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1774, 09 (2)
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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
SEPTEMR BE , 1774 .
Mobilitate viget . VIRGILE.
Beus
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire > Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
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, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , oblervations , anecdotes
événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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"
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enverront au Libraire ; on les nommera quand
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2
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S
241.
12 1.
3 l.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE , 1774.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE DEUX VOYAGEURS .
Conte.
Pour le continent Indien
Deux hommes d'humeur différente
S'étoient embarqués , corps & bien ,
Sur la frégate l'Athalante .
Au gré des zéphirs qui jouoient
Dans les replis de leur bannière ,
A pleine voile & vent arrière ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Au fein d'Amphitrite ils voguoient.
Chacun s'occupoit fur la route
Du beau plan qu'il avoit formé ;
A fa troisième banqueroute ,
L'un , d'or & d'argent affamé ,
Vivoit dans la douce efpérance
De revenir un jour en France ,
Quand il auroit pu détrouffer
Quelque vieux Nabab d'importance ,
Et de voir alors repouffer
Son honneur avec fa finance ;
( Car l'honneur s'achette à prix d'or z
Auffi le dit-on un trélor. )
L'autre compagnon de voyage
Avoit conçu d'autres projets ;
Il vouloit au fond des forêts ,
Chez quelque horde bien fauvage ,
Porter les bienfaifans fecrets
Des arts utiles à la vie ;
Etendre l'humaine induſtrie ;
:
Et comme il fied en vérité
A l'ami de l'humanité ,
Qui croit tous les hommes des frères ,
Et trouve de la volupté
Quand il adoucit leurs misères.
Déjà le Cap étoit doublé :
SEPTEMBRE. 1774.
Nos pélerins fur l'onde amère
Voyoient gaiement s'enfuir la terre ;
Quand tout -à- coup le ciel troublé
Retentit au bruit du tonnerre ;
Ce ciel gronde , la mer mugit....
(Ceci fent beaucoup la tempêce ;
Mais le lecteur , de cet écrit
Doit trouver l'auteur fort honnête ,
Car il fait grâce du récit. )
Je dirai donc, fans verbiage ,
Que , par la force de l'orage ,
Le bâtiment fut démâté ;
Que dans les deux canots fragiles
Dont il fe trouvoit eſcorté ,
Nos pallagers tous deux agiles ,
Adroitement s'étoient jetés zi
Et qu'après de rudes traverses ,
Suivant leurs fortunes diveries ,
Au gré des vagues emportés ;
Chacun , fur de lointains parages ,
Sans témoins , fans fuite & fans bruit ,
Sur de très- oppales rimages
Aborda feul pendant la nuit.
Il faut qu'on fache & qu'on remarque
Que chacun avoit dans fa barque
Trouvé, tout-à-fait à- propos ,
La hache utile & falutaire
Donton coupe , au milieu des flors,
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Le cable qui tient d'ordinaire
Les barques à bord des vaifleaux .
Chacun , en mettant pied à terre ,
Très - avidement s'empara
De la hache qu'il trouva là ;
( Une hache devient fort chère :
A qui n'a plus rien que cela. )
Non loin des rives de Golconde 3-
Où croiflent l'or ,le diamant ,
Par hafard la fureur de l'onde
Avoit jeté ce garnement ,
Plein du plus grand foible du monde
Pour les rubis & pour l'argent.
Notre fage , tout au contraire ,
Eut pour fon partage une terre
Où , fans la moindre mine d'or ,
Croyant trouver du bien à faire ,
11 le croyoit für d'un tréfor
Adorant l'image facrées res
De l'aftre rayonnant des cieux ,
Des peuples fuperftitieux
Habitoient la riche contrée
Du premier de nos curieux,
1
froA
Ceux là portoient pour leur parure (
Jaunes topazes en ceinture y
Gros faphirs du bleu le plus doux ; or
Longs habits d'or , bordés d'hermine ,
Plus , longs colliers de perles fines : 1
Pendus à l'entour de leurs cous.
SEPTEMBRE . 1774.
Le fieur Rondan ( c'eft notre drôle , )
Toujours fa hache fur l'épaule ,
Par unbeau matin rencontra
Deux des habitans de fon île ;
Et, jugeant qu'il étoit facile
D'expédier ces payens là ,
Le Sieur Rondan les maflacra
Par pur efprit de l'Evangile
Et par fon goût pour le kara.
Du fommet des hautes montagnes ,
D'autres habitans l'avoient vu ;
Voilà tout le peuple accouru
Traverfant les vaftes campagnes ;
Et vous croyez Rondan perdu?
Tout fcélérat n'eft pas pendu' ,
( Dit on vieux livre de morale , )
C'est un proverbe que cela ;'
Et n'eft befoin d'être au Bengale
Pour croire à ce proverbe- là ."
Que penfez - vous que ces gens firent ?
Vous croyez que , dans leur fureur ,
Saififlant l'aflaffin vainqueur
En morceaux foudain ils le mirent ;
Point du tout voyant dans fes mains
Une hache à peu près femblable
Au glaive faint & redoutable
De leurs facrifices divins "
Unanimement ils le pritent
Pour un grand Prêtre du foleil ;
Av
T
10 MERCURE DE FRANCE.
Dans le temple l'introduifirent
Avec un pompeux appareil ;
Remerciant la Providence
Qui prenant pitié des mortels ,
Leur envoyoit , par indulgence ,
Ce doux Miniftre des Autels ,
Pour diriger leur confcience.
Rondan Pontife couronné ,
En rendit grâce à fon bon Ange ;
Etparut à peine étonné
De cette miffion étrange.
D'ailleurs , comme au Temple facré
Perfonne ne pouvoit l'entendre
Vu fon idiôme ignoré ,
Aucun ne pouvant le comprendre,
Atous il parut inſpiré.
Cependant notre Philantrope
( Connnu fous le nom de Procope)
Avoit pourles nouveaux amis
Une race de ces bons Guèbres , *
Autrement appelés Parfis ,
A tort réputés très - inſtruits ;
Mais au fond, pasplus que les Zèbres
Qui broutoient l'herbe du pays ;
Or , les Zèbres ( il faut le dire ,
* On fait que les Guèbres ont une grande vénération
pour les arbres , où ils croient que Louvent
la Divinité ſe cache.
(
SEPTEMBRE. 1774.

En cas que l'on n'en fache rien , )
Sont les ânes de cet Empire
Et de tout l'Empire Indien.
Voyant donc au fond de les hyttes
Ce pauvre peuple mal logé
Etprefque nud , comme les brutes
Procope étoit bien affligé.
Mais enfin ( (e prit-il à dire),
Fuyant une belle maiſon ,
»Dans les cabanes , nous dit- on ,
»Souvent le bonheur ſe retire :
»A ces mortels , enfans des Dieux ,
"Et que je fais le voeu d'inftruire,
Apprenons bien vîte à conftruire
»La cabane où l'on vit heureux.
Soudain à la forêt prochaine
Procope accourt la hache au poing ;
Et du tout ne fe doutant point
De trouver un Dieu dans un chêne
Agrands coups , il alloit frappant
Elaguant , coupant , abattant ,
Quand du peuple un nombreux cortége ,
Saifi d'une fainte fureur ,
Frémit en choeur du facrilège ,
Et déchira fon bienfaiteur.
Arj
i2 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE A M. DE VOLTAIRE ,
en lui envoyant la Rofière.
Si je vous écris peu , je vous lis tous les jours,
Et trouve , en vous lifant , que les miens font trop
courts .
N'aguère je vous vis galoper fur Pégafe ,
Et d'après les élans du fuperbe courfer ,
A vous feul appartient , mon brave cavalier ,
De pouvoir le monter encore en felie raſe
Sans jamais perdre l'étrier.
Que je vous fais bon gré d'être jeune à votre âge !
Que j'aime les hochets dans les mains d'un vieux
Sage !
On croit , en vous voyant ainfi vous divertir ,
Que l'agile pensée , & que l'efprit volage
Vont rajeuniflant par l'ufage ;
Vous nous empêchez tous d'avoir peur de vieillir
Et pour moi j'aime Dieu mille fois davantage ,
Puifqu'à cent ans encore on peut le réjouir.
You ne les avez pas , aimable octogénaire ,
Mais vous les aurez , Dieu merci ;
Et je veux , dans vingt ans d'ici ,
Rimer un hymne féculaire
Que les arrière- fils des neveux de Voltaire
Chanteront en choeur avec lui.
En attendant , Patron , recevez ma Rofière
SEPTEMBRE . 1774. 13
Recevez - la , car la voici
Qui vient exprès de Salenci
Saluer à Ferney le Seigneur de la terre.
Elle a fait , en paflant , un féjour à Paris ,
Et tremble encore un peu des gaietés du parterre ;
Daignez la raffurer , car elle n'eft pas fière :
Permettez qu'à vos cheveux gris
La main de la jeune bergère
Enlace les feftons fleuris
De fa couronne printanière ,
Pour qu'ils ne foient jamais flétris .
Dans le paquet , ( fauf les mécomptes
De la pofte & fes commettans , )
Vous devez trouver , dans fon temps ,
Un apologue avec deux contes.
Cacheté bien exactement
Je fais partir le tout enſemble ;
Vous le lirez fi bon vous ſemble ,
Ou , s'il vous en femble autrement
Vous en ferez à votre guife
Des papillottes , un écran,
Des camouflets pour père Adam ,
Sans que l'auteur s'en formalife.
Je lens que vous voudriez bien
Que je vous diffe des nouvelles ;
Mais enfin , ce n'eft pas pour rien
2
Que la Renommée a des ailes :
Elle fait comme moi fe chemin de chez vous
Et feule elle ira bien encore
14
MERCURE DE FRANCE.
Vous affocier avec nous
Aux doux prefentimens qui nous enchantent
tous
Et font déjà bénir un règne à ſon aurore.
On dit que les méchans ont peur ;
On dit que les fripons s'enterrent ;
Que le peuple croit au bonheur ,
Et que les gens de bien l'espèrent.
On dit l'art d'intriguer détruit ;
Ce pourrait bien être un faux bruit ;
Car, fi j'en juge fur la mine
Des plus grands profeffeurs de Cour ,
Je crois plutôt qu'il fe rafine
Et s'épure de jour en jour.
Mais voici bien du verbiage :
Je n'en ditai pas davantage ,
Et peut-être en ai - je trop dit.
Adieu , charmant rival d'Horace ,
De Chaulieu , de Pope & du Tafle ,
De l'ignorant aimable & du plus érudit ;
Adieu , le Neftor du Parnaffe.
Reconnaiffez votre dragon ;
Il voulait vous écrire en proſe ;
Voilà des vers de la façon ,
C'eft à- peu-près la même choſe.
Par M. L. M. de P.
SEPTEMBRE. 1774-
REPONSE DE M. DE VOLTAIRE.
AIDE- MARICHAL des logis
Et de Cythère & du Parnafle ,
Je vois que vous avez appris
Sous le grand général Horace
Ce métier , qu'avec tant de grâce
On vous voit faire dans Paris.
J'ai lu votre aimable Rofière .
Malheur au dur atrabilaire
Qui lui reproche un doux baifer !
Quelle mort ne doit excufer
Une perfonne fi difcrette ?
Un feul baifer , un feal amant ,
Chez les bergères d'à - préſent
Eft la vertu la plus parfaite.
3
VERS à M. l'Abbé de Boifmont , Prédicateur
ordinaire du Roi , Abbé de
Grétain , l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , furſon Oraiſonfunè.
bre de Louis XV.
D'U'UNNEE éloquence vigoureuſe
Et bien digne de nos tranſports ,
Boiſmont, ton ame généreuſe
16 MERCURE DE FRANCE.
Développe tous les trésors.
Au vrai feul ta voix confacrée
Sans fadeur fait louer les Rois ;
Et ta cenfure modérée
Les reprend fans blefler leurs droits.
Par M. Guichard.
EPITRE à M. François de Neuf Château ,
fur les vers de cet auteur , intitulés Mes
Torts , qu'on lit dans le premier volume
du Mercure de Juillet.
Quo
UOI ! Vous comptez entre vos torts ,
Ce goût inné pour la cadence
Qui vous infpira les accords
Que formait votre heureuſe enfance ?
Vous rougiffez des vers charmans ,
Que , dans les bofquets de Cythère ,
Les Amours , comme vous , enfans ,
Portaient en triomphe à leur mère è
Ah! revenez de votre erreur,
Chaflez ce nuage trompeur
Qu'éleva la mélancolie ;
Il cache à vos yeux le bonheur
Que vous offre la poëfic.
François , rendez - lui votre coeur ,
Et , dans fon.commerce enchanteur
SEPTEMBRE . 1774. 17
Oubliez l'ingrate Sylvie ;
A pleurer fur la perfidie
Gardez-vous de vous confumer :
Elle a ceflé de vous aimer !
Que de cette perte frivole
Une autre amante vous confole :
Tant d'autres voudroient vous charmer !
Dans cette agréable retraite
Qui doit vous cacher déformais ,
Goûtez la volupté parfaite
Et des neuf- Soeurs , & de la paix.
Coníacrez - y votre musette
Aux Dieux du vin & des Amours.
De nos belles chantez les tours ;
Peignez bien leur coquetterie.
Trompez -en une tous les jours .
N'aimez plus la feule Sylvie;
Que la beauté dans tous les lieux
Reçoive votre tendre hommage.
Soyez bien traître , bien volage ,
Mais ne foyez plus amoureux.
Diffipez la fombre trifteffe
Qui groffit , à vos yeux , les torts ,
Qu'on impute à votre jeuneffe.
Livrez-vous à tous les tranfpots
Qu'infpire le dieu du Permeffe ;
Er , dans une brûlante ivrefle ',
Enlevez-nous par vos accords.
Vous n'avez qu'un tort : c'eſt de plaire
}
18 MERCURE DE FRANCE.
Au plus fublime des auteurs
Que le Pinde Français révère .
FRANÇOIS , quand les foucis rongeurs
Feront encor couler vos pleurs,
Relifez ces vers fi flatteurs ,
Dans lesquels l'immortel Voltaire
Vous nomme un de fes fuccefleurs .
Par M. L. A. M. de C.
LE BOUF & L'ALOUETTE.
Fable.
De fon énorme poids preffant l'herbe fleurie , E
Sous un chêne , au milieu d'une vafte praisik ,
Des fatigues du jour un Boeuf le repoſoit ;
Et, tout en ruminant , difoit:
Que ma race par vous devront être chérie ,
Hommes ingrats ! Sans les Boeufs , je vous prie ,
Qui pourroit partager vos éternels travaux<
Dans la Nature il n'eft point d'animaux
Qui , comme nous .... Dom Boeuf achevoit fon
fermon
Lorfque , du milieu d'un fillon ,
En gazouillant s'élève une Alouette.
Défefpéré que l'indifcrette
Vint le troubler dans fa réflexion ,
Il reprit par exemple , étoit- il néceffaire
Que le Maître des cieux envoyât fur la terre
SEPTEMBRE. 1774.
14
Un ſemblable animal ? A quoi diable eſt- il bom ?
N'en déplaife au dieu du tonnerre ,
Tous ces muficiens , avec une chanfon
Sauront -ils me nourrir dans l'arrière- lailon .
Queje trouve ici - bas de choſes à refaire !
L'Alouette alors s'abaiflant:
Dites -moi , beau Sire ; comment !
Vous feul , dans la Nature , abhorrez la muſique!
Vous prétendez que de la République
Les chanteurs font l'inutile fardeau .
Tout le monde n'a pas un deſtin auffi beau
Que nos feigneurs les Boeufs ; c'eft eux qui font
utiles !
Leurs travaux bienfaiſans rendent les champs fertiles
;
Je leur cède le premier prix.
Ils fervent les humains : moi , je les divertis.
Quand vous fillonnez nos campagnes ,
Par mes accords je charme leurs ennuis ,
Et les bergers, affis auprès de leurs compagnes ,
Sur leurs pipeaux , s'efforcent d'imiter
Les jolis airs qu'ils m'entendent chanter.
Ne traitez donc plus de frivole
Un art qui des mortels peut faire le plaifir.
Chacun ici -bas a fon rôle :
Heureur qui fait bien le remplir!
Elle dit , & , quittant la terre ,
S'envole , en gazouillant , au féjour du tonnerre,
Par le même.
20 MERCURE DE FRANCE.
LA PHILOSOPHE rendue à la raifon.
Conte .
On plaçoit déjà Céliane fur la liſte des
plus belles ; & les plus belles n'ofoient
s'en plaindre. Les hommes la regardoient
fans ceffe ; les femmes ne la fixoient que
par hafard & comme par diftraction : chaque
jour on faifoit pour elle vingt madrigaux
, & contre elle trente épigrammes.
Rien ne lui manquoit enfin , pour être
illuftre , finon de mieux connoître fes
avantages.
Céliane , qui le croiroit ? Céliane , à
vingt- ans , vouloit être ce qu'on nomɩme
un efprit , & n'être que cela . On fait qu'un
efprit eft quelquefois l'être du monde le
plus mal nommé ; mais Céliane avoit de
quoi juftifier fa fantaisie. On répétoit
quelques-uns de fes jugemens & de fes
bons mots : elle difoit joliment les petites
chofes , effleuroit adroitement les
grandes , jetoit en avant quelques dilemmes
philofophiques ; citoit avec complaifance
les noms de quelques philofophes ;
étoit écoutée , parce qu'elle étoit belle , &
·
SEPTEMBRE . 1774. 21
n'étoit Alattée d'être belle que pour ſe faire
écouter.
Elle avoit pour mère la meilleure des
mères & des femmes. C'étoit une riche
veuve dont le mari avoit occupé de hauts
emplois dans la robe . Nous la nommerons
Orphife . Elle n'eut jamais d'envieufes
, parce qu'elle n'eut jamais de prétentions.
On lui trouvoit cet efprit qu'exile
ge courant 2 & elle n'étoit point jaloufe
d'en montrer davantage. Elle eût
même encore volontiers caché celui-là
fi elle fe fût apperçue qu'on le trouvât
tant foit peu furabondant. Rien , comme
on le voit , ne contraftoit plus complètement
que le caractère de la mère & de la
fille .
Orphife n'approuvoit point que Céliane
fe livrât à des études fi abftraites pour
fon âge & pour fon fexe. Elle avoit cru
devoir lui en parler plus d'une fois ; mais
la douceur de fes remontrances leur en
ôtoit le ton & l'efficacité . Elle blâmoit fi
foiblement qu'on pouvoit douter fi elle
n'approuvoit pas ; & Céliane , maîtreffe du
commentaire , avoit toujours foin de le
faire cadrer avec fes penchans.
Parmi le nombre des afpirans que la ri
cheffe & la beauté de Céliane attiroient
22 MERCURE DE FRANCE .
1
auprès d'elle , Orphife eût préféré pour
gendre d'Orvale , jeune homme qui avoit
tous les agrémens de fon âge fans avoir
aucun des défauts que la Jeunelle a foin
de fe procurer quand ils lui manquent.
Il avoit cette indulgence que donne la
bonté, & cette forte de politeffe qui part
du caractère plus que de l'ufage ; affez
d'efprit pour en montrer autant qu'il vouloit
, & pour ne le montrer qu'à propos ;
des connoiffances qu'il n'affichoit point ,
& une aifance , une aménité de moeurs
qui le faifoient rechercher de ceux même
qui lui reflembloient le moins. Il n'avoit
point d'ennemis , & n'étoit celui de perfonne.
Céliane le diftinguoit , & c'étoit déjà
beaucoup , eu égard à fes diftractions.
Elle aimoit à l'entendre & à lui parler.
Il eft vrai que leurs entretiens n'étoient
pas toujours à l'uniffon : d'Orval étaloir des
fentimens & Céliane des max mes . Quoi!
lui difoit- il un jour, immoleriez vous fans
ceffe la douceur de fentir à l'ambition de
penfer ? Eft- il une feule des connoiffances
de l'efprit qui vaille la moindre impreffion
du coeur ? Elle fatigue l'un , fans fatisfaire
l'autre. Vous pourrez en favoir
plus que toutes les femmes & êue la
SEPTEMBRE. 1774. 23
moins heureufe des femmes. Vous méritez
de connoître & de faire connoître le
bonheur ; mais ce ne fera jamais ni
dans la métaphyfique , ni dans les calculs
que vous en puiferez les vraies notions.
> Eh ! où donc les chercher s'il vous
plaît lui dit-elle ? Eft- ce dans ce que vous
appelez l'amour ? Plutôt là que toute
autre part , ajoute d'Orval . Si l'amour
ne fait pas toujours des heureux ,
il en a
du moins fait beaucoup , & je cherche encore
ceux qu'ont pu faire les connoillances.
Je vois pour ceux qui les cultivent
beaucoup de veilles , de fatigues , d'ennui
, de dégoût , d'envieux , & , fi j'ofois
ledire , quelque chofe de pis encore
pour celles qui daignent s'y livrer trop exclufivement,
Et moi , reprit Céliane un peu pi-
•quée , je ne vois dans l'amour qu'un tiffa
d'erreurs & de maux : il eſt fi inconféquent
, fi abfolu , fi bizarre , fi perfide ,
& toujours fi dangereux , qu'on ne peut
jamais trop prendre de mefures pour l'éloigner.
Ainfi , point d'amour , je vous
prie. A cela près, parlez -moi librement de
toute autre chole.
Il est bien dur , s'écria d'Orval , de ne
24 MERCURE DE FRANCE.
parler jamais de ce qu'on fent i bien ! ...
Vous avez de l'efprit , interrompit
Céliane ; vous y joignez des connoiffances
; vous penfez facilement , vous parlez
de même : rien n'empêche que nous
n'ayons des entretiens utiles , conféquens
, approfondis , en un mot , dignes
de vous & de moi . Vous y prendrez goût ,
je vous le promets , & je fens moi-même
que j'en prendrai plus à ces entretiens
avec vous qu'avec tout autre .
Ces derniers mots confolèrent un peu
d'Orval ; car l'amour aime à fe confoler.
C'eft un enfant qui fe plaint pour peu de
chofe , & que peu de chofe appaife. Eh
bien ! difoit d'Orval , nous parlerons phyfique
, métaphysique , morale ; tout ce
que Céliane voudra difcuter , nous le difcuterons
: il vaut encore mieux s'entretenir
avec ce qu'on aime de fujets indifférens
, que de ne pouvoir lui parler de rien.
Il fit part à Orphife de cette convention
rigoureufe. Elle approuvoit fes vues
fur Céliane autant qu'elle défapprouvoit
celles de fa fille . Quelle manie , s'écrioit
elle ! J'eftime fort les arts & les
fciences ; mais encore faut- il qu'une fille
fe marie. Hélas ! Madame , je penſe comme
vous , reprenoit d'Orval en foupirant
;
SEPTEMBRE. 1774. 25
rant ; j'adore Céliane , & je l'adore envain
nous ne l'emporterons jamais fur
tant de beaux génies qui occupent la tête
& fon cabinet.
Il me vient une idée , reprit Orphife.
Ma fille ne doute pas que je ne défapprou
ve en elle ce goût trop exclufif : elle a pu
fe figurer que mon but étoit de la contrarier,
& cette idée n'a peut être fervi qu'à
lui rendre cette fantaile encore plus chère.
Ce font de ces plans qu'une jeune tête
fe déguife à elle-même , & qu'elle fuit en
fe les déguifant. Effayons de la détromper
pour la tromper mieux. Je veux qu'elle
me croye déformais auffi entichée qu'elle
des fantaisies qui l'occupent : je ne lui parlerai
plus que de morale , de philofophie ,
d'hiftoire naturelle , & , s'il le faut , je
m'en vais faire de ma maiſon un charnier
maritime. Secondez moi bien , & je vous
réponds que Céliane fe laflera d'être ellemême
fi bien ſecondée .
-
Il
Quoi ! Madame ? il faudra que je ne
fois que philofophe & raifonneur avec
Céliane Rien de plus . Ah ! Madame
, que ce rôle fera pénible !
nous divertira , vous dis je . On n'eut jamais
une meilleure idée ; & , fi j'étois méchante
, j'aurois - là de quoi m'applaudic
pour fix mois.
B
2:6 MERCURE
DE FRANCE
.
Je ferai de mon mieux , ajouta d'Orval
; j'effaierai de bien faire entrer mon
rôle dans ma tête ; mais je crains fort les
distractions d'efprit & les écarts de mémoire
.
On fe fépare , & Orphife fe rend peu
de momens après dans le cabinet de fa fille.
Ecoute moi , lui dit- elle ; je commence
à croire que tu n'as point tort de
préférer la tranquillité de l'étude au tumulte
de la fociété ; car enfin le monde .
ennuie dès qu'il eſt bien connu ; & c'eft
fi-tôt fait que de le connoître ! Il m'a paru
que d'Orval penfe abfolument comme
toi ; je penfe comme vous deux. Rien ne
fera plus agréable : nous allons faire de
ma maiſon une efpèce d'académie . On
pourroit, à la rigueur , glofer un peu fur
la jeuneffe de d'Orval ; mais il me paroît
fi abfolument revenu de fes premières
idées , que la critique porteroit abfolument
à faux.
Le croyez vous , lui demanda Céliane
d'un air un peu étonné ? Je t'en réponds
même , reprit Orphife : tes difcours ont
fait fur lui une telle impreffion , que je l'ai
vu uniquement épris de la belle gloire.
Il regrettoit même les momens qu'une
folle paffion lui a fait perdre , tandis qu'ils
pouvoient être fi utilement employés .
SEPTEMBRE. 1774. 27
Céliane devint rêveufe & ne répondit
rien. Seroit- il vrai , difoit - elle en elle
même , que d'Orval fe fût fi tôt rectifié ?
Je croyois mon éloquence moins perſuaſive.
Mais quoi ? tout veut en être,jufqu'à
ma mère! Elle fe propofe d'entrer en lice
avec moi ! ...J'avoue que je ne m'attendois
point à toutes ces métamorphofes .
Tout va bien ! dit Orphiſe à d'Orval
dès le jour fuivant : j'ai déjà vu ma fille
étonnée de notre projet ; & ce qui nous
étonne , nous fatigue bientôt. Enfuite
croyez-moi , n'épargnez rien pour être bien
ennuyeux : vous en favez affez pour cela ;
& moi , qui ne fais rien, je vous réponds
d'être, fous peu de jours , auffi infupportable
que vous-même.
La première conférence ne répondit pas
entièrement aux vues d'Orphiſe. Il eſt fi
doux de montrer tout ce qu'on fait & de
paroître en favoir plus que d'autres , que
Céliane fe livra toute entière à cette fatisfaction
. D'Orval fit quelques objections ;
elles furent levées ; elles parurent même
plutôt l'effet de fa complaifance que de fes
doutes . Vous êtes trop bon , difoit Céliane
; vous m'épargnez . Croyez moi , donnez
plus d'effor à votre logique ; la mienne
eſſaiera d'élever fon vol jufqu'à elle .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Cette erreur philofophique fe maintint
quelque temps . Orphife ne fe laffoit ni de
raifonner ni de ce que d'Orval fembloit ne
s'en point laffer lui - même . Celui - ci
n'avoit d'abord foutenu ce rôle que par
complaifance ; bientôt il le foutint par
dépit. C'en eft trop , difoit il : je croyois
valoir mieux qu'un dilemme , & Céliane
paroît m'eftimer beaucoup moins , Imitens
l'exemple qu'elle nons donne : occupons-
nous toujours auprès d'elle de toute
autre chofe que d'elle ; parlons- lui fans
ceffe de ce que vaut tel philofophe , & jamais
de ce qu'elle vaut ; peut- être la verrons
nous bientôt jaloufe de Loke & de
Léibnitz.
Voilà notre amant qui de jour en jour
devient un philofophe plas renforcé . Il a
foin d'y joindre quelques touches de pédan .
tifme qui , en pareil cas , ne gâtent jamais
tien . Mais qui le croiroit ? Céliane eut
d'abord peine à s'en appercevoir ; & , lorf
qu'elle s'en apperçut, elle s'en fit les premiers
complimens. C'étoit à fes leçons
que d'Orval étoit redevable de tous ces
progrès . Il rendoient hommage à fes lumières
; peu lai importoit qu'il patût en
rendre moins à fa beauté.
Orphife , pour la part , ſuivoit très -bien
SEPTEMBRE. 1774. 19
le plan qu'elle avoit tracé à d'Orval . Elle
ne parloit plus que le langage de fa fille ;
à cela près , qu'elle s'en acquittoit beaucoup
plus mal ; mais, dans fes vues, c'étoit s'en
bien acquitter. Elle avoit fait de fon cabinet
de toilette un cabinet d'expériences ;
fon falon de compagnie n'offroit plus aux
regards que des quadrupèdes, des oifeaux,
des poiffons , des reptiles défléchés ; des
monceaux de coquillages de toute efpèce ;
des foffiles , des panacées , des crustacées ,
& c. Sa bibliothèque s'étoit remplie de
gros volumes de métaphysique , de phyfi
que & même de politique . Les moraliftes
n'en étoient point exclus ; mais les
plus intéreffans n'étoient pas ceux qu'Orphife
mettoit le plus en évidence . Montagne
étoit comme étouffé entre Grotius
& Puffendorf. Elle avoit relégué dans
quelques tablettes perdues tous les bons
Ouvrages d'agrément & de fentiment.
Les poëtes , les romanciers , les conteurs
étoient là hors de toute atteinte. Il eût
fallu rifquer fa vie pour mettre la main
far Mariane.
Il arriva , cependant , que la perfévérence
de d'Orval à n'être que raiſonneur
commençoit à fatiguer Céliane . Quoi !
difoit-elle , je ne parlerai plus que pour
B iij
30
MERCURE DE FRANCE.
être contredite ? Eh ! par qui ? Par ma
mère qui n'y entend rien ; par Dorval
à qui on ne peut plus rien faire entendre.
Je croyois qu'un amant étoit ce qu'il y
avoit de plus infupportable ; mais je vois
bien que c'eft un amant devenu philofophe.
Cette réflexion en amena une autre.
Céliane imaginoit bien que la philofophie
avoit fon charme particulier ; mais
elle ne concevoit pas comment il étoit
devenutout à- coup exclufifpour d'Orval ;
comment , après avoir paru fi vivement
épris d'une femme , on fembloit ne l'être
plus que d'une machine pneumatique
ou , ce qui vaut encore bien moins , d'un
argument. Elle finit par trouver que d'Or.
val avoit l'efprit faux ; qu'il ne feroit ja
mais de grands progrès dans l'art de raifonner
; & qu'au fond , il feroit encore
mieux de fe reftreindre à la faculté de fenir.
Il n'y avoit pas loin de- là pour Céliane
à fouhaiter que d'Orval redevint fenfible.
Elle ne fe rendoit point compte du motif
qui la dirigeoit . Ce font de ces idées
qui naiffent comme d'elles mêmes , qu'on
trouve juftes , mais qu'on ne veut pas encore
approfondir.
SEPTEMBRE. 1774. 31
Cependant les difcours de d'Orval &
d'Orphife lui devenoient de jour en jour
plus infupportables . Pour achever de la
pouffer à bout , Orphife imagina d'établir
chez elle une efpèce de bureau littéraire.
Je voudrois bien , difoit elle à d'Or
val , trouver un certain nombre de beaux
efprits , bien ennuyeux , bien jaloux
bien vains & bien incommodes . Comment
s'y prendre pour les attirer ici ? Laiffez
les faire , lui répondit d'Orval : annoncez
feulement qu'ils feront tous bien
reçus ; ils vous épargneront les frais de
toute autre invitation .... Mais je n'en
veux que de mauvais , interrompit Orphife.
Eh ! c'eft précisément ce que vous
aurez, reprit d'Orval ; les bons font moins
faciles à réunir & ne fe je jettent pas ainfi
à la tête . Je ne vous confeillerai jamais
d'avoir dans votre bibliothèque les écrits
d'un honrme que l'on voit dans toutes les
fociétés.
En peu de temps Orphife eut ce qu'elle
vouloit . Sa fociété groffit au point qu'elle
dégénéra en cohue . A cela près , cette
fociété faifoit des merveilles . On y raifonnoit
jufqu'à l'invective : on s'y déchizoit
réciproquement on fe jaloufoit
somme s'il y avoit en matière ; & il ré
Biv
32
MERCURE
DE
FRANCE
.
fultoit de toutes ces difcuffions beaucoup
d'aigreur entre les émules , & beaucoup
d'ennui pour Orphife , pour d'Orval ,
& fur- tout pour Céliane .
Ah ! je n'y tiens plus , difoit- elle tout
bas ; & peu s'en falloit qu'elle n'employât
pour le dire le même ton qu'employoient
ces Meffieurs pour s'invectiver;
je n'y tiens plus ! Il faudra faire divorce.
avec l'efprit , fi ces gens là font véritablement
de beaux efprits.
D'Orval chercha l'occafion de l'entretenir
après un de ces repas bruyans . Il en
fut mal accueilli . Comment vous trouvez
vous , lui dit il , de tout ce cliquetis
de raifonnemens ? J'ai entendu de belles
chofes ; mais j'avoue qu'il ne m'en reſte
rien dans l'efprit. Ce que vous dites s'y
grave d'une manière bien plus profonde.
Je donnerois toutes les bruyantes conférences
de ces fortes d'académies pour un
quart-d'heure de votre entretien.
Vous y perdriez , reprit froidement
Céliane : jouiffez mieux de l'ameutement
que vous avez provoqué. Le peu de part
que j'y prendrai déformais vous laiffera
encore plus de moyens d'en faire votre
profit.
Cette menace enchanta d'Orval, parce
SEPTEMBRE. 1774. 33
qu'il en pénétra le motif. J'avois cru , reprit
- il , contribuer à votre fatisfaction ,
& il n'en faudra jamais davantage pour
me faire tout adopter ; mais au fond , je
fens bien qu'il eût mieux valu s'en tenir
à nos conférences particulières . Qu'en
penfez- vous , Madame ?
Je n'en fais rien , reprit-elle avec une
forte d'impatience. J'ai éprouvé plus
d'une fois qu'on s'ennuyoit en particulier
comme en public .
Alors furvint un gros homme fuivi d'un
laquais qui portoit une caffette dont le
deffus étoit percé à jour. Je vais bien vous
divertir , dit - il à Céliane ! Voici une
expérience des plus ragoûtantes pour une
philofophe. En parlant ainsi , il ouvrit fa
Caffette , & Céliane apperçut une ample
collection de limaces dont les unes étoient
fans tête & immobiles tandis. que les
autres , qui en portoient une fort altière ,
effayoient de fortir de leur pti'on . Quelques
- unes y réaffirent , & laiffèrent fur
le parquet des traces bien diftinctes de
leur paffage . Ah ! Ciel ! s'écria Céliane ,
le hideux fpectacle ! Eh ! Monfieur de la
Fouille ! ( c'étoit le nom du phyficien )
remportez ces fales reptiles . Que voulezvous
en faire ici ? Je veux , Mademoi-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
felle , répondit il , que vous coupiez la
tête à ceux d'entre ces animaux qui en ont
encore une. Les autres n'en ont plus , &
ce n'eft pas ma faute, puifque je la leur ai
coupée ; j'avois lu quelque part qu'elle
devoit revenir.
>
Eh ! pourquoi leur couperois - je la tête ,
reprit Céliane ? Pour leur en procurer une
autre , ajouta le phyficien . Une expérience
auffi fûre ne peut pas manquer deux
fois ; vous aurez l'honneur de la réaliſer
& l'on en fera mention dans les journaux.
Point de dégoût , pourſuivit
en faififlant une limace des plus onctueufes
qu'il prefenta à Céliane : de grâce , faires
quelque chofe pour votre gloire &
pour celle de la phyſique.
- il
En vérité , vous m'en dégoûteriez pour
jamais , lui dit - elle en s'éloignant ! &
tant d'autres chofes viennent s'y joindre
! ... Laiffez là cette fale expérience ,
dit un autre Curieux en s'approchant de
Céliane je vous en propofe une d'un
genre infiniment plus noble & fur- tout
plus utile. Vous avez là de très beaux
diamans daignez me les remettre ; je
vais à l'inftant les réduire en fumée . C'est
une des plus belles découvertes dont s'honore
notre fiècle.
·
SEPTEMBRE. 1774. 35
Céliane crut que la tête avoit tourné
à ces deux grands hommes. Eile les plaignit
; mais ellene s'en trouvoit pas moins
excédée. Tous deux fe retirèrent fort mécontens
, & Céliane , encore plus mak
fatisfaite eût prefque voulu que d'Orval
s'éloignât avec eux.
A l'inftant même farvint Orphife . Réjouis
- toi , ma fille lui dit- elle , on nous
annonce pour demain une affemblée encore
plus nombreuſe que celle d'aujourd'hui....
Il faudra donc , reprit vivement
Céliane , déferter la maifon ? Nous
aurons , pourſuivit Orphife , au moins
fix beaux efprits de plus ... C'est beau-
Coup , interrompit encore Céliane ! -On
doit nous lire un ouvrage bien amufant ;
car il déchire prefque tout le genre hu
main. Tant pis pour l'auteur. - Mais
fais tu que ce livre eft de quatre gros vo
lumes -Tant pis pour le libraire . →→→
Que l'auteur deviendra un de nos amis ?
Tant pis pour nous . Eh ! mais , croirois
tu bien une chofe ? Quoi ?
C'est qu'on fe l'arrache ! Ah ! tanc
mieux ! il pourra du moins nous échap
per.
·
-
----
---
Orphife s'éloigna & emmena d'Orval
avec elle. Je la trouve bien corrigée , di-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
foit cette prudente mère ; je fuis bien fûre
qu'elle ne tiendra point contre la nouvelle
épreuve.... Je ne réponds pas d'y
tenir moi- même, reprit d'Orval . Je crains
d'ailleurs d'avoir trop bien joué mon rôle ,
& qu'il ne foit plus temps de reprendre
le premier. Il peut fe faire que Céliane
piquée rejette encore plus mes voeux aujourd'hui
qu'auparavant . Et moi , dit Orphife
, je vous réponds du contraire : je
connois les femmes beaucoup mieux que
les livres . Céliane defire aujourd'hui de
vous voir penfer & agir comme autrefois.
Ah ! s'écria d'Orval , que cela me deviendra
facile ! & que le rôle que vous m'avez
impofé me pèfe & m'embarraffe ! Je penfe
, ajouta Orphife , que vous pourriez en
changer fans courir aucun rifque : il convient
même d'aider un peu Céliane à démentir
le Gen.
D'Orval goûtoit fort ce confeil ; il eûr
voulu pouvoir à l'inftant même en faire
ufage ; mais Céliane s'étoit enfermée
dans fon appartement , fous prétexte d'avoir
befoin de repos . Elle avoit encore
plus befoin de réfléchir fur fa poſition .
L'ennui la fuivoit par- tout , & elle commençoit
à fentir que s'ennuyer à fon âge,
c'étoit s'avouer tacitement qu'on s'étoit
" SEPTEMBRE. 1774. 37
mépris fur le choix des moyens de ne
s'ennuyer pas. On ne décidera point fi les
expédiens qu'avoient employés Orphiſe
& d'Orval pour opérer en elle ce change .
ment, y contribuèrent autant que fon propre
coeur. Il est à croire qu'ils ébauchèrent
l'ouvrage , & que le coeur fit le refte. Le
coeur n'a fouvent befoin que d'être mis
fur la voie ; il faura toujours bien achever
fa route.
Céliane dormit peu la nuit fuivante , &
d'Orval ne fut pas moins agité. La tentative
qu'il méditoit alloit décider & de fon
fort actuel & de fon bonheur futur. Il prit
un parti qu'on trouvera peut être un peu
fingulier ce fut d'écrire fa propre hiftoire
& celle de Céliane fous des noms
d'emprunt. Il y peignoit vivement la contrainte
qu'il éprouvoit en affectant des
goûts qu'il n'avoit pas , & en diffimulant
une paffion qui ne s'étoit point ralentie.
L'ouvrage fini , il alla le communiquer à
Orphife , qu'il trouva feule & qui approuva
fon deffein . I trembloit. Allez
donc , lui dit - elle : je vous réponds du
fuccès ; & d'ailleurs , je me tiendrai à por
tée de vous feconder à propos.
