un malheureux , dont les douleurs
Auroient épuifé la conftance ;
Toi qui , lorfque du fort jaloux
La fureur fur nous ſe déchaîne ,
Sais guérir les plus rudes coups
Quenous avoit portés la haine.
L'homme , privé de ton fecours ,
Etudie en vain la fageffe :
Les nuages de la triſteſle
48 MERCURE
DE FRANCE
.
Obscurciflent les plus beaux jours.
Eh ! peut- il connoître la joie ,
Lorfqu'éclairé par la railon ,
Il voit tout l'Univers en proie
Aux fureurs de l'ambition ;
Lorfqu'il voit l'audace du vice
Infulter la foible vertu ,
Lorſqu'il voit le bon droit perdu
Dans les détours de l'injustice ?
Ta main bienfailante & propice
Dérobe à nos yeux ces horreurs :
Et toujours de nouvelles fleurs
Tu parfemes ce court paffage ,
Dont une fagel : fauvage
Auroit fait un chemin de pleurs.
Qu'un autre ait la folle manie
D'être fage par vanité ,
Moi , je ne fuis point entêté
De cette ridicule envie :
Ami de la fincérité ,
C'eſt à toi que je facrifie ;
Toi feule es ma divinité ,
Et de ton heureuſe influence
J'attends déformais le bonheur :
Car je fuis Amant & rimeur;
Quede droits à ta bienfaiſance !
DIALOGUE
AVRIL. 1775 . 49
DIALOGUE
Entre GALILEE , MALHERBE &
FONTENELLE * .
Un inftant de folie aimable
Vaut mieux qu'un bon raiſonnement.
Car. de Bernis.
GALIL É E.
TE voilà donc defcendu auffi aux enfers
? Tes Mufes , ton Apollon , tes vers ,
rien n'a pu te garantir des traits de l'a
mort : encore fi en buvant de l'eau de
cette charmante fontaine , à laquelle tu
t'enivrois fi fouvent , tu avois trouvé le
fecret de prolonger tes jours , je refpecterois
volontiers la poëfie & les Poëtes ;
mais puifqu'il faut mourir , & que per-
* Ce Dialogue a été composé à l'occafion d'un
petit différend qui s'eft élevé dans une fociété
d'amis , entre un Mathématicien Aftronome, dont
le nom eft connu , & un jeune Poëte. L'Auteur fut
engagé à chanter cette petite querelle , qui fe termina
par la lecture du Dialogue qu'on préſente au
Public.
II. Vol. C
30
MERCURE
DE FRANCE .
fonne n'eft exempt de cette loi générale
de la nature , j'aime mieux avoir été un
bon Phyficien qu'un grand Poëte : je ne
fais pas même fi je voudrois retourner fur la
terre pour le devenir , quand bien même
il plairoit à Pluton de m'y renvoyer , &
de me donner mon paffeport pour l'autre
monde.
:
MALHER BE.
On ne m'avoit donc pas trompé en
me difant fur la terre que tu avois perdu
la tête je n'en ai rien voulu croire , j'ai
attendu pour juger par moi - même ; je
vois aujourd'hui qu'on ne m'en a point
impofé . Mais.... fi cette fontaine d'Hypocrêne
, dont tu parles avec tant de mépris
, ne peut prolonger nos jours d'un
inftant ; il me femble de même que l'eau
qu'on t'a fait boire dans les prifons de
l'Inquifition n'a pu te rendre le bon fens
que tu avois perdu .
GALILÉE .
Voilà de belles idées poëtiques ! Tu
aurois bien dû y mettre un peu de rime ;
car il n'y a pas trop de raifon. Pour me
donner une plus haute idée de la poëſie ,
pourquoi me parler en profe ? Les char
AVRIL. 1775 .
Sr
mes qu'a naturellement un vers harmonieux
& bien cadencé , auroient pu me
faire illufion peut être que...
MALHER BE.
Le détracteur d'un talent auffi fublime
n'est point digne d'entendre le langage
des Dieux.
Mais , dis - moi , d'où te vient ce dégoût
? pourquoi tant méprifer les Poëtes ?
As tu la vanité de te croire un perfonnage
plus important qu'Homère , Virgile
, Anacréon , Sapho , Pindare , Horace
, & tant d'autres que je pourrois te
citer ? Tu ferois bien heureux de les atteindre
& de marcher d'un pas égal à
l'immortalité qu'ils ont acquife. Je fuis
tenté de croire que tu as encore la tête
dans les cieux , & que tu cours après
les Satellites de Jupiter .
GALIL É E. ·
Vains propos ! vaines déclamations !
Je reconnois à ces traits la gent poëtique
, toujours jaloufe , toujours envieufe
du bonheur d'autrui . Hélas ! comment ne
feriez- vous pas jaloux de la gloire des
étrangers , puifque vous l'êtes les uns des
Cij
32 MERCURE DE FRANCE,
autres , au point de vous déchirer par
les fatires les plus fanglantes .
MALHER BE.
Que les mauvais Poëtes foient jaloux
les uns des autres , qu'ils fe piquent ,
qu'ils fe mordent , qu'importe ! cela décide-
t-il la queſtion ? As- tu pour cela le
droit de méprifer la poëfie & les Poëtes
en général ? Pour un Mathématicien , tu
tires des conféquences bien fingulières ;
tu nous fais là une bien pitoyable équa
tion,
GALILÉE.
Pour te prouver que je n'ai pas fi tort
que tu te l'imagines , voyons un peu à
quoi vous paffez votre vie , vous autres
Poëtes : quelle eft votre étude ? quels font
les objets qui vous fixent ?
Perchés fur un Pégafe imaginaire ,
vous vous croyez perpétuellement dans
les forêts du Pinde & de l'Hélicon , où
vous careffez des Mufes encore plus imaginaires
; votre imagination vagabonde ,
ou plutôt le démon qui vous obsède , ſe
crée une Nymphe , dont la figure chiffonnée
vous trouble le cerveau : vous vous
tandis
croyez toujours auprès d'elle >
AVRIL. 1775. 53
qu'elle fuit loin de vous ; vous paffez les
jours & les nuits à pleurer , à gémir , &
le tout fans rien perdre de la gaieté qui
vous eft naturelle.
Là , c'est une fleur qui vous occups
des femaines entières ; ici , c'eft un bouquer
pour Thémire : là , un compliment
pour Eglé qui vous adore , & qui cepen.
dant ne vous connoît pas ; ici , c'eft le
chien de Mélanie à qui il faut ériger un
cénotaphe : plus loin , c'eft l'oifeau de
Sylvanie dont il faut faire l'apothéofe :
enfin il n'eft point de finge , de chien ,
de chat qui n'ait des vertus , & un Poëre
pour
les chanter. Heureux ! G le fruit de
fes travaux & de fes veilles ne faifoit
point dormir les autres ! Quelle belle occupation
pour un homme qui afpire à
I'immortalité ! Voilà cependant celle de
prefque tous les Poëtes,
Tandis que vous végétez fi infipidement
, à charge à vous - mêmes & aux
autres , femblables à l'aigle audacieux ,
nous nous élevons d'une aile rapide jufques
aux nues ; admis dans les cieux ,
nous entrons dans le palais des Dieux
que vous invoquez en vain fur la terre :
nous leur donnons des loix , nous conmoiffons
tous leurs fecrets , nous éclairons
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
toutes leurs démarches , enfin rien n'é
chappe à nos yeux .
Cette Vénus fi célèbre dans vos écrits ,
nous la forçons à nous obéir : c'eſt nous
qui compofons fa Cour , tandis que vous
êtes à vous morfondre en rimaillant à la
toilette de quelque Aventuriere , à qui
vous prodiguez ce nom .
Cet Apollon qui vous fait perdre la
tête à tous , & que vous ne pouvez invoquer
fans être hors de vous-mêmes , nous
le voyons , nous converfons avec lui ;
attachés fut fes pas , nous le fuivons partout
il ne peut faire une démarche fans
que nous n'en foyons informés fur le
champ. Je ne finirois pas , fi je te nommois
les Dieux & les Déeffes que nous
vifitons dans les cieux ,
Après cela oferas- tu me le difputer ,
& prendre le pas fur moi?
MALHER BE.
Oui. Tu plaides fort bien ta caufe ,
de manière même à la gagner , fi tu n'avois
perfonne pour te contredire : mais
tu en es bien loin , & j'efpère te faire
rabattre de tes prétentions.
Vous compofez la Cour de Vénus, disAVRIL.
1775 . 55
tu , vous la fuivez de l'oeil quand elle va
rendre viſite au Soleil ; vous connoiſſez ,
vous prévoyez même toutes fes démar
ches ; j'en conviens pour un inftant :
mais eft- il bien vrai que vous lui faites
faire tout ce que vous voulez ? Contemplez-
vous de près ces puiffans attraits ,
ces charmes féducteurs , qui la rendent
la Reine & la plus belle de toutes les Divinités
? Voyez vous cette ceinture magique
, auffi précieufe à l'Univers que
toutes les découvertes aftronomiques enfemble
? Voyez- vous à fes côtés les Grâces
, les Ris , les Jeux , les Amours , formant
autour d'elle un grouppe aimable ,
folâtrer & jouer fur un tapis de verdure ?
Elt- ce là ta Vénus ? La reconnois - tu à ce
portrait ? Celle que tu nous vantes tant
eft une petite malheureufe étoile , à qui
des Laboureurs groffiers & ignorans ont
donné ce nom , & qui tourne comme
une évaporée autour du Soleil ; encore
vous autres Aftronomes , vous ne pouvez
la voir quand vous voulez , il faut que
le ciel vous favorife ; fans cela , adieu
votre Vénus : nous , au contraire , à toutes
heures du jour , à toute faiſon , nous
pouvons voir la nôtre. Qu'il pleuve ,
qu'il grêle , qu'il vente , qu'il neige , ad-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
mis dans fon appartement , car elle fe
plaît à defcendre fur la terre pour fe faire
voir aux mortels , nous la voyons , nous
lui parlons elle ne dédaigne pas de
nous répondre par quelques faveurs , qui
nous dédommagent bien de notre travail
& de nos peines : elle a bien voulu
prêter fa ceinture au divin Homère , pour
qu'il pût chanter plus élégamment fes
divins appas. Que peux - tu me répondre
à cela ?
Ce Soleil que tu nous vantes tant ,
ofez- vous le fixer? le pourriez vous même
quand vous le voudriez ? Vous ne
pouvez le regarder & le voir qu'au bout
de vos lunettes ou en defcendant au fond
d'une cave; encore faut-il qu'il le veuille
& qu'il fe prête à vos defirs , en écartant
les nuages qui pourroient vous le dérober
: nous , au contraire , nous le trouvons
toujours prêt , quand nous l'appelons ;
pour nous fa Cour est toujours ouverte ;
au lieu des pauvres Planètes que vous
voyez errer géométriquement autour de
lui , nous nous mêlons aux Mufes qui
l'accompagnent & qui forment fa Cour ;
nous entendons les unes tirer des fons
agréables d'une lyre d'or , tandis que les
autres le difputent aux roffignols & aux
AVRIL. 1775. 57
oifeaux des bocages , par la douceur &
l'harmonie de leurs chants .
Après cela , viens nous vanter la beau
té des corps céleftes , qui ne vous donnent
de repos , ni jour , ni nuit . Ne vautil
pas mieux converfer avec une Nymphe
aimable , qui nous adore... que de paffer
fa vie un compas & une lunette à la
main , à faire des obfervations , qui à la
fin ne font d'aucune utilité.
Tantôt c'eft votre vieux Saturne qui
perd fon anneau ; il faut fécher & pâlir
fur vos livres ; chercher par b +y + x
le jour , l'heure , la minute même à laquelle
il fe retrouvera . Dis moi , n'es- tu
pas bien avancé quand tu vois reparoître
un anneau dont tu ne peux faire aucun
ulage ?
Tantôt c'eft votre grimacière de Vénus
qui fe donne les airs de paſſer fur
le Soleil , & qui vous fait courir les
mers , braver les orages , les tempêtes ,
les brouillards , les vents , le froid & le
chaud , la mort même : pourquoi ? Souvent
pour rien . Car fi elle eft de mauvaife
humeur , elle choisit pour voyager un
temps noir & nébuleux ; elle palle , &
vous ne la voyez pas , & vous êtes force
de lui fouhaiter le bon foir , & de reve-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
nir triftement dans vos bateaux manger
du bifcuit & boire de l'eau .
Tantôt enfin , cette Lune quinteufe fe
cache derrière le Soleil : il vous faut être
aux aguets pour favoir quand il lui plaira
de revenir. Quand vous avez examiné
bien regardé , en êtes-vous plus avancé ?
Un Laboureur , un Artifan , un homme
quelconque , en fait prefqu'autant que
vous : il voit la Lune s'éclipfer , il s'en
confole ; il s'imagine voir une Belle irritée
qui boude fon Amant. Quand elle reparoît
, il peut dire , auffi bien que le premier
Aftronome , il y a eu hier une
éclipfe de Lune , & il est tout auffi avancé
que vous.
Il n'en eft pas de même de nous :
Vénus a- t-elle perdu fa ceinture , nous
l'avons bientôt trouvée . Le deffin en eft
dans notre tête : nous lui pouvons même
en fubftituer une plus belle que celle qui
étoit perdue nous la préfentons nousmêmes
; un fourire eft le prix dont Vénus
paye notre travail : car il n'eft pas donné
à tous de partager les faveurs qu'elle
n'accorde qu'après une longue fuite de
victoires.
Diane veut- elle s'égarer dans les bois ,
nous la fuivons d'un pas rapide , ' nous
AVRIL. 3775. 59
arrivons auffi tôt qu'elle au rendez - vous :
une eau claire & limpide la reçoit dans
fon fein ; alors , fi nous craignons d'alar
mer fa pudeur & de fubir le fort du malheureux
Actéon , un habit de Nymphe
nous tire d'embarras ; nous avançons ;
bientôt le même bain nous reçoit : nous
contemplons à loifir ces appas féduifans ,
qu'un mortel ne peut appercevoir fans.
être puni de fa témérité.
Viens nous dire à préfent que les Poëtes
ne travaillent que d'après les Aftronomes
& les Géomètres ; je te renverrai
bientôt à tes calculs & à tes livres.
GALILÉ E.
J'aurois prefque envie de croire tout
ce que tu viens de me dire , fi je n'étois
prévenu que vous autres Poëtes vous ne
parlez jamais fans fiction , fans changer
toujours du blanc au noir ; vous défigurez
tout , & après avoir retourné un objet de
mille façons , vous croyez l'avoir appro
fondi ; vous n'avez fait que l'effleurer ,
& vous finiffez par perdre la tête.
MALHBR B E.
Je voudrois bien ſavoir qui l'a perdue
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
de toi ou de moi : j'en fais Juge la première
Ombre que nous allons trouver .
J'apperçois celle de Fontenelle : depuis
trois jours il eft ici ; lui qui a fi
bien fait parler les vivans & les morts ,
& qui d'ailleurs a été Poëte & Géomètre
, peut bien nous juger ; prenons le
pour arbitre. S'il a pris un parti plutôt
que l'autre , dans certaines circonstances ;
c'eft qu'il eut des efprits fins & délicats ,
un fiècle éclairé à ménager mais ici il
n'a plus rien à redouter ; fon jugement
ne peut te paroître fufpect. Il me femble
qu'il pénètre mon deffein , car il s'avance
un peu plus vite.
Confidére fa démarche , cet air enjoué,
badin & fpirituel , ne crois - tu pas
voir le Soleil fe lever & rendre à la nature
la beauté & l'éclat que la nuit lui
avoit fait perdre. Réponds : a.til l'air
d'avoir perdu la tête ?
GALILÉ E.
Fontenelle étoit plutôt Géomètre &
Phyficien que Poëte ; & en cette qualité
la perdre. il n'a pu
MALHER BE,
Ne l'as-tu pas perdue toi , en me difanı
AVRIL. 1775 .
61
que Fontenelle doit fa réputation plutôt
à la géométrie qu'à la poëlie ? Mais , finif
fons ; le voici .
« Nouvel habitant de ces régions for-
» tunées , c'eſt à toi à nous juger : fois
» l'arbitre du différend qui nous retient :
je vais t'en expliquer la caufe ».
FONTENELLE.
Il me fuffit.... Je fais quel eft votre
différend . Caché à l'entrée de ce bois de
myrte & d'orangers , je n'ai entendu qu'à
regret vos récriminations . Pourquoi vous
difputer ? N'avez- vous pas chacun votre
mérite particulier ? Pourquoi chercher à
vous dénigrer mutuellement. De tout
teinps l'aftronomie & la poëfie ont été
regardées comme deux foeurs également
refpectables : mais la poëfie a toujours eu
l'avantage fur l'autre; ainfi l'ont voulu
les Dieux . Un bon Poëte & un habile
Géomètre ont leur gloire & leur répu
tation indépendante l'une de l'autre : ainfi
point de débats .
Toi donc , Galilée , quitte cette hu
meur noire & atrabilaire , quand tu par
les des Mofes & d'Apollon , que tu n'as
jamais vus que de loin ; ne dérange point
la couronne de Vénus , ne foule point
62 MERCURE DE FRANCE.
aux pieds les fleurs qui la décorent : ton
étoile brillante , que tu affectionnes tant
& que tu aimes à voir tourner autour du
Soleil , trouve- là charmante : mais trou
ve auffi Vénus plus aimable & plus
belle , quand on te la montrera endormie
fous un berceau de roſe & de myrte ,
l'Amour fur fon fein , & deux colombes
à fes côtés .
Suis Diane avec nous dans les forêts ,
mêle toi au cheur de fes Nymphes , &
va voir enfuite , fi tu le veux , quel jour
la Lune fera dans fon plein . Enfin , tu
ne ferois plus un grand homme fi tu
étois l'ennemi de celui qui partage avec
toi un beau titre .
Avance ; place - toi entre nous deux ,
& viens boire au fleuve Léthé , pour oublier
ce que tu as dit contre un talent
qui fera toujours le plus propre à conduire
un homme à l'immortalité.
Par M. l'Abbé de Baville.
LE PROCES NON JUGÉ.
SUR deux piés que la Chine envieroit à la France;
Deux Amis hier difputoient ;
AVRIL. 1775 . 63
L'un étoit pour Clarice , & l'autre pour Hortenfe :
Tous deux , avec même éloquence ,
Très- naïvemeut s'expliquoient.
Pour terminer l'importante querelle .
Ils décident que chaque Belle
Mettra fon joli petit pié
Dans le foulier de ſa rivale.
L'expédient et employé ,
Des deux piés la forme eft égale ;
Et le procès n'eft pas jugé.
Jadis , dans la Grèce étonnée ,
Un Berger , des Dieux protégé ,
Vit un pareil débat . Vénus fut couronnée ;
Le Berger fe vit applaudi ;
Et la Grèce brilla d'une gloire nouvelle.
La France eft , en ce point , plus illuftre aujourd'hui
;
Deux Vénus , dans fon fein , la rendent immortelle.
LE
mot de la première Enigme du
volume précédent eft Chaife à Porteur ;
celui de la feconde eft Panache ; celui
de la troisième eft Clef; celui de la
trième eft Cloche. Le mot du premier
Logogryphe eft Rideau , où fe trouvent
ride & eau; ceux du feco font Pierre
qua64
MERCURE
DE FRANCE
.
( Saint ) , pierre ( ſacrée ) , pierre en géné
ral , pierre ( diamant ) , pierre des reins ,
pierre d'aimant , pierre d'attente , pierre
philofophale ; celui du troisième eft Mai
fon , où l'on trouve Mai & fon.
Αν
ENIGM E.
u temps jadis , une Vertu
Vint me demander un afyle .
Son air paroifloit abattu
Et fon coeur n'étoit point tranquille
Je fus fenfible à fes malheurs.
Ses infâmes perfécuteurs
De fon Trône l'avoit chaffée.
L'accueil que je lui fis fut des plus gracieux,
Et je la cachai de mon mieux.
Tant d'amitié lui plut & fut récompenfée.
L'aimable fugitive ayant lu ma penſée ,
De fon deffein daigna s'ouvrir ;
Et dès ce jour , de préférence ,
Dans mon fombre palais fixa ſa réfidence.
Ce n'eft donc que chez moi qu'on peut la décou
vrir .
Or ce palais préfente une figure ronde ,
Selon les cas , ou plus ou moins profonde
Et je puis dire, en vérité,
AVRIL 1775 : 65
1
Dela plus grande utilité .
Fréquemment l'on me rend vifite :
Et ce qu'on vient prendre chez moi
Eft néceflaire à la marmite ,
Sans parler de maint autre emploi ;
Car on connoît mon favoir faire .
Je fuis par fois affez bien décoré ,
Très-fouvent je ne le fuis guère ,
Quelquefois même auffi je parois délabré.
4 Toujours le meflager , quel qu'il soit qu'on
m'envoie ,
Par le cou fufpendu vifite mes lambris .
Ce qui te furprendra , Comus même m'emploie
Pour amufer les badauts de Paris.
Lecteur , plus d'une fois j'aurois bien pu paroître
Ates piés , & partant te caufer quelque effroi.
Si ce n'eft pas aflez pour me faire connoître ,
Parbleu , Lecteur , arrange - toi.
Par M. Vincent , Curé de Quincy.
AUTRE.
Mon pere eft l'air; & ma forme eft fphérique ON
Je fuis légere , éclatante , élastique .
J'offre aux regards les plus vives couleurs ;
En me brilant , je m'exhale en vapeurs.
Deux élémens compofent mon effence ;
66 MERCURE DE FRANCE.
D'un autre agent je tiens ma confiftence .
Mon volume eft ou plus ou moins petit.
Le moindre choc m'anéantit ;
Et très-fouvent je ceffe d'être
Au moment où je viens de naître.
Un fouffle léger me produit ;
Un fouffle trop prompt me détruit.
Aux amuſemens
de l'enfance
Je dois ma trop courte existence.
Atous ces traits on voit combien
Il eft ailé de me comprendre
.
J'ajoute encor : veut on me prendre ?
Je difparoîs ; on ne tient rien.
Par M. L. J.
AUTR E.
Jx fuis des criminels ce qui faifoit l'effroi ;
J'ai fervi de fupplice au plus jufte des Rois.
Deftinée aujourd'hui poar un plus noble uſage ,
De l'Univers entier je reçois les hommages.
Par M. F **.
AVRIL. 1775 .
67
DANS
AUTRE.
is plus d'un attelier la main - d'oeuvre
m'opere .
Prenez garde , Lecteur , fouvent lorsqu'on me
fait ,
Je pourrois vous rompre en vifiere :
Je pars auffi vice qu'un trait.
Pris dans le fuperflu , je fuis pour l'ordinaire
Très utile au befoin : mais je dure fort peu ;
En fortant des mains de mon pere
Je pafle volontiers au feu.
Par M. Hubert.
LOGO GRYPHE
Au Chimifte je fuis utile ,
Ainfi qu'à la charmante Emile :
De moi l'un & l'autre font cas ,
L'un pourremplir un devoir falutaire
Qui peut garantir du trépas ;
L'autre pour amufante affaire ,
Où fon goût ne ſe dément pas.
Emile connoît mon mérite,
68 MERCURE DE FRANCE,
Elle m'embellit chaque jour ;
A me voir chacun elle invite ;
Je fuis enfin l'objet de fon amour :
Mais cet amour à fa conduite
Ne peut faire le moindre tort ;
On feroit même un vain effort
Si l'on cherchoit à la trouver coupable :
Emile , auffi fage qu'aimable ,
Dans la vertu puiſe tout fon bonheur.
Mais il faut donner au Lecteur
Plus d'un moyen pour me connoître.
Onze pieds préfentent mon tout:
Combinez les , & vous verrez paroître
Ce qui fert de pafle - par tout ;
Certain péché que l'on abhorre ;
Ce que chérit l'aimable Terpficore ;
Ce qui peut flatter notre goût ;
Un bruit qui caufe la furpriſe
Et nous fait rire en même temps ;
La fource de mille accidens ;
Le lieu qu'un libertin mépriſe ;
Ce qui toujours garde le feu ;
Le culte que l'on rend à Dieu ;
Un fils de l'époux d'Amphitrite ,
Jadis par un Peuple adoré ,
Et par les Juifs peu révéré ;
Une Beauté dont le mérite
Déplut à la fiere Junon ;
AVRIL. 1775% 69
La Nayade du fleuve Almon
Conduite aux Enfers par Mercure ;
Le vêtement de la Magiſtrature ;
Enfin ce qui couvre un ânon .
AUTR E.
A Mademoiselle Rom *** à Nantes.
Je fuis battu par deux femelles ;
De mes lept pieds , Iris , mettez en deux à bas ,'
Et je ferai ce Dieu qui ne porte des ailes
Que pour voltiger (ur vos pas.
Par M. Lagache, fils:
AUTRE.
L'ON me trouve , Lecteur , à la ville , an vile
lage ,
Même dans les fimples hameaux :
L'une de mes moitiés voit naître le feuillage ,
Et l'autre anime les échos.
Par le même.
70 MERCURE DE FRANCE.
"
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Roger & Victor de Sabran , Nouvelle
Françoife ; par M. d'Uffieux ; in - 8 °.
avec figures. A Paris chez Brunet , Lib.
rue des Ecrivains .
CETTE Nouvelle , qui fait partie du
Décaméron François , eft la neuvième
de ce recueil entrepris par M. d'Uffieux .
L'Auteur en a placé l'époque fous Louis
IX. « Ce Prince , toujours guidé par la
fageffe dans la diftribution des grâces.
» & des honneurs , venoit de remettre
» dans les mains d'Amauri de Montfort
» l'épée de Connétable , dont la mort
» avoit dépouillé Matthieu de Montmo-
» renci , furnommé le Grand par fon
» fiècle & la postérité. Depuis ce jour , le
» Château d'Amauri étoit devenu le ren-
» dez vous de cette jeune & brillante
Nobleffe , qui prétendoit à la gloire
» de venger l'honneur de Dieu & celui des
» Dames. Les Provinces les plus éloignées
y envoyoient à l'envi l'une de
» l'autre , les précieux rejetons de leurs
Gentilshommes , auffitôt qu'ils avoient
و و
AVRIL. 1775. 71
"
"
"
atteint leur feptième année . On favoit
» que cette illuftre jeunelfe y vivoit fous
» les loix d'une difcipline févère , qui
l'épuroit pour ainsi dire , & la rendoit
digne de monter un jour au Temple de
» l'honneur ; mais ce qui ajoutoit fur-
» tout à l'éclat de cette école de Chevalerie
, c'étoit Emilie , la fille d'Amauri .