Céliane étoit feule & dans fon cabinet
quand d'Orval y entra . Elle rougit en
l'appercevant , & ferma un livre qu'elle
318 MERCURE DE FRANCE. "
lifoit à fon arrivée . Ah ! difoit d'Orval
en lui même , c'eſt fans doute encore de
la métaphysique ! ma tentative eſt vaine ;
je ne ferai ni lu , ni écouté. Cependant ,
après quelques difcours d'ufage , il hafarda
d'offrir à Céliane ce cahier myftérieux.
Eft- ce encore une differtation , lui
dit elle d'un air nonchalant & diftrait ?
De grâce , Monfieur, que ce ne foit ni fur
les diamans diffous , ni fur les limaçons
décolés.
Daignez la lire , lui dit d'Orval j'y
parle de toute autre chofe , & d'une marière
beaucoup plus digne de votre attention
.
Lifons donc , reprit - elle avec un air
de complaifance forcée. A peine en eutelle
parcouru quelques lignes, qu'elle fourit
en rougifant un peu ; elle continua
cependant , & fa rougeur augmentoit par
degrés ; mais -fon vifage reftoit ferein . Elle
acheva cette lecture fans jeter un feul
regard fur d'Orval , & ce ne fut que dans
ce moment qu'elle s'apperçut qu'il étoit
à fes genoux Vous êtes un perfide , lui
dit elle d'un ton qui ne fentoit point le
reproche : vous m'avez jouée bien cruellement
! Je n'en eus jamais l'intention ,
reprit ile on ne fe joue point de ce qu'on
aime. Je n'ai voulu que vous diftraire d'un
SEPTEMBRE. · 1774..
39
penchant trop férieux pour votre âge , &
vous en infpirer un beaucoup plus doux
& plus naturel. Voilà mon crime. Eft- il
bien digne de châtiment ?
Levez - vous , lui dic Céliane ; je ne
puis , ni ne dois vous fouffrir dans cette
attitude. Non , répondit d'Orval ; j'y refrerai
jufqu'à ce que mon fort foit éclairci ;
j'y nourrai , fi votre décifion m'eft contraire.
Eh bien ! Fon vous pardonne.'
-Ah ! ne faites- vous que me pardonner?.
—C'eſt déjà beaucoup : ma mère prononeera
fur le refte.
Orphile entra dans ce moment : elle
avoit entendu toute cette converſation .
Il me femble , dit -elle , qu'il n'eft point
ici queftion de philofophie ! Ce n'eft pas
un grand malheur : on peut être heureux
à moins de frais; & la fcience n'eft pas
toujours un moyen fûr de l'être . Allons ,
mettons , au moins pour quelque temps,
rous les livres à l'écart , & commençons
par celui- ci , pourfuivit elle en s'empa
rant de celui que Céliane avoit quitté à
l'arrivée de d'Orval . Que vois - je ? .. des
contes ! ... Ah ! je vous le laiffe , ma
chère fille il eft moins dangereux pour
vous qu'un livre d'algèbre .
La jeune Philofophe étoit déſolée qu'on
F'eût furpriſe lifant des contes , & d'Or40
MERCURE DE FRANCE.
val en étoit comblé de joie . Ne rougiffez
point de cette lecture , difoit- il à Céliane :
un petit conte eft quelquefois plus inftructif
qu'un gros traité de morale , & eft
à coup fûr moins ennuyeux .
Va , crois - moi , difoit Orphiſe à ſa
fille , lis des contes , & époufe d'Orval :
tout cela eft dans la Nature. Vois combien
nos jours vont être heureux & tranquilles
? Nous n'entendrons plus . ni difputes
, ni déraifonnemens , ni invectives.
Nous lirons les bons auteurs , & nous ne
raffembletons plus les mauvais .... Je
fouferis à tout , dit Céliane en embraffant
fa mère ; mais fur- tout point de lecture
dės Trois Siècles .
En peu de jours , d'Orval & Céliane
devinrent époux , & ils font encore aujourd'hui
époux heureux . Ce qu'ils favent
ne nuit point à ce qu'ils doivent faire .
On dit que Céliane répète encore de
temps à autre : J'avois grand tort de vouloir
n'être que philofophe ; la philofophie
eft un flambeau qu'une femme ne doit
point envifager de trop ' près : il nous
éclaire, fi une autre main le porte;il nous
entête, fi nous le portons nous mêmes.
Par M. de la Dixmerie.
SEPTEMBRE. 1774. 4.1
LE VRAI PLAISIR.
A Madame du Chambon , belle -fille
de l'Auteur.
EGLÉ ,, tout âge eft fait pour le plaifir ,
Tout âge afpire à ce préſent céleste ;
Mais une influence funefte
L'a relégué dans l'avenir .
En attendant , réduits à ſon image
Nous la voyons à travers un miroir ,
Dont la glace, au goût de chaque âge
Flatte l'objet , & nourrit notre espoir.
Un charme fi doux l'environne ,
Qu'elle fubjugue tous les coeurs ;
Et du plaifir empruntant les couleurs ,
Elle en ufurpe la couronne.
Ebloui de fes faux attraits "
Tout âge court après l'idole ,
Se nourrit d'une ardeur frivole ,
Et fe confume en defirs , en regrets.
Cher plaifir ! heureuſe bouffole ,
Ne paroîtras - tu donc jamais ?
Hélas ! on dit que la Jeuneſſe
T'étouffe à force de jouir ;
Que l'âge mûr, en projetant fans ceffe,
Laifle échapper l'inftant de te faifir ;
42- MERCURE DE FRANCE .
Et que par état la vieilleffe
N'a de toi que le ſouvenir ! ...
Pourquoi charger ainfi notre foiblefle ?
Et par un propos qui te bleſſe ,
Pourquoi vouloir encor nous avilir ?
De nos erreurs connoiſſons mieux la tige :
Faute d'objets qui puiffent le remplir ,
Le coeur de l'homme inceflamment voltige ,
Et rien encor n'a pu l'affujettit.
Jouet conftant de l'inconftant defir ,
C'eſt avec lui feul qu'il calcule ,
Et dès - lors ardent & crédule ,
Il le tourmente & s'abuſe à loifir ;
Mais refpirons , & ceflons de gémit
Sur la fource de ce vertige :
Le Ciel enfin , jaloux de la tarir ,
En vous formant , opéra ce prodige ,
Et diffipa nos maux & le preftige
Par tous les dons qu'il fut vous départir.
Décence , efprit , délicatefle ,
Grâces , talens , vivacité
Firent chez vous fociété
Avec le goût & la ſageſſe.
Le fourire de la gaieté
Les embellit & les careffe ;
Et leur accord , d'une durable ivreffe
Nous affure la nouveauté.
Jouiffez donc de nos hommages ;
Cuillez-en la première fleurs
SEPTEMBRE . 1774. 43
Et déformais faites fur tous les âges
Luire l'aurore du bonheur.
De fes rayons déjà mon coeur
Eprouve l'heureuſe influence :
Du votre hélas ! l'indifférence
En pourroit feule altérer la douceur !
Aimable Eglé , pour votre gloire
Laiflez - le donc s'épanouir :
C'eſt trop affoiblir fa victoire
Que de n'en pas ofer jouir.
Du doux parfum des fleurs qu'il fait éclore
Voyez s'embaumer le zéphir ;
Voyez le foleil s'embellir
De l'éclat qu'il donne à l'aurore
Et fongez à jouir comme eux.
Par le droit ifolé de plaire
Ondevient rarement heureux ,
Et l'on a vu plus d'une fois les dieux
Réduits à chercher fur la terre
g
Les douceurs dont cette chimère
Depuis long temps les privoit dans les cieux.
Julques dans l'Olympe , ce vuide
Attefte que l'art de charmer
N'eft qu'un privilége infipide
Sans le privilége d'aimer.
Ce double charme eft le plaifir fuprême ,
Le vrai bonheur le fuit toujours ;
Hâtez- vous donc de le goûter de même ,
Yous qui formez nos plus beaux jours.
44
MERCURE DE FRANCE .
Livrez-vous au double avantage
Et d'inspirer & de fentir...
Le dernier feul eft le lot de mon âge ,
Encore eft-il pour moi le vrai plaifir ,
Eglé , dès qu'ileft votre ouvrage.
Par M. Defmarais du Chambon ,
en Limoufin.
EPITRE à une Mère fur fon Fils.
ADORABLE & tendre Emilie ,
Dont l'ame , au deflus des revers ,
A vu le monde & fes travers
De l'oeil de la philofophie ,
Qui , malgré tant d'attraits puiflans ,
Dédaignes l'heureux don de plaire ,
Pour confacrer tes plus beaux ans
Aux titres d'époufe & de mère ,
Rappelle-toi cet heureux jour
Où , m'engageant dans la carrière ,
Tu me confias fans retour
Ce fruit d'une union fi chère ,
Cet enfant plus beau que l'Amour .
Qui n'eût admiré ta prudence ,
Alors qu'abjurant tous tes droits ,
Tu voulus que ma foible voix
Guidât fa timide innocence !
SEPTEMBRE. 1774.
45
Confondu par tant de rigueur,
Ah ! quand ce cher fils tout en larmes
Réclamoit fes droits fur ton coeur ,
Quoi tu n'as pas rendu les armes
A ce trop aimable enchanteur
Qui t'affiégeoit de tous fes charmes ?
Que ton triomphe eſt glorieux !
Pourfuis , & , cruelle à toi même ,
Fuis cet objet fi gracieux
Pour qui ta tendreffe eft extrême.
Un feul regard de ce qu'il aime,
En me rendant trop odieux ,
Feroit crouler tout ton ſyſtême.
Laiffe encor cet efprit fougueux
S'indigner d'un trifte esclavage ;
Pour prix de tes efforts heureux ,
Tu vas adorer ton ouvrage :
Bientôt cefils capricieux ,
Cet être frivole & volage,
Chargé de tréfors précieux
Te fera voir l'ame d'un fage.
Du riche infolent & groffier
Frondant la ftupide ignorance ,
Vois déja ce génie altier
Voler , dans fon impatience ,
Par-delà ces globes de feu :
Frappé de cet efpace immenfe ,
Vois comme il faifit en filence
L'Eternel qui met tout en jeu .
46 MERCURE
DE
FRANCE
.
S'il contemple cet hémisphère
Du haut des vaftes régions ,
Il rit de ce grain de pouffière
Où fourmillent les Nations ;
Il rit des grandes paffions
De ces petits foudres de guerre ,
Qui, fous les plus glorieux noms,
Sont les vrais fléaux de la Terre .
Déjà ce moderne Caton ,
Cenfeur inflexible & févère ,
Cite les grands & le vulgaire
Au tribunal de la Raiſon .
De l'aimable & naïve enfance
Qui réformera les decrets ?
Mortels , redoutez les Arrêts ;
Ils font portés par l'Innocence.
Tandis qu'un fiècle corrompu
Rit des leçons de la Sageſle ,
Ton fils connoit la fainte ivrefle
Et les élans de la Vertu.
Heureux , fi j'ai rempli fon ame
De tout l'éclat de ſa beauté !
Que ne pouvois-je en traits de flamme
Rendre fa divine clarté !
Souvent victime de l'envie ,
Du fage l'idole chérie ,
La Vertu languit dans les pleurs ;
Mais , au plus fort de fes douleurs ,
Elle diffipe le nuage ,
SEPTEMBRE. 1774
Du vice éclaire les horreurs ,
Et ne fe venge de la rage
Qu'en leforçant aujufte hommage
Qui dément toutes les fureurs .
Vertu , Déité fecourable ,
Toujours ton charme inexpimable
Rappelle du fein des erreurs
A cette paix inaltérable
Dont tu fais goûter les douceurs.
Mais de quel plus heureux délire
Tu fais bouleverſer mes ſens ,
Quand tu fais chérir ton empire
Aux plusbeaux jours de ton printemps !
En vain d'un air d'indifférence
Tu fembles voir tous les atours ;
Ah ! fous les traits de la décence
Vois s'avancer tous les Amours :
Tel , prêt à répandre des larmes ,
Craint d'offenfer ce noble orgueil
Qui dévore en ſecret les charmes
Qu'il découvre du coin de l'oeil.
Oui, cette troupe enchantereffe
Aime ton air de gravité ;
Tu fais embellir la Sagefle
Des grâces de la Volupté.
Ainfi , dans l'ardeur qui l'enflamme,
Déteftant l'odieuſe trame
Du Vice qu'il voit confondu,
Tonfils fent naître dans ſon ame
48 MERCURE DE FRANCE.
Tous les tranſports de la Vertu.
Lorfque ma main foible & tremblante
Traçoit fon image touchante ,
Qu'il dut adorer tant d'attraits !
Pour rendre un ſi ſaint caractère ,
De la plus adorable mère
J'avois emprunté tous les traits ;
Par M. L. E.
LE SOMMEIL DU MÉCHANT.
Imitation d'un Apologue oriental,
Un Vifir altéré de fang & de carnage , N
Sous un arbre , en plein jour , doucement fommeilloit
A l'ombre d'un épais feuillage ;
Certain Sage le reconnoît : ..
Dieux ! dit-il , comme il dort ! Se peut-il que le
traître ,
Sans crainte , fans remords , dans ce réduit champêtre
,
Goûte paisiblement les douceurs du repos ?
Ami , dit un Molak entendant ce propos ,
Au bonheur des mortels ces inftans font utiles ;
Apprends que les dieux bienfaifans
Accorden
SEPTEMBRE.
1774.49
Accordent quelquefois le fommeil aux méchans ,
Afin que les bons foient tranquilles .
Par M. Houllier de St Remi..
ÉPITHALAME fur le Mariage de M.
Thieffon , Receveur du grenier à fel de
la Ferté- Milon , & de Mlle Seguin ,
fille de M. Seguin , Ingénieur & Giographe
du Roi.
TROUT
SONNET.
ROUTE des Immortels , defcendez fur la terre :
Hârez-vous d'augmenter l'éclat de ce beau jour.
Ileft une couple heureux , que lHymen & l'Amour
Embrafent pour jamais des beaux feux de Cychère.
Si l'époux eft doué d'un heureux caractère ,
S'il eſt chéri de tous , lon époule à ſon tour ,
Offre à nos yeux Minerve , & Vénus , & fa cour ,
Née avec les vertus & les charmes pour plaire.
Soyez toujours heureux ; que vos tendres ébats
Ecartent loin de vous tous foucis , tous débats.
Goûtez bien les douceurs d'une pure tendreffe ;
Une flamme féconde , en comblant tous vos voeux,
Immortalifera vos noms chez nos neveux :
*** N'en jouiſlezjamais qu'en amant & maîtreſſe.
C
So
MERCURE DE FRANCE .
ENYO 1.
Ofortunés époux ! vous raviſſez mon ame ,
En voyant les vertus qu'un vifamour enflamme ,
Aux pieds des faints Autels , qui fe donnent la
main.
Que je ferois payé de mon épithalame ,
Si , jouiflant tous deux du plus brillant deftin ,
Vous n'oubliez jamais cette belle ſentence ,
Qui des ardens tranfports forme la différence :
«L'Amour n'a de l'attrait que dans la nouveauté ;
»Le dégoût ſuit ſouvent les faveurs qu'il difpenfe.
»Les amans font fujets à la légèreté ;
»Au lieu que deux Epoux , pour prix de leur
20conftance ,
Trouvent mille douceurs dans leur fidélité.
Auffi , d'un chafte hymen telle eft la récompenſe ;
»Du fein de fes devoirs renaît la volupté ».
Par M. Alléon des Gouftes.
Sur le Règne de Louis XVI.
QU
SONNET.
UELLE brillante aurore a diffipé l'orage
Qui portoit dans nos coeurs le deuil & la terreur !
Jour mille fois heureux ! un ciel pur , fans nuage,
Promet à nos defirs un règne de douceur.
SEPTEMBRE. 1774.
SI
Louis vient de parler , & ſon divin langage
A fait dans un inſtant cefler notre malheur;
Il agit comme un père ; il penſe comme un fage ;
Il veut de tout fon peuple affurer le bonheur .
Déjà de tous côtés circule l'abondance ;
Du Monarque nouveau tout reffent la préſence ;
Le fiècle d'or renaît fous un nouveau Titus.
&
Sur le trône avec lui monte la Bienfaiſance ,
Et des Rois qui jadis ont illuftré la France
Il poffède à vingt ans les plus belles vertus .
Par M. l'Abbé de Br………
VERS au fujet des écrits qui paroiffent
fur le nouveau Règne.
CHAQUE jour de nouveaux écrits
Annoncent de la France entière
Et les heureux deftins & les voeux réunis.
Ils attachent le coeur ; à tout on les préfère.
Le père les montre à ſon fils ,
Et la fille les lit fous les yeux de fa mère.
Ce n'eft pas qu'ils foient tous de Dorat , de Vol
taire ;
Mais ils parlent tous de Louis.
Ils tracent les vertus , ſa bienfaiſance extrême;
1
Cij
752
MERCURE DE FRANCE.
Et le portrait d'un Roi qu'on aime ,
Ne fût-il qu'une efquifle , eſt un tableau de prix.
Par M. d'Origny , Confeiller en
la Cour des Monnoies.
LA RIVIERE & LE RUISSEAU ,
Allégorie à Madame la Baronne de
Princen,
JADIS étoit une rivière
Qui, dans les eaux , nourriffoit maint poiſſon ;
Et le long de fon cours majeſtueuſe & fière ,
En arrolant les champs , les couvroit de moiſſon ;
Son rivage charmant , durant l'année entière ,
Se trouvoit couronné de fleurs & de gazon ;
Elle avoit enfin tout ce qui donne un grand nom .
Dans certain lieu , tout près de fon paſſage ,
Inconnu , fans éclat , exiftoit un Ruiſſeau
Qui n'avoit pour tout avantage.
Qu'un fort modique filet d'eau ,
Dont le gazouillement le mêloit au rámage
De divers amoureux oileaux
Qui , dans les feuls beaux jours , de cet endroit
Lauvage
Venoient réveiller les Echos.
L'humble Ruiffeau, fi l'on en croit l'hiftoire,
SEPTEMBRE . 1774. 531
propos
Enfin piqué de l'amour de la gloire ,
A la Rivière , un jour , tint ce touchant
«Quoi ! lorfque difpenfant, de contrée en contrée,
Mille bienfaits avec vos eaux ,
»Vous vous trouvez par - tout bénie & révérée
Faut- il , hélas ! que mon onde ignorée
»Se perde ici fans nom parmi de vils Roſeaux ?
"Ah ! de grâce....
l'onde
... A ces mots cette reine de
STATY
Voulant fe fignaler par un bienfait nouveau
D'une portion de fon onde
Elle enrichit l'obfcur Ruifleau ,
Et le rendit enfin célèbre dans le monde.
Mais que de ce bienfait il fut reconnoiſſant !
Dans la courfe dès - lors fameule,
Il chante , exalte inceflamment
Sa bienfaitrice généreuſe
Dont les faveurs l'avoient arraché du néant.
Eh ! quel feroit l'ingrat qui n'en eût fait autant >
Vous qui fertilisez le monde littéraire
Par de fi louables travaux ,
Princen , vous êtes la Rivière
Que tracent ici mes pinceaux ,
Et tous devineront le nom de
Par le plus chétif des Ruifleaux.
Par M. ***
C iij
54 MERCURE
DE FRANCE.
VERS à Mde la Baronne de Princen
qui, par modeftie , n'avoit voulu mettre
au jour une épître dont l'auteur lui
avoit fait hommage .
PRINCEN, RINCEN , quand j'ai chanté cet heureux af
femblage
Des talens dont le Ciel fe plut à vous doter ,
Eh ! pourquoi voulez - vous rejeter mon hommage
?
Qui peut s'en croire indigne a fu le mériter.
Quand au vice caché fous un mafque hypocrite
Mille autres baflement vont offrir leur encens ;
Ne pourrai je honorer en vous le vrai mérite
Par le mince tribut de mes foibles accens ?
Par le même.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du volume du mois
d'Août 1774 , eft la Perruque ; celui de
la feconde eft la Mufique ; celui de la
troisième eft Filet. Le mot du premier
logogryphe et Récapitulation , où le
trouvent Lion , Troie , Luçon , Rouen ,
SEPTEMBRE. 1774. SS
Vire , Laon , Pont , Ré ( citadelle ) , Caën
Ipre , Nieuport , Platon , aulne , lire , viole
, lut , la , ut , ré , Turc , joie , Attalie ,
oeil , poil , rôti , l'or , ail , Platon , Caron ,'
pluie , air , Ciel, Caton , corne , cor (inftrument
) , Capitaine , port , cor ( aux pieds ) ,
cure , lie , titulaire , rut , cri , nuit , lot (de
loterie ) voleur , plaire , Cap ( le vin du
Cap ) io , prune , poire ,jacinte, tulipe , la,
le , ce , ton , te , pole , port , pin , olivier
plainte , trou , lion , leopar , loup , âne ,.
taupe , rat , puce , mite , paon , pivert , oie,
pie, linot , rale & roitelet , peur , Calvin ,
Paul , Luc , Léon , Vincent , Clotaire ,
Eloi , Julien , Paulin , Rhône , Nil, Loire ,
lipe , rituel , ton , plie , raie , laict , prone
épi , Roi , rival , noyé , pain , pont , caution
, nôtre, ire , conte , lien , Pair , Pairie
, olive , point ( punctum ) , pilote , Notaire
, rôle , talon , tout , rien .
ENIGM E.
Je fuis l'aul où la fimple Nature
Eft immolée à l'impofture
D'un art fait pour la Volupté.
Je fuis un trône où la Frivolité ,
>
Les Caprices , l'Humeur , foutiens de fon empire ,
Civ
56: MERCURE
DE
FRANCE
.
Ont fait monter la Beauté.
La fraîche amante de Zéphire
Apporte pour tribut , à ce trône enchanté ,
Le Muguet , l'illet & la Rofe.
Les Gnomes , gardiens des mines du Potole ,
Y dépofent en foule , aux pieds de nos Iris ,
Le diamant , l'opale & le rubis.
Sur ce trône élevé pout la coquetterie ,
Le chantre harmonieux des oifeaux de Zelmis
A placé la Philofophie,
La folâtre Erato , Hébé , Flore & Palès
Sous les traits raviffans de Sapho R...
Par M. L. A. M. de C...
AUTRE.
LECTEUR , fojt en paix , foit en guerre ,
Avec moi vous iriez aux deux bouts de la terre ;
Ne vous y trompez pas , me perdre eft un malheur.
Toujours néceflaire au commerce ,
S'il arrive qu'on me traverse ,
Rarement trouve- t- on meilleur ;
Au contraire , fouvent la peine en eft plus grande ;
Je furpafle les monts & je touche la mer ;
Mon éclat quelquefois embarraſſe en hiver :
Alors , qui me tient me demande.
Par M. Hubert.
SEPTEMBRE 1774. 57
AUTRE.
Iz n'eft point d'homme ni de femme
Qui rendent l'ame fans mourir ;
J'ai pourtant rendu corps & ame ,
Et j'espère bien en guérir.
Par le même.
LOGO GRYPHE.
SUR UNE JUR une toile que j'anime
Je brille d'un vif coloris ,
Et louvent les traits que j'exprime ,
Je les déguife & je les embellis.
Je pourrois être plus fidèle ;
Mais s'il n'étoit un peu flatté ,
L'amour propre de mon modèle
Peut-être m'en voudroit de ma fincérité.
Après les longs dangers d'une route peu fûre,
Ma tête aux matelots eft un objet riant ;
Et par un fort tout différent ,
De ma queue on craint la bleffure.
En voilà bien affez pour me faire connoître
Encore un trait pourtant : veux-tu me voks ?
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Lecteur , approche d'un miroir...
Regarde.... Je viens de paroître .
Par Mlle Parent , de Melun.
A U TRE...
JE paffe à la poftérité ,
Ou bien je fuis un poids , une valeur , un compte ;
Mais ma tête de moins , fans pudeur & fans honte,
Je dégrade l'humanité.
Par M. de Bouffanelle , brigadier
des armées du Roi,
AUTR E.
Composé de deux élémens ,
J'exprime un arbre à trifte chevelure :
En me prenant d'un autre fens ,
Je fuis un mor de mépris & d'injure.
SEPTEMBRE . 1774. 59
CHANSON.
Tendrement.
DE- PUIS long-tems votre abfen-
ce Me fait languir nuit &
jour ; Mais vo- tre ai- ma- ble
pré- fen- ce Ré- com- penſe mon
+
amour : Si ma feine fut extrême
, C'eft un fonge en ce mo-
* Paroles de
amateur
Mufique de M. Tellier,
60 MERCURE DE FRANCE.

ment ; Quand on revoit ce qu'on
aime,
Le plai- fir eft
plus char- mant , Le plai- fir ·
eft plus char- mant.
SEPTEMBRE. 1774 61
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Lettres à Eugénie , fur les Spectacles ; vol
in- 8°. de 186 pag. A Paris , chez Va-
Jade , libraire , rue St Jacques , vis- àvis
les Mathurins.
Ce n'est point à une Eugénie imaginaire
que ces Lettres fur les Spectacles on
plutôt fur le jeu des acteurs font adreffées
; c'eft à une charmante réalité, comme
s'exprime l'auteur ; c'eſt à une actrice du
théâtre de Bruxelle , dont le talent eft
très éclairé : «Vous m'enverrez peut être
»un traité fur la guerre , lui dit l'amateur
»diftingué qui lui écrit . Mais ne croyez
pas que ce foit la même proportion gan-
»dée. Il paroît fingulier que je m'aviſe de
»parler du théâtre. Mais le monde eft
»une comédie s
Là fur la fcène , en habits différens ,
Brillent Prélats , Miniftres , Conquérans...
»dit Rouffeau . Nous fommes ſouvent
»plus comédiens que ceux qui fe mone
trent à nous depuis fix heures jujqu'à
neuf. Nous le fommes toute la journées
62 MERCURE
DE FRANCE
.
»& en vérité, quand on a un peu couru les
»cours & les armées , on peut fe flatter de
»réuffir fans corfet de baleine & fans ori-
»peau . Nous jouons les Rois tous les
»jours : nous jouons les amoureux , nous
»jouons les maris , les honnêtes gens , &
c'eft fouvent de ce rôle que nous nous
acquittons le plus mal. »
"
Quoique l'homme de goût qui a dicté
ces lettres annonce qu'il n'y mettra aucune
forte de diftribution , on voit cependant
qu'il fuit celle que lui indiquent les
différens rôles dont il veut nous entretenir
, & il commence par les Soubrettes.
C'eft le rôle auquel notre amateur paroît
s'intéreffer le plus . « On demande que
»les Soubrettes foient vives & efpiègles.
Mais fi une Soubrette étoit un prodige
de jeu , de phyfionomie , de gaieté , d'en-
»jouement , de fingerie ; fi aux plus beaux
»yeux du monde , elle ajoutoit la taille la
plus agréable ; fi cette même Soubrette
qui dit fi plaifamment des drôleries aut
Tartuffe & au Philofophe marié; qui y
entend fineffe , qui en met dans les pièces
de Regnard , fe montre à nous dans
» Martine avec cet air neuf & naïf fi plaïfant
, parce qu'elle ne veut pas l'avoir , ne
feroit - on pas enchanté ? Ce qu'on ne
SEPTEMBRE . 1774. 63
pour
»peut exiger , mais ce qui ajoute encore
»au mérite d'un pareil fujet , c'eſt qu'il
»rempliffe avec autant de vérité , de no-
»bleffe , d'intérêt fans tragique , de tendre
fans faveur , de gentilleffe fans trop de
gaieté , le rôle de Lifette dans le Glorieux.
Je crois avoir entendu dire que
»c'eſt le plus difficile du Théâtre Français
; cela eft prefque vrai . Les traveltiffemens
devroient prefque toujours
"appartenir aux Soubrettes . Comme leur
»rôle exige plus de feu & de hardieffe que
les autres , elles doivent avoir un air délibéré
qui peut très bien les fervir
cela. Il ne peut venir que de beaucoup
d'aifance fur le théâtre, Mais quand on
"Y
eft comme chez foi & qu'on eft faite
»à peindre , il y a à parier qu'un auſſi joli
»petit homme réuffia à merveille . Qu'il
eft heureux d'avoir cette affurance fur la
frène ! Que cette affurance plaît , lorfqu'on
voit qu'elle n'eft fondée exactement
que fur le defir de plaire , & qu'elle
neft éloignée de l'effronterie que les plus
»gauches prennent pour s'étourdir apparemment
fur leur gaucherie ! Ce font
fouvent les plus femillantes ; elles font
toujours en l'air. Elles jouent toujours
Elles font des niches , elles font d'une
2
64
MERCURE DE FRANCE.
gaieté à attrifter tout le monde . Elles
»entendent malice à tout. N'en déplaiſe
»aux maîtres de l'art , les grâces ne fe don-
»nent point . »
Après les rôles de Soubrettes il eſt naturel
de parler de ceux qui peuvent y
avoir rapport ; & parmi ces rôles , on en
peut diftinguer d'abfolument factices , tels
que les Crifpins , les Cliftorels , & c. &
d'autres qui doivent être l'imitation chargée
de ceux qu'on rencontre dans le monde.
De ce nombre font les rôles à livrée ,
où l'on peut obferver différentes nuances.
Le Valet du Glorieux , par exemple ,
doit être joué différemment de celui de
Pafquin dans le Diffipateur. Notre amareur
revient encore ici aux Soubrettes.
Elles font charmantes quand elles ont un
»perit air moqueur , & qu'elles favent
»contrefaire. De même auffi il n'eft pas
mal- à - propos que les comiques foient
un peu finges. On veut que Páfquin
socontrefaffe Moncade ; moi je veux que
»l'acteur & l'actrice contrefallent l'autre.
»Le meilleur aura quelque défaut natuwrel
, quelque habitude qu'on peut relever
très-plaifamment. Le Valet n'a qu'à
»fe charger des tics de l'amoureux qu'il
fert. Cela ne lui plaira peut être pas ,
SEPTEMBRE. 1774. 65
mais tant pis pour lui. On eft là pour le
"plus grand nombre ; & le Public s'ap-
»plaudit d'une petite méchanceté qu'on
>>lui communique & qu'il croit avoir
»faite . »
Les différences qui caractérisent les
rôles de Valets , de Crifpins , de Jodelets
,font ici défignés. Les Arlequins de-
» mandent plus de foupleffe que tout cela;
»toute la légèreté poffible , la plus grande
»naïveté , une voix un peu factice , un
»rire de commande. Il y a beaucoup d'art
»pour eux à favoir pleurer comme il faut.
»Cela vife à une forte de mugiflement
"qui , répété de temps en temps au milieu
»des fanglots, fait toujours rire , puifqu'on
»diroit qu'il a le coeur bien ferré , & tout
»d'un coup on l'entend hurler de toutes
fes forces . Il doit favoir contrefaire avec
»la voix le verroux de la maifon de l'E .
mbarras des Richeffes . Il doit favoir fe
»caffer le nez contre la couliffe , cracher
au nez de fes amis de temps en temps ,
»toucher fa maîtreſſe de ſa batte , fautil- ,
ler , fe tourner , fe frotter contre elle
>>en rire
par éclats courts , mais bien per-
"çans . Il doit favoir donner promptement
»des coups de bâton , après avoir bien
»aiguifé fa lame , & avoir marché dellus
>
66 MERCURE DE FRANCE .
"pour la redrefer. Il doit courir la tête-
>> un peu baffe , une main fous l'épaule ou
wau front , comme s'il réfléchifloit . Il
doit bien favoir frapper le pied contre
sterre , jeter fon chapeau quand on l'im-
»patiente. Il a fa façon de ſe moucher , &
»fon jeu de fauteuil comme dans Arle-
»quin Hulla , qui eſt de règle ; fans ou-
„blier de mettre fon chapeau au bout de
"la batte , pour le jeter au nez du maître
»de fa chère Violette. Arlequin eft un
»enfant , & c'eft le meilleur enfant du
monde ; il a bon coeur , il eft fenfible
»aux premières impreflions de joie & de
trifteffe. Il est toujours bien gourmand.
» Arlequin eft charmant . » Il y a une autre
efpèce d'Arlequins que les Italiens
appellent Balourds. Mais ils font du reffort
de leur théâtre , ainfi que les Mezetins
& les Scaramouches . Le caractère de
celui qui vient d'être tracé paroît copié
d'après le jeu naïf & enjoué du fieur Carlin
, arlequin charmant & inimitable de
la Comédie Italienne de Paris.
Les.Marquis ridicules font auffi du reffort
de la Comédie . Il feroit difficile de
donner des préceptes aux acteurs chargés
de ces rôles . Ils n'en doivent prendre que
de la Nature , mais de la nature la plus exa
SEPTEMBRE. 1774. 67
gérée. L'auteur leur confeille de fe livrer
à leur bonne humeur , de fe donner beaucoup
d'ais. Point de ces airs à la mode
qui caractérisent les gens de condition .
Comme ce font prefque toujours des laquais
revêtus, tels que Mafcarille des Précieufes,
& l'Epine du Joueur , ils doivent
tâcher de contrefaire leurs maîtres , outrer
ce qu'il leur ont vu faire , être extrêmement
fiers , extrêmement polis , extrêmement
entreprenans .
Les Payfans , les Niais , les Pères brufques
& grimes , les Médecins , les Financiers
, les Gens de chicane , les rôles
à-manteau , les Baragouineurs , les Femmes
à caractère & antres rôles comiques
fe préfentent fucceflivement fous la plume
de notre amateur qui les peint d'après une
connoiffance très - éclairée du jeu fcénique
& donne aux acteurs chargés de ces différens
rôles des confeils guidés par un tact fin
& délicat.
Notre amateur paroît perfuadé que l'on
trouvera plutôt d'excellens tragédiens que
d'excellens acteurs comiques , par la même
raifon qu'il eft plus aifé de réuflir à faire
une bonne tragédie qu'une bonne comédie
. Ce n'eft pas cependant qu'il ne reconnoiffe
, avec tous les gens de goût ,
68 MERCURE DE FRANCE .
"
les talens éminens de nos acteurs tragi
ques. « Pour le touchant , l'intéreffant
» le féduifant , qu'on imite Mlle Gaullin :
»quoi qu'on en dife , ne lui doit on pas
»Zaïre & Lucinde ? Peut on oublier ces
" deux obligations qu'on lui a ? Pour le
"beau , le noble , le hardi , le majeſ
»tueux & fur-tout le vrai , qu'on imite
»Mile Clairon , Mais cela n'eft prefque
pas poffible. Pour le grand , le furieux ,
»je ne dis plus le hardi , je dis le téméraire
, l'étonnant , les paffages d'un fen-
» timent à l'autre , les coups de théâtre
"où l'auteur même n'en a pas voulu , que
dis je ? les coups de foudre , les éclats de
»voix , les paufes , les nuances , les re-
»tenues , qu'on imite Mlle Dumefnil..
Mais le pourra-t - on ? Ces deux actrices .
"qu'un organe bien différent l'un de l'au-
»tre fert admirablement , ont des filences
" plus éloquens que les plus beaux vers
"des pièces qu'elles jouent . C'eft par- là ,
"c'eft par une inflexion de voix , par façon
de reprendre fa refpiration , par ce je ne
"fais quoi qu'on ne peut expliquer , qu'elles
raviffent. Mais quelle difficulté de
» les fuivre dans leur marche! Un rien de
>>plus ou de moins fuffiroit pour gâter le
jeule plus fublime. Cette Dumefnil furSEPTEMBRE.
1774. 69
"
tout qui eft louvent comme une ode de
Pindare, plus haute que les nues , reffem-
»ble à Corneile. Plus elle eft élevée , plus
»je crains fa chûte. On lui entend réciter
»tout d'un coup vingt vers , avec une vo
>> lubilité de langue qui , chez toute autre ,
apprêteroit à rire. J'oferai le dire ; j'en ai
été tenté moi- même , lorfque je n'y
étois pas fait . Mais le fecret de fon art
" eft d'entremêler tout cela de traits lumi-
" neux , qui n'en brillent que plus , fans
"éclipfer pourtant les beautés ténébreufes,
"que la force de fa fituation lui a arrachées
» d'un ton inconnu jufqu'alors à la tragédie.
C'est par là qu'elle m'étonne encore
tous les jours , fur- tout dans Mérope &
» dans Hermione. Son perfifflage vis-à vis
» d'Orefte , ne tient qu'à un fil pour lui
donner l'air d'une mauvaiſe plaifanterie ,
mais elle fait s'en garantir.
» Mlle Clairon eft la première qui ait
»ri dans la tragédie ; & , n'en déplaife à
»tout plein de gens & à cette Lecouvreur
» tant chantée , je la décide au - deffus
»d'elle & de tout ce qui a paru. Garrick ,
"ce fameux acteur Anglois , le foutien
de Shakefpehar , l'a jugé ainfi . Que j'ai-
» me une jeune actrice , celle que j'ai vu
»la fuivre de plus près , qui toute pleine
70 MERCURE DE FRANCE .
»de fon rôle , pénétrée de fon caractère ,
»fâchée de ce qu'on ne commençoit pas ,
"difoit , il y a quelque temps : levez donc
nla toile , exactement du ton qu'elle al-
»loit jouer Califte. N'eft ce point là la
»marque du vrai talent ? ,,
Notre amateur donne auffi de juftes
louanges aux acteurs tragiques , & fe permet
plufieurs obfervations générales &
critiques . Il exhorte les comédiens à fe
regarder comme les inftituteurs de la
bonne prononciation , & confeille aux
troupes de Province de s'abonner pour
avoir un député à celle de Paris , qui les
inftruife exactement des irrégularités de la
prononciation. Il fe plaint dans un autre
endroit de fes lettres , de ce que la bienféance
n'eft pas toujours obfervée fur le
théâtre, & de ce qu'on n'y conferve pas la
décence avec les femmes. « On ne fait pas
»leur parler , ajoute t- il . J'y ai va man-
»quer , même à Paris ; on s'approche trop,
>>on les touche en parlant , on prend les
»mains ; ou quand on les tient , on les
"garde trop long temps ; & dans les tu-
»toiemens qui fe trouvent dans quelques
»pièces qui peuvent être bonnes , quoiqu'avec
un mauvais ton , il y a moyen
de l'adoucir & de le rendre meilleure
>>compagnie.
SEPTEMBRE . 1774 71
Toutes ces réflexions , écrites dans le
ftyle libre & léger de la converſation , ont
droit de plaire aux amateurs du fpectacle
& à tous les gens de goût.
Mémoire fur les moyens de reconnoître les
contre coups dans le corps humain , &
d'en prévenir les fuites ; par M. Duvergé
, docteur en médecine , ancien
médecin- infpecteur des hôpitaux militaires
de la Généralité de Tours , de
l'Académie des fciences & belles- lettres
d'Angers.
... Rerum cognofcere caufas
Perl. Sat. 3 .
Seconde édition ; vol . in- 12. de 199
pages . Prix , 1 liv . 16 fols . A Tours ,
chez Fr. Vauquier -Lambert ; & à Paris ,
chez Mufier fils , quai des Auguſtins .
La théorie de l'auteur eft appuyée fur
des faits choifis & intéreflans qui juftifient
l'accueil fait à la première édition
de fon mémoire publié en 1771. On fe
rappellera ici que ce mémoire eft divifé
en trois parties. L'auteur parle dans la
première des contre- coups de la tête ;
dans la feconde , de ceux de la poitrine
& du bas-ventre , & dans la troiſième, de
ceux des extrémités,
72 MERCURE
DE FRANCE
.
"
Elémens des Forces centrales , ou Obfervations
fur les loix que fuivent les
corps mûs autour de leur centre de
pefanteur ; fuivies d'un jugement de
l'Académie royale des fciences fur plufieurs
de ces obſervations , & d'un examen
critique de ce même jugement ; à
quoi on a joint un théorême général &
fondamental fur la mefure des futfaces
& des folides , & quelques obfervations
fur la nature des courbes quarrables
& rectifiables ; par M. le Chevalier
de Forbin ; vol . in-fol. A Paris ,
chez la V. Defaint , libraire , rue du
Foin-St-Jacques .
Les vrais principes des forces centrales
ou des loix que fuivent les' corps mûs
autour de leur centre de pefanteur , font
développés dans cet ouvrage méthodiquement
& par les voies les plus fimples &
le plus à la portée du commun des géomètres.
Mais ce qui réveillera fans doute
l'attention des phyficiens géomètres, c'eſt
la conteftation que s'eft élevée entre les
Commillaires de l'Académie royale des
fciences & l'Auteur , au fujet des quatre
propofitions qu'il a foumifes au jugement
de cette même Académie .
Dictionnaire
SEPTEMBRE. 1774. 73
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques , Grecs & Latins tant
facrés que profanes , contenant la géographie
, l'hiftoire , la fable & les antiquités
, dédié à Mgr le Duc de Choifeul
, par M. Sabbathier , profeffeur au
collége de Châlons fur-Marne , & fecrétaire
perpétuel de l'Académie de la
même ville . Tomes XVI . & XVIIe.
in- 8° . A Paris , chez Delalain , libraire ,
rue de la Comédie Françoiſe .
Ces deux nouveaux volumes nous conduiſent
juſqu'à la fin de la lettre F. L'auteur
, en diſtribuant dans les articles de
fon dictionnaire différentes inftructions
fur la géographie ancienne , l'hiſtoire , la
fable & les antiquités , rend ces inftructions
plus familières , & procure à fon
lecteur la commodité de fe les rappeler
au beſoin & fans exiger de fa part d'autres
recherches que celles qu'exige l'ordre alphabétique
. Les articles concernant les
philofophes anciens ne font pas les moins
intéreffans de ce dictionnaire . Ces deux
préceptes Suftine & abftine , fouffrez les
maux patiemment & modérez- vous dans
vos plaifirs , faifoient la baſe de la philofophie
d'Epictète. Et quel philofophe mit
plus en pratique le premier de ces pré-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ceptes. Pendant qu'il étoit encore eſclave
d'Epaphrodite , un des gardes de l'Empereur
Néron , il prit un jour fantaisie à cet
homme barbare de tordre la jambe de
fon efclave. Epictère s'appercevant qu'il
y prenoit plaifir & qu'il recommençoit
avec plus de force , lui dit en fouriant &
fans s'émouvoir : « Si vous continuez ,
>>vous me cafferez infailliblement la jam-
»be. En effet , cela étant arrivé , il ne lui
répondit autre chofe finon : « Eh bien ! ne
vous avois je pas dit que vous me rom-
>>priez la jambe ? Celfe , qui a écrit contre
la Religion Chrétienne , ayant opposé
ce trait de modération aux Chrétiens, en
difant : "Votre Chrift a-t-il rien fait de
plus beau à fa mort ? » Oui , dit St Auguftin;
il s'eft tú .
"
19
Epictete comparoit la fortune à une
femme de bonne maifon qui fe proftitue
à des valets. Il ne dépend pas de nous ,
difoit- il , d'être riches , mais il dépend
de nous d'être heureux. C'est l'ambition ,
ce font nos infatiables defirs qui nous
rendent réellement miférables .
Ce philofophe a enfeigné l'immortalité
de l'ame & s'eft déclaré ouvertement
contre le fuicide que les Stoïciens
croyoient permis . On a rapporté ici la
prière que ce réformateur du Stoicifme
SEPTEMBRE. 1774. 75
A
fouhaitoit faire en mourant. Cette prière
eft tirée d'Arrien . Seigneur , ai je violé
"Vos commandemens ? Ai- je abufé des
préfens que vous m'avez faits ? Ne vous
Dai -je pas foumis mes fens , mes voeux ,
» mes opinions ? Me fuis- je jamais plaint
»de vous ? Aije acculé votre providence ?
J'ai été malade , parce que vous l'avez
"voulu ; & je l'ai voulu de même. J'ai
été pauvre , parce que vous l'avez voulu,
& j'ai été content de ma pauvreté . J'ai
»été dans la bafleffe , parce que vous l'avez
voulu ; & je n'ai jamais defiré d'en
"fortir . M'avez vous jamais vu trifte de
»>mon état ? M'avez vous furpris dans l'a-
»battement & dans le murmure ? Je fuis
"encore tout prêt à fubir tout ce qu'il vous
»plaira ordonner de moi . Le moindre
ignal de votre part eft pour moi un orndre
inviolable. Vous voulez que je forte
»de ce fpectacle'magnifique : j'en fors, &
»je vous rends de très - humbles actions
de grâces de ce que vous avez daigné
»m'y admettre , pour me faire voir tous
»vos ouvrages , & pour étaler à mes yeux
l'ordre avec lequel vous gouvernez cet
»Univers . Cette prière caractériſe un
Stoïcien fier de fa prétendue vertu ; &
cet orgueil eft bien oppofé à la modeftie
évangélique.
Dij
76
MERCURE
DE FRANCE
.
L'auteur du dictionnaire n'a pas négli
gé de raffembler , à l'article Francs , les
connoiffances qui peuvent nous intéreſſer
le plus fur l'origine , les moeurs & les
ufages de cette Nation célèbre dans l'antiquité.
temps
L'article Fard nous fait voir que l'amour
de la beauté a fait imaginer de
immémorial tous les moyens qu'on
a cru propres à en augmenter l'éclat , à en
perpétuer la durée , ou à en rétablir les
brèches ; & les femmes chez qui le goût
de plaire est très- étendu , ont cru trouver
ces moyens dans les fardemens , fi on peut
fe fervir de ce vieux terme collectif, plus
énergique que celui de fard . Tout cet article
, qui eft affez étendu , eft emprunté
du dictionnaire encyclopédique , & ce
n'eft pas le feul,
Effai philofophique fur le Corps humain ,
pour fervir de fuite à la philofophie de
la Nature :
Nunquam aliud Natura , aliudfapientia dicit,
JUVENAL , Satire xiv.
3 , 9
vol. in- 12 . Prix , 9 liv. reliés . A Paris
, chez Saillant & Nyon , libraires ,
rue St Jean- de-Beauvais ,
SEPTEMBRE. 1774. 77
L'auteur, fuivant fa méthode ordinaire ,
fait ufage des faits rapportés par les voyageurs
& des obfervatoins des naturaliftes
& des philofophes , pour éclaircir ou ap
puyer les recherches philofophiques fur
le corps humain. Il nous inftruit d'abord
des différens fyftêmes des philofophes
fur l'origine des corps animés , & termine
ce tableau des erreurs humaines
fur la génération par une hiftoire orien
tale ou la rêverie philofophique d'un défenfeur
de l'Epigenèfe ; c'eſt le nom que
l'on donne ici au fyftême de ceux qui
admettent une génération équivoque , &
ne croient pas le concours du père & de
la mère effentiel à la formation du foetus.
Plufieurs naturaliftes ont adopté l'idée de
l'Epigenèfe. Au refte , cette idée fe concilie
très- bien avec le dogme facré de la
Providence ; & fi c'eft une erreur , ce n'eſt
qu'une erreur de phyſique qui n'intérefle
en rien ni les moeurs , ni les loix , ni la
religion.
Des remarques générales fur le corps
humain commencent le fecond volume
de cet Efai philofophique. Ces remarques
nous font voir que , malgré les déclamations
de quelques fombres mifanthropes,
l'homme doit être placé à la tête
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
de l'échelle animale , & que fon corps
fuffiroit pour lui affurer cette fupériorité .
La Mettrie , qui nia audacieufement tout
ce qu'il n'entendit pas , & qui entendit
ès -peu de chofes dans les mystères de la
Nature , croyoit les animaux bien ſupérieurs
à l'homme dans l'ufage de leurs
facultés. L'origine de l'erreur de ce cé-
»lèbre Athée vient , comme l'obferve
»l'auteur de cet Effai , de ce qu'il n'a pas
»affez diftingué l'homme naturel de cet
homme que nos ufages ont civilifé ,
»amolli & dépravé ; c'eft le Sauvage ro-
» bufte qui devoit lui fervir d'objet de
"comparaiſon , & non ce Parifien petit &
»froid , qui fe glorifie de fes fens factices
» de fon entendement mutilé ; pour qui
»la Nature eft un être métaphyfique , &
»que le plaifir a tué avant qu'il ait eu le
»loifir de le connoître . » L'homme fauvage
eft , relativement à fa taille , plus léger
que les quadrupèdes : le Jéfeite du Halde
a vu les Montagnards de l'Ile Formofe
défier les chevaux les plus rapides & pren .
dre le gibier à la courfe ; ce fait n'a pas
encore été nié par les philofophes . L'hom . -
me fauvage eft le plus adroit des animaux ;
il y a des Hottentots qui à cent pas touchent
d'un coup de pierre un but qui n'a
SEPTEMBRE. 1774. 79
que trois lignes de diamètre : les anciens
habitans des Antilles perçoient de leurs
flèches les oifeaux au vol , & les poiffons
à la nage ; & il ne manque à l'homme de
la Nature que d'avoir les befoins de l'hom .
me en fociété , pour être en tout genre
plus adroit que lui . « L'homme fauvage
»eft auffi , relativement au volume de fon
"corps , le plus fort des animaux . Les
»auteurs qui ont parlé du genre humain
dans les temps qui avoifinoient fon ber-
»ceau , nous entretiennent fans ceffe des
prodiges de fa vigueur : les légiflateurs ,
par leurs inftitutions , l'énervèrent enfuite
; mais ce ne fut que par des degrés
"infenfibles . Voyez encore dans Homère
quels hommes c'étoient que les Théfée,
»les Achille & les Hercule ; defcendez au
fiècle merveilleux de la Chevalerie , &
lifez les exploits de Bayard , des Dunguefclin
& des Couci : vous vous croi-
»rez tranfporté dans une autre planète ;
»& fi vous n'êtes pas un peu philofophe,
»vous mettrez l'hiftoire de nos Paladins
avec les contes des Centaures & des
"Hyppogriphes . On voit encore , de
temps en temps , parmi ces fauvages qui
n'ont pas adopté nos loix pufillanimes &
nos moeurs efféminées , des traits de vi-
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
-
gueur phyfique fupérieurs à ceux qu'on
raconte des Hercule & des du Guefclin .
En 1746 , un Indien de Buenos Aires ,
dans un spectacle public , attaqua , armé
d'un feule corde , un taureau furieux ; le
terraffa , le brida , le monta ; & fur ce
nouveau courfier combattit deux autres
taureaux , également furieux , & les mità
mort au premier fignal qui lui fut donné.
L'auteur prend auffi parmi nous des
exemples de cette adreffe ou de cette
force extraordinaire . On raconte mille
traits de la vigueur du Maréchal de Saxe .
Un des plus étonnans eft celui qui eft ici
cité & peu connu : il prenoit une corde
pour point d'appui , enlevoit entre fes
jambes un cheval d'efcadron , & le tenoit
fufpendu jufqu'à ce qu'il l'eût étouffé.
Plufieurs autres faits rapportés dans le
cours de cet ouvrage nous prouvent fuffifamment
que fi l'homme défarmé le cède
en force aux animaux de fa taille , il ne
doit l'attribuer qu'à ſon éducation énervée
, & non à une erreur de la Nature .
Les autres avantages de l'homme phyfique
fur les êtres fenfibles , fa beauté furtout
, font ici développés. Mais où eft
dans la Nature le deffin prototype de la
beauté humaine ? Cette question fera furSEPTEMBRE
. 1774.
25
tout difficile à réfoudre , fi l'on confulte
les idées particulières que chaque Nation
a de la beauté. Il fuffit même de lire les
relations des voyageurs pour le perfuader
que la beauté qui réfulte du mélange heureux
des couleurs & celle que fait naître
la proportion des formes , ne font pas
reconnues univerfellement ; le Samoïede,
avec fon vifage large & plat , fon nez
écrafé , fes jambes courtes & fa tail'e de
quatre pieds , a des prétentions , ainsi que
le Perfan , à la beauté. Un Roi Africain
périra avant de fe larffer enlever une Négreffe
de fon férail . Les Nations s'ac
corlent plus généralement fur la beauté
qui dépend de l'expreffion & des grâces
L'expreffion eft l'ame même répandue fur
toute la perfonne , elle diminue la difformité
d'une Laponne , & multiplie les
appas d'une Géorgienne . Chez prefque
tous les hommes , l'ame brille dans les regards
. Chez ceux qui font heureufement
organifés , elle fe manifefte dans toute la
perfonne . L'auteur remarque en générall
que ce font les paffions douces qui ren-
"dent la beauté plus touchante ; comme
les paffions violentes ajoutent à la difformité.
La beauté fans expreffion ne
» cauſe qu'un inſtant de ſurprife ; la beau-
Dw
82 MERCURE DE FRANCE.
» té réunie à l'expreflion procure fans ceffe
de nouveaux points de vue à l'admiration
, & ne l'épuife jamais : Une froide
»Hollandoife n'eft guères belle que d'une
»façon ; une vive Italienne l'eft de cent
mille. L'expreffion eft le germe des grâ
-
»ces. Les grâces , cet accord heureux
»des mouvemens du corps avec ceux
»d'une ame libre ; ce charme fingulier de
»la beauté , qui nait fans qu'on s'en ap-
»perçoive & que l'oeil qui le cherche fait
»difparoître. Les grâces font données
particulièrement au fexe , & c'eft une
»fuite de cette loi admirable de la
pudeur
dont la Nature nous a fait préfent,
pour augmenter le charme de nos jouiffances.
Comme cet heureux inftinct
»oblige une femme à voiler tous les appas
; le moindre mouvement involon-
»taire qui les découvre devient une g âce
qu'apperçoit l'oeil indifférent , aufli bien
»que l'oeil embrafé d'un amant . »
"
L'auteur termine fes recherches fur la
beauté par nous faire le portrait d'un double
chef d'oeuvre de la Nature . Il a
ainfi que les Artiftes Grecs , puifé dans
les plus beaux modèles de la Nature les
différens traits qu'il donne à fa beauté idéa-
Je ou d'élection .
SEPTEMBRE. 1774. 83
"
La Nature fi fimple dans fes plans & fi
riche dans leur exécution , en produifant
les êtres , leur donne à tous la perfection
phyfique qui leur eft propre. Elle ne
„fait pas , ajoute l'auteur , des claffes &
»des espèces dont le prototype s'altè-
»re par degrés ; elle ne produit que des individus
dout chacun forme un anneau
»dans la grande chaîne des êtres . Ainfi , a
"parler philofophiquement , il n'y a
"point de dégradation qui foit l'ouvrage
» de la Nature. La Nature met dans fes
»>productions une variété pleine de ma-
»gnificence ; mais elle ne nous les mon-
»tre pas tantôt parfaites & tantôt al-
» térées ; parce qu'on ne peut la foupçonner
de caprice ou de foibleffe , comme
l'entendement de l'homme & fes ouvra
»ges. Dans ce fens , il eft auffi abfurde de
» dire qu'une Hottentote eft une Géorgien-
» ne dégénérée , que de mettre un cra-
"paud dans la claffe des ferins & des ci-
"feaux du Paradis. Cependant comme it
»feroit impoffible de peindre à l'efprit
»>la multitude immenfe d'êtres ifolés qui
"compofent l'Univers , on eft forcé d'ad-
»mettre une méthode qui le défigure , &
" de créer une échelle qui n'eft point celle
de la Nature. » C'eft dans ce fens que
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
l'auteur parcourt l'échelle graduée des différences
qui font entre les hommes ,foir
par rapport à la couleur , foit par rapport
aux traits. Tout cet article eft curieux &
intére fant.
La dégradation humaine qui eft notre
ouvrage , fixe auffi les regards de notre
écrivain philofophe. Il ne s'agit pas ici
de quelques ufages bizarres & obfcurs
adoptés au fond de l'Afrique ou du Nouveau
Monde par des Sauvages ; l'écrivain
s'élève contre cette confpiration
prefque générale de toutes les Nations pour
fubftituer au beau primitif le beau de
convention qui le défigure , & pour mu
tiler le corps humain , fous prétexte de
l'embellir.
Les philofophes , comme l'obferve
l'écrivain , qui ont fait la Mode fille du
Luxe , fe font trompés fur la généalogie ;
dès que les hommes ont été raflemblés en
fociété , ils ont , fans ceffer d'être pauvres
, fubi la tyrannie de la Mode : ce
fléaua régné chez les Scythes avant Ana
charfis , comme à Rome après la ruine
de Carthage ; il domine aujourd'hui dans.
les deux. Mondes depuis Paris jufqu'au
Kamfatka , & de Pekin à la baye d'Hud
fon. Les peuples qui vont nuds fe peignent
SEPTEMBRE. 1774 85
le corps , y definent des fleurs , y brodent
des animaux & des hiéroglyphes.
Parmi nous , on fe contente de verniffer
fon vifage , & de porter des habits mefquins
& des paniers ridicules : en général ,
chez les Sauvages , la mode eft fur les
corps ; & chez les peuples policés , elle
eft fur les habits. La vanité eft le reffort
qui monte la machine des modes : c'eft
la vanité qui perfuade aux femmes de captiver
leurs pieds dans une chauffure étroite
, de donner de la circonférence à un
panier , & de faire de leur tête un édifice
plufieurs étages : il n'y en a aucune qui
ne veuille avoir le pied fin , la taille
fvelte , & le corps plus grand qu'elle ne
l'a reçu de la Nature. La vanité eſt prefque
toujours inféparable du mauvais goût:
auffi l'habillement de l'Européen , après
avoir fubi mille révolutions , eft encore
aujourd'hui le plus bizarre & le plus mefquin
des deux Mondes ; on ne voit pas
que le feul habit qui convienne à l'homme
eft celui qui deffine parfaitement les contours
& les formes heureufes de fa taille ;
on veut à toute force reformer la belle
Atructure de notre corps , & croire que
fur ce fujet les tailleurs de Paris en favent
plus qquuee la Nature. Lorfqu'on parcourt
avec l'auteur de cet effai. les différentes
ទ ៩ ” MERCURE DE FRANCE.
parures enfantées par la mode & les ufages
bizarres & fouvent cruels qu'elle a
faggérés , on eft un peu tenté de prendre
de l'humeur contre l'efpèce humaine . Les
faits rapportés dans cet ouvrage nous font
affez connoître qu'il n'y a point de parties
du corps humain fur lefquelles les
peuples n'aient laiffé des traces de leur ftupidité
barbare. Mais fi jamais l'homme a
attenté contre lui- même , c'eft lorfqu'il a
dit à la Nature : « Je m'oppofe àton pou-
»voir générateur ; tes ouvrages font à
moi , puifque je les mutile ; & j'ai acquis
»un droit terrible fur ma race , puifque
»je puis l'anéantic . L'auteur, après avoir
expofé les infultes faites à la Nature dans
les organes générateurs , nous entretient
du dernier crime que l'homme puiTe
commettre for lui - même , le fuicide ;
crime que l'on peut regarder comme un
attentat contre la Nature & un larcin fait
à la fociété. Un des grands principes qui
doit armer la fociété contre le fuicide ,
c'est que , dès que la vie n'eft rien à un
homme , il eft le maître de celle des autres
; ainfi il n'y a qu'un pas de l'envie de
mourir au crime de tuer .

Il fera fans doute intéreffant pour le
lecteur , après avoir fuivi l'auteur dans
l'expofition qu'il nous fait de tout ce qui
SEPTEMBRE. 1774. 87
peut dégrader l'el pèce humaine , de s'arêter
un moment fur le fpectacle que peut
offrir la vigueur d'un homme qui n'a reçu
que l'éducation de la Nature ; dont les
organes ont acquis tout leur développement
; qui ne connoît que des alimens
fains & des plaifirs légitimes ; & qui par
fon genre de vie fe dérobe , foit aux atteintes
de la maladie , foit au fléau des
médecins. La médecine eft ici définie l'art
Je conjecturer . Auffi dans l'échelle des
connoiffances humaines l'auteur lange til
cet art avec celui de déchiffrer des hiéroglyphes
& de compofer des almanachs .
Ceci eft le commencement d'une diatribe
très forte contre l'art des médecins . Mais
cette diatribe n'empêchera vraisemblable.
ment pas que cet art ne continue d'être
à la mode parmi nous . En regardant d'ail
leurs avec les antagonistes de la méde
cine l'état de maladie comme un licu rempli
de ténèbres , ne doit- on pas , plutôt
que de s'y hafarder tout feul , préférer de
s'y laiffer conduire par un aveugle qui a
T'habitude d'aller à tâtons & de régler fa
marche avec fon bâton ? Il feroit cependant
à fouhaiter que cet aveugle fût lage
& prudent & ne reffemblât pas à celui
dont parle cet apologue . La Nature eft
aux prifes avec la maladie ; un aveu$
8 MERCURE DE FRANCE.
»gle ( c'eſt le médecin ) arrive armé d'un
bâcon pour les mettre d'accord ; il lève
»fon arme fans favoir où il frappe ; s'il
"attrape la maladie , il la détruit ; s'il
tombe fur la Niture , il la tue . »
Dfférentes queftions philofophiques
relatives à la phyfique & à l'hiftoire naturelle
répandues dans ces effais , contribueront
encore à les faire goûter des
lecteurs qui aiment à trouver dans un ouvrage
plus que fon titre ne femble promettre
d'abord . Plufieurs de ces queſtions
pourroient être plus développées ; elles
fuffiront néanmoins à ces efprits penfeurs
qui , dans un chapitre fait , voient tous
ceux qui restent à faire.
L'ouvrage entier eft précédé d'un difcours
où l'auteur jette quelques idées
dont l'objet eft d'indiquer clairement le
le but moral & philofophique de fes recherches
fur le corps humain. Il emprunte
des anciens légiflateurs ce principe Four
établir la morale de l'homme en fociété ::
Nos fens nous inftruifent de nos be-
"foins, & nos befoins de ce qui eft jufte . »
De là il fuit que pour former l'homme de
la Nature , il faut perfectionner les organes
& l'éclairer fur fes befoins . Il ne s'agit
pas de changer la ftructure organi
de nos fens , mais de les élever au que
SEPTEMBRE. 1774. 89
dernier degré d'énergie dont il font fufceptibles.
Quand ils font arrivés à ce période
, c'eſt à la morale à diriger leur activité.
A l'égard de l'art d'éclairer l'homme
fur fes befoins , cet art n'eft point auffi
aifé que le vulgaire des penfeurs fe l'imagine
; parce que l'homme en fociété
s'eft donné une foule de befoins factices
qui tiennent moins à fa conftitution qu'à
fa dépravation ; il faut donc remonter à
fon berceau , examiner avec foin le jeu
de fes organes , & diftinguer les fecours que
demande la Nature pour perfectionner la
machine , des jouillances ftériles que l'i.
magination follicite .
Če difcours préliminaire peut être auffi
regardé comme une profeffion de foi de
l'auteur ; il renferme les fentimens d'un
citoyen honnête , fenfible , & qui parle
toujours avec enthoufiafme de la Divinité
& de notre immortalité , les deux grandes
bafes de la morale .
Oraifon funèbre de très haut , très-puiffant
, très-excellent Prince Louis XV,
Roi de France & de Navarre , prononcée
le 10 Juin 1774 , dans l'Eglife
abbatiale & paroiffiale de St Martin
d'Epernay , par M. de Gery , Chanoine
Regulier , Vifiteur de la Congrégation
98 MERCURE DE FRANCE.
de France , Prieur & Curé d'Epernay ;
in-4°.A Paris , de l'imprimerie de Ph.
D. Pierres , rue St Jacques.
Ce difcours eft le premier tribut de
louanges donné en chaire à la mémoire
de Louis XV . L'orateur a pris pour texte
ces paroles de l'Ecriture qui terminent l'éloge
que l'Efprit faintfait de David: Dominus
purgavit peccata illius , & exaltavit in
æternum cornu ejus , & dedit illi teftamenium
regni & fedem gloria in Ifraël ; poft
ipfum furrexit filius fenfatus. Le Seigneur
l'a purifié de fes péchés ; il a élevé fa
puiffance , & l'a fait régner avec gloire
fur Ifraël ; & il lui a donné pour fucceffeur
un de fes enfans plein de fagelle.
Eccl 47.
L'orateur a raffemblé , dans la première
partie de fon difcours , les principaux faits
qui ont illuftré le règne de Louis XV . II
examine dans la feconde les juftes motifs
que nous avons pour efpérer que le Roi
des Rois a ufé envers ce Prince de fa plus
grande miféricorde. La vérité de l'hiftoire
& la févérité de l'Evangile ont également
préfidé à ce difcours.
Hifloire de France , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au règne de
SEPTEMBRE. 1774. 21
Louis XIV , par M. Garnier , hiftoriographe
du Roi , & de Monfeigneur
le Comte de Provence pour le Maine
& l'Anjou ,' inſpecteur & profeffeur du
College- Royal , de l'Académie des
belles lettres ; Tome vingt- troisième &
tome vingt - quatrième . Prix , 3 liv .
chaque vol. relié . A Paris , chez Saillant
& Nyon , rue St Jean-de Beauvais ,
& Ve Defaint, rue du Foin St Jacques.
Ces nouveaux volumes contiennent le
commencement de l'hiftoire de François
I , furnommé le Père des lettres. Cette
hiftoire eft ici continuée jufqu'à l'année
1535. L'hiftorien paroît n'avoir négligé
aucune recherche ; nous en rendrons
compte lorfque les volumes fuivans , qui
doivent terminer cette hiftoire intéreffante
, auront été publiés .
Syllabaire des Pauvres , pour apprendre à
lire aux enfans , fans qu'ils y penfent ;
par M. le Baron de Bouis , auteur du
Parterre géographique & hiftorique , &
du Solitaire géométrique ; broch . in- 8 °.
A Paris , chez l'auteur , quai de Bourbon
, île St Louis , proche la rue de la
bonne Femme fans tête ; & chez de la
Guette , imprimeur libraire , rue de la
Vieille- Draperie.
92 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui ont lu la méthode pour apprendre
à lire aux enfans , publiée précédemment
par l'auteur , l'ont trouvée facile
, ingénieufe , récréative , très - propre
par conféquent à fixer la légèreté de l'enfance
. Mais plufieurs ont infinué qu'elle
étoit difpendieufe. On leur fait voir ici
que ce n'eft pas la méthode en elle même
qui eft coûteufe : ce font les jouers, dont
on fe fert pour familiarifer les enfans
avec les objets de leur inftruction , qui
occafionnent de la dépenfe. Mais ces
jouets peuvent être fimplifiés ou exécutés
à très- peu de frais , & même fans aucune
dépenfe. Les jouets des pauvres font des
coquilles de noix , fleurs , petits bâtons ,
moulins- à - vent , & c. dont on peut voir
des modèles dans le bureau de l'auteur.
Jouer avec l'enfant & éloigner de lui tout
ce qui peut rendre l'inſtruction sèche &
rebutante , c'eſt le grand principe de l'auteur
; c'est celui qui lui a fait dicter fes
premières méthodes & ce nouveau Syllabaire
des Pauvres .
Mémoires fecrets , tirés des archives des
Souverains de l'Europe , contenant le.
règne de Louis XIII ; ouvrage traduit
de l'Italien ; 2 parties in 2. Prix , 3
liv . brochées. A Paris , chez Saillant &
I
SEPTEMBRE. 1774. 93
Nyon , libraires , rue St Jean- de Beauvais.
Ceux qui s'adonnent à l'étude de l'hiftoire
trouveront dans ces mémoires des
détails qui éclairciffent , confirment &
donnent un nouveau degré d'intérêt aux
principaux faits du règne de Louis XIII .
La deuxième partie de ces Mémoires eſt
terminée par le procès qui s'éleva entre
l'Univerfité de Paris & les Jéfuites , proçès
qui , par les circonftances qui font ici
rapportées , devient un des morceaux les
plus intéreffans de ces Mémoires.
Ces deux volumes que nous venons
d'annoncer fervent de fuite aux XIV volumes
des Mémoiresfecrets, tirés des archi
ves des Souverains de l'Europe , fous le
règne de Henri IV, Ces XIV volumes ,
dont il refte peu d'exemplaires complets,
fe trouvent chez les mêmes libraires cideffus
nommés,
.

La Théorie du Jardinage par M. l'Abbé
Roger Schabol ; ouvrage rédigé après
fa mort fur fes mémoires , par M.
D *** ; nouvelle édition , revue , corrigée
, augmentée & ornée de figures
en taille- douce ; 1 vol. in -12 . A Paris,
chez les Frères Debure , libraires , quai
des Auguftins.
94 MERCURE DE FRANCE.
Tout le monde fait les talens fupérieurs
qu'avoit M. l'Abbé Roger Schabol pour
le jardinage . Il réunifloit dans cet art la
théorie à la pratique ; en effet , il n'eſt
guères poffible de s'y perfectionner fans
joindre l'un à l'autre ; la théorie fans la
pratique eft fuperficielle , incertaine &
fautive elle ne fait que des préfomptueux
qui s'égarent dans leurs vaines penfées.
La pratique deftituée de la théorie
n'eft qu'une routine aveugle & un inſtinct
machinal : aufli n'a t elle enfanté juſqu'à
préfent que des ouvriers ineptes , plus propres
à détruire les opérations de la Nature
qu'à les feconder. La théorie & la pratique
ont donc befoin l'une de l'autre , &
leur fuccès dépend de leur bonne intelligence
. M. l'Abbé Roger en étoit plus perfuadé
que perfonne ; on en peut juger par
les écrits qu'il a laiffés . Il inftruit d'abord
en phyficien. Il fait connoître aux jardiniers
les organes des plantes & la transfi
guration de leurs rameaux , pour pouvoir
par là les déterminer à faire choix des uns
préférablement aux autres. Lorfque , par
exemple , notre auteur prefcrit de confer
ver les gourmands , & en cela il est bien
différent de la plupart de nos jardiniers ,
de les tailler fort longs & de fonder fur
eux la diftribution des arbres , & fur- tout
SEPTEMBRE. 1774 95
du pêcher , il a foin d'établir auparavant
la différence de la fève qui coule dans les
gourmands d'avec celle qui paffe dans les
branches d'un autre arbre. Il eſt d'ufage
chez les jardiniers de fupprimer aux melons
, concombres & autres cucurbitacées ,
les fleurs mâles , improprement appelées
fauffes fleurs , & les lobes qu'ils nomment
oreilles ; un pareil procédé ne peut
provenir que de l'ignorance où font les
jardiniers au fujet des fonctions de ces
parties. Les fauffes fleurs renferment la
première femence , & font par conféquent
effentielles à la propagation de l'efpèce
; elles fécondent l'ambrion du fruit ;
dès qu'elles ont rempli leur miniſtère ,
elles tombent d'elles - mêmes. Quant aux
lobes , ils fervent de mamelle à la plante
pour l'alaiter dans fon enfance ; les
exemples que nous ne faifons qu'indiquer
, reçoivent un nouveau jour dans les
différens traités que renferme l'ouvrage
que nous annonçons . On y confidère d'abord
les parties qui compofent la terre ;
on y examine l'utilité des animaux citoyens
de fon intérieur ; la manière dont
its s'y nourriffent & s'y multiplient , & on
jetre un coup-d'ail fur la fuperficie de la
terre. On paffe delà à un nouvel examen ,
96 MERCURE
DE FRANCE
.
à celui de l'air ; on le définit ; on tâche
d'en développer la Nature , les propriétés .
& les effets. On confidère enfuite les
vents , leurs effets par rapport à la végétation
, leur action & leur direction ; & ,
après avoir fait voir que les graines des
plantes adventines font rapportées par
vents , on examine fi on peut affurer que
les mauvaiſes herbes n'effémineront point
la terre.
les.
Il étoit fpécialement néceffaire de confidérer
en eux - mêmes les organes des
plantes pour connoître leurs ufages , auffi
l'auteur entre- t-il dans ces détails . Il commence
d'abord par la comparaifon de ces
fubftances avec les fubftances animales ,
& par une expofition anatomique de leurs
racines , de leur tige & de leurs branches.
Il traite enfuite des boutons à bois qui
renferment les ambrions des branches &
des feuilles. Lorfqu'ils s'ouvrent au printemps
, on apperçoit les feuilles , dont
notre auteur examine pareillement les
fonctions , leur chûte & leur verdure perpétuelle
dans certains végétaux . Il finit
par l'anatomie des fleurs & des fruits . Les
femences ou graines offrent enfuite quantité
de phénomènes curieux , tels que la
néceflité des vermines & des reptiles pour
leur
SEPTEMBRE. 1774. 97
leur formation ,&le concoursdesdeux fexes
pour la production des femences fécondes.
L'auteur s'occupe particulièrement
de leur confervation relativement au jardinage
; il traite auffi des parties des épines
& des vrilles avec lefquelles les plantes
farmenteufes s'attachent aux corps
folides qui font à leur portée.
Le traité de la fève termine le volume
dont nous donnons ici l'extrait . L'auteur
examine fa nature , & fi les plantes de
différentes eſpèces fe nourriffent d'un
même fuc qu'elles tirent de la terre . Il eſt
certain que la fève a un mouvement dans
l'incérieur des plantes ; mais quelles font
les caufes qui les déterminent ? C'eft cette
difcuffion qui fait le principal objet de ce
traité. Nous ne nous étendrons pas davantage
au fujet de cet ouvrage. Il faut
lire dans le texte même les principes qui
y font établis. Ils font tirés pour la plupart
des écrits de Linnæus & du traité
phyfique des arbres. Le rédacteur de ce
volume a profité de ces deux ouvrages
pour rendre plus intelligible & plus au
goût des naturaliftes modernes la théorie
du jardinage , éparfe çà & là dans les papiers
de M. l'Abbé Roger ; & fi le jardi
nage eft redevable à M. l'Abbé Schabol, il
E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
ne l'eft pas moins au rédacteur , qui a fu
rendre fi clairement les penfées de fon
auteur,
La Pratique du Jardinage, par M. l'Abbé
Roger Schabol ; ouvrage rédigé après
fa mort fur les mémoires , par M.
D ***; nouvelle édition , revue , corrigée
, augmentée & ornée de figures
en taille - douce ; 2 vol . in 12. A Paris
, chez les Frères Debure , libraires,
quai des Auguftins .
Cet ouvrage n'eft pas moins précieux que
la Théorie du Jardinage par le même auteur.
La rapidité avec laquelle la premièrę
édition a été enlevée en prouve fuffifamment
l'utilité. Dans le premier volume
l'auteur traite d'abord du jardinage en général
, de fon établiſſement & de fes progrès
. Il examine enfuite la profeffion du
jardinier du côté de les fonctions , en faifant
l'expofé de quelques- uns de fes exercices
les plus pénibles , & il remonte à
l'origine des diverfis pratiques de cet
art , dont il rapporte les principales . Dans
le difcours fur Montreuil , qui fuit immédiatement
les généralités fur le jardinage
, l'auteur prouve que le produit immenfe
des terres de ce village, loin d'être
SEPTEMBRE. 1774 99
dû à leur bonté , n'eft que l'effet de l'induftrie
de fes habitans . Il dit comment le
goût de cultiver le pêcher eft né parmi
eux , & il a recueilli à ce fujet quelques
anecdotes curieufes.
Le traité ſuivant a pour objet le pêcher
& les autres arbres confidérés dans l'enfance
, la jeuneffe , l'âge formé & la vieillefle
; ce qui en fait quatre parties , dans
lefquelles il fe partage tout naturellement.
Dans la première , l'auteur détaille
les différentes façons de les greffer ; il
paffe de- là à la plantation , & il prefcrit ce
qui doit être fait devant , pendant &
après.
La feconde partie concerne les treillalages
, les différens abris du pêcher , la
façon de le former , les divers ordres de
fes branches & leur diftribution proportionnelle
, d'où naît un équilibre & une
forte d'égalité entre elles . Cette partie renferme
des règles pour conduire le pêcher
durant les premières années , afin d'en tirer
tous les avantages poffibles.
Le fujet de la troifième partie eft le
plus intéreffant. La taille , le temps de la
faire , la manière de convertir les gourmands
en branches fructueufes , & divers
expédiens pour former les arbres & les
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
mettre à fruit , y paflent fucceffivement
fous les yeux du lecteur . L'ébourgeonnement
& le paliffage terminent cette troifième
partie ; l'auteur en donne les règles ,
& entre à cet égard dans le plus grand
détail.
La quatrième partie a pour objet le
gouvernement des arbres âgés. L'auteur
s'applique à examiner leurs défauts de
conformation extérieurs , & les internes
qui dépendent des organes ou inftrumens
de la végétation. Il fait enfuite l'expofé
des maladies du pêcher & de celles qui
lui font communes avec les autres arbres ,
& il propofe pour leur guérifon des remèdes
heureufement éprouvés .
Au commencement du fecond volume
l'auteur donne des armes pour défendre
les arbres contre les ennemis nombreux
qui les attaquent , & des pratiques
pour cueillir les fruits , les transporter &
les conferver. Cette quatrième partie eft
terminée par l'énumération des meilleures
espèces d'arbres fruitiers , les feules
qui méritent d'être cultivées dans les jardins.
Le but du traité qui fuit dans le troifième
volume , eft d'établir une analogie
entre les plaies des végétaux & celles des
SEPTEMBRE. 1774. 101
animaux . Ce traité a été foumis à l'examen
de l'Académie royale de Chirurgie :
voici le rapport qui en a été fait à cette
Compagnie , le 19 Mai 1763 ; nous ne
le rapportons ici que pour mieux faire
connoître ce traité.
་"
M. Bordenave , qui avoit été nommé
»commiffaire par l'Académie pour exa-
»miner un ouvrage de M. l'Abbé Roger
»Schabol , intitulé : Suite de la Taille des
» Arbres ; Traité des plaies des Arbres....
»>& ayant fait fon rapport , l'Académie a
jugé que fon ouvrage étoit rempli de
»connoiffances relatives à la pratique de
» la Chirurgie , & qui font voir que la
fcience & la pratique du jardinage ont
beaucoup d'analogie avec elle ; qu'il eſt
fondé fur nne doctrine éclairée par l'ex-
» périence , & qu'en tout il mérite d'être
"accueilli. »
99
Le troisième volume traite auffi de l'orangerie
, des choux- fleurs , des cardons
d'Espagne , des melons , des couches -àchampignons
, des fraifiers , de la vigne
& de la multiplication univerfelle des
végétaux. Il est terminé par un tableau
des différens travaux qui doivent occuper
les jardiniers dans chaque mois de l'année
; tableau. que le rédacteur des ouvra
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ges pofthumes de M. Roger Schabol a
compofé pour remplir les voeux de plufieurs
amateurs du jardinage. On peut
dire qu'en général ce traité eft le plus
complet que nous ayions du jardinage.
On a orné cette édition de plufieurs
planches nouvelles , dont les ſujets , ne
font pas moins utiles pour l'intelligence
de la théorie que de la pratique du jardinage.
Hiftoire naturelle & raifonnée des différens
Oifeaux qui habitent le globe , contenant
leurs noms en différentes langues
de l'Europe ; leurs defcriptions , les
couleurs de leurs plumages , leurs dimenfions
, le temps de leurs pontes ,
la ftructure de leurs nids , la groffeur
de leurs oeufs , leur caractère , & enfin
tous les ufages pour lefquels on peut
les employer , tant pour la médecine
que pour l'économie domestique ; traduite
du latin de Jonfton , confidérablement
augmentée & mife à la portée
de tout le monde ; in fol. gr . papier.
A Paris , chez Defnos , i génieur - géographe
& libraire , rue St Jacques , au
Globe.
Tous les amateurs de l'Hiftoire natuSEPTEMBRE.