» La renommée avoit fait connoître à
» toute l'Europe les charmes & la courtoifie
de cette jeune Beauté . Chaque
» père étoit jaloux que fon fils fût formé
» par elle à la Religion & au commerce
» du monde : car on doit fe fouvenir que
» les Dames étoient chargées d'enfeigner
» à cette fleur de Nobleffe , & le cathé
"
"
"
30
"
chifme & l'art d'aimer. Emilie venoit
» d'atteindre fa dix feptième année , lorſ.
qu'arrivèrent à la Cour de fon père
Roger & Victor de Sabran , deux frères
jumeaux déjà hors de page depuis quatre
» ans , & d'une reffemblance fi parfaite ,
» que leur mère elle - même avoit be-
»foin , pour les diftinguer , de donner
» à Victor une écharpe écarlate qu'il ne
»
"
quittoit jamais. Quoique déjà formés
» aux fonctions pénibles d'Ecuyer , ils
» vouloient perfectionner leur éducation
» chez le Connétable , & mériter de re72
MERCURE
DE FRANCE
.
39
"
n
cevoir fous lui le haut grade de Che-
» valier. Trois années leur reftoient en-
» core à paffer dans ces longues épreu
» ves , avant de toucher à l'âge de vingt
» & un ans , terme ordinaire auquel on
pouvoit obtenir l'Ordre de Chevalerie .
» A peine furent- ils au milieu de cette
brillante jeuneffe , raſſemblée dans le
» Château d'Amauri , qu'une fecrette voix ,
une certaine fympathie d'humeur firent
diftinguer Roger par Emilie. Lorfqu'en-
» tourée d'un cercle nombreux elle te-
» noit école de Religion & d'Amour , elle
s'adreffoit à lui plus fouvent qu'à tout
» autre. Le fourire qu'elle donnoit à
» fes réponſes étoit toujours gracieux . Si
elle le voyoit difputer à fes camarades
le paffage d'une rivière , la prife de
quelque fortereffe ; un tendre intérêt ,
» dont elle ne foupçonnoit point la caufe
, tournoit auffitôt fon coeur vers le
» plus aimable des deux frères , & lui
faifoit fouhaiter de lui voir remporter
la victoire . De leur côté , Roger &
» Victor nourriffoient pour elle une égale
» tendreffe : mais comme l'amour reçoit
» toujours l'empreinte du caractère de
39
39
"
39
celui qu'il maîtrife , il étoit modefte ,
intéreflant dans Roger ; dans Victor ,
» ardent ,
AVRIL. 1775 . 73
» ardent , impétueux & toujours voifin
» de la jalousie
L'Auteur , dans la fuite de cette Nouvelle
, nous développe ces deux caractères
par les fentimens qui leur font prodes
actions relatives à l'an- pres, & par
cienne Chevalerie . Il tire même fon
dénouement du choc de ces deux caractères
; mais ce dénouement pourra révolter
quelques Lecteurs. Ils fouffriront de
voir la belle Emilie exiger de Roger une
vengeance cruelle d'un Chevalier qui
avoit refufé de fecourir une Beauté malheureufe
. Ce Chevalier difcourtois fe
rend à un tournois que Louis donnoit à
Paris pour célébrer les noces des Princes
Robert & Alfonfe , frères du Monarque.
Roger , pour obéir à fa Maîtreffe , cherche
l'inconnu dans la lice , l'appelle
au combat , l'attaque , & le bleffe à
mort. Il s'approche de fon ennemi renverfé
, lui détache fon cafque & découvre
fon vifage. Quel coup de foudre
pour le Chevalier victorieux ! « Ceft
» mon frère , s'écria t - il , c'eft Victor
» que j'ai égorgé ! Et il tombe fans
force , fans voix & fans chaleur à côté
du mourant. Quelques mois s'écoulèrent
avant que Roger pût fe confoler de for
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
crime involontaire ; mais enfin l'amour
triompha de fa douleur. « Emilie , dit
» l'Hiftorien , devenue l'époufe de fon
» amant , redoubla de foins & de tendreffe
, & ferma une plaie qui avoit
faigné trop long- temps » .
"
"2
Précis des maladies chroniques & aiguës ;
par M. Didelot ; fervant de faite à
l'avis aux gens de la campagne du même
Auteur : contenant l'hiftoire des
maladies , la manière de les traiter.
d'après les plus célèbres Médecins ;
avec des remarques & des obfervations
très- intéreffantes pour la pratique.
Inventionis remediorum omnium due nobis
funt inftrumenta , videlicet experientia &
ratio.
?
Gal.
2 vol . in 12. A Nancy, chez Matthieu ,
Marchand Libraire.
L'Auteur , dans un Difcours préliminaire
qui fert d'introduction à cer Ouvrage,
nous entretient des changemens
& des altérations qui s'opèrent dans la
nature , & particulièrement qu'éprouve
le corps de l'homme. « Ce corps n'eft
1 - AVRIL. 1775. 75
32
2
"
>>
.99
corps
de-
» pas plutôt arrivé à fon point de per-
» fection , qu'il commence à déchoir ; le
dépéciffement eft d'abord infenfible ; il
» fe paffe même plufieurs années avant
» que nous nous appercevions d'un chan .
gement confidérable : mais à mesure
» que nous avançons en âge , les os , les
cartilages , les membranes , la chair,
la peau & tous les fibres du
» viennent plus folides , plus dures &
plus féches ; toutes les parties du corps
» ſe retirent , ſe refferrent ; tous les mou-
» vemens deviennent plus lents , plus
difficiles ; la circulation des fluides fe
» fait avec moins de liberté , la tranfpi-
» ration diminue , les fecrétions s'a tè-
» rent , la digeftion des alimens devient
» lente & laborieufe ; les fucs nourriciers
" font moins abondans , & ne pouvant
» être reçus dans la plupart des fibres ,
» devenus trop foibles , ils ne fervent
plus à l'entretien ; ces parties , trop foslides
, font des parties déjà mortes ,
puifqu'elles ceffent de fe nourrir ; le
corps meurt donc peu - à- peu & par
» parties ; fon mouvement diminue par
degré ; la vie s'éteint par nuances fuc-
» ceffives , & la mort n'eft que le dernier
»terme de cette fuite de degrés , la der-
» nière nuance de la vie ».
39
ท
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE.
Lorfque le corps eft bien conftitué ,
peut être eft il poffible de le faire durer
quelques années de plus en le ménageant
; il fe peut que la modération dans
les paffions , la tempérance & la fobriété
dans les plaifirs , contribuent à la durée
de la vie ; & M. Didelot cite ici l'exemple
de deux vieillards dont il eſt fait
mention dans les Tranfactions Philofophiques
, dont l'un a vécu 165 ans &
l'autre 144. L'Auteur rapporte auffi d'au
tres exemples qui prouvent que le régime
le plus dur , quand il eft naturel ou volontaire
, eft le plus falutaire à l'homme.
Cependant , malgré ces exemples , la
fanté de l'homme eft certainement moins
ferme & plus chancelante que celle d'au
cun des animaux ; il eft malade plus fouvent
& plus long- temps ; il périt à tout
âge , au lieu que les animaux femblent
parcourir d'un pas égal & ferme l'efpace
de la vie. La première caufe eft l'agitation
de notre âme ; elle eft occafionnée par le
déréglement de notre fens intérieur matériel
; les paffions & les malheurs qu'il
-entraîne , influent fur la fanté & dérangent
les principes qui nous animent ;
fi l'on obfervoit les hommes , on verroit
que prefque tous mènent une vie timide
AVRIL 1775. 77
& contentieufe , & que la plupart meu--
rent de chagrin .
La feconde caufe de la foibleffe de
l'individu eft l'imperfection de ceux de
nos fens qui font relatifs à l'appétit . Les
animaux fentent bien mieux que nous
ce qui convient à leur nature ; ils ne fe
trompent pas dans le choix de leurs alimens
; ils ne s'excèdent pas dans leurs
plaifirs ; guidés par le feul fentiment de
leurs befoins actuels , ils fe fatisfont ,
fans chercher à en faire naître de nouveaux.
Nous , indépendamment de ce
que nous voulons tout à l'excès , indépendamment
de cette efpèce de fureur
avec laquelle nous cherchons à nous détruire
, en cherchant à forcer la nature ,
nous ne favons pas trop ce qui nous convient
ou ce qui nous eft nuifible ; nous
ne diftinguons pas bien les effets de telle
ou telle nourriture ; nous dédaignons les
alimens fimples , & nous leurs préférons
des mets compofés ; parce que nous avons
corrompu notre goar , & que d'un fens
de plaifir nous en avons fait un organe
de débauche , qui n'eſt flatté que par ce
qui l'irrite . Il n'eft donc pas étonnant
que nous foyons , plus que les animaux ,
fujets à des infirmités , puifque nous ne
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
fentons pas , auffi bien qu'eux , ce qui
nous eft bon ou mauvais ; ce qui peut
contribuer à conferver ou à détruire notre
fanté ; que notre expérience eft bien
moins sûre à cet égard que leur fentiment
; que d'ailleurs nous abafons infini .
ment plus qu'eux de ces mêmes fens de
l'appétit , qu'ils ont meilleurs & plus
parfaits que nous , puifque ces fens ne
font pour eux que des moyens de confervation
& de fanté , & qu'ils deviennent
pour nous des caufes de deftruction &
de maladies . L'intempérance détruit &
fait languir plus d'hommes elle feule
que tous les autres fléaux de la nature humaine
réunis . Plus occidit gula quàm gladius
: vérité qu'on ne fauroit trop incul
per aux hommes , fur tout aux habitans
cififs des grandes villes .
Cette introduction eft très bien écrite.
On voit que l'Auteur a la avec attention
Jes Difcours philofophiques de M. de B.
& les Ouvrages de M. R. de Genève . H
emprunte quelquefois lents pensées &
même lears expreffions . M. D. termine
fon introduction par faire des réflexions
qui tendent à mieux faire goûter à l'ha
bitant de la campagne la douce tranquil
lité dont il jouir. Son bonheur ajoute *
AVRIL 1775. 79
n
» t- il , n'eſt pas étendu , mais il eft prefque
toujours affaré ; il ne compte ni
» fur un emploi , ni fur une dignité , ni
» fur une diftinétion ; la démarche de fes
» voiſins ne lui eft pas fufpecte ; leurs
» voeux ne fe croifent jamais. La crainte ,
» la défiance , la jaloufie , l'inimitié lui
» font inconnues ; elles n'habitent jamais
» dans fon coeur , elles ne troublent já-
» mais les fonctions de fes organes ».
M. D. a fait voir , dans un Ouvrage
publié précédemment & intitulé : Avis
aux gens de la campagne , ou traité des
maladies les plus communes , que la fanté
de l'homme de campagne étoit fouvent
confiée à des fourbes ou à des ignorans . Il
a tâché de le détourner de la confiance
qu'il donnoit à ces miférables Conful
tans d'urine , à ces Charlatans , fléaux de
la fociété , qui font incapables de faire le
plus petit bien , & dont tous les jours font
marqués par de nouvelles victimes . L'Auteur
, dans fon Précis des maladies chroniques
& aiguës , fait de nouveaux efforts
pour foulager cette utile portion du genre
humain ; il a travaillé du moins à
adoucir fes maux , en lui indiquant dans
un ftyle clair , fimple & à la portée du
plus grand nombre , une route affurée &
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
ود
des moyens efficaces & fouvent approuvés
contre les maladies qui l'affligent.
" Aucun Citoyen , s'écrie ici le vertueux
» Médecin , ne peut fe vanter d'avoir du
» loifir tant qu'il y aura du bien à faire ,
une Patrie à fervir , des malheureux à
foulager . En effet , tout ce qui a rapport
à la confervation de cette partie des
hommes , dévouée aux befoins de l'hu-
» manité , mérite particulièrement notre
» attention ; & les remèdes qui peuvent
» tourner à la guérifon ou au foulage-
» ment des maux qu'un travail pénible
» leur attire , ne peuvent être trop tôt
» Lendus publics ».
"
"
"
Hiftoire de l'Alcoran , où l'on découvre
le fyftème politique & religieux du
faux Prophète , & les fources où il ax
puifé fa légiflation . Ouvrage dédié à
Mgr le Marquis de Miroménil, Garde
des Sceaux. Par M. Turpin ; 2 vol . in-
12. A Londres ; & fe trouve à Paris ,
chez de Hanfy , libraire , Pont- au-
Change.
L'Hiftorien de l'Alcoran commence
pat nous donner une idée générale de cet
ouvrage . Alcoran , qui fignifie le livre ou
AVRIL. 1775.
plutôt ce qu'on doit lire , a la même origine
, la même fignification chez les Mufulmans
, que le Micra chez les Juifs , &
la Bible chez les Chrétiens . Comme ce
nom dérive du verbe koraa , lire , c'eſt un
abus de prononcer Alcoran , puifqu'Al
n'eft qu'un article ; ainfi en réuniffant ces
deux mots , l'Hiftorien s'est écarté des rè
gles de la langue Arabe ; mais quoiqu'on
doive donner à cette compilation le nom
de Koran , il s'eft affujetti à l'ufage de
prononcer Alcoran. Ce livre , difent les
Mufulmans , fut envoyé du Ciel fur la
terre , pour annoncer ce que Dieu prefcrivoit
fur la doctrine & la morale . Mais il
n'y defcendit que par verfets , pendant
le cours de vingt trois ans que dura l'apoftolat
de Mahomet. « Cette précaution ,
"
ajoute l'historien , eft un témoignage
» de la politique adroite du Prophète
» qui fe ménagoit la reffource de réformer
» ce qu'on trouvoit de défectueux ou de
» révoltant dans fes révélations . C'étoit
» encore un moyen d'accommoder les vo-
"
lontés du Ciel aux befoins du moment ,
» & les faire fervir aux fuccès de fon ambition
. Toutes les fois qu'on lui faifoit
des objections qu'il étoit dans l'im
» puiffance de réfoudre , il avoit coutu
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
.
» me de répondre : il faut attendre que
» Dieu nous dévoile la profondeur de fes
mystères ineffables. C'étoit ainfi , qu'à
» la faveur d'une nouvelle vifion , il le-
» voir toutes les difficultés fans s'expoſer
à la févérité d'une jufte cenfure . » Cet
amas de révélations eut la deftinée des réponfes
des Sybilles. I refta long-temps
épars & expofé à l'infidélité de la mémoire
, & à l'altération des ignorans ou des
ambitieux. Ce ne fut qu'après la mort du
Prophète , que fon fucceffeur Abu Becre
en forma un corps complet dans l'ordre
où ces menfonges , prétendus facrés , font
aujourd'hui rédigés. Les compilateurs
n'obfervèrent point l'ordre des temps our
ces révélations furent publiées. Les plus
longs chapitres furent placés les premiers ;
plufieurs paffages qui paroiffoient avoir
été altérés , furent rétablis , & l'on eur
recours au témoignage des compagnons
du Prophète , comme devant être les
nieux inftruits des interprétations qu'il
donnoit aux paffages équivoques & obfcurs.
Quand ils eurent formé ce recueil
ils en confièrent le premier exemplaire
à Haffa , veuve du Prophète & fille d'O
mar. Il s'en tira plufieurs copies , mais
l'ouvrage ne fut publié & revêtu de l'auto
AVRIL. 1778.
83
rité des Imans que fous le califat d'Omar ,
fecond fucceffeur de Mahomet.
Le ftyle de l'Alcoran eſt fi riche & ft
pompeux , que les Arabes s'en font un titre
pour prouver fa divinité. Il eft devenu
la règle de la langue nationale , & l'on
ne paffe pour difert & pour élégant qu'autant
qu'on approche de fa pureté. Les zélés
Mufulmans prétendent que cette
magnificence de ftyle , dans un homme
privé du fecours de l'éducation & des let
ires , eft un miracle auffi étonnant que la
réfurrection d'un mort , & que c'eft un
modèle que nul mortel ne peut imiter. It
eft vrai que plufieurs docteurs , moins
enthoufiaftes , ne fe font point livrés à
cette admiration fuperftitienfe . Tout le
monde convient que c'eft une profe har
monieufe & coulante ; c'eft un fon agréa
ble qui n'offre point d'idées. Le luxe &
» l'audace des métaphores , continue l'hiftorien
, éblouillent fans éclairer . Une
profufion d'images étalées fans choix
empêche de diftingner les objets. L'o-
» reille eft farrée ; mais , quoique le
» Prophetene parle que pour elle , il la
fatigue & l'étourdit par un amas d'ex-
» preffions fententieuſes , qui , à force
» d'êtreconciſes & ferrées , font fouvent
"
"
99
"
Dvj
84
MERCURE
DE FRANCE
.
obfcures & myftérieufes ; enfin , c'eft
» une efpèce de magie dont la douce illufion
égare l'efprit , & le rend incapa-
» ble de réfléchir fur les objets qu'on lui
» laiffe entrevoir , fans lui donner le temps
» de les examiner . »
Mahomet donna à fa religion le nom
d'Islamifme , qui fignifie une réfignation
abfolue à la volonté de Dieu . Ce titre
convient parfaitement à une doctrine qui
impoſe filence à la raiſon , qui exige de
fes fectateurs une obéillance fans replique ,
qui commande de fe foumettre à tous les
événemens fans murmurer , qui veut que
fes difciples foient amoureux de leurs
chaînes , qu'ils s'en glorifient comme
d'un monument de leur vocation à une
éternité de gloire , & d'un gage anticipé
de l'héritage célefte. Les Mufulmans appèlent
Vrai-croyant , celui qui admet
un dogme fans l'avoir examiné , & qui
fe foumet avec docilité aux décisions de
Docteurs auffi faillibles que lui.
Le faux Prophète n'établit ſon apoftolar
que far des vifions qu'il publie fans pu
deur. C'est en cela , comme le en remarque
l'hiftorien , qu'il eft plus adroit que les
impofteurs qui l'avoient précédé. Ils
avoient eu l'imprudence de faire dépendre
AVRIL. 1775 . 35
leur miffion du don des miracles , & lorfqu'ils
étoient follicités d'en opérer , ils fe
trouvoient fouvent dans l'impuiffance
d'exercer leurs preftiges. Mahomet prend
une autre marche , & fe dit gratifié de
vifions. Les efprits difficiles pouvoient
bien le traiter d'impofteur ; mais ils ne
pouvoient réfuter un homme accrédité ,
qui difoit , j'ai vu.
Mahomet , entouré de Juifs & de
Chrétiens , puifa dans leurs annales facrées
quelques maximes qu'il altéra par
le mélange de l'erreur pour déguifer fes
larcins. Les Arabes auroient refufé de l'écouter
s'il avoit paru avoir été formé à leur
école. Quoiqu'on le regarde comme le
créateur de l'Alcoran ' , on n'y trouve aucun
dogme qui n'eût été enfeigné avant
qu'il déclarât fa miffion. C'eft une compilation
informe de quelques vérités lumineufes
& d'erreurs révoltantes , qu'il a
fu revêtir des plus riches couleurs de l'éloquence
.
D'immenfes volumes ont été publiés
fur la légiflation religieufe des Arabes . M.
Turpin n'a pas négligé de les confulter . Il
y a puifé un efprit de critique & de difcuffion
qui donne un nouveau degré d'intérêt
à fon hiftoire de l'Alcoran. M. Tur86
MERCURE DE FRANCE.
pin convient que Mahomet fut un fourbe
dont la légiflation eft fenfuelle , fi on la
compare à l'austérité des maximes évangéliques.
Mais cet écrivain prouve trèsbien
que ce ne fut point en autorifant la
licence que le faux Prophète établit fon
empire fur les efprits . Il affecta des dehors
févères & fe couvrit des apparences de la
vertu , perfuadé que les hommes vicieux
confervent un fecret attachement pour
elle . On n'eûr point reconnu l'envoyé d'un
Dieu dans un homme qui abandonnoit les
coeurs à la licence de leurs penchans . H
prefcrit des peines & des mortifications
comme des moyens propres à calmer la révolte
des fens ; il ordonne le pardon des
injures à des peuples qui regardoient com
me le plus noble de leurs priviléges le
droit de la vengeance : les prières fréquentes
dont il fait des obligations effentielles
doivent être regardées comme un
frein contre le vice , puifqu'elles rappel
lent que l'on a un maître & un juge dans
le Dieu que l'on invoque. La circoncifion
douloureuſe , le pélerinage de la
Mecque à travers des fables brûlans , des
ablutions multipliées qui font des fignes
extérieurs de la pureté de l'ame , font aufl
des obligations propres à maîtriser les
AVRIL 1779 . 87
fens. L'hiftorien s'eft donc propofé de
rectifier les idées que le vulgaire fe forme
de l'Alcoran & de fon Auteur. Mais il ne
déguife point ce défordre , ces déclama
tions , ces abfurdités , ces erreurs de politique,
d'hiftoire & de chronologie, quidécèlent
qu : c'est la production d'un impofteur
effronté , qui ne craint point d'être
démenti par un peuple ignorant & groffier.
M. T. s'eft permis , dans le cours de
fon hiftoire , quelques digreffions qui
Occupent agréablement le lecteur , & lui
dérobent l'ennui de l'uniformité . Cet hiftorien
, après nous avoir expofé les prin
cipes fondamentaux de l'iflamifme ; après
nous avoir entretenus fur la prière , la circoncifion
, l'aumône & le jeûne , le pélerinage
de la Mecque , le mariage & le
divorce , les Eunuques , la poligamie &
a clôture , le décret abfolu , le droit de la
erre chez les Mufulmans & for tes autres
objets dont il eft parlé dans l'Alcosan
, termine fon ouvrage par nous rappeler
les caufes phyfiques & morales qui
ont accrédité la légiflation de Mahomet.
« Quiconque , nous dit- il , eft verfé
dans l'hiftoire de l'ancienne Arabie
ne voit point dans l'établiffement de
$8 MERCURE DE FRANCE.
» l'Alcoran autant de difficultés à furmon-
» ter qu'on fe le figure ordinairement.
» Mahomet ne fema point, il ne fit qu'arracher
quelque ivraie d'un champ depuis
long - temps cultivé : il ne planta
point l'arbre de l'Iſlamiſme , il ne fit
>> qu'en élaguer quelques rameaux. »
و د
M. Turpin , bien connu par une trèsbonne
hiftoire de Louis II , Prince de
Condé , & par d'autres écrits de ce genre ,
fait par une marche libre , des réflexions
fages , un ftyle grave , mais ferme & plein
de chaleur , fixer de nouveau l'attention
du lecteur fur des objets déjà traités par
plufieurs favans & que les hiftoriens de
l'Arabie nous rappellent fouvent.
Expériences & obfervations fur différentes
efpèces d'air ; traduites de l'Anglois de
M. J. Priestley , Docteur en Droit ,
Membre de la Société Royale de Lon
dres. A Berlin ; & fe trouve à Paris ,
chez Saillant & Nyon , Lib . rue St Jean
de Beauvais.
Les Phyficiens modernes fe font appliqués
particulièrement à faire différentes
expériences fur l'air ; M. Priestley eſt un
des premiers qui ait dirigé fes vues vers
AVRIL. 1775. 89
eet objet ; & c'est le réfultat de fes expériences
& de fes obfervations qu'il a
confignées dans l'ouvrage que nous annon
çons , & qui ont déjà produit une grande
révolution dans la fcience phyfique. Les
premières découvertes qui ont été faites
fur l'air furent la pefanteur & l'élafticité.
M. Bayle découvrit que des fluides
élaftiques , effentiellement différens de
l'air de l'atmosphère , mais femblables à
lui dans fes propriétés , telles que
la pe.
fanteur , l'élafticité & la tranſparence
pouvoient être produits par des corps folides
; mais bien long-temps auparavant ,
ceux qui travailloient dans les mines ,
avoient connoiffance de deux espèces
d'airs différens & factices , ou du moins
de leurs effets. L'un de ces airs eft plus
pelant que l'air commun ; on lui a donné
le nom de vapeur fuffocante ; & l'autre
, plus léger , s'appelle vapeur inflammable.
Quoiqu'on fût que la première
de ces espèces d'airs eft nuifible , on
n'avoit pas encore découvert que la feconde
l'eft auffi ; parce qu'on la croyoit
toujours mêlée avec l'air commun , pour
être refpiré avec fûreté : l'air de la première
efpèce , découvert dans différentes
cavernes , avoit pareillement été observé
90 MERCURE DE FRANCE.
-
à la furface des liqueurs en fermentation,
par Vanhelmont & par d'autres Chimiſtes
Allemands , qui lui donnèrent le nom de
gas; mais dans la fuite il reçut celui d'air
fixe , fur tout depuis que le Docteur
Black d'Edimbourg , eut découvert qu'il
exiſte dans un état de fixité dans les
corps alkalins , la craie & les autres fubftances
calcaires. Cet excellent Phyficien
découvrit que l'air fixe contenu dans ces
fubftances , eft ce qui les rend denfes ; &
que lorfqu'elles en font privées par la
violence du feu , ou par quelqu'autre
procédé , elles paffent à cet état que l'on
a appellé cauftique , à caufe de l'effet corrofif
& brûlant qu'il produit fur les fubf
tances animales & végétales .
> Le Docteur Macbride a découvert
d'après une obfervation du Chevalier
Pringle , que l'air fixe eft antifceptique à
un degré convenable. Le Docteur Browintigg
a découvert auffi que la même
efpèce d'air eft contenue en grande quan .
tité dans les eaux minérales qui ont un
goût acidule ; & que leur odeur particu
lière , leur goût piquant & leurs vertus
minérales font dûs à cet ingrédient. Le
Docteur Hales a obfervé que certaines
fubfiances & certaines opérations produiAVRIL.
1775 . 91
fent de l'air , & que d'autres l'abſorbent.
M. Cavendifch a déterminé avec exactitude
les pefanteurs fpécifiques de l'air
fixe & de l'air inflammable ; enfin M.
Lêne a découvert que l'eau ainfi impreguée
d'air fixe peut diffoudre une quantité
confidérable de fer , & devenir parlà
fortement chalybée . C'eft d'après ces
découvertes que M. Priestley eft parti
pour faire les expériences , qui fe trouvent
déjà rapportées dans le Recueil des Obfer
vations fur la Phyfique , par M. l'Abbé
Rofier , & qu'il faut lire dans l'Ouvrage
même. L'Auteur , dans une Lettre à M.
Gibelin , Traducteur de cet Ouvrage
dit avoir tiré de l'air inflammable , de plu
heurs métaux , par le moyen d'un miroir
ardent , fans s'être fervi d'acide quelconque
; il a depuis fait une infinité d'obfervations
fur l'air , extrait de différentes
fubftances par ce moyen ; & il a obtenu
un air acide vitriolique , en faisant bouil-
Jir de l'huile de vitriol avec des fubftances
qui contiennent du phlogifque ;
cet air , felon lui , reffemble affez à l'air
acide marin , mais avec plufieurs différences
frappantes . M. Priestley a fait auffi
un grand nombre d'expériences fur l'ait
qu'il a obtenu par la diffolution de quan.