1774. 103
relle connoiffent le traité de Jonfton fur
les oifeaux ; mais la plupart penfent qu'il
n'eft pas poffible de retirer de la lecture
de cet ouvrage toute l'utilité à laquelle
on pourroit s'attendre . On y eft ſouvent
embarraffé fur le nom d'une espèce particulière
d'oiſeaux , par rapport aux différens
noms que les ornithologiſtes ont
donnés au même individu . En effet , plufieurs
auteurs modernes , qui jouiffent
même d'une réputation brillante par rapport
à leurs connoiffances dans l'Hiftoire
naturelle , placent quelquefois la même
efpèce d'oifeaux dans des genres tout àfait
différens ; trompés fans doute par la
multiplicité des noms fous lefquels ils la
trouvent décrite , tandis que d'autres fois
de deux espèces qui n'ont aucune reffemblance
entre elles , ils n'en font qu'une
feule. Jonfton lui - même est fouvent indécis
fur le nom qui convient à l'efpèce
qu'il décrit , parce que les auteurs qui lui
fervent de guides ne font pas d'accord entre
eux dans la Nomenclature. On a cru
fervir utilement le Public en lui offrant
les planches de Jonfton , avec des explications
dans lefquelles on donne feulement
le nom latin ou la phrafe latine ,
par laquelle cet auteur a défigné chaque
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
efpèce , & le nom françois que les plus
habiles ornithologiftes font convenus de
lui donner. On a préféré les noms françois
de M. Briffon , parce que ce favant Académicien
a eu des reffources pour perfectionner
cette partie de l'Hiftoire naturelle,
qui avoient manqué à la plupart de ceux
qui , avant lui , avoient couru cette pénible
carrière. On a donné la defcription
de chaque efpèce avec tout le détail néceffaire
, pour que chacun puiffe non- feulement
reconnoître l'individu que l'on
décrit , mais encore pour pouvoir l'enluminer
fur la gravure. Quoique pour la
commodité du Public l'auteur fe foit reftreint
à faire entrer dans une page la defcription
de toutes les efpèces contenues
dans la planche qui fe trouve vis-à- vis , il
paroît avoir traité cette partie avec une
exactitude fcrupuleufe. Le plus fouvent
il a pris M. Briffon pour guide , parce que
cet Académicien a eu l'avantage d'avoir
prefque toujours la Nature pour modèle
. Ray , Linnæus ont été auffi confultés
, foit fur la deſcription , ſoit fur les
moeurs des oifeaux. Les meilleurs traités
de matière médicale ont appris les ufages
qu'on pouvoit tirer de ces animaux ; enfin
il nous femble qu'on n'a rien négligé
SEPTEMBRE. 1774. 105
pour rendre cet ouvrage utile , agréable
& intéreffant. Il eft principalement deftiné
à ceux qui font poffeffeurs de l'Hiftoire
naturelle de Jonſton , & qui , par les raifons
que nous avons rapportées , ne peuvent
en faire l'ufage qu'ils fouhaiteroient .
Les curieux , amateurs , agriculteurs , les
chaffeurs , & fur tout les peintres , y trou
veront des connoiffances qu'ils ne pourroient
fe procurer qu'en achetant à grands
frais des traités complets , ou des méthodes
contenues en plufieurs volumes , pref
que tous écrits dans un langage qui ne
s'entend plus que dans les collèges & les
académies . L'auteur s'étoit d'abord propofé
de donner la traduction fimple avec
des notes critiques ; mais comme ç'auroit
été doubler le volume & par conféquent
le prix fans procurer un avantage proportionné
, l'auteur a mieux aimé donner
fimplement le nom latin avec le françois
qui y correfpond , & le nom ufité chez la
plupart des Nations de l'Europe. Une fimple,
mais exacte defcription , dans laquelle
il a fait connoître toutes les principales
dimenfions des différentes parties de l'animal
, fes différentes couleurs ; le pays
où il fe trouve le plus communément ,
le temps de la ponte , le nombre & la
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
couleur des oeufs ; la manière dont le nid
eft conftruit ; la nourriture ordinaire , les
moeurs , & enfin les ufages économiques
qui peuvent en réfulter : tel eft le plan de
cet ouvrage , qui eft moins une traduction
de Jonfton qu'une Hiftoire naturelle des
Oifeaux .
* Oraifon funèbre de Louis XV , Roi de
France & de Navarre , furnommé le
Bien - Aimé ; prononcée dans la chapelle
du Louvre le 30 Juillet 1774 , en
préfence de Meffieurs de l'Académie
Françaife , par M. l'Abbé de Boifmont,
prédicateur ordinaire du Roi , l'un des
Quarante de l'Académie. A Paris, chez
Demonville , imprimeur libraire de
l'Académie Françaife , rue St Severin,
aux armes de Dombes .
-
Il était jufte que , parmi les orateurs
chargés de célébrer la mémoire de Louis
XV , on diftinguât fur- tout celui de l'Académie
Françaiſe . Le choix que cette illuftre
Compagnie a fait de M. l'Abbé de
Boifmont était dicté par la voix publique ,
& a rappelé d'abord l'Oraifon funèbre de
Les quatre articles fuivans font de M. de
La Harpe.
SEPTEMBRE . 1774. 107
la Reine , époufe de Louis XV , & celle
du Dauphin leur fils , prononcées toutes
deux par le même orateur avec un égal
fuccès . Ce genre d'éloquence , qui a im
mortalifé Boffuet , demande à - la fois un
génie très élevé & un efprit très- adroit .
Qu'elle doit être impofante & majestueufe
, la voix qui s'élève entre la tombe des
Rois & l'autel du Dieu qui les juge ; la
voix qui doit le faire, entendre au moment
où l'on n'entend plus celle de la
flatterie , & qui doit être le premier jugement
de la postérité ! Mais d'un autre
côté, quel art ne faut il pas pour concilier
l'austérité d'un fi faint miniſtère avec les
ménagemens indifpenfables qu'impofent
ces ombres royales encore vénérables fous
l'appareil de la mort ! Tant il femble de la
deftinée des Princes d'intimider la vérité,&
fir le trône & dans le tombeau!
Si quelqu'un ,depuis Boffuet , qui dans ce
genre offre un objet de comparaifon firedoutable
à tout écrivain , alparu fait pour
s'élever naturellement à cette hauteur d'idées
& de ftyle qui doit caractérifer l'oraifon
funèbre , c'eft fans doute M. l'Abbé de
Boifmont . On remarque enlui ce qu'Horace
demande au poëte , & ce qui doit fe trou
ver auffi dans l'orateur : os magna fona
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
turum . Son difcours a produit les impref.
fions les plus fortes fur l'affemblée choifie
qui l'écoutait , & ces impreffions ne paraiffent
pas s'être affaiblies à la lecture .
L'exorde annonce d'abord toute la dignité
& tout l'intérêt du fujet. Il eft fondé fur
ce texte : Spiritu magno vidit ultima , &
confolatus eft lugentes in Sion ufque in
fempiternum. Il a vu les derniers momens
avec courage , & il a confolé pour l'érernité
ceux qui pleuraient dans Sion . Eccl.
ch. XLVIII , v. 37 .
« Voilà donc tout ce que la mort nous
» laiffe de la vie d'un grand Roi , un der-
»nier moment foutenu avec conftance &
»des confolations qui , pour être folides,
wont befoin de franchir les bornes du
»temps & de s'appuyer fur l'éternité ! La
»mort a dévoré tout , gloire , dignité
»puiffance , cinquante - neuf ans de règne ;'
stout eft englouti dans cette nuit profonde
où l'oeil d'un Dieu pénètre ſeul .
Nous multiplions en vain ces tristes
>>honneurs ; il ne reſte en effet fur l'abyf
» me que ce dernier moment qui a réparé
»ou confacré tous les autres : Spiritu ma-
»gno vidit ultima, & confolatus eft lugentes
win Sion ufque in fempiternum. Hélas !
que de fujets d'attendriffement dans
SEPTEMBRE. 1774. 109
»une feule mort ! Le Prince le plus chéri
» enlevé fubitement à notre amour ; le
filence & la nuit couvrant de tous leurs
»voiles fon cercueil dérobé à nos regrets ;
»fes triftes reftes précipités dans la pouffière
des Rois & ravis à nos derniers
hommages , nulle pompe , nul honneur
"pour fa cendre; l'épouvante & l'horreur
femées au tour du trône abandonné ; la
Famille Royale errante , difperfée , frap-
»pée jufques dans les afyles de la douleur
; tout un peuple confterné , gémiffant
fur ce qu'il perd , tremblant pour
»ce qui lui refte , croyant voir l'ombre de
»fon Roi s'attacher à fes pas , & multi-
»plier dans fon fein le germe d'un poifon
»>deftructeur ; que de circonftances dé-
»plorables ! & je peins la mort de Louis
»le Bien - Aimé ! J'abuferais des reffources
»de l'art, fi j'empruntais de ces mêmes cir-
»conftances les mouvemens & les images
»qui attendriffent & qui touchent . Elles
>>me font inutiles. Français , vous vous
wêtes voués à la douleur , vous avez pré-
»venu , achevé fon éloge par le titre fa-
» cré qu'il emporte avec lui dans le tombeau
; vos larmes ne font plus libres.
»Serait- il néceffaire de vous le juftifier, ce
titre , le feul que l'autorité ne peut ufur
per ? Reportez vos regards fur fon ber110
MERCURE DE FRANCE.
»ceau ; parcourez avec moi cette chaîne
» d'événemens qui diftinguent fon règne ;
"confidérez cette enfance fi intéreffante ,
»faible , fe foutenant à peine au milieu
» des ruines dont elle était inveſtie ; cette
»jeuneffe facile & fenfible qui , comme
»les rayons d'un jour doux , répandait la
»férénité fur toute la France ; ce repos de
»toutes les parties de l'Etat , cette action.
»paifible de l'autorité , ces victoires , ces
triomphes multipliés ; & depuis , par
une de ces grandes misères attachées à
»la fortune des Rois , voyez ce même
"Etat humilié par des défaites , déchiré par
"les factions ; cette Nation fi douce em-
»portée loin de fon caractère ; par - tout
un chagrin fuperbe , une inquiétude au-
» dacieufe , la Religion agitée jufques
»dans fes fanctuaires , la majeſté des loix
foulevée contre la majefté du Trône ; &,
» au milieu de ces tempêtes , Louis n'é-
>>coutant jamais cet orgueil qui s'aigrit
»par le malheur ou s'irrite par la contra-
»diction ; cédant en Roi à la néceffité de
»la paix avec les ennemis , abaillant en
spère tendre la hauteur de fon fceptre
»avec les fujets , oubliant toujours le glaive
du pouvoir pour épuifer tous les
»ménagemens de la bonté , & imprimant
à toute fa vie le noble & touchant ca
SEPTEMBRE. 1774. IH
»ractère de la modération & de la dou-
>>ceur : voilà le Roi que vous avez perdu . »
La divifion de l'orateur eft heureufe .
En s'abandonnant à fes principes & à fes
>>lumières , Louis pouvait être le plus
grand des Rois ; vous le verrez digne de
»vos refpects : en fe livrant à fon coeur ,
il fut le meilleur des hommes ; je vous
le montrerai digne de vos regrets. » t
Il peine dans la première partie l'état
où était la France au moment oùLouis XV
appela le Cardinal de Fleury au Miniftère
, & le changement prompt qui fut
l'ouvrage heureux de ce Miniftre & da
Prince qui l'employa. « A cette époque ,
»Meffieurs , on vit fur la terre un peuple
>>tout à la fois heureux & refpecté ; & ce
»peuple était celui que Louis XIV avait
»comme enfeveli dans fes triomphes ,
»peuple détesté de l'Europe conjurée ,
déshonoré à Hochftet , humilié à Gertrudemberg
, conftetné, fuyant des rives
»du Rhin jusqu'à celles de l'Efcaut , raf
»furé à peine à Dénain par l'heureux génie
de Villars , traînant après la paix
d'Utrecht les débris d'une puiffance que
»l'envie ne daignait plus remarquer; fans
»commerce , fans vaiffeaux , fans crédit.
»Un homme eſt choisi pour
ranimer ce
»peuple abattu. Louis dit au Cardinal de
112 MERCURE DE FRANCE.
>>Fleury , comme autrefois le Seigneur
Dieu au prophète Ezéchiel : Infuffla ju .
per interfectos iftos , ut revivifcant. Soufflez
»fur ces morts, afin qu'ils revivent. Tout àcoup
un esprit de vie coule dans ces
noffemets arides & defféchés ; un mouve-
>>ment doux & puiffant fe communique
mà tous les membres de ce grand corps
»épuifé ; toutes les parties de l'Etat fe
rapprochent & fe balancent ; Et accef.
ferunt offa ad offa unumquodque adjune-
»turamfuam. »
Des citations pareilles font des traits
d'imagination , & c'est un des fecrets de
l'éloquence de la chaire.
M. l'Abbé de Boifmont imite avec
beaucoup d'art ce beau mouvement de
Boffuet qui commence l'Oraifon funèbre
de Madame Henriette : J'étais donc en
core deftiné , &c. Il rappelle le mariage du
Roi & la naiffance du Dauphin . « L'hum-
»ble folitude de Veitfembourg donne
»une Reine à la France. Je ne vous pein-
"drai point les tranfports de la Nation à
»la naiffance d'un Prince , l'objet de tous
fes voeux... Souvenir cruel ! Ma triſte
voix a fait retentir dans ce même tem-
>ple les regrets durables de fa mort . Pleu-
»ions le encore dans ce jour qui femble
rouvrir fon tombeau & le rappeler fur

SEPTEMBRE. 1774. 113
nce trône où il devait fervir de modèle à
»fes augultes enfans. Plaçons y du moins
»fa refpectable image ; que le Prince qui
»nous gouverne s'en occupe ; qu'elle foit
»toujours préfente à fa penſée ; qu'il s'ac-
>> coutume à la regarder comme un témoin
»qui l'obferve , & comme un juge qu'il
»ne peut corrompre les vertus du père
"font devenues la dette immenfe du fils .»
L'afcendant que prit fur l'Europe la
modération reconnue de Louis XV , eft
tracé avec une nobleffe & une fierté de
pinceau qu'on aurait admirées dans le
beau fiècle de Louis XIV .
" Ce fut , Meffieurs , dans ces temps
d'alegreffe & de profpérité qu'éclata ce
"concert d'eftime publique fi honorable
»à la mémoire de Louis . Il n'eft point
de voile , point de fecret pour les vertus
»des Rois. Heureufe deftinée ! la modef-
»tie ne leur dérobe rien . Ils font for-
»cés par état à jouir de toute leur renom .
»mée. Ce fut le triomphe du jeune Mo-
»narque. Connue , refpectée dans toutes
» les Cours , préfente aux Confeils de
»toutes les Nations , fon ame en devinr
le Génie tutélaire . Sa droiture fut le
»droit public de l'Europe. Alors la répu
station tint lieu de l'intrigue ; l'eftime
114 MERCURE DE FRANCE:
.
»remplaça les victoires ; la confiance en-
"chaîna plus fûrement que les conquêtes;
»le cabinet de Verſailles fut le fanctuai-
»re de la paix univerfelle . Ce n'était plus
» ce foyer redoutable où l'orgueil affem-
»blait les noires vapeurs de la politique ,
» & préparait ces volcans qui embrafaient
"tous les Etats ; Louis connaît le prix des
hommes & le fragile honneur des triom-
»phes. Il fait que la véritable gloire d'un
"Roi confifte moins à braver les orages
"qu'à les détourner ; à défier les jaloufies
qu'à les éteindre , à provoquer les ligues
"qu'à les prévenir. Plein de ces principes ,
il quitte ce tonnerre toujours allumé
dans les mains de fon ayeul ; il rend aux
>>travaux utiles une portion de cette mi-
»lice nombreuſe qui appelle la guerre ,
wen nourrit le goût , en perpétue les alar-
»mes ; il fe montre feul , pour ainfi dire ,
"avec le poids naturel de fa puiffance , &
» le charme invincible de la bonne foi
»eſpèce de domination nouvelle . Et com-
»ment ne devient- elle pas l'ambition de
"tous les Rois ? Eft ce à l'ombre des Trô .
"nes qu'on devrait trouver la fauffeté
»réduite en art ? Et fi cet art malheureux
"eft un opprobre lorfqu'il trompe les
>>hommes , quel nom mérite - t- il lorfSEPTEMBRE.
1774. IIS
ود
» qu'il agite les Empires , & qu'il ſe joue
de la fortune & du fang des peuples ?
Louis le méprife ; il offre à l'Europe
»étonnée un jeune Roi abfolu , adoré , ne
craignant rien & ne voulant point être
craint : & l'Europe fe précipite vers fon
»Trône ; elle y dépofe par les Ambafladeurs
fes prétentions , fes intérêts , fes
»efpérances. Eft- ce là cette Nation qui
"comme un athlète fanglant , effuyair fiè
rement fes plaies, & difputait à Utrecht
» les reftes d'une grandeur déchirée ?
»Puiffante & modefte , elle décide aujourd'hui
, elle prononce ; ce même ſcep-
»tre plié par tant d'orages eft devenu l'ar-
»bitre de ces mêmes rivaux dont il avait
été la terreur. Quelle fublime intelli-
»gence a pu opérer ce prodige ? Un Roi
»de vingt - quatre ans , fans armes , fans
intrigues , enchaînant tout , calmant
»tout par la feule impreffion de fa franchife
& de fon désintéreflement ; &
»l'eftime due à ce Roi pourrait être un
»problême ! Où vous placeriez - vous ;
"quel climat , quelle contrée choifiriezvous
pour la contefter ? Sortez des bor-
»nes de fes Etats ; interrogez Vienne
»Londres , Madrid , Conftantinople , le
»Nord , le Midi ; tout repofe dans le
116 MERCURE DE FRANCE .
»filence fur la foi de fon intégrité. Par-
>>tout vous trouverez l'action bienfai-
»fante de cette ame jufte & modérée . Ce
»bien particulier à la France était en mê-
»me temps le bien de tous les peuples ;
il appartenait à toute l'Europe.»
Voilà la véritable éloquence du panégyrique
; voilà les mouvemens & les tableaux
qui doivent l'animer. La compa
raifon de l'athlète eſt un trait de la plus
grande beauté . Une autre eſpèce de mérite
, c'eſt le ton vraiment pathétique qui
fe fait fentir dans cet endroit de la fecon.
de partie où il s'agit de la bonté de
Louis XV.
"
·
"Quelle voix s'élevera pour inculpér
la bonté de Louis ? Sera ce celle de la
"Religion dont il refpecta toujours les
"confeils & les priviléges ? celle de fes
courtisans qu'il combla de faveurs , à
qui il ne montra jamais que la trifteffe
obligeante de ces refus involontaires
»qui valent des grâces ? celle de fes foldats
qui le virent pleurant fur les lau-
>>riers de Fontenoy , parcourant les hôpi-
" taux , confolant les bleffés , s'écriant au
» milieu de ces triftes victimes de la vic-
"toire : Anglais , Français , ennemis ,
fujets , que tous foient également traités ;
SEPTEMBRE. 1774. 117
ils font tous des hommes ? Sera - ce celle
»du peuple ? .. Non , Monarque bien ai
mé & digne de l'être , il ne troublera
»point vos mânes auguftes ; il refpectera
»ce coeur fenfible qui connut fur le Trône
le refpect de l'humanité. J'appellerai
»des extrémités du royaume cette portion
øde la Nation que les factions n'agitent
»pas , que l'intrigue ne corrompt point ;
»je conduirai ce peuple fimple , fans paf-
»fion , fans intérêt , fous ces voûtes funè
>>bres où vous repofez ; je lui raconterai
>>l'horreur dont le Ciel a voulu environ-
»ner vos derniers foupirs ; cet abandon
»général , cette folitude ajoutée à la fo-
»litude de la mort ; je lui dirai : voilà ce
"Roi qui a toujours fauvé vos moiffons
»des défordres & des cruautés de la guer-
»re ; qui l'a toujours éloignée de vos hé-
» ritages , qui vous a toujours préférés à
» la vanité des triomphes ; voilà ſes ref-
» tes ; & ce bon peuple fe précipitera fur
votre cercueil gémiffant , il ne vous
»nommait point dans fes larmes ; le cri
»de fa misère ne vous accufa jamais,;
" c'était pour vous qu'il avait inventé ce
foupir que l'oppreſſion lui arracha : Ah!
fi le Roi le favait ! .. Votre cendre lui
fera auffi précieufe que votre nom lui a
été cher ; & ne penfez pas , Meffieurs ,
"
118 MERCURE DE FRANCE.
>>l'art ; on peut
que cet attendriffement fût un effet de
on peut modifier les idées du peuple
; mais on ne compofe point fes fen-
»timens . Louis était aimé , parce que
»l'opinion de fa bonté prévalait fur tout ;
»c'était , fi je puis parler de la forte , une
»vérité , une foi nationale ; & tel était
»l'empire de cette vérité , qu'on féparait
toujours fon coeur de fes loix , & ſon ad-
»miniftration de fes volontés . Nul Prince
»en effet , & je n'excepte pas même le
grand , l'immortel Henri ( Hélas ! que
de reffemblance entre ces deux Rois, &
❤que
le vertueux Sully met de différence
mentre les deux règnes ! ) Nul Prince n'eut
»des vues plus faines , ne defira plus fin-
»cèrement le bien ; & pour l'attacher à
»ce bien qu'il defirait, il ne fallait qu'être
»digne de le lui montrer, »
Bornons des citations qui nous meneraient
trop loin , fi nous ne confultions
que le plaifir du lecteur & le nôtre , &
jetons un coup d'oeil fur la peinture
des derniers momens de Louis XV. Il y
règne une teinte lugubre & religieufe ,
vrai caractère de l'Oraifon funèbre . « Som-
»bre appareil , pompe attendriffante ›
filence de confternation & d'effroi , mo-
» ment où commence la mort , non , je
ne puis me réfoudre à vous donner des
SEPTEMBRE. 1774 119
?
»larmes . Louis refpire ; il eft rendu à la
»vérité , à la religion , & il peut l'être
»encore à nos eſpérances ; je ne veux voir
»que les biens qu'il obtient , & non la
»perte qui nous menace . Ce lit de fouf-
»france que l'horreur environne n'est plus
»à mes yeux qu'un temple , un autel où
»l'alliance de la foi fe renouvelle , où re-
»vivent & fe confirment les pactes éter-
»nels , où tout eft expié , pardonné. Puis-
»je mêler des foupirs à une joie fi jufte ?
»Je l'entends , cette voix confolante qui
»proclame les repentirs , les voeux , les
réfolutions du Monarque pénitent. Peu-
»ples accoutumés à refpecter fa volonté ,
»cette dernière eft la plus fainte. Recueil-
»lez - la , cette voix qui , comme celle d'E-
»lie , fait defcendre le feu facré fur l'holocaufte.
Quel tableau ! Dieu rentrant
avec la paix dans ce coeur défabuſé ;
Louis jurant à ce Dieu trop long temps
»méconnu , un amour & une fidélité fans
»réferve. Qu'il foit écrit dans votre coeur
»ce ferment folemnel , ô mon Dieu ! &
"qu'il efface , qu'il anéantifle à jamais
"tous les fermens de l'erreur & de l'aveu-
»glement.
رو
Le prix le plus flatteur pour M. l'Abbé
Boifmont eft fans doute l'applaudiflement
& l'admiration des hommes célèbres dont
120 MERCURE DE FRANCE.
il était l'interprète & dont il a enlevé tous
les fuffrages ; & l'on peut lui appliquer ce
vers de la Henriade :
Nommé brave autrefois par les braves euxmêmes.
Ode aux Poëtes du temps fur les louanges
ridicules dont ils fatiguent Louis XVI.
Par M. l'Abbé Aubert , lecteur & profeffeur
royal ; chez Moutard , libraire
de la Reine , quai des Auguftins. Prix ,
2 fols.
Sur le titre de cette pièce & fur le nom
& les qualités de l'auteur , on conçoit qu'il
eft fort naturel qu'un profeffeur donne des
leçons , & que M. l'Abbé Aubert donne
des modèles. L'on trouve en effet l'un &
l'autre dans l'ode que nous allons mettre
fous les yeux du lecteur . Elle n'eſt pas
longue ; & c'eft - là fans doute fon plus
grand défaut. Nous la tranferirons toute
entière . Car il n'y a pas une ftrophe qui ne
foit précieufe par quelque endroit.
Eh ! quoi , rimeurs glacés , troupe importune &
baſſe ,
On vous dit que Louis haïra les flatteurs ;
Et pour l'honorer mieux , votre Minerve entaffe
Les plus infipides fadeurs !
CroyezSEPTEMBRE.
1774. 121
4
Croyez- vous l'enivrer de l'encens mercenaire
Qu'à les jeunes vertus vous courez tous offrir ?
Non ; & , fi vous aviez ce deflein téméraire ,
Ilfaudrait tous vous en punir.
Nefût il point armé par un dégoût extrême
Contre les vains efforts que vous ofez tenter,
D'un fi groffier encens l'importunité même
Suffiroit pour l'en dégoûter.
Du grand art de régner il connaît l'importance.
Il nous en a fait voir déjà d'heureux eflais ;
Mais il n'a point encor rempli notre eſpérance ,
Et fon coeur veut d'autres fuccès.
Apeine , àpeine eft- il entré dans la carrière;
Vous l'y faites courir en jeune audacieux .
Je le vois plus prudent rester à la barrière ,
Et fur le but fixer fes yeux.
Je le vois confulter ceux que l'expérience
Yfait marcher d'un pas toujours ferme & certain,
Et montrer à ving ans la fage défiance
D'un grave & prudent Souverain.
Pour la Religion , les moeurs , l'économie ,
Son zèle a dès long- temps commencé d'éclater.
Il ne fouffrira pas que la Philofophie
Sous lui nous vienne tout ôter.
Mais des maux qu'elle a faits la profonde racine
122 MERCURE DE FRANCE .
Veat , pour être arrachée , un bras plein de vigueur.
C'estbeaucoup que Louis méditefà ruine ,
A l'âge où l'on chérit l'erreur.
Son début eft pour nous du plus flatteur augure.
Son amour nous promet un avenir brillant.
Mais un Monarque fage agit avec meſure ,
Afin d'agir plus fûrement .
Il veut notre bonheur , il s'apprête à le faire.
Les Grâces , près de lui , fecondent fes projets.
Par elles puiffe-t- il bientôt devenir père !
Il l'eft déjà de les fujets.
Voilà ce que M. le Profeffeur appelle
non-feulement des vers , mais des vers
lyriques , une ode enfin ; & le lecteur a dû
s'appercevoir en effet combien toutes les
tournures font poëtiques. On vous dit.
Ne fut- il point armé. Il nous en afait voir
déjà. Vous le faites courir. Confulter ceux
que l'expérience fait marcher. Agit avec
mefure afin d'agir , &c . Voilà les mouvemens
de la poëlie , les conftructions nobles
& impofantes qui conviennent à l'ode.
Veut- on de grands tableaux , de gran .
des images? La racine des maux qui veut
pour être arrachée , un bras plein de vigueur.
Voilà du pittorefque , du ftyle heu
SEPTEMBRE. 1774. 123
reufement figuré ; & méditer la ruine de
La racine eft une expreffion de génie.
Veut-on de l'harmonie :
D'un fi groffier encens l'importunité même.
Que cette chûte eft flatteufe pour l'oreille
! Que ce fon monofyllabique fair
un bel effet après ce mot de cinq fyllabes !
Et cet autre vers :
Sous lui nous vienne tout ôter,
il est d'une mélodie rare . On voit que
nous ne négligeons aucune espèce de beauté.
Nous relevons tous les mérites de cette
belle ode , comme pourrait faire M. l'Ab
bé Aubert lui-même , fi dans une leçon
publique il la propofait à fes difciples
comme un modèle en ce genre. Mais la
dernière ftrophe furpaffe tout :
Par elles puifle-t-il devenir père !
Devenir père par les Grâces ! Le lecteur
ne nous aurait pas pardonné de nous occuper
férieufement d'une pareille production
. La critique doit varier fon ton
fuivant les ouvrages. Mais à cette inconcevable
expreffion , devenir père par les
Gráces ! comment ne pas s'étonner que
cent ans après les Defpréaux & les Raci-
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
nes on puifle tomber dans ce honteux ex
cès de ridicule & de mauvais goût ! Sans
doute M. l'Abbé Aubert , pour être profeffeur
, n'eft pas obligé d'être bon poëte.
Mais aujourd'hui les formules & les tournures
de la verification font devenues
communes . C'est un fonds où la médiocrité
puife fans ceffe , tandis que le vrai
talent trouve en lui - même des retfources
nouvelles. On a fait un fi grand nombre
de vers , qu'il y a des fautes où l'on ne doit
pas tomber , & que M. l'Abbé Aubert
lui- même aurait pu éviter avec un peu de
foin & de réflexion . A quoi donc faut- il
imputer une telle corruption de ſtyle ?
C'eft , ne craignons pas de le répéter , à
cette faveur de convention prodiguée par
l'efprit de parti à tous les mauvais écrivains
réunis entre eux pour fe louer &
pour déchirer ce qui eft bon. Voilà ce
qui leur infpire cette confiance qui nonfeulement
les aveugle fur toutes leurs
fautes , mais les féduit au point qu'ils
ofent donner des leçons , lorfqu'à peine
ils font en état d'en prendre . Au moment
où j'écris , je fuis fûr que les vers que
M. l'Abbé Aubert appelle une ode feront
loués dans plus d'une feuille périodique ,
s'ils ne l'ont pas été déjà . Voilà donc où
SEPTEMBRE. 1774. 125
nous en fommes venus ! Voilà ce qu'on
appelle de la littératute !
Unde nefas tantum Latiis paftoribus ? Undè
Hac tetigit , Gradive , tuos urtica nepotes ?
JUVENAL.
Euvres de Chaulieu , d'après les manufcrits
de l'auteur. A la Haye ; & fe trouve
à Paris , chez Claude Bleuet , libraire ,
fur le pont St Michel.
Cette édition est belle & foignée. Elle
a fur-tout le mérite d'une diftribution plus
heureufe que celle des précédentes . Elle
n'eft point furchargée de notes inutiles.
comme celle de St Marc. Elle eft rédigée
fur des manufcrits mis en ordre par Chaulieu
lui- même, &qui contiennent les feuls
onvrages qu'il voulut avouer . L'éditeur a
trouvé fur des feuilles volantes quelques
autres pièces que Chaulieu ne croyait pas
dignes de paraître , ou qui même ne font
pas de lui . Il les a miſes à part , ainfi que
quelques pièces de fociété compofées par
M. le Duc de Nevers , le Marquis d'Angeau
, Chapelle & autres. Il a feparé auffi
la correfpondance de l'auteur avec Mde
la Ducheffe de Bouillon , & quelques
poëfies en vieux langage . Le texte eft
d'ailleurs très-correct , & l'on ne peut re-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
procher à l'éditeur que quelques notes
partiales dont nous parlerons tout - àl'heure
quand nous aurons dit un mot de
Chaulieu .
Chaulieu , fans être un génie du premier
ordre , eft un écrivain original. C'eſt encore
un de ces efprits favorifés de la Nature
qui appartiennent au beau fiècle de
Louis XIV . Il était né poëte , & fa poëfie
a un caractère marqué . C'eſt un mélange
heureux d'une philofophie douce & fenfible
& d'une imagination riante. Il écrit
de verve , & tous fes vers font des épanchemens
de fon ame . On y voit les négligences
d'un efprit pareffeux , mais en
même temps le bon goût d'un efprit délicat
qui ne tombe jamais dans cette affectation
premier attribut des fiècles
de décadence . Il a un fentiment exquis
de l'harmonie , & fes vers entrent doucement
dans l'oreille & dans le coeur. Quel
charme dans les ftances fur fa goutte ,
dans celles fur fa retraite , fur la folitude
de Fontenay ! Son ode fur l'Inconftance
eft la chanfon du Plaifir & de la Gaieté.
>
Aimons donc ; changeons fans ceffe.
Chaque jour nouveaux defirs .
C'eft affez que la tendrefle
Dure autant que les plaifirs
SEPTEMBRE . 1774. 127
Dieux ! ce foit qu'Iris eft belle !
Son coeur , dit -elle , eft à moi.
Paflons la nuit avec elle
Et comptons peu fur la foi,
Voilà de l'excellent goûr. Ces idées
& toutes celles de Chaulieu ont été depuis
répétées & défigurées mille fois dans
des pièces où l'on a mis à la place de
cette gaieté vraie & de cette philofophie
voluptueufe , des prétentions à l'efprit &
aux bonnes fortunes , qui ne perfuadent
point du tour , & ne prouvent pas plus le
talent du poëte que fon bonheur.
Chaulieu a de temps en temps des mor.
ceaux d'une imagination brillante & d'une
poële riche. Tout le monde fait ces beaux
vers :
Tel qu'un rocher dont la tête , &c.
Mais ce qui domine fur - tout dans fes
écrits , c'est la fenfibilité pour le plaifir &
la morale épicurienne . Les plaifirs qu'il
goûte ou qu'il regrette font prefque toujours
le fujet de les vers. Il a très bonne
grâce à nous en parler , parce qu'il les
fent. Mais malheur à qui n'en parle que
pour paraître en avoir !
Chaulieu n'a laiffé qu'un petit nombre
de poëfies ; encore y en a- t-il quelques-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
"
unes que l'on pourrait retrancher fans
regret. Mais qui n'aimerait mieux avoir
fait une douzaine de ces pièces pleines de
fentiment , de philofophie & de charme,
qui feront à jamais dans la mémoire de
tous les connaiffeurs fenfibles ; qui n'aimerait
mieux les avoir faites , que des
volumes entiers de ces poëfies aujourd'hui
fi communes , où l'on croit que le mérite
facile de quelques vers agréables peut dédommager
d'un long bavardage & d'un
Jargon précieux & maniéré ?
Tous les madrigaux de Chaulieu font
pleins de grâce & de fineffe. Il tournair
très bien l'épigramme : témoin celle - ci
contre l'Abbé Abeille.
Eft-ce St Aulaire ou Toureille ,
Ou les deux qui vous ont appris
Que dans l'ode , Seigneur Abeille ,
Indifféremment on ait pris
Courage , valeur & conftance?
Peut-être en faurez-vous un jour la différence ;
Apprenez cependant comme on parle à Paris.
Votre longue persévérance
A nous donner de méchans vers ,
C'est ce qu'on appelle conftance ;
Et dans ceux qui les ont foufferts ,
Cela s'appelle patience.
SEPTEMBRE. 1774. 129
Voilà de ces plaifanteries qu'un honnête
homme peut fe permette fans fe défhonorer
, & non pas de ces épigrammes ſi
groffièrement injurieufes ou fi plattement
atroces , que ceux même qui en font l'objet
& qui pourraient fans peine en faire de
meilleures , dédaignent avec raiſon d'y
répondre.
·
On trouve dans cette nouvelle édition
deux pièces très jolies , l'une de M. de
Voltaire , l'autre du lyrique Rouffeau .
Celle - ci avait été imprimée , on ne fait
pourquoi , dans les oeuvres de Grécourt à
qui elle ne reffemble point du tout. L'au
tre n'avait point été connue jufqu'ici .
C'est une de ces productions légères &
brillantes qui diftinguèrent la jeuneſfe de
l'auteur d'Edipe. Elle eft adreffée au
Grand-Prieur. Nous n'en pouvons citer
qu'une partie .
Je voulais par quelque huitain,
Sonnet on lettre familière,
Réveiller l'enjouement badin
De votre Altefle chapſonnière.
Mais ce n'eſt pas petite affaire
A qui n'a plus l'Abbé Courtin
Pour directeur & pour confrère,
Tout fimplement donc je vous dis
Que dans ces jours de Dieu bénis ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Ma mufe qui toujours le range
Dans les bons & lages partis ,
Fait avec faifans & perdrix ,
Son carême au château St Ange.
Au refte ce château divin ,
Ce n'eft pas celui du St Père ,
Mais bien celui de Caumartin ,
Homme fage , efprit juſte & fin ,
Que de tout mon coeur je préfère
Au plus grand Pontife Romain ,
Malgré leur pouvoir fouverain
Et leur indulgence plénière.
Caumartain porte en fon cerveau
De fon temps l'hiſtoire vivante ;
Caumartin eft toujours nouveau
A mon oreille qu'il enchante ;
Car dans fa tête font écrits
Et tous les faits & tous les dits
Des grands hommes ,des beaux efpritss
Mille charmantes bagatelles ,
Des chansons vieilles & nouvelles ,
Et les annales immortelles
Des ridicules de Paris .
Château St Ange , aimable aſyle ,
Heureux qui dans ton fein tranquille
D'un carême paffe le cours !
Château que jadis les Amours
Bâtirent d'une main habile
Pour un Prince qui fut toujours.
SEPTEMBRE. 1774. 131
A leur voix un peu trop docile ,
Et dont ils filèrent les jours ;
C'eft chez toi que François Premier
Entendait quelquefois la meſle ,
Et quelquefois par le grenier
Rendait vifite à ſa maîtreffe.
De ce pays les Citadins
Difent tous que dans les jardins
On voit encor fon ombre fière ,
Deviler fous des maroniers
Avec Diane de Poitiers
Ou bien la belle Ferronnière .
Moi chétif, cette nuit dernière,
Je l'ai vu couvert de lauriers .
Car les héros les plus infignes
Se laiffent voir très - volontiers
A nous faiseurs de vers indignes.
Il ne traînait point après lui
L'or & l'argent de cent provinces,
Superbe & tyrannique appui
De la vanité des grands Princes ;
Point de ces efcadrons nombreux,
De tambours ni de hallebardes ,
Point de Capitaines des Gardes
Ni de courtisans ennuyeux.
Quelques lauriers fur la perfonne ,
Deux brins de myrthe dans les mains

F vj
"
132 MERCURE DE FRANCE.
Je fais que vous avez l'honneur ,
Me dit-il , d'être des orgies
De certain aimable Prieur
Dont les chanfons font fi jolies
Que Marot les retient par coeur ,
Et que l'on m'en fait des copies , &c.
Voici la pièce de Rouffeau ; elle a pour
titre Retraite en Hollande, Elle eft en
rimes redoublées. C'était la mode alors :
ici du moins le redoublement des rimes
ne rend point le ftyle traînant. Mais ce
retour des mêmes fons peut à la longue
fatiguer l'oreille .
Je vois régner fur ce rivage
L'innocence & la liberté.
Que d'objets dans ce payſage ,
Malgré leur contrariété ,
M'étonnent par leur aflemblage !
Abondance & frugalité ,
Autorité fans efclavage ,
Richefles fans libertinage ,
Noblefle , charges fans fierté.
Mon choix eft fait : ce voisinage
Détermine ma volonté.
Bienfailante Divinité ,
Ajoutez-y votre fuffrage .
Difciple de l'adverfité ,
Je viens faire dans ce village
SEPTEMBRE. 1774 133
Le volontaire apprentiſſage
D'une tardive obfcurité.
Auffi -bien, de mon plus bel âge
J'apperçois l'inftabilité.
J'ai déjà de compte arrêté
Quarante fois vu le feuillage
Par les zéphirs reffulcité.
Du printemps j'ai mal profité.
J'en ai regret , & de l'été
Je veux faire un meilleur uſage.
J'apporte dans mon hermitage
Un coeur dès long- temps rebuté
Du prompt & funefte esclavage
Où met la folle vanité.
Payſan lans rufticité ,
Hermite fans patelinage ,
Mon but eft la tranquillité.
Je veux , pour unique partage,
La paix d'un coeur qui ſe dégage
Des filets de la Volupté.
L'incorruptible Probité ,
De mes ayeux noble apanage ,
L'infatigable Activité ,
Refte d'un utile naufrage ,
Mes études , mon jardinage
Un repas fans art apprêté ,
D'une époule économe & fage
La belle humeur , le bon ménage ,
Vont faire ma félicité.
134 MERCURE DE FRANCE.
C'eft dans ce port qu'en fûreté ,
Ma barque ne craint point l'orage.
Qu'un autre à son tour emporté ,
Au gré de fa cupidité ,
Sur le fein de l'humide plage
Des vents aille affronter la rage ;
Je ris de fa témérité ,
Et lui fouhaite un bon voyage.
Je réserve ma fermeté
Pour un plus important paffage ,
Et je m'approche avec courage
Des portes de l'éternité.
Je fais que la mortalité
Du
genre humain eft le partage:
Pourquoi feul ferais - je excepté ?
La vie eft un pélerinage.
De fon cours la rapidité ,
Loin de m'alarmer , me foulage.
Sa fin , lorfque j'en enviſage
L'infaillible néceffité ,
Ne peut ébranler mon courage.
Brûlez de l'or empaqueté 5
Il n'en périt que l'emballage.
L'or refte : un fi léger dommage
Devrait-il être regretté ?
Parmi les pièces de Chaulieu qui paraiffent
pour la première fois dans cette
nouvelle édition on trouve une épigramme
contre la Motte , qui n'eft la
pas
SEPTEMBRE. 1774. 135
meilleure qu'il ait faite , ni la mieux placée .
Il lui reproche d'avoir dit dans l'approbation
d'Elipe que le Public s'était promis
dams M. de Voltaire un digne fucceffeur
des Corneilles & des Racines .
O la belle approbation !
Qu'elle nous promet de merveilles !
C'eft la fùre prédiction
De voir Voltaire un jour remplacer les Corneilles
;
Mais où diable , la Motte , as tu pris cette erreur
?
Je te connaiflais bien pour affez plat auteur
Et fur-tour très - méchant poëte ;
Mais non pour un lâche fatteur ,
Encor moins pour un faux prophrèe.
Que la Motte foit un méchant poete ,
on peut en convenir , ou plutôt il n'était
point du tout poëte . Il rimait de l'efprit.
Pour un plat auteur, l'arrêt eft durdurus
eft hic fermo. Ce qui eft inconteſtable ,
c'eft qu'il y avait une candeur bien noble,
& non pas une lâche flatterie à reconnaître
ainsi le génie naillant , & à meſurer
fa route dès le premier pas qu'il faifait.
Aujourd'hui que le temps a fi bien
confirmé la prédiction de la Motte , je
rois qu'elle lui fait un peu plus d'hone
136 MERCURE DE FRANCE.
neur que l'épigramme n'en peut faire à
Chaulieu.
L'éditeur n'a pas cru , dit - il , pouvoir
finir plus heureufement que par deux pièces
de M. de Voltaire , où il eft queftion de
l'Abbé de Chaulieu. On est bien étonné
de trouver après cette note que l'une de
ces deux pièces , celle qui regarde la mort
de Chaulieu , eft une Öraifon funèbre qui
ne fait honneur ni au coeur ni à l'efprit de
l'auteur. En ce cas on ne pouvait pas finir
moins heureusement, Mais fur- tout quand
on fe permet une phrafe fi injurieufe fur
un vieillard octogénaire chargé de tant
de titres de gloire , il faudrait avoir évidemment
raifon ; encore ferait- il mieux
de s'exprimer avec plus de décence. Mais
l'éditeur n'eft pas plus équitable qu'il n'eft
poli. Il trouve très-mauvais que M. de
Voltaire n'ait pas le ton d'une douleur
profonde. Il voudrait que le difciplefefür
montré un peu plus touché de la perte de
fon maître. Il prend ainfi dans une rigueur
littérale ces expreffions de maître & de
difciple , employées, par M. de Voltaire ,
avec cette politeffe qui fied fi bien à un
jeune homme à l'égard d'un vieillard . II
ne voit pas que Chaulieu n'a jamais été
& ne pouvait pas être le maître de l'auteur
d'Edipe & de la Henriade. Il ne
SEPTEMBRE . 1774. 137
fonge pas que l'épigramme même de
Chaulieu , qu'on vient de rapporter , fuffrait
feule pour prouver que M. de Voltaire
n'était pour lui qu'une fimple con-
Haiffance , & nullement un élève auquel
il s'intéreffât. M. de Voltaire a donc pu
parler tranquillement de la mort douce
& tranquille d'un épicurien de 80 ans.
L'éditeur ne raifonne pas mieux , lorsqu'il
critique ces deux vers adreffés au Duc de
Sully :
Peut-être les larmes aux yeux ,
Je vous apprendrai pour nouvelle , &c.
Eft ce M. le Duc , eft ce M. de Voltaire
qui a les larmes aux yeux ?
En vérité , cette étrange queftion ferait
douter que ce fût un homme de lettres
qui parlât , fi d'ailleurs les autres notes
ne le prouvaient fuffifamment. Que le
critique confulte telle perfonne qu'il voudra
: s'il en trouve une feule qui voye
dans ces deux vers une amphibologie , je
confens qu'il ait raison .
En général , l'éditeur paraît trop fouvent
dans fes notes animé de l'efprit de parti .
Il déchire la Motte avec une violence,
qui appartient à l'envie lorfqu'elle combat
le mérite vivant , mais qui eft bien
138 MERCURE DE FRANCE .
les
extraordinaire lorſqu'il s'agit de juger
morts . Il l'appelle l'Apollon des cafés . Il
faut laiffer à la haine ces dénominations
groffières , fi déplacées à l'égard d'un écrivain
plein d'efprit & de mérite , qui a
laiffé des ouvrages eftimables. Il parle de
la deftinée honteuse de ce bel efprit. L'éditeur
devrait laiffer ce ton d'amertume &
de dénigrement aux faifeurs de feuilles .
Il prétend que fans Rouffeau , perfonne ne
Jaurait peut-être aujourd'hui que la Motte,
afait des odes fi fublimes. Premièrement
perfonne ne trouve les odes de la Motte
fublimes , & l'éditeur combat des chimères.
Quant à Rouleau , c'est un grand
poëte fans doute , quoiqu'il ne foit pas le
poëte par excellence . C'eft un des écrivains
claffiques qui ont fait honneur à
notre langue. Perfonne ne l'a jamais nié ,
quoi qu'en ayent dit des barbouilleurs
étourdis qui fe mêlent de ce qui ne les
regarde pas. Mais indépendamment de
Rouffeau , on fe fouviendra toujours que
la Motte a fait une tragédie très attendriffante
, de jolies fables , des opéras dont
on a retenu des vers ; & que fur plufieurs
objets de littérature , il a écrit avec beaucoup
de raifon , d'agrément & de poli.
Leffe .
.
SEPTEMBRE. 1774. 139
Antilogies & Fragmens philofophiques ;
ou collection méthodique des morceaux
les plus curieux & les plus intéreffans
fur la Religion , la Philofophie
, les Sciences & les Arts , extraits
des écrits de la philofophie moderne.
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez Vincent , imprimeur - libraire ,
-
rue des Mathurins , hôtel de Clugny.
Le titre du livre annonce tout ce qu'il
cft. Mais on eft un peu étonné de ce mot
d'Antilogies qui fignifie contradictions , &
que le rédacteur n'a guères pu choifit que
pour avoir un titre moins commun . Il
prétend que les philofophes ont dit en
d'autres endroits le contraire des vérités
utiles qu'il a recueillies dans leurs ouvra
ges .Mais ce ne ferait pas encore une raifon
pour appeler antilogies un livre où l'on
ne combat perfonne. Quoi qu'il enfoit , il
y a de bons morceaux dans ce recueil ,
il y en a de médiocres ; il y en a même
de mauvais. Il puife également dans les
ouvrages des maîtres & dans ceux qui
n'en font pas ; dans des livres très - connus,
ou dans des brochures ignorées , ou décriées.
Par exemple , on ne s'attend pas
voir citer parmi des ouvrages de philofophie
, une déclamation fatirique & clans
140 MERCURE DE FRANCE.
deftine , intitulée l'an 2440 , recherchée
d'abord par ceux qui aiment à connaître
tous les ouvrages qui ont un air de hardieffe
; mais ennuyeuſe & fi extravagante
, qu'il eft impoffible d'en achever
la lecture. L'auteur bâtit un monde idéal ,
& fe perfuade que lorfqu'il fe réveillera
l'an 2440 , il trouvera fon édifice bien
établi . Mais s'il fe réveille jamais de fon
vivant , il tira le premier de fes rêves de
malade. C'eft dans ce livre ( pour ne par
ler que des objets littéraires ) qu'Horace ,
Boileau , Cicéron font traités avec le plus
grand mépris ; que M. de Voltaire eft
prodigieufement rabaitfé ; que Racine
eft un petit be! efprit, &c. Le rêveur imagine
une académie où chacun peut venir
prendre place en arborant un étendard où
feraient écrits les titres de fes ouvrages.
Si cette inftitution avait lieu , on verrait
une belle confufion d'étendards qui ne feraient
pas ceux du bon goût, & une belle
lifte d'ouvrages qu'on n'aurait jamais vus
ailleurs. Mais ce que l'auteur a oublié ,
c'eft de faire bâtir une falle pour une pareille
affemblée. Le Louvre entier ne ferait
pas affez grand .
Si l'auteur de cette collection a eu tort
de fouiller des décombres méprifés , il
faut lui favoirgré d'avoir déterré quelques
SEPTEMBRE. 1774. 141
diamans enfevelis . Tel eft , par exemple,
un difcours du Père Guénard , jéfuite ,
fur l'efprit philofophique couronné à l'Académie
Françoife en 1755 , & le feul peutêtre
de tous les ouvrages de ce genre ой
l'on trouve de la véritable éloquence ,
avant l'époque où l'Académie propofa les
éloges des grands hommes , époque marquée
par les triomphes de M. Thomas .
Ce difcours n'a point été oublié des gensde-
lettres , mais il eft peu connu , parce
qu'une brochure de fi peu d'étendue fe
perd aifément dans la foule , fi elle n'eſt
pas recueillie dans des ouvrages de plus de
confiftance. Nous fommes bien fûrs de
faire plaifir au lecteur en lui offrant deux
morceaux de cet excellent difcours ; l'un
fur la révolution opérée dans la philofophie
par Defcartes , l'autre fur les bornes
que la Religion doit mettre à l'efprit philofophique.
Il est aisé de compter les hommes qui
» n'ont penſé d'après perfonne , & qui ont
»fait penfer d'après eux le genre humain:
feuls & la tête levée , on les voit mar-
>>chet fur les hauteurs ; tout le refte des
»philofophes fuit comme un troupeau .
N'eft- ce pas la lâcheté d'efprit qu'il faut
» accufer d'avoir prolongé l'enfance du
142 MERCURE DE FRANCE.
»monde & des fciences ? Adorateurs ftu-
»pides de l'Antiquité , les philofophes
"ont rampé durant vingt- fiècles fur les
traces des premiers maîtres . La raiſon
»condamnée au filence laiffait parler l'au-
»torité auffi rien ne s'éclairciffait dans
l'Univers ; & l'efprit humain , après
s'être traîné mille ans fur les veftiges
"d'Ariftote , fe trouvait encore auffi -loin
„ de la vérité . Enfin parut en France un
génie puiffant & hardi , qui entreprit
»de fecouer le joug du Prince de l'école.
"Cet homme nouveau vint dire aux autres
hommes , que pour être philofophes , il
»ne fuffifait pas de croire , mais qu'il
»fallait penfer. A cette parole , toutes les
»écoles fe troublèrent ; une vieille maxi-
»me régnait encore : Ipfe dixit , le maître
»l'a dit. Cette maxime d'efclave irrita
"tous les philofophes contre le père de la
»philofophie penfante ; elle le perfécuta
comme novateur & impie , le chaffa de
royaume en royaume ; & l'on vit Def-
»cartes s'enfuir , emportant avec lui la
»vérité qui , par malheur , ne pouvait
sêtre ancienne en naiffant. Cependant ,
»malgré les cris & la fureur de l'i-
»gnorance , il refufa toujours de jurer
que les anciens fuffent la raifon fouveSEPTEMBRE.
1774. 143
wraine ; il prouva même que les perfécu .
»teurs ne favaient rien , & qu'ils devaient
défapprendre ce qu'ils croyaient
favoir. Difciple de la lumière , au lieu
»d'interroger les morts & les dieux de l'é-
"cole , il ne confulta que les idées claires
"& diftinctes , la nature & l'évidence.
»Par fes méditations profondes , il tira
toutes les fciences du chaos ; & par un
coup de génie plus grand encore , il
»montra le fecours mutuel qu'elles de-
»vaient fe prêter ; il les enchaîna toutes
»enfemble , les éleva les unes fur les autres
; & , fe plaçant enfuite ſur cette
"hauteur , il marcha , avec toutes les for-
»ces de l'efprit humain ainfi raffemblées ,
»à la découverte de ces grandes vérités
»que d'autres plus heureux font venus en-
»lever après lui , mais en fuivant les fen-
»tiers de lumière que Defcartes avait tra-
"cés. Ce fut donc le courage & la fierté
» d'un efprit feul , qui caufèrent dans les
"fciences cette heureufe & mémorable
"révolution dont nous goûtons aujour
»d'hui les avantages avec une fuperbe in-
»gratitude . Il fallait aux fciences un hom-
»me de ce caractère , un homme qui
»osât conjurer tout feul avec fon génie
contre les anciens tyrans de la raifon ;
»qui osât fouler aux pieds ces idoles que
144 MERCURE DE FRANCE.
>>tant de fiècles avaient adorées. Defcar-
»tes fe trouvait enfermé dans le labyrin-
>>the avec tous les autres philofophes ;
»mais il fe fit lui - même des ailes , & il
» s'envola,frayant ainfi une route nouvelle
Ȉ la raifon captive...
"Quelles font , en matière de religion ,
» les bornes où doit fe renfermer l'efprit
»philophique ? I eft aifé de le dire : la
»Nature elle- même l'avertit à tout mo-
» ment de fa foibleffe , & lui marque en
»ce genre les limites étroites de fon intel-
» ligence ? Ne fent - il pas à chaque inf-
>> tant , quand il veut avancer trop avant ,
»fes yeux s'obfcurcir & fon flambeau s'é-
»teindre? C'est là qu'il faut s'arrêter ; la
»foi lui laiſſe tout ce qu'il peut compren-
»dre ; elle ne lui ôte que les myftères &
»les objets impénétrables. Ce partage
»doit il irriter la raifon ? Les chaînes
qu'on lui donne ici font aifées à porter ,
» & ne doivent paraître trop pefantes
» qu'aux efprits vains & légers. Je dirai
donc au philofophe : Ne vous agitez
>>point contre ces myſtères que la raiſon ne
"faurait percer; attachez vous à l'examen
de ces vérités qui ſe laiſſent approcher ,
qui fe laiffent en quelque forte toucher
»& manier , & qui répondent de toutes les
»autres ; ces vérités font des faits éclatans
,, &
SEPTEMBRE. 1774. 145
N
& fenfibles dont la Religion s'eft comme
enveloppée toute entière , afin de
frapper également les efprits groffiers &
»fubtils . On livre ces faits à votre curio-
«ſité : voilà les fondemens de la religion ;
»creufez donc autour, effayez de les ébran-
»ler defcendez avec le flambeau de la
» philofophie jufqu'à cette pierre antique
:
-
tant de fois rejetée par les incrédules ,
>>& qui les a tous écrafés . Mais , lorfqu'ar
»rivé à une certaine profondeur , vous
>>aurez trouvé la main du Tout-Puiffant
»qui foutient depuis l'origine du monde
»ce grand & majeſtueux édifice , toujours
affermi par les orages mêmes & le torrent
»des années , arrêtez vous , & ne creu-
»fez pas jufqu'aux enfers. La philofophie
»ne faurait vous mener plus loin fans vous
Ȏgarer : vous entrez dans les abyfmes de
»l'infini ; elle doit ici fe voiler les yeux
» comme le peuple , & remettre l'hom-
>>me avec confiance entre les mains de la
»foi... Laiffez donc à Dieu cette nuit
»fonde , où il lui plaît de fe retirer avec
fa foudre & fes myſtères . »
pro-
Il est rare que la Religion ait parlé un
langage fi majestueux , & il eft trifte que
l'auteur de ces morceaux qui annonçaient
tant de talens , foit refté depuis dans l'inaction
ou du moins dans le filence .
G
146 MERCURE DE FRANCE .
Pièces d'Eloquence qui ont remporté le
prix de l'Académie Françoife depuis
1765 jufqu'en 1771. Tome IV ; 2 liv .
broché. A Paris , chez A. Demonville,
imprimeur libraire de l'Académie
Françoiſe , rue St Severin , vis - à - vis
celle de Zacharie , 1774.
par
-
Ce quatrième volume faiſant la fuite
du recueil des Pièces d'Eloquence couronnées
l'Académie depuis 1765 juf.
qu'à 1771 , renferme les éloges de Defcartes
par M. Thomas & par M. Gaillard;
les difcours fur les malheurs de la Guerre
& les avantages de la Paix par M. de la
Harpe & par M. Gaillard ; l'Eloge de
Charles V , Roi de France , par M. de la
Harpe ; l'Eloge de Molière par M. de
Champfort ; l'Eloge de François de Salignac
de la Motte - Fénelon par M. de la
Harpe ; tous morceaux très diftingués &
bien connus , que l'on eft charmé de voir
raffemblés .
Abrégé d'Aftronomie par M. de la Lande,
lecteur royal en mathématiques , de
l'Académie royale des Sciences de Paris
, de celles de Londres , de Pétersbourg
, de Berlin , de Stockholm , de
Bologne , &c. Cenfeur royal ; vol . inSEPTEMBRE.
1774..
8°. A Paris , chez la Ve D.………….. ,
du Foin St- Jacques , 1774 .
-
Les premiers phénomènes qui doivent
frapper les yeux lorfqu'on examine le ciel
pour la première fois , m'ont paru , dit M.
de la Lande , devoir commencer un traité
d'aftronomie. J'ai confidéré enfuite les
conféquences qu'en titèrent les premiers
aftronomes , toujours très - naturelles ,
fouvent très ingénieufes , quelquefois
fauffes ; car les premiers obfervateurs ne
furent que des bergers . Ainfi je n'ai pas
commencé mon livre en fuppofant l'obfervateur
au centre du foleil , comme a
fait M. de la Caille , parce qu'il a fallu
deux mille ans pour parvenir à démontrer
que le foleil étoit le centre des mouvemens
célestes. Je n'ai pas commencé
par la définition des cercles de la fphère ,
parce que le lecteur n'auroit point apperçu
la néceffité de ces cercles & de leur origi
ne ; la génération des chofes doit précéder
leur définition . Enfin je n'ai pas commencé
par l'histoire de l'aftronomie ; il
auroit fallu fuppofer l'aftronomie connue ;
mais j'ai tâché de conduire l'hiftoire avec
la chofe même en cherchant l'ordre des
inventions , & réuniffant l'hiftoire de l'aftronomie
aux principes de cette fcience.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
J'ai indiqué l'ordre des découvertes lorf
que je n'ai pas pu le fuivre. L'efprit va
toujours de proche en proche ; une invention
paroît ordinairement merveilleuſe ,
parce qu'on n'apperçoit pas la route par
laquelle on y eft parvenu . Mais elle paroît
toujours ailée quand on en rapproche
ce qui l'a précédée , & qu'on fait la route
qui a conduit à chaque vérité .
A la fuite de ces premières obfervations
nous verrons paroître les travaux
de Copernic , de Tycho , de Kepler , de
Caffini , de Newton ; en un mot des inftrumens
nouveaux , des fyftêmes hardis ,
des découvertes heureuſes , des obfervations
délicates ; ces deux fiècles de lumière
ouvriront le fpectacle le plus étonnant
dont l'efprit puiffe jouir ; mais fi
nous prenons foin de placer chaque chofe
à la fuite de celle qui lui a donné naiſfance
; fi nous tranfportons le lecteur dans
la pofition de celui qui aura fait quelque
belle découverte , la chaîne reparoîtra ; &
l'efprit, foulagé du fardeau que trop d'admiration
impofe à l'amour propre , jouira
prefque du plaifir que l'auteur même dut
avoir : c'est donc à montrer les progrès
de l'efprit que la méthode de cet ouvrage
eft deftinée ; point de fcience où ils foient
plus admirables & plus fatisfaifans.
SEPTEMBRE. 1774. 147
Telle et l'idée que M. de la Lande
donne du plan & de l'exécution de fon
abrégé de l'Aftronomie . Le lecteur peut ,
avec un guide auffi favant , étudier les
loix des grands corps lumineux , en fuivre.
les mouvemens , & parcourir avec confiance
les régions céleftes. Eh ! quelle
fcience eft plus féconde en merveilles
plus capable d'élever l'imagination & de
perfectionner l'efprit ! Combien d'ailleurs
l'étude approfondie de la véritable aftronomie
n'a telle point profcrit de préjugés
& d'erreurs , en affranchiffant la raifon
des terreurs ou des vaines prédictions
de l'aftrologie & de la crainte des comètes !
La colmographie & la géographie ne
peuvent fe paffer de l'aftronomie . Les
obfervations de la hauteur du pole ont
fait connoître la figure de la Terre ; les
éclipfes de Lune ont fervi à déterminer
les longitudes des différens pays , & leurs
diftances mutuelles d'Occident en Orient.
La découverte des Satellites de Jupiter a
donné une plus grande perfection aux
cartes géographiques & matines. C'eſt
l'aftronomie que les Phéniciens furent
conduits dans leurs premières navigations
; c'eſt à l'aſtronomie que Chriftophe
Colomb dut la découverte du Nouveaupar
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Monde. La Marine , l'Agriculture , la
Chronologie , l'Horlogerie , la Gnomonique
, la Météréologie ; ces fciences tirèrent
de la connoiffance des aftres des
fecours néceffaires à leur perfection , &
utiles à leur confervation.
Elémens de Géométrie - pratique , par M.
Dupuy fils , aide- profeffeur aux Ecoles
royales de l'Artillerie de Grenoble &
profeffeur royal en furvivance ; chez
F. Brette , libraire , à Grenoble ; & à
Paris , chez Durand neveu , libraire ,
rue Galande ; 2 vol . in - 8 ° . en un . Prix ,
rel . 7 liv.
La première partie de cet ouvrage
contient les principes de l'Arithmétique
& de la Géométrie Elémentaire avec un
toifé , & des tables pour en faciliter les
calculs ; dans la feconde partie l'auteur
enfeigne l'ufage des piquets pour déterminer
les longueurs acceffibies ou inac
ceffibles & les furfaces . Il donne le moyen
de rapporter fur le terrein toutes fortes
de figures , & de conftruire toutes fortes
de fortifications. Il décrit l'art de l'Arpenteur
& les inftrumens propres à fes
opérations , dont quelques uns font de
l'invention de M. Dupuy. Il développe
·
SEPTEMBRE. 1774 151
la théorie & la pratique de l'art du Nivellement
, avec de nouveaux procédés
pour la conſtruction des reliefs & pour
former les cadastres.
Ce traité a principalement l'avantage
d'être le réſultat d'une expérience fuivie
& réfléchie .
Oraifon funèbre de très haute , très-puif
fante & très- excellente Princeffe Son
Alteffe Royale Madame Anne - Charlotte
de Lorraine , Abbeffe de Remiremont,
Coadjutrice des Abbayes & Principautés
de Thorn & d'Effen , &c. &c.
Par M. Bexon , Prêtre- docteur en théologie.
A Nancy , chez Bontoux , libr.
& à Paris , chez Valade , libraire , rue
St Jacques.
On ne peut célébrer plus de vertus
avec une éloquence plus noble & plus.
pathétique. « Que ce cri funèbre retentifle
dans tous les coeurs : Elle n'eft plus , celle
qui faifoit noire gloire & la douceur de
nos jours ; Elle n'eft plus , celle qui étoit
la joie & l'honneur de fon peuple : la
fille des anciens héros , la protectrice de
la patrie , l'exemple des vertus , la mère
des pauvres n'eft plus…….. J'offrirai ſa vie ,
dit le jeune orateur , à vos éloges , la mort
Giv
152 MERCURE DE FRANCE. '
à vos regrets , fon immortalité à votre
vénération , tout à la gloire du Dieu bon
qui crée les grandes ames pour la confolation
& l'exemple des hommes ; du Dieu
terrible qui coupe à fon gré le fil de la
vie des Rois , du Dieu éternel dont la
grâce conferve à jamais les Saints ."
Tel eft le début de la feconde partie de
ce beau difcours . C'eft dans les derniers
momens que l'ame raffemblant toutes fes
forces , retrace avec énergie les traits qui
la caractérisent . Elle fait effort pour fe
peindre encore une fois toute entière , &
préfente à cet inftant précieux & fatal un
abrégé de la vie . Auffi les anciens Peoples
avoient - ils confacré pour ainfi dire,cette
paffion triſte & touchante qui rend pour
nous fi remarquables & fi dignes de mémoire
les derniers momens de ceux que
nous avons aimés . Ils écoutoient religienfement
les dernières paroles des
mourans ; ils les recueilloient comme
des oracles. Sans doute l'Efprit divin
daigua quelquefois environner alors le
jufte de fes clartés . Le Patriarche au milieu
de fes enfans , prédifoit leurs deftinées
, & toujours la Nature exaltée & fublime
à cet inftant terrible , & fouvent la
Grâce , puiſſante en prodiges , marquent
le dernier jour des mortels de ces fignes
SEPTEMBRE. 1774. TS3.
redoutables qui réveillent le paffé & appellent
l'avenir ; qui approfondiffent le
coeur & le développent tout entier ; qui
fixent le fort de l'homme dans le monde
éternel où il entre , & fa mémoire fur la
terre qu'il abandonne .
Cette Oraifon funèbre fera lue avec
intérêt & avec fenfibilité . L'orateur, jeune
homme de vingt- cinq ans , qui a déjà
fait plufieurs ouvrages utiles fur l'Agricultare
, annonce dans ce difcours de
grands talens pour la chaire. Son style eft
animé & varié , il eft plein d'images , d'idées
& de vérités.
·
* Oraifon funèbre de très - haut , très - grand ,
très puiffant & très - excellent Prince.
Louis Quinze le Bien Aimé , Roi de
France & de Navarre , prononcée dans
l'Eglife de l'Abbaye Royale de Saint-
Denis le 27 Juillet 1774 ; par Meffire
Jean- Baptifte Charles Marie de Beauvais
, Evêque de Senès . A Paris , de
l'imprimerie de Guillaume Defprez ,
imprimeur ordinaire du Roi & du
Clergé de France , rue St Jacques .
Une éloquence religieufe & vraiment
paftorale ; un emploi très heureux de
* Article de M. de la Harpe.
-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
l'Écriture & des Pères ; un ftyle plein
d'onction & de cette fenfibilité paternelle
qui fied à un Miniftre de l'Eglife , au
Miniftre d'un Dieu qui aime les hommes ;
de grandes vérités annoncées avec courage
, fans audace & fans amertume ; de
grands mouvemens oratoires & par- tout
un ftyle fage & pur : tels font les caractè
res que l'on remarque dans cet ouvrage
d'un orateur évangelique que fes talens &
fes vertus ont élevé fur le fiége épifcopal .
Son exorde eft noble & pathétique.
Quand j'annonçais , il y a peu de temps ,
la divine parole devant votre auguſte
ayeul ; quand je lui parlais de fon peu-
»ple , & que fon coeur paraiffait fitouché
»de la mifère publique ; hélas ! qui eût
prévu le coup terrible dont il était mena-
"ce ? Déjà le glaive invifible de la mort
»était donc fufpendu fur cette tête auguf-
»te. Hélas ! qui eût penfé que nous au-
»rions pului dire alors dans un fens litté
»ral : encore quarante jours , adhuc quadraginta
dies , encore quarante jours ,
& vous ferez porté dans le fépulcre de
»vos pères , & cette même voix que vous
» entendez en ce moment , fera l'inter-
»prète du deuil de votre peuple à vos funérailles.
Faibles mortels , humilions-
»nous devant le Dieu terrible qui enlève
SEPTEMBRE . 1774. ISS
»la vie aux Princes , devant le Dieu terri-
"ble pour les Rois de la terre , terribili & ei
»qui aufert fpiritum Principum , terribili
napud reges terræ.
Odéplorable fragilité de la vie ! ô fai-
»bleffe ! ô vanité de la puiffance & de la
" majefté des Rois ! Louis paraiffait jouir
»d'une fanté fi ferme & fi floriflante ! nous
contemplions avec joie , fur ce front
»majeftueux , le préfage du plus long rè-
»gne de la monarchie ; & voilà que cette
contagion , ajoutée depuis quelques fiè-
>>cles aux misères humaines , & à laquelle
»nous nous flattions que le Roi avait payé
"depuis long temps le fatal tribut qu'elle
»fembleavoit étendu fur tous les mortels ;
"Voilà que ce fléau fi funefte au fang de nos
»maîtres , vient répandre tout- à - coup , au
» milieu de la Cour , le trouble & la conf-
»ternation.
»Vous frémiffez encore , meffieurs ,
»au fouvenir de ces affreux momens. Le
»Roi expirant au milieu des horreurs de
cette maladie cruelle ; fon corps frappé
»de la corruption anticipée du tombeau ;
»privé dans les premiers inftans , comme
celui du malheureux Ofias , des hon-
"neurs funèbres , & emporté précipitam-
»ment , fans pompe , fans appareil , à
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
travers les ombres de la nuit ; les tendres
»& courageufes Princeffes qui ont recueil.
»li fes derniers foupirs , atteintes de la
»même contagion ; l'effroi qui fe joint
»encore à la douleur , la Famille Royale
obligée de fuir la mort de palais en palais...
Dieu terrible , foyez béni au mi-
»lieu de notre malheur ; foyez béni des
»fentimens de pénitence que vous avez
infpirés au Roi dans fes derniers jours ,
»& de nous avoir épargné la penfée dé-
»fefpérante qu'une ame qui nous était
»chère , foit tombée dans votre éternelle
difgrâce.
>> Princes, Pontifes , Grands du Royau-
»me , Magiftrats , Citoyens , rafflemblés
»en ce jour dans la maison des fépulcres
»de vos Rois , dans leur dernière & perpétuelle
démeure , hélas ! leurs palais
»ne font que des afyles de voyageurs ! Se
»pulcra eorum , domus illorum in aternum.
Vous fur- tout que Louis honorait
d'une bienveillance plus diftinguée ,
» & qui lui avez donné , dans les der-
»niers jours de fa vie , des preuves
.
fitonchantes
de votre zèle & de votre attache-
>>>ment ; venez offrir au Seigneur notre
» Dieu vos voeux & vos latmes , pour
sun Prince fi digne de votre tendreffe &
SEPTEMBRE. 1774. 157
»de votre reconnoillance , pour un Prince
» fi digne de l'amour & des regrets de toute
la nation.
"
"Viens-je donc ne faire retentir ici que
»des louanges ? Viens - je renouveler ,
»dans ce temple du Dieu de vérité , ces
anciennes apothéofes où Rome idolâ
tre élevait , fans diftinction , tous fes
Princes au rang des Dieux , fitôt qu'ils
"avaient ceffé d'être hommes ? Loin d'ici
une profane adulation : N'eft ce donc
pas affez que la flatterie ait affiégé les
Princes pendant leur vie , fans qu'elle
»vienne encore fe traîner à la fuite de
» leurs funérailles , & ramper autour de
>>leurs tombeaux ? Louons les hommes
illuftres , célébrons la gloire des Héros
& des Rois ; maisofons déplorer auffi
»leurs malheurs pour l'honneur dela vérité,
& pour l'inftruction des générations qui
leur furvivent.
»A Dieu -ne plaife que j'oublie le ref
»pect qui eft dû à la majefté des Rois
»jufques dans la pouffière de leurs tom
»beaux ; à Dieu ne plaife que j'oublie la
» tendre vénération que nous devons à la
"mémoire de Louis , à la mémoire du
plus doux & du meilleur des Princes .
Et qui peut être plus pénétré que nous de
»>ce fentiment ? Mon Dieu , nous ofons
29
158 MERCURE DE FRANCE .
»vous en prendre à témoin , en préſence
de fon tombeau & de votre autel. Mais
quelle confidération pourrait faire ou-
»blier jamais à un Miniftre de l'Evangile
, le refpect non moins inviolable
"qu'il doit à la vérité ?
30 Placés entre ces deux devoirs , entre
le refpect que nous devons à la vérité ,
& ce refpect que nous devons à la mé-
»moire du Roi , foyons également fidèles
»à l'un & à l'autre : célébrons les vertus
»du Roi , fans manquer à la vérité : dé-
>>plorons fes malheurs , fans manquer à
»fa mémoire : rendons gloire à la vérité ;
rendons gloire au Roi : telle eft l'impar-
»tialité de l'hommage funèbre que nous
»allons rendre à très - grand , très - haut
très puiffant & très excellent Prince
>> Louis XV , Roi de France & de Navar-
>>>re .
-
>
" Roi des Rois , Seigneur des Seigneurs ,
»qui voyez ici la cendre des Souverains
"humiliée aux pieds de vos Autels , &
» qui poffédez feul l'immortalité ; grand
»Dieu , relevez mon ame abattue par la
" douleur ; ne permettez pas que le deuil
"affaiblife le zèle de votre Miniftre . Or-
»gane de la douleur publique , toujours
»je fuis l'organe de vos loix . Infpirez moi
» les leçons courageufes que Jérémie donSEPTEMBRE.
1774. 159.
"nait à votre Peuple , en même temps
»qu'il pleurait fes malheurs .
-
L'orateur , après avoir rappelé les époques
brillantes qui fignalèrent le règne de
Louis XV, en vient à ce titre de Bien- Aimé
, le plus beau des titres qu'une Nation
puiffe donner à fon Roi , puifqu'il an ·
nonce que le Prince a rempli le premier
de fes devoirs. « Rappelez vous , Mef-
»fieurs , avec quel enthouſiaſme unanime ,
»ce Peuple donna à Louis le furnom le
plus glorieux pour un Prince & pour fes
fujets. Car ce n'eft point la voix des
Grands , toujours fufpecte de flatrerie ;
»ce n'eſt point le fuffrage pompeux des ci-
»tés qui décerna à Louis ce beau nom ;
"c'eft la voix libre & ingénue du Peuple ,
»de ce Peuple qui ne fait point flatter les
>>Rois , & qui ne fuit que les mouvemens
de fa franchiſe & de fa tendreffe ; c'est
» le cri du Peuple qui le proclama Louis le
Bien-Aimé. Hélas ! nous ne pouvons
»nous diffimuler combien le malheur des
temps a paru refroidir parmi les Français
» les démonstrations de cet amour. Ainfi
» Dieu permet que les Peuples donnent aux
»Princes cet avertiffement , pour leur
apprendre que file refpect & l'obéiffance
font un devoir inviolable , l'amour des
»Peuples , la plus belle gloire & la plus
160 MERCURE DE FRANCE.

99
douce récompenfe de la royauté , l'a-
»mour des Peuples eft un fentiment libre
» qui n'eſt dû qu'aux bienfaits & à la ver
tu. Alors quand le Prince paraît en pu-
»blic , iln'entend plus retentir autour de
lui les acclamations de fes fujets le
"Peuple n'apas , fans doute , le droit de
"murmurer ; mais , fans doute aufli , il a le
droit de fe taire ; & fon filence eſt la le-
ȍon des Rois.
Ces idées fi fouvent répétées dans les
oraifons funèbres fur la deftinée des grandeurs
humaines reparaiffent dans la péro
raifon de M. l'Evêque de Senès , mais
avec cette magnificence d'expreffion qui
les rend neuves & frappantes . Ce morceau
nous a paru d'un ſtyle fublime . « Le
»jour lugubre , l'heure fatale eft donc
»arrivée , où la France va rendre fon dernier
»hommage à ſon Roi . Déjà Louis XIV a
»cédé fa place à Louis XV : fon cercueil
»vient d'être tranſporté au fond des antres
»funèbres , & Louis le Grand a ſemblé
»mourir une feconde fois . Grands du
» Royaume , Chefs des légions , venez ap-
»porter dans ce gouffre infatiable où va
s'abyfmer la gloire & la majeſté de vos
maîtres , venez apporter les dépouilles
»de la royauté , le fceptre , la couron-
»ne , la pourpre , les trophées , les éten
SEPTEMBRE. 1774. 161
»dards ; venez préfenter à la Mort ces of-
»frandes auguftes arrofées de vos larmes :
»venite,& reddite Domino Deo veftro, om-
»nes qui in circuitu ejus affertis munera :
»Venez , & tremblez devant le Dieu
»terrible qui enlève la vie aux Princes ;
»devant le Dieu terrible pour les Rois de
» la terre .
»Hélas ! quand vous aurez rempli en-
>vers votre Roi ces triftes devoirs ; quand
»cette pompe funèbre , le dernier appareil
»de fa puiflance , la dernière lueur de fa
gloire ; quand cette vaine pompe aura
difparu, que lui restera - t il déformais de
» la magnificence de fon Trône ? Une lam-
»pe funèbre , un voile lugubre , un filence
»profond , qui ne fera interrompu que
»par les voeux des folitaires qui vont prier
fur fon cercueil. Vous allez voir un tefte
»d'appareil le fuivre au tombeau : vain
»fimulacre : fa gloire ne defcendra point
»avec lui fous la tombe : Neque defcendet
» cum eo gloria ejus . Une voix lugubre va
»crier : Louis XV eft mort , & la même
»voix va s'élever au même inftant pour,
»annoncer déjà au fon des inftrumens.
guerriers , la puiffance & la gloire de fon
»fucceffeur. Ainfi , malheureux humains
» au milieu même de vos pompes vous ne
162 MERCURE DE FRANCE .
»pouvez vous empêcher de proclamer
vous même votre néant : ainfi un règne ,
"une génération pale ; un autre règne ,
» une autre génération arrive ; & quel au-
»tre fruit de tous les travaux dont l'hom-
»me fe tourmente fous le foleil ? »
Erafte , ou l'Ami de la Jeuneſſe ; entretiens
familiers dans lefquels on donne
aux jeunes gens de l'un & l'autre ſexe
des notions fuffifantes fur la plupart
des connoiffances humaines , & particulièrement
fur la logique ou la fcience
du raifonnement ; la doctrine , la
morale & l'hiſtoire de la Religion , la
mythologie , la physique générale &
particulière , l'aftronomie , l'hiftoire
naturelle , la géographie , l'hiftoire de
France , &c. Nouvelle édition , par M.
l'Abbé Filaffier. A Paris , chez Vincent
, libraire , rue des Mathurins , hôtel
de Clugny , 1774 ; vol. in- 8 ° . avec
fig. Prix , 5 liv . rel .
Nous avons annoncé dans le Mercure
de Mai 1773 , la première édition de
cette collection bien faite pour apprendre
aux jeunes gens les élémens ou les
notions préliminaires des fciences. La
feconde édition de ce recueil prouve
SEPTEMBRE. 1774. 163 *
l'utilité dont il eft pour l'éducation des
perfonnes de l'un & l'autre fexe . M.
l'Abbé Filaffier s'eft fervi de ce qu'il a
trouvé de bon & d'analogue à fon plan
dans les meilleurs écrivains ; il en a com-.
pofé des entretiens qui font autant de
leçons préciſes dont les maîtres & les élè
ves peuvent fe fervir avec un égal avantage.
Anecdotes Chinoifes , Japonoifes , Siamoifes
, Tonquinoifes , &c. dans lefquelles
on s'eft attaché principalement
aux moeurs , ufages , coutumes & religions
de ces différens peuples de l'Afe;
vol. in - 8 °, A Paris , chez Vincent , imprimeur-
libraire , rue des Mathurins
avec approbation & privilége du Roi.
On a mis l'hiftoire en anecdotes , &
l'on a publié , fucceffivement fous cette
forme , les faits les plus intéreffans des
différentes Nations . L'hiſtoire de laChine ,
du Japon , de Siam & des autres Etats de
l'Afie préfente une fuite de traits curieux
qui font connoître les moeurs , le génie &
le caractère des Peuples de l'Afie . Parmi
ces anecdotes on rapporte comme un fait,
ce qui n'eft qu'un conte allégorique , en
ftyle oriental, dans le Spectateur François,
164 MERCURE DE FRANCE .
année 1773 , & qui n'appartient nullement
à l'histoire chinoife. Il y a d'autres
prétendues anecdotes qui font pareillement
des contes inventés par nos écrivains
François , & revêtus de la pompe
afiatique pour donner de l'éclat à un trait
de morale ou de critique , ou d'imagination
. Il falloit que l'éditeur ne les rapportât
point comme des faits de la Chine ,"
& qu'il eût l'attention de diftinguer ces
fictions , des traits hiftoriques.
"Un Bonze riche & avare avoit fait un
amas confidérable de bijoux : un autre
» Bonze lui marqua quelque defir de les
voir. Le Bonze avare les lui montra
avec beaucoup de fafte. Après que le
Bonze curieux les eut examinés : Je vous
» remercie , lui dit - il , de vos bijoux .
»Pourquoi me remercier , lui dit l'autre?
Je ne vous les donne pas. C'eſt , re-
» prit le fage Bonze , du plaifir que, j'ai eu
de les voir ; c'est tout le profit que vous
» en tirez , & vous n'avez par deffus moi
»que la peine de les garder . Cette diffé-
" rence eſt peu de chofe , & je ne vous
»l'envie point . Cette même anecdote.
eft attribuée , dans le même livre , à un
Mandarin , & rapportée avec peu de
changemens. II y en a donc une imi-.