92 MERCURE DE FRANCE.
tité de fubftances , dans l'efprit de nitre.
La diffolution du charbon & autres fubftances
qui contiennent du phlogistique ,
lui a donné de l'air nitreux prefque auffi
pur que celui qu'on obtient par la diffolution
des métaux. Nous n'indiquons ici
les expériences de cet Auteur que pour
engager les Chimiftes à les tenter.
On a envoyé depuis peu à Gibert aîné ,
Libraire , rue des Mathurins , quelques
exemplaires d'un Ouvrage écrit en idiome
latin & anglois , & qui a pour titre:
Anatomia uteri humani gravidi tabulis
illuftrata , Auctore Gulielmo Hunter , Regine
Medico extraordinario . Cet Ouvraeft
grand in -fol. forme d'Atlas & de
la plus grande beauté ; il a été imprimé
l'année dernière par Baskerville , fi connu
dans la République des Lettres par les
Ouvrages qui font fortis de defous fa
preffe , & il eft orné en outre de 34 planches
, gravées par les meilleurs Maîtres :
elles repréfentent des foetus de tout âge .
L'Auteur de cet Ouvrage eft le Docteur
Hunter , très renommé à Londres dans
l'art des accouchemens .
De l'efprit du gouvernement économique ;
AVRIL. 1775; 93
"
و د
99
par M. Boefnier de l'Orme. A Paris ,
chez Debure , frères , quai des Auguf
tins , près la rue Pavée .
"L'art de procurer aux fociétés la plus
grande fomme de bonheur poffible , a
» dit un Orareur éloquent dans l'Eloge
» de Descartes , eft une des branches de
» la philofophie la plus intéreffante ; &
» peut être dans toute l'Europe eft -elle
» moins avancée que n'étoit la phyfique
à la naiffance de Defcartes . Il y a des
» préjugés non moins preffans à renverfer
; il y a d'anciens fyftêmes à détruire
; il y a des opinions & des cou-
» tumes funeftes , & qui n'ont ceffé de
paroître telles que par l'empire de l'ha-
» bitude : les hommes réfléchiffent fi peu ,
qu'un mal qui fe fait depuis cent ans ,
leur paroît prefque un bien . Ce feroit
» une grande entreprife d'appliquer le
» doute de Defcartes à ces objets , de les
» examiner pièce à pièce , comme il exa
» mina toutes fes idées , & de ne juger
» de tout que d'après la grande maxime
» de l'évidence
"
לכ
Rien n'est plus utile à la fociété que
de porter ce flambeau de la difcuffion
par- tout où la lumière de la vérité n'a
point encore pénétré ; tout ce qui tient
94 MERCURE DE FRANCE .
au grand art de gouverner les hommes ,
& de les conduire au plus grand bonheur
poffible , exige beaucoup de difcuffion :
il ne s'agit tien moins que de revenir fur
des principes qu'on a fouvent adoptés fans
examen ; de repaffer fur toutes les opinions
qu'un refpect aveugle & une parefle
, fi naturelle à la plupart des hommes
, ont perpétuées dans la fociété ; de
foumettre ces opinions à une reviſion
exacte & févère , afin de ne rien approuver
que ce qui fera conftamment vrai &
utile aux hommes ; en un mot , d'appli
quer le doute univerfel de Descartes à
tous les points de la fcience du gouvernement
, afin d'augmenter , s'il eft poffible
, le dépôt de lumières que l'expérience
de tous les fiècles doit néceffairement
produire. Ces fortes de difcuffions ne
peuvent qu'infpirer un plus grand refpect
pour les maximes qui font auffi utiles au
bien de la fociété qu'elles font anciennes.
La vérité devient d'autant plus éclatante ,
qu'elle a triomphé de la contradiction .
Si les opinions qu'on veut introduire
font des erreurs dangereufes , rien n'eft
fi néceffaire que d'ouvrir les yeux de
ceux qui peuvent en être les victimes ;
d'ailleurs on convient que dans les maAVRIL.
1775. 95
1
tières de pur raifonnement , & foumifes
à un examen public , la féduction ne
fauroit être de longue durée. Ceux mêmes
qui fe trompent , méritent des égards,
lorfque l'amour feul du bien de la Patrie
les dirige. Il n'en eft pas moins vrai que
les erreurs ne peuvent être indifférentes
dans une matière qui intéreffe de fi près
le bonheur de l'humanité. Celui qui ofe
les attaquer mérite fur-tout les éloges de
ceux qui peuvent concourir au triomphe
de la vérité. L'Auteur de l'Efprit du gouvernement
économique uniquement
animé de l'amour du bien public , a fu
réunir dans fon Ouvrage les objets les
plus importans de l'adminiftration . Agriculture
, arts & manufactures , commerce
, crédit , ufage de la monnoie , richeſſe
d'un Etat , Colonies , revenu national ,
nature de l'impôt , emprunts publics , & c.
tous ces différens objets font traités avec
clarté & précifion dans un feul volume ,
l'Auteur defire qu'on élève la gloire du
Gouvernement actuel au delà du point
où l'ont tranfportée les Sullis & les Colberts
, en fixant , par des loix raiſonnées ,
les vrais principes de l'économie politique
, & en affurant pour toujours l'ordre
de l'administration & le bonheur public,
.96 MERCURE DE FRANCE.
par un de ces établiffemens , faits pour
rendre chère à jamais la mémoire de leur
fondateur. Un Ecrivain qui ne cherche
qu'à être utile , en difcutant des objets
auffi importans , a des droits fur notre
reconnoillance , & mérite d'être encouragé
; & l'on aura droit de répéter à tous
ceux qui s'oppoferont à cette forte de
difcuffion , ces paroles , dont on a fait
ufage à fi jufte titre : Savons nous tout ;
fommes nous bien?
Dictionnaire d'Hiftoire Naturelle qui concerne
les Teftacées ou les Coquillages
de mer , de terre & d'eau douce , avec
la Nomenclature , la Zoomorphofe ,
& les différens fyftêmes de plufieurs
célèbres Naturaliftes , anciens & modernes.
Ouvrage qui renferme la deſcription
détaillée des figures , des coquilles
, l'explication des termes ufités ,
les propriétés de plufieurs , & les nores
en partie des endroits où elles fe trouvent
. Par M. l'Abbé Favart d'Herbigny.
3 vol . in- 8°. A Paris , chez Bleuet , libraire
, fur le Pont St. Michel ; 1775 .
Les Dictionnaires d'Hiftoire Naturelle
qui ont paru jufqu'aujourd'hui n'ont
prefque
AVRIL. 1775 . 97
prefque point fait mention de la partie
du règne animal qui comprend les Teftacées
ou les Coquillages en général , ou n'ont
adopté qu'un ou deux Auteurs fans entrer
dans la Nomenclature ancienne & moderne
des espèces . C'eft ce qui a déterminé
en bonne partie l'auteur à compoſer
ce Dictionnaire féparément.
On connoît les progrès de la connoiffance
de la Conchiliologie depuis Pline
le Naturalifte jufqu'aux auteurs de
nos jours ; & la multitude des coquillages
que l'on a découverts dans toutes les
Mers Orientales & Occidentales , a trouvé
par les mêmes gradations, des Nomenclateurs
zélés , afin de pouvoir diſtinguer
tous ces animaux aquatiques ou terreftres
. On fait auffi que leurs enveloppes
précieuſes ou leurs coquilles frappent &
piquent infiniment la curiofité des Natu
raliftes ; préfentent , parmi les êtres créés ,
le coup d'eil le plus raviffant ; & leur procurent
une riche empreinte de ces fortes
de reptiles ,pour tirer des conféquences de
leurs figures , puifqu'ils ne font pas fufcep
tibles d'être examinés comme les autres,
animaux. L'auteur a fait part de fon plan a
MM. Guetard , d'Aubenton , Adenſon , le
Sage de l'Académie des Sciences de Pa
II. Vel.
5
98 MERCURE
DE FRANCE .
ris , ainsi qu'à plufieurs célèbres Naturaliftes
, à M. l'Abbé de Crillon , M. l'Abbé
Gruel , à M. Romé de l'Ifle , & à d'autres
dont il a eu également les fuffrages . C'eft
dans les noms des genres, où l'auteur donne
ceux des différens pays, & les différentes
étymologies, qu'il analyfe & développe les
fyftêmes de Rondelet & d'Aldrovande
(qui font mention de ceux des Anciens
Philofophes ) avec la traduction des citations
; celui de Rumphius avec fa nomenclature
& l'interprétation de la Langue
Hollandoife ; les fyftêmes de Gualtien
de MM. Adanfon , d'Argenville .
Il auroit été difficile à M. Favart de
faire des defcriptions auffi exactes fans le
fecours d'une grande collection de coquillages
qu'il a décrits à la main , ainfi qu'avec
ceux qu'il a vus dans plufieurs cabinets
renommés ; les définitions latines dont
elles forment les extraits feront utiles aux
Nations étrangères , & peuvent établir
une nomenclature que l'Auteur met au
jour avant de faire l'hiftoire générale des
Coquillages qui feront gravés & arrangés
dans un nouvel ordre méthodique qu'il
propofe aux Conchiliologiftes dans fon
Ouvrage.
Cette interprétation Hollandoife fera
AVRIL..1775 : 99
•
très utile pour les perfonnes qui fouhaite .
ront faire des négociations avec les Curieux ,
& les Marchands Hollandois , ainſi qu'à
ceux qui poffèdent cet Auteur.
Lettre fur les Économistes.
Cette Lettre de 72 pages in - 12 . fe
trouve inférée dans le troisième volume
des Ephémérides de la préfente année ,
quoiqu'elle fe vende féparément de ce
volume. Elle est une expofition claire &
fuccincte de ce qu'on appelle dans le
monde le Systême des Economiſtes. Cette
expofition eft préſentée de manière qu'elle
peut être regardée comme une apologie
complette de ce fyſtème.
On voit dans cette Lettre que les loix
d'une fociété politique doivent être puifées
dans celles de la nature , que l'ordre
focial doit être calqué fur l'ordre phyfique.
Elle nous montre enfuite que pour
réduire en pratique cette théorie , il ne
s'agit que de reconnoître le droit de propriété
pour la première de toutes les
loix fondamentales , pour la fource commune
, la raifon primitive de toutes les
loix , de toutes les grandes polices , de
toutes les inftitutions qui doivent entrer
E ij
100 MERCURE
DE FRANCE.
dans la formation d'un corps policique ;
qu'ainfi un tel corps ne peut fe flatter
d'être parfaitement organité , s'il ne l'eft
en tout point , d'une manière conféquente
au droit de propriété , fi toures
les diverfes parties de fa conftitution ne
concourrent au maintien de ce droit dans
toute fon intégrité.
>
Sans rien développer , l'auteur de la
Lettre en dit cependant affez pour faire
voir que le droit de propirété eft le fondement
de la profpérité d'un Empire , le
germe moral de fa richeffe , de fon induftrie
, de fa population , de fa puiſfance
& de la félicité publique. Cet auteur
va plus loin encore : il obferve que
le droit de propriété conftituant néceffairement
l'intérêt commun feul &
unique lien focial , conftitue néceffairement
auffi la juftice pat effence , cette
règle fondamentale de la morale univer
elle ; de cette morale qui eft de tous les
fiècles & de tous les climats ; de cet e
moraic , qui , ayant pour objet le bonheur
commun de notre efpèce , ne peut
que pacifier la terre , que tenir les Nations
parfaitement unies entre elles ;
ne former , pour ainfi dire , de tous les
peuples , qu'un feul & même Empire ,
dont toutes les parties foumifes à la
AVRIL. 1775 . 101
même loi , jouillent de la même félicité
.
Du droit de propriété , nous voyons
naître la fûreté civile & politique , la fûreté
intérieure & extérieure ; nous voyons
naître la plus grande liberté dont un Citoyen
puille jouir , la plus parfaite égalité
que l'état focial puiffe comporter ; de la
même fource découlent la liberté &
l'immunité du commerce , la néceffité
d'un prêt unique & territorial , dont la
quotité foit invariablement réglée par
les loix , l'inftitution d'une fouveraineté
héréditaire & d'un Souverain unique
dont l'autorité ſoit abfolue fans être arbitraire
, foit fans partage & non pasfans
bornes , foit en un mot la fille & jamais
la rivale des loix , foit ainfi le gage & le
garant de la ſtabilité des loix.
Après avoir crayonné rapidement le
fyftême des Economiftes , fur ce que
l'auteur appelle la bonne conftitution
d'un corps politique ; avoir montré que
leurs principes n'ont rien qui ne foit
avantageux aux Monarques , à leurs Sujers
& à la Religion ; pour mettre fa démonftration
dans un plus grand jour ,
l'auteur prend l'inverfe de ces mêmes
principes , & préfente une chaîne de
propofitions qu'il paroît difficile de lire
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
fans en être révolté . Ce morceau nous
a paru un des plus faillans de la lettre ,
qui d'ailleurs eft remarquable , non -feulement
par la pureté de fon ſtyle & par
le choix des idées , mais encore par la
noble fimplicité & par l'honnêteté qui
règnent dans cet ouvrage caractères
d'autant plus précieux qu'on ſemble fouvent
s'en écarter .
Dictionnaire des mots homonymes de la
Langue Françoife ; c'est - à - dire , dont
la prononciation eft la même & la
fignification différente ; avec la quantité
fur les principales fyllabes de chaque
mot, pour marquer la durée de
leur prononciation , prouvée par des
exemples agréables , tirés des Auteurs
& des Poëtes Latins & François , tant
anciens que modernes. Par M. Hurtaut ,
Maître- ès Arts & de Penfion de l'Univerfité
de Paris , ancien Profeffeur de
l'Ecole Royale Militaire , & Penfionnaire
de Sa Majefté. A Paris , chez
Langlois , Libr. rue du Petit Pont ,
près la rue Saint Séverin , au St Eſprit
couronné .
Ou renonçons à l'éloquence , à la
Poéfie , à l'art d'écrire , & fermons l'AAVRIL.
1775. 101
cadémie , difoit l'Abbé d'Olivet : ou
convenons que s'il eft beau de cultiver
les arts qui font honneur à l'efprit
humain & qui font utiles à la fociété
; on auroit tort , de négli
ger des connoiffances fans lesquelles
ces arts ne peuvent qu'être imparfaits.
L'Auteur de ce Dictionnaire s'eft propofé
de faciliter les progrès dans l'étude
de la Langue Françoife , en nous appre
nant la vraie fignification & l'énergie
de certains mots François dont la prononciation
eft la même , & en y joignant
la manière de les prononcer comme il
faut. La plupart des Grammairiens ne
font pas entrés dans ce détail de règles
sûres , qui peuvent fur - tout nous diriger
dans la connoiffance de ce dernier objet.
M. l'Abbé d'Olivet , qui nous a donné
les meilleures règles de la profodie Françoife
, auroit voulu y fuppléer , en nous
donnant un Dictionnaire profodique ,
où il auroit apprécié la durée de chaque
fyllabe , & fixé , par ce moyen , la prononciation
fur laquelle il s'élève fouvent
des doutes . Cet illuftre Grammairien
n'auroit pas manqué de bien accueillie
l'Ouvrage de l'ancien Profeffeur que
nous annonçons , & de l'encourager à
pouffer plus loin fes recherches , afin
:
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
pare
d'avoir une théorie exacte , foit des accens
, qui marquent l'élevation ou l'abaiffement
de la voix dans la prononciation
d'une fyllabe , foit de la quanrité
, qui en indique la durée plus ou
moins longue . On a remarqué que le
François , qui néglige le plus la prononciation
de fa Langue , n'en exige pas
moins rigoureufement l'accent le plus
pûr , dans les perfonnes deſtinées à
ler en public . On a vu , dans les Pro- ,
vinces méridionales , plufieurs Villes .
fiffler des Acteurs , à caufe de leur mauvais
accent & d'une articulation vicieufe .
On ne doit donc pas être furpris qu'à
Paris on détourne la tête & l'on manifefte
fon dégoût , lorfqu'on entend déciamer
un Acteur Provincial , qui ne
s'eft point guéri de fon accent . On a
beau dire que la prononciation s'apprend
plus de vive voix , par l'ufage & la fréquentation
des perfonnes qui parlent
correctement, que par des règles détail
lées & méthodiques ; l'ufage du monde
& la lecture des bons livres ont beau
rectifier , en quelque chofe , le langage
& l'écriture : ils ne donneront jamais
des principes fixes & propres à diriger
dans la prononciation de beaucoup de
mots. Il eft impoffible de parler toujours
on
AVRIL. 1775 . 105
correctement , lorfqu'on n'a d'autre règle
que l'habitude & une imitation aveugle.
On n'avance , dans quelque fcience
que ce puiffe être , qu'autant qu'on étudie
& qu'on approfondit les véritables
principes. Comme on ne peut mieux
perfectionner les organes , que lorfqu'ils
font tendres & fufceptibles de toutes
fortes d'accens ; on ne fauroit mettre
trop tôt ce nouveau Dictionnaire entre
les mains des jeunes gens , qui leur applanira
les difficultés de la Langue Françoife
& de la Langue Latine. Les Provinciaux
y trouveront de bonnes obfervations
fur leurs articulations vicieuſes.
Le choix judicieux des exemples qui y
font joints devient un ornement néceffaire
dans les Ouvrages didactiques.
Commentaires fur les Loix Angloifes de
M. Blackftone , traduits de l'Anglois
par M. D. G. fur la quatrième Edition
d'Oxford , 3 vol . in- 8. à Bruxelles,
chez Boubers ; à Paris , chez Durand
Libraire , rue Galande , & chez Dorez ,
rue Saint-Jacques , près Saint . Yves.
On defiroit , depuis long temps , une
bonne traduction de cet Ouvrage , f
eftimé parmi les Anglois. L'Auteur , per
fuadé qu'il faut éclaicit l'Hiftoire pag
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
les Loix , & les Loix par l'Hiftoire ,
avoit étudié , à fond , la conftitution
du Gouvernement d'Angleterre & les
différentes révolutions de ce Royaume.
Aucun monument , relatif à l'Histoire
n'a échappé à fes recherches . Auffi l'Ouvrage
de M. Blackstone doit être regardé
comme celui d'un Savant Littérateur
d'un Publicien profond & d'un Jurifconfulte
habile.
Rien n'eft fi effentiel , comme l'obferve
l'Auteur , que de connoître les
Loix du Corps de fociété dans lequel on
vit. Ciceron nous apprend que l'on étoit
obligé , dans l'âge d'adolefcence , d'apprendre
par coeur les douze tables de la
Loi pourquoi faut - il qu'on néglige
parmi nous l'étude d'une fcience qui
doit être regardée comme la fauve garde
des droits naturels & la règle de la conduite
civile. La conftitution particulière
d'Angleterre rend cette connoiffance encore
plus néceffaire . Dans un Royaume
où la liberté civile confifte principalement
dans le pouvoir de faire tout ce
que la Loi permet , chaque individu eft
en quelque façon néceffité d'avoir quelque
connoiffance des Loix qui le concernent
immédiatement ; foit pour ne
pas encourir le blâme de vivre dans une
AVRIL. 1775. 107
fociété aux Loix de laquelle il eft foumis
, fans les connoître ; foit pour n'être
pas exposé aux inconvéniens qui réfulteroient
de cette ignorance . Le Commentaire
de M. Blackstone ne pouvoit donc
qu'être bien accueilli par fes compatriotes.
Il eſt également effentiel pour tous
les Jurifconfultes , les Hiftoriens , les
Littérateurs & les Publiciftes , de quel
que nation qu'ils foient. Ceux qui aiment
la faine morale & les anciens
ufages , le liront avec plaifir. On peut
regarder cet Ouvrage comme un bon
modèle d'un Traité fur les Loix Fran-
• çoifes , qu'on attend depuis long- temps.
Sermons , Difcours , Panégyriques , & c.
dédiés au Pape Clément XIII , deux
volumes. A Paris , rue S. Jean - de-
Beauvais , la première porte cochère
au deffus du Collège.
Les Curés & les Miffionnaires trouve
ront dans ces deux volumes tous les matériaux
qui leur feront néceffaires pour
l'inftruction des fidèles . L'auteur s'eft
d'abord appliqué , dans fes premiers ou
vrages , à réfoudre felon les maximes
de la plus faine morale , une partie des
difficultés qui arrêtent les jeunes Prêtres
dans l'exercice de leur miniftère. Il a
י
Evi
108 MERCURE DE FRANCE.
>
voulu encore leur fournir des modèles
de difcours qu'ils puiffent lire en chaire ,
ou les débiter en tout on en partie. Les
Pafteurs qui ont plus de zèle que de loisir ,
ou même de facilité , aiment encore
mieux s'approprier les ouvrages d'autrui
que de manquer au devoir fi effentiel
d'éclairer leurs Paroiffiens. Ils trouveront
dans ces deux volumes que nous annonçons
, les principales maximes , qui ont
pour but d'établir l'empire de la juftice
chrétienne & de faire refpecter &
aimer une religion qui fixe à chaque
âge fes devoirs , à chaque fexe fes pratiques
convenables , & à chaque condi
tion fes vraies bornes . On a beau prêcher
cette religion , dit on , perfonne ne quitte
fes mauvaifes inclinations. Un remède .
parce qu'il ne guérit pas tous les malades
, doit- il être pour cela rejeté comme
inutile . Un miroir ardent ne fait
qu'une impreffion légère far le marbre &
l'acier , s'enfuit- il qu'il n'eft pas propre
à mettre en feu des matières combuftibles.
Préparez votre terre avec foin , je
rez une bonne femence , que le foleil &
la pluie viennent tour à tour , & la récolte
ne fauroit manquer d'être abondante.
Qui ne reconnoît pas fous cerre
emblême la prédication lorfqu'elle eft
AVRIL 1775. 109
jointe à la vigilance & à la fageffe des
Pafteurs animés d'un zèle apoftolique ?
Qu'on parcoure l'Hiftoire Eccléfiaftique ,
& l'on verra de fiècle en fiècle les peuples
paffer fucceffivement des horreurs
de la barbarie à la douceur du chriftianiſme
, du ſein de l'ignorance à la connoiffance
de leurs devoirs , de la corruption
à la verta. Auguftin va prêcher
en Angleretre , où l'ignorance & la corruption
des moeurs étoient à leur comble.
A fa voix tout change de face ; aux vices
des payens fuccèdent les vertus du chrif
tianifme. Romuald prêche en Espagne ,
on y voit des Evêques mêmes & des
Chanoines rentrer en eux mêmes & ſe
réformer. Boniface de Mayence va prêcher
dans la Frife , la Heffe & la Thuringe
; Saint Amand chez les Gantois &
les Elclaves; Otton dans la Pologne &
la Pomeranie , pays où la pluralité des
femmes étoit en ufage , où l'on adoroit
des arbres & l'on facrifioit des enfans:
on y voit bientôt l'humanité fuccéder à
la barbarie , la charité à l'efprit de vengeance
, la douceur à la férocité. Savonarolle
vient à Florence , ville plongée
dans la molleffe , le luxe & tous les viil
monte en chaire : on court l'ene
ces ;
ΠΙΟ MERCURE DE FRANCE.
tendre , on ne parle que de réforme ; les
inftrumens de luxe & de la vanité font
portés fur la place & brûlés au pied d'une
pyramide . Enfin on voit dans Florence
une autre Ninive , la converfion des
' habitans n'étant ni moins prompte ni
moins durable. La prédication reproduira
encore les mêmes prodiges , lorfque
l'éloquence des Pafteurs fera fou
tenue par la fermeté de leur zèle & la
fainteté de leur vie.
Eloge de Marc- Aurèle ; par M. Thomas
, de l'Académie Françaife. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris chez
Moutard , quai des Auguftins.
On a obfervé plus d'une fois les inconvéniens
du panégyrique. La louange
fatigue aifément . La raifon févère fe
défie toujours d'un homme qui dit : Je
vais louer. S'il exagère , c'eft un Rhéteur
qui flatte , c'est un Artifte qui remplic
une tâche & qui en fait un jeu d'efprit.
Le panégyrique demande un fujet heureux
, où l'Orateur puiffe fe paffionner
fans affectation , fûr de retrouver pour
* Article de M. dela Harpe
AVRIL. 1775. II ]
་
fon Héros , dans le coeur de ceux qui
l'écoutent , la même fenfibilité que
dans le fien . S'il porte cette fenfibilité
jufqu'au point de faire oublier l'art , &
d'occuper entièrement de l'homme qu'il
célèbre , il a obtenu un beau triomphe.
L'Orateur n'eft jamais plus puiflant que
lorfqu'il peut paraître un perfonnage pénétré
de la chofe dont il parle : que fera
ce s'il l'eft en effet ? S'il faut louer un
grand Prince , qui le louera mieux que
Je Sage qui a été fon maître & fon ami ,
& qui vient près de fon cercueil pour
rendre hommage à fa mémoire , en préfence
de tout un Peuple ? Quel intérêt acquiert
alors le panégyrique? C'eſt cette
idée fi heureufe qu'a faifie M. Thomas .
C'eft cette forme abfolument neuve qui
fait de l'éloge de Marc-Aurèle un Drame
fi animé , fi attachant , fi pathétique ; &
la beauté du ftyle en fait un Drame ſublime.
« Après un règne de vingt ans , Marc-
» Aurèle mourut à Vienne. Il était alors
» à faire la guerre aux Germains . Son
" corps fut rapporté à Rome , où il entra
au milieu des larmes & de la défo-
» lation publique. Le Sénat , en deuil ,
» avait été au - devant du char funèbre ..
112 MERCURE DE FRANCE.
Lepeuple & l'armée l'accompagnaient.
so Le fils de Marc- Aurèle fuivait le char.
" Le peuple marchait lentement & en
» filence. Tout à coup un vieillard s'a-
» vança dans la foule ; fa taille était hau-
» te & fon air vénérable ; tout le monde
» le reconnut : c'était Apollonius , Phi-
» lofophe Stoïcien , eftimé dans Rome ,
» & plus reſpecté encore par fon carac-
» tère que par fon grand âge . Il avait
» toutes les vertus rigides de la Secte ,
»& de plus avait été le maître & l'ami
» de Marc Aurèle . Il s'arrêta près du cer-
» cueil , le regarda triftement , & tout- à-
"coup élevant la voix , &c. n .
Cette manière d'établir le lieu de la
fcène eft noble & impofante. Ces defcriptions
locales étaient familières aux
Anciens , qui s'attachaient beaucoup à
parler aux fens ou à l'imagination , qui
les fupplée. Voyez dans le troifième livre
de l'Enéïde la peinture d'Andromaque
offrant des libations au tombeau
d'Hector.
Solemnes tum fortè dapes & triflia dona ,
Ante urbem , in luco , falfi Simoentis ad undam ,
Libabat cineri Andromache , manefque vocabat
Hectoreum ad tumulum viridi quem cefpite inanem,
Et geminas, caufam lacrimis , facraverat aras,
AVRIL 1775. 113
Un exemple beaucoup plus ancien , &
peut-être encore plus beau par fa touchante
fimplicité , c'eft cet exorde qui
précède les plaintes éloquentes de Jérémie
fur les malheurs de Sion . Poftquam
in captivitatem redactus eft Ifrael & Jeru
falem deferta eft , fedit Jeremias Propheta,
flens , & planxit lamentatione hac in Jeru
falem , & amaro animo fufpirans & ejulans
dixit : Quomodo , & c . Un pareil dé
but s'empare d'abord de l'âme , & vous
tranfporte fur une fcène de douleur , &
ce qui fait répond parfaitement à la
beauté de cet exorde .
Un Philofophe Stoïcien ne connaît
point l'adulation . Aufli l'Aureur qui le
fait parler n'a t il mis dans fon difcours
aucune de ces flatteries qui fe mêlent à
l'éloge des meilleurs Princes . Jamais la
louange ne fut plus auftère , jamais la vé..
rité ne parut plus fainte . « Romains , ( dit
» il ) la pompe funèbre de l'homme jufte
» eft le triomphe de la vertu qui retour-
» ne à l'Être Suprême . Confacrons cette
"9
fête par nos éloges . Je fais que la vertu
» n'en a pas befoin : mais ils feront l'hom-
» mage de notre reconnoiffance . Il en eft
» des grands hommes comme des Dieux ;
» comblés de leurs bienfaits, nous n'avons
114 MERCURE DE FRANCE.
pas pour eux de récompenfes , mais
» nous avons des hymnes. Puiflé je au
» bout de ma carrière , en parcourant la
"
vie de Marc - Aurèle , honorer à vos
» yeux les derniers momens de la mien-
» ne. Et toi qui es ici préfent , toi , fon
fuccefleur & fon fils , écoute les vertus
» & les actions de ton père. Tu vas ré-
» gner ; la flatterie t'attend pour te cor .
rompre. Une voix libre , pour la dernière
fois peut- être , fe fait entendre à
» toi. Ton père , tu le fais , ne m'a point
» accoutumé à parler en efclave. Il aimait
» la vérité. La vérité va faire fon éloge.
" Puiffe -t-elle un jour faire le tien ! »
Apollonius retrace l'éducation févère
que reçut Marc - Aurèle loin de Rome &
de la Cour , & il prend cette occafion
pour reprocher aux Romains que cette
éducation mâle commence à dégénéres
parmi eux.
ร ร
"
« L'héritier avare compte avec plaifir
» tous ceux qui lui ont tranfmis des richeffes.
Marc Aurèle , plus avancé en
âge , comptait tous ceux à qui , dans
» fon enfance , il avait dû l'exemple
» d'une vertu . Mon père , nous difait- il ,
" m'apprit à n'avoir rien de lâche &
» d'efféminé ; ma mère , à éviter jufqu'à
AVRIL. 1775 . rij
·
la pensée du mal ; mon aïeul , à êrre
bienfaifant; mon frère , à préférer la
» vérité à tout. Voilà dequoi , Romains , il
>> rend grâces aux Dieux , à la tête de l'ouvrage
où il a dépofé tous les fentimens
» de fon coeur. Bientôt des maîtres lui enfeignèrent
tous les devoirs de l'homme,
mais en les pratiquant. On ne lui difait
» pas, aime les malheureux ; mais on foulageait
devant lui ceux qui l'étaient . Per-
» fonne ne lui dit , mérite des amis ; mais
"
"
" il vit l'un de fes maîtres facrifier fa for-
» tune à un ami opprimé . J'ai vu un
» guerrier qui , pour lui donner des le-
» çons de valeur , lui montra fon fein
» tout couvert de bleffures , &c.
"
» Il n'était pas encore forti de l'enfance
, que déjà l'entoufiafme de la vertu
» était dans fon coeur. A douze ans il
» s'était confacré au genre de vie le plus
» auftère. A quinze , il avait cédé à fa
» foeur unique tout le bien de fon père .
A dix- fept, il fut adopté par Antonin ;
» & je ne vous rapporte que ce que j'ai
» vu moi-même , il pleura fur la gran-
» deur . O jour qui , après quarante an-
» nées m'est encore préfent ! Il fe prome
» nait dans les jardins de fa mère ; j'étais
auprès de lui ; nous partions enfemble
·3D
116 MERCURE DE FRANCE.
ود
» des devoirs de l'homme , lorfqu'on
» vint lui annonçer fon élévation . Je le
» vis changer de couleur , & il parut
long- temps inquiet & trifte. Sa maifon
» cependant l'environnait avec des tranf-
» ports de joie. Eronnés de fa douleur ,
nous lui en demandons la caufe. Pou-
» vez-vous me le demander ? dit- il . Je
» vais régner ».
Apollonius obferve que la philofophie
fut le caractère diftinctif de Marc Aurèle .
" A ce mot de philofophie , je m'ar-
» rête. Quel eft ce nom facté dans cer-
» tains fiècles & abhorré dans d'autres ;
» objet tour à tour & du refpect & de
la haine , que quelques Princes ont
→ perfécuté avec fureur , que d'autres
» ont placé à côté d'eux fur le Trône ?
» Romains , oferai je louer la philofophie
» dans Rome , où tant de fois les Philo-
ร
fophes ont été calomniés , d'où ils ont
» été bannis tant de fois ? C'eft d'ici , c'eft
» de ces murs facrés que nous avons été
relégués fur des rochers & dans des îles
» défertes : c'est ici que nos livres ont
» été confumés par les flammes : c'eft ici
» que notre ſang a coulé fous les poi-
» gnards. L'Europe , l'Afie & l'Afrique
» nous ont vus , errans & profcrits , cher.
AVRIL. 1775. 117
"
»
» cher un afyle dans les antres des bêtes
» féroces , ou condamnés à travailler ,
chargés de chaînes , parmi les affaflins
» & les brigands. Quoi donc ! la philofophie
ferait- elle l'ennemie des hom-
» mes & le fléau des Etats ? Romains ,
» croyez - en un vieillard qui , depuis
quatre- vingts ans , étudie la vertu &
» cherche à la pratiquer. La philofophie
eft l'art d'éclairer les hommes pour les
❤rendre meilleurs . C'eft la morale uni-
» verfelle des Peuples & des Rois , fondée
fur la nature & fur l'ordre éternel.
» Regardez ce tombeau ; celui que vous
» pleurez était un fage. La philofophie
fur le Trône , a fait vingt ans le bonheur
du monde . C'est en effuyant les
larmes des Nations qu'elle a réfuté les
calomnies des Tyrans ».
"
Apollonius continue de tracer le tableau
de la philofophie , & c'eft avec la
fierté du pinceau le plus énergique.
Romains , c'eft cette philofophie qui
» vous a donné Caton & Brutus . C'eſt
» elle qui les foutint au milieu des rui-
» nes de la liberté. Elle s'étendit enfuite
» & fe multiplia fous vos Tyrans. Il feme
» ble qu'elle était devenue comme un
» befoin pour vos ancêtres opprimés ,
n
118 MERCURE DE FRANCE.
"
39
dont la vie incertaine était fans ceffe
fous la hache du defpotifme. Dans ces
temps d'opprobre , feule elle conferva
la dignité de la nature humaine . Elle
apprenait à vivre , elle apprenait à mou-
» tir ; & tandis que la tyrannie dégradait
a les âmes , elle les relevait avec plus
» de force & de grandeur. Cette mâle
philofophie fut faite de tout temps
» pour les âmes fortes . Marc - Aurèle s'y
» livra avec tranfport . Dès ce moment il
≫ n'eut qu'une paffion , celle de fe livrer
» aux vertus les plus pénibles. Tout ce
"
39
qui pouvait l'aider dans ce deffein
" était pour lui un bienfait du ciel. Il
» remarqua comme un des jours les plus
» heureux de fa vie celui de fon enfance,
» où il entendit pour la première fois
parler de Caton. Il garda avec recon-
» noiffance les noms de ceux qui lui
» avaient fait connaître Brutus & Thraféas
. Il remercia les Dieux d'avoir pu
lire les maximes d'Epictète , & c . »
Apollonius veut faire connaître au
Peuple Romain le précis de la philoſophie
de Marc Aurèle , compofé par cet
Empereur lui -même , & qui et parvenu
jufqu'à nous . « Ici le Philofophe s'arrêta
un moment ; la foule innombrable des
AVRIL. 1775. 119
"
» Citoyens qui l'écoutaient , fe ferra pour
» l'entendre de plus près. A un grand
» mouvement fuccéda bientôt un grand
» filence . Seul entre le Peuple & le Philofophe
, le nouvel Empereur était inquiet
& penfif. Apollonius avait une
» main appuyée fur la tombe ; de l'autre
il tenait un papier écrit de la main de
» Marc-Aurèle. Il reprit la parole & lup
» ce qui fuit ».
Dans le précis philofophique & moral
que M. Thomas fait lire par Apollonius ,
il a faili l'efprit général des Ouvrages de
Marc - Aurèle . Il s'attache à faire voir
fur tout de quel il cet Empereur regar
dait le Trône & l'humanité : le refpect
qu'il reffentait pour l'une & l'effroi que
lui infpirait l'autre. Marc- Aurèle a devant
les yeux le jugement qu'il doit fubir
dans la poftérité , s'il ne règne pas
pour le bonheur des hommes. Il fe dit à
lui- même ; « La nature : indignée te dira ,
» je t'ai confié mes enfans pour les ren-
» dre heureux , qu'en as tu fait ? Pourquoi
» ai je entendu des gémiffemens fur la
» terre ? Pourquoi les hommes ont - ils
» levé leurs mains vers moi pour me
» prier d'abréger leurs jours ? Pourquoi
la mère a - t - elle pleuré fur fon fils qui
120 MERCURE DE FRANCE.
» venait de naître ? Pourquoi la moiſſon ,
» que j'avais deftinée à nourrir le pauvre
, a-t-elle été arrachée de fa caba-
» ne ? Que répondras - tu ? Les maux des
» hommes dépoferont contre toi , & là
Juftice qui t'obferve , gravera ton nom
parmi les noms des mauvais Princes ».
Ici la lecture d'Apollonius eft inter-
99
"
rompue.
99
"
" Le Peuple fe mit à crier , jamais ,
»jamais ; mille voix s'élevèrent enfemble.
L'un difait , tu as été notre père ;
» un autre , tu ne fouffris jamais d'oppreffeurs
; d'autres , tu as foulagé tous
» nos maux ; & des milliers d'hommes
à la fois , nous t'avons béni , nous tẻ
béniffons. O fage ! ô clément ! ô jufte
Empereur! Que ta mémoire foit fa-
» crée , qu'elle foit adorée à jamais . Elle
» le fera , reprit Apollonius , & ce fera
,, dans tous les fiècles. Mais c'eft en
» s'effrayant lui - même des maux qu'il
» aurait pu vous caufer , qu'il eft parvenu
à vous rendre heureux , & à mériter
» ces acclamations qui retentiffent fur fa
» tombe » .
و د
"
39
On fent combien tous ces mouvemens
ont d'intérêt & de dignité. Un moment
plus frappant & qui a paru de la plus
grande
AVRIL. 1775. 125
grande beauté , c'eft celui où Marc Aurèle
eft repréſenté dans l'entretien qu'il a
avec lui même , prêt à abdiquer l'Empire
, dont le fardeau l'épouvante . Je fus
un inftant réfolu , dit il , oui je fus réfolu
d'abdiquer l'Empire.
" A ces mots les Romains , qui écou-
» taient dans un profond filence , paru-
» rent effrayés comme s'ils étaient me-
» nacés de perdre leur Empereur. Ils
», oubliaient que ce grand homme d'était
» plus. Bientôt cette illufion fe diffipa ;
» on eût dit qu'alors ils le perdaient une
" feconde fois. Dans un mouvement tumultueux
, ils s'inclinèrent tous vers fa
tombe. Femmes , enfans , vieillards ,
», tout fe précipita de ce côté. Tous les
coeurs étaient émus , tous les yeux ver-
» faient des larmes . Un bruit confus de
» douleur errait fur cette immenfe affemblée.
Apollonius lui - même fe troubla.
Le papier qu'il tenait tomba de ſa
» main ; il embrada le cercueil . La vue de
» ce vieillard défolé parut augmenter le
» trouble général . Peu à peu le murmure
» fe ralentit. Apollonius fe releva comme
» un homme qui fortait d'un fonge ; & ,
» l'oeil encore à demi égaré par la douleur
, il reprit le papier fur la tombe ,
II.Vol.
39
F
122 MERCURE DE FRANCE.
» & continua d'une voix altérée , & c. »
Le grand peintre Tacite n'aurait pas
employé des couleurs plus vraies , plus
touchantes. Un morceau d'un autre genre
& d'une imagination poëtique & fublime
, c'eſt le fonge de Marc- Aurèle .
" Je voulus méditer fur la douleur . La
» nuit était déjà avancée . Le beſoin du
» fommeil fatiguait ma paupière . Je
» luttai quelque temps. Enfin je fus
ود
obligé de céder , & je m'affoupis .
» Mais dans cet intervalle , je crus avoir
» un fonge. Il me fembla voir dans un
» vafte portique une multitude d'hom-
» mes raffemblés . Ils avaient tous quel-
» que chofe d'augufte & de grand . Quoi-
» que je n'eulle jamais vécu avec eux ,
» leurs traits pourtant ne m'étaient pas
étrangers. Je crus me rappeler que
» j'avais fouvent contemplé leurs ftatues.
» dans Rome. Je les regardais tous ,
quand une voix forte & terrible reten-
» tit fous le portique : Mortels , apprenez
» à fouffrir. Au même inftant devant l'an
je vis allumer des flammes , & il y
pofa la main. On apporta à l'autre du
" poifon , il but , & fit une libation aux
» Dieux. Le troisième était debout , aua
près d'une ftatue de la Liberté , brifée .
» Il tenait d'une main un livre ; de l'au-
و د
39
"
#
I
AVRIL. 1775. 123
"
"
"
» tre , il prit une épée dont il regardait
la pointe . Plus loin , je dif
tinguai un homme tout fanglant , mais
» calme , & plus tranquille
que fes bourreaux.
Je courus à lui en m'écriant : O
Régulus , eft ce toi ? Je ne pus fou-
» tenir le fpectacle
de fes maux , & je
» détournai
mes regards. Alors j'apperçus
» Fabrice dans la pauvreté
, Scipion mou-
» rant dans l'exil , Epictère écrivant dans
les chaînes , Sénèque & Thraféas
les
» veines ouvertes , & regardant
d'un oeil
» tranquille
leur fang couler. Environné
» de tous ces grands hommes malheureux
, je verfais des larmes ; ils paru-
» rent étonnés. L'un d'eux , ce fut Caton,
approcha
de moi , & me dit : Ne
» nous plains pas , mais imite nous ; &
» toi auffi , apprends à vaincre la douleur .
Cependant
il me parut prêt à tourner
» contre lui le fer qu'il tenait à la main .
» Je voulus l'arrêter ; je frémis ; & je » m'éveillai
» .
»
و د
"
ود
Il faut fe borner , car on ferait obligé
de tranfcrire tout le difcours pour en citer
toutes les beautés . Venons à l'endroit
où Apollonius rappelle la faveur que
Marc-Aurèle avait accordée aux Philofophes
& aux Gens de Lettres. Le Pané
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
gyrfte y parle bien noblement de luimême
& de ceux qui , comme lui , élèvent
leur âme en épurant leur raiſon .
« En parlant de la protection que Marc-
» Aurèle accorda aux hommes utiles de
» tous les rangs , puis je oublier , Ro-
» mains , celle qu'il nous accordait à
» nous- mêmes & à tous ceux qui , com-
» me lui , cultivaient leur raifon par
l'étude . Je prends les Dieux à temoin
» que ce n'eft point un lâche intérêt qui ,
» dans ce moment , me fait louer mon
Empereur . Si pendant foixante ans je
n'ai ni afpiré à des honneurs , ni brigué
des richelles ; G , aimé de Marc - Au-
» rèle , j'ai juftifié mon pouvoir par ma
» conduite , fi , outragé quelquefois , je
» n'ai jamais répondu à la haine que par
"
"9
des bienfaits , & à la calomnie que par
» mes actions ; j'ai peut être le droit de
parler de tout ce que ce grand homme
a fait pour la philofophie & les lettres.
» Je ne fais fi elles auront encore un
jour des ennemis dans Rome ; je ne
» fais fi la profcription & l'exil devien-
» dront encore notre partage : mais
dans aucun temps , on ne pourra étouffer
en nous le cri de la nature , qui
» nous avertit que les Peuples ont le
29
32
AVRIL 1775. 125
"
"9
» droit d'être heureux . Nous pleurerons
» fur les maux du genre humain : &
lorfqu'en quelque partie du monde il
» s'élevera un Prince comme Marc- Anrèle
, qui annoncera qu'il veut placer
» avec lui fur le Trône la morale & les
lumières ; au fond de nos réduits nous
" leverons , tous enfemble , nos mains
» pour remercier les Dieux . Ici je vou
» drais pouvoir ranimer ma voix trem-
» blante. Marc Aurèle , du haut du Ca-
» pitole , donne le fignal . Tous ceux qui ,
» dans toutes les parties de l'Empire ,
» aiment & cherchent la vérité , accou
>> rent autour de lui . Il les encourage , il
les protége; vous l'avez vu même , étant
Empereur, ferendre plus d'une fois dans
les Ecoles publiques pour s'y inftruire.
» On eûr dit qu'il venoit dans la foule
» chercher la vérité , qui fuit les Rois.
» Sous fon règne nous étions utiles . Cette
39
99
gloire nous eût fuffi . Ce grand homme
» voulut y ajouter les honneurs. Il a éle
» vé plufieurs de nous aux premières
places de l'Empire , & leur a fait ériger
» des ftatues à côté des Catons & des
» Socrates . Romains , fi vos Tyrans pou-
» vaient fortir de leurs tombeaux & re
paraître dans vos murs , combien ils
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
, feraient étonnés en voyant leurs pro-
» pres ftatues mutilées & abattues dans
» Rome ; & , à leurs places , les fucceffeurs
de ces mêmes hommes , qu'ils
faifaient traîner dans les prifons &
» dont ils faifaient couler le fang fous
» les haches ! >>
"
"
Viennent enfuite les Députés de toutes
les Nations de l'Empire , qui , en rappelant
les bienfaits que chacune de ces
Nations a reçues de Marc- Aurèle , apportént
fuccettivement à fa cendre les hom .
mages des trois parties du monde . Cette
cérémonie eft impofante : mais des hom .
mes d'un goût févère & délicat ont pen .
fé que cette répétition de la même formule
: J'apporte à la cendre de Marc-
Aurèle les hommages de l'Italie ; j'apporte
à la cendre de Marc- Aurèle les
hommages de l'Afrique , & c . avait un
air d'arrangement peu fait pour la noble
fimplicité qui règne dans l'Ouvrage . Il
ferait facile de remédier à ce défaut , fi
c'en eft un , en faifant parler tour à tour
ces Repréfentans de chaque Peuple , qui
raconteraient ce que Marc - Aurèle fit
pour eux , & tous fe réuniflant enfuite ,
s'écrieraient d'une voix unanime , nous
apportons à la cendre de Marc-Aurèle les
hommages de l'Univers .
AVRIL. 1775. 127
Si l'Auteur adoptait ce changement
dans une feconde édition , il pourrait
auffi fupprimer ou corriger quelques'
phrafes qui paraiffent manquer de juftelle
où de naturel . Plus ce défaut eft
rare dans cet excellent difcours , plus on
defire de n'en voir aucune trace . Par
exemple Apollonius commence par
dire :
Il ne faut pleurer que fur la cendre des méchans
, car ils ont fait le mal & ne peuvent
plus le réparer. Cette idée me paraît plus
recherchée que vraie. On dirait avec
beaucoup plus de fondement : Il faut pleurer
fur la cendre des hommes vertueux ,
car ils ne peuvent plus faire le bien ; & ce
début même , dans la bouche du Stoïcien
Apollonius , ferait plus pathétique
& d'un plus grand effet . Voici d'ailleurs -
quelques phrafes dont la tournure ne me
femble pas heureufe. Il reçut cette première
éducation à laquelle vos Ancêtres
ont toujours mis un fi grand prix , & qui
prépare à l'âme un corps robuſte & fain ...
Mourir n'eft qu'une action de la vie... Le
temps coulait pour les divifions & pour les
crimes ; fon cours était fufpendu pour le
rétablissement de l'ordre . Ce dernier membre
de phrafe offre même un fens louche :
car il pourrait fignifier le contraire de ce
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
que l'Auteur veut dire. Voilà les feules
taches que j'aye remarquées dans ce
chef- d'oeuvre. Terminons par le tableau
de la mort de Marc - Aurèle , & ne nous
refufons pas au plaifir de tranfcrire la
péroraifon , qui furpaffe tout ce que nous
venons d'admirer . « Quand le dernier
terme approcha , il ne fut point étonné.
» Je me fentais élevé par fes difcours.
» Romains , le grand homme mourant a
» je ne fais quoi d'impofant & d'auguſte ,
» Il femble qu'à meſure qu'il ſe détache
» de la terre , il prend quelque chofe de
» cette nature divine & inconnue qu'il
» va rejoindre. Je ne touchais fes mains
» défaillantes qu'avec refpect ; & le lit
» funèbre où il attendait la mort me fem.
» blait une espèce de fanctuaire . Cependant
l'armée était confternée ; le foldat
ود
و
"
gémiffait fous fes tentes ; la nature
» elle-même femblait en deuil . Le ciel
» de la Germanie était plus obfcur. Des
tempêtes agitaient la cime des forêts
qui environnaient le camp ; & ces objets
lugubres femblaient ajouter encore
» à notre défolation . Il voulut quelque
temps être feul , foit pour repaffer fa
» vie en préfence de l'Etre Suprême ,
foit pour méditer encore une fois avant
»
"
❞
n
129 AVRIL. 1775 .
"
» que de mourir. Enfin il nous fit appe
» ler. Tous les amis de ce grand homme
» & les principaux de l'armée vinrent ſe
» ranger autour de lui . Il était pâle , les
» yeux prefque éteints & fes lèvres à
demi glacées. Cependant nous remarquâmes
tous une tendre inquiétude fur
» fon vifage . Prince , il parut fe ranimer
» un moment pour toi . Sa main mourante
» te préfenta à tous ces vieillards qui
» avaient fervi fous lui. Il leur recom-
» manda ta jeuneffe. Servez lui de père ,
» leur dit- il , ah ! fervez lui de père.
» Alors il te donna des confeils tels que
» Marc-Aurèle mourant devait les don-
» ner ; & bientôt après Rome & l'Univers
» le perdirent.
"
"
» A ces mots tout le Peuple Romain
» demeura morne & immobile. Apol-
» lonius fe tur; fes larmes coulèrent . II
fe laiffa tomber fur le corps de Marc-
Aurèle. Il le ferra long temps entre fes
bras , & fe relevant tout-à coup : Mais
» toi , qui vas fuccéder à ce grand hom-
» me , ôfils de Marc- Aurèle ! ô mon
» fils ! permets ce nom à un vieillard qui
» t'a vu naître , & qui t'a tenu enfant
» dans fes bras. Songe au fardeau que
t'ont impofé les Dieux . Songe aux de
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
voirs de celui qui commande , aux droits
» de ceux qui obéiffent. Deftiné à ré-
» gner , il faut que tu fois ou le plus
» jufte ou le plus coupable des hommes.
., Le fils de Marc- Aurèle auroit - il à choi-
-» fir ? On te dira bientôt que tu es tout-
» puiffant ; on te trompera , les bornes
de ton autorité font dans la loi. On te
» dira encore que tu es grand ; que tu es
adoré de tes Peuples. Ecoute : quand
» Néron eut empoifonné fon frère , on
» lui dit qu'il avait fauvé Rome ; quand
il eut fait égorger fa femme , on loua
devant lui fa juftice . Quand il eut af
-» faffiné fa mère , on baifa fa main par-
» ricide , & l'on courut aux Temples re-
» mercier les Dieux . Ne te laiffe pas non
» plus éblouir par des refpects . Si tu n'as
» des vertus , on te rendra des hommages,
» & l'on te haïra . Crois moi ; on n'abuſe
point les Peuples. La justice outragée
» veille dans tous les coeurs. Maître du
» monde , tu peux m'ordonner de mou-
» rir , mais non de t'eftimer. O fils de
Marc- Aurèle ! pardonne ; je te parle
» au nom des Dieux , au nom de l'Uni-
» vers qui t'eft confié. Je te parle pour le
bonheur des hommes & pour le tien.
» Non , tu ne feras point infenfible à une
AVRIL 1775. 131
"» gloire fi pure . Je touche au terme de
ma vie. Bientôt j'irai rejoindre ton
père. Si tu dois être jufte , puiffé je vivre
» encore affez pour contempler tes ver-
» tus ! Si tu devais un jour...
39
ود
" Tout - à coup Commode , qui était
» en habit de guerrier , agita fa lance
d'une manière terrible . Tous les Ro-
» mains pâlirent . Apollonius fut frappé
» des malheurs qui menaçaient Rome.
» Il ne put achever. Ce vénérable vieil-
» lard fe voila le vifage . La pompe fu-
" nèbre , qui avait été fufpendue , reprit
» fa marche . Le People fuivit , confterné
» & dans un profond filence. Il venait
d'apprendre que Marc-Aurèle était tout
» entier dans le tombeau » .
"
Si ce n'eft pas là de l'éloquence , de
la grandeur & du génie , il n'y en eut
jamais. Quelles paroles que celles - ci !
Ecoute : quand Néron eut empoisonné
fon frère , & c. Jamais la vérité n'eut un
ton plus mâle & plus fublime. Et quel
tableau que celui qui termine l'Ouvrage !
Quel effet il produirait fur la toile fi le
pinceau d'un grand Artifte l'y retraçait !
J'avoue que la beauté de ce morceau m'a
profondément frappé . Ne nous laiffons
point intimider jufquès dans le fenti-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ment de nos plaifirs , & n'ayons point
cette faiblefle fi commune de nous refufer
à l'admiration , de peur d'être démen
tis par l'envie. Ofons parler comme on
parlerait , fi l'Auteur de cet Ouvrage était
depuis cent ans fous la tombe. Plus on
dédaigne conftamment l'adroite & intriguante
médiocrité , qui emploie à s'arranger
un fuccès de deux jours , l'art &
le talent qu'elle ne fait pas mettre dans
fes Ouvrages ; plus il faut rendre une
juſtice éclatante à ceux qui ne fe recommandent
que par leur mérite , & à qui
celui d'autrui n'infpire que de l'émulation.