»
SEPTEMBRE . 1774. 165
tée de l'autre , fans qu'on dife quelle eft
la véritable .
:
·
Voici une Anecdote Japonoife . « Sous
« l'empire de Cubo - Sama , Us - je Saggi fe
»révolta contre cet Empereur ; c'étoit un
»homme de courage & jufte, quoique rebelle
, mais ardent dans fes paffions . Il
devint amoureux d'une très belle fille
„dont la mère étoit veuve & très pauvre.
"II gagna la fille & la mit dans fon férail
. Sa mère , qui ne pouvoit la voir ,
lui écrivit pour la prier de l'aider dans
fa misère. La jeune fille verfa quelques
larmes & cacha la lettre . Us je s'en ap-
»perçut il étoit amoureux & jaloux : il
"crut que la lettre venoit d'un rival : il la
»demande à fa maîtreffe ; mais trop fière
"pour découvrir l'état de fa mère , 'qui
»d'ailleurs étoit veuve d'un foldat qui
» s'étoit diftingué par fa valeur , & qui en
»avoit été mal recompenfé , felon l'ufaelle
s'obſtine »ge , à refufer. Les foupçons
»s'accrurent par la réfiftance ; il veut pren-
"dre la lettre de force , mais la jeune fille
»la roule & l'avale . La refpiration eſt
interceptée & la fille eft fuffoquée . Tous
»les fecours furent inutiles. Us je , per-
»fuadé qu'il étoit trompé , veut connoître
»fon rival. Il fait ouvrir la gorge de fa
»maîtreffe ; on en retire la lettre , & il y
166 MERCURE DE FRANCE.
»lit des détails attendriffans de la pau-
» vreté d'une mère infortunée . Us- je, dou-
»blement frappé & de la mort de la fille
"dont il étoit la caufe , & de fa grandeur
» d'ame , déteſta ſa jaloufie , éleva un mo-
»nument à cette fille généreufe qu'il pleura
long-temps , & fit venir la veuve au-
»près de lui , la combla de bienfaits & la
»regarda depuis comme fa mère . »
Elémens de Chirurgie en latin & en françois
avec des notes. Par M. Sue le jeune
, prévôt défigné du collège de Chirurgie
, adjoint au Comité perpétuel
de l'Académie royale de Chirurgie
chirurgien ordinaire de l'Hôtel - de-
Ville , & c. & c. Vol . in- 8 ° . A Paris ,
chez Vincent , imprimeur libraire, rue
des Mathurins , hôtel de Clugny.
M. Sue a compofé ces Elémens en latin
& en françois, parce qu'il a principalement
eu l'intention de travailler pour les
élèves qui fe deftinent à entrer dans quelqu'un
des colléges de Chirurgie établis
dans les grandes villes du royaume , &
dans lefquels on ne peut être admis qu'avec
l'étude des lettres , & lorfqu'on eft
familiarifé avec la langue latine. Ces
Elémens font précédés d'une longue préSEPTEMBRE.
1774. 167
face dans laquelle l'auteur fait voir la
différence qu'il y a entre fa méthode &
les principes de chirurgie de M. de la
Faye. Il fe montre auffi le zélé défenfeur
des Chirurgiens contre les attaques des
Médecins. Il fe plaint de ce que nous
avons dit que nos Chirurgiens s'occupent
plus aujourd'hui à differter qu'à opérer ,
& manient plus fouvent la plume que le
fcalpel. C'est que nous penfons que leur
art étant principalement de pratique ,
c'eſt en travaillant fur la Nature qu'ils
parviendront plus fûrement à la foulager.
Au refte nous ne prétendons point blâmer
les maîtres de l'art qui ont acquis
une théorie lumineufe par une pratique
long - temps exercée , de nous inftruire
de leurs découvertes & de leurs obfervations.
Mais il feroit dangereux que les
jeunes maîtres , trop preffés d'écrire, abandonnaffent
la route que leur ont montrée
les célèbres Chirurgiens qui differtoient
peu , mais qui opéroient beaucoup. M.
Sue a divifé fes Elémens en cinq parties.
Dans la première , il traite de la Phyfio-
Logie ou de l'économie animale ; dans la
feconde , de l'Hygiène ou de la connoiffance
des caufes qui influent fur la fanté ;
dans la troisième , de la Pathologie ou des
168 MERCURE DE FRANCE:
caufes & des lignes des maladies ; dans
la quatrième , de la Thérapeutique ou des
moyens curatifs des maladies ; enfin dans
la cinquième partie il parle de la faignée,
de plufieurs remèdes externes chirurgicaux
, & de la pharmacie chirurgicale. Ces
Elémens renferment , comme l'on voit ,
un cours de chirurgie théorique & pratique
, utile aux jeunes gens pour prendre
une connoiffance générale de cet art . Le
libraire avertit qu'il a fait imprimer féparément
des exemplaires feulement
françois pour ceux qui veulent avoir les
Elémens fans le latin .
Traité théorique & pratique des Maladies
inflammatoires , par M. J. J. Carrère
confeiller ordinaire du Roi , infpecteur-
général des eaux minérales de la
province de Rouffillon & du comté de
Foix , docteur en médecine de l'Univerfité
de Montpellier , de la Société
royale des fciences de la même ville ,
&c , & c. vol. in- 12 . A Paris , chez Vincent
, impr. libraire , rue des Mathurins
, hôtel de Clugny.
Les Commiffaires nommés par la Société
royale des fciences de Montpellier
pour examiner cet ouvrage , eftiment qu'il
fera
SEPTEMBRE. 1774. 169
fera d'une utilité marquée pour les Médecins.
L'auteur , après avoir folidement
traité de l'inflammation en général , defcend
dans un détail très inftructif fur le
diagnoftic , le pronoftic , les caufes & la
curation des différentes maladies inflammatoires
, tant internes qu'externes. Sa
doctrine eft par- tout étayée des noms les
plus refpectables en médecine , & fa pratique
eft conforme à celle des meilleurs
Médecins.
>
Nouveau Dictionnaire hiftorique , ou hiftoire
abrégée de tous les hommes qui
fe font fait un nom par des talens , des
vertus , des forfaits , des erreurs , & c ,
&c. Tome cinquième , in - 8 ° . renfermant
les additions corrections &
améliorations de l'édition de Paris ,
1772 , en 6 vol . in - 8° . & fervant de
fupplément aux éditions d'Avignon
1766 & 1771 , & à celles de Rouen
1769 & de Lyon 1770 , toutes publiées
fous le titre d'Amſterdam ; vol . in- 8° .
A Paris , chez le Jay , libraire , rue St
Jacques ; & à Caen , chez le Roy , im .
primeur du Roi , grande rue Notre-
Dame.
C'eſt en faveur des premiers acheteurs
H
170 MERCURE DE FRANCE.
du Dictionnaire hiftorique que ce fupplément
eft publié. Il renferme tout ce
que les éditeurs ont cru néceffaire à la
perfection de l'ouvrage , & tout ce qu'on
trouve dans l'édition de Paris. Ce fupplé
ment offre de plus des corrections pour
les différentes éditions .
Le Vindicatif, drame en cinq actes & en
vers libres , repréfenté pour la première
fois par les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 2 Juillet 1774. Prix ,
30 fols. A Paris , chez Delalain , rue &
á côté de la Comédie Françoiſe , 1774,
Le but de ce drame eft d'infpirer l'horreur
de la vengeance. J'ai voulu , dit l'auteur
, prouver que les affections les plus
douces , les liens les plus tendres , les
fentimens les plus chers à l'humanité ne
pouvoient rien fur une paffion qui prend
fa fource dans un amour - propre immodéré
& inflexible. Quel exemple plus
frappant de cette vérité , qu'un frère qui
trame avec noirceur & diffimulation le
malheur de fon frère , & qui fe voit enfin
démafqué , couvert d'opprobre , déchu
d'un grand nom & forcé d'errer for la
terre , fans parens , fans amis & fans afyle
? Cependant le caractère du Findicatif
SEPTEMBRE. 1774. 171
ayant révolté le Public à la première repréfentation
, l'auteur a été obligé de l'adoucir
, de le mutiler , de fubftituer l'adreffe
à la force , de le montrer moins
aux yeux du fpectateur & de le faire agir
le plus fouvent derrière la fcène . Nous
avons déjà rendu compte de ce drame ;
mais on connoîtra mieux par la dernière
fcène que nous allonsrapporter, le ſtyle de
l'auteur , le plan de la pièce , les différens
caractères des perfonnages , la fin des intrigues
odieufes du Vindicatif&le but moral
que le poëte s'eft propofé de montrer.
Milord Dély , l'objet de la jalouſie de
l'époux , & bleffé par lui dans un combat
particulier ; Sir- James , l'affaffin de fon
ami , le jouet & la victime du Vindicatif
fon frère ; Mifs Vorthy , femme vertueufe
& l'amante du paffionné Sir James , tous
ces perfonnages font raffemblés chez Milord
St Albans , Chef de la Juftice , qui
eft tourmenté par le devoir rigoureux de
fon ministère & par fa pitié paternelle
pour un fils plus malheureux que crimi
nel.
MISS-VORTHY , à demi-voix.
Ah ! Sir-James , reprends tes efprits égarés.
DÉLY , au Juge.
Milord , on répond de ma vie ;
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Ne craignez rien pour moi . Mais vous allez fré
mir ;
C'est un mystère affreux que je vais découvrir.
Je dois remplir ce triſte miniſtère ,
Et réparer mon crime involontaire...
Je viens rendre un fils à ſon père ,
Un époux à fa femme , à mon coeur un ami.
Non , Sir-James n'eft point coupable ,
Son frère feul l'avoit trahi.
Nous étions les jouets d'un fourbe abominable.
Il aima Mifs Vorthy ; fon amour dédaigné
Alluma la vengeance en fon coeur indigné ;
Il m'a caché que Fleins étoit fon frère;
Il m'a trompé , féduit , pour remplir la colère.
Me voyant fans péril , il m'a tout avoué ;
Et frémiflant de voir fon projet échoué ,
Loin de nous pour jamais fon déleſpoir l'entraîne
.
Artifan de ſes maux , victime de ſa haine ,
Sans parens , fans amis , fans patrie & fans nom ,
Et feul dans l'Univers , errant à l'abandon ,
Il emporte avec lui fon forfait & fa peine.
MILOR D.
Monftre ! Monftre exécrable ! Infame trahilon !
Sauve- toi malheureux , fauve- toi de ton père ,
Et fuis devant la loi qui s'arme contre toi.
Je te maudis ; tes jours font voués à l'effroi ,
Et j'appelle fur cux l'opprobre & la misère.

SEPTEMBRE. 1774, 173
MISS VORTHY.
Malheureux Saint- Albans ! .. Ah ! Sir- Jame !
SIR - JAME S.
Ah ! mon frère !
Quelle effrayante & foudaine lumière !
Quoi ! mon frère ! .. Dély , j'ai violé ma foi ,
Et j'ai moi feul allumé fa colère.
MILORD , revenant d'un profond
accablement.
Laiflez ces tranfports douloureux ,
Et daignez refpecter un vieillard malheureux...
Infenlé , j'ai fuivi mon propre caractère ;
J'ai cru que la rigueur inflexible & févère
Etoit le frein du vice & l'appui des vertus ;
J'ai traité mes enfans plus en juge qu'en père ;
Et c'est moi qui les ai perdus !
DÉLY.
L'amour & l'amitié m'ont rendu bien coupable ,
Milord : délivrez-moi du fardeau qui m'accable ;
Affurez le bonheur de deux tendres époux ,
Béniflez vos enfans .
(Il les unit, & les préfente au Lord
Saint- Albans.)
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
MISS VORTHY & SIR- JAMES.
Je tombe à vos genoux. "
MILORD , les relevant.
Belle Vorthy , relevez - vous :
Croyez que les vertus ont des droits fur mon
ame ;
Oublions à jamais une odieufe trame
Dont mon oeil effrayé cherche à fe détourner.
Si vous pouvez m'aimer , je puis me pardonner.
J'approuve votre hymen & je le ratifie ;
Et , moi - même à fes pieds courant mè profterner
,
Avec Milord Vorthy je me réconcilie.
MISS VORTHY , fe jetant dans fes bras.
Ah ! mon père ! Ce mot échappe de mon
coeur ;
...
Permettez ce tranſport à ma reconnaiſlance,
MILOR D.
Je la mériterai ; voilà ma confiance :
Aimez-moi ; je me fais honneur
En relevant par vous une illuftre famille :
Je n'ai plus qu'un feul fils ; tenez - moi lieu de
fille :
Allons ; & que le Ciel nous foit propice & doux ;
Méritons de fa main des deftins plus profpères.
SEPTEMBRE. 1774. 175.
Monfils , que ce jour foit pour vous
La leçon des maris , & l'école des pères.
Dictionnaire de la Nobleffe , contenant
les Généalogies , l'Hiftoire & la Chronologie
des Familles Nobles de France ,
l'explication de leurs Armes , & l'état
des grandes Terres du Royaume
aujourd'hui poffédées à titre de Principautés
, Duchés , Marquifats , Comtés
, Vicomtés , Baronnies , & c. par
création , héritages , alliances , dofubftitutions
mutations
achats ou autrement . On a joint à ce
Dictionnaire le Tableau généalogique ,
historique des Maifons Souveraines
de l'Europe , & une notice des Familles
étrangères , les plus anciennes , les
plus nobles & les plus illuftres ; par
M. de la Chenaye - Defbois ; feconde
édition . Tome VII . A Paris , chez Antoine
Boudet , libraire - imprimeur du
Roi , rue St Jacques ; 1774 , avec approbation
& privilége du Roi.
nations , >
Le tome VII du Dictionnaire de la Nobleffe
, propofé par foufcription , paroît ,
& eft composé de toute la Lettre G & de
Ha. Dans le huitième , qui eft fous preffe ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
fe trouveront le refte de l'H , I , K , &
une partie de la Lettre L.
Meffieurs les foufcripteurs font priés de
le faire retirer , & les précédens qui peuvent
leur manquer. La foufcription eft
ouverte chez l'auteur M. de la Chenaye-
Desbois , rue Saint - André- des-Arcs , à
côté de l'hôtel d'Hollande , au coin de la
rue des Grands- Auguftins ; & auffi chez
Antoine Boudet , libraire imprimeur du
Roi , rue St Jacques à Paris . Il faut affranchir
les lettres & mémoires que l'on
adreffe foit à l'Auteur , foit aa libraire :
on ne fera aucun ufage des mémoires ano.
nymes qu'on enverroit ; il les faut fignés
& en forme probante avec l'adrefle
exacte de ceux qui les envoient.
>
Les perfonnes qui fe bornent à envoyer
des mémoires , fans foufcrire , pour cet
Ouvrage , font averties qu'à caufe des
grands frais qu'occafionne au libraire cette
entreprife , on ne pourra donner qu'une
notice courte & précife de leur mémoire
à moins qu'elles ne payent les frais d'impreffion
de tous les détails qu'il leur autoit
plu d'envoyer. On avertit encore
qu'on ne foufcrit pas pour un volume
feul , mais pour tout l'ouvrage. Bien des
gens ne voudroient que le volume où leur
SEPTEMBRE 1774 177
Généalogie fe trouve : c'eft ce qu'on ne
peut leur accorder , parce que cela feroit
refter , dans le magafin du libraire , des
exemplaires impartaits , dont il ne feroit
pas poffible qu'il fe défit ; ce qui lui poricroit
un grand préjudice .
On fouferit , pour ce dictionnaire , à
raifon de 12 liv . par volume en feuilles ,
& en en payant deux d'avance .
Ceux qui n'auront pas foufcrit payeront
fur le pied de 18 liv . par chaque volume.
Cette ample collection formera treize à
quatoze volumes , y compris celui des additions.
On délivre aux foufcripteurs tous les
quatre mois un volume , qu'on ne manque
pas de faire annoncer dans les écrits
publics , pour que les Soufcripteurs de
Province & de Paris en foient avertis.
Comme l'objet de ce Dictionnaire eft
de former un répertoire des premières
Maifons & des Familles nobles , anciennes
& nouvelles (principalement en France)
tant de celles qui font éteintes que de
celles qui fubfiftent , ces dernières qui
n'ont point encore envoyé leurs mémoires
en forme probante , peuvent le faire ,
foit par la voie de l'auteur , foit par celle
de l'imprimeur , fous quelque lettre de
Hv
173 MERCURE DE FRANCE:
l'alphabet qu'elles foient , parce que
quand même leurs mémoires fe trouveroient
n'être pas arrivés à temps , ce ne
feroit jamais en vain qu'on les auroit envoyés
. Ils feront employés en addition au
volume qui fuivroit leur lettre , & fi cela
n'étoit pas poflible , dans le fupplément
réfervé à la fin de tout le Dictionnaire ,
pour les mémoires arrivés trop tard , &
où l'on fuivra pareillement l'ordre alphabétique
. C'eft ainfi que l'inconvénient en
fera peu fenfible , & d'autant moins encore
que la table générale ne devant être
faite qu'après l'impreffion du fupplément
même , elle les contiendra tous en leur
rang .
La préfente invitation s'adreffe auffi
aux Familles étrangères , les plus anciennes
& les plus nobles , dont les noms font
connus , foit par les alliances qu'elles ont
contractées en France , foit par les fervices
qu'elles y ont rendus. On en trouve beaucoup
dans les fept premiers volumes qui
paroiffent ; on en trouvera de même
dans les fuivans , fi les Familles nobles
étrangères font paffer à l'auteur ou au libraire
, franc de port , leurs mémoires lifiblement
& correctement écrits , & conftatés
par de bonnes preuves , avec citation
des auteurs qui en parlent.
SEPTEMBRE . 1774. 179
Inftitutions Militaires , ou Traité élémentaire
de Tactique , précédé d'un difcours
fur la Théorie de l'Art Militaire ;
3 vol. in- 8°. broché . 9 liv. Aux Deux-
Ponts ; & à Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriftine .
Nous rendrons compte inceffamment
de cet ouvrage utile.
ACADÉMIES.
Séance publique de l'Académie Française.
M. SUARD , connu par une excellente
traduction de l'hiftoire de Charles Quint,
& par plufieurs morceaux pleins d'efprit
& d'agrément inférés dans les Variétés
littéraires , diftingué d'ailleurs par ce goût
exquis & ces connoiffances variées qui
placent le véritable littérateur fort au - def
fus de l'écrivain médiocre , fur-tout dans
un temps où la médiocrité eft devenue f
commune & fi facile , a pris féance à l'Académie
Françaiſe le jeudi 4 Août. Le fujet
de fon difcours ne pouvait être plus inté-
* Article de M. de la Harpe.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
reflant pour l'affemblée devant laquelle
il devait être prononcé. C'eft la défenſe
des lettres & de la philofophie contre les
calomnies de la haine & les préjugés de
l'ignorance. Il fait voir que la philofophie
, bien loin de nuire aux arts , les a
foutenus dans leur décadence ; que bien
loin d'être ennemie de l'autorité , elle a
fait connaître les véritables droits des
Princes & les avantages d'une obéiflance
paifible que bien loin de combattre la
vraie Religion , elle a fervi à l'épurer &
à en réformer les abus . Cet ouvrage plein
de ces vérités utiles & folides que l'on
trouve rarement dans les difcours de ce
genre , eft femé d'idées fines & juftes
revêtues d'un ftyle élégant & facile . Nous
nous bornerons à citer le morceau qui regarde
les arts .
" L'efprit philofophique appliqué aux
arts ne confifte pas , comme on l'a cru
"ou comme on a feint de le croire , à
foumettre leurs productions aux loix
»d'une précifion rigoureufe ou d'une vé-
»rité abfolue ; mais feulement à remonter
aux vrais principes des arts , à chercher
»dans l'examen de leurs procédés & dans
la connoiffance de l'homme , la raifon de
leurs effets & les moyens d'étendre ou
»d'augmenter leur énergie.
SEPTEMBRE. 1774. 181
»Vers le commencement de ce ſiècle ,
wil s'était formé un eſpèce de confpiration
»contre la poësie. Cette ligue avoit pour
"chefs deux hommes célèbres , doués de
»cette portion de goût que peut acquérir
"un efpritfin & juſte accoutumé à obſerver
»& à comparer , mais abfolument privés
હૈ
»de ce goût plus délicat qui tient à une
»fenfibilité naturelle fans laquelle on ne
»peut juger les productions des arts . Il n'a
" pas tenu à eux qu'on ne regardât les vers
"comme une combinaiſon puérile de
»fons , dont le feul mérite était d'amufer
»l'oreille pour déguifer la faufſeté des pen-
»fées , ou pour donner un air de nouveauté
à des idées communes. Ils appuyaient
»ce paradoxe de fophifmes d'autant plus
» fpécieux , qu'ayant fait avec affezde fuccès
»beaucoup de vers où l'efprit imitait quel-
»quefois le talent , ils paraiffaient facri
»fier leur amour- propre à l'intérêt de la
»vérité. Heureufement pour le bon goût
»il s'éleva dans le même temps un hom-
»me extraordinaire , né avec l'ame d'un
»poëte & la raiſon d'un philoſophe. La
»Nature avait allumé dans fon fein la flam-
»me du génie & l'ambition de la gloire.
"Son goût s'était formé fur les chef-
»d'oeuvres du beau fiècle dont il avait v
182 MERCURE DE FRANCE.
»la fin ; fon efprit s'enrichit de toutes les
>>connaiffances qu'accumulait le fiècle de
»lumières dont il annonçait l'aurore . Si
»la poëfie n'était pas née avant lui , il
l'aurait créée . Il la défendit par des rai-
»fons ; il la ranima par fon exemple ; il
»en étendit le domaine fur tous les objets
»de la Nature. Tous les phénomènes du
»ciel & de la terre , la métaphyfique & la
» morale , les révolutions & les moeurs
»des deux mondes , l'hiftoire de tous les
»peuples & de tous les fiècles lui offrirent
"des fources inépuifables de nouvelles
»beautés. Il donna des modèles de tous
»les genres de poëfie , même de ceux qui
»n'avaient pas encore été effayés dans
»notre langue. Il rendit le plus beau des
arts à fa première deftination , celle
»d'embellir la raifon & de répandre la vé-
»rité. L'humanité fur tout refpira dans
"tous les écrits , & leur imprima ce ca-
»ractère noble & touchant qui donnera à
»l'auteur encore plus d'admirateurs & d'a-
" nis dans les fiècles futurs qu'il n'a eu
»dans le nôtre d'envieux & de calomniateurs.
Ainfi , loin d'être le fléau des
beaux arts , la philofophie en a confervé
le feu facré.Loin de corrompre le goût,
elle n'a fait que l'épurer & l'étendre.
SEPTEMBRE . 1774. 183
>>On eft devenu plus difficile fans doute
»fur la jufteffe des figures & des expreffions
, fur l'ordre & l'exactitude des pen-
»fées. Il ne fuffit plus d'accoupler avec
»facilité des rimes exactes & de revêtir
"des idées triviales de ces images parafi-
»tes de l'ancienne mythologie , agréables
elles- mêmes , mais devenues infipi-
»des par un emploi trop répété ; eſpèce
»de jargon que les jeunes gens prennent
»pour de la poëfie, & qui n'en eft , pour
»ainfi dire, que le ramage. Il faut aujour-
»d'hui fatisfaire l'efprit auffi bien que
»l'oreille , & ne s'adreffer à l'imagination
»que pour arriver plus fûrement à l'ame.»
"par
Ces objets ont été fouvent traités ; mais
il est bien tare qu'on air mis dans cette
difcuffion autant de jufteffe , de préciſion
& d'impartialité.
M. Greffet , directeur de l'Académie ,
chargé de répondre au récipiendaire ,
commence par rendre un jufte témoignage
aux titres littéraires & aux qualités perfonnelles
qui lui ont mérité la place qu'il
occupe .
"Nous devons à vos travaux des fruits
»de la littérature étrangère . L'Académie
»Françaiſe , en vous adoptant , acquitte une
»dette de la littérature nationale . Vos pre-
»miers titres confignés dans le Jour na
184 MERCURE DE FRANCE.
"
»Etranger & dans les quatre volumes des
variétés littéraires , fe font étendus par la
» traduction de l'hiftoire anglaiſe de Char-
»les -Quint , traduction pleine d'ame
»de force , d'élégance , & vantée par
»l'auteur même de l'ouvrage ; hommage
affez rarement rendu par l'amour propre
paternel . Je m'arrêterais avec juftice
»fur la manière heureuſe dont vous avez
fait parler la langue françaiſe aux écrivains
des autres Nations ; fur les ouvra-
»ges que nons avons droit d'attendre de
»vous ; fur ces qualités fi précieuſes dans
»le commerce de la vie ; fur ce caractère
fociable , le premier talent , le premier
wefprit pour le bonheur perfonnel , ainfi
» que pour celui des autres ; caractère par-
»tout fi defirable , mais fur tout dans la
carrière des lettres où l'on en donne inustilement
des préceptes , fi l'on n'y joint
"l'exemple , la première des leçons ; ca-
»ractère que vous avez fi bien prouvé par
» l'union de vos travaux avec ceux de l'a-
»mitié . »
M. Greffet fe propofe enfuite d'examiner
l'influence des moeurs fur le langage ,
& les changemens que cette influence a
produits de nos jours dans la langue francaife
; queftion auffi intéreffante que philofophique.
Mais fans blefler le refpect
SEPTEMBRE. 1774. 185
*
que l'on doit aux talens fupérieurs
& que
nous aimons à rendre au poëte aimable à,
qui nous devons des ouvrages charmans,
qui dureront autant que notre langue ;
qu'il nous foit permis d'obferver que
peut être M. Greffet n'a pas faifi, le véri
table point de vue fous lequel il fallait
envifager cette question . Quel étrange.
»idiome , dit M. Greffet , eft affocié à
»notre langue par les délires du luxe &
»par les variations des fantaisies dans les
»meubles , les habits , les coëffures , les
ragoûts , les voitures ! Quelle foule de.
»termes effentiels depuis l'ottomanne jul
"qu'à la chiffonnière , depuis le frac juf-
»qu'au caraco , depuis les baigneufes jul
qu'aux Iphigénies , depuis le cabriolet
*jufqu'a la défobligeante
! »
Rien n'eft plus arbitraire ni plus étranger
augénie d'une langue que ces dénomi
nations des chofes qui font d'ufage journalier
. Ce font prefque toujours les ouvriers
de luxe qui ont donné des noms
aux différentes inventions de leur art.
Mais ce n'eft ni chez les felliers , nichez
les marchandes de modes qu'il faut chercher
les révolutions de notre Idiome. Il
importe peu de favoir comment on appelle
aujourd'hui caraco ce qui s'appelait
d'abord pétenlair. L'un vaut bien l'autre,
186 MERCURE DE FRANCE.
Les noms des modes tiennent fouvent aux
événemens publics . C'eft un artifice des
marchands pour attirer l'attention . Quand
les Princes de Conti & de Vendôme revinrent
de la bataille de Steinkerque avec
leurs mouchoirs paffés autour de leur col ;
les Dames appelèrent Steinkerque une
parure à- peu près femblable qui devint
de mode , & pendant quelque temps tout
fut à la Steinkerque. Il y a quelques années
que tout était à la Silhouette ; & aujourd'hui
tout ce qui fait du bruit , un
opéra , un charlatan , &c. donne fon nom
à des rabatières ou à des bonnets , ce qui
eft un des grands avantages de la célébrité
& un des premiers caractères de la gloire.
-
C'était fans doute un homme d'efprit
que celui qui , le premier , imagina d'appeler
chenille un habillement négligé . Cet
homme était bien fûr d'être un brillant
papillon , dès qu'il ferait paré. Il y a
vraiment de l'invention dans ce terme .
On ne peut pas être auffi content de mirliflore
, dont on n'entend pas trop l'étymologie
; mais ce qui eft étonnant , c'eft
d'entendre toutes ces belles expreffions
dans un difcours académique .
Quant aux expreffions exagérées & précieufes
qui ont toujours été d'ufage dans
un monde nombreux , on s'en est touSEPTEMBRE.
1774. 187
jours moqué , on les a tournées en ridicule
fur le rhéâtre depuis Molière juſqu'à
Vadé . Mais il y a un certain nombre
d'exagérations convenues qui font demeurées
dans la converfation , & qui font fans
conféquence , parce que perfonnne n'en
eft la dupe. Lorfqu'on vous dit qu'on
eft défolé de ne pouvoir dîner avec vous ,
cela n'eft pas plus croyable dans un fens
rigoureux que lorfqu'on vous écrit : j'ai
l'honneur d'être votre très - humble ferviteur ,
quoiqu'on ne foit ni humble ni ferviteur ,
& fur tout qu'on n'ait point l'honneur de
l'être.
Ce ne font donc point ces hyperboles
d'ufage qui peuvent influer fur la langue.
Elles ne paffent point jufqu'aux ouvrages.
A l'égard du ftyle précieux , affecté , entortillé
, il n'eft que trop commun ; &
quelle en eft l'origine ? L'ambition de
montrer de l'efprit ; manie beaucoup plus
épidémique qu'elle ne l'a jamais été . On
veut avoir de l'efprit fur- tout ; on cherche
le neuf, & l'on ne trouve que le bizarre .
Voilà ce que M. Greffet aurait pu exami
ner. Il aurait pu trouver auffi dans l'efprit
philofophique plus répandu de nos jours
qu'il ne l'avaft encore été , la caufe de
cette accumulation de termes abftraits pro188
MERCURE DE FRANCE.
digués même dans de bons ouvrages & qui
jettent des nuages fur le ftyle. Ainfi les
inconvéniens en tout genre font à côté des
avantages. Il aurait pu trouver dans cette
prétention univerſelle à la fenfibilité , aujourd'hui
fi fort à la mode , l'origine de
cetre profufion de mouvemens oratoires
& de figures forcées que l'on appelle de la
chaleur , quoique tout ce qui eft faux &
déplacé foit toujours néceffairement froid.
M. Greffer aurait pu confidérer fous beaucoup
d'autres afpects cette influence réelle
des moeurs fur le langage qui pourrait former
le fujet d'un traité curieux & intéresfant.
Nous devons rappeler en finiffant com .
bien le Public a trouvé de délicateffe &
de précision dans l'éloge du jeune Mo.
narque , aujourd'hui l'objet de tant d'amour
& de tant de louanges. M. Strard l'a
fait en peu de lignes ; mais chaque ligne
eft une vérité. « Ce Monarque fi -jeune ,
»dit- il , & déjà fi chéri , dont le premier G
"édit a été un bienfait public , & la pre-
>>mière maladie une leçon de courage ;
»qui ne règne que depuis deux mois ,
»qui depuis deux mois a choifi quatre
»Miniftres , & qui n'a choifi pour Miniftres
que des hommes éclairés & verSEPTEMBRE.
1774 189
»tueux ; qui détefte ou plutôt qui mé-
» prife la flatterie ; qui encouragera les
lettres & la philofophie ,, comme les
"organes de la vérité qu'il aine & des ver-
>>tus dont il donne l'exemple . »
Il faut joindre à cet éloge ce trait fi ingénieux
& fi applaudi de M. l'Abbé de Radonvilliers.
Jufqu'ici l'on difait aux Rois
"de fe garder des flatteurs ; déformais il
»faudra dire aux flatteurs de fe garder du
Roi. Ce trait mérite de paffer en proverbe.
M. d'Alembert a terminé la féance par
la lecture d'un Eloge de Maffillon , qui
doit faire partie de la continuation de
l'hiftoire de l'Académie qu'entreprend
M. d'Alembert , à commencer depuis
1770. L'ouvrage de cet illuftre académicien
qui réunit , comme a fi bien dit M.
l'Abbé de Lille , la préciſion & l'énergie
fpartiates à l'élégance & à la fineffe attiques
, a été entendu avec les plus grands
applaudiffemens .
190 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique a donné,
le mardi 2 Août , la première repréfentation
d'Orphée & Euridice , drame
héroïque en trois actes .
Le poëme a été traduit de l'italien par
M. Moline.
La mufique eft de M. le Chevalier
Gluck .
On rend les honneurs funèbres au tombeau
d'Euridice ; le choeur des Nymphes
& de la fuite d'Orphée fait entendre de
lugubres accens qu'Orphée interrompt par
les cris de fa douleur. Il chante :
Objet de mon amour ,
Je te demande au jour
Avant l'aurore ;
Et , quand le jour s'enfuit ,
Ma voix pendant la nuit
T'appelle encore.
L'Amour , touché des plaintes de l'amant
le plus tendre , vient à fon ſecours ;
il annonce à Orphée que les Dieux conSEPTEMBRE.
1774. 191
i
fentent qu'il aille trouver Euridice au
féjour de la Mort ; & fi les doux accords
de fa lyre peuvent appaifer les Tyrans des
Enfers, il rendra fon amante à la lumière ;
mais , lui dit l'Amour :
Apprends la volonté des Dieux :
Sur cette épouse adorée ,
Garde toi de porter un regard curieux ;
Ou de toi , pour jamais tu la vois léparée;
Tels font de Jupiter les fuprêmes décrets ;
Rends-toi digne de fes bienfaits.
ORPHÉE , feul.
Impitoyables Dieux ! qu'exigez - vous de moi ?
Comment puis -je obéir à votre injuſte loi ?
Quoi ! j'entendrai fa voix touchante ;
Je prefferai fa main tremblante
Sans que d'un feul regard ! .. Oh Ciel ! quelle ri
gueur! ..
Eh bien... j'obéirai ! je (aurai me contraindre.
Eh ! devrois- je encore me plaindre
Lorfque j'obtiens des Dieux la plus grande faq
yeur ?
AIR :
L'espoir renaît dans mon ame.
Pour l'objet qui m'enflamme ,
L'amour accroît ma flamme ,
Je vais revoir les appas.
L'enfer en vain nous fépare ;
192 MERCURE DE FRANCE.
Les monftres du Tartare
Ne m'épouvantent pas !
Les Démons , étonnés de l'audace
d'Orphée , veulent l'effrayer & l'arrêter.
Orphée , uniffant fa voix plaintive aux
accords touchans de fa lyre , fait fentir la
pitié à ces gardiens terribles des Enfers.
Eux-mêmes lui en ouvrent l'entrée. Il
pénètre jufqu'à la demeure des Ombres
fortunées. Euridice lui eft rendue ; Or
phée l'emmène fans ofer porter fur elle
un regard qui lui feroit funefte.
Euridice ne peut foutenir l'indifférence
apparente de fon époux , & le refus qu'il
fait de la regarder & de répondre à fa
vive tendreffe.
ORPHE E.
Par tes foupçons ceffe de m'outrager.
EURIDIC E.
Tu me rends à la vie, & c'eft pour m'affliger.
Dieux , reprenez un bienfait que j'abhorre !
Ah ! cruel époux , laiſſe- moi !"
DUO.
ORPHÉE.
Viens , fuis un époux qui t'adore.
EURIDICE.
SEPTEMBRE. 1774. 193
EURIDIC E.
.
Non , ingrat , je préfère encore
La mort qui m'éloigne de toi !
ORPHÉE .
Vois ma peine.
EURIDIC E.
Laifle Euridice.
ORPHÉE.
Ah ! cruelle ! quelle injuſtice !
Je fuivrai toujours tes pas.
EURIDIC E.
Parle , contente mon envie.
ORPH E.
Dût- il m'en coûter la vie,'
Non , je ne parlerai pas ?
EURIDICE &
ORPHÉE , à part;
Dieux ! foyez-moi favorables :
Voyez mes pleurs ,
Dieux ! dieux fecourables !
Quels tourmens infupportables
Mêlez-vous à vos faveurs !
Euridice fuccombe à fa douleur , & fait
les derniers adieux à fon époux . Orphée
I
194 MERCURE DE FRANCE .
ne pouvant plus réfifter à des épreuves fi
cruelles , s'empreffe de porter du fecours
à fon amante , la regarde , & elle meurt :
ce malheureux amant fe livre à tout fon
défefpoir. Il tire fon épée pour fe tuer.
L'Amour l'arrête. Ce dieu rend la vie à
Euridice , & couronne les feux du plus
fidèle époux . Op célèbre la puiffance &
les faveurs de l'Amour.
Le poëte , obligé d'adapter le français
aux paroles italiennes , n'a pu faire que
des vers quelquefois contraints , & foavent
irréguliers; mais il a eu le mérite de fuivre
les mouvemens & les formes de la mulique
, & de la naturalifer en quelque forte
fur notre théâtre .
6976
L'action eft fans doute beaucoup trop
fimple pour trois actes. Sa lenteur & fon
uniformité la font languir. Les retards
d'Orphée , & l'ifréfolution des amans , en
fortant des enfers , nuifent à l'intérêt:& font
même contre la vraifemblance. Mais la
mufique fupplée à ces défauts . Elle confir
mel'idée que l'opéra d'l higénie avoit déjà
donnée du génie & du grand talent de M.
le Chevalier Gluck pour peindre & pour
exprimer les affections de l'ame .
L'ouverture eft un beau morceau de
fymphonie qui annonce trés -bien legen .
SEPTEMBRE. 1774. 195
re de ce fpectacle. Il nous a paru feulement
que le motif ou le trait principal
de mafique fe repréfente trop louvent & y
met un peu de monotonie. Le choeur de
la pompe funèbre eft de la plus riche & de
la plus touchante harmonie. Les cris
d'Orphée qui appelle fon Euricide , font
d'un grand pathétique. Tout ce magnifique
morceau & les airs attendriflans qui
le fuivent , répandent dans l'ame la trifreffe.
On eft enchanté des chants doux &
infinuans de l'Amour confolateur. L'air
de la fin du premier acte , l'espoir renaît
dans mon ame , ne peut être plus brillant,
mieux ordonné , mieux contrafté & plus
propre à faire reffortir le talent d'un habile
chanteur & d'une voix fuperbe , tel
que M. le Gros.
Le Choeur terrible & le fameux non
des Démons , en oppofition avec les priè
res & les accens fi tendres & fi touchans
' Orphée, dont l'accompagnement eft imité
de la lyre , produifent le plus grand
effet. Il y a bien de l'art encore dans la
manière dont le muficien a fu rendre la
pitié contrainte des Démons qui ne pouvant
rélifter au talent vainqueur d'Orphée
, lui ouvrent eux mêmes le chemin
des enfers. Le bonheur tranquille des
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Champs Elysées fe peint & le réfléchit en
quelque forte dans la muſique douce du
Choeur & des chants des Ombres fortunées.
Cette pompe funèbre , ces Enfers , ces
Champs Elysées rappellent les mêmes tableaux
exécutés pareillement dans l'opéra
de Caftor de Rameau , & ne les font pas
oublier. Nous croyons inême que la mufique
du Compofiteur François eft mieux
fentie , plus appropriée , & , pour ainfi
dire , plus locale que celle de M. le Chevalier
Gluck . Elle eft ici empruntée du
genre paftoral ; & il lui falloit peut - être
une autre nuance ,
La fcène du troisième acte , entre Euridice
& Orphée , eft , comme nous l'avons
dit , languillante , malgré le Duo
fublime , de la plus étonnante & de la
plus vive expreffion , qui feul fuffiroit pour
caractériſer un homme de génie . Le'récitatif
employé dans cet opéra fe rappro
che beaucoup de celui de Lulli , mais de
fon récitatif débité , déclamé & parlé
comme vraisemblablement ce muficien
le faifoit exécuter , & non chanté, comme
il l'a été abuſivement après la mort . Les
morceaux de fymphonie & d'accompa
gnement font très -bien faits , quoiqu'ils paSEPTEMBRE.
1774. 197
-
roiffent quelquefois chargés de beaucoup
de traits & d'accords recherchés & contraftés
, qui embarraffent fouvent l'expreffion
d'autant plus fûre qu'elle eft moins
compliquée .
Les airs de danfe de cet opéra font en
général plus foignés & plus variés que ceux
d'Iphigénie; il en eft plufieurs d'un tour ori
ginal & piquant que Rameau lui - même
eût enviés. Il n'y a , dans cet opéra , que
deux rôles principaux . Euridice eft parfaitement
jouée & chantée avec beaucoup
d'ame , d'intelligence & de précision par
Mile Arnould qui , dans fon abfence , ne
peut être mieux remplacée que par Mile
Beaumefnil , actrice aimable & ſenſible ,
& muficienne excellente . Orphée eſt trèsbien
repréſenté par M. le Gros qui , à la
voix la plus parfaite , au talent le plus
brillant , & au chant le plus fûr , unit encore
le jeu le plus animé & le plus expreffif.