La gloire ne peut être fentie que
par de belles âmes , & n'eft difpenfée que
par des mains pures ; il ne manquera rien
à celle de M. Thomas , quand fon Ouvrage
aura été dénigré , comme de raifon
, par ceux dont le métier eft d'outra.
ger journellement les talens , la vérité &
la vertu .
Euvres de M. de Saint Mare ; vol . in- 8 °.
grand format , orné de gravures , avec
le portrait de l'Auteur. Prix 6 livres
broch . A Genève , & fe trouve à Paris ,
chez Monory , Lib , rue de la Comédie
Françoife,
AVRIL. 1775.
133
L'amour & un fentiment naïf du beau
& de l'honnête , ont dicté les poëfies de
ce recueil , qui contient des Epîtres , des
Pièces Anacréontiques , des Contes , la
Tragédie lyrique d'Adèle de Ponthieu ,
des Comédies Ballets , des Paſtorales ,
& le Difcours de réception de l'Auteur
à l'Académie de Bordeaux .
Les partifans de nos meurs antiques
fauront gré à l'Auteur d'avoir confacré
une partie de ſes tableaux poëtiques à
nous rappeler les moeurs de notre bonne
& ancienne Chevalerie . La première
Epître de ce recueil , intitulée la Chevalerie
, eft une leçon de noble franchiſe ,
d'amour de la Patrie & de refpect pour
les Dames , L'Epître eft terminée par
cette vertueufe exhortation que fait le
Poëte à fes Compatriotes.
François , vous êtes nés pour l'amour de la gloire.
Voulez-vous au bonheur enchaîner la victoire ?
Cedez un doux empire à ce fexe charmant ;
Liez-vous à fes pieds par un heureux ferment.
Envain vous l'accufez d'erreurs & de caprices ;
Ses défauts , quels qu'ils foient , ne font dûs qu'à
nos vices:.
Par un manége adroit , ou des foins empreffés ,
Vous voulez qu'il vous plaife , & vous l'en punif
Lezi
134 MERCURE DE FRANCE.
Il fe refpectera fi l'honneur vous anime.
Il aura cent vertus , s'il obtient votie eftime.
Soyez juftes , & vrais ; ne couvrez plus de fleurs
Le chemin qui le trompe , & le mene aux erreurs.
Bientôt vous le verrez , fur de nouvelles traces ,
Conquérir par les moeurs , & regner par les grâces ,
Au talent de trahir préférer la candeur ,
Applaudir l'héroïsme , eftimer la valeur ,
Et ramener ces jours , que l'on traite de fables ,
Où les plus vertueux étoient les plus aimables .
Plus fenfibles alors , plus noblement charmés ,
Vous ferez moins féduits ; mais vous ferez aimés .
Ciel ! un riant efpoir tout- à- coup vient meluire.
Volez au pied du Trône où l'amour vous attire.
Si les regards d'un Roi peuvent tant fur nos coeurs,
Eh! que ne fera point l'exemple de ſes meurs ?
Contemplez votre Maître , & l'augufte Princefle ,
Qu'enchainent avec lui l'amour & la jeuneſſe ,
Les grâces , la franchiſe , & la douce gaité ,
Dont le charme indulgent fied à la Mejeſté .
Voyez-là , de fa main renverfant la barriere
Qu'oppofoit à la Cour une étiquete altiere ,
Elever des Mortels , par un choix glorieux ,
Au bonheur d'être affis à la table des Dieux .
Allez ,fuivez les pas , & qu'elle vous enſeigne
A chérir les vertus qui vont parer fon
Un feul de fes regards , un feul vous l'apprendra
regne.
AVRIL. 1775 : 235
Et c'eft en fouriant qu'elle vous inftruira.
Mais quels font ces accens ? Que j'aime à les éntendre
!
Mes
yeux verfent des pleurs ; mon coeur devient
plus tendre :
De ce Trône acceffible où vous portez vos voeux
Une voix part , & dit : François , foyez heureux !
Et moi j'ofe ajouter , foyez dignes de l'être.
Imitez vos Ayeux , imitez votre Maître ;
Rappelez dans vos coeurs l'antique loyauté ;
Honorez la vertu pour plaire à la beauté.
Le Poëte , non content de nous avoir
retracé dans cette Epître les ufages refpectables
de l'ancienne Chevalerie , a
voulu encore nous en rendre témoins . Sa
Tragédie d'Adèle de Ponthieu nous remet
en quelque forte fous les yeux , ces jours
heureux , où la foibleffe & la vertu offenfées
voyoient accourir de toutes parts
une foule de héros , jaloux de les défendre
& de les venger ; où les noms d'honneur
& de patrie alloient retentir dans
tous les creurs des Chevaliers , & de
ceux qui prétendoient à le devenir ; où
les Souverains les plus puiffans croyoient
moins honorer les Chevaliers que s'honorer
eux-mêmes , en partageant ce glo136
MERCURE DE FRANCE.
rieux titre avec eux . Cette Tragédie , repréfentée
en trois actes par l'Académie
Royale de Mufique , pour la première
fois , le premier Décembre 1772 , eft ici
réimprimée en cinq actes. Le Poëte a
donné plus de développement à fon poë.
me , afin de mettre en action ce qui auparavant
n'étoit qu'en récit. Il a penſé ,
avec raifon , que dans un fujet auffi neuf
fur la scène , auffi intéreffant pour la Nation
, on ne devoit rien négliger de ce
qui pouvoit donner de la pompe & de
la majefté au fpectacle . Ces développemens
d'ailleurs feront voir aux partifans
de nos anciens Opéra combien les grands
tableaux hiftoriques , traités par une main
habile , font fupérieurs à tous les lieux
communs de la Mithologie . Nous penfons
même que cette Tragédie d'Adèle de Pon.
thieu , revêtue de la nouvelle action que
le Poëte lui a donnée , fera époque dans
l'hiſtoire de notre fcène lyrique. Quel
fpectacle en effet plus capable d'intéreffer
la Nation Françoife que celui qui lui
retrace fon attachement à fes devoirs , à
fon Souverain , à fa Patrie , qui lui offre
l'image de fes triomphes , & lui préfente
le tableau de cette galanterie héroïque ,
qui l'a toujours caractériſée.
AVRIL. 1775. 137
Les Comédies Ballets & les Paftorales
qui font imprimnées à la fuite de la Tragédie
d'Adèle de Ponthieu , prouvent également
que M. de Saint- Marc a bien
étudié toutes les parties de la fcène lyrique
; & que c'eft d'après cette étude réfléchie
qu'il a , dans fon Difcours de réception
à l'Académie de Bordeaux , tracé
les difficultés qu'elle préfente . Il fait voir
que la Tragédie lyrique n'exige pas moins
de talens que la Tragédie fimple. En effet
la marche des deux Drames eft femblable
; il faut que la fable en foit également
noble , & nous conduite de même ,
par degrés , à la pitié & à la terreur . Les
caractères doivent être également foutenus
dans ces deux Drames , mais plus
rapidement prononcés dans le lyrique ,
qui , foit par le nombre des vers , foit
par leur mefure , foit par les facrifices
qu'il faut faire aux divertiffemens , offre
à peine la quatrième partie d'une Tragédie
fimple. Aufli cette dernière parle - telle
plus à la raiſon & au coeur , tandis
que la Tragédie lyrique , avec l'avantage
de préfenter fouvent en action ce que
l'autre ne peut préfenter qu'en récit , eft
plus particulièrement le fpectacle de
l'imagination & des fens. Mais quelles
138 MERCURE DE FRANCE.
:
différences n'offre - t - elle pas au Poëte ,
dans la néceffité qui lui eſt impoſée de
fubftituer des tableaux aux développemens
, de préparer des effets & des oppofitions
à la mufique , en variant rapidement
la fituation de fes perfonnages , en
donnant tour - à-tour aux paffions qu'il fait
agir , des momens d'agitation & de
calme ; en faifant fuccéder l'efpérance à
la crainte , la peine au plaifir , le bonheur
à l'excès d'inquiétude . Ajoutons , contitinue
M. de Saint- Marc , la néceffité ,
plus épineufe encore , de fufpendre naturellement
l'action , fans néanmoins la
laiffer oublier , pour offrir aux yeux , dans
chaque acte , les charmes de la danſe , &
ceux de la peinture , dans les changemens
également preferits du lieu de la fcène.
Les poëlies Anacréontiques qui font
partie des OEuvres que nous annonçons ,
offrent des images fimples , naïves & enjouées.
Les contes , d'une tournure épigrammatique
, ont auffi la précifion & la
vivacité de l'épigramme. On fe rappelle
cette anecdote de Madame de Staal ,
dont nous avons des Mémoires écrits avecaffez
de franchife & d'ingénuité. Cette Da .
me avoit eu autrefois quelques intrigues
galantes. Une femme de fes amies , qui
AVRIL. 1775 . 139
favoit qu'elle compofoit fes Mémoires ,
lui demanda comment elle s'y prendroit
pour le peindre elle-même , lorfqu'elle
en feroit à la fenfibilité de fon coeur , à
fes aventures galantes ? Oh ! dit - elle , je
ne me représenterai qu'en bufte. Cette répartie
fait la matière du conte fuivant ,
par lequel nous terminerons cet extrait .
Il eft intitulé : Il nefaut pas tout dire.
Une femme d'efprit & d'un goût fort vanté
Avoit fait imprimer l'hiftoire de fa vie ,
Et rircit fur-tout vanité
D'avoir , c'étoit - là fa manie ,
En tous fes points rendu la vérité.
Qui , lui dit un ami , fans doute , on doit vous
croire ;
Mais n'avez - vous pas prudemment
Mis de côté le dénouement
De plus d'une galante hiftoire ?
Convenez du fait entre nous ;
Allons , cela n'eft-il pas jufte ?
Ah ! reprit elle , fans courroux ,
Je ne me fuis peinte qu'en bufte.
Remède éprouvé pour guérir radicalement
le cancer occulte & manifefte ou ulcéré,
Par Meffire G. R. le Febure de
Saint Ild*** , Ecuyer , Docteur en
140 MERCURE DE FRANCE.
Médecine. Feuille in- 8 . A Paris chez
Michel Lambert , Imprimeur Libraire ,
rue de la Harpe , près St Côme.
la cure
Ce n'eft que d'après un nombre d'obfervations
très répétées que l'Auteur propofe
le remède dont il s'agit ici : il a joint
aux fiennes propres celles des Médecins
de la Faculté de Paris , entre- autres celles
de M. de Cézan . C'eft avec une extrême
prudence qu'il propofe le poifon , qu'il
regarde comme fpécifique , pour
du cancer. « En effayant de nouveaux
» remèdes , dit il , un Médecin ne fatis-
" fait pas feulement aux devoirs de l'humanité
, il travaille encore pour les
progrès de l'art ... Et dans les cas
défefpérés , " il convient mieux fans
» doute de tenter un remède même dou-
» teux , que d'abandonner le malade au
» fort le plus funeſte » . M. le Febure a
fait des expériences chimiques pour découvrir
la nature du cancer . Il a recueilli
de l'ichor qui diftille des cancers ouverts ;
il en a eu de deux Sujets différens : l'un
a verdi & l'autre a rougi le firop de violette
. Voici une contrariété bien évidente
dans la nature de ce virus ; & il conclud
de ce phénomène que la médecine ratio-
"3
"
AVRIL. 1775 . 141
nelle ne tire qu'un foible avantage de
fes lumières , pour faire le choix des remèdes
qui conviennent à certaines maladies
, d'après l'examen qu'elle a fait de
leur virus . C'eft l'arfenic qu'il propofe pour
la guérifon du cancer ; il penfe qu'on ne
fera point étonné de voir un Médecin
ofer donner ce poifon intérieurement ,
puifqu'on a vu le célèbre Van - Swieten
humanifer le fublimé - corrofif , & M.
Storck nous familiarifer avec la ciguë. La
Médecine , ajoute M. le Febure , a retiré
des fecours puiffans de plufieurs déletères
qui tiennent aujourd'hui un rang diftingué
dans la matière médicale ; l'émétique a
été profcrit pendant cent années . D'ailleurs
il n'eft point le premier Médecin
qui ait donné l'arfenic intérieurement ,
M. Jacobi l'a fait prendre pour toutes
fortes de fièvres , & particulièrement
pour les intermittentes ; Pitcarn & Zacutus
Lufitanus s'en font fervis dans la dyfenterie
; Friccius parle auffi de plufieurs
Médecins qui l'ont employé de la même
manière . M. le Febure eft cependant celui
qui l'a donné le premier pour le
cancer il eft bien vrai que Fallope ,
Penot , Gui de Chauliac , Théodoric ,
Valefcus l'ont employé en topiques fur
142 MERCURE DE FRANCE;
les ulcères cancéreux ; mais ils s'en fer
voient en qualité d'efcarotique , & ils
l'unifoient fouvent au fublimé - corrofif.
Ce n'est qu'à la vertu fpécifique de l'arfenic
que l'Auteur attribue la guérifon du
cancer ; il n'explique point la manière
d'agir fur le virus cancéreux ; il ne dit
point quelle eft la partie conftitutive de
ce minéral , qui contribue particulièrement
à la guérifon du cancer. Il eſt
» au - deffus de nos lumières , dit- il , d'expliquer
l'action des fpécifiques propre-
» ment dits ». Il ne fe permettra de faire
des hypotèfes qu'après que la fpécificité
de fon remède fera à l'abri de tout ſoupçon
. Il faut voir dans l'Auteur même la
manière d'adminiftrer le remède , & de
panser les ulcères cancéreux . Nous ne
pouvons qu'applaudir aux vues fages &
patriotiques de M. le Febure. Jufqu'ici
nous n'avons point eu de remède fpécifique
contre la cruelle maladie dont nous
parlons ; c'eft un grand avantage pour
l'humanité fi elle trouve ici le moyen de
fe fecourir dans un cas auffi déſeſpéré.
Certains hommes , jaloux de ce que les
autres inventent , s'élèvent contre tous les
nouveaux remèdes : comment , dirontils
ici , pourra-t - on aujourd'hui guéric
AVRIL 1775. 143
une maladie incurable jufqu'à nous ? Incurable
jufqu'à nous eft trop fort : nous
avons fous les yeux des obfervations trop
récentes & trop vraies pour hafarder une
négative auffi générale ; le célèbre Storck
n'eft point fait pour abufer le Public ; &
le cancer eût été incurable dans la force
da terme , jufqu'à nous , que ce ne pourroit
être une raifon pour défefpérer de le
guérir un jour. Laiffons à eux- mêmes ces
frondeurs éternels , & concluons qu'il
fera toujours avantageux à l'humanité de
chercher des remèdes nouveaux on fera
trop riche & trop heureux , fi , fur cent ,
il en réuffit un. Il ne nous eft pas befoin
de rappeler à nos Lecteurs que M. le
Febure , auquel on doit ce nouveau fecours
pour les cancers , a écrit avec fuccès
fur les maladies vénériennes & fur les
accouchemens.
Nous apprenons que M. Juncker
Allemand , vient de traduire dans fa langue
l'utile Traité fur le cancer , dont nous
venons de parler ; il s'imprime à Strasbourg
, chez M. Heitz . Quand il nous
fera parvenu , nous en rendrons compte
à nos Lecteurs.
La Vie du Pape Clément XIV ( Ganga144
MERCURE DE FRANCE
nell ) . A Paris, chez la veuve Defaint ,
rue du Foin S. Jacques .
Cette vie , comme dit l'auteur au com .
mencement de la Préface , n'eft point
celle d'un Pape qui n'a d'autre éclat que
la prééminence de fon rang & de fes vertus
; mais la vie d'un Pontife , qui , par
ces finguliers & mémorables événemens
dont fon règne fut accompagné , tient à
tous les empires & à tous les fiècles à
venir. Ganganelli avoit fçu , par fes rares
qualités , fe concilier l'eftime générale
de toutes les Cours , & de toutes les
Communions . Auffi fon Hiftoire peut
être regardée comme l'éloge de la raifon
, de la piété & de la faine politique ..
L'auteur de cette vie , qui depuis longtemps
a confacré les talens & fon loifir
à la défenfe de la morale de l'Evangile ,
méritoit plus que tout autre de devenir
le panégyrifte d'un Pontife digne des.
premiers fiècles de l'Eglife. Après avoir
rapporté des circonstances intéreffantes
de fon enfance & de la jeuneffe , il le
fuit dans le cloître pas à pas ; & il le
fait connoître par des anecdotes curieufes
, comme le Religieux le plus humble
& le plus favant , ennemi de toute
eſpèce
AVRIL. 1775 . 145
efpèce d'intrigue , étranger aux affaires
du fiècle ; il n'avoit d'autre zèle que celui
de pratiquer avec édification tous les
devoirs de la vie Religieufe : je ne fuis
jamais plus libre , difoit- il fouvent , que
lorfque j'ai des devoirs à remplir , parce
que je me fais un plaifir de tout ce queje
dois faire. Son humilité l'empêchoit de
prendre le plus léger intérêt aux élections
: peu m'importe , lui a t- on fouvent
entendu répéter , que les Supérieurs changent
, puifque la Règle ne doit jamais vatier,
L'amour de l'étude avoit étouffé en
lui tout germe d'ambition ."
M. Caraccioli préfente enfuite Gan
ganelli fous la Pourpre avec des traits de
Tagelle & de lumière , qui juftifient par
faitement le choix qu'on fit de fa perfonne
lorfqu'on l'éleva fur la Chaire de
Saint Pierre. Benoît XIV , jufte appréciateur
du mérite , s'empreffa de le nommer
Confulteur du Saint Office , place.
qui exige beaucoup de connoiffances ,
lorfqu'on veut la remplir avec diftinction .
L'auteur parle à ce fujet de l'Inquifition
qui eft depuis long temps à Rome un
Tribunal prefque fans vigueur , & falt
cette obfervation judicieufe , que la Capitale
du monde Chrétien eft la ville o
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
"
lon eft le moins inquiété pour les affaires de
religion. On y refpire , dit il , cette dou-
» ceur , cette paix , dont le fuprême Légiflateur
nous donna l'exemple , & l'on
n'y connoît que la voie de la perfuafion.
Ganganelli, rempli d'amour pour cette
paix fi defirable & fi avantageufe au
bien de l'Eglife , cherchoit les moyens
efficaces de la rétablir dans tous les pays.
catholiques. Il ne celloit de dire que la
foi fe perfuadoit & ne fe commandoit
pas ; & que c'étoit combattre tout à la
fois l'efprit de l'Evangile & les principes
de la raifon , que de vouloir employer
des moyens violens au progrès de
l'Evangile. Aufli réprouvoit- il tous ceux
qui ne font propres qu'à troubler le repos
public , fans éclairer les efprits , & à
produire des hommages forcés & bien
peu propres à plaire à la Divinité, « On
» peut emprifonner le corps , le tour-
» menter , le détruire , difoit un célèbre
» Académicien. Mais l'âme prend fon
» ellor : elle échappe à la violence , por-
» tant en elle-même cette loi ineffaça-
» ble , cette liberté de penfer , qu'il eft
impoffible de lui ravir , quand on for-
» ceroit la langue d'articuler quelques
» mots. L'on ne fauroit emporter les
ود
*
AVRIL. 1775. 147
» confciences à main armée , non plus
que les remparts avec des raifonne-
» mens ".
L'hiftoire du Pontificat de Ganganelli
forme un tableau digne de la curiofité:
des Lecteurs . On doit favoir gré à cet
Auteur , d'avoir femé fon Ouvrage de
traits propres à faire connoître le Gouvernement
de Rome , le génie de fes
Habitans , la politique des Conclaves ,
la manière de vivre des Cardinaux , &
d'avoir recueilli plufieurs bons mots dont
Clément XIV affaifonnoit tout ce qu'il
difoit. On eft ravi de lui entendre dire
que le befoin des Peuples eft l'horloge dés
Souverains , qui , à quelque moment qu'ils
ayent befoin de leur affiftance , doivent
être à eux .
L'article de la mort , dont il fut longtemps
le tranquille fpectateur , & qui lui
coûta de fi vives douleurs , eft traité avec
cette circonfpection fi néceffaire à un
Hiftorien qui ne doit rien affirmer qu'avec
des preuves en main. L'Auteur , fans
rien omettre , rejette tout ce qui eft faperflu.
Le parallèle qu'il a fait entre Clé
ment XIV & Sixte-Quint nous a paru
bien caractériſer ces deux grands Pontifes .
Il eft fuivi de neuf Lettres de l'immor-
Gij
MERCURE DE FRANCE.
tel Ganganelli , pleines de goût , de fagefle
& d'érudition , qui prouvent que
ce n'eft pas fans raifon que le Roi d'An
gleterre , le Roi de Prufle , l'Impératrice
de Ruffie , & le Sultan lui -même eſtimèrent
fingulièrement Clément XIV.
M. de Voltaire , qu'on n'accufera pas
d'avoir une paffion aveugle pour les Pontifes
de l'Eglife Romaine , a toujours fait ,
avec plaifir , l'éloge de Ganganelli , tou
tes les fois qu'il en trouve l'occaſion ,
comme d'un Pape digne , à tous égards ,
& de notre admiration , & de nos regrets.
L'Auteur termine fon ouvrage par ce
trait bien Aatreur pour Ganganelli : fi
quelqu'un , dit - il , trouve que cette vie
tient plus de l'éloge que de l'hiftstre ; qu'il
s'en prenne à Clément XIV, & non à
Hiftorien. Eh ! pourquoi Ganganelli futil
unfi grand homme ?
Recueil de Pièces concernant le Prix général
de l'Arquebufe Royale de France
, rendu par la Compagnie de la ville
de Saint-Quentin , le 5 Novembre &
jours fuivans 1774 ; brochure in 12 .
prix , 10 liv. 10 f. à Saint - Quentin ,
chez F. T. Hautoy , Libraire & Impris
AVRIL 1775. 149
meur du Roi ; & à Paris , chez Brocas ,
Libraire , rue Saint - Jacques.
L'origine des Compagnies Militaires ,
appelées aujourd'hui de l'Arquebufe , eft
très -ancienne . Les Villes de Communes ,
qui avoient le droit de fe garder ellesmêmes
, comme celle de Saint- Quentin
entretenoient de ces Compagnies qui fe
formoient au maniment des armes , & qui
étoient toujours prêtes à marcher , au
premier ordre . Ces Compagnies eurent
différentes dénominations , fuivant les
différentes armes qui furent en ufage . On
les appela fucceffivement Compagnies
d'Archers , d'Arbalèrriers & d'Arquebu.
fiers. Les Communes , avec leurs Compagnies
, voloient même au fecours de
leurs Souverains . Une notice héroïque ,
concernant la Compagnie de l'Arquebufe
de Saint -Quentin , cite plufieurs faits
d'armes où ont éclaté la fidélité & le
zèle de ces Compagnies pour la patrie .
Cette notice eft fuivie de la permiffion
du Roi & du Gouverneur de la Province
de Picardie , pour le tirage du Prix géné .
ral qui s'eft fait au mois de Septembre
1774, à Saint Quentin . Viennent enfuite
les conditions fous lefquelles le Prix devoit
être tiré , & la déclaration des Prix
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
des quatre Pantons . Des Poéfies Lyriques ,
dont le principal mérite eft d'être relatives
à la fête , ornent ce recueil qui contient
auffi le tableau des Compagnies de
T'Arquebufe Royale de France , la lifte des
Officiers & Chevaliers qui ont emporté
les Prix des quatre Pantons , une differtation
hiftorique fur l'Arquebufe de France
& fur ce qui s'eft paffé en la ville de Saint-
Quentin , lors de la reddition du Prix ;
enfin une defcription du Bouquet du Prix
général . Les Compagnies de l'Arquebuſe ,
pour entretenir entre elles l'émulation &
l'adreffe , & fe former au maniment des
fe font affociées pour diftribuer
des Prix généraux & particuliers. Ces
Prix généraux fe rendent dans les Villes
qui font choifies alternativement de Provinces
en Provinces , & la Ville où ces
Compagnies conviennent de tirer un Prix ;
devient dépofitaire d'un gage d'armes ,
qu'elle reçoit à la pluralité des voix . Ce
gage d'armes s'appelle Bouquet : il fixe &
détermine le lieu où l'affemblée prochaine
doit fe tenir , & oblige ceux qui l'ont reçu
de rendre le Prix , dans un temps limité ,
& de donner un nouveau gage d'armes ,
pour le tirage fuivant. On nous donne ici
la defcription des cérémonies de la repréfentation
de ce Bouquet , qui s'eft faite à
armes ,
AVRIL. 1775 .
Saint-Quentin , au mois de Septembre
dernier.
Conferences Ecclefiaftiques du Diocèle
d'Angers , fur les actes humains &
fur les péchés , tenues pendant l'année
1760 & les fuivantes , par l'ordre de
Monfeigneur l'illuftriflime & Révérendiffime
Jacques de Graffe , Evêque
d'Angers ; rédigées par l'Auteur des
Cas réfervés & des Loix , 2 vol . in 12 .
à Paris , chez la Veuve Defaint , rue
da Foin - Saint -Jacques.
Ces deux nouveaux volumes font fuite
aux anciennes Conférences du même
Diocèle , rédigées & publiées par M.
Babin . Ce pieux Eccéfiaftique ne donnoit
que le réfultat des Conférences ;
inais le nouvel Editeur a cru devoir les
donner entières . L'importance des matières
lui a paru le demander. Ce font
les fondemens de la morale : ils ont
beſoin de preuves , de développement ,
d'explication & d'application à des cas
particuliers ; ce qui jette néceffairement
dans de certaines longueurs. L'Editeur
a d'ailleurs voulu rendre notre morale
plus refpectable , par des citations fréquentes
de l'Ecriture & des Pères ; la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE:
venger quelquefois des attaques des
ennemis de la Religion ; la rendre plus
intéreffante , en montrant la beauté de
cette morale Evangélique , fa néceffité
& fon utilité . Le même Editeur nous
prévient , dans fon avertiffement , qu'on
lui a fait fouvent des queftions fur
des objets des anciennes Conférences ,
qu'il a cru devoir les prévenir , en
entrant dans un plus grand détail :
mais auffi , pour éviter la confusion
des idées , il a fait une espèce de récapitulation
des principes , à la fin des
queftions qui ont paru le mériter ; il a
cherché à y mettre cette précifion qui
préfente des idées claires & nettes ,
d'après lefquelles on peut prononcer
fûrement fur les cas différens.
Nouvelle édition in - 4 . de l'Histoire Naturelle
, fous le titre d'Euvres complettes
de M. le Comte de Buffon , &c.
ornées de plus de 360 figures d'Ani
maux , dont 60 n'avoient point paru.
Les Tom. I , II & III font en vente. A
Paris, hôtel de Thou , rue des Poitevins .