Mlle Rofalie joue & chante avec
beaucoup d'agrément fon rôle favori de
l'Amour. Mile Châteauneuf la remplace
dans ce rôle , & y eft applaudie.
Les ballets de la pompe funèbre & des
Enfers font de la compofition de M. Gardel
; ceux des Champs - Elysées & de l'Amour
font de M. Veftris , & leur font hon.
I iij
193 MERCURE DE FRANCE.
neur. Les plus grands talens de la danfe
ont montré dans cet opéra le zèle le plus
vif & le plus heureux. Mlle Guimard ,
excellente danfeufe , qui répand tant de
grâce & de volupté fur fes pas ; Mlle Hei
nel dont la danfe eft fi noble , fi impofante;
M. Veftris , ce danfeur que la Nature
& l'Art ont pris plaifir à former ; M. Gar
del , qui a le talent le plus hardi , & le plus
décidé , tous ces premiers talens de la
danfe & après eux la brillance Mlle Dorival
& M. Gardel le jeune , enfemble &
féparément , ont ravi l'admiration & les
fuffrages du Public enchanté.
COMEDIE FRANCOISE.!
LES Comédiens François ordinaires du
Roi ont donné , le ſamedi 13 Août, la première
repréſentation d'Adelaïde de Hongrie
, tragédie nouvelle en cinq actes , par
M. Dorat. Cette tragédie avoit déjà été
imprimée en cinq actes en profe , fous le
titre des Deux Reines ; mais l'auteur , en
la mettant en vers , y a fait de fi grands
changemens , que c'eft une pièce toute
différente .
SEPTEMBRE. 1774. 199
Adelaide , du fang royal de Hongrie ,
eft destinée à époufer Pepin , fils de Charles
Mattel , & Roi de France . Adelaïde
avoit été confiée par la Reine ſa mère
aux foins de Margifte, Femme de la Cour,
qui l'éleva dans un couvent avec Aliſe ſa
fille . Ces deux jeunes perfonnes étoient
du même âge , & avoient contracté l'amitié
la plus rendre . Il y avoit long - temps
qu'Adelaide étoit éloignée des yeux de
fa mère lorfque fon hymen fut réfoly.
La perfide Margifte conçut alors le projet
de faire périr Adelaïde , & de mettre à fa
place , par un échange criminel , Alife fa
file fur le trône de France . Elle éloigne
toutes les perfonnes attachées à la Princeffe
, excepté un jeune audacieux dont
elle flatte l'ambition & qu'elle charge de
l'exécution de fon crime . Elle l'arme d'un
poignard , ayant pris la précaution de lui
donner un poifon lent qui dévoit le faire
périr avec la mémoire de fon forfait. Ce
jeune criminel frappe fa victime , & fe
fauve. Il fent bientôt les atteintes du poifon
on lui donne du fecours , on le délivre
de la mort ; mais il n'échappe point
à fes remords ; il veut aller déclarer fon
crime , & fubir fon fupplice , lorfqu'il est
pris par les François qui étoient en guerre,
1
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
comme un espion , & enfermé pendant
cinq ans dans une prifon. Cependant
Adelaïde ne fuccombe pas fous le fer du
meurtrier; fes jours font confervés ; elle
eft recueillie par Rïcomer , un des Chefs
des Gaulois . Ce guerrier vertueux fert de
père à cette Princeffe ; & , lorfque la paix
lui permet de venir jouir des bienfaits &
de la préfence de Pepin for Roi , il lui
annonce cette Princeffe fous le nom
qu'elle avoit pris d'Emilie pour cacher fon
rang & fon infortune . Alife fur le trône ,
dominée par fa cruelle mère qui ne la
quitte point , eft l'épouſe adorée de Pepin
& mère de plufieurs enfans , fans pouvoir
goûter les douceurs de ces titres de Reine
, d'épouſe & de mère , tous ufurpés
& qu'elle fe reproche continuellement
d'avoir au prix du fang de fon amie . Elle
ne peut renfermer dans fon coeur l'ennui
& la trifteffe qui la confument ; elle inquiette
le Roi par ce fombre myſtère
qu'il ne peut pénétrer. Elle est toujours
fur le point de tout révéler ; mais l'afcendant
de fa mère criminelle , & la crainte
de la livrer au fupplice qu'elle mérite , la
forcent au filence.Le meurtrier d'Adelaïde
eft à peine délivré de fes fers qu'il vient
trouver Ricomer , découvre le forfait de
SEPTEMBRE. 1774. 201
Margifte , fon ambition & le crime dont
il a été l'artifan.
Ricomer frémit à cet horrible récit ; il
fait arrêter le coupable pour parvenir à
conftater la vérité de tant de forfaits. II
foupçonne alors qu'Emilie eft cette Adelaïde
échappée au poignard de l'affaffin .
Il l'oblige bientôt elle- même à avouer le
fecret de fa naifance & de fes malheurs ,
qu'elle cachoit par générofité & par la
crainte de faire punir les coupables . I
inftruit Pepin qu'il eft trompé . Ce jeune
Roi ne peut foutenir le jour affreux que
cet ami répand fur les objets de fon
amour , fur la femme & fes enfans . La
cruelle Margifte veut en vain effrayer
Ricomer en l'interrogeant fur cette Princeffe
qu'elle n'a pas encore vue , & qu'il
vent produire à la Cour ; Ricomer jette
lui -même l'épouvante dans cette ame
coupable , en lui faifant entrevoit qu'Adelaïde
eft encore vivante. Elle ne réuflic
pas davantage auprès du Roi , en alléguant
des foupçons contre la jeune étrangère.
Pepin tend trop de juftice à la vertu
févère de fon favori ; mais combien il
effraieMargifte & la Reine, en leur apprenant
que la Souveraine de Hongrie s'eft
rendue à fes follicitations , & qu'elle doit
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
arriver, ce jour même , à la Cour pour confe
foler fa fille , & diffiper le chagrin dont elle
s'obſtine à lui cacher la caufe ! Margiſte & la
Reine font interdites à la nouvelle de l'ar
rivée imprévue d'une Princeffe qui don
découvrir leur perfidie & les confondre .
La Reine de Hongrie paroît , & ne peut
comprendre pourquoi fa fille , ou celle
qu'elle croit telle , s'obſtine à fe dérober
à fes regards. Margifte , profitant & abufant
encore de la confiance de fa Souveraine,
fuppofe que le chagrin de la Reine
vient de la certitude qu'elle a que le Roi
veut la répudier, & lui préférer une jeune
Beauté que Ricomer fon favori lui a préfentée;
cette mère s'irrite de tant d'affronts
& veut en tirer vengeance. Enfin la vérité
perce le voile qui l'enveloppoit ; le
Roi confond Margifte en lui oppofant le
témoin de fon crime ; il la fait arrêter ;
mais cette femme audacieuſe atrache
l'épée d'un de fes gardes & s'en perce lefein.
Adelaide apprenant que c'eft fon
amie qui occupe fa place , veut lui facrifier
fes intérêts & fes prétentions ; la Reine
eft décidée au contraire de rendre à
fon amie les titres qu'elle a eu la foibleſſe
d'ufurper , en cédant aux intrigues & à
l'ambition de fa mère. Elle regrette ceSEPTEMBRE.
1774. 203
pendant les enfans & l'époux le plus aimé.
Le Roi lui - même ne veut pas confentir
à ce grand facrifice que l'auſtère
ver u de Ricomer & la loi de l'Etat lui
commandent ; mais la Reine fe fait juftice
elle- même. Elle aflemble les Grands
da royaume , elle leur déclare qu'Adélaïde
doit monter fur le trône qu'elle a
ufurpé ; elle cède à fon amie une place
qui lui appartient ; elle oblige même les
enfans de lui rendre leur premier hommage
comme à leur fouveraine ; elle les
met fous fa protection , & fe poignarde.
Tel eft à peu- près le plan de ce drame ,
autant que nous avons pu le faifir d'après
une repréſentation . Cette tragédie eft ,
comme on peut le concevoir d'après cette
fimple expofition , très - compliquée ; les
événemens font fi multipliés & fi précipités
qu'ils n'ont pu être fuffisamment
préparés , & fondés fur la vraisemblance.
L'intérêt que l'on prend fucceffivement
pour Pepin , Prince foible , mais généreux
; pour la Reine coupable , mais fe
factifiant à la juftice & à l'amitié ; pour
Adelaide , Princeffe auffi généreufe qu'infortunée
; pour Ricomer , homme vertueux
& ami fincère de fon maître , ekt
néceffaitement trop divifé & trop con-
1 vj
104 MERCURE DE FRANCE.

traire à l'unité qui eft une règle de la raifon
, de l'art & du théâtre.
La multitude des perfonnages , dont
plufieurs doivent éviter de fe rencontrer,
nuifent à la marche ,de l'action . Cependant
la beauté du ſpectacle , le caractère
d'un jeune Roi généreux & fenfible
quelques fituations intéreffantes , plufieurs
maximes bien énoncées , & beaucoup de
vers heureux , & plus encore la réunion
des premiers talens ; favoir , de Meſdames
Dumefnil , Veftris , St Val & Raucour
, dans les quatre rôles principaux ;
de M. Molé repréſentant Pepin , de M.
Brifart jouant Ricomer , de M. Montvel
le meurtrier d'Adelaïde ; enfin les applaudiffemens
donnés au jeu de ces grands
acteurs , fe confondant avec ceux accordés
aux beautés de détail du poëte , ont fousenu
cette tragédie & en font le fuccès.
DEBUT.
不M. Dorceville a débuté le mercredi
Août , par le rôle de Polieucte. Il a joué ,
depuis, Darviane dans Mélanide , & ATJanne
dans Rhadamifte . Cette acteur avoir
déjà paru fur ce théâtre ; il s'eft beaucoup
exercé en province ; il a acquis des talens
& une habitude de la fcène qui peuvent
le rendre atile à ce Spectacle.
SEPTEMBRE. 1774. 205
COMÉDIE
ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné le jeudi 11 Août , la premiè
re repréfentation de la repriſe des Nymphes
de Diane , opéra comique en un acte , en
vaudevilles , par M. Favart . Ce petit dra
me fut repréſenté , pour la première fois
en 1747 , à Bruxelles par les Comédiens
du Maréchal Comte de Saxe ; & , en 1753,
à Paris à la Foire St Laurent. Beaucoup
d'efprit & de gaieté , l'art de parodier des
airs connus & bien choifis , la bonne comédie
traveftie fous des vaudevilles agréa
bles , tous ces avantages diftinguent les
productions charmantes que M. Favart a
faites pour l'ancien théâtre de l'Opéra Comique
. Mais ce genre n'eft plus le goût
dominant de la Nation ; on delire un inté
rêt plus férieux dans les drames , & l'on
veut moins de nud , ou une gaze moins
tranfparente dans les tableaux galans expofés
au Public. Cependant les Nymphes
de Diane ont eu du fuccès à cette repriſe,
& pouvoient en avoir un fupérieur , avec
quelqu'adouciffement dans les traits un
peu trop fenfibles . Cet opéra- comique eft
parfaitement joué.
206 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
Le 25 Août , jour de St Louis , l'Académie
de St Luc , fous les aufpices de
M. le Marquis de Paulmy fon protecteur,
a fait l'ouverture d'un Sallon , rue Neuve
St Merry , à l'hôtel Jabach , où font expofés
publiquement les ouvrages de peinture
& fculpture qui compofent ladite
Académie. Nous rendrons compte de
cette expofition .
Manufacture de Porcelaine de Sève.;
Le jeudi 28 Juillet dernier , à fix heures
du foir , la Reine , Madame , & Madame
la Comteffe d'Artois ont honoré de leur
préfence la Manufacture de Porcelaine à
Sève. Ces Princelles ont loué la beauté
des ouvrages de cette manufacture , où la
richeffe , le goûr & les talens les plus diftingués
fe réuniffent pour orner les formes
élégantes , & relever l'éclat de la
porcelaine la plus parfaite qui foit connue.
Cette porcelaine , par les foins du
favant chimiste académicien dont les
SEPTEMBRE. 1774 207
François & les Etrangers honorent également
les écrits lumineux & les heurenx
travaux , furpaffe en beauté , en folidité
en blancheur , & par la vivacité
des couleurs de la peinture , tout ce que
l'ancien Japon , & l'Europe offrent en ce
genre de plus curieux . Le portrait du Roi
& celui de la Reine font repréfentés en
médaillons de porcelaine , très- reflemblans
& ornés de fleurs ; la Reine fut
agréablement furprife lorfqu'en confidérant
les différens ouvrages de cette manu .
facture , Sa Majefté reçut ces deux médaillons
qui lui furent préfentés avec ces
vers :
Sur le Médaillon du Roi.
Du Peuple à ton avénement ,
Louis , tu te montres le père ,
Et , de fon premier mouvement ,
Il te nomma LOUIS LE POPULAIRE.
Sur le médaillon de la Reine.
De notre augufte Souveraine
L'amour du peuple fait la loi ;
Français , vous voyez votre Reine
Des mêmes yeux que votre Rois.
208 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURES.
"
I.
Emblêmes gravés par M. Godefroi , d'après
la compofition de M. le Chevalier
de Bérainville , & préfentés au Roi, à la
Reine , à la Famille Royale par M.
le Chevalier de Bérainville , à Marly ,
le 30 Juillet dernier . Le prix de chacun
de ces Emblêmes eft de I1 liv.·44 fols.
A Paris , chez Lattée , rue St Jacques
à la Ville de Bordeaux.
>
CES Emblêmes font accompagnés d'une
médaille qui en explique l'allégorie ingénieufe
, avec des vers dictés par le zèle
& l'amour refpectueux d'un bon citoyen .
I I.
Repas des Moiffonneurs , eftampe d'environ
16 pouces de large fur 12 de haut.
Prix , 12 liv . A Paris , chez F. Janiner,
graveur , rue de l'Hirondelle vis- à- vis
l'Ecole gratuite , & chez le Père &
Avaulez , marchands d'eftampes , rue
St Jacques.
SEPTEMBRE . 1774. 209
Cette eftampe eft gravée par F. Janinet
d'après le deffin original de Pierre Alexandre
Wille , peintre du Roi. La compofition
de cette eftampe est très riche & repréfente
avec naïveté une multitude de moiffonneurs
, hommes & femmes , les uns
affis , les autres de bout , occupés à prendre
leur repas. Des accefloires ornent cette
compofition, que le graveur a rendue avec
intelligence dans la manière d'un deffin la
vé avec plufieurs couleurs. On fe perfuadera
facilement , en voyant cette gravure,
qu'il a fallu au moins cinq planches pour
rendre ces différentes couleurs , qui font
illufion & répandent beaucoup de gaieté
& d'agrément fur l'eftampe.
I I I.
Portraits du Roi & de la Reine , gravés
par le fieur Briceau , par une nouvelle méthode
, dans le genre de la miniature coloriée.
Ces portraits font réunis dans la
même eftampe . Prix , 3 liv . A Paris , chez
l'auteur , tue St Honoré , vis- à- vis l'hôtel
dés Américains .
I V.
Portrait de Bayle , gravé en médaillon &
& orné des attributs de fes travaux >
210 MERCURE DE FRANCE.
par M. Savart. A Paris , chez l'auteur ,
rue & près- le Petit St Antoine , au coin
de la rue Percée , & chez les marchands
d'estampes
.
Ce portrait eft gravé avec beaucoup de
foin , de finefle & d'effet ; il enrichit la
collection précieufe des Hommes célè
bres , confacrés par les burins de M. Fiquet
& de M. Savart,
Portrait de M. Caron de Beaumarchais,
gravé en médaillon par M. de St Aubin
d'après le deffin de M. Cochin. A Paris,
chez Ruault , libraire , rue de la Harpe.
Prix , 1 liv . 4 fols.
V. I.
La Marchande de noix.
La Marchande de bouquets à la guine
guette , deux eftampes en pendant ? gravées
par M. Mathieu d'après le deffin de
M. Beugnet ; hauteur 10 pouces & demi ,
largeur 12 pouces & demi . Prix chacune
I liv. 4 f. A Paris , chez M. Beugner
place Sr Michel , maifon de M. Vignon ,
marchand de vin.
SEPTEMBRE. 1774 211
MLLE
MUSIQUE.
I.
LLE DE ST MARCEL a ſouvent
confacré fa voix & fes talens fur le
clavecin , la guitarre & la harpe , dans
des concerts , au profit & au foulagement
des captifs , des pauvres , des malades
& des prifonniers , en différentes Villes
du Royaume , où elle s'eft acquis beau
coup de réputation , fuivant les témoi
gnages que lui en ont rendus les papiers
publics & les lettres honorables de plufieurs
perfonnes eminentes dans l'Eglife
& dans la Magiftrature . Cette jeune &
aimable virtuofe , fixée à Paris , où elle
a chanté autrefois au concert fpirituel
avec fuccès , fe fait quelquefois entendre
dans les Eglifes aux Offices folem
nels .
M. Haufbrouk , virtuofe très- célèbre ,
connoiffant depuis long - temps les talens
de cette Demoifelle , a été curieux de
les entendre de nouveau , & plus encore
lorfqu'il a fu qu'elle avoit eu l'honneur
de les exercer devant leurs Alteffes
Sérénifimes Monfeigneur le Prince de
212 MERCURE DE FRANCE.
Condé , Madame la Ducheffe de Bourbon
, & plufieurs autres Princes & Princeffes
, qui lui ont témoigné la plus
grande fatisfaction . Il a confirmé leurs
éloges , & a beaucoup engagé cette Demoiſelle
à fe faire connoître des Amateurs
illuftres .
Elle donne concert chez elle tous les
Mardis à cinq heures du foir. Elle y
chante des morceaux choifis & variés ,
en s'accompagnant des différens inftrumens
dont elle joue. On a foin de remplir
quelquefois les intervalles de la mu
fique par la lecture de quelques Poéfies
fugitives que plufieurs Auteurs fe font
un plaifir d'y apporter.
Mademoiſelle de St Marcel donne
des leçons chez elle , & en Ville , &
va fe faire entendre chez les perfonnes
de diftinction qui lui font l'honneur de
la demander , accompagnée de M. fon
Père.
Sa demeure eft dans le Cloître Saint-
Benoit , la feconde porte cochère , à gau
che, en entrant par la rue des Mathurins.
I I.
Méthode pour le violoncelle, dédiée à M.
Rigaut , phyficien de la Marine , comSEPTEMBRE.
1774. 213
pofée par M. Tillière , élève du célèbre
Bertau ; prix , 7 liv . 4 f. A Paris ,
chez le fieur Jolivet , éditeur & marchand
de mufique de la Reine , rue Françoife
près la rue pavée St Sauveur , à la
Mufe lyrique & aux adreffes ordinaires.
Cette méthode réunit les principes par
lefquels feu Bertau & M. Tilliere fon
élève font parvenus à maîtriſer le violoncelle
& à le rendre un inftrument propre
à exécuter non -feulement toutes fortes de
baffes , mais encore des fonates & des
morceaux de chants . L'auteur de cette méthode
s'eft mis à la portée des amateurs .
Il leur donne dans tous les tons des leçons
pour la conduite de l'archet , le doigté, les
démanchemens , les accords & les arpèges.
Il guide en quelque forte fes élèves
de pofitions en politions ; il leur indique
´enfin les procédés les plus propres à facili-
'ter l'exécution & à tirer de l'inftrument ces
fons pleins , moëlleux , fi analogues à la
voix humaine & qui donnent au violoncelle
la fupériorité fur tous les autres inftrumens
de baffe , Cette méthode fera
particulièrement utile à ceux qui , étant
privés des leçons des habiles profeffeurs
de cet inftrument , veulent avoir ces le
114 MERCURE DE FRANCE.
çons devant les yeux & s'épargner dans
l'étude qu'ils font du violoncelle une
routine longue , faftidieufe & ordinairement
plus capable de les égarer que de les
avancer.
On diftribue chez le même marchand
de mufique & du même auteur un livre .
de fonates eftimées , & un recueil d'airs tirés
des intermèdes italiens & opéra - comiques
arrangés pour deux violoncelles , &
pouvant fervir de leçons aux amateurs qui
fe procureront la méthode que nous ve
nons d'annoncer.
II I.
Ouverture de Julie , arrangée pour le
clavecin ou le forté- piano , avec accompagnement
d'un violon , ad libitum , par
M. Benaut , Me de clavecin, Prix , 2
liv. 8 f. chez l'Auteur , rue Git le-coeur ,
la deuxième porte cochère , à gauche ,
en entrant par le Pont- Neuf ; & aux
adreffes ordinaifes de mufique.
"
On trouve aux mêmes adreffes &
du même Auteur les Ouvrages fuivans.
Pièces d'orgue , prix 3 liv . ou Mefle
en fa - majeur , dédiée à Madame de
Montmorency- Laval , Abbelle de l'Abbaye-
Royale de Montmartre.
SEPTEMBRE. 1774. 215
1
III. Recueil des Vaudevilles des Opéras
- Comique arrangés pour le clavecin ou
le forté - piano dédié à Mde la Comteffe
d'Herainville par M. Benaut , Me
de clavecin , gravé par Madame fon
époufe . Prix une liv . 16 f.
Comput Ecclefiaftique , ou tables perpétuelles
du cycle lunaire , ou nombre
d'or , des épactes , du cycle folaire ,
des lettres dominicales , de l'indiction
romaine , des lettres du martyrologe ,
& pour tous les jours de chaque mois
& ceux de la femaine ; imprimé en une
feuille. Prix , 30 f. A Nantes chez Vätar
fils aîné , & à Paris chez Mérigot fe
jeune , libraire quai des Auguftins , maifon
neuve au coin de la rue Pavée .
1
Leçons de Langues Italienne , Efpagnole
& Françaife.
LE Geur Borfacchini , natif de la Ville
de Sienne en - Tofcane , eft connu en différens
Pays par les fuccès avec lefquels
il a enfeigné à un grand nombre de perfonnes
les Langues Italienne , Efpagnole
& Françaife , dont il a étudié & appro216
MERCURE DE FRANCE .
fondi les principes . Il vient de fe fixer à
Paris , où il offre aux Français & aux
Etrangers fes fervices , avec une nouvelle
méthode qui lui eft toute particulière
pour enfeigner ces Langues fort aifément
& en peu de temps.
Sa demeure eft à l'Hôtel St Germain ,
chez M. Henri , rue des Foffés - Saint-
Germain-l'Auxerrois , vis à- vis le cul de
Jac de Sourdis , à Paris.
ÉCRITURE.
Lg 17 Juillet le Sr Ourbelin de l'Academie
Royale d'écriture de Paris , a eu l'honneur
de préſenter au Roi un tableau en ornement
de fa compofition , exécuté à la
plume & encre de couleur . Dans le haut ,
fe voit l'écuffon des Armes de Sa Majefté
& divers attributs militaires; au milieu eft
une pièce de vers adreffée au Roi fur fon
avénement au trône , & au bas eft une
Minerve affife écrivant ces mots : virtutis
corona.
Le même jour , le fieur Ourbelin a eu
l'honneur de préfenter à la Reine une
Horloge botanique fur le fommeil des
plantes & les veilles des fleurs : vers le
zeu
SEPTEMBRE. 1774. 217
milieu , dans un médaillon , fe voit le
chiffre de Sa Majesté furmonté d'une
couronne royale , au- deffous , font des
entrelas de guirlandes de fleurs qui contiennent
une pièce de vers.
PRECIS du procédé qu'on afuivi pour barrer
un des bras de la rivière de Seine
à Neuilli , & lafaire paſſer toute entière
fous le nouveau Pont.

L bras de la Seine avoit en cet endroit
56 toifes avant qu'on travaillât derrière
la culée du nouveau Pont , mais
par les terres qu'on y a rapportées, il étoit
réduit à 40 toifes au commencement de
cette campagne ; à la fin de Juillet la
rivière n'avoit plus que 14 toifes de
largeur , au moyen d'un banc de terre ,
large de 10 toifes & à la hauteur de
quatre pieds au deffus du niveau de l'eau.
La rivière ainfi refferrée , le courant augmentant
tous les jours en force & en
viteffe , M. Perronet fit battre quelques
pieux en travers pour amarer les bateaux
qui amenoient de la terre , & faciliter
leur décharge dans les endroits conve-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
nables . On fit enfuite , à la tête de
I'lfle , plufieurs faignées pour déboucher
un volume d'eau qu'on a évalué à la
moitié de ce qui en paffoit dans le
bras qu'on vouloit fupprimer. Malgré
cette précaution , ce qui paffoit d'eau
avoit encore affez de force pour déplacer
les terres à mesure qu'on en rapportoit.
Le 25 Juillet on fit une eſpèce
de batard- d'eau avec trois files de pieux
battus en travers de la rivière , fur lefquelles
on contruifit un Pont de fervice
, pour faciliter la manoeuvre . Le
premier Août on y mit trois atteliers
de charpentiers pour battre des pal - planches
; ils n'en eurent pas plutôt chaffé
chacun quatre pieds , que l'eau , fe trouvant
trop refferrée , les déchauffa en affouillant
le terrein.
D'après un profil exact du fonds de la
rivière que M. Perronet fit lever , il donna
l'ordre de faire échouer des bateaux : favoir
, trois petits batelets, chargés de terre
à l'endroit le plus profond de la rivière ,
& le long du Pont de fervice ; on y jeta
des fafcines remplies de moëllons ; après
avoir ainfi prefque dreffé le terrein dans
le fond , on fit échouer un bateau de 9
SEPTEMBRE. 1774 219
e ;
toifes de long , ce qui commença à barrer
le courant dans toute fa largeur :
auffi l'eau remonta-t- elle par- deffus , &
il fe fit en outre un courant par-deffous
dans la partie qui étoit affouillée , &
que les batelets n'avoient pas exactement
remplie ; en moins d'une heure l'affouillement
en cet endroit étoit de 17
pieds , au lieu de 10 pieds & demi. On
continua de jeter des fafcines de 12
pieds de long , des bottes de foin remplies
de pierres , & quelques gros moëllons
féparément. On fit approcher un
fecond grand bateau chargé de terre
on le fit échouer de champ & à côté
du premier. Comme il étoit mince , il
fe rompit en échouant , & fe moula
en quelque. forte au profil du fond de
la rivière. L'eau ne pouvant plus paffer
deffus ni deffous le premier bateau
échoué , elle remonta de deux pieds
au- deſſus de fon niveau . On fit approcher
de nouveaux bateaux pleins de
terre que l'on déchargea derrière ceux
qu'on venoit d'échouer. Les Gardes
Suifles , commandés pour cette opération
, ne ceffoient de jeter des fafcines ,
des bottes de foin & des moëllons
dans les endroits où il fe formoit des
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
courans . Les atteliers des terraffiers qui
chargoient des terres fur les deux bords
de la rivière , venant au -devant les
uns des autres , fe rejoignirent en moins
de deux heures , & couvrirent de terre
les bateaux échoués. C'eft par cette
manoeuvre rapide que M. Perroner eft
parvenu à barrer un bras de la Seine
qui étoit confidérable .
Le Cri de la Seine , pendant la manoeuvre
ingénieufe faite à Neuilly le premier
d'Août.
DEPUIS la naiffance des âges
Toujours libre &toujours plus fidèle à mon choix,
Jepromenois mes eaux (ur les mêmes rivages ;
Qui peut donc aujourd'hui me preferire des loix ?
Ne fuis je plus cette fuperbe Seine
Qui nourrifloit l'orgueil des mers !
Quel dieu me captive & m'enchaîne a
Quelle audace à mes bras ofe donner des fers !
On a donc oublié que je fuis Souveraine !
Le dépit , le courroux le peignent fur mon front ...
Neptune , venge-moi de cet indigne affront, ..
SEPTEMBRE. 1774. 224
Mais que dis -je ! & pourquoi me plaindre ?
J'apperçoisPerronet;rienpour moi n'eſt à craindre.
Si par fon art fublime il reflerre mes bords ;
A fléchir devant lui s'il a pu me contraindre,
Je dois , dans les plus doux transports ,
Applaudir la première à fes favans efforts.
Oui , fon génie inépuisable
Par ce nouveau prodige ajoute à ma beauté
Et de mon cours antique & refpectable
Augmente encor la majesté.
Par Mile Coffon de la Creffonniere.
LETTRE de M. de Voltaire à
M. Perronet.
Au Château de Fernay , 28 Juillet 1774
Vous me donnez , Monfieur , une grande envie
de prendre la pofte pour venir voir le pont de
Neuilly. Je partirais fur le champ, fi mes 80 ans
& mes maladies continuelles ne me retenaient. II
eft trifte de mourir fans avoir vu les monumens
qui illuftrent la patrie. Je vous remercie bien fenfiblement
d'avoir eu la bonté de me faire voir le
deffin de ce bel ouvrage. Je ne doute pas que le
Roi o'employe vos rates talens à de nouveaux
chef- d'oeuvres qui immortaliferont fon fiècle &
fon règne. Je vous prie de me compter dans le
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE .
grand nombre de vos admirateurs. Les eftampes
me paroiflent dignes du pont . Vous m'avez pénétré
de l'eftime & de la reconnaiflance fincère
avec laquelle j'ai l'honneur d'être ,
MONSIEUR ,
Votre très - humble & trèsobéillant
ferviteur ,
VOLTAIRE , Gentilhomme
ordinaire du Roi .
QUATRAIN A LA REINE.
VOUS ous renoncez , charmante Souveraine ,
Au plus beau de vos revenus ;
Mais que vous ferviroit la ceinture de Reine ?
Vous avez celle de Vénus .
Par M. le Comte de Couturelle.
VERS à M. le Moine qui travailloit au
bufte de la Reine.
Pour rendre un tel objet , moderne Praxitèle , OUR
Les efforts de ton art font encor fuperflus ;
Sans cefle il te faudroit refaire ton modèle ;
Marie a chaque jour une beauté de plus.
Par M. le Chev. de Juilly de Thomaſſin
SEPTEMBRE. 1774. 223
LE FOURMI-LION & LA FOURMI.
Fable.
DANS un fable fec & mobile ,
Fourmi-lion , au pied d'un vieil ormeau ,
Avoit creufé fon domicile.
Au centre de fa fofle , ainfi qu'en un tombeau
Sous le fable tapis , le drôle en embuscade ,
Depuis un mois & plus , attendoit fon dîner.
Un gourmand va s'imaginer
Qu'ildevoit être bien malade .
Erreur. Quoi ! fi long- temps ne vivre que d'eſpoir' >
C'eſt un mauvais moyen pour le faire un bon
chyle.
D'accord. Il eft certain qu'après telle vigile
L'animal avoit faim ; bientôt vous l'allez voir.
Au fond de fon entonnoir ,
Le rulé , vaille
que
vaille ,
Tient ouverte ſa tenaille ,
Sans fouffler , fans le mouvoir.
Malheur au premier infecte
Qui , vers l'antre du chaleur ,
Dirigera , fans frayeur ,
Sa marche peu circonſpecte !
Il faut que fon fang humecte
Le gofier de monfeigneur.
comment foupçonner un pareil artifice ?
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Télémaque , au détroit , au moins put dire ,
«hola!
Que notre pouppe , ici , des rocs fe garan-
» tifle. »
Par le bruit de fes flots , le gouffre de Sylla
Avertifloit le fils d'Ulyfle :
Mais tout eft calme ici , rien n'inſpire l'effroi :
Nuile croix , nul giber , en un mot nul indice.
N'y dit au voyageur : « Ami , prends garde à toi s
Double le pas mal va dans cet hofpice..
Au bord du gliflant précipice
Arrive une Fourmi : l'imprudente avarice
Au même inftant la ftimula .
23
La pécore s'arrête , avance un peu , s'engage.
Ohlob ! ( dit-elle ) on trouveroit , je gage ,
Un gros tréfer , au fond de ce trou - là :
Le temps me preffe ; c'est dommage .
Comme elle eut tenu ce langage ,
Sous fes pieds la terre trembla.
Du fond de l'antre une grêle de pierre ,
Au même inftant , partit , vola
Au- defus de l'aventurière ,
Tomba furelle & l'accabla.
Vains efforts trouver fon falut dans la fuite. pour
L'infecte roule au fort de l'ennemie.
On tient Madame la Fourmi :
On l'entraîne , on l'aveugle ! ha ! hé ! ſeigneur
hermite ,
( Dit-elle ) un moment ; reſtez coi.
SEPTEMBRE, 1774 225
J'arrive , tout exprès , pour vous faire viſite .
Si c'est vous offenfer , pardon : connoiflez - moi.
Avec vos ennemis n'allez pas me confondre
Je n'en fuis point , je vous jure ma foi。
Fourmi-lion fans lui répondre ,
Se
Des deux partslui percetes flancs ; ↓
gorge , en la fuçant , puis lance le fquélette *
A plus d'un pied de fa retraite ,
De peur d'effrayer les patlans ..
Lecteur , la Fourmi de ma fable
C'est tout mortel infatiable
Que l'appât de l'or vatentant :
Er l'animal impitoyable
Fourmi-lion , c'eſt un traitant.
Par un Affocié de l'Académie
de Marfeille.
BIENFAISANCE.
UN Seigneurqui tient un rang diftingué
à la Cour & à qui appartient la terre de
C. .... fituée en Picardie , eft dans
l'ufage depuis long- temps de donner 200
liv. pour préfent de noces , à toutes les
filles dudit C... lorfqu'elles n'ont
point en propriété deux mines de terre :
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
lefquelles 200 liv. font délivrées auffi-tôt
la célébration du mariage.
Tout mon regret , Monfieur , en vous
annonçant cet acte de bienfaifance , c'eſt
qu'il ne m'eft point permis d'en nommer
l'auteur dont le nom pourroit être infcrit
auprès des Farnèfes & des Montmorencis ;
dirai -je enfin à côté du nom de l'augufte
Princeffe que tous les Français regardent
comme leur ange tutélaire & l'astre de
leur bonheur.
LA GACHE fils .
ANECDOTES.
I.
Lors de la ptife de Rome par les Gau-
Jois , fous Brennus , les vieux Sénateurs
qui ne voulurent pas furvivre à la perte
de leur patrie , fe mirent fur le feuil de
leurs portes , dans leurs chaires curules ,
avec tous les ornemens de leur dignité.
Les Gaulois furent faifis de refpect &
d'admiration à la vue de ces vieillards
immobiles que quelques- uns prirent pour
autant de ftatues . Un jeune foldat s'approcha
de Papirius Curfor , & le prit par
la barbe : le vieillard , indigné de l'infoSEPTEMBRE.
1774. 227
lence de ce barbare , lui donna fur la tête
un coup du bâton d'yvoire qu'il tenoit à
fa main le foldat lui plongea fon épée
dans la poitrine , & ce fut le fignal du
carnage .
:
I I.
Un acteur qui venoit de Flandres , débutoit
à Paris dans le rôle d'Andronic
avec fort peu de fuccès ; & lorfqu'il vint
à dire : Mais pour ma fuite , ami , quel
parti dois - je prendre ? un plaiſant répondit
: L'ami , prenez la pofte & retournez en
Flandre.
I I I.
Un Juge fit lever la main à un Teinturier
; comme les Teinturiers ont ordinairement
les mains noires , il lui dit :
mon ami ! ôtez votre gant. Monfieur ,
repliqua le Teinturier , mettez vos lunettes.
I V.
Un acteur qui avoit du talent , mais
une mauvaiſe prononciation & une difficulté
d'organe , débutoit à la Comédie
Française à Paris . Les avis étoient partagés
; mais quelqu'un interrogé fur ce qu'il
en penfoit , répondit : Il eft fort bon ; il
ne lui manque que la parole.
K vj.
228 MERCURE
DE FRANCE
.
AVIS.
1 .
Le Trifor de la Bouche.
Le fieur Pierre Bocquillen , marchand gantierparfumeur
à Paris , à la Providence , rue St Antoine
, entre l'Eglife de MM . de Ste Catherine &
la rue Percée , vis- à vis celle des Balets , annonce
au Public qu'il a été reçu à la Commiſſion royale
de Médecine , le 11 Octobre 1773. Il continue
depuis nombre d'années , de vendre une liqueur
nommée le véritable Tréfor de la Bouche , dont il
eft le feul compofiteur . La vertu de fa liqueur eft
de guérir tous les maux de dents , tels violens qu'ils
puiflent être ; de purger de tous venins , comme
chancres , & enfin de préſerver la bouche de tout
ce qui peut contribuer à gâter les dents . Cette
liqueur a un goût gracieux à la bouche , rend
Thaleme agréable & douce , conſerve même les
dents , quoique gâtées.
4
L'auteur reçoit tous les jours de nouveaux fuffrages
fur l'excellence de fa liqueur , par nombre
de certificats que lui envoient fans ceffe des perfonnes
de la première diftinction . Il y a des bouteilles
à 10 , f , 3 liv & à 24 fols . Il donne la
manière de ' en fervir avec fignature & paraphe de
fa main . & met les noms de famille & de baptême
fur les étiquettes des bouteilles & bouchons . Il a
mis fon tableau à la porte de la boutique , pour
#furer la demeure au Public. I vend auffi le taf
fetas d'Angleterre pour les coupures & brûlures .
L'auteur prie les perfonnes qui lui feront l'honneurde
lui écrire d'affranchir leurs lettres.
SEPTEMBRE. 1774. 229
I I.
Le fieur Delac continue de peindre tous les che-
Yeux roux , blancs ou gris de la couleur qu'on de
fire , comme noir , chatain brun ou clair , fans
que l'ulage de cette peinture porte aucun préjudice
, ni que par aucun frottement la couleur fe
perde. Il arrête la chûte des cheveux dans 24
heures pour ne plus tomber de la vie en faifant
ufage deux ou trois fois par mois de la compofi
tion , il les empêche de grifer ; il en fait revenit
où il en manque , & même où il n'en reſte pas
du tour ; it fuffit pour cela d'une bouteille au
. plus qui eft du même prix . Le prix pour la peinture
des cheveux eft de 7 liv. 4 fols ; pour les
fourcils & paupières , 3 liv .; pour en empêcher
la chûte , en faire venir où il en manque , 7 liv .
4 fols , chaque article ; & pour les empêcher de
grifer 15 liv. Il fait auffi tomber fans douleur les
cheveux qui avancent trop fur le front, & le roil
follet qui vient quelquefois aux femmes; le prix
eft de 6 liv . Il fait difparoître toutes taches de
roufleur & autres du vilage , fait toute forte de
pommades tant pour le luftre de la peau , que
pour effacer les rides de toute efpèce : le prix des
deux articles eft de 6 liv . chacun ; il compofe une
Eau qui blanchit la peau & lui rend le velouté de
la première jeunefle : le prix eft de 7 liv . 4 fols.
Il demeure à Paris , rue Bourbon la Ville New
we , entre lefieur Quinfon , perruquier , & le Mar
chand de vin.
III.
Un Négociant , arrivé depuis peu de temps de
la Nouvelle Orléans , capitale de la Louisiane , a
230 MERCURE DE FRANCE.
apporté avec lui de la véritable Graiffe d'Ours
pure & naturelle , préparée fans feu par les Sauvages
: il a vu avec plaifir que les témoignages
de toutes les perfonnes qui en font ufage , tant à
la Cour qu'à Paris , fe réunifloient pour inspirer
la plus grande confiance : la propriété de cette
Graifle d'Ours eft de prévenir la chûte des cheveux
, de les nourrir au point de les faire croître
en très--peu de temps , de les épaiffir & de fervir
réellement à leur confervation ; elle n'eft point
compacte comme celle qu'on apporte des montagnes
de Savoie , qui eft prefque toujours mêlée
d'ingrédiens qui nuifent plutôt aux cheveux que
de leur faire du bien ; elle eft liquide & ne peut
fe rancir , à caufe de la pureté ; on peut en tranfporter
dans le Pays étranger fans craindre qu'elle
perde fa vertu.
Elle réunit la double propriété de guérir les
rhumatismes , en s'en frottant devant le feu le
matin & le foir pendant quelques jours.
La manière de fe fervir de cette graiſle eft d'en
bien enduire la racine des cheveux , le matin
avant de fe faire coëffer , & le foir avant de fe
coucher cela n'empêche point de fe fervir de la
pommade pour fon accommodage ; mais on aura
attention de continuer fans interruption pendant
quelque temps.
Le prix des bouteilles cachetées en cire rouge
eft de 3 , 2 , & liv . 4 fols.
Il faut s'adreffer à Paris , à M. Delepine , concierge
à l'hôtel des Poftes , rue Plâtrière .
ALyon , chez Mde Veuve Riond .
A Verſailles , chez M. Deffaubaz , rue d'Anjou,
A Poitiers , chez M. Guilleminet.
A Rouen , chez M. Grifel , bijoutier ,
A Chartres , chez M. Paillart , épicier.
SEPTEMBRE . 1774. 23r
A Lille , chez Lafaye , aux Armes de Soubize.
A Orléans , chez M. Loilon.
V.
Nouvelles Curiofités chez Granchez ,
joaillier de la Reine , au petit Dunkerque
, quai de Conti , vis - à - vis le Pont-
Neuf.
Jolies cannes de jet , dont les pommes font ся
or & forment le turban .
Epées , boucles & boutons de petit deuil , d'un
goût tout nouveau.
Joli petit réveil portatif dans la poche , dont
l'effet fe fait en le pofant près de fa montre , commode
pour les voyageurs.
Compre - pas géométrique qui fe porte dans
le gouflet & vous indique la quantité de chemin
que vous avez faite en vous promenant.
Petites montres en berloque qui marquent les
quantièmes , ouvrage très délicat & cependant
folide .
-
Tabatieres , dites la Confolation dans le chagrin
, avec le portrait du Roi & de la Reine dans
le même médaillon , fupérieurement gravées.
Braflelets , croix , prétentions , chaînes de montre
& plufieurs autres petits ouvrages en filigrane
d'or , fairs à Malthe.
Cordons de montre en cheveux , anneaux & jar
retieres pour mettre aux doigts , en cheveux , garni
de diamans..
Baratte en fer blanc très - diligente à faire le
beurre.
Toutes les cartes géographiques des quatre
parties du monde & celles de diverfes forêts roya
232 MERCURE DE PRANCE.
les de France , foigneufement découpées par previnces
ou cantons , colées fur bois .
Tabatieres d'écailles avec médaillon violet
transparent.
Paraflols Chinois en baptifte , cirés d'une forme
fingulière & très légers . Idem , en fatio avec fran
ges, tels qu'on les porte dans ce pays .
Fleurs de thé de la meilleure qualité. Idem ,
thé verd.
du
NOUVELLES POLITIQUES.
De Warfovie, le 6 Juillet 1774.
On aflure que le Gouverneur Autrichien de
Léopol a reçu des ordres de la Cour pour faire for
tifier cette Place , & qu'on a déjà commencé à y
travailler.
De Dantzick , le 29 Juin 1774.
Les troupes Pruffiennes s'approchent infenfiblement
de cette ville . Le fecond bataillon du régiment
de la garniton de Templin entra , avantbier,
dans nos fauxbourgs . Les grands chemins
& les avenues font occupés depuis ce temps. On a
arrèté & confifqué quelques chariots vuides avec
leurs chevaux , parce qu'on y avoit trouvé des
Lacs à laine qui faitoient préfumer qu'ils avoient
fervi à importer dans la ville des marchandiſes de
Contrebande.
De Pétersbourg , le 1 ' Juillet 1774.
La Cour vient de faire publier une relation
qu'elle a reçue du Prince Dolgorouki , au ſujet de
se qui s'eft paflé dans le Cuban entre les troupes.
SEPTEMBRE. 1774. 233
Ruffes & les Tartares du pasti de l'ancien kan de
Crimée.
Ce général ayant été informé que les Tartares
Nogais , fidèles à la Ruffie , étoient trop expolés
aux incurfions des autres Tartares du Cuban , dés
tacha contr'eux le Lieutenant - Colonel Buckwoftow.
Cet Officier attaqua les ennemis & les battit
dans trois occafions différentes , quoiqu'ils fuften
fupérieurs en nombre. Ils abandonnèrent la ville
de Capyl. On a trouvé fur les remparts de cette
Place trente-quatre pièces de canon chargées , &
une grande quantité d'inftrumens d'artillerie dans
les magafins. La ville étoit déferte . Les habitans
confternés par la défaite des Circaffiens qu'on regardoit
comme les plus braves des Tartares
avoient pris la fuite dans les montagnes & avoient
entraîné toutes les autres peuplades de ces quar
tiers.
De Vienne , le 4 Août 1774.
Une eftafette arrivée des frontieres de Tranfyl
vanie vient d'apporter la nouvelle que la paix
entre les Turcs & les Rufles a été fignée , le 17 du
mois dernier , par le Maréchal Comte de Roman
zow & le Kiaya du Grand Vifir . On ne fait encore
aucun détail de ce grand événement , & l'on ignore
les conditions du traité.
Depuis l'importante nouvelle que l'on a reçue
de la fignature de la paix entre les Turcs & les
Ruffes , le 17 du mois dernier , à Budjuc Ka❤
narſchi on n'a appris aucun détail fur les ftipulations
du traité , patce que le Général Comte de
Romanzow attendoit , pour les rendre publiques
la ratification du Grand Vifit ; mais l'on préfume
, d'après les anciennes conférences , que les
conditions de la paix font , 1º l'indépendance des
I
234 MERCURE DE FRANCE.
Tartares de la Crimée ; 2º . la démolition d'Ocì
zakow ; 3 ° . la ceffion du Fort de Kilbourn à la
Ruffie , pour contenir les Tartares & protéger lon
commerce fur la Mer Noire ; 4°. , la reftitution
de toutes les conquêtes des Ruffes .
De Cadix , le 19 Juillet 1774.
On a expédié des ordres pour faire , avec célé
rité , un armement pour l'Amérique Elpagnole .
On doit y embarquer deux ou trois bataillons de
la garnison de cette ville. Ces ordres ont donné
lieu à plufieurs conjectures ; mais il y a apparence
que ces troupes vont remplacer celles qui font en
garnifon dans diverfes parties de l'Ainérique &
qu'on a le projet de faire revenir en Europe.
De Naples , le 12 Juillet 1774.
Toutes les lettres de Malthe parlent des prépara
tifs qu'on y fait pour mettre cette Ifle en état de
défenſe. On travaille nuit & jour aux fortifications.
Toutes les batteries font actuellement
montées , les Côtes garnies de détachemens , &
l'on exerce continuellement les troupes réglées &
la Milice.
De Londres , le 19 Juillet 1774 .
On a reçu par le Chevalier William Johnfon
des nouvelles fâcheufes d'Amérique . Il mande que
différentes Tribus d'Indiens font dans la difpofition
d'attaquer nos Colonies ,
Les nouvelles reçues de l'Amérique Septentrionale
préfentent l'état fâcheux de cette Colonie.
Tout eft dans le plus grand défordre à Boſton & à
Salem. Les poffeffeurs des terres , les négocians &
les armateurs font divifés les uns contre les autres.
Dèsque l'un de ces trois Partis propoſe un avis ,
SEPTEMBRE. 1774.
1774. 235
les autres forment des proteftations . L'affemblée
générale n'eft pas moins tumulteufe . Au lieu de
défendre les intérêts de la Colonie & de folliciter
l'ouverture du Port de Boſton , elle n'eft occupée
qu'à réclamer fes droits violés par le transport de
fes féances à Salem . Les avis ont été fi partagés
fi incertains , fi vagues , que le Gouverneur a été
forcé de diffoudre l'aflemblée.
De Compiegne , le 21 Août 1774.
Le Maréchal Duc de Briflac Gouverneur de Paris
, remit au Roi , le 17 de ce mois , la lifte des
Echevins nouvellement nommés , & qu'il doit
présenter à Sa Majefté le 4 du mois prochain.
Le 26 Août Monfeigneur le Comte d'Artois
partit de Compiegne pour fe rendre à la Fère ou
ce Prince doit voir l'Ecole royale d'Artillerie ; il
ira delà à Cambray pour vifiter les fortifications
de la place , & pour paffer en revue & voir manoeuvrer
fon régiment de Dragons . Ce Prince
n'ayant d'autre objet dans ce voyage que fon inftruction
, n'a amené avec lui qu'un très - petit
nombre de perfonnes. Il n'eft accompagné que du
Comte de Maillé , premier Gentilhomme de fa
Chambre ; du Chevalier de Cruffol , fon Capitaine
des Gardes ; du Marquis de Polignac , fon premier
écuyer ; du Comte d'Affry , lieutenant - général
des armées du Roi , & du fieur de Vauld , maréchal
des camps & armées de Sa Majeſté.
C
De Paris , le 29 Juillet 1774.
Le 27 de ce mois , on célébra , dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , le fervice folemnel
pour le repos de l'ame du feu Roi . Le corps
avoit été defcendu au caveau quelques jours après
fa mort,fuivant l'ufage oblervé pour les Rois qui
236 MERCURE DE FRANCE.
meurent de la petite " érole . Mais la repréfenta
tion étoit placée fur un magnifique catafalque ,
fous un grand pavillon , au milieu d'une chapelle
ardente éclairée par un grand nombre de cierges.
Le Cardinal de la Roche- Aymon , Grand Aumônier
de France , avoit affifté , la veille , aux vêpres
des Morts chantées par la Mufique du Roi &
par les religieux de l'Abbaye. Le Clergé , le Parlement
, la Chambre des Comptes , la Cour des
Monnoies , le Châtelet , l'Election , les Corps
de Ville & l'Univerfité s'y rendirent , fuivantl'invitation
qui leur en avoit été faite . Monfieur &
Monfeigneur le Comte d'Artois ayant pris leurs
places , enfuite le Prince de Condé , la Mefie fut
célébrée par le Cardinal de la Roche Aymon . La
Mufique du Roi exécuta la Mefle des Morts de
Delfer & le Deprofundis du S Mathieu , maître de
de mufique du Koi en Semestre. A l'Offertoire ,
Monfieur , conduit par le Marquis de Dreux ,
Grand- Maître des Cérémonies , alla à l'Offrande
après les faluts ordinaires ; Monfeigneur le Comte
d'Artois y fur conduit par le Sieur de Nantouillet ,
Maître des cérémonies en furvivance da fieur Def
granges , & le Prince de Condé , par le heur de
Wartonville , Aide des Cérémonies. Après l'Offertoire
, l'Evêque de Senez prononça l'Orailon
Funèbre. Lorsque la Mefle fur finie , le Cardinal
de la Roche Aymon & les Evêques de Chartres' ,
de Meaux & de Lombez firent les encenfemens agtour
de la repréſentation . Le Roi d'Armes , après
avoir jeté la Corte d'Armes & fon Chaperon dans
le caveau , appela ceux , qui devoient porter les
Pièces d'Honneur. Le Marquis de Courtenvaux
apporta l'Enfeigne des Cent Suifles de la Garde ,
dont il eft Capitaine Colonel. Le Prince de Tingry
, le Duc de Villeroi & le Prince de Beauvau
apportèrent les Enfeignes deleuss compagnies , &

SEPTEMBRE.
1774. 237
le Duc de Noailles ,
Capitaine de la
compagnie
des Gardes Ecofloiles , apporta celle de la fienne.
Quatre Ecuyers du Roi portèrent les Eperons , les
Gantelets , l'Ecu & la Corte d'Armes . Le Marquis
d'Eudreville , Ecuyer Ordinaire du Roi , failant
les fonctions de premier Ecuyer , apporta le heaume
timbré à la Royale. Le Marquis de la Chefnaye
de Rougemont , premier Ecuyer Tranchant
, apporta le Pannon du Roi , & le Prince
de Lambelc , Grand Ecuyer de France , apporta
HEpée Royale Le Duc de Bouillon , Grand Chambellan
, apporta la Bannière de France ; le Duc
de Béthune , la main de Juſtice ; le Duc de la Tremoille
, le Sceptre , & le Duc d'Uzès , la Couronne
Royale. Le Duc de Bourbon , Grand Maître de
France en furvivance du Prince de Condé , mit le
bout de fon Bâton dans le caveau , & les Maîtres
d'Hôtel y jetèrent les leurs après les avoir rompus.
Le Duc de Bourbon cria enfuite : le Roi eft mort: &
le Roi d'Armes répéta trois fois : le Roi eft mort ;
prions tous Dieu pour le repos de fon ame. On fit
une priere , & le Roi d'Armes cria trois fois : Vive.
le Roi Louis XVI , ce qui fut fuivi des acclamations
de toure l'affemblée , & les trompettes fonnè
rent dans la nef. Les Prices , le Clergé,les Ducs , les
Officiers, & les compagnies furent enfuite traités
magnifiquement en différentes Salles de l'Abbaye.
Le grand Aumônier bénit les tables du Grand-
Maître de France & du Parlement , & dit à la fin
du repas les grâces , après lefquelles la Mufique
du Roichanta le pleaume Laudate Dominum ,omnesgentes.
Le fieur Henin , doyen des Maitres -d'Hôtel du
Roi , fit les honneurs de la table du Parlement à
St Denis ,
conformément aux ordres qu'il en avoit
reçus du Grand- Maître de France & ſuivant l'ufa
ge ordinaire.
238 MERCURE DE FRANCE.
Cette pompe funèbre avoit été ordonnée par le
Duc d'Aumont , Pair de France , premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi en exercice
Chevalier de fes Ordres , & conduite par le fieur
Papillon de la Ferté , Intendant & Contrôleur Général
de l'Argenterie , Menus - Plaifirs & Affaires
de la Cambre de Sa Majefté , fur les deffins du fieur
Michel - Ange Challe , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Profefleur de fon Académie de Peinture
Deffinateur Ordinaire de fa Chambre & de fon Ca.

binet; & la fculpture avoit été exécutée par le Sr
Bocciardi , Sculpteur des Menus-plaiſirs du Roi,
Defcription du Maufolée érigé dans l'Abbaye
Royale de Saint - Denis pour lesobsèques du
feu Roi,
L'extérieur de ce Temple augufte , confacré depuis
plufieurs fiècles aux tombeaux de nos Rois ,
étoit tendu de deuil. Des voiles lugubres qui s'élevoient
jufqu'aux tours , étoient traversés , au milieu
& aux extrémités , par trois litres de velours
noir , couverts des armes & des chiffres de Sa Majefté.
Au - dellus de l'entrée principale s'élevoit
fous une voulure de marbre gris veiné de noir
le double écuffon des armes de France & de Navarre
, couvert d'une couronne royale. Plufieurs
Anges les arrofoient de leurs larmes , & les ornoient
de guirlandes de cyprès ; des termes de
bronze foutenoient , aux deux côtés , le couronnement
de cette vouffure , dont les compartimens
étoient ornés de rofes antiques . Le deflus étoit terminé
par une urne cinéraire de lapis lazuli que des
génies célestes de marbre blanc entouroient de feltons
& de branches funèbres . Les portes latérales
étoient couronnées au - deflus du litre inférieur par
de riches encadremens de marbre gris , terminés
par des timpans , fur lesquels étoient des lampes
SEPTEMBRE. 1774 239
funéraires . Ces ornemens renfermoient des cartouches
dorés , au milieu defquels , fur des fonds
d'azur , les lettres initiales du nom de Sa Majesté
étoient relevées en or. Le fombre appareil de ce
portique conduifoit dans le camp de douleurs. Le
deuil qui l'environnoit s'étendoit jufqu'à la voûte
& renfermoit , entre des litres ornés & placés comme
les précédens , de grands & magnifiques cartouches
, foutenus par des anges. Ces fupports des
armes révérées de nos Rois étoient occupés à les
fufpendre & à les orner de lugubres cyprès. Les
chiffres de S. M. qui les accompagnoient , renfermés
pareillement dans de riches ornemens
étoient , comme les précédens , relevés en or fur
des fonds d'azur , & de même foutenus par des
génies célestes qui les entouroient de rameaux
funèbres. Le camp de douleurs étoit terminé par
une grande pyramide de porphyre rouge , placée
à fon extrémité. Elle préfentoir , dans fon foubaflement
de granite gris , l'entrée du fanctuaire
& du choeur. La forme de cette entrée , élargie par
le bas , portait le caractère confacré à ces triftes
monumens ; elle étoit couverte d'un fronton fous
lequel on lifoit ces paroles de l'Ecriture fainte
écrites en lettres d'or , fur un fond de pierre de
Parangon :
DIES TRIBULATIONIS ET ANGUSTIÆ.
DIES CALAMITATIS ET MISERIE.
DIES TENEBRARUM ET CALIGINIS ,
DIES NEBULÆ ET TURBINIS.
Des degrés élevoient un focle au-deffus de ce fron
ton ,fur lequel l'image de la mort , converte d'un
linceul , faite en marbre blanc , présentoit d'une
main une horloge , fymbole de la rapidité du
temps qui fuit fans retour. Les attributs qui la ca
ractérisent étoient fous les pieds , ainfi que ceux
240 MERCURE DE FRANCE .
qui diftinguent les grandeurs des Maîtres de la
terre. Deus bas reliefs de bronze antique préſen
toient aux deux côtés , dans des enfoncemens pris
dans le foubaffetment , des oeuvres de miféricorde.
Deux vouffures deflous ces bas - reliefs renfer
moient , dans leurs profondeurs , des urnes de
marbre verd-verd , de forme antique , ornées de
bas-relief de canelures torfes & de rinceaux . Les
angles de ce foubaflement étoient terminés par
des colonnes ifolées de ferpentin , avec des baſes
& des chapitaux de marbre blanc ; elles portoient
des lampes de bronze doré , dont la lumière fom
bre éclairoit ce rriste appareil. Le haut de cette
pyramide étoit terminée par une urne cinéraire
d'albâtre oriental , entouré de feftons de cyprès
en or. Des faiſceaux lumineux étoient diſtribués
autour du camp de douleurs & placés au bas des
ornemens qui renfermoient les armes & les chiffres
de Sa Majesté Louis le Bien - Aimé. L'entrée
de la pyramide conduifoit dans le fanctuaire ou
font déposés les précieux reftes des cendres de nos
Rois. Lears tombeaux étoient couverts de voiles
funèbres qui s'étendoient dans toute fon enceinte,
& qui couvroient entierement la voûte & le
pavé. Les ftales , fans aucuns ornemens, fervoient
de foubaflement à un ordre de pilaftres ioniques
qui entouroient le choeur , le jubé & le fanctuaire.
Ces pilaftres , de marbre bleu turquin , portoient
fur un arriere-corps de marbre gris veine de noir ,
& féparoient les arcades des galeries qui, des deux
côtés , s'étendoient du fanctuaire au jubé. L'entablement
de cet ordre portoit un attique de même
bleu turquin, dont les fonds noirs , entourés
d'hermine , fervoient d'encadrement aux armes
& aux chiffres de Sa Majesté Louis le Bien- Aimé.
Au - deffus du vuide des arcades , des cadres de
marbre gris , portés fur des acrotaires de bleuturquin
t
1
SEPTEMBRE. 1774. 241
tarquin , renfermoient dans des cartels en or les
écuffons des armes de France & de Navarre , fous
une couronne royale : fes ornemens étoient couverts
de rameaux de cyprès difpolés en fautoir.
Des nuages élevoient les Génies célestes qui fervent
de lupports aux armes de nos Rois . Les chiffres
de Sa Majefté , relevés en or , fur des fonds
d'azur , étoient également foutenus par des Anges.
Ces armes & ces chiffres , alternativement
diftribués fur la cimaile de la grande corni-,
che , fervoient de couronnement aux arcades des
galeries qui environnoient le chour. Chacune
des arcades étoit couronnée fur la clef , d'un grand
cartouche en or au milieu duquel on voyoit une
tête de mort ailée , couverte d'un voile lacrymatoire
, en argent. De grands rideaux noirs, coupés
par des bandes d'hermine , fortoient des ailettes
de leurs archivoltes. Ces voiles lugubres étoient
retrouffés par des noeuds & des cordons à glands
d'or , fous les impoftes , & découvroient la profondeur
des galeries qui environnoient le choeur ,
dans lesquelles étoient des gradins qui formoient
un amphithéâtre tendu de noir. Chacun des pilaftres
portoit des gaines d'améthifte , cannefees &
ornées de guirlandes de laurier en or ; elles fervoient
de bafes à des lances chargées de trophées
& de dépouilles militaires. Deux corps de baluftrades
de bronze doré , dont les pilaftres & les
platte - bandes étoient de marbre noir , renfermoient
cinq degrés qui féparoient le choeur du
fanctuaire & conduifoient à l'autel . Les gradins ,
faits en bronze , étoient ornés d'entrelacs , de
rofettes & de Aeurs de lis dorées , & fervoient de
baſe à un riche rétable qui renfermoit trois bas reliefs
, dans des cadres de vermeil . Un focle de
bronze doré , orné de compartimens à feuillages,
portoit entre trois rangs de lumières , char-
L
A
242 MERCURE DE FRANCE.
*
gées d'écuffons aux armes de France , une croix de
vermeil enrichie de pierres précieufes . La corniche
de l'arière-corps du rétable , foutenue par des colonnes
de bronze , foutenoit des vales en argent
chargé de girandoles garnies d'une très grande
quantité de feux , qui s'unifloient au premier cor
don de lumière , qui entouroit l'enceinte du choeur.
Les Vertus paifibles & héroïques qui ont toujours
été chéries du Monarque , figurées par la Frudence
, la Juftice , la Force & la Tempérance ,
étoient repréfentées par des femmes diftinguées
chacune par les attributs . Ces figures , enfermées
dans de riches cartels dorés , étoient en relief &
relevées en or , fur un fond d'azur. De femblables
encadremens préfentoient , au- deffus du jubé , la
Paix & la Clémence. Au - deffous fur les arrierecorps
, entre les pilaftres , des cartels en relief
portoient des écuflons en or , couverts des armes
de France. Leurs ornemens étoient terminés par
un cercle de lumières . Les gaines qui couvroient
chacun des pilaftres de l'ordre ïonique qui entoutoir
le chreur foutenoient chacune au bas des trophées
, trois girandoles couvertes de faifceaux de
fumières. Les pilaftres de la balustrade du jubé
au-deflus de la porte de l'entrée du Choeur , élevoient
chacun des gerbes de feux . Le plafond des
ftales portoit le premier litre de velours noir , par..
femé de fleurs de lis en or & de larmes en argent,
Des écuflons fufpendus à une guirlande d'hermihe
, préfentoient les armes & les chiffres de Sa
Majefté. Le deflus de ce litre formoit la base d'un
cordon de lumières , foutenu fur des fleurs de lis ,
en relief& en or. La frife de l'entablement îonique
portoit le fecond litre . Sur la cimaile de la
corniche , des branches faillantes & des girando .
Les placées fur l'à - plomb des pilaftres , formoient
te fecond cordon de lumières. Le troiſième étoit
SEPTEMBRE. 1774. 243
-
élevé ſur la corniche de l'attique , au deffous du
dernier litre orné , comme les précédens , d'écuffons
fufpendus à des feftons d'hermine . Ce litte
renfermoit & terminoit , à fon extrémité , la décoration
de cette pompe funèbre. Au milieu de ce
trifte appareil s'élevoit un monument confacré à
l'éternelle mémoire de très grand , très - haut ,
très-puiflant & très excellent Prince Louis Le
Bien- Aimé , Roi de France & de Navarre. Cet
édifice , dont le plan formoit un parallelogramme
préfentoit un temple ifolé , dont le folide , de verd
antique , étoit élevé fur fix degrés de ferpentin de
canope. Quatre grouppes de cariatides , faites en
marbre de Paros , dont les fronts étoient couverts
de linceuls & de voiles funèbres , exprimoient la
plus grande douleur ; elles paroifloient recueillie
leurs larmes dans des urnes l'acrymatoires . L'extrémité
inférieure de ces figures étoit terminée
en gaine . Elles portoient chacune fur leur tête un
chapiteau d'ordre ionique , couvert d'entre- lacs
qui formoient des corbeilles , fur lesquelles pofoit
un entablement orné de quatre frontons. Les
deux qui couronnoient les parties latérales , portoient
chacun fur leur fond , un carreau , couvert
de fleurs de lis , fur lequel étoient pofés la couronne
royale , le fceptre & la main de Justice ,
accompagnés de branches de cyprès. Au deflous
de ces ornem ns , fous le larmier qui formoit la
corniche , deux tables de jafpe renfermolent ces
paroles des faintes Ecritures . La première du côté
de l'Evangile :
DEFECERUNT SICUT FUMUS DIES MEI :
Pfal . 101 , V. 4.
Celle du côté oppofé :
PERCUSSUS SUM UT FENUM ,
ET ARVIT COR MEUM :
Pfal. 101 , V. 5.
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
Les deux autres placées en face de l'autel & de la
principale éntrée , préfentoient les armes de France
fous une couronne royale , en relief & en or.
Sur ces fontons s'élevoit un amortitlement orné
de rinceaux & de feftons de laurier , en or. Cet
amortiflement qui couronnoit ce monument, fervoit
de bafe à un grouppe de femmes éplorées ,
repréfentant la France & la Navarre . Aux angles
de cet édifice , quatre cippes funéraires , faits de
tronçons de colonnes de jafpe fanguin , fervoient
de bafe à des faifceaux de lances liées avec des
écharpes , auxquels étoient fufpendus des trophées
militaires . Leurs extrémités élevoient fur
le fer d'une lance une triple couronne de lumieres.
Le plafond de ce maufolée formoit une vouffure
ovale , dans les compartimens de laquelle étoient
des rofes en or & des guirlandes de cyprès . Des
lampes fépulcrales éclairoient & terminoient l'extrémité
des frontons aux quatre côtés de cet édifice.
Les fix degrés qui élevoient le foubaffement ,
formoient fix cordons lumineux qui ceignoient &
entouroient le bas du catafalque . Une urne d'or ,
placée au centre de ce monument, portoit fur deux
de fes faces des médaillons qui préfentoient les
traits de Louis le Bien - Aimé . Ce farcophage étoit
couvert d'un étique , fur lequel le poële royal étoit
développé , un carreau de velours noir , orné de
franges & glands en argent , portoit la couronne
de nos Rois fous un crêpe de deuil qui defcendoit
jufqu'au bas du farcophage . Les (ceptres & les
honneurs pofés près de la couronne terminoient
certe repréfentation . Une crédence étoit placée
devant le maufolée , fur laquelle on avoit dépolé
le manteau royal & les armes de Sa Majeſté. La
banniere de France en velours violet , femée de
fleurs de lis d'or & ornée d'un molet à franges
d'or , étoit élevée dans le fanctuaire , avec le
SEPTEMBRE. 1774. 245
pannon du Roi , d'étoffe bleue , pareillement femé
de fleurs de lis fans nombre & bordé d'un molet
à franges d'or. Ces bannieres étoient portées fur
des lances garnies de velours , entourés de crêpes .
Le catafalque étoit couvert d'un grand & magnifique
pavillon , fufpendu à la voûte du Temple ,
dont le couronnement formoit une coupole ovale ,
élevée fur un amortiflement couvert de velours
noir , parfemé de fleurs de lis brodées en or , coupé
fur les avant-corps par des bandes d'hermine.
Le plafond , traverté d'une croix de moire d'argent
, portoit quatre écuflons en broderie aux armes
de France. Deflous ces pentes fortoient quatre
grands rideaux de velours noir , couverts de
fleurs de lis en or , & de larmes en argent , partagés
par des bandes d'hermine. La chaire du
Prédicateur étoit placée près des ftales du côté de
l'Evangile ; elle étoit revêtue , ainsi que l'abatvoix
qui lui fervoit de couronnement , de velours
noir , orné de franges & de galons d'argent.

La Ville de Paris , préfidée par le Maréchal Duc
de Briffac , a fait célébrer jeudi 4 Août , un Service
folemnel pour le feu Roi. L'Evêque de
Meaux a officié pontificalement. Un grand nom
bre de Prélats , & plus de deux mille perfonnes
ont affifté à cette cérémonie . L'Abbé Roufleau ,
chanoine de Chartres , Prédicateur ordinaire du
Roi , a prononcé l'Oraiſon funèbre , qui a été
reçue avec tranſport. Si la fainteté du lieu n'a❤
voit point arrêté les applaudiffemens , on auroit
vu renouveler ce que l Abbé de Boilmont a éprouvé
à l'Académie Françoife. Il n'y a pas de bon &
fidèle fujet du Roi qui n'ait entendu avec admiration
& attendriflement un difcours où l'Abbé
Roufleau retrace toute la vie de Louis le Bien-
Aimé. La Ville a fait à l'Orateur toutes les inf
246 MERCURE DE FRANCE.
tances poffibles pour qu'il permit que l'Oraifon
funèbre fût imprimée, mais le Public a appris avec
le plus grand regret que l'Abbé Rouleau ne s'étoit
pas encore rendu aux voeux de tous ceux qui
l'ont entendu .
NOMINATIONS.
Le Roi a nommé Chambellan de Monſeigneur
le Comte l'Artois , fur la demande de ce Prince ,
le Marquis de Gerbeviller qui a eu l'honneur de
faire fes remerciemens à Sa Majesté.
Le Roi a nommé fon Amballadeur auprès du
Roi de Suéde le Comte d'Ullon , qui a eu l'honneur
de faire les révérences à Leurs Majeftés & à
la Famille Royale . Il a été préfenté au Roi par
le Comte de Vergennes , miniftre & fecrétaire
d'état , ayant le département des affaires étran
gères.
Le Baron de Cadignan , Gentilhomme de la
Chambre de Monfieur & Colonel - commandant
de la Légion de Lorraine , a été nommé par le
Roi , fut la demande de Monfieur , premier Fanconnier
de ce Prince.
Le 6 Août , le fieur le Noir , Maître des Requêtes
fit les remerciemens au Rot & à la Famille
Royale pour la place d'Intendant de Limoges , à
laquelle Sa Majesté l'a nommé .
Le Marquis de Courtonne a eu l'honneur de
remercier le Roi & la Famille Royale pour la
place de Cornette de la première compagnie des
Moufqueraires , à laquelle Sa Majeſté l'a nommé.
Le Prince Louis de Roban ayant prié le Roi de
le difpenfer de retourner à Vienne , Sa Majeſté a
nommé fon Ambasadeur extraordinaire en certe
Cour le Baron de Breteuil , qui a eu l'honneur de
faire fes remercu mens à Leurs . Majeſtés & à la
Famille Royale. Il a été préſenté au Roi par ke,
SEPTEMBRE. 1774. 247
Comte de Vergennes , miniſtre & fecrétaire d'état,
ayant le département des affaires étrangères.
Le 24 d'Août , le Duc de la Vrilliere , miniftre
& fecrétaire d'état , alla , de la part du Roi , redemander
les fceaux au fieur de Maupcou . Sa Majefté
en a dilpolé en faveur du fieur Hue de Miromefnil
, ancien premier Préfident du Parlement de
Rouen. Le 28 du même mois , le fieur Hue de
Miromelnil a prêté ferment entre les mains du
Roi .
Le 24 d'Août , le Roi a nommé contrôleur-gé
néral de fes finances le fieur Turgot , fecrétaire
d'état ayant le département de la Matine ; & , le
26 , Sa Majefté l'a nommé miniftre d'état , & en
cette qualité le fieur Turgot a affifté au Confeil.
Sur la démiſſion du fieur Turgot de la charge
de fecrétaire d'état de la Marine , Sa Majefté en
a pourvu le fieur de Sartine , confeiller d'état &
ci - devant lieutenant général de police . Le 28
Août , le fieur de Sartine a prêté ferment entre les
mains du Roi.
Le Roi a rétabli en faveur du fieur Moreau ,
premier confeiller de Monfieur & bibliothécaire
de la Reine , l'une des deux places d'hiftoriogra
phe de France , créée anciennement par LouisXIV
pour les deux hommes de lettres qu'il chargea
d'écrire l'histoire de fon règne : le fieur Moreau
a cu l'honneur de faire les remerciemens au Roi,
& d'être préfenté à la Reine ainsi qu'à la Famille
Royale.
Le Comte de la Billarderie d'Angivilliers , c
devant Gentilhomme de la Manche des Princes ,
a cu l'honneur de faire fes remerciemens au Koi
pour la place de directeur général des bâtimens
à laquelle Sa Majesté l'a nommé . Il a eu auffi
T'honneur d'êue piéfenté à la Reine & à la Famille
Royale .
23
248 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur le Noir , maître de srequêres & intendant
de Limoges , a eu l'honneur de faire les remerciemens
au Roi , & d'être préſenté à la Famille
Royale pour la place de lieutenant- général de Police
de Paris , à laquelle Sa Majesté l'a nommé.
S
PRESENTATIONS.
Le 1s Août , Madame préfenta au Roi la Ducheffe
de Caylus , nommée pour l'accompagner à
la place de la Comteffe de Guiche.
·
Le ficur de Bellecombe , Brigadier des armées
du Roi , commandant particulier de l'lfle de
Bourbon , a eu l'honneur d'être préſenté au Roi ,
à la Reine & à la Famille Royale par le fieur Turgot
, lecrétaire d'état , ayant le département de la
Marine.
Les Députés des Etats de Corfe ont eu l'honneur
d'être admis , le 21 Août , à l'audience dụ
Roi. Ils ont été préfentés à Sa Majefté par le
Comte de Muy , miniftre & fecrétaire d'état ,
ayant le département de la Guerre , & conduits
par le fieur de Nantouillet , maître des cérémo-
Dies.
NAISSANCE.
La Duchefle de Luynes eft accouchée d'une
fille.
MORTS.
Etienne- René Potier de Gêvres , Cardinal - Pretre
de la Sainte Eglife Romaine , du titre de Ste
Agnès- bors les murs , ancien Evêque Comte de
Beauvais , Vidame de Gerberoy , Pair de France ,
Commandeur de l'Ordre du St Efprit , Abbé commendataire
des Abbayes royales de Notre - Damed'Ourfcamp
, St Vincent de Laon , St Etienne de
Caen & St Lambert - Lieffres , eft mort à Paris dans
SEPTEMBRE. 1774. 249
la 78 année de fon âge , étant né en 1697. Il
avoit été nommé à l'abbaye d'Ourfcamp en 1720;
à l'évêché de Beauvais en 1728 ; élevé à la Pourpre
Romaine en 1756 , & avoit été fait Commandeur
de l'Ordre du St Efprit en 1758. Il s'étoit
démis de fon évêché en 1772 .
Jacques -Etienne Marthe , fils de feu Jacques-
David Comte de Cambis , brigadier des Armées
du Roi , eft mort à Paris dans la neuvième année
de fon âge.
Claude - Gabrielle de Bouthillier , épouse de
Mathieu de Bafginat , Baron de la Houze , chevalier
profes de l'Ordre de S: Lazare , & chevalier
honoraire de l'Ordre de Malthe, miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès des Princes & du Cercle de
la Bafle-Saxe, eft morte à Paris .
Jean - Arnaud de la Garrigue , maréchal des
camps & arinées du Roi , chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , eft mort à Paris ,
dans la 59e année de fon âge.
Jean George d'Ebault de Malaviller , brigadier
des années du Roi , colonel du régiment de Toul,
du Corps royal de l'Artillerie , eft mort à Grenoble
, le 2 Août , âgé de 71 ans.
Marie Fillol de la Tour de Bontemps , veuve
du fieur Balzac de Saint- Pau , eft morte dans la
Terre de Donzac , généralité d'Auch , dans la
cent neuvième année de fon âge. Elle n'avoit au
cune infirmité & n'avoit jamais été ni faignée ni
purgée. Elle eft morte même par un accident.
Elle eft tombée dans le feu , s'eft bleflée à la tête &
a fait des efforts inutiles pour éviter de fe brûler.
Philiberte - Thérele Guyer , Comteffe de Louan ,
veuve de Jérôme Comte de Chamillard , maréchal
des camps & armées du Roi , eft morte à Paris
, âgée de quatre- vint deux ans .
Etienne le Bague , veuve de Jean Rollo de
Beauregard , chevalier de l'Ordre royal & mila
250 MERCURE DE FRANCE.
taire de St Louis , prévôt de l'hôtel royal des Invalides
, eft morte à Caen , dans la quatre-vingtquinzième
année de fon âge.
LOTERIES.
Le cent foixante- troisième tirage de la Loterie
de l'hôtel - de-ville s'eft fait , le 26 Juillet , en lạ
manière accoutumée . Le lot de cinquante mille
liv . eſt échu au No. 14382. Celui de vingt mille
livres au N°, 2143 , & les deux de dix mille ,
aux numéros 13898 & 15292,
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le d'Août . Les numéros fortis de la roue S
de fortune font 71 39 , 52 , 3 , 2. Le prochain
tirage le fera les de Septembre.
PIECES
>
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Les deux Voyageurs , conte ,
Epître à M. de Voltaire , en lui envoyant la
Rofière ,
Réponse de M. de Voltaire ,
Vers à M.l'Abbé de Boiſmont ,
Fpîrre à M. François de Neuf Château ,
Le Boeuf & l'Alouette , fable,
La Philofophe rendue à la raiſon , conte
Le vrai Plaifir ,
Epître à une Mère (ur fon Fils ,
Le Sommeil du Méchant ,
Epithalame fur le mariage de M. Tieflon ,
Envoi ,
Sur le règne de Louis XVI , Sonnet ,
Vers au fujet des écrits qui paroiffent fur le
44
nouveau règne ,
La Riviere & le Ruifleau ,
ibid.
12
ibid.
16
18
20
41
44
48
49
ibid.
*
го
SEPTEMBRE. 1774. ZSI
Vers à Alde la Baronne de Princen , 54
Explication des Enigmes & Logogryphes , ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHE ,
Chanton ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Lettres à Eugénie (ur les Spectacles ,
Memoire fur les contre coups ,
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques ,
Eflai philofophique fur le corps humain ,
Oraifon funèbre de Louis XV par M. de
Gery ,
55
57
59
61
ibid.
71
73
76
89
Hiftoire de France jufqu'au règne de Louis XIV , 90
Syllabaire des Pauvres ,
Mémoires fecrets , contenant le règne de
Louis XIII ,
91
92
La Théorie du Jardinage ,
93
Euvres de Chaulieu ,
La Pratique du Jardinage ,
Hiftoire naturelle des différens Oiseaux ,
Oraiſon funèbre de Louis XV par M. l'Abbé
de Boifmont ,
Ode aux Poëtes du temps ,
Antilogie & fragmens philofophiques ,
Pièces d'éloquence qui ont remporté le prix ,
98
102
106
120
125
139
&c. 146
Abrégé d'Aftronomie ,
ibid.
Elémens de Géométrie-pratique , 150
Oraiſon funèbre de Madame de Lorraine ,
par M. Bexon ,
ISI
Oraifon funèbre de Louis XV par
M. l'Evêque,
de Senès ; 153
Erafte ou l'ami de la Jeunefle , 162
Anecdotes chinoises , & c.
Elémens de Chirurgie ,
Traité des Maladies inflammatoires ,
Nouveau Dictionnaire hiftorique ,
163
166
168
169
252 MERCURE DE FRANCE.
Le Vindicatif , 170
Dictionnaire de la Noblefle , 175
ACADÉMIE ,
179
SPECTACLES , Opéra , 190
Comédie Françoiſe , 198
Début , 204
Comédie Italienne , 205
ARTS , 206
Manufacture de porcelaine de Sève , ibid.
Gravures , 208
Mufique , 211
Leçons de Langues italienne , &c. 215
Ecriture , 216
Précis du procédé ſuivi pour barrer un des
bras de la rivière de Seine , à Neuilli ,
Le Cri de la Seine ,
Lettre de M. de Voltaire à M. Perronet ,
Quatrain à la Reine ,
Vers à M. le Moine ,
Le Fourmi- lion & la Fourmi , fable ,
217
220
221
222
ibid.
223
Bienfailance ,
Anecdotes •
AVIS ,
1
225
226
228
Nouvelles politiques ,
232
Maufolée à St Denis ,
238
Nominations , 246
Préfentations , Naiffance , Morts , 248
Loreries , 250
ΑΙ
APROBATION.
J'AI Iu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Ic volume du Mercure du mois de Septemb. 1774,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion.
A Paris , le 30 Août 1774.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le