Cette nouvelle édition in 4 paroît fous
le titre , d'Euvres Complettes de M. de
Buffon , parce qu'on y réunira différens
morceaux qui n'ont point encore pary.
AVRIL. 1775. 153
On a mis à la tête du premier volume
le Portrait de M. le Comte de Buffon ,
gravé par M. Chevillet , d'après le Tableau
de M. Drouais : la reffemblance
eft parfaite , ainfi que l'exécution . Quant
à la beauté de l'ouvrage , elle eft auffi
reconnue , & auffi établie que la gloire de
fon Auteur. L'Hiftorien de la nature eft
grand , fécond , varié , majestueux comme
elle. Comme elle il s'élève fans efforts &
fans fecouffes ; comme elle , il defcend
dans les plus petits détails , fans être
moins attachant ni moins beau ; fon ſtyle
fe plie à tous les objers , & en prend la
couleur : fublime quand il déploie à nos
regards l'immenfité des mondes , & les
richelles de la création ; quand il peine
les révolutions du globe , les bienfaits ou
les rigueurs de la nature : orné quand il
décrit, profond quand il analyfe ; interreffant
lorfqu'il nous raconte l'histoire des
animaux utiles , devenus nos amis & nos
bienfaiteurs : jufte envers ceux qui l'ont
précédé dans le même genre d'écrire , il
loue Pline & Ariftote , & il eft plus éloquent
que ces deux grands hommes : en
un mot, fon ouvrage eft un des beaux
monumens de ce fiècle , élevé pour
les âges fuivans , & auquel l'antiquité n'a
rien à oppofer.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
!
2.
La nouvelle édition in-4 comprend la
totalité des Ouvrages de M. de Buffon .
Le premier volume renferme la Théorie
de la terre ; le fecond , les Supplémens
à la Théorie de la terre & l'Introduction
à l'Hiftoire des Minéraux ; le troifième ,
la fuite de la Théorie de la terre & les
préliminaires à l'Hiftoire des Végétaux.
Cette édition , par la beauté du papier
de l'impreffion des planches , mérite l'attention
du Public & des Amateurs'; toutes
les planches ont été gravées de nouveau ,
& confiées à la direction de M. de Seve ,
le Deffinateur de tout l'Ouvrage . Les
papiers ont été fabriqués exprès , & l'on
a fait fondre de nouveaux caractères . Il
n'eft point forti d'Ouvrage plus foigné
des preffes de l'Imprimerie Royale. Le
Public peut en juger par les trois premiers
volumes qui font actuellement en
vente.
Cette Edition comprendra huit à neuf
volumes in 4. C'eft pour cette Edition
qu'on fait imprimer en couleur les animaux
quadrupèdes . Le premier Cahier
paroîtra ince flamment . Le prix de chaque
volume in 4. eft de liv . en
feuilles , 15 liv . 12 f. broché & 17 liv.
10 f relié. Ceux qui prendront les
AVRIL. 1775.
ISS
quadrupèdes colorés ne payeront les volumes
que 4 liv . les planches en manière
noire leur étant inutiles.
On vient de mettre auffi en vente ,
Paris , hôtel de Thou , rue des Poitevins ;
le tome III des OEuvres complettes de
M. le Comte de Buffon , in- 4. Imprimerie
Royale ; les tomes VIII à XIV
defdites OEuvres in - 12 . le tome III ;
in-4. de l'Hiftoire- naturelle des oifeaux ,
par M. de Buffon & Guenau de Montbeliard
; le tome III , in-fol . grand &
perit papier ; le tome II , in - 4: de la
Minéralogie ; le tome V de l'Abrégé
des Mémoires de l'Académie des Sciences
, in 4. les tomes XVI , XVII de la
Collection Académique , in- 4. les tom .
XXXVI ,XXXVIIdesMémoires de l'Académie
des Infcriptions , in 4. une nouvelle
Edition de Pietre & Thomas Cor
neille , avec les Commentaires de M.
de Voltaire , confidérablement augmentés
, 8 vol . in 4. Cette Edition peut auffi
fervir de faite aux OEuvres de M. de
Voltaire , in- 4.
·
Catalogue des Livres de la Bibliothèque
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE,
defeu M. de Lalen , Secrétaire du Roi ,
& Notaire , dont la vente fera faite
en fa maiſon , Hôtel de la Tour- du-
Pin , vieille rue du Temple , le Mardi ,
2 Mai , & jours fuivans , in- 8 . prix
2 liv. 8 f. broché à Paris , chez
Saillant & Nyon , Libraires , rue Saint-
Jean de Beauvais.
Ce catalogue , très- bien fait , exact &
méthodique , offre un grand nombre de
Livres rares & précieux . Les Belles-
Lettres font compofées des plus belles
Editions des Auteurs Latins & François.
La partie du Théâtre , foit Italienne , foir
Françoife , eft très - nombreuſe ; & l' Hifzoire,
fur- tout celle de France , eft fort
ziche. On a eu foin de donner des notes
inftructives fur les objets les plus remar
quables.
Hiftoire univerfelle du Règne végétal , ou
Nouveau Dictionnaire phyfique & économique
de toutes les Plantes qui croif
fent fur la furface du Globe. contenant
leurs noms Botaniques & Triviaux
dans toutes les Langues , leurs
claffes , leurs familles , leurs genses
& leurs efpèces ; les endroits où
AVRIL. 1775. 157
on les trouve le plus communément ,
leur culture ; les animaux auxquels
elles peuvent fervir de nourriture ;
leurs analyfes chymiques ; la manière
de les employer pour nos alimens
tant folides que liquides ; leurs propriétés
, non feulement pour la Médecine
des hommes , mais encore pour celle
des animaux ; les dofes & la manière de
les formuler , & les différens ufages
pour lesquels on peut s'en fervir dans.
les Arts & Métiers , &c , & c , & c.
On y a joint une bibliothèque raiſon-.
née de tous les livres de Botanique
l'explication des différens termes ufités
dans cette partie de l'Hiftoire Naturelle
; une notice de tous les fyftêmes , &
enfin la lifte des Profeffeurs & des Jardins
botaniques de l'Europe. Ouvrage
orné de 1200 Planches gravées en taille
- douce par les meilleurs Maîtres ,
& deffinées d'après nature . Par M.
Buc'hoz, Docteur en Médecine , Médecin
Botaniſte de Monfieur , frère du
Roi , & Médecin de Quartier Surnuméraire
de fa Maifon , ancien Médecin
de quartier de Monfeigneur le
Comte d'Artois , & Médecin ordinai
re de feuSa Majesté le Roi de Pologne,
158 MERCURE DE FRANCE.
Agrégé au Collège Royal & à la Facul
té de Médecine de Nancy , Affocié
des Académies de Mayence , de Châlons
, d'Angers , de Dijon , de Béziers
, de Caen , de Bordeaux & de
Metz , Correfpondant de celles de
Rouen & de Touloufe ; Membre de la
Société royale d'Agriculture de Rouen .
24 volumes in - folio , dont 12 de difcours
& 12 de planches. A Paris , chez
Bruner , libraire , rue des Ecrivains ,
vis-à- vis le Cloître Saint -Jacques - la-
Boucherie.
›
Le titre de cet Ouvrage annonce affez
quelle en eft l'importance & l'entendue ;
on fe contentera pour en démontrer
l'utilité , de dire que les Commiffaires
nommés par l'Académie Royale des Scien
ces , MM. Macquer & Guettard , pour
l'examiner , en ont fait le rapport le plus
favorable.
Dans cet Ouvrage , difent les Comiffaires
, le premier de ce genre qui ait paru
en François , M. Buc'hoz ne s'attache pas
feulement à faire connoître les plantes ;
mais il détaille les ufages qu'on en fait ,
non - feulement en Médecine , inais dans
les différens arts où elles font employées ,
AVRIL. 1775. 159
pour en donner une connoiffance complette.
Il les décrit avec exactitude , développe
toutes les parties de la fleur , &
& en établit ainfi le genre. Il donne en
outre , non feulement la concordance des
Auteurs , en rapprochant les fynonymes
ou les phrafes par lefquelles les Auteurs
ont défigné les plantes ; mais il rapporte
même les propriétés que ces plantes ont
dans les différens pays où elles croiffent.
Au moyen de ce fecours , il fera difficile
à toute perfonne qui cherchera à connoître
une plante , de ne pas bien conftater
quelle fera cette plante , dont il voudra
avoir la connoiffance .
M. Buc'hoz ne s'eft pas moins donné
de peine , & n'a pas eu moins d'attention ,
lorfqu'il s'eft agi de parler de l'ufage des
plantes. Comme l'analyfe chimique eft
un des moyens des plus fûrs pour avoir
ane connoiffance raifonnée de ces ufages,
M. Buc'hoz rapporte les analyfes de celles
qui ont été analyfées ; & tire ce qu'il
dit des meilleurs Chimiftes. Il a également
recours aux ouvrages des plus habiles
Médecins praticiens , pour ce qui regarde
l'ufage qu'on fait des plantes dans
la pratique de la Médecine . La Médecine
vétérinaire étant d'une très - grande im
160 MERCURE DE FRANCE.
portance dans l'économie rurale , M.
Buc'hoz a cru devoir ne pas négliger de
faire auffi mention de l'utilité que l'on
retire des plantes dans la pratique de cette
Médecine ; & il a pareillement eu recours
aux ouvrages les plus fûrs & les mieux
faits fur les maladies des animaux , pour
en extraire ce dont il avoit befoin.
Il en a agi de même pour ce qui regar
de l'ufage des plantes dans les arts. Plufieurs
de ces plantes demandent à être cultivées
en grand , pour que l'on puiffe en
avoir une quantité fuffifante : M. Buc'hoz
déraille avec foin la culture que l'on a
imaginée pour ces plantes .
Les grains dont nous nous fervons pour
notre nourriture , & ceux que nous culti
vons pour les animaux que nous em
ployons aux travaux , & dont nous nous
nourriffons en partie , étant de première
néceffité , & demandant auffi de notre part
beaucoup de foins , & une culture plus
recherchée ; M. Buc'hoz a eu l'attention
de tirer des Auteurs les plus accrédités
ce qu'il dit de ces plantes fi utiles & fi néceffaires.
M. Buc'hoz n'a pas oublié de
parler de la manière dont il cultive les
plantes de pur agrément , ou de celles
qu'on emploie feulement à l'ornemens
AVRIL. 1775. 161
,
des jardins. Enfin , M. Buc'hoz a fu réunir
dans fon ouvrage , tout ce que le Botaniste,
l'Amateur & le Cultivateur peuvent defirer.
M. Buc'hoz n'en préfente à préfent
que le premier volume , accompagné de
fix cents planches très - bien gravées ; &
dont plufieurs font des plantes qui ne
l'ont jamais été. Ces gravures , qui font
in folio , ne repréfentent pas feulement
une branche de la plante ; mais , lorfque
M. Buc'hoz a vu la plante en fleur , il a
fait graver cette fleur , & fes parties , dan's
le plus grandérail : ce qui eft important
pour les Botaniftes . Lorfque la plante l'a
permis par fon peu de grandeur , M. Buc'hoz
l'a fait graver dans celle qu'elle a
naturellement : & il a ainfi mis toute perfonnes
en état de la reconnoître .
Dans un onvrage de la nature de celui
- ci , où l'on a réuni un grand nombre
d'objets , les tables alphabétiques ne peuvent
être qu'abfolument néceffaires : il
feroit très- difficile d'y trouver ce que l'on
auroit lu , & qu'on voudroit lire , fi on
manquoit de tables . M. Buc'hoz a fenti
cette vérité ; & , pour mettre chacun em
état de fe faciliter cette recherche , il a
formé dix tables alphabétiques ; au moyen
defquelles on trouvera aifément les fy162
MERCURE DE FRANCE.
nonymes des plantes , & les noms communs
qu'elles portent dans leur pays natal
; les maladies contre lefquelles on les
emploie , foit des hommes , foit des animaux;
les objets d'agriculture , les plantes
alimentaires , les plantes dont on fait
ufage dans les arts & métiers , dans les
jardins d'ornement ; les plantes analyfées ;
les recettes médicinales ; enfin les endroits
d'où les différentes plantes viennent . A
cès différentes tables , M. Buc'hoz ajoute
un petit Dictionnaire des termes des arts ,
pour mettre en état chaque perfonne d'entendre
plus facilement ce qu'il aura pu
dire de ces arts dans le cours de cer ouvrage
. L'Académie peut être en état , à ce
que nous croyons , de juger que le travail
de M. Buc'hoz ne peut qu'être utile; qu'on
ne peut que defirer qu'il foit continué juſqu'à
la fin ; & nous penfons qu'elle peut
accorder fon approbation à cet ouvrage.
Il paroît actuellement fept volumes de
planches : le prix de chaque volume eft
de trente- fix livres. On fera le maître de
fe les procurer féparément. Le huitième
eft prêt à paroître. Quant aux volumes de
difcours , ils feront chacun de cinquante
feuilles d'impreffion . Le Prix en fera de
dix livres. On en diftribuera les trois preAVRIL.
1775. 163
miers enfemble. Le premier eft déja imprimé
; le fecond & le troifième font fous
preffe , & paroîtront inceffamment. Le
fieur Brunet , qui a fait l'acquifition du
fonds de cet ouvrage , fe fera un devoir
de remplir les engagemens de la foufcrip
tion , & de fournir gratis aux Soufcripreurs
, les trois volumes du difcours qui
leur font promis , en lui rapportant cependant
la quittance fignée du fieur Coftard.
Il ne fera pas moins exact pour remplir
les engagemens dudit fieur Coftard ,
au fujet du cinquième volume du Dictionnaire
Vétérinaire , qui eft actuellement
fous preffe, de même que le fixième;
& du quatrième volume du Dictionnaire
minéralogique .
Bruner , libraire , rue des Ecrivains
donne avis au Public qu'il a fait l'acquifi .
tion du Dictionnaire Vétérinaire & des
Animaux domestiques , par M. Buc'hoz ,
& c. Cet ouvrage eft de la dernière im
portance , principalement dans les cir
conftances préfentes , & d'une utilité univerfellement
reconnue . L'Auteur y rapporte
tout ce qui a paru intéreffant fur les
maladies épizootiques des beftiaux : il en
164 MERCURE DE FRANCE,
donne la defcription , les divers fymptô
mes & la manière de les traiter : il a raf
femblé fur cet objet , à l'article Epizootie,
tout ce qu'il y a de plus intéreflant ; &
aux articles Contagion , Vétérinaire , Bétail
, &c. il indique tous les palliatifs
qu'on peut employer contre ces fortes de
mäladies.
Ce Dictionnaire fera indifpenfablement
époque , tant pour les maladies des
beftiaux que pour la manière de les élever
, & le profit qu'on en peut tirer pour
les ufages économiques ; c'eft un vrai répertoire
pour tout ce qui concerne l'Art
vétérinaire , l'économie champêtre , la
chaffe , la pêche , & c. En un mot , on y
trouve raffemblées les connoiffances de
tous les fiècles juſqu'à ce jour , ſur les
Sciences économiques . Cet ouvrage eft
donc de la plus grande néceffité pour les
habitans des campagnes , & pour tous ceux
qui font valoir leurs terres . Les quatre
premiers volumes fe diftribuent actuelle.
ment , & les deux derniers paroîtront dans
fix femaines , au plus tard .
AVRIL. 1775. 165
ACADÉMIE S.
I.
DIJON
Séance publique de l'Académie des Scien
ces , Arts & Belles- Lettres de Dijon
tenue le 18 Décembre 1774.
M. MARET , Secrétaire perpétuel pour
la partie des Sciences , a ouvert la féance
par la lecture du programme des prix
propofés par l'Académie pour les années
1775 , 1776 & 1777 .
Il a lu enfuite l'Hiftoire littéraire de
l'Académie pour l'année 1774 , dans la
quelle il a donné une notice de tous les
Quvrages qui ont rempli les féances de
cette année .
Cette lecture a été fuivie de l'Eloge
de M. Michault , Cenfeur Royal & Aca
démicien honoraire , fait par M. de Mor
veau , Vice Chancelier de l'Académie.
M. Michault , né à Dijon le 18 Janvier
1707 , y eft mort dans le mois de
156 MERCURE DE FRANCE.
ges
•
་ ་
Septembre 1770. Des circonftances par-a
ticulières ont retardé le tribut de louandû
à la mémoire de cet Académicien ,
& à cette occafion M. de Morveau dit :
Mais la louange , qui honore le plus
les Savans , n'eft pas celle que la fenfibilité
leur prodigue au moment où
» l'on ferme . leur tombeau ; c'eft celle.
» que l'impartialité leur accorde quand
» on a ceffé de les pleurer , & qui s'appuie
fur des faits que les années ont
refpectés »
17.
Ces faits qui donnent à M. Michault
des droits à l'eftime de la poftérité , font ,
un goût vifpour les Lettres , une ardeur
pour l'étude , fupérieure à tous les obſtacles;
des talens prouvés par des Ouvrages,
par des collections , qui annonçoient dans
cet Académicien une variété , une étendue
de connoiffances d'autant plus remarquable
, que le defir de tout favoir ne l'avoir
pas porté à effleurer feulement les objets ,
& que fa littérature étoit auffi profonde
que variée.
L'accueil honorable que fit à M. Michault
l'illuftre Président Bouhier , en l'admettant
dans la fociété des Savans qui s'af
fembloient dans fa Biblothèque ; l'em
preffement avec lequel il fut admis dans
AVRIL. 1775 . 167°
cette Académie lors de fon établiſſement ,
& dans la Société que M. de Ruffey avoit
formée ; la place de Secrétaire qu'il remplit
avec honneur dans l'une & dans
l'autre de ces Sociétés ; fon alſociation à
l'Académie de Rouen , à celle de Caen ,
& à la Société d'Auxerre ; la confiance
dont l'honora, l'illuftre Chancelier Dagueffeau
, en le nommant Cenfeur royal ,
font autant de preuves du mérite réel de
cet Académicien , autant de traits qui
juftifient les regrets & les éloges de l'Académie.
Une énumération , une notice des quvrages
que M, Michault a faitimprimer ,
& de ceux qu'il a laiffés manufcrirs , montrent
à quels tittes il avoit acquis cette
confidération que tout Homme de Lettres
ambitionne. Une grande connoiffance de
la bibliographie , " connoiffance , dit M.
» de Morveau , qui femble devenir plus
» rare , à mesure qu'elle feroit plus néceffaire
, diftinguoit plus particuliè
rement M. Michault , & l'a mis en correfpondance
avec une infinité de favans
& de curieux ,
و د
ود
S'il ne parvint pas au premier rang ,
s'il ne peut pas être mis de pair avec ces
hommes dont le nom n'eft prononcé
€68 MERCURE DE FRANCE.
qu'avec admiration , qu'avec refpect; en eſtil
moins digne d'éloges ? M. de Morveau
juftifie cette remarque par une réflexion
qu'on affoiblitoit en la donnant par extrait.
"
« Il n'y a que l'envie contemporaine.
» qui ofe dire qu'il faut refuſer tout hon-
" neur à ceux qui ne font pas parvenus
» au premier rang . Elle ne le dit , que
», parce qu'elle voudroit voir la carrière
» déferte. Eft- ce donc qu'il naîtroit des
» Crébillon des Piron , des Buffon
» dans une Ville dont tous les Citoyens
» feroient enfevelis dans les ténébres de
» l'ignorance , abandonnés ou à la moleffe
, ou à la frivolité ? Qui eft- ce qui
» ne s'eft pas encore rendu compte que
» les génies eux-mêmes n'ofent débuter
qu'en fe cachant dans la foule ; que
» dans leur premier effor , ils recher-
» chent l'appui de ceux qu'ils doivent
bien - tôt laiffer en arrière ; que s'il leur
manque , la prudence de leur âge leur
» confeille l'inaction , & que leurs forces
» fe perdent enfin dans l'habitude du
» repos ? On diftingue les fiècles qui
» ont produit les grands hommes , &
» c'eſt le nombre des Écrivains , des Sa-
» vans , des Artiſtes du fecond ordre qui
33
» ont
AVRIL. 17737 169
"
» ont formé ces fiècles. C'eſt le prix qu'on
» amis aux efforts , qui a enfanté des
fuccès. Ainfi la deflinée des Lettres follicite
elle-même nos éloges , pour un
Citoyen qui n'a vécu que pour elles ,
qui n'a ceffé de lutter avec courage
» contre la malignité, obftinée à répandre
» les dégoûts fur la plus noble des
profeffions , qui n'a cellé de remettre
fous les yeux de fes compatriotes ,
» dans fes écrits , dans fes converſations ,
» dans de riches collections en tous gen-
» res , tous les objets qui pouvoient
éveiller le talent , échauffer le zèle ,
produire l'enthouſiaſme , diriger l'ému-
" lation. C'eft fur- tour à ces titres , que
» le nom de M. Michault fera longtemps
répété parmi nous avec reconnoiffance
.
>
M. l'Abbé Colas a la enfuite un
difcours , qui a pour objet l'aménité
confidérée relativement à ceux qui cultivent
les Sciences & les Leures.
»
L'aménité , dit l'Orateur , eft » cet
heureux don de plaire , ce coloris
fuave que les grâces répandent fur les
talens & les moeurs , pour en faire les
» délices de la fociété ; auffi prévenante ,
» mais plus naturelle que la politeffe ;
II. Vol. A
170 MERCURE DE FRANCE .
» auffi douce , mais plus engageante que
» la bonté ; auffi gracieufe , mais plus
» calme que la galeté : l'aménité donne
» au caractère , du liant & de l'aifance ;
au mérite , de l'indulgence & de la
» modeftie ; aux écrits , de l'intérêt &
» des charmes . "
و د
*
M. Colas développe fucceffivement
ces idées , & fait voir que le moyen
le plus sûr d'obtenir cette immortalité ,
objet des voeux de tous les gens de
Lettres , eft d'aimer fes femblables, pour
leur plaire & en être aimé , d'intéreffer
à fes fuccès , par fon zèle pour le bonheur ,
pour les fuccès de fes contemporains.
» Pline le jeune eft fi digne d'être
aimé , que fon époufe ne le quitte
» pas même dans le cours de fes études ;
» & , comme pour s'affocier à fes veilles ,
» foutient , d'une main empreffée , la
lampe qui les éclaire. Les Ciceron ,
les Quintilien partagent la joie que
» leur tendreffe procure à leur famille ,
goûtent les prémices de celui que
leur dévouement obtint de la Patrie.
» On voit , en Grèce , un Ariftipe affez
appliqué , affez profond , pour fonder
» une Secte Philofophique ; être , en
même temps , affez liant , affez fouple ,
"
ود
09
"
.
AVRIL. 1775 . 171
» pour vivre à la Cour & pour y plaire :
» un Socrate fe montrer toujours ferein ,
» toujours inaltérable , malgré les capri-
» ces de Xantipe ; fe placer , dans les
» feftins , au rang des convives , & ne
pas hésiter de paroître dans les cercles
d'Afpafie & de Diotime .
"
L'homme de Lettres , le Savant qui
aime les hommes & qui veut en être
aimé , tolère les foibleffes , accueille
» les efforts , relève les perfections des
» autres , concourt à leur gloire , évite
» toute prétention qui indifpofe , toute
» arrogance qui révolte , toute critique
qui offenfe , toute comparaifon qui
» humilie . Il a pour tous les hommes
» de l'indulgence , pour foi-même de la
» modeftie. Indulgence , modeftie , s'é-
» crie l'Orateur , fi effentielles à notre "
»
paix de tous les dons de l'aménité ,
» vous êtes fans doute les plus defirables ,
» ou plutôt vous tenez à tous , tous
» contribuent à vous former.
A ce portrait du Savant aimable ,
fuccède une expofition des avantages de
l'indulgence & de la modeftie . Ceux
que procure la modeftie font rendus
fenfibles par une comparaifon frappante.
» Prévenu pour la plus riche parure
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de Flore , j'accours contempler une
5 fuite de tulipes nombreuſes & choilies ,
» Le rayon du midi les colore , & ces
» plantes brillent de couleurs dont la
» vivacité me fatigue ; j'efpérois admi-
» rer , je ne fuis qu'ébloui . Reviens - je
» quelques momens après ? Le fpectacle
» a changé . Le luftre des panaches eft
» moins ardent ; les calices mollement
» s'entroavrent ; mon eil s'y repofe
» avec complaifance ; je jouis de leurs
» tréfors , à loifir ; la paffion de l'Ama-
» teur me paroît juftifiée & je me réunis
» à fes éloges . D'où provient ce change-
» ment ? Un voile , étendu fur le ber-
» ceau qui furmonte ces fleurs , fait
» toute la magie ; fon ombre déliée ,
» n'atténuant que l'éclat qui bleffe , don-
» ne la nuance & conferve la beauté qui
>> ravit.
Une des plus précieufes prérogatives
de l'aménité eft de répandre fur les écrits
de celui qui en eft doué , un intérêt &
des charmes , qui , captivant jufqu'à l'envie
, la font même confentir à la propre
défaite .
C'eft en défignant l'amenité d'après les
grands maîtres , par les noms d'Atticifme
& d'Urbanité , que M. Colas décrit ici
fes effets.
AVRIL. 1775. 173
» Sous fon impreffion , jamais rien de
» dut & d'emphatique dans les termes ,
» de bizarre ni d'outré dans les idées ,
» de contraint ni de recherché dans la
» manière de les rendre ; des pensées
» naturelles & juftes , un ſtyle nombreux
» & coulant , un diction pure & facile ,
» & fur-tout une élégance aifee , plus
» fentie qu'apperçue : voilà fes dons ; &
» les Ouvrages qu'ils embelliffent pré-
» fentent toujours une furface douce &
» polie , non moins éloignée de l'affec-
» tation que de la négligence. L'amé-
»nité fait orner la fimplicité , fans la dé-
»-truire ; fon art eft de paroître tenir
» des objets mêmes , les agrémens qu'elle
» leur prête. Aufi , formées de la forte
» fans apprêts , les beautés qui en réful-
» tent attachent fans efforts ; le travail
ne s'y marque point , & l'on n'apperçoit
, en elle , que la fleur de l'efprit
» & la touche du fentiment .
"
Les Homère , les Periclès , les Démofthène
, Platon , Pline , font les modè
les de cet Atticifme , dont Monfieur
Colas appuye la définition qu'il vient
d'en donner ; & , à l'occafion de Pline
rappelant une époque bien flatteufe pour
l'Académie , celle où M. de Buffon lut ,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
"
„
dans une féance publique , un fragment
de fon Ouvrage fur les époques de la
nature , il dit : Quel cri m'arrête ! Des
» acclamations univerfelles me fixent fur
» le Génie fupérieur qui , dans nos jours ,
» l'a furpaffe . Lorfque nous l'entendîmes
prefcrire les momens au développe-
» ment du globe , ne crûmes - nous pas
» le voir fe faifir de l'Univers ? Dumoins
fon ſtyle fans ceffe en exprime l'har-
" monie , fes defcriptions en réfléchif-
» fent les couleurs. A lui feul apparte-
» noit de démontrer , par le fait , que
» l'aménité peut embraffer & décorer
» tous les genres .
"
M. Colas , en termimant fon difcours
, fait obferver que , de l'aveu
même des autres peuples , l'aménité eft
le trait diftinctif du caractère des François.
Mais , remarque t il , » dès- qu'on
» nous verra lui fubftituer l'appareil des
» fentences & l'enflure des mots , analyfer
quand il faut fentir , raifonner
quand on doit émouvoir , devenir
avides de déclamations , enthouſiaſtes
» d'attendriff mens Romanefques , de
» fcènes de terreur ; & , dans nos lectu-
» res , nos fpectacles , nos compofitions ,
préférer la teinte fombre & lugubre
»
"
AVRIL. 1775. 175
de Rimbrant , au coloris frais &
» brillant de l'Albanne : que l'alarme
égale la furprife ; il y aura tout lieu
» de craindre que la nation ne change
» de caractère , ne perde entièrement
"
"
» fon aménité .
»
Mais ce qui le raffure contre une ré
volution fi funefte , ce font les prémi
» ces d'un règne fous lequel la juſtice
❞ & la bonté s'uniflant pour notre
» bonheur , ont déjà fait renaître l'en-
» jouement & la férénité ; c'eſt ſpéciale-
» ment la protection continuée aux So-
» ciétés littéraires & favantes , où les
» talens fe policent par le concours , la
» fenfibilité fe développe par les égards ,
» & la néceffité de vivre enfemble en
» fait une de s'aimer , & , par confé-
» quent , de fe plaire par tous les attraits
de l'aménité .
La féance a été terminée par la lecture
d'une Epître , en vers , de M. l'Abbé
la Serre , réfidant à Lyon , adreffée à
M. l'Abbé le Monnier.
L'Auteur félicite fon ami , fur la naiveté
& l'élégance de fes fables , fur
l'art avec lequel il peint nos ridicules ;
il l'invite à peindre , avec la même
liberté ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Les travers & les crimes
De ce monde tant exalté ,
Où dans le gouffre des délices
Notre valeur s'enfevelit ;
Où le luxe , fource des vices ,
En les ornant , les anoblit.
Oule flatteur , plein de foupleffe,
En s'élevant par la baffefle ,
De fa honte s'enorgueillit ;
Où notre caduque jeuneſſe ,
Le front ridé, les yeux fétris ,
Court acheter chez nos Laïs ,
Et les langueurs de la vieilleffe ,
Et des remords , & nos mépris ;
Où , d'un fexe vain & frivole ,
Nous voyons le folâtre eflairn
Gouverner , un grelot en main ,
Les hommes , dont il eft l'idole ,
De leurs goûts être la bouflole ,
Et l'arbitre de leurs deftins .
Ce morceau donne une fuffifante idée
du ton Philofophique fur lequel eft
écrite cette Epître, & du faire de l'Auteur .
L'on s'en tiendra , quoique avec regrer ,
à cette courte notice d'un Ouvrage qu'il
auroit fallu tranfcrire en entier .
AVRIL. 1775. 177
Lettre à M. LACOMBE.
MONSIEUR ,
L'Académie a reçu , le 4 Juin 1774 ;
un Mémoire pour concourir au prix
propofé pour 1776. On lui en a envoyé
un , pour le même concours , les Janvier
dernier.Ces envois prématurés ne peuvent
être que l'effet d'une erreur des Auteurs.
Ces Meffieurs pourroient trouver éton
nant que l'on ne fît pas connoître le
jugement des Mémoires envoyés ; peutêtre
même ont-ils regretté de n'avoir
pas eu affez de temps pour les travailler.
L'Académie vous prie , Monfieur d'inférer
ma Lettre dans un de vos Mercures ;
& je fuis chargé d'annoncer que les
Auteurs peuvent faire retirer leurs Ouvrages
, qui n'ont point été lus ; qu'il
n'eft pas befoin qu'ils fe nomment , &
qu'il fuffira qu'ils rappellent l'épigraphe
de leur Mémoire , & donnent une copie
exacte de la première & de la dernière
phrafe.
Je fuis avec refpect , Monfieur ,
Votre très-humble & très-obéiffant
ferviteur MARET, Secret. Perpét.
H&
178 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Prix propofe par l'Académie des Jeux
Floraux . Extrait des Regiftres de ladite
Académie , du
Mars 1775. 17
L'Académie , pénétrée des fentimens
que la France & la ville de Toulouſe
en particulier , ont fait éclater à l'occafion
du rétabliffement du Parlement ,
a cru ne pouvoir participer à la joie
publique, d'une manière plus convenable
à fon inftitution & à fes anciens ufages ,
qu'en propofant un Prix extraordinaire
déftiné à une Ode , qui aura pour fujet
le rétabliffement du Parlement . Ce Prix
fera une Thémis d'argent , dont le piédeftal
portera une infcription relative à
cet événement.
Les Auteurs font avertis de faire remettre
leurs Ouvrages à M. Delpy ,
Secrétaire de l'Académie ; ou , en fon
abfence , à M. l'Abbé Magi , rue Provenfal
on les recevra depuis le premier
Juin jufqu'au 25 du même mois.
Le Prix fera diftribué , le premier
Dimanche de Juillet , dans une Affemblée
publique extraordinaire , qui fera
AVRIL. 1775. 179
terminée par une Cantate en mufique ,
à l'honneur des Mufes & du Parlement.
II I.
L'Académie Royale de Chirurgie tiendra
fa féance publique , le Jeudi 27
Avril , dans la grande Salle des NOUVELLES
ECOLES , rue & vis-à- vis l'Eglife
des Cordeliers , à trois heures après
midi ; & le Lundi 8 Mai , les leçons
feront ouvettes par un Difcours , à onze
heures précifes du matin , dans le nouvel
Amphitéâtre.
SPECTACLES.
•
CONCERT SPIRITUEL,
DANS le Concert donné au Château
des Tuileries le 2 Avril , Dimanche de
la Paffion , on a exécuté une excellente
fymphonie ; Mde Charpentier a chanté
avec goût un motet à voix feule ; M. Duport
a joué fur le violoncelle une nouvelle
fonate de fa compofition , & a obtenu
les applaudiffemens dûs à fon talent pro-
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
digieux. Joad , oratoire nouveau , tiré
des choeurs d'Athalie , & de la compofi
tion de M. Cambiny , a fait le plus grand
plaifir , & beaucoup d'honneur au génie
de cet habile Compofiteur. Le Public a
été enchanté d'une fymphonie concertante
de M. Davaux , & exécutée avec
intelligence & une précifion admirable
par MM. Leduc le jeune , Laurent &
Monin. L'air italien , parfaitement chan .
té par Mile Duchâteau , a eu beaucoup
de fuccès. On a admiré le jeu ferme , précis
& très- Aatteur de M. Lamotte , premier
violon de l'Empereur . Ce jeune
virtuofe a exécuté un concerto de fa compofition
, & l'on peut dire qu'il a un
talent rare pour la double corde . Ce Con .
cert a été terminé par Notus in Judea
Deus , très - beau moter à grand choeur de
M. Ray , Maître de Mufique de Nantes.
Le Concert du Vendredi 7 Avril , a
été parfaitement rempli par une grande
fymphonie , par un motet à voix feule ,
de la compofition de M. Girouſt , Maître
de Mufique de la Chapelle du Roi ,
& chanté par Madame Girouft ; par un
concerto de clarinette parfaitement exéAVRIL.
1775. 181
cuté par M. Baer , qai met dans fon jeu
beaucoup d'âme & de goût ; par un motet
à deux voix de M. Poullain , chanté par
MM. Legros & Guichard ; par un excellent
concerto de violon , de la plus
brillante exécution , de M. Stamits ; par
un motet à voix feule chanté par M.
Guichard. M. Lebrun , premier hautbois
de S. A. S. l'Electeur Palatin , a étonné
& ravi l'affemblée par un concerto de fa
compofition , fur le hautbois , inftrument
qu'il a fu maîtriſer , adoucir , animer &
rendre , à fon gré , fenfible & paffionné .
Ce Concert a fini par l'excellent oratoire
tiré des choeurs d'Efther , de la compofition
de M. Mereaux .
Concert du Avril , Dimanche des
Rameaux . M. Jarnowik a exécuté un
nouveau concerto de fa compofition qui
a été très-applaudi . On fait que le talent
de ce Virtuofe fait les délices des Amateurs
, & que fon jeu eft brillant , fini &
précieux , en même temps qu'il eft ſenfible
& animé. M. Lebrun , a pareillement
enchanté par fon talent fupérieur,
& par un concerto de fa compofition fur
le hautbois . On a exécuté un très -beau
182 MERCURE DE FRANCE.
motet à grand choeur formé de la réunion
des talens choifis de différens Auteurs
Italiens. Les autres morceaux exécutés
dans ce Concert font connus & fort goûtés
, tels que le motet à trois voix de M.
Mereaux , un motet de M. Girouft , un
motet de M. Guichard , une fymphonie
concertante de M. Davaux.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique a fait la
clôture de fon Théâtre , le Vendredi 31
Mars , par l'Opéra d'Iphigénie , & le Samedi
premier Avril , par la repréfentation
d'Orphée , les deux chefs - d'oeuvres
de M. le Chevalier Gluck , qu'il a fait
jouer toujours avec fuccès dans plufieurs
Capitales de l'Europe , & qui ont été
accueillis & applaudis à Paris avec tout
l'entoufiafme François.
L'Académie prépare pour l'ouverture ,
après Pâques , l'Opéra de Céphale &
Procris , Tragédie lyrique en trois actes ,
dont le poëme eft de M. de Marmontel ,
& la musique de M. Grétry .
AVRIL. 1775. 18.3
M. Rebel , Adminiftrateur- Général de
l'Académie Royale de Mufique , ayant
obtenu fa retraite , M. Leberton , à qui
le feu Roi avoit donné la furvivance de
cette place , en a pris poffeffion & en
fait les fonctions depuis le 1er Avril .
L'administration générale de ce grand
Spectacle , le premier & le plus confidérable
qu'il y ait dans le monde , ne
pouvoit être confiée à un habile Compofiteur,
qui connût mieux le goût & l'efprit
de ce Théâtre , & qui eût plus le génie ,
les talens & l'intelligence propres pour le
conduire , pour y maintenir l'ordre , &
lui donner tout ſon éclat.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ordinaires du
Roi ont joué le famedi premier Avril ,
pour la clôture , Iphigénie en Tauride ,
Tragédie de M. de la Touche , & les
Fauffes Infidélités , Comédie en un acte ,
en vers , de M. Barthe. Dans la Tragédie ,
le rôle d'Oreste a été joué fupérieurement
184 MERCURE DE FRANCE.
& avec beaucoup d'énergie & d'intelli
gence par M, Ponteuil , dont le talent
digne d'être encouragé , prend de jour en
jour plus d'afſurance & d'effor.
M. Défeffarts , Acteur aimé du Public
& le dernier reçu , a fait le compliment
d'ufage. Ce compliment a eu le
mérite d'être fort court , bien dit , bien
prononcé & bien accueilli.
DEBUT.
Mde Suin , Comédienne qui jouoit
avec fuccès fur le Théâtre de la Ville à
Verfailles , a débuté à la Comédie Françoife
le Jeudi 23 Mars , par le rôle d'Elmire
dans le Tartuffe , par celui de Mde
de Clainville dans la Gageure ; elle a joué
Mélanide le Mardi 28 Mars . On a fort
applaudi fes talens , & l'on efpère beaucoup
des moyens qu'elle paroît avoir
réuffir.
pour
L
COMÉDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné , pour la clôture , les
Femmes vengées , de M. Sedaine & de
AVRIL. 1779. 185
M. Philidor ; Opéra Comique fort gai ,
& très bien joué , dont nous avons rendu
compte.
Le compliment , que M. Anfeaulme
eft en poffeffion de compofer depuis plufieurs
années , étoit un petit Drame impromptu
, joué par plufieurs Acteurs &
Actrices Italiens & François . M. Trial ,
déguilé en Porteur de petite loterie ,
donnoit des lots à ceux qui tiroient des
onméros fur fa boëte , & chacun de ces
lors étoit un compliment récité ou chanté
par l'Acteur ou l'Actrice. Ces couplets
ont paru en général heureufement exprimés
, ont fait plaifir & ont été applaudis.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Coftume des anciens Peuples , par M.
Dandré Bardon , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculp
ture , Directeur perpétuel de celle de
de Marſeille , & Membre de l'Académie
des Belles - Lettres , Sciences &
186 MERCURE DE FRANCE.
Arts de la même Ville . Seconde partie
; vingt troisième & vingt quatrième
cahiers. A Paris , rue Dauphine , chez
Jombert , père & fils , & Cellot Imprimeur.
CES nouveaux cahiers font fuite à ceux
que nous avons précédemment annoncés .
Ils contiennent , ainfi que les premiers , 12
planches , qui nous rappellent les ufages
civils & militaires des Egyptiens. Les
explications qui y font jointes ont la
netteté & l'étendue néceffaire pour fatisfaire
l'Artiste ou l'Amateur qui veut
éclairer , par la connoiffance des moeurs
& ufages des Anciens , l'étude qu'il fait
de l'Hiftoire.
I I.
Le petit Boudeur , Eftampe de format
in-4 . gravée par Carl . Guttenberg ,
d'après le tableau de J. B. Greuze ,
Peintre du Roi , Prix 1 I. 4 f. A Paris ,
chez le Graveur , rue de Tournon ,
vis à- vis l'Hôtel de Brancas.
Le petit Boudeur eſt un enfant d'une
jolie figure ; il eft repréfenté affis fur
une chaife , & fon attitude eft affez pitAVRIL
1779. 187
torefque. L'Artiste a cherché à rendre
l'effet du tableau par des travaux foignés
& finis. Il a fait hommage de fon travail
à M. le Seurre , Amateur qui cultive les
Arts.
MUSIQUE.
I.
OUVERTURE d'Henri IV & la marche ,
arrangées pour le clavecin ou le fortepiano
, avec accompagnement
d'un violon
ou violoncelle, ad libitum.Par M. Benaut,
Maître de Clavecin . Prix 2 1. 8 f. A Paris
, chez l'Auteur , rue Gît- le- Coeur , la
deuxième porte cochère à gauche en entrant
par le Pont- Neuf ; & aux adreffes
ordinaires.
I I.
Quatre Symphonies concertantes pour
huit inftrumens , deux violons , deux
hautbois & deux cors , alto viola , flûte ,
& violoncelle & baffe ; compofées par
Vanhal. Op . XVIII . Prix 9 liv . Au Bureau
d'abonnement mufical , rue du Ha188
MERCURE DE FRANCE.
fard Richelieu ; & aux adrefles ordi-
Baires. A Lyon , chez M. Caftaud .
HISTOIRE NATURELLE .
I.
M. REGNAULT vient de mettre au jour
le premier cahier du recueil des jeux de
la Nature , Ouvrage qu'il a annoncé au
mois de Février dernier fous le titre des
Monftres ou écarts de la Nature . Ce cahier
contient dix fujets tirés tant du cabinet
du Roi que de ceux de différens particuliers
; 1. un enfant monopède , 2º .
un cochon d'inde à deux corps , 3 ° . un
poulain cyclope , 4 ° . un double enfant ,
5 ° . un poulet à quatre pattes , 6º . un
chat à deux têtes , 7 " . un lapin tripède ,
8 ° . un enfant à deux têtes , 9. un chien
à trois croupes , & un veau à double
tête forment la dixième planche.
Les perfonnes qui defireront connoître
la forme & l'exécution de ce recueil
pourront le voir à Paris , chez l'Auteur
rue Croix des Petits Champs ; chez Didot
le jeune , Deffain junior & Lacombe ,
Libraires ; à Reims , chez Cazin ; à DiAVRIL.
1775. 189
jon , chez Frantin ; à Lyon , chez les
Frères Périfle ; & à Rouen , chez la veuve
Befongne .
La foufcription reftera au même prix
jufqu'au mois de Juillet prochain , pour
la commodité des perfonnes de Province
& des Etrangers. Voyez , pour les conditions
de la foufcription , le volume du
Mercure de Février 1775 , p. 187.
Le même Auteur invite plufieurs Soufcripteurs
de fon Ouvrage de Botanique ,
à retirer les cahiers de Novembre & Décembre
1774 , qui doivent leur être délivrés
gratis , avant le mois de Juillet
prochain ; parce qu'à cette époque s'il
refte quelques exemplaires , on fera obligé
de les completter , au préjudice de
ceux qui refteroient imparfaits par la né
gligence des Soufcripteurs , que cet avis
regarde fi l'Auteur favoit leurs adreffes ,
il les leur feroit parvenir.
:
I I.
Maifon hofpitalière pour les accouchemens
M. Lebas , Profeffeur public d'accouchemens
aux Ecoles royales de Chirurgie
, ancien Prévôt de fa Compagnie
Men bre de plufieurs Académies , Cen190
MERCURE DE FRANCE,
feur royal , & c . autant occupé de la perfection
, de la théorie & de la pratique
des accouchemens , dont l'enſeignement
lui eft confié depuis plufieurs années ,
que du bien de l'humanité , vient de former
un établiffement où il reçoir , au
dernier mois de leur groffeffe , les perfonnes
enceintes & hors d'état de fubvenir
aux frais de leurs couches , pour les
y nourrir , accoucher & médicamenter
gratuitement , jufqu'à ce qu'elles foient
rétablies . L'ordre & la difcipline que ce
Maître de l'art , auffi diftingué par fes
lumières que par fon attachement à fon
état , a établi dans cet afyle pour l'humanité
, tant relativement aux Elèves des
deux fexes qu'aux perfonnes groffes qui y
font reçues , ont tellement fixé l'attention
de M. de Sartine & de M. le Noir , Lieutenant
- Général de la Police de Paris ,
qu'ils l'ont honorée de leur protection
particulière . Ceux & celles qui defirent
s'inftruire dans la partie des accouchemens
, trouveront chez lui tous les moyens
propres à remplir leurs voeux . Il demeure
rue Chriftine , au Bureau des Journaux
où les perfonnes enceintes fe préfenteront
pour être reçues , & celles qui defireront
s'inftruire , foit à titre de penfionnaires
, foit à celui d'externes.
AVRIL. 1775 . 19t
Extrait d'une Lettre de M. de Voltaire à
M. le Baron d'Espagnac. De Ferney , le
premier Février 1775.
Je vous fais mille remercimens , Monfieur ,
d'avoir bien voulu écouter ma prière , de permettre
qu'on imprimât votre excellente Hiftoire du
Maréchal de Saxe avec des plans de batailles &
de marches.
Vous pouflez la bonté juſqu'à daigner enrichir
ma bibliothèque de cet Ouvrage , qui fera éternellement
cher à tous les Français , & qui eft
l'inftruction de tous les Gens de guerre. Je ne
fuis pas du métier : mais je le refpecte infiniment ,
quand c'eft un Officier- Général tel que vous qui
en donne des leçons .
J'ai l'honneur d'être , avec reſpect & record
naiflance.
Extrait d'une autre Lettre de M. de Voltaire
à M. le Baron d'Espagnac. A Ferney,
le 10 Mars 1775.
Tous les plans dont vous avez gratifié le Public
, font d'une exactitude dont perfonne n'avait
encore approché. Vous repréfentez les pofitions.
des armées avant & après , comme dans l'action
même. Votre Livre fera à jamais l'inſtruction des
192 MERCURE DE FRANCE.
Officiers , & c'eft affurément un des plus beaux
monumens du fiècle . Pardonnez moi ces éloges
puifque c'eft la vérité qui les dicte .
J'ai l'honneur d'être , avec la reconnaiſlance &
l'eftime la plus refpectueule.
Lettre de M. d'Alembert à M. le Baron
d'Efpagnac. De Paris , le 21 Février
1775.
Je reçois à l'inftant , Monfieur , la nouvelle
édition de votre excellent & magnifique Ouvra
ge , que vous me faites l'honneur de m'envoyer.
Quelque mauvais juge que je fois en ces matiè
res , je lirai certainement , avec tout l'intérêt poffible
, les augmentations que vous y avez faites ,
& je ne doute point qu'elles ne reçoivent des connoilleurs
les mêmes fuffrages que la première
édition . Quant à moi , je ne puis vous offrir que
ma reconnoiflance de toutes vos bontés , & je
vous prie d'être bien perfuadé qu'elle ne peut être
plus vive & plus fincère .
J'ai l'honneur d'être , avec le plus refpectueux
attachement.
Leure de M. de Marmontel, Hiftoriographe
de France , à M. le Baron d'Efpagnac .
De Paris , le 2 Mars 1775-
Si je n'avois pas reçu aujourd'hui , Monfieur,
comme
AVRIL. 1775 . 193
comme une marque de vos bontés , la nouvelle
édition de l'Hiftoire du Maréchal de Saxe , je
l'aurois acquife demain . Que n'ai -je des guides aufli
fûrs pour tous les autres détails du règne de Louis
XV. Je vous fuivrai pas à pas , Monfieur , en fai
fant hommage à mon Maître des lumières que je
lui devrai, Agréez celui de ma reconnoiffance &
du relpect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Lettre de M. Thomas à M. le Baron d'Ef
pagnac. De Paris , le 3 Mars 1775 .
Je vous dois , Monfieur , de nouveaux remer
cimens Four la nouvelle édition de la vie du Maréchal
de Saxe , que vous avez eu la bonté de
m'envoyer Vous avez ajouté un noveau degré de
perfection à un Ouvrage qui étoit déjà fi digne de
l'eftime publique . La vie de cet homme illuftre
devient , fous votre plume , une partie intéreflante
de notre Hiftoire . Les Militaires y trouveront des
leçons , & les Familles , qui ont bien fervi l'Etat ,
un monument élevé à leur gloire . Vous écri
vez fur la guerre comme Polybe , & vous achevez
de peindre un grand homme à la manière de Plutarque
, par les anecdotes & les traits particuliers
de la vie. Perfonne , Monfieur , ne vous a lu avec
plus d'empreflement & d'intérêt que moi . J'ai
appris comme j'aurois dû louer un Homme célebre
, & je devrois effacer le peu de lignes que
j'ai ofé écrire aux piés de fon tombeau.
Agréez ma reconnoiflance & tous les fentimens
de refpect avec lefquels j'ai l'honneur d'être.
II. Vol. I
194 MERCURE
DE FRANCE .
Lettre de M. D *** , de l'Académie des
›
Sciences , à M, de Voltaire , en lui en♣
voyantfon Ellai fut les Comètes *.
Monfieur , il eft jufte de rendre à Céfar ce qui
appartient à Célar. D'après ce grand principe de
morale , perfonne n'a plus de droit que vous à
l'Ouvrage que j'ai l'honneur de vous préfenter.
Vous verrez en effet que ce n'eft qu'un cominentaire
fur la vérité que j'ai prife pour épigraphe ,
& que vous avez lu'exprimer en fi beaux vers . Je
n'ai d'autre mérite que d'avoir rendu fenfible',
dans 400 pages , ce que vous avez exposé dans
deux lignes. Vous avez encore un autre droit à
cet Ouvrage , c'eft l'intérêt que vous devez prendre
à la ſtabilité de l'Univers Qu'importe en effet
au vulgaire des hommes la durée de certe terre ?
Pourvu que la révolution qui doit la détruire
n'arrive pas dans l'inftant précis de leur exiſtence
paffagère . Tour de refte leur eft à-peu -près indifferent;
mais vous , Monfieur , dont la réputation
durera autant que ce monde , vous avez un tout
* L'Auteur avoit pris pour épigraphe les vers
Luivans de l'Epître de M. de Voltaire à Mde la
Marquife du Châtelet:
Comères , quel'on craint à l'égal du tonnère ,
Celez d'épouvanter les Peuples de la terre.
AVRIL. 1775. 195
autre intérêt à la ſtabilité de la terre , & vous
devez accueillir un Ouvrage dans lequel cette fta-.
bilité eft établie.
J'ai l'honneur d'être , avec le plus profond refpect
, Monacur
Votre très-humble , & c.
Réponse de M. de Voltaire.
AFerney , le 18 Janvier1775-
Monfieur , je vous remercie avec beaucoup de
fenfibilité & un peu de honte , de l'utile & beau
préfent que vous daignez me faire . Je reffemblé
aflez à ce vieux animal de baffe-cour à qui on
donna un diamant ; la pauvre bête répondit qu'il
me lui fallait qu'un grain de millet,
Autrefois , Monfieur , j'aurais pu fuivre vos
calculs ; mais , à quatre-vingt & un ans , accablé
de maladies , je ne puis guères m'en tenirqu'à vos
élultats . Je les trouve fi probables , que je ne
compte pas après vous . Je luis très - perfuadé
qu'aucune comète ne peut prendre aucune planète
en flanc . Vous décidez un grand procès vous
donnez un arrêt par lequel le genre humain confervera
long-temps, fon héritage, Refte à favoir fi
Théritage en vaut la peine ,
Je ne crois pas non plus que nous acquerions jamais
un nouveau fatellite , qui ferait , ce me ſemble,
un domestique fort importun , & qui troublerait
furieulement les fervices que nous rend celui que
nous avons depuis fi long- temps,
I ij
196, MERCURE DE FRANCE.
Pour les Arcadiens , qui fe croyaient plus anciens
que la Lune , il me semble qu'ils reflemblaient
à ces Rois d'Orient , qui s'intitulaient
Coufins du Soleil . Je veux croire que ces Meffieurs
d'Arcadie avaient inventé la mufique , Soli cantare
periti Arcades ; mais ces bonnes gens n'ap
prirent que fort tard à manger du gland , & il eft
dit qu'ils le nourrirent d'herbes pendant des
fiècles.
Vous en favez , Neuton & vous , un peu plus
que ces Arcades , & que toute l'Antiquité enſemble.
Je fouhaite que Neuton ait raison , quand il
Loupçonne qu'il y a des comètes qui tombent
dans le Soleil pour le nourrir , comme on jette
des buches dans un feu qui pourrait s'éteindre .
Neuton croyait aux chofes finales ; j'ofe y croire
comme lui : car enfin la lumière fert à nos yeux ,
& nos yeux femblent faits pour elle. Toute la
Nature n'eft que mathématique. Vous la voyez
toute entière avec les yeux de l'efprit ; & moi ,
qui ai perdu les miens , je m'en rapporte entière
ment à vous.
J'ai l'honneur d'être , avec l'eftime que je vous
dois , & avec une reſpectueuſe reconnaiſſance ,
Monfieur,
Votre très-humble & très - obéiflant
ferviteur DE VOLTAIRE , Gentilhomme
ordinaire de la Chambe
du Roi,
AVRIL. 1775. 197
ANECDOTES.
I.
La Reine Catherine de Médicis , vou
länt amener les Huguenots à lui céder
leurs Places de fûreté , eut une conférence
avec les Chefs du Parti & les
Députés du Roi de Navarre ; elle remit
fes intérêts entre les mains d'un Négo .
ciateur auffi adroit qu'éloquent. Celuici
, dans un beau difcours préparé à ce
fujet , déploya toutes les reffources de
fon art , & fon éloquence alloit triompher.
Catherine , enivrée de l'efpoir
d'un fi heureux fuccès , s'adreffe à un des
députés Huguenots : Gouverneur de Figeac
, que vous femble , lui dit- elle , de
cette harangue ? Madame , reprit vivement
celui ci , M. l'Orateur a fait affurément
une excellente étude de l'éloquence ;
mais mes compagnons , ni moi , ne fommes
pas d'avis de payer fes études , de nos
têtes.
I I.
Au fiége de Maftricht par les Frans
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
çois , en 1673, un Grenadier du Régiment
du Roi , remarquant qu'un Officier
, qui le fuivoit à l'affaut , étoit
tombé fur le ventre , lui tendit la main
droite pour le relever en cet inſtant , un
coup de moufquet lui perce le poingnet;
le Grenadier , fans fe plaindre ni s'étonner
, lui tend la main gauche & le
relève.
II I.
A l'âge de 14 ans , le Duc de Berri,
petit fils de Louis XIV , rencontra un
Officier qui lui expofa fon extrême befoin
. Le Duc de Berri lui dit qu'il ne
pouvoit l'affifter alors , mais qu'il devoit
toucher , le lendemain , fon mois
& qu'il pourroit , ce jour là , lui porter
quelque fecours , & lui donna un
rendez - vous à la chaffe. Dès que le
Prince vit cer Officier , il lui mit , en
fecret , une boutfe où il y avoit trente
louis . C'étoit tout ce qu'il avoit reçu
pour fes menus plaifirs. Le foir , les Princes
firent une partie de jeu . Le Duc de
Berri s'excufa de jouer ; & , comme il
fut preffé d'en donner les raifons , il
avoua qu'il avoit donné fon mois à un
pauvre Officier ruiné par la paix , &
qu'il avoit mieux aimé fe priver de
AVRIL 1775. 199
fes plaifirs , que de laiffer mourir de
faim un homme qui avoit bien fervi te
Roi.
1 V.
Un Cavalier qui avoit époufé une
Demoiſelle fort laide , mais très méritante
, difoit : Je l'ai prife au poids , & je
n'ai point acheté lafaçon .
V.
M. de Vendôme trouva , un jour ,
Palaprat , fon fecretaire , qui maltraitoit
fon domestique ; il lui en fit des reproches
fort vifs : Comment , Monſeigneur ,
vous me blámez , dit Palaprat ; ſavez-vous
bien que , quoique je n'aie qu'un laquais ,
je fuis auffi malfervi que vous qui en avez
trente.
AVIS.
I.
Concours pour une place de Deffinateur.
Li décès du fieur Hargnignier , Adjoint à
Profeffeur à l'Ecole royale gratuite de deffin ,
Liv
100 MERCURE DE FRANCE.
laille une place à remplir ; en conféquence il fera
Ouvert un concours le premier Mai de la préfente
année .
On s'adreffera , pour y être admis , à M. Bachelier
, Directeur de ladite Ecole , muni d'un certificat
de premier médaillifte , figné de M. Cochin ,
Secrétaire de l'Académie royale de Peinture &
Sculpture.
I I.
Chocolai aphrodisiaque ou anti vénérien.
M. Martin , Apothicaire , rue Croix des Petits
- Champs , vis - à - vis celle du Boulloi , continue
de débiter avec fuccès le chocolat aphrodifiaque
ou anti -vénérien de M. le Febure , D. M.
P. & de plufieurs Académies.
Ce Médecin prie ceux qui lui écriront , rue du
Foin Saint Jacques , au Collège Gervais , d'af
franchir leurs lettres.
I I I.
Pommade pour guérir les hemorrhoïdes.
Pommade qui guérit radicalement les hé
morrhoïdes internes & externes , en peu de jours,
fans qu'il y ait rien à craindre de retour de cette
maladie , ni accident pour la vie , en les guérilfant
; prouvé par nombre de certificats authentiques
que l'Auteur a entre fes mains , & par un
nombre infini de perfonnes dignes de foi , de tout
âge & de tous fexe , guéries radicalement depuis,
AVRIL. 1775 201
plufieurs années , & c . par l'ulage qu'elles ont fait
de cette pommade , inventée & compofée par le
fieur C Levallois , pour fa propre guériſon à luimême
, au mois de Mai 1763 .
Cette pommade fait fon opération avec une
douceur & une diligence furprenantes , en ôtant
d'abord les douleurs dès fes premières applica
tions.
Elle eft diviféc en deux fortes , pour agir enfemble
de concert; l'une eft préparée en fuppo
fitoires , pour être infinuée & amollir les hémor
rhoïdes internes par une douce tranſpiration 3
Fautre eft applicative fur les externes , pour fondre
& difloudre , avec la même douceur , les grof
feurs externes , & recevoir au dehors la tranlpiration
qui fe fait intérieurement .
L'on diftribue cette pommade avec approbation
& permiffion , chez l'Auteur , ci - devant rue
du Temple , à préfent rue des Gravilliers , la cinquième
maifon après la rue des Vertus , en entrant
par la rue St Martin , vis - à- vis d'un Boulan
ger; ou à fon dépôt , chez M. Deloche , Marchand
Limonadier , au coin de la rue de la Perle , au Marais
, à Paris.
Le prix des doubles boîtes , avec fix fuppofitoires,
pour les hémorroïdes anciennes , eft de
6 livres.
Et pour celles qui font nouvellement parues ,
la demi boîte , avec trois fuppofitoires , font de
I. joint à un imprimé qui indique la manière de
s'en fervir.
3
Les perfonnes de Province qui defireront fe
procurer de cette pommade , font priées d'affran
chir leurs lettres.
202 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Baume fpécifique pour la furdité , dureté
d'oreilles , & généralement les accidens
qui attaquent cette partie.
Par acte paflé devant Bontemps & fon Confrère
, Notaires à Paris , le 30 Octobre 11750 ,
entre le fieur Babelin , & la feue demoiselle de
Luffan , qui lui a célé & tranſporté les droits . Le
fieur Babelin a perfectionné , par le confeil d'habiles
Médecins , le remède qu'il préfente aujourd'hui
au Public ; il a lieu d'efpérer qu'il le recevra
auffi favorablement qu'il a fait du vivant de
Mlle de Luflan .
Manière de s'enfervir.
Ce topique eft un remède fpiritueux & dour
qui opère lentement , & quelquefois guérit trèspromptement
: cela dépend du temps & de l'ancienneté
de la furdité ; plus la maladie eft ancienne
, plus il faut fe fervir long-temps de ce remède.
On prend un gros de ce baume que l'on met le
foir dans l'oreille , la tête penchée du côté oppolé
, ſituation où il faut demeurer une demiheure
, pour que ce baume refte & pénètre plus
avant ; enfuite on fe bouche l'oreille avec du
coton bien imbibé dudit baume : on fera la même
choſe à l'autre oreille , obſervant , fi l'on peut ,
de s'endormir fur la moins mauvaiſe , qui ſem
toujours celle qu'on panfera la première.
AVRIL. 1775. 264
Avant de mettre ce baume dans l'oreille , il
faut s'en froiter la tête , puis après mettre une
calote chaude , de papier brouillard. Il eft telle
furdité où la guériton fera aflez prompte pour
n'employer que deux boîtes , particulièrement
quand la furdité eft nouvelle ; il s'en trouvera de
plus anciennes & de plus opiniâtres , qui refte
ront plus long temps , mais qui céderont enfin
à l'efficacité du remède , continué avec exactitude
On peut *fe
purger avant d'en faire uſage ,
& pendant qu'on le continue : il n'y a aucun régime
à oblerver; on doit ſeulement le garantir
du vent & du brouillard.
•
De quelque manière que les opérations de ce
remède le manifeſtent , il n'y a rien à craindre ;
au contraire elles font toujours les garans d'une
guérifon bien plus prompte , que torfqu'il ne
femble pas agir : mais foit qu'il opère ou doucement
ou vivement , il ne peut jamais cauſet le
moindre accident.
Les atteftations des habiles Médecins , mentionnées
dans ledit brevet , font de fûrs garans des
heureux fuccès de ce baume.
On pourra envoyer chercher ce baume tous les
jours , rue Ticquetonne , maifon du hear Berger ,
Fabriquant de chapeaux , où demeure ledit heur
Babelin , Oculïíte . On n'en débiteræ dans aucuns
autres endroits.
Le prix eft de 12 1, r2 f. la boîte.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
ORDONNANCES , & c.
L E Roi , outre les deux Ordonnances , l'une
portant création de cent Compagnies de Fufiliers
, fous la dénomination de Corps Royal d'In
fanterie de la Marine , & l'autre rétabliffant la
Compagnie de Bombardiers claflés dans les Ports:
de Breft , Toulon & Rochefort , & réglant provifoirement
ce qui fera obfervé dans le fervice
& l'adminiftration de l'Artillerie de la Marine ;
en a rendu une troisième concernant l'inftruction
la difcipline , l'avancement des Gardes du Pavillon
& de la Marine , & les épreuves à faire des
Alpirans aux places de Gardes de la Marine.
I I
Le Parlement a enregistré le 16 de ce mois
des Lettres Patentes du Roi , données à Versail
les le 12 Janvier , en faveur de la Ville Impé- :
riale de Rutlingen , pour l'exemption du droit
d'aubaine & la liberté du commerce.
I V.
Il paroît deux Ordonnances du Roi , en date
du 26 Décembre dernier , l'une pour le dépôt des
Troupes des Colonies à l'Ile de Ré , & l'autre..
pour la réforme du Régiment de l'Amérique,.
AVRIL. 1775. 205
NOUVELLES POLITIQUES .
De Conftantinople , le 3 Février 1775.
LA Caravane de Bagdad , confiftant en quinze
cents chameaux chargés , allant à Damas , a été
pillée près de Palmyre , par Sheek Tyawr , Chef
des Arabes d'Amify. Six cents Perles , qui Le rendoient
à la Mecque à la fuite de cette Caravane
ont été également dépouillés. Il y avoit parmi
eux des perfonnes de diftinction . On dit que
faute de vêtemens , il en eft mort près de deux
cents , de la rigueur du froid . La perte des effets
tombe principalement fur les Marchands de cette
Ville , & fur ceux de Bagdad , de Baflora , de
Damas & d'Alep .
De Vienne , le Is Mars 1775.
L'Empereur a fixé fon départ pour la Croatie
& la Dalmatie , au 18 du mois prochain . Sa
Majefté Impériale , ainsi qu'il a été dit précé
demment , s'arrêtera quelques jours à Triefte ,
& ira à Venife , où Elle reftera jufqu'aux Fêtes
de l'Afcenfion . Les Archiducs fes Frères s'y trou
veront. Un Officier- Général , Membre du Confeil
de Guerre , eft parti aujourd'hui pour faire les
préparatifs de ce voyage.
De Madrid, le 21 Mars 1775.
On apprend par les lettres du Commandang
206 MERCURE DE FRANCE.
Général de Melille , du premier & du 3 du courant
, que l'attaque de la Tour de Sainte Lucie ,
projetée par les ennemis , n'avoit pas eu lieu ;
que leurs échelles , placées dans cette vue derrierre
la Puntilla , ont été retirées ; que nous
avons démonté leur batterie de la plage , &
qu'il ne leur refte plus que deux ou trois canons.
Le Commandant Général de Melille & le
Gouverneur de Pennon font les plus grands
éloges du fervice de leur artillerie . Les Maures
ont perdu beaucoup de monde , & le Roi de
Maroc , depuis plufieurs jours , n'eft pas forti de
fa tente,
Les lettres du Pennon , du 18 ,
écrites pag
le Gouverneur Don Florentio Moreno , portent
que jufqu'ici il n'y a pas eu de nouvel événement
; que le nombre des bombes qui ont été
jetées par l'ennemi , ſe monte à quatre cents
foixante dix- huit . & qu'il n'y a eu que deuz
hommes tués & fix bleflés.
?
De Cadix , le 11 Mars 1775 .
On prépare ici , avec la plus grande activité
un armement fupérieur à ce que nous avons vu
jufqu'ici de relatif au fiége de Melille . Il confif
tera en plufieurs Vaiffeaux de ligne , en Frégates
& en Bâtimens marchands , deftinés au tranf
port de toute førte de munitions de guerre , &
même d'un Corps de Troupes , parmi lesquelles il
y aura de la Cavalerie.
De Rome, le 8 Mars 775.
Le Souverain Pontife paroît vouloir habiter
AVRIL 1779. 207
le Palais du Vatican juſqu'après la belle faiſon:
on allure que les différens Bureaux ont eu ordre
d'aller s'y établir . Sa Sainteté continue de
donner audience à tous ceux qui fe préfentent ,
& fon antichambre eft ouverte jufqu'à minuit.
Le grand nombre de perfonnes qu'Elle reçoit ,
ne l'empêche pas de s'occuper des objets qui concernent
l'adminiftration . On s'attend même à
voir bientôt paroître de nouveaux Réglemens ,
principalement au fujet de l'exportation des
denrées,
La Ville de Céfene où eft, né le Saint Père ,
lui a envoyé une Deputation de deux Prélats &
de deux Gentilshommes Séculiers , pour le féliciter
fur (on exaltation . Sa Sainteté a reçu
ces Députés avec les démoftrations de la plus
vive rendrefle .
De Turin , le 22 Mars 1775-
Jeudi dernier , le Roi déclara le mariage
du Duc de Chablais , fon frère , avec la Prin
eeffe Marianne , fa fille. Les Mimftres Etrangers
avoient été invités la veille , par le Maître des
Cérémonies , à le rendre à la Cour , ainfi que les
Chevaliers de l'Annonciade , les Miniftres d'Etat ,
& toutes les perfonnes qui ont les entrées de la
Chambre. Le lendemain , le Roi , le Prince de
Piémont & le Duc de Chablais , furent compli
mentés par le Corps Diplômatique , à la tête
duquel l'Ambaffadeur de France porta la parole.
Le jour d'après on figna le contrat de mariage ;
& Dimanche , à cinq heures du foir , FArchevêque
de cette Ville , Grand Aumônier , donna
aux nouveaux Epoux la bénédiction nuptiale.
208 MERCURE DE FRANCE.
La Ducheſſe de Chablais reçut le 20 , les com
plimens des Miniftres Etrangers. Le même jour ,
dans l'après-midi , ainfi que le lendemain 21
la Noblefle fut admife à féliciter cette Princefle
& fon augufte Epoux . Il y eut grand cercle à
la Cour.
De Venife , le 4 Mars 1775.
On aflure que la République a le projet d'éta
blir avec l'Empire de Ruffie , un commerce direct
par la Mer Noire.
De Naples , le 4 Mars 1775.
Le Roi , defirant que tous les Sujets , fans
exception , participent à la joie que l'heureufe
naiflance du Prince fon fils premier né , a caufée
généralement , vient de faire publier un Indult ,
par lequel il eft ordonné aux Officiers de Juftice
de rendre la liberté à diverſes perſonnes détenues
en prifon pour dettes , ou pour d'autres délits fufceptibles
de cette grâce .
Sa Majesté s'eft en outre déterminée à don
ner , une fois la femaine , des audiences pri
vées à fes Sujets . Elle a commencé Mercredi
dernier , à recevoir les Mémoires qu'un lui a
préſentés & Elle daigne en prendre lecture Elle
même.
De Londres , le 15 Mars 1775.
Le Bill qui tend à reftreindre le commerce
de la Nouvelle - Angleterre & à la priver de la
pêche fur les Bancs de Terre - Neuve ou fur les
Côtes de l'Amérique feptentrionale , pafla le 8 ,
AVRIL. 1775. 209
à la Chambre des Communes , à la pluralité de
cent quatre vingt - huit voix contre cinquantehuit
. Ce Bill , à compter du 1 ' Juillet prochain ,
défend aux Colonies d'exporter toutes espèces de
marchandiſes ailleurs que dans les poffeffions de
l'Empire Britannique , foit aux Indes Orientales
, foit en Europe. Au 1'Septembre , tout Vaiffeau
chargé autre part que dans la Grande- Bretagne
, de Marchandifes quelconques , pour la
Nouvelle Angleterre , fera faififfable , non - feulement
dans les Ports de cette Province , mais
même à deux lieues de fes Côtes . Il n'y a d'excepté
que les chevaux , les vivres & les toiles
fabriquées en Irlande , venant directement de ce
Royaume.
Des lettres de Philadelphie portent qu'on y a
reçu le Difcours du Roi à l'ouverture du Parlelement
, & qu'on lui a donné le furnom d'Arrêt
de mort pour l'Amérique. Elles ajoutent qu'un
Vaifleau du Port de Glafcow , árrivé à la Nouvelle
Yorck , peu de temps après la défenſe d'importation
, a tenté , fous la protection d'un Vailfeau
de guerre , de débarquer quelques marchandifes
; mais que les Habitans s'y font op
pofés , & l'ont forcé de faire voile pour la Jamaïque.
Le Congrès Provincial tenu à Cambridge , le
7 de ce mois , a pris les réfolutions les plus fa
vorables pour les Boftoniens. Il a pourvu à ce
qu'aucun des Habitans de cette Province ne pût
approvifionner l'armée qui eft actuellement de
vant Boſton .
On apprend par un Courier de Cambridge
que ce même Congrès a nommé un Comité pour
répondre au Difcours très - gracieux du Roi, &
210 MERCURE DE FRANCE.
pour l'adurer que les Colonies n'ont aucun def
fein de violer les Loix , ainfi qu'on l'a repréſenté
Lans fondement à Sa Majesté.
De la Haye , le 24 Mars 1775 .
La nouvelle Eclufe inventée à la Haye paroît
remplir , dans l'exécution , toutes les prometles
du projet. Le principal avantage de cette machine
confifte à fournir les moyens d'inonder, avec la plus
grande célérité , un Pays dont on veut interdire
Papprocheà l'ennemi , de décharger une rivière
de l'excès de fes eaux , d'en retenir la quantité néceffaire
à la navigation , enfin de dominer l'élément
le moins docile chez toutes les Nations en
général , & chez les Hollandois fur tout. Le
devis de cette Eclufe , en fix planches , trèsbien
gravées , le vend à Amfterdam & en cette
Ville.
NOMINATIONS.
Le Marquis d'Aubterre , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant Général de les Armées , Confeiller
d'Etat d'Epée , & ci devant fon Ambafladeur
aux Cours de Vienne , Madrid & Rome , cut
l'honneur de faire , le premier Avril , les remercimens
au Roi pour la place de Commandant de
la Bretagne , dont Sa Majesté l'a pourvu .
Le 2 Avril , le Marquis de Lauzun a prêté ferment
entre les mains du Roi en qualité de Lieutenant
Général du Beauvoiſis .
AVRIL. 1775 .
ΣΙΓ
A
Le Vicomte de Vibraye , que le Roi a nommé
fon Miniftre plénipotentiaire auprès du Duc de
Wirtemberg, & le Marquis de Claufonnette , qui
l'a précédé dans cette place , & qui pafle , en la
même qualité , à la Cour de l'Electeur de Mayen
ont eut l'honneur de faire à cette occafion ,
le 31 Mars , leurs remerciemens au Roi. Le Marquis
d'Entraigues Latis , ci devant revêtu du
même caractère auprès de cet Electeur , a été
nommé , par S. M. , Miniftre plénipotentiaire près
ce ,
de l'Electeur de Saxe.
MORTS.
Il cft mort vers la fin de l'année dernière , dans
le village de Coflana , en Carniole , un Lahoureur
, 20mmé Urbin Prelz , âgé d'environ 114
ans. Cet homme , dans un âge fi avancé , avoit
tellement confervé les forces , que , peu de temps
avant la mort , il faifoit deux lieues à pied , fans
foutien ; il s'étoit marié deux fois , & à quatrevingt
-deux ans il avoit eu un fils de fa feconde
femme, qui étoit reftée vingt - cinq ans ftérile .
François Cavalcafelle , Apothicaire de Venife ,
y mourut le 16 Février , d'une attaque d'apoplexie
, à l'âge de 100 ans , 10 mois & 2 jours.
Il a confervé jufqu'au dernier moment l'ufage de
fa raifon ; fa vue n'étoit point affoiblie : & il fe
promenoit tous les jours à pied ; il avoit fait le 14
Février plufieurs parties d'échecs. Sa veuve eſt
âgée de 93 ans.
212 MERCURE DE FRANCE.
N. Agard de Morogues , Vicaire- Générale de
l'Archevêché de Bourges , & Abbé commendataire
de l'Abbaye Royale de Notre- Dame de Loroi ,
'Ordre de Cîteaux , Diocèle de Bourges , eft mort
à Bourges le 13 Mars , dans la 66° année de fon
âge.
N. de Paris , Vicaire- Général , Official & Sous-
Doyen de l'Eglife d'Orleans , Abbé commendataire
de l'Abbaye de Chezal - Benoît , Ordre de St
Benoît , Diocèle de Bourges , eft mort à Orléans
le 13 Mars , dans fa 78 ° année.
N. Darguel , Vifiteur- Général des Carmelites ,
& Abbé commendataire de l'Abbaye Royale de
Notre-Dame d'Haute - Fontaine , Ordre de C} -
teaux , Diocèle de Châlons - fur - Marne , eft mort
à Toulouſe le 20 Mars , dans la 77 ° année de fon
âge.
Marie -Louife Elifabeth Hennequin de Charmon
, veuve du Marquis de la Palun Gouverneur
pour le Roi de la Ville & Principauté d'Orange &
Bourbon l'Archambaut , ancien Capitaine des
Gardes du Comte de Charolois , eft morte le 30
Mars , dans la 82 ° année .
Jean de Broffin , Baron de Méré , Capitaine des
des Vaifleaux du Roi , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de St Louis , eft mort , le 3 Avril , au
Château d'Ecury , près Soiflons , âgé de 89 ans.
René-Charles de Maupeou , Marquis de Morangles
, Vicomte de Bruyeres , Seigneur de Noifly,
de Montigny & autres lieux , ancien Premier Préfident
du Parlement , Chancelier & Garde des
Sceaux de France , eft mort à Paris le 4 Avril ,
dans la 87° année de ſon âge.
AVRIL.
1775 .
213.
1
Jeanne Leterrier , veuve de François Queudeville
, eft morte le 22 Mars , au village de Breteville-
la- Pavée , près Caën , dans fa 106 année ;
elle n'avoit aucune des infirmités de la vieilleßle ,
fon efprit étoit encore fain & fa mémoire trèsbonne.
Le nommé Pierre Regnier , Jardinier , eft mort
à Morigny , village fitué à un quart de lieue d'E
tampes , fur la fin de Janvier dernier , dans la
108 année. En 1773 il avoit cultivé lui- mêine
fon jardin & cueilli fes fruits . Le Gouvernement
lui avoit accordé , depuis environ fix mois , une
penfion de 100 écus , à caufe de fon grand âge . Il
avoit l'efprit fain , la mémoire bonne , & marchoit
fort aifément , portant toujours fon bâton
fous fon bras .
Simon- Nicolas , Comte de Montjoie , Evêque
de Bâle , Prince du Saint- Empire , eft mort , le s
d'Avril , en fon Château de Porentru , dans fa 82°
année. Il avoit été élu Evêque le 21 Octobre
1762.
LOTERIE.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait les Ayril. Les numéros fortis de
la roue de fortune font 32 , 71 , 83 , 64 , 85. Le
prochain tirage fe fera le s Mai.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Vers au Soleil ,
Au Dieu Mercure ,
Tirfis & Annette ,
Vers à M. de Miroménil ,
Epître à Mde *** .
Traduction d'une Ode d'Horace ,
Le Barbet & le Dogue ,fable.
L'Homme , le Lion & le Tigre , fable.
Le Bonheur interrompu , conte ,
Aux trois Capotes du bal de S..
Epître à la Folie ,
Dialogue entre Galilée , Malherbe & Fontenelle
,
Le Procès non jugé ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES
Roger & Victor de Sabran ,"
Précis des maladies chroniques & aiguës ,
Hiftoire de l'Alcoran ,
Expériences & obfervations fur différentes efpeces
d'airs ,
L'Elprit du Gouvernement économique ,
Dictionnaire d'Hiftoire naturelle ,
Lettre fur les Economiſtes ,
Dictionnaire des mots homonymes ,
ibid.
&
ibid.
13
14
Is
17
18
20
43
44
49
品古
63
64
67
70
ibid.
- 74
80
88
92
96
99
102
AVRIL. 1775 . 215
Commentaires fur les Loix Angloifes de M.
Blackeftone ,
Difcours , Panégyriques ,
Eloge de Marc - Aurèle ,
OEuvres de M. de Saint.Marc ,
105
107
110
132
Remède éprouvé pour guérir radicalement le
cancer ,
La vie du Pape Clément XIV ,
de l'Arquebule royale de France ,
139
143
Recueil de pièces concernant le prix général
148
Conférences Eccléfiaftiques ,
151
Euvres complettes de M. le Comte de Buffon
,
156
Catalogue de la Bibliothèque de feu M. de
Laleu , 156
Hiftoire univerfelle du règne végetal ,
ACADÉMIES .
de Dijon ,
des Jeux Floraux ,
de Chirurgie ,
ibid.
165
ibid.
178
SPECTACLES.
Concert Spirituel ,
Opéra ,
179
ibid.
ibid.
182
Comédie Françoiſe
183
Comédie Italienne ,
184
ARTS.
ibid.
Gravures ,
Mufique.
187
Hiftoire naturelle , 188
Maiſon Hofpitalière pour les accouche-
189
mens ,
Lettres de M. de Voltaire à M. le Baron d'Efpagnac
, 191
Lettre de M. d'Alembert à M. le Baron d'Efpagnac
, 192
216
MERCURE
DE FRANCE.
Lettre de M. de Marmontel à M. le Baron
d'Espagnac ,
Lettre de M. Thomas à M. le Baron d'Eſpagnac
,
Lettre de M. D*** , de l'Académie des Sciences
, à M. de Voltaire, en lui envoyant ſon
Eflai fur les Comètes ,
Réponse de M. de Voltaire ,
Anecdotes.
*
AVIS ,
Ordonnances ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Morts ,
Loterie ,
ibid.
193
194
195
197
199
204
205
210
211
213
APPROBATION
.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le fecond Volume du Mercure du mois d'Avril
1775 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru deg
voir en empêcher l'impreffion .
A Paris , le 15 Avril 1775.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
près Saint Côme,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères